Fichier
Nom du fichier
1755, 04-05, 06, vol. 1-2
Taille
32.70 Mo
Format
Nombre de pages
927
Source
Lien vers la source
Année de téléchargement
Texte
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
AVRIL. 1755 .
Diverfité , c'est ma devife. La Fontaine.
Chez
Cochin
Filiusinve
PapilmySculp
IBLIO
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JEAN DE NULLY , au Palais.
PISSOT , quai de Conti .
LAMBERT , rue de la Comédie.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
Avec Approbation & Privilege du Rois
LYON
AVERTISSEMENT.
IE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTION , Avocat , & Greffier- Commis
an Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne,
Butte Saint Roch , entre deux Selliers.
C'est à lui qu'on prie d'adreſſer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre ,
quant à la partie littéraire , à M. de Boiffy ,
Auteur du Mercure.
Le prix est de 30 fols , & l'on payera
d'avance , en s'abonnant , 21 livres pour
l'année , à raifon de quatorze volumes. Les
volumes d'extraordinaire feront également de
30 fols , fe payeront avec l'année qui les
Suivra.
Les perfonnes de province auxquelles on
l'envoyera par la pofte , payeront 31 livres
.10 fols d'avance en s'abonnant , & elles le
recevront franc de port.
Celles qui auront des occafions pour le faire
venir , ou qui prendront les frais du portfur
leur compte , ne payeront que 30 fols par
volume , 21 livres d'avance , en s'abonnant
pour l'année , fans les extraordinaires .
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers , qui voudront faire venir le Mer-
A ij
ture , écriront à l'adreffe ci- deffus.
On fupplie les perfonnes des provinces d'envoyerpar
la pofte , enpayant le droit , le prix
deleur abonnement , ou de donner leurs ordres,
afin que le payement en foit fait d'avance an
Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis ,
resteront au rebut.
L'on trouvera toujours quelqu'un en état
de répondre chez le fieur Lutton ; & il obſervera
de rester à fon Bureau les Mardi ,
Mercredi & Jeudi de chaque femaine, aprèsmidi
.
On peut fe procurer par la voie du Mercure
, les autres Journaux , les Livres qu'ils
annoncent , & tous autres généralement .
MERCURE
THEQUE DE
FRANCE
LYON
AVRIL.
*/
893*
1755 .
DE
LA
VILLE
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
EPITRE
A M. DES MAHIS ,
Qu
Par M. ***
Uittez la palette légere ,
Où l'amour broye encor vos plus belles couleurs;
Appellé par Thalie à de plus grands honneurs ,
Il eft tems qu'aujourd'hui d'une main plus févere,
A iij
6 MERCURE DE FRANCE .
Pour achever la peinture des moeurs
Vous repreniez le pinceau de Moliere.
Laiffez - moi des amans le tendre caractere ;
C'eſt à moi qu'il convient de chanter leurs douceurs
,
Moi qui toute la vie auprès d'une bergere
Ai porté la houlette & le chapeau de fleurs.
Tandis qu'au fein de la molleffe ,
Fuyant la table ouverte & le fouper prié ,
Vous accordez vos jours à l'amitié ,
Et confacrez vos nuits à la tendreffe ,
L'honnête homme en tous lieux ſe voit humilié
Par mille fots de toute espece.
Effain fâcheux qui , trop multiplié ,
Abuſe de votre pareſſe ,
Et qui par fes fuccès fe croit juftifié.
Voyez paffer Cléon , fa fuperbe voiture
Le mene avec fracas chez Life , chez T ....
C'eft , à l'entendre , encore une aventure ;
Sa vifite eft un rendez - vous ...
Et c'eft enfin pour lui qu'on les a quitté tous.
Regardez la jeune Glycere ,
Qui dans la crainte des jaloux ,
Ecoute en même tems l'Abbé , le Militaire ,
Le Magiftrat , l'homme d'affaire ,
Quelquefois même ſon époux ,
Sans les aimer & fans leur plaire.
Par cette efquifle trop légere
D'originaux qu'on ne peut corriger ,
AVRI L.
7: ∙1755.
Ami charmant , c'eft à vous de juger
Des portraits qu'il vous reſte à faire ,
Pour les punir & nous venger.
Peignez auffi l'infenfible coquette
Qui veut plaire toujours fans jamais s'engager ,
La dédaigneufe & l'indifcrette ,
L'ami trompeur , avec l'amant léger.
Si pourtant quelquefois , pour toucher une belle
Vous voulez peindre encor le tendre ſentiment ,
L'amour heureux avec l'amour fidele ,
-Venez chez moi , mon Eglé vous appelle ;
Vousy verrez avec quel agrément
Cette jeune beauté , toujours vive & nouvelle ,
Entre le goût & l'enjouement ,
Sçait enchanter les jours que je paffe auprès
d'elle .....
Mais je vois qu'infenfiblement
Je vous ramene à la tendreffe .
Ah ! pardonnez ce mouvement
D'un amant trop épris qui , plein de fon yvreffe ,
Vous écrit même en ce moment
Sur les genoux de fa maîtreffe.
A iv
3 MERCURE DE FRANCE.
REFLEXIONS
SUR LE GOU T.
A décadence du goût contre laquelle
L'on
on avoit commencé à s'élever fur les
dernieres années de Louis XIV , eft aujourd'hui
fenfible. La fcience eft devenue
portative , elle eft renfermée dans cinq
ou fix volumes in- 12 : on pourroit prédans
peu
elle ne formera qu'un
fumer que
almanach
.
M. de Voltaire fait à Colmar des livres
qui demeurent inconnus , ou ne parviennent
pas au -delà de Thanne & de Scheleftat
. Il continue à fon aife fes Annales de
l'Empire & fon Hiftoire univerfelle , fans
qu'on s'en embarraffe ; le titre même de
fes autres ouvrages eft ignoré.
Il ne paroit prefque plus de plus de livres
nouveaux. L'Auteur ou l'Imprimeur s'y
ruinent , felon que les frais de l'impreffion
tombent fur l'un ou fur l'autre .
La plupart des arts utiles ne fe confervent
que par la routine des vieux ouvriers ;
* Il me femble qu'on ne doit pas fe plaindre de
la quantité ni du débit ; c'eft fur la qualité qu'on
peut fe récrier.
AVRIL. 1755.
•
c'eft fur de tels appuis que roulent nos
manufactures. Les directeurs & les maîtres
ne fçauroient pas conduire leurs travaux
.
+
On fe plaint généralement du peu de
vigueur qu'on voit aujourd'hui dans la
circulation du commerce : il faudroit fe
plaindre du peu d'amour qu'on a pour les
arts * .
La recherche des commodités de la vie
& la jouiffance des plaifirs délicats font
devenues une occupation férieufe , & femblent
confondre prefque tous les états.
Quand un Artiſte a travaillé pour les
commodités d'autrui , il abandonne fon
talent , & emploie fon gain à faire travailler
pour les fiennes .
Les fages politiques qui ont cherché à
introduire le luxe , ont mal réuffi ....
( Пy a ici une lacune ) . ༡
L'excès du luxe ne peut pas nuire ;
cela n'eft vrai en bonne politique qu'en
fuppofant qu'an Marchand qui tiendra
table ouverte & donnera des concerts
ne fermera pas fa boutique ; qu'un Tailleur
qui roulera carroffe , ne ceffera pas
de faire des habits * ; mais le nombre des
Je crois que cette partie eft très- cultivée à
bien des égards .
* Le fameux P .... fait plus d'habits & d'envois
* A v
10 MERCURE DE FRANCE.
ouvriers diminuant tous les jours , on eft
obligé d'augmenter le prix des marchandifes'
, & là même d'en rendre la confompar
mation plus difficile . Rien ne prouve mieux
la richeffe d'un Etat , ou la circulation du
commerce , que le bon marché auquel on
achete tout ce qui fert aux befoins & aux
commodités de la vie . * Ainfi l'abus du
luxe ne confifte pas en ce qu'on dépenfe
trop ; mais en ce que , par un faux éclat
qu'on attache au luxe , on méprife , ou du
moins on délaiffe les arts , & on ne travaille
pas affez .
Le rapport intime d'un luxe exceffif
avec la décadence des arts , eft une de ces
vérités qui ne font pas affez connues ; les
conféquences de l'un à l'autre ne font
pas
auffi éloignées qu'elles le paroiffent.
A peine a-t- on acquis un état au-deffus
du commun du peuple , qu'on afpire à
fentir toute la fineffe que l'imagination a
inventée dans les plaifirs de pur agrément.
On veut être auffi -tôt Peintre , Poëte &
qu'il n'en a jamais faits , quoiqu'il ait depuis longtems
équipage , & le nombre de fes garçons augmente
toutes les années.
* Les provinces de France où on vit à meilleur
compte , font au contraire les moins riches , &
c'eft dans les villes où le commerce fleurit le
plus , que tout eft le plus cher.
AVRIL. 1755. II
Muficien : on aime ces talens , parce qu'ils
font rares , & qu'ils fervent beaucoup à la
parure de l'efprit : auffi nous donnent - ils
lieu de connoître la meſure des lumieres
générales , & la trempe du goût .
Rien n'eft plus commun que de trouver
ce qu'on appelle des connoiffeurs en Peinture
, en Poëfie & en Mufique , mais on
trouve rarement des gens qui fçachent
diftinguer feulement un tableau de Raphael
d'avec un de Teniers ; on parle de
coloris & de coftume fans fçavoir ce que
ces mots fignifient . En voici la preuve.
Vanloo ou Reftout trouveront deux mille
livres d'un ouvrage qui leur aura coûté
un an de travail : un barbouilleur de cabinets
& d'alcoves gagnera dix ou douze
mille livres dans cet intervalle. Tout Paris
s'empreffera de voir des peintures groffieres
qui tapifferont le bureau ou la falle
à manger d'un particulier * ; peu de monde
ira vifiter des chefs- d'oeuvres expofés au
vieux Louvre.
On fe pique de fe connoître en poëfie ,
& de l'aimer. M. de Crébillon donne une
tragédie nouvelle ; on en parle le premier
jour à un fouper : d'ailleurs on n'eft pas au
* Cette accufation eft exagérée . Le public a
couru voir en foule les tableaux expoſés dans le
dernier fallon.
A vj
12 MERCURE DE FRANCE .
tant affecté de cet événement qu'on l'étoit
autrefois d'un quatrain de Benferade.
On s'attache encore plus à prouver fon
goût pour la mufique ; cependant l'auteur
de Titon & l'Aurore expofe au goût du
public une Paftorale languedocienne ; on
la trouve d'abord froide , languiffante , &
d'une bizarrerie infoutenable ; la falle du
fpectacle eft deferte pendant un tems.
Quelques perfonnes dont le bon goût ne
peut être contredit , ayant difcerné la tendreffe
naïve & touchante qui regne dans
cet agréable ouvrage , en ont empêché la
chûte.
Théfée fervira mieux d'exemple . En
vain les bons juges ont admiré la profonde
harmonie de cet Opéra mâle & vigoureux ,
ils n'ont pu garantir Lulli de l'infulte qu'on
a faite à fes cendres. On a écouté de fangfroid
les fons raviffans de la charmante
Fel & de l'incomparable Jeliotte , les nobles
tranfports de Mlle Chevalier , & les
reftes précieux des accens majestueux de
Chaffe ; à peine a-t-on encouragé par quelques
applaudiffemens Mlle Davaux , qui
par les progrès qu'elle a faits depuis quel
que tems , donne de fi grandes efpérances.
La mufique de Lulli a été goutée par trop
de monde ; c'est pourquoi elle ne l'eft plus
AVRIL. 1755.
13
tant aujourd'hui . S'il étoit auffi facile
d'acquerir les talens que de fe revêtir d'une
nouvelle parure , les arts changeroient
comme les modes ; le nombre des connoiffeurs
fe multiplieroit avec rapidité ; &
comme pour un bon connoiffeur il y en a
cent de mauvais , le goût feroit immolé ,
plutôt qu'il ne l'eft , à la pluralité des fuffrages
: car il ne faut pas croire ce qui fe
dit vulgairement , que les changemens du
goût font le fruit de l'inconftance ; nous
devons dire au contraire , que l'inconf
tance eft l'afyle du goût . La délicateſſe &
la fenfibilité qui le caractériſent , le rendent
incompatible avec cette foule tranchante
d'afpirans préfomptueux dont il eft affiégé :
il fuit , il fe déguife , il invente ; mais
toujours également pourfuivi , il eft contraint
de céder à la force , il difparoît.
La face de la terre fe couvre de ténébres.
A des fiécles éclairés fuccédent des
tems de barbarie , où les hommes connoiffent
à peine les loix de l'humanité. L'hiftoire
nous a laiffé deux époques d'un pareil
defordre qu'il feroit à fouhaiter que
la postérité n'eût pas à nous accufer d'avoir
commencé la troifiéme ! Pour éviter
cette accufation , nous ne fçaurions trop
nous attacher à connoître les véritables
talens , & à n'honorer & à ne récompen14
MERCURE DE FRANCE.
fer que ceux -là . Bien des perfonnes qui
vivent dans le découragement , feront valoir
des talens qu'ils facrifient à l'incerti
tude des récompenfes : nous mettrons un
frein au mauvais goût , ceux qui n'auront
point de talent pour un genre en embrafferont
quelque autre qui leur fera profitable,
&
peu à pen
, chacun
rentrant
dans
fa
fphere & confultant fon génie , travaillera
pour fa patrie en travaillant pour lui-même.
LES PROGRES
DE LA MUSIQUE FRANÇOISE.
C
CANTA TILLE..
Es italiques chants , torrens impétueux ,
Rentrés au lieu de leur naiffance ,
Reffemblent au Nil orageux ,
Qui fe retire , & laiffe après lui l'abondance.
Déja de nos nouveaux tréfors
Nous fçavons faire un doux ufage ;
Que le fuccès nous encourage
A tenter de plus grands efforts.
Le plaifant même eſt agréable ,
Semé de traits ingénieux ;
AVRIL.
1755. 15
Des Dieux le cercle refpectable ,
De Momus applaudit les jeux.
L'Ariette légere & la vive Cantate ,
Par leur doux badinage ont égayé ces lieux ;
A de fçavans écarts la rapide Sonate
A formé par degré notre oreille & nos yeux ;
Et ce burleſque harmonieux
Dont l'enſemble nous bleffe , & dont le chant
nous flate ,
Sur la fcene autoriſe un vol audacieux.
Confervons ce noble lyrique
Qui fut l'ame de nos accords ;
Mais de la faillie italique
Adoptons les brillans tranſports.
Du nocher qui craint le naufrage ,
Fuyons fur-tout le trifte fort ;,
Il n'ofe quitter le rivage ,
Et l'ennui le conſume au port.
16 MERCURE DE FRANCE.
VERS A IRIS *.
Par M. Maurel de Draguignan , Avocat .
I Ris , quand tu fais mon tourment ,
Avec un maître mercenaire ,
Tu perds plus d'un heureux moment ;
Sçache qu'il faut , à qui fçait plaire ,
Bien moins un maître qu'un amant.
Là , dans l'ardeur qui le confume ,
Trop flatté de tenir ta main ,
Il prendroit plaifir , fous ta plume ,
A fe plaindre de ſon deſtin .
Pour effai , dans l'art de Barreme ,
Que les foins t'auroient applani ,
Ici , nombrant combien il t'aime ,
Tu te perdrois dans l'infini.
Bientôt fur un papier volage ,
Il te dépeindroit l'esclavage
Où le fait gémir ta rigueur;
Et bientôt tu fçaurois lui peindre
Que fon deftin n'eft plus à plaindre ,
Et qu'il connoît mal fon bonheur.
* Mlle . . . . avoit un maître à écrire & d'arithmétique
, & cette circonftance fournit le ſujet de
ces vers.
10
AVRIL. 1755. 17
DIALOGUE.
EPICURE , SARDANAPALE.
SARDANA PALE.
'Aurois bien voulu avoir votre conquand
je
> nonriez
enfeigné la route du bonheur ; car
vous avez , m'a- t- on dit , beaucoup philofophé
fur le fouverain bien .
EPICURE.
Il eft vrai que j'ai fait comme font tous
les hommes , j'ai cherché à adoucir ma
condition ; mais votre langage m'étonne ,
vous avez paffé pour l'homme du monde
le plus voluptueux .
SARDANA PALE.
Et j'en étois le plus malheureux . Ayant
tous les moyens pour fixer le plaifir , je
n'ai jamais pû l'arrêter ; quand je voulois
jouir il difparoiffoit , il épuifoit mes defirs
fans les fatisfaire. Vous ne diriez pas
que je me fuis trouvé dans des fituations
où je croyois n'avoir point d'ame . Venus ,
les Graces, tout Cythere auroit paru devant
18 MERCURE DE FRANCE.
moi , fans tirer mon coeur de la langueur
où il étoit plongé.
EPICUR E.
Il eft vrai que fi nous euffions vêcu enfemble
, je vous aurois donné un remede
qui vous auroit tiré de cette eſpèce de léthargie.
SARDANA PAL É.
Quel étoit- il donc ce remede que j'ai
tant cherché ?
EPICUR E.
La tempérance.
SARDANA PALE.
Bon , c'eſt une vraie privation ,
ÉPICURE.
Ce n'eft qu'une fage économie. Vous
vous trompiez ; la jouiffance n'eft pas toujours
ce qui donne le bonheur , ce n'eſt
que la façon dont on jouit. Quand vous
aviez fait un grand dîner , quelque bons
mets qu'on vous eût préfenté, ne vous fentiez-
vous pas du dégoût pour eux , & n'étiez-
vous pas
forcé de vous priver du ſouper?
AVRIL. 1755.
19
SARDANA PALE.
Il eſt vrai.
EPICURE.
Hé bien les fenfations de notre ame
s'émouffent par le grand ufage des plaiſirs,
comme l'appétit fe perd dans un grand repas
bien plus , je croirois que les viciffitudes
& les traverfes , que les humains
regardent comme des maux , font néceffaires
au bonheur , cela réveille les goûts.
L'uniformité eſt la- compagne de l'ennui .
SARDANA PALÉ.
C'est ce que j'ai éprouvé , perfonne n'a
recherché le plaifir avec plus de conſtance
que moi , & perfonne n'a été plus ennuyé.
Croiriez- vous que je ne fuis forti de la vie
que parce que j'en étois dégoûté ? Je ſçai
bien qu'on a attribué la caufe de ma mort
à ma molleffe ; & à la crainte que j'avois
de l'esclavage ; ce que je vous dis eft
pourtant très-vrai.
EPICUR E.
Je veux bien vous croire ; cependant
quand on a vêcu comme vous , on ne fupporte
gueres les infortunes : la plus petite
peine devient un mal confidérable pour les
20 MERCURE DE FRANCE.
gens délicats. J'ai oui dire qu'un habitant
de Sibaris ne put dormir fur un lit de roſes ,
parce qu'une feuille fe trouva pliée ; une
telle délicateffe eft bien incommode .
SARDANA PALE.
Je ne l'ai jamais pouffée auffi loin , je
me fuis contenté de paffer ma vie dans.
la compagnie de mes femmes , à raffiner
fur des amuſemens qui n'ont jamais pu
remplir le vuide de mon ame.
EPICURE .
Je le vois bien , nous nous accordons
tous dans le defir d'être heureux , mais
ce n'eſt que dans le choix des moyens que
nous différons étrangement ; vous cherchiez
le bonheur dans une jouiffance continue
, j'ai connu des gens qui ne le trouvoient
que dans l'efpérance.
SARDANA PALE.
C'eft la mere de l'illufion & de l'erreur.
EPICUR E.
Une erreur agréable plaît toujours . Si
vous vous en étiez tenu aux plaifirs de
l'imagination , vous ne vous plaindriez
point de votre fort ; ce n'eft que pour les
avoir trop approfondis que vous les avez
vû difparoître.
AVRIL.
1755. 21
SARDANA PALE.
tenu Vous ne vous en êtes pourtant pas
aux chimeriques plaifirs de l'imagination ;.
vos difciples d'aujourd'hui me font croire
que vous avez cherché plus de réalité .
EPICURE.
On a abufé de ma doctrine & prostitué
mon nom : les libertins qui s'en décorent ,
fe donnent pour mes diſciples , mais je les
defavoue .
SARDANA PALE.
Mais quel a donc été votre fyftême ?
EPICURE.
Quant à la théorie , j'ai regardé le plaifir
comme une fleur délicate , qu'il në falloit
point cueillir pour jouir plus long- tems
& de fa beauté & de fon odeur.
SARDANA PALE.
Et quant à la pratique ?
EPICUR E.
J'ai cru qu'un jardin agréable à cultiver
, une compagne douce & fidelle , des
amis choifis , des repas gais , affaifonnés
par la frugalité , une étude amufante &
22 MERCURE DE FRANCE.
modérée , devoit rendre l'homme auffi heureux
qu'il pouvoit l'être.
SARDANA PALE.
Je me ferois affez accommodé de votre
fyftême-pratique fi je l'euffe connu ; mais
croyez -vous qu'il ait pû ainfi accommoder
tout le monde ? le bonheur n'eft point un
être de raifon , le fentiment doit le produire
, il eft fait pour le goûter , & chaque
perfonne a fa façon de fentir particuliere.
J'ai oui dire à des morts de bon
fens , qu'on n'étoit jamais moins heureux
que quand on en étoit réduit aux ſyſtêmes
; je peux fervir d'exemple à cette judicieufe
remarque.
EPICURE,
Vous parlez en homme d'expérience ;
je n'ai rien à vous répondre ; mais je croirois
pourtant toujours qu'on peut prévenir
le dégoût ; que fans s'exciter à jouir d'un
plaifir qu'on ne fent pas , on peut fe mettre
dans une difpofition propre à le recevoir
; le refte eft l'ouvrage du tempérament
& des circonftances.
G. N. De Bord.
AVRIL. 1755.
23
EPITRE
A M. DE SAINT- AUBAN ,
Lieutenant -Général de l'Artillerie.
Damon , le parti que j'ai pris
N'eft point guidé par le caprice.
Des plaifirs je connois le prix ;
Mais je me rends trop de juftice
Pour les attendre de Paris.
Avec la déplorable Automne
Les ris ne font plus de concert ;
Ce n'eft que le Printems qui donne
Ce que l'on refufe aux hyvers.
Je fçais que l'homme vraiment fage ,
Qui joint le talent à l'eſprit ,
Avec difcernement choisit
Les gens dont il veut faire ufage ;
Et que communément on dit ,
Qu'il eft des plaifirs de tout âge,
D'accord : j'en conviens avec toi ;
Mais je n'ai pas tant de ſageſſe ,
Et j'avouerai de bonne foi ,
Qu'un refte d'antique foibleffe
M'aiguillonne encor malgré moi ,
Que diroit-on de mon délire ,
24 MERCURE DE FRANCE .
Si , tout couvert de cheveux gris ,
J'allois encore à quelque Iris
Conter mon amoureux martyre ?"
J'apprêterois fans doute à rire ,
Sans ofer en être furpris.
Je connoîtrois mon ridicule
Et ne pourrois m'en garantir ;
Souvent le coeur fe diffimule
Ce que la raifon fait fentir..
Son pouvoir auroit peu de force
Contre ce qui me paroît beau ,
Et je fens que la moindre amorce
Me replongeroit de nouveau
Dans un danger que je m'efforce
A regarder comme un fléau .
C'est donc , ami , fur ce principe
Que dans un champêtre féjour ,
Mon tendre penchant pour l'amour ,
Faute d'aliment fe diffipe.
Je vis heureux dans mon réduit ,
Loin du tumulte , loin du bruit ;
Je me fuis fait une habitude
De partager le tems qui fuit
Entre les plaifirs de l'étude
Et la raifon qui les conduit.
Loin de moi tout fâcheux fyftême ,
Dont les détours trop tortueux ,
Me fatiguent par un problème
Qu'un grave auteur , à cerveau creux ,
A
AVRIL.
1755.. 25
A peine à comprendre lui-même.
Je cherche dans l'hiftorien
Du beau , du clair & du folide ;
Je veux dans un grammairien ,
Que le vrai fans ceffe préfide ,
Et dans l'auteur homme de bien ,
Une vertu qui me décide.
A ce détail , on me croira
Un philoſophe d'importance ;
Mais , Damon , l'on fe trompera ,
A peine en ai -je l'apparence.
J'aime à lire , à la vérité ;
Mais ce doux plaifir ne m'occupe.
Qu'autant que l'aimable gaité
Chez moi n'en peut être la dupe.
Je partage tous mes momens ;
Après une étude févere ,
Une muſe folle & légere
Se rend maîtreffe de mon tems ;
Et franchement je la préfere
A mes autres amuſemens.
De cette yvreffe de mes fens
La raiſon en eft fimple & claire.
Sans fortir de mon cabinet
t
Je dépeins , dans une élégie
Le tendre & fenfible regret
D'une malheureuſe Silvie ,
Qui fans caufe ni fans fujet ,
Se voit indignement trahie.
B
}
26 MERCURE DE FRANCE.
Veux- je d'un berger amoureux
Faire enfler la douce mufette :
Je fais fi bien qu'elle répéte
La certitude de fes feux ;
Et dans une églogue touchante
J'engage à la fin cette amante
A répondre à ſes tendres voeux.
Faut-il du grand , du pathétique ?
Mon Apollon ſe prête à tout ,
Et quelques vers que je fabrique ,
La rime fe rencontre au bout.
Fort bien , me dira le critique ;
Mais eft- il fûr que le bon gout
Réponde à ce feu poëtique ?
Non , vraiment , m'écrirai -je alors :
Mais que m'importe , je vous prie.
Je n'eus jamais l'effronterie-
De faire éclater les tranſports
De ma féconde rêverie .
Que mes vers foient bons ou mauvais ,
Seul je décide leur procès :
En juge équitable & fevere
Je les renferme pour jamais ;
Et fans fonger que j'en fuis pere ,
La juftice que je leur fais
Prévient celle qu'on peut leur faire.
Aprés ce décifif aveu ,
Que fans rougir je t'abandonne ;
Fourras-tu condamner un jeu
AVRIL. 1755. 27
•
Qui ne rejaillit fur perſonne ?
Je mets à profit mes loiſirs,
Je ris , je bois , je me promene ,
Et pour combler tous mes defirs ,
Dans la fource de l'hypocrêne
Je puife mes plus doux plaifirs.
C'eſt dans cette aimable manie ,
Dont je me fuis preferit la loi
Que je vois couler fans effroi
Les triftes débris de ma vie ;
Et je te jure fur ma foi ,
Qu'il ne me refte plus d'envie
Que de me faire aimer de toi.
>
ODE
SUR LA MORT
DE M. DE MONTESQUIEU,
Aux deftins d'ici bas fiton coeur s'intéreffe ,
Ux
S'il eft encor fenfible à d'illuftres malheurs :
Rouffeau , du haut des cieux viens fervir ma trif
teffe ,
Et feconder mes pleurs.
Ce n'eft point un guerrier mort au ſein du carnage
,
Ce n'eft point un grand Roi fous fon trône abbattu
: Bij
•
28 MERCURE DE FRANCE,
Le héros que je pleure eft un citoyen fage
Mort avec fa vertu .
Montefquieu n'eft plus. D'une trop belle vie ,
Votre main , Dieux jaloux , a terminé le cours ;
Immortel comme vous , fi l'éclat du génie
Eternifoit les jours.
En vain dans les fentiers d'un ténébreux Dédale ,
De la raifon fragile il dirigea les pas ;
Son efprit lumineux , de la loi générale
Ne le garantit pas.
C'eft lui , qui du flambeau de la vérité pure ,
Eclairant fûrement nos efprits & nos coeurs
Sçut apprécier l'homme , & charger la nature
De les propres erreurs .
Philofophe fans fafte , à l'humaine foiblefle
Son front n'oppofa point un ftoïque mépris ,
Et nouvel Ariſtipe , il trouva la ſageſfe
Dans les jeux & les ris .
Mais , quel art ingénu ! quel heureux badinage !
Quand du pinceau d'Afie empruntant les couleurs
,
Il fe plaît à tracer d'une main libre & ſage ,
Le tableau de nos moeurs ?
Tantôt , charmant Rica , fur nos erreurs légeres
Il verfe en fejouant un fel ingénieux ;
11
AVRIL. 29 1755 .
Tantôt , fublime Ufbek , il perce les mysteres
De la terre & des cieux.
Au pied du Capitole a- t -il pris la naiſſance ›
Ce juge fouverain , qui du peuple de Mars
Interroge la cendre , & met dans la balance
La gloire des Céfars.
L'immenfe antiquité n'a point de traits célébres
Qui ne femblent renaître en fes doctes difcours ;
Son efprit créateur fait fortir des ténébres.
• L'éclat des plus beaux jours.
Ami de l'univers , ce fagê politique
Fut toujours l'orateur de la fociété ,
Et bláma fortement toute loi tyrannique
Contre l'humanité .
Sa main marqua les' noeuds d'une chaîne durable ,
Entre le fier monarque & le peuple jaloux ,
Et plaça dans nos coeurs le lien refpectable
Qui nous enchaîne tous.
Tel que l'oifeau facré , miniftre du tonnerre
Parcourt en fon effor cent climats différens :
Tel dans fon vol hardi , cet aigle de la terre
Embraffe tous les tems.
Maintenant , trifte objet des larmes de la France ,
S'il eſt encor des rangs dans l'éternel repos ;
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
Daignes nous dire au moins quelle eft la récompenfe
De tes rares travaux .
Sous des berceaux jonchés de myrtes & de roſes
,
Vas-tu joindre tes pas
à ceux d'Anacréon ?
Et traitant librement du principe des chofes ,
Entretenir Platon ?
Au feul bruit de ton nom , l'école du Portique ,
Au-devant de tes pas s'empreffe avec reſpect ;
L'Elifée applaudit , & le héros d'Utique
Se taît à ton afpect.
Déja pour mériter l'honneur de ton fuffrage
Lycurgue a de fon front banni l'auſtérité :
E préfente à tes yeux, fous un pur affemblage ,
L'homme & l'humanité.
ARRIL. ·175.5.
31
FRAGMENT
D'un Ouvrage de M. de Marivaux ,
qui a pour titre : Réflexions fur
l'efprit humain , à l'occafion de
Corneille & de Racine.
L
Il y
a deux fortes de grands hommes à
qui l'humanité doit fes connoiffances &
fes moeurs , & fans qui le paffage de tant
de conquérans auroit condamné la terre
à refter ignorante & féroce : deux fortes
de grands hommes , qu'on peut appeller les
bienfaicteurs du monde , & les répara
teurs de fes vraies pertes.
J'entends par les uns , ces hommes immortels
qui ont pénétré dans la connoiffance
de la vérité , & dont les erreurs mê
me ont fouvent conduit à la lumiere. Ces
Philofophes , tant ceux de l'antiquité dont
les noms font affez connus , que ceux de
notre âge , tels que Defcartes , Newton ,
Mallebranche , Locke , &c .
J'entends par les autres , ces grands génies
qu'on appelle quelquefois beaux efprits
; ces critiques férieux ou badins de
ce que nous fommes ; ces peintres fubli-
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
-
mes des grandeurs & des miferes de l'ame
humaine , & qui même en nous inftruifant
dans leurs ouvrages , nous perfuadent à
force de plaifir , qu'ils n'ont pour objet
que de nous plaire , & de charmer notre
loifir ; & je mets Corneille & Racine parmi
ce qu'il y a de plus refpectable dans
l'ordre de ceux- ci , fans parler de ceux de
nos jours , qu'il n'eft pas tems de nommer
en public , que la postérité dédommagera
du filence qu'il faut qu'on obſerve
aujourd'hui fur eux , & dont l'envie contemporaine
qui les loue à fa maniere , les
dédommage dès à préfent en s'irritant contre
eux.
Communément dans le monde , ce n'eſt
qu'avec une extrême admiration qu'on
parle de ceux que je nomme Philofophes ;
on va jufqu'à la vénération pour eux , &
c'eſt un hommage qui leur eft dû .
On ne va pas fi loin pour ces génies
entre lefquels j'ai compté Corneille &
Racine ; on leur donne cependant de trèsgrands
éloges : on a même auffi de l'admiration
pour eux , mais une admiration
bien moins férieuſe , bien plus familiere
qui les honore beaucoup moins que celle
dont on eft pénétré pour les Philofophes.
Et ce n'eft pas là leur rendre juftice ;
s'il n'y avoit que la raifon qui fe mêlât de
AVRIL. 1755 33
nos jugemens , elle defavoueroit cette inégalité
de ppaarrttaaggee qquuee les Philofophes même
, tout Philofophes qu'ils font , ne rejettent
pas , qu'il leur fiéroit pourtant
de rejetter , & qu'on ne peut attribuer
qu'à l'ignorance du commun des hommes.
Ces hommes , en général , ne cultivent
pas les fciences , ils n'en connoiffent que
le nom qui leur en impofe , & leur imagination
, refpectueufement étonnée des
grandes matieres qu'elles traitent , acheve
de leur tendre ces matieres encore plus
inacceffibles .
De là vient qu'ils regardent les Philofophes
comme des intelligences qui ont
approfondi des myfteres , & à qui feuls
il appartient de nous donner le merveil
leux fpectacle des forces & de la dignité
de l'efprit humain .
A l'égard des autres grands génies ,
pourquoi les met - on dans un ordre inférieur
pourquoi n'a- t-on pas la même
idée de la capacité dont ils ont befoin ?
'C'eft que leurs ouvrages ne font une
énigme pour perfonne ; c'eft que le fujet
fur lequel ils travaillent
, a le défaut d'être
à la portée de tous les hommes.
Il ne s'y agit que de nous , c'est -à - dire
de l'ame humaine que nous connoiffons
Bv .
34
MERCURE
DE FRANCE
.
tant par le moyen de la nôtre , qui nous
explique celle des autres .
Toutes les ames , depuis la plus foible
jufqu'à la plus forte , depuis la plus vile
jufqu'à la plus noble ; toutes les ames ont
une reffemblance générale : il y a de tout
dans chacune d'elles , nous avons tous des
commencemens de ce qui nous manque ,
par où nous fommes plus ou moins en
état de fentir & d'entendre les différences
qui nous diftinguent .
Et c'est là ce qui nous procurant quelques
lumieres communes avec les génies
dont je parle , nous mene à penfer que
leur fcience n'eft pas un grand myftere ,
& n'eft dans le fond que la fcience de
tout le monde.
Il eft vrai qu'on n'a pas comme eux l'heureux
talent d'écrire ce qu'on fçait ; mais à
ce talent près , qui n'eft qu'une maniere
d'avoir de l'efprit , rien n'empêche qu'on
n'en fçache autant qu'eux ; & on voit combien
ils perdent à cette opinion- là .
Auffi tout lecteur ou tout fpectateur ,
avant qu'il les admire , commence- t- il par
être leur juge , & prefque toujours leur
critique ; & de pareilles fonctions ne difpofent
pas l'admirateur à bien fentir la
fupériorité qu'ils ont fur lui ; il a fait trop
de comparaiſon avec eux pour être fort
A V RIL. 1755. 35
étonné de ce qu'ils valent. Et d'ailleurs
de quoi les loue- t- il ? ce n'eſt pas de l'inftruction
qu'il en tire , elle paffe en lui fans
qu'il s'en apperçoive ; c'eft de l'extrême
plaifir qu'ils lui font , & il eft fûr que
ce plaifir là leur nuit encore , ils en paroiffent
moins importans ; il n'y a point
affez de dignité à plaire : c'eft bien le
mérite le plus aimable , mais en général ,
ce n'eft pas le plus honoré.
On voit même des gens qui tiennent
au- deffons d'eux de s'occuper d'un ouvrage
d'efprit qui plaît ; c'eft à cette marque
là qu'ils le dédaignent comme frivole ,
& nos grands hommes pourroient bien devoir
à tout ce que je viens de dire , le titre
familier , & fouvent moqueur , de beaux
efprits , qu'on leur donne pendant qu'ils
vivent , qui , à la vérité , s'annoblit beaucoup
quand ils ne font plus , & qui d'ordinaire
fe convertit en celui de grands
génies , qu'on ne leur difpute pas alors.
Non qu'ils ayent enrichi le monde d'aucune
découverte , ce n'eft pas là ce qu'on
entend les belles chofes qu'ils nous difent
ne nous frappent pas même comme
nouvelles ; on croit toujours les reconnoître
, on les avoit déja entrevues , mais
jufqu'à eux on en étoit refté là , & jamais
on ne les avoit vûes d'affez près , ni affez
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
fixément pour pouvoir les dire ; eux feuls
ont fçu les faifir & les exprimer avec ane
vérité qui nous pénétre , & les ont rendues
conformément aux expériences les plus
intimes de notre ame : ce qui fait un accident
bien neuf & bien original . Voilà
ce qu'on leur attribue .
Ainfi ils ne font fublimes que d'après
nous qui le fommes foncierement autant
qu'eux , & c'eft dans leur fublimité que
nous nous imaginons contempler la nôtre.
Ainfi ils ne nous apprennent rien de nous
qui nous foit inconnu ; mais le portrait le
plus frappant qu'on nous ait donné de ce
que nous fommes , celui où nous voyons le
mieux combien nous fommes grands dans
nos vertus , terribles dans nos paſſions ,
celui où nous avons l'honneur de démêler
nos foibleſſes avec la fagacité la plus fine ,
& par conféquent la plus confolante ; celui
où nous nous fentons le plus fuperbement
étonnés de l'audace , & du courage
, de la fierté , de la fageffe , j'ofe
dire auffi de la redoutable iniquité dont
nous fommes capables ( car cette iniquité ,
même en nous faifant frémir , nous entretient
encore de nos forces ) ; enfin le portrait
qui nous peint le mieux l'importance
& la fingularité de cet être qu'on appelle
homme , & qui eft chacun de nous , c'eſt
AVRIL.' 1755 .
37
deux à qui nous le devons.
Ce font eux , à notre avis , qui nous
avertiffent de tout l'efprit qui eft en nous ,
qui y repofoit à notre infçu , & qui eft
une fecrette acquifition de lumiere & de
fentiment que nous croyons avoir faite ,
& dont nous ne jouiffons qu'avec eux ;
voilà ce que nous en penfons.
De forte que ce n'eft pas précisément
leur efprit qui nous furprend, c'eft l'induftrie
qu'ils ont de nous rappeller le nôtre
; voilà en quoi ils nous charment.
C'est-à-dire que nous les chériffons
parce qu'ils nous vantent , ou que nous
les admirons parce qu'ils nous valent ; au
lieu que nous refpectons les Philofophes
parce qu'ils nous humilient.
Et je n'attaque point ce refpect là , qui
n'eſt d'ailleurs fi humiliant qu'il le pa
pas.
roît.
Ce n'eft pas précisément devant les
Philofophes que nous nous humilions , ilne
faut pas qu'ils l'entendent ainfi ; c'eft
à l'efprit humain , dont chacun de nous a
fa portion , que nous entendons rendre
hommage.
Nous reffemblons à ces cadets qui ;
quoique réduits à une légitime , s'enorgueilliffent
pourtant dans leurs aînés de la
grandeur & des richeffes de leur maison.
38 MERCURE DE FRANCE.
Mais les autres grands génies font- ils
moins dans ce fens nos aînés que les Philofophes
& pour quitter toute comparaifon
, font- ils en effet partagés d'une capacité
de moindre valeur , ou d'une efpéce
inférieure ?
Nous le croyons , j'ai déja dit en paffant
ce qui nous mène à le croire ; ne ferionsnous
pas dans l'erreur ? il y a des choſes
qui ont un air de vérité , mais qui n'en
ont que l'air , & il fe pourroit bien que
nous fiffions injure au don d'efprit peutêtre
le plus rare , au genre de penfée qui
caractériſe le plus un être intelligent.
Je doute du moins que le vrai Philofophe
, & je ne parle pas du pur Géometre
ou du fimple Mathématicien , mais de
l'homme qui penfe , de l'homme capable
de mefurer la fublimité de ces deux différens
ordres d'efprit ; je doute que cet homme
fût de notre fentiment .
Au défaut des réflexions qu'il feroit
là - deffus , tenons- nous en à celles que le
plus fimple bon fens
dicter , & que je
vais rapporter , après avoir encore une fois
établi bien exactement la.queftion.
peut
Une ſcience , je dis celle de nos grands
génies , où nous fommes tous , difonsnous
, plus ou moins initiés , qui n'eft une
énigme pour perfonne , pas même dans fes
A V RI- L. ∙1755 .
39
>
profondeurs qu'on ne nous apprend point ,
qu'on ne fait que nous rappeller comme
fublimes , quand on nous les préfente , &
jamais comme inconnues ; une fcience , au
moyen de laquelle on peut bien nous charmer
mais non pas nous inftruire ; une
fcience qu'on apprend fans qu'on y penſe ,
fans qu'on fçache qu'on l'étudie , ne le cede-
t- elle pas à des fciences fi difficiles , que
le commun des hommes eft réduit à n'en
connoître que le nom , qui donnent à ceux
qui les fçavent , des connoiffances d'une
utilité admirable ; à des fciences apparemment
plus étrangeres à l'efprit humain en
général , puifqu'il faut expreffément & péniblement
les apprendre pour les fçavoir ,
& que peu de gens , après une étude même
affidue , y font du progrès ?
Voilà des objections qui paroiffent fortes
, & c'eſt leur force apparente qui fait
qu'on s'y repofe , & qu'on s'y fie.
Tâchons d'en démêler la valeur.
Le vrai Philofophe dont je parlois toutà-
l'heure , ne voudroit pas qu'on s'y trompât
même en fa faveur : une impoſture de
notre imagination , fi ce que nous penfons
en eft une , n'eft pas digne de lui,
A l'égard de ces hommes qui nous abandonneroient
volontiers à notre illufion làdeffus
, pour profiter de l'injufte & faux
40 MERCURE DE FRANCE.
honneur qu'elle leur feroit , ils ne méri
tent pas qu'on les ménage examinons
donc.
La fcience du coeur humain , qui eft
celle des grands génies , appellés d'abord
beaux efprits , n'eft , dit -on , une énigme
pour perfonne ; tout le monde l'entend
& qui plus eft , on l'apprend fans qu'on y
penſe d'accord. :
Mais de ce qu'il nous eft plus aifé de
l'apprendre que les autres fciences , en
doit-on conclure qu'elle eft par elle-même
moins difficile ou moins profonde que ces
autres fciences ? non , & c'eft ici où eft le
fophifme.
Car cette facilité que nous trouvons
a
l'apprendre
plus ou moins , & qui nous
diffimule fa profondeur
, ne vient point de
fa nature , mais bien de la nature de la
fociété que nous avons enfemble
.
Ce n'eft pas que cette fcience foit effectivement
plus aifée que les autres , c'eſt la
maniere dont nous l'apprenons , qui nous
la fait paroître telle , comme nous le verrons
dans un moment .
D'un autre côté , il faut étudier trèsexpreffément
& très- péniblement les autres
fciences , pour les fçavoir ; d'accord auffi .
Mais ce n'eft pas non plus qu'à force de
profondeur elles ayent par elles-mêmes le
AVRIL. 1755. 41
·
privilege particulier , & comme excluff ,
d'être plus difficiles que la fcience de nos
grands génies . C'eft encore la nature de
notre fociété qui produit cette difficulté
accidentelle , & le travail folitaire & affidu
qu'elles exigent ; on pourroit les acquerir
à moins de frais.
En un mot , c'eſt cette fociété qui nous
oblige à de très-grands efforts pour les fçavoir
, & qui ne nous ouvre point d'autre
voie.
C'eft auffi cette fociété qui nous difpen
fe de ces mêmes efforts pour fçavoir l'autre,
& je vais m'expliquer.
Figurons- nous une fcience d'une pratique
fi urgente , qu'il faut abfolument que
tout homme , quel qu'il foit , la fçache
plus ou moins & de très- bonne heure , fous
peine de ne pouvoir être admis à ce concours
d'intérêts , de relations , & de befoins
réciproques qui nous uniffent les uns & les
autres.
Mais en même tems figurons - nous une
fcience que par bonheur tous les hommes
apprennent inévitablement entr'eux.
Telle eft la fcience du coeur humain ,
celle des grands hommes dont il eft queftion
.
D'une part , la néceffité abfolue de la
fçavoir ; de l'autre , la continuité inévita42
MERCURE DE FRANCE.
ble des leçons qu'on en reçoit de toutes
parts , font qu'elle ne fçauroit refter une
énigme pour perſonne.
Comment , en effet , feroit - il poffible
qu'on ne la fçût pas plus ou moins.
Ce n'eft pas dans les livres qu'on l'apprend
, c'eft elle au contraire qui nous
explique les livres , & qui nous met en
état d'en profiter ; il faut d'avance la fçavoir
un peu pour les entendre .
pour vous en
Elle n'a pas non plus fes profeffeurs à
part , à peine fuffiroient - ils
donner la plus légere idée , & rien de ce
que je dis là n'en feroit une connoiffance
inévitable . C'eft la fociété , c'est toute l'humanité
même qui en tient la feule école
qui foit convenable , école toujours ouverte
, où tout homme étudie les autres ,
& en eft étudié à fon tour ; où tout homme
eſt tour à tour écolier & maître.
Cette fcience réfide dans le commerce
que nous avons tous , & fans exception ;
enfemble.
Nous en commençons l'infenfible & continuelle
étude prefqu'en voyant le jour.
t
Nous vivons avec les fujets de la fcience
, avec les hommes qui ne traitent que
d'elle , avec leurs paffions , qui l'enfeignent
aux nôtres , & qui même en nous
trompant nous l'enfeignent encore ; car c'eſt
AVRIL. 1755. 43
une inftruction de plus que d'y avoir été
trompé il n'y a rien à cet égard là de
perdu avec les hommes.
Voilà donc tout citoyen du monde , né
avec le fens commun , le plus fimple & le
plus médiocre ; le voilà prefque dans l'impoffibilité
d'ignorer totalement la fcience
dont il eft queſtion , puifqu'il en reçoit
des leçons continuelles , puifqu'elles le
pourfuivent , & qu'il ne peut les fuir.
Ce n'eft pas là tout , c'eft qu'à l'impoffibilité
comme infurmontable de ne pas
s'inftruire plus ou moins de cette fcience
qui n'eft que la connoiffance des hommes ,
fe joint pour lui une autre caufe d'inftruc
tion
que je crois encore plus fure , & c'eſt
une néceffité abfolue d'être attentif aux leçons
qu'on lui en donne .
Car où pourroit être fa place ? & que
deviendroit-il dans cette humanité affemblée
, s'il n'y pouvoit ni conquérir ni correfpondre
à rien de ce qui s'y paffe , s'il
n'entendoit rien aux moeurs de l'ame humaine
, ni à tant d'intérêts férieux ou frivoles
, généraux ou particuliers qui , tour
à tour , nous uniffent ou nous divifent ?
Que deviendroit- il fi faute de ces notions
de fentiment que nous prenons entre
nous & qui nous dirigent , fi dans l'ignorance
de ce qui nuit ou de ce qui fert
44 MERCURE DE FRANCE.
dans le monde , & fi par conféquent ex
pofé par là à n'agir prefque jamais qu'à
contre- fens , il alloit miferablement heurtant
tous les efprits , comme un aveugle
va heurtant tous les corps.
Il faut donc néceffairement qu'il con
noiffe les hommes , il ne fçauroit fe foute
tenir parmi eux qu'à cette condition là.
Il y va de tour pour lui d'être à certain
point au fait de ce qu'ils font pour ſçavoir
y accommoder ce qu'il eft , pour ju→
ger d'eux , finon finement , du moins au
dégré fuffifant de jufteffe qui convient à
fon état , & à la forte de liaifon ordinaire
ou fortuite qu'il a avec eux.
•
Ily ya toujours de fa fortune , toujours
de fon repos , fouvent de fon honneur
quelquefois de ſa vie ; quelquefois du re-
'pos , de l'honneur , de la fortune & de la
vie des autres.
AVRIL. 1755. 45.
EPITRE
A M. DE CHATEAUBRUN ,
Maître-d'Hôtel de S. 4. S. Mgr , le Duc
d'Orléans .
PHilofophe cloquent , dont les nouveaux écrits
Charment nos coeurs & nos oreilles ,
Des Sophocles & des Corneilles ,
Ramenent les beaux jours dans le fein de Paris.
Toi , dont la fimple modeftie ,
Plus rare encor que ton génie ,
Seule a pú durant quarante ans
Se fouftraire à la renommée
Et nous priver de tes talens .
Que d'un rayon divin ta grande ame eft formée !..
Le fceptre du théatre eft pénible à gagner :
C'estun prix bien flateur ; mais un effort fuprême
C'eft de s'en rendre digne & de le dédaigner.
Tu l'as fait. Ah ! c'eft dans toi-même
Que tu fçais les trouver ces fentimens fi grands
Qu'applaudit le vulgaire , & que le fage admire.
D'autres ont fur la fcene épuifé les romans ,.
Ont tracé les fureurs , l'yvreffe , le délire
Et les querelles des amans :
Ils laiffoient à ta veine une fource plus pure ,
Ou ton génie ofa puiſer.
46 MERCURE DE FRANCE .
Tu viens de peindre la nature ;
C'est d'après toi : ton coeur n'a pû ſe déguiſer
A l'humanité qui t'inſpire :
Donne à tes vers ce charme & ces attraits vain
queurs ,
Qui portent à ton gré la pitié dans les coeurs
Et confervent fur eux leur immuable empire.
Que de hautes leçons ! & quelle vérité !
Quels tableaux ! ta mufe rivale
De la naïve antiquité
Semble rapprocher l'intervalle
Des fuprêmes grandeurs & de l'humanité.
Que fes droits font puiffans , quand tu parles pour
elle !
Et qu'un héros humain devient grand dans tes
vers !
Ah ! je reconnois ton modele :
C'est le grand Prince que tu fers.
Ce 4 Mars 1755.
AVRIL. 1755- 47
L'AVARE ET L'INDIGENT.
CONTE MORA L.
Par M. BAILLET de Saint- Julien .
Au fond d'un bois , certain riche ufuraire
Avoit un foir enterré fon argent ;
Un malheureux qu'obſédoit ſa miſere
Y fut conduit par le fort indulgent :
Il terminoit fon deſtin outrageant ,
Il s'alloit pendre , & la barque étoit prête
A le paffer ; quand tout à coup l'arrête
Certain éclat qui vient frapper fes yeux :
Il fouille , il trouve un tréfor précieux.
Ravi , Dieu fçait ! vous le charge , & l'emporte.
L'inftant d'après arrive fans eſcorte
Feffe-Mathieu , mais c'étoit un peu tard;
De tréfor plus. Comment plus ! pas un liard
N'étoit refté ; complette étoit la proie
Du laronneau ; rien n'étoit excepté
De fon butin. Qu'on juge de fa joie !
Uniquement à l'arbre étoit refté
Un bout de corde en guiſe de monnoie.
Matthieu Feffard voulut bien s'en payer ,
Et haut & court fe pendit fans quartier.
48 MERCURE DE FRANCE.
Souvent le fort a plus d'un bon caprice ,
Et pour changer , fe mêle de juftice :
Le mérite eft par lui récompenſé ;
Lorfque fon bras s'abuſe ou s'eſt laffè,
Si notre joie enfin n'eft pas durable ,
Nul n'eft auffi conftamment miférable .
Sans nous laffer à chercher des témoins ;
Voyez celui dont parle cette Fable :
Le bonheur vient quand on l'attend le moins,
C'est là fon tic . O bonheur ſecourable !
Nous t'éloignons fouvent par trop de ſoins .
>
LE mot de la premiere Enigme du
Mercure de Mars eft Triangle . Celui du
premier Logogryphe eft Poëfie , dans lequel
on trouve Pie , Pape , Ofee , Efope
foie , oie , pie , oifeau . Le mot de la feconde
Enigme eft Etriers . Celui du fecond Logogryphe
eft Lanterne , où le trouvent an ,
âne , antre , rente , être , Etną , art , Anne ,
Retel , René.
AVRIL.
49.
81755.
ENIGM E.
FILs de l'amour & de l'adverfité ,
Ma mort fuit de près ma naiffance ,
Quelquefois impofteur , fous un air emprunté ,
De la naïve vérité
Je fçais prendre la reffemblance.
On m'entend exprimer en profe ainfi qu'en vers.
Je réuffis fur -tout dans le ftyle tragique ,
Et quoique muet en musique ,
Je fuis l'ame des beaux concerts.
1
LOGOGRYPHE.
PAR P. L. F. PHILAGATHE ,
de Dunkerque.
Neuf membres, réunis forment mon exiftence
:
Combine-les bien , cher Lecteur ,
Tu trouveras d'abord titre d'honneur en France ,
Ce que doit bien fçavoir tout voyageur ;
Un animal que l'on n'eftime gueres ;
Le fils infortuné d'un trop habile pere ,
Qui périt pour avoir négligé fes avis .
Deux notes de mufique ; aliment néceffaire
C
so MERCURE DE FRANCE.
Aux peuples comme aux rois , aux grands comme
aux petits ;
L'un des bienfaits que l'abeille nous donne,
Et ce qui fert à la couronne
De la Déeffe des moiffons.
Un élément , un Pape , deux poiffons ;
Certain canton en Italie ;
Empire fameux en Aſie.
4, 3 , 8 , je t'offre un figne de douleur ,
I 8 & 6 , oifeau babillard & voleur ; >
4 , I 8 ,
6 le
' " ,
royaume ou bien l'ifle
Où Vénus fit jadis choix de fon domicile.
Cherche encor avec foin , tu dois trouver en moi
Des Troyens le malheureux Roi ;
Un Poëte François , fameux dans le tragique ;
Nom de Prince jadis puiſſant en Amérique ;
Un coquillage , un péché déteſté ;
Le temple de la vérité .
Du corps une partie , une armure ſauvage ,
Chez nos peres jadis pourtant fort en ufage ;
Inftrument utile au marin , A
Que doit craindre tout libertin ...
J'en dirois encor davantage ,
Mais il eft tems de finir mon ouvrage.
Ami Lecteur , veux- tu me découvrir ?
Chez un Notaire il faudra me faifir.
A Dunkerque , le 4 Janvier 1755 .
AVRIL. ·1755 .
SI
ENIGM E.
Dans le monde je fuis tellement néceſſaire ,
Qu'une fille fans moi ne peut devenir mere.
A ce trait , cher Lecteur , ne vas pas penfer mal.
Je forme l'homme & même l'animal ,
Et quelle que foit la nature ,
Tout membre me doit ſa ſtructure ;
Je plais au fexe feminin ,
Sur- tout lorfque j'entre en ménage .
Bref , je fers dans le mariage
Et j'aide à foutenir par- tout le genre humain.
Du Château de Marvies
en Champagne.
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
ว
LOGOGRYP HE.
Uel trouble agite mon cerveau ?
Ma dignité n'eft qu'un fardeau ;
Je me ruine pour l'Eglife ,
Saintement on m'y dévalife ;
On ne me parle que d'argent ,
Pour l'infirme ou pour l'indigent.
A l'Offrande , nouvelle aubaine :
Ilfaut , pour baifer la
patene
Tirer ...Je n'aurois point fini
Si je.... tu diras à ceci
Eh ! mais , chaque fête on t'encenfe.
Hélas ! je m'en pafferois bien .
C'eſt plutôt ma bourſe , je penſe :
Encenfe t'on ceux qui n'ont rien ?
Lecteur , tu peux me reconnoître .
Onze pieds foutiennent mon être ;
Si tu fçais la combinaiſon ,
Je renferme ce trifte fon
Qu'on rend à la fin de la vie :
Un chien fait à la venerie.
Trois tons. Un Saint . Un mal honteux.
Le nom d'un affaffin fameux ;
L'inftrument dont jadis Orphée
Charma le Styx & l'Elifée .
AVRIL.
1755. 53
Un terrein que bat l'océan ,
Le lit où fouffrit Saint Laurent ;
Un outil de menuiferie ,
Un autre pour la broderie.
Un vice ennemi du repos ,
Un endroit connu pour les eaux ,
Pour fes jardins , & fa machine.
La fubftance fimple & divine ,
Dont nous empruntons les refforts .
Une eau croupie , un jeu d'efforts
A qui l'on donne une étendue
Sablée , unie , entretenue.
Cette fenêtre où le pécheur
Se découvre à fon Confeffeur .
Une terre molle & fragile.
Ce qui rend un navire agile.
Un outil qui ronge fans dents.
La ville où fut élu Pontife
Le patron des petits enfans.
Lecteur , voilà mon Logogryphe.
X
L'Abbé Renaudor.
C iij
54 MERCURE DEA FRANCE.
CHANSON.
mod 36 dired tas
A Heft tout de bon ;
J'apperçois un jambon , ————
Dont la couleur, vermeille
Affortit à merveille
Au jus de mon flacon.
Amis , que vous en fembles
Ne les féparons plus ;
olliame
Au fond de nos gofiers goulus
Marions-les enfemble.
=} unto moonl) nom $5 ur
-I
Sup
LE JAMBON.
Ah; c'est tout de bon , Paper =
çois un Jambon,dont la couleur ver :
meille, Assortit à merveille, Au
+0
Jus de mon Flacon . con.t =
-mis que vous ensemble ne les separens
plus, au fond de nos gosiers gou:
-lus, Marions les ensemble.ble.
I
AVRIL. 1755 .
35
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
H
ISTOIRE DES RECHERCHES SUR LA
QUADRATURE DU CERCLE > ouvrage
propre à inftruire des découvertes réelles
fur ce problême célébre , &c. A Paris ,
chez Jombert. 1755.
Il fuffit qu'une queſtion ait de la célébrité
dans une fcience , pour la voir auffitôt
exciter les efforts de ceux qui font les
moins capables de la réfoudre. La quadrature
du cercle , la tranfmutation des
métaux , le mouvement perpétuel , le problême
des longitudes nous en fourniffent
journellement des exemples. Pour un Chymifte
habile que l'efpérance de parvenir
au grand oeuvre a entraîné dans cette recherche
,
, que de gens épuiſent encore leur
fortune & leur fanté à combiner des minéraux
, fans fçavoir la différence dun acide
& d'un alkali ! combien de perfonnes recherchent
les longitudes ou le mouvement
perpétuel , qui ignorent les loix les plus
fimples de la méchanique , les procédés
les plus ordinaires de l'aftronomie & de la
Civ
16 MERCURE DE FRANCE.
navigation ! Mais c'eft fur- tout à l'occafion
de la quadrature du cercle que cette remarque
fe vérifie ; rien n'eft plus ordinaire aujourd'hui
, & rien ne l'a plus été dans tous
les tems que de voir ce problême tenté par
des perfonnes peu verfées dans la Géométrie,
ordinairement même fi étrangeres dans
cette fcience , qu'elles font obligées , par
un retour modefte fur elles - mêmes , de regarder
leur découverte comme une révélation
fpéciale dont la divinité les a favorifées.
Nous fommes cependant fort éloignés
de mettre le problême de la quadrature du
cercle dans le même rang que le mouvement
perpétuel & la pierre philofophale :
ces deux dernieres recherches ne peuvent
Occuper que des gens qui n'ont pas affez
de connoiffances pour voir le chimérique
de leur objet. La quadrature du cercle eft
un problême raisonnable , & qui devoit
naturellement occuper les Géometres. En
effet , l'objet de la Géométrie eft de mefurer
les différentes efpéces d'étendues ou
de figures : quand on dit mefurer , cela doit
s'entendre avec cette précifion qui eft la vérité
même , & par des voies telles que celles
que la Géométrie fe permet , c'est- à - dire
fans tâtonnement , fans méchanifme , &
d'une maniere démonftrative. La quadraAVRIL.
1755. 57
ture du cercle eft la mefure exacte de la
furface renfermée dans cette courbe fi fimple
, & néanmoins fi rebelle à la Geométrie
: on l'appelle la quadrature , parce que
la coutume étant dans toutes les mesures de
rappeller la grandeur mefurée à la figure la
plus fimple, les Géometres ont pris le quarré
pour celle à laquelle ils rappelleroient toutes
les étendues fuperficielles. Ainfi la quadrature
, la meſure d'une furface d'une
figure , font des termes tout-à-fait fynonimes
en Géométrie : de là l'on voit que c'eft
n'avoir aucune idée da problême ni de la
Géométrie , que de donner à ces termes
de la quadrature du cercle le fens qu'y
attache le vulgaire , en s'imaginant qu'il
s'agit de faire un cercle quarré.
De tout tems d'habiles Géometres ont
fait des efforts ou pour mefurer le cercle
avec toute l'exactitude poffible , ou
pour approcher de plus en plus de fa mefure
précife ; & leurs travaux ont fucceffivement
enrichi la Géométrie de belles découvertes
de tout tems auffi des pygmées
en Géométrie ont annoncé avec emphaſe
la découverte de la quadrature du cercle ,
& ont excité la rifée des Géometres intelligens.
Je dois remarquer que les premiers
ontrarement crû avoir touché le but , qu'ils
fe font prefque jamais mépris au point
Cv
18 MERCURE DE FRANCE.
de penfer qu'ils euffent trouvé la folution
parfaite du problème. On peut échouet
fans honte à la recherche d'une queſtion
géométrique , mais on ne peut fans honte
donner des paralogifmes pour de légitimes
démonftrations.
L'objet que s'eft propofé l'auteur de
l'hiftoire que nous annonçons , n'a pas
été de tirer de la pouffiere les méprifables
tentatives que la quadrature du cercle a
excitées ; des paralogifmes qui n'en ont
jamais impofé qu'à leurs auteurs , des prétentions
d'une abfurdité palpable , méritoient
trop peu d'occuper la plume d'un
hiftorien raifonnable. L'auteur a judicieufement
penſé ne devoir préfenter que les
découvertes réelles dont ce problême a été
l'occafion il n'a cependant pas entierement
négligé de faire connoître quelquesuns
de ceux qui ont acquis une malheureufe
célébrité par leurs mauvais raifonnemens
& leur obftination à youloir les faire
adopter. Nous allons donner à préfent une
idée un peu détaillée de ce que contient
cet ouvrage .
Après une préface où l'auteur expofe
quel a été fon objet , quelle utilité peut
réfulter de fon travail , & qui contient
plufieurs chofes inftructives concernant
la quadrature du cercle , & ceux qui s'obfAVRIL.
1755. 59
tinent à la chercher , il entre en matiere .
Le premier chapitre eft occupé à donner
une idée claire de la nature du problême ,
des moyens que la Géométrie permet d'employer
pour le réfoudre ; on y explique les
diverfes manieres de l'envifager , & furtout
l'utilité qu'on doit lui affigner . Nous
ne pouvons nous difpenfer de remarquer
avec l'auteur , que c'est une erreur , & une
erreur qui ne peut être accréditée qu'auprès
de gens entierement deftitués des notions
de la Géométrie & de l'Aftronomie' , que de
penfer que le problême des longitudes dépend
de celui de la quadrature du cercle :
c'en eft encore une que de croire qu'il y
ait des récompenfes à efpérer pour celui
qui réfoudra ce dernier problême. On convient
que la théorie de la Géométrie y gagneroit
une vérité nouvelle , quoique
peut-être fort stérile , mais la pratique
n'en recevroit aucun avantage : car les Géometres
ont des moyens affez fimples d'approcher
de la grandeur du cercle , jufqu'à
une telle exactitude qu'elle furpaffe de
beaucoup nos befoins. Il leur eft facile
d'affigner un nombre qui ne s'écarteroit
que d'un pied , ou d'un pouce , d'une ligne
; que dis- je ! de l'épaiffeur d'un chede
la véritable grandeur d'un cercle
, dont le demi-diametre feroit celui de
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
la terre , & même d'un autre incomparablement
plus grand.
Après ces préliminaires , l'auteur fait l'hiftoire
de ce problême chez les anciens : c'eft
l'objet du fecond chapitre. Cette queftion ',
dit-il , a dû être prefque auffi ancienne
que la Géométrie ; car les premiers Géometres
s'éleverent bientôt au- delà des confidérations
élémentaires des figures rectilignes
, & après ces figures le cercle eft
celle qui fe préfente la prémiere. Auffi
Anaxagore s'en occupa-t- il dans fa prifon ,
& prefque dès le tems de ce Philofophe la
quadrature du cercle étoit devenue célebre
jufques auprès du vulgaire . Nous rencontrons
ici un trait curieux , c'eft qu'Ariftophane
joua les Géométres au fujet de la
quadrature du cercle , dans la perfonne du
célebre Meton , l'inventeur du cycle lunaire.
Ce Poëte l'introduit fur la fcene dans
fa comédie des Oiseaux , & lui fait tenir
des propos impertinens fur la Géométrie
& fur l'Aftronomie. Voulez- vous , dit Meton
à l'autre interlocuteur , qui lui demande
qui il eft & à quoi il eft bon ; voulezvous
, dit - il , que la regle & l'équerre en
main , je vous quare le cercle ? Ce trait peut
encore avoir rapport à la folie fimulée ,
par laquelle un autre Ecrivain nous apprend
que ce Mathématicien fçut s'exempAVRIL.
1755. 61
ter d'aller à la guerre de Sicile .
>
Ces plaifanteries d'Ariftophane n'empêcherent
cependant pas les Géométres , ou
contemporains , ou fucceffeurs de Meton ,
de continuer à s'intéreffer au problême de la
quadrature du cercle . Hippocrate le tenta ,
& en donna même une faufle folution
mais l'auteur de cet ouvrage le juftifie.
Quoiqu'ilen foit, les travaux d'Hippocrate
fur ce fujet font devenus recommendables
chez la postérité géometre par la découverte
incidente de fes lunulles abfolument quarrables.
On appelle ainfi une portion du cercle
en forme de croiffant dont on démontre
très-bien l'égalité avec une figure rectiligne
, quoique le moyen de quarrer le
cercle ait éludé jufqu'ici tous les efforts
de la Géométrie . Plufieurs Géometres modernes
ont amplifié cette invention d'Hippocrate
, ce qu'on trouve fommairement
expliqué dans une note.
Lorfque les Géometres ne peuvent par
venir à la dimenſion préciſe d'une figure
ils fe bornent à en approcher de plus en
plus près. Archimede recourut à cette
voie , & donna , comme tout le monde
fçait , le rapport de fept à vingt - deux
pour la raifon approchée du diametre à la
circonférence. On remarque ici quelques
fineſſes particulieres dans le calcul d'Ar62
MERCURE DE FRANCE.
chimede , & l'on cite quelques anciens
qui avoient laborieufement encheri fur fon
exactitude. Ce chapitre eft terminé par
quelques réflexions fur les courbes qui
dépendent de la quadrature du cercle ; on
démontre que c'eft en vain qu'on cherchera
par leur moyen la folution de ce problême
.
Le troifieme chapitre eſt deſtiné à faire
connoître les découvertes faites fur la mefure
du cercle , depuis la renaiffance des
fciences en Europe jufques à l'invention
des nouveaux calculs. On voit ici fucceffivement
les approximations de Metius
de Viete , d'Adrianus Romanus , de Ludolph
, les inventions de Snellius & d'Huygens
pour en diminuer le travail , la quadrature
prétendue de Gregoire de Saint-
Vincent , à qui l'on donne une place diftinguée
de celle des autres qui fe font
trompés fur ce fujet , la querelle qu'elle
excita , celle qui s'éleva bientôt après entre
Gregori & M. Huygens fur une démonftration
que le premier propofa pour
établir l'impoffibilité de la quadrature du
cercle , &c.
Le quatrieme paroîtra fans doute trèsintéreffant
aux Géometres , car il contient
les travaux de ceux qui ont employé les
nouvelles méthodes pour parvenir à la foAVRIL.
1755. 63
lution du problême : c'eft même à l'occafion
de cette recherche que plufieurs de
çes méthodes nouvelles ont été imaginées.
L'auteur fait à cette occafion l'hiftoire de
la naiffance du calcul intégral ; on y voit
comment Wallis , le premier , trouva une
fuite infinie de nombres pour exprimer la
grandeur du cercle , que Milord Brouncker
défigna d'une autre façon particuliere ;
mais ceci ne regardoit encore que le cercle
entier , Wallis ne put en faire autant à l'égard
de fes parties quelconques , dont la
mefure eft néceffaire pour la folution parfaite
du problême ; & ce fut en cherchant
à furmonter cet obftacle que le grand Newton
, jeune encore , & depuis peu initié
dans la Géométrie , trouva la théorie des
fuites infinies , le calcul appellé intégral
parmi nous , & plufieurs autres méthodes.
On trouvera ici expofé avec beaucoup de
foin & de clarté les divers dégrés par lefquels
les différentes inventions fe font
développées , & celles qui les ont fuivies ;
ces chofes & une foule d'autres également
intéreffantes , du moins pour les Géometres
, ne font gueres fufceptibles d'extrait ,
ou conviendroient peu à un ouvrage périodique
de la nature de celui- ci ; c'eft pourquoi
nous nous bornons à les avoir indiquées.
64 MERCURE DE FRANCE .
C'auroit été omettre une partie remarquable
de l'hiſtoire de la quadrature du cercle
, que de fupprimer entierement celle de
divers Géometres ou prétendus Géometres,
qui fe font fingularifés par leurs erreurs ou
leurs prétentions abfurdes fur ce fujet . On
en palle en revûe quelques- uns , je dis avec
l'auteur , quelques - uns , car cette matiere
feule fourniroit celle d'un gros volume.
Nous devons approuver fa délicateſſe à ne
pas s'étendre beaucoup fur des objets trop
peu dignes en effet d'occuper les loisirs d'un
Ecrivain fenfé , & trop peu capables d'amufer
les lecteurs raifonnables.L'ouvrage enfin
eft terminé par un dernier chapitre , où l'on
traite hiftoriquement deux autres problêmes
prefque auffi célebres que celui de la
quadrature du cercle , & qui ont été l'occafion
d'autant de méprifes ridicules ou
deshonorantes pour leurs auteurs : ce font
ceux de la trifection de l'angle & de la
duplication du cube. Ce dernier fujet nous
a paru traité avec le même foin , la même
exactitude , & ne peut manquer de plaire
aux Géometres.
LE SERIN DE CANARIE , Poëme ;
ouvrage dans un genre nouveau pour la
Poësie françoife , qui , à l'aide de quelques
notes , forme un traité complet & très- fûr
AVRIL. 1755. 65
pour élever les ferins . A Londres , 1755.
Cet effai m'a paru mériter l'approbation
du public , par le fond qui eft agréable , &
par la forme qui he l'eft pas moins . Il me
femble que l'auteur qui a la modeftie de ne
pas fe nommer , a bien faifi le ton de verfification
convenable au genre de poëme
qu'il a entrepris ; c'eft cette élégante fimplicité
fi propre à peindre les petites chofes
, & qui feule à l'art de les ennoblir :
les anciens y excelloient ; il les a pris pour
modeles , & je trouve qu'il y a fouvent
réuffi . Pour juftifier mon fentiment , je vais
citer quelques endroits de fon poëme : je
commence par fon début .
a
Toi , dont les doux accens divertiffent ma Muſe ,
Dont l'organe enchanteur & l'infpire & l'amufe ,
Et qui montes ma lyre au fon de tes concerts ,
C'eſt toi , charmant ferin , que célébrent mes vers.
Mufe , chante avec moi fon port plein de nobleffe
,
Son air plein de candeur & mêlé de fineffe ,
Le doux feu de fes yeux ennemis du fommeil ,
Son plumage ſemblable au plus brillant vermeil ;
L'éclat de la blancheur à propos ménagée ,
Ses pannaches pompeux , fa taille dégagée :
Peux-tu trouver ailleurs un plus charmant plaifir
Mais fur toute l'efpéce , égayant ton loiſir ,
Apprens-moi le fecret d'étendre leur lignage ;
66 MERCURE DE FRANCE.
Enſeignes comment l'art embellit leur ramage ,
Comment leurs petits jeux peuvent dédommager
La main qui tous les jours leur préfente à manger ;
Et dans les tems obfcurs portant un oeil critique ,
Chante leur origine auffi noble qu'antique.
Voilà le plan de l'ouvrage heureusement
détaillé.
L'auteur fait ainfi l'éloge du mâle , qui
ne tourne pas à la gloire du beau fexe.
C'eſt du mâle fur-tout que l'humeur eft aimable.
Son épouſe fantafque & fouvent intraitable ,
Dans les mornes accès d'un bizarre courroux ,
Eteindroit les ardeurs d'un moins fidèle époux.
Tel que bien des maris , commodes par prudence ,
Il ronge fes chagrins dans un fage filence ;
Mais ce trouble finit quand les feux du printems
Excitent dans leur fein des tranfports plus conftans.
Ainfipour tous les coeurs engagés dans les chafnes
,
L'amour a fes plaiſirs , & l'amour a fes peines.
La femelle parmi les ferins commande
en reine , & l'époux eft chargé du ſoin de
tous les détails.
Les travaux affidus , les foucis du ménage ,
Suivent des premiers feux le leger badinage.
AVRI L.'
1755. 67
On pense à l'avenir , on prépare , on conftruit
L'aire où d'un chafte amour on doit loger le fruit.
De l'époux complaifant , l'épouſe induſtrieuſe ,
Habile à prévenir la voix impérieuſe
Qui lui marque le tems de décharger fon fein ,
D'une maiſon commode ordonne le deffein ;
Et fans bruit enfoncée au milieu du feuillage
D'un if propre à fixer une tête volage ,
Ou dans l'étroit contour du plus petit panier ,
Tranquille , & l'air rêveur , médite fur l'ofier.
Le mari travaille pendant ce tems là .
Il tranfporte , il fournit ; fa compagne y préſide ,
Et fuivant les confeils de l'inſtinct qui la guide
Les racines , la mouffe entourent la maiſon
Et l'on met au- dedans le duvet à foifon.
a
>
Mais jamais cette ardeur n'enfante le defordre.
S'ils s'entr'aident plufieurs , feule elle donne l'or
dre ....
L'un choifit le duvet , l'autre du coton fec ,
L'on donne , l'on reçoit : ainfi de bec en bec
Tout paffe au lieu marqué par l'inſtinct unanime ;
Le mur croît , l'oeuvre monte , & parvient à la
cime.
Tel que des ouvriers , par étage rangés ,
Entre deux longs fapins , en dégré , partagés ,
Reçoivent à leurs pieds ; élevent à leur tête
68 MERCURE DE FRANCE.
La pierre , le ciment qui montent juſqu'au faîte :
Tels nos ferins unis dès l'heure du réveil ,
Confomment leurs travaux fous le même foleil
A moins qu'un feu jaloux , enfanglantant la ferre ,
Ne porte dans l'état les horreurs de la guerre..
Le Poëte prudent nous avertit de ne pas
unir trop tôt les jeunes ferins. Ces mariages
précoces font , dit-il, funeftes , fur- tout
à la femelle. Il nous en apporte un exemple
tragique en vers touchans , par lefquels
je finirai ce précis.
Jonquille , encor trop jeune , époufe , & bientôt
mere ,
Victime de tendreffe , épuife en fon réduit
Un refte de chaleur , pour animer fon fruit.
Cinq citoyens nouveaux , donnés à la voliere , `
N'ont pas ouvert encor les yeux à la lumiere ,
Que dans fon fein flétri s'amortit la chaleur.
Ses petits languiffans augmentent fa douleur :
Elle çéde à fon mal ; tremblante , elle foupire ,
Palpite , ouvre le bec , ferme les yeux , expire ;
Et fous elle , glacés par le froid de la mort
Ses petits en un jour ont tous le même fort.
>
CONSIDERATIONS SUR LES
REVOLUTIONS DES ARTS , dédiées à Mgr
le Duc d'Orléans , premier Prince du Sang.
AVRIL. 1755. 69
A Paris , chez Brocas , Libraire , rue faint
Jacques , au chef S. Jean . 1755 .
Les principaux objets de ces confidérations
font la liaifon des Empires avec les
arts , & les influences réciproques des uns
& des autres , les caufes qui les ont donnés
à un peuple , & celles qui les lui ont ravis ;
les fources de leur renouvellement chez
quelques-uns , les dégrés où ils ont été
élevés ou abaiffés chez tous ; l'exacte connoiffance
des hommes puiffans qui les ont
protégés ; la jufte eftimation des hommes
de génie qui y ont excellé ; quelques traits
légers propres à caractériſer les hommes
d'efprit qui y ont réuffi ; enfin un examen
rapide de la nature des différens genres de
littérature , un petit nombre d'obfervations
fur les défauts qui pourroient nuire
aux progrès de nos jours , & quelques confeils
pour remédier à ces vices & augmenter
les fuccès. Voilà le précis ou le programme
que M. l'Abbé Mehegan donne luimême
de fon ouvrage dans la préface qu'il
a mis à la tête, je n'ai fait que le tranferire.
L'auteur divife ces confidérations par âge ;
il entend par ce mot une fuite non interrompue
de protecteurs & d'artistes , pendant
laquelle les arts font reftés à peu près
dans le même point. Il me paroît mériter
de la part du public beaucoup d'encoura-
(
70 MERCURE DE FRANCE.
gement. Son imagination pleine de feu
annonce un talent facile , peut - être même
fon plus grand défaut eft un excès en bien.
Il répand l'efprit avec profufion , & je ſuis
perfuadé qu'il plairoit encore davantage
s'il vouloit bien s'épargner la peine d'en
trop avoir.
HISTOIRE DE FRANCE , depuis l'établiffement
de la Monarchie jufqu'au regne de
Louis XIV , par M. l'Abbé Velly . A Paris
, chez Defaint & Saillant , rue S. Jean
de Beauvais , vis-à- vis le Collége. 1755 .
Il faut , dit l'auteur dans fa préface ,
que l'hiftoire écrite pour l'utilité commune
foit en même tems celle du Prince &
de l'Etat , de la politique & de la religion ,
des armes & des fciences , des exploits &
des inventions utiles & agréables , celle
enfin des moeurs & de l'efprit de la nation .
Cette hiſtoire nous manquoit , & nous aurons
l'obligation à M. l'Abbé Velly de
de nous enrichir d'un tréfor fi utile ; fes
deux premiers volumes qui ont déja paru ,
nous en font de fûrs garans . Il a eu l'art
de répandre le jour & l'intérêt fur les premieres
races de nos Rois , qui font la par
tie la plus obfcure & la plus feche de nos
faftes que ne devons - nous pas attendre
de la fuite ?
AVRIL. 1755. 71
LE FINANCIER ; par M. le Chevalier
de Mouhy , de l'Académie des Belles-
Lettres de Dijon , en fix parties. 1755. Se
trouve à Paris , chez Jorry , quai des Auguftins
, près le pont S. Michel , aux Cigognes.
C'eſt un Roman épifodique , dont le financier
, qui en eft le héros , répand fes libéralités
à pleine main fur tous les malheureux
que le hazard lui préfente , &
dont l'auteur raconte l'hiftoire en paffant.
Ce magnanime favori de Plutus va plus
loin ; quand la foule diverfe des indigens
ne s'offre pas à lui dans fon chemin , il
va les déterrer lui-même dans les réduits les
plus obfcurs , & monte jufqu'au cinquieme
étage pour exercer les devoirs de l'humanité
, & pour réparer fur-tout les torts
que la fortune aveugle a fait au mérite
plongé dans la mifere. C'eft un vrai Dom
Quichotte en générofité , ou plutôt le Titus
de la finance : il compte chaque heure
du jour par des bienfaits . Le ciel l'en récompenfe
; car il trouve au milieu de fa
courfe une femme digne de lui , & qui lui
apporte pour dot une beauté égale à fa
naiffance , avec un caractere auffi bienfaifant
que le fien . Tous les pauvres honteux
dont Paris abonde , feroient trop heureux
fi l'exemple de ce couple refpectable fai72
MERCURE DE FRANCE.
foit des imitateurs ; mais je doute qu'il
prenne dans le monde.
VOYAGE PITTORESQUE DES ENVIRONS
DE PARIS , ou Deſcription des maifons
royales , châteaux , & autres lieux de plaifance
fitués à quinze lieues aux environs de
cette, ville . Par M. D *** A Paris , chez
Debure l'aîné, Libraire, quai des Auguftins,
à S. Paul. 1755. Prix 3 livres relié.
Cet ouvrage m'a paru bien fait & bienécrit.
Voici quatre jolis vers , felon moi ,
fur la fontaine d'Hieres , près de Gros- bois.
La nymphe de cette fource les adreſſe à
ceux qui vont la viſiter.
Toujours vive , abondante & pure ,
Un doux penchant regle mon cours ;
Heureux l'ami de la nature
Qui voit ainfi couler les jours.
LES AMANS PHILOSOPHES , ou le Triomphe
de la raifon. A Paris , chez Hochereau
l'aîné , Libraire , quai de Conti , au
Phénix . 1755.
Ce roman eft de Mlle Brohon. Trois
fortes de recommendations parlent pour
elle ; une grande jeuneffe , elle n'a que
dix- huit ans ; une figure charmante , &
une douceur modefte qui prévient d'abord
en
AVRIL.
1755. 7%
.
en fa faveur tous ceux qui la voyent. Le
titre feul de fon ouvrage annonce fa fageffe
, & l'épigraphe dont elle a fait choix ,
Amare & fapere vix diis conceffum ) montre
qu'elle a refléchi de bonne heure , &
qu'elle connoît avant le tems tout le danger
d'une paffion qu'elle eft faite pour
infpirer & pour reffentir.
La demande qu'elle fait au public dans
un court avertiffement , eft fi raifonnable
qu'il ne peut la refufer fans injuftice. Une
critique outrée , dit-elle , abbar le courage ;
une cenfure jufte & menagée eft quelquefois
la mere du fuccès , fur-tout par rapport à
moi , dont le fexe augmente la timidité naturelle
à mon âge. Après une telle repréſentation
, il y auroit de la cruauté à juger
fon livre avec trop de rigueur ; j'en donnerai
l'extrait le mois prochain. Un auteur
fi aimable mérite d'être encouragé.
RECUEIL GÉNÉRAL HISTORIQUE
& critique de tout ce qui a été publié de
plus rare fur la ville d'Herculane , depuis
fa premiere découverte jufqu'à nos jours ,
tiré des auteurs les plus célébres d'Italie ,
tels que Venuti , Mafei , Quirini , Bellegrade
, Gori , & autres . A Paris , chez
Duchefne , Libraire , rue Saint Jacques
au Temple du goût. 1755 .
D
74 MERCURE DE FRANCE.
"
Suivant l'avertiffement , on ne trouvera
rien dans cet ouvrage qui n'ait été fidelement
traduit des auteurs cités au titre. Si
l'on eft curieux de lire leurs écrits , on les
trouvera chez Tilliard , Libraire , quai des
Auguftins.
HISTOIRE D'UNE JEUNE FILLE SAUVAGE
trouvée dans les bois à l'âge de dix ans ;
publiée par Madame H.... T. A Paris ,
1755.
M. de la Condamine n'eft point l'auteur
de cette petite brochure , comme le bruit
s'en étoit répandu . Il m'écrit à ce fujet la
-lettre fuivante.
A M.de Boiffy, de l'Académie Françoise.
A Marfeille , le 15 Février 1755-
J'apprends , Monfieur , qu'on m'attribue
une brochure qui paroît à Paris depuis
peu , fous le titre d'Hiftoire d'une jeune fille
Sauvage ( aujourd'hui Mlle le Blanc ) trouvée
dans les bois à l'âge de dix ans . Get
ouvrage eft d'une Dame , veuve , qui demeure
près de Saint Marceau , & qui ayant
connu & pris cette fille en affection depuis
la mort de Mgr le Duc d'Orléans qui la
protégeoit , a pris la peine de rédiger fon
hiftoire , comme il eft dit dans l'ouvrage
C
AVRIL. 1755. 75
Ja
même , fur les queftions qu'elles lui a faites
en diverfes converfations , & à plufieurs
perfonnes qui l'ont connue peu de
tems après fon arrivée en France. Cette
Dame a feulement permis que l'on mît au
titre la premiere lettre de fon nom. Toute
part que j'ai à cette production eft d'avoir
fait quelques changemens au manuf
crit dont j'ai encore l'original , d'en avoir
retranché quelques faits qui n'étoient fondés
que fur des oui- dire , & dénués de vraifemblance
; d'avoir ajouté , à la fin furtout
, quelques conjectures à celles de Madame
H.... fur la maniere dont la jeune
fauvage & fa compagne ont pû fe trouver
tranfportées en France , & d'avoir facilité
l'impreffion de l'ouvrage au profit de la
Demoiſelle Le Blanc , dans la vûe de lui
procurer une fituation plus heureuſe , en
intéreffant à fon fort ceux qui liroient fon
aventure. Je vous prie , Monfieur , de
rendre cette déclaration publique , pour
defabufer ceux qui me feroient honneur
de ce qui ne m'appartient pas. J'ai celui
d'être , & c.
La Condamine.
L'ART DU CHANT , dédié à Madame
de Pompadour; par M. Berard. A Paris ,
-chez Deffaint & Saillant , rue Saint Jean de
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
Beauvais ; chez Prault fils , quai de Conti ;
& chez Lambert , à côté de la Comédie
Françoife. 1755.
L'Auteur s'étonne avec raifon qu'on lui
ait laiffé la gloire de traiter le premier de
cet art , fur-tout dans un fiécle où le chant
eſt l'art à la mode , & domine au point
qu'il fait des enthouſiaftes , & forme des
fectes. M. Berard n'a rien épargné pour
s'en inftruire à fond , il ne ſe contente
pas d'en parler en maître de muſique , il
en raiſonne en Phyficien ; il a fait même
exprès un cours d'anatomie pour porter
l'analyfe dans tous les organes de nos fons :
ce font fes propres termes . Pour traiter
l'ouvrage méthodiquement , il le divife en
trois parties ; dans la premiere il confidere
la voix par rapport au chant ; dans
la deuxième il regarde la prononciation &
l'articulation , eu égard au chant ; & dans
la troifiéme il a pour objet la perfection
du chant. J'attendrai que les vrais connoiffeurs
en ce genre ayent prononcé , pour
m'en expliquer plus furement d'après eux ;
je m'étendrai particulierement fur la prononciation
& l'articulation : cette partie
eft un peu plus de ma compétence ; elle
ne fe borne point à la mufique , elle intéreffe
la chaire & le barreau , ainfi que le
théatre ; elle s'étend jufques fur la converAVRIL.
1755. 77
"
fation ; il n'eft prefque point d'état , il
n'eft point d'homme du monde , qui ne
doive ou qui ne veuille en être inſtruit.
M. Berard n'eût- il fait qu'ébaucher la matiere
, le public doit lui être obligé de
l'avoir mife en queftion : le premier qui
parle d'un art a toujours un grand mérite..
OBSERVATIONS SUR LE THEATRE , dans :
lefquelles on examine avec impartialité
l'état actuel des Spectacles de Paris ; par
M. de Chevrier. A Paris , chez Debure le
jeune , quai des Auguftins , à l'image S.
Germain . 1755.
Souvent l'auteur obſerve très - bien , mais
quelquefois il eft mal informé. Par exemple
, j'ouvre fa brochure , je tombe fur un
endroit qui regarde Dancourt , & j'y lis
ces mots Dancourt a joui des plus grands
fuccès ; ramené tous les jours fur la fcene , on
l'applaudit encore : ni fes comtemporains , ni
nos fâcheux n'ont écrit contre lui. Il me permettra
de lui dire que jamais auteur dramatique
n'a été de fon vivant plus traverfé
que Dancourt. Si l'on n'a pas écrit
contre lui , c'eft moins par eftime que par
un, fentiment contraire. Ses piéces étoient
non- feulement décriées par fes camarades ,
qui les jouoient à regret , mais encore
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
méprifées du public , même en réuffiffant ;
on les mettoit alors au - deffous de leur prix ,
on les défignoit par le titre peu flateur
de Dancourades. Quoiqu'on les revoye
aujourd'hui volontiers , on les apprécie à
peu près ce qu'elles valent : on convient
affez généralement que les Bourgeoifes à la
mode , les Bourgeoifes de qualité , & le
Chevalier à la mode , font les feules qui
méritent le nom de Comédie ; les autres ne
font que des farces bien dialoguées , qui fe
reffemblent prefque toutes ; on les reconnoît
à l'indécence , c'eſt leur air de famille.
Je remercie M. de Chevrier du bien
qu'il dit de moi , mais je fuis moins allarmé
que lui des décifions tranchantes de
M. R...... Il n'appartient ni à lui , ni
à aucun particulier de regler le rang des
auteurs ; le public a lui feul ce droit : ils
doivent s'en repofer fur,fes lumieres &
fur fon équité. Il met , quoique fouvent
un peu tard , chacun à fa place. Je confeille
, en qualité d'ancien , à M. de Chevrier
& à mes autres jeunes confreres ,
d'employer plutôt leur loifir à faire des
piéces pour le théatre , qui en a beſoin ,
que des obfervations dont Paris n'a que
faire ; il n'eft que trop éclairé fur les fpectacles
, & trop initié dans nos myfteres.
Pour fon amufement & pour leur gloire ,
AVRIL. 11755 79
qu'ils étudient fon goût pour le faifir , &,
s'ils fe difputent entr'eux , que ce foit de
talent & d'envie de lui plaire.
PINOLET , ou l'Aveugle parvenu , hif
toire véritable compofée fur les faits fournis
par Pinolet lui -même , actuellement
exiftant à Paris ; en quatre parties . 1755 .
Cetet ouvrage eft d'un genre qui me dif-,
penſe d'en faire l'extrait.
ÉLÉMENS DE CHYMIE , par Herman
Boerhaave , traduit du latin , en fix volumes
in- 12 . A Paris , chez Briaffon , rue
Saint Jacques ; & chez Guillyn , quai des
Auguftins .
C'eſt un vrai préfent que le Traducteur
nous a fait. Dire que Boerhaave en eft
l'auteur , peut-on faire un plus grand éloge
de l'ouvrage ?
On trouve auffi chez Briaffon la Ma
tiere Médicale , traduite du Latin de Cartheufer
, augmentée d'une table raiſonnée,
& d'une introduction ; quatre volumes
in-1 2. ainfi que la fuite des Conſultations
de médecine , traduites du latin de M.
Hoffman : elle contient quatre volumes in-
12. les 5 , 6 , 7 & 8.
EPOQUES ÉLEMENTAIRES principales
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
d'hiftoire univerfelle , fuivant la chronologie
vulgaire , efpéce d'a b c hiftorique
, en cinquante- huit leçons , dont une
pour chaque fiécle , d'après les auteurs
méthodistes en trois tableaux dédiés à
Mgr le Prince Louis de Salm- Salm . Par M.
Mahaux.
2
Quand on confidere attentivement le
vafte champ de l'hiftoire de tous les tems
& de tous les lieux , & que l'on fe pro-.
pofe de le faire parcourir fur-tout à un
enfant pour aggrandir fon imagination ,
former fon jugement & regler fes idées , cé
n'eft pas fans raifon que l'on fe trouve embarraffé
; non que les livres , les cahiers ,
les tables chronologiques , les méthodes ,
les livres , les extraits , les abrégés , les bons
maîtres manquent pour cette entrepriſe ;.
mais il s'agit de fixer une jeune tête , de
mettre l'étude à fa portée , & de la lui
rendre facile & agréable en ne fatiguant
ni les yeux ni la mémoire par trop de leçons
& de lecture. En voici un moyen que
le fieur Mahaux nous préfente , & qui nous
a paru très- clair , très- fimple , très- naturel
, & qui produit les plus grands fuccès.
Ses tableaux d'élémens hiftoriques font
un plan diftribué , économifé de maniere
qu'au premier coup d'oeil on y peut faire
toutes les opérations arithmétiques de la
AVRIL.. 1755 81
durée & de la diftance des tems. L'hiftoire
ancienne , fur le premier tableau , offre à
la vûe quarante fiécles , féparés par des lignes
horizontales , & formant quatre colonnes
, dont chacune devient millenaire
, ou contient dix fiécles , tous étiquetés
, & portant une dénomination qui les
caractérife & les diftingue les uns des autres.
Onze grandes époques , entre toutes
les autres , y font en lettres romaines , ce
qui les rend remarquables , & fait fentir,
d'abord & divifer les intervalles . Plus à
chaque fiècle , toutes les divifions ufitées
& des notices très- courtes de ce qu'il y a
de plus effentiel à fçavoir fur les grands
événemens , les Empires & Etats du monde
, les perfonnages illuftres , les loix ,
les religions & les meurs , &c. Le deuxiéme
tableau pour l'hiftoire moderne eft
dans le même arrangement , & ne contient
que dix-huit fiécles ou environ , avec
huit grandes époques dans le goût des
onze premieres ; ainfi l'un fert à comparer.
l'autre , & ils établiffent refpectivement
une forte de balance de tous les tems. Un
troifiéme & quatriéme petit tableau fur
une feule feuille , une explication alphabérique
des abréviations & des mots peu
familiers répandus dans la totalité , & une
petite inftruction fur la maniere de s'en fer-
Dy
82 MERCURE DE FRANCE.
vir , femblent ne rien laiffer à defirer pour
-ce procédé vraiment élémentaire, acceffible
à tous ceux qui veulent enſeigner , s'inſtruire
eux -mêmes , ou fe rappeller ce qu'ils
ont déja appris. C'eft une affaire de deux
heures de lecture tout au plus ; point de
difcuffions chronologiques . L'Eglife & les
fçavans de nos derniers tems ont décidé
celle qui eft expofée dans le louable ouvrage
que nous annonçons , & dont nous
confeillons l'acquifition à toutes les perfonnes
qui aiment les bonnes nouveautés
littéraires. On peut au refte s'affurer par
foi-même de l'effet de cette méthode , en
fe donnant la peine d'aller voir l'école de
MM. Viard & Mahaux , qui demeurent
rue de Seine , fauxbourg Saint Victor ,
Académie des enfans. On y verra avec
plaifir qu'on y enfeigne la Géographie par
des moyens femblables : peu de préceptes
& beaucoup d'ufage ; pratique excellente ,
même pour l'étude des langues. Cet ouvrage
fe trouve chez l'auteur , au lieu déja
indiqué ; & chez les Libraires , Piffots
quai de Conti ; & Lambert , rue de la
Comédie. On le vend trois livres.
DESCRIPTION HISTORIQUE & géographique
des plaines d'Héliopolis & de
Memphis. A Paris , chez Briaſſon , à lai
I
1
AVRI L. 1755 83
Science ; & Duchefne , au Temple du Goût,
rue S. Jacques. 1755. in- 12 , petit format,
264 pag.
M. Fourmont , Interpréte du Roi pour
les Langues orientales , eft l'auteur de cet
ouvrage. Il nous apprend que c'eft le fruit
de quelques- unes des obfervations qu'il
a eu occafion de faire pendant un féjour
de près de quatre ans au Caire. De retour
en France , fes premiers foins ont été de
dreffer une carte topographique de toute
cette étendue de pays comprife entre les
plaines d'Héliopolis & de Memphis , ces
anciennes villes , que leurs ruines rendent
encore célebres. Il a eu la précaution d'y
joindre la pofition des lieux qu'il a été à
portée de vifiter ; il a préfumé que pour
rendre plus fenfible l'avantage & l'utilité
de cette carte , il falloit néceffairement
l'accompagner d'une explication géographique
des lieux anciens & modernes qu'elle
contient ; c'eft ce qu'il nous paroît avoir
exécuté avec fuccès dans l'ouvrage qu'il
donne au public. Quelque court qu'il fait ,
nous ofons affurer que les perfonnes qui
s'appliquent à l'étude de l'Hiftoire & de la
Géographie , en pourront tirer de nouvel
les lumieres ; car l'auteur a eu principalement
en vûe la réunion de ces deux objets
fi propres à fixer les recherches des fçavans.
Dvj
84 MERCURE DE FRANCE.
Il n'a pourtant pas tout-à - fait négligé les
moyens d'intéreffer le commun des lecteurs,
par le récit des moeurs & des ufages qui
caracterifent les habitans du pays qu'il a
vifité. On ne fera pas fâché de fçavoir
comment notre auteur s'explique lui - même
fur cet article dans fa préface. » Je
» n'ai point voulu , dit-il , me borner à
» un détail purement géographique ; j'ai
» préfumé que la féchereffe qui en réfulte ,'
» y répandroit de l'ennui , fi elle n'étoit
»compenfée par le détail plus amufant
quoiqu'abrégé , des particularités qui
» m'ont le plus frappé , en recherchant les
» ufages du pays où j'ai réfidé quelques
années , & en approfondiffant les moeurs
de fes habitans . J'avoue que mon inter-
» tion n'a point été d'apprendre des chofes
tout-à-fait nouvelles dans cette partie ,
que d'autres voyageurs ont déja traitée
à fond : cependant il y a quelques - unes
de celles que j'ai rapportées , qu'on s'efforceroit
inutilement de trouver détaillées
avec autant d'exactitude dans leurs
relations mais après tout il n'en faut
" juger que comme d'un acceffoire , qui
» par la liaifon qu'il occafionne , m'a paru
»propre à donner une forme fuivie &
» en même tems plus variée à cette def
≫cription , où mon principal but a été de
AVRIL. 1755- 85
"
jetter quelque jour fur un des morceaux
» les plus effentiels de l'ancienne Géographie
«. M. Fourmont finit par avouer
qu'il y auroit de la témérité à annoncer
l'ouvrage qu'il publie › autrement que
comme un fimple effai , où il a feulement
eu deffein d'infinuer au lecteur éclairé les
inftructions qu'il pourroit tirer d'un voyage
fait dans les vûes qu'il a pris foin de
fpécifier.
Les bornes d'un précis ne me permettent
pas d'entrer dans un plus grand détail ; je
me reftreins à dire l'auteur ne fe conque
tente d'être l'héritier d'un nom , que
pas
MM . fes oncles ont fait connoître d'une
maniere glorieufe dans la république des
Lettres , il afpire encore à l'honneur de
marcher fur leurs traces.
ESSAI D'UNE NOUVELLE CARTE DE LA
MER CASPIENNE ; par M. d'Anville , de
l'Académie royale des Infcriptions & Belles
Lettres , & de celles des Sciences de
Petersbourg . Quoique cette carte fe diftingue
des précédentes par de notables
changemens & une plus grande précifion
dans le détail , l'auteur ne l'intitule néanmoins
qu'Effai , dans la perfuafion où il
eft que ce fujet doit encore acquerir plus
de perfection : mais ce qui fera plus par
86 MERCURE DE FRANCE.
fait pouvant tarder à paroître , c'eft fer
vir le public que de lui donner actuelle
ment quelque chofe de mieux que ce qu'ik
avoit eu jufqu'à préfent.
PROSPECTUS D'UN NOUVEAU TRAITÉ
DE FORTIFICATION. L'auteur nous ap
prend qu'il a compofé cet ouvrage pour les
jeunes Officiers , qui fans fe deftiner particulierement
pour le génie , doivent pourtant
connoître les fortifications . Comme
la méthode de fortifier de M. le Maréchal :
de Vauban eft aujourd'hui la plus fuivie
c'eſt celle dont l'auteur rend raifon dans
ce traité. Pour rendre fon inftruction plus
fenfible , il a formé un bureau dont il donne
la defcription , & qui fait une partie
du mérite de fon ouvrage. Ce bureau qu'il
nomme Bureau militaire * , a à peu - près
la forme d'un bureau typographique : chaque
étage de fon bureau contient des pie
ces de ménuiferie de même efpece , de même
que les étages du bureau typographique
contiennent les caracteres de même
efpece. Par le différent affemblage de ces
pieces de ménuiferie , on peut former en
Jene fais ici que tranfcrire les dernieres pa
ges de fon profpectus. Cet objet me paroît trop
intéreffant pour ne pas l'offrir aux yeux du lecteur
dans tous fes détails.
AVRIL. 1755. 87
relief une fortification , ainfi que par l'af
femblage des caracteres on peut repréfenter
des mots.
*
Chaque niche de ce bureau militaire
contient les pieces de même efpece , qui
forcent l'enceinte & tous les différens ouvrages
d'une place : ainfi dans la ligne des
baftions font , dans des étages féparés , les
courtines , les flancs & les faces , pour trois
différens polygones ; il en eft de même des
pieces qui doivent former les ouvrages extérieurs.
Quoique les pieces de même efpece
ayent quelquefois des longueurs différentes
pour les différens polygones , elles ont
toutes cependant une échelle commune :
chaque piece porte avec elle le numero de
fa longueur.
Le nombre de ces pieces , pour former
unbureau militaire complet , n'eft pas bien
confidérable . Qu'on faffe attention que M.
le Maréchal de Vauban a toujours fuppofé
que le côté de tout polygone qu'on fe propofoit
de fortifier , avoit cent quatre - vingt
toifes. Il a trouvé qu'à cette diſtance les
baſtions étoient convenablement éloignés,
& que la ligne de défenſe avoit une jufte
longueur ; qu'on faffe attention encore
qu'il donne toujours cinquante toifes aux
faces de baſtions pour quelque polygone
88 MERCURE DE FRANCE.
que ce foit. Voilà donc deux longueurs :
qui ne varient point : je fuis parti de là
& je n'ai pas trouvé plus difficile de faire:
une fortification en relief, par l'affemblage
de différentes pieces de ménuiferie , qui ,
euffent toujours une même échelle pour
les différens polygones , que de tracer fur
le papier une fortification fur différens polygones
, qui font fuppofés avoir toujours.
une même échelle de cent quatre - vingt
toiſes. On trouvera même que la différence
de la longueur des côtés & de la grandeur
des angles de la premiere enceinte ,
n'eft pas bien confidérable dans les différens:
polygones , & qu'ainfi il n'y aura pas un
grand inconvénient de fortifier un exago-.
ne avec les pieces d'un pentagone , fur-,
tout fi l'échelle du bureau militaire , qui
doit être de cent quatre-vingt parties égales
, repréfentant des toifes , eft réduite à
fept ou huit pouces . Mais , pour plus grande
exactitude , le bureau pourra contenir
des pieces pour la premiere enceinte feulement
, de trois différens polygones. Ces
pieces de différens polygones , adaptées
enfemble , pourront même fervir à repréfenter
ou à imiter des places irrégulieres .
Tel eft en gros le plan de ce nouveau bureau
militaire.
Pour en faire ufage l'éleve n'a befoin
AVRIL. 1755 89 .
que de fçavoir tracer la ligne magiftrale
de chaque ouvrage ; après quoi il meſure
fur fon papier la longueur de chaque cour-`
tine , de chaque flanc , de chaque face , &c .
& il prend dans le bureau des pieces de
même efpece & de même longueur , les
difpofe fur une grande table , & dans un
inftant toute la fortification eft formée.
4
des
Les idées qu'il a , par le moyen de ces
fortifications en relief , font bien plus claires
; il voit bien mieux le rapport mutuel
de chaque piece , de quelle maniere elles
fe flanquent les unes les autres , qu'il ne
le verroit fur le papier par le moyen
lignes , qui ne difent rien lorfque leur ufage
n'eft pas familier ; & cela eft fi vrai ,
que j'ai vu des jeunes gens qui avoient
étudié les fortifications , ne pas fe reconnoître
dans une fortereffe . Que les perfon-,
nes les plus expérimentées dans cet art comparent
l'impreffion que fait fur eux un plan
gravé fur du papier , où un plan en relief,
tels que ceux qui font aux galeries du Louyre.
Tout deviendrá fenfible à l'éleve : cette
étude fera un véritable amuſement pour
lui , & il est bien rare que les jeunes gens
ne réuffiffent pas dans les chofes qu'ils
font avec plaifir. Il n'en faudroit pas dayantage
pour infpirer le defir d'approfongo
MERCURE DE FRANCE.
dir cette connoiffance , & peut-être d'y
faire de nouvelles découvertes.
Un Maître habile & ingénieux pourra
varier à l'infini fes leçons : tantôt c'eſt uné
place qu'il attaque , après que fon éleve
la fortifiée : tantôt c'eft le paffage d'une
riviere qu'il faut défendre. Il peut même
former fur une grande table des élévations
avec de la terre ou du fable , & donner un
terrein inégal à fortifier : de pareils exercices
feront d'autant plus inftructifs , qu'ils
feront le milieu , pour ainfi dire , entre l'i
mage & la réalité. Ainfi un jeune Seigneur
& un Officier acquerreroient parfaitement
les connoiffances qu'ils doivent avoir des
fortifications.
Selon les difpofitions de l'éleve , le pro
feffeur pourroit alors le pouffer plus out
moins avant dans les parties des Mathéma
tiques qui ont du rapport aux fortifica
tions ; & pour cela lui faire voir d'abord
les Inftitutions mathématiques de M. l'Ab
bé de la Chapelle : ce livre eft bien au
deffus de fon titre ; mais que l'Officier faffe
toujours céder cette étude à celle des connoiffances
plus particulieres à fon état . It
n'eft pas auffi effentiel pour lui de fçavoir
les différens traités de mathématique , que
de bien connoître la difcipline politique ,
économique & militaire d'une armée :
AVRIL. 1755. $
ainfi il ne devra étudier les cours mathé
matiques de M. le Camus qu'après qu'il
aura appris prefque par coeur les effais fur
l'art de la guerre de M.le Comte Turpin .
Cet ouvrage * eft écrit avec une fimplicité
& un ordre admirable , parce que l'auteur
eft un excellent Officier qui rend raifon
de ce qu'il a vû & de ce qu'il a fait . -
Je vais finir ce Proſpectus par où j'aurois
dû le commencer. Il n'a pas été fait pour.
annoncer mon ouvrage , moins encore .
pour en dire du bien : ç'auroit été une cho- >
fe pour le moins inutile ; car fans doute
je ne le crois pas mauvais , puifque je me›
propofe de le donner au public. J'annonce
donc ici mon bureau militaire ; & comme
il peut fervir à démontrer , non feulement:
mon traité des fortifications , mais encore
tout autre traité où on donnera la méthode
de M. de Vauban , les perſonnes qui ,
fans faire ufage de mon traité , voudront
faire ufage de mon bureau , n'auront qu'à
adreffer leur Ménuifier ou leur Ebéniſte
chez M. Jombert , Libraire , rue Dauphi
ne , & l'auteur fe fera un plaifir de leurs
donner des modeles , ou de les mettre en
état d'exécuter de pareils bureaux .
* Il ſe trouve à Paris , chez Jombert , rue Dau ,
phine.
92 MERCURE DE FRANCE.
SEANCE PUBLIQUE
De la Société royale des Sciences & Belles-
Lettres de Nanci.
E 20 d'Octobre dernier , la Société
royale de Nanci tint , felon fa coutume
, fa féance publique. Ce jour , fi cher
à l'Académie par la naiffance de fon fondateur
, fera encore mémorable dans fes
faftes par les fujets diftingués qu'elle vient
de recevoir. Elle comptoit déja parmi fes
membres les Fontenelle , les Hénault , les
Montefquieu; elle vient de s'affocier encore
les Maillebois , les Maupertuis , les la Condamine.
M. Dagay , Abbé de Soreze , de
l'Académie de Befançon , étoit venu exprès
de Franche-Comté à Nanci , pour faire en
ce jour fon remerciment , & M. le Corvaifier
, Secrétaire perpétuel de l'Académie
d'Angers , avoit envoyé le fien. Il fut lû
par M. le Chevalier de Solignac : la façon
de lire ne nuit point à un difcours ; celuici
fut prononcé avec goût , on l'écouta
avec attention , on le relira encore avec
plaiſir , mais il faut le lire tout entier :
quelques morceaux détachés ne feroient
connoître qu'imparfaitement le ftyle & les
fentimens de l'auteur.
AVRIL. 1755.
93
" La gloire ( dit M. le Corvaifier ) eſt
» le premier objet d'une Société d'hommes
» de Lettres , les travaux utiles la procu-
» rent , les fuccès la confirment , l'hom-
» mage du public en fixe la folidité ; elle
devient le fond & la richeffe d'un Aca-
» démie , on peut l'augmenter en la com-
» muniquant mais on peut auffi l'affoiblir
, forfqu'on admetquelqu'un à y par-
;
ticiper. Que je crains , Meffieurs , que
» vous n'ayez à vous reprocher bientôt vo-
» tre indulgence ! vous m'affociez à vos
» triomphes littéraires , pouvois- je l'efpe-
» rer ? vous exigez de moi des travaux
ferois-je affez heureux pour remplir vos
» intentions & mes devoirs ?
» Les ouvrages qui honorent votre compagnie
, & qui lui appartiennent , font
marqués au coin de l'érudition , fuppo-
» fent des recherches , annoncent des con-
» noiffances , & portent le caractere du
»goût & du génie ; ils n'éblouiffent point ,
» ils intéreffent ; ils ne féduifent point , ils
» perfuadent ; ils n'amufent pas feulement,
ils inftruifent ; ils n'obtiennent point un
applaudiffement paffager , on les admire
toujours. Quelles productions , Mef-
» fieurs , aurois-je à vous offrir qui puiffent
» être placées à côté des vôtres ? Je n'ai
pour moi que du zéle . Je ne dois pas ce4
MERCURE DE FRANCE.
pendant oublier le feul moyen que je
puiffe faire voir pour vous être agréable .
» La maniere que j'ai employée à célébrer
» les vertus du Monarque de la France , a
mérité l'approbation de votre auguſte
fondateur. Un fuffrage fi refpectable de-
» vroit calmer mes inquiétudes , & ſoute
> nir mes efpérances ; mais puis-je me dif-
» fimuler que j'ai entrepris le fujet le plus
»magnifique & le plus fécond ? qu'il ne
» s'agiffoit pas d'embellir les objets , mais
» de les montrer : qu'il fuffifoit d'être ci-
» toyen & de connoître fon Roi . On ne
peut me fçavoir gré que du choix ; la ma
tiere que j'ai embraffée , eft affez riche
»pour foutenir celui qui la traite , & pour
» fuppléer aux talens .
M. de Corvaifier parle enfuite des dif
férens établiſſemens qu'a fondés le Roi de
Pologne , & des ouvrages qu'il a compo
fés ; & après avoir expofé le plan des uns
& fait l'analyse des autres , il conclut que
les amuſemens ingénieux de ce Prince ,
auffi-bien que fes plus férieufes occupa
tions , tournent également au profit de la
religion & de l'humanité.
-
Après la lecture de ce difcours , M.
Dagay , Abbé de Soreze , Chanoine de
T'Eglife métropolitaine de Franche - Comté
, & membre de l'Académie de Befan-
•
AVRIL. 1755. 95
çon , prononça lui - même fon remerci
ment , qu'il finit ainfi . » C'eſt à vous ,
Meffieurs , qu'eft réſervée la gloire de
» tranfmettre aux fiécles à venir les fenti-
❤mens magnanimes , & les actions héroïques
dont vous êtes les témoins : c'eft à
» vous à dépofer dans le fein de la renom-
» mée tout le détail d'une vie qui doit
» être à jamais le modele & l'exemple des
»
Rois. La feule chofe que vous avez à
» craindre , c'eſt que les faits que vous de-
≫ vez raconter , & qui fe paflent fous vos
n yeux , ne paroiffent aux yeux de la pof
térité une fiction ingénieufe, plus propre
à rendre la vertu aimable que reffemblante
à la vérité. Mais raffurez - vous ,
» Meffieurs , tant de grands établiſſemens
» également utiles à la religion & à l'hu-
» manité , plus durables que le marbre &
le bronze qui les atteftent , & qui font
confignés dans les annales de l'Eglife &
dans les archives des nations , garanti
ront la certitude de votre témoignage.
Daigne la providence , qui a toujours fi
» vifiblement protégé ce Monarque , mettre
le comble à tous nos voeux Puiffent
fes jours précieux fe prolonger aux dépens
de nos années , fe perpétuer au gré
- de nos defirs , fe multiplier à proportion
de fes vertus , & durer autant que fes
Sbienfaits !
96 MERCURE DE FRANCE.
M. le Comte de Cuftine , Directeur de
l'Académie , lui répondit. Il parla avec
cette politeffe & cette modeftie qui ca
racteriſent le vrai mérite , & qui conviennent
fi bien aux perfonnes de fon rang.
Son difcours fut généralement applaudi.
Il le termina par ces paroles , qu'il adreffa
à la Compagnie. » Suivez , Meffieurs , les
» hautes deftinées qui attendent tout ce
»
qui eft l'ouvrage de Staniflas ; marchez
" avec confiance dans la carriere où il
» vous précéde , & s'il arrivoit jamais que
» votre ardeur fe rallentît , rappellez - vous
que fa gloire eft inféparable de la vôtre.
- M. de Beauchamp , Lieutenant de Roi à
Nanci , prononça un difcours fur l'ambi
tion. Il diftingua la noble ambition , qui a
pour principe l'amour de la patrie , & pour
objet l'utilité publique , de l'ambition criminelle
qui ne confulte que l'orgueil , &
qui n'afpire qu'à l'indépendance. Il prouva
par des raifons folides & des exemples
choifis , qu'autant que l'une eft louable &
peut être utile , autant l'autre eft funefte
& digne de mépris.
M. Montignot , Chanoine de l'Eglife
cathédrale de Toul , fit une differtation
fur l'efprit philofophique , dans laquelle
il fit voir que ni Lucrece , malgré la beauté
de fon génie poëtique ; ni Spinofa ,
malgré
AVRIL. 1755 . 97.
malgré l'invention hardie & la liaiſon de
fon fyftême ; ni Bayle , malgré les argumens
fpécieux de la plus fine dialectique ,
n'étoient pas de vrais Philofophes.
L'auteur avoit commencé par remonter
jufqu'au tems heureux où l'efprit philofophique
vint à paroître dans le monde.
» Qu'entendoit- on , dit- il , avant Defcar-
» tes , par cette forte d'efprit ? Etoit - ce
cette recherche févere & rigoureuſe de
» la vérité , qui pefe , balance , examine
• fans prévention , & ne s'arrête que lorf
» que l'évidence paroît : Etoit-ce ce jugement
vif& pénétrant , qui ne fe laiffant
égarer par aucune fauffe lueur , avance
» toujours d'un pas égal vers la vérité ,
» parce qu'il ne veut la reconnoître que
» dans les principes d'une claire percep
» tion , par un fentiment intérieur , ou
d'après des obfervations exactes & ré-
» pétées avec fcrupule ? Non , Meffieurs ,
ajoute-t-il , on ne penfoit même pas qu'il
»fallût acheter fi cherement la qualité de
Philofophe .... Ceux qui portoient ce
» nom , on les difpenfoit alors d'étudier
la nature , & d'obferver fes loix ; mais
" on exigeoit qu'ils excellaffent dans l'art
dangereux d'embarraffer une difficulté
par toutes les fubtilités qu'une fauffe dialectique
enfeigne ; qu'ils fuffent habiles
D
ود
"
E
98 MERCURE DE FRANCE .
» dans la fcience des mots ..... Defcartes
paroît. Sa raifon ne peut fouffrir le joug
honteux où gémiffoit le refte des hom-
» mes. Il menace de renverfer jufques dans
»fes fondemens le vieil édifice de la Phi-
» lofophie d'Ariftote , qu'il ne trouve
étayée que par la prévention de fon fié-
>> cle . Cet heureux génie a le courage de
» donner les premiers coups ; il frappe
s d'une main fure. If nons trace en vain-
» queur les vraie's routes du fçavoir ... Je
» fixe à cette époque , continue M. Montignot
, le moment où le véritable ef
» prit philofophique commença à repa-
»roître fur la terre ... Vous connoiffez ,
» Meffieurs , les avantages que la Société
» en a retirés. Mon deffein me conduit
» plus loin ; je l'envifage du côté de la re
ligion , & je dis que l'efprit philofophi
" que lui eft avantageux
, ou plutôt qu'il
» ne lui eftpas nuifible : mais eft-il facile,
» ajoute - t - il , d'accorder
enſemble
cette
docilité d'enfant , que la foi exige pour
des vérités qu'il eft défendu
d'approfon
» dir , avec ces principes
féveres de la Phi-
» lofophie moderne
, qui fe fait une loi
inviolable de n'acquiefcer à aucune opi-
» nion , jufqu'à ce que l'évidence paroiſſe ,
» & qu'elle éclaire une vérité , comme un
beau jour qui vient rendre aux objets
AVRIL. 1755.
ITI
93
93
"
1,
?
BECO
ON
leurs couleurs naturelles : Ce font des
» doutes & des frayeurs qui n'age
gueres que cette partie des hommes qué
» n'ont pas médité fur le caractere de
»l'efprit philofophique , parce qu'ils n'en
» fout point éclairés .... Rendons ici l'ef
prit philofophique refpectable à leurs
yeux Montrons qu'il eft avantageux à la
religion , & qu'il la fert auffi utilement
» qu'ilmérite d'en être honoré. » Dans le
détail ouventre enfuite M. Montignot , il
fait voir que l'efprit philofophique fert à
faire appercevoir les bornes de la raiſon ,
la néceffité d'une révélation & l'obligation
de s'y foumettre. On ne fçauroit fuivre
l'auteur dans tous fes raifonnemens . Ils
font auffi forts qu'ils le pouvoient être , &
toute Baffemblée en fut extrêmement frappée.
Cet ouvrage paroîtra , fans doute ,
bientôt dans les mémoires de l'Académie
de Nanci , avec ceux dont nous venons
de parler ob a
}
D'HOURY , Libraire , rue de la Vieille
Bouclerie , donnera inceffamment une nouvelle
édition de la Chymie médicinale , de
M. Malouin , Médecin ordinaire de la
Reine.
ailty
CONSIDERATIONS fur les caufes de la
Eij
100 MERCURE DE FRANCE.
grandeur des Romains & de leur décadence
; nouvelle édition , à laquelle on a
joint un dialogue de Sylla & d'Eucrate .
A Paris , chez Guillyn , quai des Auguftins
, du côté du pont Saint Michel , au Lys
d'or. 1755 .
édition ; par
URE
>
ESSAI SUR L'ARCHITECTURE , nouvelle
le P. Laugier de la Compagnie
de Jefus. A Paris , chez Duchesne ,
Libraire , rue Saint Jacques , au Temple
du goût. 1755 .
Cette édition eft augmentée, d'un dictionnaire
des termes , avec des planches
qui en facilitent l'explication .
P
I
༣ མ༣ ” ༤༣
,, -
longda ar
909:044
Jac.urb
*
AVRIL 1755. 101
Be
ARTICLE
III .
SCIENCES ET BELLES - LETTRES.
PHYSIQUE.
que srɔb 197
JE
LESTİTRE A M. ****
SHDOS !
MONSIEUR
toutes in-
E dois jufte titre vous confidérer
comme le dépofitaire de toutes les interprétations
de la nature dont les Philofophes
fe croient capables. Il vous appartient
plus d'en juger qu'à tout autre , par
l'attention perpétuelle que vous avez à en
dévoiler les refforts.
Vous n'ignorez pas , Monfieur , le phénomene
, le myftere , qui doit occuper aujourd'hui
les Phyficiens & les Médecins .
Il s'agit d'un enfant né le 18 Janvier
1754 , enterré nud auffi- tôt après fa naiffance
, parce qu'on l'a cru mort- né ; déterré
, dit- on , vivant le 15 Février fuivant
, & baptifé le lendemain , en préſence
de plufieurs perfonnes , lequel enfant a
paru vivre pendant cinq heures après fon
baptême.
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
Je vais , Monfieur , produire ce que
j'en penfe ' , j'éviterai avec foin tout difcours
fuperflu ; & fi mon raifonnement
ne mérite
pas votre approbation , j'ofe me
flater qu'il ne vous ennuira point par fa
longueur.
PODZ1Q791 910101 ( 5.N
On a cru cet enfant mort né , parce
qu'il étoit fort noir cette ecchymofe confidérable
prouve qu'il a fouffert quelque
étranglement au paffage , capable de forcer
les vaiffeaux capillaires & d'intercepter
un libre commerce de l'air extérieur avec
le poulmon , fans que cependant il foit
devenu la caufe d'une mort complette. La
même chofe arrive aux pendus qui n'ont
point été étranglés jufqu'à ce que mort
s'enfuivit , & qu'on rappelle à la vie &
à la fanté , par le moyen d'une faignée fálutaire
.
Ou l'enfant dont il s'agit n'a point ref
piré avant d'être mis en terre bail³n'a
refpiré que très- foiblement. Dans cendernier
cas , fon fang n'a point totalement
abandonné la route qu'il fuivoie pendant
qu'il n'étoit qu'un foetus . Les arteres pulmonaires
ne font point parvenues à une
dilatation proportionnée à leur diametre ,
le trou ovale a continué de fervir d'entrepôt
ou de canal de communication entre
les artères & les veines ; l'habitude extéAVRIL.
1755. 103
rieure du corps a reçu l'influence aëreréthérée
néceffaire pour perpétuer la raréfaction
vitale. La terre dont il étoit
couvert fe trouvoit apparemment d'une naature
propre à faciliter cette négociation
une fi foible refpiration n'a pu entretenir
qu'une circulation lente , en tout pareille
à celle qui s'obferve dans plufieurs léthargiques
, dont la vie paroît douteufe pendant
un affez long- tems.cs
Dans le premier cas , c'est- à-dire s'il
n'a point refpiré avant d'être mis dans la
foffe , le trou ovale , la bonne qualité du
fang , l'habitude extérieure du corps , &
la nature de la terre , qu'on devroit n'avoir
point omife dans des mémoires d'une
telle importance , font les feules caufes
qui ayent pu concourir à une telle confervation.
Dans l'un & dans l'autre cas , la diffipation
n'a point été grande , les effluences
n'ont point été confidérables , elles ont
exactement répondu à la ratéfaction ou
à la circulation du fang , & elles pou
voient fe réparer fous la terre par des influences
proportionnées , quelque médiocres
qu'elles puffent être.
C'est dans un de ces deux états deux états que l'on
a mis cer enfant au tombeau , prefque au
même moment qu'il a été expofé à l'air ,
Eiv
104 MERCURE DE FRANCE.
& il y a confervé fa vie pendant vingt- huit
-jours.
Ce fait me paroît , Monfieur , affez extraordinaire
& affez incroyable pour avoir
mérité d'être conftaté par des perfonnes
'de l'art , qui n'auroient nullement été inréreffées
à faire paffer pour réel ce qui
ne leur auroit préfenté aucune réalité conftante
, ou que des fignés équivoques n'auroient
point été capables de convaincre.
Quelque fingulier que foit ce fait , fi on
le fuppofe vrai , il ne me ppaaroît point
inexpliquable , & mon explication paffera
Tout au plus pour avoir été hazardée
j'entre donc en matiere par une compar
comparaifon
que vous ne jugerez point indifférente.
Tous les bois ne confervent pas également
fous les cendres le feu dont ils font
animés : ceux dont les tiges font propres
à entretenir le feu , ont des branches d'une
même efficacité ; il faut donc que dans la
mere de cet enfant les influences acreréthérées
& chyleufes dont je parlé dans l'analyfe
que j'ai eu l'honneur de vous faire
préfenter , fe foient trouvées conftamment
dans des proportions bien régulieres , puifque
le peu d'air qui fe trouve dans la terre
eft capable de les entretenir ; il faut
que cette mere ait joui d'un bon tempéAVRIL.
1755 : 105
ramment & d'une fanté parfaite , puifque
Ta diftribution du fang & des humeurs
que cet enfant en a reçu , a pû fe foutenir
dans fon petit corps fous un monceau
de terre pendant un filong-tems , & avec
un fi foible fecours.
Si cet enfant a refpiré après fa naiffance
, il n'a pas joui d'une influence aëreréthérée
abondante pendant qu'il fe trouvoit
au milieu de l'air , vû les obſtacles
oppofés à l'infpiration : il a continué de
trouver dans la terre autant d'air qu'il s'en
étoit introduit dans fon poulmon pendant
le peu de féjour qu'on lui a permis de
faire fur la terre. Sa vie n'a point acquis
de nouvelles forces dans le tombeau ; mais
elle s'y eft foutenue tout comme un bois
convenable conferve fon inflammation fous
les cendres , fans que celle-ci y faffe les
mêmes progrès qu'elle feroit fi elle étoit
entretenue par l'affluence d'un nouvel air
auffi wilirbree qu'abondant.
Ces bois propres à conferver le feu font ,
fans contredit , d'une conſiſtance docile à
la raréfaction inflammatoire , puifque le
peu d'air que fourniffent les cendres fuffit
pour l'entretenir : par la même raifon , le
fang que cet enfant avoit reçu de fa mere ;
doit avoir été d'une confiftance très -louable
, docile à la plus foible éthériſation
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
docile à la moindre influence aërer- éthérée
, puifque celle que la terre lui a fourni
pendant vingt-huit jours y a été faffifante
pour maintenir fa fluidité fa raréfaction
, fa progreffion vitale.
Jom QY
Ceux qui ont affiftédocette merveille ,
Monfieur ont fans doute crié au miracle
; en effet , j'en reconnois un dans les
inquiétudes du perei & della merely lef
quelles ont déterminé à déterrer cet enfant
pour lui procurer un fecours fpirituel
, qui eft devenu le fceau de ſa prédeftination.
pan pe al ob zed use
La vie de cet enfant peut avoir été raf
furée dans la foffe par le fango qui s'y eft
extravafé mais qui perd for fang perd
fa vie , & pour un fujet fr délicat , c'étoit
beaucoup attendre que de remettre fon
baptême au lendemain goune telle négli
gence rendroit
ainfi direabfüfpe
&s
rendroit ,
pour
les certificats qui ont été envoyés. si
Il n'y a , ce me femble , que la foi des
perfonnes montées fur le ton de miracle ,
& par conféquent intéreffées à le publier
ou à l'autorifer , qui ait été tranfmife juf
qu'à nous , & cette foi là mêmerend inexcufable
le délai que l'on a apporté au bap
tême. Suppofons cependant le fait vrai ,
& concluons avec juftice que ce que Dieu
a réfolu eft au- deffus de la négligence des
hommes..
AVRIL.'
1755. 107
Je reviens au fang qui avoit été forcé
vers fes plus petits réduits , qui avoit rendu
l'enfant fort noir , & qui avoit déter
miné le pece à l'enterren fur le champ com
me mort. slary toifis folu
Je penferois volontiers , Monfieur , que
la faignée que l'enfant a éprouvée dans le
tombeau par l'hémorragie accufée , lui à
été falutaire. Je croirois également puifqu'on
l'a enterré noin, & qu'on l'a déterré
vermeil sequ'il s'eft fait dans la terre une
réfolution tacite de ce fang , qui fe trouvoit
hors de fa route ordinairego & que le
fang qui formoie cette ecchymose , ainfi
que celui qui a été extravafé dans les premieres
voies , a été pour la maffe entiere
une continuation de nourriture , ou d'influence
reftaurante pareille , quoique infé
rieure à celle dont il étoit avantagé dans
le fein de fa mere. Il faut peu pour fou
tenir la vie d'un enfant , ou pour la détruire
, & la loi générale , qui fert beau
coup dans le cas préfent , eft que la circulation
doit répondre à la refpiration
quelle qu'elle foitusramnod
Les animaux qui vivent un affez longtems
de leur fuif ou d'un fuperflu , donc
ils le font pourvus au- dedans d'eux-mêmes,
favorisent le foupçon que je viens de
mettre enavant. La metamorphofe du noir
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
au vermeil , que les certificats annoncent ,
n'eft pas moins,favorable au raifonnement
ci-devant établi pour expliquer la foible
vie d'un enfant qui a été tout nuddans la
terre pendant vingt-huit jours qui a
paru vivant après avoir été exhumé.luob
Ce raifonnement paroîtra d'autant plus
folide qu'il est dénué de tout fyftême. Il
n'eft fondé que fur l'activitévivifiante d'un
ether univerfellement
reconnu
& avoué
,
& fon activité ne confifte que dans fa furabondance
alternative , ajuée à des organes
bien conftitués , & dreffée à une city
culation vitale par tous des , refforts qui
doivent concourir à l'entretiende la vie.
Ce raifonnement paroîtra fur- tout conforme
à la loi unique & générale de coutes
les mutations , à laquelle je prouve dans
mon analyſe ci - deffus mentionnéesque
toute la matiere a été affujettie par la
volonté infinies & toute puiffantesde fon
Créateur & de fon fouverain Législateur.
+
Il ne me reste plus , Monfieur qu'à
examiner trois circonstances de ce fait autant
mémorable que merveilleux , qui ont
été rapportées dans les mémoires ou certificats
que j'ai lûs , & auxquelles il convient
d'accorder une explication particuliere.
)
1. L'on rapporte les pleurs de l'oeil droit:
0
AVRIL. 1755. 109
11
de cet enfant , au -deffous duquel il il y
avoit une cicatrice d'une playe , qu'une
pierre lui avoir faite en le couvrant de terreba
donc fouffert quelque douleur
dans les premieres infpirations ; mais cette
douleur n'a pas étéo,và beaucoup près , fi
anconfidérables qu'elle left ordinairement
al dans les enfans nés fans aucun obſtacle à
l'entrée de Fair dans leurs poulmons , qui
font par conféquent tout- à coup faifis d'unel
nouvellerinfluence acrer- éthérée , fans
contredit , plus abondante , & moins fupportablé
qu'elle ne peut l'avoir été pour
cet enfant , dont le poulmon ne s'eft épanoui
que peu à peu , & par dégrés .
-Onl'avu , dit-on , bailler après fa
renaiffance corporelle & pendant la fpiri-
2tuelles preuve sinconteftable d'une plus
grande expanfion du poulmon , furvenue
a um très-long fommeil pour fecourir les
shumeurs , pour en accélérer le cours qui
étoit comme engourdi par fa longue détention
fous la terte. Val
*
C
les
3. L'on dit qu'il eft forti quelques
gouttes de fang de fon eftomac , & que
perfonnes qui l'ont exhumé , auroient pû
ramaffer un verre de fang dans la foffe où il avoit été mis. Il auroit , ce me femble
,
convenu d'examiner à quelle partie du
corps répondoit particulierement
ce fang,
110 MERCURE DE FRANCE
Quoiqu'il en foit , je penfe que les vaiffeaux
cutanés ayant été comprimés fans
une entiere deſtruction de la vie , le fang
s'eft porté plus abondamment vers les par
ties internes , & furtout vers les premie
res voies , qui n'étant point garnies d'os
de toute part , comme le font les autres
parties du corps , one cédé plus facilement
à un abord du fang plus confidérable.
Je ne crois cependant point qu'on doive
perdre de vue le meconium , lequel ,
puifqu'il caufe des tranchées fi violentes
aux enfans nouveau - nés , doit avoir p
té les vives impreffions fur les vaiffeaux
des inteftins , ou même à raifon de leur
continuité , fur ceux de l'eftomac , & y
avoir occafionné une hémorragie , peutêtre
falutaire pour un tems , mais au fond
dangereufe & mortelle , n'y ayant eu ni
lait ni huile d'amandes douces pour réprimer
l'activité de pareilles impreffions.
21000
Il eft furprenant qu'on n'ait effayé de
donner quoique ce foit à cet enfant ,
pour le foutenir après fon exhumation , ou
du moins il n'en eft parlé ni dans les mémoires
, ni dans les certificatspog
Voilà , Monfieur , le terme où mes lumieres
ont pû me conduire ; aidées des
vôtres , elles pourront prendre quelque
accroiffement. C'eft dans cette vvuûee queje
AVRIL. 1755. 111
m'empreffe de foumettre mes jugemens
aux vôtres, & de chercher toutes les occafions
de vous prouver que j'ai l'honneur
d'être, &cav minsbaodi
1979 251 2197 100Olivier de Villeneuve.
20b 29ining To
29-ins 291 mol el amo .
D
LETTRE DE M. LE P. H.
A M. L'AB BE V.
noop nog insbe
Lures ,
E nom que vous vous faites dans les Let
Atnes, Monfieur plus encore que le re,
merciment que je vous dois de l'extrême politelle
que vous me marquez dans votre ouvrag
ge , mérite bien que je me défendefur un article
où nous penfons tous deux differemment ,
c'eft la Régale ** , Sima nouvelle édition n'étoit
pas trop avancée , j'y aurois inféré cette
réponse pour y Suppléer , je vous l'adreſſe
sast
a vous-même, & je me fais honneur d'en
prendre le public pour témoin : j'espere que
cela me vaudra quelque nouvelle obfervation
e votre part, ce genre de combat litté
en des mains
aufli polies que les vôtres , fert merveillenfe
de
?
raire
quand le
armes s
* Nous redonnons cette Lettre , où il s'étoit gliffé
plufieurs fautes d'impreffion dans le dernier Mer
cure, pour que l'on puiffe mieux juger de la réponſe.
** Je prie ceux qui liront cette réponſe , de jet
ter les yeux fur ce que j'ai écrit à l'année $ 11.
112 MERCURE DE FRANCE.
f
ment à éclaircir la vérité . Nousfommes d'ailleurs
trop fouvent d'accord fur des faits auffi
curieux qu'importans , pour que l'on doive
être furprisfi nous différons quelquefois.
M. l'Abbé Velly prétend que l'on ne
doit chercher l'origine de la Régale
que
dans le droit féodal ; &82mmooii je crois
qu'elle eft antérieure aux fiefs . Les fiefs ,
fuivant moi , tels que nous les connoiſſons
aujourd'hui , n'ont commencé qu'avec l'ufurpation
des fujets , vers le regne de
Charles le Simple. La Régale , auffi ancienne
que la Couronne , eft donnccplusancienne
que les fiefs. Pinfon , dans fon
traité de la Régale , la compare au Nil ,
dont la fource eft inconnue celle des
fiefs l'eft- elle ? Les Gens du Roi , dans un
difcours du 24 Juillet 1633 , difent que la
Régale eft auffi ancienne que la Couronne :
peut-on en dire autant des fiefs ? les Francs
les ont - ils apportés , ou les ont - ils trouvés
établis dans les Gaules ? Les Rois de
France feuls ont le droit de Régale , & les
fiefs font de tous les pays : les fiefs n'ont
donc pas produit la Régale ? Les fiefs , dit
M. l'Abbé Velly , fe nommoient Regalia :
donc ils ont , felon lui , donné ce nom à
la Régale ; & moi je
dis ar
que les fiefs ont
pris en France le nom de Regalia , qui n'ap
partenoit alors qu'à la Régale , parce que
A VRI L. 1755. 113
»
sendes
300 98 119
"
la Régale eft le plus noble droit de la Couronne
: c'étoit bien ainfi
en ainfi que s'exprimoit
Philippe de Valois en 1334. La colla-
>> tion des en régale nous appartient
, à caufe de la nobleffe de la
Couronne de France » . Enfin , & c'eſt là
rancen .
la grande objection , j'ai dit que llees vrais
principes de la Régale fe trouvoient dans
Cache, 209 25, 2007 anon
VTT) ; car je
n'ai pas dir que le canon d'Orléans foit le
titre qui ait conféré la Régale à nos Rois ,
à Dieu ne plaife : c'eût été faire dépendre
ce droit d'une autorité dont il ne dépend
pas. Mais je dis qu'à la maniere dont les
Evêques reconnoillent dans ce Concile que
l'Eglife poffede les biens temporels , qui
n'eft qu'un fimple ufufruit , ils caracterifent
la nature de ces biens, qui ne font que
viagers , de même qu'ils reconnoiffent le
droit de celui qui les confere , & qui par
la force de la directe les réunit à chaque
vacance , ce qui n'eft autre chofe que la
Régale : auffi les Juges laics en font- ils feuls
les juges. bien fenti la forcé
Baronius avoir
de ce canon , puifqu'il ne trouve d'autre
moyen de l'éluder qu'en le changeant , &
qu'au lieu de lire quicquid in fructibus , il a
écrit quicquid in faventibus : ce qui donne
une nouvelle force au véritable texte. Mais
enfin , dit M. l'Abbé Velly , il y avoit des
170
114 MERCURE DE FRANCE.
30
Eglifes qui ne vaquoient point en Régale :
quelle en peut être la raifon , finon que
ces Eglifes ne tenoient aucun fief du Roi ?
Voici la réponſe par où je termine cet ar
ticle. Les Gens du Roi , dans leur avis au
Parlement , figné Malé en 1633 , que j'ai
déja cité , difent qu'il doit être tenu
pour conftant que la Régale eft univer-
» felle , & a lieu dans toutes les Eglifes
» du royaume , comme étant un droit non
» feulement inhérent à la perfonne facrée
» de nos Rois , mais auffi unin& incor-
» poré à la Couronne , né établi avec
» elle » . C'est ce qu'on trouve encore dans
le fameux plaidoyer de Jerôme Bignon ,
de 1638. Aucun cas d'exemption n'est donc
prévû , aucune Eglife n'en eft exceptée.
Celles qui prétendent cette exception ne la
peuvent donc jamais prétendre par la na
ture des biens qu'elles poffédent , mais feulement
par des conceffions particulieres ,
qui n'étant que des exceptions , confirment
la regle. Pour achever de fe convaincre ,
il n'y a qu'à lire la troifième partie du livre
III. du Traité de l'origine de la Régale , par
M. Audoul. Cet ouvrage parut en 1708
fous les yeux de M. Dagueffeau , auquel
ce célebre Avocat étoit attaché ; & voici
l'extrait de l'approbation donnée par M.
Ifali , cet oracle du barreau . » M. Audoui
AVRIL 1755. 115
a fait voir que ce droit éminent de la
» Régale tire fa fource du canon VII..du
» concile I.td'Orléans ; ce qu'il a prouvé
" par de faits fi certains & par de fi bons
principes , qu'il n'eft pas poffible d'y ré
99
fifter " . Voilà d'après qui j'ai écrit , fans
aller cependant anffi loin que M. Ifali ,
puifque je ne trouve dans le concile d'Orléans
que la preuve d'un droit déja établi .
Il réfulte de ce qui vient d'être dit , que
nous différons , M. l'Abbé Velly & moi ,
non feulement fur la Régale , mais même
fur l'origine des fiefs , puifque, les fiefs ,
fuivant moi , tels qu'ils font aujourd'hui
neremontent pas plus haut que le tems
de Charles le Simple , & quela Régale étant
auffiqancienne que la monarchie , j'ai eu
raifon de conclure que la Régale ne pouvoit
pas venir des fiefs. Mais cette preuve ,
qui efti fans replique , fuivant mes principes
, ne fatisfera point M. l'Abbé V. puifqu'il
fait commencer les fiefs avec la mo
narchie ; auffi n'eft- ce qu'une des preuves
que
que j'ai alléguées . Refte donc la queftion
de l'ancienneté des fiefs , & on fent dans
quelle difcuffion scela nous entraîneroir.
Une des preuves qu'en rapporte M. l'Abbé
V. qui eft l'inveftiture de la Seigneurie de
Melun , pourroit être contredite , & l'autorité
d'Aimoin , écrivain du onzieme fié116
MERCURE DE FRANCE.
cle , ne feroit pas d'un grand poids , quand
il dépofe d'un fait arrivé au fixieme. D'ailleurs
il faut avoir de bons yeux pour reconnoître
les fiefs dans les bénéfices militaires
. On trouve , à la vérité , dès la premiere
race , des exemples de bénéfices accordés
fous de certaines redevancés , dont
la principale devoit être le fervice militaire
; mais font- ce bien là des fiefs ? cès bénéfices
étoient viagers , & ont continué de
l'être jufqu'au tems de Pufurpation , &
alors , en effet , ils peuvent être devenus
des fiefs , fans qu'ils le fuffent auparavant.
On pourroit ajouter que les bénéfices ont
été inftitués d'après les terrés faliques ,
fans courir le rifque que l'on en tirât des
conféquences pour les fiefs. Le Seigneur
de fief avoit un fuzerain' , le bénéficier
n'avoit qu'un fouverain . Le feigneur de
fief avoit des vallaux , dont il étoit à fon
tour le fuzerain ; mot , dit Loiſeau , qui
eft auffi étrange que cette efpece de Seigneurie
eft abfurde ce qui prouve en
paffant qu'il ne regardoit le fief que comme
une innovation ) . Quelle fimilitude ,
en effet , peut -on trouver entre ces deux
qualités de bénéficier & de fuzerain ? Le
fief eft une Seigneurie , & affûrement les
bénéfices militaires n'en étoient pas . Ils
-peuvent avoir donné la naiffance aux fiefs ,
3
AVRI L. 1755. 117
3
comme les partages faits par nos Rois entre
leurs enfans ont donné lieu aux appanages
, avec cette différence que les fiefs
ont été l'abus des bénéfices militaires , au
lieu que les appanages ont été la réforme
des partages. Le Seigneur de fief faifoit la
guerre au Roi , & fes vaffaux étoient obligés
de l'y fuivre , les bénéficiers militaires
eurent- ils jamais une femblable prétention
2 Mais abandonnons cette queſtion
qui a fait le tourment de tant d'Ecrivains.
Le fentiment de M. l'Abbé V. peut fort
bien fe foutenir fans que , felon moi , il
influe fur la queftion de la Régale , où
j'aurois plus de peine à me rendre.
Voilà , Monfieur , ce que je mefuis fait un
devoir de vous expofer , pour répondre à l'eftime
que vous avez bien voulu me témoigner ,
&
en même tems pour faire connoître lesfenmens
avec lesquels j'ai l'honneur d'être , &c.
$
P
1
?
et tot of 1!!
ab 200 aring T2.0 : no
Veeren & Moon
118 MERCURE DE FRANCE.
REPONSE DE M. L'ABBÉ V.
A M. LE P. H.
e
E fuffrage d'un homme comme vous ,
Monfieur , & quelque chofe de fi féduifant
, qu'à da lecture de la lettre dont
vous m'honorez , j'ai prefque été tenté de
me croire un perfonnage . Mais je me connois
, & cette connoiffance ne m'a laiffé
appercevoir dans vos politeffes qu'un excès
de bonté qui veut encourager un novice
, plus recommendable par fa bonne
volonté que par fes talens. Vous me permettez
de vous faire quelques nouvelles
obfervations fur le point qui nous divife :
j'ufe de la permiffion , moins cependant
pour difputer que pour chercher le vrai ,
qui feul doit être notre guide . C'eſt unt
écolier qui confulte fon maître ; & quel
maître ? Un nouveau Sallufte , mais plus
clair dans fa briéveté fententieufe , un au- -
tre Velleius Paterculus plus inftructif &
auffi délicat dans fes portraits , le digne
éleve enfin du goût , & le favori des graces.
L'Abbé Velly ne fait point remonter
l'origine des fiefs , ftrictement dit , jufqu'aux
premiers fiécles de la monarchie :
il convient avec l'illuftre auteur du nouvel
AVRIL. 1755. 119
abrégé chronologique de notre hiftoire
que ce n'eft que fous le foible regne de
Charles le Simple qu'on les voit tels qu'ils
font aujourd'hui. Charles le Chauve les
avoit , pour ainfi dire , préparés par le fameux
capitulaire (a ) qui ordonne que
fi après la mort quelqu'un de fes fideles
veut renoncerau monde , il pourra
laiffer tous fes emplois à fon fils , ou à ce
lui de fes parens qu'il voudra choisir pour
fon fucceffeurs ce qui étoit établir une.
efpece d'hérédité dans les offices , & les
rendre en quelque forte propres & patri
moniaux. sidst 201 160 2000
Mais en même tems qu'il abandonne ce
point , qui demanderoit pour être éclairci
plus de tems & plus de connoiffances , il fe
croit sautorifé à foutenir qu'il y avoit fous
la premiere race des efpeces de poffeffions
qui tenoient beaucoup de la nature féodale
, quelque nom qu'on veuille leur don
ner , terres , feigneuries , bénéfices ou fiefs.
Pafquier ( b) les appelle Bénéfices , & cite
pour exemple Clovis , qui inveftit le Com
te Auréliens de la feigneurie de Melun.
Loifeau ( a ) ne craint point de les nommer
( a ) Capitul . 10. apud Duch . tom. 2. p. 463 .
( b ) Recherch. de la France , tom. 1. c. liv. 2
16. p. 130.
(c) Loyf. des Offices feod. ch. z . p. 99.
120 MERCURE DE FRANCE:
»
fiefs , & les fait auffi anciens que la monarchie
: voici fes propres termes. » Ce
peuple victorieux ( les Francs ) partagea
& diftribua les terres de fa conquête ; il
» les attribua à titre & condition de fief à
» fes Capitaines , tant pour récompenfe de
leur mérite , que pour tenir deformais
» lieu de gages à leur office , attendu que
» ces Capitaines étoient leurs uniques Ma-
» giftrats. Ceux- ci , ajoute- t-il , baillerent
»à leurs foldats certaines terres à même
»titre de fief , c'est- à- dire , à la charge de
» les affifter toujours en guerre ; & ces fe-
"conds fiefs finiffoient du commencement,
» ainfi que les premiers , par la mort du
» vaffal . Mais comme toutes chofes ten-
» dent & s'établiſſent enfin à la propriété
» à fucceffion de tems on vint à confidé-
» rer que c'étoit une cruauté d'ôter le fief
» aux enfans d'un pauvre foldat bien méri
» té , qui ne leur avoit laiffé aucun autre
»bien , & partant on s'accoutuma à les re
و د
bailler par pitié à l'un defdits enfans ,
» tel qu'il plaifoit au feigneur d'en grati-
» fier . Puis ce fut un droit commun que
les enfans mâles fuccéderoient tous en-
» femble au fief du pere. Mais les filles &
» les collatéraux n'y fuccédoient point ...
» Nous avons à la fin admis indiftincte-
» ment les fucceffions collatérales des fiefs,
même
AVRIL. 1755. 121
>
même au profit des filles en défaut
» toutefois de mâle en pareil dégré il
» nous eft cependant refté quelque chofe
» de notre ancienne rigueur , à fçavoir
qu'à toutes mutations de fiefs , il eft dit
» ouvert & fans homme , c'est - à- dire va-
» cant au refpect du Seigneur , lequel ſe
»peut remettre dans icelui & en jouir com-
» me réuni à fon domaine , jufqu'à ce qu'il
» ſe préſente un fucceffeur qui vienne le
» couvrir & relever , & fe déclarer hom-
» me & vaffal du Seigneur ; & quand il
» tombe en fucceffion collatérale , ou en
❤aliénation , quelle qu'elle foit , il le faut
racheter du Seigneur par certains droits
» qu'on lui paye.
Ce paffage un peu long , mais effentiel.
à la juftification du fyftême attaqué , n'eſt
rien autre chofe qu'une paraphrafe du premier
titre des fiefs : Antiquiffimo tempore poterat
Dominus auferre rem infeudum datam :
deinde obfervatum eft , ut ad vitam fidelis
produceretur produceretur. Il en réfulte deux chofes ,
la premiere qu'il n'eft point de l'effence du
fief d'être héréditaire & patrimonial , mais
d'être tenu fous certaine redevance ; la feconde
, que l'Abbé Velly en tirant l'origine
de la Régale de la nature du droit
féodal , lui donne la même antiquité qu'à
la Monarchie : antiquiffimo tempore. Nous
F
122 MERCURE DE FRANCE.
avons d'ailleurs plufieurs monumens qui
prouvent que même avant le regne de
Charles le Simple , les Evêques ( fans dou
te ceux qui étoient foumis à la Régale )
fe reconnoiffoient hommes , tenanciers ,
feudataires , ou bénéficiers du Prince. On
lit dans un poëme manufcrit de Philippe
Mouskes , intitulé : Hiftoire des François ,
& cité par Ducange ( d )',
Et caskuns Veſques premerains ( e ) ,
Dou Roi de France , joint ſes mains
Prent fon Régale por droiture ,
Et fes hom eft de teneure,
On remarquera
que l'historien
poete
parle de la coutume obfervée fous Chilpéric.
Nous voyons encore quelque choſe de
plus marqué dans une formule de ferment
prêté fous Charles le Chauve
(f) » Moi
" Hincmar
, Evêque de Laon , promets
d'être à jamais fidele & obéillant
, felon
le devoir de mon miniftere
, à Charles ,
» mon maître & mon Seigneur
, comme
» un homme doit l'être à fon Seigneur , &
( d ) Au mot Regalia.
(e ) C'est -à-dire premiers , principaux , fans
doute par
les fiefs qu'ils tenoient de la Couronne. On difoit autrefois Prematie au lieu de Primatię,
(ƒ) Continúat. Aimoin . 1. 5 : c. 21 .
AVRIL 1755. 123
un Evêque à fon Roi » . Ici l'homme &
l'Evêque font diftingués , de même que
le fuzerain & le Souverain : Sicut homo fue
feniori , & Epifcopus fuo Regi.
On objecte que les fiefs font de tous les
pays , & que les feuls Rois de France ont
droit de Régale ; mais l'objection tombe
d'elle-même , s'il eft vrai que les autres
Souverains en ont joui anciennement. On
lit dans Orderic Vital ( g ) , » qu'à la mort
» des Prélats & des Archimandrites , les
» Satellites du Roi d'Angleterre s'empa-
>> roient des terres de leur Eglife , qu'ils
» réuniffoient au domaine pour trois ans ,
quelquefois plus d'où il arrivoit que
» le troupeau , deftitué de Paſteur , étoit
expofé à la morfure des loups » . Qu'on
life l'hiftoire des divifions du facerdoce
& de l'Empire ( b ) , on y verra ces juftes
plaintes mille fois répétées. Les Empereurs
& les Rois d'Angleterre avoient donc anciennement
droit de mettre en leur main
le temporel des Prélatures vacantes par
mort : ce qui n'eft autre chofe que le droit
de Régale. Pourquoi ne l'ont-ils plus ? &
comment ont- ils laiffé perdre une fi glorieufe
prérogative ? c'eft ce qui n'eft point
de notre fujer. La gloire de nos Rois eft
( g ) Liv. 10. p. 763.
(h) Arnold. Lubec. 1. 3. c. 16..!
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
d'avoir eu en même tems , & affez de fermeté
pour fe maintenir dans la poffeffion
d'un privilege né & établi avec la Monarchie
, & affez de religion pour n'en point
abufer.
Mais , dira t- on , M. Audoul , célébré
Avocat , dans fon traité de la Régale , tire
l'origine de cette noble prérogative , du
canon VII du premier concile d'Orléans
& M. Ifali , autre oracle du barreau ,
dans l'approbation qu'il a donnée à cet
ouvrage , affure que ce fyftême eft prouvé
par des faits fi certains , qu'il n'eft pas
poffible d'y refifter. L'Abbé Velly honore
affurément ces deux grandes lumieres :
mais il les admire encore plus , & confeſſe
ingénument qu'il n'a pas d'affez bons
yeux pour voir ce qu'ils ont vû. Il tient
actuellement en main le Concile d'Or
léans , il lit le feptiéme canon ( b ) , & n'y
apperçoit qu'une défenfe aux Abbés , aux
Prêtres , aux Clercs , & aux Religieux
d'aller en Cour , fans la permiffion & la
recommendation de l'Evêque , pour obrenir
des bénéfices. Abbatibus , Prefbiteris ,
omnique Clero , vel in religionis profeffione
viventibus , fine difcuffione vel commendatione
Epifcoporum , pro pretendis Beneficiis ¿
(h ) Concil. tom. 4. p. 1406,
AVRIL. · 17.55. 125
ad domnos venire non liceat. Quodfi quifquam
prafumpferit , tam diu fui honore &
communione privetur , donec per pænitentiam
plenam ejus fatisfactionem facerdos accipiat.
Il recommence donc une lecture
déja refléchie de tout le Concile , & trouve
enfin dans de cinquième canon ces mots
qu'on prétend facramentaux , quidquid in
fructibus. Voici comme ce decret eft conçu :
( i ) De oblationibus vel agris quos domnus
Rex Ecclefiis fuo munere conferre dignatus
eft , vel adhuc , non habentibus , Deo infpirante
, contulerit , ipforum agrorum vel Ecclefiarum
immunitate conceffa , id effe juftif
fimum definimus , ut in reparationibus Ecclefiarum
alimoniis facerdotum & pauperum
, vel redemptionibus captivorum , quidquid
Deus in fructibus dare dignatusfuerit ,
expendatur , & Clerici in adjutorium Ecclefiaftici
operis conftringantur. Quod fi aliquis
facerdotum ad hanc curam minus follicius
ac devotus extiterit , publicè à comprovincialibus
Epifcopis confundatur. Quod fi nec tali
confufione correxerit , donec emendet errorem,
communione fratrum habeatur indignus . Il
faut avouer que c'eft
peu communes
que avoir des lumieres
de trouver les vrais
principes de la Régale dans ce ftatut plus
( i ) Ibid. Can. V. p. 1405 , 1406.
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
}
religieux qué politique. M. Fleury & tous
les hiftoriens eccléfiaftiques n'y découvrent
qu'une fage attention de l'Eglife à prévemir
fes miniftres , que les biens qu'ils tiennent
de la libéralité de nos Rois ne leur
ont point été donnés pour en faire l'ufage
qu'il leur plairoit ; mais qu'ils doivent employer
tout ce que Dieu leur donne audelà
du néceffaire , à la reparation des
Eglifes , à l'entretien des Prêtres & des
pauvres , ou enfin au rachat des captifs.
L'Abbé Velly pourroit même en tirer une
induction favorable à fon fyftême . Les
conceffions de nos Rois en faveur du Clergé
étoient donc , ou conditionnelles , ou
pures & fimples , c'eft- à - dire , ou affujet
ties à certaines redevances , ou affranchies
de toure fervitude : de là cette diftinction
des Eglifes qui vaquoient ou ne vaquoient
point en Régale.
On répond que les Gens du Roi , M.
Molé & M. Bignon , dans leur avis donné
en 1633 & en 1638 , difent qu'il doit être
tenu pour conftant , que la Régale eft univerfelle
, & a lieu dans toutes les Eglifes
du Royaume , comme étant un droit non
feulement inhérent à la perfonne facrée
de nos Rois , mais auffi uni & incorporé
à la Couronne , né & établi avec elle.
L'Abbé Velly fent toute l'importance de
AVRIL 1755 127
cette objection , & combien il eft délicat
d'avoir à fe défendre contre des autorités
toujours refpectables , & quelquefois terribles.
Auffi n'entreprendra- t- il pas d'y répondre
: c'eft Pafquier ( k ) qui plaidera fa
caufe , & parlera pour lui. Tous les
Archevêchés & Evêchés de France , dit
» ce célébre Jurifconfulte , ne font eftimés
" tomber en Régale , vacation d'iceux avenant
: ores que quelques- uns eftiment le
» contraire, Opinion de prime face plaufible
pour favorifer les droits du Roi ;
mais erronée , bien qu'elle ne foit deſtituée
de bons parrains. Car Maitre Jean
» le Bouteiller en fa fomme rurale , l'efti-
»ma ainfi & de notre tems , M. de Pibrac
, Avocat du Roi au Parlement , la
voulut faire paffer par Edict , mais il en
fur dedict . Il ne faut rien ôter à l'Eglife
pour le donner par une nouveauté à nos
» Rois , ni leur ôter pour le donner à l'Eglife.
Or que toutes les Eglifes Cathédrales
ne tombent en Régale , nous avons
plufieurs Ordonnances qui le nous enfeignent.
Celle de Philippe le Bel , en
" 1302 , porte entr'autres articles ( 4 ).
» Item , quantum ad Regalias quas nos 5
(k ) Recherch. de la France , tom . 1. 1. 3. chap.
37. p. 303 .
(1 ) Apud de Lauriere , tom. 1. Ordinat. p. 359.
Fiv
18 MERCURE DE FRANCE.
» prædeceffores noftri , confuervimus percipere
in aliquibus Ecclefiis Regni noftri ,
quando eas vacare contigit : & Louis XII
dit expreffément dans fon édit de l'an
» 1499 , nous défendons à tous nos Officiers
»qu'ès Archevêchés , Abbayes , & autres bénéfices
de notre Royaume , efquels n'avons
droit de Régale , ils ne fe mettent dedans ni
» ès fortes places , finon ès bénéfices & fortes
» places qui feroient affifes ès pays
limitrophes
de notre Royaume. Bref, qui foutient
le contraire eft plutôt un flateur de Cour ,
qu'un Jurifconfulte François. sy b
+
P
On peut encore confulter les actes du
fecond Concile général de Lyon , qui autorife
la Régale dans les Eglifes où elle
étoit établie par la fondation ou par quelque
coutume ancienne ( m ) , mais qui dé,
fend de l'introduire dans celles où elle n'étoit
pas reçue. Quant aux Eglifes qui vaquoient,
ou ne vaquoient point en Régale ,
on en trouvera la lifte dans le Traité de
l'ufage des fiefs ( n ) , par M. Bruffel. Au
refte , le fentiment de M. le Préfident Hénaut
fur l'univerfalité de cette prérogative
unique de nos Rois , eft appuyée far de
grandes autorités , & pour me fervir des
termes de Pafquier , a de très bons parreins.
( m ) Tom. XI. Concil. Confid. 13. de Elect.
( a ) Tom. I. pag. 292 & 293.·
AVRIL. 1755 129
,
Le celebre auteur du nouvel abrégé chronologique
de notre hiftoire , mérite affurément
une place diftinguée parmi les plus
illuftres , tels que les Pibracs , les Molés :
les Bignons , noms confacrés à l'immortalité.
Voilà , Monfieur , fur quels fondemens
fai bâti mon fyftême de l'origine de la
Régale , & en même tems une partie des
faifons qui peuvent fervir à ma juſtification
. J'ai cru devoir vous les expofer , pour
répondre à la bienveillance dont vous
m'honorez je les foumers à vos lumieres ,
toujours prêt à rendre au plus judicieux &
au plus élégant de nos hiftoriens , l'hom
mage qu'un difciple doit à fon maître. Ik
ne me refte qu'à vous faire d'humbles re
mercimens de m'avoir procuré l'occafion
de faire paroître les fentimens , & c.
*
Medspaſt nad ubqkeretek VELLY.
*
2:54
Fy
130 MERCURE DE FRANCE.
GÉOMÉTRIE
LETTRE à Mlle L. A. Le Mire, veuve J.
JE
MADEMOISELLE,
SNT
E vois dans le Mercure de Mars que
la Quadrature du cercle de M. le Chevalier
de Caufans y eft annoncée , & que
vous y avez fait une réponfe ; chofe fort
glorieufe à votre fexe en général , & à
vous , Mademoiselle , en particulier , je ne
manquerai pas de m'enrichir de cette piéce.
Je prens la liberté d'envoyer à M. de
Boiffy celle que j'ai faite à M. le Che
valier de Caufans , afin qu'elle vous parvienne
, & au public par la même voie
que j'ai appris la vôtre ; elle peut être
inferée toute entiere dans le Mercure , par
la précaution que j'ai prife de la faire trèscourte
, & à portée de toute perfonne de
bon fens. J'ai l'honneur d'être , &c..
parla
#
LIGER , Commis au
Bureau de la Guerre.
A Versailles , le 16 Mars 1755.
AVRIL $7550. izi
REPONSE de M. Liger , Commis au
Bureau de la Guerre , à l'affiche de M.
le Chevalier de Caufans , portant qu'il y
a dix mille livres dépofées chez M. Aleanme
, Notaire , rue de Condé , à Paris
rue
pour le premier qui prouvera l'erreur de
la Quadrature du cercle de me e de mondit fieur
24
le Chevalier de Caufans , qui m'a fait
Phonneur de me fand remettre che
affiche
Nne peut attaquer les principes de
M. le Chevalier de Caufans , fans
faire un volume qui ne pourroit entrer
dans les Journaux ou feuilles publiques
mais comme tout ce qui accompagne fa
quadrature , tant dans fa premiere que fe
conde partie , dépend & fait une fuite
conféquente du rapport du diametre à la
circonference , qu'il foutient être de 7 à 21 ,
il s'enfuit que c'eft feulement à ce feul
article qu'il eft néceffaire de s'attacher . M.
le Chevalier de Caufans expofe qu'un cer
cle dont le diametre eft de trois pouces,
eft égal au quarré de ce même diametre ,
dont les côtés ont auffi trois pouces cha
cun. M. le Chevalier de Caufans eft le
feul Géometre qui ignore que toute figure
inferite eft plus petite que celle qui lar effl
circonfcrite.
Fvj
#3 MERCURE DE FRANCE.
Le quarré du diametre ayant fes côtés
de 3 pouces ou 36 lignes chacun , vaut
1296 lignes quarrées ; & comme M. le
Chevalier de Caufans veut que la circulaire
ne contienne que trois fois fon diametre
jufte , il s'enfuivtoit que trois fois
ce diametre ne vaudroient que 1r0o88 lignes
pour fa prétendue circulaire , laquelle
multipliée par le demi-rayono , on auroit
pour la fuperficie du cercle972 lignes quarrées
donc fuivant M. le Chevalier de
Caufans , le cercle de fa deuxième figure
eft plus petit que le quarré de fon diame,
tre , de 324 lignes quarrées done il s'en
faut beaucoup que le cercle inferir dans
le quarré de fon diametre foit égal atú
quarré du même diametre qui lui eft naturellement
circonfcrit. Que M. le Chevalien
de Caufans , ainfi que le public , prenne la
peine de voir la préface de ma quadrature
que l'on trouve chez Gueffier , Libraire ,
attenant l'Hôtel-Dieu , on verra que trois:
fois le diametre ne forment dans le cercle
qu'une figure dont les côtés font autanti
de demi- diametres. Or cette figure qui n'eſt
compofée que de fix triangles équilaté
raux , ne touchant la circulaire qu'en fix
points , & ne faifant qu'un exagone ren➡»
fermé dans le cercle , il eft trop évident
pour en douter que cette figure eft bien
AVRIL 1755. 173
plus petite que le cercle dans lequel elle
eft infcrite , & qu'au contraire le quarré
du diametre eft beaucoup plus grand que
le cercle auquel il eft circonfcrit.
M. le Chevalier de Gaufans a éludé le
calcul des fuperficies de fon quarré circonferit
& de fon cercle infcrit , que je
viens ci- devant de développer , ce qu'il
étoit question de prouver. J'effime que M.
le Chevalier de Caufans ferendra à ces rai
fons , & qu'il voudra bien avouer que je
fuis en droit d'exiger de fon engagement
public ,, ade me faire remettre fon ordre
pour toucher les dix mille livres qu'il eft.
convenu par fon affiche de faire payer 2
celui qui le tireroit de fon erreur, am vel.
newyodol 14 on LIGER , Commis
ng an Bureau de la Guerre
A Versailles , le 30 Décembre 1754,
ADILA SIEz
im not ahóa
team aperuens.
い
R
gundula ei ole tip savaited song
134 MERCURE DE FRANCE.
METALLURGIE.
LETTRE A M. ***
Onfieur , la découverte du
moyen
Mdeconvertirle fet en acier annon
cée dans les ouvrages périodiques , fáit y
fans contredit , beaucoup d'honneurà l'anteur
; elle lui affure un droit bien légiti
me fur la reconnoiffance de tout bon citoyen
, parce que l'avantage qui doit en
refulter pour le public eft infiniment audeffus
de celui que l'auteur peut avoir envifagé
pour lui- même. Pofe croire qu'en'
lui rendant en mon particulier toute la
juftice qu'il mérite du côté des fentimens
& du génie , il ne trouvera pas mauvais
fi je ne regarde pas fa découverte comme
nouvelle. Il y a plus de vingt- cinq ans
qu'elle a été faite pas un nommé Sebaſtien
Florès , fameux Serrurier de Madrid ,' qui
par ordre du Confeil de commerce en fit
l'expérience en préfence de deux députés ,
qui avoient pris la précaution de faire ap
pliquer une marque particuliere fur la barre
de fer , dont Florès fit une barre d'acier.
J'ignore les raifons qui ont pu empêcher
le miniftere Efpagnol de favorifer une fi
belle & fi avantageufe mutation , d'autane ?
AVRIL. 1755. 135
plus que Florès s'obligeoit d'établir l'acier
à un tiers meilleur marché que les '
étrangers , au moyen de l'exemption géné
rale de tous droits qu'il demandoit pour
vingt ans. Je ne fuis pas mieux inftruit
fi Florès dût cette découverte au feul has
zard , ou à des expériences déterminées
au fujet , ou enfin à la confidence de quelque
ouvrier plus habile que lui . L'inven
tion de différentes machines jufqu'alors in
connues , pourroit , ce me femble , lui faire
attribuer , avec quelque justice , celle du
fecret en queſtions Quoiqu'il en foit , je
n'ai nulle intention de porter la moindre
atteinte à la réputation d'homme de génie
que fe fait notre bon patriote : il a pût
ignorer que Florès l'avoit devancé ; celuici
peut avoir été à fon tour , & tous les
deux peuvent cependant être créateurs de
leur ouvrage mais quand cela ne feroit pas,
il leur reftera toujours une bonne portion
de l'eftine publique. Le grand maître de
langue que nous avons en France pour les
muets petd- il rien, de fon mérite pour fe
fervir d'une méthode ( qu'il a peut-être
perfectionnée ) dont le Journal de Tre
voux fit honneur en 1701 , d'abord â M.
Wallis , Profeffeur de Mathématiques yra
Oxford & enfuite à M.: Amman , Méder«
cin Hollandois ? ll étoit fans doute bien
t
136 MERCURE DE FRANCE.
flateur pour ces deux fçavans , de voir leur
art annoncé fous le titre de Nouvelle méthode
; il y avoit cependant cent cinquante
ans que le Pere Ponce Bénédictin Efpagnol
, l'avoit trouvée & mife heureufe
ment en pratique , tant pour la parole que
pour l'écrituren Ceft donc toujours un honneur
que de faire revivre des fciences ou
des arts ignorés de nos jours , & il eſt d'autant
plus grand & plus folide , à propor
tion de l'avantage que la nation retire de
ces découvertes, 16 Jibi 497 1
530
J'ai l'honeur d'être , &c.
De Rouen , co 26 Février asshd vice
K
SEANCES PUBLIQUES
De la Société littératre d'Arrass
A Société littéraire d'Arras tint lezo
LMars 175 4. fon affemblée publique or
dinaire, dont M: Le Roux, Avochr , Directeurt
en exercices , fit l'ouverture par un diſcours
fur le jugement & far le goût , dans lequel
il établit les maximes fuivantes . » Les mê
» mes regles qui fervent à former le juge
»ment , font celles qui forment le goût
>>car le jugement & le goût ne font qu'un
5
AVRIL 1755. 137
même faculté de l'ame ; quand elle juge
» par fentiment & à la premiere impreffion
» que les chofes font , c'eft le goût ; quand
elle juge par raifonnement & fur des
principes dont elle tire des conféquen
» ces , c'est le jugement : ainfi , l'on peut
» dire que le goût eft le jugement de la
" nature , & que le jugement eft le goût
» de la taifon.
M. de Brandt de Marconne , nouvel affocié
, fit enfuite fonremerciment , auquel
le Directeur répondit au nom de la Société.
* gy & bingen .
M. Cauwer , Avocat , nommé à la députation
ordinaire des Etats d'Artois , lut un
mémoire , pour fervir à l'hiftoire de Mahaut,
Comteffe d'Artois, depuis la mort de
Robert II fon pere , tué en 1 302 , devant
Courtrai , jufqu'à celle de cette Princeffe ,
arrivée le 27 Octobre 1349. Ce mémoire
contenoit , parmi beaucoup de faits intéreffans
le détail des deux premiers procès
que Robert d'Artois , Comte de Beaumontle-
Roger , intenta à Mahaut fa tante , pour
la dépofféder du Comté d'Artois , dont il
Le prétendoit légitime héritier , étant fils
de Philippe d'Artois , mort avant Robert
II fon pere. La plupart des événemens rapportés
par M. Cauwet , étoient appuyés fur
des pieces authentiques , tirées du dépôt
2
138 MERCURE DE FRANCE.
des chartres d'Artois , qui fe confervé à
Arras dans l'ancien palais des Comtes de
cette Province , nommé la Cour- le- Comte.
M. Harduin , Avocat , Secrétaire perpétuel
de la Société , lut un mémoire tiré
des registres de la ville d'Arras , concernant
les cérémonies qui s'obfervoient fous
les Ducs de Bourgogne de la feconde race
, lorfque ces Ducs , en qualité de Comtes
d'Artois , ou les Rois de France , fouverains
de la Province , faifoient leur entrée
folemnelle dans cette ville . En décri
vant la réception qui fut faite à Iſabelle
de Portugal , Ducheffe de Bourgogne , au
mois de Janvier 1430 , M. Harduin parla
de l'Abbé de Lieffe , perfonnage fingulier ,
qui s'étoit trouvé fur le paffage de cette
Princeffe , pour lui faire des préfens , &
pour lui donner le ſpectacle des jeux auxquels
il préfidóit.
Cet Abbé de Lieffe s'élifoit tous les
ans par les Officiers du Bailliage , le
» Corps de Ville & la Bourgeoifie ; & on
»lui donnoit , pour ainfi dire , l'inveftiture
de fa charge , en lui remettant une
croffe d'argent doré , du poids de quatre
onces , qu'il étoit obligé de rendre
à la fin de fon exercice . On voit dans la
lifte de ces Abbés , des Officiers munici
paux & même un Gentilhomme ; mais le
AVRIL. 1795 139
choix tomboit pour l'ordinaire fur quel
» que Marchand ou Artifan . Sa principale
» fonction étoit de donner le Dimanche
» gras , avec fes fuppôts , qu'on appelloit
» Moines , un divertiffement public fur des
» échaffauds . Outre cela , pour entretenir
» une certaine amitié avec les villes voiff
» nes , on envoyoit l'Abbé de Lieffe & fa
» troupe aux jeux qui s'y faifoient , entre
lefquels on remarque la fête du Roi des
» Sots à Lille , & celle du Prince de Plaifan-
» ce à Valenciennes. Dans ces voyages que
» l'Abbé faifoit aux dépens de la ville d'Are
»
ras , il étoit accompagné de fon prédé
>> ceffeur & de quatre Echevins. On por-
» toit devant lui un étendart de foie rou
"ge , aux armes de l'Abbaye : il étoit auffi
» précédé de plufieurs tambours & trompettes
, & d'un Héraut vêtu d'une cotte
» d'armes de damas violet : à fa fuite mar
» choient fes pages & fes laquais.
M. Camp , Avocat & Echevin d'Arras ,
lut des recherches fur le commerce & les
manufactures des Atrebates , depuis les fiée
cles Gaulois , jufqu'à la defcente des Francs
dans les Gaules. Pour montrer l'ancien
neté de ces manufactures , il s'attacha d'a+
bord à établir celle de la ville d'Arras , que
Céfar , dans fes commentaires , appelle
Nemetocenna ou Nemetofena , nom compo
140 MERCURE DE FRANCE.
fé de Nemetos & de Sena , qui ne pouvoit
fignifier parmi les Gaulois , qu'un temple
de Druides ou de Druideffes , felon l'explication
de Fortunat , de Dom Bouquet ,
& de l'auteur de la Religion des Gaulois.
Après avoir prouvé par cette étymologie ,
que la ville d'Arras étoit anciennement
un lieu confacré à la religion , M. Camp
parla du culte particulier des Gaulois envers
Mercure , Dieu des Marchands , dont
le nom , fuivant les mêmes auteurs , eft
purement celtique , & il obferva que le
nom du village de Mercatel , près d'Arras ,
qui fe trouve rendu par Mercurii tellus ,
dans les anciens titres latins , nous offre
une étymologie celtique , relative au commerce
& au culte de Mercure parmi les
Atrébates .
M. Camp examina enfuite les divers
habillemens dont les Gaulois fe fervoient ,
particulierement les Druides & les nobles.
Il s'étendit principalement fur le Sagum
gaulois , dont les Romains adopterent l'ufage
& le nom depuis leur conquête . H
prouva , par le témoignage de plufieurs
hiftoriens , combien ces peuples eftimoient
les faies des fabriques d'Arras , & il en fit
remonter l'établiffement jufqu'avant leur
irruption dans les Gaules , fondé fur des
raifons tirées des auteurs & des loix RoAVRIL.
1755 14
maines. M. Camp paffa au détail des au
tres efpeces d'étoffes que les Atrébates fabriquoient
, & des teintures qu'ils y employoient.
Il commença par les Xérampelines
, Xerampelina veftes , que Suidas appelle
par excellence Atrebaticas veftes , &
dont les anciens nous défignent la couleur
par une compofition & un mêlange admirable
de teinture , inter coccinum & muriceum.
M. C. difcuta le paffage de Trebellius
Pollio touchant les faies & les draps
d'Arras , fi vantés par l'Empereur Gallien.
Il parla fort au long des birri de foye & de
laine , birri ferici , birri lane , que les Romains
mettoient au rang de leurs plus riches
parures. Il fit voir que les Atrébates
en fabriquoient de fi beaux , qu'on les recherchoit
à Rome avec empreffement . Il
expliqua ce que dit Flavius Vopifcus , in
Carino , des birri que les habitans d'Arras
& de Canyfium envoyoient à Rome , &
combattit le fentiment du Sr. Briffon , éleve
dans les manufactures de Beauvais , qui
par une lettre inférée dans le Mercure de
Février 1750 , a voulu perfuader qu'il
étoit fimplement queſtion , dans le paffage
de Vopifcus , d'habits militaires , qu'on
avoit demandés aux Atrébates . M. C. foutint
qu'on ne pouvoit interpréter ainfi ce
paffage , puifque Vopifcus , fe plaignant
142 MERCURE DE FRANCE.
•
des Romains de fon fiécle , qui fruftroient
Heurs héritiers légitimes pour enrichir les
gens de théatre , ajoute précisément que
cette manie de leur faire des prefens s'étoit
répandue dans tout l'empire , & que
ceux d'Arras & de Canufium leur envoyoient
en pur don des birri de leurs fabriques.
M. C.termina fa differtation par
des paffages de S. Jerôme , du concile de
Gangres , de S. Auguftin , & c. qui ache
vent de démontrer la fplendeur du commerce
& des manufactures des Atrébates ,
avant l'établiſſement de la monarchie françoiſe.
M. Enlart de Grandval , Confeiller au
Confeil provincial d'Artois , affocié de
l'Académie de Montauban , fit la lecture
d'un difcours préliminaire fur l'origine des
langues , & en particulier fur la langue
françoife , ce qui lui donna occafion de
parler ainfi de l'état des lettres & des ſciences
fous le regne de Louis XV . » Les fcien-
» ces & les arts ont été dans les derniers
» tems cultivés en France avec le fuccès le
» plus étonnant ...... Un poëme héroïque
, notre feul thréfor en ce genre , les
» odes d'un nouveau Pindare , fuivi d'un
» émule égal , ont perpétué jufqu'à nos
» jours la gloire des Mufes françoifes . Mais
duffions - nous céder la prééminence au
AVRIL. 1755. 143
fiécle précédent pour les belles lettres &
» les arts agréables , le nôtre l'emporte
»pour les fciences & les arts utiles . Un
" Roi , digne fucceffeur de Louis le Grand,
» a hérité de fon eftime pour les talens , &
a continué de répandre fur eux fes fe-
» cours & fes bienfaits. Nul objet d'étude
négligé fous fon regne , nul génie fans
récompenfe. Les mers ont vu fes vaif-
» ſeaux porter fous les deux pôles , & juf
» qu'aux extrêmités de l'Occident , non ,
» comme autrefois , les productions fura-
» bondantes de nos campagnes , ou les
» richeffes multipliées de nos manufactu-
» res , mais des Philofophes , des Aftrono-
»mes , qui à travers mille dangers de tou-
» te efpece , & dans des climats où le nom
» des fciences eft un nom inconnu , ont
été mefurer le ciel , & fixer la forme de
la terre. Un fluide merveilleux , une fubf-
»tance mystérieusement cachée dans le fein
» de la nature, & qui n'avoit permis que
des foupçons à la curiofité de nos ancêtres
, a perdu un fecret gardé depuis le
» jour de fa création , & s'eft dévoilée
malgré elle à nos regards plus fubtils &
» plus pénétrans . Chaque jour nous revele
» des myfteres ignorés de la plus fçavante
antiquité . Notre vûe , aidée du fecours
» de l'art , de ce tube admirable qu'elle
144 MERCURE DE FRANCE.
» doit au grand Newton , a franchi les bor
nes prefcrites à fes organes , & s'élan
nçant d'un côté dans les vaftes efpaces du
» firmament , y.va contempler à fon gré la
» ftructure , l'ordre & la marche de ces
» corps immenfes qui nous apprennent par
» de nouveaux fpectacles , à mieux con-
» noître la main qui les fit tandis que
» d'un autre côté , s'infinuant dans des
atômes imperceptibles , elle y découvre ,
elle y confidere un nouveau monde &
» de nouveaux habitans . Tout a cédé à nos
» efforts , à nos recherches , à nos difcuf-
» fions , &c.
M. l'Abbé Simon lut des réflexions fur
la complaisance , & prouva d'abord combien
elle eft , néceffaire dans toute fociété.
Il ne faut point , dit- il , étudier long-
» tems les hommes , pour appercevoir la
diverfité de leurs goûts & de leurs hu-
» meurs. Nous différons tous par mille en-
» droits de ceux avec qui nous avons à vivre
; l'expérience de tous les jours ne le
" prouve que trop , & nous ne pouvons
» prefque faire un pas dans le monde fans
» effuyer les plus fâcheufes contrariétés .
» Partons de ce principe . Nos caracteres
» nous mettant fans ceffe en oppofition les
» uns avec les autres , quelle fociété peut
» nous unir , fi la complaifance ne nous
rapproche ?
"
AVRIL. 1755. 145
rapproche ? Tranfportons dans le commerce
de la vie un homme inflexible
qui ne fcache ce que c'eft que de plier
» fon humeur dans l'occafion : quel perfonnage
y fera-t - il ? Comment, s'il eſt
» né taciturne , fe plaira - t-il avec des par-
"leurs infatigables ? Comment , fi c'eft un
nefprit fin & délicat , fupportera- t il tant
» de génies lourds & pefans , qu'il ren-
» contrera prefque à chaque pas ? Com-
» ment , s'il eſt enjoué , ſympatiſera - t - il
» avec un homme férieux , dont une couche
épaiffe de gravité obfcurcit toujours
» le vifage ? avec un cacochyme , un hy-
» pocondriaque , qui n'offrira à fes yeux
qu'un flegme rebutant , & dont le front
» couvert d'un deuil éternel , ne fe déride
jamais ? Si partifan des hautes fciences, il
» n'aime que les entretiens fublimes , com-
» ment pourra-t- il fe prêter à des converfations
puériles , &c? Incapable de transformer
fon inclination en celle des au-
» tres , également ennuyé & ennuyeux , il
» ne fera que porter en tous lieux la gêne
» & la contrainte.
10
33
22
→
Après quelques portraits détaillés , qui
firent fentir de plus en plus la néceffité de
la complaifance , M. l'Abbé S. eut foin de
précautionner les auditeurs contre l'abus
de cette qualité aimable & vertueufe. Il
G
146 MERCURE DE FRANCE.
attaqua ces perfonnes foibles , qui toujours
prêtes à recevoir les impreffions qu'on
veut leur donner , adoptent tour à tour
les fentimens les plus oppofés , femblables <
à l'écho , qui rend indiftinctement tous
les fons qu'on lui envoie. Il ne fe déchaîna
pas avec moins de force contre ceux
qui cachent les motifs les plus criminels
fous les dehors d'une complaifance affectée
; & il conclut fes réflexions par
mes fuivans. » CC''eeſftt aaiinnffii que le vice ;
» toujours odieux quand il paroît ce qu'il
les tereft
, fe montre fréquemment fous l'air
» de la vertu pour nous féduire plus fûre-
» ment ; c'eſt ainfi que la flaterie , la lâcheté
, la perfidie , l'injuftice n'emprun-
» tent que trop fouvent les livrées de la
complaifance , pour nous infpirer moins
» d'horreur. Arrachons -leur le voile ime
pofteur qui les couvre : point de moyen
plus infaillible pour les bannir à jamais
» de la fociété.
"
"
و ر
Cette féance fut terminée par deux épîtres
en vers de M. le Chevalier de Vauclaire
; l'une fur l'homme , & l'autre fur
le néant des richeffes.
Le mois prochain on inferera la feconde
feance , tenue le 22 Juin 1754.
ມ
f
AVRIL. 1755- 147
LETTRE écrite de Belley , fur le College.
nouvellement établi dans cette ville.
Ous me demandez , Monfieur , en
quoi confifte le nouvel établiffement
qui vient de fe former dans cette capitale
de notre province de Bugey. Il eft juſte de
fatisfaire votre curiofité fur un fujet qui ,
malgré votre éloignement , ne fçauroit
manquer de vous intéreffer , dès qu'il intéreffe
la patrie.
M. Pierre du Laurent , Evêque de Belley
, animé d'un zéle ardent pour la gloire.
de Dieu & le falut des ames confiées à fa
conduite , réfolut en l'année 1700 , d'ériger
à Belley un Séminaire , où les jeunes
Clercs qui fe préfenteroient pour être admis
aux Ordres facrés , puffent être inftruits
dans les fonctions eccléfiaftiques , &
élevés dans la faine doctrine. Dans cette
vûe il fit quelques arrangemens , qui furent
approuvés par Lettres patentes de Sa Majefté
, & il appliqua à cette oeuvre une
fomme provenant de la liquidation desi
biens que M. d'Arcollieres , Prêtre du
Diocéfe , avoit laiffés pour la même caufe ,
par teftament du 17 Novembre 1696.
Divers obftacles fufpendirent l'effet de
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
ces difpofitions jufqu'en l'année 1742 ,
que M. Jean du Doucer , fucceffeur de M.
du Laurent , s'efforça d'en procurer l'exécution
, en y faifant quelques changemens
qui lui parurent néceffaires. Sans abandonner
le projet de l'érection d'un Séminaire
le Prélat fe propofa pour objet principal
l'établiffement d'un College , où la jeuneſſe
de la province , qui étoit obligée d'en fortir
& d'aller étudier à grands frais dans
le pays étranger , pût déformais recevoir
l'éducation & l'enfeignement , depuis la
fixieme claffe jufques & compris la Théologie.
Pour y parvenir , il fit un teftament
le 23 Mai de la même année , par lequel.
il légue une fomme confidérable à la Communauté
qui fera chargée de la direction
de ce College , déclarant que la même
Communauté pourra être pareillement
chargée , fi fon fucceffeur le juge à pro-.
de la direction du Séminaire , & jouir
des revenus deftinés à cette fin. Ce premier
fonds a été augmenté dans la fuite par un
codicille de M. du Doucet , du 23 Décem
bre.1743 ; & par un legs de M. Jacques
Flavier , Curé de Flavieux.
pos ,
-
Après la mort de M. du Doucet , M.
Jean Antoine de Tinzeau , aujourd'hui
Evêque de Nevers , lui ayant fuccedé dans
e fiége de Belley , fe hâta de faire exécuAVRIL.
1755. 149
ter l'utile fondation de fon prédéceffeur ;
& pour en remplir l'objet il fit choix des
Chanoines Réguliers de l'ordre de S. Antoine
, dont l'Abbaye chef- lieu , fituée dans
le Dauphiné , n'eft éloignée que d'environ
quinze lieues de la ville de Belley. M. Etien
ne Galland , Abbé général de cet Ordre ,
s'eft généreufement prêté aux pieufes intentions
du Prélat , & de MM . les Maire ,
Syndics & Communauté de la même ville,
qui l'en follicitoient de concert. En conféquence
, & fous le bon plaifir du Roi ,
les parties pafferent un contrat pardevant
Notaires , le 27 Mars 1751 , dans lequel
tout ce qui concerne l'exécution de la fondation
de M. du Doucet fut provifoirement
arrêté. La ville de Belley s'engage
par cet acte , à fournir le terrein néceffaire
pour la conftruction des bâtimens du College.
Le contrat , & par conféquent l'érection
du College , ont été confirmés
Lettres patentes de Sa Majefté , du mois
de Février 1753 , régiftrées au Parlement
de Dijon le 28 Juin de la même
année , & à la Chambre des Comptes le
6 Février de l'année fuivante. Ce traité a
été confenti par M. Courtois de Quincy ,
qui a fuccédé à M. de Tinzeau , & qui
remplit aujourd'hui le fiége de Belley. Les
Profeffeurs ou Régens choifis , comme je
par
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
l'ai dit ci - devant , parmi les Chanoines
Réguliers de l'Ordre de S. Antoine , ont
ouvert leurs claffes dès 1751 , & remplif
fent leurs fonctions avec fuccès.
M. Joly de Fleury , Intendant de Bourgogne
, dont on connoît le zéle pour le
bien de la province , en a témoigné fa fatisfaction
lorfqu'il s'eft rendu à Belley
vers la fin du mois de Septembre de l'année
derniere ; & fur la réquifition de MM.
les Syndics Généraux , il a permis que l'on
défignât , pour la conſtruction du nouveau
College , un emplacement plus commode
& plus étendu que celui qui y avoit été
deftiné auparavant
.
Vous ne ferez pas fâché que je joigne
à ma lettre le compliment qui lui a été fait
dans cette circonftance , par M. Granier ,
Supérieur du College .
» Monfieur , l'hommage que nous vous
» rendons eft le fruit du refpect & de la
» reconnoiffance, Il est heureux pour nous
de trouver un protecteur dans l'objet
de la joie & de l'admiration publiques.
» Si vos rares qualités font le bonheur de
» cette province , vous le perpétuerez
» Monfieur , en affurant un établiſſement
39
2
qui a pour but l'éducation de la jeuneſſe.
>> Les vûes des grands hommes embraffent
» tous les tems. Flattés nous -mêmes de
AVRIL.. 1755. 151
1
» concourir à l'exécution d'un fi noble def-
» fein , nous n'oublierons rien pour for-
" mer des fujets utiles à l'Etat. Nous leur
infpirerons , en particulier , nos fenti-
» mens pour vous : la reconnoiffance pour
» le bienfaicteur durera autant que le fou-
>> venir du bienfait,
Ce difcours fut fuivi d'un fecond compliment
en vers , de la compofition de M.
Sutaine , l'un des Régens , qui fut prononcé
avec beaucoup de grace au nom des Ecoliers
, par le jeune M. de Précigny , penfionnaire
au College , & neveu de M. l'Evêque
: le voici .
Enfin à nos defirs fenfible ,
Pallas te conduit en ces lieux.
O l'heureux jour ! ô moment précieux !
"Pourrions-nous efperer un figne plus viſible
De la bonté des Dieux ?
Devant toi marche l'abondance ,
Mere des plaiſirs & des ris :
Les coeurs , de tes bontés épris ,
Suivent ton chat , guidés par la reconnoiffance:
Miniftre du plus grand des Rois ,
Tu fais adorer la fageffe
Qui lui dicte fes loix ;
Et de la plus vive tendreffe ,
Tout fon peuple animé ,
T'appelle ,comme lui , Fleuri le bien aimé.
Giv
192 MERCURE DE FRANCE.
Les chaftes Soeurs , dont nous t'offrons l'hommage
,
Reconnoiflent en toi l'image
De ce Proconful généreux ,
Qui fous Trajan , le plus fage des Princes ,
Parcouroit les provinces ,
En faifant des heureux.
Comme toi , plein de vigilance ,
Par fa féconde activité ,
Il pourvoyoit à tout , & fa mâle prudence
Suivoit toujours les loix de l'auftere équité :
Des Muſes , protecteur fincere ,
Il fut , ainfi que toi , leur foutien & leur pere ;
Les Muſes , comme à lui , t'élevent un autel ,
Où nous ferons brûler un encens immortel.
Je fuis perfuadé , Monfieur , que vous
applaudirez avec tout le public à des élages
bien mérités. J'ai l'honneur , &c.
Jovir?
AVRIL. 1755. 153
ARTICLE IV.
BEAUX - ARTS.
ARTS AGRÉABLES.
PEINTURE.
Vers pour être mis au bas du portrait de M.
Boucher , deffiné par M. Cochin *.
S.Es ouvrages charmans font pleins de volupté.
Rival de la nature , il marche fur fes traces :
C'eft le peintre de la beauté ;
Il embellit même les Graces.
SILEUIL.
T
GRAVURE.
EMPLE EN L'HONNEUR DE LA DEESSE
VENUS , décoration en relief , qui a
été exécutéé à Rome , dans la place Farnefe
, en 1747 , à l'occafion de la cérémo-
* On n'a pas cru pouvoir mieux commencer cet
article que par des vers confacrés à la gloire d'unfi
grand Peintre.
Gv
154 MERCURE DE FRANCE:
nie de l'hommage que le royaume de Naples
rend au Saint Siége ; dédié à M. le
Baron de Hutten , Miniftre de S. A. Mgr.
le Prince Evêque de Spire , à la Cour de
France ; gravé par P. Patte , & ſe vend
chez lui , rue des Noyers , la fixiéme porte
cochere à droite en entrant par la rue Saint
Jacques. Prix livre 10 fols , grandeur
de la feuille du Nom de Jefus.
On fçait que depuis long tems le royaume
de Naples paye un tribut au Saint Siége.
Cette cérémonie fe célébre tous les ans à
Rome la veille de la fête de S. Pierre , avecla
plus grande magnificence. Le Prince
Colonne , Grand Connétable de ce royaume
, accompagné de la plupart des Princes
Romains , va en grand frofque préfenter
au Pape , au nom du Roi fon maître , dans
l'Eglife de S. Pierre , une haquenée blanchequi
eft chargée d'une petite caffette , contenant
en cédules * la redevance que le
royaume de Naples paye chaque année au
Saint Siége . A l'occafion de cette cérémonie
on éleve en relief , au milieu de la place
Farneſe , une magnifique décoration d'architecture
, faifant allufion à quelqu'une
des antiquités qui fe voyent à Naples , ou
* Les cédules font des efpéces de billets d'Etat
ou de lettres de change qui ont cours dans l'Etat
Eccléfiaftique.
AVRIL. 1755 I'S'S
dans fes environs , à Pouzzol , à Bayes ,
& autres lieux . Meffieurs les Penfionnaires
du Roi de France à Rome , font fucceffivement
chargés de compofer cette décoration
, & à l'envi cherchent à fe fignaler
tous les ans par quelques penfées d'architecture
grande & fublime. C'eſt une
de ces compofitions qui a fait l'admiration
unanime des connoiffeurs , que l'on vient
de graver fur les deffeins qu'en fit , en
1747 , M. le Lorrain , aujourd'hui Peintre
du Roi , & pour lors Penfionnaire de S. M.
à fon Accadémie de Rome. On ne craint
point d'affurer que cette eftampe eft de
toute beauté pour l'architecture & les effets
piquans de fa perfpective : elle eft
gravée à l'aide d'une feule ligne,, fuivant
la nouvelle maniere de l'auteur , dont nous
avons parlé dans le Mercure du mois de
Février dernier , & elle mérite d'occuper
un rang diſtingué dans les cabinets des
curieux.; be but
LA PLACE DE LOUIS XV , que l'on
éxécute fur l'efplanade du Pont tournant ,
en face des Tuileries , d'après les deffeins
de M. Gabriel ; premier Architecte du Roi ,
dont la premiere pierre a été pofée par la
Ville le 22 Avril 1754 , fe vend gravée
chez le même P. Patte.
i
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
PORTRAIT DE M. GRANDVAL , peint
par Lancret , Peintre du Roi , en 1742 , &
gravé par J. Le Bas , Graveur du cabinet
du Roi ; de même grandeur que celui de
Mlle Camargo. Prix 3 livres. On lit ces
quatre vers au bas du portrait.
D'attendrir , d'égayer , également capable ;
Tantôt héros , tantôt petit- maître galant :
Il repréſente l'un en copifte excellent ,
L'autre en original aimable.
COLLECTION DE SCULPTURES ANTIQUES
Grecques & Romaines , trouvées à Rome
dans les ruines du palais de Neron & de
Marius .
Cette collection eft rare & finguliere ,
tant par la beauté que par la variété des
morceaux qui la compofent. Les originaux
en marbre de Paros & de Salin , font chez
le fieur Adam l'aîné , Sculpteur ordinaire
du Roi , rue Baffe du chemin du Rempart 3
No. 13. derriere la place de Vendôme ,
entre la rue Saint Louis & la rue Neuve
des Capucines . La collection fe vend à Paris
, chez Joullain , Marchand d'eftampes ,
quai de la Megifferie , à l'enſeigne de la
ville de Rome. 1755.
La façon de graver du fameux Rem
AVRIL 17556
137
1
brandt , qui , fous un heureux defordre ,
peint fi fpirituellement les objets avec att
tant de force que de vérité , paroît avoir
été enfévelie avec fon inventeur ; les difficultés
dont elle eft remplie , ont fans doute
été un obftacle pour ceux qui ont
tenté de marcher fur les traces de cet habile
Peintre & Graveur ; heureufement
elles n'ont point effrayé M. de Marcenay ;
il vient de mettre au jour le portrait de
Rembrandt , peint par lui -même , dont
l'original haut de trois pieds & demi fur
trois de large , fe voit dans le cabinet de
M. le Comte de Vence. Ce Peintre y eft
repréſenté dans fa vieilleffe ; le tableau
ne fe reffent en aucune maniere du froid ,
trop ordinaire à cet âge , bien au contraire
touché à plein pinceau , il eft d'un relief
à étonner ; la lumiere qui vient d'en haut
eft habilement dégradée , ce qui répand.
beaucoup de repos & d'harmonie. Ce Peintre
ayant tout facrifié à la tête , s'eft fervi
d'un fond leger , mais éteint , fur lequel
elle fe détache merveilleufement ; & a af
fecté de négliger les mains , la palette , &
tous les acceffoires qui ne femblent qu'indiqués.
L'accueil favorable que les connoiffeurs
ont fait à ce portrait d'une exécution
très-difficile , & qu'on ofe dire qui
118 MERCURE DE FRANCE.
imite le Rembrandt à s'y tromper , a en
gagé cet artifte à graver le pendant , qui
eft le portrait du Teintoret , également
peint par lui-même ; mais celui- ci eft auffi
correct que l'autre eft négligé. L'un &
l'autre fe vendent chez l'auteur , rue des
Vieux Auguftins , près l'égout . Il donnera
dans peu une fuite de divers morceaux
du Rembrandt , & il grave actuellement
une piece capitale tirée du cabinet de M.
le Marquis de Voyer.
MUSIQUE.
E fieur Lanzetti , Ordinaire de la mu-
Lfique de S. M. le Roi de Sardaigne ,
fait graver préfentement un quatrième
oeuvre de fix nouvelles fonates pour le
violoncelle , & un cinquiéme oeuvre de
fix duo à parties féparées , pour le même
inftrument , dont le deuxième deffus peut
fe jouer fur le violon , baffe de viele , &
baffon. Il avertit le Public que les deuxiéme
& troifiéme oeuvres de fonates pour le
violoncelle qu'on a fait graver à Paris,
fous fon nom & à fon infçu , font pleins
de fautes , contiennent même quelques
piéces qui ne font point de lui , & qu'il
compte les redonner par la fuite corrigées
AVRIL. 1755.
& comme il les a faits. Il demeure rue des
Bons Enfans , à l'hôtel d'Orléans , vis- àvis
le paffage du Cloître S. Honoré , où
on trouvera inceffamment les fufdits cuvres.
METHODE RAISONNE'E , pour apprendre
la mufique d'une façon plus claire & plus
précife , à laquelle on joint l'étendue de
lá flûte traverfiere , du violon , du pardeffus
de viole , de la vielle & de la mufette
; leur accord , quelques obfervations
fur la touche defdits inftrumens , & des
leçons fimples , mefurées & variées , fuivies
d'un recueil de plus de cent airs en
duo , choifis , faciles , & connus pour la
plupart , propres pour la flûte traverſiere ,
le violon & le par- deffus de viole , & mis
à l'ufage de la vielle & de la mufette par
des clefs fuppofées de tranfpofitions. Ou
vrage fait pour la commodité des maîtres
& l'utilité des écoliers ; dédié à M. le
Marquis de Montpezat , Lieutenant de
Roi de la province de Languedoc , l'un
des quatre premiers Barons du Dauphiné ;
par M. Bordet , maître de flûte traverfiere.
Livre premier , gravé par Labaffée ; prix
en blanc 6 livres. A Paris , chez l'Auteur ,
rue du Ponceau , la deuxième porte à droite
en entrant par la rue Saint Denis ; Bayard ,
160 MERCURE DE FRANCE .
Marchand , rue Saint Honoré , à la Regle
d'or ; Vernadé , Marchand , rue du Roule ,
à la Croix d'or'; Mlle Caftagneri , rue des
Prouvaires , à la Mufique royale.
CLAVECINOCULAIRE.
LETTRE de M. Rondet , Maître de Mathématiques
, fur un article de la réponse
du R. P. Laugier , dans le Mercure
d'Octobre dernier , aux remarques de M..
Frezier , dans celui de Juillet 1754.
Ik
M. R. P.
Ly a dix à douze ans que regardant le
R. P. Caftel comme un des plus grands
Phyficiens & des plus profonds Géometres
de l'Europe , vous voulûtes avoir un
maître de fa main pour une perfonne à laquelle
vous vous intéreffiez . Le choix tombafur
moi , & vous fûtes étonné des progrès
que je lui fis faire en quatre mois .
Cela me donna lieu d'avoir avec vous
quelques conférences , où vous ne cefliez
d'admirer la méthode de la Mathématique
univerfelle.
Vous me parliez même avec extafe de
l'invention du clavecin oculaire , & de la
maniere frappante dont l'auteur en avoit
AVRIL 1755. 161
démontré la théorie , fans doute après les
lettres que ce R. P. avoit écrites à l'illuftre
Préſident de Montefquieu , dans les Mercures
de 1735. Il avoit gagné le public
& les plus opiniâtres étoient convaincus.
Jugez quelle a été ma furpriſe , lorf
qu'en lifant votre réponſe aux remarques
de M. Frezier , j'ai trouvé ces mots : l'idée
d'un clavecin oculaire ne peut trouver place
que dans une imagination féconde en fingularité
, mais peu amie du vrai & du folide.
1
Sans doute , que le P, Caftel a une imagination
féconde en fingularité , c'eft un
don du Ciel affez rare pour être refpecté ;
mais il n'eft pas ami du vrai & du folide ,
& la preuve s'en tire de l'invention de fon
clavecin cependant cette imagination l'a
fait admettre dans la Société de Londres
quoiqu'adverfaire décidé du grand Newton.
Elle lui a attiré des éloges d'une
Académie plus reculée encore , & par là
mêmeplus impartiale , celle de Peterſbourg.
Elle a produit un cours de Phyfique qui
fe dicte publiquement à Paris & ailleurs ;
elle a réuni les fuffrages de plufieurs illuftres
de toutes les nations ; de M. de
Voltaire entr'autres , lui qui loue fi peu.
En quoi donc le clavecin oculaire décele-
t-il une imagination peu amie du vrai
& du folide ? N'eft- il pas vrai que les
162 MERCURE DE FRANCE:
couleurs ont entr'elles des rapports appré
ciables , auffi précisément que ceux des
fons ? C'eſt une fingularité démontrée :
n'eft- il pas vrai les couleurs vont enque
tr'elles par teintes , demi- teintes , & quarts
de teintes ; comme les fons par tons demi-
tons , & quarts de tons ? c'eſt encore
une fingularité demontrée : & ce qui eft
encore plus fingulier , même unique , quoiqu'également
démontré , qu'il y a juftement,
& ni plus ni moins de couleurs fenfibles
à la vûe que de fons fenfibles à
l'oreille . De plus n'eft- il pas vrai que la
variété des couleurs plaît comme la variété
des fons que ces fons ayant entr'eux des
rapports fixes , on y peut mettre de l'harmonie
? que ce n'eft donc plus qu'une affaire
de goût , de pratique , de méchanique
, de faire jouer les couleurs comme
les fons qu'un clavier peut produire cet
effet , tant pour le choix & le brillant des
couleurs , que pour la régularité & l'efpéce
des mouvemens ? & que ce jeu peut
être pouffé par les lumieres & les ténébres ,
artiftement ménagées, à une perfection furprenante
?
Il y aura donc très-réellement & à la
lettre une mufique vifible , comme il y en
a une acoustique. Quant au folide , il eft
le même que celui de la mufique ordiAVRI
L. 1755 163
naire , & c'eft un plaifir de plus dont l'inventeur
fait préfent aux hommes ; mais
il y a plus , c'eft aux Peintres , & fur-tout
aux Teinturiers que j'en appelle ; ceux qui
font plus intelligens peuvent dire de quel
avantage eft pour leur art la nouvelle
théorie des couleurs .
Je vous eftime trop . fincerement
pour
croire que ma franchiſe vous offenfe , & ce
n'eft que par la force de cette eftime que
j'ai cru devoir prévenir un certain public
contre le jugement d'un homme d'efprit
qui s'eſt fait un nom.
J'ai l'honneur d'être , & c.
RONDET.
MÉDAILLES.
Devifes pour les Jettons du premier Janvier
1755.
TRESOR ROYAL.
UNgrand fleuve qui fe diviſe en plufieurs
canaux.
Légende . Divifus prodeft.
Exergue.
Tréfor royal.
1755.
164 MERCURE DE FRANCE.
PARTIES CASUELLES .
Des greffes qu'on ente fur un arbre
effepé .
Legende. Carpent tua poma nepotes.
Exergue.
Parties cafuelles .
1755 .
MAISON DE LA REIN E.
Des lys plantés dans un parterre avec
fymmétrie.
Légende.
Exergue.
Novum ex ferie decus.
Maifon de la Reine.
1755 .
MAISON DE MADAME LA DAUPHINE.
Un foleil , dont la lumiere peinte dans
des nuées voisines , forme trois autres foleils
ou parhélies , qui font les emblêmes
de Mgr le Dauphin , & de Mgrs les Ducs
de Bourgogne & de Berri.
Légende.
Exergue.
Cali Decus.
Maifon de Madame la Dauphine.
1755.
CHAMBRE AUX DENIERS .
Une chambre au milieu de laquelle il y
a une table avec plufieurs facs d'argent deffus
, & quelques - uns de ces facs d'argent
"
JETTONS DE
I VILLEUS
QUAS
INCOL
NON
III
ANCDE
LAM .1755
AUREO
PRODE
CONDIT
RPENT
BATIMENS DU ROY
UA
P
POMA
V
TRESOR ROYAL
TIÆ
LA
1755
CRYME
QUE
PARTIES CASUELLI
DUM
AD
2755
PROELIA
IV
NEPOTES
VI
SURGAT
VII
ARGENTERIE ET
MENUS PLAISIRS
1755
NUNC
PA
ORDINAIRE
GUERRES
1753
DES
RUPIS
ISSE VIII
JUVAT
SHA
ARTILLERIE
1735
ENAS
CONTICER
II
L'ANNÉE
1755
REX
CHRIST
OTHEQUE
BIBLIOT
YON
893 *
VILTLLEAE
JOSEPE
A
MARIA
IX
LA
XI
LUDUS
Chim
DELPHIN
DECUS
IN
AR
RMIS
EXTRADRETY.
DES GUERRES
ISS
D.G.
FR
ARIA
.
MARL
EX
SERIE
MAISON DE
LA REINE
1755
SUP
LI
ST
X
XII
TUSUL
CH.AUX. DEN
175
AVRIL. 1755.
165
monnoyé répandus fur la table .
Légende. Regali fuppetit ufui.
Exergue.
Chambre aux Deniers.
1755.
EXTRAORDINAIRE DES GUERRES .
Deux Chevaliers armés joûtant dans une
lice .
Légende. Et ludus in armis .
Exergue.
Extraordinaire des guerres.
1755 .
ORDINAIRE DES GUERRES.
Un cheval couché , levant fierement la
tête,
Légende. Dum ad pralia furgat.
Exergue.
Ordinaire des Guerres.
1755 .
MARINE.
Jafon rapportant la toifon d'or .
Légende. Juvat nunc parta tueri.
Exergue.
Marine .
1755.
COLONIES FRANÇOISES EN AMÉRIQUE.
Le navire Argo , avec des peaux de caftor
fufpendues à la place de la toifon d'or.
Legende. Non vilius aures.
166 MERCURE DE FRANCE.
Exergue . Colonies françoiſes en.
Amérique.
1755.
BATIMENS DU ROY.
Minerve , avec l'égide & la cuiraffe , tenant
d'une main des inftrumens d'architecture
; dans le lointain un bâtiment commence
à s'élever .
་
Légende.
Exergue.
Condit quas incolet ades.
Bâtimens du Roi.
1755.
ARTILLERIE .
Des canons fur leurs affuts , liés enſemble
& enchaînés par des branches d'olivier
qui ferpentent à l'entour.
Légende. Va quibus has rupiffe catenas
contigerit.
1755.
MENUS PLAISIRS ET AFFAIRES
DE LA CHAMBRE.
Therpficore , Melpomene & Thalie.
Légende. Latitia lacrymaque decora .
Exergue. Argenterie & menus plaifirs.
1755
AVRIL. 1755. 167
S't
ARTS UTILE S.
ARCHITECTURE .
pas
auffi portés
I les hommes n'étoient
qu'ils le font à fe livrer dans leurs opinions
à des excès toujours condamnables ,
s'ils n'autorifoient pas par des exemples
trop fouvent répétés ,à douter de l'équité de
leurs motifs , on ne pourroit leur conteſter
le droit honorable d'étendre leurs difcuffions
& leur critique fur les objets les plus
refpectables en tous genres : mais lorsqu'on
voit ( pour me reftreindre aux matieres de
goût ) qu'à peine a - t - on ofé ſubſtituer à
l'adoration d'Homere quelques recherches
fur de légers défauts , dont il eft certain
qu'il n'a pas dû être exempt , qu'auffi - tôt
on brife fes autels , on arrache fa couronne
, on méprife & on raille fes adorateurs ;
ne doit - on pas être porté à fouhaiter
qu'à l'exemple de Mahomet , on impoſe
un filence profond & mystérieux fur les
Divinités des fciences , des arts & du goût ?
Mais où fe trouvera le Légiflateur dont
la miſſion ſera affez généralement reconnue
, pour établir cette loi de prévoyance
que l'efprit impoferoit à l'efprit ? d'ailleurs,
ofer montrer de nos jours une pareille
168 MERCURE DE FRANCE.
méfiance , ne feroit- ce pas refufer à notre
fiécle ce titre refpectable de philofophe
dont il fe pare , & dont il efpere que la
postérité fera fon titre diftinctif ? Puifqu'il
en arbore l'étendart , il doit être louable
& permis aujourd'hui ou jamais de hazarder
quelques réflexions qui ont pour objet
un de ces chefs - d'oeuvres des arts faits pour
être adorés aveuglément dans un fiécle
d'enthouſiaſme & de préjugés ; mais faits
pour être difcutés dans un fiécle fage ,
éclairé , enfin dans un fiécle philofophe
comme le nôtre.
Il s'agit ici de la colonade & des projets
du rétabliſſement du Louvre.
Il est néceffaire d'établir premierement
les raifons pour lefquelles , fous le regne
de Louis XIV , les Architectes employés
à cet ouvrage ont pris pour le finir une
route différente de celle qu'avoient tenue
ceux qui l'avoient commencé.
En général , il est avantageux aux progrès
des connoiffances humaines , que les
efprits & les talens d'un fiécle profitent &
s'enrichiffent de ce que l'efprit & le talent
avoient amaffé déja de thréfors & de richeffes
; mais le profit feroit inconteſtablement
plus confidérable & plus rapide ,
fi les grands ouvrages & les vaftes projets
conduits & exécutés par la même main ,
qui
AVRIL. 11755. 1.69
qui en a tracé les efquiffes , nous offroient
plus fouvent les idées accomplies de ceux
qui les ont conçus . Il arrive malheureufement
que ces auteurs ont des jours plus
bornés que leur entreprife , & qu'après
eux on s'écarte toujours de leurs vûes , ou
bien que l'on abandonne leurs plans.
Il ne falloit pour finir l'édifice dont il
eft queftion , qu'ordonner aux Architectes
de fuivre ce qui étoit commencé , nous
aurions fous les yeux le plus fuperbe palais
de l'Europe. Louis XIV attribuant
aux artiftes les principes & les grands motifs
qui le faifoient agir , fit venir des pays
étrangers des hommes de réputation : tous
ceux qui étoient en France furent chargés
de travailler ; mais l'amour propre injufte
leur perfuada qu'il n'y avoit aucune
gloire à prétendre , s'ils fuivoient des idées
qu'ils n'auroient point créées.
On fit donc différens projets qui occafionnerent
, comme aujourd'hui , des conteftations
fans nombre parmi les artiſtes ,
& des libelles fans fin de la part des critiques,
Il fut réfolu qu'on éleveroit la colonade
pour former l'entrée du Louvre , &
que l'on doubleroit l'aîle fur la riviere ,
pour loger le Roi plus commodément dans
cette partie. 200
Réfléchiffons fur le réfultat de tant de
H
170 MERCURE DE FRANCE .
difcuffions , d'obfervations , de critiques ,
& d'avis différens .
-Quel eft - il ? 'une façade de palais fans
croifées , dont l'ufage n'a pu fe faire deviner
depuis qu'elle eft bâtie , dont les
inconvéniens font fans hombre , & dont
la beauté déplacée a cependant un droit
trop jufte fur notre admiration pour qu'on
puiffe être foupçonné de le lui refufer.
L'Architecte , emporté par le defir de concevoir
& d'enfanter une production neuve
& grande , a-t- il donc regardé comme
pen intéreffant l'ufage qu'on feroit de fes
travaux ? quelle eft la deftination de la
magnifique colonade qu'il a placée au premier
étage de cette façade L'a- t- il faite
pour placer du monde à l'arrivée , ou à la
fortie du Roi L'a - t-il ornée pour le Roi
lui-inême dans les occafions où l'on auroit
donné des fêtes dans la place fur laquelle
elle devoit dominer ? Dans l'un ou dans
l'autre cas , n'eût-il pas été encore à defirer
que la colonade fe trouvât placée dans
le milieu , comme l'endroit le plus convenable
& le plus décent ? La fuppofez - vous
propre à faciliter la communication d'un
côté du palais à l'autre ? Alors pourquoi
cette interruption ménagée pour faire une
mauvaiſe arcade , dans laquelle fe voit une
Petite porte ? C'eft ainfi que les idées de
AVRIL. 1755. 171
grandeur & cet enthouſiaſme qui femblent
pour nous un état violent , ne font pas ว
l'abri d'un mêlange de grandes & de petites
productions. J'ajoûterai encore , c'eft
ainfi que la perfection abfolue exige que
l'imagination prenne toujours l'ordre d'une
fage & utile convenance , qui eft la bafe
des fciences , des arts & du goût.
ger par
Pallons maintenant à l'examen de la façade
, qui placée du côté de la rivière , eſt
celle que l'Architecte a eu intention de
deftiner à l'appartement du Roi. A en jul'entrée
dont nous venons de parler
, & par lės progrès que doit offrir la
magnificence d'un palais , quelle devroit.
être la riche décoration de cette aîle qu'un
grand Monarque avoit choifie pour fon
féjour ? Cependant , oubliant cette conve
nance fi jufte , ou bien épuifé par l'effort
qu'il vient de faire , l'Architecte ne préfente
à notre curiofité qu'un bâtiment
froid , décoré d'architecture en bas relief,
autrement dit de pilaftres fans colonnes ,
& fans auctin avant-corps qui interrompe
par des repos & par des maffes l'ennuyeufe
monotonie qui y regne.
Des Architectes qui n'étant pas gênés ,
ont été capables de commettre des fautes
auffi avérées , ne nous autorifent - ils pas à
examiner avec moins de fertile ce qui
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
a pu
les engager à décorer la Cour d'un
troifieme ordre , par préférence à l'attique
de l'ancien projet.
Je m'imagine que deux raifons font les
principales caufes de ce changement : le
defir d'innover , & les difficultés qu'ils
ont rencontrées en voulant exécuter l'attique
, après avoir fait les façades extérieures.
Jugeons à préfent de la validité de ces
deux motifs : le premier fi général & fi
fouvent ennemi du bien , n'a pas befoin
d'une longue difcuffion . Les innovations
particulieres telles que celles - ci , ne faiſant
jamais partie d'un plan général , ont prefque
toujours l'air déplacé.
Cependant il étoit néceffaire de montrer
fa capacité : fuivre ce qui étoit commencé
, c'étoit , ou paroître plagiaire , ou
montrer un génie peu capable de reffource
& d'invention : d'ailleurs , par rapport
au dehors , qui ne peut entrer en comparaifon
avec le dedans , il falloit fe réfoudre
à fupprimer les dômes , les pavillons ,
les combles. Si l'on exécute ces retranchemens
, & fi l'on place ce feul attique , ne
paroîtra- t- il pas qu'on a cherché à appauvrir
un édifice que le projet d'un grand
Roi eft d'enrichir & d'orner ? Pourquoi
dirent- ils , cédant à toute la folidité de ces
raifons , ne formons - nous pas un troifieme
:I
AVRIL.
1755. 173
ordre qui , par fa nouveauté , fera briller
nos talens , & par fa richeffe fera conforme
au deffein de celui qui nous emploie ?
L'invention n'eft pas une déeffe docile ,
elle refuſe fouvent fes faveurs à ceux qui
les defirent . On eut beau propofer des prix
à celui qui ajoûteroit un nouvel ordre à
ceux que le caprice a fi fouvent défigurés ,
& que le bon goût a toujours rétablis ; if
ne fe trouva pas de Callimachus , & l'on
fe vit contraint de fe fervir d'une de ces
productions , dont la nouveauté fait le feut
mérite , & qu'on fe garderoit bien d'adopter
aujourd'hui.
Mais en fuppofant même que cet ordre
fût digne d'être joint à ceux que le
difcernement de tant de frécles nous a
tranfmis , feroit- il bien placé , & rendroit
il l'effet qu'on s'eft propofé ?
J'ofe répondre que non . On a eu deffein
fans doute , en fupprimant les pavillons ,
les dômes & les combles , qui ne peuvent
fubfifter relativement au dehors , de trouver
quelque chofe qui réparât cette perte.
Mais en établiffant ce troifieme ordre
dans toute l'étendue de l'édifice , tout le
bâtiment fe trouvera alors couronné à la
même hauteur & de niveau ; au lieu qu'en
confervant l'attique dans les ailes , en ádmettant
le troiſieme ordre dans les pavil-
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE .
lons des milieux , en décorant le deffus 'de
l'attique dans les quatre pavillons des angles
, cette cour intérieure préfentera une
décoration , dont le jeu détruira cette uniformité
dont l'architecture doit autant fe
garantir que les autres productions des arts.
Il feroit aifé de développer ces réflexions
& de prouver que ce projet eft celui qui
convient mieux à l'entiere perfection , fi
defirée d'un des plus beaux monumens de
la nation. Un nombre infini d'inconvéniens
dans les partis différens qu'on peut
prendre, me fourniroit une matiere qui deviendroit
infenfiblement trop abondante.
Je fouhaite feulement qu'on fe repréfente
l'effet que produira l'ordre françois exécu
té dans les petits avant- corps du milieu des
aîles , où s'en trouve à préfent le modele
en maffe. Qui pourra fupporter l'exceffive
hauteur de ces avant - corps , comparée à
leur largeur , puifqu'ils font déja trop
hauts , en y employant même l'attique.
Au refte , je ne prétens pas juftifier
abfolument l'attique des défauts qu'on
peut lui imputer ; furchargé d'ornemens ,
décoré de figures & de trophées d'une
proportion trop forte , il ne peut foutenir
fes droits avec avantage que contre
un adverfaire dont la caufe eft infiniment
moins favorable que la fienne .
AVRILIS 1755. 175
4
De plus , tout changement dans cet ouvrage
confacré par la vénération publique ,
paroîtra toujours un crime à ceux qui ,
veulent jouir du plaifir de blâmer , fans
prendre la jufte peine d'approfondir & de
s'éclairer. Mais fi la critique fondée concourt
à l'avantage des arts qu'elle éclaire ,
& à la réputation durable des artiſtes
qu'elle applaudit , ces murmures paffagers
rien n'autorife , ne doivent jamais
fufpendre des réfolutions que la raifon
& le goût d'accord ont approuvées.
que
2
MANUFACTURES.
Omme l'article des Nouvelles litté
Cairess eft trouvé remplis nous avons
cru pouvoir inférer dans celui des arts ce
précis d'un mémoire fur les laines , où
l'on examine , 1°. quelles font les différentes
qualités des laines propres aux manu
factures de France 2. fi on ne pourroit
pas fe paffer de laines étrangeres ; com
ment on pourroit perfectionner la quali
té , & augmenter la qualité de nos laines.
Le titre fenl annonce la divifion de tout
J'ouvrage. Le mémoite eft précédé d'un
avertiffement , dans lequel on prévient
qu'il doit fa naiffance au zele de M. le
Duc de Chaulnes pour l'avancement des
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
L'académie
arts , & que les trois questions qu'on y difcute
, ont été propofées par l'Académie
d'Amiens , pour le fujet du prix de 1754
On finit ce prélude par prévenir ceux qui
prennent quelqu'intérêt au commerce desi
laines , de ne pas acquérir le même ouvrage
imprimé à Amiens ; l'édition de cette
ville ayant été faite à l'infeu & fans la
participation de l'auteur qui a préfidé à
celle- ci , & l'a augmentée d'obfervations ,
& rectifié le ftyle dans tous les endroits où
il étoit défectueux.usb.copa o ibon said
Le commerce des laines eft un des objets
les plus importans qui puiffent occuper
fe
gouvernement. L'accroiffement du nombre
de nos manufactures , & la multipli
cation des métiers rendant chaque jour
plus rares les laines de la meilleure efpéce
, c'eft rendre fervice à la patrie que
de s'étudier aux moyens de perfectionner
celles que nous avons , & d'en augmenter
la quantité. La recherche de ces moyens
occupe principalement l'auteur de ce mé4
moire ; & nous penfons qu'il procéde avec
l'ordre & la clarté dont cette queftion in
portante étoit fufceptible ; que l'ouvrage
eft bienfait , & que la lecture n'en fera pas
moins agréable qu'utile. Il fe vend à Paris
, chez Guillyn , Libraire , quai des Au
guftins , au Lys d'or.1755.5 quli
AVRIL . 1755. 177
ARTICLE V.
SPECTACLES.
OPERA.
114
'Académie royale de mufique a fermé
L for theatre le 15 Mars par Caftor &
Pollux , Tragédie qu'elle a donnée trois
fois pour les acteurs. Elle avoit repréſenté
la veille Thefée qu'elle continuera après
Pâques.
COMEDIE FRANÇOISE.
E premier Mars les Comédiens Fran
çois ont donné la premiere repréfentation
de Philoctete , tragédie de M. de
Châteaubrun , auteur des Troyennes . On
n'a point vû depuis long- tems de piéce
mieux jouée , ni de fuccès plus unanime
& mieux mérité ; il eft d'autant plus glorieux
pour l'auteur , qu'on peut appeller
fa tragédie la difficulté vaincue. Pour nous
intéreffer avec un fujet fi fimple & fi
étranger à nos moeurs , il falloit créer ; c'é-
Hy
•
178 MERCURE DE FRANCE.
toit le comble de l'art ; M. de Châteaubrun
y eft parvenu fans s'écarter de Sophacle.
Son triomphe eft celui des anciens ;
en les embellifant il ne les a point déguifés
, il les a rendus dans cette beauté
fimple qui les caractériſe , & qui ne perd
jamais fes droits fur les coeurs : elle eft intéreffante
dans tous les tems , & même
dans les lieux où la mode a le plus d'autorité
Philoctete en eft la preuve ; dès
qu'il a paru , il a réuni tous les fuffrages.
Ce qu'il y a de plus eftimable dans
M. de Châteaubrun , les maximes qu'il
met dans la bouche de fes héros font toujours
dictées par la vertu , & les fentimens
qui regnent dans fa piéce font puifés dans
l'humanité , dont on peut dire fans flaterie
qu'il eft le poëte.
Le 15 , les Comédiens ont fermé leur
fpectacle par la feptiéme repréſentation de
cette tragédie , avec un grand concours ;
nous en parlerons plus au long à fa reprife
. Nous ofons avancer , d'après le fentiment
général , qu'elle est faite pour ouvrir
non feulement le théatre avec gloire ,
mais pour y refter avec diftinction .
M. de Bellecourt a fait le compliment
au gré du public.
AVRIL. 1755 179
COMÉDIE ITALIEN NE.
Es Comédiens Italiens ont joué le 6
Camille,Espritfollet , comédie Italienne
en quatre aches , remife , avec deux
divertiffemens. Mlle Coraline y a beaubrillé
dans fon début. Mlle Camille
fa foeur , remplit aujourd'hui fon rôle avec
une égale réuffite : cette piece eft une heureufe
fucceffion dans la famille.
coup
Le 15 , les mêmes Comédiens ont donné
pour la clôture de leur théatre , la
quatorziéme repréfentation de Ninette à la
Cour, qu'on a vue avec plaifir & en nombreufe
compagnie. Mme Favart & Arlequin
ont fait le compliment de la clôture
en dialogue & en plaifanterie : le public
s'y eft prêté avec bonté , & l'a applaudi .
Voici l'extrait de Ninette à la Cour , qui
fe vend chez la veuve Delormel , rue du
Foin ; & Prault fils , quai de Conti . Prix
trente fols . Cette édition eft ornée d'une
eftampe , qui repréfente Mme Favart en
villageoife . Elle mérite bien cette diftinction
, par la maniere charmante dont elle
rend fon rôle .
3
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
EXTRAIT du Caprice amoureux ,
Ninette àla Cour.
on
. Le théatre repréfente au premier acte
une campagne agréable , coupée d'arbres
fruitiers , avec des cabannes de païfans
fur les aîles. On les voit travailler à différens
ouvrages.
Ninette , en filant au rouer , ouvre la
premiere fcene avec Colas , & débute par
cette ariette .
Travaillons de bon courage ;
· La fraîcheur
De cet ombrage,.
La douceur
De ce ramage
Nous donne coeur
A l'ouvrage.
Près de l'objet, qui m'attendrit ,,
Je file à merveille ;
Quand la fatigue m'afſoupit ,.
L'amour me réveille.
Elle prie en même tems Colas d'aller
cueillir du fruit pour elle : il monte fur
un arbre , & voit la plaine couverte de
chiens & de piqueurs ; il defcend alors.
tour allarmé , & dit à Ninette :
Rentrez , rentsez morgué ces malins drilles ,,
AVRIL 1755. 181
Comme au gibier fefont la guerre aux filles.
Aftolphe , Roi de Lombardie , paroît
avec Fabrice , fon confident , & lui fait
l'aveu de fa paffion pour Ninette , par cette
jolie ariette ::
Oui , je l'aime pour jamais ;
Rien n'égale fes attraits.
De fon teint , la fleur naïve ,
Toujours fraîche , toujours vive ,
Confond les efforts de l'art.
C'eft la nature
Simple & pure ,
Elle enchante d'un regard.
Dans fon coeur eft l'innocence ';;
Dans les yeux eft la candeur ;
Sa parure eft la décence ,,
Et fon fard eft la pudeur.
Fabrice:fort , & Ninette revient em
chantant. Aftolphe lui témoigne fa furprife
de la voir fi contente dans un état fi
borné , & lui offre une fortune éclatante ,
en lui déclarant qu'il l'adore. Ninette qui
le prend pour un Officier de fa Cour , lui
répond naïvement que cette déclaration lui
fait grand plaifir gardez , lui dit-elle
Gardez tous vos tréfors ;je ne veux qu'une grace ;
• Vous fçavez que lpn chaffe
182 MERCURE DE FRANCE.
Tous les jours en ces lieux , du matin juſqu'au
foir.
Si vous avez quelque pouvoir ,
Parlez au Prince , afin que l'on nous débarraffe
De tout le train font fes gens.
que
Je ne comprens point quelle fievre
Peut faire ainfi courir les champs ;
Pour le plaifir de prendre un lievre
On ravage quarante arpens.
1 Elle le prie en conféquence de ne plus
revenir , en lui avouant franchement qu ' elle
aime Colas . Le Prince lui dit de mieux
placer fon ardeur , ajoutant qu'un fort
brillant l'attend à la Cour , & que les
charmes d'une toilette la rendront encore
plus belle. Qu'est- ce qu'une toilette , lui
demande Ninette ? Il lui en fait cette ingénieufe
defcription,
C'est un trône où triomphe Part :;
C'eft un autel que l'on érige aux graces;
C'est là qu'on peut , des tems rapprocher les ef
paces
Par l'heureux preftige d'un fard ,
Qui des ans applanit les traces.
Des couleurs du plaifir on ranime fon teint ;
Et le pinceau , rival de la nature ,
Par une agréable impofture , vrsti so'nd
Fait éclore la fleur d'un vilage enfantin.
AVRIL
$755. 183
Chaque jour on eft auf belle ;
D'un air plus triomphant la jeuneffe y fourit ,
La beauté même s'embellit
Se fixe , & devient immortelle .
Un tableau fi flateur pique la vanité curieufe
de Ninette ; mais elle craint de fâcher
Colas : il furvient dans cette irréfolution
, & fait éclater fa jalousie. Elle
l'avertit tout bas de la cacher , de
peur
d'irriter Aftolphe . Le Prince qui s'en apperçoit
, la raffure , en lui difant :
Si Colas vous eft cher , je deviens fon ami
Colas lui réplique : >
On n'eft guere ami du mari
Quand on yeut l'être de la femme.
Le Prince fort après avoir dit à Ni
-nette :
L'heureux Colas vous intéreſſe.
Paiffe-t-il mieux que moi faire votre bonheur !
Ninette reproche à Colas fa groffiereté ,
vis-à-vis d'un Seigneur fi poli , qui la veut
mener à la Cour : il lui répond qu'Aftolphe
lui parloit d'amour , & que cela ne
convient pas. Elle lui répart avec une ingénuité
rare aujourd'hui , même dans une
jeune païfanne.
184 MERCURE DE FRANCE .
Les Meffieurs de la Cour font trop bien élevés
Pour entreprendre rien contre la bienféance.
Colas qui apperçoit dans ce moment le
Prince qui revient , & qui la regarde de
loin , veut obliger Ninette à rentrer malgré
elle : elle refifte ; il la tire par le bras :
elle crie - alors , & chante avec toutes les
graces d'une jolie enfant qui pleure , cette
ariette fi , heureufement parodiée de Ber--
tholde à la Cour.
Ahi ahi ! il me fait grand mal ;:
Le brutal le brutal !
COLAS
Oui , je vous ai fait grand mal.
NINETTE.
Le Seigneur viant_ici ,
Ahi ! ahi ! puifqu'on me traite ainfi
Je vais me plaindre de ce pas..
COLAS.
Ninon..
NINETTENon
, non.
COLAS.
1
Morgué , quel embarras !
Ninon ,
A V.R IL
1.851 1755
Jte d'mande pardon. ,
NINETTE.
८
Non , non Y
Point de pardon.
Ahi ahi ! il m'a fait grand mal.
ASTOLPHE s'approchant , à Ninette.
Qu'avez -vous ?
NINETTE .
): Le brutal !
Ah ! qu'il m'a fait grand mal !
Ahi ! Ahi
NINETTE.
Ah ! j'ai bien du guignon . I'
ASTOLPH E.
O Dieux ! qu'avez-vous donc
NINETTE, ! |
Monfeigneur , c'eff Colas
Qui m'a , m'a , m'a demis le bras .
Hélas ! hélas !
à Colas.
Tu t'en repentiras.
Hélas ! hélas !
Oui , tu me le paîras.
KIM » Alii? ahiuvabi, le brash 10 4 alo
186 MERCURE DE FRANCE.
Aftolphe témoigne fa furprife en s'écriant
:
Eft-ce là ce tendre Colas ?
Colas veut s'emporter ; mais Fabrice lui
apprend qu'Aftolphe eft le Prince . Ninette
& Colas font furpris à leur tour . Le Prince
preffe Ninette de venir embellir fa Cour.
Elle y confent , en difant tout bas qu'elle
veut punir Colas fans lui manquer de foi .
Elle le quitte en lui adreffant cette Ariette
boufonne , qui commence par ces vers
Colas , je renonce au village ;
La cour me convient davantage.
& qui finit ainfi : JA
Quelque jour tu viendras
Tu verras. (bis.).
Sans ceffe
La preffe
Arrêtera tes pas ;
Et de loin , tu diras ,
Ah, Princeffe , Princeffe !
En t'inclinant bien bas
Protegez Colas ,
Ne l'oubliez pas.
Adieu , pauvre Colas,
1.
Colas fe defefpere , & veut fuivre NiAVRIL.
1755. 187
nette , mais il eft arrêté par une troupe de
chaffeurs . Ils le forcent à s'éloigner , &
forment une danfe qui termine le premier
acte. Il eſt brillant par le jeu & par le choix
des ariettes qui font parfaitement rendues
par Mme Favart & M. Rochart .
Le théatre change au fecond acte , & repréfente
un appartement du palais d'Aftolphe.
Ninette paroît en habit de Cour ; elle
eft fuivie de plufieurs femmes de chambre ,
qui portent chacune différentes parures ;
fan pannier l'embarraffe , & lui donne un
air gauche. Elle refufe le rouge dont on
veur l'embellir , & laiffe tomber les diamans
qu'on lui préfente, pour prendre des
fleurs artificielles , qu'elle jette un inſtant
après , en difant :
Elles ne fentent rien
Içi l'on ne doit rien qu'à l'arts
La beauté n'eft qu'une peinture ,
Jufqu'aux fleurs tout eſt impoſture.
Fabrice veut lui donner des leçons de
politeffe , mais elle le rebute , & prie le
Prince qui entre , de la débarrafler de cet
homme qui l'ennuie , ajoûtant qu'elle aimeroit
mieux voir Colas. Aftolphe lui répond
:
188 MERCURE DE FRANCE.
#
Vous allez voir Colas ; j'efpere qu'en ce jour
Vous mettrez entre nous un peu de différence ;
Je ne veux qu'à force d'amour
Lui difputer la préférence.
Il donne enfuite des ordres pour qu'on
montre à Ninette toute la magnificence
de fa Cour ; & voyant paroître la Princeffe
il fort pour l'éviter . Emilie ( c'eft le nom
de la Princeffe qui lui eft deftinée , ) tế-
moigne fes craintes à Clarice , fa confidente
, & la charge d'examiner les pas du Prince
& de Ninette. Elle exprime enfuite fes
fentimens par une ariette.
Viens , efpoir enchanteur ,
Viens confoler mon coeur , &c.
Voyant revenir Aftolphe avec fa petite
payfane , elle s'éloigne pour les obferver.
Le Prince demande à Ninette ce qu'elle
penfe de la Cour ; Ninette lui répond avec
une franchiſe fpirituelle.
J'ai vu de toute part de beaux petits objets
A talons rouges , en plumets ;
Ne font-ce pas des femmes en épées ?
J'ai vu trotter auffi de gentilles poupées ,
Qui portent des petits colets...
Ah ! que de plaifans perfonnages ,
AVRIL. 1755. 189
Crainte de déranger l'ordre de leurs vifages ,
Ils parlent tous comme des flageolets.
Tu , tu , tu tu. Dans nos villages -
2
Nous n'avons jamais vu de tels colifichets ,
Et puis j'ai vu de graves fréluquets ,
Qui prenoient un air d'importance.
Et de jolis vieillards coquets ,
Qui fembloient marcher en cadence ;
L'un d'eux , pour me voir de plus près ,
Jufques fous mon menton s'approche ,
En tirant un oeil de fa poche ;
C'eft un bijou , c'eft un Ange. Eh ! mais , mais..
Emilie s'avance , & fait un compliment
ironique à Ninette fur fes charmes , & la
félicite d'avoir fait la conquête d'Aſtolphe ,
qui s'en défend devant la Princeffe. Ninet
te répond qu'elle aime Colas . Le Prince
pour appuyer ce difcours , dit qu'il a donné
des ordres pour le faire venir. Ninette
réplique qu'elle aime mieux retourner au
village , & fort en chantant
ARI ETT E.
Dans nos prairies
Toujours fleuries ,
On voit fourire
Un doux zéphire , &c.
190 MERCURE DE FRANCE .
Le Prince raffare Emilie , & lui promet
de renvoyer Ninette ; mais dès qu'il eft
feul il peint fon irréfolution par une ariette.
Lé Nocher , loin du rivage
Lutte en vain contre l'orage , &c.
& fe retire fans fçavoir ce qu'il doit fai-
're.
Colas entre paré à peu - près comme Taler
dans Démocrite , & fe plaint comme
lui de la réception ridicule qu'on lui a
faite à la Cour . Ninette qui furvient , &
qui apperçoit Colas , baiffe fa coëffe , ſe
couvre le vifage de fon éventail , & contrefait
fa voix en grafféyant , pour éprou
ver Colas , & n'en être point reconnue .
Cette fcene a beſoin du jeu des acteurs
pour être fentie. Ninette en jouant les
vapeurs , déclare à Colas qu'elle eft épriſe
de fes charmes , & lui propofe de répondre
à fon ardeur , en l'affûrant que fa fortune
fera faite. Colas' qui la prend pour
une Dame de la Cour , répond qu'il y confent
, en difant tout bas :
Je ne veux qu'alarmer Ninette ,
Et le dépit me la ramenera.
Ninette alors fe dévoile , & fait éclater
fa colere contre Colas ; il a beau vouAVRIL
1755. 191
loir fe juſtifier , elle ne veut plus l'entendte.
Ce qui occafionne un duo dialogué
à l'Italienne , dont le contrafte toujours
foutenu , finit vivement le fecond acte.
20 Ninette ouvre feule le troifieme dans
le même appartement , où l'on voit des
lumieres fur une table. Elle fait entendre
dans une ariette qu'elle tirera bien-
-tôt vengeance d'un ingrat qui l'a trahie.
Fabrice vient l'avertir que le Prince doir
arriver dans un moment ; elle lui demande
fi Colas eft prévenu qu'elle doit parler
au Prince tête à tête ; Fabrice lui répond
qu'oui , & qu'il fait de gros foupirs . Emilie
entre , & paroit furpriſe de retrouver
encore Ninette , qui lui protefte qu'elle
eft à la Cour contre fon gré , & lui avoue
en riant qu'Aftolphe lui a demandé un
rendez - vous , qu'elle s'y trouvera , par la
raifon qu'une fille de bien ne craint rien.
Cette maxime n'eft pas toujours fure.
Comme on entend du bruit , Ninette en-
-gage la Princeffe à s'éloigner avec elle ,
ajoutant qu'elle a fur ce point un fecret
? à lui dire.
Colas arrive , guidé par fa jaloufie , & fe
cache fous la table pour entendre , › fans
cêtre vu l'entretien nocturne du Prince
avec Ninette , qui revient & qui éteint
les bougies en voyant entrer Aftolphe. Le
192 MERCURE DE FRANCE.
Prince lui en demande la raifon , & mon
tre une pudeur qu'elle paroît oublier. Elle
répond que fon coeur eft bien gardé la nuit
comme le jour , & le prie de lui apprendre
ce qu'il fouhaite d'elle. Il replique que fes
foupirs lui expliquent fes voeux : elle lui
repart qu'elle veut faire fon bonheur , &
qu'il attende un moment. Elle va chercher
la Princeffe ; & la met à fa place : le Prince
dit à Emilie , qu'il prend pour Ninette ,
J'ai defiré long-tems un coeur fans impofture ,
Un coeur fimple , ingenu , formé par la nature.
)
Ninette , en apportant des lumieres , répond
au Prince qu'il a trouvé ce thréfor
dans Emilie qui eft devant lui. Aftolphe ,
honteux de fon inconftance , rend fon
coeur à la Princeffe , qui lui pardonne. Colas
forti de deffous la table , paffe des plus
vives alarmes à la plus grande joie. Af-
-tolphe s'unit à la Princeffe , & Colas à Ninette.
Un bal dont nous avons rendu compte
, couronne agréablement ce troifieme
acte , dont le dénouement a paru moins
heureux que le refte de la piece : on peut
dire qu'elle eft pleine d'ingénieux détails ,
& qu'elle forme un recueil choisi d'ariettes
: italiennes en jolis vers françois.
Sila Servante Maîtrefle a fait des amans
paffionnés ,
AVRIL. 17558 193
paffionnés , Ninette à la Cour a trouvé
de zélés partifans ; chacune a fon mérite
particulier ; l'aînée eft peut - être mieux
faite , & la cadette eft plus fpirituelle.
OPERA COMIQUE.
Les
E is , on donna fur ce théatre les Jeunes
Maries. On les annonça comme
une nouveauté , mais ils ne font que remis
: c'eſt un ancien Opéra comique de
M. Favart . On ne peut s'y méprendre ; il
eft trop bien fait pour être d'un autre .
On l'a joué le 16 , le 17 , le 18 & le
19 , avec les Troqueurs , & Jerôme &
Fanchonnette , que l'on a continués jufqu'au
Samedi 22 , jour de la cloture de
ce fpectacle. Les Troqueurs ont toujours
charmé les connoiffeurs , Fanchonnette a
conftamment diverti le public ; & la falle
tous les jours pleine , a fait rite M. Monet.
O
Na donné le Mardi 18 Mars , la
premiere repréſentation
du Triomphe
de l'Amour conjugal ; fpectacle tiré
d'Alcefte , par le fieur Servandoni , Peintre
& Architecte ordinaire du Roi.
I
194 MERCURE DE FRANCE.
Les premieres repréfentations d'un fi
grand fpectacle font toujours imparfaites.
Nous attendrons que celui- ci ait été exécuté
dans toutes les parties & dans l'exacte
précifion qu'il exige , avant que d'en dire
notre fentiment , ou plutôt celui du public ,
que nous devons prendre pour regle .
CONCERTS SPIRITUELS.
Près la mort du fieur Royer , Inf-
A pecteur du Concert fpirituel , avec le
fieur Capperan , ce dernier a fait choix
du fieur Mondonville , fi connu par fes talens
& fur-tout par fes moters , pour
remplacer le fieur Royer. Ce Concert demeure
en fociété entre la veuve & ces
deux Meffieurs , qui par leurs foins ne
laiffent rien à defirer au public.
> Le Dimanche de la Paffion , 16 Mars ,
le concert commença par une fymphonie
de M. Martin ; enfuite Omnes gentes , motet
à grand choeur de M. Cordelet ; le
Signor Avolio joua un concerto de violon
. On donna après Diligam te , motet à
grand choeur de M. Giles , où Mlle Chevalier
chanta le récit Beata gens , de M. de
Lalande. Mme Pompeati chanta deux airs
Italiens avec l'applaudiffement général . Le
F 195 AVRIL. ~ 1755.
moter à
concert finit par Cæli enarrant
,
grand choeur de M. de Mondonville
. Mlle
Chevalier
, & M. Richer , Page de la mufique
du Roi , chanterent
le duo Non funt
loquela , & furent juftement
applaudis .
Le Mardi 18 le concert commença par
une fymphonie nouvelle de M. Davefne ;
enfuite Cantate Domino , motet à grand
choeur du même auteur. Mlle Duperey
chanta un petit moter ; enfuite Confitebor
motet à grand choeur de M. de Lalande ,
où Mlle Chevalier chanta feule . M. Canavas
joua un concerto . Le concert finit par
In exitu , motet nouveau à grand choeur de
M. de Mondonville , qui eut l'approbation
des connoiffeurs. Ils y ont reconnu les traits
& les tableaux du grand maître.
Le Vendredi de la Paffion , 21 Mars ,
le concert commença par une fymphonie
enfuite Exaltabo te , moter à grand choeur
de M. de Lalande. Mme Pompeati chanta
deux airs Italiens avec le même fuccès. M.
Guenin joua un concerto de violon . Le
concert finit par In exitu , motet nouveau
à grand choeur de M. de Mondonville .
Mlle Chevalier , Mrs Benoît , Poirier &
Befche chanterent feuls .
Le Dimanche , jour des Rameaux , 23
Mars , le concert commença' par une fymphonie
; enfuite Diligam te , motet à grand
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
choeur de M. Madin. M. Jannfon , âgé de
13 ans , joua une fonate de violoncelle , &
charma toute l'affemblée . Enfuite Deus venerunt
gentes , motet à grand choeur de M.
Fanton , qui eut tout le fuccès qu'il métite.
On eut la fatisfaction d'y applaudir
Mlle Fel , qui parut pour la premiere fois ;
une indifpofition avoit privé le public du
plaifir de l'entendre plutôt. Elle chanta
feule un petit motet. Le concert finit par
De profundis , de M. Mondonville , & renvoya
tous les auditeurs très -fatisfaits .
AVRIL. 17.55. 197
ARTICLE SIXIEM E.
NOUVELLES ÉTRANGERES.
AFRIQUE.
D'ALGER , le 23 Decembre .
Purédu feu Dey
tre du feu Dey s'étoient cachés , en attendant
quelque occafion de prendre la fuite . On en a dé-
Couvert dix , dont fix ont été empalés , & les quatre
autres étranglés. Le nouveau Dey a fait allurer
les Confuls de France , d'Angleterre & de
Hollande , ainsi que le Conful Impérial , qu'il
étoit dans la réfolution d'entretenir la paix avec
leurs Souverains.
ALLEMAGNE.
DE DRESDE , le 23 Février.
Le Comte de Broglie , Ambafladeur du Roi de
France , a obtenu de Sa Majefté Très- Chrétienne
la permiffion de faire un voyage à Paris .
DE VIENNE , le 22 Février.
Les Archiducs Charles & Léopold foutinrent
le 17 de ce mois , en préſence de l'Empereur &
de l'Impératrice Reine , un examen fur l'art de
fortifier les places. Ils répondirent avec beaucoup
de jufteffe & de vivacité , & leurs Majeftés
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
Impériales en témoignerent leur fatisfaction au
Major Brequin , qui enfeigne à ces Princes cette
partie des Mathématiques.
ITALI E.
DE NAPLES , le 3 Février.
Lorfque le Duc de Penthiévre eft parti d'ici
pour retourner à Rome , il a été ſalué , ainfi
qu'à fon arrivée , par l'artillerie de tous les vaiffeaux
françois qui étoient dans ce port..
Le monticule formé depuis quelques tems fur
le fommet du Vefuve , lance quantité de flammes
à une hauteur confidérable. Quelques curieux
ont ofé monter dernierement au haut de cette
montagne , pour examiner de près les effets de
l'éruption. Ils y ont découvert un baffin rempli
de bitume & de foufre , dont l'ébullition préfente
l'image du choc des flots foulevés par une violente
tempête . Le Cardinal , Archevêque de cette
ville , a ordonné des prieres publiques , pour demander
à Dieu qu'il lui plaife de la garantir de
tout événement funefte.
Le corps du Cardinal Cofcia , mort le 8 Février,
fat porté le 9 à l'Eglife del Gefu Nuovo ,
fans autre cortége que celui de deux carroffes de
deuil , accompagnés de fes Eftafiers. Ce Cardinal ,
outre un mobilier fort confidérable , a laiffé fept
cens mille écus en argent comptant. Il a inftitué
le Duc Cofcia , fon frere , pour fon légataire uni
verfel ; ordonnant que fi fa famille vient à s'éteindre
, fes biens feront dévolus à l'Hôpital qu'il a
fait conftruire. On s'eft trompé , en difant qu'il
avoit été de l'Ordre de S. Dominique.
AVRIL 175.5. 199
DE ROME , le 9 Février. 91
Par un decret qui fut publié le 3 , l'once d'or
de dix-neuf carats eft fixé à treize écus dix -fept
baïoques ; & l'once d'argent de feize deniers de
fin , à un écu deux baïoques.
Le 7 , le Pape envoya le Sr Arfelli ſouhaiter un
heureux voyage au Duc de Penthiévre , & fon Alteffe
Séréniffime partit le lendemain pour Floren.
ce . L'Ambaſſadeur de France & l'Abbé de Canillac
, Auditeur de Rote , l'accompagnerent avec un
cortége de plufieurs carroffes jufques hors de la
porte du Peuple. Pendant tout le tems que le Duc
de Penthiévre a paffé en cette capitale , il a donné
les marques les plus éclatantes de fa piété , de fa
libéralité& de fa charité. Il a laiffé fpécialement
au Curé de la paroiffe dans laquelle fe trouve
le palais de France , une ſomme confidérable, pour
être diftribuée aux pauvres de cette paroiffe..
DE FLORENCE , le 8 Février.
Le Comte Lorenzi , chargé des affaires de fa
Majefté Très - Chrétienne auprès de cette Régence
, fait de grands préparatifs pour la réception.
du Duc de Penthiévre , qui eft attendu en cette
ville le 16 de ce mois.
DE MODENE , le 27 Février.
Le Duc de Penthiévre , après s'être arrêté à Florence
depuis le 16 jufqu'au 21 de ce mois , s'eft
rendu à Bologne. De cette derniere ville il eſt revenu
ici , où il paffera quelques jours avant de
continuer fa route vers Turin.
I iv
100 MERCURE DE FRANCE.
DE MILAN , le 8 Février.
Une efpece de maladie épidémique enleve beaucoup
de monde dans quelques villages entre Pavie
& Lodi , particulierement dans ceux de Locate
& de Siziano. Elle commence par une fiévre
, qui d'une heure à l'autre va toujours en redoublant
, & qui en trois jours conduit le malade
au tombeau.
Lettre à l'Auteur du Mercure de France.
EN
N parcourant , Monfieur , le Magaſin anglois
, j'y trouve dans l'article des Chroniques
hiftoriques une relation qui m'a rempli d'horreur,
& qui fait voir qu'il refte encore dans le monde
de la race d'Atrée ou de Médée , comme vous allez ,
le voir.
Le 8 Juillet 1754 ( Angleterre , province d'Effex
, près de Blachwater ) la femme d'un Fermier ,
pour fe venger de fon mari avec qui elle avoit
eu un violent démêlé , étouffa fa propre fille au
berceau , en pendit une feconde , âgée de quatre
ans , à un crochet , & fe difpofoit à égorger fon
fils mais ce dernier plus : heureux ou plus fort ,fe
débarraffa des mains fanglantes de cette Médée
angloife , & fe fauva par la fuite . Elle eft actuellement
dans les prifons de Chelmsford , & ne paroît
pas avoir l'efprit aliéné.
* Journal qui s'imprime à Londres.
AVRIL. 1755.201
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
Selo
Elon les avis reçus de Lorraine , le feu prit la
nuit du 5 au 6 du mois dernier à l'aîle gauche
de l'avant-cour du château de Luneville. Malgré
les prompts fecours qu'on a apportés , cette aîle
a été totalement réduite en cendres , Plufieurs perfonnes
ont été bleffées en voulant arrêter le progrès
des flammes ou éviter d'en être la proie.
ཚ་
Sa Majefté s'étant fait repréfenter l'arrêt rendu
en fon Confeil le 25 Decembre 1753 , par lequel
il auroit été ordonné , en conformité des précédens
arrêts , que les Offices qui feroient levés vacans
en fes revenus cafuels pendant le courant de
Pannée 1754 , par mort ou autrement , ne payeroient
que moitié des droits de marc d'or , d'enregiftrement
chez les Gardes des rolles & de fceau ,
enfemble de ceux de réception & d'inſtallation
dans les Cours & Jurifdictions où ils feroient reçus
& inftallés ; & que ceux qui leveroient des
Offices de nouvelle création , ou aufquels n'auroit
été pourvût depuis leur création , ne payeroient
, pour s'en faire pourvoir , que le tiers
defdits droits de marc d'or , d'enregistrement , de
fceau , de réception & d'inftallation ; & Sa Majefté
voulant continuer la même grace pendant
Pannée 1755 , le Roi proroge pendant l'année
1755 , le délai porté par l'arrêt du 25 Décembre
à commencer du › premier Janvier juſqu'au
dernier Décembre inclufivement , & c.... Veut
néanmoins Sa Majefté , que ceux au profit de qui
1753
~IV
202 MERCURE DE FRANCE.
les porteurs de quittances de Finance d'Offices de
nouvelle création s'en feront démis après les fix
mois du jour de la date defdites quittances ,
foient tenus de payer après lefdits droits en entier.....
Ordonne Sa Majefté que ceux qui ont
levé , à ſes revenus cafuels , des Offices de pareille
nature que ceux ci -deffus mentionnés , à compter
du 4 Juin 1726 , & depuis , ou qui les leveront
pendant le délai accordé par le préfent Arrêt
, feront & demeureront déchargés du droit
de confirmation .
Il paroit un autre Arrêt du Confeil d'Etat ,
qui ordonne l'exécution des Ordonnances des Intendans
& Commiffaires départis dans le Comté
de Bourgogne , concernant les plantations & le
commerce du tabac.
Par un troifiéme Arrêt du Confeil d'Etat , le
Roi ordonne l'exécution de fa déclaration du zo
Décembre dernier , au fujet de la Monnoie de
Metz : voulant Sa Majefté , qu'à commencer
de l'année 1754 , le jugement du travail des
monnoies qui auront été ou feront faites en ladite
monnoie , foit fait & jugé en fa Cour des
monnoies de Paris ; qu'en conféquence les de
niers de boîte du travail fait en la Monnoie de
Metz pendant l'année 1754 , avec les regiftres
des délivrances qui en ont été faites , lefquels
zont été portés & remis en la Cour de Parlement
de Metz , en foient retirés en l'état qu'ils y ont été
portés , & remis par le Greffier dudit Parlement
ou autres dépofitaires .... pour être le tout envoyé
& remis au Greffe de la Cour des monnoies
de Paris .... à l'effet d'y être ledit travail
jugé en la maniere accoutumée pour les autres
monnoies.
Monfeigneur le Dauphin , Madame la Dau
AVRIL. 1755. 203
phine & Mefdames de France , allerent le 26 fe
promener au pavillon du Marquis de Lhopital ,
près la machine de Marly.
Un Négre âgé de dix fept ans , appartenant
M. Riviere , Confeiller au Parlement , fut baptifé
le 24 du mois de Février dans l'Eglife de
Saint Côme. Il a eu pour parrein M. le Normant
, Intendant des armées navales , & pour marreine
Mme la Riviere. La cérémonie a été faite
en préfence du Curé de la Paroiffe , par M. l'Abbé
Drouet , qui avoit inftruit le nouveau Caté
chumene.
L'Académie royale de Chirurgie avoit propofé
pour le prix de l'année 1754 le fujet fuivant :
l'amputation étant abfolument néceffaire dans les
plaies compliquées des fracas des os , principalement
lorfqu'elles font faites par armes à feu , déterminer
les cas où il faut faire l'opération fur le
champ , & ceux où il convient de la différer : & en
donner les raifons. Cette queftion paroît n'avoir
pas été bien entendue. Pour déterminer les cas
dont il s'agit , on doit avoir égard à la différence
des plaies , à l'efpéce des accidens , à la nature
de la partie offenſée , même au lieu où le bleffé
fe trouve. Il eft néceffaire auffi de confidérer
s'il peut ou non être tranfporté , fi l'on eft obligé
de le mener loin , & fi l'on a les moyens de faire
commodément le tranfport. L'Académie n'ayant
rien trouvé de tout cela dans les mémoires qu'on
lui a préfentés , a décidé que le même fujet feroit
propofé pour l'année 1756. Le prix fera double
, & l'auteur de la piece couronnée aura deux
médailles , chacune de cinq cens livres , ou une
médaille & la valeur de l'autre , à fon choix. Les
perfonnes qui ont déja compofé , pourront renvoyer
de nouveau leurs mémoires , après y avoir
fait les changemens convenables.
I vj
204 MERCURE DE FRANCE .
Le 2 Mars , M. le Comte d'Argenſon , Minif
tre & Secrétaire d'Etat , ayant le Département de
la guerre , préfenta à Monfeigneur le Duc de
Bourgogne , pour fes premieres armes , un fufil
conftruit fuivant la derniere Ordonnance pour
l'infanterie. Ce fufil , de la fabrique de Saint-
Etienne en Forez , n'a que deux pieds de long ,
& il eft regardé comme un chef- d'oeuvre en ce
genre pour le travail & la richeffe. Il a été fait
par ies ordres & fous les yeux de M. de Saint- Perieux
, Chevalier de l'Ordre de Saint Michel , &
Directeur de ladite fabrique . Monfeigneur le Duc
de Bourgogne , qui marque un goût décidé pour
les armes , a été très- fatisfait de ce préfent. 44
Le Roi a difpofé de l'Abbaye de Saint Jean de
Laon en faveur de l'Ecole royale militaire , pour
être unie à cet établiffement , & les revenus employés
à la defferte de la Chapelle & à l'entretien
des Prêtres & des Soeurs de la Charité , qui
ferviront dans l'Ecole militaire .
Sa Majefté a accordé l'Abbaye Réguliere &
élective de Lieffies , Ordre de Saint Benoît , Diocefe
de Cambrai , à Dom Lhomme , Religieux
de cette Abbaye ; le Prieuré Conventuel & électif
du Deffens , Ordre de Grandmont , Diocèfe
d'Agen , à M. Malaret , Prêtre du Diocèfe de
Toulouſe ; & le Prieuré de Chatenet , Ordre de
Saint- Benoît , Diocèſe de Limoges , à la Dame de
Brie de Soumagnac , Religieufe du même Ordre.
Le Roi a accordé l'Abbaye Réguliere de Sept-
Fonts , Ordre de Citeaux , Diocèse d'Autun , à
Dom Alpheran , Religieux de cette Abbaye ; &
le Prieuré de Saint - Sever , Diocefe de Bourges ,
à M. Teftard , Curé du même Dioceſe.
Les Religieux de la Charité célébrerent le 8
Mars , avec beaucoup de folemnité , la fête de S.
AVRIL.
1755. 205
Jean - de-Dieu , fondateur de leur Ordre. Le Nonce
du Pape y officia pontificalement. Après le
Sermon , l'on fit la proceffion , & le Nonce donna
la bénédiction du Saint Sacrement dans les falles
des Malades. Elles étoient ornées de riches
tapifferies de velours & des Gobelins , & éclairées
par plus de deux cens luftres . Un grand nombre
de Seigneurs & de Dames de la premiere diftinction
ont contribué à la dépenfe de cette fête ,
& y ont affifté , ainfi qu'au fouper des malades.
Tout le monde a adıniré l'ordre , la propreté & la
charité qui regnent dans ce célebre hôpital.
Monfeigneur le Dauphin a pris pendant trois
jours les eaux de Vichi .
La Marquife de Bournelle fut préfentée le à
leurs Majeftés & à la Famille royale par la Ducheffe
de Brancas .
Le 12 , le Comte d'Ayen , à qui le Roi vient
d'accorder un brevet d'honneurs , remercia Sa
Majefté.
Sa Majefté , toujours occupée du progrès des
fciences & des arts qui peuvent contribuer au bien
public , & voulant marquer aux Démonſtrateurs
royaux en Chirurgie , établis à Paris , la fatisfaction
qu'elle a de leurs travaux, a augmenté de cent
piftoles les appointemens de chacun des cinq anciens.
Le 4 Mars , à trois heures du matin , la Maiſon
Conventuelle de l'Abbaye de Sellieres , Ordre de
Citeaux , Dioceſe de Troyes , écroula jufqu'aux
fondemens . Les Religieux & les domeftiques auroient
été enfevelis fous les ruines, fans les prompts
fecours qu'on leur apporta.
Par un édit enregiftré le 12 de ce mois au Parlement
, le Roi fupprime les Offices de Lieutenans
Généraux d'épée , de Chevaliers d'honneur & de
206 MERCURE DE FRANCE.
Confeillers honoraires , établis dans les Préfi
diaux , Bailliages , Sénéchauffées , & autres Jurif
dictions inférieures , reffortiffantes nuement aux
Parlemens.
L'Evêque de Gap fut facré le 16 , dans l'Eglife
des Religieufes de Conflans , par l'Archevêque
de l'aris , affifté des Evêques de Séez & de Saint-
Omer.
La Comteffe le Danois fut préfentée le 16 à
Jeurs Majeftés & à la Famille royale.
Le 17 , les Ducs de Rochechouart , de Fitz -James
, d'Harcourt , d'Antin & de Valentinois , prirent
féance au Parlement , en qualité de Pairs de
France.
Le 20 , les actions de la Compagnie des Indes
étoient à dix -fept cens trente livres . Les billets de
la premiere lotterie royale & ceux de la feconde
lotterie n'avoient point de prix fixe.
A Rouen , le 18 Mars 1755.
Monfieur, j'ai lú dans le Mercure de ce mois les remarques que vous y avez inférées au
fujet de la lotterie de Bruxelles. Il auroit été à
fouhaiter que l'auteur , en faifant connoître le
piege auquel on s'eft livré , eût prévenu celui auquel
on peut être de nouveau expofé .
On defireroit pour cela que l'auteur de ces re
marques inftruisît de ce qui fuit.
1. Pourquoi les billets de cette lotterie n'ontils
pas eu un prix fixe , ( s'en étant délivré depuis
vingt-fix jufqu'à vingt- huit livres ? )
2°. Quelle eft la différence de l'argent courant
de Brabant à l'argent de change
3º. Si l'évaluation des billets n'auroit pas dû
AVRIL. 175.5. 207
être faitee fur la parité des monnoies de Brabant
fur France ; en tout cas la jufte valeur deſdits billets
?
4°. Si les lots ne doivent pas être payés argent
Courant , pareillement fur la parité , fans aucune
déduction en France par les Collecteurs
Je me fate , Monfieur , qu'en ma confidération
vous voudrez bien inférer la préfente dans
votre Mercure prochain , fans faute : c'eft ce qu'a
lieu d'efperer celui qui à l'honneur d'être , & c.
L'Intérêt public.
REPONSE.
Les quatre queftions de l'intérêt public font
étrangeres au plan de la lotterie , & par conféquent
aux remarques qu'on y a faites. "Le plan &
les remarques dépendent de différentes combinaifons
pures & fimples , & les remarques étoient les
mêmes pour Bruxelles que pour Paris , au lieu
que les réponſes que l'intérêt public demande ,
dépendent de la connoiffance actuelle du change.
qui varie felon les tems & les lieux ; c'eft une
affaire de banque & de change ; ainfi , après les
tirages ceux qui auront des lots à retirer
s'adrefferont à quelque Banquier , Maîtres ou
Agens de change , qui leur diront ce qui leur
revient. Quant à ce que les billets de cette lotterie
fe font vendus 26 , 27 & 28 livres , cela peut
venir , ou du ridicule empreffement avec lequel
on y couroit , ou du peu de fidélité de la part de
ceux qui les livroient , & de ce qu'on ne fçavoir
pas quel étoit le rapport entre les monnoies.
L'auteur des remarques n'a eu & n'a dû avoir
en vue que de faire voir qu'on dupoit le public
>
208 MERCURE DE FRANCE .
& ce qui doit fûrement le fâcher , c'eſt de n'avoir
pas vú le plan de la lotterie deux mois plutôt
, il y auroit eu fans doute bien moins de
billets diftribués dans Paris . Mais fi ces remarques
n'ont pas eu dans cette occaſion tout l'effet
qu'elles auroient vraisemblablement eu fi on les
avoit connues plutôt , il faut efperer qu'elles mettront
en garde contre celles qu'on pourroit nous
envoyer l'avenir.
MORT S.
Na mis dans le Mercure de Mars , à l'arti-
ONe amis dans leMerruler au lieu de Dame
Jeanne -Lazare Thiroux , époufe de Michel Larcher
, Marquis d'Arcy , Confeiller du Roi en fes
Confeils , Maître des Requêtes ordinaire de fon
Hôtel.
Françoife Ofmond , Marquife d'Oſmond , eft
morte dans fes terres de Normandie le 14 Février
1755 , âgée de quatre- vingt - deux ans & fix mois .
Elle étoit veuve depuis le is Août 1731 , de Henri
Ofmond , Marquis d'Ofmond , fon coufin germain
, Chevalier de l'Ordre royal & militaire de
S. Louis , Maréchal des camps & armées de Sa Majefté
, dont elle laiffe cinq enfans ; fçavoir , Jean
Ofmond , Marquis d'Ofmond , Chevalier de l'Ordre
royal & militaire de S. Louis , à qui le Roi
vient d'accorder le gouvernement de la ville d'Argentan.
}
Euftache Ofmond , Chevalier de l'Ordre de S.
Jean de Jerufalem .
Louiſe-Aimée Ofmond , mariée au Comte de
Sainte-Croix .
AVRIL 1755 1 209
Charlotte -Françoife , mariée au Baron de Perrochel.
Et Marie- Cecile , reçue au Chapitre de Remiremont
en 1750.
La maison d'Ofmond eft une des plus illuftrée
& des plus ancienne de la province de Normandie,
où elle paroît avec éclat dès fon établiſſement
dont les Hiftoriens placent l'époque vers l'an
900 , tems où Charles le Simple céda la Neuftrie
à Raoul , premier Duc de Normandie , qui avoit
un Ofmond pour un de fes Généraux.
Mezerai , Dumoulin , Manneville , & autres
Hiftoriens, rapportent que vers l'an 944 , Guillaume
, fecond Duc de Normandie , ayant été affaffiné
, les Etats de la province nommerent pour
Gouverneur du jeune Duc Richard , Rainophle Of
mond , Seigneur de Centeville , dont le fils époufa
l'an, 990 la niece dudit Richard.
Don Michel Félibien , dans fon hiftoire de l'Ab
baye de S. Denis , page 211 , fait mention d'une
chartre du Duc Richard , en date du 18 Mars 968,
fignée de Hugues , Duc des François ; de Richard,
Duc de Normandie ; de Hugues , Archevêque de
Rouen , & de Rainophle Ofmond.
Pierre Giannoné , dans fon hiftoire de Naples ;
tome fecond , page 10 & fuivantes , rapporte que
Dringot Olmond paffa en Italie vers l'an 1015 ,
avec quatre de fes freres nommés , Rainophle , Afclittin
, Rodolphe , Ofmond , accompagnés d'une
troupe de Normands , qu'ils furent fort bien recus
des Princes de Salerne & de Benevent , à qui ils
rendirent de grands fervices dans la guèrre que
ces Princes avoient contre les Sarrafins.
Peu de tems après , Rainophle Ofmond fonda la
ville d'Averfe , & en prit le titre de Comte . Afclittin
lui fuccéda , & fon fils Richard s'empara de
210 MERCURE DE FRANCE.
la Principauté de Capoue , dont fes defcendans ont
joui pendant plus d'un fiécle.
Plufieurs Hiftoriens font encore mention d'un
Ofmond , Seigneur de Guepré , qui fut tué l'an .
1088 , au fiége du château de Balon , que faifoit
en perfonne le Duc Robert , qui fit apporter le
corps dudit Ofmond dans l'Abbaye de S. Evroult
où il lui fit élever un tombeau qui fubfifte encore.
On voit un autre Ofmond qui affifta de fes ar
mes Louis le Gros à la bataille de Brenneville , qui
fe donna l'an 1119.
•
L'hiftoire chronique de Normandie , imprimée
à Rouen , parle d'un Ofmond , Seigneur du Pont
qui combattit toujours aux côtés du Duc Guillau
me dans la bataille qu'il donna en arrivant en Angleterre
, contre Harald qui lui diſputoit la Couronne.
Il y a un livre imprimé en Angleterre , fous le
titre de Monafterium Anglicanum , qui traite de
toutes les Eglifes d'Angleterre & de Normandie
: au feuillet 1 10 il parle d'un Oſmond , Evêque
de Saliſbury.
Enfin , dans le catalogue des Seigneurs renommés
en Normandie , depuis Raoul jufqu'en l'an
1212 , que ledit catalogue fut fait par l'ordre de
Philippe Augufte , qui conquit le Duché de Normandie
, l'on voit plufieurs Seigneurs Ofmond
qui fe font fignalés ; & depuis ce tems là qu'ils
produisent leur filiation , par contrats de mariages
& autres titres jufqu'à ce moment ici , l'on remar
que qu'ils ont occupé des charges confidérables
dans le militaire , & qu'ils ne fe font jamais mef
alliés , ayant pris des alliances dans les meilleures
Maifons , comme dans celles de Bouquetor , de
Franqueville , de Bures ,de Tournebut , de Dreux
de Ronferolles , de Sabrevois , de Hautemer ,. de
AVRIL. 1755. 211
Clinchamp , de Tillieres , de Rouxel de Medavi ,
& de Laval- Montmorenci.
Le 18 Février , eft mort à l'Hôtel royal des Invalides
, Meffire Charles de Hallebout , Chevalier
, Seigneur de Blondemare , âgé de foixantefeize
ans , qui laiffe par la mort, à Marc-Antoine
de Hallebout , fon neveu , Colonel d'infanterie ,
commandant le fecond bataillon du Régiment de
la Tour-Dupin , fa terre poffédée par leurs aïeuls
depuis plus de trois cens ans : il étoit le chef de
cette ancienne famille , dont Michel , le huitiéme
aïeul , a mérité de Charles VII une récompenfe
que poffede encore Marc-Antoine de Hallebout.
Ce dernier n'a de Marie de Hallebout fa femme ,
qu'un fils , Capitaine au même Régiment , dont
le grand- pere , Charles de Hallebout de Tourville ,
a été Commandant de Bataillon jufqu'en 1734.
Le Mars , mourut à Verſailles , M. Otho ,
Exempt-vétérant des Gardes de la P évôté de
l'Hôtel , grande Prévôté de France , âgé de quatievingt-
quatorze ans ; il étoit né le premier Novembre
1661 , le même jour que Monfeigneur le
Grand Dauphin , fils de Louis XIV.
A VIS.
Lafie deleurs &
E fieur Maille , Vinaigrier -Diftillateur ordinaire
de leurs Majeftés Impériales , & le feul
pour la compofition des vinaigres de propriété ,
donne avis qu'il continue avec fuccès la vente du
vinaigre de turbie , pour la guérifon du mal de
dent , & celle du vinaigre romain , qui les blanchit
parfaitement , raffermit les gencives , arrête les
progrès de la carie, prévient l'haleine forte , & guérit
les petits chancres & ulceres de la bouche. Les
212 MERCURE DE FRANCE..
heureux effets qu'il opere tous les jours , prouvent
que c'eft la compofition la plus parfaite qui fe
foit trouvée jufqu'à préfent pour la confervation
de la bouche . Ledit Sieur vend avec le même fuccès
différens vinaigres fervant à ôter les taches
de rouffeur , boutons , dartres farineufes , blanchir
la peau , & noircir les cheveux & fourcils
roux ou blancs ; & généralement toutes fortes
de vinaigres pour la table , les bains & toilettes ,
au nombre de cent cinquante- fix fortes ; comme
auffi toutes fortes de fruits confits au vinaigre , &
différentes moutardes qui ont la qualité de pouvoir
fe conferver deux ans avec la même bonté.
Les perfonnes de province qui defireront fe procurer
les vinaigres pour les dents ou pour le vi
fage ; les moindres bouteilles font de trois livres.
En écrivant une lettre d'avis audit fieur , & remettant
l'argent par la pofte , le tout affranchi de
port , on enverra les vinaigres qu'ils demanderont
très-exactement , avec la façon de s'en fervir.
Il demeure à Paris , rue de l'Hirondelle , aux Armes
Impériales.
AP PROBATION.
' Ai lû , par ordre de Monfeigneur le Chance-
• >
trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion . A Paris
, ce 28 Mars 1755.
GUIROY.
AVRIL. · 1755.
213
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE .
Pître à M. Defmahis , p
Réflexions fur le goût ,
Les progrès de la Mufique Françoife , Cantatille, 14
Elexions
par M. ***
page f
8
16
17
23
27
Vers à Iris ,
Dialogue entre Epicure & Sardanapale ,
Epitre à M. de Saint- Auban ,
Ode fur la mort de M. de Montefquieu ,
Fragment d'un Ouvrage de M. de Marivaux , 31
Epître à M. de Châteaubrun ,
L'Avare & l'Indigent , Conte moral ,
45
47
Mots des Enigmes & Logogryphes du Mercure de
Mars ,
Enigmes & Logogryphes ,
Chanfon ,
48
49
54
ART. II. NOUVELLES LITTERAIRES.
Extraits , Précis ou Indications des Livres nou
veaux ,
ss
Séance publique de la Société royale de Nanci , 92
ART. III . SCIENCES ET BELLES-LETTRES.
Phyfique. Lettre à M. * *** ΙΟΙ
Lettre de M. le P. H. à M. l'Abbé V. III
Réponse de M. l'Abbé V. à M. le P. H. 118
Géométrie. Lettre à Mlle L. A. Le Mire , 130
Réponse de M. Liger à l'affiche de M. le Chevalier
de Caufans , 131
Métallurgie. Lettre à M. * * *
Séances publiques de la Société Lit. d'Arras , 136
134
214
Lettre écrite de Beley, fur le College ;
ART. IV . BEAUX ARTS.
147.
Peinture. Vers pour être mis au bas du portrait de
M. Boucher , deffiné par M. Cochin ,
Gravure ,
Mufique ,
153
ibid.
158
Clavecin oculaire , Lettre de M. Rondet , &c. 160
Médailles. Deviles pour les Jettons du premier
Janvier 1755 ,
163
Architecture , 167
Manufactures ,
175
ART. V. SPECTACL
Opéra ,
177
Comédie Françoife ,
ibid.
Comédie Italienne , 179
Extrait de Ninette à la Cour , 180
Opéra Comique , 193
Spectacle de M. Servandoni , ibid.
Concerts Spirituels ,
194
ARTICLE VI.
Nouvelles étrangeres ,
197
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c .
Lettre de l'Intérêt public , & Réponse à cette Let-
201
tre >
Morts ,
Avis ,
206
208
211
6
La Chanson notée doit regarder la page 54
Les Médailles doivent fe mettre entre les pages 164
& 165.
De l'Imprimerie de Ch. A. JoMBERT.
1
MERCURE
DE FRANCE,
DÉDIÉ AU ROI.
MAI. 2755.
SOLEQUE
Diverfité, c'eft ma devife. La Fontaine
*
LYON
DE
JELA
VILLE
Chez
Cochin
Filiusinve
PapillonSculp 1718.
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JEAN DE NULLY , au Palais.
PISSOT quai de Conti.
LAMBERT , rue de la Comédie.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
Avec Approbation & Privilege du Roi.
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eſt chez M.
LUTTON , Avocat , & Greffier-Commis
au Greffe Civil du Parlement , Commis du
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne ,
Butte Saint Roch , entre deux Selliers.
C'est à lui qu'on prie d'adreffer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre ,
quant à la partie littéraire , à M. de Boiſſy
Auteur du Mercure.
Le prix eft de 30 fols , & l'on payera
d'avance , en s'abonnant , 21 livres pour
l'année , à raifon de quatorze volumes. Les
volumes d'extraordinaire feront également de
30 fols , fe payeront avec l'année qui les
Suivra.
Les perfonnes de province auxquelles on
Fenvoyera par la pofte , payeront 3x livres
10 fols d'avance en s'abonnant , & elles le
recevront franc de port.
Celles qui auront des occafions pour le faire
venir , ou qui prendront les frais du port fur
leur compte , ne payeront que 30 fols par
volume , & 21 livres d'avance , en s'abonnant
pour l'année , fans les extraordinaires.
Les Libraires des provinces on des pays
étrangers, qui voudront faire venir le Mer-
A ij
T
cure , écriront à l'adresse ci- deffus.
On Supplie les perfonnes des provinces d'envoyerpar
la poffe , enpayant le droit , le prix
de leur abonnement , ou de donner leurs ordres,
afin que lepayement en foit fait d'avance au
Bureau
Les paquets qui ne feront pas affranchis ,
refteront au rebut.
L'on trouvera toujours quelqu'un en état
de répondre chez le fieur Eutton ; & ik obfervera
de rester à fon Burean les Mardi ,
Mercredi & Jeudi de chaque ſemaine, aprèsmidi.
On peut feprocurer par la voie du Mercure
, les autres Journaux , les Livres qu'ils
annoncent , & tous autres généralement.
豆豆
www www. min
MERCURE
900
DE FRANCE .
MAI. 1755
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
A M. LE COMTE D'ARGENSON,
En lui préfentant un manuſcrit des médaillons
, fur les campagnes du Roi.
A qui pourrois-je mieux offrir
Çes vers , fruit du repos que vos foins ont fait
naître ?
Vous aimez les beaux arts , vous les faites fleurir ;
Vous les exerceriez en maître :
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Mais , pour notre bonheur , vous manquez de
loifir.
C'eft ainfi que Pallas , des arts qu'elle difpenfe ,
Prépare les nobles fuccès ;
Un feul de fes regards oft une récompenſe ;
Le génie , ou s'annonce , ou croît par fes bien-
1 faits :
Adoptez avec elle une autre reffemblance.
Quand Jupiter , du haut des Cieux ,
Renverfoit des Titans la redoutable engeance ;
La Victoire , à pas lents , rendoit le calme aux
"
Dieux.
Pallas , prit foin de leur vengeance ;
La Foudre entre fes mains fit connoître en tous
lieux ,
2. Et Jupiter , & fa puiffance. ,
L'ame des grands fuccès , des exploits glorieux ;
C'eft le confeil & la prudence.
{
MA I. 1755. 7
EPITRE A ZÉLID E.
PAR M. RENOUT.
Notre bonheur dépend de nous -mêmes.
Njour , Zélide , un feul inftant d'allarmes ;
jour ,
De vos attraits peut ravir la fraîcheur ;
C'eft un poifon : l'on ne voit point les charmes
Croître & fleurir au fein de la douleur.
Suivez les ris , la beauté fuit leurs traces ,
Elle languit fans le feu des defirs ;
C'est l'enjoument qui fait naître les graces ;
Animez -les par la voix des plaifirs.
Dans vos tifons , que la flamme confume,
De votre fort vous lifez l'avenir ? .....
Hé quoi des feux qu'un tendre amour allume ,
Retracez-vous le charmant fouvenir.
Quand les frimats femblent vieillir la terre
Pourquoi penfer au nombre de vos ans ?
Songez plutôt que la neige refferre ,
Couve & nourrit les germes du printems.
Fuyez les bois dépouillés de verdure ,
Prenez le beau de toutes les faifons ,
Voyez nos champs reprendre leur parure
Nous annonçer de nouvelles moiffons.
D'un grand danger la fievre vous menace ...
A iv
8
MERCURE DE FRANCE.
Dans l'opiat qui coule en votre ſein ,
Voyez toujours un remede efficace ;
Un ferme efpoir vaut prefque un médecin.
> Si vous vivez d'un petit héritage
C'en eft affez : qui peut tenter vos voeux ?
Promenez - vous fur le riche appanage
De vos voisins ; c'eft en jouir comme eux.
Contens du fort où nous avons pris Pêtre ,
Des vains defirs évitons le tourment ;
D'un fatisfait , mille autres vont renaître ,
Et l'abondance en devient Paliment.
Par les plaifirs qu'un fpectacle raffemble ,
Dites , c'eft moi qu'on veut feule amufer ;
Vous en goutez autant que tous enſemble;
Tout appartient à qui fçait s'abufer.
N'écoutez pas une folle triftefle
Qui peut ravir le repos fans retour ;
Songez , hélas ! que le trait qui vous blefle
Va par fon poids s'enfoncer chaque jour..
Non , il n'eft point de malheur véritable ,
Nous voyons tout par les yeux de l'erreur ;
Et tout peut prendre une face agréable ,
L'homme fait feul fa peine ou fon bonheur.
C'eft fe voler l'inftant où l'on s'ennuie ..
En vous traçant l'art charmant de jouir ,
Voilà déja deux heures de ma vie
Que je confacre aux attraits du plaifir.
MAI.
517553
9
Bientôt après votre flateufe image
Peut à mon coeur offrir d'autres appas :
Il eft des biens qu'un rêve nous ménage ,
Il fait jouir de ceux que l'on n'a pas.
Pour être heureux , la plus fûre fcience...
Eft de fçavoir ennivrer la raiſon.
La vérité fert bien moins qu'on ne penfe ;
On doit fouvent tout à l'illufion.
ANNONCES ,
AFFICHES
ET AKIS
DIVERS.
4
PREMIERE FEUILLE PERIO DI QUE,
-Biens Seigneuriaux à vendre & à louer.
Lufieurs femmes de qualité
propofent
Plufieurs
ris , des fantaiſies , que le public promet
de recevoir comme des ridicules de la
des
dernieres . ! rang
弹
part
Quatre femmes du bon ton promet→
tent d'aller avec pareil nombre de femmes
de la haute
bourgeoifie à l'opéra , en
grande loge , à condition qu'elles trouveront
au retour grand fouper , concect
Italien , & qu'elles prieront les hommes.
¿ Plufieurs jeunes
Seigneurs offrent à quels
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
ques riches particuliers d'aller avec eux
en cabriolet , & de leur ferrer la main en
plein théatre , à condition que ces derniers
prêteront de l'argent aux autres , &
voudront bien fervir de peres à de jeunes
orphelines , dont le fort eft tout -à- fait touchant..
Un vieux gentilhomme
qui autrefois
a poffédé une très -belle terre , & qui n'a
perpour
tout défaut que d'être ruiné &
clus , cherche une fille de fortune qui ait
feulement cent mille livres de rente & de
la figure.
Plufieurs perfonnes de qualité des deux
fexes enfeignent l'art de parler fans rien
dire , & de rendre frivoles les chofes du
monde les plus férieufes , on en fera quitde
raifon par tête .
te pour un peu
Biens en roture à vendre & à louer.
On trouve chez plufieurs femmes de la
haute bourgeoisie
un grand nombre de ridicules
, provenant des femmes de qualité
; mais on craint que les premieres : ne
les gardent.
Les gens d'une certaine façon trouveront
tous les Dimanches un très-grand dîner
dans plufieurs bonnes maifons des
rues Saint Denis , Saint Martin & autres ; .
MA I. 1755. II
on y chantera des airs de Lully : les Demoifelles
joueront du clavecin , fi elles en
fçavent jouer , & les petits enfans récite-
- ront une fable de La Fontaine. On demande
que les convives aient une charge ,
ou du moins un carroffe à un cheval.
"
Quelques petits particuliers propofent
de troquer la fortune de leurs peres contre
un grand chapeau à plumet , afin d'être
des hommes de condition .
Maifons & emplacemens à vendre & à louer .
Plufieurs loges à la foire Saint Germain
,
propres
à montrer les bêtes fingulieres
qui fe trouvent à Paris.
Plufieurs petites maiſons dans les Faubourgs
de Paris , occupées ci - devant par
des jeunes gens qui fe font retirés du monde
pour penfer à leur fanté.
Un grand nombre d'appartemens aux
Petites-Maiſons , très-propres à loger les
gens à projets , à fyftêmes , & c.
Un grand emplacement au midi propre
bâtir un mur pour placer les nouvelliftes
du petit Collége.
Charges & offices à vendre.
Office d'un homme à la mode à vendre
pour un ridicule. Myli ang sa
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
•
Plufieurs charges lucratives que le luxe
promet de rendre honorables , à vendre
au poids de l'or.
Offices de flateur à vendre .
Office d'honnête homme à donner.
Charge de courtisan à vendre pour un
billet de lotterie.
Charge de plaifant à troquer contre
l'ennemi...
Charge de bel-efprit à vendre pour un
peu de fumée.
Il y a plufieurs charges de vrais amis à
vendre ; mais l'on ne trouve point d'acquereurs
, attendu les defagrémens qu'entraîne
une telle emplette.
Avis divers.
On avertit ceux qui voudront des ridicules
, qu'ils en trouveront à choifir chez
les perfonnes à la mode des deux fexes.
On avertit les femmes qui ont paffe un
certain âge , de ne plus mettre de fleurs
dans leurs cheveux ; & de grandir infenfiblement
leurs bonnets. On les prie de
mettre deux gros de bon efprit à la place
des fleurs . On avertit les maris d'être polis
& complaifans chez eux.
On avertit les bonnes bourgeoifes de
ne pas négliger leur ménage pour don
M A I. 1755. 13
f
ner des bals & des concerts , & de retrancher
les vis-à-vis , les culs-de- finges ,
&c.
On avertit les jeunes gens de s'occuper
à lire le matin , plutôt que de courir les
rues fans projet. On les prie , quand ils
fortiront en froc & en manchon de loup ,
d'avoir au moins une chemife blanche.
On prie les enfans de Paris de laiffer ce
ridicule aux gens de qualité.
On recommande aux perfonnes qui ont
la manie de fe croire bonne compagnie
d'apprendre au moins à parler François.
On avertit les femmes qui ont de l'efprit
& de l'ufage , de former nos jeunes
gens , au lieu d'applaudir à leurs ridicules
On avertit les hommes en général d'étudier
au moins deux heures par ſemaine ,
afin de ne pas oublier à lire.
On avertit ceux qui font des livres de
vers , de la mufique , des tableaux pour
leur plaifir , d'en faire auffi pour celui des
autres , ou de cacher leurs talens . On
avertit les jeunes gens dont l'état demande
une certaine gravité , d'avoir des chevaux
moins brillans , & un mérite plus folide.
On avertit les jeunes gens de raccourcir
leurs tailles , & de chauffer leurs talons.
Il y a un défi entre les femmes de la
cour & celles de la ville , à qui aura les
14 MERCURE DE FRANCE.
plus belles
parures
& les plus beaux
équi
pages
; on attend
l'événement
. Plufieurs
petits
particuliers
avertiffent
qu'ils protegent
depuis
midi jufqu'à
leur coucher
. On avertit
les fçavans
en tout genre
, d'être ce qu'on appelle
à leur place. Nous
aver- tiffons
les hommes
en général
de ne pas fe croire
fuperieurs
aux femmes
, s'ils ne le
font réellement
. On avertit
les femmes
,
malgré
ce qu'en
dit Moliere
, de lire de bons livres , afin de faire de bonnes
réfle- xions ; on les prie de croire qu'elles
font propres
à autre chofe
qu'à être jolies. On avertit
les jeunes
femmes
de moins
danfer & de dormir
davantage
. On avertit
les jeunes
gens d'attendre
au moins
à quarante
ans pour être des vieillards
.
. On a découvert un mari & une femme
qui s'aiment & s'eftiment depuis huit
ans ; on nous promet une differtation fur
ce prodige.
Demandes particulieres.
Un homme de qualité demande le moyen
de bannir l'ennui. Une femme de la cour
demande s'il eft vrai qu'il y ait eu des
mariages d'inclination . Une femme de qualité
demande une fille de compagnie , qui
fçache louer. Un vieillard cherche une
M. A I. 1755. 15
jeune fille qui foit amoureufe de lui ; il
lui donnera un état , des diamans , & lui
racontera tous les foirs l'hiftoire de fa jeuneffe.
Plufieurs bons bourgeois demandent
un fecret pour empêcher leurs femmes de
fe donner en fpectacle.
...Un
Un homme qui n'a pas le bon ton de
-mande, un maître à penfer pour fes enfans
, & promet de le payer autant qu'un
maître à danſer.
Plufieurs femmes demandent qu'il leur
foit permis de penfer auffi bien que les
hommes , & quelquefois mieux.
7 Un certain nombre de maris demandent
la permiffion d'aimer leurs femmes , fans
pour cela devenir ridicules. On prie les
jeunes gens à la mode de ne pas déchirer la
réputation des femmes ; on avertit cellesci
de n'y pas donner fujet.
Un homme fans fortune demande la
permiffion de fe trouver heureux. Un milionnaire
demande s'il eft vrai qu'on puifle
l'être.
Spectacles.
Il y aura cet été fur le Boulevard deux
mille cabriolets , autant de diables & de
culs- de- finges . Tous les petits- maîtres des
deux fexes , plufieurs convalefcens , beaucoup
de nourrices , les arrofaires de M.
16 MERCURE DE FRANCE. /
Outrequin , & quelques dévotes pour
critiquer le tout.
On y verra la nuit des femmes en perites
robes , & des maris avec une mine allongée.
Toutes les femmes qui ne fe piquent
pas de taille , refteront dans leurs
voitures , faifant des noeuds & des révérences
plus ou moins profondes , relativement
à la qualité des gens falués.
Mariages.
Il s'eft fait plufieurs marchés auxquels
on a donné le nom de mariages.
Une dévote s'eft mariée pour faire le
falut d'un homme beau & bienfait.
Une jeune fille vient d'époufer une
charge.
Un jeune homme s'eft marié à un coffrefort.
Un vieillard vient d'époufer un joli vifage.
Un homme fingulier s'eft marié pour
lui.
Enterremen's.
Un fot eft mort pour s'être connu .
Un bel efprit pour avoir entendu fiffler
vis - à- vis de fon cabinet.
Un écuyer eft mort d'une chûte de
cheval.
MAL 1755•
17
Un maître-d'armes d'un coup d'épée,
Un millionnaire eft mort de faim.
Un indigent d'indigeſtion.
Cours de changes & effets commerçables:
Depuis quelque tems la vertu , les bonnes
moeurs perdent beaucoup fur la place.
L'ambition & le luxe font dans la plus
grande valeur.
Le bel efprit eft à cent pour dix.
Le bon efprit à dix pour cent.
Changes.
L'honneur
Le bonheur
pour
l'or.
pour l'opinion.
Les
graces
L'efprit
pour les minauderies.
pour le jargon.
Le jugement pour l'efprit.
Le goût pour la mode.
La volupté pour la débauche.
Les plaifirs pour les vices.
Nous efperions de donner la continuation
de ces feuilles , mais on nous affure
que les ridicules & les vices vont devenir
firares à Paris qu'il nous feroit impoffible
de trouver dequoi remplir notre projet.
78 MERCURE DE FRANCE.
STANCES A MLLE ***
DEE zéphir l'haleine légere
Tempéroit les âpres chaleurs ;
Je m'amufois dans un parterre
A cueillir différentes fleurs.
Non loin étoit un lieu fauvage
Qu'un ruiffeau rendoit toujours frais ,
Et que plufieurs mýrtes épais
Couronnoient de leur verd feuillage.
P'approche , Iris , de cès boſquets ;
J'y vois le Dieu de la tendreffe
Qui , pour adoucir ma rudeffe ,
Aiguifoit méchamment les traits.
En vain , lui dis-je , de mon ame
Tu veux troubler la liberté ;
Une infenfible oifiveté
Vaut mieux que la plus vivė flamme.
M A I. 1755. 19
J'ai fçu , répond- il , tour -à-tour
Sur les Dieux gagner la victoire
Quel mortel ne mettroit fa gloire
A fentir les feux de l'amour ?
Ne fuis point un cher esclavage ;
Aime , mais tâche d'être aimé
De l'objet qui t'aura charmé ;
C'eft la fageffe de ton âge.
溺
Eh ! pourquoi gêner fes defirs ?
Ce font les biens de la jeuneffe.
Hélas ! le froid de la vieilleffe
Détruit affez tôt vos plaifirs.
Rends les armes à la plus belle ,
A tes yeux j'en laiffe le choix ;
Si tu la fléchis une fois ,
Ne lui deviens pas infidele.
Vous venez , Iris , dans ces lieux ;
Je vous vois , je rougis , foupire.
Je fens trop pour pouvoir rien dire ;
Mon trouble découvre mes feux.
20 MERCURE DE FRANCE.
N'allez point , par un air fevere ,
Me témoigner votre courroux ;
Notre bonhear dépend de vous ?
Voyez fi vous voulez le faire .
11. A
*
Exaucez aujourd'hui mes voeux !
Ce n'eft que pour les inhumaines
Que l'amour réferve fes peines .
Etre tendre , c'est être heureux.
Vons joignez le double avantage
De l'efprit & de la beauté ;
Et vous pourriez par la fierté
Ternir un fi rare aflemblage.
Cedez , & ne mépriſez pas
De mon coeur le fincere hommages
Si vous craignez qu'il foit volage ,
Ofez confulter vos appas.
Ad .... D'Arp ...
MAL M A L 番茄$735.
LA FORTUNE ET L'ESPERANCE.
FABLE ALLEGORIQUE.
TRop avides d'un fort heureux ,
L'Efpérance a toujours nos foupirs & nos voeux,
Loin d'affranchir nos coeurs de cette ardeur com-
1
mune ,
Tous les trésors de la Fortune
Ne font qu'en irriter les feux,
Sans interroger la chronique ,
Sur cette vérité tous les yeux font ouverts ;
Un apologue allégorique
En offre un exemple en ces vers ...
La Fortune avec l'Espérance
Se difputoient l'honneur de régir l'univers ;
Et pour finir la concurrence ,
Vouloient , en arbitres experts !
Juger de leur propre excellence...
Qu'oppofez -vous à mes bienfaits ,
Dit la Fortune à fa rivale ş
Depuis la rive orientale
Jufqu'aux bords où le jour précipite fes traits ,
On refpire pour mes attraits .
Je ne puis dévorer le dépit qui m'excede ;
Je fuis laffe de voir Prélat & Conquérant ,
22 MERCURE DE FRANCE,
Jufqu'au plus ignoble bipede ,
Me fufciter un différend.
11 fuffit qu'un mortel , en fa vaine cervelle ,
Raifonne en téméraire , & s'égare en projets ;
Vous fafcinez fes yeux d'une couleur fi belle ,
Qu'il s'épuife en efforts fans regle ni fuccès.
Vous faites la bévûe , il en a les regrets ;
Et moi j'effuie une querelle.
C'est trop d'impertinens procès.
Peut- être qu'à fes yeux votre audace s'exerce :
Mais pour regner , en vous fuyant ,
Je romps avec vous tout commerce.
C'eft un mauvais expédient ,
Dit l'Espérance , en fouriant .
Ma voix , dans tous les coeurs , fait germer le
courage :
Les hommes font émus à mes confeils flatteurs ;
Un feul de mes regards les charme & les engage.
De l'infortune enfin j'appaiſe les douleurs
Par un enchantement durable.
Je me fers à propos d'un peu d'illuſion.
A travers un prifme agréable ,
Je préſente un attrait à chaque paffion,
Par une vive enluminure
Je déguiſe le naturel ;
Et dans une aimable impoſture
Je leur forme un plaifir réel,
Admirez le roſeau fragile ,
MAI 1755. 23
Qui brave la tempête , & demeure immobile :
Le mortel inconnu , fans état , fans amis ,
N'ayant pour tout tréfor qu'un mérite ſtérile ;
A mes loix fon efprit docile ,
A toutes vos rigueurs n'eft point encor foumis ;
Digérant fa diſgrace avec une ame fiere ,
Ce nouvel Epictete affis dans la pouffiere ,
Envifage un bonheur qu'il efpere obtenir ;
Et tout chargé de ſa miſere , ·
Savourant la douceur d'une gloire à venir
A d'immortels honneurs croit déja parvenir ,
Et fourit à cette chimere.
Tant pis , dit la Fortune , il ſourit à ſes maux :
Attendez que le tems lui marque vos défauts
Vous jouirez de ſa ſurpriſe ;
Et vous verrez , je le prédis ,
Le plus cher de vos favoris ,
Ennuyé du preſtige , abjurer fa mépriſe.
Eh , quoi ! rien d'effectif , & tout en fiction !.
L'eſpoir , fans la difcrétion ,
N'eft qu'une fievre qui confume ;
Et tous les feux folets de cette illufion
Ne valent pas en fomme un rayon de fortune,
Elle dit , & part à ces mots.
Loin d'une rivale importune ,
Elle étale fa pompe au féjour des héros,
Mais ces tréfors fans l'Espérance ,
N'avoient plus les mêmes attraits ,
Un courtisan dans l'opulence ,
24 MERCURE DE FRANCE .
Rêvait à fes deffeins au fond de fon palais :
C'eft moi , dit la Déeffe ; adorez mes bienfaits.
L'esclave fortuné faupire à la préſence :
Mais replongé dans le filence ,
Voyant borner le cours de fes vaſtes projets ,
Il ouvre fon coeur aux regrets ;
Ne refpirant qu'après la gloire ,
Ses rivaux abaiffés euffent fait la victoire ;
Un feul pas , difoit- il , alloit le rendre heureux.
Maisfur lui la Fortune épuifant fes largeſſes ,
Ne pouvoit fuffire à ſes voeux.
Le mépris la vengea de cet impérieux :
Auprès d'un autre ambitieux ,
Elle va perdre fes careffes.
Hélas ! un riche Abbé foupiroit de douleur
De vieillir au fond d'un Chapitre :
H brûloit , il féchoit , & fon humble candeur
Vouloit briller fous une mitre :
Il y préjugeoit fon bonheur.
Un partiſan bouffi , regorgeant de finance ,
Vouloit convertir Por en titrés de grandeur ;
Vifoit aux emplois d'importance :
Point de repos fans cet honneur.:
Un bourgeois rondelet , & tout fleuri d'aifance,
S'infinuoit à pas comptés
Dans le pourpris des dignités :
Sur la vigilance & l'adreffe ,
Dédaignant de fonder fes hautes qualités ,
Il vouloit pour fa gloire & pour les voluptés ,
Acquerir
M A I.
17558 25
'Acquerir àgrands frais un vernis de nobleffe.
Enfin , dans tout un peuple il n'en étoit pas un
Qui ne portât les yeux au- deffus de ſa ſphere :
Et la Fortune avoit beau faire ,
L'eſpoir étoit le Dieu.commun .
Pleine d'un trouble amer , & brûlant de ven
geance ,
La Fortune vers l'Espérance
Tourne fes pas précipités :
Triomphez , lui dit-elle , au milieu des cités ;
Qu'une foule de tributaires ,
D'adorateurs vifionnaires ,
Vous chériffent dès leur printems ,
Et devenus octogénaires ,
Vous confacrent encor les reftes de leurs ans ;
Peu m'importe : regnez trop heureuſe rivale ;
Je n'ai fait que des mécontens ;
J'ai prodigué les dons , vous recevez l'encens ;
Ma lâche complaifance à mes yeux me ravale.
Combien de fois , hélas ! propice aux voeux d'un
fat ,
L'ai-je fubitement environné d'éclat ?
Quel regret , ô Ciel ! me dévore !
Un traitant à mes yeux jouoit le potentat !
L'infecte m'oublioit & murmuroit
encore ,
Au moment que j'aidois à l'ingrate pécore
A s'engraiffer
de péculat .
Ah ! fi.... Mais à quoi bon , au gré de mon
caprice ,
B
26 MERCURE DE FRANCE.
Effrayer l'univers & m'en faire juſtice ?
Soit , reprit l'Espérance , armez votre pouvoir.
Mais l'immortalité borne la convoitiſe ,
Et malgré la fureur d'avoir ,
Le coeur prendra pour ſa deviſe ,
Moins defortune & plus d'eſpoir.
M. de la Tour , Peintre du Roi , ayant
fait préfent de fon portrait à M. l'Abbé
Mangenot , ce dernier a confacré fa reconnoiffance
par ce quatrain , qu'il a mis
au bas.
QUATRAIN.
Le célébre La Tour , l'ornement de notre âge ,
M'a donné fon portrait : j'en connois tout le
prix.
Pour les beaux arts , quel avantage
Si tous les grands talens careffoient les petits !
M. l'Abbé Mangenot parle trop modeftement
de ſes talens , ils font connus par
plufieurs pieces de poëfie très - agréables ;
le fentiment y regne autant que l'efprit.
* Ce portrait a été copié par le fieur Monjoye ,
fon éleve , d'après celui qui a été expofé au Lou
VIC .
MA I. 27 1755.
Il eft auteur d'une églogue charmante , qui
a été couronnée à Touloufe par l'Académie
des Jeux Floraux , & qu'on a fauſlement
attribuée à l'Abbé de Grécourt : elle
commence par cet hémiftiche , Sur la fin
d'un beau jour , & c.
SUR LES CONTES.
Es contes font un de ces petits ou
vrages
Lvrages d'agrément , où les modernes
ne doivent rien aux anciens ; on ne connoît
dans l'antiquité que peu de choſe de
ce genre là. C'eft aux Italiens à qui l'invention
en est dûe ; Boccace & le Pogge
en firent d'abord en profe ; l'Ariofte fut le
premier qui en mit en vers ceux de la
Reine de Navarre , de La Fontaine , &
de Vergier , font les meilleurs que nous
ayons dans notre langue. Des aventures
galantes , des féductions de filles encore
novices , des intrigues de moines & de
nones , des ftratagêmes plaifans pour
tromper la vigilance d'une mere , d'un jaloux
, d'une duegne ; ce font là les pivots
fur lefquels roulent tous ces contes ; un
ton libre & des images licentieufes en font
l'affaifonnement. Il faut regarder ces pc-
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
tits ouvrages comme des jeux d'une imagination
un peu libertine , qui ne peuvent
fe foutenir qu'à force de gaité , & une extrême
gaité ne va gueres avec une décence
trop exacte. Les Italiens y ont mis beaucoup
d'invention : la contrainte des femmes
dans leur pays , & l'ardeur du climat rendant
l'imagination des amans plus active
& plus fertile en expédiens , les aventures
fingulieres y font beaucoup plus communes
qu'ailleurs , & les faifeurs de contes
ont pû moiffonner en plein champ.
La Fontaine a pris des Italiens le fujet
de la plupart des liens , les autres fe trouvent
dans l'Heptameron de la Reine de
Navarre , dans Rabelais , & il n'y en a
que deux ou trois dont l'idée lui apparrienne
; mais il a une maniere de narrer
qui n'appartient qu'à lui , & c'eft là le
principal mérite de cette forte d'ouvrage :
quelque plaifans que foient les incidens
qui en font le fujet , ils deviendroient
bien infipides fi le récit en étoit froid &
languiffant. Il doit être vif , naturel &
faillant , il doit intéreffer , & perfonne:
n'a porté ce talent plus loin que La Fontaine
: cet homme dont le goût fi fûr pa-.
roiffoit n'être en lui qu'un tact fin & délicat
, & qu'un infinct admirable plutôt
qu'un fentiment éclairé & refléchi , a fçu
ΜΑΙ. 1755. 29
, peu
réunir dans fes contes les graces , la fineffe
, & la naïveté la plus piquante ; une
grande connoiffance du coeur humain dont
il faifit avec précifion les détails les plus
imperceptibles ; des réflexions délicates ,
dont le fens exquis fe cache fous un air de
fimplicité charmante ; une poëfie légere
& animée
d'exactitude dans le ftyle ,
mais beaucoup de feu & d'agrément ; enfin
le plus beau naturel & l'imagination la
plus riante. Tout s'embellit fous fon pinceau
; toujours original nême en imitant ,
il donne aux idées des autres un tour
neuf, en leur faifant prendre la teinte de
fon imagination. Tant de belles parties.
font ternies par quelques défauts ; outre
des négligences trop fréquentes on peut
lui reprocher des longueurs qui refroidiffent
quelquefois l'intérêt fon imagination
abandonnée à elle-même , s'égare
à chaque inftant , ce font quelquefois des
fleurs qu'il veut cueillir en paffant , &
qu'il auroit mieux valu facrifier à la chaleur
de la narration : auffi la plupart de
fes contes , même les mieux faits , Joconde ,
la Fiancée du Roi de Garbes , &c. pourroient
fe réduire à la moitié ; & il n'y a
que l'Hermite , le Berceau , le Comment
l'efprit vient aux filles , & deux ou trois
autres qui foient dans ce point de préci-
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
fion , où l'on ne trouve rien à dire.
La Fontaine eft auffi le moins licentieux
de tous ceux qui ont travaillé dans ce genre
; point d'images dégoûtantes , point
d'expreffions cyniques : chez lui les idées
les plus voluptueufes font toujours enveloppées
; il eft vrai que ce n'eft qu'une
gaze légere , qui ne laiffe rien perdre à l'imagination
, & rend peut-être les objets
plus piquans. Dans les principes du Stoïcifme
, ces detours délicats d'une fauffe
modeftie ne font qu'une coquetterie raffinée
qui fait voir les objets en miniature , &
les préfente fous des traits bien plus féduifans
: les tableaux les plus voluptueux du
·Correge & de B*** font ceux où rien n'eft
préfenté trop à découvert , où ce qu'on ne
-voit pas fait beaucoup plus de plaifir que
ce qu'on voit ; une peinture trop nue ne fait
qu'une impreffion momentanée , l'imagination
fixée à la premiere vûe , s'émouffe
bientôt , il n'y a qu'un feul coup d'oeil
& qu'une feule jouiffance ; elle eft vis- àvis
d'une peinture voilée avec art , ce qu'eft
une courtifanne effrontée qui laiffe voir fes
appas fans draperie ; vis- à- vis d'une femme
adroitement coquette , qui ne montre de fes
charmes que ce qu'il faut pour faire defirer
ceux qu'on ne voit point.L'imagination toujours
au-delà de ce qu'on lui préfente ,
M&A I. 1755. 31
écarte le voile qui lui dérobe les beautés
qu'elle foupçonne ; elle en développe ellemême
tous les détails , & chaque détail eft
une jouiffance complette ; ceux qui connoiffent
le méchanifme de nos plaifirs , fçavent
qu'il n'y en a point de bien vifs que
ceux auxquels l'imagination met la main.
J'ai toujours été perſuadé que les contes
de La Fontaine étoient un des ouvrages les
plus féduifans pour un coeur encore neuf, &
des plus capables d'y faire naître des idées
de volupté bien dangereufes. La Fontaine a
voulu fe juftifier de ce reproche & a prétendu
que la gaité de fes contes ne pouvoit faire
aucune impreffion fur les ames , & qu'elle
étoit bien moins à craindre que cette douce
melancolie où les romans les plus chaftes & les
plus modeftesfont très- capables de nous plongen,
& qui eft une grande préparation à l'amour.
Bayle qui avoit tant de goût & de talens
pour foutenir des paradoxes , a voulu appuyer
celui-ci ; mais l'autorité de ces deux
hommes célébres ne m'en impofe pas ; its
ont beau dire , je ne vois rien de pernicieux
dans la lecture de la Princeffe de Clea
ves & de Zaïde ; mais je vois tout à craindre
d'un ouvrage où l'amour ne paroît
que comme un befoin machinal qu'il eft
finaturel de fatisfaire , où la vertu eft une
chimere , la fidélité conjugale une dupe-
Biy
32 MERCURE DE FRANCE.
rie , & l'innocence une bêtife . Les occafions
font fi gliffantes , le cri de la nature
eft fi preffant , il eft fi difficile de réſiſter , fi
doux de fuccomber ! les plaifirs font fi vifs
& fi touchans ! voilà la morale de ces contes,
elle n'a fûrement rien de bien édifiant. La
Fontaine fe défend là- deffus affez plai-.
famment au commencement de fon conte
des Oyes de Frere Philippe ; il dit : chaſſez
Les foupirans , belles , prenez mon livre , je réponds
de vous corps pour corps. Cette raiſon
me paroît fort finguliere ; je fens bien que
fon livre fans amans ne leur fera jamais
faire que de légeres fottifes , les amans
fans le livre feroient fans doute plus
dangereux ; mais malheureufement fon livre
ne les difpofe gueres à chaffer les foupirans.
Vergier eft celui qui a le plus approché
de La Fontaine , qu'il a pris pour modele ;
fes contes du Roffignol & du Tonnerre ne
feroient pas indignes de fon maître ; le
premier a été imprimé fous le nom de La
Fontaine dans prefque toutes les éditions
de fes contes. Vergier écrit toujours aſſez
naturellement ; mais quoiqu'il ne perdît
jamais fon modele de vûe , il n'a jamais
pû atteindre à cette naïveté de ſtyle où La
Fontaine eft inimitable ; il y a une diftinction
délicate du naturel & du naïf , qu'il
MA I. 1755. 33
faut bien faifir : le premier eft une copie
de la nature , & l'autre une copie de la belle
nature ; le naturel peut être fade & ennuyeux
, le naïfplaît toujours , parce qu'il
eft toujours gracieux & piquant.
Les contes de Vergier font quelquefois
découfus , & la narration fouvent lâche ;
il s'étend beaucoup fur les détails qu'il n'a
pas l'art d'affaifonner. Les longueurs chez
lui font bien plus fatiguantes que dans La
Fontaine, qui fçavoit les couvrir de fleurs ,
& il eft bien éloigné d'entendre comme lui
la vérité & la naïveté du dialogue : fon
ton eft bien moins décent que celui de fon
maître , mais il l'eft encore plus que celui
de Grécourt , dont nous avons un recueil
de contes où il a répandu beaucoup d'obfcénités
; c'eft peut-être même ce qui en eft
le plus faillant ; le ftyle en eft vif & trèspeu
correct , la narration preffée , & les
contes fort courts ; on les prendroit plutôt
pour des épigrammes ; c'eft prefque toujours
une image cynique terminée par une
faillie ou une répartie plaifante , du
moins qui voudroit l'être . Grécourt eft
bien an-deffous de La Fontaine ; il n'eſt
pas même à côté de Vergier.
Aucun auteur depuis ne s'eft attaché
totalement à ce genre. Nous avons quelques
contes épars , dont la plupart écrits
By
34 MERCURE DE FRANCE.
avec une liberté plus que cynique , ne doivent
pas être tirés de l'obfcurité qui les
couvre ; mais il en eftun qui n'eft pas dans
le cas de ceux- là , & auquel je ne connois
rien de préférable : c'eft le Rajeuniſſement
inutile de M. de Moncrif; il eft écrit fur un
ton un peu plus haut que les autres ; mais
quelle légereté & quelle aifance dans la
narration ! quelle douce harmonie dans les
vers ! & quelle fiction ingénieufe ! Les réflexions
les plus fines , les images les plus
voluptueufes préfentées avec une décence
qui n'ôte rien de ce quelles ont de
féduifant , & le ton de fentiment qui y
regne , en font un petit ouvrage que j'oferois
comparer aux deux meilleurs contes
de La Fontaine , & lui donner peut- être
la préférence.
MA I.
as 1755.
"
VERS
A Mademoiselle *** careſſant un CHAT ,
& lui mettant en forme de laiffe un ruban
couleur de feu.
EH ! quoi , l'animal le plus traître 2
Un chat , par vous , Themire , eft careffé !
De vous voir abuſer des attraits qu'il fit naître ,
L'amour jaloux eft offenfé.
Le moyen d'échapper à fa jufte vengeance ,
C'eft de lui réſerve: deformais vos faveurs :
Songez , pour vous punir de tant de complaifance,
Qu'il peut pouffer ce chat à de noires fureurs.
Lorsque vous l'avez pris , il a levé la patte :
C
J'ai craint , j'ai frémi , belle ingrate !
Dangereux fentiment de moi- même vainqueur !
Qu'on doit redouter ce qui flate ....
Ah ! ce noeud de ruban , dont la vive couleur ,
Au naturel peint l'amoureufe ardeur ,
Et dont ornoit fon cou votre main délicate ,
Eft le noeud qui lia mon coeur t
J. F. G.
De Chartrait , près de Melun.
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
LE TEMPLE DE LA PÉNITENCE.
Dans un antre profond , au milieu des déferts,
Loin du faſte des cours & des hommes pervers ,
S'éleve un vieux palais de ftructure fauvage ,
Préfentant à la vûe une effrayante image.
La crainte d'effuyer d'éternels châtimens
En fit pofer d'abord les premiers fondemens .
Pour la Divinité l'attache la plus pure
De ce trifte palais régla l'architecture.
L'auftere pénitence en proie à fes douleurs ;
Habite ce féjour de foupirs & de pleurs :
De là découle un fleuve infpirant les allarmes ,
Il eft formé de fang & groffi par les larmes .
Les remords font placés aux portes du palais ,
Ces cruels à punir ne ſe laſſent jamais.
La ferveur aux autels amene les victimes ,
Et fait couler le fang pour réparer les crimes.
Ciel ! quels horribles cris ont pénétré mes fens !
Tout retentit ici de funébres accens.
L'un pleure fes forfaits , l'autre par la fouffrance
Efpere racheter fa premiere innocence ;
Celui- ci , le jouet d'un monde féducteur ,
En déteste à jamais la funefte grandeur.
De différens états une foule timide
Y marche en frémiſfant , le repentir la guide
MA I. ∙1755. 37
A l'exemple d'un Roi ( a ) qu'admiroit Ifraël ,
Des Princes & des grands encenfent cet autel.
Charles ( b ) qui fut fameux dans la paix , dans la
guerre ,
Qui foumit à fes loix le Germain & l'tbere ,
Qui détruifit le Maure , & vainquit les François,
Qui remplit l'univers de fes heureux ſuccès ;
Du faîte de la gloire il fe plaît à defcendre ,
Dans ces murs pénitens il fe couvre de cendre .
Je vois fon diadême aux voûtes fufpendu ,
Et parmi les fujets le Prince confondu.
Mais quels font ces tyrans qu'en ces lieux on entraîne
?
La pénitence met ces monftres à la chaîne ;
Ils refpirent encore , à fes pieds terraffés ,
Les crimes que par- tout leur fureur a tracés .
A leurs traits odieux je connois, le caprice ,
La dure oppreffion , la fraude , l'injuſtice ;
Le jeûne & la priere y tiennent dans les fers ,
De mille affreux forfaits ces miniftres divers.
Si j'avance mes pas dans ces facrés portiques ,
Je vois diminuer les fpectacles tragiques.
L'eſpérance bientôt écartant les douleurs ,
Fait un féjour charmant de ce féjour d'horreurs ;
Les pleurs & les fanglots ne s'y font plus entendre
,
Quelques foupirs à peine échappent d'un coeur
tendre.
( a ) David.
(b ) Charles-Quint
38 MERCURE DE FRANCE.
Mais quel eft tout -à- coup cet objet merveilleux ,
Ce fantôme éclatant qui vient frapper mes yeux !
La gloire ! ... je la vois fur un char de lumiere
Des cieux en un moment traverfer la carriere .
Ce n'eft pas cette gloire idole des héros ,
Que la mort avec eux précipite aux tombeaux ;
C'eft de tous les plaifirs l'éternel affemblage ,
Et de toute vertu l'infaillible partage.
Vertueux pénitens , fon feu pur & facré
Répandra dans vos coeurs un plaifir ignoré ;
Partez ...& de vos fronts ôtez cette pouffiere ,
Dépouillez pour jamais le cilice & la haire
Séchez vos triftes pleurs , & ménagez ce fang
Que votre auftérité vous arrachoit du flanc ;
Et pour fixer enfin vos heureufes conquêtes ,
De lauriers immortels allez ceindre vos têtes .
Par M. Hefpel , Rhétoricien , au
College de Jéfuites de Lille en Flandres.
Le ton de ce poëme me paroît bon en
général : il y a de la vérité dans les images
, & de l'harmonie dans les vers . Je crois
qu'ils annoncent du talent , & qu'ils promettent
d'autant plus que l'auteur n'a que
feize ans on ne peut trop l'encourager ;
mais il faut l'avertir de ne point négliger
la rime ; celles de guerre & d'lbere qu'il a
employées , ne font point exactes.
M A I. 1755. 39
HISTOIRE ANGLOISE.
PAR MLLE DE L.
A MADAME LA C ... DE G ....
E vous devois une dédicace , pourrois-
Jje micus la placer qu'en vous adreffant
une hiftoire que vous avez defiré de voir
écrite il eft jufte de fervir vos defirs .
Ah ! peut-on vous dédier un ouvrage qui
vous foit plus propre que celui qui fait
l'éloge d'une femme qui a mérité toute la
confidération & toute l'eftime de fon mari
, vous qui faites la félicité du vôtre , &
le bonheur de tous vos amis ? Vous aimez
ce qui peint la vertu & l'amour honnête ;
j'ai écrit ce que vous avez bien voulu
m'en apprendre : heureuſe de vous écouter
quand je vous vois , & de m'occuper de
ce que vous m'avez dit quand je vous
perds de vûe. S'il vous eût plû de me dicter
cette hiftoire , j'aurois eu plus de plaifir
à l'écrire , & l'on en auroit eu davantage
à la lire ; recevez- la donc telle que je
l'ai reçue de vous , comme un gage de ma
complaifance pour ce qui peut vous plaire ,
& un hommage de ma tendre amitié.
40 MERCURE DE FRANCE.
Les Comtes de Kilmore , originairement
Irlandois , s'établirent en Angleterre
dès que ce royaume eut réuni fous les mêmes
loix l'Ecoffe & l'Irlande. Les grandes
alliances qu'ils firent dans l'Angleterre les
en rendirent comme citoyens. Poffeffeurs
de grandes terres dans ce royaume , elles
fe trouverent réunies fur la tête d'un feul
fous ce dernier regne. Le Comte de Kilmore
, unique héritier de tant de riches
fucceffions , ne fe fentit point flaté du defir
de conferver fon nom , prêt à s'éteindre .
Un dégoût univerfel pour tout ce pour tout ce qui peut
charmer un homme de fon âge & de fon
rang , lui fit envifager la Cour avec la
plus profonde indifférence ; il ne voulut
y entendre parler d'aucun établiſſement.
Uniquement occupé de l'étude en tous
genres , où la fagacité de fon efprit lui
faifoit faire chaque jour de nouvelles découvertes
, il réfolut de s'y livier tout entier
, & fe retira dans le Caernarvand , où
il avoit une fort belle terre . C'étoit un
château fort noble & fort ancien , fitué fur
le bord du canal de Menay , dont on découvroit
de loin la fameufe ifle d'Anglefei.
Lorfque le ciel étoit ferein , la mer ,
par fa vafte étendue , rendoit ce lieu trifte
, mais analogue aux penfées du Comte ;
de hautes montagnes couvertes de bois ou
MA I. 1755. 41
de petits villages , terminoient la vue de
l'autre côté , & offroient dans leurs gorges
de jolies prairies entrecoupées de petits
ruiffeaux. Cette fituation terrible &
fauvage parut fort agréable au Comte , il
s'y établit avec un plaifir d'autant plus
fenfible qu'il crut avec raifon qu'il ne ſeroit
point interrompu dans fes fçavantes
méditations.
Kilmore avoit déja paffé dix années
dans le château ; la philofophié le foutenoit
contre l'ennui de la folitude : un feul
ami lui étoit refté , qui de temps en tems
venoit partager la retraite ou ranimer la
converfation du Comte. Cet ami fe nommoit
Laflei.
Un jour que Kilmore & lui fe promenoient
fur une grande terraffe qui s'élevoit
au- deffus de la mer , & que Kilmore
admiroit avec fon ami la vaſte étendue
de cet élément , Laflei prit la parole :
j'approuve avec vous , Milord , lui ditil
, que les beautés de la nature , toutes
admirables & toutes diverfifiées qu'elles
font , portent l'ame à la trifteffe la plus
profonde. Cette mer , cette ifle que nous
appercevons là-bas , ces prairies , ces jolis
villages qui couvrent ces montagnes dont
la cime perce les nûes , tout cela , mon
cher Kilmore , eft au premier coup d'oeil
42 MERCURE DE FRANCE..
d'une beauté fans pareille ; mais cette
beauté eſt toujours la même : encore fi ,
comme dans les tems où les ténébres du
paganifme enveloppoient la terre , nous
voyions dans les bois des dryades , des
nymphes dans les prairies , des nayades
dans les fontaines , fur cette vafte mer
Neptune dans un char entouré de tritons
& de fes charmantes fyrenes , dont les
chants mélodieux raviffoient les mortels ,
tout cela , dis- je , animéroit votre folitu
de. Mais votre fage religion a fait mainbaffe
fur tous ces êtres divertiffans ; la
philofophie chrétienne nous a rendu la
nature fimple & dénuée de ces agrémens
que la folie des anciens avoit divinifés ;
un férieux noble & majeftueux en a pris
la place , & je ne conçois pas comment
depuis dix ans vous refiftez à la langueur
que cette folitude doit jetter dans.
votre ame. Kilmore fourit de l'enthoufiafme
de fon ami ; j'avoue , dit- il , qu'il
eft très- malheureux que votre univers foit
privé de tous les objets que vous venez de
décrire ; mais comme je ne fuis pas accoutumé
à les trouver , je ne me fuis pas
avifé de les regretter. Une fleur qui fe
développe , fon progrès , fa deftruction
un fruit que je cultive , un arbre que j'émonde
, & qui s'éleve à vûe d'oeil , me
3
M A I. 1755. 43
tiennent lieu de vos nymphes & de vos
dryades ; la république des oifeaux , celle
des fourmis ou des mouches à miel me
conduifent à des réflexions folides que vos
fyrenes dérangeroient fans doute ainfi ,
mon cher Laffei , je vis tranquille , &
mon ennui eft fi doux qu'il ne me pefe
point du tout. Il eft vrai qu'il me vient
quelquefois en penfée d'avoir quelques
témoins de mes découvertes , & par un
refte d'amitié pour le genre humain , je
fens que je ne ferois point fâché d'avoir
quelques amis , ou qui partageaffent mon
goût & mes connoiffances , ou qui me
donnaffent les leurs.
Après que ces deux amis eurent longtems
cherché les moyens de rendre la folitude
de Kilmore plus animée fans qu'il
lui en coutât le chagrin de changer de
vie , celui-ci dit à Laflei qu'il avoit envie
d'écrire à quelques- uns des amis qu'il avoit
laiffés à Londres dans le tems qu'il y vivoit
, & de les prier de venir paffer avec
lui le tems qu'ils auroient de libre dans
l'année.
Cette idée , reprit Laflei , ne s'accorde
point du tout avec votre philofophie ; &
où, Milord , avez vous connu des hommes
qui fe fouviennent d'un ami qu'ils
n'ont pas vû depuis dix ans peut-être un
+
44 MERCURE DE FRANCE.
de ceux- là s'en fouvient , cela peut être ;
mais comptez-vous fur le refte , en bonne
foi ? avouez qu'en approfondiffant la nature
vous avez oublié les défauts de l'humanité
; d'ailleurs je veux que tous ceux qui
ont été vos amis en foient les chef-d'oeuvres
: croyez- vous , Milord , qu'après avoir
fait cent vingt- huit milles pour venir vous
voir par curiofité , ils y reviennent affidument
, & s'accommodent de ne vous voir
que des inftans dans la journée ? n'y comptez
pas mais mariez- vous ; voilà ce que
je crois plus poffible : ayez une femme
aimable qui tienne votre maiſon , annoncez-
le à vos amis , alors ils y viendront ,
& vous , maître de vous livrer à vos férieufes
occupations , vous le ferez auffi de
revenir chez votre femme aux heures qui
vous conviendront , & d'y trouver des
de vous délaffer , par une converfation
agréable , de la fatigue de votre camoyens
binet.
Il faut convenir , dit Kilmore , que
cette idée eft très -jufte & plus raifonnable
que la mienne . Je conviens , mon cher
Laflei , que vous avez raifon , & que c'eft
le feul parti que j'aie à prendre : choififfez-
moi une femme telle qu'il me la faut
je vous en ferai très -obligé.
Moi , choifir ! dit Laflei , vous n'y penMA
I. 1755. 45
fez
pas , Milord : je pourrois à peine en
choifir une pour moi-même ; jugez ſi je
le rifquerois pour vous. D'ailleurs j'ignore
ce qui vous convient ... Ah ! Milord , reprit
Kilmore , ni le bien , ni la naiffance
ne peuvent me déterminer . Pour le premier
article , vous fçavez que je fuis affez
riche pour me paffer des biens qu'une
femme m'apporteroit ; quant au fecond ,
je crois que ce n'eft pas toujours dans la
plus haute nobleffe qu'on trouve les femmes
les mieux nées ; cela arrive quelque
fois j'en conviens , mais les préjugés
qu'on a là - deffus font impertinens , & Dieu
merci , je m'en fuis garanti. Je fçai que
l'éducation peut beaucoup fur une belle'
ame ; mais qu'avance -t-elle fur celle qui
eft née fans vertu ?
>
Ces belles ames ont- elles le droit d'animer
feulement les filles de qualité ? elles
dérivent du même principe , & font départies
dans nos corps au hazard ; ainfi
l'on trouve également la vertu avec l'éducation
, comme la vertu fans éducation ;
fouvent même ces principes ne fervenţ
qu'à mafquer les défauts d'une jeune perfonne
, elle fe contraint inceffamment
les cacher au public , tandis qu'un mal- i
heureux mari eft le martyr de fa difcrette
moitié , qui fe fait un jeu de le deshopour
46 MERCURE DE FRANCE.
norer. Je ne veux donc point , mon cher
Laflei , de ces filles élevées avec tant de
foin , & qui en prendroient fi peu
de me.
rendre heureux. Je fçai qu'un homme fage,
ne fait pas dépendre fon honneur d'une
femme folle & imprudente ; mais le préjugé
eft contre lui , & tout homme raifonnable
doit éviter ce malheur : cherchez-
moi donc une fille fage & honnête ,
fur tout que fon humeur fympatife avec
la mienne , que vous fçavez n'être pas
bien extraordinaire.
Milord , reprit Laflei , je ne doute pas
qu'il n'y ait des femmes telles que vous
les defirez , mais je n'en connois point ,
& me garderois bien de vous confeiller
en pareil cas. Mais puifque vous êtes affez
philofophe pour paffer par-deffus le bien
& la qualité , voyez vous même autour
de vous : votre pafteur , par exemple , a
trois filles élevées fous fes yeux ; la fimplicité
de fes moeurs , la fageffe de fon
caractere répondent que fes filles n'ont
point reçu cette éducation redoutable qui
mafque l'art fous les traits de la nature.
Confultez votre coeur , & choififfez parmi
les jeunes filles laquelle il vous dictera de
prendre.
Ce n'eft point ici une affaire de coeur ,
reprit Kilmore , ne vous y trompez pas;
MA I. 1755. 47
c'eft une affaire jufte & raiſonnable : vous
avez bien imaginé , j'irai demain voir M.
Humfroy , & je lui demanderai une de
fes filles. Kilmore ayant pris ce parti
n'en parla plus de la foirée à fon ami , qui
le quitta après fouper pour retourner au
château qu'il avoit dans le voifinage , où
quelques affaires le demandoient.
Kilmore , ſuivant fon caractere , ne fe
leva pas le lendemain plutôt qu'à l'ordinaire.
Quand il fut habillé , il fit mettre
fes chevaux à une chaife pour aller à fon
village , diftant d'environ deux milles de
fon château , & fut defcendre droit au
prefbytere. Il trouva M. Humfroy corrigeant
un fermon qu'il devoit prêcher le
lendemain .
Surpris de voir fon Seigneur chez lui ,
honneur qu'il ne lui avoit jamais fait , M."
Humfroy le reçut avec toutes les marques
d'un profond refpect ; il cherchoit
dans fa tête de quoi il pourroit dignement
l'entretenir , lorfque Kilmore arrêta brufquement
la confufion de fes penfées , en
lui déclarant clairement le fujet qui l'amenoit
chez lui.
Si M. Humfroy avoit été étonné de
voir Kilmore , il le fut bien davantage
quand il apprit ce qui l'y amenoit. Comme
il étoit homme de bon fens , il ne fit
pas
48 MERCURE DE FRANCE.
d'autre réponſe que de lui demander s'il
avoit bien fongé à ce qu'il faifoit , & s'il
étoit poffible de croire qu'un homme de fa
naiffance voulût s'abaiffer jufqu'à faire une
pareille alliance ?
J'y ai très-fort fongé , reprit Kilmore ;
vos bonnes moeurs , votre vertu , m'ont fait
penfer que vos filles vous reffemblent ; je
ne veux pas pourtant contraindre leurs volontés
, je veux qu'un choix libre les détermine
faites-les venir , expofez leur le
fujer pour lequel vous les appellez : je
vous ai dit la façon dont je vis ; fi l'une
d'elles n'a aucune répugnance à partager
ma folitude , je fuis prêt à lui donner ma
foi tout à l'heure.
M. Humfroy ne douta plus que tout ce
que difoit Kilmore ne fûr certain ; il appella
fes filles qui , fimplement vêtues ,
mais très-proprement , vinrent aux ordres
de leur pere. M. Humfroy les fit affeoir
felon l'ordre de l'âge en face du Milord ,
il leur expofa nettement le fujet de fa vifite.
Ces trois filles , dont l'aînée avoit à
peine dix -huit ans , & les deux autres environ
feize & dix- fept , écouterent en grand
filence ce que difoit leur pere ; elles le
garderent même encore affez long- tems
après qu'il eut parlé : elles fe regarderent
les
MAI. 1755 . 49
les unes & les autres , & refterent les
yeux baiffés en attendant que leur pere les
interrogeât. Dès que M. Humfroy crut
leur avoir laiffé affez de tems pour refléchir
, il s'adreffa à l'aînée : Laure , lui ditil
, c'étoit le nom de cette belle fille , avez
vous penfé à ce que je viens de vous dire ?
& fi vous m'avez entendu , y confentezvous
? dites votre avis naturellement , fans'
crainte de me déplaire.
›
L'honneur que Milord nous fait , reprit
modeftement Laure me flate fenfiblement
; mais , mon pere , puifque vous me
permettez que je dife mon fentiment , je
n'ai point encore affez de connoiffance
des chofes du monde pour trouver qu'un
mariage fi honorable me rende plus heureufe
; je fuis contente de mon état , &
je vous fupplie de ne pas trouver mauvais
que je vous demande d'y refter .
Cette réponſe de la belle Laure fâcha
Kilmore ; il trouva qu'une perfonne qui
penfoit fi fagement , méritoit qu'on la regrettât
. Et vous , ma fille , dit M. Humfroy
à Julie , la feconde de fes filles , penfez-
vous comme votre foeur ? répondez ,
mais répondez felon ce que vous penfez.
Non , mon pere , répondit la jeune Julie
, je trouve ce mariage au- deffus de mon
attente ; mais je l'accepte dans l'idée où je
C
So MERCURE DE FRANCE.
fuis que Milord me rendra heureufe ;:
puifqu'il vient choifir parmi nous , & que.
vous l'agréez .
M. Humfroy prit alors fa fille par la
main , & la préfenta à Kilmore, qui l'affura ,
qu'il tâcheroit par toutes fortes de bons
procédés de juftifier les idées avantageufes
qu'elle avoit prife de lui. Alors il fut,
queftion d'appeller un Notaire ; M. Humfroy
y alla lui -même , & l'amena fur le
champ , avec un ancien Alderman qui avoit
une maifon dans le village , & qui voulut
bien fervir de témoin.
M. Humfroy étoit fi tranfporté du bonheur
qui arrivoit à fa fille , qu'il ne fe
connoiffoit plus ; il nommoit fes trois
filles à tous propos , embraffoit le Milord
& l'Alderman tour à tour fans fonger
qu'il troubloit le Notaire dans fa fonction.
Kilmore de fon côté voulant paroître
aimable à Julie , lui difoit, quelques
mots polis , & caufoit avec fes fours qui
avoient l'air plus gai & moins embarraſſe
qu'elle. Elimais fur- tout la plus jeune de
difoit mille chofes agréables à Julie
, qui fembloit enfevelie dans une profonde
rêverie.
toutes ,
Quand il fut queftion de lire le contrat,
il fe trouva qu'au lieu du nom de Julie le
Notaire y avoit fubftitué celui d'Elimaïs.
MAI 1755 SI
Ce contre-tems embarraffa fort le Milord,
qui avoit trouvé déja cet ouvrage fort
long , & qui s'impatientoit de ce qu'il
falloit le recommencer de point en point.
Cette difcuffion avoit arrêté toute la joie ;
chacun difoit fon avis , & perfonne no
convainquoit le Notaire , qui prouvoit
invinciblement qu'il falloit recommencer.
On alloit enfin céder à la vérité de cette
repréſentation , lorfque Julie fe leva , &
s'avançant vers fon pere ; cette affaire , lui
dit-elle avec un rouge modefte qui lui
couvrit les joues , peut aifément s'accommoder
; permettez , mon pere , que je céde
mes droits & l'honneur que me fait Milord
à ma foeur Elimaïs , tout fera dit alors,
& il n'y aura plus d'embarras. Comment
Julie , dit M. Humfroy , penfez- vous bien
à ce que vous faites ? oui , mon pere , reprit-
elle,; un engagement auffi grand me
fait peur , & je vous fupplie de permettre
que je m'en défifte. Elimaïs eft plus jeune ,
& par conféquent elle fera moins de réflexions
, d'ailleurs elle aura moins de tems
pour les écouter & .....Je n'entens point
cela , interrompit brufquement M. Humfroy
, vous avez donné votre parole de
bonne grace ; ainfi , Julie , je veux .....
Non , Monfieur , interrompit à fon tour
Kilmore , ma propofition n'eft faite qu'à
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
condition qu'elle fera acceptée fans nulle
répugnance. Julie la refufe , je vous prie
de ne la pas contraindre : interrogez la
belle Elimaïs , fi elle penfe comme fes
foeurs , rien ne fera fait , & je me retirerai
en vous remerciant de votre bonne volonté.
Eh bien , Elimaïs ! dit le bon Minif
refufes- tu comme Laure & Julie
Phonneur que Milord veut nous faire ?
répons , ma fille , & ne te troubles point
mais répons comine tu penfes ? Elimaïs
ne balança pas , elle répondit de trèsbonne
grace qu'elle fe faifoit un plaifir
d'obéir à fon pere ; alors jettant fur lui
un regard timide pour fçavoir fi ce qu'elle
avoit dit lui avoit plû ou non ; comme
elle le vit fourire , elle fe jetta à fon col
avec une grace enfantine & fi tendre que
les larmes en vinrent aux yeux du bon
homme ; Kilmore même fut ému , & ne
put s'empêcher de baifer la main de la
jeune Elimaïs , que M. Humfroy lui préfenta
. Milord prit au plus vite la plume &
la pria de vouloir ne pas différer de figner
fon bonheur. Elimaïs figna tout de fuite ;
tout le monde ayant figné à fon tour , Kilmore
& Elimaïs furent conduits à l'Eglife ,
où ils recurent la bénédiction nuptiale de
M. Humfroy , qui ne fe fentoit pas de joig
de voir Elimais fi bien établie .
M -A I
1755. 33
En fortant de la paroiffe , M. Humfroy
dit à fon gendre qu'il efpéroit qu'il voudroit
bien recevoir de lui un repas fimple
& frugal , n'ayant pas eu le tems de lui en
faire préparer un plus digne de lui.
Monfieur , dit Kilmore , j'accepterois
volontiers ce que vous voulez bien m'offrir
fi je n'étois preffé de mener ma femme
dans fon château , elle & moi aurons
cet honneur une autre fois , mais je vous
fupplie de ne pas vous oppofer en ce moment
-ci à l'empreffement que j'ai de la
rendre maîtreffe de mon château , ni elle
ni moi ne tarderons pas à venir vous rendre
ce que nous vous devons , & je vous
prie d'être perfuadé qu'en mon particulier
je n'y manquerai jamais . Cela dit , Kilmore
embraffa fon beau -pere & fes bellesfours.
M. Humfroy n'infifta pas davantage
fit une courte exhortation à Elimaïs
fur fes devoirs , & Milord lui donna la
main pour monter dans la chaife , où montant
après elle ils fortirent du village , &
arriverent bientôt chez lui.is , Hood brib
A
Le premier foin de Kilmore en arrivant,
fut de faire ouvrir le plus bel appartement
& d'y conduire Elimais voilà , dit- il
l'appartement que j'ai toujours deſtiné à
mon époufe , & j'efpere que vous voudrez
bien que je le partage feulement la nuit
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
*
avec vous. Elimaïs répondit naïvement
qu'il en étoit le maître. Madame , lui ditil
, vous voyez que je n'ai pas eu le tems
de me préparer à vous recevoir , ainfi je
n'ai à vous offrir ni bijoux , ni diamans ,
en un mot tout ce qui pourroit vous
plaire , mais vous ferez la maîtreffe d'en
faire l'emplette à votre goût , & comme il
vous plaira l'argent néceffaire vous fera
donné auffi-tôt que vous le voudrez . Milord
, reprit Elimaïs , je n'ai jamais conçu
que ces bagatelles puffent faire le vrai
bonheur , & par conféquent je ne les ai
jamais defirées : fi cependant elles doivent
m'aider à foutenir l'éclat du rang ou
Vous venez de m'élever , je ne refuſerai
rien de ce qui me pourra fervir à vous faire
honneur Kilmore trouva beaucoup de
bon fens & de fentiment honnête à cette
réponſes iben loua fon époufe , qui fur
étonnée qu'on louât une chofe qu'elle
Groyoit que tout le monde devoit penfer
naturellement. On vint leur dire que le
ils fe mirent à table , la
confervation ne fut pas fört animée. Après
qu'ils en furent fortis , Kilmore apporta
un petit rouet à fa femme. Vous aimez
peut-être à travailler , lui dit- il , je vous
apporte ce rouet pour vous prévenir contre
l'ennui de la defoccupation: Vous me
"
2
dîné étoit fer . Op m
MASI. 1755.
55
faites plaifir , lui dit- elle , je penfois déja
que j'aurois été bien aife d'envoyer chez
mon pere chercher ma quenouille ; alors
Elimaïs , d'une main adroite , mit en train
fon rouet , & fila de la meilleure grace du
monde.
Pendant ce tems Milord lut , écrivit ,
l'interrogea quelquefois fur fes goûts , fur
fes amufemens , fur la vie qu'elle menoit
chez fon pere ; à quoi elle répondit trèsjufte
, très-fenfément & en peu de mots.
Le foleil étant couché , Kilmore propofa
de s'aller promener , ce qu'Elimaïs accepta
avec plaifir. Ils entrerent enſemble dans le
jardin , elle en loua les beautés avec difcernement
; ce qui lui parut moins agréable
, elle le dit avec la même franchiſe ,
donnant des raifons très- conféquentes de
ce qu'elle difoit : elle prouva à Kilmore
qu'elle avoit autant d'efprit que de goût.
Comme la foirée étoit belle , les deux
époux le promenerent jufqu'à l'heure du
fouper ; en rentrant ils fe mirent à table.
Comme la journée n'avoit pas produit
de grands événemens , ils ne parlerent
gueres plus à fouper qu'ils avoient
fait à dîner. La. converfation d'après ne
fut pas plus intéreffante : quelques quefftions
entrecoupées , des réponfes laconiques
, voilà à quoi cela fe termina .
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
Les femmes d'Elimaïs entrerent , fon mari
paffa dans un cabinet pour fe deshabiller
tandis qu'elle fe mettoit au lit ; & quand
on vint l'avertir qu'elle y étoit , il congédia
fes domeftiques , & vint fe mettre auprès
d'elle.
Il y étoit à peine , que fe mettant fur fon
féant , il fonna fes gens avec un grand
empreffement. Que vous plaît- il , Milord
lui demanda Elimaïs ? C'eft , dit- il , que j'ai
oublié quelque chofe : un valet entra dans
le moment ; ouvre mon rideau, dit Kilmore
à cet homme , allume mon bougeoir , &
m'apporte ma grande Bible & mes lunettes
: le domeftique obéit & fe retira.
Kilmore mit effectivement fes lunettes
& ouvrit fa grande Bible , où il fe mit à lire
apparemment tout haut. Elimaïs ne marqua
aucun étonnement de cette façon extraordinaire
de fe comporter : elle écouta paiſiblement
pendant une grande demi -heure
cette férieufe lecture ; mais à fon tour fe
mettant fur fon féant , elle fonna fes femmes.
Que voulez- vous , Madame , lui dit
Kilmore ? Ce n'eft rien , Milord , dit-elle ,
ne vous interrompez pas pour cela ; donnezmoi
mon rouet , dit- elle à fa fille qui entra.
Kilmore , à cette demande , éclata de
rire , & jettant la Bible , les lunettes & foufflant
le bougeoir , il renvoya la femme de
M A 57
*
I. 1755.
་
chambre avec le rouet & la lumiere ; &
fe jettant au col de fa femme , ma chere
Elimaïs , lui dit- il en l'embraffant , vous
êtes une perfonne charmante , ce dernier
trait d'efprit & d'attention pour moi vous
donne mon coeur à jamais ; je vous ai
éprouvé toute la journée ; vous n'êtes
fufceptible ni d'ennui , ni d'humeur ; vous
êtes celle qui devoit me rendre le plus
heureux des hommes ; ma chere Elimaïs ,
je vous adore. Alors Milord ferma fon rideau
, & nous le tirerons auffi fur le refte
de l'hiſtoire , pour ne point troubler les
myſteres de l'amour conjugal , dont la décence
& la modeſtie doivent faire l'appanage..
On a appris depuis cette relation écrite ,
très-vraie dans toutes fes circonstances , que
Milord Kilmore , enchanté de ſon choix &
des vertus de fa femme , ainfi de fes
que
agrémens , a abandonné fon goût pour la
retraite & pour la Philofophie. Uniquement
occupé de plaire à Elimaïs , il eft"
revenu à Londres avec elle ; leur union
fait l'envie & l'admiration de cette ville.
Ils y tiennent un grand état , & tout ce
qu'il y a de confidérable & d'aimable dans
l'un & l'autre fexe s'y raflemble journellement.
Cv
58 MERCURE DE FRANCE.
LE FAGOT ET LA BUCHE.}
FABLE.
Par MLLE ***
LE fagot & la buche en même cheminée
S'entretenoient un jour , dit- on , tout en brûlant
Dans le fond du foyer l'une étoit confinée ,
Et l'autre occupoit le devant .
Vois , difoit le fagot à la buche étonnée ,
Combien je mérite mon rang ?
La moindre étincelle m'allume ,
Et je ſuis fi brillant du feu qui me confume
Que pour s'en garantir , l'homme prend un écran.
Mais toi , lourde & maſſive , avant qu'on te réduife
Au point de t'enflammer un peu ,
Il faut que le foufflet s'épuife ,
Et que l'homme s'enrhume à te donner dú feu.
Pour fe juftifier , la buche alloit répondre ,
Lorfque le fagot s'éteignit.
La buche , en brûlant , le plaignit ;
Mais un chenet pour le confondre ,
Lui dit ces mots , qu'il entendit encor :
Le clinquant éblouit , & ne vaut jamais l'or.
Au jugement cette buche reffemble ;
L'efprit a bien l'air du fagot :
[
MA I.
59 1755.
Fagot fans buche eft un fort mauvais lot ,
Buche & fagot , heureux qui vous raffemble !
Paris , le 8 Mars 1755.
REMERCIMENT à M. le Maréchal
Duc de Biron
د
par
M.
l'Abbé
Ducaffe
d' Apilly
, Confeil- ler en la Cour
des Aides
, pour
un
préfent
qu'il
en avoit
reçu
.
Biron
Iron perdit toujours à fuivre fon grand coeurs
Landau lui coûte un bras pour voler à la gloire , '
Appilly fes jambons , fes citrons , fa liqueur.
Un héros n'a jamais gagné que dans l'hiſtoire.
LE mot de la premiere Enigme du Mer
cure d'Avril eft Soupir. Celui du premier
Logogryphe eft Parchemin , dans lequel on
trouve Pair , chemin , âne , Icare , re, mi ,
pain, cire , épi , air , Pie Pape , carpe , raie ,
Marche d'Ancone , Chine , cri , pie oifeau
Cypre , Priam , Racine , Inca , nacre , ire ,
chaire , crâne , arc , rame. Le mot de la feconde
Enigme eft la lettre M. Celui du
fecond Logogryphe eft Marguillier , dans
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
lequel fe trouvent râle , limier , re , mi , laž
faint Meri , gale , Guilleri , lire , ifle , gril ,
vrille , aiguille , ire , Marli , ame , mare ,
mail , grille , argille , rame , lime , Mire.
Qu
ENIGM E.
Uand je fuis né , je rentre au ventre
mere ;
de ma
Mais par un prompt trépas j'y trouve mon tombeau
,
Et puis y renaiffant j'y trouve mon berceau ,
Où de plufieurs enfans je fuis enfin le pere .
Il femble que du ciel je fois originaire .
Je me bâtis en l'air comme un trône nouveau .
Si pour trop m'élever je redoute un fléau ,
J'ai cent hallebardiers pour ma garde févere.
En vain je me défens , la mort avec ſa faux ,
Au fort de mes beaux jours met le comble à mes
maux ,
Et fait de mes états un vafte cimetiere .
ODieu ! que l'on exerce envers moi de rigueurs !
On m'accable de coups , on me met en pouffiere ,
Et pour ces cruautés je n'ai que des douceurs.
L'auteur de cette Enigme a quatre - vingt
ans , & l'auteur du Logogryphe fuivant en
a quatorze . La fingularité de ce contraſte
M A I. :1755: 61
m'a fait donner la préférence aux deux ouvrages.
La caducité & l'adolefcence méri ÷
tent également l'indulgence du lecteur,
LOGOGRYPHE.
Pour un vil intérêt , pour de légers plaiſirs ,
Pour contenter fon coeur & combler fes defirs ,
Connoiflant tout mon prix l'homme ſouvent me
laiffe.
Faut -il que fa raiſon fuccombe à ſa foibleffe ?
Mes pieds décompofés offriront à tes yeux ,
Lecteur , ce qui fouvent accompagne les gueux.
Une ville en Lorraine , une autre en Amérique ,
Un fage de la Grece , un oifeau domestique ,
Et ce qui foutient l'homme ainfi que l'animal ,
Un infecte volant redouté du cheval ;
Un fleuve impétueux qui traverſe l'Afrique ,
La femme d'Athamas ; des notes de Muſique ,
Un port célebre en France ; un grand Législateur,
Et ce que tout foldat defire avec ardeur.
Enfin pour m'obtenir il faut un tête-à- tête.
Je t'en ai dit affez pour que rien ne t'arrête.
62 MERCURE DE FRANCE.
AIR DE LA SAISON.
L'Heureux printems fait fouffler les zéphirs ,
Embellit tout dans l'empire de Flore :
Le doux parfum des fleurs qu'il fait éclore
Verfe en nos coeurs le charme des plaifirs
Dans tous les lieux que fon regne décore.
Les paroles font de M. Verardy ,
& la mufique d'Anfelme.
Air de la Saison.
Heureux Printems faitsou-
=fler
=
les gépbirs, Embelit
tout, dans l'Empire deFlo -re.
Le doux Parfum desFleurs
Qu'il fait Colore Verve en nos
Cours Le charme des plaisirs,
Dans tous les lieux que son
re - gne dé- co re ) .
Les paroles sont de MVerardy,
et là eMurious Anrolmes.
དེ་ ལ བ༣
1
M A I. 1755. 63
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
XTRAI
EX
RAIT DES AMANS PHILOSOPHES ,
ouvrage annoncé dans le Mercure
précédent.
›
Les caracteres en font vrais , les fentimens
nobles , la morale en eft fage
l'intrigue fimple , & le ftyle naturel. Je
me borne à l'analyfe des principaux carac
teres. Comme ce roman eft peu chargé
elle fuffira pour en faire le précis.
Merindor unit les dons extérieurs à toutes
les qualités de l'ame ; elles font perfectionnées
par l'étude , & plus encore par
l'adverfité. Un procès injuftement perdu
& le lâche abandon d'une premiere maîtreffe
l'ont rendu philofophe ; il fuit le
monde plus par fageffe que par humeur.
L'amitié de Damon & l'eftime d'Uranie lui
tiennent lieu de tout , & leur compagnie
forme fa fociété. Damon lui a donné des
preuves d'un zele véritable ; fes foins ont
contribué à faire revoir fon procès , &
l'ont rétabli dans fes biens : il a les mêmes
vertus que fon ami ; mais comme il a
moins d'expérience , qu'il ignore l'empire
1
*
64 MERCURE DE FRANCE .
des paffions , il eft moins ferme dans fes
principes , & fe laiffe prendre au piége
que lui tend Emilie , coquette artificieufe ;
il en devient l'adorateur , conféquemment
la dupe. Merindor l'avertit du danger. La
froideur de Damon eft le prix de fa remontrance
on le fuit comme un cenfeur
incommode ; il ne lui refte qu'Uranie .
Cette veuve eſtimable eft plus philofophe
que Damon ; fupérieure à l'amour fecret
qu'elle fent pour lui , elle le foumet à fa
raifon , & confole Merindor de cette perte.
Elle fait plus pour la mieux réparer ,
elle lui fait connoître Dericourt , dont elle
lui affure que l'attachement fera plus folide
que celui de Damon : elle ne le trompe
pas. Merindor trouve dans ce nouvel
ami une maîtreffe parfaite. Victoire , digne
éleve d'Uranie , joint comme elle
aux charmes de fon fexe , les fentimens
d'un honnête homme , & la raifon d'un
vrai fage. Trop aimée de Dorante ( c'eſt le
nom d'un frere coupable dont elle dépend
) elle a été forcée de fe traveſtir en
homme pour fe fouftraire à fes emportemens
, & de fe réfugier chez Uranie.
Sous les habits & fous le nom de Deri .
court , elle fait dans une promenade la
conquête d'Emilie , qui lui écrit un billet
des plus tendres. Cette lettre furpriſe par
1
MA I.
1755. 65
Damon , occafionne l'aveu qu'on lui fait
du déguiſement de fon'faux rival. La perfide
Emilie tire par adreffe ce fatal fecret
de la bouche de Damon , qui a la foibleffe
de renouer avec elle , & s'en ferr
pour perdre Victoire. Elle écrit à Dorante
que fa foeur , pour mieux couvrir une intrigue
fecrette , s'eft déguifée en cavalier
& que la maifon d'Uranie lui fert d'afyle.
Dorante arrive furieux , arrache Victoire
des bras de fon amie , & la contraint
d'entrer dans un couvent , où elle eft expofée
à toutes les violences de ce cruel
tuteur. La philofophie de Merindor ne
tient pas contre ce revers , il tombe malade.
Damon inftruit que fon indifcrétion en
eft la caufe , rifque tout pour réparer fa
faute. Il vole fur les lieux où Dorante
tient fa four captive : le premier objet
qu'il rencontre eft ce frere criminel , qui
le provoque lui-même au combat. Damon
le tue : Victoire fort d'efclavage ; fa liberté
rend la fanté à Merindor. 11 obtient
la
grace de fon ami , & reçoit le prix de
fes vertus , il époufe ce qu'il aime. Merindor
& Victoire , dit l'aimable auteur de ce
roman , marchent à l'autel , la raifon &
l'amour font leurs guides ; l'innocence & la
vertu les accompagnent , fans emprunter le
fecoursde l'art. Victoire n'a pour parure que
66 MERCURE DE FRANCE.
fes charmes naturels ; Merindor a obfervé la
même fimplicité le ferment qu'il fe font de
s'aimer fidelement n'est qu'une répétition de
celui qu'ils fe font déja fait mille fois ; la
même fincerité , la même droiture y prefide :
peut- il n'être pas folide? Uranie partage leur
joie ; & pour y mettre le comble , cette
veuve donne la main à Damon , qu'elle
aimoit fecrettement. Il brife fans retour
les indignes fers d'Emilie , & l'hymen le
ramene au ſein de la fageffe dont l'erreur
d'une paffion' aveugle l'avoit écarté.
Qu'on juge par la conclufion de l'ouvrage
, du mérite de fa morale . Nos faifeurs
de romans , dans un âge mûr , mettent
leur art à rendre le vice agréable & la
volupté décente. Ils ne fongent à nous intéreffer
que pour nous féduire . Mlle Brohon
à dix - huit ans applique tous fes foins
à rendre la raifon aimable , & la vertu.
touchante ; elle veut nous plaire pour
nous inftruire : quel éloge pour elle ! quelle
leçon pour eux
'ESSAI SUR L'ÉTAT DU COMMERCE D'ANGLETERRE
, deux volumes in- 12 . Il fe vend
chez Guillyn , au Lys d'or ; & chez Nyon ,
à l'Occafion , quai des Auguftins,
Il eft de l'auteur des Colonies Angloifes
: c'est un préjugé favorable pour l'ouROMAMA
I. 3 1755. 67
*
vrage qui eft moins la traduction de
Telai de Cary, qu'une imitation étendue
& fouvent critique de ce traité. L'Effai
François eft divifé en trois parties ; la premiere
traite du commerce intérieur dé
l'Angleterre. Ce que l'auteur a pris de l'original
anglois pour cette premiere partie ,
qui forme un gros volume , fe réduit au
plusa quarante - trois pages.
A
La deuxième , qui doit encore moins à
Cary , a pour objet le commerce extérieur
de la Grande- Bretagne , & s'étend parti
culierement fur celui que les Anglois font ,
tant aux Indes Orientales qu'en Afrique .
La troifiéme partie , qui n'a pas encore
paru , comprendra toutes les autres bran
ches du même cómmerce , foit en Ame .
rique , foit dans les différens ports de
l'Europe . Cet ouvrage eft celui d'un ci
toyen inftruit. L'analyfe qu'il fait du commercé
de nos voifins doit nous éclairer fur
le nôtre ; nous devons l'en remercier , &
tourner l'inftruction à notre profit.
- DISCOURS SUR LE BARREAU D'Athenes
& fur celui de Rome ; par M. l'Abbé Le
Moine d'Orgival ; deux volumes in - 12 .
chez Prault pere , quai de Gêvres , au
Paradis , & Leclerc , au Palais , à la Prudenice
; 1755.
68 MERCURE DE FRANCE.
Le Libraire nous apprend par un avis ,
que M. Terraffon , cenfeur du manufcrit
a fait fentir que ce livre , dont le fond
eft fi bon , deviendroit plus intéreffant ,
s'il étoit retouché. On a profité de ce fage
confeil , & M. l'Abbé Roger s'eft chargé
en l'abfence de l'auteur , d'être l'éditeur
d'un ouvrage auffi néceffaire à la connoiffance
de l'hiftoire ancienne , qu'utile à
ceux qui fréquentent le barreau .
EUVRES de Chapelle & de Bachau
mont , nouvelle édition , in- 12 , petit format
, 1755. Elle fe trouve chez Quillan
rue Saint Jacques , aux Armes de l'Univerfité.
Le Libraire donne avis qu'on a fait tiş
rer de cet ouvrage , en grand papier , un
petit nombre d'exemplaires.
DISCOURS de M. Le Corvaifier , Secrétaire
perpétuel de l'Académie d'Angers ;
lû dans une Séance publique de la Société
royale des Sciences & Belles- Lettres de
Nanci , lorfqu'il a été reçu affocié étranger
avec M. de Maupertuis , &c.
Comme il en a été parlé avec éloge
dans le Mercure d'Avril , où cette Séance
fe trouve inférée ; j'y renvoye le lecteur, ou
plutôt je lui confeille d'acheter ce difcours
MA I. 1755. 69
1
chez Martin Lottin , au Cocq , rue faint
Jacques. Il ne contient que trente- deux
pages , & il eft écrit de façon à mériter
d'être lû tout entier,
L'HISTOIRE NATURELLE éclaircie dans .
une de fes parties principales , l'Oryctolo
gie , qui traite des terres , des pierres
des métaux , des minéraux , & autres foffilles
; par M. D *** des Sociétés royales
de Londres & de Montpellier,
On trouve dans cet ouvrage une nou
velle méthode latine & françoife de les
divifer , avec une notice critique des principaux
écrits qui ont paru fur ces matie
res, Il eft enrichi de figures deffinées d'après
nature ; & fe vend chez Debure l'aî
né , quai des Auguftins , à S, Paul 1755.
Un volume in- 4° . prix 24 livres relié. M.
le Baron de Sparre , Gentilhomme Sué→
dois , a fait les frais de l'impreffion ,
PLAN DE L'UNIVERS ET EPHEMERIDES
EN FIGURES , d'après les éphemerides en
chiffres , pour 1755 & 1756 ; par M.
l'Abbé de Brancas , chez le fieur le Rouge ,
Géographe du Roi , rue des Grands Auguftins
, avec une explication inftructive
des cartes de Cofmographie & d'Aftronomie
, où l'on voit le fyftême de M. l'Abbé
de Brancas mieux développé.
70 MERCURE DE FRANCE.
J'infere ici le fentiment d'un amateur
fur l'art du chant ; il tiendra lieu de l'extrait
que j'en avois promis , & je fuis perfuadé
que le lecteur y gagnera.
L'ART du chant eft compofé avec tant
de méthode & de précifion , que je crois
plus à propos d'expofer les avantages qui
doivent naturellement réfulter de cet
écrit , que d'en donner une analyfe fuperficielle
& inutile. M. Bérard , après avoir
examiné avec une finguliere attention les
organes de la voix , confidérée par rapport
au chant , emploie les deux autres parties
à établir des principes & des régles pour
donner à la Mufique chantante toute l'expreffion
dont elle eft fufceptible ; & afini
de mettre tous les amateurs plus à portée
de profiter des réflexions & des nouvelles
découvertes qu'il venoit de leur offrir , on
trouve à la fin de fon ouvrage un affez
grand nombre d'exemples choifis de tou
tes les efpeces de chant , qui , en répandant
un nouveau jour fur fes principes ,
en rendront l'application facile & l'ufage
invariable. Un pareil ouvrage exécuté par
un homme qui joindroit à un goût fûr &
délicat une expérience confommée , & une
étude réfléchie de fon art , ne pourroit
manquer de produire les effets les plus
utiles. L'accueil que toutes les perfonnes
M A I.
1755 71
éclairées , à qui la Mufique françoiſe eſt
chere , ont fait à l'art du chant , annonce
que le public le recevra volontiers cómme
une production de ce genre. Le premier
avantage qui fe préfente & qui intéreſſe
toute la nation , c'eft que ce livre bien lû
& bien médité , fera enfin connoître à toutes
les perfonnes impartiales , qu'il eft faux
(comme le publient la prévention & l'injuftice
) que le chant françois endorme par
une fade uniformité . Pour peu qu'on réfléchiffe
avec quel foin , avec quel détail l'auteur
enfeigne la maniere d'exprimer les divers
effets de la nature & des paffions , on
fera convaincu qu'il n'y a point de peuple
au monde qui ait autant penfé que nous a
donner à fon chant plus de variété , plus
de vérité & d'analogie avec les différens
objets qu'on fe propofe de préfenter. Mais
ce n'eft point affez pour M. B. d'avoir
contribué à notre gloire , il multiplie encore
& affure nos plaifirs. Jamais le goût
du chant ne fut auffi général qu'il l'eft
aujourd'hui parmi nous : cependant com
bien de perfonnes fe trouvent dans une
efpece d'impoffibilité de fe livrer à une
étude fi flateufe , foit par la rareté des
bons Maîtres , foit par les différentes occupations
, qui ne laiffent que peu de momens
à employer pour les chofes de goût
ou de fimple amufement ?
72 MERCURE
DE FRANCE.
Le préfent que M. B. vient de faire au
public , remédie , du moins en grande partie
, à ces difficultés , qui jufqu'à préfent
avoient été infurmontables
: en effet , les
perfonnes qui font abfolument étrangeres
à la mufique , & celles qui en ont déja une
connoiffance commencée, ne peuvent manquer
de tirer les plus grands fecours de cet
ouvrage , les premieres , conduites par un
Maître qui pendant quelque tems leur developpera
tous les principes de l'art du
chant ; les autres , par leurs propres réflexions
, parviendront
facilement & fûrement
au même but où jufques-là ils n'auroient
pû atteindre qu'avec beaucoup de
peines , & après bien des années . Dans
toutes nos fociétés particulieres où le goût
du chant fait une des principales occupations
, quels avantages ne recueillera-t - on
pas du livre de M. Bérard , pour peu qu'on
acquiere par habitude & par réflexion un
ufage familier de ces principes , au lieu
de ces contre fens fi ordinaires à des perfonnes
peu verfées dans l'art du chant ,
& qui font gémir tous les gens de bon
goût ? par la méthode des nouveaux fignes ,
fi l'on ne parvient pas à la perfection qu'on
ne doit attendre que des grands Maîtres ,
ne fera- t-on pas für du moins de pouvoir
chanter les morceaux même les plus frappans
,
M A I. 1755. 73'
pans , avec le caractere , la vérité & les
agrémens qui leur font propres ?
Parmi toutes les découvertes dont M. Bérard
a enrichi fon ouvrage , celle de l'invention
des fignes nous paroît mériter les plus
grands éloges: jufqu'ici nous avons entendu
nos excellens chanteurs exécuter plufieurs
endroits de nos Opéra avec tant de vérité
& tant de graces , que nous defefpérions
qu'ils puffent être imités ; comme ils devoient
à une étude profonde & réfléchie
des organes de la voix ces traits éclatans
ces paffages heureux qui nous faififfent &
qui nous enlevent , il étoit impoffible à
des perfonnes peu appliquées de faifir leur
fecret. M. Bérard vient de nous découvrir
ce méchanifme curieux , que nous admirions
fans en connoître les refforts , & par
là nous a mis en état de devenir les rivaux
même de ceux que nous n'aurions jamais
ofé regarder que comme nos maîtres . Mais
c'eft principalement aux compofiteurs en
mufique de marquer à l'auteur toute leur
reconnoiffance : quel fupplice n'étoit - ce
pas pour un habile Muficien de voir le mê
me ouvrage , qui dans la bouche d'excellens
acteurs confervoit toutes fes graces ,
défiguré enfuite fouvent au point de ne
pouvoir lui même fe reconnoître ? La méthode
des nouveaux fignes va lui fauver
D
74 MERCURE DE FRANCE.
tous ces dégoûts fi ordinaires dans la capitale
même , & infiniment plus communs
encore dans nos provinces : il peut être
fur à préfent que tous ceux qui voudront
profiter des moyens que M. B. leur offre
rendront les compofitions avec la principale
partie de tous les agrémens qui lui
font propres
.
>
Nous ne pouvons avec bienféance ters
miner cet article fans nous arrêter un mo
ment fur l'Opéra , cette partie fi importan
te de nos plaifirs . Nous accufons la nature
d'être pour nous plus avare que pour nos
peres , on veut que les bons fujets foient
plus rares qu'ils n'ont jamais été , & c'eft
à cette prétendue difette qu'on attribue la
diminution trop fenfible de nos plaifirs
cependant fi nous voulons examiner les
chofes avec attention nous verrons que
le défaut d'art & non pas de fujets , eft la
vraie caufe de cette décadence de talens
dont nous nous plaignons. Depuis bien
des années nous avons vû débuter plus
d'un acteur qui donnoit d'abord les plus
belles efperances , nous nous flations avec
juftice que le tems & l'étude acheveroient
infenfiblement ce que la nature avoit fi
heureuſement commencé ; cependant loin
de voir le talent fe perfectionner & s'ac
croître , il tombe bientôt dans l'oubli , &
MA I.
1755575
nous nous étonnons feulement d'avoir pu
l'admirer. Si l'on veut remonter à la vraie
fource de ce mal , on verra qu'il naît principalement
du peu de foin que nous prenons
de former nos éleves : un jeune acteur
abandonné à lui - même , où fuivant
une routine imparfaite & aveugle , pourrat-
il corriger ou adoucir ce qui peut être
défectueux dans fa voix pourra- t- il ac
querit ces graces touchantes , ces fineſſes
de chant qui font le fruit de l'art le plus
confommé ?
Nous ne pouvons trop les avertir ici
que nos acteurs s'appliquent avec foin à
méditer les principes de M. Bérard fur l'ar❤
ticulation & la prononciation , fur la nouvelle
ortographe de chant qu'il propofe ,
fur la néceffité de doubler de certaines lettres
; mais fur - tout qu'ils faffent un ufage
un peu conftant de tous les fecrets qu'il
leur indique pour l'infpiration & pour
l'expiration , ils fe verront bientôt dédom
magés par les fuffrages du public , des peines
que cette étude pourroit leur caufer.
La méthode qu'on leur propofe , doit d'aurant
plus mériter leur confiance ; qu'elle a
été jufqu'ici le fondement des fuccès de
tous les excellens chanteurs que nous avons
admiré jufqu'aujourd'hui . Ces réflexions
déja confirmées par l'expérience , doivent
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
+
nous faire augurer qu'il eft encore des
moyens de rétablir l'Opéra dans fon ancienne
gloire , du moins pouvons - nous
nous affurer que fi nous manquons de
fujets & par conféquent de plaifirs , nous
ne devons en accufer que nous-mêmes.
On délivre actuellement chez Ch. Ant
Jombert , Libraire , rue Dauphine , le tome
III de l'Architecture françoife . Le to
me IV de cet ouvrage utile ne pourra pa◄
roître que vers la fin de cette année , par
les raifons que l'on verra dans le Profpectus
qui vient d'être publié à ce fujet.
Le même Libraire vient de mettre en
vente un Dictionnaire portatif de l'Ingénieur
, où l'on explique les principaux ter
mes des ſciences les plus néceffaires à un
Ingénieur , fçavoir , l'Arithmétique , l'Algebre
, la Géométrie , l'Architecture civile ,
fa Charpenterie , la Serrurerie , l'Architec
ture hydraulique , l'Architecture militaire,
la Fortification , l'attaque & la défenfe des
places , les mines , l'Artillerie , la Marine ,
la Pyrotechnie . Par M. Belidor , Colonel
d'Infanterie , ancien Profeffeur de Mathé
matiques , &c. un vol . in- 8 ° . petit format,
Prix 3 liv . 12 f. relié.
ごろ
ΜΑΙ.
77
1755:
SECONDE LETTRE
•
D'un Académicien de M .... à un Academicien
de R.... fur la Chriftiade , ou
le Paradis reconquis , pour fervir de fuite
au Paradis perdu de Milton.
U
NE maladie longue & opiniâtre , une
convalefcence des plus lentes & des
affaires arrierées ne m'ont pas permis ,
Monfieur , de vous tenir plutôt la parole
que je vous donnai dans ma lettre du mois
de Juillet dernier , dans laquelle je vous
promettois de vous dire mon fentiment
fur le refte de la Chriftiade. Je fuis ravi
que le jugement que j'en ai porté s'accor
de avec le vôtre , & que celui de vos illuftres
confreres y mette un fceau refpectable
à tout critique. Je vais donc achever
l'analyfe de cet ouvrage avec confiance &
fans partialité.
Je vous avois laiffé au huitième chant
& c'eft de là que je reprens. Il contient
le plus grand & le plus augufte de nos
myfteres ; l'inftitution de l'Euchariftie , &
je vous affure qu'on ne peut lire rien de
plus tendre & de plus onctueux que le
difcours que le Sauveur fait à fes Difci-
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
ples dans fon teftament d'adieu . Le combat
de fon agonie eft un morceau théologique
, qui n'eft pas à la vérité de notre
reffort , mais nous en avons entendu difcourir
des Théologiens , qui ont affuré
qu'on ne pouvoit mieux accommoder le
dogme dans un poëme , & le mettre dans
le jour le plus favorable & le plus conforme
à la faine doctrine , fans en rien altérer
, au milieu même des fictions poëtiques.
L'épifode de Judas Iscariot qui commence
à la fin du feptieme chant , & qui
finit dans le dixieme par fa mort tragique,
eft un épiſode d'éclat qui n'a pas échappé
à votre pénétration : il eft en effet bien
fingulier ; car cet épifode feul eûr pû faire
la matiere d'un poëme par fon commen
cement , fon milieu & fa fin . L'efpece de
choc qui fe paffe dans le jardin des Oliviers
lorfque le Sauveur y eft pris , paroîtroit
d'invention romanefque , fi l'Evangélifte
ne difoit pofitivement qu'à la parole
du Sauveur , Judas & les troupes qu'il
conduifoit tomberent à la renverſe . L'em-
-portement de S. Pierre , connu par le coup
de glaive dont il frappa Malchus , & la
difpofition des autres Apôtres fes collégues
qui n'attendoient que le confentement
de leur Maître pour tirer pareilleΜΑΙ.
79 1755.
ment le glaive , eft fi bien marqué dans
l'Evangile , qu'on ne peut le regarder comme
une rodomontade de la part des compagnons
de l'Homme Dieu . Le fonge de
la femme de Pilate , qui dans le neuvieme
chant interrompt le jugement que fon
mari alloit porter contre Jefus , & la def
cription du temple de la Sibylle , font des
épifodes d'invention hiftorique , où tout
elt afforti au fujet principal. L'antre des
génies infernaux où Satan defcend par les
bouches du Vefuve , & y fait forger les
inftrumens du fupplice de Jefus- Chriſt , eſt
encore un morceau d'imagination poëtique ,
qui ravit par le détail des ouvrages aufquels
ces génies font occupés. Cette defcription
qui égaie le fombre de la mort
tragique de Judas , eft admirable. Le por
trait de la politique que Satan appelle du
haut des tours de Solime , & la politique
qui , fidele à la voix de Satan , quitte lecabinet
de l'Empereur Tibere , & accourt
à travers les airs pour venir fe prêter aux
vûes du monarque infernal , fait un bel
effet dans le onzieme chant. Le fupplice
du Sauveur & le tableau des fouffrances
qu'il endure avec une patience plus que
héroïque , contrafte fort bien avec le zéle
des Anges qui forment l'armée céleſte , &
quiau premier mouvement courent prendre
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
1
-
les armes dans l'arfenal de Dieu pour aller
fondre fur les ennemis de fon fils , & le
délivrer des mains des impies qui s'apprêtent
à le crucifier. Ce zélé de l'armée célefte
, qui borné par l'ordre abfolu du
Tout puiffant , fe change en deuil , &
l'éclipfe de la férénité de la face brillante
de Dieu pénétré de douleur à la mort de
fon fils , éclipfe qui eft la caufe premiere
des ténébres qui obfcurciffent le foleil , &
qui couvrent toute la terre en un inſtant ,
tout cela eft d'un fublime qui étonne , ra
vit , & imprime la terreur , la crainte & le
refpect pour la majeſté de Dieu . L'éclat
qui accompagne le triomphe de la Réfurrection
du Sauveur , les vives defcriptions
de l'empire du tems , du cahos & de la
nuit , celle des enfers , dont les peintures
effrayantes font d'un nouveau coloris &
parfaitement afforties aux différens genres
de tourmens , & aux différentes efpeces
de coupables qui les endurent , la defcription
des limbes , le portrait de la tranquille
efpérance qui anime les faints perfonnages
qui l'habitent , ce doux efpoir d'un
heureux avenir qui contrafte avec la fureur
& le defefpoir des réprouvés , la beauté
du climat des limbes & l'horreur des enfers
, font des tableaux qui effrayent &
raffurent , qui troublent & qui calment,
Μ Α Ι. 1755 .
81
tour à tour le lecteur. Il fe délaffe enfin
dans les belles plaines du ciel & dans le
brillant féjour de la Divinité , dont le temple
eft peint d'une maniere d'autant plus
admirable , que l'auteur pouvant faire.
jouer fon imagination , n'a néanmoins
emprunté que les idées tracées par S. Jean
dans fon Apocalypfe. Le livre des deftinées
humaines , fcelle de fept fceaux que le
Sauveur ouvre aux yeux de fon Apôtre ,
pour lui faire connoître les hommes dont
les ames lui font confiées , eft encore emprunté
de l'Apocalypfe . L'établiffement
miraculeux de l'Eglife , & le changement
progreffif qui fe fait dans tous les états du
monde par la prédication de l'évangile ,
les portraits des premiers Souverains chré-,
tiens , & les juftes éloges donnés à leurs
fucceffeurs en qualité de protecteurs de
l'Eglife , la fucceffion invariable & non.
interrompue des fouverains Pontifes qui
ont occupé le fiége de Rome & de l'Eglife ,
& les traits fous lefquels font repréfentés
les plus grands Papes jufqu'à celui qui
remplit fi dignement la chaire de Saint .
Pierre , tout cela eft d'une invention fine
ingénieufe , délicate , qui tranfporte & ravit
le lecteur en lui rappellant les grands.
traits de l'ancien & du nouveau Teftament ,
& d'une partie de l'Hiftoire eccléfiaftique
Dy
82 MERCURE DE FRANCE.
par une narration agréable & fleurie.
On a donc bien eu raifon , Monfieur ,
de dire que la Chriftiade , bien loin de
nuire à la religion & de fcandalifer la foi
des Fideles , ne peut fervir qu'à leur donner
une grande idée de nos myfteres . Les
fictions fans nombre qui étayent ce poëme
, n'auroient point été admiffibles dans
un fujet auffi facré , & le lecteur pieux
auroit eu raifon de s'en alarmer & de les
rejetter , fi l'auteur n'eût eu la précaution
de les puifer toutes dans le fond même des
myfteres , ainfi que l'a fort bien remarqué
un célebre Journaliſte , & de les appuyer
des autorités de l'Ecriture , des faints Peres
, des Conciles , des Commentateurs
& de l'Hiftoire . C'eft de là probablement
qu'eſt venu ce déluge de notes qui a inondé
l'ouvrage , & c'eft avec la même juſteſſe
que vous avez été frappé de l'art avec lequel
les humiliations & les grandeurs de
Homme - Dieu contraftent avec dignité &
s'ennobliffent mutuellement.
En effet le poëme de la Chriftiade n'eft
que le triomphe du Chrift . Si cet objet
nous étoit moins familier , il piqueroit
plus notre curiofité ; mais un fujet dont
nos oreilles font rebattues dans nos chaires
, dont nos livres font remplis , dont
nous fommes imbus dès l'enfance , affadit
M. A I. 83
1755. .
en quelque forte , & rebute , fi l'on peut fe
fervir de ce terme , l'attention du Chrétien
tiéde , à laquelle les objets attrayans
du fiécle font fans ceffe diverfion. Dans le
monde on ne connoît communément le
Sauveur que par fa naiffance pauvre & par
fa mort ignominieufe ; ce font là les deux
points de vûe fous lefquels on le confidere
: l'éclat de fes miracles frappe , mais
l'ignominie de fa croix fcandalife , & il
faut avoir une foi bien ferme pour n'être
pas tenté d'abandonner un maître qui vit
d'une façon fi obfcure , & qui meurt du
fupplice le plus infâme . C'eft là ce qui a
donné crédit au préjugé commun , que que les
myfteres de notre religion ne fçauroient
être la matiere d'un poëme ; mais un ef
prit qui ne s'arrête point à la fuperficie ,
qui s'éleve au- deffus des préjugés , qui approfondit
tous les myfteres , qui analyſe
tous les faits , ne peut s'empêcher d'être
frappé de la Divinité , qui éclate jufques
dans les moindres actions du Sanveur ; on
voit en lui le héros des héros , le héros par
excellence , l'Homme - Dieu , le Dieu des
Dieux .
Je ne puis mieux finir cette analyfe ,
Monfieur , qu'en vous difant mon fentiment
fur le fujer des planches , vignettes
& gravûres en taille -douce qui font à la
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
tête de chaque chant de la Chriſtiade : il
y regne autant de poëtique & de fublime
d'idées que dans l'ouvrage même ; les allégories.
en font fines , juftes & nullement
forcées. Peut - on rien de plus beau que
l'idée du frontispice , où les trois monftres,
Satan , le péché & la mort perfonnifiés ,
font attachés au trophée du Rédempteur ;
le palais du prince de l'air , avec tous fes
attributs , & la tempête qu'il excite à la
priere de Satan ; le confeil des démons fur
le Liban , où les grands acteurs font caractérifés
; le feftin d'Hérode , où Hérodias
danfe ; Magdeleine dans fes beaux jardins.
livrée à fes illufions , & enfuite dans fon
appartement renverfant & brifant fa toilette
dans un faint emportement de converfion
; la médiation du Verbe , & Adam
& Eve pris dans les filets de la mort ; la
naiffance de la femme ; l'antre des génies
infernaux ; l'arfenal célefte ; le magnifique
temple de la Sibylle , & la femme de
Pilate dormant fur les genoux du fommeil;
l'ame du Dieu crucifié, expirant, qui fort de
fa bouche , un drapeau d'une main en figne
de fa victoire , & des foudres de l'autre , en
inftrumens de fa vengeance , qui foudroye
& précipite les légions de démons répandus
dans les airs , où ils s'applaudiffoient
de leur prétendue victoire fur le Seigneur
MA I. 1755.
85 .
& fur fon Chrift ; & enfin ce même Chriſt
fortant victorieux du tombeau , dont la
pierre énorme renversée par la puiffance
divine , écrafe la mort qui étoit affife
deffus ; & les clefs de la mort & des enfers
que le Sauveur reffufcitant tient dans
fes mains? ce font là , Monfieur , autant
d'idées nobles & poëtiques que le célebre
Eyfen a parfaitement tracées , fans doute ,
d'après l'auteur , & que les plus habiles
Graveurs de Paris ont très - bien rendues .
Tout eft poëtique , tout eft admirable dans .
ce poëme , jufqu'au crayon & au burin
du Deffinateur & des Graveurs.
"
Vous penferez peut - être , Monfieur, que
la chaleur du climat qui échauffe notre
imagination , eft la feule caufe de l'admiration
que nous avons pour la Chriftiade ;
mais defabufez-vous , les coups de foleil
aufquels on nous accufe d'être fujets , ne
dirigent point nos jugemens ; je ne vous
les produirois même pas avec tant de confiance
, fi les perfonnes les plus éclairées
de nos provinces & des Académies voifines
, & principalement un homme célebre
par quantité de bons ouvrages , qui fe
diftingue à la tête de l'Académie des Belles-
Lettres de M .... n'avoit prévenu notre
jugement par les fuffrages les plus favorables
à la Chriftiade .
86 MERCURE DE FRANCE.
Quoiqu'il en foit , notre admiration
pour ce poëme n'eft point aveugle , mais
nous faifons graces aux défauts en faveur
des beautés ; car quelques exemples & autorités
que l'auteur apporte pour fe juftifier
d'avoir écrit fon poëme en profe
cependant , comme l'ufage a prévalu , &
que par poëme on entend communément
aujourd'hui un ouvrage en vers , nous faifons
des voeux avec vous pour que quel
que heureux génie s'animant du feu poëtique
de l'auteur de la Chriftiade , fans en
amortir les faillies , veuille bien prendre
la peine de nous la rendre en beaux vers
françois , débarraffée de certains détails
qui font languir l'action , & de quelques
notes qui paroiffent fuperflues. Je fuis ,
& c.
On imprime chez Boudet , rue Saint
Jacques , au Livre d'or , un projet de
Tactique d'après le fyftême du Chevalier
Folard , & les idées de M. le Maréchal de
Saxe. Je crois que l'annonce de ce livre.
doit exciter la curiofité de nos militaires ,
que fa lecture peut leur être auffi utile
que l'ouvrage paroît intéreffant. Le Libraire
le diftribuera dans le courant de ce
mois ; 1 vol. in-4°.
&
MA I.. 87 1755
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES - LETTRÉS.
ALGEBRE.
LETTRE à M ..... Profeſſeur & Cenfeur
royal , par M. G. Ecuyer , Officier
de la chambre de Madame la Dauphine
, fur un problême d'algebre appliqué
à la fcience de la guerre .
Onfieur , j'avois décidé avec moi-
Mmême de faire un divorce irréconciliable
avec l'Algebre & la Géométrie :
la néceffité de faire valoir mon bien de
campagne , celle de fuivre plufieurs procès
de fucceffion , mon peu de fanté , &
par conféquent le peu d'efpérance d'y acquerir
une forte de célébrité , m'avoient
fait prendre un parti fi contraire à mon
goût . J'eus l'honneur cet automne &
en même tems le vrai bonheur d'être admis
à faire ma cour à des perfonnes de
qualité de mon voifinage ; j'y retrouvai
des compas , des équerres , des niveaux ,
des graphometres , des cartes topographi
,
38 MERCURE DE FRANCE .
ques , des plans de bataille , de fiége , de
marches militaires , des projets de campa
gne , &c. en un mot tout ce qui caractériſe
un ſyſtème de travail ferieux , fuivi ,
& propre à des perfonnes deftinées par leur
naiffance & leurs talens héréditaires &
perfonnels , aux premiers emplois de la
guerre en falloit- il davantage pour me
rappeller à mes premieres foibleffes : On
me propofa de réfoudre le problême d'algebre
dont je vous fais aujoud'hui la dédicace
; nouvelles chaînes , nouveau motif
d'ardeur & d'émulation , & voilà l'époque
glorieufe pour moi de mon retour à
la géométrie. Je vis dans cette refpectable
maifon , avec un plaifir bien fenfible
& bien délicat , des enfans à peine de fept
ou huit ans , tracer des lignes & des angles
, reconnoître leurs rapports & leurs
combinaiſons , manier des inftrumens de
Mathématique je fus enchanté de n'entendre
fortir de leur bouche que les termes
de fervice du Roi , de la haine de
fes ennemis , de l'honneur , de la bravoure
, & de la néceffité d'acquerir les talens
du coeur & de l'efprit , indifpenfables pour
commander les autres ; on me pardonnera
cette forte d'indifcrétion , j'y vis avec la
plus vive furpriſe , & comme une efpéce
de paradoxe , les dames , fans perdre la
MA 1. 1755. 89 ·
plus légere de leurs graces , ni de ce tour
délicat & ingénieux de la converſation
que donne l'ufage du grand monde ; les
dames , dis- je , paffer avec fuccès , de la
poëfie , de la mufique , de l'hiftoire , ou
des ouvrages de goût & de légereté , à calculer
, à réfoudre des problèmes de Géométrie
& d'Algebre.
Enfin j'y vis les terres & les arbres
cultivés fuivant les principes de M M.
Sthul , Duhamel , de Buffon ; les abeilles
& les vers à foie élevés fuivant les regles
de M. de Réaumur ; la pratique de l'éducation
fauvage des beftiaux , en un mot
plufieurs de ces arts champêtres innocens ,
utiles à la fociété , à la fanté , à la confervation
de fon bien , & dont les héros rendus
à la paix ne rougiffoient point autrefois.
Tout refpiroit dans cette belle & délicieuſe
campagne l'efprit de calcul & de
fyftême , & ces principes folides de la
raifon fupérieure de l'illuftre M. de P. auffi
grand à la guerre que férieux & appliqué
chez lui , d'où il avoit banni cette frivo-.
lité qui ne gagne que trop aujourd'hui .
Les bornes d'une lettre femblent contraindre
de fi juftes motifs d'éloges ; mais la
vertu & le vrai mérite font fi peu communs
qu'on n'en reconnoît les traces qu'avec
un fecret & délicieux enchantement ;
90 MERCURE DE FRANCE.
ces motifs ne font pas néanmoins étrangers
à l'objet de ma lettre , puifqu'il vous
entretiennent d'application de calcul aux
affaires de la vie ; méthode que vous eftimez
. avec raiſon , bien fupérieure à celle
qui ne traite que des x & des y , & dont
vous ne ceſſez de recommander l'uſage à
vos difciples après qu'ils fe font mis en
poffeffion de cette derniere .
?
&
Parlons maintenant de mon problême ,
qui eft , je penſe , un des plus forts qu'on
puiffe propofer en Algebre indéterminée du
premier dégré ; j'ai pris à tâche de réunir
toutes les méthodes de Diophante , de Bachet
, du P. Prefter , & d'autres. Il contient ,
proprement parler , huit problêmes différens
; ce n'eft que la quatrieme condition
qui lie les trois précédentes , comme vous
le verrez dans la premierepréparation
qui les rappelle à une expreffion où les inconnues
font égalées à des quantités connues
mêlées avec deux indéterminées . Les
fept & huitiémes conditions font deux.
problêmes nouveaux , qu'on peut encore
réfoudre féparément des premiers ; mais
comme ils font une efpéce d'hiftoire fuivie
, il faut trouver l'art de les lier avec
la deuxième préparation il y a encore
un choix délicat à faire dans les rapports
des pertes ou des foldats défaits de chaM
A I.
1755 . 91
que
détachement , car fi on ne les tire
point de la nature intrinfeque du problême
, on ne fera rien qui vaille , on aura
bien des folutions vraies , mais qui feront
à d'autres queftions. Il eft inexprimable
combien j'ai gâté de papier , & combien
il m'en a coûté de peines pour fixer ces
rapports , fans compter les fautes d'étourderie
& les erreurs des fignes . Je joins à ma
lettre le mis au net de mes calculs , qui contiennent
cinq ou fix feuillets , fans aucun
détail de divifion ou de multiplication.
C'eſt un hommage que je vous adreffe ,
un tribut , le paiement d'une dette , car
affurément je vous dois beaucoup ; c'eft
en un fens votre bien , votre ouvrage ,
puifqu'il eft bâti des matériaux recueillis
fous vous au Collège royal ; c'eft le fruit
du long loifir que me laiffe mon fervice ,
& duquel je ne crois pas devoir faire un
meilleur ufage , les devoirs de la fociété
remplis , pour mériter l'honneur de votre
eftime , & le nom de &c.
Les nombres les plus fimples qui fatisfont
à toutes les conditions du problê
me , font : 551 , 431 , 311 .
All x 8400 μss!?
J : 64052 + 431
4410
➡0.1.2.3.4.5. &cj
311
92 MERCURE DE FRANCE.
1 ° . Effectivement le tiers de 551 eſt
1832, le quart de 551 eft 135 +3 .
e
2°. Le 5º de 431 eft 86 + 1 , & le 7º
de 431 eft 614.
3 °. Le 7° de 311 eft 44 + 3 , & le 9º
de 311 eft 34 + 4.
4°. 551 + 311 = 2 × 431 = 862.
50. 551 +9 , 43x + +2 , 431 +4 :: 140. 61 .
7
60 551 +9 311 ·
'SI.
140.102
:: 50 :
C. Q.F. F. & D.
A Versailles , ce 10 Avril 1755 .
Problême d'Algebre très- intéreſſant appliqué
à la fcience de la guerre.
ON envoie trois détachemens pour
s'emparer de trois poftes différens.
1º. L'on fcait que lorfqu'on rangeoit le
premier détachement fur trois foldats de
hauteur , il y en avoit deux de rcſte ; &
lorfqu'on les rangeoit fur quatre de hauteur
, il en reftoit trois .
2°. A l'égard du fecond détachement
M A. I. 1755. 23
lorfqu'on plaçoit les hommes à cinq de
hauteur , il y en avoit un de refte , &
lorfqu'on les rangeoit fur fept , il en reftoit
quatre.
3°. Le troifiéme détachement étoit tel
que les foldats rangés fur trois de hauteur
, il en reftoit trois ; & rangés fur
neuf, il en reſtoit cinq.
4°. Le nombre des troupes du premier
& du troifiéme détachement jointes enfemble
, étoit double de celui du deuxiéme
.
5°. Le Général envoie des ordres à
quatre Officiers de mérite du fecond détachement
, & à cinq du troifiéme , de
joindre le premier détachement.
6°. Après cet ordre exécuté , le premier
poſte coûta à emporter le quart du monde
qui y étoit deſtiné.
7°. Il périt au fecond pofte le feptiéme
des troupes qu'on y avoit envoyées , lequel
montoit à neuf hommes de moins
que la moitié des foldats tués au premier
pofte ; c'est- à-dire que le rapport des trou
pes défaites au premier pofte , étoit à celui
des troupes défaites au fecond , comme
140 eft à 61 .
8. L'on perdit , pour emporter le troifiéme
pofte , le tiers des troupes qui y
étoient commandées , & cette perte étoit
94 MERCURE DE FRANCE.
relativement à celle qu'on fit au premier
pofte , comme 51 eft à 70.1
9°. L'on demande de combien d'hommes
chaque détachement étoit compofé ?
On donnera dans le Mercure du mois.
prochain la méthode de la folution .
M
e
e
HISTOIRE NATURELLE.
Lettre à l'Auteur du Mercure.
Onfieur , quoique peu Phyficien ;
& encore moins naturaliſte , j'ai cependant
fort goûté le fentiment de M.
Muffard fur la décoloration des coquilles
foffiles , expliquée dans fa lettre du 29°
Juin dernier , & inférée à la page 148 -
155 ° de votre Mercure du mois d'Août
fuivant. Je comprends très - bien comme
lui , que les fines fubftances qui compoſent
ces couleurs ont pû fe détacher des corps
durs & groffiers qui forment les coquilles
par
la corrofion des différens acides répandus
dans les terres où ils font dans une
fermentation continuelle. Je comprends
de plus comment ces fines fubftances peuvent
paffer du regne animal au regne minéral
; car il paroît très- probable que la
plupart des bancs de coquilles foffiles fe
trouvant dans une très - grande profon
MA I.. 1755.
95
ces ,
deur , ces fines fubftances ainfi détachées ,
font entraînées vers le centre de la terre pår
les eaux qui y coulent naturellement , ou
par celles qui peuvent y filtrer après des
pluies abondantes ; & rien n'empêche qu'elles
ne fervent à colorer d'autres fubftantelles
que les pierres précieuſes , &c.
en fe dépofant dans leurs matrices , s'atrachant
à leurs embrions , & s'incorporant
avec les fucs qui leur donnent l'accroiffement
, & les conduifent à leur perfection
; mais je ne crois pas que la conjecture
qu'il hazarde dans le Poftfcriptum de
cette lettre , faffe fortune. Le paffage de
ces mêmes fines fubftances dans le tegne
végétal , où elles formerpient ce magnifique
émail des fleurs & des fruits que
nous admirons , me paroît impoffible.
Ne peut-on pas en effet lui objecter
1 °. que les coquilles fofiles ne fe trouvant
que dans les terreins que la mer
quitte pour fe creufer de nouveaux abîmes
par fon mouvement d'orient en occident
, les fleurs qui croiffent fur ceux qui
n'ont jamais été fubmergés , ou qui l'ont
été depuis filong- tems qu'on peut foutenir
avec M. Muffard , que toute la partie colorante
de leurs coquilles a été diffoute &
entraînée vers le centre de la terre ; que
ces fleurs, dis-je , ou ne doivent avoir au
96 MERCURE DE FRANCE.
> cune couleur ou n'en peuvent avoir
qu'une uniforme, à quelques nuances près ?
or l'expérience étant contradictoire à cette
fuppofition , il faut avouer au moins que
les coquilles ne font pas l'unique palette
d'où le peintre de la nature tire fes couleurs
pour embellir les fleurs .
2°. Que les fines fubftances qui compofent
les couleurs des coquilles foffiles n'étant
ni inépuiſables , ni immuables dans
leurs nuances , les fleurs doivent retomber
dans le même inconvénient de n'avoir
plus de couleur , ou d'être réduites à une
uniformité de couleur infipide & faſtidieufe
, lorfque ces fines ſubſtances feront
réduites à rien par leur longue circulation.
3°. Que ces bancs de coquilles foffiles
ne font point univerfels ; qu'il y a des
endroits très-vaftes où il n'y en a jamais
eu , & que cependant les fleurs font partout
parées des mêmes couleurs , fans autres
altérations que celles qui vienent de
la différence des températures & des climats.
4°. Que ces bancs étant pour la plupart
dans une très-grande profondeur ,
il eft impoffible que ces fines fubftances pénetrent
d'immenfes épaifleurs de marbre ,
de pierre , de tuf , & d'autres minéraux ,
peutMA
I. 1755. 97
peut- être moins durs , mais auffi plus embarraffans
, tels que la terre glaife , pour
de là paffer dans la terre végétale , d'ou
les plantes les puiffent pomper.
50. Ne pourroit -on pas demander à M.
Muffard fi les fels contenus dans les végétaux
ne fervent qu'à volatilifer , pour
ainfi dire , ces fubftances colorantes qu'ils
ont diffous ? Tout le monde fçait combien
ils influent dans la nature fur la production
des couleurs quand ils font com
binés diverſement avec le phogiſtique ; fait
que M. Geoffroy le jeune a fi bien prouvé
dans fon travail fur l'huile de lin.
D'ailleurs fans aller recourir à des corps
étrangers , ne feroit- il pas plus naturel de
penfer que les fines fubftances qui fervent
de bafe aux couleurs des végétaux , fe
confervent dans la terre après la décompofition
de ces mêmes végétaux , & qu'elles
fervent à compofer l'émail des plantes
nouvelles qui croiffent dans le même endroit
, fi tant eft qu'elles y fervent ?
Au refte , Monfieur , ce n'eft point l'envie
de critiquer qui m'a fait prendre la
plume; je refpecte la ſcience & les travaux
de M. Muffard , mais je propofe quelques
objections pour engager ce naturalifte
à développer fon fentiment , & à
travailler fur un point d'hiftoire naturelle ,
E
98 MERCURE DE FRANCE.
qui eft encore bien obfcur , & fur lequel
nous n'avons gueres d'ouvrages fatisfai
fans. Je fuis , &c.
P. L. F. P. D. W. P.
De Paris , ce premier Mars 1755 .
Depuis la lettre qui a donné lieu à ces
remarques , M. Muffard en a écrite une
nouvelle à M. Jallabert fur la même matiere
; elle peut donner plus de jour ou
d'étendue à fon fyftême , & doit trouver
ici fa place.
LETTRE de M. Muffard à M. Jallabert
, Profeffeur en Philofophie expérimentale
& en Mathématique , à Geneve .
M
Onfieur , tout me ramene au plaifir
de vous entretenir quelquefois par
mes lettres . Je fens que je puis trouver
dans un fi doux commerce , non feulement
de l'inftruction fur mille chofes que j'ignore
, mais encore de nouvelles lumières fur
celles que je crois fçavoir le mieux , & particulierement
fur les connoiffances que je
tâche d'acquerir par mes recherches.
Votre derniere réponfe me confirme dans
une partie de mes principes , il eft flateur
SRAM JAKI. 1735 .
VILLE
THE
LYJN
893
pour moi qu'ils foient adoptés par un ho
me tel que vous. J'aime , par exemple
vous voir déclarer que les pierres calcaires
vous paroiffent dûesjau genre animal , &
que fuivant vos propres obfervations elles
font formées d'un immenfe amas d'oeufs
de poiffons ; j'ajoûterois de coquilles &
de leurs détrimens . D'autres expériences
Monfieur , vous feront étendre infailliblement
cette idée beaucoup plus loin. Je në
fuis pas moins fatisfait pour la confirmation
des miennes , que ma remarque fur le plus
ou le moins de réfiftance des corps marins
à la décompofition vous paroiffe également
importante & certaine ; & je penſe
comme vous , que la qualité du diffolvant
eſt une autre raison qui peut hâter ou retarder
leurs changemens.
- A l'égard de mes idées fur les couleurs
je vous prie , Monfieur , de mettre beaucoup
de diftinction entre ce que j'ai cru
pouvoir avancer avec une forte vraiſemblance
qui approche pour moi de la certi
tude , & que j'ai propofé comme une fimple
conjecture , qui exige d'autres éclairciffemens
& d'autres preuves ; il me femble
même que je vous ai demandé grace
pour ma hardieffe. Que m'étois- je propofé
dans ma derniere lettre ? d'expliquer
fuivant mes foibles notions , d'où vien-
Eij
100 MERCURE DE FRANCE.
f
nent les belles couleurs d'un grand nombre
de foffiles, J'en trouve la fource dans les
couleurs des corps marins , ou plutôt je
crois les reconnoître pour celles même de
ces corps , qui s'en détachant , comme ję
l'ai repréfentés, deviennent celles des au
tres corps aufquels elles fe joignent. Je
n'en excepte pas les mineraux ; & frappé
de voir que toutes mes expériences s'accordent
avec cette fuppofition , j'ajoûte qu'il
ne feroit pas furprenant pour moi qu'on
découvrit par d'autres obfervations que
les couleurs des végétaux vinſſent auffi de
la même fource : ce n'eft pas mettre au même
rang deux idées que je ne regarde
point encore du même oeil , & dont la feconde
n'est qu'une induction hazardée de
la premiere.
11
Mais permettez - moi , Monfieur , de remarquer
en premier lieu que vous ne
condamnez point celle qui regarde les
belles couleurs de certains foffiles & des
mineraux , & que votre filence du moins
me laiffe la liberté de conclure que vous
ne trouvez rien à combattre dans mon explication.
C'étoit particulierement
fur ce
point , tel que je l'ai expofé , que ma déférence
pour vos lumieres me faifoit fouhaiter
d'obtenir votre jugement,
2. Vos obfervations ne commencent
SOWA MEAL 1755 101
qu'à l'occafion des végétaux , lorfque donnant
plus d'étendue à mon explication que
je ne lui en donne moi-même , vous fuppofez
que je cherche auffi la fource de
leurs couleurs dans celles des corps marins.
Il ne vous paroît pas vraisemblable que
cette fource puiffe fuffire pour colorer tant
de fubftances , fur- tout les plantes dont les
couleurs fe renouvellent journellement ;
la feule verdure de l'herbe vous paroît
une difficulté invincible , &c. Que direzvous
de moi , Monfieur , fi je fais tourner
cette objection inême en ma faveur
en obfervant qu'elle ne nuit point au fond
de mon explication , puifqu'elle ne regarde
que le plus ou le moins d'extenſibilité
des parties colorifiques ? Il me deviendra
peut être affez indifférent jufqu'où elles
peuvent s'étendre , fi l'on m'accorde qu'elles
peuvent être tranfmifes , comme je le
crois , dans la fphere de leur extenſion
réelle , & je n'en aurai pas moins trouvé
d'où viennent les belles couleurs d'un grand
nombre de foffiles qui font dans cette fphere.
Mais le globe terreftre produit- il quel
"
>
que chofe qui n'y foit pas , lorfque fuivant
mes idées , il eft certain & régulierement
démontré les obfervations qu'il
n'y a point de couches connues qui ne
foient compofées de corps marins , ou de
སཎ
par
E iij
102 MERGURE DE FRANCE.
leurs détrimens fous d'autres formes p
23 Rappellez - vous , s'il vous plaîry
Monfieur , que je fonde uneipartie de mon
explication fur la parfaite reffemblance de
quelques- unes des belles couleurs des foffiles
avec celles des corps marins , & fur les
traces que je crois trouver de la même
origine dans celles où la reffemblance eft
moins parfaite : il s'enfuit que la tranfmiffion
que je fuppofe , n'eft pas égale , tan-
τότ parce que les parties colorifiques ne fe
détachent pas également des.corps marins ,
ou ne fe joignent pas également aux autres
corps , tantôt parce qu'elles reçoivent
le mêlange de diverfes autres parties qui
les alterent ou qui rompent leur continuin
té. Mais auffi long-tenis qu'elles ne chan
gent point de nature , elles doivent conferver
, fuivant mon explication , la couleur
qui leur eft propre ; & leur féparation
ou leur difperfion dans un tems n'empêche
point qu'elles ne puiffent fe rejoindre
dans un autre. Entraînées comme elles
font par les fucs qui les détachent , elles
circulent avec eux dans les différens lits
de la terre , jufqu'à ce qu'elles fe joignent
aux corps qui font capables de les arrêter' ;
& les corps aufquels il s'en joint le plus¹ ,
avec moins de mêlange , font ceux où les
couleurs qu'elles forment ont un plus patMA
I.
1755. 103
fait rapport à leur origine . Cette théorie
qui ne bleffe aucune vraisemblance , donne
un champ affez vafte à l'extenfion des parties
colorifiques , que j'ai fuppofées d'ailleurs
extrêmement minces , extrêmement
déliées , ductiles même , & fi l'on veut diviſibles
à l'infini ; celles qui s'y mêlent peuvent
être fulfureufes ou falines , & fervir à
varier les couleurs ; mais dans la fuppofition
conftante que notre globe n'a point de couches
connues qui ne foient compofées de
corps marins , d'où viennent les foufres &
les fels fi ce n'eft de cette matiere , dans
laquelle ils font renfermés ? & ne font-ils
pas mêlés eux - mêmes de parties colòrifiques
qui fortent de la même fource ?
Ce n'eft pas aujourd'hui , Monfieur , que
je veux faire ufage de ces principes , pour
en étendre les conféquences auffi loin
qu'elles peuvent l'être je n'ai penſé ici
qu'à jetter un peu de jour fur mes premieres
idées. Mais fi vous trouvez que je
n'ai pas mal élargi le champ pour la tranfmiffion
des couleurs du genre animal au
mineral , peut- être avancerai - je plus hardiment
dans la même carriere ; & je ne
defefpere pas du moins d'avoir bientôt
quelque chofe de raifonnable à vous écrire
fur ce qui peut fournir au renouvellement
continuel des couleurs dans les végétaux ,
E iv
104 MERCURE DE FRANCE .
auffi -bien qu'à la verdure conftante de
l'herbe. Un voyage que je viens de faire
avec quelques amis éclairés , fournit une
nouvelle matiere à nos obfervations. J'en
foumettrai inceffamment les fruits à vos
lumieres : mais c'eft en comptant toujours
fur votre indulgence , comme je vous prie
de faire fonds fur les fentimens inviolables
avec lesquels j'ai l'honneur d'être ,
& c.
A Paffy, le 30 Novemb. 1754.
MÉTALLURGIE.
Ans le Mercure d'Avril , page 13.45
à l'article Métallurgie , un anonyme
afin d'ôter avec raifon l'honneur de l'invention
de l'art de convertir le fer en
acier à celui qui en a établi une manufacture
, fans faire mention de M. de Réaumur
, en attribue la découverte à Sebaſtien
Florès , Serrurier de Madrid , qui en fit
l'heureuſe expérience il y a plus de vingtcinq
ans , par ordre du Confeil de Commerce.
Cet anonyme n'a pas lu fans doute
dans le volume des Ephémerides cofmographiques
pour 1754 , page 318 , ce
qui fuit.
* » L'ancienne connoiffance qu'en EgypMAI
1755. 105
"}
te on fait éclore des oeufs par le feul dégré
de la chaleur d'un four convena-
» ble , tant d'autres ufages & analogies
pouvoient conduire plutôt à l'électrifation
lente & graduelle , & à un art qui,
» 1fans la fagacité d'un Réaumur , feroit
encore à defirer , ainfi que l'art de convertir
le fer en acier. En auroit- on moins
d'obligation à un fi zélé naturalifte , malgré
l'ancien ufage de tremper ces métaux
fortant de la forge , dans l'eau pour
» les durcir , comme le Pere Merfene l'a
rapporté dès 1634 , dans fes queſtions
» phyfiques.
ور
t
SEANCE PUBLIQUE
De l'Académie des Infcriptions & Belles-
Lettres.
' Académie royale des Infcriptions &
Belles-Lettres fit fa rentrée publique
d'après Pâques le 8 d'Avril. Après l'annonce
des fujers propofés pour les prix de
1756 , M. l'Abbé Batteux fit la lecture d'un
mémoire , qui a pour titre Développement
de la doctrine d'Ariftippe , pour fervir d'explication
à un paffage important de la premiere
Epitre d'Horace . M. de Bougainville ,
Secrétaire perpétuel de l'Académie , lut
Ev
106 MERCURE DE FRANCE .
enfuite un mémoire , intitulé Hiftoire du
voyage d'Hannon fur les côtes d'Afrique , tirée
de fa relation éclaircie par celles des voyageurs
de Médie. M. d'Anville eft l'auteur
du troifieme mémoire qui fut lu , & qüi
regarde un monument fculpté fur une montagne
d'une des provinces de cet ancien
royaume. La lecture du fixieme mémoire
de M. le Beau fur la Légion Romaine ter-
-mina la féance. obog
Le prix a été remis pour l'année prochaine.
Le fujet propoſe n'ayant pas été
traité au gré de l'Académie , elle propofe
de nouveau la même queftion ; fçavoir ,
En quel tems , & par quels moyens le Paganifme
a été entierement éteint dans les Gaules.
L'Académie donnera auffi ens le
prix fondé Le
r M. le Comte de
Caylus
.
fujet confifte à déterminer , Quels font les
attributs diftinctifs qui caracteriſent Jupiter
Ammon dans les auteurs , & fur les menumens
? Quelles pouvoient être l'origine & les
·raifons de ces attributs ? avoient- ils tous éga-
·lement rapport aux dogmes de la religion
égyptienne ? ont-ils éprouvé , foit en Egypte ,
foit ailleurs , des alterations propres a fixer
à peu-près l'âge des monumens où ils font repréfentés
? Le premier de ces deux prix Tera
diftribué dans la féance publique d'après
Pâques , & le fecond dans celle d'après la
S. Martin.
MAI. 1755. 197
SEANCE PUBLIQUE
L
De l'Académie royale des Sciences .
E 9 l'Académie royale des Sciences rentra
publiquement . M. de Fouchy , Secrétaire
perpétuel de l'Académie , fit la lecture
de l'éloge du feu Baron Wolf , affocié
étranger. Elle fut fuivie de celle d'un
mémoire de M. de Mairan fur la balance
des Peintres , du feu Sr de Piles . M. le Roi
lut un mémoire fur l'Electricité. La féance
fut terminée par la lecture que fit M. Duhamel
de la Préface d'un ouvrage qu'il va
publier en deux volumes , fur les arbres&
arbuftes qu'on peut élever en pleine terre dans
les différentes provinces du royaume . Il doit
faire partie d'un grand traité fur les bois &
les forêts.
Le fujet du prix de cette année étoit la
maniere de diminuer , le plus qu'il eft poffible
, le roulis & le tangage d'un navire , fans
qu'il perde fenfiblement par cette diminution
- aucune des bonnes qualités que fa conftruction
doit lui donner. Ce prix a été adjugé à la
piéce Nos , qui a pour devife , per varios
ufus arfem experientia fecit. M. Chauchor ,
fous - conftructeur des vaiffeaux du Roi à
E vj
108 MERCURE DE FRANCE .
Breft , en eft l'auteur. Comme ce fujet eft
important , & qu'il peut être plus approfondi
, fur-tout par rapport au tangage ,
l'Académie le propofe une feconde fois
pour 1757 .
SEANCE PUBLIQUE
De la Société Littéraire d'Arras.
A Société Littéraire d'Arras tint le 22
Juin une affemblée publique à l'occafion
de la réception du R. P. Lucas , Jéfuite.
Le remerciment qu'il fit à ce fujet
fervit d'introduction à un difcours fur
l'excellence de l'hiftoire naturelle , dont
l'utilité & les agrémens firent les deux objets
de fa divifion.
Pour ne pas fortir des bornes d'un extrait
, on fe contentera de rapporter ici
quelques morceaux , dont le but étoit de
prouver que l'Artois renferme une égale
abondance de curiofités naturelles & de
'monumens antiques. Voici comment le P.
Lucas s'exprima fur ce point dans l'exorde
´de fon difcours. » L'Artois , votre patrie
» & la mienne , Meffieurs , offre aux dif-
» fertations des curieux tant d'objets inté
reffans , que la nature femble avoir fe
MAI. 1755: 100
» condé vos intentions & les miennes , en
» réuniffant dans les bornes étroites de cet-
» te province tout ce qui peut être utile
» au bien public , & fatisfaire la curiofité
des Naturaliſtes. La multitude des cho-
» fes fingulieres & même uniques qui fe
préfentent , comme d'elles-mêmes , fous
» nos yeux & fous nos pas , les pierres du
» res & molles , les pierres à grains & à
» feuilles , les pétrifications de toute ef-
» pece , les cryftallifations différentes , les
» bitumes , les foufres , les eaux , les végé-
"
»
taux , les minéraux , les médailles ro-
» maines du haut & du bas Empire , les
antiquités celtiques , tout s'y trouve ,
» tout s'y offre à nos recherches ; on ne
» peut faire un pas fans fouler aux pieds
» les tréfors de l'Hiftoire naturelle & de
l'Hiftoire ancienne.
ود
Le P. L. s'étendit dans fa premiere partie
fur les fecours que le Naturaliſte procure
à l'Hiftorien , en lui fourniffant de
précieuſes antiquités , & il détailla ainſi
les découvertes de ce genre qu'il a faites
dans l'Artois . » Toutes les parties de cette
province ne femblent- elles pas fe difpu-
» ter l'honneur de perfectionner l'hiſtoire ?
» Dainville & Gouy en Artois réfervoient à
» notre fiècle , depuis plus de deux mille
ans peut-être , la découverte de douze
a10 MERCURE DE FRANCE.
.ود
tombeaux finguliers , dont l'antiquité ,
» la matiere & la figure peuvent être le fu-
» jet d'une differtation également curieuſe
» & inftructive. Les marais d'Ecourt- Saint-
Quentin , après avoir fourni long - tems
» des tourbes plus noires & plus compac-
» tes que les tourbes ordinaires , n'en pa-
» roiffent refuſer aujourd'hui à vingt pieds
» de profondeur , que pour nous décou-
» vrir d'un côté une antiquité cachée , une
» chauffée romaine , large de vingt- quatre
» pieds , dont le commencement & le ter-
» me font encore inconnus .... & d'un
» autre côté , un amas de piques , de ha-
» ches , de maffes & de diverſes armes
gauloifes & romaines . La fabliere de
» Barale , à fix lieues d'Arras , nous a confervé
depuis mille trois cens ans , fous
vingt-deux pieds de fable , des vafes ro-
» mains de différentes figures , des pate-
» res , des fympules , des jattes rondes &
polies . Arras , Recourt , Foucquieres , & c .
préfentent aux differtations des Natura-
» liſtes de nos jours , tantôt à vingt- deux
» pieds , tantôt à plus de cent pieds de pro-
» fondeur , des arbres entiers dans une
» terre tourbeufe , dont ils font noircis &
pénétrés depuis plufieurs fiècles , fans
" avoir rien perdu de leur nature combuftible
, en perdant leur couleur naturelle...
23
ور
AMA I. 1755. Ir
爆
:
Quel fonds pour des differtations fçavan-
» tes ! quelles richeffes pour l'hiftoire ana
cienne ! quel tréfor celle de cette
≫ province
pour
Le nouvel affocié traita enfuite dės diverfes
reffources que nous devons au Naruralifte
, foit pour les befoins , foit pour
les commodités de la vie. Il parla des vulnéraires
, dont mille efpéces fe trouvent
réunies fur les montagnes d'Hefdin , comme
fur celles de la Suiffe & de l'Espagne .
Il indiqua deux ou trois fources d'eaux
minérales , jufqu'ici prefque inconnues
en Artois , & plufieurs mines de fer , de
plomb , de vitriol , dont les marques caractéristiques
, qui fe rencontrent par- tout
au centre & vers les extrêmités de l'Artois ,
femblent promettre un fuccès certain aux
travaux des Entrepreneurs. N'envions
·
" point , ( dit il en parlant du plâtre )
» n'envions point , Meffieurs , aux autres
contrées cette matiere fi utile ; nous en
S❞ trouvons dans celle-ci on peut faire
:
dans l'Artois ce qu'on fait dans l'Ile de
- France : Bourlon & Carency nous donne-
»ront un plâtre plus fin que celui de -Mont-
» martre ... ! du moins la découverte nous
» annonce un heureux fuccès : l'épreuve
de la calcination & de l'humectation
l'affûrera & l'expérience le perpétuera
112 MERCURE DE FRANCE.
»pour l'honneur du Naturaliſte , & pour
» le profit de l'Artois .
Sur la fin de fon difcours le P. L. entreprit
de faire voir que le Naturaliſte fatisfait
prefque toujours fa curiofité , en
trouvant ou ce qu'il cherche , ou ce qu'il
ne cherche pas , & l'Artois & fes environs
lui fourniffent encore des preuves de cette
vérité. Vous cherchiez , dit- il , dans les
carrieres , la pofition , l'étendue , la con-
» tinuité & l'épaiffeur des couches de ter-
"re , & vous avez apperçu dans des blocs
de pierre à la carriere royale de Ronville ,
»près d'Arras , des empreintes & des lits.
>> entiers de coquillages ; dans celle de
» Saint Vaaft , à la porte d'Amiens , dės
99
globes de matiere minérale , dont tous
» les rayons partent du point central , &
» aboutiffent à une circonférence inégale
»& champignoneufe ; & dans celles de
» Berles , à quatre lieues d'Arras , & de
» Saint Pol , à fept lieues de cette ville , des
» huîtres pétrifiées & des marcaffites de
plufieurs efpeces. Vous cherchiez dans
» des coquilles pétrifiées l'ouvrage des in-
» fectes marins confervé dans des carrie-
»res profondes depuis le déluge général ;
» & vous trouvez dans des monumens
antiques , ou l'ouvrage des premiers
» Gaulois , ou celui des anciens Romains...
""
"2
M A I.
1755. 11}
Vous cherchiez à Méricourt , à vingtquatre
pieds de profondeur , quelle eft
la couche de terre ou de gravier où finît
la matiere tourbeufe des marais , & la
» Drague *vous a rapporté différens fruits,
» des noix , des noifettes , dont la coque
» s'eft confervée entiere & folide pendant
» des milliers d'années .... Vous cherchiez
» dans les fontaines des fimples aquatiques,
& des roſeaux pétrifiés fe font offerts à
» vos yeux dans celle d'Albert fur les confins
de cette province .... Vous faifiez
» creufer les terres de Flers pour en exami
ner les différentes couches , & vous y
» avez déterré un amas confidérable de
> médailles romaines bien confervées , &
» réunies dans des vafes de terre dure &
folide .... Vous cherchiez près de Bou-
» chain des fources peu profondes , & vous
» avez tiré de la terre des monnoies farra-
» zines qui ont enrichi votre cabinet ……….
» Vous cherchiez dans les campagnes de
l'Abbaye de Dommartin des échinites
marins changés en cailloux , & avec quel
agréable étonnement vos yeux y ont
» trouvé des monnoies celtiques de fer ! ...
»Vous faifiez jetter les fondemens d'une
" Eglife paroiffiale à Gouy en Artois , &
* Inftrument pour tirer la terre à tourbe.
114 MERCURE DE FRANCE .
cette terre autrefois fanctifiée par de
pareilles fondations , vous a offert des
» médailles françoifes auffi curieuſes &
» inftructives qu'elles font antiques &
"
3 rares.
M. Leroux , Directeur , répondit au
Pere Lucas , & lui dit entr'autres chofes :
» Nous croyons comme vous , mon Révé-
» rend Pere , que la connoiffance de l'hiſtoi-
» re naturelle a toute l'utilité & les agré-
»mens qui peuvent attacher l'honnête
» homme : on ne peut rien ajoûter aux
❞preuves que vous avez fçu rendre fi inté-
» reffantes : on reconnoît avec plaifir que
» vous ne trouvez rien qui foit trop fé-
» rieux pour vos amuſemens , quand vous
» croyez pouvoir les faire fervir à éclairer
» vos compatriotes .... Hâtez - vous , mon
» R. Pere , de leur faire part des recherches
fçavantes que vous leur annoncez.;
» empreffez - vous à leur développer ces
» phénomenes qui ont bien pu arrêter pour
quelques momens leur attention , mais
dont il ne paroît pas qu'ils ayent fçu juſ-
» qu'aujourd'hui pénétrer la fource , ou
» démêler les avantages ; dirigez leur contemplation
: ouvrez - leur la terre qu'ils
habitent ; expliquez -leur comment , depuis
le déluge , elle n'eft qu'une maffe
formée d'un affemblage de mille chofes ,
C
99
ود
99
MATI 1755
९
و د
qui paroiffant déplacées dans fon fein ,
ne femblent offrir que des conjectures
fur les caufes de ce mêlange étonnant.
Placé avec eux comme dans un monde
»fouterrein , montrez-leur que c'eſt ſou-
» vent là que fe trouve l'origine de ces
changemens qui nous arrivent à nous-
» mêmes , ou aux autres, corps qui font fur
la furface de la terre ; dites-leur ce qu'ils
In doivent penfer des fontaines , des rivieres
, des vapeurs , de la formation & de
l'accroiffement des animaux & des végétaux
; en un mot , de toutes les merveil-
» les qui peuvent échapper à leurs lumieres
, ou réfifter à leur entendement. <
¡ M. Enlard de Grandval lur des remarques
fur les difficultés de la verfification
françoife . Il fit voir que ces difficultés réfultoient
principalement de la multitude
des articles , des pronoms , de certaines
prépofitions & conjonctions , des verbes
auxiliaires fouvent doublés. » Toutes cho-
>>> fes qui ne peignent rien , mais qui rempliffent
en partie la mefure , & y tien-
» nent la place d'autres mots qui exprime-
. . و ر
C
roient un fentiment , ou une image , uni-
» ques refforts du nerfpoëtique. » Il fit encore
obferver que le défaut d'élifion dans
les voyelles , excepté le muet , excluoit ła
rencontre d'une infinité de mots , qui ne
16 MERCURE DE FRANCE.
pouvoient plus fe trouver enfemble dan's
notre poëfie ; que notre profodie , quoique
peu marquée , exigeoit des attentions trèsdélicates
, parce que trop de breves ou de
longues dans un vers , le rendoient défectueux
; que non feulement la quantité des
fyllabes , mais encore leurs fons qui doivent
être variés , & le choix des rimes ,
qui , quoique différentes entr'elles , font
cependant monotones & choquantes quand
elles roulent de fuite fur une même voyelle
, en rendoient l'arrangement très- difficile.
Ce qu'il y a de pis , ajoûta M. de
» G. eft que nous n'avons fur cela aucune
régle qui puiffe nous gouverner ; la li-
» berté même fait le danger : rien de fi
borné que les préceptes de notre poëfie ,
rien de fi embarraſſant que l'exécution .
» Le choix des fyllabes breves ou longues ,
» celui des rimes & des fons eft purement
و د
ود
""
arbitraire ; il ne dépend que du goût dự
» Verfificateur ; mais combien ce goût
» doit- il être fûr & exercé pour ne s'y pas
méprendre , & qu'il eft rare de l'avoir
» tel !..... Les autres nations ont pour
»la poëfie un langage à part , une langue
» des Dieux : nous retenons la nôtre dans
» toutes fes entraves ; nul écart de la Gram-
» maire , nulle licence n'y eft permiſe . Les
figures , la métaphore font l'ame de la
MA 1. 1755. 117
poëfie , nous en exigeons fans doute , &
nous prétendons que le Poëte nous anime
, nous éleve , nous échauffe , mais
» à condition que l'art fe cache avec foin ,
& que l'enthoufiafme ne s'éloigne pas
trop du langage naturel . Peuple léger ,
vif & capricieux , nous voulons que la
fageffe regne jufques dans la fureur poë-
" tique ! &c.
M. le Chevalier de Vauclaire récita
deux pieces de poësie morale , imitées des
vers de Bocce , fur la confolation philofophique.
L'on termina cette féance par
un mémoire que M. Dupré d'Aulnay ,
membre de la Société littéraire de Châlons
en Champagne , avoit envoyé pour
tribut à celle d'Arras , à laquelle il eft
aggrégé depuis peu , comme affocié externe.
Ce mémoire confiftoit en des obfervations
phyfiques fur le fel marin , pour
réfuter les conjectures de M. R. P. V. J.
au fujet d'un ouvrage imprimé dans un
recueil de l'Académie de la Rochelle.
Nous apprenons que depuis la féance
publique dont on vient de rendre compte
, la Société littéraire d'Arras en a encore
tenu deux autres , le 26 Octobre
1754, & le 15 Mars dernier. Voici la
lifte des pièces qui ont rempli ces nouvelles
féances...
118 MERCURE DE FRANCE.
Effai fur la néceffité & l'utilité des rew
cherches de monumens antiques & de médailles
dans la province d'Artois , relative
ment à l'histoire du pays , par M. Camp. x
2 Obfervations fur l'origine & les étymolo
gies de plufieurs noms de lieux anciens fitues
en Artois ; par le même .
Remerciment de M. Foacier de Ruzé ,
nouvel Affocié , auquel M. Camp a tépondu
en qualité de Directeur.
A
Difcours de M. Brunel , Avocat , Chan
celier de la Société , dont l'objet étoit de
prouver combien le mépris de la littérature
nuit au bien public.
Suite du mémoire hiftorique , lû par M.
Harduin , à l'affemblée du 3o Mars 1754 ,
contenant la relation des cérémonies qui
fe pratiquoient dans la ville d'Arras , fous
les Ducs de Bourgogne de la feconde race ,
aux entrées folemnelles de ces Princes &
des Rois de France leurs Souverains .
Effai hiftorique fur l'origine de la langue
françoife , par M. Enlart de Grandval ,
qui avoit donné le difcours préliminaire
de cet ouvrage à la féance du 30 Mars
1754.
Obfervations phyfiques du R. P. Lucas ,
fur les découvertes qu'on a faites en creufant
le lit du nouveau canal qui doit for--
mer une communication entre la riviero
MAI. 119
1755.
d'Aa & la Lis , dont les travaux ont été
commencés en 1753 , à trois quarts de
lieue de Saint - Omer , par l'ouverture dè
la montagne des Fontinettes.
Pour procéder avec ordre , le P. L. a
divifé fa differtation en quatre articles.
Il expofe dans le premier , quelle eft la
matiere , la couleur , la fituation , l'épaiffeur
& le nombre des différentes couches
qu'on a coupées dans la montagne
des Fontinettes. En parlant de la derniere
couche de glaife , il rapporte les expériences
qu'il a multipliées , pour fe convaincre
par les yeux que l'origine des fontaines
& des rivieres doit être attribuée aux
brouillards , à la rofée , à l'eau de pluie ,
&c. & il réfute les autres fyftêmes qu'on a
imaginés à cet égard. Il ajoute quelques
réflexions fur les couches de fable qu'on
á découvertes dans la montagne , du côté
du village d'Arques ; il obferve que les
grains de ce fable , qui eft vitrifiable , font
plus gros que ceux du fable ordinaire des
fablieres d'Artois , & que la plupart de
ces grains font taillés à fix pans , qui aboutiffent
à une pointe commune ; ce qui
pourroit faire conjecturer que ce font de
petites primes de cryſtal , femblables à celles
des cryftaux colorés & non colorés
de Suiffe , de Portugal , &c.
120 MERCURE DE FRANCE.
2
Dans le fecond article , le P. L. diftingue
deux efpéces tout à fait différentes de
minéraux , trouvées dans les mêmes fouilles
, à vingt- cinq pieds de profondeur. La.
premiere efpéce eſt une matiere lourde
jaune & brillante , qui paroît métallique
au premier coup d'oeil , mais qui ne l'eft
Il pas. prouve que plufieurs de ces fragmens
minéraux ont été autrefois de vrai
bois , dont ils confervent encore les fibres
ligneufes , les noeuds convexes & concayes
, les racines & les branches naiſlantes .
Il explique comment une métamorphofe
auffi finguliere a pû fe faire , comment ce
bois a changé de nature , fans changer de
configuration extérieure , & fur-tout comment
il peut fe rencontrer dans le fein
d'une montagne , dont la formation n'a
point d'époque connue , & paroît être de
la plus haute antiquité. Il paffe enfuite à
la décompofition qu'il a faite de ce bois
minéralife ; & après avoir prouvé qu'on
n'y reconnoît pas les qualités d'un métal ,
il conclut que c'eft un foufre minéral २
mêlé de quelques parties de fel neutre ,
& d'une grande partie de terre.
Le fecond minéral eft une matiere
talqueufe & tranſparente , compofée de
feuilles prefque infiniment minces , appliquées
& collées les unes fur les autres ,
de
MAI. 1755. 121
1
de maniere que ce grand nombre de couches
ne diminue point la tranfparence de
la maffe continue , & n'interrompt point la
direction des rayons de lumiere qui y
paffent en ligne droite prefque aufli aifément
que dans le verre . Ces morceaux
talqueux forment dans la glaiſe des étoiles
en tout fens , dont les rayons divergens partent
d'un centre commun , qui n'eft qu'un
point , ou plutôt qui n'eft formé que par
les pointes inférieures des rayons mêmes ,
qui y aboutiffent & s'y réuniffent tous en
un feul point. Le P. L. décrit leur figure
extérieure & leurs différentes dimenfions ;
& après avoir montré pourquoi quelquesuns
de ces rayons paroiffent entés les uns
fur les autres , il s'attache à expliquer la
formation finguliere des épis de folle
avoine qu'on y remarque diftinctement, &
qui s'étendent dans le fein & felon la longueur
de chaque rayon . Il foutient que
cette matiere talqueufe , bien broyée &
bien pilée , eft préférable au tripoli & au
foufre pour les maftics fins , & qu'elle peut
fervir à blanchir l'argent quand elle a été
calcinée dans le creufet , & réduite en poudre
impalpable. Il explique enfin comment
cette matiere paroît vitrefcible dans
l'eau forte , où elle ne fe diffout point ,
& femble cependant fe calciner dans un
F
22 MERCURE DE FRANCE.
grand feu , où elle ne fe vitrifie pas.
Le P. L. a détaillé , dans le troifiéme
article , les indices qui paroiffent annoncer
aux environs du nouveau canal quelques
mines de plomb , à une plus grande
profondeur. Il a remis à une autre féance
le quatrième article , dans lequel il parlera
des divers fragmens de végétaux & de parties
animales qui ont été trouvées dans les
couches de fable , vers l'endroit où l'on a
commencé l'excavation du canal.
ΜΑΙ. 1755. 123
ARTICLE IV.
BEAUX - ARTS.
L
ARTS AGRÉABLES.
MUSIQUE.·´
E Vendredi 4 Avril , Mlle Fel chanta
au Concert fpirituel Exultate Deo ,
petit motet nouveau , dont le fuccès engagea
l'auteur , qu'on ne connoiffoit pas ,
à fe déclarer.
C'eft M. le Chevalier d'Herbain , de
l'Ordre militaire de S. Louis , Capitaine
d'infanterie dans le régiment de Tournaifis
, fi connu en Italie par plufieurs grands
ouvrages en mufique qu'il y a fait repréfenter
en des tems différens , & qui
y ont été reçus avec l'applaudiffement général
d'une nation trop riche en grands
compofiteurs , & trop exercée à les apprécier
, pour que fon fuffrage en ce genre
puiffe être jamais foupçonné de méprife.
M. le Chevalier d'Herbain avoit débuté
à Rome par Il Gelofo , intermede qu'il y
fit repréfenter en 1751 , & qui le fut en-
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
à fuite à Florence & à la Baſtia en 1753 ›
la naiffance de Monfeigneur le Duc de
Bourgogne. Les troupes Françoifes qui
étoient en Corfe, chercherentfà feconder le
zele de leur Général , pour faire éclater aux
yeux d'une nation étrangere la joie vive
des François . C'eſt toujours le caractere
d'efprit de celui qui commande qui devient
l'efprit du corps entier qu'il a fous
fes ordres ; auffi dans cette occafion on eut
l'adreffe de joindre à beaucoup de foin &
de dépenfe toutes les graces ingénieufes
des arts ; & les fêtes que M. le Marquis
de Curfay donna à la Baſtia en 1751 , commencerent
par le Triomphe des lys , opéra
Italien en trois actes , poëme fait exprès ,
que M. le Chevalier d'Herbain mit en
mufique , qu'on repréfenta avec beaucoup
de magnificence , qui mérita un fort grand
fuccès , & qui fut dédié à Monfeigneur
le Dauphin , dont il fut reçu avec cette
bonté qui lui eft fi naturelle .
M. le Chevalier d'Herbain donna l'année
fuivante l'opéra de * Lavinie fur le
théatre de la Baftia. Le fort de cet ouvrage
fut fi heureux , qu'on voulut l'avoir
à Milan pendant le carnaval de 17.53 ,
& qu'on le donna enfuite à Florence & à
* Lavinia,
1
MA 1. 1755. 125
Genes pendant le carnaval de 1754 , avec
le même fuccès.
De retour en France , M. le Chevalier
d'Herbain a fait graver les Charmes du
Sommeil, & le Retour de Flore , cantates , qu'on
trouvera aux adreffes ordinaires , & qu'il
a eu l'honneur de dédier & de préfenter
à Madame la Dauphine le premier jour de
cette année .
la
Exultate , petit motet qui a donné lieu
à cette digreffion , eft le dernier ouvrage
que nous avons de cet auteur fi digne de
nos applaudiffemens. Il fut exécuté pour
feconde fois au Concert fpirituel , avec un
très -grand fuccès , le Lundi 7 de ce mois ,
par Mlle Fel , qui lui prêta les charmes
d'une voix unique , ces graces vives d'une
exécution toujours précife , & ces traits
finis , que leur facilité fait attribuer à la
nature , & qui font le chef-d'oeuvre du
talent & de l'art. Tous les fpectateurs en
écoutant des chants fi agréables & de fi
bon goût , formoient le voeu unanime de
voir un jour M. d'Herbain confacrer fest
loisirs à un plus grand théatre qui réclame
fes talens , & aux plaifirs de fa nation.
qui en fent déja tout le prix.
Ce motet fe vend à Paris , chez le fieur
Bayard , à la Régle d'or , rue S. Honoré ;
Mlle le Clair , à la Croix d'or , rue du Rou-
F iij
126 MERCURE DE FRANCE.
le ; & Mlle Caftagneri , rue des Prouvairos
, à la Mufique royale .
On y trouve auffi , Scelta d'Arie del
dramma ( la Lavinia ) e di alcuni altri ,
meffi in mufica dal Signore Cavagliere
d'Herbain , e rappreſentati in varri teatri
d'Italia ; dedicate a fua Altezza Sereniffima
il Principe Luigi , Duca di Wurtemberg
, & c.
Recueil d'Aria de l'Opéra italien , intitulé
Lavinie , & de quelques autres , mis
en mufique par M. le Chevalier d'Herbain
, & exécutés fur plufieurs théatres.
d'Italie ; dédiés à fon A. S. Mgr le Prince
Louis , Duc de Wurtemberg , &c.
PEINTURE.
Avis aux Dames.
C'ler Dames d'oifiveté , & qu'on leur
reproche le tems qu'elles paffent à leur
toilette. Si l'on y réfléchit , on trouvera
qu'elles y donnent le moins de momens
qu'il leur eft poffible , & qu'elles faiſiſſent
avec avidité tous les moyens qu'on leur
préfente de les abréger. Une preuve convaincante
de cette vérité eft la mode des
' Eft bien injuftement qu'on accufe
MAI. 1755. 127
perruques qu'elles ont adoptées , quoiqu'elles
fçachent bien qu'elles en font défigurées
, & que tout le monde s'apperçoit
qu'elles portent de faux cheveux : on
a vû même plufieurs d'entr'elles facrifier
la plus belle chevelure , & par conféquent
une partie confidérable de leurs graces naturelles
, à cette commodité.
Cette expérience fait croire que toutes
les inventions qui pourront tendre au bur
de leur épargner du tems , feront également
bien reçues d'elles . Une des chofes
qui les occupe le plus , c'eft l'art de fe mettre
le rouge , qui eft devenu une chofe fi
importante dans l'état , quelque laid qu'il
paroiffe en foi , qu'il eft la marque diftinctive
du rang ou de la richeffe , ou du défaut
de l'un & de l'autre , réparé par des
fervices rendus à la fociété . On a donc
çru faire fa cour aux Dames , en leur donnant
des moyens de fe rendre auffi de fe rendre auffi rouges
qu'elles peuvent le defirer , en peu d'inftans
& d'une maniere permanente , qui
leur épargnera la peine de recommencer
tous les jours.
Le Sr P.... qui depuis long- tems eft
confommé dans l'art de maroufler , c'est- àdire
de coller les toiles peintes ou à peindre
, avertit qu'il a trouvé un fecret admirable
pour maroufler fur le vifage des Da-
Fiiij
128 MERCURE DE FRANCE.
mes , de petites pieces de la plus belle écarlate
, taillées dans la meilleure forme de
couper le rouge , & du dernier goût. Il ofe
affurer qu'ainfi collées , elles pourront
refter attachées pendant environ une an
née pour les perfonnes qui voudront économifer
, & au moins fix mois dans toute
leur fraîcheur
pour les perfonnes plus opulentes
.
On doit remarquer en bon citoyen ,
que ce feroit un encouragement pour les
manufactures d'écarlate établies dans le
royaume , & que cela leur procureroit une
grande confommation , fans fouler perfonne
.
Second avis . Le fieur Loriot a trouvé le
fecret de fixer les paſtels fans altérer la
beauté des couleurs . Il feroit donc facile
de fe faire une fois bien peindre les joues,
foit dans la maniere noble , c'eſt - à - dire
tranchée , foit dans la maniere bourgeoife ,
c'eſt-à- dire imitant le naturel. On pourroit
s'adreffer à quelqu'un des Peintres en paftel
, dont Paris fourmille , & enfuite fixer
cette couleur , de telle maniere que rien
ne puiffe l'altérer.
Troifieme avis. Celui- ci eft le plus important.
Le Sr B .... Peintre du Roi , a
trouvé un nouveau fecret de peindre en
cire , qui n'a ni mauvaiſe odeur ni aucun
MAI. 1755. 129
defagrément ; il délaye la cire dans de l'eau,
& la broye avec les couleurs dont elle femble
diminuer un peu la vivacité ; enfuite il
paffe auprès un fer chaud , qui fond la cire ,
la lie parfaitement avec les couleurs , leur
rend toute leur beauté , & leur procure un
dégré de folidité immuable . On n'oſe cependant
confeiller l'ufage de ce merveilfeux
fecret à toute Dame qui craindroit de
hazarder l'épreuve du fer chaud : peut- être
cette difficulté pourroit - elle reftreindre
l'emploi de cette cire colorée à fi peu de
perfonnes , que celles qui feroient les plus
fûres de s'en fervir fans danger , auroient
lieu de craindre qu'on ne les accusât de
vouloir fe diftinguer dans la fociété .
Ce feroit dommage cependant qu'une
fi belle découverte demeurât inutile , car
elle a un avantage que n'ont pas les deux
autres : c'eft que l'on peut fe laver le vifage
avec de l'eau fans rien ôter à la beauté
de ce rouge. De plus , avec une petite
vergette on y peut donner un luifant qui
égale les plus beaux vernis .
Au refte , comme on donne ici trois
moyens tendans au même but, chacun peut
choifir celui qui lui eft convenable . On efpere
que le beau fexe voudra bien fçavoir
quelque gré à ceux qui s'occupent ainfi
de ce qui peut lui être commode .
Ev
130 MERCURE DE FRANCE.
Réflexion.
On fçait affez que le rouge n'eft que la
marque du rang ou de l'opulence ; car on:
ne peut pas fuppofer que perfonne ait cru
s'embellir avec cette effroyable tache cramoiſie
. Il eſt étonnant qu'on ait attaché cette
diſtinction à une couleur qui eft fi commune
& à fi bon marché , que les plus petites
grifettes pourroient faire cette dépense
auffi abondamment qu'une perfonne de la
plus haute naiffance ; il fembleroit bien plus.
raifonnable qu'on eût adopté l'ufage du
bleu d'outre- mer. *. Cette couleur qui eft
plus chere que la poudre d'or , & dont une
Dame pourroit confommer dans une année
pour la valeur de plus de deux mille écus ,
feroit une preuve de richeffe bien moins
équivoque .
C'eft un Lord qui donne ces importans
avis â nos Dames . Elles trouveront peutêtre
la plaifanterie un peu trop angloife ,
& diront avec dédain qu'elle eft de mauvais
goût ; mais elles doivent la pardonner
à un étranger qui eft plus au fait des
,
* Cet ufage n'eft pas fans exemple. Il y a des
beautés indiennes qui mettent du bleu comme
les nôtres mettent du rouge ; il eft vrai qu'elles
le diftribuent avec plus d'économie , & par petites
veines.
MA I 1755 : 131
beaux arts que du bon ton . D'ailleurs , l'attachement
au rouge eft un mal invétéré ;
on ne peut le guérir que par un cauftique .
A
GRAVURE.
Lettre à l'Auteur du Mercure.
E vous adreffe , Monfieur , la juftifica-
Jinus ad. Duños , attaqué dans l'article
quatrieme du Mercure de Mars : je
vous crois trop équitable pour ne pas
l'inférer
dans celui de Mai ; vous le devez
d'autant plus volontiers qu'elle y tiendra
peu de place ; elle eft auffi courte que fim- eſt
ple.
Un ancien éleve de M. Boucher , &
qu'il ne defavoueroit pas , a remis gratuitement
des deffeins de fon Maître au fieur
Duflos , dont il eft l'ami ; ce Graveur en a
fait l'ufage que tous fes confreres en euffent
fait à fa place. Les deffeins de M. Boucher
plaifent , on fe les arrache ; ils tombent
dans fes mains , il les grave ; affuré du
débit , il les recherche avec plus de foin .
Mais je veux qu'il les eut acquis par des
voies illégitimes ; la mauvaiſe humeur ne
laiffoit- elle à notre fçavant artifte d'autre
reffource que de rendre le larcin public ?:
C'eftun moyen ignoré jufqu'ici de fes con
E vj
132 MERCURE DE FRANCE.
Freres , & qui plus d'une fois dans le cas
de fe plaindre auffi hautement , n'en ont
rien fait ; la réputation étant , au jugement
des hommes , le plus précieux de tous les
biens , demande des égards infinis . Celle
de notre illuftre Académicien eft fi folidement
établie , que des gravûres qu'il ne
veut pas reconnoître , n'étoient pas faites
pour y porter atteinte : que ne laiffoit- il
juger le public ? Il eût vu clair , & il eût
rendu autant de juftice à fa modération
qu'il en rend à fes ouvrages.
Mais tout grand homme a fa manie ;
celle de M. Boucher eft de n'être point
gravé occupé de beaucoup d'ouvrages
qui plaifent , les momens lui échappent
>
n'a pas toujours le tems d'être neuf ; fes
rableaux répandus chez des particuliers ,
ne font pas connus de tout le monde ; fi
la province lui en demande, quelques coups .
de crayon
, quelques traits habilement
ajoûtés ou changés , en font des portraits
nouveaux , & donnent aux Peintres le tems
de refpirer la gravûre y perd , & le public
auffi , mais l'Académicien
y gagne.
:
Inconnu à M. Boucher & à M. Duflos ,
je n'ai d'autre but , Monfieur , que de défendre
un artifte , dont la bonne foi méritoit
plus d'indulgence ; je fouhaiterois apprendre
à leurs femblables les égards qu'ils
MAÍ. 1755. 133
fe doivent réciproquement , & faite connoître
à tous les Peintres qu'ils trouveront
toujours les Graveurs prêts à profiter de
leurs inftructions lorfqu'ils voudront bien
fe communiquer avec le ton de politeffe
& d'affabilité , qui jette autant d'éclat fur
les arts , qu'il honore & diftingue les François.
J'ai l'honneur d'être , & c.
Ce 20 Mars 1755.
LE fieur Gaillard , Graveur en tailledouce
, qui a déja mis au jour plufieurs
eftampes dont le public a été fort fatisfait
, lui en préfente encore une nouvelle
qui pourra également mériter fon fuffrage.
Elle eft gravée d'après un tableau du célebre
M. Boucher , & repréſente une jeune
& belle Dame à fa toilette. Une jolie Marchande
de modes eft affife par terre à fes
pieds , & étale à fes yeux tous les brillans
colifichets dont le beau fexe fait aujourd'hui
fa parure.
On trouve cette eftampe chez l'auteur ,
rue S. Jacques , au- deffus des Jacobins
chez un Perruquier.
*
PORTRAIT du P. Rainaud , gravé par Audrand
, d'après Bonnet. La reffemblance y
eft très bien faifie. On lit ce quatrain au
134
MERCURE DE FRANCE.
bas de l'eftampe , qui fe vend chez l'auteur ,
rue S. Jacques , à la ville de Paris .
Aux applaudiffemens dûs à fon éloquence ,
Ce grand Orateur échappé ,
Dans les vertus enveloppé ,
Prêche encore par fon filence .
M. NATTIER , Peintre du Roi , & Profeffeur
en fon Académie , vient de donner au
public l'eftampe qu'il a fait graver d'après
le portrait de la Reine , qui a paru au falon
du Louvre en 1748. La reffemblance & la
délicateffe du burin font honneur à M.
Tardieu , Graveur du Roi , connu depuis.
long - tems par les foins qu'il prend de bienfinir
fes ouvrages
.
Cette eftampe , qui s'imprime fur la demi-
feuille de papier grand aigle , fe diftribue
à Paris , chez M. Tardieu , rue des
Noyers , à côté du Commiffaire ; & chez
Joullain , quai de la Mégifferie , à la ville
de Rome.
MAI. 1755. 135
1
ARTS UTILES.
ARCHITECTURE .
Obfervationsfur la maniere dont font decorés
les extérieurs de nos églifes ; par M. Patte,,
Architecte.
Uelque libre
que paroiffe la compofition
des édifices , il eft , pour ainfi
dire , une forte de coftume de décoration ,
tant intérieure qu'extérieure
, que l'on doit
obferver relativement
à leurs ufages & à
leurs deſtinations
: la décoration qui convient
à une fontaine , ne doit pas convenir
à un retable d'autel , celle d'un Palais à
un Hôpital ; & il ne feroit pas moins ridicule
d'affecter à une maifon ordinaire
la décoration
qui convient
à une égliſe ,
que d'affecter à une égliſe la décoration
d'un bâtiment ordinaire ; cependant il eſt
rare & très- rare qu'un édifice foit compofé
de maniere à annoncer fa deftination
,
de forte qu'on ne puiffe s'y méprendre
.
Cette partie de l'art eft des plus difficiles ,
& il n'appartient qu'aux Architectes du
premier ordre d'y réuffir ..
Nous n'avons point d'édifices publics
où ce défaut foit plus fenfible que dans
l'extérieur de nos églifes ; & il eft étonnant
que nos Architectes françois ayent
136 MERCURE DE FRANCE.
-
été jufqu'ici fi peu attentifs à la convenance
de leurs compofitions. En effet eft il
naturel d'élever , ainfi qu'on le pratique
tous les jours , plufieurs ordres de colonnes
les uns au- deffus des autres pour décorer
leurs portails cette ordonnance ne femble
- t - elle pas donner au dehors de nos
temples l'air d'un édifice fait pour être habité?
car les différens ordres extérieurs ont
toujours coutume d'annoncer les différens
étages de l'intérieur d'un bâtiment , ce
qu'il eft affûrement abfurde de fuppofer
dans une églife .
Pour mieux faire fentir le vice de cette
décoration , oppofons-lui par contraſte la
maniere dont les anciens, nos Maîtres dans
les beaux Arts , décoroient ces fortes d'édifices
; ils penfoient avec raifon devoir
caractériſer les dehors de la demeure de
l'Etre fuprême par un enfemble grand &
majestueux , qui écartât toute idée d'un bâtiment
ordinaire ; ils employoient pourcet
effet un feul ordre coloffal , formant un
periftyle ou porche au pourtour , & cou-.
ronné par un fronton du côté de l'entrée ,
dans le tympan duquel étoit repréſenté
un bas - relief en rapport avec la dédicace
de leurs temples.
C'eft ainfi qu'étoient décorés les plus
beaux temples de la Grece & de l'Italie ,
MA I. 1755. 137
y
dont nous avons , foit des defcriptions ,
foit de précieux reftes, qui font encore aujourd'hui
, jufques dans leurs ruines , l'étonnement
des plus grands Maîtres ; c'eſt
ainfi que Michel Ange & Palladio , les
deux plus habiles Architectes modernes de
l'Italie , ont compofé les différens portails
qu'ils ont fait exécuter à Rome , à Venife
& autres lieux.
Pour quelle raifon les Architectes de
nos jours fe font- ils donc écartés d'une
compofition fi judicieufe aux portails des
églifes de S. Gervais , de la Sorbonne , du
Val-de- Grace , des Invalides , de S. Roch ,
de S. Sulpice , de l'Oratoire , des Petits Pe
de S. Euftache , qu'on conftruit actuellement
, & autres ?On voit par-tout dans
res ,
* Outre le défaut de plufieurs ordres élevés les
uns au - deffus des autres qu'aura ce porrail que
l'on diftribue gravé dans le public , il en aura un
fingulier , & qu'il eft étonnant qu'on n'ait pas prévú
lors de fa compofition . Au fecond ordre ionique
les deux colonnes du milieu qui font retraite
, afin de laiffer profiler les deux tours , paroîtront
par l'optique , tronquées plufieurs pieds au- deffus
de leurs bafes , à caufe de la grande faillie de
l'entablement dorique , qui aura vis- à-vis de ces
colonnes environ neuf à dix pieds ; ce qui fera
un très- mauvais effet en exécution. On commence
à mettre la main à l'oeuvre , & on réfléchit
enfuite ; ne devroit-ce pas toujours être le con
traire ?
138 MERCURE DE FRANCE.
leurs élévations deux ou trois ordres , furmontés
les uns au- deffus des autres, contre
toute idée de convenance. Entrons un peu
dans l'examen de ce qui a pu donner lieu
à cette forte de décoration .
L'Architecture fortoit à peine de la barbarie
gothique où elle étoit demeurée
plongée depuis tant de fiécles , que l'on
vit élever par De Broffes le portail de l'églife
de S. Gervais ; la réputation que s'acquit
d'abord ce monument par fa nouveauté
& par la beauté de l'exécution de fes
différens ordres , féduifit au point defaire
illufion au vice radical de l'ordonnance
de fa compofition : les éloges que l'on prodigua
à cet édifice firent croire aux Architectes
qui vinrem enfuite , que c'étoit
un modele qu'ils ne pouvoient fe difpenfer
d'imiter en de femblables occafions ;
de la font venus tous ces portails compofés
, pour ainfi dire , fur le même moule
& tous également repréhenfibles , puifqu'ils
s'écartent d'une fage & judicieufe
convenance qui doit être la baſe des arts
& du goût.
On pourra peut - être objecter que la
grande élévation des couvertures de nos
églifes oblige d'élever ainfi plufieurs ordres
pour pouvoir les cacher. A cela il eft
facile de répondre qu'il n'y a qu'à fuppri
MA I. 1755. 139
mer ces énormes toîts de charpente , qui
ne font qu'un ufage abufif fans aucune néceffité
, la voûte plein- ceintre de la nef
d'une égliſe couverte de dalles de pierre à
recouvrement , & jointoyées avec de la limaille
d'acier & de l'urine , eft le feul toît
qui convienne au fanctuaire de la Divinité
on a une expérience reconnue de
cette conftruction , & c'eft ainfi qu'étoient
couverts la plupart des temples des Grecs
& des Romains.
De plus , à l'aide de la maniere de décorer
des anciens , il eſt toujours poffible
d'atteindre à toutes les hauteurs que l'on
peut defirer fans le fecours de plufieurs
ordres , ainfi qu'on pourra le remarquer
dans un projet * que j'ai compofé à ce
deffein pour le grand portail de l'églife
de S. Euftache , en m'affujettiffant à la
hauteur de la nef , qui eft affurement une
des plus élevées de nos Eglifes de Paris.
La vûe de cette eftampe pourra fervir à
convaincre par comparaifon , combien
* Ce projet , auffi -bien que celui qui a été compofé
par Louis le Vau , célebre Architecte , fous
le miniftere de M. de Colbert , & dont on a vu le
modele expofé pendant quelque tems dans l'églife
de S. Euftache , fe vendent à Paris chez l'auteur
rue des Noyers , la fixieme porte cochere à droite:
en entrant par la rue S. Jacques. Prix 1 liv. 4 £.
140 MERCURE DE FRANCE.
cette maniere de traiter ces fortes d'édifices
eft préférable à tous égards à celle
qui a été ufitée jufqu'ici en France.
Un autre avantage qui réfulteroit de
l'emploi d'un ordre coloffal dans nos portails
, eft qu'en le faiſant regner à l'entour
de nos églifes , leur extérieur qui a
coutume d'être fi fort négligé , feroit décoré
naturellement , & cacheroit les arcsboutans
qui font toujours à l'oeil un effer
defagréable ; & quoique par la même raifon
les croifées de la nef ne s'apperçuffent
pas en dehors , l'intérieur de nos églifes
n'en feroit pas moins éclairé , comme on
peut le remarquer dans celle de S. Pierre
de Rome .
Ce défaut de difcernement de nos Architectes
dans la maniere de décorer les
portails , n'eft pas le feul qu'on puiffe leur
reprocher : eft- il décent que la plupart de
nos églifes modernes , ( j'en excepte celle
de S. Sulpice ) ne foient pas toujours précédées
de porches ou veftibules où l'on puiffe
fe préparer au recueillement convenable
avant d'y entrer ? c'eft , ( le dirai - je à notre
honte ) une attention à laquelle les anciens
ne manquoient point ; un réglement
fur la décence de la conftruction de nos
églifes honoreroit affurément la pieté de
nos Magiſtrats.
MA I. 1755. 141
Enfin eft- il convenable de placer les armes
d'un Prince ou d'un homme en place
dans le tympan des frontons de nos portails
, ainfi qu'on le pratique affez fouvent ?
& ne feroit -il pas plus raifonnable de fubftituer
à ces ornemens mondains , & étrangers
à la religion , des bas- reliefs relatifs à
la piété & à la dédicace de nos temples ?
Efperons que le nouveau plan qu'on fe
propofe d'exécuter pour l'églife de fainte
Génevieve nous donnera un modele en
ce genre , & que Paris , l'émule de l'ancienne
Rome , fera décoré d'un temple qui
en fera l'ornement ; l'emplacement
eft des
plus favorables pour exécuter du beau , &
fans doute les voeux du public feront remplis
à cet égard, Dans une grande ville qui
abonde en étrangers & en connoiffeurs
de
toutes les nations , il n'eft rien de plus facile
que d'avoir des confeils éclairés , il
ne faut dans les perfonnes en place que la
bonne volonté de les mettre à profit . Il y
a deux moyens ufités pour réuffir à faire
exécuter du beau en architecture ; l'un de
choifir un Architecte reconnu pour habile ,
l'autre de propofer un concours dont le
public foit juge : le premier n'eft pas toujours
auffi für que le fecond ; on a pour
expérience que les plus habiles gens ne fe
montrent pas toujours tels. Si la réputa142
MERCURE DE FRANCE.
tion eût dû faire préférer un Architecte
pour la conftruction du Louvre , affurément
le Bernin * auroit eu la préférence
fur Perrault ; aucun Artiſte de fon tems ne
jouiffoit d'une réputation auffi brillante
dans l'Europe ; & cependant fi fon projet
qui eft gravé , avoit eu lieu , il ne feroit pas
à la France l'honneur que lui fait celui qui
a été exécuté. On pourroit citer nombre
d'exemples femblables , où de célebres Artiftes
, dans de grandes occafions , fe font
fait voir au -deffous de leur réputation.
Le fecond ( je veux dire un concours ) eft
prefque infaillible ; mais pour qu'il ait fon
efficacité , il faut que l'on foit bien perfuadé
que les perfonnes en place ont une
ferme réfolution de couronner le meilleur
projet par l'exécution ; que les recommendations
& les titres ne feront point admis
en concurrence , c'eſt le moyen d'encourager
le talent ; & plus d'une fois l'on a vû
* Pour attirer le Cavalier Bernin en France
pour la conftruction du Louvre , Louis XIV lui
affûra une penfion de fix mille livres pendant fa
vie , & une gratification de cinquante mille écus ;
il lui envoya en même tems fon portrait orné de
diamans. Outre les frais de fon voyage qui devoient
lui être payés , on lui promit encore cent
livres par jour pendant fon féjour à Paris , tant
étoit grande l'eftime que l'on avoit conçue pour
la haute capacité de cet artiſte.
1
MA I. 1755. 143
en pareil cas l'émulation faire enfanter des
merveilles , qui ne fe feroient jamais produites
fans cette voie. A la fin d'un falon
de MM. les Peintres du Roi , on ſçait , à
n'en pas douter , quels font les meilleurs
tableaux ; on fçauroit pareillement quels
feroient les meilleurs projets. Combien de
monumens embelliroient Paris & nos provinces
, fi l'on s'étoit fouvent fervi de cette
voie ?
RESULTAT de la difpute entre le P.
Laugier & M. Frezier , concernant le
Goût de l'Architecture.
Sm
I l'on ne connoiffoit
l'efprit de l'homme
, on auroit lieu de s'étonner
que
de toutes les difputes
littéraires
il ne réfulte
prefque
aucun accord entre les parties conteftantes
, ni même un fimple aveu de
conviction
de la validité des raifons alléguées
d'un adverfaire
à l'autre , quoiqu'il
foit rare qu'elles
puiffent
être d'une égalité
de poids à devoir être mifes dans la balance
du doute.
J'avois premierement établi dans mes
Remarques , inférées dans le Mercure du
mois de Juillet dernier , que je ne croyois
pas qu'il y eût un beau effentiel en architec
144 MERCURE DE FRANCE .
C
ture , fondé fur les variétés des goûts particuliers
de chaque nation , & de plus des
variations de la même en différens tems ,
comme je l'ai vû de nos jours.
à
à
Le R. Pere Laugier , qui eft d'un fentiment
contraire , a fait de beaux raifonnemens
pour prouver ( non l'exiſtence de
cette chimere ) mais la poffibilité , convenant
qu'actuellement aucun des architectes
de tous les pays connus n'eft parvenu
la montrer dans fes ouvrages. Le public m'a
l'obligation de lui avoir procuré ce beau
diſcours , dont j'abandonne l'examen , n'étant
pas dans le goût d'une difpute métaphyfique
fur les arts , où je me contente de
raifonner conféquemment aux faits qui me
font connus ,
propos de quoi je ne puis
m'empêcher de faire une remarque fur la
contradiction de ce que le R. P. dit d'une
égliſe bâtie à Pekin , à la maniere Européenne
, par les Jéfuites , qui n'a pas femblé
, dit- il , aux Chinois indigne de leur admiration
, avec ce qu'en dit le Frere Attiret
, dans les Lettres édifiantes & curieufes
que j'ai cité , qu'il ne faut pas leur vanter
l'architecture Grecque & Romaine , qu'ils
ne goûtent en aucune façon . Il en pouvoit
parler pertinemment , étant lui -même peintre
& architecte à la Cour de l'Empereur .
Tel eſt le réſultat de la premiere partie de
nos
&
MAI. 1755.
145
nos altercations. Dans la feconde , le R.
Pere , après s'être rangé du côté de mon
opinion , contre cette prétendue origine
de la vraie beauté qu'on veut tirer des
proportions harmoniques employées en architecture
, fe détache de mon parti pour
m'attaquer fur ce que j'ai dit que les architectes
anciens , & la plupart des modernes
, n'ont jamais penfé à ces principes
fcientifiques ; ce que j'ai prouvé par le filence
de tous leurs auteurs . Cette réflexion ,
dit- il , eft plus maligne que folide , comme s'il
vouloit me brouiller avec les vivans : mais
comment prouve - t-il fa conjecture à l'égard
de la folidité ? c'eft en difant qu'il
peut fort bien fe faire que fans y penfer , &
comme à tâtons , les architectes ayent rencon-
· tré le vrai.
Ainfi fon induction n'étoit pas plus jufte
que celle qui lui a fait conjecturer , mal à
propos , que j'étois infenfible à la vûe des
belles chofes , comme un ftupide qui lui
fait pitié. Je le plains , dit il , du tort que
lui a fait la nature ; il eft privé d'une grande
fource de plaifirs , de n'avoir point éprouvé
de ces mouvemens
enchanteurs qu'excite la
préfence des belles chofes , lefquels vont ( de
l'aveu du R. P. * ) juſqu'à l'extafe & au
* Voyez fon Effai fur l'Architecture.
G
146 MERCURE DE FRANCE.
•
transport ; fon ame , continue- t- il , en parlant
de moi , eft vraisemblablement de celles
qui ont été battues à froid. Belle métaphore
tirée apparemment de la rhétorique des Cyclopes
, pour égayer une matiere férieufe ,
par un peu de mêlange du ftyle des farces ,
à laquelle je pourrois répondre , & montrer
en quoi confifte fon erreur , par un
proverbe du même ton , que les délicats
font difficiles à nourrir.
Les deux premieres parties de mes remarques
ne regardoient point le P. Lau--
gier , il s'y eft mêlé fans vocation ; mais
nous voici arrivés à ceux qui peuvent l'intéreffer
.
Il commence par m'attaquer fur ce que
j'ai dit , que le petit Traité d'Architecture
de M. ( où comme l'appelle le Dictionnaire
de Trévoux , au mot Eglife ) le R.
Pere de Cordemoy , Chanoine Régulier ,
ne contient rien de nouveau ; il qualifie ce
difcours , tout fimple qu'il eft , d'invective
indecente , parce qu'il l'a pris pour fon
coryphée. Y avoit- il là matiere à un propos
qui annonce trop de fenfibilité au refus
que j'ai fait d'applaudir à la prééminence
qu'il veut donner à ce Chanoine
fur tous nos Architectes , avec d'autant
moins de raifon que je lui avois fait remarquer
que cet auteur en convenoit lui-
1 7
MAI
1755 147
même dans fon Epitre dédicatoire à M. le
Duc d'Orléans , en 1706 , à qui il ne le
préfentoit que comme un Recueil de ce
qui fe trouve difperfe dans les ouvrages des
plus habiles , foit anciens ou modernes ? Ce
qu'il n'eft pas difficile de reconnoître à
ceux qui ont puifé dans les fources , car
les approbations ou critiques n'entrent
point en compte de nouveauté du fond de
la doctrine.
t
Il vient enfuite à un des points principaux
de notre difpute concernant les pilaftres
, qu'il abhorre comme des enfans
batards de l'architecture , engendrés par l'ignorance.
Il dit qu'il s'eft mis en devoir de
justifier fon averfion dans le premier chapitre
defan effai , où il n'a pas mieux réuffi
fur cet article qu'en bien d'autres , fi l'on
en juge par l'examen de cet effai , auquel
il a fourni une matiere de critique affez
ample pour être prefque auffi étendue que
le texte , fans y comprendre ce qu'on y
peut, ajouter , comme il confte en partie
-par mes remarques & ma réplique , qui
- n'ont pas épuifé la matiere. Il dit cependant
qu'il a raisonné par une
confequence
logique néceffaire du principe qui fert de
2fondement à tout le reste.
Quel eft ce principe ? j'ai beau lire ce
chapitre , je n'y en trouve aucun , à
a moins
Gij
148 MERCURE
DE FRANCE.
que
It qu'il ne l'établiffe fur ce qu'il dit
pilaftre représente une colonne . Il faut convenir
qu'il la repréfente bien imparfaitement
, comme le quarré repréfente le rond.
Car puifque les cylindres & les prifmes
de même hauteur font entr'eux comme
leurs bafes , le quarré circonfcrit repréfente
le cercle infcrit
par une confé
quence
mathématique .
Mais , dira-t -on , c'est parce qu'il en
Occupe la place : cette interprétation feroit
jufte , fi on faifoit un portique tout
de pilaftres ifolés , excepté aux angles faillans
des entablemens , fous lefquels une
colonne ne peut être admife fans faute de
jugement ; parce qu'elle ne peut y faire
les fonctions de pilaftre , en ce qu'elle
laiffe du porte-à-faux de cet angle , comme
je l'ai démontré ; & fi l'on rapporte les
piéces d'architecture à la charpente d'une
cabane , le pilaftre en cet endroit y repréfente
un potean cornier , qui eft auffi effentiellement
équarri qu'un fomier repréfenté
par l'architrave . En effet , pour foutenir
une encoignure en retour d'équerre ( pour
parler en termes de l'art ) , il faut un fupport
quarré ; le quart de cercle infcrit dans
un angle droit n'occupe qu'environ les
deux tiers de fa furface , ou plus précifément
onze quatorziemes ; de forte que le
M.Aha1735 31% 149
triangle mixte reftant,compris par les deux
lignes droites tangentes & le quart de cercle
concave , eft l'étendue de la furface
qui porte à faux , c'est - à-dire fans appui.
Donc la colonne ne peut être fubftituée
au pilaftre dont elle ne peut faire pleinement
les fonctions ; donc la conféquence logique
du R. Pere étant tirée d'un faux principe
, eft invalide pour juftifier fon averfion
qui lui eft particuliere & unique.
Sa logique l'a mieux fervi à refuter la
contradiction qu'on lui avoit reprochée ,
d'avoir appellé les pilaftres des innovations,
après en avoir reconnu l'ancienneté dans
les antiques. On voit bien par la fubtilité
de fa folution , qu'il a enfeigné le grand
art, de ne refter jamais court dans la difpute
, que les facétieux appellent l'art de
fendre un argument en deux par un diftingo
, pour le fauver par la breche ,
Mais voyons comment il réfout l'ob
jection du porte-à- faux fous l'angle faillant
d'un entablement , le faifant foutenir par
des colonnes ; il croit avoir imaginé un
expédient pour l'éviter : il faut le lire attentivement
, car il le mérite. Je ne mettrai
rien ( dit -il ) dans l'angle même ; je rangerai
mes colonnes aux deux côtés le plus près
de l'angle qu'ilme fera poffible . Cela eft clair,
c'est - à - dire jufqu'à ce que les deux chapi
Giij
6 MERCURE DE FRANCE.
teaux fe touchent fur la diagonale de l'an
gle. Mais comment appellera-t- on cet ef
pace quarré , dont les colonnes feront fé
parées en dehors , lequel eft formié par la
prolongation de l'alignement des faces intérieures
de l'architrave jufqu'à la rencon
tre des extérieures avec lefquelles elles
forment un quarré , dont la longueur des
côtés eft déterminée par l'épaiffeur della
colonnade , fuppofant l'angle faillant droit ,
ou bien un trapézoïde s'il eft aigu ou ob-
Eus ? N'eft- ce pas un porte- à- faux tout en
Fair , au dire de tous les Architectes de
Europe ? fans doute . Done ce prétendu
moyen imaginé pour Péviter ; Faugmente
ridiculement , par un effet contraire à fon
Intention , & d'une maniere fi choquante
que fans être architecte , tout fpectateur
un peu judicieux ne manqueroit pas d'en
être frappé , & de Te récriér quel ele
rignorant qui a été capable d'une telle bafourdife
? C'eft içi un de ces cas doit parle
HR . Pere dans fon préludes on la difpute
eft neceffaire pour fournir des préfervatifs
contre le poifon des vaines imaginations . On
ne peut concevoir comment un homme
defprit , tel qu'il eft , & qui s'annonce
pour avoir des connoillances dans l'art de
batir moins bornées a
qu'on ne le préfume, a pu
fe tromper fi étonnamment ; il faut quiP
M A I. 1755
V
alt raifonné fur l'apparence de l'angle
rentrant , au lieu du faillant dont il s'agit.
Pour montrer l'utilité des pilaftres pré- *
férablement aux colonnes dans les parties'
des édifices deſtinées à l'habitation , j'avois
fait remarquer qu'une colonnade ne pou-'
voit y fervir, de l'aveu du R.Pere , qui convient
qu'on ne peut habiter fous une balle
ouverte , & qu'on ne pouvoit s'y mettre
à l'abri des injures de l'air qu'en la fermant
par un mur de cloifon , dont la pofition
à l'égard des colonnes entraîne l'inconvénient
que j'ai fpécifié par un difcours
très fuccint , qui lui a cependant paru long
& obfcur. Le premier de ces défauts n'étoit
que pour lui , en ce qu'un difcours contredifant
porte l'ennui & déplaît pour
peu qu'il foit déployé aux yeux de celui
qui le lit à regret. Quant à l'obfcurité reprochée
, il eft jufte que je l'éclairciffe.
Voici comme j'argumente à mon tour.
Ce mur fera placé , ou dans le milieu de
l'épaiffeur de la colonnade , ou au dedans
ou au dehors .
Dans la premiere pofition il corrompra
la proportion de la largeur apparente à la
hauteur de la colonne. Dans la feconde.
il mafquera la colonnade au dedans , &
dans la troifieme au dehors.
La preuve du premier inconvénient eft
G iiij
152 MERCURE DE FRANCE.
que
il
fi
vifible , en ce que pour peu d'épaiſſeur
qu'on donne à ce mur de part & d'autre
de l'alignement des axes des colonnes ,
en embraffera & cachera une partie au
dedans & au dehors de leur circonférence
apparente ; alors ce qui reftera découvert
en largeur ne fera plus un diametre ,
mais une corde plus ou moins grande
felon l'épaiffeur du mur ; de forte
on faifoit fon épaiffeur égale au diametre
de la colonne , il embrafferoit la moitié
de chaque côté , & la feroit enfin diſparoître
, ainfi les furfaces de fes paremens
deviendroient des plans tangens , qui ne la
toucheroient que fuivant une ligne fi elle
étoit cylindrique , & l'angle mixte de la
furface plane & de la courbe deviendroit
infiniment aigu , de forte qu'à moins que
d'ufer d'un maftic adhérent , on ne pourroit
le remplir folidement des matériaux
dont le 'mur feroit bâti.
>
L'inconvénient de la pofition du mur
en dedans ne mérite pas d'être prouvé ,
puifque la colonnade eftun ornement dont
on veut décorer le dedans de l'habitation ,
lequel ornement feroit rejetté en faveur
du dehors , où les colonnes ne paroîtroient
faire fonction que de contre- forts . Il ne
refte donc à choisir que la pofition du mur
en dehors ; alors , ou fa furface fera tanMAT
1755 371755.
753
-
gente de la colonnade , ou bien fon épaiffeur
recevra une partie du diametre de
chaque colonne , fi elle avance dans leur
intervalle. Dans le premier cas , il fe for
mera un angle mixte , dont nous venons
de parler , entre la furface plane du mur
& la convexe de la colonne , lequel étant
infiniment aigu deviendra un réceptacle
de pouffiere & d'araignée , dont on ne
pourra le nettoyer , par conféquent fujet
à un entretien perpétuel de propreté.
Dans le fecond cas , cet angle mixte deviendra
plus ouvert , mais préfentera toujours
un objet defagréable à la vûe , felon
qu'il fera plus ou moins aigu ou obtus ; &
ce qui eft pire & inévitable , il cachera
toujours une partie de la colonne , qu'on
reconnoît pour n'être pas deftinée à être
enclavée dans un mur , fans perdre de fa
largeur apparente , étant vue de différens
côtés , & par conféquent de cette proportion
de la largeur à la hauteur , qui conſtitue
la différence & la beauté des ordres
d'architecture ; cette proportion ne pourra
fubfifter que lorfque la colonne fera vue
perpendiculairement à la furface du mur
fuppofant qu'il n'avance pas au dedans de
l'alignement des axes des colonnes , car
alors il eft évident qu'il abforberoit plus
de la moitié de leur épaiffeur . Il n'eft pas
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
jen si
moins évident que la colonne érant vue
un peu à droite ou à gauche de laperpen
diculaire au mur , paffant par fon axe fon
épaiffeur apparente entre l'axe & fa futface
du mur fera moindre qu'entre l'axe & le
rayon tangent du côté du vuide intérieur.
Une figure auroit été ici néceffaire pour
aider l'imagination du lecteur qui n'eft
pas un peu initié dans la Géometrie , Je vais
m'expliquer par un exemple. nuog
Suppofons tn fpectateur voyant " de
côté une colonne enclavée à demi dans un
mur, fous un angle , par exemple , de trené
te dégrés , ce qui arrive en fe promenand
devant une colonnade , fans affecter de fi
ruation recherchée exprès ; alors favûe
fera bornée d'un côte au fond de l'angle
mixte de la rencontre des deux furfaces
plane & convexe , & de l'autre au rayon
vifuel tangent à la colonne en faillie hors
du mur , lequel feta avec celui qui doit
paffer par fon axé un angle plus ou moins
aigu , felon qu'il en fera plus près ou plus
foin , parce qu'il fera le complement de
celui du rayon de la colonne ,fire au point
de l'attouchement & toujours momdre que
le droit , quelque éloigné qu'en foit le
fpectateur. Mais pour la commodité de la
fuppofition la plus avantageufe , fuppo
fons -le de 20 dégrés , leſquels érant jõims
9
M A 1. 1755 . iss
aux 30 de l'obliquité donnée , il réfultera
un angle de 120 dégrés , mefuré par la
circonférence , qui n'eft qu'un tiers de celle
de la colonne , dont la corde eft moindre
d'environ un feptieme du diametre par
conféquent la largeur apparente étant die
minuée , l'oeil n'appercevra plus cette proportion
à fa hauteur , qui eft eftimée effentielle
à la beauté de l'architecture .
Donc l'enclavement ne peut fe faire fans
inconvénient , quelque profondeur qu'on
fuppofe de la colonne dans le mur. Il n'en
eft pas de même à l'égard de celui des pilaftres
, dont la face antérieure de fa lar
geur eft inaltérable , quelque profondeur
d'enclavement qu'on lui fuppofe ; done if
n'y repréfente point la colonne , mais un
poteau montant de cloifon de pan de bois ,
ou , fi l'on veut , une chaîne de pierre pour
la folidité. Je ne fçai fi de que je viens de
dire , joint à ce qui a précédé , pourra
établir la légitimité de ce que le R. Pere
appelle les enfans bâtards de l'architecture
qu'il ne veut pas reconnoître pár averfion
naturelle. Je crains qu'elle ne foir plus for
te que mes bonnes raifons , & que le ré
fultat de nos altercations fur cet article
n'ait abouti à rien qu'à mettre le lecteur
én état de prononcer avec plus ample connoiffance
de caufe , fur quoi on peut éta
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
blir un jugement ; fçavoir , qu'il n'y a que
de l'averfion d'un côté , & des raifons de
l'autre , avec l'approbation des Architectes
de toute l'Europe.
Venons préfentement à ce qui concerne
les difpofitions de l'églife qu'il propofe
pour modele. J'avois cru bien faire de la
comparer à celle des premiers fiécles du
Chriftianifme , & de montrer par l'hiſtoire
eccléfiaftique & quelques paffages des Peres
, qu'elle n'y étoit point conforme ; mais
le R. Pere me dit que tout ce que j'expoſe
d'érudition tombe en pure perte. Les anciens
ufages ( dit- il ) n'ont rien de commun
avec l'objet en question. » Il s'eft propofé de
» chercher la difpofition la plus avantageufe
, fans fe mettre en peine qu'elle fût
conforme ou non conforme à ce qui fe
» pratiquoit autrefois ; ce qui nous met hors
» de cour & de procès : il lui reftera feulement
à prouver que celle qu'il a imaginé
eft la plus avantageufe , ce qu'il ne fera
pas aifément.
D'où l'on peut inférer qu'il confidere
nos églifes comme des bâtimens livrés au
caprice de la compofition des Architectes ,
fans égard aux anciens ufages relatifs aux
cérémonies du fervice divin , fuivant la
lithurgie, & à la majeſté du lieu , à laquelle
un Architecte peut beaucoup contribuer
M A I. 1755. 157
1
par une fage difpofition des parties & dif
tribution de la lumiere.
و د
Cette conféquence n'eft pas une conjecture
, elle eft clairement énoncée à la
page 241 de fon Effai , où il dit : » qu'on
» peut donner aux Eglifes toutes les for-
» mes imaginables. Il eft bon même (ajoute-
il ) de ne les pas faire toutes fur
» le même plan : toutes les figures géométriques
, depuis le triangle jufqu'au
» cercle , peuvent fervir à varier fans ceffe
» ces édifices.
""
"
Comment concilier cette liberté avec
l'embarras où il s'eft trouvé dans l'ordonnance
de fon plan , pour le feul arrondiffement
du chevet dont il n'a pû venir
à bout , y rencontrant des inconvéniens
inévitables , de fon aveu ? ce qui l'a fait
conclure , fur ces confidérations , que le
mieux feroit de fe paſſer de rond - point :
c'eft auffi le parti qu'il a pris , fe réduifant
à la fimple ligne droite & aux angles
droits.
Cependant les célebres Architectes de
la nouvelle Rome , qui ont penfé (comme
lui ) qu'il fuffifoit de faire un édifice quel
conque d'une belle architecture , fans vifer
qu'à la fingularité de la compofition ,
n'ont pas été arrêtés par les difficultés
qui ont effrayé le nôtre , comme on le
1
158 MERCURE DE FRANCE.
w
A
voit dans les Eglifes dont Bonarotti
( ou Michel Ange ) les Cavaliers Bernin
, Borromini , Rainaldi , Volateran
Berretin , & quelques autres , ont été
les Architectes faifant des arrangemens
circulaires ou elliptiques de plu
fieurs chapelles autour du grand corps
de l'édifice , variées de toutes fortes de
figures agréables à la vûe , mais déplacées
pour une églife , en ce qu'elles en divifent
trop les objets , obligeant les fideles
affiftant au facrifice célebré fur différens
autels en même tems , de fe tourner
en tout tems , en fituations relativement
indécentes , dos à dos , de côté
& en face affez près pour fe toucher ,
ce qui ne peut manquer de caufer des
diftractions involontaires. Tel eft auffi à
peu près l'effet de la diftribution de lu
miere dans l'églife dont il s'agit , de la
compofition de notre auteur , dont les
rayons venant de tous côtés comme d'une
lanterne de vitraux qui enveloppent'
fans interruption fon fecond ordre de ,
colonnes ifolées , ne peuvent manquer
d'occuper , d'éblouir & de diftraire les fideles
en prieres , particulierement ceux
qui feront tournés au grand autel , dont
les yeux feront directement frappés des
rayons du haut & du bas ; en quoi n'ont
MAT 1755 154
92
pas péché nos Architectes modernes qui
ont appliqué l'autel principal contre le
mur de fond , qu'ils ont décoré d'un ta
bleau , & c. mais auffi ils ont péché contre
l'ancien ufage d'ifoler l'autel , autour du?
quel les cérémonies de l'Eglife exigent
qu'on puiffe tourner en certaines occa
fions , fuivant le rituel où il eft dit , Sacerdos
circuit ter altare , ufages dont ils n'ont
peut- être pas été inftruits , ou auxquels ils
ne fe font pas cru obligés d'avoir égards
comme le nôtre , en ce qui concerne la
figure des autels . 9al soulmů 33 un dị
Il veut , d'après une nouvelle mode qui
s'établit depuis peu , qu'on le faffe en tombeau
, fur un faux préjugé que ceux des
premiers fiecles étoient de même , parce
qu'on célébroit les faints myfleres fur les
tombeaux des Martirs ; ce qu'il faut entendre
des feuils endroits où il s'en trouvoir
, car il n'y en avoit pas par-tours &
quand il y en auroit eu , ce n'eft pas une rai
fon, car ils n'étoientpas immédiatement ſur
la caille ? mais au deffus du lieu où
repo
foient leurs corps , comme il confte par le
grand autel de S. Pierre de Rome , qui
eft bien fitué au deffus de ce qui nous
refté de feliques de S. Pierre & de S.
Paul ; cependant il n'eft pas fait en forme
de tombeau , quoiqu'il fort au deffus de
160 MERCURE DE FRANCE.
la chapelle fouterreine où elles font , à
laquelle on defcend ( comme je l'ai fait )
par un magnifique efcalier , dont la baluftrade
de marbre eft bordée d'une trèsgrande
quantité de lampes toujours allu
mées. Il fe peut qu'on ait fait fervir ,
par extraordinaire , la couverture d'un
tombeau de table pour le facrifice ; mais
j'ai prouvé que dans toutes les églifes
qui ont été faites neuves pendant les premiers
fiecles , l'autel y a toujours été fait
en forme de table , laquelle eft plus analogue
& fignificative que toute autre ,
de l'inftitution du S. Sacrement , faite
pendant le foupé de la Pâques , ce que
tout le monde fçait , & que l'Eglife
chante de la profe de S. Thomas d'Aquin
, quod in facra menfâ coena datum
non ambigitur.
1
Puifque le R. P. n'a rien répliqué aux
preuves que j'en ai données , il femble
que je puis préfumer qu'il en convient
fuivant la maxime que qui tacet commentire
videtur ; en ce cas il auroit pû, fe
faire honneur de cette docilité qu'il avoit
annoncée , en difant qu'on ne lui trouve
roit point d'entêtement.
Après avoir difcuté la difpofition de
fon églife , il refte à examiner fa confruction
, dont l'auteur de l'examen de
MA I..
1755.
161
fon effai fur Architecture a dreffé un
plan que le R. P. n'a point méconnu ,
quoiqu'il ait été gravé & publié , parce
qu'il eft exactement conforme au fien , qui
contient des chofes fi extraordinaires qu'on
ne peut s'empêcher d'en appercevoir les
défauts de régularité & de folidité.
Premierement quant à la régularité ,
à la feule infpection
de ce plan on eft
choqué du défaut de fymmétrie
dans l'arrangement
de fa colonnade
le long de
la nef & de la croifée , en ce que les
colonnes font accouplées
fuivant le modele
du portique
du Louvre , excepté
aux angles faillans de la rencontre
des
files de la nef & de la croifée , au fommet
defquels
il n'y en a qu'une à chacun
: or il eſt évident que c'eft là tout au
contraire
où cet accouplement
étoit plus
convenable
, & même plus néceffaire
qu'ailleurs
, pour donner de la culée à la
pouffée
des platebandes
, qui forment
les architraves
en retour à angle droit
de forte qu'outre
la beauté de la fymmétrie
il fe trouve de plus une néceffité
de
folidité.
Je fens bien que notre Architecte ayant
eu intention de prolonger l'alignement.
de fes bas côtés , comme il le dit dans
fon Effai , ( page 217 ) il n'auroit pu
162 MERCURE DE FRANCE.
ajouter une colonne à chaque retour de
l'angle , fans interrompre cet alignement ,
à quoi je ne lui vois pas de réponſe , que
celle qu'il a faite au reproche de l'enga
gement de fes colonnes dans les murs ,
qu'à néceffité il n'y a point de loi ; mais
celui qui péche dans la caufe n'eſt pas
excufable dans l'effet , c'eſt une maxime reçue
; il ne devoit donc pas s'engager dans
une ordonnance de deffein qui entraînoit
une telle faute néceffairement. Lorfque
le P. Cordemoy , dont il adopte les
idées jufqu'à les copier par-tout , propo
foit celle de Perrault fur l'accouplement
des colonnes , il ne parloit que d'une
nef d'églife , fans faire mention des retours
de la croifée , où l'on ne peut en
mettre moins de trois à chaque angle
faillant , celle du fommet ou pointe de
cet angle étant équivalente à deux , pour
faire face d'un couple de côté & d'au-'
tre.
Le fecond défaut qui concerne la folidité
, a été fuffifamment démontré dans
le livre intitulé , Examen de l'Efai fur
Achitecture de notre Auteur ; il eft er
effet vifible à tour homme qui eft initié
dans la conftruction , qu'une feule
colonne eft abfolument incapable de réfifrer
à une double pouffée des plateban
M A I. 1755. 163
1
des qui concourent à un angle droit ,
où elles pouffent au vuidé fuivant la
prolongation de la diagonale , quand
même ces platebandes ne feroient char
gées que du poids de leurs claveaux . II
n'eft pas néceffaire que j'infifte fur les
défauts déployés dans une douzaine des
pages du livre que je cite.
Cependant le R. P. ne fé tient pas pour
convaincu du rifque d'une fubverfion de
fon édifice , depuis qu'il a appris qu'on
faifoit préfentement des voûtes extrêmement
legeres , & fi bien liées dans les
parties qui la compofent , qu'on prétend
qu'elles ne pouffent point ; ce qui tran
che ( dit-il toutes les difficultés de folidi
té qu'on trouve à fon idée d'églife. Ce
font ces voûtes de briques pofées de plat
& doublées de même en plâtre , qui ont
été exécutées depuis long- tems en Rouffillon
, dont M. le Maréchal de Belle
Ifle a fait des épreuves il y a cinq ou
fix ans. S'il eft vrai ( ajoute cet Auteur )
qu'elles ne pouffent point , je n'en fais point
d'autres , me voilà délivré de l'embarras
» de la dépenfe , & de la mauffaderie
» des contreforts ; toute ma nef du haur
en bas eft en colonnes ifolées , je me
» contente d'envelopper tout le fecond
ordre par des vitraux continus , & fans
•
164 MERCURE DE FRANCE :
>> interruption- mon églife devient l'ou
" vrage le plus noble & le plus délicat ».
On pourroit ajouter & tellement foible ,
qu'il ne feroit pas étonnant qu'il fût culbuté
par un coup de vent , comme un
jeu de quilles , fuppofé qu'il eût été affez
équilibré pour ne s'être pas écroulé
avant que d'avoir été totalement achevé.
Avant que de donner fa confiance à
cette nouveauté , il y a encore bien des
chofes à confidérer .
Premierement qu'on ne peut indifféremment
exécuter ces voûtes en tous
lieux , parce qu'il y a plufieurs cantons
de provinces où il n'y a ni bonnes briques
, ni plâtre , mais feulement de la
chaux , du moilon & des pierres detaille
, comme ici à Breft , où l'on eft obligé
de faire venir de loin ces matériaux.
D'où il fuit que la dépenfe de ces auvrages
douteux excéderoit de beaucoup
celle de l'exécution fûre des yoûtes faites
à l'ordinaire , avec les bons matériaux
que l'on trouve fur les lieux.
Secondement qu'il eft fort incertain
que ces voûtes legeres en briques de plat
ne pouffent point du tout. Cette affertion
n'eft fondée que fur la fuppofition d'une
liaifon i folide , que les parties ne
forment plus qu'un feul corps d'égale
MA I. 1755. 165
confiftance , & par-tout uniforme , puifque
leur arrangement de pofition ne
concourt en rien à les foutenir mutuellement
, comme dans celui des voûtes de
pierres en coupe , auquel cas la folidité
dépend uniquement des excellentes qualités
des matériaux , lefquelles ne font ni
par- tout , ni toujours également conftantes
, de forte qu'on rifque tout fur leurs
moindres défauts ; les briques mal cuites
, ou de mauvaife pâte de terre , le
plâtre éventé ou mal gâché , ou employé
à contre-tems , peuvent empêcher cetre
confiftance uniforme & inébranlable qui
doit en réfulter . Puis le plâtre s'énerve
par les impreffions de l'air dans une fucceffion
de tems qui ne va pas à un fiecle
, mais feulement ( à ce qu'on dit ) a
la durée de la vie d'un homme bien
conftitué , après quoi il devient pouf,
c'eft-à-dire farineux ( fuivant le langage
des ouvriers ) ; ainfi il n'y auroit pas de
prudence de hazarder la perte d'un édi-
-fice auffi confidérable qu'eft celui d'une
églife , qui doit être faite pour durer
des fiecles , fur une conjecture qui fuppofe
qu'une voûte ne doit point pouffer , &
toujours fubfifter , quoique d'une largeur
de diametre ordinairement de 36 à 42
pieds d'étendue , qui excéde de beaucoup
་
166 MERCURE DE FRANCE.
celle des édifices pour l'habitation , dong
on a fait des épreuves.
"
On fçait que la pefanteur agit continuellement
, quoiqu'infenfiblement ; nous
en avons l'exemple dans les bois de la
meilleure confiftance , dont elle fait
alonger les fibres qu'elle ne peut
ne peut caffer.
Une poutre bien dreffée & pofée de niveau
, fans être chargée d'aucun poids
que de celui de fes parties , fe courbe
peu à peu en contre-bas ; & l'on voit
tous les jours des voûtes de bonne maçonnerie
, dont le mortier a fait le corps
depuis long-tems , s'ouvrir vers les reins ,
environ à 45 degrés , lorfque la réfiftan-
-ce des piédroits s'eft trouvée trop équilibrée
, ou diminuée par les moindres
accidens. On en a une preuve bien facheufe
& inquiétante encore aujourd'hui,
par la lézarde ou crevaffe qui s'eft faire
au grand dôme de l'églife de S. Pierre
de Rome , plus de 80 ans après fon édification
& perfection . Sur de telles ex-
-périences , un Architecte feroit inexcufable
de rifquer une conftruction vifiblement
trop foible.
-
•
C
On peut mettre dans le rang des idées
pittorefques celle d'envelopper tout le fecond
ordre de fon église , qui n'est que de
colonnes ifoléés par des vitraux continus
MAI.
1755 167
>
fans interruption , laquelle étant une
nouveauté inattendue fait tomber les
objections que j'avois fait concernant la
néceffité des bafes au rez de chauffée ,
pour foutenir un mur d'enceinte au fecond
ordre , où je comptois que devoient
être les bayes des vitraux , ouverts à dif
tances convenables dans les entre- colonnemens.
Mais il dit formellement que
tout eft vuide d'une colonne à l'autre , fans
aucune espece de piédroit . Tout étant
fupprimé par ce fyftême , l'objection que
je faifois eft du vieux ftyle , on ne bâtira
plus comme par le paſſé.
.
Il nous refte encore à examiner fon
idée d'une voûte à faire fur le milieu
de la croifée des deux berceaux qui couvrent
la nef & la traverfe de la croix de
fon plan , laquelle feroit ( comme je l'ai
dit ) tout naturellement une voûte d'arête
, qu'il trouve , ainfi que la plupart
des Architectes , trop fimple pour une
églife de goût , à laquelle on fubftitue
ordinairement un dôme , fuivant l'Architecture
moderne de la plupart des églifes
d'Italie , pour donner de la nouveauté ;
il rejette cette conftruction , & en fubftitue
une autre , qu'il avoit annoncée
dans fon Effai , d'une maniere fi myſtéricufe
qu'on ne pouvoit deviner que ce
168 MERCURE DE FRANCE.
fût la chofe du monde la plus ordinaire
qu'il a dévoilé dans fa réponſe à mes
remarques , par laquelle on voit que ce
n'eft plus qu'une voûte fphérique en pan .
dantif : en cet endroit ( dit - il ) on peut
» conftruire toute forte de voûte en cul-
» de-four , & en pandantif , qui empêche
( ajoute-t- il ) que fur les quatre
grands arcs-doubleaux , on éleve des
>> enroulemens qui , fuivant la diminution
» pyramidale , aillent ſe réunir à un couronnement
en portion de ſphere , rempli
par une Gloire ou une Apothéose.
» Ce centre de croifée couvert par une
» voûte ainfi percée à jour & décorée avec
» hardieffe , n'auroit- il pas quelque chofe
» de très-brillant & tout- à- fait pittoref
que ? Sans doute , c'eft un beau fujer de
décoration de théatre , fi les édifices fe
faifoient avec la même facilité que les
peintures , & n'exigeoient pas plus de
précaution ; mais malheureufement on
eft affujetti à la folidité & aux moyens
de prendre le jour fans percer plus haut
qu'il ne faut pour le ménager , & pourvoir
à l'écoulement des eaux de pluie ,
enforte qu'elles ne tombent point par ces
pans de la couverture
des combles qui fe croifent , ainfi que
les yoûtes des berceaux qu'ils couvrent ,
ouvertures : or les
ne
MA I.
1755. 169
ne laiffent pas de paffage à la lumiere fi
on ne s'élève au-deffus , auquel cas on,
retombe dans la néceflité de la conftruction
d'un dôme fur une tour à l'ordinaire , que
PAuteur condamne d'après fon maître le
P. Cordemoy , qui leur reproche du porteà-
faux .
On a lieu d'être furpris que quoiqu'il
ait profcrit les arcs doubleaux dans fon
effai , il en fafle ici mention , & qu'il y appuie
les enroulemens qui doivent porter la
coupole de l'apothéofe en cul de four , parce
qu'on y trouve plufieurs inconvéniens ;
l'un , que les affiettes de leur baſe devant
être de niveau entr'elles , elles ne peuvent
être pofées que fur les quatre clefs des arcs
doubleaux qui font dans cette fituation relative
, & ces parties ( les plus foibles des
voûtes ) ne paroiffent gueres convenables
pour foutenir ces enroulemens , qui , comme
de fimples nervûres , font chargées du
poids de la calotte fphérique . Secondement
parce que leur nombre ne fuffiroit pas pour
porter le contour de ce fegment , ainfi
percé à jour , à moins qu'il ne fût très-petit
, en approchant beaucoup de fon pôle ,
auquel cas , fi l'on enveloppe les enroulemens
de vitraux continus , comme il fait
à l'égard des colonnes du fecond ordre , ils
deviendront auffi fphériques en portions
H
170 MERCURE
DE FRANCE.
inclinés en furde
trapezes
courbes
plomb.
:
,
Les fera - t - on ainfi alors il faut renvoyer
l'exécution de ce projet à la côte du
Pérou , comme à Lima où il ne pleut jamais
mais fi l'on ne croit pas pouvoir les
faire de même à caufe de l'inconvénient de
l'écoulement des eaux de pluie , on fera
obligé , pour le faire à plomb & en abajour
, d'élever une tour fur la croifée des
berceaux , portant à faux fur les pandantifs,
& alors on retombe dans la conftruction.
ordinaire des dômes , ou du moins des
demi- dômes , plus ou moins élevés extérieurement
, fuivant le diametre de la voû
te fphérique , à laquelle cette tour fera
circonfcrite , fans paroître dans l'intérieur
que comme un-cul- de four en pandantif ,
portant immédiatement fur les panaches ,
élevés fur un pan coupé des angles faillans
de la croifée.
Cette conftruction n'a rien d'extraordi
naire ; nous en avons mille exemples , particulierement
à Rome dans les églifes de
Sainte Marie in Porticu , du deffein du Cavalier
Rainaldi ; à Sainte Marie in Vallicella
, de celui du vieux Longo ; à S. Charles
des quatre Fontaines , de celui du Cavalier
Borromini ; & fans aller fi loin , au Noviciat
des Jéfuites de Paris , excepté que cetMAI.
1755. 171
7
tere conftruction y eft fans grace , en ce que
les pandantifs n'y font pas féparés de la
calotte fphérique par une corniche horizontale
, qui lui forme une baſe , & met
à part une figure réguliere plus agréable à
la vûe que celle qui eft échancrée par les
lunettes des berceaux pénétrant la furface
fphérique ; fecondement , parce que le
fommet , ou fond de cette furface concave,
y eft obfcur , fon enfoncement n'étant pas
éclairé d'une lanterne comme dans les
églifes citées , où cette partie eft brillante
par une lumiere célefte , qui y defcend
naturellement , au lieu qu'au Noviciat elle
ne l'eft que par un peu de reflet qui renvoie
la lumiere de bas en haut ; ce défaut
que l'auteur de l'examen de l'Effai a déja
remarqué au fommet des berceaux qui
couvrent la nef & la croifée de fon églife
, eft encore ici plus remarquable , parce
que le reflet vient de plus loin , & remonte
plus haut . Je paffe fur un autre défaut
de largeur du pan coupé à chaque
angle de la croifée , lequel eft trop petit
pour fervir de baſe au panache.
Nous voilà donc au fait de cette voûte
de croifée d'églife , qui avoit été annoncée
comme une nouvelle invention , & qui
n'eſt rien moins . » C'étoit ( dit- on ) une
»forte de baldaquin , en façon de dôme ›
Hij
172 MERCURE DE FRANCE .
ود
» d'un deffein léger , qui puiffe fympathi
» fer avec l'idée de voûte ; dès lors ( ajoû
» toit l'auteur ) point de colonne , & rien
» de ce qui a befoin de porter dès les fondemens
, & un Architecte comprendra
fans peine les raifons qui me détermi-
» nent de propofer ainfi pour défigner une
» voûte qui aura toute la fingularité , tous
» les avantages des dômes fans en avoir les
inconvéniens .
"
,
11 eft clair qu'en admettant toutes ces
conditions à la lettre , il ne fatisfait en
aucune façon au problême. 1 ° . On ne peut
fon cul-de-four en pandantif pas dire que
ne porte fur rien qui vienne des fondemens
& qu'il n'y ait point de colonne , puifqu'il
y en a quatre , une à chaque angle faillant
de la croifée au rez de chauffée , & une
feconde en échafaudage au - deffus pour le
fecond ordre , ce qui en fait huit , à tout
compter ; la fupérieure fervant à porter le
pied du pandantif , porte fur la premiere
établie au rez de chauffée , par conféquent
dès lesfondemens : enfuite , le pandantif
établi fur ces colonnes , porte & rachete la
calotte fphérique de l'apothéofe ; donc par
une induction bien raifonnée , elle porte
dès les fondemens ; donc cette conſtruction
ne fatisfait point au problême.
Mais oferoit - on faire l'analyfe de ce
M.A I. 1755 173
fupport de tant de fardeaux ? on trouvera
qu'il fe réduit à une arête verticale de
l'angle faillant de l'architrave du premier
ordre , laquelle porte elle-même à faux ,
comme nous l'avons démontré ci - devant
dans l'examen de la fonction d'une colonne
fous un angle faillant.
Nos Architectes qui refpectent les principes
de l'art , font ordinairement un pan
coupé dans les angles de cette efpece, pour
y trouver un peu de baſe horizontale au
panache qui doit racheter le cul-de-four .
Pour finir , je pafferai fous filence bien
des chofes que j'aurois à dire fur la nouvelle
architecture en filigramme ; par
exemple , fur les pentes à ménager aux toîts
des bas côtés pour l'écoulement des eaux de
pluie , qu'on ne peut diriger qu'en s'élevant
du côté de la nef , & mafquant une
partie des vitraux du fecond ordre , lequel
eft établi immédiatement au -deffus de l'architrave
du premier , regnant de niveau
avec l'égoût extérieur des plafonds des bas
côtés , & de plus des chapelles qui l'écartent
encore du corps de la nef , d'où fuit
une plus grande hauteur de pente à donner
à cette partie inférieure qui reçoit auffi
l'égoût d'un côté du grand comble. J'en
pourrois dire autant & plus à l'égard du
baldaquin pittoresque ; mais je veux mon-
Hiij
374 MERCURE DE FRANCE.
trer que je ne cherche pas matiere à criti
quer , n'ayant d'autre intention que celle
de rendre ma réplique utile.
Au refte , je fuis très - obligé au R. Pere
Laugier de la maniere obligeante dont il
a parlé de moi dans fon prélude ; je lui en
fais mes très-humbles remercimens , fans
attention à ce que ce procédé de politeffe
ne s'eft pas toujours foutenu dans certains
momens où il lui a échapé des qualifications
de difcours , dont j'ai montré l'injuftice
; de forte qu'elles étoient réversibles
de droit à celui qui les avoit données malà-
propos , fi la qualité de Philofophe dont il
m'honore , & que je fais gloire de foutenir
en bonne part , ne me mettoit infiniment
au- deffus de ces petiteffes.
A Breft , le 2 Nov. 1754. FREZIER.
HORLOGERIE.
Lettre de M. le Paute à M. de Boiffy.
Moni
Onfieur, la perfonne qui a bien voulu
fe charger à mon infçu de faire annoncer
dans le Mercure de Mars dernier
lesnouveaux cadrans que je fubftitue depuis
quelque tems aux cadrans d'émail , ignoroit
probablement que l'on avoit tenté avant
MA I. 1755. 175
moi divers moyens pour remplir le même
objet , ou a négligé d'en faire mention .
Cette omiffion a donné lieu à M. Dupont ,
Horloger de Paris , de croire que c'étoit
d'après lui que j'avois travaillé ; & j'ai
appris que plufieurs perfonnes croyoient
qu'en effer mes cadrans étoient les mêmes
que les fiens. Il eft vrai que depuis quelques
que tems il a employé des cadrans plats
dans lesquels les heures & minutes font
peintes für le verre , & dont le fond eft
une couche de maftic d'un affez beau blanc
appliquée fur le verre ; le prix d'ailleurs
de ces cadrans eft confidérable. Comme
ceux que l'on a vûs chez moi , Monfieur ,
font abfolument différens de ceux -là , qu'ils
n'y ont même aucun rapport , puifque je
n'emploie ni couleurs ni inaftic , ni quoi .
que ce foit qui ait rapport à la peinture
& qu'ils font imprimés , je vous prie de
vouloir bien prévenir l'erreur à cet égard .
Les miens d'ailleurs font d'un blanc plus
éclatant , d'un prix beaucoup moindre
ceux dont je viens de parler , le verre peut
être brifé fans perdre pour cela le cadran ;
chacun peut s'en affurer
foi-même en
les voyant chez moi.
par
J'ai l'honneur d'être , &c.
Ces Avril 1755.
que
LE PAUTE:
>
Hiiij
176 MERCURE DE FRANCE.
LE S. LE
MAZURIER ,
Horlogeri
eft auteur d'une pendule à fecondes ,
fonnerie & à remontoir , dont le mouvement
n'a qu'une feule roue. Nous donnerons
le mois prochain le rapport de l'Académie
royale des Sciences fur cette piéce.
L'Artiſte , non content de la grande fimplicité
où il a fçu l'amener , a eu l'attention
d'y obferver une forme
extrêmement
gracieufe ; ce qui lui a donné lieu d'y ajuſter
un cadran de glace , au travers duquel
on apperçoit tous les effets.
On pourra la voir chez l'auteur tous les
jours de travail , depuis trois heures après
midi jufqu'à cinq.
Il demeure rue de la Harpe , à la Pendule
, au premier étage , près le College
d'Harcourt.
MA I. 1755. 177
ARTICLE V.
SPECTACLES.
COMEDIE FRANÇOISE.
LES
Es Comédiens François ont ouvert
leur théatre le 8 de ce mois par
Athalie . Cette Tragédie a été précédée ,
felon l'uſage , d'un compliment prononcé
par M. de Bellecourt , & applaudi par
le Parterre , fuivant la coutume,
Le 10 , ils ont donné la huitieme repréſentation
de Philoctete ; & le 19 , ils
L'ont joué pour la douzieme & derniere
fois. Le public l'a reçu avec toute la
chaleur & les applaudiffemens du premier
jour. Voici des vers de M. Tannevot
fur cette Tragédie .
Difparoiffez Romans , fléau de Melpomene ,
Qui depuis fi long- tems defigurez la ſcène ;
Le Cothurne français par vous dépayſé ,
A retrouvé la fource où Sophocle a puiſé.
Queljeu des paffions ! quelles moeurs héroïques !
Quels nobles fentimens que de traits pathétitiques
!
Hv
178 MERCURE DE FRANCE .
Quel refpect pour les Dieux ! & quelle vérité
A de fages crayons fournit l'antiquité !
Zele , force , courage , amour de la patrie ,
Celeftes alimens dont notre ame eft nourrie ,
Germent dans un fujet fimple , & toujours fé
cond ,
Plein de grands mouvemens , pour un efprit pro♣
fond.
Les incidens nombreux découvrent l'indigence
L'action ifolée indique l'abondance.
Philoctete obftiné dans fes reffentimens ,
Suffit pour enlever nos applaudiffemens.
La clémence toujours oppoſée à la haine ,
La combat conftamment , en triomphe & l'en
chaîne.
Dans le jeune Pyrrhus l'amour cede au devoirs
L'éloquente raiſon fignale fon pouvoir.
Combien aux voeux des Grecs devient - elle propice
!
Il falloit Chateaubrun pour bien nous peindre
Ulyffe.
Auteur judicieux , il te falloit far-tour
Pour guider le génie , & ramener le goû
COMEDIE ITALIENNE.
Es Comédiens Italiens ont fait l'ou
Lverture de leur fpectacle par priem
lequin Voleur , Juge & Prévât , ComéM
A I 1735. 179
die Italienne. Mme Favart fait avec Arlequin
un compliment dialogue dans le goût
de celui de la clôture.
Le 17 les mêmes Comédiens donnerent
la premiere repréſentation des Deux
Soeurs , Comédie en vers , en trois actes ,
de M. Yon. Les deux premiers furent applaudis
; on fut moins fatisfait du troifieme.
En général on a trouvé la piéce bien
écrité , & les détails bien faits ; mais on y
eut defiré plus d'action & de gaieté. Cet
te Comédie fut fuivie des Amours de Baftien
, & de la Matinée Villageoife , nouveau
Ballet de M. Deheffe. Il y a un pas de
trois charmant ; il eft exécuté par Mlle Ca
tinon , Mlle Camille , & Mr. Saudi ,
avec une précision qui ne laiffe rien à defirer.
C
Hvj
180 MERCURE DE FRANCE .
CONCERT SPIRITUEL.
LE
E Lundi Saint 24 Mars , le Concert
commença par une fymphonie , qui
fur fuivie du Venite exultemus , motet à grand
choeur de M. Davefne. Mme Pompeati
chanta un air italien . Mlle Fel chanta
un concerto accompagné de voix . Mme
Pompeati chanta un air italien. Le Concert
finit par Jubilate , motet à grand
choeur de M. de Mondonville.
Le Concert du Mardi Saint fut trèsbeau
; il commença par une fymphonie
de Jumelli , enfuite Domini eft terra ,
motet à grand choeur de M. le Febvre ,
organiſte de S. Louis. Le jeune M. Jannfon
jouaune fonate devioloncelle avec l'ap
plaudiffement général . M. Godard chanta
un petit motet au gré des auditeurs. M.
Balbatre joua un concerto d'orgue de fa
compofition , qui furprit & enchanta
toute l'affemblée ; fon jeu brillant fit
parler cet inftrument en maître , & fit
fentir qu'il a feul le droit de commander
à tous les autres. On ne peut faire
un trop grand éloge de cette nouveauté
& du talent fingulier de M. Balbatre à
qui nous la devons. Le Concert finit par
MAI. 1755 181-
Magnus Dominus, motet à grand choeur de
M. de Mondonville.
Le Mercredi Saint 26 , le Concert commença
par une fymphonie de Geminiani
; enfuite Nifi Dominus , motet à grand
choeur de M. de Mondonville. Mme . Pompeati
chanta un air Italien ; il fut fuivi
d'une fymphonie de Stamich , avec clarinets
& cors de chaffe . Mme. Pompeati
chanta un fecond air Italien. M, Balbatre
joua fon concerto d'orgue avec le
même fuccès. Le Concert finit par le Miferere
de M. de Lalande .
Le Jeudi Saint 27 , on commença par
une fymphonie del Signor Zanni , enfuite
Deus nofter , motet à grand choeur
de M. Cordelet . M. Albaneze chanta
deux airs Italiens . M. Godard chanta un
petit motet de M. le Febvre , organiſte de
S. Louis. Mlle Fel chanta un concerto
accompagné de voix . M. Beche en chanta
l'Adagio. On finit par In exitu , motet
nouveau de M. de Mondonville , qui fut
très applaudi.
Le Vendredi Saint 28 , on commença
par une fymphonie de M. Guillemain ;
enfuite Stabat de Pergoleze . M. Canavas
joua un concerto. Mme Pompeati chanta
un air Italien. M. Balbatre joua fur l'orgue
une fonnate des pieces de Clavecin
1821 MERCURE DE FRANCE:
de M. de Mondonville . On finit par le De
profundis de M. de Mondonville ...
Le Samedi Saint 29 , on commença
par une fymphonie del Signor Haffe ,
qui fut fuivie du Stabat de Pergoleze. M.
Gelin chanta un petit motet. Ön exécuta
une fymphonie del Signor Holzbaur.
Mme Veftris de Giardini chanta deux
airs Italiens ; elle fut applaudie à plus
d'un titre ; elle joint à un bel organe
une figure très aimable : on finit par
Bonum eft , motet à grand choeur de M. de
Mondonville.
Le Dimanche jour de Pâques 30 Mars ,
on commença par une fymphonie de M.
de Mondonville ; enfuite Cantate , moter à
grand choeur de M. de Lalande . Mme
Pompeati chanta deux airs Italiens . Mlle
Fel chanta un petit motet del Signor Fifco.
M. Balbatre joua un concerto d'orgue
de fa compofition. On finit par enite
exultemus , moter à grand choeur de
M. de Mondonville.
Le Lundi de Pâques 31 , on commença
par une fymphonie; enfuite Domine , in
virtute tua , motet à grand choeur de M.
Cordeler. Mme Veftris de Giardini chanta
deux airs. Mlle Fel chanta un nouveau
Regina cæli. M. Balbatre joua un concerto
d'orgue de fa compofition. On finit par
MAI 17551 183
Dominus regnavit , de M. de Mondonville .
Le Mardi de Pâques premier Avril , on
commença par une fymphonic ; enſuite
Dominus regnavit , motet à grand choeur
de M. de Lalande . Mme Pompeati chanta
un air Italien, M. Taillard joua un concerto
de Alûte. Mme Pompeati chanta
un fecond air Italien . M. Balbatre joua
de l'orgue . On finit par In exitu , motet
à grand choeur de M. de Mondonville.
Le Vendredi de Pâques 4 Avril , on
commença par une fymphonie de Mrs
Pla ; enfuite Exaltabo te , moter à grand
choeur de M. de Lalande . M. Moria joua
un concerto de violon . Mlle Fel chanta
avec un grand fuccès Exultate Deo , petit
motet nouveau . M. Balbatre joua fur
l'orgue l'ouverture de l'Opéra Languedocien.
On finit par Coeli enarrant , motet
à grand choeur de M. de Mondonville.
Le Dimanche de Quafimodo 6 , on
commença par une fymphonie de Jumelli
; enfuite Cantate , moter à grand
choeur de M. de Lalande. Mme Veftris
de Giardini chanta deux airs Italiens. M.
Moria joua un concerto de violon . Mlle
Fel chanta le nouveau Regina coeli. M.
Balbatre joua un concerto d'orgue de fa
compofition . On finit par Venite exultemus
, de M. de Mondonville.
184 MERCURE DE FRANCE.
Le Lundi 7 Avril , jour de l'Annonciation
, on commença par une fymphonie
nouvelle ; enfuite Cantate , motet à grand
choeur de M. Martin. Mme Pompeati
chanta un air Italien . M. Godard chanta
le petit motet de M. le Febvre. M. Tarrade
joua un concerto de violon . Mlle
Fel chanta pour la feconde fois Exultate
Deo , qui eut une nouvelle réuffite . Pour
rendre le Concert parfait , M. Balbatre
joua un concerto d'orgue de fa compofition
; & l'on finit par In exitu , de M. de
Mondonville,
* Voyez l'article IV , au mot Muſique.
MAI. 1755. 185
ARTICLE SIXIE ME.
NOUVELLES ÉTRANGERES.
DU LEVANT.
DE CONSTANTINOPLE , le 3 Février.
Am
USTAPHA EFFENDI eft nommé pour aller
notifier à l'Impératrice de Ruffie l'avènement
d'Ofman III au trône , & Chalil Aga , Capigi
Bachi , eft chargé de s'acquitter de la même
commiffion auprès du Roi & de la République de
Pologne. Lorfque le Baron de Hochepied ,
baffadeur des Etats Généraux des Provinces -Unies,
eut le du mois dernier fon audience publique
du Grand Vifir , il harangua ce premier Miniftre
en françois , & le Grand Vifir lui répondit en la
même langue.
Tout fembloit promettre au Grand Vilir
qu'il conferveroit fa dignité. Cependant Sa Hau→
teffe lui envoya redemander les Sceaux le IS Février.
C'eft à Metelin qu'il eft relegué. Son Succeffeur
n'eft pas encore déclaré ; l'Aga des Janiſfaires
exerce les fonctions de premier Miniftre.
Près de quatre-vingt mille ouvriers font employés
actuellement à réparer les dommages
caufés par les derniers tremblemens de terre. La
partie du Sérail , qui avoit été renversée , a été
rebâtie fur les deffeins du fieur Eſpinelluzzi , Arę
chitecte Italien.
186 MERCURE DE FRANCE.
DU NORD.
DE PETERSBOURG , le 28 Février.
Plufieurs perfonnes verfées dans la connoiffance
des loix , ont reçu ordre de P'Impératrice de
travailler à la réduction d'un nouveau Code. Ik
portera Ie nom de Code Elizabeth . Sa Majefté
Împériale vient d'affigner un fonds de trente mille
roubles , pour fubvenir aux premieres dépenses de
l'établiffement d'une Univerfité dans la ville de
Mofcou. Le Chevalier de Luffy , François de nation
, a entrepris de donner une feuille périodi
que , intitulée le Cameleon littéraire. Tous les Seigneurs
de cette Cour étant dans le goût de la
littérature françoife , s'intéreffent vivement au
fuccès de cet ouvrage.-
DE WARSOVIE , le 17 Mars.
Selon les avis reçus de Dubno , Hadzi Ali Aga ,
Ambaffadeur du Grand Seigneur , a amené de
Conftantinople deux Sauvages qui ont été trouvés
dans les bois , & qu'il doit préfenter au Roi de la
part de Sa Hauteffe. Le fieur Durand , Miniftre de
Sa Majesté très -Chrétienne auprès de la République
, arriva ici le 4 .
DE STOCKHOLM , le 4 Mars.
Il paroît un Edit , par lequel il eft défendu à
tous Matelots , employés fur les vaiffeaux Suédois ,
de paffer dans les pays étrangers , fous peine d'être
déclarés inhabiles à recueillir les fucceffions qui
pourroient dans la fuite leur écheoir , & de perdre
MAI 1759. 187
ce qui leur fera dû fur les bâtimens , à bord defquels
ils auront fervi .
Sa Majefté vient de faire publier qu'elle accorderoit
des gratifications confidérables & plufieurs
priviléges aux entrepreneurs qui voudroient établir
des carroffes publics pour aller d'une Province
à l'autre , & des voitures pour le tranfport des
marchandifes.
ALLEMAGN E.
DE VIENNE , le 22 Mars.
Il y a eu une émeute confidérable parmi les
peuples de Croatie , qui ont prétendu que l'on
donnoit atteinte à leurs priviléges . L'Impératrice-
Reine a ordonné au Feld - Maréchal Comte de
Neuperg de marcher avec quelques troupes pour
remettre l'ordre & la tranquillité dans ce pays.
On affure qu'il y a auffi quelques mouvemens en
Efclavonie pour la même caufe .
DE DRESDE , le 31 Mars.
Le Comte de Vitzthum doit aller réfider en
France , avec caractere d'Envoyé Extraordinaire
du Roi , à la place du feu Comte de Bellegarde.
DE MUNICH , le 19 Mars.
Le 1 , le Baron de Gemmingen , chargé de
demander en mariage pour le Margrave de Bade-
Baden la Princeffe Marie Jofephe de Baviere , fille
du feu Empereur Charles VII , eut fes audiences
de l'Impératrice Douairiere , de l'Electeur & de
Electrice , ainfi que des Princes & Princeffes de
la Maifon électorale.
188 MERCURE DE FRANCE.
L'Electeur vient de nommer le Baron Van
Eyck , Envoyé de Liege à la Cour de France , pour
être fon Envoyé Extraordinaire à la même Cour.
DE FRANCFORT , le 18 Mars.
Les Commiffaires , nommés par le Cercle du
haut Rhin pour donner leur avis fur l'affaire des
monnoies , ont rédigé leur délibération .
IT AL I E.
DE NAPLES , le 15 Mars.
L'éruption du Mont Vefuve eft entierement
eeffée , & depuis quelques jours il ne fort même
aucune fumée de ce Volcan. Il y eut le 10 & le
11 de ce mois fur cette côte une violente tempête.
Le 11 une polaque Françoife périt entre la
tour de l'Annonciade & Caftellamare di Stabia .
Le Capitaine & deux paffagers Maltois ont été
noyés.
DE ROME , le 22 Mars.
Sa Sainteté tint le 17 un Confiftoire fecret
dans lequel le Cardinal Portocarrero propofa
P'Archevêché de Befançon pour l'Abbé de Choifeul-
Beaupré , Primat de Lorraine , & l'Abbaye
de la Charité , Ordre de Cîteaux , dans le même
Diocèſe , pour l'Abbé le Tonnelier de Breteuil .
Sa Sainteté a accordé le Pallium à l'Archevêque
de Befançon & à l'Evêque de Wurtzbourg.
DE MILAN , le 25 Mars.
Un Gentilhomme du Duc de Penthieyre étant
M A I.
189 1755.
?
arrivé le 22 de ce mois au matin , & ayant annoncé
que ce Prince devoit fe rendre ici le même
jour ; le Duc de Modene , accompagné de fes
Gardes & d'une nombreuſe fuite ,
fortit par la
porte Romaine avec deux caroffes à fix chevaux
pour aller au-devant de fon Alteffe Séréniffime.
Auffi-tôt les deux Princes fe rencontrerent
que
ils mirent pied à terre. Le Duc de Penthievre entra
dans le caroffe du Duc de Modene , qui lui
donna la droite . A leur arrivée au Palais ducal ,
ils trouverent toute la Nobleffe affemblée. On
compte que le Duc de Penthievre ne partira que
dans quatre ou cinq jours pour Turin.
GRANDE - BRETAGNE.
DE LONDRES , le 27 Mars.
>
Sur un Meffage envoyé par le Roi le 25 à la
Chambre des Pairs & à la Chambre des Communes
, cette Chambre s'étant affemblée le lendemain
en Committé pour délibérer ſur le ſubſide
accorda la fomme d'un million de livres fterlings
au Roi , afin que Sa Majefté puiffe faire dans fa
marine & dans fes troupes l'augmentation néceſfaire
, & prendre toutes les mefures convenables
pour la fureté de fes états . La Chambre affigna en
même tems un fonds de fix mille livres sterlings
pour continuer le grand chemin entre les villes
de Carlisle & de Newcaſtle.
L'augmentation des troupes de terre fera de
cinq mille hommes. On augmentera de vingt
mille le nombre des matelots , & l'on engagera
dix mille nouveaux foldats de marine. L'équipage
d'un vaiffeau de guerre revenu de la Virginie
rapporté que le Chef d'Efcadre Keppel y étoi
a
190 MERCURE DE FRANCE.
arrivé avec les vaiffeaux le Centurion & le Norwich ,
& que ces deux bâtimens avoient été confidérablement
endommagés par une tempête.
La Chambre des Communes a réfolu que la
fomme d'un million de livres ſterlings feroit levée
par le moyen d'une lotterie , dont chaque billet
fera d'une guinée.
Les Régimens d'Infanterie de Bentinck , de
Bertie , d'York , de Jordan , de Folliot , de Humes
, d'Anftruther & de London , qui font fur
l'établiffement d'Irlande , ont ordre de paffer en
Angleterre. Ils feront augmentés de trente & un
hommes par Compagnie. Tous les vaiffeaux nouvellement
mis en commiffion , fe rendent fucceffivement
à Spithead , & il eſt défendu aux Officiers
qui les montent , de quitter leurs bords. On
a reçu avis que les troupes parties d'Irlande pour
la Virginie étoient arrivées à cette Colonie .
PAYS - BAS.
7
DE LA HAYE , le 11 Avril.
Sur les bruits qui ont couru que les Algériens
avoient déclaré la guerre à cette République
l'Amirauté d'Amfterdam a mis fept Vaiffeaux de
guerre en commiffion : celles de la Meuſe & de la
Zélande en ont mis chacune trois , & celle de la
Nord Hollande deux .
La nuit du 5 au 6 le feu prit à Alcmar dans la
maifon de Correction , qui a été preſque totalement
réduite en cendres. Le 6 , le feu prit auffi au
laboratoire de l'Arcenal dans la même ville.
Moyennant les prompts fecours qu'on apporta
le dommage n'a pas été confidérable ; mais quelques
ouvriers ont été bleffés en travaillant à ârrê◄
ter les progrès des flammes,
MA I. 1755. 191
DE BRUXELLES , le 22 Mars.
Par un Décret qui vient d'être publié , l'Impératrice
Reine permet de faire paffer par ces Provinces
différentes marchandiſes de Hollande ,
deftinées pour l'Allemagne & pour le pays de
Liege , & plufieurs marchandiſes d'Allemagne &
du pays de Liege deftinées pour la Hollande. Sa
Majefté défigne en même tems de nouvelles routes
au paffage.
Le tirage de la premiere claffe de la lotterie
fut terminé les de ce mois. Le lot de vingt mille
florins eſt échu au n°. 35738. Celui de quinze
mille florins , au nº. 105094. Celui de dix mille ,
au nº. 44343. Celui de fept mille cinq cens au
n°. 56716 ; & celui de cinq mille au nº. 124004.
>
Avant-hier , le Prince Charles de Lorraine fe
rendit à Malines pour y voir fondre quelques canons
, & il revint le foir en cette ville. La Prin
ceffe de Lorraine arriva de Mons le même jour.
FRANC E.
Nouvelles de la Cour , de Paris , & c.
DE BORDEAUX.
A protection particuliere que le Roi accorde
& fi floriffante que tous les Chirurgiens s'empreffent
à la rendre plus recommendable.
Les Maîtres en Chirurgie de la ville de Bor
deaux , à l'inftar de ceux de la Capitale & de quel
192 MERCURE DE FRANCE.
ques autres grandes villes du Royaume , ont fait
bâtir un amphithéâtre que le Roi a honoré du
titre d'Ecole royale de Chirurgie , par des Lettres
patentes du 8 Septembre 1752. Cette compagnie ,
qui n'a d'autre objet que le progrès de la Chirur
gie & la confervation des citoyens , fe propoſe de
faire gratuitement des cours publics , qui dureront
toute l'année fans interruption : en conféquence
elle a nommé des Démonftrateurs qui enfeigneront
fucceffivement aux éleves en Chirurgie , la
théorie & la pratique de la fcience , & de l'art le
plus intéreffant pour le genre humain. Cet établiffement,
qui eft généralement applaudi , paroît
être d'autant plus utile à Bordeaux , que plufieurs
campagnes des environs font dépourvues de Chirurgiens
en état de remédier à certaines maladies
qui affectent la plupart des habitans . D'ailleurs
cette ville étant une des plus commerçantes du
Royaume , MM. les Négocians envoyent toutes
les années dans les Colonies un très-grand nombre
de Vaiffeaux , dans lefquels on a foin de mettre
des Chirurgiens , dont la plupart n'ayant point eu
des facultés pour aller puifer à Paris ou ailleurs
les lumieres de leur profeffion , commettent des
impérities dont les paffagers & l'équipage font
très-fouvent les victimes ; c'eft donc dans les vûes
de faire ceffer de tels inconvéniens , que cette
Compagnie s'eft empreffée de faire finir cet édifice
, elle a fait des efforts confidérables pour y
parvenir. Le fieur Ballay , Lieutenant de M. le
premier Chirurgien du Roi , doit en faire l'ouver,
ture dans le courant du mois de Mai prochain.
On invite les Etudians en Chirurgie à venir y
recueillir les fruits des leçons qui leur feront faites,
& qui ne font deſtinées que pour eux.
MAI. 1755. 193
DE MONTPELLIER .
On atrouvé il y a deux mois dans le tems que
la neige étoit fur terre , un oifeau plus gros qu'un
Coq d'Inde , reffemblant affez à un Héron , ayant
une espece de couronne fur la tête avec deux grandes
plumes qui lui tomboient fur le dos. Il étoit
fi maigre que ne pouvant plus voler , des chiens
le prirent à Caftries, terre appartenant à M. le Marquis
de Caftres , à deux lieues de Montpellier. Il
avoit un anneau au pied, fur lequel étoient gravées
que voici : les lettres
C. W. F. M. Z. B. O.
NO. 74. A. 1752. U. G.
On nous a prié d'inférer dans l'article des nouvelles
cet événement , qui peut intéreffer la perfonne
à qui appartenoit cet oifeau. On pourroit
fçavoir par ce moyen d'où il eft venu , quelle étoit
fon efpece , & le tems où il s'eft fauvé de chez fon
maître.
Le 18 Mars, pendant la Meffe du Roi , l'Evêque de
Gap prêta ferment entre les mains de Sa Majeſté.
Le huitieme tirage de la premiere lotterie royale
fe fit le 19 & les jours fuivans , dans la grande
Salle de l'Hôtel de Ville , en préfence des Prévôt
des Marchands & Echevins. Le principal Lot
cft échu au numéro 6804 , & le fecond au numéro
16894. Le numéro 1628 a eu la premiere
Prime.
On fit le 22 de ce mois la proceffion folemnelle
, qu'on a coutume de faire tous les ans ,
en mémoire de la réduction de cette Capitale
fous l'obéiffance de Henri IV. Le Corps de Ville
y affifta fuivant l'ufage.
I
194 MERCURE DE FRANCE.
Le même jour l'Académie Françoife élut le
fieur de Châteaubrun , pour remplir la place vacante
dans cette Compagnie , par la mort du
Préſident de Montefquieu .
Le 23 , l'Evêque de Vence fut facré dans la
Chapelle du Séminaire de Saint Sulpice , par
l'Evêque de Beauvais , affifté des Evêques de
Soiffons & de Bazas , & le 24 , pendant la Meffe
du Roi , il prêta ferment de fidélité entre les
mains de Sa Majesté.
La Marquife de Sailly fut préfentée le 23 à
Leurs Majeftés & à la Famille Royale.
Le 23 , Dimanche des Rameaux , le Roi , accompagné
de Madame Adelaïde , & de Mefdames
Victoire , Sophie & Louiſe , aſſiſta dans
la Chapelle à la Bénédiction des Palmes. Cette
cérémonie fut faite par l'Abbé Gergoy , Chapelain
Ordinaire de la Chapelle - Mufique , lequel
préfenta une Palme à Sa Majefté. Après
la Proceffion , & après avoir adoré la Croix ,
le Roi entendit la grande Meffe , célébrée par
le même Chapelain , & chantée par la Mufique.
L'après-midi , le Roi entendit le Sermon du
Pere Griffet , de la Compagnie de Jeſus . Sa Majeſté
aſſiſta enfuite aux Vêpres , chantées par la
Mufique , & au ' Salut célébré par les Millionnaires.
La Reine , Monfeigneur le Dauphin & Madame
la Dauphine , affifterent dans la Tribune à
l'Office du matin & à celui de l'après -midi.
Le 27 , Jeudi Saint , l'Evêque de Gap ayant
fait l'Abfoute , & le Roi ayant entendu le Sermon
de l'Abbé de Trémouilhe , Chanoine &
Théologal de l'Eglife Métropolitaine de Tours ;
Sa Majefté a lave les pieds à douze pauvres ,
a
MAI. 1755. 195
& les a ſervis à table . Le Prince de Condé ,
Grand Maître de la Maiſon du Roi , étoit à la
tête des Maîtres d'Hôtel , & il précédoit le Service
, dont les plats ont été portés par Monfeigneur
le Dauphin , le Duc d'Orléans , le
Prince de Conti , le Comte de la Marche , le
Comte d'Eu , & par les principaux Officiers de
Sa Majesté. Après cette cérémonie , le Roi &
la Reine , accompagnés de la Famille Royale,
fe font rendus à la Chapelle , où Leurs Majeftés
ont entendu la grande Meffe , célébrée
par l'Abbé Gergoy , & ont affifté à la Proceffion
.
Leurs Majeftés ont affifté le 26 & le 27 à l'Office
des Ténebres , chanté par la Mufique.
L'Académie des Belles • Lettres de Marſeille
ayant réſervé le prix qu'elle devoit adjuger en
1754 , en aura cette année deux à diftribuer.
Elle donnera l'un de ces prix à un Poëme en
rimes plates , de cent cinquante vers au plus ,
& de cent au moins , dont le fujet fera : La
Réunion de la Provence à la Couronne. L'autre
prix eft deftiné à un Difcours d'un quart
d'heure , ou tout au plus d'une demi - heure
de lecture , lequel aura pour fujet : L'homme
eft plus grand par l'ufage defes talens , que par les
talens mêmes.
La Fregate la Gloire , qui a fait voile de Pondichery
le 10 Septembre 1754 , eft arrivée le
26 Mars au Port de l'Orient. On a appris par
ce bâtiment que le fieur Godeheu étoit dé
barqué le 2 Août à Pondichery , & que le fieur
Dupleix , qui lui a remis le Gouvernement des
étab iffemens de la Compagnie dans l'Inde , devoit
être parti au mois d'Octobre , pour revenir en
Europe.
Iij
196 MERCURE DE FRANCE.
Le 27 de Mars , la Reine entendit le
Sermon de la Cêne de l'Abbé de Tremouilhe ,
Chanoine & Théologal de l'Eglife Métropoli- ,
taine de Tours. L'Evêque de Gap fit enfuite.
Abfoute , après laquelle la Reine lava les pieds
à douze pauvres Filles , que Sa Majesté fervit
à table. Le Marquis de Chalmazel , premier
Maître d'Hôtel de la Reine , précéda le Service
, & les plats furent portés par Madame Adelaïde
, par Mefdames Victoire , Sophie & Louife,
par la Ducheffe d'Orleans , par les Dames du
Palais de la Reine , & les Dames de Compagnie
de Mefdames de France.
Leurs Majeftés & la Famille Royale fe rendirent
le même jour fur les dix heures du foir
à la Chapelle du Château , & firent leurs prieres
devant l'Autel , où le Saint Sacrement étoit '
en dépôt.
Le 28 , jour du Vendredi Saint , le Roi & la
Reine , accompagnés de Madame Adelaïde , &
de Mefdames Victoire & Sophie , entendirent
le Sermon de la Paffion du Pere Griffet , de la
Compagnie de Jefus. Après la Prédication , leurs
Majeftés affifterent à l'Office , & allerent à l'Adoration
de la Croix. L'après- midi , le Roi & la
Reine entendirent les Tenebres.
Monfeigneur le Dauphin , Madame la Dau
phine , & Madame Louife , affifterent à l'Offi
ce du matin & du foir dans la Tribune .
Le 29 , Samedi Saint , leurs Majeftés entendirent
la grande Meffe , célébrée par les Miffionnaires.
-
Elles affifterent l'après midi aux Complies ,
après lefquelles la Mufique chanta le Regina Cali
& PO Filii , de la compofition du fieur Mondonville
, Maître de Mufique de la Chapelle , en
quartier.
MAI 1755 197- 甲
enten-
Le 30 , Fête de Pâques , le Roi & la Reine ,
accompagnés de Mefdames de France ,
dirept dans la Chapelle du Château la grande
Meffe , à laquelle l'Evêque de Gap officia pontificalement
, & qui fut chantée par la Mu-.
fique.
L'après-midi , leurs Majeftés affifterent à la
Prédication du Pere Griffet , enfuite aux Vêpres
, chantées par la Mufique , auxquelles l'Evêque
de Gap officia ; & au Salut célébré par
les Miffionnaires , pendant lequel la Mufique
chanta l'O Filii.
Le 30 Monfeigneur le Duc de Bourgogne &
Madame dînerent avec la Reine .
Le même jour , la Comteffe de Marfan , Gouvernante
des Enfans de France , conduifit Monfeigneur
le Duc de Berry chez la Reine , pour
la premiere fois depuis la naiffance de ce
Prince.
Le Maréchal Duc de Belle- Ifle , en long
manteau de deuil , a fait fes révérences à leurs
Majeftés & à la Famille Royale , à occafion
de la mort de la Maréchale de Belle - Ifle .
Le 6 , l'Evêque de Rennes , le Duc de Rohan
& le Sr Baillon , Préfidens des trois Ordres des
Etats de Bretagne , & nommés pour présenter au
Roi la médaille & l'eftampe du monument que
les Etats ont fait élever à Rennes , en mémoire de
la convalescence & des victoires de Sa Majesté ,
s'acquitterent de ce devoir. Sa Majefté voulant
leur témoigner fa fatisfaction par une marque dif
tinguée , les reçut dans fon cabinet . L'Evêque de
Rennes porta la parole. Le Duc d'Aiguillon, Commandant
en Bretagne , accompagnoit la députation
; & le Comte de Saint - Florentin , Miniftre
& Secrétaire d'Etat ayant le département de cette
-
Iiij
198 MERCURE DE FRANCE.
province , préfenta les Députés au Roi , à la Reine
, & à la Famille royale.
L'Académie royale de Chirurgie tint le 10
Avril fon affemblée publique. A l'ouverture de la
féance, le Sr Morand , Secrétaire perpétuel , annonça
que l'Académie avoit ajugé le prix , Sur laquefsiondufeu
, ou cautere actuel , comme remede de chirurgie
, au Mémoire No. 20 , portant à la premiere
page l'emblême de la Salamandre , avec la devife ,
Nimium extinguit , defideratum renovat ; & à la
derniere page l'enblême du phénix avec la devife
Crematus ipfe refurgit . Le Sr Pipelet lut une obfervation
, Sur la cure d'une Hernie d'inteftins gangrenée
, accompagnée de quelques circonfiances fingulieres.
Cette lecture fut fuivie de celle d'un mémoire
du Sr Houftet , Sur une espece particuliere
d'exoftofe . Le troifieme mémoire qui fut lû , eft
du Sr Ruffel , & contient des obfervations , Sur
les bons effets des cauteres multipliés dans le cas de
l'épilepfie. Le Sr Louis lut un mémoire , Sur les
pierres urinaires , formées hors des voies urinaires.
La féance fut terminée par la lecture de l'histoire
d'une plaie au foie au diaphragme , guérie par
les foins du Sr du Bertrand.
Le Comte de Gifors , nouvellement arrivé des
voyages qu'il a faits dans différentes Cours de
l'Europe , rendit le 12 fes refpects à leurs Majeftés
, étant préfenté par le Maréchal Duc de Belle-
Ifle , fon pere.
Le 13 , la Comteffe d'Ayen fut préfentée à leurs
Majeftés & à la Famille royale par la Ducheffe
d'Ayen, fa belle - mere. En vertu du brevet d'honneurs
que le Roi a accordé au Comte d'Ayen , elle
prit le tabouret.
Mademoiſelle de Sens préſenta le même jour la
Marquise de Prulé.
MA I. 1755 . 199
Le même jour leurs Majeftés fignerent les
contrats de mariage du Comte de Coigny , Meſtre
de Camp général des Dragons , avec la Vicomteffe
douairiere de Chabot ; du Marquis de Bethu
ne , Meftre de Camp général de la Cavalerie ,
avec Demoiſelle Crozat de Thiers ; du Comte de
Ligny , avec Demoiſelle de Rambures ; du fieur
de Blair de Boifmont , Intendant de Valenciennes ,
avec Demoiſelle de Fleffelle ; & du fieur Dufort
Introdacteur des Ambaffadeurs , avec Demoiſelle
le Gendre.
Le Roi a donné fon agrément au mariage du
Vicomte de Merinville , Brigadier de Cavalerie ,
& Capitaine fous- Lieutenant des Gendarines de lá.
Garde ordinaire du Roi , avec la feconde fille da
Marquis de Lhôpital .
Le Marquis de Marigny , Directeur & Ordonnateur
général des Bâtimens & Jardins du Roi ,
ainfi que des Arts & Manufactures , préfenta le
13 à Sa Majefté les ouvrages de peinture & de
fculptute faits pendant l'année derniere par les
éleves protégés. Voici la lifte de ces ouvrages.
1º. Le Šauveur lavant les pieds à fes Apôtres , par
le fieur Fragonard , âgé de 22 ans , & depuis deux
ans dans l'école. 2°. Armide prête à poignarder
Renaud , & arrêtée par l'Amour. Ce tableau eft
du fieur Monet depuis dix-huit mois dans l'école ,
& âgé de 23 ans. 3. Mercure qui endort Argus ,
pour enlever lo métamorphofée en Géniffe , par le
fieur Brenet l'aîné , âgé de 16 ans dans l'école
depuis quinze mois. Saint Jerome en méditation
par le même. 4º, Un modele , dont le ſujet repréfente
le Tems , qui enchaîne l'Amour , par le fieur
Brenet le jeune , âgé de 20 ans , depuis fix mois
dans l'école. 5. Une figure allégorique , repréfentant
la Nobleffe , par le fieur d'Huez , âgé de
I iiij
200 MERCURE DE FRANCE.
24 ans , & entré dans l'école en même tems que
le fieur Brenet le jeune. 6°. Alexandre s'endormant
avec une boule d'or dans fa main , afin de
s'éveiller au bruit qu'elle fera en tombant . Mathathias
tuant un juif qui avoit facrifié aux Idoles
, & le Miniftre d'Antiochus qui l'y avoit förcé.
L'Auteur de ces deux derniers morceaux eft le
fieur Chardin , âgé de 22 ans , & qui n'eft que
depuis cinq mois dans l'école. Tous ces différens
ouvrages ont été expofés dans les grands appartemens.
Le 13 , Monfeigneur le Dauphin fit rendre dans
P'Eglife de la Paroiffe du Château , les Pains bénits
qui furent préfentés par l'Abbé de Laſcaris , Aumônier
de Sa Majesté.
Le même jour , les Députés des Etats de Bourgogne
eurent audience du Roi , ils furent préfentés
par le Prince de Condé , Gouverneur de la
Province , & par le Comte de Saint - Florentin ,
Miniftre & Secrétaire d'Etat , & conduits en la
maniere accoutumée par le Grand- Maître & le
Maître des Cérémonies.
La députation étoit compofée pour le Clergé,
de l'Abbé de Cîteaux , qui porta la parole ; du
Marquis d'Efcorailles , pour la Nobleffe ; de M.
Jouard , Maire de Châtillon - fur- Seine , pour le
Tiers -Etat ; de M. Bernard de Blancey , Secrétaire
des Etats ; de M. Rigoley d'Ogny , Tréforier de la
Province ; de M. Perchet , Procureur - Syndic
des Etats ; de M. Berault , Syndic du pays de
Breffe , & de M. Grumet , Syndic du pays de
Bugey.
Le Roi foupa le foir au grand couvert chez la
Reine , avec la Famille royale.
Le 14 , le Roi partit pour Choify , d'où l'on
attend demain Sa Majefté. Monſeigneur le Dau
MA I. 201 1755.
.
phin y alla le 16 , & Mefdames de France y font
allées le 17.
Monfeigneur le Duc de Bourgogne & Madame
fe promenerent le 14 à Marly, & le 19.à Trianon .
Leurs Majeftés entendirent le 14 de ce mois une
Meffe de Requiem , pendant laquelle le De profundis
fut chanté par la mufique , pour l'anniverfaire
de feu Monfeigneur le Dauphin , ayeul
du Roi.
Le fieur Folard , ci- devant Miniftre du Roi à la
Diette de l'Empire , a été nommé par Sa Majesté
pour aller réfider à Munich en qualité de fon Envoyé
extraordinaire auprès de l'Electeur de Baviere.
Selon les lettres d'Avignon , le Margrave & la
Margrave de Bareith , après y avoir féjourné quatre
mois , en font partis pour Marſeille , d'où ils fe
rendront en Italie.
Le 17 , les actions de la Compagnie des Indes
étoient à dix- fept cens dix livres : les billets de la
premiere Lotterie royale à huit cens vingt- cinq
livres ; & ceux de la feconde Lotterie , à fept cens
dix-fept.
NAISSANCE , MARIAGES
& Morts.
E 21 Mars , Angélique- Louife de la Rochefoncauld
, époufe de Jean- Alexandre- Romée de
Villeneuve , Vicomte de Vence , Colonel en fecond
& commandant le Régiment Royal- Corfe ,
eft accouchée à Aix d'un fils qui a été nommé
Jules-Alexandre Romée.
202 MERCURE DE FRANCE..
Le 11 de Janvier fut célebré le mariage de
Louis-Léon-Félicité , Comte de Lauraguais , fils
de Louis de Brancas , Duc de Lauraguais , & d'Elifabeth-
Pauline d'Itanguien.
La cérémonie fut faite dans la Chapelle de
l'Hôtel de Biron , par M. le Cardinal de la Rochefoucauld.
La maifon de Brancas eft affez connue par fon
ancienneté , fon illuftration & fes grandes alliances
,fans qu'il foit néceffaire ici d'en faire l'éloge.
Son hiſtoire a été imprimée par beaucoup d'Auteurs
, elle fe trouve dans celle des grands Officiers
de la Couronne , article du Duché- Pairie de
Villars , t . V. p. 277. On y voit que cette Maiſon
eft originaire de Naples , où elle a poffedé les
premieres Charges de cette Couronne , & que le
premier qui s'établit en Provence y vint avec deux
Cardinaux c'étoit Bufille de Brancas , Comte
d'Agnano , au Royaume de Naples , & Seigneur
d'Oife & de Vilofe , aux Diocèfes de Digne , & de
Sifteron , Maréchal de la Cour Romaine , vers la
fin du quatorzieme fiecle .
Le 1 Février , Louis d'Etampes , Marquis
d'Etampes , fils de Louis Roger , Marquis d'Etampes
, & de Marguerite Lidie de Becdelievres de
Cany, époufa Adélaïde- Godefroi-Julie de Fouilleufe
de Flavacourt , fille de François - Marie de
Fouilleufe , Marquis de Flavacourt , Maréchal des
Camps & armées du Roi , & Lieutenant de Roi de
Normandie , & de Hortenfe-Félicité de Mailly de
Nefle.
La maifon d'Etampes , illuftre par les premieres
dignités de l'Eglife & de l'Etat , à eu des alliances
avec les maifons de Montmorenci , de Beauvilliers
, de Gouffier , de Regnier , de Guerchy , de
la Châtre , de Brulart de Sillery , de Choifeul , de
, י
MAI. 1755- 203
Becdelievres , de Béthune , d'Ailly , de Fiennes ,
de Monchy, de Chavagnac , de Rochechouart , &
autres.
Cette maifon a formé quatre branches : la
branche de la Ferté- Imbault , celle de la Mottelez-
Ennordre , de Valençay , & celle d'Autry.
La branche de la Motte- lez-Ennordre defcend
de Jean d'Etampes , Seigneur de la Ferté- Imbault ,
lequel de fon mariage avec Blanche d'Ailly , fille
de Waleran d'Ailly , de la branche de Sains , Seigneur
de Marigny , Bailli de Senlis , & de Jacqueline
de Rouvroy-Saint- Simon, eut plufieurs enfans,
entr'autres Louis d'Etampes , Seigneur de la Ferté-
Imbault , qui a continué la branche aînée , & qui
eft le fixieme ayeul du Marquis d'Etampes qui
donne lieu à cet article , & François d'Etampes
auteur de la branche de la Motte- lez- Ennordre.
La branche de Valençay & celle d'Autry
defcendent de Robert III . d'Etampes , Seigneur
de Sallebris , d'Ardreloup & de Tillay , Maréchal
& Sénéchal du Bourbonnois , lequel eut trois garçons
de fon mariage avec Louife Levraud , fçavoir
Jean d'Etampes , Seigneur de la Ferté-Imbault
dont on a parlé plus haut ; Louis d'Etampes , Seigneur
de Valençay , & Robert d'Etampes , Seigneur
d'Autry. Voyez les Tablettes hiftoriques ,
généalogiques & chronologiques , quat. Partie ,
P. 395. & Gr. Off. tome 7. p . 543 .
La maifon de Fouilleufe de Flavacourt , une des
plus anciennes du Vexin François , a pris alliance
dans le 13 fiecle avec la maiſon de Crevecoeur ,
& depuis avec celle de Gaucourt , de Boves , du
Bec- Crefpin , de Dampont , de Suzanne de Cerny,
de Gaudechart , de Ligny , de Rouffé d'Alembon ,
de Rouxel de Médavy , de Mailly , & autres. Voyez
Tab. Généal. 4. part. p. 77.´.
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
Le 10 Mars , Milord Clare , Comte de Tho
mond , Chevalier des Ordres du Roi , Lieutenant
général de fes armées , & Infpecteur général ,
époufa Marie- Genevieve- Louife de Chiffreville ,
fille unique du Marquis de Chiffreville , Lieutenant
général des armées de Sa Majeſté , & premier
Sous-Lieutenant de la feconde Compagnie des
Moufquetaires , & de Dame Marie- Genevieve le
Tonnellier de Charmeaux .
Ce mariage a été fait dans la Chapelle de
l'Hôtel de Machault , par l'Abbé de Breteuil , ancien
Agent général du Clergé.
Le 14 Février 1755 mourut à Paris Marie-
'Anne de Gouffier de Thois , âgée de foixante-huit,
ans fept jours , veuve depuis le 14 Avril 1724 , de
Louis de Bourbon , fecond du nom , Comte de
Buffet & de Châlus , Baron de Piégut , de Vezigneux
, & de Saint - Martin du Puis , &c . qu'elle
avoit épousé par contrat du 31 Décembre 1719.
Elle étoit fille de Thimoléon de Gouffier , Marquis
de Thois , & autres lieux , Gouverneur de
Blois , & d'Henriette de Penancoët de Keroualle ,
veuve de Philippe Herbert , Comte de Pembrock
en Angleterre ; & foeur cadette de Louife-Renée
de Penancoët de Keroualle , Ducheffe de Portsmouth.
Madame la Comteffe de Bourbon- Buffet
laiffe de fon mariage trois enfans , fçavoir ,
2
1. François-Louis Antoine de Bourbon , Comte
de Buffet , dont on va parler.
2. Louife -Claude de Bourbon- Buffet , Religieufe
Bénédictine au Monaftere du Cherche -midi , Fauxbourg
faint Germain , à Paris , où elle a fait profeffion
le 17 Septembre 1740 .
3. Et Henriette- Antoinette de Bourbon-Buffet ,
yeuve fans enfans depuis le 2 Novembre 1752 , de
MA I. 1755. 205
Paul de Grivel de Groffove , Comte d'Auroy , Seigneur
de Groffove , &c. ancien Meftre de camp
du Régiment d'Anjou , Cavalerie , avec lequel
elle avoit été mariée par contrat du 22 Août 1747.
François-Louis-Antoine de Bourbon , Comte
de Buffet & de Châlus , Baron de Vezigneux & de
Saint-Martin du Puis , Seigneur des Creuziers
&c. Meftre de camp du Régiment de Bourbon-
Buffet , Cavalerie , & Chevalier de l'Ordre militaire
de faint Louis , époufa le 23 Avril 1743 ,
Magdeleine- Louife-Jeanne de Clermont - Tonnerre
, fille de Gafpard de Clermont - Tonnerre ,
Maréchal de France , Chevalier des Ordres du Roi,
Gouverneur de Béfort , Marquis de Vauvillars ,
Comte d'Efpinac & de Thoury , & de feue Antoinette
Potier de Novion . De cette alliance font
fortis les enfans qui fuivent .
1. Gafpard- Louis de Bourbon - Buffet , Comte
de Châlus , mort à Paris le 8 Décembre 1751 , âgé
de fix ans & demi.
2.
Louis-François-Jofeph de Bourbon- Buffer ,
aujourd'hui Comte de Châlus , né au Château, de
Buffet en Auvergne , le 1 Juin 1749.
I
3. Artus Charles - Thimoléon de Bourbon-
Buffet , né à Paris le 21 Septembre 1752 .
4. N.... de Bourbon- Buffet , né au Château de
Buffet , le 11 Novembre 1753 , non encore nom
mé..
S. N...de Bourbon-Buffet , née à Buffet , lé 20
Juillet 1746 , auffi non nommée.
6. Marie-Anne-Julie -Louife de Bourbon- Buf
fet , Demoifelle de Châfus , née au Château de Buffet
le 16 Septembre 1747.
7. Et N. de Bourbon- Buffet , morte au Château
de Buffet , le 23 Mars 1751 , fans avoir été nommée,
âgée de deux jours ..
206 MERCURE DE FRANCE.
Voyez ce qui eft dit de la maiſon de Gouffier ;
dans le volume V. p. 605. & fuiv . de l'Hiſtoire des
Grands Officiers de la Couronne ; & le Mercure
du mois de Juin 1754. premiere Partie , à l'occa
fion de la mort de M. le Marquis de Thois , frere
aîné de Madame la Comteffe de Bourbon - Buffet ;
& la quatrieme Partie des Tablettes hiftoriques ,
pages 114 & 115 .
François de Mailly , Comte de Mailly , mourut
le 21 de Février au château de Saint - Leger
près d'Abbeville , âgé de foixante- treize ans ;
il étoit oncle du Comte de Mailly , Lieutenant
général des armées du Roi , & de la province de
Rouffillon , Infpecteur de la Cavalerie , à qui il
a laiffé les terres de fa branche.
La Maiſon de Mailly eft trop connue pour
qu'il foit néceffaire d'entrer ici dans aucun détail
fur l'ancienneté de fon origine , & fur la
grandeur de fes alliances. Il fuffira de rappeller
qu'en 1070 Anfelme de Mailly
doit l'armée de la Comteffe de Flandre , &
gouvernoit fes Etats comme tuteur & le plus
proche parent du Comte fon fils .
* comman-
Colard de Mailly ** fut appellé au gouvernement
du Royaume fous Charles VF , & cette
illuftration a tranfmis dans cette Maifon une
Couronne perfonnelle entremêlée de fleurs de
lys , qu'elle porte depuis ce tems . L'on fçait
auffi que cette Maifon a été revêtue dans tous
* Chronique de Flandre , par Dom de Gherit , 13
91. Hiftoire des Châtelains de Lille , par Floris
Vander- Vaher. Malbrancq. dans ce qu'il a écrit
fur la Flandre.
** Monftrelet , tom. 1. p.77 130. Hift . de Charles
VI. par Le Laboureur , liv . 30. p. 755..
MA I. 1755. 207
*
les tems des Ordres & des plus grandes Charges de
la Couronne .
Le Comte de Mailly , Seigneur de Saint-
Leger , qui donne lieu à cet article , étoit de
la branche des Comtes de Mailly , Seigneurs
d'Haucourt , féparée en 1503 par le mariage
qu'Adrien de Mailly , fecond fils de Jean , Sire
de Mailly , Chambellan de Charles VIII & de
Louis XII , & d'Ifabeau d'Ailly , fille de Jean ,
Vidame d'Amiens , & d'Iolande de Bourgogne ,
fit avec Françoife de Bailleul , fille d'Adrien de
Bailleul & de Jeanne d'Haucourt , par contrat
du 18 Octobre 1503 : c'est par cette alliance
que la terre d'Haucourt eft entrée dans cette
branche de la Maifon de Mailly. L'on voit à
ce fujet un acte paffé devant le Roi François I ,
qui donne à Adrien de Mailly le titre de coufin
, & qui lui remet en faveur dudit mariage
tous les droits qui lui étoient dûs fur la Maifon
de Bailleul ; il ratifia le 3 Mai 1513
tranfaction paffée entre lui & le Comte de Vendôme
, fur les droits réciproques qu'ils avoient
fur la terre de Ravenfberg , à caufe de la Maifon
de Bailleul , dont étoit iffu par fa mere le
Comte de Vendôme.
la
Adrien de Mailly eut entr'autres enfans Edme
de Mailly , qui continua la postérité , &
Jean de Mailly , Seigneur de Belleville , Chevalier
de l'Ordre du Roi , qui n'eut d'Antoinette
de Baudeuil , Dame d'Abancourt , qu'une fille
mariée à Robert de Roncherolles , Baron de
Pont- Saint- Pierre , Chevalier de l'Ordre du Roi ,
Gentilhomme ordinaire de fa Chambre , & premier
Baron de Normandie.
Edine de Mailly , Seigneur d'Haucourt & de
Saint-Leger , étoit Gouverneur d'Ivoy , & Ca208
MERCURE DE FRANCE.
pitaine de mille hommes de pied fous les re
gnes de François I & de Henri II . Il fut l'un
des ôtages de la capitulation de Thionville en
1558. Il époufa en premieres nôces , par con
trat du 16 Avril 1536 , Marie de Boulan , dont
il laiffa François de Mailly qui fuit ; & en fecondes
nôces , par contrat du 24 Avril 1550 ,
Gabrielle d'Ougnies , Dame du Quefnoy en Flandre
elle fur mere de Louis de Mailly , auteur
de la branche du Qefnoy qui , par fes alliances ,
a l'honneur d'appartenir à plufieurs Maifons fouveraines
de l'Europe , & tient à celles de Montmorenci
, de Melun , d'Ifenghien , de Crequi ,
de Berg , d'Aremberg , de Croy , de Longueval ,
de Leide , & c. & c .
:
François de Mailly , premier du nom , Seigneur
d'Haucourt & de Saint -Leger , fut un des Seigneurs
qui fe diftinguerent le plus par leur fidélité
envers le Roi Henri III , durant les guerres
de la ligue. Il fe fignala au fiege de la Rochelle
en 1573 , au combat de Dormans , à la
prife d'Iffoire en 1577 , & fut tué d'un coup
de canon au fiege de la Fere en 1579. Le Roi
Henri III écrivit à cette occafion à la Dame
de Mailly fa veuve , que fi elle avoit perdu un
mari il avoit perdu un bon ferviteur & ami ,
& lui promit qu'il auroit foin de fes enfans.
Il avoit épousé par contrat du 6 Août 1573 ,
Marie d'Hallencourt , fille de N. d'Hallencourt ,
Marquis de Drofmefnil , Seigneur de Canteville .
Il eut de ce mariage :
François de Mailly , II du nom , Seigneur
d'Haucourt & de Saint-Leger , fait Capitaine de
cinquante hommes d'armes , des ordonnances
du Roi. Il fe . diftingua au fiege d'Amiens en
1597 , & mourut à Paris le 30 Mars 1621
.. MA I. 1755. 209
avoit époufé par contrat du 22 Janvier 1607 ,
Marie Turpin , fille de Guillaume Turpin , Seigneur
d'Aligny , & de Françoile de Pellevé ,
laquelle étoit fille de Genevieve de Montmorency
, & niece du Cardinal de Pellevé . Il naquit
de ce mariage , 10 Philippe de Mailly qui
fuit. 20 Antoine de Mailly , Chevalier de Malthe
mort en 1670. 3 ° Nicolas de Mailly , tué
au fiege de Dixnude en 1677
>
Philippe de Mailly , Seigneur d'Haucourt &
'de Saint - Leger , Capitaine d'une compagnie de
cent hommes, dits de Chevaux - Legers , qu'il com-
'mandoit à la bataille d'Avein en 1635, fe trouva à la
fanglante journée de la Marfée en 1641 , & au ſiege
de Nanci en 1633 , invité par deux lettres du Cardinal
de la Valette , commandant l'armée du fiége
, qui lui marquoit que le Roi lui fçauroit gré
d'y venir avec fa compagnie . Il avoit épousé par
contrat da 8 Janvier 1631 , Guillaine Dubié
petite fille du Maréchal de France de ce nom. I
laiffa
Antoine de Mailly , Seigneur d'Haucourt & de
Saint- Leger , marié par contrat du 6 Février 1678
à Françoife de Canutfon de Berlifontaine , dont
vinrent le Comte de Mailly , Seigneur de Saint-
Leger , qui donne lieu à cet article , & le Marquis
de Mailly, Seigneur d'Haucourt , Page du Roi
en 1694 , pere du Comte de Mailly , dont la fille
a époufé le Marquis de Voyer , & dont le fils ,
Louis-Marie de Mailly, eft Capitaine- Lieutenant,
en furvivance de fon pere , de la Compagnie des
Gendarmes Ecoffois , fixième de fon nom revêtu
de cette charge.
Cette branche appartient par fes alliances aux
Maifons de Lorraine, de Moy, de Montmorenci, de
Chaulnes, de S.Simon, d'Harcourt, d'Eſpinai- Saint210
MERCURE DE FRANCE.
Luc , de Mornai Monchevreuil , de Gouffier , d'E
trade , d'Aumont , de Boufflers , d'Auxi , de Roncherolles
, de Brulart , de Vieux- pont , de Moflé ,
de Marcatel , des Effarts , d'Hangeft , de Montmorenci-
Laval , de la Force , de Milli , Le Tellier-
Louvois , d'Ecquevilli , de Colbert , d'Efclainvilliers
, de Voyer d'Argenfon & autres.
La Maiſon de Mailly a produit un grand nombre
de branches , & elle fe trouve réduite aujourd'hui
aux cinq feules fuivantes , qualifiées felon les
titres qui leur ont été affectés.
Celle de Louis , Sire & Marquis de Mailly ' ,
chef du nom , Brigadier des armées du Roi , &
Colonel du régiment d'infanterie de fon nom .
Celle du Marquis de Nefle , Chevalier des Ordres
du Roi , féparée en 1648 , en faveur de laquelle
le Marquifat de Mailly-Moncavrel a été
érigé , & qui a produit
Celle de Louis de Mailly , auffi Chevalier des
Ordres du Roi , Lieutenant- Général de fes armées ,
& premier Ecuyer de Madame la Dauphine' , féparée
de celle de Nefle en 1687.
Celle d'Alexandre - Louis de Mailly , Seigneur
de Fecamp , né en 1744 , fils de feu Louis - Alexandre
de Mailly , & de Louife de Saint - Chamans
, féparée en 1600 .
Et celle du Comte de Mailly , Lieutenant -Général
des armées du Roi & du Rouffillon , Infpecteur
de la cavalerie , en faveur de laquelle le
Comté de Mailly a été érigé , féparée en 1503 ,
d'où eft forti celle des Marquis du Quefnoi en
Flandre , féparée de celle - ci en 1596.
Voyez fur cette maifon les grands Officiers de
la Couronne , tome VIII. & les Tablettes hiftoriques
, tom . IV & tom . V.
L'on travaille actuellement à donner une hifMAI.
1755 .
211
toire de cette grande Maiſon dans toute fon
étendue.
1
Claude-Marie , Comte de Bellegarde & d'An
tremont , Envoyé extraordinaire du Roi de Pologne
, Electeur de Saxe à la Cour de France , eft
mort à Paris le 26 Février , laiffant deux enfans de
Dame Anne Rutouska , ſon épouſe , foeur de Maurice
, Comte de Saxe , Maréchal de France . Ce
grand homme avoit par fon teftament nommé le
feu Comte de Bellegarde fon héritier univerfel.
La Maiſon de Bellegarde originaire de Flan
dres , eft depuis long-tems établie en Savoye , où
elle eft fort diftinguée par fon ancienneté & par
fes illuftrations. Jean Noël , Seigneur de Bellegarde
, Maître d'Hôtel de Charles III , Duc de
Savoye en 1304 , eut de Claudine de Saint- Trivier,
Dame de Monts , fa femine :
-
François Noël de Bellegarde , Seigneur de
Monts & des Marches , Gouverneur de Nice ,
Ambaffadeur du Duc de Savoye , près de l'Empereur
Charles-Quint , marié le 4 Octobre 1546 à
Gafparde de Menthon , dont
Jean- François de Bellegarde , Marquis d'Antre
mont & des Marches , Colonel des Gardes de
Charles- Emanuel , Duc de Savoye , marié à Florentine
de Perrache. Par fon teſtament du 3 Août
1597 , il inftitua pour héritier fon fils
Claude-André de Bellegarde , Marquis d'Antremont
& des Marches , marié à Gafparde de Doncieux
, dont il eut Jean- François , qui fuit :
Pierre de Bellegarde , Abbé de S. Sixte ; Guillaume
de Bellegarde , Comte d'Antremont , marié
à Anne-Françoife de Loche ; Claire de Bellegarde ,
mariée le 27 Août 1646 à Charles de Broffes , Baron
de Montfalcon , Seigneur de Tournay , Grand
Bailli de Gex , dont postérité.
212 MERCURE DE FRANCE.
Jean-François de Bellegarde , Marquis d'Antre
mont & des Marches , Capitaine de Cavalerie ,
marié le 13 Avril 1632 , à Magdeleine Portier de
Micudry , dont
>
Janus de Bellegarde Comte d'Antremont
>
Marquis des Marches , Chancelier de Savoye &
Miniftre d'Etat , marié les Mai 1659 , à Anne du
Prayet , Dame de Veynes , dont
Jean- François de Bellegarde , Marquis d'Antremont
& des Marches , Ambaffadeur du Roi de
Sicile , Duc de Savoye, à la Cour de France , marié
le 23 Avril 1687 à Catherine- Françoiſe de Regard
de Vars , dont Jofeph - François qui fuit
Claude-Marie qui a donné lieu à cet article , &
deux autres fils , Pun Chambellan du Roi de Pologne
, marié à Drefde , l'autre établi & marié à
Prague.
Jofeph-François de Bellegarde , Marquis des
Marches & de Curfinge , Comte d'Antremont ,
Commandeur de l'Ordre de Saint Maurice , Gentilhomme
de la Chambre du Roi de Sardaigne
marié à Françoife Charlotte Ogletorpe , dont il
a un fils Colonel au fervice d'Angleterre , & deux
filles , l'une mariée au Seigneur de Maffingy, Marquis
de la Pierre ; l'autre , Charlotte-Eléonore ,
Chanoineffe en Lorraine.
Dame Marguerite Defcreux de Sainte- Croix
époufe du Comte de Duglas , Capitaine au Régiment
royal Ecoffois , eft morte au Château de
Montréal en Bugey , le 27 de Février , âgée d'environ
30 ans ; elle étoit l'unique héritiere de la
famille Defcreux de Sainte- Croix , une des meilleures
maifons de la Breffe. Le Comte de Duglas
eft d'une branche de l'ancienne maifon de Duglas
en Ecoffe , établie en ce pays là depuis près d'un .
fiecle. Il a trois freres , l'un Capitaine dans le
MA I. 1755. 213
même Régiment que lui , l'autre Capitaine dans
celui de Languedoc infanterie , & le troifieme
Eccléfiaftique , qui eft au Séminaire de S. Sulpice.
AVIS
E fieur le Comte , Vinaigrier ordinaire du
›
vinaigres , tant de table que de toilette , de propreté
& pharmacie , jufqu'au nombre de cent foixante
, donne avis au public , qu'ayant inventé &
compofé l'année derniere le vinaigre admirable
& fans pareil , ayant eu l'applaudiffement des
Seigneurs & Dames de la Cour , & approuvé de la
Faculté , fe croit obligé par l'efficacité & les vertus
dudit vinaigre , de renouveller au public fes
propriétés , qui font de blanchir le vifage , d'unir
& affermir la peau , & lui donner l'agrément d'un
teint clair & frais , d'ôter les boutons , dartres ,
taches de rouffeurs , & le hâle du vifage & de la
peau , de rétablir & remettre les vilages coupe-..
rofés de différens âges dans leur naturel , d'éteindre
promptement les rougeurs de la petite vérole ;"
il raffermit la vûe , ô : e les rougeurs & inflammations
qu'il peut y avoir ; il n'eft point mordant ni
corrofif , & ne peut endommager ni le teint ni la
peau . Ce vinaigre a une odeur très - agréable , &
s'emploie pur & à froid , en s'en étuvant avec un
linge imbibé , le matin & le foir , & même dans
lajournée. Les moindres bouteilles font de neuf
livres , & la pinte de trente- fix livres.
Ledit Sieur a en outre plufieurs nouveaux vinaigres
, comme vinaigre à la Choify , vinaigre à la
Bellevée , & vinaigre à la Charoloife.
Comme plufieurs de fes confreres contrefont les
214 MERCURE DE FRANCE.
vinaigres dudit le Comte , ce qu'ils ne peuvent fa
re qu'en les détériorant , ne fçachant pas fa maniere
particuliere de les compofer , & qu'ils fe difent
affociés avec lui , & vendant les mêmes marchandifes
( rien de plus faux ) , il fe croit obligé ,
pour l'utilité du public , de l'avertir qu'il ne fort
de chez lui aucune bouteille qui ne foit cachetée ,
ficelée & étiquetée de fon nom.
Il demeure à Paris , place de l'Ecole , près le
Pont neuf, à la Renommée.
AVIS INTERESSANT.
Ne brochure qui vient de paroître ,
& qui a pour titre l'Histoire & le
Secret de la Peinture en cire , fait un tort
confidérable à Théodore Odiot fils . Il avoit
acquis ce fecret de M. Bachelier ; il fe voit
par là réduit au feul avantage de fçavoir
s'en fervir avec plus d'habileté que les autres.
Ayant travaillé pendant cinq mois
fous les yeux de M. Bachelier , il poffede
mieux l'art de préparer les couleurs , & le
public doit lui donner la préférence. Le
peu d'efpace qui nous refte nous oblige
de remettre fon annonce au mois prochain.
Nous yjoindrons fa demeure.
APPROBATION
.
T'Ai lû , par ordre de Monfeigneur le Chancelier
, le Mercure de Mai , & je n'y ai rien
trouvé qui puiffe en empêcher l'impreſſion , A Pasis
, ce 30 Avril 1755.
GUIROY.
215
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
M. le Comte d'Argenfon ,
AEpitre à Zelide ,
Annonces , Affiches , & Avis divers
page s
7
9
La Fortune & l'Espérance , Fable allégorique , 21
Quatrain mis au bas du portrait de M. de la Tour,
Sur les Contes ,
Vers à Mlle *** careffant un chat ,
Le Temple de la pénitence
26
27
35
36
Hiftoire angloife , par Mlle de L... à Mme la C...
de G ...
Le Fagot & la Buche , Fable ,
3.9
18
Remerciment à M. le Maréchal Duc de Biron , 59-
Mots des Enigmes & des Logogryphes du Mercure
d'Avril ,
Enigme & Logogryphe ,
Air de la faifon ,
ART. II. NOUVELLES LITTERAIRES .
ibid.
60
62
63
Extraits , Précis ou Indications des Livres nouveaux
,
Seconde Lettre d'un Académicien de M ... à un
Académicien de R... fur la Chriftiade , 77
ART. III. SCIENCES ET BELLES LETTRES.
Algebre. Lettre à M ..... Profeffeur & Cenfeur
royal , par M. G ... Ecuyer , &c.
-87
Problême d'Algebre appliqué à la ſcience de la
Guerre , 92
216
Hiftoire naturelle. Lettre à PAuteur du Mercure ,
Lettre de M. Muffard à M. Jallabert , ·
Métallurgie.
94
98
104.
Séance publique de l'Académie des Infcriptions
& Belles- Lettres , 105
Séance publique de l'Académie royale des Sciences
,
107
Séance publique de la Société Littéraire d'Arras ,
ART. IV. BEAUX ARTS.
108
Mufique.
Peinture. Avis aux Dames ,
Gravure. Lettre à l'Auteur du Mercure ,
Architecture. Obfervations par M. Patte ,
123
126
131
135
Réſultat de la difpute entre le Pere Laugier & M.
Frezier , 143
Horlogerie. Lettre de M. le Paute à M. de Boiffy ,
175
ART. V. SPECTACLES.
Comédie Françoiſe ,
177
Comédie Italienne, 178
Concert fpirituel ,
180
ARTICLE VI.
Nouvelles étrangeres ,
185
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c. 191
Naiffance , Mariages & Morts
201
>
Avis divers , 213
La Chanfon notée doit regarder la page 62.
De l'Imprimerie de Ch. A. JOM BERT.
MERCURE
DE FRANCE,
DÉDIÉ AU ROL
JUIN 2755.
PREMIER VOLUME.
Diverfité, c'est ma devife. La Fontaine.
Cechine
filius inv
PupibenSeulp.
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JEAN DE NULLY , au Palais .
Chez PISSOT , quai de Conti.
DUCHESNE , rue Saint Jacques
Avec Approbation & Privilege du Roi,
AVERTISSEMENT
NOUVEAU.
DEpuis que le Roi m'a donné le Mercure
de France que je compofe , je me·
fuis occupé & je m'occupe fans ceffe à le·
rendre plus digne de l'attention du Public ;
j'ai porté mes foins jufques fur la manutention
& la régie de mon ouvrage. Le
compte que je m'en fuis fait rendre m'a
mis à portée de faire plufieurs réflexions ,
dont voici le réfultat.
Que le tems , ainfi qu'il eft ordinaire
avoit introduit différens abus dans le prix
de ce Journal , qu'il m'étoit important de
réformer.
Que par une efpece d'injuftice les Abonnés
, qui payent d'avance , & dont les nouveaux
engagemens qu'ils ont pris avec moi
me feront toujours facrés , n'avoient pas
plus d'avantage que ceux qui payent chaque
fois , ou même à qui l'on fait crédit.
Qu'au contraire , la néceffité , l'abondance
des matieres & le defir de fatisfaire
l'empreffement des perfonnes qui
envoient des pieces , avoient quelquefois
forcé de donner un quinzieme volume , &
de le faire payer aux Abonnés , qui , en
A ij
1
s'acquittant d'avance , n'avoient compté que
fur quatorze volumes , ce qui avoit caufe
leurjufte murmure.
Pour me mettre en état de répondre à
P'impatience des Auteurs , en donnant plus
d'étendue à chacun des articles qui partagent
mon Journal, je ne le bornerai plus à neuf
feuilles , j'y mettrai tout le papier dont
j'aurai befoin fuivant l'abondance des matieres
& l'exigence des cas. Je n'ai rien
épargné pour que le Public fût content de
la forme & de l'arrangement de l'impref
fion , ainfi que de la qualité & blancheur
du papier j'aurois voulu faire davantage
mais j'ai craint avec raifon de me charger
d'une dépenfe trop confidérable , ayant tou
jours en vue mes engagemens.
Je me trouve donc forcé d'augmenter le
prix du Mercure , & de le mettre à trentefix
fols pour ceux qui ne s'abonneront point
pour l'année, &ne payeront point d'avan
ce; car , je le repéte , je refpecte trop les
engagemens que j'ai pris avec mes Abonnés
, en recevant leurs foufcriptions & leurs
paiemens d'avance , pour rien changer par
rapport à eux au contraire , le volume
de chaque Mercure fera plus étendu
je redoublerai d'ardeur pour le rendre plus
intéreffant , & il ne leur en coûtera pas
davantage. Il est bien jufte que je leur
donne la préférence, puifque c'eft avec leurs
- fonds que j'ai fourni jufqu'à préfent à la
dépenfe de mon Journal ; je le déclare
leur en marquer ma reconnoiffance.
pour
Le Bureau fera toujours chez M.
LUTTON , Avocat & Greffier-Commis
au Greffe civil du Parlement , Commis qu
recouvrement du Mercure , rue Ste Anne ,
Butte S. Roch , entre deux Selliers , du
côté de la rue S. Honoré.
C'est à lui que je prie d'adreffer , francs
de port , les paquets & lettres pour m'être
remis , quant à la partie littéraire.
Le prix fera de trente-fix fols pour ceux
qui ne s'abonneront pas au Bureau , & de
trente fols pour ceux qui s'y abonneront ,
& paieront d'avance vingt-une livres pour
une année , àraifon de quatorze volumes ,
commencer par le mois qu'ils defireront.
Les perfonnes de province aufquelles on
l'enverra par la pofte , paieront trenteune
livres dix fols d'avance en s'abonnant
& elles le recevront franc de port.
Celles qui auront des occafions pour le
faire venir ou qui prendront les frais du
port fur leur compte , ne paieront que
vingt-une livres d'avance pour une année .
Les perfonnes qui enverront leurs abonnemenspar
lapofte , en donneront avis , en
affranchiffant leurs lettres .
Les Libraires des provinces ou des pays
A iij
trangers qui voudront faire venir le Mercure,
écriront à l'adreffe ci-deffus.
Les paquets qui ne feront point affranchis
refteront au rebut.
L'on trouvera toujours quelqu'un en état
de répondre au Bureau , & le Sr LUTTON
obfervera d'y refter les Mardi , Mercredi
& Jeudi de chaque femaine après- midi.
On peut fe procurer par la voie du
Mercure les autres Journaux les livres
qu'ils annoncent , & tous autres générale-
~ment.
و
7.
000
X
00000000 000000
MERCURE
DE FRANCE.
JUIN. 1755 .
PREMIER VOLUME
LYON
1893
DE LA
VILLE
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
EPITRE
A M. LE CHEVALIER DE B .....
S'embarquant avec fon Régiment pour le
Canada.
Tour effort eft donc fuperflu !
Ο
A la priere la plus tendre
A iiij
8 MERCURE DE FRANCE .
Vous refufez donc de vous rendre
Et le départ eft réfolu !
K
Aux juftes aflauts qu'on vous livre
Vous oppofez de triftes noms :
Auriez - vous le coeur des Hurons ,
Parmi lesquels vous allez vivre ?
Si du moins l'on pouvoit vous fuivre
Jufqu'en ces barbares cantons
Mais vous partez , & nous reftons.
Vous partez ! ... Eh ! qui vous y
force ?
L'honneur , me direz - vous ? L'honneur F,
Quoi vous cédez à cette amorce ?
Ah ! reconnoiffez votre erreur.
L'honneur dont tout homme fe pique
Sur-tout dans notre nation ;
L'honneur n'eft qu'une fiction ,
Et ne fert que la politique.
On le croit fils de la Raifon ;
Ce n'eft qu'un être chimérique ;
Né du préjugé fantaſtique
Et de la folle opinion ;
Ou plutôt l'honneur n'eft qu'un nom ;
Un mot plus qu'amphibologique ,
Auquel le fot croit fans foupçon,
Mais que le héros fage explique.
Or , croyez - vous en bonne foi
Qu'un mot à partir vous oblige ?
D'un fanatifme , d'un preſtige ,
Eft- ce à vous à prendre la loi
JUIN. 1755
En tout cas , faut - il pour atteindre
L'idole que je viens de peindre ,
Egaler les courfes d'Io ?
Et ne peut- on dans le royaume
Sacrifier à ce phantôme ,
Sans voler juſqu'à l'Ohokio è
Pendant le cours de quatre luftres
Vous-même , marchant fur les
De cent ancêtres tous illuftres ,
Vous le fuivîtes aux combats :
Sans fortir de cet hémiſphere
Vous obéîtes à fes loix ,
pas
Et fes faveurs , de vos exploits
Furent l'honorable falaire ;
Vous tenez de lui cette croix *
Noble étiquette du courage,
Des fuccès brillant témoignage ,
Prix du fang verfé pour les Rois .
Qu'en attendez-vous davantage
N'eft-il pas tems qu'à vos travaux ,
'Au fein d'une famille aimable
Succéde enfin un doux repos >
Ce repos toujours agréable
N'eft , je le fçais , ni pardonnable ; be
Ni permis toujours aux guerriers :
Il l'eft , il eft même honorable
Quand on le prend fur les lauriers
* La croix de S, Louisalis wh
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
Mais vains difcours , raifons frivoles !
Le vent qui fouffle fur les mers
Emporte & féme dans les airs
Et nos douleurs & nos paroles ;
Semblable à ces écueils fameux
Dont bientôt l'aſpect formidable.
Frappera peut-être vos yeux ,
Et contre qui l'onde effroyable ,
Avec un bruit épouvantable ,
Lance en vain fes flots écumeux.
Vous vous riez de nos allarmes ,
De nos craintes , de nos regrets ;
D'un oeil fec vous voyez nos larmes
Et vous éludez tous nos traits .
Eh bien ! hâtez-vous de vous rendre
Sur la nef qui vous portera ;
Cherchez l'Anglois en Canada ,
Après l'avoir défait en Flandre :
Affrontez , nouvel Alexandre ,
Les mers , les monftres , le trépas
Pourquoi ? tout au plus pour étendre
Dans les plus ftériles climats
Notre empire de quelque pas.
Peut-être à nos voeux plus fenfibles
Amphitrite , Mars , Atropos ,
Seront moins que vous inflexibles.
L'une écartant les vents nuifibles ,
Sous vous applanira les eaux :
L'autre fermera fes cifeatix ,
}
JUIN
Et de concert fes foeurs horribles ,
De jours fortunés & paifibles
Pour vous couvriront leurs fufeaux.
Bellone & le Dieu des batailles
Vous guideront dans les combats ;
Ils feront marcher fur vos pas
La
peur , la mort , les funérailles :
Au milieu du fang , du trépas ,
Du carnage & de la tempête ,
Ces Dieux conduiront votre bras ,
Et garantiront votre tête.
Invincible , par leur fecours ,
En fûreté ſous leur égide ,
Le fer & le plomb homicide
Par - tout refpecteront vos jours.
Ils nous font dûs plus qu'à la gloire ;
Confervez-les du moins pour nous ;
Nous aimons mieux jouir de vous
Que de vous lire dans l'hiftoire.
Le jour qui va nous féparer ,
Pour bien long-tems va nous livrer
Aux chagrins , aux douleurs en proie :
Souvenez-vous en Canada ,
Que celui qui nous rejoindra
Peut feul nous rendre notre joie.
A vj
12 MERCURE DE FRANCE:
DE L'INDIFFERENCE
LE
EN MORALE ,
Par M. M ***.
Es indifférens en morale fe divifent
en plufieurs claffes : les uns n'envifagent
dans le bien & le mal que leur préjudice
ou leur avantage perfonnel , & font
de l'un & de l'autre la régle de leur conduite
, n'admettant d'autre principe de
moeurs que l'intérêt particulier cette
efpece de caractere a pour baſe l'amour
aveugle de foi-même. Commençons par
exclure ces premiers du nombre des gens
de bien ; il ne leur faut que l'occafion &
du courage pour devenir des fcélerats.
La feconde claffe , plus voifine qu'on ne
penſe de la premiere , eftcompofée de ceux
qui ne s'attachent à rien , & qui s'amufent
de tout. Trop foibles , ou trop peu paffionnés
pour attenter à la fociété par de grands
crimes , ils fe contentent de la regarder
comme une fcéne qui fe joue pour eux
& à laquelle ils ne font intéreffés que par
le plaifir malin qu'ils y prennent : c'eft le
fyftême de ces prétendus philofophes , dif
ciples d'un infenfé qui rioit de tout. Héraclite
n'étoit digne que de pitié ; mais il
JUIN. 1755 ig
en étoit digne. Démocrite , au contraire
méritoit l'indignation publique , & fes
concitoyens lui firent grace en ne lui
envoyant qu'un Médecin . N'y avoit - il
donc du tems de Démocrite , ni des malheureux
à plaindre , ni des méchans à détefter
? Dans quel climat barbare fouffriroit-
on l'infenfibilité brutale de celui qui
feroit d'un patient l'objet de fa plaifanterie
? Or le crime fur l'échafaud eft-il plus
intéreffant que la vertu dans le malheur ,
ou que l'innocence dans l'oppreffion ?
Les hommes , dit - on , ne valent pas
qu'on prenne à leur fort un intérêt plus
vif ; le meilleur parti eft de s'en défendre
& de s'en amufer. S'en défendre , c'eſt
fageffe ; s'en amufer , c'eft infolence &
cruauté. Il eft peu de chofe dans la vie
dont puiffe rire un honnête homme : la
vertu lui infpire du refpect ; le crime , de
la haine ; le vice , de l'horreur & du mépris
; & peu de folies font affez indifférentes
pour ne lui paroître qu'un jeu . Je
fuis bien loin de profcrire la Comédie :
telle qu'elle eft , je la crois utile aux bonnes
moeurs ; mais la forme qu'on a été
obligé de lui donner pour plaire eft bien
honteuse à l'humanité ! plaifanter fur le
vice , j'aimerois prefqu'autant qu'on plaifantât
fur la vertu . Un fat qui s'aime &
14 MERCURE DE FRANCE.
qui s'admire tout feul , peut n'être que
ridicule ; mais l'avare qui arrête la circulation
du fang de l'état , qui dévore la
fubftance du peuple , eft-il un perfonnage
rifible : l'homme à bonnes fortunes , qui
met fa gloire à féduire les femmes pour
les deshonorer , le glorieux qui eft fort
étonné que fon femblable lui adreffe la
parole , & qui rougit en retrouvant fon
pere , devroient - ils être plaifans fur la
fcene ? paffe encore fi les fpectateurs ou les
acteurs étoient des finges ; mais rire de
fon femblable caractérisé par ces traits !
Cette façon de plaifanter fur ce que la
fociété a de plus honteux & de plus funeſte ,
a paffé du monde au théatre , car le monde
a fes farceurs ambulans .
On y voit de ces gens à bons mots , qui
fe moquent in promptu de tout ce qui fe
préfente. Mais comme la plaifanterie délicate
exige de l'efprit , & qu'on n'en a pas
quand on veut , la bêtife & la méchanceté
ont imaginé à la place l'art de dire d'un
air fat & d'un ton faux des contre - vérités
groffieres ; c'eft la fineffe des fots , & combien
n'eft- elle pas en ufage ?
Il fe trouve par hazard quelques railleurs
plaifans & fins ; mais comme ils fe rendent
les plus dangereux , ils font auffi les plus
mépriſables :- je dis méprifables , quoique
1
1
JUIN. 1755. 15
•
dangereux ; car la crainte & le mépris ne
font pas incompatibles. Je fçais qu'ils font
gloire d'être craints ; mais qu'ils confiderent
combien ce fentiment qu'ils infpirent
les rapproche des infectes vénimeux
& ils préféreront l'oubli à cette célébrité
odieufe .
Le fruit le moins amer de la plaifanterie
, c'eſt le ridicule , & le ridicule touche
au mépris : or , ou celui fur lequel vous
vous plaifez à le répandre a droit à l'ef-
-time publique , & vous voulez la lui ravir ;
ou il en eft indigne par fes vices , & vous
-vous complaifez à fes vices même , puiſque
vous en faites un jeu : complaiſance
cruelle & baffe , qui eft incompatible avec
la vertu.
Il fe paffe parmi nous des cruautés dans
ce genre que les fauvages auroient peine
à concevoir. Un homme qu'on a cru longtems
heureux , tombe tout - à - coup dans
l'infortune ; c'eft peu de s'en réjouir en
fecret , on le rend la fable publique , on
l'infulte par des bons mots : ce font là les
moeurs , non pas de la groffiere populace ,
mais d'un monde honnête & poli . Le peuple
va voir les exécutions , mais il n'y rit
pas . On me répondra que celui qu'on infulte
dans le malheur , infultoit les autres
du fein de la profpérité ; s'il eſt vrai , c'é16
MERCURE DE FRANCE.
toit un méchant de plus . S'il n'a pas mérité
fon fort , il faut le plaindre ; s'il l'a mérité
, il faut le plaindre doublement : il eft
malheureux , il n'eft plus tems de s'en venger.
Quand & comment faut- il donc fe
déclarer contre les méchans ? férieufement
& fur le fait : la fociété doit juger prévotablement
, & punir de même. On fe retranche
à dire qu'on n'attaque point l'honneur
de celui qu'on plaifante ; mais faut- il être
deshonoré pour être perdu ? Les méchans
fçavent mieux que perfonne que le ridicule
nuit plus que le vice. Je ne mets donc
entr'eux & des brigans , tels qu'on en punit
, d'autre différence que celle du prix du
larcin. » Le voleur qui prend ma bour fe ,
» a dit un Poëte anglois , ne me prend rien
» de réel ; c'eſt un bien de convention qui
» eft aujourd'hui à moi , demain à un au-
» tre ; c'eft peu de chofe , ce n'eft rien ;
»mais celui qui attaque ma réputation ,
» attente àmon être , à la fubftance de mon
» ame , à ce qui m'eft plus cher que la vie .
Je laiffe aux parties intéreffées à fe diſputer
l'avantage de la comparaifon. Les plai-
Lans ne manqueront pas de tourner en ridicule
mes principes , & ceux de Sakhrefpear
; ils ne me furprendront pas , ils m'offenferont
encore moins.
Je ne condamne point la plaifanterie
JUIN. 1755 17
douce , innocente & légere , telle qu'on
peut la faire à fon ami préfent , dont les
limites font fi difficiles à marquer , & le
milieu fi délicat à faifir : elle fuppofe un
bon efprit , & n'exclut pas un bon coeur. Je
condamne la plaifanterie perfonnelle , humiliante
& cruelle , qui eft à la portée des
hommes les plus dépourvus de délicateſſe
& de fentiment , & qui n'exige pour ta
Iens que de la méchanceté & de l'effronterie
; en un mot , la plaifanterie à la mode ,
efpece de poignard dont fe fervent avec
grace une bande d'honnêtes affaffins , contre
l'honneur des femmes & la probité des
hommes .
Il eſt dans la fociété une autre efpece
d'indifférens , dont le vice eft dans la foibleffe
; hommes fans caractere & fans principes
, qui , comme l'eau , n'ont ni goût ni
couleur , & qui contractent comme elle la
couleur & le goût de tout ce qu'ils touchent.
Vicieux fans malice , parce que le
vice domine , ils feroient vertueux fans.
courage fi la vertu dominoit ; l'ufage eft,
leur loi , l'exemple leur mobile , la honte
leur tyran leurs penchans font des impulfions
, leurs defirs des complaifances
feur ame même leur eft étrangere . On a
fait avec de l'argile des pyramides durables ;
on ne fera jamais de ces caracteres une
18 MERCURE DE FRANCE.
fubftance folide. Leur fluidité échappe aux
plus fortes impreffions , & fe prête aux.
plus légeres ; c'eft la matiere fubrile de
Defcartes , qui reçoit toutes les formes , &
qui n'en retient aucune. Tout ce qu'on
peut fouhaiter à cette nature mouvante
d'eft de tomber dans de bons moules & de
n'en fortir jamais. Ce n'eft point à cette
efpece d'indifférens que j'adreffe mes reproches
, ils rougiroient avec moi de les
avoir mérités , pour rougir un moment
après avec un autre qui leur reprocheroit
d'en avoir rougi ; car leur vie fe paffe à
fe defavouer eux - mêmes , & à détracter
leurs defaveus.
1.
Mais je reproche une indifférence plus
condamnable , parce qu'elle eft réfléchie &
raifonnée , à ceux qui fatisfaits de ne pas
contribuer au mal , fe difpenfent de contribuer
au bien , & qui renfermés en euxmêmes
fe mettent peu en peine de ce qui
fe paffe au dehors. L'amour du repos & le
mépris de tout le refte font les principes.
de cette efpece d'indifférence , qu'on a honorée
du nom de philofophie.
S'envelopper dans fa vertu voilà une
belle image , qui n'eſt pas toujours un beau
fentiment. Il eft des orages où l'on a befoin
de tout fon manteau ; mais lorsqu'on
n'eft plus fous la nue , il faut le prêter à
JUI N. 1755. 19
ceux qu'elle menace ou qu'elle inonde. La
retraite abfolue d'un homme utile à la fociété
, eft un homicide pour elle . Combien
celui qui a le courage de fe réfoudre à vivre
feul , ne feroit- il pas de bien à fes fentblables
s'il employoit ce courage à vivre
avec eux & pour eux ? puifqu'il eft en état
de fe fuffire , il ne dépendroit de perfonne
; car la fervitude mutuelle naît du befoin
d'être unis. Il auroit donc fur les autres
l'avantage & l'afcendant d'une ame
-libre. Déterminé à mourir à la fociété dès
"qu'il ne pourroit plus lui être utile , fa rẻ-
folution l'armeroit contre le vice d'une
force & d'une intrépidité nouvelle.
Fortis & afperas tractare ferpentes ,
Deliberata morte ferocior.
Deux raifons déterminent la retraite de
ce prétendu fage. La premiere eft l'inutilité
dont il croit être au parti duquel il peut
fe ranger lâche & dangereufe modeftie
d'un foldat qui prend la fuite au moment
de l'action , fur le prétexte que ce n'eſt
pas de lui que dépend le fort de la bataille.
La feconde raifon eft la force & le nombre
des méchans , auxquels l'homme de
bien qui leur réfifte , ne peur enfin que
20 MERCURE DE FRANCE.
fuccomber. Qu'eft ce à dire , fuccomber ?
Y a-t-il des échafauds dreffés pour les défenfeurs
de la juftice ou de l'innocence ? &
quand il y en auroit , c'eft le découragement
des bons qui fait la force des méchans
; la crainte qu'on a de ceux - ci en
exagere le nombre. Mais fût- il auffi grand
qu'on le fuppofe , comment eft compofé
ce parti fi redoutable ? d'une foule de fots
& de lâches , d'hommes fans lumieres &
fans principes , que la vérité fait pâlir , &
que la vertu fait trembler. Voilà les ennemis
qui font abandonner à de faux fages
les étendards de la vérité & de la vertu .
Je ne demande pas un grand effort aux
gens de bien ; qu'ils foient feulement auf
unis , auffi ardens , auffi conftans à ſe défendre
que leurs ennemis le font à les
attaquer ; la victoire n'eft pas douteufe .
N'avez- vous jamais remarqué combien de
méchans interdits au feul afpect d'un homme
connu pour être vertueux & ferme ?
Eh ! qui nous a rendus les réformateurs
du genre humain ? Qui l'intérêt de la vertu
, de la vérité , de l'innocence , dont
vous êtes , les uns pour les autres , les défenfeurs
& les garans. Votre ame n'appartient-
elle pas à la fociété comme les bras du
Laboureur ? & quel ufage ferez- vous de
votre ame , fi vous n'employez fa force &
JUIN. 1755. 21
fes lumieres en faveur du vrai , de l'honnête
& du jufte ?
Il eft deux fortes de retraite avantageufe
à la fociété : la retraite de celui qui fe recueille
en lui- même pour amaffer des tréfors
dont il enrichira fes femblables , & la
retraite de celui qui ferme fon ame à la
contagion du mal , fans interrompte la
communication du bien entre lui & la fociété
: la premiere convient plus particulierement
aux gens d'étude , & la feconde
aux gens d'affaires.
Pope , dans fon féjour à la campagne ,
fe compare à un fleuve qui fe groffit dans
fon cours de toutes les eaux qu'il rencontre
, pour en offrir le tribut à la cité où il
doit fe rendre. Sans m'éloigner de cette
image , ne puis- je point comparer un Magiftrat
, un Miniftre , un homme en place
dans fa retraite , à ces fontaines qu'on tient
fermées , de peur que quelque furieux en
empoiſonne le réfervoir , mais aufquelles
on laiffe une iffue , afin que leurs eaux
s'épanchent au befoin pour l'utilité publi
que ? Ainfi l'éloignement même de la fociété
doit tourner à fon avantage,
Je ne puis donc vivre pour moi feul
Non , fans être ingrat ; puifque vous ne
fçauriez être auffi étranger à la fociété
qu'elle vous feroit étrangere. N'euffiez22
MERCURE DE FRANCE.
vous que ce coin de terre qu'Horace demandoit
aux Dieux , la poffeffion ne vous
en eft acquife ou confervée que par ces
loix , cet ordre , cette diftribution , cet
enchaînement de dépendance & d'offices
auquel vous voulez vous fouftraire . Vos
befoins font les titres de vos devoirs ; il
n'eft qu'un afyle pour l'indépendance abfolue
, ce font les déferts , où chacun broute
& combat pour foi.
e
Ma vertu , dites-vous , m'eft plus chere
que tout le refte , & je veux la garantir
des écueils dont elle eft environnée . Mais
ne pouvez vous l'en garantir que par la
fuite ? Quelle eft cette vertu qui , pour être
en fûreté , a befoin d'être inacceffible !
Sçavez-vous ce que c'eft qu'être vertueux
dans le calme de la folitude ? c'eft être
brave dans la paix.
JUIN. 1751: 1 123
L'AMITIÉ .
CANTA TILL 1.
Lisszéphirs ont chaffé l'hiver ,
Leur haleine a reveillé Flore ;
Tout eft fenfible au premier verd
Qu'anime les pleurs de l'aurore .
L'oifeau dans ces heureux inftans ,
Croit qu'il renaît , parce qu'il aime :
Je me fens renaître de même ;
J'aime , je rentre en mon printems.
En vain l'âge glace mes fens ,
Le coeur ne vieillit point , le mien eſt toujours
tendre ;
L'amitié , de l'amour a tous les mouvemens :
Puifle Climene s'y méprendre !
L'amitié , fes purs fentimens
Valent bien un plaifir frivole ;
A l'amour même qui s'envole ,
Elle offre un aſyle en tout tems.
C'eft un feu doux qui , fans paroître ,'
Echauffe tout ce qui le fuit ;
La vive ardeur qu'amour fait naître
Brûle , confume , & fe détruit.
24 MERCURE DE FRANCE.
VERS
De M. P. à fa femme , après vingt - cinq an
de mariage , en 1755. *
Comme une lueur paffagere ,
Cinq luftres de font écoulés
Depuis que dans l'ardeur d'une union fincere
Par un noeud folemnel nous fommes engagési
Une tendreffe mutuelle
En a rempli les plus beaux jours ;
Et j'en ai vû filer le cours
Sans ceffer d'être époux , amoureux & fidele.
Puis-je former de fouhait plus heureux.
Dans cet état digne d'envie,
Que de paffer le reſte de ma vie ,
Animé de ces mêmes feux ,
Avec cette tranquillité fuivie ,
Qui fait le plus doux de mes voeux
* Je les mets ici pour la fingularité & pour la
ban exemple.
L'OMBRE
JUIN. 1755- 25
L'OMBRE DE LE BRUN ,
A M. Maſſe , Peintre du Roi , Confeiller
de l'Académie de Peinture & de Sculptu
re , au fujet de la grande Galerie de Ver
Jailles , gravée d'après fes deffeins.
UN murmure flateur , au féjour du filence;
Des manes attentifs réveille l'indolence ,
Et de mon ombre en pleurs arrête les foupirs :
Oui j'en crois , cher Maffé , ta gloire & mes de
firs .
De fublimes clartés , tréfor intariffable ,
Et de foins pour ton art toujours inſatiable ,
Tu fauves mes lauriers d'un éternel affront ;
Contre l'aîle du tems qui menaçoit mon front ,
Tu foutiens de mon nom la colonne ébranlée ,
Et diffipes la nuit dont elle étoit voilée.
Ces fuperbes lambris du palais de nos Rois ,'
Où de Louis le Grand j'ai tracé les exploits ,
Par toi , fe tranfportant des régions de l'ourfe
'Aux lieux où le foleil recommence ſa courſe ,
Des flots de la ruine évitant la fureur ,
En fe multipliant reprendront leur fplendeur ;
Tout l'univers entier , en chantant Alexandre ,
D'Apelles fous la tombe honorera la cendre ;
L. Vol. B
26. MERCURE DE FRANCE .
Sous un commun palmier nos noms entrelacés ,
Saifiront de refpect nos rivaux terraffés.
Sur cette morne rive une joie inconnue
Semble appaiſer enfin ma douleur continue .
*
Depuis qu'un fier mortel au devant du trépas
Sur ces funettes bords précipita ſes pas ,
Tout ici m'abandonne , & la foule inconftante
Par un revers fatal l'applaudit & le vante ,
Et près de moi placé le nomme mon vainqueur.
Voilà les maux cruels qui déchirent mon coeur
Toi feul pouvois tarir la fource de mes larmes.
Mais quel foupçon jaloux vient altérer fes charmes
?
A
"
Appui de ma grandeur , marches-tu mon égal ?
Ah ! pardonne , je crains & prévois un rival.
En mé formant , l'envie a jetté dans mon ame
Les germes immortels de fa funefte flamme ,
Que n'éteindront jamais les eaux de l'Acheron ; -.
M'abreuvant à longs traits de fon brûlant poiſon,
Jufques dans les enfers ce vautour me dévore ;
félicité je géinis même encore :
De
ma
Mais je céde au deftin , qu'importe ? venge-moi?
Puifqu'il faut partager le triomphe avec toi .
* Fr. le Moyne.
JUIN 175598 27.
MADRIGAL.
À Mlle G ... Par M. Lebeau de Schofne ,
de l'Académie de Nifmes.
LA
A foi , l'eſpoir , la charité ,
Sont les plus riches dons que la Divinité
Fit defcendre fur nous de fon thrône céleste.
Ils ferviront à mon bonheur ;
La foi vous convaincra de mă fincere ardeur ,
L'espoir animera mon coeur ,
La charité fera le reſte.
Au Bourg Saint-Andeol , ce 11 Mars
1755 .
Bij
28 MERCURE DE FRANCE:
--
EXTRAIT de la vie du Profeffeur
Saunderson , tiré d'un Journal anglois
qui a pour titre le Magazin du Gentilhomme.
Ljuffit d'un bien médiocre dans la
E pere de ce grand Mathématicien
province d'York en Angleterre . Il eut
plufieurs enfans. Nicolas Saunderfon fut
l'aîné de tous ; il naquit au mois de
Janvier en 1682. A l'âge d'un an il fut
privé de la vûe par la petite vérole , &
fe trouva dans le cas d'un aveugle de
naiffance . Il ne lui reftoit pas la moindre
idée d'avoir jamais vû la lumiere ; il n'en
avoit aucune perception non plus que des
couleurs . On l'envoya de bonne heure aux
écoles des humanités , où il fit , en écoutant
les autres , un progrès des plus rapides.
Euclide , Archimede & Diophante
étoient les auteurs Grecs qu'il étudioit par
préférence en fe les faifant lire. Il apprit
de fon pere l'arithmétique , & fe trouva
bientôt en état de faire de pénibles calculs.
Il inventa , par la feule force de l'imagination
& de la mémoire , de nouvelles regles
pour réfoudre les problêmes de cette fcience
, faifant toutes les opérations avec auJUIN.
17553 29
tant de promptitude que de jufteffe.
C'eft ainfi que l'efprit actif & pénétrant ,
quand le malheur a fermé quelques- unes
de fes portes , redoublant d'effort & d'attention
, veille aux autres avenues de fes
connoiffances qu'il élargit , pour ainfi dire,
comme pour fe dédommager de fa perte.
Deux Gentilshommes du voisinage amis
de fa famille , enchantés des grands talens
de notre aveugle , fe firent un plaifir de
lui apprendre l'algébre & la géométrie.
Son pere , quelque zélé qu'il fût pour faire
cultiver de fi rares talens , étant chargé
d'une nombreuſe famille , ſe vit hors d'état
d'envoyer fon fils à l'Univerfité d'Oxford
ou de Cambridge : il prit donc le parti de
le mettre dans une petite Académie du
village d'Attercliff. Ayant bientôt épuisé
le fond des connoiffances de cette école ,
où il ne lui reftoit plus rien à apprendre ,
il fe retira dans la maifon paternelle . Ré
duit à fes propres reffources , il y continua
fes études, & à l'aide d'un lecteur qu'il avoit
inftruit lui -même , il y fit de nouveaux
progrès. Au bout de quelque tems , on
réfolut de l'envoyer à Cambridge pour y
profeffer la philofophie. Il y parut fous
un caractere fingulier , puifqu'il eft peutêtre
le feul qui foit entré pour la premiere
fois dans une Univerfité , non pour acque
Biij
30 MERCURE DE FRANCE.
7
rir , mais pour communiquer des connoiffances.
La Société charmée de l'acquifition d'un
fi bon fujet , lui affigna un appartement, lui
permit l'ufage de la bibliothèque , lui donna
un lecteur en conféquence , & l'adinit à tous
les privileges d'un Membre de l'Univerfité,
à l'exception du titre qu'il ne pouvoit prendre
, n'étant pas gradué . Malgré ces avantages
, il lui reftoit encore bien des difficultés
à furmonter : âgé de vingt - cinq ans
fans fortune , aveugle , & deſtiné à enfeigner
la philofophie en concurrence avec
M. Whifton , ce grand Mathématicien
qui occupoit une chaire dans la même
'Univerfité .
›
Toutes ces circonftances qui fembloient
devoir renverfer fon projet , en hâterent
au contraire le fuccès. Il dut fa fortune à
la générofité de M. Whifton , qui fe fit
une gloire de fervir ce nouveau concurrent.
M. Whifton réunifoit à un profond
fçavoir , à toutes les lumieres de l'efprit ,
les qualités du coeur qui rendent les grands
hommes encore plus refpectables , un heureux
naturel , beaucoup d'humanité , une
eftime & une amitié fincere pour ceux en
qui il voyoit le talent & les connoiffances
qui le diftinguoient fi fort lui -même. Loin
JUIN. T 1755.
3-1
de s'opposer aux deffeins de M. Saunderfon ,
comme il étoit de fon intérêt & en fon
pouvoir de le faire , il lui accorda non
feulement une permiffion expreffe de donner
des leçons de phyfique , mais il le feconda
encore de fon crédit dans toutes les
Joccafions.
A l'ouverture de fes leçons , il y vint
une telle affluence d'auditeurs qu'il en
étoit embarraffé lui - même . Il débuta pár
f'optique de Newton , effai auffi hardi que
fingulier dans un homme privé de la vie
prefqu'en naifant ; il falloit voir ce prodige
pour le croire.
Qu'un aveugle traite parfaitement des
fons , de leur nature & de leurs effets , cela
eft dans l'ordre ; mais qu'il raifonne en
philofophe fur les objets d'un fens qu'il
en'a pas , voilà qui tient du miracle . Il eft
cependant de notoriété publique qu'il expliquoit
les principes d'optique avec autant
de précifion que de clarté. A la fuite de ces
leçons , il procédoit régulierement aux
autres ouvrages de Newton, dont il devint
Pami particulier.
Peu de tems après , M. Whifton ayant
été remercié pour avoir refufé de remplir
certaines formalités , aufquelles fes principes
avoués d'arianifme ne lui permettoient
pas de fe foumettre , toutes les voix fe
B iiij
32 MERCURE DE FRANCE.
réunirent en faveur de M. Saunderfon
pour occuper la place de ce grand philofophe.
Comme les ftatuts de l'Univerfité exigoient
dans un Profeffeur en titre le grade
de Maître- ès- Arts , on fit une démarche
fans exemple pour le lui faire déferer. Les
principaux de tous les Colleges , de l'aveu
& au nom du corps entier , préfenterent un
placet au Duc de Somerfet , pour lors
Chancelier. Ce Seigneur accompagné du
Chevalier Newton & d'autres perfonnes
de rang , s'étant rendu auprès de la Reine
Anne , obtint un ordre
pour faire expédier
à notre aveugle le grade requis , & il fut
en conféquence nommé & inſtallé Profeſfeur
de Mathématique au mois de Novembre
1711. Il fit à fa réception un difcours
plein d'efprit & d'élégance , le prononça
avec tant de nobleffe & de grace ,
qu'il eut l'applaudiffement univerfel. Il
finit ce difcours par l'éloge des mathématiques
qu'il mit bien au-deffus de toute
autre méthode de raifonner.
En 1723 il époufa la fille de M. Dickfon
, Miniftre-Curé de Bofworth dans le
Comté de Cambridge . De ce mariage il
eut un garçon & une fille , tous deux aujourd'hui
vivans.
En 1728 le Roi regnant , dans un
voyage fait à Newmarket , ayant honoré
JUIN. 1733 53
l'Univerfité d'une vifite , defira voir le
Profeffeur Saunderfon , qui s'étant rendu
aux ordres du Roi , l'accompagna au Sénat.
Là , par ordre exprès de Sa Majefté , & en
fa préfence , Saunderfon fut créé Docteurès-
Loix par le Chancelier en perfonne.
Il continua pendant onze ans à donner
des lecons qui le comblerent d'honneur &
de biens , & il mourut d'une gangrene au
pied le 11 Avril 1739 dans la 57 ° année
de fon âge.
Il étoit d'un tempéramment fort & vigoureux;
comme il aimoit paffionnément
l'exercice du cheval , il fuivoit une meutte
de chiens courans avec autant d'ardeur
que de péril pour fa perfonne . C'étoit &
à tous égards un homme de bonne compagnie.
Son difcours étoit toujours fi rempli
de traits relatifs aux objets de la vûe ,
qu'il faifoit prefque oublier qu'il fût aveugle.
Avec fes difciples , il étoit familier
& amufant ; mais lorsqu'on manquoit
de prêter à fes leçons l'attention qu'il
falloit , il s'emportoit à l'excès. Comme
les penfionnaires de qualité lui en don-:
noient de fréquens fujets , il dit un
jour tranſporté de colere : s'il me faut aller
en enfer , que pour mes péchés on m'y
condamne à donner des leçons de mathé
matiques aux jeunes Seigneurs penfion-
By
34 MERCURE DE FRANCE.
naires de l'Univerfité de Cambridge !
Il avoit imaginé plufieurs moyens pour
fuppléer au défaut de la vûe , entr'autres
une planche percée de trous . A la diſtance
égale d'un pouce , dans chaque trou étoit
une cheville. La ficelle qu'il faifoit aller à
fon gré autour de ces chevilles , lui traçoit
les figures dont il avoit befoin pour faire
fes démonftrations , & cette opération fe
faifoit en moins de tems & avec plus de
facilité que l'on ne la fait avec la plume
ou le crayon . Une feconde planche &
d'autres chevilles de grandeurs inégales ,
lui fervoient pour les opérations de calcul.
Il avoit l'oreille & le tact de la derniere
fineffe ; les moindres objets de ces deux
fens , imperceptibles à tout autre , étoient
pour lui très-fenfibles . Il diftinguoit la
cinquieme partie d'une note , jouoit de la
flûte admirablement bien ; il ne lui falloit
que frapper du pied fur le plancher , le
bruit lui fervoit de regle sûre pour donner
fur le champ toutes les dimenfions d'une
chambre , de quelque façon qu'elle fût conftruite.
SOVIJUI NI 1755. 35
EPITRE
DE MMO DE L'ART
M. DE
evovali mazolami , l . 9 % ..
Auteur d'une Comédie , intitulée l'Effet du
Sentiment , repréſentée à Touloufe dans
le mois de Mars dernier.
13
arion stauq
EN vérité , je fus ravie
En voyant votre Comédie ;
Mais à parler ingénument ,
o'n neo
Je n'aurois jamais cru que ce raviffement
Eût pu fe changer en folie...
Bon , direz - vous , ma piece eft plus jolie ;
Cette fcène fui donne un nouvel agrément.
Alte là , Monfieur , je vous prie
Vous ne m'entendez pas vraiment ;
Ne croyez pas que cette frenéfie
Ait du rapport au fentiment ,
Dont vous montrez l'effet dans votre Comédie.
Eh qu'eft- ce donc ma foi je verfifie ,
Ou du moins en fais - je femblant ;
Car depuis que j'ai vu votre ouvrage charmant ,
Je n'ai pu vaincre la manie
De vous rimer un compliment.
Rimons , puifqu'auffi bien je ne puis m'en dé-
C
fendre :
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
Le Dieu des vers , dit- on , reffemble au Dieu des
coeurs :
Dès qu'il infpire , il faut fe rendre ;
Ses ordres font toujours vainqueurs.
Avant de commencer l'ouvrage
Je devrois , ce me femble , implorer fes faveurs &
Mais que ferviroit- il de fuivre cet uſage ›
Voudroit-il m'accorder quelqu'une de ces fleurs
Dont l'éclat naturel vous gagne le fuffrage
De ce que nous avons de plus fins connoiffeurs
Je ne puis le croire , & je gage
Qu'on n'obtient des fleurs de ce prix ,
Si l'on n'a , comme vous , le flateur avantage
D'être au rang de fes favoris.
Mais , dites-moi , je vous conjure ,
Eft-ce Apollon qui vous fournit les traits
Dont vous accablez l'impofture
De ces petits- maîtres coquets ,
Qui fous les airs de la nature
Montrent des fentimens dont l'art fait tous, les
frais
Oh ! fi c'eft lui , je vous affure
Qu'amour lui doit bien des remercimens
Car dans ce fiecle miférable ,
Ce Dieu n'a plus de culte véritable ;.
Et Phiftoire des vrais amans
Ne paffe que pour une fable ,
Dont on peut embelir les fcènes des romans..
Aftrée & Celadon , héros du bon vieux tems ,
JUIN.
37 1755
Qui dans le fein d'un bonheur véritable
Paffoient de tous leurs jours les rapides momens ,
Auroient-ils crus qu'une race coupable
Perfifleroit leurs fentimens ?
Ils furent heureux & conftans ;
Peut- être hélas ! dans notre tems,
Des moeurs l'exemple inévitable
Les eût-ils rendus inconftans ,
Et privés des plaiſirs charmans
Que fait goûter une union durable.
Au fiecle où nous vivons tout n'eft que
Quelque fade minauderie ,
fauffeté
Des airs de tête , un coup d'oeil médité ,
Un goût de mode , un propos brillanté
Forment notre galanterie.
Nos coeurs font comme nos efprits
Et dans peu de tems , je parie
Que le clinquant fera le prix
De tous nos fentimens & de tous nos écrits
Vos ouvrages fans flaterie
Peuvent ramener le bon goût ,
Et je ne doute point du tout
Que pour en rétablir l'empire
Apollon n'ait fait choix de vous ,
Du moins j'en jurerois fur ce qu'il vous infpire :
Mais je crains , foit dit entre nous ,
Qu'amour ne voudroit point de fes loix véritables :
Confier à vos foins le rétabliſſement.
Pourquoi, me direz- vous ? Oh ! vos façons aimables:
38 MERCURE DE FRANCE.
Me paroiffent tenir au ſyſtême inconſtant
De nos modernes agréables ;
Et fur ce point j'en crois l'Effet du fentiment.
LE MIROIR.
FABLE I.
ON voyoit au milieu d'une place publique ,
J'ignore chez quel peuple , il n'importe en quel
tems
Un Miroir merveilleux & d'utile fabrique ,
Où fe peignoit par art le naturel des gens.
Tout le monde accouroit à ce tableau fidéle.
Une coquette approche : elle y voit traits pour
traits
Ses petits ſoins jaloux & fes penchans fecrets.
Ha !` c'eſt ma voifine , dit- elle ;
C'eft fon efprit tout pur , je la reconnois là .
Le joli Miroir que voilà !
Et combien je m'en vais humilier la belle !
Un petit-maître fuccéda
Et la glace ,auffi - tôt préſente pour image ,
Tout Forgueil renfermé dans l'efprit d'un faquin .
Parbleu , je fuis ravi qu'on ait peint mon coufin ,
Dit l'homme , & je voudrois qu'il pût devenir
¡fage
t
En prenant des confeils de ce Miroir malin ..
JUIN.
39 1755.
" Après lui vint un vieux vilain
D'une efpece tout-à- fait rare .
Il tire une lunette , & fe regarde bien ;"
Puis ricanant d'un air bizare ,
C'est mon frere , dit- il , ce vieux fou , cet avare
Qui fe feroit fouetter pour accroître fon bien.
J'aurois un vrai plaifir à montrer fa léſine , ✨
Et pairois de bon coeur cette glace divine ,
Si l'on me la donnoit pour rien.
Dès que fut retiré ce ladre octogénaire ,
D'autres vinrent encor confulter le Miroir ;
Et chacun d'eux y vit fon voifin , fon compere ,
Sa belle -foeur , ou fa commere ;
Mais aucun ne s'y voulut voir .
Où l'envie apperçoit les foibleffes des autres
L'amour propre eft habile à nous voiler les nôtres .
Tout homme eft médifant & vain .
C'est un bonheur pour la Satyre :
Ses dures vérités ne nous feroient pas rire ,
Si la préfomption dont nâquit le dédain ,
Entre leurs traits & nous ne mettoit le prochain .
L. A.
LE MERLE.
FABLE.
D'un bois fort écarté les divers habitans ,
Animaux , la plupart fauvages , malfaiſans ,
40 MERCURE DE FRANCE.
De l'homme ignoroient l'exiſtence.
Nos femblables jamais ne pénétrerent là.
Un Merle en un couvent élevé dès l'enfance ,
Parvint , en voyageant , jufques chez ces gens - là ,
Il étoit beau parleur , & fortoit d'une cage
Où Merle de tout tems apprit à s'énoncer
En jeune oiſeau dévot & fage.
'Son zéle dans ce bois eut de quoi s'exercer .
Eclairons , difoit-il , nos freres miférables ;
Tout Merle à ce devoir par état engagé ,
Sous l'heureux joug de l'homme inftruit , apprie
voifé ,
Plus éclairé , plus faint , doit prêcher fes ſemblables.
Un jour donc notre oiſeau fur un arbre perché ,
Harangua vivement les plus confidérables
D'entre ces animaux à fon gré fi coupables.
Nouveau, Miffionnaire , il fuoit en prêchant.
D'abord on ne comprit fon difcours qu'avec peine
Il parloit d'un Etre puiffant
Qu'il nommoit homme , ayant l'univers pour
domaine ,
Sçachant tout , & pouvant , s'ils ne s'apprivoi
foient ,
Détruire par le feu toute leur race entiere:
Ours , tigres , fangliers étoient là qui bailloient
Mais à ce dernier trait ils dreffent la criniere.
Le Merle profitant d'un inftant précieux ,"
JUIN.
1755 42
Pagite , entre en fureur , & déploye à leurs yeux .
Les grands traits de l'art oratoire .
Efchine en fes difcours montroit moins d'action
On dit qu'il arracha des pleurs à l'auditoire.
Dans le bois chacun fonge à ſa converfion ,
Et tremble d'encourir la vengeance de l'homme.
Sur ce nouveau Roi qu'on leur nomme ,
Au docteur Merle ils font cent queſtions.
L'homme eft , répondoit- il , doué par la nature
De toutes les perfections.
Il a donc une belle hure ,
*
Dit le porc en l'interrompant ?
Sans doute qu'il reçut des cornes en partage ,
Dit le boeuf ? ( celui- ci ne fe trompoit pas tant
Le tigre prétendoit qu'il devoit faire rage
Avec les griffes & fes dents ;
Et l'ours qu'entre ſes bras il étouffoit les gens.
Les foibles s'en formoient des images pareilles ,
Et penfoient le douer d'attributs affez beaux ;
Le cerfen lui donnant des jambes de fufeaux ,
Et l'âne de longues oreilles.
Tout ce qui nous reffemble eft parfait à nos yeux :
Ces animaux fe peignoient l'homme
Comme l'homme fe peint le fouverain des cieux .
Les Sages prétendus de la Gréce & de Rome ,
Au poids de leur orgueil ofoient pefer les Dieux
Le peuple groffiffant ces traits injurieux ,
Repréfentoit l'Etre fuprême
42 MERCURE.DE FRANCE.
Plus ridicule que lui - même.
* Il est bien des Chrétiens qui n'en jugeht pas
mieux.
L. A.
Ces deux Fables font l'échantillon , ou
l'annonce d'un recueil de plufieurs autres
que l'Auteur doit bientôt donner au Public .
Je crois qu'elles doivent le prévenir en ſa
faveur.
STANCES IRRÉGULIERES ,
J
A Mifs Lété C ....
E vis Lété , mon coeur en fut épris ;
Elle parla , je l'aimai davantage ;
Du Dieu des arts elle avoit le langage
Et les traits ingénus de l'enfant de Cypris.
J'approche ; fon front fe colore ,
Son embarras augmente fa beauté ;
Je lui peins les tranfports de mon coeur agité ;
Je l'offenfai , Lété parut plus belle encore.
L'amour lui -même avec des fleurs
Entrelaçoit fa blonde chevelure ;
Charmes touchans , innocente parure ,
Qui flatte les regards & captive les coeurs !
T
JUI N. 17556 43
Un fard coupable enfant du crime ,
Ne ternit point la blancheur de fon teint ;
Si, fes yeux embrafent mon fein ,
C'est la pudeur qui les anime.
Amour des plus lointains climats ,
Tu l'amenas aux rives de la France ;
Minerve parmi nous a formé fon enfance :
Regne aujourd'hui fur fes appas.
Dieu de Paphos , Iphis t'implore ,
Peins à Lété les maux que je reffens
Sa beauté captive mes ſens ,
Et c'eft fon ame que j'adore .
Iphis , me répondit l'Amour ,
Lété craint les amans qui peuplent ces rivages ;
Préfomptueux , faux & yolages ,
Méritent-ils un doux retour ?
Dans les climats qu'illuftra fa naiffance ,
L'aftre brûlant des cieux tempere fes ardeurs :
Mais mon flambeau divin que foutient la conftance
Plus ardent qu'à Cythere y confume les coeurs,
Heureux Iphis , de ta patrie
Tu n'a point pris le goût pervers ;
Lété connoit les maux que ton coeur a ſoufferts ;
Tu peux tout efpérer , Lété s'eft attendrie.
* L'Irlande , pays froid,
7
44 MERCURE DE FRANCE :
PORTRAITS
DE CINQ FAMEUX PEINTRES
ROMAINS.
Jules Romain.
Son génie & vafte & fécond
On
Embraffe avec fuccès tout genre de peinture ;
Le feu qui fort de ſon crayon
Fait préférer au vrai l'innocente impofture.
* Quel goût féroce , & quel fublime accord
Il donne au coloffal , au bizarre , an terrible !
On fuit : & d'Encelade on redoute le fort ;
Jule autant que les Dieux rend leur courroux fen
fible.
Taddee Zucchero.
Le pinceau frais , moëlleux , qui diftingue Tadi
dée ,
De l'Italie anime & temples & palais.
Si la nature en lui paroît un peu fardée ,
Il fauve ce défaut par de magiques traits.
* On voit au Palais du T qui eft aux portes de
Mantoue, unfallon qui eft entierement peint par ce
maitre, c'en eft le chef-d'oeuvre. Les géans y
paroiſſent foudroyés parJupiter,
JUIN.
45 1755.
* En ce paiſible lieu nul fouci n'inquiete ;
Dans le fond de mon coeur je lis avec plaifir.
Par fes plus doux pavots Morphée ici m'arrête :
Je baille , & cependant je crains de m'endormir
Frederic Zucchero .
Les fruits de ton brillant pinceau
Décélent un génie auffi grand que facile.
Des fecrets de ton art tu traces le tableau ,
Dans un livre qui joint l'agréable à l'utile.
Où n'étends - tu pas tes fuccès ?
De vers dignes de lui Phébus te favoriſe.
Je vois la jaloufie exciter tes progrès ;
Le dépit la fuffoque , elle t'immortaliſe .
Frederic Baroche.
Le goût , le coloris , les graces elles- mêmes ,
Au char de cet artiſte enchaînent l'amateur.
Ce triomphe eft le fruit de mille ftratagêmes ;
On le fçait , on chérit d'autant plus fon vains
queur.
A l'aſpect des ſujets qu'il traite.
** La piété fe plaît en fon affection ;
* Au Château de Caprarolle , on remarque fur→
tout de Taddée deux chambres deftinées à la foli
tude , celle dufommeil , où il a représenté la nuis
avec fes attributs.
** Saint Philippe de Neri fut fi frappé d'une
Vifitation que ce maître avoit peinte à la Chiefa
anova , qu'il étoit continuellement à faireſa priere
46 MERCURE DE FRANCE.
Si le coeur corrompu cherche enfin la retraite ,
Baroche eft l'inftrument de fa converfion .
André Sacchi.
Ce Peintre refléchit fçavamment fur fon art ,
Il en a moins d'entouſiaſme .
Son pinceau frais , correct , ne fait rien au hazard ,
Fidele à la nature il craint peu le ſarcaſme . *
Quelle fage ordonnance éclate en fes tableaux !
Leur beau fini me plaît , leur vrai me perfuade.
Quelle union ! quel goût ! quels tons originaux !
Quoi ! le blanc * même à mes yeux fe dégrade !
dans cette Chapelle. C'est là fans doute que fon
coeur fe dilatant , lui caffa deux côtes.
* Il critiquoit avec trop de franchife les ouvrages
des plus habiles gens , ce qui lui fit beaucoup d'ennemis.
Ils peuvent fe venger , difoit-il, mes tableaux
font répandus par-tout.
** Ce n'est que pour le Peintre que le blanc eft
une couleur. Rien n'eft fi dificile que de la faire
fuir. Le Sacchi a vaincu ces difficultés dans le tableau
de S. Romua'de , qu'on voit à Rome dans l'Eglife
du même nom . Six figures de Camaldules
toutes vêtues de blanc y font des fujets d'admiration.
JAUDIN.5. 173 50 47
LE GENIE DU MANS.
Songe de Madame la Com effe de ...
à Mme de :
典
Ans un de ces momens qui fuivent
gaire bruyante
>
à lui-même , retourne fans effort à une aimable
philofophie , je me délaffois par des
réflexions qu'un leger fommeil vint interrompre
, je me trouvai tranfportée dans
une affemblée de Génies de nos différentes
provinces ; les progrès de la littérature devoient
être l'objet de leurs délibérations.
Je vis une collection énorme de ces ouvrages
renouvellés de Seneque , de ces
petits riens produits par les accès du bel
efprit , que la fatuité encenfe , & où cette
efpéce d'automates qu'on nomme petitsmaîtres
puife fes gentilleffes,
I Je revois à cela lorfque le Génie du
Mans m'aborda : vous gémiffez , me dit
il , fur la décadence de la littérature , & fur
ces fottifes qui deshonorent la raifon fran
çoife , n'en foyez pas furprife , la frivolité
fait le caractere de cette nation , elle a
penfé dans le fiécle dernier , & comme
elle ne peut foutenir un bon fens uniforme
MERCURE DE FRANCE.
& fuivi , elle fe dédommage aujourd'hui
de ce pénible effort par un jargon éblouiffant
> auquel une faftueufe obfcurité
donne un air de philofophie . Voilà les productions
des auteurs petits-maîtres ; mais
le public les examine , les juge , & venge
le bon fens l'impreffion eft le tombeau
de plufieurs de ces ouvrages , ils circuloient
d'abord dans des mains amies ; mais
fi la cenfure des fots eft fans conféquence ,
leur louange ne l'eft pas moins , & quoique
le faux bel efprit les ait deſtinés à inftruire
la poftérité , le bon goût décide qu'ils ne
parviendront jamais à leur adreffe.
Ces manieres d'auteurs font les ombres
d'un tableau , où ils contraſtent avec un
petit nombre de héros littéraires , qui
penfant fortement feront furement paſſer
le véritable efprit jufqu'aux derniers âges ,
& prouveront que la France , comme la
Grece , a fes époques de raifon & de bon
goût. La multiplication de ces grands hommes
eft le but des Académies , & c'eft un
des grands intérêts d'une nation qui prétend
à la fupériorité des talens qu'elle ne
peut plus conferver que par la fublimité
de fes efforts , car les littérateurs étrangers
font depuis quelque tems , à l'égard
des François , comme les Grands d'Efpagne
qui , avant Philippe V , luttoient contre
JUIN. 1755
49
tre le Souverain. Ainfi ces fociétés doivent
exciter le zéle de leurs membres
pour un nouveau genre de patriotifme , &
s'efforcer d'illuftrer la France par la gloire
des talens. Je me rappelle ici avec chagrin
l'inaction de la ville du Mans , dont l'efprit
naturellement délicat & philofophe ,
pourroit orner avec diftinction les Lettres
Françoiſes.
J'interrompis ici le Génie : vous jugez
bien favorablement , lui dis - je , des Académies
où fouvent la prétention fans
titre & l'audace protégée ufurpent des places
deftinées au mérite. On y trouve auffi
de ces hommes ordinaires qui , puérilement
exacts , briguent avec empreflement le titre,
de puriftes ; leurs productions font moins
des recueils de penfées que des répertoires
de mots françois . Je me rappelle fouvent cet
Académicien qui employa neuf ans à ôter
les car , les fi , les mais d'un ouvrage ; il
en eft encore qui n'ont pas des оссира-
tions moins frivoles : voilà ce qui forme
le grotefque du tableau de la littérature.
Mais les Académies n'en font pas moins
les fanctuaires du goût ; on y voit plufieurs
de ces hommes qui fçavent apprécier &
appliquer les talens , peindre le vrai avec
toutes les nuances de la fageffe , de la
décence & de la délicateffe : ce font des
1. Vol.
C
50
MERCURE DE FRANCE.
Sénats auguftes , dont l'autorité refpectée
par les littérateurs , réprime l'impétuofité
de leur efprit républicain , fans l'afervir
ni l'énerver.
9
J'approuvois
affez comme Vous
voyez , l'établiffement
d'une Académie
dans ma patrie , & j'attendois de plus
amples inftructions fur cet objet de la part
de notre Génie ; mais m'étant éveillée
comme je me difpofois à l'écouter attentivement
, je vis mes efpérances fe diffiper :
j'efpere cependant qu'une feconde rêverie
fatisfera votre empreffement
& le mien ;
faute de mieux , je vais vous entretenir de
mes propres réflexions.
La littérature du Mans fera d'abord femblable
à une prude févere jufqu'à l'excès
dans fes parures parures ,, enforte qu'elle imitera
la trifteffe des meurs de cette ville ; mais
je vous promers qu'une décente imagination
égayera bientôt fa mifantropie par
d'heureux caprices ; notre fexe n'y contribuera
pas peuil eft vrai que les Da
mes , dans l'efprit d'un ' philofophe atrabilaire
, font feulement de jolis automa-"
tes ; s'il s'abaiffe jufquà fourire à nosi
appas , il admire des miniatures qu'il ne
peut fenfément eftimer. Quorque nous
ayons donné plus d'une preuve de notre
capacité , l'injustice de fon jugement fub
AAA 0
JUIN . 1755. St
1
:
fifte toujours ; mais auffi eft- elle fans conféquence
? le bon fens n'eſt d'aucun fexe.
J'efpere que nous formerons un parti
dans l'empire littéraire que de révolutions
en conféquence dans les manieres de
penfer car nous connoiffons le fentiment
, ainfi nous n'imiterons pas ces aureurs
qui , par une froide analyſe de ſes
motifs , le perfuadent fans l'exciter ; nous
ferons donc furement fenfation , & nos
nouvelles idées auront leurs partifans . La
poëfie , fufceptible d'un vif coloris , les embellira
; & quoiqu'elle n'en puiffe faifir
exactement toutes les nuances fans perdre
de fa chaleur , une peinture délicate de
leurs traits les plus frappans leur donnera
un grand intérêt , fans avoir recours à ces
images trop licencieufes que la décence abhorre
, & qui prouvent que la littérature
a fes cyniques , auffi bien que les moeurs .
La poëfie nous conduira à cette douce
mélancolie de la philofophie qui forme
des fyftêmes fur les débris des autres . Je
projette de former alors des corps humains
avec des fylphes : c'en eft fait des Monades
de Leibnitz , & des tubules d'Amilec
; ce roman de la nature fera un épifode
agréable dans la phyfique pour dif
traire l'efprit humain fur la féchereffe de
la vérité ; c'eft là le pis aller , car il fe
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
pourroit faire qu'une femme à ſyſtême eût
deviné la nature. Voilà toutes les licences
de ma philofophie , fa partie morale honorera
l'humanité : quoique j'aie defſein de
faire tous mes efforts pour lui donner ces
graces touchantes qui intéreffent le coeur ,
elles feront toujours modeftes , fes charmes
n'en détruiront pas l'exactitude ; fimple
& parée par le feul fentiment , elle
formera l'homme vertueux & aimable .
Voilà , Madame , un effai de mes caprices
littéraires je l'aurois terminé par des
portraits dont l'efprit fupérieur de notre
illuftre Evêque & les talens de plufieurs
de nos compatriotes auroient fourni
les détails ; mais je me fouviens que
la vérité même vous ennuie lorfqu'elle a
l'air du panégirique ; j'efpere les couronner
cependant par les mains de la poëfie,
Je fuis , Madame , &c.
JUIN. 1755. 53
A. S. A. S. Mgr. le Comte de
Clermont , protecteur de la Société
littéraire de Chaalons -fur- Marne.
ODE
Lue dans une feance particuliere de cette
Société.
O Melibae Deus nobis hec otia fecit!
CHaftes
Virg. Eglog. I.
Haftes filles de l'harmonie ,
Meres des fublimes talens ,
Muſes , échauffez mon génie ,
Soutenez mes pas chancelans ;
Tranſporté d'une noble audace ,
J'ofe aujourd'hui fur le Parnaffe
Faire entendre de nouveaux fons ;
Penetres-moi , Dieu de la lyre ,
De ce poëtique délire
Qu'éprouvent tes vrais nourriffons.
C'est toi qui , fous le nom illuftre
D'un Prince , objet de notre amour ,
Viens de donner le plus beau luftre
Aux lieux où j'ai recu le jour ;
Sous les plus auguſtes aufpices ,
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
Oui , deformais tes feux propices
Vont enflammer tous nos efprits ;
Et les lauriers fleuris du Pinde ,
Aux pampres du vainqueur de l'Inde
Vont ajouter un nouveau prix .
Rangs , honneurs , dignités frivoles ,
Tous vos titres font fuperfus ,
Vous êtes de vaines idoles ,
Pour qui l'encens ne fume plus :
Le talent ici s'apprécie ,
Le mérite feul affocie
Autant d'amis que de rivaux ;
Si dans l'ardeur qui les tranfporte
Quelqu'un fe diftingue & l'emporte ,
fes travaux.
Ce n'eft plus que par
O gloire , quelle eft ta puiffance
Sur les coeurs & fur les efprits !
Les arts te doivent leur naiſſance,
Et Bellone fes favoris :
Ton fouffle porte dans nos ames
Ce feu divin , ces vives flammes
Qu'Horace en lui fentoit brûler :
Aujourd'hui tout ici préfage
Qu'avec notre fang d'âge en âge
L'amour des arts va circuler .
Ils naiffent ces hommes utiles ,
Pour qui l'hiftoire a des appas ;
SK
JUIN 1755 . 55
Déja fous leurs plumes fertiles
Revivent d'illuftres prélats * ;
Bientôt , fages dépofitaires ,
Ils nous tranfmettront des myfteres
Qu'il nous eft honteux d'ignorer ;
Et nous verrons dans leur ouvrage ,
Des vertus le fare affemblage ,
Qu'en lui Choifeul ** fait admirer.
Déja l'exacte anatomie ,
L'oeil appliqué fur notre corps ,
De fon admirable harmonie
Nous découvre tous les refforts ;
A jamais , fcience divine ,
Tu feras de la Médecine
La régle fûre & le flambeau ;
Et fi tu ne lui fers de guide ,
C'eft fouvent un art homicide
Qui nous précipite au tombeau.
Ceffez , mortels , ceffez vos plaintes ,
Vous ne fouffrirez pas toujours ,
Les Parques fe verront contraintes
A vous filer de plus longs jours ;
De la Chymie infatigable ,
L'art merveilleux & fecourable
Un des Membres de cette Société travaille à
P'hiftoire des Evêques de Chaalons.
** M. de Choiseul actuellement Evêque de
'Chaalons.
C iiij
56 MERCURE DE FRANCE.
Bientôt adoucira vos maux >
Et rétablira votre force
Par l'alliance ou le divorce
Et des plantes & des métaux.
Raffûrez - vous , veuves , pupiles ,
Vos droits feront mieux affermis
Vous trouverez de fûrs aſyles
Dans les Tribunaux de Thémis :
L'étude , la faine éloquence
En s'armant pour votre défenſe
Feront briller la vérité ;
Nouveaux peres de la patrie ,
Vos Juges , comme Barberie * ,
Feront triompher l'équité.
>
Du regne heureux de ton Augufte
Rome , ceffe de te vanter ;
Sous un Roi plus grand & plus jufte
La France a droit de l'emporter ;
L'ami d'Horace & de Virgile
Fut un Romain prefque inutile ,
Trop renfermé dans le repos :
Digne du fang qui l'a fait naître ,
En lui Clermont nous fait connoître
Et le Mécene & le héros.
Je vois ce guerrier intrépide ,
* M. de Barberie de Saint- Contest de la Chataigneraye
, actuellement Intendant de Champagne.
JÚ IN. 57
1755.
A la tête de nos foldats ,
Braver dans fa courſe rapide
Et les frayeurs & le trépas.
C'eft vainement , lion belgique ,
Que d'un fort prochain & tragique
Tu veux reculer les momens ;
A fa gloire Clermont ſenſible ,
Va bientôt de fon bras terrible
Etouffer tes rugiffemens.
Déja notre héros s'avance :
Quels bruits , quels cris , quelles terreurs !
L'affreufe mort qui le devance ,
Imprime par-tout fes horreurs ;
Namur écrasé fous fa foudre ,
Anvers prêt à tomber en poudre ,
Sont pour lui de trop foibles coups :
Il n'eft point de borne à fa gloire ,
Une plus brillante victoire
L'attend à Lawfeld * , à Raucoux **,
* Village des Pays- bas remarquable par la victoire
que le Roi remporta fur les Alliés le 2 Juillet
1747.
** Nom de lieu près de Liége , célebre par la victoire
complette que le Roi remportafur l'armée combinée
des Anglois , Autrichiens & Hollandois , le
11 Octobre 1746.
Mgr le Comte de Clermont donna dans ces deux
batailles des marques fingulieres de fſon intrépidité
& defa valeur.
Cv
58 MERCURE
DE FRANCE
.
Ceffez , Mufe trop indifcrete ;
Pourquoi rappeller la douleur
Qu'une pitié tendre & fecrete
Portoit jufqu'au fond de fon coeur ?
Ce Prince , au milieu des alarmes ,
Sur les vaincus verfoit des larmes ,
Il n'en paroîtra que plus grand ;
Louis , l'univers contemple
, que
Et Clermont nous font un exemple
Qu'on peut être homme & conquerant.
Par M. Meunier , ' Avocat en Par
lement , & membre de la Société
littéraire de Châlons -fur- Marne.
JUIN. 1755
$ 9
i
1 M. le Comte d'Argenſon , Miniftre
& Secrétaire d'Etat.
BOUQUET.
AH ! que facilement , en marchant fur tes pas ,
On fait de chaque jour autant de jours de fêtes !
J'y vois mille fleurs toujours prêtes ;
Eh ! comment n'en auroit - on pas ?
Tout prend , entre tes mains , les agrémens de
Flore ;
Affable , fans foibleffe , & noble fans orgueil ;
D'un fimple gefte , d'un coup d'oeil ,
D'un feul mot tu les fais éclore .
Avec quelle bonté l'on te voit accueillir
Ceux qui vont implorer le pouvoir falutaire
Dont le meilleur des Rois t'a fait dépofitaire !
Que j'aime , en ces inftans , à te voir recueillir
Du public empreffé l'hommage volontaire ,
Pour les fleurs que tu fais cueillir !
Faut-il faire agir la ſcience
Qui des états régle le fort ?
Tu couvres de fleurs le reffort
D'une fublime intelligence ;
Lors même qu'elle prend l'eflor ,
Tu n'as du courtifan que les graces légeres ;
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
Et fous ces graces étrangeres ,
D'un efprit créateur tu caches le tréfor.
Daignes-tu redefcendre à des chofes moins grandes
?
Dans ta fociété que de charmes vainqueurs !
Nouveaux traits , nouvelles guirlandes ,
Pour orner tes difcours , & pour lier les coeurs.
Que dirai-je de plus pour tracer ton hiſtoire
Sur-tout ce que tu fais les Filles de mémoire
De leur brillant vernis impriment les couleurs ;
Et d'Argenfon vole à la gloire.
Par un chemin femé de fleurs.
JUIN. 1755. 61
LES LUNETTES ET LA CEINTURE.
APOLOGUE.
LA mere des Dieux fut un jour chez la
mere des Graces : qu'alloit- elle y faire ?
la critiquer fans doute ; c'eft affez le rôle
des vieilles auprès des jeunes. Celle- ci
prit néanmoins le prétexte de lire une brochure
nouvelle qu'Apollon venoit d'envoyer
à Citherée. Cette lecture ne rendoit
pas la vifite plus amufante : heureufement
elle fut courte , Cypris fçut l'abréger. Cybelle
en fortant oublia fes Lunettes ; elles
fe trouverent fur la toilette de Vénus , à
côté de cette admirable Ceinture qui renferme
, dit - on , l'art de plaire , & que
Junon emprunte quand elle veut ramener
fon mari volage. La Ceinture fiere des
attributs qu'on lui prête , fe trouva trèsoffenfée
du voifinage . Quoi , dit- elle , trifte
partage de la vieilleffe & de l'infirmité ,
ofez-vous paroître à côté du fymbole enchanteur
de la jeuneffe & des agrémens ?
Doucement , lui répondirent les Lunettes ,
ne fois point fi vaine de quelque foible
fupériorité , ou plutôt de quelques prétendus
avantages ; tu n'es pas ce que tu penfes,
62 MERCURE DE FRANCE.
& nous fommes plus que tu ne crois ; s'il
eft entre nous quelque différence , d'où
provient- elle de celles à qui nous appartenons.
Ce font les charmes de Vénus qui
t'embelliffent , & c'eft la vieilleffe de Cybele
qui nous dégrade ; mais s'il fe peut
qu'un jour , comme nous ne defefpérons
pas d'y parvenir , la jeuneffe imagine de
nous mettre à la mode , & qu'elle gagne à
te quitter , de quel côté fera l'avantage ?
Le beau fexe dans fon printems communique
fes graces à tout ce qu'il touche , &
fans lui les plus jolies chofes n'ont plus
d'agrément. Tu ferois mauffade autour de
la vieille Cephife , & nous ferions charmantes
fur le nez de la jeune Cloé.
Moralité.
Il en eft du moral comme du phyfique .
La fortune fied au mérite , & révolte dans
la fatuité. L'adverfité fait briller la vertu ,
& paroître la laideur du vice.
JUIN. 1755. 63
VERS
Aux Habitans de Lyon *.
IL eft vrai que Plutus eft au rang de vos Dieux ,
Et c'eſt un riché appui pour votre aimable ville ;
Il n'a point de plus bel afyle :
Ailleurs il eſt aveugle , il a chez vous des yeux.
Il n'étoit autrefois que Dieu de la richeſſe ,
Vous en faites le Dieu des arts :
J'ai vu couler dans vos remparts
Les ondes du Pactole & les eaux du Permeffe.
* On les attribue à M. de V.
64 MERCURE DE FRANCE.
VERS
A Mile Puvigné , danfant en Hébé dans
l'Opera de Caftor & Pollux.
Pollux
Ollux va quitter l'Empirée ,
Et ravir fon frere au trépas.
Hebé , pour retenir les pas ,
Opofe à fa vûe égarée
Ses careffes & les apas ;
Le teint coloré de l'Aurore ,
Les regards de Vénus , les pas de Terpficore ,
Et la décence de Pallas.
Il s'émeut , il s'arrête , il contemple , il admire ;
Il fuit , il revient , il foupire ,
Il s'attendrit ; Caftor eft oublié :
N'en rougis point , Hebé te juſtifie .
Que vois-je tout- à- coup le Héros facrifie
Le plaifir au devoir , l'amour à l'amitié ;
Il cache des regrets qu'il ne fçauroit contraindre.
Digne à la fois d'eftime & de pitié ,
On doit le louer & le plaindre.
Mais quoi l'objet qui l'avoit enchaîné ,
N'eft point une Déeffe ,
C'eft la charmante Puvigné ,
Cette Danfeuſe enchantereffe ,
Qui par fes doux regards & fes talens divers ,
JUIN. 1755. 65
Etonne , ravit , intéreffe
Paris , la France & l'Univers.
Sur fes levres l'amour reſpire ;
Ses bras forment de tendres fers ;
Et je vois à fes pieds les aîles de Zéphire.
Des Graces elle a le fourire ,
Le port & la légereté ;
Elle peint le defir , même la volupté ,
Sans reffentir ce quelle infpire.
Pollux à tant d'attraits a-t- il dû réſiſter ?
A-t-il pû t'immoler à l'amour fraternelle ?
Non , Puvigné , je dois le détefter ,
Et tu rends à mes yeux fa vertu criminelle .
Mais par fa fuite & fes dédains ,
Si ta beauté fut outragée ,
Choifis entre tous les humains
Par qui tu veux être vengée.
Mailbol.
LE mot de l'Enigme du Mercure de Mai
eft le Grain de bled ou d'orge. Celui du
Logogryphe eft Abfolution , dans lequel on
trouve bâton , Toul , Bofton , Bias , oifon , os,
taon , Nil , Ine , ut , fi , la , fol , Toulon ,
Solon , butin.
66 MERCURE DE FRANCE.
Ce n'eft
ENIGM E.
E n'eft pas par utilité
Que l'on m'a donné la naiffance ,
Et ce n'eft qu'à la nouveauté
Que Paris doit mon existence.
Le François toujours curieux
De nouveautés , de bagatelles ,
Me vit comme un préfent des Dieux :
Enfin pour couronner mes veux ,
Je paffai bientôt chez les belles ,
Et je fçus orner leurs attraits .
Mais je connois trop le François
Pour m'enorgueillir de ma gloire ;
C'eft dans le fein de la victoire
Que je dois redouter. fes traits.
Un fuccès que l'on croit durable
Souvent s'éclipfe en un feul jour ,
Et l'aifance que j'eus à fupplanter le diable ,
Me fait craindre un pareil retour .
Par M. S ... an de S. V.
JUI N. 1755. 67
LOGOGRYPHE.
Dans la belle faifon je commence à paroître ,
Très-fouvent malgré moi je me fais reconnoître';
Je plais à tous les coeurs , fimple dans mes atours ;
Et quoique je me cache , on me trouve toujours.
J'offre du corps humain une belle partie ;
Et que fi l'on tranchoit , on trancheroit la vie :
A tout Muficien un utile inftrument ,
Néceffaire à la None , un modefte ornement ;
Une épithete propre aux chofes méprifables ;
Ce qu'on craint tous les jours dans des bois redoutables
;
Le trône du fommeil , où nos chagrins , nos maux
Jouiffent avec nous d'un fortuné repos :
Une chofe en tout tems dont chacun fait uſage
Ce qui fçait maintenir un peuple trop volage ;
Ce que tous les mortels cherchent à conferver.
Mais je m'amufe trop . L'on peut bien me trouver,
Je marche fur huit pieds . Dans cet inſtant peutêtre
,
Sous res pas , fous tes yeux , Lecteur tu me vois
naître .
68 MERCURE DE FRANCE .
ENIGM E.
Lecteur , mon portrait reffemblant
Et l'eau qui dort fans être trouble ;
Etre fincere eft món talent ,
Et j'ai celui de rendre double.
Par M. de Bilhevot de Saint- George ¿
Moufquetaire noir. A Crépy en Valois.
LOGOGRYPHE.
TElsfont grand cas de moi qui n'en font pas
meilleurs ;
Je fers au vrai dévot , je fers à l'hypocrite :
Mon nom eft fort connu tant à Rome qu'ailleurs ;
Mais à Geneve , hélas ! que devient mon mérite
Faifons trêve à la plainte , & parlons de mes fils :
L'un d'eux , quoiqu'invifible , eft pire que la
peſte :
Un fecond , fans quartier , mange fes ennemis :
Un tiers compte pour rien toute la cour célefte.
Continuons , Lecteur , je ne fuis pas au bout ;
Mes dignes rejettons paffent la cinquantaine :
Tiens , prens , avec cela va fervir un ragoût ;
L'hôte eft un vieux Gaulois aux rives de la Seine,
JUIN. 1755: 69
Cherche encor , tu verras un fleuve fouterrein :
La Reine d'un Empire où chacun trouve place ,
D'un Monarque François l'aggreffeur inhumain ,
Et le furnom d'un Roi très - fameux par fa race.
Un utile arbriffeau commun dans le Levant :
Une voyelle en grec , en hébreu quatre lettres :
Un mixte plein d'odeur , léger comme le vent ,
Qu'en vain mefureroient vos plus grands Géométres,
Ce que l'on n'aime point à voir fur ſes habits :
Dans le calendrier un mot de grand uſage ;
Cet agréable effet que produit un rubis ,
Ce qui change en été la couleur du visage.
Un Poëte excellent , la gloire de Lefbos :
L'attribut d'une voie au haut des cieux tracée ;
Lieu qui frappe de loin les yeux des matelots :
Jeu de force où Hyacinthe eut la tête caffée .
Un Pape , en fa croyance auffi ferme qu'un roc :
Une pierre où Phébus aiſément s'infinue :
Une ville en Provence , une autre en Languedoc ;
Plus une chez les Turcs , des marchands bien
connue .
Ce qu'un pauvre ſujet peut préſenter au Roi ;
Ce qu'on donne au foldat , ce qu'il veut faire en
marche :
Ce que paroît un homme étant faifi d'effroi
70 MERCURE DE FRANCE.
Et ce qui dans un pont arrête ou ferme l'arche.
La Vierge qu'à la foi Paul lui- même affervit :
Une table , de fang , de carnage couverte :
L'amant qui fous les eaux fa Nymphe pourſuivit :
La maligne Déeffe , encline à votre pérte .
Une picce affez longue , en terme de blafon :
Un homme fans honneur , l'ouvrage d'un Notaire
;
Un ornement d'Eglife , un mets , une ſaiſon ,
Un meuble de jardin , une herbe potagere.
L'un de ces trois arrêts dont frémit Balthafar ,
Ce pere à qui Jafon cauſa tant de traverſes ,
Le chaffeur que
Ville
grecque
l'aurore attiroit dans fon char :
fatale à deux cens mille Perfes.
Ce que jamais Grandier ne fit avec Satan :
Lieu public , amas d'eau où vogue une nacelle :
Un vêtement gafcon ; & ce , dit la mainan ,
Qu'on voit la nuit en perche & le jour en échelle .
CHANSON.
Air.
peu lent,Gratieusem ?
Maman, vous me dites sans cesse
OX
De nepoint Aimer de Berger:
J'en connois assez le danger,
Pour vaincre en moi cette foiblesse
Mon Coeur soupire près d'hylas ,
Mais, Mamanje ne l'Aime pas .
La Musique est de M. Rousseau
de Versailles, Les paroles de M.M.
Juin 1 Vol.1755 .
JUIN.
1755. 71
CHANSON.
M Aman , vous me dites fans ceffe
De ne point aimer de Berger ;
J'en connois affez le danger ,
Pour vaincre en moi cette foibleffe :
Mon coeur foupire près d'Hylas ;
Mais , Maman , je ne l'aime pas.
De fleurs il orne ma houlette
Moi j'en décore fon chapeau ;
Si j'ai quelque ruban nouveau ,
Je cours en parer fa mufette :
C'eft pour lui feul que j'en fais cas ;
Mais , Maman , je ne l'aime pás.
Où ce Berger ne peut pas être ,
J'ai l'air ou diftrait , ou rêveur ;
J'éprouve une douce langueur
Si -tôt que je le vois paroître.
Je veux fuir , il retient mes pas ;
Mais , Maman , je ne l'aime pas.
£1.
72 MERCURE DE FRANCE.
Pour vous obéir je l'évite ;
Mais lorsque malgré moi mon chien
Conduit mon troupeau vers le fien ,
Il rêve , je refte interdite :
Je rougis de notre embarras ;
Mais , Maman , je ne l'aime pas .
Il me prend la main , il foupire ;
Moi , pour fuivre en tout vos leçons ,
J'éloigne auffi-tôt mes moutons ;
Mais pendant que je me retire ,
Je regarde s'il fuit mes pas ;
Mais , Maman , je ne l'aime pas.
33
J'ai mille chofes à lui dire
Les jours que je ne le vois point ;
Et quand nous fommes fans témoin ,
Ma voix fur mes levres expire,
Dieux que ce filence a d'appas !
Mais , Maman , je ne l'aime pas.
O Life , quelle erreur extrême !
Vos yeux , votre air , tout vous dément ;
Et vous aimez aſſurément ....
Oui , fi c'est ainsi que l'on aime.
L'Amour me tenoit dans fes lacs ;
Mais , Maman , je n'y penfois pas.
Me ....
ARTICLE
JUIN. 17551 78
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
EXTRAIT
Des Ouvrages lus à l'Assemblée publique dé
la Société Littéraire de Clermont en Au
vergne , le 24 Août
}
1754.
Léloges de M. de Chazerat , premier
A féance fut ouverte par la lecture des
Préfident de la Cour des Aides de cette
ville , & de M. Roffignol , ancien Intendant
d'Auvergne , affociés honoraires de
cette Académie . Ces deux éloges font les
premiers qui ayent été lûs depuis l'établif
fement de la Société. MM . de Chazerat
& Roffignol avoient par leur goût pour les
fciences fait revivre en Auvergne celui
des lettres & des arts ; ils avoient préfidé
& contribué de tout leur pouvoir à la formation
de cette Société , & c'eft à leur cré
dit qu'elle eft redevable de la permiffion
que fes Membres ont obtenu de s'affembler
régulierement.
I. Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE.
Ces derniers traits par où ces dignes
Académiciens avoient mérité notre reconnoiffance
, ont caractérisé leurs éloges .
L'Auteur n'a cependant pas négligé de
rendre aux vertus & aux actions mémorables
de ces illuftres Académiciens , le tribut
de louanges qui leur eft dû. Cette lecture
fut fuivie d'un Mémoire fur l'ancienneté
& les dimenſions du pont de vieille Brioude
, fitué fur la riviere d'Allier en Auvergne
, par M. Dijon. Une tradition mal fondée
attribuoit aux Romains la conſtruction
de ce pont .
M. D. prouve par la comparaifon des
édifices qui nous reftent du tems des Romains
avec celui- ci , la fauffeté de ce fentiment
: on n'y trouve point , dit-il , la
même force , l'élégance , la grandeur de
P'échantillon des pierres , ou les mêmes
beautés d'appareil qui regnent dans le pont
du Gard , les antiquités de Nîmes , &c.
Il produit enfuite un prix fait , donné en
1434 par les habitans de vieille Brioude
pour la conftruction de ce pont. Les dimenfions
portées au prix fait , ne font pas , il eſt
vrai ,les mêmes qu'on a fuivi dans l'exécution
; M. D. en remarque la différence &
les défigne telles qu'il les a prifes.
L'arche du pont de vieille Brioude , la
plus grande du Royaume , forme un fege
JUIN. 1735.
75
ment de cercle , dont la corde a 172 pieds
de longueur , fur 66 de fléche ou montée.
Ce pont a 15 pieds 3 pouces d'une tête à
l'autre , & 13 pieds de paffage entre les
deux parapets ; il eft fondé fur le roc aut
niveau des baffes eaux du côté de la campagne
, & un pied au deffous des baffes
caux du côté de vieille Brioude.
M. D. traite des différentes pierres qui
ont été employées à la conftruction de
Farche , du lieu de leurs carrieres , de leur
qualité , de l'état où elles fe font confervées.
Quand on examine le pont de vieille
Brioude , dit M. D. on eft plus furpris de
la grandeur de l'arche & de la hardieffe de
l'entrepriſe que de la conftruction on
remarque qu'il eft bâti fans art ; mais qu'il
devoit y en avoir beaucoup dans la forme
des ceintres , dont un deffein fatisferoit
plus les amateurs des conftructions ancien
nes que le deffein même du pont ; mais
les recherches ont été inutiles.
M. de Saint-Victor lut enfuite un Mé
moire fur la vie & les oeuvres de J. Savaron
, Préfident-Lieutenant général en la
Sénéchauffée Siege Préfidial de Clermont ,
Magiftrat connu de tous les Sçavans , & .
cité dans les ouvrages de plufieurs , fous
les noms de docte , très-docte , grand Sava-
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
ron ; iffu d'une famille des plus anciennes.
de Clermont , & qui dans tous les tems lui
avoit rendu des fervices très - effentiels .
Jean Savaron né à Clermont le 30 Décembre
1566 , fut éleve de Cujas dans l'Univerfité
de Bourges ; & après avoir occupé
différentes Charges , fe rendit fi illuftre
dans la Magiftrature , que Henri IV l'enleva
à la Cour des Aides pour le mettre à
la tête du Préfidial de Clermont ; & pour
F'engager à accepter cette Charge , lui fit
grace de la moitié du prix.
M. de S. V. met dans tout fon jour la
gloire que lui acquirent fa députation aux
Etats convoqués en 1614 ; fon commerce
avec les fçavans de fon fiecle , & fur- tout
la confiance qu'eurent en lui les deux Reines
: il fait entrevoir que ce grand homme
ne contribua pas peu à la donation que fit
Marguerite de Valois du Duché d'Auvergne
en faveur du Dauphin de France . II
admire en même tems fon defintéreffement
, en confiderant le peu d'avantage
qu'il a retiré pour fa famille du crédit
que lui avoit acquis une eftime générale.
L'article le plus intéreffant eſt celui où
M. de S. V. traite des ouvrages que nous
avons de M. Savaron. Dans les uns , il regne
une profonde érudition ; dans les autres
, les principes de la plus faine politi
JUIN. 1755 . 77
.
1
que ; dans tous de l'efprit , du goût & de
la délicateffe. Il feroit trop long de fuivre
M. de S. V. dans un plus grand dérail . Jean
Savaron mourut le 30 Décembre 1622 .
Ce Mémoire fut fuivi de la lecture du
Profpectus d'une hiftoire naturelle particuliere
à l'Auvergne , que M. Ozy , Membre
de la Société , fe propoſe de donner
dans quelque tems au public.
L'hiftoire naturelle , dit M. Ozy , eft
une fcience à laquelle il eft bien difficile
de refufer fon attention . Les perfonnes du
plus haut rang , les Princes , les Rois même
, ne la regardent pas comme indigne
de leurs amuſemens ; & fi les devoirs de
leur état ne leur permettent pas d'en faire
une étude particuliere , ils procurent à
ceux qui en font leur occupation
moyens d'y faire des progrès , & excitent
par leurs libéralités l'ardeur & l'émulation.
les
Après un avant - propos analogue aux
richelles qu'offre l'Auvergne au curieux
Naturalifte , M. Ozy entre en matiere , &
divife en trois parties l'objet de fes travaux,
le regne animal , le regne végétal & le regne
minéral.
Le regne animal comprend les animaux
domeftiques & fauvages . Je ne parlerai ,
dit M. Ozy , des premiers que pour enfei-
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
gner
d'en retirer de nouveaux
les moyens
avantages ; quant aux feconds , je me bornerai
à ceux qui font plus rares & qui n'ha
bitent que certaines contrées : ils fe divifent
en quadrupedes , reptiles , aquatiques ,
amphibies & infectes .
Dans les quadrupedes , je parlerai des
martres , hermines , & autres que j'ai remarqués
fur les montagnes d'Auvergne.
Dans les reptiles , je ferai mention des différentes
efpeces de lézards , des ferpens &
des falamandres. }
Dans les volatils , je comprendrai les
aigles , les faucons , les vautours , les ducs ,
& les diverfes efpeces d'épervier. Dans la
claffe des aquatiques , je traiterai des moucles
que j'ai obfervé dans quelques rivie
res , & particulierement de celles qui renferment
des perles qui ne le cedent point
en beauté à celles qu'on tire d'orient .
Dans le genre d'amphibies , je ne vois
que les loutres qui foient connues en Auvergne
.
Les infectes dont les différentes efpeces
font extrêmement nombreuſes dans cette
Province , me fourniront l'occafion de
quelque découverte. Je m'attacherai principalement
à ceux dont les fingularités.
m'auront parus les plus remarquables &
dignes d'attention .
JUIN. -17535 79
Dans le regne végétal , je ferai mention
des arbres , arbriffeaux , arbustes , & autres
plantes répandues tant dans nos monta
gnes , que dans la partie de l'Auvergne
connue fous le nom de Limagne. Je citerai
les afpects , les hauteurs des lieux , la diftance
ou l'approximation des pays connus.
Je raffemblerai , s'il m'eft poffible , dans
un jardin , les dépouilles de la Province ;
la facilité de les connoître en infpirera le
goût cette noble émulation paffera des
grands jufqu'aux peuples , & les bergers
rendus induftrieux , pourront dans leur
loifir faire des récoltes utiles , à l'exemple
des Suiffes & de quelques autres nations.
2
Ce jardin fera une provifion toujours
préfente , propre à réparer les pertes du
jardin royal , & pourra même l'enrichir de
nouveaux tributs.
Enfin dans le regne minéral , je traiterai
des divers métaux que notre terre renferme
dans fon fein ; je ferai divers effais de
chacun en particulier ; je rendrai compte
du produit des mines d'argent , de cuivre ,
de fer , de plomb , des fables chargés de
pailletes d'or , que les courants dépofent ,
& de quelques fables fouterreins
des mêmes richeffes..
pourvus
Je n'oublierai pas les mines d'antimoine
très abondantes dans cette Province , &
j'en rapporterai les produits.
Div
80 MERCURE DE FRANCE,
là
Les pierres propres à bâtir méritent auffi
l'attention des Naturaliſtes ; j'indiquerai les
moyens de les connoître : on évitera
par
les inconvéniens d'employer des pierres
bituminufes , fulfureufes & vitrioliques ,
ou qui peuvent tomber en effervefcence .
Je ferai mention des différens marbres ;
granits , porphyres , des grès , pierres à
chaux , plâtres , bols , des craies , marnes ,
& de la pierre fpéculaire .
Je m'attacherai principalement aux pierres
précieuſes , comme grenats , topazes ,
amétiftes , éméraudes , cryſtal de roche &
autres cryftalliſations .
Je parlerai des ftalactites & felenites
qu'on trouve dans divers fouterreins & en
plein air , des pierres d'azur , des pierres
figurées , des ardoifes , des amiantes , des
cailloux , des quarts , des différentes pétrifications
, foit animales , foit végétales ;
des terres vitrioliques & fulfureufes , des
mines de charbon de terre , des bitumes ;
& nommément de celui qui découle d'un
monticule connu fous le nom de Puits de
la Poix .
J
Je ferai mention de plufieurs montagnes
creufes qu'on peut foupçonner avec beaucoup
de vraisemblance d'avoir été les foyers.
d'anciens volcans ; les différens fables criblés
& calcinés jufqu'à vitrification qu'on
JUIN. 1755. 8I
*
trouve dans les environs de ces montagnes ,
& les blocs immenfes des rochers qui ont
fouffert une parfaite fufion , font des témoi
gnages encore fubfiftans des éruptions &
des projections de ces fourneaux naturels.
Je n'oublierai point les eaux minérales
qu'on voit jaillir de toutes parts dans cette
Province ; les bains des Monts d'or , les
eaux de la Magdeleine , de la Bourboule ;
celles de Vic- le- Comte , de Vic en Carladais
, de Saint-Mion , de Saint-Pierre près.
Clermont de Jaude , de Saint- Marc , de
Saint-Allire , & principalement la fameuſe
ftalactite fi connue fous le nom de pont
de pierre ; j'expliquerai le méchanifme de
fa formation. Je parlerai enfin de toutes
les eaux de la Province qui méritent une
forte d'attention , & j'y joindrai une analyfe
exacte de chacune en particulier.
Je décrirai le cours des rivieres qui arrofent
cette Province ; je ferai connoître les
eaux qui font les plus propres pour les
reintures , & je rendrai compte des expériences
que j'aurai faites fur cette matiere.
Les cavernes & les fouterreins feront in
diqués , & nommément ceux qui fervent
de caves aux habitans de Chamailleres ,
d'où s'exhale une vapeur fuffoquante fur
Laquelle j'ai fait des expériences curieufes ..
Je n'oublierai point les glacieres natu
Dy
82 MERCURE DE FRANCE
relles , nommées communément les fon
taines glacées.
M. Özy lut enfuite une differtation fur
le ver lion ; il en donne la deſcription , &
rapporte exactement les diverfes obfervations
qu'il a faites fur cet infecte ; fa maneuvre
pour pourvoir à fes befoins , & fes:
différentes métamorphofes . Une multitude
de circonftances intéreffantes ornent l'hiftoire
du ver lion ; mais l'induftrieux Naturalifte
fe promet encore de nouvelles .
découvertes de la fuite de fes obfervations ;
ce qui l'a engagé à ne point finir fa differtation
.
La féance fut enfin terminée par l'extrait
des différens ouvrages lûs dans le cours de
l'année aux Affemblées particulieres de la
Société , & des obfervations fur divers :
phénomenes apperçus depuis la derniere
Affemblée publique..
7
JUIN. -x755 . 83
EXTRAIT DE L'ELOGE
DE M. D'ONS- EN- BRAY ,
Prononcé le 13 Novembre 1754 , par M.
de Fouchy , Secrétaire de l'Académie des
Sciences.
Quis-Léon Pajot , Chevalier , Comte
Ldons- en-Bray ,naquit à Parisleas
Mars 1678 de Léon Pajot , Comte d'Onsen-
Bray , Directeur général des poftes &
relais de France , & de Marie Anne Rouillé
, tante de M. Rouillé , Miniftre & Secrétaire
d'Etat. Son ayeul avoit été envoyé
par la Reine , mere de Louis XIV , en
Efpagne , où il fut retenu quatre ans prifonnier.
Si les peines attachées aux en-
» fans deshonorent la poftérité de ceux qui
les éprouvent , pourquoi ne compteroiton
pas au rang des titres d'honneur les
difgraces qui n'ont leur fource que dans
» le zele avec lequel on fert fon Roi & fa
patrie ?
»
"
Il fit fes études au College des Jéfuites:
de Paris ; mais un mal d'yeux confidérable
dont il fut attaqué pendant fa rhétorique
obligea de le rappeller , à la maifon
nelle
ord så mot
Divis
pater
84 MERCURE DE FRANCE.
Pendant le cours de cette maladie , M.
Quent , homme habile qu'on avoit mis auprès
de lui , imagina de l'occuper d'une
fcience à laquelle les fens extérieurs font
fouvent plus nuifibles qu'utiles , de l'étude
de la philofophie . Il faifoit lire auprès de
lui les principes de celle de Defcartes , &
la meilleure preuve qu'on puiffe donner
qu'il en avoit fait dès lors un Philofophe
eft la reconnoiffance qu'il eut des foins de
cet habile maître. La vraie philofophie tend
encore plus à enrichir le coeur de toutes.
les vertus qu'à orner l'efprit de nouvelles
connoiffances .
Au fortir de cette maladie , il alla
voya
ger en Hollande . La vûe des grands hom
mes que cet état poffédoit alors, des collections
curieufes & fçavantes qu'ils y avoient
faites & des applications ingénieufes qu'il
y voyoit continuellement faire de la més
chanique , le rendirent encore plus Philos
fophe & plus Méchanicien , & ce fut là
qu'il forma le premier projet de ce cabinet
qu'il a depuis rendu fi célebre.
Il ne l'exécuta cependant pas auffi-tôt
après fon retour. Les occupations attachées
à la place de Directeur général des poftes
aufquelles M. fon pere l'engagea à fe livrer ,
ne lui laiffoient que peu de momens:
libres , mais ce peu de momens étoient
JUIN. 1755.
foigneufement ménagés pour ce qu'il
aimoit.
❤
M. d'Ons- en -Bray perdit fon pere en
1708 , & il lui fuccéda dans fa place ; mais
ce qui tourne plus à fa gloire , quoiqu'il
n'eut alors que vingt neuf à trente ans ,
Louis XIV lui accorda fa confiance ; il le
chargea de plufieurs affaires dont il lui
rendoit compte indépendamment des Miniftres
, & le fit appeller dans fa derniere
maladie pour cacheter fon teftament avant
de l'envoyer dépofer au Parlement. Il jouit
de la même confiance fous la Régence de
feu M. le Duc d'Orléans. Lorfque ce Prin
ce créa les charges d'Intendans des poftes ,
il en donna une à M. d'Ons - en - Bray , &
le public eft informé de l'exactitude avec
laquelle il s'en est toujours acquitté.
Dès qu'il s'étoit vu fon maître , il avoit
travaillé à exécuter le projet qu'il avoit
formé en Hollande ; mais comme d'un côté
les devoirs de fa charge , & d'autre part
les vifites continuelles aufquelles il étoit
expofé à Paris ne lui en laifoient pas le
loifir , il réfolut de fe dérober à celles- ci ;
ne pouvant ni ne voulant fe fouſtraire à
fes devoirs , il choifit pour ce deffein une
belle maifon qu'il avoit à Berci . Cet endroit
affez près de Paris , pour
lui
tre d'y paffer tous les momens qu'il avoit
permet86
MERCURE DE FRANCE.
de libres , en étoit cependant affez éloigné
pour écarter les vifites importunes. Il facrifia
la plus grande partie de cette maiſon
aux cabinets qu'il y vouloit former , y établit
un jardin de plantes & une orangerie ,
& fit de cet endroit un des plus agréables
afyles que la philofophie ait jamais habités
; il y venoit paffer tout le tems dont il
pouvoit difpofer , & y attiroit autant qu'il
pouvoit les Académiciens les plus célebres
; le P. Sebaſtien étoit du nombre , &
M. Geoffroy a conduit quatre ans fon laboratoire.
La route que fuivit M. d'Ons- en-
Bray l'approchoit néceffairement de l'Académie
: il y obtint en 1716 une des deux
places d'honoraires que le Roi venoit d'y
établir par le nouveau réglement il y
étoit extrêmement affidu , & prenoit part
à prefque toutes les matieres qui s'y traitoient
les fciences font trop liées les unes
aux autres , pour que le cabinet ne profitât
extrêmement de cette affiduité.
pas
Quoique M. d'Ons- en- Bray ne fût affujetti
par fa place à aucun travail acadé
mique , on a de lui plufieurs mémoires im
primés , entr'autres la defcription d'une
machine pour battre la meſure de tous les
airs , d'une maniere fixe & indépendante
du caprice des Muficiens ; des recherches:
fur les mefures des liquides , qu'il fit à la
JUIN. 1755
87
réquifition du Corps de ville de Paris :
mais ce qu'il a donné de plus fingulier , eft
fon anémometre , ou inftrument propre à
mefurer la force & la direction du vent ;
les inftrumens ordinaires ne font que des
corps purement paffifs , dont l'obfervateur
eft pour ainfi dire l'ame on pourroit
prefque dire que M. d'Ons- en- Bray a donné
de l'intelligence à fon anémometre ;
l'inftrument fçair obferver lui - même &
écrire fes obfervations : les ftatues immortelles
de Vulcain fi bien décrites par Homere
, n'en fçavoient peut- être pas davantage
.
Le cabinet qu'il avoit entrepris étoit
cependant fa principale occupation ; il
l'avoit déja rendu fi riche & fi complet
dès 1717 , que peu de Seigneurs étrangers
venoient en France fans le vifiter ; il y reçut
le Czar Pierre I , l'Empereur à préſent
regnant , & le Prince Charles de Lorraine ,.
le feu Electeur de Baviere , le Roi de Pologne
, Duc de Lorraine , les Princes de-
Saxe Kaubourg & de Saxe - Gotha , & enfin
les deux Ambaſſadeurs du Grand Seigneur
, Meheniet & Saïd- Effendi , qui en
fortirent pleins d'une admiration ,, d'autant
plus flateuſe pour M. d'Ons - en - Bray , que
*
Voyez les Mémoires de l'Académie. 17344.
p. 123.
$ 8 霉
MERCURE DE FRANCE.
ces deux Seigneurs , & fur-tout Saïd- Pacha
, étoient en état d'en connoître tout le
prix.
Dans ces occafions , M. d'Ons- en - Bray
faifoit parfaitement les honneurs de fa
maifon ; il y donnoit des repas magnifiques
& des fêtes élegantes : c'étoit un peu
de pris fur ce tems dont il étoit fi bon menager
, mais c'étoit pour l'honneur des
fciences & de la philofophie , & rien ne
lui coûtoit pour leur acquerir des profélites
ou des protecteurs.
Il ne négligeoit ni n'épargnoit rien
pour remplir fon cabinet de piéces inté
reffantes. Mais ce qui rendoit cette collection
plutôt finguliere que la premiere
de ce genre , étoit l'immenfe quantité
de piéces de méchanique dont il Pavoit
ornée , & parmi lefquelles il y en avoit
plufieurs de fon invention . Dans le nombre
de ces dernieres fe trouve un morceau
fingulier des élémens de géométrie tout en
machines ; il avoit imaginé cette finguliere
façon de démontrer , pour faciliter au Roi,
encore enfant , l'étude des Mathématiques.
Les meilleurs élémens qu'il eût pûr donner
en toute autre occafion , n'euffent fait
voir que fa capacité , ceux - ci font unt
preuve fubfiftante de fon attachement pour
fon Roi on laiffe aux coeurs françois
JUIN. 1755. 89
à décider qui des deux mérite la préférence.
Il avoit reçu de feu M. le Duc d'Orléans
, Régent , plufieurs vifites. Ce Prince
fe plaifoit extrêmement dans les cabinets
de M. d'Ons -en- Bray , & il voulut les orner
du célebre verre ardent conftruit par
M. de Tfchirnhauz , dont il lui fit préfent ;
ce Prince auroit eu de la peine à en choi
fir un qui pût lui être plus agréable .
Dans ce même lieu où il recevoit les
plus grands Princes , il recevoit auffi , &
peut-être avec plus de plaifir , les Philofophes
, & fur- tout les Académiciens fes
confreres : il fe délaffoit avec eux de fes
travaux , & puifoit dans leur entretien des
idées pour en entreprendre de nouveaux ;
c'eft ainfi qu'il a paffé tout le tems de fa
vie : toujours citoyen , toujours Académicien.
Dès le mois d'Octobre 1753 , il fut attaqué
d'une maladie , qu'il ne regarda d'abord
que comme une éréfipelle ordinaire
mais qui dans peu devint une éruption vio
lente ; il fentit lui -même le danger de fon
état ; & après avoir pris les précautions
que la religion exigeoit de lui , il voulut
donner au public & à l'Académie une derniere
marque de fon attachement . Il fit
propofer au Roi d'accepter le don qu'il
96 MERCURE DE FRANCE.
vouloit faire à l'Académie de fes cabinets ,
mais fous des conditions qui tendent toutes
à rendre ce préfent plus utile au public
; car malgré fon attachement pour cette
Compagnie , le bien public lui étoit encore
plus cher , & l'Académie n'a garde
de blâmer en lui ce fentiment , duquel elle
fe pique elle- même. Le Roi fentit toute la
générofité de M. d'Ons- en - Bray , & non
feulement accepta le don qu'il vouloit
faire , mais encore fe chargea de le loger
au Louvre , & de pourvoir à tout ce qui
feroit néceffaire pour l'entretenir , & mettre
le public en état d'en profiter . Auffi- tôr
que M. d'Ons-en-Bray fçut cette nouvelle ,
il fit un codicille , par lequel il légue fes
cabinets à l'Académie , & prefcrit les conditions
aufquelles il fait ce don ; il ne s'oc
cupa plus après cela qu'au moyen d'aug
menter le préfent qu'il venoit de faire à
l'Académie, & mourut le 22 Février 1754,
âgé de près de foixante- feize ans .
Toute fa vie a été une pratique exacte
& conftante de l'équité naturelle . Pendant
tout le tems qu'il a été à la tête des poftes ,
aucun Commis n'a pu fe plaindre d'avoir
été renvoyé par caprice. Une commiffion
fous lui étoit prefque pour d'honnêtes
gens un héritage ; il étoit bon maître
mais il ne fouffroit pas qu'on lui man
JUIN. 1755. 91
quât , ayant d'ailleurs toutes les attentions
poffibles pour fes domeftiques : il faifoit
de grandes charités ouvertement & par les
mains de fes Curés , mais il y en avoit
d'autres dont il fe réſervoit la diftribution,
& qu'il faifoit fecrettement pour éviter
cette cruelle maniere de foulager les malheureux
en bleffant les fentimens qui furvivent
fouvent dans les coeurs bien placés
aux dignités & à la fortune.
Il a fait par teftament fon légataire univerfel
M. le Gendre , Lieutenant général
des armées du Roi , frere de feu M. le
Préfident le Gendre , fils de M. le Gendre,
fucceffivement Intendant de Montauban
de Pau & de Tours , & d'une foeur de M.
d'Ons-en- Bray.
Sa place d'Académicien honoraire a étéẻ.
remplie par M. le Maréchal de Lowendal
92 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE fur la Chronique fcandaleuſe ,
qui fe trouve dans le fecond volume des
Mémoires de M. l'Abbé d'Artigny.
'AUTEUR des mémoires que vous
L'avez envoyé ne doitpas fe plaindre
de la rareté des Goujet & des La Monnoie
, puifqu'il trouve dans foi-même dequoi
y fuppléer. Il a fçu réconcilier l'érudition
avec les graces , & lui prêter cet air
aifé & délicat , qui a fait lire l'Histoire
des Oracles de l'ingénieux Fontenelle .
Cependant je vous avouerai qu'il y a
quelques articles dans fon livre qui demanderoient
une plus grande étendue :
par exemple , dans la chronique fcandaleufe
des fçavans , il a omis plufieurs
combats littéraires. Tel eft celui de Jufte
Lipfe , avec un faifeur de dialogue ( a )
( c'eft ainfi qu'il appelle fon adverfaire ) ;
ce démêlé eft d'autant plus curieux que
l'imitateur de Séneque n'y fait pas paroître
la douceur qu'il avoit , felon MM . Huet
(b ) & Balzac ; car voici fon début. [ Ofe-
( a ) Adverfus dialogiftam liber de unâ religione,
in quo tria capita libri politicorum explicantur ,
Lug. Hug. à Porta , 1592. in- 12 .
(b) Huctiana... Socrate Chrétien.
JUIN. 1755. 93
rai- je entrer en lice avec un turbulent & un
inquiet , qui écrit plutôt par rage que par
raifon , & qui , comme ces gros mâtins ,
ne ceſſe jamais d'aboyer ? Que je le vainquiffe
ou que j'en fuffe vaincu , je ne pourrois
que me deshonorer .... C'eſt un inconnu
, ou , difons mieux , fes fottifes l'ont
fait connoître ..... En l'humiliant je lui
donne du relief.... Qui lira fon ouvrage
fi je ne le critique ? ... Son ftyle n'eft que
galimathias & verbiage , il l'a emprunté
de la canaille .... Je craindrois de fouiller
mon ouvrage , fi fon nom s'y trouvoit
une feule fois . ] Dans le corps de la réponſe
les mêmes déclamations reviennent à chaque
page ... Son adverfaire eft un ftupide
un infenfé , un homme fans front ,
un impie il finit en lui difant que
bon fens n'eft pas le fruit de la vieilleffe ,
après avoir fait l'apologie de fes invecti
ves par le paffage de Tertullien , dont fe
fervoit M. Arnaud pour excufer les douceurs
que fa charité lui arrachoit.
>
le
On ne doit pas être furpris que Jufte
Lipfe invective avec fi peu de ménagement
; en poffeffion du Triumvirat (c) de
la République des Lettres , il ne peut pas
fupporter qu'on l'attaque une feule fois ;
(c) Teiffier , hommes illuftres de Thou , art
Jufte Lipfe , to ent
94 MERCURE DE FRANCE:
la rareté du mépris ne le lui rend que plus
fenfible. Il ne veut pas faire grace aux poin
tes qui fe préfentent fous fa plume , ignorant
peut-être que c'eft fe venger contre
foi-même que de noircir nos ennemis par
de fauffes imputations.
>
On attaque Jufte Lipfe fur fa religion ;
c'eft ce qui peut l'excufer. Mais de quel
cil doit- on voir Gallonius (d) & les Moines
du Mont- Caffin fe prodiguer des injures
pour des vétilles ? Les accufations de mauvaife
foi , de calomnie , de fauffaire , de
folie , Monachus ifte curandus elleboro
font répétées plus de cent fois par Gallonius.
Ah ! plût à Dieu , ( dit-il au Moine
Conftantin , ) que votre monachiſme ne
vous mît pas à l'abri de la loi Cornelia contre
les fauffaires. Et pourquoi croyez - vous
qu'il leur donne tous ces éloges ? On veut
fçavoir fi S. Grégoire a été Bénédictin.
Queſtion importante , qui auroit fanctifié
les Enfans de S. Benoit fi leur prétention
eût été fondée !
• La difpute des Bénédictins avec Naudé
( e ) ne fut pas moins intéreſſante ni moins
affaifonnée de fiel & de vinaigre , quoique
l'on ne combattît que pour trouver le
( d) Simon , Lettres choifies , t. 3. Lettre XI à
M. de Gouffainville.
(e) Ibid. Bibl. critiq. t. 1. ch. 7. p. 894
JUIN. 1755. 95,
véritable auteur d'un livre qui n'infpire
rien tant que la modération. [ Lorsqu'il
s'agit de leurs intérêts ( leut dit le Bibliothécaire
) , ils perdent de vue la charité ;
ce font des impofteurs , des fauffaires , des
présomptueux , des calomniateurs , qui
ont encore moins de jugement que de
confcience ; ils fuppofent les actions les
plus atroces pour noircir leurs adverfaires.
]
Le mordant Thiers n'épargna pas davantage
les Bénédictins , dans fa burleſque
fatyre , intitulée Apologie de M. l'Abbé" de
la Trape : jugez- en par ce trait. [ Lords &
Milords , grands & petits , Moines & Moineaux
, chacun fe fit un mérite de donner
un coup de bec à M. de la Trape (f) ] Cependant
M. de Rancé n'eut pas à faire feu
lement avec les MM . de S. Maur ; Dom
Innocent Maſſon , ( g ) Général des Chartreux
, l'attaqua très vivement dans un
livre imprimé en fecret à la grande Chartreufe
: il l'accufa d'avoir voulu diffamer
les autres ordres , par les Réflexions fur l'État
monastique , qu'il appelle un libelle fpiritualifé
, de donner la torture aux paſſages
des Peres pour prouver fon fyftême ; il
-
(f) Cité dans les Mémoires eccléfiaftiq. du P
Avrigni , Jéfuite , an. 1700. t. 4.
(g ) Bibl, critiq. chap. 32.
96 MERCURE DE FRANCE.
lui reprocha d'avoir inféré dans fon livre
plufieurs traits diffamatoires , qui reffentent
la production d'un homme qui a le
mépris des autres caché dans le coeur ....
Peut-on lire ces duretés fans faire réflexion
que dans le cloître les paffions ne font pas
amorties tout- à- fait ? Alors l'intérêt commun
peut fervir d'enveloppe à une fecrette
jaloufie ; fous le prétexte fpécieux de venger
l'honneur d'un corps, on cherche à faire
montre d'une érudition déplacée , ou à déprimer
un adverfaire dont la réputation
nous fait ombrage.
En vous donnant une efquiffe de fupplément
à la Chronique fcandaleufe , je ne
penfe pas , Monfieur , nourrir la haine que
vous avez pour l'érudition . Vous fçavez ,
fans doute, que les vrais fçavans ont en horreur
, non feulement ces injures groffieres
& perfonnelles , mais même celles qui ne
fe montrent qu'avec efprit , & qui fe cachent
avec art. Vous aurez vû dans le jugement
des fçavans , ( b ) que M. Baillet ne
peut pas fupporter Gruter , lorfqu'il appelle
Paroeus un âne , un mulet de charge , un bouc,
un verrat , un hibou. C'eſt en effet une chofe
monftrueuſe que ce noir chagrin , qu'on
voit s'exhaler des écrits de quelques fça-
( b ) Grammairiens , art.1483600 100
vans ;
JUIN . 1755 97
vans ; leur efprit obfcurci par la pouffiere
du cabinet , n'a pas goûté les agrémens de la
fociété ; la multitude des livres qu'ils parcourent
, leur perfuade qu'ils doivent être
regardés comme des oracles. Dans cette
préfomption , fi quelqu'un leve le bouclier
contre eux ; incapables de produire quelque
chofe d'ingénieux & de délicat , ils font
ufage de tout ce qui fe trouve fous leurs
mains , ils fe jettent fur les perfonalités ,
& facrifient leur honneur en voulant perdre
celui de leurs adverfaires ; l'Abbé Faidit
nous en fournit un exemple bien capa-.
сара-
ble de faire impreffion . Dès qu'il fe fut
livré à fon méchant caprice , on ne l'appella
plus que frénétique , faifeur de libelles
, &c. on lui mit cent fois devant les
yeux fes aventures . Procedé cruel , que fon
exemple ne pouvoit pas autorifer ! il eſt
honteux que le droit de repréfailles fe foit
naturalifé dans la République des Lettres.
Voilà , Monfieur , quelques démêlés littéraires
que M. d'Artigny a oubliés ; fi quelqu'un
de fes amis lui faifoit appercevoir
cette omiffion , vous feriez dédommagé ,
par l'agrément qu'il répand fur les matieres
qui en font le moins fufceptibles , de la
féchereffe de mon effai . Il feroit très-àpropos
qu'on lui rappellât auffi les difputes
de Sciopius avec Strada , de Thiers avec
1. Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE.
Robert , de l'Ifola avec Verjus , de Mervezin
avec un Provençal.
d'une
Si je ne connoiffois pas votre averfion ,
pour les vétilles , je vous ferois part
lettre du P. Lami , par laquelle je prouve
qu'il a travaillé plus de trente ans à ſa deſcription
du temple ; je vous ferois obferver
de même que M. d'Artigny a oublié
dans le catalogue des Ana la Bibliot . critiq.
& les lettres de Simon ; que dans les Journaux
de Trévoux , Novembre 1744, on ne
trouve aucune particularité fur la Chroni--
que fcandaleufe ; mais ces petites négligences
n'empêchent pas que fon ouvrage
ne foit un des meilleurs recueils de litté
rature . Le livre de Ahafverus Frit Schey
int . Paranefis de cavendâ nimiâ convocandi
libidine in refutandis aliorum fcriptis &
opinionibus ( k ) , renferme de bonnes réflexions
fur cette groffiereté qui s'eft introduite
dans les combats littéraires.
L'ETAT DES ARTS en Angleterre ,
dédié à M. le Marquis de Marigny ; par
M. Rouquet , de l'Académie royale de
Peinture & de Sculpture . Chez Jombert ,
rue Dauphine 175 5. Un volume in- 12 . Prix
3 livres .
( ( i ) Jena 1674.
JUIN. 1755. 92EQUE
LA
Perfonne ne pouvoit mieux traiter lanatiere.
M. Rouquet parle en auteur inftruit ,
par trente ans de féjour à Londres . Il erit
fur la peinture en artifte éclairé , & fur
les
autres arts en homme d'efprit qui s'y connoît
. Son ftyle eft plus varié que correct ;
tantôt c'eft un poëte qui prend l'effor , &
qui peint les objets des couleurs les plus
brillantes ; tantôt c'eft un philofophe qui
approfondit , & qui fait une jufte analyſe
des chofes : quelques exemples prouveront
l'un & l'autre . Rien n'eft plus poëtique que
cette defcription qu'il fait de la vûe. » De
tous les organes de nos fens l'oeil eft
fans doute le plus occupé ; rien n'égale
l'activité de nos regards , la fréquence &
» l'affiduité de leur application ; ils cher-
» chent fans ceffe avec une avidité infa-
» tiable de nouveaux objets : dès que le
» fommeil laiffe à nos paupieres la liberté
» de s'ouvrir , nous courons à la lumiere ,
» nous préfentons nos yeux avec empreffe
> ment aux réflexions d'un nombre infini
de formes & de couleurs ; & pour éten-
» dre davantage le fpectacle , nous ache-
" tons , au prix de cent incommodités
» le plaifir d'habiter des lieux élevés. Ce
fpectacle n'eft jamais affez vaſte , affez
» varié ni affez brillant , quand même il
» n'auroit de bornes que ces montagnes ,
»
»
E ij
Too MERCURE DE FRANCE,
"
que leur éloignement peint d'azur fur
» ces beaux fonds de pourpre & d'or , dont
» la naiſſance & la fin du jour décorent
quelquefois l'horizon .
Il redouble d'enthoufiafme par cette
apoftrophe qui rend fi bien l'éclat des bougies.
85
"» Induftrieufe abeille , nous vous de-
>> vons ces lumieres agréables & nombreufes
qui vont fuccéder à celles du jour ,
» En vain la nuit vouloit dérober à nos yeux
» la fcene brillante dont ils jouiffoient ;
» ils voient , ils jouiffent encore : les Gaf-
» pard , les Claude auroient ils trouvé le
» fecret de fixer quelques rayons du foleil?
» Par quel charme vois- je encore le ciel ,
» les eaux , les campagnes riantes ? Quel
art perpétue ici dans le fein de l'épaiffe
nuit les fêtes , les délices des plus beaux
jours ?
و د
Voilà l'écart d'une belle ode en profe. Je
vais citer maintenant des traits qui montreront
que l'auteur examine en fage , qu'il
fuit l'amour du vrai , & qu'il juge avec
cette liberté qu'il a puifée dans le commerce
des Anglois , & qui n'eft pas la moins
précieufe des acquifitions qu'il a faites chéz
eux il ufe du droit qu'elle donne pour
nous détromper fur leur compte. Par
tout , dit-il , ou le commerce Aleurit ,
JUIN. 1755. 101
"
"
les richeffes font une des principales diftinctions
, & les arts n'étant pas la voie
» commune des richeffes, y font par confé-
"quent moins diftingués. C'eft ici le lieu
» d'affûrer , malgré tout ce qu'on a débité,
» que les arts ne font point en Angleterre
» l'objet de l'attention publique ; il n'y a
point d'inftitution en leur faveur , ni de
» la part de la Couronne en particulier , ni
» de celle du Gouvernement en général .
» Je ne fçai même fi la conftitution de
» l'Etat ne rendroit pas infructueux le def-
» fein que l'on auroit pû avoir d'exciter
l'émulation dans les arts par des penfions
» ou autrement. Aucun pofte lucratif ne
» s'accorde en Angleterre que dans la vûe
» directe ou indirecte d'acquerir ou de
conferver la pluralité des fuffrages dans
les élections parlementaires. Suivant cet-
» te économic miniftériale , fage & prudente
dans fon principe , un artiste à
grands talens , fans aucun droit de fuffrage
, cu fans protecteurs qui en euffent,
» n'auroit jamais rien obtenu . Les Anglois
» s'amufent beaucoup des arts , fans trop
» confidérer l'artifte. Il n'y a qu'un Pein-
» tre en Angleterre qui ait penfion , &
qu'on appelle le Peintre du Roi , il l'eft
par brevet , avec un falaire de cinq mille
livres.
2
D
"3
"
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
On voit par là que fi les arts font cultivés
à Londres , ils y font moins honorés
& moins récompenfés qu'en France .
» Il eft vrai , ajoûte- il , qu'on a décoré
quelquefois les artiftes du titre de Che- .
» valier.
99
Ils obtiennent ici la même diftinction ,
& plufieurs y font parés du cordon de Saint
Michel.
» Dans toutes les députations que
la
» ville fait au Roi , pourſuit M. Rouquet ,
il fe trouve toujours quelque Echevin
» qui veut être fait Chevalier ; on a foin
d'en informer Sa Majefté , qui le touche
» de fon épée . On prétend que les Eche-
» vins qui demandent cet honneur , le font
» ordinairement pour fatisfaire l'ambition
» de leurs femmes , elles en acquierent le
nom de Lady : tous ceux qui l'approchent
, fes enfans , fon mari même ne lui
parlent plus alors qu'à la troifieme per-
→ fonne ; elle en va plus fouvent au ſpectacle
, pour avoir le plaifir d'entendre
» demander à perte d'haleine , l'équipage
» & les gens de Lady ***.
Ce font là , trait pour trait , les Bourgeoifes
de qualité de Dancourt . Ce qui
prouve que les ridicules anglois fe rapprochent
des nôtres , ainfi que les ufages. A
quelques nuances près les hommes font
JUIN. 1755.. 103
par -tout les mêmes , malgré la différen
ce des climats , & la diverfité des caracteres.
La peinture eft l'art fur lequel l'auteur
s'étend le plus ; elle contient plus de la
moitié de fon livre . La fculpture , la gravûre
, l'imprimerie , l'orfevrerie , la bijouterie
, l'architecture , la déclamation &
la mufique en rempliffent fuccintement les
autres pages. Il y joint la médecine exercée
agréablement par des Docteurs en épée ,
qui font fouvent Poëtes ou Muficiens , ( les
nôtres leur reffemblent quelquefois ) il
fait mention en même tems de la Chirurgie
, pratiquée plus férieufement par des
hommes qui s'y livrent fans diftraction ; il
met auffi au rang des arts celui de préparer
les alimens , qu'il décrit ainfi left
un art , lefeul qui ait le droit de prétendre à
réunir l'agrément à l'utilité la plus indifpenfable
; mais cet art né dans la fervitude , où
il fe trouve encore malgré fon extrême importance
, eft un art ignoble , & on fera peut-être
révolté de lui voir tenir ici une place parmi
les arts. C'eft à la fin de cet article que M.
Rouquet nous avoue avec cette agréable
franchife dont il fait profeffion , qu'il
n'aime pas ce que nous appellons vulgairement
la foupe & le bouilli . Il exprime fon
dégoût dans des termes qui méritent d'être
E iv
104 MERCURE DE FRANCE .
retenus les voici ; je finirai par eux le
précis de fon ouvrage.
» On obſerve déja avec la plus ridicule
» affectation l'ordre des fervices. On fert
>> même fouvent cette décoction tant van-
» tée ailleurs , qui fait par- tout le premier
» mets , & de laquelle les Anglois rioient
depuis fi long-tems ; on en fert même
» auffi la tête morte. Il eft vrai que ce n'eft
point encore l'ufage en Angleterre d'en
féparer entierement par une cuiffon opiniâtre
tout ce qu'elle pouvoit contenir
» de fubftance alimentaire.
93
»
LES FAUX PAS , ou les Mémoires
vrais ou vraisemblables de la Baronne ***
traduits de l'original Bas- breton ; deux
parties. Chez Duchefne , rue S. Jacques ,
au Temple du Goût. 1755 .
Le titre eft juftifié par le Roman . La Baronne
*** ou la Rofen , doit le jour à un
faux pas. Sa mere fut féduite par un petit
Souverain d'Allemagne ; notre héroïne fut
le fruit de cette foibleffe . Son éducation
fut encore un faux pas , qui forma la chaîne
de plufieurs autres. Abandonnée de fes
parens dès fon enfance , & confiée à des
mains étrangeres , elle fut miſe dans un
couvent dont la Supérieure l'inftruifit la
premiere à broncher . Elle eſt enlevée de
JUIN. 1755 . 105
ce cloître par une méprife : nouvelle occafion
de faux pas , qu'elle veut mettre à
profit ; mais Duréal , fon raviffeur , defefperé
de s'être trompé , a la modeftie de ne
pas s'y prêter , & montre toute la pudeur
qu'elle eût dû faire paroître. Ils couchent
tous les foirs dans la même chambre avec
une fageffe édifiante , dont le Cavalier a
toute la gloire , & la Demoiſelle tout le regret.
Il la laiffe un beau matin pour courir
après Mlle Bafin qu'il adore ; il la trouve
mariée , revient fe confoler auprès de Mlle
Rofen , & parvient enfin à l'aimer par dépit.
Elle bronche de plus belle ; mais il la
quitte une feconde fois pour aller recueillir
une fucceffion . Dans le defoeuvrement
où elle fe trouve , elle fe lie avec une jeune
perfonne appellée Lolote , qui fous un
air honnête l'engage dans une partie qui
ne l'étoit pas. Elle dément dans cette occafion
fon éducation & fon caractere ; elle
a fait des faux pas au couvent , où tout
doit en garantir , & dans une promenade
arrangée pour en faire , elle marche droit
contre toute apparence. Elle a heureufement
à faire à M. Meffin , Financier , auffi
diftingué par fes fentimens que par fes richelles
; car dans nos Romans nouveaux
on n'en voit plus que de ceux-là . Ce galant
homme édifié de la réfiftance , fe prend
Ev
T06 MERCURE DE FRANCE.
pour elle d'une tendre eftime , & la conble
de bienfaits fans en exiger de falaire .
Turreville , fon neveu , en devient auſſi
amoureux ; mais quoiqu'elle le trouve aimable
, elle fe dérobe à fes pourfuites , &
fe rend à Paris où elle cherche inutilement
Duréal , dont le fouvenir lui eft toujours
cher.
Dans cette circonftance Riza-beg , Ambaffadeur
de Perfe , arrive à Paris , voit
Mlle Rofen , l'adore , & lui donne le mouchoir.
C'eft ici où l'hiftoire eft adroitement
fondue dans le Roman. Notre héroïne enchaîne
fi bien Riza- beg à fon char qu'il
l'époufe fecrettement , & répare par ce
noeud fingulier le faux pas qu'elle a fait
en fa faveur. Mme Riza-beg part avec fon
mari , accouche à Dantzick d'un gros Perfan
, & rencontre une bande de voleurs
qui l'enlevent avec le bagage , & laiffent
Riza- beg dépouillé , maître du champ de
bataille avec l'enfant & la nourrice. Prête
à faire avec fes raviffeurs , qui fe la difputent
, le plus terrible faux pas qu'elle eût
fait en fa vie , elle eft arrêtée avec eux.
Ils font exécutés ; elle obtient fa liberté ,
& la Juftice de Brandebourg , qui devroit
fervir de modele à toutes les autres , lui
reftitue tous les effets que ces fcélerats .
avoient volés à Riza-beg fon mari . La fille
JUIN . 1755. 107
du Geolier vient la joindre dans le vaiffeau
qui doit la porter en Afie , & la prie de
vouloir bien l'y faire recevoir avec un
jeune homme dont elle a rompu les fers.
Il fe trouve que c'eft Duréal lui - même ,
ils fe reconnoiffent ; & après s'être juftifiés
l'un & l'autre , leur flamme fe rallume ; la
fille du Geolier defefpérée de s'être jettée
dans les bras de fa rivale , fe précipite
dans la mer. Duréal frappé de cette mort
tragique difparoît à la premiere occafion
& quitte fa maîtreffe pour la troifieme fois .
Celle-ci retrouve fon fils , qui la confole
de cette perte ; mais elle apprend en même
tems qu'elle eft veuve , & que Rizabeg
a été étranglé par ordre du Sophi . Elle
revient fur fes pas , & s'arrête à Drefde
où elle fait la conquête du Prince de ....
Elle trouve fon pere dans cet amant , qui
la reconnoît pour fa fille , la fait légitimer,
& obtient pour elle de la Cour de Vienne
le titre de Baronne ; il lui permet de retourner
en France . Elle retrouve Duréal à
deux lieues de Strafbourg , & s'écrie avec
raifon en le voyant : eh ! d'où fortez- vous ?
on ne trouve que vous dans les chemins,
Pour fe juftifier , il lui conte fon hiftoire
que je fupprime ; ils fe pardonnent mutuellement
leurs écarts : elle donne la main à
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
Duréal , & l'hymen pour le coup termine
tous fes faux pas.
Ce Roman eft de M. Rouffeau de Touloufe
; il eft écrit vivement : la premiere
partie fur-tout fe fait lire avec plaifir ; il y
a du ftyle , des portraits , des faillies . Comme
il a du feu & un talent facile , je lui
confeille de les employer à traiter le Roman
dans l'intérêt , & de l'affervir toujours
aux régles de la décence . Nos Romanciens
qu'il a trop fuivi , ont dénaturé le
genre ; la meilleure de leurs productions
eft plutôt un recueil de réflexions détachées
qu'un récit d'aventures fuivies.
Comme les incidens ne font que le prétexte
, on y trouve plus d'efprit que de
conduite , plus de coloris que de deffein ,
plus de détails que d'enſemble , & plus de
propos que d'action . Pour comble de maladreffe
le fond en est toujours libre fans.
être amuſant ; il ennuie aux dépens des
moeurs , & le vice y paroît auffi froid que
la vertu.
MÉDECINE EXPÉRIMENTALE,
ou Réſultat de nouvelles obfervations - pratiques
& anatomiques , premiere partie.
A Paris , chez Duchefne , Libraire , rue
S. Jacques , au Temple du Goût. 1755.
Cet ouvrage n'eft pas moins intéreffant
JUIN. 1755. 109
par la forme que par le fond. L'auteur a
dépouillé la Médecine de ces termes barbares
, qui effraient autant un lecteur que
les maladies qu'ils expriment 5 il la fait
parler un langage clair & précis, qui la met
à la portée de tout le monde . On lit fon
premier volume comme un ouvrage de
pur agrément. Ce que je trouve de plus
eftimable dans cet Ecrivain , c'est qu'on
voit qu'il n'a voulu rendre fon livre élégant
que pour le rendre plus utile , &
qu'un zéle éclairé l'a produit d'après les
obfervations pour le bien de l'humanité :
c'eft dans ce fens qu'il eft beau d'être
philantrope. Travailler à prolonger la vie
des hommes , ou à la rendre moins douloureuſe
, voilà la vraie philofophie réduire
en pratique . Hypocrate à mes yeux mérite
mieux le nom de fage que Bias ou
Thalés . M. T ...... eft d'autant plus digne
de ce titre , qu'il exerce la fcience
de guérir les hommes fans intérêt ; le
feul qui l'anime eft la perfection de l'art
relativement à leur bien -être. Son traité
eft divifé en trois parties. Dans la premiere
qui paroît , il offre fes réflexions
fur les befoins de la Médecine , fur le danger
des fyftêmes , & fur la néceffité de l'obfervation
; il montre en même tems la
route particuliere qu'il a fuivie pour ob110
MERCURE DE FRANCE.
ferver , & donne enfuite le précis de quel-,
ques confidérations fur les maladies en
général , fur les maladies aiguës , fur les
maladies chroniques , fur l'air & fur les
alimens.
L'auteur prouve les befoins de l'art par
l'état actuel des hommes , quant à leur
multiplication & à leur conftitution . 1 ° .
C'eſt un fait conftaté , dit l'auteur , que
dans les deux premieres années de la vie
le tiers de l'humanité eft moiffonné , & il
paroît que cette proportion n'a pas toujours
eu lieu fi l'on a égard aux caufes qui
fomentent actuellement cette perte prématurée.
2 ° . L'abus qu'on fait des denrées
qu'on tire des Indes depuis leur découverte,
& l'excès qu'on fait des liqueurs fpiritueu
fes depuis l'introduction de l'eau-de - vie ,
font périr un vingt-huitieme des hommes.
3°. Les progrès lents ou rapides de ce mal ,
aujourd'hui fi répandu que la plus honnête,
femme n'en eft pas à l'abri , & qui n'eft connu
parmi nous que depuis deux cens foixante
ans environ, autorifent à croire qu'au
moins un autre vingt-huitieme des hommes
périt par ce poifon. 4°. L'apprêt pernicieux
des alimens qu'il dénature , l'irrégularité
des faifons & celle des moeurs , font un
nouveau ravage. Comme on fe livre avant
le tems au plaifir , on eft vieillard de
JUIN. 1755. 111
">
bonne heure , & la mort eft précoce .
» Les maladies , dit éloquemment M.
» T ... fe multiplient , & fe reproduifent
» à vue d'oeil. Celles qui étoient ou paf-
» foient pour fimples , deviennent fouvent
compliquées ; elles ne vont plus le front
» levé comme autrefois , elles empruntent
>> le mafque , elles jouent le Prothée , elles
» nous donnent le change , elles nous éga-
» rent ; les fymptômes en font plus fourds,
& par là plus aggravans : ainfi les hommes
» déja affoiblis par l'organiſation , font
» encore minés dans l'état de fanté même
» par les caufes qui peuvent fomenter cette
foibleffe , c'eft- à- dire que l'attaque, eft
» devenue beaucoup plus violente , & la dé-
» fenfe beaucoup plus difficile. ... Un coup
» de vent , ajoûte- t - il , abbat quelquefois
» tout-à- coup une partie des fruirs d'un
» verger , c'eft le fléau qui moiffonne. Une
» année humide & pluvieufe en fait tom-
» ber
peu-à -peu encore un plus grand nom-
» bre avant leur maturité , c'eſt le dépé-
» riffement en détail. Telle eſt malheureufement
notre pofition préſente vis- à- vis
» des fiécles reculés.
C'est-à-dire qu'il meurt aujourd'hui plus
d'hommes par ces maux compliqués & fecrets
qui minent leurs jours , qu'il n'en mouroit
autrefois par la guerre alors plus meur112
MERCURE DE FRANCE.
triere , & par la pefte plus fréquente & plus
générale , qui moiffonnoient prefque tout
d'un coup des provinces entieres . M. T ....
prouve par là la néceffité d'avoir recours à
une fûre méthode , pour obvier autant qu'il
dépend de nous au danger de tant de maladies
qui étoient inconnues à nos peres. Y
peut- on parvenir par les fyftêmes ? il fait
voir qu'ils font la plus mauvaiſe voie .
·
» On ne trouve , dit-il , dans nos fyftê-
»mes que des notions flottantes , des in-
» certitudes continuelles , la théorie allant
>> fouvent d'un côté , & la pratique de
» l'autre .... Ouvrez les faftes littéraires
» de l'art , lifez l'hiftoire de la Médecine
» de le Clerc , de Fieund , de Schultz , &c.
» ou pour mieux dire , contentez - vous de
» lire l'hiſtoire des opinions des Philofo-
>> phes , vous y trouverez en même tems
» celle des opinions des Médecins . Combien
de fois n'ont-ils pas adopté comme
principes facrés de l'art tout ce qu'il a
plû à l'imagination échauffée d'un philofophe
d'ériger en fyftême ? ... Que cet
affemblage fait un coup d'oeil humiliant
» pour l'efprit & pour la raifon ! il s'agit
» pourtant de la chofe la plus effentielle &
la plus intéreffante pour les hommes , il
» s'agit de leur confervation .
2
»
"
On ne peut trouver dans les principes
JUIN. 1755. 113
gratuits de théorie des fecours proportionnés
aux dégrés des maux qui les exigent
, ce n'eft que dans l'obfervation fcrupuleufe
des phénomenes fucceffifs des maladies
: dans l'analogie pratique , entre les
fymptômes qui s'offrent , & ceux qui ont
frappé ailleurs ; ce qui fert à établir la néceffité
de cette même obfervation.
:
2
Elle a été le berceau & l'école de la Médecine
; ce n'eft que depuis qu'on s'eft remis
à obferver qu'on a vu l'art s'élever au
point où il est aujourd'hui. Les premiers
Médecins affidus au lit des malades , ne le
quittoient que pour mettre par écrit l'hif
toire des phénomenes , du cours , de l'heureux
& funefte événement des maladies ,
de l'application des remedes & de leurs.
effets interprêtes de la nature , la vérité
s'exprimoit par leur bouche ; ce n'eft plus
qu'aux dépens de cette même vérité qu'ils
n'ont plus été imités . Si l'on s'étoit tenu
au plan fage que nous avoient tracé Hyppocrate
, Galien , &c. nous n'aurions plus
de
regrets fur le paffé , plus de plaintes fur
le préfent , moins de fouhaits à former ſur
l'avenir ce font les expreffions de l'Auteur
, que je copie toujours exactement ,
perfuadé qu'on ne peut pas mieux dire .
Il s'eft preferit pour régles , 1 °. de ne point
répéter ce qui a été dit par d'autres . 2 ° .
114 MERCURE DE FRANCE.
De ne point affigner des principes gra
tuits , dont on veuille enfuite tirer des
conféquences arbitraires . 3 ° . De ne point
confondre les caufes avec leurs effets. 4°.
De n'avancer aucun fait qu'à l'appui d'une
expérience immuable. 5. D'avoir attention
qu'en produifant quelque chofe de
nouveau , tous les phénomenes quelconques
puiffent reffortir aux caufes & aux
raifons données , & réciproquement .
Quelle opinion ne doit - on pas avoir
d'un livre affervi à des loix fifages ! Quelle
eftime & quelle confiance ne doit pas inf
pirer l'auteur qui porte la bonne foi juf
qu'à faire ce rare & modefte aven ! La
plupart des obfervateurs , dit - il , ne s'annoncent
que par leurs fuccès , & moi je n'ai
prefque que des regrets à former fur la perte
de ceux qui ont donné lieu à ces obfervations ;
mais en perdant les uns j'ai appris à fauver
les autres , & je réferve la méthode & le détail
de mes cures pour un autre ouvrage.
Les bornes d'un extrait ne me permettent
pas de m'étendre fur le refte de cette premiere
partie je renvoie le lecteur à l'ouvrage
même, qui mérite fi bien d'être acheté
& d'être lû. Les deux autres parties qui
n'ont pas encore vû le jour , font un recueil
des obfervations fondées la plupart
fur les découvertes qui y ont donné lieu .
JUIN. 1755. 115
NOUVEAUX GLOBES céleftes &
terreftres , de neuf pouces de diametre ;
par M. Robert de Vaugondy , Géographe
ordinaire du Roi.
Ces globes font la réduction des grands
que l'auteur a faits il y a trois ans , par
ordre du Roi ; ils font deftinés principalement
pour l'inftruction de la jeuneffe . Le
célefte fur-tout eft compofé de façon à
pouvoir faire connoître avec une grande
Facilité les étoiles , par le fecours d'aligne
mens qui joignent les étoiles les unes aux
autres , & qui forment dans les conftellations
des triangles & des quadrilateres ,
figures très - connues & bien plus réelles
que celles d'hommes & d'animaux que les
anciens & les modernes ont imaginées. Il
ne s'agit que d'orienter & de difpofer le
globe pour un jour & une heure propofée ,
pour avoir par ce globe l'état actuel du
ciel ; pour lors en confidérant ce globe , &
rapportant au ciel ces figures de triangles
& de quadrilateres , l'on vient aifément à
connoître la grandeur & la pofition de ces
étoiles. Un Seigneur , autant recommendable
par fes lumieres que par fon illuftre
naillance , a bien voulu communiquer
cette idée nouvelle à l'auteur , qui l'a exécutée
, en faisant imprimer le globe célefte
en deux couleurs ; fçavoir , en noir
116 MERCURE DE FRANCE.
pour les étoiles & les figures ordinaires des
conftellations , & en rouge pour les alignemens.
L'on ne doute point que le public
n'applaudiffe à une invention fi fimple
& fi avantageufe.
Ces globes , comme ceux de dix - huit
pouces , fe vendent à Paris , chez le fieur
Robert , Géographe ordinaire du Roi , quai
de l'Horloge du Palais , proche le Pont
neuf.
MES LOISIRS . A Paris , chez Defaint
& Saillant , rue S. Jean de Beauvais ; &
Vincent , rue S. Severin.
Cet ouvrage eſtimable eſt dédié à M. le
Comte d'Argenfon. M. le Chevalier d'Arc
en eft l'auteur : on peut dire fans flaterie
que fes loifirs font bien employés ; ils font
honneur à fon coeur autant qu'à fon efprit ,
& refpirent la vérité & la décence qu'il a
pris pour épigraphe * . On y lit d'abord une
préface auffi courte que modefte : elle eft
fuivie d'un difcours préliminaire , où l'auteur
dit avec raifon que juger des chofes
fur leurs furfaces , c'eſt en mal juger ; que
pour bien juger , il faut connoître ; qu'on
ne peut bien connoître que par le moyen
* Quid verum atque decens curo & rogo, &
omnis in hocfum. Hor. ep. lib. I. ep. I.
JUIN. 1755. 117
de l'analyfe ; qu'elle eft peut -être plus néceffaire
dans le monde que dans le cabinet
, & qu'elle y eft auffi fouvent employée
par ceux-même qui font le plus effarouchés
du mot. Parmi plufieurs exemples qu'il
cite , je me renfermerai dans un feul ; il
fuffira pour juftifier fon fentiment. Une
jolie femme , dit -il , à fa toilette analyſe
fes traits , cherche les rapports que les ornemens
étrangers peuvent avoir avec fa
figure , & ne fe détermine à placer telle
fleur ou telle mouche qu'après l'examen
le plus fcrupuleux de l'effet qu'elle doit
produire.
Pour moi je n'ai pas cru pouvoir faire
une meilleure analyfe de fon livre que
d'en extraire quelques- unes des réflexions
qui le compofent. Comme elles font détachées
& rangées par ordre alphabétique ,
je n'ai eu que la peine du choix : il eft
vrai que je l'ai trouvé d'autant plus difficile
, que ces réflexions m'ont prefque toutes
parues d'une égale bonté : celles que je
préſente ici au hazard , feront voir que
l'auteur penfe auffi - bien qu'il écrit . Sa
philofophie eft vraie ; elle eft puifée dans
l'ufage du monde , ce n'eft que là qu'il faut
l'étudier , & qu'on peut apprendre à la
mettre en pratique.
» L'accueil que les grands Seigneurs
118 MERCURE DE FRANCE.
» font aux grands hommes , eft un effort
» de l'orgueil , qui cherche à s'élever jufqu'au
mérite en le careffant . "
» Les plaifirs forment des liaiſons ,
» l'ambition produit des intrigues , les
» goûts ou l'intérêt arrangent des fociétés ;
» la vertu feule affortit & refferre les
» noeuds de l'amitié.
"
» Nous cherchons à découvrir le bon-
» heur , comme un Aftronome cherche à
decouvrir une étoile . Imbécilles que nous
» ſommes , baiſſons les yeux ; il eſt à nos
>> pieds , & nous paffons deffus fans daigner
», le regarder.
"
» Le bonheur & le repos réfultent l'un
» de l'autre , & ne font
ainfi dire ,
, pour
qu'une même choſe ; mais il ne faut pas
» confondre le repos avec l'inaction . Le
» répos de l'ame eft dans un mouvement
régulier ,, que rien ne fufpend , que rien
»> ne précipite.
"
L'émulation eft extraite de l'envie ,
» comme certains remedes font extraits de
quelques poifons ; l'utilité de fes effets
nous ferme les yeux fur fon principe.
33
"
» Les efprits ont , pour ainfi dire , leur
temperamment comme les corps , & tout
auffi difficile à connoître ; c'eſt ce qui
» fait que le même raifonnement porte la
» vérité dans celui- ci , l'incertitude dans
J.UIN . 1755. 119
> » celui là , l'erreur dans un autre comme
fait un remede qui agit bien , qui agit
mal , ou n'agit point du tout , felon la
» différence des corps à qui on les donne.
» Le prétendu efprit fort n'eft rien moins
qu'un efprit nerveux ; c'eft une yvreffe
» dont l'afpect de la mort rabat les fumées
alors on fe trouve affoibli de tout :
» ce qu'on avoit montré de forces .
» Ces efprits forts font comme les gens
" yvres , qui veulent toujours faire boire
» les autres.
» La flaterie eſt une mine que creufe le
» vice pour faire écrouler la vertu.
Qui fe livre à des occupations frivo-
» les , devient incapable de grands deffeins.
» Rarement le fiécle de la frivolité eft- il le
» fiécle des grands hommes . » Il est vrai
qu'il ne forme communément que le joli homme
, ou tout au plus l'homme aimable.
" La marche du génie eft comme celle
d'un corps élastique ; le moment où il fe
ralentit touche au moment où il s'arrête.
»Il feroit plus fûr de voir les hommes
tels qu'ils font ; il eft plus agréable de
» les voir tels qu'ils veulent paroître.
" Les gens médiocres copient fervile-
» ment ; les efprits fupérieurs commencent
»par imiter , & finiffent par fervir de mo
» dele.
120 MERCURE DE FRANCE.
» Peut-être qu'un importun s'importu-
» ne lui- même , & qu'il ne cherche quelqu'un
que pour fe “ fuir.
ور
» Il faut être né bien heureufement pour
» être philofophe fans avoir été malheu-
>> redx .
""
Lorfque les larmes font l'expreffion
de la tendreffe , elles font à l'amour ce
» que les pluies font aux fleurs ; elles le
» nourriffent , elles le raniment.
و ر »L'adverfitécommenceparaigrirleca-
» ractere , & finit par le brifer ; elle corri-
» ge l'exceffive vanité de quelques gens ,
» & les ramene , pour ainfi dire , à leur
» place ; mais elle rend quelquefois trop
humbles ceux que la profpérité avoit
» rendu trop vains .
M. le Chevalier d'Arc couronne fes réflexions
par l'apologie du genre
humain.
Son bon efprit lui fait voir les hommes
par leur bon côté ; n'eft-ce pas le plus fage
parti , ou le meilleur fyftême ?
TOME SECOND du nouveau Traité
de Diplomatique in- 4 ° . Par deux Religieux
Bénédictins , de la Congrégation de Saint
Maur . A Paris , chez Guillaume Desprez ,
Imprimeur du Roi & du Clergé de France,
1755.
On s'appercevra aifément que les auteurs
ི JUIN. ⠀ 1755 1 121
1 2 1
teurs du nouveau traité de Diplomatique
enchériffent de beaucoup fur les promelles
qu'ils ont faites dans leur Prospectus Le fe->
cond volume qui paroît aujourd'hui , eft:
une: augmentation très intéreffante , fur
laquelle ils n'avoient point prévenu le public
. Le fujet qu'on y traite à fond eſt extraordinaire
& nouveau. Perfonne n'avoit
encore entrepris de fixer la figure , l'âge ,
la nomenclature , la patrie , la defcendanla
fortune & les métamorphofes des
vingt - trois lettres de l'alphabet latin dans
les infcriptions lapidaires & métalliques
les manufcrits & les diplomes de tous les
fiécles. Nul auteur n'avoit pris la peine
de dreffer fur ces anciens monumens des
alphabets généraux de toutes les écritures
Lomaines & nationales qui ont eu cours
chez les Latins pendant près de trois mille
ans. On n'avoit point encore réduit en
fyftême les écritures antiques pour en former
un art lapidaire & métallique , au
moyen duquel on pût déterminer l'âge des
infcriptions , & difcerner les fuppofées des
véritables. Ces objets avec plufieurs autres
également importans , font la matiere de
ce fecond tome. Dans le plan des auteurs
toutes les écritures latines font réduites
à trois claffes , fçavoit , les écritures des
marbres , des bronzes & des autres matie
I. Vol. F
122 : MERCURE DE FRANCE.
で
res dures ; les écritures des manufcrits, des
puis le IV fécle ; & celles des diplomes ,
depuis le V Les deux dernieres claffes ,
avec leurs dépendances & la matiere des
fceaux , feront traitées dans le troifieme
volume. Le grand nombre de planches
qu'il faut arranger fyftematiquement , &
graver , & le travail immenfe qu'exige né
ceffairement l'entreprife , invitent le public
à ne pas s'impatienter. Si on le fait at
tendre , ce n'eft affurément que pour le
mieux fervir. Les quatrieme & cinquieme
volumes fuivront de près le troifieme ; cependant
pour compenfer en quelque fortei
le defagrément des délais , quoiqu'invo
lontaires , l'Imprimeur-Libraire délivre le
fecond tome aux Soufcripteurs fans exiger
la fomme ftipulée en foufcrivant ; il s'en
gage même à leur donner les tomes fuivans
au prix de la foufcription , quoiqu'il
y perde confidérablement , les frais de
l'impreffion , des caracteres extraordinai
res , & des planches étant beaucoup plus
confidérables qu'il n'avoit penfé lorsqu'il
prit des engagemens avec le public.
REFUTATION de deux Ecrits publiés
en faveur de M. de Torrès , fous les noms
de MM. Carboneil & Bertrand , fe difant
Docteurs en Médecine avec une Replique
1
JUIN. 17556 123
aú Sr Mollée , Chymifte. Par M. Dibon ,
Chirurgien ordinaire du Roi dans la Compagnie
des Cent- Suiffes de la Garde de Sa
Majefté. A Paris , chez Delaguette , Im
primeur du College & de l'Académie roya
le de Chirurgie , rue S. Jacques, à l'Olivier,
1755. Brochure in- 4° . de 56 pages .
Nous nous abftiendrons toujours de
prendre part aux différens dont nous ferons
quelquefois obligés de rendre compte 3
pous nous contenterons d'annoncer les
écrits refpectifs foumis à notre rapport ,
fans acception de perfonnes , fans nous
paffionner pour aucun des contendans
quels qu'ils foient, ni marquer la moindre
partialité.
C'eſt par un effet de cette juftice & de
ce defintéreffement que nous annonçons
l'écrit en queftion . Nous l'avons lû , parce
qu'il nous a paru mériter la peine d'être
lu , & qu'il intéreffe trop le public pour
nous être indifférent. On y trouvera , des
faits graves que nous laiffons examiner à
ceux qui s'occupent de ces matieres , &
qui font plus à portée que nous de démêfer
la vérité. Il y en a même de curieux
qu'on ne lira point fans intérêt , ni peutêtre
encore fans fruit ; telle est une cure
auffi furprenante par fa qualité que par
promptitude , d'un particulier de Lyon : co
fa
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
malade après avoir paffé fans fuccès entre
les mains de plufieurs Praticiens habiles
fut jugé par le célèbre M. Fizes , Médecin
de Montpellier , dans le cas de ne pouvoir
être guéri que par un traitement méthodique
qui auroit duré près d'un an , &
dont M. Dibon a réduit le terme à moins
de deux mois. Une preuve de cette force
eft bien décifive ; mais c'eft aux maîtres de
l'art à la conftater , & nous nous en rapportons
à leur jugement , ainfi qu'à celui
du public.
PINOLET, ou l'Aveugle parvenu , ouvrage
annoncé dans le Mercure d'Avril : fe
vend chez Jorry , aux Cicognes , quai des
Auguftins , près le pont S. Michel,
PIECES FUGITIVES extraites des OEuvres
mêlées de M *** ·
Les deux morceaux de profe qui commencent
ces pieces , m'ont paru mériter
l'approbation du public. Le premier , tel
qu'il eft à préfent , & qui a pour titre l'O
rigine des Guebres , offre une hiftoire in
génieufe de Zoroaftre ; il a fur- tout le mé
rite d'être bien écrit.
' L'hiftoire d'Euphranor qui compofe le
fecond morceau , a le double avantage d'e-
'tre courte & intereffante ; les remords qui
accompagnent l'infidélité d'Euphranor ,
les
JAU IN. 1735 723
malheurs qui n'alterent point la vertu de
Barfine , fon époufe , & leur tendre réunion
occafionnée par leur fille unique
dont les charmes égalent la fageffe , forment
un tableau , & font un dénoument
qui attendrit jufqu'aux larmes. Il y a quel
ques jolis vers dans les poëfies diverfes
mais l'Auteur eft mieux appellé à la profe:
je crois qu'il fera fagement de s'y borner...
Le peu d'efpace qui me refte pour cette
partie , m'oblige de remettre au fecond
Mercure de ce mois , les extraits ou les
indications des autres livres nouveaux..
SÉANCE
PUBLIQUE
De l'Académie Françoife .
M. de Chateaubrun ayant été élû par
l'Académie Françoife à la place de M. le
Préfident de Montefquieu , y vint prendre
féance le lundi 5 Mai 1755. Le difcours
qu'il prononça reçut l'applaudiffement
unanime d'un public choifi , dont les fuffrages
avoient prévenu ceux de la Compagnie.
L'éloge de M. de Montefquieu étoit
réfervé à M. de Chateaubrun . Ce grand
homme pouvoit il rencontrer un meilleur
panégyrifte Il n'appartenoit qu'au vrai
talent de louer le génie. Ce que j'en vais
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
extraire ou tranfcrire , va le prouver.
33
"
» Ah ! Meffieurs , s'écrie M. de Cha
» teaubrun , quel reffouvenir vient me
frapper ! quel paffage rapide de la joie
à la trifteffe ! quelle foible compenfation
j'apporté ici pour foulager votre dou
leur ! quel nom eft prêt de m'échaper !
plus fa gloire vous eft chere , plus je
» m'en trouve accablé. Comment pourrois
»je fuffire à faire l'éloge de M. le Préfident
de Montefquieu ? Il faudroit , f
j'ofe ainfi parler , pouvoir mefurer fon
génie , & atteindre , comme il a fait, juf
» qu'aux extrêmités de l'ame humaine.
"
Dès fa jeuneffe , fon imagination , fi
noble , fi riante , fi féconde , ſe déploie.
Nouvel Amphion , au fon d'une lyre
» qu'Apollon même prend pour la fienne ,
» il éleve un temple enchanteur * ; les
*.
Graces fe hâtent d'en pofer les fonde-
» mens , leurs mains légeres lui préfentent
>> les matériaux de ce charmant édifice
» elles en ordonnent la fymmétrie ; elles
» l'embelliffent de peintures , où elles fe
> repréſentent par- tout , & reçoivent du
fentiment ce coloris immortel , dont le
feul fentiment poffede le fecret.
La fcène change. M. de Montefquieu
paroît dans ces climats , d'où la lumiere
Le Temple de Gnide,
JUIN 1755. $127
s'annonce à toute la nature. Quel est ce
» nouveau gente de correfpondances ? **
mais lui-même les couvre d'un voile &
les cache à mes regards. Je ne les reclame
point , Meffieurs la gloire de Ma de
Montefquieu peut faire des facrifices
fans s'appauvrir.
n
» Il marche à pas de géant dans la carriere
du génie , je le vois aux priſes ,
pout ainfi dire avec les maîtres dut
monde. Idemandes compte aux Ro-
» mains ** de leur aggrandiffement & de
» leur décadence. La fortune aveugle na
point d'autels aux yeux de cet examina-
»teur judicieux & févere. Chaque effet a
fon principe , & il fçait le trouver. al
analyſe les événemens : il décompofe le
»coeur de l'homme , qui n'a rien d'obfcur
pour lui Toutes les nations paffent
→fucceffivement devant lui . Il fe donne
» l'expérience de plufieurs ficcles , & s'ouvre
la route à un autre ouvrage plus admirable
encore. Vous me prévenez ,
Meffieurs , c'eft l'Esprit des Loix.
"
7
D'anciens Législateurs crurent avoir
"pourvu au bonheur de leurs conci-
Les Lettres Perfannes.
** Confidérations fur les caufes de la grandetg
des Romains & de leur décadence.
Fiiij
128
MERCURE DE FRANCE.
toyens & même à celui de tous les hom
mes ; mais leurs loix dans l'exécution
devinrent un nouveau mal. Dracon don-
» na tout à la terreur , & ne fit que
» efclaves. Solon accorda tout à la liberté,
des
& ne produifit que l'anarchie. Lycurgue
ôta tout à la nature , & ne fit que
» malheureux. Les Romains établirent des
des
» loix pour étendre ou pour affurer leurs
» conquêtes , & non pour rendre les
hommes meilleurs. L'ouvrage de M.
de Montefquieu étoit néceffaire à l'hu
manité.
» Il laiffe au defpotifme d'Afie des principes
qu'il ne pourroit détruire fans
bouleverfer une partie de la terre ; mais
il l'environne d'écueils & de précipi
hances. b.diz du in
1
n
pr
C'eft à des
gouvernemens où l'empire
eft légitime , où l'obéiffance eft honorable
, où le bonheur des maîtres & des
fujets eft toujours en proportion de la
fidélité qu'ils apportent à remplir leurs
devoirs refpectifs ; c'eft à ces gouvernemens
que M. de Montefquieu a confacré
fes veilles & fon travail..
» Il a connu tous les mobiles qui déterminent
les hommes au bien & au mal.
Ila mefaré les dégrés de force que les
» paffions peuvent oppofer à l'éducation ,
و د
JUIN 1755 129
à l'honneur , à la vertu . Il a enchaîné les
paffions par les paffions même , quand
elles rompoient l'équilibre. Jamais les
» refforts du monde moral n'ont été com
» binés avec tant de juſteſſe , ni n'ont eu
» de directions fi certaines.
M. de Chateaubrun termine fon difcours
par ce trait qui acheve le portrait
de M. de Montefquieu . » Propre à faire
» les délices de la fociété dans laquelle il
» fe comptoit pour rien , fes vertus étoient
» finceres ; il étoit avec lui-même ce qu'il
»paroiffoit avec les autres. On ne lui a
point connu de défauts ; & ce qui com-
» ble ſon éloge , perfonne n'a defiré de lui
93
» en trouver.
M. l'Abbé d'Olivet , en qualité d'ancien
Directeur , répondit à M. de Chateaubrun ,
& fit fon éloge en ces termes.
» Avant de nous parler pour vous , le
>> public venoit de vous accorder , ne di-
» fons point de ces applaudiffemens qui
» ne font pas refufés quelquefois à un art
» impofteur , mais de ces larmes précieu-
» fes que la nature commande elle feule
» & qui honorent l'humanité . Vous avez
»puifé dans la fource intariffable du beau
» & du pathétique . Vous avez fait voir
» que deux mille ans n'ont rien changé
ni à l'efprit , ni au.coeur de l'homme .
Fav
130 MERCURE DE FRANCE.
כ » Andromaque , Iphigenie , les Troyen
nes , Philoctete , font les meilleurs ou
> vrages qu'on ait fait pour défendre les
anciens contre les modernes.
13.
.samtell sh 10902.20 PA
v I
C
FOM/JULI NA 1755
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES - LETTRES.
ALGEBRE.
Solution du problème propofe par M.G ...
dans le Mercure précédent. Par M. Bezout
, Maître de Mathématiques.
Oient x , y , z , les nombres d'hommes,
dont les premier , fecond & troifieme
détachemens étoient compofés.
Tout le monde connoît la méthode de
trouver un nombre qui , divifé fucceffivement
par deux nombres donnés , laiffe deux
reftes donnés, v
Ainfi on trouvera en fuivant les art.
323, & prenant rs, pour repréfenter
des nombres entiers, pofitifs , on
trouvera dis-je ,.• * — 12 r + 1 }
2= 35·5 + oloros
3
-35 johns no 23631 + $ 9
L'art. 4 donne 12 + 11 631
22 ou 122 1634 acid 9 F79
+48705... ( 1)
F vj
32 MERGURE DE FRANCE .
S. le premier détachement de- Par l'art.
Vient
122 +20
Le fecond détachement
... 35 + 7
Le troifième détachement ... 632 + 540
Donc & par les art . 6 & 7 , on aus
827
20:35:57
:: 140 : 61 ; d'où
+ ·
4 -7
165 = 700s ... (2 ).
Par les articles, 6 & 8 , on a
63 +54
3
>
183r
127 20
:: 70 : SI ; d'où Sir 490, t
+335 ... (3 ).
Si au moyen des équations ( 1 ) .. ( 2 ) ..
( 3 ) , on cherche les valeurs de r , s , t , on
trouvera r = 45 , 5 = 12 t= 4 : fubftituant'ces
valeurs dans les équations , x
= ur +11 , &c. on trouvera
...
x = 551
y = 431 ༡
Z = 311
›
Je ne crois pas qu'il foit néceffaire de
faire remarquer qu'il n'y a pas d'autres
hombres qui puiffent fatisfaire au problême.
On voit allez facilement que la queftion
fe réduit à déterminer r , s , t : or on
a pour cela trois équations différentes ,
donc le problême eft déterminé ; & comme
ces équations font toutes du premier dégré
, il ne peut avoir qu'unefolution.
1 paroît donc que les autres folutions
FOKMHUIN # 11985
propofées par l'Auteur du problème ne
peuvent avoir lieu , & doivent néceffairement
manquer à quelques- unes des conditions.
Au refte je ne finirai point fans
remarquer que l'article 7 auroit pû être
énoncé d'une façon plus exacte. Il eft vrai
que le c'est- à - dire qui lie les deux propofirenferme
cet article , fe trouve
juſte dans ce cas- ci , mais c'eft par hazard ,
& c'eft la découverte des nombres 551 ,
431 & 311 , qui a pû feule faire connoître
que ces propofitions étoient les mêmes.
tions que
>
Or dès que l'énoncé ne donne pas moyen
de connoître leur identité , on eft fondé à
les regarder comme deux conditions différentes
; mais alors le problême deviendroit
plus que déterminé , ce qui feroit bien
contraire aux idées de l'Auteur , qui a regardé
jufqu'ici le problême comme indéterminé.
Je crois donc qu'il fuffifoit &
étoit même néceffaire de n'énoncer que
l'une des deux.
A Paris , ce 5 Mai 1755.
Nota. En comparant les articles cités avec
ma folution , on doit à la page 93 du Mercure
précédent , lire fept au lieu de trois.
Comme l'Auteur m'a envoyé trop tard la
fuite de ce Probleme , elle ne pourra paroître
que dans le fecond Mercure de ce mois.
134 MERCURE DE FRANCE.
HISTOIRE.
REMARQUES fur la defcription du
Cap de Bonne- Efperante , dreffée fur les
Mémoires de Pierre Kolbe.
I nombre des relations des Voyageurs
L n'eft pas étonnant que le plus grand
foient remplies de defcriptions imparfaites
& de faits apocryphes. La plupart de
ceux qui les ont faites n'ont eu ni le
tems fuffifant , ni les facilités néceffaires
ni même affez de critique & de connoiffances
philofophiques pour faire quelque
chofe de complet & d'exact : mais il
eft bien fâcheux de voir mettre au nombre
des relations les plus fufpectes la defcrip
tion du Cap de Bonne- Efpérance qui a été
faite par un homme de Lettres , envoyé
exprès fur les lieux , & qui y a féjourné
pendant fept années enrietes. C'eft cependant
ce que l'intérêt de la vérité m'oblige
de faire aujourd'hui.
Feu M. le Baron de Krofick , Seigneur
fort zélé pour les fciences , avoit conçu le
deffein de procurer au public. un grand
nombre d'obſervations aftronomiques fort
intéreffantes , avec une hiftoire du Cap de
1
JUIN. 1755 138'
Bonne - Efpérance auffi parfaite qu'il eft
poffible. Pour cet effet il y fit paffer à fes
frais Pierre Kolbe , l'un de fes Secrétaires ,
qui s'étoit chargé d'y faire toutes les obfer
vations poffibles d'aftronomie , de phyſi❤
que & d'histoire naturelle. Il n'eft pas né
ceffaire de dire ici ce qui empêcha Kolbe
de travailler férieufement à remplir fes
engagemens. C'est un fait conftant parmi
tous ceux qui l'ont connu dans cette colo
nie , qu'il n'a fait aucune des démarches
néceffaires , ni amaffé des matériaux pour
faire la defcription qu'il a publiée après
fon retour en Europe. Un examen médiocrement
critique de cette defcription fuf
firoit pour en convaincre un lecteur attentif
& inftruit je n'aurois donc pas entre
pris de relever ici quelques- unes des fautes
groffieres dont elle eſt remplie , fi la plûpart
de ceux qui l'ont lue n'avoient été
féduits par un air d'ingénuité , qui faiſant
prendre pour de petites négligences les
endroits évidemment faux , infpire une
certaine confiance fur la certitude des chofes
fingulieres qu'on y trouve comme rapportées
par un témoin oculaire , & qui
d'ailleurs ne peuvent être vérifiées que fur
Weidler , dans fon hiftoire de l'Aftronomie
l'appelle Jean-Michel
+
136 MERCURE DE FRANCE.
les lieux. C'eft ainfi que plufieurs perfont
nes fenfées fe font laiffé furprendre , &
entr'autres les Auteurs de la Collection des
Voyages , quoiqu'ils fe foient facilement
apperçus que les cartes inférées dans le
livre de Kolbe ne s'accordoient pas avec
la defcription du pays , qu'on trouve dans
la même livre.
Bien loin d'avoir été étudier les Hottentots
chez eux , Kolbe n'a pas même voyagé
fuffifamment dans l'intérieur de la colonie
pour en faire une . defcription paffable.
Sans avoir recours au témoignage unanime
des anciens habitans , qui affurent que
tous les voyages de Kolbe fe font réduits
à aller quelquefois de la ville du Cap aux
Paroiffes de Stellenbosch & de Drakeſtein,
& une feule fois de la ville aux eaux minérales
, qui en font à 25 lieues du côté du
canton appellé Hottentot Holland ; il fuffic
de comparer les cartes topographiques
qu'il a données , avec celles que j'ai fait
graver pour les Mémoires dé l'Académie
des Sciences de 175i , & dont les principaux
points ont été affujettis à des opérations
géométriques faites pour la meſure
d'un dégré du méridien , & l'on verra qu'il
n'eft pas poflible qu'un homme éclairé ait
parcouru un pays & l'ait fi mal repréfenté.
JUIN. 1755
"
Voici donc fur quoi Kolbe a fondé fa
defcription. Kolbe n'ayant plus de relation
avec fon protecteur , étoit hors d'état de
fubfifter au Cap , & même de retourner en
fon pays. Toute la colonie avoit alors de
grandes plaintes à porter en Europe contre
le gouvernement. Par les précautions que
les Gouverneurs avoient prifes , il étoit
prefque impoffible que ces plaintes parvinflent
en Hollande , ou qu'elles y produififfent
quelque effet. Les principaux
habitans s'adrefferent à Kolbe : ils lui of
frirent abondamment de quoi faire fon
-voyage , à condition d'en faire une relation
, dans laquelle il inféréroit , par forme
d'hiftoire , des griefs des habitans & les
principales pieces qu'ils avoient intérêt de
faire connoître au public . Pour fuppléer aúx
matériaux que Kolbe avoit négligé d'amaſfer
, ils lui remirent la lifte des plantes que
Oldenlanden , habile Botanifte , avoit obfervées
au Cap , & dont la plupart avoient
été cultivées dans un des jardins de la
Compagnie , par un nommé Hertog. ( Cette
même lifte eft rapportée dans le Thefaurus
Zeylanicus , fous le nom de fon véritable
auteur ) . Ils lui donnerent auffi des mémoires
qu'un Greffier de la Chambre de
Juftice au Cap , nommé Grevenbroeck ,
avoit écrits avec affez peu de critique für
738 MERCURE DE FRANCE.
l'hiftoire des Hottentots ; ils ne contenoient
, pour la plupart , que des réponſes
aux queftions que ce curieux avoit faites à
ceux de cette nation qu'il avoit rencontrés
dans l'intérieur de la Colonie, Cés
Hottentots avoient appris à leurs dépens à
fe défier de leurs hôtes.
C'eft fur ces pieces , & fur ce que Kolbe
a pû tirer de fa mémoire fur ce qu'il avoit
vu ou entendu dire pendant fon féjour au
Cap , que la defcription dont il s'agit ici a
été faite. Dans l'extrait que nous en avons
en françois en 3 vol. in- 12 , on a retranché
-le procès des habitans du Cap , & on a rédigé
en affez bon ordre tout le refte du
livre de Kolbe , qui eft fort confus.piti
Je n'entrerai point ici dans un grand
détail : je mettrai feulement quelques notes
-fur les principales chofes que j'ai vérifiées
par moi-même , n'approuvant ni ne defapprouvant
le refte dont je n'ai pas eu de
connoiffance certaine. Je fuis ici l'édition
de 1742 , à Amfterdam, chez Jean Catuffe.
Remarques fur le Tome I.
Préface , p. v. Kolbe n'a pas appris le
langage Hottentot ; il avoue lui - même
p. 51. ) qu'il n'a pu faire de grands progrès
dans la prononciation de cette langue.
Or une bonne partie de la connoiffance de
JUIN. 1755 . 139
3
&
6
ce langage confifte dans la prononciation ,
comme on le va voir bientôt.
Chap. III . n° . 4. Les Hollandois ne firent,
ni ne purentfaire un traité en forme avec
les Hottentots , peuples errans , & qui n'avoient
aucune idée de traités. Van Riebeck
les voyant affemblés autour de fon camp ,
leur donnoit quelques grains de verre , quelques
morceaux de fer & de cuivre rouges
il leur donnoit de l'eau de vie & de l'arack,
en les amufant ainfi jufqu'à ce qu'il eût
conftruit un fort. Mais en rendant compte
à fa Compagnie de ce qu'il avoit fait
s'affurer de la poffeffion du pays , il lui dit
qu'il avoit acheté l'amitié des habitans &
le droit de demeurer au Cap pour 40000
florins. Les Hollandois ont bien vû depuis
que les Hottentots n'avoient pas prétendu
faire de traité , & ils peuvent bien dire que
le pays ne leur appartient qu'à titre de
conquête.
pour
Chap. IV. Ce que Kolbe dit ici fur la
longitude & fur la latitude du Cap , ne
mérite pas d'être réfuté : pour ôter toute
équivoque, la longitude de la ville du Cap,
& en même tems celle de la pointe des
terres qui a donné ce nom à la ville , eſt de
35 dégrés 2 min . à l'eft du méridien de
Tenerif: la latitude de la ville eft de 33
dég. 59 min. & celle de la pointe des terres
140 MERCURE DE FRANCE.
qui forme le vrai Cap , eft de 34 dég. 24
min. En comparant ces déterminations ,
qui font fûres , avec celles de Kolbe , on
pourra juger de fa fuffifance ou de fon
exactitude fur ces matieres.
Chap. V. Ce que l'Auteur dit nomb. 2.
de l'origine des Hottentots , de leur tradition
fur Noh & fur le déluge , doit paroître
plus que fufpect après ce que j'ai dit cideffus
de l'autenticité des mémoires fur
lefquels Kolbe a fait l'hiſtoire de ces peuples.
N. 3. La langue Hottentote eft affez
douce dans la prononciation , elle n'a pas
d'afpiration forte , de fifflement , ni de fons
gutturaux : ce qu'elle a d'extraordinaire ,
ce font deux voyelles de plus que n'en
ont les langues d'Europe. Ces deux
voyelles font deux fons fort nets , exprimés
d'un par un froiffement de l'air entre le
bout de la langue & la partie fupérieure
du palais , tel que l'on a coutume de le
faire pour exciter les chevaux à marcher ;
l'autre fon eft un claquement de la langue
appliquée fortement à la partie fupérieure
du palais , puis détachée preftement. Par
différentes queftions que j'ai faites à un
Hottentot de bon fens , je me fuis affuré
que ces fons étoient des voyelles , parce
qu'étant prononcés tous feuls, ils Oonntt.uunnee
JUN. 17551 141
Ignification à peu près comme en françois
a, o , y, & en latin a , e , o , & forment feuls
des mots ; le fecond de ces fons eft ordinairement
fuivi d'une m ou de mm. Et
comme ces fons , en qualité de voyelles ,
reviennent néceffairement prefque à cha
que mot , cette langue paroît fort fingulie
re , mais ce n'eft rien moins qu'un bégaye
ment , quoiqu'en dife Kolbe.
Chap. VI. n. 3. Comment les Hotten
tots peuvent - ils entendre l'agriculture
mieux que les Européens , puifque c'eſt un
art dont ils n'ont jamais eu d'idée , &
qu'on ne peut les engager à pratiquer ,
quoique l'expérience leur air appris mille
fois qu'ils font réduits à la derniere difette
pendant les mois de Février & Mars , faute
de cultiver quelques- unes des plantes , dont
les bulbes font leur nourriture ordinaire ?
* N. 4. Les Hottentots qui font répandus
dans la colonie ne font pas plus fages que
les Efclaves négres des habitans. Les filles
des Hottentots qui font hors des limites
des habitations hollandoifes , s'échappent
en grand nombre de leurs maiſons paternelles
pour venir au fervice des Européens
, qui les retiennent pour aider à la
cuifine , & pour fervir d'amufements aux
Noirs. Ces filles ne font pas naturellement
voleuſes ; cependant il faut bien tenir fous
C
142 MERCURE DE FRANCE.
la clef le vin & l'eau de vie , dont elles
font extrêmement friandes .
Chap. VII. n. 5. Il eft certain qu'il y a›
à 150 lieues à l'Eft-nord-eft du Cap une
nation blanche. Ces peuples ont les cheveux
longs , & font de la même couleur & à
peu près de la même figure que les Chinois
de Batavia , qui font bannis au Cap. C'eft
ce qui fait qu'on les appelle au Cap les
petits Chinois.e
Chap. VIII . Les Hottentots qui font aut
fervice des Européens ne gardent leurs
peaux de mouton que lorfque l'on ne leur
donne pas d'habits ; ils font fort glorieux
d'être couverts de haillons bleus de toile
ou de gros drap noir ; les femmes fe cou+
vrent plus volontiers la tête d'un mouchoir
, à la mode des Negreffes , que de
leur bonnet de peau de chat.
No. 2. Les plus belles franges font des
grains de verre coloré , enfilés à un brin de
jonc attaché par un bout. Il n'y a pas longtems
que nous avions adopté cette mode
Hottentote. ·
Les ornemens des Hottentots , par exemple
, leurs bracelets , leurs colliers , les
courrois des jambes des femmes font groffierement
faits & fans goût : il faut rayer
bien des hiperboles dans ce chapitre de
Kolbe.
JUIN . 1755. 143
• N°. 3. L'auteur fe contredit au fujet des
pendans d'oreille ; j'en ai vû de réels , non
pas de nacre de perle véritables , car il
n'y en a pas au Cap , mais compofés de
petits cauris.
*
Chap. IX. Les noms des diverfes nations
Hottentores qui font rapportées ici ,
ont pu exifter du tems de Grevenbroek ,
qui écrivoit fur la fin du fiécle dernier
aujourd'hui on n'en connoît plus que deux
ou trois. La multiplication des colons eu
ropéens en a fait retirer un grand nombre.
Une furicufe maladie , qui étoit une efpéce
de petite vérole , enleva en 1713
profque tous les Hottentots reftés parmi
les Européens ; elle fit périr un très- grand
nombre d'efclaves noirs , & même beau
coup de blancs. Depuis ce tems- là aucune
nation Hottentote n'a fait corps , ou n'a eus
de gouvernement régulier dans toute l'étendue
de la colonie. Ceux qu'on y trouve
font , ou au fervice des Européens pour
faire paître les troupeaux , ou pour cou❤
rir devant les charriots ; ou ce font quelques
'familles raffemblées à qui ces Eu
ropéens permettent de refter fur le terrein
dont ils font en poffeffion.
Il paroît au refte qu'il y a beaucoup d'e
xagération dans ce chapitre. Tout le pays
depuis le Cap en allant au nord , jufques
144 MERCURE DE FRANCE.
bien loin au-delà de la Baye de Sainte
Heleine , eft fec , fablonneux , couvert de
brouffailles , très-peu propre aux pâturages
, & prefque inhabitables. Comment
donc neuf ou dix nations Hottentores y
pouvoient - elles fubfifter ? vû la connoiffance
que j'ai de ces lieux , que j'ai parcourus
plufieurs fois pour y mefurer un
dégré cela me paroît impoffible , à moins
que chacune de ces nations ne confiftât
qu'en un feul kraal , ou village.
No. 17. Les Bufchiefmans font , pour la
plupart , ceux des Hottentots à qui les Européens
ont enlevé, des beftiaux ; ils s'entendent
quelquefois avec les Hottentots
qui font au fervice des Européens , pour
ufer de repréſailles
Je n'ai pas eu d'éclairciffemens fur les
chapitres X & XI .
Chap. XII. Il paroît conſtant par le rap
port unanime de tous ceux du Cap . qui
connoiffent les Hottentots , que ces peu
ples n'ont aucune idée de culte à rendre à
un être fuprême ; ils ne craignent que
quelques puiffances malfaifantes , aufquel
les ils attribuent les maladies & les malheurs
qui leur arrivent ; ils croyent qu'il
y a des forciers d'intelligence avec elles.
Il y a grande apparence que leur extrême
indolence leur a fait oublier les traditions
*de
JUIN. 1755-
145
de leurs ancêtres fur cet article. Un Hottentot
met fon fouverain bien à ne rien
faire , même à ne penfer à rien.
黎
N°. 3. Les danfes des Hottentots à la
pleine Lune ne font pas un culte . C'eft
an ufage commun à la plus grande partie
des nations méridionales de l'Afrique , à
celles de Madagaſcar , & même à plufieurs
nations indiennes , foit idolâtres , foit ma-
-hometanes .
que
x
N". 4. Ce que Kolbe dit ici fur l'infecte
que les Hottentots adorent , n'eft fondé
que fur un bruit populaire , & fur le nom
les premiers habitans du Cap ont donné
à cet infecte , que les Hottentots regardent
feulement comme un animal de
mauvais augure. Il eft affez rare dans lès
campagnes , & plus commun dans les jardins
des Européens : c'eft une espèce de demoifelle
, que j'ai retrouvée dans l'Ile de
France , où elle n'eft pas rare.
No. 6. Kolbe s'attribue ici un artifice
dont fe fervit Adrien Vanderftel , Gouverneur
du Cap , pour fe faire reſpecter &
craindre des Hottentots affemblés autour
de lui. 1
Je n'ai point eu d'éclairciffement fur les
chap. XIII. XIV. & XV.
*
Chap . XVI . N°. 1. Les Babouins ne
1. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
quittent pas les montagnes qui leur fervent
de retraite. Je ne fçais pas ce qui a
fait dire à Kolbe que les Hottentots
diftinguoient d'après eux les plantes & les
fruits qu'on peut manger fans danger.
N°. 2. Le Kanna eft totalement différent
du Gin-feng ; ils n'ont aucun rapport
enfemble.
No. 7. Pendant les mois de Novembre
& de Décembre , les Hottentots font infufer
, puis fermenter avec du miel , une
tertaine racine , ce qui leur fait une liqueur
fi forte qu'ils font dans une ivreffe
continuelle tant que la provifion dure , ils
en restent long-tems malades lorfqu'elle
eft épuifée , & qu'ils ne peuvent plus s'étourdir
par une nouvelle ivreffe .
Chap. XXII . Il n'y a aucun métier par
ticulier parmi les Hottentots , chacun y
fait ce qu'il juge néceffaire pour foi : aufſi
quoiqu'en dife Kolbe , les chef- d'oeuvres
qui fortent de leurs mains ne font-ils rien
moins qu'admirables. Leurs nattes , par
exemple , ne font qu'une enfilade d'une
efpéce de jonc , dont chaque brin eft placé
parallelement à côté d'un autre ; ils font
Lous traversés dans leur épaiffeur , & de
diſtance en diſtance , par cinq ou fix fils du
même jonc.
J
JUIN. 1755 147
Il n'eft pas vrat que les Hottentots fondent
du fer : le procédé rapporté par Kolbe
eft en ufage à Madagaſcar.
Chap . XXIV. n°. 4. Ce font les eſcla
ves Indiens qui s'appliquent les ventoufes
, comme Kolbe le dit ici des Hottenqui
n'y avoient jamais fongé.
tots ,
Remarques fur le tome II.
Chap. I. n° . 4. Les maifons de la ville
du Cap font bâties en briques , les fondemens
font de groffes roches brutes , les
toîts font d'un jonc long & menu , ou
bien ils font algamacés de deux couches de
brique & de chaux ; très-peu ont des jardins
, ce ne font gueres que celles qui font
hors de la ville ou fur les limites.
N. 6º. La maiſon de Conftantia eſt au
fud de la ville , à trois grandes lieues françoiſes
; elle eft dans un fond & fans aucune
vûe. Il n'eft peut- être pas inutile de dire
ici que le vin qui croît près de cette maifon
, & qui eft fi connu fous le nom de
vin du Cap , y eft en affez petite quantité.
Dans les meilleures années tout le terroir
de Conftance , qui confifte en deux habitations
contiguës , ne peut produire plus de
so à 60 lecres de vin rouge , qui y eft beaucoup
plus eftimé que le blanc , ni plus de
80 à 90 lecres de vin blanc ; la lecre
peut
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
contenir 550 pintes de Paris. La Compagnie
des Indes de Hollande oblige les propriétaires
de ces vignes de lui livrer tout le
vin qu'ils en recueillent .
ཛཱན
No. 7. Ce que Kolbe dit du nuage qui
couvre les montagnes du Tygre eft abfolument
faux . Ces montagnes font fort
baffes , & comme celles des environs de
Paris ; les nuages ne s'y arrêtent gueres.
La montagne bleue eft à quatre petites
lieues du Cap ; il y en a une autre de cè
nom à fix lieues du Cap : ces deux montagnes
font fort baffes , ifolées & petites ;
elles font trop peu fpacieufes pour avoir
pû fervir de retraites aux éléphans.
N° . 10. La fauffe baye eft bornée au
nord , dans une étendue de plus de fix
lieues , d'une plage de fable marécageufe
& fans montagne, quoiqu'en dife l'Auteur.
Les montagnes de pierres ne font qu'à la
partie occidentale.
N°. 12. La hauteur de la montagne de
la Table eft de plus de 3350 pieds du
Rhin , prefque double de ce que l'Auteur
dit avoir mefuré avec foin . Dans l'ouverture
qui eft au milieu de la face feptentrionale
de cette montagne, il n'y a que
quelques chétifs arbriffeaux. Ce creux né
fe forme pas par la chute des eaux , puifqu'il
eft couvert de plantes & d'arbustes .
JUIN. 1755 149
?
il n'y a qu'un ruiffeau qui s'y précipite.
No. 15. Ce qu'on appelle le Paradis &
' Enfer ne font pas deux grottes , mais
deux vallons affez profonds au midi de la
montagne ; ils font remplis de bois réſervé
pour la Compagnie : la difficulté d'aller
chercher ce bois dans l'un de ces vallons ,
l'a fait appeller l'Enfer ; l'autre s'eft appellé
Paradis par une raifon contraire. A l'entrée
de celui- ci , la Compagnie a une mai
fon & un beau jardin.
No. 16. Voyez fur le vent de Sud- eft
& fur le nuage de la Table ce que j'en ai
dit dans les Mémoires de l'Académie des
Sciences , année 1751 .
No. 17, Le monument dont parle Kolbe
n'a été élevé que fur la croupe du Lion ,
où la montagne eft baffe & fort facile à
monter ; la tête du Lion eft comme inaccef
fible. Ce monument eft abattu , & la pierre
de l'infcription enlevée.
No. 22. La montagne du Diable n'eft
féparée de celle de la Table que par une
gorge peu profonde : fon pied eft à près
d'un quart de lieue de la mer , & fon fommet
n'eft plus bas que le fommet voiſin de
la Table que de 31.toifes.
Chap. II. n°. 15. Ce que l'auteur dit
du nuage & des vents par rapport aux
montagnes de Stellenbosch, eft imaginaire :
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
tout s'y paffe comme fur les montagnes
voifines de la ville du Cap .
Chap. II. n° . 6. Tout cet article fur la
riviere appellée Bergrivier , eft abfolument
faux. Il y a quelques bonnes habitations
vers le commencement de fon cours , &
aux environs de l'Eglife de Drakeſtein ;
mais elle traverſe enfuite une vaſte pleine
de fable prefque inhabitable , & va fe décharger
dans la partie méridionale de la
baye de Sainte- Heleine , & non pas en un
point de la côte au nord de la baye , comme
l'auteur l'a mis fur fa carte : fon cours
eft tout au plus de 40 lieues , & non de
100 , comme Kolbe le dit n° . 12.
N° . 10. La tour de Babylone eſt le nom
'd'une habitation contigue à un affez bas
monticule. Kolbe en fait une haute montagne.
N°: 13 . Riebeckſcaftel eft une montagne
ainfi appellée parce qu'elle a été le
terme des découvertes de Van Riebeck ,
premier Gouverneur du Cap. On n'y a jamais
bâti de fort , ni placé de canon : il y
a quelques habitations au pied de cette
montagné , qui a 480 toifes de hauteur.
No. 16. La montagne du Piquet n'eft
qu'à trois petites journées du Cap , on y
peut aller à pied très- facilement en deux
jours. Kolbe la met à huit journées du Cap
JU. IN. 1755 IST
No. 20. Les deux aventures de Kolbe
racontées dans cet article me paroiffent
fort fufpectes , fur- tout celle des lions qui
vont rarement en troupe.
Chap. V. n°. 1. Les Hottentots n'ont
jamais eu des troupeaux fort nombreux en
comparaifon de ceux des Européens : ce
qu'un Européen un peu aifé en poffede ,
fuffiroit pour un kraal Hottentot de plus
de trente familles.
No. 5. Les queues de mouton du Cap
font de figure triangulaire , c'eft- à - dire
qu'elles font fort larges par le haut , & vont
en diminuant vers le bout ; elles ne font
pas plus longues que celles des moutons
d'Europe à proportion de leur groffeur. Le
poids ordinaire d'une de ces queues de
mouton du Cap , eft de 3 à 4 livres , au
plus 5 ou 6. On en voit par extraordinaire.
de 10 à 12 livres ; mais alors la chair du
mouton n'eft plus eftimée . Kolbe fait les
communes de 15 livres , & les moins come
munes de 30 livres au moins.
Chap. VIII. n°. 1. Il y a peu de graines
d'Europe qui dégénerent au Cap : au contraire
celles du Cap font plus eftimées à
nos lles que celles qui viennent d'Europe.
N°. 3. Il n'y a au Cap que très-peu de
fruits des Indes. Le plus commun eft la
G iiij
132. MERCURE DE FRANCE.
gouyave ; les bananes n'y valent rien , ni
les ananas. Des fruits d'Europe , il n'y a
que la pêche , l'abricot , la figue , le coing
& le raifin , qui foient auffi bons qu'on en
puiffe trouver en Europe .Les autres, comme
les pommes , les poires , les prunes , les
noix , les cerifes , les oranges , &c. ne valent
pas grand'chofe.
pas
No. 4. Je ne m'amuferai pas à réfuter
en détail ce que Kolbe dit ici du jardin de
la Compagnie qui eft au Cap : tout y eft
exageré à outrance. Il paroît cependant
qu'il a été autrefois plus rempli de productions
curieufes qu'il ne l'eft à préfent , parce
que dans les commencemens de l'établiffement
de la colonie , on a eſſayé d'y
faire venir le plus grand nombre poffible.
des fruits de l'Europe & des deux Indes .
Cependant Kolbe ne doit l'avoir vû
dans ce premier état , puifque vers Fan
1706 , c'est- à- dire pendant la premiere ou
la feconde année du féjour de Kolbe au
Cap , M. Maxwell qui l'y a vû , & qui a
fait une defcription de cette colonie ( voyez
les Tranfactions philofophiques , année
1707 , n° . 310 . ) ,, dit expreffément que ce
jardin n'étoit plus dans un fi bel ordre
mais bien plus négligé que du tems du
pere du Gouverneur d'alors , & qu'il n'y
avoit plus rien d'extraordinaire. Il paroît
.
JUIN.
153 1755.
donc que Kolbe a fait fa defcription d'imagination
, fur ce qu'il avoit entendu dire
que ce jardin étoit autrefois. C'eft aujourd'hui
un affez beau potager. de mille pas
communs de long fur 260 de large , partagé
en 44 quarrés , entourés d'une haute
charmille de chêne ou de laurier. Deux de
ces quarrés font deſtinés à fervir de
parterre
à un pavillon fitué vers le milieu de
la face orientale de ce jardin , & un autre
quarré attenant eft rempli par trois berceaux
d'ombre : le refte contient des légumes
& affez peu d'arbres fruitiers. Ce jardin
eft prefque entouré d'un large foffe
d'eau vive , & arrofé par quelques rigoles
pratiquées le long des quarrés : ces quarrés
font formés par cinq avenues paralleles &
dans toute la longueur du jardin , & par
onze avenues perpendiculaires.
Chap. IX. no. 1o. Je n'ai pas entendu
parler de maux d'yeux pendant mon ſéjour
au Cap.
No. 18. J'ai vu au Cap beaucoup de
goutteux ; la pierre & la gravelle y font fort
communes.
N° . 19. Les habitans de la ville du Cap
ne fe donnent prefque jamais de repas :
leur ufage eft de s'affembler tous les foits
depuis cinq heures jufqu'à neuf ,
pour fu
mer , jouer, & boire du vin & de la
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
bierre fans manger quoi que ce foit.
Chap . XI. On n'a pas encore reconnut
au Cap de mine riche en quelque métal.
Chap. XIV . Kolbe raifonne ridiculement
fur la couleur de la mer. Tous les marins
fçavent que par-tout où la mer eft profonde
, ou fans fond comme ils difent , elle
a une couleur bleue- noire : fur les bancs &
près des côtes où l'eau eft peu profonde ,
elle a une couleur verd- fale ; celle- ci eft
même une marque sûre que l'on a fond ..
N°. 5. Le phénomene rapporté ici paroît
fort fufpect , & les circonftances des tems
y font mifes avec une préciſion ridicule.
A peine s'apperçoit- on au Cap de la différence
des marées hautes & baffes ; elle
ne va jamais à trois pieds , quand elle eft
la plus grande.
Chap. XV. Tout ce chapitre eft fi plein
de bévûes , qu'il eft impoffible de les détailler
je fuis obligé de renvoyer le lecteur
aux obfervations météorologiques ,
que j'ai inferées dans les Mémoires de l'Académie
royale des Sciences , année 175.1 .
Remarquesfur le tome .III.
L'hiftoire des animaux du Cap n'a été
faite par Kolbe fur aucun mémoire particulier
; il s'en eft rapporté à ce qu'il avoit
entendu dire , & a mis quelques defcrip
JUIN. 17536 155
tions tirées de quelques naturaliftes modernes
& de Pline . Je ne fuis pas affez
fçavant fur cette matiere pour relever les
bévûes de notre auteur : je me contenterai
d'indiquer quelques faits dont je me fuis.
affuré par moi-même .
Chap. III . n° . 17. J'ai vu la dent d'un
des plus gros hippopotames du Cap : elle
avoit fept à huit pouces de long fur près.
de deux pouces d'épaiffeur , elle m'a
pefer moins que quatre livres.
paru
Chap. IV. n . 3. Les élans du Cap pefent
jufques à huit cens livres , & il n'y a
prefque pas d'arbres dans la colonie : de
là on peut juger s'il eft poffible de prendre
les élans , comme l'auteur le dit. A la
vérité cette rufe fe pratique pour prendre
une efpece de daim affez petite , qu'on.
appelle Steinbock , mais une branche d'arbres
ou un arbriffeau fuffit pour cela..
Chap. VI . n ° . 3. On voit ici un conte
puéril fur les vols des babouins ; il eſt
d'autant moins vraisemblable que ces animaux
ne s'écartent jamais des montagnes
où ils ont leur retraite. J'ai bien oui dire
qu'ils pilloient quelquefois les jardins en
troupe , mais je n'ai vû perfonne qui aiɛ
dit avoir été témoin des circonftances qu'on
en raconte ici .
No. 13. Le blaireau puant reffemble fore
G. vj
156 MERCURE DE FRANCE.
à un baffet , & point du tout à un furet ;
il ne put pas quand il eſt mort ,
qu'il ne fe corrompe.
à moins
N°. 19. On ne mange pas les tortues de
térre du Cap , qui font fort petites ; elles
pefent rarement trois livres. Quelques
Noirs en mangent , quelquefois auffi des
voyageurs qui fe trouvent dans la néceflité.
Les tortues de terre de l'ifle Rodrigue font
excellentes , & pefent trente , quarante ou
cinquante livres : j'en ai vû une qui ne
pefoit gueres moins que cent cinquante
livres.
Chap. XV. n°. 3. Ce qu'on dit des
fquelettes nettoyés par les aigles eft fort
exagéré. J'ai vu des carcaffes rongées par
des aigles , où ils avoient laiffé feulement
une partie de la peau qui recouvroit les os
décharnés .
Nº. 20. Je n'ai vû aucune espece d'hirondelle
au Cap pendant les deux hivers
que j'y ai paffés. Elles y arrivent en Septembre
, & partent en Avril ,
Chap. XIX . n° . 3. Les alouettes du
Cap font d'une efpece différente des nôtres
. L'alouette s'éleve perpendiculairement
à dix ou douze pieds de hauteur feulement,
en faifant beaucoup de bruit par le battement
de fes aîles , puis elle retombe fubitement
comme une maffe , en jettant un peJUIN.
1755
$5.7
tit cri : elle ne refte jamais en l'air.
No. 14. Le corrhan eft une espece de
gelinotte qui a coutume de crier pendant
le tems de fon vol , qui eft affez pefant.
Son cri n'eſt pas tel qu'on le dit ici , il reffemble
à ce mot repeté cococahia : il ne
fait pas fuir le gibier , parce qu'il ne fe leve
prefque jamais qu'on ne foit fort près
de lui. Sa chair eft affez bonne , fur- tout
faire de la foupe. pour
No. 20. L'endroit du Cap où l'auteur
prétend que les grues s'affemblent ordinairement
, eft fi peu pierreux , qu'il faut
faire plufieurs lieues , & s'approcher des
montagnes pour trouver une pierre groffe
comme une noiſette.
Chap. XXII . N ° . 1. Le fapin n'a pu
encore réuffir au Cap .
>
N°. 29. L'afperge eft chetive toute
blanche , fans goût , & pareille à celles
qu'on fait venir à Paris dans les caves pendant
l'hiver.
No. 13. Il y a peu de chanvre au Cap ;
fa tige y devient ligneufe : le peu qu'il y
en a fert de tabac aux Noirs .
Nº. 19. Le noiſetier eft tout en bois ;
fa coque eft toujours vuide ou fans fruit
No. 35. 11 eft rare de manger un bon
melon au Cap ; la graine y a dégéneré dès
la troifieme année qu'elle eft arrivée d'Europe.
15 MERCURE DE FRANCE.
No. 40. Les citrouilles ou giromons da
Cap font plas ppeettiitteess qquuee les citrouilles
communes en France .
No. 52. Quoique le climat du Cap foit
affez propre en général pour la production..
des végétaux d'un grand nombre d'efpeces
communes en Europe & dans les Indes ,
cependant il s'en faut de beaucoup que ce
ne foit un auffi bon pays que Kolbe le dit
ici d'après Meifter . Par exemple , le grand
jardin de la Compagnie au Cap ne produit
prefque rien pendant les mois de Decembre
., Janvier , Fevrier & Mars . On
doit l'abondance des vivres qu'on trouve
au Cap , 1 ° . au choix qu'on a fait des
meilleurs terreins dans la vafte étendue de
cette colonie . 2º. A la température du climat
, où il n'y a rien à craindre de la pars
de la gelée & de la grêle . 3 ° . A l'engrais
des terres , facilité par le nombre confidérable
des beftiaux . 4º, A la nouveauté de
ces terres , qui ne font pas encore épuifées
& qu'on laiffe repofer comme en Europe.
Le pays par lui-même ne produifoit aucun
fruit avant l'arrivée des Européens , & ceux
que l'on y a portés ne réuffiffent que dans
le voifinage des montagnes , où l'on trou
ve de la terre franche ; les plaines font
recouvertes d'un fable ſterile , remplies de
brouffailles , prefque impratiquables : la
JUIN. 1755. 159
plupart des habitations font fans eau &
fans bois , du moins dans prefque toute la
partie de la colonie que j'ai vûe. J'ai cependant
entendu dire que la partie de la
colonie qui s'étend fort au loin à l'eft des
montagnes du Stellenbosch eft beaucoup
mieux arrofée , de bonne terre & bien boifée.
*
HISTOIRE NATURELLE.
Lettre de M. l'Abbé J *** à M. le Chevalier
de *** fur les pétrifications d'Albert
en Picardie.
M
ONSIEUR , de retour depuis quel
que tems dans ma patrie , j'ai faifi
le premier moment de loifir pour fatisfaire
ma curiofité fur un des plus finguliers jeux
de la nature . Les pétrifications que l'on a
découvertes depuis peu dans la petite ville
d'Albert font ici trop de bruit pour ne
pas avoir excité l'avidité d'un homme
pour qui l'étude de la Phyfique aura toujours
mille attraits : c'eft cet efprit de re
cherche qui me conduifit au commence
ment du Carême dernier dans cette ville.
Avant que de defcendre dans le fouterrein
où font les pétrifications , je mefurai
* Ces remarques font deM. l'Abbé de la Cailler
160 MERCURE DE FRANCE.
par le moyen du puits , la profondeur de
la carriere , & , déduction faite de la diftance
de l'eau au niveau du terrein où elles
fe trouvent , je comptai trente-fix pieds &
plus. Je crus d'abord que je pouvois m'être
trompé , parce qu'avant mon voyage d'Albert
j'avois vu dans l'almanach d'Amiens
, que cette carriere de pétrification
étoit à vingt pieds de profondeur ; mais je
recommençai mon opération en préfence
de plufieurs témoins , & ils furent obligés
de reconnoître avec moi l'erreur de l'almanach.
Quand je ne donne même que tremte
- fix pieds à cette carriere , je ne parle
que
de la hauteur du terrein de la cour ,
dans laquelle eft l'ouverture du puits ; car
la partie de la pétrification qui s'étend
fous le jardin , peut avoir quarante-huit à
cinquante pieds.
Affuré de mon opération , je defcendis
dans la cave du propriétaire ; elle peut
avoir environ dix - huit à vingt pieds de
profondeur , & ne préfente rien qui foit
digne d'attention . De cette cave je parvins,
par un escalier commode , dans le corps
de la carriere ; j'y fus d'abord furpris de
l'abondance , de la variété & de la beauté
de ce phénomene terreftre. Je remarquai
dans un espace de cent quinze pieds de
* Article d'Albert.
JUI N. 1755. 161
long , & d'environ cinq à fix pieds de Iarge
, une voûte de pétrifications , composée
d'un nombre infini de rofeaux , d'argenti
*e * , de mouffe & de plufieurs herbes ma
récageufes. Un tronc d'arbre , d'où fortent
plufieurs branches qui s'élevent dans un
grouppe de rofeaux pétrifiés , attira furtout
mes regards , par la groffeur des bran
ches , qui peuvent avoir environ quinze
pouces de circonférence ; on peut juger de
la hauteur , & par conféquent de la beauté
de ce morceau. Il feroit à fouhaiter
que
quelqu'un voulût faire la dépenfe néceſſaire
pour le féparer des rofeaux & autres
herbes qui l'enfeveliffent.
Afin de pouvoir plus facilement décou
vrir la caufe de ce jeu de la nature , j'ai
confideré avec foin les différentes efpéces
de terre que la tranchée laiffe voir. J'en
remarquai d'abord une blanche & légere ,
dans laquelle fe trouve les rofeaux & les
herbes qui forment le fond de la pétrifica
tion ; plus bas je découvris une autre ter
re plus brune & plus forte , dans laquelle
je trouvai quelques morceaux de rofeaux
caffés & pétrifiés : ces rofeaux font plus
lourds , plus ferrés & plus bruns que ceux
de la pétrification fupérieure. Deffous
certe terre brune je trouvai une eſpèce de
*Merbe aquatique .
162 MERCURE DE FRANCE.
fable , tantôt gris , tantôt brun. Quelques
morceaux de rofeau que j'ai tirés de ces
deux fortes de fable font encore plus pefans
& plus denfes que ceux dont je viens
de vous parler ; j'en ai même découvert
qui reffemblent au grès & au marbre.
Enfin deffous ces efpéces différentes de
terre j'apperçus un banc de glaife , qui
peut avoir fept à huit pouces d'épaiffeur ,
& même dans quelques endroits davantage.
Cette glaife eft d'un brun très - noir
& contient une efpéce d'huile très- graffe :
elle reffemble parfaitement à cette terre
d'Angleterre dont on fe fert pour dégraiffer
les étoffes on pourroit auffi la mettre
en ufage pour nettoyer les métaux & les
polir ; ceux que j'ai frottés avec cette glai
fe font devenus très clairs.
;
C'eft dans cet intervalle qui eft entre
les rofeaux & cette glaife , qu'on trouve
certains coquillages dont j'ai ramaſſé de
trois efpéces les plus curieux font ceux
qui s'élevent en pyramides . On découvre
auffi plufieurs de ces coquillages entre les
branches de rofeaux pétrifiés. Je regarde
cette glaife dont je viens de parler comme
la matrice de la pétrification ; c'est elle
qui a arrêté & amaffé les eaux qui ont dé->
aché les principes les plus déliés des diffé
rentes terres fous lefquelles ces rofeaux &
JUIN. 1755. 163
ces herbes fe font trouvés enfevelis , & qui
les ont portés & fixés dans les pores de ces
mêmes rofeaux.
J'ai cherché en vain de la fougere dans
cette carriere immenfe. Malgré l'obſervation
annoncée dans l'almanach d'Amiens ,
je n'ai rien trouvé qui parût approcher de
cette plante , dont l'épaiffeur , la longueur
& la bordure des feuilles feroient cependant
fort aifées à diftinguer ; je crois même
qu'il n'y en a jamais eu dans ce fouterrein :
en voici la raifon . La fougere ne vient
que dans les endroits fecs & fablonneux :
or avant le remuement des terres qui a
dû néceffairement fe faire dans l'endroit
où eft actuellement Albert , le terrein où
eft la pétrification n'étoit qu'un marais peu
élevé au-deffus de la riviere ; c'étoit dans
ce marais que regnoit le foffé dont les rofeaux
& les herbes pétrifiés forment le phé
noméne qui occupe aujourdhui les Phyfi
ciens. Il n'est donc pas probable qu'une
plante qui ne fe nourrit que de fable ait
pû pouffer dans la fange & dans l'eau dont
ce foffé étoit fans doute arrofé : peut-être
que ces premiers obfervateurs ont pris Par
gentine pour de la fougere pétrifiée.
Je m'apperçois que j'entre infenfiblement
dans l'origine & dans la caufe de ces
pétrifications. Je connois trop toute la dif
164 MERCURE DE FRANCE.
ficulté d'une pareille entreprife , pour ne
pas fouhaiter de pouvoir me difpenfer
d'entamer cette difcuffion . Il eſt bien plus
aifé de rapporter ce qu'on a vû que de
retracer le chemin que l'Auteur de la nature
a fuivi dans fes productions extraordinaires
: auffije vous prie , Monfieur , de regarder
ce que je vais ajouter , comme l'opi
nion qui m'a paru la plus fimple & la plus
conforme à la vue du local : je fouhaiterois
même que ce que je vous ai rapporté de ce
prodige naturel , ainfi que les conjectures
avec lefquelles je finirai cette lettre , puiffent
affez piquer votre curiofité
pour vous
engager à faire le voyage d'Albert ; vous
y trouverez des objets dignes de votre attention
, & je jouirai du doux plaifir de
vous faire les honneurs de ma parrie..
J'aurois été affez tenté d'abord de reculer
l'origine de ces pétrifications jufqu'au tems
du déluge , & de l'attribuer à cette immenſe
révolution que fes eaux dûrent produire
fur la furface de notre globe , fi quelques
obfervations ne m'avoient déterminé à ne
placer l'époque de cette merveille qu'au
tems où les premiers Seigneurs d'Albert firent
bâtir le fort & la ville : alors il fallut
applanir la colline fur la pente de laquelle
la ville eft placée ; c'eft ce qu'on ne put
faire qu'en comblant une partie du marais
JUIN. 1755 165
qui fe trouvoit deffous , avec les terres
qu'on coupa un peu au- deffus de la naiffance
de la colline : il eft aifé de s'en
appercevoir
par la petite riviere ( appellée
Ancre ) qui arrofe aujourd'hui les environs
de la ville . Cette riviere couloit autrefois
le long d'une partie de la montagne
fur un plan à peu près également ineliné
, tandis qu'elle fe trouve à préfent
obligée , en quittant la ville , de defcendre
dans le marais voifin par une * caſcade de
près de foixante pieds . Lorfqu'on a voulu
bâtir Albert , on a donc été forcé de changer
le lit, de cette riviere jufqu'à l'endroit
de la cafcade , & de lui en tracer un beaucoup
fupérieur pour la commodité de la
2
nouvelle habitation.
Avant ce tems la carriere de pétrification
n'étoit qu'un foflé creufé dans cette
partie de la prairie , préfentement comblée
, & qui alloit fe joindre au premier
fit de la riviere ; c'eft ce que confirme la
figne que décrit la carriere . Semblable à
cés petits ravins que les eaux forment dans
les terres , où à ces foffés qu'on creufe dans
les prés pour les arrofer , elle s'étend en
ferpentant du midi au nord . Il paroît donc
évident que c'eft au bouleversement du
Cette cafcade naturelle eft une des plus belles
qu'on puiffe voir.
166 MERCURE DE FRANCE:
terrein & aux nouvelles eaux qui ont coulé
à travers ces terres , qu'on doit attribuer
la caufe de la pétrification des rofeaux &
des autres herbes qui fe font trouvés couverts
par ces terres. Les eaux , en filtrant
dans les terres nouvellement remuées , en
ont détaché une infinité de petits corpufcules
de pierre qui ſe ſont inférés & coagulés
dans les différentes matières dont
nous venons de parler ; ce qui , en confervant
la forme extérieure , a fait autant de
pierres qu'il s'eft trouvé de rofeaux &
d'herbes propres à recevoir ces principes
pétrifians.
C'eſt ainfi que Peau de la fontaine d'Arcueil
dépofe fur fon propre lit les principes
de pierre qu'elle a détachés dans la
montagne d'où elle tire fon origine , &
qu'elle roule avec elle : ce dépôt eft fi confidérable
qu'on eft de tems en tems obligé
de nettoyer les canaux qui la conduisent
depuis Arcueil jufqu'à Paris;la croûte qu'on
en tire n'eft autre chofe que l'amas des
petits corpufcules de pierre qu'elle dépoſe,
& dont la coagulation forme une pierre
véritable .
Si les eaux d'Arcueil fe pétrifient pour
ainfi dire elles-mêmes , pourquoi celles
qui roulent de femblables principes de
pierre ne pourroient-elles pas les dépofer
JUIN . 1755
167
dans les pores ouverts des roféaux & d'autres
plantes , & en former de véritables
pierres 2
Pour découvrir fi le principe pétrifiant
n'a été que paffager , ou s'il réfide encore
dans ce fouterrein , j'ai confeillé au propriétaire
d'enterrer plufieurs petits chiens
& chats dans la terre qui fe trouve audeffus
de la glaife : on pourra auffi y mettre
des rofeaux non pétrifiés , qu'il faudra
vifiter de tems en tems.
Cette découverte véritablement digne
de la curiofité des Phyficiens , eſt ſituée
dans le milieu du fauxbourg de la ville , du
côté de la porte qui conduit à Amiens.
Je ne fçaurois trop me louer de la complaifance
de M. de Calogne qui en eft le propriétaire
; c'eſt en fouillant dans fa cave
pour en tirer de la pierre , qu'il a trouvé
ce tréfor caché...
J'ai l'honneur d'être , & c.
A Amiens , ce 8 Avril 1755;
168 MERCURE DE FRANCE.
MEDECINE.
Lettre àM. Molinard , Docteur- Régent de
la Faculté de Médecine en l'Univerfité
d'Aix , fur la rage , & la maniere de la
guérir , &c.
Mma
ONSIEUR
, je vous promis dans
ma derniere lettre de vous communiquer
au plutôt les obfervations
que j'ai
faites fur la nouvelle méthode de guérir
la rage avec le mercure ; je m'acquitte de
ma parole. Il eft important que le public
foit inftruit des bons & des mauvais effets
qu'il en eft réfulté , & que la Médecine
connoiffe le dégré de confiance
qu'elle
doit accorder à ce remede employé comme
curatifou préfervatif de cette maladie. La
multitude des faits qu'il me reste à vous
décrire feront plus que fuffifans pour fixer
nos doutes fur cet objet , d'autant plus intereffant
que la rage regne affez fréquemment
dans ces cantons , & qu'il ne faut
la plupart du tems qu'un loup enragé pour
caufer des defordres affreux dans tout un
pays , comme vous allez voir.
PREMIERE
JUIN. 1755. 169
PREMIERE OBSERVATION.
Une louve enragée fortant du bois de la
Mole , terre appartenante à M. le Marquis
de Suffren , parcourut rapidement dans
une nuit du mois de Juin de l'année 1747
tout le terroir de Cogolin . On ne fçauroit
exprimer le ravage étonnant qu'elle caufa
dans le court eſpace de quelques heures ; la
campagne fe, trouvant alors remplie de
monde à caufe de la moiffon , hommes ,
femmes , enfans , chiens , chevaux & troupeaux
, rien ne fut exempt de fes morfures
: ceux qu'elle trouva endormis dans
les champs en reçurent d'épouventables ;
ceux qui fe défendirent & lutterent contr'elle
en furent moins maltraités ; enfin
on eut bien de la peine à fe défaire de ce
féroce animal , qu'il fallut pourfuivre une
partie du jour fuivant , & qui traverfa plufieurs
fois une petite riviere à la nage fans
aucune horreur de l'eau.
1
La confternation fut générale , lorfqu'on
vit au matin la quantité prodigieufe
des beftiaux qu'elle avoit en partie ou
égorgés ou déchirés fur fon paffage. Pref
que tous ceux qui furent mordus , parmi
lefquels on en comptoit cinq au vifage, dix
aux mains , aux bras & aux cuiffes ; une
jeune fille à qui la louve avoit emporté
I. Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE .
toute la mammelle gauche , & nombre
d'autres plus légerement bleffés & à travers
leurs habits , eurent recours aux dévotions
qu'on eft en ufage de pratiquer
alors , & rien de plus. Quelques - uns plus
avifés furent prendre les bains de la mer ,
mangerent l'omelette à l'huître calcinée
panferent leurs plaies fimplement , &
moyennant ces précautions fe crurent fort
en fûreté . Il n'y eut que Jofeph Senequier
& fon Berger , de la Garde-Freinet , qui eurent
volontairement recours à moi.
Senequier avoit reçu plufieurs coups de
dents à travers la joue , & fon Berger avoit
la levre fupérieure percée de la largeur de
deux grands travers de doigt , avec déchirement
de la gencive . J'eus bien de la
peine à raffurer leur efprit alarmé par la
crainte d'une mort prochaine : Senequier
fur- tout paroiffoit troublé à l'excès ; il avoit
déja fait fes dernieres difpofitions , & attendoi:
la mort avec un effroi inexprimable.
Je n'eus garde de réunir par la future
la levre déchirée de fon Berger ; je me
fervis feulement d'un bandage contentif
pour rapprocher les parties divifées , afin
que la pommade mercurielle dont je chargeai
les plaies , eût le tems d'y féjourner
davantage , & que la fuppuration fût plus
longue. L'expérience montra que je penJUIN.
1755 .
171
fois jufte cette manoeuvre amena une cicatrice
plus retardée & un crachottement
continuel dans l'un & l'autre , qu'on aufoit
pu caractérifer dans certains jours de
petits flux de bouche , & que j'entretins
tout le tems convenable par de légeres
frictions le long des bras & des épaules ,
fe tout accompagné des remedes & du régime
néceffaire à l'adminiftration du mercure.
Infenfiblement les plaies fe fermerent
, & j'eus le plaifir de les voir tous les
deux vingt jours après exempts de crainte
& parfaitement guéris.
Je ne m'en tins pas là. Perfuadé qu'un
Médecin chrétien & qui a pour objet le
foulagement des pauvres malades , doit
tendre une main fecourable à tous ceux qui
en ont befoin ; je fis avertir la plupart
des perfonnes qui avoient été mordues ,
que je les traiterois charitablement , &
qu'ils n'avoient qu'à venir au plutôt chez
moi . J'étois bien aife de vérifier par moimême
fi le mercure étoit ce fpécifique
que la Médecine cherche depuis long- tems
contre la rage , & je voyois à regret qu'une
occafion fi favorable à fes progrès m'échappât
; mais je ne fus pas affez heureux
pour le perfuader à ces bonnes gens , dont
la plupart , entierement guéris de leurs
plaies , fe figuroient n'avoir plus rien à
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
craindre : la prévention publique augmen →
toit doublement leur fécurité. On avoit
répandu de part & d'autre que la louve
n'étoit pas enragée ; que la faim feule l'avoit
fait fortir du bois ; on l'avoit vûe
dévorer avidement des chiens & des brébis
, traverſer une riviere à la nâge fans
craindre l'eau , ce qui n'eft pas ordinaire
, difoit - on , aux animaux atteints de
rage. Quelques Médecins publioient encore
qu'on ne connoiffoit aucun remede
affuré contre cette maladie ; qu'il y avoit
du mal à expérimenter un fecours douteux
; il n'en fallut pas davantage pour
détourner ceux qui auroient eu envie de
profiter de mes offres charitables. Le hazard
me procura feulement la vûe d'une
jeune fille que je trouvai un jour fur mon
chemin en allant à la campagne ; elle étoit
dans un pitoyable état . La louve lui avoit
déchiré tous les muſcles frontaux , percé
le cuir chevelu en plufieurs endroits jufqu'au
péricrâne , & avec perte de fubftance
; fes plaies multipliées fur lefquelles
elle n'avoit appliqué depuis plus de vingt
jours qu'un fimple digeftif , étoient encore
toutes ouvertes.
A la vue de cette fille je craignis d'autant
plus pour elle , qu'elle avoit laiffé
écouler un tems favorable à ſa guériſon ,
JUIN. 1755. 173
Comme elle reftoit à la campagne , & que
je ne pus la retenir auprès de moi , je lui
fis donner tout l'onguent mercuriel que
je lui crus néceffaire , avec ordre d'en
charger fes plaies foir & matin , de s'en
frotter légerement les bras & les épaules
lui recommandant de me venir voir au
plutôt pour juger du progrès du remede ,
& avifer à ce qu'il faudroit faire.
>
Huit jours après je la vis de retour chez
moi. J'examinai fes plaies , que je trouvai
à peu - près dans le même état . Sa démarche
tardive & chancelante , un air de trifteffe
répandu fur fa perfonne , des yeux égarés ,
& les frictions mercurielles qu'elle avoit
négligé de faire , s'étant contentée de panfer
fes plaies feulement avec la pommade
me firent foupçonner quelque chofe de
finiftre. Interrogée fi depuis ma derniere
entrevûe elle n'avoit point été attaquée de
quelque fymptome infolite , elle me répondit
naïvement qu'ayant voulu boire
un peu d'eau le jour d'auparavant , elle
avoit reculé d'horreur à l'afpect du liquide
, fans fçavoir à quoi en attribuer la
caufe ; que preffée par la foif elle étoit
venue plufieurs fois à la recharge , mais
que fes tentatives avoient toujours été
inutiles ; ce qui lui faifoit foupçonner ,
difoit - elle , d'avoir avalé quelque arai-
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
gnée l'inftant d'auparavant qu'elle avoit
bu , pour avoir un tel rebut des liquides.:
Cet aveu fincere me découvrit la trifte
origine de fon mal ; cependant comme elle
ne fe plaignoit qué d'une légere douleur au
gofier , qu'à ce terrible ſymptome près de
l'horreur de l'eau , elle paroiffoit aufli tranquille
que fi elle n'eût point eu de mal , je
réfolus de tenter quelque chofe pour elle.
D'ailleurs , je fçavois qu'on étoit accou
tumé dans le pays de prendre des réfolutions
violentes contre les hydrophobes ,
de les enfermer , de les attacher cruellement
; qu'on en avoit étouffé fous des ma-
'telats , & noyé dans la mer il n'y avoit
pas bien long- tems ; je crus que l'humanité
m'obligeait à prévenir de pareils defor
dres ; que le public raffuré à la vue de mon
intrépidité à les vifiter , à les fecourir , deviendroit
plus compatiffant en leur faveur
& que fi je ne pouvois les fauver , du
moins épargnerois-je ces funeftes horreurs
à ceux que j'augurois devoir être bientôt
les triftes victimes de la rage.
Comme il étoit deja tard je renvoyai
cette fille , avec promeffe de me rendre
chez elle au matin. Je la trouvai dans un
plus grand abattement qu'auparavant ; une
fombre trifteffe répandue fur fon vifage
annonçoit le progrès du mal. Son pouls
JUI N. 1755 175
L
}
étoit tendu & convulfif , fes yeux paroiffoient
brillans & enflammés ; fon golier
devenu beaucoup plus douloureux , ne lui
permettoit plus d'avaler la falive qu'avec
des peines inexprimables ; c'étoient autant
de pointes de feu qui la déchiroient en
paffant je voulus lui faire prendre une
prife de turbith minéral , que je délayai
dans un fyrop convenable , mais je ne pus
jamais l'y réfoudre vainement porta telle
plufieurs fois la cuiller à la bouche ,
elle recula toujours fa main avec horreur .
Ses douleurs ayant augmenté elle fe coucha
quelque tems après fur fon lit , où fa
mere la frotta fur plufieurs parties du corps
de la pommade mercurielle . Je m'apperçus
que pendant cette opération elle étoit agitée
de mouvemens convulfifs dans plufieurs
parties du1 corps , & qu'elle commençoit
à délirer , ce qui augmenta fi fort
que dans peu fon délire & fes convulfions
devinrent continuels . Son vifage s'enflamma
par gradation , fes yeux parurent étincelans
, on les auroit dit électrifés ; elle
vomit plufieurs fois quantité de glaires
épaiffes & verdâtres , avala une prune
qu'on lui préfenta , en grinçant les dents
& d'un air furieux , & mourut le foir fans
autre effort que cette agitation convulfive
de tout le corps dont j'ai parlé , & qui ceſſa
tout à-coup fans agonie . Hiv
.
176 MERCURE DE FRANCE.
La nuit venue, ayant heureufement pour
aide un Chirurgien que j'envoyai chercher
, nous ouvrîmes fon cadavre qui exhaloit
déja une odeur fétide & puante ,
quoiqu'il y eut à peine trois heures qu'elle
étoit expirée : nous trouvâmes l'eftomac
inondé de glaires verdâtres , les membranes
de ce vifcere marquées de taches livides
& gangreneufes , s'en allant en lambeaux
lorfque nous les preffions tant foit
peu , & laiffant échapper de leurs vaiffeaux
engorgés & confidérablement diftendus en
quelques endroits , un fang diffous & fans
confiftance. L'intérieur de l'ofophage nous
parut également tapiflé des mêmes glaires ,
toutes fes glandes muqueufes étoient fort
tuméfiées , & fon orifice fupérieur fi refferré
vers l'arriere bouche qu'à peine póuvoit
- on y introduire un ftilet. Les poumons
étoient engorgés d'un fang diffous
avec des marques de gangrene , ainfi que
le foie & la rate , que nous trouvâmes plus
defféchés ; la véficule du fiel entierement
vuide : les inteftins n'étoient pas exemts
de cette inflammation générale ; le cerveau
nous auroit également paru dans le même
état fi nous euffions été munis des inftrumens
propres pour en faire l'ouverture.
Je crus que cette mort précipitée détruiroit
les préjugés du public , & que l'on
JUIN. 1755. 177
appréhenderoit avec raifon les funeftes fuites
de la rage : mais que les hommes peu
éclairés aiment étrangement à fe faire illufion
! On avoit vû le jour d'auparavant
cette fille traverfer d'un air tranquille le
village de Grimaud , où elle étoit venue
me trouver : étoit- ce là , difoit - on , une
hydrophobe , une enragée , qu'on s'imaginoit
devoir pouffer des cris affreux , &
fouffrir des attaques horribles ? On crut
donc que féduit par les apparences d'un
mal , que je ne connoiffois pas , j'avois
voulu lui en abréger la durée , en la préci
pitant au tombeau par quelque remede approprié
, ainfi qu'une fauffe pitié le faifoit
pratiquer autrefois fur les hydrophobes ,
qu'on faignoit des quatre membres ou
qu'on abreuvoir d'opium.
>
L'événement diffipa bientôt cette calomnie.
Nombre des chiens mordus par la louve
quitterent leurs troupeaux , & difparurent
on vit mourir de la rage quantité
des beftiaux , & les hommes tarderent peu
à les fuivre. Daullioules & Courchet , tous
les deux mordus cruellement au vifage , &
déja parfaitement guéris , payerent fucceffivement
la peine de leur fécurité . Ce qu'il
y a de particulier dans ces deux perfonnes ,
c'eft
que Daullioules étoit fi perfuadé d'être
hors d'atteinte de la rage , qu'ayant
1
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
fenti tout-à-coup , un jour qu'il dînoit à la
campagne , une grande difficulté d'avaler
les dernieres gorgées d'un verre d'eau fuivies
de douleurs piquantes au gofier , il ſe
crut attaqué bonnement d'une efquinancie .
De retour chez lui il ne fe plaignit pas
d'autre chofe à fon Chirurgien , qui le
faigna en conféquence , & lui appliqua des
cataplafmes à la gorge. Un Médecin qu'on
envoya chercher dans le voifinage , ne
le crut pas autrement malade. Il est vrai
qu'ayant voulu prendre du bouillon , on
fut étrangement furpris des contorfions
qu'on lui vit faire ; mais on attribuoit
toujours ce fymptome à l'inflammation du
gofier.Daullioules en étoit fi perfuadé qu'il
fe paffa plufieurs fois une bougie dans le
fond de la bouche , pour enlever , difoit-il ,
l'obſtacle qui s'oppofoit à la déglutition , &
l'expulfer par le vomiffement ; mais fes douleurs
dégénerant en étranglement fubit ,
avec perte de la refpiration lorfqu'ilvouloit
boire , & cet étrange fymptôme renaiffant
toutes les fois qu'on lui en préfentoit , il
comprit qu'il y avoit de l'extraordinaire
dans fon mal , & avoua lui - même aux affiftans
qui avoient perdu l'idée de fon dernier
accident , que c'en étoit ici les triftes
fuites. Il fut bientôt dans la grande rage,
& mourut le troifieme jour , après avoir
JUIN 11755: 179
fouffert de terribles attaques , qui l'obligeoient
à traverfer fon jardin en parlant ,
& s'agitant continuellement , de peur d'étouffer
à ce qu'il difoit.
Courchet qui ne fe croyoit pas moins
en fûreté que Daullioules , connut fon mal
à la premiere difficulté qu'il éprouva en
bûvant ; il foupoit alors dans une auberge
où il fe trouvoit , à quelques lieures de chez
lui. L'exemple de Daullioules , qu'il avoit
vû mourir la fémaine d'auparavant , lui
dépeignit encore mieux le danger qui le
menaçoit. Il retourna fur le champ à Cogolin
, non fans beaucoup de peine &
d'embarras , ayant à paffer une riviere ,
au bord de laquelle il héfita long-tems , en
pouffant des cris & des gémiffemens pitoyables
, juſqu'à ce que s'étant bandé les
yeux pour ne pas voir l'eau , il la franchit
de la forte. Arrivé chez lui , on le vit
s'enfermer dans une chambre obfcure fans
vouloir parler à qui que ce foit , priant
feulement de boucher tous les endroits qui
lui donnoient du jour , & menaçant qu'il
pourroit bien mordre fi on l'approchoit de
trop près. Il mourut ainfi le troifieme jour .
Ces accidens réitérés dans l'espace d'un
mois, & demi tout au plus , ouvrirent enfin
les yeux à ceux qui reftoient. Il ne fut
plus queſtion de foutenir que la louve
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
ས
n'étoit
pas enragée ; la fécurité fit place à
la crainte d'un femblable malheur . Tous
ceux qui avoient été mordus voyant Sé
nequier & fon Berger plus maltraités que
les autres , jouir également d'une parfaite
fanté , fe rappellerent alors les offres charitables
que je leur avois faites il y avoit
plus d'un mois ; ils accoururent inceffamment
à Grimaud me demander du fecours.
La plupart , au nombre de huit , étoient
déja guéris de leurs plaies , n'ayant été
mordus qu'aux mains & aux jambes ; il n'y
avoit que la jeune fille , appellée Courchet
, à qui la louve avoit déchiré la mammelle
gauche , dont les plaies fe fermoient
à peine. M'ayant avoué qu'elle y fentoit
de la douleur , je redoublai d'attention en
les faifant couvrir trois fois le jour d'une
dragme de la pommade mercurielle : on
en fit autant à fes compagnons ; ils prirent
quelques dofes de turbith minéral & de la
poudre de palmarius , furent affujettis à
des frictions réglées ; & lorfque je les vis
plus tranquilles , je les renvoyai chez eux
en leur prefcrivant ce qu'ils avoient à obferver
jufqu'à entiere guérifon .
Il n'y eut que le pere de la jeune Courchet
qui ayant été feulement égratigné par
la dent de la louve fur le dos de la main ,
& voyant fa petite plaie fermée dès le troi7
JUI N. 1755 .
181
fieme jour , crut n'avoir pas befoin des remedes
préfervatifs que j'avois donnés à ſa
fille. Deux mois & plus s'écoulerent fans
que j'entendiffe parler de lui , lorfqu'un
bruit fourd s'étant répandu qu'il étoit dans
la rage depuis trois jours , je me rendis expreffément
chez lui pour fçavoir au juſte
ce qu'il en étoit.
Je le trouvai affis fur la porte de fa
chambre , fa fille préfente , & nullement
émue du malheur de fon pere , qui me parut
alors fort tranquille , fans donner aucun
figne apparent de rage , quoiqu'on
m'eût affuré qu'il pouffât des hurlemens
affreux depuis deux jours. L'ayant interrogé
par quel accident il fe trouvoit dans
l'état qu'on m'avoit annoncé , & pourquoi
il n'avoit point voulu ufer des remedes
préfervatifs aufquels fa fille plus maltraitée
que lui , devoit fa guérifon .
Il me répondit que voyant fa plaie
qu'il n'avoit caractérisée que de fimple
égratignure , fermée dans l'efpace de deux
ou trois jours , & n'y ayant jamais fenti
la moindre douleur , les fuites lui en
avoient paru de fi peu de conféquence ,
qu'il n'avoit pas jugé à propos de prendre
mes remedes , d'autant mieux qu'il avoit
oublié promptement fon malheur , &que
fans un mouvement extraordinairequi
182 MERCURE DE FRANCE.
s'étoit fait fentir depuis peu fous la petite
cicatrice de fa plaie , rien n'auroit pû lui
en rappeller le fouvenir . Ce mouvement ,
à ce qu'il m'ajoûta , dégénera bientôt en
vapeur fubtile , qui montant diftinctement
le long du bras & du cou , fut fe fixer au
gofier , d'où s'enfuivirent peu-à-peu la perte
d'appétit , la douleur , les étranglemens
la fuffocation & l'hydrophobic .
Ce narré qui me parut intérellant pour
la théorie de la rage , me détermina à reſter
plus long-tems auprès de lui : je trouvai
fon pouls un peu tendu & convulfif , fans
fievre cependant ; il avoit quelque chofe
de hagard & de féroce dans l'afpect ; fes
yeux paroiffoient égarés & menaçans , il
frémiffoit dès qu'on l'approchoit tant ſoit
peu , les tendons de fes bras fouffroient
alors des foubrefauts & des tremblemens involontaires
, & l'on ne pouvoit le fixer fans
émotion . Ayant été me laver enfuite dans
un coin de la chambre , fans trop refléchir
à l'horreur que tous ces malades ont pour
la vue même des liquides , à peine vit - il
quelques gouttes d'eau répandues à terre ,
que fe levant avec fureur de fon fiége il
fe précipita rudement fur le plancher , en
fe bouchant les yeux , s'agitant comme un
épileptique , & pouffant des cris & des
hurlemens fi affreux , que tous les affifJUI
N. 1755.
183
tans faifis d'horreur à cet étrange fpectacle,
s'enfuirent auffi- tôt. Refté feul auprès de
lui je l'encourageai par mes difcours à fe
rendre le maître , s'il pouvoit , de ces mouvemens
; mais il me pria avec inftance de
faire emporter jufqu'aux plus petits vafes
où il y avoit de l'eau , parce que la vûe de
ce liquide étoit pire pour lui que de fouf ..
frir mille morts. Après qu'on lui eut obéi ,
il devint plus tranquille , & fe remit fur
fon féant , comme fi rien ne lui étoit arrivé .
Je lui propofai alors , pour furmonter
fon horreur de l'eau , de fe laiffer plonger
plufieurs fois dans un bain qu'on lui prépareroit
; mais il me conjura , les larmes aux
yeux ,
de ne pas
lui en parler feulement ,
de peur que cela ne réveillât en lui des
idées dont les fuites lui devenoient fi terribles.
Je me contentai feulement de le
preffer de fe couvrir une partie du corps de
la pommade mercurielle que je lui fis don
ner pour cela. Il m'obéit volontiers ; mais
aux premieres frictions qu'il fe fit le long
du bras , il fut pris de fi grands tremblemens
& d'une fuffocation fi convulfive au
gofier , qu'il me protefta plufieurs fois qu'il
alloit fe précipiter de la fenêtre pour s'en
délivrer. Encouragé de nouveau à fupporter
patiémment cette attaque , il continua
fon ouvrage, toujours avec des mouvemens
184 MERCURE DE FRANCE.
fi extraordinaires , des cris fi féroces , des
juremens & des lamentations fi touchantes,
que c'étoit une vraie pitié de voir une fi
étrange alternative : enfin s'étant couvert
de l'onguent une partie du corps , il parut
auffi tranquille que la premiere fois .
Demi-heure après les mêmes accidens
lui reprirent avecun vomiffement de glaires
verdâtres ; fon horreur de l'eau diminua
cependant tout-à-coup : il vit manger
& boire fon époufe fans nulle averfion ,
fans nulle crainte des liquides , ordonna
même qu'on lui préparât à fouper , affurant
qu'il boiroit à fon tour , & qu'il ne ſe
fentoit plus aucune répugnance pour cela .
Depuis ce moment fes accidens convulfifs
furent peu de chofe , il ne fe plaignit d'aucune
douleur. Déja fes parens fe flatoient
qu'il feroit en état de fouper bientôt
n'ayant pu rien manger ni boire depuis
trois jours ; mais ayant fouhaité repoſer
quelques momens auparavant, il fe coucha ,
fe couvrit la tête du drap , & mourut de la
forte fans qu'on s'en apperçut qu'au mo
ment qu'on fut pour l'éveiller . Tous les
autres qui s'attendoient d'avoir le même
fort , furent agréablement trompés , ils
jouiffent encore aujourd'hui d'une parfaite
fanté , & tout le Golfe de Saint-Tropès
pourra vous attefter leur guérifon .
JUIN.
1755 183
II. OBSERVATION.
En 1748 , au mois de Décembre , un
Chirurgien ayant été mordu par un chien
enragé fur le dos de la main , partie trèsdangereufe
comme l'on fçait ; rêvant chaque
nuit à des combats avec des loups &
des chiens enragés , & s'éveillant alors faifi
d'épouvante & couvert de fueur , vint
me faire part vingt jours après de fon trou
ble. L'application de la pommade mercurielle,
réitérée journellement , fur la plaie,
& quelques dofés de la poudre de palmarius
, le préferverent de la rage.
111. OBSERVATIO N.
En 1749 en hiver , je fus mordu au dos
de la jambe par un petit chien qu'une
jeune Demoiſelle tenoit couché fous fes
jupes , & près de laquelle je paffai un jour
que j'étois à la campagne . La qualité de la
morfuré qui faigna peu , l'efpérance pofitive
que cette Demoiſelle me donna que
fon chien n'étoit pas enragé , joint à un
voyage que je fis le lendemain d'affez long
cours , me firent bientôt oublier ce petit
accident'; je n'y aurois même plus penfé
fi ce n'eft qu'ayant fenti de tems à autre
un fentiment douloureux fous la cicatrice
186 MERCURE DE FRANCE.
de la morfure qui fut promptement fermée
, je craignis avec fondement que le
chien ne fût dans un commencement de
rage que la Demoiſelle ne connoifloit pas,
De retour un mois après au même canton ,
je courus m'informer fi le chien vivoit encore
; on m'apprend qu'il s'étoit égaré le
lendemain d'après la morfure qu'il m'avoit
faite , & qu'il avoit pareillement mordu
quantité d'autres chiens. Un trouble
fubit s'empare de moi , je deviens fombre
& rêveur , je me veux du mal d'avoir été
peu attentif à me préferver moi- même,
tandis que j'avois en tant d'empreffement
pour les autres. La cicatrice devient plus
douloureufe ; ma confternation augmente ;
je cherche de l'eau pour voir fi je fuis hydrophobe.
J'accours à la ville , je fais appliquer
fans délibérer une ventoufe fur la
cicatrice de la plaie qu'on fcarifie profondément
, & que je laiffe faigner tout le
tems qu'il faut ; je la couvre de mercure
deux fois la journée , j'en frotte encore
tout le long de la jambe , je prends deux
fois le turbith minéral , à la dofe de trois
grains , qui m'évacue copieufement par
haut & par bas ; je continue les frictions
quinze jours de fuite , le trouble fe diffipe
, l'efpérance renaît , la plaie fe referme
, & les chofes vont au gré de mes
fouhaits.
JUIN. 187 1755.
IV. OBSERVATION .
La fille de Clément Olivier de Sainte-
Maxime , âgée de dix- fept ans , fut mordue
au mois d'Avril de l'année 1750 , par
un gros chien enragé , qui la renverfa par
terre , lui fit plufieurs plaies confidérables
aux bras , à la main & aux jambes , ayant
emporté les chairs dans quelques endroits.
Il fallut bien du tems à toutes ces bleffures
pour être cicatrifées ; on ne les panfa qu'avec
la pommade mercurielle & le digeftif
ordinaire : je lui fis faire quantité de frictions
fur les bras, les épaules & les jambes ,
ayant été faignée auparavant pour prévenir
l'inflammation , & purgée plufieurs fois
avec le turbith mineral. Dès les premiers
jours cette fille avoit fon fommeil interrompu
par des rêves effroyables , croyant
être aux prises avec le chien enragé :
dès que le mercure commença à pénétrer
dans le fang , la confiance reparut , fes alarmes
s'évanouirent ; les plaies ne furent
tout- à- fait fermées que deux mois après.
Elle jouit encore d'une parfaite fanté .
V. OBSERVATION.
Les nommés Olivier , la Rofe & Pafcal ,
de Caillian , furent pareillement mordus`
188 MERCURE DE FRANCE .
par un chien enragé en 1751 , l'un à la
jambe , l'autre à la cuiffe , les lambeaux des
chairs emportés. Je les mis à l'ufage de la
même méthode ; ils laifferent leurs plaies
long- tems ouvertes , prirent deux fois le
turbith minéral , n'employerent que la
pommade mercurielle dans le panfement ,
& les frictions que je leur ordonnai de
faire le long des parties bleffées ; ils vivent
encore aujourd'hui guéris & contens .
VI. OBSERVATION.
La fille du fieur Ferran , Aubergifte , de
Graffe , ayant été mordue à travers la
main gauche le mois de Septembre de l'année
paffée par un chien vraisemblablement
enragé , eut fa plaie bientôt confolidée
par le fecours de fon Chirurgien . Son
pere à qui des perfonnes dignes de foi
affurerent dans la fuite que le chien qu'on
avoit tué fur le champ en avoit mordu
quantité d'autres , me confia fa fille , ſur
la propofition que lui en fit M. l'Abbé
Laugier , Maître de Mufique de cette ville
, pour la préferver du malheur dont
elle étoit menacée . Je trouvai quinze jours
après fon accident la cicatrice de fa plaie
fort douloureufe ; ce qui m'obligea à l'affujettir
d'abord à quelques frictions réglées
JUIN. 189
1755 4
fur cette partie ; elle prit cinq à fix jours
après de petites dofes de turbith minéral ,
& dès que la douleur eut difparu , je fis
difcontinuer les frictions de la pommade
mercurielle elle eft encore aujourd'hui
en bonne fanté .
Tel eft , Monfieur , le précis des obſervations
qui décident de la fûreté du mercure
, comme un préfervatif affuré contre
la rage . Celles qu'il me reste à vous communiquer
pour n'avoir pas eu de fi heureux
fuccès , n'en prouveront pas moins
la bonté de ce remede , & nous fourniront.
aifément des conféquences & des inductions
néceffaires pour établir une théorie
plus exacte & une curation plus certaine
de cette maladie : ce fera à vous à en juger.
Je fuis , Monfieur , &c.
Darlue , Docteur en
Médecine .
A Callian , ce 25 Mars 1755 .
190 MERCURE DE FRANCE.
1
CHIRURGIE.
LETTRE au Frere Côme , contenant une
obfervation , qui prouve de plus en plus
l'utilité du Lithotome caché pour l'opération
de la Taille.
ONSIEUR › dans le courant du
Mmois de Juillet de l'année 1754 , je
fus appellé à Bourbon- l'Archambault ,
pour voir la nommée Anne de Canys , native
de Moulins en Bourbonnois , âgée de
huit ans , qui depuis trois ans reffentoit
des douleurs très -aigues , caufées par une
pierre dans la veffie . Dans l'hiftoire que
me firent les deux Médecins & le Chirurgien
du lieu , j'appris qu'un Maître en
Chirurgie de Paris , qui pour lors fe trouvoit
aux eaux , en venoit de tenter l'extraction
à l'ancienne maniere , & qu'il
avoit échoué. Il propofa , comme l'unique
moyen de l'extraire , votre lithotome caché
je voulus fonder la malade , mais
une inflammation confidérable du canal
de l'uretre caufée par cette tentative cideffus
, m'obligea de différer jufqu'à ce
que cette partie ait repris fon état naturel.
JUN. 1755... 191
Dans le commencement du mois d'Août
on fit tranfporter ladite malade à Moulins
: je la fondai & reconnus la pierre ;
mais un cours de ventre , accompagné
d'une fievre lente , jointe aux douleurs
caufées par ce calcul , avoient mis cet
enfant dans une fituation fi trifte que je
fus obligé de retarder l'opération , & de
travailler à détruire ou calmer tous les
accidens. Près de fix femaines s'écoulerent
fans que la nature ait voulu feconder
mes foins. Plufieurs de mes confreres qui
pafferent ici avec leurs régimens , & plufieurs
Maîtres de l'art les plus éclairés de
cette ville , qui virent cet enfant , me confeillerent
, pour ma réputation , de ne pas
entreprendre une opération qui ne pouvoit
être qu'infructueufe ; mais connoiffant
par expérience les fuccès de votre méthode
, je n'eus en vûe que la guériſon de
la malade , ou une diminution confidérable
dans cette complication de maux. Je
la taillai le huit Octobre de la même année
, en préſence de M. Jamé , Chirurgien
major du Régiment Dragons de Beaufremont
, & du R. P. Eleutere Benoît , Chirurgien
de la Charité je lui tirai une
pierre de la groffeur d'un oeuf de pigeon.
La malade a été guérie fans panfement le
,
192 MERCURE DE FRANCE.
dix-feptieme jour, & les accidens ci-deffus
ont totalement cellé : elle jouit aujourd'hui,
d'une parfaite fanté. Je vous prie , Monfieur
, s'il eft poffible , de faire inférer
cette opération dans le Mercure , je vous
en ferai très - obligé : j'ai quelque incrédule
à convaincre.
J'ai l'honneur d'être , &c.
Gerard , Chirurgien major
du Régiment de Berry ,
Infanterie.
A Moulins , ce 23 Avril 1755.
'ARTICLE
JUI N. 1755+ 193
ET V
ARTICLE
IV .
BEAUX - ARTS.
1 ;
MUSIQUE.
Euvres poftumes de M. Grandval , ancien
Organiste de Saint Germain- en- Laye .
procurer Gy chintates d'un
Na cru faire plaifir au public de lui
procurer fix Cantates d'un goût fingulier
, trois férieufes & trois comiques ,
trouvées dans les papiers du Sr Grandval
fi connu par la parodie de la Cantate d'Or
phée , par les divertiffemens de plufieurs
pieces du théâtre françois , & par le Menuet
qui a confervé fon nom . On retrouve dans
les paroles de ces Cantates la même gaieté
répandue dans le poëme de Cartouche , de
la compofition du même auteur. Ce recueil
fe vend chez Lambert , Libraire , rue &
à côté de la Comédie Françoife , au Parnaffe
, & aux adreſſes ordinaires de muſique
, & chez le fieur Madroux , éditeur
des Cantates , rue du petit Lion S. Sulpice ,
chez M. Robert , Sellier :
1. Vol.
194 MERCURE DE FRANCE.
SIX TRIO pour deux violons & la
baffe , dédiés à M. le Marquis de Cernay ,
Lieutenant général des armées du Roi ,
Commandeur de l'Ordre royal & militaire
de S. Louis . Par M. Lamoninary , OEuvre
3º. gravés par Mlle Bertin , prix 7 liv. 4 f.
Chez l'Auteur , à Valenciennes à Paris ,
chez le Sr Bayard, rue S. Honoré, à la Regle
d'or ; le Sr Vernadet , rue du Roule , à la
Croix d'or ; Mlle Caftagnery , rue des Prou
vaires , à la Mufique royale , M. Guerfan ,
Luthier , près la Comédie Françoife ; avec
privilege du Roi. L'accueil favorable que
le public a fait aux deux premiets OEuvres
de cet auteur , fait eſpérer qu'il applaudira
A ces nouveaux Trio .
SIX SYMPHONIES pour deux viofons
, alto viola , baffon , ou violoncelle
obligé , avec la baffe continue : compofées
par M. Papavoine , gravées par Mme Leclair
, prix 7 liv . 4 f. OEuvre 3 ° . A Paris
chez l'Auteur , rue S. Honoré , vis-à- vis
l'hôtel de Noailles ; le Sr Vernadé , rue du
Route , à la Croix d'or ; le Sr Bayard , rue
S. Honoré , à la Régle d'or ; Mlle Cafta.
gnery , rue des Prouvaires , à la Mufique
royale.
CATALOGUE des OEuvres de M. & de
JUIN. 1755. 195
Mme Papavoine. 1. Six Symphonies à
quatre parties , 6 liv. 2 ° . Pieces de clavecin
avec accompagnement de violon , 7 liv.
41. 3. Six Symphonies, à quatre parties ,
avec un baffon ou violoncelle obligé , 7 1 .
4f. Les fix premieres Cantatilles font fous
le nom de Mlle Pellecier. Les Arrêts d'Amour,
1 liv. 4 f. La Tourterelle , 1 1. 4 f.
Les Charmes de la voix , 1 l . 4 f. La Fête
de l'Amour , 1. 4 f. Iffé , 1 l . 4 f. Le Joli
rien , 11. 16 f. Le Triomphe des plaiſirs ,
I liv. 4 fols.
+
I
SONATES pour deux flûtes , compofées
par M. Devenet , Ordinaire de la mufique ,
Chapelle & Chambre du Roi , gravées par
Mme Leclair ; prix 4 liv. 16 f. Euvre 1 .
Chez l'Auteur , à Verfailles ; à Paris , chez
le Sr Vernadé , rue du Roule , à la Croix d'or;
le Sr Bayard , rue S. Honoré , à la Régle
d'or ; Mlle Caftagnery , rue des Prouvaires ,
à la Mufique royale ; & le St Lambert , Libraire
, près la Comédie Françoife.
L
GRAVURE.
A nouvelle eftampe que M. de Marcenay
vient de mettre au jour , eft gravée
d'après un payſage de Lucas Van-Uden ,
I ij
796 MERCURE DE FRANCE .
*
·
Peintre célebre dans ce genre , & qui a
-mérité l'eftime de Rubens pour lequel il a
travaillé fouvent. Le fujet eft un commen-
⚫cement d'orage ; le foleil fe couche & fait
place à des nuages qui s'amoncelent & qui
doivent renfermer la foudre , à en juger
-par l'action des figures , dont l'une à genoux
, les mains jointes & l'air effrayé ,
femble prier Dieu de détourner le nuage
i'épais qui s'avance ; les deux autres qui tèmoignent
également de l'effror , accélerent
le pas pour s'en mettre à l'abri , ce qui ' a
déterminé l'auteur à lui donner le titre
fuivant :
C
·
Coup
Le ciel fe couvre. Hâtons- nous,
.Il eft affez probable par le détail immen
fe & très-difficile à rendre dans la gravute
dans lequel Van- Uden eft entré , que c'eft
une vue de Flandre prife de la montagne ,
qui forme le premier plan , d'où l'on découvre
tine vafte plaine très - cultivéé ,
quoiqu'il y ait de grandes forêts ; une belle
riviere , après y avoir formé différens circuits
, y vient baigner fur le devant un antique
château , & entretenir par la fraîcheur
de fes eaux celle d'un bois , dont
Eépais feuillage paroît impénétrable aux
ardeurs du foleil.
Le Peintre a répandu dans ce tableau de
JUIN
1755. 197
grands effets , foit par les beaux accidens
qu'il y a ménagés habilement , foit par les
objets qui y étoient naturellement difpofés
; d'ailleurs il l'a peuplé d'une façon ,
agréable. On y voit un vol de heron , des
cygnes , des canards & des moutons qui
paiffent. Le Graveur a fi bien imité fa maniere
, qu'il eft devenu le rival de fon mo-,
dele , & qu'il paroît lui- même créer un
nouveau genre dans fon art. Son eftampe,
fe vend chez lui , rue des Vieux Auguftins ,
PORTRAIT de M. Chardin , deffiné
par M. Cochin , & gravé par M. Cars. Sa
reffemblance y eft heureufement faifie ;
cette naïveté qui forme fon caractere &
qui regne dans fes ouvrages , y frappe
d'abord les regards : on y reconnoît le La
Fontaine de la peinture.
T
Voici des vers faits pour être mis au bas
de cette eftampe. Un Artifte d'un talent fi
vrai mérite bien cette diftinction , & ne
peut être , felon moi , trop dignement cé-
Tébré par tous les arts réunis enſemble.
De quoi pourroit ici s'étonner la nature
C'eft le portrait naïf de l'un de ſes rivaux,
S'il refpire en cette gravure ,
Elle parle dans fes tableaux.
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
MOYREAU , Graveur du Roi , en fon
Académie royale de Peinture & de Sculpture
, vient de mettre au jour une nouvelle
eftampe qu'il a gravée d'après P. Wouvermens
, qui repréfente l'Ecurie flamande .
Le tableau original appartient à M. Denis ,
Tréforier général des Bâtimens du Roi ;
c'eft le n° . 79 de fa fuite . La demeure du
Graveur eft rue des Mathurins, la quatrieme
porte cochere à gauche , en entrant par la
rue de la Harpe.
ARTS UTILES.
ARCHITECTURE.
N de parler de Futilité & du progrès de
Ous avons eu plufieurs fois occafion
l'Ecole des Arts , établie à Paris par M."
Blondel, Profeffeur d'Architecture , rue de
ta Harpe ; mais les foins continuels que
fe donne cet Artifte pour le bien public &
la gloire de fon art , nous fourniffent fouvent
de nouveaux fujets de renouveller les
éloges que nous avons donnés au chef &
aux éleves. Les cours publics d'architecture
que M. Blondel donne chez lui gratuitement
les Jeudis , Samedis & DimanJUI
N. 1755
THELLE
J
ches , divifés
en Cours élémentaires
, de
YON
93
*
tique & de théorie , & que nous avons
annoncés dans les Mercures de Juin 17
& Juillet 1754 , n'ont point diminué fes
attentions pour les élèves qui lui font
confiés ; mais pour rendre fes contemporains
témoins des espérances que
l'on
peut
concevoir des talens naiffans de fes difciples
, M. Blondel a diftribué le 26 du mois
d'Octobre dernier , en préfence d'une affemblée
nombreufe & choifie , les prix
qu'il avoit propofés par divers programmes.
>
Les projets admis au concours furent
jugés par les Académiciens & les Artiſtes
les plus célebres , par les amateurs & les
connoiffeurs les plus éclairés , que le Profeffeur
avoit invités chez lui , & qui fe
font fait un plaifir de feconder par leur
préfence l'émulation des éleves & le zéle de
l'auteur. Douze de ces éleves ont concouru
dans quatre différens genres de talens
dont plufieurs d'entr'eux avoient déja remporté
des prix les années précédentes,
Par le premier programme pour les prix
d'architecture , on demandoit un édifice
public contenant diverfes galeries au
premier étage qui devoit être élevé fur
» un foubaſſement ; quelques -unes de ces
y galeries devoient être deftinées en parti,
I iiij
200 MERCURE DE FRANCE .
ور
» culier à contenir une bibliothéque , ainfi
» que la collection des eftampes & des
» deffeins des grands maîtres ; les autres
» devoient fervir de dépôt pour les antiques
; les médailles , &c. Il falloit auffi
» dans cet édifice deux magnifiques fal
» lons ; l'un pour contenir les tableaux des
» différentes écoles de l'Europe ; l'autre
" pour raffenibler les diverfes curiofités
» concernant l'hiftoire naturelle ; enforte
que ce temple des fciences , des arts &
» du goût , diftribué avec fymmétrie , &
compofé de formes régulieres & graves (
» devoit fuppofer pouvoir contenir dans
» un même lieu les livres , les manuf
crits , les eftampes , les médailles & les
bronzes qui fe voient à la Bibliothéque
du Roi , rue de Richelieu ; les antiques
» du Louvre , les tableaux du Luxem
bourg , & les cabinets d'hiftoire naturelle
du Jardin royal. Toutes ces diffé
rentes piéces devoient avoir chacune les
dépendances de leur reffort , & fe communiquer
par de grands efcaliers , auf
quels il falloit arriver à couvert dès la
principale entrée de l'édifice .
3
On diftribua pour ce projet trois prix ,
qui confiftoient en trois médailles d'argent
, la premiere d'un marc , &c. Celleci
fut adjugée à Samuel- Bernard Perron s
JUIN. 1755. 201
le cadet , de Poiffi ; la feconde à Jacques
Dumont , de Limoges , & la troiſieme â
Jean-Baptifte Daubenton de Paris .
ខ
"
Par le fecond programme , on exigebit
le projet d'une fontaine propre à être
R érigée au milieu d'une grande place ,
» telle que l'efplanade du pont tournant.
» Cette fontaine devoit être dans le goût:
de celle de la Place Navonne , à Rome ;
le bas pouvoit être compofé d'une archi
» tecture ferme & ruftique , élevée au mi-
» lieu d'un grand baffin de forme variée ;
» ou bien , au lieu d'architecture , on pouvoit
faire ufage de rochers , dont la plus
grande partie percée à jour laifferoit voirt
» des nappes , ou torrens d'eau d'un aſſez ,
gros volume. Au deffus de cette archi-
» tecture ou rocher pouvoient être pla-
» cées plufieurs figures , telles que celles dé
la ville de Paris , celles du commerce ,
» l'abondance , la Seine , la Marne , des
» Nymphes , des Tritons , &c. au milieu
» defquelles devoit s'élever une grande.
"pyramide ou colonne.coloffale enrichie.
» de fculptures relatives au fujet , & termi-,
» née ( en fuppofant qu'on préférât la co-
» lonne à la pyramide ) de la ftatue pé-
» deftre du Prince , ou autrement de fes
armes & fupports . Biogr
Ce prixa été remporté par Jean Raphaël
1
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
Servandoni , fils du célebre Peintre &
Architecte de ce nom ; il avoit préferé l'o
bélifque à la colonne.
Le troifieme prix étoit deftiné à celui
des douze concourans qui auroit le mieux
imité un fort beau deffein en encre de
la Chine de Gilles Oppenor , repréſentant
un morceau d'architecture mêlé de figures
& de payfages , du cabinet de M. Perronet.
Il fut adjugé à Bernard Jofeph Perron ;
Paîné , de Poiffi .
·
Le quatrieme enfin étoit un Deffein fur
papier bleu, du cabinet de M. d'Argenville,
original de Noël Coypel , repréfentant un
fujet d'hiftoire romaine : il fut décerné à
Jacques Dumont , de Limoges.
Dans les compofitions qui n'ont point
remporté de prix , on en a remarqué plu
fieurs dignes d'applaudiffemens ; ce qui fir
fouhaiter aux amateurs d'avoir une plus
grande quantité de médailles à diftribuer.
De ce nombre étoient les projets de René
Lamboth ; de Paris ; de Charles Gontard
de Bareith , & de Jacques Heumann ,
d'Hanovre , & c .
A propos de la diftribution de ces prix ,
nous allons donner une idée du plan de
cette école des arts : nous croyons qu'on
verra avec plaifir l'ordre & l'enchaînement
des leçons publiques & particulieres qui
JUIN. 1755. 203
4
teur en a dic s'y donnent. Voici à peu près ce que l'au
lui - même dans divers programmes
qu'il a fait imprimer,
Après plufieurs années d'études , dit- il ,
& après avoir formé plufieurs éleves , dont
quelques- uns font penfionnaires de Sa
Majesté à Rome , & d'autres font de retour
en France , il avoit fenti que fon travail
feroit infuffifant s'il ne le portoit plus
loin , parce qu'il entendoit continuellement
ces élèves même s'écrier , que l'étude que
le Profeffeur leur propofoit , ainfi que
la
connoiffance directe de tous les arts, étoient
ignorées de la plupart des perfonnes de la
profeffion ; que Meffieurs tels & tels ne
fçavoient rien ou très - peu de chofe ; que
la plupart de ceux - même qui ont le plus
de réputation , n'avoient aucune teinture
des mathématiques , & qu'ils deffinoient
médiocrement ; que celui - ci ne poffedoir
bien que la diftribution ; que celui - là n'entendoit
que la partie de la décoration intérieure
, l'un la conftruction , l'autre la
partie du jardinage , &c. que d'ailleurs
la plus grande partie des hommes en place
méconnoiffoient les talens , eftimoient peu
les arts , & regardoient avec indifférence
les Artiftes. Ce langage , qui n'eft que trop
commun & qui n'eft pas fans fondement
eft presque toujours celui de la multitude
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
il contribue infenfiblement à déterminer
moins d'excellens fujets ; il amene au relâ
chement de l'étude , & ne nous fournit
que des hommes fuperficiels.
Pour remédier à un abus auffi préjudiciable
au progrès des arts , pour arrêter le
cours d'un propos fi funefte , & exciter une
véritable émulation chez nos citoyens , M.
Blondel a ouvert gratuitement des leçons
publiques mais pour que ces leçons puffent
tourner au profit de la fociété en
général , il les a préfentées fous différentes
faces , fuivant qu'il a reconnu la néceffité
de parler à chacun le langage qui lui convenoit
. Ce moyen lui a réuffi , ainfi que
l'on devoit s'y attendre . En effet , fon cours
élémentaire conduit néceffairement les
hommes bien nés aux connoiffances dur
beau , leur fraye une route sûre pour juger
pertinemment de nos édifices , les accoutume
à fe dépouiller de tout préjugé natio
nal , & leur fait connoître les auteurs &
les Artiftes les plus célebres : ces lumieres
acquifes de la part des amateurs , devien
nent fans doute une faveur de plus pour
l'Artifte qui veut devenir habile , parce
qu'il conçoit par- là que fes talens feront
préconisés par des hommes éclairés , &
que ce fera autant d'obftacles pour les
hommes médiocres qui oferont moins fe
JUIN. 1755. 205-
: montrer au grand jour. D'ailleurs le
nombre des honnêtes gens qui font attirés
à ce cours élémentaire , contribue à l'ému-}
lation qui regne dans cette école : il infpire
aux éleves qui font confiés au Profeffeur
le defir de s'inftruire , les engage à la dé->
cence , & excite en eux l'amour du bien ;
autant de motifs infaillibles pour former à
l'avenir des chefs intelligens..
Son cours de théorie eft deſtiné , non
feulement aux jeunes Architectes , mais
aux Peintres , Sculpteurs , Décorateurs ,
Graveurs , qui fe trouvant ainfi raffemblés , 1
& conférant enfemble à certains jours !
nommés , s'entrecommuniquent leurs dis
verfes connoiffances , leurs découvertes ,
leurs productions , & s'entretiennent utilement
des fciences & des arts. Le Géomé-:
tre acquiert du goût ; l'Artifte regle fes :
idées par le fecours du Mathématicien :>
tous fe réuniffent avec le Profeffeur. pour
vifiter avec fuccès les édifices du fiecle
paffé , & fe procurent une entrée libre
dans les atteliers de nos célebres Artiftes.i
Les bibliothèques , les édifices facrés , les
maifons royales , les cabinets des curieux ,
s'offrent à leurs regards ; en un mot , tout
devient commun entr'eux ; de là la route
des arts plus facile , l'étude plus agréable ,
& les progrès plus sûts.
206 MERCURE DE FRANCE.
Son cours de pratique deſtiné aux ouvriers
du bâtiment , met le comble à l'entrepriſe.
Quatre - vingt hommes tous les
Dimanches & Fêtes occupent pendant la
matinée leur loifir à puifer dans cette,
école les différentes connoiffances dont ils
ont befoin. Le Maçon , le Charpentier , le
Menuifier , le Serrurier , y viennent ap-;.
prendre la géométrie pratique , & les prin- i
cipes relatifs à leur profeffion ; tout l'après-
midi ces mêmes hommes font occupés
à l'exercice du deffein dans différens gen-:
res. Mais pour porter plus loin la perfection
du goût , M. Blondel reçoit auffi dans
fes leçons l'Orfevre , le Bijoutier , le Cifeleur
, & c. on leur communique d'excel
lens originaux , & ils font corrigés exac
tement par des Profeffeurs & par les plus!
anciens éleves reconnus capables ; enforte
que le praticien , le théoricien , l'homme
de goût , font un tout qui encourage le
débutant , affermit l'homme déja capable ,
& donne lieu d'efpérer qu'avant peu d'années
la beauté des formes , l'élégance des
contours , la fymmétrie , reprendront le
deffus & la place des ornemens chiméri- .
ques & hazardés , dont tous les arts de
goût fe font reffentis depuis près de vingt
années *.
* J'ai eu la curiofité d'aller un Dimanche
JUIN. 175.5. 207
En un mot , cette école renouvellant
dans Paris celle d'Athènes , réunit les arts
utiles & les arts agréables : l'architecture ,
les mathématiques , la figure & le deffein
en général , la ſculpture , les fortifications,
la coupe des pierres , font autant de parties
qu'on y enfeigne avec émulation & fuccès.
Quels éloges ne mérite donc pas le fondateur
d'un établiffement fi avantageux à la
fociété ! peut-il être trop préconifé , foutenu
& autorifé ? Le zele infatigable & les
talens décidés de l'Auteur ne font-ils pas
dignes des plus hautes récompenfes & de
la reconnoiffance du public ?
matin fur les dix heures , pour juger par moimême
de l'utilité de ce cours dont on m'avoit
parlé fi avantageufement , & je dois avouer que
j'ai été frappé de l'ordre , de l'exactitude , de l'ardeur
& de l'émulation que j'ai remarquées , tant de
la part des artifans , que de celle des Profeffeurs &
du Chef, dent la capacité , la politeffe & le zele
ne fçauroient être trop applaudis,
208 MERCURE DE FRANCE.
+
-
HORLOGERIE .
, barometres
Memoire fur une nouvelle maniere de faire
les Cadrans de pendules
hygrometres , &c. préfenté le 12 Avril
1755 , à l'Académie royale des Sciences ,
par M. Dupont , Horloger privilégié du
I
Roi.
Left fans doute avantageux pour la
perfection des pendules que leurs cadrans
foient exactement divifés , & qu'ils
nous préfentent conftamment un aspect
agréable. Cette partie de l'horloge eft celle
fur laquelle les yeux s'arrêtent d'abord , &
la pofition exacte des divifions qui y font
marquées , eft effentielle pour nous montrer
les parties de l'heure avec préciſion .
Par ces deux confidérations , je crois les
cadrans que j'ai l'honneur de préfenter à
l'Académie fupérieurs aux autres ; ils font
compofés d'un cercle de verre blanc , fur
lequel l'on peint à rebours les heures & les
minutes * , & d'une efpece de maftic blanc
*Pour peindre ces heures , &c. il faut commencer
par mettre un cadran de papier fous le verre
ce qui dirige en quelque forte l'opération . On
fentira donc aisément que l'idée de me borner à
›
JU I N. 1755. 2091
qui s'applique exactement fur le verre
fait corps avec lui , forme un total qui:
imite l'émail , & que même plufieurs perfonnes
lui préferent , fur - tout dans les .
grands cadrans ; car ceux d'émail d'une
certaine étendue ont un ait de fayence , &,
font prefque toujours défectueux ..
7
A l'égard des divifions , elles feront toujours
plus exactes dans les nouveaux ca→
drans que dans ceux d'émail , parce qu'ils
ne paffent pas au feu comme ces derniers .
Les cadrans de cuivre gravés & recouverts
d'une couche d'argenture , ont à la vérité,
cette derniere propriété , mais on fçait :
qu'ils fe noirciffent en peu de tems. Pour
ce qui eft des cadrans à cartouche , per-.
fonne n'ignore qu'ils font très -imparfaitst
à tous égards. དྭེ ནཱ ཝཱ
ce cadran de papier dût fe préfenter d'abord à
mon imagination ; mais je m'apperçus bientôt
que fi un tel cadran étoit fupportable de loin , il
ne le feroit pas de près , les pores du papier s'appercevant
; je reconnus encore que ce papier ne
tarderoit pas à fe jaunir , fur-tout dans les endroits
où la fumée pouvoit pénétrer.
M. Gallonde s'étoit appercu avant moi de ces
inconvéniens , la dépenſe conſidérable qu'entraîne
les cadrans d'émail , avoit engagé cet habile Artifte
à faire fes cadrans de barometre en papier
mais auffi- tôt qu'il eut connoiffance de ma nouvelle
conftruction , il les abandonna entierement.
210 MERCURE DE FRANCE.
Je ne m'étendrai pas plus , Meffieurs
fur l'avantage de cette nouvelle maniere
de faire les cadrans ; il eft aifé de voir
qu'elle est également applicable à tous les
inftrumens qui ont befoin de divifions.
exactes , comme barometres , thermometres
, & c.
Telles font les différentes propriétés des
cadrans qui font le fujet de ce mémoire .
Je n'ai point cru , Meffieurs , qu'ils formaffent
un objet affez important pour mériter
l'honneur de votre attention : fi j'ofe
aujourd'hui les foumettre à votre jugement,
ce n'eft pas que j'aie changé de fentiment
à cet égards; mais j'ai été enhardi par
le fuffrage des habiles Horlogers qui en
font ufage depuis près d'un an & demi , &
encore plus par votre indulgence pour
tout ce qui peut contribuer au progrès
des arts.
Copie de l'Extrait des Registres de l'Académie
royale des Sciences .
Du 2
23 Avril 175 .
Meffieurs l'Abbé Nollet & Deparcieux .
qui avoient été nommés pour examiner
des cadrans de pendules
barometres ,
→
?
hygrometres &c. formés d'une glace
peinte & enfuite recouverte d'une espece
JUIN. 1755 . 211
de maftic blanc par fa face poftérieure ,
propofés par M. Dupont , Horloger ; en
ayant fait leur rapport , dans lequel ils
ont énoncé plufieurs certificats des meilleurs
Horlogers , qui prouvent que des
cadrans de cette efpece ont fubfifté fans
aucune altération depuis le mois de Juillet
1753 jufqu'à préfent.
L'Académie a jugé que ces cadrans qui
imitent parfaitement les cadrans d'émail ,
& qui font cependant d'un beaucoup
moindre prix, pourroient être avantageux,
& qu'on devoit fçavoir gré à M. Dupont
d'avoir imaginé cette conftruction . En foi
de quoi j'ai figné le préfent certificat' , à
Paris le 24 Avril 1755 .
Signé , GRANDJEAN DE FOUCHY ,
Secretaire perpétuel de l'Académie
royale des Sciences.
Les perfonnes qui voudront fe convaincre
par elles- mêmes de l'agrément &
de l'utilité de ces cadrans , auront la bonté
de s'adreffer à Mademoiſelle Oulfon "
niéce de l'Auteur , qui les exécute fous fes
yeux & dans fa maifon , rue de Richelieu ,
vis-vis la fontaine. Elle fe fera toujours
un devoir de fatisfaire les perfonnes qui
212 MERCURE DE FRANCE.
lui feront l'honneur de l'employer dans
ces fortes d'ouvrages.
- Le
rapport de l'Académie
royale
des
Sciences
, fur une pendule
à fecondes
, à
fonnerie
& à remontoir
du fieur le Mazu
rier , auroit
dû trouver
ici fa place ; mais
le peu qui nous en refte ; nous
force
à le
renvoyer
au Mercure
prochain
, ainfi qu'une
Lettres
fur le rétabliſſement
du Louvre
que nous avions
promis
d'inférer
.
JUIN. 1755- 213
ARTICLE V.
SPECTACLES.
-COMEDIE FRANÇOISE.:
3
ES Comédiens françois ont repris le
L28 Avril Andronic , tragédié de Campiftron.
Le fieur Clavareau de Rochebelle
y a débuté par le rolle d'Andronic , avec un
applaudiffement général , & qui plus eft ,
mérité. On doit d'autant plus attendre de
fon talent , qu'il eft fondé fur beaucoup
d'intelligence avec cette partie on eft für
du progrès. S'illa l'organe un peu foible ,
ce défaut eft réparé par une prononciation
nette & diftincte ; on ne perd pas un mor
de ce qu'il dit. Un Comédien qui eft doué
d'une grande voix , en abufe fouvent , &
crie fans fe faire entendre , faute d'avoir
l'art de bien articuler, JEMOD
L'acteur nouveau a joué fucceffivement
les rolles de Guftave , de Zamore: & du
Comte d'Effex : il a fait plaifir dans tous ;
mais il a particulierement réuffi dans celui
ede Zamore. On ne peut pas rendre avec
plus d'anes de force & dervérité 2 le beau
214 MERCURE DE FRANCE.
morceau du troifieme acte qu'il adreffe à
Alvarès & à Gufman. Les Comédiens ont
interrompu fon début , pour donner le 15
Mai la premiere repréſentation du Jaloux ,
Comédie en vers , en cinq actes : elle eſt de
M. Bret.
Quoique cette piéce n'ait pas réuffi , on
ne peut difconvenir qu'il n'y ait des beautés
des détails . L'épiſode de la foeur du Jaloux
eft des plus heureux. Au fecond acte la
fcene de la fauffe jaloufie qui lui a été confeillée
par fon frere pour éprouver fon
amant , eft une fcene bien faite par l'auteur
, & très-bien rendue par l'actrice. *
Je crois que M. Bret eût mieux fait , s'il
eût moins fuivi le Roman ; il faut au théatre
un caractere plus général & plus vrai.
L'auteur a voulu éviter le Jaloux defabufé,
& il est tombé dans le Curieux impertiment
, qui eft un plus grand écueil .
* Mlle Guéant.
L
COMEDIE ITALIENNE. -
E35de ce mois , les Comédiens italiens
donnerent la premiere repréſentation de
la Rancune , fans l'avoir annoncée . C'eſt
une parodie de Philoctete , dont l'auteur ne
s'eft pas nommé. Quel qu'il fait , il ne doit
JUI N. 1755. 215
*
pas rougir de l'ouvrage , c'eft celui d'un
homme d'efprit ; il y a des vers heureux &
des tirades bien faites : le traveftiffement
d'ailleurs eft affez bien faift . L'Opéra de
Lyon , en concurrence avec la Comédie ;
la Rancune , acteur difficile à vivre , mais
d'un talent diftingué , que fes camarades
ont abandonné , & qu'ils viennent chercher
dans leur décadence, comme leur derniere
reffource , parodient aſſez natutellement
le fujet de la tragédie ; mais une tracafferie
de Comédiens n'intéreffe pas affez
de gros du public qui ne vit pas avec eux ;
ce tableau des viciffitudes théatrales ne
peut être bien amusant que pour ceux qui
Fréquentent journalierement les foyers , &
qui font initiés dans tous les mysteres de
la Comédie. La Servante Maîtreſſe eft
encore venue au fecours ; on l'a donnée
le 19 pour la cent quarante- unieme fois.
CONCERT SPIRITUEL.
de ce mois , jour de l'Afcenfion ,
L'le concert commença par une fymphonie
del Signor Croës, enfuite Nifi Dominus,
motet à grand choeur de M. de Mondonville.
M. Dupont joua un concerto de violon.
Madame Veftris de Giardini chanta
7216 MERCURE DE FRANCE.
deux airs italiens , & fut très- applaudie.
M. Balbatre joua fur l'orgue l'Ouverture
de Pigmalion qui fit le plus grand effet.
Cet agréable concert finit par Dominus
regnavit , motetà grand choeur de M. de
Mondonville.b
Le Dimanche 18 jour de la Pentecôte,
le concert commença par,une fymphonie ,
enfuite Diligamates, motet à grandschoeur
de M. Giles . M.:Godard chanta le petit mo
tet de M. le Febvre . MM. Bureau & Saldantin
jouerent un concerto à deux , hautbois.
Mile Riviere chanta un petit motet de
de M. Mouret. M. Balbatre joua fur l'orgue
jun nouveau concerto , de fa compoſition.
Le concert finit par In exitu , moter à grand.
schoeur de M. de Mondonville , qui réunic
tous les fuftrages , & fut jugé digne d'un
A grand Maître .
ཟླཟླག་ རྒྱུ
JEUTI 1.407200
-no old sb.M of a mai -nob
cly shottuor në ku spoj inte
meds initio ob a 7 cavenda tel
ARTICLE
JUIN. 1755. 217
ARTICLE SIXIE ME.
NOUVELLES ÉTRANGERES,
DU LEVANT.
1
DE CONSTANTINOPLE , le 12 Mars.
Miniltreavant l'ar
'Aga des Janiflaires qui exerçoit par interim
L'Ag²
rivée d'Ali Pacha Ekim Oglou , nouveau Grand
Vifir , a donné audience au Député de la Régence
d'Alger. Cet Envoyé ayant remis de la part du
Dey divers préfens pour le Grand Seigneur , Sa
Hautefle a ordonné d'envoyer au Dey plufieurs
pieces de canon & une certaine quantité de
munitions de guerre. Sa Hauteffe a fait en même
tems témoigner au Député par l'Aga des Janiffai
res , qu'elle apprenoit avec plaifir que les factieux
d'Alger euffent été domptés , & qu'elle defiroit,
que les Algériens , autant qu'il feroit poffible ,
entretinffent la paix avec les Puiffances Chrétiennes.
Il paroit que la Sultane Validé a une grande
influence dans les affaires. Auffi remarque-t-on
feulement dans les Miniftres de la Porte ,,
mais dans ceux des Cours étrangeres , beaucoup
d'empreffement à fe concilier la bienveillance de
cette Princeffe, Elle fe montre favorable aux,
Chrétiens , & depuis l'avènement d'Ofman III au
I:Vol.
218 MERCURE DE FRANCE.
trône , elle a fait d'abondantes largeſſes aux diffé
rens hofpices qu'ils ont dans cette Capitale .
Une indifpofition oblige le fieur Porter , Ambaffeur
du Roi de la Grande -Bretagne , de gardes
fon appartement.
DUNOR D.
DE PETERSBOURG , le 3 Avril.
On a fait venir ici du village de Wedenskeo un
payſan , nommé Jacques Kirilof , qui , par la
nombreuſe famille qu'il a de deux mariages , eft
l'objet de la curiofité générale. Sa premiere femme
eft accouchée quatre fois de quatre enfans
fept fois de trois & dix fois de deux . Celle qu'il a
épousée en fecondes noces , a mis au monde trois
enfans dans fa premiere couche : elle eft accouchée
fix fois de deux , & elle eft encore enceinte.
Sa Majefté Impériale a fait préfent de y5o0o0 roubles
à ce payfan.
DE STOCKHOLM , le 22 Avril.
Comme les lettres de divers couriers ont été
enlevées depuis quelque tems , le Sénat a fait une'
loi , par laquelle il eft dit que les perfonnes qui
feront convaincues d'un pareil attentat , fubiront
le même fupplice que les voleurs de grand che
min. Le gouvernement s'occupe férieufement
des moyens d'augmenter les progrès de l'agriculture
& du, commerce dans le Duché de Finlande.
Il invite les perfonnes que l'amour du bien public
anime , & qui par leurs lumieres font en état d'y
contribuer , à communiquer par écrit leurs avis
für cette matiere. Honneurs , exemptions, primes
JUIN. 1755. 219
tout fera employé pour exciter l'émulation . On
fe propofe d'applanir toutes les routes qui menent
à l'induftrie , & d'éloigner tous les obſtacles qui
peuvent l'empêcher de s'étendre.
DE COPPENHAGUE , le 18 Avril.
Diverfes fciences ont été cultivées en Dane
marck avec fuccès. Le gouvernement defirant
plus d'application à l'étude des arts qui intéreffent
plus généralement la fociété , vient d'inviter par
un programme les Sçavans Danois à leur confacrer
une partie de leurs méditations . Il les exhorte
à travailler principalement fur la navigation , fur
le commerce & les manufactures , fur les moyens
d'augmenter les revenus , de diminuer les dépen
fes , de fubvenir aux befains & de procurer des
commodités . En même tems , il demande qu'on
ne s'attache point à des idées purement fyftématiques
, qu'on borne l'étendue des differtations à
deux ou trois feuilles d'impreffion , & qu'on n'y
faffe point parade d'une érudition fuperfue . Tous
les ouvrages qui rempliront les vûes du Roi .
feront imprimés à fes dépens. Il faudra les adreffer
au Comte de Moltke , grand Maréchal de la
Cour. Les Auteurs peuvent écrire en latin , françois
, allemand ou danois. On recevra avec plaifir
les obfervations , non feulement des fçavans.
mais même de toutes les perfonnes qui auront à
communiquer quelque projet avantageux ; elles
ne doivent pas s'embarraffer du ftyle. Leurs mémoires
feront remis à des perfonnes habiles , qui
leur donneront la forme convenable , & qui les
traduiront en danois , s'ils font compofés dans une
autre langue,
•
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
ALLEMAGNE,
DE VIENNE , le 19 Avril.
L'Impératrice - Reine vient d'établir pour la
nobleffe une Académie , dans laquelle on enfeighera
non feulement à monter à cheval , à faire
des armes & à danfer , mais encore l'hiſtoire , le
droit , la politique , la géométrie , & les langues
françoife & italienne . Chaque penfionnaire payera
fept cens florins par an. Le Comte de Solms ,
Confeiller privé , aura la direction de cet établiſ
fement.
Les anciennes extravagances au fujet des Vampires
venant de fe renouveller dans la haute Si
lefie , l'Impératrice- Reine a adreffé à la Régence
de cette province un refcrit , portant » qu'elle a
appris avec peine que le peuple pût le laiffér
>> féduire par des idées fi ridicules ; qu'elle exhorte
les Magiftrats à ne rien négliger pour le
convaincre de la fauffeté de femblables préven-
» tions ; qu'elle regarde l'exécution qui s'eft faite
» à l'égard de plufieurs cadavres , comme une action
qui répugne au bon ordre & à l'humanité ;
» que comme cette exécution a été faite à Pin-
» fçu des Magiftrats , Sa Majeſté veut qu'on en
» recherche les auteurs , & qu'on procéde contre
eux fuivant la rigueur des loix . »
DE BERLIN , le 18 Avril.
Hier , l'Académie royale des Sciences & Belles-
Lettres élut pour Académicien le feur pinus ,
& pour Affocié étranger le Sr de Secondar, Préfi
dent du Parlement de Guyenne , fils du célebre
Président de Montesquieu .
JUIN." 1755. 221
DE HANOV RE , le 2 Mai.
Ce matin , le Roi de la Grande - Bretagne eft
arrivé de Londres : on a dépêché des couriers
pour annoncer Gette nouvelle à plufieurs Cours
de l'Empire. Le Landgrave de Heffe- Caffel , & la
Princeffe , époufe du Prince héréditaire du Landgraviat
de ce nom , font attendus ici dans quelques
jours.
ESPAGNE.
DE LISBONNE , le 20 Mars.
On apprend que l'Empereur de la Chine , non
feulement a renouvellé les Edits de quelques- uns
de fes prédéceffeurs en faveur des Chrétiens ,
mais qu'il leur fait bâtir une églife à les dépens
dans la capitale de fes Etats. Selon les mêmes
lettres , il fe trouve actuellement à la Chine plus
de cent foixante neuf mille perfonnes qui font
profeffion de la religion catholique.
DE MADRID , le 22 Avril,
Cinq Chabecs du Roi armés en courſe , &
commandés par Don Jofeph de Flon , Capitaine
de frégate , attaquerent le 16 de ce mois dans les
environs d'Alicante, trois Corfaires algériens , l'un
de vingt- quatre canons , l'autre de vingt-deux ,
& le troifiéme de quatorze. Après un combat qui .
duré plus de quatorze heures , ils s'en font
emparés. On a fait fur les bâtimens ennemis
quatre cens quatre-vingt- quatorze efclaves ; du
Côté des Efpagnols il y a eu cinquante bleffés.
Don Pedre Elguero , Lieutenant de vaiffeau ,2.
K iij
122 MERCURE DE FRANCE.
commandant le Chabec le Gavilan , a été tué ,
ainfi que cinq foldats ou matelots. Ali Mouffa
qui commandoit les trois Chabecs algériens , eft
du nombre des prifonniers faits par les Espagnols.
ITALI E.
DE NAPLES , le 9 Avril. ୨
Selon les avis reçus de l'Ile de Tremiti , fiet
des Bénédictins qui y ont une abbaye , & qui ont
droit d'y entretenir une garnifon de vingt- cinq
hommes à leur folde , les foldats de cette garnifon
fe font révoltés contre leur Commandant , &
Pont maffacré. Ils ont enfuite garrotté l'Abbé &
les Religieux , ont enlevé l'argent & les effets
dont ils ont pu fe faifir , & ſe font fauvés fur une
barque de Dalmatie , dont ils ont obligé le Patron
de les prendre à bord.
Les lettres de Sicile marquent que le 9 du mois
dernier, vers la dix- huitieme heure , c'eft - à- dire
vers onze heures trois quarts du matin , le mont
Gibel commença à jetter beaucoup de flammes
& de fumée , avec un effroyable bruit. Quatre
heures après le ciel s'obfcurcit entierement , & la
montagne jetta une fi prodigieufe quantité de
pierres , dont la plupart pefoient jufqu'à trois onces
, que tout le territoire de la ville de Mafcali
& des campagnes voifines en fut couvert . Cette
pluie continua jufqu'à fept heures du foir , & fut
fuivie d'une pluie de fable noir , qui dura toute la
nuit. Le 10 , à huit heures du matin , il fortit de la
montagne un torrent de matiere fluide & lympide
, en un demi-quart d'heure tous les fonds en
furent inondés ; cette matiere avoit la chaleur de
l'eau bouillante . Dès qu'elle eut ceffé de couler ,
JUIN.
1755. 223
elle fe figea & fe convertit en une efpece de fable
calciné . A ce torrent en fuccéda un de feu.
Ce dernier n'a ceffé que pour faire place à une
riviere de foufre & de bitume , laquelle eft large
d'environ foixante cannes . Le 12 au foir , lorfque
le courier qui a apporté ces nouvelles eft parti
de Palerme , cette éruption duroit encore , &
elle avoit déja ravagé une grande étendue de
pays.
4%
DE GENES , le 29 Avril.
Avant -hier , le Margrave & la Margrave de
Bareith arriverent ici à bord d'un vaiffeau portant
pavillon de France. Quoiqu'ils gardent l'incognito
, fous le nom de Comte & de Comteffe de
la Marche , le Gouvernement les a fait complimenter
par une députation de quatre Nobles &
de quatre Dames.
GRANDE- BRETAGNE.
DE LONDRES , le premier Mai.
Le 25 du mois dernier , le Roi fe rendit à la
Chambre des Pairs avec les cérémonies accoutu
mées ; & Sa Majeſté ayant mandé la Chambre des
Communes,approuva le Bill pour lever un million
fterling par le moyen d'une lotterie ; le Bill qui
ordonne de tirer quatorze cens vingt mille livres
fterlings du fonds d'amortiffement , & d'appliquer
cette fomme au fervice de l'année courante ; le
Bill dont l'objet eft de mieux pourvoir la flotte
royale de Matelots ; & plufieurs autres Bills , tant
publics que particuliers. Le Roi fit enfuite , la clôture
de la feffion du Parlement par un diſcours fort
étendu. K iv
224 MERCURE DE FRANCE.
Les moyens accordés par le Parlement pour le
fervice de l'année 1755 , montent à quatre mil
lions cent trente- fept mille neuf cens foixantedeux
livres fterlings neuf fchelings fix pennings,
Les fubfides demandés ne montent qu'à quatre
millions cinquante- un mille fept cens foixante-dixe
neuf livres onze fchelings fix pennings & demis
par conféquent l'octroi excéde la demande de la
Tomme de quatre - vingt - fix mille cent quatrer
vingt deux livres dix-fept fchelings onze pennings
& demi. La dette nationale fait actuellement
un objet d'environ foixante- douze millions
Sterlings.
Les Commiffaires de l'Amirauté ont ordonne
que les Officiers des cinquante Compagnies de
Marine levées depuis peu , fe rendiffent incef
famment dans les départemens qui leur font aff
gnés . On continuera de payer jufqu'au 27 de ce
mois inclufivement , les gratifications promifes
aux Matelots qui s'engagent volontairement fur la
flotte du Roi. FORE
Il y aura dans la nouvelle lotterie deux lots de
dix mille livres fterlings chacun , quatre de cinq
mille , fix de deux mille , trente de mille , quarante
de cinq cens , cent quatre-vingt - dix - huit de
cents quatre mille vingt de cinquante. Les deux
premiers numeros qui feront tirés , auront chacun
une prime de cinq cens livres sterlings , & les deur
derniers une de mille.
PATS BAS.
15
DE LA HAYE , le 25 Avril.
21
On publia le 21 de ce mois , par ordre de leurs
Hautes Puiffances , un decret , qui établit des réJUI
N. 1755. 225
compenfes pour les prifes faites par mer fur les
Sujets ou la Régence d'Alger , & qui ftatue les
formalités néceffaires pour les recevoir.
Le Marquis de Grimaldi , Ambaffadeur du Roi
d'Efpagne , fe rendit le 2 de ce mois à la Cour ,
avec un cortège de trois carroffes à fix chevaux
& une nombreufe fuite ,pour faire fa premiere vifite
au Prince Stadhouder. Le Prince , accompagné
de fon grand Maréchal , de fon grand Ecuyer , &
des autres principaux Officiers de fa maiſon , reçut
le Marquis de Grimaldi à la portiere de fon
carroffe , & lui donnant la droite le conduifit
à fon cabinet : on y avoit préparé deux fauteuils,
Le Prince laiffa la place d'honneur à l'Ambaffadeur
, & prit le fauteuil le plus proche de la porte.
Après les complimens ordinaires il reconduifit le
Marquis de Grimaldi jufqu'à la portiere de fon
carroffe. Le lendemain , fe Stadhouder rendit la
vifite à ce Miniftre , qui obferva à l'égard de ce
Prince le même cérémonial que le Prince avoit
obfervé la veille avec lui.
D'AIX-LA- CHAPELLE , le 4 Mai.
Un phénomene littéraire a excité ces jours- ci
Fadmiration du public. La Dlle Marie - Magdeleine-
Bernardine de Witte , âgée de dix -fept ans
a foutenu en latin deux thefes de Logique , & elle
a répondu avec autant de jufteffe & de netteté que
de graces à tous les argumens qui lui ont été,
propofés par les plus fameux Profeffeurs de cette
ville.
K.Y
226 MERCURE DE FRANCE.
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
Sulon les avis enquellement le 8 Janvier , pour
Elon les avis reçus de Malthe , le Te Deum y
remercier Dieu du rétabliffement du commerce
avec les états du Roi des Deux Siciles. Ces nouvelles
ajoutent que le même jour le Baillif de
Fleury prit poffeffion du Généralat des Galeres
de la Religion , & qu'il donna à tous les Chevaliers
de la Langue de France un repas ſplendide ,
dans lequel il porta les fantés des principales
Têtes couronnées. On a beaucoup admiré le goût
& la magnificence de ce nouveau Général ; furtout
fon efprit &fa politeffe ont captivé tous les
fuffrages.
Le 24 Avril , le Duc de Penthievre arriva du
voyage qu'il a fait en Italie. Ce Prince s'eft rendu
en droiture à Lucienne chez la Comteffe de Toulouſe.
Le Roi a accordé au Duc de Randan , Lieutenant
général de fes armées , & Commandant en
Franche- Comté , le Couvernement de Blaye qu'avoit
le feu Duc de Saint-Simon.
Sa Majefté a difpofé du Régiment de Cavalerie
légere de Volontaires , vacant par la mort du
Comte de Friefe , en faveur du Comte de Schomberg
, Commandant d'une Brigade de ce Régiment
avec rang de Meftre de Camp . Le Comte
de Lowenhaupt , Colonel d'Infanterie , a été
nommé Colonel - Lieutenant du Régiment d'InJUIN.
1755. 227
fanterie allemande de Madame la Dauphine ,
vacant par la même mort.
Les lettres de Lyon marquent que la tranquil
lité publique y eft troublée depuis quelque tems
par une troupe de voleurs qui , fe fervant de fauffes
clefs , entrent de nuit dans les maifons. Ils ont
enlevé dernierement chez les fieurs Girardon, une
partie confidérable de galons , de filets & de lames
d'or & d'argent fin. Comme ils pourroient avoir
dénaturé ces marchandifes , l'intérêt commun
exige que les perfonnes qui auront lieu de foup-
Conner que les galons , retailles ou lingots qu'on
leur préfentera viennent de ce vol , en avertiffent
les Magiftrats.
On mande de Toulon que le Margrave & la
Margrave de Bareith y arriverent le 6 Avril . Ce
Prince & cette Princeffe allerent le lendemain
voir l'Arfenal ; & le Margrave étant entré dans le
canot amiral , fe promena pendant quelque tems
fur la mer ; il y. fit le 8 au matin une feconde
promenade , & il partit l'après- midi avec la Mar
grave pour continuer fa route vers l'Italie .
こ
Les mêmes lettres marquent que M. de
Vergennes , Envoyé Extraordinaire du Roi à la
Porte , lequel s'étoit embarqué à Marseille pour
paffer à Conftantinople , a été obligé de relâcher
les à Toulon , & d'y féjourner le 6 à caufe des
vents contraires ; mais que le tems s'étant remis
au beau , ce Miniftre s'eft rembarqué le 7 fur les
huit heures du matin pour fa deftination .
Les Marquifes de Coigny & de la Tour-Dupin ,
& la Comteffe de Ligny , furent préfentées le 29
à Leurs Majeftés.
Le même jour M. Moreau de Sechelles ,
Miniftre d'Etat & Contrôleur général des Finances
, préfenta à Leurs Majeftés la mâchoire d'un
K`vj
228 MERCURE DE FRANCE.
poiffon måle de la baleine , nommé cachalo , qui
a été pris à Bayonne en 1751. Cette mâchoire eft
longue de dix pieds & demi.
M. Tillet Directeur de la Monnoie
Troyes , a préſenté au Roi fa Differtation fur la
caufe qui corrompt & noircit les grains de bled
dans les épis , & fur les moyens de prévenir ces
accidens. Cette differtation a remporté le prix , au
jugement de l'Académie royale des Belles-Lettres ,
Sciences & Arts , établie à Bordeaux.
Lei Mai , les hautbois & les vingt - quatre violons
de la chambre ont exécuté , fuivant l'afage ,
pendant le lever du Roi , différentes fymphonies ,
fous la direction de M. de Bury , Pun des Surintendans
de la Mufique de Sa Majesté.
L'après-midi Leurs Majeftés partirent pour
aller paffer quelque tems à Marly.
Il paroît deux Arrêts du Confeil d'Etat du Roi.
L'un confirme les Officiers, Mariniers , Matelots
&autres gens de mer , dans la poffeffion du privi-
Tege d'être pendant l'année de leur fervice exemts
de logement de gens de guerre , du guet & garde
des portes des villes & châteaux , de tutelle &
curatelle , de la collecte des tailles , &c. & annulle
un Arrêt de la Cour des Aides de Rouen contraire
audit privilege. L'autre défend de faire des amas
de vieux drapeaux , peilles & autres matieres fervant
à la fabrication du papier , à quatre lieues
près des côtes maritimes & des frontieres du
royaume , fous peine de confifcation & de trois
mille livres d'amende.
Le Roi a difpofé de la place de Confeiller d'E
tat , qui vaquoit par la mort de M. de Baudry ,
en faveur de M. de Tourny , Intendant de Bordeaux.
La charge d'Intendant des Finances , vacante
par la même mort , paffe à M. Peirenc de
JUI N.
229
1755.
Moras , à qui le Roi avoit accordé l'expectative
de la premiere qui viendroit à vaquer.
Les Mai , M. de Châteaubrun , élût par l'A
cadémie Françoife pour remplir la place vacante
par la mort du Préſident de Monteſquieu , prit
féance dans cette compagnie ; & il prononça fon
difcours de remerciment , auquel M. l'Abbé d'Olivet
répondit.
Le 9, le Roi fit dans la plaine des Sablons la
revue du Régiment des Gardes Françoiſes & de
celui des Gardes Suiffes. Ces deux Régimens après
avoir fait l'exercice , défilerent en préſence de Sá
Majefté. Monfeigneur le Dauphin & Mefdames
de France affifterent à cette revûe .
Les Clercs Réguliers de la Congrégation de
Saint Paul , connus fous le nom de Barnabites
ont élu dans le Chapitre qu'ils ont tenu le 28
Avril à Milan , le Pere Paul - Philippe Prémoli ;
Milanois , pour Supérieur Général de leur Con
grégation.
On apprend de Turin que le Duc de Mon
ferrat , troifieme fils du Duc de Savoye , y eft
mort le 29 , âgé de fix mois & vingt-quatre jours ,
étant né le Octobre 1754.
M. Jean Baptifte Oudry, Peintre du Roi ,
Profeffeur de l'Académie royale de Peinture & de
Sculpture , & l'un des Entrepreneurs de la Manu→
facture royale des tapifferies de Beauvais , eft mort
à Beauvais le 30 Avril , âgé de foixante- quatorze
ans. Il s'étoit acquis une très-grande réputation
par fon talent pour peindre les animaux & les
payfages.
Don Manuel Gallevon , Comte de la Cerda
Commandeur de l'Ordre de Chrift , & Envoyé extraordinaire
du Roi de Portugal auprès de Sa Majefté,
mourut le gen cette ville âgé de foixante ans.
130 MERCURE DE FRANCE.
M. d'Ormeffon de Noyfeau & M. Bochart de
Sarron , ci -devant Avocats Généraux au Parle→
ment , furent inftallés le 10 de ce mois à la
Grand' Chambre dans les charges de Préfidens
dont le Roi leur a donné l'agrément. 10
Le même jour , M. Seguier , Avocat Général
au Grand Confeil , fut reçu dans celle d'Avocat
Général au Parlement , vacante par la démiffion
de M. d'Ormeffon de Noyſeau.
On célébra le 14 dans PEglife de la Paroiffe du
château de Verſailles , le Service fondé par Louis
XIV pour l'anniverſaire de Louis XIII.
Les Chevaliers de l'Ordre de Saint Michel tinrent
le même jour un Chapitre dans le grand
Couvent des Religieux de l'Obfervance. Le Duc
de Nivernois , Chevalier des Ordres du Roi , & cidevant
Ambaffadeur extraordinaire auprès du
Saint Siege , ayant été nommé Commiffaire de
Sa Majesté pour le maintien & P'exécution des
ftatuts de fes ordres pendant cette année , préfida
à ce Chapitre. Il reçut Chevaliers M. Bayeux
du Vaux , Infpecteur général des Ponts & Chauffées
, Membre de l'Académie royale des Belles-
Lettres de Caen , & M. Pinſon , Argentier de
la petite Ecurie du Roi.
Le 15 , les actions de la Compagnie des Indes
étoient à dix-fept cens quarante-deux livres dix
fols. Les billets des deux Lotteries royales n'a
voient point de prix fixe.
JUIN. 231
1755
Du 13 Mai 1755.
Mde Mars&Avril dernier les remarques fur
ONSIEUR , ayant lû dans vos Mercures
la Lotterie de Bruxelles , la lettre de l'Intérêt public
en conféquence , & la réponſe à cette lettre ,
j'ai été furprife de n'y pas trouver d'avis plus falutaire
à ce fujet. Dans l'intention , Monfieur , de
concourir avec moi au bien général , je vous prie
d'inférer la préfente dans votre Mercure prochains
je fouhaite qu'elle produife l'effet qu'on aura lieu
d'en efpérer. Je m'explique.
Le mal eft fait , il eft vrai : mais doit- on le to
lerer lorfqu'il eft facile de le réparer ?
Le fonds effectif de cette lotterie
eft de
2
Les lots réels ne montent qu'à
Perte confidérable contre la bonnefoi
, la probité & la juftice . . . . .
1
Laquelle à raifon de 150000 billets
2100000 fl.
1500000 fl.
600000 fl.
qui y ont contribué , "fait pour chacun 4 florins
rendre.
Or dans le dernier tirage chaque billet devant
avoir un lot fur lequel on doit d'abord prélever
Io pour cent , & enfuite rabattre les 36 f. de crédit
, la reftitution eft aiſée à faire ;) au lieu de 36 Al
il n'y a qu'à ordonner qu'il n'en fera retenu
que 32.
L'autoritéfurpriſe doit fe rendre à l'évidence , &
accorder juſtice à qui il appartient.
Si quelques partifans de cette lotterie defap→
prouvent mes réflexions très-laconiques , je les.
invite de me communiquer les raifons qu'ils peu212
MERCURE DE FRANCE.
vent avoir de les combattre en les rendant publiques.
J'ai l'honneur d'être , &c.: La Vérité.
MARIAGE.
MEffire Louis-Guillaume de Blair de Boifemont
, Intendant de Valenciennes , époufa
le 21 Avril Damoifelle Jacqueline de Fleffelles. La
cérémonie a été faite par M. P'ancien Evêque d'Orange
, dans la Chapelle de M. de Trudaine , Con
feiller d'Etat & Intendant des Finances.
"
La famille de Blair eft originaire d'Ecoffe &
iffue de celle des Barons de Baltayoek , comme
il eft certifié par les Lettres patentes de Charles II ;
Roi de la Grande Bretagne , en date du 7 Juillet
1674 , confirmées & ratifiées par Arrêt du Conſeil
de Sa Majefté Louis XIV , du is Mai17od . Ces
mêmes lettres nous apprennent & certifient qu'Alexandre
Blair , Chevalier , Baron de Baltayoek ,
le premier qui fortit d'Ecoffe & s'établit en Bearn
vers l'an 1590 , étoit fils d'Alexandre de Blair ,
Chevalier , Baron de Baltayoek , & de Marie
d'Ayton , fille du Baron d'Ayton , & petit-fils
d'autre Alexandre de Blair , Chevalier , Baron de
Baltayock , allié à Jeanne Gray , fille de Mylord
Gray , Baron de Foulles , & arriere petit- fils de
Jean de Blair , Chevalier , Baron de Baltayoek ,
qui avoit épousé Marguerite Oliphaut , fille du
Baron de Duplin , & qui avoit pour pere André de
Blair , Chevalier , Baron de Baltayoek , iffu d'une
des plus nobles & anciennes familles du Royaume
d'Ecoffe.
Alexandre de Blair établi en Bearn , s'étoit allié
avec Isabelle Ogilby , fille de Jean Ogilby , Baron
JAU IN AT1755. 233
Inchmartein. Elle avoit pour mere Anne Gray ,
fille de Mylord Gray , & pour ayeule Anne
Stward ; fille du Baron d'Innermeith , comme
nous l'apprennent lefdites Lettres patentes.
Du mariage d'Alexandre de Blair avec Iſabelle
Ogilby fortit Alexandre de Blair , allié avec Marie
de Remi , qui le fit pere de Samuel de Blair , dont
Ja postérité est restée en Bearn , & d'Alexandre de
Blair dont la branche eft établie à Paris , & auquel
Je Roi de la Grande Bretagne accorda les Lettres
patentes ci-deffus mentionnées. Celui- ci ent de
fon mariage avec Magdeleine Pitant , trois garçons
; fçavoir , Alexandre , Armand & Melchior ;
les deux premiers ont été Préfidens du Parlement
de Metz en 1683 & 1691. Melchior avoit épousé
Henriette de Brinon , de laquelle il a eu entr'autres
enfans Louis-François de Blair , Seigneur de
Cernay, Aulnay , &c . Confeiller en la Grand-
Chambre du Parlement de Paris , qui de fa femme
Catherine-Jeanne de Gars de Boifemont, a eu entr'autres
Louis-Guillaume de Blair , Maître des
Requêtes , ci-devant Intendant à la Rochelle , &
actuellement Intendant du Hainault , qui donne
lieu à cet article.
Jacqueline de Fleffelles , époufe de M. de Blair,
eft foeur de Meffire Jacques de Fleſſelles , Maître
des Requêtes , ci -devant Confeiller au Parlement ,
& Commiffaire aux Requêtes du Palais , & fille de
Jacques de Fleffelles , Seigneur de Champgueffier
en Brie , la Chapelle- Iger , & c. & d'Elifabeth Robinet
, fon époufe.
-La famille de Fleffelles eft originaire de l'Amienois
, & a une origine commune avec celle de
M. le Marquis de Bregy ; ces deux branches por
tent les mêmes noms & armes, & le nom s'écrit indifféremment
Fleffelles ou Flécelles.
₤34 MERCURE DE FRANCE :
AVIS INTERESSANT ,
Contenant le précis d'une lettre de M. Mollée
, Chymifte , demeurant à Paris , fauxbourg
S. Honoré , rue de la Ville - l'Evêque.
R.
71
M'effets fuivis de fon remede , & c'eft par des Mollée rend compte dans fa lettre des
faits exposés avec exactitude qu'il parvient
prouver ,
1°. Que fon remede guérit fans retour.
2°. Qu'il guérit commodément & fans caufer
aucunes fortes d'accidens.
3°. Que dans les tems qui ne font pas extrê
mement rudes , les pauvres en peuvent faire uſage
fans difcontinuer leurs travaux.
4° . Qu'il eft fi analogue à la nature , que les
femmes enceintes & les enfans à la mammelle
peuvent en ufer fans aucun rifque , & que tous les
malades qui l'emploient jouiffent d'une fanté par,
faite à la fin du traitement.
Mais M. Mollée ne propofe fon remede que
pour le mal vénérien. Il exige de plus qu'on fuive
fcrupuleufement fa méthode dans les préparations
& l'adminiftration de ce remede : en conféquence
il confeille aux malades de fe faire toujours aider
par quelques perfonnes de l'art. C'eſt en 1751
que les premieres épreuves en ont été faites à
Bordeaux , fous les yeux des Médecins & des Chirurgiens
habiles de cette ville. On en peut voir
le détail chez Barbou , rue S. Jacques , aux Cigognes.
Il a fait fucceffivement de nouvelles épreuves
à Verfailles & à Paris , fous les yeux des preJUIN..
1753: 233
miers Médecins duRoi , & fous l'infpection de M.
Malouin ; elles ont été également fuivies d'un
heureux fuccès . Depuis l'obtention de fon privilege
il a continué à faire fes cures publiques
avec les mêmes précautions & la même réuffite ,
tant à Paris que dans les provinces. Pour en mieux
conftater le fuccès , il rapporte dans fa lettre l'état
de plufieurs malades qu'il a traités , avec les
certificats de leur guérifon.
Sur ce qu'il a été dit dans le Mercure de Now
vembre 1754 , que M. Baron , Doyen de la Fa
culté de Paris , à déclaré que ladite Faculté n'a
aucune connoiffance du remede du fieur Mollée ,
qui s'autorife auffi fauffement de l'approbation
de l'Académie de Chirurgie ; l'auteur fe juftifie ,
en difant que cette erreur vient de ce qu'il a pris
le fuffrage de plufieurs Docteurs de la Faculté
pour celui du corps même. Il affure que M. Mar
thaud , Docteur de cette Faculté , a fait aux écoles
l'éloge de fon remede , ainfi que M. Hervin , pre
mier Chirurgien de Madame laDauphine , dans l'E
cole de Chirurgie , où il y a fix ou ſept cens Eco
liers. Depuis il a invité deux fois M. Baron & une
fois M. Morand à être les témoins du traitement
qu'il fait tous les mois à un pauvre malade gratis ;
il a même offert à ce dernier gratuitement tout ce
qu'il faudroit de fon remede pour traiter aux invalides.
Ces Meffieurs n'ayant pas eu le tems d'en voir
& d'en fuivre les effets , ce n'eft pas la faute de M.
Mollée s'ils les ignorent . Sa charité ne s'eft point
bornée aux pauvres malades de Paris , elle s'eft
étendue fur ceux des provinces : il exerce fon art en
citoyen , & la réuffite couronne les bienfaits . I
M. Mollée avertit le public qu'il vient de faire
imprimer une nouvelle méthode pour la prépara
tion des malades avant l'adminiftration de fon re236
MERCURE DE FRANCE.
mede ; on la trouvera chez lui , où il la délivre
gratis.
AUTRE
A MM. les Imprimeurs.
François Gando le jeune , Graveur &Fondenx
en caracteres d'Imprimerie ; & Chanoine fon
affocié , donnent avis à MM. les Auteurs , Impri
meurs-Libraires , qu'ils ont actuellement dans
leur fonderie tous les caracteres néceffaires pour
l'Imprimerie, depuis la Nompareille jufqu'au Gros
Canon , tant romains qu'italiques , anciennes &
nouvelles ; que lefdites italiques font fort eftimées
par le bel oeil qu'elles ont , mais plus encore en ce
qu'elles font gravées fort profondes d'oeil , ce qui
fait qu'elles dureront beaucoup plus , & que l'ime
preffion en viendra plus nette.
Il fe trouve dans ladite fonderie plufieurs carac
teres doubles & triples , comme trois Petit romain
, trois Cicero , deux Saint auguſtin , deux
Gros romain ,, &c.
Tous ces différens caracteres ont leurs lettres
de deux points & leurs vignettes , jufqu'au nombre
de cent vingt , de différentes fortes . Ledis
Gando s'offre de graver généralement tout ce qui
dépend dudit art , en lui demandant des épreuves,
ou en lui envoyant des modeles. MM . les Imprimeurs
feront fürs d'être fervis conformément à
Jeurs demandes , & d'avoir de très- bonne matiere.
Ils fondent auffi des interlignes de toute longueur
& épaiffeur , des réglets fimples , doubles
& triples , auffi de toute longueur & épaiffeur ;
crochets & accolades , &c. Ledit Gando s'offre
JU IN. 1755. 237
auffi de graver toutes fortes de caracteres grecs
hébreux , & c. mufique & plain- chant , & pourvu
toutefois que l'ouvrage en mérite la peine.
Ils invitent MM. les Imprimeurs de leur faire
Phonneur de s'adreffer à eux : on verra que nonobftant
les nouvelles italiques , leurs caracteres
fomains font très-beaux ; la plus grande partie
font connus , ayant fait ayec plufieurs beaux ou
vrages dans cette ville , qui méritent l'approbation
des connoiffeurs.
Ils demeurent rue Galande , dans la maifon de
M. Barbier , Avocat confultant , la deuxieme porte
cochere , àmain droite en entrant par la rue Saint
Jacques.
BE
par
AUTR E.
Echique fouverain ou fyrop pectoral , approu
vé brevet du 24 Août 1750 , pour les
maladies de poitrine , comme rhumes , toux invétérées
, oppreffion , foibleffe de poitrine , & afthme
humide.
Ce fyrop béchique ayant la propriété de fondre
& d'atténuer les humeurs engorgées dans le
poulmon , d'adoucir l'acrimonie de la lymphe ,
comme balfamique , & rétablir les forces abattues
en tant que parfait reftaurant , produit des effets
fi rapides dans les maladies énoncées ci - deffus
que.cinq ou fix jours fuffifent pour s'appercevoir
d'un changement notable ; en un mot , une bouteille
fuffit pour en éprouver toute l'efficacité avec
fuccès , en tant qu'il rétablit les forces abatues
en rappellant peu-à -peu l'appétit & le fommeil
comme parfait reftaurant , par conféquent trèsfalutaire
à la fuite des longues maladies où les
238 MERCURE DE FRANCE.
forces font épuifées. L'odeur & le goût en font
agréables , le régime aifé à obferver : en outre il
convient à toutes fortes de perfonnes , aux enfans
même , & aux femmes enceintes qui peuvent en
ufer avec fuccès , preuve de fa bénignité. Grand
nombre de perfonnes de tous les états , de ceux
même de l'art , prouveront fon efficacité ; les
premiers , par leur propre expérience ; ceux de
Part par les épreuves qu'ils en ont faites , & les
certificats qu'ils en ont délivrés .
La bouteille taxée à fix livres , fcellée & étiquetée
à l'ordinaire , eft fuffifante pour en éprouver.
toute l'efficacité avec fuccès.
Il ne fe débite que chez la Dame veuve Mou
ton , marchande Apothicaire de Paris , rue S. Denis
, entre la rue Thevenot & celle des Filles-
Dieu , vis-à-vis le Roi François , à Paris.
Les perfonnes qui écriront, font priées d'affran◄
chir les Lettres.
J'A
APPROBATION.
"'Ai lû , par ordre de Monfeigneur le Chance
lier , le premier volume du Mercure de Juin ,
& je n'y ai rien trouvé qui puiffe en empêcher
Pimpreffion. A Paris , ce 30 Mai 1755.
GUIROY.
239
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
•
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
Epitre à M. leChancelier de B....
De l'indifférence en morale ,
L'Amitié , Cantatille ,
Vers de M. P ... à fa femme ,
page 7
12
23
24
L'Ombre de Le Brun , à M. Maffé, Peintre du Roi,
Madrigal , à Mlle G ....
Extrait de la vie du Profeffeur Saunderſon ,
Epitre de Mme de la .... à M. de ...
Le Miroir , Fable ,
Le Merle , autre Fable ,
i
Stances irrégulieres , à Mifs Leté C ……… ....
25
27
28
35
38
39
42
Portraits de cinq fameux Peintres Romains , 44
Le Génie du Mans , fonge de Mme la Comteffe
de
....
Ode à S. A. S. Mgr le Comte de Clermont
Bouquet à M. le Comte d'Argenſon ,
Les Lunettes & la Ceinture , Apologue ;
Vers aux habitans de Lyon ,
Vers à Mlle Puvigné
C
ibid.
> 13
59
61
63
Mots de l'Enigme & du Logogryphe du Mercu
re de Mai ,
Enigmes & Logogryphes ,
Chanfon ,
ART. II. NOUVELLES LITTERAIRES.
64
65
66
71
M
Extrait des Ouvrages lûs à l'Affemblée publique
de la Société Littéraire de Clermont en Auvergnea
23
$40
Extrait de l'Eloge de M. d'Ons- en- Bray
Lettre fur la Chronique fcandaleufe ,
83
92
Extraits , Précison Indications des Livres nouveaux
,
98
Séance publique de l'Académie Françoiſe , 125
ર
ART III. SCIENCES ET BELLES LETTRES
Algébre. Solution du problême propofé par M.
G... Par. M. Bezout , Maître de Mathémati
1
ques , 131
Hiftoire. Remarques fur la defeription de Cap de
Bonne- Efpérance ,
134
159
Hiftoire naturelle. Lettre de M. P'Abbé J *** à
M. le Chevalier de ***
Médecine. Lettre à M. Molinard , fur la rage , 16 %
Chirurgie. Lettre au Frere Côme , fur le Lithoto
me caché ;
ART. IV. BEAUX ART S.,
Mufique ,
Gravure ,
Architecture ,
190
193
195
198
Horlogerie. Mémoire fur une nouvelle maniere de
faire les cadrans de pendules , & c.
ART. V. SPECTACLE SI
208
Comédie Françoife , 201301212.13.
Comédie Italienne , 5214
Concert fpirituel ,
11215
ARTICLE VI.
Nouvelles étrangeres ,
Nouvelles de la Cour , de Paris , & c.
Lettre fur la Lotterie de Bruxelles ,
Mariage .I a travu I TXA 232
Avis ,divers
1
La Chanfon notée doit regarder la page 71 .
De l'Imprimerie de Ch. A. JaMBER
234
217
226
231
MERCURE
Chez
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
JUIN 2755 .
SECOND VOLUME.
Diverfité, c'est ma devife. La Fontaine .
Cochin
Filius inv
PapillesSculp
sect
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JEAN DE NULLY , au Palais .
PISSOT , quai de Conti .
DUCHESNE rue Saint Jacques. >
Avec Approbation & Privilege du Roi,
2
AVERTISSEMENT
E Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , & Greffier- Commis
au Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne,
Butte Saint Roch , entre deux Selliers.
C'est à lui qu'on prie d'adreffer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre ,
quant à la partie littéraire , à M. de Boiffy :
Auteur du Mercure.
>
Le prix eft de 36 fols , mais l'on ne payera
d'avance , en s'abonnant , que 21 livres pour
l'année , à raifon de quatorze volumes . Les
volumes d'extraordinaire feront également de
30 fols pour les Abonnés , & fe payeront avec
l'année qui les fuivra .
Les perfonnes de province auxquelles on
Tenverra par la pofte , payeront 31 livres
10 fols d'avance en s'abonnant , & elles le
recevront franc de port.
Celles qui auront des occafions pour lefaire
venir , ou qui prendront les frais du portfur
leur compte , ne payeroni qu'à raison de 30
fols par volume , c'est - à - dire 21 livres d'avance
, en s'abonnant pour l'année , fans les
extraordinaires .
Les Libraires des provinces ou des pays
A ij
étrangers, qui voudront faire venir le Mer--
cure , écriront à l'adreſſe ci- deffus.
On fupplie les perfonnes des provinces d'envoyerpar
la pofte , enpayant le droit , le prix
deleur abonnement , ou de donner leurs ordres,
afin que le payement en foit fait d'avance au
Bureau.
с
Les paquets qui ne feront pas affranchis ,
resteront au rebut.
L'on trouvera toujours quelqu'un en état
de répondre chez le fieur Lutton ; & il obfervera
de rester à fon Bureau les Mardi ,
Mercredi & Jeudi de chaque femaine , aprèsmidi.
On peut fe procurer par la voie du Mercure
, les autres Journaux , ainfi que les Livres,
Estampes & Mufique qu'ils annoncent,
6 ..
AVIS
DE L'AUTEUR DU MERCURE.
JE prie les Auteurs de recevoir ici mes
S
excufes fi je ne fais point de réponſe aux
lettres qu'ils m'écrivent ; la multitude des
ouvrages , jointe à la néceffité de faire une
collection tous les mois ne me laiffe pas
ce loifir , & m'oblige d'être impoli malgré
moi : hors les cas preffés , ils doivent avoir
la patience d'attendre que leur tour vienne.
Je mets dans mon recueil chaque piece par
ordre de date : fi elle n'y paroît pas à fon
rang , on doit penfer que c'eft moins ma
faute que celle de l'ouvrage. Je reçois tous
les jours des vers , où la mesure eft auffipeu
refpectée que la rime ; n'ayant pas le tems
de les corriger , je fuis contraint de n'en
point faire ufage.
Les écrits fur lefquels je dois être le'
plus difficile , font particulierement ceux
qu'on adreffe aux grands & aux perſonnes
en place : c'eft leur manquer véritablement
que de les mal louer un Miniftre
l'eft mieux par la voix publique que par
des vers médiocres. Quand ils n'ont pas
mérite d'être bons , il faut du moins qu'ils
le
A iij
ayent celui d'être courts ; avec cette derniere
qualité , on peut les inférer en faveur du
zele.
Comme l'année eftfertile en poësie , j'invite
nos jeunes écrivains à ne pas négliger
la profe : qu'ils l'emploient fur quelque
point de littérature légere , ou qu'ils choififfent
quelque trait de morale , cachéfous
le voile d'une fiction agréable ; pour peu
que ces morceaux foient bien traités , je
leur donnerai la préférence.
MERCURE
DE FRANCE
JUIN. 1755 .
SECOND VOLUME.
THEQUE
LYON
DE
VILLE
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
REPONSE
DE M. DESMAHIS
A M. de Margency.
Dis jeux de mon efprit vous l'arbitre févere ,
Des fecrets de mon coeur vous le dépofitaire ;
A iv
8 MERCURE DE FRANCE .
Vous pour qui la pareffe a des charmes fi doux ,
Qui fi légerement paffez dans tous vos goûts
Du defir à la négligence :
Pour mes autres défauts ami plein d'indulgence ,
Pourquoi reprendre en moi le feul qui foit en
vous ?
Rendu , par votre exemple , à vos leçons rebelle ,
Que ne puis je oublier ce qu'Apollon m'apprit !
La volupté naquit dans les bras d'une belle ,
Et l'inquiétude cruelle
Sur l'oreiller d'un bel efprit.
De ce monde frivole où tout n'eft qu'imposture ,
Où l'efprit n'eft qu'un froid jargon
Où le fentiment n'eſt qu'un nom ,
Vous me preffez en vain d'achever la peinture .
Ignoré du public , à l'abri des difcours ,
Loin de tous les travers je vis fans me contraindre
:
L'amour & l'amitié rempliffent tous mes jours ,
Et ne m'offrent jamais que des vertus à peindre.
Sur ces bords écartés , fous ce tilleul épais ,
L'amour qui fe repofe au frais ,
Abandonne pour vous le foin de fon empire ;
De graces entouré vous chantez les bienfaits ;
Tandis que plus loin je foupire.
Que fur l'écorce d'un cyprès ,
Avec la pointe de ſes traits ,
Je grave les vers qu'il m'infpire :
Le plus léger efpoir des biens que je defire
JUI N. 1755 .9 .
Me femble affez payer tous les maux qu'il m'a
C faits.
Reftons dans ce champêtre afyle ,
N'allons point à l'envi de mille auteurs jaloux
Difputer un laurier ſtérile ; '
Faifons de nos beaux jours un ufage plus doux ,
Cueillons d'une main plus habile
La fleur qui naît auprès de nous .
C
La gloire eft un fantôme , une ombre paffagere
Qu'on croit toujours atteindre & qu'on ne peut
faifir ;
Une coquette menfongere
Qui par le dépit même irritant le defir ,
Accompagne un refus d'une faveurlégere ,
Et fans jamais fe rendre , enchante & defefpere
Par le preftige du plaifir .
Ne fongeons qu'à jouir du moment où nous
fommes ,
Et nos jours les plus longs deviendront des inftans
:
Si de l'ufage de leur tems
Nous faifions rendre compte aux hommes ,
Le héros diroit , j'ai vaincu ;
Le bel efprit , j'ai fait un livre ,
Où j'apprens aux mortels le fecret de bien vivre ;
Le fage diroit , j'ai vêcu .
E rafte & Licidas , dévorés par l'envie ,
A meſurer des mots confumeront leur vie
Pour laiffer après eux le foible fouvenir ,
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
Le bruit fourd d'un vain nom perdu dans l'avenir.
Exempts de cet orgueil à leur repos funefte ,
Du flambeau de l'amour ufons ce qui nous refte :
Que l'art charmant des vers qu'ils connoiffent fi
peu ,
Pour eux foit un travail , pour nous ne foit qu'un
jeu ;
Que cet art profané par tant de vains libelles ,
Nous ferve quelquefois à célebrer les belles ;
Et que notre amitié plus tendre chaque jour
S'accroiffe avec nos ans des pertes de l'amour .
A
JUIN. 1755. Ir
LES DONNEURS D'IDÉES ,
Badinage inftructif adreffé à M. de Boiffi.
M
des
ONSIEUR, vous paroiffez prendre
plaifir à remplir votre article
des Arts. Nous y avons vû fucceffivement
des critiques fur l'architecture faites par
perfonnes qui entendoient bien la matiere
; des injures dites avec beaucoup de politeffe
à M. Boucher , & les efforts que l'on
fait pour trouver des raifons de fon mécon
tentement , qui font cependant bien clairement
imprimées fur les eftampes dont il
eft queſtion ; des éloges qu'un artiſte fait
de fes ouvrages , avec une bonne foi qui ne
lui permet pas de douter que le public
puiffe être d'un autre avis. Il vante de prétendues
nouvelles découvertes en gravûre
qui font auffi anciennes que l'art , & que
perfonne n'ignore; il nous affûre la plus parfaite
exactitude dans une eftampe , quant
à la perfpective & à l'effet de lumiere , où
ni l'une , ni l'autre ne fe trouvent que
d'une maniere défectueufe : fur quoi il eft
à remarquer que celui qui fe donne ces
louanges , a affez de talens pour captiver
l'eftime du public , fans qu'il foit befoin
A vi
12 MERCURE DE FRANCE.
porpour
lui d'avoir recours à cette efpece de
charlatanifme , qui n'eft pardonnable que
lorfqu'il fupplée au défaut d'un mérite
réel. Nous y avons lû la critique du
tail de faint Eustache , qui n'eft peut- être
pas fans raifon , & en même tems l'éloge
d'un projet pour ce même portail , par
l'auteur même. Le malheur eft que ce
projet ne remplit ni la hauteur du pignon
de l'églife , ni les autres fujetions du lieu :
c'eſt dommage , car il paroît qu'il a été
pris dans Vitruve , du moins à en juger
par le bas- relief payen qui fe trouve dans
le fronton ; il eft de plus orné de deux
tours de l'invention de l'auteur , & l'on
s'apperçoit bien qu'il n'en a pas trouvé
d'exemple dans Vitruve. On y ajoûte , des
idées d'églife , que l'auteur voudroit faire
paffer en loi , qui néanmoins pourroient
trouver des oppofans. Quoiqu'il en foit ,
l'auteur ici eft donneur d'avis , ou plutôt
donneur d'idées. Les arts , font à la
mode , il eft de faifon d'en écrire ; mais il
me femble qu'on ne remonte pas aux caufes
premieres qui les rendent floriffans :
une des principales eft la multiplicité des
donneurs d'idées . Je ne parle pas fimplement
de ceux qui font artiftes ; leur état
eft d'imaginer , & il n'eft pas étonnant
qu'ils le faffent avec netteté mais il y a
:
JUIN. 1755. 13
nombre de perſonnes qui embraffent l'état
de donneurs d'idées , fans vocation particuliere
, & qui cependant fe font un grand
nom ; elles enfeignent ce qu'elles n'ont
point appris , & fans fçavoir rien des arts ,
dirigent les artistes les défauts qui fe
rencontrent dans les ouvrages font fur le
compte de l'artiſte , & ce qui s'y trouve de
bon vient d'elles.
Quiconque fe deftine à la profeffion de
donneurs d'idées doit dormir peu ,
& cependant
rêver beaucoup. Quelque confuſes
que puiffent être les imaginations qu'il
combine , il en forme , un tout qui à la
vérité n'eft pas diftinct , mais néanmoins
dans lequel il voit , comme au travers d'un
brouillard, des merveilles difficiles à expliquer
, & plus difficiles encore à rendre.
Il va chez un artifte , lui propofe ces idées ;
vingt objections fe préfentent dont il ne
s'eft pas douté : il n'importe , rien ne le
déconcerte , il revient pourvû de nouvelles
idées. A force de les détruire , l'artiſte
développe quelques- unes de celles qui lui
paroiffent convenables ; notre inventeur
les faifit , y fait quelques nouvelles additions
, qu'on fera vraisemblablement obligé
de fupprimer , mais qui lui donnent le
droit inconteſtable de fe les regarder comme
propres. L'artifte en fait- il quelque
14 MERCURE DE FRANCE .
chofe de beau ? le donneur d'idées triomphe,
fans lui l'artiſte borné n'auroit pû enfanter
une fi belle choſe. Dans le cercle de la focié
té qu'il fréquente , il eft regardé comme
l'homme d'une connoiffance univerfelle ;
bientôt , s'il a un peu de bonheur , il fera le
confeil de la cour & de la ville en fait de
goût . Il restera pour démontré que quand
on réuffira , ce fera lui qui aura merveilleufement
imaginé , & que fi le fuccès n'y
répond pas , ce fera l'artifte qui n'aura pas
eu l'efprit de le comprendre. Il réfulte
mille avantages pour les artiftes , des mouvemens
que fe donnent ces perfonnes uti
les; ils n'ont pas befoin de fortir de chez eux
pour recevoir des complimens , le donneur
d'idées veut bien fe charger de ce lourd
fardeau : ils ne courent point de rifque que
les éloges leur tournent la tête , ils ne font
pas pour eux ; ce danger n'eft que pour le
donneur d'idées , qui peut devenir vain.
Mais comme il faut beaucoup de vanité
pour faire profeffion de cet état , la meſure
n'en eft pas fi bien fixée qu'on puiffe facilement
affirmer quand il y a excès ; d'ailleurs
pour un qui fe rendroit infoutenable ,
il s'en trouveroit mille prêts à le remplacer,
ils ne font pas auffi rares que les excellens
artiftes.
Je ne fçais pourquoi tout le monde ne
JUI N. 1755. IS
s'attache
pas à ce genre de talent qui eft
facile & amufant , je veux vous le prouver
par un exemple. Il m'eft venu plufieurs fois
à l'efprit que Timoleon faifant périr ſon
propre frere pour la patrie , feroit un
beau fujet de tragédie : n'étant nullement
poëte , je ne fçais pas s'il feroit intéreffant
au théâtre , & s'il ne s'y rencontreroit pas
des inconvéniens qui le rendroient impoffible
; mais fi vous le traitiez , vous feriez
obligé de convenir , après ce que je vous
en dis ici , que c'eft moi qui vous en ai
donné l'idée , & que la plus grande partie
du fuccès me devroit être attribuée . Vous
voyez que je n'ai pas fait une grande dépenfe
de génie ; voilà pourtant ce que c'eft
qu'être donneur d'idées.
Monfieur , vous êtes zélé pour la gloire
des arts , je vous conjure d'encourager les
donneurs d'idées ; cela eft plus aifé qu'on
ne le croit ordinairement , & on peut appliquer
ce talent à une infinité de chofes
dans les belles-lettres & dans les arts. Avec
de très-légeres connoiffances , on peut donner
des idées de tragédies , de comédies &
même de poëmes épiques , ce qui eft bien
plus glorieux. M. V. fait un beau tableau
qu'il expofe au fallon : un homme de bien
plus grande imagination que lui , lui prouve
dans une brochure qu'il n'a pas tiré de
16 MERCURE DE FRANCE.
fon fujet tout ce qu'il pouvoit , & lui fournit
de quoi couvrir une toile de vingt toifes
. Cependant cet auteur voit tout cela au
travers d'un brouillard , dans un espace de
quinze pieds ; on pourroit le prier de faire
voir comment il y fait entrer tout cela :
fon excufe eft toute prête ; il ne fçait pas
deffiner , fon état eſt d'être donneur d'idées.
Le bon M. *** dont les écrits font fi remplis
d'aménité , & qui par conféquent ne peut
comprendre pourquoi ils lui ont attiré tant
d'ennemis , fe donne la peine de faire imprimer
quantité d'idées de fujets pour les
peintres ; ils ont l'ingratitude de s'appercevoir
qu'aucun de ces fujets n'eft propre
à faire un bon effet cela n'eft - il pas
malheureux ? fi on l'avoit crû , n'eut- il
eu droit au premier fallon de réclamer
fon bien ? & toute la gloire de l'expofition
n'eût- elle dû être pour
pas lui : Ce qui
lui doit paroître plus inconcevable encore ,
c'eft qu'une autre brochure qui a paru
depuis & qui contenoit des fujets de peina
été tout autrement accueillie .
Pourquoi cela ? eft - ce parce qu'il étoit
évident que celle ci partoit de quelqu'un
au fait de l'art , & qui n'écrivoit que d'après
des idées nettes & déja compofées
dans fon efprit en artifte ? Devroit- on pour fi
peu y mettre tant de différence ? Eft if quefture
,
pas
JUIN. 1755. 17
tion d'une grande fête ? on dit à l'artiſte , il
nous faudroit ici quelque chofe de grand ,
de beau , un temple , un palais , ce que vous
voudrez ; mais que cela foit impofant : voilà
des demandes nettes , claires , & qu'on
peut remplir de mille façons. L'artiſte eft
à fon aife ; s'il eft habile , il fait une belle
chofe ; mais il n'en eft pas moins vrai que
c'eſt M. tel qui lui a donné l'idée . Ce font
les efprits prudens , & ceux qui veulent
une gloire qu'on ne puiffe leur conteſter ,
qui fe renferment dans ces généralités ;
elles fuffifent pour en tirer le plus grand
honneur , & même pour autorifer à mettre
fon nom , comme inventeur , aux eftampes
qui pourront en être gravées. Ceux qui
s'avifent de mettre la main au porte- crayon,
s'en tirent plus difficilement : malgré les
excufes qu'ils apportent de n'avoir jamais
appris , ce qui eft aſſez viſible pour les difpenfer
du foin d'en avertir ; ils hazardent
beaucoup ordinairement , ils ne fçauroient
éviter une bonne dofe de ridicule; mais auffi
s'il arrive, par un heureux hazard , que l'exécution
reffemble à peu près à ce qu'ils ont
confufément ébauché,quel triomphe ! quelle
gloire ! On peut donner des idées pour les
décorations de l'opéra , pourvû qu'on ait
de bons peintres pour les débrouiller &
leur donner de l'existence. L'expérience fait
18 MERCURE DE FRANCE.
voir qu'il n'eft pas néceffaire de fçavoir
deffiner , ni même les premiers élémens de
l'architecture. On peut donner des idées
pour la mufique ; il fuffit pour cela d'en
avoir entendu quelquefois , & d'avoir pris
parti dans la querelle pour ou contre. On
donnera encore facilement des idées pour
les habillemens , il y en a des preuves. On
a vû des perfonnes fe faire une réputation,
feulement pour avoir donné des idées d'attitudes
variées aux acteurs des choeurs de
l'opéra . Il n'y a pas jufqu'à un marchand
qui donne des idées ( ou du moins qui le
fait croire ) aux manufactures d'étoffes .
Lorfqu'il a été queftion de faire une
place pour le Roi , n'a-t-on pas vû éclore
un effain de donneurs d'idées , qui étoient
étonnés eux- mêmes de la beauté des imaginations
qui leur paffoient par la tête ?
quelques-uns n'ont pû réfifter à la tentation
de les publier , quoiqu'en pure perte.
Il ne faut pas en croire les artiftes , qui fe
figurent que tout le monde eft en état de
faire un rêve ; que toute la difficulté confifte
à le réaliſer de maniere qu'il faſſe un
bon effet , & à vaincre les difficultés qui
fe rencontrent dans les idées les plus nettes
& les mieux conçues : la jaloufie leur
fuggere ce fentiment , & la véritable gloire
doit toujours appartenir à celui qui donne
la premiere idée.
JUIN. 1755. 19
Vous même , Monfieur , vous avez les
plus grandes obligations à un donneur d'idées
, & peut- être fans l'avoir jamais fçu .
Nous venons de perdre un auteur , finon
diftingué , du moins récompenfé : il avoit
apparamment fait réflexion , ou avant ou
après vous , que le contraſte d'un Anglois
des plus durs avec un François des plus
petits- maîtres pouvoit produire quelque
chofe de plaifant ; de là il s'étoit érigé dans
fa famille & dans le petit cercle de fes
amis pour le donneur d'idées du François
à Londres. Si vous ne fûtes pas débarraſſé
du foin d'imaginer ce fujet , vous dûtes
l'être d'une partie du fardeau des éloges
qui vous en font revenus , du moins il
cherchoit à vous en foulager autant qu'il
lui étoit poffible. La feule difficulté qui s'y
trouvoit , c'est qu'il n'avoit rien fait avant ,
& qu'il ne fit rien depuis qui donnât lieu
de croire qu'il en eût pû faire une bonne
piece ; cependant il avoit fes croyans . C'en
eft affez pour vous faire voir la très- grande
utilité des donneurs d'idées , & je vous les
recommande comme plus importans encore
que les donneurs d'avis.
Je fuis , &c.
1
20 MERCURE DE FRANCE.
VERS
Sur la mort de M. le Maréchal de Lowendal.
C'Eft par le talon
qu'aujourd'hui
La mort vient de faifir un Général habile ;
Lowendal vêcut comme Achille
* Il devoit mourir comme lui .
Moi,
De
MADRIGAL.
Oi , je ne fçai qu'aimer ; vous ne ſçavez que
plaire :
ces arts entre nous ne faiſons point myſtere.
Pour être à l'uniffon ,
Eglé , donnons-nous l'un à l'autre
Quelque charitable leçon :
Vous fçaurez tout mon art , quand je fçaurai le
vôtre .
JUIN. 1755. 21 '
VERS
A Mademoiselle de Luffan , à l'occafion defa
penfion fur le Mercure ; par un de ses amis.
Q
Uand de l'amour vous chantiez les effets ,
Et de fon doux poilon les dangereux progrès ;
De ce Dieu , fectateur fidele ,
Mercure alors eût dû couronner votre zele ;
C'est lui qui de l'amour enrichit les fuppôts.
Mais lorsque vos écrits célébrant les héros ,
Vous quittez pour Clio les Romans , la fêrie ;
Le don qu'il vient vous préfenter ,
A Charles , à Louis paroît fe rapporter.
<
Ce n'eft pourtant qu'une fupercherie ;
Il attendoit l'inftant , où fans effronterie
Il offriroit à vos talens
De fes tréfors les fecours bienfaifans .
Qui l'eût dit qu'une mufe , & fi noble & fi pure ,
Auroit un jour grace à rendre à Mercure ?
On ne peut de ce Dieu trop admirer les tours ;
Au nom de la vertu , dans plus d'une aventure
Il a fatisfait les amours.
"
L
MERCURE DE FRANCE.
PORTRAITS
DE CINQ FAMEUX PEINTRES
ROMAINS.
Dominique Feti.
Avec Jules Romain , le Feti fympathife ;
Il penfe grandement , s'exprime avec fierté.
Par fon pinceau moëlleux que conduit la franchife
,
Le connoiffeur eft ragouté.
De fes riches préfens maint cabinet fe pare
En vain on lui reproche un deffein négligé :
} Par un attrait vainqueur de mon goût il s'empare ,
Et je crois la critique enfant du préjugé
Gafpre Dugbet.
L'art ici me déploie un fpectacle enchanteur :
Pour ce feuillage épais Zéphir a quitté Flore ;
Il Pagite fous lui je goûte la fraîcheur ,
Mon oeil y cherche au loin la beauté que j'adore.
Que d'heureux accidens il trouve en fon chemin !
Ruine , chûte d'eau , tout au repos l'engage .
Mais , que dis-je , fuyons , imitons ce Silvain ;
* Un fougeux ouragan s'éleve en ce bocage.
...
* Il peignit pour le Cardinal de Lorraine une
JUIN. · 1755 • 23
François Romanelli.
Quel gracieux pare ces têtes !
Je les contemple & j'en deviens l'amant.
Que cette freſque a droit de faire des conquêtes !
Elle eft d'un ton frais , raviffant.
Romanelli , c'eſt ton ouvrage ,
Je le crois ; les regards du Monarque puiffant *
Qui t'honora de fon fuffrage ,
Firent plus d'une fois éclore le talent .
Ciro Ferri.
Cet éleve eft égal à fon illuftre maître ,
Le virtuofe admire & confond leurs travaux.
On renaît dans les fiens ; Ferri redonne l'être
Au Cortone , à celui qui guida fes pinceaux.
Là , cent chefs-d'oeuvres de peinture ,
Ici la noble architecture ,
Tel qu'un foleil font briller fes crayons .
L'envie après la mort veut qu'on le défigure **
Et fait de fon couchant éclipfer les rayons.
>
bourafque , qui eft un de fes plus beaux tableaux.
Aucun Peintre avant le Gafpre n'avoit attiré dans
Jes paysages le vent & l'orage.
* Louis XIV.
** La coupole de fainte Agnès , dans la place Navone
, fut fon dernier ouvrage. En mourant , il le
laiffa imparfait ; Corbellini , fon éleve , l'acheva
d'une maniere à deshonorer son maître. On fçait
que la jaloufie eut beaucoup de part au choix qu'on
fit de ce médiocre Artifte.
24 MERCURE DE FRANCE.
Ce
Giacinto Brandi.
que le Brandi crée eft riche & plein de feu ;)
Par - tout fon faire annonce un efprit grand ,
fertile.
Ah ! pourquoi de fon art ne s'eft- il fait qu'un jeu ?
Quelle honte il couroit moins au beau qu'à
l'utile.
Son coloris eût pris de la vigueur ,
S'il n'eût pas été fourd à la voix de la gloire ;
Et fon trait plus correct l'eût rendu la terreur
Des Peintres qui fur lui remportent la victoire.
Voyage
JUIN. 1755. 25
Voyage de Dijon à Paris , fait en 1746.
A Mis , vous attendez fans doute
Que je vous faffe le récit
Bien détaillé , de ce qu'en route
J'ai vu , j'ai fçu , j'ai fait , j'ai dit :
Oui , je m'en vais fur mon hiftoire
De mon mieux vous entretenir ;
Sans peine vous pouvez me croire ,
Vous le fçavez , il eſt notoire
Qu'un Bourguignon ne peut mentir.
D'être par- tout bien véritable ,
Je ne le
promets pourtant pas :
Car bien fouvent il eft des cas ,
Où pour rendre plus agréable
La fatigante vérité ,
Il faut du manteau de la Fable
Couvrir fa trifte nudité.
Vous l'avouerez ; mais que ma Muſe
Et vous inftruiſe & vous amuſe ,
Hélas ! je n'ofe m'en flater ;
N'importe , plein de confiance ,
Pour répondre à votre eſpérance ,
J'oſe tout faire & tout tenter.
Attention , faites filence ;
Je prends la plume , je commence :
II. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE .
Or , vous plaît-il de m'écouter.
Je vous quittai avec tous les fentimens
d'une parfaite reconnoiffance & d'une
amitié fincere. MM ...... me reconduifirent
jufqu'au bas de Talent ; là je reçus
leurs adieux , & je les embraffai le regret
dans le coeur :
Mais nous voilà dans l'équipage ,
Des fouets l'air a retenti :
Santé conftante & bon voyage ;
Allons , cocher ; on eft parti.
Nous nous trouvâmes fept dans la voiture
; mais plaignez-moi avec ce nombre .
Pas un minois qu'on pût baiſer ;
Pas une femme un peu jolie ,
Vers qui tout bas l'on pût jafer ,
Dont je puffe pour m'amufer
Faire en chemin ma bonne amie.
C'étoit d'un côté un homme fort ennuyeux
, qui fe nommoit M. Chufer , avec
le Sr Taillard , dont tout Paris fans doute
connoîtra bientôt les talens fupérieurs qu'il
a pour la flûte. Une femme âgée occupoit
le fond .
A côté de cette vieille ama
JUIN.
27 1755 .
Etoit affis un Provençal ;
Du Provençal & de la Dame
Je ne dirai ni bien ni mal.
Mais fi j'ai mérité l'Enfer ,
Seigneur , modere ta juftice ,
Et ne mets pas pour mon fupplice ,
A mes côtés M. Chufer.
Sur ce qui refte il faut fe taire ;
Car nous ne sommes plus que trois ,
Qui font B ....moi , mon frere ,
Que bien vous connoiffez , je crois .
Arrivés au Val- de- Suzon , on nous fervit
à déjeûner.
Des écreviffes & des truites :
En ce pays , quoique petites ,
Cela fait un mets excellent ,
Quand dans du vin rouge ou du blanc
Au petit lard elles font cuites :
Nous allâmes dîner à Saint- Seine .
C'eſt-là que coule cette fource
Qui , répandant au loin fes flots,
Porte fes ondes aux Badauts ,
Et dans la mer finit la courfe.
Le foir nous arrivâmes à Chanceaux, ou
Bij
28 MERCURE DE FRANCE .
nous foupâmes de bon appétit : nous fumes
un peu furpris de voir notre hôte malade
d'une fievre maligne , chercher à la guérir
avec du vin qu'il buvoit avec une confiance
dont il devoit tout appréhender . Comme
nous lui en marquions notre étonnement ,
il nous répondit avec naïveté que ce qui
* faifor du bé ne pòvor fare du man ; & en
effet
Un Bourguignon peut-il penfer
Qu'un demi- Dieu , comme Efculape ;
En pouvoir puiffe ſurpaſſer
Le Dieu qui fait naître la grappe ?
Non , non ,
dans vos heureux climats
Le vin , cette liqueur divine
Préferve un homme du trépas ,
Lorfqu'en ceux-ci la Médecine
Les jette tous entre les bras
De la cruelle Libitine.
Je cheminois paifiblement , laiffant errer
avec volupté mes yeux fur les objets qui ,
à mesure que nous avancions , fe découvroient
à ma vûe : vous fçavez comme j'aime
la campagne , & combien je fuis touché
de fes agrémens . Qu'avec bien du
plaifir je promenai mes regards fur cette
* Patois Bourguignon , que ce qui faiſoit dų
bien ne pouvoit faire du mal,
JUIN. 1755 29
belle vallée qui s'offre fur la gauche en arrivant
à Montbard ! la variété des objets
en fait un très -beau lieu : on voit une chaî
ne de montagnes qui bornent l'horizon
mais qui s'étendant au loin & fe perdant
dans l'éloignement , font douter à l'azur
qui colore leur cîme n'eft point celui dont
s'embellit le firmament , tant les plus lointaines
extrêmités femblent fe confondre
avec le ciel. En revenant de fi loin , la vûe
fe ramene fur les collines , que les regards
avoient d'abord faifies . Sur leur penchant
on voit plufieurs maifons de Laboureurs
qui dominent une prairie riche de tout ce
qui rend une campagne belle & fertile.
Tout cela mériteroit fans doute les honneurs
de la Poëfie ; mais je n'ofe me croire
capable de peindre ces beautés d'une maniere
neuve & originale.
La Peinture , la Poëfie
Dans leurs payſages rians ,
Les miracles de la fêrie
N'ont pas des lieux auffi charmans,
O beaux vallons , où le Penée
Paifiblement roule fes eaux !
M'offririez -vous tous les tableaux
De cette rive fortunée ?
Quelle aimable diverfité !
Fontaines , bois , côteaux , montagnes ,
Biij
30 MERCURE DE FRANCE.
Tout ce qu'ont d'attraits les campagnes
S'offroit à mon cel enchanté.
Une fi douce rêverie
Vint furprendre tous mes efprits :
Je fus fi tendrement épris
Des charmes de la bergerie ,
Qu'en vérité dans ma folie
J'eufle donné tout ce Paris
Pour un hameau dans la prairie
Qu'en Peintre vrai je vous décris .
Au milieu de ces idées j'eus la fantaiſie ,
malgré l'extrême chaleur , de voir de plus
près cette belle vallée : je deſcendis du car-
∙roffe , & après avoir adoré les Divinités du
pays , je m'avançai fous leurs aufpices vers
un petit bois , d'où pouvant confiderer tout
le champêtre des environs , je goûtai encore
la fraîcheur d'unefontaine qui y couloit
: ah ! dis- je , en me couchant fur l'herbe
qui tapiffoit fes bords ,
Ici Phoebus ne porte point ſes traits ;
Que je chéris cette humide fontaine ,
Où le tilleul fous un feuillage épais ,
Contre les feux m'offre une ombre certaine !
Ces bois , ces eaux ont pour moi mille attraits ;
Mais des vallons il s'éleve un vent frais
Qui fur les fleurs le joue & fe promene ;
Venez , Zéphir , je vous ouvre mon fein ,
JUIN. 1755. 31
.
Pénétrez-moi de vos fraiches haleines ,
Calmez l'ardeur qu'allume dans mes veines
De Syrius l'aftre aride & mal fain.
*
Si je chéris les bois & les prairies ,
Léger Zéphir , je n'y cherche que vous ;
Vous réparez mes forces affoiblies ,
1
Et je vous dois un repos qui m'eſt doux ;
En ce moment vous feul me rendez chere
Cette retraite obfcure & folitaire :
Loin des cités , dans le calme & la paix ,
Parmi les fleurs , la mouffe & la fougere ,
Pour refpirer votre vapeur légere ,
Toujours puiffai -je errer dans ces bofquets .
J'eus à peine achevé cette priere qu'un
air plus vif s'éleva autour de moi en frémiffant
légerement ; mais je fus bien furpris
, quand après quelques momens de repos
voulant m'éloigner & reprendre ma
route , je me fentis enveloppé par un tourbillon
& emporté dans les airs ,
d'où je
defcendis doucement près de la voiture ,
qui déja s'étoit fort éloignée ; je ne doupas
que Zéphyr par une faveur particuliere
, ne m'eût enlevé fur fes aîles , afin
de m'éviter un trajet que rendoit pénible
l'extrême chaleur.
tai
Je repris ma place dans la voiture en
* Etoile qui eft à la tête de la canicule.
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
regrettant un fi beau lieu , & j'arrivai à
Montbard. Si vous prenez garde aux deux
mots qui compofent le nom de cette ville ,
vous préfumerez comme moi qu'elle étoit
jadis une retraite des anciens Bardes . Les
Bardes étoient tous Poëtes , & ils étoient
appellés Sages parmi les Gaulois : il y a
aujourd'hui bien du déchet ; mais avançons.
>
Pendant qu'on nous apprêtoit à dîner
nous allâmes voir la maifon de M. de B...
Gouverneur de Montbard . Tout y paroît
appartenir à un Philoſophe aimable ; des
appartemens nous montâmes à la terraffe ,
où nous vîmes à l'extrêmité d'un petit jardin
un joli fallon tout en coquilles de diverfes
couleurs ; il eft tout fimple d'imaginer
que c'eft la grotte de quelques Nymphes
du voisinage.
Oui , par ce tiffu de coquilles
Qui forme ce fallon charmant ,
On croit que c'est l'appartement
De quelques Nayades gentilles ,
Qui laffes de refter dans l'eau
Et de courir dans la prairie ,
Viennent par fois dans ce château
Egayer leur mélancolie .
Le lendemain nous arrivâmes à Auxerre
JUIN. 7755
33
où nous couchâmes , & qui me parut une
ville peu agréable ; Villeneuve- le - Roi où l'on
ne compte qu'une belle rue , me plairoit
mieux nous y foupâmes le lendemain ;
il faifoit extrêmement chaud . Dès que je
fus arrivé , je me fentis une envie preffante
de m'aller baigner ; je me rendis fur
les bords de l'Yonne , je vis le Dieu du
Aleuve qui fe promenoit avec une pompe
& un appareil qui m'en impoferent : je
craignis de trouver du danger où je
voyois tant de majeſté ; je me retirai &
je fus m'affeoir vers un petit ruiffeau ombragé
de faules qui venoit s'y rendre . Je
m'affis ; bientôt j'éprouvai ce calme & ce
filence intérieur où nous livre la folitude ;
mais comme l'idée de la galanterie vient
naturellement s'unir aux impreffions que
laiffe un lieu agréable , je me mis à rêver
à une volage , & de la fouhaiter à mes côtés
: je difois ,
Je viens m'affeoir fur le rivage
De ce ruiffeau lympide & frais ;
Recevez-moi , faules épais ,
Sous votre agréable feuillage :
Dans ce beau lieu je veux en paix
Goûter le charme de l'ombrage
Que ce lit de mouffe à d'attraits
Pour mon coeur né fenfible & tendre !
~
BV
34 MERCURE DE FRANCE.
Pour le plaifir qu'il eft bien fait !
D'un doux tranfport , à cet objet ,
Mes fens ne peuvent fe défendre.
Je rêve ! .... &pouffe des foupirs ! ....
Et pourquoi cette inquiétude ? .
Délicieufe folitude ,
Manque-t - il rien à vos plaifirs ? ....
Foulant tous deux cette herbe épaiffe ,
Je voudrois lire mon bonheur ,
Dans les beaux yeux de ma maîtreffe.
Amour !... fixe pour moi fon coeur.
Mais enfin , continuai - je , pourquoi
nourrir plus long- tems une paffion inutile
qui me caufe du trouble ? profitons plutôt
& fans diftraction des plaifirs fimples &
tranquilles que la nature me préfente.
Je m'entretenois ainfi ,
Quand j'apperçus à mes côtés
Une Nymphe , dont le corfage
Offroit aux yeux plus de beautés
Que n'en avoit fon beau vifage :
Avec de grands cheveux nattés ,
Des fleurs diverfes qu'on moiffonne
Sur ces rivages enchantés ,
Elle portoit une couronne.
Je regrettois une friponne ;
Une Nymphe offroit à mes fens
Ces appas qu'amour abandonne
JUIN.
35 1755.
Aux feux libertins des amans :
Pouvois- je donc pleurer long- tems ?
Cédant aux erreurs de mon âge ,
J'oubliai tout en les voyant ,
Et je goûtai cet avantage
D'aimer enfin moins triftement.
Pardonnez ce libertinage :
Mais au récit où je m'engage
De conter tout ingénument ,
Vous m'avouerez qu'il eft plus fage ,
Plus doux auffi , plus confolant ,
Quand une ingrate nous outrage
D'échapper à l'amour conſtant
Pour courir à l'amour volage .
Je vous connois ; oui , je le gage ,
Vous en auriez fait tout autant .
Mais néanmoins à cette vûe ,
Saifi de trouble & l'ame émue ,
Je me cachai dans les rofeaux :
Ne craignez rien , s'écria -t -elle ,
Berger , je fuis une immortelle ,
Fille du fouverain des flots ;
C'est moi qui dans cette prairie
Fais couler ce petit ruiſſeau ;
Venez , la fraîcheur de fon eau
A vous y baigner vous convie.
Rien ne peut-il calmer vos feux ,
Ajoûta-t-elle avec tendreffe ?
B vj
36 MERCURE DE FRANCE
Ah ! queje hais cette maîtreffe
Qui fe refuſe à tous vos voeux.
Ne formez que d'aimables noeuds ;
Comme l'amour ayez des aîles ;
Jeune & difcret , loin des cruelles
Vous méritez d'être un heureux .
Vous le ferez , féchez vos larmes ,
Regnez fur mon coeur , fur ces lieux ;
Je n'ai peut-être pas fes charmes ,
Mais je fçaurai vous aimer mieux.
Qu'une Déeffe eft féduiſante !
Ah ! m'écriai -je , tout m'enchante ,
Tout me captive en ce féjour ;
Tout eft ici , Nymphe charmante ,
Digne de vous & de l'amour .
Vous voyez qu'à fon compliment
Où j'entrevis de la tendreffe ,
Je répondis à la Déeſſe
Par un propos affez galant .
Après ces mots , plein d'affurance
Avec yvreffe je m'élance ,
Et me laiffe aller dans les bras
De mon aimable Néreïde ,
Qui vers la demeure liquide
Elle-même guida mes pas.
Les peupliers fur mon paffage
Sembloient doucement agiter
Et leurs rameaux & leur feuillage ,
JUIN. 37. 1755
Ils paroiffoient nous inviter
Arepofer fous leur ombrage.
D'un mouvement vif & léger
Les cignes avançoient fur l'onde ,
Et fans mourir ils frappoient l'air
Du chant le plus tendre du monde .
Parmi leurs fons mélodieux ,
Mais cependant moins gracieux
Que les accens de Jéliotte ,
Nous arrivâmes à la grotte
Où j'allois voir combler mes voeux.
Je pourrois en dire davantage ; mais ne
feroit ce pas manquer aux Dieux que de
revéler leurs myfteres à des profanes : j'a
joûte pourtant
Que cette jeune Déïté ,
Par fon doux & tendre langage ,
Tint long-tems mon coeur enchanté
Et fçut , quoique je fois né fage ,
Me faire aimer la volupté.
Le moment vint de nous féparer : que
ne fit- elle pas pour me retenir ! Calipfo ne !
mit pas enen ufage plus de charmes pour ar
rêter le fils du vieux Laërte : mais comme
ce héros , je fçus y réfifter ; je lui fis enfin
mes derniers adieux . Ses bras s'ouvrirent
pour m'embraffer : ah , dit - elle en verfant
les plus tendres larmes , je méritois
38 MERCURE DE FRANCE.
que vous euffiez voulu couler avec moi le
refte de vos jours ; fi vous m'avez chérie ,
continua - t- elle , ne me refufez pas ce baifer
; laiffez - moi ravir au fort qui vous
éloigne de moi , cette joie qui pour moi
fera la derniere. Adieu.
Chere Nymphe , m'écriai - je , je la regardois
dans ce moment :
Mais quelles furent mes alarmes
D'appercevoir ce corps fi beau ,
De mes mains s'écouler en larmes ,
Et ne plus être qu'un ruiffeau ;
Dont l'onde tranſparente & pure
Se ramaffant contre mon fein ,
Avec le plus trifte murmure
Autour de moi forme un baffin.
1
Je m'y plongeai avec tranſport , & après
m'y être baigné une heure j'en fortis avec
trifteffe . Que n'étions-nous au fiécle des
métamorphofes !
C Ainfi que
bien des malheureux
Qu'en fes écrits célebre Ovide ,
J'aurois pû demander aux Dieux
De devenir un corps fluide ,
Et j'euffe été fans doute heureux
En mêlant mes flots amoureux
Aux ondes que la Neréide
Epanchoit de fon fein humide ;
JUIN. 39 1755 .
Comme un fleuve majestueux ,
Qui voit croître en fon cours fa gloire & fa fortune
De mes deftins trop glorieux ,
On ne m'eût jamais vû dans le fein de Neptune ,
Porter des flots ambitieux ;
Mais , ruiffeau toujours grácieux ,
D'un cours égal , jamais rapide ,
Avec elle d'une eau lympide
J'euffe arrofé toujours ces lieux.
Mais , comme vous voyez , l'immortalité
me devenoit impoffible.
De maniere qu'en un moment
Je m'éloignai de la fontaine ,
Comme j'étois auparavant ,
Revêtu de ma forme humaine ;
Et P ..... tout uniment.
-
Je retournai à mon auberge , où je mangeai
de très - bonne grace : le fouper étoit
bon ; nous eûmes la précaution de mettre
une couple de poulets entre deux croûtes
pour en déjeûner le lendemain . Effectivement
, après avoir marché quelque tems ,
nous nous écartâmes de la voiture.
Puis fur la molle & tendre herbette ,
Sans nappe mife , fans affiette ,
A l'ombre d'un vieux chêne affis ,
40 MERCURE DE FRANCE.
Des deux croûtes d'un pain raffis
N'ayant que mes doigts pour fourchette ;
Je tirai nos poulets rôtis .
En même tems de ma pochette
Je fis fortir un doux flacon
D'où j'aillit un vin bourguignon ,
Qui nous rafraîchit la luette .
Après avoir bû amplement à votre fanté
, nous regagnâmes le coche. Nous arrivâmes
le foir à Joigny pour en repartir le
lendemain avant le jour : on nous éveilla
à deux heures ; le ciel étoit pur & clair , &
promettoit une belle matinée. Je me propofai
d'examiner fi les defcriptions qu'en
font les Poëtes étoient exactes , d'en étudier
tous les momens & d'en fuivre les accidens
& les circonftances : une heure après
notre départ je me fis ouvrir la portiere ,
& laiffant mes compagnons de voyage
dormir profondément, je continuai la route
à pied.
Un crépuscule encor peu für
Ne laiffoit voir loin du village ,
Que le chaume & le faîte obfcur
Des cabanes du voifinage ,
Que quelques pins , dont le feuillage
S'étoit découpé fur l'azur
D'un ciel ſerein & fans nuage,
JUIN. 41 17558
Je difois , heureux laboureurs ,
Maintenant un fommeil paisible
Sur vous prodigue fes faveurs ;
Et fi l'amour eft dans vos coeurs ,
A l'amour feul il eft poffible
D'en interrompre les douceurs .
En s'éloignant des coeurs profanes
Cet enfant ne dédaigne pas
D'habiter vos humbles cabanes ;
Il aime à voler fur les pas ,
A folâtrer entre les bras
De ces gentilles payſannes ,
Dont lui-même orne les appas.
C'eft aux champs qu'amour prit naiffance ,
Il y lança fes premiers traits ;
Sur les habitans des forêts
Venus exerça fon enfance.
Eh ! qu'il acquit d'expérience !
Bientôt les hommes & les Dieux
Contre lui furent fans défenſe ;
Des bois il vola dans les cieux ;
Mais il chérit toujours les lieux ,
Premiers témoins de fa puiffance.
De l'Hefperus l'aftre brillant
Ne regne plus fur les étoiles ,
L'ombre s'éloigne , & dans fes voiles
Se précipite à l'occident .
Mais un rayon vif de lumiere
42 MERCURE DE FRANCE.
S'eft élancé de l'horizon ;
Voici l'époufe de Titon , •
Qui du jour ouvre la barriere.
Sur un char peint de cent couleurs
Viens , Aurore , avec tous tes charmes ,
Viens & répands de tendres larmes
Sur les gazons & fur les fleurs.
Que ces momens font enchanteurs !
Un verd plus frais , de ce feuillage
A ranimé le doux éclat ;
En reprenant ſon incarnat ,
La jeune fleur , au badinage
Du papillon vif & volage
Ouvre fon vafe délicat ;
Il fuit , & je vois cet ingrat
Porter à toutes fon hommage.
Que l'air eft pur ; quelle fraîcheur !
Du fein humide dés fougeres
S'exhale une fuave odeur ,
Qu'en frémiffant avec douceur ,
Au loin fur fes aîles légeres
Porte & difperfe un vent flateur.
Une langueur délicieuſe
Coule en mes fens .... ah ! quel plaifir !
Je ne fçais quoi vient me faifir
Qui rend mon ame plus heureuſe .
Mais la fauvette à fon reveil
Des bois a rompu le filence :
J'entends fa voix , & du ſoleil
JUIN.
43
1755-
Ses chants m'annoncent la préfence.
Déja brille fur les guerêts
Le fer aigu de la charrue ;
L'adroit chaffeur dans les forêts
Attend qu'épris des doux attraits
De l'herbette fraîche & menue
Le levreau vienne dans ſes rêts
Chercher une mort imprévûe.
Bientôt au fon des chalumeaux
Que les Bergeres font entendre
Les bercails s'ouvrent , les
agneaux
Sous la houlette vont ſe rendre ;
Je les vois fortir des hameaux ,
Et fous les yeux d'un chien fidele .
Couvrir les rives des ruiffeaux ,
Se répandre fur les côteaux
Où croit le thyn qui les appelle ,
Jufqu'au moment où la chaleur
En deffechant les pâturages ,
Les fera fuir dans les bocages
Pour goûter l'ombre & la fraîcheur ,
Cette belle matinée me caufa le plaifir le
plus pur que j'aie reffenti de ma vie . Ce
charme eft inexprimable : qu'avec admiration
mes yeux fe tournerent vers l'orient !
Flambeau du jour , aftre éclatant ,
D'un Dieu caché , viſible image ,
Vous m'avez vû dans ce moment
44 MERCURE DE FRANCE.
>
Par mes tranfports vous rendre hommage.
A ce fpectacle encor nouveau
O foleil ! je te fis entendre
Cet hymne digne de Rameau ,
Où fur leurs temples mis en cendre ,
Les Incas chantent leurs regrets ,
Et rendent grace à tes bienfaits
Toujours fur eux prêts à defcendre.
Bientôt je remontai dans le coche mieux
inftruit par la nature elle- même que par
tout ce que j'avois vû , & chez les anciens
& chez les modernes , & dans les Poëtes
& chez les Peintres.
Jufqu'à Melun il ne nous arriva rien
de particulier , finon qu'à Villeneuve - la-
Guyard nous vîmes arriver une chaife de
pofte , d'où fortirent un jeune homme de
fort bonne mine , & un autre qui paroiffoit
plus jeune ; mais le tein délicat de celui-
ci & le ton de fa voix nous firent deviner
que l'un étoit une jeune fille déguifée
, & l'autre fon amant.
C'étoit fans doute un féducteur ,
Qui loin du toît trifte & grondeur
D'une maman toujours mauvaiſe ,
De fa maîtreffe amant vainqueur ,
Avec elle fuyoit en chaife ,
Afin qu'il pût tout à fon aiſe
JUIN.
45 1755.
En poffeder le petit coeur.
Le lendemain nous dînâmes à Moret
d'où nous partîmes pour aller coucher ,
Melun. Nous traverfâmes la forêt de Fontainebleau
: qu'elle est belle ! Nous arrivâmes
de bonne heure à Melun , où ne fçachant
que faire nous allâmes voir les marionettes.
Polichinelle & Gigogne fa mie
Avoient l'heur de nous divertir :
Je l'avouerai , je pris quelque plaifir
A voir dans fa bouffonnerie
Un automate amufer mon loifir
Mieux qu'un trifte mortel dont le bon fens m'en
nuie.
Le lendemain nous arrivâmes fains &
gais à Paris.
Et c'eft de ce même Paris
Qu'imitant le gentil Chapelle ,
En profe , en vers je vous écris.
Adieu , je gagne ma ruelle ;
Bon foir , adieu , mes chers amis.
Je me fens flaté de ce titre ;
Et fuis , ma foi , par fentiment ,
Meffieurs , ce qu'au bout d'une épitre
On dit être par compliment.
P .....
46 MERCURE DE FRANCE.
REFLEXIONS
De M. de Marivaux.
L n'eft point queftion ici d'un ouvrage
I régulierement fuivi ; il ne s'agit pas
ici
non plus de penfées détachées , celles-.
ci ont toujours une certaine liaiſon les
unes avec les autres ; elles vont toutes au
même but . Je dis feulement qu'elles n'y
vont pas avec autant d'ordre , avec autant
d'exactitude , qu'un plus habile homme
que moi auroit pû y en mettre.
Auffi ne leur ai- je point donné d'autre
titre que celui de réflexions ? Chacune d'elles
en a infenfiblement fait naître une autre
, & tout cela avec fi peu de deffein de
ma part , que lorfque la premiere me vint
dans l'efprit , je ne fçavois pas moi- même
qu'elle en ameneroit une feconde. En
effet, comment aurois- je foupçonné qu'une
fimple obfervation fur une remarque de
d'Ablancourt me meneroit fi loin ? Voici
ce que c'eft .
D'Ablancourt en commençant fa traduction
de Thucidide , au lieu de dire litté
ralement comme l'auteur grec , Thucidide
Athénien , écrit la guerre, & c, le fait comJUN.
1755. 47
mencer ainfi J'entreprens d'écrire l'hiftoire
, & le refte .
Et dans fes remarques for fa traduction
il dit pour raifon du changement qu'il
fait , qu'une traduction plus littérale feroit
plate , & feroit tort à Thucidide.
Mais par- là , peut- on lui répondre , vous
nous faites tort à nous , lecteurs , qui ferions
charmés de connoître Thucidide tel
qu'il eft. Nous croyons voir l'auteur grec ,
l'auteur ancien avec le tour d'efprit qu'on
avoit de fon tems , & vous le traveſtiſſez ,
vous lui ôtez fon âge ; ce n'eſt plus là Thucidide.
Il feroit plat , dites vous , fi vous
ne le corrigiez pas . Eh , qu'importe ! nous
aimerions mieux fa platitude même que
vos corrections , que nous ne demandons
point dans cette occafion- ci .
Quand vous travaillerez fur un fujet
que vous aurez imaginé , ôtez les platitudes
qui vous feront échappées , vous ferez
fort bien , & nous ne les regrettons point ;
elles ne pourroient être que des platitu
des de notre fiecle , & celles - là nous les
connoiffons , nous n'en fommes pas curieux
.
Mais de celles de Thucidide , ou de
tout autre auteur d'une antiquité auffi reculée
, il n'eft pas de même. En les retranchant
vous nous privez d'un ſpectacle qui
48 MERCURE DE FRANCE..
feroit neuf pour nous ; car il y a apparen
ce qu'elles ne reffemblent point aux nôtres
, & fuppofé qu'elles y reffemblaffent ,
ce feroit encore une fingularité que nous
verrions avec plaifir .
:
En un mot , c'est l'hiftoire de l'efprit
humain que vous nous dérobez dans cette
partie- là nous n'en avons que la moitié
quand vous ne nous rendez que les beautés
des anciens , & que vous fupprimez
leurs défauts.
C'estpour l'honneur des anciens que vous
prenez cette précaution - là , dites - vous ;
mais dans le fond leur honneur doit nous
être affez indifférent : il nous feroit bien
auffi agréable de les connoître que de les
eftimer plus qu'ils ne valent.
Votre maniere de traduire Thucidide ,
& votre attention pour fa gloire , direzvous
, n'ôtent rien à l'hiftoire des faits
qu'il raconte. Je n'en fçais rien . On peut
encore vous arrêter là- deffus : s'il eft vrai
qu'il y ait un rapport entre les événemens,
les moeurs , les coutumes d'un certain tems,
& la maniere de penſer , de fentir & de
s'exprimer de ce tems-là ; ce rapport que
je crois indubitable , fe trouve affurément
dans ce que Thucidide a penſé , a fenti , a
exprimé.
Vous ne pouvez donc altérer ſa façon
de
JUIN. 1755. 49,
de raconter fans nuire à ce rapport , fans
altérer ces faits même , fans changer un
peu la forte d'impreffion qu'ils nous feroient.
Je ferois tenté de croire qu'ils
perdent quelque chofe de leur air étranger
, & que vos tours modernes en 'affoi
bliffent le caractere..
Je n'infifte pourtant pas fur ce que jo
dis là , je me contenter de penfer qu'on
peut le dire. Je veux bien auffi que d'A
blancourt ait eu raifon d'en uſer comme
il a fait dans fon Thucidide. Une traduce
tion trop littérale en pareil cas rebuteroit
peut- être la plupart des lecteurs : on auroit
beau leur conferver une fimplicité à
la grecque , ils ne fe foucieroient guere
de les trois mille ans d'antiquité , & ne la
trouveroient pas meilleure qu'une fimplicité
de nos jours. Je dis ici fimplicité , &
non pas platitude ; car je ne fuis pas du
fentiment de d'Ablancourt fur l'endroit
de Thucidide qu'il a corrigé.
Thucidide , Athénien , écrit la guerre ,
ne me paroît point plat , je n'y vois. que
du fimple & du naïf. A la vérité ce n'eſt
ni le fimple ni le naïf de notre tems , &
il feroit prefque impoffible que ce fût la
même chofe.c
Voyons les raifons de cette impoffibilité
, elles ne feront pas difficiles à fentir,
II. Vol. C
to MERCURE DE FRANCE.
quoiqu'elles demandent un peu d'atten
Mon.
-Sans remonter plus haur que Thucidide,
le monde , depuis cet auteur grec juf
qu'à nous , a fi fouvent changé de face , les
paffions des hommes , leurs vices & leurs
vertus fe font déployés en tant de manie,
res différentes ; des hommes ont fucceffivement
paffe par tant d'efpeces de corrup
tion , de fageffe & de folie ; ils ont été
tant de fois & fi différemment polis &
groffiers , bons & méchans , fociables: &
féroces , fi differemment raifonnables &
fots , fi différemment hommes & enfans ;
ils fe font vus par tant de côtés , qu'il doit
aujourd'hui leur en refter un fonds d'idées
confidérablement augmenté.
En un mot , l'efprit que nous avons à
préfent nousivient de trop loin ,il a trop
fermenté avant que d'arriver jufqu'à nous
pour n'être pas très différent de ce qu'il a
été.
C Je ne parle pas feulement de ce qu'on
appelle bet efprit , de l'efprit de Belles-
Lettres , mais de l'efprit des nations en gé
néral.
J. Tous les pay's
reffentent
de la
de l'humanité
du monde à cet égard fe
durée & des événemens
de la diverfité des loix ,
des coutumes & des gouvernemens qu'elle
UNIT
JUI N. 1755.
fr
aéprouvés , du nombre infini de guerres ,
de ravages & d'invafions qu'elle a effuyés .
Sefoftris , Cyrus , Alexandre , les fucceffeurs
de ce dernier , & fur-tout les Romains
même , n'ont pû troubler ni agirer
la terre , ni lui donner de fi violentes fé
couffes , fans y jetter de nouvelles idées ,
fans caufer de nouveaux développemens
dans la capacité de penfer & de fentiv
des hommes.
Je ne compte pas une infinité de moindres
événemens qui fe font paffés dans les
intervalles de ces grandes révolutions ,
mais qui infenfiblement
ont porté coup , &
dont l'impreffion , quoique plus lente , eft
encore venus accroître , nourrir ce fonds
d'idées dont je parle , & n'a peut- être nulle
parr laiffé les hommes dans un état d'efprit
& de moeurs uniforme.
Il est vrai que nous n'avons pas toute la
fuite des idées des hommes , le fonds qui
nous en refte eft bien au - deffous de ce
qu'ilpourroit être ; chaque révolution arri
vée fur la terre , en y excitant de nouvel
les idées , en a diffipé , éteint , & comme
anéanti beaucoup de celles qui y étoient.
-Les conquerans que nous venons de ciser
& les peuples conquis , les uns avant
que de foumettre , les autres avant que
d'être foumis, avoient eu des moeurs , des
f
!
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
coutumes & des façons de penfer différen
tes de celles qu'ils eurent après.
Les vainqueurs en prirent de conformes
à l'orgueil & à la profpérité de leur état
les vaincus en reçurent de conformes à
leur abaiffement & à la volonté de leurs
nouveaux maîtres ; & de ces loix , tant anciennes
que nouvelles , de ces moeurs , de
cés coutumes & du tour d'imagination
qui en réfultoit , nous n'en avons pas , je
l'avoue , une connoiffance bien complette ,
mais enfin tout n'en a pas été perdu , la
tradition , les monumens & l'hiſtoire nous
en ont confervé d'affez amples détails &
quelquefois la plus grande partie.
•
Comparons ce qui nous refte à de fim
ples débris. Jamais l'amas de ces débris n'a
été fi grand qu'il l'eft aujourd'hui , à comp
ter depuis les Grecs , ou même dépuis les
Affyriens jufqu'à nous..
Nous avons donc par conféquent plus
de rélations de l'humanité que les Affyriens,
les Grecs & les Romains n'en avoient,
& par conféquent auffi un plus grand fonds
d'idées qu'eux tous , & un fonds en vertu
duquel nous ne devons être ni naïfs , ni
fimples , ni plats , comme on l'étoit autrefois.
Ce que je dis là ne paroît pas dou
reux. Voici cependant ce qu'on peut m'ob
jecter , c'est que les faits ne s'accordent
pas avec mon raifonnement.
JUIN. 1755
33
Jettons les yeux fur les nations les plus
célebres , me dira- t on . Les Grecs & parmi
eux les Athéniens , lorfqu'ils commencerent
à s'affembler , dûrent , felon vous ,
trouver un affez grand fonds d'efprit &
d'idées déja tout amaffé , car fans doute le
monde avoit déja éprouvé beaucoup d'aventures
que nous ne fçavons pas.
Ce même fonds d'idées devoit être confidérablement
groffi quand il parvint aux
Romains ; il a dû être immenfe quand
nous l'avons reçu .
Cependant voyons l'avantage que les
premiers Athéniens & les premiers Ro
mains en retirerent , & à quoi il nous a
fervi à nous-mêmes.
C
7
que Qu'est- ce que c'étoit
les Athéniens
malgré les avantages
que vous leur fuppofez
? des fauvages
, des hommes
brutes &
féroces , qui fçurent
à peine ſe bâtir des
cabanes , & à qui il fallut que Cecrops ,
Egyptien
, apprit à avoir des loix & des
Dieux.
Reconnoiffez - vous à cela des hommes
qui devoient avoir hérité de cette fucceffion
d'idées dont vous parlez ? & ces aventuriers
qui fonderent Rome , qui n'ont
d'abord ni loix civiles ni Magiftrats , qui
font brutalement confifter tout leur mérite
à être féroces & braves , font- ils ce qu'ils
C iij
34 MERCURE DE FRANCE .
doivent être dans les tems où ils arrivent ?
Diroit-on à les voir que la fageffe d'Egyp
te & même l'efprit d'Athénes ont déja
paru fur la terre ?
Nous - mêmes qui fommes venus bien
plus tard , nous à qui l'univers agité de
puis fi long- tems devoit avoir tranfmis une
fi vafte & fi profonde expérience , quel ufage
avons- nous fait de cette prodigieufe
collection d'idées , qui , felon vous , nous
étoit échue en partage ? nos commencemens
font- ils dignes de tout l'efprit que le
monde avoit en avant nous ? fe reffententils
, comme vous le dites , de la durée de
l'humanité & du paffage des Egyptiens ,
des Grecs & des Romains ? en avons-nous
eu moins de barbarie dans nos moeurs
moins d'ignorance , moins de groffiereré
dans nos préjugés ?
2:
>
S'il a donc fallu que les hommes recommençaffent
à fe former fur nouveaux
frais , fi tout le développement de l'efprit
qui s'étoit fait avant eux , ne les a fauvés
nulle part de la néceffité d'effuyer la même
enfance & les mêmes miferes d'efprit ,
il faut bien que ce fonds d'efprit venu de
fi loin , que cette fucceffion d'idées que
les hommes fe tranfmettent , à ce que vous
prétendez , ne foit pas vraie , & qu'en tout
tems les révolutions Payent rendue impof
fible.
JUIN 17532 33
Elle n'est pas même plus fenfible dans
nos progrès que dans nos commencemens.
Notre efprit eft bien inférieur à ce qu'il
devroit être , il n'y a point de proportion
entre ce que nous en avons & ce que nous
en aurions reçu , fi cette fucceffion étoit
vraie . N'y cherchons donc point tant de
myftere, & convenons que les hommes
en tout pays fe forment eux-mêmes , qu'ils
peuvent bien recevoir quelque chofe de
leurs voisins , ou de leurs contemporains
mais qu'à cela près ils tirent tout de la
fociété qui les unit , & du commerce que
des efprits mis en commun y ont enfemble.
Ainfi l'école d'une nation c'eft la nation
même , ainfi chaque peuple a la fienne ,
où il fait d'âge en âge plus ou moins de
progrès , où il acquiert plus ou moins
d'idées , de fineffe & de goût , fuivant
qu'il fort plus ou moins de lumiere de
la totalité des efprits qui forment fon école.
Car c'eft de ce nombre infini de jugemens
, de réflexions , d'idées folles & fenfées
que la totalité des efprits répand dans
la nation ; c'eſt de la diverfité d'opinions
vraies ou fauffes qu'elle y verfe , que chaque
particulier tire la matiere des nouvelles
idées qu'il a lui-même , & qui vont à leur
tour s'ajoûter à la fource dont elles lui
Civ
36 MERCURE DE FRANCE .
viennent. Oui , vous dites vrai ; l'école
d'une nation , en fait d'efprit , eft la nation
même; mais cette fucceffion d'idées
dont nous parlons n'en eft pas moins fûre.
*
Car le choc.continuel des efprits qui
compofent cette nation , fuffiroit feul pour
accroître infenfiblement la meſure d'efprit
qui s'y trouve ; fuffiroit, de votre propre
aveu , pour y jetter la matiere de nouvelles
idées , pour y produire de nouveaux
accidens de lumiere & de connoiffance ;
mais ce n'eft pas là tout.
Cette nation n'eft pas féparée des autres
par des barrieres impénétrables , & ce
que vous appellez fon école fe fortifie continuellement
de ce que des hommes d'une
autre nation y portent, & s'augmente encore
de la différence de l'efprit étranger
qui vient fe mêler au fien.
ΠΟ
JUIN.
1755. 57
་
VERS
9 TUE . I
C
" A M. L. C. de *** fur dés flambeaux de
Saxe, qu'elle avoit envoyés myfterienfemeni
à Mme de ***
ཧཱུྃ ; འཛ
A Pollon daignes m'écouter :
Dévoiles-moi certain myftere
Qui commencé à m'inquieter
Et que l'on s'obſtine à me taire.
Mais pour n'être plus ennuyé
Par l'ufage trop imbécille ,
De tourmenter fur ſon trépié
Quelque vieille & laide Sybille ;
Toi-même , parois entouré
De ce pur & brillant nuage ,
Dont l'éclat vif & moderé
Fut toujours d'un heureux préfage ;
Ou pour obtenir des mortels
Plus d'encens & de facrifices
Qu'on n'en offrit fur tes autels
Aux tems fameux des arufpices.
Qu'Eglé , ce chef - d'oeuvre des dieux
Soit l'organe de tes oracles ;
Et tu devras à fes beaux yeux
!!
a
H
10 IU
$ #152
250 oup elono st
515 375'ovno¶
:ov 201 Nos voeux , ton culte & tès miracles
C'en eft fait . Je te vois enfin v ob etwon al anst
C v
18 MERCURE DE FRANCE.
Lui céder tes lauriers , ta lyre;
Et dans les décrets du deſtin
Lui montrer encor Part de lire.
Du Dieu que j'ofois implorer,
Amante rivale & pretreffe ,
Eglé , vous pouvez m'éclairer ,
Et c'eft à vous que je m'adreffe.
Je ne fçais par qui ni comment ,
Hier au foir fur ma toilette
Parut un nouvel ornement
Dont je n'avois pas fait l'emplette.
Ce font deux flambeaux précieur
Et faits d'une élégance extrême
Ou le Saxon induſtrieux
S'eſt encor ſurpaſſé lui-même.
Fixez mon efprit incertain ;
Ne permettez pas que j'ignore
Si ce préfent eft d'une main ,
Ou qui m'offenfe , ou qui m'honore,
Jufqu'à ce jour je n'entends rien
A cette efpece de prodiges
Devinez , mais devinez bien
Eglé ... devinez- bien , vous dis-je.
Un preffentiment affez doux
Sert à me rendre plus tranquille
Je crois que ces flambeaux chez vous
Pouvoient être un meuble inutile.
Dès votre plus jeune faifon ,
Dans le cours de votre carriese
JUIN.
1955. 59
C'eft le flambeau de la raifon
Qui fut toujours votre lumiere ;
Et dans vos regards enchanteurs
Celui de l'amour qui pétille ,
Sans votre aveu dans tous les coeurs ) 200M
Allume les feux dont il brille.
20:07 21
Toista apon
IL
LE mot de la premiere Enigme du premier
volume du Mercure de Juin , eft
Cabriolet . Celui du premier Logogryphe
eft Violette , dans lequel on trouve tête.
vidle , voile , vil , vol , lit , toile , loi. Le
mot de la feconde Enigme eft Miroir.
Celui du fecond Logogryphe eft Chapelet ,
od fe trouvent peché , chat , Athée , plat,
Celte Lethé , Hecate , Chatel , Capet , the ,
êta , aleph , caph , he , pé , pet , tache ,
épacte , éclat , hâle , Alcée , lactée , cap .
palet , Clet , tale , Apt , Aleth , Alep , places ,
étape , halte , pâle , clé , Thecle , étal , Alphée
, Ate , pal , lâche , acte , chape , pâté ,
été , péle , ache , ou celeri , Thecel , Aëte ,
Cephale , Platée , puite , place , lac , cape ,
facet.
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
Nous
ENIGM Eon wah
Ous fommes les neuf foeurs , au bois nou
ſommes nées
Nous fervons aux humains de divertiffement ;
Et fi de leur plaifir nous n'étions l'inftrument ,
Nous ferions par leur ordre aux flâmes condamnées.
Mais il vaudroit bien mieux , pauvres infortunées,
Nous voir transformer vîte en un brafier ardent ,
Que de fubir l'horreur d'un fupplice conftant ,
Et d'être à mille coups fans ceffe deftinées .
Lorfque nous élevons nos têtes vers les cieux ,
On nous jette par terre ; & cependant les dieux
N'ont jamais voulu voir cette injure vengée ;.
On nomme cet outrage un innocent débat.
En vain nous nous dreffons en bataille rangée
Un globe nous foutient , un globe nous abbat
JUI N. 1755:
LOGOGRYPHE.
Le génie E génie enfanta trois freres
De la fortune ils font les favoris :
T
Nés pour la paix, ils font dans des partis contrairess
Jufques aux-Rois tout leur devient foumis.
Ils font bien forts , fur- tout s'ils fe trouvent unist
Mais hélas ! l'union entre freres eſt rare.
A chaque inftant on les fépare ,
Et chaque inftant ils font l'un de l'autre ennemis.
L'aîné des trois fur les autres domine ;
Il combat malgré lui fouvent à fa ruine.
On voit toujours varier le fecond ,
Et
>
le nom. la forme & pour
pour
Le troifieme
le fuît avec moins de puiffance
,
Mais il ne peut changer jamais.
Tu les dois , cher lecteur , reconnoître à ces
... traits.
Non , pas encoreh bien , fouilles dans leur fubaftance
: italapai 19 aniq hat
Ils ont neuf pieds , chacun n'en a que huit
Combine-les ; 'tu trouves cent chimeres
Que le caprice forme , & qu'après il détruit :
Un des fils de Noë : un bien que notre mere
Ne nous livra que pour notre malheur ;
Les principes de tout ( fi l'on croit Epicure ) :
Certain morceau d'architecture :
;
62 MERCURE DE FRANCE.
Un prifonnier d'Eole , un arbre , une faveur ;
Ce qui pouffe un vaiffeau ; un animal ſauvage :
Ce qu'on rafine à la table des Roiss
Un Dieu d'horreur & de carnage ,
Avec les attributs ; une planete , un mois ;
Le nom d'un métal en chymie ;
Un homme dont tu tiens & la mort & la vie
Ce que tu cherches maintenant shpirt
Un être en qui Dieu grava fon empreinte # !!
Ce qui fert dans un jea ; une étoffe , un inſtant 17
Qu'un philofophe attend fans defir & fans crainte :
Un peuple de qui Phaëton 17 .
Fit changer la couleur ; les enfans d'Apollon]
Qui nourriffent Paifance & périffent fans elle : 1
Ce qui fait quelquefois prendre femme moins
belle 1907 3 omnc al quog
Un globe lumineux ; ce que montre un fûyards I
Du monde entier la capitales::
Une peine d'enfer, terrible & fans égale T
Les foutiens de nos corps ; ce qui roule au hazard :
L'empire de Neptune, une piece lyrique , coM
Je n'y ſçais plus enfin qu'une note en muſique.
abole S
Par M. PAbbé M ***
i 1
no civil
JUIN. 1755%
CHANSON DE TABLE
O
Sur l'air du Vandeville d'Epicure.
Vous que l'amitié raffemble ,
Tendres amans heureux bûveurs ;
Des Dieux que nous fervons enfemble
Chantons tour à tour les faveurs.
Du nom du Dieu que l'Inde adore ,
Bûveurs rempliffez ce féjour ;
Et
vous , beautés jeunes encore ,
Sans le nommer , chantez l'amour.
2
Le loifir plaît à la tendreffe ;
Mais Bacchus fuit. un vil repos
Le bûveur peut jouir fans ceffe
L'amant ne jouit qu'à propos.
Le bûveur dans fa folle ivreffe
Se croit un Roi toujours vainqueurs,
L'amant foumis à fa maîtreffe ,
Ne veut regner que fur fon coeur.
Dans cette brillante fougere ,
Quand Tircis verfchum vin charmants mono'
I
64 MERCURE . DE FRANCE.
Amour , fur fa mouffe légere
Me peint les traits de mon amant.
Je réunis tout ce que j'aime ,
Ma bouche afpire la liqueur ,
Et fait paffer à l'inſtant même ,
Bacchus & l'amour dans mon coeur.
Ainfi que l'enfant de Cythere',
Le Dieu du vin eft délicat :
Tous les deux aiment le myftere ;
Tous les deux redoutent l'éclat.
Dès qu'une bouteille eft ouverte
Le vin s'évapore ou s'aigrit :
Dès qu'une intrigue eft découverte ,
L'amour s'éteint ou s'affoiblit.
Au Dieu qui fait múrir lá treille ;
Amour , tu dois fouvent ton prix ;
Sylvandre armé d'une bouteille ,
Sçut enfin attendrir Iris .
Le verre à la main , elle oublie
Et fon devoir & le danger :
L'amant triomphe , & Bacchus crie
>> Mon heure eft celle du Berger.
stillid $ 1.5
D'an amour délicat & tendre , but han
JUIN. 1755.
65
Chérs amis célébrons le prix.
Bûveurs imitez tous Sylvandre ,
Nous pourrons imiter Iris.
A Bacchus donnons la journée ;
Refervons les nuits à l'amour :
L'un peut renaître avec l'année ;
Quand l'autre fuit , c'eft fans retour.
Par A. H. Poinfinet , le jeune.
Aura 91
abs
66 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRÉS.
M
ÉMOIRE dans la caufe communi,
quée ,, pour le fieur Jean Digard ,
ancien Ingénieur du Roi , Profeffeur de
Mathématique ; contre Meffire Jofeph-
Louis-Vincent de Mauleon de Caufans ,
Chevalier non profès de l'Ordre de S. Jean
de Jérufalem , ancien Colonel du régiment
de Conti , infanterie .
Au fujet du prix propofé par M. de Caufans
, au premier qui démontreroit un paralogifme
dans fon ouvrage fur la quadrature
du cercle ; brochure in-4°. de 34 pages
avec figures. A Paris, chez Knapen , grandfalle
du Palais , & chez Duchefne , rue Saint
Jacques .
Ce Mémoire commence par une courte
expofition de l'affaire à décider , & de la
queftion fi fouvent & fi infructueufement
rebattue de la quadrature du cercle. M. D.
y prouve par des autorités l'inutilité de
cette recherche & l'infuffifance de ceux qui
s'y livrent ; enfuite il entre dans le détail
des faits : c'eft une hiftoire curieufe de
tout ce qui a rapport à cette caufe plus
JUIN. 1755. 67
célebre qu'importante. L'auteur y analyſe
le profpectus de M. D. C. & les différens
imprimés relatifs qui l'ont fuivi.
Ses moyens fe réduisent à prouver qu'il
a rempli les conditions impofées pour mériter
le prix offert au public par M. D. C.
dans une affiche qui eft le fondement de
la conteſtation & dont on donne la copie.
M. D. détruit les objections de M. D. C
& rapporte le jugement d'un auteur connu
fur l'ouvrage de ce dernier ; il s'appuie du
texte même de la loi , & d'une fentence de
la Sénéchauffée de Lyon , qui en 1729 &
dans des circonftances toutes femblables
condamna le fieur Mathulon à payer une
fomme de gooo liv.
A la page 25 fe trouve le Mémoire dans
lequel M. D. a prouvé plufieurs paralogi
mes de M. D. C. Cette partie , quoique
géométrique , eft auffi fimple que ce qui
la précede. Nous ne rapporterons qu'un
feul paragraphe , par lequel on pourra
juger du ftyle.
- Je viens de démontrer ( cent millions
d'hommes ont pû le démontrer avant
moi ) que la circonférence du cercle eft
plus grande que trois fois fon diametre.
» Mais , s'il étoit poffible d'admettre pour
»un moment la proportion rapportée par
»M. le Chevalier de Caufans , il s'enfui68
MERCURE DE FRANCE.
» vroit ( felon fon propre aveu ) qu'il au-
» roit agi contre fa connoiffance intime en
» s'annonçant pour être l'auteur d'une dé-
» couverte puifée dans les livres faints.
» Quoi ! devoit-il inonder toute la France
de fes écrits pendant deux années ?
» devoit - il s'attendre à l'admiration de
toute l'Europe fçavante ? devoit - il pré-
» tendre à la reconnoiffance univerfelle ?
» devoit- il enfin impofer un tribut de quatre
millions pour avoir fçu lire dans l'écriture
fainte ce qui a été connu d'une
> infinité d'hommes pendant plufieurs mil-
» liers d'années ? eft- ce découvrir que de
» trouver ce qui ne peut être ignoré de
perfonne la vûe du foleil ne pafferoit
» pour une découverte que chez un peuple
d'aveugles- nés.
20
ور
-23
LETTRE de M. le Franc à M. L. Racine
, fur le théâtre en général , & fur les
tragédies de J. Racine en particulier. A
Paris , chez Chaubert , à l'entrée du Quai
des Auguſtins , à la Renommée & à la Prudence.
1755 .
Perfonne ne peut mieux parler des ou
vrages du célebre Racine que l'auteur de
Didon , qui a fi bien pris fa maniere &
faifi fon coloris.
3 JU IN. A
1755.
69
: MADAME FAGNAN , qui s'eft annoncée
avantageufement
il y a quelques années
par un petit conte foi-difant traduit du
Lauvage , vient d'en mettre un autre au'
jour fous le titre du Miroir des Princeffes
orientales , dédié à Madame de Pompa->
dour.
Il paroît que Mme Fagnan s'eft proposée
de prouver que les belles qualités de l'ame ,
celles du coeur & de l'efprit , en un mot les
vertus morales fans le fecours de la beauté ,
font plus propres à former les grandes pafhions
& les attachemens vrais & durables ,
que la beauté feule , même la beauté jointe
aux agrémens de l'efprit. Cette propofition
Lon traite affez volontiers de paradoxe
, n'a rien en elle-même que de trèspoffible
& même de très- agréable : elle
confole celles qui ne fe piquent pas de
beauté , & n'afflige point celles qui y prétendentli
que
L'auteur met en jeu trois Princelles de
Perfe , dont l'une n'a que la beauté en partage.
Elle ne peut fixer long-tems un amant
volage devenu fon époux ; elle en meurt
de douleur en peu de tems.
Une feconde Princeffe , fille de cette premiere
tout auffi belle & plus fpirituelle ,
ne trouve pas mieux le fecret de: fixer un
inconftant ; mais elle foutient mieux fa
70 MERCURE DE FRANCE.
difgrace ; elle en tire parri , & fournit une
carriere plus longue & moins douloureuſe..
La troifieme met dans le plus beau jour
la propofition que l'auteur a eu pour objet.
Cette princeffe , qui n'a d'autre beauté que
celle de l'ame , & qui réunir toutes les
qualités du coeur & de l'efprit , infpire au
prince, qui devient fon époux , un attachement
aufli parfait & auffi conftant que fon
caractere en eft digne.
Les événemens qui décident du fort de
ces princeffes font amenés & développés
par le moyen d'un miroir magique , dont
an enchanteur mécontent des mépris de la
premiere , lui avoit fait un préfent deftiné
paffer à toutes les princeffes qui defcendroient
d'elle . 2107
Ce miroir leur dévoiloit les fentimens
le's plus cachés de tous ceux qui fe préfentoient
à elles devant cette glace , & il n'avoit
que pour elles cette vertu ; il devoit
fe brifer entre les mains de celle dont le
mérite fixeroit pendant une année le print
ce dontelle auroit fait choix : il ne fe brifa
qu'entre les mains de la troifieme , & s'y
caffa de la meilleure grace du monde. Ce
dénonciateur en amenant les événemens
principaux , produit auffi les épifodiques ;
& donne lieu à tout ce que l'auteur a voulu
faire entrer dans la compofition de fon
JUIN. 1755. 71
roman , foit à titre de portraits ou d'anec
dores.
Si l'idée d'un miroit magique n'a plus
le mérite d'ême finguliere , Mme Fagnan
l'a employée d'une façon ingénieufe , & la
vertu qu'elle attribue à ce miroir lui donne
un air de nouveauté qui rajeunic du moins
la bordure. Ce roman nous paroît mériter
de l'eftime par les fentimens honnêtes , &
par la décence qui le caractérisent.v .
LABAGUETTE MYSTÉRIEUSE OU
Abizai. Deux parties in- 12 . Se trouve à
Paris , chez Duchefne , rue S. Jacques , au
Temple du goût , 1755 .
Comme on a déja fait ailleurs l'extrait &
Féloge de cette féerie , qu'on a même obfervé
que la baguette mystérieuse n'eft pas
plus neuve que le miroir magique , j'ajou
terai feulement qu'elle joue le même rôle
avec un peu moins de modeftie , & qu'elle
a même un faux air de l'Ecumoire de
Tanzaï.
OBSERVATIONS fur l'hiftoire natu
relle , fur la phyfique & fur la peinture ,
avec des planches imprimées en couleur ;
par M. Gautier , de l'Académie des Sciences
& Belles LettresdeDijon , penfionnaire
de Sa Majefté , 4 volin- 4 A Paris , chez.
Delaguette . Les planches s'impriment , 80
2
72 MERCURE DE FRANCE.
7
fe diftribuent chez l'Auteur , rue de la
Harpe , près la rue Poupée.
Le même ouvrage eft imprimé in- 12. en
fix volumes on trouve à la tête de cette
édition la nouvelle phyfique de l'auteur ,
& la Chroagenefie , ou génération des couleurs
, contre l'optique de M. Newton fon
dée fur de nouvelles expériences .
M. Gautier fe propofe de continuer fes
Obfervations in -4°. pour lefquelles on
foufcrit annuellement chez lui , & va
donner des volumes de planches jufqu'à
ce qu'il ait formé des fuites affez completes
de morceaux les plus intéreffans . Il fufpendra
pendant quelque tems fes differtations
, & les fupprimera des années 1755
& 1756 , ce qui lui procurera la facilité
de donner le double des morceaux de
gravûres en couleur qu'il avoit promis.
Le volume qui eft actuellement fous preffe,
contient les parties internes du coq & de
fa poule , la formation & l'incubation de
l'oeuf depuis l'approche du coq jufqu'à la
fortie du poulet , & plufieurs autres planches
fort curieuſes.
P
OBSERVATIONS d'hiftoire naturelle
faites avec le microſcope für un grand
nombre d'infectes , & fur les animalcules
qui fe trouvent dans les liqueurs préparées
&
JUIN. 1755.
73
& dans celles qui ne le font pas , & c. avec
la defcription & les ufages des différens
microfcopes , 2 vol. in- 4° . avec un grand
nombre de figures . A Paris , chez Briaffon,
Libraire , rue S. Jacques , à la Science .
Une partie de ces obfervations a été déjà
publiée par feu M. Joblot , Profeffeur en
Mathématiques, de l'Académie de Peinture
& de Sculpture ; l'autre a été rédigée fur
fes obfervations poftérieures. Nous devons
ici un jufte éloge aux foins du Libraire ; il
a la double attention & le double mérite
de ne donner que des éditions de bons
livres , & de ne rien épargner pour les
rendre belles & correctes .
DISSERTATION fur la caufe qui corrompt
& noircit les grains de bled dans les
épis , & fur les moyens de prévenir ces
accidens ; par M. Tiller , de Bordeaux
Directeur de la Monnoie de Troyes . Se
trouve chez le même Libraire . ~
›
Cette Differtation a remporté le prix au
jugement de l'Académie des Belles- Lettres,
Sciences & Arts de Bordeaux , ainfi que la
fuite des Expériences & Réflexions relati
ves à la même matiere , laquelle fe vend
auffi chez Briaffon.
EXAMEN philofophique de la liaifon
11.Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE.
réelle qu'il y a entre les fciences & les
mours ; chez le même Libraire.
On trouve dans cet écrit la ſolution de
la vieille difpute de M. Rouffeau , de Genêve
, avec fes adverfaires , fur la queſtion
propofée par l'Académie de Dijon , au
fujet du bien & du mal que les fciences
ont occafionné dans les moeurs .
PANÉGYRIQUES des Saints, précedés
de réflexions fur l'éloquence en général
& fur celle de la chaire en particulier ; par
M. l'Abbé Trublet , Archidiacre & Chanoine
de S. Malo. A Paris , chez Briaffon ,
1755
Il nous femble que ces réflexions ne
démentent point les Effais de littérature &
de morale du même Auteur. Nous en
parlerons plus au long.
Le cinquieme tome de la TABLE GÉNÉ-
RALE des matieres contenues dans le Journal
des fçavans , de l'édition de Paris , depuis
1665 qu'il a commencé , jufqu'en
1750 inclufivement , avec les noms des
Auteurs , les titres de leurs ouvrages &
l'extrait des jugemens qu'on en la portés ,
vient de paroître chez le même Libraire.
On peut dire que cette table inftructive
forme feule un bon livre : on ne peut
trop louer le travail des Auteurs ,
>
JUIN. 1755. 75
MEMOIRE pour le Prince héréditaire
Landgrave de Heffe - Darmftat, contre les
repréfentans de la Comteffe de Naffau . A
Paris , de l'impreffion de Delaguette , 1755 .
L La question eft de fçavoir fi à la mort
de Jean- René III , dernier Comte de Henau
, la Comteffe de Naffau , fa foeur , devoit
recueillir les anciens fiefs d'Empire de
la maifon de Lichtemberg , à l'exclufion
de Heffe-Darmftat , fille unique de Jean-
René III , qui en avoit obtenu du Roi l'inveftiture
pour elle , par des Lettres patentes
du mois de Février 1717. La Comtelle
de Naſſau ayant attaqué ces Lettres comme
obreptices , a prétendu que c'étoit elle qui
étoit appellée à recueillir les fiefs en queftion
, & que la Princeffe de Heffe , fa niece,
n'y avoit aucun droit. Ce Mémoire tend à
détruire fa prétention , & part d'une bonne
main.
>
NOUVEAUX motifs pour porter la
France à rendre libre le commerce du Levant
; par M. Ange G *** 1755. Se trouvent
chez Duchefne , rue S. Jacques , &
chez Babuty , fils , quai des Auguftins.
L'Auteur y joint des réflexions fur les
moyens de foutenir les manufactures en
Languedoc , fans fixer les fabriquans,
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
SUPPLÉMENT aux tablettes dramatiques
de M. le Chevalier de Mouhy , de
l'Académie des Belles - Lettres de Dijon ,
pour 1754 & 1755. A Paris , chez Jorry s
quai des Auguftins ; Lambert , rue de la
Comédie , & Duchefne , rue S. Jacques.
Ce Supplément contient les pieces remifes
, les pieces imprimées , les débuts ,
les anecdotes du théâtre depuis le dernier
fupplément , les ballets , les auteurs & les
acteurs morts en 1754 & en 1755 .
- L'Auteur vient de publier une nouvelle
brochure , intitulée l'Amante anonyme , où
fe trouve l'hiſtoire fecrette de la volupté ,
avec des contes nouveaux de Fées . Ce roman
dont il paroît deux parties , fe vend
chez Jorry. Nous en donnerons l'extrait .
< TABLETTES de Thémis , premiere
partie. A Paris , chez Legras , grand'falle
du Palais ; la veuve Legras , Galerie des
prifonniers au Palais ; la veuve Lameſle ,
Fue vieille Bouclerie , à la Minerve ; Lam
bert , rue de la Comédie , & Duchefne , rue
S. Jacques.
Cet ouvrage utile comprend la fucceffion
chronologique avec le blafon des armes
des Chanceliers & Gardes des Sceaux
Secrétaires d'Etat , Surintendans , Contrê
leurs généraux , Directeurs & Intendans
JUIN. 1755. 77
des Finances , les Intendans des Provinces
depuis 1700 , les Maîtres des Requêtes
dès leur origine , les Préfidens , Avocats &
Procureurs généraux du grand Confeil.
SUJET UJETS propofés par l'Académie royale
des Sciences & beaux Arts , établie à
Pau , pour deux prix qui feront diftribués
le premier Jeudi du mois de Février 1756.
L'Académie ayant jugé à propos de referver
le prix ordinaire , en accordera deux
l'année prochaine , un à un ouvrage de
profe qui n'excédera pas une demi -heure
de lecture , dont le fujet fera : la droiture
du coeur eft-elle auſſi néceſſaire dans la recherche
de la vérité , que la jufteffe de l'efprit?
Et un autre à un ode ou à un poëme de
cent vers au plus , dont le fujet fera : l'uti
lité des découvertes faites dans les fciences &
dans les arts , fous le regne de Louis XV...!
Chaque Auteur enverra deux copies de
fon ouvrage ; il mettra à la fin une devife
on fentence, & il la repétera au - deffus
d'un billet cacheté , dans lequel il écrira
fon nom & fon adreffe.
On avertit que l'Académie n'accorde
point le prix aux auteurs qui négligent
d'inferer leur nom dans le billet cacheté
ou qui y mettent des noms fuppofés , non
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
plus qu'à ceux qui affectent de fe faire
connoître avant la décifion , ou en faveur
de qui on brigue les fuffrages.
Les ouvrages feront adreffés à M. de
Navailles Poëyferré , Secrétaire de l'Académie
on n'en recevra aucun après le
mois de Novembre , & s'ils ne font affranchis
du
port.
LETTRE ETTRE de M. Gentil , Docteur en
Médecine de la Faculté de Paris , en réponſe
à la Lettre de M. le Thellier , Docteur
en Médecine de la Faculté de Montpellier
, réfidant à Peronne , au fujet d'un
ouvrage nouveau , intitulé Epoques élémentaires
d'hiftoire univerſelle ſuivant la chronologie
vulgaire; par le Sr Mahaux , Maître
affocié de la maifon nommée Académie des
Enfans , rue de Seine , Fauxbourg S.Victor.
En conféquence de ce que vous avez lû ,
Monfieur & cher Confrere , dans la feuille
34° de l'Année littéraire du 18 Décembre
1754 , & dans le Mercure de France d'Avril
1755 , au fujet de l'ouvrage de M.
Mahaux , vous vous êtes adreffé à moi
pour vous déterminer au jugement que
vous en devez porter , & fçavoir fi cet
ouvrage mérite effectivement le bien qu'on
en a dit , fur-tout quels progrès il fait faire
JUIN. 1755. 79
aux enfans dans la maifon des fieurs Viart
& Mahaux , annoncée , il y a plus de deux
ans , par un Profpectus qui a fait beaucoup
de bruit dans fon tems ; enfin fi cette Académie
eft telle qu'il foit raifonnable d'y
envoyer des enfans du fond d'une province
, comment ils y font tenus & nourris ,
& fi l'on y exécute ponctuellement tout ce
qui a été promis à ces différens égards ,
le tout parce que vous fçavez que je fuis
l'ami & le médecin de cette maifon. 1 °.
Je vous crois fort en état de juger par vousmême
de l'ouvrage en queftion ; je vous
l'ai envoyé , effaiez -en fur des enfans qui
yous font chers , & fuivez exactement la
méthode aifée qui y eft prefcrite : vous
verrez bientôt qu'il n'y a rien d'exagéré
dans les éloges qu'on lui a donnés à Paris ,
& qu'il en obtient de plus grands à meſure
qu'il eft plus connu & pratiqué. 2 ° . Je ne
puis ni ne dois refufer mon témoignage
en pareille occafion à quiconque me le
demande , encore moins à vous , Monfieur,
qui m'honorez de votre confiance. Sans
être juge né de cette partie de la littérature
& des méthodes d'éducation en général ,
je conviendrai fans peine que rien n'empêchant
un Médecin de connoître & de
fuivre les différens progrès des arts & des
fciences , il est toujours cenfé n'en fçavoir
Diiij
80 MERCURE DE FRANCE.
pas affez peu dans ces fortes de chofes
pour y être trompé , du moins à un certain
point , ou fe laiffer aveugler par trop
de prévention. Ce que j'ai vu depuis deux
ans ne me permet pas de le déclarer foiblement.
Il y a dans cette maiſon , qui eſt
dans l'air le plus pur , & dont le bâtiment
eft magnifique & fpacieux , féparé feulement
par un mur du Jardin du Roi , fecond
avantage qui fe fait affez fentir fans le dire ,
deux Maîtres en chef , fçavoir le Sr Viart ,
Avocat en Parlement , qui donne des notions
de jurifprudence romaine & françoife
; le Sr Mahaux des leçons d'hiftoire ,
de chronologie , géographie , généalogie 5
blafon , & c. trois Précepteurs pour le
latin ; un Maître de mathématique & de
phyfique expérimentale ; un pour la langue
allemande ; un de deffein , de danfe ,
pour les armes , exercices & évolutions
militaires , de mufique & pour les inftrumens
; enfin un Prêtre de la Paroiffe pour
le catéchifme. La nourriture y est trèsbonne
& très-faine : on accoutume les enfans
à la plus grande propreté , & à avoir
toujours l'air arrangé comme s'ils étoient
dans le monde , fur- tout à une très- grande
politeſſe entr'eux ; ' jamais de termes durs
& choquans , même de la part des Maîtres
lorfqu'ils font forcés d'employer la répri-
-
JUIN. 17556 SE
mande ; le plus grand châtiment eft la
privation des exercices ordinaires qui fervent
toujours de récompenfe de l'un à
l'autre . Ces enfans ne montrent jamais
plus de gaieté & d'empreffement que lorfqu'on
les y appelle ; ils quittent leurs jeux
& fe plaignent ordinairement du peu de
tems que durent les inftructions. Il n'y a
gueres de femaines où il n'ayent à parler
trois ou quatre fois devant des compagnies
nombreufes que la curiofité attire ,
d'où il arrive que ce font des efpeces
d'actes publics qu'ils foutiennent fans
autre préparation , & que fans rien per
dre du côté de l'émulation , ils ne tombent
pas dans l'inconvénient de la préfomption
& de la vaine gloire C'eſt tout
vous dire , Monfieur , que je ne fors jamais
de cette maiſon fans en être comme
enchanté , & vous fçavez que je ne fuis
pas de caractere à commettre légerement
mon eftime & mon fuffrage . Ce que j'y
dois ajouter , & qui peut vous engager le
plus à ne pas y refufer le vôtre , c'est que,
je ne vous écris ceci de concert
pas tout
avec eux ; je les regarde comme des gens
vraiment modeftes , animés du motif de
l'honneur véritable, & nullement avides de
plus de gain & de confidération qu'il ne leur
en eft dû s'ils craignent quelque chofe
Dv
$ 2 MERCURE DE FRANCE.
c'eft de donner à penfer à bien des gens
qu'ils ayent voulu s'annoncer comme plus
capables que tous leurs confreres . La grace
qu'ils demandent , eft que l'on daigne fe
fouvenir de ce qu'ils ont déclaré dans leur
Profpectus ; fçavoir que leur but unique eft
de mettre en ufage tous les bons moyens ,
tant anciens que nouveaux, qu'ils ont trouvés
établis dans les colleges , les penfions ,
& lieux publics & particuliers où l'on
éleve avec fuccès la jeuneffe , marque non
équivoque du vrai mérite & du noble
defir de bien fervir la fociété . Ainfi ils
ufent de la typographie de feu M. Dumas ,
de la méthode de MM . Rollin , Dumarfais
, Pluche & autres ; outre cela , d'une
méthode hiftorique dont les époques élémentaires
principales font partie ; mais
fur- tout de la géographie féculaire , ouvrage
tout neuf de leur façon , & que j'ai
déja vû applaudir hautement des connoiffeurs.
Imaginez-vous autant de cartes ou
de mappe - mondes que les fujets d'histoire
en comportent à chaque fiecle , & où le
point d'intérêt principal & particulier
s'offre auffi- tôt à la vue par la différente
colorifation , & met en état de borner ,
confronter & comparer tous les lieux de
chaque fcène , avec les noms qu'elle avoit
en différens tems , ce qui fait retenir fans
JUIN. 1755.
83
peine la géographie ancienne & moderne.
A l'égard des trois feuilles d'Époques élémentaires
qui ont donné lieu à votre lettre
& à ma réponſe , tout ce que je me contenterai
d'en dire , c'eft qu'il n'y a perfonne
à qui je ne confeillaffe d'en avoir
dans fon cabinet , comme le moyen le plus
propre à mettre fans aucun effort un vrai
plan dans l'efprit en moins de deux heures
de lecture . J'ai l'honneur d'être , &c.
On fçait que cet ouvrage ne fe vend
que 3 liv . & qu'on le trouve à Paris , chez
l'Auteur , & les Libraires Piffot , quai de
Conti , & Lambert , rue de la Comédie .
DICTIONNAIRE D'ARCHITECTURE
civile & hydraulique , & des arts qui en
dépendent ; comme la maçonnerie , la
charpenterie , la menuiferie , la ferrurerie ,
le jardinage , &c. la conftruction des ponts
& chauffées , des éclufes , & de tous les
ouvrages hydrauliques ; par Aug. Charles
d'Aviler ouvrage fervant de fuite au
cours d'architecture du même auteur .
Nouvelle édition , corrigée , & confidérablement
augmentée. A Paris , chez Ch . A.
Jombert, Imprimeur- Libraire du Roi pour
l'Artillerie & pour le Génie , rue Dauphi
ne , à l'Image Notre- Dame. 1755. 1 vol.
in-4°.grand papier. Prix 15 liv . relié.
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
RECUEIL de divers ouvrages fur la
peinture & le coloris ; par M. de Piles ,
de l'Académie royale de Peinture & de
Sculpture . A Paris , chez le même Libraire
, i vol . in- 12 . 2 liv . 10 fols.
Le TRIOMPHE DES DAMES , ou le
nouvel Empire littéraire . A Paris , 1755.
Cette brochure , qui ne contient que 22
pages , fe trouve chez Prault , quai des
Auguftins. Pour montrer dans quel goût
elle eft écrite , il fuffit de citer la prédic
tion qui fonde ce triomphe.
J'étois , dit l'auteur , à l'Obfervatoire ...
je vis une nouvelle conftellation conçue en
ces termes : les hommes abufent de l'empire
des lettres , les femmes le partageront au moins
avec eux dès la rentrée des claffes , c'eſt- àdire
qu'elles régenteront dans les colleges.
Rien n'eft plus galant.
KJUIN.1755 . 83
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES - LETTRES.
J'A
ALGEBRE.
'AI lû , Monfieur , le problême algébrique
que vous avez inféré dans votre
Mercure du mois de Mai . On ne peut mieux
'ordonner les combinaifons d'un problême
indéterminé du premier dégré ; mais j'y
aurois fouhaité plus d'exactitude , il renferme
des erreurs capables de déconcerter
ceux qui admettent les conditions comme
certaines .
A la troifieme condition on lit , le troi
fieme détachement étoit tel que les foldats rangés
fur trois de hauteur , il en reftoit trois ;
il faut lire furfept de hauteur. Cette faute
fenfible eft du Copifte ou de l'Imprimeur.
Il y en a une autre qui appartient entierement
à l'auteur ; elle eft au feptieme
article , & confifte dans le mot , c'eft- à - dire
qui joint deux conditions , de façon à faire
croire que de l'une fuit néceffairement l'autre.
Le Septieme des troupes du fecond pofte
86 MERCURE DE FRANCE.
montoit à neuf hommes de moins que la moitié
des foldats tués au premier pofte , c'eſt- àdire
que le rapport des troupes défaites au premier
pofte étoit à celui des troupes défaites au
fecond pofte , comme 140 est à 61 .
La feconde partie de cette propofition
eft toujours vraie dans le problême ; mais
la premiere partie n'eft vraie que dans les
plus petits nombres , & eft impoffible dans
Les autres : il paroît bien
que l'auteur n'a
pas pris la peine de vérifier fon calcul.
S'il avoit fuppofé feulement = 1 ,
il auroit
vû bientôt la faufferé de fa réſolution ,
il auroit vû que les nombres nouveaux ne
répondent pas à la condition dont je parle ,
& qu'il la faut retrancher fi l'on veut que
le problême refte indéterminé.
Comme l'auteur en promet la folution
pour le mois de juin , j'abrégerai la mienne
& ne détaillerai point un calcul qui ennuieroit
ceux pour qui l'algébre eft étran
ger , & qui n'eft pas néceffaire aux autres..
Si pour défigner les trois détachemens ,
on prend les trois expreffions fuivantes ,
1' détachement . 2d détachement . 3 détachement.
12a + 11. 356 + 11. 636 +59
on a déja fatisfait aux trois premieres con
ditions.
L'examen analytique des conditions
qui reftent , fait voir que a 700 n +
•
JUIN. 1755. $1
45. b = 183 n + 12. c = 70 μ + 4 ;
& en mettant ces valeurs au lieu de a, b, c ,
dans les premieres expreffions , on trouvera
avec l'auteur la folution générale
1' détachement. 24 détachement. 3º détachement.
8400551.6405 u + 431 4410 μ + 311.
. Après avoir donné la folution de ce problême
, l'auteur me permettra de lui en
propofer un à mon tour ; il eft indéterminé
comme le fien , & du premier dégré
nous pourrons monter au fecond fi l'auteur
juge à propos de m'honorer de la continuation
de fon commerce mathématique ,
qui ne peut être qu'inftructif pour l'un &
pour l'autre .
PROBLEM E.
Une perfonne rencontre trois pauvres ,
& les faifant ranger en cercle donne à chacun
des pièces de douze fols & des piéces
de vingt- quatre fols.
Après la diftribution , qui eft inégale , il
fe trouve que chaque pauvre a autant de
piéces que l'un de fes voifins a de livres ,
& autant de livres que fon autre voifin a
de piéces .
On demande combien chaque pauvre
reçoit de pieces de douze fols , & combien
de pieces de vingt- quatre fols.
Voici la folution du premier problême par
l'auteur, qui remplit fa promeffe.
88 MERCURE DE FRANCE.
Méthode de folution du problême d'algébre
appliqué à la fcience de la guerre , annons
cé dans le Mercure de Mai 1755 , page
87 , à M. de M. Cenfeur & Profeffeur
royal; par M. G. Ecuyer , Officier de Madame
la Dauphine , & de la Société Liti
téraire de Senlis.
It our oblige. Tout
y
dela
Left jufte de remplir fes engagemens ,
méthode de folution du problême confifte à
fuppofer , felon la magie ordinaire de l'al
gébre , des quotiens fictifs qui fe terminent
finalement à un quotient exact & réel , lequel
devient , malgré fon indétermination,
la commune mefure , le lieu commun , l'expreffion
des relations mutuelles des incon →
véniens qui entrent dans la queftion.
La premiere condition du problême eft
telle : lorfqu'on rangeoit les foldats du premier
détachement fur trois de hauteur , il
y en avoit deux de refte , & lorfqu'on les
rangeoit fur quatre , il en reftoit trois.
Cette condition & les deux fuivantes
prifes dans un point de vue , pour ainfi
dire ifolé , contiennent en elles - mêmes
des problêmes parfaitement diftincts . On
verra qu'ils n'acquerront de liaifon entre
JUIN. 1755 . 89
eux que par la quatrieme condition. Soir
donc nommé x le premier détachement , a
le nombre des compres par 3 , & b celui
des comptes par 4 , l'on aura x =
3 a +
2 = 46 + 3 ; donc 3 a 4 b + 1 ;
bt
b ++ : foit fuppofe
3
=
3
donc b + 1 = 30 , b = 30
--
.1; donc
b + 3 = x = 120—4 + 3 = 120 —
- 1 ; ci pour mémoire , x = 12 c Par
la feconde condition , lorfqu'on rangeoit
les troupes du fecond détachement fur
de hauteur , il en reftoit un ; & lorsqu'on
les rangeoit fur 7 , il en reftoit 4. Soit donc
nommé y ce fecond détachement , d les
comptes par 5 , & e ceux des comptes par
7 ; donc y = 5 d + 1 = 7e + 4 ; 5 d
= 7e + 3 ; d = e + 2 +3 foit
: conçu
e
5
2º+3 =ƒf;; donc 2e +3 = 5 ƒ» 2 0
f-
= sf − 336 = 2f + 3 , concevant
f
21
ƒ——g ; doncƒ— 3 — 28 ; f= 28+3 ;
2f486 ; donce = 48+ 6 + g
= 5 g + 6; donc 7 e +4 ou y = 358 +42
2
+ 4 = 358 + 358 + 46 ; ci pour mémoire , y
=35g8 +46.
Dans la troifieme condition il eft dit ,
que lorfqu'on rangeoit les foldats du troi90
MERCURE DE FRANCE.
fieme détachement fur 7 de hauteur , il y
en avoit 3 de refte ; & lorfqu'on les rangeoit
fur 9 , il en reftoit 5. Soit nommé z
ce troifieme détachement , b les comptes
par 7 , & k ceux par 9 , l'on aura 76
+ 3 = 9k + 5 ; donc b = b = k+
2k+2
ſuppoſant
2 +1 = 1 ; donc 2k + 2 =
7
-
2
71,2 k = 71—2k = 3 1+ ²² fai-
2
2
fant = m ; donc / = 2 m + 2 , & par
conféquent k = 6m +m + 6 = 7m+ 6;
donc 9k + 5 ou 2 = 9 × 7m + 6+ 5=
63m + 59.
2 = 63m + 59
y = 35 g +46
x= 12C -- I
L'on a donc les valeurs des trois inconnues
exprimées par trois indéterminées
différentes , & qui en font trois problêmes
parfaitement diftincts ; effectivement 10.
douze comptes par trois moins l'unité, égalent
onze comptes par trois , & deux de
refte ; douze comptes par quatre moins l'unité
, font égaux à onze comptes par quatre
, plus 3 de refte.
2º. On a 7 g comptes pars plus 9 comptes
par 5 ( 45 ) & l'unité de refte , & is ,
comptes par 7 , plus 6 comptespar 7 , & 4
de refte.
JUIN. 1755.
3°. L'on a 9 m × 7 ou 63 comptes par 7,
plus 8 comptes par 7 ( 56 ) & 3 de refte ;
enfin l'on a 7 m × 9 ou 63 comptes par 9 ,
plus 6 comptes par 9 5 & 5 de refte. C.q.
f. d. 1°.
Telle eft la quatrieme condition ; les
trois détachemens étoient en proportion
arithmétique continue , ou le premier détachement
joint au troifieme étoit double
du fecond , ce qui donne
2 × 358 + 46 = 70 g + 92 = 12 G
→ 1 + 63m + 59 , d'où l'on tire 126
=70g — 63 m + 3 4 ; c = 5. g → sm
+ 2 + 10g 3 m + 10 , fuppofant
-
108 = 3m + 10
12
-
*
12
f
= u ; donc 10 g + 10
3 m = 12 u ; 10 g = 122 — 10+
น
3 mg = u ~ 1 + 3 m + 2 ; 3 m + 2 u
-
" 10
I
IO
p ; donc 2 + 3 m = 10 p ; 2 u = 10p
— 3 m , u = 5 pm - m , foitm =
q;
donc m = 2q ; fubftituant par tout en
retrogradant cette valeur de m , l'on aura
= SP - 39.
8 = 5p - 39-1 + 6 + 101 - 6
-
ΙΟ
u
= 6 p — 3 q — i ; donc 358+ 46 ouy
39
92 MERCURE DE FRANCE.
= 35 × 6p - 3 9-146210p
-105 q-+ u.
120- I ou x 420p
& x =1269+ 59 , & les réuniffant l'on a
—
--
336 - 37,
qui rempliffent
les
4 premiex
= 420p 3369 37
y = 210 p
2 =
105 9 + 11
+1269+ Se
res conditions.
-
Effectivement 1 ° , l'on a 140 px 3+
1129 × 3-12 x 31 Ou11 × 3 + 2
& п05p4 84 9 × 4 — 9 × 4 - 1 Oll
- 8 × 4 + 3 .
{ 2 °. L'on a 42 px S
>
- OÙ
·-21.9x5 + 2
- * 5 + 1 & 3 0 p × 7 1 5 9 × 7 + 7
+4.
3 °. 189 × 7 + 8 × 7 + 3 , & 149
9 +6 × 9 + 5 .
420p
-
4°. Enfin 420 p = 336 937 +126
a + 49
2109 +22 2
x2100-1059 +11 . C. q. f. 2 ° . d.
Par la fixieme condition on perdit le
quart du premier détachement augmenté
de neuf hommes ; par la feptieme on perdit
le feptieme des troupes du fecond détachement
diminué de quatre hommes ;
& par la huitieme on perdit le tiers des
troupes du troifieme détachement diminué
de cinq hommes. La perte du premier pofte
étoit à celle du fecond comme 140 à
JUIN. 1755.
93
61 , & la perte du premier pofte à celle du
troifieme , comme 70 à 51. L'on fera donc
pour remplir les feptieme & huitieme conditions
, cette analogie , qui va réduire les
deux indéterminées p & gà une feule ».
x +23-4420p - 3369-28.
140.61 :: ::
-
4. 7
310 p = 105 9 +7 , d'où l'on tire 61 *
7
420p 33 9 -28
4
140 x 210 p 1059+ 7,
7
-129
I
ou 61 × 7 * 4 * ISP ::
30P - 159 + 1 x 20 x 7 , ou 915p +
7329-61600p — 3009 + 20 , ou
315 p = 4329 +81 ; donc 105 p =
1449+ 27335 p = 4 8 9 + 9 ; p = q
++ 139 +2 , 139+9
fuppofant 13 m ; donc
35 35
339 + 9 = 35 m , 1 3 q = 3 5 m — 9 ,
9 = 2m
9 m -
m
13
J
faifant 99
13
= 13 u , m zu +1 +
4น
9
-
faifant = √ 4 = 9 √ ‚ u :
+ √ , faiſfant√ = ; donc √ 4 ,
& fubftituant par-tout à la place de cette
valeur en rétrogradant , l'on aura √
4u , u = 9u , m = 13 u + 1,9 = 35 n
+ 1 ; p = 48 +3 ; & mettant ces valeurs
de p & de q dans celles de x , y , z ,
l'on aura x 420 × 48. × + 3
× 352 + 2 ~ 378400 + 55 =x
----
336
}
94 MERCURE DE FRANCE.
-
7 = 210 × 45 × + 3 → 105 × 35
1 + 2 + 11 = 6405 + 431 = y
z = 126 × 35 + 1 + 59 = 4410
# + 311 = ~ ,
qui font les trois nombres qu'on a démontrés
dans le Mercure dernier devoir remplir
toutes les conditions du problême.
En fait de fciences exactes & de raiſonnement
, il eſt des fautes heureuſes , & il
eft quelquefois avantageux de tomber dans
des paralogifmes , fur-tout lorfque leur
découverte nous ouvre les fources de l'erreur
, & nous apprend à éviter les routes
fauffes dans lesquelles nous nous étions
engagés ; fouvent l'erreur fert à approfondir
des vérités qu'on n'avoit fait qu'ef
fleurer. Les obfervations qui vont fuivre
ferviront à nous en convaincre.
OBSERVATION S.
1º. Si l'on avoit cherché les valeurs de
x ,y,z en une feule indéterminée par la
huitieme condition , on auroit eu en fuivant
toujours notre méthode ,
x = 58800 S +55 1
y = 45465S + 431
L = 32130 S + 311
qui fatisfait également à tout , mais dont
le premier membre eft feptuple du premiermembre
des nombres ci-devant trouvés ,
JUIN. 17553
95
& qui rendent par conféquent la folution
moins étendue & moins élégante.
2º. On pouvoit réfoudre la huitieme
condition comme un problême particulier,
en faifant +9.25 : 70 , 51 , ce qui
4 3
auroit donné x 280 19 , & z = 153 = tb
+ s , qui ne remplit que cette feule condition
, ce qui fait voir la néceffité d'employer
à la place de x & z qui font les dénominations
qu'on a donné d'abord aux
premier & troifieme détachemens , la néceffité
, dis-je , d'employer leurs valeurs
trouvées en p & q par notre méthode.
3. Si on eût choisi un rapport des
pertes du premier & du fecond détachement
différent de celui de 140 à 61 ; par
exemple , fi on eût fait 2.2
420p - 3369-37 . 2100-105 9 + 11
4
à 4 , on auroit eu
x= 37800+ 6039
y= 88200 + 14116
2 = 13860V + 22193
4 оц
qui ne fatisfont qu'à quelques parties des
conditions du problême , par cette feule
raifon que les valeurs de x , y , z , expriprimées
en p & q , avoient acquis par les
conditions multipliées une relation , pour
ainfi dire , intrinféque , & qu'en leur en
attribuant une nouvelle on dénature les
valeurs de p & de q.
96 MERCURE DE FRANCE.
L
MEDE CINE.
Ce 1 Février 1755 . I
1
E Mémoire que M. le Cat donne par
extrait dans le Mercure de Novembre
dernier touchant les fievres malignes , &
en particulier celles qui ont regné à Rouen
à la fin de l'année 1753 , & au commencement
de celle de 1754 , renferme un fyftême
qui, s'il n'eft pas fufceptible d'objection,
pourroit l'être du moins de quelqu'éclai
ciffement .
Des trois parties qui compofent le corps
de fes réflexions à ce fujet , je ne m'attacherai
qu'aux deux dernieres , dont voici
le précis .
Dans l'une , il prétend que les maladies
internes , & en particulier les fievres malignes
dont il s'agit , ne font que des maladies
externes très-connues , & que par
l'infpection des cadavres dont il a fait faire
ouverture , il a obfervé que celle qui a
regné à Rouen , étoit un herpès placé à
l'eftomac & aux inteftins grêles ; que les
remedes chez ceux qui en font guéris, n'ont
eu ce fuccès que parce qu'ils font analogues
aux topiques que la chirurgie emploie
dans le traitement du herpès.
Dans l'autre , il condamne l'opinion
prefque
JUIN. 1755. 97
prefque générale où l'on eft que les maladies
réfident dans les humeurs .
A bien confiderer les argumens que M.
le Cat propofe pour appuyer fon fyltême ,
il eft à craindre qu'il ne fe foit prêté avec
un peu trop de complaifance à la fécondité
de fon imagination , à l'inftar de bien d'autres
fçavans , particulierement de certains
Anglois.
1. Il prétend que l'état des liqueurs
dépend de celui des folides , & que le réciproque
eft fort rare.
2 °. Que fi les maladies étoient dans les
fluides , il n'y auroit pas une feule maladie
locale ; les maladies au contraire devroient
fe trouver dans tous les points du tiffu de
nos parties , en les fuppofant dans les liquides
, qui occupent ,tous les points de nos
folides .
3°. Que l'on pourroit dire que la dépravation
n'eft tombée que fur une partie des
Auides , ce qui feroit infoutenable , felon
lui , attendu que cette parcelle de nos hu
meurs , quelque petite qu'elle fût , devroit
en très- peu de tems corrompre tout le refte
par le mouvement continuel de la circulation.
Cela pofé , toute maladie humorale
devroit être univerfelle ; par exemple , fi la
contagion répandue dans l'air avoit prife
fur nos humeurs , nul homme n'en échap-
II. Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE.
peroit , les Médecins fur-tout comme les
plus expofés .
Que n'aurois-je point à redouter , ſi je
me propofois comme adverfaire d'un tel
fçavant ? mais non , je ne cherche qu'à
m'inftruire.
Je dis donc que la cure des maladies en
queſtion , que M. le Cat n'attribue qu'à
l'analogie que les remedes internes ont
avec les topiques que la chirurgie a coutume
d'employer pour la guérifon des maladies
externes , fouffre d'autant plus de difficulté
, que les topiques font les remedes
les moins effentiels dans le traitement de
ces maladies , fur- tout du herpès , & que fi
ces remedes extérieurs contribuent en
quelque chofe à leur guérifon , ce ne peutêtre
au contraire que parce qu'ils font analogues
eux- mêmes aux remedes internes
que
la médecine a coutume de mettre en
ufage pour les guérir ; cela eft d'autant
plus évident , que ce qui paroît à l'exté
rieur dans ces fortes de maladies , ne peut
paffer que pour l'effet & non pour la caufe :
prendre l'un pour l'autre ce feroit affurément
fe tromper groffierement.
Quant à la feconde partie , il n'eft pas
néceffaire d'être Médecin , ni Chirurgien ,
pour fçavoir que le chyle eft le germe du
Lang ,
, que celui - ci l'eft de toutes les autres
JUIN. 1755. ANDTHEDIA
humeurs , & par une conféquence inevi
table , fi le chyle eſt vicié par quelque caufe
que ce foit , ce qui arrive tous les jours ,
fang le fera néceffairement ; de même file
fang tombe en dépravation , les autres humeurs
tiendront de leur fource : donc les
maladies réfident dans les fluides , puifqu'ils
font fujets à tomber en dépravation ;
foutenir le contraire , ce feroit démentir
F'expérience. Mais , replique M. le Cat , fi
la maladie réfide dans les liquides , il n'y
aura pas une feule maladie locale , toute
maladie humorale fera générale & devra
occuper tous les points du tiffa de nos
parties. Une telle objection qu'il , fe fait à
lui-même ne devoit point être capable de
l'alarmer fi fort fur le fentiment commun
& c'eft argumenter contre fes propres lumieres
que de conteſter la vérité d'un fait ,
parce qu'il s'opere par des voies qui nous
font inconnues. M. le Cat auroit donc eu
plus de raifon d'examiner fi véritablement
la chofe eft telle qu'il s'imagine qu'elle
devroit l'être , en partant des vrais principes
ou non , fans nier ce qui fe palle tous
les jours fous fes yeux : dira-t-il , par exemple,
que les virus de toute efpece , foit dartreux
, écrouelleux , fcorbutiques , vénériens
, contagieux , & c . n'ont aucune prife
fur nos humeurs ? niera- t-il qu'elles péchent
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
4
"
& dans leur quantité & dans leur qualité ?
tous les caracteres de dépravation qui s'obfervent
journellement dans le fang que
l'on tire des veines des différens malades ,
font- ils illufoires ou bien ce fang n'eft- il
dépravé que dans le vaiffeau d'où il fort ?
en ce cas l'on fe ferviroit des propres are
mes de l'auteur en lui oppofant fa troifie
me objection. Il doit croire après tout que
dans toutes les mala
maladies en question
quoique tous les Points du tiflu de nos
folides ne paroiffent pas affectés d'une maniere
également fenfible , ils le font cependant
& même doivent l'être , mais d'une
façon relative à l'intensité de la corrup
tion à la nature du fluide , à l'uſage de
chaque partie , à leur fenfibilité?, aauuxxdidifffférentes
pofitions & modifications qui les
mettent dans le cas d'éprouver plus pu
moins fenfiblement les impreffions des
humeurs viciées ; aux différens obftacles
foit de la part des folides ou des fluides
& ſouvent des deux enſemble , qui empêchent
ces derniers de pénétrer dans leurs
fecrétoires , & de s'infinuer dans les vifceres
aufquels ils appartiennent naturellement,
d'où naiffent les ftafes & les écarts
de ces mêmes liquides , qui affectent certaines
parties plus particulierement, que
d'autres , d'où l'on doit conclure qu'inde
JUIN. 1755. 101
pendamment que tous les points du tifft
de nos folides foient affectés dans le cas
où les humeurs font en dyfcrafie , il ne s'enfait
pas qu'ils doivent être tous avec la
même force ; & fi les malades en pareil cas
ne s'apperçoivent pas d'une léfion géné
rale , c'est que ( par les raifons ci- deffus )
la plus forte impreffion l'emporte fur la
moindre .
200 UB
Dire que toute contagion devroit être
générale , & que perfonne n'en devroit
échapper fi l'air contagieux avoit affaire
à nos liqueurs , c'eft , ce me femblé , une
propofition qui n'eft pas moins fufceptible
de difficulté que le refte ; & je ne vois pas
quand même la chofe fe pafferoit comme
le perfuade l'auteur du nouveau fyftême
qu'il pût en tirer une conféquence bien
triomphante , attendu que de quelque façon
que fe répande un air contagieux , &
quelque partie de nous- mêmes qu'il affecte,
il doit attaquer indifféremment tous ceux
qui le refpirent ; & fi le contraire arrive ,
ce ne peut être que par une difpofition non
moins heureufe que fecrette de certains
tempéramens fur lefquels les miafmes ne
font pas la même impreffion , femblables à
l'eau régale qui diffout certains métaux
fans pouvoir mordre fur les autres. '
La dépendance de l'état des Anides de
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
celui des folides , fans du moins admettre
le réciproque , ne me paroît pas mieux fondée
; & à examiner le tout en rigueur , l'on
pourroit prendre un parti diamétralement
oppofé à celui de l'auteur , en ce que ceuxci
ne reçoivent de nourriture que des premiers
, qui ne peuvent fouffrir la moindre
altération fans leur nuire d'une façon relative
; ceux- là au contraire éprouvent tous
les jours des dérangemens , légers à la vérité
, qui n'en apportent aucuns aux liqueurs
; mais je n'adopterai ni l'un , ni
l'autre par préférence , & ne prétends point
m'écarter de l'équilibre fi néceffaire entre
les folides & les fluides pour la confervation
de la vie & de la fanté : ainfi il faut
les croire dans une dépendance réciproque ,
& quand même les fluides dépendroient
de l'état des folides , ils n'en feroient pas
pour cela à l'abri des dépravations. Difons
donc feulement que la léfion des uns attire
la léfion des autres ; tout eft mutuel par
conféquent.
M. le Cat dévoile enfin fon myftere , &
s'explique d'une maniere à la vérité bien
différente que femble l'annoncer fon début
; il foutient que les maladies réfident
dans le fluide des nerfs : l'opinion générale
n'eft pas du moins entierement convaincue
d'erreur , puifque ce fluide fait partie des
JUIN. 1755. 103
humeurs. Refte à fçavoir maintenant par
quel chemin il conduira la maladie dans
le Auide nerveux , qui ne peut pécher , felon
lui , que par fa qualité ou fa trop petite
quantité ; quand il auroit ajouté auffi par
fa trop grande abondance , la chofe n'en
feroit pas plus mal , parce qu'en fait des
fonctions animales , ainfi que de toute autre
méchanique , la jufte proportion qui
eft effentielle, peut pécher par le trop comme
par le trop peu. Mais paffons par là
deffus , puifqu'il a jugé à propos d'y paffer
lui- même ; je ne veux cependant pas dire
par là que les grands hommes foient à
imiter en tout , parce qu'il n'y a perfonne
qui n'ait fes défauts. Je reviens donc à la
queftion , & dis qu'aucun vice ne peut
pénétrer dans la cavité des nerfs pour y
infecter les efprits , fans paffer par la même
route qui conduit ces mêmes efprits dans
les nerfs or le fang eft l'unique route qui
conduit les efprits dans les nerfs , puifqu'il
en eft la fource ; donc toute contagion doit
paffer par le fang avant de parvenir jufqu'aux
efprits. M. le Cat ne dira pas qu'elle
fe fait paffage feulement au travers des
pores des nerfs , parce qu'en ce cas elle
pafferoit également au travers de ceux qui
font répandus fur tous les points du tiſſu
de nos parties , & par une conféquence
E iiij
104 MERCURE DE FRANCE .
non moins prépondérante , toutes les autres
humeurs en feroient attaquées également.
en
A l'égard des maladies qu'il prétend expliquer
par leurs véritables caufes ,
donnant des raifons convaincantes du méchanifme
des cryfes qu'il ne fait confifter
que dans la dépuration du fuc nerveux ,
qui bien différent des autres humeurs , ne
retourne point à fon réſervoir , & ne peut
par conféquent corrompre les fluides dont
il s'eft féparé une fois pour toujours ; l'auteur
de ce raifonnement n'ignore pas que
les membranes ne font que des développemens
de l'extrêmité des nerfs ; qu'elles
donnent origine à une infinité de petits
tuyaux connus fous le nom de veines lymphatiques
, qui n'ont d'autre ufage que
celui de reporter dans le fang les réfidus du
fuc nerveux , qui , comme on voit , circule
également que le refte des fluides : donc
l'auteur de la nouvelle opinion fe trouve
pour la feconde fois en proie à fa troifieme
objection par les conféquences même qu'il
en tire.
Voilà , je penfe , tout ce que l'on peut
objecter en raccourci contre un fyftême qui
ne doit pas furprendre feulement par l'air
de nouveauté qu'on lui donne : quoiqu'il
en foit , je me perfuade que fon auteur a
prévu toutes ces difficultés ; que bien loin
JUIN 1755. 105
•
*
de les regarder comme orageufes , il ne les
envifagera que comme une rofée qui donne
un nouvel éclat aux fleurs fur lefquelles
elle fe répand : j'attends donc avec impatience
cette théorie lumineufe qui doit
nous garantir des tâtonnemens fi defagréables
pour les praticiens & fi dangereux
pour les malades : belles & magnifiques
promeffes conçues dans des termes qui ne
le font pas moins ; c'eft grand dommage
qu'ils foient placés avant la démonftration
. Malgré tout , je fens l'obligation où
je fuis d'y répondre avec des expreffions
de même prix mais comme mon infuffifance
ne me permet pas de les puifer dans
mon propre fonds , je ne celerai pas que
je fuis forcé de les emprunter de l'Orateur
françois ; il fair trop bien l'éloge de l'efprit
inventeur pour ne m'en pas fervir en
l'honneur de M. le Cat. Je dirai donc
qu'un tel génie n'a point de modele , titre
qui annonce une fupériorité de gloire.
qu'on ne peut difputer fans injuftice ; il
fert aux autres de modele , titre qui porte
une étendue de bienfaits qu'on ne peut
méconnoître fans ingratitude. Ainfi pour
ene paffer pour injufte nipour ingrat vis- àvis
cer auteur , je me ferai un devoir 'de me
foumettre à la déciſion des fçavans . tid
Peffault de la Tour, Médecin à Beaufort,
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
CHIRURGIE.
A MESSIEURS
De l'Académie royale de Chirurgie.
M
ESSIEURS , j'ai lû avec plaific
dans le fecond volume de l'Académie
royale de Chirurgie l'hiftoire - que M.
la Faye fait de l'amputation à lambeau ; il
y détaille avec beaucoup de fagacité les
différens accidens qui accompagnent l'ancienne
méthode ; il montre les efforts
qu'ont fait plufieurs Chirurgiens célebres
pour fe frayer une nouvelle route en confervant
un lambeau de chair pour couvrir
le moignon , éviter la ligature des vaiffeaux
, la faillie de l'os , fon exfoliation ,
former la cicatrice en moins de tems , &
enfin matelaffer le bout de l'os de façon à
parer les différens accidens qui peuvent
accompagner pendant le cours de la vie .
Mais la difficulté d'appliquer exactement
le lambeau de chair fur le bout des os ,
la crainte qu'il ne s'y rencontrât des vuides
qui donnaffent retraite à des épanchemens,
lui a fait inventer un inftrument pour rapprocher
exactement & mollement le lamJUI
N. 1755. 107
beau fur tout le moignon c'eft une perfection
effentielle qui manquoit à cette
méthode.
M. Garangeot ajoûte la ligature des
vaiffeaux dans ce même cas , & fon procedé
feroit jufte s'il la faifoit par l'ancienne
méthode.
M. Louis dont les recherches & la péné
tration font intariffables , nous donne le
détail de nombre d'autres méthodes , dont
les procédés font auffi différens que les
parties qu'il a à amputer le font entr'elles :
il voit la rétraction des muſcles après leur
fection ; il diffeque les portions de ceux
qui ont refté adhérens aux os , il les releve
par une compreffe fendue pour fcier l'os le
plus haut qu'il eft poffible.
M. Vermalle qui étoit Aide-major à
l'hôpital militaire de Landau en 1734 ,
ayant vû pratiquer l'amputation à deux
lambeaux à M. Ravaton , fon confrere ,
telle qu'il la préfenta à Meffieurs de l'Académie
, a imaginé une façon différente
de former ces deux lambeaux , à laquelle on
a donné la préférence , quoique M. Vermalle
n'ait jamais fait cette amputation
que fur un bouchon de liege , fuivant le
rapport de M. Pierron , Gentilhomme de
la chambre de S. A. S. Electorale Palatine,
chargé de l'Imprimerie de ce Prince
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
ami particulier de Monfieur Vermalle.
Tous les efforts qu'on a fait juſqu'aujourd'hui
pour perfectionner l'amputation,
ont eu pour objet de conferver la peau &
couvrir le moignon en moins de tems . Le
même efprit m'a toujours animé , Meffieurs
, & je vous prie d'agréer mes remar
ques für cette partie effentielle de la chirurgie
je ne m'arrêterai pas à parcourir
l'ancienne méthode , tout le monde connoît
les inconvéniens qui l'accompagnent.
Celle à lambeau inventée par M. Lowdan
, que MM. Verduin , Manget , & c.
ont répandue , & que M. la Faye & quelques
autres ont adoptée , paroît du premier
coup d'oeil impraticable aux praticiens . On
fépare les mufcles jumeaux & folaires jufqu'au
tendon d'Achille on coupe
la peau
au deffous de l'attache des mufcles extenfeurs
de la jambe à l'endroit où on veut
fcier l'os , & on releve enfuite le lambeau
pour couvrir le moignon .
Je remarquerai en premier lieu qu'on ne
peut fcier les os de la jambe fans danger
évident de toucher avec les dents de la
fcie au lambeau , d'où doit s'enfuivre des
accidens fâcheux , puifque les chairs qui
auront été déchirées font recouvertes dans
l'inftant.
Les os ne peuvent être fciés fi également
JUIN. 1755. 109
qu'il n'en refte des pointes qui piqueront
& produiront le même effet , le lambeau
devant être rapproché le plus intimement
qu'il eft poffible ; d'où naîtront des irritations
, des gonflemens , des inflammations,
des dépôts , des fufées , qui rendront le
fuccès fort équivoque. Pour répondre à
ces objections ( qui ont déja été faites ) M.
la Faye dit avoir vû des fractures avec ef
quilles qui piquoient les chairs , qui ont
guéri : pour moi je n'ai pas été fi heureux ,
j'ai vu toujours ces piquûres accompagnées
d'accidens plus ou moins fâcheux , qui ne
fe font terminés que par des dépôts , qui
ont procuré l'exfoliation des portions des
os , ou par l'épanchement d'un fuc que
j'appellerai offeux , qui les a émouffés en
les applaniffant par fucceffion de tems ,
ainfi que M. la Faye l'a remarqué au bout
des os amputés depuis long- tems.
Neft- il pas à craindre que ce fang qui
parcourt le lambeau ne foit gêné ou intercepté
dans fa marche il doit l'être au
jarret par l'angle aigu qui forme le lambeau ;
s'il force cet obftacle , il peut l'être par la
compreffion qu'on eft obligé de faire fur
toute fon étendue pour le tenir rapproché
des os ; d'où s'enfuivra la chûte par pourriture
d'une partie ou du lambeau dans
fon entier.
110 MERCURE DE FRANCE.
Peut- on efperer avec confiance que la
nature réunira des fibres mufculaires coupées
fuivant leur longueur , avec celles
qui le font tranfverfalement ? mais la fuppuration
qui doit néceffairement s'établir
dans toute la ſurface interne du lambeau ,
fuivant la fituation qu'on a coutume de
donner aux bleffés , ne pourra s'écouler
que par les parties latérales femi-fupérieures
: n'eft- il pas à craindre qu'elle ne forme
un vuide dans la partie la plus déclive
du lambeau , & qu'elle ne s'y dépofe ?
Mais ce lambeau rapproché fur toute
la furface du moignon eft-il fi juſte qu'on
ne foit forcé d'en couper des morceaux
pour le rendre parallele ? car fans cette
exacte égalité on ne peut efperer de guérifon.
Le lambeau figuré au moignon laiffe
encore un inconvénient également embarraffant
auquel il n'eft pas aifé de remédier
; car la peau qui eft au bord du tibia
doit fe trouver éloignée de celle du lambeau
de toute l'épaiffeur de ce même
lambeau ; elle le fera davantage fi les chairs
la débordent , comme il arrive prefque
toujours après les grandes fuppurations.
Si la fievre furvient & qu'elle foit violente
( ce qui n'eft que trop ordinaire )
tout le bâtiment s'écroule , la fuppuration
JUI N. 1755. IIT
devient féreufe , abondante , la pofition
de la gaîne du tendon d'Achille reftant ,
ainfi que la membrane oedipeufe qui lie les
mufcles les uns avec les autres ; s'exfolie ;
le lambeau s'amincit , & tend à s'éloigner
du moignon , ce qui entraîne néceffairement
fa chûte.
Je fens cependant que fi cette amputation
eft faite à un bon fujet , qu'il n'arrive
point d'accident pendant le cours du traitement
, elle peut réuffir un peu plus dif
ficilement que dans l'ancienne méthode ;
mais il faut qu'elle ait le bonheur d'être
conduite par une main auffi fage & auffi
expérimentée que celle de M. la Faye.
.M. Garangeot qui dit avoir fait plufieurs
fois cette amputation , confeille d'arrêter
l'hémorragie , en appliquant fur l'orifice
des vaiffeaux ouverts un morceau de
gui de chêne , foutenu d'une compreffe
dont le bout fortira par l'un des côtés de
la plaie. S'il avoit fait attention que ce
font des corps étrangers qu'il introduit
dans le centre d'une très-grande plaie , qui
peuvent caufer des accidens très- fâcheux ,
il auroit préféré la ligature faite avec du fil,
felon l'ancien ufage , qui n'en caufe jamais
de confidérables. Par ce coup de maître
il rend l'inftrument propofé par M. la Faye
pour rapprocher le lambeau, inutile , puif112
MERCURE DE FRANCE.
qu'il introduit un corps intermédiaire qui
s'oppose à ce rapprochement.
M. Louis embraffe toutes les façons
d'amputer les membres qui ont été propofées
, & n'en adopte aucune qu'il ne
l'eût remaniée ; il est vrai qu'il le fait avec
grace , mais il fait tout plier à fon imagi
nation : il charge d'une foule d'accidens
les méthodes qu'il lui plaît de profcrire ,
& n'en voit aucun dans celles qu'il adopte
ou qu'il crée ; il voit la rétraction des mufcles
après l'inciſion tranfverfale ; il détache
les portions de ceux qui restent adhé
rens aux os pour le fcier plus haut , & il
croit par cette découverte remédier à fa
faillie de l'os , à fon exfoliation & à la
longueur des fuppurations.
*
J'ai fait quelques amputations de cuiffe ..
& de jambe par l'ancienne méthode : j'ai
pris en opérant les précautions qui font
récommandées ; je n'aijamais apperçu que
la rétraction des muſcles fût fi confidérable
que M. Louis veut l'infinuer , quoique
j'euffe fait lâcher le tourniquet avant de
faire la ligature , pour reconnoître l'orifice .
des vaiffeaux , comme il eft d'ufage . M.
Louis convient que les mufcles adhérens
aux os ne font pas fufceptibles de cette
rétraction ; mais ceux - ci ne font - ils pás
liés intimément avec ceux qui les touchent?
JUIN. 1755. 113
& ne le font- ils pas tous les uns avec les
autres ?
Si la rétraction des mufcles étoit la feule
caufe de la dénudation de l'os après l'amputation
, cette dénudation paroîtroit à
l'inftant qu'ils font coupés ; ce qui n'eft
jamais arrivé , ni ne peut arriver. M. Louis
l'apperçoit cependant dans le cabinet
lorfqu'il fait lâcher de tourniquet ; & il
faudroit pour que cette grande rétraction
s'exécute , qu'il fe fir un déchirement ou
un alongement confidérable des liens qui
uniffent les mufcles les uns avec les autres ,
ce qui n'eft pas probable.
Si ces remarques font autorifées par
l'expérience de tous les tems , & par la
connoiffance des parties , M. Louis ne doit
plus trouver des portions des mufcles à
relever après fon incifion tranfverfale
faite , & il fera forcé de fcier l'os au niveau
des chairs , comme l'ont fait tous
ceux qui l'ont précédé.
Tout le monde fçait qu'un corps élaftique
coupé en travers s'éloigne plus ou
moins du point de fa divifion à proportion
de fa tenfion & de fon élasticité ; ce
principe a fait errer M. Louis : mais les
mufcles ( par exemple ceux de la cuiffe )
ne font que médiocrement tendus lors de
l'amputation ; leur maffe & leurs liaiſons
114 MERCURE DE FRANCE.
intimes femblent s'oppofer à un grand
écartement : il fe forme cependant un jour
lors de leur fection , mais ce n'eft qu'au
bord extérieur par le principe ci - deffus
établi , car pour les muſcles qui avoiſinent
les Os , cet écartement ou cette retraction
eft infiniment moindre. Or comme on ne
peut fcier l'os qu'après que cette rétraction
s'eft faite , & qu'on a coutume de le fcier
le plus près des chairs qu'il eft poffible , s'il
arrive faillie de l'os elle doit reconnoître
une autre cauſe , & il n'y a aucun Chirur
gien , quelque peu verfé qu'il foit dans la
pratique , qui l'ignore.
Lorfqu'on eft forcé d'amputer la cuiffe
par l'ancienne méthode à un fujet gros &
gras , il y aura faillie de l'os, quelque précaution
qu'on prenne pour l'éviter , &
cette faillie fera même plus ou moins confidérable
, à proportion des accidens qu'aura
effuyés le bleflé pendant le cours des
panfemens. Cette propofition paroîtra erronée
à M. Louis ; mais s'il veut avoir la
bonté de jetter les yeux fur la grande furface
que forme cette fection , fur les fuppurations
longues & abondantes qui l'ac
compagnent , fur la fonte des graiffes &
l'exfoliation des membranes , il apperce
vra l'affaiflement de toutes les parties char
nelles , feule & unique caufe de la grande
faillie de l'os.
JUI N. 1755. 115
Si on fuit M. Louis à l'amputation de la
jambe , on le voit conferver un morceau
de peau femi-fphérique fur le tibia , pour
pouvoir plus aisément couvrir le bout de
cet os après qu'il a été fcié : voilà de ces
efforts d'imagination marqués au bon coin
du cabinet , & qui devroient l'être au contraire
par l'expérience fouvent répétée
pour paroître dans un livre auffi refpectable
que le fera toujours celui des Mémoi
res de l'Académie royale de Chirurgie : il
difféque ici la peau , ailleurs les muſcles
adhérens aux os , & il oublie que dans
tout ceci il fait à petit pas la méthode de
l'amputation à deux lambeaux , inventée
par M. Ravaton , Chirurgien- major de
l'hôpital militaire de Landau , ou celle
en deux tems qu'il condamne ailleurs.
Si à la fuite d'une amputation il arrive
faillie de l'os , M. Louis le coupe fans at
tendre fon exfoliation naturelle , qu'on
peut même accélerer par l'application de
l'eau de mercure ; il s'embarraffe peu des
accidens qui fuivent cette fection ; ce qu'en
ont dit les praticiens eft infuffifant ou inintelligible
pour lui , il y eût remédié s'il
eût été préfent : tout eft borgne ou aveu→
gle , il n'y a que M. Louis qui ait deux
bons yeux.
La cicatrice du moignon ne fe forme ,
116 MERCURE DE FRANCE.
felon M. Louis , que par l'alongement des
fibres de la peau qui eft à fa circonférence ;
il eft vrai qu'elle y concourt effentiellement
, mais les chairs y concourent auffi ,
puifqu'on voit tous les jours des portions
de tégumens fe former dans le centre des
grandes plaies , particulierement aux brûlures
étendues & profondes : il feroit fal
cile d'en rapporter des exemples ; mais cé
que la nature fait tous les jours fous les
yeux de l'obfervateur intelligent , n'a pas
befoin de preuves.
M. Vermalle , Chirurgien de S. A. S.
Electorale Palatine , ayant vû pratiquer
l'amputation à deux lambeaux à M. Rava
ton , a imaginé une façon différente de
former ces deux lambeaux ; il pofe à l'or
dinaire le tourniquet , marque au - deſſous
avec un fil l'étendue qu'il veut leur donner
; il enfonce enfuite un biftouri droit
fur le milieu de l'os , & en fait tourner la
pointe à côté & autour de l'os pour former
deux lambeaux égaux , & il les releve
pour fcier l'os , & c.
Il eft impoffible ( la ligature étant pofée
à la cuiffe ) de faire tourner un biſtouri
droit à côté & autour de l'os pour former
deux lambeaux égaux . Faut- il qu'un petit
Chirurgien de province les affure qu'il n'a
jamais pû les former fur le cadavre ? ( il
JUIN 1755 : 117
n'y a que le liege fur lequel on peut
faire
cette manoeuvre ) car enfin il eft palpable.
qu'il y a une impoffibilité morale de fermer
ces deux l'ambeaux , quand bien même
le biſtouri feroit courbe , comme le propofe
M. Louis , & je ne vois d'autre moyen
de remédier à cet obſtacle infurmontable
qu'en rendant le fer foumis à nos com→
mandemens , fi on en trouve le fecret, pour
qu'il fe plie & fe contourne à volonté , &
alors cette méthode pourra s'employer uti
lement aux amputations des cuiffes.
MM. La Faye & Louis s'accordent à
dire que l'amputation à deux lambeaux
propolée par M. Ravaton , qui confifte à
faire une coupe tranfverfale avec le couteau
courbe , & deux incifions latérales
avec le biftonri , à difféquer & relever les
deux lambeaux pour feier l'os le plus haut
qu'il eft poffible , forme une léſion trop
grande pour ne pas attirer des accidens
fâcheux; mais cette léfion ne feroit- elle
pas la même dans la méthode propofée par
M. Vermalle & n'eft - elle pas double dans
celle à lambeau de la jambe , où ces Mefheurs
ont la complaifance de n'en pas appercevoir
aucun ? Dans trente années d'ici
les décifions de ces Meffieurs fur ces matieres
pourront avoir quelque poids ;
mais en vérité pour le préfent ils permet
2
118 MERCURE DE FRANCE.
tront aux Chirurgiens praticiens de ne pas
fuivre aveuglément leurs dogmes qu'ils
ne les aient anatomifés , & pefés au poids
de l'expérience.
J'ai vû pratiquer l'amputation à deux
lambeaux à M. Ravaton avec tout le fuccès
poffible. Les deux incifions latérales
qui effrayent ces Meffieurs , & qui doivent
être caufe , felon eux , de tant d'accidens
fâcheux , font celles au contraire qui re
médient à ces mêmes accidens , en laiſſant
librement couler la matiere de la fuppu
ration , & évitant conféquemment les inflammations
, les gonflemens , les fuſées ,
les dépôts , &c. qui n'arrivent que trop
fouvent dans l'ancienne méthode ; l'os fe
trouve bien enfoncé & bien recouvert des
chairs , plus d'exfoliation : ce moignon
préfentant une moindre furface, fe cicatrife
en moins de tems , & fe trouve pour
toujours à l'abri des différens accidens qui
l'accompagnoient par l'ancienne méthode.
M. Ledran dit dans fon traité d'opérations
de Chirurgie , avoir fait l'amputation
à deux lambeaux d'une cuiffe,fous les
yeux de Meffieurs de l'Académie , & que
cette amputation a été guérie en trois femaines.
M. Louis rapporte que M. Trecour ,
Chirurgien-major du Régiment de PiéJUIN.
1755: 119
mont , l'a pratiquée avec un égal fuccès ;
je l'ai vû faire en Flandres à différens Chirurgiens,
qui ont été émerveillés du peu de
tems qu'ils ont employé à cicatrifer le
moignon . Je l'ai faite moi- même avec tant
d'avantage , que je ne puis trop recommander
aux princes de la Chirurgie de
l'examiner de plus près , afin de la mieux
connoître .
On fera fans doute furpris de me voir
prendre tant d'intérêt aux avantages que
Famputation à deux lambeaux a fur toutes
ces autres méthodes. Cette furpriſe ceffera
lorfqu'on fera informé que je fuis éleve de
M. Ravaton , & que l'humanité , le bien
public & la force de la vérité m'y ont engagé.
M. Ravaton pratique fon amputation à
deux lambeaux à toutes les parties des bras,
des avant-bras , aux cuifles & aux jambes ;
mais ce qui furprendra davantage , c'eft
que fi une maladie au pied demande l'amputation
de la jambe , il coupe cette jambe
près les malléoles ; & par le fecours d'une
bottine le bleffé étant guéri , marche avec
une facilité peu aifée à rendre. Il coupe de
même les doigts des mains & des pieds ; je
l'ai vû emporter le métatarfe , & le malade
eft guéri en peu de tems.
J'ai l'honneur d'être , & c.
A Meziere, le 20 Mars 1755.
120 MERCURE DE FRANCE.
1.
-LETTRE de M. Defcaftans a M. Dupuy,
Maître en Chirurgie , Affocié de l'Acadé-.
mie de Bordeaux , & Chirurgien -major
de l'Hôpital S. André de ladite ville.
Monde la letreque vous m'avez fait
ONSIEUR, j'ai communiqué à mon
l'honneur de m'écrire . Il a été ført furpris
qu'il y ait des Chirurgiens & autres perfonnes
dans votre province qui prétendent
qu'il foit en relation avec eux & qu'il leur.
fourniffe fes remedes , leurs mauvais fuccès
fans doute doivent détruire cette impofture
; mais il est très-certain que vous êtes
le feul à Bordeaux & dans tout le pays
avec qui il ait des correfpondances. Il vous
fera très- facile de tirer d'erreur ceux qui
yous en parleront ; il ne s'agit que d'exiger
de ces prétendus correfpondans qu'ils montrent
les lettres de M. Daran , qui feules
peuvent certifier leur commerce avec lui ,
ou d'engager ceux qui foupçonneront cette
liaifon , de lui écrire à lui- même , & il ne
manquera pas de leur faire auffi- tôt une
réponſe qui levera tous leurs doutes . Vous
connoiffez la fignature , & il ne fera pas
aifé de vous en impofer . Ce n'eft pas feulement
à Bordeaux que l'on fuppofe ces
•¿ ¿ di armik od vcorrefpondances
JUIN. 1755. 121
correfpondances avec M. Daran . On employe
le même artifice non feulement dans,
toute la France , mais encore dans les pays
étrangers ; d'autres fans avoir recours à
cette rufe , qui leur paroît apparemment
inutile , publient que les remedes dont ils
fe fervent ont été pris chez lui , & c'eſt le
plus grand nombre : ils font répandus en
plufieurs endroits , même à Paris , & ce
qu'il y a de plus étonnant , c'eft que des
gens qui jouiffent d'ailleurs de la plus
grande réputation , fe vantent auffi d'avoir
les mêmes remedes que lui , & ils le perfuadent
d'autant plus facilement , qu'ils fe
font acquis beaucoup de crédit & de confiance
dans le public toujours fi facile à
être trompé. Il eft vrai qu'on fe defabuſe
à la fin , mais c'eſt toujours à ſes dépens
après avoir reconnu par un traitement
long , douloureux & inutile , qu'on auroit
dû d'abord s'adreffer à M. Daran. Il m'eſt
arrivé fouvent en lifant les lettres qu'il
reçoit des malades , d'y trouver qu'ils s'étoient
confiés à des perfonnes qui difoient
tenir de M. Daran lui-même les fondes &
les bougies dont elles faifoient ufage. Ces
malades l'avoient cru bonnement , & le
confultoient fur leur état en lui demandant
ce qui pouvoit avoir empêché leur guérifon
, après qu'ils s'étoient fervis de fes
II. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE. ,
reniedes avec toute l'exactitude poffible &
le plus grand régime : mon oncle fe trouvoit
obligé de leur répondre qu'ils avoient
été trompés , & qu'il n'étoit point du tout
vrai qu'on eût pris les remedes chez lui.
Les malades de leur côté fe voyoient dans
la trifte néceffité de fe foumettre à un nouveau
traitement complet , trop heureux
encore d'en être quittes pour l'inutilité du
premier , & de n'avoir été qu'à demi les
victimes de cette contrebande fi funefte à
tant d'autres .
Mon oncle a reçu des plaintes de quan
tité de perfonnes à qui ces faux remedes
avoient caufé des accidens très - fâcheux.
J'ai cru devoir rendre cette lettre publique
, pour détromper les perfonnes qui ont
intérêt de l'être , & pour mettre un frein
à l'avidité de ceux qui fe croyent permis
d'abufer de la crédulité publique pour leur
profit particulier on fent bien quelles
font les fuites funeftes de cet artifice . Les
malades qui voyent leur état empirer , au
lieu de changer en mieux par l'ufage des
remedes qu'ils croyent de la compofition
de M. Daran , s'imaginent que leur mal
eft incurable , parce qu'il a réfifté aux fecours
qui font généralement reconnus
comme les plus propres pour le guérir , &
tombent dans un defefpoir auffi contraire
JUI N. 1735. 123
:
à leur rétabliſſement qu'affligeant pour
leur famille mais il leur fera facile de
s'épargner un fi cruel embarras , comme
auffi le defagrément d'un traitement repété
, s'ils veulent avant que de fe confier à
qui que ce foit , écrire à M. Daran , pour
fçavoir au jufte fi ceux qui ont entrepris de
les traiter , ont des correfpondances avec
lui . Ils recevront infailliblement une réponſe
qui éclaircira leurs doutes , & les
fauvera du danger où ils s'alloient peutêtre
expofer imprudemment.
J'ai l'honneur d'être , &c.
DESCASTANS.
A Paris , cè 8 Avril 1755•
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
AGRICULTURE.
Obfervations fur les vignes de 1754 , faites
dans le Bordelois.
Lafont arrêté de bonne heure la féve
Es grandes chaleurs qu'il a fait l'été
dans le farment , ce qui a donné fort peu
de bois & a rendu la taille difficile . Les
grands froids ont fait mourir beaucoup de
pieds , les chaleurs de l'année paffée en
avoient déja fait mourir grand nombre.
Les grandes gelées ont rendu les premiers
travaux fort aifés & fort profitables.
Tous les bourgeons étoient prefque fortis ,
lorfqu'il eft furvenu une gelée caufée par
un vent de nord-oueft qui avoit donné la
veille une pluie froide. Tous les endroits
qui avoient été frappés de la pluie , ont
extrêmement fouffert ; il n'y a pas eu de
mal ailleurs , ce qui fait qu'il y a eu des
côtes inacceffibles àla gelée qui ont fouffert
, tandis que dans les plaines l'on en a
été quitte pour la peur.
Les vignes qui n'étoient point gelées
étoient chargées de manes ; le farment a
paru d'abord vigoureux , les feuilles étoient
d'une largeur extraordinaire ; les provins
JUIN. 1755. 125
& les plantations ont réuffi à merveille.
Les travaux fe font faits aifément & en
beau tems.
Les pluies furvenues fur la fleur ont
caufé quelque perte , mais elle n'eft pas
comparable aux maux que les chaleurs qui
leur ont fuccedé ont fait : elles ont trouvé
le bois de la vigne encore humide ; & prenant
de nouveaux accroiffemens , le verjus
n'avoit pas eu le tems de prendre de la
force. Les rayons du foleil ont agi avec
tant de violence , que la moitié de la récolte
a été brûlée. Les chaleurs continuant
ont defféché la terre à un tel point , que
toutes les campagnes étoient crevaffées. Le
farment a pris fa maturité avant le tems ,
la queue du raifin fembloit defféchée , les
grains étoient extrêmement petits ; ceux
qui paroiffoient les plus mûrs étoient d'un
rouge tuilé , ayant une confiftance fort
molle.
La récolte promettoit fort peu de chofe
en Septembre les paluds , quoique dans
une terre forte , ont beaucoup fouffert
l'on laiffe à penfer ce qu'ont eu à endurer
les Graves.
Aux approches des vendanges les vins de
l'année paffée étoient extraordinairement
montés ; ce qui eft prodigieux , c'est que
les vins , dont la qualité étoit fupérieure ,
Fuj
126 MERCURE DE FRANCE.
:.
ont aigri en beaucoup d'endroits .
Des pluies douces furvenues à la veille
des vendanges ont ranimé les efpérances ;
l'on peut conjecturer du bien qu'elles ont
produit , puifque fans avoir pénétré jufqu'à
la racine , elles n'ont pas laiflé d'amener
tout à une maturité parfaite : huit jours
ont füffi , le raiſin a acquis dans ce peu de
tems fa groffeur naturelle , l'on ne voyoit
plus aucun veftige des defordres qu'avoient
fait les grandes chaleurs ; ce changement
arriva à la mi- Octobre. L'on a profité des
beaux jours qu'il a fait depuis pour vendanger
; mais les froids & les mauvais tems
qui ont fuccédé , ont tout gâté en certains
endroits : les vendanges étoient trop reculées
pour pouvoir être faites fans inconvénient.
Enfin l'on a fait prefque par-tour
d'abondantes vendanges ; mais le vin n'eſt
pas également bon , on ne lui trouve ni la
féve , ni le corps de celui de l'année paffée.
Le vin blanc eft moindre en qualité que
le rouge . Un ouragan des plus terribles qui
s'eft fait fentir en Novembre , a caufé de
grands maux ; les raifins n'étoient pas encore
bons à prendre , l'on n'avoit fait qu'u
ne cueillette , & en quelques endroits aucune
; les grains les plus pourris fe détacherent
, la terre en étoit couverte ; une
pluie abondante qui futvint , les détrempa
JUIN. 1755. 127
fi fort que l'on fut obligé de les abandonner
: il eft vrai que cette pluie hâta les vendanges
en achevant de pourrir. Les vins
blancs du Bordelois fe font prefque tous
de raifins pourris.
Remarques particulieres fur les grands froids
& les grandes chaleurs de l'année.
Les rigueurs de l'hiver & les grandes
chaleurs de l'été ont tout fait dans l'abondanté
récolte de cette année.
Les hivers froids & les étés chauds ,
malgré les inconvéniens qu'ils ont , font
les plus propres aux vignes.
D
Les gelées fortes mettent en pouffiere
les terres les plus compactes ; elles s'infinuent
dans toutes les parties , elles les
foulevent en en faifant la féparation . Que
ne doit-on pas attendre après cela des labours,
qui achevent de procurer une ouver
ture qui puiffe infinuer les rayons du foleil
dans le fein de la terrre , afin d'en mettre
en mouvement tous les fels ? Les hivers
doux ne fçauroient produire ces avantages.
Les pluvieux font d'ordinaire funeftes à
toutes les plantes , fans compter la quantité
immenfe de fels précieux qu'entraînent
les eaux ou qu'elles diffipent ; l'on perd
prefque le fruit de tous les travaux : en
vain l'on ouvre le fein de la terre pour y
F iiij
128 MERCURE DE FRANCE.
infinuer les douces influences de l'air ; la
terre chargée d'humidité , preffe fur ellemême
& fe refferre auffi - tôt.
La chaleur eft le principe de la végétation
, & plus elle eft grande , plus elle agit
avec efficacité.
Le point eft de mettre la vigne dans une
fituation à profiter de ces bienfaits , par où
on la met en même tems à l'abri des inconvéniens
d'une trop grande chaleur :
c'eft en faifant de fréquens labours , qui
tiennent toujours la terre meuble , & font
mourir les mauvaiſes herbes ; il eft inconteftable
que fans cela la terre fe durcit ,
la chaleur s'y concentre , c'eft une maſſe
de feu qui altere & qui defféche tout ce
qui en approche. Il eft démontré qu'à un
demi-pied de terre meuble il regne une
fraîcheur que l'on ne trouve point à deux
pieds d'une terre inculte. Les mauvaifes
herbes contribuent à entretenir la chaleur ,
leur ombrage ne porte point la fraîcheur
que l'on s'imagine.
Par le P. P. R. D. N. D. D. V,
JUI N. 17530 129
ARTICLE IV.
BEAUX - ARTS.
ARTS AGRÉABLES.
SCULPTURE.
LETTRE de M. Voifin , Avocat au Par
lement de Paris , à M. le Comte de Treffan,
Lieutenant général des armées du Roi , &
Commandant pour Sa Majesté en Lorraine.
MONSIEUR , permettez - moi de me
renouveller dans l'honneur de votre
fouvenir , & de faifir pour cela l'occafion
de vous faire part d'une collection confidérable
d'antiques grecques & romaines
que M. Adam l'aîné , de Nanci , Sculpteur
ordinaire du Roi , & Profeffeur de l'Académie
royale de Peinture & de Sculpture
expofe à la curiofité publique dans fa maifon
, rue baffe du Rempart , quartier de la
Ville-l'Evêque , après avoir eu l'honneur
,
Fv
310 MERCURE DE FRANCE.
d'en préfenter le recueil gravé à Sa Majesté,
& après l'avoir envoyé aux autres Souverains
de l'Europe..
Les 68 morceaux de cette collection
exécutés en marbre de Paros & de Salin ,
ont été trouvés à Rome dans le Palais de
Néron , au mont Palatin , & dans les ruines
du palais de Marius , entre Rome & Frelcati
: auffi M. Adam a- t- il deffiné & gravé
lui-même pour frontifpice à fon recueil
avec cette délicateffe & ce goût qui affectent
fi fingulierement les fçavans , le tems
qui découvre les ruines du palais de Marius
en 1729 .
C'eft des héritiers de M. le Cardinal
de Polignac , qui avoit raffemblé la plus
grande partie de ces antiques pendant fon
ambaffade à Rome , & qui les avoit fait
tranfporter en France , que M. Adam les a
acquifes. Il y a joint auffi plufieurs autres
morceaux également antiques , que dix ans
de féjour à Rome lui avoient procurés,
Cette collection , auffi rare que piquante
par la beauté & par la variété des objets ,
paroît déterminément propre à décorer une
une galerie ou une bibliothéque.
Elle feroit auffi d'une très- grande utilité
dans une académie , pour l'étude & pour
former le goût des éleves , foit de peinture ,
ou de ſculpture.
JUIN. 1755 131
Le bas-relief du tombeau d'un des fils
de Fauſtine , d'un pied de haut fur trois de
large , ouvrage romain én marbre de Paros
, fait la vignette initiale du recueil de
M.Adam : on y voit le bufte de ce fils chéri ,
avec une allégorie fçavamment imaginée.
Enfuite fe préfente un autel triangulaire
dédié à Bacchus : il a trois pieds trois pouces
de haut , & il eft monté fur trois vafes.
de bronze , foutenus par un piédeſtal ;
ouvrage grec de marbre de Paros . Le basrelief
de deux de ces faces repréfente un
Faune & une Bacchante , d'un pied de hauteur
on voit Silene fur le bas- relief de la
troiſieme face.
Un autre bas- relief de trois pieds de
hauteur & de deux pieds dix pouces de
largeur ; ouvrage grec de marbre de Salin ,
& tiré du tombeau de Marc- Antoine , repréfente
la conquête des Indes par Bacchus .
Les figures de ce bas- relief ont un pied
dix pouces de hauteur ce morceau eft
fans contredit un des plus beaux de l'antiquité
grecque.
Combien deux médaillons qu'on remarque
après , n'excitent- ils pas notre curiofité
de ces deux médaillons de marbre de
Paros , de deux pieds trois pouces de hau
teur chacun , l'un repréfente Diane, & l'autre
Vénus.
F vj
432 MERCURE DE FRANCE.
Deux médaillons d'Aurelien & de Vitellus
, de marbre de Paros , d'un pied trois
pouces de haut , font aux yeux l'éloge de
l'artifte romain antique qui les a exécutés.
Les gens de goût pourront- ils n'être pas
faifis de cette figure faillante & neuve ,
malgré fon antiquité , après nombre de
fiecles ? c'eft un Amour repréfenté de deux
faces , monté fur une panthere ; ouvrage
grec de marbre de Paros , de deux pieds fept
pouces de haut , dont le plinthe eft de deux
pieds trois pouces , & l'Amour de deux
pieds de proportion.
Arrive un petit Bacchus , enfant monté
fur un bouc , & préfenté de deux côtés :
c'eft un ouvrage grec de marbre de Paros ,
de deux pieds de haut fur un plinthe de
trois.
L'Hercule Farnefe eft fans doute connu ,
foit à Rome dans le palais Farnefe , où il
eft en original , foit en copies à Verfailles ,
même foit dans différens cabinets . Il s'agit
ici d'un Hercule appellé Farnefe improprement
, mais qui eft un monument grec
de marbre de Paros , d'un pied fix
de hauteur.
pouces
Après ce qui vient d'être remarqué ,
l'Amour pour l'antiquité fe trouve animé
par une figure de Minerve , d'éxécution
JUIN. 1755: 133
grecque, & de bréche violette, de la hauteur
de deux pieds.
Une autre antique grecque de marbre
de Paros , de deux pieds de haut , repréſentant
Bellonne , a immédiatement après elle
la place qui lui convient.
Enfuite fe préfente dans la galerie de
M. Adam , l'Abondance , antiquité romaine
de marbre de Salin , d'un pied onze pouces
de haut.
Les yeux s'arrêtent après fur un Jupiter
de deux pieds de hauteur , antiquité romaine
, de marbre de Paros.
On ne peut pas fe refufer à la beauté
fçavante de la Junon romaine , de marbre
de Paros , de deux pieds de hauteur . "
La Vénus à la pomme d'or , ouvrage
romain de marbre de Paros , d'un pied onze
pouces de haut , mérite ici toute notre attention
; c'eſt un précieux original dans fa
mefure déterminée , mais dont la copie ſe
remarque dans une étendue plus confidérable
le long de l'allée qui conduit au canal
de Verſailles ; & c'eft cette figure que le
feu célebre Vaillant qualifioit Dea Delphina
, à la différence que la Déeffe du
tapis verd ne tient point de pomme d'or ,
quoiqu'on lui attribue le même gefte .
La Vénus fortant du bain ne cede rien
à la précédente ; elle a une partie de fon
134 MERCURE DE FRANCE.
attitude du côté de la pudicité , & peu s'en
faut qu'à cet égard elle ne fe trouve au
niveau de la perfection de l'original de la
Vénus appellée vulgairement de Médicis ,
& qui eft dans le plus précieux cabinet du
palais de Florence. Cette Vénus fortant du
bain , qui eft une antique romaine de
marbre de Paros , a deux pieds deux pouces
de haut.
Vient enfuite une autre antique romaine
, auffi de marbre de Paros, de deux pieds
quatre pouces , repréfentant un enfant.
A côté , Bacchus enfant affis fur une peau
de bouc , d'un pied neuf pouces de haut en
marbre de Paros ; antiquité romaine.
Achelous à demi - couché & tenant une
corne d'abondance ; antiquité grecque de
marbre de Paros , de deux pieds huit pouces
de proportion , fur un plinthe de deux
pieds fept pouces .
Autre antiquité grecque de marbre de
Paros, de trois pieds de proportion , repréfentant
une Nereïde endormie & couchée
fur le rivage.
On ne peut trop admirer la beauté d'un
Hercule vainqueur du dragon du jardin
des Hefpérides ; antiquité romaine de
marbre de Paros, de deux pieds cinq pouces.
A côté on remarque avec la même fatisfaction
la figure de l'Empereur Commode
JUIN. 1755.
135
en Hercule , après la même victoire ; antiquité
romaine de marbre de Paros , de deux
pieds onze pouces de hauteur.
Un Efculape ; autre antiquité romaine
de marbre de Salin , de deux pieds onze
pouces de haut , égale en beauté les deux
précédentes figures .
Rien de plus précieux que la Vénus pu
dique qu'on voit enfuite ; antiquité grecque
de marbre de Paros , de deux pieds
onze pouces de haut. Cette figure eft régulierement
belle de tous les côtés.
On fixe enfuite fes regards fur une
Pallas armée de fon égide ; antiquité grecque
de marbre de Paros , de deux pieds
onze pouces de hauteur.
La Junon qui eft à côté , eft de la plus
rare beauté par la précifion avec laquelle
le nud fe trouve deffiné fous la draperie :
c'eſt une antiquité grecque , de deux pieds
onze pouces de hauteur , en marbre de
Paros.
Une Flore également belle ; antiquité
grecque , du même marbre & de la même.
proportion .
La curiofité est enfuite extrêmement
piquée par une autre antique grecque , de
trois pieds fix pouces de proportion , &
deux pieds fix pouces de hauteur , en marbre
Crétois , repréfentant un Phrygien qui
136 MERCURE DE FRANCE.
au bas d'une tour fe garantit des traits ennemis
par fon bouclier. Cette figure : eft
également avantageufe de tous côtés .
Une Diane fait partie de la collection de
M. Adam : c'eſt une antique romaine de
marbre de Paros , de trois pieds fix pouces
de hauteur , qui eft d'une beauté parfaite
ainfi que l'Apollon , antiquité grecque , du
même marbre & de la même hauteur. I
Il ne fe voit rien de fupérieur à une
autre antiquité grecque , du même marbre,
de trois pieds fept pouces de haut , repréfentant
une des filles de Lycomede , fous
la draperie de laquelle les yeux développent
le nud.
A côté fe trouve un Pâris à la pomme
d'or ; antiquité grecque , du même marbre
& de la même hauteur , figure admirable
pour fervir de modele.
Ifis , fous les attributs de la Déeffe de la
fanté ; antiquité grecque de marbre de
Paros , de quatre pieds de hauteur , s'offre
enfuite aux yeux.
Une des plus précieufes figures qu'on
puiffe voir fe préfente après ; c'eſt une antiquité
grecque de marbre de Salin, de quatre
pieds dix pouces de haut , repréfentant
l'Hymen , tenant un flambeau d'une main
& une couronne de l'autre à côté de fon
autel.
JUI N. 1755: 137
Il eft fuivi de trois autres antiquités
grecques , du même marbre & de la même
hauteur , repréfentant Mercure , Bacchus
& Méléagre , d'une beauté rare.
,
Enfuite la vûe fe fixe fur une antiquité
grecque , de marbre de Paros , de fix pieds
fix pouces de proportion repréſentant
Perfée qui , après la délivrance d'Andromede
, pofe la tête de Medufe fur du corail
pétrifié & teint de fon fang. La vûe
de cette figure eft piquante de tous les
côtés : on pourroit incrufter dans fon
piédeſtal un bas- relief, partie de la collection
, antiquité grecque , de deux pieds
trois pouces de haut & d'un pied fix
pouces de large , de marbre de Paros ,
repréfentant la même délivrance d'Andromede
, & dont les figures ont un pied huit
pouces.
Deux buftes , antiquités grecques , fe
trouvent enfuite , d'un pied fix pouces de
hauteur chacune ; l'une de marbre de Paros
, & l'autre de marbre de Salin , repréfentant
Germanicus & Lepida .
Deux autres buftes , l'un d'une femme
inconnue , & l'autre d'Adrien , jeune ; an
tiquités romaines , de marbre de Paros ,
d'un pied huit pouces de hauteur.
Deux autres de marbre de Paros , d'un
pied deux pouces de hauteur ; antiquités
138 MERCURE DE FRANCE.
i
romaines, repréfentant une Matrone & une
Nymphe.
Deux autres buftes ; antiquités grecques,
de marbre de Paros, d'un pied cinq pouces
de hauteur , repréfentant une Veftale &
une Sabine .
Deux autres , l'un romain , & l'autre
grec , de marbre de Paros , d'un pied fept
pouces de haut , repréfentant une Bacchante
& Antinous.
Deux autres ; l'un romain & l'autre grec,
de marbre de Paros , de deux pieds de hauteur
, repréfentant Pâris & Cybelle..
Deux autres , de deux pieds trois pouces
de haut ; antiquités romaines , de marbre
de Paros , repréfentant Neron & Meffa-
-line .
C
Deux autres de marbre de Páros , de
deux pieds trois pouces de haut ; antiquités
romaines , qui repréfentent Longina
& Cefonia.
Deux autres , de la même hauteur & du
même marbre ; antiquités grecques , repréfentant
Pompeia & Caligula.
Deux autres du même marbre , l'un de
deux pieds trois pouces , & l'autre de deux
pieds un pouce ; antiquités romaines , repréfentant
Séneque & l'Empereur Commode
.
Deux autres du même marbre , de deux
JUIN. 1755. 139
pieds fept pouces ; antiquités romaines ,
repréfentant Annibal & Septime Sévere.
pouces ,
Deux autres , du même marbre ; antiquités
romaines , l'un d'un pied neuf
& l'autre de deux pieds trois pouces , repréfentant
Narciffe & Faune.
Deux autres du même marbre , de deux
pieds quatre pouces de haut ; antiquités
romaines , repréfentant Tibere & Galba .
Deux autres du même marbre , de deux
pieds dix pouces ; antiques romaines , repréfentant
Augufte & Lepide.
M. Adam a joint à fa collection cinq
buftes de lui , qui ont excité la curiofité,
publique.
Le premier eft un Apollon françois ,
de marbre de Carare , de deux pieds huit
pouces de hauteur. Ce bufte eft un portrait
allégorique du Roi , auquel Apollon , fi
c'étoit une divinité réelle comme c'eft
une fiction poëtique , auroit fouhaité de
reffembler .
Les quatre autres , de deux pieds fix pouces
chacun de haut , du même marbre
repréfentent élégamment & avec énergie
l'eau , l'air , le feu & la terre.
Tous ces différens morceaux , au nombre
de foixante & treize , font rangés avec intelligence
dans une galerie de la maiſon
140 MERCURE DE FRANCE!
où loge M. Adam. La fuite en eft trop
intéreffante pour qu'elle puiffe être féparée
, & fans doute que le Prince curieux
d'une auffi rare collection , ne trouvera fa
curiofité fatisfaite que par l'acquifition de
la totalité.
Je fuis perfuadé , Monfieur , que vous
me fçaurez quelque gré du détail que j'ai
l'honneur de vous faire ; votre goût pour
les fciences & pour les arts m'en eſt un sûr
garant. Excellent Général & homme de
Lettres , vous réuniffez les motifs les plus
preffans de vous vouer l'attachement le
plus inviolable & le plus refpectueux : c'eft
auffi avec ces fentimens que j'ai l'honneur
d'être pour toute ma vie , & c.
E
J
GRAVURE.
EAN- BAPTISTE MASSÉ , Peintre
& Confeiller de l'Académie royale de
Peinture & de Sculpture , a deffiné & fait
graver fous fes yeux tous les tableaux de
la grande galerie de Verfailles & des
deux fallons qui l'accompagnent , peints par
Charles le Brun , premier Peintre de Louis
XIV . Cette admirable collection de gravûre
a donné lieu à un Artiſte , qu'un beau
zéle a rendu Poëte , de faire les vers que
JUIN. 1755. 141
nous avons inférés dans le Mercure de
Mai.
Quoique dans ce genre il n'ait jamais ,
paru d'ouvrage plus digne de la curiofité du
public , tant par fon étendue que par la
beauté de fon exécution , quoiqu'il ait été
univerfellement admiré au fallon , où il a
été exposé en 1753 , & que les Gazettes ,
les Mercures & les Journaux en ayent parlé
avec beaucoup d'éloge , il eft furprenant
qu'on n'ait point indiqué où il fe vendoit ,
ni fur les planches ni dans le livret * que
l'auteur nous a donné lui-même de l'explication
de chacun de ces morceaux. Après
tout un pareil oubli de fa part tourne à fa
louange ; il prouve qu'un noble defintéreffement
l'a feul conduit dans le cours
d'un fi long travail , & que fon objet principal
étoit la gloire de la nation . Pour y
fuppléer , nous avertiffons que cet ouvrage
fe vend à Paris , chez le fieur Maffé
place Dauphine.
Si l'on pouvoit fuppofer qu'il y eût
quelques amateurs d'eftampes qui n'euffent
point entendu parler d'une fi belle
collection , ils pourroient en prendre connoiffance
dans les Journaux de Trévoux ,
* Ce livret ſe vend chez la veuve Amaulry , ay
Palais.
142 MERCURE DE FRANCE.
Décembre 1753 , 1 vol . & Mai 1754 , 2
vol. Le R. P. Bertier l'ayant eue entre fes
mains eft celui qui en a fait l'analyſe la
plus exacte.
AMPHITHEATRE DE LA VILLE
D'HERCULANUM ; décoration faifant allu-.
fion à la nouvelle découverte de cette ville
qui fut enfevelie par les cendres du mont
Vefuve fous l'empire de Titus , laquelle a
été exécutée en relief à Rome dans la place
Farnèfe en 1749 , fur les deffeins de M.
Petitot , premier Architecte de S. A. S.
l'Infant Duc de Parme , à l'occaſion de la
cérémonie de l'hommage que le Royaume
de Naples rend au Saint Siége. Dédié à M.
de Montullé , Baron de Saint-Port , & Secrétaire
des commandemens de la Reine.
Cette perfpective qui eft de la grandeur de
la feuille de nom de Jefus , eft gravée par
P. Patte , & fe vend chez lui , rue des
Noyers , la fixieme porte cochere à droite
en entrant par la rue S. Jacques. Prix 1 liv.
10 fols.
I
Cette eftampe eft le digne pendant du
Temple de Venus annoncé dans le Mercure
du mois d'Avril dernier ; elle repréſente
une de ces décorations que l'on exécute
tous les ans à Rome la veille de la Fête de
5. Pierre , lefquelles font toujours allufion,
JUIN. 1755
143
ainfi que nous l'avons déja dit , à quelques-
unes des antiquités du Royaume de
Naples , dont il eft d'ufage de leur faire
retenir le nom , quoiqu'elles ne forent en
effet que des compofitions de MM. les
Penfionnaires de l'Académie de France à
Rome. Comme chaque ville n'avoit qu'un
amphithéatre , & que c'étoit l'édifice le
plus vafte & le plus remarquable , il eft
naturel qu'on ait défigné cette ville par ce
monument ; ainfi on ne doit pas s'étonner
du titre de cette eftampe , qui eft des plus
remarquables par la beauté de fon architecture
& de fa perfpective , ce qui doit lui
mériter un rang diftingué dans les cabinets
des curieux & des amateurs.
144 MERCURE DE FRANCE:
ARTS UTILES.
ARCHITECTURE.
Lettre de M.... à M. le Comte de Ch.
fur le Louvre. (a )
E veux vous faire part, Monfieur , d'une
queje
viens de voir dans le Mercure d'Avril . Je
connois la chaleur de votre intérêt pour ce
célebre monument , & je crois vous donner
une preuve finguliere de mon amitié ,
en vous expofant les prétendus défauts
qu'attaque ce cenfeur anonyme.
Il m'a paru un homme de l'art , mais on
découvre aifément à travers les éloges qu'il
donne à ce beau monument , que fon admiration
eft plus contrainte que fincere. Il
demande d'abord qu'on lui permette quelques
réflexions hazardées fur un de ces chefsd'oeuvres
des arts ( b ) faits pour être adorés
aveuglément dans un fiecle d'enthousiasme
& de préjugés ( reconnoît- on à ces traits
le fiécle de Louis XIV ? ) ( c) maisfaits pour
( a ) Les notes qui accompagnent cette lettre
Tont d'un Artiſte auffi éclairé qu'impartial.
(6) Le périftile.
(c) Non fans doute , le Cenfeur a pu le dire
être
JUIN. 1755. 145
être difcutés dans un fiècle fage , éclairé
enfin dans un fiécle philofophe comme le nôtre.
Ce fiécle , tout philofophe qu'il eft ,
pourra-t-il nous indiquer quelques- uns de
Les chefs - d'oeuvres qui ayent furpaffé ou
même approché de ceux du fiécle dernier
dans tous les genres ? ›
Une nouvelle du
preuve peu d'équité ,
& j'oſe dire du peu de goût de ce nouveau
cenfeur , c'eft qu'au lieu de faire élever
cette admirable façade , il eût fouhaité de
faire achever le Louvre fur les mêmes deffeins
de l'ancien ; & nous aurions , dit - il ,
fous les yeux le plus fuperbe palais de l'Europe.
L'on ne fçauroit marquer un mépris
plus injurieux pour l'architecture de Perrault
qu'en lui préférant un édifice où l'on
ne trouve ni compofition , ni proportions ,
en général de tout fiécle où l'on n'auroit pas les
lumieres néceflaires pour diftinguer ce qui eft digne
d'admiration de ce qui eft repréhensible ; il
n'y a nulle apparence que dans le fiécle paffé ce
grand ouvrage ait échappé à la critique de tant
d'habiles Artiftes qui fe diftinguerent alors ; mais
il eft arrivé ce qui arrivera toujours : quelques
défauts qu'on puiffe démontrer dans un bel ou
vrage , ce qu'il a de beau lui attirera l'admiration
, & payera avec ufure pour les défauts qui
peuvent s'y rencontrer : de là l'inutilité des critiques
, fi ce n'eft pour l'inftruction de ceux qui
étudient , de peur qu'ils n'imitent ces défauts
comme confacrés.
II. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
ni régles. Trois frontons enclavés les
uns dans les autres , des Caryatides placées
à un fecond étage , des ornemens à la
vérité d'un bon deffein & d'une belle exécution
, mais prefque tous déplacés , fuperflus
& prodigués fans choix. ( d )
Sur quel fondement attribuer enfuite à
l'injuftice de l'amour propre des Architectes
de Louis XIV , le refus de fuivre cet
ancien plan qu'il eftime fi fort , pour y
fubftituer par vanité leurs propres idées ?
Ne fe préfentoit- il pas un motif plus naturel
& plus équitable ? celui de mettre à
profit dans une occafion fi heureuſe & fi
rare les progrès de l'efprit humain , celui
des connoiffances & des talens , la fcience
des vraies proportions , l'eftime & la pré-
( d ) L'Auteur tombe ici dans le même défaut
qu'il reproche à fon adverſaire , en faiſant la cririque
d'un morceau qui eft rempli d'affez de
beautés pour mériter fon refpect ; d'ailleurs, quand
fon antagoniſte a dit ce qu'il lui reproche , ce
n'eft point à cette partie du Louvre qu'il faifoit
allufion , mais à celle qui du côté de la riviere ſe
trouve maſquée par ce que M. Perrault a bâti devant
, & on a en effet lieu d'en regretter la perte ,
cette partie étant , au fentiment de plufieurs , plus
belle que ce qui la cache : il eft vrai qu'elle ne
pouvoit s'allier avec le périftile du Louvre ; mais
e - il ridicule de defirer que Perrault eût trouvé
le moyen
de faire une belle chofe fans en facri
fier une autre déja faite ?
JUIN. · 1755. 147
férence de ce beau fimple à l'abondance &
à la profufion des ornemens , reffource ordinaire
de l'ignorance & du défaut de goût ?
Que réfulte - t - il du fentiment de notre
Ariftarque ? une façade de palais fans
croifées , dont on n'a pu deviner jusqu'à
préfent l'ufage & la deftination , & dont les
inconvéniens font fans nombre , & les beautés
déplacées ? Il fe donne bien de garde de
nous détailler aucune de ces beautés , ni
d'en louer les perfections. Il commence par
chercher des défauts à cette façade , pour
affoiblir l'impreffion d'admiration dont
elle frappe tous les regards , en s'efforçant
de rendre cette admiration injufte & pref
que ridicule ; mais il n'eſt aifé de combattre
avec fuccès une approbation univerfelle
, & foutenue pendant le cours de
près d'un fiécle.
pas
Il dir que l'on n'a pu deviner jufqu'à
préfent la deftination de cette façade ; mais
n'auroit-il pas dû s'en informer avant de la
condamner ? Je crois pouvoir l'en inftruire
après avoir répondu à un reproche qu'il
fait à M. Perrault , & que ce grand architecte
n'a point mérité.
Il l'accufe de n'avoir interrompu la
communication de ce périftile que pour
faire une mauvaiſe arcade & une petite
porte . Quelle apparence qu'une porte auffi
Gij
148 MERCURE DE FRANCE,
fimple ait été chez un auffi grand compofiteur
l'objet de cette interruption ! le bon
fens peut-il adopter une idée fifinguliere ?
Ces deux périftiles ont chacun deux portes
à leurs deux extrêmités , qui leur font
fuffifantes. Etoit - il fenfé que l'architecte .
fupprimât ou gâtât ce beau pavillon du
milieu pour donner plus d'étendue à deux
périftiles qui ont chacun plus de trentecinq
toifes : d'ailleurs quelle raiſon a- t- il
d'appeller une mauvaife arcade une porte
dont les proportions font excellentes , & à
laquelle on ne pouvoit donner qu'une forme
ceintrée fans la rendre défectueufe ?
Eft-il mieux fondé de blâmer la petite.
porte placée dans un renfoncement de
douze pieds de profondeur , & fans laquelle
il eût été impoffible de fermer le
Louvre ? Eût-on pû mettre des venteaux à
une ouverture de quarante-deux pieds de
hauteur ? Il étoit donc indifpenfable d'en
menager avec art une plus petite , que l'on
pûr ouvrir & fermer(e). Je reviens à l'ufage
f. 1
-L'Auteur.veut ici excufer un défaut inexcu→
fable , & qui eft reconnu univerfellement pour tel.
Je parle de cette porte ceintrée qui interrompt le
périftile en dedans & en dehors , ce n'eft pas là
deffus qu'il faut défendre Perrault : d'ailleurs it
eft inutile qu'une porte foit dans une autre , la
porte quarrée fufifoite, qus der
A
JUIN. 1755 . 149
& à la deſtination de cette façade , qui eft
pour notre critique un problême , & dont
je lui ai promis la folution .
Il est très- certain , & je l'ai fçu par Mrs
Defgot & Boffrand qui avoient connu M.
Perrault dans leur jeuneffe , que lorfque
Louis XIV déclara qu'il vouloit le frontifpice
de fon Louvre enrichi de tout ce
que l'architecture avoit acquis de perfection
fous fon regne , & de tout ce qu'elle
pouvoit produire de plus régulier en même-
tems , & de plus conforme aux belles
proportions & à la majeftueufe fimplicité
de l'architecture antique , il n'eut aucune
intention d'habiter jamais ce Palais , mais
feulement d'élever à fon entrée un édifice
dont la magnificence égalât & la grandeur
de fes idées , & la dignité d'une maifon que
la nation regardoit comme celle de fon
Roi , par les honneurs qu'il avoit attachés
à fes entrées. Il vouloit encore qu'elle pût
fervir aux fiécles à venir de monument &
de témoin évident & inconteſtable des
merveilles de fon regne dans tous les genres
, mais fur-tout dans celui de la perfection
des beaux Arts . Il y eut encore un autre
motif qui détermina à employer dans
cette façade tout ce que l'architecture avoit
de plus majestueux & de plus frappant . Le
deffein de M. Colbert étoit d'ouvrir une
Giij
150 MERCURE DE FRANCE .
large & belle rue vis- à-vis le Louvre , qui
auroit été continuée jufques à l'arc de
triomphe du fauxbourg S. Antoine , & qui
auroit fervi d'avenue au plus vafte palais
par fon enceinte qu'il y eût eu en Europe ,
puifqu'il étoit décidé qu'on éleveroit du
côté de la rue S. Honoré une galerie parallele
à l'ancienne qui eft fur la riviere ,
& qu'il n'y auroit aucun bâtiment entre le
Louvre & le palais des Tuileries. Quelle
décoration n'exigeoit pas l'objet d'un point
de vue d'une fi prodigieufe étendue ( ƒ) !
Louis XIV , en qui l'excellence d'un
goût naturel égaloit fon amour pour le
grand en tout , ne fut point fatisfait de
plufieurs deffeins qui lui furent préfentés ,
où les croifées n'avoient point été oubliées,
& fur-tout dans celui du Cavalier Bernin
(g ) : mais Perrault fçut faifir en ha-
(f)Toutes les raifons que l'Auteur apporte ici
autorifent Perrault à faire un monument de la
plus grande magnificence & d'une grandeur coloffale
, mais nullement à interrompre par une
arcade fon architecture , & à faire le milieu plein
& maffif comme il eft . A l'égard du défaut de croifées
, il est très-bien juftifié , parce qu'en effet les
niches préfenteront toujours un plus riche fpectacle
que des fenêtres.
(g ) Le projet du Bernin n'étoit pas à rejetter
parce qu'il y avoit des croifées , mais parce
qu'il ne valoit rien d'ailleurs.
JUIN. 1755- 151
bile homme l'avantage unique de la deftination
de cet édifice , & compofer cet admirable
frontifpice , où il n'étoit affervi
ni à la ftructure des palais ordinaires ni à
leurs façades percées à jour ; c'eft ce qui
lui fit concevoir & enfanter ce fublime
deffein , qui fut dans le même inſtant préfenté
, admiré & agréé par Louis XIV.
Voilà ce qui a échappé aux connoiffan
ces de l'auteur de la critique , & qui détruit
tous fes efforts pour dégrader ce bel
édifice . L'ignorance à la vérité de ce que
je viens de lui expofer , peut excufer &
même autorifer les erreurs qu'on trouve
dans la fuite de l'examen de cette façade
au fujet de fa deftination . Telle est l'impoffibilité
où l'on eût été d'y placer des
fpectateurs dans le milieu , à l'occafion des
fêtes qui auroient été données dans l'efpace
en face de ce Château ( b ) . Il n'eft cependant
pas vraisemblable qu'il n'ait jamais
oui parler du fuperbe carroufel donné
par Louis XIV dans la cour du palais
(b ) Il ne s'enfuit pas de ce que les fêtes publiques
pouvoient fe donner dans la cour des Tuileries
, qu'il fût néceffaire de remplir le milieu
du périftile , de telle maniere que perfonne ne pût
s'y placer pour voir le beau coup d'oeil de cette
grande rue , projettée jufqu'à l'arc de triomphe da
fauxbourg S, Antoine.
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
·
des Tuileries qui en a gardé le nom , &
que cette cour étant beaucoup plus fpacieufe
que celle du Louvre , elle eût par
conféquent toujours été choifie pour des
fêtes . Notre Cenfeur auroit encore pû deviner
la deſtination de ce palais par une
réflexion bien fimple : c'eft que le palais
le plus fuperbe ne fçauroit être digne d'un
Roi , s'il n'a fous fes yeux & à fa bienſéance
les agrémens & la promenade d'un magnifique
jardin. Ces réflexions euffent peutêtre
moderé la vivacité de fa critique , &
l'euffent obligé de donner à Perrault les éloges
qu'il mérite , quoique l'on apperçoive
dans fes remarques une confpiration déclarée
contre notre admiration. Ce Cenfeur
peu équitable n'ayant pû fe faire illufion fur
la foibleffe des coups qu'il a portés à cette
façade admirable , qui fe bornent à fon
inutilité apparente & à l'interruption des
deux périftiles , a cherché des défauts
dans l'architecture de la façade de ce palais
du côté de la riviere , mais avec auffi
peu de fuccès. Il prétend que c'eft dans
cette partie du Louvre que Perrault avoit
eu intention de placer l'appartement du
Roi dans cette fuppofition il s'éleve vivement
contre la fimplicité indécente de
fa décoration extérieure ; il la blâme d'être
fans avant corps qui interrompent par -
UIN. 1755.
153
des repos & des maffes l'ennuyeufe monotonie
qui y regne. Cette premiere critique
tombe d'elle- même , puifque l'on
voit dans cette façade trois avant-corps ,
l'un dans le milieu qui devoit être couronné
d'un grand fronton orné de fculptures
, tel qu'il eft gravé dans les plans du
Louvre , d'après le deffein original de
Perrault , & qui font entre les mains de
tout le monde ; les deux autres font placés
aux pavillons des deux extrêmités. ( ż)
En fecond lieu , ce bâtiment dont la fimplicité
l'offenfe fi fort & le rend froid à
Les yeux , ne l'auroit point été fi les pilaftres
qui en décorent la face étoient cannelés
comme ils le doivent être , les chapitaux
corinthiens fculptés & les trois
corps décorés de médaillons couronnés de
mafques & de guirlandes , & de tous les
ornemens dont ils devoient être enrichis.
Lorfqu'il defire dans ce palais un progrès
A
(i ) L'Auteur défend mieux la façade du côté
de la riviere , qui feroit en effet plus riche fi les
pilaftres étoient cannelés & les ornemens finis ;
mais on ne peut nier que cette fuite de pilaftres
n'ait quelque chofe de nonotone , & que fi les
avant- corps étoient ornés de colonnes il en réfulteroit
plus d'agrément & de variété , fans qu'el-
Tes ôtaffent le jour, comme il le croit , puifqu'il y
en a à la façade de Verfailles qui n'obfcurciffent
point la grande galerie .
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
de magnificence fupérieure , ou au moins
égale à celle de la façade de l'entrée , il
auroit voulu fans doute le même périftile ,
mais percé par des croifées , ce qui eût
été impoffible. Ces croifées placées dans
un renfoncement de dix-fept pieds , auroient-
elles éclairé fuffifamment les
appartemens
, & n'y auroient- elles pas plutôt
jetté le fombre & la trifteffe d'un faux jour
plus infupportable que l'entiere obfcurité ?
Un autre inconvénient que l'on n'auroit
jamais pû fauver dans la continuation du
périftile , c'étoit de ne pouvoir rendre les
appartemens de cette partie doubles , &
par conféquent habitables par Sa Majefté
dans des jours de fêtes .
Je paffe fous filence ce qu'il dit de l'intérieur
de la cour : il convient avec raifon
de l'embarras prefque invincible où
furent alors les Architectes , ou de continuer
l'attique , ou en le fupprimant , de
raccorder la nouvelle architecture avec
l'ancienne. Les plus habiles de nos jours
ont tenté d'imaginer pour cet accord un
meilleur deffein que celui qu'on a exécuté
en partie , & ils ont tous avoué que leurs
efforts ont été fans fuccès.
L'Auteur finit fa critique par une affertion
dont on pourra lui difputer la vérité ;
c'eft que tout changement dans un ouvra
JUIN. 1755. 155
ge
confacré à la vénération publique , paroîtra
toujours un crime. Je puis lui répondre
que s'il eût propofé quelque chofe
de nouveau & d'un meilleur accord que
ce que l'on a exécuté dans les façades intérieures
, le public fenfé & éclairé en eût
été très - reconnoiffant , & auroit penſé
comme luis qu'une critique fondée concourt
à l'avantage des arts qu'elle éclaire , & que
les murmures ne doivent jamais empêcher
de publier ce que le goût , d'accord avec la
raison , ont approuvé. ( k )
(k ) Le réſultat de ces deux écrits eft que l'Auteur
de la lettre eft fondé dans le reproche qu'il
fait au Cenfeur du Louvre d'avoir parlé avec trop
peu de ménagement d'un édifice qui fait & qui
fera toujours , malgré fes défauts , l'admiration
de tous les gens de goût ; cependant on ne peut
pas dire que la cenfure de ce Critique manque
de jufteffe , mais qu'elle eft déplacée , dans un
tems où tous les vrais citoyens voyent avec un
plaifir qui tient du transport les préparatifs qu'on
fait pour achever ce ſuperbe monument, Elle paroit
d'autant plus repréhenfible que la multitude
non inftruite peut en conclure , que ce n'eft pas
la peine de finir un ouvrage dont on releve les
défauts avec tant d'amertume , & que d'ailleurs
il y a quelque ingratitude à reconnoître fi mal
le zéle de ceux qui s'occupent du foin de le faire
porter à fon entiere perfection.
& vj
156 MERCURE DE FRANCE.
HORLOGERIE.
Avertiſſement du fieur le Mazurier .
Ldiftinctif des bonnes machines ; c'eſt
un principe dont conviennent tous ceux
qui ont quelques connoiffances des méchaniques.
On fçait que bien des chofes
égales en foi , ont fouvent le même effet ;
mais que cet effet eft d'autant plus fûrement
produit , qu'il faut moins d'agens
pour le produire ; c'eft pour cette raifon
que le public s'eft intéreffé au travail de
M. le Roi fils , & qu'on a applaudi aux
moyens qu'il a propofés pour fupprimer
dans nos pendules ce grand nombre de
rouesqui ne peuvent qu'altérer leur jufteffe
en y multipliant l'ouvrage & la dépenfe.
En rendant à M. le Roi la juftice qui lui
eft dûe en qualité de premier inventeur
de ces fortes de conftructions le fieur
le Mazurier a cru qu'on ne lui fçauroit
pas mauvais gré d'entrer dans la même
carriere , & que ce feroit une entreprife
utile que de chercher quelqu'autre moyen
encore plus fimple de parvenir au but que
M. le Roi fe propofoit : c'est ce qui la
A fimplicité fut toujours le caractere
>
JUIN. 1755- I 57
porté à exécuter la conftruction de pendule
qu'il publie aujourd'hui ; non content de
la grande fimplicité où il l'a amenée , il lui
a donné une forme extrêmement gracieufe
, ce qui lui a donné lieu d'y ajufter un
cadran de glace , au travers duquel on voit
l'opération de tous ces effets : cette pendule
marque l'heure , la minute , la feconde ;
elle fonne l'heure & le quart à la feconde
précisément , ce qu'on n'avoit pû exécuter
jufqu'à ce jour , & elle n'a qu'une roue
pour fon mouvement & une pour fa fonnerie
; elle donne en outre l'équation du
foleil par un moyen fimple , ce que l'on
verra plus en détail dans le rapport fuivant
, & ce dont on pourra s'inftruire par
fes yeux fi l'on veut fe donner la peine de
la venir voir , rue de la Harpe , où il demeure
, tous les jours de travail , depuis
trois heures d'après- midi jufqu'à cinq , où
il fe fera un devoir de recevoir les avis des
gens de l'art , & des amateurs qui voudront
l'en honorer.
158 MERCURE DE FRANCE.
EXTRAIT DES REGISTRES
De l'Académie royale des Sciences , du 22
Mars 1755.
Nous avons examiné par ordre de l'Académie
, une pendule du fieur le Mazurier
, Horloger , à fecondes , à fonnerie &
à remontoir , dont le mouvement n'a qu'une
feule roue , ainfi que la fonnerie
. Ces
deux parties
de la pendule
étant diftinctes
l'une de l'autre
, nous les décrirons
féparément
, afin d'en donner
une idée plus
nette , & de le faire d'une
maniere
plus
préciſe
; mais avant que d'en venir là , il eft
à propos de reprendre
les chofes
de plus
haut , & de faire quelques
réflexions
relativement
à la conftruction
des pendules
de
cette
espéce .
On fçait que les premiers régulateurs
des horloges , comme le balancier , n'agiffant
pour en régler le mouvement que
par leur inertie , n'avoient en eux , avant
l'application du reffort fpiral , aucun principe
de mouvement alternatif : pour que
le balancier fît des vibrations , il falloit
donc que la conftruction de l'échappement
fût telle que par fon moyen la roue de
rencontre ayant fait faire une excurfion à
ce régulateur , elle continuât d'agir fur lui
JUIN. 1755. 159
pour pouvoir le ramener & lui en faire
faire une autre en fens contraire : car fi
dans l'inftant où elle auroit fait faire la
premiere excurfion , elle avoit ceffé d'agir
de cette maniere fur le balancier , il n'auroit
point fait de vibration , puiſque par
fon inertie il ſe ſeroit mû , ou auroit tendu
à fe mouvoir dans la premiere direction
qui lui auroit été imprimée. Le premier
échappement qu'on employa dans les horloges
devoit donc par fa conftruction produire
l'effet dont nous venons de parler ;
auffi l'échappement à roue de rencontre &
à palettes , le plus ancien de tous , eft- il
très- bien conftruit pour cela. Mais l'application
du pendule aux horloges & du reffort
fpiral au balancier , fit bientôt connoître
que la difpofition de cet échappement ,
relativement à la production de cet effet ,
n'étoit pas abfolument néceffaire . En effet ,
le pendule & le balancier , aidés du reffort
fpiral , pouvant , lorfqu'ils font une fois
mis en mouvement , faire des vibrations
indépendamment de l'action de la force
motrice , la difpofition de l'échappement
par laquelle la roue de rencontre agiffoit
continuellement fur le régulateur pour le
faire vibrer , devenoit inutile , & pouvoit
même ne pas procurer à l'horloge toute la
juſteſſe dont elle étoit fufceptible ; car les
160 MERCURE DE FRANCE.
petites vibrations de ces deux régulateurs
étant ifochrones * , il fembloit que pour
en rendre le mouvement plus jufte , il
falloit laiffer autant qu'il étoit poffible
leurs vibrations libres ce fut vraisemblablement
cette confidération qui donna
lieu à l'invention des échappemens à repos.
On fçait que dans ces échappemens ,
lorfque la dent de la roue de rencontre a
écarté le régulateur , elle échappe , & elle ,
ou une autre de la même roue , va fe
repofer
fur une partie faifant corps avec l'axe
de ce même régulateur , conftruite de façon
que pendant que le régulateur acheve fon
excurfion , le mouvement de cette roue fe
trouve fufpendu ; qu'enfuite lorfqu'il revient
en arriere , il détend , fi cela fe peut
dire , le rouage , en laiffant paffer une dent
de la roue de rencontre qui agit de nouveau
fur lui , & ainfi de fuite. De là on
pourroit appeller encore ces échappemens ,
échappemens à détente ; mais cette dénomination
nous paroît mieux convenir à
ceux dont nous allons parler.
La fufpenfion du mouvement de la
roue de rencontre pourroit encore être
• Terme de phyfique & de mathématique , qui
fignifie qui fe fait en tems égaux : les vibrations
d'un pendule font toutes ifochrones , c'est-à - dire
qu'elles fe font toutes dans le même efpace de tems
JUIN. 1755. 161
produite d'une maniere différente de
celle que nous venons de décrire ; elle
pourroit fe faire au moyen d'une piéce
étrangere au régulateur ( comme un lévier ,
une bafcule ) , & immobile pendant toute
la vibration , dont une partie fe feroit engagée
entre les dents de cette roue & fe
feroit dégagée par le mouvement de ce
même régulateur ; & c'eft ainfi que cela
s'exécutoit dans un échappement que feu
M. du Tartre , habile Horloger , imagina
vers l'an 1730. Nous l'avons vu de même
dans un autre échappement , très différent
d'ailleurs , que l'aîné des fils de M. Julien
le Roi préfenta à cette Académie en 1748 .
Enfin la fufpenfion du mouvement de la
roue de rencontre fur le régulateur , eft
encore exécutée d'une maniere toute nouvelle
dans la pendule dont nous rendons
compte : ce font ces échappemens que nous
appellerons à l'avenir , échappemens à détente
, parce que ce nom nous paroît les
bien caractérifer , & leur convenir , comme
nous l'avons dit , beaucoup mieux qu'aux
précédens : en effet , le jeu de la piéce dont
une partie , en s'engageant dans les dents
de la roue de rencontre , ou s'en dégageant
, arrête cette roue , ou lui permet
de fe mouvoir , reffemble tout - à-fait à celui
d'une détente.
162 MERCURE DE FRANCE.
C'étoit avoir déja fait un certain chemin
que d'avoir inventé l'échappement à
repos , & il fembloit qu'avec un régulateur
tel que le pendule , il n'y avoit pas bien
loin de ce pas à un autre , par lequel on
auroit fimplifié les horloges où on l'emploie
; car ce régulateur pouvant faire les
vibrations par lui-même , & confervant
fon mouvement auffi long-tems qu'il le
conferve , il paroiffoit qu'on pouvoit conftruire
ces horloges de maniere que ce régulateur
fît non feulement une vibration
libre , mais encore dix , vingt , trente &
foixante , fans recevoir de nouveau mouvement
de la force motrice , c'est- à- dire
que la reſtitution au lieu de fe faire , par
exemple toutes les fecondes dans les
pendules à fecondes , ne fe fit que toutes
dix , vingt , trente ou foixante fecondes
; par là on pouvoit retrancher plufieurs
roues , & ainfi diminuer beaucoup les frottemens
, & en général fimplifier toute la
machine. Mais foit qu'un pareil changement
dans la conftruction de ces horloges
fût plus difficile à faire qu'il ne le paroît ,
foit par quelqu'autre caufe , ce ne fut que
long-tems après la découverte des échappemens
à repos qu'on fit des pendules fur
ce principe on les doit au fils de M. le
Roi dont nous avons déja parlé , qui les
JUIN. 2755% 163
inventa en 1751. Cependant un de nous
( M. le Camus ) ainfi que quelques Horlogers
de Paris , entr'autres M. Julien le Roi ,
ont vû chez feu M. l'Abbé d'Andeleau ,
vers l'an 1727 , non une pendule , mais
un échappement dans lequel la reftitution
ne fe faifoit qu'après plufieurs vibrations
du régulateur. Voici comment il étoit
conftruit.
Deux rochets d'inégale grandeur étoient
portés par un même arbre à quelque diftance
l'un de l'autre ; le plus grand étoit
divifé en trente dents , & l'autre en un
nombre plus petit aliquote du premier ,
comme quinze , dix , fix ou cinq : les dents
du premier fe repofoient alternativement
fur la circonférence convexe & concave
d'une efpéce de cylindre creux que portoit
l'axe du pendule ; lorfque plufieurs de ces
dents étoient paffées , une de celles du petit
rochet rencontroit une palette que portoit
le même axe du pendule , & lui reſtituoit
le mouvement qu'il avoit perdu dans
les vibrations précédentes. Mais on voit
par cette conftruction que cet échappement
étoit au plus auffi bon que les échappemens
ordinaires , où la reftitution fe fait
à toutes les vibrations , & que ce fçavant
Abbé n'avoit pas fenti les avantages que
l'on pouvoit obtenir , comme nous l'avons
164 MERCURE DE FRANCE .
dit , en ne faifant reftituer le mouvement
au pendule qu'après un certain nombre de
vibrations en effet , fon grand rochet
ayant trente dents , comme ceux des pendules
à fecondes ordinaires , & devant faire
comme eux une révolution par minute ,
il devoit néceffairement avoir la même
vîteffe , qui étoit auffi celle du petit rochet.
Il s'enfuit donc que les pendules où M.
l'Abbé d'Andeleau auroit employé cet
échappement , n'auroient pû en aucune
maniere avoir un rouage plus fimple que
celui des autres. }
Dans la pendule de M. le Mazurier , les
deux platines font réduites à deux piéces
de trois branches chacune en forme d'y ,
renverfées , très - évafées , & faites d'un
cuivre fort épais ; fur l'y ou platine de
devant on voit en dehors , ou du côté de la
cadrature , la roue qui porte l'aiguille des
fecondes ; elle a trente dents , & porte une
palette vers l'extrêmité de la tige , qui paffe
travers la platine dont nous venons de
parler , fon pivot étant porté par un pont :
cette roue ne reçoit point de mouvement
de la force motrice , mais uniquement du
pendule , de la maniere ſuivante.
Sur l'axe du pendule qui déborde un
peu la platine de devant , eft attachée perpendiculairement
& par le milieu
une
JUIN. 1755. 165
traverſe formant avec cet axe une figure
de T ; cette traverſe porte à chacune de fes
extrêmités une efpéce de béquille ; les
bouts des tiges de ces béquilles qui font
fort longues , vont s'engager du même côté
dans différens intervalles des dents de la
roue qui porte l'aiguille des fecondes ; par
cette difpofition on voit que ces béquilles
forment un lévier de La Garoufte , de forte
que deux vibrations du pendule font paffer
une dent de cette roue ; ainfi au bout
de foixante vibrations , elle a fait fon tour.
Voyons maintenant de quelle façon
Faction de la roue fur le pendule eft fufpendue
pour lui laiffer faire fes vibrations
en liberté , comment elle eft dégagée , &
comment elle agit fur le pendule pour lui
reftituer le mouvement qu'il pouvoit avoir
perdu pendant une minute .
Une piéce en forme d'équerre mobile
fur une cheville qui traverfe fa branche
horizontale , & porte fur fa branche verticale
& fupérieure un doigt , fur l'extrê
mité duquel viennent s'appuyer les chevilles
de la roue ; ce doigt eft mobile ſur
une cheville & taillé en bifeau par- deffous ,
afin qu'il ne puiffe heurter contre aucunes
chevilles , & qu'il ne manque jamais de
paffer entre deux chevilles : au haut de la
même branche verticale , eft placée une
166 MERCURE DE FRANCE.
cheville , par laquelle cette équerre peut
être prife pour être renversée par la piéce
qui fert à dégager la roue : une longue
piéce fufpendue par fon extrêmité fupérieure
par une cheville , autour de laquelle
elle peut fe mouvoir très- librement , porte
vers fon extrêmité inférieure la cheville
ou appui d'un lévier de la premiere efpéce.
L'extrêmité du petit bras de ce lévier eft
articulée avec une petite verge verticale ,
qui porte un petit talon , fur lequel la
palette de la tige de la roue qui porte l'aiguille
des fecondes vient s'appuyer à la fin
de chaque minute : au moyen de cette action
de la palette , le petit bras de ce lévier
s'abaiffe & le plus grand s'éleve , & par là
un talon qui eft à fon extrêmité , eft rencontré
par une pièce ou doigt qui tient à
la verge du pendule. Le pendule continuant
fa vibration , entraîne dans fon
mouvement le lévier & la longue piéce
pendante qui le porte.
Pendant que cette vibration ſe fait , un
fe
crochet dont le centre du mouvement eft
placé tout au bas de la piéce pendante qui
porte le lévier , accroche la cheville qui
eft tout au haut de la branche verticale de
l'équerre dont nous avons parlé , & retirant
cette branche de fa fituation verticale ,
dégage en même tems le doigt fur lequel
JUIN. 1755: 167
une cheville de la roue étoit appuyée ; alors
cette roue étant libre , une de fes chevilles
rencontre une palette d'agarhe fixée ſur la
verge du pendule , & lui reftitue pendant
une grande partie de cette vibration le
mouvement qu'il avoit perdu pendant une
minute . Comme le centre du mouvement
de l'équerre eft vers le milieu de fa branche
horizontale , la branche verticale s'abaiffe
en même tems qu'elle s'écarte de fa fituation
verticale , & la cheville placée à l'extrêmité
de cette branche , fe dégage du crochet
qui la renverfoit avant que la vibration
foit totalement firie ; enforte que
pendant que cette même vibration s'acheve
, l'équerre a la liberté de reprendre fa
premiere pofition , & le doigt qu'elle porte,
fa fituation , pour arrêter & foutenir la
cheville fuivante .
On connoît trop la conftruction ordinaire
des fonneries , pour qu'il foit néceffaire
de s'étendre fur ce fuiet. Nous ferons
remarquer feulement qu'elles font compofées
de plufieurs roues ( communément au
nombre de quatre ) & d'un volant , qui fervent
à moderer la vîteffe du rouage , pour
qu'il y ait un intervalle fuffifant entre chaque
coup de marteau : fi donc par quelque
moyen fimple on pouvoit empêcher que le
poids ou le reffort ne fe muffent avec
168 MERCURE DE FRANCE .
trop de rapidité , on trouveroit par là celui
de fe paffer de ces roues & de ce volant ;
c'eft ce que le fils de M. le Roi , déja cité , a
exécuté le premier , par le moyen du régulateur
du mouvement , dans une pendule
qu'il préfenta à l'Académie le 19 Avril
1752. Dans la defcription que l'on en
trouve dans le Mercure d'Août de la
même année , page 161 , on voit qu'il n'y
a dans cette fonnerie qu'une roue unique ,
fervant tout à la fois de roue , de cheville
& de chaperon , dont l'action eft ralentie &
reglée par le régulateur même , &c.
Dans la fonnerie du fieur le Mazurier ,
il n'y a auffi qu'une feule roue , portant le
poids & faifant la fonction de la roue de
chevilles & de chaperon , faifant fonner
les heures & tous les quarts . Le mouvement
de cette roue y eft auffi moderé
par celui
du régulateur ; mais cet effet s'y exécute ,
ainfi que les autres appartenant à la fonnerie
, d'une maniere bien fimple & bien
fûre , toute différente de ce qu'a fait M. le
Roi fils .
Pour s'en former une idée , fuppofons
qu'on regarde la pendule du côté du cadran
, on voit à droite la roue de fonnerie
,
, portant fur l'une de fes faces les chevilles
qui font fonner les quarts , & fur
l'autre celles qui font fonner les heures :
dans
JUIN. 1755.
169
dans les entailles qui font à la circonféren
ce , s'engage une détente lorfqu'elle doit
ceffer de tourner à la gauche de cette roue
& un peu au- deffus de fon diametre horizontal,
font placés fur un même axe parallele
à celui de la roue , les marteaux au
nombre de quatre ; chaque marteau à tout
près de l'axe un bec , que les chevilles de la
roue accrochent pour les lever ; & fur le
côté oppofé à ce bec , une queue de laiton.
recourbée , fort déliée & flexible. Enfin la
verge du pendule porte une efpéce de plan ,
fur lequel s'appuient ( la verge étant aux
environs de l'aplomb ) les bouts recourbés
des queues de ces marteaux , lorfqu'ils font
aux trois quarts lleevvééss ,, oouu àà peu près , &
prêts à échapper des chevilles du chaperon
pour frapper fur les timbres. Voici comment
s'exécute cette fonnerie . Sur la roue
des minutes , ou celle qui fait fon tour en
une heure , font placées quatre chevilles à
go dégrés l'une de l'autre une longué
piéce de cuivre qui part de la détente , &
qu'on en peut nommer la queue , s'étend
diagonalement en enbas de droite à gauche
, fe préfente par fon extrêmité à celle
de ces quatre chevilles qui fe trouve
perpendiculairement ou à peu près au-deffus
du centre de la roue ; cette cheville
pouffant légerement la détente , la fait
II.Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE .
lever , & par ce moyen dégage le chaperon.
La roue des minutes n'ayant de mouvement
qu'à la foixantieme feconde de chaque
minute , fait affez de chemin à la fin
de chaque minute pour que les chevilles
qui répondent à l'heure , au , à la ½ , &
aux , puiffent dégager la détente , & fe
dégager elles -mêmes de la queue de cette
piéce dans l'intervalle d'une feconde : ce
dégagement eft encore facilité par un petit
crochet articulé avec la queue de la détente
; le chaperon tournant , fes chevilles levent
fucceffivement les marteaux ; mais
leurs queues appuyant fur le plan porté par
la verge du pendule dont nous avons déja
parlé , le marteau ne peut achever de s'élever
que lorfque le pendule approche de
la fin de chaque vibration ; les queues recourbées
des marteaux échappant les unes
à droite , les autres à gauche du petit plan
que porte la verge du pendule , on ne doit
craindre que cette action des queues
des marteaux fur le petit plan altere le
mouvement du pendule , parce que les
queues de ces marteaux étant fort longues
& leurs levées fort courtes , la force avec
laquelle elles preffent fur le plan eft trèslégere
de plus , il eft limé en talut vers
fes bords , afin que lorfque les queues
échappent de deffus le plan , elles reftituent
pas
JUIN. 1755. 175
au pendule le peu de mouvement qu'il auroit
pû perdre par leur preffion.
Quant au remontoir de cette pendule
qui entre en action toutes les douze heures,
il est fort fimple : la corde fans fin qui
porte le poids & le contre-poids de la fonnerie
, paffe d'une part fur une poulie.
adaptée fur l'arbre de la roue de la fonnerie
, & de l'autre fur une poulie qui tient
au remontoir : à l'extrêmité de l'arbre de
cette roue , de l'autre côté de la platine de
derriere , il y a une levée ; cette levée
vient s'appuyer contre une efpéce de détente
, qui s'engageant dans une entaille
faite au remontoir , l'empêche de tourner ;
lorfque cette levée fait fon effet , elle dégage
la détente de l'entaille du remontoir ,
au moyen de quoi fon poids le faifant
tourner , celui de la fonnerie eft remonté
d'une hauteur égale à la demi- circonférence
de la poulie de ce remontoir , pendant
qu'il tourne une cheville qu'il porte , fait
baiffer une détente ou bafcule , & par là
dégage le remontoir du mouvement que
cette bafcule arrêtoit auparavant , lequel
étant libre , tourne & remonte le poids du
mouvement.
Enfin l'auteur a fçu tirer parti de ce
dernier remontoir pour faire mouvoir un
cercle annuel , fur lequel font marqués les
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
jours de chaque mois , & la quantité déquation
appartenante à chaque jour.
Après cette defcription , il eft à propos
de réfumer ce que nous avons dit fur cette
pendule. On voit que quant à l'idée générale
de faire une pendule à une feule
roue pour le mouvement , & à une feule
pour la fonnerie , elle n'eft pas nouvelle ,
puifque le fils de M. le Roi l'avoit exécutée
long - tems auparavant. Mais comme ¹en
méchanique les mêmes effets peuvent s'exé
cuter de différentes manieres , le fieur le
Mazurier a rendu fa pendule très- différente
de celle de M. le Roi ; les fecondes y font
marquées par une aiguille qui fait une
révolution entiere ( avantage qui n'eft pas
dans les premieres pendules à une roue ) ;
l'action de la roue fur le pendule eft ici
fufpendue pendant une minute entiere ,
& à la fin de chaque minute elle n'agit
que pendant une demi -feconde ou environ
, pour reftituer au pendule ce qu'il a
pû perdre de mouvement pendant la minute
; au lieu que dans celles que nous
venons de citer , l'action de la roue , out
celle d'un corps élevé par la roue , de demiminute
en demi-minute , agiffent continuellement.
Nous concluons de tout ceci que cette
pendule , qui eft d'ailleurs bien exécutée ,
JUI N. 1755. 173
eft nouvelle , quant à la maniere dont elle
eft conftruite pour produire les effets
qu'exigent des pendules del cette efpéce ,
& que ces effets s'y exécutent d'une façon
fure & capable de la faire aller avec beaecoup
de juſtelle : nous croyons donc qu'elle
mérite l'approbation de l'Académie , &
d'être inférée dans le recueil des machines.
Le fieur le Paute ayant écrit à M. de
Fouchy , le 18 Décembre 1754 , une lettre
où il dit , qu'il lui paroît que le fieur le Ma-
Kurier a employé les mêmes principes que
lui , foit pour les deux léviers , foit pour la
fonnerie fans rouage , il eft à propos de
difcuter ici fes prétentions .
Le fieur le Mazurier convient d'avoir
yû chez le fieur le Paute , par la face feulement
, une pendule où il y avoit deux
béquilles , faifant comme dans la fienne la
fonction de lávier de La Garoufte ,
fans avoir rien vû de l'intérieur de cette
pendule ; mais par les deux certificats
fuivans , fignés de perfonnes dignes de foi ,
il paroît quele feur de Mazurier avoit employé
dès le mois de Mai 1751 le même
moyen pour faire mouvoir une roue dans
une autre pendule de fon invention .
Voici comment ces certificats s'expri
ment of spillud ma nuolat
nem & .
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE .
» Vers le commencement de l'été de
»l'année 1751 , j'ai vû chez le fieur le
» Mazurier , Horloger , deux bras de lé-
>> vier attachés au deffus du coûteau d'un
pendule , & pendant à droite contre les
» dents d'une roue verticale en forme de
rochet : le bras droit pouffoit une dent
» dans une vibration du pendule , & le
bras gauche en pouffoit une autre dans
» la vibration fuivante : ce que je certifie
» véritable. A Paris , ce 15 Février 1755 .
Signé , Joly , Avocat , Confeiller au
" Confeil de M. le Duc d'Orléans , Lieu-
» nant général de la Capitainerie de Vincennes.
Je , fouffigné , Prieur du Collège de
Grammont , à Paris , attefte à tous qu'il
appartiendra avoir vû chez le fieur le
» Mazurier , Horloger , rue de la Harpe ,
»vers les fêtes de la Pentecôte de l'année
» 1751 , les mêmes léviers avec leurs
»mouvemens énoncés ci -deffus pour la
pendule de nouvelle invention , que j'ai
vû même commencer chez ledit fieur le
Mazurier dans les années antérieures. En
» foi de quoi j'ai figné le préfent certificat .
» A Paris , le 16 de Février 1755. Signé ,
» F. Vitecoq , Prieur du Collège de Grama
mont.
JUIN. 1755. 173
⚫On voit donc qu'à cet égard le fieur le
Mazurier n'a rien emprunté du fieur le
Paute.
Quant à l'idée de la fonnerie exécutée
en général par le moyen d'une feule roue ,
il eft clair par ce que nous avons rapporté ,
que le fieur le Paute n'eft nullement fondé
à la revendiquer ; car le fils de M. le Roi
avoit préfenté à l'Académie une pendule à
fonnerie conftruite fur ce principe au mois
d'Avril 1752 , c'eſt- à-dire plus de fix mois
avant qu'il eût parlé de la fienne dans le
Mercure d'Octobre de la même année , &
il en avoit donné la defcription générale
dans le Mercure d'Août , ou deux mois
avant l'annonce de celle du fieur le Paute.
Enfin en comparant la fonnerie du
fieur le Mazurier avec les deux deffeins
de fonnerie , dépofés à l'Académie le 22
Janvier 1754 , par le fieur le Paute , &
dont il a defiré que nous euffions communication
, on voit clairement que ces
deux Horlogers ne fe font pas rencontrés ,
le Geur le Paute ayant employé deux chaperons
, l'un pour faire fonner les heures ,
l'autre pour faire fonner les quarts , & le
fieur le Mazurier n'en ayant employé
qu'un pour produire les mêmes effets :
d'ailleurs on ne voit rien dans ces def
feins qui defigne de quelle maniere de
Hiiij
176 MERCURE DE FRANCE.
fieur le Paute fe propofoit d'exécuter les
autres effets appartenant à la fonnerie.
Ainfi il paroît que le fieur le Mazurier
n'a rien emprunté du fieur le Paute.
Signé , Camus , de Montigny , de Parcieux .
Autre Extrait des mêmes Regiftres de l'Acas
démie royale des Sciences , du 12 Avril
Juivant.
Depuis la lecture de ce rapport à l'Académie
, le fieur le Mazurier a fait un
changement affez confidérable à l'échappement
de fa pendule pour le fimplifier.
Dans fa nouvelle conftruction , la branche
verticale de l'équerre qui porte le doigt
fur lequel s'appuient fucceffivement les
chevilles de la roue motrice , porte à fon
extrêmité fupérieure un lévier de la premiere
efpéce à bras fort inégaux : le petit
bras de ce lévier eft rencontré & abaiffé
par la palette de la tige de la roue des
fecondes pendant la derniere vibration de
chaque minute ; l'autre bras étant alors
élevé , le mantonnet qu'il porte à fon
extrêmité , eft rencontré par le doigt qui
tient à la verge du pendule : le pendule
continuant fa vibration , entraîne ce lévier
& la branche verticale de l'équerre qui le
porte ; alors le doigt ou verrou qui fufSHAJUINUM
677
pendoit l'action de la roue motrice , eft
retiré en partie dê deffous la cheville qu'il
-foutenoit & cette cheville arrivant vets
l'extrêmité du verrou taillé en biſeau ,
nacheve de chaffer ce verrous comme
-elle lui donne un mouvement plus prompt
que celui du pendule qui le retiroit , te
mantonnet du lévier fe dégage du doigt
du pendule , & la branche horizontale de
l'équerre agiffant par fa pefanteur , ramene
toutes ces piéces à leur premier état avant
que la vibration foit achevée. Cette nouvelle
conftruction d'échappement , plus
fimple que la premiere , nous paroît avan
tageufe , & nous croyons qu'elle mérite
l'approbation de l'Académie . Signé , le
Camus , de Montigny de Parcieux.
Au bas eft écrit : » Je certifie les pré-
» fens Extraits conformes à leurs originaux
» & au jugement de la Compagnie. A
Paris , ce 14 Avril 1755. Signé , Grand-
Jean de Fouchy , Secrétaire perpétuel de
» l'Académie royale des Sciences.
Hy
378 MERCURE DE FRANCE.
abrem eres el ob poll
Les perfonnes qui defireront fe procurer
la Médaille de feu M. Charles de Secondat
, Baron de Montefquieu , gravée par
le célebre M. Daffier , pourront s'adreffer
à M. Balleaferd , Négociant , Place Dauphine.
Vil
P
об
VA
JUIN. 1755. 179
ARTICLE V.
SPECTACLES
.
COMEDIE FRANÇOISE.
E 24 Mai le Sr Clavareau de Roche-
L'belle reprit fon début par l'Enfant prodigue
, dont il joua le rolle avec un plein
fuccès ; il n'eft pas poffible de mieux rendre
la fcene de la reconnoiffance : il y mit
toute la vérité , tout le pathétique & tonte
la précifion qu'elle demande ; il paroît
propre aux rolles de fentiment dans le
comique noble ; à un extérieur décent
il joint beaucoup de fineffe , il faifit les
nuances , il fent auffi -bien qu'il détaille ;
toujours attentif à la fcene , il poffede le
jeu muet , & ne fait jamais de contre-fens ,
qualité d'autant plus rare dans un acteur
qui débute , qu'elle manque fouvent au
Comédien qui a le plus d'ufage & qui eſt
le mieux établi.
Le 26 , le même acteur joua Seide dans
Mahomet , tragédie de M. de Voltaire ; il
y a été justement applaudi, Par la maniere
dont il a rendu la grande fituation du
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
quatrieme acte , il a montré qu'on n'a jamais
l'organe foible quand on a l'art de le
conduire , & que la vraie force eft plus
dans l'ame que dans les poumons.
Le 28 , les Comédiens françois donnerent
l'Homme à bonnes fortunes. L'acteur
nouveau y repréfenta Moncade , mais il
a l'air trop fenfé pour bien jouer la fatuité;
il a mieux rendu Durval dans le Préjugé à
la mode.
Le 31 , les mêmes Comédiens donnerent
une repréfentation des Troyennes , de
M. de Chateaubrun ; elles leur avoient été
demandées par des perfonnes de diftinction
, & furent applaudies par une affemblée
auffi brillante que nombreuſe. Voici
Pextrait de fon Philoctete .
EXTRAIT DE PHILOCTETE.
Ulyffe & Pyrrhus accompagnés de Démas
, ouvrent la fcene , qui eft dans l'ifle
de Lemnos , à vue de la caverne qui fert
de retraite à Philoctete . Le premier dit au
fils d'Achille , que Philoctete refpire dans
ce defert affreux , & que les Grecs ne peuvent
triompher de Troye fans le bras de ce
guerrier , uni à la valeur de Pyrrhus. Les
Dieux l'ont déclaré par la bouche de Calchas'
; cet Oracle eft un arrêt dont on ne
peut appeller. Si Philoctete n'eft ramené
JUIN. 1755. 181
dans l'armée , elle va périr dans l'opprobre
& dans la mifere. Pyrrhus impatient veut
courir vers Philoctete , mais Ulyffe le retient
, & l'inftruit du jufte courroux de ce
Prince contre les Grecs . Il lui apprend que
dès les premiers jours du fiége d'Ilion ,
Un Troyen le bleffa d'un dard envenimé
Par d'horribles douleurs le poiſon ſe déclare :
Mais fon ardeur s'éteint dans un profond fommeil,
Et jamais la douleur ne fuccéde au réveil.
A peine ce guerrier revoit-il la lumière ,
Qu'il retrouve fa voix &. fa force premiere ;
Jufqu'à d'autres accès fans ceffe renaiſſans ,
L'art épuifa fur lui fes fecours impuiffans.
Ce mal cruel rendit Philoctete fi farouche
qu'il devint infupportable à tous les
chefs , & particulierement aux Atrides
qu'il accabloit de reproches amers. Le Roi
d'Itaque , pour les en délivrer , joua le mécontent,
engagea Philoctete à le fuivre dans
l'ifle de Lemnos où il feignit de fe retirer ,
& l'abandonna feul dans ce defert pendant
fon fommeil. Ulyffe , après ce récit
recommande à Pyrrhus de ne pas le nommer
il lui confeille , pour arracher ce héros
de fa retraite , de feindre que la tempête
l'a pouflé fur ce rivage , qu'il à quitté
182 MERCURE DE FRANCE.
le camp des Grecs , & qu'il retourne à Scyros
, révolté contre un fiége fi lent , & indigné
de l'avarice fordide des chefs qui
ont fruftré fa valeur de fes droits . Pyrrhus
réfifte d'abord à ce confeil , la feinte répugne
à fon grand coeur ; mais Ulyffe lui
en fait fentir la néceffité & s'éloigne
pour le laiffer agir .
›
Pyrrhus refte avec Démas , & s'écrie en
jettant les regards fur l'entrée de la caverne
,
Mon oeil foutient à peine
Cet horrible tableau de la miſere humaine ;
Quelques vafes groffiers que le befoin conftruit ,
Des feuilles , des lambeaux qui lui fervent de lit.
Il voit fortir du fond de cet antre fauvage
une jeune beauté ; il eft frappé de
fes charmes , il l'aborde , & apprend d'elle
que fon nom eft Sophie , & qu'elle eft la
fille de Philoctete. Så tendreffe l'a conduite
dans cette ifle déferte pour y partager
le malheur de fon pere ; elle y aborda par
un naufrage. Nous allions périr , dit- elle ,
Hercule nous fecourut .
Il retint dans nos coeurs notre ame fugitive ,
Et fon bras bienfaiſant nous pouffa fur la rive.
Nous appellons mon pere , il s'avance vers nous.
Que n'éprouvai -je point dans un moment fi doux !
Avec quelle tendreffe il efluya mes larmes ↓
JUIN.
183 1755.
Combien für mon état témoigna-t- il d'allarmes !
Quels mouvemens confus de joie & de pitié ,
De fanglots mutuels qu'exhaloit l'amitié !
Les périls de la mer , mes craintes , ma mifere ,
J'oubliai tout , Seigneur , en embraffant mon pere
;
Voilà le langage naïf de la nature. Les
vers les plus pompeux valent - ils ceux
qu'elle infpire ? Cette fimplicité charmante
qui rend fi bien le fentiment , n'eſtelle
pas la vraie éloquence ? Pyrrhus témoigne
le defir qu'il a de voir Philoctete
Sophie répond, qu'armé d'un arc qui pourvoit
à leur fubfiftance , il erre dans les
bois , & qu'elle va le chercher. Pyrrhus
devant Démas fait éclater pour Sophie une
pitié qui laiffe entrevoir le premier trait
de l'amour. Démas lui repréfente qu'il ne
doit s'occuper que du foin de rendre Philoctete
aux Grecs prêts à périr.
Philoctete paroît avec Sophie , & marque
fa furprife à Pyrrhus , qu'il n'a jamais
vu , de le voir dans des lieux fi fauvages.
11 exprime en même tems fon reffentiment
contre les chefs de la Grece , & leur ingratitude
, par ces deux vers juftement applaudis
,
Les bienfaits n'avoient pu m'attacher les Atrides
:
Je fous apprivoifer jufqu'aux monftres avides.
184 MERCURE DE FRANCE.
Pyrrhus fe nomme ; Philoctere montre
une joie très- vive de voir en lui le fils
d'Achille dont il a toujours été l'ami ; mais
apprenant la mort de ce héros par la bouche
de fon fils , il s'écrie avec douleur
2
Achille eft mort , grands Dieux , & les Atrides
vivent
! Y
7 25377
Pyrrhus s'offre à conduire Philoctete &
fa fille dans leur patrie. Ce guerrier y
confent ; mais dans le moment qu'il veut
partir , il eft arrêté par un accès de fon
mal , qui l'oblige à rentrer dans fon antre
, & qui termine le premier acte. Y
101-20
Pyrrhus ouvre le fecond acte par ce beau
monologue , qui peint avec des couleurs
fi touchantes l'état de mifere & de douleur
où il vient de voir Philoctete dans la
caverne , ayant près de lui fa fille qui arrofoit
fes mains de larmes. Quel contraſte ,
dit- il , avec l'éducation qu'on nous donne !
p , cody courqu
"P
On écarte de nous juſqu'à l'ombre des maux
On n'offre à nos regards que de fiants tableaux
Pour ne point nous déplaire , on nous cache à
nous - mêmes ; ovo zng , ol mbase C
On ne nous entretient que de grandeurs fupre
-kot mes.unim un saciera'n aistroid as S11
On ajoûte à nos noms des noms ambitieux :
Autant que l'on le peut on fait de nous des Dieur.
JUIN.
185
1755 .
Victimes des flateurs , malheureux que nous fom
mes ,
Que ne nous apprend-t-on que les Rois font des
hommes !
·Démas furvient ; il exhorte Pyrrhus à
diffimuler encore pour engager Philoctete
à partir. La générofité de Pyrrhus attendri
s'en offenfe , & marque un vrai remords
d'avoir employé la feinte . Philoctete paroît
avec Sophie , & veut fe rendre au rivage.
Pyrrhus l'arrête. Philoctete furpris , lui en
demande la raifon . Le fatal fecret échappe
de la bouche du fils d'Achille, qui rougit de
commettre une perfidie , & lui déclare
qu'il le méne aux Atrides . A cet aveu le Roi
d'Eubée devient furieux. Pyrrhus l'inftruit
de la pofition des Grecs , & du befoin
qu'ils ont de fon bras pour renverfer
Troye , & s'arracher à une mort honteuſe ;
il le preffe en même tems d'immoler fon
reffentiment au falut de l'Etat. Philoctete
refufe de fe rendre , & fait des imprécations
contre Ulyffe & les autres chefs. Pyrrhus
lui répond , qu'il ne peut fe venger plus
noblement d'eux qu'en faifant triompher
fa patrie , & qu'en voyant Agamemnon
lui-même ramper à fes pieds. Philoctete
perfifte à ne point prêter fon fecours au
Roi d'Argos ; mais il propofe à Pyrrhus
186 MERCURE DE FRANCE.
d'aller combattre avec leurs foldats , & d'a
voir feuls la gloire de vaincre les Troyens.
Pyrrhus approuve ce parti ; mais comme il
entend du bruit , il s'éloigne avec Philoctete.
Démas qui les écoutoit , veut inftruire
Ulyffe du projet que ces deux guerriers
viennent de former ; mais le Roi d'Itaque
lui dit que les Grecs cachés avec lui fous
un rocher l'ont entendu , qu'ils ont réſolu
de les en punir ; & que s'il n'eût retenu
leur fureur , ils alloient fondre fur eux &
les immoler. Démas ajoûte qu'il craint encore
plus la fille que le pere . Ulyffe lui en
demande la raifon ; l'autre lui répond
que Pyrrhus adore Sophie."
›
Ulyffe en paroit allarmé , & quitte la
fcene en difant qu'il va voir avec les
Grecs ce qu'on doit oppofer à ce fatal
amour qui peut tout détruire.
I
Ulyffe ouvre le troifieme acte avec Démas.
Il tient un papier à la main , & dit à
Démas que les Grecs veulent entraîner
au camp Philoctete mort ou vivant , que
tel eft l'arrêt qu'ils viennent de figner ; &
que fi ce Prince refifte , ils veulent exterminer
fa famille , & faire fubir à fa fille
le fort d'Iphigénie . Ulyffe craint que Pyrrhus
ne prenne leur défenſe ; mais Démas
lui répond que fa résistance fera vaine , &
JUIN 1755. 187
que les Grecs viennent d'envelopper Philoctete
de toutes parts:
Pyrrhus paroît ; Ulyffe le preffe de partir
fans Philoctete , en difant qu'il ne veut
pas lui-même qu'on emmene ce guerrier au
camp . Pyrrhus s'excufe fur la pitié. Ulyffe
lui dit que la pitié dont il eft ému , n'eft
qu'un amour déguifé. Le premier répond
que l'amour n'eft pas un crime. Non , réplique
le Roi d'Itaque ,
Quand élevant le coeur , loin de l'humilier ,
Aux régles du devoir l'amour fçait le plier ,
Et ne l'enyvre point de fon poifon funefte :
Il eft fublime alors , la fource en eft céleste ,
Et c'eſt de cet amour que les Dieux font heureux.
Mais , Seigneur , quand l'amour , le bandeau fur
les yeux ,
Enchaîne le devoir aux pieds d'une maîtreffe ,
A des coeurs généreux n'infpire que foibleffe ,
Tient fous un joug d'airain leur courage foumis ,
Leur fait facrifier gloire , patrie , amis ,
Et des droits les plus faints rompt le noeud légitime
;
Alors , Seigneur , alors cet amour eft an crime.
Pyrrhus veut fe juftifier en difant qu'Achille
aima comme lui . Ulyffe lui repart
qu'il n'aima point aux dépens de fa gloire ,
& qu'il quitta tout pour elle. Il lui fait en
188 MERCURE DE FRANCE.
même tems une peinture pathétique de
l'état affreux où l'armée des Grecs fe trouve
réduite , ajoûtant qu'il va la joindre ,
& mourir fur le tombeau d'Achille , tandis
que fon fils refte tranquille à Lemnos
par l'amour. Ce trait réveille le
courage de Pyrrhus , & l'adroit Ulyffe pour
achever de le déterminer à le fuivre , lui
rapporte ainfi les dernieres paroles d'Achille
expirant , après qu'il l'eut arraché
lui-même des mains des Troyens .
enchaîné
Cher ami , me dit-il , cache-moi tes alarmes ;
Et laiffe- moi mourir parmi le bruit des armes. T
Par tes foins je fuis libre , & je refpire encor
Tu m'épargnes l'affront dont je flétris Hector.:
Que mon fils à jamais en garde la mémoire ,
Et te rende les foins que tu prens de ma gloire.
Sers-lui de pere , amis qu'il te ferve de fils . ' ; i
Voilà fes derniers voeux ; les avez-vous remplis
:
Pyrrhus eft prêt à partir , quand la préfence
de Sophie le retient il fe trouve
alors entre la gloire & l'amour, La premiere
foutenue par l'art d'Ulyffe , femble
d'abord l'emporter ; mais l'amour mieux
déféndu par les larmes de Sophie ', triomphe
enfin de Pyrrhus , & l'entraîne de fon
côté. Ce jeune héros en tournant les yeux
vers elle , s'écrie :
JUIN.
183 1755.
Quoi vous pleurez , courons à votre pere.
Il vole fur les pas de Sophie. Ulyffe fo
retire avec Démas , en difant que Pyrrhus
va fe perdre & combler le malheur de
Philoctete & de fa fille . Ce troifiéme Acte
eft d'une grande beauté .
Z Sophie commence le quatriéme Acte avec
Palmire fa gouvernante , & lui dit que fans
Pyrrhus les Grecs auroient furpris & enlevé
fon pere. Elle avoue avec cette ingé
nuité qui accompagne l'innocence , que
ce jeune héros lui a déclaré qu'il l'adoroit
, & qu'elle y a été fenfible par reconnoiffance
pour
le fervice qu'il a rendu à
fon pere. Palmire l'avertit de redouter les
effets de fa beauté . Je n'ai pas oublié , lui
répond Sophie , vos fages leçons.
Hélas ! cette beauté , ce charme fouverain ;
Dont le fexe s'honore , & qui le rend fi vain
Si la vertu n'en fait un ornement célefte ,
Eft , des Dieux irrités , le don le plus funefte.
" Philoctete arrive , & dit à fa fille qu'il
faut fauver l'honneur d'un pere infortuné ,
& lui remet un poignard. Sophie lui demande
quel ufage elle en doit faire : il répond
qu'il a vécu comme Hercule , &
qu'il veut mourir de même , ajoutant que
Le poifon peut encore lui porter une at
190 MERCURE DE FRANCE.
teinte , que les Grecs pourroient faifir, ce
moment pour le charger de fers , & qu'elle
doit le fouftraire à leur fureur , en faisant
ce qu'Hercule exigea de fon fils. Elle frémit
de commettre un parricide . Philoctete
defeſpéré de ce refus , s'écrie
s'écrie que dans
cette extrêmité il va lancer ces flèches redoutables
qui portent d'inévitables coups ,
& qu'il va commencer par Pyrrhus . Sophie
allarmée l'arrête , & lui apprend que
c'eft le fecours de Pyrrhus qui l'a dérobé à
l'audace des Grecs , & qu'elle en eft aimée.
Philoctete raffuré par l'amour de Pyrrhus
pour fa fille , la preffe de lui déclarer que
La flamme eft connue de fon pere , qui l'approuve
; mais que fi ce jeune guerrier ne
fe joint à lui pour les venger ,
elle rejette
avec dédain les offres de fa foi. Sophie le
lui jure , en lui difant tendrement qu'après
avoir partagé fa gloire , il eft jufte qu'elle
partage fon affront. Philoctete qui voit
venir Pyrrhus, rentre dans fon afyle , & recommande
à Sophie d'éprouver le coeur de
fon amant.
Pyrrhus dit à Sophie qu'il a fait retirer
les foldats , mais qu'elle engage fon pere
à remplir leurs voeux ; que le falut public
doit être un de fes bienfaits,, & qu'il ofe à
çe motif preffant joindre l'intérêt de fon
amour. Elle lui répond que Philoctete eft
JUI N. 1755. 191*
·
inftruit de fes feux , qu'il confent que
l'hymen les couronne , mais qu'il veut que
ces noeuds foient formés dans fes états .
Pyrrhus lui réplique en foupirant , que la
Grece l'implore , & qu'il ne peut l'abandonner,
Elle l'interrompt en lui difant que
puifque l'intérêt de fon pere & le fien lui
font moins chers que celui des Atrides ,
elle rend à fon amour les fermens qui le
lient. Seigneur , ajoute- t -elle ':
Plus grands dans nos deferts que vous ,
trône ,
fur votre
L'honneur nous tiendra lieu de fceptre & de cou
ronne.
Partez , laiffez -nous feuls dans ces fauvages lieux
La vertų pour témoin n'a befoin que des Dieux..
Pyrrhus lui fait entendre que Philoctete
a tout à craindre de la rage des Grecs. Sophie
répond que fa main va mettre un
frein à leurs droits prétendus , que fon
pere vient de l'armer d'un poignard , &
que fi les Grecs s'avançoient pour le pren
are , elle a juré de le plonger dans le coeur
de Philoctete
,› pour prévenir fa honte.
Pourriez-vous , lui dit Pyrrhus , verfer le
fang d'un pere ? elle s'écrie :
Que fçais-je leurs fureurs me ferviront de guid
des ? >
191 MERCURE DE FRANCE.
Un mortel fans honneur n'eſt plus qu'un monſtrë
affreux ,
Que tout autre homme abhorre , & qui craint
tous les yeux ;
Chaque regard l'infulte , & réveillant fa honte ;
De fon honneur perdu , lui redemande compte
Lui fait baiffer la vûe , & femble l'avertir
De fuir dans le tombeau qui devroit l'engloutir.
Pyrrhus frappé de ce tableau promet à
Sophie de périr plutôt mille fois que de
fouffrir que leurs foldats en viennent à
cette violence . Elle le quitte en lui re-.
commandant ainſi les jours de fon pere :
Etes-vous à l'abri du deſtin qui l'accable ›
Si les hommes , hélas ! réfléchiffoient fur eux ;
Ils répandroient des pleurs fur tous les malheu
reux.
Ulyffe vient apprendre à Pyrrhus que
les Troyens inftruits de l'oracle , ont profité
du tems de fon abſence pour attaquer
le camp , qu'ils font près de forcer fi luimême
ne vole au fecours des Grecs ; qu'ils
ont déja bleffé plufieurs chefs de l'armée
& qu'ils ont fouillé dans le tombeau d'Achille
, & difperfé les reftes de fon corps ,
qui font devenus la proie des chiens & des
vautours.
JUIN. 1755. 193
yautours. Pyrrhus devient furieux à cette
nouvelle , & veut voler au camp . Ulyffe
infifte alors pour enlever Philoctete , &
montre les foldats qui l'ont fuivi pour
cette exécution. Mais Pyrrhus s'écrie qu'ils
n'avancent point , que Philoctete eft armé
des traits du defefpoir , & que fa mort va
tromper leur eſpérance. Il termine le quatriéme
acte , en difant qu'il va tenter un
dernier effort auprès du pere de Sophie ,
& qu'après il s'abandonne tout entier aux
confeils d'Ulyffe.
Pyrrhus paroît d'abord feul au cinquiéme
acte , & dit à Ulyffe qui furvient , qu'il
n'a pu fléchir Philoctete. Le Roi d'Itaque
lui montre l'arrêt que la Grece a dicté contre
ce guerrier indomptable. Pyrrhus lui
repréfente qu'en livrant Philoctete à la
mort on venge la patrie , mais qu'on ne
la fauve pas. Ulyffe répond qu'avant
d'exécuter l'arrêt , il veut tout effayer , &
qu'il veut voir Philoctete , qui arrive dans
ce moment avec Sophie. C'eft ici cette admirable
fcene qui forme non feulement
un dénouement des plus heureux , mais
qui fait encore elle feule un des plus beaux
cinquiémes actes qui foient au théâtre :
il faudroit la tranfcrire toute entiere pour
en faire fentir toutes les beautés . Philoctete
à l'afpect d'Ulyffe s'écrie dans fa fu-
II.Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
reur qu'on lui rende fes armes. Ce der
nier lui donne les fiennes. Philoctete veut
l'en percer , mais Pyrrhus l'arrête . Ce
guerrier les brave par ces deux vers , dont
le dernier eft digne de Corneille :
Un oracle accablant vous à glacés d'effroi.
Vous vous trouvez preffés entre les Dieux & moi.
Ulyffe lui dit de ne punir que lai , &
d'avoir pitié de fa patrie :
Graces à mon exil , cruel je n'en ai plus ,
Lui répond Philoctete :
•
Je voue à vos fureurs les Grecs que je détefte ;
Dieux ! épargnez Pyrrhus & foudroyez le refte .
Le fils d'Achille eſt révolté de cette imprécation
; mais Ulyffe combat alors Philoctete
avec tous les traits de fon éloquen-.
ce. Il l'attaque par fon foible , c'eſt - à- dire
par l'endroit le plus fenfible à fa gloire.p
Vous ofez (lui dit- il ) confpirer contre votre pays...
Quand un homme a formé ce projet parricide ,
On dévoue aux tourmens ce citoyen perfide :
Son opprobre s'attache aux flancs qui l'ont posté ,
Et fa honte le fuit dans fa poftérité .
A fes concitoyens fon nom eft exécrable ;
On recherche avec foin les traces dy coupable.
JUIN. 1755. 195
Rebut de l'univers , à foi- même odieux :
Il vit errant , fans loix , fans amis & fans Dieux.
Son fupplice aux mortels offre un exemple horri
ble ;
Le tombeau lui refuſe un afyle paifible ,
Et la terre abandonne aux monftres dévorans ,
De fon corps déchiré , les reftes expirans.
Ses manes agités d'une éternelle rage ,
En vain parmi les morts fe cherchent un paffage ;
L'enfer même l'enfer fe rend fourd à fes cris.
Si vous l'ofez , cruel , vengez - vous à ce prix.
Philoctete eft effrayé de cette image.
Ulyffe pour achever de le defarmer , &
pour frapper le dernier coup , preffe Pyrrhus
de partir. Renvoyez , dit - il , des
vaiffeaux qui puiffent tranfporter ce héros
par-tout où il voudra aller :
Maître du fort des Grecs , qu'il le foit de lui- mê
me.
Emmenez tous nos Grecs ; je refte près de lui.
Philoctete à ces mots s'écrie :
Ulyffe près de moi ! retire-toi barbare .
Ulyffe lui fait cette réplique admirable ,
qui le met pour ainfi dire au pied du mur .
Si votre coeur pour moi ne peut être adouci ,
Suivez les Grecs , Seigneur , & me laiffez ici.
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
Philoctete à ce trait demeure interdit.
Sa fille fe joint à Ulyffe , & embraſſe ſes
genoux pour le fléchir . Ce guerrier attendri
par les larmes de fa fille , céde à cette
derniere inftance . Il lui facrifie fon reffentiment
, conſent de l'unir à Pyrrhus , &
termine la piece en difant :
Le Ciel m'ouvre les yeux fur la vertu d'Ulyffe ,
Et femble m'annoncer la fin de mon fupplice :
En marchant fur les pas au rivage Troyen ,
Nous fuivrons le grand homme & le vrai citoyen.
On ne peut pas conduire ni dénouer
une piece avec plus d'art. Que M. de Châteaubrun
a tiré fur tout un heureux parti
de l'épifode de Sophie ! 'que fon Ulyffe eft
beau ! & que M. de la Noue l'a bien
rendu !
COMEDIE ITALIENNE.
LE 22 Mai les Comédiens Italiens ont
remis , ou plutôt donné pour la premiere
fois , le Mai , Ballet mêlé de chants . Il eft
changé & embelli de façon qu'on peut
l'annoncer comme un divertiffement nouveau
; on peut même dire qu'il forme une
petitè Comédie en danfe. J'ajouterai qu'on
JUI N. 1755. 197
*
en voit peu qui faffent autant de plaifir au
théâtre par la variété & par la gaieté continue.
Je crois obliger le lecteur de lui en
donner ici le Programme .
Le fond du théâtre repréfente la porte
d'un château , au - deffus l'on découvre
une terraffe ornée de baluftrades & de fontaines
& garnie de vafes remplis de
fleurs.
>
PREMIERE ENTRÉE .
Le Ballet commence au point du jour ;
plufieurs Payfans viennent pour donner
des bouquets à leurs maîtreffes , d'autres
apportent des échelles à un fignal ; plufieurs
jeunes Payfans & Payfannes garniffent
la terraffe & reçoivent les bouquets.
Les Amans témoignent leur joie par une
danfe vive.
SECONDE ENTRÉE.
Les Payfannes fortent du château avec
leurs bouquets, & remercient les Payfans de
leur galanterie ; ils vont tous pour rentrer
dans le château , un Payfan retient deux
des Payfannes & danfe avec elles un pas
de trois .
TROISIEME ENTRE E.
Une autre troupe de Payfans & Payfan
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
nes viennent planter le Mai devant la
porte du château ; tous danfent autour ,
pendant que la jeuneffe forme une danfe
gaie fur la terraffe , de forte que l'on voit
en même tems deux corps de Ballets . Un
Payfan chante les agrémens du mois de
Mai.
QUATRIEME ENTRÉE.
La porte du château s'ouvre ; le Seigneur
& la Dame vêtus en Berger & Bergere
, & fuivis de tous les habitans , forment
une marche autour du Mai ; une
Bergere chante , un Payfan & une Payſanne
danfent un pas deux.
Le Seigneur & la Dame chantent une
Mufette , elle invite après un Berger à la
danfer avec elle . Ils exécutent enfuite un
Tambourin.
Le pas de deux eft coupé par un pas de
trois , qui à fon tour l'eft par un autre pas
de deux tous les Payfans & Payfannes
chantent & danfent une ronde.
CINQUIEME ENTRÉE.
Contredanfe.
Ce Divertiffement eft compofé de trois
corps de Ballets , le premier commence la
contredanſe.
JUIN. 1755-
199
Danfé par
Second Couplet.
les amans & leurs maîtreffes .
Troifiéme Couplet.
Danfé par la jeuneſſe du village .
Danfé
Quatrieme Couplet.
par le Seigneur & la Dame.
Cinquième Couplet.
Les trois corps de Ballets fe joignent
enfemble . La jeuneffe occupe toujours le
centre , & fe trouve fouvent fous les bras
des deux autres corps de Ballets , ce qui
multiplie les figures de façon qu'il paroît
beaucoup plus de monde qu'il n'y en a.
La Contredanfe finit par une lutte d'entrechats.
Premier pas de trois.
Mlle Camille . M. Sody. Mile Catinop
Premier
pas
de deux.
Mlle Camille. M. Balletti ( cadet . )
Deuxieme pas
de deux.
Mlle Favart. M. Balletti ( aîné . )
Deuxieme pas de trois.
M. Berquelor. Mlle Marine. M. Dupuis.
I iv
200 MERCURE DE FRANCE .
Troisieme pas de deux.
Mlle Catinon . M. Billioni.
Troifieme pas de trois.
M. Vifintini. Mlle Artus. M. Artus.
VAUDEVILLE SUR LA CONTREDANSE.
•
PREMIER COUPLET.
Allons gai:
Voici le mois de Mai ,
Le doux mois d'amourette.
Commençons
Nos jeux & nos chanfons ,
Et, danfops fur l'herbette .
Colin
Prend Colinette ;
De violette
Pare fon fein.
Le coeur
Le plus fauvage
Souvent s'engage . ¡
Par une fleur.
Allons gai , &c.
Bergers , une fleurette
De vos feux devient l'interprête
Et Flore
Fait éclore
Ses préfens
JUIN. 1755. 201
VILLA
Pour fervir les amans.
Allons gai , & c.
SECOND
Allons gai , & c.
Plaiſirs ,
COUPLE T.
Bonheur champêtre ,
Vous allez naître
De nos foupirs.
Tout rit
Dans ces afyles ,
Ces lieux tranquilles
Qu'amour chérit.
Allons gai , & c.
Déja tout fent les flammes ,
Tendre amour , printems de nos ames
Tu charmes ,
Tu defarmes
Nos rigueurs
Par tes attraits vainqueurs;
Allons gai , & c .
TROISIEME COUPLET.
Allons gai , & c .
Le fon
De la mufette
Séduit Lifette
Sur le gazon .
Tirfis
LYON
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
Par cette adreffe ,
De fa tendreffe
Reçoit le prix.
Allons gai , & c.
L'amour fous nos fougères
Tend des lacs aux jeunes Bergeres .
Fillette
Joliette ,
En ce mois.
N'allez point feule aux bois.
Allons gai , &c.
QUATRIEME COUPLET.
Palfangué ,
Voici le mois de mai , &c.
Vien çà ,
Vien çà , Paquette ,
A la franquette ,
Mets ta main là.
Morgue ,
De t'voir fi fiare ;
Sçais-tu que Piare
Eft fatigué ?
Jarnigué , voici , &c .
Faut-il que j'aille au piautre ,
Quand j'avons un coeur comme un autre ?
Mais ... fille ...
Ton oeil brille ,
Et je fens
JUIN. 1755 203
Naître en moi le printems.
Sarpegué , voici , &c.
Les paroles de ce Vaudeville font de
M. Favart. Les danfes du Ballet font de la
compofition de M. Deheffe , & la mufique
eft de M. Defbroffes ,
Le 31 Mai les Comédiens Italiens donnerent
la premiere repréſentation du Maître
de Musique , Comédie nouvelle en
deux actes , mêlée d'arietes , & parodiée
de l'Italien , avec un divertiffement. Cette
piece eft de M. Borand , Auteur de la
Servante Maitreffe ; le public lui a fait un
accueil favorable. Le premier acte paroît
avoir le plus réuffi , nous en rendrons un
compte plus détaillé dans la fuite des repréfentations
.
CONCERT SPIRITUEL.
LE
E Concert qui fut exécuté le Jeudi
29 Mai , jour de la Fête- Dieu , fut trèsbeau
& très- varié . Il commença par la
premiere fuite des pieces de clavecin de
M. Clement , mife en fymphonie par luimême
; enfuite Cantate à grand choeur de
M. Davefne. Mme Veftris de Giardini
chanta deux airs Italiens. On s'apperçoit
I vj
204 MERCURE DE FRANCE .
du progrès qu'elle fait chaque jour ; elle
met à profit les bons confeils qu'on lui
donne , & mérite de plus en plus l'applaudiffement
des connoiffeurs . Mlle Sixte , qui
a chanté au Concert de la Reine , débuta
avec le plus brillant fuccès dans Ufquequò ,
petit motet de M. Mouret. Le public a
conçu de fon talent les plus grandes efpérances
; l'accueil qu'elle en a reçu doit raffurer
fa timidité , & l'engager à tenir tout
ce qu'elle promet.
M. Balbatre joua fur l'orgue l'ouverture
de Pigmalion , fuivie des Sauvages , & fit
toujours un nouveau plaifir. Le Concert
finit par Magnus Dominus , motet à grand
choeur de M. de Mondonville.
JUIN. 1755
205
ARTICLE SIXIE ME.
NOUVELLES ÉTRANGERES.
DU LEVANT.
DE CONSTANTINOPLE , le 10 Avril.
ONcontinue de travailler avec toute la dili- gence poffible , à réparer les dommages caufés
par les derniers tremblemens de terre. La
partie du château des Sept Tours qui avoit été
ruinée , eft entierement rebâtie , ainfi que le mur
qui fert d'enceinte à la ville depuis l'Arfenal jufqu'à
la porte d'Andrinople . Ces jours derniers , le
Grand Seigneur alla vifiter les ouvrages qu'on
fait à l'Eglife de fainte Sophie.
Le dernier Grand Vifir , fur la recommendation
de la Sultane Validé , a obtenu une penfion de
cinq mille Sultanins .
Le Kiaïa Bey fut dépofé le 10 de ce mois. Il a
pour fucceffeur le Secrétaire du Grand Vifir .
DUNOR D.
DE WARSOVIE , le 3 Mai.
On reçoit avis que la ville de Szerefzow , en
Lithuanie , a été preſque entierement réduite en
cendres.
306 MERCURE DE FRANCE.
DE STOCKHOLM , le 4 Mai .
L'Académie royale des Sciences dans une affemblée
qu'elle tint hier , a élu pour Préſident le Baron
de Scheffer , Sénateur & Chevalier des Ordres
de Sa Majesté. Cette Compagnie a aggrégé à fon
corps , en qualité d'Affociés étrangers , M. Lidbeck
, de la Société royale de Londres ; M. Kuhn ,
Docteur en Médecine , & Membre de l'Académie
des Sciences & Belles - Lettres de Berlin ; M. l'Abbé
de la Caille , Aftronome , de l'Académie des
Sciences de Paris ; M. Morand , de la même Académie
, & Secrétaire perpétuel de celle de Chirurgie
; & M. Waitz , Directeur des Salines du
Landgraviat de Heffe - Caffel .
Une femme eft morte à Kimi , dans la Bothnie
orientale , âgée de cent vingt-fept ans. Depuis .
deux ans feulement elle avoit perdu l'ouie &
La vue..
2.
ALLEMAGNE.
DE VIENNE, t le 3 Mai.
Hagi Ali Effendi , Envoyé extraordinaire du
Grand Seigneur , fut conduit le 28 dn mois d'A
vril à l'audience du Comté de Colloredo , Vice-
Chancelier de l'Empire. Le lendemain , Hagi Ali
Effendi eut audience du Comte de Kaunitz Rittberg
, Grand Chancelier de la Cour .
Cet Envoyé a eu fes premierés audiences le 12
Mai , de l'Empereur , & le 14 , de l'Impératrice
Reine.
Il est arrivé un grand nombre de chevaux de
remonte pour la cavalerie. On a fait venir du
JUIN. 1755. 207
Tyrol plufieurs ouvriers , qu'on fe propofe d'employer
à l'exploitation des mines d'argent dans la
haute Autriche.
DE DRESDE , le 6 Mai.
On prépare dans la manufacture de Miffen un
fervice de porcelaine , dont Sa Majefté ſe propoſe
de faire préfent au Grand Seigneur.
Il a été vendu à la foire de Leipfick plufieurs
étoffes fabriquées de la foie qu'on a recueillie
l'année dernière dans cet Electorat .
DE HANOV RE , le 16 Mai.
Il y aura cette année dans cet Electorat deux
camps qui fe fuccéderont ; le premier fera compofé
de douze bataillons du corps de l'artillerie ,
& de dix-huit efcadrons , & commencera le 9 du
mois prochain , le fecond fera de onze bataillons
& de feize efcadrons. Les troupes qui doivent le
former n'y entreront que le 7 Juillet .
DE FRANCFORT , le 17 Mai.
Il paroît un mémoire , par lequel le Cercle de
Franconie demande à l'Empire le remboursement
de quatre millions cent trente -deux mille deux
cens foixante-trois florins , qu'il prétend lui être
dûs pour quatre régimens furnuméraires levés en
en 1703 , ainfi que pour les réparations des fortifications
de Philifbourg , & pour divers autres frais
extraordinaires.
208 MERCURE DE FRANCE:
ITALI E.
DE NAPLES , le 23 Avril.
Deux chabecs du Roi ont amené dans ce port
un Corfaire de Tripoli , dont ils fe font emparés
dans le Golfe Adriatique . Le bâtiment ennemi
étoit monté de douze piéces de canon , & d'un
pareil nombre de pierriers. Son équipage étoit
compofé de quatre -vingt quinze hommes. Il y
en a eu vingt -fix de tués , & les quarante- neuf
autres ont été faits efclaves. Les deux chabecs
vont remettre à là voile pour donner la chaffe à
un autre Corfaire , qui croife dans les environs
de l'Ile de Cerigo.
Don Jofeph Martinez s'eft emparé d'un ſecond
Corfaire Tripolitain , de quatorze canons , de
vingt- quatre pierriers & de quatre- vingt hommes
d'équipage. On a envoyé ce bâtiment à l'lfle de
Nifita dans le Golfe de Pozzuolo , pour y faire la
quarantaine.
DE LIVOURNE , le 4 Mai.
Trois Corfaires ont enlevé la pinque des dépê
ches de Barcelone quelques jours après fon dé
part de Gênes.
DE GENES , le 6 Mai.
On apprend par une barque françoife , qui eft
venue de Tunis en quarante-deux jours de navigation
, que les Corfaires de cette Régence ont
quatre bâtimens en mer. Une polaque de pavillon
Impérial a été viſitée près du Cap de Spartivento ,
JUIN. 17558 200
par une galiotte de Tripoli , & le même jour
après-midi elle a rencontré trois galeres de la
Religion de Malthe fur la côte de Syracufe. Les
chaloupes d'un bâtiment Corfaire ayant enlevé
le 24 du mois dernier une barque de la riviere du
Ponent , il eft forti du port de Monaco quelques
felouques , qui ont repris cette barque. Cinq
hommes de fon équipage font reftés malheureuſes
ment au pouvoir des Barbarefques.
GRANDE - BRETAGNE.
DE LONDRES , le 15 Mai.
L'Amiral Holborne fit voile de Portſmouth le
10 de ce mois avec fix vaiffeaux de guerre. Il eſt
allé à Plymouth en prendre quatre autres , & il
doit enfuite fe remettre en mer pour aller joindre
l'efcadre de l'Amiral Boscawen. Le 8 , on enleva
de force fur la Tamife près de mille Matelots .
On en a enlevé auffi ces jours derniers un grand
nombre dans tous les ports le long de la côte
particulierement à Portfmouth , à Cowes &
Southampton. La Compagnie des Indes orientales
attend fept vaiffeaux de la Chine , un de Sainte-
Heleine , cinq de la Baye , & trois de Bombay.
Elle en a reçu trois de Bengale richement chargés
, par lefquels on a été informé que l'Eſcadre
partie l'année derniere fous les ordres de l'Amiral
Watson , étoit arrivé à Madras.
On a publié en Irlande une proclamation contre
les perfonnes qui s'enrôlent au ſervice des
Puiffances étrangeres.
Le vaiffeau le Montford , appartenant à la Compagnie
des Indes orientales , eft arrivé de Bengale ,
richement chargé. Il a fait en neuf ſemaines &
110 MERCURE DÈ FRANCE.
deux jours le trajet depuis Sainte-Heleine , où il
laiffé huit autres vaiffeaux qui fe difpofoient à
remettre bientôt à la voile pour le fuivre en Europe.
Selon les nouvelles apportées par ce bâtiment
, M. Godeheu , Gouverneur de Pondichery,
avoit conclu le 11 Octobre une trève de trois
mois avec le Gouverneur de Madras. Les mêmes
avis ajoutent qu'il y a eu dans le mois de Décembre
un violent ouragan à Bengale. Dans cette
tempête , onze Navires Hollandois ont été forcés
à terre , & il en a péri deux. Quelques bâtimens
Anglois ont été auffi très- conſidérablement endommagés
.
PATS - BAS.
DE LA HAYE , le 23 Mai.
Les Etats de Hollande & de Weftfrife ont fait
publier une défenſe d'établir aucune nouvelle
Lotterie dans cette Province , & d'y continuer
celles qui pourroient s'y trouver établies , fous
peine d'une amende de fix cens florins , & de confifcation
de l'argent qu'on y aura mis . Ils ont défendu
fous les mêmes peines de diftribuer des billets
de lotteries étrangeres , & même d'imprimer ou
colporter des liftes ou profpectus concernant lefdites
lotteries. M. Marfelis , Commiffaire des Etats
généraux pour le réglement des affaires de Commerce
entre la France & cette République , eft
arrivé de Paris,
.
DE BRUXELLES , le 17 Mai.
On fit le 12 & les deux jours fuivans le tirage
de la feconde claffe de la Lotterie. Le lot de vinge
JUIN. 1755. 211
cinq mille florins eft échu au numero 133086 ,
celui de quinze mille florins au numero 20916 ,
celui de dix mille florins au numero 121121
celui de fept mille cinq cens au numero 119870 ,
& celui de cinq mille au numero 654.
>
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
LE vaiffeau le Bethune , appartenant à la Compagnie
des Indes , eft entré le 10 Mai dans le port
de l'Orient. On a appris par ce bâtiment que M.
Dupleix étoit parti le 15 Octobre de Pondichery ,
& qu'il étoit arrivé le 25 Novembre à l'Ile de
France.
Le 16 de Mai , Fête de S. Jean Nepomucene ,
la Reine vint de Marly entendre le Sermon dans
l'égliſe des Recolets de Verſailles. Il fut pronon
cé par le P. Couterot , de la Congrégation des
Barnabites , & Prédicateur du Roi. Sa Majefté
affiſta enfuite au Salut , & retourna le foir à Marly.
Leurs Majeftés & Mefdames de France ſe rendirent
à Verfailles le jour fuivant pour y paffer les
Fêtes , & le 20 leurs Majeftés & Mefdames de
France retournent à Marly.
Le 17 , veille de la Fête de la Pentecôte , Monfeigneur
le Dauphin & Madame la Dauphine entendirent
à Marly dans la Chapelle du Château
les premieres Vêpres , aufquelles l'Archevêque de
Sens officia pontificalement , & qui furent chantées
par les Cordeliers de Noify.
212 MERCURE DE FRANCE.
Le 18 , jour de la Pentecôte , les Chevaliers ,
Commandeurs & Officiers de l'Ordre du Saint-
Efprit s'étant affemblés vers les onze heures du
du matin dans le cabinet du Roi , Sa Majefté
fortit de fon appartement pour aller à la Chapelle.
Le Roi , devant qui les deux Huiffiers de la
Chambre portoient leurs maffes , étoit en manteau
, le collier de l'Ordre par- deffus , ainfi que
celui de l'Ordre de la Toifon d'or . Sa Majesté
étoit précédée de Monfeigneur le Dauphin qui
étoit arrivé le matin , du Duc d'Orléans , du Prince
de Condé , du Comte de Clermont , du Prince
de Conty , du Comte de la Marche , du Comte
d'Eu , & des Chevaliers , Commandeurs & Officiers
de l'Ordre. L'Archevêque de Narbonne
Prélat , Commandeur de l'Ordre , célébra pontificalement
la grande Meffe , qui fut chantée par
la Mufique. Au fortir de la Chapelle le Roi fut
reconduit à fon appartement en la maniere accoutumée
.
>
La Reine & Meſdames de France entendirent
la grande Meffe dans la tribune.
Monfeigneur le Dauphin après la cérémonie ,
retourna joindre à Marly Madame la Dauphine ,
que des foupçons de groffeffe ont empêché de
quitter ce château.
Le Roi & la Reine accompagnés de Mesdames ,
affifterent l'après - midi à la prédication de l'Abbé
Bertier , Vicaire Général de l'Evêché de Troyes ,
& Doyen du Chapitre de Vezelai . Après le Sermon
leurs Majeftés entendirent les Vêpres chantées
par la Mufique , aufquelles l'Abbé Gergoy
officia , & le Salut célébré par les Miffionnaires.
Ce même jour la Marquife de Montmorin
Saint Herem fut préſentée au Roi & à la Reine ;
& leurs Majeftés fignerent le contrat de mariage
JUI N. 1755. 213
du Marquis de Merinville avec Dlle de Lhôpital.
Le Roi a donné fon agrément au mariage du
Marquis de Dreux , Maréchal de camp , & Grand
Maître des cérémonies de France , avec Dlle de
Pezé.
Le 19 , les Députés des Etats d'Artois eurent
audience du Roi . Ils furent préſentés à Sa Majesté
par le Duc de Chaulnes , Gouverneur de cette
province & de celle de Picardie ; & par le Comte
d'Argenfon , Miniftre & Secrétaire d'Etat , qui en
a le département . Selon l'uſage , ils ont été con◄
duits par le Marquis de Dreux , Grand Maître
des cérémonies. La députation étoit compofée
de l'Evêque d'Arras pour le Clergé , du Comte
de Douchen pour la Nobleffe , & de M. Goffe ,
ancien Echevin des ville & cité d'Arras , pour le
Tiers Etat . L'Evêque d'Arras porta la parole.
Jean-Marie de Bourbon , Duc de Châteauvilain,
fils de Louis-Jean - Marie de Bourbon , Duc de Penthievre
; & de feue Marie - Therefe- Félicité d'Eft
Princeffe de Modene , mourut le 19 à Paris , âgé
de fix ans fix mois & deux jours. Le même jour
le Prince de Dombes annonça cette mort au Roi.
La Reine communia le 20 par les mains de
L'Evêque de Chartres , fon premier Aumônier.
Il paroît trois arrêts du Confeil d'Etat . Le
premier caffe un arrêt du Parlement de Toulouſe ,
du 25 Février , & ordonne l'exécution de celui de
la Cour des Monnoies de Lyon , dụ 4 du même
mois. Le fecond ordonne que les fujets qui juftifieront
d'un apprentiffage & compagnonage chez
les Maîtres d'une ville quelconque du Royaume ,
dans laquelle il y aura Jurande , feront admis à
la maîtrife de leur profeffion dans les Communautés
d'arts & métiers de telle autre ville du
goyaume qu'ils jugeront à propos de choisir ,
214 MERCURE DE FRANCE.
l'exception des villes de Paris , Lyon , Lille &
Rouen. Par le troiſieme arrêt , le Roi commet
M. Doyen , Notaire , pour faire la recette des
portions qui reviennent aux Abbés & Chanoines
Réguliers de Sainte Genevieve dans les produits
des trois lotteries de S. Sulpice , des Enfans-Trouvés
& des Communautés.
L'Académie royale de Chirurgie , outre le prix
qu'elle adjuge tous les ans , donnera deformais
chaque année une autre medaille d'or à celui des
Chirurgiens , étrangers ou regnicoles , qui l'aura
méritée par un ouvrage fur quelque matiere de
Chirurgie que ce foit , au choix de l'auteur. Ce
fecond prix , dont la valeur fera de deux cens
livres , fera nommé Prix d'émulation . L'Académie
diftribuera de plus tous les ans cinq médailles
d'or , de cent francs chacune , à cinq Chirurgiens,
foit Académiciens de la claffe des Libres , foit
fimplement regnicoles , qui auront fourni pendant.
le cours de l'année un mémoire , ou trois obfervations
intéreffantes.
Un bâtiment nommé le Sainte-Helene , de Saint-
Malo , venant de la Martinique , a péri la nuit du
sau 6 de Mai dans le Golfe de Fos , près de Martigues.
Le navire le Grand Saint- Paul , de Marfeille
, a découvert à l'oueft du Cap Saint - Vincent
trois chabecs algériens. Une pinque de Corron
a rencontré fur la Guillâtre un vaiffeau , un chabec
& une galiotte de la même nation. Deuxi
autres bâtimens barbarefques ont été apperçus à
quelque diftance de la côte de Sardaigne.
Le 24 , leurs Majeftés fignerent le contrat de
mariage du Marquis de Dreux , Grand Maître des
cérémonies de France . avec Dlle de Pezé..
Elles fignerent le 25 celui du Marquis de Beranger
, Colonel dans le Corps des Grenadiers de
JUIN. 1755. 215
France , avec Dlle de Saffenage , fille du Marquis
de ce nom , Chevalier des ordres du Roi , &
Chevalier d'honneur de Madame la Dauphine.
En confidération de ce mariage , le Marquis de
Beranger a obtenu la furvivance de la charge de
Chevalier d'honneur de Madame la Dauphine ,
dont il ne doit exercer les fonctions qu'à vingtcinq
ans.
Le Roi a accordé au Marquis d'Efpagne la
charge de Sénéchal & Gouverneur du Comté de
Nebouzan .
Les Prélats & les Députés du fecond Ordre qui
compofent l'Affemblée générale du Clergé de
France, s'affemblerent le 25 de Mai chez le Cardi
nal de la Rochefoucauld pour remettre leurs procurations.
Ils tinrent le 27 une feconde Affemblée,
dans laquelle les procurations furent admifes. Le
28 , l'ouverture folemnelle de l'Affemblée fe fit
dans l'églife des Grands Auguftins , par la Meffe
du Saint-Efprit. Le Cardinal de la Rochefoucauld
y officia pontificalement , & tous les Députés y
communierent. Le fermon fut prononcé par l'Evêque
du Puy. Les Députés font , pour la province
de Paris , les Evêques de Meaux & de Blois , &
les Abbés Guillot de Montjoye & d'Apchon . Pour
la province de Lyon , les Evêques de Langres &
d'Autun , l'Abbé de Montjouvant , Comte de
Lyon , & l'Abbé de la Croix. Pour celle de Rouen,
les Evêques de Bayeux & d'Evreux , & les Abbés
de Saint-Aulaire & de Belbeuf. Pour celle de
Sens , l'Archevêque de Sens , l'Evêque de Nevers ,
l'Abbé de Murat de Baing , & l'Abbé d'Oſmond
de Medavy , Comte de Lyon. Pour celle de Reims,
les Evêques d'Amiens & de Senlis , & les Abbés
de Trudaine & de Modene . Pour celle de Tours
PArchevêque de Tours , l'Evêque de Quimper
216 MERCURE DE FRANCE.
les Abbés de Monteclair & de Soulange . Pour
celle de Bourges , le Cardinal de la Rochefoucauld
, Archevêque de Bourges ; l'Evêque du Puy,
& les Abbés de Fretat de Sarra & de Molin de
Mons. Pour celle d'Alby , l'Archevêque d'Alby ,
l'Evêque de Rhodès , & les Abbés de Roquigny
de Bulonde & de Langlade. Pour celle de Bordeaux
, les Evêques de Saintes & de Sarlat , & les
Abbés de Montefquiou & Dudon . Pour celle
d'Auch , l'Archevêque d'Auch ; l'Evêque d'Oleron
, & les Abbés de Berthier & de Larbouft . Pour
celle de Narbonne , l'Archevêque de Narbonne ,
P'Evêque de Montpellier , & les Abbés de Roquefort
& de Boizay de Courcenay. Pour celle de
Toulouſe , l'Archevêque de Toulouſe , l'Evêque
de Lavaur , & les Abbés de Bruyeres de Chalabre
& de Bauteville. Pour celle d'Aix , les Evêques de
Riez & d'Apt , & les Abbés de Gadagne & de Canorgue.
Pour celle d'Embrun , l'Archevêque
d'Embrun , l'Evêque de Glandeve , & les Abbés du
Queylard & de Baumel. Pour celle de Vienne , les
Evêques de Grenoble & de Die , & les Abbés de
Gouvernet & de Breves. Pour celle d'Arles , l'Atchevêque
d'Arles , l'Evêque de Saint -Paul Troischâteaux
, & les Abbés de Chapt de Raftignac &
d'Almant de Château - neuf. L'Affemblée a élu
pour Préfidens le Cardinal de la Rochefoucauld ,
P'Archevêque de Narbonne , l'Archevêque d'Embrun
, l'Archevêque d'Auch , l'Evêque de Bayeux ,
'Evêque de Langres , l'Evêque de Grenoble &
P'Evêque de Montpellier. L'Abbé de Coriolis ,
ancien Agent général du Clergé , eft Promoteur ;
l'Abbé de Raftignac , Vice- Promoteur ; l'Abbé
de Caftries , ancien Agent général , Secrétaire ;
l'Abbé d'Ofmond , Vice-Secrétaire. Les nouveaux
Agens généraux font l'Abbé de Crillon & l'Abbé.
de Jumilhac Le
J
JUIN. 1755. 217
Le 27 , l'Archevêque de Paris bénit dans l'églife
des Religieufes Bénédictines de Conflans , les
Guidons des Gendarmes de la Garde de Sa Majefe
Le détachement étoit de cinquante Gendarmes
& le Prince de Soubife à leur tête affitta à la
cérémonie.
M. Jean Crochet , Chanoine honoraire de l'églife
Cathédrale de Noyon , eft mort le 21 en
cette derniere ville , âgé de quatre-vingt -douze
ans. Il avoit été nommé Chanoine le 31 Mars
1676 , & il a vû deux fois renouveller fon Chapitre.
Ce fut le feu Cardinal de Retz qui fit accorder
à cet Eccléfiaftique la difpenfe d'âge pour
être Chanoine d'une Cathédrale .
Woldemar , Comte de Lowendalh & du Saint
Empire , Maréchal de France , Chevalier des ordres
du Roi , & des ordres de Saint - Alexandre
Neuski & de Saint- Hubert , Colonel d'un Régiment
d'Infanterie allemande de fon nom , un des
Académiciens honoraires de l'Académie royale
des Sciences , & ci - devant Général des armées de
l'Impératrice de Ruſſie , mourut à Paris le 27 de
ce mois. Lorsqu'il eſt entré au ſervice de Sa Ma◄
jefté , il étoit déja regardé comme un des plus
habiles Généraux de l'Europe. La priſe d'Oudenarde
, d'Oftende , de Nieuport & de Berg - opzoom
, & le fuccès de toutes les autres expéditions
dont il a été chargé , ont confirmé fa réputation.
Le Maréchal de Lowendalh étoit né à Hambourg
le 6 Avril 1700 , & il étoit fils de Woldemar , Baron
de Lowendalh , Chevalier des Ordres de l'Aigle-
blanc , de l'Elephant & de Danebrog , grand
Maréchal& Miniftre du Roi de Pologne , Electeur
de Saxe. Son grand - pere étoit Ulric Frederic ,
Gomte de Guldenloew , Chevalier de l'Ordre de
('Elephant , Maréchal Général des armées de Da
II. Vol. K
21S MERCURE DE FRANCE.
nemarck , Chancelier du même royaume & Viceroi
de Norwege , fils naturel de Frederic III ,
Roi de Danemarck. Au mois de Janvier 1747 , le
Maréchal de Lowendalh obtint des lettres de
naturalité pour lui, pour la Maréchale de Lowendalh
, & pour trois enfans qu'ils avoient eus en
pays étranger. Il a montré par fon zele pour la
gloire du Roi & pour les intérêts de la France ,
qu'en acquerant les priviléges des fujets nés dans
le Royaume , il avoit pris leurs fentimens .
Le 28 , les Actions de la Compagnie des Indes
étoient à dix fept cens foixante livres : les billets
de la premiere lotterie royale à huit cens cinquante
, & ceux de la feconde lotterie à fept cens qua
rante-cinq.
Le même jour , leurs Majeftés & la Famille
royale revinrent de Marly.
Le 29 , Fête du Saint Sacrement , le Roi accompagné
de Monfeigneur le Dauphin , de Madame
Adelaïde , & de Mefdames Victoire , Sophie
& Louife s'eft rendu à l'Eglife de Notre-Dame. Sa
Majefté y a entendu la grande Meffe , après avoir
affifté à la Proceffion qui eft venue felon l'uſage
à la Chapelle du Château. La Reine & Madame
la Dauphine ont reçu dans la Chapelle la benédiction
du Saint Sacrement. Leurs Majeſtés & la
Famille royale ont affifté cet après-midi aux Vêpres
chantées par la Mufique , aufquelles l'Abbé
Gergoy a officié , & au Salut célébré par les Miffionnaires
, pendant lequel la Mufique a chanté
une élévation , de la compofition de M. Blanchard
, Maître de la Muſique de la Chapelle en
quartier.
Dans l'Evêché d'Acqs douze villages ou ha
meaux , diverfes mailons de campagne & un grand
nombre de Moulins ont été réduits en cendres .
JUIN 1755. 219
Plufieurs perfonnes & quantité de beftiaux ont
péri dans les flammes. On fait monter à plus d'un
million la perte caufée par cet incendie. L'Evêque
d'Acqs a reffenti auffi vivement que l'exigeoit de
lui fa qualité de Pafteur la défolation d'une partie
de fon diocefe. Voyant d'honnêtes familles réduites
à la derniere mifere , il en a pris les enfans
fous fa protection ; if les a placés à fes dépens
dans des penfions , & il les y fait élever ſuivant
leur état. La charité de ce Prélat s'eft étendue fur
tous les autres malheureux qui ont fouffert , & il
leur a fait diftribuer du bled & de l'argent.
BENEFICES DONNÉS.
Sa Majefté a donné l'Abbaye de la Chaffaigne ;
A
Ordre de Câteaux , diocefe de Lyon , vacante par
le décès de M. de Borſat , à M. Pierre- Louis de
Chalvet de Saint - Etienne , Vifiteur Général des
Carmélites .
L'Abbaye de Belle- Ville , Ordre de Saint- Augnftin
, diocefe de Lyon , vacante par le décès de
M. d'Hauterive , à M. Gafpard Dufou de Saint-
Amour , grand Vicaire de Mâcon,
>
L'Abbaye de Beaulieu , Ordre de Saint- Auguftin
, dioceſe de Saint- Malo vacante par la démiffion
de M. de Montlouet , Evêque de Saint-
Omer , à M. Louis-Marie de Pontuat , grand Vicaire
de Vannes.
L'Abbaye de Notre- Dame d'Abfie en Brignon ,
Ordre de S. Benoît , diocefe de Poitiers , vacante
pâr la démiffion de M. Luthier de Saint-Martin ,
à M. Louis-Hugues d'Ethy de Milly , Prêtre du
Kij
220 MERCURE DE FRANCE:
diocefe de Mâcon , à la charge d'une penfion de
mille livres pour le remettant .
L'Abbaye Réguliere du Rivet , Ordre de Cîteaux
, dioceſe de Bazas , vacante par la démiffion
de Dom Chibert , à Dom Jean - Jofeph la
Malatie , Religieux dudit Ordre , à la charge de
huit cens livres de penfion pour le remettant.
JUI N. 1755.
221
MORTS ET MARIAGES. #
E 6 Février , Charles-René de Maillé Latour
Landry ,Comte de Maille , Capitaine de Dra
>
gons , fils de Charles-Louis de Maillé , Comte de
Latour- Landry , Baron d'Antraíme , & de Dame
Marie-Françoife de Savonnieres , Dame de Meaune
, a été marié avec Marie-Renée-Bonne - Félicité
de Savary-Breves de Jarzé. L'Evêque de Senlis
leur a donné la bénédiction nuptiale dans la Chapelle
de l'Hôtel de Condé , en préſence de leurs
A. A. S. S. Monfeigneur le Prince & Madame la
Princeffe de Conde.
La Maiſon de Maillé étoit floriflante dès le
douziéme fiécle . L'an 1233 , les Vicomtes de
Rohan & de Leon appellerent à leurs fecours ,
contre Pierre de Dreux , Duc de Bretagne , Hardouin
V , Baron de Maillé , Seigneur puiffant .
Ce qui releve infiniment le luftre de toutes les
grandes alliances de cette Maifon , c'eft l'honnenr
qu'elle a d'être alliée à la Maifon de Bourbon.
L'an 1510 , Hardouin X. de Maillé tranfigea
avec Louis de Bourbon , Prince de la Roche-fur-
Yon , de la fucceffion de leur oncle commun ,
André de Chauvigny , héritier des Princes de
Deols ; Hardouin de Maillé eut au nombre des
grandes Terres qui lui revinrent de cette fucceffion
, le Comté de Châteauroux en Berri.
L'an 1641 , Louis de Bourbon , Prince de Con
dé ,furnommé le grand Condé , époufa Claire-
Clémence de Maillé , fille d'Urbain de Maillé ,"
Maréchal de France , Chevalier des Ordres du
Kj
272 MERCURE DE FRANCE.
Rot , Gouverneur d'Anjou , & foeur d'Armand de
Maillé , Marquis de Brezé , Duc de Fronſac , Pair
de France , tué à 27, ans , Commandant la flotte
de France devant Orbitelle , c'en de cette Brite
ceffe que defcendent tous les Princes & Princeffe
de la Maifon de Condé.
La Maifon de Maillé s'eft divifée en plufieurs
branches , l'aînée a joint au nom de Maillé celui
de Latour-Landry , à caufe de l'héritiere de cette
ancienne Maiſon fondue dans cette branche ; aujourd'hui
les chefs & aînés de toute la Maifon de
Maillé , font Charles - Hardouin de Maillé - Latour-
Landry , Marquis de Jalefnes , Baron de Gaftines ,
Colonel d'infanterie , & Charles- Louis de Maillé ,
Comte de Latour-Landry , Baron d'Antrafme.
Le fils unique du Marquis de Maillé a épousé le
premier Mars 1713 , la fille aînée du Comte de
Latour-Landry fa coufine germaine , & foeur du
Comte de Maillé qui donne lieu à cet article.
> La Comteffe de Latour - Landry mere du
Comte de Maillé , eft héritiere de la branche
aînée de la Maiſon de Savonnieres , originaire
d'Anjou , & connue dès l'an 1100 parmi les premieres
de cette province ; elle a donné nombre
de Chevaliers de l'ordre de Saint- Michel , & un
Evêque de Bayeux : elle s'eft diftinguée dans l'Ordre
de Malthe dès les premiers tems ; de nos jours
Charles de Savonnieres , grand oncle de Madame
la Comteffe de Latour-Landry , étoit grand Bailli
de la Morée , Chef d'Eſcadre & Commandant les
Galeres de France.
La Maiſon de Savonnieres eft alliée à celles de
Mattefelon , de Beauveau , de Villequier , du
Bellay , de Froulay & de Montecler , & c.
La Maiſon de Savary , originaire de Touraine ,
afervi nos Rois & l'Etat fans difcontinuation dès
JUIN. 1755. 223.
le douzième fiécle , qu'elle eft connue entre les
plus nobles de cette province , par des alliances
illuftres , par des dons faits à des Abbayes du tems
des Croisades , par la poffeffion de fiefs mouvans
directement de la Couronne , & enfin par la pof-,
feffion de la Seigneurie de Lancofine depuis 400
ans.
L'aîné & le chef du nom & armes de cette Maifon
, eft Louis-François- Alexandre de Savary ,
Seigneur & Marquis de Lancofme en Touraine ,
& autres terres en Berri , Chevalier de l'Ordre
royal & militaire de Saint-Louis , ci- devant Capitaine
de grenadiers au régiment de Richelieu :
fon frere N..... de Savary-Lancofme , Chevalier
de Saint- Louis , Seigneur de Nozieres , a été tué
en 1734 au fiége de Philisbourg , étant Capitaine
de grenadiers au même régiment.
N... de Savary-Lancofme ( autre frere du
Marquis de Laacofme ) Chevalier Profès de l'Ordre
de Saint- Jean de Jerufalem , eut le bras droit
emporté en 1734 au même fiége , étant Sous-
Lieutenant de grenadiers au régiment des Gardes-
Françoifes , & a quitté étant Lieutenant au même
régiment.
N..... de Savary - Lancofme , Seigneur de
Bauché , fils aîné du Marquis de Lancofme , âgé
de 27 ans , Capitaine de cavalerie au régiment de
Bourgogne , fert le Roi depuis 14 ans : il a épousé
N..... de Ronçay , & a des enfans.
Marie- Renée-Bonne Félicité de Savary - Breves
de Jarzé , Comteffe de Maillé , qui donne lieu à
cet article , a pour fixiéme ayeul paternel , noble
Seigneur Denis de Savary , Ecuyer , Seigneur de
Ligny & de Breves , cadet de la Maiſon de Savary-
Lancofme , qui époufa le 19 Décembre 1544 ,
Françoife de Damas , fille de François de Damas
Kiv
224 MERCURE DE FRANCE.
Chevalier , Seigneur de Breves en Nivernois , &
d'Ifabeau d'Arces : Françoife de Damas devint par
la mort d'Antoine de Damas fon neveu , héritiere
de la terre de Breves , qui a fervi de titre distinctif
à cette branche de Savary. Elle fut mere de Franfois
de Savary , Seigneur de Breves , Marquis de
Maulevrier , &c. Il fuivit à Conftantinople Jacques
de Savary- Lancofme fon parent , ci- devant
Meftre de Camp d'un régiment d'infanterie
nommé en 1582 par Henri III. Ambaſſadeur à la
Porte Ottomane , où étant mort en 1591 , la
Seigneur de Breves fut nommé à fa place. Il y
refta jufqu'à l'année 1606 , après avoir conclu le
20 Mai 1604 avec le Sultan Achmet un Traité
très-avantageux à la Nation Françoife & à la religion
: il fut reçu en 1607 Confeiller d'Etat d'épée
& Gentilhomme ordinaire de la Chambre du Roi,
il en prêta le fermet le 6 Janvier 1607. Il fur
nommé en 1608 Ambaffadeur à Rome , où il fou
tint au contentement de Sa Majeſté & de la Reine
Régente , la dignité de la couronne contre l'Ambaffadeur
d'Efpagne , comme il paroît par leurs
lettres des 31 Août & 4 Juin 1610. Le Roi le
choifit & nomma par Brevets & Lettres Patentes
fcellées du grand Sceau des 18 Décembre 1610 ,
& 4 Juillet 1614 , Gouverneur de la perfonne de
Monſeigneur le Duc d'Anjou , frere unique du
Roi , premier Gentilhomme de fa Chambre
Lieutenant de fa Compagnie de 200 hommes
d'armes , & Surintendant de fa Maifon par
Brevet du Confeil des affaires de Sa Majefté du 29
Septembre 1614 , l'entrée près de fa perfonne lui
étoit permife même aux heures les plus fecretes
: la Reine mere du Roi , par Brevet du 21
Octobre 1624 , lui donna l'état & charge de fon
premier Ecuyer , il en prêta le ferment le même
JUIN. 1755. 225
jour. Par Lettres Patentes du mois de Mai 1625 ,
le Roi érigea la terre de Breves en titre de Comté
pour lui & fes defcendans de fon nom : il fut
nommé Chevalier de l'Ordre du Saint- Esprit par
Brevet du 13 Novembre 1725 , & fes preuves admifes
pardevant François de Silly , Duc de la Rocheguyon
, & Louis de la Marck , Marquis de Mofny,
Chevaliers dudit Ordre , Commiflaires nommés
à cet effet par Sa Majefté. Il fut invité par lettres
du Roi du 15 Novembre 1626 , à fe trouver à
l'ouverture de l'affemblée des Notables du Royaume,
indiquée à Saint -Germain- en - Laye ; & par Brevet
du 28 Août 1627 ; le Roi le retint Confeiller
en fon Confeil des Dépêches . Il avoit épousé par
contrat du 27 Février 1607 Anne de Thou ,
fille de Christophe-Augufte de Thou , Chevalier ,
Seigneur du Pleffis de Placy , Gentilhomme ordinaire
de la Chambre du Roi , & d'Anne de Neufville-
Villeroy , dont il eut trois fils ; fçavoir , Camille
de Savary-Breves , premier du nom , qui a
continué la postérité , Cofine de Savary- Breves
Marqui de Maulevrier , Maître de la Garde- robe
de S. A. R. Monfieur Gafton de France , frere
unique du Roi , décedé fans avoir été marié , &
Gafton-Jean- Baptifte de Savary- Breves , Abbé de
Montmajour , de Greftin , de Saint- Gildas de
Ruis , & de Gifmont , Aumônier du Roi.
>
Camille de Savary , premier du nom , Chevalier
, Comte de Breves , Seigneur Dauvours , &c.
Maître de la Garde-robe de S. A. R. Monfieur
Gafton de France , frere unique du Roi , par Bre
vet du 12 Novembre 1616. , fur la démiffion
d'Annibal d'Eftrées , Marqui de Coeuvres , pour
exercer ladite charge conjointement ou par femeftre
avec Cofme de Savary , Marquis de Mau
levrier fon frere puifné , épaufa par contrat du
226 MERCURE DE FRANCE.
>
22 Février 1634 , Catherine du Pleffis-Jarzé , fille
de François du Pleffis , Chevalier , Seigneur &
Marquis de Jarzé , Gentilhomme ordinaire de la
Chambre du Roi , Capitaine d'une Compagnie
de so Chevaux-Légers , & de Catherine de Beaumanoir
- Lavardin. Catherine du Pleffis-Jarzé
étoit foeur de René du Pleffis , Marquis de Jarzé
Capitaine d'une Compagnie de 90 Chevaux-Légers
en 1638. Cornette des 200 Chevaux- Légers
de la garde du Roi en 1643. Maréchal de Camp
& Capitaine d'une Compagnie des Gardes da
Corps de Sa Majefté en 1648. Ils étoient tous.
deux iffus de René , Seigneur de Jarzé , appellé
le brave Jarzé , tué en 1588 , à l'attaque des fauxbourgs
de Tours , pendant les guerres de la Ligue,
étant Meftre de Camp d'un régiment d'infanterie
pour le fervice du Roi ; ce René étoit fils de François
, Seigneur de Jarzé , & de Marie de Maillé-
Brezé la Maifon du Pleffis-Jarzé , originaire de
la province du Maine , eft éteinte en 1723 , par le
décès fans enfans de Marie-Urbain - René du Pleffis
, Marquis de Jarzé , Chevalier de Saint- Louis ;
il avoit eu une main emportée au fiége de Philisbourg
en 1688 , étant Colonel d'un régiment
d'infanterie de fon nom , la branche de Savary.
Breves a hérité de fes biens paternels , & le Marquilat
de Jarzé eft échu en partage à Camille de
Savary- Breves , troifiéme du nom , grand-pere de
la Comteffe de Maillé .
Camille de Savary , fecond du nom , Chevalier ,
Comte de Breves , &c . fils de Camille premier &
de Catherine du Pleffis- Jarzé : il fut fucceffivement
Capitaine & Lieutenant- Colonel du régiment
d'infanterie du fieur de Ferron , & Colonel
d'un régiment d'infanterie fuivant les Brevets des
31 Janvier 1637 , & 18 Mars 1658. Il époufa par
JUIN. 1755. 227
contrat du 29 Septembre 1661 , Hélene de Bar-,
tholy , fille unique de François de Bartholy , Che-,
valier , Comte de Saint- Bonnet , & d'Edmée de
Damas d'Anlezy ; de ce mariage eft iffu entr'autres
enfans ,
Camille de Savary , troifiéme du nom , Marquis,
de Breves & de Jarzé , &c. Capitaine de cavalerie ,
bleffé dangereufement en 1691 , au combat de
Leufe , qui de fon fecond mariage du 30 Avril
1717 , avec Marie- Magdelaine Cholet , a eu
Paul-Louis-Jean - Baptifte- Camille de Savary-
Breves , Marquis de Jarzé , qui a épousé par contrat
du 24 Avril 1739 , Bonne Damaris de Briqueville
de la Luzerne , fille de Jean- François de-
Briqueville , Seigneur & Comte de la Luzerne , &
de Françoife-Philberte de Froulay de Teffé , fille
dur feu Maréchal de Teffé : de ce mariage eft iffu
Marie-Frauçois- Camille de Savary , Comte de
Breves , Marie-Renée- Bonne-Félicité de Savary-
Breves de Jarzé , qui donne lieu à cet article , &
Marie-Louife de Savary-Breves .
Françoife -Alexandrine de Savary- Breves , four
du Marquis de Jarzé , a épousé en 1746 , François-
Philbert de Briqueville de la Luzerne , appellé le
Comte de Briqueville , Brigadier des armées du
Roi , Enfeigne des Gardes du Corps de Sa Majesté »
if eft frere de la Marquife de Jarzé.
La Maifon de Savary porte pour armes ,
d'argent & defable.
écartelé
Voyez les Mémoires de l'Abbé de Marolles , tom.
2. p. 230 ; le Mercure François , tom. 1. p. 29. tom ..
2. p. 262 ; l'Histoire de Louis XIII. par Michel le
Vaffor tom. 3. premiere part . d . 6 ; les Mémoires
Hiftoire , de Critique de Littérature , par
M.ľAbbé d'Artigny , tom . 4. p . 345 , ¿co
K vi
228 MERCURE DE FRANCE.
Le 2 Janvier eft mort à Paris Meffire François-
Vincent Durand de Villegagnon , Marquis de
Villegagnon , âgé de 72 ans.
Le 7 Février eft mort Meffire Galiot Mandat ;
Maître des Requêtes.
Melfire Pierre de Meſmes de Ravignan , ancien
Colonel d'Infanterie , mourut le même jour âgé
de 81 ans.
Meffire Jacques- Gabriel de Chapt , Comte de
Raftignac , Baron de Luzech , eft mort le 9 à
Sarlat en Périgord dans fa 78 ° année .
ג
Meffire Charles de Secondat , Baron de Montefquieu
ancien Préfident du Parlement de
Guyenne , & l'un des quarante de l'Académie
Françoife , dont il étoit un des principaux ornemens
, mourut à Paris le 10 , âgé de 65 ans, IL
étoit de la Société royale de Londres & de l'Académie
de Berlin .
Dame Louiſe- Claire de Lamoignon , veuve de
Meffire Armand -Pierre -Marc - Antoine de Gourgues
, Maître des Requêtes , mourut à Paris le 17.
Meffire Jofeph-Nicolas Millet , Chanoine &
ancien Doyen de l'Eglife Métropolitaine de
Rheims , eft mort à Rheims le 18 dans fa 97e
année.
Damoiſelle Jeanne-Hippolite - Charlote-Marine
PEriget de la Faye , fille de feu Meffire Jean- Franfois
l'Eriget , Marquis de la Faye , eft morte le
19 au Couvent de Belle- Chaffe.
Dame Magdeleine- Henriette de Caze , veuve
de Meffire Jean- Louis Rouillé d'Orfeuil , Maître
des Requêtes , eft morte à Paris le 23.
Dame Marie Robert , veuve de Meffire François
Dauvet , Comte Defmareft , Grand Fauconnier
de France , mourut le 24 âgée de 71 ans .
Dame Magdeleine -Elizabeth Haillet , époufe
JUIN. 1755. 2.29
de Meffire Aimeri de Caffagnet , Marquis de Fi
marcon , Lieutenant général des Armées du Roi ,
eft morte le 28 dans fa 45 ° année .
Dame Genevieve Pecquot , veuve de Meflire
Charles Sevin , Marquis de Quinci , Brigadier des
Armées du Roi , Lieutenant général d'Artillerie ,
& Lieutenant du Roi dans la province d'Auvergne
, eft morte au Monaftere des Dames de fainte
Marie de Meaux , dans fa 77° année.
Pierre -Guillaume Monpefat Tremolety de Bucelly
, Marquis de Monpefat , Lieutenant de Roi
de Languedoc , eft décédé dans fon château de
Monpefat le 24 d'Avril ; il étoit devenu le chef &
l'aîné des anciens Monpefat du bas- Languedoc : il
a laiffé deux fils , l'aîné connu fous le nom de
Marquis de Monpefat , eft Lieutenant de Roi de
Languedoc , & l'un des quatre premiers Baron du
Dauphiné le fecond , eft Doyen du Chapitre de
Tarrafcon ; leur four unique avoit épousé le Marquis
de Nicolay : il y a eu de leur mariage deux
fils ; & le Marquis de Monpefat , aujourd'hui repréfentant
fon pere , a de fon mariage avec la fille
unique du Marquis d'Ugoult-Montmaur des en.
fans.
Li
A VIS
'Eau des Sultannes fe diftribue toujours avec.
beaucoup de fuccès. Il y a peu de femaines .
que le fieur Garot , feul poffeffeur du fecret de la
compofer , ne reçoive des lettres de province , qui.
lui font adreffées de la part des perfonnes de dif
tinction , pour des envois qu'il a foin de faire
tenir régulierement . Ces perfonnes véridiques ,»
230 MERCURE DE FRANCE.
qui font l'éloge de cette Eau , ont remarqué par
fufage qu'elles en ont fait , qu'elle poffede non'
feulement toutes les vertus annoncées déja dans le
Mercure de Juillet 1752 , mais encore celles
d'être excellente pour preffer la guérifon des éré-'
fipeles , dartres vives & farineufes , & enfin toutes
les maladies de la peau , qui ont un grand feu
pour principe.
:
>
On peut s'en fervir le matin & le foir , elle raf--
fermit la peau , l'adoucit & la fortifie confidérablement
en la blanchiffant ; elle a auffi la vertu
de rafraîchir . Elle convient non feulement aux
femmes , mais encore aux hommes qui ont le vifage
brûlé du foleil en courant la pofte , ou à la
chaffe ; il ne faut qu'imbiber un petit linge fin ,
ou une éponge avec cette Eau , & s'en étuver
pour le trouver promptement foulagé . Cette Eau
eft très - convenable dans les bains de fanté & de
propreté , on la peut mêler avec l'eau du bain , à
volonté ; lorfque l'on fera forti du bain , on peut
l'employer toute pure. On peut auffi , après s'être
bien lavé les mains & les avoir effuyées , fe les
frotter de ladite Eau pure , puis la laiffer fecher
fans les effuyer que très - légerement . Cette Eau
eft auffi très-bonne pour les taches de rouffeur &
les rougeurs de la petite verole , elle les efface entierement.
Plufieurs Seigneurs & Dames s'en fervent
actuellement . Cette Eau fe débite en plufieurs
provinces : le prix du flacon eft de 6 liv. &
le demi- flacon eft de 3 livres . Le fieur Garot prie
les perfonnes qui lui écriront , d'affranchir le port
de leur lettre . Il demeure préfentement rue Be
tízy , en entrant par la rue de la Monnoye , chez
M. Sivrie , Maître Boulanger , au milieu de l'allée
une petite porte à gauche , au premier étage.
JUIN. 1755. 251
AUTRE.
E fieur Jean Hatry , Marchand Epicier - Dro
Lguifte ,rue des Lombards à Paris , a reçu de
P'Amérique du Syrop de Callebaffe , déja connu
par les excellentes propriétés contre toutes les
affections de poitrine , comme les rhumes , les
maux de gorge , la pulmonie , la phthifie & l'afthme.
Ce Sirop , par fa qualité lubrefiante & déterfive
, fait expectorer avec beaucoup de facilité..
Le prix du flacon de pinte eft de 12 livres..
AUTR E.
E fieur Cartier donne avis au public qu'il
continue à diftribuer avec fuccès fon remede
pour la guériſon de la pierre & de la gravelle , if
envoye avec la maniere de s'en fervir les noms &
certificats des perfonnes qu'il a guéries , parmi
lefquelles il y en a deux qui ont été refondées , &
leur pierre s'eft trouvée entierement diffoute . Son
adreffe eft au College de Narbonne , rue de la
Harpe , à Paris . On affranchira le port des lettres..
AUTRE.
L n'eft pas furprenant que depuis quinze à vinge
nifeftées , étant devenu fort à la mode. Nous en
offrons au public une qui a l'applaudiffement de
232 MERCURE DE FRANCE.
tous ceux qui s'en font fervis , parce qu'elle rend
-le-Chocolat plus délicat & beaucoup plus onс-
tueux , ce qui vient d'une nouvelle machine qui
le broye avec plus de fuccès qu'on ne l'avoit fait
jufqu'aujourd'hui . L'on s'adreffera chez le fieur
Cartier , à l'Arſenal de Paris , dans la cour de la
Bastille. Toutes les grandes maifons feront foi de
l'excellence de ce Chocolat.
AUTRE .
Duchefne me faint equis ',
Uchefne , Libraire , rue faint Jacques , auau
Temple du Goût , vient de mettre en vente :
La fuite de la Bibliothéque amufante & inftructive
, 2 vol . in- 12. reliés 5 liv .
Le tome troisieme eft fous preffe.
La Baguette myftérieufe , ou Hiftoire d'Abizaï ,
deux parties brochées , 2 liv.
Lettre critique de l'Hiftoire univerfelle de M.
de Voltaire , par M. B. in- 12 . 1 liv.
Trois Differtations de M. l'Abbé Coyer , Ia
premiere fur le mot dé Patrie , la feconde fur la
nature du Peuple , & la troifieme fur les Religions
Grecque & Romaine , in - 12 . relié 2 liv.
Eclairciffemens effentiels pour préferver les
dents de la carie , & les conferver jufqu'à l'extrême
vieilleffe , par M. de l'Eclufe , brochure , 12 f.
Entretiens fur les Romans , ouvrage moral &
critique , avec une Table alphabétique des anciens
& nouveaux Romans , in- 12 . relié 3 liv.
Une nouvelle édition de l'Effai fur l'Architecture
, par le Pere Laugier , augmentée confidérablement
, avec un Dictionnaire des termes & des f
gures , in- 8°. relié 6 liv.
JUIN. 1755. 233
La feconde partie des Effais hiftoriques fur
Paris , par M. de Saintfoix , la partie , 1 liv. 16 f.
Fables & Contes , avec un Difcours fur la littérature
allemande , par M. de Rivery , in - 12 . belles
vignettes , 2 liv . 10 £
Les faux Pas ou Mémoires vrais ou vrai→
femblables , de la Baronne de ... 2 parties brochées
, 2 liv. 10 f. <
Hiftoire de Simonide & du fiecle où il a vêcu ;
avec des éclairciffemens chronologiques ; par M.
de Boiffy fils , deux parties brochées , 2 1. 1o f.
Recueil général de tout ce qui a été publié fur
la ville d'Herculane , in- 12 . broché 2 liv .
I
Hiftoire d'une jeune fille fauvage trouvée dans
les bois à l'âge de dix ans , in - 12. broché 1 liv.
Mémoires du Comte de Banefton , par M. de
Forceville , deux parties , broché 2 liv. 10 f.
La Médecine expérimentale , ou le réſultat des
nouvelles Obfervations pratiques & anatomiques ,
par M. Thiery , Médecin de l'Empereur , in- 12 .
relié 2 liv. 10 f.
Mémoires du Chevalier d'Herban , deux parties
in- 12. 2 1.
Nouveaux fujets de Peinture & Sculpture , par
M. le Comte de C ... in- 12 . brochure , 1 liv.
La Pleyade françoife , ou l'efprit des fept grands
Poëtes François , en forme de Dictionnaire ,
2 vol. petit format , reliés , liv .
Le Paffe- tems des Moufquetaires , ou le tems
perdu , in-12 . 1 liv. 10 f.
Triomphe de l'Amour , ou le Serpent caché
fous les fleurs , fuivi de la brochure à la mode ,
deux parties.
Traité de la Diction françoife , par M. E ...
de l'Académie des Sciences de Montpellier , in-12 .
2 liv.
1
234 MERCURE DE FRANCE.
La nouvelle édition de Telliamed , confidérablement
augmentée de plufieurs pieces relatives à
l'ouvrage , & de la vie de l'auteur , 2 vol. in - 12 .
liv.
Le Recueil des OEuvres de M. Vadé , 2 vol.
in-8°. 10 liv.
*
Le Recueil des pieces qui ont été repréſentées
fur le théâtre de l'Opéra- Comique depuis fon
rétabliſſement , 3 vol . in - 8 ° . avec les airs notés
Is liv.
Les Troyennes de Champagne , Parodie.
Les Jumeaux , Parodie.
Jerôme & Fanchonette , Parodie.
Les jeunes Mariés , Opéra- Comique.
La Folie & l'Amour , Comédie.
Les Tuteurs , Comédie.
"
On trouve chez le même Libraire un aſſortiment
de Livres, tant anciens que nouveaux , de France
& du pays étranger ; pareillement un affortiment
général des Théatres & Pieces détachées , &plu➡
fieurs Recueils , de Mufique.
LIVRES fous preffe qui ne tarderont pas
à paroître.
Tableau de l'Empire Ottoman , 12.
Projet des Embelliffemens de Paris , par M.
Delagrave.
Les pieces dérobées de M. l'Abbé de Lattaignant
, 4
vol. in- 12.
Les OEuvres de M. Piron , 3 vol. in-12.
Hiftoire intéreffante du Nord , in-12. 3 vol.
JUIN. 1753 . 235
AUTR E.
E fieur Maupillier l'aîné , furnommé l'Indien ,
Lautrefois
autrefois Chirurgien des Hôpitaux du Roi ,
ancien Chirurgien- major de la Compagnie des
Indes , Chirurgien reçu à Paris , P. Angers , &
aggrégé à Saint- Germain-en- Laye , où il demeure
, rue de Poiffy , eft inventeur d'un baume nerval
, fpécifique pour toutes les douleurs rhumatiffantes
, foit du cuir chevelu , ou de fciatique,
'goutte froide des articles , entorfes , débilité ,
piquures , foulures , meurtriffures des nerfs , des
tendons , des ligamens , &c.
Ce baume a été éprouvé avec fuccès à l'Hôtel
royal des Invalides , a l'Hôpital de la Salpétriere
à Paris , & c.
Les pots en fayence font de trois & de fix onces
, les uns font de fix livres , & les autres de
trois livres.
On n'en fera point d'envois en province que
pour une livre & demie ; on aura foin d'affranchir
les ports de lettres & de l'argent , & on aura celui
de faire enrégiftrer ce médicament à fon adreffe
dans les Meffageries. Ce baume fe vend chez M.
Gambés , Diſtillateur dans l'Abbaye S. Germain
des Prés à Paris ; ou chez l'aureur , à Saint-Germain-
en- Laye.
a36 MERCURE DE FRANCE.
AUTRE
'Elixir de Garrus, dont tout le monde connoît
les excellentes propriétés , fe vend à préfent
chez Mme Garrus , rue de la Sourdiere , maifon
de Mme Hachette , à côté du petit hôtel S. Jean.
AUTRE.
Fauvel , expert,reçu à S. Côme pour lesher
nies ou defcentes , traite ces maladies par l'application
d'une nouvelle efpece de bandage d'ivoi
re qu'il a inventé .
Ce bandage convient aux perfonnes de tout àge
& de tout fexe ; il excelle fur-tout pour les hernies
naiflantes qu'il guérit radicalement & en peu
'de tems.
Ce bandage étant fans fer ni acier , a l'avanta
ge
fur ceux qu'on emploie communement d'être
très-léger , & de faire très- peu de volume ; il n'eſt
pas fujet à écorcher ni à ufer le linge qui porte
deffus , enfin on couche avec lui fans en être gêné
, & on n'eſt pas obligé de le quitter dans aucun
exercice que ce foit : un feul fuffit pour la vie ,
& il eft aifé d'un bandage fimple d'en faire un
double fans rien changer au premier , auquel on
ajoute un fecond écuffon d'ivoire , qui s'approche
ou s'écarte à volonté. Ceux du nombril &
autres parties du ventre font auffi d'ivoire.
Il fait des peffaires d'ivoire & de cire pour la
chûte de la matrice ; il en fait d'ivoire & à reffort
pour la chûte de l'anus ; il fait aufli pour l'un &
JUIN 1755 237
Pautre fexe des refforts & machines pour empêcher
l'écoulement involontaire des urines.
Il fait des urinoirs portatifs pour ceux qui font
obligés de refter long-tems dans la même place ,
comme les Eccléfiaftiques , les gens de robes , &
ceux qui vont en voitures ; il en fait auffi de trèscommodes
pour l'un & l'autre fexe , qui fe mettent
dans la poche , fans laiffer répandre une feule
goutte d'urine.
Il fait des portes- ventre très-légers , tant pour
les femmes enceintes , que pour les perfonnes
graffes , & celles qui ont la difpofition à avoir
un gros ventre parce qu'ils empêchent les
mufcles du bas- ventre de s'étendre outre
mefure.
>
Il fait une machine très-commode pour cacher
la fiftule l'acrimale ; des croix , des colliers , &
des botines pour les enfans qui en ont befoin ; il
fait des fufpenfoirs de toutes façons ; & généralement
tout ce qui concerne la guériſon , ou le
foulagement de toutes les maladies fufdites.
Il fait en ivoire le lévier de Roouhuiffen pour
les accouchemens difficiles , qui eft beaucoup
plus commode & plus fimple que celui de fer
dont fe fervoit ce fameux Accoucheur , & ne cauſe
pas
d'effroi comme font les ferremens .
Les malades de provinces qui lui écriront , font
priés de bien expliquer leurs maladies. A l'égard
de celles qui exigent l'application des bandages ,
il faut qu'on envoye la groffeur de la perfonne ,
qu'on explique la place ainfi que le volume de la
hernie ; s'il y en a deux , il faut fpécifier celle
qui eft la plus groffe , marquer fi le malade eft
maigre ou en embonpoint , fi les aînes font
creuſes , ou élevées , & affranchir les lettres,
238 MERCURE DE FRANCE.
Le fieur Fauvel demeure à préfent rue Macon ;
entre le Pont Saint-Michel & S. André des- Artsa
an Bandage d'ivoire , à Paris.
ᎪᎥ
APPROBATION.
"Ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chancelier
, le fecond volume du Mercure de Juin ,
& je n'y ai rien trouvé qui puiffe en empêcher
l'impreffion. A Paris , ce 16 Juin 1755.
GUIROY.
TWTH
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
REponſede M. Defmahis à M. de Margency,
page 7
Les Donneurs d'idées , Badinage inſtructif adreſſé
à M. de Boiffy,
II
Vers fur la mort de M. le Maréchal de Lowendalh,
Madrigal ,
20
ibid.
21
Vers à Mlle de Luffan , à l'occafion de fa penfion
fur le Mercure , par un de fes amis ,
Portraits de cing fameux Peintres Romains ,
Voyage de Dijon à Paris , fait en 1746 ,
Réflexions de M. de Marivaux ,
22
25
46
Vers à M.L. C. de *** fur des flambeaux de Saxe
qu'elle avoit envoyés myftérieufement à Mme
de SZ
239
Mots des Enigmes & des Logogryphes du Mer
cure de Juin ,
Chanfon de Table ,
Enigme & Logogryphe ,
ART. II . NOUVELLES LITTERAIRES.
59
60
63
Extraits , Précis ou Indications des Livres nouveaux
,
66
Sujets propofés par l'Académie royale des Sciences
& Beaux Arts de Pau , 77
Lettre de M. Gentil en réponſe à la Lettre de M.
le Tellier >
ART. III. SCIENCES ET BELLES LETTRES.
78
85
Algébre. Lettre à l'Auteur du Mercure ,
Méthode de Solution du Problême d'Algebre appliqué
à la fcience de la guerre , annoncé dans
le Mercure de Mai dernier ,
Médecine. Obfervations de M. Peffault de la Tour,
Médecin à Beaufort , fur un mémoire de M. Le
Cat ,
88
96.
Chirurgie. A Meffieurs de l'Académie royale de
Chirurgie , 106
Lettre de M. Defcaftans à M. Dupuy , Maître en
Chirurgie
120
Agriculture. Obfervations fur les vignes de 1754 ,
faites dans le Bordelois ,
ART. IV. BEAUX ARTS.
134
Sculpture. Lettre de M. Voifin , Avocat au Parlement
de Paris , à M. le Comte de Treffan , 129
Gravure ,
Architecture. Lettre de M à M. le Comte de
Ch, fur le Louvre ,
....
140
144
240
Horlogerie. Avertiffement du fieur le Mazurier
ART. V. SPECTACLES.
Comédie Françoiſe ,
Extrait de Philoctete ,
Comédie Italienne ,
ISO
179
180
195
Concert fpirituel ,
203
ARTICLE VI.
Nouvelles étrangeres , 203
Nouvelles de la Cour , de Paris , & c. 21E
>
Bénéfices donnés
219
Mariage & Morts , 221
Avis divers , -228
THÈQUE
BIBLIO
DE
L
LYON
VILLE
De L'Imprimeriede Ch, A. JOMBERT,
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
AVRIL. 1755 .
Diverfité , c'est ma devife. La Fontaine.
Chez
Cochin
Filiusinve
PapilmySculp
IBLIO
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JEAN DE NULLY , au Palais.
PISSOT , quai de Conti .
LAMBERT , rue de la Comédie.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
Avec Approbation & Privilege du Rois
LYON
AVERTISSEMENT.
IE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTION , Avocat , & Greffier- Commis
an Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne,
Butte Saint Roch , entre deux Selliers.
C'est à lui qu'on prie d'adreſſer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre ,
quant à la partie littéraire , à M. de Boiffy ,
Auteur du Mercure.
Le prix est de 30 fols , & l'on payera
d'avance , en s'abonnant , 21 livres pour
l'année , à raifon de quatorze volumes. Les
volumes d'extraordinaire feront également de
30 fols , fe payeront avec l'année qui les
Suivra.
Les perfonnes de province auxquelles on
l'envoyera par la pofte , payeront 31 livres
.10 fols d'avance en s'abonnant , & elles le
recevront franc de port.
Celles qui auront des occafions pour le faire
venir , ou qui prendront les frais du portfur
leur compte , ne payeront que 30 fols par
volume , 21 livres d'avance , en s'abonnant
pour l'année , fans les extraordinaires .
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers , qui voudront faire venir le Mer-
A ij
ture , écriront à l'adreffe ci- deffus.
On fupplie les perfonnes des provinces d'envoyerpar
la pofte , enpayant le droit , le prix
deleur abonnement , ou de donner leurs ordres,
afin que le payement en foit fait d'avance an
Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis ,
resteront au rebut.
L'on trouvera toujours quelqu'un en état
de répondre chez le fieur Lutton ; & il obſervera
de rester à fon Bureau les Mardi ,
Mercredi & Jeudi de chaque femaine, aprèsmidi
.
On peut fe procurer par la voie du Mercure
, les autres Journaux , les Livres qu'ils
annoncent , & tous autres généralement .
MERCURE
THEQUE DE
FRANCE
LYON
AVRIL.
*/
893*
1755 .
DE
LA
VILLE
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
EPITRE
A M. DES MAHIS ,
Qu
Par M. ***
Uittez la palette légere ,
Où l'amour broye encor vos plus belles couleurs;
Appellé par Thalie à de plus grands honneurs ,
Il eft tems qu'aujourd'hui d'une main plus févere,
A iij
6 MERCURE DE FRANCE .
Pour achever la peinture des moeurs
Vous repreniez le pinceau de Moliere.
Laiffez - moi des amans le tendre caractere ;
C'eſt à moi qu'il convient de chanter leurs douceurs
,
Moi qui toute la vie auprès d'une bergere
Ai porté la houlette & le chapeau de fleurs.
Tandis qu'au fein de la molleffe ,
Fuyant la table ouverte & le fouper prié ,
Vous accordez vos jours à l'amitié ,
Et confacrez vos nuits à la tendreffe ,
L'honnête homme en tous lieux ſe voit humilié
Par mille fots de toute espece.
Effain fâcheux qui , trop multiplié ,
Abuſe de votre pareſſe ,
Et qui par fes fuccès fe croit juftifié.
Voyez paffer Cléon , fa fuperbe voiture
Le mene avec fracas chez Life , chez T ....
C'eft , à l'entendre , encore une aventure ;
Sa vifite eft un rendez - vous ...
Et c'eft enfin pour lui qu'on les a quitté tous.
Regardez la jeune Glycere ,
Qui dans la crainte des jaloux ,
Ecoute en même tems l'Abbé , le Militaire ,
Le Magiftrat , l'homme d'affaire ,
Quelquefois même ſon époux ,
Sans les aimer & fans leur plaire.
Par cette efquifle trop légere
D'originaux qu'on ne peut corriger ,
AVRI L.
7: ∙1755.
Ami charmant , c'eft à vous de juger
Des portraits qu'il vous reſte à faire ,
Pour les punir & nous venger.
Peignez auffi l'infenfible coquette
Qui veut plaire toujours fans jamais s'engager ,
La dédaigneufe & l'indifcrette ,
L'ami trompeur , avec l'amant léger.
Si pourtant quelquefois , pour toucher une belle
Vous voulez peindre encor le tendre ſentiment ,
L'amour heureux avec l'amour fidele ,
-Venez chez moi , mon Eglé vous appelle ;
Vousy verrez avec quel agrément
Cette jeune beauté , toujours vive & nouvelle ,
Entre le goût & l'enjouement ,
Sçait enchanter les jours que je paffe auprès
d'elle .....
Mais je vois qu'infenfiblement
Je vous ramene à la tendreffe .
Ah ! pardonnez ce mouvement
D'un amant trop épris qui , plein de fon yvreffe ,
Vous écrit même en ce moment
Sur les genoux de fa maîtreffe.
A iv
3 MERCURE DE FRANCE.
REFLEXIONS
SUR LE GOU T.
A décadence du goût contre laquelle
L'on
on avoit commencé à s'élever fur les
dernieres années de Louis XIV , eft aujourd'hui
fenfible. La fcience eft devenue
portative , elle eft renfermée dans cinq
ou fix volumes in- 12 : on pourroit prédans
peu
elle ne formera qu'un
fumer que
almanach
.
M. de Voltaire fait à Colmar des livres
qui demeurent inconnus , ou ne parviennent
pas au -delà de Thanne & de Scheleftat
. Il continue à fon aife fes Annales de
l'Empire & fon Hiftoire univerfelle , fans
qu'on s'en embarraffe ; le titre même de
fes autres ouvrages eft ignoré.
Il ne paroit prefque plus de plus de livres
nouveaux. L'Auteur ou l'Imprimeur s'y
ruinent , felon que les frais de l'impreffion
tombent fur l'un ou fur l'autre .
La plupart des arts utiles ne fe confervent
que par la routine des vieux ouvriers ;
* Il me femble qu'on ne doit pas fe plaindre de
la quantité ni du débit ; c'eft fur la qualité qu'on
peut fe récrier.
AVRIL. 1755.
•
c'eft fur de tels appuis que roulent nos
manufactures. Les directeurs & les maîtres
ne fçauroient pas conduire leurs travaux
.
+
On fe plaint généralement du peu de
vigueur qu'on voit aujourd'hui dans la
circulation du commerce : il faudroit fe
plaindre du peu d'amour qu'on a pour les
arts * .
La recherche des commodités de la vie
& la jouiffance des plaifirs délicats font
devenues une occupation férieufe , & femblent
confondre prefque tous les états.
Quand un Artiſte a travaillé pour les
commodités d'autrui , il abandonne fon
talent , & emploie fon gain à faire travailler
pour les fiennes .
Les fages politiques qui ont cherché à
introduire le luxe , ont mal réuffi ....
( Пy a ici une lacune ) . ༡
L'excès du luxe ne peut pas nuire ;
cela n'eft vrai en bonne politique qu'en
fuppofant qu'an Marchand qui tiendra
table ouverte & donnera des concerts
ne fermera pas fa boutique ; qu'un Tailleur
qui roulera carroffe , ne ceffera pas
de faire des habits * ; mais le nombre des
Je crois que cette partie eft très- cultivée à
bien des égards .
* Le fameux P .... fait plus d'habits & d'envois
* A v
10 MERCURE DE FRANCE.
ouvriers diminuant tous les jours , on eft
obligé d'augmenter le prix des marchandifes'
, & là même d'en rendre la confompar
mation plus difficile . Rien ne prouve mieux
la richeffe d'un Etat , ou la circulation du
commerce , que le bon marché auquel on
achete tout ce qui fert aux befoins & aux
commodités de la vie . * Ainfi l'abus du
luxe ne confifte pas en ce qu'on dépenfe
trop ; mais en ce que , par un faux éclat
qu'on attache au luxe , on méprife , ou du
moins on délaiffe les arts , & on ne travaille
pas affez .
Le rapport intime d'un luxe exceffif
avec la décadence des arts , eft une de ces
vérités qui ne font pas affez connues ; les
conféquences de l'un à l'autre ne font
pas
auffi éloignées qu'elles le paroiffent.
A peine a-t- on acquis un état au-deffus
du commun du peuple , qu'on afpire à
fentir toute la fineffe que l'imagination a
inventée dans les plaifirs de pur agrément.
On veut être auffi -tôt Peintre , Poëte &
qu'il n'en a jamais faits , quoiqu'il ait depuis longtems
équipage , & le nombre de fes garçons augmente
toutes les années.
* Les provinces de France où on vit à meilleur
compte , font au contraire les moins riches , &
c'eft dans les villes où le commerce fleurit le
plus , que tout eft le plus cher.
AVRIL. 1755. II
Muficien : on aime ces talens , parce qu'ils
font rares , & qu'ils fervent beaucoup à la
parure de l'efprit : auffi nous donnent - ils
lieu de connoître la meſure des lumieres
générales , & la trempe du goût .
Rien n'eft plus commun que de trouver
ce qu'on appelle des connoiffeurs en Peinture
, en Poëfie & en Mufique , mais on
trouve rarement des gens qui fçachent
diftinguer feulement un tableau de Raphael
d'avec un de Teniers ; on parle de
coloris & de coftume fans fçavoir ce que
ces mots fignifient . En voici la preuve.
Vanloo ou Reftout trouveront deux mille
livres d'un ouvrage qui leur aura coûté
un an de travail : un barbouilleur de cabinets
& d'alcoves gagnera dix ou douze
mille livres dans cet intervalle. Tout Paris
s'empreffera de voir des peintures groffieres
qui tapifferont le bureau ou la falle
à manger d'un particulier * ; peu de monde
ira vifiter des chefs- d'oeuvres expofés au
vieux Louvre.
On fe pique de fe connoître en poëfie ,
& de l'aimer. M. de Crébillon donne une
tragédie nouvelle ; on en parle le premier
jour à un fouper : d'ailleurs on n'eft pas au
* Cette accufation eft exagérée . Le public a
couru voir en foule les tableaux expoſés dans le
dernier fallon.
A vj
12 MERCURE DE FRANCE .
tant affecté de cet événement qu'on l'étoit
autrefois d'un quatrain de Benferade.
On s'attache encore plus à prouver fon
goût pour la mufique ; cependant l'auteur
de Titon & l'Aurore expofe au goût du
public une Paftorale languedocienne ; on
la trouve d'abord froide , languiffante , &
d'une bizarrerie infoutenable ; la falle du
fpectacle eft deferte pendant un tems.
Quelques perfonnes dont le bon goût ne
peut être contredit , ayant difcerné la tendreffe
naïve & touchante qui regne dans
cet agréable ouvrage , en ont empêché la
chûte.
Théfée fervira mieux d'exemple . En
vain les bons juges ont admiré la profonde
harmonie de cet Opéra mâle & vigoureux ,
ils n'ont pu garantir Lulli de l'infulte qu'on
a faite à fes cendres. On a écouté de fangfroid
les fons raviffans de la charmante
Fel & de l'incomparable Jeliotte , les nobles
tranfports de Mlle Chevalier , & les
reftes précieux des accens majestueux de
Chaffe ; à peine a-t-on encouragé par quelques
applaudiffemens Mlle Davaux , qui
par les progrès qu'elle a faits depuis quel
que tems , donne de fi grandes efpérances.
La mufique de Lulli a été goutée par trop
de monde ; c'est pourquoi elle ne l'eft plus
AVRIL. 1755.
13
tant aujourd'hui . S'il étoit auffi facile
d'acquerir les talens que de fe revêtir d'une
nouvelle parure , les arts changeroient
comme les modes ; le nombre des connoiffeurs
fe multiplieroit avec rapidité ; &
comme pour un bon connoiffeur il y en a
cent de mauvais , le goût feroit immolé ,
plutôt qu'il ne l'eft , à la pluralité des fuffrages
: car il ne faut pas croire ce qui fe
dit vulgairement , que les changemens du
goût font le fruit de l'inconftance ; nous
devons dire au contraire , que l'inconf
tance eft l'afyle du goût . La délicateſſe &
la fenfibilité qui le caractériſent , le rendent
incompatible avec cette foule tranchante
d'afpirans préfomptueux dont il eft affiégé :
il fuit , il fe déguife , il invente ; mais
toujours également pourfuivi , il eft contraint
de céder à la force , il difparoît.
La face de la terre fe couvre de ténébres.
A des fiécles éclairés fuccédent des
tems de barbarie , où les hommes connoiffent
à peine les loix de l'humanité. L'hiftoire
nous a laiffé deux époques d'un pareil
defordre qu'il feroit à fouhaiter que
la postérité n'eût pas à nous accufer d'avoir
commencé la troifiéme ! Pour éviter
cette accufation , nous ne fçaurions trop
nous attacher à connoître les véritables
talens , & à n'honorer & à ne récompen14
MERCURE DE FRANCE.
fer que ceux -là . Bien des perfonnes qui
vivent dans le découragement , feront valoir
des talens qu'ils facrifient à l'incerti
tude des récompenfes : nous mettrons un
frein au mauvais goût , ceux qui n'auront
point de talent pour un genre en embrafferont
quelque autre qui leur fera profitable,
&
peu à pen
, chacun
rentrant
dans
fa
fphere & confultant fon génie , travaillera
pour fa patrie en travaillant pour lui-même.
LES PROGRES
DE LA MUSIQUE FRANÇOISE.
C
CANTA TILLE..
Es italiques chants , torrens impétueux ,
Rentrés au lieu de leur naiffance ,
Reffemblent au Nil orageux ,
Qui fe retire , & laiffe après lui l'abondance.
Déja de nos nouveaux tréfors
Nous fçavons faire un doux ufage ;
Que le fuccès nous encourage
A tenter de plus grands efforts.
Le plaifant même eſt agréable ,
Semé de traits ingénieux ;
AVRIL.
1755. 15
Des Dieux le cercle refpectable ,
De Momus applaudit les jeux.
L'Ariette légere & la vive Cantate ,
Par leur doux badinage ont égayé ces lieux ;
A de fçavans écarts la rapide Sonate
A formé par degré notre oreille & nos yeux ;
Et ce burleſque harmonieux
Dont l'enſemble nous bleffe , & dont le chant
nous flate ,
Sur la fcene autoriſe un vol audacieux.
Confervons ce noble lyrique
Qui fut l'ame de nos accords ;
Mais de la faillie italique
Adoptons les brillans tranſports.
Du nocher qui craint le naufrage ,
Fuyons fur-tout le trifte fort ;,
Il n'ofe quitter le rivage ,
Et l'ennui le conſume au port.
16 MERCURE DE FRANCE.
VERS A IRIS *.
Par M. Maurel de Draguignan , Avocat .
I Ris , quand tu fais mon tourment ,
Avec un maître mercenaire ,
Tu perds plus d'un heureux moment ;
Sçache qu'il faut , à qui fçait plaire ,
Bien moins un maître qu'un amant.
Là , dans l'ardeur qui le confume ,
Trop flatté de tenir ta main ,
Il prendroit plaifir , fous ta plume ,
A fe plaindre de ſon deſtin .
Pour effai , dans l'art de Barreme ,
Que les foins t'auroient applani ,
Ici , nombrant combien il t'aime ,
Tu te perdrois dans l'infini.
Bientôt fur un papier volage ,
Il te dépeindroit l'esclavage
Où le fait gémir ta rigueur;
Et bientôt tu fçaurois lui peindre
Que fon deftin n'eft plus à plaindre ,
Et qu'il connoît mal fon bonheur.
* Mlle . . . . avoit un maître à écrire & d'arithmétique
, & cette circonftance fournit le ſujet de
ces vers.
10
AVRIL. 1755. 17
DIALOGUE.
EPICURE , SARDANAPALE.
SARDANA PALE.
'Aurois bien voulu avoir votre conquand
je
> nonriez
enfeigné la route du bonheur ; car
vous avez , m'a- t- on dit , beaucoup philofophé
fur le fouverain bien .
EPICURE.
Il eft vrai que j'ai fait comme font tous
les hommes , j'ai cherché à adoucir ma
condition ; mais votre langage m'étonne ,
vous avez paffé pour l'homme du monde
le plus voluptueux .
SARDANA PALE.
Et j'en étois le plus malheureux . Ayant
tous les moyens pour fixer le plaifir , je
n'ai jamais pû l'arrêter ; quand je voulois
jouir il difparoiffoit , il épuifoit mes defirs
fans les fatisfaire. Vous ne diriez pas
que je me fuis trouvé dans des fituations
où je croyois n'avoir point d'ame . Venus ,
les Graces, tout Cythere auroit paru devant
18 MERCURE DE FRANCE.
moi , fans tirer mon coeur de la langueur
où il étoit plongé.
EPICUR E.
Il eft vrai que fi nous euffions vêcu enfemble
, je vous aurois donné un remede
qui vous auroit tiré de cette eſpèce de léthargie.
SARDANA PAL É.
Quel étoit- il donc ce remede que j'ai
tant cherché ?
EPICUR E.
La tempérance.
SARDANA PALE.
Bon , c'eſt une vraie privation ,
ÉPICURE.
Ce n'eft qu'une fage économie. Vous
vous trompiez ; la jouiffance n'eft pas toujours
ce qui donne le bonheur , ce n'eſt
que la façon dont on jouit. Quand vous
aviez fait un grand dîner , quelque bons
mets qu'on vous eût préfenté, ne vous fentiez-
vous pas du dégoût pour eux , & n'étiez-
vous pas
forcé de vous priver du ſouper?
AVRIL. 1755.
19
SARDANA PALE.
Il eſt vrai.
EPICURE.
Hé bien les fenfations de notre ame
s'émouffent par le grand ufage des plaiſirs,
comme l'appétit fe perd dans un grand repas
bien plus , je croirois que les viciffitudes
& les traverfes , que les humains
regardent comme des maux , font néceffaires
au bonheur , cela réveille les goûts.
L'uniformité eſt la- compagne de l'ennui .
SARDANA PALÉ.
C'est ce que j'ai éprouvé , perfonne n'a
recherché le plaifir avec plus de conſtance
que moi , & perfonne n'a été plus ennuyé.
Croiriez- vous que je ne fuis forti de la vie
que parce que j'en étois dégoûté ? Je ſçai
bien qu'on a attribué la caufe de ma mort
à ma molleffe ; & à la crainte que j'avois
de l'esclavage ; ce que je vous dis eft
pourtant très-vrai.
EPICUR E.
Je veux bien vous croire ; cependant
quand on a vêcu comme vous , on ne fupporte
gueres les infortunes : la plus petite
peine devient un mal confidérable pour les
20 MERCURE DE FRANCE.
gens délicats. J'ai oui dire qu'un habitant
de Sibaris ne put dormir fur un lit de roſes ,
parce qu'une feuille fe trouva pliée ; une
telle délicateffe eft bien incommode .
SARDANA PALE.
Je ne l'ai jamais pouffée auffi loin , je
me fuis contenté de paffer ma vie dans.
la compagnie de mes femmes , à raffiner
fur des amuſemens qui n'ont jamais pu
remplir le vuide de mon ame.
EPICURE .
Je le vois bien , nous nous accordons
tous dans le defir d'être heureux , mais
ce n'eſt que dans le choix des moyens que
nous différons étrangement ; vous cherchiez
le bonheur dans une jouiffance continue
, j'ai connu des gens qui ne le trouvoient
que dans l'efpérance.
SARDANA PALE.
C'eft la mere de l'illufion & de l'erreur.
EPICUR E.
Une erreur agréable plaît toujours . Si
vous vous en étiez tenu aux plaifirs de
l'imagination , vous ne vous plaindriez
point de votre fort ; ce n'eft que pour les
avoir trop approfondis que vous les avez
vû difparoître.
AVRIL.
1755. 21
SARDANA PALE.
tenu Vous ne vous en êtes pourtant pas
aux chimeriques plaifirs de l'imagination ;.
vos difciples d'aujourd'hui me font croire
que vous avez cherché plus de réalité .
EPICURE.
On a abufé de ma doctrine & prostitué
mon nom : les libertins qui s'en décorent ,
fe donnent pour mes diſciples , mais je les
defavoue .
SARDANA PALE.
Mais quel a donc été votre fyftême ?
EPICURE.
Quant à la théorie , j'ai regardé le plaifir
comme une fleur délicate , qu'il në falloit
point cueillir pour jouir plus long- tems
& de fa beauté & de fon odeur.
SARDANA PALE.
Et quant à la pratique ?
EPICUR E.
J'ai cru qu'un jardin agréable à cultiver
, une compagne douce & fidelle , des
amis choifis , des repas gais , affaifonnés
par la frugalité , une étude amufante &
22 MERCURE DE FRANCE.
modérée , devoit rendre l'homme auffi heureux
qu'il pouvoit l'être.
SARDANA PALE.
Je me ferois affez accommodé de votre
fyftême-pratique fi je l'euffe connu ; mais
croyez -vous qu'il ait pû ainfi accommoder
tout le monde ? le bonheur n'eft point un
être de raifon , le fentiment doit le produire
, il eft fait pour le goûter , & chaque
perfonne a fa façon de fentir particuliere.
J'ai oui dire à des morts de bon
fens , qu'on n'étoit jamais moins heureux
que quand on en étoit réduit aux ſyſtêmes
; je peux fervir d'exemple à cette judicieufe
remarque.
EPICURE,
Vous parlez en homme d'expérience ;
je n'ai rien à vous répondre ; mais je croirois
pourtant toujours qu'on peut prévenir
le dégoût ; que fans s'exciter à jouir d'un
plaifir qu'on ne fent pas , on peut fe mettre
dans une difpofition propre à le recevoir
; le refte eft l'ouvrage du tempérament
& des circonftances.
G. N. De Bord.
AVRIL. 1755.
23
EPITRE
A M. DE SAINT- AUBAN ,
Lieutenant -Général de l'Artillerie.
Damon , le parti que j'ai pris
N'eft point guidé par le caprice.
Des plaifirs je connois le prix ;
Mais je me rends trop de juftice
Pour les attendre de Paris.
Avec la déplorable Automne
Les ris ne font plus de concert ;
Ce n'eft que le Printems qui donne
Ce que l'on refufe aux hyvers.
Je fçais que l'homme vraiment fage ,
Qui joint le talent à l'eſprit ,
Avec difcernement choisit
Les gens dont il veut faire ufage ;
Et que communément on dit ,
Qu'il eft des plaifirs de tout âge,
D'accord : j'en conviens avec toi ;
Mais je n'ai pas tant de ſageſſe ,
Et j'avouerai de bonne foi ,
Qu'un refte d'antique foibleffe
M'aiguillonne encor malgré moi ,
Que diroit-on de mon délire ,
24 MERCURE DE FRANCE .
Si , tout couvert de cheveux gris ,
J'allois encore à quelque Iris
Conter mon amoureux martyre ?"
J'apprêterois fans doute à rire ,
Sans ofer en être furpris.
Je connoîtrois mon ridicule
Et ne pourrois m'en garantir ;
Souvent le coeur fe diffimule
Ce que la raifon fait fentir..
Son pouvoir auroit peu de force
Contre ce qui me paroît beau ,
Et je fens que la moindre amorce
Me replongeroit de nouveau
Dans un danger que je m'efforce
A regarder comme un fléau .
C'est donc , ami , fur ce principe
Que dans un champêtre féjour ,
Mon tendre penchant pour l'amour ,
Faute d'aliment fe diffipe.
Je vis heureux dans mon réduit ,
Loin du tumulte , loin du bruit ;
Je me fuis fait une habitude
De partager le tems qui fuit
Entre les plaifirs de l'étude
Et la raifon qui les conduit.
Loin de moi tout fâcheux fyftême ,
Dont les détours trop tortueux ,
Me fatiguent par un problème
Qu'un grave auteur , à cerveau creux ,
A
AVRIL.
1755.. 25
A peine à comprendre lui-même.
Je cherche dans l'hiftorien
Du beau , du clair & du folide ;
Je veux dans un grammairien ,
Que le vrai fans ceffe préfide ,
Et dans l'auteur homme de bien ,
Une vertu qui me décide.
A ce détail , on me croira
Un philoſophe d'importance ;
Mais , Damon , l'on fe trompera ,
A peine en ai -je l'apparence.
J'aime à lire , à la vérité ;
Mais ce doux plaifir ne m'occupe.
Qu'autant que l'aimable gaité
Chez moi n'en peut être la dupe.
Je partage tous mes momens ;
Après une étude févere ,
Une muſe folle & légere
Se rend maîtreffe de mon tems ;
Et franchement je la préfere
A mes autres amuſemens.
De cette yvreffe de mes fens
La raiſon en eft fimple & claire.
Sans fortir de mon cabinet
t
Je dépeins , dans une élégie
Le tendre & fenfible regret
D'une malheureuſe Silvie ,
Qui fans caufe ni fans fujet ,
Se voit indignement trahie.
B
}
26 MERCURE DE FRANCE.
Veux- je d'un berger amoureux
Faire enfler la douce mufette :
Je fais fi bien qu'elle répéte
La certitude de fes feux ;
Et dans une églogue touchante
J'engage à la fin cette amante
A répondre à ſes tendres voeux.
Faut-il du grand , du pathétique ?
Mon Apollon ſe prête à tout ,
Et quelques vers que je fabrique ,
La rime fe rencontre au bout.
Fort bien , me dira le critique ;
Mais eft- il fûr que le bon gout
Réponde à ce feu poëtique ?
Non , vraiment , m'écrirai -je alors :
Mais que m'importe , je vous prie.
Je n'eus jamais l'effronterie-
De faire éclater les tranſports
De ma féconde rêverie .
Que mes vers foient bons ou mauvais ,
Seul je décide leur procès :
En juge équitable & fevere
Je les renferme pour jamais ;
Et fans fonger que j'en fuis pere ,
La juftice que je leur fais
Prévient celle qu'on peut leur faire.
Aprés ce décifif aveu ,
Que fans rougir je t'abandonne ;
Fourras-tu condamner un jeu
AVRIL. 1755. 27
•
Qui ne rejaillit fur perſonne ?
Je mets à profit mes loiſirs,
Je ris , je bois , je me promene ,
Et pour combler tous mes defirs ,
Dans la fource de l'hypocrêne
Je puife mes plus doux plaifirs.
C'eſt dans cette aimable manie ,
Dont je me fuis preferit la loi
Que je vois couler fans effroi
Les triftes débris de ma vie ;
Et je te jure fur ma foi ,
Qu'il ne me refte plus d'envie
Que de me faire aimer de toi.
>
ODE
SUR LA MORT
DE M. DE MONTESQUIEU,
Aux deftins d'ici bas fiton coeur s'intéreffe ,
Ux
S'il eft encor fenfible à d'illuftres malheurs :
Rouffeau , du haut des cieux viens fervir ma trif
teffe ,
Et feconder mes pleurs.
Ce n'eft point un guerrier mort au ſein du carnage
,
Ce n'eft point un grand Roi fous fon trône abbattu
: Bij
•
28 MERCURE DE FRANCE,
Le héros que je pleure eft un citoyen fage
Mort avec fa vertu .
Montefquieu n'eft plus. D'une trop belle vie ,
Votre main , Dieux jaloux , a terminé le cours ;
Immortel comme vous , fi l'éclat du génie
Eternifoit les jours.
En vain dans les fentiers d'un ténébreux Dédale ,
De la raifon fragile il dirigea les pas ;
Son efprit lumineux , de la loi générale
Ne le garantit pas.
C'eft lui , qui du flambeau de la vérité pure ,
Eclairant fûrement nos efprits & nos coeurs
Sçut apprécier l'homme , & charger la nature
De les propres erreurs .
Philofophe fans fafte , à l'humaine foiblefle
Son front n'oppofa point un ftoïque mépris ,
Et nouvel Ariſtipe , il trouva la ſageſfe
Dans les jeux & les ris .
Mais , quel art ingénu ! quel heureux badinage !
Quand du pinceau d'Afie empruntant les couleurs
,
Il fe plaît à tracer d'une main libre & ſage ,
Le tableau de nos moeurs ?
Tantôt , charmant Rica , fur nos erreurs légeres
Il verfe en fejouant un fel ingénieux ;
11
AVRIL. 29 1755 .
Tantôt , fublime Ufbek , il perce les mysteres
De la terre & des cieux.
Au pied du Capitole a- t -il pris la naiſſance ›
Ce juge fouverain , qui du peuple de Mars
Interroge la cendre , & met dans la balance
La gloire des Céfars.
L'immenfe antiquité n'a point de traits célébres
Qui ne femblent renaître en fes doctes difcours ;
Son efprit créateur fait fortir des ténébres.
• L'éclat des plus beaux jours.
Ami de l'univers , ce fagê politique
Fut toujours l'orateur de la fociété ,
Et bláma fortement toute loi tyrannique
Contre l'humanité .
Sa main marqua les' noeuds d'une chaîne durable ,
Entre le fier monarque & le peuple jaloux ,
Et plaça dans nos coeurs le lien refpectable
Qui nous enchaîne tous.
Tel que l'oifeau facré , miniftre du tonnerre
Parcourt en fon effor cent climats différens :
Tel dans fon vol hardi , cet aigle de la terre
Embraffe tous les tems.
Maintenant , trifte objet des larmes de la France ,
S'il eſt encor des rangs dans l'éternel repos ;
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
Daignes nous dire au moins quelle eft la récompenfe
De tes rares travaux .
Sous des berceaux jonchés de myrtes & de roſes
,
Vas-tu joindre tes pas
à ceux d'Anacréon ?
Et traitant librement du principe des chofes ,
Entretenir Platon ?
Au feul bruit de ton nom , l'école du Portique ,
Au-devant de tes pas s'empreffe avec reſpect ;
L'Elifée applaudit , & le héros d'Utique
Se taît à ton afpect.
Déja pour mériter l'honneur de ton fuffrage
Lycurgue a de fon front banni l'auſtérité :
E préfente à tes yeux, fous un pur affemblage ,
L'homme & l'humanité.
ARRIL. ·175.5.
31
FRAGMENT
D'un Ouvrage de M. de Marivaux ,
qui a pour titre : Réflexions fur
l'efprit humain , à l'occafion de
Corneille & de Racine.
L
Il y
a deux fortes de grands hommes à
qui l'humanité doit fes connoiffances &
fes moeurs , & fans qui le paffage de tant
de conquérans auroit condamné la terre
à refter ignorante & féroce : deux fortes
de grands hommes , qu'on peut appeller les
bienfaicteurs du monde , & les répara
teurs de fes vraies pertes.
J'entends par les uns , ces hommes immortels
qui ont pénétré dans la connoiffance
de la vérité , & dont les erreurs mê
me ont fouvent conduit à la lumiere. Ces
Philofophes , tant ceux de l'antiquité dont
les noms font affez connus , que ceux de
notre âge , tels que Defcartes , Newton ,
Mallebranche , Locke , &c .
J'entends par les autres , ces grands génies
qu'on appelle quelquefois beaux efprits
; ces critiques férieux ou badins de
ce que nous fommes ; ces peintres fubli-
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
-
mes des grandeurs & des miferes de l'ame
humaine , & qui même en nous inftruifant
dans leurs ouvrages , nous perfuadent à
force de plaifir , qu'ils n'ont pour objet
que de nous plaire , & de charmer notre
loifir ; & je mets Corneille & Racine parmi
ce qu'il y a de plus refpectable dans
l'ordre de ceux- ci , fans parler de ceux de
nos jours , qu'il n'eft pas tems de nommer
en public , que la postérité dédommagera
du filence qu'il faut qu'on obſerve
aujourd'hui fur eux , & dont l'envie contemporaine
qui les loue à fa maniere , les
dédommage dès à préfent en s'irritant contre
eux.
Communément dans le monde , ce n'eſt
qu'avec une extrême admiration qu'on
parle de ceux que je nomme Philofophes ;
on va jufqu'à la vénération pour eux , &
c'eſt un hommage qui leur eft dû .
On ne va pas fi loin pour ces génies
entre lefquels j'ai compté Corneille &
Racine ; on leur donne cependant de trèsgrands
éloges : on a même auffi de l'admiration
pour eux , mais une admiration
bien moins férieuſe , bien plus familiere
qui les honore beaucoup moins que celle
dont on eft pénétré pour les Philofophes.
Et ce n'eft pas là leur rendre juftice ;
s'il n'y avoit que la raifon qui fe mêlât de
AVRIL. 1755 33
nos jugemens , elle defavoueroit cette inégalité
de ppaarrttaaggee qquuee les Philofophes même
, tout Philofophes qu'ils font , ne rejettent
pas , qu'il leur fiéroit pourtant
de rejetter , & qu'on ne peut attribuer
qu'à l'ignorance du commun des hommes.
Ces hommes , en général , ne cultivent
pas les fciences , ils n'en connoiffent que
le nom qui leur en impofe , & leur imagination
, refpectueufement étonnée des
grandes matieres qu'elles traitent , acheve
de leur tendre ces matieres encore plus
inacceffibles .
De là vient qu'ils regardent les Philofophes
comme des intelligences qui ont
approfondi des myfteres , & à qui feuls
il appartient de nous donner le merveil
leux fpectacle des forces & de la dignité
de l'efprit humain .
A l'égard des autres grands génies ,
pourquoi les met - on dans un ordre inférieur
pourquoi n'a- t-on pas la même
idée de la capacité dont ils ont befoin ?
'C'eft que leurs ouvrages ne font une
énigme pour perfonne ; c'eft que le fujet
fur lequel ils travaillent
, a le défaut d'être
à la portée de tous les hommes.
Il ne s'y agit que de nous , c'est -à - dire
de l'ame humaine que nous connoiffons
Bv .
34
MERCURE
DE FRANCE
.
tant par le moyen de la nôtre , qui nous
explique celle des autres .
Toutes les ames , depuis la plus foible
jufqu'à la plus forte , depuis la plus vile
jufqu'à la plus noble ; toutes les ames ont
une reffemblance générale : il y a de tout
dans chacune d'elles , nous avons tous des
commencemens de ce qui nous manque ,
par où nous fommes plus ou moins en
état de fentir & d'entendre les différences
qui nous diftinguent .
Et c'est là ce qui nous procurant quelques
lumieres communes avec les génies
dont je parle , nous mene à penfer que
leur fcience n'eft pas un grand myftere ,
& n'eft dans le fond que la fcience de
tout le monde.
Il eft vrai qu'on n'a pas comme eux l'heureux
talent d'écrire ce qu'on fçait ; mais à
ce talent près , qui n'eft qu'une maniere
d'avoir de l'efprit , rien n'empêche qu'on
n'en fçache autant qu'eux ; & on voit combien
ils perdent à cette opinion- là .
Auffi tout lecteur ou tout fpectateur ,
avant qu'il les admire , commence- t- il par
être leur juge , & prefque toujours leur
critique ; & de pareilles fonctions ne difpofent
pas l'admirateur à bien fentir la
fupériorité qu'ils ont fur lui ; il a fait trop
de comparaiſon avec eux pour être fort
A V RIL. 1755. 35
étonné de ce qu'ils valent. Et d'ailleurs
de quoi les loue- t- il ? ce n'eſt pas de l'inftruction
qu'il en tire , elle paffe en lui fans
qu'il s'en apperçoive ; c'eft de l'extrême
plaifir qu'ils lui font , & il eft fûr que
ce plaifir là leur nuit encore , ils en paroiffent
moins importans ; il n'y a point
affez de dignité à plaire : c'eft bien le
mérite le plus aimable , mais en général ,
ce n'eft pas le plus honoré.
On voit même des gens qui tiennent
au- deffons d'eux de s'occuper d'un ouvrage
d'efprit qui plaît ; c'eft à cette marque
là qu'ils le dédaignent comme frivole ,
& nos grands hommes pourroient bien devoir
à tout ce que je viens de dire , le titre
familier , & fouvent moqueur , de beaux
efprits , qu'on leur donne pendant qu'ils
vivent , qui , à la vérité , s'annoblit beaucoup
quand ils ne font plus , & qui d'ordinaire
fe convertit en celui de grands
génies , qu'on ne leur difpute pas alors.
Non qu'ils ayent enrichi le monde d'aucune
découverte , ce n'eft pas là ce qu'on
entend les belles chofes qu'ils nous difent
ne nous frappent pas même comme
nouvelles ; on croit toujours les reconnoître
, on les avoit déja entrevues , mais
jufqu'à eux on en étoit refté là , & jamais
on ne les avoit vûes d'affez près , ni affez
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
fixément pour pouvoir les dire ; eux feuls
ont fçu les faifir & les exprimer avec ane
vérité qui nous pénétre , & les ont rendues
conformément aux expériences les plus
intimes de notre ame : ce qui fait un accident
bien neuf & bien original . Voilà
ce qu'on leur attribue .
Ainfi ils ne font fublimes que d'après
nous qui le fommes foncierement autant
qu'eux , & c'eft dans leur fublimité que
nous nous imaginons contempler la nôtre.
Ainfi ils ne nous apprennent rien de nous
qui nous foit inconnu ; mais le portrait le
plus frappant qu'on nous ait donné de ce
que nous fommes , celui où nous voyons le
mieux combien nous fommes grands dans
nos vertus , terribles dans nos paſſions ,
celui où nous avons l'honneur de démêler
nos foibleſſes avec la fagacité la plus fine ,
& par conféquent la plus confolante ; celui
où nous nous fentons le plus fuperbement
étonnés de l'audace , & du courage
, de la fierté , de la fageffe , j'ofe
dire auffi de la redoutable iniquité dont
nous fommes capables ( car cette iniquité ,
même en nous faifant frémir , nous entretient
encore de nos forces ) ; enfin le portrait
qui nous peint le mieux l'importance
& la fingularité de cet être qu'on appelle
homme , & qui eft chacun de nous , c'eſt
AVRIL.' 1755 .
37
deux à qui nous le devons.
Ce font eux , à notre avis , qui nous
avertiffent de tout l'efprit qui eft en nous ,
qui y repofoit à notre infçu , & qui eft
une fecrette acquifition de lumiere & de
fentiment que nous croyons avoir faite ,
& dont nous ne jouiffons qu'avec eux ;
voilà ce que nous en penfons.
De forte que ce n'eft pas précisément
leur efprit qui nous furprend, c'eft l'induftrie
qu'ils ont de nous rappeller le nôtre
; voilà en quoi ils nous charment.
C'est-à-dire que nous les chériffons
parce qu'ils nous vantent , ou que nous
les admirons parce qu'ils nous valent ; au
lieu que nous refpectons les Philofophes
parce qu'ils nous humilient.
Et je n'attaque point ce refpect là , qui
n'eſt d'ailleurs fi humiliant qu'il le pa
pas.
roît.
Ce n'eft pas précisément devant les
Philofophes que nous nous humilions , ilne
faut pas qu'ils l'entendent ainfi ; c'eft
à l'efprit humain , dont chacun de nous a
fa portion , que nous entendons rendre
hommage.
Nous reffemblons à ces cadets qui ;
quoique réduits à une légitime , s'enorgueilliffent
pourtant dans leurs aînés de la
grandeur & des richeffes de leur maison.
38 MERCURE DE FRANCE.
Mais les autres grands génies font- ils
moins dans ce fens nos aînés que les Philofophes
& pour quitter toute comparaifon
, font- ils en effet partagés d'une capacité
de moindre valeur , ou d'une efpéce
inférieure ?
Nous le croyons , j'ai déja dit en paffant
ce qui nous mène à le croire ; ne ferionsnous
pas dans l'erreur ? il y a des choſes
qui ont un air de vérité , mais qui n'en
ont que l'air , & il fe pourroit bien que
nous fiffions injure au don d'efprit peutêtre
le plus rare , au genre de penfée qui
caractériſe le plus un être intelligent.
Je doute du moins que le vrai Philofophe
, & je ne parle pas du pur Géometre
ou du fimple Mathématicien , mais de
l'homme qui penfe , de l'homme capable
de mefurer la fublimité de ces deux différens
ordres d'efprit ; je doute que cet homme
fût de notre fentiment .
Au défaut des réflexions qu'il feroit
là - deffus , tenons- nous en à celles que le
plus fimple bon fens
dicter , & que je
vais rapporter , après avoir encore une fois
établi bien exactement la.queftion.
peut
Une ſcience , je dis celle de nos grands
génies , où nous fommes tous , difonsnous
, plus ou moins initiés , qui n'eft une
énigme pour perfonne , pas même dans fes
A V RI- L. ∙1755 .
39
>
profondeurs qu'on ne nous apprend point ,
qu'on ne fait que nous rappeller comme
fublimes , quand on nous les préfente , &
jamais comme inconnues ; une fcience , au
moyen de laquelle on peut bien nous charmer
mais non pas nous inftruire ; une
fcience qu'on apprend fans qu'on y penſe ,
fans qu'on fçache qu'on l'étudie , ne le cede-
t- elle pas à des fciences fi difficiles , que
le commun des hommes eft réduit à n'en
connoître que le nom , qui donnent à ceux
qui les fçavent , des connoiffances d'une
utilité admirable ; à des fciences apparemment
plus étrangeres à l'efprit humain en
général , puifqu'il faut expreffément & péniblement
les apprendre pour les fçavoir ,
& que peu de gens , après une étude même
affidue , y font du progrès ?
Voilà des objections qui paroiffent fortes
, & c'eſt leur force apparente qui fait
qu'on s'y repofe , & qu'on s'y fie.
Tâchons d'en démêler la valeur.
Le vrai Philofophe dont je parlois toutà-
l'heure , ne voudroit pas qu'on s'y trompât
même en fa faveur : une impoſture de
notre imagination , fi ce que nous penfons
en eft une , n'eft pas digne de lui,
A l'égard de ces hommes qui nous abandonneroient
volontiers à notre illufion làdeffus
, pour profiter de l'injufte & faux
40 MERCURE DE FRANCE.
honneur qu'elle leur feroit , ils ne méri
tent pas qu'on les ménage examinons
donc.
La fcience du coeur humain , qui eft
celle des grands génies , appellés d'abord
beaux efprits , n'eft , dit -on , une énigme
pour perfonne ; tout le monde l'entend
& qui plus eft , on l'apprend fans qu'on y
penſe d'accord. :
Mais de ce qu'il nous eft plus aifé de
l'apprendre que les autres fciences , en
doit-on conclure qu'elle eft par elle-même
moins difficile ou moins profonde que ces
autres fciences ? non , & c'eft ici où eft le
fophifme.
Car cette facilité que nous trouvons
a
l'apprendre
plus ou moins , & qui nous
diffimule fa profondeur
, ne vient point de
fa nature , mais bien de la nature de la
fociété que nous avons enfemble
.
Ce n'eft pas que cette fcience foit effectivement
plus aifée que les autres , c'eſt la
maniere dont nous l'apprenons , qui nous
la fait paroître telle , comme nous le verrons
dans un moment .
D'un autre côté , il faut étudier trèsexpreffément
& très- péniblement les autres
fciences , pour les fçavoir ; d'accord auffi .
Mais ce n'eft pas non plus qu'à force de
profondeur elles ayent par elles-mêmes le
AVRIL. 1755. 41
·
privilege particulier , & comme excluff ,
d'être plus difficiles que la fcience de nos
grands génies . C'eft encore la nature de
notre fociété qui produit cette difficulté
accidentelle , & le travail folitaire & affidu
qu'elles exigent ; on pourroit les acquerir
à moins de frais.
En un mot , c'eſt cette fociété qui nous
oblige à de très-grands efforts pour les fçavoir
, & qui ne nous ouvre point d'autre
voie.
C'eft auffi cette fociété qui nous difpen
fe de ces mêmes efforts pour fçavoir l'autre,
& je vais m'expliquer.
Figurons- nous une fcience d'une pratique
fi urgente , qu'il faut abfolument que
tout homme , quel qu'il foit , la fçache
plus ou moins & de très- bonne heure , fous
peine de ne pouvoir être admis à ce concours
d'intérêts , de relations , & de befoins
réciproques qui nous uniffent les uns & les
autres.
Mais en même tems figurons - nous une
fcience que par bonheur tous les hommes
apprennent inévitablement entr'eux.
Telle eft la fcience du coeur humain ,
celle des grands hommes dont il eft queftion
.
D'une part , la néceffité abfolue de la
fçavoir ; de l'autre , la continuité inévita42
MERCURE DE FRANCE.
ble des leçons qu'on en reçoit de toutes
parts , font qu'elle ne fçauroit refter une
énigme pour perſonne.
Comment , en effet , feroit - il poffible
qu'on ne la fçût pas plus ou moins.
Ce n'eft pas dans les livres qu'on l'apprend
, c'eft elle au contraire qui nous
explique les livres , & qui nous met en
état d'en profiter ; il faut d'avance la fçavoir
un peu pour les entendre .
pour vous en
Elle n'a pas non plus fes profeffeurs à
part , à peine fuffiroient - ils
donner la plus légere idée , & rien de ce
que je dis là n'en feroit une connoiffance
inévitable . C'eft la fociété , c'est toute l'humanité
même qui en tient la feule école
qui foit convenable , école toujours ouverte
, où tout homme étudie les autres ,
& en eft étudié à fon tour ; où tout homme
eſt tour à tour écolier & maître.
Cette fcience réfide dans le commerce
que nous avons tous , & fans exception ;
enfemble.
Nous en commençons l'infenfible & continuelle
étude prefqu'en voyant le jour.
t
Nous vivons avec les fujets de la fcience
, avec les hommes qui ne traitent que
d'elle , avec leurs paffions , qui l'enfeignent
aux nôtres , & qui même en nous
trompant nous l'enfeignent encore ; car c'eſt
AVRIL. 1755. 43
une inftruction de plus que d'y avoir été
trompé il n'y a rien à cet égard là de
perdu avec les hommes.
Voilà donc tout citoyen du monde , né
avec le fens commun , le plus fimple & le
plus médiocre ; le voilà prefque dans l'impoffibilité
d'ignorer totalement la fcience
dont il eft queſtion , puifqu'il en reçoit
des leçons continuelles , puifqu'elles le
pourfuivent , & qu'il ne peut les fuir.
Ce n'eft pas là tout , c'eft qu'à l'impoffibilité
comme infurmontable de ne pas
s'inftruire plus ou moins de cette fcience
qui n'eft que la connoiffance des hommes ,
fe joint pour lui une autre caufe d'inftruc
tion
que je crois encore plus fure , & c'eſt
une néceffité abfolue d'être attentif aux leçons
qu'on lui en donne .
Car où pourroit être fa place ? & que
deviendroit-il dans cette humanité affemblée
, s'il n'y pouvoit ni conquérir ni correfpondre
à rien de ce qui s'y paffe , s'il
n'entendoit rien aux moeurs de l'ame humaine
, ni à tant d'intérêts férieux ou frivoles
, généraux ou particuliers qui , tour
à tour , nous uniffent ou nous divifent ?
Que deviendroit- il fi faute de ces notions
de fentiment que nous prenons entre
nous & qui nous dirigent , fi dans l'ignorance
de ce qui nuit ou de ce qui fert
44 MERCURE DE FRANCE.
dans le monde , & fi par conféquent ex
pofé par là à n'agir prefque jamais qu'à
contre- fens , il alloit miferablement heurtant
tous les efprits , comme un aveugle
va heurtant tous les corps.
Il faut donc néceffairement qu'il con
noiffe les hommes , il ne fçauroit fe foute
tenir parmi eux qu'à cette condition là.
Il y va de tour pour lui d'être à certain
point au fait de ce qu'ils font pour ſçavoir
y accommoder ce qu'il eft , pour ju→
ger d'eux , finon finement , du moins au
dégré fuffifant de jufteffe qui convient à
fon état , & à la forte de liaifon ordinaire
ou fortuite qu'il a avec eux.
•
Ily ya toujours de fa fortune , toujours
de fon repos , fouvent de fon honneur
quelquefois de ſa vie ; quelquefois du re-
'pos , de l'honneur , de la fortune & de la
vie des autres.
AVRIL. 1755. 45.
EPITRE
A M. DE CHATEAUBRUN ,
Maître-d'Hôtel de S. 4. S. Mgr , le Duc
d'Orléans .
PHilofophe cloquent , dont les nouveaux écrits
Charment nos coeurs & nos oreilles ,
Des Sophocles & des Corneilles ,
Ramenent les beaux jours dans le fein de Paris.
Toi , dont la fimple modeftie ,
Plus rare encor que ton génie ,
Seule a pú durant quarante ans
Se fouftraire à la renommée
Et nous priver de tes talens .
Que d'un rayon divin ta grande ame eft formée !..
Le fceptre du théatre eft pénible à gagner :
C'estun prix bien flateur ; mais un effort fuprême
C'eft de s'en rendre digne & de le dédaigner.
Tu l'as fait. Ah ! c'eft dans toi-même
Que tu fçais les trouver ces fentimens fi grands
Qu'applaudit le vulgaire , & que le fage admire.
D'autres ont fur la fcene épuifé les romans ,.
Ont tracé les fureurs , l'yvreffe , le délire
Et les querelles des amans :
Ils laiffoient à ta veine une fource plus pure ,
Ou ton génie ofa puiſer.
46 MERCURE DE FRANCE .
Tu viens de peindre la nature ;
C'est d'après toi : ton coeur n'a pû ſe déguiſer
A l'humanité qui t'inſpire :
Donne à tes vers ce charme & ces attraits vain
queurs ,
Qui portent à ton gré la pitié dans les coeurs
Et confervent fur eux leur immuable empire.
Que de hautes leçons ! & quelle vérité !
Quels tableaux ! ta mufe rivale
De la naïve antiquité
Semble rapprocher l'intervalle
Des fuprêmes grandeurs & de l'humanité.
Que fes droits font puiffans , quand tu parles pour
elle !
Et qu'un héros humain devient grand dans tes
vers !
Ah ! je reconnois ton modele :
C'est le grand Prince que tu fers.
Ce 4 Mars 1755.
AVRIL. 1755- 47
L'AVARE ET L'INDIGENT.
CONTE MORA L.
Par M. BAILLET de Saint- Julien .
Au fond d'un bois , certain riche ufuraire
Avoit un foir enterré fon argent ;
Un malheureux qu'obſédoit ſa miſere
Y fut conduit par le fort indulgent :
Il terminoit fon deſtin outrageant ,
Il s'alloit pendre , & la barque étoit prête
A le paffer ; quand tout à coup l'arrête
Certain éclat qui vient frapper fes yeux :
Il fouille , il trouve un tréfor précieux.
Ravi , Dieu fçait ! vous le charge , & l'emporte.
L'inftant d'après arrive fans eſcorte
Feffe-Mathieu , mais c'étoit un peu tard;
De tréfor plus. Comment plus ! pas un liard
N'étoit refté ; complette étoit la proie
Du laronneau ; rien n'étoit excepté
De fon butin. Qu'on juge de fa joie !
Uniquement à l'arbre étoit refté
Un bout de corde en guiſe de monnoie.
Matthieu Feffard voulut bien s'en payer ,
Et haut & court fe pendit fans quartier.
48 MERCURE DE FRANCE.
Souvent le fort a plus d'un bon caprice ,
Et pour changer , fe mêle de juftice :
Le mérite eft par lui récompenſé ;
Lorfque fon bras s'abuſe ou s'eſt laffè,
Si notre joie enfin n'eft pas durable ,
Nul n'eft auffi conftamment miférable .
Sans nous laffer à chercher des témoins ;
Voyez celui dont parle cette Fable :
Le bonheur vient quand on l'attend le moins,
C'est là fon tic . O bonheur ſecourable !
Nous t'éloignons fouvent par trop de ſoins .
>
LE mot de la premiere Enigme du
Mercure de Mars eft Triangle . Celui du
premier Logogryphe eft Poëfie , dans lequel
on trouve Pie , Pape , Ofee , Efope
foie , oie , pie , oifeau . Le mot de la feconde
Enigme eft Etriers . Celui du fecond Logogryphe
eft Lanterne , où le trouvent an ,
âne , antre , rente , être , Etną , art , Anne ,
Retel , René.
AVRIL.
49.
81755.
ENIGM E.
FILs de l'amour & de l'adverfité ,
Ma mort fuit de près ma naiffance ,
Quelquefois impofteur , fous un air emprunté ,
De la naïve vérité
Je fçais prendre la reffemblance.
On m'entend exprimer en profe ainfi qu'en vers.
Je réuffis fur -tout dans le ftyle tragique ,
Et quoique muet en musique ,
Je fuis l'ame des beaux concerts.
1
LOGOGRYPHE.
PAR P. L. F. PHILAGATHE ,
de Dunkerque.
Neuf membres, réunis forment mon exiftence
:
Combine-les bien , cher Lecteur ,
Tu trouveras d'abord titre d'honneur en France ,
Ce que doit bien fçavoir tout voyageur ;
Un animal que l'on n'eftime gueres ;
Le fils infortuné d'un trop habile pere ,
Qui périt pour avoir négligé fes avis .
Deux notes de mufique ; aliment néceffaire
C
so MERCURE DE FRANCE.
Aux peuples comme aux rois , aux grands comme
aux petits ;
L'un des bienfaits que l'abeille nous donne,
Et ce qui fert à la couronne
De la Déeffe des moiffons.
Un élément , un Pape , deux poiffons ;
Certain canton en Italie ;
Empire fameux en Aſie.
4, 3 , 8 , je t'offre un figne de douleur ,
I 8 & 6 , oifeau babillard & voleur ; >
4 , I 8 ,
6 le
' " ,
royaume ou bien l'ifle
Où Vénus fit jadis choix de fon domicile.
Cherche encor avec foin , tu dois trouver en moi
Des Troyens le malheureux Roi ;
Un Poëte François , fameux dans le tragique ;
Nom de Prince jadis puiſſant en Amérique ;
Un coquillage , un péché déteſté ;
Le temple de la vérité .
Du corps une partie , une armure ſauvage ,
Chez nos peres jadis pourtant fort en ufage ;
Inftrument utile au marin , A
Que doit craindre tout libertin ...
J'en dirois encor davantage ,
Mais il eft tems de finir mon ouvrage.
Ami Lecteur , veux- tu me découvrir ?
Chez un Notaire il faudra me faifir.
A Dunkerque , le 4 Janvier 1755 .
AVRIL. ·1755 .
SI
ENIGM E.
Dans le monde je fuis tellement néceſſaire ,
Qu'une fille fans moi ne peut devenir mere.
A ce trait , cher Lecteur , ne vas pas penfer mal.
Je forme l'homme & même l'animal ,
Et quelle que foit la nature ,
Tout membre me doit ſa ſtructure ;
Je plais au fexe feminin ,
Sur- tout lorfque j'entre en ménage .
Bref , je fers dans le mariage
Et j'aide à foutenir par- tout le genre humain.
Du Château de Marvies
en Champagne.
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
ว
LOGOGRYP HE.
Uel trouble agite mon cerveau ?
Ma dignité n'eft qu'un fardeau ;
Je me ruine pour l'Eglife ,
Saintement on m'y dévalife ;
On ne me parle que d'argent ,
Pour l'infirme ou pour l'indigent.
A l'Offrande , nouvelle aubaine :
Ilfaut , pour baifer la
patene
Tirer ...Je n'aurois point fini
Si je.... tu diras à ceci
Eh ! mais , chaque fête on t'encenfe.
Hélas ! je m'en pafferois bien .
C'eſt plutôt ma bourſe , je penſe :
Encenfe t'on ceux qui n'ont rien ?
Lecteur , tu peux me reconnoître .
Onze pieds foutiennent mon être ;
Si tu fçais la combinaiſon ,
Je renferme ce trifte fon
Qu'on rend à la fin de la vie :
Un chien fait à la venerie.
Trois tons. Un Saint . Un mal honteux.
Le nom d'un affaffin fameux ;
L'inftrument dont jadis Orphée
Charma le Styx & l'Elifée .
AVRIL.
1755. 53
Un terrein que bat l'océan ,
Le lit où fouffrit Saint Laurent ;
Un outil de menuiferie ,
Un autre pour la broderie.
Un vice ennemi du repos ,
Un endroit connu pour les eaux ,
Pour fes jardins , & fa machine.
La fubftance fimple & divine ,
Dont nous empruntons les refforts .
Une eau croupie , un jeu d'efforts
A qui l'on donne une étendue
Sablée , unie , entretenue.
Cette fenêtre où le pécheur
Se découvre à fon Confeffeur .
Une terre molle & fragile.
Ce qui rend un navire agile.
Un outil qui ronge fans dents.
La ville où fut élu Pontife
Le patron des petits enfans.
Lecteur , voilà mon Logogryphe.
X
L'Abbé Renaudor.
C iij
54 MERCURE DEA FRANCE.
CHANSON.
mod 36 dired tas
A Heft tout de bon ;
J'apperçois un jambon , ————
Dont la couleur, vermeille
Affortit à merveille
Au jus de mon flacon.
Amis , que vous en fembles
Ne les féparons plus ;
olliame
Au fond de nos gofiers goulus
Marions-les enfemble.
=} unto moonl) nom $5 ur
-I
Sup
LE JAMBON.
Ah; c'est tout de bon , Paper =
çois un Jambon,dont la couleur ver :
meille, Assortit à merveille, Au
+0
Jus de mon Flacon . con.t =
-mis que vous ensemble ne les separens
plus, au fond de nos gosiers gou:
-lus, Marions les ensemble.ble.
I
AVRIL. 1755 .
35
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
H
ISTOIRE DES RECHERCHES SUR LA
QUADRATURE DU CERCLE > ouvrage
propre à inftruire des découvertes réelles
fur ce problême célébre , &c. A Paris ,
chez Jombert. 1755.
Il fuffit qu'une queſtion ait de la célébrité
dans une fcience , pour la voir auffitôt
exciter les efforts de ceux qui font les
moins capables de la réfoudre. La quadrature
du cercle , la tranfmutation des
métaux , le mouvement perpétuel , le problême
des longitudes nous en fourniffent
journellement des exemples. Pour un Chymifte
habile que l'efpérance de parvenir
au grand oeuvre a entraîné dans cette recherche
,
, que de gens épuiſent encore leur
fortune & leur fanté à combiner des minéraux
, fans fçavoir la différence dun acide
& d'un alkali ! combien de perfonnes recherchent
les longitudes ou le mouvement
perpétuel , qui ignorent les loix les plus
fimples de la méchanique , les procédés
les plus ordinaires de l'aftronomie & de la
Civ
16 MERCURE DE FRANCE.
navigation ! Mais c'eft fur- tout à l'occafion
de la quadrature du cercle que cette remarque
fe vérifie ; rien n'eft plus ordinaire aujourd'hui
, & rien ne l'a plus été dans tous
les tems que de voir ce problême tenté par
des perfonnes peu verfées dans la Géométrie,
ordinairement même fi étrangeres dans
cette fcience , qu'elles font obligées , par
un retour modefte fur elles - mêmes , de regarder
leur découverte comme une révélation
fpéciale dont la divinité les a favorifées.
Nous fommes cependant fort éloignés
de mettre le problême de la quadrature du
cercle dans le même rang que le mouvement
perpétuel & la pierre philofophale :
ces deux dernieres recherches ne peuvent
Occuper que des gens qui n'ont pas affez
de connoiffances pour voir le chimérique
de leur objet. La quadrature du cercle eft
un problême raisonnable , & qui devoit
naturellement occuper les Géometres. En
effet , l'objet de la Géométrie eft de mefurer
les différentes efpéces d'étendues ou
de figures : quand on dit mefurer , cela doit
s'entendre avec cette précifion qui eft la vérité
même , & par des voies telles que celles
que la Géométrie fe permet , c'est- à - dire
fans tâtonnement , fans méchanifme , &
d'une maniere démonftrative. La quadraAVRIL.
1755. 57
ture du cercle eft la mefure exacte de la
furface renfermée dans cette courbe fi fimple
, & néanmoins fi rebelle à la Geométrie
: on l'appelle la quadrature , parce que
la coutume étant dans toutes les mesures de
rappeller la grandeur mefurée à la figure la
plus fimple, les Géometres ont pris le quarré
pour celle à laquelle ils rappelleroient toutes
les étendues fuperficielles. Ainfi la quadrature
, la meſure d'une furface d'une
figure , font des termes tout-à-fait fynonimes
en Géométrie : de là l'on voit que c'eft
n'avoir aucune idée da problême ni de la
Géométrie , que de donner à ces termes
de la quadrature du cercle le fens qu'y
attache le vulgaire , en s'imaginant qu'il
s'agit de faire un cercle quarré.
De tout tems d'habiles Géometres ont
fait des efforts ou pour mefurer le cercle
avec toute l'exactitude poffible , ou
pour approcher de plus en plus de fa mefure
précife ; & leurs travaux ont fucceffivement
enrichi la Géométrie de belles découvertes
de tout tems auffi des pygmées
en Géométrie ont annoncé avec emphaſe
la découverte de la quadrature du cercle ,
& ont excité la rifée des Géometres intelligens.
Je dois remarquer que les premiers
ontrarement crû avoir touché le but , qu'ils
fe font prefque jamais mépris au point
Cv
18 MERCURE DE FRANCE.
de penfer qu'ils euffent trouvé la folution
parfaite du problème. On peut échouet
fans honte à la recherche d'une queſtion
géométrique , mais on ne peut fans honte
donner des paralogifmes pour de légitimes
démonftrations.
L'objet que s'eft propofé l'auteur de
l'hiftoire que nous annonçons , n'a pas
été de tirer de la pouffiere les méprifables
tentatives que la quadrature du cercle a
excitées ; des paralogifmes qui n'en ont
jamais impofé qu'à leurs auteurs , des prétentions
d'une abfurdité palpable , méritoient
trop peu d'occuper la plume d'un
hiftorien raifonnable. L'auteur a judicieufement
penſé ne devoir préfenter que les
découvertes réelles dont ce problême a été
l'occafion il n'a cependant pas entierement
négligé de faire connoître quelquesuns
de ceux qui ont acquis une malheureufe
célébrité par leurs mauvais raifonnemens
& leur obftination à youloir les faire
adopter. Nous allons donner à préfent une
idée un peu détaillée de ce que contient
cet ouvrage .
Après une préface où l'auteur expofe
quel a été fon objet , quelle utilité peut
réfulter de fon travail , & qui contient
plufieurs chofes inftructives concernant
la quadrature du cercle , & ceux qui s'obfAVRIL.
1755. 59
tinent à la chercher , il entre en matiere .
Le premier chapitre eft occupé à donner
une idée claire de la nature du problême ,
des moyens que la Géométrie permet d'employer
pour le réfoudre ; on y explique les
diverfes manieres de l'envifager , & furtout
l'utilité qu'on doit lui affigner . Nous
ne pouvons nous difpenfer de remarquer
avec l'auteur , que c'est une erreur , & une
erreur qui ne peut être accréditée qu'auprès
de gens entierement deftitués des notions
de la Géométrie & de l'Aftronomie' , que de
penfer que le problême des longitudes dépend
de celui de la quadrature du cercle :
c'en eft encore une que de croire qu'il y
ait des récompenfes à efpérer pour celui
qui réfoudra ce dernier problême. On convient
que la théorie de la Géométrie y gagneroit
une vérité nouvelle , quoique
peut-être fort stérile , mais la pratique
n'en recevroit aucun avantage : car les Géometres
ont des moyens affez fimples d'approcher
de la grandeur du cercle , jufqu'à
une telle exactitude qu'elle furpaffe de
beaucoup nos befoins. Il leur eft facile
d'affigner un nombre qui ne s'écarteroit
que d'un pied , ou d'un pouce , d'une ligne
; que dis- je ! de l'épaiffeur d'un chede
la véritable grandeur d'un cercle
, dont le demi-diametre feroit celui de
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
la terre , & même d'un autre incomparablement
plus grand.
Après ces préliminaires , l'auteur fait l'hiftoire
de ce problême chez les anciens : c'eft
l'objet du fecond chapitre. Cette queftion ',
dit-il , a dû être prefque auffi ancienne
que la Géométrie ; car les premiers Géometres
s'éleverent bientôt au- delà des confidérations
élémentaires des figures rectilignes
, & après ces figures le cercle eft
celle qui fe préfente la prémiere. Auffi
Anaxagore s'en occupa-t- il dans fa prifon ,
& prefque dès le tems de ce Philofophe la
quadrature du cercle étoit devenue célebre
jufques auprès du vulgaire . Nous rencontrons
ici un trait curieux , c'eft qu'Ariftophane
joua les Géométres au fujet de la
quadrature du cercle , dans la perfonne du
célebre Meton , l'inventeur du cycle lunaire.
Ce Poëte l'introduit fur la fcene dans
fa comédie des Oiseaux , & lui fait tenir
des propos impertinens fur la Géométrie
& fur l'Aftronomie. Voulez- vous , dit Meton
à l'autre interlocuteur , qui lui demande
qui il eft & à quoi il eft bon ; voulezvous
, dit - il , que la regle & l'équerre en
main , je vous quare le cercle ? Ce trait peut
encore avoir rapport à la folie fimulée ,
par laquelle un autre Ecrivain nous apprend
que ce Mathématicien fçut s'exempAVRIL.
1755. 61
ter d'aller à la guerre de Sicile .
>
Ces plaifanteries d'Ariftophane n'empêcherent
cependant pas les Géométres , ou
contemporains , ou fucceffeurs de Meton ,
de continuer à s'intéreffer au problême de la
quadrature du cercle . Hippocrate le tenta ,
& en donna même une faufle folution
mais l'auteur de cet ouvrage le juftifie.
Quoiqu'ilen foit, les travaux d'Hippocrate
fur ce fujet font devenus recommendables
chez la postérité géometre par la découverte
incidente de fes lunulles abfolument quarrables.
On appelle ainfi une portion du cercle
en forme de croiffant dont on démontre
très-bien l'égalité avec une figure rectiligne
, quoique le moyen de quarrer le
cercle ait éludé jufqu'ici tous les efforts
de la Géométrie . Plufieurs Géometres modernes
ont amplifié cette invention d'Hippocrate
, ce qu'on trouve fommairement
expliqué dans une note.
Lorfque les Géometres ne peuvent par
venir à la dimenſion préciſe d'une figure
ils fe bornent à en approcher de plus en
plus près. Archimede recourut à cette
voie , & donna , comme tout le monde
fçait , le rapport de fept à vingt - deux
pour la raifon approchée du diametre à la
circonférence. On remarque ici quelques
fineſſes particulieres dans le calcul d'Ar62
MERCURE DE FRANCE.
chimede , & l'on cite quelques anciens
qui avoient laborieufement encheri fur fon
exactitude. Ce chapitre eft terminé par
quelques réflexions fur les courbes qui
dépendent de la quadrature du cercle ; on
démontre que c'eft en vain qu'on cherchera
par leur moyen la folution de ce problême
.
Le troifieme chapitre eſt deſtiné à faire
connoître les découvertes faites fur la mefure
du cercle , depuis la renaiffance des
fciences en Europe jufques à l'invention
des nouveaux calculs. On voit ici fucceffivement
les approximations de Metius
de Viete , d'Adrianus Romanus , de Ludolph
, les inventions de Snellius & d'Huygens
pour en diminuer le travail , la quadrature
prétendue de Gregoire de Saint-
Vincent , à qui l'on donne une place diftinguée
de celle des autres qui fe font
trompés fur ce fujet , la querelle qu'elle
excita , celle qui s'éleva bientôt après entre
Gregori & M. Huygens fur une démonftration
que le premier propofa pour
établir l'impoffibilité de la quadrature du
cercle , &c.
Le quatrieme paroîtra fans doute trèsintéreffant
aux Géometres , car il contient
les travaux de ceux qui ont employé les
nouvelles méthodes pour parvenir à la foAVRIL.
1755. 63
lution du problême : c'eft même à l'occafion
de cette recherche que plufieurs de
çes méthodes nouvelles ont été imaginées.
L'auteur fait à cette occafion l'hiftoire de
la naiffance du calcul intégral ; on y voit
comment Wallis , le premier , trouva une
fuite infinie de nombres pour exprimer la
grandeur du cercle , que Milord Brouncker
défigna d'une autre façon particuliere ;
mais ceci ne regardoit encore que le cercle
entier , Wallis ne put en faire autant à l'égard
de fes parties quelconques , dont la
mefure eft néceffaire pour la folution parfaite
du problême ; & ce fut en cherchant
à furmonter cet obftacle que le grand Newton
, jeune encore , & depuis peu initié
dans la Géométrie , trouva la théorie des
fuites infinies , le calcul appellé intégral
parmi nous , & plufieurs autres méthodes.
On trouvera ici expofé avec beaucoup de
foin & de clarté les divers dégrés par lefquels
les différentes inventions fe font
développées , & celles qui les ont fuivies ;
ces chofes & une foule d'autres également
intéreffantes , du moins pour les Géometres
, ne font gueres fufceptibles d'extrait ,
ou conviendroient peu à un ouvrage périodique
de la nature de celui- ci ; c'eft pourquoi
nous nous bornons à les avoir indiquées.
64 MERCURE DE FRANCE .
C'auroit été omettre une partie remarquable
de l'hiſtoire de la quadrature du cercle
, que de fupprimer entierement celle de
divers Géometres ou prétendus Géometres,
qui fe font fingularifés par leurs erreurs ou
leurs prétentions abfurdes fur ce fujet . On
en palle en revûe quelques- uns , je dis avec
l'auteur , quelques - uns , car cette matiere
feule fourniroit celle d'un gros volume.
Nous devons approuver fa délicateſſe à ne
pas s'étendre beaucoup fur des objets trop
peu dignes en effet d'occuper les loisirs d'un
Ecrivain fenfé , & trop peu capables d'amufer
les lecteurs raifonnables.L'ouvrage enfin
eft terminé par un dernier chapitre , où l'on
traite hiftoriquement deux autres problêmes
prefque auffi célebres que celui de la
quadrature du cercle , & qui ont été l'occafion
d'autant de méprifes ridicules ou
deshonorantes pour leurs auteurs : ce font
ceux de la trifection de l'angle & de la
duplication du cube. Ce dernier fujet nous
a paru traité avec le même foin , la même
exactitude , & ne peut manquer de plaire
aux Géometres.
LE SERIN DE CANARIE , Poëme ;
ouvrage dans un genre nouveau pour la
Poësie françoife , qui , à l'aide de quelques
notes , forme un traité complet & très- fûr
AVRIL. 1755. 65
pour élever les ferins . A Londres , 1755.
Cet effai m'a paru mériter l'approbation
du public , par le fond qui eft agréable , &
par la forme qui he l'eft pas moins . Il me
femble que l'auteur qui a la modeftie de ne
pas fe nommer , a bien faifi le ton de verfification
convenable au genre de poëme
qu'il a entrepris ; c'eft cette élégante fimplicité
fi propre à peindre les petites chofes
, & qui feule à l'art de les ennoblir :
les anciens y excelloient ; il les a pris pour
modeles , & je trouve qu'il y a fouvent
réuffi . Pour juftifier mon fentiment , je vais
citer quelques endroits de fon poëme : je
commence par fon début .
a
Toi , dont les doux accens divertiffent ma Muſe ,
Dont l'organe enchanteur & l'infpire & l'amufe ,
Et qui montes ma lyre au fon de tes concerts ,
C'eſt toi , charmant ferin , que célébrent mes vers.
Mufe , chante avec moi fon port plein de nobleffe
,
Son air plein de candeur & mêlé de fineffe ,
Le doux feu de fes yeux ennemis du fommeil ,
Son plumage ſemblable au plus brillant vermeil ;
L'éclat de la blancheur à propos ménagée ,
Ses pannaches pompeux , fa taille dégagée :
Peux-tu trouver ailleurs un plus charmant plaifir
Mais fur toute l'efpéce , égayant ton loiſir ,
Apprens-moi le fecret d'étendre leur lignage ;
66 MERCURE DE FRANCE.
Enſeignes comment l'art embellit leur ramage ,
Comment leurs petits jeux peuvent dédommager
La main qui tous les jours leur préfente à manger ;
Et dans les tems obfcurs portant un oeil critique ,
Chante leur origine auffi noble qu'antique.
Voilà le plan de l'ouvrage heureusement
détaillé.
L'auteur fait ainfi l'éloge du mâle , qui
ne tourne pas à la gloire du beau fexe.
C'eſt du mâle fur-tout que l'humeur eft aimable.
Son épouſe fantafque & fouvent intraitable ,
Dans les mornes accès d'un bizarre courroux ,
Eteindroit les ardeurs d'un moins fidèle époux.
Tel que bien des maris , commodes par prudence ,
Il ronge fes chagrins dans un fage filence ;
Mais ce trouble finit quand les feux du printems
Excitent dans leur fein des tranfports plus conftans.
Ainfipour tous les coeurs engagés dans les chafnes
,
L'amour a fes plaiſirs , & l'amour a fes peines.
La femelle parmi les ferins commande
en reine , & l'époux eft chargé du ſoin de
tous les détails.
Les travaux affidus , les foucis du ménage ,
Suivent des premiers feux le leger badinage.
AVRI L.'
1755. 67
On pense à l'avenir , on prépare , on conftruit
L'aire où d'un chafte amour on doit loger le fruit.
De l'époux complaifant , l'épouſe induſtrieuſe ,
Habile à prévenir la voix impérieuſe
Qui lui marque le tems de décharger fon fein ,
D'une maiſon commode ordonne le deffein ;
Et fans bruit enfoncée au milieu du feuillage
D'un if propre à fixer une tête volage ,
Ou dans l'étroit contour du plus petit panier ,
Tranquille , & l'air rêveur , médite fur l'ofier.
Le mari travaille pendant ce tems là .
Il tranfporte , il fournit ; fa compagne y préſide ,
Et fuivant les confeils de l'inſtinct qui la guide
Les racines , la mouffe entourent la maiſon
Et l'on met au- dedans le duvet à foifon.
a
>
Mais jamais cette ardeur n'enfante le defordre.
S'ils s'entr'aident plufieurs , feule elle donne l'or
dre ....
L'un choifit le duvet , l'autre du coton fec ,
L'on donne , l'on reçoit : ainfi de bec en bec
Tout paffe au lieu marqué par l'inſtinct unanime ;
Le mur croît , l'oeuvre monte , & parvient à la
cime.
Tel que des ouvriers , par étage rangés ,
Entre deux longs fapins , en dégré , partagés ,
Reçoivent à leurs pieds ; élevent à leur tête
68 MERCURE DE FRANCE.
La pierre , le ciment qui montent juſqu'au faîte :
Tels nos ferins unis dès l'heure du réveil ,
Confomment leurs travaux fous le même foleil
A moins qu'un feu jaloux , enfanglantant la ferre ,
Ne porte dans l'état les horreurs de la guerre..
Le Poëte prudent nous avertit de ne pas
unir trop tôt les jeunes ferins. Ces mariages
précoces font , dit-il, funeftes , fur- tout
à la femelle. Il nous en apporte un exemple
tragique en vers touchans , par lefquels
je finirai ce précis.
Jonquille , encor trop jeune , époufe , & bientôt
mere ,
Victime de tendreffe , épuife en fon réduit
Un refte de chaleur , pour animer fon fruit.
Cinq citoyens nouveaux , donnés à la voliere , `
N'ont pas ouvert encor les yeux à la lumiere ,
Que dans fon fein flétri s'amortit la chaleur.
Ses petits languiffans augmentent fa douleur :
Elle çéde à fon mal ; tremblante , elle foupire ,
Palpite , ouvre le bec , ferme les yeux , expire ;
Et fous elle , glacés par le froid de la mort
Ses petits en un jour ont tous le même fort.
>
CONSIDERATIONS SUR LES
REVOLUTIONS DES ARTS , dédiées à Mgr
le Duc d'Orléans , premier Prince du Sang.
AVRIL. 1755. 69
A Paris , chez Brocas , Libraire , rue faint
Jacques , au chef S. Jean . 1755 .
Les principaux objets de ces confidérations
font la liaifon des Empires avec les
arts , & les influences réciproques des uns
& des autres , les caufes qui les ont donnés
à un peuple , & celles qui les lui ont ravis ;
les fources de leur renouvellement chez
quelques-uns , les dégrés où ils ont été
élevés ou abaiffés chez tous ; l'exacte connoiffance
des hommes puiffans qui les ont
protégés ; la jufte eftimation des hommes
de génie qui y ont excellé ; quelques traits
légers propres à caractériſer les hommes
d'efprit qui y ont réuffi ; enfin un examen
rapide de la nature des différens genres de
littérature , un petit nombre d'obfervations
fur les défauts qui pourroient nuire
aux progrès de nos jours , & quelques confeils
pour remédier à ces vices & augmenter
les fuccès. Voilà le précis ou le programme
que M. l'Abbé Mehegan donne luimême
de fon ouvrage dans la préface qu'il
a mis à la tête, je n'ai fait que le tranferire.
L'auteur divife ces confidérations par âge ;
il entend par ce mot une fuite non interrompue
de protecteurs & d'artistes , pendant
laquelle les arts font reftés à peu près
dans le même point. Il me paroît mériter
de la part du public beaucoup d'encoura-
(
70 MERCURE DE FRANCE.
gement. Son imagination pleine de feu
annonce un talent facile , peut - être même
fon plus grand défaut eft un excès en bien.
Il répand l'efprit avec profufion , & je ſuis
perfuadé qu'il plairoit encore davantage
s'il vouloit bien s'épargner la peine d'en
trop avoir.
HISTOIRE DE FRANCE , depuis l'établiffement
de la Monarchie jufqu'au regne de
Louis XIV , par M. l'Abbé Velly . A Paris
, chez Defaint & Saillant , rue S. Jean
de Beauvais , vis-à- vis le Collége. 1755 .
Il faut , dit l'auteur dans fa préface ,
que l'hiftoire écrite pour l'utilité commune
foit en même tems celle du Prince &
de l'Etat , de la politique & de la religion ,
des armes & des fciences , des exploits &
des inventions utiles & agréables , celle
enfin des moeurs & de l'efprit de la nation .
Cette hiſtoire nous manquoit , & nous aurons
l'obligation à M. l'Abbé Velly de
de nous enrichir d'un tréfor fi utile ; fes
deux premiers volumes qui ont déja paru ,
nous en font de fûrs garans . Il a eu l'art
de répandre le jour & l'intérêt fur les premieres
races de nos Rois , qui font la par
tie la plus obfcure & la plus feche de nos
faftes que ne devons - nous pas attendre
de la fuite ?
AVRIL. 1755. 71
LE FINANCIER ; par M. le Chevalier
de Mouhy , de l'Académie des Belles-
Lettres de Dijon , en fix parties. 1755. Se
trouve à Paris , chez Jorry , quai des Auguftins
, près le pont S. Michel , aux Cigognes.
C'eſt un Roman épifodique , dont le financier
, qui en eft le héros , répand fes libéralités
à pleine main fur tous les malheureux
que le hazard lui préfente , &
dont l'auteur raconte l'hiftoire en paffant.
Ce magnanime favori de Plutus va plus
loin ; quand la foule diverfe des indigens
ne s'offre pas à lui dans fon chemin , il
va les déterrer lui-même dans les réduits les
plus obfcurs , & monte jufqu'au cinquieme
étage pour exercer les devoirs de l'humanité
, & pour réparer fur-tout les torts
que la fortune aveugle a fait au mérite
plongé dans la mifere. C'eft un vrai Dom
Quichotte en générofité , ou plutôt le Titus
de la finance : il compte chaque heure
du jour par des bienfaits . Le ciel l'en récompenfe
; car il trouve au milieu de fa
courfe une femme digne de lui , & qui lui
apporte pour dot une beauté égale à fa
naiffance , avec un caractere auffi bienfaifant
que le fien . Tous les pauvres honteux
dont Paris abonde , feroient trop heureux
fi l'exemple de ce couple refpectable fai72
MERCURE DE FRANCE.
foit des imitateurs ; mais je doute qu'il
prenne dans le monde.
VOYAGE PITTORESQUE DES ENVIRONS
DE PARIS , ou Deſcription des maifons
royales , châteaux , & autres lieux de plaifance
fitués à quinze lieues aux environs de
cette, ville . Par M. D *** A Paris , chez
Debure l'aîné, Libraire, quai des Auguftins,
à S. Paul. 1755. Prix 3 livres relié.
Cet ouvrage m'a paru bien fait & bienécrit.
Voici quatre jolis vers , felon moi ,
fur la fontaine d'Hieres , près de Gros- bois.
La nymphe de cette fource les adreſſe à
ceux qui vont la viſiter.
Toujours vive , abondante & pure ,
Un doux penchant regle mon cours ;
Heureux l'ami de la nature
Qui voit ainfi couler les jours.
LES AMANS PHILOSOPHES , ou le Triomphe
de la raifon. A Paris , chez Hochereau
l'aîné , Libraire , quai de Conti , au
Phénix . 1755.
Ce roman eft de Mlle Brohon. Trois
fortes de recommendations parlent pour
elle ; une grande jeuneffe , elle n'a que
dix- huit ans ; une figure charmante , &
une douceur modefte qui prévient d'abord
en
AVRIL.
1755. 7%
.
en fa faveur tous ceux qui la voyent. Le
titre feul de fon ouvrage annonce fa fageffe
, & l'épigraphe dont elle a fait choix ,
Amare & fapere vix diis conceffum ) montre
qu'elle a refléchi de bonne heure , &
qu'elle connoît avant le tems tout le danger
d'une paffion qu'elle eft faite pour
infpirer & pour reffentir.
La demande qu'elle fait au public dans
un court avertiffement , eft fi raifonnable
qu'il ne peut la refufer fans injuftice. Une
critique outrée , dit-elle , abbar le courage ;
une cenfure jufte & menagée eft quelquefois
la mere du fuccès , fur-tout par rapport à
moi , dont le fexe augmente la timidité naturelle
à mon âge. Après une telle repréſentation
, il y auroit de la cruauté à juger
fon livre avec trop de rigueur ; j'en donnerai
l'extrait le mois prochain. Un auteur
fi aimable mérite d'être encouragé.
RECUEIL GÉNÉRAL HISTORIQUE
& critique de tout ce qui a été publié de
plus rare fur la ville d'Herculane , depuis
fa premiere découverte jufqu'à nos jours ,
tiré des auteurs les plus célébres d'Italie ,
tels que Venuti , Mafei , Quirini , Bellegrade
, Gori , & autres . A Paris , chez
Duchefne , Libraire , rue Saint Jacques
au Temple du goût. 1755 .
D
74 MERCURE DE FRANCE.
"
Suivant l'avertiffement , on ne trouvera
rien dans cet ouvrage qui n'ait été fidelement
traduit des auteurs cités au titre. Si
l'on eft curieux de lire leurs écrits , on les
trouvera chez Tilliard , Libraire , quai des
Auguftins.
HISTOIRE D'UNE JEUNE FILLE SAUVAGE
trouvée dans les bois à l'âge de dix ans ;
publiée par Madame H.... T. A Paris ,
1755.
M. de la Condamine n'eft point l'auteur
de cette petite brochure , comme le bruit
s'en étoit répandu . Il m'écrit à ce fujet la
-lettre fuivante.
A M.de Boiffy, de l'Académie Françoise.
A Marfeille , le 15 Février 1755-
J'apprends , Monfieur , qu'on m'attribue
une brochure qui paroît à Paris depuis
peu , fous le titre d'Hiftoire d'une jeune fille
Sauvage ( aujourd'hui Mlle le Blanc ) trouvée
dans les bois à l'âge de dix ans . Get
ouvrage eft d'une Dame , veuve , qui demeure
près de Saint Marceau , & qui ayant
connu & pris cette fille en affection depuis
la mort de Mgr le Duc d'Orléans qui la
protégeoit , a pris la peine de rédiger fon
hiftoire , comme il eft dit dans l'ouvrage
C
AVRIL. 1755. 75
Ja
même , fur les queftions qu'elles lui a faites
en diverfes converfations , & à plufieurs
perfonnes qui l'ont connue peu de
tems après fon arrivée en France. Cette
Dame a feulement permis que l'on mît au
titre la premiere lettre de fon nom. Toute
part que j'ai à cette production eft d'avoir
fait quelques changemens au manuf
crit dont j'ai encore l'original , d'en avoir
retranché quelques faits qui n'étoient fondés
que fur des oui- dire , & dénués de vraifemblance
; d'avoir ajouté , à la fin furtout
, quelques conjectures à celles de Madame
H.... fur la maniere dont la jeune
fauvage & fa compagne ont pû fe trouver
tranfportées en France , & d'avoir facilité
l'impreffion de l'ouvrage au profit de la
Demoiſelle Le Blanc , dans la vûe de lui
procurer une fituation plus heureuſe , en
intéreffant à fon fort ceux qui liroient fon
aventure. Je vous prie , Monfieur , de
rendre cette déclaration publique , pour
defabufer ceux qui me feroient honneur
de ce qui ne m'appartient pas. J'ai celui
d'être , & c.
La Condamine.
L'ART DU CHANT , dédié à Madame
de Pompadour; par M. Berard. A Paris ,
-chez Deffaint & Saillant , rue Saint Jean de
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
Beauvais ; chez Prault fils , quai de Conti ;
& chez Lambert , à côté de la Comédie
Françoife. 1755.
L'Auteur s'étonne avec raifon qu'on lui
ait laiffé la gloire de traiter le premier de
cet art , fur-tout dans un fiécle où le chant
eſt l'art à la mode , & domine au point
qu'il fait des enthouſiaftes , & forme des
fectes. M. Berard n'a rien épargné pour
s'en inftruire à fond , il ne ſe contente
pas d'en parler en maître de muſique , il
en raiſonne en Phyficien ; il a fait même
exprès un cours d'anatomie pour porter
l'analyfe dans tous les organes de nos fons :
ce font fes propres termes . Pour traiter
l'ouvrage méthodiquement , il le divife en
trois parties ; dans la premiere il confidere
la voix par rapport au chant ; dans
la deuxième il regarde la prononciation &
l'articulation , eu égard au chant ; & dans
la troifiéme il a pour objet la perfection
du chant. J'attendrai que les vrais connoiffeurs
en ce genre ayent prononcé , pour
m'en expliquer plus furement d'après eux ;
je m'étendrai particulierement fur la prononciation
& l'articulation : cette partie
eft un peu plus de ma compétence ; elle
ne fe borne point à la mufique , elle intéreffe
la chaire & le barreau , ainfi que le
théatre ; elle s'étend jufques fur la converAVRIL.
1755. 77
"
fation ; il n'eft prefque point d'état , il
n'eft point d'homme du monde , qui ne
doive ou qui ne veuille en être inſtruit.
M. Berard n'eût- il fait qu'ébaucher la matiere
, le public doit lui être obligé de
l'avoir mife en queftion : le premier qui
parle d'un art a toujours un grand mérite..
OBSERVATIONS SUR LE THEATRE , dans :
lefquelles on examine avec impartialité
l'état actuel des Spectacles de Paris ; par
M. de Chevrier. A Paris , chez Debure le
jeune , quai des Auguftins , à l'image S.
Germain . 1755.
Souvent l'auteur obſerve très - bien , mais
quelquefois il eft mal informé. Par exemple
, j'ouvre fa brochure , je tombe fur un
endroit qui regarde Dancourt , & j'y lis
ces mots Dancourt a joui des plus grands
fuccès ; ramené tous les jours fur la fcene , on
l'applaudit encore : ni fes comtemporains , ni
nos fâcheux n'ont écrit contre lui. Il me permettra
de lui dire que jamais auteur dramatique
n'a été de fon vivant plus traverfé
que Dancourt. Si l'on n'a pas écrit
contre lui , c'eft moins par eftime que par
un, fentiment contraire. Ses piéces étoient
non- feulement décriées par fes camarades ,
qui les jouoient à regret , mais encore
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
méprifées du public , même en réuffiffant ;
on les mettoit alors au - deffous de leur prix ,
on les défignoit par le titre peu flateur
de Dancourades. Quoiqu'on les revoye
aujourd'hui volontiers , on les apprécie à
peu près ce qu'elles valent : on convient
affez généralement que les Bourgeoifes à la
mode , les Bourgeoifes de qualité , & le
Chevalier à la mode , font les feules qui
méritent le nom de Comédie ; les autres ne
font que des farces bien dialoguées , qui fe
reffemblent prefque toutes ; on les reconnoît
à l'indécence , c'eſt leur air de famille.
Je remercie M. de Chevrier du bien
qu'il dit de moi , mais je fuis moins allarmé
que lui des décifions tranchantes de
M. R...... Il n'appartient ni à lui , ni
à aucun particulier de regler le rang des
auteurs ; le public a lui feul ce droit : ils
doivent s'en repofer fur,fes lumieres &
fur fon équité. Il met , quoique fouvent
un peu tard , chacun à fa place. Je confeille
, en qualité d'ancien , à M. de Chevrier
& à mes autres jeunes confreres ,
d'employer plutôt leur loifir à faire des
piéces pour le théatre , qui en a beſoin ,
que des obfervations dont Paris n'a que
faire ; il n'eft que trop éclairé fur les fpectacles
, & trop initié dans nos myfteres.
Pour fon amufement & pour leur gloire ,
AVRIL. 11755 79
qu'ils étudient fon goût pour le faifir , &,
s'ils fe difputent entr'eux , que ce foit de
talent & d'envie de lui plaire.
PINOLET , ou l'Aveugle parvenu , hif
toire véritable compofée fur les faits fournis
par Pinolet lui -même , actuellement
exiftant à Paris ; en quatre parties . 1755 .
Cetet ouvrage eft d'un genre qui me dif-,
penſe d'en faire l'extrait.
ÉLÉMENS DE CHYMIE , par Herman
Boerhaave , traduit du latin , en fix volumes
in- 12 . A Paris , chez Briaffon , rue
Saint Jacques ; & chez Guillyn , quai des
Auguftins .
C'eſt un vrai préfent que le Traducteur
nous a fait. Dire que Boerhaave en eft
l'auteur , peut-on faire un plus grand éloge
de l'ouvrage ?
On trouve auffi chez Briaffon la Ma
tiere Médicale , traduite du Latin de Cartheufer
, augmentée d'une table raiſonnée,
& d'une introduction ; quatre volumes
in-1 2. ainfi que la fuite des Conſultations
de médecine , traduites du latin de M.
Hoffman : elle contient quatre volumes in-
12. les 5 , 6 , 7 & 8.
EPOQUES ÉLEMENTAIRES principales
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
d'hiftoire univerfelle , fuivant la chronologie
vulgaire , efpéce d'a b c hiftorique
, en cinquante- huit leçons , dont une
pour chaque fiécle , d'après les auteurs
méthodistes en trois tableaux dédiés à
Mgr le Prince Louis de Salm- Salm . Par M.
Mahaux.
2
Quand on confidere attentivement le
vafte champ de l'hiftoire de tous les tems
& de tous les lieux , & que l'on fe pro-.
pofe de le faire parcourir fur-tout à un
enfant pour aggrandir fon imagination ,
former fon jugement & regler fes idées , cé
n'eft pas fans raifon que l'on fe trouve embarraffé
; non que les livres , les cahiers ,
les tables chronologiques , les méthodes ,
les livres , les extraits , les abrégés , les bons
maîtres manquent pour cette entrepriſe ;.
mais il s'agit de fixer une jeune tête , de
mettre l'étude à fa portée , & de la lui
rendre facile & agréable en ne fatiguant
ni les yeux ni la mémoire par trop de leçons
& de lecture. En voici un moyen que
le fieur Mahaux nous préfente , & qui nous
a paru très- clair , très- fimple , très- naturel
, & qui produit les plus grands fuccès.
Ses tableaux d'élémens hiftoriques font
un plan diftribué , économifé de maniere
qu'au premier coup d'oeil on y peut faire
toutes les opérations arithmétiques de la
AVRIL.. 1755 81
durée & de la diftance des tems. L'hiftoire
ancienne , fur le premier tableau , offre à
la vûe quarante fiécles , féparés par des lignes
horizontales , & formant quatre colonnes
, dont chacune devient millenaire
, ou contient dix fiécles , tous étiquetés
, & portant une dénomination qui les
caractérife & les diftingue les uns des autres.
Onze grandes époques , entre toutes
les autres , y font en lettres romaines , ce
qui les rend remarquables , & fait fentir,
d'abord & divifer les intervalles . Plus à
chaque fiècle , toutes les divifions ufitées
& des notices très- courtes de ce qu'il y a
de plus effentiel à fçavoir fur les grands
événemens , les Empires & Etats du monde
, les perfonnages illuftres , les loix ,
les religions & les meurs , &c. Le deuxiéme
tableau pour l'hiftoire moderne eft
dans le même arrangement , & ne contient
que dix-huit fiécles ou environ , avec
huit grandes époques dans le goût des
onze premieres ; ainfi l'un fert à comparer.
l'autre , & ils établiffent refpectivement
une forte de balance de tous les tems. Un
troifiéme & quatriéme petit tableau fur
une feule feuille , une explication alphabérique
des abréviations & des mots peu
familiers répandus dans la totalité , & une
petite inftruction fur la maniere de s'en fer-
Dy
82 MERCURE DE FRANCE.
vir , femblent ne rien laiffer à defirer pour
-ce procédé vraiment élémentaire, acceffible
à tous ceux qui veulent enſeigner , s'inſtruire
eux -mêmes , ou fe rappeller ce qu'ils
ont déja appris. C'eft une affaire de deux
heures de lecture tout au plus ; point de
difcuffions chronologiques . L'Eglife & les
fçavans de nos derniers tems ont décidé
celle qui eft expofée dans le louable ouvrage
que nous annonçons , & dont nous
confeillons l'acquifition à toutes les perfonnes
qui aiment les bonnes nouveautés
littéraires. On peut au refte s'affurer par
foi-même de l'effet de cette méthode , en
fe donnant la peine d'aller voir l'école de
MM. Viard & Mahaux , qui demeurent
rue de Seine , fauxbourg Saint Victor ,
Académie des enfans. On y verra avec
plaifir qu'on y enfeigne la Géographie par
des moyens femblables : peu de préceptes
& beaucoup d'ufage ; pratique excellente ,
même pour l'étude des langues. Cet ouvrage
fe trouve chez l'auteur , au lieu déja
indiqué ; & chez les Libraires , Piffots
quai de Conti ; & Lambert , rue de la
Comédie. On le vend trois livres.
DESCRIPTION HISTORIQUE & géographique
des plaines d'Héliopolis & de
Memphis. A Paris , chez Briaſſon , à lai
I
1
AVRI L. 1755 83
Science ; & Duchefne , au Temple du Goût,
rue S. Jacques. 1755. in- 12 , petit format,
264 pag.
M. Fourmont , Interpréte du Roi pour
les Langues orientales , eft l'auteur de cet
ouvrage. Il nous apprend que c'eft le fruit
de quelques- unes des obfervations qu'il
a eu occafion de faire pendant un féjour
de près de quatre ans au Caire. De retour
en France , fes premiers foins ont été de
dreffer une carte topographique de toute
cette étendue de pays comprife entre les
plaines d'Héliopolis & de Memphis , ces
anciennes villes , que leurs ruines rendent
encore célebres. Il a eu la précaution d'y
joindre la pofition des lieux qu'il a été à
portée de vifiter ; il a préfumé que pour
rendre plus fenfible l'avantage & l'utilité
de cette carte , il falloit néceffairement
l'accompagner d'une explication géographique
des lieux anciens & modernes qu'elle
contient ; c'eft ce qu'il nous paroît avoir
exécuté avec fuccès dans l'ouvrage qu'il
donne au public. Quelque court qu'il fait ,
nous ofons affurer que les perfonnes qui
s'appliquent à l'étude de l'Hiftoire & de la
Géographie , en pourront tirer de nouvel
les lumieres ; car l'auteur a eu principalement
en vûe la réunion de ces deux objets
fi propres à fixer les recherches des fçavans.
Dvj
84 MERCURE DE FRANCE.
Il n'a pourtant pas tout-à - fait négligé les
moyens d'intéreffer le commun des lecteurs,
par le récit des moeurs & des ufages qui
caracterifent les habitans du pays qu'il a
vifité. On ne fera pas fâché de fçavoir
comment notre auteur s'explique lui - même
fur cet article dans fa préface. » Je
» n'ai point voulu , dit-il , me borner à
» un détail purement géographique ; j'ai
» préfumé que la féchereffe qui en réfulte ,'
» y répandroit de l'ennui , fi elle n'étoit
»compenfée par le détail plus amufant
quoiqu'abrégé , des particularités qui
» m'ont le plus frappé , en recherchant les
» ufages du pays où j'ai réfidé quelques
années , & en approfondiffant les moeurs
de fes habitans . J'avoue que mon inter-
» tion n'a point été d'apprendre des chofes
tout-à-fait nouvelles dans cette partie ,
que d'autres voyageurs ont déja traitée
à fond : cependant il y a quelques - unes
de celles que j'ai rapportées , qu'on s'efforceroit
inutilement de trouver détaillées
avec autant d'exactitude dans leurs
relations mais après tout il n'en faut
" juger que comme d'un acceffoire , qui
» par la liaifon qu'il occafionne , m'a paru
»propre à donner une forme fuivie &
» en même tems plus variée à cette def
≫cription , où mon principal but a été de
AVRIL. 1755- 85
"
jetter quelque jour fur un des morceaux
» les plus effentiels de l'ancienne Géographie
«. M. Fourmont finit par avouer
qu'il y auroit de la témérité à annoncer
l'ouvrage qu'il publie › autrement que
comme un fimple effai , où il a feulement
eu deffein d'infinuer au lecteur éclairé les
inftructions qu'il pourroit tirer d'un voyage
fait dans les vûes qu'il a pris foin de
fpécifier.
Les bornes d'un précis ne me permettent
pas d'entrer dans un plus grand détail ; je
me reftreins à dire l'auteur ne fe conque
tente d'être l'héritier d'un nom , que
pas
MM . fes oncles ont fait connoître d'une
maniere glorieufe dans la république des
Lettres , il afpire encore à l'honneur de
marcher fur leurs traces.
ESSAI D'UNE NOUVELLE CARTE DE LA
MER CASPIENNE ; par M. d'Anville , de
l'Académie royale des Infcriptions & Belles
Lettres , & de celles des Sciences de
Petersbourg . Quoique cette carte fe diftingue
des précédentes par de notables
changemens & une plus grande précifion
dans le détail , l'auteur ne l'intitule néanmoins
qu'Effai , dans la perfuafion où il
eft que ce fujet doit encore acquerir plus
de perfection : mais ce qui fera plus par
86 MERCURE DE FRANCE.
fait pouvant tarder à paroître , c'eft fer
vir le public que de lui donner actuelle
ment quelque chofe de mieux que ce qu'ik
avoit eu jufqu'à préfent.
PROSPECTUS D'UN NOUVEAU TRAITÉ
DE FORTIFICATION. L'auteur nous ap
prend qu'il a compofé cet ouvrage pour les
jeunes Officiers , qui fans fe deftiner particulierement
pour le génie , doivent pourtant
connoître les fortifications . Comme
la méthode de fortifier de M. le Maréchal :
de Vauban eft aujourd'hui la plus fuivie
c'eſt celle dont l'auteur rend raifon dans
ce traité. Pour rendre fon inftruction plus
fenfible , il a formé un bureau dont il donne
la defcription , & qui fait une partie
du mérite de fon ouvrage. Ce bureau qu'il
nomme Bureau militaire * , a à peu - près
la forme d'un bureau typographique : chaque
étage de fon bureau contient des pie
ces de ménuiferie de même efpece , de même
que les étages du bureau typographique
contiennent les caracteres de même
efpece. Par le différent affemblage de ces
pieces de ménuiferie , on peut former en
Jene fais ici que tranfcrire les dernieres pa
ges de fon profpectus. Cet objet me paroît trop
intéreffant pour ne pas l'offrir aux yeux du lecteur
dans tous fes détails.
AVRIL. 1755. 87
relief une fortification , ainfi que par l'af
femblage des caracteres on peut repréfenter
des mots.
*
Chaque niche de ce bureau militaire
contient les pieces de même efpece , qui
forcent l'enceinte & tous les différens ouvrages
d'une place : ainfi dans la ligne des
baftions font , dans des étages féparés , les
courtines , les flancs & les faces , pour trois
différens polygones ; il en eft de même des
pieces qui doivent former les ouvrages extérieurs.
Quoique les pieces de même efpece
ayent quelquefois des longueurs différentes
pour les différens polygones , elles ont
toutes cependant une échelle commune :
chaque piece porte avec elle le numero de
fa longueur.
Le nombre de ces pieces , pour former
unbureau militaire complet , n'eft pas bien
confidérable . Qu'on faffe attention que M.
le Maréchal de Vauban a toujours fuppofé
que le côté de tout polygone qu'on fe propofoit
de fortifier , avoit cent quatre - vingt
toifes. Il a trouvé qu'à cette diſtance les
baſtions étoient convenablement éloignés,
& que la ligne de défenſe avoit une jufte
longueur ; qu'on faffe attention encore
qu'il donne toujours cinquante toifes aux
faces de baſtions pour quelque polygone
88 MERCURE DE FRANCE.
que ce foit. Voilà donc deux longueurs :
qui ne varient point : je fuis parti de là
& je n'ai pas trouvé plus difficile de faire:
une fortification en relief, par l'affemblage
de différentes pieces de ménuiferie , qui ,
euffent toujours une même échelle pour
les différens polygones , que de tracer fur
le papier une fortification fur différens polygones
, qui font fuppofés avoir toujours.
une même échelle de cent quatre - vingt
toiſes. On trouvera même que la différence
de la longueur des côtés & de la grandeur
des angles de la premiere enceinte ,
n'eft pas bien confidérable dans les différens:
polygones , & qu'ainfi il n'y aura pas un
grand inconvénient de fortifier un exago-.
ne avec les pieces d'un pentagone , fur-,
tout fi l'échelle du bureau militaire , qui
doit être de cent quatre-vingt parties égales
, repréfentant des toifes , eft réduite à
fept ou huit pouces . Mais , pour plus grande
exactitude , le bureau pourra contenir
des pieces pour la premiere enceinte feulement
, de trois différens polygones. Ces
pieces de différens polygones , adaptées
enfemble , pourront même fervir à repréfenter
ou à imiter des places irrégulieres .
Tel eft en gros le plan de ce nouveau bureau
militaire.
Pour en faire ufage l'éleve n'a befoin
AVRIL. 1755 89 .
que de fçavoir tracer la ligne magiftrale
de chaque ouvrage ; après quoi il meſure
fur fon papier la longueur de chaque cour-`
tine , de chaque flanc , de chaque face , &c .
& il prend dans le bureau des pieces de
même efpece & de même longueur , les
difpofe fur une grande table , & dans un
inftant toute la fortification eft formée.
4
des
Les idées qu'il a , par le moyen de ces
fortifications en relief , font bien plus claires
; il voit bien mieux le rapport mutuel
de chaque piece , de quelle maniere elles
fe flanquent les unes les autres , qu'il ne
le verroit fur le papier par le moyen
lignes , qui ne difent rien lorfque leur ufage
n'eft pas familier ; & cela eft fi vrai ,
que j'ai vu des jeunes gens qui avoient
étudié les fortifications , ne pas fe reconnoître
dans une fortereffe . Que les perfon-,
nes les plus expérimentées dans cet art comparent
l'impreffion que fait fur eux un plan
gravé fur du papier , où un plan en relief,
tels que ceux qui font aux galeries du Louyre.
Tout deviendrá fenfible à l'éleve : cette
étude fera un véritable amuſement pour
lui , & il est bien rare que les jeunes gens
ne réuffiffent pas dans les chofes qu'ils
font avec plaifir. Il n'en faudroit pas dayantage
pour infpirer le defir d'approfongo
MERCURE DE FRANCE.
dir cette connoiffance , & peut-être d'y
faire de nouvelles découvertes.
Un Maître habile & ingénieux pourra
varier à l'infini fes leçons : tantôt c'eſt uné
place qu'il attaque , après que fon éleve
la fortifiée : tantôt c'eft le paffage d'une
riviere qu'il faut défendre. Il peut même
former fur une grande table des élévations
avec de la terre ou du fable , & donner un
terrein inégal à fortifier : de pareils exercices
feront d'autant plus inftructifs , qu'ils
feront le milieu , pour ainfi dire , entre l'i
mage & la réalité. Ainfi un jeune Seigneur
& un Officier acquerreroient parfaitement
les connoiffances qu'ils doivent avoir des
fortifications.
Selon les difpofitions de l'éleve , le pro
feffeur pourroit alors le pouffer plus out
moins avant dans les parties des Mathéma
tiques qui ont du rapport aux fortifica
tions ; & pour cela lui faire voir d'abord
les Inftitutions mathématiques de M. l'Ab
bé de la Chapelle : ce livre eft bien au
deffus de fon titre ; mais que l'Officier faffe
toujours céder cette étude à celle des connoiffances
plus particulieres à fon état . It
n'eft pas auffi effentiel pour lui de fçavoir
les différens traités de mathématique , que
de bien connoître la difcipline politique ,
économique & militaire d'une armée :
AVRIL. 1755. $
ainfi il ne devra étudier les cours mathé
matiques de M. le Camus qu'après qu'il
aura appris prefque par coeur les effais fur
l'art de la guerre de M.le Comte Turpin .
Cet ouvrage * eft écrit avec une fimplicité
& un ordre admirable , parce que l'auteur
eft un excellent Officier qui rend raifon
de ce qu'il a vû & de ce qu'il a fait . -
Je vais finir ce Proſpectus par où j'aurois
dû le commencer. Il n'a pas été fait pour.
annoncer mon ouvrage , moins encore .
pour en dire du bien : ç'auroit été une cho- >
fe pour le moins inutile ; car fans doute
je ne le crois pas mauvais , puifque je me›
propofe de le donner au public. J'annonce
donc ici mon bureau militaire ; & comme
il peut fervir à démontrer , non feulement:
mon traité des fortifications , mais encore
tout autre traité où on donnera la méthode
de M. de Vauban , les perſonnes qui ,
fans faire ufage de mon traité , voudront
faire ufage de mon bureau , n'auront qu'à
adreffer leur Ménuifier ou leur Ebéniſte
chez M. Jombert , Libraire , rue Dauphi
ne , & l'auteur fe fera un plaifir de leurs
donner des modeles , ou de les mettre en
état d'exécuter de pareils bureaux .
* Il ſe trouve à Paris , chez Jombert , rue Dau ,
phine.
92 MERCURE DE FRANCE.
SEANCE PUBLIQUE
De la Société royale des Sciences & Belles-
Lettres de Nanci.
E 20 d'Octobre dernier , la Société
royale de Nanci tint , felon fa coutume
, fa féance publique. Ce jour , fi cher
à l'Académie par la naiffance de fon fondateur
, fera encore mémorable dans fes
faftes par les fujets diftingués qu'elle vient
de recevoir. Elle comptoit déja parmi fes
membres les Fontenelle , les Hénault , les
Montefquieu; elle vient de s'affocier encore
les Maillebois , les Maupertuis , les la Condamine.
M. Dagay , Abbé de Soreze , de
l'Académie de Befançon , étoit venu exprès
de Franche-Comté à Nanci , pour faire en
ce jour fon remerciment , & M. le Corvaifier
, Secrétaire perpétuel de l'Académie
d'Angers , avoit envoyé le fien. Il fut lû
par M. le Chevalier de Solignac : la façon
de lire ne nuit point à un difcours ; celuici
fut prononcé avec goût , on l'écouta
avec attention , on le relira encore avec
plaiſir , mais il faut le lire tout entier :
quelques morceaux détachés ne feroient
connoître qu'imparfaitement le ftyle & les
fentimens de l'auteur.
AVRIL. 1755.
93
" La gloire ( dit M. le Corvaifier ) eſt
» le premier objet d'une Société d'hommes
» de Lettres , les travaux utiles la procu-
» rent , les fuccès la confirment , l'hom-
» mage du public en fixe la folidité ; elle
devient le fond & la richeffe d'un Aca-
» démie , on peut l'augmenter en la com-
» muniquant mais on peut auffi l'affoiblir
, forfqu'on admetquelqu'un à y par-
;
ticiper. Que je crains , Meffieurs , que
» vous n'ayez à vous reprocher bientôt vo-
» tre indulgence ! vous m'affociez à vos
» triomphes littéraires , pouvois- je l'efpe-
» rer ? vous exigez de moi des travaux
ferois-je affez heureux pour remplir vos
» intentions & mes devoirs ?
» Les ouvrages qui honorent votre compagnie
, & qui lui appartiennent , font
marqués au coin de l'érudition , fuppo-
» fent des recherches , annoncent des con-
» noiffances , & portent le caractere du
»goût & du génie ; ils n'éblouiffent point ,
» ils intéreffent ; ils ne féduifent point , ils
» perfuadent ; ils n'amufent pas feulement,
ils inftruifent ; ils n'obtiennent point un
applaudiffement paffager , on les admire
toujours. Quelles productions , Mef-
» fieurs , aurois-je à vous offrir qui puiffent
» être placées à côté des vôtres ? Je n'ai
pour moi que du zéle . Je ne dois pas ce4
MERCURE DE FRANCE.
pendant oublier le feul moyen que je
puiffe faire voir pour vous être agréable .
» La maniere que j'ai employée à célébrer
» les vertus du Monarque de la France , a
mérité l'approbation de votre auguſte
fondateur. Un fuffrage fi refpectable de-
» vroit calmer mes inquiétudes , & ſoute
> nir mes efpérances ; mais puis-je me dif-
» fimuler que j'ai entrepris le fujet le plus
»magnifique & le plus fécond ? qu'il ne
» s'agiffoit pas d'embellir les objets , mais
» de les montrer : qu'il fuffifoit d'être ci-
» toyen & de connoître fon Roi . On ne
peut me fçavoir gré que du choix ; la ma
tiere que j'ai embraffée , eft affez riche
»pour foutenir celui qui la traite , & pour
» fuppléer aux talens .
M. de Corvaifier parle enfuite des dif
férens établiſſemens qu'a fondés le Roi de
Pologne , & des ouvrages qu'il a compo
fés ; & après avoir expofé le plan des uns
& fait l'analyse des autres , il conclut que
les amuſemens ingénieux de ce Prince ,
auffi-bien que fes plus férieufes occupa
tions , tournent également au profit de la
religion & de l'humanité.
-
Après la lecture de ce difcours , M.
Dagay , Abbé de Soreze , Chanoine de
T'Eglife métropolitaine de Franche - Comté
, & membre de l'Académie de Befan-
•
AVRIL. 1755. 95
çon , prononça lui - même fon remerci
ment , qu'il finit ainfi . » C'eſt à vous ,
Meffieurs , qu'eft réſervée la gloire de
» tranfmettre aux fiécles à venir les fenti-
❤mens magnanimes , & les actions héroïques
dont vous êtes les témoins : c'eft à
» vous à dépofer dans le fein de la renom-
» mée tout le détail d'une vie qui doit
» être à jamais le modele & l'exemple des
»
Rois. La feule chofe que vous avez à
» craindre , c'eſt que les faits que vous de-
≫ vez raconter , & qui fe paflent fous vos
n yeux , ne paroiffent aux yeux de la pof
térité une fiction ingénieufe, plus propre
à rendre la vertu aimable que reffemblante
à la vérité. Mais raffurez - vous ,
» Meffieurs , tant de grands établiſſemens
» également utiles à la religion & à l'hu-
» manité , plus durables que le marbre &
le bronze qui les atteftent , & qui font
confignés dans les annales de l'Eglife &
dans les archives des nations , garanti
ront la certitude de votre témoignage.
Daigne la providence , qui a toujours fi
» vifiblement protégé ce Monarque , mettre
le comble à tous nos voeux Puiffent
fes jours précieux fe prolonger aux dépens
de nos années , fe perpétuer au gré
- de nos defirs , fe multiplier à proportion
de fes vertus , & durer autant que fes
Sbienfaits !
96 MERCURE DE FRANCE.
M. le Comte de Cuftine , Directeur de
l'Académie , lui répondit. Il parla avec
cette politeffe & cette modeftie qui ca
racteriſent le vrai mérite , & qui conviennent
fi bien aux perfonnes de fon rang.
Son difcours fut généralement applaudi.
Il le termina par ces paroles , qu'il adreffa
à la Compagnie. » Suivez , Meffieurs , les
» hautes deftinées qui attendent tout ce
»
qui eft l'ouvrage de Staniflas ; marchez
" avec confiance dans la carriere où il
» vous précéde , & s'il arrivoit jamais que
» votre ardeur fe rallentît , rappellez - vous
que fa gloire eft inféparable de la vôtre.
- M. de Beauchamp , Lieutenant de Roi à
Nanci , prononça un difcours fur l'ambi
tion. Il diftingua la noble ambition , qui a
pour principe l'amour de la patrie , & pour
objet l'utilité publique , de l'ambition criminelle
qui ne confulte que l'orgueil , &
qui n'afpire qu'à l'indépendance. Il prouva
par des raifons folides & des exemples
choifis , qu'autant que l'une eft louable &
peut être utile , autant l'autre eft funefte
& digne de mépris.
M. Montignot , Chanoine de l'Eglife
cathédrale de Toul , fit une differtation
fur l'efprit philofophique , dans laquelle
il fit voir que ni Lucrece , malgré la beauté
de fon génie poëtique ; ni Spinofa ,
malgré
AVRIL. 1755 . 97.
malgré l'invention hardie & la liaiſon de
fon fyftême ; ni Bayle , malgré les argumens
fpécieux de la plus fine dialectique ,
n'étoient pas de vrais Philofophes.
L'auteur avoit commencé par remonter
jufqu'au tems heureux où l'efprit philofophique
vint à paroître dans le monde.
» Qu'entendoit- on , dit- il , avant Defcar-
» tes , par cette forte d'efprit ? Etoit - ce
cette recherche févere & rigoureuſe de
» la vérité , qui pefe , balance , examine
• fans prévention , & ne s'arrête que lorf
» que l'évidence paroît : Etoit-ce ce jugement
vif& pénétrant , qui ne fe laiffant
égarer par aucune fauffe lueur , avance
» toujours d'un pas égal vers la vérité ,
» parce qu'il ne veut la reconnoître que
» dans les principes d'une claire percep
» tion , par un fentiment intérieur , ou
d'après des obfervations exactes & ré-
» pétées avec fcrupule ? Non , Meffieurs ,
ajoute-t-il , on ne penfoit même pas qu'il
»fallût acheter fi cherement la qualité de
Philofophe .... Ceux qui portoient ce
» nom , on les difpenfoit alors d'étudier
la nature , & d'obferver fes loix ; mais
" on exigeoit qu'ils excellaffent dans l'art
dangereux d'embarraffer une difficulté
par toutes les fubtilités qu'une fauffe dialectique
enfeigne ; qu'ils fuffent habiles
D
ود
"
E
98 MERCURE DE FRANCE .
» dans la fcience des mots ..... Defcartes
paroît. Sa raifon ne peut fouffrir le joug
honteux où gémiffoit le refte des hom-
» mes. Il menace de renverfer jufques dans
»fes fondemens le vieil édifice de la Phi-
» lofophie d'Ariftote , qu'il ne trouve
étayée que par la prévention de fon fié-
>> cle . Cet heureux génie a le courage de
» donner les premiers coups ; il frappe
s d'une main fure. If nons trace en vain-
» queur les vraie's routes du fçavoir ... Je
» fixe à cette époque , continue M. Montignot
, le moment où le véritable ef
» prit philofophique commença à repa-
»roître fur la terre ... Vous connoiffez ,
» Meffieurs , les avantages que la Société
» en a retirés. Mon deffein me conduit
» plus loin ; je l'envifage du côté de la re
ligion , & je dis que l'efprit philofophi
" que lui eft avantageux
, ou plutôt qu'il
» ne lui eftpas nuifible : mais eft-il facile,
» ajoute - t - il , d'accorder
enſemble
cette
docilité d'enfant , que la foi exige pour
des vérités qu'il eft défendu
d'approfon
» dir , avec ces principes
féveres de la Phi-
» lofophie moderne
, qui fe fait une loi
inviolable de n'acquiefcer à aucune opi-
» nion , jufqu'à ce que l'évidence paroiſſe ,
» & qu'elle éclaire une vérité , comme un
beau jour qui vient rendre aux objets
AVRIL. 1755.
ITI
93
93
"
1,
?
BECO
ON
leurs couleurs naturelles : Ce font des
» doutes & des frayeurs qui n'age
gueres que cette partie des hommes qué
» n'ont pas médité fur le caractere de
»l'efprit philofophique , parce qu'ils n'en
» fout point éclairés .... Rendons ici l'ef
prit philofophique refpectable à leurs
yeux Montrons qu'il eft avantageux à la
religion , & qu'il la fert auffi utilement
» qu'ilmérite d'en être honoré. » Dans le
détail ouventre enfuite M. Montignot , il
fait voir que l'efprit philofophique fert à
faire appercevoir les bornes de la raiſon ,
la néceffité d'une révélation & l'obligation
de s'y foumettre. On ne fçauroit fuivre
l'auteur dans tous fes raifonnemens . Ils
font auffi forts qu'ils le pouvoient être , &
toute Baffemblée en fut extrêmement frappée.
Cet ouvrage paroîtra , fans doute ,
bientôt dans les mémoires de l'Académie
de Nanci , avec ceux dont nous venons
de parler ob a
}
D'HOURY , Libraire , rue de la Vieille
Bouclerie , donnera inceffamment une nouvelle
édition de la Chymie médicinale , de
M. Malouin , Médecin ordinaire de la
Reine.
ailty
CONSIDERATIONS fur les caufes de la
Eij
100 MERCURE DE FRANCE.
grandeur des Romains & de leur décadence
; nouvelle édition , à laquelle on a
joint un dialogue de Sylla & d'Eucrate .
A Paris , chez Guillyn , quai des Auguftins
, du côté du pont Saint Michel , au Lys
d'or. 1755 .
édition ; par
URE
>
ESSAI SUR L'ARCHITECTURE , nouvelle
le P. Laugier de la Compagnie
de Jefus. A Paris , chez Duchesne ,
Libraire , rue Saint Jacques , au Temple
du goût. 1755 .
Cette édition eft augmentée, d'un dictionnaire
des termes , avec des planches
qui en facilitent l'explication .
P
I
༣ མ༣ ” ༤༣
,, -
longda ar
909:044
Jac.urb
*
AVRIL 1755. 101
Be
ARTICLE
III .
SCIENCES ET BELLES - LETTRES.
PHYSIQUE.
que srɔb 197
JE
LESTİTRE A M. ****
SHDOS !
MONSIEUR
toutes in-
E dois jufte titre vous confidérer
comme le dépofitaire de toutes les interprétations
de la nature dont les Philofophes
fe croient capables. Il vous appartient
plus d'en juger qu'à tout autre , par
l'attention perpétuelle que vous avez à en
dévoiler les refforts.
Vous n'ignorez pas , Monfieur , le phénomene
, le myftere , qui doit occuper aujourd'hui
les Phyficiens & les Médecins .
Il s'agit d'un enfant né le 18 Janvier
1754 , enterré nud auffi- tôt après fa naiffance
, parce qu'on l'a cru mort- né ; déterré
, dit- on , vivant le 15 Février fuivant
, & baptifé le lendemain , en préſence
de plufieurs perfonnes , lequel enfant a
paru vivre pendant cinq heures après fon
baptême.
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
Je vais , Monfieur , produire ce que
j'en penfe ' , j'éviterai avec foin tout difcours
fuperflu ; & fi mon raifonnement
ne mérite
pas votre approbation , j'ofe me
flater qu'il ne vous ennuira point par fa
longueur.
PODZ1Q791 910101 ( 5.N
On a cru cet enfant mort né , parce
qu'il étoit fort noir cette ecchymofe confidérable
prouve qu'il a fouffert quelque
étranglement au paffage , capable de forcer
les vaiffeaux capillaires & d'intercepter
un libre commerce de l'air extérieur avec
le poulmon , fans que cependant il foit
devenu la caufe d'une mort complette. La
même chofe arrive aux pendus qui n'ont
point été étranglés jufqu'à ce que mort
s'enfuivit , & qu'on rappelle à la vie &
à la fanté , par le moyen d'une faignée fálutaire
.
Ou l'enfant dont il s'agit n'a point ref
piré avant d'être mis en terre bail³n'a
refpiré que très- foiblement. Dans cendernier
cas , fon fang n'a point totalement
abandonné la route qu'il fuivoie pendant
qu'il n'étoit qu'un foetus . Les arteres pulmonaires
ne font point parvenues à une
dilatation proportionnée à leur diametre ,
le trou ovale a continué de fervir d'entrepôt
ou de canal de communication entre
les artères & les veines ; l'habitude extéAVRIL.
1755. 103
rieure du corps a reçu l'influence aëreréthérée
néceffaire pour perpétuer la raréfaction
vitale. La terre dont il étoit
couvert fe trouvoit apparemment d'une naature
propre à faciliter cette négociation
une fi foible refpiration n'a pu entretenir
qu'une circulation lente , en tout pareille
à celle qui s'obferve dans plufieurs léthargiques
, dont la vie paroît douteufe pendant
un affez long- tems.cs
Dans le premier cas , c'est- à-dire s'il
n'a point refpiré avant d'être mis dans la
foffe , le trou ovale , la bonne qualité du
fang , l'habitude extérieure du corps , &
la nature de la terre , qu'on devroit n'avoir
point omife dans des mémoires d'une
telle importance , font les feules caufes
qui ayent pu concourir à une telle confervation.
Dans l'un & dans l'autre cas , la diffipation
n'a point été grande , les effluences
n'ont point été confidérables , elles ont
exactement répondu à la ratéfaction ou
à la circulation du fang , & elles pou
voient fe réparer fous la terre par des influences
proportionnées , quelque médiocres
qu'elles puffent être.
C'est dans un de ces deux états deux états que l'on
a mis cer enfant au tombeau , prefque au
même moment qu'il a été expofé à l'air ,
Eiv
104 MERCURE DE FRANCE.
& il y a confervé fa vie pendant vingt- huit
-jours.
Ce fait me paroît , Monfieur , affez extraordinaire
& affez incroyable pour avoir
mérité d'être conftaté par des perfonnes
'de l'art , qui n'auroient nullement été inréreffées
à faire paffer pour réel ce qui
ne leur auroit préfenté aucune réalité conftante
, ou que des fignés équivoques n'auroient
point été capables de convaincre.
Quelque fingulier que foit ce fait , fi on
le fuppofe vrai , il ne me ppaaroît point
inexpliquable , & mon explication paffera
Tout au plus pour avoir été hazardée
j'entre donc en matiere par une compar
comparaifon
que vous ne jugerez point indifférente.
Tous les bois ne confervent pas également
fous les cendres le feu dont ils font
animés : ceux dont les tiges font propres
à entretenir le feu , ont des branches d'une
même efficacité ; il faut donc que dans la
mere de cet enfant les influences acreréthérées
& chyleufes dont je parlé dans l'analyfe
que j'ai eu l'honneur de vous faire
préfenter , fe foient trouvées conftamment
dans des proportions bien régulieres , puifque
le peu d'air qui fe trouve dans la terre
eft capable de les entretenir ; il faut
que cette mere ait joui d'un bon tempéAVRIL.
1755 : 105
ramment & d'une fanté parfaite , puifque
Ta diftribution du fang & des humeurs
que cet enfant en a reçu , a pû fe foutenir
dans fon petit corps fous un monceau
de terre pendant un filong-tems , & avec
un fi foible fecours.
Si cet enfant a refpiré après fa naiffance
, il n'a pas joui d'une influence aëreréthérée
abondante pendant qu'il fe trouvoit
au milieu de l'air , vû les obſtacles
oppofés à l'infpiration : il a continué de
trouver dans la terre autant d'air qu'il s'en
étoit introduit dans fon poulmon pendant
le peu de féjour qu'on lui a permis de
faire fur la terre. Sa vie n'a point acquis
de nouvelles forces dans le tombeau ; mais
elle s'y eft foutenue tout comme un bois
convenable conferve fon inflammation fous
les cendres , fans que celle-ci y faffe les
mêmes progrès qu'elle feroit fi elle étoit
entretenue par l'affluence d'un nouvel air
auffi wilirbree qu'abondant.
Ces bois propres à conferver le feu font ,
fans contredit , d'une conſiſtance docile à
la raréfaction inflammatoire , puifque le
peu d'air que fourniffent les cendres fuffit
pour l'entretenir : par la même raifon , le
fang que cet enfant avoit reçu de fa mere ;
doit avoir été d'une confiftance très -louable
, docile à la plus foible éthériſation
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
docile à la moindre influence aërer- éthérée
, puifque celle que la terre lui a fourni
pendant vingt-huit jours y a été faffifante
pour maintenir fa fluidité fa raréfaction
, fa progreffion vitale.
Jom QY
Ceux qui ont affiftédocette merveille ,
Monfieur ont fans doute crié au miracle
; en effet , j'en reconnois un dans les
inquiétudes du perei & della merely lef
quelles ont déterminé à déterrer cet enfant
pour lui procurer un fecours fpirituel
, qui eft devenu le fceau de ſa prédeftination.
pan pe al ob zed use
La vie de cet enfant peut avoir été raf
furée dans la foffe par le fango qui s'y eft
extravafé mais qui perd for fang perd
fa vie , & pour un fujet fr délicat , c'étoit
beaucoup attendre que de remettre fon
baptême au lendemain goune telle négli
gence rendroit
ainfi direabfüfpe
&s
rendroit ,
pour
les certificats qui ont été envoyés. si
Il n'y a , ce me femble , que la foi des
perfonnes montées fur le ton de miracle ,
& par conféquent intéreffées à le publier
ou à l'autorifer , qui ait été tranfmife juf
qu'à nous , & cette foi là mêmerend inexcufable
le délai que l'on a apporté au bap
tême. Suppofons cependant le fait vrai ,
& concluons avec juftice que ce que Dieu
a réfolu eft au- deffus de la négligence des
hommes..
AVRIL.'
1755. 107
Je reviens au fang qui avoit été forcé
vers fes plus petits réduits , qui avoit rendu
l'enfant fort noir , & qui avoit déter
miné le pece à l'enterren fur le champ com
me mort. slary toifis folu
Je penferois volontiers , Monfieur , que
la faignée que l'enfant a éprouvée dans le
tombeau par l'hémorragie accufée , lui à
été falutaire. Je croirois également puifqu'on
l'a enterré noin, & qu'on l'a déterré
vermeil sequ'il s'eft fait dans la terre une
réfolution tacite de ce fang , qui fe trouvoit
hors de fa route ordinairego & que le
fang qui formoie cette ecchymose , ainfi
que celui qui a été extravafé dans les premieres
voies , a été pour la maffe entiere
une continuation de nourriture , ou d'influence
reftaurante pareille , quoique infé
rieure à celle dont il étoit avantagé dans
le fein de fa mere. Il faut peu pour fou
tenir la vie d'un enfant , ou pour la détruire
, & la loi générale , qui fert beau
coup dans le cas préfent , eft que la circulation
doit répondre à la refpiration
quelle qu'elle foitusramnod
Les animaux qui vivent un affez longtems
de leur fuif ou d'un fuperflu , donc
ils le font pourvus au- dedans d'eux-mêmes,
favorisent le foupçon que je viens de
mettre enavant. La metamorphofe du noir
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
au vermeil , que les certificats annoncent ,
n'eft pas moins,favorable au raifonnement
ci-devant établi pour expliquer la foible
vie d'un enfant qui a été tout nuddans la
terre pendant vingt-huit jours qui a
paru vivant après avoir été exhumé.luob
Ce raifonnement paroîtra d'autant plus
folide qu'il est dénué de tout fyftême. Il
n'eft fondé que fur l'activitévivifiante d'un
ether univerfellement
reconnu
& avoué
,
& fon activité ne confifte que dans fa furabondance
alternative , ajuée à des organes
bien conftitués , & dreffée à une city
culation vitale par tous des , refforts qui
doivent concourir à l'entretiende la vie.
Ce raifonnement paroîtra fur- tout conforme
à la loi unique & générale de coutes
les mutations , à laquelle je prouve dans
mon analyſe ci - deffus mentionnéesque
toute la matiere a été affujettie par la
volonté infinies & toute puiffantesde fon
Créateur & de fon fouverain Législateur.
+
Il ne me reste plus , Monfieur qu'à
examiner trois circonstances de ce fait autant
mémorable que merveilleux , qui ont
été rapportées dans les mémoires ou certificats
que j'ai lûs , & auxquelles il convient
d'accorder une explication particuliere.
)
1. L'on rapporte les pleurs de l'oeil droit:
0
AVRIL. 1755. 109
11
de cet enfant , au -deffous duquel il il y
avoit une cicatrice d'une playe , qu'une
pierre lui avoir faite en le couvrant de terreba
donc fouffert quelque douleur
dans les premieres infpirations ; mais cette
douleur n'a pas étéo,và beaucoup près , fi
anconfidérables qu'elle left ordinairement
al dans les enfans nés fans aucun obſtacle à
l'entrée de Fair dans leurs poulmons , qui
font par conféquent tout- à coup faifis d'unel
nouvellerinfluence acrer- éthérée , fans
contredit , plus abondante , & moins fupportablé
qu'elle ne peut l'avoir été pour
cet enfant , dont le poulmon ne s'eft épanoui
que peu à peu , & par dégrés .
-Onl'avu , dit-on , bailler après fa
renaiffance corporelle & pendant la fpiri-
2tuelles preuve sinconteftable d'une plus
grande expanfion du poulmon , furvenue
a um très-long fommeil pour fecourir les
shumeurs , pour en accélérer le cours qui
étoit comme engourdi par fa longue détention
fous la terte. Val
*
C
les
3. L'on dit qu'il eft forti quelques
gouttes de fang de fon eftomac , & que
perfonnes qui l'ont exhumé , auroient pû
ramaffer un verre de fang dans la foffe où il avoit été mis. Il auroit , ce me femble
,
convenu d'examiner à quelle partie du
corps répondoit particulierement
ce fang,
110 MERCURE DE FRANCE
Quoiqu'il en foit , je penfe que les vaiffeaux
cutanés ayant été comprimés fans
une entiere deſtruction de la vie , le fang
s'eft porté plus abondamment vers les par
ties internes , & furtout vers les premie
res voies , qui n'étant point garnies d'os
de toute part , comme le font les autres
parties du corps , one cédé plus facilement
à un abord du fang plus confidérable.
Je ne crois cependant point qu'on doive
perdre de vue le meconium , lequel ,
puifqu'il caufe des tranchées fi violentes
aux enfans nouveau - nés , doit avoir p
té les vives impreffions fur les vaiffeaux
des inteftins , ou même à raifon de leur
continuité , fur ceux de l'eftomac , & y
avoir occafionné une hémorragie , peutêtre
falutaire pour un tems , mais au fond
dangereufe & mortelle , n'y ayant eu ni
lait ni huile d'amandes douces pour réprimer
l'activité de pareilles impreffions.
21000
Il eft furprenant qu'on n'ait effayé de
donner quoique ce foit à cet enfant ,
pour le foutenir après fon exhumation , ou
du moins il n'en eft parlé ni dans les mémoires
, ni dans les certificatspog
Voilà , Monfieur , le terme où mes lumieres
ont pû me conduire ; aidées des
vôtres , elles pourront prendre quelque
accroiffement. C'eft dans cette vvuûee queje
AVRIL. 1755. 111
m'empreffe de foumettre mes jugemens
aux vôtres, & de chercher toutes les occafions
de vous prouver que j'ai l'honneur
d'être, &cav minsbaodi
1979 251 2197 100Olivier de Villeneuve.
20b 29ining To
29-ins 291 mol el amo .
D
LETTRE DE M. LE P. H.
A M. L'AB BE V.
noop nog insbe
Lures ,
E nom que vous vous faites dans les Let
Atnes, Monfieur plus encore que le re,
merciment que je vous dois de l'extrême politelle
que vous me marquez dans votre ouvrag
ge , mérite bien que je me défendefur un article
où nous penfons tous deux differemment ,
c'eft la Régale ** , Sima nouvelle édition n'étoit
pas trop avancée , j'y aurois inféré cette
réponse pour y Suppléer , je vous l'adreſſe
sast
a vous-même, & je me fais honneur d'en
prendre le public pour témoin : j'espere que
cela me vaudra quelque nouvelle obfervation
e votre part, ce genre de combat litté
en des mains
aufli polies que les vôtres , fert merveillenfe
de
?
raire
quand le
armes s
* Nous redonnons cette Lettre , où il s'étoit gliffé
plufieurs fautes d'impreffion dans le dernier Mer
cure, pour que l'on puiffe mieux juger de la réponſe.
** Je prie ceux qui liront cette réponſe , de jet
ter les yeux fur ce que j'ai écrit à l'année $ 11.
112 MERCURE DE FRANCE.
f
ment à éclaircir la vérité . Nousfommes d'ailleurs
trop fouvent d'accord fur des faits auffi
curieux qu'importans , pour que l'on doive
être furprisfi nous différons quelquefois.
M. l'Abbé Velly prétend que l'on ne
doit chercher l'origine de la Régale
que
dans le droit féodal ; &82mmooii je crois
qu'elle eft antérieure aux fiefs . Les fiefs ,
fuivant moi , tels que nous les connoiſſons
aujourd'hui , n'ont commencé qu'avec l'ufurpation
des fujets , vers le regne de
Charles le Simple. La Régale , auffi ancienne
que la Couronne , eft donnccplusancienne
que les fiefs. Pinfon , dans fon
traité de la Régale , la compare au Nil ,
dont la fource eft inconnue celle des
fiefs l'eft- elle ? Les Gens du Roi , dans un
difcours du 24 Juillet 1633 , difent que la
Régale eft auffi ancienne que la Couronne :
peut-on en dire autant des fiefs ? les Francs
les ont - ils apportés , ou les ont - ils trouvés
établis dans les Gaules ? Les Rois de
France feuls ont le droit de Régale , & les
fiefs font de tous les pays : les fiefs n'ont
donc pas produit la Régale ? Les fiefs , dit
M. l'Abbé Velly , fe nommoient Regalia :
donc ils ont , felon lui , donné ce nom à
la Régale ; & moi je
dis ar
que les fiefs ont
pris en France le nom de Regalia , qui n'ap
partenoit alors qu'à la Régale , parce que
A VRI L. 1755. 113
»
sendes
300 98 119
"
la Régale eft le plus noble droit de la Couronne
: c'étoit bien ainfi
en ainfi que s'exprimoit
Philippe de Valois en 1334. La colla-
>> tion des en régale nous appartient
, à caufe de la nobleffe de la
Couronne de France » . Enfin , & c'eſt là
rancen .
la grande objection , j'ai dit que llees vrais
principes de la Régale fe trouvoient dans
Cache, 209 25, 2007 anon
VTT) ; car je
n'ai pas dir que le canon d'Orléans foit le
titre qui ait conféré la Régale à nos Rois ,
à Dieu ne plaife : c'eût été faire dépendre
ce droit d'une autorité dont il ne dépend
pas. Mais je dis qu'à la maniere dont les
Evêques reconnoillent dans ce Concile que
l'Eglife poffede les biens temporels , qui
n'eft qu'un fimple ufufruit , ils caracterifent
la nature de ces biens, qui ne font que
viagers , de même qu'ils reconnoiffent le
droit de celui qui les confere , & qui par
la force de la directe les réunit à chaque
vacance , ce qui n'eft autre chofe que la
Régale : auffi les Juges laics en font- ils feuls
les juges. bien fenti la forcé
Baronius avoir
de ce canon , puifqu'il ne trouve d'autre
moyen de l'éluder qu'en le changeant , &
qu'au lieu de lire quicquid in fructibus , il a
écrit quicquid in faventibus : ce qui donne
une nouvelle force au véritable texte. Mais
enfin , dit M. l'Abbé Velly , il y avoit des
170
114 MERCURE DE FRANCE.
30
Eglifes qui ne vaquoient point en Régale :
quelle en peut être la raifon , finon que
ces Eglifes ne tenoient aucun fief du Roi ?
Voici la réponſe par où je termine cet ar
ticle. Les Gens du Roi , dans leur avis au
Parlement , figné Malé en 1633 , que j'ai
déja cité , difent qu'il doit être tenu
pour conftant que la Régale eft univer-
» felle , & a lieu dans toutes les Eglifes
» du royaume , comme étant un droit non
» feulement inhérent à la perfonne facrée
» de nos Rois , mais auffi unin& incor-
» poré à la Couronne , né établi avec
» elle » . C'est ce qu'on trouve encore dans
le fameux plaidoyer de Jerôme Bignon ,
de 1638. Aucun cas d'exemption n'est donc
prévû , aucune Eglife n'en eft exceptée.
Celles qui prétendent cette exception ne la
peuvent donc jamais prétendre par la na
ture des biens qu'elles poffédent , mais feulement
par des conceffions particulieres ,
qui n'étant que des exceptions , confirment
la regle. Pour achever de fe convaincre ,
il n'y a qu'à lire la troifième partie du livre
III. du Traité de l'origine de la Régale , par
M. Audoul. Cet ouvrage parut en 1708
fous les yeux de M. Dagueffeau , auquel
ce célebre Avocat étoit attaché ; & voici
l'extrait de l'approbation donnée par M.
Ifali , cet oracle du barreau . » M. Audoui
AVRIL 1755. 115
a fait voir que ce droit éminent de la
» Régale tire fa fource du canon VII..du
» concile I.td'Orléans ; ce qu'il a prouvé
" par de faits fi certains & par de fi bons
principes , qu'il n'eft pas poffible d'y ré
99
fifter " . Voilà d'après qui j'ai écrit , fans
aller cependant anffi loin que M. Ifali ,
puifque je ne trouve dans le concile d'Orléans
que la preuve d'un droit déja établi .
Il réfulte de ce qui vient d'être dit , que
nous différons , M. l'Abbé Velly & moi ,
non feulement fur la Régale , mais même
fur l'origine des fiefs , puifque, les fiefs ,
fuivant moi , tels qu'ils font aujourd'hui
neremontent pas plus haut que le tems
de Charles le Simple , & quela Régale étant
auffiqancienne que la monarchie , j'ai eu
raifon de conclure que la Régale ne pouvoit
pas venir des fiefs. Mais cette preuve ,
qui efti fans replique , fuivant mes principes
, ne fatisfera point M. l'Abbé V. puifqu'il
fait commencer les fiefs avec la mo
narchie ; auffi n'eft- ce qu'une des preuves
que
que j'ai alléguées . Refte donc la queftion
de l'ancienneté des fiefs , & on fent dans
quelle difcuffion scela nous entraîneroir.
Une des preuves qu'en rapporte M. l'Abbé
V. qui eft l'inveftiture de la Seigneurie de
Melun , pourroit être contredite , & l'autorité
d'Aimoin , écrivain du onzieme fié116
MERCURE DE FRANCE.
cle , ne feroit pas d'un grand poids , quand
il dépofe d'un fait arrivé au fixieme. D'ailleurs
il faut avoir de bons yeux pour reconnoître
les fiefs dans les bénéfices militaires
. On trouve , à la vérité , dès la premiere
race , des exemples de bénéfices accordés
fous de certaines redevancés , dont
la principale devoit être le fervice militaire
; mais font- ce bien là des fiefs ? cès bénéfices
étoient viagers , & ont continué de
l'être jufqu'au tems de Pufurpation , &
alors , en effet , ils peuvent être devenus
des fiefs , fans qu'ils le fuffent auparavant.
On pourroit ajouter que les bénéfices ont
été inftitués d'après les terrés faliques ,
fans courir le rifque que l'on en tirât des
conféquences pour les fiefs. Le Seigneur
de fief avoit un fuzerain' , le bénéficier
n'avoit qu'un fouverain . Le feigneur de
fief avoit des vallaux , dont il étoit à fon
tour le fuzerain ; mot , dit Loiſeau , qui
eft auffi étrange que cette efpece de Seigneurie
eft abfurde ce qui prouve en
paffant qu'il ne regardoit le fief que comme
une innovation ) . Quelle fimilitude ,
en effet , peut -on trouver entre ces deux
qualités de bénéficier & de fuzerain ? Le
fief eft une Seigneurie , & affûrement les
bénéfices militaires n'en étoient pas . Ils
-peuvent avoir donné la naiffance aux fiefs ,
3
AVRI L. 1755. 117
3
comme les partages faits par nos Rois entre
leurs enfans ont donné lieu aux appanages
, avec cette différence que les fiefs
ont été l'abus des bénéfices militaires , au
lieu que les appanages ont été la réforme
des partages. Le Seigneur de fief faifoit la
guerre au Roi , & fes vaffaux étoient obligés
de l'y fuivre , les bénéficiers militaires
eurent- ils jamais une femblable prétention
2 Mais abandonnons cette queſtion
qui a fait le tourment de tant d'Ecrivains.
Le fentiment de M. l'Abbé V. peut fort
bien fe foutenir fans que , felon moi , il
influe fur la queftion de la Régale , où
j'aurois plus de peine à me rendre.
Voilà , Monfieur , ce que je mefuis fait un
devoir de vous expofer , pour répondre à l'eftime
que vous avez bien voulu me témoigner ,
&
en même tems pour faire connoître lesfenmens
avec lesquels j'ai l'honneur d'être , &c.
$
P
1
?
et tot of 1!!
ab 200 aring T2.0 : no
Veeren & Moon
118 MERCURE DE FRANCE.
REPONSE DE M. L'ABBÉ V.
A M. LE P. H.
e
E fuffrage d'un homme comme vous ,
Monfieur , & quelque chofe de fi féduifant
, qu'à da lecture de la lettre dont
vous m'honorez , j'ai prefque été tenté de
me croire un perfonnage . Mais je me connois
, & cette connoiffance ne m'a laiffé
appercevoir dans vos politeffes qu'un excès
de bonté qui veut encourager un novice
, plus recommendable par fa bonne
volonté que par fes talens. Vous me permettez
de vous faire quelques nouvelles
obfervations fur le point qui nous divife :
j'ufe de la permiffion , moins cependant
pour difputer que pour chercher le vrai ,
qui feul doit être notre guide . C'eſt unt
écolier qui confulte fon maître ; & quel
maître ? Un nouveau Sallufte , mais plus
clair dans fa briéveté fententieufe , un au- -
tre Velleius Paterculus plus inftructif &
auffi délicat dans fes portraits , le digne
éleve enfin du goût , & le favori des graces.
L'Abbé Velly ne fait point remonter
l'origine des fiefs , ftrictement dit , jufqu'aux
premiers fiécles de la monarchie :
il convient avec l'illuftre auteur du nouvel
AVRIL. 1755. 119
abrégé chronologique de notre hiftoire
que ce n'eft que fous le foible regne de
Charles le Simple qu'on les voit tels qu'ils
font aujourd'hui. Charles le Chauve les
avoit , pour ainfi dire , préparés par le fameux
capitulaire (a ) qui ordonne que
fi après la mort quelqu'un de fes fideles
veut renoncerau monde , il pourra
laiffer tous fes emplois à fon fils , ou à ce
lui de fes parens qu'il voudra choisir pour
fon fucceffeurs ce qui étoit établir une.
efpece d'hérédité dans les offices , & les
rendre en quelque forte propres & patri
moniaux. sidst 201 160 2000
Mais en même tems qu'il abandonne ce
point , qui demanderoit pour être éclairci
plus de tems & plus de connoiffances , il fe
croit sautorifé à foutenir qu'il y avoit fous
la premiere race des efpeces de poffeffions
qui tenoient beaucoup de la nature féodale
, quelque nom qu'on veuille leur don
ner , terres , feigneuries , bénéfices ou fiefs.
Pafquier ( b) les appelle Bénéfices , & cite
pour exemple Clovis , qui inveftit le Com
te Auréliens de la feigneurie de Melun.
Loifeau ( a ) ne craint point de les nommer
( a ) Capitul . 10. apud Duch . tom. 2. p. 463 .
( b ) Recherch. de la France , tom. 1. c. liv. 2
16. p. 130.
(c) Loyf. des Offices feod. ch. z . p. 99.
120 MERCURE DE FRANCE:
»
fiefs , & les fait auffi anciens que la monarchie
: voici fes propres termes. » Ce
peuple victorieux ( les Francs ) partagea
& diftribua les terres de fa conquête ; il
» les attribua à titre & condition de fief à
» fes Capitaines , tant pour récompenfe de
leur mérite , que pour tenir deformais
» lieu de gages à leur office , attendu que
» ces Capitaines étoient leurs uniques Ma-
» giftrats. Ceux- ci , ajoute- t-il , baillerent
»à leurs foldats certaines terres à même
»titre de fief , c'est- à- dire , à la charge de
» les affifter toujours en guerre ; & ces fe-
"conds fiefs finiffoient du commencement,
» ainfi que les premiers , par la mort du
» vaffal . Mais comme toutes chofes ten-
» dent & s'établiſſent enfin à la propriété
» à fucceffion de tems on vint à confidé-
» rer que c'étoit une cruauté d'ôter le fief
» aux enfans d'un pauvre foldat bien méri
» té , qui ne leur avoit laiffé aucun autre
»bien , & partant on s'accoutuma à les re
و د
bailler par pitié à l'un defdits enfans ,
» tel qu'il plaifoit au feigneur d'en grati-
» fier . Puis ce fut un droit commun que
les enfans mâles fuccéderoient tous en-
» femble au fief du pere. Mais les filles &
» les collatéraux n'y fuccédoient point ...
» Nous avons à la fin admis indiftincte-
» ment les fucceffions collatérales des fiefs,
même
AVRIL. 1755. 121
>
même au profit des filles en défaut
» toutefois de mâle en pareil dégré il
» nous eft cependant refté quelque chofe
» de notre ancienne rigueur , à fçavoir
qu'à toutes mutations de fiefs , il eft dit
» ouvert & fans homme , c'est - à- dire va-
» cant au refpect du Seigneur , lequel ſe
»peut remettre dans icelui & en jouir com-
» me réuni à fon domaine , jufqu'à ce qu'il
» ſe préſente un fucceffeur qui vienne le
» couvrir & relever , & fe déclarer hom-
» me & vaffal du Seigneur ; & quand il
» tombe en fucceffion collatérale , ou en
❤aliénation , quelle qu'elle foit , il le faut
racheter du Seigneur par certains droits
» qu'on lui paye.
Ce paffage un peu long , mais effentiel.
à la juftification du fyftême attaqué , n'eſt
rien autre chofe qu'une paraphrafe du premier
titre des fiefs : Antiquiffimo tempore poterat
Dominus auferre rem infeudum datam :
deinde obfervatum eft , ut ad vitam fidelis
produceretur produceretur. Il en réfulte deux chofes ,
la premiere qu'il n'eft point de l'effence du
fief d'être héréditaire & patrimonial , mais
d'être tenu fous certaine redevance ; la feconde
, que l'Abbé Velly en tirant l'origine
de la Régale de la nature du droit
féodal , lui donne la même antiquité qu'à
la Monarchie : antiquiffimo tempore. Nous
F
122 MERCURE DE FRANCE.
avons d'ailleurs plufieurs monumens qui
prouvent que même avant le regne de
Charles le Simple , les Evêques ( fans dou
te ceux qui étoient foumis à la Régale )
fe reconnoiffoient hommes , tenanciers ,
feudataires , ou bénéficiers du Prince. On
lit dans un poëme manufcrit de Philippe
Mouskes , intitulé : Hiftoire des François ,
& cité par Ducange ( d )',
Et caskuns Veſques premerains ( e ) ,
Dou Roi de France , joint ſes mains
Prent fon Régale por droiture ,
Et fes hom eft de teneure,
On remarquera
que l'historien
poete
parle de la coutume obfervée fous Chilpéric.
Nous voyons encore quelque choſe de
plus marqué dans une formule de ferment
prêté fous Charles le Chauve
(f) » Moi
" Hincmar
, Evêque de Laon , promets
d'être à jamais fidele & obéillant
, felon
le devoir de mon miniftere
, à Charles ,
» mon maître & mon Seigneur
, comme
» un homme doit l'être à fon Seigneur , &
( d ) Au mot Regalia.
(e ) C'est -à-dire premiers , principaux , fans
doute par
les fiefs qu'ils tenoient de la Couronne. On difoit autrefois Prematie au lieu de Primatię,
(ƒ) Continúat. Aimoin . 1. 5 : c. 21 .
AVRIL 1755. 123
un Evêque à fon Roi » . Ici l'homme &
l'Evêque font diftingués , de même que
le fuzerain & le Souverain : Sicut homo fue
feniori , & Epifcopus fuo Regi.
On objecte que les fiefs font de tous les
pays , & que les feuls Rois de France ont
droit de Régale ; mais l'objection tombe
d'elle-même , s'il eft vrai que les autres
Souverains en ont joui anciennement. On
lit dans Orderic Vital ( g ) , » qu'à la mort
» des Prélats & des Archimandrites , les
» Satellites du Roi d'Angleterre s'empa-
>> roient des terres de leur Eglife , qu'ils
» réuniffoient au domaine pour trois ans ,
quelquefois plus d'où il arrivoit que
» le troupeau , deftitué de Paſteur , étoit
expofé à la morfure des loups » . Qu'on
life l'hiftoire des divifions du facerdoce
& de l'Empire ( b ) , on y verra ces juftes
plaintes mille fois répétées. Les Empereurs
& les Rois d'Angleterre avoient donc anciennement
droit de mettre en leur main
le temporel des Prélatures vacantes par
mort : ce qui n'eft autre chofe que le droit
de Régale. Pourquoi ne l'ont-ils plus ? &
comment ont- ils laiffé perdre une fi glorieufe
prérogative ? c'eft ce qui n'eft point
de notre fujer. La gloire de nos Rois eft
( g ) Liv. 10. p. 763.
(h) Arnold. Lubec. 1. 3. c. 16..!
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
d'avoir eu en même tems , & affez de fermeté
pour fe maintenir dans la poffeffion
d'un privilege né & établi avec la Monarchie
, & affez de religion pour n'en point
abufer.
Mais , dira t- on , M. Audoul , célébré
Avocat , dans fon traité de la Régale , tire
l'origine de cette noble prérogative , du
canon VII du premier concile d'Orléans
& M. Ifali , autre oracle du barreau ,
dans l'approbation qu'il a donnée à cet
ouvrage , affure que ce fyftême eft prouvé
par des faits fi certains , qu'il n'eft pas
poffible d'y refifter. L'Abbé Velly honore
affurément ces deux grandes lumieres :
mais il les admire encore plus , & confeſſe
ingénument qu'il n'a pas d'affez bons
yeux pour voir ce qu'ils ont vû. Il tient
actuellement en main le Concile d'Or
léans , il lit le feptiéme canon ( b ) , & n'y
apperçoit qu'une défenfe aux Abbés , aux
Prêtres , aux Clercs , & aux Religieux
d'aller en Cour , fans la permiffion & la
recommendation de l'Evêque , pour obrenir
des bénéfices. Abbatibus , Prefbiteris ,
omnique Clero , vel in religionis profeffione
viventibus , fine difcuffione vel commendatione
Epifcoporum , pro pretendis Beneficiis ¿
(h ) Concil. tom. 4. p. 1406,
AVRIL. · 17.55. 125
ad domnos venire non liceat. Quodfi quifquam
prafumpferit , tam diu fui honore &
communione privetur , donec per pænitentiam
plenam ejus fatisfactionem facerdos accipiat.
Il recommence donc une lecture
déja refléchie de tout le Concile , & trouve
enfin dans de cinquième canon ces mots
qu'on prétend facramentaux , quidquid in
fructibus. Voici comme ce decret eft conçu :
( i ) De oblationibus vel agris quos domnus
Rex Ecclefiis fuo munere conferre dignatus
eft , vel adhuc , non habentibus , Deo infpirante
, contulerit , ipforum agrorum vel Ecclefiarum
immunitate conceffa , id effe juftif
fimum definimus , ut in reparationibus Ecclefiarum
alimoniis facerdotum & pauperum
, vel redemptionibus captivorum , quidquid
Deus in fructibus dare dignatusfuerit ,
expendatur , & Clerici in adjutorium Ecclefiaftici
operis conftringantur. Quod fi aliquis
facerdotum ad hanc curam minus follicius
ac devotus extiterit , publicè à comprovincialibus
Epifcopis confundatur. Quod fi nec tali
confufione correxerit , donec emendet errorem,
communione fratrum habeatur indignus . Il
faut avouer que c'eft
peu communes
que avoir des lumieres
de trouver les vrais
principes de la Régale dans ce ftatut plus
( i ) Ibid. Can. V. p. 1405 , 1406.
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
}
religieux qué politique. M. Fleury & tous
les hiftoriens eccléfiaftiques n'y découvrent
qu'une fage attention de l'Eglife à prévemir
fes miniftres , que les biens qu'ils tiennent
de la libéralité de nos Rois ne leur
ont point été donnés pour en faire l'ufage
qu'il leur plairoit ; mais qu'ils doivent employer
tout ce que Dieu leur donne audelà
du néceffaire , à la reparation des
Eglifes , à l'entretien des Prêtres & des
pauvres , ou enfin au rachat des captifs.
L'Abbé Velly pourroit même en tirer une
induction favorable à fon fyftême . Les
conceffions de nos Rois en faveur du Clergé
étoient donc , ou conditionnelles , ou
pures & fimples , c'eft- à - dire , ou affujet
ties à certaines redevances , ou affranchies
de toure fervitude : de là cette diftinction
des Eglifes qui vaquoient ou ne vaquoient
point en Régale.
On répond que les Gens du Roi , M.
Molé & M. Bignon , dans leur avis donné
en 1633 & en 1638 , difent qu'il doit être
tenu pour conftant , que la Régale eft univerfelle
, & a lieu dans toutes les Eglifes
du Royaume , comme étant un droit non
feulement inhérent à la perfonne facrée
de nos Rois , mais auffi uni & incorporé
à la Couronne , né & établi avec elle.
L'Abbé Velly fent toute l'importance de
AVRIL 1755 127
cette objection , & combien il eft délicat
d'avoir à fe défendre contre des autorités
toujours refpectables , & quelquefois terribles.
Auffi n'entreprendra- t- il pas d'y répondre
: c'eft Pafquier ( k ) qui plaidera fa
caufe , & parlera pour lui. Tous les
Archevêchés & Evêchés de France , dit
» ce célébre Jurifconfulte , ne font eftimés
" tomber en Régale , vacation d'iceux avenant
: ores que quelques- uns eftiment le
» contraire, Opinion de prime face plaufible
pour favorifer les droits du Roi ;
mais erronée , bien qu'elle ne foit deſtituée
de bons parrains. Car Maitre Jean
» le Bouteiller en fa fomme rurale , l'efti-
»ma ainfi & de notre tems , M. de Pibrac
, Avocat du Roi au Parlement , la
voulut faire paffer par Edict , mais il en
fur dedict . Il ne faut rien ôter à l'Eglife
pour le donner par une nouveauté à nos
» Rois , ni leur ôter pour le donner à l'Eglife.
Or que toutes les Eglifes Cathédrales
ne tombent en Régale , nous avons
plufieurs Ordonnances qui le nous enfeignent.
Celle de Philippe le Bel , en
" 1302 , porte entr'autres articles ( 4 ).
» Item , quantum ad Regalias quas nos 5
(k ) Recherch. de la France , tom . 1. 1. 3. chap.
37. p. 303 .
(1 ) Apud de Lauriere , tom. 1. Ordinat. p. 359.
Fiv
18 MERCURE DE FRANCE.
» prædeceffores noftri , confuervimus percipere
in aliquibus Ecclefiis Regni noftri ,
quando eas vacare contigit : & Louis XII
dit expreffément dans fon édit de l'an
» 1499 , nous défendons à tous nos Officiers
»qu'ès Archevêchés , Abbayes , & autres bénéfices
de notre Royaume , efquels n'avons
droit de Régale , ils ne fe mettent dedans ni
» ès fortes places , finon ès bénéfices & fortes
» places qui feroient affifes ès pays
limitrophes
de notre Royaume. Bref, qui foutient
le contraire eft plutôt un flateur de Cour ,
qu'un Jurifconfulte François. sy b
+
P
On peut encore confulter les actes du
fecond Concile général de Lyon , qui autorife
la Régale dans les Eglifes où elle
étoit établie par la fondation ou par quelque
coutume ancienne ( m ) , mais qui dé,
fend de l'introduire dans celles où elle n'étoit
pas reçue. Quant aux Eglifes qui vaquoient,
ou ne vaquoient point en Régale ,
on en trouvera la lifte dans le Traité de
l'ufage des fiefs ( n ) , par M. Bruffel. Au
refte , le fentiment de M. le Préfident Hénaut
fur l'univerfalité de cette prérogative
unique de nos Rois , eft appuyée far de
grandes autorités , & pour me fervir des
termes de Pafquier , a de très bons parreins.
( m ) Tom. XI. Concil. Confid. 13. de Elect.
( a ) Tom. I. pag. 292 & 293.·
AVRIL. 1755 129
,
Le celebre auteur du nouvel abrégé chronologique
de notre hiftoire , mérite affurément
une place diftinguée parmi les plus
illuftres , tels que les Pibracs , les Molés :
les Bignons , noms confacrés à l'immortalité.
Voilà , Monfieur , fur quels fondemens
fai bâti mon fyftême de l'origine de la
Régale , & en même tems une partie des
faifons qui peuvent fervir à ma juſtification
. J'ai cru devoir vous les expofer , pour
répondre à la bienveillance dont vous
m'honorez je les foumers à vos lumieres ,
toujours prêt à rendre au plus judicieux &
au plus élégant de nos hiftoriens , l'hom
mage qu'un difciple doit à fon maître. Ik
ne me refte qu'à vous faire d'humbles re
mercimens de m'avoir procuré l'occafion
de faire paroître les fentimens , & c.
*
Medspaſt nad ubqkeretek VELLY.
*
2:54
Fy
130 MERCURE DE FRANCE.
GÉOMÉTRIE
LETTRE à Mlle L. A. Le Mire, veuve J.
JE
MADEMOISELLE,
SNT
E vois dans le Mercure de Mars que
la Quadrature du cercle de M. le Chevalier
de Caufans y eft annoncée , & que
vous y avez fait une réponfe ; chofe fort
glorieufe à votre fexe en général , & à
vous , Mademoiselle , en particulier , je ne
manquerai pas de m'enrichir de cette piéce.
Je prens la liberté d'envoyer à M. de
Boiffy celle que j'ai faite à M. le Che
valier de Caufans , afin qu'elle vous parvienne
, & au public par la même voie
que j'ai appris la vôtre ; elle peut être
inferée toute entiere dans le Mercure , par
la précaution que j'ai prife de la faire trèscourte
, & à portée de toute perfonne de
bon fens. J'ai l'honneur d'être , &c..
parla
#
LIGER , Commis au
Bureau de la Guerre.
A Versailles , le 16 Mars 1755.
AVRIL $7550. izi
REPONSE de M. Liger , Commis au
Bureau de la Guerre , à l'affiche de M.
le Chevalier de Caufans , portant qu'il y
a dix mille livres dépofées chez M. Aleanme
, Notaire , rue de Condé , à Paris
rue
pour le premier qui prouvera l'erreur de
la Quadrature du cercle de me e de mondit fieur
24
le Chevalier de Caufans , qui m'a fait
Phonneur de me fand remettre che
affiche
Nne peut attaquer les principes de
M. le Chevalier de Caufans , fans
faire un volume qui ne pourroit entrer
dans les Journaux ou feuilles publiques
mais comme tout ce qui accompagne fa
quadrature , tant dans fa premiere que fe
conde partie , dépend & fait une fuite
conféquente du rapport du diametre à la
circonference , qu'il foutient être de 7 à 21 ,
il s'enfuit que c'eft feulement à ce feul
article qu'il eft néceffaire de s'attacher . M.
le Chevalier de Caufans expofe qu'un cer
cle dont le diametre eft de trois pouces,
eft égal au quarré de ce même diametre ,
dont les côtés ont auffi trois pouces cha
cun. M. le Chevalier de Caufans eft le
feul Géometre qui ignore que toute figure
inferite eft plus petite que celle qui lar effl
circonfcrite.
Fvj
#3 MERCURE DE FRANCE.
Le quarré du diametre ayant fes côtés
de 3 pouces ou 36 lignes chacun , vaut
1296 lignes quarrées ; & comme M. le
Chevalier de Caufans veut que la circulaire
ne contienne que trois fois fon diametre
jufte , il s'enfuivtoit que trois fois
ce diametre ne vaudroient que 1r0o88 lignes
pour fa prétendue circulaire , laquelle
multipliée par le demi-rayono , on auroit
pour la fuperficie du cercle972 lignes quarrées
donc fuivant M. le Chevalier de
Caufans , le cercle de fa deuxième figure
eft plus petit que le quarré de fon diame,
tre , de 324 lignes quarrées done il s'en
faut beaucoup que le cercle inferir dans
le quarré de fon diametre foit égal atú
quarré du même diametre qui lui eft naturellement
circonfcrit. Que M. le Chevalien
de Caufans , ainfi que le public , prenne la
peine de voir la préface de ma quadrature
que l'on trouve chez Gueffier , Libraire ,
attenant l'Hôtel-Dieu , on verra que trois:
fois le diametre ne forment dans le cercle
qu'une figure dont les côtés font autanti
de demi- diametres. Or cette figure qui n'eſt
compofée que de fix triangles équilaté
raux , ne touchant la circulaire qu'en fix
points , & ne faifant qu'un exagone ren➡»
fermé dans le cercle , il eft trop évident
pour en douter que cette figure eft bien
AVRIL 1755. 173
plus petite que le cercle dans lequel elle
eft infcrite , & qu'au contraire le quarré
du diametre eft beaucoup plus grand que
le cercle auquel il eft circonfcrit.
M. le Chevalier de Gaufans a éludé le
calcul des fuperficies de fon quarré circonferit
& de fon cercle infcrit , que je
viens ci- devant de développer , ce qu'il
étoit question de prouver. J'effime que M.
le Chevalier de Caufans ferendra à ces rai
fons , & qu'il voudra bien avouer que je
fuis en droit d'exiger de fon engagement
public ,, ade me faire remettre fon ordre
pour toucher les dix mille livres qu'il eft.
convenu par fon affiche de faire payer 2
celui qui le tireroit de fon erreur, am vel.
newyodol 14 on LIGER , Commis
ng an Bureau de la Guerre
A Versailles , le 30 Décembre 1754,
ADILA SIEz
im not ahóa
team aperuens.
い
R
gundula ei ole tip savaited song
134 MERCURE DE FRANCE.
METALLURGIE.
LETTRE A M. ***
Onfieur , la découverte du
moyen
Mdeconvertirle fet en acier annon
cée dans les ouvrages périodiques , fáit y
fans contredit , beaucoup d'honneurà l'anteur
; elle lui affure un droit bien légiti
me fur la reconnoiffance de tout bon citoyen
, parce que l'avantage qui doit en
refulter pour le public eft infiniment audeffus
de celui que l'auteur peut avoir envifagé
pour lui- même. Pofe croire qu'en'
lui rendant en mon particulier toute la
juftice qu'il mérite du côté des fentimens
& du génie , il ne trouvera pas mauvais
fi je ne regarde pas fa découverte comme
nouvelle. Il y a plus de vingt- cinq ans
qu'elle a été faite pas un nommé Sebaſtien
Florès , fameux Serrurier de Madrid ,' qui
par ordre du Confeil de commerce en fit
l'expérience en préfence de deux députés ,
qui avoient pris la précaution de faire ap
pliquer une marque particuliere fur la barre
de fer , dont Florès fit une barre d'acier.
J'ignore les raifons qui ont pu empêcher
le miniftere Efpagnol de favorifer une fi
belle & fi avantageufe mutation , d'autane ?
AVRIL. 1755. 135
plus que Florès s'obligeoit d'établir l'acier
à un tiers meilleur marché que les '
étrangers , au moyen de l'exemption géné
rale de tous droits qu'il demandoit pour
vingt ans. Je ne fuis pas mieux inftruit
fi Florès dût cette découverte au feul has
zard , ou à des expériences déterminées
au fujet , ou enfin à la confidence de quelque
ouvrier plus habile que lui . L'inven
tion de différentes machines jufqu'alors in
connues , pourroit , ce me femble , lui faire
attribuer , avec quelque justice , celle du
fecret en queſtions Quoiqu'il en foit , je
n'ai nulle intention de porter la moindre
atteinte à la réputation d'homme de génie
que fe fait notre bon patriote : il a pût
ignorer que Florès l'avoit devancé ; celuici
peut avoir été à fon tour , & tous les
deux peuvent cependant être créateurs de
leur ouvrage mais quand cela ne feroit pas,
il leur reftera toujours une bonne portion
de l'eftine publique. Le grand maître de
langue que nous avons en France pour les
muets petd- il rien, de fon mérite pour fe
fervir d'une méthode ( qu'il a peut-être
perfectionnée ) dont le Journal de Tre
voux fit honneur en 1701 , d'abord â M.
Wallis , Profeffeur de Mathématiques yra
Oxford & enfuite à M.: Amman , Méder«
cin Hollandois ? ll étoit fans doute bien
t
136 MERCURE DE FRANCE.
flateur pour ces deux fçavans , de voir leur
art annoncé fous le titre de Nouvelle méthode
; il y avoit cependant cent cinquante
ans que le Pere Ponce Bénédictin Efpagnol
, l'avoit trouvée & mife heureufe
ment en pratique , tant pour la parole que
pour l'écrituren Ceft donc toujours un honneur
que de faire revivre des fciences ou
des arts ignorés de nos jours , & il eſt d'autant
plus grand & plus folide , à propor
tion de l'avantage que la nation retire de
ces découvertes, 16 Jibi 497 1
530
J'ai l'honeur d'être , &c.
De Rouen , co 26 Février asshd vice
K
SEANCES PUBLIQUES
De la Société littératre d'Arrass
A Société littéraire d'Arras tint lezo
LMars 175 4. fon affemblée publique or
dinaire, dont M: Le Roux, Avochr , Directeurt
en exercices , fit l'ouverture par un diſcours
fur le jugement & far le goût , dans lequel
il établit les maximes fuivantes . » Les mê
» mes regles qui fervent à former le juge
»ment , font celles qui forment le goût
>>car le jugement & le goût ne font qu'un
5
AVRIL 1755. 137
même faculté de l'ame ; quand elle juge
» par fentiment & à la premiere impreffion
» que les chofes font , c'eft le goût ; quand
elle juge par raifonnement & fur des
principes dont elle tire des conféquen
» ces , c'est le jugement : ainfi , l'on peut
» dire que le goût eft le jugement de la
" nature , & que le jugement eft le goût
» de la taifon.
M. de Brandt de Marconne , nouvel affocié
, fit enfuite fonremerciment , auquel
le Directeur répondit au nom de la Société.
* gy & bingen .
M. Cauwer , Avocat , nommé à la députation
ordinaire des Etats d'Artois , lut un
mémoire , pour fervir à l'hiftoire de Mahaut,
Comteffe d'Artois, depuis la mort de
Robert II fon pere , tué en 1 302 , devant
Courtrai , jufqu'à celle de cette Princeffe ,
arrivée le 27 Octobre 1349. Ce mémoire
contenoit , parmi beaucoup de faits intéreffans
le détail des deux premiers procès
que Robert d'Artois , Comte de Beaumontle-
Roger , intenta à Mahaut fa tante , pour
la dépofféder du Comté d'Artois , dont il
Le prétendoit légitime héritier , étant fils
de Philippe d'Artois , mort avant Robert
II fon pere. La plupart des événemens rapportés
par M. Cauwet , étoient appuyés fur
des pieces authentiques , tirées du dépôt
2
138 MERCURE DE FRANCE.
des chartres d'Artois , qui fe confervé à
Arras dans l'ancien palais des Comtes de
cette Province , nommé la Cour- le- Comte.
M. Harduin , Avocat , Secrétaire perpétuel
de la Société , lut un mémoire tiré
des registres de la ville d'Arras , concernant
les cérémonies qui s'obfervoient fous
les Ducs de Bourgogne de la feconde race
, lorfque ces Ducs , en qualité de Comtes
d'Artois , ou les Rois de France , fouverains
de la Province , faifoient leur entrée
folemnelle dans cette ville . En décri
vant la réception qui fut faite à Iſabelle
de Portugal , Ducheffe de Bourgogne , au
mois de Janvier 1430 , M. Harduin parla
de l'Abbé de Lieffe , perfonnage fingulier ,
qui s'étoit trouvé fur le paffage de cette
Princeffe , pour lui faire des préfens , &
pour lui donner le ſpectacle des jeux auxquels
il préfidóit.
Cet Abbé de Lieffe s'élifoit tous les
ans par les Officiers du Bailliage , le
» Corps de Ville & la Bourgeoifie ; & on
»lui donnoit , pour ainfi dire , l'inveftiture
de fa charge , en lui remettant une
croffe d'argent doré , du poids de quatre
onces , qu'il étoit obligé de rendre
à la fin de fon exercice . On voit dans la
lifte de ces Abbés , des Officiers munici
paux & même un Gentilhomme ; mais le
AVRIL. 1795 139
choix tomboit pour l'ordinaire fur quel
» que Marchand ou Artifan . Sa principale
» fonction étoit de donner le Dimanche
» gras , avec fes fuppôts , qu'on appelloit
» Moines , un divertiffement public fur des
» échaffauds . Outre cela , pour entretenir
» une certaine amitié avec les villes voiff
» nes , on envoyoit l'Abbé de Lieffe & fa
» troupe aux jeux qui s'y faifoient , entre
lefquels on remarque la fête du Roi des
» Sots à Lille , & celle du Prince de Plaifan-
» ce à Valenciennes. Dans ces voyages que
» l'Abbé faifoit aux dépens de la ville d'Are
»
ras , il étoit accompagné de fon prédé
>> ceffeur & de quatre Echevins. On por-
» toit devant lui un étendart de foie rou
"ge , aux armes de l'Abbaye : il étoit auffi
» précédé de plufieurs tambours & trompettes
, & d'un Héraut vêtu d'une cotte
» d'armes de damas violet : à fa fuite mar
» choient fes pages & fes laquais.
M. Camp , Avocat & Echevin d'Arras ,
lut des recherches fur le commerce & les
manufactures des Atrebates , depuis les fiée
cles Gaulois , jufqu'à la defcente des Francs
dans les Gaules. Pour montrer l'ancien
neté de ces manufactures , il s'attacha d'a+
bord à établir celle de la ville d'Arras , que
Céfar , dans fes commentaires , appelle
Nemetocenna ou Nemetofena , nom compo
140 MERCURE DE FRANCE.
fé de Nemetos & de Sena , qui ne pouvoit
fignifier parmi les Gaulois , qu'un temple
de Druides ou de Druideffes , felon l'explication
de Fortunat , de Dom Bouquet ,
& de l'auteur de la Religion des Gaulois.
Après avoir prouvé par cette étymologie ,
que la ville d'Arras étoit anciennement
un lieu confacré à la religion , M. Camp
parla du culte particulier des Gaulois envers
Mercure , Dieu des Marchands , dont
le nom , fuivant les mêmes auteurs , eft
purement celtique , & il obferva que le
nom du village de Mercatel , près d'Arras ,
qui fe trouve rendu par Mercurii tellus ,
dans les anciens titres latins , nous offre
une étymologie celtique , relative au commerce
& au culte de Mercure parmi les
Atrébates .
M. Camp examina enfuite les divers
habillemens dont les Gaulois fe fervoient ,
particulierement les Druides & les nobles.
Il s'étendit principalement fur le Sagum
gaulois , dont les Romains adopterent l'ufage
& le nom depuis leur conquête . H
prouva , par le témoignage de plufieurs
hiftoriens , combien ces peuples eftimoient
les faies des fabriques d'Arras , & il en fit
remonter l'établiffement jufqu'avant leur
irruption dans les Gaules , fondé fur des
raifons tirées des auteurs & des loix RoAVRIL.
1755 14
maines. M. Camp paffa au détail des au
tres efpeces d'étoffes que les Atrébates fabriquoient
, & des teintures qu'ils y employoient.
Il commença par les Xérampelines
, Xerampelina veftes , que Suidas appelle
par excellence Atrebaticas veftes , &
dont les anciens nous défignent la couleur
par une compofition & un mêlange admirable
de teinture , inter coccinum & muriceum.
M. C. difcuta le paffage de Trebellius
Pollio touchant les faies & les draps
d'Arras , fi vantés par l'Empereur Gallien.
Il parla fort au long des birri de foye & de
laine , birri ferici , birri lane , que les Romains
mettoient au rang de leurs plus riches
parures. Il fit voir que les Atrébates
en fabriquoient de fi beaux , qu'on les recherchoit
à Rome avec empreffement . Il
expliqua ce que dit Flavius Vopifcus , in
Carino , des birri que les habitans d'Arras
& de Canyfium envoyoient à Rome , &
combattit le fentiment du Sr. Briffon , éleve
dans les manufactures de Beauvais , qui
par une lettre inférée dans le Mercure de
Février 1750 , a voulu perfuader qu'il
étoit fimplement queſtion , dans le paffage
de Vopifcus , d'habits militaires , qu'on
avoit demandés aux Atrébates . M. C. foutint
qu'on ne pouvoit interpréter ainfi ce
paffage , puifque Vopifcus , fe plaignant
142 MERCURE DE FRANCE.
•
des Romains de fon fiécle , qui fruftroient
Heurs héritiers légitimes pour enrichir les
gens de théatre , ajoute précisément que
cette manie de leur faire des prefens s'étoit
répandue dans tout l'empire , & que
ceux d'Arras & de Canufium leur envoyoient
en pur don des birri de leurs fabriques.
M. C.termina fa differtation par
des paffages de S. Jerôme , du concile de
Gangres , de S. Auguftin , & c. qui ache
vent de démontrer la fplendeur du commerce
& des manufactures des Atrébates ,
avant l'établiſſement de la monarchie françoiſe.
M. Enlart de Grandval , Confeiller au
Confeil provincial d'Artois , affocié de
l'Académie de Montauban , fit la lecture
d'un difcours préliminaire fur l'origine des
langues , & en particulier fur la langue
françoife , ce qui lui donna occafion de
parler ainfi de l'état des lettres & des ſciences
fous le regne de Louis XV . » Les fcien-
» ces & les arts ont été dans les derniers
» tems cultivés en France avec le fuccès le
» plus étonnant ...... Un poëme héroïque
, notre feul thréfor en ce genre , les
» odes d'un nouveau Pindare , fuivi d'un
» émule égal , ont perpétué jufqu'à nos
» jours la gloire des Mufes françoifes . Mais
duffions - nous céder la prééminence au
AVRIL. 1755. 143
fiécle précédent pour les belles lettres &
» les arts agréables , le nôtre l'emporte
»pour les fciences & les arts utiles . Un
" Roi , digne fucceffeur de Louis le Grand,
» a hérité de fon eftime pour les talens , &
a continué de répandre fur eux fes fe-
» cours & fes bienfaits. Nul objet d'étude
négligé fous fon regne , nul génie fans
récompenfe. Les mers ont vu fes vaif-
» ſeaux porter fous les deux pôles , & juf
» qu'aux extrêmités de l'Occident , non ,
» comme autrefois , les productions fura-
» bondantes de nos campagnes , ou les
» richeffes multipliées de nos manufactu-
» res , mais des Philofophes , des Aftrono-
»mes , qui à travers mille dangers de tou-
» te efpece , & dans des climats où le nom
» des fciences eft un nom inconnu , ont
été mefurer le ciel , & fixer la forme de
la terre. Un fluide merveilleux , une fubf-
»tance mystérieusement cachée dans le fein
» de la nature, & qui n'avoit permis que
des foupçons à la curiofité de nos ancêtres
, a perdu un fecret gardé depuis le
» jour de fa création , & s'eft dévoilée
malgré elle à nos regards plus fubtils &
» plus pénétrans . Chaque jour nous revele
» des myfteres ignorés de la plus fçavante
antiquité . Notre vûe , aidée du fecours
» de l'art , de ce tube admirable qu'elle
144 MERCURE DE FRANCE.
» doit au grand Newton , a franchi les bor
nes prefcrites à fes organes , & s'élan
nçant d'un côté dans les vaftes efpaces du
» firmament , y.va contempler à fon gré la
» ftructure , l'ordre & la marche de ces
» corps immenfes qui nous apprennent par
» de nouveaux fpectacles , à mieux con-
» noître la main qui les fit tandis que
» d'un autre côté , s'infinuant dans des
atômes imperceptibles , elle y découvre ,
elle y confidere un nouveau monde &
» de nouveaux habitans . Tout a cédé à nos
» efforts , à nos recherches , à nos difcuf-
» fions , &c.
M. l'Abbé Simon lut des réflexions fur
la complaisance , & prouva d'abord combien
elle eft , néceffaire dans toute fociété.
Il ne faut point , dit- il , étudier long-
» tems les hommes , pour appercevoir la
diverfité de leurs goûts & de leurs hu-
» meurs. Nous différons tous par mille en-
» droits de ceux avec qui nous avons à vivre
; l'expérience de tous les jours ne le
" prouve que trop , & nous ne pouvons
» prefque faire un pas dans le monde fans
» effuyer les plus fâcheufes contrariétés .
» Partons de ce principe . Nos caracteres
» nous mettant fans ceffe en oppofition les
» uns avec les autres , quelle fociété peut
» nous unir , fi la complaifance ne nous
rapproche ?
"
AVRIL. 1755. 145
rapproche ? Tranfportons dans le commerce
de la vie un homme inflexible
qui ne fcache ce que c'eft que de plier
» fon humeur dans l'occafion : quel perfonnage
y fera-t - il ? Comment, s'il eſt
» né taciturne , fe plaira - t-il avec des par-
"leurs infatigables ? Comment , fi c'eft un
nefprit fin & délicat , fupportera- t il tant
» de génies lourds & pefans , qu'il ren-
» contrera prefque à chaque pas ? Com-
» ment , s'il eſt enjoué , ſympatiſera - t - il
» avec un homme férieux , dont une couche
épaiffe de gravité obfcurcit toujours
» le vifage ? avec un cacochyme , un hy-
» pocondriaque , qui n'offrira à fes yeux
qu'un flegme rebutant , & dont le front
» couvert d'un deuil éternel , ne fe déride
jamais ? Si partifan des hautes fciences, il
» n'aime que les entretiens fublimes , com-
» ment pourra-t- il fe prêter à des converfations
puériles , &c? Incapable de transformer
fon inclination en celle des au-
» tres , également ennuyé & ennuyeux , il
» ne fera que porter en tous lieux la gêne
» & la contrainte.
10
33
22
→
Après quelques portraits détaillés , qui
firent fentir de plus en plus la néceffité de
la complaifance , M. l'Abbé S. eut foin de
précautionner les auditeurs contre l'abus
de cette qualité aimable & vertueufe. Il
G
146 MERCURE DE FRANCE.
attaqua ces perfonnes foibles , qui toujours
prêtes à recevoir les impreffions qu'on
veut leur donner , adoptent tour à tour
les fentimens les plus oppofés , femblables <
à l'écho , qui rend indiftinctement tous
les fons qu'on lui envoie. Il ne fe déchaîna
pas avec moins de force contre ceux
qui cachent les motifs les plus criminels
fous les dehors d'une complaifance affectée
; & il conclut fes réflexions par
mes fuivans. » CC''eeſftt aaiinnffii que le vice ;
» toujours odieux quand il paroît ce qu'il
les tereft
, fe montre fréquemment fous l'air
» de la vertu pour nous féduire plus fûre-
» ment ; c'eſt ainfi que la flaterie , la lâcheté
, la perfidie , l'injuftice n'emprun-
» tent que trop fouvent les livrées de la
complaifance , pour nous infpirer moins
» d'horreur. Arrachons -leur le voile ime
pofteur qui les couvre : point de moyen
plus infaillible pour les bannir à jamais
» de la fociété.
"
"
و ر
Cette féance fut terminée par deux épîtres
en vers de M. le Chevalier de Vauclaire
; l'une fur l'homme , & l'autre fur
le néant des richeffes.
Le mois prochain on inferera la feconde
feance , tenue le 22 Juin 1754.
ມ
f
AVRIL. 1755- 147
LETTRE écrite de Belley , fur le College.
nouvellement établi dans cette ville.
Ous me demandez , Monfieur , en
quoi confifte le nouvel établiffement
qui vient de fe former dans cette capitale
de notre province de Bugey. Il eft juſte de
fatisfaire votre curiofité fur un fujet qui ,
malgré votre éloignement , ne fçauroit
manquer de vous intéreffer , dès qu'il intéreffe
la patrie.
M. Pierre du Laurent , Evêque de Belley
, animé d'un zéle ardent pour la gloire.
de Dieu & le falut des ames confiées à fa
conduite , réfolut en l'année 1700 , d'ériger
à Belley un Séminaire , où les jeunes
Clercs qui fe préfenteroient pour être admis
aux Ordres facrés , puffent être inftruits
dans les fonctions eccléfiaftiques , &
élevés dans la faine doctrine. Dans cette
vûe il fit quelques arrangemens , qui furent
approuvés par Lettres patentes de Sa Majefté
, & il appliqua à cette oeuvre une
fomme provenant de la liquidation desi
biens que M. d'Arcollieres , Prêtre du
Diocéfe , avoit laiffés pour la même caufe ,
par teftament du 17 Novembre 1696.
Divers obftacles fufpendirent l'effet de
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
ces difpofitions jufqu'en l'année 1742 ,
que M. Jean du Doucer , fucceffeur de M.
du Laurent , s'efforça d'en procurer l'exécution
, en y faifant quelques changemens
qui lui parurent néceffaires. Sans abandonner
le projet de l'érection d'un Séminaire
le Prélat fe propofa pour objet principal
l'établiffement d'un College , où la jeuneſſe
de la province , qui étoit obligée d'en fortir
& d'aller étudier à grands frais dans
le pays étranger , pût déformais recevoir
l'éducation & l'enfeignement , depuis la
fixieme claffe jufques & compris la Théologie.
Pour y parvenir , il fit un teftament
le 23 Mai de la même année , par lequel.
il légue une fomme confidérable à la Communauté
qui fera chargée de la direction
de ce College , déclarant que la même
Communauté pourra être pareillement
chargée , fi fon fucceffeur le juge à pro-.
de la direction du Séminaire , & jouir
des revenus deftinés à cette fin. Ce premier
fonds a été augmenté dans la fuite par un
codicille de M. du Doucet , du 23 Décem
bre.1743 ; & par un legs de M. Jacques
Flavier , Curé de Flavieux.
pos ,
-
Après la mort de M. du Doucet , M.
Jean Antoine de Tinzeau , aujourd'hui
Evêque de Nevers , lui ayant fuccedé dans
e fiége de Belley , fe hâta de faire exécuAVRIL.
1755. 149
ter l'utile fondation de fon prédéceffeur ;
& pour en remplir l'objet il fit choix des
Chanoines Réguliers de l'ordre de S. Antoine
, dont l'Abbaye chef- lieu , fituée dans
le Dauphiné , n'eft éloignée que d'environ
quinze lieues de la ville de Belley. M. Etien
ne Galland , Abbé général de cet Ordre ,
s'eft généreufement prêté aux pieufes intentions
du Prélat , & de MM . les Maire ,
Syndics & Communauté de la même ville,
qui l'en follicitoient de concert. En conféquence
, & fous le bon plaifir du Roi ,
les parties pafferent un contrat pardevant
Notaires , le 27 Mars 1751 , dans lequel
tout ce qui concerne l'exécution de la fondation
de M. du Doucet fut provifoirement
arrêté. La ville de Belley s'engage
par cet acte , à fournir le terrein néceffaire
pour la conftruction des bâtimens du College.
Le contrat , & par conféquent l'érection
du College , ont été confirmés
Lettres patentes de Sa Majefté , du mois
de Février 1753 , régiftrées au Parlement
de Dijon le 28 Juin de la même
année , & à la Chambre des Comptes le
6 Février de l'année fuivante. Ce traité a
été confenti par M. Courtois de Quincy ,
qui a fuccédé à M. de Tinzeau , & qui
remplit aujourd'hui le fiége de Belley. Les
Profeffeurs ou Régens choifis , comme je
par
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
l'ai dit ci - devant , parmi les Chanoines
Réguliers de l'Ordre de S. Antoine , ont
ouvert leurs claffes dès 1751 , & remplif
fent leurs fonctions avec fuccès.
M. Joly de Fleury , Intendant de Bourgogne
, dont on connoît le zéle pour le
bien de la province , en a témoigné fa fatisfaction
lorfqu'il s'eft rendu à Belley
vers la fin du mois de Septembre de l'année
derniere ; & fur la réquifition de MM.
les Syndics Généraux , il a permis que l'on
défignât , pour la conſtruction du nouveau
College , un emplacement plus commode
& plus étendu que celui qui y avoit été
deftiné auparavant
.
Vous ne ferez pas fâché que je joigne
à ma lettre le compliment qui lui a été fait
dans cette circonftance , par M. Granier ,
Supérieur du College .
» Monfieur , l'hommage que nous vous
» rendons eft le fruit du refpect & de la
» reconnoiffance, Il est heureux pour nous
de trouver un protecteur dans l'objet
de la joie & de l'admiration publiques.
» Si vos rares qualités font le bonheur de
» cette province , vous le perpétuerez
» Monfieur , en affurant un établiſſement
39
2
qui a pour but l'éducation de la jeuneſſe.
>> Les vûes des grands hommes embraffent
» tous les tems. Flattés nous -mêmes de
AVRIL.. 1755. 151
1
» concourir à l'exécution d'un fi noble def-
» fein , nous n'oublierons rien pour for-
" mer des fujets utiles à l'Etat. Nous leur
infpirerons , en particulier , nos fenti-
» mens pour vous : la reconnoiffance pour
» le bienfaicteur durera autant que le fou-
>> venir du bienfait,
Ce difcours fut fuivi d'un fecond compliment
en vers , de la compofition de M.
Sutaine , l'un des Régens , qui fut prononcé
avec beaucoup de grace au nom des Ecoliers
, par le jeune M. de Précigny , penfionnaire
au College , & neveu de M. l'Evêque
: le voici .
Enfin à nos defirs fenfible ,
Pallas te conduit en ces lieux.
O l'heureux jour ! ô moment précieux !
"Pourrions-nous efperer un figne plus viſible
De la bonté des Dieux ?
Devant toi marche l'abondance ,
Mere des plaiſirs & des ris :
Les coeurs , de tes bontés épris ,
Suivent ton chat , guidés par la reconnoiffance:
Miniftre du plus grand des Rois ,
Tu fais adorer la fageffe
Qui lui dicte fes loix ;
Et de la plus vive tendreffe ,
Tout fon peuple animé ,
T'appelle ,comme lui , Fleuri le bien aimé.
Giv
192 MERCURE DE FRANCE.
Les chaftes Soeurs , dont nous t'offrons l'hommage
,
Reconnoiflent en toi l'image
De ce Proconful généreux ,
Qui fous Trajan , le plus fage des Princes ,
Parcouroit les provinces ,
En faifant des heureux.
Comme toi , plein de vigilance ,
Par fa féconde activité ,
Il pourvoyoit à tout , & fa mâle prudence
Suivoit toujours les loix de l'auftere équité :
Des Muſes , protecteur fincere ,
Il fut , ainfi que toi , leur foutien & leur pere ;
Les Muſes , comme à lui , t'élevent un autel ,
Où nous ferons brûler un encens immortel.
Je fuis perfuadé , Monfieur , que vous
applaudirez avec tout le public à des élages
bien mérités. J'ai l'honneur , &c.
Jovir?
AVRIL. 1755. 153
ARTICLE IV.
BEAUX - ARTS.
ARTS AGRÉABLES.
PEINTURE.
Vers pour être mis au bas du portrait de M.
Boucher , deffiné par M. Cochin *.
S.Es ouvrages charmans font pleins de volupté.
Rival de la nature , il marche fur fes traces :
C'eft le peintre de la beauté ;
Il embellit même les Graces.
SILEUIL.
T
GRAVURE.
EMPLE EN L'HONNEUR DE LA DEESSE
VENUS , décoration en relief , qui a
été exécutéé à Rome , dans la place Farnefe
, en 1747 , à l'occafion de la cérémo-
* On n'a pas cru pouvoir mieux commencer cet
article que par des vers confacrés à la gloire d'unfi
grand Peintre.
Gv
154 MERCURE DE FRANCE:
nie de l'hommage que le royaume de Naples
rend au Saint Siége ; dédié à M. le
Baron de Hutten , Miniftre de S. A. Mgr.
le Prince Evêque de Spire , à la Cour de
France ; gravé par P. Patte , & ſe vend
chez lui , rue des Noyers , la fixiéme porte
cochere à droite en entrant par la rue Saint
Jacques. Prix livre 10 fols , grandeur
de la feuille du Nom de Jefus.
On fçait que depuis long tems le royaume
de Naples paye un tribut au Saint Siége.
Cette cérémonie fe célébre tous les ans à
Rome la veille de la fête de S. Pierre , avecla
plus grande magnificence. Le Prince
Colonne , Grand Connétable de ce royaume
, accompagné de la plupart des Princes
Romains , va en grand frofque préfenter
au Pape , au nom du Roi fon maître , dans
l'Eglife de S. Pierre , une haquenée blanchequi
eft chargée d'une petite caffette , contenant
en cédules * la redevance que le
royaume de Naples paye chaque année au
Saint Siége . A l'occafion de cette cérémonie
on éleve en relief , au milieu de la place
Farneſe , une magnifique décoration d'architecture
, faifant allufion à quelqu'une
des antiquités qui fe voyent à Naples , ou
* Les cédules font des efpéces de billets d'Etat
ou de lettres de change qui ont cours dans l'Etat
Eccléfiaftique.
AVRIL. 1755 I'S'S
dans fes environs , à Pouzzol , à Bayes ,
& autres lieux . Meffieurs les Penfionnaires
du Roi de France à Rome , font fucceffivement
chargés de compofer cette décoration
, & à l'envi cherchent à fe fignaler
tous les ans par quelques penfées d'architecture
grande & fublime. C'eſt une
de ces compofitions qui a fait l'admiration
unanime des connoiffeurs , que l'on vient
de graver fur les deffeins qu'en fit , en
1747 , M. le Lorrain , aujourd'hui Peintre
du Roi , & pour lors Penfionnaire de S. M.
à fon Accadémie de Rome. On ne craint
point d'affurer que cette eftampe eft de
toute beauté pour l'architecture & les effets
piquans de fa perfpective : elle eft
gravée à l'aide d'une feule ligne,, fuivant
la nouvelle maniere de l'auteur , dont nous
avons parlé dans le Mercure du mois de
Février dernier , & elle mérite d'occuper
un rang diſtingué dans les cabinets des
curieux.; be but
LA PLACE DE LOUIS XV , que l'on
éxécute fur l'efplanade du Pont tournant ,
en face des Tuileries , d'après les deffeins
de M. Gabriel ; premier Architecte du Roi ,
dont la premiere pierre a été pofée par la
Ville le 22 Avril 1754 , fe vend gravée
chez le même P. Patte.
i
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
PORTRAIT DE M. GRANDVAL , peint
par Lancret , Peintre du Roi , en 1742 , &
gravé par J. Le Bas , Graveur du cabinet
du Roi ; de même grandeur que celui de
Mlle Camargo. Prix 3 livres. On lit ces
quatre vers au bas du portrait.
D'attendrir , d'égayer , également capable ;
Tantôt héros , tantôt petit- maître galant :
Il repréſente l'un en copifte excellent ,
L'autre en original aimable.
COLLECTION DE SCULPTURES ANTIQUES
Grecques & Romaines , trouvées à Rome
dans les ruines du palais de Neron & de
Marius .
Cette collection eft rare & finguliere ,
tant par la beauté que par la variété des
morceaux qui la compofent. Les originaux
en marbre de Paros & de Salin , font chez
le fieur Adam l'aîné , Sculpteur ordinaire
du Roi , rue Baffe du chemin du Rempart 3
No. 13. derriere la place de Vendôme ,
entre la rue Saint Louis & la rue Neuve
des Capucines . La collection fe vend à Paris
, chez Joullain , Marchand d'eftampes ,
quai de la Megifferie , à l'enſeigne de la
ville de Rome. 1755.
La façon de graver du fameux Rem
AVRIL 17556
137
1
brandt , qui , fous un heureux defordre ,
peint fi fpirituellement les objets avec att
tant de force que de vérité , paroît avoir
été enfévelie avec fon inventeur ; les difficultés
dont elle eft remplie , ont fans doute
été un obftacle pour ceux qui ont
tenté de marcher fur les traces de cet habile
Peintre & Graveur ; heureufement
elles n'ont point effrayé M. de Marcenay ;
il vient de mettre au jour le portrait de
Rembrandt , peint par lui -même , dont
l'original haut de trois pieds & demi fur
trois de large , fe voit dans le cabinet de
M. le Comte de Vence. Ce Peintre y eft
repréſenté dans fa vieilleffe ; le tableau
ne fe reffent en aucune maniere du froid ,
trop ordinaire à cet âge , bien au contraire
touché à plein pinceau , il eft d'un relief
à étonner ; la lumiere qui vient d'en haut
eft habilement dégradée , ce qui répand.
beaucoup de repos & d'harmonie. Ce Peintre
ayant tout facrifié à la tête , s'eft fervi
d'un fond leger , mais éteint , fur lequel
elle fe détache merveilleufement ; & a af
fecté de négliger les mains , la palette , &
tous les acceffoires qui ne femblent qu'indiqués.
L'accueil favorable que les connoiffeurs
ont fait à ce portrait d'une exécution
très-difficile , & qu'on ofe dire qui
118 MERCURE DE FRANCE.
imite le Rembrandt à s'y tromper , a en
gagé cet artifte à graver le pendant , qui
eft le portrait du Teintoret , également
peint par lui-même ; mais celui- ci eft auffi
correct que l'autre eft négligé. L'un &
l'autre fe vendent chez l'auteur , rue des
Vieux Auguftins , près l'égout . Il donnera
dans peu une fuite de divers morceaux
du Rembrandt , & il grave actuellement
une piece capitale tirée du cabinet de M.
le Marquis de Voyer.
MUSIQUE.
E fieur Lanzetti , Ordinaire de la mu-
Lfique de S. M. le Roi de Sardaigne ,
fait graver préfentement un quatrième
oeuvre de fix nouvelles fonates pour le
violoncelle , & un cinquiéme oeuvre de
fix duo à parties féparées , pour le même
inftrument , dont le deuxième deffus peut
fe jouer fur le violon , baffe de viele , &
baffon. Il avertit le Public que les deuxiéme
& troifiéme oeuvres de fonates pour le
violoncelle qu'on a fait graver à Paris,
fous fon nom & à fon infçu , font pleins
de fautes , contiennent même quelques
piéces qui ne font point de lui , & qu'il
compte les redonner par la fuite corrigées
AVRIL. 1755.
& comme il les a faits. Il demeure rue des
Bons Enfans , à l'hôtel d'Orléans , vis- àvis
le paffage du Cloître S. Honoré , où
on trouvera inceffamment les fufdits cuvres.
METHODE RAISONNE'E , pour apprendre
la mufique d'une façon plus claire & plus
précife , à laquelle on joint l'étendue de
lá flûte traverfiere , du violon , du pardeffus
de viole , de la vielle & de la mufette
; leur accord , quelques obfervations
fur la touche defdits inftrumens , & des
leçons fimples , mefurées & variées , fuivies
d'un recueil de plus de cent airs en
duo , choifis , faciles , & connus pour la
plupart , propres pour la flûte traverſiere ,
le violon & le par- deffus de viole , & mis
à l'ufage de la vielle & de la mufette par
des clefs fuppofées de tranfpofitions. Ou
vrage fait pour la commodité des maîtres
& l'utilité des écoliers ; dédié à M. le
Marquis de Montpezat , Lieutenant de
Roi de la province de Languedoc , l'un
des quatre premiers Barons du Dauphiné ;
par M. Bordet , maître de flûte traverfiere.
Livre premier , gravé par Labaffée ; prix
en blanc 6 livres. A Paris , chez l'Auteur ,
rue du Ponceau , la deuxième porte à droite
en entrant par la rue Saint Denis ; Bayard ,
160 MERCURE DE FRANCE .
Marchand , rue Saint Honoré , à la Regle
d'or ; Vernadé , Marchand , rue du Roule ,
à la Croix d'or'; Mlle Caftagneri , rue des
Prouvaires , à la Mufique royale.
CLAVECINOCULAIRE.
LETTRE de M. Rondet , Maître de Mathématiques
, fur un article de la réponse
du R. P. Laugier , dans le Mercure
d'Octobre dernier , aux remarques de M..
Frezier , dans celui de Juillet 1754.
Ik
M. R. P.
Ly a dix à douze ans que regardant le
R. P. Caftel comme un des plus grands
Phyficiens & des plus profonds Géometres
de l'Europe , vous voulûtes avoir un
maître de fa main pour une perfonne à laquelle
vous vous intéreffiez . Le choix tombafur
moi , & vous fûtes étonné des progrès
que je lui fis faire en quatre mois .
Cela me donna lieu d'avoir avec vous
quelques conférences , où vous ne cefliez
d'admirer la méthode de la Mathématique
univerfelle.
Vous me parliez même avec extafe de
l'invention du clavecin oculaire , & de la
maniere frappante dont l'auteur en avoit
AVRIL 1755. 161
démontré la théorie , fans doute après les
lettres que ce R. P. avoit écrites à l'illuftre
Préſident de Montefquieu , dans les Mercures
de 1735. Il avoit gagné le public
& les plus opiniâtres étoient convaincus.
Jugez quelle a été ma furpriſe , lorf
qu'en lifant votre réponſe aux remarques
de M. Frezier , j'ai trouvé ces mots : l'idée
d'un clavecin oculaire ne peut trouver place
que dans une imagination féconde en fingularité
, mais peu amie du vrai & du folide.
1
Sans doute , que le P, Caftel a une imagination
féconde en fingularité , c'eft un
don du Ciel affez rare pour être refpecté ;
mais il n'eft pas ami du vrai & du folide ,
& la preuve s'en tire de l'invention de fon
clavecin cependant cette imagination l'a
fait admettre dans la Société de Londres
quoiqu'adverfaire décidé du grand Newton.
Elle lui a attiré des éloges d'une
Académie plus reculée encore , & par là
mêmeplus impartiale , celle de Peterſbourg.
Elle a produit un cours de Phyfique qui
fe dicte publiquement à Paris & ailleurs ;
elle a réuni les fuffrages de plufieurs illuftres
de toutes les nations ; de M. de
Voltaire entr'autres , lui qui loue fi peu.
En quoi donc le clavecin oculaire décele-
t-il une imagination peu amie du vrai
& du folide ? N'eft- il pas vrai que les
162 MERCURE DE FRANCE:
couleurs ont entr'elles des rapports appré
ciables , auffi précisément que ceux des
fons ? C'eſt une fingularité démontrée :
n'eft- il pas vrai les couleurs vont enque
tr'elles par teintes , demi- teintes , & quarts
de teintes ; comme les fons par tons demi-
tons , & quarts de tons ? c'eſt encore
une fingularité demontrée : & ce qui eft
encore plus fingulier , même unique , quoiqu'également
démontré , qu'il y a juftement,
& ni plus ni moins de couleurs fenfibles
à la vûe que de fons fenfibles à
l'oreille . De plus n'eft- il pas vrai que la
variété des couleurs plaît comme la variété
des fons que ces fons ayant entr'eux des
rapports fixes , on y peut mettre de l'harmonie
? que ce n'eft donc plus qu'une affaire
de goût , de pratique , de méchanique
, de faire jouer les couleurs comme
les fons qu'un clavier peut produire cet
effet , tant pour le choix & le brillant des
couleurs , que pour la régularité & l'efpéce
des mouvemens ? & que ce jeu peut
être pouffé par les lumieres & les ténébres ,
artiftement ménagées, à une perfection furprenante
?
Il y aura donc très-réellement & à la
lettre une mufique vifible , comme il y en
a une acoustique. Quant au folide , il eft
le même que celui de la mufique ordiAVRI
L. 1755 163
naire , & c'eft un plaifir de plus dont l'inventeur
fait préfent aux hommes ; mais
il y a plus , c'eft aux Peintres , & fur-tout
aux Teinturiers que j'en appelle ; ceux qui
font plus intelligens peuvent dire de quel
avantage eft pour leur art la nouvelle
théorie des couleurs .
Je vous eftime trop . fincerement
pour
croire que ma franchiſe vous offenfe , & ce
n'eft que par la force de cette eftime que
j'ai cru devoir prévenir un certain public
contre le jugement d'un homme d'efprit
qui s'eſt fait un nom.
J'ai l'honneur d'être , & c.
RONDET.
MÉDAILLES.
Devifes pour les Jettons du premier Janvier
1755.
TRESOR ROYAL.
UNgrand fleuve qui fe diviſe en plufieurs
canaux.
Légende . Divifus prodeft.
Exergue.
Tréfor royal.
1755.
164 MERCURE DE FRANCE.
PARTIES CASUELLES .
Des greffes qu'on ente fur un arbre
effepé .
Legende. Carpent tua poma nepotes.
Exergue.
Parties cafuelles .
1755 .
MAISON DE LA REIN E.
Des lys plantés dans un parterre avec
fymmétrie.
Légende.
Exergue.
Novum ex ferie decus.
Maifon de la Reine.
1755 .
MAISON DE MADAME LA DAUPHINE.
Un foleil , dont la lumiere peinte dans
des nuées voisines , forme trois autres foleils
ou parhélies , qui font les emblêmes
de Mgr le Dauphin , & de Mgrs les Ducs
de Bourgogne & de Berri.
Légende.
Exergue.
Cali Decus.
Maifon de Madame la Dauphine.
1755.
CHAMBRE AUX DENIERS .
Une chambre au milieu de laquelle il y
a une table avec plufieurs facs d'argent deffus
, & quelques - uns de ces facs d'argent
"
JETTONS DE
I VILLEUS
QUAS
INCOL
NON
III
ANCDE
LAM .1755
AUREO
PRODE
CONDIT
RPENT
BATIMENS DU ROY
UA
P
POMA
V
TRESOR ROYAL
TIÆ
LA
1755
CRYME
QUE
PARTIES CASUELLI
DUM
AD
2755
PROELIA
IV
NEPOTES
VI
SURGAT
VII
ARGENTERIE ET
MENUS PLAISIRS
1755
NUNC
PA
ORDINAIRE
GUERRES
1753
DES
RUPIS
ISSE VIII
JUVAT
SHA
ARTILLERIE
1735
ENAS
CONTICER
II
L'ANNÉE
1755
REX
CHRIST
OTHEQUE
BIBLIOT
YON
893 *
VILTLLEAE
JOSEPE
A
MARIA
IX
LA
XI
LUDUS
Chim
DELPHIN
DECUS
IN
AR
RMIS
EXTRADRETY.
DES GUERRES
ISS
D.G.
FR
ARIA
.
MARL
EX
SERIE
MAISON DE
LA REINE
1755
SUP
LI
ST
X
XII
TUSUL
CH.AUX. DEN
175
AVRIL. 1755.
165
monnoyé répandus fur la table .
Légende. Regali fuppetit ufui.
Exergue.
Chambre aux Deniers.
1755.
EXTRAORDINAIRE DES GUERRES .
Deux Chevaliers armés joûtant dans une
lice .
Légende. Et ludus in armis .
Exergue.
Extraordinaire des guerres.
1755 .
ORDINAIRE DES GUERRES.
Un cheval couché , levant fierement la
tête,
Légende. Dum ad pralia furgat.
Exergue.
Ordinaire des Guerres.
1755 .
MARINE.
Jafon rapportant la toifon d'or .
Légende. Juvat nunc parta tueri.
Exergue.
Marine .
1755.
COLONIES FRANÇOISES EN AMÉRIQUE.
Le navire Argo , avec des peaux de caftor
fufpendues à la place de la toifon d'or.
Legende. Non vilius aures.
166 MERCURE DE FRANCE.
Exergue . Colonies françoiſes en.
Amérique.
1755.
BATIMENS DU ROY.
Minerve , avec l'égide & la cuiraffe , tenant
d'une main des inftrumens d'architecture
; dans le lointain un bâtiment commence
à s'élever .
་
Légende.
Exergue.
Condit quas incolet ades.
Bâtimens du Roi.
1755.
ARTILLERIE .
Des canons fur leurs affuts , liés enſemble
& enchaînés par des branches d'olivier
qui ferpentent à l'entour.
Légende. Va quibus has rupiffe catenas
contigerit.
1755.
MENUS PLAISIRS ET AFFAIRES
DE LA CHAMBRE.
Therpficore , Melpomene & Thalie.
Légende. Latitia lacrymaque decora .
Exergue. Argenterie & menus plaifirs.
1755
AVRIL. 1755. 167
S't
ARTS UTILE S.
ARCHITECTURE .
pas
auffi portés
I les hommes n'étoient
qu'ils le font à fe livrer dans leurs opinions
à des excès toujours condamnables ,
s'ils n'autorifoient pas par des exemples
trop fouvent répétés ,à douter de l'équité de
leurs motifs , on ne pourroit leur conteſter
le droit honorable d'étendre leurs difcuffions
& leur critique fur les objets les plus
refpectables en tous genres : mais lorsqu'on
voit ( pour me reftreindre aux matieres de
goût ) qu'à peine a - t - on ofé ſubſtituer à
l'adoration d'Homere quelques recherches
fur de légers défauts , dont il eft certain
qu'il n'a pas dû être exempt , qu'auffi - tôt
on brife fes autels , on arrache fa couronne
, on méprife & on raille fes adorateurs ;
ne doit - on pas être porté à fouhaiter
qu'à l'exemple de Mahomet , on impoſe
un filence profond & mystérieux fur les
Divinités des fciences , des arts & du goût ?
Mais où fe trouvera le Légiflateur dont
la miſſion ſera affez généralement reconnue
, pour établir cette loi de prévoyance
que l'efprit impoferoit à l'efprit ? d'ailleurs,
ofer montrer de nos jours une pareille
168 MERCURE DE FRANCE.
méfiance , ne feroit- ce pas refufer à notre
fiécle ce titre refpectable de philofophe
dont il fe pare , & dont il efpere que la
postérité fera fon titre diftinctif ? Puifqu'il
en arbore l'étendart , il doit être louable
& permis aujourd'hui ou jamais de hazarder
quelques réflexions qui ont pour objet
un de ces chefs - d'oeuvres des arts faits pour
être adorés aveuglément dans un fiécle
d'enthouſiaſme & de préjugés ; mais faits
pour être difcutés dans un fiécle fage ,
éclairé , enfin dans un fiécle philofophe
comme le nôtre.
Il s'agit ici de la colonade & des projets
du rétabliſſement du Louvre.
Il est néceffaire d'établir premierement
les raifons pour lefquelles , fous le regne
de Louis XIV , les Architectes employés
à cet ouvrage ont pris pour le finir une
route différente de celle qu'avoient tenue
ceux qui l'avoient commencé.
En général , il est avantageux aux progrès
des connoiffances humaines , que les
efprits & les talens d'un fiécle profitent &
s'enrichiffent de ce que l'efprit & le talent
avoient amaffé déja de thréfors & de richeffes
; mais le profit feroit inconteſtablement
plus confidérable & plus rapide ,
fi les grands ouvrages & les vaftes projets
conduits & exécutés par la même main ,
qui
AVRIL. 11755. 1.69
qui en a tracé les efquiffes , nous offroient
plus fouvent les idées accomplies de ceux
qui les ont conçus . Il arrive malheureufement
que ces auteurs ont des jours plus
bornés que leur entreprife , & qu'après
eux on s'écarte toujours de leurs vûes , ou
bien que l'on abandonne leurs plans.
Il ne falloit pour finir l'édifice dont il
eft queftion , qu'ordonner aux Architectes
de fuivre ce qui étoit commencé , nous
aurions fous les yeux le plus fuperbe palais
de l'Europe. Louis XIV attribuant
aux artiftes les principes & les grands motifs
qui le faifoient agir , fit venir des pays
étrangers des hommes de réputation : tous
ceux qui étoient en France furent chargés
de travailler ; mais l'amour propre injufte
leur perfuada qu'il n'y avoit aucune
gloire à prétendre , s'ils fuivoient des idées
qu'ils n'auroient point créées.
On fit donc différens projets qui occafionnerent
, comme aujourd'hui , des conteftations
fans nombre parmi les artiſtes ,
& des libelles fans fin de la part des critiques,
Il fut réfolu qu'on éleveroit la colonade
pour former l'entrée du Louvre , &
que l'on doubleroit l'aîle fur la riviere ,
pour loger le Roi plus commodément dans
cette partie. 200
Réfléchiffons fur le réfultat de tant de
H
170 MERCURE DE FRANCE .
difcuffions , d'obfervations , de critiques ,
& d'avis différens .
-Quel eft - il ? 'une façade de palais fans
croifées , dont l'ufage n'a pu fe faire deviner
depuis qu'elle eft bâtie , dont les
inconvéniens font fans hombre , & dont
la beauté déplacée a cependant un droit
trop jufte fur notre admiration pour qu'on
puiffe être foupçonné de le lui refufer.
L'Architecte , emporté par le defir de concevoir
& d'enfanter une production neuve
& grande , a-t- il donc regardé comme
pen intéreffant l'ufage qu'on feroit de fes
travaux ? quelle eft la deftination de la
magnifique colonade qu'il a placée au premier
étage de cette façade L'a- t- il faite
pour placer du monde à l'arrivée , ou à la
fortie du Roi L'a - t-il ornée pour le Roi
lui-inême dans les occafions où l'on auroit
donné des fêtes dans la place fur laquelle
elle devoit dominer ? Dans l'un ou dans
l'autre cas , n'eût-il pas été encore à defirer
que la colonade fe trouvât placée dans
le milieu , comme l'endroit le plus convenable
& le plus décent ? La fuppofez - vous
propre à faciliter la communication d'un
côté du palais à l'autre ? Alors pourquoi
cette interruption ménagée pour faire une
mauvaiſe arcade , dans laquelle fe voit une
Petite porte ? C'eft ainfi que les idées de
AVRIL. 1755. 171
grandeur & cet enthouſiaſme qui femblent
pour nous un état violent , ne font pas ว
l'abri d'un mêlange de grandes & de petites
productions. J'ajoûterai encore , c'eft
ainfi que la perfection abfolue exige que
l'imagination prenne toujours l'ordre d'une
fage & utile convenance , qui eft la bafe
des fciences , des arts & du goût.
ger par
Pallons maintenant à l'examen de la façade
, qui placée du côté de la rivière , eſt
celle que l'Architecte a eu intention de
deftiner à l'appartement du Roi. A en jul'entrée
dont nous venons de parler
, & par lės progrès que doit offrir la
magnificence d'un palais , quelle devroit.
être la riche décoration de cette aîle qu'un
grand Monarque avoit choifie pour fon
féjour ? Cependant , oubliant cette conve
nance fi jufte , ou bien épuifé par l'effort
qu'il vient de faire , l'Architecte ne préfente
à notre curiofité qu'un bâtiment
froid , décoré d'architecture en bas relief,
autrement dit de pilaftres fans colonnes ,
& fans auctin avant-corps qui interrompe
par des repos & par des maffes l'ennuyeufe
monotonie qui y regne.
Des Architectes qui n'étant pas gênés ,
ont été capables de commettre des fautes
auffi avérées , ne nous autorifent - ils pas à
examiner avec moins de fertile ce qui
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
a pu
les engager à décorer la Cour d'un
troifieme ordre , par préférence à l'attique
de l'ancien projet.
Je m'imagine que deux raifons font les
principales caufes de ce changement : le
defir d'innover , & les difficultés qu'ils
ont rencontrées en voulant exécuter l'attique
, après avoir fait les façades extérieures.
Jugeons à préfent de la validité de ces
deux motifs : le premier fi général & fi
fouvent ennemi du bien , n'a pas befoin
d'une longue difcuffion . Les innovations
particulieres telles que celles - ci , ne faiſant
jamais partie d'un plan général , ont prefque
toujours l'air déplacé.
Cependant il étoit néceffaire de montrer
fa capacité : fuivre ce qui étoit commencé
, c'étoit , ou paroître plagiaire , ou
montrer un génie peu capable de reffource
& d'invention : d'ailleurs , par rapport
au dehors , qui ne peut entrer en comparaifon
avec le dedans , il falloit fe réfoudre
à fupprimer les dômes , les pavillons ,
les combles. Si l'on exécute ces retranchemens
, & fi l'on place ce feul attique , ne
paroîtra- t- il pas qu'on a cherché à appauvrir
un édifice que le projet d'un grand
Roi eft d'enrichir & d'orner ? Pourquoi
dirent- ils , cédant à toute la folidité de ces
raifons , ne formons - nous pas un troifieme
:I
AVRIL.
1755. 173
ordre qui , par fa nouveauté , fera briller
nos talens , & par fa richeffe fera conforme
au deffein de celui qui nous emploie ?
L'invention n'eft pas une déeffe docile ,
elle refuſe fouvent fes faveurs à ceux qui
les defirent . On eut beau propofer des prix
à celui qui ajoûteroit un nouvel ordre à
ceux que le caprice a fi fouvent défigurés ,
& que le bon goût a toujours rétablis ; if
ne fe trouva pas de Callimachus , & l'on
fe vit contraint de fe fervir d'une de ces
productions , dont la nouveauté fait le feut
mérite , & qu'on fe garderoit bien d'adopter
aujourd'hui.
Mais en fuppofant même que cet ordre
fût digne d'être joint à ceux que le
difcernement de tant de frécles nous a
tranfmis , feroit- il bien placé , & rendroit
il l'effet qu'on s'eft propofé ?
J'ofe répondre que non . On a eu deffein
fans doute , en fupprimant les pavillons ,
les dômes & les combles , qui ne peuvent
fubfifter relativement au dehors , de trouver
quelque chofe qui réparât cette perte.
Mais en établiffant ce troifieme ordre
dans toute l'étendue de l'édifice , tout le
bâtiment fe trouvera alors couronné à la
même hauteur & de niveau ; au lieu qu'en
confervant l'attique dans les ailes , en ádmettant
le troiſieme ordre dans les pavil-
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE .
lons des milieux , en décorant le deffus 'de
l'attique dans les quatre pavillons des angles
, cette cour intérieure préfentera une
décoration , dont le jeu détruira cette uniformité
dont l'architecture doit autant fe
garantir que les autres productions des arts.
Il feroit aifé de développer ces réflexions
& de prouver que ce projet eft celui qui
convient mieux à l'entiere perfection , fi
defirée d'un des plus beaux monumens de
la nation. Un nombre infini d'inconvéniens
dans les partis différens qu'on peut
prendre, me fourniroit une matiere qui deviendroit
infenfiblement trop abondante.
Je fouhaite feulement qu'on fe repréfente
l'effet que produira l'ordre françois exécu
té dans les petits avant- corps du milieu des
aîles , où s'en trouve à préfent le modele
en maffe. Qui pourra fupporter l'exceffive
hauteur de ces avant - corps , comparée à
leur largeur , puifqu'ils font déja trop
hauts , en y employant même l'attique.
Au refte , je ne prétens pas juftifier
abfolument l'attique des défauts qu'on
peut lui imputer ; furchargé d'ornemens ,
décoré de figures & de trophées d'une
proportion trop forte , il ne peut foutenir
fes droits avec avantage que contre
un adverfaire dont la caufe eft infiniment
moins favorable que la fienne .
AVRILIS 1755. 175
4
De plus , tout changement dans cet ouvrage
confacré par la vénération publique ,
paroîtra toujours un crime à ceux qui ,
veulent jouir du plaifir de blâmer , fans
prendre la jufte peine d'approfondir & de
s'éclairer. Mais fi la critique fondée concourt
à l'avantage des arts qu'elle éclaire ,
& à la réputation durable des artiſtes
qu'elle applaudit , ces murmures paffagers
rien n'autorife , ne doivent jamais
fufpendre des réfolutions que la raifon
& le goût d'accord ont approuvées.
que
2
MANUFACTURES.
Omme l'article des Nouvelles litté
Cairess eft trouvé remplis nous avons
cru pouvoir inférer dans celui des arts ce
précis d'un mémoire fur les laines , où
l'on examine , 1°. quelles font les différentes
qualités des laines propres aux manu
factures de France 2. fi on ne pourroit
pas fe paffer de laines étrangeres ; com
ment on pourroit perfectionner la quali
té , & augmenter la qualité de nos laines.
Le titre fenl annonce la divifion de tout
J'ouvrage. Le mémoite eft précédé d'un
avertiffement , dans lequel on prévient
qu'il doit fa naiffance au zele de M. le
Duc de Chaulnes pour l'avancement des
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
L'académie
arts , & que les trois questions qu'on y difcute
, ont été propofées par l'Académie
d'Amiens , pour le fujet du prix de 1754
On finit ce prélude par prévenir ceux qui
prennent quelqu'intérêt au commerce desi
laines , de ne pas acquérir le même ouvrage
imprimé à Amiens ; l'édition de cette
ville ayant été faite à l'infeu & fans la
participation de l'auteur qui a préfidé à
celle- ci , & l'a augmentée d'obfervations ,
& rectifié le ftyle dans tous les endroits où
il étoit défectueux.usb.copa o ibon said
Le commerce des laines eft un des objets
les plus importans qui puiffent occuper
fe
gouvernement. L'accroiffement du nombre
de nos manufactures , & la multipli
cation des métiers rendant chaque jour
plus rares les laines de la meilleure efpéce
, c'eft rendre fervice à la patrie que
de s'étudier aux moyens de perfectionner
celles que nous avons , & d'en augmenter
la quantité. La recherche de ces moyens
occupe principalement l'auteur de ce mé4
moire ; & nous penfons qu'il procéde avec
l'ordre & la clarté dont cette queftion in
portante étoit fufceptible ; que l'ouvrage
eft bienfait , & que la lecture n'en fera pas
moins agréable qu'utile. Il fe vend à Paris
, chez Guillyn , Libraire , quai des Au
guftins , au Lys d'or.1755.5 quli
AVRIL . 1755. 177
ARTICLE V.
SPECTACLES.
OPERA.
114
'Académie royale de mufique a fermé
L for theatre le 15 Mars par Caftor &
Pollux , Tragédie qu'elle a donnée trois
fois pour les acteurs. Elle avoit repréſenté
la veille Thefée qu'elle continuera après
Pâques.
COMEDIE FRANÇOISE.
E premier Mars les Comédiens Fran
çois ont donné la premiere repréfentation
de Philoctete , tragédie de M. de
Châteaubrun , auteur des Troyennes . On
n'a point vû depuis long- tems de piéce
mieux jouée , ni de fuccès plus unanime
& mieux mérité ; il eft d'autant plus glorieux
pour l'auteur , qu'on peut appeller
fa tragédie la difficulté vaincue. Pour nous
intéreffer avec un fujet fi fimple & fi
étranger à nos moeurs , il falloit créer ; c'é-
Hy
•
178 MERCURE DE FRANCE.
toit le comble de l'art ; M. de Châteaubrun
y eft parvenu fans s'écarter de Sophacle.
Son triomphe eft celui des anciens ;
en les embellifant il ne les a point déguifés
, il les a rendus dans cette beauté
fimple qui les caractériſe , & qui ne perd
jamais fes droits fur les coeurs : elle eft intéreffante
dans tous les tems , & même
dans les lieux où la mode a le plus d'autorité
Philoctete en eft la preuve ; dès
qu'il a paru , il a réuni tous les fuffrages.
Ce qu'il y a de plus eftimable dans
M. de Châteaubrun , les maximes qu'il
met dans la bouche de fes héros font toujours
dictées par la vertu , & les fentimens
qui regnent dans fa piéce font puifés dans
l'humanité , dont on peut dire fans flaterie
qu'il eft le poëte.
Le 15 , les Comédiens ont fermé leur
fpectacle par la feptiéme repréſentation de
cette tragédie , avec un grand concours ;
nous en parlerons plus au long à fa reprife
. Nous ofons avancer , d'après le fentiment
général , qu'elle est faite pour ouvrir
non feulement le théatre avec gloire ,
mais pour y refter avec diftinction .
M. de Bellecourt a fait le compliment
au gré du public.
AVRIL. 1755 179
COMÉDIE ITALIEN NE.
Es Comédiens Italiens ont joué le 6
Camille,Espritfollet , comédie Italienne
en quatre aches , remife , avec deux
divertiffemens. Mlle Coraline y a beaubrillé
dans fon début. Mlle Camille
fa foeur , remplit aujourd'hui fon rôle avec
une égale réuffite : cette piece eft une heureufe
fucceffion dans la famille.
coup
Le 15 , les mêmes Comédiens ont donné
pour la clôture de leur théatre , la
quatorziéme repréfentation de Ninette à la
Cour, qu'on a vue avec plaifir & en nombreufe
compagnie. Mme Favart & Arlequin
ont fait le compliment de la clôture
en dialogue & en plaifanterie : le public
s'y eft prêté avec bonté , & l'a applaudi .
Voici l'extrait de Ninette à la Cour , qui
fe vend chez la veuve Delormel , rue du
Foin ; & Prault fils , quai de Conti . Prix
trente fols . Cette édition eft ornée d'une
eftampe , qui repréfente Mme Favart en
villageoife . Elle mérite bien cette diftinction
, par la maniere charmante dont elle
rend fon rôle .
3
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
EXTRAIT du Caprice amoureux ,
Ninette àla Cour.
on
. Le théatre repréfente au premier acte
une campagne agréable , coupée d'arbres
fruitiers , avec des cabannes de païfans
fur les aîles. On les voit travailler à différens
ouvrages.
Ninette , en filant au rouer , ouvre la
premiere fcene avec Colas , & débute par
cette ariette .
Travaillons de bon courage ;
· La fraîcheur
De cet ombrage,.
La douceur
De ce ramage
Nous donne coeur
A l'ouvrage.
Près de l'objet, qui m'attendrit ,,
Je file à merveille ;
Quand la fatigue m'afſoupit ,.
L'amour me réveille.
Elle prie en même tems Colas d'aller
cueillir du fruit pour elle : il monte fur
un arbre , & voit la plaine couverte de
chiens & de piqueurs ; il defcend alors.
tour allarmé , & dit à Ninette :
Rentrez , rentsez morgué ces malins drilles ,,
AVRIL 1755. 181
Comme au gibier fefont la guerre aux filles.
Aftolphe , Roi de Lombardie , paroît
avec Fabrice , fon confident , & lui fait
l'aveu de fa paffion pour Ninette , par cette
jolie ariette ::
Oui , je l'aime pour jamais ;
Rien n'égale fes attraits.
De fon teint , la fleur naïve ,
Toujours fraîche , toujours vive ,
Confond les efforts de l'art.
C'eft la nature
Simple & pure ,
Elle enchante d'un regard.
Dans fon coeur eft l'innocence ';;
Dans les yeux eft la candeur ;
Sa parure eft la décence ,,
Et fon fard eft la pudeur.
Fabrice:fort , & Ninette revient em
chantant. Aftolphe lui témoigne fa furprife
de la voir fi contente dans un état fi
borné , & lui offre une fortune éclatante ,
en lui déclarant qu'il l'adore. Ninette qui
le prend pour un Officier de fa Cour , lui
répond naïvement que cette déclaration lui
fait grand plaifir gardez , lui dit-elle
Gardez tous vos tréfors ;je ne veux qu'une grace ;
• Vous fçavez que lpn chaffe
182 MERCURE DE FRANCE.
Tous les jours en ces lieux , du matin juſqu'au
foir.
Si vous avez quelque pouvoir ,
Parlez au Prince , afin que l'on nous débarraffe
De tout le train font fes gens.
que
Je ne comprens point quelle fievre
Peut faire ainfi courir les champs ;
Pour le plaifir de prendre un lievre
On ravage quarante arpens.
1 Elle le prie en conféquence de ne plus
revenir , en lui avouant franchement qu ' elle
aime Colas . Le Prince lui dit de mieux
placer fon ardeur , ajoutant qu'un fort
brillant l'attend à la Cour , & que les
charmes d'une toilette la rendront encore
plus belle. Qu'est- ce qu'une toilette , lui
demande Ninette ? Il lui en fait cette ingénieufe
defcription,
C'est un trône où triomphe Part :;
C'eft un autel que l'on érige aux graces;
C'est là qu'on peut , des tems rapprocher les ef
paces
Par l'heureux preftige d'un fard ,
Qui des ans applanit les traces.
Des couleurs du plaifir on ranime fon teint ;
Et le pinceau , rival de la nature ,
Par une agréable impofture , vrsti so'nd
Fait éclore la fleur d'un vilage enfantin.
AVRIL
$755. 183
Chaque jour on eft auf belle ;
D'un air plus triomphant la jeuneffe y fourit ,
La beauté même s'embellit
Se fixe , & devient immortelle .
Un tableau fi flateur pique la vanité curieufe
de Ninette ; mais elle craint de fâcher
Colas : il furvient dans cette irréfolution
, & fait éclater fa jalousie. Elle
l'avertit tout bas de la cacher , de
peur
d'irriter Aftolphe . Le Prince qui s'en apperçoit
, la raffure , en lui difant :
Si Colas vous eft cher , je deviens fon ami
Colas lui réplique : >
On n'eft guere ami du mari
Quand on yeut l'être de la femme.
Le Prince fort après avoir dit à Ni
-nette :
L'heureux Colas vous intéreſſe.
Paiffe-t-il mieux que moi faire votre bonheur !
Ninette reproche à Colas fa groffiereté ,
vis-à-vis d'un Seigneur fi poli , qui la veut
mener à la Cour : il lui répond qu'Aftolphe
lui parloit d'amour , & que cela ne
convient pas. Elle lui répart avec une ingénuité
rare aujourd'hui , même dans une
jeune païfanne.
184 MERCURE DE FRANCE .
Les Meffieurs de la Cour font trop bien élevés
Pour entreprendre rien contre la bienféance.
Colas qui apperçoit dans ce moment le
Prince qui revient , & qui la regarde de
loin , veut obliger Ninette à rentrer malgré
elle : elle refifte ; il la tire par le bras :
elle crie - alors , & chante avec toutes les
graces d'une jolie enfant qui pleure , cette
ariette fi , heureufement parodiée de Ber--
tholde à la Cour.
Ahi ahi ! il me fait grand mal ;:
Le brutal le brutal !
COLAS
Oui , je vous ai fait grand mal.
NINETTE.
Le Seigneur viant_ici ,
Ahi ! ahi ! puifqu'on me traite ainfi
Je vais me plaindre de ce pas..
COLAS.
Ninon..
NINETTENon
, non.
COLAS.
1
Morgué , quel embarras !
Ninon ,
A V.R IL
1.851 1755
Jte d'mande pardon. ,
NINETTE.
८
Non , non Y
Point de pardon.
Ahi ahi ! il m'a fait grand mal.
ASTOLPHE s'approchant , à Ninette.
Qu'avez -vous ?
NINETTE .
): Le brutal !
Ah ! qu'il m'a fait grand mal !
Ahi ! Ahi
NINETTE.
Ah ! j'ai bien du guignon . I'
ASTOLPH E.
O Dieux ! qu'avez-vous donc
NINETTE, ! |
Monfeigneur , c'eff Colas
Qui m'a , m'a , m'a demis le bras .
Hélas ! hélas !
à Colas.
Tu t'en repentiras.
Hélas ! hélas !
Oui , tu me le paîras.
KIM » Alii? ahiuvabi, le brash 10 4 alo
186 MERCURE DE FRANCE.
Aftolphe témoigne fa furprife en s'écriant
:
Eft-ce là ce tendre Colas ?
Colas veut s'emporter ; mais Fabrice lui
apprend qu'Aftolphe eft le Prince . Ninette
& Colas font furpris à leur tour . Le Prince
preffe Ninette de venir embellir fa Cour.
Elle y confent , en difant tout bas qu'elle
veut punir Colas fans lui manquer de foi .
Elle le quitte en lui adreffant cette Ariette
boufonne , qui commence par ces vers
Colas , je renonce au village ;
La cour me convient davantage.
& qui finit ainfi : JA
Quelque jour tu viendras
Tu verras. (bis.).
Sans ceffe
La preffe
Arrêtera tes pas ;
Et de loin , tu diras ,
Ah, Princeffe , Princeffe !
En t'inclinant bien bas
Protegez Colas ,
Ne l'oubliez pas.
Adieu , pauvre Colas,
1.
Colas fe defefpere , & veut fuivre NiAVRIL.
1755. 187
nette , mais il eft arrêté par une troupe de
chaffeurs . Ils le forcent à s'éloigner , &
forment une danfe qui termine le premier
acte. Il eſt brillant par le jeu & par le choix
des ariettes qui font parfaitement rendues
par Mme Favart & M. Rochart .
Le théatre change au fecond acte , & repréfente
un appartement du palais d'Aftolphe.
Ninette paroît en habit de Cour ; elle
eft fuivie de plufieurs femmes de chambre ,
qui portent chacune différentes parures ;
fan pannier l'embarraffe , & lui donne un
air gauche. Elle refufe le rouge dont on
veur l'embellir , & laiffe tomber les diamans
qu'on lui préfente, pour prendre des
fleurs artificielles , qu'elle jette un inſtant
après , en difant :
Elles ne fentent rien
Içi l'on ne doit rien qu'à l'arts
La beauté n'eft qu'une peinture ,
Jufqu'aux fleurs tout eſt impoſture.
Fabrice veut lui donner des leçons de
politeffe , mais elle le rebute , & prie le
Prince qui entre , de la débarrafler de cet
homme qui l'ennuie , ajoûtant qu'elle aimeroit
mieux voir Colas. Aftolphe lui répond
:
188 MERCURE DE FRANCE.
#
Vous allez voir Colas ; j'efpere qu'en ce jour
Vous mettrez entre nous un peu de différence ;
Je ne veux qu'à force d'amour
Lui difputer la préférence.
Il donne enfuite des ordres pour qu'on
montre à Ninette toute la magnificence
de fa Cour ; & voyant paroître la Princeffe
il fort pour l'éviter . Emilie ( c'eft le nom
de la Princeffe qui lui eft deftinée , ) tế-
moigne fes craintes à Clarice , fa confidente
, & la charge d'examiner les pas du Prince
& de Ninette. Elle exprime enfuite fes
fentimens par une ariette.
Viens , efpoir enchanteur ,
Viens confoler mon coeur , &c.
Voyant revenir Aftolphe avec fa petite
payfane , elle s'éloigne pour les obferver.
Le Prince demande à Ninette ce qu'elle
penfe de la Cour ; Ninette lui répond avec
une franchiſe fpirituelle.
J'ai vu de toute part de beaux petits objets
A talons rouges , en plumets ;
Ne font-ce pas des femmes en épées ?
J'ai vu trotter auffi de gentilles poupées ,
Qui portent des petits colets...
Ah ! que de plaifans perfonnages ,
AVRIL. 1755. 189
Crainte de déranger l'ordre de leurs vifages ,
Ils parlent tous comme des flageolets.
Tu , tu , tu tu. Dans nos villages -
2
Nous n'avons jamais vu de tels colifichets ,
Et puis j'ai vu de graves fréluquets ,
Qui prenoient un air d'importance.
Et de jolis vieillards coquets ,
Qui fembloient marcher en cadence ;
L'un d'eux , pour me voir de plus près ,
Jufques fous mon menton s'approche ,
En tirant un oeil de fa poche ;
C'eft un bijou , c'eft un Ange. Eh ! mais , mais..
Emilie s'avance , & fait un compliment
ironique à Ninette fur fes charmes , & la
félicite d'avoir fait la conquête d'Aſtolphe ,
qui s'en défend devant la Princeffe. Ninet
te répond qu'elle aime Colas . Le Prince
pour appuyer ce difcours , dit qu'il a donné
des ordres pour le faire venir. Ninette
réplique qu'elle aime mieux retourner au
village , & fort en chantant
ARI ETT E.
Dans nos prairies
Toujours fleuries ,
On voit fourire
Un doux zéphire , &c.
190 MERCURE DE FRANCE .
Le Prince raffare Emilie , & lui promet
de renvoyer Ninette ; mais dès qu'il eft
feul il peint fon irréfolution par une ariette.
Lé Nocher , loin du rivage
Lutte en vain contre l'orage , &c.
& fe retire fans fçavoir ce qu'il doit fai-
're.
Colas entre paré à peu - près comme Taler
dans Démocrite , & fe plaint comme
lui de la réception ridicule qu'on lui a
faite à la Cour . Ninette qui furvient , &
qui apperçoit Colas , baiffe fa coëffe , ſe
couvre le vifage de fon éventail , & contrefait
fa voix en grafféyant , pour éprou
ver Colas , & n'en être point reconnue .
Cette fcene a beſoin du jeu des acteurs
pour être fentie. Ninette en jouant les
vapeurs , déclare à Colas qu'elle eft épriſe
de fes charmes , & lui propofe de répondre
à fon ardeur , en l'affûrant que fa fortune
fera faite. Colas' qui la prend pour
une Dame de la Cour , répond qu'il y confent
, en difant tout bas :
Je ne veux qu'alarmer Ninette ,
Et le dépit me la ramenera.
Ninette alors fe dévoile , & fait éclater
fa colere contre Colas ; il a beau vouAVRIL
1755. 191
loir fe juſtifier , elle ne veut plus l'entendte.
Ce qui occafionne un duo dialogué
à l'Italienne , dont le contrafte toujours
foutenu , finit vivement le fecond acte.
20 Ninette ouvre feule le troifieme dans
le même appartement , où l'on voit des
lumieres fur une table. Elle fait entendre
dans une ariette qu'elle tirera bien-
-tôt vengeance d'un ingrat qui l'a trahie.
Fabrice vient l'avertir que le Prince doir
arriver dans un moment ; elle lui demande
fi Colas eft prévenu qu'elle doit parler
au Prince tête à tête ; Fabrice lui répond
qu'oui , & qu'il fait de gros foupirs . Emilie
entre , & paroit furpriſe de retrouver
encore Ninette , qui lui protefte qu'elle
eft à la Cour contre fon gré , & lui avoue
en riant qu'Aftolphe lui a demandé un
rendez - vous , qu'elle s'y trouvera , par la
raifon qu'une fille de bien ne craint rien.
Cette maxime n'eft pas toujours fure.
Comme on entend du bruit , Ninette en-
-gage la Princeffe à s'éloigner avec elle ,
ajoutant qu'elle a fur ce point un fecret
? à lui dire.
Colas arrive , guidé par fa jaloufie , & fe
cache fous la table pour entendre , › fans
cêtre vu l'entretien nocturne du Prince
avec Ninette , qui revient & qui éteint
les bougies en voyant entrer Aftolphe. Le
192 MERCURE DE FRANCE.
Prince lui en demande la raifon , & mon
tre une pudeur qu'elle paroît oublier. Elle
répond que fon coeur eft bien gardé la nuit
comme le jour , & le prie de lui apprendre
ce qu'il fouhaite d'elle. Il replique que fes
foupirs lui expliquent fes voeux : elle lui
repart qu'elle veut faire fon bonheur , &
qu'il attende un moment. Elle va chercher
la Princeffe ; & la met à fa place : le Prince
dit à Emilie , qu'il prend pour Ninette ,
J'ai defiré long-tems un coeur fans impofture ,
Un coeur fimple , ingenu , formé par la nature.
)
Ninette , en apportant des lumieres , répond
au Prince qu'il a trouvé ce thréfor
dans Emilie qui eft devant lui. Aftolphe ,
honteux de fon inconftance , rend fon
coeur à la Princeffe , qui lui pardonne. Colas
forti de deffous la table , paffe des plus
vives alarmes à la plus grande joie. Af-
-tolphe s'unit à la Princeffe , & Colas à Ninette.
Un bal dont nous avons rendu compte
, couronne agréablement ce troifieme
acte , dont le dénouement a paru moins
heureux que le refte de la piece : on peut
dire qu'elle eft pleine d'ingénieux détails ,
& qu'elle forme un recueil choisi d'ariettes
: italiennes en jolis vers françois.
Sila Servante Maîtrefle a fait des amans
paffionnés ,
AVRIL. 17558 193
paffionnés , Ninette à la Cour a trouvé
de zélés partifans ; chacune a fon mérite
particulier ; l'aînée eft peut - être mieux
faite , & la cadette eft plus fpirituelle.
OPERA COMIQUE.
Les
E is , on donna fur ce théatre les Jeunes
Maries. On les annonça comme
une nouveauté , mais ils ne font que remis
: c'eſt un ancien Opéra comique de
M. Favart . On ne peut s'y méprendre ; il
eft trop bien fait pour être d'un autre .
On l'a joué le 16 , le 17 , le 18 & le
19 , avec les Troqueurs , & Jerôme &
Fanchonnette , que l'on a continués jufqu'au
Samedi 22 , jour de la cloture de
ce fpectacle. Les Troqueurs ont toujours
charmé les connoiffeurs , Fanchonnette a
conftamment diverti le public ; & la falle
tous les jours pleine , a fait rite M. Monet.
O
Na donné le Mardi 18 Mars , la
premiere repréſentation
du Triomphe
de l'Amour conjugal ; fpectacle tiré
d'Alcefte , par le fieur Servandoni , Peintre
& Architecte ordinaire du Roi.
I
194 MERCURE DE FRANCE.
Les premieres repréfentations d'un fi
grand fpectacle font toujours imparfaites.
Nous attendrons que celui- ci ait été exécuté
dans toutes les parties & dans l'exacte
précifion qu'il exige , avant que d'en dire
notre fentiment , ou plutôt celui du public ,
que nous devons prendre pour regle .
CONCERTS SPIRITUELS.
Près la mort du fieur Royer , Inf-
A pecteur du Concert fpirituel , avec le
fieur Capperan , ce dernier a fait choix
du fieur Mondonville , fi connu par fes talens
& fur-tout par fes moters , pour
remplacer le fieur Royer. Ce Concert demeure
en fociété entre la veuve & ces
deux Meffieurs , qui par leurs foins ne
laiffent rien à defirer au public.
> Le Dimanche de la Paffion , 16 Mars ,
le concert commença par une fymphonie
de M. Martin ; enfuite Omnes gentes , motet
à grand choeur de M. Cordelet ; le
Signor Avolio joua un concerto de violon
. On donna après Diligam te , motet à
grand choeur de M. Giles , où Mlle Chevalier
chanta le récit Beata gens , de M. de
Lalande. Mme Pompeati chanta deux airs
Italiens avec l'applaudiffement général . Le
F 195 AVRIL. ~ 1755.
moter à
concert finit par Cæli enarrant
,
grand choeur de M. de Mondonville
. Mlle
Chevalier
, & M. Richer , Page de la mufique
du Roi , chanterent
le duo Non funt
loquela , & furent juftement
applaudis .
Le Mardi 18 le concert commença par
une fymphonie nouvelle de M. Davefne ;
enfuite Cantate Domino , motet à grand
choeur du même auteur. Mlle Duperey
chanta un petit moter ; enfuite Confitebor
motet à grand choeur de M. de Lalande ,
où Mlle Chevalier chanta feule . M. Canavas
joua un concerto . Le concert finit par
In exitu , motet nouveau à grand choeur de
M. de Mondonville , qui eut l'approbation
des connoiffeurs. Ils y ont reconnu les traits
& les tableaux du grand maître.
Le Vendredi de la Paffion , 21 Mars ,
le concert commença par une fymphonie
enfuite Exaltabo te , moter à grand choeur
de M. de Lalande. Mme Pompeati chanta
deux airs Italiens avec le même fuccès. M.
Guenin joua un concerto de violon . Le
concert finit par In exitu , motet nouveau
à grand choeur de M. de Mondonville .
Mlle Chevalier , Mrs Benoît , Poirier &
Befche chanterent feuls .
Le Dimanche , jour des Rameaux , 23
Mars , le concert commença' par une fymphonie
; enfuite Diligam te , motet à grand
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
choeur de M. Madin. M. Jannfon , âgé de
13 ans , joua une fonate de violoncelle , &
charma toute l'affemblée . Enfuite Deus venerunt
gentes , motet à grand choeur de M.
Fanton , qui eut tout le fuccès qu'il métite.
On eut la fatisfaction d'y applaudir
Mlle Fel , qui parut pour la premiere fois ;
une indifpofition avoit privé le public du
plaifir de l'entendre plutôt. Elle chanta
feule un petit motet. Le concert finit par
De profundis , de M. Mondonville , & renvoya
tous les auditeurs très -fatisfaits .
AVRIL. 17.55. 197
ARTICLE SIXIEM E.
NOUVELLES ÉTRANGERES.
AFRIQUE.
D'ALGER , le 23 Decembre .
Purédu feu Dey
tre du feu Dey s'étoient cachés , en attendant
quelque occafion de prendre la fuite . On en a dé-
Couvert dix , dont fix ont été empalés , & les quatre
autres étranglés. Le nouveau Dey a fait allurer
les Confuls de France , d'Angleterre & de
Hollande , ainsi que le Conful Impérial , qu'il
étoit dans la réfolution d'entretenir la paix avec
leurs Souverains.
ALLEMAGNE.
DE DRESDE , le 23 Février.
Le Comte de Broglie , Ambafladeur du Roi de
France , a obtenu de Sa Majefté Très- Chrétienne
la permiffion de faire un voyage à Paris .
DE VIENNE , le 22 Février.
Les Archiducs Charles & Léopold foutinrent
le 17 de ce mois , en préſence de l'Empereur &
de l'Impératrice Reine , un examen fur l'art de
fortifier les places. Ils répondirent avec beaucoup
de jufteffe & de vivacité , & leurs Majeftés
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
Impériales en témoignerent leur fatisfaction au
Major Brequin , qui enfeigne à ces Princes cette
partie des Mathématiques.
ITALI E.
DE NAPLES , le 3 Février.
Lorfque le Duc de Penthiévre eft parti d'ici
pour retourner à Rome , il a été ſalué , ainfi
qu'à fon arrivée , par l'artillerie de tous les vaiffeaux
françois qui étoient dans ce port..
Le monticule formé depuis quelques tems fur
le fommet du Vefuve , lance quantité de flammes
à une hauteur confidérable. Quelques curieux
ont ofé monter dernierement au haut de cette
montagne , pour examiner de près les effets de
l'éruption. Ils y ont découvert un baffin rempli
de bitume & de foufre , dont l'ébullition préfente
l'image du choc des flots foulevés par une violente
tempête . Le Cardinal , Archevêque de cette
ville , a ordonné des prieres publiques , pour demander
à Dieu qu'il lui plaife de la garantir de
tout événement funefte.
Le corps du Cardinal Cofcia , mort le 8 Février,
fat porté le 9 à l'Eglife del Gefu Nuovo ,
fans autre cortége que celui de deux carroffes de
deuil , accompagnés de fes Eftafiers. Ce Cardinal ,
outre un mobilier fort confidérable , a laiffé fept
cens mille écus en argent comptant. Il a inftitué
le Duc Cofcia , fon frere , pour fon légataire uni
verfel ; ordonnant que fi fa famille vient à s'éteindre
, fes biens feront dévolus à l'Hôpital qu'il a
fait conftruire. On s'eft trompé , en difant qu'il
avoit été de l'Ordre de S. Dominique.
AVRIL 175.5. 199
DE ROME , le 9 Février. 91
Par un decret qui fut publié le 3 , l'once d'or
de dix-neuf carats eft fixé à treize écus dix -fept
baïoques ; & l'once d'argent de feize deniers de
fin , à un écu deux baïoques.
Le 7 , le Pape envoya le Sr Arfelli ſouhaiter un
heureux voyage au Duc de Penthiévre , & fon Alteffe
Séréniffime partit le lendemain pour Floren.
ce . L'Ambaſſadeur de France & l'Abbé de Canillac
, Auditeur de Rote , l'accompagnerent avec un
cortége de plufieurs carroffes jufques hors de la
porte du Peuple. Pendant tout le tems que le Duc
de Penthiévre a paffé en cette capitale , il a donné
les marques les plus éclatantes de fa piété , de fa
libéralité& de fa charité. Il a laiffé fpécialement
au Curé de la paroiffe dans laquelle fe trouve
le palais de France , une ſomme confidérable, pour
être diftribuée aux pauvres de cette paroiffe..
DE FLORENCE , le 8 Février.
Le Comte Lorenzi , chargé des affaires de fa
Majefté Très - Chrétienne auprès de cette Régence
, fait de grands préparatifs pour la réception.
du Duc de Penthiévre , qui eft attendu en cette
ville le 16 de ce mois.
DE MODENE , le 27 Février.
Le Duc de Penthiévre , après s'être arrêté à Florence
depuis le 16 jufqu'au 21 de ce mois , s'eft
rendu à Bologne. De cette derniere ville il eſt revenu
ici , où il paffera quelques jours avant de
continuer fa route vers Turin.
I iv
100 MERCURE DE FRANCE.
DE MILAN , le 8 Février.
Une efpece de maladie épidémique enleve beaucoup
de monde dans quelques villages entre Pavie
& Lodi , particulierement dans ceux de Locate
& de Siziano. Elle commence par une fiévre
, qui d'une heure à l'autre va toujours en redoublant
, & qui en trois jours conduit le malade
au tombeau.
Lettre à l'Auteur du Mercure de France.
EN
N parcourant , Monfieur , le Magaſin anglois
, j'y trouve dans l'article des Chroniques
hiftoriques une relation qui m'a rempli d'horreur,
& qui fait voir qu'il refte encore dans le monde
de la race d'Atrée ou de Médée , comme vous allez ,
le voir.
Le 8 Juillet 1754 ( Angleterre , province d'Effex
, près de Blachwater ) la femme d'un Fermier ,
pour fe venger de fon mari avec qui elle avoit
eu un violent démêlé , étouffa fa propre fille au
berceau , en pendit une feconde , âgée de quatre
ans , à un crochet , & fe difpofoit à égorger fon
fils mais ce dernier plus : heureux ou plus fort ,fe
débarraffa des mains fanglantes de cette Médée
angloife , & fe fauva par la fuite . Elle eft actuellement
dans les prifons de Chelmsford , & ne paroît
pas avoir l'efprit aliéné.
* Journal qui s'imprime à Londres.
AVRIL. 1755.201
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
Selo
Elon les avis reçus de Lorraine , le feu prit la
nuit du 5 au 6 du mois dernier à l'aîle gauche
de l'avant-cour du château de Luneville. Malgré
les prompts fecours qu'on a apportés , cette aîle
a été totalement réduite en cendres , Plufieurs perfonnes
ont été bleffées en voulant arrêter le progrès
des flammes ou éviter d'en être la proie.
ཚ་
Sa Majefté s'étant fait repréfenter l'arrêt rendu
en fon Confeil le 25 Decembre 1753 , par lequel
il auroit été ordonné , en conformité des précédens
arrêts , que les Offices qui feroient levés vacans
en fes revenus cafuels pendant le courant de
Pannée 1754 , par mort ou autrement , ne payeroient
que moitié des droits de marc d'or , d'enregiftrement
chez les Gardes des rolles & de fceau ,
enfemble de ceux de réception & d'inſtallation
dans les Cours & Jurifdictions où ils feroient reçus
& inftallés ; & que ceux qui leveroient des
Offices de nouvelle création , ou aufquels n'auroit
été pourvût depuis leur création , ne payeroient
, pour s'en faire pourvoir , que le tiers
defdits droits de marc d'or , d'enregistrement , de
fceau , de réception & d'inftallation ; & Sa Majefté
voulant continuer la même grace pendant
Pannée 1755 , le Roi proroge pendant l'année
1755 , le délai porté par l'arrêt du 25 Décembre
à commencer du › premier Janvier juſqu'au
dernier Décembre inclufivement , & c.... Veut
néanmoins Sa Majefté , que ceux au profit de qui
1753
~IV
202 MERCURE DE FRANCE.
les porteurs de quittances de Finance d'Offices de
nouvelle création s'en feront démis après les fix
mois du jour de la date defdites quittances ,
foient tenus de payer après lefdits droits en entier.....
Ordonne Sa Majefté que ceux qui ont
levé , à ſes revenus cafuels , des Offices de pareille
nature que ceux ci -deffus mentionnés , à compter
du 4 Juin 1726 , & depuis , ou qui les leveront
pendant le délai accordé par le préfent Arrêt
, feront & demeureront déchargés du droit
de confirmation .
Il paroit un autre Arrêt du Confeil d'Etat ,
qui ordonne l'exécution des Ordonnances des Intendans
& Commiffaires départis dans le Comté
de Bourgogne , concernant les plantations & le
commerce du tabac.
Par un troifiéme Arrêt du Confeil d'Etat , le
Roi ordonne l'exécution de fa déclaration du zo
Décembre dernier , au fujet de la Monnoie de
Metz : voulant Sa Majefté , qu'à commencer
de l'année 1754 , le jugement du travail des
monnoies qui auront été ou feront faites en ladite
monnoie , foit fait & jugé en fa Cour des
monnoies de Paris ; qu'en conféquence les de
niers de boîte du travail fait en la Monnoie de
Metz pendant l'année 1754 , avec les regiftres
des délivrances qui en ont été faites , lefquels
zont été portés & remis en la Cour de Parlement
de Metz , en foient retirés en l'état qu'ils y ont été
portés , & remis par le Greffier dudit Parlement
ou autres dépofitaires .... pour être le tout envoyé
& remis au Greffe de la Cour des monnoies
de Paris .... à l'effet d'y être ledit travail
jugé en la maniere accoutumée pour les autres
monnoies.
Monfeigneur le Dauphin , Madame la Dau
AVRIL. 1755. 203
phine & Mefdames de France , allerent le 26 fe
promener au pavillon du Marquis de Lhopital ,
près la machine de Marly.
Un Négre âgé de dix fept ans , appartenant
M. Riviere , Confeiller au Parlement , fut baptifé
le 24 du mois de Février dans l'Eglife de
Saint Côme. Il a eu pour parrein M. le Normant
, Intendant des armées navales , & pour marreine
Mme la Riviere. La cérémonie a été faite
en préfence du Curé de la Paroiffe , par M. l'Abbé
Drouet , qui avoit inftruit le nouveau Caté
chumene.
L'Académie royale de Chirurgie avoit propofé
pour le prix de l'année 1754 le fujet fuivant :
l'amputation étant abfolument néceffaire dans les
plaies compliquées des fracas des os , principalement
lorfqu'elles font faites par armes à feu , déterminer
les cas où il faut faire l'opération fur le
champ , & ceux où il convient de la différer : & en
donner les raifons. Cette queftion paroît n'avoir
pas été bien entendue. Pour déterminer les cas
dont il s'agit , on doit avoir égard à la différence
des plaies , à l'efpéce des accidens , à la nature
de la partie offenſée , même au lieu où le bleffé
fe trouve. Il eft néceffaire auffi de confidérer
s'il peut ou non être tranfporté , fi l'on eft obligé
de le mener loin , & fi l'on a les moyens de faire
commodément le tranfport. L'Académie n'ayant
rien trouvé de tout cela dans les mémoires qu'on
lui a préfentés , a décidé que le même fujet feroit
propofé pour l'année 1756. Le prix fera double
, & l'auteur de la piece couronnée aura deux
médailles , chacune de cinq cens livres , ou une
médaille & la valeur de l'autre , à fon choix. Les
perfonnes qui ont déja compofé , pourront renvoyer
de nouveau leurs mémoires , après y avoir
fait les changemens convenables.
I vj
204 MERCURE DE FRANCE .
Le 2 Mars , M. le Comte d'Argenſon , Minif
tre & Secrétaire d'Etat , ayant le Département de
la guerre , préfenta à Monfeigneur le Duc de
Bourgogne , pour fes premieres armes , un fufil
conftruit fuivant la derniere Ordonnance pour
l'infanterie. Ce fufil , de la fabrique de Saint-
Etienne en Forez , n'a que deux pieds de long ,
& il eft regardé comme un chef- d'oeuvre en ce
genre pour le travail & la richeffe. Il a été fait
par ies ordres & fous les yeux de M. de Saint- Perieux
, Chevalier de l'Ordre de Saint Michel , &
Directeur de ladite fabrique . Monfeigneur le Duc
de Bourgogne , qui marque un goût décidé pour
les armes , a été très- fatisfait de ce préfent. 44
Le Roi a difpofé de l'Abbaye de Saint Jean de
Laon en faveur de l'Ecole royale militaire , pour
être unie à cet établiffement , & les revenus employés
à la defferte de la Chapelle & à l'entretien
des Prêtres & des Soeurs de la Charité , qui
ferviront dans l'Ecole militaire .
Sa Majefté a accordé l'Abbaye Réguliere &
élective de Lieffies , Ordre de Saint Benoît , Diocefe
de Cambrai , à Dom Lhomme , Religieux
de cette Abbaye ; le Prieuré Conventuel & électif
du Deffens , Ordre de Grandmont , Diocèfe
d'Agen , à M. Malaret , Prêtre du Diocèfe de
Toulouſe ; & le Prieuré de Chatenet , Ordre de
Saint- Benoît , Diocèſe de Limoges , à la Dame de
Brie de Soumagnac , Religieufe du même Ordre.
Le Roi a accordé l'Abbaye Réguliere de Sept-
Fonts , Ordre de Citeaux , Diocèse d'Autun , à
Dom Alpheran , Religieux de cette Abbaye ; &
le Prieuré de Saint - Sever , Diocefe de Bourges ,
à M. Teftard , Curé du même Dioceſe.
Les Religieux de la Charité célébrerent le 8
Mars , avec beaucoup de folemnité , la fête de S.
AVRIL.
1755. 205
Jean - de-Dieu , fondateur de leur Ordre. Le Nonce
du Pape y officia pontificalement. Après le
Sermon , l'on fit la proceffion , & le Nonce donna
la bénédiction du Saint Sacrement dans les falles
des Malades. Elles étoient ornées de riches
tapifferies de velours & des Gobelins , & éclairées
par plus de deux cens luftres . Un grand nombre
de Seigneurs & de Dames de la premiere diftinction
ont contribué à la dépenfe de cette fête ,
& y ont affifté , ainfi qu'au fouper des malades.
Tout le monde a adıniré l'ordre , la propreté & la
charité qui regnent dans ce célebre hôpital.
Monfeigneur le Dauphin a pris pendant trois
jours les eaux de Vichi .
La Marquife de Bournelle fut préfentée le à
leurs Majeftés & à la Famille royale par la Ducheffe
de Brancas .
Le 12 , le Comte d'Ayen , à qui le Roi vient
d'accorder un brevet d'honneurs , remercia Sa
Majefté.
Sa Majefté , toujours occupée du progrès des
fciences & des arts qui peuvent contribuer au bien
public , & voulant marquer aux Démonſtrateurs
royaux en Chirurgie , établis à Paris , la fatisfaction
qu'elle a de leurs travaux, a augmenté de cent
piftoles les appointemens de chacun des cinq anciens.
Le 4 Mars , à trois heures du matin , la Maiſon
Conventuelle de l'Abbaye de Sellieres , Ordre de
Citeaux , Dioceſe de Troyes , écroula jufqu'aux
fondemens . Les Religieux & les domeftiques auroient
été enfevelis fous les ruines, fans les prompts
fecours qu'on leur apporta.
Par un édit enregiftré le 12 de ce mois au Parlement
, le Roi fupprime les Offices de Lieutenans
Généraux d'épée , de Chevaliers d'honneur & de
206 MERCURE DE FRANCE.
Confeillers honoraires , établis dans les Préfi
diaux , Bailliages , Sénéchauffées , & autres Jurif
dictions inférieures , reffortiffantes nuement aux
Parlemens.
L'Evêque de Gap fut facré le 16 , dans l'Eglife
des Religieufes de Conflans , par l'Archevêque
de l'aris , affifté des Evêques de Séez & de Saint-
Omer.
La Comteffe le Danois fut préfentée le 16 à
Jeurs Majeftés & à la Famille royale.
Le 17 , les Ducs de Rochechouart , de Fitz -James
, d'Harcourt , d'Antin & de Valentinois , prirent
féance au Parlement , en qualité de Pairs de
France.
Le 20 , les actions de la Compagnie des Indes
étoient à dix -fept cens trente livres . Les billets de
la premiere lotterie royale & ceux de la feconde
lotterie n'avoient point de prix fixe.
A Rouen , le 18 Mars 1755.
Monfieur, j'ai lú dans le Mercure de ce mois les remarques que vous y avez inférées au
fujet de la lotterie de Bruxelles. Il auroit été à
fouhaiter que l'auteur , en faifant connoître le
piege auquel on s'eft livré , eût prévenu celui auquel
on peut être de nouveau expofé .
On defireroit pour cela que l'auteur de ces re
marques inftruisît de ce qui fuit.
1. Pourquoi les billets de cette lotterie n'ontils
pas eu un prix fixe , ( s'en étant délivré depuis
vingt-fix jufqu'à vingt- huit livres ? )
2°. Quelle eft la différence de l'argent courant
de Brabant à l'argent de change
3º. Si l'évaluation des billets n'auroit pas dû
AVRIL. 175.5. 207
être faitee fur la parité des monnoies de Brabant
fur France ; en tout cas la jufte valeur deſdits billets
?
4°. Si les lots ne doivent pas être payés argent
Courant , pareillement fur la parité , fans aucune
déduction en France par les Collecteurs
Je me fate , Monfieur , qu'en ma confidération
vous voudrez bien inférer la préfente dans
votre Mercure prochain , fans faute : c'eft ce qu'a
lieu d'efperer celui qui à l'honneur d'être , & c.
L'Intérêt public.
REPONSE.
Les quatre queftions de l'intérêt public font
étrangeres au plan de la lotterie , & par conféquent
aux remarques qu'on y a faites. "Le plan &
les remarques dépendent de différentes combinaifons
pures & fimples , & les remarques étoient les
mêmes pour Bruxelles que pour Paris , au lieu
que les réponſes que l'intérêt public demande ,
dépendent de la connoiffance actuelle du change.
qui varie felon les tems & les lieux ; c'eft une
affaire de banque & de change ; ainfi , après les
tirages ceux qui auront des lots à retirer
s'adrefferont à quelque Banquier , Maîtres ou
Agens de change , qui leur diront ce qui leur
revient. Quant à ce que les billets de cette lotterie
fe font vendus 26 , 27 & 28 livres , cela peut
venir , ou du ridicule empreffement avec lequel
on y couroit , ou du peu de fidélité de la part de
ceux qui les livroient , & de ce qu'on ne fçavoir
pas quel étoit le rapport entre les monnoies.
L'auteur des remarques n'a eu & n'a dû avoir
en vue que de faire voir qu'on dupoit le public
>
208 MERCURE DE FRANCE .
& ce qui doit fûrement le fâcher , c'eſt de n'avoir
pas vú le plan de la lotterie deux mois plutôt
, il y auroit eu fans doute bien moins de
billets diftribués dans Paris . Mais fi ces remarques
n'ont pas eu dans cette occaſion tout l'effet
qu'elles auroient vraisemblablement eu fi on les
avoit connues plutôt , il faut efperer qu'elles mettront
en garde contre celles qu'on pourroit nous
envoyer l'avenir.
MORT S.
Na mis dans le Mercure de Mars , à l'arti-
ONe amis dans leMerruler au lieu de Dame
Jeanne -Lazare Thiroux , époufe de Michel Larcher
, Marquis d'Arcy , Confeiller du Roi en fes
Confeils , Maître des Requêtes ordinaire de fon
Hôtel.
Françoife Ofmond , Marquife d'Oſmond , eft
morte dans fes terres de Normandie le 14 Février
1755 , âgée de quatre- vingt - deux ans & fix mois .
Elle étoit veuve depuis le is Août 1731 , de Henri
Ofmond , Marquis d'Ofmond , fon coufin germain
, Chevalier de l'Ordre royal & militaire de
S. Louis , Maréchal des camps & armées de Sa Majefté
, dont elle laiffe cinq enfans ; fçavoir , Jean
Ofmond , Marquis d'Ofmond , Chevalier de l'Ordre
royal & militaire de S. Louis , à qui le Roi
vient d'accorder le gouvernement de la ville d'Argentan.
}
Euftache Ofmond , Chevalier de l'Ordre de S.
Jean de Jerufalem .
Louiſe-Aimée Ofmond , mariée au Comte de
Sainte-Croix .
AVRIL 1755 1 209
Charlotte -Françoife , mariée au Baron de Perrochel.
Et Marie- Cecile , reçue au Chapitre de Remiremont
en 1750.
La maison d'Ofmond eft une des plus illuftrée
& des plus ancienne de la province de Normandie,
où elle paroît avec éclat dès fon établiſſement
dont les Hiftoriens placent l'époque vers l'an
900 , tems où Charles le Simple céda la Neuftrie
à Raoul , premier Duc de Normandie , qui avoit
un Ofmond pour un de fes Généraux.
Mezerai , Dumoulin , Manneville , & autres
Hiftoriens, rapportent que vers l'an 944 , Guillaume
, fecond Duc de Normandie , ayant été affaffiné
, les Etats de la province nommerent pour
Gouverneur du jeune Duc Richard , Rainophle Of
mond , Seigneur de Centeville , dont le fils époufa
l'an, 990 la niece dudit Richard.
Don Michel Félibien , dans fon hiftoire de l'Ab
baye de S. Denis , page 211 , fait mention d'une
chartre du Duc Richard , en date du 18 Mars 968,
fignée de Hugues , Duc des François ; de Richard,
Duc de Normandie ; de Hugues , Archevêque de
Rouen , & de Rainophle Ofmond.
Pierre Giannoné , dans fon hiftoire de Naples ;
tome fecond , page 10 & fuivantes , rapporte que
Dringot Olmond paffa en Italie vers l'an 1015 ,
avec quatre de fes freres nommés , Rainophle , Afclittin
, Rodolphe , Ofmond , accompagnés d'une
troupe de Normands , qu'ils furent fort bien recus
des Princes de Salerne & de Benevent , à qui ils
rendirent de grands fervices dans la guèrre que
ces Princes avoient contre les Sarrafins.
Peu de tems après , Rainophle Ofmond fonda la
ville d'Averfe , & en prit le titre de Comte . Afclittin
lui fuccéda , & fon fils Richard s'empara de
210 MERCURE DE FRANCE.
la Principauté de Capoue , dont fes defcendans ont
joui pendant plus d'un fiécle.
Plufieurs Hiftoriens font encore mention d'un
Ofmond , Seigneur de Guepré , qui fut tué l'an .
1088 , au fiége du château de Balon , que faifoit
en perfonne le Duc Robert , qui fit apporter le
corps dudit Ofmond dans l'Abbaye de S. Evroult
où il lui fit élever un tombeau qui fubfifte encore.
On voit un autre Ofmond qui affifta de fes ar
mes Louis le Gros à la bataille de Brenneville , qui
fe donna l'an 1119.
•
L'hiftoire chronique de Normandie , imprimée
à Rouen , parle d'un Ofmond , Seigneur du Pont
qui combattit toujours aux côtés du Duc Guillau
me dans la bataille qu'il donna en arrivant en Angleterre
, contre Harald qui lui diſputoit la Couronne.
Il y a un livre imprimé en Angleterre , fous le
titre de Monafterium Anglicanum , qui traite de
toutes les Eglifes d'Angleterre & de Normandie
: au feuillet 1 10 il parle d'un Oſmond , Evêque
de Saliſbury.
Enfin , dans le catalogue des Seigneurs renommés
en Normandie , depuis Raoul jufqu'en l'an
1212 , que ledit catalogue fut fait par l'ordre de
Philippe Augufte , qui conquit le Duché de Normandie
, l'on voit plufieurs Seigneurs Ofmond
qui fe font fignalés ; & depuis ce tems là qu'ils
produisent leur filiation , par contrats de mariages
& autres titres jufqu'à ce moment ici , l'on remar
que qu'ils ont occupé des charges confidérables
dans le militaire , & qu'ils ne fe font jamais mef
alliés , ayant pris des alliances dans les meilleures
Maifons , comme dans celles de Bouquetor , de
Franqueville , de Bures ,de Tournebut , de Dreux
de Ronferolles , de Sabrevois , de Hautemer ,. de
AVRIL. 1755. 211
Clinchamp , de Tillieres , de Rouxel de Medavi ,
& de Laval- Montmorenci.
Le 18 Février , eft mort à l'Hôtel royal des Invalides
, Meffire Charles de Hallebout , Chevalier
, Seigneur de Blondemare , âgé de foixantefeize
ans , qui laiffe par la mort, à Marc-Antoine
de Hallebout , fon neveu , Colonel d'infanterie ,
commandant le fecond bataillon du Régiment de
la Tour-Dupin , fa terre poffédée par leurs aïeuls
depuis plus de trois cens ans : il étoit le chef de
cette ancienne famille , dont Michel , le huitiéme
aïeul , a mérité de Charles VII une récompenfe
que poffede encore Marc-Antoine de Hallebout.
Ce dernier n'a de Marie de Hallebout fa femme ,
qu'un fils , Capitaine au même Régiment , dont
le grand- pere , Charles de Hallebout de Tourville ,
a été Commandant de Bataillon jufqu'en 1734.
Le Mars , mourut à Verſailles , M. Otho ,
Exempt-vétérant des Gardes de la P évôté de
l'Hôtel , grande Prévôté de France , âgé de quatievingt-
quatorze ans ; il étoit né le premier Novembre
1661 , le même jour que Monfeigneur le
Grand Dauphin , fils de Louis XIV.
A VIS.
Lafie deleurs &
E fieur Maille , Vinaigrier -Diftillateur ordinaire
de leurs Majeftés Impériales , & le feul
pour la compofition des vinaigres de propriété ,
donne avis qu'il continue avec fuccès la vente du
vinaigre de turbie , pour la guérifon du mal de
dent , & celle du vinaigre romain , qui les blanchit
parfaitement , raffermit les gencives , arrête les
progrès de la carie, prévient l'haleine forte , & guérit
les petits chancres & ulceres de la bouche. Les
212 MERCURE DE FRANCE..
heureux effets qu'il opere tous les jours , prouvent
que c'eft la compofition la plus parfaite qui fe
foit trouvée jufqu'à préfent pour la confervation
de la bouche . Ledit Sieur vend avec le même fuccès
différens vinaigres fervant à ôter les taches
de rouffeur , boutons , dartres farineufes , blanchir
la peau , & noircir les cheveux & fourcils
roux ou blancs ; & généralement toutes fortes
de vinaigres pour la table , les bains & toilettes ,
au nombre de cent cinquante- fix fortes ; comme
auffi toutes fortes de fruits confits au vinaigre , &
différentes moutardes qui ont la qualité de pouvoir
fe conferver deux ans avec la même bonté.
Les perfonnes de province qui defireront fe procurer
les vinaigres pour les dents ou pour le vi
fage ; les moindres bouteilles font de trois livres.
En écrivant une lettre d'avis audit fieur , & remettant
l'argent par la pofte , le tout affranchi de
port , on enverra les vinaigres qu'ils demanderont
très-exactement , avec la façon de s'en fervir.
Il demeure à Paris , rue de l'Hirondelle , aux Armes
Impériales.
AP PROBATION.
' Ai lû , par ordre de Monfeigneur le Chance-
• >
trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion . A Paris
, ce 28 Mars 1755.
GUIROY.
AVRIL. · 1755.
213
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE .
Pître à M. Defmahis , p
Réflexions fur le goût ,
Les progrès de la Mufique Françoife , Cantatille, 14
Elexions
par M. ***
page f
8
16
17
23
27
Vers à Iris ,
Dialogue entre Epicure & Sardanapale ,
Epitre à M. de Saint- Auban ,
Ode fur la mort de M. de Montefquieu ,
Fragment d'un Ouvrage de M. de Marivaux , 31
Epître à M. de Châteaubrun ,
L'Avare & l'Indigent , Conte moral ,
45
47
Mots des Enigmes & Logogryphes du Mercure de
Mars ,
Enigmes & Logogryphes ,
Chanfon ,
48
49
54
ART. II. NOUVELLES LITTERAIRES.
Extraits , Précis ou Indications des Livres nou
veaux ,
ss
Séance publique de la Société royale de Nanci , 92
ART. III . SCIENCES ET BELLES-LETTRES.
Phyfique. Lettre à M. * *** ΙΟΙ
Lettre de M. le P. H. à M. l'Abbé V. III
Réponse de M. l'Abbé V. à M. le P. H. 118
Géométrie. Lettre à Mlle L. A. Le Mire , 130
Réponse de M. Liger à l'affiche de M. le Chevalier
de Caufans , 131
Métallurgie. Lettre à M. * * *
Séances publiques de la Société Lit. d'Arras , 136
134
214
Lettre écrite de Beley, fur le College ;
ART. IV . BEAUX ARTS.
147.
Peinture. Vers pour être mis au bas du portrait de
M. Boucher , deffiné par M. Cochin ,
Gravure ,
Mufique ,
153
ibid.
158
Clavecin oculaire , Lettre de M. Rondet , &c. 160
Médailles. Deviles pour les Jettons du premier
Janvier 1755 ,
163
Architecture , 167
Manufactures ,
175
ART. V. SPECTACL
Opéra ,
177
Comédie Françoife ,
ibid.
Comédie Italienne , 179
Extrait de Ninette à la Cour , 180
Opéra Comique , 193
Spectacle de M. Servandoni , ibid.
Concerts Spirituels ,
194
ARTICLE VI.
Nouvelles étrangeres ,
197
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c .
Lettre de l'Intérêt public , & Réponse à cette Let-
201
tre >
Morts ,
Avis ,
206
208
211
6
La Chanson notée doit regarder la page 54
Les Médailles doivent fe mettre entre les pages 164
& 165.
De l'Imprimerie de Ch. A. JoMBERT.
1
MERCURE
DE FRANCE,
DÉDIÉ AU ROI.
MAI. 2755.
SOLEQUE
Diverfité, c'eft ma devife. La Fontaine
*
LYON
DE
JELA
VILLE
Chez
Cochin
Filiusinve
PapillonSculp 1718.
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JEAN DE NULLY , au Palais.
PISSOT quai de Conti.
LAMBERT , rue de la Comédie.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
Avec Approbation & Privilege du Roi.
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eſt chez M.
LUTTON , Avocat , & Greffier-Commis
au Greffe Civil du Parlement , Commis du
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne ,
Butte Saint Roch , entre deux Selliers.
C'est à lui qu'on prie d'adreffer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre ,
quant à la partie littéraire , à M. de Boiſſy
Auteur du Mercure.
Le prix eft de 30 fols , & l'on payera
d'avance , en s'abonnant , 21 livres pour
l'année , à raifon de quatorze volumes. Les
volumes d'extraordinaire feront également de
30 fols , fe payeront avec l'année qui les
Suivra.
Les perfonnes de province auxquelles on
Fenvoyera par la pofte , payeront 3x livres
10 fols d'avance en s'abonnant , & elles le
recevront franc de port.
Celles qui auront des occafions pour le faire
venir , ou qui prendront les frais du port fur
leur compte , ne payeront que 30 fols par
volume , & 21 livres d'avance , en s'abonnant
pour l'année , fans les extraordinaires.
Les Libraires des provinces on des pays
étrangers, qui voudront faire venir le Mer-
A ij
T
cure , écriront à l'adresse ci- deffus.
On Supplie les perfonnes des provinces d'envoyerpar
la poffe , enpayant le droit , le prix
de leur abonnement , ou de donner leurs ordres,
afin que lepayement en foit fait d'avance au
Bureau
Les paquets qui ne feront pas affranchis ,
refteront au rebut.
L'on trouvera toujours quelqu'un en état
de répondre chez le fieur Eutton ; & ik obfervera
de rester à fon Burean les Mardi ,
Mercredi & Jeudi de chaque ſemaine, aprèsmidi.
On peut feprocurer par la voie du Mercure
, les autres Journaux , les Livres qu'ils
annoncent , & tous autres généralement.
豆豆
www www. min
MERCURE
900
DE FRANCE .
MAI. 1755
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
A M. LE COMTE D'ARGENSON,
En lui préfentant un manuſcrit des médaillons
, fur les campagnes du Roi.
A qui pourrois-je mieux offrir
Çes vers , fruit du repos que vos foins ont fait
naître ?
Vous aimez les beaux arts , vous les faites fleurir ;
Vous les exerceriez en maître :
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Mais , pour notre bonheur , vous manquez de
loifir.
C'eft ainfi que Pallas , des arts qu'elle difpenfe ,
Prépare les nobles fuccès ;
Un feul de fes regards oft une récompenſe ;
Le génie , ou s'annonce , ou croît par fes bien-
1 faits :
Adoptez avec elle une autre reffemblance.
Quand Jupiter , du haut des Cieux ,
Renverfoit des Titans la redoutable engeance ;
La Victoire , à pas lents , rendoit le calme aux
"
Dieux.
Pallas , prit foin de leur vengeance ;
La Foudre entre fes mains fit connoître en tous
lieux ,
2. Et Jupiter , & fa puiffance. ,
L'ame des grands fuccès , des exploits glorieux ;
C'eft le confeil & la prudence.
{
MA I. 1755. 7
EPITRE A ZÉLID E.
PAR M. RENOUT.
Notre bonheur dépend de nous -mêmes.
Njour , Zélide , un feul inftant d'allarmes ;
jour ,
De vos attraits peut ravir la fraîcheur ;
C'eft un poifon : l'on ne voit point les charmes
Croître & fleurir au fein de la douleur.
Suivez les ris , la beauté fuit leurs traces ,
Elle languit fans le feu des defirs ;
C'est l'enjoument qui fait naître les graces ;
Animez -les par la voix des plaifirs.
Dans vos tifons , que la flamme confume,
De votre fort vous lifez l'avenir ? .....
Hé quoi des feux qu'un tendre amour allume ,
Retracez-vous le charmant fouvenir.
Quand les frimats femblent vieillir la terre
Pourquoi penfer au nombre de vos ans ?
Songez plutôt que la neige refferre ,
Couve & nourrit les germes du printems.
Fuyez les bois dépouillés de verdure ,
Prenez le beau de toutes les faifons ,
Voyez nos champs reprendre leur parure
Nous annonçer de nouvelles moiffons.
D'un grand danger la fievre vous menace ...
A iv
8
MERCURE DE FRANCE.
Dans l'opiat qui coule en votre ſein ,
Voyez toujours un remede efficace ;
Un ferme efpoir vaut prefque un médecin.
> Si vous vivez d'un petit héritage
C'en eft affez : qui peut tenter vos voeux ?
Promenez - vous fur le riche appanage
De vos voisins ; c'eft en jouir comme eux.
Contens du fort où nous avons pris Pêtre ,
Des vains defirs évitons le tourment ;
D'un fatisfait , mille autres vont renaître ,
Et l'abondance en devient Paliment.
Par les plaifirs qu'un fpectacle raffemble ,
Dites , c'eft moi qu'on veut feule amufer ;
Vous en goutez autant que tous enſemble;
Tout appartient à qui fçait s'abufer.
N'écoutez pas une folle triftefle
Qui peut ravir le repos fans retour ;
Songez , hélas ! que le trait qui vous blefle
Va par fon poids s'enfoncer chaque jour..
Non , il n'eft point de malheur véritable ,
Nous voyons tout par les yeux de l'erreur ;
Et tout peut prendre une face agréable ,
L'homme fait feul fa peine ou fon bonheur.
C'eft fe voler l'inftant où l'on s'ennuie ..
En vous traçant l'art charmant de jouir ,
Voilà déja deux heures de ma vie
Que je confacre aux attraits du plaifir.
MAI.
517553
9
Bientôt après votre flateufe image
Peut à mon coeur offrir d'autres appas :
Il eft des biens qu'un rêve nous ménage ,
Il fait jouir de ceux que l'on n'a pas.
Pour être heureux , la plus fûre fcience...
Eft de fçavoir ennivrer la raiſon.
La vérité fert bien moins qu'on ne penfe ;
On doit fouvent tout à l'illufion.
ANNONCES ,
AFFICHES
ET AKIS
DIVERS.
4
PREMIERE FEUILLE PERIO DI QUE,
-Biens Seigneuriaux à vendre & à louer.
Lufieurs femmes de qualité
propofent
Plufieurs
ris , des fantaiſies , que le public promet
de recevoir comme des ridicules de la
des
dernieres . ! rang
弹
part
Quatre femmes du bon ton promet→
tent d'aller avec pareil nombre de femmes
de la haute
bourgeoifie à l'opéra , en
grande loge , à condition qu'elles trouveront
au retour grand fouper , concect
Italien , & qu'elles prieront les hommes.
¿ Plufieurs jeunes
Seigneurs offrent à quels
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
ques riches particuliers d'aller avec eux
en cabriolet , & de leur ferrer la main en
plein théatre , à condition que ces derniers
prêteront de l'argent aux autres , &
voudront bien fervir de peres à de jeunes
orphelines , dont le fort eft tout -à- fait touchant..
Un vieux gentilhomme
qui autrefois
a poffédé une très -belle terre , & qui n'a
perpour
tout défaut que d'être ruiné &
clus , cherche une fille de fortune qui ait
feulement cent mille livres de rente & de
la figure.
Plufieurs perfonnes de qualité des deux
fexes enfeignent l'art de parler fans rien
dire , & de rendre frivoles les chofes du
monde les plus férieufes , on en fera quitde
raifon par tête .
te pour un peu
Biens en roture à vendre & à louer.
On trouve chez plufieurs femmes de la
haute bourgeoisie
un grand nombre de ridicules
, provenant des femmes de qualité
; mais on craint que les premieres : ne
les gardent.
Les gens d'une certaine façon trouveront
tous les Dimanches un très-grand dîner
dans plufieurs bonnes maifons des
rues Saint Denis , Saint Martin & autres ; .
MA I. 1755. II
on y chantera des airs de Lully : les Demoifelles
joueront du clavecin , fi elles en
fçavent jouer , & les petits enfans récite-
- ront une fable de La Fontaine. On demande
que les convives aient une charge ,
ou du moins un carroffe à un cheval.
"
Quelques petits particuliers propofent
de troquer la fortune de leurs peres contre
un grand chapeau à plumet , afin d'être
des hommes de condition .
Maifons & emplacemens à vendre & à louer .
Plufieurs loges à la foire Saint Germain
,
propres
à montrer les bêtes fingulieres
qui fe trouvent à Paris.
Plufieurs petites maiſons dans les Faubourgs
de Paris , occupées ci - devant par
des jeunes gens qui fe font retirés du monde
pour penfer à leur fanté.
Un grand nombre d'appartemens aux
Petites-Maiſons , très-propres à loger les
gens à projets , à fyftêmes , & c.
Un grand emplacement au midi propre
bâtir un mur pour placer les nouvelliftes
du petit Collége.
Charges & offices à vendre.
Office d'un homme à la mode à vendre
pour un ridicule. Myli ang sa
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
•
Plufieurs charges lucratives que le luxe
promet de rendre honorables , à vendre
au poids de l'or.
Offices de flateur à vendre .
Office d'honnête homme à donner.
Charge de courtisan à vendre pour un
billet de lotterie.
Charge de plaifant à troquer contre
l'ennemi...
Charge de bel-efprit à vendre pour un
peu de fumée.
Il y a plufieurs charges de vrais amis à
vendre ; mais l'on ne trouve point d'acquereurs
, attendu les defagrémens qu'entraîne
une telle emplette.
Avis divers.
On avertit ceux qui voudront des ridicules
, qu'ils en trouveront à choifir chez
les perfonnes à la mode des deux fexes.
On avertit les femmes qui ont paffe un
certain âge , de ne plus mettre de fleurs
dans leurs cheveux ; & de grandir infenfiblement
leurs bonnets. On les prie de
mettre deux gros de bon efprit à la place
des fleurs . On avertit les maris d'être polis
& complaifans chez eux.
On avertit les bonnes bourgeoifes de
ne pas négliger leur ménage pour don
M A I. 1755. 13
f
ner des bals & des concerts , & de retrancher
les vis-à-vis , les culs-de- finges ,
&c.
On avertit les jeunes gens de s'occuper
à lire le matin , plutôt que de courir les
rues fans projet. On les prie , quand ils
fortiront en froc & en manchon de loup ,
d'avoir au moins une chemife blanche.
On prie les enfans de Paris de laiffer ce
ridicule aux gens de qualité.
On recommande aux perfonnes qui ont
la manie de fe croire bonne compagnie
d'apprendre au moins à parler François.
On avertit les femmes qui ont de l'efprit
& de l'ufage , de former nos jeunes
gens , au lieu d'applaudir à leurs ridicules
On avertit les hommes en général d'étudier
au moins deux heures par ſemaine ,
afin de ne pas oublier à lire.
On avertit ceux qui font des livres de
vers , de la mufique , des tableaux pour
leur plaifir , d'en faire auffi pour celui des
autres , ou de cacher leurs talens . On
avertit les jeunes gens dont l'état demande
une certaine gravité , d'avoir des chevaux
moins brillans , & un mérite plus folide.
On avertit les jeunes gens de raccourcir
leurs tailles , & de chauffer leurs talons.
Il y a un défi entre les femmes de la
cour & celles de la ville , à qui aura les
14 MERCURE DE FRANCE.
plus belles
parures
& les plus beaux
équi
pages
; on attend
l'événement
. Plufieurs
petits
particuliers
avertiffent
qu'ils protegent
depuis
midi jufqu'à
leur coucher
. On avertit
les fçavans
en tout genre
, d'être ce qu'on appelle
à leur place. Nous
aver- tiffons
les hommes
en général
de ne pas fe croire
fuperieurs
aux femmes
, s'ils ne le
font réellement
. On avertit
les femmes
,
malgré
ce qu'en
dit Moliere
, de lire de bons livres , afin de faire de bonnes
réfle- xions ; on les prie de croire qu'elles
font propres
à autre chofe
qu'à être jolies. On avertit
les jeunes
femmes
de moins
danfer & de dormir
davantage
. On avertit
les jeunes
gens d'attendre
au moins
à quarante
ans pour être des vieillards
.
. On a découvert un mari & une femme
qui s'aiment & s'eftiment depuis huit
ans ; on nous promet une differtation fur
ce prodige.
Demandes particulieres.
Un homme de qualité demande le moyen
de bannir l'ennui. Une femme de la cour
demande s'il eft vrai qu'il y ait eu des
mariages d'inclination . Une femme de qualité
demande une fille de compagnie , qui
fçache louer. Un vieillard cherche une
M. A I. 1755. 15
jeune fille qui foit amoureufe de lui ; il
lui donnera un état , des diamans , & lui
racontera tous les foirs l'hiftoire de fa jeuneffe.
Plufieurs bons bourgeois demandent
un fecret pour empêcher leurs femmes de
fe donner en fpectacle.
...Un
Un homme qui n'a pas le bon ton de
-mande, un maître à penfer pour fes enfans
, & promet de le payer autant qu'un
maître à danſer.
Plufieurs femmes demandent qu'il leur
foit permis de penfer auffi bien que les
hommes , & quelquefois mieux.
7 Un certain nombre de maris demandent
la permiffion d'aimer leurs femmes , fans
pour cela devenir ridicules. On prie les
jeunes gens à la mode de ne pas déchirer la
réputation des femmes ; on avertit cellesci
de n'y pas donner fujet.
Un homme fans fortune demande la
permiffion de fe trouver heureux. Un milionnaire
demande s'il eft vrai qu'on puifle
l'être.
Spectacles.
Il y aura cet été fur le Boulevard deux
mille cabriolets , autant de diables & de
culs- de- finges . Tous les petits- maîtres des
deux fexes , plufieurs convalefcens , beaucoup
de nourrices , les arrofaires de M.
16 MERCURE DE FRANCE. /
Outrequin , & quelques dévotes pour
critiquer le tout.
On y verra la nuit des femmes en perites
robes , & des maris avec une mine allongée.
Toutes les femmes qui ne fe piquent
pas de taille , refteront dans leurs
voitures , faifant des noeuds & des révérences
plus ou moins profondes , relativement
à la qualité des gens falués.
Mariages.
Il s'eft fait plufieurs marchés auxquels
on a donné le nom de mariages.
Une dévote s'eft mariée pour faire le
falut d'un homme beau & bienfait.
Une jeune fille vient d'époufer une
charge.
Un jeune homme s'eft marié à un coffrefort.
Un vieillard vient d'époufer un joli vifage.
Un homme fingulier s'eft marié pour
lui.
Enterremen's.
Un fot eft mort pour s'être connu .
Un bel efprit pour avoir entendu fiffler
vis - à- vis de fon cabinet.
Un écuyer eft mort d'une chûte de
cheval.
MAL 1755•
17
Un maître-d'armes d'un coup d'épée,
Un millionnaire eft mort de faim.
Un indigent d'indigeſtion.
Cours de changes & effets commerçables:
Depuis quelque tems la vertu , les bonnes
moeurs perdent beaucoup fur la place.
L'ambition & le luxe font dans la plus
grande valeur.
Le bel efprit eft à cent pour dix.
Le bon efprit à dix pour cent.
Changes.
L'honneur
Le bonheur
pour
l'or.
pour l'opinion.
Les
graces
L'efprit
pour les minauderies.
pour le jargon.
Le jugement pour l'efprit.
Le goût pour la mode.
La volupté pour la débauche.
Les plaifirs pour les vices.
Nous efperions de donner la continuation
de ces feuilles , mais on nous affure
que les ridicules & les vices vont devenir
firares à Paris qu'il nous feroit impoffible
de trouver dequoi remplir notre projet.
78 MERCURE DE FRANCE.
STANCES A MLLE ***
DEE zéphir l'haleine légere
Tempéroit les âpres chaleurs ;
Je m'amufois dans un parterre
A cueillir différentes fleurs.
Non loin étoit un lieu fauvage
Qu'un ruiffeau rendoit toujours frais ,
Et que plufieurs mýrtes épais
Couronnoient de leur verd feuillage.
P'approche , Iris , de cès boſquets ;
J'y vois le Dieu de la tendreffe
Qui , pour adoucir ma rudeffe ,
Aiguifoit méchamment les traits.
En vain , lui dis-je , de mon ame
Tu veux troubler la liberté ;
Une infenfible oifiveté
Vaut mieux que la plus vivė flamme.
M A I. 1755. 19
J'ai fçu , répond- il , tour -à-tour
Sur les Dieux gagner la victoire
Quel mortel ne mettroit fa gloire
A fentir les feux de l'amour ?
Ne fuis point un cher esclavage ;
Aime , mais tâche d'être aimé
De l'objet qui t'aura charmé ;
C'eft la fageffe de ton âge.
溺
Eh ! pourquoi gêner fes defirs ?
Ce font les biens de la jeuneffe.
Hélas ! le froid de la vieilleffe
Détruit affez tôt vos plaifirs.
Rends les armes à la plus belle ,
A tes yeux j'en laiffe le choix ;
Si tu la fléchis une fois ,
Ne lui deviens pas infidele.
Vous venez , Iris , dans ces lieux ;
Je vous vois , je rougis , foupire.
Je fens trop pour pouvoir rien dire ;
Mon trouble découvre mes feux.
20 MERCURE DE FRANCE.
N'allez point , par un air fevere ,
Me témoigner votre courroux ;
Notre bonhear dépend de vous ?
Voyez fi vous voulez le faire .
11. A
*
Exaucez aujourd'hui mes voeux !
Ce n'eft que pour les inhumaines
Que l'amour réferve fes peines .
Etre tendre , c'est être heureux.
Vons joignez le double avantage
De l'efprit & de la beauté ;
Et vous pourriez par la fierté
Ternir un fi rare aflemblage.
Cedez , & ne mépriſez pas
De mon coeur le fincere hommages
Si vous craignez qu'il foit volage ,
Ofez confulter vos appas.
Ad .... D'Arp ...
MAL M A L 番茄$735.
LA FORTUNE ET L'ESPERANCE.
FABLE ALLEGORIQUE.
TRop avides d'un fort heureux ,
L'Efpérance a toujours nos foupirs & nos voeux,
Loin d'affranchir nos coeurs de cette ardeur com-
1
mune ,
Tous les trésors de la Fortune
Ne font qu'en irriter les feux,
Sans interroger la chronique ,
Sur cette vérité tous les yeux font ouverts ;
Un apologue allégorique
En offre un exemple en ces vers ...
La Fortune avec l'Espérance
Se difputoient l'honneur de régir l'univers ;
Et pour finir la concurrence ,
Vouloient , en arbitres experts !
Juger de leur propre excellence...
Qu'oppofez -vous à mes bienfaits ,
Dit la Fortune à fa rivale ş
Depuis la rive orientale
Jufqu'aux bords où le jour précipite fes traits ,
On refpire pour mes attraits .
Je ne puis dévorer le dépit qui m'excede ;
Je fuis laffe de voir Prélat & Conquérant ,
22 MERCURE DE FRANCE,
Jufqu'au plus ignoble bipede ,
Me fufciter un différend.
11 fuffit qu'un mortel , en fa vaine cervelle ,
Raifonne en téméraire , & s'égare en projets ;
Vous fafcinez fes yeux d'une couleur fi belle ,
Qu'il s'épuife en efforts fans regle ni fuccès.
Vous faites la bévûe , il en a les regrets ;
Et moi j'effuie une querelle.
C'est trop d'impertinens procès.
Peut- être qu'à fes yeux votre audace s'exerce :
Mais pour regner , en vous fuyant ,
Je romps avec vous tout commerce.
C'eft un mauvais expédient ,
Dit l'Espérance , en fouriant .
Ma voix , dans tous les coeurs , fait germer le
courage :
Les hommes font émus à mes confeils flatteurs ;
Un feul de mes regards les charme & les engage.
De l'infortune enfin j'appaiſe les douleurs
Par un enchantement durable.
Je me fers à propos d'un peu d'illuſion.
A travers un prifme agréable ,
Je préſente un attrait à chaque paffion,
Par une vive enluminure
Je déguiſe le naturel ;
Et dans une aimable impoſture
Je leur forme un plaifir réel,
Admirez le roſeau fragile ,
MAI 1755. 23
Qui brave la tempête , & demeure immobile :
Le mortel inconnu , fans état , fans amis ,
N'ayant pour tout tréfor qu'un mérite ſtérile ;
A mes loix fon efprit docile ,
A toutes vos rigueurs n'eft point encor foumis ;
Digérant fa diſgrace avec une ame fiere ,
Ce nouvel Epictete affis dans la pouffiere ,
Envifage un bonheur qu'il efpere obtenir ;
Et tout chargé de ſa miſere , ·
Savourant la douceur d'une gloire à venir
A d'immortels honneurs croit déja parvenir ,
Et fourit à cette chimere.
Tant pis , dit la Fortune , il ſourit à ſes maux :
Attendez que le tems lui marque vos défauts
Vous jouirez de ſa ſurpriſe ;
Et vous verrez , je le prédis ,
Le plus cher de vos favoris ,
Ennuyé du preſtige , abjurer fa mépriſe.
Eh , quoi ! rien d'effectif , & tout en fiction !.
L'eſpoir , fans la difcrétion ,
N'eft qu'une fievre qui confume ;
Et tous les feux folets de cette illufion
Ne valent pas en fomme un rayon de fortune,
Elle dit , & part à ces mots.
Loin d'une rivale importune ,
Elle étale fa pompe au féjour des héros,
Mais ces tréfors fans l'Espérance ,
N'avoient plus les mêmes attraits ,
Un courtisan dans l'opulence ,
24 MERCURE DE FRANCE .
Rêvait à fes deffeins au fond de fon palais :
C'eft moi , dit la Déeffe ; adorez mes bienfaits.
L'esclave fortuné faupire à la préſence :
Mais replongé dans le filence ,
Voyant borner le cours de fes vaſtes projets ,
Il ouvre fon coeur aux regrets ;
Ne refpirant qu'après la gloire ,
Ses rivaux abaiffés euffent fait la victoire ;
Un feul pas , difoit- il , alloit le rendre heureux.
Maisfur lui la Fortune épuifant fes largeſſes ,
Ne pouvoit fuffire à ſes voeux.
Le mépris la vengea de cet impérieux :
Auprès d'un autre ambitieux ,
Elle va perdre fes careffes.
Hélas ! un riche Abbé foupiroit de douleur
De vieillir au fond d'un Chapitre :
H brûloit , il féchoit , & fon humble candeur
Vouloit briller fous une mitre :
Il y préjugeoit fon bonheur.
Un partiſan bouffi , regorgeant de finance ,
Vouloit convertir Por en titrés de grandeur ;
Vifoit aux emplois d'importance :
Point de repos fans cet honneur.:
Un bourgeois rondelet , & tout fleuri d'aifance,
S'infinuoit à pas comptés
Dans le pourpris des dignités :
Sur la vigilance & l'adreffe ,
Dédaignant de fonder fes hautes qualités ,
Il vouloit pour fa gloire & pour les voluptés ,
Acquerir
M A I.
17558 25
'Acquerir àgrands frais un vernis de nobleffe.
Enfin , dans tout un peuple il n'en étoit pas un
Qui ne portât les yeux au- deffus de ſa ſphere :
Et la Fortune avoit beau faire ,
L'eſpoir étoit le Dieu.commun .
Pleine d'un trouble amer , & brûlant de ven
geance ,
La Fortune vers l'Espérance
Tourne fes pas précipités :
Triomphez , lui dit-elle , au milieu des cités ;
Qu'une foule de tributaires ,
D'adorateurs vifionnaires ,
Vous chériffent dès leur printems ,
Et devenus octogénaires ,
Vous confacrent encor les reftes de leurs ans ;
Peu m'importe : regnez trop heureuſe rivale ;
Je n'ai fait que des mécontens ;
J'ai prodigué les dons , vous recevez l'encens ;
Ma lâche complaifance à mes yeux me ravale.
Combien de fois , hélas ! propice aux voeux d'un
fat ,
L'ai-je fubitement environné d'éclat ?
Quel regret , ô Ciel ! me dévore !
Un traitant à mes yeux jouoit le potentat !
L'infecte m'oublioit & murmuroit
encore ,
Au moment que j'aidois à l'ingrate pécore
A s'engraiffer
de péculat .
Ah ! fi.... Mais à quoi bon , au gré de mon
caprice ,
B
26 MERCURE DE FRANCE.
Effrayer l'univers & m'en faire juſtice ?
Soit , reprit l'Espérance , armez votre pouvoir.
Mais l'immortalité borne la convoitiſe ,
Et malgré la fureur d'avoir ,
Le coeur prendra pour ſa deviſe ,
Moins defortune & plus d'eſpoir.
M. de la Tour , Peintre du Roi , ayant
fait préfent de fon portrait à M. l'Abbé
Mangenot , ce dernier a confacré fa reconnoiffance
par ce quatrain , qu'il a mis
au bas.
QUATRAIN.
Le célébre La Tour , l'ornement de notre âge ,
M'a donné fon portrait : j'en connois tout le
prix.
Pour les beaux arts , quel avantage
Si tous les grands talens careffoient les petits !
M. l'Abbé Mangenot parle trop modeftement
de ſes talens , ils font connus par
plufieurs pieces de poëfie très - agréables ;
le fentiment y regne autant que l'efprit.
* Ce portrait a été copié par le fieur Monjoye ,
fon éleve , d'après celui qui a été expofé au Lou
VIC .
MA I. 27 1755.
Il eft auteur d'une églogue charmante , qui
a été couronnée à Touloufe par l'Académie
des Jeux Floraux , & qu'on a fauſlement
attribuée à l'Abbé de Grécourt : elle
commence par cet hémiftiche , Sur la fin
d'un beau jour , & c.
SUR LES CONTES.
Es contes font un de ces petits ou
vrages
Lvrages d'agrément , où les modernes
ne doivent rien aux anciens ; on ne connoît
dans l'antiquité que peu de choſe de
ce genre là. C'eft aux Italiens à qui l'invention
en est dûe ; Boccace & le Pogge
en firent d'abord en profe ; l'Ariofte fut le
premier qui en mit en vers ceux de la
Reine de Navarre , de La Fontaine , &
de Vergier , font les meilleurs que nous
ayons dans notre langue. Des aventures
galantes , des féductions de filles encore
novices , des intrigues de moines & de
nones , des ftratagêmes plaifans pour
tromper la vigilance d'une mere , d'un jaloux
, d'une duegne ; ce font là les pivots
fur lefquels roulent tous ces contes ; un
ton libre & des images licentieufes en font
l'affaifonnement. Il faut regarder ces pc-
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
tits ouvrages comme des jeux d'une imagination
un peu libertine , qui ne peuvent
fe foutenir qu'à force de gaité , & une extrême
gaité ne va gueres avec une décence
trop exacte. Les Italiens y ont mis beaucoup
d'invention : la contrainte des femmes
dans leur pays , & l'ardeur du climat rendant
l'imagination des amans plus active
& plus fertile en expédiens , les aventures
fingulieres y font beaucoup plus communes
qu'ailleurs , & les faifeurs de contes
ont pû moiffonner en plein champ.
La Fontaine a pris des Italiens le fujet
de la plupart des liens , les autres fe trouvent
dans l'Heptameron de la Reine de
Navarre , dans Rabelais , & il n'y en a
que deux ou trois dont l'idée lui apparrienne
; mais il a une maniere de narrer
qui n'appartient qu'à lui , & c'eft là le
principal mérite de cette forte d'ouvrage :
quelque plaifans que foient les incidens
qui en font le fujet , ils deviendroient
bien infipides fi le récit en étoit froid &
languiffant. Il doit être vif , naturel &
faillant , il doit intéreffer , & perfonne:
n'a porté ce talent plus loin que La Fontaine
: cet homme dont le goût fi fûr pa-.
roiffoit n'être en lui qu'un tact fin & délicat
, & qu'un infinct admirable plutôt
qu'un fentiment éclairé & refléchi , a fçu
ΜΑΙ. 1755. 29
, peu
réunir dans fes contes les graces , la fineffe
, & la naïveté la plus piquante ; une
grande connoiffance du coeur humain dont
il faifit avec précifion les détails les plus
imperceptibles ; des réflexions délicates ,
dont le fens exquis fe cache fous un air de
fimplicité charmante ; une poëfie légere
& animée
d'exactitude dans le ftyle ,
mais beaucoup de feu & d'agrément ; enfin
le plus beau naturel & l'imagination la
plus riante. Tout s'embellit fous fon pinceau
; toujours original nême en imitant ,
il donne aux idées des autres un tour
neuf, en leur faifant prendre la teinte de
fon imagination. Tant de belles parties.
font ternies par quelques défauts ; outre
des négligences trop fréquentes on peut
lui reprocher des longueurs qui refroidiffent
quelquefois l'intérêt fon imagination
abandonnée à elle-même , s'égare
à chaque inftant , ce font quelquefois des
fleurs qu'il veut cueillir en paffant , &
qu'il auroit mieux valu facrifier à la chaleur
de la narration : auffi la plupart de
fes contes , même les mieux faits , Joconde ,
la Fiancée du Roi de Garbes , &c. pourroient
fe réduire à la moitié ; & il n'y a
que l'Hermite , le Berceau , le Comment
l'efprit vient aux filles , & deux ou trois
autres qui foient dans ce point de préci-
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
fion , où l'on ne trouve rien à dire.
La Fontaine eft auffi le moins licentieux
de tous ceux qui ont travaillé dans ce genre
; point d'images dégoûtantes , point
d'expreffions cyniques : chez lui les idées
les plus voluptueufes font toujours enveloppées
; il eft vrai que ce n'eft qu'une
gaze légere , qui ne laiffe rien perdre à l'imagination
, & rend peut-être les objets
plus piquans. Dans les principes du Stoïcifme
, ces detours délicats d'une fauffe
modeftie ne font qu'une coquetterie raffinée
qui fait voir les objets en miniature , &
les préfente fous des traits bien plus féduifans
: les tableaux les plus voluptueux du
·Correge & de B*** font ceux où rien n'eft
préfenté trop à découvert , où ce qu'on ne
-voit pas fait beaucoup plus de plaifir que
ce qu'on voit ; une peinture trop nue ne fait
qu'une impreffion momentanée , l'imagination
fixée à la premiere vûe , s'émouffe
bientôt , il n'y a qu'un feul coup d'oeil
& qu'une feule jouiffance ; elle eft vis- àvis
d'une peinture voilée avec art , ce qu'eft
une courtifanne effrontée qui laiffe voir fes
appas fans draperie ; vis- à- vis d'une femme
adroitement coquette , qui ne montre de fes
charmes que ce qu'il faut pour faire defirer
ceux qu'on ne voit point.L'imagination toujours
au-delà de ce qu'on lui préfente ,
M&A I. 1755. 31
écarte le voile qui lui dérobe les beautés
qu'elle foupçonne ; elle en développe ellemême
tous les détails , & chaque détail eft
une jouiffance complette ; ceux qui connoiffent
le méchanifme de nos plaifirs , fçavent
qu'il n'y en a point de bien vifs que
ceux auxquels l'imagination met la main.
J'ai toujours été perſuadé que les contes
de La Fontaine étoient un des ouvrages les
plus féduifans pour un coeur encore neuf, &
des plus capables d'y faire naître des idées
de volupté bien dangereufes. La Fontaine a
voulu fe juftifier de ce reproche & a prétendu
que la gaité de fes contes ne pouvoit faire
aucune impreffion fur les ames , & qu'elle
étoit bien moins à craindre que cette douce
melancolie où les romans les plus chaftes & les
plus modeftesfont très- capables de nous plongen,
& qui eft une grande préparation à l'amour.
Bayle qui avoit tant de goût & de talens
pour foutenir des paradoxes , a voulu appuyer
celui-ci ; mais l'autorité de ces deux
hommes célébres ne m'en impofe pas ; its
ont beau dire , je ne vois rien de pernicieux
dans la lecture de la Princeffe de Clea
ves & de Zaïde ; mais je vois tout à craindre
d'un ouvrage où l'amour ne paroît
que comme un befoin machinal qu'il eft
finaturel de fatisfaire , où la vertu eft une
chimere , la fidélité conjugale une dupe-
Biy
32 MERCURE DE FRANCE.
rie , & l'innocence une bêtife . Les occafions
font fi gliffantes , le cri de la nature
eft fi preffant , il eft fi difficile de réſiſter , fi
doux de fuccomber ! les plaifirs font fi vifs
& fi touchans ! voilà la morale de ces contes,
elle n'a fûrement rien de bien édifiant. La
Fontaine fe défend là- deffus affez plai-.
famment au commencement de fon conte
des Oyes de Frere Philippe ; il dit : chaſſez
Les foupirans , belles , prenez mon livre , je réponds
de vous corps pour corps. Cette raiſon
me paroît fort finguliere ; je fens bien que
fon livre fans amans ne leur fera jamais
faire que de légeres fottifes , les amans
fans le livre feroient fans doute plus
dangereux ; mais malheureufement fon livre
ne les difpofe gueres à chaffer les foupirans.
Vergier eft celui qui a le plus approché
de La Fontaine , qu'il a pris pour modele ;
fes contes du Roffignol & du Tonnerre ne
feroient pas indignes de fon maître ; le
premier a été imprimé fous le nom de La
Fontaine dans prefque toutes les éditions
de fes contes. Vergier écrit toujours aſſez
naturellement ; mais quoiqu'il ne perdît
jamais fon modele de vûe , il n'a jamais
pû atteindre à cette naïveté de ſtyle où La
Fontaine eft inimitable ; il y a une diftinction
délicate du naturel & du naïf , qu'il
MA I. 1755. 33
faut bien faifir : le premier eft une copie
de la nature , & l'autre une copie de la belle
nature ; le naturel peut être fade & ennuyeux
, le naïfplaît toujours , parce qu'il
eft toujours gracieux & piquant.
Les contes de Vergier font quelquefois
découfus , & la narration fouvent lâche ;
il s'étend beaucoup fur les détails qu'il n'a
pas l'art d'affaifonner. Les longueurs chez
lui font bien plus fatiguantes que dans La
Fontaine, qui fçavoit les couvrir de fleurs ,
& il eft bien éloigné d'entendre comme lui
la vérité & la naïveté du dialogue : fon
ton eft bien moins décent que celui de fon
maître , mais il l'eft encore plus que celui
de Grécourt , dont nous avons un recueil
de contes où il a répandu beaucoup d'obfcénités
; c'eft peut-être même ce qui en eft
le plus faillant ; le ftyle en eft vif & trèspeu
correct , la narration preffée , & les
contes fort courts ; on les prendroit plutôt
pour des épigrammes ; c'eft prefque toujours
une image cynique terminée par une
faillie ou une répartie plaifante , du
moins qui voudroit l'être . Grécourt eft
bien an-deffous de La Fontaine ; il n'eſt
pas même à côté de Vergier.
Aucun auteur depuis ne s'eft attaché
totalement à ce genre. Nous avons quelques
contes épars , dont la plupart écrits
By
34 MERCURE DE FRANCE.
avec une liberté plus que cynique , ne doivent
pas être tirés de l'obfcurité qui les
couvre ; mais il en eftun qui n'eft pas dans
le cas de ceux- là , & auquel je ne connois
rien de préférable : c'eft le Rajeuniſſement
inutile de M. de Moncrif; il eft écrit fur un
ton un peu plus haut que les autres ; mais
quelle légereté & quelle aifance dans la
narration ! quelle douce harmonie dans les
vers ! & quelle fiction ingénieufe ! Les réflexions
les plus fines , les images les plus
voluptueufes préfentées avec une décence
qui n'ôte rien de ce quelles ont de
féduifant , & le ton de fentiment qui y
regne , en font un petit ouvrage que j'oferois
comparer aux deux meilleurs contes
de La Fontaine , & lui donner peut- être
la préférence.
MA I.
as 1755.
"
VERS
A Mademoiselle *** careſſant un CHAT ,
& lui mettant en forme de laiffe un ruban
couleur de feu.
EH ! quoi , l'animal le plus traître 2
Un chat , par vous , Themire , eft careffé !
De vous voir abuſer des attraits qu'il fit naître ,
L'amour jaloux eft offenfé.
Le moyen d'échapper à fa jufte vengeance ,
C'eft de lui réſerve: deformais vos faveurs :
Songez , pour vous punir de tant de complaifance,
Qu'il peut pouffer ce chat à de noires fureurs.
Lorsque vous l'avez pris , il a levé la patte :
C
J'ai craint , j'ai frémi , belle ingrate !
Dangereux fentiment de moi- même vainqueur !
Qu'on doit redouter ce qui flate ....
Ah ! ce noeud de ruban , dont la vive couleur ,
Au naturel peint l'amoureufe ardeur ,
Et dont ornoit fon cou votre main délicate ,
Eft le noeud qui lia mon coeur t
J. F. G.
De Chartrait , près de Melun.
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
LE TEMPLE DE LA PÉNITENCE.
Dans un antre profond , au milieu des déferts,
Loin du faſte des cours & des hommes pervers ,
S'éleve un vieux palais de ftructure fauvage ,
Préfentant à la vûe une effrayante image.
La crainte d'effuyer d'éternels châtimens
En fit pofer d'abord les premiers fondemens .
Pour la Divinité l'attache la plus pure
De ce trifte palais régla l'architecture.
L'auftere pénitence en proie à fes douleurs ;
Habite ce féjour de foupirs & de pleurs :
De là découle un fleuve infpirant les allarmes ,
Il eft formé de fang & groffi par les larmes .
Les remords font placés aux portes du palais ,
Ces cruels à punir ne ſe laſſent jamais.
La ferveur aux autels amene les victimes ,
Et fait couler le fang pour réparer les crimes.
Ciel ! quels horribles cris ont pénétré mes fens !
Tout retentit ici de funébres accens.
L'un pleure fes forfaits , l'autre par la fouffrance
Efpere racheter fa premiere innocence ;
Celui- ci , le jouet d'un monde féducteur ,
En déteste à jamais la funefte grandeur.
De différens états une foule timide
Y marche en frémiſfant , le repentir la guide
MA I. ∙1755. 37
A l'exemple d'un Roi ( a ) qu'admiroit Ifraël ,
Des Princes & des grands encenfent cet autel.
Charles ( b ) qui fut fameux dans la paix , dans la
guerre ,
Qui foumit à fes loix le Germain & l'tbere ,
Qui détruifit le Maure , & vainquit les François,
Qui remplit l'univers de fes heureux ſuccès ;
Du faîte de la gloire il fe plaît à defcendre ,
Dans ces murs pénitens il fe couvre de cendre .
Je vois fon diadême aux voûtes fufpendu ,
Et parmi les fujets le Prince confondu.
Mais quels font ces tyrans qu'en ces lieux on entraîne
?
La pénitence met ces monftres à la chaîne ;
Ils refpirent encore , à fes pieds terraffés ,
Les crimes que par- tout leur fureur a tracés .
A leurs traits odieux je connois, le caprice ,
La dure oppreffion , la fraude , l'injuſtice ;
Le jeûne & la priere y tiennent dans les fers ,
De mille affreux forfaits ces miniftres divers.
Si j'avance mes pas dans ces facrés portiques ,
Je vois diminuer les fpectacles tragiques.
L'eſpérance bientôt écartant les douleurs ,
Fait un féjour charmant de ce féjour d'horreurs ;
Les pleurs & les fanglots ne s'y font plus entendre
,
Quelques foupirs à peine échappent d'un coeur
tendre.
( a ) David.
(b ) Charles-Quint
38 MERCURE DE FRANCE.
Mais quel eft tout -à- coup cet objet merveilleux ,
Ce fantôme éclatant qui vient frapper mes yeux !
La gloire ! ... je la vois fur un char de lumiere
Des cieux en un moment traverfer la carriere .
Ce n'eft pas cette gloire idole des héros ,
Que la mort avec eux précipite aux tombeaux ;
C'eft de tous les plaifirs l'éternel affemblage ,
Et de toute vertu l'infaillible partage.
Vertueux pénitens , fon feu pur & facré
Répandra dans vos coeurs un plaifir ignoré ;
Partez ...& de vos fronts ôtez cette pouffiere ,
Dépouillez pour jamais le cilice & la haire
Séchez vos triftes pleurs , & ménagez ce fang
Que votre auftérité vous arrachoit du flanc ;
Et pour fixer enfin vos heureufes conquêtes ,
De lauriers immortels allez ceindre vos têtes .
Par M. Hefpel , Rhétoricien , au
College de Jéfuites de Lille en Flandres.
Le ton de ce poëme me paroît bon en
général : il y a de la vérité dans les images
, & de l'harmonie dans les vers . Je crois
qu'ils annoncent du talent , & qu'ils promettent
d'autant plus que l'auteur n'a que
feize ans on ne peut trop l'encourager ;
mais il faut l'avertir de ne point négliger
la rime ; celles de guerre & d'lbere qu'il a
employées , ne font point exactes.
M A I. 1755. 39
HISTOIRE ANGLOISE.
PAR MLLE DE L.
A MADAME LA C ... DE G ....
E vous devois une dédicace , pourrois-
Jje micus la placer qu'en vous adreffant
une hiftoire que vous avez defiré de voir
écrite il eft jufte de fervir vos defirs .
Ah ! peut-on vous dédier un ouvrage qui
vous foit plus propre que celui qui fait
l'éloge d'une femme qui a mérité toute la
confidération & toute l'eftime de fon mari
, vous qui faites la félicité du vôtre , &
le bonheur de tous vos amis ? Vous aimez
ce qui peint la vertu & l'amour honnête ;
j'ai écrit ce que vous avez bien voulu
m'en apprendre : heureuſe de vous écouter
quand je vous vois , & de m'occuper de
ce que vous m'avez dit quand je vous
perds de vûe. S'il vous eût plû de me dicter
cette hiftoire , j'aurois eu plus de plaifir
à l'écrire , & l'on en auroit eu davantage
à la lire ; recevez- la donc telle que je
l'ai reçue de vous , comme un gage de ma
complaifance pour ce qui peut vous plaire ,
& un hommage de ma tendre amitié.
40 MERCURE DE FRANCE.
Les Comtes de Kilmore , originairement
Irlandois , s'établirent en Angleterre
dès que ce royaume eut réuni fous les mêmes
loix l'Ecoffe & l'Irlande. Les grandes
alliances qu'ils firent dans l'Angleterre les
en rendirent comme citoyens. Poffeffeurs
de grandes terres dans ce royaume , elles
fe trouverent réunies fur la tête d'un feul
fous ce dernier regne. Le Comte de Kilmore
, unique héritier de tant de riches
fucceffions , ne fe fentit point flaté du defir
de conferver fon nom , prêt à s'éteindre .
Un dégoût univerfel pour tout ce pour tout ce qui peut
charmer un homme de fon âge & de fon
rang , lui fit envifager la Cour avec la
plus profonde indifférence ; il ne voulut
y entendre parler d'aucun établiſſement.
Uniquement occupé de l'étude en tous
genres , où la fagacité de fon efprit lui
faifoit faire chaque jour de nouvelles découvertes
, il réfolut de s'y livier tout entier
, & fe retira dans le Caernarvand , où
il avoit une fort belle terre . C'étoit un
château fort noble & fort ancien , fitué fur
le bord du canal de Menay , dont on découvroit
de loin la fameufe ifle d'Anglefei.
Lorfque le ciel étoit ferein , la mer ,
par fa vafte étendue , rendoit ce lieu trifte
, mais analogue aux penfées du Comte ;
de hautes montagnes couvertes de bois ou
MA I. 1755. 41
de petits villages , terminoient la vue de
l'autre côté , & offroient dans leurs gorges
de jolies prairies entrecoupées de petits
ruiffeaux. Cette fituation terrible &
fauvage parut fort agréable au Comte , il
s'y établit avec un plaifir d'autant plus
fenfible qu'il crut avec raifon qu'il ne ſeroit
point interrompu dans fes fçavantes
méditations.
Kilmore avoit déja paffé dix années
dans le château ; la philofophié le foutenoit
contre l'ennui de la folitude : un feul
ami lui étoit refté , qui de temps en tems
venoit partager la retraite ou ranimer la
converfation du Comte. Cet ami fe nommoit
Laflei.
Un jour que Kilmore & lui fe promenoient
fur une grande terraffe qui s'élevoit
au- deffus de la mer , & que Kilmore
admiroit avec fon ami la vaſte étendue
de cet élément , Laflei prit la parole :
j'approuve avec vous , Milord , lui ditil
, que les beautés de la nature , toutes
admirables & toutes diverfifiées qu'elles
font , portent l'ame à la trifteffe la plus
profonde. Cette mer , cette ifle que nous
appercevons là-bas , ces prairies , ces jolis
villages qui couvrent ces montagnes dont
la cime perce les nûes , tout cela , mon
cher Kilmore , eft au premier coup d'oeil
42 MERCURE DE FRANCE..
d'une beauté fans pareille ; mais cette
beauté eſt toujours la même : encore fi ,
comme dans les tems où les ténébres du
paganifme enveloppoient la terre , nous
voyions dans les bois des dryades , des
nymphes dans les prairies , des nayades
dans les fontaines , fur cette vafte mer
Neptune dans un char entouré de tritons
& de fes charmantes fyrenes , dont les
chants mélodieux raviffoient les mortels ,
tout cela , dis- je , animéroit votre folitu
de. Mais votre fage religion a fait mainbaffe
fur tous ces êtres divertiffans ; la
philofophie chrétienne nous a rendu la
nature fimple & dénuée de ces agrémens
que la folie des anciens avoit divinifés ;
un férieux noble & majeftueux en a pris
la place , & je ne conçois pas comment
depuis dix ans vous refiftez à la langueur
que cette folitude doit jetter dans.
votre ame. Kilmore fourit de l'enthoufiafme
de fon ami ; j'avoue , dit- il , qu'il
eft très- malheureux que votre univers foit
privé de tous les objets que vous venez de
décrire ; mais comme je ne fuis pas accoutumé
à les trouver , je ne me fuis pas
avifé de les regretter. Une fleur qui fe
développe , fon progrès , fa deftruction
un fruit que je cultive , un arbre que j'émonde
, & qui s'éleve à vûe d'oeil , me
3
M A I. 1755. 43
tiennent lieu de vos nymphes & de vos
dryades ; la république des oifeaux , celle
des fourmis ou des mouches à miel me
conduifent à des réflexions folides que vos
fyrenes dérangeroient fans doute ainfi ,
mon cher Laffei , je vis tranquille , &
mon ennui eft fi doux qu'il ne me pefe
point du tout. Il eft vrai qu'il me vient
quelquefois en penfée d'avoir quelques
témoins de mes découvertes , & par un
refte d'amitié pour le genre humain , je
fens que je ne ferois point fâché d'avoir
quelques amis , ou qui partageaffent mon
goût & mes connoiffances , ou qui me
donnaffent les leurs.
Après que ces deux amis eurent longtems
cherché les moyens de rendre la folitude
de Kilmore plus animée fans qu'il
lui en coutât le chagrin de changer de
vie , celui-ci dit à Laflei qu'il avoit envie
d'écrire à quelques- uns des amis qu'il avoit
laiffés à Londres dans le tems qu'il y vivoit
, & de les prier de venir paffer avec
lui le tems qu'ils auroient de libre dans
l'année.
Cette idée , reprit Laflei , ne s'accorde
point du tout avec votre philofophie ; &
où, Milord , avez vous connu des hommes
qui fe fouviennent d'un ami qu'ils
n'ont pas vû depuis dix ans peut-être un
+
44 MERCURE DE FRANCE.
de ceux- là s'en fouvient , cela peut être ;
mais comptez-vous fur le refte , en bonne
foi ? avouez qu'en approfondiffant la nature
vous avez oublié les défauts de l'humanité
; d'ailleurs je veux que tous ceux qui
ont été vos amis en foient les chef-d'oeuvres
: croyez- vous , Milord , qu'après avoir
fait cent vingt- huit milles pour venir vous
voir par curiofité , ils y reviennent affidument
, & s'accommodent de ne vous voir
que des inftans dans la journée ? n'y comptez
pas mais mariez- vous ; voilà ce que
je crois plus poffible : ayez une femme
aimable qui tienne votre maiſon , annoncez-
le à vos amis , alors ils y viendront ,
& vous , maître de vous livrer à vos férieufes
occupations , vous le ferez auffi de
revenir chez votre femme aux heures qui
vous conviendront , & d'y trouver des
de vous délaffer , par une converfation
agréable , de la fatigue de votre camoyens
binet.
Il faut convenir , dit Kilmore , que
cette idée eft très -jufte & plus raifonnable
que la mienne . Je conviens , mon cher
Laflei , que vous avez raifon , & que c'eft
le feul parti que j'aie à prendre : choififfez-
moi une femme telle qu'il me la faut
je vous en ferai très -obligé.
Moi , choifir ! dit Laflei , vous n'y penMA
I. 1755. 45
fez
pas , Milord : je pourrois à peine en
choifir une pour moi-même ; jugez ſi je
le rifquerois pour vous. D'ailleurs j'ignore
ce qui vous convient ... Ah ! Milord , reprit
Kilmore , ni le bien , ni la naiffance
ne peuvent me déterminer . Pour le premier
article , vous fçavez que je fuis affez
riche pour me paffer des biens qu'une
femme m'apporteroit ; quant au fecond ,
je crois que ce n'eft pas toujours dans la
plus haute nobleffe qu'on trouve les femmes
les mieux nées ; cela arrive quelque
fois j'en conviens , mais les préjugés
qu'on a là - deffus font impertinens , & Dieu
merci , je m'en fuis garanti. Je fçai que
l'éducation peut beaucoup fur une belle'
ame ; mais qu'avance -t-elle fur celle qui
eft née fans vertu ?
>
Ces belles ames ont- elles le droit d'animer
feulement les filles de qualité ? elles
dérivent du même principe , & font départies
dans nos corps au hazard ; ainfi
l'on trouve également la vertu avec l'éducation
, comme la vertu fans éducation ;
fouvent même ces principes ne fervenţ
qu'à mafquer les défauts d'une jeune perfonne
, elle fe contraint inceffamment
les cacher au public , tandis qu'un mal- i
heureux mari eft le martyr de fa difcrette
moitié , qui fe fait un jeu de le deshopour
46 MERCURE DE FRANCE.
norer. Je ne veux donc point , mon cher
Laflei , de ces filles élevées avec tant de
foin , & qui en prendroient fi peu
de me.
rendre heureux. Je fçai qu'un homme fage,
ne fait pas dépendre fon honneur d'une
femme folle & imprudente ; mais le préjugé
eft contre lui , & tout homme raifonnable
doit éviter ce malheur : cherchez-
moi donc une fille fage & honnête ,
fur tout que fon humeur fympatife avec
la mienne , que vous fçavez n'être pas
bien extraordinaire.
Milord , reprit Laflei , je ne doute pas
qu'il n'y ait des femmes telles que vous
les defirez , mais je n'en connois point ,
& me garderois bien de vous confeiller
en pareil cas. Mais puifque vous êtes affez
philofophe pour paffer par-deffus le bien
& la qualité , voyez vous même autour
de vous : votre pafteur , par exemple , a
trois filles élevées fous fes yeux ; la fimplicité
de fes moeurs , la fageffe de fon
caractere répondent que fes filles n'ont
point reçu cette éducation redoutable qui
mafque l'art fous les traits de la nature.
Confultez votre coeur , & choififfez parmi
les jeunes filles laquelle il vous dictera de
prendre.
Ce n'eft point ici une affaire de coeur ,
reprit Kilmore , ne vous y trompez pas;
MA I. 1755. 47
c'eft une affaire jufte & raiſonnable : vous
avez bien imaginé , j'irai demain voir M.
Humfroy , & je lui demanderai une de
fes filles. Kilmore ayant pris ce parti
n'en parla plus de la foirée à fon ami , qui
le quitta après fouper pour retourner au
château qu'il avoit dans le voifinage , où
quelques affaires le demandoient.
Kilmore , ſuivant fon caractere , ne fe
leva pas le lendemain plutôt qu'à l'ordinaire.
Quand il fut habillé , il fit mettre
fes chevaux à une chaife pour aller à fon
village , diftant d'environ deux milles de
fon château , & fut defcendre droit au
prefbytere. Il trouva M. Humfroy corrigeant
un fermon qu'il devoit prêcher le
lendemain .
Surpris de voir fon Seigneur chez lui ,
honneur qu'il ne lui avoit jamais fait , M."
Humfroy le reçut avec toutes les marques
d'un profond refpect ; il cherchoit
dans fa tête de quoi il pourroit dignement
l'entretenir , lorfque Kilmore arrêta brufquement
la confufion de fes penfées , en
lui déclarant clairement le fujet qui l'amenoit
chez lui.
Si M. Humfroy avoit été étonné de
voir Kilmore , il le fut bien davantage
quand il apprit ce qui l'y amenoit. Comme
il étoit homme de bon fens , il ne fit
pas
48 MERCURE DE FRANCE.
d'autre réponſe que de lui demander s'il
avoit bien fongé à ce qu'il faifoit , & s'il
étoit poffible de croire qu'un homme de fa
naiffance voulût s'abaiffer jufqu'à faire une
pareille alliance ?
J'y ai très-fort fongé , reprit Kilmore ;
vos bonnes moeurs , votre vertu , m'ont fait
penfer que vos filles vous reffemblent ; je
ne veux pas pourtant contraindre leurs volontés
, je veux qu'un choix libre les détermine
faites-les venir , expofez leur le
fujer pour lequel vous les appellez : je
vous ai dit la façon dont je vis ; fi l'une
d'elles n'a aucune répugnance à partager
ma folitude , je fuis prêt à lui donner ma
foi tout à l'heure.
M. Humfroy ne douta plus que tout ce
que difoit Kilmore ne fûr certain ; il appella
fes filles qui , fimplement vêtues ,
mais très-proprement , vinrent aux ordres
de leur pere. M. Humfroy les fit affeoir
felon l'ordre de l'âge en face du Milord ,
il leur expofa nettement le fujet de fa vifite.
Ces trois filles , dont l'aînée avoit à
peine dix -huit ans , & les deux autres environ
feize & dix- fept , écouterent en grand
filence ce que difoit leur pere ; elles le
garderent même encore affez long- tems
après qu'il eut parlé : elles fe regarderent
les
MAI. 1755 . 49
les unes & les autres , & refterent les
yeux baiffés en attendant que leur pere les
interrogeât. Dès que M. Humfroy crut
leur avoir laiffé affez de tems pour refléchir
, il s'adreffa à l'aînée : Laure , lui ditil
, c'étoit le nom de cette belle fille , avez
vous penfé à ce que je viens de vous dire ?
& fi vous m'avez entendu , y confentezvous
? dites votre avis naturellement , fans'
crainte de me déplaire.
›
L'honneur que Milord nous fait , reprit
modeftement Laure me flate fenfiblement
; mais , mon pere , puifque vous me
permettez que je dife mon fentiment , je
n'ai point encore affez de connoiffance
des chofes du monde pour trouver qu'un
mariage fi honorable me rende plus heureufe
; je fuis contente de mon état , &
je vous fupplie de ne pas trouver mauvais
que je vous demande d'y refter .
Cette réponſe de la belle Laure fâcha
Kilmore ; il trouva qu'une perfonne qui
penfoit fi fagement , méritoit qu'on la regrettât
. Et vous , ma fille , dit M. Humfroy
à Julie , la feconde de fes filles , penfez-
vous comme votre foeur ? répondez ,
mais répondez felon ce que vous penfez.
Non , mon pere , répondit la jeune Julie
, je trouve ce mariage au- deffus de mon
attente ; mais je l'accepte dans l'idée où je
C
So MERCURE DE FRANCE.
fuis que Milord me rendra heureufe ;:
puifqu'il vient choifir parmi nous , & que.
vous l'agréez .
M. Humfroy prit alors fa fille par la
main , & la préfenta à Kilmore, qui l'affura ,
qu'il tâcheroit par toutes fortes de bons
procédés de juftifier les idées avantageufes
qu'elle avoit prife de lui. Alors il fut,
queftion d'appeller un Notaire ; M. Humfroy
y alla lui -même , & l'amena fur le
champ , avec un ancien Alderman qui avoit
une maifon dans le village , & qui voulut
bien fervir de témoin.
M. Humfroy étoit fi tranfporté du bonheur
qui arrivoit à fa fille , qu'il ne fe
connoiffoit plus ; il nommoit fes trois
filles à tous propos , embraffoit le Milord
& l'Alderman tour à tour fans fonger
qu'il troubloit le Notaire dans fa fonction.
Kilmore de fon côté voulant paroître
aimable à Julie , lui difoit, quelques
mots polis , & caufoit avec fes fours qui
avoient l'air plus gai & moins embarraſſe
qu'elle. Elimais fur- tout la plus jeune de
difoit mille chofes agréables à Julie
, qui fembloit enfevelie dans une profonde
rêverie.
toutes ,
Quand il fut queftion de lire le contrat,
il fe trouva qu'au lieu du nom de Julie le
Notaire y avoit fubftitué celui d'Elimaïs.
MAI 1755 SI
Ce contre-tems embarraffa fort le Milord,
qui avoit trouvé déja cet ouvrage fort
long , & qui s'impatientoit de ce qu'il
falloit le recommencer de point en point.
Cette difcuffion avoit arrêté toute la joie ;
chacun difoit fon avis , & perfonne no
convainquoit le Notaire , qui prouvoit
invinciblement qu'il falloit recommencer.
On alloit enfin céder à la vérité de cette
repréſentation , lorfque Julie fe leva , &
s'avançant vers fon pere ; cette affaire , lui
dit-elle avec un rouge modefte qui lui
couvrit les joues , peut aifément s'accommoder
; permettez , mon pere , que je céde
mes droits & l'honneur que me fait Milord
à ma foeur Elimaïs , tout fera dit alors,
& il n'y aura plus d'embarras. Comment
Julie , dit M. Humfroy , penfez- vous bien
à ce que vous faites ? oui , mon pere , reprit-
elle,; un engagement auffi grand me
fait peur , & je vous fupplie de permettre
que je m'en défifte. Elimaïs eft plus jeune ,
& par conféquent elle fera moins de réflexions
, d'ailleurs elle aura moins de tems
pour les écouter & .....Je n'entens point
cela , interrompit brufquement M. Humfroy
, vous avez donné votre parole de
bonne grace ; ainfi , Julie , je veux .....
Non , Monfieur , interrompit à fon tour
Kilmore , ma propofition n'eft faite qu'à
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
condition qu'elle fera acceptée fans nulle
répugnance. Julie la refufe , je vous prie
de ne la pas contraindre : interrogez la
belle Elimaïs , fi elle penfe comme fes
foeurs , rien ne fera fait , & je me retirerai
en vous remerciant de votre bonne volonté.
Eh bien , Elimaïs ! dit le bon Minif
refufes- tu comme Laure & Julie
Phonneur que Milord veut nous faire ?
répons , ma fille , & ne te troubles point
mais répons comine tu penfes ? Elimaïs
ne balança pas , elle répondit de trèsbonne
grace qu'elle fe faifoit un plaifir
d'obéir à fon pere ; alors jettant fur lui
un regard timide pour fçavoir fi ce qu'elle
avoit dit lui avoit plû ou non ; comme
elle le vit fourire , elle fe jetta à fon col
avec une grace enfantine & fi tendre que
les larmes en vinrent aux yeux du bon
homme ; Kilmore même fut ému , & ne
put s'empêcher de baifer la main de la
jeune Elimaïs , que M. Humfroy lui préfenta
. Milord prit au plus vite la plume &
la pria de vouloir ne pas différer de figner
fon bonheur. Elimaïs figna tout de fuite ;
tout le monde ayant figné à fon tour , Kilmore
& Elimaïs furent conduits à l'Eglife ,
où ils recurent la bénédiction nuptiale de
M. Humfroy , qui ne fe fentoit pas de joig
de voir Elimais fi bien établie .
M -A I
1755. 33
En fortant de la paroiffe , M. Humfroy
dit à fon gendre qu'il efpéroit qu'il voudroit
bien recevoir de lui un repas fimple
& frugal , n'ayant pas eu le tems de lui en
faire préparer un plus digne de lui.
Monfieur , dit Kilmore , j'accepterois
volontiers ce que vous voulez bien m'offrir
fi je n'étois preffé de mener ma femme
dans fon château , elle & moi aurons
cet honneur une autre fois , mais je vous
fupplie de ne pas vous oppofer en ce moment
-ci à l'empreffement que j'ai de la
rendre maîtreffe de mon château , ni elle
ni moi ne tarderons pas à venir vous rendre
ce que nous vous devons , & je vous
prie d'être perfuadé qu'en mon particulier
je n'y manquerai jamais . Cela dit , Kilmore
embraffa fon beau -pere & fes bellesfours.
M. Humfroy n'infifta pas davantage
fit une courte exhortation à Elimaïs
fur fes devoirs , & Milord lui donna la
main pour monter dans la chaife , où montant
après elle ils fortirent du village , &
arriverent bientôt chez lui.is , Hood brib
A
Le premier foin de Kilmore en arrivant,
fut de faire ouvrir le plus bel appartement
& d'y conduire Elimais voilà , dit- il
l'appartement que j'ai toujours deſtiné à
mon époufe , & j'efpere que vous voudrez
bien que je le partage feulement la nuit
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
*
avec vous. Elimaïs répondit naïvement
qu'il en étoit le maître. Madame , lui ditil
, vous voyez que je n'ai pas eu le tems
de me préparer à vous recevoir , ainfi je
n'ai à vous offrir ni bijoux , ni diamans ,
en un mot tout ce qui pourroit vous
plaire , mais vous ferez la maîtreffe d'en
faire l'emplette à votre goût , & comme il
vous plaira l'argent néceffaire vous fera
donné auffi-tôt que vous le voudrez . Milord
, reprit Elimaïs , je n'ai jamais conçu
que ces bagatelles puffent faire le vrai
bonheur , & par conféquent je ne les ai
jamais defirées : fi cependant elles doivent
m'aider à foutenir l'éclat du rang ou
Vous venez de m'élever , je ne refuſerai
rien de ce qui me pourra fervir à vous faire
honneur Kilmore trouva beaucoup de
bon fens & de fentiment honnête à cette
réponſes iben loua fon époufe , qui fur
étonnée qu'on louât une chofe qu'elle
Groyoit que tout le monde devoit penfer
naturellement. On vint leur dire que le
ils fe mirent à table , la
confervation ne fut pas fört animée. Après
qu'ils en furent fortis , Kilmore apporta
un petit rouet à fa femme. Vous aimez
peut-être à travailler , lui dit- il , je vous
apporte ce rouet pour vous prévenir contre
l'ennui de la defoccupation: Vous me
"
2
dîné étoit fer . Op m
MASI. 1755.
55
faites plaifir , lui dit- elle , je penfois déja
que j'aurois été bien aife d'envoyer chez
mon pere chercher ma quenouille ; alors
Elimaïs , d'une main adroite , mit en train
fon rouet , & fila de la meilleure grace du
monde.
Pendant ce tems Milord lut , écrivit ,
l'interrogea quelquefois fur fes goûts , fur
fes amufemens , fur la vie qu'elle menoit
chez fon pere ; à quoi elle répondit trèsjufte
, très-fenfément & en peu de mots.
Le foleil étant couché , Kilmore propofa
de s'aller promener , ce qu'Elimaïs accepta
avec plaifir. Ils entrerent enſemble dans le
jardin , elle en loua les beautés avec difcernement
; ce qui lui parut moins agréable
, elle le dit avec la même franchiſe ,
donnant des raifons très- conféquentes de
ce qu'elle difoit : elle prouva à Kilmore
qu'elle avoit autant d'efprit que de goût.
Comme la foirée étoit belle , les deux
époux le promenerent jufqu'à l'heure du
fouper ; en rentrant ils fe mirent à table.
Comme la journée n'avoit pas produit
de grands événemens , ils ne parlerent
gueres plus à fouper qu'ils avoient
fait à dîner. La. converfation d'après ne
fut pas plus intéreffante : quelques quefftions
entrecoupées , des réponfes laconiques
, voilà à quoi cela fe termina .
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
Les femmes d'Elimaïs entrerent , fon mari
paffa dans un cabinet pour fe deshabiller
tandis qu'elle fe mettoit au lit ; & quand
on vint l'avertir qu'elle y étoit , il congédia
fes domeftiques , & vint fe mettre auprès
d'elle.
Il y étoit à peine , que fe mettant fur fon
féant , il fonna fes gens avec un grand
empreffement. Que vous plaît- il , Milord
lui demanda Elimaïs ? C'eft , dit- il , que j'ai
oublié quelque chofe : un valet entra dans
le moment ; ouvre mon rideau, dit Kilmore
à cet homme , allume mon bougeoir , &
m'apporte ma grande Bible & mes lunettes
: le domeftique obéit & fe retira.
Kilmore mit effectivement fes lunettes
& ouvrit fa grande Bible , où il fe mit à lire
apparemment tout haut. Elimaïs ne marqua
aucun étonnement de cette façon extraordinaire
de fe comporter : elle écouta paiſiblement
pendant une grande demi -heure
cette férieufe lecture ; mais à fon tour fe
mettant fur fon féant , elle fonna fes femmes.
Que voulez- vous , Madame , lui dit
Kilmore ? Ce n'eft rien , Milord , dit-elle ,
ne vous interrompez pas pour cela ; donnezmoi
mon rouet , dit- elle à fa fille qui entra.
Kilmore , à cette demande , éclata de
rire , & jettant la Bible , les lunettes & foufflant
le bougeoir , il renvoya la femme de
M A 57
*
I. 1755.
་
chambre avec le rouet & la lumiere ; &
fe jettant au col de fa femme , ma chere
Elimaïs , lui dit- il en l'embraffant , vous
êtes une perfonne charmante , ce dernier
trait d'efprit & d'attention pour moi vous
donne mon coeur à jamais ; je vous ai
éprouvé toute la journée ; vous n'êtes
fufceptible ni d'ennui , ni d'humeur ; vous
êtes celle qui devoit me rendre le plus
heureux des hommes ; ma chere Elimaïs ,
je vous adore. Alors Milord ferma fon rideau
, & nous le tirerons auffi fur le refte
de l'hiſtoire , pour ne point troubler les
myſteres de l'amour conjugal , dont la décence
& la modeſtie doivent faire l'appanage..
On a appris depuis cette relation écrite ,
très-vraie dans toutes fes circonstances , que
Milord Kilmore , enchanté de ſon choix &
des vertus de fa femme , ainfi de fes
que
agrémens , a abandonné fon goût pour la
retraite & pour la Philofophie. Uniquement
occupé de plaire à Elimaïs , il eft"
revenu à Londres avec elle ; leur union
fait l'envie & l'admiration de cette ville.
Ils y tiennent un grand état , & tout ce
qu'il y a de confidérable & d'aimable dans
l'un & l'autre fexe s'y raflemble journellement.
Cv
58 MERCURE DE FRANCE.
LE FAGOT ET LA BUCHE.}
FABLE.
Par MLLE ***
LE fagot & la buche en même cheminée
S'entretenoient un jour , dit- on , tout en brûlant
Dans le fond du foyer l'une étoit confinée ,
Et l'autre occupoit le devant .
Vois , difoit le fagot à la buche étonnée ,
Combien je mérite mon rang ?
La moindre étincelle m'allume ,
Et je ſuis fi brillant du feu qui me confume
Que pour s'en garantir , l'homme prend un écran.
Mais toi , lourde & maſſive , avant qu'on te réduife
Au point de t'enflammer un peu ,
Il faut que le foufflet s'épuife ,
Et que l'homme s'enrhume à te donner dú feu.
Pour fe juftifier , la buche alloit répondre ,
Lorfque le fagot s'éteignit.
La buche , en brûlant , le plaignit ;
Mais un chenet pour le confondre ,
Lui dit ces mots , qu'il entendit encor :
Le clinquant éblouit , & ne vaut jamais l'or.
Au jugement cette buche reffemble ;
L'efprit a bien l'air du fagot :
[
MA I.
59 1755.
Fagot fans buche eft un fort mauvais lot ,
Buche & fagot , heureux qui vous raffemble !
Paris , le 8 Mars 1755.
REMERCIMENT à M. le Maréchal
Duc de Biron
د
par
M.
l'Abbé
Ducaffe
d' Apilly
, Confeil- ler en la Cour
des Aides
, pour
un
préfent
qu'il
en avoit
reçu
.
Biron
Iron perdit toujours à fuivre fon grand coeurs
Landau lui coûte un bras pour voler à la gloire , '
Appilly fes jambons , fes citrons , fa liqueur.
Un héros n'a jamais gagné que dans l'hiſtoire.
LE mot de la premiere Enigme du Mer
cure d'Avril eft Soupir. Celui du premier
Logogryphe eft Parchemin , dans lequel on
trouve Pair , chemin , âne , Icare , re, mi ,
pain, cire , épi , air , Pie Pape , carpe , raie ,
Marche d'Ancone , Chine , cri , pie oifeau
Cypre , Priam , Racine , Inca , nacre , ire ,
chaire , crâne , arc , rame. Le mot de la feconde
Enigme eft la lettre M. Celui du
fecond Logogryphe eft Marguillier , dans
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
lequel fe trouvent râle , limier , re , mi , laž
faint Meri , gale , Guilleri , lire , ifle , gril ,
vrille , aiguille , ire , Marli , ame , mare ,
mail , grille , argille , rame , lime , Mire.
Qu
ENIGM E.
Uand je fuis né , je rentre au ventre
mere ;
de ma
Mais par un prompt trépas j'y trouve mon tombeau
,
Et puis y renaiffant j'y trouve mon berceau ,
Où de plufieurs enfans je fuis enfin le pere .
Il femble que du ciel je fois originaire .
Je me bâtis en l'air comme un trône nouveau .
Si pour trop m'élever je redoute un fléau ,
J'ai cent hallebardiers pour ma garde févere.
En vain je me défens , la mort avec ſa faux ,
Au fort de mes beaux jours met le comble à mes
maux ,
Et fait de mes états un vafte cimetiere .
ODieu ! que l'on exerce envers moi de rigueurs !
On m'accable de coups , on me met en pouffiere ,
Et pour ces cruautés je n'ai que des douceurs.
L'auteur de cette Enigme a quatre - vingt
ans , & l'auteur du Logogryphe fuivant en
a quatorze . La fingularité de ce contraſte
M A I. :1755: 61
m'a fait donner la préférence aux deux ouvrages.
La caducité & l'adolefcence méri ÷
tent également l'indulgence du lecteur,
LOGOGRYPHE.
Pour un vil intérêt , pour de légers plaiſirs ,
Pour contenter fon coeur & combler fes defirs ,
Connoiflant tout mon prix l'homme ſouvent me
laiffe.
Faut -il que fa raiſon fuccombe à ſa foibleffe ?
Mes pieds décompofés offriront à tes yeux ,
Lecteur , ce qui fouvent accompagne les gueux.
Une ville en Lorraine , une autre en Amérique ,
Un fage de la Grece , un oifeau domestique ,
Et ce qui foutient l'homme ainfi que l'animal ,
Un infecte volant redouté du cheval ;
Un fleuve impétueux qui traverſe l'Afrique ,
La femme d'Athamas ; des notes de Muſique ,
Un port célebre en France ; un grand Législateur,
Et ce que tout foldat defire avec ardeur.
Enfin pour m'obtenir il faut un tête-à- tête.
Je t'en ai dit affez pour que rien ne t'arrête.
62 MERCURE DE FRANCE.
AIR DE LA SAISON.
L'Heureux printems fait fouffler les zéphirs ,
Embellit tout dans l'empire de Flore :
Le doux parfum des fleurs qu'il fait éclore
Verfe en nos coeurs le charme des plaifirs
Dans tous les lieux que fon regne décore.
Les paroles font de M. Verardy ,
& la mufique d'Anfelme.
Air de la Saison.
Heureux Printems faitsou-
=fler
=
les gépbirs, Embelit
tout, dans l'Empire deFlo -re.
Le doux Parfum desFleurs
Qu'il fait Colore Verve en nos
Cours Le charme des plaisirs,
Dans tous les lieux que son
re - gne dé- co re ) .
Les paroles sont de MVerardy,
et là eMurious Anrolmes.
དེ་ ལ བ༣
1
M A I. 1755. 63
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
XTRAI
EX
RAIT DES AMANS PHILOSOPHES ,
ouvrage annoncé dans le Mercure
précédent.
›
Les caracteres en font vrais , les fentimens
nobles , la morale en eft fage
l'intrigue fimple , & le ftyle naturel. Je
me borne à l'analyfe des principaux carac
teres. Comme ce roman eft peu chargé
elle fuffira pour en faire le précis.
Merindor unit les dons extérieurs à toutes
les qualités de l'ame ; elles font perfectionnées
par l'étude , & plus encore par
l'adverfité. Un procès injuftement perdu
& le lâche abandon d'une premiere maîtreffe
l'ont rendu philofophe ; il fuit le
monde plus par fageffe que par humeur.
L'amitié de Damon & l'eftime d'Uranie lui
tiennent lieu de tout , & leur compagnie
forme fa fociété. Damon lui a donné des
preuves d'un zele véritable ; fes foins ont
contribué à faire revoir fon procès , &
l'ont rétabli dans fes biens : il a les mêmes
vertus que fon ami ; mais comme il a
moins d'expérience , qu'il ignore l'empire
1
*
64 MERCURE DE FRANCE .
des paffions , il eft moins ferme dans fes
principes , & fe laiffe prendre au piége
que lui tend Emilie , coquette artificieufe ;
il en devient l'adorateur , conféquemment
la dupe. Merindor l'avertit du danger. La
froideur de Damon eft le prix de fa remontrance
on le fuit comme un cenfeur
incommode ; il ne lui refte qu'Uranie .
Cette veuve eſtimable eft plus philofophe
que Damon ; fupérieure à l'amour fecret
qu'elle fent pour lui , elle le foumet à fa
raifon , & confole Merindor de cette perte.
Elle fait plus pour la mieux réparer ,
elle lui fait connoître Dericourt , dont elle
lui affure que l'attachement fera plus folide
que celui de Damon : elle ne le trompe
pas. Merindor trouve dans ce nouvel
ami une maîtreffe parfaite. Victoire , digne
éleve d'Uranie , joint comme elle
aux charmes de fon fexe , les fentimens
d'un honnête homme , & la raifon d'un
vrai fage. Trop aimée de Dorante ( c'eſt le
nom d'un frere coupable dont elle dépend
) elle a été forcée de fe traveſtir en
homme pour fe fouftraire à fes emportemens
, & de fe réfugier chez Uranie.
Sous les habits & fous le nom de Deri .
court , elle fait dans une promenade la
conquête d'Emilie , qui lui écrit un billet
des plus tendres. Cette lettre furpriſe par
1
MA I.
1755. 65
Damon , occafionne l'aveu qu'on lui fait
du déguiſement de fon'faux rival. La perfide
Emilie tire par adreffe ce fatal fecret
de la bouche de Damon , qui a la foibleffe
de renouer avec elle , & s'en ferr
pour perdre Victoire. Elle écrit à Dorante
que fa foeur , pour mieux couvrir une intrigue
fecrette , s'eft déguifée en cavalier
& que la maifon d'Uranie lui fert d'afyle.
Dorante arrive furieux , arrache Victoire
des bras de fon amie , & la contraint
d'entrer dans un couvent , où elle eft expofée
à toutes les violences de ce cruel
tuteur. La philofophie de Merindor ne
tient pas contre ce revers , il tombe malade.
Damon inftruit que fon indifcrétion en
eft la caufe , rifque tout pour réparer fa
faute. Il vole fur les lieux où Dorante
tient fa four captive : le premier objet
qu'il rencontre eft ce frere criminel , qui
le provoque lui-même au combat. Damon
le tue : Victoire fort d'efclavage ; fa liberté
rend la fanté à Merindor. 11 obtient
la
grace de fon ami , & reçoit le prix de
fes vertus , il époufe ce qu'il aime. Merindor
& Victoire , dit l'aimable auteur de ce
roman , marchent à l'autel , la raifon &
l'amour font leurs guides ; l'innocence & la
vertu les accompagnent , fans emprunter le
fecoursde l'art. Victoire n'a pour parure que
66 MERCURE DE FRANCE.
fes charmes naturels ; Merindor a obfervé la
même fimplicité le ferment qu'il fe font de
s'aimer fidelement n'est qu'une répétition de
celui qu'ils fe font déja fait mille fois ; la
même fincerité , la même droiture y prefide :
peut- il n'être pas folide? Uranie partage leur
joie ; & pour y mettre le comble , cette
veuve donne la main à Damon , qu'elle
aimoit fecrettement. Il brife fans retour
les indignes fers d'Emilie , & l'hymen le
ramene au ſein de la fageffe dont l'erreur
d'une paffion' aveugle l'avoit écarté.
Qu'on juge par la conclufion de l'ouvrage
, du mérite de fa morale . Nos faifeurs
de romans , dans un âge mûr , mettent
leur art à rendre le vice agréable & la
volupté décente. Ils ne fongent à nous intéreffer
que pour nous féduire . Mlle Brohon
à dix - huit ans applique tous fes foins
à rendre la raifon aimable , & la vertu.
touchante ; elle veut nous plaire pour
nous inftruire : quel éloge pour elle ! quelle
leçon pour eux
'ESSAI SUR L'ÉTAT DU COMMERCE D'ANGLETERRE
, deux volumes in- 12 . Il fe vend
chez Guillyn , au Lys d'or ; & chez Nyon ,
à l'Occafion , quai des Auguftins,
Il eft de l'auteur des Colonies Angloifes
: c'est un préjugé favorable pour l'ouROMAMA
I. 3 1755. 67
*
vrage qui eft moins la traduction de
Telai de Cary, qu'une imitation étendue
& fouvent critique de ce traité. L'Effai
François eft divifé en trois parties ; la premiere
traite du commerce intérieur dé
l'Angleterre. Ce que l'auteur a pris de l'original
anglois pour cette premiere partie ,
qui forme un gros volume , fe réduit au
plusa quarante - trois pages.
A
La deuxième , qui doit encore moins à
Cary , a pour objet le commerce extérieur
de la Grande- Bretagne , & s'étend parti
culierement fur celui que les Anglois font ,
tant aux Indes Orientales qu'en Afrique .
La troifiéme partie , qui n'a pas encore
paru , comprendra toutes les autres bran
ches du même cómmerce , foit en Ame .
rique , foit dans les différens ports de
l'Europe . Cet ouvrage eft celui d'un ci
toyen inftruit. L'analyfe qu'il fait du commercé
de nos voifins doit nous éclairer fur
le nôtre ; nous devons l'en remercier , &
tourner l'inftruction à notre profit.
- DISCOURS SUR LE BARREAU D'Athenes
& fur celui de Rome ; par M. l'Abbé Le
Moine d'Orgival ; deux volumes in - 12 .
chez Prault pere , quai de Gêvres , au
Paradis , & Leclerc , au Palais , à la Prudenice
; 1755.
68 MERCURE DE FRANCE.
Le Libraire nous apprend par un avis ,
que M. Terraffon , cenfeur du manufcrit
a fait fentir que ce livre , dont le fond
eft fi bon , deviendroit plus intéreffant ,
s'il étoit retouché. On a profité de ce fage
confeil , & M. l'Abbé Roger s'eft chargé
en l'abfence de l'auteur , d'être l'éditeur
d'un ouvrage auffi néceffaire à la connoiffance
de l'hiftoire ancienne , qu'utile à
ceux qui fréquentent le barreau .
EUVRES de Chapelle & de Bachau
mont , nouvelle édition , in- 12 , petit format
, 1755. Elle fe trouve chez Quillan
rue Saint Jacques , aux Armes de l'Univerfité.
Le Libraire donne avis qu'on a fait tiş
rer de cet ouvrage , en grand papier , un
petit nombre d'exemplaires.
DISCOURS de M. Le Corvaifier , Secrétaire
perpétuel de l'Académie d'Angers ;
lû dans une Séance publique de la Société
royale des Sciences & Belles- Lettres de
Nanci , lorfqu'il a été reçu affocié étranger
avec M. de Maupertuis , &c.
Comme il en a été parlé avec éloge
dans le Mercure d'Avril , où cette Séance
fe trouve inférée ; j'y renvoye le lecteur, ou
plutôt je lui confeille d'acheter ce difcours
MA I. 1755. 69
1
chez Martin Lottin , au Cocq , rue faint
Jacques. Il ne contient que trente- deux
pages , & il eft écrit de façon à mériter
d'être lû tout entier,
L'HISTOIRE NATURELLE éclaircie dans .
une de fes parties principales , l'Oryctolo
gie , qui traite des terres , des pierres
des métaux , des minéraux , & autres foffilles
; par M. D *** des Sociétés royales
de Londres & de Montpellier,
On trouve dans cet ouvrage une nou
velle méthode latine & françoife de les
divifer , avec une notice critique des principaux
écrits qui ont paru fur ces matie
res, Il eft enrichi de figures deffinées d'après
nature ; & fe vend chez Debure l'aî
né , quai des Auguftins , à S, Paul 1755.
Un volume in- 4° . prix 24 livres relié. M.
le Baron de Sparre , Gentilhomme Sué→
dois , a fait les frais de l'impreffion ,
PLAN DE L'UNIVERS ET EPHEMERIDES
EN FIGURES , d'après les éphemerides en
chiffres , pour 1755 & 1756 ; par M.
l'Abbé de Brancas , chez le fieur le Rouge ,
Géographe du Roi , rue des Grands Auguftins
, avec une explication inftructive
des cartes de Cofmographie & d'Aftronomie
, où l'on voit le fyftême de M. l'Abbé
de Brancas mieux développé.
70 MERCURE DE FRANCE.
J'infere ici le fentiment d'un amateur
fur l'art du chant ; il tiendra lieu de l'extrait
que j'en avois promis , & je fuis perfuadé
que le lecteur y gagnera.
L'ART du chant eft compofé avec tant
de méthode & de précifion , que je crois
plus à propos d'expofer les avantages qui
doivent naturellement réfulter de cet
écrit , que d'en donner une analyfe fuperficielle
& inutile. M. Bérard , après avoir
examiné avec une finguliere attention les
organes de la voix , confidérée par rapport
au chant , emploie les deux autres parties
à établir des principes & des régles pour
donner à la Mufique chantante toute l'expreffion
dont elle eft fufceptible ; & afini
de mettre tous les amateurs plus à portée
de profiter des réflexions & des nouvelles
découvertes qu'il venoit de leur offrir , on
trouve à la fin de fon ouvrage un affez
grand nombre d'exemples choifis de tou
tes les efpeces de chant , qui , en répandant
un nouveau jour fur fes principes ,
en rendront l'application facile & l'ufage
invariable. Un pareil ouvrage exécuté par
un homme qui joindroit à un goût fûr &
délicat une expérience confommée , & une
étude réfléchie de fon art , ne pourroit
manquer de produire les effets les plus
utiles. L'accueil que toutes les perfonnes
M A I.
1755 71
éclairées , à qui la Mufique françoiſe eſt
chere , ont fait à l'art du chant , annonce
que le public le recevra volontiers cómme
une production de ce genre. Le premier
avantage qui fe préfente & qui intéreſſe
toute la nation , c'eft que ce livre bien lû
& bien médité , fera enfin connoître à toutes
les perfonnes impartiales , qu'il eft faux
(comme le publient la prévention & l'injuftice
) que le chant françois endorme par
une fade uniformité . Pour peu qu'on réfléchiffe
avec quel foin , avec quel détail l'auteur
enfeigne la maniere d'exprimer les divers
effets de la nature & des paffions , on
fera convaincu qu'il n'y a point de peuple
au monde qui ait autant penfé que nous a
donner à fon chant plus de variété , plus
de vérité & d'analogie avec les différens
objets qu'on fe propofe de préfenter. Mais
ce n'eft point affez pour M. B. d'avoir
contribué à notre gloire , il multiplie encore
& affure nos plaifirs. Jamais le goût
du chant ne fut auffi général qu'il l'eft
aujourd'hui parmi nous : cependant com
bien de perfonnes fe trouvent dans une
efpece d'impoffibilité de fe livrer à une
étude fi flateufe , foit par la rareté des
bons Maîtres , foit par les différentes occupations
, qui ne laiffent que peu de momens
à employer pour les chofes de goût
ou de fimple amufement ?
72 MERCURE
DE FRANCE.
Le préfent que M. B. vient de faire au
public , remédie , du moins en grande partie
, à ces difficultés , qui jufqu'à préfent
avoient été infurmontables
: en effet , les
perfonnes qui font abfolument étrangeres
à la mufique , & celles qui en ont déja une
connoiffance commencée, ne peuvent manquer
de tirer les plus grands fecours de cet
ouvrage , les premieres , conduites par un
Maître qui pendant quelque tems leur developpera
tous les principes de l'art du
chant ; les autres , par leurs propres réflexions
, parviendront
facilement & fûrement
au même but où jufques-là ils n'auroient
pû atteindre qu'avec beaucoup de
peines , & après bien des années . Dans
toutes nos fociétés particulieres où le goût
du chant fait une des principales occupations
, quels avantages ne recueillera-t - on
pas du livre de M. Bérard , pour peu qu'on
acquiere par habitude & par réflexion un
ufage familier de ces principes , au lieu
de ces contre fens fi ordinaires à des perfonnes
peu verfées dans l'art du chant ,
& qui font gémir tous les gens de bon
goût ? par la méthode des nouveaux fignes ,
fi l'on ne parvient pas à la perfection qu'on
ne doit attendre que des grands Maîtres ,
ne fera- t-on pas für du moins de pouvoir
chanter les morceaux même les plus frappans
,
M A I. 1755. 73'
pans , avec le caractere , la vérité & les
agrémens qui leur font propres ?
Parmi toutes les découvertes dont M. Bérard
a enrichi fon ouvrage , celle de l'invention
des fignes nous paroît mériter les plus
grands éloges: jufqu'ici nous avons entendu
nos excellens chanteurs exécuter plufieurs
endroits de nos Opéra avec tant de vérité
& tant de graces , que nous defefpérions
qu'ils puffent être imités ; comme ils devoient
à une étude profonde & réfléchie
des organes de la voix ces traits éclatans
ces paffages heureux qui nous faififfent &
qui nous enlevent , il étoit impoffible à
des perfonnes peu appliquées de faifir leur
fecret. M. Bérard vient de nous découvrir
ce méchanifme curieux , que nous admirions
fans en connoître les refforts , & par
là nous a mis en état de devenir les rivaux
même de ceux que nous n'aurions jamais
ofé regarder que comme nos maîtres . Mais
c'eft principalement aux compofiteurs en
mufique de marquer à l'auteur toute leur
reconnoiffance : quel fupplice n'étoit - ce
pas pour un habile Muficien de voir le mê
me ouvrage , qui dans la bouche d'excellens
acteurs confervoit toutes fes graces ,
défiguré enfuite fouvent au point de ne
pouvoir lui même fe reconnoître ? La méthode
des nouveaux fignes va lui fauver
D
74 MERCURE DE FRANCE.
tous ces dégoûts fi ordinaires dans la capitale
même , & infiniment plus communs
encore dans nos provinces : il peut être
fur à préfent que tous ceux qui voudront
profiter des moyens que M. B. leur offre
rendront les compofitions avec la principale
partie de tous les agrémens qui lui
font propres
.
>
Nous ne pouvons avec bienféance ters
miner cet article fans nous arrêter un mo
ment fur l'Opéra , cette partie fi importan
te de nos plaifirs . Nous accufons la nature
d'être pour nous plus avare que pour nos
peres , on veut que les bons fujets foient
plus rares qu'ils n'ont jamais été , & c'eft
à cette prétendue difette qu'on attribue la
diminution trop fenfible de nos plaifirs
cependant fi nous voulons examiner les
chofes avec attention nous verrons que
le défaut d'art & non pas de fujets , eft la
vraie caufe de cette décadence de talens
dont nous nous plaignons. Depuis bien
des années nous avons vû débuter plus
d'un acteur qui donnoit d'abord les plus
belles efperances , nous nous flations avec
juftice que le tems & l'étude acheveroient
infenfiblement ce que la nature avoit fi
heureuſement commencé ; cependant loin
de voir le talent fe perfectionner & s'ac
croître , il tombe bientôt dans l'oubli , &
MA I.
1755575
nous nous étonnons feulement d'avoir pu
l'admirer. Si l'on veut remonter à la vraie
fource de ce mal , on verra qu'il naît principalement
du peu de foin que nous prenons
de former nos éleves : un jeune acteur
abandonné à lui - même , où fuivant
une routine imparfaite & aveugle , pourrat-
il corriger ou adoucir ce qui peut être
défectueux dans fa voix pourra- t- il ac
querit ces graces touchantes , ces fineſſes
de chant qui font le fruit de l'art le plus
confommé ?
Nous ne pouvons trop les avertir ici
que nos acteurs s'appliquent avec foin à
méditer les principes de M. Bérard fur l'ar❤
ticulation & la prononciation , fur la nouvelle
ortographe de chant qu'il propofe ,
fur la néceffité de doubler de certaines lettres
; mais fur - tout qu'ils faffent un ufage
un peu conftant de tous les fecrets qu'il
leur indique pour l'infpiration & pour
l'expiration , ils fe verront bientôt dédom
magés par les fuffrages du public , des peines
que cette étude pourroit leur caufer.
La méthode qu'on leur propofe , doit d'aurant
plus mériter leur confiance ; qu'elle a
été jufqu'ici le fondement des fuccès de
tous les excellens chanteurs que nous avons
admiré jufqu'aujourd'hui . Ces réflexions
déja confirmées par l'expérience , doivent
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
+
nous faire augurer qu'il eft encore des
moyens de rétablir l'Opéra dans fon ancienne
gloire , du moins pouvons - nous
nous affurer que fi nous manquons de
fujets & par conféquent de plaifirs , nous
ne devons en accufer que nous-mêmes.
On délivre actuellement chez Ch. Ant
Jombert , Libraire , rue Dauphine , le tome
III de l'Architecture françoife . Le to
me IV de cet ouvrage utile ne pourra pa◄
roître que vers la fin de cette année , par
les raifons que l'on verra dans le Profpectus
qui vient d'être publié à ce fujet.
Le même Libraire vient de mettre en
vente un Dictionnaire portatif de l'Ingénieur
, où l'on explique les principaux ter
mes des ſciences les plus néceffaires à un
Ingénieur , fçavoir , l'Arithmétique , l'Algebre
, la Géométrie , l'Architecture civile ,
fa Charpenterie , la Serrurerie , l'Architec
ture hydraulique , l'Architecture militaire,
la Fortification , l'attaque & la défenfe des
places , les mines , l'Artillerie , la Marine ,
la Pyrotechnie . Par M. Belidor , Colonel
d'Infanterie , ancien Profeffeur de Mathé
matiques , &c. un vol . in- 8 ° . petit format,
Prix 3 liv . 12 f. relié.
ごろ
ΜΑΙ.
77
1755:
SECONDE LETTRE
•
D'un Académicien de M .... à un Academicien
de R.... fur la Chriftiade , ou
le Paradis reconquis , pour fervir de fuite
au Paradis perdu de Milton.
U
NE maladie longue & opiniâtre , une
convalefcence des plus lentes & des
affaires arrierées ne m'ont pas permis ,
Monfieur , de vous tenir plutôt la parole
que je vous donnai dans ma lettre du mois
de Juillet dernier , dans laquelle je vous
promettois de vous dire mon fentiment
fur le refte de la Chriftiade. Je fuis ravi
que le jugement que j'en ai porté s'accor
de avec le vôtre , & que celui de vos illuftres
confreres y mette un fceau refpectable
à tout critique. Je vais donc achever
l'analyfe de cet ouvrage avec confiance &
fans partialité.
Je vous avois laiffé au huitième chant
& c'eft de là que je reprens. Il contient
le plus grand & le plus augufte de nos
myfteres ; l'inftitution de l'Euchariftie , &
je vous affure qu'on ne peut lire rien de
plus tendre & de plus onctueux que le
difcours que le Sauveur fait à fes Difci-
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
ples dans fon teftament d'adieu . Le combat
de fon agonie eft un morceau théologique
, qui n'eft pas à la vérité de notre
reffort , mais nous en avons entendu difcourir
des Théologiens , qui ont affuré
qu'on ne pouvoit mieux accommoder le
dogme dans un poëme , & le mettre dans
le jour le plus favorable & le plus conforme
à la faine doctrine , fans en rien altérer
, au milieu même des fictions poëtiques.
L'épifode de Judas Iscariot qui commence
à la fin du feptieme chant , & qui
finit dans le dixieme par fa mort tragique,
eft un épiſode d'éclat qui n'a pas échappé
à votre pénétration : il eft en effet bien
fingulier ; car cet épifode feul eûr pû faire
la matiere d'un poëme par fon commen
cement , fon milieu & fa fin . L'efpece de
choc qui fe paffe dans le jardin des Oliviers
lorfque le Sauveur y eft pris , paroîtroit
d'invention romanefque , fi l'Evangélifte
ne difoit pofitivement qu'à la parole
du Sauveur , Judas & les troupes qu'il
conduifoit tomberent à la renverſe . L'em-
-portement de S. Pierre , connu par le coup
de glaive dont il frappa Malchus , & la
difpofition des autres Apôtres fes collégues
qui n'attendoient que le confentement
de leur Maître pour tirer pareilleΜΑΙ.
79 1755.
ment le glaive , eft fi bien marqué dans
l'Evangile , qu'on ne peut le regarder comme
une rodomontade de la part des compagnons
de l'Homme Dieu . Le fonge de
la femme de Pilate , qui dans le neuvieme
chant interrompt le jugement que fon
mari alloit porter contre Jefus , & la def
cription du temple de la Sibylle , font des
épifodes d'invention hiftorique , où tout
elt afforti au fujet principal. L'antre des
génies infernaux où Satan defcend par les
bouches du Vefuve , & y fait forger les
inftrumens du fupplice de Jefus- Chriſt , eſt
encore un morceau d'imagination poëtique ,
qui ravit par le détail des ouvrages aufquels
ces génies font occupés. Cette defcription
qui égaie le fombre de la mort
tragique de Judas , eft admirable. Le por
trait de la politique que Satan appelle du
haut des tours de Solime , & la politique
qui , fidele à la voix de Satan , quitte lecabinet
de l'Empereur Tibere , & accourt
à travers les airs pour venir fe prêter aux
vûes du monarque infernal , fait un bel
effet dans le onzieme chant. Le fupplice
du Sauveur & le tableau des fouffrances
qu'il endure avec une patience plus que
héroïque , contrafte fort bien avec le zéle
des Anges qui forment l'armée céleſte , &
quiau premier mouvement courent prendre
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
1
-
les armes dans l'arfenal de Dieu pour aller
fondre fur les ennemis de fon fils , & le
délivrer des mains des impies qui s'apprêtent
à le crucifier. Ce zélé de l'armée célefte
, qui borné par l'ordre abfolu du
Tout puiffant , fe change en deuil , &
l'éclipfe de la férénité de la face brillante
de Dieu pénétré de douleur à la mort de
fon fils , éclipfe qui eft la caufe premiere
des ténébres qui obfcurciffent le foleil , &
qui couvrent toute la terre en un inſtant ,
tout cela eft d'un fublime qui étonne , ra
vit , & imprime la terreur , la crainte & le
refpect pour la majeſté de Dieu . L'éclat
qui accompagne le triomphe de la Réfurrection
du Sauveur , les vives defcriptions
de l'empire du tems , du cahos & de la
nuit , celle des enfers , dont les peintures
effrayantes font d'un nouveau coloris &
parfaitement afforties aux différens genres
de tourmens , & aux différentes efpeces
de coupables qui les endurent , la defcription
des limbes , le portrait de la tranquille
efpérance qui anime les faints perfonnages
qui l'habitent , ce doux efpoir d'un
heureux avenir qui contrafte avec la fureur
& le defefpoir des réprouvés , la beauté
du climat des limbes & l'horreur des enfers
, font des tableaux qui effrayent &
raffurent , qui troublent & qui calment,
Μ Α Ι. 1755 .
81
tour à tour le lecteur. Il fe délaffe enfin
dans les belles plaines du ciel & dans le
brillant féjour de la Divinité , dont le temple
eft peint d'une maniere d'autant plus
admirable , que l'auteur pouvant faire.
jouer fon imagination , n'a néanmoins
emprunté que les idées tracées par S. Jean
dans fon Apocalypfe. Le livre des deftinées
humaines , fcelle de fept fceaux que le
Sauveur ouvre aux yeux de fon Apôtre ,
pour lui faire connoître les hommes dont
les ames lui font confiées , eft encore emprunté
de l'Apocalypfe . L'établiffement
miraculeux de l'Eglife , & le changement
progreffif qui fe fait dans tous les états du
monde par la prédication de l'évangile ,
les portraits des premiers Souverains chré-,
tiens , & les juftes éloges donnés à leurs
fucceffeurs en qualité de protecteurs de
l'Eglife , la fucceffion invariable & non.
interrompue des fouverains Pontifes qui
ont occupé le fiége de Rome & de l'Eglife ,
& les traits fous lefquels font repréfentés
les plus grands Papes jufqu'à celui qui
remplit fi dignement la chaire de Saint .
Pierre , tout cela eft d'une invention fine
ingénieufe , délicate , qui tranfporte & ravit
le lecteur en lui rappellant les grands.
traits de l'ancien & du nouveau Teftament ,
& d'une partie de l'Hiftoire eccléfiaftique
Dy
82 MERCURE DE FRANCE.
par une narration agréable & fleurie.
On a donc bien eu raifon , Monfieur ,
de dire que la Chriftiade , bien loin de
nuire à la religion & de fcandalifer la foi
des Fideles , ne peut fervir qu'à leur donner
une grande idée de nos myfteres . Les
fictions fans nombre qui étayent ce poëme
, n'auroient point été admiffibles dans
un fujet auffi facré , & le lecteur pieux
auroit eu raifon de s'en alarmer & de les
rejetter , fi l'auteur n'eût eu la précaution
de les puifer toutes dans le fond même des
myfteres , ainfi que l'a fort bien remarqué
un célebre Journaliſte , & de les appuyer
des autorités de l'Ecriture , des faints Peres
, des Conciles , des Commentateurs
& de l'Hiftoire . C'eft de là probablement
qu'eſt venu ce déluge de notes qui a inondé
l'ouvrage , & c'eft avec la même juſteſſe
que vous avez été frappé de l'art avec lequel
les humiliations & les grandeurs de
Homme - Dieu contraftent avec dignité &
s'ennobliffent mutuellement.
En effet le poëme de la Chriftiade n'eft
que le triomphe du Chrift . Si cet objet
nous étoit moins familier , il piqueroit
plus notre curiofité ; mais un fujet dont
nos oreilles font rebattues dans nos chaires
, dont nos livres font remplis , dont
nous fommes imbus dès l'enfance , affadit
M. A I. 83
1755. .
en quelque forte , & rebute , fi l'on peut fe
fervir de ce terme , l'attention du Chrétien
tiéde , à laquelle les objets attrayans
du fiécle font fans ceffe diverfion. Dans le
monde on ne connoît communément le
Sauveur que par fa naiffance pauvre & par
fa mort ignominieufe ; ce font là les deux
points de vûe fous lefquels on le confidere
: l'éclat de fes miracles frappe , mais
l'ignominie de fa croix fcandalife , & il
faut avoir une foi bien ferme pour n'être
pas tenté d'abandonner un maître qui vit
d'une façon fi obfcure , & qui meurt du
fupplice le plus infâme . C'eft là ce qui a
donné crédit au préjugé commun , que que les
myfteres de notre religion ne fçauroient
être la matiere d'un poëme ; mais un ef
prit qui ne s'arrête point à la fuperficie ,
qui s'éleve au- deffus des préjugés , qui approfondit
tous les myfteres , qui analyſe
tous les faits , ne peut s'empêcher d'être
frappé de la Divinité , qui éclate jufques
dans les moindres actions du Sanveur ; on
voit en lui le héros des héros , le héros par
excellence , l'Homme - Dieu , le Dieu des
Dieux .
Je ne puis mieux finir cette analyfe ,
Monfieur , qu'en vous difant mon fentiment
fur le fujer des planches , vignettes
& gravûres en taille -douce qui font à la
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
tête de chaque chant de la Chriſtiade : il
y regne autant de poëtique & de fublime
d'idées que dans l'ouvrage même ; les allégories.
en font fines , juftes & nullement
forcées. Peut - on rien de plus beau que
l'idée du frontispice , où les trois monftres,
Satan , le péché & la mort perfonnifiés ,
font attachés au trophée du Rédempteur ;
le palais du prince de l'air , avec tous fes
attributs , & la tempête qu'il excite à la
priere de Satan ; le confeil des démons fur
le Liban , où les grands acteurs font caractérifés
; le feftin d'Hérode , où Hérodias
danfe ; Magdeleine dans fes beaux jardins.
livrée à fes illufions , & enfuite dans fon
appartement renverfant & brifant fa toilette
dans un faint emportement de converfion
; la médiation du Verbe , & Adam
& Eve pris dans les filets de la mort ; la
naiffance de la femme ; l'antre des génies
infernaux ; l'arfenal célefte ; le magnifique
temple de la Sibylle , & la femme de
Pilate dormant fur les genoux du fommeil;
l'ame du Dieu crucifié, expirant, qui fort de
fa bouche , un drapeau d'une main en figne
de fa victoire , & des foudres de l'autre , en
inftrumens de fa vengeance , qui foudroye
& précipite les légions de démons répandus
dans les airs , où ils s'applaudiffoient
de leur prétendue victoire fur le Seigneur
MA I. 1755.
85 .
& fur fon Chrift ; & enfin ce même Chriſt
fortant victorieux du tombeau , dont la
pierre énorme renversée par la puiffance
divine , écrafe la mort qui étoit affife
deffus ; & les clefs de la mort & des enfers
que le Sauveur reffufcitant tient dans
fes mains? ce font là , Monfieur , autant
d'idées nobles & poëtiques que le célebre
Eyfen a parfaitement tracées , fans doute ,
d'après l'auteur , & que les plus habiles
Graveurs de Paris ont très - bien rendues .
Tout eft poëtique , tout eft admirable dans .
ce poëme , jufqu'au crayon & au burin
du Deffinateur & des Graveurs.
"
Vous penferez peut - être , Monfieur, que
la chaleur du climat qui échauffe notre
imagination , eft la feule caufe de l'admiration
que nous avons pour la Chriftiade ;
mais defabufez-vous , les coups de foleil
aufquels on nous accufe d'être fujets , ne
dirigent point nos jugemens ; je ne vous
les produirois même pas avec tant de confiance
, fi les perfonnes les plus éclairées
de nos provinces & des Académies voifines
, & principalement un homme célebre
par quantité de bons ouvrages , qui fe
diftingue à la tête de l'Académie des Belles-
Lettres de M .... n'avoit prévenu notre
jugement par les fuffrages les plus favorables
à la Chriftiade .
86 MERCURE DE FRANCE.
Quoiqu'il en foit , notre admiration
pour ce poëme n'eft point aveugle , mais
nous faifons graces aux défauts en faveur
des beautés ; car quelques exemples & autorités
que l'auteur apporte pour fe juftifier
d'avoir écrit fon poëme en profe
cependant , comme l'ufage a prévalu , &
que par poëme on entend communément
aujourd'hui un ouvrage en vers , nous faifons
des voeux avec vous pour que quel
que heureux génie s'animant du feu poëtique
de l'auteur de la Chriftiade , fans en
amortir les faillies , veuille bien prendre
la peine de nous la rendre en beaux vers
françois , débarraffée de certains détails
qui font languir l'action , & de quelques
notes qui paroiffent fuperflues. Je fuis ,
& c.
On imprime chez Boudet , rue Saint
Jacques , au Livre d'or , un projet de
Tactique d'après le fyftême du Chevalier
Folard , & les idées de M. le Maréchal de
Saxe. Je crois que l'annonce de ce livre.
doit exciter la curiofité de nos militaires ,
que fa lecture peut leur être auffi utile
que l'ouvrage paroît intéreffant. Le Libraire
le diftribuera dans le courant de ce
mois ; 1 vol. in-4°.
&
MA I.. 87 1755
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES - LETTRÉS.
ALGEBRE.
LETTRE à M ..... Profeſſeur & Cenfeur
royal , par M. G. Ecuyer , Officier
de la chambre de Madame la Dauphine
, fur un problême d'algebre appliqué
à la fcience de la guerre .
Onfieur , j'avois décidé avec moi-
Mmême de faire un divorce irréconciliable
avec l'Algebre & la Géométrie :
la néceffité de faire valoir mon bien de
campagne , celle de fuivre plufieurs procès
de fucceffion , mon peu de fanté , &
par conféquent le peu d'efpérance d'y acquerir
une forte de célébrité , m'avoient
fait prendre un parti fi contraire à mon
goût . J'eus l'honneur cet automne &
en même tems le vrai bonheur d'être admis
à faire ma cour à des perfonnes de
qualité de mon voifinage ; j'y retrouvai
des compas , des équerres , des niveaux ,
des graphometres , des cartes topographi
,
38 MERCURE DE FRANCE .
ques , des plans de bataille , de fiége , de
marches militaires , des projets de campa
gne , &c. en un mot tout ce qui caractériſe
un ſyſtème de travail ferieux , fuivi ,
& propre à des perfonnes deftinées par leur
naiffance & leurs talens héréditaires &
perfonnels , aux premiers emplois de la
guerre en falloit- il davantage pour me
rappeller à mes premieres foibleffes : On
me propofa de réfoudre le problême d'algebre
dont je vous fais aujoud'hui la dédicace
; nouvelles chaînes , nouveau motif
d'ardeur & d'émulation , & voilà l'époque
glorieufe pour moi de mon retour à
la géométrie. Je vis dans cette refpectable
maifon , avec un plaifir bien fenfible
& bien délicat , des enfans à peine de fept
ou huit ans , tracer des lignes & des angles
, reconnoître leurs rapports & leurs
combinaiſons , manier des inftrumens de
Mathématique je fus enchanté de n'entendre
fortir de leur bouche que les termes
de fervice du Roi , de la haine de
fes ennemis , de l'honneur , de la bravoure
, & de la néceffité d'acquerir les talens
du coeur & de l'efprit , indifpenfables pour
commander les autres ; on me pardonnera
cette forte d'indifcrétion , j'y vis avec la
plus vive furpriſe , & comme une efpéce
de paradoxe , les dames , fans perdre la
MA 1. 1755. 89 ·
plus légere de leurs graces , ni de ce tour
délicat & ingénieux de la converſation
que donne l'ufage du grand monde ; les
dames , dis- je , paffer avec fuccès , de la
poëfie , de la mufique , de l'hiftoire , ou
des ouvrages de goût & de légereté , à calculer
, à réfoudre des problèmes de Géométrie
& d'Algebre.
Enfin j'y vis les terres & les arbres
cultivés fuivant les principes de M M.
Sthul , Duhamel , de Buffon ; les abeilles
& les vers à foie élevés fuivant les regles
de M. de Réaumur ; la pratique de l'éducation
fauvage des beftiaux , en un mot
plufieurs de ces arts champêtres innocens ,
utiles à la fociété , à la fanté , à la confervation
de fon bien , & dont les héros rendus
à la paix ne rougiffoient point autrefois.
Tout refpiroit dans cette belle & délicieuſe
campagne l'efprit de calcul & de
fyftême , & ces principes folides de la
raifon fupérieure de l'illuftre M. de P. auffi
grand à la guerre que férieux & appliqué
chez lui , d'où il avoit banni cette frivo-.
lité qui ne gagne que trop aujourd'hui .
Les bornes d'une lettre femblent contraindre
de fi juftes motifs d'éloges ; mais la
vertu & le vrai mérite font fi peu communs
qu'on n'en reconnoît les traces qu'avec
un fecret & délicieux enchantement ;
90 MERCURE DE FRANCE.
ces motifs ne font pas néanmoins étrangers
à l'objet de ma lettre , puifqu'il vous
entretiennent d'application de calcul aux
affaires de la vie ; méthode que vous eftimez
. avec raiſon , bien fupérieure à celle
qui ne traite que des x & des y , & dont
vous ne ceſſez de recommander l'uſage à
vos difciples après qu'ils fe font mis en
poffeffion de cette derniere .
?
&
Parlons maintenant de mon problême ,
qui eft , je penſe , un des plus forts qu'on
puiffe propofer en Algebre indéterminée du
premier dégré ; j'ai pris à tâche de réunir
toutes les méthodes de Diophante , de Bachet
, du P. Prefter , & d'autres. Il contient ,
proprement parler , huit problêmes différens
; ce n'eft que la quatrieme condition
qui lie les trois précédentes , comme vous
le verrez dans la premierepréparation
qui les rappelle à une expreffion où les inconnues
font égalées à des quantités connues
mêlées avec deux indéterminées . Les
fept & huitiémes conditions font deux.
problêmes nouveaux , qu'on peut encore
réfoudre féparément des premiers ; mais
comme ils font une efpéce d'hiftoire fuivie
, il faut trouver l'art de les lier avec
la deuxième préparation il y a encore
un choix délicat à faire dans les rapports
des pertes ou des foldats défaits de chaM
A I.
1755 . 91
que
détachement , car fi on ne les tire
point de la nature intrinfeque du problême
, on ne fera rien qui vaille , on aura
bien des folutions vraies , mais qui feront
à d'autres queftions. Il eft inexprimable
combien j'ai gâté de papier , & combien
il m'en a coûté de peines pour fixer ces
rapports , fans compter les fautes d'étourderie
& les erreurs des fignes . Je joins à ma
lettre le mis au net de mes calculs , qui contiennent
cinq ou fix feuillets , fans aucun
détail de divifion ou de multiplication.
C'eſt un hommage que je vous adreffe ,
un tribut , le paiement d'une dette , car
affurément je vous dois beaucoup ; c'eft
en un fens votre bien , votre ouvrage ,
puifqu'il eft bâti des matériaux recueillis
fous vous au Collège royal ; c'eft le fruit
du long loifir que me laiffe mon fervice ,
& duquel je ne crois pas devoir faire un
meilleur ufage , les devoirs de la fociété
remplis , pour mériter l'honneur de votre
eftime , & le nom de &c.
Les nombres les plus fimples qui fatisfont
à toutes les conditions du problê
me , font : 551 , 431 , 311 .
All x 8400 μss!?
J : 64052 + 431
4410
➡0.1.2.3.4.5. &cj
311
92 MERCURE DE FRANCE.
1 ° . Effectivement le tiers de 551 eſt
1832, le quart de 551 eft 135 +3 .
e
2°. Le 5º de 431 eft 86 + 1 , & le 7º
de 431 eft 614.
3 °. Le 7° de 311 eft 44 + 3 , & le 9º
de 311 eft 34 + 4.
4°. 551 + 311 = 2 × 431 = 862.
50. 551 +9 , 43x + +2 , 431 +4 :: 140. 61 .
7
60 551 +9 311 ·
'SI.
140.102
:: 50 :
C. Q.F. F. & D.
A Versailles , ce 10 Avril 1755 .
Problême d'Algebre très- intéreſſant appliqué
à la fcience de la guerre.
ON envoie trois détachemens pour
s'emparer de trois poftes différens.
1º. L'on fcait que lorfqu'on rangeoit le
premier détachement fur trois foldats de
hauteur , il y en avoit deux de rcſte ; &
lorfqu'on les rangeoit fur quatre de hauteur
, il en reftoit trois .
2°. A l'égard du fecond détachement
M A. I. 1755. 23
lorfqu'on plaçoit les hommes à cinq de
hauteur , il y en avoit un de refte , &
lorfqu'on les rangeoit fur fept , il en reftoit
quatre.
3°. Le troifiéme détachement étoit tel
que les foldats rangés fur trois de hauteur
, il en reftoit trois ; & rangés fur
neuf, il en reſtoit cinq.
4°. Le nombre des troupes du premier
& du troifiéme détachement jointes enfemble
, étoit double de celui du deuxiéme
.
5°. Le Général envoie des ordres à
quatre Officiers de mérite du fecond détachement
, & à cinq du troifiéme , de
joindre le premier détachement.
6°. Après cet ordre exécuté , le premier
poſte coûta à emporter le quart du monde
qui y étoit deſtiné.
7°. Il périt au fecond pofte le feptiéme
des troupes qu'on y avoit envoyées , lequel
montoit à neuf hommes de moins
que la moitié des foldats tués au premier
pofte ; c'est- à-dire que le rapport des trou
pes défaites au premier pofte , étoit à celui
des troupes défaites au fecond , comme
140 eft à 61 .
8. L'on perdit , pour emporter le troifiéme
pofte , le tiers des troupes qui y
étoient commandées , & cette perte étoit
94 MERCURE DE FRANCE.
relativement à celle qu'on fit au premier
pofte , comme 51 eft à 70.1
9°. L'on demande de combien d'hommes
chaque détachement étoit compofé ?
On donnera dans le Mercure du mois.
prochain la méthode de la folution .
M
e
e
HISTOIRE NATURELLE.
Lettre à l'Auteur du Mercure.
Onfieur , quoique peu Phyficien ;
& encore moins naturaliſte , j'ai cependant
fort goûté le fentiment de M.
Muffard fur la décoloration des coquilles
foffiles , expliquée dans fa lettre du 29°
Juin dernier , & inférée à la page 148 -
155 ° de votre Mercure du mois d'Août
fuivant. Je comprends très - bien comme
lui , que les fines fubftances qui compoſent
ces couleurs ont pû fe détacher des corps
durs & groffiers qui forment les coquilles
par
la corrofion des différens acides répandus
dans les terres où ils font dans une
fermentation continuelle. Je comprends
de plus comment ces fines fubftances peuvent
paffer du regne animal au regne minéral
; car il paroît très- probable que la
plupart des bancs de coquilles foffiles fe
trouvant dans une très - grande profon
MA I.. 1755.
95
ces ,
deur , ces fines fubftances ainfi détachées ,
font entraînées vers le centre de la terre pår
les eaux qui y coulent naturellement , ou
par celles qui peuvent y filtrer après des
pluies abondantes ; & rien n'empêche qu'elles
ne fervent à colorer d'autres fubftantelles
que les pierres précieuſes , &c.
en fe dépofant dans leurs matrices , s'atrachant
à leurs embrions , & s'incorporant
avec les fucs qui leur donnent l'accroiffement
, & les conduifent à leur perfection
; mais je ne crois pas que la conjecture
qu'il hazarde dans le Poftfcriptum de
cette lettre , faffe fortune. Le paffage de
ces mêmes fines fubftances dans le tegne
végétal , où elles formerpient ce magnifique
émail des fleurs & des fruits que
nous admirons , me paroît impoffible.
Ne peut-on pas en effet lui objecter
1 °. que les coquilles fofiles ne fe trouvant
que dans les terreins que la mer
quitte pour fe creufer de nouveaux abîmes
par fon mouvement d'orient en occident
, les fleurs qui croiffent fur ceux qui
n'ont jamais été fubmergés , ou qui l'ont
été depuis filong- tems qu'on peut foutenir
avec M. Muffard , que toute la partie colorante
de leurs coquilles a été diffoute &
entraînée vers le centre de la terre ; que
ces fleurs, dis-je , ou ne doivent avoir au
96 MERCURE DE FRANCE.
> cune couleur ou n'en peuvent avoir
qu'une uniforme, à quelques nuances près ?
or l'expérience étant contradictoire à cette
fuppofition , il faut avouer au moins que
les coquilles ne font pas l'unique palette
d'où le peintre de la nature tire fes couleurs
pour embellir les fleurs .
2°. Que les fines fubftances qui compofent
les couleurs des coquilles foffiles n'étant
ni inépuiſables , ni immuables dans
leurs nuances , les fleurs doivent retomber
dans le même inconvénient de n'avoir
plus de couleur , ou d'être réduites à une
uniformité de couleur infipide & faſtidieufe
, lorfque ces fines ſubſtances feront
réduites à rien par leur longue circulation.
3°. Que ces bancs de coquilles foffiles
ne font point univerfels ; qu'il y a des
endroits très-vaftes où il n'y en a jamais
eu , & que cependant les fleurs font partout
parées des mêmes couleurs , fans autres
altérations que celles qui vienent de
la différence des températures & des climats.
4°. Que ces bancs étant pour la plupart
dans une très-grande profondeur ,
il eft impoffible que ces fines fubftances pénetrent
d'immenfes épaifleurs de marbre ,
de pierre , de tuf , & d'autres minéraux ,
peutMA
I. 1755. 97
peut- être moins durs , mais auffi plus embarraffans
, tels que la terre glaife , pour
de là paffer dans la terre végétale , d'ou
les plantes les puiffent pomper.
50. Ne pourroit -on pas demander à M.
Muffard fi les fels contenus dans les végétaux
ne fervent qu'à volatilifer , pour
ainfi dire , ces fubftances colorantes qu'ils
ont diffous ? Tout le monde fçait combien
ils influent dans la nature fur la production
des couleurs quand ils font com
binés diverſement avec le phogiſtique ; fait
que M. Geoffroy le jeune a fi bien prouvé
dans fon travail fur l'huile de lin.
D'ailleurs fans aller recourir à des corps
étrangers , ne feroit- il pas plus naturel de
penfer que les fines fubftances qui fervent
de bafe aux couleurs des végétaux , fe
confervent dans la terre après la décompofition
de ces mêmes végétaux , & qu'elles
fervent à compofer l'émail des plantes
nouvelles qui croiffent dans le même endroit
, fi tant eft qu'elles y fervent ?
Au refte , Monfieur , ce n'eft point l'envie
de critiquer qui m'a fait prendre la
plume; je refpecte la ſcience & les travaux
de M. Muffard , mais je propofe quelques
objections pour engager ce naturalifte
à développer fon fentiment , & à
travailler fur un point d'hiftoire naturelle ,
E
98 MERCURE DE FRANCE.
qui eft encore bien obfcur , & fur lequel
nous n'avons gueres d'ouvrages fatisfai
fans. Je fuis , &c.
P. L. F. P. D. W. P.
De Paris , ce premier Mars 1755 .
Depuis la lettre qui a donné lieu à ces
remarques , M. Muffard en a écrite une
nouvelle à M. Jallabert fur la même matiere
; elle peut donner plus de jour ou
d'étendue à fon fyftême , & doit trouver
ici fa place.
LETTRE de M. Muffard à M. Jallabert
, Profeffeur en Philofophie expérimentale
& en Mathématique , à Geneve .
M
Onfieur , tout me ramene au plaifir
de vous entretenir quelquefois par
mes lettres . Je fens que je puis trouver
dans un fi doux commerce , non feulement
de l'inftruction fur mille chofes que j'ignore
, mais encore de nouvelles lumières fur
celles que je crois fçavoir le mieux , & particulierement
fur les connoiffances que je
tâche d'acquerir par mes recherches.
Votre derniere réponfe me confirme dans
une partie de mes principes , il eft flateur
SRAM JAKI. 1735 .
VILLE
THE
LYJN
893
pour moi qu'ils foient adoptés par un ho
me tel que vous. J'aime , par exemple
vous voir déclarer que les pierres calcaires
vous paroiffent dûesjau genre animal , &
que fuivant vos propres obfervations elles
font formées d'un immenfe amas d'oeufs
de poiffons ; j'ajoûterois de coquilles &
de leurs détrimens . D'autres expériences
Monfieur , vous feront étendre infailliblement
cette idée beaucoup plus loin. Je në
fuis pas moins fatisfait pour la confirmation
des miennes , que ma remarque fur le plus
ou le moins de réfiftance des corps marins
à la décompofition vous paroiffe également
importante & certaine ; & je penſe
comme vous , que la qualité du diffolvant
eſt une autre raison qui peut hâter ou retarder
leurs changemens.
- A l'égard de mes idées fur les couleurs
je vous prie , Monfieur , de mettre beaucoup
de diftinction entre ce que j'ai cru
pouvoir avancer avec une forte vraiſemblance
qui approche pour moi de la certi
tude , & que j'ai propofé comme une fimple
conjecture , qui exige d'autres éclairciffemens
& d'autres preuves ; il me femble
même que je vous ai demandé grace
pour ma hardieffe. Que m'étois- je propofé
dans ma derniere lettre ? d'expliquer
fuivant mes foibles notions , d'où vien-
Eij
100 MERCURE DE FRANCE.
f
nent les belles couleurs d'un grand nombre
de foffiles, J'en trouve la fource dans les
couleurs des corps marins , ou plutôt je
crois les reconnoître pour celles même de
ces corps , qui s'en détachant , comme ję
l'ai repréfentés, deviennent celles des au
tres corps aufquels elles fe joignent. Je
n'en excepte pas les mineraux ; & frappé
de voir que toutes mes expériences s'accordent
avec cette fuppofition , j'ajoûte qu'il
ne feroit pas furprenant pour moi qu'on
découvrit par d'autres obfervations que
les couleurs des végétaux vinſſent auffi de
la même fource : ce n'eft pas mettre au même
rang deux idées que je ne regarde
point encore du même oeil , & dont la feconde
n'est qu'une induction hazardée de
la premiere.
11
Mais permettez - moi , Monfieur , de remarquer
en premier lieu que vous ne
condamnez point celle qui regarde les
belles couleurs de certains foffiles & des
mineraux , & que votre filence du moins
me laiffe la liberté de conclure que vous
ne trouvez rien à combattre dans mon explication.
C'étoit particulierement
fur ce
point , tel que je l'ai expofé , que ma déférence
pour vos lumieres me faifoit fouhaiter
d'obtenir votre jugement,
2. Vos obfervations ne commencent
SOWA MEAL 1755 101
qu'à l'occafion des végétaux , lorfque donnant
plus d'étendue à mon explication que
je ne lui en donne moi-même , vous fuppofez
que je cherche auffi la fource de
leurs couleurs dans celles des corps marins.
Il ne vous paroît pas vraisemblable que
cette fource puiffe fuffire pour colorer tant
de fubftances , fur- tout les plantes dont les
couleurs fe renouvellent journellement ;
la feule verdure de l'herbe vous paroît
une difficulté invincible , &c. Que direzvous
de moi , Monfieur , fi je fais tourner
cette objection inême en ma faveur
en obfervant qu'elle ne nuit point au fond
de mon explication , puifqu'elle ne regarde
que le plus ou le moins d'extenſibilité
des parties colorifiques ? Il me deviendra
peut être affez indifférent jufqu'où elles
peuvent s'étendre , fi l'on m'accorde qu'elles
peuvent être tranfmifes , comme je le
crois , dans la fphere de leur extenſion
réelle , & je n'en aurai pas moins trouvé
d'où viennent les belles couleurs d'un grand
nombre de foffiles qui font dans cette fphere.
Mais le globe terreftre produit- il quel
"
>
que chofe qui n'y foit pas , lorfque fuivant
mes idées , il eft certain & régulierement
démontré les obfervations qu'il
n'y a point de couches connues qui ne
foient compofées de corps marins , ou de
སཎ
par
E iij
102 MERGURE DE FRANCE.
leurs détrimens fous d'autres formes p
23 Rappellez - vous , s'il vous plaîry
Monfieur , que je fonde uneipartie de mon
explication fur la parfaite reffemblance de
quelques- unes des belles couleurs des foffiles
avec celles des corps marins , & fur les
traces que je crois trouver de la même
origine dans celles où la reffemblance eft
moins parfaite : il s'enfuit que la tranfmiffion
que je fuppofe , n'eft pas égale , tan-
τότ parce que les parties colorifiques ne fe
détachent pas également des.corps marins ,
ou ne fe joignent pas également aux autres
corps , tantôt parce qu'elles reçoivent
le mêlange de diverfes autres parties qui
les alterent ou qui rompent leur continuin
té. Mais auffi long-tenis qu'elles ne chan
gent point de nature , elles doivent conferver
, fuivant mon explication , la couleur
qui leur eft propre ; & leur féparation
ou leur difperfion dans un tems n'empêche
point qu'elles ne puiffent fe rejoindre
dans un autre. Entraînées comme elles
font par les fucs qui les détachent , elles
circulent avec eux dans les différens lits
de la terre , jufqu'à ce qu'elles fe joignent
aux corps qui font capables de les arrêter' ;
& les corps aufquels il s'en joint le plus¹ ,
avec moins de mêlange , font ceux où les
couleurs qu'elles forment ont un plus patMA
I.
1755. 103
fait rapport à leur origine . Cette théorie
qui ne bleffe aucune vraisemblance , donne
un champ affez vafte à l'extenfion des parties
colorifiques , que j'ai fuppofées d'ailleurs
extrêmement minces , extrêmement
déliées , ductiles même , & fi l'on veut diviſibles
à l'infini ; celles qui s'y mêlent peuvent
être fulfureufes ou falines , & fervir à
varier les couleurs ; mais dans la fuppofition
conftante que notre globe n'a point de couches
connues qui ne foient compofées de
corps marins , d'où viennent les foufres &
les fels fi ce n'eft de cette matiere , dans
laquelle ils font renfermés ? & ne font-ils
pas mêlés eux - mêmes de parties colòrifiques
qui fortent de la même fource ?
Ce n'eft pas aujourd'hui , Monfieur , que
je veux faire ufage de ces principes , pour
en étendre les conféquences auffi loin
qu'elles peuvent l'être je n'ai penſé ici
qu'à jetter un peu de jour fur mes premieres
idées. Mais fi vous trouvez que je
n'ai pas mal élargi le champ pour la tranfmiffion
des couleurs du genre animal au
mineral , peut- être avancerai - je plus hardiment
dans la même carriere ; & je ne
defefpere pas du moins d'avoir bientôt
quelque chofe de raifonnable à vous écrire
fur ce qui peut fournir au renouvellement
continuel des couleurs dans les végétaux ,
E iv
104 MERCURE DE FRANCE .
auffi -bien qu'à la verdure conftante de
l'herbe. Un voyage que je viens de faire
avec quelques amis éclairés , fournit une
nouvelle matiere à nos obfervations. J'en
foumettrai inceffamment les fruits à vos
lumieres : mais c'eft en comptant toujours
fur votre indulgence , comme je vous prie
de faire fonds fur les fentimens inviolables
avec lesquels j'ai l'honneur d'être ,
& c.
A Paffy, le 30 Novemb. 1754.
MÉTALLURGIE.
Ans le Mercure d'Avril , page 13.45
à l'article Métallurgie , un anonyme
afin d'ôter avec raifon l'honneur de l'invention
de l'art de convertir le fer en
acier à celui qui en a établi une manufacture
, fans faire mention de M. de Réaumur
, en attribue la découverte à Sebaſtien
Florès , Serrurier de Madrid , qui en fit
l'heureuſe expérience il y a plus de vingtcinq
ans , par ordre du Confeil de Commerce.
Cet anonyme n'a pas lu fans doute
dans le volume des Ephémerides cofmographiques
pour 1754 , page 318 , ce
qui fuit.
* » L'ancienne connoiffance qu'en EgypMAI
1755. 105
"}
te on fait éclore des oeufs par le feul dégré
de la chaleur d'un four convena-
» ble , tant d'autres ufages & analogies
pouvoient conduire plutôt à l'électrifation
lente & graduelle , & à un art qui,
» 1fans la fagacité d'un Réaumur , feroit
encore à defirer , ainfi que l'art de convertir
le fer en acier. En auroit- on moins
d'obligation à un fi zélé naturalifte , malgré
l'ancien ufage de tremper ces métaux
fortant de la forge , dans l'eau pour
» les durcir , comme le Pere Merfene l'a
rapporté dès 1634 , dans fes queſtions
» phyfiques.
ور
t
SEANCE PUBLIQUE
De l'Académie des Infcriptions & Belles-
Lettres.
' Académie royale des Infcriptions &
Belles-Lettres fit fa rentrée publique
d'après Pâques le 8 d'Avril. Après l'annonce
des fujers propofés pour les prix de
1756 , M. l'Abbé Batteux fit la lecture d'un
mémoire , qui a pour titre Développement
de la doctrine d'Ariftippe , pour fervir d'explication
à un paffage important de la premiere
Epitre d'Horace . M. de Bougainville ,
Secrétaire perpétuel de l'Académie , lut
Ev
106 MERCURE DE FRANCE .
enfuite un mémoire , intitulé Hiftoire du
voyage d'Hannon fur les côtes d'Afrique , tirée
de fa relation éclaircie par celles des voyageurs
de Médie. M. d'Anville eft l'auteur
du troifieme mémoire qui fut lu , & qüi
regarde un monument fculpté fur une montagne
d'une des provinces de cet ancien
royaume. La lecture du fixieme mémoire
de M. le Beau fur la Légion Romaine ter-
-mina la féance. obog
Le prix a été remis pour l'année prochaine.
Le fujet propoſe n'ayant pas été
traité au gré de l'Académie , elle propofe
de nouveau la même queftion ; fçavoir ,
En quel tems , & par quels moyens le Paganifme
a été entierement éteint dans les Gaules.
L'Académie donnera auffi ens le
prix fondé Le
r M. le Comte de
Caylus
.
fujet confifte à déterminer , Quels font les
attributs diftinctifs qui caracteriſent Jupiter
Ammon dans les auteurs , & fur les menumens
? Quelles pouvoient être l'origine & les
·raifons de ces attributs ? avoient- ils tous éga-
·lement rapport aux dogmes de la religion
égyptienne ? ont-ils éprouvé , foit en Egypte ,
foit ailleurs , des alterations propres a fixer
à peu-près l'âge des monumens où ils font repréfentés
? Le premier de ces deux prix Tera
diftribué dans la féance publique d'après
Pâques , & le fecond dans celle d'après la
S. Martin.
MAI. 1755. 197
SEANCE PUBLIQUE
L
De l'Académie royale des Sciences .
E 9 l'Académie royale des Sciences rentra
publiquement . M. de Fouchy , Secrétaire
perpétuel de l'Académie , fit la lecture
de l'éloge du feu Baron Wolf , affocié
étranger. Elle fut fuivie de celle d'un
mémoire de M. de Mairan fur la balance
des Peintres , du feu Sr de Piles . M. le Roi
lut un mémoire fur l'Electricité. La féance
fut terminée par la lecture que fit M. Duhamel
de la Préface d'un ouvrage qu'il va
publier en deux volumes , fur les arbres&
arbuftes qu'on peut élever en pleine terre dans
les différentes provinces du royaume . Il doit
faire partie d'un grand traité fur les bois &
les forêts.
Le fujet du prix de cette année étoit la
maniere de diminuer , le plus qu'il eft poffible
, le roulis & le tangage d'un navire , fans
qu'il perde fenfiblement par cette diminution
- aucune des bonnes qualités que fa conftruction
doit lui donner. Ce prix a été adjugé à la
piéce Nos , qui a pour devife , per varios
ufus arfem experientia fecit. M. Chauchor ,
fous - conftructeur des vaiffeaux du Roi à
E vj
108 MERCURE DE FRANCE .
Breft , en eft l'auteur. Comme ce fujet eft
important , & qu'il peut être plus approfondi
, fur-tout par rapport au tangage ,
l'Académie le propofe une feconde fois
pour 1757 .
SEANCE PUBLIQUE
De la Société Littéraire d'Arras.
A Société Littéraire d'Arras tint le 22
Juin une affemblée publique à l'occafion
de la réception du R. P. Lucas , Jéfuite.
Le remerciment qu'il fit à ce fujet
fervit d'introduction à un difcours fur
l'excellence de l'hiftoire naturelle , dont
l'utilité & les agrémens firent les deux objets
de fa divifion.
Pour ne pas fortir des bornes d'un extrait
, on fe contentera de rapporter ici
quelques morceaux , dont le but étoit de
prouver que l'Artois renferme une égale
abondance de curiofités naturelles & de
'monumens antiques. Voici comment le P.
Lucas s'exprima fur ce point dans l'exorde
´de fon difcours. » L'Artois , votre patrie
» & la mienne , Meffieurs , offre aux dif-
» fertations des curieux tant d'objets inté
reffans , que la nature femble avoir fe
MAI. 1755: 100
» condé vos intentions & les miennes , en
» réuniffant dans les bornes étroites de cet-
» te province tout ce qui peut être utile
» au bien public , & fatisfaire la curiofité
des Naturaliſtes. La multitude des cho-
» fes fingulieres & même uniques qui fe
préfentent , comme d'elles-mêmes , fous
» nos yeux & fous nos pas , les pierres du
» res & molles , les pierres à grains & à
» feuilles , les pétrifications de toute ef-
» pece , les cryftallifations différentes , les
» bitumes , les foufres , les eaux , les végé-
"
»
taux , les minéraux , les médailles ro-
» maines du haut & du bas Empire , les
antiquités celtiques , tout s'y trouve ,
» tout s'y offre à nos recherches ; on ne
» peut faire un pas fans fouler aux pieds
» les tréfors de l'Hiftoire naturelle & de
l'Hiftoire ancienne.
ود
Le P. L. s'étendit dans fa premiere partie
fur les fecours que le Naturaliſte procure
à l'Hiftorien , en lui fourniffant de
précieuſes antiquités , & il détailla ainſi
les découvertes de ce genre qu'il a faites
dans l'Artois . » Toutes les parties de cette
province ne femblent- elles pas fe difpu-
» ter l'honneur de perfectionner l'hiſtoire ?
» Dainville & Gouy en Artois réfervoient à
» notre fiècle , depuis plus de deux mille
ans peut-être , la découverte de douze
a10 MERCURE DE FRANCE.
.ود
tombeaux finguliers , dont l'antiquité ,
» la matiere & la figure peuvent être le fu-
» jet d'une differtation également curieuſe
» & inftructive. Les marais d'Ecourt- Saint-
Quentin , après avoir fourni long - tems
» des tourbes plus noires & plus compac-
» tes que les tourbes ordinaires , n'en pa-
» roiffent refuſer aujourd'hui à vingt pieds
» de profondeur , que pour nous décou-
» vrir d'un côté une antiquité cachée , une
» chauffée romaine , large de vingt- quatre
» pieds , dont le commencement & le ter-
» me font encore inconnus .... & d'un
» autre côté , un amas de piques , de ha-
» ches , de maffes & de diverſes armes
gauloifes & romaines . La fabliere de
» Barale , à fix lieues d'Arras , nous a confervé
depuis mille trois cens ans , fous
vingt-deux pieds de fable , des vafes ro-
» mains de différentes figures , des pate-
» res , des fympules , des jattes rondes &
polies . Arras , Recourt , Foucquieres , & c .
préfentent aux differtations des Natura-
» liſtes de nos jours , tantôt à vingt- deux
» pieds , tantôt à plus de cent pieds de pro-
» fondeur , des arbres entiers dans une
» terre tourbeufe , dont ils font noircis &
pénétrés depuis plufieurs fiècles , fans
" avoir rien perdu de leur nature combuftible
, en perdant leur couleur naturelle...
23
ور
AMA I. 1755. Ir
爆
:
Quel fonds pour des differtations fçavan-
» tes ! quelles richeffes pour l'hiftoire ana
cienne ! quel tréfor celle de cette
≫ province
pour
Le nouvel affocié traita enfuite dės diverfes
reffources que nous devons au Naruralifte
, foit pour les befoins , foit pour
les commodités de la vie. Il parla des vulnéraires
, dont mille efpéces fe trouvent
réunies fur les montagnes d'Hefdin , comme
fur celles de la Suiffe & de l'Espagne .
Il indiqua deux ou trois fources d'eaux
minérales , jufqu'ici prefque inconnues
en Artois , & plufieurs mines de fer , de
plomb , de vitriol , dont les marques caractéristiques
, qui fe rencontrent par- tout
au centre & vers les extrêmités de l'Artois ,
femblent promettre un fuccès certain aux
travaux des Entrepreneurs. N'envions
·
" point , ( dit il en parlant du plâtre )
» n'envions point , Meffieurs , aux autres
contrées cette matiere fi utile ; nous en
S❞ trouvons dans celle-ci on peut faire
:
dans l'Artois ce qu'on fait dans l'Ile de
- France : Bourlon & Carency nous donne-
»ront un plâtre plus fin que celui de -Mont-
» martre ... ! du moins la découverte nous
» annonce un heureux fuccès : l'épreuve
de la calcination & de l'humectation
l'affûrera & l'expérience le perpétuera
112 MERCURE DE FRANCE.
»pour l'honneur du Naturaliſte , & pour
» le profit de l'Artois .
Sur la fin de fon difcours le P. L. entreprit
de faire voir que le Naturaliſte fatisfait
prefque toujours fa curiofité , en
trouvant ou ce qu'il cherche , ou ce qu'il
ne cherche pas , & l'Artois & fes environs
lui fourniffent encore des preuves de cette
vérité. Vous cherchiez , dit- il , dans les
carrieres , la pofition , l'étendue , la con-
» tinuité & l'épaiffeur des couches de ter-
"re , & vous avez apperçu dans des blocs
de pierre à la carriere royale de Ronville ,
»près d'Arras , des empreintes & des lits.
>> entiers de coquillages ; dans celle de
» Saint Vaaft , à la porte d'Amiens , dės
99
globes de matiere minérale , dont tous
» les rayons partent du point central , &
» aboutiffent à une circonférence inégale
»& champignoneufe ; & dans celles de
» Berles , à quatre lieues d'Arras , & de
» Saint Pol , à fept lieues de cette ville , des
» huîtres pétrifiées & des marcaffites de
plufieurs efpeces. Vous cherchiez dans
» des coquilles pétrifiées l'ouvrage des in-
» fectes marins confervé dans des carrie-
»res profondes depuis le déluge général ;
» & vous trouvez dans des monumens
antiques , ou l'ouvrage des premiers
» Gaulois , ou celui des anciens Romains...
""
"2
M A I.
1755. 11}
Vous cherchiez à Méricourt , à vingtquatre
pieds de profondeur , quelle eft
la couche de terre ou de gravier où finît
la matiere tourbeufe des marais , & la
» Drague *vous a rapporté différens fruits,
» des noix , des noifettes , dont la coque
» s'eft confervée entiere & folide pendant
» des milliers d'années .... Vous cherchiez
» dans les fontaines des fimples aquatiques,
& des roſeaux pétrifiés fe font offerts à
» vos yeux dans celle d'Albert fur les confins
de cette province .... Vous faifiez
» creufer les terres de Flers pour en exami
ner les différentes couches , & vous y
» avez déterré un amas confidérable de
> médailles romaines bien confervées , &
» réunies dans des vafes de terre dure &
folide .... Vous cherchiez près de Bou-
» chain des fources peu profondes , & vous
» avez tiré de la terre des monnoies farra-
» zines qui ont enrichi votre cabinet ……….
» Vous cherchiez dans les campagnes de
l'Abbaye de Dommartin des échinites
marins changés en cailloux , & avec quel
agréable étonnement vos yeux y ont
» trouvé des monnoies celtiques de fer ! ...
»Vous faifiez jetter les fondemens d'une
" Eglife paroiffiale à Gouy en Artois , &
* Inftrument pour tirer la terre à tourbe.
114 MERCURE DE FRANCE .
cette terre autrefois fanctifiée par de
pareilles fondations , vous a offert des
» médailles françoifes auffi curieuſes &
» inftructives qu'elles font antiques &
"
3 rares.
M. Leroux , Directeur , répondit au
Pere Lucas , & lui dit entr'autres chofes :
» Nous croyons comme vous , mon Révé-
» rend Pere , que la connoiffance de l'hiſtoi-
» re naturelle a toute l'utilité & les agré-
»mens qui peuvent attacher l'honnête
» homme : on ne peut rien ajoûter aux
❞preuves que vous avez fçu rendre fi inté-
» reffantes : on reconnoît avec plaifir que
» vous ne trouvez rien qui foit trop fé-
» rieux pour vos amuſemens , quand vous
» croyez pouvoir les faire fervir à éclairer
» vos compatriotes .... Hâtez - vous , mon
» R. Pere , de leur faire part des recherches
fçavantes que vous leur annoncez.;
» empreffez - vous à leur développer ces
» phénomenes qui ont bien pu arrêter pour
quelques momens leur attention , mais
dont il ne paroît pas qu'ils ayent fçu juſ-
» qu'aujourd'hui pénétrer la fource , ou
» démêler les avantages ; dirigez leur contemplation
: ouvrez - leur la terre qu'ils
habitent ; expliquez -leur comment , depuis
le déluge , elle n'eft qu'une maffe
formée d'un affemblage de mille chofes ,
C
99
ود
99
MATI 1755
९
و د
qui paroiffant déplacées dans fon fein ,
ne femblent offrir que des conjectures
fur les caufes de ce mêlange étonnant.
Placé avec eux comme dans un monde
»fouterrein , montrez-leur que c'eſt ſou-
» vent là que fe trouve l'origine de ces
changemens qui nous arrivent à nous-
» mêmes , ou aux autres, corps qui font fur
la furface de la terre ; dites-leur ce qu'ils
In doivent penfer des fontaines , des rivieres
, des vapeurs , de la formation & de
l'accroiffement des animaux & des végétaux
; en un mot , de toutes les merveil-
» les qui peuvent échapper à leurs lumieres
, ou réfifter à leur entendement. <
¡ M. Enlard de Grandval lur des remarques
fur les difficultés de la verfification
françoife . Il fit voir que ces difficultés réfultoient
principalement de la multitude
des articles , des pronoms , de certaines
prépofitions & conjonctions , des verbes
auxiliaires fouvent doublés. » Toutes cho-
>>> fes qui ne peignent rien , mais qui rempliffent
en partie la mefure , & y tien-
» nent la place d'autres mots qui exprime-
. . و ر
C
roient un fentiment , ou une image , uni-
» ques refforts du nerfpoëtique. » Il fit encore
obferver que le défaut d'élifion dans
les voyelles , excepté le muet , excluoit ła
rencontre d'une infinité de mots , qui ne
16 MERCURE DE FRANCE.
pouvoient plus fe trouver enfemble dan's
notre poëfie ; que notre profodie , quoique
peu marquée , exigeoit des attentions trèsdélicates
, parce que trop de breves ou de
longues dans un vers , le rendoient défectueux
; que non feulement la quantité des
fyllabes , mais encore leurs fons qui doivent
être variés , & le choix des rimes ,
qui , quoique différentes entr'elles , font
cependant monotones & choquantes quand
elles roulent de fuite fur une même voyelle
, en rendoient l'arrangement très- difficile.
Ce qu'il y a de pis , ajoûta M. de
» G. eft que nous n'avons fur cela aucune
régle qui puiffe nous gouverner ; la li-
» berté même fait le danger : rien de fi
borné que les préceptes de notre poëfie ,
rien de fi embarraſſant que l'exécution .
» Le choix des fyllabes breves ou longues ,
» celui des rimes & des fons eft purement
و د
ود
""
arbitraire ; il ne dépend que du goût dự
» Verfificateur ; mais combien ce goût
» doit- il être fûr & exercé pour ne s'y pas
méprendre , & qu'il eft rare de l'avoir
» tel !..... Les autres nations ont pour
»la poëfie un langage à part , une langue
» des Dieux : nous retenons la nôtre dans
» toutes fes entraves ; nul écart de la Gram-
» maire , nulle licence n'y eft permiſe . Les
figures , la métaphore font l'ame de la
MA 1. 1755. 117
poëfie , nous en exigeons fans doute , &
nous prétendons que le Poëte nous anime
, nous éleve , nous échauffe , mais
» à condition que l'art fe cache avec foin ,
& que l'enthoufiafme ne s'éloigne pas
trop du langage naturel . Peuple léger ,
vif & capricieux , nous voulons que la
fageffe regne jufques dans la fureur poë-
" tique ! &c.
M. le Chevalier de Vauclaire récita
deux pieces de poësie morale , imitées des
vers de Bocce , fur la confolation philofophique.
L'on termina cette féance par
un mémoire que M. Dupré d'Aulnay ,
membre de la Société littéraire de Châlons
en Champagne , avoit envoyé pour
tribut à celle d'Arras , à laquelle il eft
aggrégé depuis peu , comme affocié externe.
Ce mémoire confiftoit en des obfervations
phyfiques fur le fel marin , pour
réfuter les conjectures de M. R. P. V. J.
au fujet d'un ouvrage imprimé dans un
recueil de l'Académie de la Rochelle.
Nous apprenons que depuis la féance
publique dont on vient de rendre compte
, la Société littéraire d'Arras en a encore
tenu deux autres , le 26 Octobre
1754, & le 15 Mars dernier. Voici la
lifte des pièces qui ont rempli ces nouvelles
féances...
118 MERCURE DE FRANCE.
Effai fur la néceffité & l'utilité des rew
cherches de monumens antiques & de médailles
dans la province d'Artois , relative
ment à l'histoire du pays , par M. Camp. x
2 Obfervations fur l'origine & les étymolo
gies de plufieurs noms de lieux anciens fitues
en Artois ; par le même .
Remerciment de M. Foacier de Ruzé ,
nouvel Affocié , auquel M. Camp a tépondu
en qualité de Directeur.
A
Difcours de M. Brunel , Avocat , Chan
celier de la Société , dont l'objet étoit de
prouver combien le mépris de la littérature
nuit au bien public.
Suite du mémoire hiftorique , lû par M.
Harduin , à l'affemblée du 3o Mars 1754 ,
contenant la relation des cérémonies qui
fe pratiquoient dans la ville d'Arras , fous
les Ducs de Bourgogne de la feconde race ,
aux entrées folemnelles de ces Princes &
des Rois de France leurs Souverains .
Effai hiftorique fur l'origine de la langue
françoife , par M. Enlart de Grandval ,
qui avoit donné le difcours préliminaire
de cet ouvrage à la féance du 30 Mars
1754.
Obfervations phyfiques du R. P. Lucas ,
fur les découvertes qu'on a faites en creufant
le lit du nouveau canal qui doit for--
mer une communication entre la riviero
MAI. 119
1755.
d'Aa & la Lis , dont les travaux ont été
commencés en 1753 , à trois quarts de
lieue de Saint - Omer , par l'ouverture dè
la montagne des Fontinettes.
Pour procéder avec ordre , le P. L. a
divifé fa differtation en quatre articles.
Il expofe dans le premier , quelle eft la
matiere , la couleur , la fituation , l'épaiffeur
& le nombre des différentes couches
qu'on a coupées dans la montagne
des Fontinettes. En parlant de la derniere
couche de glaife , il rapporte les expériences
qu'il a multipliées , pour fe convaincre
par les yeux que l'origine des fontaines
& des rivieres doit être attribuée aux
brouillards , à la rofée , à l'eau de pluie ,
&c. & il réfute les autres fyftêmes qu'on a
imaginés à cet égard. Il ajoute quelques
réflexions fur les couches de fable qu'on
á découvertes dans la montagne , du côté
du village d'Arques ; il obferve que les
grains de ce fable , qui eft vitrifiable , font
plus gros que ceux du fable ordinaire des
fablieres d'Artois , & que la plupart de
ces grains font taillés à fix pans , qui aboutiffent
à une pointe commune ; ce qui
pourroit faire conjecturer que ce font de
petites primes de cryſtal , femblables à celles
des cryftaux colorés & non colorés
de Suiffe , de Portugal , &c.
120 MERCURE DE FRANCE.
2
Dans le fecond article , le P. L. diftingue
deux efpéces tout à fait différentes de
minéraux , trouvées dans les mêmes fouilles
, à vingt- cinq pieds de profondeur. La.
premiere efpéce eſt une matiere lourde
jaune & brillante , qui paroît métallique
au premier coup d'oeil , mais qui ne l'eft
Il pas. prouve que plufieurs de ces fragmens
minéraux ont été autrefois de vrai
bois , dont ils confervent encore les fibres
ligneufes , les noeuds convexes & concayes
, les racines & les branches naiſlantes .
Il explique comment une métamorphofe
auffi finguliere a pû fe faire , comment ce
bois a changé de nature , fans changer de
configuration extérieure , & fur-tout comment
il peut fe rencontrer dans le fein
d'une montagne , dont la formation n'a
point d'époque connue , & paroît être de
la plus haute antiquité. Il paffe enfuite à
la décompofition qu'il a faite de ce bois
minéralife ; & après avoir prouvé qu'on
n'y reconnoît pas les qualités d'un métal ,
il conclut que c'eft un foufre minéral २
mêlé de quelques parties de fel neutre ,
& d'une grande partie de terre.
Le fecond minéral eft une matiere
talqueufe & tranſparente , compofée de
feuilles prefque infiniment minces , appliquées
& collées les unes fur les autres ,
de
MAI. 1755. 121
1
de maniere que ce grand nombre de couches
ne diminue point la tranfparence de
la maffe continue , & n'interrompt point la
direction des rayons de lumiere qui y
paffent en ligne droite prefque aufli aifément
que dans le verre . Ces morceaux
talqueux forment dans la glaiſe des étoiles
en tout fens , dont les rayons divergens partent
d'un centre commun , qui n'eft qu'un
point , ou plutôt qui n'eft formé que par
les pointes inférieures des rayons mêmes ,
qui y aboutiffent & s'y réuniffent tous en
un feul point. Le P. L. décrit leur figure
extérieure & leurs différentes dimenfions ;
& après avoir montré pourquoi quelquesuns
de ces rayons paroiffent entés les uns
fur les autres , il s'attache à expliquer la
formation finguliere des épis de folle
avoine qu'on y remarque diftinctement, &
qui s'étendent dans le fein & felon la longueur
de chaque rayon . Il foutient que
cette matiere talqueufe , bien broyée &
bien pilée , eft préférable au tripoli & au
foufre pour les maftics fins , & qu'elle peut
fervir à blanchir l'argent quand elle a été
calcinée dans le creufet , & réduite en poudre
impalpable. Il explique enfin comment
cette matiere paroît vitrefcible dans
l'eau forte , où elle ne fe diffout point ,
& femble cependant fe calciner dans un
F
22 MERCURE DE FRANCE.
grand feu , où elle ne fe vitrifie pas.
Le P. L. a détaillé , dans le troifiéme
article , les indices qui paroiffent annoncer
aux environs du nouveau canal quelques
mines de plomb , à une plus grande
profondeur. Il a remis à une autre féance
le quatrième article , dans lequel il parlera
des divers fragmens de végétaux & de parties
animales qui ont été trouvées dans les
couches de fable , vers l'endroit où l'on a
commencé l'excavation du canal.
ΜΑΙ. 1755. 123
ARTICLE IV.
BEAUX - ARTS.
L
ARTS AGRÉABLES.
MUSIQUE.·´
E Vendredi 4 Avril , Mlle Fel chanta
au Concert fpirituel Exultate Deo ,
petit motet nouveau , dont le fuccès engagea
l'auteur , qu'on ne connoiffoit pas ,
à fe déclarer.
C'eft M. le Chevalier d'Herbain , de
l'Ordre militaire de S. Louis , Capitaine
d'infanterie dans le régiment de Tournaifis
, fi connu en Italie par plufieurs grands
ouvrages en mufique qu'il y a fait repréfenter
en des tems différens , & qui
y ont été reçus avec l'applaudiffement général
d'une nation trop riche en grands
compofiteurs , & trop exercée à les apprécier
, pour que fon fuffrage en ce genre
puiffe être jamais foupçonné de méprife.
M. le Chevalier d'Herbain avoit débuté
à Rome par Il Gelofo , intermede qu'il y
fit repréfenter en 1751 , & qui le fut en-
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
à fuite à Florence & à la Baſtia en 1753 ›
la naiffance de Monfeigneur le Duc de
Bourgogne. Les troupes Françoifes qui
étoient en Corfe, chercherentfà feconder le
zele de leur Général , pour faire éclater aux
yeux d'une nation étrangere la joie vive
des François . C'eſt toujours le caractere
d'efprit de celui qui commande qui devient
l'efprit du corps entier qu'il a fous
fes ordres ; auffi dans cette occafion on eut
l'adreffe de joindre à beaucoup de foin &
de dépenfe toutes les graces ingénieufes
des arts ; & les fêtes que M. le Marquis
de Curfay donna à la Baſtia en 1751 , commencerent
par le Triomphe des lys , opéra
Italien en trois actes , poëme fait exprès ,
que M. le Chevalier d'Herbain mit en
mufique , qu'on repréfenta avec beaucoup
de magnificence , qui mérita un fort grand
fuccès , & qui fut dédié à Monfeigneur
le Dauphin , dont il fut reçu avec cette
bonté qui lui eft fi naturelle .
M. le Chevalier d'Herbain donna l'année
fuivante l'opéra de * Lavinie fur le
théatre de la Baftia. Le fort de cet ouvrage
fut fi heureux , qu'on voulut l'avoir
à Milan pendant le carnaval de 17.53 ,
& qu'on le donna enfuite à Florence & à
* Lavinia,
1
MA 1. 1755. 125
Genes pendant le carnaval de 1754 , avec
le même fuccès.
De retour en France , M. le Chevalier
d'Herbain a fait graver les Charmes du
Sommeil, & le Retour de Flore , cantates , qu'on
trouvera aux adreffes ordinaires , & qu'il
a eu l'honneur de dédier & de préfenter
à Madame la Dauphine le premier jour de
cette année .
la
Exultate , petit motet qui a donné lieu
à cette digreffion , eft le dernier ouvrage
que nous avons de cet auteur fi digne de
nos applaudiffemens. Il fut exécuté pour
feconde fois au Concert fpirituel , avec un
très -grand fuccès , le Lundi 7 de ce mois ,
par Mlle Fel , qui lui prêta les charmes
d'une voix unique , ces graces vives d'une
exécution toujours précife , & ces traits
finis , que leur facilité fait attribuer à la
nature , & qui font le chef-d'oeuvre du
talent & de l'art. Tous les fpectateurs en
écoutant des chants fi agréables & de fi
bon goût , formoient le voeu unanime de
voir un jour M. d'Herbain confacrer fest
loisirs à un plus grand théatre qui réclame
fes talens , & aux plaifirs de fa nation.
qui en fent déja tout le prix.
Ce motet fe vend à Paris , chez le fieur
Bayard , à la Régle d'or , rue S. Honoré ;
Mlle le Clair , à la Croix d'or , rue du Rou-
F iij
126 MERCURE DE FRANCE.
le ; & Mlle Caftagneri , rue des Prouvairos
, à la Mufique royale .
On y trouve auffi , Scelta d'Arie del
dramma ( la Lavinia ) e di alcuni altri ,
meffi in mufica dal Signore Cavagliere
d'Herbain , e rappreſentati in varri teatri
d'Italia ; dedicate a fua Altezza Sereniffima
il Principe Luigi , Duca di Wurtemberg
, & c.
Recueil d'Aria de l'Opéra italien , intitulé
Lavinie , & de quelques autres , mis
en mufique par M. le Chevalier d'Herbain
, & exécutés fur plufieurs théatres.
d'Italie ; dédiés à fon A. S. Mgr le Prince
Louis , Duc de Wurtemberg , &c.
PEINTURE.
Avis aux Dames.
C'ler Dames d'oifiveté , & qu'on leur
reproche le tems qu'elles paffent à leur
toilette. Si l'on y réfléchit , on trouvera
qu'elles y donnent le moins de momens
qu'il leur eft poffible , & qu'elles faiſiſſent
avec avidité tous les moyens qu'on leur
préfente de les abréger. Une preuve convaincante
de cette vérité eft la mode des
' Eft bien injuftement qu'on accufe
MAI. 1755. 127
perruques qu'elles ont adoptées , quoiqu'elles
fçachent bien qu'elles en font défigurées
, & que tout le monde s'apperçoit
qu'elles portent de faux cheveux : on
a vû même plufieurs d'entr'elles facrifier
la plus belle chevelure , & par conféquent
une partie confidérable de leurs graces naturelles
, à cette commodité.
Cette expérience fait croire que toutes
les inventions qui pourront tendre au bur
de leur épargner du tems , feront également
bien reçues d'elles . Une des chofes
qui les occupe le plus , c'eft l'art de fe mettre
le rouge , qui eft devenu une chofe fi
importante dans l'état , quelque laid qu'il
paroiffe en foi , qu'il eft la marque diftinctive
du rang ou de la richeffe , ou du défaut
de l'un & de l'autre , réparé par des
fervices rendus à la fociété . On a donc
çru faire fa cour aux Dames , en leur donnant
des moyens de fe rendre auffi de fe rendre auffi rouges
qu'elles peuvent le defirer , en peu d'inftans
& d'une maniere permanente , qui
leur épargnera la peine de recommencer
tous les jours.
Le Sr P.... qui depuis long- tems eft
confommé dans l'art de maroufler , c'est- àdire
de coller les toiles peintes ou à peindre
, avertit qu'il a trouvé un fecret admirable
pour maroufler fur le vifage des Da-
Fiiij
128 MERCURE DE FRANCE.
mes , de petites pieces de la plus belle écarlate
, taillées dans la meilleure forme de
couper le rouge , & du dernier goût. Il ofe
affurer qu'ainfi collées , elles pourront
refter attachées pendant environ une an
née pour les perfonnes qui voudront économifer
, & au moins fix mois dans toute
leur fraîcheur
pour les perfonnes plus opulentes
.
On doit remarquer en bon citoyen ,
que ce feroit un encouragement pour les
manufactures d'écarlate établies dans le
royaume , & que cela leur procureroit une
grande confommation , fans fouler perfonne
.
Second avis . Le fieur Loriot a trouvé le
fecret de fixer les paſtels fans altérer la
beauté des couleurs . Il feroit donc facile
de fe faire une fois bien peindre les joues,
foit dans la maniere noble , c'eſt - à - dire
tranchée , foit dans la maniere bourgeoife ,
c'eſt-à- dire imitant le naturel. On pourroit
s'adreffer à quelqu'un des Peintres en paftel
, dont Paris fourmille , & enfuite fixer
cette couleur , de telle maniere que rien
ne puiffe l'altérer.
Troifieme avis. Celui- ci eft le plus important.
Le Sr B .... Peintre du Roi , a
trouvé un nouveau fecret de peindre en
cire , qui n'a ni mauvaiſe odeur ni aucun
MAI. 1755. 129
defagrément ; il délaye la cire dans de l'eau,
& la broye avec les couleurs dont elle femble
diminuer un peu la vivacité ; enfuite il
paffe auprès un fer chaud , qui fond la cire ,
la lie parfaitement avec les couleurs , leur
rend toute leur beauté , & leur procure un
dégré de folidité immuable . On n'oſe cependant
confeiller l'ufage de ce merveilfeux
fecret à toute Dame qui craindroit de
hazarder l'épreuve du fer chaud : peut- être
cette difficulté pourroit - elle reftreindre
l'emploi de cette cire colorée à fi peu de
perfonnes , que celles qui feroient les plus
fûres de s'en fervir fans danger , auroient
lieu de craindre qu'on ne les accusât de
vouloir fe diftinguer dans la fociété .
Ce feroit dommage cependant qu'une
fi belle découverte demeurât inutile , car
elle a un avantage que n'ont pas les deux
autres : c'eft que l'on peut fe laver le vifage
avec de l'eau fans rien ôter à la beauté
de ce rouge. De plus , avec une petite
vergette on y peut donner un luifant qui
égale les plus beaux vernis .
Au refte , comme on donne ici trois
moyens tendans au même but, chacun peut
choifir celui qui lui eft convenable . On efpere
que le beau fexe voudra bien fçavoir
quelque gré à ceux qui s'occupent ainfi
de ce qui peut lui être commode .
Ev
130 MERCURE DE FRANCE.
Réflexion.
On fçait affez que le rouge n'eft que la
marque du rang ou de l'opulence ; car on:
ne peut pas fuppofer que perfonne ait cru
s'embellir avec cette effroyable tache cramoiſie
. Il eſt étonnant qu'on ait attaché cette
diſtinction à une couleur qui eft fi commune
& à fi bon marché , que les plus petites
grifettes pourroient faire cette dépense
auffi abondamment qu'une perfonne de la
plus haute naiffance ; il fembleroit bien plus.
raifonnable qu'on eût adopté l'ufage du
bleu d'outre- mer. *. Cette couleur qui eft
plus chere que la poudre d'or , & dont une
Dame pourroit confommer dans une année
pour la valeur de plus de deux mille écus ,
feroit une preuve de richeffe bien moins
équivoque .
C'eft un Lord qui donne ces importans
avis â nos Dames . Elles trouveront peutêtre
la plaifanterie un peu trop angloife ,
& diront avec dédain qu'elle eft de mauvais
goût ; mais elles doivent la pardonner
à un étranger qui eft plus au fait des
,
* Cet ufage n'eft pas fans exemple. Il y a des
beautés indiennes qui mettent du bleu comme
les nôtres mettent du rouge ; il eft vrai qu'elles
le diftribuent avec plus d'économie , & par petites
veines.
MA I 1755 : 131
beaux arts que du bon ton . D'ailleurs , l'attachement
au rouge eft un mal invétéré ;
on ne peut le guérir que par un cauftique .
A
GRAVURE.
Lettre à l'Auteur du Mercure.
E vous adreffe , Monfieur , la juftifica-
Jinus ad. Duños , attaqué dans l'article
quatrieme du Mercure de Mars : je
vous crois trop équitable pour ne pas
l'inférer
dans celui de Mai ; vous le devez
d'autant plus volontiers qu'elle y tiendra
peu de place ; elle eft auffi courte que fim- eſt
ple.
Un ancien éleve de M. Boucher , &
qu'il ne defavoueroit pas , a remis gratuitement
des deffeins de fon Maître au fieur
Duflos , dont il eft l'ami ; ce Graveur en a
fait l'ufage que tous fes confreres en euffent
fait à fa place. Les deffeins de M. Boucher
plaifent , on fe les arrache ; ils tombent
dans fes mains , il les grave ; affuré du
débit , il les recherche avec plus de foin .
Mais je veux qu'il les eut acquis par des
voies illégitimes ; la mauvaiſe humeur ne
laiffoit- elle à notre fçavant artifte d'autre
reffource que de rendre le larcin public ?:
C'eftun moyen ignoré jufqu'ici de fes con
E vj
132 MERCURE DE FRANCE.
Freres , & qui plus d'une fois dans le cas
de fe plaindre auffi hautement , n'en ont
rien fait ; la réputation étant , au jugement
des hommes , le plus précieux de tous les
biens , demande des égards infinis . Celle
de notre illuftre Académicien eft fi folidement
établie , que des gravûres qu'il ne
veut pas reconnoître , n'étoient pas faites
pour y porter atteinte : que ne laiffoit- il
juger le public ? Il eût vu clair , & il eût
rendu autant de juftice à fa modération
qu'il en rend à fes ouvrages.
Mais tout grand homme a fa manie ;
celle de M. Boucher eft de n'être point
gravé occupé de beaucoup d'ouvrages
qui plaifent , les momens lui échappent
>
n'a pas toujours le tems d'être neuf ; fes
rableaux répandus chez des particuliers ,
ne font pas connus de tout le monde ; fi
la province lui en demande, quelques coups .
de crayon
, quelques traits habilement
ajoûtés ou changés , en font des portraits
nouveaux , & donnent aux Peintres le tems
de refpirer la gravûre y perd , & le public
auffi , mais l'Académicien
y gagne.
:
Inconnu à M. Boucher & à M. Duflos ,
je n'ai d'autre but , Monfieur , que de défendre
un artifte , dont la bonne foi méritoit
plus d'indulgence ; je fouhaiterois apprendre
à leurs femblables les égards qu'ils
MAÍ. 1755. 133
fe doivent réciproquement , & faite connoître
à tous les Peintres qu'ils trouveront
toujours les Graveurs prêts à profiter de
leurs inftructions lorfqu'ils voudront bien
fe communiquer avec le ton de politeffe
& d'affabilité , qui jette autant d'éclat fur
les arts , qu'il honore & diftingue les François.
J'ai l'honneur d'être , & c.
Ce 20 Mars 1755.
LE fieur Gaillard , Graveur en tailledouce
, qui a déja mis au jour plufieurs
eftampes dont le public a été fort fatisfait
, lui en préfente encore une nouvelle
qui pourra également mériter fon fuffrage.
Elle eft gravée d'après un tableau du célebre
M. Boucher , & repréſente une jeune
& belle Dame à fa toilette. Une jolie Marchande
de modes eft affife par terre à fes
pieds , & étale à fes yeux tous les brillans
colifichets dont le beau fexe fait aujourd'hui
fa parure.
On trouve cette eftampe chez l'auteur ,
rue S. Jacques , au- deffus des Jacobins
chez un Perruquier.
*
PORTRAIT du P. Rainaud , gravé par Audrand
, d'après Bonnet. La reffemblance y
eft très bien faifie. On lit ce quatrain au
134
MERCURE DE FRANCE.
bas de l'eftampe , qui fe vend chez l'auteur ,
rue S. Jacques , à la ville de Paris .
Aux applaudiffemens dûs à fon éloquence ,
Ce grand Orateur échappé ,
Dans les vertus enveloppé ,
Prêche encore par fon filence .
M. NATTIER , Peintre du Roi , & Profeffeur
en fon Académie , vient de donner au
public l'eftampe qu'il a fait graver d'après
le portrait de la Reine , qui a paru au falon
du Louvre en 1748. La reffemblance & la
délicateffe du burin font honneur à M.
Tardieu , Graveur du Roi , connu depuis.
long - tems par les foins qu'il prend de bienfinir
fes ouvrages
.
Cette eftampe , qui s'imprime fur la demi-
feuille de papier grand aigle , fe diftribue
à Paris , chez M. Tardieu , rue des
Noyers , à côté du Commiffaire ; & chez
Joullain , quai de la Mégifferie , à la ville
de Rome.
MAI. 1755. 135
1
ARTS UTILES.
ARCHITECTURE .
Obfervationsfur la maniere dont font decorés
les extérieurs de nos églifes ; par M. Patte,,
Architecte.
Uelque libre
que paroiffe la compofition
des édifices , il eft , pour ainfi
dire , une forte de coftume de décoration ,
tant intérieure qu'extérieure
, que l'on doit
obferver relativement
à leurs ufages & à
leurs deſtinations
: la décoration qui convient
à une fontaine , ne doit pas convenir
à un retable d'autel , celle d'un Palais à
un Hôpital ; & il ne feroit pas moins ridicule
d'affecter à une maifon ordinaire
la décoration
qui convient
à une égliſe ,
que d'affecter à une égliſe la décoration
d'un bâtiment ordinaire ; cependant il eſt
rare & très- rare qu'un édifice foit compofé
de maniere à annoncer fa deftination
,
de forte qu'on ne puiffe s'y méprendre
.
Cette partie de l'art eft des plus difficiles ,
& il n'appartient qu'aux Architectes du
premier ordre d'y réuffir ..
Nous n'avons point d'édifices publics
où ce défaut foit plus fenfible que dans
l'extérieur de nos églifes ; & il eft étonnant
que nos Architectes françois ayent
136 MERCURE DE FRANCE.
-
été jufqu'ici fi peu attentifs à la convenance
de leurs compofitions. En effet eft il
naturel d'élever , ainfi qu'on le pratique
tous les jours , plufieurs ordres de colonnes
les uns au- deffus des autres pour décorer
leurs portails cette ordonnance ne femble
- t - elle pas donner au dehors de nos
temples l'air d'un édifice fait pour être habité?
car les différens ordres extérieurs ont
toujours coutume d'annoncer les différens
étages de l'intérieur d'un bâtiment , ce
qu'il eft affûrement abfurde de fuppofer
dans une églife .
Pour mieux faire fentir le vice de cette
décoration , oppofons-lui par contraſte la
maniere dont les anciens, nos Maîtres dans
les beaux Arts , décoroient ces fortes d'édifices
; ils penfoient avec raifon devoir
caractériſer les dehors de la demeure de
l'Etre fuprême par un enfemble grand &
majestueux , qui écartât toute idée d'un bâtiment
ordinaire ; ils employoient pourcet
effet un feul ordre coloffal , formant un
periftyle ou porche au pourtour , & cou-.
ronné par un fronton du côté de l'entrée ,
dans le tympan duquel étoit repréſenté
un bas - relief en rapport avec la dédicace
de leurs temples.
C'eft ainfi qu'étoient décorés les plus
beaux temples de la Grece & de l'Italie ,
MA I. 1755. 137
y
dont nous avons , foit des defcriptions ,
foit de précieux reftes, qui font encore aujourd'hui
, jufques dans leurs ruines , l'étonnement
des plus grands Maîtres ; c'eſt
ainfi que Michel Ange & Palladio , les
deux plus habiles Architectes modernes de
l'Italie , ont compofé les différens portails
qu'ils ont fait exécuter à Rome , à Venife
& autres lieux.
Pour quelle raifon les Architectes de
nos jours fe font- ils donc écartés d'une
compofition fi judicieufe aux portails des
églifes de S. Gervais , de la Sorbonne , du
Val-de- Grace , des Invalides , de S. Roch ,
de S. Sulpice , de l'Oratoire , des Petits Pe
de S. Euftache , qu'on conftruit actuellement
, & autres ?On voit par-tout dans
res ,
* Outre le défaut de plufieurs ordres élevés les
uns au - deffus des autres qu'aura ce porrail que
l'on diftribue gravé dans le public , il en aura un
fingulier , & qu'il eft étonnant qu'on n'ait pas prévú
lors de fa compofition . Au fecond ordre ionique
les deux colonnes du milieu qui font retraite
, afin de laiffer profiler les deux tours , paroîtront
par l'optique , tronquées plufieurs pieds au- deffus
de leurs bafes , à caufe de la grande faillie de
l'entablement dorique , qui aura vis- à-vis de ces
colonnes environ neuf à dix pieds ; ce qui fera
un très- mauvais effet en exécution. On commence
à mettre la main à l'oeuvre , & on réfléchit
enfuite ; ne devroit-ce pas toujours être le con
traire ?
138 MERCURE DE FRANCE.
leurs élévations deux ou trois ordres , furmontés
les uns au- deffus des autres, contre
toute idée de convenance. Entrons un peu
dans l'examen de ce qui a pu donner lieu
à cette forte de décoration .
L'Architecture fortoit à peine de la barbarie
gothique où elle étoit demeurée
plongée depuis tant de fiécles , que l'on
vit élever par De Broffes le portail de l'églife
de S. Gervais ; la réputation que s'acquit
d'abord ce monument par fa nouveauté
& par la beauté de l'exécution de fes
différens ordres , féduifit au point defaire
illufion au vice radical de l'ordonnance
de fa compofition : les éloges que l'on prodigua
à cet édifice firent croire aux Architectes
qui vinrem enfuite , que c'étoit
un modele qu'ils ne pouvoient fe difpenfer
d'imiter en de femblables occafions ;
de la font venus tous ces portails compofés
, pour ainfi dire , fur le même moule
& tous également repréhenfibles , puifqu'ils
s'écartent d'une fage & judicieufe
convenance qui doit être la baſe des arts
& du goût.
On pourra peut - être objecter que la
grande élévation des couvertures de nos
églifes oblige d'élever ainfi plufieurs ordres
pour pouvoir les cacher. A cela il eft
facile de répondre qu'il n'y a qu'à fuppri
MA I. 1755. 139
mer ces énormes toîts de charpente , qui
ne font qu'un ufage abufif fans aucune néceffité
, la voûte plein- ceintre de la nef
d'une égliſe couverte de dalles de pierre à
recouvrement , & jointoyées avec de la limaille
d'acier & de l'urine , eft le feul toît
qui convienne au fanctuaire de la Divinité
on a une expérience reconnue de
cette conftruction , & c'eft ainfi qu'étoient
couverts la plupart des temples des Grecs
& des Romains.
De plus , à l'aide de la maniere de décorer
des anciens , il eſt toujours poffible
d'atteindre à toutes les hauteurs que l'on
peut defirer fans le fecours de plufieurs
ordres , ainfi qu'on pourra le remarquer
dans un projet * que j'ai compofé à ce
deffein pour le grand portail de l'églife
de S. Euftache , en m'affujettiffant à la
hauteur de la nef , qui eft affurement une
des plus élevées de nos Eglifes de Paris.
La vûe de cette eftampe pourra fervir à
convaincre par comparaifon , combien
* Ce projet , auffi -bien que celui qui a été compofé
par Louis le Vau , célebre Architecte , fous
le miniftere de M. de Colbert , & dont on a vu le
modele expofé pendant quelque tems dans l'églife
de S. Euftache , fe vendent à Paris chez l'auteur
rue des Noyers , la fixieme porte cochere à droite:
en entrant par la rue S. Jacques. Prix 1 liv. 4 £.
140 MERCURE DE FRANCE.
cette maniere de traiter ces fortes d'édifices
eft préférable à tous égards à celle
qui a été ufitée jufqu'ici en France.
Un autre avantage qui réfulteroit de
l'emploi d'un ordre coloffal dans nos portails
, eft qu'en le faiſant regner à l'entour
de nos églifes , leur extérieur qui a
coutume d'être fi fort négligé , feroit décoré
naturellement , & cacheroit les arcsboutans
qui font toujours à l'oeil un effer
defagréable ; & quoique par la même raifon
les croifées de la nef ne s'apperçuffent
pas en dehors , l'intérieur de nos églifes
n'en feroit pas moins éclairé , comme on
peut le remarquer dans celle de S. Pierre
de Rome .
Ce défaut de difcernement de nos Architectes
dans la maniere de décorer les
portails , n'eft pas le feul qu'on puiffe leur
reprocher : eft- il décent que la plupart de
nos églifes modernes , ( j'en excepte celle
de S. Sulpice ) ne foient pas toujours précédées
de porches ou veftibules où l'on puiffe
fe préparer au recueillement convenable
avant d'y entrer ? c'eft , ( le dirai - je à notre
honte ) une attention à laquelle les anciens
ne manquoient point ; un réglement
fur la décence de la conftruction de nos
églifes honoreroit affurément la pieté de
nos Magiſtrats.
MA I. 1755. 141
Enfin eft- il convenable de placer les armes
d'un Prince ou d'un homme en place
dans le tympan des frontons de nos portails
, ainfi qu'on le pratique affez fouvent ?
& ne feroit -il pas plus raifonnable de fubftituer
à ces ornemens mondains , & étrangers
à la religion , des bas- reliefs relatifs à
la piété & à la dédicace de nos temples ?
Efperons que le nouveau plan qu'on fe
propofe d'exécuter pour l'églife de fainte
Génevieve nous donnera un modele en
ce genre , & que Paris , l'émule de l'ancienne
Rome , fera décoré d'un temple qui
en fera l'ornement ; l'emplacement
eft des
plus favorables pour exécuter du beau , &
fans doute les voeux du public feront remplis
à cet égard, Dans une grande ville qui
abonde en étrangers & en connoiffeurs
de
toutes les nations , il n'eft rien de plus facile
que d'avoir des confeils éclairés , il
ne faut dans les perfonnes en place que la
bonne volonté de les mettre à profit . Il y
a deux moyens ufités pour réuffir à faire
exécuter du beau en architecture ; l'un de
choifir un Architecte reconnu pour habile ,
l'autre de propofer un concours dont le
public foit juge : le premier n'eft pas toujours
auffi für que le fecond ; on a pour
expérience que les plus habiles gens ne fe
montrent pas toujours tels. Si la réputa142
MERCURE DE FRANCE.
tion eût dû faire préférer un Architecte
pour la conftruction du Louvre , affurément
le Bernin * auroit eu la préférence
fur Perrault ; aucun Artiſte de fon tems ne
jouiffoit d'une réputation auffi brillante
dans l'Europe ; & cependant fi fon projet
qui eft gravé , avoit eu lieu , il ne feroit pas
à la France l'honneur que lui fait celui qui
a été exécuté. On pourroit citer nombre
d'exemples femblables , où de célebres Artiftes
, dans de grandes occafions , fe font
fait voir au -deffous de leur réputation.
Le fecond ( je veux dire un concours ) eft
prefque infaillible ; mais pour qu'il ait fon
efficacité , il faut que l'on foit bien perfuadé
que les perfonnes en place ont une
ferme réfolution de couronner le meilleur
projet par l'exécution ; que les recommendations
& les titres ne feront point admis
en concurrence , c'eſt le moyen d'encourager
le talent ; & plus d'une fois l'on a vû
* Pour attirer le Cavalier Bernin en France
pour la conftruction du Louvre , Louis XIV lui
affûra une penfion de fix mille livres pendant fa
vie , & une gratification de cinquante mille écus ;
il lui envoya en même tems fon portrait orné de
diamans. Outre les frais de fon voyage qui devoient
lui être payés , on lui promit encore cent
livres par jour pendant fon féjour à Paris , tant
étoit grande l'eftime que l'on avoit conçue pour
la haute capacité de cet artiſte.
1
MA I. 1755. 143
en pareil cas l'émulation faire enfanter des
merveilles , qui ne fe feroient jamais produites
fans cette voie. A la fin d'un falon
de MM. les Peintres du Roi , on ſçait , à
n'en pas douter , quels font les meilleurs
tableaux ; on fçauroit pareillement quels
feroient les meilleurs projets. Combien de
monumens embelliroient Paris & nos provinces
, fi l'on s'étoit fouvent fervi de cette
voie ?
RESULTAT de la difpute entre le P.
Laugier & M. Frezier , concernant le
Goût de l'Architecture.
Sm
I l'on ne connoiffoit
l'efprit de l'homme
, on auroit lieu de s'étonner
que
de toutes les difputes
littéraires
il ne réfulte
prefque
aucun accord entre les parties conteftantes
, ni même un fimple aveu de
conviction
de la validité des raifons alléguées
d'un adverfaire
à l'autre , quoiqu'il
foit rare qu'elles
puiffent
être d'une égalité
de poids à devoir être mifes dans la balance
du doute.
J'avois premierement établi dans mes
Remarques , inférées dans le Mercure du
mois de Juillet dernier , que je ne croyois
pas qu'il y eût un beau effentiel en architec
144 MERCURE DE FRANCE .
C
ture , fondé fur les variétés des goûts particuliers
de chaque nation , & de plus des
variations de la même en différens tems ,
comme je l'ai vû de nos jours.
à
à
Le R. Pere Laugier , qui eft d'un fentiment
contraire , a fait de beaux raifonnemens
pour prouver ( non l'exiſtence de
cette chimere ) mais la poffibilité , convenant
qu'actuellement aucun des architectes
de tous les pays connus n'eft parvenu
la montrer dans fes ouvrages. Le public m'a
l'obligation de lui avoir procuré ce beau
diſcours , dont j'abandonne l'examen , n'étant
pas dans le goût d'une difpute métaphyfique
fur les arts , où je me contente de
raifonner conféquemment aux faits qui me
font connus ,
propos de quoi je ne puis
m'empêcher de faire une remarque fur la
contradiction de ce que le R. P. dit d'une
égliſe bâtie à Pekin , à la maniere Européenne
, par les Jéfuites , qui n'a pas femblé
, dit- il , aux Chinois indigne de leur admiration
, avec ce qu'en dit le Frere Attiret
, dans les Lettres édifiantes & curieufes
que j'ai cité , qu'il ne faut pas leur vanter
l'architecture Grecque & Romaine , qu'ils
ne goûtent en aucune façon . Il en pouvoit
parler pertinemment , étant lui -même peintre
& architecte à la Cour de l'Empereur .
Tel eſt le réſultat de la premiere partie de
nos
&
MAI. 1755.
145
nos altercations. Dans la feconde , le R.
Pere , après s'être rangé du côté de mon
opinion , contre cette prétendue origine
de la vraie beauté qu'on veut tirer des
proportions harmoniques employées en architecture
, fe détache de mon parti pour
m'attaquer fur ce que j'ai dit que les architectes
anciens , & la plupart des modernes
, n'ont jamais penfé à ces principes
fcientifiques ; ce que j'ai prouvé par le filence
de tous leurs auteurs . Cette réflexion ,
dit- il , eft plus maligne que folide , comme s'il
vouloit me brouiller avec les vivans : mais
comment prouve - t-il fa conjecture à l'égard
de la folidité ? c'eft en difant qu'il
peut fort bien fe faire que fans y penfer , &
comme à tâtons , les architectes ayent rencon-
· tré le vrai.
Ainfi fon induction n'étoit pas plus jufte
que celle qui lui a fait conjecturer , mal à
propos , que j'étois infenfible à la vûe des
belles chofes , comme un ftupide qui lui
fait pitié. Je le plains , dit il , du tort que
lui a fait la nature ; il eft privé d'une grande
fource de plaifirs , de n'avoir point éprouvé
de ces mouvemens
enchanteurs qu'excite la
préfence des belles chofes , lefquels vont ( de
l'aveu du R. P. * ) juſqu'à l'extafe & au
* Voyez fon Effai fur l'Architecture.
G
146 MERCURE DE FRANCE.
•
transport ; fon ame , continue- t- il , en parlant
de moi , eft vraisemblablement de celles
qui ont été battues à froid. Belle métaphore
tirée apparemment de la rhétorique des Cyclopes
, pour égayer une matiere férieufe ,
par un peu de mêlange du ftyle des farces ,
à laquelle je pourrois répondre , & montrer
en quoi confifte fon erreur , par un
proverbe du même ton , que les délicats
font difficiles à nourrir.
Les deux premieres parties de mes remarques
ne regardoient point le P. Lau--
gier , il s'y eft mêlé fans vocation ; mais
nous voici arrivés à ceux qui peuvent l'intéreffer
.
Il commence par m'attaquer fur ce que
j'ai dit , que le petit Traité d'Architecture
de M. ( où comme l'appelle le Dictionnaire
de Trévoux , au mot Eglife ) le R.
Pere de Cordemoy , Chanoine Régulier ,
ne contient rien de nouveau ; il qualifie ce
difcours , tout fimple qu'il eft , d'invective
indecente , parce qu'il l'a pris pour fon
coryphée. Y avoit- il là matiere à un propos
qui annonce trop de fenfibilité au refus
que j'ai fait d'applaudir à la prééminence
qu'il veut donner à ce Chanoine
fur tous nos Architectes , avec d'autant
moins de raifon que je lui avois fait remarquer
que cet auteur en convenoit lui-
1 7
MAI
1755 147
même dans fon Epitre dédicatoire à M. le
Duc d'Orléans , en 1706 , à qui il ne le
préfentoit que comme un Recueil de ce
qui fe trouve difperfe dans les ouvrages des
plus habiles , foit anciens ou modernes ? Ce
qu'il n'eft pas difficile de reconnoître à
ceux qui ont puifé dans les fources , car
les approbations ou critiques n'entrent
point en compte de nouveauté du fond de
la doctrine.
t
Il vient enfuite à un des points principaux
de notre difpute concernant les pilaftres
, qu'il abhorre comme des enfans
batards de l'architecture , engendrés par l'ignorance.
Il dit qu'il s'eft mis en devoir de
justifier fon averfion dans le premier chapitre
defan effai , où il n'a pas mieux réuffi
fur cet article qu'en bien d'autres , fi l'on
en juge par l'examen de cet effai , auquel
il a fourni une matiere de critique affez
ample pour être prefque auffi étendue que
le texte , fans y comprendre ce qu'on y
peut, ajouter , comme il confte en partie
-par mes remarques & ma réplique , qui
- n'ont pas épuifé la matiere. Il dit cependant
qu'il a raisonné par une
confequence
logique néceffaire du principe qui fert de
2fondement à tout le reste.
Quel eft ce principe ? j'ai beau lire ce
chapitre , je n'y en trouve aucun , à
a moins
Gij
148 MERCURE
DE FRANCE.
que
It qu'il ne l'établiffe fur ce qu'il dit
pilaftre représente une colonne . Il faut convenir
qu'il la repréfente bien imparfaitement
, comme le quarré repréfente le rond.
Car puifque les cylindres & les prifmes
de même hauteur font entr'eux comme
leurs bafes , le quarré circonfcrit repréfente
le cercle infcrit
par une confé
quence
mathématique .
Mais , dira-t -on , c'est parce qu'il en
Occupe la place : cette interprétation feroit
jufte , fi on faifoit un portique tout
de pilaftres ifolés , excepté aux angles faillans
des entablemens , fous lefquels une
colonne ne peut être admife fans faute de
jugement ; parce qu'elle ne peut y faire
les fonctions de pilaftre , en ce qu'elle
laiffe du porte-à-faux de cet angle , comme
je l'ai démontré ; & fi l'on rapporte les
piéces d'architecture à la charpente d'une
cabane , le pilaftre en cet endroit y repréfente
un potean cornier , qui eft auffi effentiellement
équarri qu'un fomier repréfenté
par l'architrave . En effet , pour foutenir
une encoignure en retour d'équerre ( pour
parler en termes de l'art ) , il faut un fupport
quarré ; le quart de cercle infcrit dans
un angle droit n'occupe qu'environ les
deux tiers de fa furface , ou plus précifément
onze quatorziemes ; de forte que le
M.Aha1735 31% 149
triangle mixte reftant,compris par les deux
lignes droites tangentes & le quart de cercle
concave , eft l'étendue de la furface
qui porte à faux , c'est - à-dire fans appui.
Donc la colonne ne peut être fubftituée
au pilaftre dont elle ne peut faire pleinement
les fonctions ; donc la conféquence logique
du R. Pere étant tirée d'un faux principe
, eft invalide pour juftifier fon averfion
qui lui eft particuliere & unique.
Sa logique l'a mieux fervi à refuter la
contradiction qu'on lui avoit reprochée ,
d'avoir appellé les pilaftres des innovations,
après en avoir reconnu l'ancienneté dans
les antiques. On voit bien par la fubtilité
de fa folution , qu'il a enfeigné le grand
art, de ne refter jamais court dans la difpute
, que les facétieux appellent l'art de
fendre un argument en deux par un diftingo
, pour le fauver par la breche ,
Mais voyons comment il réfout l'ob
jection du porte-à- faux fous l'angle faillant
d'un entablement , le faifant foutenir par
des colonnes ; il croit avoir imaginé un
expédient pour l'éviter : il faut le lire attentivement
, car il le mérite. Je ne mettrai
rien ( dit -il ) dans l'angle même ; je rangerai
mes colonnes aux deux côtés le plus près
de l'angle qu'ilme fera poffible . Cela eft clair,
c'est - à - dire jufqu'à ce que les deux chapi
Giij
6 MERCURE DE FRANCE.
teaux fe touchent fur la diagonale de l'an
gle. Mais comment appellera-t- on cet ef
pace quarré , dont les colonnes feront fé
parées en dehors , lequel eft formié par la
prolongation de l'alignement des faces intérieures
de l'architrave jufqu'à la rencon
tre des extérieures avec lefquelles elles
forment un quarré , dont la longueur des
côtés eft déterminée par l'épaiffeur della
colonnade , fuppofant l'angle faillant droit ,
ou bien un trapézoïde s'il eft aigu ou ob-
Eus ? N'eft- ce pas un porte- à- faux tout en
Fair , au dire de tous les Architectes de
Europe ? fans doute . Done ce prétendu
moyen imaginé pour Péviter ; Faugmente
ridiculement , par un effet contraire à fon
Intention , & d'une maniere fi choquante
que fans être architecte , tout fpectateur
un peu judicieux ne manqueroit pas d'en
être frappé , & de Te récriér quel ele
rignorant qui a été capable d'une telle bafourdife
? C'eft içi un de ces cas doit parle
HR . Pere dans fon préludes on la difpute
eft neceffaire pour fournir des préfervatifs
contre le poifon des vaines imaginations . On
ne peut concevoir comment un homme
defprit , tel qu'il eft , & qui s'annonce
pour avoir des connoillances dans l'art de
batir moins bornées a
qu'on ne le préfume, a pu
fe tromper fi étonnamment ; il faut quiP
M A I. 1755
V
alt raifonné fur l'apparence de l'angle
rentrant , au lieu du faillant dont il s'agit.
Pour montrer l'utilité des pilaftres pré- *
férablement aux colonnes dans les parties'
des édifices deſtinées à l'habitation , j'avois
fait remarquer qu'une colonnade ne pou-'
voit y fervir, de l'aveu du R.Pere , qui convient
qu'on ne peut habiter fous une balle
ouverte , & qu'on ne pouvoit s'y mettre
à l'abri des injures de l'air qu'en la fermant
par un mur de cloifon , dont la pofition
à l'égard des colonnes entraîne l'inconvénient
que j'ai fpécifié par un difcours
très fuccint , qui lui a cependant paru long
& obfcur. Le premier de ces défauts n'étoit
que pour lui , en ce qu'un difcours contredifant
porte l'ennui & déplaît pour
peu qu'il foit déployé aux yeux de celui
qui le lit à regret. Quant à l'obfcurité reprochée
, il eft jufte que je l'éclairciffe.
Voici comme j'argumente à mon tour.
Ce mur fera placé , ou dans le milieu de
l'épaiffeur de la colonnade , ou au dedans
ou au dehors .
Dans la premiere pofition il corrompra
la proportion de la largeur apparente à la
hauteur de la colonne. Dans la feconde.
il mafquera la colonnade au dedans , &
dans la troifieme au dehors.
La preuve du premier inconvénient eft
G iiij
152 MERCURE DE FRANCE.
que
il
fi
vifible , en ce que pour peu d'épaiſſeur
qu'on donne à ce mur de part & d'autre
de l'alignement des axes des colonnes ,
en embraffera & cachera une partie au
dedans & au dehors de leur circonférence
apparente ; alors ce qui reftera découvert
en largeur ne fera plus un diametre ,
mais une corde plus ou moins grande
felon l'épaiffeur du mur ; de forte
on faifoit fon épaiffeur égale au diametre
de la colonne , il embrafferoit la moitié
de chaque côté , & la feroit enfin diſparoître
, ainfi les furfaces de fes paremens
deviendroient des plans tangens , qui ne la
toucheroient que fuivant une ligne fi elle
étoit cylindrique , & l'angle mixte de la
furface plane & de la courbe deviendroit
infiniment aigu , de forte qu'à moins que
d'ufer d'un maftic adhérent , on ne pourroit
le remplir folidement des matériaux
dont le 'mur feroit bâti.
>
L'inconvénient de la pofition du mur
en dedans ne mérite pas d'être prouvé ,
puifque la colonnade eftun ornement dont
on veut décorer le dedans de l'habitation ,
lequel ornement feroit rejetté en faveur
du dehors , où les colonnes ne paroîtroient
faire fonction que de contre- forts . Il ne
refte donc à choisir que la pofition du mur
en dehors ; alors , ou fa furface fera tanMAT
1755 371755.
753
-
gente de la colonnade , ou bien fon épaiffeur
recevra une partie du diametre de
chaque colonne , fi elle avance dans leur
intervalle. Dans le premier cas , il fe for
mera un angle mixte , dont nous venons
de parler , entre la furface plane du mur
& la convexe de la colonne , lequel étant
infiniment aigu deviendra un réceptacle
de pouffiere & d'araignée , dont on ne
pourra le nettoyer , par conféquent fujet
à un entretien perpétuel de propreté.
Dans le fecond cas , cet angle mixte deviendra
plus ouvert , mais préfentera toujours
un objet defagréable à la vûe , felon
qu'il fera plus ou moins aigu ou obtus ; &
ce qui eft pire & inévitable , il cachera
toujours une partie de la colonne , qu'on
reconnoît pour n'être pas deftinée à être
enclavée dans un mur , fans perdre de fa
largeur apparente , étant vue de différens
côtés , & par conféquent de cette proportion
de la largeur à la hauteur , qui conſtitue
la différence & la beauté des ordres
d'architecture ; cette proportion ne pourra
fubfifter que lorfque la colonne fera vue
perpendiculairement à la furface du mur
fuppofant qu'il n'avance pas au dedans de
l'alignement des axes des colonnes , car
alors il eft évident qu'il abforberoit plus
de la moitié de leur épaiffeur . Il n'eft pas
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
jen si
moins évident que la colonne érant vue
un peu à droite ou à gauche de laperpen
diculaire au mur , paffant par fon axe fon
épaiffeur apparente entre l'axe & fa futface
du mur fera moindre qu'entre l'axe & le
rayon tangent du côté du vuide intérieur.
Une figure auroit été ici néceffaire pour
aider l'imagination du lecteur qui n'eft
pas un peu initié dans la Géometrie , Je vais
m'expliquer par un exemple. nuog
Suppofons tn fpectateur voyant " de
côté une colonne enclavée à demi dans un
mur, fous un angle , par exemple , de trené
te dégrés , ce qui arrive en fe promenand
devant une colonnade , fans affecter de fi
ruation recherchée exprès ; alors favûe
fera bornée d'un côte au fond de l'angle
mixte de la rencontre des deux furfaces
plane & convexe , & de l'autre au rayon
vifuel tangent à la colonne en faillie hors
du mur , lequel feta avec celui qui doit
paffer par fon axé un angle plus ou moins
aigu , felon qu'il en fera plus près ou plus
foin , parce qu'il fera le complement de
celui du rayon de la colonne ,fire au point
de l'attouchement & toujours momdre que
le droit , quelque éloigné qu'en foit le
fpectateur. Mais pour la commodité de la
fuppofition la plus avantageufe , fuppo
fons -le de 20 dégrés , leſquels érant jõims
9
M A 1. 1755 . iss
aux 30 de l'obliquité donnée , il réfultera
un angle de 120 dégrés , mefuré par la
circonférence , qui n'eft qu'un tiers de celle
de la colonne , dont la corde eft moindre
d'environ un feptieme du diametre par
conféquent la largeur apparente étant die
minuée , l'oeil n'appercevra plus cette proportion
à fa hauteur , qui eft eftimée effentielle
à la beauté de l'architecture .
Donc l'enclavement ne peut fe faire fans
inconvénient , quelque profondeur qu'on
fuppofe de la colonne dans le mur. Il n'en
eft pas de même à l'égard de celui des pilaftres
, dont la face antérieure de fa lar
geur eft inaltérable , quelque profondeur
d'enclavement qu'on lui fuppofe ; done if
n'y repréfente point la colonne , mais un
poteau montant de cloifon de pan de bois ,
ou , fi l'on veut , une chaîne de pierre pour
la folidité. Je ne fçai fi de que je viens de
dire , joint à ce qui a précédé , pourra
établir la légitimité de ce que le R. Pere
appelle les enfans bâtards de l'architecture
qu'il ne veut pas reconnoître pár averfion
naturelle. Je crains qu'elle ne foir plus for
te que mes bonnes raifons , & que le ré
fultat de nos altercations fur cet article
n'ait abouti à rien qu'à mettre le lecteur
én état de prononcer avec plus ample connoiffance
de caufe , fur quoi on peut éta
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
blir un jugement ; fçavoir , qu'il n'y a que
de l'averfion d'un côté , & des raifons de
l'autre , avec l'approbation des Architectes
de toute l'Europe.
Venons préfentement à ce qui concerne
les difpofitions de l'églife qu'il propofe
pour modele. J'avois cru bien faire de la
comparer à celle des premiers fiécles du
Chriftianifme , & de montrer par l'hiſtoire
eccléfiaftique & quelques paffages des Peres
, qu'elle n'y étoit point conforme ; mais
le R. Pere me dit que tout ce que j'expoſe
d'érudition tombe en pure perte. Les anciens
ufages ( dit- il ) n'ont rien de commun
avec l'objet en question. » Il s'eft propofé de
» chercher la difpofition la plus avantageufe
, fans fe mettre en peine qu'elle fût
conforme ou non conforme à ce qui fe
» pratiquoit autrefois ; ce qui nous met hors
» de cour & de procès : il lui reftera feulement
à prouver que celle qu'il a imaginé
eft la plus avantageufe , ce qu'il ne fera
pas aifément.
D'où l'on peut inférer qu'il confidere
nos églifes comme des bâtimens livrés au
caprice de la compofition des Architectes ,
fans égard aux anciens ufages relatifs aux
cérémonies du fervice divin , fuivant la
lithurgie, & à la majeſté du lieu , à laquelle
un Architecte peut beaucoup contribuer
M A I. 1755. 157
1
par une fage difpofition des parties & dif
tribution de la lumiere.
و د
Cette conféquence n'eft pas une conjecture
, elle eft clairement énoncée à la
page 241 de fon Effai , où il dit : » qu'on
» peut donner aux Eglifes toutes les for-
» mes imaginables. Il eft bon même (ajoute-
il ) de ne les pas faire toutes fur
» le même plan : toutes les figures géométriques
, depuis le triangle jufqu'au
» cercle , peuvent fervir à varier fans ceffe
» ces édifices.
""
"
Comment concilier cette liberté avec
l'embarras où il s'eft trouvé dans l'ordonnance
de fon plan , pour le feul arrondiffement
du chevet dont il n'a pû venir
à bout , y rencontrant des inconvéniens
inévitables , de fon aveu ? ce qui l'a fait
conclure , fur ces confidérations , que le
mieux feroit de fe paſſer de rond - point :
c'eft auffi le parti qu'il a pris , fe réduifant
à la fimple ligne droite & aux angles
droits.
Cependant les célebres Architectes de
la nouvelle Rome , qui ont penfé (comme
lui ) qu'il fuffifoit de faire un édifice quel
conque d'une belle architecture , fans vifer
qu'à la fingularité de la compofition ,
n'ont pas été arrêtés par les difficultés
qui ont effrayé le nôtre , comme on le
1
158 MERCURE DE FRANCE.
w
A
voit dans les Eglifes dont Bonarotti
( ou Michel Ange ) les Cavaliers Bernin
, Borromini , Rainaldi , Volateran
Berretin , & quelques autres , ont été
les Architectes faifant des arrangemens
circulaires ou elliptiques de plu
fieurs chapelles autour du grand corps
de l'édifice , variées de toutes fortes de
figures agréables à la vûe , mais déplacées
pour une églife , en ce qu'elles en divifent
trop les objets , obligeant les fideles
affiftant au facrifice célebré fur différens
autels en même tems , de fe tourner
en tout tems , en fituations relativement
indécentes , dos à dos , de côté
& en face affez près pour fe toucher ,
ce qui ne peut manquer de caufer des
diftractions involontaires. Tel eft auffi à
peu près l'effet de la diftribution de lu
miere dans l'églife dont il s'agit , de la
compofition de notre auteur , dont les
rayons venant de tous côtés comme d'une
lanterne de vitraux qui enveloppent'
fans interruption fon fecond ordre de ,
colonnes ifolées , ne peuvent manquer
d'occuper , d'éblouir & de diftraire les fideles
en prieres , particulierement ceux
qui feront tournés au grand autel , dont
les yeux feront directement frappés des
rayons du haut & du bas ; en quoi n'ont
MAT 1755 154
92
pas péché nos Architectes modernes qui
ont appliqué l'autel principal contre le
mur de fond , qu'ils ont décoré d'un ta
bleau , & c. mais auffi ils ont péché contre
l'ancien ufage d'ifoler l'autel , autour du?
quel les cérémonies de l'Eglife exigent
qu'on puiffe tourner en certaines occa
fions , fuivant le rituel où il eft dit , Sacerdos
circuit ter altare , ufages dont ils n'ont
peut- être pas été inftruits , ou auxquels ils
ne fe font pas cru obligés d'avoir égards
comme le nôtre , en ce qui concerne la
figure des autels . 9al soulmů 33 un dị
Il veut , d'après une nouvelle mode qui
s'établit depuis peu , qu'on le faffe en tombeau
, fur un faux préjugé que ceux des
premiers fiecles étoient de même , parce
qu'on célébroit les faints myfleres fur les
tombeaux des Martirs ; ce qu'il faut entendre
des feuils endroits où il s'en trouvoir
, car il n'y en avoit pas par-tours &
quand il y en auroit eu , ce n'eft pas une rai
fon, car ils n'étoientpas immédiatement ſur
la caille ? mais au deffus du lieu où
repo
foient leurs corps , comme il confte par le
grand autel de S. Pierre de Rome , qui
eft bien fitué au deffus de ce qui nous
refté de feliques de S. Pierre & de S.
Paul ; cependant il n'eft pas fait en forme
de tombeau , quoiqu'il fort au deffus de
160 MERCURE DE FRANCE.
la chapelle fouterreine où elles font , à
laquelle on defcend ( comme je l'ai fait )
par un magnifique efcalier , dont la baluftrade
de marbre eft bordée d'une trèsgrande
quantité de lampes toujours allu
mées. Il fe peut qu'on ait fait fervir ,
par extraordinaire , la couverture d'un
tombeau de table pour le facrifice ; mais
j'ai prouvé que dans toutes les églifes
qui ont été faites neuves pendant les premiers
fiecles , l'autel y a toujours été fait
en forme de table , laquelle eft plus analogue
& fignificative que toute autre ,
de l'inftitution du S. Sacrement , faite
pendant le foupé de la Pâques , ce que
tout le monde fçait , & que l'Eglife
chante de la profe de S. Thomas d'Aquin
, quod in facra menfâ coena datum
non ambigitur.
1
Puifque le R. P. n'a rien répliqué aux
preuves que j'en ai données , il femble
que je puis préfumer qu'il en convient
fuivant la maxime que qui tacet commentire
videtur ; en ce cas il auroit pû, fe
faire honneur de cette docilité qu'il avoit
annoncée , en difant qu'on ne lui trouve
roit point d'entêtement.
Après avoir difcuté la difpofition de
fon églife , il refte à examiner fa confruction
, dont l'auteur de l'examen de
MA I..
1755.
161
fon effai fur Architecture a dreffé un
plan que le R. P. n'a point méconnu ,
quoiqu'il ait été gravé & publié , parce
qu'il eft exactement conforme au fien , qui
contient des chofes fi extraordinaires qu'on
ne peut s'empêcher d'en appercevoir les
défauts de régularité & de folidité.
Premierement quant à la régularité ,
à la feule infpection
de ce plan on eft
choqué du défaut de fymmétrie
dans l'arrangement
de fa colonnade
le long de
la nef & de la croifée , en ce que les
colonnes font accouplées
fuivant le modele
du portique
du Louvre , excepté
aux angles faillans de la rencontre
des
files de la nef & de la croifée , au fommet
defquels
il n'y en a qu'une à chacun
: or il eſt évident que c'eft là tout au
contraire
où cet accouplement
étoit plus
convenable
, & même plus néceffaire
qu'ailleurs
, pour donner de la culée à la
pouffée
des platebandes
, qui forment
les architraves
en retour à angle droit
de forte qu'outre
la beauté de la fymmétrie
il fe trouve de plus une néceffité
de
folidité.
Je fens bien que notre Architecte ayant
eu intention de prolonger l'alignement.
de fes bas côtés , comme il le dit dans
fon Effai , ( page 217 ) il n'auroit pu
162 MERCURE DE FRANCE.
ajouter une colonne à chaque retour de
l'angle , fans interrompre cet alignement ,
à quoi je ne lui vois pas de réponſe , que
celle qu'il a faite au reproche de l'enga
gement de fes colonnes dans les murs ,
qu'à néceffité il n'y a point de loi ; mais
celui qui péche dans la caufe n'eſt pas
excufable dans l'effet , c'eſt une maxime reçue
; il ne devoit donc pas s'engager dans
une ordonnance de deffein qui entraînoit
une telle faute néceffairement. Lorfque
le P. Cordemoy , dont il adopte les
idées jufqu'à les copier par-tout , propo
foit celle de Perrault fur l'accouplement
des colonnes , il ne parloit que d'une
nef d'églife , fans faire mention des retours
de la croifée , où l'on ne peut en
mettre moins de trois à chaque angle
faillant , celle du fommet ou pointe de
cet angle étant équivalente à deux , pour
faire face d'un couple de côté & d'au-'
tre.
Le fecond défaut qui concerne la folidité
, a été fuffifamment démontré dans
le livre intitulé , Examen de l'Efai fur
Achitecture de notre Auteur ; il eft er
effet vifible à tour homme qui eft initié
dans la conftruction , qu'une feule
colonne eft abfolument incapable de réfifrer
à une double pouffée des plateban
M A I. 1755. 163
1
des qui concourent à un angle droit ,
où elles pouffent au vuidé fuivant la
prolongation de la diagonale , quand
même ces platebandes ne feroient char
gées que du poids de leurs claveaux . II
n'eft pas néceffaire que j'infifte fur les
défauts déployés dans une douzaine des
pages du livre que je cite.
Cependant le R. P. ne fé tient pas pour
convaincu du rifque d'une fubverfion de
fon édifice , depuis qu'il a appris qu'on
faifoit préfentement des voûtes extrêmement
legeres , & fi bien liées dans les
parties qui la compofent , qu'on prétend
qu'elles ne pouffent point ; ce qui tran
che ( dit-il toutes les difficultés de folidi
té qu'on trouve à fon idée d'églife. Ce
font ces voûtes de briques pofées de plat
& doublées de même en plâtre , qui ont
été exécutées depuis long- tems en Rouffillon
, dont M. le Maréchal de Belle
Ifle a fait des épreuves il y a cinq ou
fix ans. S'il eft vrai ( ajoute cet Auteur )
qu'elles ne pouffent point , je n'en fais point
d'autres , me voilà délivré de l'embarras
» de la dépenfe , & de la mauffaderie
» des contreforts ; toute ma nef du haur
en bas eft en colonnes ifolées , je me
» contente d'envelopper tout le fecond
ordre par des vitraux continus , & fans
•
164 MERCURE DE FRANCE :
>> interruption- mon églife devient l'ou
" vrage le plus noble & le plus délicat ».
On pourroit ajouter & tellement foible ,
qu'il ne feroit pas étonnant qu'il fût culbuté
par un coup de vent , comme un
jeu de quilles , fuppofé qu'il eût été affez
équilibré pour ne s'être pas écroulé
avant que d'avoir été totalement achevé.
Avant que de donner fa confiance à
cette nouveauté , il y a encore bien des
chofes à confidérer .
Premierement qu'on ne peut indifféremment
exécuter ces voûtes en tous
lieux , parce qu'il y a plufieurs cantons
de provinces où il n'y a ni bonnes briques
, ni plâtre , mais feulement de la
chaux , du moilon & des pierres detaille
, comme ici à Breft , où l'on eft obligé
de faire venir de loin ces matériaux.
D'où il fuit que la dépenfe de ces auvrages
douteux excéderoit de beaucoup
celle de l'exécution fûre des yoûtes faites
à l'ordinaire , avec les bons matériaux
que l'on trouve fur les lieux.
Secondement qu'il eft fort incertain
que ces voûtes legeres en briques de plat
ne pouffent point du tout. Cette affertion
n'eft fondée que fur la fuppofition d'une
liaifon i folide , que les parties ne
forment plus qu'un feul corps d'égale
MA I. 1755. 165
confiftance , & par-tout uniforme , puifque
leur arrangement de pofition ne
concourt en rien à les foutenir mutuellement
, comme dans celui des voûtes de
pierres en coupe , auquel cas la folidité
dépend uniquement des excellentes qualités
des matériaux , lefquelles ne font ni
par- tout , ni toujours également conftantes
, de forte qu'on rifque tout fur leurs
moindres défauts ; les briques mal cuites
, ou de mauvaife pâte de terre , le
plâtre éventé ou mal gâché , ou employé
à contre-tems , peuvent empêcher cetre
confiftance uniforme & inébranlable qui
doit en réfulter . Puis le plâtre s'énerve
par les impreffions de l'air dans une fucceffion
de tems qui ne va pas à un fiecle
, mais feulement ( à ce qu'on dit ) a
la durée de la vie d'un homme bien
conftitué , après quoi il devient pouf,
c'eft-à-dire farineux ( fuivant le langage
des ouvriers ) ; ainfi il n'y auroit pas de
prudence de hazarder la perte d'un édi-
-fice auffi confidérable qu'eft celui d'une
églife , qui doit être faite pour durer
des fiecles , fur une conjecture qui fuppofe
qu'une voûte ne doit point pouffer , &
toujours fubfifter , quoique d'une largeur
de diametre ordinairement de 36 à 42
pieds d'étendue , qui excéde de beaucoup
་
166 MERCURE DE FRANCE.
celle des édifices pour l'habitation , dong
on a fait des épreuves.
"
On fçait que la pefanteur agit continuellement
, quoiqu'infenfiblement ; nous
en avons l'exemple dans les bois de la
meilleure confiftance , dont elle fait
alonger les fibres qu'elle ne peut
ne peut caffer.
Une poutre bien dreffée & pofée de niveau
, fans être chargée d'aucun poids
que de celui de fes parties , fe courbe
peu à peu en contre-bas ; & l'on voit
tous les jours des voûtes de bonne maçonnerie
, dont le mortier a fait le corps
depuis long-tems , s'ouvrir vers les reins ,
environ à 45 degrés , lorfque la réfiftan-
-ce des piédroits s'eft trouvée trop équilibrée
, ou diminuée par les moindres
accidens. On en a une preuve bien facheufe
& inquiétante encore aujourd'hui,
par la lézarde ou crevaffe qui s'eft faire
au grand dôme de l'églife de S. Pierre
de Rome , plus de 80 ans après fon édification
& perfection . Sur de telles ex-
-périences , un Architecte feroit inexcufable
de rifquer une conftruction vifiblement
trop foible.
-
•
C
On peut mettre dans le rang des idées
pittorefques celle d'envelopper tout le fecond
ordre de fon église , qui n'est que de
colonnes ifoléés par des vitraux continus
MAI.
1755 167
>
fans interruption , laquelle étant une
nouveauté inattendue fait tomber les
objections que j'avois fait concernant la
néceffité des bafes au rez de chauffée ,
pour foutenir un mur d'enceinte au fecond
ordre , où je comptois que devoient
être les bayes des vitraux , ouverts à dif
tances convenables dans les entre- colonnemens.
Mais il dit formellement que
tout eft vuide d'une colonne à l'autre , fans
aucune espece de piédroit . Tout étant
fupprimé par ce fyftême , l'objection que
je faifois eft du vieux ftyle , on ne bâtira
plus comme par le paſſé.
.
Il nous refte encore à examiner fon
idée d'une voûte à faire fur le milieu
de la croifée des deux berceaux qui couvrent
la nef & la traverfe de la croix de
fon plan , laquelle feroit ( comme je l'ai
dit ) tout naturellement une voûte d'arête
, qu'il trouve , ainfi que la plupart
des Architectes , trop fimple pour une
églife de goût , à laquelle on fubftitue
ordinairement un dôme , fuivant l'Architecture
moderne de la plupart des églifes
d'Italie , pour donner de la nouveauté ;
il rejette cette conftruction , & en fubftitue
une autre , qu'il avoit annoncée
dans fon Effai , d'une maniere fi myſtéricufe
qu'on ne pouvoit deviner que ce
168 MERCURE DE FRANCE.
fût la chofe du monde la plus ordinaire
qu'il a dévoilé dans fa réponſe à mes
remarques , par laquelle on voit que ce
n'eft plus qu'une voûte fphérique en pan .
dantif : en cet endroit ( dit - il ) on peut
» conftruire toute forte de voûte en cul-
» de-four , & en pandantif , qui empêche
( ajoute-t- il ) que fur les quatre
grands arcs-doubleaux , on éleve des
>> enroulemens qui , fuivant la diminution
» pyramidale , aillent ſe réunir à un couronnement
en portion de ſphere , rempli
par une Gloire ou une Apothéose.
» Ce centre de croifée couvert par une
» voûte ainfi percée à jour & décorée avec
» hardieffe , n'auroit- il pas quelque chofe
» de très-brillant & tout- à- fait pittoref
que ? Sans doute , c'eft un beau fujer de
décoration de théatre , fi les édifices fe
faifoient avec la même facilité que les
peintures , & n'exigeoient pas plus de
précaution ; mais malheureufement on
eft affujetti à la folidité & aux moyens
de prendre le jour fans percer plus haut
qu'il ne faut pour le ménager , & pourvoir
à l'écoulement des eaux de pluie ,
enforte qu'elles ne tombent point par ces
pans de la couverture
des combles qui fe croifent , ainfi que
les yoûtes des berceaux qu'ils couvrent ,
ouvertures : or les
ne
MA I.
1755. 169
ne laiffent pas de paffage à la lumiere fi
on ne s'élève au-deffus , auquel cas on,
retombe dans la néceflité de la conftruction
d'un dôme fur une tour à l'ordinaire , que
PAuteur condamne d'après fon maître le
P. Cordemoy , qui leur reproche du porteà-
faux .
On a lieu d'être furpris que quoiqu'il
ait profcrit les arcs doubleaux dans fon
effai , il en fafle ici mention , & qu'il y appuie
les enroulemens qui doivent porter la
coupole de l'apothéofe en cul de four , parce
qu'on y trouve plufieurs inconvéniens ;
l'un , que les affiettes de leur baſe devant
être de niveau entr'elles , elles ne peuvent
être pofées que fur les quatre clefs des arcs
doubleaux qui font dans cette fituation relative
, & ces parties ( les plus foibles des
voûtes ) ne paroiffent gueres convenables
pour foutenir ces enroulemens , qui , comme
de fimples nervûres , font chargées du
poids de la calotte fphérique . Secondement
parce que leur nombre ne fuffiroit pas pour
porter le contour de ce fegment , ainfi
percé à jour , à moins qu'il ne fût très-petit
, en approchant beaucoup de fon pôle ,
auquel cas , fi l'on enveloppe les enroulemens
de vitraux continus , comme il fait
à l'égard des colonnes du fecond ordre , ils
deviendront auffi fphériques en portions
H
170 MERCURE
DE FRANCE.
inclinés en furde
trapezes
courbes
plomb.
:
,
Les fera - t - on ainfi alors il faut renvoyer
l'exécution de ce projet à la côte du
Pérou , comme à Lima où il ne pleut jamais
mais fi l'on ne croit pas pouvoir les
faire de même à caufe de l'inconvénient de
l'écoulement des eaux de pluie , on fera
obligé , pour le faire à plomb & en abajour
, d'élever une tour fur la croifée des
berceaux , portant à faux fur les pandantifs,
& alors on retombe dans la conftruction.
ordinaire des dômes , ou du moins des
demi- dômes , plus ou moins élevés extérieurement
, fuivant le diametre de la voû
te fphérique , à laquelle cette tour fera
circonfcrite , fans paroître dans l'intérieur
que comme un-cul- de four en pandantif ,
portant immédiatement fur les panaches ,
élevés fur un pan coupé des angles faillans
de la croifée.
Cette conftruction n'a rien d'extraordi
naire ; nous en avons mille exemples , particulierement
à Rome dans les églifes de
Sainte Marie in Porticu , du deffein du Cavalier
Rainaldi ; à Sainte Marie in Vallicella
, de celui du vieux Longo ; à S. Charles
des quatre Fontaines , de celui du Cavalier
Borromini ; & fans aller fi loin , au Noviciat
des Jéfuites de Paris , excepté que cetMAI.
1755. 171
7
tere conftruction y eft fans grace , en ce que
les pandantifs n'y font pas féparés de la
calotte fphérique par une corniche horizontale
, qui lui forme une baſe , & met
à part une figure réguliere plus agréable à
la vûe que celle qui eft échancrée par les
lunettes des berceaux pénétrant la furface
fphérique ; fecondement , parce que le
fommet , ou fond de cette furface concave,
y eft obfcur , fon enfoncement n'étant pas
éclairé d'une lanterne comme dans les
églifes citées , où cette partie eft brillante
par une lumiere célefte , qui y defcend
naturellement , au lieu qu'au Noviciat elle
ne l'eft que par un peu de reflet qui renvoie
la lumiere de bas en haut ; ce défaut
que l'auteur de l'examen de l'Effai a déja
remarqué au fommet des berceaux qui
couvrent la nef & la croifée de fon églife
, eft encore ici plus remarquable , parce
que le reflet vient de plus loin , & remonte
plus haut . Je paffe fur un autre défaut
de largeur du pan coupé à chaque
angle de la croifée , lequel eft trop petit
pour fervir de baſe au panache.
Nous voilà donc au fait de cette voûte
de croifée d'églife , qui avoit été annoncée
comme une nouvelle invention , & qui
n'eſt rien moins . » C'étoit ( dit- on ) une
»forte de baldaquin , en façon de dôme ›
Hij
172 MERCURE DE FRANCE .
ود
» d'un deffein léger , qui puiffe fympathi
» fer avec l'idée de voûte ; dès lors ( ajoû
» toit l'auteur ) point de colonne , & rien
» de ce qui a befoin de porter dès les fondemens
, & un Architecte comprendra
fans peine les raifons qui me détermi-
» nent de propofer ainfi pour défigner une
» voûte qui aura toute la fingularité , tous
» les avantages des dômes fans en avoir les
inconvéniens .
"
,
11 eft clair qu'en admettant toutes ces
conditions à la lettre , il ne fatisfait en
aucune façon au problême. 1 ° . On ne peut
fon cul-de-four en pandantif pas dire que
ne porte fur rien qui vienne des fondemens
& qu'il n'y ait point de colonne , puifqu'il
y en a quatre , une à chaque angle faillant
de la croifée au rez de chauffée , & une
feconde en échafaudage au - deffus pour le
fecond ordre , ce qui en fait huit , à tout
compter ; la fupérieure fervant à porter le
pied du pandantif , porte fur la premiere
établie au rez de chauffée , par conféquent
dès lesfondemens : enfuite , le pandantif
établi fur ces colonnes , porte & rachete la
calotte fphérique de l'apothéofe ; donc par
une induction bien raifonnée , elle porte
dès les fondemens ; donc cette conſtruction
ne fatisfait point au problême.
Mais oferoit - on faire l'analyfe de ce
M.A I. 1755 173
fupport de tant de fardeaux ? on trouvera
qu'il fe réduit à une arête verticale de
l'angle faillant de l'architrave du premier
ordre , laquelle porte elle-même à faux ,
comme nous l'avons démontré ci - devant
dans l'examen de la fonction d'une colonne
fous un angle faillant.
Nos Architectes qui refpectent les principes
de l'art , font ordinairement un pan
coupé dans les angles de cette efpece, pour
y trouver un peu de baſe horizontale au
panache qui doit racheter le cul-de-four .
Pour finir , je pafferai fous filence bien
des chofes que j'aurois à dire fur la nouvelle
architecture en filigramme ; par
exemple , fur les pentes à ménager aux toîts
des bas côtés pour l'écoulement des eaux de
pluie , qu'on ne peut diriger qu'en s'élevant
du côté de la nef , & mafquant une
partie des vitraux du fecond ordre , lequel
eft établi immédiatement au -deffus de l'architrave
du premier , regnant de niveau
avec l'égoût extérieur des plafonds des bas
côtés , & de plus des chapelles qui l'écartent
encore du corps de la nef , d'où fuit
une plus grande hauteur de pente à donner
à cette partie inférieure qui reçoit auffi
l'égoût d'un côté du grand comble. J'en
pourrois dire autant & plus à l'égard du
baldaquin pittoresque ; mais je veux mon-
Hiij
374 MERCURE DE FRANCE.
trer que je ne cherche pas matiere à criti
quer , n'ayant d'autre intention que celle
de rendre ma réplique utile.
Au refte , je fuis très - obligé au R. Pere
Laugier de la maniere obligeante dont il
a parlé de moi dans fon prélude ; je lui en
fais mes très-humbles remercimens , fans
attention à ce que ce procédé de politeffe
ne s'eft pas toujours foutenu dans certains
momens où il lui a échapé des qualifications
de difcours , dont j'ai montré l'injuftice
; de forte qu'elles étoient réversibles
de droit à celui qui les avoit données malà-
propos , fi la qualité de Philofophe dont il
m'honore , & que je fais gloire de foutenir
en bonne part , ne me mettoit infiniment
au- deffus de ces petiteffes.
A Breft , le 2 Nov. 1754. FREZIER.
HORLOGERIE.
Lettre de M. le Paute à M. de Boiffy.
Moni
Onfieur, la perfonne qui a bien voulu
fe charger à mon infçu de faire annoncer
dans le Mercure de Mars dernier
lesnouveaux cadrans que je fubftitue depuis
quelque tems aux cadrans d'émail , ignoroit
probablement que l'on avoit tenté avant
MA I. 1755. 175
moi divers moyens pour remplir le même
objet , ou a négligé d'en faire mention .
Cette omiffion a donné lieu à M. Dupont ,
Horloger de Paris , de croire que c'étoit
d'après lui que j'avois travaillé ; & j'ai
appris que plufieurs perfonnes croyoient
qu'en effer mes cadrans étoient les mêmes
que les fiens. Il eft vrai que depuis quelques
que tems il a employé des cadrans plats
dans lesquels les heures & minutes font
peintes für le verre , & dont le fond eft
une couche de maftic d'un affez beau blanc
appliquée fur le verre ; le prix d'ailleurs
de ces cadrans eft confidérable. Comme
ceux que l'on a vûs chez moi , Monfieur ,
font abfolument différens de ceux -là , qu'ils
n'y ont même aucun rapport , puifque je
n'emploie ni couleurs ni inaftic , ni quoi .
que ce foit qui ait rapport à la peinture
& qu'ils font imprimés , je vous prie de
vouloir bien prévenir l'erreur à cet égard .
Les miens d'ailleurs font d'un blanc plus
éclatant , d'un prix beaucoup moindre
ceux dont je viens de parler , le verre peut
être brifé fans perdre pour cela le cadran ;
chacun peut s'en affurer
foi-même en
les voyant chez moi.
par
J'ai l'honneur d'être , &c.
Ces Avril 1755.
que
LE PAUTE:
>
Hiiij
176 MERCURE DE FRANCE.
LE S. LE
MAZURIER ,
Horlogeri
eft auteur d'une pendule à fecondes ,
fonnerie & à remontoir , dont le mouvement
n'a qu'une feule roue. Nous donnerons
le mois prochain le rapport de l'Académie
royale des Sciences fur cette piéce.
L'Artiſte , non content de la grande fimplicité
où il a fçu l'amener , a eu l'attention
d'y obferver une forme
extrêmement
gracieufe ; ce qui lui a donné lieu d'y ajuſter
un cadran de glace , au travers duquel
on apperçoit tous les effets.
On pourra la voir chez l'auteur tous les
jours de travail , depuis trois heures après
midi jufqu'à cinq.
Il demeure rue de la Harpe , à la Pendule
, au premier étage , près le College
d'Harcourt.
MA I. 1755. 177
ARTICLE V.
SPECTACLES.
COMEDIE FRANÇOISE.
LES
Es Comédiens François ont ouvert
leur théatre le 8 de ce mois par
Athalie . Cette Tragédie a été précédée ,
felon l'uſage , d'un compliment prononcé
par M. de Bellecourt , & applaudi par
le Parterre , fuivant la coutume,
Le 10 , ils ont donné la huitieme repréſentation
de Philoctete ; & le 19 , ils
L'ont joué pour la douzieme & derniere
fois. Le public l'a reçu avec toute la
chaleur & les applaudiffemens du premier
jour. Voici des vers de M. Tannevot
fur cette Tragédie .
Difparoiffez Romans , fléau de Melpomene ,
Qui depuis fi long- tems defigurez la ſcène ;
Le Cothurne français par vous dépayſé ,
A retrouvé la fource où Sophocle a puiſé.
Queljeu des paffions ! quelles moeurs héroïques !
Quels nobles fentimens que de traits pathétitiques
!
Hv
178 MERCURE DE FRANCE .
Quel refpect pour les Dieux ! & quelle vérité
A de fages crayons fournit l'antiquité !
Zele , force , courage , amour de la patrie ,
Celeftes alimens dont notre ame eft nourrie ,
Germent dans un fujet fimple , & toujours fé
cond ,
Plein de grands mouvemens , pour un efprit pro♣
fond.
Les incidens nombreux découvrent l'indigence
L'action ifolée indique l'abondance.
Philoctete obftiné dans fes reffentimens ,
Suffit pour enlever nos applaudiffemens.
La clémence toujours oppoſée à la haine ,
La combat conftamment , en triomphe & l'en
chaîne.
Dans le jeune Pyrrhus l'amour cede au devoirs
L'éloquente raiſon fignale fon pouvoir.
Combien aux voeux des Grecs devient - elle propice
!
Il falloit Chateaubrun pour bien nous peindre
Ulyffe.
Auteur judicieux , il te falloit far-tour
Pour guider le génie , & ramener le goû
COMEDIE ITALIENNE.
Es Comédiens Italiens ont fait l'ou
Lverture de leur fpectacle par priem
lequin Voleur , Juge & Prévât , ComéM
A I 1735. 179
die Italienne. Mme Favart fait avec Arlequin
un compliment dialogue dans le goût
de celui de la clôture.
Le 17 les mêmes Comédiens donnerent
la premiere repréſentation des Deux
Soeurs , Comédie en vers , en trois actes ,
de M. Yon. Les deux premiers furent applaudis
; on fut moins fatisfait du troifieme.
En général on a trouvé la piéce bien
écrité , & les détails bien faits ; mais on y
eut defiré plus d'action & de gaieté. Cet
te Comédie fut fuivie des Amours de Baftien
, & de la Matinée Villageoife , nouveau
Ballet de M. Deheffe. Il y a un pas de
trois charmant ; il eft exécuté par Mlle Ca
tinon , Mlle Camille , & Mr. Saudi ,
avec une précision qui ne laiffe rien à defirer.
C
Hvj
180 MERCURE DE FRANCE .
CONCERT SPIRITUEL.
LE
E Lundi Saint 24 Mars , le Concert
commença par une fymphonie , qui
fur fuivie du Venite exultemus , motet à grand
choeur de M. Davefne. Mme Pompeati
chanta un air italien . Mlle Fel chanta
un concerto accompagné de voix . Mme
Pompeati chanta un air italien. Le Concert
finit par Jubilate , motet à grand
choeur de M. de Mondonville.
Le Concert du Mardi Saint fut trèsbeau
; il commença par une fymphonie
de Jumelli , enfuite Domini eft terra ,
motet à grand choeur de M. le Febvre ,
organiſte de S. Louis. Le jeune M. Jannfon
jouaune fonate devioloncelle avec l'ap
plaudiffement général . M. Godard chanta
un petit motet au gré des auditeurs. M.
Balbatre joua un concerto d'orgue de fa
compofition , qui furprit & enchanta
toute l'affemblée ; fon jeu brillant fit
parler cet inftrument en maître , & fit
fentir qu'il a feul le droit de commander
à tous les autres. On ne peut faire
un trop grand éloge de cette nouveauté
& du talent fingulier de M. Balbatre à
qui nous la devons. Le Concert finit par
MAI. 1755 181-
Magnus Dominus, motet à grand choeur de
M. de Mondonville.
Le Mercredi Saint 26 , le Concert commença
par une fymphonie de Geminiani
; enfuite Nifi Dominus , motet à grand
choeur de M. de Mondonville. Mme . Pompeati
chanta un air Italien ; il fut fuivi
d'une fymphonie de Stamich , avec clarinets
& cors de chaffe . Mme. Pompeati
chanta un fecond air Italien. M, Balbatre
joua fon concerto d'orgue avec le
même fuccès. Le Concert finit par le Miferere
de M. de Lalande .
Le Jeudi Saint 27 , on commença par
une fymphonie del Signor Zanni , enfuite
Deus nofter , motet à grand choeur
de M. Cordelet . M. Albaneze chanta
deux airs Italiens . M. Godard chanta un
petit motet de M. le Febvre , organiſte de
S. Louis. Mlle Fel chanta un concerto
accompagné de voix . M. Beche en chanta
l'Adagio. On finit par In exitu , motet
nouveau de M. de Mondonville , qui fut
très applaudi.
Le Vendredi Saint 28 , on commença
par une fymphonie de M. Guillemain ;
enfuite Stabat de Pergoleze . M. Canavas
joua un concerto. Mme Pompeati chanta
un air Italien. M. Balbatre joua fur l'orgue
une fonnate des pieces de Clavecin
1821 MERCURE DE FRANCE:
de M. de Mondonville . On finit par le De
profundis de M. de Mondonville ...
Le Samedi Saint 29 , on commença
par une fymphonie del Signor Haffe ,
qui fut fuivie du Stabat de Pergoleze. M.
Gelin chanta un petit motet. Ön exécuta
une fymphonie del Signor Holzbaur.
Mme Veftris de Giardini chanta deux
airs Italiens ; elle fut applaudie à plus
d'un titre ; elle joint à un bel organe
une figure très aimable : on finit par
Bonum eft , motet à grand choeur de M. de
Mondonville.
Le Dimanche jour de Pâques 30 Mars ,
on commença par une fymphonie de M.
de Mondonville ; enfuite Cantate , moter à
grand choeur de M. de Lalande . Mme
Pompeati chanta deux airs Italiens . Mlle
Fel chanta un petit motet del Signor Fifco.
M. Balbatre joua un concerto d'orgue
de fa compofition. On finit par enite
exultemus , moter à grand choeur de
M. de Mondonville.
Le Lundi de Pâques 31 , on commença
par une fymphonie; enfuite Domine , in
virtute tua , motet à grand choeur de M.
Cordeler. Mme Veftris de Giardini chanta
deux airs. Mlle Fel chanta un nouveau
Regina cæli. M. Balbatre joua un concerto
d'orgue de fa compofition. On finit par
MAI 17551 183
Dominus regnavit , de M. de Mondonville .
Le Mardi de Pâques premier Avril , on
commença par une fymphonic ; enſuite
Dominus regnavit , motet à grand choeur
de M. de Lalande . Mme Pompeati chanta
un air Italien, M. Taillard joua un concerto
de Alûte. Mme Pompeati chanta
un fecond air Italien . M. Balbatre joua
de l'orgue . On finit par In exitu , motet
à grand choeur de M. de Mondonville.
Le Vendredi de Pâques 4 Avril , on
commença par une fymphonie de Mrs
Pla ; enfuite Exaltabo te , moter à grand
choeur de M. de Lalande . M. Moria joua
un concerto de violon . Mlle Fel chanta
avec un grand fuccès Exultate Deo , petit
motet nouveau . M. Balbatre joua fur
l'orgue l'ouverture de l'Opéra Languedocien.
On finit par Coeli enarrant , motet
à grand choeur de M. de Mondonville.
Le Dimanche de Quafimodo 6 , on
commença par une fymphonie de Jumelli
; enfuite Cantate , moter à grand
choeur de M. de Lalande. Mme Veftris
de Giardini chanta deux airs Italiens. M.
Moria joua un concerto de violon . Mlle
Fel chanta le nouveau Regina coeli. M.
Balbatre joua un concerto d'orgue de fa
compofition . On finit par Venite exultemus
, de M. de Mondonville.
184 MERCURE DE FRANCE.
Le Lundi 7 Avril , jour de l'Annonciation
, on commença par une fymphonie
nouvelle ; enfuite Cantate , motet à grand
choeur de M. Martin. Mme Pompeati
chanta un air Italien . M. Godard chanta
le petit motet de M. le Febvre. M. Tarrade
joua un concerto de violon . Mlle
Fel chanta pour la feconde fois Exultate
Deo , qui eut une nouvelle réuffite . Pour
rendre le Concert parfait , M. Balbatre
joua un concerto d'orgue de fa compofition
; & l'on finit par In exitu , de M. de
Mondonville,
* Voyez l'article IV , au mot Muſique.
MAI. 1755. 185
ARTICLE SIXIE ME.
NOUVELLES ÉTRANGERES.
DU LEVANT.
DE CONSTANTINOPLE , le 3 Février.
Am
USTAPHA EFFENDI eft nommé pour aller
notifier à l'Impératrice de Ruffie l'avènement
d'Ofman III au trône , & Chalil Aga , Capigi
Bachi , eft chargé de s'acquitter de la même
commiffion auprès du Roi & de la République de
Pologne. Lorfque le Baron de Hochepied ,
baffadeur des Etats Généraux des Provinces -Unies,
eut le du mois dernier fon audience publique
du Grand Vifir , il harangua ce premier Miniftre
en françois , & le Grand Vifir lui répondit en la
même langue.
Tout fembloit promettre au Grand Vilir
qu'il conferveroit fa dignité. Cependant Sa Hau→
teffe lui envoya redemander les Sceaux le IS Février.
C'eft à Metelin qu'il eft relegué. Son Succeffeur
n'eft pas encore déclaré ; l'Aga des Janiſfaires
exerce les fonctions de premier Miniftre.
Près de quatre-vingt mille ouvriers font employés
actuellement à réparer les dommages
caufés par les derniers tremblemens de terre. La
partie du Sérail , qui avoit été renversée , a été
rebâtie fur les deffeins du fieur Eſpinelluzzi , Arę
chitecte Italien.
186 MERCURE DE FRANCE.
DU NORD.
DE PETERSBOURG , le 28 Février.
Plufieurs perfonnes verfées dans la connoiffance
des loix , ont reçu ordre de P'Impératrice de
travailler à la réduction d'un nouveau Code. Ik
portera Ie nom de Code Elizabeth . Sa Majefté
Împériale vient d'affigner un fonds de trente mille
roubles , pour fubvenir aux premieres dépenses de
l'établiffement d'une Univerfité dans la ville de
Mofcou. Le Chevalier de Luffy , François de nation
, a entrepris de donner une feuille périodi
que , intitulée le Cameleon littéraire. Tous les Seigneurs
de cette Cour étant dans le goût de la
littérature françoife , s'intéreffent vivement au
fuccès de cet ouvrage.-
DE WARSOVIE , le 17 Mars.
Selon les avis reçus de Dubno , Hadzi Ali Aga ,
Ambaffadeur du Grand Seigneur , a amené de
Conftantinople deux Sauvages qui ont été trouvés
dans les bois , & qu'il doit préfenter au Roi de la
part de Sa Hauteffe. Le fieur Durand , Miniftre de
Sa Majesté très -Chrétienne auprès de la République
, arriva ici le 4 .
DE STOCKHOLM , le 4 Mars.
Il paroît un Edit , par lequel il eft défendu à
tous Matelots , employés fur les vaiffeaux Suédois ,
de paffer dans les pays étrangers , fous peine d'être
déclarés inhabiles à recueillir les fucceffions qui
pourroient dans la fuite leur écheoir , & de perdre
MAI 1759. 187
ce qui leur fera dû fur les bâtimens , à bord defquels
ils auront fervi .
Sa Majefté vient de faire publier qu'elle accorderoit
des gratifications confidérables & plufieurs
priviléges aux entrepreneurs qui voudroient établir
des carroffes publics pour aller d'une Province
à l'autre , & des voitures pour le tranfport des
marchandifes.
ALLEMAGN E.
DE VIENNE , le 22 Mars.
Il y a eu une émeute confidérable parmi les
peuples de Croatie , qui ont prétendu que l'on
donnoit atteinte à leurs priviléges . L'Impératrice-
Reine a ordonné au Feld - Maréchal Comte de
Neuperg de marcher avec quelques troupes pour
remettre l'ordre & la tranquillité dans ce pays.
On affure qu'il y a auffi quelques mouvemens en
Efclavonie pour la même caufe .
DE DRESDE , le 31 Mars.
Le Comte de Vitzthum doit aller réfider en
France , avec caractere d'Envoyé Extraordinaire
du Roi , à la place du feu Comte de Bellegarde.
DE MUNICH , le 19 Mars.
Le 1 , le Baron de Gemmingen , chargé de
demander en mariage pour le Margrave de Bade-
Baden la Princeffe Marie Jofephe de Baviere , fille
du feu Empereur Charles VII , eut fes audiences
de l'Impératrice Douairiere , de l'Electeur & de
Electrice , ainfi que des Princes & Princeffes de
la Maifon électorale.
188 MERCURE DE FRANCE.
L'Electeur vient de nommer le Baron Van
Eyck , Envoyé de Liege à la Cour de France , pour
être fon Envoyé Extraordinaire à la même Cour.
DE FRANCFORT , le 18 Mars.
Les Commiffaires , nommés par le Cercle du
haut Rhin pour donner leur avis fur l'affaire des
monnoies , ont rédigé leur délibération .
IT AL I E.
DE NAPLES , le 15 Mars.
L'éruption du Mont Vefuve eft entierement
eeffée , & depuis quelques jours il ne fort même
aucune fumée de ce Volcan. Il y eut le 10 & le
11 de ce mois fur cette côte une violente tempête.
Le 11 une polaque Françoife périt entre la
tour de l'Annonciade & Caftellamare di Stabia .
Le Capitaine & deux paffagers Maltois ont été
noyés.
DE ROME , le 22 Mars.
Sa Sainteté tint le 17 un Confiftoire fecret
dans lequel le Cardinal Portocarrero propofa
P'Archevêché de Befançon pour l'Abbé de Choifeul-
Beaupré , Primat de Lorraine , & l'Abbaye
de la Charité , Ordre de Cîteaux , dans le même
Diocèſe , pour l'Abbé le Tonnelier de Breteuil .
Sa Sainteté a accordé le Pallium à l'Archevêque
de Befançon & à l'Evêque de Wurtzbourg.
DE MILAN , le 25 Mars.
Un Gentilhomme du Duc de Penthieyre étant
M A I.
189 1755.
?
arrivé le 22 de ce mois au matin , & ayant annoncé
que ce Prince devoit fe rendre ici le même
jour ; le Duc de Modene , accompagné de fes
Gardes & d'une nombreuſe fuite ,
fortit par la
porte Romaine avec deux caroffes à fix chevaux
pour aller au-devant de fon Alteffe Séréniffime.
Auffi-tôt les deux Princes fe rencontrerent
que
ils mirent pied à terre. Le Duc de Penthievre entra
dans le caroffe du Duc de Modene , qui lui
donna la droite . A leur arrivée au Palais ducal ,
ils trouverent toute la Nobleffe affemblée. On
compte que le Duc de Penthievre ne partira que
dans quatre ou cinq jours pour Turin.
GRANDE - BRETAGNE.
DE LONDRES , le 27 Mars.
>
Sur un Meffage envoyé par le Roi le 25 à la
Chambre des Pairs & à la Chambre des Communes
, cette Chambre s'étant affemblée le lendemain
en Committé pour délibérer ſur le ſubſide
accorda la fomme d'un million de livres fterlings
au Roi , afin que Sa Majefté puiffe faire dans fa
marine & dans fes troupes l'augmentation néceſfaire
, & prendre toutes les mefures convenables
pour la fureté de fes états . La Chambre affigna en
même tems un fonds de fix mille livres sterlings
pour continuer le grand chemin entre les villes
de Carlisle & de Newcaſtle.
L'augmentation des troupes de terre fera de
cinq mille hommes. On augmentera de vingt
mille le nombre des matelots , & l'on engagera
dix mille nouveaux foldats de marine. L'équipage
d'un vaiffeau de guerre revenu de la Virginie
rapporté que le Chef d'Efcadre Keppel y étoi
a
190 MERCURE DE FRANCE.
arrivé avec les vaiffeaux le Centurion & le Norwich ,
& que ces deux bâtimens avoient été confidérablement
endommagés par une tempête.
La Chambre des Communes a réfolu que la
fomme d'un million de livres ſterlings feroit levée
par le moyen d'une lotterie , dont chaque billet
fera d'une guinée.
Les Régimens d'Infanterie de Bentinck , de
Bertie , d'York , de Jordan , de Folliot , de Humes
, d'Anftruther & de London , qui font fur
l'établiffement d'Irlande , ont ordre de paffer en
Angleterre. Ils feront augmentés de trente & un
hommes par Compagnie. Tous les vaiffeaux nouvellement
mis en commiffion , fe rendent fucceffivement
à Spithead , & il eſt défendu aux Officiers
qui les montent , de quitter leurs bords. On
a reçu avis que les troupes parties d'Irlande pour
la Virginie étoient arrivées à cette Colonie .
PAYS - BAS.
7
DE LA HAYE , le 11 Avril.
Sur les bruits qui ont couru que les Algériens
avoient déclaré la guerre à cette République
l'Amirauté d'Amfterdam a mis fept Vaiffeaux de
guerre en commiffion : celles de la Meuſe & de la
Zélande en ont mis chacune trois , & celle de la
Nord Hollande deux .
La nuit du 5 au 6 le feu prit à Alcmar dans la
maifon de Correction , qui a été preſque totalement
réduite en cendres. Le 6 , le feu prit auffi au
laboratoire de l'Arcenal dans la même ville.
Moyennant les prompts fecours qu'on apporta
le dommage n'a pas été confidérable ; mais quelques
ouvriers ont été bleffés en travaillant à ârrê◄
ter les progrès des flammes,
MA I. 1755. 191
DE BRUXELLES , le 22 Mars.
Par un Décret qui vient d'être publié , l'Impératrice
Reine permet de faire paffer par ces Provinces
différentes marchandiſes de Hollande ,
deftinées pour l'Allemagne & pour le pays de
Liege , & plufieurs marchandiſes d'Allemagne &
du pays de Liege deftinées pour la Hollande. Sa
Majefté défigne en même tems de nouvelles routes
au paffage.
Le tirage de la premiere claffe de la lotterie
fut terminé les de ce mois. Le lot de vingt mille
florins eſt échu au n°. 35738. Celui de quinze
mille florins , au nº. 105094. Celui de dix mille ,
au nº. 44343. Celui de fept mille cinq cens au
n°. 56716 ; & celui de cinq mille au nº. 124004.
>
Avant-hier , le Prince Charles de Lorraine fe
rendit à Malines pour y voir fondre quelques canons
, & il revint le foir en cette ville. La Prin
ceffe de Lorraine arriva de Mons le même jour.
FRANC E.
Nouvelles de la Cour , de Paris , & c.
DE BORDEAUX.
A protection particuliere que le Roi accorde
& fi floriffante que tous les Chirurgiens s'empreffent
à la rendre plus recommendable.
Les Maîtres en Chirurgie de la ville de Bor
deaux , à l'inftar de ceux de la Capitale & de quel
192 MERCURE DE FRANCE.
ques autres grandes villes du Royaume , ont fait
bâtir un amphithéâtre que le Roi a honoré du
titre d'Ecole royale de Chirurgie , par des Lettres
patentes du 8 Septembre 1752. Cette compagnie ,
qui n'a d'autre objet que le progrès de la Chirur
gie & la confervation des citoyens , fe propoſe de
faire gratuitement des cours publics , qui dureront
toute l'année fans interruption : en conféquence
elle a nommé des Démonftrateurs qui enfeigneront
fucceffivement aux éleves en Chirurgie , la
théorie & la pratique de la fcience , & de l'art le
plus intéreffant pour le genre humain. Cet établiffement,
qui eft généralement applaudi , paroît
être d'autant plus utile à Bordeaux , que plufieurs
campagnes des environs font dépourvues de Chirurgiens
en état de remédier à certaines maladies
qui affectent la plupart des habitans . D'ailleurs
cette ville étant une des plus commerçantes du
Royaume , MM. les Négocians envoyent toutes
les années dans les Colonies un très-grand nombre
de Vaiffeaux , dans lefquels on a foin de mettre
des Chirurgiens , dont la plupart n'ayant point eu
des facultés pour aller puifer à Paris ou ailleurs
les lumieres de leur profeffion , commettent des
impérities dont les paffagers & l'équipage font
très-fouvent les victimes ; c'eft donc dans les vûes
de faire ceffer de tels inconvéniens , que cette
Compagnie s'eft empreffée de faire finir cet édifice
, elle a fait des efforts confidérables pour y
parvenir. Le fieur Ballay , Lieutenant de M. le
premier Chirurgien du Roi , doit en faire l'ouver,
ture dans le courant du mois de Mai prochain.
On invite les Etudians en Chirurgie à venir y
recueillir les fruits des leçons qui leur feront faites,
& qui ne font deſtinées que pour eux.
MAI. 1755. 193
DE MONTPELLIER .
On atrouvé il y a deux mois dans le tems que
la neige étoit fur terre , un oifeau plus gros qu'un
Coq d'Inde , reffemblant affez à un Héron , ayant
une espece de couronne fur la tête avec deux grandes
plumes qui lui tomboient fur le dos. Il étoit
fi maigre que ne pouvant plus voler , des chiens
le prirent à Caftries, terre appartenant à M. le Marquis
de Caftres , à deux lieues de Montpellier. Il
avoit un anneau au pied, fur lequel étoient gravées
que voici : les lettres
C. W. F. M. Z. B. O.
NO. 74. A. 1752. U. G.
On nous a prié d'inférer dans l'article des nouvelles
cet événement , qui peut intéreffer la perfonne
à qui appartenoit cet oifeau. On pourroit
fçavoir par ce moyen d'où il eft venu , quelle étoit
fon efpece , & le tems où il s'eft fauvé de chez fon
maître.
Le 18 Mars, pendant la Meffe du Roi , l'Evêque de
Gap prêta ferment entre les mains de Sa Majeſté.
Le huitieme tirage de la premiere lotterie royale
fe fit le 19 & les jours fuivans , dans la grande
Salle de l'Hôtel de Ville , en préfence des Prévôt
des Marchands & Echevins. Le principal Lot
cft échu au numéro 6804 , & le fecond au numéro
16894. Le numéro 1628 a eu la premiere
Prime.
On fit le 22 de ce mois la proceffion folemnelle
, qu'on a coutume de faire tous les ans ,
en mémoire de la réduction de cette Capitale
fous l'obéiffance de Henri IV. Le Corps de Ville
y affifta fuivant l'ufage.
I
194 MERCURE DE FRANCE.
Le même jour l'Académie Françoife élut le
fieur de Châteaubrun , pour remplir la place vacante
dans cette Compagnie , par la mort du
Préſident de Montefquieu .
Le 23 , l'Evêque de Vence fut facré dans la
Chapelle du Séminaire de Saint Sulpice , par
l'Evêque de Beauvais , affifté des Evêques de
Soiffons & de Bazas , & le 24 , pendant la Meffe
du Roi , il prêta ferment de fidélité entre les
mains de Sa Majesté.
La Marquife de Sailly fut préfentée le 23 à
Leurs Majeftés & à la Famille Royale.
Le 23 , Dimanche des Rameaux , le Roi , accompagné
de Madame Adelaïde , & de Mefdames
Victoire , Sophie & Louiſe , aſſiſta dans
la Chapelle à la Bénédiction des Palmes. Cette
cérémonie fut faite par l'Abbé Gergoy , Chapelain
Ordinaire de la Chapelle - Mufique , lequel
préfenta une Palme à Sa Majefté. Après
la Proceffion , & après avoir adoré la Croix ,
le Roi entendit la grande Meffe , célébrée par
le même Chapelain , & chantée par la Mufique.
L'après-midi , le Roi entendit le Sermon du
Pere Griffet , de la Compagnie de Jeſus . Sa Majeſté
aſſiſta enfuite aux Vêpres , chantées par la
Mufique , & au ' Salut célébré par les Millionnaires.
La Reine , Monfeigneur le Dauphin & Madame
la Dauphine , affifterent dans la Tribune à
l'Office du matin & à celui de l'après -midi.
Le 27 , Jeudi Saint , l'Evêque de Gap ayant
fait l'Abfoute , & le Roi ayant entendu le Sermon
de l'Abbé de Trémouilhe , Chanoine &
Théologal de l'Eglife Métropolitaine de Tours ;
Sa Majefté a lave les pieds à douze pauvres ,
a
MAI. 1755. 195
& les a ſervis à table . Le Prince de Condé ,
Grand Maître de la Maiſon du Roi , étoit à la
tête des Maîtres d'Hôtel , & il précédoit le Service
, dont les plats ont été portés par Monfeigneur
le Dauphin , le Duc d'Orléans , le
Prince de Conti , le Comte de la Marche , le
Comte d'Eu , & par les principaux Officiers de
Sa Majesté. Après cette cérémonie , le Roi &
la Reine , accompagnés de la Famille Royale,
fe font rendus à la Chapelle , où Leurs Majeftés
ont entendu la grande Meffe , célébrée
par l'Abbé Gergoy , & ont affifté à la Proceffion
.
Leurs Majeftés ont affifté le 26 & le 27 à l'Office
des Ténebres , chanté par la Mufique.
L'Académie des Belles • Lettres de Marſeille
ayant réſervé le prix qu'elle devoit adjuger en
1754 , en aura cette année deux à diftribuer.
Elle donnera l'un de ces prix à un Poëme en
rimes plates , de cent cinquante vers au plus ,
& de cent au moins , dont le fujet fera : La
Réunion de la Provence à la Couronne. L'autre
prix eft deftiné à un Difcours d'un quart
d'heure , ou tout au plus d'une demi - heure
de lecture , lequel aura pour fujet : L'homme
eft plus grand par l'ufage defes talens , que par les
talens mêmes.
La Fregate la Gloire , qui a fait voile de Pondichery
le 10 Septembre 1754 , eft arrivée le
26 Mars au Port de l'Orient. On a appris par
ce bâtiment que le fieur Godeheu étoit dé
barqué le 2 Août à Pondichery , & que le fieur
Dupleix , qui lui a remis le Gouvernement des
étab iffemens de la Compagnie dans l'Inde , devoit
être parti au mois d'Octobre , pour revenir en
Europe.
Iij
196 MERCURE DE FRANCE.
Le 27 de Mars , la Reine entendit le
Sermon de la Cêne de l'Abbé de Tremouilhe ,
Chanoine & Théologal de l'Eglife Métropoli- ,
taine de Tours. L'Evêque de Gap fit enfuite.
Abfoute , après laquelle la Reine lava les pieds
à douze pauvres Filles , que Sa Majesté fervit
à table. Le Marquis de Chalmazel , premier
Maître d'Hôtel de la Reine , précéda le Service
, & les plats furent portés par Madame Adelaïde
, par Mefdames Victoire , Sophie & Louife,
par la Ducheffe d'Orleans , par les Dames du
Palais de la Reine , & les Dames de Compagnie
de Mefdames de France.
Leurs Majeftés & la Famille Royale fe rendirent
le même jour fur les dix heures du foir
à la Chapelle du Château , & firent leurs prieres
devant l'Autel , où le Saint Sacrement étoit '
en dépôt.
Le 28 , jour du Vendredi Saint , le Roi & la
Reine , accompagnés de Madame Adelaïde , &
de Mefdames Victoire & Sophie , entendirent
le Sermon de la Paffion du Pere Griffet , de la
Compagnie de Jefus. Après la Prédication , leurs
Majeftés affifterent à l'Office , & allerent à l'Adoration
de la Croix. L'après- midi , le Roi & la
Reine entendirent les Tenebres.
Monfeigneur le Dauphin , Madame la Dau
phine , & Madame Louife , affifterent à l'Offi
ce du matin & du foir dans la Tribune .
Le 29 , Samedi Saint , leurs Majeftés entendirent
la grande Meffe , célébrée par les Miffionnaires.
-
Elles affifterent l'après midi aux Complies ,
après lefquelles la Mufique chanta le Regina Cali
& PO Filii , de la compofition du fieur Mondonville
, Maître de Mufique de la Chapelle , en
quartier.
MAI 1755 197- 甲
enten-
Le 30 , Fête de Pâques , le Roi & la Reine ,
accompagnés de Mefdames de France ,
dirept dans la Chapelle du Château la grande
Meffe , à laquelle l'Evêque de Gap officia pontificalement
, & qui fut chantée par la Mu-.
fique.
L'après-midi , leurs Majeftés affifterent à la
Prédication du Pere Griffet , enfuite aux Vêpres
, chantées par la Mufique , auxquelles l'Evêque
de Gap officia ; & au Salut célébré par
les Miffionnaires , pendant lequel la Mufique
chanta l'O Filii.
Le 30 Monfeigneur le Duc de Bourgogne &
Madame dînerent avec la Reine .
Le même jour , la Comteffe de Marfan , Gouvernante
des Enfans de France , conduifit Monfeigneur
le Duc de Berry chez la Reine , pour
la premiere fois depuis la naiffance de ce
Prince.
Le Maréchal Duc de Belle- Ifle , en long
manteau de deuil , a fait fes révérences à leurs
Majeftés & à la Famille Royale , à occafion
de la mort de la Maréchale de Belle - Ifle .
Le 6 , l'Evêque de Rennes , le Duc de Rohan
& le Sr Baillon , Préfidens des trois Ordres des
Etats de Bretagne , & nommés pour présenter au
Roi la médaille & l'eftampe du monument que
les Etats ont fait élever à Rennes , en mémoire de
la convalescence & des victoires de Sa Majesté ,
s'acquitterent de ce devoir. Sa Majefté voulant
leur témoigner fa fatisfaction par une marque dif
tinguée , les reçut dans fon cabinet . L'Evêque de
Rennes porta la parole. Le Duc d'Aiguillon, Commandant
en Bretagne , accompagnoit la députation
; & le Comte de Saint - Florentin , Miniftre
& Secrétaire d'Etat ayant le département de cette
-
Iiij
198 MERCURE DE FRANCE.
province , préfenta les Députés au Roi , à la Reine
, & à la Famille royale.
L'Académie royale de Chirurgie tint le 10
Avril fon affemblée publique. A l'ouverture de la
féance, le Sr Morand , Secrétaire perpétuel , annonça
que l'Académie avoit ajugé le prix , Sur laquefsiondufeu
, ou cautere actuel , comme remede de chirurgie
, au Mémoire No. 20 , portant à la premiere
page l'emblême de la Salamandre , avec la devife ,
Nimium extinguit , defideratum renovat ; & à la
derniere page l'enblême du phénix avec la devife
Crematus ipfe refurgit . Le Sr Pipelet lut une obfervation
, Sur la cure d'une Hernie d'inteftins gangrenée
, accompagnée de quelques circonfiances fingulieres.
Cette lecture fut fuivie de celle d'un mémoire
du Sr Houftet , Sur une espece particuliere
d'exoftofe . Le troifieme mémoire qui fut lû , eft
du Sr Ruffel , & contient des obfervations , Sur
les bons effets des cauteres multipliés dans le cas de
l'épilepfie. Le Sr Louis lut un mémoire , Sur les
pierres urinaires , formées hors des voies urinaires.
La féance fut terminée par la lecture de l'histoire
d'une plaie au foie au diaphragme , guérie par
les foins du Sr du Bertrand.
Le Comte de Gifors , nouvellement arrivé des
voyages qu'il a faits dans différentes Cours de
l'Europe , rendit le 12 fes refpects à leurs Majeftés
, étant préfenté par le Maréchal Duc de Belle-
Ifle , fon pere.
Le 13 , la Comteffe d'Ayen fut préfentée à leurs
Majeftés & à la Famille royale par la Ducheffe
d'Ayen, fa belle - mere. En vertu du brevet d'honneurs
que le Roi a accordé au Comte d'Ayen , elle
prit le tabouret.
Mademoiſelle de Sens préſenta le même jour la
Marquise de Prulé.
MA I. 1755 . 199
Le même jour leurs Majeftés fignerent les
contrats de mariage du Comte de Coigny , Meſtre
de Camp général des Dragons , avec la Vicomteffe
douairiere de Chabot ; du Marquis de Bethu
ne , Meftre de Camp général de la Cavalerie ,
avec Demoiſelle Crozat de Thiers ; du Comte de
Ligny , avec Demoiſelle de Rambures ; du fieur
de Blair de Boifmont , Intendant de Valenciennes ,
avec Demoiſelle de Fleffelle ; & du fieur Dufort
Introdacteur des Ambaffadeurs , avec Demoiſelle
le Gendre.
Le Roi a donné fon agrément au mariage du
Vicomte de Merinville , Brigadier de Cavalerie ,
& Capitaine fous- Lieutenant des Gendarines de lá.
Garde ordinaire du Roi , avec la feconde fille da
Marquis de Lhôpital .
Le Marquis de Marigny , Directeur & Ordonnateur
général des Bâtimens & Jardins du Roi ,
ainfi que des Arts & Manufactures , préfenta le
13 à Sa Majefté les ouvrages de peinture & de
fculptute faits pendant l'année derniere par les
éleves protégés. Voici la lifte de ces ouvrages.
1º. Le Šauveur lavant les pieds à fes Apôtres , par
le fieur Fragonard , âgé de 22 ans , & depuis deux
ans dans l'école. 2°. Armide prête à poignarder
Renaud , & arrêtée par l'Amour. Ce tableau eft
du fieur Monet depuis dix-huit mois dans l'école ,
& âgé de 23 ans. 3. Mercure qui endort Argus ,
pour enlever lo métamorphofée en Géniffe , par le
fieur Brenet l'aîné , âgé de 16 ans dans l'école
depuis quinze mois. Saint Jerome en méditation
par le même. 4º, Un modele , dont le ſujet repréfente
le Tems , qui enchaîne l'Amour , par le fieur
Brenet le jeune , âgé de 20 ans , depuis fix mois
dans l'école. 5. Une figure allégorique , repréfentant
la Nobleffe , par le fieur d'Huez , âgé de
I iiij
200 MERCURE DE FRANCE.
24 ans , & entré dans l'école en même tems que
le fieur Brenet le jeune. 6°. Alexandre s'endormant
avec une boule d'or dans fa main , afin de
s'éveiller au bruit qu'elle fera en tombant . Mathathias
tuant un juif qui avoit facrifié aux Idoles
, & le Miniftre d'Antiochus qui l'y avoit förcé.
L'Auteur de ces deux derniers morceaux eft le
fieur Chardin , âgé de 22 ans , & qui n'eft que
depuis cinq mois dans l'école. Tous ces différens
ouvrages ont été expofés dans les grands appartemens.
Le 13 , Monfeigneur le Dauphin fit rendre dans
P'Eglife de la Paroiffe du Château , les Pains bénits
qui furent préfentés par l'Abbé de Laſcaris , Aumônier
de Sa Majesté.
Le même jour , les Députés des Etats de Bourgogne
eurent audience du Roi , ils furent préfentés
par le Prince de Condé , Gouverneur de la
Province , & par le Comte de Saint - Florentin ,
Miniftre & Secrétaire d'Etat , & conduits en la
maniere accoutumée par le Grand- Maître & le
Maître des Cérémonies.
La députation étoit compofée pour le Clergé,
de l'Abbé de Cîteaux , qui porta la parole ; du
Marquis d'Efcorailles , pour la Nobleffe ; de M.
Jouard , Maire de Châtillon - fur- Seine , pour le
Tiers -Etat ; de M. Bernard de Blancey , Secrétaire
des Etats ; de M. Rigoley d'Ogny , Tréforier de la
Province ; de M. Perchet , Procureur - Syndic
des Etats ; de M. Berault , Syndic du pays de
Breffe , & de M. Grumet , Syndic du pays de
Bugey.
Le Roi foupa le foir au grand couvert chez la
Reine , avec la Famille royale.
Le 14 , le Roi partit pour Choify , d'où l'on
attend demain Sa Majefté. Monſeigneur le Dau
MA I. 201 1755.
.
phin y alla le 16 , & Mefdames de France y font
allées le 17.
Monfeigneur le Duc de Bourgogne & Madame
fe promenerent le 14 à Marly, & le 19.à Trianon .
Leurs Majeftés entendirent le 14 de ce mois une
Meffe de Requiem , pendant laquelle le De profundis
fut chanté par la mufique , pour l'anniverfaire
de feu Monfeigneur le Dauphin , ayeul
du Roi.
Le fieur Folard , ci- devant Miniftre du Roi à la
Diette de l'Empire , a été nommé par Sa Majesté
pour aller réfider à Munich en qualité de fon Envoyé
extraordinaire auprès de l'Electeur de Baviere.
Selon les lettres d'Avignon , le Margrave & la
Margrave de Bareith , après y avoir féjourné quatre
mois , en font partis pour Marſeille , d'où ils fe
rendront en Italie.
Le 17 , les actions de la Compagnie des Indes
étoient à dix- fept cens dix livres : les billets de la
premiere Lotterie royale à huit cens vingt- cinq
livres ; & ceux de la feconde Lotterie , à fept cens
dix-fept.
NAISSANCE , MARIAGES
& Morts.
E 21 Mars , Angélique- Louife de la Rochefoncauld
, époufe de Jean- Alexandre- Romée de
Villeneuve , Vicomte de Vence , Colonel en fecond
& commandant le Régiment Royal- Corfe ,
eft accouchée à Aix d'un fils qui a été nommé
Jules-Alexandre Romée.
202 MERCURE DE FRANCE..
Le 11 de Janvier fut célebré le mariage de
Louis-Léon-Félicité , Comte de Lauraguais , fils
de Louis de Brancas , Duc de Lauraguais , & d'Elifabeth-
Pauline d'Itanguien.
La cérémonie fut faite dans la Chapelle de
l'Hôtel de Biron , par M. le Cardinal de la Rochefoucauld.
La maifon de Brancas eft affez connue par fon
ancienneté , fon illuftration & fes grandes alliances
,fans qu'il foit néceffaire ici d'en faire l'éloge.
Son hiſtoire a été imprimée par beaucoup d'Auteurs
, elle fe trouve dans celle des grands Officiers
de la Couronne , article du Duché- Pairie de
Villars , t . V. p. 277. On y voit que cette Maiſon
eft originaire de Naples , où elle a poffedé les
premieres Charges de cette Couronne , & que le
premier qui s'établit en Provence y vint avec deux
Cardinaux c'étoit Bufille de Brancas , Comte
d'Agnano , au Royaume de Naples , & Seigneur
d'Oife & de Vilofe , aux Diocèfes de Digne , & de
Sifteron , Maréchal de la Cour Romaine , vers la
fin du quatorzieme fiecle .
Le 1 Février , Louis d'Etampes , Marquis
d'Etampes , fils de Louis Roger , Marquis d'Etampes
, & de Marguerite Lidie de Becdelievres de
Cany, époufa Adélaïde- Godefroi-Julie de Fouilleufe
de Flavacourt , fille de François - Marie de
Fouilleufe , Marquis de Flavacourt , Maréchal des
Camps & armées du Roi , & Lieutenant de Roi de
Normandie , & de Hortenfe-Félicité de Mailly de
Nefle.
La maifon d'Etampes , illuftre par les premieres
dignités de l'Eglife & de l'Etat , à eu des alliances
avec les maifons de Montmorenci , de Beauvilliers
, de Gouffier , de Regnier , de Guerchy , de
la Châtre , de Brulart de Sillery , de Choifeul , de
, י
MAI. 1755- 203
Becdelievres , de Béthune , d'Ailly , de Fiennes ,
de Monchy, de Chavagnac , de Rochechouart , &
autres.
Cette maifon a formé quatre branches : la
branche de la Ferté- Imbault , celle de la Mottelez-
Ennordre , de Valençay , & celle d'Autry.
La branche de la Motte- lez-Ennordre defcend
de Jean d'Etampes , Seigneur de la Ferté- Imbault ,
lequel de fon mariage avec Blanche d'Ailly , fille
de Waleran d'Ailly , de la branche de Sains , Seigneur
de Marigny , Bailli de Senlis , & de Jacqueline
de Rouvroy-Saint- Simon, eut plufieurs enfans,
entr'autres Louis d'Etampes , Seigneur de la Ferté-
Imbault , qui a continué la branche aînée , & qui
eft le fixieme ayeul du Marquis d'Etampes qui
donne lieu à cet article , & François d'Etampes
auteur de la branche de la Motte- lez- Ennordre.
La branche de Valençay & celle d'Autry
defcendent de Robert III . d'Etampes , Seigneur
de Sallebris , d'Ardreloup & de Tillay , Maréchal
& Sénéchal du Bourbonnois , lequel eut trois garçons
de fon mariage avec Louife Levraud , fçavoir
Jean d'Etampes , Seigneur de la Ferté-Imbault
dont on a parlé plus haut ; Louis d'Etampes , Seigneur
de Valençay , & Robert d'Etampes , Seigneur
d'Autry. Voyez les Tablettes hiftoriques ,
généalogiques & chronologiques , quat. Partie ,
P. 395. & Gr. Off. tome 7. p . 543 .
La maifon de Fouilleufe de Flavacourt , une des
plus anciennes du Vexin François , a pris alliance
dans le 13 fiecle avec la maiſon de Crevecoeur ,
& depuis avec celle de Gaucourt , de Boves , du
Bec- Crefpin , de Dampont , de Suzanne de Cerny,
de Gaudechart , de Ligny , de Rouffé d'Alembon ,
de Rouxel de Médavy , de Mailly , & autres. Voyez
Tab. Généal. 4. part. p. 77.´.
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
Le 10 Mars , Milord Clare , Comte de Tho
mond , Chevalier des Ordres du Roi , Lieutenant
général de fes armées , & Infpecteur général ,
époufa Marie- Genevieve- Louife de Chiffreville ,
fille unique du Marquis de Chiffreville , Lieutenant
général des armées de Sa Majeſté , & premier
Sous-Lieutenant de la feconde Compagnie des
Moufquetaires , & de Dame Marie- Genevieve le
Tonnellier de Charmeaux .
Ce mariage a été fait dans la Chapelle de
l'Hôtel de Machault , par l'Abbé de Breteuil , ancien
Agent général du Clergé.
Le 14 Février 1755 mourut à Paris Marie-
'Anne de Gouffier de Thois , âgée de foixante-huit,
ans fept jours , veuve depuis le 14 Avril 1724 , de
Louis de Bourbon , fecond du nom , Comte de
Buffet & de Châlus , Baron de Piégut , de Vezigneux
, & de Saint - Martin du Puis , &c . qu'elle
avoit épousé par contrat du 31 Décembre 1719.
Elle étoit fille de Thimoléon de Gouffier , Marquis
de Thois , & autres lieux , Gouverneur de
Blois , & d'Henriette de Penancoët de Keroualle ,
veuve de Philippe Herbert , Comte de Pembrock
en Angleterre ; & foeur cadette de Louife-Renée
de Penancoët de Keroualle , Ducheffe de Portsmouth.
Madame la Comteffe de Bourbon- Buffet
laiffe de fon mariage trois enfans , fçavoir ,
2
1. François-Louis Antoine de Bourbon , Comte
de Buffet , dont on va parler.
2. Louife -Claude de Bourbon- Buffet , Religieufe
Bénédictine au Monaftere du Cherche -midi , Fauxbourg
faint Germain , à Paris , où elle a fait profeffion
le 17 Septembre 1740 .
3. Et Henriette- Antoinette de Bourbon-Buffet ,
yeuve fans enfans depuis le 2 Novembre 1752 , de
MA I. 1755. 205
Paul de Grivel de Groffove , Comte d'Auroy , Seigneur
de Groffove , &c. ancien Meftre de camp
du Régiment d'Anjou , Cavalerie , avec lequel
elle avoit été mariée par contrat du 22 Août 1747.
François-Louis-Antoine de Bourbon , Comte
de Buffet & de Châlus , Baron de Vezigneux & de
Saint-Martin du Puis , Seigneur des Creuziers
&c. Meftre de camp du Régiment de Bourbon-
Buffet , Cavalerie , & Chevalier de l'Ordre militaire
de faint Louis , époufa le 23 Avril 1743 ,
Magdeleine- Louife-Jeanne de Clermont - Tonnerre
, fille de Gafpard de Clermont - Tonnerre ,
Maréchal de France , Chevalier des Ordres du Roi,
Gouverneur de Béfort , Marquis de Vauvillars ,
Comte d'Efpinac & de Thoury , & de feue Antoinette
Potier de Novion . De cette alliance font
fortis les enfans qui fuivent .
1. Gafpard- Louis de Bourbon - Buffet , Comte
de Châlus , mort à Paris le 8 Décembre 1751 , âgé
de fix ans & demi.
2.
Louis-François-Jofeph de Bourbon- Buffer ,
aujourd'hui Comte de Châlus , né au Château, de
Buffet en Auvergne , le 1 Juin 1749.
I
3. Artus Charles - Thimoléon de Bourbon-
Buffet , né à Paris le 21 Septembre 1752 .
4. N.... de Bourbon- Buffet , né au Château de
Buffet , le 11 Novembre 1753 , non encore nom
mé..
S. N...de Bourbon-Buffet , née à Buffet , lé 20
Juillet 1746 , auffi non nommée.
6. Marie-Anne-Julie -Louife de Bourbon- Buf
fet , Demoifelle de Châfus , née au Château de Buffet
le 16 Septembre 1747.
7. Et N. de Bourbon- Buffet , morte au Château
de Buffet , le 23 Mars 1751 , fans avoir été nommée,
âgée de deux jours ..
206 MERCURE DE FRANCE.
Voyez ce qui eft dit de la maiſon de Gouffier ;
dans le volume V. p. 605. & fuiv . de l'Hiſtoire des
Grands Officiers de la Couronne ; & le Mercure
du mois de Juin 1754. premiere Partie , à l'occa
fion de la mort de M. le Marquis de Thois , frere
aîné de Madame la Comteffe de Bourbon - Buffet ;
& la quatrieme Partie des Tablettes hiftoriques ,
pages 114 & 115 .
François de Mailly , Comte de Mailly , mourut
le 21 de Février au château de Saint - Leger
près d'Abbeville , âgé de foixante- treize ans ;
il étoit oncle du Comte de Mailly , Lieutenant
général des armées du Roi , & de la province de
Rouffillon , Infpecteur de la Cavalerie , à qui il
a laiffé les terres de fa branche.
La Maiſon de Mailly eft trop connue pour
qu'il foit néceffaire d'entrer ici dans aucun détail
fur l'ancienneté de fon origine , & fur la
grandeur de fes alliances. Il fuffira de rappeller
qu'en 1070 Anfelme de Mailly
doit l'armée de la Comteffe de Flandre , &
gouvernoit fes Etats comme tuteur & le plus
proche parent du Comte fon fils .
* comman-
Colard de Mailly ** fut appellé au gouvernement
du Royaume fous Charles VF , & cette
illuftration a tranfmis dans cette Maifon une
Couronne perfonnelle entremêlée de fleurs de
lys , qu'elle porte depuis ce tems . L'on fçait
auffi que cette Maifon a été revêtue dans tous
* Chronique de Flandre , par Dom de Gherit , 13
91. Hiftoire des Châtelains de Lille , par Floris
Vander- Vaher. Malbrancq. dans ce qu'il a écrit
fur la Flandre.
** Monftrelet , tom. 1. p.77 130. Hift . de Charles
VI. par Le Laboureur , liv . 30. p. 755..
MA I. 1755. 207
*
les tems des Ordres & des plus grandes Charges de
la Couronne .
Le Comte de Mailly , Seigneur de Saint-
Leger , qui donne lieu à cet article , étoit de
la branche des Comtes de Mailly , Seigneurs
d'Haucourt , féparée en 1503 par le mariage
qu'Adrien de Mailly , fecond fils de Jean , Sire
de Mailly , Chambellan de Charles VIII & de
Louis XII , & d'Ifabeau d'Ailly , fille de Jean ,
Vidame d'Amiens , & d'Iolande de Bourgogne ,
fit avec Françoife de Bailleul , fille d'Adrien de
Bailleul & de Jeanne d'Haucourt , par contrat
du 18 Octobre 1503 : c'est par cette alliance
que la terre d'Haucourt eft entrée dans cette
branche de la Maifon de Mailly. L'on voit à
ce fujet un acte paffé devant le Roi François I ,
qui donne à Adrien de Mailly le titre de coufin
, & qui lui remet en faveur dudit mariage
tous les droits qui lui étoient dûs fur la Maifon
de Bailleul ; il ratifia le 3 Mai 1513
tranfaction paffée entre lui & le Comte de Vendôme
, fur les droits réciproques qu'ils avoient
fur la terre de Ravenfberg , à caufe de la Maifon
de Bailleul , dont étoit iffu par fa mere le
Comte de Vendôme.
la
Adrien de Mailly eut entr'autres enfans Edme
de Mailly , qui continua la postérité , &
Jean de Mailly , Seigneur de Belleville , Chevalier
de l'Ordre du Roi , qui n'eut d'Antoinette
de Baudeuil , Dame d'Abancourt , qu'une fille
mariée à Robert de Roncherolles , Baron de
Pont- Saint- Pierre , Chevalier de l'Ordre du Roi ,
Gentilhomme ordinaire de fa Chambre , & premier
Baron de Normandie.
Edine de Mailly , Seigneur d'Haucourt & de
Saint-Leger , étoit Gouverneur d'Ivoy , & Ca208
MERCURE DE FRANCE.
pitaine de mille hommes de pied fous les re
gnes de François I & de Henri II . Il fut l'un
des ôtages de la capitulation de Thionville en
1558. Il époufa en premieres nôces , par con
trat du 16 Avril 1536 , Marie de Boulan , dont
il laiffa François de Mailly qui fuit ; & en fecondes
nôces , par contrat du 24 Avril 1550 ,
Gabrielle d'Ougnies , Dame du Quefnoy en Flandre
elle fur mere de Louis de Mailly , auteur
de la branche du Qefnoy qui , par fes alliances ,
a l'honneur d'appartenir à plufieurs Maifons fouveraines
de l'Europe , & tient à celles de Montmorenci
, de Melun , d'Ifenghien , de Crequi ,
de Berg , d'Aremberg , de Croy , de Longueval ,
de Leide , & c. & c .
:
François de Mailly , premier du nom , Seigneur
d'Haucourt & de Saint -Leger , fut un des Seigneurs
qui fe diftinguerent le plus par leur fidélité
envers le Roi Henri III , durant les guerres
de la ligue. Il fe fignala au fiege de la Rochelle
en 1573 , au combat de Dormans , à la
prife d'Iffoire en 1577 , & fut tué d'un coup
de canon au fiege de la Fere en 1579. Le Roi
Henri III écrivit à cette occafion à la Dame
de Mailly fa veuve , que fi elle avoit perdu un
mari il avoit perdu un bon ferviteur & ami ,
& lui promit qu'il auroit foin de fes enfans.
Il avoit épousé par contrat du 6 Août 1573 ,
Marie d'Hallencourt , fille de N. d'Hallencourt ,
Marquis de Drofmefnil , Seigneur de Canteville .
Il eut de ce mariage :
François de Mailly , II du nom , Seigneur
d'Haucourt & de Saint-Leger , fait Capitaine de
cinquante hommes d'armes , des ordonnances
du Roi. Il fe . diftingua au fiege d'Amiens en
1597 , & mourut à Paris le 30 Mars 1621
.. MA I. 1755. 209
avoit époufé par contrat du 22 Janvier 1607 ,
Marie Turpin , fille de Guillaume Turpin , Seigneur
d'Aligny , & de Françoile de Pellevé ,
laquelle étoit fille de Genevieve de Montmorency
, & niece du Cardinal de Pellevé . Il naquit
de ce mariage , 10 Philippe de Mailly qui
fuit. 20 Antoine de Mailly , Chevalier de Malthe
mort en 1670. 3 ° Nicolas de Mailly , tué
au fiege de Dixnude en 1677
>
Philippe de Mailly , Seigneur d'Haucourt &
'de Saint - Leger , Capitaine d'une compagnie de
cent hommes, dits de Chevaux - Legers , qu'il com-
'mandoit à la bataille d'Avein en 1635, fe trouva à la
fanglante journée de la Marfée en 1641 , & au ſiege
de Nanci en 1633 , invité par deux lettres du Cardinal
de la Valette , commandant l'armée du fiége
, qui lui marquoit que le Roi lui fçauroit gré
d'y venir avec fa compagnie . Il avoit épousé par
contrat da 8 Janvier 1631 , Guillaine Dubié
petite fille du Maréchal de France de ce nom. I
laiffa
Antoine de Mailly , Seigneur d'Haucourt & de
Saint- Leger , marié par contrat du 6 Février 1678
à Françoife de Canutfon de Berlifontaine , dont
vinrent le Comte de Mailly , Seigneur de Saint-
Leger , qui donne lieu à cet article , & le Marquis
de Mailly, Seigneur d'Haucourt , Page du Roi
en 1694 , pere du Comte de Mailly , dont la fille
a époufé le Marquis de Voyer , & dont le fils ,
Louis-Marie de Mailly, eft Capitaine- Lieutenant,
en furvivance de fon pere , de la Compagnie des
Gendarmes Ecoffois , fixième de fon nom revêtu
de cette charge.
Cette branche appartient par fes alliances aux
Maifons de Lorraine, de Moy, de Montmorenci, de
Chaulnes, de S.Simon, d'Harcourt, d'Eſpinai- Saint210
MERCURE DE FRANCE.
Luc , de Mornai Monchevreuil , de Gouffier , d'E
trade , d'Aumont , de Boufflers , d'Auxi , de Roncherolles
, de Brulart , de Vieux- pont , de Moflé ,
de Marcatel , des Effarts , d'Hangeft , de Montmorenci-
Laval , de la Force , de Milli , Le Tellier-
Louvois , d'Ecquevilli , de Colbert , d'Efclainvilliers
, de Voyer d'Argenfon & autres.
La Maiſon de Mailly a produit un grand nombre
de branches , & elle fe trouve réduite aujourd'hui
aux cinq feules fuivantes , qualifiées felon les
titres qui leur ont été affectés.
Celle de Louis , Sire & Marquis de Mailly ' ,
chef du nom , Brigadier des armées du Roi , &
Colonel du régiment d'infanterie de fon nom .
Celle du Marquis de Nefle , Chevalier des Ordres
du Roi , féparée en 1648 , en faveur de laquelle
le Marquifat de Mailly-Moncavrel a été
érigé , & qui a produit
Celle de Louis de Mailly , auffi Chevalier des
Ordres du Roi , Lieutenant- Général de fes armées ,
& premier Ecuyer de Madame la Dauphine' , féparée
de celle de Nefle en 1687.
Celle d'Alexandre - Louis de Mailly , Seigneur
de Fecamp , né en 1744 , fils de feu Louis - Alexandre
de Mailly , & de Louife de Saint - Chamans
, féparée en 1600 .
Et celle du Comte de Mailly , Lieutenant -Général
des armées du Roi & du Rouffillon , Infpecteur
de la cavalerie , en faveur de laquelle le
Comté de Mailly a été érigé , féparée en 1503 ,
d'où eft forti celle des Marquis du Quefnoi en
Flandre , féparée de celle - ci en 1596.
Voyez fur cette maifon les grands Officiers de
la Couronne , tome VIII. & les Tablettes hiftoriques
, tom . IV & tom . V.
L'on travaille actuellement à donner une hifMAI.
1755 .
211
toire de cette grande Maiſon dans toute fon
étendue.
1
Claude-Marie , Comte de Bellegarde & d'An
tremont , Envoyé extraordinaire du Roi de Pologne
, Electeur de Saxe à la Cour de France , eft
mort à Paris le 26 Février , laiffant deux enfans de
Dame Anne Rutouska , ſon épouſe , foeur de Maurice
, Comte de Saxe , Maréchal de France . Ce
grand homme avoit par fon teftament nommé le
feu Comte de Bellegarde fon héritier univerfel.
La Maiſon de Bellegarde originaire de Flan
dres , eft depuis long-tems établie en Savoye , où
elle eft fort diftinguée par fon ancienneté & par
fes illuftrations. Jean Noël , Seigneur de Bellegarde
, Maître d'Hôtel de Charles III , Duc de
Savoye en 1304 , eut de Claudine de Saint- Trivier,
Dame de Monts , fa femine :
-
François Noël de Bellegarde , Seigneur de
Monts & des Marches , Gouverneur de Nice ,
Ambaffadeur du Duc de Savoye , près de l'Empereur
Charles-Quint , marié le 4 Octobre 1546 à
Gafparde de Menthon , dont
Jean- François de Bellegarde , Marquis d'Antre
mont & des Marches , Colonel des Gardes de
Charles- Emanuel , Duc de Savoye , marié à Florentine
de Perrache. Par fon teſtament du 3 Août
1597 , il inftitua pour héritier fon fils
Claude-André de Bellegarde , Marquis d'Antremont
& des Marches , marié à Gafparde de Doncieux
, dont il eut Jean- François , qui fuit :
Pierre de Bellegarde , Abbé de S. Sixte ; Guillaume
de Bellegarde , Comte d'Antremont , marié
à Anne-Françoife de Loche ; Claire de Bellegarde ,
mariée le 27 Août 1646 à Charles de Broffes , Baron
de Montfalcon , Seigneur de Tournay , Grand
Bailli de Gex , dont postérité.
212 MERCURE DE FRANCE.
Jean-François de Bellegarde , Marquis d'Antre
mont & des Marches , Capitaine de Cavalerie ,
marié le 13 Avril 1632 , à Magdeleine Portier de
Micudry , dont
>
Janus de Bellegarde Comte d'Antremont
>
Marquis des Marches , Chancelier de Savoye &
Miniftre d'Etat , marié les Mai 1659 , à Anne du
Prayet , Dame de Veynes , dont
Jean- François de Bellegarde , Marquis d'Antremont
& des Marches , Ambaffadeur du Roi de
Sicile , Duc de Savoye, à la Cour de France , marié
le 23 Avril 1687 à Catherine- Françoiſe de Regard
de Vars , dont Jofeph - François qui fuit
Claude-Marie qui a donné lieu à cet article , &
deux autres fils , Pun Chambellan du Roi de Pologne
, marié à Drefde , l'autre établi & marié à
Prague.
Jofeph-François de Bellegarde , Marquis des
Marches & de Curfinge , Comte d'Antremont ,
Commandeur de l'Ordre de Saint Maurice , Gentilhomme
de la Chambre du Roi de Sardaigne
marié à Françoife Charlotte Ogletorpe , dont il
a un fils Colonel au fervice d'Angleterre , & deux
filles , l'une mariée au Seigneur de Maffingy, Marquis
de la Pierre ; l'autre , Charlotte-Eléonore ,
Chanoineffe en Lorraine.
Dame Marguerite Defcreux de Sainte- Croix
époufe du Comte de Duglas , Capitaine au Régiment
royal Ecoffois , eft morte au Château de
Montréal en Bugey , le 27 de Février , âgée d'environ
30 ans ; elle étoit l'unique héritiere de la
famille Defcreux de Sainte- Croix , une des meilleures
maifons de la Breffe. Le Comte de Duglas
eft d'une branche de l'ancienne maifon de Duglas
en Ecoffe , établie en ce pays là depuis près d'un .
fiecle. Il a trois freres , l'un Capitaine dans le
MA I. 1755. 213
même Régiment que lui , l'autre Capitaine dans
celui de Languedoc infanterie , & le troifieme
Eccléfiaftique , qui eft au Séminaire de S. Sulpice.
AVIS
E fieur le Comte , Vinaigrier ordinaire du
›
vinaigres , tant de table que de toilette , de propreté
& pharmacie , jufqu'au nombre de cent foixante
, donne avis au public , qu'ayant inventé &
compofé l'année derniere le vinaigre admirable
& fans pareil , ayant eu l'applaudiffement des
Seigneurs & Dames de la Cour , & approuvé de la
Faculté , fe croit obligé par l'efficacité & les vertus
dudit vinaigre , de renouveller au public fes
propriétés , qui font de blanchir le vifage , d'unir
& affermir la peau , & lui donner l'agrément d'un
teint clair & frais , d'ôter les boutons , dartres ,
taches de rouffeurs , & le hâle du vifage & de la
peau , de rétablir & remettre les vilages coupe-..
rofés de différens âges dans leur naturel , d'éteindre
promptement les rougeurs de la petite vérole ;"
il raffermit la vûe , ô : e les rougeurs & inflammations
qu'il peut y avoir ; il n'eft point mordant ni
corrofif , & ne peut endommager ni le teint ni la
peau . Ce vinaigre a une odeur très - agréable , &
s'emploie pur & à froid , en s'en étuvant avec un
linge imbibé , le matin & le foir , & même dans
lajournée. Les moindres bouteilles font de neuf
livres , & la pinte de trente- fix livres.
Ledit Sieur a en outre plufieurs nouveaux vinaigres
, comme vinaigre à la Choify , vinaigre à la
Bellevée , & vinaigre à la Charoloife.
Comme plufieurs de fes confreres contrefont les
214 MERCURE DE FRANCE.
vinaigres dudit le Comte , ce qu'ils ne peuvent fa
re qu'en les détériorant , ne fçachant pas fa maniere
particuliere de les compofer , & qu'ils fe difent
affociés avec lui , & vendant les mêmes marchandifes
( rien de plus faux ) , il fe croit obligé ,
pour l'utilité du public , de l'avertir qu'il ne fort
de chez lui aucune bouteille qui ne foit cachetée ,
ficelée & étiquetée de fon nom.
Il demeure à Paris , place de l'Ecole , près le
Pont neuf, à la Renommée.
AVIS INTERESSANT.
Ne brochure qui vient de paroître ,
& qui a pour titre l'Histoire & le
Secret de la Peinture en cire , fait un tort
confidérable à Théodore Odiot fils . Il avoit
acquis ce fecret de M. Bachelier ; il fe voit
par là réduit au feul avantage de fçavoir
s'en fervir avec plus d'habileté que les autres.
Ayant travaillé pendant cinq mois
fous les yeux de M. Bachelier , il poffede
mieux l'art de préparer les couleurs , & le
public doit lui donner la préférence. Le
peu d'efpace qui nous refte nous oblige
de remettre fon annonce au mois prochain.
Nous yjoindrons fa demeure.
APPROBATION
.
T'Ai lû , par ordre de Monfeigneur le Chancelier
, le Mercure de Mai , & je n'y ai rien
trouvé qui puiffe en empêcher l'impreſſion , A Pasis
, ce 30 Avril 1755.
GUIROY.
215
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
M. le Comte d'Argenfon ,
AEpitre à Zelide ,
Annonces , Affiches , & Avis divers
page s
7
9
La Fortune & l'Espérance , Fable allégorique , 21
Quatrain mis au bas du portrait de M. de la Tour,
Sur les Contes ,
Vers à Mlle *** careffant un chat ,
Le Temple de la pénitence
26
27
35
36
Hiftoire angloife , par Mlle de L... à Mme la C...
de G ...
Le Fagot & la Buche , Fable ,
3.9
18
Remerciment à M. le Maréchal Duc de Biron , 59-
Mots des Enigmes & des Logogryphes du Mercure
d'Avril ,
Enigme & Logogryphe ,
Air de la faifon ,
ART. II. NOUVELLES LITTERAIRES .
ibid.
60
62
63
Extraits , Précis ou Indications des Livres nouveaux
,
Seconde Lettre d'un Académicien de M ... à un
Académicien de R... fur la Chriftiade , 77
ART. III. SCIENCES ET BELLES LETTRES.
Algebre. Lettre à M ..... Profeffeur & Cenfeur
royal , par M. G ... Ecuyer , &c.
-87
Problême d'Algebre appliqué à la ſcience de la
Guerre , 92
216
Hiftoire naturelle. Lettre à PAuteur du Mercure ,
Lettre de M. Muffard à M. Jallabert , ·
Métallurgie.
94
98
104.
Séance publique de l'Académie des Infcriptions
& Belles- Lettres , 105
Séance publique de l'Académie royale des Sciences
,
107
Séance publique de la Société Littéraire d'Arras ,
ART. IV. BEAUX ARTS.
108
Mufique.
Peinture. Avis aux Dames ,
Gravure. Lettre à l'Auteur du Mercure ,
Architecture. Obfervations par M. Patte ,
123
126
131
135
Réſultat de la difpute entre le Pere Laugier & M.
Frezier , 143
Horlogerie. Lettre de M. le Paute à M. de Boiffy ,
175
ART. V. SPECTACLES.
Comédie Françoiſe ,
177
Comédie Italienne, 178
Concert fpirituel ,
180
ARTICLE VI.
Nouvelles étrangeres ,
185
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c. 191
Naiffance , Mariages & Morts
201
>
Avis divers , 213
La Chanfon notée doit regarder la page 62.
De l'Imprimerie de Ch. A. JOM BERT.
MERCURE
DE FRANCE,
DÉDIÉ AU ROL
JUIN 2755.
PREMIER VOLUME.
Diverfité, c'est ma devife. La Fontaine.
Cechine
filius inv
PupibenSeulp.
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JEAN DE NULLY , au Palais .
Chez PISSOT , quai de Conti.
DUCHESNE , rue Saint Jacques
Avec Approbation & Privilege du Roi,
AVERTISSEMENT
NOUVEAU.
DEpuis que le Roi m'a donné le Mercure
de France que je compofe , je me·
fuis occupé & je m'occupe fans ceffe à le·
rendre plus digne de l'attention du Public ;
j'ai porté mes foins jufques fur la manutention
& la régie de mon ouvrage. Le
compte que je m'en fuis fait rendre m'a
mis à portée de faire plufieurs réflexions ,
dont voici le réfultat.
Que le tems , ainfi qu'il eft ordinaire
avoit introduit différens abus dans le prix
de ce Journal , qu'il m'étoit important de
réformer.
Que par une efpece d'injuftice les Abonnés
, qui payent d'avance , & dont les nouveaux
engagemens qu'ils ont pris avec moi
me feront toujours facrés , n'avoient pas
plus d'avantage que ceux qui payent chaque
fois , ou même à qui l'on fait crédit.
Qu'au contraire , la néceffité , l'abondance
des matieres & le defir de fatisfaire
l'empreffement des perfonnes qui
envoient des pieces , avoient quelquefois
forcé de donner un quinzieme volume , &
de le faire payer aux Abonnés , qui , en
A ij
1
s'acquittant d'avance , n'avoient compté que
fur quatorze volumes , ce qui avoit caufe
leurjufte murmure.
Pour me mettre en état de répondre à
P'impatience des Auteurs , en donnant plus
d'étendue à chacun des articles qui partagent
mon Journal, je ne le bornerai plus à neuf
feuilles , j'y mettrai tout le papier dont
j'aurai befoin fuivant l'abondance des matieres
& l'exigence des cas. Je n'ai rien
épargné pour que le Public fût content de
la forme & de l'arrangement de l'impref
fion , ainfi que de la qualité & blancheur
du papier j'aurois voulu faire davantage
mais j'ai craint avec raifon de me charger
d'une dépenfe trop confidérable , ayant tou
jours en vue mes engagemens.
Je me trouve donc forcé d'augmenter le
prix du Mercure , & de le mettre à trentefix
fols pour ceux qui ne s'abonneront point
pour l'année, &ne payeront point d'avan
ce; car , je le repéte , je refpecte trop les
engagemens que j'ai pris avec mes Abonnés
, en recevant leurs foufcriptions & leurs
paiemens d'avance , pour rien changer par
rapport à eux au contraire , le volume
de chaque Mercure fera plus étendu
je redoublerai d'ardeur pour le rendre plus
intéreffant , & il ne leur en coûtera pas
davantage. Il est bien jufte que je leur
donne la préférence, puifque c'eft avec leurs
- fonds que j'ai fourni jufqu'à préfent à la
dépenfe de mon Journal ; je le déclare
leur en marquer ma reconnoiffance.
pour
Le Bureau fera toujours chez M.
LUTTON , Avocat & Greffier-Commis
au Greffe civil du Parlement , Commis qu
recouvrement du Mercure , rue Ste Anne ,
Butte S. Roch , entre deux Selliers , du
côté de la rue S. Honoré.
C'est à lui que je prie d'adreffer , francs
de port , les paquets & lettres pour m'être
remis , quant à la partie littéraire.
Le prix fera de trente-fix fols pour ceux
qui ne s'abonneront pas au Bureau , & de
trente fols pour ceux qui s'y abonneront ,
& paieront d'avance vingt-une livres pour
une année , àraifon de quatorze volumes ,
commencer par le mois qu'ils defireront.
Les perfonnes de province aufquelles on
l'enverra par la pofte , paieront trenteune
livres dix fols d'avance en s'abonnant
& elles le recevront franc de port.
Celles qui auront des occafions pour le
faire venir ou qui prendront les frais du
port fur leur compte , ne paieront que
vingt-une livres d'avance pour une année .
Les perfonnes qui enverront leurs abonnemenspar
lapofte , en donneront avis , en
affranchiffant leurs lettres .
Les Libraires des provinces ou des pays
A iij
trangers qui voudront faire venir le Mercure,
écriront à l'adreffe ci-deffus.
Les paquets qui ne feront point affranchis
refteront au rebut.
L'on trouvera toujours quelqu'un en état
de répondre au Bureau , & le Sr LUTTON
obfervera d'y refter les Mardi , Mercredi
& Jeudi de chaque femaine après- midi.
On peut fe procurer par la voie du
Mercure les autres Journaux les livres
qu'ils annoncent , & tous autres générale-
~ment.
و
7.
000
X
00000000 000000
MERCURE
DE FRANCE.
JUIN. 1755 .
PREMIER VOLUME
LYON
1893
DE LA
VILLE
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
EPITRE
A M. LE CHEVALIER DE B .....
S'embarquant avec fon Régiment pour le
Canada.
Tour effort eft donc fuperflu !
Ο
A la priere la plus tendre
A iiij
8 MERCURE DE FRANCE .
Vous refufez donc de vous rendre
Et le départ eft réfolu !
K
Aux juftes aflauts qu'on vous livre
Vous oppofez de triftes noms :
Auriez - vous le coeur des Hurons ,
Parmi lesquels vous allez vivre ?
Si du moins l'on pouvoit vous fuivre
Jufqu'en ces barbares cantons
Mais vous partez , & nous reftons.
Vous partez ! ... Eh ! qui vous y
force ?
L'honneur , me direz - vous ? L'honneur F,
Quoi vous cédez à cette amorce ?
Ah ! reconnoiffez votre erreur.
L'honneur dont tout homme fe pique
Sur-tout dans notre nation ;
L'honneur n'eft qu'une fiction ,
Et ne fert que la politique.
On le croit fils de la Raifon ;
Ce n'eft qu'un être chimérique ;
Né du préjugé fantaſtique
Et de la folle opinion ;
Ou plutôt l'honneur n'eft qu'un nom ;
Un mot plus qu'amphibologique ,
Auquel le fot croit fans foupçon,
Mais que le héros fage explique.
Or , croyez - vous en bonne foi
Qu'un mot à partir vous oblige ?
D'un fanatifme , d'un preſtige ,
Eft- ce à vous à prendre la loi
JUIN. 1755
En tout cas , faut - il pour atteindre
L'idole que je viens de peindre ,
Egaler les courfes d'Io ?
Et ne peut- on dans le royaume
Sacrifier à ce phantôme ,
Sans voler juſqu'à l'Ohokio è
Pendant le cours de quatre luftres
Vous-même , marchant fur les
De cent ancêtres tous illuftres ,
Vous le fuivîtes aux combats :
Sans fortir de cet hémiſphere
Vous obéîtes à fes loix ,
pas
Et fes faveurs , de vos exploits
Furent l'honorable falaire ;
Vous tenez de lui cette croix *
Noble étiquette du courage,
Des fuccès brillant témoignage ,
Prix du fang verfé pour les Rois .
Qu'en attendez-vous davantage
N'eft-il pas tems qu'à vos travaux ,
'Au fein d'une famille aimable
Succéde enfin un doux repos >
Ce repos toujours agréable
N'eft , je le fçais , ni pardonnable ; be
Ni permis toujours aux guerriers :
Il l'eft , il eft même honorable
Quand on le prend fur les lauriers
* La croix de S, Louisalis wh
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
Mais vains difcours , raifons frivoles !
Le vent qui fouffle fur les mers
Emporte & féme dans les airs
Et nos douleurs & nos paroles ;
Semblable à ces écueils fameux
Dont bientôt l'aſpect formidable.
Frappera peut-être vos yeux ,
Et contre qui l'onde effroyable ,
Avec un bruit épouvantable ,
Lance en vain fes flots écumeux.
Vous vous riez de nos allarmes ,
De nos craintes , de nos regrets ;
D'un oeil fec vous voyez nos larmes
Et vous éludez tous nos traits .
Eh bien ! hâtez-vous de vous rendre
Sur la nef qui vous portera ;
Cherchez l'Anglois en Canada ,
Après l'avoir défait en Flandre :
Affrontez , nouvel Alexandre ,
Les mers , les monftres , le trépas
Pourquoi ? tout au plus pour étendre
Dans les plus ftériles climats
Notre empire de quelque pas.
Peut-être à nos voeux plus fenfibles
Amphitrite , Mars , Atropos ,
Seront moins que vous inflexibles.
L'une écartant les vents nuifibles ,
Sous vous applanira les eaux :
L'autre fermera fes cifeatix ,
}
JUIN
Et de concert fes foeurs horribles ,
De jours fortunés & paifibles
Pour vous couvriront leurs fufeaux.
Bellone & le Dieu des batailles
Vous guideront dans les combats ;
Ils feront marcher fur vos pas
La
peur , la mort , les funérailles :
Au milieu du fang , du trépas ,
Du carnage & de la tempête ,
Ces Dieux conduiront votre bras ,
Et garantiront votre tête.
Invincible , par leur fecours ,
En fûreté ſous leur égide ,
Le fer & le plomb homicide
Par - tout refpecteront vos jours.
Ils nous font dûs plus qu'à la gloire ;
Confervez-les du moins pour nous ;
Nous aimons mieux jouir de vous
Que de vous lire dans l'hiftoire.
Le jour qui va nous féparer ,
Pour bien long-tems va nous livrer
Aux chagrins , aux douleurs en proie :
Souvenez-vous en Canada ,
Que celui qui nous rejoindra
Peut feul nous rendre notre joie.
A vj
12 MERCURE DE FRANCE:
DE L'INDIFFERENCE
LE
EN MORALE ,
Par M. M ***.
Es indifférens en morale fe divifent
en plufieurs claffes : les uns n'envifagent
dans le bien & le mal que leur préjudice
ou leur avantage perfonnel , & font
de l'un & de l'autre la régle de leur conduite
, n'admettant d'autre principe de
moeurs que l'intérêt particulier cette
efpece de caractere a pour baſe l'amour
aveugle de foi-même. Commençons par
exclure ces premiers du nombre des gens
de bien ; il ne leur faut que l'occafion &
du courage pour devenir des fcélerats.
La feconde claffe , plus voifine qu'on ne
penſe de la premiere , eftcompofée de ceux
qui ne s'attachent à rien , & qui s'amufent
de tout. Trop foibles , ou trop peu paffionnés
pour attenter à la fociété par de grands
crimes , ils fe contentent de la regarder
comme une fcéne qui fe joue pour eux
& à laquelle ils ne font intéreffés que par
le plaifir malin qu'ils y prennent : c'eft le
fyftême de ces prétendus philofophes , dif
ciples d'un infenfé qui rioit de tout. Héraclite
n'étoit digne que de pitié ; mais il
JUIN. 1755 ig
en étoit digne. Démocrite , au contraire
méritoit l'indignation publique , & fes
concitoyens lui firent grace en ne lui
envoyant qu'un Médecin . N'y avoit - il
donc du tems de Démocrite , ni des malheureux
à plaindre , ni des méchans à détefter
? Dans quel climat barbare fouffriroit-
on l'infenfibilité brutale de celui qui
feroit d'un patient l'objet de fa plaifanterie
? Or le crime fur l'échafaud eft-il plus
intéreffant que la vertu dans le malheur ,
ou que l'innocence dans l'oppreffion ?
Les hommes , dit - on , ne valent pas
qu'on prenne à leur fort un intérêt plus
vif ; le meilleur parti eft de s'en défendre
& de s'en amufer. S'en défendre , c'eſt
fageffe ; s'en amufer , c'eft infolence &
cruauté. Il eft peu de chofe dans la vie
dont puiffe rire un honnête homme : la
vertu lui infpire du refpect ; le crime , de
la haine ; le vice , de l'horreur & du mépris
; & peu de folies font affez indifférentes
pour ne lui paroître qu'un jeu . Je
fuis bien loin de profcrire la Comédie :
telle qu'elle eft , je la crois utile aux bonnes
moeurs ; mais la forme qu'on a été
obligé de lui donner pour plaire eft bien
honteuse à l'humanité ! plaifanter fur le
vice , j'aimerois prefqu'autant qu'on plaifantât
fur la vertu . Un fat qui s'aime &
14 MERCURE DE FRANCE.
qui s'admire tout feul , peut n'être que
ridicule ; mais l'avare qui arrête la circulation
du fang de l'état , qui dévore la
fubftance du peuple , eft-il un perfonnage
rifible : l'homme à bonnes fortunes , qui
met fa gloire à féduire les femmes pour
les deshonorer , le glorieux qui eft fort
étonné que fon femblable lui adreffe la
parole , & qui rougit en retrouvant fon
pere , devroient - ils être plaifans fur la
fcene ? paffe encore fi les fpectateurs ou les
acteurs étoient des finges ; mais rire de
fon femblable caractérisé par ces traits !
Cette façon de plaifanter fur ce que la
fociété a de plus honteux & de plus funeſte ,
a paffé du monde au théatre , car le monde
a fes farceurs ambulans .
On y voit de ces gens à bons mots , qui
fe moquent in promptu de tout ce qui fe
préfente. Mais comme la plaifanterie délicate
exige de l'efprit , & qu'on n'en a pas
quand on veut , la bêtife & la méchanceté
ont imaginé à la place l'art de dire d'un
air fat & d'un ton faux des contre - vérités
groffieres ; c'eft la fineffe des fots , & combien
n'eft- elle pas en ufage ?
Il fe trouve par hazard quelques railleurs
plaifans & fins ; mais comme ils fe rendent
les plus dangereux , ils font auffi les plus
mépriſables :- je dis méprifables , quoique
1
1
JUIN. 1755. 15
•
dangereux ; car la crainte & le mépris ne
font pas incompatibles. Je fçais qu'ils font
gloire d'être craints ; mais qu'ils confiderent
combien ce fentiment qu'ils infpirent
les rapproche des infectes vénimeux
& ils préféreront l'oubli à cette célébrité
odieufe .
Le fruit le moins amer de la plaifanterie
, c'eſt le ridicule , & le ridicule touche
au mépris : or , ou celui fur lequel vous
vous plaifez à le répandre a droit à l'ef-
-time publique , & vous voulez la lui ravir ;
ou il en eft indigne par fes vices , & vous
-vous complaifez à fes vices même , puiſque
vous en faites un jeu : complaiſance
cruelle & baffe , qui eft incompatible avec
la vertu.
Il fe paffe parmi nous des cruautés dans
ce genre que les fauvages auroient peine
à concevoir. Un homme qu'on a cru longtems
heureux , tombe tout - à - coup dans
l'infortune ; c'eft peu de s'en réjouir en
fecret , on le rend la fable publique , on
l'infulte par des bons mots : ce font là les
moeurs , non pas de la groffiere populace ,
mais d'un monde honnête & poli . Le peuple
va voir les exécutions , mais il n'y rit
pas . On me répondra que celui qu'on infulte
dans le malheur , infultoit les autres
du fein de la profpérité ; s'il eſt vrai , c'é16
MERCURE DE FRANCE.
toit un méchant de plus . S'il n'a pas mérité
fon fort , il faut le plaindre ; s'il l'a mérité
, il faut le plaindre doublement : il eft
malheureux , il n'eft plus tems de s'en venger.
Quand & comment faut- il donc fe
déclarer contre les méchans ? férieufement
& fur le fait : la fociété doit juger prévotablement
, & punir de même. On fe retranche
à dire qu'on n'attaque point l'honneur
de celui qu'on plaifante ; mais faut- il être
deshonoré pour être perdu ? Les méchans
fçavent mieux que perfonne que le ridicule
nuit plus que le vice. Je ne mets donc
entr'eux & des brigans , tels qu'on en punit
, d'autre différence que celle du prix du
larcin. » Le voleur qui prend ma bour fe ,
» a dit un Poëte anglois , ne me prend rien
» de réel ; c'eſt un bien de convention qui
» eft aujourd'hui à moi , demain à un au-
» tre ; c'eft peu de chofe , ce n'eft rien ;
»mais celui qui attaque ma réputation ,
» attente àmon être , à la fubftance de mon
» ame , à ce qui m'eft plus cher que la vie .
Je laiffe aux parties intéreffées à fe diſputer
l'avantage de la comparaifon. Les plai-
Lans ne manqueront pas de tourner en ridicule
mes principes , & ceux de Sakhrefpear
; ils ne me furprendront pas , ils m'offenferont
encore moins.
Je ne condamne point la plaifanterie
JUIN. 1755 17
douce , innocente & légere , telle qu'on
peut la faire à fon ami préfent , dont les
limites font fi difficiles à marquer , & le
milieu fi délicat à faifir : elle fuppofe un
bon efprit , & n'exclut pas un bon coeur. Je
condamne la plaifanterie perfonnelle , humiliante
& cruelle , qui eft à la portée des
hommes les plus dépourvus de délicateſſe
& de fentiment , & qui n'exige pour ta
Iens que de la méchanceté & de l'effronterie
; en un mot , la plaifanterie à la mode ,
efpece de poignard dont fe fervent avec
grace une bande d'honnêtes affaffins , contre
l'honneur des femmes & la probité des
hommes .
Il eſt dans la fociété une autre efpece
d'indifférens , dont le vice eft dans la foibleffe
; hommes fans caractere & fans principes
, qui , comme l'eau , n'ont ni goût ni
couleur , & qui contractent comme elle la
couleur & le goût de tout ce qu'ils touchent.
Vicieux fans malice , parce que le
vice domine , ils feroient vertueux fans.
courage fi la vertu dominoit ; l'ufage eft,
leur loi , l'exemple leur mobile , la honte
leur tyran leurs penchans font des impulfions
, leurs defirs des complaifances
feur ame même leur eft étrangere . On a
fait avec de l'argile des pyramides durables ;
on ne fera jamais de ces caracteres une
18 MERCURE DE FRANCE.
fubftance folide. Leur fluidité échappe aux
plus fortes impreffions , & fe prête aux.
plus légeres ; c'eft la matiere fubrile de
Defcartes , qui reçoit toutes les formes , &
qui n'en retient aucune. Tout ce qu'on
peut fouhaiter à cette nature mouvante
d'eft de tomber dans de bons moules & de
n'en fortir jamais. Ce n'eft point à cette
efpece d'indifférens que j'adreffe mes reproches
, ils rougiroient avec moi de les
avoir mérités , pour rougir un moment
après avec un autre qui leur reprocheroit
d'en avoir rougi ; car leur vie fe paffe à
fe defavouer eux - mêmes , & à détracter
leurs defaveus.
1.
Mais je reproche une indifférence plus
condamnable , parce qu'elle eft réfléchie &
raifonnée , à ceux qui fatisfaits de ne pas
contribuer au mal , fe difpenfent de contribuer
au bien , & qui renfermés en euxmêmes
fe mettent peu en peine de ce qui
fe paffe au dehors. L'amour du repos & le
mépris de tout le refte font les principes.
de cette efpece d'indifférence , qu'on a honorée
du nom de philofophie.
S'envelopper dans fa vertu voilà une
belle image , qui n'eſt pas toujours un beau
fentiment. Il eft des orages où l'on a befoin
de tout fon manteau ; mais lorsqu'on
n'eft plus fous la nue , il faut le prêter à
JUI N. 1755. 19
ceux qu'elle menace ou qu'elle inonde. La
retraite abfolue d'un homme utile à la fociété
, eft un homicide pour elle . Combien
celui qui a le courage de fe réfoudre à vivre
feul , ne feroit- il pas de bien à fes fentblables
s'il employoit ce courage à vivre
avec eux & pour eux ? puifqu'il eft en état
de fe fuffire , il ne dépendroit de perfonne
; car la fervitude mutuelle naît du befoin
d'être unis. Il auroit donc fur les autres
l'avantage & l'afcendant d'une ame
-libre. Déterminé à mourir à la fociété dès
"qu'il ne pourroit plus lui être utile , fa rẻ-
folution l'armeroit contre le vice d'une
force & d'une intrépidité nouvelle.
Fortis & afperas tractare ferpentes ,
Deliberata morte ferocior.
Deux raifons déterminent la retraite de
ce prétendu fage. La premiere eft l'inutilité
dont il croit être au parti duquel il peut
fe ranger lâche & dangereufe modeftie
d'un foldat qui prend la fuite au moment
de l'action , fur le prétexte que ce n'eſt
pas de lui que dépend le fort de la bataille.
La feconde raifon eft la force & le nombre
des méchans , auxquels l'homme de
bien qui leur réfifte , ne peur enfin que
20 MERCURE DE FRANCE.
fuccomber. Qu'eft ce à dire , fuccomber ?
Y a-t-il des échafauds dreffés pour les défenfeurs
de la juftice ou de l'innocence ? &
quand il y en auroit , c'eft le découragement
des bons qui fait la force des méchans
; la crainte qu'on a de ceux - ci en
exagere le nombre. Mais fût- il auffi grand
qu'on le fuppofe , comment eft compofé
ce parti fi redoutable ? d'une foule de fots
& de lâches , d'hommes fans lumieres &
fans principes , que la vérité fait pâlir , &
que la vertu fait trembler. Voilà les ennemis
qui font abandonner à de faux fages
les étendards de la vérité & de la vertu .
Je ne demande pas un grand effort aux
gens de bien ; qu'ils foient feulement auf
unis , auffi ardens , auffi conftans à ſe défendre
que leurs ennemis le font à les
attaquer ; la victoire n'eft pas douteufe .
N'avez- vous jamais remarqué combien de
méchans interdits au feul afpect d'un homme
connu pour être vertueux & ferme ?
Eh ! qui nous a rendus les réformateurs
du genre humain ? Qui l'intérêt de la vertu
, de la vérité , de l'innocence , dont
vous êtes , les uns pour les autres , les défenfeurs
& les garans. Votre ame n'appartient-
elle pas à la fociété comme les bras du
Laboureur ? & quel ufage ferez- vous de
votre ame , fi vous n'employez fa force &
JUIN. 1755. 21
fes lumieres en faveur du vrai , de l'honnête
& du jufte ?
Il eft deux fortes de retraite avantageufe
à la fociété : la retraite de celui qui fe recueille
en lui- même pour amaffer des tréfors
dont il enrichira fes femblables , & la
retraite de celui qui ferme fon ame à la
contagion du mal , fans interrompte la
communication du bien entre lui & la fociété
: la premiere convient plus particulierement
aux gens d'étude , & la feconde
aux gens d'affaires.
Pope , dans fon féjour à la campagne ,
fe compare à un fleuve qui fe groffit dans
fon cours de toutes les eaux qu'il rencontre
, pour en offrir le tribut à la cité où il
doit fe rendre. Sans m'éloigner de cette
image , ne puis- je point comparer un Magiftrat
, un Miniftre , un homme en place
dans fa retraite , à ces fontaines qu'on tient
fermées , de peur que quelque furieux en
empoiſonne le réfervoir , mais aufquelles
on laiffe une iffue , afin que leurs eaux
s'épanchent au befoin pour l'utilité publi
que ? Ainfi l'éloignement même de la fociété
doit tourner à fon avantage,
Je ne puis donc vivre pour moi feul
Non , fans être ingrat ; puifque vous ne
fçauriez être auffi étranger à la fociété
qu'elle vous feroit étrangere. N'euffiez22
MERCURE DE FRANCE.
vous que ce coin de terre qu'Horace demandoit
aux Dieux , la poffeffion ne vous
en eft acquife ou confervée que par ces
loix , cet ordre , cette diftribution , cet
enchaînement de dépendance & d'offices
auquel vous voulez vous fouftraire . Vos
befoins font les titres de vos devoirs ; il
n'eft qu'un afyle pour l'indépendance abfolue
, ce font les déferts , où chacun broute
& combat pour foi.
e
Ma vertu , dites-vous , m'eft plus chere
que tout le refte , & je veux la garantir
des écueils dont elle eft environnée . Mais
ne pouvez vous l'en garantir que par la
fuite ? Quelle eft cette vertu qui , pour être
en fûreté , a befoin d'être inacceffible !
Sçavez-vous ce que c'eft qu'être vertueux
dans le calme de la folitude ? c'eft être
brave dans la paix.
JUIN. 1751: 1 123
L'AMITIÉ .
CANTA TILL 1.
Lisszéphirs ont chaffé l'hiver ,
Leur haleine a reveillé Flore ;
Tout eft fenfible au premier verd
Qu'anime les pleurs de l'aurore .
L'oifeau dans ces heureux inftans ,
Croit qu'il renaît , parce qu'il aime :
Je me fens renaître de même ;
J'aime , je rentre en mon printems.
En vain l'âge glace mes fens ,
Le coeur ne vieillit point , le mien eſt toujours
tendre ;
L'amitié , de l'amour a tous les mouvemens :
Puifle Climene s'y méprendre !
L'amitié , fes purs fentimens
Valent bien un plaifir frivole ;
A l'amour même qui s'envole ,
Elle offre un aſyle en tout tems.
C'eft un feu doux qui , fans paroître ,'
Echauffe tout ce qui le fuit ;
La vive ardeur qu'amour fait naître
Brûle , confume , & fe détruit.
24 MERCURE DE FRANCE.
VERS
De M. P. à fa femme , après vingt - cinq an
de mariage , en 1755. *
Comme une lueur paffagere ,
Cinq luftres de font écoulés
Depuis que dans l'ardeur d'une union fincere
Par un noeud folemnel nous fommes engagési
Une tendreffe mutuelle
En a rempli les plus beaux jours ;
Et j'en ai vû filer le cours
Sans ceffer d'être époux , amoureux & fidele.
Puis-je former de fouhait plus heureux.
Dans cet état digne d'envie,
Que de paffer le reſte de ma vie ,
Animé de ces mêmes feux ,
Avec cette tranquillité fuivie ,
Qui fait le plus doux de mes voeux
* Je les mets ici pour la fingularité & pour la
ban exemple.
L'OMBRE
JUIN. 1755- 25
L'OMBRE DE LE BRUN ,
A M. Maſſe , Peintre du Roi , Confeiller
de l'Académie de Peinture & de Sculptu
re , au fujet de la grande Galerie de Ver
Jailles , gravée d'après fes deffeins.
UN murmure flateur , au féjour du filence;
Des manes attentifs réveille l'indolence ,
Et de mon ombre en pleurs arrête les foupirs :
Oui j'en crois , cher Maffé , ta gloire & mes de
firs .
De fublimes clartés , tréfor intariffable ,
Et de foins pour ton art toujours inſatiable ,
Tu fauves mes lauriers d'un éternel affront ;
Contre l'aîle du tems qui menaçoit mon front ,
Tu foutiens de mon nom la colonne ébranlée ,
Et diffipes la nuit dont elle étoit voilée.
Ces fuperbes lambris du palais de nos Rois ,'
Où de Louis le Grand j'ai tracé les exploits ,
Par toi , fe tranfportant des régions de l'ourfe
'Aux lieux où le foleil recommence ſa courſe ,
Des flots de la ruine évitant la fureur ,
En fe multipliant reprendront leur fplendeur ;
Tout l'univers entier , en chantant Alexandre ,
D'Apelles fous la tombe honorera la cendre ;
L. Vol. B
26. MERCURE DE FRANCE .
Sous un commun palmier nos noms entrelacés ,
Saifiront de refpect nos rivaux terraffés.
Sur cette morne rive une joie inconnue
Semble appaiſer enfin ma douleur continue .
*
Depuis qu'un fier mortel au devant du trépas
Sur ces funettes bords précipita ſes pas ,
Tout ici m'abandonne , & la foule inconftante
Par un revers fatal l'applaudit & le vante ,
Et près de moi placé le nomme mon vainqueur.
Voilà les maux cruels qui déchirent mon coeur
Toi feul pouvois tarir la fource de mes larmes.
Mais quel foupçon jaloux vient altérer fes charmes
?
A
"
Appui de ma grandeur , marches-tu mon égal ?
Ah ! pardonne , je crains & prévois un rival.
En mé formant , l'envie a jetté dans mon ame
Les germes immortels de fa funefte flamme ,
Que n'éteindront jamais les eaux de l'Acheron ; -.
M'abreuvant à longs traits de fon brûlant poiſon,
Jufques dans les enfers ce vautour me dévore ;
félicité je géinis même encore :
De
ma
Mais je céde au deftin , qu'importe ? venge-moi?
Puifqu'il faut partager le triomphe avec toi .
* Fr. le Moyne.
JUIN 175598 27.
MADRIGAL.
À Mlle G ... Par M. Lebeau de Schofne ,
de l'Académie de Nifmes.
LA
A foi , l'eſpoir , la charité ,
Sont les plus riches dons que la Divinité
Fit defcendre fur nous de fon thrône céleste.
Ils ferviront à mon bonheur ;
La foi vous convaincra de mă fincere ardeur ,
L'espoir animera mon coeur ,
La charité fera le reſte.
Au Bourg Saint-Andeol , ce 11 Mars
1755 .
Bij
28 MERCURE DE FRANCE:
--
EXTRAIT de la vie du Profeffeur
Saunderson , tiré d'un Journal anglois
qui a pour titre le Magazin du Gentilhomme.
Ljuffit d'un bien médiocre dans la
E pere de ce grand Mathématicien
province d'York en Angleterre . Il eut
plufieurs enfans. Nicolas Saunderfon fut
l'aîné de tous ; il naquit au mois de
Janvier en 1682. A l'âge d'un an il fut
privé de la vûe par la petite vérole , &
fe trouva dans le cas d'un aveugle de
naiffance . Il ne lui reftoit pas la moindre
idée d'avoir jamais vû la lumiere ; il n'en
avoit aucune perception non plus que des
couleurs . On l'envoya de bonne heure aux
écoles des humanités , où il fit , en écoutant
les autres , un progrès des plus rapides.
Euclide , Archimede & Diophante
étoient les auteurs Grecs qu'il étudioit par
préférence en fe les faifant lire. Il apprit
de fon pere l'arithmétique , & fe trouva
bientôt en état de faire de pénibles calculs.
Il inventa , par la feule force de l'imagination
& de la mémoire , de nouvelles regles
pour réfoudre les problêmes de cette fcience
, faifant toutes les opérations avec auJUIN.
17553 29
tant de promptitude que de jufteffe.
C'eft ainfi que l'efprit actif & pénétrant ,
quand le malheur a fermé quelques- unes
de fes portes , redoublant d'effort & d'attention
, veille aux autres avenues de fes
connoiffances qu'il élargit , pour ainfi dire,
comme pour fe dédommager de fa perte.
Deux Gentilshommes du voisinage amis
de fa famille , enchantés des grands talens
de notre aveugle , fe firent un plaifir de
lui apprendre l'algébre & la géométrie.
Son pere , quelque zélé qu'il fût pour faire
cultiver de fi rares talens , étant chargé
d'une nombreuſe famille , ſe vit hors d'état
d'envoyer fon fils à l'Univerfité d'Oxford
ou de Cambridge : il prit donc le parti de
le mettre dans une petite Académie du
village d'Attercliff. Ayant bientôt épuisé
le fond des connoiffances de cette école ,
où il ne lui reftoit plus rien à apprendre ,
il fe retira dans la maifon paternelle . Ré
duit à fes propres reffources , il y continua
fes études, & à l'aide d'un lecteur qu'il avoit
inftruit lui -même , il y fit de nouveaux
progrès. Au bout de quelque tems , on
réfolut de l'envoyer à Cambridge pour y
profeffer la philofophie. Il y parut fous
un caractere fingulier , puifqu'il eft peutêtre
le feul qui foit entré pour la premiere
fois dans une Univerfité , non pour acque
Biij
30 MERCURE DE FRANCE.
7
rir , mais pour communiquer des connoiffances.
La Société charmée de l'acquifition d'un
fi bon fujet , lui affigna un appartement, lui
permit l'ufage de la bibliothèque , lui donna
un lecteur en conféquence , & l'adinit à tous
les privileges d'un Membre de l'Univerfité,
à l'exception du titre qu'il ne pouvoit prendre
, n'étant pas gradué . Malgré ces avantages
, il lui reftoit encore bien des difficultés
à furmonter : âgé de vingt - cinq ans
fans fortune , aveugle , & deſtiné à enfeigner
la philofophie en concurrence avec
M. Whifton , ce grand Mathématicien
qui occupoit une chaire dans la même
'Univerfité .
›
Toutes ces circonftances qui fembloient
devoir renverfer fon projet , en hâterent
au contraire le fuccès. Il dut fa fortune à
la générofité de M. Whifton , qui fe fit
une gloire de fervir ce nouveau concurrent.
M. Whifton réunifoit à un profond
fçavoir , à toutes les lumieres de l'efprit ,
les qualités du coeur qui rendent les grands
hommes encore plus refpectables , un heureux
naturel , beaucoup d'humanité , une
eftime & une amitié fincere pour ceux en
qui il voyoit le talent & les connoiffances
qui le diftinguoient fi fort lui -même. Loin
JUIN. T 1755.
3-1
de s'opposer aux deffeins de M. Saunderfon ,
comme il étoit de fon intérêt & en fon
pouvoir de le faire , il lui accorda non
feulement une permiffion expreffe de donner
des leçons de phyfique , mais il le feconda
encore de fon crédit dans toutes les
Joccafions.
A l'ouverture de fes leçons , il y vint
une telle affluence d'auditeurs qu'il en
étoit embarraffé lui - même . Il débuta pár
f'optique de Newton , effai auffi hardi que
fingulier dans un homme privé de la vie
prefqu'en naifant ; il falloit voir ce prodige
pour le croire.
Qu'un aveugle traite parfaitement des
fons , de leur nature & de leurs effets , cela
eft dans l'ordre ; mais qu'il raifonne en
philofophe fur les objets d'un fens qu'il
en'a pas , voilà qui tient du miracle . Il eft
cependant de notoriété publique qu'il expliquoit
les principes d'optique avec autant
de précifion que de clarté. A la fuite de ces
leçons , il procédoit régulierement aux
autres ouvrages de Newton, dont il devint
Pami particulier.
Peu de tems après , M. Whifton ayant
été remercié pour avoir refufé de remplir
certaines formalités , aufquelles fes principes
avoués d'arianifme ne lui permettoient
pas de fe foumettre , toutes les voix fe
B iiij
32 MERCURE DE FRANCE.
réunirent en faveur de M. Saunderfon
pour occuper la place de ce grand philofophe.
Comme les ftatuts de l'Univerfité exigoient
dans un Profeffeur en titre le grade
de Maître- ès- Arts , on fit une démarche
fans exemple pour le lui faire déferer. Les
principaux de tous les Colleges , de l'aveu
& au nom du corps entier , préfenterent un
placet au Duc de Somerfet , pour lors
Chancelier. Ce Seigneur accompagné du
Chevalier Newton & d'autres perfonnes
de rang , s'étant rendu auprès de la Reine
Anne , obtint un ordre
pour faire expédier
à notre aveugle le grade requis , & il fut
en conféquence nommé & inſtallé Profeſfeur
de Mathématique au mois de Novembre
1711. Il fit à fa réception un difcours
plein d'efprit & d'élégance , le prononça
avec tant de nobleffe & de grace ,
qu'il eut l'applaudiffement univerfel. Il
finit ce difcours par l'éloge des mathématiques
qu'il mit bien au-deffus de toute
autre méthode de raifonner.
En 1723 il époufa la fille de M. Dickfon
, Miniftre-Curé de Bofworth dans le
Comté de Cambridge . De ce mariage il
eut un garçon & une fille , tous deux aujourd'hui
vivans.
En 1728 le Roi regnant , dans un
voyage fait à Newmarket , ayant honoré
JUIN. 1733 53
l'Univerfité d'une vifite , defira voir le
Profeffeur Saunderfon , qui s'étant rendu
aux ordres du Roi , l'accompagna au Sénat.
Là , par ordre exprès de Sa Majefté , & en
fa préfence , Saunderfon fut créé Docteurès-
Loix par le Chancelier en perfonne.
Il continua pendant onze ans à donner
des lecons qui le comblerent d'honneur &
de biens , & il mourut d'une gangrene au
pied le 11 Avril 1739 dans la 57 ° année
de fon âge.
Il étoit d'un tempéramment fort & vigoureux;
comme il aimoit paffionnément
l'exercice du cheval , il fuivoit une meutte
de chiens courans avec autant d'ardeur
que de péril pour fa perfonne . C'étoit &
à tous égards un homme de bonne compagnie.
Son difcours étoit toujours fi rempli
de traits relatifs aux objets de la vûe ,
qu'il faifoit prefque oublier qu'il fût aveugle.
Avec fes difciples , il étoit familier
& amufant ; mais lorsqu'on manquoit
de prêter à fes leçons l'attention qu'il
falloit , il s'emportoit à l'excès. Comme
les penfionnaires de qualité lui en don-:
noient de fréquens fujets , il dit un
jour tranſporté de colere : s'il me faut aller
en enfer , que pour mes péchés on m'y
condamne à donner des leçons de mathé
matiques aux jeunes Seigneurs penfion-
By
34 MERCURE DE FRANCE.
naires de l'Univerfité de Cambridge !
Il avoit imaginé plufieurs moyens pour
fuppléer au défaut de la vûe , entr'autres
une planche percée de trous . A la diſtance
égale d'un pouce , dans chaque trou étoit
une cheville. La ficelle qu'il faifoit aller à
fon gré autour de ces chevilles , lui traçoit
les figures dont il avoit befoin pour faire
fes démonftrations , & cette opération fe
faifoit en moins de tems & avec plus de
facilité que l'on ne la fait avec la plume
ou le crayon . Une feconde planche &
d'autres chevilles de grandeurs inégales ,
lui fervoient pour les opérations de calcul.
Il avoit l'oreille & le tact de la derniere
fineffe ; les moindres objets de ces deux
fens , imperceptibles à tout autre , étoient
pour lui très-fenfibles . Il diftinguoit la
cinquieme partie d'une note , jouoit de la
flûte admirablement bien ; il ne lui falloit
que frapper du pied fur le plancher , le
bruit lui fervoit de regle sûre pour donner
fur le champ toutes les dimenfions d'une
chambre , de quelque façon qu'elle fût conftruite.
SOVIJUI NI 1755. 35
EPITRE
DE MMO DE L'ART
M. DE
evovali mazolami , l . 9 % ..
Auteur d'une Comédie , intitulée l'Effet du
Sentiment , repréſentée à Touloufe dans
le mois de Mars dernier.
13
arion stauq
EN vérité , je fus ravie
En voyant votre Comédie ;
Mais à parler ingénument ,
o'n neo
Je n'aurois jamais cru que ce raviffement
Eût pu fe changer en folie...
Bon , direz - vous , ma piece eft plus jolie ;
Cette fcène fui donne un nouvel agrément.
Alte là , Monfieur , je vous prie
Vous ne m'entendez pas vraiment ;
Ne croyez pas que cette frenéfie
Ait du rapport au fentiment ,
Dont vous montrez l'effet dans votre Comédie.
Eh qu'eft- ce donc ma foi je verfifie ,
Ou du moins en fais - je femblant ;
Car depuis que j'ai vu votre ouvrage charmant ,
Je n'ai pu vaincre la manie
De vous rimer un compliment.
Rimons , puifqu'auffi bien je ne puis m'en dé-
C
fendre :
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
Le Dieu des vers , dit- on , reffemble au Dieu des
coeurs :
Dès qu'il infpire , il faut fe rendre ;
Ses ordres font toujours vainqueurs.
Avant de commencer l'ouvrage
Je devrois , ce me femble , implorer fes faveurs &
Mais que ferviroit- il de fuivre cet uſage ›
Voudroit-il m'accorder quelqu'une de ces fleurs
Dont l'éclat naturel vous gagne le fuffrage
De ce que nous avons de plus fins connoiffeurs
Je ne puis le croire , & je gage
Qu'on n'obtient des fleurs de ce prix ,
Si l'on n'a , comme vous , le flateur avantage
D'être au rang de fes favoris.
Mais , dites-moi , je vous conjure ,
Eft-ce Apollon qui vous fournit les traits
Dont vous accablez l'impofture
De ces petits- maîtres coquets ,
Qui fous les airs de la nature
Montrent des fentimens dont l'art fait tous, les
frais
Oh ! fi c'eft lui , je vous affure
Qu'amour lui doit bien des remercimens
Car dans ce fiecle miférable ,
Ce Dieu n'a plus de culte véritable ;.
Et Phiftoire des vrais amans
Ne paffe que pour une fable ,
Dont on peut embelir les fcènes des romans..
Aftrée & Celadon , héros du bon vieux tems ,
JUIN.
37 1755
Qui dans le fein d'un bonheur véritable
Paffoient de tous leurs jours les rapides momens ,
Auroient-ils crus qu'une race coupable
Perfifleroit leurs fentimens ?
Ils furent heureux & conftans ;
Peut- être hélas ! dans notre tems,
Des moeurs l'exemple inévitable
Les eût-ils rendus inconftans ,
Et privés des plaiſirs charmans
Que fait goûter une union durable.
Au fiecle où nous vivons tout n'eft que
Quelque fade minauderie ,
fauffeté
Des airs de tête , un coup d'oeil médité ,
Un goût de mode , un propos brillanté
Forment notre galanterie.
Nos coeurs font comme nos efprits
Et dans peu de tems , je parie
Que le clinquant fera le prix
De tous nos fentimens & de tous nos écrits
Vos ouvrages fans flaterie
Peuvent ramener le bon goût ,
Et je ne doute point du tout
Que pour en rétablir l'empire
Apollon n'ait fait choix de vous ,
Du moins j'en jurerois fur ce qu'il vous infpire :
Mais je crains , foit dit entre nous ,
Qu'amour ne voudroit point de fes loix véritables :
Confier à vos foins le rétabliſſement.
Pourquoi, me direz- vous ? Oh ! vos façons aimables:
38 MERCURE DE FRANCE.
Me paroiffent tenir au ſyſtême inconſtant
De nos modernes agréables ;
Et fur ce point j'en crois l'Effet du fentiment.
LE MIROIR.
FABLE I.
ON voyoit au milieu d'une place publique ,
J'ignore chez quel peuple , il n'importe en quel
tems
Un Miroir merveilleux & d'utile fabrique ,
Où fe peignoit par art le naturel des gens.
Tout le monde accouroit à ce tableau fidéle.
Une coquette approche : elle y voit traits pour
traits
Ses petits ſoins jaloux & fes penchans fecrets.
Ha !` c'eſt ma voifine , dit- elle ;
C'eft fon efprit tout pur , je la reconnois là .
Le joli Miroir que voilà !
Et combien je m'en vais humilier la belle !
Un petit-maître fuccéda
Et la glace ,auffi - tôt préſente pour image ,
Tout Forgueil renfermé dans l'efprit d'un faquin .
Parbleu , je fuis ravi qu'on ait peint mon coufin ,
Dit l'homme , & je voudrois qu'il pût devenir
¡fage
t
En prenant des confeils de ce Miroir malin ..
JUIN.
39 1755.
" Après lui vint un vieux vilain
D'une efpece tout-à- fait rare .
Il tire une lunette , & fe regarde bien ;"
Puis ricanant d'un air bizare ,
C'est mon frere , dit- il , ce vieux fou , cet avare
Qui fe feroit fouetter pour accroître fon bien.
J'aurois un vrai plaifir à montrer fa léſine , ✨
Et pairois de bon coeur cette glace divine ,
Si l'on me la donnoit pour rien.
Dès que fut retiré ce ladre octogénaire ,
D'autres vinrent encor confulter le Miroir ;
Et chacun d'eux y vit fon voifin , fon compere ,
Sa belle -foeur , ou fa commere ;
Mais aucun ne s'y voulut voir .
Où l'envie apperçoit les foibleffes des autres
L'amour propre eft habile à nous voiler les nôtres .
Tout homme eft médifant & vain .
C'est un bonheur pour la Satyre :
Ses dures vérités ne nous feroient pas rire ,
Si la préfomption dont nâquit le dédain ,
Entre leurs traits & nous ne mettoit le prochain .
L. A.
LE MERLE.
FABLE.
D'un bois fort écarté les divers habitans ,
Animaux , la plupart fauvages , malfaiſans ,
40 MERCURE DE FRANCE.
De l'homme ignoroient l'exiſtence.
Nos femblables jamais ne pénétrerent là.
Un Merle en un couvent élevé dès l'enfance ,
Parvint , en voyageant , jufques chez ces gens - là ,
Il étoit beau parleur , & fortoit d'une cage
Où Merle de tout tems apprit à s'énoncer
En jeune oiſeau dévot & fage.
'Son zéle dans ce bois eut de quoi s'exercer .
Eclairons , difoit-il , nos freres miférables ;
Tout Merle à ce devoir par état engagé ,
Sous l'heureux joug de l'homme inftruit , apprie
voifé ,
Plus éclairé , plus faint , doit prêcher fes ſemblables.
Un jour donc notre oiſeau fur un arbre perché ,
Harangua vivement les plus confidérables
D'entre ces animaux à fon gré fi coupables.
Nouveau, Miffionnaire , il fuoit en prêchant.
D'abord on ne comprit fon difcours qu'avec peine
Il parloit d'un Etre puiffant
Qu'il nommoit homme , ayant l'univers pour
domaine ,
Sçachant tout , & pouvant , s'ils ne s'apprivoi
foient ,
Détruire par le feu toute leur race entiere:
Ours , tigres , fangliers étoient là qui bailloient
Mais à ce dernier trait ils dreffent la criniere.
Le Merle profitant d'un inftant précieux ,"
JUIN.
1755 42
Pagite , entre en fureur , & déploye à leurs yeux .
Les grands traits de l'art oratoire .
Efchine en fes difcours montroit moins d'action
On dit qu'il arracha des pleurs à l'auditoire.
Dans le bois chacun fonge à ſa converfion ,
Et tremble d'encourir la vengeance de l'homme.
Sur ce nouveau Roi qu'on leur nomme ,
Au docteur Merle ils font cent queſtions.
L'homme eft , répondoit- il , doué par la nature
De toutes les perfections.
Il a donc une belle hure ,
*
Dit le porc en l'interrompant ?
Sans doute qu'il reçut des cornes en partage ,
Dit le boeuf ? ( celui- ci ne fe trompoit pas tant
Le tigre prétendoit qu'il devoit faire rage
Avec les griffes & fes dents ;
Et l'ours qu'entre ſes bras il étouffoit les gens.
Les foibles s'en formoient des images pareilles ,
Et penfoient le douer d'attributs affez beaux ;
Le cerfen lui donnant des jambes de fufeaux ,
Et l'âne de longues oreilles.
Tout ce qui nous reffemble eft parfait à nos yeux :
Ces animaux fe peignoient l'homme
Comme l'homme fe peint le fouverain des cieux .
Les Sages prétendus de la Gréce & de Rome ,
Au poids de leur orgueil ofoient pefer les Dieux
Le peuple groffiffant ces traits injurieux ,
Repréfentoit l'Etre fuprême
42 MERCURE.DE FRANCE.
Plus ridicule que lui - même.
* Il est bien des Chrétiens qui n'en jugeht pas
mieux.
L. A.
Ces deux Fables font l'échantillon , ou
l'annonce d'un recueil de plufieurs autres
que l'Auteur doit bientôt donner au Public .
Je crois qu'elles doivent le prévenir en ſa
faveur.
STANCES IRRÉGULIERES ,
J
A Mifs Lété C ....
E vis Lété , mon coeur en fut épris ;
Elle parla , je l'aimai davantage ;
Du Dieu des arts elle avoit le langage
Et les traits ingénus de l'enfant de Cypris.
J'approche ; fon front fe colore ,
Son embarras augmente fa beauté ;
Je lui peins les tranfports de mon coeur agité ;
Je l'offenfai , Lété parut plus belle encore.
L'amour lui -même avec des fleurs
Entrelaçoit fa blonde chevelure ;
Charmes touchans , innocente parure ,
Qui flatte les regards & captive les coeurs !
T
JUI N. 17556 43
Un fard coupable enfant du crime ,
Ne ternit point la blancheur de fon teint ;
Si, fes yeux embrafent mon fein ,
C'est la pudeur qui les anime.
Amour des plus lointains climats ,
Tu l'amenas aux rives de la France ;
Minerve parmi nous a formé fon enfance :
Regne aujourd'hui fur fes appas.
Dieu de Paphos , Iphis t'implore ,
Peins à Lété les maux que je reffens
Sa beauté captive mes ſens ,
Et c'eft fon ame que j'adore .
Iphis , me répondit l'Amour ,
Lété craint les amans qui peuplent ces rivages ;
Préfomptueux , faux & yolages ,
Méritent-ils un doux retour ?
Dans les climats qu'illuftra fa naiffance ,
L'aftre brûlant des cieux tempere fes ardeurs :
Mais mon flambeau divin que foutient la conftance
Plus ardent qu'à Cythere y confume les coeurs,
Heureux Iphis , de ta patrie
Tu n'a point pris le goût pervers ;
Lété connoit les maux que ton coeur a ſoufferts ;
Tu peux tout efpérer , Lété s'eft attendrie.
* L'Irlande , pays froid,
7
44 MERCURE DE FRANCE :
PORTRAITS
DE CINQ FAMEUX PEINTRES
ROMAINS.
Jules Romain.
Son génie & vafte & fécond
On
Embraffe avec fuccès tout genre de peinture ;
Le feu qui fort de ſon crayon
Fait préférer au vrai l'innocente impofture.
* Quel goût féroce , & quel fublime accord
Il donne au coloffal , au bizarre , an terrible !
On fuit : & d'Encelade on redoute le fort ;
Jule autant que les Dieux rend leur courroux fen
fible.
Taddee Zucchero.
Le pinceau frais , moëlleux , qui diftingue Tadi
dée ,
De l'Italie anime & temples & palais.
Si la nature en lui paroît un peu fardée ,
Il fauve ce défaut par de magiques traits.
* On voit au Palais du T qui eft aux portes de
Mantoue, unfallon qui eft entierement peint par ce
maitre, c'en eft le chef-d'oeuvre. Les géans y
paroiſſent foudroyés parJupiter,
JUIN.
45 1755.
* En ce paiſible lieu nul fouci n'inquiete ;
Dans le fond de mon coeur je lis avec plaifir.
Par fes plus doux pavots Morphée ici m'arrête :
Je baille , & cependant je crains de m'endormir
Frederic Zucchero .
Les fruits de ton brillant pinceau
Décélent un génie auffi grand que facile.
Des fecrets de ton art tu traces le tableau ,
Dans un livre qui joint l'agréable à l'utile.
Où n'étends - tu pas tes fuccès ?
De vers dignes de lui Phébus te favoriſe.
Je vois la jaloufie exciter tes progrès ;
Le dépit la fuffoque , elle t'immortaliſe .
Frederic Baroche.
Le goût , le coloris , les graces elles- mêmes ,
Au char de cet artiſte enchaînent l'amateur.
Ce triomphe eft le fruit de mille ftratagêmes ;
On le fçait , on chérit d'autant plus fon vains
queur.
A l'aſpect des ſujets qu'il traite.
** La piété fe plaît en fon affection ;
* Au Château de Caprarolle , on remarque fur→
tout de Taddée deux chambres deftinées à la foli
tude , celle dufommeil , où il a représenté la nuis
avec fes attributs.
** Saint Philippe de Neri fut fi frappé d'une
Vifitation que ce maître avoit peinte à la Chiefa
anova , qu'il étoit continuellement à faireſa priere
46 MERCURE DE FRANCE.
Si le coeur corrompu cherche enfin la retraite ,
Baroche eft l'inftrument de fa converfion .
André Sacchi.
Ce Peintre refléchit fçavamment fur fon art ,
Il en a moins d'entouſiaſme .
Son pinceau frais , correct , ne fait rien au hazard ,
Fidele à la nature il craint peu le ſarcaſme . *
Quelle fage ordonnance éclate en fes tableaux !
Leur beau fini me plaît , leur vrai me perfuade.
Quelle union ! quel goût ! quels tons originaux !
Quoi ! le blanc * même à mes yeux fe dégrade !
dans cette Chapelle. C'est là fans doute que fon
coeur fe dilatant , lui caffa deux côtes.
* Il critiquoit avec trop de franchife les ouvrages
des plus habiles gens , ce qui lui fit beaucoup d'ennemis.
Ils peuvent fe venger , difoit-il, mes tableaux
font répandus par-tout.
** Ce n'est que pour le Peintre que le blanc eft
une couleur. Rien n'eft fi dificile que de la faire
fuir. Le Sacchi a vaincu ces difficultés dans le tableau
de S. Romua'de , qu'on voit à Rome dans l'Eglife
du même nom . Six figures de Camaldules
toutes vêtues de blanc y font des fujets d'admiration.
JAUDIN.5. 173 50 47
LE GENIE DU MANS.
Songe de Madame la Com effe de ...
à Mme de :
典
Ans un de ces momens qui fuivent
gaire bruyante
>
à lui-même , retourne fans effort à une aimable
philofophie , je me délaffois par des
réflexions qu'un leger fommeil vint interrompre
, je me trouvai tranfportée dans
une affemblée de Génies de nos différentes
provinces ; les progrès de la littérature devoient
être l'objet de leurs délibérations.
Je vis une collection énorme de ces ouvrages
renouvellés de Seneque , de ces
petits riens produits par les accès du bel
efprit , que la fatuité encenfe , & où cette
efpéce d'automates qu'on nomme petitsmaîtres
puife fes gentilleffes,
I Je revois à cela lorfque le Génie du
Mans m'aborda : vous gémiffez , me dit
il , fur la décadence de la littérature , & fur
ces fottifes qui deshonorent la raifon fran
çoife , n'en foyez pas furprife , la frivolité
fait le caractere de cette nation , elle a
penfé dans le fiécle dernier , & comme
elle ne peut foutenir un bon fens uniforme
MERCURE DE FRANCE.
& fuivi , elle fe dédommage aujourd'hui
de ce pénible effort par un jargon éblouiffant
> auquel une faftueufe obfcurité
donne un air de philofophie . Voilà les productions
des auteurs petits-maîtres ; mais
le public les examine , les juge , & venge
le bon fens l'impreffion eft le tombeau
de plufieurs de ces ouvrages , ils circuloient
d'abord dans des mains amies ; mais
fi la cenfure des fots eft fans conféquence ,
leur louange ne l'eft pas moins , & quoique
le faux bel efprit les ait deſtinés à inftruire
la poftérité , le bon goût décide qu'ils ne
parviendront jamais à leur adreffe.
Ces manieres d'auteurs font les ombres
d'un tableau , où ils contraſtent avec un
petit nombre de héros littéraires , qui
penfant fortement feront furement paſſer
le véritable efprit jufqu'aux derniers âges ,
& prouveront que la France , comme la
Grece , a fes époques de raifon & de bon
goût. La multiplication de ces grands hommes
eft le but des Académies , & c'eft un
des grands intérêts d'une nation qui prétend
à la fupériorité des talens qu'elle ne
peut plus conferver que par la fublimité
de fes efforts , car les littérateurs étrangers
font depuis quelque tems , à l'égard
des François , comme les Grands d'Efpagne
qui , avant Philippe V , luttoient contre
JUIN. 1755
49
tre le Souverain. Ainfi ces fociétés doivent
exciter le zéle de leurs membres
pour un nouveau genre de patriotifme , &
s'efforcer d'illuftrer la France par la gloire
des talens. Je me rappelle ici avec chagrin
l'inaction de la ville du Mans , dont l'efprit
naturellement délicat & philofophe ,
pourroit orner avec diftinction les Lettres
Françoiſes.
J'interrompis ici le Génie : vous jugez
bien favorablement , lui dis - je , des Académies
où fouvent la prétention fans
titre & l'audace protégée ufurpent des places
deftinées au mérite. On y trouve auffi
de ces hommes ordinaires qui , puérilement
exacts , briguent avec empreflement le titre,
de puriftes ; leurs productions font moins
des recueils de penfées que des répertoires
de mots françois . Je me rappelle fouvent cet
Académicien qui employa neuf ans à ôter
les car , les fi , les mais d'un ouvrage ; il
en eft encore qui n'ont pas des оссира-
tions moins frivoles : voilà ce qui forme
le grotefque du tableau de la littérature.
Mais les Académies n'en font pas moins
les fanctuaires du goût ; on y voit plufieurs
de ces hommes qui fçavent apprécier &
appliquer les talens , peindre le vrai avec
toutes les nuances de la fageffe , de la
décence & de la délicateffe : ce font des
1. Vol.
C
50
MERCURE DE FRANCE.
Sénats auguftes , dont l'autorité refpectée
par les littérateurs , réprime l'impétuofité
de leur efprit républicain , fans l'afervir
ni l'énerver.
9
J'approuvois
affez comme Vous
voyez , l'établiffement
d'une Académie
dans ma patrie , & j'attendois de plus
amples inftructions fur cet objet de la part
de notre Génie ; mais m'étant éveillée
comme je me difpofois à l'écouter attentivement
, je vis mes efpérances fe diffiper :
j'efpere cependant qu'une feconde rêverie
fatisfera votre empreffement
& le mien ;
faute de mieux , je vais vous entretenir de
mes propres réflexions.
La littérature du Mans fera d'abord femblable
à une prude févere jufqu'à l'excès
dans fes parures parures ,, enforte qu'elle imitera
la trifteffe des meurs de cette ville ; mais
je vous promers qu'une décente imagination
égayera bientôt fa mifantropie par
d'heureux caprices ; notre fexe n'y contribuera
pas peuil eft vrai que les Da
mes , dans l'efprit d'un ' philofophe atrabilaire
, font feulement de jolis automa-"
tes ; s'il s'abaiffe jufquà fourire à nosi
appas , il admire des miniatures qu'il ne
peut fenfément eftimer. Quorque nous
ayons donné plus d'une preuve de notre
capacité , l'injustice de fon jugement fub
AAA 0
JUIN . 1755. St
1
:
fifte toujours ; mais auffi eft- elle fans conféquence
? le bon fens n'eſt d'aucun fexe.
J'efpere que nous formerons un parti
dans l'empire littéraire que de révolutions
en conféquence dans les manieres de
penfer car nous connoiffons le fentiment
, ainfi nous n'imiterons pas ces aureurs
qui , par une froide analyſe de ſes
motifs , le perfuadent fans l'exciter ; nous
ferons donc furement fenfation , & nos
nouvelles idées auront leurs partifans . La
poëfie , fufceptible d'un vif coloris , les embellira
; & quoiqu'elle n'en puiffe faifir
exactement toutes les nuances fans perdre
de fa chaleur , une peinture délicate de
leurs traits les plus frappans leur donnera
un grand intérêt , fans avoir recours à ces
images trop licencieufes que la décence abhorre
, & qui prouvent que la littérature
a fes cyniques , auffi bien que les moeurs .
La poëfie nous conduira à cette douce
mélancolie de la philofophie qui forme
des fyftêmes fur les débris des autres . Je
projette de former alors des corps humains
avec des fylphes : c'en eft fait des Monades
de Leibnitz , & des tubules d'Amilec
; ce roman de la nature fera un épifode
agréable dans la phyfique pour dif
traire l'efprit humain fur la féchereffe de
la vérité ; c'eft là le pis aller , car il fe
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
pourroit faire qu'une femme à ſyſtême eût
deviné la nature. Voilà toutes les licences
de ma philofophie , fa partie morale honorera
l'humanité : quoique j'aie defſein de
faire tous mes efforts pour lui donner ces
graces touchantes qui intéreffent le coeur ,
elles feront toujours modeftes , fes charmes
n'en détruiront pas l'exactitude ; fimple
& parée par le feul fentiment , elle
formera l'homme vertueux & aimable .
Voilà , Madame , un effai de mes caprices
littéraires je l'aurois terminé par des
portraits dont l'efprit fupérieur de notre
illuftre Evêque & les talens de plufieurs
de nos compatriotes auroient fourni
les détails ; mais je me fouviens que
la vérité même vous ennuie lorfqu'elle a
l'air du panégirique ; j'efpere les couronner
cependant par les mains de la poëfie,
Je fuis , Madame , &c.
JUIN. 1755. 53
A. S. A. S. Mgr. le Comte de
Clermont , protecteur de la Société
littéraire de Chaalons -fur- Marne.
ODE
Lue dans une feance particuliere de cette
Société.
O Melibae Deus nobis hec otia fecit!
CHaftes
Virg. Eglog. I.
Haftes filles de l'harmonie ,
Meres des fublimes talens ,
Muſes , échauffez mon génie ,
Soutenez mes pas chancelans ;
Tranſporté d'une noble audace ,
J'ofe aujourd'hui fur le Parnaffe
Faire entendre de nouveaux fons ;
Penetres-moi , Dieu de la lyre ,
De ce poëtique délire
Qu'éprouvent tes vrais nourriffons.
C'est toi qui , fous le nom illuftre
D'un Prince , objet de notre amour ,
Viens de donner le plus beau luftre
Aux lieux où j'ai recu le jour ;
Sous les plus auguſtes aufpices ,
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
Oui , deformais tes feux propices
Vont enflammer tous nos efprits ;
Et les lauriers fleuris du Pinde ,
Aux pampres du vainqueur de l'Inde
Vont ajouter un nouveau prix .
Rangs , honneurs , dignités frivoles ,
Tous vos titres font fuperfus ,
Vous êtes de vaines idoles ,
Pour qui l'encens ne fume plus :
Le talent ici s'apprécie ,
Le mérite feul affocie
Autant d'amis que de rivaux ;
Si dans l'ardeur qui les tranfporte
Quelqu'un fe diftingue & l'emporte ,
fes travaux.
Ce n'eft plus que par
O gloire , quelle eft ta puiffance
Sur les coeurs & fur les efprits !
Les arts te doivent leur naiſſance,
Et Bellone fes favoris :
Ton fouffle porte dans nos ames
Ce feu divin , ces vives flammes
Qu'Horace en lui fentoit brûler :
Aujourd'hui tout ici préfage
Qu'avec notre fang d'âge en âge
L'amour des arts va circuler .
Ils naiffent ces hommes utiles ,
Pour qui l'hiftoire a des appas ;
SK
JUIN 1755 . 55
Déja fous leurs plumes fertiles
Revivent d'illuftres prélats * ;
Bientôt , fages dépofitaires ,
Ils nous tranfmettront des myfteres
Qu'il nous eft honteux d'ignorer ;
Et nous verrons dans leur ouvrage ,
Des vertus le fare affemblage ,
Qu'en lui Choifeul ** fait admirer.
Déja l'exacte anatomie ,
L'oeil appliqué fur notre corps ,
De fon admirable harmonie
Nous découvre tous les refforts ;
A jamais , fcience divine ,
Tu feras de la Médecine
La régle fûre & le flambeau ;
Et fi tu ne lui fers de guide ,
C'eft fouvent un art homicide
Qui nous précipite au tombeau.
Ceffez , mortels , ceffez vos plaintes ,
Vous ne fouffrirez pas toujours ,
Les Parques fe verront contraintes
A vous filer de plus longs jours ;
De la Chymie infatigable ,
L'art merveilleux & fecourable
Un des Membres de cette Société travaille à
P'hiftoire des Evêques de Chaalons.
** M. de Choiseul actuellement Evêque de
'Chaalons.
C iiij
56 MERCURE DE FRANCE.
Bientôt adoucira vos maux >
Et rétablira votre force
Par l'alliance ou le divorce
Et des plantes & des métaux.
Raffûrez - vous , veuves , pupiles ,
Vos droits feront mieux affermis
Vous trouverez de fûrs aſyles
Dans les Tribunaux de Thémis :
L'étude , la faine éloquence
En s'armant pour votre défenſe
Feront briller la vérité ;
Nouveaux peres de la patrie ,
Vos Juges , comme Barberie * ,
Feront triompher l'équité.
>
Du regne heureux de ton Augufte
Rome , ceffe de te vanter ;
Sous un Roi plus grand & plus jufte
La France a droit de l'emporter ;
L'ami d'Horace & de Virgile
Fut un Romain prefque inutile ,
Trop renfermé dans le repos :
Digne du fang qui l'a fait naître ,
En lui Clermont nous fait connoître
Et le Mécene & le héros.
Je vois ce guerrier intrépide ,
* M. de Barberie de Saint- Contest de la Chataigneraye
, actuellement Intendant de Champagne.
JÚ IN. 57
1755.
A la tête de nos foldats ,
Braver dans fa courſe rapide
Et les frayeurs & le trépas.
C'eft vainement , lion belgique ,
Que d'un fort prochain & tragique
Tu veux reculer les momens ;
A fa gloire Clermont ſenſible ,
Va bientôt de fon bras terrible
Etouffer tes rugiffemens.
Déja notre héros s'avance :
Quels bruits , quels cris , quelles terreurs !
L'affreufe mort qui le devance ,
Imprime par-tout fes horreurs ;
Namur écrasé fous fa foudre ,
Anvers prêt à tomber en poudre ,
Sont pour lui de trop foibles coups :
Il n'eft point de borne à fa gloire ,
Une plus brillante victoire
L'attend à Lawfeld * , à Raucoux **,
* Village des Pays- bas remarquable par la victoire
que le Roi remporta fur les Alliés le 2 Juillet
1747.
** Nom de lieu près de Liége , célebre par la victoire
complette que le Roi remportafur l'armée combinée
des Anglois , Autrichiens & Hollandois , le
11 Octobre 1746.
Mgr le Comte de Clermont donna dans ces deux
batailles des marques fingulieres de fſon intrépidité
& defa valeur.
Cv
58 MERCURE
DE FRANCE
.
Ceffez , Mufe trop indifcrete ;
Pourquoi rappeller la douleur
Qu'une pitié tendre & fecrete
Portoit jufqu'au fond de fon coeur ?
Ce Prince , au milieu des alarmes ,
Sur les vaincus verfoit des larmes ,
Il n'en paroîtra que plus grand ;
Louis , l'univers contemple
, que
Et Clermont nous font un exemple
Qu'on peut être homme & conquerant.
Par M. Meunier , ' Avocat en Par
lement , & membre de la Société
littéraire de Châlons -fur- Marne.
JUIN. 1755
$ 9
i
1 M. le Comte d'Argenſon , Miniftre
& Secrétaire d'Etat.
BOUQUET.
AH ! que facilement , en marchant fur tes pas ,
On fait de chaque jour autant de jours de fêtes !
J'y vois mille fleurs toujours prêtes ;
Eh ! comment n'en auroit - on pas ?
Tout prend , entre tes mains , les agrémens de
Flore ;
Affable , fans foibleffe , & noble fans orgueil ;
D'un fimple gefte , d'un coup d'oeil ,
D'un feul mot tu les fais éclore .
Avec quelle bonté l'on te voit accueillir
Ceux qui vont implorer le pouvoir falutaire
Dont le meilleur des Rois t'a fait dépofitaire !
Que j'aime , en ces inftans , à te voir recueillir
Du public empreffé l'hommage volontaire ,
Pour les fleurs que tu fais cueillir !
Faut-il faire agir la ſcience
Qui des états régle le fort ?
Tu couvres de fleurs le reffort
D'une fublime intelligence ;
Lors même qu'elle prend l'eflor ,
Tu n'as du courtifan que les graces légeres ;
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
Et fous ces graces étrangeres ,
D'un efprit créateur tu caches le tréfor.
Daignes-tu redefcendre à des chofes moins grandes
?
Dans ta fociété que de charmes vainqueurs !
Nouveaux traits , nouvelles guirlandes ,
Pour orner tes difcours , & pour lier les coeurs.
Que dirai-je de plus pour tracer ton hiſtoire
Sur-tout ce que tu fais les Filles de mémoire
De leur brillant vernis impriment les couleurs ;
Et d'Argenfon vole à la gloire.
Par un chemin femé de fleurs.
JUIN. 1755. 61
LES LUNETTES ET LA CEINTURE.
APOLOGUE.
LA mere des Dieux fut un jour chez la
mere des Graces : qu'alloit- elle y faire ?
la critiquer fans doute ; c'eft affez le rôle
des vieilles auprès des jeunes. Celle- ci
prit néanmoins le prétexte de lire une brochure
nouvelle qu'Apollon venoit d'envoyer
à Citherée. Cette lecture ne rendoit
pas la vifite plus amufante : heureufement
elle fut courte , Cypris fçut l'abréger. Cybelle
en fortant oublia fes Lunettes ; elles
fe trouverent fur la toilette de Vénus , à
côté de cette admirable Ceinture qui renferme
, dit - on , l'art de plaire , & que
Junon emprunte quand elle veut ramener
fon mari volage. La Ceinture fiere des
attributs qu'on lui prête , fe trouva trèsoffenfée
du voifinage . Quoi , dit- elle , trifte
partage de la vieilleffe & de l'infirmité ,
ofez-vous paroître à côté du fymbole enchanteur
de la jeuneffe & des agrémens ?
Doucement , lui répondirent les Lunettes ,
ne fois point fi vaine de quelque foible
fupériorité , ou plutôt de quelques prétendus
avantages ; tu n'es pas ce que tu penfes,
62 MERCURE DE FRANCE.
& nous fommes plus que tu ne crois ; s'il
eft entre nous quelque différence , d'où
provient- elle de celles à qui nous appartenons.
Ce font les charmes de Vénus qui
t'embelliffent , & c'eft la vieilleffe de Cybele
qui nous dégrade ; mais s'il fe peut
qu'un jour , comme nous ne defefpérons
pas d'y parvenir , la jeuneffe imagine de
nous mettre à la mode , & qu'elle gagne à
te quitter , de quel côté fera l'avantage ?
Le beau fexe dans fon printems communique
fes graces à tout ce qu'il touche , &
fans lui les plus jolies chofes n'ont plus
d'agrément. Tu ferois mauffade autour de
la vieille Cephife , & nous ferions charmantes
fur le nez de la jeune Cloé.
Moralité.
Il en eft du moral comme du phyfique .
La fortune fied au mérite , & révolte dans
la fatuité. L'adverfité fait briller la vertu ,
& paroître la laideur du vice.
JUIN. 1755. 63
VERS
Aux Habitans de Lyon *.
IL eft vrai que Plutus eft au rang de vos Dieux ,
Et c'eſt un riché appui pour votre aimable ville ;
Il n'a point de plus bel afyle :
Ailleurs il eſt aveugle , il a chez vous des yeux.
Il n'étoit autrefois que Dieu de la richeſſe ,
Vous en faites le Dieu des arts :
J'ai vu couler dans vos remparts
Les ondes du Pactole & les eaux du Permeffe.
* On les attribue à M. de V.
64 MERCURE DE FRANCE.
VERS
A Mile Puvigné , danfant en Hébé dans
l'Opera de Caftor & Pollux.
Pollux
Ollux va quitter l'Empirée ,
Et ravir fon frere au trépas.
Hebé , pour retenir les pas ,
Opofe à fa vûe égarée
Ses careffes & les apas ;
Le teint coloré de l'Aurore ,
Les regards de Vénus , les pas de Terpficore ,
Et la décence de Pallas.
Il s'émeut , il s'arrête , il contemple , il admire ;
Il fuit , il revient , il foupire ,
Il s'attendrit ; Caftor eft oublié :
N'en rougis point , Hebé te juſtifie .
Que vois-je tout- à- coup le Héros facrifie
Le plaifir au devoir , l'amour à l'amitié ;
Il cache des regrets qu'il ne fçauroit contraindre.
Digne à la fois d'eftime & de pitié ,
On doit le louer & le plaindre.
Mais quoi l'objet qui l'avoit enchaîné ,
N'eft point une Déeffe ,
C'eft la charmante Puvigné ,
Cette Danfeuſe enchantereffe ,
Qui par fes doux regards & fes talens divers ,
JUIN. 1755. 65
Etonne , ravit , intéreffe
Paris , la France & l'Univers.
Sur fes levres l'amour reſpire ;
Ses bras forment de tendres fers ;
Et je vois à fes pieds les aîles de Zéphire.
Des Graces elle a le fourire ,
Le port & la légereté ;
Elle peint le defir , même la volupté ,
Sans reffentir ce quelle infpire.
Pollux à tant d'attraits a-t- il dû réſiſter ?
A-t-il pû t'immoler à l'amour fraternelle ?
Non , Puvigné , je dois le détefter ,
Et tu rends à mes yeux fa vertu criminelle .
Mais par fa fuite & fes dédains ,
Si ta beauté fut outragée ,
Choifis entre tous les humains
Par qui tu veux être vengée.
Mailbol.
LE mot de l'Enigme du Mercure de Mai
eft le Grain de bled ou d'orge. Celui du
Logogryphe eft Abfolution , dans lequel on
trouve bâton , Toul , Bofton , Bias , oifon , os,
taon , Nil , Ine , ut , fi , la , fol , Toulon ,
Solon , butin.
66 MERCURE DE FRANCE.
Ce n'eft
ENIGM E.
E n'eft pas par utilité
Que l'on m'a donné la naiffance ,
Et ce n'eft qu'à la nouveauté
Que Paris doit mon existence.
Le François toujours curieux
De nouveautés , de bagatelles ,
Me vit comme un préfent des Dieux :
Enfin pour couronner mes veux ,
Je paffai bientôt chez les belles ,
Et je fçus orner leurs attraits .
Mais je connois trop le François
Pour m'enorgueillir de ma gloire ;
C'eft dans le fein de la victoire
Que je dois redouter. fes traits.
Un fuccès que l'on croit durable
Souvent s'éclipfe en un feul jour ,
Et l'aifance que j'eus à fupplanter le diable ,
Me fait craindre un pareil retour .
Par M. S ... an de S. V.
JUI N. 1755. 67
LOGOGRYPHE.
Dans la belle faifon je commence à paroître ,
Très-fouvent malgré moi je me fais reconnoître';
Je plais à tous les coeurs , fimple dans mes atours ;
Et quoique je me cache , on me trouve toujours.
J'offre du corps humain une belle partie ;
Et que fi l'on tranchoit , on trancheroit la vie :
A tout Muficien un utile inftrument ,
Néceffaire à la None , un modefte ornement ;
Une épithete propre aux chofes méprifables ;
Ce qu'on craint tous les jours dans des bois redoutables
;
Le trône du fommeil , où nos chagrins , nos maux
Jouiffent avec nous d'un fortuné repos :
Une chofe en tout tems dont chacun fait uſage
Ce qui fçait maintenir un peuple trop volage ;
Ce que tous les mortels cherchent à conferver.
Mais je m'amufe trop . L'on peut bien me trouver,
Je marche fur huit pieds . Dans cet inſtant peutêtre
,
Sous res pas , fous tes yeux , Lecteur tu me vois
naître .
68 MERCURE DE FRANCE .
ENIGM E.
Lecteur , mon portrait reffemblant
Et l'eau qui dort fans être trouble ;
Etre fincere eft món talent ,
Et j'ai celui de rendre double.
Par M. de Bilhevot de Saint- George ¿
Moufquetaire noir. A Crépy en Valois.
LOGOGRYPHE.
TElsfont grand cas de moi qui n'en font pas
meilleurs ;
Je fers au vrai dévot , je fers à l'hypocrite :
Mon nom eft fort connu tant à Rome qu'ailleurs ;
Mais à Geneve , hélas ! que devient mon mérite
Faifons trêve à la plainte , & parlons de mes fils :
L'un d'eux , quoiqu'invifible , eft pire que la
peſte :
Un fecond , fans quartier , mange fes ennemis :
Un tiers compte pour rien toute la cour célefte.
Continuons , Lecteur , je ne fuis pas au bout ;
Mes dignes rejettons paffent la cinquantaine :
Tiens , prens , avec cela va fervir un ragoût ;
L'hôte eft un vieux Gaulois aux rives de la Seine,
JUIN. 1755: 69
Cherche encor , tu verras un fleuve fouterrein :
La Reine d'un Empire où chacun trouve place ,
D'un Monarque François l'aggreffeur inhumain ,
Et le furnom d'un Roi très - fameux par fa race.
Un utile arbriffeau commun dans le Levant :
Une voyelle en grec , en hébreu quatre lettres :
Un mixte plein d'odeur , léger comme le vent ,
Qu'en vain mefureroient vos plus grands Géométres,
Ce que l'on n'aime point à voir fur ſes habits :
Dans le calendrier un mot de grand uſage ;
Cet agréable effet que produit un rubis ,
Ce qui change en été la couleur du visage.
Un Poëte excellent , la gloire de Lefbos :
L'attribut d'une voie au haut des cieux tracée ;
Lieu qui frappe de loin les yeux des matelots :
Jeu de force où Hyacinthe eut la tête caffée .
Un Pape , en fa croyance auffi ferme qu'un roc :
Une pierre où Phébus aiſément s'infinue :
Une ville en Provence , une autre en Languedoc ;
Plus une chez les Turcs , des marchands bien
connue .
Ce qu'un pauvre ſujet peut préſenter au Roi ;
Ce qu'on donne au foldat , ce qu'il veut faire en
marche :
Ce que paroît un homme étant faifi d'effroi
70 MERCURE DE FRANCE.
Et ce qui dans un pont arrête ou ferme l'arche.
La Vierge qu'à la foi Paul lui- même affervit :
Une table , de fang , de carnage couverte :
L'amant qui fous les eaux fa Nymphe pourſuivit :
La maligne Déeffe , encline à votre pérte .
Une picce affez longue , en terme de blafon :
Un homme fans honneur , l'ouvrage d'un Notaire
;
Un ornement d'Eglife , un mets , une ſaiſon ,
Un meuble de jardin , une herbe potagere.
L'un de ces trois arrêts dont frémit Balthafar ,
Ce pere à qui Jafon cauſa tant de traverſes ,
Le chaffeur que
Ville
grecque
l'aurore attiroit dans fon char :
fatale à deux cens mille Perfes.
Ce que jamais Grandier ne fit avec Satan :
Lieu public , amas d'eau où vogue une nacelle :
Un vêtement gafcon ; & ce , dit la mainan ,
Qu'on voit la nuit en perche & le jour en échelle .
CHANSON.
Air.
peu lent,Gratieusem ?
Maman, vous me dites sans cesse
OX
De nepoint Aimer de Berger:
J'en connois assez le danger,
Pour vaincre en moi cette foiblesse
Mon Coeur soupire près d'hylas ,
Mais, Mamanje ne l'Aime pas .
La Musique est de M. Rousseau
de Versailles, Les paroles de M.M.
Juin 1 Vol.1755 .
JUIN.
1755. 71
CHANSON.
M Aman , vous me dites fans ceffe
De ne point aimer de Berger ;
J'en connois affez le danger ,
Pour vaincre en moi cette foibleffe :
Mon coeur foupire près d'Hylas ;
Mais , Maman , je ne l'aime pas.
De fleurs il orne ma houlette
Moi j'en décore fon chapeau ;
Si j'ai quelque ruban nouveau ,
Je cours en parer fa mufette :
C'eft pour lui feul que j'en fais cas ;
Mais , Maman , je ne l'aime pás.
Où ce Berger ne peut pas être ,
J'ai l'air ou diftrait , ou rêveur ;
J'éprouve une douce langueur
Si -tôt que je le vois paroître.
Je veux fuir , il retient mes pas ;
Mais , Maman , je ne l'aime pas.
£1.
72 MERCURE DE FRANCE.
Pour vous obéir je l'évite ;
Mais lorsque malgré moi mon chien
Conduit mon troupeau vers le fien ,
Il rêve , je refte interdite :
Je rougis de notre embarras ;
Mais , Maman , je ne l'aime pas .
Il me prend la main , il foupire ;
Moi , pour fuivre en tout vos leçons ,
J'éloigne auffi-tôt mes moutons ;
Mais pendant que je me retire ,
Je regarde s'il fuit mes pas ;
Mais , Maman , je ne l'aime pas.
33
J'ai mille chofes à lui dire
Les jours que je ne le vois point ;
Et quand nous fommes fans témoin ,
Ma voix fur mes levres expire,
Dieux que ce filence a d'appas !
Mais , Maman , je ne l'aime pas.
O Life , quelle erreur extrême !
Vos yeux , votre air , tout vous dément ;
Et vous aimez aſſurément ....
Oui , fi c'est ainsi que l'on aime.
L'Amour me tenoit dans fes lacs ;
Mais , Maman , je n'y penfois pas.
Me ....
ARTICLE
JUIN. 17551 78
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
EXTRAIT
Des Ouvrages lus à l'Assemblée publique dé
la Société Littéraire de Clermont en Au
vergne , le 24 Août
}
1754.
Léloges de M. de Chazerat , premier
A féance fut ouverte par la lecture des
Préfident de la Cour des Aides de cette
ville , & de M. Roffignol , ancien Intendant
d'Auvergne , affociés honoraires de
cette Académie . Ces deux éloges font les
premiers qui ayent été lûs depuis l'établif
fement de la Société. MM . de Chazerat
& Roffignol avoient par leur goût pour les
fciences fait revivre en Auvergne celui
des lettres & des arts ; ils avoient préfidé
& contribué de tout leur pouvoir à la formation
de cette Société , & c'eft à leur cré
dit qu'elle eft redevable de la permiffion
que fes Membres ont obtenu de s'affembler
régulierement.
I. Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE.
Ces derniers traits par où ces dignes
Académiciens avoient mérité notre reconnoiffance
, ont caractérisé leurs éloges .
L'Auteur n'a cependant pas négligé de
rendre aux vertus & aux actions mémorables
de ces illuftres Académiciens , le tribut
de louanges qui leur eft dû. Cette lecture
fut fuivie d'un Mémoire fur l'ancienneté
& les dimenſions du pont de vieille Brioude
, fitué fur la riviere d'Allier en Auvergne
, par M. Dijon. Une tradition mal fondée
attribuoit aux Romains la conſtruction
de ce pont .
M. D. prouve par la comparaifon des
édifices qui nous reftent du tems des Romains
avec celui- ci , la fauffeté de ce fentiment
: on n'y trouve point , dit-il , la
même force , l'élégance , la grandeur de
P'échantillon des pierres , ou les mêmes
beautés d'appareil qui regnent dans le pont
du Gard , les antiquités de Nîmes , &c.
Il produit enfuite un prix fait , donné en
1434 par les habitans de vieille Brioude
pour la conftruction de ce pont. Les dimenfions
portées au prix fait , ne font pas , il eſt
vrai ,les mêmes qu'on a fuivi dans l'exécution
; M. D. en remarque la différence &
les défigne telles qu'il les a prifes.
L'arche du pont de vieille Brioude , la
plus grande du Royaume , forme un fege
JUIN. 1735.
75
ment de cercle , dont la corde a 172 pieds
de longueur , fur 66 de fléche ou montée.
Ce pont a 15 pieds 3 pouces d'une tête à
l'autre , & 13 pieds de paffage entre les
deux parapets ; il eft fondé fur le roc aut
niveau des baffes eaux du côté de la campagne
, & un pied au deffous des baffes
caux du côté de vieille Brioude.
M. D. traite des différentes pierres qui
ont été employées à la conftruction de
Farche , du lieu de leurs carrieres , de leur
qualité , de l'état où elles fe font confervées.
Quand on examine le pont de vieille
Brioude , dit M. D. on eft plus furpris de
la grandeur de l'arche & de la hardieffe de
l'entrepriſe que de la conftruction on
remarque qu'il eft bâti fans art ; mais qu'il
devoit y en avoir beaucoup dans la forme
des ceintres , dont un deffein fatisferoit
plus les amateurs des conftructions ancien
nes que le deffein même du pont ; mais
les recherches ont été inutiles.
M. de Saint-Victor lut enfuite un Mé
moire fur la vie & les oeuvres de J. Savaron
, Préfident-Lieutenant général en la
Sénéchauffée Siege Préfidial de Clermont ,
Magiftrat connu de tous les Sçavans , & .
cité dans les ouvrages de plufieurs , fous
les noms de docte , très-docte , grand Sava-
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
ron ; iffu d'une famille des plus anciennes.
de Clermont , & qui dans tous les tems lui
avoit rendu des fervices très - effentiels .
Jean Savaron né à Clermont le 30 Décembre
1566 , fut éleve de Cujas dans l'Univerfité
de Bourges ; & après avoir occupé
différentes Charges , fe rendit fi illuftre
dans la Magiftrature , que Henri IV l'enleva
à la Cour des Aides pour le mettre à
la tête du Préfidial de Clermont ; & pour
F'engager à accepter cette Charge , lui fit
grace de la moitié du prix.
M. de S. V. met dans tout fon jour la
gloire que lui acquirent fa députation aux
Etats convoqués en 1614 ; fon commerce
avec les fçavans de fon fiecle , & fur- tout
la confiance qu'eurent en lui les deux Reines
: il fait entrevoir que ce grand homme
ne contribua pas peu à la donation que fit
Marguerite de Valois du Duché d'Auvergne
en faveur du Dauphin de France . II
admire en même tems fon defintéreffement
, en confiderant le peu d'avantage
qu'il a retiré pour fa famille du crédit
que lui avoit acquis une eftime générale.
L'article le plus intéreffant eſt celui où
M. de S. V. traite des ouvrages que nous
avons de M. Savaron. Dans les uns , il regne
une profonde érudition ; dans les autres
, les principes de la plus faine politi
JUIN. 1755 . 77
.
1
que ; dans tous de l'efprit , du goût & de
la délicateffe. Il feroit trop long de fuivre
M. de S. V. dans un plus grand dérail . Jean
Savaron mourut le 30 Décembre 1622 .
Ce Mémoire fut fuivi de la lecture du
Profpectus d'une hiftoire naturelle particuliere
à l'Auvergne , que M. Ozy , Membre
de la Société , fe propoſe de donner
dans quelque tems au public.
L'hiftoire naturelle , dit M. Ozy , eft
une fcience à laquelle il eft bien difficile
de refufer fon attention . Les perfonnes du
plus haut rang , les Princes , les Rois même
, ne la regardent pas comme indigne
de leurs amuſemens ; & fi les devoirs de
leur état ne leur permettent pas d'en faire
une étude particuliere , ils procurent à
ceux qui en font leur occupation
moyens d'y faire des progrès , & excitent
par leurs libéralités l'ardeur & l'émulation.
les
Après un avant - propos analogue aux
richelles qu'offre l'Auvergne au curieux
Naturalifte , M. Ozy entre en matiere , &
divife en trois parties l'objet de fes travaux,
le regne animal , le regne végétal & le regne
minéral.
Le regne animal comprend les animaux
domeftiques & fauvages . Je ne parlerai ,
dit M. Ozy , des premiers que pour enfei-
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
gner
d'en retirer de nouveaux
les moyens
avantages ; quant aux feconds , je me bornerai
à ceux qui font plus rares & qui n'ha
bitent que certaines contrées : ils fe divifent
en quadrupedes , reptiles , aquatiques ,
amphibies & infectes .
Dans les quadrupedes , je parlerai des
martres , hermines , & autres que j'ai remarqués
fur les montagnes d'Auvergne.
Dans les reptiles , je ferai mention des différentes
efpeces de lézards , des ferpens &
des falamandres. }
Dans les volatils , je comprendrai les
aigles , les faucons , les vautours , les ducs ,
& les diverfes efpeces d'épervier. Dans la
claffe des aquatiques , je traiterai des moucles
que j'ai obfervé dans quelques rivie
res , & particulierement de celles qui renferment
des perles qui ne le cedent point
en beauté à celles qu'on tire d'orient .
Dans le genre d'amphibies , je ne vois
que les loutres qui foient connues en Auvergne
.
Les infectes dont les différentes efpeces
font extrêmement nombreuſes dans cette
Province , me fourniront l'occafion de
quelque découverte. Je m'attacherai principalement
à ceux dont les fingularités.
m'auront parus les plus remarquables &
dignes d'attention .
JUIN. -17535 79
Dans le regne végétal , je ferai mention
des arbres , arbriffeaux , arbustes , & autres
plantes répandues tant dans nos monta
gnes , que dans la partie de l'Auvergne
connue fous le nom de Limagne. Je citerai
les afpects , les hauteurs des lieux , la diftance
ou l'approximation des pays connus.
Je raffemblerai , s'il m'eft poffible , dans
un jardin , les dépouilles de la Province ;
la facilité de les connoître en infpirera le
goût cette noble émulation paffera des
grands jufqu'aux peuples , & les bergers
rendus induftrieux , pourront dans leur
loifir faire des récoltes utiles , à l'exemple
des Suiffes & de quelques autres nations.
2
Ce jardin fera une provifion toujours
préfente , propre à réparer les pertes du
jardin royal , & pourra même l'enrichir de
nouveaux tributs.
Enfin dans le regne minéral , je traiterai
des divers métaux que notre terre renferme
dans fon fein ; je ferai divers effais de
chacun en particulier ; je rendrai compte
du produit des mines d'argent , de cuivre ,
de fer , de plomb , des fables chargés de
pailletes d'or , que les courants dépofent ,
& de quelques fables fouterreins
des mêmes richeffes..
pourvus
Je n'oublierai pas les mines d'antimoine
très abondantes dans cette Province , &
j'en rapporterai les produits.
Div
80 MERCURE DE FRANCE,
là
Les pierres propres à bâtir méritent auffi
l'attention des Naturaliſtes ; j'indiquerai les
moyens de les connoître : on évitera
par
les inconvéniens d'employer des pierres
bituminufes , fulfureufes & vitrioliques ,
ou qui peuvent tomber en effervefcence .
Je ferai mention des différens marbres ;
granits , porphyres , des grès , pierres à
chaux , plâtres , bols , des craies , marnes ,
& de la pierre fpéculaire .
Je m'attacherai principalement aux pierres
précieuſes , comme grenats , topazes ,
amétiftes , éméraudes , cryſtal de roche &
autres cryftalliſations .
Je parlerai des ftalactites & felenites
qu'on trouve dans divers fouterreins & en
plein air , des pierres d'azur , des pierres
figurées , des ardoifes , des amiantes , des
cailloux , des quarts , des différentes pétrifications
, foit animales , foit végétales ;
des terres vitrioliques & fulfureufes , des
mines de charbon de terre , des bitumes ;
& nommément de celui qui découle d'un
monticule connu fous le nom de Puits de
la Poix .
J
Je ferai mention de plufieurs montagnes
creufes qu'on peut foupçonner avec beaucoup
de vraisemblance d'avoir été les foyers.
d'anciens volcans ; les différens fables criblés
& calcinés jufqu'à vitrification qu'on
JUIN. 1755. 8I
*
trouve dans les environs de ces montagnes ,
& les blocs immenfes des rochers qui ont
fouffert une parfaite fufion , font des témoi
gnages encore fubfiftans des éruptions &
des projections de ces fourneaux naturels.
Je n'oublierai point les eaux minérales
qu'on voit jaillir de toutes parts dans cette
Province ; les bains des Monts d'or , les
eaux de la Magdeleine , de la Bourboule ;
celles de Vic- le- Comte , de Vic en Carladais
, de Saint-Mion , de Saint-Pierre près.
Clermont de Jaude , de Saint- Marc , de
Saint-Allire , & principalement la fameuſe
ftalactite fi connue fous le nom de pont
de pierre ; j'expliquerai le méchanifme de
fa formation. Je parlerai enfin de toutes
les eaux de la Province qui méritent une
forte d'attention , & j'y joindrai une analyfe
exacte de chacune en particulier.
Je décrirai le cours des rivieres qui arrofent
cette Province ; je ferai connoître les
eaux qui font les plus propres pour les
reintures , & je rendrai compte des expériences
que j'aurai faites fur cette matiere.
Les cavernes & les fouterreins feront in
diqués , & nommément ceux qui fervent
de caves aux habitans de Chamailleres ,
d'où s'exhale une vapeur fuffoquante fur
Laquelle j'ai fait des expériences curieufes ..
Je n'oublierai point les glacieres natu
Dy
82 MERCURE DE FRANCE
relles , nommées communément les fon
taines glacées.
M. Özy lut enfuite une differtation fur
le ver lion ; il en donne la deſcription , &
rapporte exactement les diverfes obfervations
qu'il a faites fur cet infecte ; fa maneuvre
pour pourvoir à fes befoins , & fes:
différentes métamorphofes . Une multitude
de circonftances intéreffantes ornent l'hiftoire
du ver lion ; mais l'induftrieux Naturalifte
fe promet encore de nouvelles .
découvertes de la fuite de fes obfervations ;
ce qui l'a engagé à ne point finir fa differtation
.
La féance fut enfin terminée par l'extrait
des différens ouvrages lûs dans le cours de
l'année aux Affemblées particulieres de la
Société , & des obfervations fur divers :
phénomenes apperçus depuis la derniere
Affemblée publique..
7
JUIN. -x755 . 83
EXTRAIT DE L'ELOGE
DE M. D'ONS- EN- BRAY ,
Prononcé le 13 Novembre 1754 , par M.
de Fouchy , Secrétaire de l'Académie des
Sciences.
Quis-Léon Pajot , Chevalier , Comte
Ldons- en-Bray ,naquit à Parisleas
Mars 1678 de Léon Pajot , Comte d'Onsen-
Bray , Directeur général des poftes &
relais de France , & de Marie Anne Rouillé
, tante de M. Rouillé , Miniftre & Secrétaire
d'Etat. Son ayeul avoit été envoyé
par la Reine , mere de Louis XIV , en
Efpagne , où il fut retenu quatre ans prifonnier.
Si les peines attachées aux en-
» fans deshonorent la poftérité de ceux qui
les éprouvent , pourquoi ne compteroiton
pas au rang des titres d'honneur les
difgraces qui n'ont leur fource que dans
» le zele avec lequel on fert fon Roi & fa
patrie ?
»
"
Il fit fes études au College des Jéfuites:
de Paris ; mais un mal d'yeux confidérable
dont il fut attaqué pendant fa rhétorique
obligea de le rappeller , à la maifon
nelle
ord så mot
Divis
pater
84 MERCURE DE FRANCE.
Pendant le cours de cette maladie , M.
Quent , homme habile qu'on avoit mis auprès
de lui , imagina de l'occuper d'une
fcience à laquelle les fens extérieurs font
fouvent plus nuifibles qu'utiles , de l'étude
de la philofophie . Il faifoit lire auprès de
lui les principes de celle de Defcartes , &
la meilleure preuve qu'on puiffe donner
qu'il en avoit fait dès lors un Philofophe
eft la reconnoiffance qu'il eut des foins de
cet habile maître. La vraie philofophie tend
encore plus à enrichir le coeur de toutes.
les vertus qu'à orner l'efprit de nouvelles
connoiffances .
Au fortir de cette maladie , il alla
voya
ger en Hollande . La vûe des grands hom
mes que cet état poffédoit alors, des collections
curieufes & fçavantes qu'ils y avoient
faites & des applications ingénieufes qu'il
y voyoit continuellement faire de la més
chanique , le rendirent encore plus Philos
fophe & plus Méchanicien , & ce fut là
qu'il forma le premier projet de ce cabinet
qu'il a depuis rendu fi célebre.
Il ne l'exécuta cependant pas auffi-tôt
après fon retour. Les occupations attachées
à la place de Directeur général des poftes
aufquelles M. fon pere l'engagea à fe livrer ,
ne lui laiffoient que peu de momens:
libres , mais ce peu de momens étoient
JUIN. 1755.
foigneufement ménagés pour ce qu'il
aimoit.
❤
M. d'Ons- en -Bray perdit fon pere en
1708 , & il lui fuccéda dans fa place ; mais
ce qui tourne plus à fa gloire , quoiqu'il
n'eut alors que vingt neuf à trente ans ,
Louis XIV lui accorda fa confiance ; il le
chargea de plufieurs affaires dont il lui
rendoit compte indépendamment des Miniftres
, & le fit appeller dans fa derniere
maladie pour cacheter fon teftament avant
de l'envoyer dépofer au Parlement. Il jouit
de la même confiance fous la Régence de
feu M. le Duc d'Orléans. Lorfque ce Prin
ce créa les charges d'Intendans des poftes ,
il en donna une à M. d'Ons - en - Bray , &
le public eft informé de l'exactitude avec
laquelle il s'en est toujours acquitté.
Dès qu'il s'étoit vu fon maître , il avoit
travaillé à exécuter le projet qu'il avoit
formé en Hollande ; mais comme d'un côté
les devoirs de fa charge , & d'autre part
les vifites continuelles aufquelles il étoit
expofé à Paris ne lui en laifoient pas le
loifir , il réfolut de fe dérober à celles- ci ;
ne pouvant ni ne voulant fe fouſtraire à
fes devoirs , il choifit pour ce deffein une
belle maifon qu'il avoit à Berci . Cet endroit
affez près de Paris , pour
lui
tre d'y paffer tous les momens qu'il avoit
permet86
MERCURE DE FRANCE.
de libres , en étoit cependant affez éloigné
pour écarter les vifites importunes. Il facrifia
la plus grande partie de cette maiſon
aux cabinets qu'il y vouloit former , y établit
un jardin de plantes & une orangerie ,
& fit de cet endroit un des plus agréables
afyles que la philofophie ait jamais habités
; il y venoit paffer tout le tems dont il
pouvoit difpofer , & y attiroit autant qu'il
pouvoit les Académiciens les plus célebres
; le P. Sebaſtien étoit du nombre , &
M. Geoffroy a conduit quatre ans fon laboratoire.
La route que fuivit M. d'Ons- en-
Bray l'approchoit néceffairement de l'Académie
: il y obtint en 1716 une des deux
places d'honoraires que le Roi venoit d'y
établir par le nouveau réglement il y
étoit extrêmement affidu , & prenoit part
à prefque toutes les matieres qui s'y traitoient
les fciences font trop liées les unes
aux autres , pour que le cabinet ne profitât
extrêmement de cette affiduité.
pas
Quoique M. d'Ons- en- Bray ne fût affujetti
par fa place à aucun travail acadé
mique , on a de lui plufieurs mémoires im
primés , entr'autres la defcription d'une
machine pour battre la meſure de tous les
airs , d'une maniere fixe & indépendante
du caprice des Muficiens ; des recherches:
fur les mefures des liquides , qu'il fit à la
JUIN. 1755
87
réquifition du Corps de ville de Paris :
mais ce qu'il a donné de plus fingulier , eft
fon anémometre , ou inftrument propre à
mefurer la force & la direction du vent ;
les inftrumens ordinaires ne font que des
corps purement paffifs , dont l'obfervateur
eft pour ainfi dire l'ame on pourroit
prefque dire que M. d'Ons- en- Bray a donné
de l'intelligence à fon anémometre ;
l'inftrument fçair obferver lui - même &
écrire fes obfervations : les ftatues immortelles
de Vulcain fi bien décrites par Homere
, n'en fçavoient peut- être pas davantage
.
Le cabinet qu'il avoit entrepris étoit
cependant fa principale occupation ; il
l'avoit déja rendu fi riche & fi complet
dès 1717 , que peu de Seigneurs étrangers
venoient en France fans le vifiter ; il y reçut
le Czar Pierre I , l'Empereur à préſent
regnant , & le Prince Charles de Lorraine ,.
le feu Electeur de Baviere , le Roi de Pologne
, Duc de Lorraine , les Princes de-
Saxe Kaubourg & de Saxe - Gotha , & enfin
les deux Ambaſſadeurs du Grand Seigneur
, Meheniet & Saïd- Effendi , qui en
fortirent pleins d'une admiration ,, d'autant
plus flateuſe pour M. d'Ons - en - Bray , que
*
Voyez les Mémoires de l'Académie. 17344.
p. 123.
$ 8 霉
MERCURE DE FRANCE.
ces deux Seigneurs , & fur-tout Saïd- Pacha
, étoient en état d'en connoître tout le
prix.
Dans ces occafions , M. d'Ons- en - Bray
faifoit parfaitement les honneurs de fa
maifon ; il y donnoit des repas magnifiques
& des fêtes élegantes : c'étoit un peu
de pris fur ce tems dont il étoit fi bon menager
, mais c'étoit pour l'honneur des
fciences & de la philofophie , & rien ne
lui coûtoit pour leur acquerir des profélites
ou des protecteurs.
Il ne négligeoit ni n'épargnoit rien
pour remplir fon cabinet de piéces inté
reffantes. Mais ce qui rendoit cette collection
plutôt finguliere que la premiere
de ce genre , étoit l'immenfe quantité
de piéces de méchanique dont il Pavoit
ornée , & parmi lefquelles il y en avoit
plufieurs de fon invention . Dans le nombre
de ces dernieres fe trouve un morceau
fingulier des élémens de géométrie tout en
machines ; il avoit imaginé cette finguliere
façon de démontrer , pour faciliter au Roi,
encore enfant , l'étude des Mathématiques.
Les meilleurs élémens qu'il eût pûr donner
en toute autre occafion , n'euffent fait
voir que fa capacité , ceux - ci font unt
preuve fubfiftante de fon attachement pour
fon Roi on laiffe aux coeurs françois
JUIN. 1755. 89
à décider qui des deux mérite la préférence.
Il avoit reçu de feu M. le Duc d'Orléans
, Régent , plufieurs vifites. Ce Prince
fe plaifoit extrêmement dans les cabinets
de M. d'Ons -en- Bray , & il voulut les orner
du célebre verre ardent conftruit par
M. de Tfchirnhauz , dont il lui fit préfent ;
ce Prince auroit eu de la peine à en choi
fir un qui pût lui être plus agréable .
Dans ce même lieu où il recevoit les
plus grands Princes , il recevoit auffi , &
peut-être avec plus de plaifir , les Philofophes
, & fur- tout les Académiciens fes
confreres : il fe délaffoit avec eux de fes
travaux , & puifoit dans leur entretien des
idées pour en entreprendre de nouveaux ;
c'eft ainfi qu'il a paffé tout le tems de fa
vie : toujours citoyen , toujours Académicien.
Dès le mois d'Octobre 1753 , il fut attaqué
d'une maladie , qu'il ne regarda d'abord
que comme une éréfipelle ordinaire
mais qui dans peu devint une éruption vio
lente ; il fentit lui -même le danger de fon
état ; & après avoir pris les précautions
que la religion exigeoit de lui , il voulut
donner au public & à l'Académie une derniere
marque de fon attachement . Il fit
propofer au Roi d'accepter le don qu'il
96 MERCURE DE FRANCE.
vouloit faire à l'Académie de fes cabinets ,
mais fous des conditions qui tendent toutes
à rendre ce préfent plus utile au public
; car malgré fon attachement pour cette
Compagnie , le bien public lui étoit encore
plus cher , & l'Académie n'a garde
de blâmer en lui ce fentiment , duquel elle
fe pique elle- même. Le Roi fentit toute la
générofité de M. d'Ons- en - Bray , & non
feulement accepta le don qu'il vouloit
faire , mais encore fe chargea de le loger
au Louvre , & de pourvoir à tout ce qui
feroit néceffaire pour l'entretenir , & mettre
le public en état d'en profiter . Auffi- tôr
que M. d'Ons-en-Bray fçut cette nouvelle ,
il fit un codicille , par lequel il légue fes
cabinets à l'Académie , & prefcrit les conditions
aufquelles il fait ce don ; il ne s'oc
cupa plus après cela qu'au moyen d'aug
menter le préfent qu'il venoit de faire à
l'Académie, & mourut le 22 Février 1754,
âgé de près de foixante- feize ans .
Toute fa vie a été une pratique exacte
& conftante de l'équité naturelle . Pendant
tout le tems qu'il a été à la tête des poftes ,
aucun Commis n'a pu fe plaindre d'avoir
été renvoyé par caprice. Une commiffion
fous lui étoit prefque pour d'honnêtes
gens un héritage ; il étoit bon maître
mais il ne fouffroit pas qu'on lui man
JUIN. 1755. 91
quât , ayant d'ailleurs toutes les attentions
poffibles pour fes domeftiques : il faifoit
de grandes charités ouvertement & par les
mains de fes Curés , mais il y en avoit
d'autres dont il fe réſervoit la diftribution,
& qu'il faifoit fecrettement pour éviter
cette cruelle maniere de foulager les malheureux
en bleffant les fentimens qui furvivent
fouvent dans les coeurs bien placés
aux dignités & à la fortune.
Il a fait par teftament fon légataire univerfel
M. le Gendre , Lieutenant général
des armées du Roi , frere de feu M. le
Préfident le Gendre , fils de M. le Gendre,
fucceffivement Intendant de Montauban
de Pau & de Tours , & d'une foeur de M.
d'Ons-en- Bray.
Sa place d'Académicien honoraire a étéẻ.
remplie par M. le Maréchal de Lowendal
92 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE fur la Chronique fcandaleuſe ,
qui fe trouve dans le fecond volume des
Mémoires de M. l'Abbé d'Artigny.
'AUTEUR des mémoires que vous
L'avez envoyé ne doitpas fe plaindre
de la rareté des Goujet & des La Monnoie
, puifqu'il trouve dans foi-même dequoi
y fuppléer. Il a fçu réconcilier l'érudition
avec les graces , & lui prêter cet air
aifé & délicat , qui a fait lire l'Histoire
des Oracles de l'ingénieux Fontenelle .
Cependant je vous avouerai qu'il y a
quelques articles dans fon livre qui demanderoient
une plus grande étendue :
par exemple , dans la chronique fcandaleufe
des fçavans , il a omis plufieurs
combats littéraires. Tel eft celui de Jufte
Lipfe , avec un faifeur de dialogue ( a )
( c'eft ainfi qu'il appelle fon adverfaire ) ;
ce démêlé eft d'autant plus curieux que
l'imitateur de Séneque n'y fait pas paroître
la douceur qu'il avoit , felon MM . Huet
(b ) & Balzac ; car voici fon début. [ Ofe-
( a ) Adverfus dialogiftam liber de unâ religione,
in quo tria capita libri politicorum explicantur ,
Lug. Hug. à Porta , 1592. in- 12 .
(b) Huctiana... Socrate Chrétien.
JUIN. 1755. 93
rai- je entrer en lice avec un turbulent & un
inquiet , qui écrit plutôt par rage que par
raifon , & qui , comme ces gros mâtins ,
ne ceſſe jamais d'aboyer ? Que je le vainquiffe
ou que j'en fuffe vaincu , je ne pourrois
que me deshonorer .... C'eſt un inconnu
, ou , difons mieux , fes fottifes l'ont
fait connoître ..... En l'humiliant je lui
donne du relief.... Qui lira fon ouvrage
fi je ne le critique ? ... Son ftyle n'eft que
galimathias & verbiage , il l'a emprunté
de la canaille .... Je craindrois de fouiller
mon ouvrage , fi fon nom s'y trouvoit
une feule fois . ] Dans le corps de la réponſe
les mêmes déclamations reviennent à chaque
page ... Son adverfaire eft un ftupide
un infenfé , un homme fans front ,
un impie il finit en lui difant que
bon fens n'eft pas le fruit de la vieilleffe ,
après avoir fait l'apologie de fes invecti
ves par le paffage de Tertullien , dont fe
fervoit M. Arnaud pour excufer les douceurs
que fa charité lui arrachoit.
>
le
On ne doit pas être furpris que Jufte
Lipfe invective avec fi peu de ménagement
; en poffeffion du Triumvirat (c) de
la République des Lettres , il ne peut pas
fupporter qu'on l'attaque une feule fois ;
(c) Teiffier , hommes illuftres de Thou , art
Jufte Lipfe , to ent
94 MERCURE DE FRANCE:
la rareté du mépris ne le lui rend que plus
fenfible. Il ne veut pas faire grace aux poin
tes qui fe préfentent fous fa plume , ignorant
peut-être que c'eft fe venger contre
foi-même que de noircir nos ennemis par
de fauffes imputations.
>
On attaque Jufte Lipfe fur fa religion ;
c'eft ce qui peut l'excufer. Mais de quel
cil doit- on voir Gallonius (d) & les Moines
du Mont- Caffin fe prodiguer des injures
pour des vétilles ? Les accufations de mauvaife
foi , de calomnie , de fauffaire , de
folie , Monachus ifte curandus elleboro
font répétées plus de cent fois par Gallonius.
Ah ! plût à Dieu , ( dit-il au Moine
Conftantin , ) que votre monachiſme ne
vous mît pas à l'abri de la loi Cornelia contre
les fauffaires. Et pourquoi croyez - vous
qu'il leur donne tous ces éloges ? On veut
fçavoir fi S. Grégoire a été Bénédictin.
Queſtion importante , qui auroit fanctifié
les Enfans de S. Benoit fi leur prétention
eût été fondée !
• La difpute des Bénédictins avec Naudé
( e ) ne fut pas moins intéreſſante ni moins
affaifonnée de fiel & de vinaigre , quoique
l'on ne combattît que pour trouver le
( d) Simon , Lettres choifies , t. 3. Lettre XI à
M. de Gouffainville.
(e) Ibid. Bibl. critiq. t. 1. ch. 7. p. 894
JUIN. 1755. 95,
véritable auteur d'un livre qui n'infpire
rien tant que la modération. [ Lorsqu'il
s'agit de leurs intérêts ( leut dit le Bibliothécaire
) , ils perdent de vue la charité ;
ce font des impofteurs , des fauffaires , des
présomptueux , des calomniateurs , qui
ont encore moins de jugement que de
confcience ; ils fuppofent les actions les
plus atroces pour noircir leurs adverfaires.
]
Le mordant Thiers n'épargna pas davantage
les Bénédictins , dans fa burleſque
fatyre , intitulée Apologie de M. l'Abbé" de
la Trape : jugez- en par ce trait. [ Lords &
Milords , grands & petits , Moines & Moineaux
, chacun fe fit un mérite de donner
un coup de bec à M. de la Trape (f) ] Cependant
M. de Rancé n'eut pas à faire feu
lement avec les MM . de S. Maur ; Dom
Innocent Maſſon , ( g ) Général des Chartreux
, l'attaqua très vivement dans un
livre imprimé en fecret à la grande Chartreufe
: il l'accufa d'avoir voulu diffamer
les autres ordres , par les Réflexions fur l'État
monastique , qu'il appelle un libelle fpiritualifé
, de donner la torture aux paſſages
des Peres pour prouver fon fyftême ; il
-
(f) Cité dans les Mémoires eccléfiaftiq. du P
Avrigni , Jéfuite , an. 1700. t. 4.
(g ) Bibl, critiq. chap. 32.
96 MERCURE DE FRANCE.
lui reprocha d'avoir inféré dans fon livre
plufieurs traits diffamatoires , qui reffentent
la production d'un homme qui a le
mépris des autres caché dans le coeur ....
Peut-on lire ces duretés fans faire réflexion
que dans le cloître les paffions ne font pas
amorties tout- à- fait ? Alors l'intérêt commun
peut fervir d'enveloppe à une fecrette
jaloufie ; fous le prétexte fpécieux de venger
l'honneur d'un corps, on cherche à faire
montre d'une érudition déplacée , ou à déprimer
un adverfaire dont la réputation
nous fait ombrage.
En vous donnant une efquiffe de fupplément
à la Chronique fcandaleufe , je ne
penfe pas , Monfieur , nourrir la haine que
vous avez pour l'érudition . Vous fçavez ,
fans doute, que les vrais fçavans ont en horreur
, non feulement ces injures groffieres
& perfonnelles , mais même celles qui ne
fe montrent qu'avec efprit , & qui fe cachent
avec art. Vous aurez vû dans le jugement
des fçavans , ( b ) que M. Baillet ne
peut pas fupporter Gruter , lorfqu'il appelle
Paroeus un âne , un mulet de charge , un bouc,
un verrat , un hibou. C'eſt en effet une chofe
monftrueuſe que ce noir chagrin , qu'on
voit s'exhaler des écrits de quelques fça-
( b ) Grammairiens , art.1483600 100
vans ;
JUIN . 1755 97
vans ; leur efprit obfcurci par la pouffiere
du cabinet , n'a pas goûté les agrémens de la
fociété ; la multitude des livres qu'ils parcourent
, leur perfuade qu'ils doivent être
regardés comme des oracles. Dans cette
préfomption , fi quelqu'un leve le bouclier
contre eux ; incapables de produire quelque
chofe d'ingénieux & de délicat , ils font
ufage de tout ce qui fe trouve fous leurs
mains , ils fe jettent fur les perfonalités ,
& facrifient leur honneur en voulant perdre
celui de leurs adverfaires ; l'Abbé Faidit
nous en fournit un exemple bien capa-.
сара-
ble de faire impreffion . Dès qu'il fe fut
livré à fon méchant caprice , on ne l'appella
plus que frénétique , faifeur de libelles
, &c. on lui mit cent fois devant les
yeux fes aventures . Procedé cruel , que fon
exemple ne pouvoit pas autorifer ! il eſt
honteux que le droit de repréfailles fe foit
naturalifé dans la République des Lettres.
Voilà , Monfieur , quelques démêlés littéraires
que M. d'Artigny a oubliés ; fi quelqu'un
de fes amis lui faifoit appercevoir
cette omiffion , vous feriez dédommagé ,
par l'agrément qu'il répand fur les matieres
qui en font le moins fufceptibles , de la
féchereffe de mon effai . Il feroit très-àpropos
qu'on lui rappellât auffi les difputes
de Sciopius avec Strada , de Thiers avec
1. Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE.
Robert , de l'Ifola avec Verjus , de Mervezin
avec un Provençal.
d'une
Si je ne connoiffois pas votre averfion ,
pour les vétilles , je vous ferois part
lettre du P. Lami , par laquelle je prouve
qu'il a travaillé plus de trente ans à ſa deſcription
du temple ; je vous ferois obferver
de même que M. d'Artigny a oublié
dans le catalogue des Ana la Bibliot . critiq.
& les lettres de Simon ; que dans les Journaux
de Trévoux , Novembre 1744, on ne
trouve aucune particularité fur la Chroni--
que fcandaleufe ; mais ces petites négligences
n'empêchent pas que fon ouvrage
ne foit un des meilleurs recueils de litté
rature . Le livre de Ahafverus Frit Schey
int . Paranefis de cavendâ nimiâ convocandi
libidine in refutandis aliorum fcriptis &
opinionibus ( k ) , renferme de bonnes réflexions
fur cette groffiereté qui s'eft introduite
dans les combats littéraires.
L'ETAT DES ARTS en Angleterre ,
dédié à M. le Marquis de Marigny ; par
M. Rouquet , de l'Académie royale de
Peinture & de Sculpture . Chez Jombert ,
rue Dauphine 175 5. Un volume in- 12 . Prix
3 livres .
( ( i ) Jena 1674.
JUIN. 1755. 92EQUE
LA
Perfonne ne pouvoit mieux traiter lanatiere.
M. Rouquet parle en auteur inftruit ,
par trente ans de féjour à Londres . Il erit
fur la peinture en artifte éclairé , & fur
les
autres arts en homme d'efprit qui s'y connoît
. Son ftyle eft plus varié que correct ;
tantôt c'eft un poëte qui prend l'effor , &
qui peint les objets des couleurs les plus
brillantes ; tantôt c'eft un philofophe qui
approfondit , & qui fait une jufte analyſe
des chofes : quelques exemples prouveront
l'un & l'autre . Rien n'eft plus poëtique que
cette defcription qu'il fait de la vûe. » De
tous les organes de nos fens l'oeil eft
fans doute le plus occupé ; rien n'égale
l'activité de nos regards , la fréquence &
» l'affiduité de leur application ; ils cher-
» chent fans ceffe avec une avidité infa-
» tiable de nouveaux objets : dès que le
» fommeil laiffe à nos paupieres la liberté
» de s'ouvrir , nous courons à la lumiere ,
» nous préfentons nos yeux avec empreffe
> ment aux réflexions d'un nombre infini
de formes & de couleurs ; & pour éten-
» dre davantage le fpectacle , nous ache-
" tons , au prix de cent incommodités
» le plaifir d'habiter des lieux élevés. Ce
fpectacle n'eft jamais affez vaſte , affez
» varié ni affez brillant , quand même il
» n'auroit de bornes que ces montagnes ,
»
»
E ij
Too MERCURE DE FRANCE,
"
que leur éloignement peint d'azur fur
» ces beaux fonds de pourpre & d'or , dont
» la naiſſance & la fin du jour décorent
quelquefois l'horizon .
Il redouble d'enthoufiafme par cette
apoftrophe qui rend fi bien l'éclat des bougies.
85
"» Induftrieufe abeille , nous vous de-
>> vons ces lumieres agréables & nombreufes
qui vont fuccéder à celles du jour ,
» En vain la nuit vouloit dérober à nos yeux
» la fcene brillante dont ils jouiffoient ;
» ils voient , ils jouiffent encore : les Gaf-
» pard , les Claude auroient ils trouvé le
» fecret de fixer quelques rayons du foleil?
» Par quel charme vois- je encore le ciel ,
» les eaux , les campagnes riantes ? Quel
art perpétue ici dans le fein de l'épaiffe
nuit les fêtes , les délices des plus beaux
jours ?
و د
Voilà l'écart d'une belle ode en profe. Je
vais citer maintenant des traits qui montreront
que l'auteur examine en fage , qu'il
fuit l'amour du vrai , & qu'il juge avec
cette liberté qu'il a puifée dans le commerce
des Anglois , & qui n'eft pas la moins
précieufe des acquifitions qu'il a faites chéz
eux il ufe du droit qu'elle donne pour
nous détromper fur leur compte. Par
tout , dit-il , ou le commerce Aleurit ,
JUIN. 1755. 101
"
"
les richeffes font une des principales diftinctions
, & les arts n'étant pas la voie
» commune des richeffes, y font par confé-
"quent moins diftingués. C'eft ici le lieu
» d'affûrer , malgré tout ce qu'on a débité,
» que les arts ne font point en Angleterre
» l'objet de l'attention publique ; il n'y a
point d'inftitution en leur faveur , ni de
» la part de la Couronne en particulier , ni
» de celle du Gouvernement en général .
» Je ne fçai même fi la conftitution de
» l'Etat ne rendroit pas infructueux le def-
» fein que l'on auroit pû avoir d'exciter
l'émulation dans les arts par des penfions
» ou autrement. Aucun pofte lucratif ne
» s'accorde en Angleterre que dans la vûe
» directe ou indirecte d'acquerir ou de
conferver la pluralité des fuffrages dans
les élections parlementaires. Suivant cet-
» te économic miniftériale , fage & prudente
dans fon principe , un artiste à
grands talens , fans aucun droit de fuffrage
, cu fans protecteurs qui en euffent,
» n'auroit jamais rien obtenu . Les Anglois
» s'amufent beaucoup des arts , fans trop
» confidérer l'artifte. Il n'y a qu'un Pein-
» tre en Angleterre qui ait penfion , &
qu'on appelle le Peintre du Roi , il l'eft
par brevet , avec un falaire de cinq mille
livres.
2
D
"3
"
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
On voit par là que fi les arts font cultivés
à Londres , ils y font moins honorés
& moins récompenfés qu'en France .
» Il eft vrai , ajoûte- il , qu'on a décoré
quelquefois les artiftes du titre de Che- .
» valier.
99
Ils obtiennent ici la même diftinction ,
& plufieurs y font parés du cordon de Saint
Michel.
» Dans toutes les députations que
la
» ville fait au Roi , pourſuit M. Rouquet ,
il fe trouve toujours quelque Echevin
» qui veut être fait Chevalier ; on a foin
d'en informer Sa Majefté , qui le touche
» de fon épée . On prétend que les Eche-
» vins qui demandent cet honneur , le font
» ordinairement pour fatisfaire l'ambition
» de leurs femmes , elles en acquierent le
nom de Lady : tous ceux qui l'approchent
, fes enfans , fon mari même ne lui
parlent plus alors qu'à la troifieme per-
→ fonne ; elle en va plus fouvent au ſpectacle
, pour avoir le plaifir d'entendre
» demander à perte d'haleine , l'équipage
» & les gens de Lady ***.
Ce font là , trait pour trait , les Bourgeoifes
de qualité de Dancourt . Ce qui
prouve que les ridicules anglois fe rapprochent
des nôtres , ainfi que les ufages. A
quelques nuances près les hommes font
JUIN. 1755.. 103
par -tout les mêmes , malgré la différen
ce des climats , & la diverfité des caracteres.
La peinture eft l'art fur lequel l'auteur
s'étend le plus ; elle contient plus de la
moitié de fon livre . La fculpture , la gravûre
, l'imprimerie , l'orfevrerie , la bijouterie
, l'architecture , la déclamation &
la mufique en rempliffent fuccintement les
autres pages. Il y joint la médecine exercée
agréablement par des Docteurs en épée ,
qui font fouvent Poëtes ou Muficiens , ( les
nôtres leur reffemblent quelquefois ) il
fait mention en même tems de la Chirurgie
, pratiquée plus férieufement par des
hommes qui s'y livrent fans diftraction ; il
met auffi au rang des arts celui de préparer
les alimens , qu'il décrit ainfi left
un art , lefeul qui ait le droit de prétendre à
réunir l'agrément à l'utilité la plus indifpenfable
; mais cet art né dans la fervitude , où
il fe trouve encore malgré fon extrême importance
, eft un art ignoble , & on fera peut-être
révolté de lui voir tenir ici une place parmi
les arts. C'eft à la fin de cet article que M.
Rouquet nous avoue avec cette agréable
franchife dont il fait profeffion , qu'il
n'aime pas ce que nous appellons vulgairement
la foupe & le bouilli . Il exprime fon
dégoût dans des termes qui méritent d'être
E iv
104 MERCURE DE FRANCE .
retenus les voici ; je finirai par eux le
précis de fon ouvrage.
» On obſerve déja avec la plus ridicule
» affectation l'ordre des fervices. On fert
>> même fouvent cette décoction tant van-
» tée ailleurs , qui fait par- tout le premier
» mets , & de laquelle les Anglois rioient
depuis fi long-tems ; on en fert même
» auffi la tête morte. Il eft vrai que ce n'eft
point encore l'ufage en Angleterre d'en
féparer entierement par une cuiffon opiniâtre
tout ce qu'elle pouvoit contenir
» de fubftance alimentaire.
93
»
LES FAUX PAS , ou les Mémoires
vrais ou vraisemblables de la Baronne ***
traduits de l'original Bas- breton ; deux
parties. Chez Duchefne , rue S. Jacques ,
au Temple du Goût. 1755 .
Le titre eft juftifié par le Roman . La Baronne
*** ou la Rofen , doit le jour à un
faux pas. Sa mere fut féduite par un petit
Souverain d'Allemagne ; notre héroïne fut
le fruit de cette foibleffe . Son éducation
fut encore un faux pas , qui forma la chaîne
de plufieurs autres. Abandonnée de fes
parens dès fon enfance , & confiée à des
mains étrangeres , elle fut miſe dans un
couvent dont la Supérieure l'inftruifit la
premiere à broncher . Elle eſt enlevée de
JUIN. 1755 . 105
ce cloître par une méprife : nouvelle occafion
de faux pas , qu'elle veut mettre à
profit ; mais Duréal , fon raviffeur , defefperé
de s'être trompé , a la modeftie de ne
pas s'y prêter , & montre toute la pudeur
qu'elle eût dû faire paroître. Ils couchent
tous les foirs dans la même chambre avec
une fageffe édifiante , dont le Cavalier a
toute la gloire , & la Demoiſelle tout le regret.
Il la laiffe un beau matin pour courir
après Mlle Bafin qu'il adore ; il la trouve
mariée , revient fe confoler auprès de Mlle
Rofen , & parvient enfin à l'aimer par dépit.
Elle bronche de plus belle ; mais il la
quitte une feconde fois pour aller recueillir
une fucceffion . Dans le defoeuvrement
où elle fe trouve , elle fe lie avec une jeune
perfonne appellée Lolote , qui fous un
air honnête l'engage dans une partie qui
ne l'étoit pas. Elle dément dans cette occafion
fon éducation & fon caractere ; elle
a fait des faux pas au couvent , où tout
doit en garantir , & dans une promenade
arrangée pour en faire , elle marche droit
contre toute apparence. Elle a heureufement
à faire à M. Meffin , Financier , auffi
diftingué par fes fentimens que par fes richelles
; car dans nos Romans nouveaux
on n'en voit plus que de ceux-là . Ce galant
homme édifié de la réfiftance , fe prend
Ev
T06 MERCURE DE FRANCE.
pour elle d'une tendre eftime , & la conble
de bienfaits fans en exiger de falaire .
Turreville , fon neveu , en devient auſſi
amoureux ; mais quoiqu'elle le trouve aimable
, elle fe dérobe à fes pourfuites , &
fe rend à Paris où elle cherche inutilement
Duréal , dont le fouvenir lui eft toujours
cher.
Dans cette circonftance Riza-beg , Ambaffadeur
de Perfe , arrive à Paris , voit
Mlle Rofen , l'adore , & lui donne le mouchoir.
C'eft ici où l'hiftoire eft adroitement
fondue dans le Roman. Notre héroïne enchaîne
fi bien Riza- beg à fon char qu'il
l'époufe fecrettement , & répare par ce
noeud fingulier le faux pas qu'elle a fait
en fa faveur. Mme Riza-beg part avec fon
mari , accouche à Dantzick d'un gros Perfan
, & rencontre une bande de voleurs
qui l'enlevent avec le bagage , & laiffent
Riza- beg dépouillé , maître du champ de
bataille avec l'enfant & la nourrice. Prête
à faire avec fes raviffeurs , qui fe la difputent
, le plus terrible faux pas qu'elle eût
fait en fa vie , elle eft arrêtée avec eux.
Ils font exécutés ; elle obtient fa liberté ,
& la Juftice de Brandebourg , qui devroit
fervir de modele à toutes les autres , lui
reftitue tous les effets que ces fcélerats .
avoient volés à Riza-beg fon mari . La fille
JUIN . 1755. 107
du Geolier vient la joindre dans le vaiffeau
qui doit la porter en Afie , & la prie de
vouloir bien l'y faire recevoir avec un
jeune homme dont elle a rompu les fers.
Il fe trouve que c'eft Duréal lui - même ,
ils fe reconnoiffent ; & après s'être juftifiés
l'un & l'autre , leur flamme fe rallume ; la
fille du Geolier defefpérée de s'être jettée
dans les bras de fa rivale , fe précipite
dans la mer. Duréal frappé de cette mort
tragique difparoît à la premiere occafion
& quitte fa maîtreffe pour la troifieme fois .
Celle-ci retrouve fon fils , qui la confole
de cette perte ; mais elle apprend en même
tems qu'elle eft veuve , & que Rizabeg
a été étranglé par ordre du Sophi . Elle
revient fur fes pas , & s'arrête à Drefde
où elle fait la conquête du Prince de ....
Elle trouve fon pere dans cet amant , qui
la reconnoît pour fa fille , la fait légitimer,
& obtient pour elle de la Cour de Vienne
le titre de Baronne ; il lui permet de retourner
en France . Elle retrouve Duréal à
deux lieues de Strafbourg , & s'écrie avec
raifon en le voyant : eh ! d'où fortez- vous ?
on ne trouve que vous dans les chemins,
Pour fe juftifier , il lui conte fon hiftoire
que je fupprime ; ils fe pardonnent mutuellement
leurs écarts : elle donne la main à
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
Duréal , & l'hymen pour le coup termine
tous fes faux pas.
Ce Roman eft de M. Rouffeau de Touloufe
; il eft écrit vivement : la premiere
partie fur-tout fe fait lire avec plaifir ; il y
a du ftyle , des portraits , des faillies . Comme
il a du feu & un talent facile , je lui
confeille de les employer à traiter le Roman
dans l'intérêt , & de l'affervir toujours
aux régles de la décence . Nos Romanciens
qu'il a trop fuivi , ont dénaturé le
genre ; la meilleure de leurs productions
eft plutôt un recueil de réflexions détachées
qu'un récit d'aventures fuivies.
Comme les incidens ne font que le prétexte
, on y trouve plus d'efprit que de
conduite , plus de coloris que de deffein ,
plus de détails que d'enſemble , & plus de
propos que d'action . Pour comble de maladreffe
le fond en est toujours libre fans.
être amuſant ; il ennuie aux dépens des
moeurs , & le vice y paroît auffi froid que
la vertu.
MÉDECINE EXPÉRIMENTALE,
ou Réſultat de nouvelles obfervations - pratiques
& anatomiques , premiere partie.
A Paris , chez Duchefne , Libraire , rue
S. Jacques , au Temple du Goût. 1755.
Cet ouvrage n'eft pas moins intéreffant
JUIN. 1755. 109
par la forme que par le fond. L'auteur a
dépouillé la Médecine de ces termes barbares
, qui effraient autant un lecteur que
les maladies qu'ils expriment 5 il la fait
parler un langage clair & précis, qui la met
à la portée de tout le monde . On lit fon
premier volume comme un ouvrage de
pur agrément. Ce que je trouve de plus
eftimable dans cet Ecrivain , c'est qu'on
voit qu'il n'a voulu rendre fon livre élégant
que pour le rendre plus utile , &
qu'un zéle éclairé l'a produit d'après les
obfervations pour le bien de l'humanité :
c'eft dans ce fens qu'il eft beau d'être
philantrope. Travailler à prolonger la vie
des hommes , ou à la rendre moins douloureuſe
, voilà la vraie philofophie réduire
en pratique . Hypocrate à mes yeux mérite
mieux le nom de fage que Bias ou
Thalés . M. T ...... eft d'autant plus digne
de ce titre , qu'il exerce la fcience
de guérir les hommes fans intérêt ; le
feul qui l'anime eft la perfection de l'art
relativement à leur bien -être. Son traité
eft divifé en trois parties. Dans la premiere
qui paroît , il offre fes réflexions
fur les befoins de la Médecine , fur le danger
des fyftêmes , & fur la néceffité de l'obfervation
; il montre en même tems la
route particuliere qu'il a fuivie pour ob110
MERCURE DE FRANCE.
ferver , & donne enfuite le précis de quel-,
ques confidérations fur les maladies en
général , fur les maladies aiguës , fur les
maladies chroniques , fur l'air & fur les
alimens.
L'auteur prouve les befoins de l'art par
l'état actuel des hommes , quant à leur
multiplication & à leur conftitution . 1 ° .
C'eſt un fait conftaté , dit l'auteur , que
dans les deux premieres années de la vie
le tiers de l'humanité eft moiffonné , & il
paroît que cette proportion n'a pas toujours
eu lieu fi l'on a égard aux caufes qui
fomentent actuellement cette perte prématurée.
2 ° . L'abus qu'on fait des denrées
qu'on tire des Indes depuis leur découverte,
& l'excès qu'on fait des liqueurs fpiritueu
fes depuis l'introduction de l'eau-de - vie ,
font périr un vingt-huitieme des hommes.
3°. Les progrès lents ou rapides de ce mal ,
aujourd'hui fi répandu que la plus honnête,
femme n'en eft pas à l'abri , & qui n'eft connu
parmi nous que depuis deux cens foixante
ans environ, autorifent à croire qu'au
moins un autre vingt-huitieme des hommes
périt par ce poifon. 4°. L'apprêt pernicieux
des alimens qu'il dénature , l'irrégularité
des faifons & celle des moeurs , font un
nouveau ravage. Comme on fe livre avant
le tems au plaifir , on eft vieillard de
JUIN. 1755. 111
">
bonne heure , & la mort eft précoce .
» Les maladies , dit éloquemment M.
» T ... fe multiplient , & fe reproduifent
» à vue d'oeil. Celles qui étoient ou paf-
» foient pour fimples , deviennent fouvent
compliquées ; elles ne vont plus le front
» levé comme autrefois , elles empruntent
>> le mafque , elles jouent le Prothée , elles
» nous donnent le change , elles nous éga-
» rent ; les fymptômes en font plus fourds,
& par là plus aggravans : ainfi les hommes
» déja affoiblis par l'organiſation , font
» encore minés dans l'état de fanté même
» par les caufes qui peuvent fomenter cette
foibleffe , c'eft- à- dire que l'attaque, eft
» devenue beaucoup plus violente , & la dé-
» fenfe beaucoup plus difficile. ... Un coup
» de vent , ajoûte- t - il , abbat quelquefois
» tout-à- coup une partie des fruirs d'un
» verger , c'eft le fléau qui moiffonne. Une
» année humide & pluvieufe en fait tom-
» ber
peu-à -peu encore un plus grand nom-
» bre avant leur maturité , c'eſt le dépé-
» riffement en détail. Telle eſt malheureufement
notre pofition préſente vis- à- vis
» des fiécles reculés.
C'est-à-dire qu'il meurt aujourd'hui plus
d'hommes par ces maux compliqués & fecrets
qui minent leurs jours , qu'il n'en mouroit
autrefois par la guerre alors plus meur112
MERCURE DE FRANCE.
triere , & par la pefte plus fréquente & plus
générale , qui moiffonnoient prefque tout
d'un coup des provinces entieres . M. T ....
prouve par là la néceffité d'avoir recours à
une fûre méthode , pour obvier autant qu'il
dépend de nous au danger de tant de maladies
qui étoient inconnues à nos peres. Y
peut- on parvenir par les fyftêmes ? il fait
voir qu'ils font la plus mauvaiſe voie .
·
» On ne trouve , dit-il , dans nos fyftê-
»mes que des notions flottantes , des in-
» certitudes continuelles , la théorie allant
>> fouvent d'un côté , & la pratique de
» l'autre .... Ouvrez les faftes littéraires
» de l'art , lifez l'hiftoire de la Médecine
» de le Clerc , de Fieund , de Schultz , &c.
» ou pour mieux dire , contentez - vous de
» lire l'hiſtoire des opinions des Philofo-
>> phes , vous y trouverez en même tems
» celle des opinions des Médecins . Combien
de fois n'ont-ils pas adopté comme
principes facrés de l'art tout ce qu'il a
plû à l'imagination échauffée d'un philofophe
d'ériger en fyftême ? ... Que cet
affemblage fait un coup d'oeil humiliant
» pour l'efprit & pour la raifon ! il s'agit
» pourtant de la chofe la plus effentielle &
la plus intéreffante pour les hommes , il
» s'agit de leur confervation .
2
»
"
On ne peut trouver dans les principes
JUIN. 1755. 113
gratuits de théorie des fecours proportionnés
aux dégrés des maux qui les exigent
, ce n'eft que dans l'obfervation fcrupuleufe
des phénomenes fucceffifs des maladies
: dans l'analogie pratique , entre les
fymptômes qui s'offrent , & ceux qui ont
frappé ailleurs ; ce qui fert à établir la néceffité
de cette même obfervation.
:
2
Elle a été le berceau & l'école de la Médecine
; ce n'eft que depuis qu'on s'eft remis
à obferver qu'on a vu l'art s'élever au
point où il est aujourd'hui. Les premiers
Médecins affidus au lit des malades , ne le
quittoient que pour mettre par écrit l'hif
toire des phénomenes , du cours , de l'heureux
& funefte événement des maladies ,
de l'application des remedes & de leurs.
effets interprêtes de la nature , la vérité
s'exprimoit par leur bouche ; ce n'eft plus
qu'aux dépens de cette même vérité qu'ils
n'ont plus été imités . Si l'on s'étoit tenu
au plan fage que nous avoient tracé Hyppocrate
, Galien , &c. nous n'aurions plus
de
regrets fur le paffé , plus de plaintes fur
le préfent , moins de fouhaits à former ſur
l'avenir ce font les expreffions de l'Auteur
, que je copie toujours exactement ,
perfuadé qu'on ne peut pas mieux dire .
Il s'eft preferit pour régles , 1 °. de ne point
répéter ce qui a été dit par d'autres . 2 ° .
114 MERCURE DE FRANCE.
De ne point affigner des principes gra
tuits , dont on veuille enfuite tirer des
conféquences arbitraires . 3 ° . De ne point
confondre les caufes avec leurs effets. 4°.
De n'avancer aucun fait qu'à l'appui d'une
expérience immuable. 5. D'avoir attention
qu'en produifant quelque chofe de
nouveau , tous les phénomenes quelconques
puiffent reffortir aux caufes & aux
raifons données , & réciproquement .
Quelle opinion ne doit - on pas avoir
d'un livre affervi à des loix fifages ! Quelle
eftime & quelle confiance ne doit pas inf
pirer l'auteur qui porte la bonne foi juf
qu'à faire ce rare & modefte aven ! La
plupart des obfervateurs , dit - il , ne s'annoncent
que par leurs fuccès , & moi je n'ai
prefque que des regrets à former fur la perte
de ceux qui ont donné lieu à ces obfervations ;
mais en perdant les uns j'ai appris à fauver
les autres , & je réferve la méthode & le détail
de mes cures pour un autre ouvrage.
Les bornes d'un extrait ne me permettent
pas de m'étendre fur le refte de cette premiere
partie je renvoie le lecteur à l'ouvrage
même, qui mérite fi bien d'être acheté
& d'être lû. Les deux autres parties qui
n'ont pas encore vû le jour , font un recueil
des obfervations fondées la plupart
fur les découvertes qui y ont donné lieu .
JUIN. 1755. 115
NOUVEAUX GLOBES céleftes &
terreftres , de neuf pouces de diametre ;
par M. Robert de Vaugondy , Géographe
ordinaire du Roi.
Ces globes font la réduction des grands
que l'auteur a faits il y a trois ans , par
ordre du Roi ; ils font deftinés principalement
pour l'inftruction de la jeuneffe . Le
célefte fur-tout eft compofé de façon à
pouvoir faire connoître avec une grande
Facilité les étoiles , par le fecours d'aligne
mens qui joignent les étoiles les unes aux
autres , & qui forment dans les conftellations
des triangles & des quadrilateres ,
figures très - connues & bien plus réelles
que celles d'hommes & d'animaux que les
anciens & les modernes ont imaginées. Il
ne s'agit que d'orienter & de difpofer le
globe pour un jour & une heure propofée ,
pour avoir par ce globe l'état actuel du
ciel ; pour lors en confidérant ce globe , &
rapportant au ciel ces figures de triangles
& de quadrilateres , l'on vient aifément à
connoître la grandeur & la pofition de ces
étoiles. Un Seigneur , autant recommendable
par fes lumieres que par fon illuftre
naillance , a bien voulu communiquer
cette idée nouvelle à l'auteur , qui l'a exécutée
, en faisant imprimer le globe célefte
en deux couleurs ; fçavoir , en noir
116 MERCURE DE FRANCE.
pour les étoiles & les figures ordinaires des
conftellations , & en rouge pour les alignemens.
L'on ne doute point que le public
n'applaudiffe à une invention fi fimple
& fi avantageufe.
Ces globes , comme ceux de dix - huit
pouces , fe vendent à Paris , chez le fieur
Robert , Géographe ordinaire du Roi , quai
de l'Horloge du Palais , proche le Pont
neuf.
MES LOISIRS . A Paris , chez Defaint
& Saillant , rue S. Jean de Beauvais ; &
Vincent , rue S. Severin.
Cet ouvrage eſtimable eſt dédié à M. le
Comte d'Argenfon. M. le Chevalier d'Arc
en eft l'auteur : on peut dire fans flaterie
que fes loifirs font bien employés ; ils font
honneur à fon coeur autant qu'à fon efprit ,
& refpirent la vérité & la décence qu'il a
pris pour épigraphe * . On y lit d'abord une
préface auffi courte que modefte : elle eft
fuivie d'un difcours préliminaire , où l'auteur
dit avec raifon que juger des chofes
fur leurs furfaces , c'eſt en mal juger ; que
pour bien juger , il faut connoître ; qu'on
ne peut bien connoître que par le moyen
* Quid verum atque decens curo & rogo, &
omnis in hocfum. Hor. ep. lib. I. ep. I.
JUIN. 1755. 117
de l'analyfe ; qu'elle eft peut -être plus néceffaire
dans le monde que dans le cabinet
, & qu'elle y eft auffi fouvent employée
par ceux-même qui font le plus effarouchés
du mot. Parmi plufieurs exemples qu'il
cite , je me renfermerai dans un feul ; il
fuffira pour juftifier fon fentiment. Une
jolie femme , dit -il , à fa toilette analyſe
fes traits , cherche les rapports que les ornemens
étrangers peuvent avoir avec fa
figure , & ne fe détermine à placer telle
fleur ou telle mouche qu'après l'examen
le plus fcrupuleux de l'effet qu'elle doit
produire.
Pour moi je n'ai pas cru pouvoir faire
une meilleure analyfe de fon livre que
d'en extraire quelques- unes des réflexions
qui le compofent. Comme elles font détachées
& rangées par ordre alphabétique ,
je n'ai eu que la peine du choix : il eft
vrai que je l'ai trouvé d'autant plus difficile
, que ces réflexions m'ont prefque toutes
parues d'une égale bonté : celles que je
préſente ici au hazard , feront voir que
l'auteur penfe auffi - bien qu'il écrit . Sa
philofophie eft vraie ; elle eft puifée dans
l'ufage du monde , ce n'eft que là qu'il faut
l'étudier , & qu'on peut apprendre à la
mettre en pratique.
» L'accueil que les grands Seigneurs
118 MERCURE DE FRANCE.
» font aux grands hommes , eft un effort
» de l'orgueil , qui cherche à s'élever jufqu'au
mérite en le careffant . "
» Les plaifirs forment des liaiſons ,
» l'ambition produit des intrigues , les
» goûts ou l'intérêt arrangent des fociétés ;
» la vertu feule affortit & refferre les
» noeuds de l'amitié.
"
» Nous cherchons à découvrir le bon-
» heur , comme un Aftronome cherche à
decouvrir une étoile . Imbécilles que nous
» ſommes , baiſſons les yeux ; il eſt à nos
>> pieds , & nous paffons deffus fans daigner
», le regarder.
"
» Le bonheur & le repos réfultent l'un
» de l'autre , & ne font
ainfi dire ,
, pour
qu'une même choſe ; mais il ne faut pas
» confondre le repos avec l'inaction . Le
» répos de l'ame eft dans un mouvement
régulier ,, que rien ne fufpend , que rien
»> ne précipite.
"
L'émulation eft extraite de l'envie ,
» comme certains remedes font extraits de
quelques poifons ; l'utilité de fes effets
nous ferme les yeux fur fon principe.
33
"
» Les efprits ont , pour ainfi dire , leur
temperamment comme les corps , & tout
auffi difficile à connoître ; c'eſt ce qui
» fait que le même raifonnement porte la
» vérité dans celui- ci , l'incertitude dans
J.UIN . 1755. 119
> » celui là , l'erreur dans un autre comme
fait un remede qui agit bien , qui agit
mal , ou n'agit point du tout , felon la
» différence des corps à qui on les donne.
» Le prétendu efprit fort n'eft rien moins
qu'un efprit nerveux ; c'eft une yvreffe
» dont l'afpect de la mort rabat les fumées
alors on fe trouve affoibli de tout :
» ce qu'on avoit montré de forces .
» Ces efprits forts font comme les gens
" yvres , qui veulent toujours faire boire
» les autres.
» La flaterie eſt une mine que creufe le
» vice pour faire écrouler la vertu.
Qui fe livre à des occupations frivo-
» les , devient incapable de grands deffeins.
» Rarement le fiécle de la frivolité eft- il le
» fiécle des grands hommes . » Il est vrai
qu'il ne forme communément que le joli homme
, ou tout au plus l'homme aimable.
" La marche du génie eft comme celle
d'un corps élastique ; le moment où il fe
ralentit touche au moment où il s'arrête.
»Il feroit plus fûr de voir les hommes
tels qu'ils font ; il eft plus agréable de
» les voir tels qu'ils veulent paroître.
" Les gens médiocres copient fervile-
» ment ; les efprits fupérieurs commencent
»par imiter , & finiffent par fervir de mo
» dele.
120 MERCURE DE FRANCE.
» Peut-être qu'un importun s'importu-
» ne lui- même , & qu'il ne cherche quelqu'un
que pour fe “ fuir.
ور
» Il faut être né bien heureufement pour
» être philofophe fans avoir été malheu-
>> redx .
""
Lorfque les larmes font l'expreffion
de la tendreffe , elles font à l'amour ce
» que les pluies font aux fleurs ; elles le
» nourriffent , elles le raniment.
و ر »L'adverfitécommenceparaigrirleca-
» ractere , & finit par le brifer ; elle corri-
» ge l'exceffive vanité de quelques gens ,
» & les ramene , pour ainfi dire , à leur
» place ; mais elle rend quelquefois trop
humbles ceux que la profpérité avoit
» rendu trop vains .
M. le Chevalier d'Arc couronne fes réflexions
par l'apologie du genre
humain.
Son bon efprit lui fait voir les hommes
par leur bon côté ; n'eft-ce pas le plus fage
parti , ou le meilleur fyftême ?
TOME SECOND du nouveau Traité
de Diplomatique in- 4 ° . Par deux Religieux
Bénédictins , de la Congrégation de Saint
Maur . A Paris , chez Guillaume Desprez ,
Imprimeur du Roi & du Clergé de France,
1755.
On s'appercevra aifément que les auteurs
ི JUIN. ⠀ 1755 1 121
1 2 1
teurs du nouveau traité de Diplomatique
enchériffent de beaucoup fur les promelles
qu'ils ont faites dans leur Prospectus Le fe->
cond volume qui paroît aujourd'hui , eft:
une: augmentation très intéreffante , fur
laquelle ils n'avoient point prévenu le public
. Le fujet qu'on y traite à fond eſt extraordinaire
& nouveau. Perfonne n'avoit
encore entrepris de fixer la figure , l'âge ,
la nomenclature , la patrie , la defcendanla
fortune & les métamorphofes des
vingt - trois lettres de l'alphabet latin dans
les infcriptions lapidaires & métalliques
les manufcrits & les diplomes de tous les
fiécles. Nul auteur n'avoit pris la peine
de dreffer fur ces anciens monumens des
alphabets généraux de toutes les écritures
Lomaines & nationales qui ont eu cours
chez les Latins pendant près de trois mille
ans. On n'avoit point encore réduit en
fyftême les écritures antiques pour en former
un art lapidaire & métallique , au
moyen duquel on pût déterminer l'âge des
infcriptions , & difcerner les fuppofées des
véritables. Ces objets avec plufieurs autres
également importans , font la matiere de
ce fecond tome. Dans le plan des auteurs
toutes les écritures latines font réduites
à trois claffes , fçavoit , les écritures des
marbres , des bronzes & des autres matie
I. Vol. F
122 : MERCURE DE FRANCE.
で
res dures ; les écritures des manufcrits, des
puis le IV fécle ; & celles des diplomes ,
depuis le V Les deux dernieres claffes ,
avec leurs dépendances & la matiere des
fceaux , feront traitées dans le troifieme
volume. Le grand nombre de planches
qu'il faut arranger fyftematiquement , &
graver , & le travail immenfe qu'exige né
ceffairement l'entreprife , invitent le public
à ne pas s'impatienter. Si on le fait at
tendre , ce n'eft affurément que pour le
mieux fervir. Les quatrieme & cinquieme
volumes fuivront de près le troifieme ; cependant
pour compenfer en quelque fortei
le defagrément des délais , quoiqu'invo
lontaires , l'Imprimeur-Libraire délivre le
fecond tome aux Soufcripteurs fans exiger
la fomme ftipulée en foufcrivant ; il s'en
gage même à leur donner les tomes fuivans
au prix de la foufcription , quoiqu'il
y perde confidérablement , les frais de
l'impreffion , des caracteres extraordinai
res , & des planches étant beaucoup plus
confidérables qu'il n'avoit penfé lorsqu'il
prit des engagemens avec le public.
REFUTATION de deux Ecrits publiés
en faveur de M. de Torrès , fous les noms
de MM. Carboneil & Bertrand , fe difant
Docteurs en Médecine avec une Replique
1
JUIN. 17556 123
aú Sr Mollée , Chymifte. Par M. Dibon ,
Chirurgien ordinaire du Roi dans la Compagnie
des Cent- Suiffes de la Garde de Sa
Majefté. A Paris , chez Delaguette , Im
primeur du College & de l'Académie roya
le de Chirurgie , rue S. Jacques, à l'Olivier,
1755. Brochure in- 4° . de 56 pages .
Nous nous abftiendrons toujours de
prendre part aux différens dont nous ferons
quelquefois obligés de rendre compte 3
pous nous contenterons d'annoncer les
écrits refpectifs foumis à notre rapport ,
fans acception de perfonnes , fans nous
paffionner pour aucun des contendans
quels qu'ils foient, ni marquer la moindre
partialité.
C'eſt par un effet de cette juftice & de
ce defintéreffement que nous annonçons
l'écrit en queftion . Nous l'avons lû , parce
qu'il nous a paru mériter la peine d'être
lu , & qu'il intéreffe trop le public pour
nous être indifférent. On y trouvera , des
faits graves que nous laiffons examiner à
ceux qui s'occupent de ces matieres , &
qui font plus à portée que nous de démêfer
la vérité. Il y en a même de curieux
qu'on ne lira point fans intérêt , ni peutêtre
encore fans fruit ; telle est une cure
auffi furprenante par fa qualité que par
promptitude , d'un particulier de Lyon : co
fa
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
malade après avoir paffé fans fuccès entre
les mains de plufieurs Praticiens habiles
fut jugé par le célèbre M. Fizes , Médecin
de Montpellier , dans le cas de ne pouvoir
être guéri que par un traitement méthodique
qui auroit duré près d'un an , &
dont M. Dibon a réduit le terme à moins
de deux mois. Une preuve de cette force
eft bien décifive ; mais c'eft aux maîtres de
l'art à la conftater , & nous nous en rapportons
à leur jugement , ainfi qu'à celui
du public.
PINOLET, ou l'Aveugle parvenu , ouvrage
annoncé dans le Mercure d'Avril : fe
vend chez Jorry , aux Cicognes , quai des
Auguftins , près le pont S. Michel,
PIECES FUGITIVES extraites des OEuvres
mêlées de M *** ·
Les deux morceaux de profe qui commencent
ces pieces , m'ont paru mériter
l'approbation du public. Le premier , tel
qu'il eft à préfent , & qui a pour titre l'O
rigine des Guebres , offre une hiftoire in
génieufe de Zoroaftre ; il a fur- tout le mé
rite d'être bien écrit.
' L'hiftoire d'Euphranor qui compofe le
fecond morceau , a le double avantage d'e-
'tre courte & intereffante ; les remords qui
accompagnent l'infidélité d'Euphranor ,
les
JAU IN. 1735 723
malheurs qui n'alterent point la vertu de
Barfine , fon époufe , & leur tendre réunion
occafionnée par leur fille unique
dont les charmes égalent la fageffe , forment
un tableau , & font un dénoument
qui attendrit jufqu'aux larmes. Il y a quel
ques jolis vers dans les poëfies diverfes
mais l'Auteur eft mieux appellé à la profe:
je crois qu'il fera fagement de s'y borner...
Le peu d'efpace qui me refte pour cette
partie , m'oblige de remettre au fecond
Mercure de ce mois , les extraits ou les
indications des autres livres nouveaux..
SÉANCE
PUBLIQUE
De l'Académie Françoife .
M. de Chateaubrun ayant été élû par
l'Académie Françoife à la place de M. le
Préfident de Montefquieu , y vint prendre
féance le lundi 5 Mai 1755. Le difcours
qu'il prononça reçut l'applaudiffement
unanime d'un public choifi , dont les fuffrages
avoient prévenu ceux de la Compagnie.
L'éloge de M. de Montefquieu étoit
réfervé à M. de Chateaubrun . Ce grand
homme pouvoit il rencontrer un meilleur
panégyrifte Il n'appartenoit qu'au vrai
talent de louer le génie. Ce que j'en vais
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
extraire ou tranfcrire , va le prouver.
33
"
» Ah ! Meffieurs , s'écrie M. de Cha
» teaubrun , quel reffouvenir vient me
frapper ! quel paffage rapide de la joie
à la trifteffe ! quelle foible compenfation
j'apporté ici pour foulager votre dou
leur ! quel nom eft prêt de m'échaper !
plus fa gloire vous eft chere , plus je
» m'en trouve accablé. Comment pourrois
»je fuffire à faire l'éloge de M. le Préfident
de Montefquieu ? Il faudroit , f
j'ofe ainfi parler , pouvoir mefurer fon
génie , & atteindre , comme il a fait, juf
» qu'aux extrêmités de l'ame humaine.
"
Dès fa jeuneffe , fon imagination , fi
noble , fi riante , fi féconde , ſe déploie.
Nouvel Amphion , au fon d'une lyre
» qu'Apollon même prend pour la fienne ,
» il éleve un temple enchanteur * ; les
*.
Graces fe hâtent d'en pofer les fonde-
» mens , leurs mains légeres lui préfentent
>> les matériaux de ce charmant édifice
» elles en ordonnent la fymmétrie ; elles
» l'embelliffent de peintures , où elles fe
> repréſentent par- tout , & reçoivent du
fentiment ce coloris immortel , dont le
feul fentiment poffede le fecret.
La fcène change. M. de Montefquieu
paroît dans ces climats , d'où la lumiere
Le Temple de Gnide,
JUIN 1755. $127
s'annonce à toute la nature. Quel est ce
» nouveau gente de correfpondances ? **
mais lui-même les couvre d'un voile &
les cache à mes regards. Je ne les reclame
point , Meffieurs la gloire de Ma de
Montefquieu peut faire des facrifices
fans s'appauvrir.
n
» Il marche à pas de géant dans la carriere
du génie , je le vois aux priſes ,
pout ainfi dire avec les maîtres dut
monde. Idemandes compte aux Ro-
» mains ** de leur aggrandiffement & de
» leur décadence. La fortune aveugle na
point d'autels aux yeux de cet examina-
»teur judicieux & févere. Chaque effet a
fon principe , & il fçait le trouver. al
analyſe les événemens : il décompofe le
»coeur de l'homme , qui n'a rien d'obfcur
pour lui Toutes les nations paffent
→fucceffivement devant lui . Il fe donne
» l'expérience de plufieurs ficcles , & s'ouvre
la route à un autre ouvrage plus admirable
encore. Vous me prévenez ,
Meffieurs , c'eft l'Esprit des Loix.
"
7
D'anciens Législateurs crurent avoir
"pourvu au bonheur de leurs conci-
Les Lettres Perfannes.
** Confidérations fur les caufes de la grandetg
des Romains & de leur décadence.
Fiiij
128
MERCURE DE FRANCE.
toyens & même à celui de tous les hom
mes ; mais leurs loix dans l'exécution
devinrent un nouveau mal. Dracon don-
» na tout à la terreur , & ne fit que
» efclaves. Solon accorda tout à la liberté,
des
& ne produifit que l'anarchie. Lycurgue
ôta tout à la nature , & ne fit que
» malheureux. Les Romains établirent des
des
» loix pour étendre ou pour affurer leurs
» conquêtes , & non pour rendre les
hommes meilleurs. L'ouvrage de M.
de Montefquieu étoit néceffaire à l'hu
manité.
» Il laiffe au defpotifme d'Afie des principes
qu'il ne pourroit détruire fans
bouleverfer une partie de la terre ; mais
il l'environne d'écueils & de précipi
hances. b.diz du in
1
n
pr
C'eft à des
gouvernemens où l'empire
eft légitime , où l'obéiffance eft honorable
, où le bonheur des maîtres & des
fujets eft toujours en proportion de la
fidélité qu'ils apportent à remplir leurs
devoirs refpectifs ; c'eft à ces gouvernemens
que M. de Montefquieu a confacré
fes veilles & fon travail..
» Il a connu tous les mobiles qui déterminent
les hommes au bien & au mal.
Ila mefaré les dégrés de force que les
» paffions peuvent oppofer à l'éducation ,
و د
JUIN 1755 129
à l'honneur , à la vertu . Il a enchaîné les
paffions par les paffions même , quand
elles rompoient l'équilibre. Jamais les
» refforts du monde moral n'ont été com
» binés avec tant de juſteſſe , ni n'ont eu
» de directions fi certaines.
M. de Chateaubrun termine fon difcours
par ce trait qui acheve le portrait
de M. de Montefquieu . » Propre à faire
» les délices de la fociété dans laquelle il
» fe comptoit pour rien , fes vertus étoient
» finceres ; il étoit avec lui-même ce qu'il
»paroiffoit avec les autres. On ne lui a
point connu de défauts ; & ce qui com-
» ble ſon éloge , perfonne n'a defiré de lui
93
» en trouver.
M. l'Abbé d'Olivet , en qualité d'ancien
Directeur , répondit à M. de Chateaubrun ,
& fit fon éloge en ces termes.
» Avant de nous parler pour vous , le
>> public venoit de vous accorder , ne di-
» fons point de ces applaudiffemens qui
» ne font pas refufés quelquefois à un art
» impofteur , mais de ces larmes précieu-
» fes que la nature commande elle feule
» & qui honorent l'humanité . Vous avez
»puifé dans la fource intariffable du beau
» & du pathétique . Vous avez fait voir
» que deux mille ans n'ont rien changé
ni à l'efprit , ni au.coeur de l'homme .
Fav
130 MERCURE DE FRANCE.
כ » Andromaque , Iphigenie , les Troyen
nes , Philoctete , font les meilleurs ou
> vrages qu'on ait fait pour défendre les
anciens contre les modernes.
13.
.samtell sh 10902.20 PA
v I
C
FOM/JULI NA 1755
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES - LETTRES.
ALGEBRE.
Solution du problème propofe par M.G ...
dans le Mercure précédent. Par M. Bezout
, Maître de Mathématiques.
Oient x , y , z , les nombres d'hommes,
dont les premier , fecond & troifieme
détachemens étoient compofés.
Tout le monde connoît la méthode de
trouver un nombre qui , divifé fucceffivement
par deux nombres donnés , laiffe deux
reftes donnés, v
Ainfi on trouvera en fuivant les art.
323, & prenant rs, pour repréfenter
des nombres entiers, pofitifs , on
trouvera dis-je ,.• * — 12 r + 1 }
2= 35·5 + oloros
3
-35 johns no 23631 + $ 9
L'art. 4 donne 12 + 11 631
22 ou 122 1634 acid 9 F79
+48705... ( 1)
F vj
32 MERGURE DE FRANCE .
S. le premier détachement de- Par l'art.
Vient
122 +20
Le fecond détachement
... 35 + 7
Le troifième détachement ... 632 + 540
Donc & par les art . 6 & 7 , on aus
827
20:35:57
:: 140 : 61 ; d'où
+ ·
4 -7
165 = 700s ... (2 ).
Par les articles, 6 & 8 , on a
63 +54
3
>
183r
127 20
:: 70 : SI ; d'où Sir 490, t
+335 ... (3 ).
Si au moyen des équations ( 1 ) .. ( 2 ) ..
( 3 ) , on cherche les valeurs de r , s , t , on
trouvera r = 45 , 5 = 12 t= 4 : fubftituant'ces
valeurs dans les équations , x
= ur +11 , &c. on trouvera
...
x = 551
y = 431 ༡
Z = 311
›
Je ne crois pas qu'il foit néceffaire de
faire remarquer qu'il n'y a pas d'autres
hombres qui puiffent fatisfaire au problême.
On voit allez facilement que la queftion
fe réduit à déterminer r , s , t : or on
a pour cela trois équations différentes ,
donc le problême eft déterminé ; & comme
ces équations font toutes du premier dégré
, il ne peut avoir qu'unefolution.
1 paroît donc que les autres folutions
FOKMHUIN # 11985
propofées par l'Auteur du problème ne
peuvent avoir lieu , & doivent néceffairement
manquer à quelques- unes des conditions.
Au refte je ne finirai point fans
remarquer que l'article 7 auroit pû être
énoncé d'une façon plus exacte. Il eft vrai
que le c'est- à - dire qui lie les deux propofirenferme
cet article , fe trouve
juſte dans ce cas- ci , mais c'eft par hazard ,
& c'eft la découverte des nombres 551 ,
431 & 311 , qui a pû feule faire connoître
que ces propofitions étoient les mêmes.
tions que
>
Or dès que l'énoncé ne donne pas moyen
de connoître leur identité , on eft fondé à
les regarder comme deux conditions différentes
; mais alors le problême deviendroit
plus que déterminé , ce qui feroit bien
contraire aux idées de l'Auteur , qui a regardé
jufqu'ici le problême comme indéterminé.
Je crois donc qu'il fuffifoit &
étoit même néceffaire de n'énoncer que
l'une des deux.
A Paris , ce 5 Mai 1755.
Nota. En comparant les articles cités avec
ma folution , on doit à la page 93 du Mercure
précédent , lire fept au lieu de trois.
Comme l'Auteur m'a envoyé trop tard la
fuite de ce Probleme , elle ne pourra paroître
que dans le fecond Mercure de ce mois.
134 MERCURE DE FRANCE.
HISTOIRE.
REMARQUES fur la defcription du
Cap de Bonne- Efperante , dreffée fur les
Mémoires de Pierre Kolbe.
I nombre des relations des Voyageurs
L n'eft pas étonnant que le plus grand
foient remplies de defcriptions imparfaites
& de faits apocryphes. La plupart de
ceux qui les ont faites n'ont eu ni le
tems fuffifant , ni les facilités néceffaires
ni même affez de critique & de connoiffances
philofophiques pour faire quelque
chofe de complet & d'exact : mais il
eft bien fâcheux de voir mettre au nombre
des relations les plus fufpectes la defcrip
tion du Cap de Bonne- Efpérance qui a été
faite par un homme de Lettres , envoyé
exprès fur les lieux , & qui y a féjourné
pendant fept années enrietes. C'eft cependant
ce que l'intérêt de la vérité m'oblige
de faire aujourd'hui.
Feu M. le Baron de Krofick , Seigneur
fort zélé pour les fciences , avoit conçu le
deffein de procurer au public. un grand
nombre d'obſervations aftronomiques fort
intéreffantes , avec une hiftoire du Cap de
1
JUIN. 1755 138'
Bonne - Efpérance auffi parfaite qu'il eft
poffible. Pour cet effet il y fit paffer à fes
frais Pierre Kolbe , l'un de fes Secrétaires ,
qui s'étoit chargé d'y faire toutes les obfer
vations poffibles d'aftronomie , de phyſi❤
que & d'histoire naturelle. Il n'eft pas né
ceffaire de dire ici ce qui empêcha Kolbe
de travailler férieufement à remplir fes
engagemens. C'est un fait conftant parmi
tous ceux qui l'ont connu dans cette colo
nie , qu'il n'a fait aucune des démarches
néceffaires , ni amaffé des matériaux pour
faire la defcription qu'il a publiée après
fon retour en Europe. Un examen médiocrement
critique de cette defcription fuf
firoit pour en convaincre un lecteur attentif
& inftruit je n'aurois donc pas entre
pris de relever ici quelques- unes des fautes
groffieres dont elle eſt remplie , fi la plûpart
de ceux qui l'ont lue n'avoient été
féduits par un air d'ingénuité , qui faiſant
prendre pour de petites négligences les
endroits évidemment faux , infpire une
certaine confiance fur la certitude des chofes
fingulieres qu'on y trouve comme rapportées
par un témoin oculaire , & qui
d'ailleurs ne peuvent être vérifiées que fur
Weidler , dans fon hiftoire de l'Aftronomie
l'appelle Jean-Michel
+
136 MERCURE DE FRANCE.
les lieux. C'eft ainfi que plufieurs perfont
nes fenfées fe font laiffé furprendre , &
entr'autres les Auteurs de la Collection des
Voyages , quoiqu'ils fe foient facilement
apperçus que les cartes inférées dans le
livre de Kolbe ne s'accordoient pas avec
la defcription du pays , qu'on trouve dans
la même livre.
Bien loin d'avoir été étudier les Hottentots
chez eux , Kolbe n'a pas même voyagé
fuffifamment dans l'intérieur de la colonie
pour en faire une . defcription paffable.
Sans avoir recours au témoignage unanime
des anciens habitans , qui affurent que
tous les voyages de Kolbe fe font réduits
à aller quelquefois de la ville du Cap aux
Paroiffes de Stellenbosch & de Drakeſtein,
& une feule fois de la ville aux eaux minérales
, qui en font à 25 lieues du côté du
canton appellé Hottentot Holland ; il fuffic
de comparer les cartes topographiques
qu'il a données , avec celles que j'ai fait
graver pour les Mémoires dé l'Académie
des Sciences de 175i , & dont les principaux
points ont été affujettis à des opérations
géométriques faites pour la meſure
d'un dégré du méridien , & l'on verra qu'il
n'eft pas poflible qu'un homme éclairé ait
parcouru un pays & l'ait fi mal repréfenté.
JUIN. 1755
"
Voici donc fur quoi Kolbe a fondé fa
defcription. Kolbe n'ayant plus de relation
avec fon protecteur , étoit hors d'état de
fubfifter au Cap , & même de retourner en
fon pays. Toute la colonie avoit alors de
grandes plaintes à porter en Europe contre
le gouvernement. Par les précautions que
les Gouverneurs avoient prifes , il étoit
prefque impoffible que ces plaintes parvinflent
en Hollande , ou qu'elles y produififfent
quelque effet. Les principaux
habitans s'adrefferent à Kolbe : ils lui of
frirent abondamment de quoi faire fon
-voyage , à condition d'en faire une relation
, dans laquelle il inféréroit , par forme
d'hiftoire , des griefs des habitans & les
principales pieces qu'ils avoient intérêt de
faire connoître au public . Pour fuppléer aúx
matériaux que Kolbe avoit négligé d'amaſfer
, ils lui remirent la lifte des plantes que
Oldenlanden , habile Botanifte , avoit obfervées
au Cap , & dont la plupart avoient
été cultivées dans un des jardins de la
Compagnie , par un nommé Hertog. ( Cette
même lifte eft rapportée dans le Thefaurus
Zeylanicus , fous le nom de fon véritable
auteur ) . Ils lui donnerent auffi des mémoires
qu'un Greffier de la Chambre de
Juftice au Cap , nommé Grevenbroeck ,
avoit écrits avec affez peu de critique für
738 MERCURE DE FRANCE.
l'hiftoire des Hottentots ; ils ne contenoient
, pour la plupart , que des réponſes
aux queftions que ce curieux avoit faites à
ceux de cette nation qu'il avoit rencontrés
dans l'intérieur de la Colonie, Cés
Hottentots avoient appris à leurs dépens à
fe défier de leurs hôtes.
C'eft fur ces pieces , & fur ce que Kolbe
a pû tirer de fa mémoire fur ce qu'il avoit
vu ou entendu dire pendant fon féjour au
Cap , que la defcription dont il s'agit ici a
été faite. Dans l'extrait que nous en avons
en françois en 3 vol. in- 12 , on a retranché
-le procès des habitans du Cap , & on a rédigé
en affez bon ordre tout le refte du
livre de Kolbe , qui eft fort confus.piti
Je n'entrerai point ici dans un grand
détail : je mettrai feulement quelques notes
-fur les principales chofes que j'ai vérifiées
par moi-même , n'approuvant ni ne defapprouvant
le refte dont je n'ai pas eu de
connoiffance certaine. Je fuis ici l'édition
de 1742 , à Amfterdam, chez Jean Catuffe.
Remarques fur le Tome I.
Préface , p. v. Kolbe n'a pas appris le
langage Hottentot ; il avoue lui - même
p. 51. ) qu'il n'a pu faire de grands progrès
dans la prononciation de cette langue.
Or une bonne partie de la connoiffance de
JUIN. 1755 . 139
3
&
6
ce langage confifte dans la prononciation ,
comme on le va voir bientôt.
Chap. III . n° . 4. Les Hollandois ne firent,
ni ne purentfaire un traité en forme avec
les Hottentots , peuples errans , & qui n'avoient
aucune idée de traités. Van Riebeck
les voyant affemblés autour de fon camp ,
leur donnoit quelques grains de verre , quelques
morceaux de fer & de cuivre rouges
il leur donnoit de l'eau de vie & de l'arack,
en les amufant ainfi jufqu'à ce qu'il eût
conftruit un fort. Mais en rendant compte
à fa Compagnie de ce qu'il avoit fait
s'affurer de la poffeffion du pays , il lui dit
qu'il avoit acheté l'amitié des habitans &
le droit de demeurer au Cap pour 40000
florins. Les Hollandois ont bien vû depuis
que les Hottentots n'avoient pas prétendu
faire de traité , & ils peuvent bien dire que
le pays ne leur appartient qu'à titre de
conquête.
pour
Chap. IV. Ce que Kolbe dit ici fur la
longitude & fur la latitude du Cap , ne
mérite pas d'être réfuté : pour ôter toute
équivoque, la longitude de la ville du Cap,
& en même tems celle de la pointe des
terres qui a donné ce nom à la ville , eſt de
35 dégrés 2 min . à l'eft du méridien de
Tenerif: la latitude de la ville eft de 33
dég. 59 min. & celle de la pointe des terres
140 MERCURE DE FRANCE.
qui forme le vrai Cap , eft de 34 dég. 24
min. En comparant ces déterminations ,
qui font fûres , avec celles de Kolbe , on
pourra juger de fa fuffifance ou de fon
exactitude fur ces matieres.
Chap. V. Ce que l'Auteur dit nomb. 2.
de l'origine des Hottentots , de leur tradition
fur Noh & fur le déluge , doit paroître
plus que fufpect après ce que j'ai dit cideffus
de l'autenticité des mémoires fur
lefquels Kolbe a fait l'hiſtoire de ces peuples.
N. 3. La langue Hottentote eft affez
douce dans la prononciation , elle n'a pas
d'afpiration forte , de fifflement , ni de fons
gutturaux : ce qu'elle a d'extraordinaire ,
ce font deux voyelles de plus que n'en
ont les langues d'Europe. Ces deux
voyelles font deux fons fort nets , exprimés
d'un par un froiffement de l'air entre le
bout de la langue & la partie fupérieure
du palais , tel que l'on a coutume de le
faire pour exciter les chevaux à marcher ;
l'autre fon eft un claquement de la langue
appliquée fortement à la partie fupérieure
du palais , puis détachée preftement. Par
différentes queftions que j'ai faites à un
Hottentot de bon fens , je me fuis affuré
que ces fons étoient des voyelles , parce
qu'étant prononcés tous feuls, ils Oonntt.uunnee
JUN. 17551 141
Ignification à peu près comme en françois
a, o , y, & en latin a , e , o , & forment feuls
des mots ; le fecond de ces fons eft ordinairement
fuivi d'une m ou de mm. Et
comme ces fons , en qualité de voyelles ,
reviennent néceffairement prefque à cha
que mot , cette langue paroît fort fingulie
re , mais ce n'eft rien moins qu'un bégaye
ment , quoiqu'en dife Kolbe.
Chap. VI. n. 3. Comment les Hotten
tots peuvent - ils entendre l'agriculture
mieux que les Européens , puifque c'eſt un
art dont ils n'ont jamais eu d'idée , &
qu'on ne peut les engager à pratiquer ,
quoique l'expérience leur air appris mille
fois qu'ils font réduits à la derniere difette
pendant les mois de Février & Mars , faute
de cultiver quelques- unes des plantes , dont
les bulbes font leur nourriture ordinaire ?
* N. 4. Les Hottentots qui font répandus
dans la colonie ne font pas plus fages que
les Efclaves négres des habitans. Les filles
des Hottentots qui font hors des limites
des habitations hollandoifes , s'échappent
en grand nombre de leurs maiſons paternelles
pour venir au fervice des Européens
, qui les retiennent pour aider à la
cuifine , & pour fervir d'amufements aux
Noirs. Ces filles ne font pas naturellement
voleuſes ; cependant il faut bien tenir fous
C
142 MERCURE DE FRANCE.
la clef le vin & l'eau de vie , dont elles
font extrêmement friandes .
Chap. VII. n. 5. Il eft certain qu'il y a›
à 150 lieues à l'Eft-nord-eft du Cap une
nation blanche. Ces peuples ont les cheveux
longs , & font de la même couleur & à
peu près de la même figure que les Chinois
de Batavia , qui font bannis au Cap. C'eft
ce qui fait qu'on les appelle au Cap les
petits Chinois.e
Chap. VIII . Les Hottentots qui font aut
fervice des Européens ne gardent leurs
peaux de mouton que lorfque l'on ne leur
donne pas d'habits ; ils font fort glorieux
d'être couverts de haillons bleus de toile
ou de gros drap noir ; les femmes fe cou+
vrent plus volontiers la tête d'un mouchoir
, à la mode des Negreffes , que de
leur bonnet de peau de chat.
No. 2. Les plus belles franges font des
grains de verre coloré , enfilés à un brin de
jonc attaché par un bout. Il n'y a pas longtems
que nous avions adopté cette mode
Hottentote. ·
Les ornemens des Hottentots , par exemple
, leurs bracelets , leurs colliers , les
courrois des jambes des femmes font groffierement
faits & fans goût : il faut rayer
bien des hiperboles dans ce chapitre de
Kolbe.
JUIN . 1755. 143
• N°. 3. L'auteur fe contredit au fujet des
pendans d'oreille ; j'en ai vû de réels , non
pas de nacre de perle véritables , car il
n'y en a pas au Cap , mais compofés de
petits cauris.
*
Chap. IX. Les noms des diverfes nations
Hottentores qui font rapportées ici ,
ont pu exifter du tems de Grevenbroek ,
qui écrivoit fur la fin du fiécle dernier
aujourd'hui on n'en connoît plus que deux
ou trois. La multiplication des colons eu
ropéens en a fait retirer un grand nombre.
Une furicufe maladie , qui étoit une efpéce
de petite vérole , enleva en 1713
profque tous les Hottentots reftés parmi
les Européens ; elle fit périr un très- grand
nombre d'efclaves noirs , & même beau
coup de blancs. Depuis ce tems- là aucune
nation Hottentote n'a fait corps , ou n'a eus
de gouvernement régulier dans toute l'étendue
de la colonie. Ceux qu'on y trouve
font , ou au fervice des Européens pour
faire paître les troupeaux , ou pour cou❤
rir devant les charriots ; ou ce font quelques
'familles raffemblées à qui ces Eu
ropéens permettent de refter fur le terrein
dont ils font en poffeffion.
Il paroît au refte qu'il y a beaucoup d'e
xagération dans ce chapitre. Tout le pays
depuis le Cap en allant au nord , jufques
144 MERCURE DE FRANCE.
bien loin au-delà de la Baye de Sainte
Heleine , eft fec , fablonneux , couvert de
brouffailles , très-peu propre aux pâturages
, & prefque inhabitables. Comment
donc neuf ou dix nations Hottentores y
pouvoient - elles fubfifter ? vû la connoiffance
que j'ai de ces lieux , que j'ai parcourus
plufieurs fois pour y mefurer un
dégré cela me paroît impoffible , à moins
que chacune de ces nations ne confiftât
qu'en un feul kraal , ou village.
No. 17. Les Bufchiefmans font , pour la
plupart , ceux des Hottentots à qui les Européens
ont enlevé, des beftiaux ; ils s'entendent
quelquefois avec les Hottentots
qui font au fervice des Européens , pour
ufer de repréſailles
Je n'ai pas eu d'éclairciffemens fur les
chapitres X & XI .
Chap. XII. Il paroît conſtant par le rap
port unanime de tous ceux du Cap . qui
connoiffent les Hottentots , que ces peu
ples n'ont aucune idée de culte à rendre à
un être fuprême ; ils ne craignent que
quelques puiffances malfaifantes , aufquel
les ils attribuent les maladies & les malheurs
qui leur arrivent ; ils croyent qu'il
y a des forciers d'intelligence avec elles.
Il y a grande apparence que leur extrême
indolence leur a fait oublier les traditions
*de
JUIN. 1755-
145
de leurs ancêtres fur cet article. Un Hottentot
met fon fouverain bien à ne rien
faire , même à ne penfer à rien.
黎
N°. 3. Les danfes des Hottentots à la
pleine Lune ne font pas un culte . C'eft
an ufage commun à la plus grande partie
des nations méridionales de l'Afrique , à
celles de Madagaſcar , & même à plufieurs
nations indiennes , foit idolâtres , foit ma-
-hometanes .
que
x
N". 4. Ce que Kolbe dit ici fur l'infecte
que les Hottentots adorent , n'eft fondé
que fur un bruit populaire , & fur le nom
les premiers habitans du Cap ont donné
à cet infecte , que les Hottentots regardent
feulement comme un animal de
mauvais augure. Il eft affez rare dans lès
campagnes , & plus commun dans les jardins
des Européens : c'eft une espèce de demoifelle
, que j'ai retrouvée dans l'Ile de
France , où elle n'eft pas rare.
No. 6. Kolbe s'attribue ici un artifice
dont fe fervit Adrien Vanderftel , Gouverneur
du Cap , pour fe faire reſpecter &
craindre des Hottentots affemblés autour
de lui. 1
Je n'ai point eu d'éclairciffement fur les
chap. XIII. XIV. & XV.
*
Chap . XVI . N°. 1. Les Babouins ne
1. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
quittent pas les montagnes qui leur fervent
de retraite. Je ne fçais pas ce qui a
fait dire à Kolbe que les Hottentots
diftinguoient d'après eux les plantes & les
fruits qu'on peut manger fans danger.
N°. 2. Le Kanna eft totalement différent
du Gin-feng ; ils n'ont aucun rapport
enfemble.
No. 7. Pendant les mois de Novembre
& de Décembre , les Hottentots font infufer
, puis fermenter avec du miel , une
tertaine racine , ce qui leur fait une liqueur
fi forte qu'ils font dans une ivreffe
continuelle tant que la provifion dure , ils
en restent long-tems malades lorfqu'elle
eft épuifée , & qu'ils ne peuvent plus s'étourdir
par une nouvelle ivreffe .
Chap. XXII . Il n'y a aucun métier par
ticulier parmi les Hottentots , chacun y
fait ce qu'il juge néceffaire pour foi : aufſi
quoiqu'en dife Kolbe , les chef- d'oeuvres
qui fortent de leurs mains ne font-ils rien
moins qu'admirables. Leurs nattes , par
exemple , ne font qu'une enfilade d'une
efpéce de jonc , dont chaque brin eft placé
parallelement à côté d'un autre ; ils font
Lous traversés dans leur épaiffeur , & de
diſtance en diſtance , par cinq ou fix fils du
même jonc.
J
JUIN. 1755 147
Il n'eft pas vrat que les Hottentots fondent
du fer : le procédé rapporté par Kolbe
eft en ufage à Madagaſcar.
Chap . XXIV. n°. 4. Ce font les eſcla
ves Indiens qui s'appliquent les ventoufes
, comme Kolbe le dit ici des Hottenqui
n'y avoient jamais fongé.
tots ,
Remarques fur le tome II.
Chap. I. n° . 4. Les maifons de la ville
du Cap font bâties en briques , les fondemens
font de groffes roches brutes , les
toîts font d'un jonc long & menu , ou
bien ils font algamacés de deux couches de
brique & de chaux ; très-peu ont des jardins
, ce ne font gueres que celles qui font
hors de la ville ou fur les limites.
N. 6º. La maiſon de Conftantia eſt au
fud de la ville , à trois grandes lieues françoiſes
; elle eft dans un fond & fans aucune
vûe. Il n'eft peut- être pas inutile de dire
ici que le vin qui croît près de cette maifon
, & qui eft fi connu fous le nom de
vin du Cap , y eft en affez petite quantité.
Dans les meilleures années tout le terroir
de Conftance , qui confifte en deux habitations
contiguës , ne peut produire plus de
so à 60 lecres de vin rouge , qui y eft beaucoup
plus eftimé que le blanc , ni plus de
80 à 90 lecres de vin blanc ; la lecre
peut
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
contenir 550 pintes de Paris. La Compagnie
des Indes de Hollande oblige les propriétaires
de ces vignes de lui livrer tout le
vin qu'ils en recueillent .
ཛཱན
No. 7. Ce que Kolbe dit du nuage qui
couvre les montagnes du Tygre eft abfolument
faux . Ces montagnes font fort
baffes , & comme celles des environs de
Paris ; les nuages ne s'y arrêtent gueres.
La montagne bleue eft à quatre petites
lieues du Cap ; il y en a une autre de cè
nom à fix lieues du Cap : ces deux montagnes
font fort baffes , ifolées & petites ;
elles font trop peu fpacieufes pour avoir
pû fervir de retraites aux éléphans.
N° . 10. La fauffe baye eft bornée au
nord , dans une étendue de plus de fix
lieues , d'une plage de fable marécageufe
& fans montagne, quoiqu'en dife l'Auteur.
Les montagnes de pierres ne font qu'à la
partie occidentale.
N°. 12. La hauteur de la montagne de
la Table eft de plus de 3350 pieds du
Rhin , prefque double de ce que l'Auteur
dit avoir mefuré avec foin . Dans l'ouverture
qui eft au milieu de la face feptentrionale
de cette montagne, il n'y a que
quelques chétifs arbriffeaux. Ce creux né
fe forme pas par la chute des eaux , puifqu'il
eft couvert de plantes & d'arbustes .
JUIN. 1755 149
?
il n'y a qu'un ruiffeau qui s'y précipite.
No. 15. Ce qu'on appelle le Paradis &
' Enfer ne font pas deux grottes , mais
deux vallons affez profonds au midi de la
montagne ; ils font remplis de bois réſervé
pour la Compagnie : la difficulté d'aller
chercher ce bois dans l'un de ces vallons ,
l'a fait appeller l'Enfer ; l'autre s'eft appellé
Paradis par une raifon contraire. A l'entrée
de celui- ci , la Compagnie a une mai
fon & un beau jardin.
No. 16. Voyez fur le vent de Sud- eft
& fur le nuage de la Table ce que j'en ai
dit dans les Mémoires de l'Académie des
Sciences , année 1751 .
No. 17, Le monument dont parle Kolbe
n'a été élevé que fur la croupe du Lion ,
où la montagne eft baffe & fort facile à
monter ; la tête du Lion eft comme inaccef
fible. Ce monument eft abattu , & la pierre
de l'infcription enlevée.
No. 22. La montagne du Diable n'eft
féparée de celle de la Table que par une
gorge peu profonde : fon pied eft à près
d'un quart de lieue de la mer , & fon fommet
n'eft plus bas que le fommet voiſin de
la Table que de 31.toifes.
Chap. II. n°. 15. Ce que l'auteur dit
du nuage & des vents par rapport aux
montagnes de Stellenbosch, eft imaginaire :
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
tout s'y paffe comme fur les montagnes
voifines de la ville du Cap .
Chap. II. n° . 6. Tout cet article fur la
riviere appellée Bergrivier , eft abfolument
faux. Il y a quelques bonnes habitations
vers le commencement de fon cours , &
aux environs de l'Eglife de Drakeſtein ;
mais elle traverſe enfuite une vaſte pleine
de fable prefque inhabitable , & va fe décharger
dans la partie méridionale de la
baye de Sainte- Heleine , & non pas en un
point de la côte au nord de la baye , comme
l'auteur l'a mis fur fa carte : fon cours
eft tout au plus de 40 lieues , & non de
100 , comme Kolbe le dit n° . 12.
N° . 10. La tour de Babylone eſt le nom
'd'une habitation contigue à un affez bas
monticule. Kolbe en fait une haute montagne.
N°: 13 . Riebeckſcaftel eft une montagne
ainfi appellée parce qu'elle a été le
terme des découvertes de Van Riebeck ,
premier Gouverneur du Cap. On n'y a jamais
bâti de fort , ni placé de canon : il y
a quelques habitations au pied de cette
montagné , qui a 480 toifes de hauteur.
No. 16. La montagne du Piquet n'eft
qu'à trois petites journées du Cap , on y
peut aller à pied très- facilement en deux
jours. Kolbe la met à huit journées du Cap
JU. IN. 1755 IST
No. 20. Les deux aventures de Kolbe
racontées dans cet article me paroiffent
fort fufpectes , fur- tout celle des lions qui
vont rarement en troupe.
Chap. V. n°. 1. Les Hottentots n'ont
jamais eu des troupeaux fort nombreux en
comparaifon de ceux des Européens : ce
qu'un Européen un peu aifé en poffede ,
fuffiroit pour un kraal Hottentot de plus
de trente familles.
No. 5. Les queues de mouton du Cap
font de figure triangulaire , c'eft- à - dire
qu'elles font fort larges par le haut , & vont
en diminuant vers le bout ; elles ne font
pas plus longues que celles des moutons
d'Europe à proportion de leur groffeur. Le
poids ordinaire d'une de ces queues de
mouton du Cap , eft de 3 à 4 livres , au
plus 5 ou 6. On en voit par extraordinaire.
de 10 à 12 livres ; mais alors la chair du
mouton n'eft plus eftimée . Kolbe fait les
communes de 15 livres , & les moins come
munes de 30 livres au moins.
Chap. VIII. n°. 1. Il y a peu de graines
d'Europe qui dégénerent au Cap : au contraire
celles du Cap font plus eftimées à
nos lles que celles qui viennent d'Europe.
N°. 3. Il n'y a au Cap que très-peu de
fruits des Indes. Le plus commun eft la
G iiij
132. MERCURE DE FRANCE.
gouyave ; les bananes n'y valent rien , ni
les ananas. Des fruits d'Europe , il n'y a
que la pêche , l'abricot , la figue , le coing
& le raifin , qui foient auffi bons qu'on en
puiffe trouver en Europe .Les autres, comme
les pommes , les poires , les prunes , les
noix , les cerifes , les oranges , &c. ne valent
pas grand'chofe.
pas
No. 4. Je ne m'amuferai pas à réfuter
en détail ce que Kolbe dit ici du jardin de
la Compagnie qui eft au Cap : tout y eft
exageré à outrance. Il paroît cependant
qu'il a été autrefois plus rempli de productions
curieufes qu'il ne l'eft à préfent , parce
que dans les commencemens de l'établiffement
de la colonie , on a eſſayé d'y
faire venir le plus grand nombre poffible.
des fruits de l'Europe & des deux Indes .
Cependant Kolbe ne doit l'avoir vû
dans ce premier état , puifque vers Fan
1706 , c'est- à- dire pendant la premiere ou
la feconde année du féjour de Kolbe au
Cap , M. Maxwell qui l'y a vû , & qui a
fait une defcription de cette colonie ( voyez
les Tranfactions philofophiques , année
1707 , n° . 310 . ) ,, dit expreffément que ce
jardin n'étoit plus dans un fi bel ordre
mais bien plus négligé que du tems du
pere du Gouverneur d'alors , & qu'il n'y
avoit plus rien d'extraordinaire. Il paroît
.
JUIN.
153 1755.
donc que Kolbe a fait fa defcription d'imagination
, fur ce qu'il avoit entendu dire
que ce jardin étoit autrefois. C'eft aujourd'hui
un affez beau potager. de mille pas
communs de long fur 260 de large , partagé
en 44 quarrés , entourés d'une haute
charmille de chêne ou de laurier. Deux de
ces quarrés font deſtinés à fervir de
parterre
à un pavillon fitué vers le milieu de
la face orientale de ce jardin , & un autre
quarré attenant eft rempli par trois berceaux
d'ombre : le refte contient des légumes
& affez peu d'arbres fruitiers. Ce jardin
eft prefque entouré d'un large foffe
d'eau vive , & arrofé par quelques rigoles
pratiquées le long des quarrés : ces quarrés
font formés par cinq avenues paralleles &
dans toute la longueur du jardin , & par
onze avenues perpendiculaires.
Chap. IX. no. 1o. Je n'ai pas entendu
parler de maux d'yeux pendant mon ſéjour
au Cap.
No. 18. J'ai vu au Cap beaucoup de
goutteux ; la pierre & la gravelle y font fort
communes.
N° . 19. Les habitans de la ville du Cap
ne fe donnent prefque jamais de repas :
leur ufage eft de s'affembler tous les foits
depuis cinq heures jufqu'à neuf ,
pour fu
mer , jouer, & boire du vin & de la
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
bierre fans manger quoi que ce foit.
Chap . XI. On n'a pas encore reconnut
au Cap de mine riche en quelque métal.
Chap. XIV . Kolbe raifonne ridiculement
fur la couleur de la mer. Tous les marins
fçavent que par-tout où la mer eft profonde
, ou fans fond comme ils difent , elle
a une couleur bleue- noire : fur les bancs &
près des côtes où l'eau eft peu profonde ,
elle a une couleur verd- fale ; celle- ci eft
même une marque sûre que l'on a fond ..
N°. 5. Le phénomene rapporté ici paroît
fort fufpect , & les circonftances des tems
y font mifes avec une préciſion ridicule.
A peine s'apperçoit- on au Cap de la différence
des marées hautes & baffes ; elle
ne va jamais à trois pieds , quand elle eft
la plus grande.
Chap. XV. Tout ce chapitre eft fi plein
de bévûes , qu'il eft impoffible de les détailler
je fuis obligé de renvoyer le lecteur
aux obfervations météorologiques ,
que j'ai inferées dans les Mémoires de l'Académie
royale des Sciences , année 175.1 .
Remarquesfur le tome .III.
L'hiftoire des animaux du Cap n'a été
faite par Kolbe fur aucun mémoire particulier
; il s'en eft rapporté à ce qu'il avoit
entendu dire , & a mis quelques defcrip
JUIN. 17536 155
tions tirées de quelques naturaliftes modernes
& de Pline . Je ne fuis pas affez
fçavant fur cette matiere pour relever les
bévûes de notre auteur : je me contenterai
d'indiquer quelques faits dont je me fuis.
affuré par moi-même .
Chap. III . n° . 17. J'ai vu la dent d'un
des plus gros hippopotames du Cap : elle
avoit fept à huit pouces de long fur près.
de deux pouces d'épaiffeur , elle m'a
pefer moins que quatre livres.
paru
Chap. IV. n . 3. Les élans du Cap pefent
jufques à huit cens livres , & il n'y a
prefque pas d'arbres dans la colonie : de
là on peut juger s'il eft poffible de prendre
les élans , comme l'auteur le dit. A la
vérité cette rufe fe pratique pour prendre
une efpece de daim affez petite , qu'on.
appelle Steinbock , mais une branche d'arbres
ou un arbriffeau fuffit pour cela..
Chap. VI . n ° . 3. On voit ici un conte
puéril fur les vols des babouins ; il eſt
d'autant moins vraisemblable que ces animaux
ne s'écartent jamais des montagnes
où ils ont leur retraite. J'ai bien oui dire
qu'ils pilloient quelquefois les jardins en
troupe , mais je n'ai vû perfonne qui aiɛ
dit avoir été témoin des circonftances qu'on
en raconte ici .
No. 13. Le blaireau puant reffemble fore
G. vj
156 MERCURE DE FRANCE.
à un baffet , & point du tout à un furet ;
il ne put pas quand il eſt mort ,
qu'il ne fe corrompe.
à moins
N°. 19. On ne mange pas les tortues de
térre du Cap , qui font fort petites ; elles
pefent rarement trois livres. Quelques
Noirs en mangent , quelquefois auffi des
voyageurs qui fe trouvent dans la néceflité.
Les tortues de terre de l'ifle Rodrigue font
excellentes , & pefent trente , quarante ou
cinquante livres : j'en ai vû une qui ne
pefoit gueres moins que cent cinquante
livres.
Chap. XV. n°. 3. Ce qu'on dit des
fquelettes nettoyés par les aigles eft fort
exagéré. J'ai vu des carcaffes rongées par
des aigles , où ils avoient laiffé feulement
une partie de la peau qui recouvroit les os
décharnés .
Nº. 20. Je n'ai vû aucune espece d'hirondelle
au Cap pendant les deux hivers
que j'y ai paffés. Elles y arrivent en Septembre
, & partent en Avril ,
Chap. XIX . n° . 3. Les alouettes du
Cap font d'une efpece différente des nôtres
. L'alouette s'éleve perpendiculairement
à dix ou douze pieds de hauteur feulement,
en faifant beaucoup de bruit par le battement
de fes aîles , puis elle retombe fubitement
comme une maffe , en jettant un peJUIN.
1755
$5.7
tit cri : elle ne refte jamais en l'air.
No. 14. Le corrhan eft une espece de
gelinotte qui a coutume de crier pendant
le tems de fon vol , qui eft affez pefant.
Son cri n'eſt pas tel qu'on le dit ici , il reffemble
à ce mot repeté cococahia : il ne
fait pas fuir le gibier , parce qu'il ne fe leve
prefque jamais qu'on ne foit fort près
de lui. Sa chair eft affez bonne , fur- tout
faire de la foupe. pour
No. 20. L'endroit du Cap où l'auteur
prétend que les grues s'affemblent ordinairement
, eft fi peu pierreux , qu'il faut
faire plufieurs lieues , & s'approcher des
montagnes pour trouver une pierre groffe
comme une noiſette.
Chap. XXII . N ° . 1. Le fapin n'a pu
encore réuffir au Cap .
>
N°. 29. L'afperge eft chetive toute
blanche , fans goût , & pareille à celles
qu'on fait venir à Paris dans les caves pendant
l'hiver.
No. 13. Il y a peu de chanvre au Cap ;
fa tige y devient ligneufe : le peu qu'il y
en a fert de tabac aux Noirs .
Nº. 19. Le noiſetier eft tout en bois ;
fa coque eft toujours vuide ou fans fruit
No. 35. 11 eft rare de manger un bon
melon au Cap ; la graine y a dégéneré dès
la troifieme année qu'elle eft arrivée d'Europe.
15 MERCURE DE FRANCE.
No. 40. Les citrouilles ou giromons da
Cap font plas ppeettiitteess qquuee les citrouilles
communes en France .
No. 52. Quoique le climat du Cap foit
affez propre en général pour la production..
des végétaux d'un grand nombre d'efpeces
communes en Europe & dans les Indes ,
cependant il s'en faut de beaucoup que ce
ne foit un auffi bon pays que Kolbe le dit
ici d'après Meifter . Par exemple , le grand
jardin de la Compagnie au Cap ne produit
prefque rien pendant les mois de Decembre
., Janvier , Fevrier & Mars . On
doit l'abondance des vivres qu'on trouve
au Cap , 1 ° . au choix qu'on a fait des
meilleurs terreins dans la vafte étendue de
cette colonie . 2º. A la température du climat
, où il n'y a rien à craindre de la pars
de la gelée & de la grêle . 3 ° . A l'engrais
des terres , facilité par le nombre confidérable
des beftiaux . 4º, A la nouveauté de
ces terres , qui ne font pas encore épuifées
& qu'on laiffe repofer comme en Europe.
Le pays par lui-même ne produifoit aucun
fruit avant l'arrivée des Européens , & ceux
que l'on y a portés ne réuffiffent que dans
le voifinage des montagnes , où l'on trou
ve de la terre franche ; les plaines font
recouvertes d'un fable ſterile , remplies de
brouffailles , prefque impratiquables : la
JUIN. 1755. 159
plupart des habitations font fans eau &
fans bois , du moins dans prefque toute la
partie de la colonie que j'ai vûe. J'ai cependant
entendu dire que la partie de la
colonie qui s'étend fort au loin à l'eft des
montagnes du Stellenbosch eft beaucoup
mieux arrofée , de bonne terre & bien boifée.
*
HISTOIRE NATURELLE.
Lettre de M. l'Abbé J *** à M. le Chevalier
de *** fur les pétrifications d'Albert
en Picardie.
M
ONSIEUR , de retour depuis quel
que tems dans ma patrie , j'ai faifi
le premier moment de loifir pour fatisfaire
ma curiofité fur un des plus finguliers jeux
de la nature . Les pétrifications que l'on a
découvertes depuis peu dans la petite ville
d'Albert font ici trop de bruit pour ne
pas avoir excité l'avidité d'un homme
pour qui l'étude de la Phyfique aura toujours
mille attraits : c'eft cet efprit de re
cherche qui me conduifit au commence
ment du Carême dernier dans cette ville.
Avant que de defcendre dans le fouterrein
où font les pétrifications , je mefurai
* Ces remarques font deM. l'Abbé de la Cailler
160 MERCURE DE FRANCE.
par le moyen du puits , la profondeur de
la carriere , & , déduction faite de la diftance
de l'eau au niveau du terrein où elles
fe trouvent , je comptai trente-fix pieds &
plus. Je crus d'abord que je pouvois m'être
trompé , parce qu'avant mon voyage d'Albert
j'avois vu dans l'almanach d'Amiens
, que cette carriere de pétrification
étoit à vingt pieds de profondeur ; mais je
recommençai mon opération en préfence
de plufieurs témoins , & ils furent obligés
de reconnoître avec moi l'erreur de l'almanach.
Quand je ne donne même que tremte
- fix pieds à cette carriere , je ne parle
que
de la hauteur du terrein de la cour ,
dans laquelle eft l'ouverture du puits ; car
la partie de la pétrification qui s'étend
fous le jardin , peut avoir quarante-huit à
cinquante pieds.
Affuré de mon opération , je defcendis
dans la cave du propriétaire ; elle peut
avoir environ dix - huit à vingt pieds de
profondeur , & ne préfente rien qui foit
digne d'attention . De cette cave je parvins,
par un escalier commode , dans le corps
de la carriere ; j'y fus d'abord furpris de
l'abondance , de la variété & de la beauté
de ce phénomene terreftre. Je remarquai
dans un espace de cent quinze pieds de
* Article d'Albert.
JUI N. 1755. 161
long , & d'environ cinq à fix pieds de Iarge
, une voûte de pétrifications , composée
d'un nombre infini de rofeaux , d'argenti
*e * , de mouffe & de plufieurs herbes ma
récageufes. Un tronc d'arbre , d'où fortent
plufieurs branches qui s'élevent dans un
grouppe de rofeaux pétrifiés , attira furtout
mes regards , par la groffeur des bran
ches , qui peuvent avoir environ quinze
pouces de circonférence ; on peut juger de
la hauteur , & par conféquent de la beauté
de ce morceau. Il feroit à fouhaiter
que
quelqu'un voulût faire la dépenfe néceſſaire
pour le féparer des rofeaux & autres
herbes qui l'enfeveliffent.
Afin de pouvoir plus facilement décou
vrir la caufe de ce jeu de la nature , j'ai
confideré avec foin les différentes efpéces
de terre que la tranchée laiffe voir. J'en
remarquai d'abord une blanche & légere ,
dans laquelle fe trouve les rofeaux & les
herbes qui forment le fond de la pétrifica
tion ; plus bas je découvris une autre ter
re plus brune & plus forte , dans laquelle
je trouvai quelques morceaux de rofeaux
caffés & pétrifiés : ces rofeaux font plus
lourds , plus ferrés & plus bruns que ceux
de la pétrification fupérieure. Deffous
certe terre brune je trouvai une eſpèce de
*Merbe aquatique .
162 MERCURE DE FRANCE.
fable , tantôt gris , tantôt brun. Quelques
morceaux de rofeau que j'ai tirés de ces
deux fortes de fable font encore plus pefans
& plus denfes que ceux dont je viens
de vous parler ; j'en ai même découvert
qui reffemblent au grès & au marbre.
Enfin deffous ces efpéces différentes de
terre j'apperçus un banc de glaife , qui
peut avoir fept à huit pouces d'épaiffeur ,
& même dans quelques endroits davantage.
Cette glaife eft d'un brun très - noir
& contient une efpéce d'huile très- graffe :
elle reffemble parfaitement à cette terre
d'Angleterre dont on fe fert pour dégraiffer
les étoffes on pourroit auffi la mettre
en ufage pour nettoyer les métaux & les
polir ; ceux que j'ai frottés avec cette glai
fe font devenus très clairs.
;
C'eft dans cet intervalle qui eft entre
les rofeaux & cette glaife , qu'on trouve
certains coquillages dont j'ai ramaſſé de
trois efpéces les plus curieux font ceux
qui s'élevent en pyramides . On découvre
auffi plufieurs de ces coquillages entre les
branches de rofeaux pétrifiés. Je regarde
cette glaife dont je viens de parler comme
la matrice de la pétrification ; c'est elle
qui a arrêté & amaffé les eaux qui ont dé->
aché les principes les plus déliés des diffé
rentes terres fous lefquelles ces rofeaux &
JUIN. 1755. 163
ces herbes fe font trouvés enfevelis , & qui
les ont portés & fixés dans les pores de ces
mêmes rofeaux.
J'ai cherché en vain de la fougere dans
cette carriere immenfe. Malgré l'obſervation
annoncée dans l'almanach d'Amiens ,
je n'ai rien trouvé qui parût approcher de
cette plante , dont l'épaiffeur , la longueur
& la bordure des feuilles feroient cependant
fort aifées à diftinguer ; je crois même
qu'il n'y en a jamais eu dans ce fouterrein :
en voici la raifon . La fougere ne vient
que dans les endroits fecs & fablonneux :
or avant le remuement des terres qui a
dû néceffairement fe faire dans l'endroit
où eft actuellement Albert , le terrein où
eft la pétrification n'étoit qu'un marais peu
élevé au-deffus de la riviere ; c'étoit dans
ce marais que regnoit le foffé dont les rofeaux
& les herbes pétrifiés forment le phé
noméne qui occupe aujourdhui les Phyfi
ciens. Il n'est donc pas probable qu'une
plante qui ne fe nourrit que de fable ait
pû pouffer dans la fange & dans l'eau dont
ce foffé étoit fans doute arrofé : peut-être
que ces premiers obfervateurs ont pris Par
gentine pour de la fougere pétrifiée.
Je m'apperçois que j'entre infenfiblement
dans l'origine & dans la caufe de ces
pétrifications. Je connois trop toute la dif
164 MERCURE DE FRANCE.
ficulté d'une pareille entreprife , pour ne
pas fouhaiter de pouvoir me difpenfer
d'entamer cette difcuffion . Il eſt bien plus
aifé de rapporter ce qu'on a vû que de
retracer le chemin que l'Auteur de la nature
a fuivi dans fes productions extraordinaires
: auffije vous prie , Monfieur , de regarder
ce que je vais ajouter , comme l'opi
nion qui m'a paru la plus fimple & la plus
conforme à la vue du local : je fouhaiterois
même que ce que je vous ai rapporté de ce
prodige naturel , ainfi que les conjectures
avec lefquelles je finirai cette lettre , puiffent
affez piquer votre curiofité
pour vous
engager à faire le voyage d'Albert ; vous
y trouverez des objets dignes de votre attention
, & je jouirai du doux plaifir de
vous faire les honneurs de ma parrie..
J'aurois été affez tenté d'abord de reculer
l'origine de ces pétrifications jufqu'au tems
du déluge , & de l'attribuer à cette immenſe
révolution que fes eaux dûrent produire
fur la furface de notre globe , fi quelques
obfervations ne m'avoient déterminé à ne
placer l'époque de cette merveille qu'au
tems où les premiers Seigneurs d'Albert firent
bâtir le fort & la ville : alors il fallut
applanir la colline fur la pente de laquelle
la ville eft placée ; c'eft ce qu'on ne put
faire qu'en comblant une partie du marais
JUIN. 1755 165
qui fe trouvoit deffous , avec les terres
qu'on coupa un peu au- deffus de la naiffance
de la colline : il eft aifé de s'en
appercevoir
par la petite riviere ( appellée
Ancre ) qui arrofe aujourd'hui les environs
de la ville . Cette riviere couloit autrefois
le long d'une partie de la montagne
fur un plan à peu près également ineliné
, tandis qu'elle fe trouve à préfent
obligée , en quittant la ville , de defcendre
dans le marais voifin par une * caſcade de
près de foixante pieds . Lorfqu'on a voulu
bâtir Albert , on a donc été forcé de changer
le lit, de cette riviere jufqu'à l'endroit
de la cafcade , & de lui en tracer un beaucoup
fupérieur pour la commodité de la
2
nouvelle habitation.
Avant ce tems la carriere de pétrification
n'étoit qu'un foflé creufé dans cette
partie de la prairie , préfentement comblée
, & qui alloit fe joindre au premier
fit de la riviere ; c'eft ce que confirme la
figne que décrit la carriere . Semblable à
cés petits ravins que les eaux forment dans
les terres , où à ces foffés qu'on creufe dans
les prés pour les arrofer , elle s'étend en
ferpentant du midi au nord . Il paroît donc
évident que c'eft au bouleversement du
Cette cafcade naturelle eft une des plus belles
qu'on puiffe voir.
166 MERCURE DE FRANCE:
terrein & aux nouvelles eaux qui ont coulé
à travers ces terres , qu'on doit attribuer
la caufe de la pétrification des rofeaux &
des autres herbes qui fe font trouvés couverts
par ces terres. Les eaux , en filtrant
dans les terres nouvellement remuées , en
ont détaché une infinité de petits corpufcules
de pierre qui ſe ſont inférés & coagulés
dans les différentes matières dont
nous venons de parler ; ce qui , en confervant
la forme extérieure , a fait autant de
pierres qu'il s'eft trouvé de rofeaux &
d'herbes propres à recevoir ces principes
pétrifians.
C'eſt ainfi que Peau de la fontaine d'Arcueil
dépofe fur fon propre lit les principes
de pierre qu'elle a détachés dans la
montagne d'où elle tire fon origine , &
qu'elle roule avec elle : ce dépôt eft fi confidérable
qu'on eft de tems en tems obligé
de nettoyer les canaux qui la conduisent
depuis Arcueil jufqu'à Paris;la croûte qu'on
en tire n'eft autre chofe que l'amas des
petits corpufcules de pierre qu'elle dépoſe,
& dont la coagulation forme une pierre
véritable .
Si les eaux d'Arcueil fe pétrifient pour
ainfi dire elles-mêmes , pourquoi celles
qui roulent de femblables principes de
pierre ne pourroient-elles pas les dépofer
JUIN . 1755
167
dans les pores ouverts des roféaux & d'autres
plantes , & en former de véritables
pierres 2
Pour découvrir fi le principe pétrifiant
n'a été que paffager , ou s'il réfide encore
dans ce fouterrein , j'ai confeillé au propriétaire
d'enterrer plufieurs petits chiens
& chats dans la terre qui fe trouve audeffus
de la glaife : on pourra auffi y mettre
des rofeaux non pétrifiés , qu'il faudra
vifiter de tems en tems.
Cette découverte véritablement digne
de la curiofité des Phyficiens , eſt ſituée
dans le milieu du fauxbourg de la ville , du
côté de la porte qui conduit à Amiens.
Je ne fçaurois trop me louer de la complaifance
de M. de Calogne qui en eft le propriétaire
; c'eſt en fouillant dans fa cave
pour en tirer de la pierre , qu'il a trouvé
ce tréfor caché...
J'ai l'honneur d'être , & c.
A Amiens , ce 8 Avril 1755;
168 MERCURE DE FRANCE.
MEDECINE.
Lettre àM. Molinard , Docteur- Régent de
la Faculté de Médecine en l'Univerfité
d'Aix , fur la rage , & la maniere de la
guérir , &c.
Mma
ONSIEUR
, je vous promis dans
ma derniere lettre de vous communiquer
au plutôt les obfervations
que j'ai
faites fur la nouvelle méthode de guérir
la rage avec le mercure ; je m'acquitte de
ma parole. Il eft important que le public
foit inftruit des bons & des mauvais effets
qu'il en eft réfulté , & que la Médecine
connoiffe le dégré de confiance
qu'elle
doit accorder à ce remede employé comme
curatifou préfervatif de cette maladie. La
multitude des faits qu'il me reste à vous
décrire feront plus que fuffifans pour fixer
nos doutes fur cet objet , d'autant plus intereffant
que la rage regne affez fréquemment
dans ces cantons , & qu'il ne faut
la plupart du tems qu'un loup enragé pour
caufer des defordres affreux dans tout un
pays , comme vous allez voir.
PREMIERE
JUIN. 1755. 169
PREMIERE OBSERVATION.
Une louve enragée fortant du bois de la
Mole , terre appartenante à M. le Marquis
de Suffren , parcourut rapidement dans
une nuit du mois de Juin de l'année 1747
tout le terroir de Cogolin . On ne fçauroit
exprimer le ravage étonnant qu'elle caufa
dans le court eſpace de quelques heures ; la
campagne fe, trouvant alors remplie de
monde à caufe de la moiffon , hommes ,
femmes , enfans , chiens , chevaux & troupeaux
, rien ne fut exempt de fes morfures
: ceux qu'elle trouva endormis dans
les champs en reçurent d'épouventables ;
ceux qui fe défendirent & lutterent contr'elle
en furent moins maltraités ; enfin
on eut bien de la peine à fe défaire de ce
féroce animal , qu'il fallut pourfuivre une
partie du jour fuivant , & qui traverfa plufieurs
fois une petite riviere à la nage fans
aucune horreur de l'eau.
1
La confternation fut générale , lorfqu'on
vit au matin la quantité prodigieufe
des beftiaux qu'elle avoit en partie ou
égorgés ou déchirés fur fon paffage. Pref
que tous ceux qui furent mordus , parmi
lefquels on en comptoit cinq au vifage, dix
aux mains , aux bras & aux cuiffes ; une
jeune fille à qui la louve avoit emporté
I. Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE .
toute la mammelle gauche , & nombre
d'autres plus légerement bleffés & à travers
leurs habits , eurent recours aux dévotions
qu'on eft en ufage de pratiquer
alors , & rien de plus. Quelques - uns plus
avifés furent prendre les bains de la mer ,
mangerent l'omelette à l'huître calcinée
panferent leurs plaies fimplement , &
moyennant ces précautions fe crurent fort
en fûreté . Il n'y eut que Jofeph Senequier
& fon Berger , de la Garde-Freinet , qui eurent
volontairement recours à moi.
Senequier avoit reçu plufieurs coups de
dents à travers la joue , & fon Berger avoit
la levre fupérieure percée de la largeur de
deux grands travers de doigt , avec déchirement
de la gencive . J'eus bien de la
peine à raffurer leur efprit alarmé par la
crainte d'une mort prochaine : Senequier
fur- tout paroiffoit troublé à l'excès ; il avoit
déja fait fes dernieres difpofitions , & attendoi:
la mort avec un effroi inexprimable.
Je n'eus garde de réunir par la future
la levre déchirée de fon Berger ; je me
fervis feulement d'un bandage contentif
pour rapprocher les parties divifées , afin
que la pommade mercurielle dont je chargeai
les plaies , eût le tems d'y féjourner
davantage , & que la fuppuration fût plus
longue. L'expérience montra que je penJUIN.
1755 .
171
fois jufte cette manoeuvre amena une cicatrice
plus retardée & un crachottement
continuel dans l'un & l'autre , qu'on aufoit
pu caractérifer dans certains jours de
petits flux de bouche , & que j'entretins
tout le tems convenable par de légeres
frictions le long des bras & des épaules ,
fe tout accompagné des remedes & du régime
néceffaire à l'adminiftration du mercure.
Infenfiblement les plaies fe fermerent
, & j'eus le plaifir de les voir tous les
deux vingt jours après exempts de crainte
& parfaitement guéris.
Je ne m'en tins pas là. Perfuadé qu'un
Médecin chrétien & qui a pour objet le
foulagement des pauvres malades , doit
tendre une main fecourable à tous ceux qui
en ont befoin ; je fis avertir la plupart
des perfonnes qui avoient été mordues ,
que je les traiterois charitablement , &
qu'ils n'avoient qu'à venir au plutôt chez
moi . J'étois bien aife de vérifier par moimême
fi le mercure étoit ce fpécifique
que la Médecine cherche depuis long- tems
contre la rage , & je voyois à regret qu'une
occafion fi favorable à fes progrès m'échappât
; mais je ne fus pas affez heureux
pour le perfuader à ces bonnes gens , dont
la plupart , entierement guéris de leurs
plaies , fe figuroient n'avoir plus rien à
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
craindre : la prévention publique augmen →
toit doublement leur fécurité. On avoit
répandu de part & d'autre que la louve
n'étoit pas enragée ; que la faim feule l'avoit
fait fortir du bois ; on l'avoit vûe
dévorer avidement des chiens & des brébis
, traverſer une riviere à la nâge fans
craindre l'eau , ce qui n'eft pas ordinaire
, difoit - on , aux animaux atteints de
rage. Quelques Médecins publioient encore
qu'on ne connoiffoit aucun remede
affuré contre cette maladie ; qu'il y avoit
du mal à expérimenter un fecours douteux
; il n'en fallut pas davantage pour
détourner ceux qui auroient eu envie de
profiter de mes offres charitables. Le hazard
me procura feulement la vûe d'une
jeune fille que je trouvai un jour fur mon
chemin en allant à la campagne ; elle étoit
dans un pitoyable état . La louve lui avoit
déchiré tous les muſcles frontaux , percé
le cuir chevelu en plufieurs endroits jufqu'au
péricrâne , & avec perte de fubftance
; fes plaies multipliées fur lefquelles
elle n'avoit appliqué depuis plus de vingt
jours qu'un fimple digeftif , étoient encore
toutes ouvertes.
A la vue de cette fille je craignis d'autant
plus pour elle , qu'elle avoit laiffé
écouler un tems favorable à ſa guériſon ,
JUIN. 1755. 173
Comme elle reftoit à la campagne , & que
je ne pus la retenir auprès de moi , je lui
fis donner tout l'onguent mercuriel que
je lui crus néceffaire , avec ordre d'en
charger fes plaies foir & matin , de s'en
frotter légerement les bras & les épaules
lui recommandant de me venir voir au
plutôt pour juger du progrès du remede ,
& avifer à ce qu'il faudroit faire.
>
Huit jours après je la vis de retour chez
moi. J'examinai fes plaies , que je trouvai
à peu - près dans le même état . Sa démarche
tardive & chancelante , un air de trifteffe
répandu fur fa perfonne , des yeux égarés ,
& les frictions mercurielles qu'elle avoit
négligé de faire , s'étant contentée de panfer
fes plaies feulement avec la pommade
me firent foupçonner quelque chofe de
finiftre. Interrogée fi depuis ma derniere
entrevûe elle n'avoit point été attaquée de
quelque fymptome infolite , elle me répondit
naïvement qu'ayant voulu boire
un peu d'eau le jour d'auparavant , elle
avoit reculé d'horreur à l'afpect du liquide
, fans fçavoir à quoi en attribuer la
caufe ; que preffée par la foif elle étoit
venue plufieurs fois à la recharge , mais
que fes tentatives avoient toujours été
inutiles ; ce qui lui faifoit foupçonner ,
difoit - elle , d'avoir avalé quelque arai-
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
gnée l'inftant d'auparavant qu'elle avoit
bu , pour avoir un tel rebut des liquides.:
Cet aveu fincere me découvrit la trifte
origine de fon mal ; cependant comme elle
ne fe plaignoit qué d'une légere douleur au
gofier , qu'à ce terrible ſymptome près de
l'horreur de l'eau , elle paroiffoit aufli tranquille
que fi elle n'eût point eu de mal , je
réfolus de tenter quelque chofe pour elle.
D'ailleurs , je fçavois qu'on étoit accou
tumé dans le pays de prendre des réfolutions
violentes contre les hydrophobes ,
de les enfermer , de les attacher cruellement
; qu'on en avoit étouffé fous des ma-
'telats , & noyé dans la mer il n'y avoit
pas bien long- tems ; je crus que l'humanité
m'obligeait à prévenir de pareils defor
dres ; que le public raffuré à la vue de mon
intrépidité à les vifiter , à les fecourir , deviendroit
plus compatiffant en leur faveur
& que fi je ne pouvois les fauver , du
moins épargnerois-je ces funeftes horreurs
à ceux que j'augurois devoir être bientôt
les triftes victimes de la rage.
Comme il étoit deja tard je renvoyai
cette fille , avec promeffe de me rendre
chez elle au matin. Je la trouvai dans un
plus grand abattement qu'auparavant ; une
fombre trifteffe répandue fur fon vifage
annonçoit le progrès du mal. Son pouls
JUI N. 1755 175
L
}
étoit tendu & convulfif , fes yeux paroiffoient
brillans & enflammés ; fon golier
devenu beaucoup plus douloureux , ne lui
permettoit plus d'avaler la falive qu'avec
des peines inexprimables ; c'étoient autant
de pointes de feu qui la déchiroient en
paffant je voulus lui faire prendre une
prife de turbith minéral , que je délayai
dans un fyrop convenable , mais je ne pus
jamais l'y réfoudre vainement porta telle
plufieurs fois la cuiller à la bouche ,
elle recula toujours fa main avec horreur .
Ses douleurs ayant augmenté elle fe coucha
quelque tems après fur fon lit , où fa
mere la frotta fur plufieurs parties du corps
de la pommade mercurielle . Je m'apperçus
que pendant cette opération elle étoit agitée
de mouvemens convulfifs dans plufieurs
parties du1 corps , & qu'elle commençoit
à délirer , ce qui augmenta fi fort
que dans peu fon délire & fes convulfions
devinrent continuels . Son vifage s'enflamma
par gradation , fes yeux parurent étincelans
, on les auroit dit électrifés ; elle
vomit plufieurs fois quantité de glaires
épaiffes & verdâtres , avala une prune
qu'on lui préfenta , en grinçant les dents
& d'un air furieux , & mourut le foir fans
autre effort que cette agitation convulfive
de tout le corps dont j'ai parlé , & qui ceſſa
tout à-coup fans agonie . Hiv
.
176 MERCURE DE FRANCE.
La nuit venue, ayant heureufement pour
aide un Chirurgien que j'envoyai chercher
, nous ouvrîmes fon cadavre qui exhaloit
déja une odeur fétide & puante ,
quoiqu'il y eut à peine trois heures qu'elle
étoit expirée : nous trouvâmes l'eftomac
inondé de glaires verdâtres , les membranes
de ce vifcere marquées de taches livides
& gangreneufes , s'en allant en lambeaux
lorfque nous les preffions tant foit
peu , & laiffant échapper de leurs vaiffeaux
engorgés & confidérablement diftendus en
quelques endroits , un fang diffous & fans
confiftance. L'intérieur de l'ofophage nous
parut également tapiflé des mêmes glaires ,
toutes fes glandes muqueufes étoient fort
tuméfiées , & fon orifice fupérieur fi refferré
vers l'arriere bouche qu'à peine póuvoit
- on y introduire un ftilet. Les poumons
étoient engorgés d'un fang diffous
avec des marques de gangrene , ainfi que
le foie & la rate , que nous trouvâmes plus
defféchés ; la véficule du fiel entierement
vuide : les inteftins n'étoient pas exemts
de cette inflammation générale ; le cerveau
nous auroit également paru dans le même
état fi nous euffions été munis des inftrumens
propres pour en faire l'ouverture.
Je crus que cette mort précipitée détruiroit
les préjugés du public , & que l'on
JUIN. 1755. 177
appréhenderoit avec raifon les funeftes fuites
de la rage : mais que les hommes peu
éclairés aiment étrangement à fe faire illufion
! On avoit vû le jour d'auparavant
cette fille traverfer d'un air tranquille le
village de Grimaud , où elle étoit venue
me trouver : étoit- ce là , difoit - on , une
hydrophobe , une enragée , qu'on s'imaginoit
devoir pouffer des cris affreux , &
fouffrir des attaques horribles ? On crut
donc que féduit par les apparences d'un
mal , que je ne connoiffois pas , j'avois
voulu lui en abréger la durée , en la préci
pitant au tombeau par quelque remede approprié
, ainfi qu'une fauffe pitié le faifoit
pratiquer autrefois fur les hydrophobes ,
qu'on faignoit des quatre membres ou
qu'on abreuvoir d'opium.
>
L'événement diffipa bientôt cette calomnie.
Nombre des chiens mordus par la louve
quitterent leurs troupeaux , & difparurent
on vit mourir de la rage quantité
des beftiaux , & les hommes tarderent peu
à les fuivre. Daullioules & Courchet , tous
les deux mordus cruellement au vifage , &
déja parfaitement guéris , payerent fucceffivement
la peine de leur fécurité . Ce qu'il
y a de particulier dans ces deux perfonnes ,
c'eft
que Daullioules étoit fi perfuadé d'être
hors d'atteinte de la rage , qu'ayant
1
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
fenti tout-à-coup , un jour qu'il dînoit à la
campagne , une grande difficulté d'avaler
les dernieres gorgées d'un verre d'eau fuivies
de douleurs piquantes au gofier , il ſe
crut attaqué bonnement d'une efquinancie .
De retour chez lui il ne fe plaignit pas
d'autre chofe à fon Chirurgien , qui le
faigna en conféquence , & lui appliqua des
cataplafmes à la gorge. Un Médecin qu'on
envoya chercher dans le voifinage , ne
le crut pas autrement malade. Il est vrai
qu'ayant voulu prendre du bouillon , on
fut étrangement furpris des contorfions
qu'on lui vit faire ; mais on attribuoit
toujours ce fymptome à l'inflammation du
gofier.Daullioules en étoit fi perfuadé qu'il
fe paffa plufieurs fois une bougie dans le
fond de la bouche , pour enlever , difoit-il ,
l'obſtacle qui s'oppofoit à la déglutition , &
l'expulfer par le vomiffement ; mais fes douleurs
dégénerant en étranglement fubit ,
avec perte de la refpiration lorfqu'ilvouloit
boire , & cet étrange fymptôme renaiffant
toutes les fois qu'on lui en préfentoit , il
comprit qu'il y avoit de l'extraordinaire
dans fon mal , & avoua lui - même aux affiftans
qui avoient perdu l'idée de fon dernier
accident , que c'en étoit ici les triftes
fuites. Il fut bientôt dans la grande rage,
& mourut le troifieme jour , après avoir
JUIN 11755: 179
fouffert de terribles attaques , qui l'obligeoient
à traverfer fon jardin en parlant ,
& s'agitant continuellement , de peur d'étouffer
à ce qu'il difoit.
Courchet qui ne fe croyoit pas moins
en fûreté que Daullioules , connut fon mal
à la premiere difficulté qu'il éprouva en
bûvant ; il foupoit alors dans une auberge
où il fe trouvoit , à quelques lieures de chez
lui. L'exemple de Daullioules , qu'il avoit
vû mourir la fémaine d'auparavant , lui
dépeignit encore mieux le danger qui le
menaçoit. Il retourna fur le champ à Cogolin
, non fans beaucoup de peine &
d'embarras , ayant à paffer une riviere ,
au bord de laquelle il héfita long-tems , en
pouffant des cris & des gémiffemens pitoyables
, juſqu'à ce que s'étant bandé les
yeux pour ne pas voir l'eau , il la franchit
de la forte. Arrivé chez lui , on le vit
s'enfermer dans une chambre obfcure fans
vouloir parler à qui que ce foit , priant
feulement de boucher tous les endroits qui
lui donnoient du jour , & menaçant qu'il
pourroit bien mordre fi on l'approchoit de
trop près. Il mourut ainfi le troifieme jour .
Ces accidens réitérés dans l'espace d'un
mois, & demi tout au plus , ouvrirent enfin
les yeux à ceux qui reftoient. Il ne fut
plus queſtion de foutenir que la louve
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
ས
n'étoit
pas enragée ; la fécurité fit place à
la crainte d'un femblable malheur . Tous
ceux qui avoient été mordus voyant Sé
nequier & fon Berger plus maltraités que
les autres , jouir également d'une parfaite
fanté , fe rappellerent alors les offres charitables
que je leur avois faites il y avoit
plus d'un mois ; ils accoururent inceffamment
à Grimaud me demander du fecours.
La plupart , au nombre de huit , étoient
déja guéris de leurs plaies , n'ayant été
mordus qu'aux mains & aux jambes ; il n'y
avoit que la jeune fille , appellée Courchet
, à qui la louve avoit déchiré la mammelle
gauche , dont les plaies fe fermoient
à peine. M'ayant avoué qu'elle y fentoit
de la douleur , je redoublai d'attention en
les faifant couvrir trois fois le jour d'une
dragme de la pommade mercurielle : on
en fit autant à fes compagnons ; ils prirent
quelques dofes de turbith minéral & de la
poudre de palmarius , furent affujettis à
des frictions réglées ; & lorfque je les vis
plus tranquilles , je les renvoyai chez eux
en leur prefcrivant ce qu'ils avoient à obferver
jufqu'à entiere guérifon .
Il n'y eut que le pere de la jeune Courchet
qui ayant été feulement égratigné par
la dent de la louve fur le dos de la main ,
& voyant fa petite plaie fermée dès le troi7
JUI N. 1755 .
181
fieme jour , crut n'avoir pas befoin des remedes
préfervatifs que j'avois donnés à ſa
fille. Deux mois & plus s'écoulerent fans
que j'entendiffe parler de lui , lorfqu'un
bruit fourd s'étant répandu qu'il étoit dans
la rage depuis trois jours , je me rendis expreffément
chez lui pour fçavoir au juſte
ce qu'il en étoit.
Je le trouvai affis fur la porte de fa
chambre , fa fille préfente , & nullement
émue du malheur de fon pere , qui me parut
alors fort tranquille , fans donner aucun
figne apparent de rage , quoiqu'on
m'eût affuré qu'il pouffât des hurlemens
affreux depuis deux jours. L'ayant interrogé
par quel accident il fe trouvoit dans
l'état qu'on m'avoit annoncé , & pourquoi
il n'avoit point voulu ufer des remedes
préfervatifs aufquels fa fille plus maltraitée
que lui , devoit fa guérifon .
Il me répondit que voyant fa plaie
qu'il n'avoit caractérisée que de fimple
égratignure , fermée dans l'efpace de deux
ou trois jours , & n'y ayant jamais fenti
la moindre douleur , les fuites lui en
avoient paru de fi peu de conféquence ,
qu'il n'avoit pas jugé à propos de prendre
mes remedes , d'autant mieux qu'il avoit
oublié promptement fon malheur , &que
fans un mouvement extraordinairequi
182 MERCURE DE FRANCE.
s'étoit fait fentir depuis peu fous la petite
cicatrice de fa plaie , rien n'auroit pû lui
en rappeller le fouvenir . Ce mouvement ,
à ce qu'il m'ajoûta , dégénera bientôt en
vapeur fubtile , qui montant diftinctement
le long du bras & du cou , fut fe fixer au
gofier , d'où s'enfuivirent peu-à-peu la perte
d'appétit , la douleur , les étranglemens
la fuffocation & l'hydrophobic .
Ce narré qui me parut intérellant pour
la théorie de la rage , me détermina à reſter
plus long-tems auprès de lui : je trouvai
fon pouls un peu tendu & convulfif , fans
fievre cependant ; il avoit quelque chofe
de hagard & de féroce dans l'afpect ; fes
yeux paroiffoient égarés & menaçans , il
frémiffoit dès qu'on l'approchoit tant ſoit
peu , les tendons de fes bras fouffroient
alors des foubrefauts & des tremblemens involontaires
, & l'on ne pouvoit le fixer fans
émotion . Ayant été me laver enfuite dans
un coin de la chambre , fans trop refléchir
à l'horreur que tous ces malades ont pour
la vue même des liquides , à peine vit - il
quelques gouttes d'eau répandues à terre ,
que fe levant avec fureur de fon fiége il
fe précipita rudement fur le plancher , en
fe bouchant les yeux , s'agitant comme un
épileptique , & pouffant des cris & des
hurlemens fi affreux , que tous les affifJUI
N. 1755.
183
tans faifis d'horreur à cet étrange fpectacle,
s'enfuirent auffi- tôt. Refté feul auprès de
lui je l'encourageai par mes difcours à fe
rendre le maître , s'il pouvoit , de ces mouvemens
; mais il me pria avec inftance de
faire emporter jufqu'aux plus petits vafes
où il y avoit de l'eau , parce que la vûe de
ce liquide étoit pire pour lui que de fouf ..
frir mille morts. Après qu'on lui eut obéi ,
il devint plus tranquille , & fe remit fur
fon féant , comme fi rien ne lui étoit arrivé .
Je lui propofai alors , pour furmonter
fon horreur de l'eau , de fe laiffer plonger
plufieurs fois dans un bain qu'on lui prépareroit
; mais il me conjura , les larmes aux
yeux ,
de ne pas
lui en parler feulement ,
de peur que cela ne réveillât en lui des
idées dont les fuites lui devenoient fi terribles.
Je me contentai feulement de le
preffer de fe couvrir une partie du corps de
la pommade mercurielle que je lui fis don
ner pour cela. Il m'obéit volontiers ; mais
aux premieres frictions qu'il fe fit le long
du bras , il fut pris de fi grands tremblemens
& d'une fuffocation fi convulfive au
gofier , qu'il me protefta plufieurs fois qu'il
alloit fe précipiter de la fenêtre pour s'en
délivrer. Encouragé de nouveau à fupporter
patiémment cette attaque , il continua
fon ouvrage, toujours avec des mouvemens
184 MERCURE DE FRANCE.
fi extraordinaires , des cris fi féroces , des
juremens & des lamentations fi touchantes,
que c'étoit une vraie pitié de voir une fi
étrange alternative : enfin s'étant couvert
de l'onguent une partie du corps , il parut
auffi tranquille que la premiere fois .
Demi-heure après les mêmes accidens
lui reprirent avecun vomiffement de glaires
verdâtres ; fon horreur de l'eau diminua
cependant tout-à-coup : il vit manger
& boire fon époufe fans nulle averfion ,
fans nulle crainte des liquides , ordonna
même qu'on lui préparât à fouper , affurant
qu'il boiroit à fon tour , & qu'il ne ſe
fentoit plus aucune répugnance pour cela .
Depuis ce moment fes accidens convulfifs
furent peu de chofe , il ne fe plaignit d'aucune
douleur. Déja fes parens fe flatoient
qu'il feroit en état de fouper bientôt
n'ayant pu rien manger ni boire depuis
trois jours ; mais ayant fouhaité repoſer
quelques momens auparavant, il fe coucha ,
fe couvrit la tête du drap , & mourut de la
forte fans qu'on s'en apperçut qu'au mo
ment qu'on fut pour l'éveiller . Tous les
autres qui s'attendoient d'avoir le même
fort , furent agréablement trompés , ils
jouiffent encore aujourd'hui d'une parfaite
fanté , & tout le Golfe de Saint-Tropès
pourra vous attefter leur guérifon .
JUIN.
1755 183
II. OBSERVATION.
En 1748 , au mois de Décembre , un
Chirurgien ayant été mordu par un chien
enragé fur le dos de la main , partie trèsdangereufe
comme l'on fçait ; rêvant chaque
nuit à des combats avec des loups &
des chiens enragés , & s'éveillant alors faifi
d'épouvante & couvert de fueur , vint
me faire part vingt jours après de fon trou
ble. L'application de la pommade mercurielle,
réitérée journellement , fur la plaie,
& quelques dofés de la poudre de palmarius
, le préferverent de la rage.
111. OBSERVATIO N.
En 1749 en hiver , je fus mordu au dos
de la jambe par un petit chien qu'une
jeune Demoiſelle tenoit couché fous fes
jupes , & près de laquelle je paffai un jour
que j'étois à la campagne . La qualité de la
morfuré qui faigna peu , l'efpérance pofitive
que cette Demoiſelle me donna que
fon chien n'étoit pas enragé , joint à un
voyage que je fis le lendemain d'affez long
cours , me firent bientôt oublier ce petit
accident'; je n'y aurois même plus penfé
fi ce n'eft qu'ayant fenti de tems à autre
un fentiment douloureux fous la cicatrice
186 MERCURE DE FRANCE.
de la morfure qui fut promptement fermée
, je craignis avec fondement que le
chien ne fût dans un commencement de
rage que la Demoiſelle ne connoifloit pas,
De retour un mois après au même canton ,
je courus m'informer fi le chien vivoit encore
; on m'apprend qu'il s'étoit égaré le
lendemain d'après la morfure qu'il m'avoit
faite , & qu'il avoit pareillement mordu
quantité d'autres chiens. Un trouble
fubit s'empare de moi , je deviens fombre
& rêveur , je me veux du mal d'avoir été
peu attentif à me préferver moi- même,
tandis que j'avois en tant d'empreffement
pour les autres. La cicatrice devient plus
douloureufe ; ma confternation augmente ;
je cherche de l'eau pour voir fi je fuis hydrophobe.
J'accours à la ville , je fais appliquer
fans délibérer une ventoufe fur la
cicatrice de la plaie qu'on fcarifie profondément
, & que je laiffe faigner tout le
tems qu'il faut ; je la couvre de mercure
deux fois la journée , j'en frotte encore
tout le long de la jambe , je prends deux
fois le turbith minéral , à la dofe de trois
grains , qui m'évacue copieufement par
haut & par bas ; je continue les frictions
quinze jours de fuite , le trouble fe diffipe
, l'efpérance renaît , la plaie fe referme
, & les chofes vont au gré de mes
fouhaits.
JUIN. 187 1755.
IV. OBSERVATION .
La fille de Clément Olivier de Sainte-
Maxime , âgée de dix- fept ans , fut mordue
au mois d'Avril de l'année 1750 , par
un gros chien enragé , qui la renverfa par
terre , lui fit plufieurs plaies confidérables
aux bras , à la main & aux jambes , ayant
emporté les chairs dans quelques endroits.
Il fallut bien du tems à toutes ces bleffures
pour être cicatrifées ; on ne les panfa qu'avec
la pommade mercurielle & le digeftif
ordinaire : je lui fis faire quantité de frictions
fur les bras, les épaules & les jambes ,
ayant été faignée auparavant pour prévenir
l'inflammation , & purgée plufieurs fois
avec le turbith mineral. Dès les premiers
jours cette fille avoit fon fommeil interrompu
par des rêves effroyables , croyant
être aux prises avec le chien enragé :
dès que le mercure commença à pénétrer
dans le fang , la confiance reparut , fes alarmes
s'évanouirent ; les plaies ne furent
tout- à- fait fermées que deux mois après.
Elle jouit encore d'une parfaite fanté .
V. OBSERVATION.
Les nommés Olivier , la Rofe & Pafcal ,
de Caillian , furent pareillement mordus`
188 MERCURE DE FRANCE .
par un chien enragé en 1751 , l'un à la
jambe , l'autre à la cuiffe , les lambeaux des
chairs emportés. Je les mis à l'ufage de la
même méthode ; ils laifferent leurs plaies
long- tems ouvertes , prirent deux fois le
turbith minéral , n'employerent que la
pommade mercurielle dans le panfement ,
& les frictions que je leur ordonnai de
faire le long des parties bleffées ; ils vivent
encore aujourd'hui guéris & contens .
VI. OBSERVATION.
La fille du fieur Ferran , Aubergifte , de
Graffe , ayant été mordue à travers la
main gauche le mois de Septembre de l'année
paffée par un chien vraisemblablement
enragé , eut fa plaie bientôt confolidée
par le fecours de fon Chirurgien . Son
pere à qui des perfonnes dignes de foi
affurerent dans la fuite que le chien qu'on
avoit tué fur le champ en avoit mordu
quantité d'autres , me confia fa fille , ſur
la propofition que lui en fit M. l'Abbé
Laugier , Maître de Mufique de cette ville
, pour la préferver du malheur dont
elle étoit menacée . Je trouvai quinze jours
après fon accident la cicatrice de fa plaie
fort douloureufe ; ce qui m'obligea à l'affujettir
d'abord à quelques frictions réglées
JUIN. 189
1755 4
fur cette partie ; elle prit cinq à fix jours
après de petites dofes de turbith minéral ,
& dès que la douleur eut difparu , je fis
difcontinuer les frictions de la pommade
mercurielle elle eft encore aujourd'hui
en bonne fanté .
Tel eft , Monfieur , le précis des obſervations
qui décident de la fûreté du mercure
, comme un préfervatif affuré contre
la rage . Celles qu'il me reste à vous communiquer
pour n'avoir pas eu de fi heureux
fuccès , n'en prouveront pas moins
la bonté de ce remede , & nous fourniront.
aifément des conféquences & des inductions
néceffaires pour établir une théorie
plus exacte & une curation plus certaine
de cette maladie : ce fera à vous à en juger.
Je fuis , Monfieur , &c.
Darlue , Docteur en
Médecine .
A Callian , ce 25 Mars 1755 .
190 MERCURE DE FRANCE.
1
CHIRURGIE.
LETTRE au Frere Côme , contenant une
obfervation , qui prouve de plus en plus
l'utilité du Lithotome caché pour l'opération
de la Taille.
ONSIEUR › dans le courant du
Mmois de Juillet de l'année 1754 , je
fus appellé à Bourbon- l'Archambault ,
pour voir la nommée Anne de Canys , native
de Moulins en Bourbonnois , âgée de
huit ans , qui depuis trois ans reffentoit
des douleurs très -aigues , caufées par une
pierre dans la veffie . Dans l'hiftoire que
me firent les deux Médecins & le Chirurgien
du lieu , j'appris qu'un Maître en
Chirurgie de Paris , qui pour lors fe trouvoit
aux eaux , en venoit de tenter l'extraction
à l'ancienne maniere , & qu'il
avoit échoué. Il propofa , comme l'unique
moyen de l'extraire , votre lithotome caché
je voulus fonder la malade , mais
une inflammation confidérable du canal
de l'uretre caufée par cette tentative cideffus
, m'obligea de différer jufqu'à ce
que cette partie ait repris fon état naturel.
JUN. 1755... 191
Dans le commencement du mois d'Août
on fit tranfporter ladite malade à Moulins
: je la fondai & reconnus la pierre ;
mais un cours de ventre , accompagné
d'une fievre lente , jointe aux douleurs
caufées par ce calcul , avoient mis cet
enfant dans une fituation fi trifte que je
fus obligé de retarder l'opération , & de
travailler à détruire ou calmer tous les
accidens. Près de fix femaines s'écoulerent
fans que la nature ait voulu feconder
mes foins. Plufieurs de mes confreres qui
pafferent ici avec leurs régimens , & plufieurs
Maîtres de l'art les plus éclairés de
cette ville , qui virent cet enfant , me confeillerent
, pour ma réputation , de ne pas
entreprendre une opération qui ne pouvoit
être qu'infructueufe ; mais connoiffant
par expérience les fuccès de votre méthode
, je n'eus en vûe que la guériſon de
la malade , ou une diminution confidérable
dans cette complication de maux. Je
la taillai le huit Octobre de la même année
, en préſence de M. Jamé , Chirurgien
major du Régiment Dragons de Beaufremont
, & du R. P. Eleutere Benoît , Chirurgien
de la Charité je lui tirai une
pierre de la groffeur d'un oeuf de pigeon.
La malade a été guérie fans panfement le
,
192 MERCURE DE FRANCE.
dix-feptieme jour, & les accidens ci-deffus
ont totalement cellé : elle jouit aujourd'hui,
d'une parfaite fanté. Je vous prie , Monfieur
, s'il eft poffible , de faire inférer
cette opération dans le Mercure , je vous
en ferai très - obligé : j'ai quelque incrédule
à convaincre.
J'ai l'honneur d'être , &c.
Gerard , Chirurgien major
du Régiment de Berry ,
Infanterie.
A Moulins , ce 23 Avril 1755.
'ARTICLE
JUI N. 1755+ 193
ET V
ARTICLE
IV .
BEAUX - ARTS.
1 ;
MUSIQUE.
Euvres poftumes de M. Grandval , ancien
Organiste de Saint Germain- en- Laye .
procurer Gy chintates d'un
Na cru faire plaifir au public de lui
procurer fix Cantates d'un goût fingulier
, trois férieufes & trois comiques ,
trouvées dans les papiers du Sr Grandval
fi connu par la parodie de la Cantate d'Or
phée , par les divertiffemens de plufieurs
pieces du théâtre françois , & par le Menuet
qui a confervé fon nom . On retrouve dans
les paroles de ces Cantates la même gaieté
répandue dans le poëme de Cartouche , de
la compofition du même auteur. Ce recueil
fe vend chez Lambert , Libraire , rue &
à côté de la Comédie Françoife , au Parnaffe
, & aux adreſſes ordinaires de muſique
, & chez le fieur Madroux , éditeur
des Cantates , rue du petit Lion S. Sulpice ,
chez M. Robert , Sellier :
1. Vol.
194 MERCURE DE FRANCE.
SIX TRIO pour deux violons & la
baffe , dédiés à M. le Marquis de Cernay ,
Lieutenant général des armées du Roi ,
Commandeur de l'Ordre royal & militaire
de S. Louis . Par M. Lamoninary , OEuvre
3º. gravés par Mlle Bertin , prix 7 liv. 4 f.
Chez l'Auteur , à Valenciennes à Paris ,
chez le Sr Bayard, rue S. Honoré, à la Regle
d'or ; le Sr Vernadet , rue du Roule , à la
Croix d'or ; Mlle Caftagnery , rue des Prou
vaires , à la Mufique royale , M. Guerfan ,
Luthier , près la Comédie Françoife ; avec
privilege du Roi. L'accueil favorable que
le public a fait aux deux premiets OEuvres
de cet auteur , fait eſpérer qu'il applaudira
A ces nouveaux Trio .
SIX SYMPHONIES pour deux viofons
, alto viola , baffon , ou violoncelle
obligé , avec la baffe continue : compofées
par M. Papavoine , gravées par Mme Leclair
, prix 7 liv . 4 f. OEuvre 3 ° . A Paris
chez l'Auteur , rue S. Honoré , vis-à- vis
l'hôtel de Noailles ; le Sr Vernadé , rue du
Route , à la Croix d'or ; le Sr Bayard , rue
S. Honoré , à la Régle d'or ; Mlle Cafta.
gnery , rue des Prouvaires , à la Mufique
royale.
CATALOGUE des OEuvres de M. & de
JUIN. 1755. 195
Mme Papavoine. 1. Six Symphonies à
quatre parties , 6 liv. 2 ° . Pieces de clavecin
avec accompagnement de violon , 7 liv.
41. 3. Six Symphonies, à quatre parties ,
avec un baffon ou violoncelle obligé , 7 1 .
4f. Les fix premieres Cantatilles font fous
le nom de Mlle Pellecier. Les Arrêts d'Amour,
1 liv. 4 f. La Tourterelle , 1 1. 4 f.
Les Charmes de la voix , 1 l . 4 f. La Fête
de l'Amour , 1. 4 f. Iffé , 1 l . 4 f. Le Joli
rien , 11. 16 f. Le Triomphe des plaiſirs ,
I liv. 4 fols.
+
I
SONATES pour deux flûtes , compofées
par M. Devenet , Ordinaire de la mufique ,
Chapelle & Chambre du Roi , gravées par
Mme Leclair ; prix 4 liv. 16 f. Euvre 1 .
Chez l'Auteur , à Verfailles ; à Paris , chez
le Sr Vernadé , rue du Roule , à la Croix d'or;
le Sr Bayard , rue S. Honoré , à la Régle
d'or ; Mlle Caftagnery , rue des Prouvaires ,
à la Mufique royale ; & le St Lambert , Libraire
, près la Comédie Françoife.
L
GRAVURE.
A nouvelle eftampe que M. de Marcenay
vient de mettre au jour , eft gravée
d'après un payſage de Lucas Van-Uden ,
I ij
796 MERCURE DE FRANCE .
*
·
Peintre célebre dans ce genre , & qui a
-mérité l'eftime de Rubens pour lequel il a
travaillé fouvent. Le fujet eft un commen-
⚫cement d'orage ; le foleil fe couche & fait
place à des nuages qui s'amoncelent & qui
doivent renfermer la foudre , à en juger
-par l'action des figures , dont l'une à genoux
, les mains jointes & l'air effrayé ,
femble prier Dieu de détourner le nuage
i'épais qui s'avance ; les deux autres qui tèmoignent
également de l'effror , accélerent
le pas pour s'en mettre à l'abri , ce qui ' a
déterminé l'auteur à lui donner le titre
fuivant :
C
·
Coup
Le ciel fe couvre. Hâtons- nous,
.Il eft affez probable par le détail immen
fe & très-difficile à rendre dans la gravute
dans lequel Van- Uden eft entré , que c'eft
une vue de Flandre prife de la montagne ,
qui forme le premier plan , d'où l'on découvre
tine vafte plaine très - cultivéé ,
quoiqu'il y ait de grandes forêts ; une belle
riviere , après y avoir formé différens circuits
, y vient baigner fur le devant un antique
château , & entretenir par la fraîcheur
de fes eaux celle d'un bois , dont
Eépais feuillage paroît impénétrable aux
ardeurs du foleil.
Le Peintre a répandu dans ce tableau de
JUIN
1755. 197
grands effets , foit par les beaux accidens
qu'il y a ménagés habilement , foit par les
objets qui y étoient naturellement difpofés
; d'ailleurs il l'a peuplé d'une façon ,
agréable. On y voit un vol de heron , des
cygnes , des canards & des moutons qui
paiffent. Le Graveur a fi bien imité fa maniere
, qu'il eft devenu le rival de fon mo-,
dele , & qu'il paroît lui- même créer un
nouveau genre dans fon art. Son eftampe,
fe vend chez lui , rue des Vieux Auguftins ,
PORTRAIT de M. Chardin , deffiné
par M. Cochin , & gravé par M. Cars. Sa
reffemblance y eft heureufement faifie ;
cette naïveté qui forme fon caractere &
qui regne dans fes ouvrages , y frappe
d'abord les regards : on y reconnoît le La
Fontaine de la peinture.
T
Voici des vers faits pour être mis au bas
de cette eftampe. Un Artifte d'un talent fi
vrai mérite bien cette diftinction , & ne
peut être , felon moi , trop dignement cé-
Tébré par tous les arts réunis enſemble.
De quoi pourroit ici s'étonner la nature
C'eft le portrait naïf de l'un de ſes rivaux,
S'il refpire en cette gravure ,
Elle parle dans fes tableaux.
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
MOYREAU , Graveur du Roi , en fon
Académie royale de Peinture & de Sculpture
, vient de mettre au jour une nouvelle
eftampe qu'il a gravée d'après P. Wouvermens
, qui repréfente l'Ecurie flamande .
Le tableau original appartient à M. Denis ,
Tréforier général des Bâtimens du Roi ;
c'eft le n° . 79 de fa fuite . La demeure du
Graveur eft rue des Mathurins, la quatrieme
porte cochere à gauche , en entrant par la
rue de la Harpe.
ARTS UTILES.
ARCHITECTURE.
N de parler de Futilité & du progrès de
Ous avons eu plufieurs fois occafion
l'Ecole des Arts , établie à Paris par M."
Blondel, Profeffeur d'Architecture , rue de
ta Harpe ; mais les foins continuels que
fe donne cet Artifte pour le bien public &
la gloire de fon art , nous fourniffent fouvent
de nouveaux fujets de renouveller les
éloges que nous avons donnés au chef &
aux éleves. Les cours publics d'architecture
que M. Blondel donne chez lui gratuitement
les Jeudis , Samedis & DimanJUI
N. 1755
THELLE
J
ches , divifés
en Cours élémentaires
, de
YON
93
*
tique & de théorie , & que nous avons
annoncés dans les Mercures de Juin 17
& Juillet 1754 , n'ont point diminué fes
attentions pour les élèves qui lui font
confiés ; mais pour rendre fes contemporains
témoins des espérances que
l'on
peut
concevoir des talens naiffans de fes difciples
, M. Blondel a diftribué le 26 du mois
d'Octobre dernier , en préfence d'une affemblée
nombreufe & choifie , les prix
qu'il avoit propofés par divers programmes.
>
Les projets admis au concours furent
jugés par les Académiciens & les Artiſtes
les plus célebres , par les amateurs & les
connoiffeurs les plus éclairés , que le Profeffeur
avoit invités chez lui , & qui fe
font fait un plaifir de feconder par leur
préfence l'émulation des éleves & le zéle de
l'auteur. Douze de ces éleves ont concouru
dans quatre différens genres de talens
dont plufieurs d'entr'eux avoient déja remporté
des prix les années précédentes,
Par le premier programme pour les prix
d'architecture , on demandoit un édifice
public contenant diverfes galeries au
premier étage qui devoit être élevé fur
» un foubaſſement ; quelques -unes de ces
y galeries devoient être deftinées en parti,
I iiij
200 MERCURE DE FRANCE .
ور
» culier à contenir une bibliothéque , ainfi
» que la collection des eftampes & des
» deffeins des grands maîtres ; les autres
» devoient fervir de dépôt pour les antiques
; les médailles , &c. Il falloit auffi
» dans cet édifice deux magnifiques fal
» lons ; l'un pour contenir les tableaux des
» différentes écoles de l'Europe ; l'autre
" pour raffenibler les diverfes curiofités
» concernant l'hiftoire naturelle ; enforte
que ce temple des fciences , des arts &
» du goût , diftribué avec fymmétrie , &
compofé de formes régulieres & graves (
» devoit fuppofer pouvoir contenir dans
» un même lieu les livres , les manuf
crits , les eftampes , les médailles & les
bronzes qui fe voient à la Bibliothéque
du Roi , rue de Richelieu ; les antiques
» du Louvre , les tableaux du Luxem
bourg , & les cabinets d'hiftoire naturelle
du Jardin royal. Toutes ces diffé
rentes piéces devoient avoir chacune les
dépendances de leur reffort , & fe communiquer
par de grands efcaliers , auf
quels il falloit arriver à couvert dès la
principale entrée de l'édifice .
3
On diftribua pour ce projet trois prix ,
qui confiftoient en trois médailles d'argent
, la premiere d'un marc , &c. Celleci
fut adjugée à Samuel- Bernard Perron s
JUIN. 1755. 201
le cadet , de Poiffi ; la feconde à Jacques
Dumont , de Limoges , & la troiſieme â
Jean-Baptifte Daubenton de Paris .
ខ
"
Par le fecond programme , on exigebit
le projet d'une fontaine propre à être
R érigée au milieu d'une grande place ,
» telle que l'efplanade du pont tournant.
» Cette fontaine devoit être dans le goût:
de celle de la Place Navonne , à Rome ;
le bas pouvoit être compofé d'une archi
» tecture ferme & ruftique , élevée au mi-
» lieu d'un grand baffin de forme variée ;
» ou bien , au lieu d'architecture , on pouvoit
faire ufage de rochers , dont la plus
grande partie percée à jour laifferoit voirt
» des nappes , ou torrens d'eau d'un aſſez ,
gros volume. Au deffus de cette archi-
» tecture ou rocher pouvoient être pla-
» cées plufieurs figures , telles que celles dé
la ville de Paris , celles du commerce ,
» l'abondance , la Seine , la Marne , des
» Nymphes , des Tritons , &c. au milieu
» defquelles devoit s'élever une grande.
"pyramide ou colonne.coloffale enrichie.
» de fculptures relatives au fujet , & termi-,
» née ( en fuppofant qu'on préférât la co-
» lonne à la pyramide ) de la ftatue pé-
» deftre du Prince , ou autrement de fes
armes & fupports . Biogr
Ce prixa été remporté par Jean Raphaël
1
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
Servandoni , fils du célebre Peintre &
Architecte de ce nom ; il avoit préferé l'o
bélifque à la colonne.
Le troifieme prix étoit deftiné à celui
des douze concourans qui auroit le mieux
imité un fort beau deffein en encre de
la Chine de Gilles Oppenor , repréſentant
un morceau d'architecture mêlé de figures
& de payfages , du cabinet de M. Perronet.
Il fut adjugé à Bernard Jofeph Perron ;
Paîné , de Poiffi .
·
Le quatrieme enfin étoit un Deffein fur
papier bleu, du cabinet de M. d'Argenville,
original de Noël Coypel , repréfentant un
fujet d'hiftoire romaine : il fut décerné à
Jacques Dumont , de Limoges.
Dans les compofitions qui n'ont point
remporté de prix , on en a remarqué plu
fieurs dignes d'applaudiffemens ; ce qui fir
fouhaiter aux amateurs d'avoir une plus
grande quantité de médailles à diftribuer.
De ce nombre étoient les projets de René
Lamboth ; de Paris ; de Charles Gontard
de Bareith , & de Jacques Heumann ,
d'Hanovre , & c .
A propos de la diftribution de ces prix ,
nous allons donner une idée du plan de
cette école des arts : nous croyons qu'on
verra avec plaifir l'ordre & l'enchaînement
des leçons publiques & particulieres qui
JUIN. 1755. 203
4
teur en a dic s'y donnent. Voici à peu près ce que l'au
lui - même dans divers programmes
qu'il a fait imprimer,
Après plufieurs années d'études , dit- il ,
& après avoir formé plufieurs éleves , dont
quelques- uns font penfionnaires de Sa
Majesté à Rome , & d'autres font de retour
en France , il avoit fenti que fon travail
feroit infuffifant s'il ne le portoit plus
loin , parce qu'il entendoit continuellement
ces élèves même s'écrier , que l'étude que
le Profeffeur leur propofoit , ainfi que
la
connoiffance directe de tous les arts, étoient
ignorées de la plupart des perfonnes de la
profeffion ; que Meffieurs tels & tels ne
fçavoient rien ou très - peu de chofe ; que
la plupart de ceux - même qui ont le plus
de réputation , n'avoient aucune teinture
des mathématiques , & qu'ils deffinoient
médiocrement ; que celui - ci ne poffedoir
bien que la diftribution ; que celui - là n'entendoit
que la partie de la décoration intérieure
, l'un la conftruction , l'autre la
partie du jardinage , &c. que d'ailleurs
la plus grande partie des hommes en place
méconnoiffoient les talens , eftimoient peu
les arts , & regardoient avec indifférence
les Artiftes. Ce langage , qui n'eft que trop
commun & qui n'eft pas fans fondement
eft presque toujours celui de la multitude
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
il contribue infenfiblement à déterminer
moins d'excellens fujets ; il amene au relâ
chement de l'étude , & ne nous fournit
que des hommes fuperficiels.
Pour remédier à un abus auffi préjudiciable
au progrès des arts , pour arrêter le
cours d'un propos fi funefte , & exciter une
véritable émulation chez nos citoyens , M.
Blondel a ouvert gratuitement des leçons
publiques mais pour que ces leçons puffent
tourner au profit de la fociété en
général , il les a préfentées fous différentes
faces , fuivant qu'il a reconnu la néceffité
de parler à chacun le langage qui lui convenoit
. Ce moyen lui a réuffi , ainfi que
l'on devoit s'y attendre . En effet , fon cours
élémentaire conduit néceffairement les
hommes bien nés aux connoiffances dur
beau , leur fraye une route sûre pour juger
pertinemment de nos édifices , les accoutume
à fe dépouiller de tout préjugé natio
nal , & leur fait connoître les auteurs &
les Artiftes les plus célebres : ces lumieres
acquifes de la part des amateurs , devien
nent fans doute une faveur de plus pour
l'Artifte qui veut devenir habile , parce
qu'il conçoit par- là que fes talens feront
préconisés par des hommes éclairés , &
que ce fera autant d'obftacles pour les
hommes médiocres qui oferont moins fe
JUIN. 1755. 205-
: montrer au grand jour. D'ailleurs le
nombre des honnêtes gens qui font attirés
à ce cours élémentaire , contribue à l'ému-}
lation qui regne dans cette école : il infpire
aux éleves qui font confiés au Profeffeur
le defir de s'inftruire , les engage à la dé->
cence , & excite en eux l'amour du bien ;
autant de motifs infaillibles pour former à
l'avenir des chefs intelligens..
Son cours de théorie eft deſtiné , non
feulement aux jeunes Architectes , mais
aux Peintres , Sculpteurs , Décorateurs ,
Graveurs , qui fe trouvant ainfi raffemblés , 1
& conférant enfemble à certains jours !
nommés , s'entrecommuniquent leurs dis
verfes connoiffances , leurs découvertes ,
leurs productions , & s'entretiennent utilement
des fciences & des arts. Le Géomé-:
tre acquiert du goût ; l'Artifte regle fes :
idées par le fecours du Mathématicien :>
tous fe réuniffent avec le Profeffeur. pour
vifiter avec fuccès les édifices du fiecle
paffé , & fe procurent une entrée libre
dans les atteliers de nos célebres Artiftes.i
Les bibliothèques , les édifices facrés , les
maifons royales , les cabinets des curieux ,
s'offrent à leurs regards ; en un mot , tout
devient commun entr'eux ; de là la route
des arts plus facile , l'étude plus agréable ,
& les progrès plus sûts.
206 MERCURE DE FRANCE.
Son cours de pratique deſtiné aux ouvriers
du bâtiment , met le comble à l'entrepriſe.
Quatre - vingt hommes tous les
Dimanches & Fêtes occupent pendant la
matinée leur loifir à puifer dans cette,
école les différentes connoiffances dont ils
ont befoin. Le Maçon , le Charpentier , le
Menuifier , le Serrurier , y viennent ap-;.
prendre la géométrie pratique , & les prin- i
cipes relatifs à leur profeffion ; tout l'après-
midi ces mêmes hommes font occupés
à l'exercice du deffein dans différens gen-:
res. Mais pour porter plus loin la perfection
du goût , M. Blondel reçoit auffi dans
fes leçons l'Orfevre , le Bijoutier , le Cifeleur
, & c. on leur communique d'excel
lens originaux , & ils font corrigés exac
tement par des Profeffeurs & par les plus!
anciens éleves reconnus capables ; enforte
que le praticien , le théoricien , l'homme
de goût , font un tout qui encourage le
débutant , affermit l'homme déja capable ,
& donne lieu d'efpérer qu'avant peu d'années
la beauté des formes , l'élégance des
contours , la fymmétrie , reprendront le
deffus & la place des ornemens chiméri- .
ques & hazardés , dont tous les arts de
goût fe font reffentis depuis près de vingt
années *.
* J'ai eu la curiofité d'aller un Dimanche
JUIN. 175.5. 207
En un mot , cette école renouvellant
dans Paris celle d'Athènes , réunit les arts
utiles & les arts agréables : l'architecture ,
les mathématiques , la figure & le deffein
en général , la ſculpture , les fortifications,
la coupe des pierres , font autant de parties
qu'on y enfeigne avec émulation & fuccès.
Quels éloges ne mérite donc pas le fondateur
d'un établiffement fi avantageux à la
fociété ! peut-il être trop préconifé , foutenu
& autorifé ? Le zele infatigable & les
talens décidés de l'Auteur ne font-ils pas
dignes des plus hautes récompenfes & de
la reconnoiffance du public ?
matin fur les dix heures , pour juger par moimême
de l'utilité de ce cours dont on m'avoit
parlé fi avantageufement , & je dois avouer que
j'ai été frappé de l'ordre , de l'exactitude , de l'ardeur
& de l'émulation que j'ai remarquées , tant de
la part des artifans , que de celle des Profeffeurs &
du Chef, dent la capacité , la politeffe & le zele
ne fçauroient être trop applaudis,
208 MERCURE DE FRANCE.
+
-
HORLOGERIE .
, barometres
Memoire fur une nouvelle maniere de faire
les Cadrans de pendules
hygrometres , &c. préfenté le 12 Avril
1755 , à l'Académie royale des Sciences ,
par M. Dupont , Horloger privilégié du
I
Roi.
Left fans doute avantageux pour la
perfection des pendules que leurs cadrans
foient exactement divifés , & qu'ils
nous préfentent conftamment un aspect
agréable. Cette partie de l'horloge eft celle
fur laquelle les yeux s'arrêtent d'abord , &
la pofition exacte des divifions qui y font
marquées , eft effentielle pour nous montrer
les parties de l'heure avec préciſion .
Par ces deux confidérations , je crois les
cadrans que j'ai l'honneur de préfenter à
l'Académie fupérieurs aux autres ; ils font
compofés d'un cercle de verre blanc , fur
lequel l'on peint à rebours les heures & les
minutes * , & d'une efpece de maftic blanc
*Pour peindre ces heures , &c. il faut commencer
par mettre un cadran de papier fous le verre
ce qui dirige en quelque forte l'opération . On
fentira donc aisément que l'idée de me borner à
›
JU I N. 1755. 2091
qui s'applique exactement fur le verre
fait corps avec lui , forme un total qui:
imite l'émail , & que même plufieurs perfonnes
lui préferent , fur - tout dans les .
grands cadrans ; car ceux d'émail d'une
certaine étendue ont un ait de fayence , &,
font prefque toujours défectueux ..
7
A l'égard des divifions , elles feront toujours
plus exactes dans les nouveaux ca→
drans que dans ceux d'émail , parce qu'ils
ne paffent pas au feu comme ces derniers .
Les cadrans de cuivre gravés & recouverts
d'une couche d'argenture , ont à la vérité,
cette derniere propriété , mais on fçait :
qu'ils fe noirciffent en peu de tems. Pour
ce qui eft des cadrans à cartouche , per-.
fonne n'ignore qu'ils font très -imparfaitst
à tous égards. དྭེ ནཱ ཝཱ
ce cadran de papier dût fe préfenter d'abord à
mon imagination ; mais je m'apperçus bientôt
que fi un tel cadran étoit fupportable de loin , il
ne le feroit pas de près , les pores du papier s'appercevant
; je reconnus encore que ce papier ne
tarderoit pas à fe jaunir , fur-tout dans les endroits
où la fumée pouvoit pénétrer.
M. Gallonde s'étoit appercu avant moi de ces
inconvéniens , la dépenſe conſidérable qu'entraîne
les cadrans d'émail , avoit engagé cet habile Artifte
à faire fes cadrans de barometre en papier
mais auffi- tôt qu'il eut connoiffance de ma nouvelle
conftruction , il les abandonna entierement.
210 MERCURE DE FRANCE.
Je ne m'étendrai pas plus , Meffieurs
fur l'avantage de cette nouvelle maniere
de faire les cadrans ; il eft aifé de voir
qu'elle est également applicable à tous les
inftrumens qui ont befoin de divifions.
exactes , comme barometres , thermometres
, & c.
Telles font les différentes propriétés des
cadrans qui font le fujet de ce mémoire .
Je n'ai point cru , Meffieurs , qu'ils formaffent
un objet affez important pour mériter
l'honneur de votre attention : fi j'ofe
aujourd'hui les foumettre à votre jugement,
ce n'eft pas que j'aie changé de fentiment
à cet égards; mais j'ai été enhardi par
le fuffrage des habiles Horlogers qui en
font ufage depuis près d'un an & demi , &
encore plus par votre indulgence pour
tout ce qui peut contribuer au progrès
des arts.
Copie de l'Extrait des Registres de l'Académie
royale des Sciences .
Du 2
23 Avril 175 .
Meffieurs l'Abbé Nollet & Deparcieux .
qui avoient été nommés pour examiner
des cadrans de pendules
barometres ,
→
?
hygrometres &c. formés d'une glace
peinte & enfuite recouverte d'une espece
JUIN. 1755 . 211
de maftic blanc par fa face poftérieure ,
propofés par M. Dupont , Horloger ; en
ayant fait leur rapport , dans lequel ils
ont énoncé plufieurs certificats des meilleurs
Horlogers , qui prouvent que des
cadrans de cette efpece ont fubfifté fans
aucune altération depuis le mois de Juillet
1753 jufqu'à préfent.
L'Académie a jugé que ces cadrans qui
imitent parfaitement les cadrans d'émail ,
& qui font cependant d'un beaucoup
moindre prix, pourroient être avantageux,
& qu'on devoit fçavoir gré à M. Dupont
d'avoir imaginé cette conftruction . En foi
de quoi j'ai figné le préfent certificat' , à
Paris le 24 Avril 1755 .
Signé , GRANDJEAN DE FOUCHY ,
Secretaire perpétuel de l'Académie
royale des Sciences.
Les perfonnes qui voudront fe convaincre
par elles- mêmes de l'agrément &
de l'utilité de ces cadrans , auront la bonté
de s'adreffer à Mademoiſelle Oulfon "
niéce de l'Auteur , qui les exécute fous fes
yeux & dans fa maifon , rue de Richelieu ,
vis-vis la fontaine. Elle fe fera toujours
un devoir de fatisfaire les perfonnes qui
212 MERCURE DE FRANCE.
lui feront l'honneur de l'employer dans
ces fortes d'ouvrages.
- Le
rapport de l'Académie
royale
des
Sciences
, fur une pendule
à fecondes
, à
fonnerie
& à remontoir
du fieur le Mazu
rier , auroit
dû trouver
ici fa place ; mais
le peu qui nous en refte ; nous
force
à le
renvoyer
au Mercure
prochain
, ainfi qu'une
Lettres
fur le rétabliſſement
du Louvre
que nous avions
promis
d'inférer
.
JUIN. 1755- 213
ARTICLE V.
SPECTACLES.
-COMEDIE FRANÇOISE.:
3
ES Comédiens françois ont repris le
L28 Avril Andronic , tragédié de Campiftron.
Le fieur Clavareau de Rochebelle
y a débuté par le rolle d'Andronic , avec un
applaudiffement général , & qui plus eft ,
mérité. On doit d'autant plus attendre de
fon talent , qu'il eft fondé fur beaucoup
d'intelligence avec cette partie on eft für
du progrès. S'illa l'organe un peu foible ,
ce défaut eft réparé par une prononciation
nette & diftincte ; on ne perd pas un mor
de ce qu'il dit. Un Comédien qui eft doué
d'une grande voix , en abufe fouvent , &
crie fans fe faire entendre , faute d'avoir
l'art de bien articuler, JEMOD
L'acteur nouveau a joué fucceffivement
les rolles de Guftave , de Zamore: & du
Comte d'Effex : il a fait plaifir dans tous ;
mais il a particulierement réuffi dans celui
ede Zamore. On ne peut pas rendre avec
plus d'anes de force & dervérité 2 le beau
214 MERCURE DE FRANCE.
morceau du troifieme acte qu'il adreffe à
Alvarès & à Gufman. Les Comédiens ont
interrompu fon début , pour donner le 15
Mai la premiere repréſentation du Jaloux ,
Comédie en vers , en cinq actes : elle eſt de
M. Bret.
Quoique cette piéce n'ait pas réuffi , on
ne peut difconvenir qu'il n'y ait des beautés
des détails . L'épiſode de la foeur du Jaloux
eft des plus heureux. Au fecond acte la
fcene de la fauffe jaloufie qui lui a été confeillée
par fon frere pour éprouver fon
amant , eft une fcene bien faite par l'auteur
, & très-bien rendue par l'actrice. *
Je crois que M. Bret eût mieux fait , s'il
eût moins fuivi le Roman ; il faut au théatre
un caractere plus général & plus vrai.
L'auteur a voulu éviter le Jaloux defabufé,
& il est tombé dans le Curieux impertiment
, qui eft un plus grand écueil .
* Mlle Guéant.
L
COMEDIE ITALIENNE. -
E35de ce mois , les Comédiens italiens
donnerent la premiere repréſentation de
la Rancune , fans l'avoir annoncée . C'eſt
une parodie de Philoctete , dont l'auteur ne
s'eft pas nommé. Quel qu'il fait , il ne doit
JUI N. 1755. 215
*
pas rougir de l'ouvrage , c'eft celui d'un
homme d'efprit ; il y a des vers heureux &
des tirades bien faites : le traveftiffement
d'ailleurs eft affez bien faift . L'Opéra de
Lyon , en concurrence avec la Comédie ;
la Rancune , acteur difficile à vivre , mais
d'un talent diftingué , que fes camarades
ont abandonné , & qu'ils viennent chercher
dans leur décadence, comme leur derniere
reffource , parodient aſſez natutellement
le fujet de la tragédie ; mais une tracafferie
de Comédiens n'intéreffe pas affez
de gros du public qui ne vit pas avec eux ;
ce tableau des viciffitudes théatrales ne
peut être bien amusant que pour ceux qui
Fréquentent journalierement les foyers , &
qui font initiés dans tous les mysteres de
la Comédie. La Servante Maîtreſſe eft
encore venue au fecours ; on l'a donnée
le 19 pour la cent quarante- unieme fois.
CONCERT SPIRITUEL.
de ce mois , jour de l'Afcenfion ,
L'le concert commença par une fymphonie
del Signor Croës, enfuite Nifi Dominus,
motet à grand choeur de M. de Mondonville.
M. Dupont joua un concerto de violon.
Madame Veftris de Giardini chanta
7216 MERCURE DE FRANCE.
deux airs italiens , & fut très- applaudie.
M. Balbatre joua fur l'orgue l'Ouverture
de Pigmalion qui fit le plus grand effet.
Cet agréable concert finit par Dominus
regnavit , motetà grand choeur de M. de
Mondonville.b
Le Dimanche 18 jour de la Pentecôte,
le concert commença par,une fymphonie ,
enfuite Diligamates, motet à grandschoeur
de M. Giles . M.:Godard chanta le petit mo
tet de M. le Febvre . MM. Bureau & Saldantin
jouerent un concerto à deux , hautbois.
Mile Riviere chanta un petit motet de
de M. Mouret. M. Balbatre joua fur l'orgue
jun nouveau concerto , de fa compoſition.
Le concert finit par In exitu , moter à grand.
schoeur de M. de Mondonville , qui réunic
tous les fuftrages , & fut jugé digne d'un
A grand Maître .
ཟླཟླག་ རྒྱུ
JEUTI 1.407200
-no old sb.M of a mai -nob
cly shottuor në ku spoj inte
meds initio ob a 7 cavenda tel
ARTICLE
JUIN. 1755. 217
ARTICLE SIXIE ME.
NOUVELLES ÉTRANGERES,
DU LEVANT.
1
DE CONSTANTINOPLE , le 12 Mars.
Miniltreavant l'ar
'Aga des Janiflaires qui exerçoit par interim
L'Ag²
rivée d'Ali Pacha Ekim Oglou , nouveau Grand
Vifir , a donné audience au Député de la Régence
d'Alger. Cet Envoyé ayant remis de la part du
Dey divers préfens pour le Grand Seigneur , Sa
Hautefle a ordonné d'envoyer au Dey plufieurs
pieces de canon & une certaine quantité de
munitions de guerre. Sa Hauteffe a fait en même
tems témoigner au Député par l'Aga des Janiffai
res , qu'elle apprenoit avec plaifir que les factieux
d'Alger euffent été domptés , & qu'elle defiroit,
que les Algériens , autant qu'il feroit poffible ,
entretinffent la paix avec les Puiffances Chrétiennes.
Il paroit que la Sultane Validé a une grande
influence dans les affaires. Auffi remarque-t-on
feulement dans les Miniftres de la Porte ,,
mais dans ceux des Cours étrangeres , beaucoup
d'empreffement à fe concilier la bienveillance de
cette Princeffe, Elle fe montre favorable aux,
Chrétiens , & depuis l'avènement d'Ofman III au
I:Vol.
218 MERCURE DE FRANCE.
trône , elle a fait d'abondantes largeſſes aux diffé
rens hofpices qu'ils ont dans cette Capitale .
Une indifpofition oblige le fieur Porter , Ambaffeur
du Roi de la Grande -Bretagne , de gardes
fon appartement.
DUNOR D.
DE PETERSBOURG , le 3 Avril.
On a fait venir ici du village de Wedenskeo un
payſan , nommé Jacques Kirilof , qui , par la
nombreuſe famille qu'il a de deux mariages , eft
l'objet de la curiofité générale. Sa premiere femme
eft accouchée quatre fois de quatre enfans
fept fois de trois & dix fois de deux . Celle qu'il a
épousée en fecondes noces , a mis au monde trois
enfans dans fa premiere couche : elle eft accouchée
fix fois de deux , & elle eft encore enceinte.
Sa Majefté Impériale a fait préfent de y5o0o0 roubles
à ce payfan.
DE STOCKHOLM , le 22 Avril.
Comme les lettres de divers couriers ont été
enlevées depuis quelque tems , le Sénat a fait une'
loi , par laquelle il eft dit que les perfonnes qui
feront convaincues d'un pareil attentat , fubiront
le même fupplice que les voleurs de grand che
min. Le gouvernement s'occupe férieufement
des moyens d'augmenter les progrès de l'agriculture
& du, commerce dans le Duché de Finlande.
Il invite les perfonnes que l'amour du bien public
anime , & qui par leurs lumieres font en état d'y
contribuer , à communiquer par écrit leurs avis
für cette matiere. Honneurs , exemptions, primes
JUIN. 1755. 219
tout fera employé pour exciter l'émulation . On
fe propofe d'applanir toutes les routes qui menent
à l'induftrie , & d'éloigner tous les obſtacles qui
peuvent l'empêcher de s'étendre.
DE COPPENHAGUE , le 18 Avril.
Diverfes fciences ont été cultivées en Dane
marck avec fuccès. Le gouvernement defirant
plus d'application à l'étude des arts qui intéreffent
plus généralement la fociété , vient d'inviter par
un programme les Sçavans Danois à leur confacrer
une partie de leurs méditations . Il les exhorte
à travailler principalement fur la navigation , fur
le commerce & les manufactures , fur les moyens
d'augmenter les revenus , de diminuer les dépen
fes , de fubvenir aux befains & de procurer des
commodités . En même tems , il demande qu'on
ne s'attache point à des idées purement fyftématiques
, qu'on borne l'étendue des differtations à
deux ou trois feuilles d'impreffion , & qu'on n'y
faffe point parade d'une érudition fuperfue . Tous
les ouvrages qui rempliront les vûes du Roi .
feront imprimés à fes dépens. Il faudra les adreffer
au Comte de Moltke , grand Maréchal de la
Cour. Les Auteurs peuvent écrire en latin , françois
, allemand ou danois. On recevra avec plaifir
les obfervations , non feulement des fçavans.
mais même de toutes les perfonnes qui auront à
communiquer quelque projet avantageux ; elles
ne doivent pas s'embarraffer du ftyle. Leurs mémoires
feront remis à des perfonnes habiles , qui
leur donneront la forme convenable , & qui les
traduiront en danois , s'ils font compofés dans une
autre langue,
•
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
ALLEMAGNE,
DE VIENNE , le 19 Avril.
L'Impératrice - Reine vient d'établir pour la
nobleffe une Académie , dans laquelle on enfeighera
non feulement à monter à cheval , à faire
des armes & à danfer , mais encore l'hiſtoire , le
droit , la politique , la géométrie , & les langues
françoife & italienne . Chaque penfionnaire payera
fept cens florins par an. Le Comte de Solms ,
Confeiller privé , aura la direction de cet établiſ
fement.
Les anciennes extravagances au fujet des Vampires
venant de fe renouveller dans la haute Si
lefie , l'Impératrice- Reine a adreffé à la Régence
de cette province un refcrit , portant » qu'elle a
appris avec peine que le peuple pût le laiffér
>> féduire par des idées fi ridicules ; qu'elle exhorte
les Magiftrats à ne rien négliger pour le
convaincre de la fauffeté de femblables préven-
» tions ; qu'elle regarde l'exécution qui s'eft faite
» à l'égard de plufieurs cadavres , comme une action
qui répugne au bon ordre & à l'humanité ;
» que comme cette exécution a été faite à Pin-
» fçu des Magiftrats , Sa Majeſté veut qu'on en
» recherche les auteurs , & qu'on procéde contre
eux fuivant la rigueur des loix . »
DE BERLIN , le 18 Avril.
Hier , l'Académie royale des Sciences & Belles-
Lettres élut pour Académicien le feur pinus ,
& pour Affocié étranger le Sr de Secondar, Préfi
dent du Parlement de Guyenne , fils du célebre
Président de Montesquieu .
JUIN." 1755. 221
DE HANOV RE , le 2 Mai.
Ce matin , le Roi de la Grande - Bretagne eft
arrivé de Londres : on a dépêché des couriers
pour annoncer Gette nouvelle à plufieurs Cours
de l'Empire. Le Landgrave de Heffe- Caffel , & la
Princeffe , époufe du Prince héréditaire du Landgraviat
de ce nom , font attendus ici dans quelques
jours.
ESPAGNE.
DE LISBONNE , le 20 Mars.
On apprend que l'Empereur de la Chine , non
feulement a renouvellé les Edits de quelques- uns
de fes prédéceffeurs en faveur des Chrétiens ,
mais qu'il leur fait bâtir une églife à les dépens
dans la capitale de fes Etats. Selon les mêmes
lettres , il fe trouve actuellement à la Chine plus
de cent foixante neuf mille perfonnes qui font
profeffion de la religion catholique.
DE MADRID , le 22 Avril,
Cinq Chabecs du Roi armés en courſe , &
commandés par Don Jofeph de Flon , Capitaine
de frégate , attaquerent le 16 de ce mois dans les
environs d'Alicante, trois Corfaires algériens , l'un
de vingt- quatre canons , l'autre de vingt-deux ,
& le troifiéme de quatorze. Après un combat qui .
duré plus de quatorze heures , ils s'en font
emparés. On a fait fur les bâtimens ennemis
quatre cens quatre-vingt- quatorze efclaves ; du
Côté des Efpagnols il y a eu cinquante bleffés.
Don Pedre Elguero , Lieutenant de vaiffeau ,2.
K iij
122 MERCURE DE FRANCE.
commandant le Chabec le Gavilan , a été tué ,
ainfi que cinq foldats ou matelots. Ali Mouffa
qui commandoit les trois Chabecs algériens , eft
du nombre des prifonniers faits par les Espagnols.
ITALI E.
DE NAPLES , le 9 Avril. ୨
Selon les avis reçus de l'Ile de Tremiti , fiet
des Bénédictins qui y ont une abbaye , & qui ont
droit d'y entretenir une garnifon de vingt- cinq
hommes à leur folde , les foldats de cette garnifon
fe font révoltés contre leur Commandant , &
Pont maffacré. Ils ont enfuite garrotté l'Abbé &
les Religieux , ont enlevé l'argent & les effets
dont ils ont pu fe faifir , & ſe font fauvés fur une
barque de Dalmatie , dont ils ont obligé le Patron
de les prendre à bord.
Les lettres de Sicile marquent que le 9 du mois
dernier, vers la dix- huitieme heure , c'eft - à- dire
vers onze heures trois quarts du matin , le mont
Gibel commença à jetter beaucoup de flammes
& de fumée , avec un effroyable bruit. Quatre
heures après le ciel s'obfcurcit entierement , & la
montagne jetta une fi prodigieufe quantité de
pierres , dont la plupart pefoient jufqu'à trois onces
, que tout le territoire de la ville de Mafcali
& des campagnes voifines en fut couvert . Cette
pluie continua jufqu'à fept heures du foir , & fut
fuivie d'une pluie de fable noir , qui dura toute la
nuit. Le 10 , à huit heures du matin , il fortit de la
montagne un torrent de matiere fluide & lympide
, en un demi-quart d'heure tous les fonds en
furent inondés ; cette matiere avoit la chaleur de
l'eau bouillante . Dès qu'elle eut ceffé de couler ,
JUIN.
1755. 223
elle fe figea & fe convertit en une efpece de fable
calciné . A ce torrent en fuccéda un de feu.
Ce dernier n'a ceffé que pour faire place à une
riviere de foufre & de bitume , laquelle eft large
d'environ foixante cannes . Le 12 au foir , lorfque
le courier qui a apporté ces nouvelles eft parti
de Palerme , cette éruption duroit encore , &
elle avoit déja ravagé une grande étendue de
pays.
4%
DE GENES , le 29 Avril.
Avant -hier , le Margrave & la Margrave de
Bareith arriverent ici à bord d'un vaiffeau portant
pavillon de France. Quoiqu'ils gardent l'incognito
, fous le nom de Comte & de Comteffe de
la Marche , le Gouvernement les a fait complimenter
par une députation de quatre Nobles &
de quatre Dames.
GRANDE- BRETAGNE.
DE LONDRES , le premier Mai.
Le 25 du mois dernier , le Roi fe rendit à la
Chambre des Pairs avec les cérémonies accoutu
mées ; & Sa Majeſté ayant mandé la Chambre des
Communes,approuva le Bill pour lever un million
fterling par le moyen d'une lotterie ; le Bill qui
ordonne de tirer quatorze cens vingt mille livres
fterlings du fonds d'amortiffement , & d'appliquer
cette fomme au fervice de l'année courante ; le
Bill dont l'objet eft de mieux pourvoir la flotte
royale de Matelots ; & plufieurs autres Bills , tant
publics que particuliers. Le Roi fit enfuite , la clôture
de la feffion du Parlement par un diſcours fort
étendu. K iv
224 MERCURE DE FRANCE.
Les moyens accordés par le Parlement pour le
fervice de l'année 1755 , montent à quatre mil
lions cent trente- fept mille neuf cens foixantedeux
livres fterlings neuf fchelings fix pennings,
Les fubfides demandés ne montent qu'à quatre
millions cinquante- un mille fept cens foixante-dixe
neuf livres onze fchelings fix pennings & demis
par conféquent l'octroi excéde la demande de la
Tomme de quatre - vingt - fix mille cent quatrer
vingt deux livres dix-fept fchelings onze pennings
& demi. La dette nationale fait actuellement
un objet d'environ foixante- douze millions
Sterlings.
Les Commiffaires de l'Amirauté ont ordonne
que les Officiers des cinquante Compagnies de
Marine levées depuis peu , fe rendiffent incef
famment dans les départemens qui leur font aff
gnés . On continuera de payer jufqu'au 27 de ce
mois inclufivement , les gratifications promifes
aux Matelots qui s'engagent volontairement fur la
flotte du Roi. FORE
Il y aura dans la nouvelle lotterie deux lots de
dix mille livres fterlings chacun , quatre de cinq
mille , fix de deux mille , trente de mille , quarante
de cinq cens , cent quatre-vingt - dix - huit de
cents quatre mille vingt de cinquante. Les deux
premiers numeros qui feront tirés , auront chacun
une prime de cinq cens livres sterlings , & les deur
derniers une de mille.
PATS BAS.
15
DE LA HAYE , le 25 Avril.
21
On publia le 21 de ce mois , par ordre de leurs
Hautes Puiffances , un decret , qui établit des réJUI
N. 1755. 225
compenfes pour les prifes faites par mer fur les
Sujets ou la Régence d'Alger , & qui ftatue les
formalités néceffaires pour les recevoir.
Le Marquis de Grimaldi , Ambaffadeur du Roi
d'Efpagne , fe rendit le 2 de ce mois à la Cour ,
avec un cortège de trois carroffes à fix chevaux
& une nombreufe fuite ,pour faire fa premiere vifite
au Prince Stadhouder. Le Prince , accompagné
de fon grand Maréchal , de fon grand Ecuyer , &
des autres principaux Officiers de fa maiſon , reçut
le Marquis de Grimaldi à la portiere de fon
carroffe , & lui donnant la droite le conduifit
à fon cabinet : on y avoit préparé deux fauteuils,
Le Prince laiffa la place d'honneur à l'Ambaffadeur
, & prit le fauteuil le plus proche de la porte.
Après les complimens ordinaires il reconduifit le
Marquis de Grimaldi jufqu'à la portiere de fon
carroffe. Le lendemain , fe Stadhouder rendit la
vifite à ce Miniftre , qui obferva à l'égard de ce
Prince le même cérémonial que le Prince avoit
obfervé la veille avec lui.
D'AIX-LA- CHAPELLE , le 4 Mai.
Un phénomene littéraire a excité ces jours- ci
Fadmiration du public. La Dlle Marie - Magdeleine-
Bernardine de Witte , âgée de dix -fept ans
a foutenu en latin deux thefes de Logique , & elle
a répondu avec autant de jufteffe & de netteté que
de graces à tous les argumens qui lui ont été,
propofés par les plus fameux Profeffeurs de cette
ville.
K.Y
226 MERCURE DE FRANCE.
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
Sulon les avis enquellement le 8 Janvier , pour
Elon les avis reçus de Malthe , le Te Deum y
remercier Dieu du rétabliffement du commerce
avec les états du Roi des Deux Siciles. Ces nouvelles
ajoutent que le même jour le Baillif de
Fleury prit poffeffion du Généralat des Galeres
de la Religion , & qu'il donna à tous les Chevaliers
de la Langue de France un repas ſplendide ,
dans lequel il porta les fantés des principales
Têtes couronnées. On a beaucoup admiré le goût
& la magnificence de ce nouveau Général ; furtout
fon efprit &fa politeffe ont captivé tous les
fuffrages.
Le 24 Avril , le Duc de Penthievre arriva du
voyage qu'il a fait en Italie. Ce Prince s'eft rendu
en droiture à Lucienne chez la Comteffe de Toulouſe.
Le Roi a accordé au Duc de Randan , Lieutenant
général de fes armées , & Commandant en
Franche- Comté , le Couvernement de Blaye qu'avoit
le feu Duc de Saint-Simon.
Sa Majefté a difpofé du Régiment de Cavalerie
légere de Volontaires , vacant par la mort du
Comte de Friefe , en faveur du Comte de Schomberg
, Commandant d'une Brigade de ce Régiment
avec rang de Meftre de Camp . Le Comte
de Lowenhaupt , Colonel d'Infanterie , a été
nommé Colonel - Lieutenant du Régiment d'InJUIN.
1755. 227
fanterie allemande de Madame la Dauphine ,
vacant par la même mort.
Les lettres de Lyon marquent que la tranquil
lité publique y eft troublée depuis quelque tems
par une troupe de voleurs qui , fe fervant de fauffes
clefs , entrent de nuit dans les maifons. Ils ont
enlevé dernierement chez les fieurs Girardon, une
partie confidérable de galons , de filets & de lames
d'or & d'argent fin. Comme ils pourroient avoir
dénaturé ces marchandifes , l'intérêt commun
exige que les perfonnes qui auront lieu de foup-
Conner que les galons , retailles ou lingots qu'on
leur préfentera viennent de ce vol , en avertiffent
les Magiftrats.
On mande de Toulon que le Margrave & la
Margrave de Bareith y arriverent le 6 Avril . Ce
Prince & cette Princeffe allerent le lendemain
voir l'Arfenal ; & le Margrave étant entré dans le
canot amiral , fe promena pendant quelque tems
fur la mer ; il y. fit le 8 au matin une feconde
promenade , & il partit l'après- midi avec la Mar
grave pour continuer fa route vers l'Italie .
こ
Les mêmes lettres marquent que M. de
Vergennes , Envoyé Extraordinaire du Roi à la
Porte , lequel s'étoit embarqué à Marseille pour
paffer à Conftantinople , a été obligé de relâcher
les à Toulon , & d'y féjourner le 6 à caufe des
vents contraires ; mais que le tems s'étant remis
au beau , ce Miniftre s'eft rembarqué le 7 fur les
huit heures du matin pour fa deftination .
Les Marquifes de Coigny & de la Tour-Dupin ,
& la Comteffe de Ligny , furent préfentées le 29
à Leurs Majeftés.
Le même jour M. Moreau de Sechelles ,
Miniftre d'Etat & Contrôleur général des Finances
, préfenta à Leurs Majeftés la mâchoire d'un
K`vj
228 MERCURE DE FRANCE.
poiffon måle de la baleine , nommé cachalo , qui
a été pris à Bayonne en 1751. Cette mâchoire eft
longue de dix pieds & demi.
M. Tillet Directeur de la Monnoie
Troyes , a préſenté au Roi fa Differtation fur la
caufe qui corrompt & noircit les grains de bled
dans les épis , & fur les moyens de prévenir ces
accidens. Cette differtation a remporté le prix , au
jugement de l'Académie royale des Belles-Lettres ,
Sciences & Arts , établie à Bordeaux.
Lei Mai , les hautbois & les vingt - quatre violons
de la chambre ont exécuté , fuivant l'afage ,
pendant le lever du Roi , différentes fymphonies ,
fous la direction de M. de Bury , Pun des Surintendans
de la Mufique de Sa Majesté.
L'après-midi Leurs Majeftés partirent pour
aller paffer quelque tems à Marly.
Il paroît deux Arrêts du Confeil d'Etat du Roi.
L'un confirme les Officiers, Mariniers , Matelots
&autres gens de mer , dans la poffeffion du privi-
Tege d'être pendant l'année de leur fervice exemts
de logement de gens de guerre , du guet & garde
des portes des villes & châteaux , de tutelle &
curatelle , de la collecte des tailles , &c. & annulle
un Arrêt de la Cour des Aides de Rouen contraire
audit privilege. L'autre défend de faire des amas
de vieux drapeaux , peilles & autres matieres fervant
à la fabrication du papier , à quatre lieues
près des côtes maritimes & des frontieres du
royaume , fous peine de confifcation & de trois
mille livres d'amende.
Le Roi a difpofé de la place de Confeiller d'E
tat , qui vaquoit par la mort de M. de Baudry ,
en faveur de M. de Tourny , Intendant de Bordeaux.
La charge d'Intendant des Finances , vacante
par la même mort , paffe à M. Peirenc de
JUI N.
229
1755.
Moras , à qui le Roi avoit accordé l'expectative
de la premiere qui viendroit à vaquer.
Les Mai , M. de Châteaubrun , élût par l'A
cadémie Françoife pour remplir la place vacante
par la mort du Préſident de Monteſquieu , prit
féance dans cette compagnie ; & il prononça fon
difcours de remerciment , auquel M. l'Abbé d'Olivet
répondit.
Le 9, le Roi fit dans la plaine des Sablons la
revue du Régiment des Gardes Françoiſes & de
celui des Gardes Suiffes. Ces deux Régimens après
avoir fait l'exercice , défilerent en préſence de Sá
Majefté. Monfeigneur le Dauphin & Mefdames
de France affifterent à cette revûe .
Les Clercs Réguliers de la Congrégation de
Saint Paul , connus fous le nom de Barnabites
ont élu dans le Chapitre qu'ils ont tenu le 28
Avril à Milan , le Pere Paul - Philippe Prémoli ;
Milanois , pour Supérieur Général de leur Con
grégation.
On apprend de Turin que le Duc de Mon
ferrat , troifieme fils du Duc de Savoye , y eft
mort le 29 , âgé de fix mois & vingt-quatre jours ,
étant né le Octobre 1754.
M. Jean Baptifte Oudry, Peintre du Roi ,
Profeffeur de l'Académie royale de Peinture & de
Sculpture , & l'un des Entrepreneurs de la Manu→
facture royale des tapifferies de Beauvais , eft mort
à Beauvais le 30 Avril , âgé de foixante- quatorze
ans. Il s'étoit acquis une très-grande réputation
par fon talent pour peindre les animaux & les
payfages.
Don Manuel Gallevon , Comte de la Cerda
Commandeur de l'Ordre de Chrift , & Envoyé extraordinaire
du Roi de Portugal auprès de Sa Majefté,
mourut le gen cette ville âgé de foixante ans.
130 MERCURE DE FRANCE.
M. d'Ormeffon de Noyfeau & M. Bochart de
Sarron , ci -devant Avocats Généraux au Parle→
ment , furent inftallés le 10 de ce mois à la
Grand' Chambre dans les charges de Préfidens
dont le Roi leur a donné l'agrément. 10
Le même jour , M. Seguier , Avocat Général
au Grand Confeil , fut reçu dans celle d'Avocat
Général au Parlement , vacante par la démiffion
de M. d'Ormeffon de Noyſeau.
On célébra le 14 dans PEglife de la Paroiffe du
château de Verſailles , le Service fondé par Louis
XIV pour l'anniverſaire de Louis XIII.
Les Chevaliers de l'Ordre de Saint Michel tinrent
le même jour un Chapitre dans le grand
Couvent des Religieux de l'Obfervance. Le Duc
de Nivernois , Chevalier des Ordres du Roi , & cidevant
Ambaffadeur extraordinaire auprès du
Saint Siege , ayant été nommé Commiffaire de
Sa Majesté pour le maintien & P'exécution des
ftatuts de fes ordres pendant cette année , préfida
à ce Chapitre. Il reçut Chevaliers M. Bayeux
du Vaux , Infpecteur général des Ponts & Chauffées
, Membre de l'Académie royale des Belles-
Lettres de Caen , & M. Pinſon , Argentier de
la petite Ecurie du Roi.
Le 15 , les actions de la Compagnie des Indes
étoient à dix-fept cens quarante-deux livres dix
fols. Les billets des deux Lotteries royales n'a
voient point de prix fixe.
JUIN. 231
1755
Du 13 Mai 1755.
Mde Mars&Avril dernier les remarques fur
ONSIEUR , ayant lû dans vos Mercures
la Lotterie de Bruxelles , la lettre de l'Intérêt public
en conféquence , & la réponſe à cette lettre ,
j'ai été furprife de n'y pas trouver d'avis plus falutaire
à ce fujet. Dans l'intention , Monfieur , de
concourir avec moi au bien général , je vous prie
d'inférer la préfente dans votre Mercure prochains
je fouhaite qu'elle produife l'effet qu'on aura lieu
d'en efpérer. Je m'explique.
Le mal eft fait , il eft vrai : mais doit- on le to
lerer lorfqu'il eft facile de le réparer ?
Le fonds effectif de cette lotterie
eft de
2
Les lots réels ne montent qu'à
Perte confidérable contre la bonnefoi
, la probité & la juftice . . . . .
1
Laquelle à raifon de 150000 billets
2100000 fl.
1500000 fl.
600000 fl.
qui y ont contribué , "fait pour chacun 4 florins
rendre.
Or dans le dernier tirage chaque billet devant
avoir un lot fur lequel on doit d'abord prélever
Io pour cent , & enfuite rabattre les 36 f. de crédit
, la reftitution eft aiſée à faire ;) au lieu de 36 Al
il n'y a qu'à ordonner qu'il n'en fera retenu
que 32.
L'autoritéfurpriſe doit fe rendre à l'évidence , &
accorder juſtice à qui il appartient.
Si quelques partifans de cette lotterie defap→
prouvent mes réflexions très-laconiques , je les.
invite de me communiquer les raifons qu'ils peu212
MERCURE DE FRANCE.
vent avoir de les combattre en les rendant publiques.
J'ai l'honneur d'être , &c.: La Vérité.
MARIAGE.
MEffire Louis-Guillaume de Blair de Boifemont
, Intendant de Valenciennes , époufa
le 21 Avril Damoifelle Jacqueline de Fleffelles. La
cérémonie a été faite par M. P'ancien Evêque d'Orange
, dans la Chapelle de M. de Trudaine , Con
feiller d'Etat & Intendant des Finances.
"
La famille de Blair eft originaire d'Ecoffe &
iffue de celle des Barons de Baltayoek , comme
il eft certifié par les Lettres patentes de Charles II ;
Roi de la Grande Bretagne , en date du 7 Juillet
1674 , confirmées & ratifiées par Arrêt du Conſeil
de Sa Majefté Louis XIV , du is Mai17od . Ces
mêmes lettres nous apprennent & certifient qu'Alexandre
Blair , Chevalier , Baron de Baltayoek ,
le premier qui fortit d'Ecoffe & s'établit en Bearn
vers l'an 1590 , étoit fils d'Alexandre de Blair ,
Chevalier , Baron de Baltayoek , & de Marie
d'Ayton , fille du Baron d'Ayton , & petit-fils
d'autre Alexandre de Blair , Chevalier , Baron de
Baltayock , allié à Jeanne Gray , fille de Mylord
Gray , Baron de Foulles , & arriere petit- fils de
Jean de Blair , Chevalier , Baron de Baltayoek ,
qui avoit épousé Marguerite Oliphaut , fille du
Baron de Duplin , & qui avoit pour pere André de
Blair , Chevalier , Baron de Baltayoek , iffu d'une
des plus nobles & anciennes familles du Royaume
d'Ecoffe.
Alexandre de Blair établi en Bearn , s'étoit allié
avec Isabelle Ogilby , fille de Jean Ogilby , Baron
JAU IN AT1755. 233
Inchmartein. Elle avoit pour mere Anne Gray ,
fille de Mylord Gray , & pour ayeule Anne
Stward ; fille du Baron d'Innermeith , comme
nous l'apprennent lefdites Lettres patentes.
Du mariage d'Alexandre de Blair avec Iſabelle
Ogilby fortit Alexandre de Blair , allié avec Marie
de Remi , qui le fit pere de Samuel de Blair , dont
Ja postérité est restée en Bearn , & d'Alexandre de
Blair dont la branche eft établie à Paris , & auquel
Je Roi de la Grande Bretagne accorda les Lettres
patentes ci-deffus mentionnées. Celui- ci ent de
fon mariage avec Magdeleine Pitant , trois garçons
; fçavoir , Alexandre , Armand & Melchior ;
les deux premiers ont été Préfidens du Parlement
de Metz en 1683 & 1691. Melchior avoit épousé
Henriette de Brinon , de laquelle il a eu entr'autres
enfans Louis-François de Blair , Seigneur de
Cernay, Aulnay , &c . Confeiller en la Grand-
Chambre du Parlement de Paris , qui de fa femme
Catherine-Jeanne de Gars de Boifemont, a eu entr'autres
Louis-Guillaume de Blair , Maître des
Requêtes , ci-devant Intendant à la Rochelle , &
actuellement Intendant du Hainault , qui donne
lieu à cet article.
Jacqueline de Fleffelles , époufe de M. de Blair,
eft foeur de Meffire Jacques de Fleſſelles , Maître
des Requêtes , ci -devant Confeiller au Parlement ,
& Commiffaire aux Requêtes du Palais , & fille de
Jacques de Fleffelles , Seigneur de Champgueffier
en Brie , la Chapelle- Iger , & c. & d'Elifabeth Robinet
, fon époufe.
-La famille de Fleffelles eft originaire de l'Amienois
, & a une origine commune avec celle de
M. le Marquis de Bregy ; ces deux branches por
tent les mêmes noms & armes, & le nom s'écrit indifféremment
Fleffelles ou Flécelles.
₤34 MERCURE DE FRANCE :
AVIS INTERESSANT ,
Contenant le précis d'une lettre de M. Mollée
, Chymifte , demeurant à Paris , fauxbourg
S. Honoré , rue de la Ville - l'Evêque.
R.
71
M'effets fuivis de fon remede , & c'eft par des Mollée rend compte dans fa lettre des
faits exposés avec exactitude qu'il parvient
prouver ,
1°. Que fon remede guérit fans retour.
2°. Qu'il guérit commodément & fans caufer
aucunes fortes d'accidens.
3°. Que dans les tems qui ne font pas extrê
mement rudes , les pauvres en peuvent faire uſage
fans difcontinuer leurs travaux.
4° . Qu'il eft fi analogue à la nature , que les
femmes enceintes & les enfans à la mammelle
peuvent en ufer fans aucun rifque , & que tous les
malades qui l'emploient jouiffent d'une fanté par,
faite à la fin du traitement.
Mais M. Mollée ne propofe fon remede que
pour le mal vénérien. Il exige de plus qu'on fuive
fcrupuleufement fa méthode dans les préparations
& l'adminiftration de ce remede : en conféquence
il confeille aux malades de fe faire toujours aider
par quelques perfonnes de l'art. C'eſt en 1751
que les premieres épreuves en ont été faites à
Bordeaux , fous les yeux des Médecins & des Chirurgiens
habiles de cette ville. On en peut voir
le détail chez Barbou , rue S. Jacques , aux Cigognes.
Il a fait fucceffivement de nouvelles épreuves
à Verfailles & à Paris , fous les yeux des preJUIN..
1753: 233
miers Médecins duRoi , & fous l'infpection de M.
Malouin ; elles ont été également fuivies d'un
heureux fuccès . Depuis l'obtention de fon privilege
il a continué à faire fes cures publiques
avec les mêmes précautions & la même réuffite ,
tant à Paris que dans les provinces. Pour en mieux
conftater le fuccès , il rapporte dans fa lettre l'état
de plufieurs malades qu'il a traités , avec les
certificats de leur guérifon.
Sur ce qu'il a été dit dans le Mercure de Now
vembre 1754 , que M. Baron , Doyen de la Fa
culté de Paris , à déclaré que ladite Faculté n'a
aucune connoiffance du remede du fieur Mollée ,
qui s'autorife auffi fauffement de l'approbation
de l'Académie de Chirurgie ; l'auteur fe juftifie ,
en difant que cette erreur vient de ce qu'il a pris
le fuffrage de plufieurs Docteurs de la Faculté
pour celui du corps même. Il affure que M. Mar
thaud , Docteur de cette Faculté , a fait aux écoles
l'éloge de fon remede , ainfi que M. Hervin , pre
mier Chirurgien de Madame laDauphine , dans l'E
cole de Chirurgie , où il y a fix ou ſept cens Eco
liers. Depuis il a invité deux fois M. Baron & une
fois M. Morand à être les témoins du traitement
qu'il fait tous les mois à un pauvre malade gratis ;
il a même offert à ce dernier gratuitement tout ce
qu'il faudroit de fon remede pour traiter aux invalides.
Ces Meffieurs n'ayant pas eu le tems d'en voir
& d'en fuivre les effets , ce n'eft pas la faute de M.
Mollée s'ils les ignorent . Sa charité ne s'eft point
bornée aux pauvres malades de Paris , elle s'eft
étendue fur ceux des provinces : il exerce fon art en
citoyen , & la réuffite couronne les bienfaits . I
M. Mollée avertit le public qu'il vient de faire
imprimer une nouvelle méthode pour la prépara
tion des malades avant l'adminiftration de fon re236
MERCURE DE FRANCE.
mede ; on la trouvera chez lui , où il la délivre
gratis.
AUTRE
A MM. les Imprimeurs.
François Gando le jeune , Graveur &Fondenx
en caracteres d'Imprimerie ; & Chanoine fon
affocié , donnent avis à MM. les Auteurs , Impri
meurs-Libraires , qu'ils ont actuellement dans
leur fonderie tous les caracteres néceffaires pour
l'Imprimerie, depuis la Nompareille jufqu'au Gros
Canon , tant romains qu'italiques , anciennes &
nouvelles ; que lefdites italiques font fort eftimées
par le bel oeil qu'elles ont , mais plus encore en ce
qu'elles font gravées fort profondes d'oeil , ce qui
fait qu'elles dureront beaucoup plus , & que l'ime
preffion en viendra plus nette.
Il fe trouve dans ladite fonderie plufieurs carac
teres doubles & triples , comme trois Petit romain
, trois Cicero , deux Saint auguſtin , deux
Gros romain ,, &c.
Tous ces différens caracteres ont leurs lettres
de deux points & leurs vignettes , jufqu'au nombre
de cent vingt , de différentes fortes . Ledis
Gando s'offre de graver généralement tout ce qui
dépend dudit art , en lui demandant des épreuves,
ou en lui envoyant des modeles. MM . les Imprimeurs
feront fürs d'être fervis conformément à
Jeurs demandes , & d'avoir de très- bonne matiere.
Ils fondent auffi des interlignes de toute longueur
& épaiffeur , des réglets fimples , doubles
& triples , auffi de toute longueur & épaiffeur ;
crochets & accolades , &c. Ledit Gando s'offre
JU IN. 1755. 237
auffi de graver toutes fortes de caracteres grecs
hébreux , & c. mufique & plain- chant , & pourvu
toutefois que l'ouvrage en mérite la peine.
Ils invitent MM. les Imprimeurs de leur faire
Phonneur de s'adreffer à eux : on verra que nonobftant
les nouvelles italiques , leurs caracteres
fomains font très-beaux ; la plus grande partie
font connus , ayant fait ayec plufieurs beaux ou
vrages dans cette ville , qui méritent l'approbation
des connoiffeurs.
Ils demeurent rue Galande , dans la maifon de
M. Barbier , Avocat confultant , la deuxieme porte
cochere , àmain droite en entrant par la rue Saint
Jacques.
BE
par
AUTR E.
Echique fouverain ou fyrop pectoral , approu
vé brevet du 24 Août 1750 , pour les
maladies de poitrine , comme rhumes , toux invétérées
, oppreffion , foibleffe de poitrine , & afthme
humide.
Ce fyrop béchique ayant la propriété de fondre
& d'atténuer les humeurs engorgées dans le
poulmon , d'adoucir l'acrimonie de la lymphe ,
comme balfamique , & rétablir les forces abattues
en tant que parfait reftaurant , produit des effets
fi rapides dans les maladies énoncées ci - deffus
que.cinq ou fix jours fuffifent pour s'appercevoir
d'un changement notable ; en un mot , une bouteille
fuffit pour en éprouver toute l'efficacité avec
fuccès , en tant qu'il rétablit les forces abatues
en rappellant peu-à -peu l'appétit & le fommeil
comme parfait reftaurant , par conféquent trèsfalutaire
à la fuite des longues maladies où les
238 MERCURE DE FRANCE.
forces font épuifées. L'odeur & le goût en font
agréables , le régime aifé à obferver : en outre il
convient à toutes fortes de perfonnes , aux enfans
même , & aux femmes enceintes qui peuvent en
ufer avec fuccès , preuve de fa bénignité. Grand
nombre de perfonnes de tous les états , de ceux
même de l'art , prouveront fon efficacité ; les
premiers , par leur propre expérience ; ceux de
Part par les épreuves qu'ils en ont faites , & les
certificats qu'ils en ont délivrés .
La bouteille taxée à fix livres , fcellée & étiquetée
à l'ordinaire , eft fuffifante pour en éprouver.
toute l'efficacité avec fuccès.
Il ne fe débite que chez la Dame veuve Mou
ton , marchande Apothicaire de Paris , rue S. Denis
, entre la rue Thevenot & celle des Filles-
Dieu , vis-à-vis le Roi François , à Paris.
Les perfonnes qui écriront, font priées d'affran◄
chir les Lettres.
J'A
APPROBATION.
"'Ai lû , par ordre de Monfeigneur le Chance
lier , le premier volume du Mercure de Juin ,
& je n'y ai rien trouvé qui puiffe en empêcher
Pimpreffion. A Paris , ce 30 Mai 1755.
GUIROY.
239
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
•
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
Epitre à M. leChancelier de B....
De l'indifférence en morale ,
L'Amitié , Cantatille ,
Vers de M. P ... à fa femme ,
page 7
12
23
24
L'Ombre de Le Brun , à M. Maffé, Peintre du Roi,
Madrigal , à Mlle G ....
Extrait de la vie du Profeffeur Saunderſon ,
Epitre de Mme de la .... à M. de ...
Le Miroir , Fable ,
Le Merle , autre Fable ,
i
Stances irrégulieres , à Mifs Leté C ……… ....
25
27
28
35
38
39
42
Portraits de cinq fameux Peintres Romains , 44
Le Génie du Mans , fonge de Mme la Comteffe
de
....
Ode à S. A. S. Mgr le Comte de Clermont
Bouquet à M. le Comte d'Argenſon ,
Les Lunettes & la Ceinture , Apologue ;
Vers aux habitans de Lyon ,
Vers à Mlle Puvigné
C
ibid.
> 13
59
61
63
Mots de l'Enigme & du Logogryphe du Mercu
re de Mai ,
Enigmes & Logogryphes ,
Chanfon ,
ART. II. NOUVELLES LITTERAIRES.
64
65
66
71
M
Extrait des Ouvrages lûs à l'Affemblée publique
de la Société Littéraire de Clermont en Auvergnea
23
$40
Extrait de l'Eloge de M. d'Ons- en- Bray
Lettre fur la Chronique fcandaleufe ,
83
92
Extraits , Précison Indications des Livres nouveaux
,
98
Séance publique de l'Académie Françoiſe , 125
ર
ART III. SCIENCES ET BELLES LETTRES
Algébre. Solution du problême propofé par M.
G... Par. M. Bezout , Maître de Mathémati
1
ques , 131
Hiftoire. Remarques fur la defeription de Cap de
Bonne- Efpérance ,
134
159
Hiftoire naturelle. Lettre de M. P'Abbé J *** à
M. le Chevalier de ***
Médecine. Lettre à M. Molinard , fur la rage , 16 %
Chirurgie. Lettre au Frere Côme , fur le Lithoto
me caché ;
ART. IV. BEAUX ART S.,
Mufique ,
Gravure ,
Architecture ,
190
193
195
198
Horlogerie. Mémoire fur une nouvelle maniere de
faire les cadrans de pendules , & c.
ART. V. SPECTACLE SI
208
Comédie Françoife , 201301212.13.
Comédie Italienne , 5214
Concert fpirituel ,
11215
ARTICLE VI.
Nouvelles étrangeres ,
Nouvelles de la Cour , de Paris , & c.
Lettre fur la Lotterie de Bruxelles ,
Mariage .I a travu I TXA 232
Avis ,divers
1
La Chanfon notée doit regarder la page 71 .
De l'Imprimerie de Ch. A. JaMBER
234
217
226
231
MERCURE
Chez
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
JUIN 2755 .
SECOND VOLUME.
Diverfité, c'est ma devife. La Fontaine .
Cochin
Filius inv
PapillesSculp
sect
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JEAN DE NULLY , au Palais .
PISSOT , quai de Conti .
DUCHESNE rue Saint Jacques. >
Avec Approbation & Privilege du Roi,
2
AVERTISSEMENT
E Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , & Greffier- Commis
au Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne,
Butte Saint Roch , entre deux Selliers.
C'est à lui qu'on prie d'adreffer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre ,
quant à la partie littéraire , à M. de Boiffy :
Auteur du Mercure.
>
Le prix eft de 36 fols , mais l'on ne payera
d'avance , en s'abonnant , que 21 livres pour
l'année , à raifon de quatorze volumes . Les
volumes d'extraordinaire feront également de
30 fols pour les Abonnés , & fe payeront avec
l'année qui les fuivra .
Les perfonnes de province auxquelles on
Tenverra par la pofte , payeront 31 livres
10 fols d'avance en s'abonnant , & elles le
recevront franc de port.
Celles qui auront des occafions pour lefaire
venir , ou qui prendront les frais du portfur
leur compte , ne payeroni qu'à raison de 30
fols par volume , c'est - à - dire 21 livres d'avance
, en s'abonnant pour l'année , fans les
extraordinaires .
Les Libraires des provinces ou des pays
A ij
étrangers, qui voudront faire venir le Mer--
cure , écriront à l'adreſſe ci- deffus.
On fupplie les perfonnes des provinces d'envoyerpar
la pofte , enpayant le droit , le prix
deleur abonnement , ou de donner leurs ordres,
afin que le payement en foit fait d'avance au
Bureau.
с
Les paquets qui ne feront pas affranchis ,
resteront au rebut.
L'on trouvera toujours quelqu'un en état
de répondre chez le fieur Lutton ; & il obfervera
de rester à fon Bureau les Mardi ,
Mercredi & Jeudi de chaque femaine , aprèsmidi.
On peut fe procurer par la voie du Mercure
, les autres Journaux , ainfi que les Livres,
Estampes & Mufique qu'ils annoncent,
6 ..
AVIS
DE L'AUTEUR DU MERCURE.
JE prie les Auteurs de recevoir ici mes
S
excufes fi je ne fais point de réponſe aux
lettres qu'ils m'écrivent ; la multitude des
ouvrages , jointe à la néceffité de faire une
collection tous les mois ne me laiffe pas
ce loifir , & m'oblige d'être impoli malgré
moi : hors les cas preffés , ils doivent avoir
la patience d'attendre que leur tour vienne.
Je mets dans mon recueil chaque piece par
ordre de date : fi elle n'y paroît pas à fon
rang , on doit penfer que c'eft moins ma
faute que celle de l'ouvrage. Je reçois tous
les jours des vers , où la mesure eft auffipeu
refpectée que la rime ; n'ayant pas le tems
de les corriger , je fuis contraint de n'en
point faire ufage.
Les écrits fur lefquels je dois être le'
plus difficile , font particulierement ceux
qu'on adreffe aux grands & aux perſonnes
en place : c'eft leur manquer véritablement
que de les mal louer un Miniftre
l'eft mieux par la voix publique que par
des vers médiocres. Quand ils n'ont pas
mérite d'être bons , il faut du moins qu'ils
le
A iij
ayent celui d'être courts ; avec cette derniere
qualité , on peut les inférer en faveur du
zele.
Comme l'année eftfertile en poësie , j'invite
nos jeunes écrivains à ne pas négliger
la profe : qu'ils l'emploient fur quelque
point de littérature légere , ou qu'ils choififfent
quelque trait de morale , cachéfous
le voile d'une fiction agréable ; pour peu
que ces morceaux foient bien traités , je
leur donnerai la préférence.
MERCURE
DE FRANCE
JUIN. 1755 .
SECOND VOLUME.
THEQUE
LYON
DE
VILLE
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
REPONSE
DE M. DESMAHIS
A M. de Margency.
Dis jeux de mon efprit vous l'arbitre févere ,
Des fecrets de mon coeur vous le dépofitaire ;
A iv
8 MERCURE DE FRANCE .
Vous pour qui la pareffe a des charmes fi doux ,
Qui fi légerement paffez dans tous vos goûts
Du defir à la négligence :
Pour mes autres défauts ami plein d'indulgence ,
Pourquoi reprendre en moi le feul qui foit en
vous ?
Rendu , par votre exemple , à vos leçons rebelle ,
Que ne puis je oublier ce qu'Apollon m'apprit !
La volupté naquit dans les bras d'une belle ,
Et l'inquiétude cruelle
Sur l'oreiller d'un bel efprit.
De ce monde frivole où tout n'eft qu'imposture ,
Où l'efprit n'eft qu'un froid jargon
Où le fentiment n'eſt qu'un nom ,
Vous me preffez en vain d'achever la peinture .
Ignoré du public , à l'abri des difcours ,
Loin de tous les travers je vis fans me contraindre
:
L'amour & l'amitié rempliffent tous mes jours ,
Et ne m'offrent jamais que des vertus à peindre.
Sur ces bords écartés , fous ce tilleul épais ,
L'amour qui fe repofe au frais ,
Abandonne pour vous le foin de fon empire ;
De graces entouré vous chantez les bienfaits ;
Tandis que plus loin je foupire.
Que fur l'écorce d'un cyprès ,
Avec la pointe de ſes traits ,
Je grave les vers qu'il m'infpire :
Le plus léger efpoir des biens que je defire
JUI N. 1755 .9 .
Me femble affez payer tous les maux qu'il m'a
C faits.
Reftons dans ce champêtre afyle ,
N'allons point à l'envi de mille auteurs jaloux
Difputer un laurier ſtérile ; '
Faifons de nos beaux jours un ufage plus doux ,
Cueillons d'une main plus habile
La fleur qui naît auprès de nous .
C
La gloire eft un fantôme , une ombre paffagere
Qu'on croit toujours atteindre & qu'on ne peut
faifir ;
Une coquette menfongere
Qui par le dépit même irritant le defir ,
Accompagne un refus d'une faveurlégere ,
Et fans jamais fe rendre , enchante & defefpere
Par le preftige du plaifir .
Ne fongeons qu'à jouir du moment où nous
fommes ,
Et nos jours les plus longs deviendront des inftans
:
Si de l'ufage de leur tems
Nous faifions rendre compte aux hommes ,
Le héros diroit , j'ai vaincu ;
Le bel efprit , j'ai fait un livre ,
Où j'apprens aux mortels le fecret de bien vivre ;
Le fage diroit , j'ai vêcu .
E rafte & Licidas , dévorés par l'envie ,
A meſurer des mots confumeront leur vie
Pour laiffer après eux le foible fouvenir ,
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
Le bruit fourd d'un vain nom perdu dans l'avenir.
Exempts de cet orgueil à leur repos funefte ,
Du flambeau de l'amour ufons ce qui nous refte :
Que l'art charmant des vers qu'ils connoiffent fi
peu ,
Pour eux foit un travail , pour nous ne foit qu'un
jeu ;
Que cet art profané par tant de vains libelles ,
Nous ferve quelquefois à célebrer les belles ;
Et que notre amitié plus tendre chaque jour
S'accroiffe avec nos ans des pertes de l'amour .
A
JUIN. 1755. Ir
LES DONNEURS D'IDÉES ,
Badinage inftructif adreffé à M. de Boiffi.
M
des
ONSIEUR, vous paroiffez prendre
plaifir à remplir votre article
des Arts. Nous y avons vû fucceffivement
des critiques fur l'architecture faites par
perfonnes qui entendoient bien la matiere
; des injures dites avec beaucoup de politeffe
à M. Boucher , & les efforts que l'on
fait pour trouver des raifons de fon mécon
tentement , qui font cependant bien clairement
imprimées fur les eftampes dont il
eft queſtion ; des éloges qu'un artiſte fait
de fes ouvrages , avec une bonne foi qui ne
lui permet pas de douter que le public
puiffe être d'un autre avis. Il vante de prétendues
nouvelles découvertes en gravûre
qui font auffi anciennes que l'art , & que
perfonne n'ignore; il nous affûre la plus parfaite
exactitude dans une eftampe , quant
à la perfpective & à l'effet de lumiere , où
ni l'une , ni l'autre ne fe trouvent que
d'une maniere défectueufe : fur quoi il eft
à remarquer que celui qui fe donne ces
louanges , a affez de talens pour captiver
l'eftime du public , fans qu'il foit befoin
A vi
12 MERCURE DE FRANCE.
porpour
lui d'avoir recours à cette efpece de
charlatanifme , qui n'eft pardonnable que
lorfqu'il fupplée au défaut d'un mérite
réel. Nous y avons lû la critique du
tail de faint Eustache , qui n'eft peut- être
pas fans raifon , & en même tems l'éloge
d'un projet pour ce même portail , par
l'auteur même. Le malheur eft que ce
projet ne remplit ni la hauteur du pignon
de l'églife , ni les autres fujetions du lieu :
c'eſt dommage , car il paroît qu'il a été
pris dans Vitruve , du moins à en juger
par le bas- relief payen qui fe trouve dans
le fronton ; il eft de plus orné de deux
tours de l'invention de l'auteur , & l'on
s'apperçoit bien qu'il n'en a pas trouvé
d'exemple dans Vitruve. On y ajoûte , des
idées d'églife , que l'auteur voudroit faire
paffer en loi , qui néanmoins pourroient
trouver des oppofans. Quoiqu'il en foit ,
l'auteur ici eft donneur d'avis , ou plutôt
donneur d'idées. Les arts , font à la
mode , il eft de faifon d'en écrire ; mais il
me femble qu'on ne remonte pas aux caufes
premieres qui les rendent floriffans :
une des principales eft la multiplicité des
donneurs d'idées . Je ne parle pas fimplement
de ceux qui font artiftes ; leur état
eft d'imaginer , & il n'eft pas étonnant
qu'ils le faffent avec netteté mais il y a
:
JUIN. 1755. 13
nombre de perſonnes qui embraffent l'état
de donneurs d'idées , fans vocation particuliere
, & qui cependant fe font un grand
nom ; elles enfeignent ce qu'elles n'ont
point appris , & fans fçavoir rien des arts ,
dirigent les artistes les défauts qui fe
rencontrent dans les ouvrages font fur le
compte de l'artiſte , & ce qui s'y trouve de
bon vient d'elles.
Quiconque fe deftine à la profeffion de
donneurs d'idées doit dormir peu ,
& cependant
rêver beaucoup. Quelque confuſes
que puiffent être les imaginations qu'il
combine , il en forme , un tout qui à la
vérité n'eft pas diftinct , mais néanmoins
dans lequel il voit , comme au travers d'un
brouillard, des merveilles difficiles à expliquer
, & plus difficiles encore à rendre.
Il va chez un artifte , lui propofe ces idées ;
vingt objections fe préfentent dont il ne
s'eft pas douté : il n'importe , rien ne le
déconcerte , il revient pourvû de nouvelles
idées. A force de les détruire , l'artiſte
développe quelques- unes de celles qui lui
paroiffent convenables ; notre inventeur
les faifit , y fait quelques nouvelles additions
, qu'on fera vraisemblablement obligé
de fupprimer , mais qui lui donnent le
droit inconteſtable de fe les regarder comme
propres. L'artifte en fait- il quelque
14 MERCURE DE FRANCE .
chofe de beau ? le donneur d'idées triomphe,
fans lui l'artiſte borné n'auroit pû enfanter
une fi belle choſe. Dans le cercle de la focié
té qu'il fréquente , il eft regardé comme
l'homme d'une connoiffance univerfelle ;
bientôt , s'il a un peu de bonheur , il fera le
confeil de la cour & de la ville en fait de
goût . Il restera pour démontré que quand
on réuffira , ce fera lui qui aura merveilleufement
imaginé , & que fi le fuccès n'y
répond pas , ce fera l'artifte qui n'aura pas
eu l'efprit de le comprendre. Il réfulte
mille avantages pour les artiftes , des mouvemens
que fe donnent ces perfonnes uti
les; ils n'ont pas befoin de fortir de chez eux
pour recevoir des complimens , le donneur
d'idées veut bien fe charger de ce lourd
fardeau : ils ne courent point de rifque que
les éloges leur tournent la tête , ils ne font
pas pour eux ; ce danger n'eft que pour le
donneur d'idées , qui peut devenir vain.
Mais comme il faut beaucoup de vanité
pour faire profeffion de cet état , la meſure
n'en eft pas fi bien fixée qu'on puiffe facilement
affirmer quand il y a excès ; d'ailleurs
pour un qui fe rendroit infoutenable ,
il s'en trouveroit mille prêts à le remplacer,
ils ne font pas auffi rares que les excellens
artiftes.
Je ne fçais pourquoi tout le monde ne
JUI N. 1755. IS
s'attache
pas à ce genre de talent qui eft
facile & amufant , je veux vous le prouver
par un exemple. Il m'eft venu plufieurs fois
à l'efprit que Timoleon faifant périr ſon
propre frere pour la patrie , feroit un
beau fujet de tragédie : n'étant nullement
poëte , je ne fçais pas s'il feroit intéreffant
au théâtre , & s'il ne s'y rencontreroit pas
des inconvéniens qui le rendroient impoffible
; mais fi vous le traitiez , vous feriez
obligé de convenir , après ce que je vous
en dis ici , que c'eft moi qui vous en ai
donné l'idée , & que la plus grande partie
du fuccès me devroit être attribuée . Vous
voyez que je n'ai pas fait une grande dépenfe
de génie ; voilà pourtant ce que c'eft
qu'être donneur d'idées.
Monfieur , vous êtes zélé pour la gloire
des arts , je vous conjure d'encourager les
donneurs d'idées ; cela eft plus aifé qu'on
ne le croit ordinairement , & on peut appliquer
ce talent à une infinité de chofes
dans les belles-lettres & dans les arts. Avec
de très-légeres connoiffances , on peut donner
des idées de tragédies , de comédies &
même de poëmes épiques , ce qui eft bien
plus glorieux. M. V. fait un beau tableau
qu'il expofe au fallon : un homme de bien
plus grande imagination que lui , lui prouve
dans une brochure qu'il n'a pas tiré de
16 MERCURE DE FRANCE.
fon fujet tout ce qu'il pouvoit , & lui fournit
de quoi couvrir une toile de vingt toifes
. Cependant cet auteur voit tout cela au
travers d'un brouillard , dans un espace de
quinze pieds ; on pourroit le prier de faire
voir comment il y fait entrer tout cela :
fon excufe eft toute prête ; il ne fçait pas
deffiner , fon état eſt d'être donneur d'idées.
Le bon M. *** dont les écrits font fi remplis
d'aménité , & qui par conféquent ne peut
comprendre pourquoi ils lui ont attiré tant
d'ennemis , fe donne la peine de faire imprimer
quantité d'idées de fujets pour les
peintres ; ils ont l'ingratitude de s'appercevoir
qu'aucun de ces fujets n'eft propre
à faire un bon effet cela n'eft - il pas
malheureux ? fi on l'avoit crû , n'eut- il
eu droit au premier fallon de réclamer
fon bien ? & toute la gloire de l'expofition
n'eût- elle dû être pour
pas lui : Ce qui
lui doit paroître plus inconcevable encore ,
c'eft qu'une autre brochure qui a paru
depuis & qui contenoit des fujets de peina
été tout autrement accueillie .
Pourquoi cela ? eft - ce parce qu'il étoit
évident que celle ci partoit de quelqu'un
au fait de l'art , & qui n'écrivoit que d'après
des idées nettes & déja compofées
dans fon efprit en artifte ? Devroit- on pour fi
peu y mettre tant de différence ? Eft if quefture
,
pas
JUIN. 1755. 17
tion d'une grande fête ? on dit à l'artiſte , il
nous faudroit ici quelque chofe de grand ,
de beau , un temple , un palais , ce que vous
voudrez ; mais que cela foit impofant : voilà
des demandes nettes , claires , & qu'on
peut remplir de mille façons. L'artiſte eft
à fon aife ; s'il eft habile , il fait une belle
chofe ; mais il n'en eft pas moins vrai que
c'eſt M. tel qui lui a donné l'idée . Ce font
les efprits prudens , & ceux qui veulent
une gloire qu'on ne puiffe leur conteſter ,
qui fe renferment dans ces généralités ;
elles fuffifent pour en tirer le plus grand
honneur , & même pour autorifer à mettre
fon nom , comme inventeur , aux eftampes
qui pourront en être gravées. Ceux qui
s'avifent de mettre la main au porte- crayon,
s'en tirent plus difficilement : malgré les
excufes qu'ils apportent de n'avoir jamais
appris , ce qui eft aſſez viſible pour les difpenfer
du foin d'en avertir ; ils hazardent
beaucoup ordinairement , ils ne fçauroient
éviter une bonne dofe de ridicule; mais auffi
s'il arrive, par un heureux hazard , que l'exécution
reffemble à peu près à ce qu'ils ont
confufément ébauché,quel triomphe ! quelle
gloire ! On peut donner des idées pour les
décorations de l'opéra , pourvû qu'on ait
de bons peintres pour les débrouiller &
leur donner de l'existence. L'expérience fait
18 MERCURE DE FRANCE.
voir qu'il n'eft pas néceffaire de fçavoir
deffiner , ni même les premiers élémens de
l'architecture. On peut donner des idées
pour la mufique ; il fuffit pour cela d'en
avoir entendu quelquefois , & d'avoir pris
parti dans la querelle pour ou contre. On
donnera encore facilement des idées pour
les habillemens , il y en a des preuves. On
a vû des perfonnes fe faire une réputation,
feulement pour avoir donné des idées d'attitudes
variées aux acteurs des choeurs de
l'opéra . Il n'y a pas jufqu'à un marchand
qui donne des idées ( ou du moins qui le
fait croire ) aux manufactures d'étoffes .
Lorfqu'il a été queftion de faire une
place pour le Roi , n'a-t-on pas vû éclore
un effain de donneurs d'idées , qui étoient
étonnés eux- mêmes de la beauté des imaginations
qui leur paffoient par la tête ?
quelques-uns n'ont pû réfifter à la tentation
de les publier , quoiqu'en pure perte.
Il ne faut pas en croire les artiftes , qui fe
figurent que tout le monde eft en état de
faire un rêve ; que toute la difficulté confifte
à le réaliſer de maniere qu'il faſſe un
bon effet , & à vaincre les difficultés qui
fe rencontrent dans les idées les plus nettes
& les mieux conçues : la jaloufie leur
fuggere ce fentiment , & la véritable gloire
doit toujours appartenir à celui qui donne
la premiere idée.
JUIN. 1755. 19
Vous même , Monfieur , vous avez les
plus grandes obligations à un donneur d'idées
, & peut- être fans l'avoir jamais fçu .
Nous venons de perdre un auteur , finon
diftingué , du moins récompenfé : il avoit
apparamment fait réflexion , ou avant ou
après vous , que le contraſte d'un Anglois
des plus durs avec un François des plus
petits- maîtres pouvoit produire quelque
chofe de plaifant ; de là il s'étoit érigé dans
fa famille & dans le petit cercle de fes
amis pour le donneur d'idées du François
à Londres. Si vous ne fûtes pas débarraſſé
du foin d'imaginer ce fujet , vous dûtes
l'être d'une partie du fardeau des éloges
qui vous en font revenus , du moins il
cherchoit à vous en foulager autant qu'il
lui étoit poffible. La feule difficulté qui s'y
trouvoit , c'est qu'il n'avoit rien fait avant ,
& qu'il ne fit rien depuis qui donnât lieu
de croire qu'il en eût pû faire une bonne
piece ; cependant il avoit fes croyans . C'en
eft affez pour vous faire voir la très- grande
utilité des donneurs d'idées , & je vous les
recommande comme plus importans encore
que les donneurs d'avis.
Je fuis , &c.
1
20 MERCURE DE FRANCE.
VERS
Sur la mort de M. le Maréchal de Lowendal.
C'Eft par le talon
qu'aujourd'hui
La mort vient de faifir un Général habile ;
Lowendal vêcut comme Achille
* Il devoit mourir comme lui .
Moi,
De
MADRIGAL.
Oi , je ne fçai qu'aimer ; vous ne ſçavez que
plaire :
ces arts entre nous ne faiſons point myſtere.
Pour être à l'uniffon ,
Eglé , donnons-nous l'un à l'autre
Quelque charitable leçon :
Vous fçaurez tout mon art , quand je fçaurai le
vôtre .
JUIN. 1755. 21 '
VERS
A Mademoiselle de Luffan , à l'occafion defa
penfion fur le Mercure ; par un de ses amis.
Q
Uand de l'amour vous chantiez les effets ,
Et de fon doux poilon les dangereux progrès ;
De ce Dieu , fectateur fidele ,
Mercure alors eût dû couronner votre zele ;
C'est lui qui de l'amour enrichit les fuppôts.
Mais lorsque vos écrits célébrant les héros ,
Vous quittez pour Clio les Romans , la fêrie ;
Le don qu'il vient vous préfenter ,
A Charles , à Louis paroît fe rapporter.
<
Ce n'eft pourtant qu'une fupercherie ;
Il attendoit l'inftant , où fans effronterie
Il offriroit à vos talens
De fes tréfors les fecours bienfaifans .
Qui l'eût dit qu'une mufe , & fi noble & fi pure ,
Auroit un jour grace à rendre à Mercure ?
On ne peut de ce Dieu trop admirer les tours ;
Au nom de la vertu , dans plus d'une aventure
Il a fatisfait les amours.
"
L
MERCURE DE FRANCE.
PORTRAITS
DE CINQ FAMEUX PEINTRES
ROMAINS.
Dominique Feti.
Avec Jules Romain , le Feti fympathife ;
Il penfe grandement , s'exprime avec fierté.
Par fon pinceau moëlleux que conduit la franchife
,
Le connoiffeur eft ragouté.
De fes riches préfens maint cabinet fe pare
En vain on lui reproche un deffein négligé :
} Par un attrait vainqueur de mon goût il s'empare ,
Et je crois la critique enfant du préjugé
Gafpre Dugbet.
L'art ici me déploie un fpectacle enchanteur :
Pour ce feuillage épais Zéphir a quitté Flore ;
Il Pagite fous lui je goûte la fraîcheur ,
Mon oeil y cherche au loin la beauté que j'adore.
Que d'heureux accidens il trouve en fon chemin !
Ruine , chûte d'eau , tout au repos l'engage .
Mais , que dis-je , fuyons , imitons ce Silvain ;
* Un fougeux ouragan s'éleve en ce bocage.
...
* Il peignit pour le Cardinal de Lorraine une
JUIN. · 1755 • 23
François Romanelli.
Quel gracieux pare ces têtes !
Je les contemple & j'en deviens l'amant.
Que cette freſque a droit de faire des conquêtes !
Elle eft d'un ton frais , raviffant.
Romanelli , c'eſt ton ouvrage ,
Je le crois ; les regards du Monarque puiffant *
Qui t'honora de fon fuffrage ,
Firent plus d'une fois éclore le talent .
Ciro Ferri.
Cet éleve eft égal à fon illuftre maître ,
Le virtuofe admire & confond leurs travaux.
On renaît dans les fiens ; Ferri redonne l'être
Au Cortone , à celui qui guida fes pinceaux.
Là , cent chefs-d'oeuvres de peinture ,
Ici la noble architecture ,
Tel qu'un foleil font briller fes crayons .
L'envie après la mort veut qu'on le défigure **
Et fait de fon couchant éclipfer les rayons.
>
bourafque , qui eft un de fes plus beaux tableaux.
Aucun Peintre avant le Gafpre n'avoit attiré dans
Jes paysages le vent & l'orage.
* Louis XIV.
** La coupole de fainte Agnès , dans la place Navone
, fut fon dernier ouvrage. En mourant , il le
laiffa imparfait ; Corbellini , fon éleve , l'acheva
d'une maniere à deshonorer son maître. On fçait
que la jaloufie eut beaucoup de part au choix qu'on
fit de ce médiocre Artifte.
24 MERCURE DE FRANCE.
Ce
Giacinto Brandi.
que le Brandi crée eft riche & plein de feu ;)
Par - tout fon faire annonce un efprit grand ,
fertile.
Ah ! pourquoi de fon art ne s'eft- il fait qu'un jeu ?
Quelle honte il couroit moins au beau qu'à
l'utile.
Son coloris eût pris de la vigueur ,
S'il n'eût pas été fourd à la voix de la gloire ;
Et fon trait plus correct l'eût rendu la terreur
Des Peintres qui fur lui remportent la victoire.
Voyage
JUIN. 1755. 25
Voyage de Dijon à Paris , fait en 1746.
A Mis , vous attendez fans doute
Que je vous faffe le récit
Bien détaillé , de ce qu'en route
J'ai vu , j'ai fçu , j'ai fait , j'ai dit :
Oui , je m'en vais fur mon hiftoire
De mon mieux vous entretenir ;
Sans peine vous pouvez me croire ,
Vous le fçavez , il eſt notoire
Qu'un Bourguignon ne peut mentir.
D'être par- tout bien véritable ,
Je ne le
promets pourtant pas :
Car bien fouvent il eft des cas ,
Où pour rendre plus agréable
La fatigante vérité ,
Il faut du manteau de la Fable
Couvrir fa trifte nudité.
Vous l'avouerez ; mais que ma Muſe
Et vous inftruiſe & vous amuſe ,
Hélas ! je n'ofe m'en flater ;
N'importe , plein de confiance ,
Pour répondre à votre eſpérance ,
J'oſe tout faire & tout tenter.
Attention , faites filence ;
Je prends la plume , je commence :
II. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE .
Or , vous plaît-il de m'écouter.
Je vous quittai avec tous les fentimens
d'une parfaite reconnoiffance & d'une
amitié fincere. MM ...... me reconduifirent
jufqu'au bas de Talent ; là je reçus
leurs adieux , & je les embraffai le regret
dans le coeur :
Mais nous voilà dans l'équipage ,
Des fouets l'air a retenti :
Santé conftante & bon voyage ;
Allons , cocher ; on eft parti.
Nous nous trouvâmes fept dans la voiture
; mais plaignez-moi avec ce nombre .
Pas un minois qu'on pût baiſer ;
Pas une femme un peu jolie ,
Vers qui tout bas l'on pût jafer ,
Dont je puffe pour m'amufer
Faire en chemin ma bonne amie.
C'étoit d'un côté un homme fort ennuyeux
, qui fe nommoit M. Chufer , avec
le Sr Taillard , dont tout Paris fans doute
connoîtra bientôt les talens fupérieurs qu'il
a pour la flûte. Une femme âgée occupoit
le fond .
A côté de cette vieille ama
JUIN.
27 1755 .
Etoit affis un Provençal ;
Du Provençal & de la Dame
Je ne dirai ni bien ni mal.
Mais fi j'ai mérité l'Enfer ,
Seigneur , modere ta juftice ,
Et ne mets pas pour mon fupplice ,
A mes côtés M. Chufer.
Sur ce qui refte il faut fe taire ;
Car nous ne sommes plus que trois ,
Qui font B ....moi , mon frere ,
Que bien vous connoiffez , je crois .
Arrivés au Val- de- Suzon , on nous fervit
à déjeûner.
Des écreviffes & des truites :
En ce pays , quoique petites ,
Cela fait un mets excellent ,
Quand dans du vin rouge ou du blanc
Au petit lard elles font cuites :
Nous allâmes dîner à Saint- Seine .
C'eſt-là que coule cette fource
Qui , répandant au loin fes flots,
Porte fes ondes aux Badauts ,
Et dans la mer finit la courfe.
Le foir nous arrivâmes à Chanceaux, ou
Bij
28 MERCURE DE FRANCE .
nous foupâmes de bon appétit : nous fumes
un peu furpris de voir notre hôte malade
d'une fievre maligne , chercher à la guérir
avec du vin qu'il buvoit avec une confiance
dont il devoit tout appréhender . Comme
nous lui en marquions notre étonnement ,
il nous répondit avec naïveté que ce qui
* faifor du bé ne pòvor fare du man ; & en
effet
Un Bourguignon peut-il penfer
Qu'un demi- Dieu , comme Efculape ;
En pouvoir puiffe ſurpaſſer
Le Dieu qui fait naître la grappe ?
Non , non ,
dans vos heureux climats
Le vin , cette liqueur divine
Préferve un homme du trépas ,
Lorfqu'en ceux-ci la Médecine
Les jette tous entre les bras
De la cruelle Libitine.
Je cheminois paifiblement , laiffant errer
avec volupté mes yeux fur les objets qui ,
à mesure que nous avancions , fe découvroient
à ma vûe : vous fçavez comme j'aime
la campagne , & combien je fuis touché
de fes agrémens . Qu'avec bien du
plaifir je promenai mes regards fur cette
* Patois Bourguignon , que ce qui faiſoit dų
bien ne pouvoit faire du mal,
JUIN. 1755 29
belle vallée qui s'offre fur la gauche en arrivant
à Montbard ! la variété des objets
en fait un très -beau lieu : on voit une chaî
ne de montagnes qui bornent l'horizon
mais qui s'étendant au loin & fe perdant
dans l'éloignement , font douter à l'azur
qui colore leur cîme n'eft point celui dont
s'embellit le firmament , tant les plus lointaines
extrêmités femblent fe confondre
avec le ciel. En revenant de fi loin , la vûe
fe ramene fur les collines , que les regards
avoient d'abord faifies . Sur leur penchant
on voit plufieurs maifons de Laboureurs
qui dominent une prairie riche de tout ce
qui rend une campagne belle & fertile.
Tout cela mériteroit fans doute les honneurs
de la Poëfie ; mais je n'ofe me croire
capable de peindre ces beautés d'une maniere
neuve & originale.
La Peinture , la Poëfie
Dans leurs payſages rians ,
Les miracles de la fêrie
N'ont pas des lieux auffi charmans,
O beaux vallons , où le Penée
Paifiblement roule fes eaux !
M'offririez -vous tous les tableaux
De cette rive fortunée ?
Quelle aimable diverfité !
Fontaines , bois , côteaux , montagnes ,
Biij
30 MERCURE DE FRANCE.
Tout ce qu'ont d'attraits les campagnes
S'offroit à mon cel enchanté.
Une fi douce rêverie
Vint furprendre tous mes efprits :
Je fus fi tendrement épris
Des charmes de la bergerie ,
Qu'en vérité dans ma folie
J'eufle donné tout ce Paris
Pour un hameau dans la prairie
Qu'en Peintre vrai je vous décris .
Au milieu de ces idées j'eus la fantaiſie ,
malgré l'extrême chaleur , de voir de plus
près cette belle vallée : je deſcendis du car-
∙roffe , & après avoir adoré les Divinités du
pays , je m'avançai fous leurs aufpices vers
un petit bois , d'où pouvant confiderer tout
le champêtre des environs , je goûtai encore
la fraîcheur d'unefontaine qui y couloit
: ah ! dis- je , en me couchant fur l'herbe
qui tapiffoit fes bords ,
Ici Phoebus ne porte point ſes traits ;
Que je chéris cette humide fontaine ,
Où le tilleul fous un feuillage épais ,
Contre les feux m'offre une ombre certaine !
Ces bois , ces eaux ont pour moi mille attraits ;
Mais des vallons il s'éleve un vent frais
Qui fur les fleurs le joue & fe promene ;
Venez , Zéphir , je vous ouvre mon fein ,
JUIN. 1755. 31
.
Pénétrez-moi de vos fraiches haleines ,
Calmez l'ardeur qu'allume dans mes veines
De Syrius l'aftre aride & mal fain.
*
Si je chéris les bois & les prairies ,
Léger Zéphir , je n'y cherche que vous ;
Vous réparez mes forces affoiblies ,
1
Et je vous dois un repos qui m'eſt doux ;
En ce moment vous feul me rendez chere
Cette retraite obfcure & folitaire :
Loin des cités , dans le calme & la paix ,
Parmi les fleurs , la mouffe & la fougere ,
Pour refpirer votre vapeur légere ,
Toujours puiffai -je errer dans ces bofquets .
J'eus à peine achevé cette priere qu'un
air plus vif s'éleva autour de moi en frémiffant
légerement ; mais je fus bien furpris
, quand après quelques momens de repos
voulant m'éloigner & reprendre ma
route , je me fentis enveloppé par un tourbillon
& emporté dans les airs ,
d'où je
defcendis doucement près de la voiture ,
qui déja s'étoit fort éloignée ; je ne doupas
que Zéphyr par une faveur particuliere
, ne m'eût enlevé fur fes aîles , afin
de m'éviter un trajet que rendoit pénible
l'extrême chaleur.
tai
Je repris ma place dans la voiture en
* Etoile qui eft à la tête de la canicule.
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
regrettant un fi beau lieu , & j'arrivai à
Montbard. Si vous prenez garde aux deux
mots qui compofent le nom de cette ville ,
vous préfumerez comme moi qu'elle étoit
jadis une retraite des anciens Bardes . Les
Bardes étoient tous Poëtes , & ils étoient
appellés Sages parmi les Gaulois : il y a
aujourd'hui bien du déchet ; mais avançons.
>
Pendant qu'on nous apprêtoit à dîner
nous allâmes voir la maifon de M. de B...
Gouverneur de Montbard . Tout y paroît
appartenir à un Philoſophe aimable ; des
appartemens nous montâmes à la terraffe ,
où nous vîmes à l'extrêmité d'un petit jardin
un joli fallon tout en coquilles de diverfes
couleurs ; il eft tout fimple d'imaginer
que c'eft la grotte de quelques Nymphes
du voisinage.
Oui , par ce tiffu de coquilles
Qui forme ce fallon charmant ,
On croit que c'est l'appartement
De quelques Nayades gentilles ,
Qui laffes de refter dans l'eau
Et de courir dans la prairie ,
Viennent par fois dans ce château
Egayer leur mélancolie .
Le lendemain nous arrivâmes à Auxerre
JUIN. 7755
33
où nous couchâmes , & qui me parut une
ville peu agréable ; Villeneuve- le - Roi où l'on
ne compte qu'une belle rue , me plairoit
mieux nous y foupâmes le lendemain ;
il faifoit extrêmement chaud . Dès que je
fus arrivé , je me fentis une envie preffante
de m'aller baigner ; je me rendis fur
les bords de l'Yonne , je vis le Dieu du
Aleuve qui fe promenoit avec une pompe
& un appareil qui m'en impoferent : je
craignis de trouver du danger où je
voyois tant de majeſté ; je me retirai &
je fus m'affeoir vers un petit ruiffeau ombragé
de faules qui venoit s'y rendre . Je
m'affis ; bientôt j'éprouvai ce calme & ce
filence intérieur où nous livre la folitude ;
mais comme l'idée de la galanterie vient
naturellement s'unir aux impreffions que
laiffe un lieu agréable , je me mis à rêver
à une volage , & de la fouhaiter à mes côtés
: je difois ,
Je viens m'affeoir fur le rivage
De ce ruiffeau lympide & frais ;
Recevez-moi , faules épais ,
Sous votre agréable feuillage :
Dans ce beau lieu je veux en paix
Goûter le charme de l'ombrage
Que ce lit de mouffe à d'attraits
Pour mon coeur né fenfible & tendre !
~
BV
34 MERCURE DE FRANCE.
Pour le plaifir qu'il eft bien fait !
D'un doux tranfport , à cet objet ,
Mes fens ne peuvent fe défendre.
Je rêve ! .... &pouffe des foupirs ! ....
Et pourquoi cette inquiétude ? .
Délicieufe folitude ,
Manque-t - il rien à vos plaifirs ? ....
Foulant tous deux cette herbe épaiffe ,
Je voudrois lire mon bonheur ,
Dans les beaux yeux de ma maîtreffe.
Amour !... fixe pour moi fon coeur.
Mais enfin , continuai - je , pourquoi
nourrir plus long- tems une paffion inutile
qui me caufe du trouble ? profitons plutôt
& fans diftraction des plaifirs fimples &
tranquilles que la nature me préfente.
Je m'entretenois ainfi ,
Quand j'apperçus à mes côtés
Une Nymphe , dont le corfage
Offroit aux yeux plus de beautés
Que n'en avoit fon beau vifage :
Avec de grands cheveux nattés ,
Des fleurs diverfes qu'on moiffonne
Sur ces rivages enchantés ,
Elle portoit une couronne.
Je regrettois une friponne ;
Une Nymphe offroit à mes fens
Ces appas qu'amour abandonne
JUIN.
35 1755.
Aux feux libertins des amans :
Pouvois- je donc pleurer long- tems ?
Cédant aux erreurs de mon âge ,
J'oubliai tout en les voyant ,
Et je goûtai cet avantage
D'aimer enfin moins triftement.
Pardonnez ce libertinage :
Mais au récit où je m'engage
De conter tout ingénument ,
Vous m'avouerez qu'il eft plus fage ,
Plus doux auffi , plus confolant ,
Quand une ingrate nous outrage
D'échapper à l'amour conſtant
Pour courir à l'amour volage .
Je vous connois ; oui , je le gage ,
Vous en auriez fait tout autant .
Mais néanmoins à cette vûe ,
Saifi de trouble & l'ame émue ,
Je me cachai dans les rofeaux :
Ne craignez rien , s'écria -t -elle ,
Berger , je fuis une immortelle ,
Fille du fouverain des flots ;
C'est moi qui dans cette prairie
Fais couler ce petit ruiſſeau ;
Venez , la fraîcheur de fon eau
A vous y baigner vous convie.
Rien ne peut-il calmer vos feux ,
Ajoûta-t-elle avec tendreffe ?
B vj
36 MERCURE DE FRANCE
Ah ! queje hais cette maîtreffe
Qui fe refuſe à tous vos voeux.
Ne formez que d'aimables noeuds ;
Comme l'amour ayez des aîles ;
Jeune & difcret , loin des cruelles
Vous méritez d'être un heureux .
Vous le ferez , féchez vos larmes ,
Regnez fur mon coeur , fur ces lieux ;
Je n'ai peut-être pas fes charmes ,
Mais je fçaurai vous aimer mieux.
Qu'une Déeffe eft féduiſante !
Ah ! m'écriai -je , tout m'enchante ,
Tout me captive en ce féjour ;
Tout eft ici , Nymphe charmante ,
Digne de vous & de l'amour .
Vous voyez qu'à fon compliment
Où j'entrevis de la tendreffe ,
Je répondis à la Déeſſe
Par un propos affez galant .
Après ces mots , plein d'affurance
Avec yvreffe je m'élance ,
Et me laiffe aller dans les bras
De mon aimable Néreïde ,
Qui vers la demeure liquide
Elle-même guida mes pas.
Les peupliers fur mon paffage
Sembloient doucement agiter
Et leurs rameaux & leur feuillage ,
JUIN. 37. 1755
Ils paroiffoient nous inviter
Arepofer fous leur ombrage.
D'un mouvement vif & léger
Les cignes avançoient fur l'onde ,
Et fans mourir ils frappoient l'air
Du chant le plus tendre du monde .
Parmi leurs fons mélodieux ,
Mais cependant moins gracieux
Que les accens de Jéliotte ,
Nous arrivâmes à la grotte
Où j'allois voir combler mes voeux.
Je pourrois en dire davantage ; mais ne
feroit ce pas manquer aux Dieux que de
revéler leurs myfteres à des profanes : j'a
joûte pourtant
Que cette jeune Déïté ,
Par fon doux & tendre langage ,
Tint long-tems mon coeur enchanté
Et fçut , quoique je fois né fage ,
Me faire aimer la volupté.
Le moment vint de nous féparer : que
ne fit- elle pas pour me retenir ! Calipfo ne !
mit pas enen ufage plus de charmes pour ar
rêter le fils du vieux Laërte : mais comme
ce héros , je fçus y réfifter ; je lui fis enfin
mes derniers adieux . Ses bras s'ouvrirent
pour m'embraffer : ah , dit - elle en verfant
les plus tendres larmes , je méritois
38 MERCURE DE FRANCE.
que vous euffiez voulu couler avec moi le
refte de vos jours ; fi vous m'avez chérie ,
continua - t- elle , ne me refufez pas ce baifer
; laiffez - moi ravir au fort qui vous
éloigne de moi , cette joie qui pour moi
fera la derniere. Adieu.
Chere Nymphe , m'écriai - je , je la regardois
dans ce moment :
Mais quelles furent mes alarmes
D'appercevoir ce corps fi beau ,
De mes mains s'écouler en larmes ,
Et ne plus être qu'un ruiffeau ;
Dont l'onde tranſparente & pure
Se ramaffant contre mon fein ,
Avec le plus trifte murmure
Autour de moi forme un baffin.
1
Je m'y plongeai avec tranſport , & après
m'y être baigné une heure j'en fortis avec
trifteffe . Que n'étions-nous au fiécle des
métamorphofes !
C Ainfi que
bien des malheureux
Qu'en fes écrits célebre Ovide ,
J'aurois pû demander aux Dieux
De devenir un corps fluide ,
Et j'euffe été fans doute heureux
En mêlant mes flots amoureux
Aux ondes que la Neréide
Epanchoit de fon fein humide ;
JUIN. 39 1755 .
Comme un fleuve majestueux ,
Qui voit croître en fon cours fa gloire & fa fortune
De mes deftins trop glorieux ,
On ne m'eût jamais vû dans le fein de Neptune ,
Porter des flots ambitieux ;
Mais , ruiffeau toujours grácieux ,
D'un cours égal , jamais rapide ,
Avec elle d'une eau lympide
J'euffe arrofé toujours ces lieux.
Mais , comme vous voyez , l'immortalité
me devenoit impoffible.
De maniere qu'en un moment
Je m'éloignai de la fontaine ,
Comme j'étois auparavant ,
Revêtu de ma forme humaine ;
Et P ..... tout uniment.
-
Je retournai à mon auberge , où je mangeai
de très - bonne grace : le fouper étoit
bon ; nous eûmes la précaution de mettre
une couple de poulets entre deux croûtes
pour en déjeûner le lendemain . Effectivement
, après avoir marché quelque tems ,
nous nous écartâmes de la voiture.
Puis fur la molle & tendre herbette ,
Sans nappe mife , fans affiette ,
A l'ombre d'un vieux chêne affis ,
40 MERCURE DE FRANCE.
Des deux croûtes d'un pain raffis
N'ayant que mes doigts pour fourchette ;
Je tirai nos poulets rôtis .
En même tems de ma pochette
Je fis fortir un doux flacon
D'où j'aillit un vin bourguignon ,
Qui nous rafraîchit la luette .
Après avoir bû amplement à votre fanté
, nous regagnâmes le coche. Nous arrivâmes
le foir à Joigny pour en repartir le
lendemain avant le jour : on nous éveilla
à deux heures ; le ciel étoit pur & clair , &
promettoit une belle matinée. Je me propofai
d'examiner fi les defcriptions qu'en
font les Poëtes étoient exactes , d'en étudier
tous les momens & d'en fuivre les accidens
& les circonftances : une heure après
notre départ je me fis ouvrir la portiere ,
& laiffant mes compagnons de voyage
dormir profondément, je continuai la route
à pied.
Un crépuscule encor peu für
Ne laiffoit voir loin du village ,
Que le chaume & le faîte obfcur
Des cabanes du voifinage ,
Que quelques pins , dont le feuillage
S'étoit découpé fur l'azur
D'un ciel ſerein & fans nuage,
JUIN. 41 17558
Je difois , heureux laboureurs ,
Maintenant un fommeil paisible
Sur vous prodigue fes faveurs ;
Et fi l'amour eft dans vos coeurs ,
A l'amour feul il eft poffible
D'en interrompre les douceurs .
En s'éloignant des coeurs profanes
Cet enfant ne dédaigne pas
D'habiter vos humbles cabanes ;
Il aime à voler fur les pas ,
A folâtrer entre les bras
De ces gentilles payſannes ,
Dont lui-même orne les appas.
C'eft aux champs qu'amour prit naiffance ,
Il y lança fes premiers traits ;
Sur les habitans des forêts
Venus exerça fon enfance.
Eh ! qu'il acquit d'expérience !
Bientôt les hommes & les Dieux
Contre lui furent fans défenſe ;
Des bois il vola dans les cieux ;
Mais il chérit toujours les lieux ,
Premiers témoins de fa puiffance.
De l'Hefperus l'aftre brillant
Ne regne plus fur les étoiles ,
L'ombre s'éloigne , & dans fes voiles
Se précipite à l'occident .
Mais un rayon vif de lumiere
42 MERCURE DE FRANCE.
S'eft élancé de l'horizon ;
Voici l'époufe de Titon , •
Qui du jour ouvre la barriere.
Sur un char peint de cent couleurs
Viens , Aurore , avec tous tes charmes ,
Viens & répands de tendres larmes
Sur les gazons & fur les fleurs.
Que ces momens font enchanteurs !
Un verd plus frais , de ce feuillage
A ranimé le doux éclat ;
En reprenant ſon incarnat ,
La jeune fleur , au badinage
Du papillon vif & volage
Ouvre fon vafe délicat ;
Il fuit , & je vois cet ingrat
Porter à toutes fon hommage.
Que l'air eft pur ; quelle fraîcheur !
Du fein humide dés fougeres
S'exhale une fuave odeur ,
Qu'en frémiffant avec douceur ,
Au loin fur fes aîles légeres
Porte & difperfe un vent flateur.
Une langueur délicieuſe
Coule en mes fens .... ah ! quel plaifir !
Je ne fçais quoi vient me faifir
Qui rend mon ame plus heureuſe .
Mais la fauvette à fon reveil
Des bois a rompu le filence :
J'entends fa voix , & du ſoleil
JUIN.
43
1755-
Ses chants m'annoncent la préfence.
Déja brille fur les guerêts
Le fer aigu de la charrue ;
L'adroit chaffeur dans les forêts
Attend qu'épris des doux attraits
De l'herbette fraîche & menue
Le levreau vienne dans ſes rêts
Chercher une mort imprévûe.
Bientôt au fon des chalumeaux
Que les Bergeres font entendre
Les bercails s'ouvrent , les
agneaux
Sous la houlette vont ſe rendre ;
Je les vois fortir des hameaux ,
Et fous les yeux d'un chien fidele .
Couvrir les rives des ruiffeaux ,
Se répandre fur les côteaux
Où croit le thyn qui les appelle ,
Jufqu'au moment où la chaleur
En deffechant les pâturages ,
Les fera fuir dans les bocages
Pour goûter l'ombre & la fraîcheur ,
Cette belle matinée me caufa le plaifir le
plus pur que j'aie reffenti de ma vie . Ce
charme eft inexprimable : qu'avec admiration
mes yeux fe tournerent vers l'orient !
Flambeau du jour , aftre éclatant ,
D'un Dieu caché , viſible image ,
Vous m'avez vû dans ce moment
44 MERCURE DE FRANCE.
>
Par mes tranfports vous rendre hommage.
A ce fpectacle encor nouveau
O foleil ! je te fis entendre
Cet hymne digne de Rameau ,
Où fur leurs temples mis en cendre ,
Les Incas chantent leurs regrets ,
Et rendent grace à tes bienfaits
Toujours fur eux prêts à defcendre.
Bientôt je remontai dans le coche mieux
inftruit par la nature elle- même que par
tout ce que j'avois vû , & chez les anciens
& chez les modernes , & dans les Poëtes
& chez les Peintres.
Jufqu'à Melun il ne nous arriva rien
de particulier , finon qu'à Villeneuve - la-
Guyard nous vîmes arriver une chaife de
pofte , d'où fortirent un jeune homme de
fort bonne mine , & un autre qui paroiffoit
plus jeune ; mais le tein délicat de celui-
ci & le ton de fa voix nous firent deviner
que l'un étoit une jeune fille déguifée
, & l'autre fon amant.
C'étoit fans doute un féducteur ,
Qui loin du toît trifte & grondeur
D'une maman toujours mauvaiſe ,
De fa maîtreffe amant vainqueur ,
Avec elle fuyoit en chaife ,
Afin qu'il pût tout à fon aiſe
JUIN.
45 1755.
En poffeder le petit coeur.
Le lendemain nous dînâmes à Moret
d'où nous partîmes pour aller coucher ,
Melun. Nous traverfâmes la forêt de Fontainebleau
: qu'elle est belle ! Nous arrivâmes
de bonne heure à Melun , où ne fçachant
que faire nous allâmes voir les marionettes.
Polichinelle & Gigogne fa mie
Avoient l'heur de nous divertir :
Je l'avouerai , je pris quelque plaifir
A voir dans fa bouffonnerie
Un automate amufer mon loifir
Mieux qu'un trifte mortel dont le bon fens m'en
nuie.
Le lendemain nous arrivâmes fains &
gais à Paris.
Et c'eft de ce même Paris
Qu'imitant le gentil Chapelle ,
En profe , en vers je vous écris.
Adieu , je gagne ma ruelle ;
Bon foir , adieu , mes chers amis.
Je me fens flaté de ce titre ;
Et fuis , ma foi , par fentiment ,
Meffieurs , ce qu'au bout d'une épitre
On dit être par compliment.
P .....
46 MERCURE DE FRANCE.
REFLEXIONS
De M. de Marivaux.
L n'eft point queftion ici d'un ouvrage
I régulierement fuivi ; il ne s'agit pas
ici
non plus de penfées détachées , celles-.
ci ont toujours une certaine liaiſon les
unes avec les autres ; elles vont toutes au
même but . Je dis feulement qu'elles n'y
vont pas avec autant d'ordre , avec autant
d'exactitude , qu'un plus habile homme
que moi auroit pû y en mettre.
Auffi ne leur ai- je point donné d'autre
titre que celui de réflexions ? Chacune d'elles
en a infenfiblement fait naître une autre
, & tout cela avec fi peu de deffein de
ma part , que lorfque la premiere me vint
dans l'efprit , je ne fçavois pas moi- même
qu'elle en ameneroit une feconde. En
effet, comment aurois- je foupçonné qu'une
fimple obfervation fur une remarque de
d'Ablancourt me meneroit fi loin ? Voici
ce que c'eft .
D'Ablancourt en commençant fa traduction
de Thucidide , au lieu de dire litté
ralement comme l'auteur grec , Thucidide
Athénien , écrit la guerre, & c, le fait comJUN.
1755. 47
mencer ainfi J'entreprens d'écrire l'hiftoire
, & le refte .
Et dans fes remarques for fa traduction
il dit pour raifon du changement qu'il
fait , qu'une traduction plus littérale feroit
plate , & feroit tort à Thucidide.
Mais par- là , peut- on lui répondre , vous
nous faites tort à nous , lecteurs , qui ferions
charmés de connoître Thucidide tel
qu'il eft. Nous croyons voir l'auteur grec ,
l'auteur ancien avec le tour d'efprit qu'on
avoit de fon tems , & vous le traveſtiſſez ,
vous lui ôtez fon âge ; ce n'eſt plus là Thucidide.
Il feroit plat , dites vous , fi vous
ne le corrigiez pas . Eh , qu'importe ! nous
aimerions mieux fa platitude même que
vos corrections , que nous ne demandons
point dans cette occafion- ci .
Quand vous travaillerez fur un fujet
que vous aurez imaginé , ôtez les platitudes
qui vous feront échappées , vous ferez
fort bien , & nous ne les regrettons point ;
elles ne pourroient être que des platitu
des de notre fiecle , & celles - là nous les
connoiffons , nous n'en fommes pas curieux
.
Mais de celles de Thucidide , ou de
tout autre auteur d'une antiquité auffi reculée
, il n'eft pas de même. En les retranchant
vous nous privez d'un ſpectacle qui
48 MERCURE DE FRANCE..
feroit neuf pour nous ; car il y a apparen
ce qu'elles ne reffemblent point aux nôtres
, & fuppofé qu'elles y reffemblaffent ,
ce feroit encore une fingularité que nous
verrions avec plaifir .
:
En un mot , c'est l'hiftoire de l'efprit
humain que vous nous dérobez dans cette
partie- là nous n'en avons que la moitié
quand vous ne nous rendez que les beautés
des anciens , & que vous fupprimez
leurs défauts.
C'estpour l'honneur des anciens que vous
prenez cette précaution - là , dites - vous ;
mais dans le fond leur honneur doit nous
être affez indifférent : il nous feroit bien
auffi agréable de les connoître que de les
eftimer plus qu'ils ne valent.
Votre maniere de traduire Thucidide ,
& votre attention pour fa gloire , direzvous
, n'ôtent rien à l'hiftoire des faits
qu'il raconte. Je n'en fçais rien . On peut
encore vous arrêter là- deffus : s'il eft vrai
qu'il y ait un rapport entre les événemens,
les moeurs , les coutumes d'un certain tems,
& la maniere de penſer , de fentir & de
s'exprimer de ce tems-là ; ce rapport que
je crois indubitable , fe trouve affurément
dans ce que Thucidide a penſé , a fenti , a
exprimé.
Vous ne pouvez donc altérer ſa façon
de
JUIN. 1755. 49,
de raconter fans nuire à ce rapport , fans
altérer ces faits même , fans changer un
peu la forte d'impreffion qu'ils nous feroient.
Je ferois tenté de croire qu'ils
perdent quelque chofe de leur air étranger
, & que vos tours modernes en 'affoi
bliffent le caractere..
Je n'infifte pourtant pas fur ce que jo
dis là , je me contenter de penfer qu'on
peut le dire. Je veux bien auffi que d'A
blancourt ait eu raifon d'en uſer comme
il a fait dans fon Thucidide. Une traduce
tion trop littérale en pareil cas rebuteroit
peut- être la plupart des lecteurs : on auroit
beau leur conferver une fimplicité à
la grecque , ils ne fe foucieroient guere
de les trois mille ans d'antiquité , & ne la
trouveroient pas meilleure qu'une fimplicité
de nos jours. Je dis ici fimplicité , &
non pas platitude ; car je ne fuis pas du
fentiment de d'Ablancourt fur l'endroit
de Thucidide qu'il a corrigé.
Thucidide , Athénien , écrit la guerre ,
ne me paroît point plat , je n'y vois. que
du fimple & du naïf. A la vérité ce n'eſt
ni le fimple ni le naïf de notre tems , &
il feroit prefque impoffible que ce fût la
même chofe.c
Voyons les raifons de cette impoffibilité
, elles ne feront pas difficiles à fentir,
II. Vol. C
to MERCURE DE FRANCE.
quoiqu'elles demandent un peu d'atten
Mon.
-Sans remonter plus haur que Thucidide,
le monde , depuis cet auteur grec juf
qu'à nous , a fi fouvent changé de face , les
paffions des hommes , leurs vices & leurs
vertus fe font déployés en tant de manie,
res différentes ; des hommes ont fucceffivement
paffe par tant d'efpeces de corrup
tion , de fageffe & de folie ; ils ont été
tant de fois & fi différemment polis &
groffiers , bons & méchans , fociables: &
féroces , fi differemment raifonnables &
fots , fi différemment hommes & enfans ;
ils fe font vus par tant de côtés , qu'il doit
aujourd'hui leur en refter un fonds d'idées
confidérablement augmenté.
En un mot , l'efprit que nous avons à
préfent nousivient de trop loin ,il a trop
fermenté avant que d'arriver jufqu'à nous
pour n'être pas très différent de ce qu'il a
été.
C Je ne parle pas feulement de ce qu'on
appelle bet efprit , de l'efprit de Belles-
Lettres , mais de l'efprit des nations en gé
néral.
J. Tous les pay's
reffentent
de la
de l'humanité
du monde à cet égard fe
durée & des événemens
de la diverfité des loix ,
des coutumes & des gouvernemens qu'elle
UNIT
JUI N. 1755.
fr
aéprouvés , du nombre infini de guerres ,
de ravages & d'invafions qu'elle a effuyés .
Sefoftris , Cyrus , Alexandre , les fucceffeurs
de ce dernier , & fur-tout les Romains
même , n'ont pû troubler ni agirer
la terre , ni lui donner de fi violentes fé
couffes , fans y jetter de nouvelles idées ,
fans caufer de nouveaux développemens
dans la capacité de penfer & de fentiv
des hommes.
Je ne compte pas une infinité de moindres
événemens qui fe font paffés dans les
intervalles de ces grandes révolutions ,
mais qui infenfiblement
ont porté coup , &
dont l'impreffion , quoique plus lente , eft
encore venus accroître , nourrir ce fonds
d'idées dont je parle , & n'a peut- être nulle
parr laiffé les hommes dans un état d'efprit
& de moeurs uniforme.
Il est vrai que nous n'avons pas toute la
fuite des idées des hommes , le fonds qui
nous en refte eft bien au - deffous de ce
qu'ilpourroit être ; chaque révolution arri
vée fur la terre , en y excitant de nouvel
les idées , en a diffipé , éteint , & comme
anéanti beaucoup de celles qui y étoient.
-Les conquerans que nous venons de ciser
& les peuples conquis , les uns avant
que de foumettre , les autres avant que
d'être foumis, avoient eu des moeurs , des
f
!
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
coutumes & des façons de penfer différen
tes de celles qu'ils eurent après.
Les vainqueurs en prirent de conformes
à l'orgueil & à la profpérité de leur état
les vaincus en reçurent de conformes à
leur abaiffement & à la volonté de leurs
nouveaux maîtres ; & de ces loix , tant anciennes
que nouvelles , de ces moeurs , de
cés coutumes & du tour d'imagination
qui en réfultoit , nous n'en avons pas , je
l'avoue , une connoiffance bien complette ,
mais enfin tout n'en a pas été perdu , la
tradition , les monumens & l'hiſtoire nous
en ont confervé d'affez amples détails &
quelquefois la plus grande partie.
•
Comparons ce qui nous refte à de fim
ples débris. Jamais l'amas de ces débris n'a
été fi grand qu'il l'eft aujourd'hui , à comp
ter depuis les Grecs , ou même dépuis les
Affyriens jufqu'à nous..
Nous avons donc par conféquent plus
de rélations de l'humanité que les Affyriens,
les Grecs & les Romains n'en avoient,
& par conféquent auffi un plus grand fonds
d'idées qu'eux tous , & un fonds en vertu
duquel nous ne devons être ni naïfs , ni
fimples , ni plats , comme on l'étoit autrefois.
Ce que je dis là ne paroît pas dou
reux. Voici cependant ce qu'on peut m'ob
jecter , c'est que les faits ne s'accordent
pas avec mon raifonnement.
JUIN. 1755
33
Jettons les yeux fur les nations les plus
célebres , me dira- t on . Les Grecs & parmi
eux les Athéniens , lorfqu'ils commencerent
à s'affembler , dûrent , felon vous ,
trouver un affez grand fonds d'efprit &
d'idées déja tout amaffé , car fans doute le
monde avoit déja éprouvé beaucoup d'aventures
que nous ne fçavons pas.
Ce même fonds d'idées devoit être confidérablement
groffi quand il parvint aux
Romains ; il a dû être immenfe quand
nous l'avons reçu .
Cependant voyons l'avantage que les
premiers Athéniens & les premiers Ro
mains en retirerent , & à quoi il nous a
fervi à nous-mêmes.
C
7
que Qu'est- ce que c'étoit
les Athéniens
malgré les avantages
que vous leur fuppofez
? des fauvages
, des hommes
brutes &
féroces , qui fçurent
à peine ſe bâtir des
cabanes , & à qui il fallut que Cecrops ,
Egyptien
, apprit à avoir des loix & des
Dieux.
Reconnoiffez - vous à cela des hommes
qui devoient avoir hérité de cette fucceffion
d'idées dont vous parlez ? & ces aventuriers
qui fonderent Rome , qui n'ont
d'abord ni loix civiles ni Magiftrats , qui
font brutalement confifter tout leur mérite
à être féroces & braves , font- ils ce qu'ils
C iij
34 MERCURE DE FRANCE .
doivent être dans les tems où ils arrivent ?
Diroit-on à les voir que la fageffe d'Egyp
te & même l'efprit d'Athénes ont déja
paru fur la terre ?
Nous - mêmes qui fommes venus bien
plus tard , nous à qui l'univers agité de
puis fi long- tems devoit avoir tranfmis une
fi vafte & fi profonde expérience , quel ufage
avons- nous fait de cette prodigieufe
collection d'idées , qui , felon vous , nous
étoit échue en partage ? nos commencemens
font- ils dignes de tout l'efprit que le
monde avoit en avant nous ? fe reffententils
, comme vous le dites , de la durée de
l'humanité & du paffage des Egyptiens ,
des Grecs & des Romains ? en avons-nous
eu moins de barbarie dans nos moeurs
moins d'ignorance , moins de groffiereré
dans nos préjugés ?
2:
>
S'il a donc fallu que les hommes recommençaffent
à fe former fur nouveaux
frais , fi tout le développement de l'efprit
qui s'étoit fait avant eux , ne les a fauvés
nulle part de la néceffité d'effuyer la même
enfance & les mêmes miferes d'efprit ,
il faut bien que ce fonds d'efprit venu de
fi loin , que cette fucceffion d'idées que
les hommes fe tranfmettent , à ce que vous
prétendez , ne foit pas vraie , & qu'en tout
tems les révolutions Payent rendue impof
fible.
JUIN 17532 33
Elle n'est pas même plus fenfible dans
nos progrès que dans nos commencemens.
Notre efprit eft bien inférieur à ce qu'il
devroit être , il n'y a point de proportion
entre ce que nous en avons & ce que nous
en aurions reçu , fi cette fucceffion étoit
vraie . N'y cherchons donc point tant de
myftere, & convenons que les hommes
en tout pays fe forment eux-mêmes , qu'ils
peuvent bien recevoir quelque chofe de
leurs voisins , ou de leurs contemporains
mais qu'à cela près ils tirent tout de la
fociété qui les unit , & du commerce que
des efprits mis en commun y ont enfemble.
Ainfi l'école d'une nation c'eft la nation
même , ainfi chaque peuple a la fienne ,
où il fait d'âge en âge plus ou moins de
progrès , où il acquiert plus ou moins
d'idées , de fineffe & de goût , fuivant
qu'il fort plus ou moins de lumiere de
la totalité des efprits qui forment fon école.
Car c'eft de ce nombre infini de jugemens
, de réflexions , d'idées folles & fenfées
que la totalité des efprits répand dans
la nation ; c'eſt de la diverfité d'opinions
vraies ou fauffes qu'elle y verfe , que chaque
particulier tire la matiere des nouvelles
idées qu'il a lui-même , & qui vont à leur
tour s'ajoûter à la fource dont elles lui
Civ
36 MERCURE DE FRANCE .
viennent. Oui , vous dites vrai ; l'école
d'une nation , en fait d'efprit , eft la nation
même; mais cette fucceffion d'idées
dont nous parlons n'en eft pas moins fûre.
*
Car le choc.continuel des efprits qui
compofent cette nation , fuffiroit feul pour
accroître infenfiblement la meſure d'efprit
qui s'y trouve ; fuffiroit, de votre propre
aveu , pour y jetter la matiere de nouvelles
idées , pour y produire de nouveaux
accidens de lumiere & de connoiffance ;
mais ce n'eft pas là tout.
Cette nation n'eft pas féparée des autres
par des barrieres impénétrables , & ce
que vous appellez fon école fe fortifie continuellement
de ce que des hommes d'une
autre nation y portent, & s'augmente encore
de la différence de l'efprit étranger
qui vient fe mêler au fien.
ΠΟ
JUIN.
1755. 57
་
VERS
9 TUE . I
C
" A M. L. C. de *** fur dés flambeaux de
Saxe, qu'elle avoit envoyés myfterienfemeni
à Mme de ***
ཧཱུྃ ; འཛ
A Pollon daignes m'écouter :
Dévoiles-moi certain myftere
Qui commencé à m'inquieter
Et que l'on s'obſtine à me taire.
Mais pour n'être plus ennuyé
Par l'ufage trop imbécille ,
De tourmenter fur ſon trépié
Quelque vieille & laide Sybille ;
Toi-même , parois entouré
De ce pur & brillant nuage ,
Dont l'éclat vif & moderé
Fut toujours d'un heureux préfage ;
Ou pour obtenir des mortels
Plus d'encens & de facrifices
Qu'on n'en offrit fur tes autels
Aux tems fameux des arufpices.
Qu'Eglé , ce chef - d'oeuvre des dieux
Soit l'organe de tes oracles ;
Et tu devras à fes beaux yeux
!!
a
H
10 IU
$ #152
250 oup elono st
515 375'ovno¶
:ov 201 Nos voeux , ton culte & tès miracles
C'en eft fait . Je te vois enfin v ob etwon al anst
C v
18 MERCURE DE FRANCE.
Lui céder tes lauriers , ta lyre;
Et dans les décrets du deſtin
Lui montrer encor Part de lire.
Du Dieu que j'ofois implorer,
Amante rivale & pretreffe ,
Eglé , vous pouvez m'éclairer ,
Et c'eft à vous que je m'adreffe.
Je ne fçais par qui ni comment ,
Hier au foir fur ma toilette
Parut un nouvel ornement
Dont je n'avois pas fait l'emplette.
Ce font deux flambeaux précieur
Et faits d'une élégance extrême
Ou le Saxon induſtrieux
S'eſt encor ſurpaſſé lui-même.
Fixez mon efprit incertain ;
Ne permettez pas que j'ignore
Si ce préfent eft d'une main ,
Ou qui m'offenfe , ou qui m'honore,
Jufqu'à ce jour je n'entends rien
A cette efpece de prodiges
Devinez , mais devinez bien
Eglé ... devinez- bien , vous dis-je.
Un preffentiment affez doux
Sert à me rendre plus tranquille
Je crois que ces flambeaux chez vous
Pouvoient être un meuble inutile.
Dès votre plus jeune faifon ,
Dans le cours de votre carriese
JUIN.
1955. 59
C'eft le flambeau de la raifon
Qui fut toujours votre lumiere ;
Et dans vos regards enchanteurs
Celui de l'amour qui pétille ,
Sans votre aveu dans tous les coeurs ) 200M
Allume les feux dont il brille.
20:07 21
Toista apon
IL
LE mot de la premiere Enigme du premier
volume du Mercure de Juin , eft
Cabriolet . Celui du premier Logogryphe
eft Violette , dans lequel on trouve tête.
vidle , voile , vil , vol , lit , toile , loi. Le
mot de la feconde Enigme eft Miroir.
Celui du fecond Logogryphe eft Chapelet ,
od fe trouvent peché , chat , Athée , plat,
Celte Lethé , Hecate , Chatel , Capet , the ,
êta , aleph , caph , he , pé , pet , tache ,
épacte , éclat , hâle , Alcée , lactée , cap .
palet , Clet , tale , Apt , Aleth , Alep , places ,
étape , halte , pâle , clé , Thecle , étal , Alphée
, Ate , pal , lâche , acte , chape , pâté ,
été , péle , ache , ou celeri , Thecel , Aëte ,
Cephale , Platée , puite , place , lac , cape ,
facet.
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
Nous
ENIGM Eon wah
Ous fommes les neuf foeurs , au bois nou
ſommes nées
Nous fervons aux humains de divertiffement ;
Et fi de leur plaifir nous n'étions l'inftrument ,
Nous ferions par leur ordre aux flâmes condamnées.
Mais il vaudroit bien mieux , pauvres infortunées,
Nous voir transformer vîte en un brafier ardent ,
Que de fubir l'horreur d'un fupplice conftant ,
Et d'être à mille coups fans ceffe deftinées .
Lorfque nous élevons nos têtes vers les cieux ,
On nous jette par terre ; & cependant les dieux
N'ont jamais voulu voir cette injure vengée ;.
On nomme cet outrage un innocent débat.
En vain nous nous dreffons en bataille rangée
Un globe nous foutient , un globe nous abbat
JUI N. 1755:
LOGOGRYPHE.
Le génie E génie enfanta trois freres
De la fortune ils font les favoris :
T
Nés pour la paix, ils font dans des partis contrairess
Jufques aux-Rois tout leur devient foumis.
Ils font bien forts , fur- tout s'ils fe trouvent unist
Mais hélas ! l'union entre freres eſt rare.
A chaque inftant on les fépare ,
Et chaque inftant ils font l'un de l'autre ennemis.
L'aîné des trois fur les autres domine ;
Il combat malgré lui fouvent à fa ruine.
On voit toujours varier le fecond ,
Et
>
le nom. la forme & pour
pour
Le troifieme
le fuît avec moins de puiffance
,
Mais il ne peut changer jamais.
Tu les dois , cher lecteur , reconnoître à ces
... traits.
Non , pas encoreh bien , fouilles dans leur fubaftance
: italapai 19 aniq hat
Ils ont neuf pieds , chacun n'en a que huit
Combine-les ; 'tu trouves cent chimeres
Que le caprice forme , & qu'après il détruit :
Un des fils de Noë : un bien que notre mere
Ne nous livra que pour notre malheur ;
Les principes de tout ( fi l'on croit Epicure ) :
Certain morceau d'architecture :
;
62 MERCURE DE FRANCE.
Un prifonnier d'Eole , un arbre , une faveur ;
Ce qui pouffe un vaiffeau ; un animal ſauvage :
Ce qu'on rafine à la table des Roiss
Un Dieu d'horreur & de carnage ,
Avec les attributs ; une planete , un mois ;
Le nom d'un métal en chymie ;
Un homme dont tu tiens & la mort & la vie
Ce que tu cherches maintenant shpirt
Un être en qui Dieu grava fon empreinte # !!
Ce qui fert dans un jea ; une étoffe , un inſtant 17
Qu'un philofophe attend fans defir & fans crainte :
Un peuple de qui Phaëton 17 .
Fit changer la couleur ; les enfans d'Apollon]
Qui nourriffent Paifance & périffent fans elle : 1
Ce qui fait quelquefois prendre femme moins
belle 1907 3 omnc al quog
Un globe lumineux ; ce que montre un fûyards I
Du monde entier la capitales::
Une peine d'enfer, terrible & fans égale T
Les foutiens de nos corps ; ce qui roule au hazard :
L'empire de Neptune, une piece lyrique , coM
Je n'y ſçais plus enfin qu'une note en muſique.
abole S
Par M. PAbbé M ***
i 1
no civil
JUIN. 1755%
CHANSON DE TABLE
O
Sur l'air du Vandeville d'Epicure.
Vous que l'amitié raffemble ,
Tendres amans heureux bûveurs ;
Des Dieux que nous fervons enfemble
Chantons tour à tour les faveurs.
Du nom du Dieu que l'Inde adore ,
Bûveurs rempliffez ce féjour ;
Et
vous , beautés jeunes encore ,
Sans le nommer , chantez l'amour.
2
Le loifir plaît à la tendreffe ;
Mais Bacchus fuit. un vil repos
Le bûveur peut jouir fans ceffe
L'amant ne jouit qu'à propos.
Le bûveur dans fa folle ivreffe
Se croit un Roi toujours vainqueurs,
L'amant foumis à fa maîtreffe ,
Ne veut regner que fur fon coeur.
Dans cette brillante fougere ,
Quand Tircis verfchum vin charmants mono'
I
64 MERCURE . DE FRANCE.
Amour , fur fa mouffe légere
Me peint les traits de mon amant.
Je réunis tout ce que j'aime ,
Ma bouche afpire la liqueur ,
Et fait paffer à l'inſtant même ,
Bacchus & l'amour dans mon coeur.
Ainfi que l'enfant de Cythere',
Le Dieu du vin eft délicat :
Tous les deux aiment le myftere ;
Tous les deux redoutent l'éclat.
Dès qu'une bouteille eft ouverte
Le vin s'évapore ou s'aigrit :
Dès qu'une intrigue eft découverte ,
L'amour s'éteint ou s'affoiblit.
Au Dieu qui fait múrir lá treille ;
Amour , tu dois fouvent ton prix ;
Sylvandre armé d'une bouteille ,
Sçut enfin attendrir Iris .
Le verre à la main , elle oublie
Et fon devoir & le danger :
L'amant triomphe , & Bacchus crie
>> Mon heure eft celle du Berger.
stillid $ 1.5
D'an amour délicat & tendre , but han
JUIN. 1755.
65
Chérs amis célébrons le prix.
Bûveurs imitez tous Sylvandre ,
Nous pourrons imiter Iris.
A Bacchus donnons la journée ;
Refervons les nuits à l'amour :
L'un peut renaître avec l'année ;
Quand l'autre fuit , c'eft fans retour.
Par A. H. Poinfinet , le jeune.
Aura 91
abs
66 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRÉS.
M
ÉMOIRE dans la caufe communi,
quée ,, pour le fieur Jean Digard ,
ancien Ingénieur du Roi , Profeffeur de
Mathématique ; contre Meffire Jofeph-
Louis-Vincent de Mauleon de Caufans ,
Chevalier non profès de l'Ordre de S. Jean
de Jérufalem , ancien Colonel du régiment
de Conti , infanterie .
Au fujet du prix propofé par M. de Caufans
, au premier qui démontreroit un paralogifme
dans fon ouvrage fur la quadrature
du cercle ; brochure in-4°. de 34 pages
avec figures. A Paris, chez Knapen , grandfalle
du Palais , & chez Duchefne , rue Saint
Jacques .
Ce Mémoire commence par une courte
expofition de l'affaire à décider , & de la
queftion fi fouvent & fi infructueufement
rebattue de la quadrature du cercle. M. D.
y prouve par des autorités l'inutilité de
cette recherche & l'infuffifance de ceux qui
s'y livrent ; enfuite il entre dans le détail
des faits : c'eft une hiftoire curieufe de
tout ce qui a rapport à cette caufe plus
JUIN. 1755. 67
célebre qu'importante. L'auteur y analyſe
le profpectus de M. D. C. & les différens
imprimés relatifs qui l'ont fuivi.
Ses moyens fe réduisent à prouver qu'il
a rempli les conditions impofées pour mériter
le prix offert au public par M. D. C.
dans une affiche qui eft le fondement de
la conteſtation & dont on donne la copie.
M. D. détruit les objections de M. D. C
& rapporte le jugement d'un auteur connu
fur l'ouvrage de ce dernier ; il s'appuie du
texte même de la loi , & d'une fentence de
la Sénéchauffée de Lyon , qui en 1729 &
dans des circonftances toutes femblables
condamna le fieur Mathulon à payer une
fomme de gooo liv.
A la page 25 fe trouve le Mémoire dans
lequel M. D. a prouvé plufieurs paralogi
mes de M. D. C. Cette partie , quoique
géométrique , eft auffi fimple que ce qui
la précede. Nous ne rapporterons qu'un
feul paragraphe , par lequel on pourra
juger du ftyle.
- Je viens de démontrer ( cent millions
d'hommes ont pû le démontrer avant
moi ) que la circonférence du cercle eft
plus grande que trois fois fon diametre.
» Mais , s'il étoit poffible d'admettre pour
»un moment la proportion rapportée par
»M. le Chevalier de Caufans , il s'enfui68
MERCURE DE FRANCE.
» vroit ( felon fon propre aveu ) qu'il au-
» roit agi contre fa connoiffance intime en
» s'annonçant pour être l'auteur d'une dé-
» couverte puifée dans les livres faints.
» Quoi ! devoit-il inonder toute la France
de fes écrits pendant deux années ?
» devoit - il s'attendre à l'admiration de
toute l'Europe fçavante ? devoit - il pré-
» tendre à la reconnoiffance univerfelle ?
» devoit- il enfin impofer un tribut de quatre
millions pour avoir fçu lire dans l'écriture
fainte ce qui a été connu d'une
> infinité d'hommes pendant plufieurs mil-
» liers d'années ? eft- ce découvrir que de
» trouver ce qui ne peut être ignoré de
perfonne la vûe du foleil ne pafferoit
» pour une découverte que chez un peuple
d'aveugles- nés.
20
ور
-23
LETTRE de M. le Franc à M. L. Racine
, fur le théâtre en général , & fur les
tragédies de J. Racine en particulier. A
Paris , chez Chaubert , à l'entrée du Quai
des Auguſtins , à la Renommée & à la Prudence.
1755 .
Perfonne ne peut mieux parler des ou
vrages du célebre Racine que l'auteur de
Didon , qui a fi bien pris fa maniere &
faifi fon coloris.
3 JU IN. A
1755.
69
: MADAME FAGNAN , qui s'eft annoncée
avantageufement
il y a quelques années
par un petit conte foi-difant traduit du
Lauvage , vient d'en mettre un autre au'
jour fous le titre du Miroir des Princeffes
orientales , dédié à Madame de Pompa->
dour.
Il paroît que Mme Fagnan s'eft proposée
de prouver que les belles qualités de l'ame ,
celles du coeur & de l'efprit , en un mot les
vertus morales fans le fecours de la beauté ,
font plus propres à former les grandes pafhions
& les attachemens vrais & durables ,
que la beauté feule , même la beauté jointe
aux agrémens de l'efprit. Cette propofition
Lon traite affez volontiers de paradoxe
, n'a rien en elle-même que de trèspoffible
& même de très- agréable : elle
confole celles qui ne fe piquent pas de
beauté , & n'afflige point celles qui y prétendentli
que
L'auteur met en jeu trois Princelles de
Perfe , dont l'une n'a que la beauté en partage.
Elle ne peut fixer long-tems un amant
volage devenu fon époux ; elle en meurt
de douleur en peu de tems.
Une feconde Princeffe , fille de cette premiere
tout auffi belle & plus fpirituelle ,
ne trouve pas mieux le fecret de: fixer un
inconftant ; mais elle foutient mieux fa
70 MERCURE DE FRANCE.
difgrace ; elle en tire parri , & fournit une
carriere plus longue & moins douloureuſe..
La troifieme met dans le plus beau jour
la propofition que l'auteur a eu pour objet.
Cette princeffe , qui n'a d'autre beauté que
celle de l'ame , & qui réunir toutes les
qualités du coeur & de l'efprit , infpire au
prince, qui devient fon époux , un attachement
aufli parfait & auffi conftant que fon
caractere en eft digne.
Les événemens qui décident du fort de
ces princeffes font amenés & développés
par le moyen d'un miroir magique , dont
an enchanteur mécontent des mépris de la
premiere , lui avoit fait un préfent deftiné
paffer à toutes les princeffes qui defcendroient
d'elle . 2107
Ce miroir leur dévoiloit les fentimens
le's plus cachés de tous ceux qui fe préfentoient
à elles devant cette glace , & il n'avoit
que pour elles cette vertu ; il devoit
fe brifer entre les mains de celle dont le
mérite fixeroit pendant une année le print
ce dontelle auroit fait choix : il ne fe brifa
qu'entre les mains de la troifieme , & s'y
caffa de la meilleure grace du monde. Ce
dénonciateur en amenant les événemens
principaux , produit auffi les épifodiques ;
& donne lieu à tout ce que l'auteur a voulu
faire entrer dans la compofition de fon
JUIN. 1755. 71
roman , foit à titre de portraits ou d'anec
dores.
Si l'idée d'un miroit magique n'a plus
le mérite d'ême finguliere , Mme Fagnan
l'a employée d'une façon ingénieufe , & la
vertu qu'elle attribue à ce miroir lui donne
un air de nouveauté qui rajeunic du moins
la bordure. Ce roman nous paroît mériter
de l'eftime par les fentimens honnêtes , &
par la décence qui le caractérisent.v .
LABAGUETTE MYSTÉRIEUSE OU
Abizai. Deux parties in- 12 . Se trouve à
Paris , chez Duchefne , rue S. Jacques , au
Temple du goût , 1755 .
Comme on a déja fait ailleurs l'extrait &
Féloge de cette féerie , qu'on a même obfervé
que la baguette mystérieuse n'eft pas
plus neuve que le miroir magique , j'ajou
terai feulement qu'elle joue le même rôle
avec un peu moins de modeftie , & qu'elle
a même un faux air de l'Ecumoire de
Tanzaï.
OBSERVATIONS fur l'hiftoire natu
relle , fur la phyfique & fur la peinture ,
avec des planches imprimées en couleur ;
par M. Gautier , de l'Académie des Sciences
& Belles LettresdeDijon , penfionnaire
de Sa Majefté , 4 volin- 4 A Paris , chez.
Delaguette . Les planches s'impriment , 80
2
72 MERCURE DE FRANCE.
7
fe diftribuent chez l'Auteur , rue de la
Harpe , près la rue Poupée.
Le même ouvrage eft imprimé in- 12. en
fix volumes on trouve à la tête de cette
édition la nouvelle phyfique de l'auteur ,
& la Chroagenefie , ou génération des couleurs
, contre l'optique de M. Newton fon
dée fur de nouvelles expériences .
M. Gautier fe propofe de continuer fes
Obfervations in -4°. pour lefquelles on
foufcrit annuellement chez lui , & va
donner des volumes de planches jufqu'à
ce qu'il ait formé des fuites affez completes
de morceaux les plus intéreffans . Il fufpendra
pendant quelque tems fes differtations
, & les fupprimera des années 1755
& 1756 , ce qui lui procurera la facilité
de donner le double des morceaux de
gravûres en couleur qu'il avoit promis.
Le volume qui eft actuellement fous preffe,
contient les parties internes du coq & de
fa poule , la formation & l'incubation de
l'oeuf depuis l'approche du coq jufqu'à la
fortie du poulet , & plufieurs autres planches
fort curieuſes.
P
OBSERVATIONS d'hiftoire naturelle
faites avec le microſcope für un grand
nombre d'infectes , & fur les animalcules
qui fe trouvent dans les liqueurs préparées
&
JUIN. 1755.
73
& dans celles qui ne le font pas , & c. avec
la defcription & les ufages des différens
microfcopes , 2 vol. in- 4° . avec un grand
nombre de figures . A Paris , chez Briaffon,
Libraire , rue S. Jacques , à la Science .
Une partie de ces obfervations a été déjà
publiée par feu M. Joblot , Profeffeur en
Mathématiques, de l'Académie de Peinture
& de Sculpture ; l'autre a été rédigée fur
fes obfervations poftérieures. Nous devons
ici un jufte éloge aux foins du Libraire ; il
a la double attention & le double mérite
de ne donner que des éditions de bons
livres , & de ne rien épargner pour les
rendre belles & correctes .
DISSERTATION fur la caufe qui corrompt
& noircit les grains de bled dans les
épis , & fur les moyens de prévenir ces
accidens ; par M. Tiller , de Bordeaux
Directeur de la Monnoie de Troyes . Se
trouve chez le même Libraire . ~
›
Cette Differtation a remporté le prix au
jugement de l'Académie des Belles- Lettres,
Sciences & Arts de Bordeaux , ainfi que la
fuite des Expériences & Réflexions relati
ves à la même matiere , laquelle fe vend
auffi chez Briaffon.
EXAMEN philofophique de la liaifon
11.Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE.
réelle qu'il y a entre les fciences & les
mours ; chez le même Libraire.
On trouve dans cet écrit la ſolution de
la vieille difpute de M. Rouffeau , de Genêve
, avec fes adverfaires , fur la queſtion
propofée par l'Académie de Dijon , au
fujet du bien & du mal que les fciences
ont occafionné dans les moeurs .
PANÉGYRIQUES des Saints, précedés
de réflexions fur l'éloquence en général
& fur celle de la chaire en particulier ; par
M. l'Abbé Trublet , Archidiacre & Chanoine
de S. Malo. A Paris , chez Briaffon ,
1755
Il nous femble que ces réflexions ne
démentent point les Effais de littérature &
de morale du même Auteur. Nous en
parlerons plus au long.
Le cinquieme tome de la TABLE GÉNÉ-
RALE des matieres contenues dans le Journal
des fçavans , de l'édition de Paris , depuis
1665 qu'il a commencé , jufqu'en
1750 inclufivement , avec les noms des
Auteurs , les titres de leurs ouvrages &
l'extrait des jugemens qu'on en la portés ,
vient de paroître chez le même Libraire.
On peut dire que cette table inftructive
forme feule un bon livre : on ne peut
trop louer le travail des Auteurs ,
>
JUIN. 1755. 75
MEMOIRE pour le Prince héréditaire
Landgrave de Heffe - Darmftat, contre les
repréfentans de la Comteffe de Naffau . A
Paris , de l'impreffion de Delaguette , 1755 .
L La question eft de fçavoir fi à la mort
de Jean- René III , dernier Comte de Henau
, la Comteffe de Naffau , fa foeur , devoit
recueillir les anciens fiefs d'Empire de
la maifon de Lichtemberg , à l'exclufion
de Heffe-Darmftat , fille unique de Jean-
René III , qui en avoit obtenu du Roi l'inveftiture
pour elle , par des Lettres patentes
du mois de Février 1717. La Comtelle
de Naſſau ayant attaqué ces Lettres comme
obreptices , a prétendu que c'étoit elle qui
étoit appellée à recueillir les fiefs en queftion
, & que la Princeffe de Heffe , fa niece,
n'y avoit aucun droit. Ce Mémoire tend à
détruire fa prétention , & part d'une bonne
main.
>
NOUVEAUX motifs pour porter la
France à rendre libre le commerce du Levant
; par M. Ange G *** 1755. Se trouvent
chez Duchefne , rue S. Jacques , &
chez Babuty , fils , quai des Auguftins.
L'Auteur y joint des réflexions fur les
moyens de foutenir les manufactures en
Languedoc , fans fixer les fabriquans,
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
SUPPLÉMENT aux tablettes dramatiques
de M. le Chevalier de Mouhy , de
l'Académie des Belles - Lettres de Dijon ,
pour 1754 & 1755. A Paris , chez Jorry s
quai des Auguftins ; Lambert , rue de la
Comédie , & Duchefne , rue S. Jacques.
Ce Supplément contient les pieces remifes
, les pieces imprimées , les débuts ,
les anecdotes du théâtre depuis le dernier
fupplément , les ballets , les auteurs & les
acteurs morts en 1754 & en 1755 .
- L'Auteur vient de publier une nouvelle
brochure , intitulée l'Amante anonyme , où
fe trouve l'hiſtoire fecrette de la volupté ,
avec des contes nouveaux de Fées . Ce roman
dont il paroît deux parties , fe vend
chez Jorry. Nous en donnerons l'extrait .
< TABLETTES de Thémis , premiere
partie. A Paris , chez Legras , grand'falle
du Palais ; la veuve Legras , Galerie des
prifonniers au Palais ; la veuve Lameſle ,
Fue vieille Bouclerie , à la Minerve ; Lam
bert , rue de la Comédie , & Duchefne , rue
S. Jacques.
Cet ouvrage utile comprend la fucceffion
chronologique avec le blafon des armes
des Chanceliers & Gardes des Sceaux
Secrétaires d'Etat , Surintendans , Contrê
leurs généraux , Directeurs & Intendans
JUIN. 1755. 77
des Finances , les Intendans des Provinces
depuis 1700 , les Maîtres des Requêtes
dès leur origine , les Préfidens , Avocats &
Procureurs généraux du grand Confeil.
SUJET UJETS propofés par l'Académie royale
des Sciences & beaux Arts , établie à
Pau , pour deux prix qui feront diftribués
le premier Jeudi du mois de Février 1756.
L'Académie ayant jugé à propos de referver
le prix ordinaire , en accordera deux
l'année prochaine , un à un ouvrage de
profe qui n'excédera pas une demi -heure
de lecture , dont le fujet fera : la droiture
du coeur eft-elle auſſi néceſſaire dans la recherche
de la vérité , que la jufteffe de l'efprit?
Et un autre à un ode ou à un poëme de
cent vers au plus , dont le fujet fera : l'uti
lité des découvertes faites dans les fciences &
dans les arts , fous le regne de Louis XV...!
Chaque Auteur enverra deux copies de
fon ouvrage ; il mettra à la fin une devife
on fentence, & il la repétera au - deffus
d'un billet cacheté , dans lequel il écrira
fon nom & fon adreffe.
On avertit que l'Académie n'accorde
point le prix aux auteurs qui négligent
d'inferer leur nom dans le billet cacheté
ou qui y mettent des noms fuppofés , non
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
plus qu'à ceux qui affectent de fe faire
connoître avant la décifion , ou en faveur
de qui on brigue les fuffrages.
Les ouvrages feront adreffés à M. de
Navailles Poëyferré , Secrétaire de l'Académie
on n'en recevra aucun après le
mois de Novembre , & s'ils ne font affranchis
du
port.
LETTRE ETTRE de M. Gentil , Docteur en
Médecine de la Faculté de Paris , en réponſe
à la Lettre de M. le Thellier , Docteur
en Médecine de la Faculté de Montpellier
, réfidant à Peronne , au fujet d'un
ouvrage nouveau , intitulé Epoques élémentaires
d'hiftoire univerſelle ſuivant la chronologie
vulgaire; par le Sr Mahaux , Maître
affocié de la maifon nommée Académie des
Enfans , rue de Seine , Fauxbourg S.Victor.
En conféquence de ce que vous avez lû ,
Monfieur & cher Confrere , dans la feuille
34° de l'Année littéraire du 18 Décembre
1754 , & dans le Mercure de France d'Avril
1755 , au fujet de l'ouvrage de M.
Mahaux , vous vous êtes adreffé à moi
pour vous déterminer au jugement que
vous en devez porter , & fçavoir fi cet
ouvrage mérite effectivement le bien qu'on
en a dit , fur-tout quels progrès il fait faire
JUIN. 1755. 79
aux enfans dans la maifon des fieurs Viart
& Mahaux , annoncée , il y a plus de deux
ans , par un Profpectus qui a fait beaucoup
de bruit dans fon tems ; enfin fi cette Académie
eft telle qu'il foit raifonnable d'y
envoyer des enfans du fond d'une province
, comment ils y font tenus & nourris ,
& fi l'on y exécute ponctuellement tout ce
qui a été promis à ces différens égards ,
le tout parce que vous fçavez que je fuis
l'ami & le médecin de cette maifon. 1 °.
Je vous crois fort en état de juger par vousmême
de l'ouvrage en queftion ; je vous
l'ai envoyé , effaiez -en fur des enfans qui
yous font chers , & fuivez exactement la
méthode aifée qui y eft prefcrite : vous
verrez bientôt qu'il n'y a rien d'exagéré
dans les éloges qu'on lui a donnés à Paris ,
& qu'il en obtient de plus grands à meſure
qu'il eft plus connu & pratiqué. 2 ° . Je ne
puis ni ne dois refufer mon témoignage
en pareille occafion à quiconque me le
demande , encore moins à vous , Monfieur,
qui m'honorez de votre confiance. Sans
être juge né de cette partie de la littérature
& des méthodes d'éducation en général ,
je conviendrai fans peine que rien n'empêchant
un Médecin de connoître & de
fuivre les différens progrès des arts & des
fciences , il est toujours cenfé n'en fçavoir
Diiij
80 MERCURE DE FRANCE.
pas affez peu dans ces fortes de chofes
pour y être trompé , du moins à un certain
point , ou fe laiffer aveugler par trop
de prévention. Ce que j'ai vu depuis deux
ans ne me permet pas de le déclarer foiblement.
Il y a dans cette maiſon , qui eſt
dans l'air le plus pur , & dont le bâtiment
eft magnifique & fpacieux , féparé feulement
par un mur du Jardin du Roi , fecond
avantage qui fe fait affez fentir fans le dire ,
deux Maîtres en chef , fçavoir le Sr Viart ,
Avocat en Parlement , qui donne des notions
de jurifprudence romaine & françoife
; le Sr Mahaux des leçons d'hiftoire ,
de chronologie , géographie , généalogie 5
blafon , & c. trois Précepteurs pour le
latin ; un Maître de mathématique & de
phyfique expérimentale ; un pour la langue
allemande ; un de deffein , de danfe ,
pour les armes , exercices & évolutions
militaires , de mufique & pour les inftrumens
; enfin un Prêtre de la Paroiffe pour
le catéchifme. La nourriture y est trèsbonne
& très-faine : on accoutume les enfans
à la plus grande propreté , & à avoir
toujours l'air arrangé comme s'ils étoient
dans le monde , fur- tout à une très- grande
politeſſe entr'eux ; ' jamais de termes durs
& choquans , même de la part des Maîtres
lorfqu'ils font forcés d'employer la répri-
-
JUIN. 17556 SE
mande ; le plus grand châtiment eft la
privation des exercices ordinaires qui fervent
toujours de récompenfe de l'un à
l'autre . Ces enfans ne montrent jamais
plus de gaieté & d'empreffement que lorfqu'on
les y appelle ; ils quittent leurs jeux
& fe plaignent ordinairement du peu de
tems que durent les inftructions. Il n'y a
gueres de femaines où il n'ayent à parler
trois ou quatre fois devant des compagnies
nombreufes que la curiofité attire ,
d'où il arrive que ce font des efpeces
d'actes publics qu'ils foutiennent fans
autre préparation , & que fans rien per
dre du côté de l'émulation , ils ne tombent
pas dans l'inconvénient de la préfomption
& de la vaine gloire C'eſt tout
vous dire , Monfieur , que je ne fors jamais
de cette maiſon fans en être comme
enchanté , & vous fçavez que je ne fuis
pas de caractere à commettre légerement
mon eftime & mon fuffrage . Ce que j'y
dois ajouter , & qui peut vous engager le
plus à ne pas y refufer le vôtre , c'est que,
je ne vous écris ceci de concert
pas tout
avec eux ; je les regarde comme des gens
vraiment modeftes , animés du motif de
l'honneur véritable, & nullement avides de
plus de gain & de confidération qu'il ne leur
en eft dû s'ils craignent quelque chofe
Dv
$ 2 MERCURE DE FRANCE.
c'eft de donner à penfer à bien des gens
qu'ils ayent voulu s'annoncer comme plus
capables que tous leurs confreres . La grace
qu'ils demandent , eft que l'on daigne fe
fouvenir de ce qu'ils ont déclaré dans leur
Profpectus ; fçavoir que leur but unique eft
de mettre en ufage tous les bons moyens ,
tant anciens que nouveaux, qu'ils ont trouvés
établis dans les colleges , les penfions ,
& lieux publics & particuliers où l'on
éleve avec fuccès la jeuneffe , marque non
équivoque du vrai mérite & du noble
defir de bien fervir la fociété . Ainfi ils
ufent de la typographie de feu M. Dumas ,
de la méthode de MM . Rollin , Dumarfais
, Pluche & autres ; outre cela , d'une
méthode hiftorique dont les époques élémentaires
principales font partie ; mais
fur- tout de la géographie féculaire , ouvrage
tout neuf de leur façon , & que j'ai
déja vû applaudir hautement des connoiffeurs.
Imaginez-vous autant de cartes ou
de mappe - mondes que les fujets d'histoire
en comportent à chaque fiecle , & où le
point d'intérêt principal & particulier
s'offre auffi- tôt à la vue par la différente
colorifation , & met en état de borner ,
confronter & comparer tous les lieux de
chaque fcène , avec les noms qu'elle avoit
en différens tems , ce qui fait retenir fans
JUIN. 1755.
83
peine la géographie ancienne & moderne.
A l'égard des trois feuilles d'Époques élémentaires
qui ont donné lieu à votre lettre
& à ma réponſe , tout ce que je me contenterai
d'en dire , c'eft qu'il n'y a perfonne
à qui je ne confeillaffe d'en avoir
dans fon cabinet , comme le moyen le plus
propre à mettre fans aucun effort un vrai
plan dans l'efprit en moins de deux heures
de lecture . J'ai l'honneur d'être , &c.
On fçait que cet ouvrage ne fe vend
que 3 liv . & qu'on le trouve à Paris , chez
l'Auteur , & les Libraires Piffot , quai de
Conti , & Lambert , rue de la Comédie .
DICTIONNAIRE D'ARCHITECTURE
civile & hydraulique , & des arts qui en
dépendent ; comme la maçonnerie , la
charpenterie , la menuiferie , la ferrurerie ,
le jardinage , &c. la conftruction des ponts
& chauffées , des éclufes , & de tous les
ouvrages hydrauliques ; par Aug. Charles
d'Aviler ouvrage fervant de fuite au
cours d'architecture du même auteur .
Nouvelle édition , corrigée , & confidérablement
augmentée. A Paris , chez Ch . A.
Jombert, Imprimeur- Libraire du Roi pour
l'Artillerie & pour le Génie , rue Dauphi
ne , à l'Image Notre- Dame. 1755. 1 vol.
in-4°.grand papier. Prix 15 liv . relié.
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
RECUEIL de divers ouvrages fur la
peinture & le coloris ; par M. de Piles ,
de l'Académie royale de Peinture & de
Sculpture . A Paris , chez le même Libraire
, i vol . in- 12 . 2 liv . 10 fols.
Le TRIOMPHE DES DAMES , ou le
nouvel Empire littéraire . A Paris , 1755.
Cette brochure , qui ne contient que 22
pages , fe trouve chez Prault , quai des
Auguftins. Pour montrer dans quel goût
elle eft écrite , il fuffit de citer la prédic
tion qui fonde ce triomphe.
J'étois , dit l'auteur , à l'Obfervatoire ...
je vis une nouvelle conftellation conçue en
ces termes : les hommes abufent de l'empire
des lettres , les femmes le partageront au moins
avec eux dès la rentrée des claffes , c'eſt- àdire
qu'elles régenteront dans les colleges.
Rien n'eft plus galant.
KJUIN.1755 . 83
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES - LETTRES.
J'A
ALGEBRE.
'AI lû , Monfieur , le problême algébrique
que vous avez inféré dans votre
Mercure du mois de Mai . On ne peut mieux
'ordonner les combinaifons d'un problême
indéterminé du premier dégré ; mais j'y
aurois fouhaité plus d'exactitude , il renferme
des erreurs capables de déconcerter
ceux qui admettent les conditions comme
certaines .
A la troifieme condition on lit , le troi
fieme détachement étoit tel que les foldats rangés
fur trois de hauteur , il en reftoit trois ;
il faut lire furfept de hauteur. Cette faute
fenfible eft du Copifte ou de l'Imprimeur.
Il y en a une autre qui appartient entierement
à l'auteur ; elle eft au feptieme
article , & confifte dans le mot , c'eft- à - dire
qui joint deux conditions , de façon à faire
croire que de l'une fuit néceffairement l'autre.
Le Septieme des troupes du fecond pofte
86 MERCURE DE FRANCE.
montoit à neuf hommes de moins que la moitié
des foldats tués au premier pofte , c'eſt- àdire
que le rapport des troupes défaites au premier
pofte étoit à celui des troupes défaites au
fecond pofte , comme 140 est à 61 .
La feconde partie de cette propofition
eft toujours vraie dans le problême ; mais
la premiere partie n'eft vraie que dans les
plus petits nombres , & eft impoffible dans
Les autres : il paroît bien
que l'auteur n'a
pas pris la peine de vérifier fon calcul.
S'il avoit fuppofé feulement = 1 ,
il auroit
vû bientôt la faufferé de fa réſolution ,
il auroit vû que les nombres nouveaux ne
répondent pas à la condition dont je parle ,
& qu'il la faut retrancher fi l'on veut que
le problême refte indéterminé.
Comme l'auteur en promet la folution
pour le mois de juin , j'abrégerai la mienne
& ne détaillerai point un calcul qui ennuieroit
ceux pour qui l'algébre eft étran
ger , & qui n'eft pas néceffaire aux autres..
Si pour défigner les trois détachemens ,
on prend les trois expreffions fuivantes ,
1' détachement . 2d détachement . 3 détachement.
12a + 11. 356 + 11. 636 +59
on a déja fatisfait aux trois premieres con
ditions.
L'examen analytique des conditions
qui reftent , fait voir que a 700 n +
•
JUIN. 1755. $1
45. b = 183 n + 12. c = 70 μ + 4 ;
& en mettant ces valeurs au lieu de a, b, c ,
dans les premieres expreffions , on trouvera
avec l'auteur la folution générale
1' détachement. 24 détachement. 3º détachement.
8400551.6405 u + 431 4410 μ + 311.
. Après avoir donné la folution de ce problême
, l'auteur me permettra de lui en
propofer un à mon tour ; il eft indéterminé
comme le fien , & du premier dégré
nous pourrons monter au fecond fi l'auteur
juge à propos de m'honorer de la continuation
de fon commerce mathématique ,
qui ne peut être qu'inftructif pour l'un &
pour l'autre .
PROBLEM E.
Une perfonne rencontre trois pauvres ,
& les faifant ranger en cercle donne à chacun
des pièces de douze fols & des piéces
de vingt- quatre fols.
Après la diftribution , qui eft inégale , il
fe trouve que chaque pauvre a autant de
piéces que l'un de fes voifins a de livres ,
& autant de livres que fon autre voifin a
de piéces .
On demande combien chaque pauvre
reçoit de pieces de douze fols , & combien
de pieces de vingt- quatre fols.
Voici la folution du premier problême par
l'auteur, qui remplit fa promeffe.
88 MERCURE DE FRANCE.
Méthode de folution du problême d'algébre
appliqué à la fcience de la guerre , annons
cé dans le Mercure de Mai 1755 , page
87 , à M. de M. Cenfeur & Profeffeur
royal; par M. G. Ecuyer , Officier de Madame
la Dauphine , & de la Société Liti
téraire de Senlis.
It our oblige. Tout
y
dela
Left jufte de remplir fes engagemens ,
méthode de folution du problême confifte à
fuppofer , felon la magie ordinaire de l'al
gébre , des quotiens fictifs qui fe terminent
finalement à un quotient exact & réel , lequel
devient , malgré fon indétermination,
la commune mefure , le lieu commun , l'expreffion
des relations mutuelles des incon →
véniens qui entrent dans la queftion.
La premiere condition du problême eft
telle : lorfqu'on rangeoit les foldats du premier
détachement fur trois de hauteur , il
y en avoit deux de refte , & lorfqu'on les
rangeoit fur quatre , il en reftoit trois.
Cette condition & les deux fuivantes
prifes dans un point de vue , pour ainfi
dire ifolé , contiennent en elles - mêmes
des problêmes parfaitement diftincts . On
verra qu'ils n'acquerront de liaifon entre
JUIN. 1755 . 89
eux que par la quatrieme condition. Soir
donc nommé x le premier détachement , a
le nombre des compres par 3 , & b celui
des comptes par 4 , l'on aura x =
3 a +
2 = 46 + 3 ; donc 3 a 4 b + 1 ;
bt
b ++ : foit fuppofe
3
=
3
donc b + 1 = 30 , b = 30
--
.1; donc
b + 3 = x = 120—4 + 3 = 120 —
- 1 ; ci pour mémoire , x = 12 c Par
la feconde condition , lorfqu'on rangeoit
les troupes du fecond détachement fur
de hauteur , il en reftoit un ; & lorsqu'on
les rangeoit fur 7 , il en reftoit 4. Soit donc
nommé y ce fecond détachement , d les
comptes par 5 , & e ceux des comptes par
7 ; donc y = 5 d + 1 = 7e + 4 ; 5 d
= 7e + 3 ; d = e + 2 +3 foit
: conçu
e
5
2º+3 =ƒf;; donc 2e +3 = 5 ƒ» 2 0
f-
= sf − 336 = 2f + 3 , concevant
f
21
ƒ——g ; doncƒ— 3 — 28 ; f= 28+3 ;
2f486 ; donce = 48+ 6 + g
= 5 g + 6; donc 7 e +4 ou y = 358 +42
2
+ 4 = 358 + 358 + 46 ; ci pour mémoire , y
=35g8 +46.
Dans la troifieme condition il eft dit ,
que lorfqu'on rangeoit les foldats du troi90
MERCURE DE FRANCE.
fieme détachement fur 7 de hauteur , il y
en avoit 3 de refte ; & lorfqu'on les rangeoit
fur 9 , il en reftoit 5. Soit nommé z
ce troifieme détachement , b les comptes
par 7 , & k ceux par 9 , l'on aura 76
+ 3 = 9k + 5 ; donc b = b = k+
2k+2
ſuppoſant
2 +1 = 1 ; donc 2k + 2 =
7
-
2
71,2 k = 71—2k = 3 1+ ²² fai-
2
2
fant = m ; donc / = 2 m + 2 , & par
conféquent k = 6m +m + 6 = 7m+ 6;
donc 9k + 5 ou 2 = 9 × 7m + 6+ 5=
63m + 59.
2 = 63m + 59
y = 35 g +46
x= 12C -- I
L'on a donc les valeurs des trois inconnues
exprimées par trois indéterminées
différentes , & qui en font trois problêmes
parfaitement diftincts ; effectivement 10.
douze comptes par trois moins l'unité, égalent
onze comptes par trois , & deux de
refte ; douze comptes par quatre moins l'unité
, font égaux à onze comptes par quatre
, plus 3 de refte.
2º. On a 7 g comptes pars plus 9 comptes
par 5 ( 45 ) & l'unité de refte , & is ,
comptes par 7 , plus 6 comptespar 7 , & 4
de refte.
JUIN. 1755.
3°. L'on a 9 m × 7 ou 63 comptes par 7,
plus 8 comptes par 7 ( 56 ) & 3 de refte ;
enfin l'on a 7 m × 9 ou 63 comptes par 9 ,
plus 6 comptes par 9 5 & 5 de refte. C.q.
f. d. 1°.
Telle eft la quatrieme condition ; les
trois détachemens étoient en proportion
arithmétique continue , ou le premier détachement
joint au troifieme étoit double
du fecond , ce qui donne
2 × 358 + 46 = 70 g + 92 = 12 G
→ 1 + 63m + 59 , d'où l'on tire 126
=70g — 63 m + 3 4 ; c = 5. g → sm
+ 2 + 10g 3 m + 10 , fuppofant
-
108 = 3m + 10
12
-
*
12
f
= u ; donc 10 g + 10
3 m = 12 u ; 10 g = 122 — 10+
น
3 mg = u ~ 1 + 3 m + 2 ; 3 m + 2 u
-
" 10
I
IO
p ; donc 2 + 3 m = 10 p ; 2 u = 10p
— 3 m , u = 5 pm - m , foitm =
q;
donc m = 2q ; fubftituant par tout en
retrogradant cette valeur de m , l'on aura
= SP - 39.
8 = 5p - 39-1 + 6 + 101 - 6
-
ΙΟ
u
= 6 p — 3 q — i ; donc 358+ 46 ouy
39
92 MERCURE DE FRANCE.
= 35 × 6p - 3 9-146210p
-105 q-+ u.
120- I ou x 420p
& x =1269+ 59 , & les réuniffant l'on a
—
--
336 - 37,
qui rempliffent
les
4 premiex
= 420p 3369 37
y = 210 p
2 =
105 9 + 11
+1269+ Se
res conditions.
-
Effectivement 1 ° , l'on a 140 px 3+
1129 × 3-12 x 31 Ou11 × 3 + 2
& п05p4 84 9 × 4 — 9 × 4 - 1 Oll
- 8 × 4 + 3 .
{ 2 °. L'on a 42 px S
>
- OÙ
·-21.9x5 + 2
- * 5 + 1 & 3 0 p × 7 1 5 9 × 7 + 7
+4.
3 °. 189 × 7 + 8 × 7 + 3 , & 149
9 +6 × 9 + 5 .
420p
-
4°. Enfin 420 p = 336 937 +126
a + 49
2109 +22 2
x2100-1059 +11 . C. q. f. 2 ° . d.
Par la fixieme condition on perdit le
quart du premier détachement augmenté
de neuf hommes ; par la feptieme on perdit
le feptieme des troupes du fecond détachement
diminué de quatre hommes ;
& par la huitieme on perdit le tiers des
troupes du troifieme détachement diminué
de cinq hommes. La perte du premier pofte
étoit à celle du fecond comme 140 à
JUIN. 1755.
93
61 , & la perte du premier pofte à celle du
troifieme , comme 70 à 51. L'on fera donc
pour remplir les feptieme & huitieme conditions
, cette analogie , qui va réduire les
deux indéterminées p & gà une feule ».
x +23-4420p - 3369-28.
140.61 :: ::
-
4. 7
310 p = 105 9 +7 , d'où l'on tire 61 *
7
420p 33 9 -28
4
140 x 210 p 1059+ 7,
7
-129
I
ou 61 × 7 * 4 * ISP ::
30P - 159 + 1 x 20 x 7 , ou 915p +
7329-61600p — 3009 + 20 , ou
315 p = 4329 +81 ; donc 105 p =
1449+ 27335 p = 4 8 9 + 9 ; p = q
++ 139 +2 , 139+9
fuppofant 13 m ; donc
35 35
339 + 9 = 35 m , 1 3 q = 3 5 m — 9 ,
9 = 2m
9 m -
m
13
J
faifant 99
13
= 13 u , m zu +1 +
4น
9
-
faifant = √ 4 = 9 √ ‚ u :
+ √ , faiſfant√ = ; donc √ 4 ,
& fubftituant par-tout à la place de cette
valeur en rétrogradant , l'on aura √
4u , u = 9u , m = 13 u + 1,9 = 35 n
+ 1 ; p = 48 +3 ; & mettant ces valeurs
de p & de q dans celles de x , y , z ,
l'on aura x 420 × 48. × + 3
× 352 + 2 ~ 378400 + 55 =x
----
336
}
94 MERCURE DE FRANCE.
-
7 = 210 × 45 × + 3 → 105 × 35
1 + 2 + 11 = 6405 + 431 = y
z = 126 × 35 + 1 + 59 = 4410
# + 311 = ~ ,
qui font les trois nombres qu'on a démontrés
dans le Mercure dernier devoir remplir
toutes les conditions du problême.
En fait de fciences exactes & de raiſonnement
, il eſt des fautes heureuſes , & il
eft quelquefois avantageux de tomber dans
des paralogifmes , fur-tout lorfque leur
découverte nous ouvre les fources de l'erreur
, & nous apprend à éviter les routes
fauffes dans lesquelles nous nous étions
engagés ; fouvent l'erreur fert à approfondir
des vérités qu'on n'avoit fait qu'ef
fleurer. Les obfervations qui vont fuivre
ferviront à nous en convaincre.
OBSERVATION S.
1º. Si l'on avoit cherché les valeurs de
x ,y,z en une feule indéterminée par la
huitieme condition , on auroit eu en fuivant
toujours notre méthode ,
x = 58800 S +55 1
y = 45465S + 431
L = 32130 S + 311
qui fatisfait également à tout , mais dont
le premier membre eft feptuple du premiermembre
des nombres ci-devant trouvés ,
JUIN. 17553
95
& qui rendent par conféquent la folution
moins étendue & moins élégante.
2º. On pouvoit réfoudre la huitieme
condition comme un problême particulier,
en faifant +9.25 : 70 , 51 , ce qui
4 3
auroit donné x 280 19 , & z = 153 = tb
+ s , qui ne remplit que cette feule condition
, ce qui fait voir la néceffité d'employer
à la place de x & z qui font les dénominations
qu'on a donné d'abord aux
premier & troifieme détachemens , la néceffité
, dis-je , d'employer leurs valeurs
trouvées en p & q par notre méthode.
3. Si on eût choisi un rapport des
pertes du premier & du fecond détachement
différent de celui de 140 à 61 ; par
exemple , fi on eût fait 2.2
420p - 3369-37 . 2100-105 9 + 11
4
à 4 , on auroit eu
x= 37800+ 6039
y= 88200 + 14116
2 = 13860V + 22193
4 оц
qui ne fatisfont qu'à quelques parties des
conditions du problême , par cette feule
raifon que les valeurs de x , y , z , expriprimées
en p & q , avoient acquis par les
conditions multipliées une relation , pour
ainfi dire , intrinféque , & qu'en leur en
attribuant une nouvelle on dénature les
valeurs de p & de q.
96 MERCURE DE FRANCE.
L
MEDE CINE.
Ce 1 Février 1755 . I
1
E Mémoire que M. le Cat donne par
extrait dans le Mercure de Novembre
dernier touchant les fievres malignes , &
en particulier celles qui ont regné à Rouen
à la fin de l'année 1753 , & au commencement
de celle de 1754 , renferme un fyftême
qui, s'il n'eft pas fufceptible d'objection,
pourroit l'être du moins de quelqu'éclai
ciffement .
Des trois parties qui compofent le corps
de fes réflexions à ce fujet , je ne m'attacherai
qu'aux deux dernieres , dont voici
le précis .
Dans l'une , il prétend que les maladies
internes , & en particulier les fievres malignes
dont il s'agit , ne font que des maladies
externes très-connues , & que par
l'infpection des cadavres dont il a fait faire
ouverture , il a obfervé que celle qui a
regné à Rouen , étoit un herpès placé à
l'eftomac & aux inteftins grêles ; que les
remedes chez ceux qui en font guéris, n'ont
eu ce fuccès que parce qu'ils font analogues
aux topiques que la chirurgie emploie
dans le traitement du herpès.
Dans l'autre , il condamne l'opinion
prefque
JUIN. 1755. 97
prefque générale où l'on eft que les maladies
réfident dans les humeurs .
A bien confiderer les argumens que M.
le Cat propofe pour appuyer fon fyltême ,
il eft à craindre qu'il ne fe foit prêté avec
un peu trop de complaifance à la fécondité
de fon imagination , à l'inftar de bien d'autres
fçavans , particulierement de certains
Anglois.
1. Il prétend que l'état des liqueurs
dépend de celui des folides , & que le réciproque
eft fort rare.
2 °. Que fi les maladies étoient dans les
fluides , il n'y auroit pas une feule maladie
locale ; les maladies au contraire devroient
fe trouver dans tous les points du tiffu de
nos parties , en les fuppofant dans les liquides
, qui occupent ,tous les points de nos
folides .
3°. Que l'on pourroit dire que la dépravation
n'eft tombée que fur une partie des
Auides , ce qui feroit infoutenable , felon
lui , attendu que cette parcelle de nos hu
meurs , quelque petite qu'elle fût , devroit
en très- peu de tems corrompre tout le refte
par le mouvement continuel de la circulation.
Cela pofé , toute maladie humorale
devroit être univerfelle ; par exemple , fi la
contagion répandue dans l'air avoit prife
fur nos humeurs , nul homme n'en échap-
II. Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE.
peroit , les Médecins fur-tout comme les
plus expofés .
Que n'aurois-je point à redouter , ſi je
me propofois comme adverfaire d'un tel
fçavant ? mais non , je ne cherche qu'à
m'inftruire.
Je dis donc que la cure des maladies en
queſtion , que M. le Cat n'attribue qu'à
l'analogie que les remedes internes ont
avec les topiques que la chirurgie a coutume
d'employer pour la guérifon des maladies
externes , fouffre d'autant plus de difficulté
, que les topiques font les remedes
les moins effentiels dans le traitement de
ces maladies , fur- tout du herpès , & que fi
ces remedes extérieurs contribuent en
quelque chofe à leur guérifon , ce ne peutêtre
au contraire que parce qu'ils font analogues
eux- mêmes aux remedes internes
que
la médecine a coutume de mettre en
ufage pour les guérir ; cela eft d'autant
plus évident , que ce qui paroît à l'exté
rieur dans ces fortes de maladies , ne peut
paffer que pour l'effet & non pour la caufe :
prendre l'un pour l'autre ce feroit affurément
fe tromper groffierement.
Quant à la feconde partie , il n'eft pas
néceffaire d'être Médecin , ni Chirurgien ,
pour fçavoir que le chyle eft le germe du
Lang ,
, que celui - ci l'eft de toutes les autres
JUIN. 1755. ANDTHEDIA
humeurs , & par une conféquence inevi
table , fi le chyle eſt vicié par quelque caufe
que ce foit , ce qui arrive tous les jours ,
fang le fera néceffairement ; de même file
fang tombe en dépravation , les autres humeurs
tiendront de leur fource : donc les
maladies réfident dans les fluides , puifqu'ils
font fujets à tomber en dépravation ;
foutenir le contraire , ce feroit démentir
F'expérience. Mais , replique M. le Cat , fi
la maladie réfide dans les liquides , il n'y
aura pas une feule maladie locale , toute
maladie humorale fera générale & devra
occuper tous les points du tiffa de nos
parties. Une telle objection qu'il , fe fait à
lui-même ne devoit point être capable de
l'alarmer fi fort fur le fentiment commun
& c'eft argumenter contre fes propres lumieres
que de conteſter la vérité d'un fait ,
parce qu'il s'opere par des voies qui nous
font inconnues. M. le Cat auroit donc eu
plus de raifon d'examiner fi véritablement
la chofe eft telle qu'il s'imagine qu'elle
devroit l'être , en partant des vrais principes
ou non , fans nier ce qui fe palle tous
les jours fous fes yeux : dira-t-il , par exemple,
que les virus de toute efpece , foit dartreux
, écrouelleux , fcorbutiques , vénériens
, contagieux , & c . n'ont aucune prife
fur nos humeurs ? niera- t-il qu'elles péchent
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
4
"
& dans leur quantité & dans leur qualité ?
tous les caracteres de dépravation qui s'obfervent
journellement dans le fang que
l'on tire des veines des différens malades ,
font- ils illufoires ou bien ce fang n'eft- il
dépravé que dans le vaiffeau d'où il fort ?
en ce cas l'on fe ferviroit des propres are
mes de l'auteur en lui oppofant fa troifie
me objection. Il doit croire après tout que
dans toutes les mala
maladies en question
quoique tous les Points du tiflu de nos
folides ne paroiffent pas affectés d'une maniere
également fenfible , ils le font cependant
& même doivent l'être , mais d'une
façon relative à l'intensité de la corrup
tion à la nature du fluide , à l'uſage de
chaque partie , à leur fenfibilité?, aauuxxdidifffférentes
pofitions & modifications qui les
mettent dans le cas d'éprouver plus pu
moins fenfiblement les impreffions des
humeurs viciées ; aux différens obftacles
foit de la part des folides ou des fluides
& ſouvent des deux enſemble , qui empêchent
ces derniers de pénétrer dans leurs
fecrétoires , & de s'infinuer dans les vifceres
aufquels ils appartiennent naturellement,
d'où naiffent les ftafes & les écarts
de ces mêmes liquides , qui affectent certaines
parties plus particulierement, que
d'autres , d'où l'on doit conclure qu'inde
JUIN. 1755. 101
pendamment que tous les points du tifft
de nos folides foient affectés dans le cas
où les humeurs font en dyfcrafie , il ne s'enfait
pas qu'ils doivent être tous avec la
même force ; & fi les malades en pareil cas
ne s'apperçoivent pas d'une léfion géné
rale , c'est que ( par les raifons ci- deffus )
la plus forte impreffion l'emporte fur la
moindre .
200 UB
Dire que toute contagion devroit être
générale , & que perfonne n'en devroit
échapper fi l'air contagieux avoit affaire
à nos liqueurs , c'eft , ce me femblé , une
propofition qui n'eft pas moins fufceptible
de difficulté que le refte ; & je ne vois pas
quand même la chofe fe pafferoit comme
le perfuade l'auteur du nouveau fyftême
qu'il pût en tirer une conféquence bien
triomphante , attendu que de quelque façon
que fe répande un air contagieux , &
quelque partie de nous- mêmes qu'il affecte,
il doit attaquer indifféremment tous ceux
qui le refpirent ; & fi le contraire arrive ,
ce ne peut être que par une difpofition non
moins heureufe que fecrette de certains
tempéramens fur lefquels les miafmes ne
font pas la même impreffion , femblables à
l'eau régale qui diffout certains métaux
fans pouvoir mordre fur les autres. '
La dépendance de l'état des Anides de
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
celui des folides , fans du moins admettre
le réciproque , ne me paroît pas mieux fondée
; & à examiner le tout en rigueur , l'on
pourroit prendre un parti diamétralement
oppofé à celui de l'auteur , en ce que ceuxci
ne reçoivent de nourriture que des premiers
, qui ne peuvent fouffrir la moindre
altération fans leur nuire d'une façon relative
; ceux- là au contraire éprouvent tous
les jours des dérangemens , légers à la vérité
, qui n'en apportent aucuns aux liqueurs
; mais je n'adopterai ni l'un , ni
l'autre par préférence , & ne prétends point
m'écarter de l'équilibre fi néceffaire entre
les folides & les fluides pour la confervation
de la vie & de la fanté : ainfi il faut
les croire dans une dépendance réciproque ,
& quand même les fluides dépendroient
de l'état des folides , ils n'en feroient pas
pour cela à l'abri des dépravations. Difons
donc feulement que la léfion des uns attire
la léfion des autres ; tout eft mutuel par
conféquent.
M. le Cat dévoile enfin fon myftere , &
s'explique d'une maniere à la vérité bien
différente que femble l'annoncer fon début
; il foutient que les maladies réfident
dans le fluide des nerfs : l'opinion générale
n'eft pas du moins entierement convaincue
d'erreur , puifque ce fluide fait partie des
JUIN. 1755. 103
humeurs. Refte à fçavoir maintenant par
quel chemin il conduira la maladie dans
le Auide nerveux , qui ne peut pécher , felon
lui , que par fa qualité ou fa trop petite
quantité ; quand il auroit ajouté auffi par
fa trop grande abondance , la chofe n'en
feroit pas plus mal , parce qu'en fait des
fonctions animales , ainfi que de toute autre
méchanique , la jufte proportion qui
eft effentielle, peut pécher par le trop comme
par le trop peu. Mais paffons par là
deffus , puifqu'il a jugé à propos d'y paffer
lui- même ; je ne veux cependant pas dire
par là que les grands hommes foient à
imiter en tout , parce qu'il n'y a perfonne
qui n'ait fes défauts. Je reviens donc à la
queftion , & dis qu'aucun vice ne peut
pénétrer dans la cavité des nerfs pour y
infecter les efprits , fans paffer par la même
route qui conduit ces mêmes efprits dans
les nerfs or le fang eft l'unique route qui
conduit les efprits dans les nerfs , puifqu'il
en eft la fource ; donc toute contagion doit
paffer par le fang avant de parvenir jufqu'aux
efprits. M. le Cat ne dira pas qu'elle
fe fait paffage feulement au travers des
pores des nerfs , parce qu'en ce cas elle
pafferoit également au travers de ceux qui
font répandus fur tous les points du tiſſu
de nos parties , & par une conféquence
E iiij
104 MERCURE DE FRANCE .
non moins prépondérante , toutes les autres
humeurs en feroient attaquées également.
en
A l'égard des maladies qu'il prétend expliquer
par leurs véritables caufes ,
donnant des raifons convaincantes du méchanifme
des cryfes qu'il ne fait confifter
que dans la dépuration du fuc nerveux ,
qui bien différent des autres humeurs , ne
retourne point à fon réſervoir , & ne peut
par conféquent corrompre les fluides dont
il s'eft féparé une fois pour toujours ; l'auteur
de ce raifonnement n'ignore pas que
les membranes ne font que des développemens
de l'extrêmité des nerfs ; qu'elles
donnent origine à une infinité de petits
tuyaux connus fous le nom de veines lymphatiques
, qui n'ont d'autre ufage que
celui de reporter dans le fang les réfidus du
fuc nerveux , qui , comme on voit , circule
également que le refte des fluides : donc
l'auteur de la nouvelle opinion fe trouve
pour la feconde fois en proie à fa troifieme
objection par les conféquences même qu'il
en tire.
Voilà , je penfe , tout ce que l'on peut
objecter en raccourci contre un fyftême qui
ne doit pas furprendre feulement par l'air
de nouveauté qu'on lui donne : quoiqu'il
en foit , je me perfuade que fon auteur a
prévu toutes ces difficultés ; que bien loin
JUIN 1755. 105
•
*
de les regarder comme orageufes , il ne les
envifagera que comme une rofée qui donne
un nouvel éclat aux fleurs fur lefquelles
elle fe répand : j'attends donc avec impatience
cette théorie lumineufe qui doit
nous garantir des tâtonnemens fi defagréables
pour les praticiens & fi dangereux
pour les malades : belles & magnifiques
promeffes conçues dans des termes qui ne
le font pas moins ; c'eft grand dommage
qu'ils foient placés avant la démonftration
. Malgré tout , je fens l'obligation où
je fuis d'y répondre avec des expreffions
de même prix mais comme mon infuffifance
ne me permet pas de les puifer dans
mon propre fonds , je ne celerai pas que
je fuis forcé de les emprunter de l'Orateur
françois ; il fair trop bien l'éloge de l'efprit
inventeur pour ne m'en pas fervir en
l'honneur de M. le Cat. Je dirai donc
qu'un tel génie n'a point de modele , titre
qui annonce une fupériorité de gloire.
qu'on ne peut difputer fans injuftice ; il
fert aux autres de modele , titre qui porte
une étendue de bienfaits qu'on ne peut
méconnoître fans ingratitude. Ainfi pour
ene paffer pour injufte nipour ingrat vis- àvis
cer auteur , je me ferai un devoir 'de me
foumettre à la déciſion des fçavans . tid
Peffault de la Tour, Médecin à Beaufort,
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
CHIRURGIE.
A MESSIEURS
De l'Académie royale de Chirurgie.
M
ESSIEURS , j'ai lû avec plaific
dans le fecond volume de l'Académie
royale de Chirurgie l'hiftoire - que M.
la Faye fait de l'amputation à lambeau ; il
y détaille avec beaucoup de fagacité les
différens accidens qui accompagnent l'ancienne
méthode ; il montre les efforts
qu'ont fait plufieurs Chirurgiens célebres
pour fe frayer une nouvelle route en confervant
un lambeau de chair pour couvrir
le moignon , éviter la ligature des vaiffeaux
, la faillie de l'os , fon exfoliation ,
former la cicatrice en moins de tems , &
enfin matelaffer le bout de l'os de façon à
parer les différens accidens qui peuvent
accompagner pendant le cours de la vie .
Mais la difficulté d'appliquer exactement
le lambeau de chair fur le bout des os ,
la crainte qu'il ne s'y rencontrât des vuides
qui donnaffent retraite à des épanchemens,
lui a fait inventer un inftrument pour rapprocher
exactement & mollement le lamJUI
N. 1755. 107
beau fur tout le moignon c'eft une perfection
effentielle qui manquoit à cette
méthode.
M. Garangeot ajoûte la ligature des
vaiffeaux dans ce même cas , & fon procedé
feroit jufte s'il la faifoit par l'ancienne
méthode.
M. Louis dont les recherches & la péné
tration font intariffables , nous donne le
détail de nombre d'autres méthodes , dont
les procédés font auffi différens que les
parties qu'il a à amputer le font entr'elles :
il voit la rétraction des muſcles après leur
fection ; il diffeque les portions de ceux
qui ont refté adhérens aux os , il les releve
par une compreffe fendue pour fcier l'os le
plus haut qu'il eft poffible.
M. Vermalle qui étoit Aide-major à
l'hôpital militaire de Landau en 1734 ,
ayant vû pratiquer l'amputation à deux
lambeaux à M. Ravaton , fon confrere ,
telle qu'il la préfenta à Meffieurs de l'Académie
, a imaginé une façon différente
de former ces deux lambeaux , à laquelle on
a donné la préférence , quoique M. Vermalle
n'ait jamais fait cette amputation
que fur un bouchon de liege , fuivant le
rapport de M. Pierron , Gentilhomme de
la chambre de S. A. S. Electorale Palatine,
chargé de l'Imprimerie de ce Prince
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
ami particulier de Monfieur Vermalle.
Tous les efforts qu'on a fait juſqu'aujourd'hui
pour perfectionner l'amputation,
ont eu pour objet de conferver la peau &
couvrir le moignon en moins de tems . Le
même efprit m'a toujours animé , Meffieurs
, & je vous prie d'agréer mes remar
ques für cette partie effentielle de la chirurgie
je ne m'arrêterai pas à parcourir
l'ancienne méthode , tout le monde connoît
les inconvéniens qui l'accompagnent.
Celle à lambeau inventée par M. Lowdan
, que MM. Verduin , Manget , & c.
ont répandue , & que M. la Faye & quelques
autres ont adoptée , paroît du premier
coup d'oeil impraticable aux praticiens . On
fépare les mufcles jumeaux & folaires jufqu'au
tendon d'Achille on coupe
la peau
au deffous de l'attache des mufcles extenfeurs
de la jambe à l'endroit où on veut
fcier l'os , & on releve enfuite le lambeau
pour couvrir le moignon .
Je remarquerai en premier lieu qu'on ne
peut fcier les os de la jambe fans danger
évident de toucher avec les dents de la
fcie au lambeau , d'où doit s'enfuivre des
accidens fâcheux , puifque les chairs qui
auront été déchirées font recouvertes dans
l'inftant.
Les os ne peuvent être fciés fi également
JUIN. 1755. 109
qu'il n'en refte des pointes qui piqueront
& produiront le même effet , le lambeau
devant être rapproché le plus intimement
qu'il eft poffible ; d'où naîtront des irritations
, des gonflemens , des inflammations,
des dépôts , des fufées , qui rendront le
fuccès fort équivoque. Pour répondre à
ces objections ( qui ont déja été faites ) M.
la Faye dit avoir vû des fractures avec ef
quilles qui piquoient les chairs , qui ont
guéri : pour moi je n'ai pas été fi heureux ,
j'ai vu toujours ces piquûres accompagnées
d'accidens plus ou moins fâcheux , qui ne
fe font terminés que par des dépôts , qui
ont procuré l'exfoliation des portions des
os , ou par l'épanchement d'un fuc que
j'appellerai offeux , qui les a émouffés en
les applaniffant par fucceffion de tems ,
ainfi que M. la Faye l'a remarqué au bout
des os amputés depuis long- tems.
Neft- il pas à craindre que ce fang qui
parcourt le lambeau ne foit gêné ou intercepté
dans fa marche il doit l'être au
jarret par l'angle aigu qui forme le lambeau ;
s'il force cet obftacle , il peut l'être par la
compreffion qu'on eft obligé de faire fur
toute fon étendue pour le tenir rapproché
des os ; d'où s'enfuivra la chûte par pourriture
d'une partie ou du lambeau dans
fon entier.
110 MERCURE DE FRANCE.
Peut- on efperer avec confiance que la
nature réunira des fibres mufculaires coupées
fuivant leur longueur , avec celles
qui le font tranfverfalement ? mais la fuppuration
qui doit néceffairement s'établir
dans toute la ſurface interne du lambeau ,
fuivant la fituation qu'on a coutume de
donner aux bleffés , ne pourra s'écouler
que par les parties latérales femi-fupérieures
: n'eft- il pas à craindre qu'elle ne forme
un vuide dans la partie la plus déclive
du lambeau , & qu'elle ne s'y dépofe ?
Mais ce lambeau rapproché fur toute
la furface du moignon eft-il fi juſte qu'on
ne foit forcé d'en couper des morceaux
pour le rendre parallele ? car fans cette
exacte égalité on ne peut efperer de guérifon.
Le lambeau figuré au moignon laiffe
encore un inconvénient également embarraffant
auquel il n'eft pas aifé de remédier
; car la peau qui eft au bord du tibia
doit fe trouver éloignée de celle du lambeau
de toute l'épaiffeur de ce même
lambeau ; elle le fera davantage fi les chairs
la débordent , comme il arrive prefque
toujours après les grandes fuppurations.
Si la fievre furvient & qu'elle foit violente
( ce qui n'eft que trop ordinaire )
tout le bâtiment s'écroule , la fuppuration
JUI N. 1755. IIT
devient féreufe , abondante , la pofition
de la gaîne du tendon d'Achille reftant ,
ainfi que la membrane oedipeufe qui lie les
mufcles les uns avec les autres ; s'exfolie ;
le lambeau s'amincit , & tend à s'éloigner
du moignon , ce qui entraîne néceffairement
fa chûte.
Je fens cependant que fi cette amputation
eft faite à un bon fujet , qu'il n'arrive
point d'accident pendant le cours du traitement
, elle peut réuffir un peu plus dif
ficilement que dans l'ancienne méthode ;
mais il faut qu'elle ait le bonheur d'être
conduite par une main auffi fage & auffi
expérimentée que celle de M. la Faye.
.M. Garangeot qui dit avoir fait plufieurs
fois cette amputation , confeille d'arrêter
l'hémorragie , en appliquant fur l'orifice
des vaiffeaux ouverts un morceau de
gui de chêne , foutenu d'une compreffe
dont le bout fortira par l'un des côtés de
la plaie. S'il avoit fait attention que ce
font des corps étrangers qu'il introduit
dans le centre d'une très-grande plaie , qui
peuvent caufer des accidens très- fâcheux ,
il auroit préféré la ligature faite avec du fil,
felon l'ancien ufage , qui n'en caufe jamais
de confidérables. Par ce coup de maître
il rend l'inftrument propofé par M. la Faye
pour rapprocher le lambeau, inutile , puif112
MERCURE DE FRANCE.
qu'il introduit un corps intermédiaire qui
s'oppose à ce rapprochement.
M. Louis embraffe toutes les façons
d'amputer les membres qui ont été propofées
, & n'en adopte aucune qu'il ne
l'eût remaniée ; il est vrai qu'il le fait avec
grace , mais il fait tout plier à fon imagi
nation : il charge d'une foule d'accidens
les méthodes qu'il lui plaît de profcrire ,
& n'en voit aucun dans celles qu'il adopte
ou qu'il crée ; il voit la rétraction des mufcles
après l'inciſion tranfverfale ; il détache
les portions de ceux qui restent adhé
rens aux os pour le fcier plus haut , & il
croit par cette découverte remédier à fa
faillie de l'os , à fon exfoliation & à la
longueur des fuppurations.
*
J'ai fait quelques amputations de cuiffe ..
& de jambe par l'ancienne méthode : j'ai
pris en opérant les précautions qui font
récommandées ; je n'aijamais apperçu que
la rétraction des muſcles fût fi confidérable
que M. Louis veut l'infinuer , quoique
j'euffe fait lâcher le tourniquet avant de
faire la ligature , pour reconnoître l'orifice .
des vaiffeaux , comme il eft d'ufage . M.
Louis convient que les mufcles adhérens
aux os ne font pas fufceptibles de cette
rétraction ; mais ceux - ci ne font - ils pás
liés intimément avec ceux qui les touchent?
JUIN. 1755. 113
& ne le font- ils pas tous les uns avec les
autres ?
Si la rétraction des mufcles étoit la feule
caufe de la dénudation de l'os après l'amputation
, cette dénudation paroîtroit à
l'inftant qu'ils font coupés ; ce qui n'eft
jamais arrivé , ni ne peut arriver. M. Louis
l'apperçoit cependant dans le cabinet
lorfqu'il fait lâcher de tourniquet ; & il
faudroit pour que cette grande rétraction
s'exécute , qu'il fe fir un déchirement ou
un alongement confidérable des liens qui
uniffent les mufcles les uns avec les autres ,
ce qui n'eft pas probable.
Si ces remarques font autorifées par
l'expérience de tous les tems , & par la
connoiffance des parties , M. Louis ne doit
plus trouver des portions des mufcles à
relever après fon incifion tranfverfale
faite , & il fera forcé de fcier l'os au niveau
des chairs , comme l'ont fait tous
ceux qui l'ont précédé.
Tout le monde fçait qu'un corps élaftique
coupé en travers s'éloigne plus ou
moins du point de fa divifion à proportion
de fa tenfion & de fon élasticité ; ce
principe a fait errer M. Louis : mais les
mufcles ( par exemple ceux de la cuiffe )
ne font que médiocrement tendus lors de
l'amputation ; leur maffe & leurs liaiſons
114 MERCURE DE FRANCE.
intimes femblent s'oppofer à un grand
écartement : il fe forme cependant un jour
lors de leur fection , mais ce n'eft qu'au
bord extérieur par le principe ci - deffus
établi , car pour les muſcles qui avoiſinent
les Os , cet écartement ou cette retraction
eft infiniment moindre. Or comme on ne
peut fcier l'os qu'après que cette rétraction
s'eft faite , & qu'on a coutume de le fcier
le plus près des chairs qu'il eft poffible , s'il
arrive faillie de l'os elle doit reconnoître
une autre cauſe , & il n'y a aucun Chirur
gien , quelque peu verfé qu'il foit dans la
pratique , qui l'ignore.
Lorfqu'on eft forcé d'amputer la cuiffe
par l'ancienne méthode à un fujet gros &
gras , il y aura faillie de l'os, quelque précaution
qu'on prenne pour l'éviter , &
cette faillie fera même plus ou moins confidérable
, à proportion des accidens qu'aura
effuyés le bleflé pendant le cours des
panfemens. Cette propofition paroîtra erronée
à M. Louis ; mais s'il veut avoir la
bonté de jetter les yeux fur la grande furface
que forme cette fection , fur les fuppurations
longues & abondantes qui l'ac
compagnent , fur la fonte des graiffes &
l'exfoliation des membranes , il apperce
vra l'affaiflement de toutes les parties char
nelles , feule & unique caufe de la grande
faillie de l'os.
JUI N. 1755. 115
Si on fuit M. Louis à l'amputation de la
jambe , on le voit conferver un morceau
de peau femi-fphérique fur le tibia , pour
pouvoir plus aisément couvrir le bout de
cet os après qu'il a été fcié : voilà de ces
efforts d'imagination marqués au bon coin
du cabinet , & qui devroient l'être au contraire
par l'expérience fouvent répétée
pour paroître dans un livre auffi refpectable
que le fera toujours celui des Mémoi
res de l'Académie royale de Chirurgie : il
difféque ici la peau , ailleurs les muſcles
adhérens aux os , & il oublie que dans
tout ceci il fait à petit pas la méthode de
l'amputation à deux lambeaux , inventée
par M. Ravaton , Chirurgien- major de
l'hôpital militaire de Landau , ou celle
en deux tems qu'il condamne ailleurs.
Si à la fuite d'une amputation il arrive
faillie de l'os , M. Louis le coupe fans at
tendre fon exfoliation naturelle , qu'on
peut même accélerer par l'application de
l'eau de mercure ; il s'embarraffe peu des
accidens qui fuivent cette fection ; ce qu'en
ont dit les praticiens eft infuffifant ou inintelligible
pour lui , il y eût remédié s'il
eût été préfent : tout eft borgne ou aveu→
gle , il n'y a que M. Louis qui ait deux
bons yeux.
La cicatrice du moignon ne fe forme ,
116 MERCURE DE FRANCE.
felon M. Louis , que par l'alongement des
fibres de la peau qui eft à fa circonférence ;
il eft vrai qu'elle y concourt effentiellement
, mais les chairs y concourent auffi ,
puifqu'on voit tous les jours des portions
de tégumens fe former dans le centre des
grandes plaies , particulierement aux brûlures
étendues & profondes : il feroit fal
cile d'en rapporter des exemples ; mais cé
que la nature fait tous les jours fous les
yeux de l'obfervateur intelligent , n'a pas
befoin de preuves.
M. Vermalle , Chirurgien de S. A. S.
Electorale Palatine , ayant vû pratiquer
l'amputation à deux lambeaux à M. Rava
ton , a imaginé une façon différente de
former ces deux lambeaux ; il pofe à l'or
dinaire le tourniquet , marque au - deſſous
avec un fil l'étendue qu'il veut leur donner
; il enfonce enfuite un biftouri droit
fur le milieu de l'os , & en fait tourner la
pointe à côté & autour de l'os pour former
deux lambeaux égaux , & il les releve
pour fcier l'os , & c.
Il eft impoffible ( la ligature étant pofée
à la cuiffe ) de faire tourner un biſtouri
droit à côté & autour de l'os pour former
deux lambeaux égaux . Faut- il qu'un petit
Chirurgien de province les affure qu'il n'a
jamais pû les former fur le cadavre ? ( il
JUIN 1755 : 117
n'y a que le liege fur lequel on peut
faire
cette manoeuvre ) car enfin il eft palpable.
qu'il y a une impoffibilité morale de fermer
ces deux l'ambeaux , quand bien même
le biſtouri feroit courbe , comme le propofe
M. Louis , & je ne vois d'autre moyen
de remédier à cet obſtacle infurmontable
qu'en rendant le fer foumis à nos com→
mandemens , fi on en trouve le fecret, pour
qu'il fe plie & fe contourne à volonté , &
alors cette méthode pourra s'employer uti
lement aux amputations des cuiffes.
MM. La Faye & Louis s'accordent à
dire que l'amputation à deux lambeaux
propolée par M. Ravaton , qui confifte à
faire une coupe tranfverfale avec le couteau
courbe , & deux incifions latérales
avec le biftonri , à difféquer & relever les
deux lambeaux pour feier l'os le plus haut
qu'il eft poffible , forme une léſion trop
grande pour ne pas attirer des accidens
fâcheux; mais cette léfion ne feroit- elle
pas la même dans la méthode propofée par
M. Vermalle & n'eft - elle pas double dans
celle à lambeau de la jambe , où ces Mefheurs
ont la complaifance de n'en pas appercevoir
aucun ? Dans trente années d'ici
les décifions de ces Meffieurs fur ces matieres
pourront avoir quelque poids ;
mais en vérité pour le préfent ils permet
2
118 MERCURE DE FRANCE.
tront aux Chirurgiens praticiens de ne pas
fuivre aveuglément leurs dogmes qu'ils
ne les aient anatomifés , & pefés au poids
de l'expérience.
J'ai vû pratiquer l'amputation à deux
lambeaux à M. Ravaton avec tout le fuccès
poffible. Les deux incifions latérales
qui effrayent ces Meffieurs , & qui doivent
être caufe , felon eux , de tant d'accidens
fâcheux , font celles au contraire qui re
médient à ces mêmes accidens , en laiſſant
librement couler la matiere de la fuppu
ration , & évitant conféquemment les inflammations
, les gonflemens , les fuſées ,
les dépôts , &c. qui n'arrivent que trop
fouvent dans l'ancienne méthode ; l'os fe
trouve bien enfoncé & bien recouvert des
chairs , plus d'exfoliation : ce moignon
préfentant une moindre furface, fe cicatrife
en moins de tems , & fe trouve pour
toujours à l'abri des différens accidens qui
l'accompagnoient par l'ancienne méthode.
M. Ledran dit dans fon traité d'opérations
de Chirurgie , avoir fait l'amputation
à deux lambeaux d'une cuiffe,fous les
yeux de Meffieurs de l'Académie , & que
cette amputation a été guérie en trois femaines.
M. Louis rapporte que M. Trecour ,
Chirurgien-major du Régiment de PiéJUIN.
1755: 119
mont , l'a pratiquée avec un égal fuccès ;
je l'ai vû faire en Flandres à différens Chirurgiens,
qui ont été émerveillés du peu de
tems qu'ils ont employé à cicatrifer le
moignon . Je l'ai faite moi- même avec tant
d'avantage , que je ne puis trop recommander
aux princes de la Chirurgie de
l'examiner de plus près , afin de la mieux
connoître .
On fera fans doute furpris de me voir
prendre tant d'intérêt aux avantages que
Famputation à deux lambeaux a fur toutes
ces autres méthodes. Cette furpriſe ceffera
lorfqu'on fera informé que je fuis éleve de
M. Ravaton , & que l'humanité , le bien
public & la force de la vérité m'y ont engagé.
M. Ravaton pratique fon amputation à
deux lambeaux à toutes les parties des bras,
des avant-bras , aux cuifles & aux jambes ;
mais ce qui furprendra davantage , c'eft
que fi une maladie au pied demande l'amputation
de la jambe , il coupe cette jambe
près les malléoles ; & par le fecours d'une
bottine le bleffé étant guéri , marche avec
une facilité peu aifée à rendre. Il coupe de
même les doigts des mains & des pieds ; je
l'ai vû emporter le métatarfe , & le malade
eft guéri en peu de tems.
J'ai l'honneur d'être , & c.
A Meziere, le 20 Mars 1755.
120 MERCURE DE FRANCE.
1.
-LETTRE de M. Defcaftans a M. Dupuy,
Maître en Chirurgie , Affocié de l'Acadé-.
mie de Bordeaux , & Chirurgien -major
de l'Hôpital S. André de ladite ville.
Monde la letreque vous m'avez fait
ONSIEUR, j'ai communiqué à mon
l'honneur de m'écrire . Il a été ført furpris
qu'il y ait des Chirurgiens & autres perfonnes
dans votre province qui prétendent
qu'il foit en relation avec eux & qu'il leur.
fourniffe fes remedes , leurs mauvais fuccès
fans doute doivent détruire cette impofture
; mais il est très-certain que vous êtes
le feul à Bordeaux & dans tout le pays
avec qui il ait des correfpondances. Il vous
fera très- facile de tirer d'erreur ceux qui
yous en parleront ; il ne s'agit que d'exiger
de ces prétendus correfpondans qu'ils montrent
les lettres de M. Daran , qui feules
peuvent certifier leur commerce avec lui ,
ou d'engager ceux qui foupçonneront cette
liaifon , de lui écrire à lui- même , & il ne
manquera pas de leur faire auffi- tôt une
réponſe qui levera tous leurs doutes . Vous
connoiffez la fignature , & il ne fera pas
aifé de vous en impofer . Ce n'eft pas feulement
à Bordeaux que l'on fuppofe ces
•¿ ¿ di armik od vcorrefpondances
JUIN. 1755. 121
correfpondances avec M. Daran . On employe
le même artifice non feulement dans,
toute la France , mais encore dans les pays
étrangers ; d'autres fans avoir recours à
cette rufe , qui leur paroît apparemment
inutile , publient que les remedes dont ils
fe fervent ont été pris chez lui , & c'eſt le
plus grand nombre : ils font répandus en
plufieurs endroits , même à Paris , & ce
qu'il y a de plus étonnant , c'eft que des
gens qui jouiffent d'ailleurs de la plus
grande réputation , fe vantent auffi d'avoir
les mêmes remedes que lui , & ils le perfuadent
d'autant plus facilement , qu'ils fe
font acquis beaucoup de crédit & de confiance
dans le public toujours fi facile à
être trompé. Il eft vrai qu'on fe defabuſe
à la fin , mais c'eſt toujours à ſes dépens
après avoir reconnu par un traitement
long , douloureux & inutile , qu'on auroit
dû d'abord s'adreffer à M. Daran. Il m'eſt
arrivé fouvent en lifant les lettres qu'il
reçoit des malades , d'y trouver qu'ils s'étoient
confiés à des perfonnes qui difoient
tenir de M. Daran lui-même les fondes &
les bougies dont elles faifoient ufage. Ces
malades l'avoient cru bonnement , & le
confultoient fur leur état en lui demandant
ce qui pouvoit avoir empêché leur guérifon
, après qu'ils s'étoient fervis de fes
II. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE. ,
reniedes avec toute l'exactitude poffible &
le plus grand régime : mon oncle fe trouvoit
obligé de leur répondre qu'ils avoient
été trompés , & qu'il n'étoit point du tout
vrai qu'on eût pris les remedes chez lui.
Les malades de leur côté fe voyoient dans
la trifte néceffité de fe foumettre à un nouveau
traitement complet , trop heureux
encore d'en être quittes pour l'inutilité du
premier , & de n'avoir été qu'à demi les
victimes de cette contrebande fi funefte à
tant d'autres .
Mon oncle a reçu des plaintes de quan
tité de perfonnes à qui ces faux remedes
avoient caufé des accidens très - fâcheux.
J'ai cru devoir rendre cette lettre publique
, pour détromper les perfonnes qui ont
intérêt de l'être , & pour mettre un frein
à l'avidité de ceux qui fe croyent permis
d'abufer de la crédulité publique pour leur
profit particulier on fent bien quelles
font les fuites funeftes de cet artifice . Les
malades qui voyent leur état empirer , au
lieu de changer en mieux par l'ufage des
remedes qu'ils croyent de la compofition
de M. Daran , s'imaginent que leur mal
eft incurable , parce qu'il a réfifté aux fecours
qui font généralement reconnus
comme les plus propres pour le guérir , &
tombent dans un defefpoir auffi contraire
JUI N. 1735. 123
:
à leur rétabliſſement qu'affligeant pour
leur famille mais il leur fera facile de
s'épargner un fi cruel embarras , comme
auffi le defagrément d'un traitement repété
, s'ils veulent avant que de fe confier à
qui que ce foit , écrire à M. Daran , pour
fçavoir au jufte fi ceux qui ont entrepris de
les traiter , ont des correfpondances avec
lui . Ils recevront infailliblement une réponſe
qui éclaircira leurs doutes , & les
fauvera du danger où ils s'alloient peutêtre
expofer imprudemment.
J'ai l'honneur d'être , &c.
DESCASTANS.
A Paris , cè 8 Avril 1755•
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
AGRICULTURE.
Obfervations fur les vignes de 1754 , faites
dans le Bordelois.
Lafont arrêté de bonne heure la féve
Es grandes chaleurs qu'il a fait l'été
dans le farment , ce qui a donné fort peu
de bois & a rendu la taille difficile . Les
grands froids ont fait mourir beaucoup de
pieds , les chaleurs de l'année paffée en
avoient déja fait mourir grand nombre.
Les grandes gelées ont rendu les premiers
travaux fort aifés & fort profitables.
Tous les bourgeons étoient prefque fortis ,
lorfqu'il eft furvenu une gelée caufée par
un vent de nord-oueft qui avoit donné la
veille une pluie froide. Tous les endroits
qui avoient été frappés de la pluie , ont
extrêmement fouffert ; il n'y a pas eu de
mal ailleurs , ce qui fait qu'il y a eu des
côtes inacceffibles àla gelée qui ont fouffert
, tandis que dans les plaines l'on en a
été quitte pour la peur.
Les vignes qui n'étoient point gelées
étoient chargées de manes ; le farment a
paru d'abord vigoureux , les feuilles étoient
d'une largeur extraordinaire ; les provins
JUIN. 1755. 125
& les plantations ont réuffi à merveille.
Les travaux fe font faits aifément & en
beau tems.
Les pluies furvenues fur la fleur ont
caufé quelque perte , mais elle n'eft pas
comparable aux maux que les chaleurs qui
leur ont fuccedé ont fait : elles ont trouvé
le bois de la vigne encore humide ; & prenant
de nouveaux accroiffemens , le verjus
n'avoit pas eu le tems de prendre de la
force. Les rayons du foleil ont agi avec
tant de violence , que la moitié de la récolte
a été brûlée. Les chaleurs continuant
ont defféché la terre à un tel point , que
toutes les campagnes étoient crevaffées. Le
farment a pris fa maturité avant le tems ,
la queue du raifin fembloit defféchée , les
grains étoient extrêmement petits ; ceux
qui paroiffoient les plus mûrs étoient d'un
rouge tuilé , ayant une confiftance fort
molle.
La récolte promettoit fort peu de chofe
en Septembre les paluds , quoique dans
une terre forte , ont beaucoup fouffert
l'on laiffe à penfer ce qu'ont eu à endurer
les Graves.
Aux approches des vendanges les vins de
l'année paffée étoient extraordinairement
montés ; ce qui eft prodigieux , c'est que
les vins , dont la qualité étoit fupérieure ,
Fuj
126 MERCURE DE FRANCE.
:.
ont aigri en beaucoup d'endroits .
Des pluies douces furvenues à la veille
des vendanges ont ranimé les efpérances ;
l'on peut conjecturer du bien qu'elles ont
produit , puifque fans avoir pénétré jufqu'à
la racine , elles n'ont pas laiflé d'amener
tout à une maturité parfaite : huit jours
ont füffi , le raiſin a acquis dans ce peu de
tems fa groffeur naturelle , l'on ne voyoit
plus aucun veftige des defordres qu'avoient
fait les grandes chaleurs ; ce changement
arriva à la mi- Octobre. L'on a profité des
beaux jours qu'il a fait depuis pour vendanger
; mais les froids & les mauvais tems
qui ont fuccédé , ont tout gâté en certains
endroits : les vendanges étoient trop reculées
pour pouvoir être faites fans inconvénient.
Enfin l'on a fait prefque par-tour
d'abondantes vendanges ; mais le vin n'eſt
pas également bon , on ne lui trouve ni la
féve , ni le corps de celui de l'année paffée.
Le vin blanc eft moindre en qualité que
le rouge . Un ouragan des plus terribles qui
s'eft fait fentir en Novembre , a caufé de
grands maux ; les raifins n'étoient pas encore
bons à prendre , l'on n'avoit fait qu'u
ne cueillette , & en quelques endroits aucune
; les grains les plus pourris fe détacherent
, la terre en étoit couverte ; une
pluie abondante qui futvint , les détrempa
JUIN. 1755. 127
fi fort que l'on fut obligé de les abandonner
: il eft vrai que cette pluie hâta les vendanges
en achevant de pourrir. Les vins
blancs du Bordelois fe font prefque tous
de raifins pourris.
Remarques particulieres fur les grands froids
& les grandes chaleurs de l'année.
Les rigueurs de l'hiver & les grandes
chaleurs de l'été ont tout fait dans l'abondanté
récolte de cette année.
Les hivers froids & les étés chauds ,
malgré les inconvéniens qu'ils ont , font
les plus propres aux vignes.
D
Les gelées fortes mettent en pouffiere
les terres les plus compactes ; elles s'infinuent
dans toutes les parties , elles les
foulevent en en faifant la féparation . Que
ne doit-on pas attendre après cela des labours,
qui achevent de procurer une ouver
ture qui puiffe infinuer les rayons du foleil
dans le fein de la terrre , afin d'en mettre
en mouvement tous les fels ? Les hivers
doux ne fçauroient produire ces avantages.
Les pluvieux font d'ordinaire funeftes à
toutes les plantes , fans compter la quantité
immenfe de fels précieux qu'entraînent
les eaux ou qu'elles diffipent ; l'on perd
prefque le fruit de tous les travaux : en
vain l'on ouvre le fein de la terre pour y
F iiij
128 MERCURE DE FRANCE.
infinuer les douces influences de l'air ; la
terre chargée d'humidité , preffe fur ellemême
& fe refferre auffi - tôt.
La chaleur eft le principe de la végétation
, & plus elle eft grande , plus elle agit
avec efficacité.
Le point eft de mettre la vigne dans une
fituation à profiter de ces bienfaits , par où
on la met en même tems à l'abri des inconvéniens
d'une trop grande chaleur :
c'eft en faifant de fréquens labours , qui
tiennent toujours la terre meuble , & font
mourir les mauvaiſes herbes ; il eft inconteftable
que fans cela la terre fe durcit ,
la chaleur s'y concentre , c'eft une maſſe
de feu qui altere & qui defféche tout ce
qui en approche. Il eft démontré qu'à un
demi-pied de terre meuble il regne une
fraîcheur que l'on ne trouve point à deux
pieds d'une terre inculte. Les mauvaifes
herbes contribuent à entretenir la chaleur ,
leur ombrage ne porte point la fraîcheur
que l'on s'imagine.
Par le P. P. R. D. N. D. D. V,
JUI N. 17530 129
ARTICLE IV.
BEAUX - ARTS.
ARTS AGRÉABLES.
SCULPTURE.
LETTRE de M. Voifin , Avocat au Par
lement de Paris , à M. le Comte de Treffan,
Lieutenant général des armées du Roi , &
Commandant pour Sa Majesté en Lorraine.
MONSIEUR , permettez - moi de me
renouveller dans l'honneur de votre
fouvenir , & de faifir pour cela l'occafion
de vous faire part d'une collection confidérable
d'antiques grecques & romaines
que M. Adam l'aîné , de Nanci , Sculpteur
ordinaire du Roi , & Profeffeur de l'Académie
royale de Peinture & de Sculpture
expofe à la curiofité publique dans fa maifon
, rue baffe du Rempart , quartier de la
Ville-l'Evêque , après avoir eu l'honneur
,
Fv
310 MERCURE DE FRANCE.
d'en préfenter le recueil gravé à Sa Majesté,
& après l'avoir envoyé aux autres Souverains
de l'Europe..
Les 68 morceaux de cette collection
exécutés en marbre de Paros & de Salin ,
ont été trouvés à Rome dans le Palais de
Néron , au mont Palatin , & dans les ruines
du palais de Marius , entre Rome & Frelcati
: auffi M. Adam a- t- il deffiné & gravé
lui-même pour frontifpice à fon recueil
avec cette délicateffe & ce goût qui affectent
fi fingulierement les fçavans , le tems
qui découvre les ruines du palais de Marius
en 1729 .
C'eft des héritiers de M. le Cardinal
de Polignac , qui avoit raffemblé la plus
grande partie de ces antiques pendant fon
ambaffade à Rome , & qui les avoit fait
tranfporter en France , que M. Adam les a
acquifes. Il y a joint auffi plufieurs autres
morceaux également antiques , que dix ans
de féjour à Rome lui avoient procurés,
Cette collection , auffi rare que piquante
par la beauté & par la variété des objets ,
paroît déterminément propre à décorer une
une galerie ou une bibliothéque.
Elle feroit auffi d'une très- grande utilité
dans une académie , pour l'étude & pour
former le goût des éleves , foit de peinture ,
ou de ſculpture.
JUIN. 1755 131
Le bas-relief du tombeau d'un des fils
de Fauſtine , d'un pied de haut fur trois de
large , ouvrage romain én marbre de Paros
, fait la vignette initiale du recueil de
M.Adam : on y voit le bufte de ce fils chéri ,
avec une allégorie fçavamment imaginée.
Enfuite fe préfente un autel triangulaire
dédié à Bacchus : il a trois pieds trois pouces
de haut , & il eft monté fur trois vafes.
de bronze , foutenus par un piédeſtal ;
ouvrage grec de marbre de Paros . Le basrelief
de deux de ces faces repréfente un
Faune & une Bacchante , d'un pied de hauteur
on voit Silene fur le bas- relief de la
troiſieme face.
Un autre bas- relief de trois pieds de
hauteur & de deux pieds dix pouces de
largeur ; ouvrage grec de marbre de Salin ,
& tiré du tombeau de Marc- Antoine , repréfente
la conquête des Indes par Bacchus .
Les figures de ce bas- relief ont un pied
dix pouces de hauteur ce morceau eft
fans contredit un des plus beaux de l'antiquité
grecque.
Combien deux médaillons qu'on remarque
après , n'excitent- ils pas notre curiofité
de ces deux médaillons de marbre de
Paros , de deux pieds trois pouces de hau
teur chacun , l'un repréfente Diane, & l'autre
Vénus.
F vj
432 MERCURE DE FRANCE.
Deux médaillons d'Aurelien & de Vitellus
, de marbre de Paros , d'un pied trois
pouces de haut , font aux yeux l'éloge de
l'artifte romain antique qui les a exécutés.
Les gens de goût pourront- ils n'être pas
faifis de cette figure faillante & neuve ,
malgré fon antiquité , après nombre de
fiecles ? c'eft un Amour repréfenté de deux
faces , monté fur une panthere ; ouvrage
grec de marbre de Paros , de deux pieds fept
pouces de haut , dont le plinthe eft de deux
pieds trois pouces , & l'Amour de deux
pieds de proportion.
Arrive un petit Bacchus , enfant monté
fur un bouc , & préfenté de deux côtés :
c'eft un ouvrage grec de marbre de Paros ,
de deux pieds de haut fur un plinthe de
trois.
L'Hercule Farnefe eft fans doute connu ,
foit à Rome dans le palais Farnefe , où il
eft en original , foit en copies à Verfailles ,
même foit dans différens cabinets . Il s'agit
ici d'un Hercule appellé Farnefe improprement
, mais qui eft un monument grec
de marbre de Paros , d'un pied fix
de hauteur.
pouces
Après ce qui vient d'être remarqué ,
l'Amour pour l'antiquité fe trouve animé
par une figure de Minerve , d'éxécution
JUIN. 1755: 133
grecque, & de bréche violette, de la hauteur
de deux pieds.
Une autre antique grecque de marbre
de Paros , de deux pieds de haut , repréſentant
Bellonne , a immédiatement après elle
la place qui lui convient.
Enfuite fe préfente dans la galerie de
M. Adam , l'Abondance , antiquité romaine
de marbre de Salin , d'un pied onze pouces
de haut.
Les yeux s'arrêtent après fur un Jupiter
de deux pieds de hauteur , antiquité romaine
, de marbre de Paros.
On ne peut pas fe refufer à la beauté
fçavante de la Junon romaine , de marbre
de Paros , de deux pieds de hauteur . "
La Vénus à la pomme d'or , ouvrage
romain de marbre de Paros , d'un pied onze
pouces de haut , mérite ici toute notre attention
; c'eſt un précieux original dans fa
mefure déterminée , mais dont la copie ſe
remarque dans une étendue plus confidérable
le long de l'allée qui conduit au canal
de Verſailles ; & c'eft cette figure que le
feu célebre Vaillant qualifioit Dea Delphina
, à la différence que la Déeffe du
tapis verd ne tient point de pomme d'or ,
quoiqu'on lui attribue le même gefte .
La Vénus fortant du bain ne cede rien
à la précédente ; elle a une partie de fon
134 MERCURE DE FRANCE.
attitude du côté de la pudicité , & peu s'en
faut qu'à cet égard elle ne fe trouve au
niveau de la perfection de l'original de la
Vénus appellée vulgairement de Médicis ,
& qui eft dans le plus précieux cabinet du
palais de Florence. Cette Vénus fortant du
bain , qui eft une antique romaine de
marbre de Paros , a deux pieds deux pouces
de haut.
Vient enfuite une autre antique romaine
, auffi de marbre de Paros, de deux pieds
quatre pouces , repréfentant un enfant.
A côté , Bacchus enfant affis fur une peau
de bouc , d'un pied neuf pouces de haut en
marbre de Paros ; antiquité romaine.
Achelous à demi - couché & tenant une
corne d'abondance ; antiquité grecque de
marbre de Paros , de deux pieds huit pouces
de proportion , fur un plinthe de deux
pieds fept pouces .
Autre antiquité grecque de marbre de
Paros, de trois pieds de proportion , repréfentant
une Nereïde endormie & couchée
fur le rivage.
On ne peut trop admirer la beauté d'un
Hercule vainqueur du dragon du jardin
des Hefpérides ; antiquité romaine de
marbre de Paros, de deux pieds cinq pouces.
A côté on remarque avec la même fatisfaction
la figure de l'Empereur Commode
JUIN. 1755.
135
en Hercule , après la même victoire ; antiquité
romaine de marbre de Paros , de deux
pieds onze pouces de hauteur.
Un Efculape ; autre antiquité romaine
de marbre de Salin , de deux pieds onze
pouces de haut , égale en beauté les deux
précédentes figures .
Rien de plus précieux que la Vénus pu
dique qu'on voit enfuite ; antiquité grecque
de marbre de Paros , de deux pieds
onze pouces de haut. Cette figure eft régulierement
belle de tous les côtés.
On fixe enfuite fes regards fur une
Pallas armée de fon égide ; antiquité grecque
de marbre de Paros , de deux pieds
onze pouces de hauteur.
La Junon qui eft à côté , eft de la plus
rare beauté par la précifion avec laquelle
le nud fe trouve deffiné fous la draperie :
c'eſt une antiquité grecque , de deux pieds
onze pouces de hauteur , en marbre de
Paros.
Une Flore également belle ; antiquité
grecque , du même marbre & de la même.
proportion .
La curiofité est enfuite extrêmement
piquée par une autre antique grecque , de
trois pieds fix pouces de proportion , &
deux pieds fix pouces de hauteur , en marbre
Crétois , repréfentant un Phrygien qui
136 MERCURE DE FRANCE.
au bas d'une tour fe garantit des traits ennemis
par fon bouclier. Cette figure : eft
également avantageufe de tous côtés .
Une Diane fait partie de la collection de
M. Adam : c'eſt une antique romaine de
marbre de Paros , de trois pieds fix pouces
de hauteur , qui eft d'une beauté parfaite
ainfi que l'Apollon , antiquité grecque , du
même marbre & de la même hauteur. I
Il ne fe voit rien de fupérieur à une
autre antiquité grecque , du même marbre,
de trois pieds fept pouces de haut , repréfentant
une des filles de Lycomede , fous
la draperie de laquelle les yeux développent
le nud.
A côté fe trouve un Pâris à la pomme
d'or ; antiquité grecque , du même marbre
& de la même hauteur , figure admirable
pour fervir de modele.
Ifis , fous les attributs de la Déeffe de la
fanté ; antiquité grecque de marbre de
Paros , de quatre pieds de hauteur , s'offre
enfuite aux yeux.
Une des plus précieufes figures qu'on
puiffe voir fe préfente après ; c'eſt une antiquité
grecque de marbre de Salin, de quatre
pieds dix pouces de haut , repréfentant
l'Hymen , tenant un flambeau d'une main
& une couronne de l'autre à côté de fon
autel.
JUI N. 1755: 137
Il eft fuivi de trois autres antiquités
grecques , du même marbre & de la même
hauteur , repréfentant Mercure , Bacchus
& Méléagre , d'une beauté rare.
,
Enfuite la vûe fe fixe fur une antiquité
grecque , de marbre de Paros , de fix pieds
fix pouces de proportion repréſentant
Perfée qui , après la délivrance d'Andromede
, pofe la tête de Medufe fur du corail
pétrifié & teint de fon fang. La vûe
de cette figure eft piquante de tous les
côtés : on pourroit incrufter dans fon
piédeſtal un bas- relief, partie de la collection
, antiquité grecque , de deux pieds
trois pouces de haut & d'un pied fix
pouces de large , de marbre de Paros ,
repréfentant la même délivrance d'Andromede
, & dont les figures ont un pied huit
pouces.
Deux buftes , antiquités grecques , fe
trouvent enfuite , d'un pied fix pouces de
hauteur chacune ; l'une de marbre de Paros
, & l'autre de marbre de Salin , repréfentant
Germanicus & Lepida .
Deux autres buftes , l'un d'une femme
inconnue , & l'autre d'Adrien , jeune ; an
tiquités romaines , de marbre de Paros ,
d'un pied huit pouces de hauteur.
Deux autres de marbre de Paros , d'un
pied deux pouces de hauteur ; antiquités
138 MERCURE DE FRANCE.
i
romaines, repréfentant une Matrone & une
Nymphe.
Deux autres buftes ; antiquités grecques,
de marbre de Paros, d'un pied cinq pouces
de hauteur , repréfentant une Veftale &
une Sabine .
Deux autres , l'un romain , & l'autre
grec , de marbre de Paros , d'un pied fept
pouces de haut , repréfentant une Bacchante
& Antinous.
Deux autres ; l'un romain & l'autre grec,
de marbre de Paros , de deux pieds de hauteur
, repréfentant Pâris & Cybelle..
Deux autres , de deux pieds trois pouces
de haut ; antiquités romaines , de marbre
de Paros , repréfentant Neron & Meffa-
-line .
C
Deux autres de marbre de Páros , de
deux pieds trois pouces de haut ; antiquités
romaines , qui repréfentent Longina
& Cefonia.
Deux autres , de la même hauteur & du
même marbre ; antiquités grecques , repréfentant
Pompeia & Caligula.
Deux autres du même marbre , l'un de
deux pieds trois pouces , & l'autre de deux
pieds un pouce ; antiquités romaines , repréfentant
Séneque & l'Empereur Commode
.
Deux autres du même marbre , de deux
JUIN. 1755. 139
pieds fept pouces ; antiquités romaines ,
repréfentant Annibal & Septime Sévere.
pouces ,
Deux autres , du même marbre ; antiquités
romaines , l'un d'un pied neuf
& l'autre de deux pieds trois pouces , repréfentant
Narciffe & Faune.
Deux autres du même marbre , de deux
pieds quatre pouces de haut ; antiquités
romaines , repréfentant Tibere & Galba .
Deux autres du même marbre , de deux
pieds dix pouces ; antiques romaines , repréfentant
Augufte & Lepide.
M. Adam a joint à fa collection cinq
buftes de lui , qui ont excité la curiofité,
publique.
Le premier eft un Apollon françois ,
de marbre de Carare , de deux pieds huit
pouces de hauteur. Ce bufte eft un portrait
allégorique du Roi , auquel Apollon , fi
c'étoit une divinité réelle comme c'eft
une fiction poëtique , auroit fouhaité de
reffembler .
Les quatre autres , de deux pieds fix pouces
chacun de haut , du même marbre
repréfentent élégamment & avec énergie
l'eau , l'air , le feu & la terre.
Tous ces différens morceaux , au nombre
de foixante & treize , font rangés avec intelligence
dans une galerie de la maiſon
140 MERCURE DE FRANCE!
où loge M. Adam. La fuite en eft trop
intéreffante pour qu'elle puiffe être féparée
, & fans doute que le Prince curieux
d'une auffi rare collection , ne trouvera fa
curiofité fatisfaite que par l'acquifition de
la totalité.
Je fuis perfuadé , Monfieur , que vous
me fçaurez quelque gré du détail que j'ai
l'honneur de vous faire ; votre goût pour
les fciences & pour les arts m'en eſt un sûr
garant. Excellent Général & homme de
Lettres , vous réuniffez les motifs les plus
preffans de vous vouer l'attachement le
plus inviolable & le plus refpectueux : c'eft
auffi avec ces fentimens que j'ai l'honneur
d'être pour toute ma vie , & c.
E
J
GRAVURE.
EAN- BAPTISTE MASSÉ , Peintre
& Confeiller de l'Académie royale de
Peinture & de Sculpture , a deffiné & fait
graver fous fes yeux tous les tableaux de
la grande galerie de Verfailles & des
deux fallons qui l'accompagnent , peints par
Charles le Brun , premier Peintre de Louis
XIV . Cette admirable collection de gravûre
a donné lieu à un Artiſte , qu'un beau
zéle a rendu Poëte , de faire les vers que
JUIN. 1755. 141
nous avons inférés dans le Mercure de
Mai.
Quoique dans ce genre il n'ait jamais ,
paru d'ouvrage plus digne de la curiofité du
public , tant par fon étendue que par la
beauté de fon exécution , quoiqu'il ait été
univerfellement admiré au fallon , où il a
été exposé en 1753 , & que les Gazettes ,
les Mercures & les Journaux en ayent parlé
avec beaucoup d'éloge , il eft furprenant
qu'on n'ait point indiqué où il fe vendoit ,
ni fur les planches ni dans le livret * que
l'auteur nous a donné lui-même de l'explication
de chacun de ces morceaux. Après
tout un pareil oubli de fa part tourne à fa
louange ; il prouve qu'un noble defintéreffement
l'a feul conduit dans le cours
d'un fi long travail , & que fon objet principal
étoit la gloire de la nation . Pour y
fuppléer , nous avertiffons que cet ouvrage
fe vend à Paris , chez le fieur Maffé
place Dauphine.
Si l'on pouvoit fuppofer qu'il y eût
quelques amateurs d'eftampes qui n'euffent
point entendu parler d'une fi belle
collection , ils pourroient en prendre connoiffance
dans les Journaux de Trévoux ,
* Ce livret ſe vend chez la veuve Amaulry , ay
Palais.
142 MERCURE DE FRANCE.
Décembre 1753 , 1 vol . & Mai 1754 , 2
vol. Le R. P. Bertier l'ayant eue entre fes
mains eft celui qui en a fait l'analyſe la
plus exacte.
AMPHITHEATRE DE LA VILLE
D'HERCULANUM ; décoration faifant allu-.
fion à la nouvelle découverte de cette ville
qui fut enfevelie par les cendres du mont
Vefuve fous l'empire de Titus , laquelle a
été exécutée en relief à Rome dans la place
Farnèfe en 1749 , fur les deffeins de M.
Petitot , premier Architecte de S. A. S.
l'Infant Duc de Parme , à l'occaſion de la
cérémonie de l'hommage que le Royaume
de Naples rend au Saint Siége. Dédié à M.
de Montullé , Baron de Saint-Port , & Secrétaire
des commandemens de la Reine.
Cette perfpective qui eft de la grandeur de
la feuille de nom de Jefus , eft gravée par
P. Patte , & fe vend chez lui , rue des
Noyers , la fixieme porte cochere à droite
en entrant par la rue S. Jacques. Prix 1 liv.
10 fols.
I
Cette eftampe eft le digne pendant du
Temple de Venus annoncé dans le Mercure
du mois d'Avril dernier ; elle repréſente
une de ces décorations que l'on exécute
tous les ans à Rome la veille de la Fête de
5. Pierre , lefquelles font toujours allufion,
JUIN. 1755
143
ainfi que nous l'avons déja dit , à quelques-
unes des antiquités du Royaume de
Naples , dont il eft d'ufage de leur faire
retenir le nom , quoiqu'elles ne forent en
effet que des compofitions de MM. les
Penfionnaires de l'Académie de France à
Rome. Comme chaque ville n'avoit qu'un
amphithéatre , & que c'étoit l'édifice le
plus vafte & le plus remarquable , il eft
naturel qu'on ait défigné cette ville par ce
monument ; ainfi on ne doit pas s'étonner
du titre de cette eftampe , qui eft des plus
remarquables par la beauté de fon architecture
& de fa perfpective , ce qui doit lui
mériter un rang diftingué dans les cabinets
des curieux & des amateurs.
144 MERCURE DE FRANCE:
ARTS UTILES.
ARCHITECTURE.
Lettre de M.... à M. le Comte de Ch.
fur le Louvre. (a )
E veux vous faire part, Monfieur , d'une
queje
viens de voir dans le Mercure d'Avril . Je
connois la chaleur de votre intérêt pour ce
célebre monument , & je crois vous donner
une preuve finguliere de mon amitié ,
en vous expofant les prétendus défauts
qu'attaque ce cenfeur anonyme.
Il m'a paru un homme de l'art , mais on
découvre aifément à travers les éloges qu'il
donne à ce beau monument , que fon admiration
eft plus contrainte que fincere. Il
demande d'abord qu'on lui permette quelques
réflexions hazardées fur un de ces chefsd'oeuvres
des arts ( b ) faits pour être adorés
aveuglément dans un fiecle d'enthousiasme
& de préjugés ( reconnoît- on à ces traits
le fiécle de Louis XIV ? ) ( c) maisfaits pour
( a ) Les notes qui accompagnent cette lettre
Tont d'un Artiſte auffi éclairé qu'impartial.
(6) Le périftile.
(c) Non fans doute , le Cenfeur a pu le dire
être
JUIN. 1755. 145
être difcutés dans un fiècle fage , éclairé
enfin dans un fiécle philofophe comme le nôtre.
Ce fiécle , tout philofophe qu'il eft ,
pourra-t-il nous indiquer quelques- uns de
Les chefs - d'oeuvres qui ayent furpaffé ou
même approché de ceux du fiécle dernier
dans tous les genres ? ›
Une nouvelle du
preuve peu d'équité ,
& j'oſe dire du peu de goût de ce nouveau
cenfeur , c'eft qu'au lieu de faire élever
cette admirable façade , il eût fouhaité de
faire achever le Louvre fur les mêmes deffeins
de l'ancien ; & nous aurions , dit - il ,
fous les yeux le plus fuperbe palais de l'Europe.
L'on ne fçauroit marquer un mépris
plus injurieux pour l'architecture de Perrault
qu'en lui préférant un édifice où l'on
ne trouve ni compofition , ni proportions ,
en général de tout fiécle où l'on n'auroit pas les
lumieres néceflaires pour diftinguer ce qui eft digne
d'admiration de ce qui eft repréhensible ; il
n'y a nulle apparence que dans le fiécle paffé ce
grand ouvrage ait échappé à la critique de tant
d'habiles Artiftes qui fe diftinguerent alors ; mais
il eft arrivé ce qui arrivera toujours : quelques
défauts qu'on puiffe démontrer dans un bel ou
vrage , ce qu'il a de beau lui attirera l'admiration
, & payera avec ufure pour les défauts qui
peuvent s'y rencontrer : de là l'inutilité des critiques
, fi ce n'eft pour l'inftruction de ceux qui
étudient , de peur qu'ils n'imitent ces défauts
comme confacrés.
II. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
ni régles. Trois frontons enclavés les
uns dans les autres , des Caryatides placées
à un fecond étage , des ornemens à la
vérité d'un bon deffein & d'une belle exécution
, mais prefque tous déplacés , fuperflus
& prodigués fans choix. ( d )
Sur quel fondement attribuer enfuite à
l'injuftice de l'amour propre des Architectes
de Louis XIV , le refus de fuivre cet
ancien plan qu'il eftime fi fort , pour y
fubftituer par vanité leurs propres idées ?
Ne fe préfentoit- il pas un motif plus naturel
& plus équitable ? celui de mettre à
profit dans une occafion fi heureuſe & fi
rare les progrès de l'efprit humain , celui
des connoiffances & des talens , la fcience
des vraies proportions , l'eftime & la pré-
( d ) L'Auteur tombe ici dans le même défaut
qu'il reproche à fon adverſaire , en faiſant la cririque
d'un morceau qui eft rempli d'affez de
beautés pour mériter fon refpect ; d'ailleurs, quand
fon antagoniſte a dit ce qu'il lui reproche , ce
n'eft point à cette partie du Louvre qu'il faifoit
allufion , mais à celle qui du côté de la riviere ſe
trouve maſquée par ce que M. Perrault a bâti devant
, & on a en effet lieu d'en regretter la perte ,
cette partie étant , au fentiment de plufieurs , plus
belle que ce qui la cache : il eft vrai qu'elle ne
pouvoit s'allier avec le périftile du Louvre ; mais
e - il ridicule de defirer que Perrault eût trouvé
le moyen
de faire une belle chofe fans en facri
fier une autre déja faite ?
JUIN. · 1755. 147
férence de ce beau fimple à l'abondance &
à la profufion des ornemens , reffource ordinaire
de l'ignorance & du défaut de goût ?
Que réfulte - t - il du fentiment de notre
Ariftarque ? une façade de palais fans
croifées , dont on n'a pu deviner jusqu'à
préfent l'ufage & la deftination , & dont les
inconvéniens font fans nombre , & les beautés
déplacées ? Il fe donne bien de garde de
nous détailler aucune de ces beautés , ni
d'en louer les perfections. Il commence par
chercher des défauts à cette façade , pour
affoiblir l'impreffion d'admiration dont
elle frappe tous les regards , en s'efforçant
de rendre cette admiration injufte & pref
que ridicule ; mais il n'eſt aifé de combattre
avec fuccès une approbation univerfelle
, & foutenue pendant le cours de
près d'un fiécle.
pas
Il dir que l'on n'a pu deviner jufqu'à
préfent la deftination de cette façade ; mais
n'auroit-il pas dû s'en informer avant de la
condamner ? Je crois pouvoir l'en inftruire
après avoir répondu à un reproche qu'il
fait à M. Perrault , & que ce grand architecte
n'a point mérité.
Il l'accufe de n'avoir interrompu la
communication de ce périftile que pour
faire une mauvaiſe arcade & une petite
porte . Quelle apparence qu'une porte auffi
Gij
148 MERCURE DE FRANCE,
fimple ait été chez un auffi grand compofiteur
l'objet de cette interruption ! le bon
fens peut-il adopter une idée fifinguliere ?
Ces deux périftiles ont chacun deux portes
à leurs deux extrêmités , qui leur font
fuffifantes. Etoit - il fenfé que l'architecte .
fupprimât ou gâtât ce beau pavillon du
milieu pour donner plus d'étendue à deux
périftiles qui ont chacun plus de trentecinq
toifes : d'ailleurs quelle raiſon a- t- il
d'appeller une mauvaife arcade une porte
dont les proportions font excellentes , & à
laquelle on ne pouvoit donner qu'une forme
ceintrée fans la rendre défectueufe ?
Eft-il mieux fondé de blâmer la petite.
porte placée dans un renfoncement de
douze pieds de profondeur , & fans laquelle
il eût été impoffible de fermer le
Louvre ? Eût-on pû mettre des venteaux à
une ouverture de quarante-deux pieds de
hauteur ? Il étoit donc indifpenfable d'en
menager avec art une plus petite , que l'on
pûr ouvrir & fermer(e). Je reviens à l'ufage
f. 1
-L'Auteur.veut ici excufer un défaut inexcu→
fable , & qui eft reconnu univerfellement pour tel.
Je parle de cette porte ceintrée qui interrompt le
périftile en dedans & en dehors , ce n'eft pas là
deffus qu'il faut défendre Perrault : d'ailleurs it
eft inutile qu'une porte foit dans une autre , la
porte quarrée fufifoite, qus der
A
JUIN. 1755 . 149
& à la deſtination de cette façade , qui eft
pour notre critique un problême , & dont
je lui ai promis la folution .
Il est très- certain , & je l'ai fçu par Mrs
Defgot & Boffrand qui avoient connu M.
Perrault dans leur jeuneffe , que lorfque
Louis XIV déclara qu'il vouloit le frontifpice
de fon Louvre enrichi de tout ce
que l'architecture avoit acquis de perfection
fous fon regne , & de tout ce qu'elle
pouvoit produire de plus régulier en même-
tems , & de plus conforme aux belles
proportions & à la majeftueufe fimplicité
de l'architecture antique , il n'eut aucune
intention d'habiter jamais ce Palais , mais
feulement d'élever à fon entrée un édifice
dont la magnificence égalât & la grandeur
de fes idées , & la dignité d'une maifon que
la nation regardoit comme celle de fon
Roi , par les honneurs qu'il avoit attachés
à fes entrées. Il vouloit encore qu'elle pût
fervir aux fiécles à venir de monument &
de témoin évident & inconteſtable des
merveilles de fon regne dans tous les genres
, mais fur-tout dans celui de la perfection
des beaux Arts . Il y eut encore un autre
motif qui détermina à employer dans
cette façade tout ce que l'architecture avoit
de plus majestueux & de plus frappant . Le
deffein de M. Colbert étoit d'ouvrir une
Giij
150 MERCURE DE FRANCE .
large & belle rue vis- à-vis le Louvre , qui
auroit été continuée jufques à l'arc de
triomphe du fauxbourg S. Antoine , & qui
auroit fervi d'avenue au plus vafte palais
par fon enceinte qu'il y eût eu en Europe ,
puifqu'il étoit décidé qu'on éleveroit du
côté de la rue S. Honoré une galerie parallele
à l'ancienne qui eft fur la riviere ,
& qu'il n'y auroit aucun bâtiment entre le
Louvre & le palais des Tuileries. Quelle
décoration n'exigeoit pas l'objet d'un point
de vue d'une fi prodigieufe étendue ( ƒ) !
Louis XIV , en qui l'excellence d'un
goût naturel égaloit fon amour pour le
grand en tout , ne fut point fatisfait de
plufieurs deffeins qui lui furent préfentés ,
où les croifées n'avoient point été oubliées,
& fur-tout dans celui du Cavalier Bernin
(g ) : mais Perrault fçut faifir en ha-
(f)Toutes les raifons que l'Auteur apporte ici
autorifent Perrault à faire un monument de la
plus grande magnificence & d'une grandeur coloffale
, mais nullement à interrompre par une
arcade fon architecture , & à faire le milieu plein
& maffif comme il eft . A l'égard du défaut de croifées
, il est très-bien juftifié , parce qu'en effet les
niches préfenteront toujours un plus riche fpectacle
que des fenêtres.
(g ) Le projet du Bernin n'étoit pas à rejetter
parce qu'il y avoit des croifées , mais parce
qu'il ne valoit rien d'ailleurs.
JUIN. 1755- 151
bile homme l'avantage unique de la deftination
de cet édifice , & compofer cet admirable
frontifpice , où il n'étoit affervi
ni à la ftructure des palais ordinaires ni à
leurs façades percées à jour ; c'eft ce qui
lui fit concevoir & enfanter ce fublime
deffein , qui fut dans le même inſtant préfenté
, admiré & agréé par Louis XIV.
Voilà ce qui a échappé aux connoiffan
ces de l'auteur de la critique , & qui détruit
tous fes efforts pour dégrader ce bel
édifice . L'ignorance à la vérité de ce que
je viens de lui expofer , peut excufer &
même autorifer les erreurs qu'on trouve
dans la fuite de l'examen de cette façade
au fujet de fa deftination . Telle est l'impoffibilité
où l'on eût été d'y placer des
fpectateurs dans le milieu , à l'occafion des
fêtes qui auroient été données dans l'efpace
en face de ce Château ( b ) . Il n'eft cependant
pas vraisemblable qu'il n'ait jamais
oui parler du fuperbe carroufel donné
par Louis XIV dans la cour du palais
(b ) Il ne s'enfuit pas de ce que les fêtes publiques
pouvoient fe donner dans la cour des Tuileries
, qu'il fût néceffaire de remplir le milieu
du périftile , de telle maniere que perfonne ne pût
s'y placer pour voir le beau coup d'oeil de cette
grande rue , projettée jufqu'à l'arc de triomphe da
fauxbourg S, Antoine.
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
·
des Tuileries qui en a gardé le nom , &
que cette cour étant beaucoup plus fpacieufe
que celle du Louvre , elle eût par
conféquent toujours été choifie pour des
fêtes . Notre Cenfeur auroit encore pû deviner
la deſtination de ce palais par une
réflexion bien fimple : c'eft que le palais
le plus fuperbe ne fçauroit être digne d'un
Roi , s'il n'a fous fes yeux & à fa bienſéance
les agrémens & la promenade d'un magnifique
jardin. Ces réflexions euffent peutêtre
moderé la vivacité de fa critique , &
l'euffent obligé de donner à Perrault les éloges
qu'il mérite , quoique l'on apperçoive
dans fes remarques une confpiration déclarée
contre notre admiration. Ce Cenfeur
peu équitable n'ayant pû fe faire illufion fur
la foibleffe des coups qu'il a portés à cette
façade admirable , qui fe bornent à fon
inutilité apparente & à l'interruption des
deux périftiles , a cherché des défauts
dans l'architecture de la façade de ce palais
du côté de la riviere , mais avec auffi
peu de fuccès. Il prétend que c'eft dans
cette partie du Louvre que Perrault avoit
eu intention de placer l'appartement du
Roi dans cette fuppofition il s'éleve vivement
contre la fimplicité indécente de
fa décoration extérieure ; il la blâme d'être
fans avant corps qui interrompent par -
UIN. 1755.
153
des repos & des maffes l'ennuyeufe monotonie
qui y regne. Cette premiere critique
tombe d'elle- même , puifque l'on
voit dans cette façade trois avant-corps ,
l'un dans le milieu qui devoit être couronné
d'un grand fronton orné de fculptures
, tel qu'il eft gravé dans les plans du
Louvre , d'après le deffein original de
Perrault , & qui font entre les mains de
tout le monde ; les deux autres font placés
aux pavillons des deux extrêmités. ( ż)
En fecond lieu , ce bâtiment dont la fimplicité
l'offenfe fi fort & le rend froid à
Les yeux , ne l'auroit point été fi les pilaftres
qui en décorent la face étoient cannelés
comme ils le doivent être , les chapitaux
corinthiens fculptés & les trois
corps décorés de médaillons couronnés de
mafques & de guirlandes , & de tous les
ornemens dont ils devoient être enrichis.
Lorfqu'il defire dans ce palais un progrès
A
(i ) L'Auteur défend mieux la façade du côté
de la riviere , qui feroit en effet plus riche fi les
pilaftres étoient cannelés & les ornemens finis ;
mais on ne peut nier que cette fuite de pilaftres
n'ait quelque chofe de nonotone , & que fi les
avant- corps étoient ornés de colonnes il en réfulteroit
plus d'agrément & de variété , fans qu'el-
Tes ôtaffent le jour, comme il le croit , puifqu'il y
en a à la façade de Verfailles qui n'obfcurciffent
point la grande galerie .
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
de magnificence fupérieure , ou au moins
égale à celle de la façade de l'entrée , il
auroit voulu fans doute le même périftile ,
mais percé par des croifées , ce qui eût
été impoffible. Ces croifées placées dans
un renfoncement de dix-fept pieds , auroient-
elles éclairé fuffifamment les
appartemens
, & n'y auroient- elles pas plutôt
jetté le fombre & la trifteffe d'un faux jour
plus infupportable que l'entiere obfcurité ?
Un autre inconvénient que l'on n'auroit
jamais pû fauver dans la continuation du
périftile , c'étoit de ne pouvoir rendre les
appartemens de cette partie doubles , &
par conféquent habitables par Sa Majefté
dans des jours de fêtes .
Je paffe fous filence ce qu'il dit de l'intérieur
de la cour : il convient avec raifon
de l'embarras prefque invincible où
furent alors les Architectes , ou de continuer
l'attique , ou en le fupprimant , de
raccorder la nouvelle architecture avec
l'ancienne. Les plus habiles de nos jours
ont tenté d'imaginer pour cet accord un
meilleur deffein que celui qu'on a exécuté
en partie , & ils ont tous avoué que leurs
efforts ont été fans fuccès.
L'Auteur finit fa critique par une affertion
dont on pourra lui difputer la vérité ;
c'eft que tout changement dans un ouvra
JUIN. 1755. 155
ge
confacré à la vénération publique , paroîtra
toujours un crime. Je puis lui répondre
que s'il eût propofé quelque chofe
de nouveau & d'un meilleur accord que
ce que l'on a exécuté dans les façades intérieures
, le public fenfé & éclairé en eût
été très - reconnoiffant , & auroit penſé
comme luis qu'une critique fondée concourt
à l'avantage des arts qu'elle éclaire , & que
les murmures ne doivent jamais empêcher
de publier ce que le goût , d'accord avec la
raison , ont approuvé. ( k )
(k ) Le réſultat de ces deux écrits eft que l'Auteur
de la lettre eft fondé dans le reproche qu'il
fait au Cenfeur du Louvre d'avoir parlé avec trop
peu de ménagement d'un édifice qui fait & qui
fera toujours , malgré fes défauts , l'admiration
de tous les gens de goût ; cependant on ne peut
pas dire que la cenfure de ce Critique manque
de jufteffe , mais qu'elle eft déplacée , dans un
tems où tous les vrais citoyens voyent avec un
plaifir qui tient du transport les préparatifs qu'on
fait pour achever ce ſuperbe monument, Elle paroit
d'autant plus repréhenfible que la multitude
non inftruite peut en conclure , que ce n'eft pas
la peine de finir un ouvrage dont on releve les
défauts avec tant d'amertume , & que d'ailleurs
il y a quelque ingratitude à reconnoître fi mal
le zéle de ceux qui s'occupent du foin de le faire
porter à fon entiere perfection.
& vj
156 MERCURE DE FRANCE.
HORLOGERIE.
Avertiſſement du fieur le Mazurier .
Ldiftinctif des bonnes machines ; c'eſt
un principe dont conviennent tous ceux
qui ont quelques connoiffances des méchaniques.
On fçait que bien des chofes
égales en foi , ont fouvent le même effet ;
mais que cet effet eft d'autant plus fûrement
produit , qu'il faut moins d'agens
pour le produire ; c'eft pour cette raifon
que le public s'eft intéreffé au travail de
M. le Roi fils , & qu'on a applaudi aux
moyens qu'il a propofés pour fupprimer
dans nos pendules ce grand nombre de
rouesqui ne peuvent qu'altérer leur jufteffe
en y multipliant l'ouvrage & la dépenfe.
En rendant à M. le Roi la juftice qui lui
eft dûe en qualité de premier inventeur
de ces fortes de conftructions le fieur
le Mazurier a cru qu'on ne lui fçauroit
pas mauvais gré d'entrer dans la même
carriere , & que ce feroit une entreprife
utile que de chercher quelqu'autre moyen
encore plus fimple de parvenir au but que
M. le Roi fe propofoit : c'est ce qui la
A fimplicité fut toujours le caractere
>
JUIN. 1755- I 57
porté à exécuter la conftruction de pendule
qu'il publie aujourd'hui ; non content de
la grande fimplicité où il l'a amenée , il lui
a donné une forme extrêmement gracieufe
, ce qui lui a donné lieu d'y ajufter un
cadran de glace , au travers duquel on voit
l'opération de tous ces effets : cette pendule
marque l'heure , la minute , la feconde ;
elle fonne l'heure & le quart à la feconde
précisément , ce qu'on n'avoit pû exécuter
jufqu'à ce jour , & elle n'a qu'une roue
pour fon mouvement & une pour fa fonnerie
; elle donne en outre l'équation du
foleil par un moyen fimple , ce que l'on
verra plus en détail dans le rapport fuivant
, & ce dont on pourra s'inftruire par
fes yeux fi l'on veut fe donner la peine de
la venir voir , rue de la Harpe , où il demeure
, tous les jours de travail , depuis
trois heures d'après- midi jufqu'à cinq , où
il fe fera un devoir de recevoir les avis des
gens de l'art , & des amateurs qui voudront
l'en honorer.
158 MERCURE DE FRANCE.
EXTRAIT DES REGISTRES
De l'Académie royale des Sciences , du 22
Mars 1755.
Nous avons examiné par ordre de l'Académie
, une pendule du fieur le Mazurier
, Horloger , à fecondes , à fonnerie &
à remontoir , dont le mouvement n'a qu'une
feule roue , ainfi que la fonnerie
. Ces
deux parties
de la pendule
étant diftinctes
l'une de l'autre
, nous les décrirons
féparément
, afin d'en donner
une idée plus
nette , & de le faire d'une
maniere
plus
préciſe
; mais avant que d'en venir là , il eft
à propos de reprendre
les chofes
de plus
haut , & de faire quelques
réflexions
relativement
à la conftruction
des pendules
de
cette
espéce .
On fçait que les premiers régulateurs
des horloges , comme le balancier , n'agiffant
pour en régler le mouvement que
par leur inertie , n'avoient en eux , avant
l'application du reffort fpiral , aucun principe
de mouvement alternatif : pour que
le balancier fît des vibrations , il falloit
donc que la conftruction de l'échappement
fût telle que par fon moyen la roue de
rencontre ayant fait faire une excurfion à
ce régulateur , elle continuât d'agir fur lui
JUIN. 1755. 159
pour pouvoir le ramener & lui en faire
faire une autre en fens contraire : car fi
dans l'inftant où elle auroit fait faire la
premiere excurfion , elle avoit ceffé d'agir
de cette maniere fur le balancier , il n'auroit
point fait de vibration , puiſque par
fon inertie il ſe ſeroit mû , ou auroit tendu
à fe mouvoir dans la premiere direction
qui lui auroit été imprimée. Le premier
échappement qu'on employa dans les horloges
devoit donc par fa conftruction produire
l'effet dont nous venons de parler ;
auffi l'échappement à roue de rencontre &
à palettes , le plus ancien de tous , eft- il
très- bien conftruit pour cela. Mais l'application
du pendule aux horloges & du reffort
fpiral au balancier , fit bientôt connoître
que la difpofition de cet échappement ,
relativement à la production de cet effet ,
n'étoit pas abfolument néceffaire . En effet ,
le pendule & le balancier , aidés du reffort
fpiral , pouvant , lorfqu'ils font une fois
mis en mouvement , faire des vibrations
indépendamment de l'action de la force
motrice , la difpofition de l'échappement
par laquelle la roue de rencontre agiffoit
continuellement fur le régulateur pour le
faire vibrer , devenoit inutile , & pouvoit
même ne pas procurer à l'horloge toute la
juſteſſe dont elle étoit fufceptible ; car les
160 MERCURE DE FRANCE.
petites vibrations de ces deux régulateurs
étant ifochrones * , il fembloit que pour
en rendre le mouvement plus jufte , il
falloit laiffer autant qu'il étoit poffible
leurs vibrations libres ce fut vraisemblablement
cette confidération qui donna
lieu à l'invention des échappemens à repos.
On fçait que dans ces échappemens ,
lorfque la dent de la roue de rencontre a
écarté le régulateur , elle échappe , & elle ,
ou une autre de la même roue , va fe
repofer
fur une partie faifant corps avec l'axe
de ce même régulateur , conftruite de façon
que pendant que le régulateur acheve fon
excurfion , le mouvement de cette roue fe
trouve fufpendu ; qu'enfuite lorfqu'il revient
en arriere , il détend , fi cela fe peut
dire , le rouage , en laiffant paffer une dent
de la roue de rencontre qui agit de nouveau
fur lui , & ainfi de fuite. De là on
pourroit appeller encore ces échappemens ,
échappemens à détente ; mais cette dénomination
nous paroît mieux convenir à
ceux dont nous allons parler.
La fufpenfion du mouvement de la
roue de rencontre pourroit encore être
• Terme de phyfique & de mathématique , qui
fignifie qui fe fait en tems égaux : les vibrations
d'un pendule font toutes ifochrones , c'est-à - dire
qu'elles fe font toutes dans le même efpace de tems
JUIN. 1755. 161
produite d'une maniere différente de
celle que nous venons de décrire ; elle
pourroit fe faire au moyen d'une piéce
étrangere au régulateur ( comme un lévier ,
une bafcule ) , & immobile pendant toute
la vibration , dont une partie fe feroit engagée
entre les dents de cette roue & fe
feroit dégagée par le mouvement de ce
même régulateur ; & c'eft ainfi que cela
s'exécutoit dans un échappement que feu
M. du Tartre , habile Horloger , imagina
vers l'an 1730. Nous l'avons vu de même
dans un autre échappement , très différent
d'ailleurs , que l'aîné des fils de M. Julien
le Roi préfenta à cette Académie en 1748 .
Enfin la fufpenfion du mouvement de la
roue de rencontre fur le régulateur , eft
encore exécutée d'une maniere toute nouvelle
dans la pendule dont nous rendons
compte : ce font ces échappemens que nous
appellerons à l'avenir , échappemens à détente
, parce que ce nom nous paroît les
bien caractérifer , & leur convenir , comme
nous l'avons dit , beaucoup mieux qu'aux
précédens : en effet , le jeu de la piéce dont
une partie , en s'engageant dans les dents
de la roue de rencontre , ou s'en dégageant
, arrête cette roue , ou lui permet
de fe mouvoir , reffemble tout - à-fait à celui
d'une détente.
162 MERCURE DE FRANCE.
C'étoit avoir déja fait un certain chemin
que d'avoir inventé l'échappement à
repos , & il fembloit qu'avec un régulateur
tel que le pendule , il n'y avoit pas bien
loin de ce pas à un autre , par lequel on
auroit fimplifié les horloges où on l'emploie
; car ce régulateur pouvant faire les
vibrations par lui-même , & confervant
fon mouvement auffi long-tems qu'il le
conferve , il paroiffoit qu'on pouvoit conftruire
ces horloges de maniere que ce régulateur
fît non feulement une vibration
libre , mais encore dix , vingt , trente &
foixante , fans recevoir de nouveau mouvement
de la force motrice , c'est- à- dire
que la reſtitution au lieu de fe faire , par
exemple toutes les fecondes dans les
pendules à fecondes , ne fe fit que toutes
dix , vingt , trente ou foixante fecondes
; par là on pouvoit retrancher plufieurs
roues , & ainfi diminuer beaucoup les frottemens
, & en général fimplifier toute la
machine. Mais foit qu'un pareil changement
dans la conftruction de ces horloges
fût plus difficile à faire qu'il ne le paroît ,
foit par quelqu'autre caufe , ce ne fut que
long-tems après la découverte des échappemens
à repos qu'on fit des pendules fur
ce principe on les doit au fils de M. le
Roi dont nous avons déja parlé , qui les
JUIN. 2755% 163
inventa en 1751. Cependant un de nous
( M. le Camus ) ainfi que quelques Horlogers
de Paris , entr'autres M. Julien le Roi ,
ont vû chez feu M. l'Abbé d'Andeleau ,
vers l'an 1727 , non une pendule , mais
un échappement dans lequel la reftitution
ne fe faifoit qu'après plufieurs vibrations
du régulateur. Voici comment il étoit
conftruit.
Deux rochets d'inégale grandeur étoient
portés par un même arbre à quelque diftance
l'un de l'autre ; le plus grand étoit
divifé en trente dents , & l'autre en un
nombre plus petit aliquote du premier ,
comme quinze , dix , fix ou cinq : les dents
du premier fe repofoient alternativement
fur la circonférence convexe & concave
d'une efpéce de cylindre creux que portoit
l'axe du pendule ; lorfque plufieurs de ces
dents étoient paffées , une de celles du petit
rochet rencontroit une palette que portoit
le même axe du pendule , & lui reſtituoit
le mouvement qu'il avoit perdu dans
les vibrations précédentes. Mais on voit
par cette conftruction que cet échappement
étoit au plus auffi bon que les échappemens
ordinaires , où la reftitution fe fait
à toutes les vibrations , & que ce fçavant
Abbé n'avoit pas fenti les avantages que
l'on pouvoit obtenir , comme nous l'avons
164 MERCURE DE FRANCE .
dit , en ne faifant reftituer le mouvement
au pendule qu'après un certain nombre de
vibrations en effet , fon grand rochet
ayant trente dents , comme ceux des pendules
à fecondes ordinaires , & devant faire
comme eux une révolution par minute ,
il devoit néceffairement avoir la même
vîteffe , qui étoit auffi celle du petit rochet.
Il s'enfuit donc que les pendules où M.
l'Abbé d'Andeleau auroit employé cet
échappement , n'auroient pû en aucune
maniere avoir un rouage plus fimple que
celui des autres. }
Dans la pendule de M. le Mazurier , les
deux platines font réduites à deux piéces
de trois branches chacune en forme d'y ,
renverfées , très - évafées , & faites d'un
cuivre fort épais ; fur l'y ou platine de
devant on voit en dehors , ou du côté de la
cadrature , la roue qui porte l'aiguille des
fecondes ; elle a trente dents , & porte une
palette vers l'extrêmité de la tige , qui paffe
travers la platine dont nous venons de
parler , fon pivot étant porté par un pont :
cette roue ne reçoit point de mouvement
de la force motrice , mais uniquement du
pendule , de la maniere ſuivante.
Sur l'axe du pendule qui déborde un
peu la platine de devant , eft attachée perpendiculairement
& par le milieu
une
JUIN. 1755. 165
traverſe formant avec cet axe une figure
de T ; cette traverſe porte à chacune de fes
extrêmités une efpéce de béquille ; les
bouts des tiges de ces béquilles qui font
fort longues , vont s'engager du même côté
dans différens intervalles des dents de la
roue qui porte l'aiguille des fecondes ; par
cette difpofition on voit que ces béquilles
forment un lévier de La Garoufte , de forte
que deux vibrations du pendule font paffer
une dent de cette roue ; ainfi au bout
de foixante vibrations , elle a fait fon tour.
Voyons maintenant de quelle façon
Faction de la roue fur le pendule eft fufpendue
pour lui laiffer faire fes vibrations
en liberté , comment elle eft dégagée , &
comment elle agit fur le pendule pour lui
reftituer le mouvement qu'il pouvoit avoir
perdu pendant une minute .
Une piéce en forme d'équerre mobile
fur une cheville qui traverfe fa branche
horizontale , & porte fur fa branche verticale
& fupérieure un doigt , fur l'extrê
mité duquel viennent s'appuyer les chevilles
de la roue ; ce doigt eft mobile ſur
une cheville & taillé en bifeau par- deffous ,
afin qu'il ne puiffe heurter contre aucunes
chevilles , & qu'il ne manque jamais de
paffer entre deux chevilles : au haut de la
même branche verticale , eft placée une
166 MERCURE DE FRANCE.
cheville , par laquelle cette équerre peut
être prife pour être renversée par la piéce
qui fert à dégager la roue : une longue
piéce fufpendue par fon extrêmité fupérieure
par une cheville , autour de laquelle
elle peut fe mouvoir très- librement , porte
vers fon extrêmité inférieure la cheville
ou appui d'un lévier de la premiere efpéce.
L'extrêmité du petit bras de ce lévier eft
articulée avec une petite verge verticale ,
qui porte un petit talon , fur lequel la
palette de la tige de la roue qui porte l'aiguille
des fecondes vient s'appuyer à la fin
de chaque minute : au moyen de cette action
de la palette , le petit bras de ce lévier
s'abaiffe & le plus grand s'éleve , & par là
un talon qui eft à fon extrêmité , eft rencontré
par une pièce ou doigt qui tient à
la verge du pendule. Le pendule continuant
fa vibration , entraîne dans fon
mouvement le lévier & la longue piéce
pendante qui le porte.
Pendant que cette vibration ſe fait , un
fe
crochet dont le centre du mouvement eft
placé tout au bas de la piéce pendante qui
porte le lévier , accroche la cheville qui
eft tout au haut de la branche verticale de
l'équerre dont nous avons parlé , & retirant
cette branche de fa fituation verticale ,
dégage en même tems le doigt fur lequel
JUIN. 1755: 167
une cheville de la roue étoit appuyée ; alors
cette roue étant libre , une de fes chevilles
rencontre une palette d'agarhe fixée ſur la
verge du pendule , & lui reftitue pendant
une grande partie de cette vibration le
mouvement qu'il avoit perdu pendant une
minute . Comme le centre du mouvement
de l'équerre eft vers le milieu de fa branche
horizontale , la branche verticale s'abaiffe
en même tems qu'elle s'écarte de fa fituation
verticale , & la cheville placée à l'extrêmité
de cette branche , fe dégage du crochet
qui la renverfoit avant que la vibration
foit totalement firie ; enforte que
pendant que cette même vibration s'acheve
, l'équerre a la liberté de reprendre fa
premiere pofition , & le doigt qu'elle porte,
fa fituation , pour arrêter & foutenir la
cheville fuivante .
On connoît trop la conftruction ordinaire
des fonneries , pour qu'il foit néceffaire
de s'étendre fur ce fuiet. Nous ferons
remarquer feulement qu'elles font compofées
de plufieurs roues ( communément au
nombre de quatre ) & d'un volant , qui fervent
à moderer la vîteffe du rouage , pour
qu'il y ait un intervalle fuffifant entre chaque
coup de marteau : fi donc par quelque
moyen fimple on pouvoit empêcher que le
poids ou le reffort ne fe muffent avec
168 MERCURE DE FRANCE .
trop de rapidité , on trouveroit par là celui
de fe paffer de ces roues & de ce volant ;
c'eft ce que le fils de M. le Roi , déja cité , a
exécuté le premier , par le moyen du régulateur
du mouvement , dans une pendule
qu'il préfenta à l'Académie le 19 Avril
1752. Dans la defcription que l'on en
trouve dans le Mercure d'Août de la
même année , page 161 , on voit qu'il n'y
a dans cette fonnerie qu'une roue unique ,
fervant tout à la fois de roue , de cheville
& de chaperon , dont l'action eft ralentie &
reglée par le régulateur même , &c.
Dans la fonnerie du fieur le Mazurier ,
il n'y a auffi qu'une feule roue , portant le
poids & faifant la fonction de la roue de
chevilles & de chaperon , faifant fonner
les heures & tous les quarts . Le mouvement
de cette roue y eft auffi moderé
par celui
du régulateur ; mais cet effet s'y exécute ,
ainfi que les autres appartenant à la fonnerie
, d'une maniere bien fimple & bien
fûre , toute différente de ce qu'a fait M. le
Roi fils .
Pour s'en former une idée , fuppofons
qu'on regarde la pendule du côté du cadran
, on voit à droite la roue de fonnerie
,
, portant fur l'une de fes faces les chevilles
qui font fonner les quarts , & fur
l'autre celles qui font fonner les heures :
dans
JUIN. 1755.
169
dans les entailles qui font à la circonféren
ce , s'engage une détente lorfqu'elle doit
ceffer de tourner à la gauche de cette roue
& un peu au- deffus de fon diametre horizontal,
font placés fur un même axe parallele
à celui de la roue , les marteaux au
nombre de quatre ; chaque marteau à tout
près de l'axe un bec , que les chevilles de la
roue accrochent pour les lever ; & fur le
côté oppofé à ce bec , une queue de laiton.
recourbée , fort déliée & flexible. Enfin la
verge du pendule porte une efpéce de plan ,
fur lequel s'appuient ( la verge étant aux
environs de l'aplomb ) les bouts recourbés
des queues de ces marteaux , lorfqu'ils font
aux trois quarts lleevvééss ,, oouu àà peu près , &
prêts à échapper des chevilles du chaperon
pour frapper fur les timbres. Voici comment
s'exécute cette fonnerie . Sur la roue
des minutes , ou celle qui fait fon tour en
une heure , font placées quatre chevilles à
go dégrés l'une de l'autre une longué
piéce de cuivre qui part de la détente , &
qu'on en peut nommer la queue , s'étend
diagonalement en enbas de droite à gauche
, fe préfente par fon extrêmité à celle
de ces quatre chevilles qui fe trouve
perpendiculairement ou à peu près au-deffus
du centre de la roue ; cette cheville
pouffant légerement la détente , la fait
II.Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE .
lever , & par ce moyen dégage le chaperon.
La roue des minutes n'ayant de mouvement
qu'à la foixantieme feconde de chaque
minute , fait affez de chemin à la fin
de chaque minute pour que les chevilles
qui répondent à l'heure , au , à la ½ , &
aux , puiffent dégager la détente , & fe
dégager elles -mêmes de la queue de cette
piéce dans l'intervalle d'une feconde : ce
dégagement eft encore facilité par un petit
crochet articulé avec la queue de la détente
; le chaperon tournant , fes chevilles levent
fucceffivement les marteaux ; mais
leurs queues appuyant fur le plan porté par
la verge du pendule dont nous avons déja
parlé , le marteau ne peut achever de s'élever
que lorfque le pendule approche de
la fin de chaque vibration ; les queues recourbées
des marteaux échappant les unes
à droite , les autres à gauche du petit plan
que porte la verge du pendule , on ne doit
craindre que cette action des queues
des marteaux fur le petit plan altere le
mouvement du pendule , parce que les
queues de ces marteaux étant fort longues
& leurs levées fort courtes , la force avec
laquelle elles preffent fur le plan eft trèslégere
de plus , il eft limé en talut vers
fes bords , afin que lorfque les queues
échappent de deffus le plan , elles reftituent
pas
JUIN. 1755. 175
au pendule le peu de mouvement qu'il auroit
pû perdre par leur preffion.
Quant au remontoir de cette pendule
qui entre en action toutes les douze heures,
il est fort fimple : la corde fans fin qui
porte le poids & le contre-poids de la fonnerie
, paffe d'une part fur une poulie.
adaptée fur l'arbre de la roue de la fonnerie
, & de l'autre fur une poulie qui tient
au remontoir : à l'extrêmité de l'arbre de
cette roue , de l'autre côté de la platine de
derriere , il y a une levée ; cette levée
vient s'appuyer contre une efpéce de détente
, qui s'engageant dans une entaille
faite au remontoir , l'empêche de tourner ;
lorfque cette levée fait fon effet , elle dégage
la détente de l'entaille du remontoir ,
au moyen de quoi fon poids le faifant
tourner , celui de la fonnerie eft remonté
d'une hauteur égale à la demi- circonférence
de la poulie de ce remontoir , pendant
qu'il tourne une cheville qu'il porte , fait
baiffer une détente ou bafcule , & par là
dégage le remontoir du mouvement que
cette bafcule arrêtoit auparavant , lequel
étant libre , tourne & remonte le poids du
mouvement.
Enfin l'auteur a fçu tirer parti de ce
dernier remontoir pour faire mouvoir un
cercle annuel , fur lequel font marqués les
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
jours de chaque mois , & la quantité déquation
appartenante à chaque jour.
Après cette defcription , il eft à propos
de réfumer ce que nous avons dit fur cette
pendule. On voit que quant à l'idée générale
de faire une pendule à une feule
roue pour le mouvement , & à une feule
pour la fonnerie , elle n'eft pas nouvelle ,
puifque le fils de M. le Roi l'avoit exécutée
long - tems auparavant. Mais comme ¹en
méchanique les mêmes effets peuvent s'exé
cuter de différentes manieres , le fieur le
Mazurier a rendu fa pendule très- différente
de celle de M. le Roi ; les fecondes y font
marquées par une aiguille qui fait une
révolution entiere ( avantage qui n'eft pas
dans les premieres pendules à une roue ) ;
l'action de la roue fur le pendule eft ici
fufpendue pendant une minute entiere ,
& à la fin de chaque minute elle n'agit
que pendant une demi -feconde ou environ
, pour reftituer au pendule ce qu'il a
pû perdre de mouvement pendant la minute
; au lieu que dans celles que nous
venons de citer , l'action de la roue , out
celle d'un corps élevé par la roue , de demiminute
en demi-minute , agiffent continuellement.
Nous concluons de tout ceci que cette
pendule , qui eft d'ailleurs bien exécutée ,
JUI N. 1755. 173
eft nouvelle , quant à la maniere dont elle
eft conftruite pour produire les effets
qu'exigent des pendules del cette efpéce ,
& que ces effets s'y exécutent d'une façon
fure & capable de la faire aller avec beaecoup
de juſtelle : nous croyons donc qu'elle
mérite l'approbation de l'Académie , &
d'être inférée dans le recueil des machines.
Le fieur le Paute ayant écrit à M. de
Fouchy , le 18 Décembre 1754 , une lettre
où il dit , qu'il lui paroît que le fieur le Ma-
Kurier a employé les mêmes principes que
lui , foit pour les deux léviers , foit pour la
fonnerie fans rouage , il eft à propos de
difcuter ici fes prétentions .
Le fieur le Mazurier convient d'avoir
yû chez le fieur le Paute , par la face feulement
, une pendule où il y avoit deux
béquilles , faifant comme dans la fienne la
fonction de lávier de La Garoufte ,
fans avoir rien vû de l'intérieur de cette
pendule ; mais par les deux certificats
fuivans , fignés de perfonnes dignes de foi ,
il paroît quele feur de Mazurier avoit employé
dès le mois de Mai 1751 le même
moyen pour faire mouvoir une roue dans
une autre pendule de fon invention .
Voici comment ces certificats s'expri
ment of spillud ma nuolat
nem & .
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE .
» Vers le commencement de l'été de
»l'année 1751 , j'ai vû chez le fieur le
» Mazurier , Horloger , deux bras de lé-
>> vier attachés au deffus du coûteau d'un
pendule , & pendant à droite contre les
» dents d'une roue verticale en forme de
rochet : le bras droit pouffoit une dent
» dans une vibration du pendule , & le
bras gauche en pouffoit une autre dans
» la vibration fuivante : ce que je certifie
» véritable. A Paris , ce 15 Février 1755 .
Signé , Joly , Avocat , Confeiller au
" Confeil de M. le Duc d'Orléans , Lieu-
» nant général de la Capitainerie de Vincennes.
Je , fouffigné , Prieur du Collège de
Grammont , à Paris , attefte à tous qu'il
appartiendra avoir vû chez le fieur le
» Mazurier , Horloger , rue de la Harpe ,
»vers les fêtes de la Pentecôte de l'année
» 1751 , les mêmes léviers avec leurs
»mouvemens énoncés ci -deffus pour la
pendule de nouvelle invention , que j'ai
vû même commencer chez ledit fieur le
Mazurier dans les années antérieures. En
» foi de quoi j'ai figné le préfent certificat .
» A Paris , le 16 de Février 1755. Signé ,
» F. Vitecoq , Prieur du Collège de Grama
mont.
JUIN. 1755. 173
⚫On voit donc qu'à cet égard le fieur le
Mazurier n'a rien emprunté du fieur le
Paute.
Quant à l'idée de la fonnerie exécutée
en général par le moyen d'une feule roue ,
il eft clair par ce que nous avons rapporté ,
que le fieur le Paute n'eft nullement fondé
à la revendiquer ; car le fils de M. le Roi
avoit préfenté à l'Académie une pendule à
fonnerie conftruite fur ce principe au mois
d'Avril 1752 , c'eſt- à-dire plus de fix mois
avant qu'il eût parlé de la fienne dans le
Mercure d'Octobre de la même année , &
il en avoit donné la defcription générale
dans le Mercure d'Août , ou deux mois
avant l'annonce de celle du fieur le Paute.
Enfin en comparant la fonnerie du
fieur le Mazurier avec les deux deffeins
de fonnerie , dépofés à l'Académie le 22
Janvier 1754 , par le fieur le Paute , &
dont il a defiré que nous euffions communication
, on voit clairement que ces
deux Horlogers ne fe font pas rencontrés ,
le Geur le Paute ayant employé deux chaperons
, l'un pour faire fonner les heures ,
l'autre pour faire fonner les quarts , & le
fieur le Mazurier n'en ayant employé
qu'un pour produire les mêmes effets :
d'ailleurs on ne voit rien dans ces def
feins qui defigne de quelle maniere de
Hiiij
176 MERCURE DE FRANCE.
fieur le Paute fe propofoit d'exécuter les
autres effets appartenant à la fonnerie.
Ainfi il paroît que le fieur le Mazurier
n'a rien emprunté du fieur le Paute.
Signé , Camus , de Montigny , de Parcieux .
Autre Extrait des mêmes Regiftres de l'Acas
démie royale des Sciences , du 12 Avril
Juivant.
Depuis la lecture de ce rapport à l'Académie
, le fieur le Mazurier a fait un
changement affez confidérable à l'échappement
de fa pendule pour le fimplifier.
Dans fa nouvelle conftruction , la branche
verticale de l'équerre qui porte le doigt
fur lequel s'appuient fucceffivement les
chevilles de la roue motrice , porte à fon
extrêmité fupérieure un lévier de la premiere
efpéce à bras fort inégaux : le petit
bras de ce lévier eft rencontré & abaiffé
par la palette de la tige de la roue des
fecondes pendant la derniere vibration de
chaque minute ; l'autre bras étant alors
élevé , le mantonnet qu'il porte à fon
extrêmité , eft rencontré par le doigt qui
tient à la verge du pendule : le pendule
continuant fa vibration , entraîne ce lévier
& la branche verticale de l'équerre qui le
porte ; alors le doigt ou verrou qui fufSHAJUINUM
677
pendoit l'action de la roue motrice , eft
retiré en partie dê deffous la cheville qu'il
-foutenoit & cette cheville arrivant vets
l'extrêmité du verrou taillé en biſeau ,
nacheve de chaffer ce verrous comme
-elle lui donne un mouvement plus prompt
que celui du pendule qui le retiroit , te
mantonnet du lévier fe dégage du doigt
du pendule , & la branche horizontale de
l'équerre agiffant par fa pefanteur , ramene
toutes ces piéces à leur premier état avant
que la vibration foit achevée. Cette nouvelle
conftruction d'échappement , plus
fimple que la premiere , nous paroît avan
tageufe , & nous croyons qu'elle mérite
l'approbation de l'Académie . Signé , le
Camus , de Montigny de Parcieux.
Au bas eft écrit : » Je certifie les pré-
» fens Extraits conformes à leurs originaux
» & au jugement de la Compagnie. A
Paris , ce 14 Avril 1755. Signé , Grand-
Jean de Fouchy , Secrétaire perpétuel de
» l'Académie royale des Sciences.
Hy
378 MERCURE DE FRANCE.
abrem eres el ob poll
Les perfonnes qui defireront fe procurer
la Médaille de feu M. Charles de Secondat
, Baron de Montefquieu , gravée par
le célebre M. Daffier , pourront s'adreffer
à M. Balleaferd , Négociant , Place Dauphine.
Vil
P
об
VA
JUIN. 1755. 179
ARTICLE V.
SPECTACLES
.
COMEDIE FRANÇOISE.
E 24 Mai le Sr Clavareau de Roche-
L'belle reprit fon début par l'Enfant prodigue
, dont il joua le rolle avec un plein
fuccès ; il n'eft pas poffible de mieux rendre
la fcene de la reconnoiffance : il y mit
toute la vérité , tout le pathétique & tonte
la précifion qu'elle demande ; il paroît
propre aux rolles de fentiment dans le
comique noble ; à un extérieur décent
il joint beaucoup de fineffe , il faifit les
nuances , il fent auffi -bien qu'il détaille ;
toujours attentif à la fcene , il poffede le
jeu muet , & ne fait jamais de contre-fens ,
qualité d'autant plus rare dans un acteur
qui débute , qu'elle manque fouvent au
Comédien qui a le plus d'ufage & qui eſt
le mieux établi.
Le 26 , le même acteur joua Seide dans
Mahomet , tragédie de M. de Voltaire ; il
y a été justement applaudi, Par la maniere
dont il a rendu la grande fituation du
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
quatrieme acte , il a montré qu'on n'a jamais
l'organe foible quand on a l'art de le
conduire , & que la vraie force eft plus
dans l'ame que dans les poumons.
Le 28 , les Comédiens françois donnerent
l'Homme à bonnes fortunes. L'acteur
nouveau y repréfenta Moncade , mais il
a l'air trop fenfé pour bien jouer la fatuité;
il a mieux rendu Durval dans le Préjugé à
la mode.
Le 31 , les mêmes Comédiens donnerent
une repréfentation des Troyennes , de
M. de Chateaubrun ; elles leur avoient été
demandées par des perfonnes de diftinction
, & furent applaudies par une affemblée
auffi brillante que nombreuſe. Voici
Pextrait de fon Philoctete .
EXTRAIT DE PHILOCTETE.
Ulyffe & Pyrrhus accompagnés de Démas
, ouvrent la fcene , qui eft dans l'ifle
de Lemnos , à vue de la caverne qui fert
de retraite à Philoctete . Le premier dit au
fils d'Achille , que Philoctete refpire dans
ce defert affreux , & que les Grecs ne peuvent
triompher de Troye fans le bras de ce
guerrier , uni à la valeur de Pyrrhus. Les
Dieux l'ont déclaré par la bouche de Calchas'
; cet Oracle eft un arrêt dont on ne
peut appeller. Si Philoctete n'eft ramené
JUIN. 1755. 181
dans l'armée , elle va périr dans l'opprobre
& dans la mifere. Pyrrhus impatient veut
courir vers Philoctete , mais Ulyffe le retient
, & l'inftruit du jufte courroux de ce
Prince contre les Grecs . Il lui apprend que
dès les premiers jours du fiége d'Ilion ,
Un Troyen le bleffa d'un dard envenimé
Par d'horribles douleurs le poiſon ſe déclare :
Mais fon ardeur s'éteint dans un profond fommeil,
Et jamais la douleur ne fuccéde au réveil.
A peine ce guerrier revoit-il la lumière ,
Qu'il retrouve fa voix &. fa force premiere ;
Jufqu'à d'autres accès fans ceffe renaiſſans ,
L'art épuifa fur lui fes fecours impuiffans.
Ce mal cruel rendit Philoctete fi farouche
qu'il devint infupportable à tous les
chefs , & particulierement aux Atrides
qu'il accabloit de reproches amers. Le Roi
d'Itaque , pour les en délivrer , joua le mécontent,
engagea Philoctete à le fuivre dans
l'ifle de Lemnos où il feignit de fe retirer ,
& l'abandonna feul dans ce defert pendant
fon fommeil. Ulyffe , après ce récit
recommande à Pyrrhus de ne pas le nommer
il lui confeille , pour arracher ce héros
de fa retraite , de feindre que la tempête
l'a pouflé fur ce rivage , qu'il à quitté
182 MERCURE DE FRANCE.
le camp des Grecs , & qu'il retourne à Scyros
, révolté contre un fiége fi lent , & indigné
de l'avarice fordide des chefs qui
ont fruftré fa valeur de fes droits . Pyrrhus
réfifte d'abord à ce confeil , la feinte répugne
à fon grand coeur ; mais Ulyffe lui
en fait fentir la néceffité & s'éloigne
pour le laiffer agir .
›
Pyrrhus refte avec Démas , & s'écrie en
jettant les regards fur l'entrée de la caverne
,
Mon oeil foutient à peine
Cet horrible tableau de la miſere humaine ;
Quelques vafes groffiers que le befoin conftruit ,
Des feuilles , des lambeaux qui lui fervent de lit.
Il voit fortir du fond de cet antre fauvage
une jeune beauté ; il eft frappé de
fes charmes , il l'aborde , & apprend d'elle
que fon nom eft Sophie , & qu'elle eft la
fille de Philoctete. Så tendreffe l'a conduite
dans cette ifle déferte pour y partager
le malheur de fon pere ; elle y aborda par
un naufrage. Nous allions périr , dit- elle ,
Hercule nous fecourut .
Il retint dans nos coeurs notre ame fugitive ,
Et fon bras bienfaiſant nous pouffa fur la rive.
Nous appellons mon pere , il s'avance vers nous.
Que n'éprouvai -je point dans un moment fi doux !
Avec quelle tendreffe il efluya mes larmes ↓
JUIN.
183 1755.
Combien für mon état témoigna-t- il d'allarmes !
Quels mouvemens confus de joie & de pitié ,
De fanglots mutuels qu'exhaloit l'amitié !
Les périls de la mer , mes craintes , ma mifere ,
J'oubliai tout , Seigneur , en embraffant mon pere
;
Voilà le langage naïf de la nature. Les
vers les plus pompeux valent - ils ceux
qu'elle infpire ? Cette fimplicité charmante
qui rend fi bien le fentiment , n'eſtelle
pas la vraie éloquence ? Pyrrhus témoigne
le defir qu'il a de voir Philoctete
Sophie répond, qu'armé d'un arc qui pourvoit
à leur fubfiftance , il erre dans les
bois , & qu'elle va le chercher. Pyrrhus
devant Démas fait éclater pour Sophie une
pitié qui laiffe entrevoir le premier trait
de l'amour. Démas lui repréfente qu'il ne
doit s'occuper que du foin de rendre Philoctete
aux Grecs prêts à périr.
Philoctete paroît avec Sophie , & marque
fa furprife à Pyrrhus , qu'il n'a jamais
vu , de le voir dans des lieux fi fauvages.
11 exprime en même tems fon reffentiment
contre les chefs de la Grece , & leur ingratitude
, par ces deux vers juftement applaudis
,
Les bienfaits n'avoient pu m'attacher les Atrides
:
Je fous apprivoifer jufqu'aux monftres avides.
184 MERCURE DE FRANCE.
Pyrrhus fe nomme ; Philoctere montre
une joie très- vive de voir en lui le fils
d'Achille dont il a toujours été l'ami ; mais
apprenant la mort de ce héros par la bouche
de fon fils , il s'écrie avec douleur
2
Achille eft mort , grands Dieux , & les Atrides
vivent
! Y
7 25377
Pyrrhus s'offre à conduire Philoctete &
fa fille dans leur patrie. Ce guerrier y
confent ; mais dans le moment qu'il veut
partir , il eft arrêté par un accès de fon
mal , qui l'oblige à rentrer dans fon antre
, & qui termine le premier acte. Y
101-20
Pyrrhus ouvre le fecond acte par ce beau
monologue , qui peint avec des couleurs
fi touchantes l'état de mifere & de douleur
où il vient de voir Philoctete dans la
caverne , ayant près de lui fa fille qui arrofoit
fes mains de larmes. Quel contraſte ,
dit- il , avec l'éducation qu'on nous donne !
p , cody courqu
"P
On écarte de nous juſqu'à l'ombre des maux
On n'offre à nos regards que de fiants tableaux
Pour ne point nous déplaire , on nous cache à
nous - mêmes ; ovo zng , ol mbase C
On ne nous entretient que de grandeurs fupre
-kot mes.unim un saciera'n aistroid as S11
On ajoûte à nos noms des noms ambitieux :
Autant que l'on le peut on fait de nous des Dieur.
JUIN.
185
1755 .
Victimes des flateurs , malheureux que nous fom
mes ,
Que ne nous apprend-t-on que les Rois font des
hommes !
·Démas furvient ; il exhorte Pyrrhus à
diffimuler encore pour engager Philoctete
à partir. La générofité de Pyrrhus attendri
s'en offenfe , & marque un vrai remords
d'avoir employé la feinte . Philoctete paroît
avec Sophie , & veut fe rendre au rivage.
Pyrrhus l'arrête. Philoctete furpris , lui en
demande la raifon . Le fatal fecret échappe
de la bouche du fils d'Achille, qui rougit de
commettre une perfidie , & lui déclare
qu'il le méne aux Atrides . A cet aveu le Roi
d'Eubée devient furieux. Pyrrhus l'inftruit
de la pofition des Grecs , & du befoin
qu'ils ont de fon bras pour renverfer
Troye , & s'arracher à une mort honteuſe ;
il le preffe en même tems d'immoler fon
reffentiment au falut de l'Etat. Philoctete
refufe de fe rendre , & fait des imprécations
contre Ulyffe & les autres chefs. Pyrrhus
lui répond , qu'il ne peut fe venger plus
noblement d'eux qu'en faifant triompher
fa patrie , & qu'en voyant Agamemnon
lui-même ramper à fes pieds. Philoctete
perfifte à ne point prêter fon fecours au
Roi d'Argos ; mais il propofe à Pyrrhus
186 MERCURE DE FRANCE.
d'aller combattre avec leurs foldats , & d'a
voir feuls la gloire de vaincre les Troyens.
Pyrrhus approuve ce parti ; mais comme il
entend du bruit , il s'éloigne avec Philoctete.
Démas qui les écoutoit , veut inftruire
Ulyffe du projet que ces deux guerriers
viennent de former ; mais le Roi d'Itaque
lui dit que les Grecs cachés avec lui fous
un rocher l'ont entendu , qu'ils ont réſolu
de les en punir ; & que s'il n'eût retenu
leur fureur , ils alloient fondre fur eux &
les immoler. Démas ajoûte qu'il craint encore
plus la fille que le pere . Ulyffe lui en
demande la raifon ; l'autre lui répond
que Pyrrhus adore Sophie."
›
Ulyffe en paroit allarmé , & quitte la
fcene en difant qu'il va voir avec les
Grecs ce qu'on doit oppofer à ce fatal
amour qui peut tout détruire.
I
Ulyffe ouvre le troifieme acte avec Démas.
Il tient un papier à la main , & dit à
Démas que les Grecs veulent entraîner
au camp Philoctete mort ou vivant , que
tel eft l'arrêt qu'ils viennent de figner ; &
que fi ce Prince refifte , ils veulent exterminer
fa famille , & faire fubir à fa fille
le fort d'Iphigénie . Ulyffe craint que Pyrrhus
ne prenne leur défenſe ; mais Démas
lui répond que fa résistance fera vaine , &
JUIN 1755. 187
que les Grecs viennent d'envelopper Philoctete
de toutes parts:
Pyrrhus paroît ; Ulyffe le preffe de partir
fans Philoctete , en difant qu'il ne veut
pas lui-même qu'on emmene ce guerrier au
camp . Pyrrhus s'excufe fur la pitié. Ulyffe
lui dit que la pitié dont il eft ému , n'eft
qu'un amour déguifé. Le premier répond
que l'amour n'eft pas un crime. Non , réplique
le Roi d'Itaque ,
Quand élevant le coeur , loin de l'humilier ,
Aux régles du devoir l'amour fçait le plier ,
Et ne l'enyvre point de fon poifon funefte :
Il eft fublime alors , la fource en eft céleste ,
Et c'eſt de cet amour que les Dieux font heureux.
Mais , Seigneur , quand l'amour , le bandeau fur
les yeux ,
Enchaîne le devoir aux pieds d'une maîtreffe ,
A des coeurs généreux n'infpire que foibleffe ,
Tient fous un joug d'airain leur courage foumis ,
Leur fait facrifier gloire , patrie , amis ,
Et des droits les plus faints rompt le noeud légitime
;
Alors , Seigneur , alors cet amour eft an crime.
Pyrrhus veut fe juftifier en difant qu'Achille
aima comme lui . Ulyffe lui repart
qu'il n'aima point aux dépens de fa gloire ,
& qu'il quitta tout pour elle. Il lui fait en
188 MERCURE DE FRANCE.
même tems une peinture pathétique de
l'état affreux où l'armée des Grecs fe trouve
réduite , ajoûtant qu'il va la joindre ,
& mourir fur le tombeau d'Achille , tandis
que fon fils refte tranquille à Lemnos
par l'amour. Ce trait réveille le
courage de Pyrrhus , & l'adroit Ulyffe pour
achever de le déterminer à le fuivre , lui
rapporte ainfi les dernieres paroles d'Achille
expirant , après qu'il l'eut arraché
lui-même des mains des Troyens .
enchaîné
Cher ami , me dit-il , cache-moi tes alarmes ;
Et laiffe- moi mourir parmi le bruit des armes. T
Par tes foins je fuis libre , & je refpire encor
Tu m'épargnes l'affront dont je flétris Hector.:
Que mon fils à jamais en garde la mémoire ,
Et te rende les foins que tu prens de ma gloire.
Sers-lui de pere , amis qu'il te ferve de fils . ' ; i
Voilà fes derniers voeux ; les avez-vous remplis
:
Pyrrhus eft prêt à partir , quand la préfence
de Sophie le retient il fe trouve
alors entre la gloire & l'amour, La premiere
foutenue par l'art d'Ulyffe , femble
d'abord l'emporter ; mais l'amour mieux
déféndu par les larmes de Sophie ', triomphe
enfin de Pyrrhus , & l'entraîne de fon
côté. Ce jeune héros en tournant les yeux
vers elle , s'écrie :
JUIN.
183 1755.
Quoi vous pleurez , courons à votre pere.
Il vole fur les pas de Sophie. Ulyffe fo
retire avec Démas , en difant que Pyrrhus
va fe perdre & combler le malheur de
Philoctete & de fa fille . Ce troifiéme Acte
eft d'une grande beauté .
Z Sophie commence le quatriéme Acte avec
Palmire fa gouvernante , & lui dit que fans
Pyrrhus les Grecs auroient furpris & enlevé
fon pere. Elle avoue avec cette ingé
nuité qui accompagne l'innocence , que
ce jeune héros lui a déclaré qu'il l'adoroit
, & qu'elle y a été fenfible par reconnoiffance
pour
le fervice qu'il a rendu à
fon pere. Palmire l'avertit de redouter les
effets de fa beauté . Je n'ai pas oublié , lui
répond Sophie , vos fages leçons.
Hélas ! cette beauté , ce charme fouverain ;
Dont le fexe s'honore , & qui le rend fi vain
Si la vertu n'en fait un ornement célefte ,
Eft , des Dieux irrités , le don le plus funefte.
" Philoctete arrive , & dit à fa fille qu'il
faut fauver l'honneur d'un pere infortuné ,
& lui remet un poignard. Sophie lui demande
quel ufage elle en doit faire : il répond
qu'il a vécu comme Hercule , &
qu'il veut mourir de même , ajoutant que
Le poifon peut encore lui porter une at
190 MERCURE DE FRANCE.
teinte , que les Grecs pourroient faifir, ce
moment pour le charger de fers , & qu'elle
doit le fouftraire à leur fureur , en faisant
ce qu'Hercule exigea de fon fils. Elle frémit
de commettre un parricide . Philoctete
defeſpéré de ce refus , s'écrie
s'écrie que dans
cette extrêmité il va lancer ces flèches redoutables
qui portent d'inévitables coups ,
& qu'il va commencer par Pyrrhus . Sophie
allarmée l'arrête , & lui apprend que
c'eft le fecours de Pyrrhus qui l'a dérobé à
l'audace des Grecs , & qu'elle en eft aimée.
Philoctete raffuré par l'amour de Pyrrhus
pour fa fille , la preffe de lui déclarer que
La flamme eft connue de fon pere , qui l'approuve
; mais que fi ce jeune guerrier ne
fe joint à lui pour les venger ,
elle rejette
avec dédain les offres de fa foi. Sophie le
lui jure , en lui difant tendrement qu'après
avoir partagé fa gloire , il eft jufte qu'elle
partage fon affront. Philoctete qui voit
venir Pyrrhus, rentre dans fon afyle , & recommande
à Sophie d'éprouver le coeur de
fon amant.
Pyrrhus dit à Sophie qu'il a fait retirer
les foldats , mais qu'elle engage fon pere
à remplir leurs voeux ; que le falut public
doit être un de fes bienfaits,, & qu'il ofe à
çe motif preffant joindre l'intérêt de fon
amour. Elle lui répond que Philoctete eft
JUI N. 1755. 191*
·
inftruit de fes feux , qu'il confent que
l'hymen les couronne , mais qu'il veut que
ces noeuds foient formés dans fes états .
Pyrrhus lui réplique en foupirant , que la
Grece l'implore , & qu'il ne peut l'abandonner,
Elle l'interrompt en lui difant que
puifque l'intérêt de fon pere & le fien lui
font moins chers que celui des Atrides ,
elle rend à fon amour les fermens qui le
lient. Seigneur , ajoute- t -elle ':
Plus grands dans nos deferts que vous ,
trône ,
fur votre
L'honneur nous tiendra lieu de fceptre & de cou
ronne.
Partez , laiffez -nous feuls dans ces fauvages lieux
La vertų pour témoin n'a befoin que des Dieux..
Pyrrhus lui fait entendre que Philoctete
a tout à craindre de la rage des Grecs. Sophie
répond que fa main va mettre un
frein à leurs droits prétendus , que fon
pere vient de l'armer d'un poignard , &
que fi les Grecs s'avançoient pour le pren
are , elle a juré de le plonger dans le coeur
de Philoctete
,› pour prévenir fa honte.
Pourriez-vous , lui dit Pyrrhus , verfer le
fang d'un pere ? elle s'écrie :
Que fçais-je leurs fureurs me ferviront de guid
des ? >
191 MERCURE DE FRANCE.
Un mortel fans honneur n'eſt plus qu'un monſtrë
affreux ,
Que tout autre homme abhorre , & qui craint
tous les yeux ;
Chaque regard l'infulte , & réveillant fa honte ;
De fon honneur perdu , lui redemande compte
Lui fait baiffer la vûe , & femble l'avertir
De fuir dans le tombeau qui devroit l'engloutir.
Pyrrhus frappé de ce tableau promet à
Sophie de périr plutôt mille fois que de
fouffrir que leurs foldats en viennent à
cette violence . Elle le quitte en lui re-.
commandant ainſi les jours de fon pere :
Etes-vous à l'abri du deſtin qui l'accable ›
Si les hommes , hélas ! réfléchiffoient fur eux ;
Ils répandroient des pleurs fur tous les malheu
reux.
Ulyffe vient apprendre à Pyrrhus que
les Troyens inftruits de l'oracle , ont profité
du tems de fon abſence pour attaquer
le camp , qu'ils font près de forcer fi luimême
ne vole au fecours des Grecs ; qu'ils
ont déja bleffé plufieurs chefs de l'armée
& qu'ils ont fouillé dans le tombeau d'Achille
, & difperfé les reftes de fon corps ,
qui font devenus la proie des chiens & des
vautours.
JUIN. 1755. 193
yautours. Pyrrhus devient furieux à cette
nouvelle , & veut voler au camp . Ulyffe
infifte alors pour enlever Philoctete , &
montre les foldats qui l'ont fuivi pour
cette exécution. Mais Pyrrhus s'écrie qu'ils
n'avancent point , que Philoctete eft armé
des traits du defefpoir , & que fa mort va
tromper leur eſpérance. Il termine le quatriéme
acte , en difant qu'il va tenter un
dernier effort auprès du pere de Sophie ,
& qu'après il s'abandonne tout entier aux
confeils d'Ulyffe.
Pyrrhus paroît d'abord feul au cinquiéme
acte , & dit à Ulyffe qui furvient , qu'il
n'a pu fléchir Philoctete. Le Roi d'Itaque
lui montre l'arrêt que la Grece a dicté contre
ce guerrier indomptable. Pyrrhus lui
repréfente qu'en livrant Philoctete à la
mort on venge la patrie , mais qu'on ne
la fauve pas. Ulyffe répond qu'avant
d'exécuter l'arrêt , il veut tout effayer , &
qu'il veut voir Philoctete , qui arrive dans
ce moment avec Sophie. C'eft ici cette admirable
fcene qui forme non feulement
un dénouement des plus heureux , mais
qui fait encore elle feule un des plus beaux
cinquiémes actes qui foient au théâtre :
il faudroit la tranfcrire toute entiere pour
en faire fentir toutes les beautés . Philoctete
à l'afpect d'Ulyffe s'écrie dans fa fu-
II.Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
reur qu'on lui rende fes armes. Ce der
nier lui donne les fiennes. Philoctete veut
l'en percer , mais Pyrrhus l'arrête . Ce
guerrier les brave par ces deux vers , dont
le dernier eft digne de Corneille :
Un oracle accablant vous à glacés d'effroi.
Vous vous trouvez preffés entre les Dieux & moi.
Ulyffe lui dit de ne punir que lai , &
d'avoir pitié de fa patrie :
Graces à mon exil , cruel je n'en ai plus ,
Lui répond Philoctete :
•
Je voue à vos fureurs les Grecs que je détefte ;
Dieux ! épargnez Pyrrhus & foudroyez le refte .
Le fils d'Achille eſt révolté de cette imprécation
; mais Ulyffe combat alors Philoctete
avec tous les traits de fon éloquen-.
ce. Il l'attaque par fon foible , c'eſt - à- dire
par l'endroit le plus fenfible à fa gloire.p
Vous ofez (lui dit- il ) confpirer contre votre pays...
Quand un homme a formé ce projet parricide ,
On dévoue aux tourmens ce citoyen perfide :
Son opprobre s'attache aux flancs qui l'ont posté ,
Et fa honte le fuit dans fa poftérité .
A fes concitoyens fon nom eft exécrable ;
On recherche avec foin les traces dy coupable.
JUIN. 1755. 195
Rebut de l'univers , à foi- même odieux :
Il vit errant , fans loix , fans amis & fans Dieux.
Son fupplice aux mortels offre un exemple horri
ble ;
Le tombeau lui refuſe un afyle paifible ,
Et la terre abandonne aux monftres dévorans ,
De fon corps déchiré , les reftes expirans.
Ses manes agités d'une éternelle rage ,
En vain parmi les morts fe cherchent un paffage ;
L'enfer même l'enfer fe rend fourd à fes cris.
Si vous l'ofez , cruel , vengez - vous à ce prix.
Philoctete eft effrayé de cette image.
Ulyffe pour achever de le defarmer , &
pour frapper le dernier coup , preffe Pyrrhus
de partir. Renvoyez , dit - il , des
vaiffeaux qui puiffent tranfporter ce héros
par-tout où il voudra aller :
Maître du fort des Grecs , qu'il le foit de lui- mê
me.
Emmenez tous nos Grecs ; je refte près de lui.
Philoctete à ces mots s'écrie :
Ulyffe près de moi ! retire-toi barbare .
Ulyffe lui fait cette réplique admirable ,
qui le met pour ainfi dire au pied du mur .
Si votre coeur pour moi ne peut être adouci ,
Suivez les Grecs , Seigneur , & me laiffez ici.
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
Philoctete à ce trait demeure interdit.
Sa fille fe joint à Ulyffe , & embraſſe ſes
genoux pour le fléchir . Ce guerrier attendri
par les larmes de fa fille , céde à cette
derniere inftance . Il lui facrifie fon reffentiment
, conſent de l'unir à Pyrrhus , &
termine la piece en difant :
Le Ciel m'ouvre les yeux fur la vertu d'Ulyffe ,
Et femble m'annoncer la fin de mon fupplice :
En marchant fur les pas au rivage Troyen ,
Nous fuivrons le grand homme & le vrai citoyen.
On ne peut pas conduire ni dénouer
une piece avec plus d'art. Que M. de Châteaubrun
a tiré fur tout un heureux parti
de l'épifode de Sophie ! 'que fon Ulyffe eft
beau ! & que M. de la Noue l'a bien
rendu !
COMEDIE ITALIENNE.
LE 22 Mai les Comédiens Italiens ont
remis , ou plutôt donné pour la premiere
fois , le Mai , Ballet mêlé de chants . Il eft
changé & embelli de façon qu'on peut
l'annoncer comme un divertiffement nouveau
; on peut même dire qu'il forme une
petitè Comédie en danfe. J'ajouterai qu'on
JUI N. 1755. 197
*
en voit peu qui faffent autant de plaifir au
théâtre par la variété & par la gaieté continue.
Je crois obliger le lecteur de lui en
donner ici le Programme .
Le fond du théâtre repréfente la porte
d'un château , au - deffus l'on découvre
une terraffe ornée de baluftrades & de fontaines
& garnie de vafes remplis de
fleurs.
>
PREMIERE ENTRÉE .
Le Ballet commence au point du jour ;
plufieurs Payfans viennent pour donner
des bouquets à leurs maîtreffes , d'autres
apportent des échelles à un fignal ; plufieurs
jeunes Payfans & Payfannes garniffent
la terraffe & reçoivent les bouquets.
Les Amans témoignent leur joie par une
danfe vive.
SECONDE ENTRÉE.
Les Payfannes fortent du château avec
leurs bouquets, & remercient les Payfans de
leur galanterie ; ils vont tous pour rentrer
dans le château , un Payfan retient deux
des Payfannes & danfe avec elles un pas
de trois .
TROISIEME ENTRE E.
Une autre troupe de Payfans & Payfan
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
nes viennent planter le Mai devant la
porte du château ; tous danfent autour ,
pendant que la jeuneffe forme une danfe
gaie fur la terraffe , de forte que l'on voit
en même tems deux corps de Ballets . Un
Payfan chante les agrémens du mois de
Mai.
QUATRIEME ENTRÉE.
La porte du château s'ouvre ; le Seigneur
& la Dame vêtus en Berger & Bergere
, & fuivis de tous les habitans , forment
une marche autour du Mai ; une
Bergere chante , un Payfan & une Payſanne
danfent un pas deux.
Le Seigneur & la Dame chantent une
Mufette , elle invite après un Berger à la
danfer avec elle . Ils exécutent enfuite un
Tambourin.
Le pas de deux eft coupé par un pas de
trois , qui à fon tour l'eft par un autre pas
de deux tous les Payfans & Payfannes
chantent & danfent une ronde.
CINQUIEME ENTRÉE.
Contredanfe.
Ce Divertiffement eft compofé de trois
corps de Ballets , le premier commence la
contredanſe.
JUIN. 1755-
199
Danfé par
Second Couplet.
les amans & leurs maîtreffes .
Troifiéme Couplet.
Danfé par la jeuneſſe du village .
Danfé
Quatrieme Couplet.
par le Seigneur & la Dame.
Cinquième Couplet.
Les trois corps de Ballets fe joignent
enfemble . La jeuneffe occupe toujours le
centre , & fe trouve fouvent fous les bras
des deux autres corps de Ballets , ce qui
multiplie les figures de façon qu'il paroît
beaucoup plus de monde qu'il n'y en a.
La Contredanfe finit par une lutte d'entrechats.
Premier pas de trois.
Mlle Camille . M. Sody. Mile Catinop
Premier
pas
de deux.
Mlle Camille. M. Balletti ( cadet . )
Deuxieme pas
de deux.
Mlle Favart. M. Balletti ( aîné . )
Deuxieme pas de trois.
M. Berquelor. Mlle Marine. M. Dupuis.
I iv
200 MERCURE DE FRANCE .
Troisieme pas de deux.
Mlle Catinon . M. Billioni.
Troifieme pas de trois.
M. Vifintini. Mlle Artus. M. Artus.
VAUDEVILLE SUR LA CONTREDANSE.
•
PREMIER COUPLET.
Allons gai:
Voici le mois de Mai ,
Le doux mois d'amourette.
Commençons
Nos jeux & nos chanfons ,
Et, danfops fur l'herbette .
Colin
Prend Colinette ;
De violette
Pare fon fein.
Le coeur
Le plus fauvage
Souvent s'engage . ¡
Par une fleur.
Allons gai , &c.
Bergers , une fleurette
De vos feux devient l'interprête
Et Flore
Fait éclore
Ses préfens
JUIN. 1755. 201
VILLA
Pour fervir les amans.
Allons gai , & c.
SECOND
Allons gai , & c.
Plaiſirs ,
COUPLE T.
Bonheur champêtre ,
Vous allez naître
De nos foupirs.
Tout rit
Dans ces afyles ,
Ces lieux tranquilles
Qu'amour chérit.
Allons gai , & c.
Déja tout fent les flammes ,
Tendre amour , printems de nos ames
Tu charmes ,
Tu defarmes
Nos rigueurs
Par tes attraits vainqueurs;
Allons gai , & c .
TROISIEME COUPLET.
Allons gai , & c .
Le fon
De la mufette
Séduit Lifette
Sur le gazon .
Tirfis
LYON
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
Par cette adreffe ,
De fa tendreffe
Reçoit le prix.
Allons gai , & c.
L'amour fous nos fougères
Tend des lacs aux jeunes Bergeres .
Fillette
Joliette ,
En ce mois.
N'allez point feule aux bois.
Allons gai , &c.
QUATRIEME COUPLET.
Palfangué ,
Voici le mois de mai , &c.
Vien çà ,
Vien çà , Paquette ,
A la franquette ,
Mets ta main là.
Morgue ,
De t'voir fi fiare ;
Sçais-tu que Piare
Eft fatigué ?
Jarnigué , voici , &c .
Faut-il que j'aille au piautre ,
Quand j'avons un coeur comme un autre ?
Mais ... fille ...
Ton oeil brille ,
Et je fens
JUIN. 1755 203
Naître en moi le printems.
Sarpegué , voici , &c.
Les paroles de ce Vaudeville font de
M. Favart. Les danfes du Ballet font de la
compofition de M. Deheffe , & la mufique
eft de M. Defbroffes ,
Le 31 Mai les Comédiens Italiens donnerent
la premiere repréſentation du Maître
de Musique , Comédie nouvelle en
deux actes , mêlée d'arietes , & parodiée
de l'Italien , avec un divertiffement. Cette
piece eft de M. Borand , Auteur de la
Servante Maitreffe ; le public lui a fait un
accueil favorable. Le premier acte paroît
avoir le plus réuffi , nous en rendrons un
compte plus détaillé dans la fuite des repréfentations
.
CONCERT SPIRITUEL.
LE
E Concert qui fut exécuté le Jeudi
29 Mai , jour de la Fête- Dieu , fut trèsbeau
& très- varié . Il commença par la
premiere fuite des pieces de clavecin de
M. Clement , mife en fymphonie par luimême
; enfuite Cantate à grand choeur de
M. Davefne. Mme Veftris de Giardini
chanta deux airs Italiens. On s'apperçoit
I vj
204 MERCURE DE FRANCE .
du progrès qu'elle fait chaque jour ; elle
met à profit les bons confeils qu'on lui
donne , & mérite de plus en plus l'applaudiffement
des connoiffeurs . Mlle Sixte , qui
a chanté au Concert de la Reine , débuta
avec le plus brillant fuccès dans Ufquequò ,
petit motet de M. Mouret. Le public a
conçu de fon talent les plus grandes efpérances
; l'accueil qu'elle en a reçu doit raffurer
fa timidité , & l'engager à tenir tout
ce qu'elle promet.
M. Balbatre joua fur l'orgue l'ouverture
de Pigmalion , fuivie des Sauvages , & fit
toujours un nouveau plaifir. Le Concert
finit par Magnus Dominus , motet à grand
choeur de M. de Mondonville.
JUIN. 1755
205
ARTICLE SIXIE ME.
NOUVELLES ÉTRANGERES.
DU LEVANT.
DE CONSTANTINOPLE , le 10 Avril.
ONcontinue de travailler avec toute la dili- gence poffible , à réparer les dommages caufés
par les derniers tremblemens de terre. La
partie du château des Sept Tours qui avoit été
ruinée , eft entierement rebâtie , ainfi que le mur
qui fert d'enceinte à la ville depuis l'Arfenal jufqu'à
la porte d'Andrinople . Ces jours derniers , le
Grand Seigneur alla vifiter les ouvrages qu'on
fait à l'Eglife de fainte Sophie.
Le dernier Grand Vifir , fur la recommendation
de la Sultane Validé , a obtenu une penfion de
cinq mille Sultanins .
Le Kiaïa Bey fut dépofé le 10 de ce mois. Il a
pour fucceffeur le Secrétaire du Grand Vifir .
DUNOR D.
DE WARSOVIE , le 3 Mai.
On reçoit avis que la ville de Szerefzow , en
Lithuanie , a été preſque entierement réduite en
cendres.
306 MERCURE DE FRANCE.
DE STOCKHOLM , le 4 Mai .
L'Académie royale des Sciences dans une affemblée
qu'elle tint hier , a élu pour Préſident le Baron
de Scheffer , Sénateur & Chevalier des Ordres
de Sa Majesté. Cette Compagnie a aggrégé à fon
corps , en qualité d'Affociés étrangers , M. Lidbeck
, de la Société royale de Londres ; M. Kuhn ,
Docteur en Médecine , & Membre de l'Académie
des Sciences & Belles - Lettres de Berlin ; M. l'Abbé
de la Caille , Aftronome , de l'Académie des
Sciences de Paris ; M. Morand , de la même Académie
, & Secrétaire perpétuel de celle de Chirurgie
; & M. Waitz , Directeur des Salines du
Landgraviat de Heffe - Caffel .
Une femme eft morte à Kimi , dans la Bothnie
orientale , âgée de cent vingt-fept ans. Depuis .
deux ans feulement elle avoit perdu l'ouie &
La vue..
2.
ALLEMAGNE.
DE VIENNE, t le 3 Mai.
Hagi Ali Effendi , Envoyé extraordinaire du
Grand Seigneur , fut conduit le 28 dn mois d'A
vril à l'audience du Comté de Colloredo , Vice-
Chancelier de l'Empire. Le lendemain , Hagi Ali
Effendi eut audience du Comte de Kaunitz Rittberg
, Grand Chancelier de la Cour .
Cet Envoyé a eu fes premierés audiences le 12
Mai , de l'Empereur , & le 14 , de l'Impératrice
Reine.
Il est arrivé un grand nombre de chevaux de
remonte pour la cavalerie. On a fait venir du
JUIN. 1755. 207
Tyrol plufieurs ouvriers , qu'on fe propofe d'employer
à l'exploitation des mines d'argent dans la
haute Autriche.
DE DRESDE , le 6 Mai.
On prépare dans la manufacture de Miffen un
fervice de porcelaine , dont Sa Majefté ſe propoſe
de faire préfent au Grand Seigneur.
Il a été vendu à la foire de Leipfick plufieurs
étoffes fabriquées de la foie qu'on a recueillie
l'année dernière dans cet Electorat .
DE HANOV RE , le 16 Mai.
Il y aura cette année dans cet Electorat deux
camps qui fe fuccéderont ; le premier fera compofé
de douze bataillons du corps de l'artillerie ,
& de dix-huit efcadrons , & commencera le 9 du
mois prochain , le fecond fera de onze bataillons
& de feize efcadrons. Les troupes qui doivent le
former n'y entreront que le 7 Juillet .
DE FRANCFORT , le 17 Mai.
Il paroît un mémoire , par lequel le Cercle de
Franconie demande à l'Empire le remboursement
de quatre millions cent trente -deux mille deux
cens foixante-trois florins , qu'il prétend lui être
dûs pour quatre régimens furnuméraires levés en
en 1703 , ainfi que pour les réparations des fortifications
de Philifbourg , & pour divers autres frais
extraordinaires.
208 MERCURE DE FRANCE:
ITALI E.
DE NAPLES , le 23 Avril.
Deux chabecs du Roi ont amené dans ce port
un Corfaire de Tripoli , dont ils fe font emparés
dans le Golfe Adriatique . Le bâtiment ennemi
étoit monté de douze piéces de canon , & d'un
pareil nombre de pierriers. Son équipage étoit
compofé de quatre -vingt quinze hommes. Il y
en a eu vingt -fix de tués , & les quarante- neuf
autres ont été faits efclaves. Les deux chabecs
vont remettre à là voile pour donner la chaffe à
un autre Corfaire , qui croife dans les environs
de l'Ile de Cerigo.
Don Jofeph Martinez s'eft emparé d'un ſecond
Corfaire Tripolitain , de quatorze canons , de
vingt- quatre pierriers & de quatre- vingt hommes
d'équipage. On a envoyé ce bâtiment à l'lfle de
Nifita dans le Golfe de Pozzuolo , pour y faire la
quarantaine.
DE LIVOURNE , le 4 Mai.
Trois Corfaires ont enlevé la pinque des dépê
ches de Barcelone quelques jours après fon dé
part de Gênes.
DE GENES , le 6 Mai.
On apprend par une barque françoife , qui eft
venue de Tunis en quarante-deux jours de navigation
, que les Corfaires de cette Régence ont
quatre bâtimens en mer. Une polaque de pavillon
Impérial a été viſitée près du Cap de Spartivento ,
JUIN. 17558 200
par une galiotte de Tripoli , & le même jour
après-midi elle a rencontré trois galeres de la
Religion de Malthe fur la côte de Syracufe. Les
chaloupes d'un bâtiment Corfaire ayant enlevé
le 24 du mois dernier une barque de la riviere du
Ponent , il eft forti du port de Monaco quelques
felouques , qui ont repris cette barque. Cinq
hommes de fon équipage font reftés malheureuſes
ment au pouvoir des Barbarefques.
GRANDE - BRETAGNE.
DE LONDRES , le 15 Mai.
L'Amiral Holborne fit voile de Portſmouth le
10 de ce mois avec fix vaiffeaux de guerre. Il eſt
allé à Plymouth en prendre quatre autres , & il
doit enfuite fe remettre en mer pour aller joindre
l'efcadre de l'Amiral Boscawen. Le 8 , on enleva
de force fur la Tamife près de mille Matelots .
On en a enlevé auffi ces jours derniers un grand
nombre dans tous les ports le long de la côte
particulierement à Portfmouth , à Cowes &
Southampton. La Compagnie des Indes orientales
attend fept vaiffeaux de la Chine , un de Sainte-
Heleine , cinq de la Baye , & trois de Bombay.
Elle en a reçu trois de Bengale richement chargés
, par lefquels on a été informé que l'Eſcadre
partie l'année derniere fous les ordres de l'Amiral
Watson , étoit arrivé à Madras.
On a publié en Irlande une proclamation contre
les perfonnes qui s'enrôlent au ſervice des
Puiffances étrangeres.
Le vaiffeau le Montford , appartenant à la Compagnie
des Indes orientales , eft arrivé de Bengale ,
richement chargé. Il a fait en neuf ſemaines &
110 MERCURE DÈ FRANCE.
deux jours le trajet depuis Sainte-Heleine , où il
laiffé huit autres vaiffeaux qui fe difpofoient à
remettre bientôt à la voile pour le fuivre en Europe.
Selon les nouvelles apportées par ce bâtiment
, M. Godeheu , Gouverneur de Pondichery,
avoit conclu le 11 Octobre une trève de trois
mois avec le Gouverneur de Madras. Les mêmes
avis ajoutent qu'il y a eu dans le mois de Décembre
un violent ouragan à Bengale. Dans cette
tempête , onze Navires Hollandois ont été forcés
à terre , & il en a péri deux. Quelques bâtimens
Anglois ont été auffi très- conſidérablement endommagés
.
PATS - BAS.
DE LA HAYE , le 23 Mai.
Les Etats de Hollande & de Weftfrife ont fait
publier une défenſe d'établir aucune nouvelle
Lotterie dans cette Province , & d'y continuer
celles qui pourroient s'y trouver établies , fous
peine d'une amende de fix cens florins , & de confifcation
de l'argent qu'on y aura mis . Ils ont défendu
fous les mêmes peines de diftribuer des billets
de lotteries étrangeres , & même d'imprimer ou
colporter des liftes ou profpectus concernant lefdites
lotteries. M. Marfelis , Commiffaire des Etats
généraux pour le réglement des affaires de Commerce
entre la France & cette République , eft
arrivé de Paris,
.
DE BRUXELLES , le 17 Mai.
On fit le 12 & les deux jours fuivans le tirage
de la feconde claffe de la Lotterie. Le lot de vinge
JUIN. 1755. 211
cinq mille florins eft échu au numero 133086 ,
celui de quinze mille florins au numero 20916 ,
celui de dix mille florins au numero 121121
celui de fept mille cinq cens au numero 119870 ,
& celui de cinq mille au numero 654.
>
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
LE vaiffeau le Bethune , appartenant à la Compagnie
des Indes , eft entré le 10 Mai dans le port
de l'Orient. On a appris par ce bâtiment que M.
Dupleix étoit parti le 15 Octobre de Pondichery ,
& qu'il étoit arrivé le 25 Novembre à l'Ile de
France.
Le 16 de Mai , Fête de S. Jean Nepomucene ,
la Reine vint de Marly entendre le Sermon dans
l'égliſe des Recolets de Verſailles. Il fut pronon
cé par le P. Couterot , de la Congrégation des
Barnabites , & Prédicateur du Roi. Sa Majefté
affiſta enfuite au Salut , & retourna le foir à Marly.
Leurs Majeftés & Mefdames de France ſe rendirent
à Verfailles le jour fuivant pour y paffer les
Fêtes , & le 20 leurs Majeftés & Mefdames de
France retournent à Marly.
Le 17 , veille de la Fête de la Pentecôte , Monfeigneur
le Dauphin & Madame la Dauphine entendirent
à Marly dans la Chapelle du Château
les premieres Vêpres , aufquelles l'Archevêque de
Sens officia pontificalement , & qui furent chantées
par les Cordeliers de Noify.
212 MERCURE DE FRANCE.
Le 18 , jour de la Pentecôte , les Chevaliers ,
Commandeurs & Officiers de l'Ordre du Saint-
Efprit s'étant affemblés vers les onze heures du
du matin dans le cabinet du Roi , Sa Majefté
fortit de fon appartement pour aller à la Chapelle.
Le Roi , devant qui les deux Huiffiers de la
Chambre portoient leurs maffes , étoit en manteau
, le collier de l'Ordre par- deffus , ainfi que
celui de l'Ordre de la Toifon d'or . Sa Majesté
étoit précédée de Monfeigneur le Dauphin qui
étoit arrivé le matin , du Duc d'Orléans , du Prince
de Condé , du Comte de Clermont , du Prince
de Conty , du Comte de la Marche , du Comte
d'Eu , & des Chevaliers , Commandeurs & Officiers
de l'Ordre. L'Archevêque de Narbonne
Prélat , Commandeur de l'Ordre , célébra pontificalement
la grande Meffe , qui fut chantée par
la Mufique. Au fortir de la Chapelle le Roi fut
reconduit à fon appartement en la maniere accoutumée
.
>
La Reine & Meſdames de France entendirent
la grande Meffe dans la tribune.
Monfeigneur le Dauphin après la cérémonie ,
retourna joindre à Marly Madame la Dauphine ,
que des foupçons de groffeffe ont empêché de
quitter ce château.
Le Roi & la Reine accompagnés de Mesdames ,
affifterent l'après - midi à la prédication de l'Abbé
Bertier , Vicaire Général de l'Evêché de Troyes ,
& Doyen du Chapitre de Vezelai . Après le Sermon
leurs Majeftés entendirent les Vêpres chantées
par la Mufique , aufquelles l'Abbé Gergoy
officia , & le Salut célébré par les Miffionnaires.
Ce même jour la Marquife de Montmorin
Saint Herem fut préſentée au Roi & à la Reine ;
& leurs Majeftés fignerent le contrat de mariage
JUI N. 1755. 213
du Marquis de Merinville avec Dlle de Lhôpital.
Le Roi a donné fon agrément au mariage du
Marquis de Dreux , Maréchal de camp , & Grand
Maître des cérémonies de France , avec Dlle de
Pezé.
Le 19 , les Députés des Etats d'Artois eurent
audience du Roi . Ils furent préſentés à Sa Majesté
par le Duc de Chaulnes , Gouverneur de cette
province & de celle de Picardie ; & par le Comte
d'Argenfon , Miniftre & Secrétaire d'Etat , qui en
a le département . Selon l'uſage , ils ont été con◄
duits par le Marquis de Dreux , Grand Maître
des cérémonies. La députation étoit compofée
de l'Evêque d'Arras pour le Clergé , du Comte
de Douchen pour la Nobleffe , & de M. Goffe ,
ancien Echevin des ville & cité d'Arras , pour le
Tiers Etat . L'Evêque d'Arras porta la parole.
Jean-Marie de Bourbon , Duc de Châteauvilain,
fils de Louis-Jean - Marie de Bourbon , Duc de Penthievre
; & de feue Marie - Therefe- Félicité d'Eft
Princeffe de Modene , mourut le 19 à Paris , âgé
de fix ans fix mois & deux jours. Le même jour
le Prince de Dombes annonça cette mort au Roi.
La Reine communia le 20 par les mains de
L'Evêque de Chartres , fon premier Aumônier.
Il paroît trois arrêts du Confeil d'Etat . Le
premier caffe un arrêt du Parlement de Toulouſe ,
du 25 Février , & ordonne l'exécution de celui de
la Cour des Monnoies de Lyon , dụ 4 du même
mois. Le fecond ordonne que les fujets qui juftifieront
d'un apprentiffage & compagnonage chez
les Maîtres d'une ville quelconque du Royaume ,
dans laquelle il y aura Jurande , feront admis à
la maîtrife de leur profeffion dans les Communautés
d'arts & métiers de telle autre ville du
goyaume qu'ils jugeront à propos de choisir ,
214 MERCURE DE FRANCE.
l'exception des villes de Paris , Lyon , Lille &
Rouen. Par le troiſieme arrêt , le Roi commet
M. Doyen , Notaire , pour faire la recette des
portions qui reviennent aux Abbés & Chanoines
Réguliers de Sainte Genevieve dans les produits
des trois lotteries de S. Sulpice , des Enfans-Trouvés
& des Communautés.
L'Académie royale de Chirurgie , outre le prix
qu'elle adjuge tous les ans , donnera deformais
chaque année une autre medaille d'or à celui des
Chirurgiens , étrangers ou regnicoles , qui l'aura
méritée par un ouvrage fur quelque matiere de
Chirurgie que ce foit , au choix de l'auteur. Ce
fecond prix , dont la valeur fera de deux cens
livres , fera nommé Prix d'émulation . L'Académie
diftribuera de plus tous les ans cinq médailles
d'or , de cent francs chacune , à cinq Chirurgiens,
foit Académiciens de la claffe des Libres , foit
fimplement regnicoles , qui auront fourni pendant.
le cours de l'année un mémoire , ou trois obfervations
intéreffantes.
Un bâtiment nommé le Sainte-Helene , de Saint-
Malo , venant de la Martinique , a péri la nuit du
sau 6 de Mai dans le Golfe de Fos , près de Martigues.
Le navire le Grand Saint- Paul , de Marfeille
, a découvert à l'oueft du Cap Saint - Vincent
trois chabecs algériens. Une pinque de Corron
a rencontré fur la Guillâtre un vaiffeau , un chabec
& une galiotte de la même nation. Deuxi
autres bâtimens barbarefques ont été apperçus à
quelque diftance de la côte de Sardaigne.
Le 24 , leurs Majeftés fignerent le contrat de
mariage du Marquis de Dreux , Grand Maître des
cérémonies de France . avec Dlle de Pezé..
Elles fignerent le 25 celui du Marquis de Beranger
, Colonel dans le Corps des Grenadiers de
JUIN. 1755. 215
France , avec Dlle de Saffenage , fille du Marquis
de ce nom , Chevalier des ordres du Roi , &
Chevalier d'honneur de Madame la Dauphine.
En confidération de ce mariage , le Marquis de
Beranger a obtenu la furvivance de la charge de
Chevalier d'honneur de Madame la Dauphine ,
dont il ne doit exercer les fonctions qu'à vingtcinq
ans.
Le Roi a accordé au Marquis d'Efpagne la
charge de Sénéchal & Gouverneur du Comté de
Nebouzan .
Les Prélats & les Députés du fecond Ordre qui
compofent l'Affemblée générale du Clergé de
France, s'affemblerent le 25 de Mai chez le Cardi
nal de la Rochefoucauld pour remettre leurs procurations.
Ils tinrent le 27 une feconde Affemblée,
dans laquelle les procurations furent admifes. Le
28 , l'ouverture folemnelle de l'Affemblée fe fit
dans l'églife des Grands Auguftins , par la Meffe
du Saint-Efprit. Le Cardinal de la Rochefoucauld
y officia pontificalement , & tous les Députés y
communierent. Le fermon fut prononcé par l'Evêque
du Puy. Les Députés font , pour la province
de Paris , les Evêques de Meaux & de Blois , &
les Abbés Guillot de Montjoye & d'Apchon . Pour
la province de Lyon , les Evêques de Langres &
d'Autun , l'Abbé de Montjouvant , Comte de
Lyon , & l'Abbé de la Croix. Pour celle de Rouen,
les Evêques de Bayeux & d'Evreux , & les Abbés
de Saint-Aulaire & de Belbeuf. Pour celle de
Sens , l'Archevêque de Sens , l'Evêque de Nevers ,
l'Abbé de Murat de Baing , & l'Abbé d'Oſmond
de Medavy , Comte de Lyon. Pour celle de Reims,
les Evêques d'Amiens & de Senlis , & les Abbés
de Trudaine & de Modene . Pour celle de Tours
PArchevêque de Tours , l'Evêque de Quimper
216 MERCURE DE FRANCE.
les Abbés de Monteclair & de Soulange . Pour
celle de Bourges , le Cardinal de la Rochefoucauld
, Archevêque de Bourges ; l'Evêque du Puy,
& les Abbés de Fretat de Sarra & de Molin de
Mons. Pour celle d'Alby , l'Archevêque d'Alby ,
l'Evêque de Rhodès , & les Abbés de Roquigny
de Bulonde & de Langlade. Pour celle de Bordeaux
, les Evêques de Saintes & de Sarlat , & les
Abbés de Montefquiou & Dudon . Pour celle
d'Auch , l'Archevêque d'Auch ; l'Evêque d'Oleron
, & les Abbés de Berthier & de Larbouft . Pour
celle de Narbonne , l'Archevêque de Narbonne ,
P'Evêque de Montpellier , & les Abbés de Roquefort
& de Boizay de Courcenay. Pour celle de
Toulouſe , l'Archevêque de Toulouſe , l'Evêque
de Lavaur , & les Abbés de Bruyeres de Chalabre
& de Bauteville. Pour celle d'Aix , les Evêques de
Riez & d'Apt , & les Abbés de Gadagne & de Canorgue.
Pour celle d'Embrun , l'Archevêque
d'Embrun , l'Evêque de Glandeve , & les Abbés du
Queylard & de Baumel. Pour celle de Vienne , les
Evêques de Grenoble & de Die , & les Abbés de
Gouvernet & de Breves. Pour celle d'Arles , l'Atchevêque
d'Arles , l'Evêque de Saint -Paul Troischâteaux
, & les Abbés de Chapt de Raftignac &
d'Almant de Château - neuf. L'Affemblée a élu
pour Préfidens le Cardinal de la Rochefoucauld ,
P'Archevêque de Narbonne , l'Archevêque d'Embrun
, l'Archevêque d'Auch , l'Evêque de Bayeux ,
'Evêque de Langres , l'Evêque de Grenoble &
P'Evêque de Montpellier. L'Abbé de Coriolis ,
ancien Agent général du Clergé , eft Promoteur ;
l'Abbé de Raftignac , Vice- Promoteur ; l'Abbé
de Caftries , ancien Agent général , Secrétaire ;
l'Abbé d'Ofmond , Vice-Secrétaire. Les nouveaux
Agens généraux font l'Abbé de Crillon & l'Abbé.
de Jumilhac Le
J
JUIN. 1755. 217
Le 27 , l'Archevêque de Paris bénit dans l'églife
des Religieufes Bénédictines de Conflans , les
Guidons des Gendarmes de la Garde de Sa Majefe
Le détachement étoit de cinquante Gendarmes
& le Prince de Soubife à leur tête affitta à la
cérémonie.
M. Jean Crochet , Chanoine honoraire de l'églife
Cathédrale de Noyon , eft mort le 21 en
cette derniere ville , âgé de quatre-vingt -douze
ans. Il avoit été nommé Chanoine le 31 Mars
1676 , & il a vû deux fois renouveller fon Chapitre.
Ce fut le feu Cardinal de Retz qui fit accorder
à cet Eccléfiaftique la difpenfe d'âge pour
être Chanoine d'une Cathédrale .
Woldemar , Comte de Lowendalh & du Saint
Empire , Maréchal de France , Chevalier des ordres
du Roi , & des ordres de Saint - Alexandre
Neuski & de Saint- Hubert , Colonel d'un Régiment
d'Infanterie allemande de fon nom , un des
Académiciens honoraires de l'Académie royale
des Sciences , & ci - devant Général des armées de
l'Impératrice de Ruſſie , mourut à Paris le 27 de
ce mois. Lorsqu'il eſt entré au ſervice de Sa Ma◄
jefté , il étoit déja regardé comme un des plus
habiles Généraux de l'Europe. La priſe d'Oudenarde
, d'Oftende , de Nieuport & de Berg - opzoom
, & le fuccès de toutes les autres expéditions
dont il a été chargé , ont confirmé fa réputation.
Le Maréchal de Lowendalh étoit né à Hambourg
le 6 Avril 1700 , & il étoit fils de Woldemar , Baron
de Lowendalh , Chevalier des Ordres de l'Aigle-
blanc , de l'Elephant & de Danebrog , grand
Maréchal& Miniftre du Roi de Pologne , Electeur
de Saxe. Son grand - pere étoit Ulric Frederic ,
Gomte de Guldenloew , Chevalier de l'Ordre de
('Elephant , Maréchal Général des armées de Da
II. Vol. K
21S MERCURE DE FRANCE.
nemarck , Chancelier du même royaume & Viceroi
de Norwege , fils naturel de Frederic III ,
Roi de Danemarck. Au mois de Janvier 1747 , le
Maréchal de Lowendalh obtint des lettres de
naturalité pour lui, pour la Maréchale de Lowendalh
, & pour trois enfans qu'ils avoient eus en
pays étranger. Il a montré par fon zele pour la
gloire du Roi & pour les intérêts de la France ,
qu'en acquerant les priviléges des fujets nés dans
le Royaume , il avoit pris leurs fentimens .
Le 28 , les Actions de la Compagnie des Indes
étoient à dix fept cens foixante livres : les billets
de la premiere lotterie royale à huit cens cinquante
, & ceux de la feconde lotterie à fept cens qua
rante-cinq.
Le même jour , leurs Majeftés & la Famille
royale revinrent de Marly.
Le 29 , Fête du Saint Sacrement , le Roi accompagné
de Monfeigneur le Dauphin , de Madame
Adelaïde , & de Mefdames Victoire , Sophie
& Louife s'eft rendu à l'Eglife de Notre-Dame. Sa
Majefté y a entendu la grande Meffe , après avoir
affifté à la Proceffion qui eft venue felon l'uſage
à la Chapelle du Château. La Reine & Madame
la Dauphine ont reçu dans la Chapelle la benédiction
du Saint Sacrement. Leurs Majeſtés & la
Famille royale ont affifté cet après-midi aux Vêpres
chantées par la Mufique , aufquelles l'Abbé
Gergoy a officié , & au Salut célébré par les Miffionnaires
, pendant lequel la Mufique a chanté
une élévation , de la compofition de M. Blanchard
, Maître de la Muſique de la Chapelle en
quartier.
Dans l'Evêché d'Acqs douze villages ou ha
meaux , diverfes mailons de campagne & un grand
nombre de Moulins ont été réduits en cendres .
JUIN 1755. 219
Plufieurs perfonnes & quantité de beftiaux ont
péri dans les flammes. On fait monter à plus d'un
million la perte caufée par cet incendie. L'Evêque
d'Acqs a reffenti auffi vivement que l'exigeoit de
lui fa qualité de Pafteur la défolation d'une partie
de fon diocefe. Voyant d'honnêtes familles réduites
à la derniere mifere , il en a pris les enfans
fous fa protection ; if les a placés à fes dépens
dans des penfions , & il les y fait élever ſuivant
leur état. La charité de ce Prélat s'eft étendue fur
tous les autres malheureux qui ont fouffert , & il
leur a fait diftribuer du bled & de l'argent.
BENEFICES DONNÉS.
Sa Majefté a donné l'Abbaye de la Chaffaigne ;
A
Ordre de Câteaux , diocefe de Lyon , vacante par
le décès de M. de Borſat , à M. Pierre- Louis de
Chalvet de Saint - Etienne , Vifiteur Général des
Carmélites .
L'Abbaye de Belle- Ville , Ordre de Saint- Augnftin
, diocefe de Lyon , vacante par le décès de
M. d'Hauterive , à M. Gafpard Dufou de Saint-
Amour , grand Vicaire de Mâcon,
>
L'Abbaye de Beaulieu , Ordre de Saint- Auguftin
, dioceſe de Saint- Malo vacante par la démiffion
de M. de Montlouet , Evêque de Saint-
Omer , à M. Louis-Marie de Pontuat , grand Vicaire
de Vannes.
L'Abbaye de Notre- Dame d'Abfie en Brignon ,
Ordre de S. Benoît , diocefe de Poitiers , vacante
pâr la démiffion de M. Luthier de Saint-Martin ,
à M. Louis-Hugues d'Ethy de Milly , Prêtre du
Kij
220 MERCURE DE FRANCE:
diocefe de Mâcon , à la charge d'une penfion de
mille livres pour le remettant .
L'Abbaye Réguliere du Rivet , Ordre de Cîteaux
, dioceſe de Bazas , vacante par la démiffion
de Dom Chibert , à Dom Jean - Jofeph la
Malatie , Religieux dudit Ordre , à la charge de
huit cens livres de penfion pour le remettant.
JUI N. 1755.
221
MORTS ET MARIAGES. #
E 6 Février , Charles-René de Maillé Latour
Landry ,Comte de Maille , Capitaine de Dra
>
gons , fils de Charles-Louis de Maillé , Comte de
Latour- Landry , Baron d'Antraíme , & de Dame
Marie-Françoife de Savonnieres , Dame de Meaune
, a été marié avec Marie-Renée-Bonne - Félicité
de Savary-Breves de Jarzé. L'Evêque de Senlis
leur a donné la bénédiction nuptiale dans la Chapelle
de l'Hôtel de Condé , en préſence de leurs
A. A. S. S. Monfeigneur le Prince & Madame la
Princeffe de Conde.
La Maiſon de Maillé étoit floriflante dès le
douziéme fiécle . L'an 1233 , les Vicomtes de
Rohan & de Leon appellerent à leurs fecours ,
contre Pierre de Dreux , Duc de Bretagne , Hardouin
V , Baron de Maillé , Seigneur puiffant .
Ce qui releve infiniment le luftre de toutes les
grandes alliances de cette Maifon , c'eft l'honnenr
qu'elle a d'être alliée à la Maifon de Bourbon.
L'an 1510 , Hardouin X. de Maillé tranfigea
avec Louis de Bourbon , Prince de la Roche-fur-
Yon , de la fucceffion de leur oncle commun ,
André de Chauvigny , héritier des Princes de
Deols ; Hardouin de Maillé eut au nombre des
grandes Terres qui lui revinrent de cette fucceffion
, le Comté de Châteauroux en Berri.
L'an 1641 , Louis de Bourbon , Prince de Con
dé ,furnommé le grand Condé , époufa Claire-
Clémence de Maillé , fille d'Urbain de Maillé ,"
Maréchal de France , Chevalier des Ordres du
Kj
272 MERCURE DE FRANCE.
Rot , Gouverneur d'Anjou , & foeur d'Armand de
Maillé , Marquis de Brezé , Duc de Fronſac , Pair
de France , tué à 27, ans , Commandant la flotte
de France devant Orbitelle , c'en de cette Brite
ceffe que defcendent tous les Princes & Princeffe
de la Maifon de Condé.
La Maifon de Maillé s'eft divifée en plufieurs
branches , l'aînée a joint au nom de Maillé celui
de Latour-Landry , à caufe de l'héritiere de cette
ancienne Maiſon fondue dans cette branche ; aujourd'hui
les chefs & aînés de toute la Maifon de
Maillé , font Charles - Hardouin de Maillé - Latour-
Landry , Marquis de Jalefnes , Baron de Gaftines ,
Colonel d'infanterie , & Charles- Louis de Maillé ,
Comte de Latour-Landry , Baron d'Antrafme.
Le fils unique du Marquis de Maillé a épousé le
premier Mars 1713 , la fille aînée du Comte de
Latour-Landry fa coufine germaine , & foeur du
Comte de Maillé qui donne lieu à cet article.
> La Comteffe de Latour - Landry mere du
Comte de Maillé , eft héritiere de la branche
aînée de la Maiſon de Savonnieres , originaire
d'Anjou , & connue dès l'an 1100 parmi les premieres
de cette province ; elle a donné nombre
de Chevaliers de l'ordre de Saint- Michel , & un
Evêque de Bayeux : elle s'eft diftinguée dans l'Ordre
de Malthe dès les premiers tems ; de nos jours
Charles de Savonnieres , grand oncle de Madame
la Comteffe de Latour-Landry , étoit grand Bailli
de la Morée , Chef d'Eſcadre & Commandant les
Galeres de France.
La Maiſon de Savonnieres eft alliée à celles de
Mattefelon , de Beauveau , de Villequier , du
Bellay , de Froulay & de Montecler , & c.
La Maiſon de Savary , originaire de Touraine ,
afervi nos Rois & l'Etat fans difcontinuation dès
JUIN. 1755. 223.
le douzième fiécle , qu'elle eft connue entre les
plus nobles de cette province , par des alliances
illuftres , par des dons faits à des Abbayes du tems
des Croisades , par la poffeffion de fiefs mouvans
directement de la Couronne , & enfin par la pof-,
feffion de la Seigneurie de Lancofine depuis 400
ans.
L'aîné & le chef du nom & armes de cette Maifon
, eft Louis-François- Alexandre de Savary ,
Seigneur & Marquis de Lancofme en Touraine ,
& autres terres en Berri , Chevalier de l'Ordre
royal & militaire de Saint-Louis , ci- devant Capitaine
de grenadiers au régiment de Richelieu :
fon frere N..... de Savary-Lancofme , Chevalier
de Saint- Louis , Seigneur de Nozieres , a été tué
en 1734 au fiége de Philisbourg , étant Capitaine
de grenadiers au même régiment.
N... de Savary-Lancofme ( autre frere du
Marquis de Laacofme ) Chevalier Profès de l'Ordre
de Saint- Jean de Jerufalem , eut le bras droit
emporté en 1734 au même fiége , étant Sous-
Lieutenant de grenadiers au régiment des Gardes-
Françoifes , & a quitté étant Lieutenant au même
régiment.
N..... de Savary - Lancofme , Seigneur de
Bauché , fils aîné du Marquis de Lancofme , âgé
de 27 ans , Capitaine de cavalerie au régiment de
Bourgogne , fert le Roi depuis 14 ans : il a épousé
N..... de Ronçay , & a des enfans.
Marie- Renée-Bonne Félicité de Savary - Breves
de Jarzé , Comteffe de Maillé , qui donne lieu à
cet article , a pour fixiéme ayeul paternel , noble
Seigneur Denis de Savary , Ecuyer , Seigneur de
Ligny & de Breves , cadet de la Maiſon de Savary-
Lancofme , qui époufa le 19 Décembre 1544 ,
Françoife de Damas , fille de François de Damas
Kiv
224 MERCURE DE FRANCE.
Chevalier , Seigneur de Breves en Nivernois , &
d'Ifabeau d'Arces : Françoife de Damas devint par
la mort d'Antoine de Damas fon neveu , héritiere
de la terre de Breves , qui a fervi de titre distinctif
à cette branche de Savary. Elle fut mere de Franfois
de Savary , Seigneur de Breves , Marquis de
Maulevrier , &c. Il fuivit à Conftantinople Jacques
de Savary- Lancofme fon parent , ci- devant
Meftre de Camp d'un régiment d'infanterie
nommé en 1582 par Henri III. Ambaſſadeur à la
Porte Ottomane , où étant mort en 1591 , la
Seigneur de Breves fut nommé à fa place. Il y
refta jufqu'à l'année 1606 , après avoir conclu le
20 Mai 1604 avec le Sultan Achmet un Traité
très-avantageux à la Nation Françoife & à la religion
: il fut reçu en 1607 Confeiller d'Etat d'épée
& Gentilhomme ordinaire de la Chambre du Roi,
il en prêta le fermet le 6 Janvier 1607. Il fur
nommé en 1608 Ambaffadeur à Rome , où il fou
tint au contentement de Sa Majeſté & de la Reine
Régente , la dignité de la couronne contre l'Ambaffadeur
d'Efpagne , comme il paroît par leurs
lettres des 31 Août & 4 Juin 1610. Le Roi le
choifit & nomma par Brevets & Lettres Patentes
fcellées du grand Sceau des 18 Décembre 1610 ,
& 4 Juillet 1614 , Gouverneur de la perfonne de
Monſeigneur le Duc d'Anjou , frere unique du
Roi , premier Gentilhomme de fa Chambre
Lieutenant de fa Compagnie de 200 hommes
d'armes , & Surintendant de fa Maifon par
Brevet du Confeil des affaires de Sa Majefté du 29
Septembre 1614 , l'entrée près de fa perfonne lui
étoit permife même aux heures les plus fecretes
: la Reine mere du Roi , par Brevet du 21
Octobre 1624 , lui donna l'état & charge de fon
premier Ecuyer , il en prêta le ferment le même
JUIN. 1755. 225
jour. Par Lettres Patentes du mois de Mai 1625 ,
le Roi érigea la terre de Breves en titre de Comté
pour lui & fes defcendans de fon nom : il fut
nommé Chevalier de l'Ordre du Saint- Esprit par
Brevet du 13 Novembre 1725 , & fes preuves admifes
pardevant François de Silly , Duc de la Rocheguyon
, & Louis de la Marck , Marquis de Mofny,
Chevaliers dudit Ordre , Commiflaires nommés
à cet effet par Sa Majefté. Il fut invité par lettres
du Roi du 15 Novembre 1626 , à fe trouver à
l'ouverture de l'affemblée des Notables du Royaume,
indiquée à Saint -Germain- en - Laye ; & par Brevet
du 28 Août 1627 ; le Roi le retint Confeiller
en fon Confeil des Dépêches . Il avoit épousé par
contrat du 27 Février 1607 Anne de Thou ,
fille de Christophe-Augufte de Thou , Chevalier ,
Seigneur du Pleffis de Placy , Gentilhomme ordinaire
de la Chambre du Roi , & d'Anne de Neufville-
Villeroy , dont il eut trois fils ; fçavoir , Camille
de Savary-Breves , premier du nom , qui a
continué la postérité , Cofine de Savary- Breves
Marqui de Maulevrier , Maître de la Garde- robe
de S. A. R. Monfieur Gafton de France , frere
unique du Roi , décedé fans avoir été marié , &
Gafton-Jean- Baptifte de Savary- Breves , Abbé de
Montmajour , de Greftin , de Saint- Gildas de
Ruis , & de Gifmont , Aumônier du Roi.
>
Camille de Savary , premier du nom , Chevalier
, Comte de Breves , Seigneur Dauvours , &c.
Maître de la Garde-robe de S. A. R. Monfieur
Gafton de France , frere unique du Roi , par Bre
vet du 12 Novembre 1616. , fur la démiffion
d'Annibal d'Eftrées , Marqui de Coeuvres , pour
exercer ladite charge conjointement ou par femeftre
avec Cofme de Savary , Marquis de Mau
levrier fon frere puifné , épaufa par contrat du
226 MERCURE DE FRANCE.
>
22 Février 1634 , Catherine du Pleffis-Jarzé , fille
de François du Pleffis , Chevalier , Seigneur &
Marquis de Jarzé , Gentilhomme ordinaire de la
Chambre du Roi , Capitaine d'une Compagnie
de so Chevaux-Légers , & de Catherine de Beaumanoir
- Lavardin. Catherine du Pleffis-Jarzé
étoit foeur de René du Pleffis , Marquis de Jarzé
Capitaine d'une Compagnie de 90 Chevaux-Légers
en 1638. Cornette des 200 Chevaux- Légers
de la garde du Roi en 1643. Maréchal de Camp
& Capitaine d'une Compagnie des Gardes da
Corps de Sa Majefté en 1648. Ils étoient tous.
deux iffus de René , Seigneur de Jarzé , appellé
le brave Jarzé , tué en 1588 , à l'attaque des fauxbourgs
de Tours , pendant les guerres de la Ligue,
étant Meftre de Camp d'un régiment d'infanterie
pour le fervice du Roi ; ce René étoit fils de François
, Seigneur de Jarzé , & de Marie de Maillé-
Brezé la Maifon du Pleffis-Jarzé , originaire de
la province du Maine , eft éteinte en 1723 , par le
décès fans enfans de Marie-Urbain - René du Pleffis
, Marquis de Jarzé , Chevalier de Saint- Louis ;
il avoit eu une main emportée au fiége de Philisbourg
en 1688 , étant Colonel d'un régiment
d'infanterie de fon nom , la branche de Savary.
Breves a hérité de fes biens paternels , & le Marquilat
de Jarzé eft échu en partage à Camille de
Savary- Breves , troifiéme du nom , grand-pere de
la Comteffe de Maillé .
Camille de Savary , fecond du nom , Chevalier ,
Comte de Breves , &c . fils de Camille premier &
de Catherine du Pleffis- Jarzé : il fut fucceffivement
Capitaine & Lieutenant- Colonel du régiment
d'infanterie du fieur de Ferron , & Colonel
d'un régiment d'infanterie fuivant les Brevets des
31 Janvier 1637 , & 18 Mars 1658. Il époufa par
JUIN. 1755. 227
contrat du 29 Septembre 1661 , Hélene de Bar-,
tholy , fille unique de François de Bartholy , Che-,
valier , Comte de Saint- Bonnet , & d'Edmée de
Damas d'Anlezy ; de ce mariage eft iffu entr'autres
enfans ,
Camille de Savary , troifiéme du nom , Marquis,
de Breves & de Jarzé , &c. Capitaine de cavalerie ,
bleffé dangereufement en 1691 , au combat de
Leufe , qui de fon fecond mariage du 30 Avril
1717 , avec Marie- Magdelaine Cholet , a eu
Paul-Louis-Jean - Baptifte- Camille de Savary-
Breves , Marquis de Jarzé , qui a épousé par contrat
du 24 Avril 1739 , Bonne Damaris de Briqueville
de la Luzerne , fille de Jean- François de-
Briqueville , Seigneur & Comte de la Luzerne , &
de Françoife-Philberte de Froulay de Teffé , fille
dur feu Maréchal de Teffé : de ce mariage eft iffu
Marie-Frauçois- Camille de Savary , Comte de
Breves , Marie-Renée- Bonne-Félicité de Savary-
Breves de Jarzé , qui donne lieu à cet article , &
Marie-Louife de Savary-Breves .
Françoife -Alexandrine de Savary- Breves , four
du Marquis de Jarzé , a épousé en 1746 , François-
Philbert de Briqueville de la Luzerne , appellé le
Comte de Briqueville , Brigadier des armées du
Roi , Enfeigne des Gardes du Corps de Sa Majesté »
if eft frere de la Marquife de Jarzé.
La Maifon de Savary porte pour armes ,
d'argent & defable.
écartelé
Voyez les Mémoires de l'Abbé de Marolles , tom.
2. p. 230 ; le Mercure François , tom. 1. p. 29. tom ..
2. p. 262 ; l'Histoire de Louis XIII. par Michel le
Vaffor tom. 3. premiere part . d . 6 ; les Mémoires
Hiftoire , de Critique de Littérature , par
M.ľAbbé d'Artigny , tom . 4. p . 345 , ¿co
K vi
228 MERCURE DE FRANCE.
Le 2 Janvier eft mort à Paris Meffire François-
Vincent Durand de Villegagnon , Marquis de
Villegagnon , âgé de 72 ans.
Le 7 Février eft mort Meffire Galiot Mandat ;
Maître des Requêtes.
Melfire Pierre de Meſmes de Ravignan , ancien
Colonel d'Infanterie , mourut le même jour âgé
de 81 ans.
Meffire Jacques- Gabriel de Chapt , Comte de
Raftignac , Baron de Luzech , eft mort le 9 à
Sarlat en Périgord dans fa 78 ° année .
ג
Meffire Charles de Secondat , Baron de Montefquieu
ancien Préfident du Parlement de
Guyenne , & l'un des quarante de l'Académie
Françoife , dont il étoit un des principaux ornemens
, mourut à Paris le 10 , âgé de 65 ans, IL
étoit de la Société royale de Londres & de l'Académie
de Berlin .
Dame Louiſe- Claire de Lamoignon , veuve de
Meffire Armand -Pierre -Marc - Antoine de Gourgues
, Maître des Requêtes , mourut à Paris le 17.
Meffire Jofeph-Nicolas Millet , Chanoine &
ancien Doyen de l'Eglife Métropolitaine de
Rheims , eft mort à Rheims le 18 dans fa 97e
année.
Damoiſelle Jeanne-Hippolite - Charlote-Marine
PEriget de la Faye , fille de feu Meffire Jean- Franfois
l'Eriget , Marquis de la Faye , eft morte le
19 au Couvent de Belle- Chaffe.
Dame Magdeleine- Henriette de Caze , veuve
de Meffire Jean- Louis Rouillé d'Orfeuil , Maître
des Requêtes , eft morte à Paris le 23.
Dame Marie Robert , veuve de Meffire François
Dauvet , Comte Defmareft , Grand Fauconnier
de France , mourut le 24 âgée de 71 ans .
Dame Magdeleine -Elizabeth Haillet , époufe
JUIN. 1755. 2.29
de Meffire Aimeri de Caffagnet , Marquis de Fi
marcon , Lieutenant général des Armées du Roi ,
eft morte le 28 dans fa 45 ° année .
Dame Genevieve Pecquot , veuve de Meflire
Charles Sevin , Marquis de Quinci , Brigadier des
Armées du Roi , Lieutenant général d'Artillerie ,
& Lieutenant du Roi dans la province d'Auvergne
, eft morte au Monaftere des Dames de fainte
Marie de Meaux , dans fa 77° année.
Pierre -Guillaume Monpefat Tremolety de Bucelly
, Marquis de Monpefat , Lieutenant de Roi
de Languedoc , eft décédé dans fon château de
Monpefat le 24 d'Avril ; il étoit devenu le chef &
l'aîné des anciens Monpefat du bas- Languedoc : il
a laiffé deux fils , l'aîné connu fous le nom de
Marquis de Monpefat , eft Lieutenant de Roi de
Languedoc , & l'un des quatre premiers Baron du
Dauphiné le fecond , eft Doyen du Chapitre de
Tarrafcon ; leur four unique avoit épousé le Marquis
de Nicolay : il y a eu de leur mariage deux
fils ; & le Marquis de Monpefat , aujourd'hui repréfentant
fon pere , a de fon mariage avec la fille
unique du Marquis d'Ugoult-Montmaur des en.
fans.
Li
A VIS
'Eau des Sultannes fe diftribue toujours avec.
beaucoup de fuccès. Il y a peu de femaines .
que le fieur Garot , feul poffeffeur du fecret de la
compofer , ne reçoive des lettres de province , qui.
lui font adreffées de la part des perfonnes de dif
tinction , pour des envois qu'il a foin de faire
tenir régulierement . Ces perfonnes véridiques ,»
230 MERCURE DE FRANCE.
qui font l'éloge de cette Eau , ont remarqué par
fufage qu'elles en ont fait , qu'elle poffede non'
feulement toutes les vertus annoncées déja dans le
Mercure de Juillet 1752 , mais encore celles
d'être excellente pour preffer la guérifon des éré-'
fipeles , dartres vives & farineufes , & enfin toutes
les maladies de la peau , qui ont un grand feu
pour principe.
:
>
On peut s'en fervir le matin & le foir , elle raf--
fermit la peau , l'adoucit & la fortifie confidérablement
en la blanchiffant ; elle a auffi la vertu
de rafraîchir . Elle convient non feulement aux
femmes , mais encore aux hommes qui ont le vifage
brûlé du foleil en courant la pofte , ou à la
chaffe ; il ne faut qu'imbiber un petit linge fin ,
ou une éponge avec cette Eau , & s'en étuver
pour le trouver promptement foulagé . Cette Eau
eft très - convenable dans les bains de fanté & de
propreté , on la peut mêler avec l'eau du bain , à
volonté ; lorfque l'on fera forti du bain , on peut
l'employer toute pure. On peut auffi , après s'être
bien lavé les mains & les avoir effuyées , fe les
frotter de ladite Eau pure , puis la laiffer fecher
fans les effuyer que très - légerement . Cette Eau
eft auffi très-bonne pour les taches de rouffeur &
les rougeurs de la petite verole , elle les efface entierement.
Plufieurs Seigneurs & Dames s'en fervent
actuellement . Cette Eau fe débite en plufieurs
provinces : le prix du flacon eft de 6 liv. &
le demi- flacon eft de 3 livres . Le fieur Garot prie
les perfonnes qui lui écriront , d'affranchir le port
de leur lettre . Il demeure préfentement rue Be
tízy , en entrant par la rue de la Monnoye , chez
M. Sivrie , Maître Boulanger , au milieu de l'allée
une petite porte à gauche , au premier étage.
JUIN. 1755. 251
AUTRE.
E fieur Jean Hatry , Marchand Epicier - Dro
Lguifte ,rue des Lombards à Paris , a reçu de
P'Amérique du Syrop de Callebaffe , déja connu
par les excellentes propriétés contre toutes les
affections de poitrine , comme les rhumes , les
maux de gorge , la pulmonie , la phthifie & l'afthme.
Ce Sirop , par fa qualité lubrefiante & déterfive
, fait expectorer avec beaucoup de facilité..
Le prix du flacon de pinte eft de 12 livres..
AUTR E.
E fieur Cartier donne avis au public qu'il
continue à diftribuer avec fuccès fon remede
pour la guériſon de la pierre & de la gravelle , if
envoye avec la maniere de s'en fervir les noms &
certificats des perfonnes qu'il a guéries , parmi
lefquelles il y en a deux qui ont été refondées , &
leur pierre s'eft trouvée entierement diffoute . Son
adreffe eft au College de Narbonne , rue de la
Harpe , à Paris . On affranchira le port des lettres..
AUTRE.
L n'eft pas furprenant que depuis quinze à vinge
nifeftées , étant devenu fort à la mode. Nous en
offrons au public une qui a l'applaudiffement de
232 MERCURE DE FRANCE.
tous ceux qui s'en font fervis , parce qu'elle rend
-le-Chocolat plus délicat & beaucoup plus onс-
tueux , ce qui vient d'une nouvelle machine qui
le broye avec plus de fuccès qu'on ne l'avoit fait
jufqu'aujourd'hui . L'on s'adreffera chez le fieur
Cartier , à l'Arſenal de Paris , dans la cour de la
Bastille. Toutes les grandes maifons feront foi de
l'excellence de ce Chocolat.
AUTRE .
Duchefne me faint equis ',
Uchefne , Libraire , rue faint Jacques , auau
Temple du Goût , vient de mettre en vente :
La fuite de la Bibliothéque amufante & inftructive
, 2 vol . in- 12. reliés 5 liv .
Le tome troisieme eft fous preffe.
La Baguette myftérieufe , ou Hiftoire d'Abizaï ,
deux parties brochées , 2 liv.
Lettre critique de l'Hiftoire univerfelle de M.
de Voltaire , par M. B. in- 12 . 1 liv.
Trois Differtations de M. l'Abbé Coyer , Ia
premiere fur le mot dé Patrie , la feconde fur la
nature du Peuple , & la troifieme fur les Religions
Grecque & Romaine , in - 12 . relié 2 liv.
Eclairciffemens effentiels pour préferver les
dents de la carie , & les conferver jufqu'à l'extrême
vieilleffe , par M. de l'Eclufe , brochure , 12 f.
Entretiens fur les Romans , ouvrage moral &
critique , avec une Table alphabétique des anciens
& nouveaux Romans , in- 12 . relié 3 liv.
Une nouvelle édition de l'Effai fur l'Architecture
, par le Pere Laugier , augmentée confidérablement
, avec un Dictionnaire des termes & des f
gures , in- 8°. relié 6 liv.
JUIN. 1755. 233
La feconde partie des Effais hiftoriques fur
Paris , par M. de Saintfoix , la partie , 1 liv. 16 f.
Fables & Contes , avec un Difcours fur la littérature
allemande , par M. de Rivery , in - 12 . belles
vignettes , 2 liv . 10 £
Les faux Pas ou Mémoires vrais ou vrai→
femblables , de la Baronne de ... 2 parties brochées
, 2 liv. 10 f. <
Hiftoire de Simonide & du fiecle où il a vêcu ;
avec des éclairciffemens chronologiques ; par M.
de Boiffy fils , deux parties brochées , 2 1. 1o f.
Recueil général de tout ce qui a été publié fur
la ville d'Herculane , in- 12 . broché 2 liv .
I
Hiftoire d'une jeune fille fauvage trouvée dans
les bois à l'âge de dix ans , in - 12. broché 1 liv.
Mémoires du Comte de Banefton , par M. de
Forceville , deux parties , broché 2 liv. 10 f.
La Médecine expérimentale , ou le réſultat des
nouvelles Obfervations pratiques & anatomiques ,
par M. Thiery , Médecin de l'Empereur , in- 12 .
relié 2 liv. 10 f.
Mémoires du Chevalier d'Herban , deux parties
in- 12. 2 1.
Nouveaux fujets de Peinture & Sculpture , par
M. le Comte de C ... in- 12 . brochure , 1 liv.
La Pleyade françoife , ou l'efprit des fept grands
Poëtes François , en forme de Dictionnaire ,
2 vol. petit format , reliés , liv .
Le Paffe- tems des Moufquetaires , ou le tems
perdu , in-12 . 1 liv. 10 f.
Triomphe de l'Amour , ou le Serpent caché
fous les fleurs , fuivi de la brochure à la mode ,
deux parties.
Traité de la Diction françoife , par M. E ...
de l'Académie des Sciences de Montpellier , in-12 .
2 liv.
1
234 MERCURE DE FRANCE.
La nouvelle édition de Telliamed , confidérablement
augmentée de plufieurs pieces relatives à
l'ouvrage , & de la vie de l'auteur , 2 vol. in - 12 .
liv.
Le Recueil des OEuvres de M. Vadé , 2 vol.
in-8°. 10 liv.
*
Le Recueil des pieces qui ont été repréſentées
fur le théâtre de l'Opéra- Comique depuis fon
rétabliſſement , 3 vol . in - 8 ° . avec les airs notés
Is liv.
Les Troyennes de Champagne , Parodie.
Les Jumeaux , Parodie.
Jerôme & Fanchonette , Parodie.
Les jeunes Mariés , Opéra- Comique.
La Folie & l'Amour , Comédie.
Les Tuteurs , Comédie.
"
On trouve chez le même Libraire un aſſortiment
de Livres, tant anciens que nouveaux , de France
& du pays étranger ; pareillement un affortiment
général des Théatres & Pieces détachées , &plu➡
fieurs Recueils , de Mufique.
LIVRES fous preffe qui ne tarderont pas
à paroître.
Tableau de l'Empire Ottoman , 12.
Projet des Embelliffemens de Paris , par M.
Delagrave.
Les pieces dérobées de M. l'Abbé de Lattaignant
, 4
vol. in- 12.
Les OEuvres de M. Piron , 3 vol. in-12.
Hiftoire intéreffante du Nord , in-12. 3 vol.
JUIN. 1753 . 235
AUTR E.
E fieur Maupillier l'aîné , furnommé l'Indien ,
Lautrefois
autrefois Chirurgien des Hôpitaux du Roi ,
ancien Chirurgien- major de la Compagnie des
Indes , Chirurgien reçu à Paris , P. Angers , &
aggrégé à Saint- Germain-en- Laye , où il demeure
, rue de Poiffy , eft inventeur d'un baume nerval
, fpécifique pour toutes les douleurs rhumatiffantes
, foit du cuir chevelu , ou de fciatique,
'goutte froide des articles , entorfes , débilité ,
piquures , foulures , meurtriffures des nerfs , des
tendons , des ligamens , &c.
Ce baume a été éprouvé avec fuccès à l'Hôtel
royal des Invalides , a l'Hôpital de la Salpétriere
à Paris , & c.
Les pots en fayence font de trois & de fix onces
, les uns font de fix livres , & les autres de
trois livres.
On n'en fera point d'envois en province que
pour une livre & demie ; on aura foin d'affranchir
les ports de lettres & de l'argent , & on aura celui
de faire enrégiftrer ce médicament à fon adreffe
dans les Meffageries. Ce baume fe vend chez M.
Gambés , Diſtillateur dans l'Abbaye S. Germain
des Prés à Paris ; ou chez l'aureur , à Saint-Germain-
en- Laye.
a36 MERCURE DE FRANCE.
AUTRE
'Elixir de Garrus, dont tout le monde connoît
les excellentes propriétés , fe vend à préfent
chez Mme Garrus , rue de la Sourdiere , maifon
de Mme Hachette , à côté du petit hôtel S. Jean.
AUTRE.
Fauvel , expert,reçu à S. Côme pour lesher
nies ou defcentes , traite ces maladies par l'application
d'une nouvelle efpece de bandage d'ivoi
re qu'il a inventé .
Ce bandage convient aux perfonnes de tout àge
& de tout fexe ; il excelle fur-tout pour les hernies
naiflantes qu'il guérit radicalement & en peu
'de tems.
Ce bandage étant fans fer ni acier , a l'avanta
ge
fur ceux qu'on emploie communement d'être
très-léger , & de faire très- peu de volume ; il n'eſt
pas fujet à écorcher ni à ufer le linge qui porte
deffus , enfin on couche avec lui fans en être gêné
, & on n'eſt pas obligé de le quitter dans aucun
exercice que ce foit : un feul fuffit pour la vie ,
& il eft aifé d'un bandage fimple d'en faire un
double fans rien changer au premier , auquel on
ajoute un fecond écuffon d'ivoire , qui s'approche
ou s'écarte à volonté. Ceux du nombril &
autres parties du ventre font auffi d'ivoire.
Il fait des peffaires d'ivoire & de cire pour la
chûte de la matrice ; il en fait d'ivoire & à reffort
pour la chûte de l'anus ; il fait aufli pour l'un &
JUIN 1755 237
Pautre fexe des refforts & machines pour empêcher
l'écoulement involontaire des urines.
Il fait des urinoirs portatifs pour ceux qui font
obligés de refter long-tems dans la même place ,
comme les Eccléfiaftiques , les gens de robes , &
ceux qui vont en voitures ; il en fait auffi de trèscommodes
pour l'un & l'autre fexe , qui fe mettent
dans la poche , fans laiffer répandre une feule
goutte d'urine.
Il fait des portes- ventre très-légers , tant pour
les femmes enceintes , que pour les perfonnes
graffes , & celles qui ont la difpofition à avoir
un gros ventre parce qu'ils empêchent les
mufcles du bas- ventre de s'étendre outre
mefure.
>
Il fait une machine très-commode pour cacher
la fiftule l'acrimale ; des croix , des colliers , &
des botines pour les enfans qui en ont befoin ; il
fait des fufpenfoirs de toutes façons ; & généralement
tout ce qui concerne la guériſon , ou le
foulagement de toutes les maladies fufdites.
Il fait en ivoire le lévier de Roouhuiffen pour
les accouchemens difficiles , qui eft beaucoup
plus commode & plus fimple que celui de fer
dont fe fervoit ce fameux Accoucheur , & ne cauſe
pas
d'effroi comme font les ferremens .
Les malades de provinces qui lui écriront , font
priés de bien expliquer leurs maladies. A l'égard
de celles qui exigent l'application des bandages ,
il faut qu'on envoye la groffeur de la perfonne ,
qu'on explique la place ainfi que le volume de la
hernie ; s'il y en a deux , il faut fpécifier celle
qui eft la plus groffe , marquer fi le malade eft
maigre ou en embonpoint , fi les aînes font
creuſes , ou élevées , & affranchir les lettres,
238 MERCURE DE FRANCE.
Le fieur Fauvel demeure à préfent rue Macon ;
entre le Pont Saint-Michel & S. André des- Artsa
an Bandage d'ivoire , à Paris.
ᎪᎥ
APPROBATION.
"Ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chancelier
, le fecond volume du Mercure de Juin ,
& je n'y ai rien trouvé qui puiffe en empêcher
l'impreffion. A Paris , ce 16 Juin 1755.
GUIROY.
TWTH
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
REponſede M. Defmahis à M. de Margency,
page 7
Les Donneurs d'idées , Badinage inſtructif adreſſé
à M. de Boiffy,
II
Vers fur la mort de M. le Maréchal de Lowendalh,
Madrigal ,
20
ibid.
21
Vers à Mlle de Luffan , à l'occafion de fa penfion
fur le Mercure , par un de fes amis ,
Portraits de cing fameux Peintres Romains ,
Voyage de Dijon à Paris , fait en 1746 ,
Réflexions de M. de Marivaux ,
22
25
46
Vers à M.L. C. de *** fur des flambeaux de Saxe
qu'elle avoit envoyés myftérieufement à Mme
de SZ
239
Mots des Enigmes & des Logogryphes du Mer
cure de Juin ,
Chanfon de Table ,
Enigme & Logogryphe ,
ART. II . NOUVELLES LITTERAIRES.
59
60
63
Extraits , Précis ou Indications des Livres nouveaux
,
66
Sujets propofés par l'Académie royale des Sciences
& Beaux Arts de Pau , 77
Lettre de M. Gentil en réponſe à la Lettre de M.
le Tellier >
ART. III. SCIENCES ET BELLES LETTRES.
78
85
Algébre. Lettre à l'Auteur du Mercure ,
Méthode de Solution du Problême d'Algebre appliqué
à la fcience de la guerre , annoncé dans
le Mercure de Mai dernier ,
Médecine. Obfervations de M. Peffault de la Tour,
Médecin à Beaufort , fur un mémoire de M. Le
Cat ,
88
96.
Chirurgie. A Meffieurs de l'Académie royale de
Chirurgie , 106
Lettre de M. Defcaftans à M. Dupuy , Maître en
Chirurgie
120
Agriculture. Obfervations fur les vignes de 1754 ,
faites dans le Bordelois ,
ART. IV. BEAUX ARTS.
134
Sculpture. Lettre de M. Voifin , Avocat au Parlement
de Paris , à M. le Comte de Treffan , 129
Gravure ,
Architecture. Lettre de M à M. le Comte de
Ch, fur le Louvre ,
....
140
144
240
Horlogerie. Avertiffement du fieur le Mazurier
ART. V. SPECTACLES.
Comédie Françoiſe ,
Extrait de Philoctete ,
Comédie Italienne ,
ISO
179
180
195
Concert fpirituel ,
203
ARTICLE VI.
Nouvelles étrangeres , 203
Nouvelles de la Cour , de Paris , & c. 21E
>
Bénéfices donnés
219
Mariage & Morts , 221
Avis divers , -228
THÈQUE
BIBLIO
DE
L
LYON
VILLE
De L'Imprimeriede Ch, A. JOMBERT,
Qualité de la reconnaissance optique de caractères