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MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROL
A O UST. 1746.
AGIT
||UT
"
SPARGAT
Papilia
A PARIS ,
GUILLAUME CAVELIER ,
rue S. Jacques.
Chés La Veuve PISSOT , Quai de Conty,
à la defcente du Pont- Neuf.
JEAN DE NULLY , au Palais.
M. DCC. XLVI.
Avec Approbation & Privilege du Roi.
*E NEW YORK
UBLIC LIBRARY
300252
ASTOR, LENOX AND
TILDEN
FOUNDATIONS
AVIS.
LADRESSE générale du Mercure eft
a M.DE CLEVES D'ARNÍCOURT
rue du champ-Fleuri dans la Maifon de M.
Lourdet , Correcteur des Comptes au premier
étage fur le derriere entre un Perruquier &
un Serrurier, à côté de l'Hôtel d'Enguien,
Nousprions très- inftamment , ceux qui nous adrefferont
des Paquets par la Pofte , d'en affranchir
le Port,pour nous épargner le déplaifir
de les rebuter, & à eux celui de ne pas voir
paroître leurs Ouvrages .
Les Libraires des Provinces & des Pays
Etrangers , quifouhaiteront avoir le Mercure
de France de la premiere main , & plus
promptement, n'auront qu'à écrire à l'adreffe
si-deffus indiquée on fe conformera trèsexactement
à leurs intentions .
Ainfi ilfaudra mettrefur les adreffesà M.
DE CLEVES D'ARNICOURT, Commis
au Mercure de France rue du Champ-
Fleuri , pour rendre à M. de la Bruere.
La negligence de l'Imprimeur a caufél'exceffif
retardement du Mercure de Juillet
mais comme on en a changé , on efpere que
sela n'arriveraplus.
PRIX XXX SOLS
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI
PIECES FUGITIVES
en Vers & en Profe.
ODE.
Tirée du Pleaume I. Beatus vir qui non
H
abiit , & c.
EUREUX celui qui des mé
chans
Fuyant l'odieufe affemblée ,
De leurs blafphemes féduifans
N'eût jamais la langue fouillée
Qui de la Loi de Dieu , fait fon plus cher défir
Et de la méditer fon unique plaifir !
A ij
MERCURE DE FRANCE.
Tel fur le bord d'une onde pure
Un arbre au milieu des buiffons
Unit à l'aimable verdure
Les fruits des plus belles faifons ;
Tel le jufte à l'abri des fureurs de l'envie ,
Coulera doucement la plus heureuſe vie.
'impie à fes vices fougueux
Au contraire toujours enproie ,
Dans les moments les plus heureux
Ne goûte qu'une vaine joie.;
Tel l'atome devient le jouet des Zephirs ;
De même il obéit a fes honteux défirs.
Lorfque précedé du tonnerre ;
Pour juger les foibles humains ,
Le Très-Haut viendra fur la terre
Accompagné de mille Saints.
Le pecheur accablé fous le poids de fes crimes
Se précipitera dans le fond des abîmes.
L'Eternel qui fonde les coeurs ,
Voit d'an oil plein de complaifance
Le jufte comblé de bonheur ,
Dans le chemin de l'innocence ,
Tandis qu'à fes defirs pour toujours enchaîné
L'impie eft fans reſſource à ſa perte entraîné.
AOUST 1746.
Cette Lettre a été adreſſée à feu M. l'Abbé
Desfontaines dans les derniers tems defa
vie ; comme il n'eût point le tems d'enfaïre
ufage , l'Auteur qui avoit envie de la
rendre publique , s'eft adreffé à nous , &
nous avons cru devoir lui rendre cefervice.
Momption
je n'ai pas affés de préfomption
pour m'imaginer que les remarques
que je vous ai déja envoyées foient
dignes de votre attention ; je fuis convaincu
de mon infuffifance & de la futilité
de la plûpart de ces remarques , mais j'efpere
de votre politefle & de votre indulgence
, que vous ne condamnerez pas à la
rigueur la liberté que je prends de vous faire
part de mes petites obfervations ,ſauf à votre
difcernement à les apprécier a leur jufte
valeur , c'eſt-à- dire , de les mépriſer , fi elles
ne méritent pas votre approbation ou votre
judicieufe critique . C'eft avec une telle réfignation
que je me hazarde à vous envoyer
encore les fuivantes.
la
J'ai lû avec plaifir ce que vous obſervez à
page 259. du joe volume de vos obfer.
vations fur l'Y grec , que vous confeillez de
A iij
MERCURE DE FRANCE.
n'emploïer que dans les mots dérivés du
Grec. Je pense qu'on le pourroit bannir de
tous les mots qui n'en dérivent pas , & lui
fubftituer l'i tréma , comme vous l'avez déja
fait dans Païs , Plébeïen , que vous écrivez
cependant auffi Pays , Plébeyen . Cette premiere
orthographe peut déja fervir de paffeport
à mon averfion contre l'Y grec qui
dans ces mots & tant d'autres peut être remplacé
par cet ï. Je crois que pour faciliter
aux étrangers l'étude de notre Langue , il
conviendroit d'obferver à cet égard une uniformité
conftante , & qu'en leur faveur nous
ne devrions pas écrire indifferemment aiant
& Roiaume , ou ayant & Royaume , & vous
dites que cela eft indifferent.
J'écris , dit Ménage, dans fon Ménagiana
fédition d'Amfterdam 1713 ) Pays de deux
fyllables , Payfan de trois , & Abbaye de
quatre.Tels font les caprices des hommes ou
de l'uſage , car la même prononciation ſe
trouve dans Pais , Paifan , Abbaie , en
prononçant les deux i que prefente l'i tréma.
Mais cefçavant n'étoit pas conféquent
fur l'orthographe d'autres mots qui fembloient
auffi exiger des Y grecs & devoir
augmenter de fyllables. Il écrit dans la même
édition , envoioit , jecroiois , moïen , &c.
qui me paroît la bonne ortographe , & fuiwant
fes principes il auroit dû écrire , en
AOUST. 1746
voyioit , je croyiois , moyien. Je penfe Monfieur
, que l'i tréma bien accrédité
par vos
fçavans ouvrages diffiperoit tous ces caprices
d'un ufage inconftant ou indifferent
que nous fçaurions enfin à quoi nous en tenir,&
que les étrangers y trouveroient mieux
leur compte
.
Ils nous fçauroient gré auffi d'obferver
une ortographe uniforme dans bifarre &
bifarrerie , qui eft fans doute votre orthographe
, au lieu d'écrire indifferemment bizarre
, bizare , bizarerie , qui fe trouvent
auffi dans vos ouvrages , par la faute fans
doute de votre Imprimeur.
J'ai auffi remarqué que vous écrivez indifféremment
l'aiman , ou l'aimant. Je crois
que l'ufage eft pour aiman , quoiqu'on dife
éguille aimantée , & non aimanée.
Je n'ai pas affés lû pour pouvoir
affûrer
que vous aïés le premier
écrit vide au lieu de vuide
, mais je fuis perfuadé
que les étrangers
vous auront
obligation
du retran- chement
de cet u inutile
, qui leur faifoit prononcer
vu-i-de. Combien
de lettres
inutiles
ne pourroit
-on pas retrancher
de même
d'u- ne infinité
de mots,fans leur faire perdre
leur analogie
, ni encourir
les reproches
que vous faites fi judicieuſement
à M. l'Abbé
de faint
Pierre
?
Dans la fable du Lion & de l'Ours intitu
A iiij
MERCURE DE FRANCE.
lée l'excès de bonté , que vous avés inſerée à
la fin de la 238e feuille de vos obſervations ,
l'Auteur place leur entrevûe dans l'Inde Occidentale.
Il n'y eût jamais de tels animaux
dans l'une ou l'autre Amérique. Les Lions ,
comme vous le fçavez , habitent les Pays
chauds de l'Afie & de l'Afrique , que nous
appellons Indes Orientales , & les Ours net
fe trouvent que dans les païs Septentrionaux
de l'Europe. Ces animaux ne fe font ,
je crois,jamais rencontrés enſemble que dans
des ménageries ou des arénes. Je ne fçais fi
ce défaut de vrai-femblance n'en eft point
un quoique dans une fable.
Quoique vous aïés défaprouvé dans M.
Rollin l'orthographe , nous fefons , ils fefoient
, &c. je l'ai trouvée dans quelquesunes
de vos feuilles , j'y ai auffi trouvé aiguille
& éguille , fautes fans doute à mettre
fur le compte de vos Copiftes ou de vos Imprimeurs.
Les varietés ne peuvent manquer
d'embarraffer les étrangers , & de leur faire
fuppofer deux fignifications à un même mot
écrit de deux façons , même application au
mot triturition & trituration , fçavans , ſavans
, &c.
Leur embarras eft encore plus grand lorfqu'ils
rencontrent de ces fortes de phraſes
ou de locutions , feuille 299. au bas de la
page 314. que je n'ai fait qu'annoncer,feuil
AOUST. 1746.
304.page 90. Eft- ce que Philippe étoit inconnu
? Feuille 307 , page 148. Il ne faifoit
encore que bégayer. Ils ont une peine infinie
à fe familiariler avec ces fortes d'expreffions
& à s'en fervir , ils ne les peuvent rendre
litteralement dans leurs Langues. Ils s'ac
commoderoient bien mieux des fuivantes ,
Quej'ai fimplement annoncé. Philippe étoitil
inconnu ? Il bégaioit encore. Ce n'eft , pas
je vousprotefte,pour critiquer votre diction
qui eft très pure & d'ufage , que je fais cette
remarque , je ne la hazarde qu'en faveur
des étrangers. Je pense qu'en fimplifiant &
en abregeant ces fortes de locutions notre
Langue feroit encore plus de progrès parmi
eux , fans qu'elle en fouffrit d'alteration ,
& que notre Librairie y trouveroit fon profit.
Lettre 248 , page 188. du 17e Tome des
obfervations. Il ne falloit aEpaminondas , dit
M. l'Abbé Seran de la Tour , que des jours
plus longs pour rendre fa Patrie fouveraine
de la Grece par mer. A vûe de païs je ne
crois pas qu'il foit jamais tombé dans l'efprit
de ce grand homme ni d'aucun Thebain
fenfé de projetter une marine fi redoutable.
Thebes , Ville méditerrannée , fituée fur le
bord d'une petite riviere à laquel'e on peut
bien donner le nom de ruil eau, & quià peinne
porte bâteau , éloignée de la mer , fans
commerce ni navigation , dénuée par con
Av
to MERCURE DE FRANCE
féquent d'Officiers & de Matelots ; Thebes
dis je , n'étoit pas propre à efperer la fouveraineté
de ces mers. Cela me fait conjectu
rer que ce fyftême de marine Thebaine n'a
jamais exifté que dans l'imagination de l'Hif
torien moderne d'Epaminondas, ou dans les
panégyriques qu'on a faits de ce Heros.
Lettre 255. page 352. & 353. Jem'éton
ne que M. Riccoboni n'ait pas mis Catz au
nombre des bons Poëtes Hollandois,& qu'il
n'ait cité que Hooft & Vondel , deux bons
Poëtes à la vérité, mais Catz ne leur eft pas
inferieur. Il eft l'Ovide , le Juvenal , le Martial
& l'Aufone tout enfemble des Hollandois,
Ce que M. Riccoboni remarque fur la
Langue , la Poëfie & les Rimes Hollandoi
fes , eft fort jufte, & je puis en décider,puiſ
que je poffede cette Langue . Cependant je
ne prévois pas quefon éloge puiffe faire n'ai
tre l'envie & la mode d'apprendre cet idiome.
Il paroît concentré dans les Pays- Bas ,
& les feuls Commerçans étrangers ne l'apprenent
que pour être en état de correfpondre
avec les Hollandois. Leur litterature
n'eft pas aſſés abondante ni féduiſante pour
exciter les Scavans à l'étude de leur Langue
, mais on a tort de leur reprocher une
monotonie continuelle dans leurs rimes feminines
, qui fe terminent par la fyllabe en,
car P'N. ne fe prononce point , ce que fans
AOUST. 1746
doute M. Riccoboni a ignoré , lorfqu'il a
avancé que ce fréquent retour de fons femblables
devoit être défagreable.Vous en pou
vez juger par les fuivantes rimes feminines
que vous trouverez fans doute allés variées
pour n'être pas regardée comme monotones.
Leeren ,
Deeren ,
Dingen
Springen
Zeden ,
Reden ,
"
Toonen ,
Klink en , Myden,
Kroonen ,
Zinken ,
Týden ,
Tous ces mots fe prononcent comme s'il
n'y avoit point d'N. à la fin , àpeu près comme
nous prononçons nos verbes qui ſe terminent
en er, où l'r ne fe fait pas fentir ,
fi elle n'eft fuivie d'une voïelle ; ou comme
nos S. finales qui ne fe prononcent pas. Libres,
communes, familieres & autres qui forment
des rimes differentes .
Il eft encore vrai , que la Langue Hollando
fe eft plus riche & plus expreffive que la
nôtre , qu'elle a beaucoup de mots qui nous
manquent & au défaut defquels il nous faut
fouvent ufer de circonlocution de périphrafes
& du verbe faire . Elle a des comparatifs
, des fuperlatifs , des diminutifs , des
mots compolés , & des verbes de deux à
trois fyllables qui expriment ce que nous
ne difons qu'avec deux ou trois mots :fa conf-
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
truction eft à peu près égale à celle du
eſt
Latin , ce qui rend les difcours oratoires
fonores & majeſtueux . J'ai lû & vû repréfenter
fur leurs Theâtres plufieurs Tragédies
de Corneille & de Racine , qui font en
effet fort bien traduites dans cetteLangue;ils
n'ont point de Tragédies de leur compofition
qui foient paffables. Quant à leurs Comédies
, elles font pitoïables ; la plupart ne
font que pour jouer la Religion Catholique
: on y voit des Cardinaux , des Cordeliers
, des Capucins pour Acteurs, beaucoup
de groffiereté & d'indécence , auffi n'y a-t'il
que la populace qui s'amufe à ces farces là.
Leur Theâtre d'Amfterdam eft en effet le
plus beau de l'Europe . La moitié du produit
des repréfentations appartient aux Hôpitaux.
Le fpectacle eft toujours nombreux. Les au
mônes qui proviennent duTheâtre font fans
doute ce qui a empêché les Rigoriſtes de
ce Pays là de fronder les Spectacles , car.je
ne fçache pas qu'ils fe foient jufqu'à préſent
exercé fur cette matiere .
A l'occafion de la Nation Hollandoiſe, me
permettrez- vous , Monfieur , de vous témoi
gner ma furprife de ce que nous n'avons
point fon Hiftoire complette de main francoife
, pendant que la France fourmille de
tant d'Hiftoires & de révolutions de toutes
les autres Nations? Celle- ci a cependant fair
AOUST. 1746.
re
une figure éclatante dans le monde depuis
qu'elle a entrepris de fecouer le joug Eſpa
gnol , & qu'elle s'eft érigée en République ,
& fans vouloir la comparer avec la Répu
blique Romaine , je trouve que les Hollandois
ont plus fait de conquête & donné plus
d'étendue à leur domination dans les trois
autres parties du monde dans l'efpace de so
ans , depuis le recouvrement de leur liberté ,
les Romains feulement en Europe
que
dans les 500 premieres années de la fondation
de leur Empire. Les Romains n'avoient
pas encore paffé le Pô à cet âge de
leur République , malgré tant de victoires
qui les rendoient fi redoutables long-tems
auparavant dans leurs Hiftoires, & ils avoient
fi peu d'idées de la marine , quoiqu'environnés
de mers , & continuellement harcelés &
pillés par les Pirates des Ports très voifins de
leur Capitale , qu'ils n'avoient pas encore au
bout de ces 500 ans fait aucune conquête
hors de l'Italie.
Les Hollandois au contraire en même .
tems qu'ils fe défendent contre l'Espagne ,
enlevent fes galions , détruiſent fes flottes ,
s'emparent de fes poffeffions dans les deux
Indes & en Afrique , fe fondent à fes dépens
en Afie un Empire qui a plufieurs Prin
ces pour tributaires , ruinent fon commer4
MERCURE DE FRANCE.
ce & fa navigation , s'en faififfent & par
viennent enfin à ce degré de puiffance & d'o
pulence auquel nous les voïons montés.
Tout cela s'eft exécuté dans moins de so
ans. Mais , Monfieur , vous fcavez tout ce
Ja mieux que moi, pardonnez-moi cette longue
tirade qui ne part que de la perfuafion
où je fuis de la beauté du fujet de cette
Hiftoire. Elle nous touche pour ainfi dire
d'auffi près que les Hollandois , par les fe
cours d'hommes & d'argent que la France
leur a fournis , par la protection qu'elle leur
a accordée , par les Traités d'alliance & de
commerce qu'elle a faits avec eux, &c. Cette
Hiftoire maniée &redigée par une bonne plume
figureroit infailliblement parmitant d'au
tres que nous avons,& qui à coup für nefont
pas fi intereffantes.
Les matériaux ne feroient pas difficiles à
raffembler & à mettre en oeuvres :aulecours
des Pieces & Mémoires qui font dans les
Archives & dans les Cabinets du Koïaume
nous avons Campana , Strada , Querenghi,
Bentivoglio , Coneftaggio , Pompée Giuf
tiniani , Wicquefort , qui ont publié des
Hiftoires ou des mémoires des troubles &
des révolutions des Païs-Bas , s'ils ne fuffifent
pas pour compofer un corps d'Hiftoire
complet , le fameux Grotius nous en a donAOUST.
1746. 15
*
né une très fidelle qui finit à la treve de
1609 , (a ) & le célebre Adrien Baillet fous
le nom de la Neuville en a publié une excellente
continuation jufqu'à l'année 1678.
Ces deux derniers ouvrages font les meil
leurs dans ce genre , cependant on y pourroit
coudre une infinité de beaux traits ré .
pandus dans d'autres Hiftoires ou mémoires
de Dumaurier , le Chevalier Temple & c.
Ait-Zema en a publié une en Hollandois
mais elle n'a pas mérité d'être traduite dans
aucune Langue fçavante. C'eſt une compila
tion monftrueufe de Faits , d'Edits , d'Or.
donnances , d'Actes publics, de Traités, qui
ne peut être bien placée que dans les Archives
des Provinces Unies. M. le Clerc , cet
Auteur infatigable , a auffi mis au jour en
deux volumes in-folio une Hiſtoire Françoife
& complette des fept Provinces Unies,
qui commence à l'année 1560 , & finit à
-Fannée 1715 , mais il a emploïé plufieurs
plumes à cet ouvrage , ce qu'il eft aifé de
reconnoître à la difference du Style qui en
beaucoup d'endroits eft trop diffus & fémé
de dictions très vicieuſes. Dans la feconde
( a ) L'Hiftoire des Pais - Bas & les Annales
de Grotius ont été imprimées à Amfterdam en
1657 , infol. & en 1658 in 12 ; elles ont été traduites
en François par M. l'Héritier, & imprimées
à Paris in ful, en 1672 .
16 MERCURE DE FRANCE.
édition même on trouve un grand nombre
de Batavicififmes. L'Auteur , par des raisons
qui lui étoient particulieres , y a inſeré tout
au long l'Hiftoire ennuieufe des factions des
Arminiens & des Gomariftes. Il fait mention(
dans fa Préface de l'Hiftoire Metallique
des Provinces-Unies qu'il a inferée à la fin
de fon Ouvrage ) des Annales de ces mêmes
Provinces par M. Bafnage , mais je n'ai
point encore vû ce dernier Ouvrage ni l'Hiftoire
Métallique des XVII Provinces des
Pays-Bas par Gerard Van- Loon dont vous
faites mention dans la quarante-feptiéme
Lettre du Nouvellifte du Parnaffe ; en tour
cas je me perfuade que toutes ces Annales
& ces Hiftoires difparoitroient en France à
la vue d'une bonne Hiftoire compofée par
un Auteur habile & impartial , tels qu'é
toient Grotius & Baillet. Elle feroit honneur
à la Nation & l'interreferoit. Je pense
Monfieur , qu'en expofant à nos Hiſtoriens
le pré udice que nous fouffrons de la privation
d'un tel Ouvrage , vous en engageriés
quelqu'un à l'entreprendre.
N'avez-vous jamais obfervé , Monfieur
con bien eft abufive l'habitude où font tous
nos Auteurs de réduire les monnoies anciennes
& étrangeres en livres tournois , aulieu
de les évaluer en marcs d'or ou d'argent ? Il ne
faut être ni Banquier ni Financier pour fça-
D
A O U ŠT.
1746. 17
voir combien l'un & l'autre contiennent de
livres tournois . Ces réductions ou calculs de
nos Auteurs ne peuvent manquer d'être vicieuſes
, vû les fréquentes mutations furvenues
fur nos efpeces. Il n'y en a point eu depuis
1727, ainfi M. Rollin , qui n'a , je crois ,
écrit que depuis ce tems-là en François , peut
avoir raifon d'évaluer le talent à 3000 livres.
Je n'examine pas ici fi fon calcul eft jufte ,
mais fi le marc d'argent remontoit à 120
livres , ou retomboit à 30 livres ou plus bas,
fon calcul feroit fort abufif , car à trente liv.
le marc d'argent , le talent vaudroit 1800
livres , & à 120 livres le marc d'argent , le
talent vaudroit 7200 livres ; fuppofant fon
calcul jufte , 3000 livres à raifon de so liv.
le marc , font so marcs d'argent . Il auroit
donc mieux fait d'évaluer le Talent à
So
marcs d'argent, ce qui auroit été vrai & jufte
dans tous les tems , & à quelque valeur
numéraire que nos efpeces pûffent être aug.
mentées ou diminuées ; c'eſt ce qu'a obfervé
M. Du Clos dans fon Hiftoire de Louis
XI. Tome premier, page 116. Le Duc de Sa
voye , dit -il , donna en mariage à fa fille
deux cent mille écus d'or de foixante-dix au
marc. S'il n'avoit pas ajouté que le mare
contenoit 70 de ces écus , il faudroit faire
de grandes recherches dans les Auteurs mo❤
netaires pour fçavoir la valeur de ces 200
GS MERCURE DE FRANCE
mille écus. Il a auffi eu la précaution de
nous faire connoître la valeur du marc d'or
ou d'argent fous le regne de ce Prince ,
& de nous dire combien le marc contenoit
d'écus . Cette méthode devroit être
fuivie par tous les Hiftoriens , & je ſouhaiterois
qu'elle l'eût été par le célebre M.
Rollin. Il auroit été imité par nos Auteurs
, & les lecteurs fçauroient mieux à
quoi s'en tenir fur la jufte valeur des talens ,
des monnoyes étrangeres , comme Livres
fterlings d'Angleterre , Florins & Ducats
d'Allemagne , Scudis d'Italie , &c .
X
Les Auteurs du grand Dictionnaire de
Commerce ont fait la même faute en éva
luant les monnoyes étrangeres en livres de
France ; la valeur numéraire étant plus hau
te lorfqu'ils ont écrit qu'elle n'eft à preſent ,
on ne peut tabler fur leurs évaluations .
Et quand les monnoyes ne devroient plus
changer , cette méthode de réduire les grof--
Les fommes au marc d'argent & non en livres
tournois , défabufera tous les lecteurs
qui ont trouvé dans les Auteurs les talens &
les monnoyes anciennes ou étrangeres évafués
à differens prix , fans pouvoir découvrir
quel eft précisément le véritable.
Je relis vos Jugements pour la feconde
fois ; je trouve dans le premier Tome aut
Bas de la page 246 , cette perfection & bien
AOUST. 1746.
19
d'autres qualités de eet Ouvrage ONT
ECHAPEES à certains Juges . Ne faudroitil
pas écrire ont échapé , ou plutôtfont échapées
?
>
Tome premier des Jugemens , page 313 ,
vous avez fort bien apprécié l'Eflai fur le
Commerce & fur la Marine de M. Deslandes
, on trouve cependant que vous l'avez
traité avec trop d'indulgence , & l'on eft
étonné que vous ayez qualifié de très- curienfe
la fantaftique defcription qu'il fait des
richeffes & des délices de la Ville d'Ormus.
Je fuis en mon particulier très-mortifié de
ce que , comme lui & comme M. Saverien
( dont vous faites mention dans vos feuilles
fuivantes Tome 2. page 269 ) vous ayez crû
que cette Ville exiſtoit encore dans toute
cette opulence où d'anciens Auteurs ou
Voyageurs nous l'ont repréſentée . Mille Re
lations nous ont appris la deftruction entiere
de cette ville dès l'an 1622 , comme vous le
pourrez voir dans le Dictionnaire Géogra
phique de Baudran. Refte à fçavoir lequel
de MM. Deslandes ou Saverien a dérobé à
l'autre cette grotefque imagination , ou fr
tous deux l'ont embellie d'après quelques anciens
Voyageurs . Ce n'eft pas d'après le feul
M. de Luffan que M. Deflandes a dit avec
raifon , que fi Paris étoit Ville maritime,
Femme Amfterdam , Londres , Lisbonne , Gé
20 MERCURE DE FRANCE
nes , la Marine feroit bien plus cultivée en
France. Il y a plus de cent ans que cela s'eſt
dit & écrit dans nos Ports de mer.
ODE SUR LE TEM S.
Omniatempus habent , habet & fimul omnia
tempus ,
Nec melius fequitur quod fuit ante bono-·
FXISTER c'eft périr , c'eft mourir que de vivre` ,
néant. Ce n'eft par tout que mort , & par tout que
Tout paffe & tel qu'un trait que l'oeil a peine àfuivre
L'univers tout entier fuit la loi du torrent.
Le tems même , le tems paffera comme un fable ;
Et qu'est- ce que ton cours , ton fort le plus durable
Rapide deftructeur de l'orgueil redoûté ?
Un inftant échapé des heures éternelles
A qui les vents prêtent leurs aîles.
Pour rejoindre l'éternité .
Le ciel m'a donc placé dans ce court intervalle
J'y coule des momens cent & cent fois plus courts
Chaque inftant que je vis , creufe l'urne fatale
Où doit fe terminer la trame de mes jours.
Ledeftin le plus beau des mortelles carrieres
AOUST. 1746 . 21
Neft q'un enchainement de cent morts journalieres,
Que fuit de près l'horreur d'une derniere mort,
Je vis en périffant ; par degrès je fuccombe ,
Et j'arrive au bord de ma tombe
Sans voir le terme de mon fort.
Irrévocables jours ! Paffé que je regrette !
Jours qu'on ne peut hâter ! Incertain avenir !
Nous n'offrez pour tout bien à mon ame inquiette
Q'un espoir incertain , qu'un triſte ſouvenir !
Le préfent n'eft qu'une onde & rapide & traitreffe ;
Peut-être , helas ! le flot dont je fuis la viteffe ,
Va-t- il en fe brifant enfanter mon trépas ?
L'inftant feul où je fuis eft le tems de ma vie ,
Et ce tems , je le facrifie
A l'inftant où je ne fuis pas .
L'être par un cheveu ſuſpendu fur l'abîme ,
Menace d'y rentrer auffi - tôt qu'il en fort ;)
Unjour qui l'a fait naître immole la victime ;
Unfoufle eſt le rempart qu'elle oppoſe à la mort,
Et les folles amours , l'efpérance infenfée
De plaifirs , de projets occupant fa penſée
Eternifent l'erreur toujours prompte à s'offrir.
Le réveil t'apprendra , mais trop tard , vil atôme ,
Qu'il n'eft que trois inftants dans l'homme ;
Naître , loupirer & mourir.
Sur un commun théâtre en caprice célébre ,
22 MERCURE DE FRANCE.
Auffi prompt que l'éclair , paffe le Conquerant
Le triomphe fini , vient la pompe funebre :
Que de lauriers flétris , leheros expirant !
Arbitre des revers dont la terre s'étonne , ¦
Le tems met & ravit à fon gré la Couronne ;
Sa main prête le mafque , & l'ôte à l'impoſteur
Et porté fur un cercle inconftant & mobile
Il vange l'Autel , le pupile.
En dépouillant l'ufurpateur. !
Titres , faftes, grandeurs, avec lui tout s'envole
La vanité n'a point le droit d'éternifer :
A peine aux yeux publics offre -t'elle l'idole ,
Que le marteau fatal tombe & vient l'écrafer ;
Salmonée ofe- t'il s'emparer de la foudre?
Elle éclatte en fes mains & le réduit en poudre ;
Le plus brillant des jours eft fuivi de fa nuit.
Tu peris , cedre altier , tu meurs , humble fougeres
Le même vent , dont la colere
Flétrit la fleur , abbat le fruit.
Ambitieux néant , orgueilleufe pouffiere ,
Hâte-toi d'animer & le marbre & l'airain :
Au delà du trépas ouvre une autre carriere ;
Renais , nouveau phoenix , fous une habile main
Lefuccès a trahi l'efpoir de tes delires ;
Malgré tes foins , l'airain , le mabre où tu refpires
Sont les tristes cyprès qui marquent ton cercueil
Et déja mutilés, eux qui bravoient l'orage,
AOUST.
1746. 23
Ne m'offrent plus dans ton image
Que les débris de ton orgueil.
Antiques monumens , prodigieux ouvrages ,
Dont les reftes mourans femblent s'en orgueillir,
Ceffez de nous contraindre à d'éternels hommages.
Les ombres de l'oubli vont nous ensevelir.
Mourezgarants trompeurs d'une immortelle gloire ;
Temples que l'homme en vain éleve à fa mémoire
Périffables travaux d'un ouvrier mortel
Le bras qui fans égard frappole fimulacre,
Quand l'amour propre le confacre
N'eft- il pas levé fur l'Autel ?
Oufont , Thebes , Memphis , vos merveilles divi
nes?
Quels cadavres éparts ! Quels tombeaux ! Quels
déferts !
L'orgueil ne peut marcher fans heurter ſes ruines ;
La terre chaque jour offre un autre univers ;
Deftructeurs dont le tems a détruit juſqu'aux cen
dres ,
Quel fruit de vos exploits , Sefoftris , Alexandres ?
Un Sceptre qui fe briſe en tombant de vos mains
L'impétueux torrent fe déborde & s'écoule ,
Telle on a vû paffer la foule
Des Perfes , des Grecs & des Romains,
Naftes feux dont le Ciel orne, enrichit fes youtes,
24 MERCURE DE FRANCE
Du tems que vous reglez vous fentirez l'effort ;
Un jour vous tomberez égarés dans vos routes
Vomiſſant la terreur , l'incendie & la mort,
Vos rayons convertis en une flâme obſcure
N'éclaireront alors le deuil de la Nature
Que de fombres lueurs , de mille affreux éclairs
Enfin vous vous perdrez dans la nuit éternelle ,
Et votre derniere étincelle
Verra la fin de l'univers.
Raffûre -toi , mortel , énigme difficile ,
Compofé merveilleux & d'argile & d'efprit ;
Le glaive dévorant a beau frapper l'argile ,
L'efprit brave fes coups quand l'argile périt ;
Idée , expreffion de la raiſon fuprême ,
Feu moteur , être actif où Dieu fe peint lui- même
Sa beauté lui répond de l'immortalité ,
Et du dernier inftant la fureur meurtriere
Ne fait qu'abreger la carriere
Qui le rend à l'éternité.
Ipfiperibunt, tu autem permanes.
Pfal.
101,
LETTRE
AOUST. 1746. 25
LETTRE de M. BENETON , adressée à
M. De la Bruere , au fujet
des Dictionaires.
Mfemble fifort s'être déterminé en fa-
ONSIEUR , le goût du public qui
-
veur des Dictionnaires à en juger par le
grand nombre qui s'en eft imprimé de nos
jours , & l'attention qu'il femble que vous
prenez de relever les fautes qui fe trouvent
dans quelques uns , comme cela fe voit
dans vos Mercures , où vous avez inferé
des corrections pour le Moreri , font les
raifons qui me font vous adreffer cette lettre
; vous y verrez ce qui peut fe penfer fur
les ouvrages dont je parle , ce qu'ils devroient
être pour fe foutenir dans leur réputation
, & vous y trouverez pour le même
Moreri des corrections aufquelles je m'inte
reffe.
Il y a préfentement un grand nombre de
Dictionaires , chaque Science a le fien ; il
yen a d'Hiftoire , de Théologie , de Critique,
de Géographie , d'Encylopedie , de Cas de
Confcience, de Medecine , de Pharmacie
Economie, de Commerce , de Finance , de..
B
26 MERCURE DE FRANCE,
reur pour
il Jurifprudence & ďArrêts ; y en a de
Poefie , la Bible en a un , un autre a le titre
d'Univerfel , les Arts ont le leur , & il ne
faut pas défefperer que chaque Métier , depuis
le plus néceffaire jufqu'au plus abject ,
n'aye le fien ; il en paroît un pour l'intelli
gence des Gazettes , peut-être fera-t'il ſuivi
d'un tiré de l'Almanach du bon Laboudire
le tems où il faut femer l'oignon
, & planter les choux , d'un autre qui
inftruira les Dames des modes du Palais , &
enfin d'un de Cuifine qui apprendra qu'elles
font les fauffes & ragoûts d'ufage. Il y a tant
de Dictionnaires que fi on joint à eux lesocabulaires
, les Lexicons , les Concordances
& les Gloffaires , il fe pourroit faire des
Bibliotheques aflés nombreufes avec de ces
feuls livres ; mais en ce cas , il faudroit confiderer
de femblables Bibliothéques comme
remplies de deux fortes de livres , une forte
plus eftimée que l'autre , car de même que
ma lettre va parler de l'inutilité dont font
certains Dictionaires , il faut de même convenir
que d'autres , & fur-tout ceux qui ont
pour objet de faciliter l'intelligence des Langues
, ou de n'être que des Index alphabétiques
des termes de Science rapportés avec
précision , font d'une utilité à ne s'en pou
voir paffer,
Ce font les Dictionaires Panglotes ( qui
AOUST. 1746. 27
›
la rigueur font les feuls néceffaires ) qui
ont donné origine à tous les autres ; fi on s'en
tenoit à ceux-là , & à ceux qui , comme je
dis, ne font que des indications , il n'y auroit
rien à redire , mais la mode des ouvrages de
ce titre fans diftin &tion d'utile ou d'inutile .
prévaut fi fort , qu'elle devient manie ;
elle dure , la République des Lettres fe trouvera
inondée de Dictionaires , & toute la
Litterature fera tranfportée dans eux.
pour
>
Cette manie , qui peut faire négliger de
-composer ou de lire des livres de difcours
fuivis , ne plaît pas à tout le monde , & les
raifons s'élever contre ne font pas à rejetter
; en voici deux entre autres . La premiere
; y ayant des Dictionaires pour toutes
fortes d'étude , des gens , en fe bornant à
apprendre ce qui s'y trouve fans aller confulter
lesfources, ne peuvent par-là devenir que
des demi - favans , en forte que ces gens qui
auroient la difpofition d'aller plus loin , en
donnant dans cette lecture , deviendront fi
pareffeux qu'en s'en tenant à une fuperficialité
& à une généralité de connoiffance , ils
ne tireront pas de leur génie ce qu'ils en
pourroient tirer ; les défenfeurs des Dictionaires
foutiennent au contraire que ces li
wres font utiles ,non-feulement pour apprendie
, mais même pour compofer par leur
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
on y
moyen ; cela auroit quelque fondement f
trouvoit exactement cités les livres qui
font les fources fur quelque matiere qu'on
ait à travailler , & qu'on n'y fouffrit point
par de trop longs articles l'ennuis des narrations
prifes en leur entier dans ces fources ,
les articles d'un Dictionaire ne devant être
que de courtes analyfes , mais c'eft fouwent
ce qui n'eft pas : une feconde raifon
de blâme contre les Dictionaires , eft qu'on.
puife quelquefois pour les faire dans de
mauvaifes fources , & : ils laiffent ignorer
les bonnes , ou ce qui en eft pris eft mal
rendu .
7
Les Dictionaires ne peuvent faire que
tort aux fources qui les produifent , & dans
certains de ces Dictionaires , ce tort por
te auffi-bien fur les Auteurs de ces fources
comme fur les fources mêmes , ainfi qu'il fe
wa.voir. Il y a donc des Dictionaires nuifibles
à la Litterature , & cela peut aller , par
rapport aux Auteurs , jufqu'à les rebuter de
travailler en réflechiffant aux risques que
courent leurs travaux d'être perdus pour
eux par la licence que fe donnent les Auteurs
ou plûtôt les Compilateurs de ces Dic,
tionnaires nuifibles.
En effet , Monfieur , auffi-tôt qu'un livre
nouveau paroîtra , des Compilateurs
}
AOUST
.
1746. 19
mercenaires ne manqueront pas de le mettre
en pièces , fi ce livre a le malheur de
venir à leur connoiffance.
+
Le livre & le dépieceur ne citant point,
felon la mauvaiſe coûtume qui s'introduit
l'Auteur du livre démembré , aura le chagrin
de voir fon Livre mourir auffi-tộc qu'il
fera vû , & l'anéantiflement du Livre de
même que l'oubli du nom de l'Auteur ne
peut manquer d'arriver,fi le Compilateur ,
comme cela eft encore de coûtume , met
fon norn à la tête de la compilation où fe
trouve fondu le livre : j'éprouve moi-même
combien eft jufte la crainte que les Auteurs
doivent avoir de certains faifeurs de
Dictionaires. Quatre de mes livres qui
font le Traité des marques nationales ,
Hiftoire de la guerre , un Commentaire fur
les Enfeignes d'armées , & une Differtation
fur les Tentes , ont fervi à groffir confidé
rablement le Dictionaire Militaire qui s'eft
imprimé l'an palé 1745 , chés Gifley à Paris
; j'ai été copié mot à mot , & n'ai point
été cité comme il le falloit ; la nature dont
eft.un Dictionnaire , qui eft de contenir dif
férents fentimens fur chacune des chofes
qui font article , n'excufe point dans ce qui
m'a été fait , la probité veut que l'on aver
sifle d'où l'on tient ce qui n'eft pas de fon
Biij
30 MERCURE DE FRANCE.
crû ; les citations entretiennent l'émulation
; les Sciences languiflent quand danş
un grand nombre de fentimens rapportés
tout de fuite , on ne fçait pas qui a
bien ou mal penfé. Voffius , Etienne , du
Cange , Bayle , Menage , & autres grands
Compilateurs ont cité régulièrement , les
Editeurs du Trevoux l'ont auffi fait , & ce
n'eft qu'à ce prix qu'il devroit être permis
de prendre dans les ouvrages d'autrui ; cette
formalité fe perd , & après cela a-t- on
tant de raifon à être auffi favorable qu'on
l'eft aux Dictionaires fans exception d'aucuns?
la multiplication outrée de cette forte
de livres ne pourroit- elle pas être l'une
des caufes de la décadence des Lettres parmi
nous ? trop de livres inutiles , & trop de
répétitions fur des mêmes matieres peuvent
la produire : on a fur cela l'exemple de ce
qui eft arrivé chés les Grecs & chés les
Romains : par une viciffitude qui a auffi des
exemples il s'eft déja vû qu'à un tems fçavant
en a fuccedé un qui l'eft moins,pendant
lequel il ne fe fait plus que des ouvrages
de critique , ou de répétition ; & après en
vient un d'ignorance , où il ne fe fait plus
rien du tour. Le fiécle paffé a été pour nos
Sciences un tems bien brillant , on donne
dans celui-ci beaucoup dans la critique &
AOUST.
1946.
dans les redites ; fouhaitons que l'avenir ne
foit pas encore pire.
Les fentimens ont bien changé ; autre
fois les Compilateurs regratiers méprifés
dès ce tems-là , comme ils le devroient être
encore , paffoient feulement pour les Portefaix
des Sçavans , préfentement ils font en
chemin de dominer, puifqu'ils peuvent faire'
éclipfer , difparoître , & même s'approprier
des ouvrages qu'ils ne feroient pas capables
de faire , & ainfi un homme lans efprit peut
aller jufqu'à en effacer un autre de mérite
reconnu , quel changement ! Un Compila
teur , qui dans ce qu'il fait ne met rien du
fien , peut-il aller d'égal avec un Sçavant?
La raifon dit que non , cela eft pourtant ,
& pour le faire fentir , comparons Moreri
avec Pafcal ; celui-ci par la force de fon gé
nie avoit prefque trouvé tout ce qui eft dans
Euclyde le Géomètre fans avoir lû Euclyde ,
& l'autre a paffé fa vie à ne faire que copier
des lectures , cependant par une fatalité le
nom du premier percera les fiécles à venir .
& celui de l'autre pourra fe perdre ; un Dic
tionnaire Mathématique enterrera pour tou
jours le nom de Pafcal , & l'on dira toujours
le Dictionaire de Moreri : ce n'eft pas même
affés que de dire qu'un Compilateur d'inu
tilités peut fe paffer d'efprit , il peut même
fe pafler de lire : un homme de cette elpecé
?
B iij
32 MERCURE DE FRANCE.
n'a qu'à avoir des copiftes'au rôle qu'il char
gera de dépiecer les livres qu'il voudra fondre
en Dictionaires , & pour être Auteur
il n'aura que la peine de mettre fon nom. La
honte d'une telle chofe ne retombe-t-elle "
pas fur les Dictionaires ? Il n'eft donc pas
étonnant que bien des gens ne foient pas favorables
à cette forte de livres , & il l'eft
que le public fe plaife fi fort à les recevoir ,
mais le goût a prévalu , il faut laiffer écouler
le torrent de la mode , & voir ce qui en
arrivera.
Au refte en blâmant les compilations qui
ne font que des lambeaux recoufus de livres
mis en pièces , & en excitant à méprifer
les Auteurs de telles productions , je ne
pretends pas nier , ainfi que je l'ai déja infinué,
qu'il n'y ait des compilations très utiles
& qu'il n'y ait auffi des Compilateurs trèsrecommendables
, auffi je ne diftingue point
ceux-ci d'avec les Sçavans ; un Ecrivain qui
ne s'avilit point â copier fervilement ceux
de qui il prend , qui met beaucoup du fien
dans ce qu'il fait , & qui en citant les fources
dont il s'eft aidé approuve ou rejette
avec difcernementt ce qui eft dans ces fources
, un tel Auteur mérite des louanges , il
va d'égal avec lesScholiaftes & les Commentateurs
; ce n'eft, comme je le repete encore ,
que les Compilateurs dont le plagiat & l'iAOUST
. 1746.
33
gnorance fe montrent dans leurs productions
qui méritent du mépris.
Les Dictionaires faits de la maniere qu'ils
doivent l'être , & donnés par des perfonnes
à talens pour cela , font de bons livres , fur
tout fi les matieres qui les ont occafionnées
méritent d'en avoir un chacune en particulier
, cependant un autre inconvénient fe
trouve , c'eft qu'un Dictionaire fait fur une
matiere qui le mérite , & donné par un ¹Âuteur
capable , ne laille pas d'avoir d'ordinai
re du défectueux dans fa premiere édition
un Auteur n'envilageant fouvent pas affés
d'abord l'in menfité qu'il s'appercevra par
la fuite être à fon travail , mais en ce cas il
ya remede , & fi une premiere édition d'un
Dictionaire commencé ſur un bon plan &
deftiné à être bon ne le rend pas d'abord tout .
à- fait tel , des rééditions fucceffives le feront
: il faut avoir bien corrects les Dictionaires
d'ufage indifpenfables qu'on a ,
& fans cela ceux de ces livres qui peuvent
s'eftimer les meilleurs deviennent prefque au
rang des inutiles par les erreurs où ils jettent
des lecteurs qui fe contentent de s'inftruire
dans eux; ce que je dis peut fe démontrer par
un exemple pris du Moreri. Ce Livre étoit
forti affés informe des mains de fon Auteur ,
il a eu befoin que differentes éditions le
racommodent , & encore quelques-unes le
By
34 MERCURE DE FRANCE.
rendront un livre utile , ou du moins amufant
, mais fa correction devroit être le tra
vail de plufieurs perfonnes , chacune verſée
dans des Litteratures differentes ; cette néceffité
a été àffés reconnue par la maniere avec
laquelle on a procédé dans l'édition de
1732 , & de fon fuplément de 17353 dif
ferens Ecrivains y ayant mis la main , il ne
reste plus qu'à continuer fur le même plan
pour l'edition qui eft promiſe : je vais contribuer
à cette correction pour quelque cho
fe , & quoique ce foit pour peu,néanmoins
fi chacun de ceux qui lifent ce Dictionaire,
& qui font en état de relever les fautes"
qu'ils y apperçoivent en vouloient faire de
même , l'ouvrage ne feroit pas longtems
fans fe fentir du zéle du public , & à de
venir dans la plus grande bonté où il puiffe
être porté.
Le reste pour un autre Mercure,
AOUST.
1746. 35
୨୧୬
Deraima
PLAIN TE.
E l'aimable Themire on m'interdit la vûe ;
Cet ordre trop cruel & m'afflige & me tuë.
Senfible à fes attraits , fes graces , fa douceur ,
L'on veut punir mes yeux du plaifir de mon coeur.
Des Parens inhumains favourant ma mifere ,
Me pénetrent le coeur d'une douleur amere ;
Dieu même en puniffant nos forfaits odieux ,
Ne voit point fans pitié fouffrir les malheureux,
Tel qui plein d'amitié m'accabloit de oareffes ,
Et dans fes complimens s'épuifoit en promeffes ,
Paflant auprès de moi feint de ne me pas voir ;
S'il me rend le falut rougit de fon devoir.
Ovide infortuné fe plaignant de fon aftre ,
Jadis avec raifon difoit dans fon défaftre .
» L'or attache à nos pas la foule qui nous fuit ;
» Sommes nous malheureux?tout le monde nous fuità
Donec eris felix multos numerabis amicos.
Temporafifuerint nubila,folus eris.
A Nantes, le 7 Mai 1746 , DE BEL ..
E vi
36 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE à M. Rigoley de Juvigny ,
Avocat au Parlement , contenant quel
ques remarques fur l'Education.
C
Omme je fuis perfuadé , Monfieur, qne
c'eft l'interêt du bien public qui vous a
infpiré fur l'Education des reflexions que
je viens de lire dans le dernier cahier des
Jugemens de feu l'Abbé Desfontaines , j'oſe
me flater que le même interêt m'infpirant
auffi , vous ne vous offenferez point des remarques
que je vous adreife . Quoique je
n'aye pas l'honneur de vous connoître perfonnellement
, la candeur , la modeftie , le
zéle pour la vérité , qui regnent dans votre
lettre , fuffifent pour me faire croire qu'en
critiquant quelques-unes de vos réflexions ,
je n'ai pas à craindre de me faire un ennemi
; vous n'êtes pas de ces hommes qui ne
diftinguent pas les caprices de leur imagination
de la vérité , & qui regardent leurs
penſées comme autant d'oracles qu'on ne
peut attaquer fans allumer leur haine & leur
fureur. Travers ridicule qui apprête fouvent
à rire au dépens de ces petits tyrans
Litteraires par le ton fottement impérieux
avec lequel ils tâchent de défendre l'empire
AOU'ST.
34 1745.
defpotique qu'ils fe font arrogés fur la maniere
de penfer des autres!
>
Vous avancez ce principe , Monfieur , &
perfonne ne yous le conteftera , qu'on doit
regarder Education comme la nourrice de
l'ame, puifque c'eft d'elle que l'efprit & le
coeur reçoivent leur premiere nourriture.
L'expérience de tous les fiecles en prouve la
jufteffe & la vérité , & cependant tout ce que
vous ajoutez lui eft diamétralement oppofé.
C'eft ce qui me paroillant mériter attention ,
m'a engagé à vous propofer mes doutes en
les foumettant à vos lumieres mêmes.Vos intentions
font trop droites , & vous êtes trop
éclairé pour que j'aie lieu de craindre que
l'amour propre vous faffe illufion , comme
auffi je puis vous affûrer de ma part d'une
parfaite docilité fi vous me faites voir que je
me fois trompé. Vous trouvez deux grands
obftacles qui nuifent à l'Education ; vous tirez
les uns de la conduite des Parens & des
Maîtres , & les autres des difpofitions des
enfans mêmes. Vous ne jugez pas les premiers
fans remede , puifqu'ils dépendent de
nous , & certainement vous avez raiſon . Les
autres vous paroiffent invincibles,parce qu'ils
font l'ouvrage de la Nature. C'eft , fi vous
le voulez bien , ce que nous allons exami .
ner. Je conviens avec vous des triftes fuites
d'une mauvaiſe Education , Elles nefontque
18 MERCURE DE FRANCE.
trop fenfibles de nos jours où il femble ,
Comme vous le remarquez fort bien , que
l'Education ne foit qu'un fimple étalage inventé
pour flater la vanité des grands &
des riches , vous pouviez ajouter & même
des fimples bourgeois qui ont leur vanité
comme les autres. C'eft cette vanité des Parens
qui fe laiffant imbécilement éblouir
par quelques fruits précoces d'une étude fuperficielle
& prématurée , donne tant de
vogue aux Charlatans qui font parmi nous
en plus grand nombre qu'en aucun autre
Pays . C'eft cette vanité qui leur fait prodiguer
l'argent pour le jeu , les fpectacles , la
bonne chere , & mille colifichets , & qui leur
fait fouvent apporter moins de foins pour le
choix d'un Précepteur , que pour celui d'un
Cuifinier où d'un Cocher , tandis qu'ils confient
leurs enfans au premier venu , à celui
qui fe donne à meilleur marché. C'eſt cette
vanité qui aveuglant les Parens fur les
défauts de leurs enfans , fait qu'ils les croyent
parfaits , veulent qu'on les croye tels, & ne
peuvent fouffrir qu'un Maître ofe les détromper
, ce qui les rend timides &
lâchement complaifans quand ils n'ont
pas affés de générofité pour facrifier leurs
interêts à leur devoir. C'eft enfin cette même
vanité qui porte les Parens à donner à
leurs enfans ces Maîtres de toute efpece, qui'
AOUST. 1746. 39
femblent plutôt faits pour annoncer l'opu →
lence de ceux qui les employent , que choifis,
pour élever à l'ombre de la vertu lesjeunes,
efprits qu'on leur confie.
Voilà , Monfieur , fi je ne me trompe ,
les principales caufes de l'inutilité de l'Education
. Voilà ce qui la rend défectueuse &
même pernicieuſe , & je neferai pas furpris
qu'un homme qui aura été ainſi élevé ne foic
pas moins méchant ou même le foit plus que
celui qui n'aura point eu du tout d'Education .
Mais que rien ne foit plus douteux que le
fuccès d'une heureufe éducation , comme vous
le dites ; mais que vous demandiez férieuſement
fi , enfuppofant l'éducation auſſi pars
faite qu'elle devroit l'être , les avantages
qu'elle procure font auffi folides , auffi per+
manens qu'on le prétend , & que vous préten
diez que les grands & le peuple , le riche
& le pauvre , ceux qui ont eu de l'éducation
comme ceux qui en ont étéprivés , tous agiffent
de même , & tous obéiſſent aux mêmes
paffions, C'et , je vous l'avoue , ce que je
ne puis concevoir. S'il eft ainſi , ne blâmons
pas la négligence des Parens par rapport à
l'Education de leurs enfans. Si les hommes
font en naiffant ce qu'ils doivent être un
jour, fans que l'Education puifle contribuer
à les rendre meilleurs , à quoi bon prendre
tant de foins , tant de précautions , tant de
40 MERCURE DE FRANCE.
peines ? Laillons agir la Nature . Le Payfan
qui n'a guéres de l'homme que la figure , qui
eft né , qui a été élevé & nourri au milieu des
troupeaux , & à peu près comme l'un des
plus vils animaux , ce pauvre Payfan , ce
ma'heureux qui l'eft au point de ne pas le
fentir , eft auffi avancé que celui qui a eu
de l'Education , & celui- ci agit de même ,
& obéit aux mêmes paffions. Si l'un & l'au
tre font méchans , c'eft qu'ils font nés tels
c'eft qu'il étoit impoffible de les guérir des
vices à l'extirpation defquels ils avoient apporté
en naillant des obftacles invincibles.
Si l'un & l'autre ont de la droiture & de la
vertu, c'eft un pur don de la Nature, auquel
Education peut ajouter fi peu , qu'elle ne
vaut pas la moindre des peines qu'elle exige.
Elle ne fert prefque de rien pour les bons ,
puifque , felon vous , ce n'eftpoins à l'Art
mais a la Nature à graver dans nos coeurs
ces grands principes de morale qui nous donnent
une jufte horreur du crime , & non-feulement
elle ne fert de rien aux méchans
mais même elle leur eft dangereufe , puifqu'elle
ne peut tout au plus que leur apprendre
à diffimuler leur malice. Foible avantage
qui n'en peut faire que des traîtres , des
parjures , des hypocrites I Cela étant , fermons
les Colleges & les Ecoles particulie
res ; plaignons la fimplicité de ceux qui faAOU'ST.
1746: 41
rifient tout pour donner de l'Education à
leurs enfans. Fuyons les Académies , négligeons
les Lettres & les Sciences , fouhaitons
de voir renaître ces fiecles d'ignorance
& de barbarie que nous regardions en pitié
& qui devroient être l'objet de nos regrets,
eu plutôt tranfportons nous chez ces heureux
Habitans d'Afrique où d'Amérique ,
dont les moeurs nous font injuftement fré
mir. Là nous verrons un Antropophage inf
truit par la feule Nature , dévorer tranquil
lement fon femblable , où un Negre inftruit
dans la même école vendre froidement fes
enfans ou fon pere , pour quelques pintes
' d'eau de vie.
Quoi ! Monfieur , pourriez-vous penſer
que fi ces miférables euffent eû de l'Education
, ils n'en feroient ni moins cruels ni
moins feroces ? Ne voyons-nous pas au contraire
que fi parmi nous il
y en a qui ref
femblent aux Cannibales & aux Negres
ce font ordinairement ceux qui n'ont point
eû d'Education , ou qui en ont eu une mau
vaife ? Entre ces fcelerats qui expirent fur
les échafauts , combien y en a-t'il qui ayent
eu de l'Education ? Pourquoi est- ce une
chofe fi rare qu'un bon domestique , fi ce
n'eſt que ceux qui fervent n'ont point eu
d'Education , puifqu'on n'en trouve de fages,
42 MERCURE DE FRANCE .
de laborieux , de fidéles , qu'à proportion
qu'ils font inftruits ?
Vous avez raiſon , Monfieur , de penſer
avec Montagne qu'il feroit plus facile de
Je former à la vertu , de façon que le vice ne
prit en neus aucune racine , que de déraciner
Je vice ou d'en arrêter les progrès . Mais
fi je ne me trompe , Montagne ne veut pas
dire par-la que 'homme apporte en naiffant
des vices que ' Education la plus parfaite
ne peut détruire. Il eft vrai que nous
naiffons avec une forte inclination au mal
funefte héritage que nous a laiflé notre premier
& malheureux pere :mais cette inclina
tion n'eft pas invincible , fi on prend de bonne
heure les précautions néceffaires pour
l'affoiblir & la détruire , autant qu'elle peur
l'être en cette vie , en faifant éclore & croître
les femences de vertu que tour homme
apporte en naiffant auffi certainement que.
l'inclination au mal. Le grand point eft de
ne point perdre de tems pour empêcher celle-
ci de fe fortifier au préjudice de celles la
Udum & molle lutum es : nunc , nuns
properandus , & acri
Fingendus fine fine rota.
Perl. Sat, 3. V. 23.
AOUST. 1746. 45
La premiere enfance eft celle qui deman
de plus de foins & de précautions , & c'eſt
malheureuſement ce qu'on néglige le plus.
C'eſt un plus grand abus qu'on ne penfe de
ne s'occuper dans les premieres années des
enfans que de la nourriture de leurs corps ,
dont on fe repofe fur des perfonnes viles &
mercenaires,entre les mains de qui ils reçoivent
mille impreffions baffes & vicieufes
Auffi-tôt qu'un enfant eft né , il faut travail.
ler à fon Education , & y apporter d'autant
plus de foins que fon efprit , fon coeur , fon
tempérament vuides de toutes impref
fions faifiront avidement les premieres
qui leur feront préſentées.
>
Præcipuum jam inde à teneris impende
Laborem ( * )
Vous fçavez le célebre apologue des deux
chiens de Lycurgue , fi ingénieufement habillé
à la françoife par la Fontaine ; leurs ·
inclinations oppofées ne venoient certaine
ment pas de leur naiffance , mais de la maniere
differente dont on les éleva. La gloutonnerie
de l'un & la paffion de l'autre pour
la chaffe furent également le fruit des foins
( ) Virg. Georg. lib. 3. v. 74.
44 MERCURE DE FRANCE.
qu'on prit de fomenter en eux dès leur naiffance
ces inclinations qu'il n'eût plus été
poffible de détruire dans la fuite. Adeò àteneris
confuefcere multum eft. Comme je ne
fais pas un Traité d'Education , je n'entrerai
pas dans le détail des foins que demande la
premiere enfance . Quintilien les explique au
long, & y revient à tous momens. Vous (çavez
qu'ilprend fon jeune Orateur dès la naif
fance même. Igitur nato filio , parerSpem
de illo primum quam optimam capiat : ita
diligentior à principiis fiet.Cet excellentAuteur
eft bien éloigné de penfer qu'il y ait des
hommes qui naiffent avec des obftacles invincibles
aux foins de l'Education la plus
parfaite. Nemo , dit -il , reperitur , qui fit
ftudio nihil confecutus. C'est donc dans la
négligence de la premiere enfance qu'il faut
rechercher les principales caufes de l'inuti
lité des foins de l'Education pour bien des
enfans. La difference n'eft que du plus au
moins , felon que les enfans font bien ou
mal organifés. Mais cette difference ne tombe
guéres que fur les progrès dans les fciences
& non fur la vertu qui doit toujours être
le principal objet de l'Education.
Les foins qu'on prend de notre enfance
Forment nos fentimens , nos moeurs , notre créance.
AOUST. 45 1746.
L'inftruction fait tout , & la main de nos Peres .(*)
Grave en nos foibles coeurs ces premiers caractéres
Que l'exemple & le tems nous viennent retracer ,
que peut- être en nous Dieu feul peut effacer. Et.
Je pourrois appuyer ces beaux vers de
beaucoup de raifons & d'autorités , que les
bornes d'une lettre ne me permettent pas
d'ajouter. D'ailleurs en voilà affés, fi , comme
j'ofe le préfumer , je penſe juſte ſur l'origine
des Educations infructueufes. Quand
on a le bonheur d'avoir la vérité de fon cô
té , il ne s'agit que de mettre fur ces voyes
ceux qui ont le coeur droit ; ils la faififfent
promptement. Mais auffi c'en eft beaucoup
trop , fi je me trompe , & en ce cas vous
m'obligerez très-fenfiblement , fi vous voulez
bien me le faire voir. J'ai l'honneur d'être
avec la plus parfaite eftime , Monfieur
votre , & c.
Ce 9 Avril 1746.
M. M. P.
[*] Zayre, Scene 1.
46 MERCURE DE FRANCE.
AFAFAFAFAFAF A FAGAGAGAGAG
LETTRE du B
Mar. •
de P
à Mile . · • .•
-·
• qui lui
avoit demandé une Piece de vers.
VOUS Ous m'avez demandé des vers ;
Je n'ai jamais touché la lyre : ,
Si je vais chanter de travers ,
L • · au moins n'allez pas rire .
Vous le fçavez , j ai tout quitté ,
Vous voulez pourtant que j'écrive
J'obéis , charmante beauté ;
Prêtez une oreille attentive .
Je poffedois un beau tréfor ;
On me l'a pris à la fourdine :
Grands Dieux ! Falloit- il donc encor
Le nouveau trait qui me chagrine ?
Mais vous riez de mon malheur .
Vous l'avez vû prendre , je gage .
Ah ! J'y fuis ; voilà le voleur ;
Je le vois fur votre vifage.
L'Amour est un petit vaurien
Dont jamais on ne fe défie
..
AOUST.
1746. 輝
On ne le connoît que trop bien ,
Et pourtant on lui facrifie.
Dans vos yeux il étoit niché ,
Quand près de vous je vins me rendre
J'ignorois qu'il y fût caché ,
Et je me fuis laiffé furprendre.
J'avois juré , je m'en fouviens ;
De n'écouter que ma mufette ,
Mais quand je jurai , j'en conviens ,
Je ne connoiflois point L
•
On fe flate bien vainement
De n'aimer jamais de fa vie ;
Helas ! Il ne faut qu'un moment
Pour changer tout d'un coup d'envie,
Un regard allume des feux ,
Qu'il n'eft pas facile d'éteindre :
Amour , ce font là de tes jeux ,
Mais à quoi fert-il de fe plaindre
Jeunes & vieux , petits & grands ,
A la beauté tout rend hommage ;
Par tout , dès les plus jeunes ans ,
D'amour on entend le langage.
Ce Dieu tôt ou tard eft vainqueur
Et fou le mortel qui le brave ;
48 MERCURE DE FRANCE
On a beau défendre fon coeur ,
On n'en fera pas moins elclave .
Si fort en garde que l'on foit ,
Peut -on refifter à des charmes
Qui foumettent tout ce qu'on voit ?
Non , non , il faut rendre les armes.
Un coeur que l'amour a furpris ,
Ne vit plus que dans l'efperance
De voir quelque jour fon Iris
Couronner fa persévérance .
Si j'ai perdu ma liberté ,
C'eſt à vous d'adoucir ma peine ;
Comptez fur ma fidelité ,
Mais ne foyez point inhumaine.
Belle Brune , vous m'entendez ;
Ou vivre , ou mourir de trifteffe,
Mourir Ah ! plûtôt accordez
Ce que demande ma tendreffe.
REPONSE
AOUST.
49 1746.
**
REPONSE à la lettre précedente. -
Q I U i l'auroit crû , mon cher Baron,
Qu'un vieux Philofophe à votre âge
Aimât encore le badinage ,
Et dût le prendre fur ce ton ?
L'on dit : mal prend à vieux barbos
D'époufer jeune tourterelle ,
Etmoi j'ajoûte à ce dicton :
Mal fied à tout grifon
De foupirer près d'une belle
Si la phrafe n'eft pas nouvelle,
Faites profit de la leçon.
L'Amour peut aller en cornettes
Sans déroger à fon.bandeau ;
Mais lui faire porter lunettes ,
Baron , ce feroit du nouveau .
茶
C
jo MERCURE DE FRANCE.
DISCOURS SUR L'EDUCATION
Par M. AILHAUD fils , Legifte
d'Aix.
UELQUE indifpenfable que foit aux
peres l'obligation de donner à leurs enfans
une bonne éducation , il n'eft rien cependant
qu'ils négligent davantage , & dont
ils faffent moins de cas,
Cette négligence eft la fource funefte de
tous leurs malheurs , & il arrive peu de révolutions
de fortune dans les familles dont
elle ne foit la principale caufe . De -là ces
inimitiés continuelles , ces haines mortelles
entre les freres , la difcorde , la defunion
des familles , & le peu de refpe &t des enfans
leurs Verroit - on tant de cor peres .
ruption dans les moeurs , tant de licence
dans les plaifirs , en un mot , fi peu de Reli
gion dans les jeunes gens , fi on avoit foin
de leur donner une bonne éducation .
pour
En effet quel bien plus précieux peut laif,
fer un pere à fes enfans ? Les richeffes , les
honneurs , les dignités , les places les plus
éclatantes font fujets à mille accidens qui
peuvent réduire un homme de l'état le plus
fiche à l'état le plus indigent , mais la bonne
AOU'ST. 1746.
éducation refte toujours , c'eft un fonds inaliénable;
un homme de bonnes moeurs & bien
élevé trouve dans tous les tems de la vie un
abri dans fon propre fonds.
Les plus grands Philofophes & les plus
fameux Legiflateurs ont toujours regardé ce
devoir non-feulement comme la fource la
plus certaine du repos & du bonheur des familles,
mais encore comme le moyen le plus
propre de rendre un état ftable & floriflant.
De tous les âges de la vie il n'en eft point
de plus dangereux que la jeuneffe. Le défaut
d'expérience , la foibleffe de la raifon , le
faux brillant de tant d'objets qui éblouiflent
& qui plaifent ; la molle indulgence de ceux
qui devroient arrêter le torrent , tout ſemble
contribuer à multiplier les dangers dans
un âge où il eſt ſiimportant de fe conferver
dans l'innocence , & où les fautes ont toutes
des fuites funeftes . Qu'il eft difficile que les
jeunes gens puiffent fe foutenir dans un pas
fi gliffant où tout confpire contre leur innocence
! comment fe débarraffer de tant d'ennemis
? & la volonté eft-elle affés forte pour
y refifter mais ? que les peres élevent bien
leurs enfans , qu'ils leur infpirent de bonne
heure des fentimens d'honneur , de piété &
de Religion , qu'on leur faffe goûter la vertu
, on verra combien il eft facile à un
jeune homme qui a reçu une bonne éduca
; Cij
MERCURE DEFRANCE.
tion de ſe préſerver de tant de dangers , &
combien grands font les avantages qu'on en
retire.
a
L'Hiftoire nous en fournitun grand exem
ple dans la perfonne de Cyrus , le Prince le
plus accompli de fon tems. On y voit combien
une bonne éducation fert à fortifier le
corps , & à perfectionner l'efprit. Plein de
douceur & d'humanité , il ne fut jamais
effrayé d'aucun danger , ni rebuté d'aucun
travail quand il s'agilloit du bien de l'Etat ; il
poffedoit toutes les qualités qui forment les
Grands Hommes , fageffe , modération
grandeur d'ame , profonde connoiffance de
Art Militaire. Ce fut par le concours de
toutes ces vertus qu'il fonda en très-peu de
tems le plus grand & le plus floriflant de tous
Les Empires, qu'il fe fit aimer & refpecter
pon-feulement par fes fujets , mais encore.
par toutes les nations qu'il avoit conquiles.
Avec quelle fermeté & avec quelle pruden
ce fe conduifit- il dans la Cour d'Aftiage fon
ayeul Quelle fageffe ne montra-t'il
la vue de ces repas fomptueux qu'on avoit
préparés à fon arrivée , dans l'unique deſſein
de lui faire perdre l'envie de retourner dans
La patriez mais il ne fe laiffa poinr éblouir,
Le fafte , le luxe , la magnificence qui regnoient
dans ce Palais,loin de faire la moindre
impreffion fur lui , ne fervirent au conpas
સે
AOUST. 1746.
traire qu'à l'irriter d'avantage ; il fe main
tint toujours dans les principes qu'il avoit
reçu dès fon enfance , & rendit dans la fui
te fon peuple auffi heureux qu'on vouloit
le rendre malheureux.
pas
D'où les Loix elles-mêmes tirent- elles
leur force & leur vigueur , fi ce n'eft de la
bonne éducation qui y affujettit les efprits ,
fans quoi elles feroient une foible barriere
contre les paffions ? elles gênent l'homme
dans ce qu'il a de plus doux. Or s'il n'y
avoit quelque chofe qui le retint, il n'eft
douteux qu'il ne fecouât ce joug , & ne les
violât toutes , mais l'éducation les lui fair
aimer ; les principes qu'elle grave dans les
coeurs des jeunes gens demeurent fermes &
inébranlables , comme étant fondés fur la volonté
qui eft toujours un lien plus fort & plus
durable que celui de la contrainte. Elle leur
inſpire de bonneheure l'amour de la patrie ,le
refpect pour les Loix du pays , le goût des
principes & des maximes de l'état dans lef
quels ils ont à vivre.
On reconnoit fouvent , mais trop tard, le
prix & les avantages d'une bonne éducation
, car combien peu y en a-t-il aujour
Y
d'hui qui ne fe plaignent de ce que leur édu
cation a été négligée , & qui n'avouent que
c'eft ce défaut qui les a éloignés des emplois
les plus importans , qui les a fait fuccomber
Ciij
34 MERCURE DE FRANCE.
dans leurs entrepriſes & dans les charges
où le poids de leurs obligations les accabloit?
Combien de belles qualités ne fe perdent
pas faute d'un pareil fecours ? combien de
vertus ne voit-on pas étouffées par la multitude
des paffions qu'on laiffe croître avec
elles ? quels beaux talens ne voit-on pas tous
les jours devenir inutiles pour être placés
dans un mauvais fonds : qu'il eft même rare
que les vertus produifent tous les effets qu'on
en pourroit attendre , parce qu'on a négligé
de les cultiver ? combien vieilliffent dans
une dégoutante médiocrité pour n'avoir pas
eu de bons principes , fans lefquels les meil
leures qualités deviennent infructueuſes ? i
en eft peu qui n'en reconnoiffent alors les
avantages , & qui ne comprennent combien
une bonne éducation eft capable d'élever un
homme non-feulement au-deffus de fon âge,
mais encore au-deffus de fa naiſſance.
Mais quand même l'éducation ne ſerviroit
qu'à acquerir l'habitude du travail , à
en adoucir la peine , & à vaincre l'averſion
que tous les jeunes gens en ont , ne feroitce
pas déja un très-grand avantage : en effet
elle nous apprend de bonne heure à fuir l'oifiveté
, le jeu , la débauche qui ont été de
tout tems la pefte & la ruine des Etats les
plus floriflans.
Une fatale expérience ne nous montre que
AOUST. 1746.
trop fouvent de quels defordres l'efprit humain
eft capable lorfqu'il n'eft pas conduit
par les regles de la vertu & les lumieres d'u
ne raifon cultivée , néanmoins il eſt des actions
qui toutes horribles& criminelles qu'elles
font naiffent d'un principe qui auroit pû
produire de très-bons effets , s'il avoit été
mieux conduit & dirigé par une bonne édu-.
cation , car qui peut s'empêcher d'admirer la
fidelité & l'amour de ces peuples , qui à la
mort de leur maître,ou fur ce qu'ils changent
de fervice, fe donnent la mort à eux-mêmes?
jufques où ne porteroit pas cette grandeur
d'ame , toute fauvage qu'elle eft , fi elle étoit
bien cultivée?de quoi ne feroient pas capables
ce courage , cette conftance & cette patience
qu'on admire en eux , s'ils avoient eu le bonheur
d'être nés dans des pays où les Arts &
les Sciences fleuriffent , & ou on cultive avec
plus de foin l'éducation de la jeuneſſe ?
Mais je ne prétends pas ici donner des regles
fur la bonne éducation ; il me fuffit d'en
faire connoître les avantages, & je me croirai
dignement récompenfé fi cet effai infpire
aux peres & à ceux qui font chargés de
l'éducation de la jeuneſſe un zéle ardent
pour les bien élever , & s'il porte les jeunes
gens à profiter des leçons de fageffe & de
vertu qu'on tâche de graver dans leur coeur,
C iiij
56 MERCURE DE FRANCE.
L'AIGLE ET LA COLOMBE
FABLE.
A Monfieur DAMOURS , Avocas
au Parlement...
TANDI
AND IS qu'au milieu des éclairs
La Reine des oiſeaux , l'Aigle tant réverée ,
Du haut de la voute étherée-
Vouloit donner des loix aux habitans des airs ,
Dans un bofquet fleuri , la Colombe craintive ,
Et des oifeaux à peine exigeant les regards ,
Sans le vouloir tenoit captive
Une Cour qui de l'Aigle offenfa les égards.
Quoi ! j'aurai donc en vain, dit-elle .
Obtena la place immortelle
Qui dans les cieux m'a fait monter !
Dépofitaire de la foudre ,
Je ne pourrai réduire en poudre
Quiconque à mon pouvoir ſe permet d'attentert
Maître des autres Dieux , c'eſt à toi d'éclater ...`
D'un femblable couroux Jupin ne fit que rire ;
Agnores- tu , dit- il , qu'il eft plus d'un empire» 3-
AOUST
57
1746.
L'un dépend de l'autorité ,
L'autre du goût , du choix & de la volonté ;
Le premier , il eft vrai , des Rois eft le
Mais l'autre l'eft de la beauté ,
Avec cet heureux avantage
partage ,
Qu'elle étend fur les coeurs fa fouveraineté
A ce titre charmant tout autre titre cede ,
Et l'on a ( quand on le poffede )
La véritable Royauté.
Objets de nos defirs & fouvent de nos larmes ,
Vous offrez aux mortels juſqués dans leurs allarmes
Des appas fi flateurs & des traits fi touchans ,
Que leur force eft inévitable ;
Le fuprême pouvoir & le plus redoutable
sera toujours celui qui flate nos penchans,
ENVO I.
De cette Fable , ami , tu m'as donné l'idée ;
L'hommage t'en eft dû ; reçois-le de mon coeur ;
Crois-tu ravir le tien à ce fexe vainqueur 3-
Non fà défaite eft décidée , ;
Ne ris plus de la nôtre avec un air mocqueur ;
La tienne n'eft que retardée .
Par Mr. PESSELIER
CY
58 MERCURE DE FRANCE:
LETTRE adreffée aux Auteurs du
Mercure.
M Mercure eft la plus commode pour
ESSIEURS , comme la voye de votre
Mercure
s'éclaircir de certaines chofes , j'ofe vous
prier de rendre cette lettre publique .
Depuis long-tems , lorfque l'on fait des
marchés de vente & acquifition , & c. il eft
toujours fait mention du pot- de -vin & des
épingles. La queftion que j'aurois à propofer
feroit de fçavoir au jufte l'origine de ces.
deux mots qui entrent dans tous les marchés
, & même dont on fait mention dans
les Contrats & autres Actes.
Il eft vrai qu'il y a pluſieurs étymologies
vulgaires de ces deux mots , mais toutes
celles que l'on a données jufqu'ici ne m'ont
point parû plaufibles ni férieuſes. J'ai entendu
dire à beaucoup de perfonnes que le
pot - de-vin tiroit fon origine de ce qu'après
le marché fait c'eft une coûtume entre
Marchands d'aller boire le vin du marché ,
& que c'eft ce que l'on a appellé pot-de-vin ..
Je conviens que cela pourroit peut-être y
avoir donné lieu , mais cependant il eft bon
de remarquer qu'il y a une difference en
AOUST. 1746. 59
pour
tre pot-de-vin & vin de marché. Le pot-devin
ne fe donne que lors de la paffation de
quelque Acte comme une efpece d'indemnité
le vendeur , & il n'y a que ce
dernier qui en profite , au lieu que le vin de
marché fe paye de Marchand àMarchand, &
qu'il fe boit entre les parties contractantes.
Ainfi je penfe que y ayant une difference
totale entre le pot-de-vin & le vin de marché
, ce dernier ne peut tirer fon origine du
premier.
Pour ce qui eft des épingles , cela n'a de
rapport avec aucun marché , & de plus tantôt
on les donne à la fervante , tantôt à la
femme du vendeur ; enfin c'eſt une coûtume
que l'on fuit fans en fçavoir précisément
forigine.
Comme il y a certaines chofes qui piquent
la curiofité , j'ai crû ne pouvoir mieux
fatisfaire la mienne que par la voye de votre
Mercure que toutes perfonnes lifent , &
du nombre defquelles il s'en trouvera peutêtre
en état de me donner la folution que je
demande. J'ai l'honneur d'être , & c.
A Paris ce 12 Mai 1746.
C vj
o MERCURE DE FRANCEL
à mà mà tà á á á à à
CANTATILE.
L'AMOUR
RECONNOISSANT
Au milieu des horreurs d'une profonde nuit U
L'Amour retournoit à Cythere ;
Son flambeau l'éclairoit , quand le vent avec bruit :
Sortant des antres de la terre ,
Mêla fes fifflemens aux éclats du tonnerre.
Au Dieu des Amours
Un fouffle perfide
Du feu qui le guide
Ote le fecours ;
La frayeur s'empare
Du fils de Cypris ;
Dans l'ombre il s'égare ¿
Et l'Echo furpris
Répond à fes cris .
Lycas qu'une nouvelle chaîne
Unit a l'objet le plus beau >
Entendit Cupidon , & fenfible à ſa peine ,,
Luicria , viens Amour , rallumer ton flambeau
AOUST. 1746.
A la flâme vive & fidelle
Que parune ardeur mutuelle
Tu fis naître en mon fein & dans celui d'Iris ;
Puis-je de ce bienfait te mieux payer le prix
L'Amour dans fon Empire
Eft un Dieu bienfaifant ,
Et tout coeur qu'il inſpire
Devient reconnoiflant.
La tendre obéiffance
Qu'exige fon pouvoir,
N'eft que reconnoiffance ,
Et non pas un devoir .
L'Amour dans fon Empire
Eft un Dieubienfaiſant ,
Et tout coeur qu'il infpire
Deviem reconnoiffant..
.
REPONSES aux réflexions fur l'ins
gratitude inférées au Mercure de Jan
vier 1746.
I
A lecture des réflexions de M. de la
Cofte fur l'ingratitude ne peut procu
zei que du plaifir à quiconque aime ce qui
A bien écrit, & qui à des fentimens..
62 MERCURE DE FRANCE.
L'idée qu'il donne de l'ingrat , le portrait
qu'il en fait avec les couleurs les plus vives ,
fes caractéres & les fuites funeftes qu'il at
tribue à ce vice , les comparaifons qu'il en
fait avec d'autres vices notables pour en relever
l'énormité , tout cela écrit avec le feu
qui anime l'efprit & la plume de l'Ecrivain
feroit capable de faire connoître combien il
eft honteux à tout honnête homme d'avoir
un coeur méconnoiffant , & de chaffer ce
monftre de l'univers , s'il étoit poffible de
faire cefler totalement les vices.
Mais une chofe qui m'a frappé en lifant
ces réflexions , c'eft que M. de la Cofte qui
par fon état , fon attachement au Barreau ,
& fon étude desLoix ne doit pas ignorer leurs
difpofitions , ait fauté par deffus , en difant
que les Loix n'ont attaché aucune peine à
l'ingratitude.
Car quoique Grotius ait dit avant lui que
l'on ne doive point punir les vices ou les actions
contraires aux vertus à la pratique defquelles
on ne peut contraindre, & que M.
de la Cofte lui - même ait tiré de-là une raifon
de dire que les Loix n'ont attaché aucune
peine à l'ingratitude , cependant il eft
confent qu'il y a des Loix précifes qui frondent
l'ingratitude , & en font connoître toute
l'horreur.
On fçait que cette mauvaiſe difpofition
AOUST . ST. 1746.
63
du coeur humain eft l'objet de la Loi der
niere fi unquam. Code de revocandis donationibus
, qui permet au Donateur de révo
quer fa donation , fi le Donataire lui a donné
des marques d'ingratitude.
Perfonne n'ignore encore que cette Loi
a été adoptée par notre ufage & par la Ju
rifprudence de tous les Parlemens , en particulier
par celui de Paris , fuivant plufieurs
Arrêts dont l'un des plus célebres eft celui
du 12 Avril 15515 obtenu par le fameux:
Charles du Moulin contre Ferry du Moulin
fon frere.
Le titre de Jure Patronatus nous fournir
encore un exemple que les Loix féviffent
contre les ingrats. A Rome les esclaves
qui étoient convaincus d'ingratitude envers
leurs maîtres , étoient punis de differentes
peines pécuniaires & même corporelles ,
fuivant la gravité du cas.
Or ces Loix devoient moins échaper à
l'attention deM.de laCofte,pour entrer dans
fes preuves , qu'à tout autre , parce qu'ayant
fuccé le lait des Loix Romaines , qui font
celles de font Pays , elles doivent lui être
plus familieres.
n'au
Quelle nouvelle force fes argumens
roient-ils pas tirée de ces Loix , car on peut
dire que l'on ne fçauroit fournir de plus for-
Les preuves de l'atrocité de l'ingratitude ,
}
64 MERCURE DE FRANCE.
puifqu'en permettant à un Donateur de re
tirer fes dons , elles jugent l'ingrat indigne.
de tout bienfait ? elles veulent , contre l'ordre
de l'équité & de la juftice , qu'un Acte .
fait de la libre volonté de l'homme puiffe.
être révoqué par lui-même auffi librement
& impunément , quand même il auroit renoncé
formellement à pouvoir le révoquer...
On va plus loin. On peut même dire a-.
vec fondement que les Loix fur l'ingratitu
de femblent répugner fortement à un grand.
principe de notre Religion , qui veut que la
vengeance ne foit réfervée qu'à Dieu feul,
car la révocation d'une Donation eft une
efpece de vengeance permife en haine de
L'ingratitude.
Quelles épithetes affreuſes ne mérite
donc pas un crime pour la répréhenfion duquel
les Loix permettent de reuverfer l'ordre
! En effet on ne peut rien ajoûter à l'idée
d'un indigne que fuppofe néceffairement
la révocation des donations,& qui en eft le
fondement & le motif.
On donne & on ne fe laffe point de
donner à l'homme reconnoiffant , mais on
ôte à l'ingrat ce qu'il femble avoir , c'eſtà-
dire , l'efperance même d'avoir. Le Sage
nous apprend & l'expérience nous en con--
vainc , que l'efperance de l'ingrat fe fond
comme la glace de l'hyver, & qu'elle s'éAOUST.
1746. 69
Coule comme une eau inutile à tout. Ehr
de combien d'exemples tirés des Livres
Saints ne pourroit-on pas appuyer ce que
l'on avance, & qu'en un million d'occafions
les ingrats ont été punis ?
Dieu même a pris ſouvent foin de venger
les bons coeurs des coeurs ingrats ; un feul
exemple le prouve efficacement , c'eft celui
de Laban peu reconnoiffant des bons fervices
de Jacob , auquel Dieu ordonna de
quitter Laban & de s'en retourner dans fon
pays . J'ai vû , dit Dieu , tout ce que Laban
vous a fait. C'eſt un foudre qui donne
le dernier coup de pinceau au portrait de
Fingrat.
L'Hiftoire de tous les peuples nous prou
ve encore que par tout on punit les ingrats.
quoique diverfement . La plupart des Loix
Civiles ont leur fondement fur l'ingratitu
de ; celles qui permettent , par exemple , les
Exhérédations , les Subftitutions , celles qui
excluent de fucceder l'enfant qui a négligé
de venger la mort de fon pere tué, & c. n'ontelles
pas l'ingratitude pour but , finon exprimé
au moins tacite , & ne tolerent- elles
pas ces chofes pour mettre un frein à cette
paffion , dont il n'y a que des mauvais.
coeurs , des coeurs inflexibles & infenfibles
des coeurs de pierre qui puiffent être fuf
ceptibles , & qui ne peuvent être réprimés
66 MERCURE DE FRANCE.
que par des Loix tonnantes & impératives ,
en un mot que par des coups de foudre ?
M. de la Cofte me répliquera peut - être
qu'il n'a eu en vûe que de décrire l'ingra
titude en général , & de donner une idée de
ceux qui ne reconnoiffent pas les bienfaits ,
les fervices les bons offices qu'ils reçoivent
de leurs amis , & tous les avantages qui
réfultent de la fociété civile:
que
Mais il me femble fa théfe eft prife ,
& foutenue dans un fens trop général , pour
ne pouvoir être envilagée que dans ce feul
point de vue. Il n'a pas fimplement eu pour
objet le défaut de gratitude des bons offices
que les hommes fe rendent tous les
jours , fur quoi il n'y a en effet point de
Loix , mais il a parlé de l'ingratitude fans
reftriction d'aucun cas ; c'eft ce que veut
dire à tous égards cette propofition qu'il n'y
a point de Loi contre les ingrats.
Mon but , après tout , n'eft pas de m'ériger
en critique. J'avoue que mes réflexions
fimples n'auront jamais le fel & la fagacité
de celles deM.de la Cofte ,je foumets
même les miennes à fon jugement , & le
faifant juge de fa propre caufe , mon idée
eft de lui prouver par- là la droiture de mes
intentions. En effet une differtation qui auroit
eu moins de délicateffe que la fienne ,
ne m'auroit pas touché de même , & ne
AOUST. 1746. 67
m'auroit peut-être pas fait naître l'idée d'y
répondre. C'eft une gloire pour les meilleurs
Auteurs d'être critiqués , car le mépris &
l'oubli font le falaire ordinaire des mauyais
Ecrivains qui ne méritent pas d'être admis
dans la République des Lettres. M. de la
Cofte fe dit jeune ; je le fuis peut-être plus
que lui ; fi j'ai moins d'expérience qu'il en
a , je n'ai pas moins d'envie d'apprendre , &
je recevrai avec plaifir & même avec recon
noiffance ce qu'il voudra bien me faire voir
de défectueux dans mon difcours.
D.......... de Montereau on Faut-Tonne
to 1 Mai 1746.
A Madame la Comteſſe D. A... AG.C.
E. F. C. le 1. Janvier 1746.
DEE ce jour de cérémonic ,
Où l'on s'ennuye & l'on ennuye
Par tant de complimens de different aloi ,
vitons , s'il fe peur , la commune folie ,
Mais fuivons la commune Loi.
D'abord, de ces Dieux qu'on fupplic
Deboane ou de mauvaife foi
63 MERCURE DE FRANCE.
Aucun n'aura d'encéns de moi ;
Je ne forme de voeux que pour notre Emilie
De celle de Circy la rivale & l'amie ,
Ainfi je n'implore que toi ,
O puiffe & charmante Higie !
Plus fiere que Pallas , plus belle que Venus , 1
Tu peux feule embellir , Janus ;
Sur ta trace toujours fleurie
Des ris , des tendres jeux , des plaifirs ingenus
Voltige la troupe chérie ;
Tu difparois , ils ne font plus.
Tout languit , l'Amour & Bacchus
Des défirs la fource eft taric ,
On dédaigne même Plutus ;
Hebé n'eft plus fans toi ; qu'une rofe flétrie
Long-tems éclipfée à mes yeux ,
Tu reparois Charmante Higie ;
Je renais ,& pour moi s'ouvrent de nouveaux Ciep
Je ne fens plus des ans le poids injurieux ?
De tous les autres biens je crois te voir fuivie.
Mais quel trouble fufpend dans mon ame ravio
Des tranfports fi délicieux ?
Je te vois divine Emilie ;
Tafouffres ! Je gémis. Je forme encor des voeux
Exauce-les , puiffante Higie
AOUST. 1746 . 69
Et jette un regard gracieux
Sur la Divinité qui préfide en ces lieux.
Ranime fes beaux jours , & veille fur la vie .
Par fon
rang
9.
fes vertus elle reffemble aux Dieux
Faut- il que parfes.maux affreux
Elle puiffe porter envie
tant de vils mortels que tu veux rendre heureux ?
REFLEXIONS MORALES.
Ui n'a plus de defirs eft au deffus des
graces.
Quin
Dieu n'a befoin de foudres , ni de carreaux
pour punir les hommes , il n'a qu'à les abandonner
à eux- mêmes, & à leurs paffions.
c'est le plus grand de tous les fuplices.
Dans la réconciliation des grands l'extérieur
s'accommode , & jamais l'intérieur,
Pour affûrer le bonheur de la vie , il faut
toujours foutenir avec conftance le parti que
l'on a une fois embraffe , quand bien même
il fe trouveroit une apparence de mieux
à le changer.
Les hommes ne vivroient pas long-tems
en fociété s'ils n'étoient la dupe les uns des
autres.
On fait des fautes toute la vie ; tout ce
70 MERCURE DE FRANGE.
peut faire à force de faillir c'eft de
que
l'on
mourir
corrigé
.
On eft bien petit quand on n'a rien de
grand que fa naiffance.
De l'homme du monde le plus entier en
fes volontés une femme fera cependant
tout ce qu'il lui plaira , pourvu qu'elle ait
beaucoup d'esprit , affés de beauté & peu
d'amour.
Pour fe tromper il ne faut qu'être hommais
s'obftiner dans fon erreur ,
pour me ,
il faut être fou.
La vieilleffe eft un tyran qui défend fur
peine de la vie les plaifirs de la jeuneffe ,
Le coeur eft le véritable temple de la Religion
,
Les boureaux nous défont de nos ennemis
, & les Medecins tuent nos meilleurs
Kamis,
Les plus dangereux ennemis à la Cour
font ceux qui tâchent de nous perdre en
nous louant.
Plus nous connoiffons l'infirmité humaine
, plus nous devons être enclins au pardon .
Ignorer les maux de cette vie c'est être
plus fçavant que tous les Docteurs enfemble.
Notre ignorance nous feroit pitié fi notre
vanité ne nous en ôtoit la connoiffance.
Une unité parfaite avec foi-même & une
AOUST. 1746. 71
conftante égalité font au deffus de l'homme.
Les contradictions doivent nous rendre
retenus & moderés ; fouvent on ne nous
contredit que pour nous voir plus à découvert.
Les caractéres empruntés ne réuffiffent
point.
La Cour eft un pays où il faut ufer de
con.repoifon à chaque moment qu'on y
Eue attaché à fes amis eft une qualité
qui uit bien plus à la Cour , que le défaut
de timer perfonne,
left bon de ſe fier aux hommes , mais
le meilleur de s'en défier.
s femmes ne font jamais fi prêtes à
to trahir , que lorfque nous les aimons de
Come foi.
Les femmes le tiennent derriere le rideau
, & cependant elles jouent les principaux
perfonnages dans les Tragédies &
dans les révolutions du monde.
Le Pays du mariage a cela de particulier¸
que les étrangers ont envie de l'habiter , &
les habitans naturels voudroient en être
exilés.
Rien ne fuffit à celui qui ne fe fuffit pas à
lui-même.
Le moïen de pouvoir juger des hommes
fainement feroit de penetrer au dedans
2 MERCURE DE FRANCE.
d'eux ; on y découvriroit quelquefois la ver
tu cachée par la modeftie , mais plus fouvent
le vice fous le manteau de l'hipocrifie.
La pierre éprouve l'or , l'or éprouve
l'homme.
Tout le monde raifonne , & il y a fort
de gens raifonnables.
peu
Il y a autant de differens plaifirs , qu'il y
a de divers tempéramens , mais le fage en
fait la difference , & ne prend jamais le faux
pour le véritable.
La Cour eft un Pays où les joyes font vi
fibles , mais faufles , & les chagrins cachés
mais réels.
Pour parvenir , voici les regles fondamentales
de la Cour ; n'ayez honte de rien,
intriguez - vous dans les affaires de tout le
monde , débufquez qui vous pourrez , reglez
votre haine & votre amitié fur votre profit
, ne donnez jamais qu'à ceux qui vous le
rendent avec ufure , foyez complaifant envers
tout le monde , & ayez toujours deux
cordes à votre arc.
De toutes les folies , la plus dangereufe
& la plus incurable c'eft la paffion de la Cour.
Il faut voir fes amis dans la profperité
lorfqu'ils nous en prient , mais quand la for-.
tune leur eft contraire , & qu'ils font dans
Tadverfité , il faut y courir fans attendre
qu'ils nous appellent,
Si
AOUST. 1746. 73.
Si vous voulez vivre ſelon la nature, vous
ne ferez jamais pauvre , fi vous voulez vivre
felon l'opinion , vous ne ferez jamais riche.
On n'eft point vertueux fans fruir,
La malice , l'amour , & la contradiction
font les alimens naturels des femmes.
La femme eft un animal aimable , mais
de la nature muable.
L'innocence eft louvent plus hardie , que
le vice n'eft
entreprenant.
On eft bien à plaindre , quand on ne
voit les objets qu'au travers le bandeau de
la paffion.
အ
Paris 7 Juillet 1746 .
A Mademoiſelle P
I
SONGE.
A nuit derniere un rêve
Tendrement m'agitoit ;
Lejour vint & mit trêve
A ce qui me flaroit ;
J'aimois , j'étois heureux ,
Je careflois Silvie ;
Vous vous ouvrez mes yeux ;
La belle m'eft ravie .
B
74 MERCURE DE FRANCE,
De la felicité
Le cours eft peu durable
Il ne m'eft rien reſté
Qu'un regret incroyable.
Guillaumei
A Madame R ...
CESSE
AIR.
Philis d'être cruelle
Laffe -toi de me voir fouffrir ;
A quoi te fert d'être fi belle
Si ton Coeur ne fçait s'attendrir
Plus il montre d'indifference ,
Et plus s'accroiflent mes defirs ;
Ah j'efpere que ta clémence ,
Se laffera de mes foupirs .
Par le même;
AOUST.
1745 75
•
LETTRE écrite aux Auteurs du Mer
cure de France.
ESSIEURS , en lifant le Mercure
M de France , premier volume du mois
à
de Juin de cette année j'y trouvai u
ne lettre adreflée à vous , Meffieurs ,
la page 79, dont l'Auteur paroît embaraf
fé d'interprêter les quatrains qu'il vous adreffe
. Il n'y a pourtant rien d'auffi énigmatique
, que dans les vers des Sybilles ou de .
Noftradamus , & fans avoir recours à Rouen
ou a Caen, il eft plus facile de deviner pour
quelle fin ils ont été faits , que le motif par
lequel on a inferé dans un Miffel des vers
d'une compofition , bonne peut-être pour
leur tems , mais trop dure pour des oreilles
auffi délicates que celles de notre fiecle . J'ai
trouvé des vers du même goût & du même
Auteur fans doute , dans des heures imprimées
, non en caractéres gothiques , mais
tels que ceux dont on fe fert aujourd'hui , avec
les lettres initiales & rubriques rouges :
Heures anciennes que l'on pourroit appeller
le Diurnal des Laïques , d'où je conclus que
s'il y avoit quelque utilité d'inferer ces vers
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
"
dans un Miffel , afin que les Eccléfiaftiques
comptans par leurs doigts , trouvaffent plus
facilement le jour auquel devoit tomber chaque
mois la fête des Saints les plus diſtingués
, il étoit bien plus utile de les inferer
dans des heures , afin que ceux qui fcavoient
lire , les appriffent à ceux qui ne le fçavoient
pas.
En voici la clef. Chaque quatrain eft compofé
d'autant de fillabes , que chaque mois
à de jours , & le jour auquel tombe la fête
de quelque Saint notable , eft marqué par
la premiere fyllabe de fon nom , Cela eft aifé
à voir par le feul quatrain du mois de
Mai , où faint Jacques , l'Invention de la
fainte Croix , faint Jean Porte- Latine , &
faint Honoré , font expreffément marqués.
Il faut juger de même des quatrains des
autres mois , fans s'embarrafler du fens qu'ils
peuvent renfermer , & qu'il feroit bien difficile
de trouver dans la plupart. Je fuis furpris
que l'Auteur n'ait trouvé que les quatrains
des mois de Mars , Avril , Mai , Juin
& Juillet dans ce Miffel, Dans les heures
dont j'ai parlé , je n'ai trouvé que ceux de
Juillet , Août , Septembre & Octobre , les
autres feuillets du Calendrier avoient été
dé hirés , je ne fçai pourquoi. Je foupçonne
prurtant que c'étoit à caufe de quelques
diſtiques latins qui renfermoient d'une maAOUST.-
1746.
77
nière trop libre des préceptes de médecine ,
ponr conferver un régime de vie durant le
cours de chaque mois , car on devoit faire
grace aux quatrains pour la rareté de la
pocfie.
Le quatrain de Juiller eft le même que
celui que vous a envoyé l'Auteur de la lettie
; on y voit la tranflation de faint Martin
le 4 du mois , celle de faint Benoît , le
faint Vaaft , fainte Marguerite , fainte
Magdeleine , faint Jacques , les freres dor- II ,
fainte Anne & faint Germain chacun
en leur place. Je n'examine point fi ces
vers font d'un Auteur normand , je m'avoue
même incapable de cet examen. Si
vous le jugez à propos vous infererez dans
votre Mercure la maniere que je vous propofe
d'expliquer ces quatrains , je vous envoye
ceux d'Août , Septembre & O&tobre ,
& ' ai l'honneur d'être.
Voici ceux des douze mois de l'année ,
qui nous ont été envoyés par M. Fauquette,
Expert Ecrivain , penfionné de M. M. les
Magiftrats de la Ville de Lille ; il nous écrit
qu'il les a tirés d'un livre de velin fans
aucune date, intitulé : Heures à l'ufage de
Rome tout au long , fans rien requerir, avec
les figures de l'Apocalypfe & plusieurs autres
Hiftoires.
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
JANVIER
.
En Janvier que les Rois venus font
Glau me dit Bremin morfont
Anthoin boit le jour vin cent foye
Pollus en font tous fes dois .
FEVRIER.
Au Chandelier Agathe beut
Mais levin fi fort les meut
Qu'il tu après daufſi
Pierres Mathias auffi.
MARS.
Aubin dit que Mars eft prilleux
C'est mon faict Gregoir il eſt feux
Et tout prêt à donner des eaux
Marie dit-il eft caux.
AVRIL
En Avril Ambroise vint
Droit à Leon là fe tint
En fon tems étoit en balle
George marchant de godalle.
MAI.
Jacques Croix que Jehan & mog
AOUST.
1746. 79
Nicolas dit il eft vray
Honnorez font faiges & fotz ,
Carmes Auguftins & Bigotz.
JUIN.
En Juing alon bien fouvent
Grant foif ou Barnabe ment
En fon tems fut prins comler res
Damp Jehan Eloy & Damp Pierres.
JUILLET.
En Juillet Martin fe combat
Et du benoitier Saint Vaaſt bať ,
La furvint Marguet Magdelain
Jac Mar Dor Anne & Germain.
AOUST.
Pierres & os on gettoit
Après Laurens qui brutoit
Marie lors fe print à braire
Barthelemy fait Jehan taire.
SEPTEMBRE.
Gilles à ce queje vois
Marie toy fi tu me croix
At prie des nopces Mathiu
D iiij
80 MERCURE DE FRANCE
Son fils Fremin Cofme Micheu.
OCTOBRE.
Remis font Françoys en vigueur
Denis n'en eft point trop affeur
Car Luc eft prifonnier à Han
Crefpin & Symon à Caën.
NOVEMBRE.
Saintz mors font les
gens
bien curez
Com dit Martin Du biez
Auffi faict Porrus de Millan
Clement Catherin & Satan .
DECEMBRE.
Eloy fait Barba Colart
Marie cri e Luce art
Dont en grant ire Thamas meut
De No & Jehan Innocens fut.
'A O UST. 1746.-
REFLEXIONS fur la Profe & les
Vers par rapport à la Tragédie.
I.
Ly a deux fortes de difcours , le diſcours
libre , & le difcours mefuré & rimé . J'appelle
le premier Profe , & le fecond Vers.
Je n'appelle point celui-ci Poëfie . La Poë
fie eft commune d'elle -même à la Profe &
aux Vers. Elle confifte dans le ftyle , au lieu
que la verification ne confifte que dans
l'arrangement méchanique des paroles. Ainfi
la Profe peut être Poëtique , fans ceffer
d'être une véritable Profe , & les Vers peuvent
être Profaïques , fans cefler d'être de
véritables Vers.
II.
Le difcours mesuré & rimé a été princi
palement inventé pour le plaifir de l'oreille.
III.
Ce n'eft pourtant qu'à l'aide d'un peu
d'habitude que l'oreille eft flatée par le difcours
mefure & rimé. Il choque plutôt qu'il
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
x
ne flate l'oreille non encore accoûtumée ;
il fatigue même l'oreille la plus accoûtumée,
pour peu qu'il foit long , quelque parfait
qu'il foit d'ailleurs . C'eft une des raifons qui
engagent les bons Acteurs dans les piéces
de theâtre en Vers, à en marquer rarement
la cadence.
IV.
Mais cette contrainte de la meſure & de
la rime eft un grand obftacle à la perfection
, obftacle qui n'eft jamais continuement
furmonté dans les ouvrages de quelque
étendue ; feconde raifon de dégoût pour
les ouvrages dans les perfonnes d'efprit qui
ne font pas accoutumées aux Vers.
Elles font plus bleffées des endroits où la
difficulté n'eft pas furmontée , que flatées.
de ceux où elle l'eft le plus heureufement .
V.
De la difficulté furmontée il naît un plaifr
pour l'efprit , fenfible fur-tout aux per
fonnes accoûtumées.
V I.
La Profe harmonieufe fait auffi plaifir à
Poreille , plaifir moins vif , mais plus ca
AQUST. 1746.
pable de le foutenir long-tems par fa douceur
& fa varieté. Il en eſt des Vers & de la
Profe pour les oreilles , comme d'un jardin
très- regulier
, & d'une
belle
can belle
d'un beau payfage pour les yeux ,
campagne & le beau payfage plaifent plus à
la longue.
VII.
Dans le difcours mefuré & rimé il eft permis
, pour la commodité , de changer louvent
l'ordre nature des mots & des idees.
· C'est ce qu'on appelle inverſions , tranſpofitions.
VIII.
Ces inverfions donnent quelquefois plus
de grace & de force aux penfées. Par elles
encore les mots fe trouvent arrangés d'une
maniere plus propre à flater l'oreille , &
pour ces raifons la Profe les admet quelque .
fois. Prefque continuelles dans ' es Vers à
caufe de la contrainte de la me ure & de la
rime , elles ne nous bleflent point, elles nous
plaifent même par la force de l'habitude. Ce
qu'on permit avec peine aux premiers Verfificateurs
, eft exprefférent commandé'
à ceux d'ajou : d'hui ; on loue dans les uns
ce qu'on ne fit que pardonner aux autres.
Dvj
84 MERCURE DE FRANCE
IX.
Ces inverfions , les ellipfes , les figures
hardies , &c.... font ce que j'appelle la
Poëfie , commune d'elle- même , comme je
l'ai dit , aux Vers & à la Profe.
X.
On peut traiter en Profe toutes fortes de
fujets , donc on peut écrire Poëtiquement
en Profe. On ne fçauroit prouver par aucune
bonne raifon que le difcours libre ne
puifle être Poëtique , & qu'il ne foit permis
de l'être qu'au difcours mefuré & rimé. C'eſt
uniquement le fujet du diſcours , la matiere
à traiter , qui admet ou rejette la Poefie.
Dire une Profe Poëtique , c'eft allier , ſelon
quelques - uns , des idées contradictoires
qu'on définiffe les mots , & la contradiction
s'évanouira .
XI.
;
De ce qu'on peut traiter tous les fujets en
Profe , il ne s'enfuit pas qu'on puiffe traiter
tous les fujets en Vers. Non-feulement les
Vers n'ont pour aucun fujet de privilége
exclufif , mais ils n'ont de privilége que
AOUST. 1746.
pour un très-petit nombre ; & premierement
le difcours en Vers n'étant pas un difcours
naturel , les Vers ne conviennent
point , lorfqu'il faut parler naturellement.
XII.
2. Pour être inftruit , il faut concevoir
& retenir. Les Vers aident la mémoire ; parlà
ils feroient favorables à l'inftruction
mais d'un autre côté les préceptes particuliers
ne peuvent guéres être expofés en Vers
aflés clairement , pour être conçus facilement
, ni avec affés d'étendue & dans un
affés grand détail , pour rendre l'inftruction
complette.
XIII.
3. Les Vers font encore moins propres à
toucher qu'à inftruire ; le coeur ne veut rien
que de naturel & de fimple . Demofthene &
le P. Bourdaloue euffent moins touché
moins ébranlé en Vers. Ofons- le dire , les
Vers , fur- tout les Vers rimés , n'ont pas
même l'air ferieux . Par confequent ils conviennent
moins que la Profe à la Tragédie ,
dont le but principal eſt de toucher le coeur ,
XIV.
Dans la Tragédie on fait parler des per86
MERCURE FRANCE. DE FR
fonnages. C'eft un dialogue , une fuite de
converfations fur les chofes les plus inté
reflantes pour ces perfonnages. C'eft le développement
de leur coeur , & par confequent
un ouvrage de fentiment , j'en dois
oublier l'Auteur. Mon plaifir eft imparfait ,
ce n'eft pas le plaifir effentiel d'une Tragé
die , si ne va pas jufqu'à l'illufion , mais
par où eft- elle procurée cette douce illufion ?
par la réunion de toutes les convenances ,
tant celles qui frappent les fens , que celles
qui affectent immédiatement l'ame ; convenance
dans la décoration du Théatre , les
habits des Acteurs , leur figure , leur âge ;
convenance dans les penfées , les fentimens ,
le ftyle de leurs difcours . Or n'eft- ce
de ces convenances de les faire parler , à la
vérité ingénieuſement , noblement , parce
qu'ils repréfentent des perfonnages à qui on
fuppofe de l'efprit & de la naiffance , mais
en Profe & non en Vers , parceque ces perfonnages
ne font pas fuppofés Poëtes , du
moins dans l'uſage ordinaire de la vie ?
XV.
pas une
Mais , dit un homme de beaucoup d'ef
prit , les Vers même contribuent à l'illu-
* Feu M. de la Faye de l'Académie Françoife.
་
AOUST. 1746 87
*
20
hon; ils augmentent mon interêt pour les
perfonnages , en me les faifant paroître
plus grands , plus importans. Vous vous
trompez , Monfieur , ce font les Auteurs
des Tragédies qui vous en paroiffent plus
grands , plus importans ; ce font euxfeuls
que vous allez chercher au Théatre
& que vous y voyez . Peut-être y voyez-vous
encore les Acteurs , vous jugez des talens
des uns & des autres , vous les admirez
vous les appréciez. Votre plaifir eft un plaifir
de joye & non d'attendriffement ; le pathétique
ne vous affecte que comme beau ;
vous dites , fans être touché , que tel endroit
eft infiniment touchant. Vous fouriez
à une reconnoiffance comme à un bon mot
vous répetez en vous-même de beaux Vers ,
& moi je pleure , la plus vive inquiétude
m'agite , & je fuis confterné , fi la cataſtrophe
n'eft pas heureuſe pour les perſonnages
quej'aime , je ne vois que Dom Pedre , Inès,
Alphonfe . Je les emporte dans mon coeur
j'y rêve la nuit,je ne penfe que le lendemain.
à M. de la Motte , & lorfque je le vois , je
ne lui dis point , votre Piece m'a paru trèsbien
conduite ; les Vers en font beaux , vous
devez même être content des Acteurs ; mais
;
* Ceci eft relatif au caractére affés connu de
M. de la F. qui aimoit infiniment les Vers,
88 MERCURE DE FRANCE.
je lui dis : jamais je n'ai étéfi intereffé ,
ému ; jamais je n'ai tant pleurê au Théatre,
ni tant vú pleurer , qu'hier au foir , mais ne
pouviez-vous fauver Inès ?
Voilà fans doute les vraies louanges , & la
Tragédie dont je parle les eût également
obtenues , quoiqu'en Profe. Je dis davanta
ge ; elle eût paru plus touchante encore ,
du moins à deux fortes de fpectateurs , les
uns à quilapiece n'a pas parû bien verfifiée ,
car cette peine s'oppofe certainement à l'émotion
& l'affoiblit ; les autres en très- grand
nombre qui font indifferens pour les Vers ,
& qui ne vont au Théatre que pour être intereffés
& touchés . Les Vers répandent
pour eux dans les Tragédies un air
peu naturel
dont je les ai entendu fouvent le plaindre
, mais qu'ils ne fçavent pas toujours à
quoi attribuer. Or il eft certain qu'avec cette
impreffion ils font moins facilement émus .
Heureuſement , à la vérité , ils oublient
dans les endroits les plus intéreffans qu'ils
entendent des Vers : ce n'étoit donc pas la
peine d'en faire.
Σ
AOU'ST . 89 1746.
EEEEEEEEEE
LES OYES ET LES GRUES.
FABLE.
NE Oye ou deux , avec cinq ou fix Grues ,
Paiffoient un jour à côté d'un marais ;
Un Oifeleur les ayant apperçues ,
Vint pour y tendre ſes filets ,
Mais une Grue ayant vû le manége ,
Lefit remarquer à fa foeur ,
Qui jugeant fainement du piége ,
Fit détaler tout le cortège :
Et bien leur prit d'avoir tant de maigreur ,
Car leurs compagnes par trop graſſes ;
Ne pouvant point fuivre leurs traces
Furent prifes par l'Oifeleur.
Ce n'eft pas toujours l'abondance
Qui fait notre félicité :
Moins de bien & plus de prudence ,
On en vit plus en fûreté.
90 MERCURE DE FRANCE.
BOUQUET
A une mere pour le jour de fa fote.
DANS ce jour folemnel¸
Où l'on célebre de MARIE
Le triomphe éternel ,
A vous louer tout me convie.
C'est trop peud'une voix , c'eft trop peu d'une vie,
Pour rendre l'univers témoin
Desvertus qu'à nos yeux vous cachez avec ſoin ;
Je voudrois publier .... mais votre modeſtie :
M'empêche de pouffer plus loin.
Que j'ai de graces à vous rendre ,
Pour les biens que fur moi vous avez fçû répandre Ï
Vous m'avez fait préfent du jour ,
Préfent digne de votre amour,
Préfent plus précieux qu'on ne peut le comprendre ,
Et qui demandé
un femblable retour.
D'une Mufe au berceau que pouvez- vous attendre ?
Et quel préfent fera digne de vous ?
Un refpe&t éternel , l'amitié la plus tendre
AOUST. 1746. 97
Voilà , mere aimable , entre nous ,
Ce que je viens offrir : le refuferez-vous ?
LETTRE écrite aux Auteurs du Mercure
au fujet du proverbe par lequel on
dit: les armes de Bourges , un Ane en
Chaire.
Cette Lettre doit faire d'autant plus de
plaifir à nos Lecteurs , qu'outre qu'on y
trouvera deux origines vrai femblables du
proverbe dont il eft queſtion , on y voit auf
fi regner un tendre amour pour fon pays ,
mais après tout , l'Auteur a-t'il raiſon de fe
fâcher fi férieuſement contre un de fes compatriotes
, qu'il veuille lui difputer fans raifon
l'avantage d'être de Bourges ?
M
ESSIEURS , je n'eus pas plutôt jetté
les yeux
fur la queftion propofée dans
votre Mercure du mois de Fevrier dernier
touchant le proverbe par lequel on dit : les
armes de Bourges , un âne en chaire , que
je me fentis entraîné , malgré la multiplicité
& la gravité de mes occupations , à entre
prendre de répondre à cette queftion . Ce ne
fut point un vain défir de briller qui me mit
ce deffein dans l'efprit ; tous mes conci
92 MERCURE DE FRANCE.
toyens fçavent combien je fuis
peu fufcepti
ble d'un tel foupçon. e n'avois en vue que
de détourner de deffus ma Ville natale les
fades plaifanteries & les applications malignes
qu'enfante journellement
un vieux
proverbe qu'on peut raifonablement
regarder
comme un excrément de l'antiquité Berrichonne.
Je mis donc fubitement la main à la plume
, mais je fentis bientôt qu'il falloit plus
que des raisonnem ens pour détruire le préjugé
vulgaire. Il me parut néceffaire de pénésrer
jufques dans le berceau de ce proverbe ;
mais quelle route tenir ? aucuns monumens
ne conftatent , ni n'indiquent même fa naiffance
; c'eſt , ſans doute , un enfant obſcur
de l'ignorance , adopté par la malice des ennemis
de ma bonne Ville natale. Je me vis
donc réduit à prendre des informations d'une
tradition vague & incertaine ; mais un
peu de reflexion m'apprit auffi -tôt que fila
malignité naturelle à toute l'efpece humaine
avoit befoin de fi peu pour ſe donner
carriere , il falloit au contraire des forces
extraordinaires pour lui arracher un aliment
auffi flateur pour elle , qu'il eft peu folide &
peu raisonnable : qu'imporre , j'aurois franchi
toutes ces difficultés ; il fe préſenta malheureuſement
un autre obftacle ; je craignis ,
Meffieurs , que des raifonnemens faits en
AOUST. 1746. 93
confequence de la tradition , ne vous paruf
fent trop peu
folides & trop peu fatisfailans
pour tenir place dans votre Mercure. Graces
a votre complaitance pour l'Auteur anonime
de la ridicule Hiftoire interée dans votre
premier volume du Mercure de ce mois ,
cet obftacle s'eft diffipé , & la connoiffance
que j'ai de votre judicieuſe impartialité
me fait efperer que vous n'aurez pas moins
de condefcendance pour zéle généreux
d'un bon citoyen , que vous venez d'en
montrer pour le deflein malin d'un faux Ber
richon.
Je pourrois , Meffieurs , vous faire ici
au nom de toute la Ville de Bourges , de juſtes
plaintes fur la façon dont vous avez annoncé
l'Hiftoire en queftion ; il n'est que
trop vifible que la plaifanterie vous a plu ,
mais je regarde le plaifir qu'elle vous a fait ,
comme un furprise contre laquelle aucun
interêt ne vous mettoit en gar
;
r'e.
Je dois d'abord commencer , Meffieurs ,
par affûrer que je fuis très- certainement de
Bourges , & que l'Auteur de la réponſe à la
queftion dont il s'agit n'en eftnullement.
Que je fois de Bourges , j'en donnerai
quand on voudra des preuves fimples & qui
convaincront mieux que tous extraits baptiftaires
& autres certificats .
Que l'Auteur dont il s'agit , n'en foit pas ,
94 MERCURE DE FRANCE.
c'eſt ce qu'il eft inutile de chercher à prouwer
, il n'y a qu'à lire fa production de contrebande
pour en être moralement certain.
En effet quel eft le citoyen affès dénaturé
pour aller prêter gratuitement des armes
àun préjugé qui tend à tourner en ridicule
fa Ville natale : l'Auteur en queſtion
fait encore pis , il rencherit fur toutes les
mauvaiſes plaifanteries : il crée , pour ainfi
dire , un nouveau ridicule , par l'application
qu'il fait à la Ville de Bourges d'un vieux
conte qu'on peut lire en cent endroits differens,&
notamment dans l'Hiftoire de la Baftille
. Faut- il plus que du fens commun pour
voir le contrafte que fait une telle mauvaiſe
foi avec l'affurance que nous donne cet Au
teur qu'il eft de la capitale du Berry ?
Vous fçavez , Meffieurs , combien j'ai
interêt d'expatrier ce mauvais plaifant ; on
ne dit déja que trop de mal de ma pauvre
Ville , fans qu'on ait encore à lui imputer
de produire des enfans ingrats & dénaturés.
Je fuis furieufement piqué con re ce
prétendu concitoyen , mais il me foulage
un peu par une bévue qui fait tomber fur lui
le ridicule dont il prétendoir accabler notre
Capitale. Où a-t'il pris , ce beau conteur
que Henri IV. ait jamais été à Bourges ? il
avoit bien raifon de, nous dire dans fon début
qu'il n'étoit pas fçavant. Mais venons
AOUST.
1746: 9$
aux traditions , puifque vous voulez bien
vous en contenter.
On prétend que Bourges étant un jour af
fiégé par je ne fçais qui ( car je ne veux rien
hazarder de mon chefpour ne pas faire à
mon tour quelque bévue ) le Gouverneur
de la Ville , qu'on nommoit Afinius Pollio ,
chargé d'années & de goute , fe fit porter
dans un fauteuil furles remparts de la Ville :
là du gefte & de la voix , il infpira un tel
courage aux affiégés , que les affiégeans furent
brufquement forcés de lever le fiége.
Le nom d'Afinius que les ennemis chaffés
ou le tems changerent apparemment en celui
d'Afinus , l'utilité de la préſence du Gouverneur
qui valut feul les armes les mieux
trempées ; n'en étoit-ce pas affés pour faire
dire que la défenſe ou les armes de Bourges
avoient été un âne dans un fauteuil, & pour
donner lieu dans la fuite au cours du prover.
be , les armes de Bourges un âne dans un
fauteuil ou en chaire?
Une autre tradition nous apprend que les
habitans de Bourges poffedoient autrefois
une partie du pont d'Orleans , du côté qui
conduit de cette Capitale à celle- ci , & que
fur l'une des arches de cette partie du pont ,
on avoit repréſenté en bas- relief fainte Anne
endoctrinant la fainte Vierge d'un fiége
éminent en forme de chaire , ce qui avoit
96 MERCURE DE FRANCE .
donné lieu par une mauvaiſe prononciation
au proverbe dont il s'agit.
Voilà , Meffieurs , des traditions , qui , fi
elles ne font point déterminantes , ne donnent
du moins aucun ridicule à ma Ville. Je
pourrois ( & c'étoit d'abord mon deffein )
joindre a ceci des reflexions folides qui feroient
voir clairement combien on eft mal
fondé à tirer des inductions malignes d'un
proverbe dont la naiflance doit fe rapporter
au moins au tems où la Capitale du Berry
étoit l'une des Villes les plus floriflantes de
France ; mais je craindrois que trop de longueur
ne me privât du plaifir de voir rendre
public ce foible témoignage de mon zéle &
de ma tendreffe pour le lieu de ma naiſſance.
Je fuis très , & c.
Le 18 Juillet 1746.
妮妮妮妮妮妮妮妮妮妮妮光
SUGGUtUUUUUU
LES CHARMES DU PRINTEMS.
QUEUE de charmes , amis ! tout invite à l'amour.
Le printems fait fentir ſon aimable retour
Et répand par tout l'allégreſſe.
Ala nature qui ſourit
•
La
AOUST. 1746. 97
La raifon applaudit ;
C'eſt le regne de la tendreйe .
Hatons-nous , profitons d'un tems fi précieux ;
Chacun dans les bras de fa belle
Célebre le plus grand des Dieux :
Quand la raiſon n'eft plus rebelle ,
Les plaifirs ici bas font les mêmes qu'aux cieux,
Par M. de la Soriniere.
Si depuis quelque tems nous n'avons pas
inftruit le public des Arrêts remarquables
du Parlement , il n'y a eu aucune négligence
de notre part. Notre filence n'a été causé que
par la rareté des Arrêts intereffans pour
tout le monde. Nous promettons d'être plus
exacts dans la fuite , fi les matieres nous le
permettent.
** ** * *
SUITE des Arrêts notables rendus en
la Grande Chambre du Parlement de Paris .
A Cour par un Arrêt rendu dans le mois
de Juillet dernier & digne d'être remarqué
a profcrit une fraude qui n eft que trop que
E
98 MERCURE DE FRANCE.
ordinaire entre un mari & une femme pour
difpenfer le mari de payer fes dettes . Cette
fraude eft unefeparation de biens que la fem
me fait prononcer clandeftinement contre
fon mari , & une adjudication qu'elle fe
fait faire de ſes meubles & effets , en vertu
de laquelle elle les reclame comme lui appartenans
, lorfque le créancier légitime
veut les faire vendre pour fe procurer fon
payement,
Les faits & la procédure de cette Caufe
étoient qu'un particulier Maître Paveur à
Paris étoit débiteur envers les Sieur &
Dame ... d'un billet de 500
livres
.
Les Sieur & Dame...avoient obtenu contre
lui en l'année 1744 une condamnation aux
Requêtes du Palais où ils ont droit de Committimus,
&en vertu de cette condamnation
ils avoient fait faire à ce particulier un.
Commandement le 30 Septembre 1744 de
payer les 500 livres.
Ce premier Commandement avoit été fuivi
d'un iteratifCommandement tendant à
faifie & exécution des meubles du débiteur
du 15 Décembre fuivant , et lors de cè fecond
Commandement fa femme s'étant retirée
dans fon appartement , & en ayant fermé
la porte avoit repondu en dedans que
font mari iroit voir cette femaine les Seur
& Dame ... & leur p orteroit de l'argent ;
AOUST. 1746.
97
99.
c'eft ce qui étoit prouvé par le procès- verbal
de l'huiffier .
D Les Sieur & Dame . obtinrent le 22
Décembre 1744 une Sentence aux Requêtes
du Palais,par laquelle il fut ordonné que
le débiteur feroit ouverture des portes , finon
qu'elle feroit faite par un Serrurier en
obfervant les formalités prefcrites par l'Ordonnance.
En vertu de cette Sentence il fut fait le
14 Janvier 1745 un autre Commandement
& une faifie & exécution de meubles : on
établit une garnifon , & il fut donné affignation
à ce particulier pour donner bon
olvable gardien.
Tandis que les Sieur & Dame ... faient
ces pourfuites contre le mari , fa femrede
concert avec lui,voulant mettre à couvart
les meubles dont on pourfuivoit la venta
, faiſoit de ſon côté la procédure qui a été
profcrite par l'Arrêt que l'on a annoncé , &
nt il faut faire le détail .
Le 14 Octobre 1744 ( poftérieurement
premier Commandement qui avoit été
ta fon mari ) elle avoit prefenté fa Requê
te à M. le Lieutenant Civil pour qu'il lui fût
permis de faire affigner fon mari , pour voir
re qu'elle feroit féparée de biens d'avec lui,
qu'il feroit condamné à lui rendre fa dot ,
& afin d avoir permiſſion de faire faifir , ga.
SECTOR
E ij
TOO MERCURE DE FRANCE.
ger & arrêter tous meubles , marchandifes
effets à lui appartenans , & elle avoit ob.
tenu au bas de cette Requête une Ordonnance
portant permiffion d'affigner & defaifir
& gager ces meubles,
En confequence de cette Ordonnance
le lendemain elle fit donner affignation à
fon mari , & fit faifir & gager une partie
de fes meubles ; le mari lui- même fut établi
gardien,
Après que cette femme eût fait fon enquête
pour prouver la prétendue diffipation
& la mauvaiſe conduite de fon mari , elle
obtint le 23 Décembre 1744 une Sentence
( par forclufion contre lui ) qui ordonnoit
qu'elle demeureroit feparée de biens , qui
déclaroit la faifie gagerie bonne & valable,
& ordonnoit que les meubles faifis & gagés
feroient vendus,& que les deniers en prove
nans feroient délivrés à la femme .
Cette Sentence fut fignifiée au Procure
du mari le 30 du même mois de Décembre ,
mais ( ce qui formoit une des principales
nullités dans la procédure de la femme )
cette Sentence ne fut point infinuée alors ,
ni fignifiée à la perfonne ou au domicile du
mari.
Cependant la femme lui fit fignifier le ; 1
du même mois de Décembre 1744 que faute
de payement il feroit procedé le 2 Janvier
AOUST. 1746. 101
fuivant au recollement & à la vente des
meubles faifis & gagés .
Il paroifloit une fignification faite le même
jour 31 Décembre par le nommé Dufour
buiffier à plufieurs prétendus créanciers du
mari , & notamment aux Sieur & Dame ...
& à celui qu'ils avoient établi en garnifon
chés leur débiteur lors de leur faifie , & cette
fignification contenoit une dénonciation
de celle faite le même jour au mari avec indication
que la vente des meubles à la requête
de la femme fe feroit le 2 Janvier fuivant,&
fommation de fe trouver pour être
prefens à la vente & adjudication , & pour
déduire leurs caufes & moyens d'oppofition ,
s'ils en avoient aucuns pour empêcher la délivrance
des deniers .
Enfin le 2 Janvier 1745
Janvier 1745 s'étoit faite la
derniere opération pour confommer la fraude
que le débiteur & fa femme vouloient
faire. Il paroifloit un exploit donné au mari ,
Contenant qu'en continuant la faifie gagerie
du 15 Octobre 1744 , & la fignification de
vente du 31 Décembre précedent , il étoit
fait iteratif commandement au mari de
payer les condamnations
; pour fon refus
onavoit fait le recollement des meubles contenus
dans la faifie gagerie.
Mais comme dans cette premiere faifie
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
gagerie on n'avoit pas eu l'attention de comprendre
tous les meubles du mari , lors du
recollement qui s'en fit , il s'en trouva d'autres
en évidence qui furent à l'inftant laifis
& enlevés à l'inftant avec les premiers ; &
le procès-verbal portoit qu'ils avoient été
tranfportés fur le carreau de la halle pour
être vendus par un huiffier prifeur) requis
par le nommé Dufour qui avoit procedé
aux faifies & aux recollemens , & qui ayoit
fait les fignifications précedentes .
Il y avoit enfuite un procès-verbal de vente
de tous les meubles faite à lafemme , au
commencement duquel le nommé Dufour
certifioit fauffen.ent qu'il n'y avoit aucune
oppofition qui pût empêcher la vente , tandis
qu'il prétendoit avoir fignifié lui -même
cette vente à celui que les Sieur & Dame ...
avoient établi en garnifon lors de leur faifie,
dont il n'y avoit point de main - levée. Et
dans cet état la totalité des meubles avoit
été adjugée à la femme moyennant 1675 li
vres i fol.
Alors la femme avoit fait fignifier au
Procureur des Sieur & Dame .... le 14
Fevrier 1745 une oppofition à la faifie exécu
tion & enlevement des meubles de fon mari,
attendu qu'elle étoit féparée par Sentence
du Châtelet , & qu'elle s'étoit renduë adju
AOUST. 1746. 103
dicataire des meubles le 2 Janvier 1745 en
place publique , comme plus offrante &
derniere encheriffeufe .
Les Sieur & Dame ... voyant une pa
reille collufion , préfenterent le 25 du même
mois de Janvier leur Requête aux Requêtes
du Palais, & y firent affigner leur débiteur &
fa femme , pour voir dire qu'ils feroient, en
tant que de befoin,reçus oppofans à l'Ordonnance
du fieur Lieutenant Civil portant permiffion
defaifir & gager les meubles du mari,
à la faifie gagerie qui en avoit été faite , à la
Sentence de féparation & à la vente faire à la
femme de ces mêmes meubles , que toute
cette procédure feroit déclarée nulle , qu'il
feroit fair main- levée de fon oppofition , &
qu'il feroit procedé & paffé outre à leur requête
à la vente de çes meubles , & que le
mari & la femme feroient contraints à les repréſenter.
Les moyens des Sieur & Dame ..
étoient que la Requête que la femme de
Ieur débiteur avoit préfentée au Châtelet
pour avoir permiffion de faire affigner fon
mari, & de faire faifir & gager fes meubles,
étoit poftérieure au premierCommandement
qu'ils lui avoient fait de payer la fomme de
soo livres à eux dûe , & ils montroient parlà
que c'étoit une fraude évidente pratiquée
pour difpenfer le mari de les payer.
E iiij
104 MERCURE DE FRANCE.
A l'égard de la procédure de la femme , it
s'y trouvoit à chaque pas une nullité.
1°. Elle n'avoit aucun titre pour faire fa
faifie gagerie qui eft équivalente à unefaifie
& execution , puifqu'il faut dans l'une comme
dans l'autre un établiſſement de gardien ,
& qu'elle tend à la vente des effets faifis &
gagés . Outre cela la créance de la femme
n'étoit point de chofe liquide & certaine ,
ce qui étoit contraire à l'article 2 du titre des
faifies & exécutions de l'Ordonnance de
1667.
2º. On oppofoit à la femme que la Sentence
de féparation qu'elle avoit obtenue par
forclufion contre fon mari n'avoit point été
infinuée , & qu'elle ne lui avoit point été ſignifiée
à fa perfonne ou domicile, mais feulement
à fon Procureur , ce qui opéroit d'abord
qu'elle n'étoit point devenue publique,
ni connue de fes créanciers par l'infinuation ,
& qu'elle n'étoit point en effet un titre en
vertu duquel on pût faire vendre fes meubles
, parce qu'une Sentence par défaut ne
devient un titre contre quelqu'un que lorfqu'elle
eft fignifiée à fa perfonne ou à fon
domicile.
3. On objectoità la femme comme une
autre nullité évidente , que la plupart des
meubles de fon mari n'ayant point été compris
dans la ſaiſie gagerie qu'elle avoit faiAOUST
1746. 105
Octobre 1744 ,
ils n'avoient été fai te le
fis que le 2 Janvier 1745 , & àl'inftant en- levés & vendus , ce qui étoit abſolument
contraire
à la difpofition
de l'Ordonnance
qui porte art. 12. du titre des faifies & exécu
tions , qu'il y aura au moins huit jours entre
lafaifie & la vente , ce qui eſt établi nonfeulement
en faveur du débiteur
pour lui
donner
le tems de trouver de l'argent
pour
empêcher
que fes meubles ne foient vendus,
mais principalement
pour les créanciers
, afin de leur donner un delai pour former
leur oppoſition
à la diftribution
des deniers .
En vain oppofoit-on de la part de la femme
qu'elle avoit exactement fuivi dans fa
féparation l'ufage du Châtelet , on répondoit
que ce prétendu ufage étoit un abus dès
qu'il n'étoit pas conforme à l'Ordonnance.
Sur ces moyens Sentence les Juiller
1745 , laquelle reçoit les Sieur & Dame ...
oppofans à l'Ordonnance portant permiffion
de faifir & gager du 14 Octobre 1744 ,
à la faifie gagerie faite en confequence , à la
Sentence de féparation & à la vente & adjudication
des meubles aifis & gagés , déclare
à leur égard la procédure nulle ; ordonne
qu'il fera procedé & paflé outre à leur pourfuite
& diligence à la vente des effets faifis
pour être les deniers tenus en Juftice à la
confervation des droits des Parties ; & pour
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
faire droit fur la délivrance d'iceux continue
l'Audience au premier jour.
La femme ayant interjetté appel au Parlement
de cette Sentence , Arrêt eft intervenu
le 13 Juillet 1746 par lequel elle a
été confirmée avec amende & dépens.
XCALOID AIONADTOWN DEAD DEADEDED HADDENET:
CHANSON.
Sur l'air : Quand le péril eft agréable.
DE L'OPERA D'ATIS.
ALA Cour pays d'esclavage
Où l'on vend trop cher les faveurs ,
Connoiffant fes dehors trompeurs,
Je ne rends plus hommage ,
Ennemi de tout faux langage ,
De la baffeffe & de l'orgueil ,
Je n'apperçois dans cet écueil
Que gens qui font naufrage.
Dans une demeure champêtre ,
Où brillent la Nature & l'Art ,
AOUST.
107 1746.
Qu'on eft heureux d'être à l'écart ,
Et de fe fentir maître !
Ainfi vont les jours de ma vie,
Dans une douce oifiveté ,
Jouiffant de ma liberté ,
Et careffant Silvie.
REPONSE DE SILVIE.
Libre de crainte & d'efperance ,
Gardant pour les Dieux votre encens ,
Vous regnez au ſein des talens
Par votre indépendance.
Loin de tout brillant eſclavage ;
Et des idoles de l'erreur ,
Vous fçavez placer le bonheur
Dans les plaifirs du fage.
Soumis à la Philofophie ,
Votre ame eſt ſans ambition ,
Pour moi, de cette paffion ,
Je ne fuis point guérie.
Mon coeur eft trop de la partie ,
Et je ne puis m'en détacher ,
C'est toujours de vous voir aimer
Votre tendre Silvie.
40
508 MERCURE DE FRANCE
Je jure à la belle Silvie
De l'aimer toujours tendrement ;
Du coeur part cet engagement
Qui conftamment me lie.
Le fentiment de la Nature ,
Eft le premier chés les humains ,
La plus part des autres font vains ,
Et fouvent impofture.
TRADUCTION DE L'ODE VIIc .
DU II. LIVRE D'HORACE.
AD LICINIUM.
Rectius vives , Licini , neque altum , &c.
EN pleine mer redoute le naufrage :
Crains les écueils trop proches du rivage ,
Si tu veux , cher ami , couler des jours heureux :
Trop s'expofer ou manquer de courage ,
Ces deux excès pour l'homme fage
Sont également dangereux.
Quiconque fçait fe plaire
AOUST. 104 1746 .
Dans l'état précieux de médiocrité ,
A l'abri des mépris qu'infpire la mifere ,
Et des traits que redoute une richeſſe altiere ;
Il trouve la félicité .
Le Pin dont l'orgueilleufe tête
S'éleve jufqu'aux Cieux ,
Eft fouvent agité par les vents furieux :
La fuperbe Tour dont le faîte
Se dérobe à nos yeux ,
Effraye par fa chûte , & fe réduit en poudre :
Et les Monts fourcilleux
Sont frappés de la foudre.
Quand on veut rappeller fa raiſon au ſecours,
On fe foumet à tout ce que le Ciel ordonne ;
Dans l'adverſe fortune on efpere toujours ,
Et l'on craint toujours dans la bonne."
Rien n'eft ſtable ici - bas : chaque choſe a ſon cours :
Ce cours univerfel par tout nous environne.
L'Eté fait le Printemps, l'Hyver chaffe l'Automne
Et les obfcures nuits font place à de beaux jours.
La fortune de même en fa rapide courſe ,
A fon gré nous entraîne & change nos deftins ;
Et nos plus grands chagrins
Ne font point fans reflource,
Quelquefois Apollon réveille les accords
10 MERCURE DE FRANCE:
D'une Muſe endormie ,
Et quelquefois une yerve ennemie
Réfifte à nos efforts.
Si tu te vois menacé de l'orage ,
Ami , ne porte poinr ta douleur à l'excès ↓
C'eft alors que tu dois ranimer ton courage :
Mais file bon vent fouffle , également fois fage ,.
Et ne te laiſſe point enfler d'un bon ſuccès.
1
XXX*XXX XXXXX
TRADUCTION DE L'ODE XVe.
DU ME ME LIVRE.
Non ebur , neque aureum , &c.
JE ne repofe point fous de riches lambris
L'or, le marbre & le bronze ornés par la fculpture ;
Ne brillent point dans mon logis ,
Et fes dehors ne font point embellis
D'une fuperbe architecture.
Content d'un habit fimple & d'un humble réduit ;
En meubles , vêtemens , bâtimens , équipages
Cent ouvriers ne font point à mes gages
AOUST .
1746. 1
Occupés jour & nuit.
Parl'injuftice & la baſſeſſe
Je n'ai point recherché l'opulence d'un Roi ,
Mais un coeur franc & de la bonne foi
Font toute ma richeffe :
Pour ce feul bien qu'il trouve en moi ,
Tout pauvre que jefuis , le riche me careffe.
Sans fatiguer le Ciel par des voeux fuperflus ,
Ni pouffer près des Grands une plainte importune ,
Je fcais me contenter de quelque revenus ,
Et je jouis de toute la fortune .
Les jours font détruit par les jours i
Leur nombre qui fe multiplie
Forme les mois , les ans , & leur rapide cours
A bien-tôt entraîné celui de notre vie.
Pourquoi donc à grands frais
Faire élever ces fuperbes palais ,
Pour fi peu de tems qui te refte ?
La terre femble encore trop petite pour toi ,
Homme infenfé ! Leveles yeux , & voi ;
Lis ton arrêt funefte.
Eh ! que te fert d'agrandir ton terrain
Par la fraude & la violence ,
Et de bâtir ton opulence
12 MERCURE DE FRANCE.
Sur la ruine d'un voisin ?
Ne fcais-tu pas qu'il faut que l'homme meure,
Que c'eft de la rerre qu'il fort ,
Qu'ildoit y rentrer par la mort ,
Et qu'il n'a point de plus fûre demeure ?
Faut- il tant de maiſons , de terres à la fois ,
Pour loger un feul homme , & qui touche à fon
terme ?
Loriqu'un fi court efpace également renferme
Lepauvre & les enfans des Rois ?
Si de cette loi redoutable ,
A force de tréfors , on pouvoit s'affranchir i
Mais la Parque eft inexorable ;
Créfus & tout fon or ne purent la fléchir .
Elle vient foulager le pauvre en fa mifere ,
Mais fouvent il l'appelle en vain à fon fecours ,
Et fans égard à fa priére ,
Du riche elle tranche les jours.
AOUST. 1746. 11
NOUVELLES LITTERAIRES
DES BEAUX ARTS , &c.
N vient d'imprimer un ouvrage qui a
pour titre les Beaux Arts réduits à um
même principe. Ce principe eft l'imitation de
la belle Nature. Cet ouvrage eft divifé en
trois parties dans la premiere l'Auteur
prouve 1 °. que le Génie , qui eft le pere des
Arts ne peut créer qu'en imitant , que les
Arts ne font que des imitations , des images,
des phantômes qui paroiffent-être réels &
qui ne le font point. 2° Que ces imitations
ne doivent point être ferviles , c'est- à-dire ,
repréfenter fcrupuleufement la Nature telle
qu'elle eft , telle qu'on la voit ordinairement
, mais telle qu'elle peut être & qu'on
peut la concevoir par l'efprit. 3. Il expofe
l'état dans lequel doit être le Génie
imiter de la forte, Cet état s'appelle enthoufiafme
; il le définit , il en montre les fonctions.
Jufques-là tout ce qu'on dit eft com .
mun à tous lesArts.On marque enfuite leurs
differences propres qui les caractériſent.
Tous les arts font une imitation de la belle
pour
114 MERCURE DE FRANCE.
Nature , mais cette imitation eft exprimée
par les couleurs , fi c'eft la peinture qui imite
, par le relief , fi c'eft la Sculpture , par les
attitudes , fi c'eft la Danfe , par les fons inarticulés
, fi c'eft la Mufique,enfin par la parole,
fi c'ett la Poefie. D'où il eft aifé de tirer des
définitions des Arts qui foient claires & précifes.
La feconde partie eft fur le goût qui eft
le juge & l'arbitre des Arts. On le fait d'abord
connoître : c'eft un fentiment du bon
ou du mauvais . Il nous eft naturel ; c'eft une
faculté qui nous eft néceffaire pour notre
confervation , fon objet ne peut être que la
Nature , & fi les Arts peuvent l'être, ce n'eft
qu'en fe mettant eux- mêmes â la place de la
Nature en tâchant de lui reflen bler. Cette
vérité eft prouvée par des raifonnemens & -
par l'hiſtoire même du goût. Enfuite ce même
goût eft porté au milieu des Arts comme
un Légiflateur fouverain . Sa premiere
loi eft , que la belle Nature foit imitée. La
feconde , qu'elle fait bien imitée . Ces deux
foix font développées . L'Auteur fait voir
qu'elles contiennent toutes les autres, & même
les regles particulieres qui doivent fortir
de chaque fujet felon fon genre & fon caractére.
De ces principes on tire quatre conféquences
importantes. La rere. Qu'il n'y a
qu'un bon goût en général , & qu'il peut y
AOUST. 1746.
en avoir plufieurs en particulier. Ce paradoxe
eft expliqué. La 2c. Qu'on doit juger
des ouvrages de l'art par comparaiſon. Laze..
Que le goût s'étend à tout. La 4e . Qu'on devroit
fonger à former le goût de bonne heu
re , & comment on devroit le former. Ces
quatre conféquences font exposées chacune
dans un chapitre ſeparé.
,
La troifiéme Partie eft une application du
principe général qui embraffe tous les Arts ,
aux differentes efpeces. Toutes les regles
font rappellées à ce point commun. Celles
de la Poëfie , les générales & les particulieres.
Celles de l'Epopée , de la Tragédie
de la Comédie , de la Paftorale de l'Apologue
, de la Poëfie Lyrique. Celles de
la Peinture , celles de la Mufique & de
la Danfe. Ce qui met à portée de juger
avec plus de certitude & de facilité des ou
vrages de l'Art, en y appliquant fur le champ
un principe aifé que chacun a en foi même ,
& dont la vérité & l'étendue , ayant été une
fois rendue ſenſibles,augmentent la confiance
de ceux qui veulent juger , & diminuent
en même tems le danger de fe tromper. Ce
livre fe vend chés Durand , Libraire , ruë
faint Jacques.
EXPERIENCES & démonstrations
faites à l'Hôpital de la Salpétriere &
àSaint Côme , en présence de l'Académie
A16 MERCURE DE FRANCE.
Royale de Chirurgie , pour fervir defuite &
de preuves à l'effai fur les maladies des
dents , &c.
อน Et une Pharmacie Odontalgique , ou
traité des médicamens fimples & compofés
propres aux maladies des dents , & des
differentes parties de la bouche , à l'ufage
des Dentiftes , par M. Bunon , Chirurgien
Dentiste à Paris , chés Briaſſon , rue S. Jacques
, Chaubert , Quai des Auguſtins , & la
veuve Pilot , à la defcente du Pont- Neuf.
L'objet de l'Auteur de cet ouvrage eft non
feulement de confirmer & de juftifier tous
les faits établis dans fon effai , mais de le
rendre encore plus utile en appliquant l'expérience
à la théorie, & prouver que c'étoit à
tort, (quequoi qu'on eût eftimé & loué publiquement
ce livre) qu'on le regardoit comme
un ouvrage de fpéculation , d'imagination,de
réflexion , enfin comme une production pu
rement de cabinet ; ce fut pour détruire les
doutes que lui marquerent plufieurs maîtres
de l'Art dans la communication de fon manufcrit
, ou en prévenir d'autres que M. Bunon
offrit au Chef de la Chirurgie de mettre
en évidence les principes établis dans cet effai,
ce qui ayant été accepté, même exigé par
M. de la Peyronye , à qui ces ouvrages font
dédiés , a donné lieu aux expériences & démonftrations
mentionnées dans ce dernier
AOUST. 1746. 117
L'Auteur yappuye ces obfervations d'exemples
relatifs & les plus recens qu'il a choifis
parmi ceux qu'il fe propofe de publier dans
un ouvrage qui fuivra de près celui dont
nous faifons ici mention ; ces exemples font
des années 1744. 4´ . & 1746 , & à la
connoiffance de Medecins & Chirurgiens
célebres ; ces expériences & la Pharmacie
odontalgique font précedées d'un difcours
en forme d'avant-propos , divifé en huit Paragraphes
, on peut le regarder proprement
comme l'hiftoire des deux ouvrages , on y
voit jufqu'où peut aller l'ambition des dé
couvertes , & la marche d'un obfervateur opiniâtre
livré à cette louable & utile paſſion:
fans nous attacher à fuivre pas à pas M. Bunon
, nous obferverons qu'on trouve dans
fon livre de nouvelles obfervations très-utiles
fur l'érofion,& fur le nom qu'on lui donne
, auffi les commiffaires ont ils rendu un
témoignage très - avantageux à M. Bunon . Ils
reconnoiffent. que » l'érofion eft une des maladies
les plus communes qui furviennent
» aux dents dès l'enfance , qu'autant l'impref
» fion qu'elle fait fur les dents faute aux
» yeux , quand elles font dehors , autant la
caufe qui la produit étoit ignorée avant les
» recherches de l'Auteur , puifqu'aucun
» Dentifte n'en avoit parlé avant lui , &
que Fauchard s'eft contenté de l'effleurer,
ور
18 MERCURE DE FRANCE.
» On a reconnu , difent-ils , dans differens
Hôpitaux & à nombre de fujets , l'éroſion
imprimée fur des dents qui n'avoient pas
» encore vû le jour , & qu'on n'a pour ainſi
» dire déchâtoné que pour voir avec étonnement
la jufteffe & la ſolidité du prognoftique
qui l'avoit annoncé ».
L'Auteur traite fçavamment des taches de
carie & de la carie formée,des accidents qui
s'eufuivent quand les dents qui en font atteintes
ne font pas fecourues à propos , foit
par la lime ,foit par le plomb, & plufieurs e
xemples qui prouvent l'abus des effences en
vûe de faire mourir les nerfs des dents
il n'oublie pas les progreffions tartreuſes ··
& les differens effets que le tartre produit
, les difpofitions au mauvais arrangement
des dents , &c. fes effets , ceux de l'inégalité,
avec des exemples, enfin les effets
la plethore & la cacochimie produifent lur
la qualité de la matiere des dents. La brieveté
de notre recueil ne nous permet pas de
nous étendre fur le détail des expériences
faites par M. Bunon , mais il eft de notre devoir
de rendre compte de la déclaration.
qu'il fait dans un avertiffement qui eft à la
tête de fon ouvrage , » fi quelqu'un peut ,
» dit - il , découvrir quelques ouvrages de
» Médecine ou de Chirurgie , en quelque
Langue que ce foit , où il fe trouve aucun
و د
que
AOUST
1746. TIS
39
eftige de ce que j'ofe appeller avec fonement
le feul fruit de mon expérience &
» de nes travaux , je le fomme authentique-
» ment de dénoncer le plagiat , & pour pouf
›› fer la confiance encore plus loin , je proinets
de récompenfer leurs foins fuivant
" mon pouvoir , & le mérite de la décou
» verte , s'ils en font aucune ; par toutes les
» demonſtrations & les détails que l'on
vient de voir continue l'Auteur ,je crois
savoir prouvé que l'objet important que
»porte le titre de mon effai eft rempli , &
» que je n'ai rien exageré en y
faifant en-
و د
31 ger des moyens fürs de conferver les
de its» . Il eft à croire que perfonne ne répondra
à M. Bunon que par les éloges
que méritent fon expérience & les utiles
découvertes. On ne peut trop exhorter tous
les Artiftes à joindre la fpéculation à la
prodque ; la théorie ne fait que des aveuy's
quand elle eft feule , mais l'expérience
foule dénuée du ſecours de la théorie
ne foit que des ignorans ; on ne peut trop
loue. ceux qui comme M. Bunon cher
chent a approfondir les principes de leur
Art.
La Pharmacie odontalgique , ou traité
des médicamens, & c. contient cinq chapitres.
Les médicamens y font divifés en fimples
& en compofés , leurs propriétés font décri
120 MERCURE DE FRANCE.
tes méthodiquement ainfi que leurs vertus ,
& les degrés de leurs qualités spécifiques ; le
dernier chapitre eft formé d'un choix de ..
recettes ou compofitions.
TRAITE DU NAVIRE , de fa conf
truction & de fes mouvemens . Par M. Bouguer
, de l'Académie Royale des Siences
ci-devant Hydrographe du Roi au Port de
Croific & au Havre de Grace , à Paris , chés
Jombert , Libraire , Quai des Auguftins , à
Image Notre-Dame.
Si les Romains qui ne voyageoient que
le long des côtes étoient affés étonnés du
courage des navigateurs , pour qu'Horace
ait dit.
Olli robur & as triplex
Cinapectus erat , primus qui fragilem truci
Commifit pelago ratem.
Que ne diroit-il pas aujourd'hui de nos
voyages de long cours , avec quel étonne..
ment ne verroit- il pas les progrès qu'à faits
l'art de la manoeuvre des Vaiffeaux. Cet art
en fait & en fera encore tous les jours d'e
nouveaux. Le docte donne auouvrage
que
jourd'hui M. Bouguer fera toujours compté
parmi les plus confidérables.
L'Auteur
AOUST. 1746. 127 .
L'Auteur après avoir expliqué toutes les
pratiques qui font en ufagepourformer toutes
les parties du Vaiffeau & en conduire les
courbures , vient à des théories plus profon
des ; il fe repréfente le Vaiffeau dans les
deux divers états ou nous le voyons ordinairement.
Le Navire eft d'abord cenfé en repos;
il flote, mais il ne fingle pas ; il eſt à
l'ancre dans une rade & expoſé , fi on le
veut , à la violence d'une Mer agitée . Cet
état donne lieu à d'autant plus de differentes
recherches , qu'il faut regler non-feulement
le poids du Navire , mais auffi fa diftribution.
On examine. 1 ° Si la pefanteur du
Vaiffeau n'eſt pas trop grande , & fi- elle
répondra exactement à l'efpace que la carène
doit occuper dans la Mer. On diſcute en
même tems plufieurs queſtions qui tiennent
à cette matiere & dont la folution , comme
celle du jaugeage , eft utile à la Marine.
2 °. On examine file centre de gravité
ou le point dans lequel fe réunit toute la
pefanteur du Vaiſſeau , n'eſt pas trop
élevé.
La hauteur de ce point ne doit pas paffer certaine
limite , autrement le Navire ſe trouvant
fans affiette , verferoit fur le champ &
même dans le Port. 3 ° . Quoique toutes ces
chofes ayent été bien réglées , il faut enco
re faire attention à la diftribution des parties
legeres ou pefantes , ou à leur diſtance
F
22 MERCURE DE FRANCE
3
au centre de gravité . Il eft vrai que cette
differente difpofition du poids ne change
rien dans l'enfoncement de la carène , &
n'empêche pas que le Navire ne foit fujet à
la même inclinaifon , lorfqu'une force étrangere
le pouffe actuellement de côté
mais cette circonftance fait preſque tout à
la violence des balancemens qu'on nomme
roulis balancemens ue le Navire contrac
te dans le tems mêm qu'il eft à l'ancre , &
qui le font quelquefois paroître un Vailleau
tout different. La diftribution de la charge
à ce dernier égard fait le fujet de la troific
me & derniere Section du fecond Livre.
On fuppofe enfuite que le Vailleau eft
en mouvement , & comme cette matiere
eft très étendue , on l'a partagée en cinq Sections.
On développe dans la premiere les loix
que les fluides oblervent dans leur choc ; le
vent en frappant les voiles , & l'eau en rencontrant
la proue . On enfeigne des moyens
tant géométriques que méchaniques de déterminer
la grandeur de ces impulfions,
Lorfqu'on nous propofera un Vaiffeau ou
feulement un Plan exact qui les repréfente ,
nous pourrons toujours déformais décou
vrir avec facilité combien la faillie ou la
convexité de fa proue rend l'impulfion de
l'eau moindre que fi la proue étoit terminée
par un plan vertical, On apprendra par ces
AOUST. 1746. 123
fi
méthodes que certaines prouës rendent le
choc de l'eau à 6 fois plus petit que
S
l'eau frappoit un plan vertical , ou le plan
même du maître gabari : au lieu que dans
d'autres Navires le choc de l'eau eft fimplement
diminué deux ou trois fois On pourra
à l'aide d'un pareil examen choisir d'une
maniere fûre entre divers projets propofés
par divers Conft ucteurs , & d'ailleurs il ne
fera jamais néceffaire de pouffer la difcuffion
fort loin. Il fuffira fouvent de comparer les
Vaiffeaux dans un feul cas , parce que , com
me on le fait voit dans les derniers Chapi
tres de cette premiere Section , les impul
fons de l'eau fur la proue font toujours foumifes
à des loix connues & très-fimples ,
malgré la diverfité des routes.
Une des utilités qu'ont les théories établies
dans la premiere Section , c'eft que dans
la feconde elles conduitent à la folution
générale des principaux problêmes de Manoeuvre.
On avoit cru depuis que M. Bernouilli
avoit découvert les vrais principes
dans cette matiere , qu'il n'étoit pas poffi
b'e de réfoudre ces problêmes d'une manie
re univerfelle, & qu'il falloit néceſſairement
tenter des folutions particulieres & nouvelles
pour chaque Navire , mais on ramene ici
certe partie de la Manoeuvre à la premiere
fimplicité , où M. Renau n'avoit cru la met-
Fij
24 MERCURE DE FRANCE.
tre que parce qu'il fe trompoit. Cependant
on fait entrer une nouvelle confidération qui
avoit toujours été négligée . On cherche le
rapport de la viteffe du Navire à celle du
vent, & on découvre que dans les cas les plus
favorables, l'une eft à peu près le quart ou le
tiers de l'autre . Ainfi les Mathématiciens qui
avoient travaillé fur ce fujet n'étoient nullement
fondés à regarder une des deux vîteffes
comme infinie par raport à l'autre. Le
Navire en finglant avec rappidité & en fuyant
pour ainfi dire le vent , évite une partie
confidérable de fon impulfion , fouvent plus
de la moitié. Or il n'en faut pas davantage
pour rendre défectueuse la plupart des regles
de Manoeuvre qu'on nous avoit données
jufqu'à préfent , dans lesquelles on n'avoit
point eu cette attention."
Sans nous attacher à fuivre M. Bouguer
dans la route épineufe & fçavante qu'il s'eft
tracée , finiflons en remarquant ce qu'il dit
au fujet de la mâture. Il montre que chaque
Navire exige une certaine difpofition de
mâts & de vergues qui eft la meilleure à fon
égard . On pourra fouvent, en obfervant ces
nouvelles regles , tirer parti du plus manvais
woffier , en lui trouvant des qualités qu'on ne
lui connoiffoit pas. On ne fe borne pas à cette
feule recherche on examine toutes les
Conditions qui rendent le Vaiffeau plus pro
AOUST. 1746. 1-17
pre à recevoir une mâture avantageufe , &
cet examen fait découvrir d'une maniere na
turelle la forme du premier gabari , ou la fi
gure qu'il faut donner à la carène dans le
fens de fa largeur.
Quoique nous fentions bien que notre fuf
frage eft de peu de poids de poids , nous dirons avec
confiance d'après de plus habiles que nous
que ceLivre fait honneur à la France,à l'Auteur,
& à la Géométrie dont les tranſcendan→
tes fpéculations font ici employées à un uſageutile.
M. DELAPLACE a donné le 4e. vo
lume du Théâtre Anglois ; nous en rendrons
inceffamment un compte plus détaillé , en
attendant nous nous contenterons de dire
qu'on trouve dans ce volume les dernieres
Pieces de Sakefpéar ou traduites ou extrartes
, & que ce volume répond à la réputation
méritée des trois premiers.
4
gneur
POESIES diverfes dédiées à Monfeile
DAUPHIN par M. de Bologne,
de l'Amérique , affocié à l'Académie Royale
des : Belles Lettres de la Rochelle , Paris in
12 1746. chés lesfreres Guerin,prix 1 l.iff
Nous ne faifons qu'annoncer ce Livre dont
nous parlerons le mois fuivant ainfi que de
plufieurs autres dont nous allons en atten
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
dant donner les titres pour fatisfaire l'impatience
du public & des Auteurs..
LA VIE du vénérable Pere Jean de Brito
de la Compagnie de Jefus , mis à mort dans
le Maduré, en haine de la foi, compofée par
le Pere de Beauvais , de la Compagnie de
Jefus , dédiée à Monfeigneur le DAUPHIN ,
Faris 1746. in 12. chès Giffey & Bordelet ,
prix 2 liv. relié.
On voit dans cet ouvrage l'Hiftoire édi
fiante d'un Miffionnaire plein de zéle , qui
s'eft facrifié pour le falut des ames ; on fçait
combien la Compagnie de Jefus a produit
de Heros en ce genre..
INSTITUTIONS DE GEOMETRIE , enrichies
de notes critiques & philofophiques fur la
nature & les développemens de l'efprit hu
main , avec un difcours fur l'étude des Mathématiques
, où l'on effaye d'établir que les
enfans font capables de s'y appliquer , au
gmenté d'une réponse aux objections qu'on
y a faites. Ouvrage utile non-feulement à
ceux qui veulent apprendre ou enfeigner les
Mathématiques par la voye la plus naturelle
, mais encore à toutes les perſonnes qui
font chargées de quelque éducation , par M..
de la Chapelle , Paris ,in 89 2 vol. 1746. chés
AOUST. 1746. 127
de Bure l'aîné , Quai des Auguftins , & Pierre-
Guillaume Simon rue de la Harpe.
LETTRES SPIRITUELLES de MeffireJac
ques- Benigne Bouet , Evêque de Meaux
à une de fes Pénitentes , Paris. 1746. in 12
chér Defaint & Saillant , rue S. Jean de
Beauvais .
Le feul nom de l'illuftre Auteur fuffit pour
rendre recommandable cet ouvrage fur le
quel nous n'avons pas encore eule tems de
jetter les yeux.
ENTRETIENS avec JESUS- CHRIST dans
le très-faint Sacrement de l'Autel , contenant
divers exercices de piété pour honorer
ce divin Myftere & pour s'en approcher di
gilement. Par un Religieux Bénédictin de la
Congrégation de S. Maur , nouvelle édition
plus correcte & plus ample que les précedentes
. Paris 1746 , chés Jacques Vincent ,
rue S. Severin. On a oublié de marquer le
prix du Livre , ce qui eft plus néceſſaire encore
aux livres de ce genre , parce qu'ils font
d'an ufage plus général .
CAII VELLEI PATERCULI Hiftoria Ro
mana libri duo accurante Stephano Andrea
Philippe , Lutetia Parifiorum , fumptibus
Mich. Steph. David 1746. in 24..
Fiiij ,
28 MERCURE DE FRANCE.
Cette édition eft des mêmes forme , pa
pier & caracteres que les éditions de Salufte
& de Cornelius Nepos que M. David a déja
donnés. Ainfi les fuffrages que les premieres
ont obtenues font l'éloge de celleci
; elle eft en effet fort bien exécutée . Mi
Philippe , dont les ta ens font connus a préfidé
à l'édition ; nous avons vû avec plaifir
qu'il l'a ornée d'un détail chronologique fur
la vie de Velleius , & d'unr index géographique
qui épargne la peine de recourir en lifant
le livre aux Dictionaires quelquefois
fautifs. Cet index eft fuivi d'un catalogue
de toutes les éditions qui ont été faites de
Paterculus. Nous ne pouvons qu'applaudir
à ce foin. Si toutes les éditions des Auteurs
étoient enrichies d'une pareille note, on auroit
l'Hiftoire de l'Imprimerie dans le meil
lenr ordre qu'elle puifle être.
M. David a eu l'attention de tirer pour
les. curieux un petit nombre d'exemplaires
des trois Auteurs fufdits en très- beau papier
de Hollande.
LA VIE DE PROPERCE , Chevalier
Romain, & la traduction en profe & en vers
françois de ce qu'il y a de plus intereffant
dans fes Poëfies , avec des remarques &
'Hitoire des principaux événemens de fon
fiecle qui ont rapport à fes ouvrages . Par
AOUST. 1746 . 129
M. Gillet de Moyvre Paris 1746 , in 12..
chés André Cailleau , rue S. Jacques.
On trouve chés le même Libraire l'Architecture
des voutes , ou l'art des traits & cou.
pes des voutes par le Pere Durand , Jeluite
Nouvelle édition corrigée,avec toutes les figures
- gravées en taille-douce,in folio 24 liv.
NOUVEAU VOYAGE fait au Levant
ès année; 1731 & 1732 , par M. Tollot , in
12 , prix 2. livres.
ABREGE du méchanifme univerfel en
difcours & queſtions phyfiques, par M. Mo
rin , in 12. avec figures , prix 3 , liv.
HISTOIRE DU THEATRE FRANCOIS , depuis
fon origine jufqu'à préfent , avec la viedes
plus célebres Poetes Dramatiques , un
catalogue exact de leurs pieces & des notes
historiques & critiques , tome feprieme,Paris
1746 , in 12. chés le Mercier , rue S
Jacques, & Saillant rue S. Jean de Beauvais.
Nous avons dé a parlé des fix premiers vo❤
Lumes de cet ouvrage , & nous rendrons
compte inceffamment de ce feptieme volu
ne : n- attendant il faut rendre ruftice à la
diligence & à l'exactitude des Auteurs qui
Fv
130 MERCURE DE FRANCE..
rempliffent fi bien les engagemens qu'ils ont
pris avec le public.
RECUEIL de plufieurs piéces d'éloquence
& de poefie préfentées à l'Académie des
Jeux Floraux , avec les difcours prononcés
dans les Affemblées publiques de l'Académie ..
Ce livre eft imprimé à Toulouſe , mais on a
oublié de marquer au frontifpice où il fe
vend à Paris ..
REMARQUES fur Ciceron par M. le Pré--
fident Boubier , de l'Académie Françoiſe
nouvelle édition , Paris 1746,in 12. chès la
veuve Gandouin , Quai des Auguftins.
M. Dérnis qui a déja dônné une table eftimée
qui fait connoître la valeur relative des .
elpeces en France depuis Charlemagne
jufqu'au regne du Roi , vient de donner un «
nouvel ouvrage de ce genre , intitulé TABLEAU
fur les changes entre la France & les
principales Villes de l'Europe , calculésfur
les prix de l'argent monnoyé , depuis 27 liv.
le marc jusqu'à 50 , & par lequel on peut
voir en tout temsfila France eft créanciere
des autres Etats , ou fi au contraire ces Etats
font créanciers de la France ; il fe vend chés
le fieur Beaumont , fur le Pont Notre-DaAOUST.
1746. 131
me, au Griffon d'or , & chés l'Auteur à
l'Hôtel de la Compagnie des Indes.
II
L'écu de 8 au marc fabriqué en 1641 .
12
atoujours fervi de fondement pour les changes
entre la France & les principales Villes de
FEurope , & a été reçu en Hollande en matiere
de change de parité pour 100 deniers
de gros , parce que fuivant les loix de cette
République le marc d'argent de France &
des autres Etats y eft fixé à 22 florins 10 fols
qui repréfentent 900 deniers de gros, dont
les 40 font un florin de change ; voilà le
le change de parité.
ΙΘ
Il eſt un change de néceffité qui vient de
lå rareté ou de l'abondance des Lettres de
Change , fouvent variable , fuivant que
les négocians ont plus ou moins befoin de
tirer ou de remettre fur lesplaces étrange--
res .
Ce Tableau eft divifé en plufieurs colonnes
dont la premiere contient les differens
prix du marc d'argent en France ſuppoſés
depuis 27 livres jufqu'à so. Les autres co-
Jonnes contiennent le nom d'une Ville , le
nom de fes monnoyes de changes, & la valeur
de ces monnoyes qui répond à la valeur
de l'argent de France.
Ainfi en jettant les yeux fur ce Tableau ,
on verra tout d'un coup fi la France eft ou
Fvj
32 MERCURE DE FRANCE.
n'eft point créanciere des autres Etats. Si le
cours du change de néceffité fe trouve au- def
fus du change de parité, la France eft créan
eiere , & elle doft fi le change de parité eſt
au-deffus du change de néceffité. Par exem →
ple ,le pair d'un écu de 60 fols à so livres le
marc , étant à 54 deniers de gros d'Amfterdam
, & le change fe trouvant a 56 pair
de 48 liv. le marc , il eft évident que la Fran
ce gagne fur l'étranger la difference de 54
à 56 4.
Il eft remarquable que depuis 1664 juſ
qu'en 1725 les changes de l'Europe avoient
toujours été defavantageux à la France ,
parce que les étrangers nous fourniffoient
plus de marchandiſes qu'ils n'en tiroient dè
nous. Mais depuis 1725 le commerce de la
Compagnie des Indes a fait pencher la ba
lance , & le change a toujours été avantageux.
à la France..
Le fieur le Rouge , Géographe du Roi à
Paris , rue des Auguftins , vient de donner
une Carte topographique des environs de
Charleroy jufqu'à Philippeville , contenant
55 lieues quarrées. Cette Carte a le même
mérite que celles des environs de Namur ;
ces Cartes font parfaitement bien gravées.
Plus le Brabant , où le trouve le Théatre
AOUST. 1746. 15 :
de la guerre intitulé , Campagne du Roi ,
pour 1746. Plus la Hollande ou les VII
Provinces-Unies . Les attaques de Mons.
LE SIEUR COTTIN Libraire à Paris demeu
rant rue du Mont faint Hilaire , donne avis qu'il
eft dans le deffein de vendre fon fonds de fonderie
de caracteres d'Imprimerie; il confifte en
Poinçons & Matrices de tous les corps ordi
naires & extraordinaires , même de Gothiques,
Hébreux & Saxons, de Lettres de deux points,
Vignettes , & c . Le tout gravé par d'anciens &
habiles Maîtres , Garamont , Granjon , Gau
ret , Hautin , Matil & Keblin , & il eft afforti
des moules & ufanciles propres & néceffaires.
audit Art..
Ledit fieur Cottin a auffi un ample Magafin
de Fontes bien afforties , toutes neuves & prêtes
à vendre. On communiquera chez lui un
état plus détaillé dudit fonds ..
"
Nous nous faifons un devoir de rappeller au
public une chofe utile ,c'eft la Poudre Royale
Febrifuge du fieur de la Jutais, compofée uniquement
de plantes ; ce fpec fique eft renommé
par un grand nombre d'expériences faites avec
fuccès & muni du fuffrage de plufieurs Premiers
Medecins du Roi , parmi lesquels fe trou
ve celui de M. Fagon
2
Getre poudre nieft taxée qu'à raifon de dix fols
La prife, afin que chacun foit en état d'en pro
fiter.
Le fieur de la Jutais qui demeure à Paris rue
de Bourbon à la Ville- neuve , tire une quinze
434 MERCURE DE FRANCE.
fence de cette poudre dont il compofe un firop
d'un goût agréable qui renferme les mêmes
vertus encore plus efficaces ; il opere fi doucement
que les femmes enceintes en peuvent faire
ufage , fans crainte d'aucun danger:
L'Eau de Perfe annoncée dans le Mercure
précédent fe vend chés le fieur Rouffelor
Cleriffeau , Marchand Gantier- Parfumeur du
Roi , Privilegié fuivant la Cour , demeurant
rue Tirechape , au Gant de Paris , à la porte
cochere qui fait le paffage de chés M. Gautier,.
rue des Bourdonnois , à la Couronne. Cette
Eau a la proprieté de teindre les cheveux blancs
& roux en couleur brune , de forte qu'ils ne
changent jamais de couleur . Il y a deux fortes
d'Eau la premiere eft brune en la remuant
la feconde eft claire.
La Veuve Bailly renouvelle au public fes affû→
rances qu'elle n'a point quitté fon commerce
& que les véritables Savonettes de pure crême
de Savon , dont elle feule a le fecret , fe dif
tribuent toujours chés elle , rue du Petit Lyon ,
à l'Image faint Nicolas , proche la rue Fran
goife , Quartier de la Comédie Italienne.
L'ACADEMIE des Belles Lettres , Sciences
& Arts , établie à Bordeaux , diftribue
chaque année un Prix de Phyfique,fondée
par M. le Duc DE LA FORCE , c'eſt une
Médaille d'or de la valeur de trois cent
livres.
Elle a donné deux Prix cette année ; l'un
AOUST 1746. 135
acété remporté par Mr. Hambergerd , Profeffeur
de Phyfique & de Medecine dans
l'Univerfité d'lene , fur la Méchanique des
Secrétions dans le Corps humain: Et l'autre a
été adjugé à la Differtation fur la Rouillure :
des métaux , par M. Chimbaut de Filhot , fecond
fils d'un Confeiller au Parlement de
Bordeaux du même nom.
L'Académie a déja propofé deux Sujets
pour les deux Prix de l'année 1747. Le premier
, Quelle eft la meilleure maniere de
mesurer fur mer le chemin d'un vaisseau ,
indépendamment des Obfervations Aftronomiques
: Et le ſecond , Pourquoi certains
Corps augmentent de poids étant calcinés
au feu , ou aux rayons du foleil par le miroir
ardent..
Cette Compagnie propofe maintenant
pour le Sujet du Prix de l'année 1748. S'il
ya quelque rapport entre la caufe des effets :
de l'Aimant , & celle des phénomenes de
PElectricité.
Les Differtations fur ce Sujet ne feront
reçûes que jufqu'au premier Mai de l'année
1748. Elles peuvent être en François ou en
Latin ; on demande qu'elles foient écrites
en caracteres bien lifibles .
Au bas des Differtations il y aura une
Sentence , & l'Auteur mettra dans un bil.
136 MERCURE DE FRANCE.
let féparé & cacheté la même Sentence avec
fon nom , fon adreffé & les qualités .
Les paquetsferont affranchis de port ,
adreffés à Mr. le Prefident BAR BOT , Secretaire
de l'Academie , fur les foffés du
Chapeau Rouge , où an Sr. BRUN, Impri
meur aggregéde ladite Académie , rue faint
James.
"
On a dû expliquer l'Enigme & les Logogry--
phes du Mercure de Juillet par les Arbres , Pawaris
, Mouchettes , Laurier & uxembourg , nom*
d'une Ville , & d'un Maréchal de France ; on
trouve dans le premier Logogryphe , Pan , ris ,
Si , Panar , panais , Paris , panis & pin. Dans le fe
cond on trouve mer , rát , rame rameau ver
avare, mât, eau , autre, trame, rét , marte zybeline,
Art, amer, rume & mur dans le milieu duquel entre
un u qui fe trouve auffi dans le mot eaux
L'un & l'autre mot n'a que trois lettres , ainfi
mur eft compofé d'un tiers d'eau . On trouve
dans le quatriéme Logogryphe EuVille & Comté
, vale air , eau , rue herbe , vie
Lire
Avril, Fri un des treize Cantons Suiffes , ail
rave , racines , Lia , femme de Jacob , Arrie
fémme de Petus ; & dans le cinquième on trouve
luxe , luxure , Bourg Ville Capitale de la
Brejle
AOUST. 1746. 37
****************
ALA
ENIGM E.
La tête des gens de guerre
Lecteur , j'aime à me voir placer..
J'occupe un pofte en Angleterre ;
Sans moi Georges n'y peut regner.
Je joue un rôle en Allemagne ,
A faint Petersbourg , en Espagne ,
Et prime pat tout dans le grand ;
Avec ce relief magnifique ,
t
Sans en être moins véridique ,
Je fuis le dernier en tout rang
Par M, de Lanevere , ancien Moufque
aire du Roi, à Dax..
LOGOGRYP HE.
AM1 Picquot , qui prends M1 goûtau fupplice.
D'un mot haché , goûte ici mon caprice :
L'offre à tes yeux un mot grec enfrançois ;
Tu peux compter fes membres fur tes doigts .
Et dans ces vers à peu près pentamertres
138 MERCURE DE FRANCE.
Faire germer dix mots dé ces dix lettres ,
l'autre & chacun à fon tour.
L'un
portant
Le premier mot , à certain point du jour ,
Aux Fri- Maflons'offroit un receptacle.
Le fecond mot fournit par grand miracle-
De quoi nour ir cinq milliers d'affamés .
Le mot qui feit fans le mot quatrième
Dans l'âge d'or , dans un tems renommé
Eût fon effet , & quant au mot cinquième
Fût-il connu des cuifiniers d'alors ?
Ne puis fçavoir: le mot ſuivant expofe
De notre tems chofe connue au corps
De la Juftice ; & fans métamorphofe ,
A tout Acteur ; en outre , les dehors
De l'autre mot toujours furent humides.
T'éloignes-tu des Arenes torrides ?
Le mot d'après te conduit vers un point
Sans l'autre mot aujourd'hui n'étoit point.
Finalement le mot dixiéme approche,
* Ce dernier mot plus heureux qu'un Lutin
De plein faut & fans anicroche
Eft premiere perfonne au Royaume Latin ,
Lecteur ; tu me jettes la griffe
Non fur Pegaſe , ains fur un Hypogriphe
Etoit grimpé qui le premier fongea
A rimailler le facheux Logogryphe
Qui mainte tête & maint ongle rongea
AOUST
139 1746
Pefte du Sphinx & de fa rateléc '
Ami Picquot , reprends ta quenouillée ;
De ces dix mots qu'enfante un mot tort ſeul
La lettre en chef , l'une à l'autre enfilée ,
Donne le mot des autres mots l'ayeul .
F. Hilaire
************ :***********
***********************
LOGOGRYPHE RENVERSE'.
Di
I s- moi , Picquot , ce qui fort de la graine¸.
Ce qu'un mort laifle en terme de Palais ,
Ce qu'au menton l'on compte par centaine ,
Ce qui produit les guerres & la haine ,
Ce qui fe place au Louvre fous le Dais ,
Ce qui contient la fuperbe Veniſe ,
Le nom qu'on donne aux fêtes de Bacchus ,
Par notre Roi le Roi de la Tamife
Etant battu , ce qui l'immortaliſe ,
Ce qui fait peur aux enfans éperdus ,
Quel fleuve en Trance y ferpente le plus ?
Puis fur ces vers marchant en écreviffe
Prends ta réponſe , & lui coupe foudain
Les premiers chef , ainfi fans leur milice
140 MERCURE DE FRANCE
Ces chefs unis , ô le rare artifice !
Rendront le mot que tu tiens fous ta main .
Par le même.
RECIT DE BASSE.
Les paroles font de M. de la Soriniere
d' njou, & la mufique de M. Boran de
Saint Domingue.
Qu
U 1 fçait s'inquiéter fur un fort incertain ,
Eft un mortel qu'un vain remords accable .
Pour moi qui n'eûs jamais d'autres objets à table
Que ceux qui roulent fur le vin ,
Je tiens que ce jus délectable
Quand on le boit fans eau ,
S'il ne peut nous fauver de la nuit du tombeau
Al'écarte du moins ce penfer effroyable.
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PUBLIC LIBRARY.
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TILDEN FOUNDATIONS .
340 MED DI
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NEW
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AOUST. 141
1746.
* * *: * * * * **
SPECTACLES.
酥
COMEDIE FRANÇOISE.
L
E Vendredis de ce mois les Comédiens
François & Italiens rouvrirent leur
Théatre qui avoit été fermé le 22 du mois
précedent.
Le Samedi 6 les Comédiens François repréſenterent
pour la premiere fois une Comédie
en Profe en un acte , intitulée le Préjugé
vaincu. Quoiqu'elle eût été bien reçue , l'Auteur
a jugé à propos d'y faire quelques changemens
qui ont fait redoubler les applaudiffemens
& l'affluence des fpectateurs. L'Auteur
ne fe nomme point malgré fon fuccès. Quelques
perfonnes ont cru que cet ouvrage étoit de
M.de Marivaux nous n'éclaircirons pas ce myftere
, mais nous dirons que c'eft faire l'éloge de
la piéce que de l'attribuer à un écrivain célebre
par tant de fuccès brillans fur les deux
Théatres , & par des ouvrages excellens . On
peut dire qu'on trouve dans cette piéce la vivacité
du dialogue , l'abondance de penſées fines
& l'art d'intereffer le fpectateur que l'on
trouve dans les autres piéces de M. de M ..
Nous allons en donner l'extrait .
Dorante jeune homme de 30 ans & d'une famille
bourgeoife , mais à qui fon pere a laillé
142
MERCURE
DE
FRANCE
.
de grands biens , qui s'eft d'ailleurs acquis une
eftime générale par fes qualités perfonnelles ,
& qui va être revêtu d'une Charge confidera
ble a eu occafion de rendre à Paris quelques
fervices effentiels à un homme de qualité appelié
le Marquis de ... qui n'eft pas riche .
Ie Marquis devenu intime ami de Dorante
l'engage à venir avec lui paffer quelques jours
à une Terre où il fait fon (éjour ordinaire , &
quieft prefque le feul bien qui lui refte.
"
Dorante y trouve Angelique fille du Marquis
, il en devient amoureux fans ofer le lui
dire , & le motif de fon filence eft précisément
le fujet de la piece.
"
Voici donc ce qui l'empêche de parler ; c'eft
qu'Angelique toute railonnable qu'elle eft
d'ailleurs eft extrêmement entêtée de fa naiffance.
Il remarque l'orgueil exceff.f qu'elle a
là.deffus , & il a peur que l'aveu de fon amour
ne lui attire des dédains injurieux qu'il ne fuporteroit
pas , qui du caractere dont il eft
lui même le mettrroient dans la néceffité de
renoncer à elle & il voudroit bien n'en
sêtre pas réduit à cette extrémité - là ; pour
fçavoir quel parti il prendra , il croit devoir
confulter Lifette Suivante d'Angelique ;
fon deffein eft de la mettre dans les interêts
, & de l'interroger fur les difpofitions où
Angelique fe trouve pour lui , de forte qu'il
charge fon valet Lepine d'averti cette Suivante
qu'il veut lui parler , & c'est ici où commence
la piece.
Lepine & Lifette ouvrent la fcéne . Lepine
prie celle- ci d'attendre fon maître qui va venir,
& tout de fuite il lui dit qu'il l'aime , & qu'il
prétend en être aimé ; Lifette rejette d'abord
AOUST. 1746. 143
fon amour , lui dit qu'elle ne peut y répondre,
qu'elle eft la fille du Procureur fiical du lieu
& que par- là elle eft bien au- deffus d'un valet,
à ce que lui a dit fa maîtreſſe .
Cependant fur ce que Lepine lui repréſente
qu'il va être ( oncierge d'un Château que fon
maître a dans le voifinage , elle ſe relâche &
convient a la fin de l'aimer à ſon tour d'autant
plus qu'elle a naturellement de l'inclination
*pour lui.
Leur converfation en eft là quand Dorante
paroît , & comme il arrive au moment où
Lepine baife la main de Lifette , cela le met
au fait de l'amour mutuel qu'ils fe font jurés ,
& lui perfuade qu'il peut prendre une entiere
confiance en Lilette.
Il lui avoue donc qu'il a me fa maîtreffe , &
après lui avoir appris les raisons qui l'ont engagé
à fe taire , il demande à Litette ce qu'Angelique
penfe de lui , & s'il ne rifque rien à lui
déclarer fa paffion .
Lifette lui répond qu'elle n'en fçait rien ellemême
, qu'effectivement Angelique fait bien
peu de cas de tout homme qui n'eſt pas né
Gentilhomme , que cependant elle s'eft apperçue
que Dorante eft épris d'elle qu'elle
en parle fouvent comme d'un aimable homme
à qui elle fouhaiteroit plus de naiflance , mais
que malgré tout ce qu'elle dit là à Dorante , il eft
encore très-douteux qu'Angelique ne méprife
pas fon amour quand il lui en parlera . Là-defus
Voici à quoi Dorante fe détermine , c'eft de dire
à Lifette d'avertir fa maîtrefie qu'il a un parti à
lui propofer , qu'il s'agit d'un homme con me
lui ,d'unhomme de ton état , qui eft jeune , très--
riche , & deſtiné à un pofte important , il ajou
te qu'Angelique qui s'eft apperçue de fon
144 MERCURE DE FRANCE.
1
amour ne manquera pas de croire que Dorante
eft lui -même l'homme en queftion , mais que
Lifette feindra d'être perfuadée du contraire, &
lui foutiendra qu'il s'agit d'un autre .
Lifette à qui Dorante donne cette commiffion
fe récrie ,& lui dit que fa maîtreffe rejettera
ce parti avec d'autant plus d'indignation qu'elle
ne pourra plus croire ni fe flater que Dorante
l'aime , puifqu'il propofe de la marier
à un autre , qu'elle lui feroit peut- être grace ,
tout bourgeois qu'il eft , s'il parloit pour lui
mais qu'elle ne lui pardonnera pas de s'interreffer
pour un autre.
Dorante convient de la colere qu'il va exciter
, & de tous les mépris que témoignera Angelique
, mais il dit que ce mépris du moins ne
tombera pas fur lui , & que lorfqu'Angelique
apprendra qu'il eft lui-même l'homme en queftion
, elle fçaura alors , à n'en pouvoir douner
, qu'il l'aime , que de fon côté il n'aura
point été rejetté perfonnellement , puifque les
dédains d'Angelique ne fe feront point adreffés
à lui , & n'auront regardé que cet autre bourgeois
fuppofé , deforte qu'Angelique , s'il eft
vrai qu'elle ait de l'inclination pour lui , fera
encore en état d'ufer favorablement de la connoiffance
qu'elle aura de fon amour.
Lifette goute fi bien cet expédient , qu'elle
va , dit- elle , aigrir le plus qu'elle pourra Angelique
fur la propofition que Dorante doit
fui faire , car , lui dit-elle , plus elle aura dédaigné
injurieuſemement la condition du bourgeois
en queftion , plus elle craindra de vous
avoir ôté tout efpoir , quand elle fçaura que ce
bourgeois , c'eft vous , & comme je fuis fûre
qu'elle vous aime , elle n'en fera que plus difpofée
AOUST, 1746. 143
pofée à vous détromper & à fe dedire en votre
faveur.
Quant à moi , ajoute encore Lifette , dès
qu'elle fera inftruite de votre amour j'affecterai
de vous paroître contraire , & fous prétexte
qu'elle eft fille de qualité , je lui dirai que
vous étes bien hardi d'ofer l'aimer & d'afpirer
à fa main ; ce difcours lui déplaira , & tant
mieux ; ce fera augmenter fon penchant pour
vous que de le contredire . Dorante confent à
cette petite induftrie , & comme Angelique
paroît il quitte Lifette , qui finit par lui recommander
de Içavoir d'Angelique quand il la verra
, fi elle ne defaprouvera pas que Lepine
époufe fa fuivanre ; elle rejettera encore ce
mariage- là , dit Lifette , car je vais la mettre
de mauvaiſe humeur contre vous & fon refus
là- deffus ne nous fera pas inutile , nous en tirerons
parti ; laiffez-moi avec elle.
,
A peine Lifette a-t- elle congedié Dorante
qu'Angelique arrive ; cette fuivante s'acquitté
auprès d'elle de la commiffion que Dorante
lui a donnée , lui apprend qu'il a un mari à
lui propofer , & lui conte ce que c'eſt que ce
mari.
Angelique auffi- tôt croit que ce mari eft Dorante.
Lifette la défabufe , & lui dit que quoique
Dorante ne lui ait pas nommé l'homme
dont il s'agit , elle eft bien certaine que ce n'eft
pas de lui dont il entend parler , ce qui met
Angelique dans une fi grande colere contre ce
Dorante dont elle s'imaginoit être aimée ,
qu'elle ordonne fur le champ à I fette d'a'l r
lui défendre de fa part de l'entretenir de ce
mari fuppofé, & puis par reflexion , elle conclut
que ce n'eft pas la peine de fe fâcher tant
G
46 MERCURE DE FRANCE.
qu'il n'y qu'à laiffer venir Dorante , & qu'il
fuffira de traiter fa propofition de ridicule. Lifette
, en convient d'un ton qui fait la critique
de la fierté de fa maîtreffe , & en même tems
elle la difpofe auffi à rebuter fon mariage avec.
Lepine à caufe de l'inégalité qu'il y a entre un
valet & une fille de Procureur Fiſcal , qui a
d'ailleurs l'honneur d'être ſa ſuivante .
Tout fe paffe au gré de Lifette dans la ſcene
que Dorante a avec fa maîtreffe . Lemari bourgeois
eft rejetté par Angelique avec toute la
hauteur imaginable , elle fe regarderoit comme
defhonorée , fi elle fe marioit à un homme
qui malgré ſes richeffes & les charges qu'il doit
remplir , n'eft pourtant que d'une condition
bourgeoife & comme Dorante qui feint d'être
confondu , la prie d'oublier le tort qu'il a
d'avoir fongé à ce parti là pour elle , elle lui
répond qu'elle en garde fi peu de reffentiment
qu'elle l'invite à refter encore quelque tems à
La campagne pour la voir marier à un Baron
fon coufin qui n'attend à Paris que le gain d'un
procès pourvenir l'époufer auffitôt , elle fait mème
entendre à Dorante qu'elle aime ce parent,
fans pourtant le dire en termes pofitifs . Dorante
tout confterné qu'il eft ( car il croit de bonne
foi ce qu'elle lui dit ) finit ' cette ſcene par lui
parler de Lepine , à qui , dit -il , il défendra de
fonger à Lifette , fi elle l'ordonne ; Angelique
répond que ce mariage ne paroit pas convenir
à fa fuivante , & Dorante prend congé d'elle
mais il eft arrêté par le Marquis qui arrive pour
fçavoir Angelique a accepté le parti que
Dorante lui a propofé ( car on a oublié de dire
que c'eft de fon aveu que Dorante en a parlé
Angelique).
AOUST. 1746. 147
Celle-ci dit à fon pere qu'il a bien prévu
fans doute qu'elle ne l'accepteroit pas , vû la
difproportion d'une pareille alliance : elle eft
fort étonnée que le Marquis n'approuve pas
le refus qu'elle a fait d'un homme riche , deftiné
à de grandes dignités , & qui ne peut-ê
tre que fort eftimable , puifqu'il eft ami de
Dorante , mais il eft jufte , dit - il , de la laiffer
fa maîtreffe fur cet article-là , & enfuite il prie
Dorante de vouloir bien leur apprendre quel é
toit cet ami qui avoit tant d'envie d'épouser fa
fille.
Dorante un peu preffé là deffus lui avoue que
c'eft lui , ce qui déconcerte Angelique , qui fe
repent intérieurement de fon refus , & qui fe
retire pour cacher le défordre de fon coeur.
Le Marquis refte un moment encore avec
Dorante , & lui dit fans s'expliquer , qu'il a une
grace à lui demander , qu'il faut qu'il promette
de la lui accorder , & qu'il ne s'agit que d'une
fimple complaifance. Dorante s'engage à
ce qu'il veut , fans fçavoir de quoi il s'agit &
lui donne fa parole , fur quoi le Marquis le
quitte. Dorante refte , & Lepine & Lifette arrivent
pour apprendre des nouvelles de fa converfation
avec Angelique il leur dit que tout eft
défefperé , qu'elle aime un Baron qui eft fon
coufin , & qu'elle n'attend que fon retour
pour l'époufer. Lifette fe mocque de ce qu'elle
à avancé là , & foutient qu'elle n'a tenu ce
difcours que par dépit; & comme Dorante objecte
qu'il s'eft nommé qu'Angelique ne s'eft
point dédite , Lifette continue de dire que tout
cela n'eft que pure fierté, & que honte de fe rétracter;
qu'il ne faut pas fe décourager ,
que tout va le mieux du monde , qu'elle en a
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
des preuves qu'elle n'a pas le tems de lui dire
, parce qu'Angelique approche , deforte
que Lepine & Dorante fe retirent.
Dans cette fcene d'Angelique & de Lifette
Angelique querelle celle - ci de n'avoir pas
compris quand Dorante lui a parlé ,qu'il étoit
lui- même le mari qu'il devoit lui offrir , elle
l'accufe d'être caufe du chagrin qu'elle vient de
donner à fon pere , en refufant Dorante , refus,
dit- elle , que le Marquis ne lui pardonnera
pas,& c'eft toujours fous le prétexte d'avoir déplû
à fon pere qu'elle cache la douleur qu'elle
a elle même d'avoir rejetté un homme qu'elle
aime , fans compter l'obligation qu'elle a
contractée de s'unir au Baron dont elle ne s'eft
jamais fouciée , & qu'elle hait depuis quelle
a dit qu'elle l'aimoit , & depuis que le Marquis
lui aappris qu'il avoit gagné fon maudit
procès à Paris , & qu'il arriveroit dans la journée
pour lui offrir ſa main.
à
$
Dans l'embarras où cela la jette elle fe détermine
à confentir au mariage de Lifette avec
Lepine. Elle fçait que Dorante aime ce valet
qu'il voudra infailliblement affifter à fa noce
& en faire la dépenfe , & que cela l'empêchera
de s'en retourner dans quelques heures à Paris
comme il l'à réfolu ,
ce que vient lui
rapporter Lepine , qu'elle charge d'avertir fon
maître du confentement qu'elle donne à fon
mariage avec fa fuivante , & de l'envie qu'elle
a de l'entretenir là deffus. Ce n'eft pourtant
pas
là dans fon coeur le véritable motif qu'el
le a d'envoyer chercher Dorante , mais fa fierté
, toute affoiblie qu'elle eft , ne lui permet pas
encore de dire le vrai fujet de fon empreffement
AOUST
1746. 149
à le voir , & elle feint que cela ne regarde que
Lifette dans l'efperance de renouer avec Dorante
dans l'entretien qu'elle demande à avoir
avec lui.
Mais Lifette qui fent que fon orgueil fe rend
& qui prend le parti de la pouffer à bout, feint
à fon tour de ne vouloir point époufer Lepine
qu'elle a-dit-elle , précedemment refufé
par l'ordre fa maîtreffe.
Angelique plus embarraffée que jamais la tire
à part , lui dit que fon mariage avec Lepine
eft le feul prétexte qui lui refte pour avoir une
converfation avec Dorante , & pour l'empêcher
de partir , & que s'il part fon pere l'accufera
d'en être caufe ; ( autre détour de la
.fierté prefque vaincue, ) que d'ailleurs il lui
eft avantageux d'époufer Lepine dont Doran.
te veut faire la fortune , & que fi elle continue
de refufer le valet elle lui déclare une haine
éternelle.
,
Lifette fe rend à cette menace , s'engage à
tout fous condition qu'Angelique lui donnera
l'exemple & s'unira à Dorante , & c'eft ainfi
que la fuivante s'explique à Lepine qui a at
tendu un peu à l'écart le fuccès des efforts qu '
Angelique vient de faire en fa faveur pour ga
gner Lifette ,
Angelique ne répond rien de précis aux
conditions que lui impofe Lifette , mais on voit
bien qu'elle fe rendra , & elle fe contente alors
de håter Lepine d'aller avertir fon maître qu'elle
veut lui parler. Elle ajoute qu'elle va dire
un mot à fon pere , mais qu'elle fera de retour
dans un inftant , & que Dorante n'a qu'à l'attendre
.
A peine eft-t- elle partie que Dorante arrive ,
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
& trouve les valets riants de tout leur coeur
des tendres inquiétudes d'Angelique dont - ils
lui racontent l'état d'une maniere fi rapide qu'il
n'entend rien a ce qu'ils lui content , & qu'ils
n'ont pas le tems de lui mieux expliquer parce
que le Marquis avec lequel ils le laiffent
vient à paroître . Le Marquis fomme Dorante
de la parole qu'il lui a précedemment donnée
de fe rendre à une complaifance qu - il a exigée
de lui , & qu'il ne lui a pas encore expliquée ,
mais qui ne confifte qu'à aller voir avec lui une
cadette d'Angelique qui eft au Convent à quelque
lieues delà , & qu'il dit pour le moins auf
fi belle que fon ainée. Comme il n'y a que huit
jours que Dorante connoît Angelique & qu'il
en eft amoureux il efpere que la vûe de cette
cadette effacera les impreffions que l'ainée
a faites fur lui , d'autant plus que cette ainée
ne veut point de lui , à ce qu'il paroît.
Dorante par pure complaifance fe rend à
fes inftances ; ils en font là quand Angelique
qui a dit avoir à parler à Dorante arrive , &
fe plaint ouvertement de Dorante qui a rifqué
de la brouiller avec fon pere , en ne fe
nommant pas ; & elle finit par dire que pour
fatisfaire le Marquis dont elle connoît toute
l'amitié pour Dorante , elle eft prête de lui donner
la main.
Le Marquis qui croit qu'elle aime le Baron
refuſe à fon tour d'accepter cette marque trop
forte de fa complaifance pour lui , & prétend
qu'elle s'en tienne au Baron qu'elle aime , à
ce quil croit , & qu'il faut qu'elle époufe ; &
fans lui donner le tems de répondre , il finit
par lui dire qu'il efpere que fa cadette prendra
fa place dans le coeur de Dorante , & là
AOUST 1746.
deffus il fe retire ; Angelique abfolument vaincue
acheve après cela de fe déclarer , & avoue
enfin à Dorante qu'elle l'aime ; il fe jette à fes
genoux. Le pere qui vient dire àAngelique que
le Baron eft arrivé , le trouve dans cette pof
ture ; il en demande la raifon ; Angelique l'en
inftruit & le tout finit par Lepine & Lifette
qui fe donnent la main en fe réjouiffant d'avoir
réuffi dans leurs projets.
Nous croyons pouvoir placer avec l'approbatfon
de nos lecteurs à l'article de la Comédie
Françoife uneLettre de Mlle Cochois qui fe diftingue
fur leTheâtre de Berlin. Cette lettre concerne
fa profeffion , & fait éclater l'efprit philofophique
& cependant délicat de l'aimable
perfonne qui l'a écrite. Elle eft adreffée à M:
le Marquis d'Argens fi connu par les poftes
qu'il occupe à la Cour d'un Roi favori de Mars
& de Minerve , & par fes Ouvrages auffi bril
fans que judicieux .
LETTRE de Mademoiselle Cochois Comédienne
du Roi de Pruffe à M. le Marquis
d'Argens Chambellan de S. M. P. & Directeur
de l'Academie Royale de Berlin.-
Ousmeatre ,vous croyez Ous me vantez tous les jours les agrémens
l'état d'une Comédienne
gracieux ; il l'eft à certains égards ,
mais à d'autres il l'eft moins que vous ne penfez,
Rien n'eft fi glorieux que d'obtenir les
Giiij
152 MERCURE DE FRANCE.
fuffrages du public.Rien n'eft fi trifte que de dé
pendre de ce même public; je ne fçaurois exprimer
quelle eft ma fatisfaction lorfque je fors du
Theâtre pour retourner chés moi , je compare
une Comédiene à un Avocat très -peu affuré de
la réuffite de la caufe qu'il doit plaider & qui
vient à gagner fon procès. Les Jugemens des
hommes ne font pas moins incertains fur le
goû que fur les loix, & j'ai éprouvé que les rôlesquej'avois
étudiés avec le plus de foin n'ont.
pas été ceux où j'ai été le plus applaudie . Il eft
vrai que lorsque la multitude fembloit m'approuver
moins qu'à l'ordinaire , un petit nom
bre de gens d'efprit me donnoient des louanges
. Mais prenez garde que tel eft le fort d'une
Comédienne , qu'il faut qu'elle plaife également
à tout le monde ; rien ne peut nous reompenfer
des fatigues du Theâtre que les fuffrages
unanimes de tous ceux qui nous écoutent.
1
&
Ce n'eft point encore là tous les défagrémensde
la profeffion du Theâtre . Les gens de qualité
, il eft vrai , ont des attentions pour les
Comédiens ; ils vivent avec eux malgré l'iné .
galité de la naiffance & du rang , mais le peuple
en général les méprife . Quand je dis le
peuple , j'entens même les bons Bourgeois ,
par une bizarrerie inexprimable , ceux qui condamnent
ce préjugé & qui pourroient le détruire
dans les autres , ne font aucune démarche
pour cela . Il femble qu'ils veuillent juftifier le
fentiment de la Bruyere . La condition des Comédiens
, dit- il , étoit infame chés les Romains & honorable
chés les Grecs . Qu'eft- elle chés nous ? on penfe.
d'eux comme les Romains & on vit avec eux comme
Les Grecs.
'A OUST .
155 1746.
L'idée que les Romains avoient des Comédiens
étoit née chés eux dans le tems de leur
barbarie.Si nous voulons prendre les moeurs des
peuples anciens , choififlons donc ce qu'il y a
de bon chés eux , & n'allons point nous approprier
leurs vices & leurs défauts. Pourquoi
imiter un refte de barbarie des Romains quand
les Grecs nous offrent leur goût & leur delicateffe
ces derniers étoient trop polis & trop
civilifés pour vouloir fletrir ceux dont les ra
lens fervoient à illuftrer les veilles des Sophocles
& des Euripides. Des Auteurs Grecs
jouoient très-fouvent dans leurs piéces , mais
lorfqu'ils mouroient , la République leur rendoit
les plus grands honneurs.
Succeffeurs des Grecs pour le goût du Theatre
pourquoi les François n'imitent- ils pas
leur façon de penfer fur ceux qui portent fi
haut la gloire de ce Theâtre ?
Le peuple fe figure qu'un Comédien eft un
homme doué d'une bonne mémoire , qui recite
prefque machinalement des vers qu'il a appris;
il faut pour former un bon Comédien autant de
peine , autant de foins , de travaux & de génie
que pour faire un grand Poete : je dis plus , il
faut que le Comédien naiffe Comédien , comme
il faut que le Poëte naiffe Poëte le fiécle
d'Augufte a produit plufieurs grands Poëtes ,
je ne connois dans le même fiécle que Rofcius
& Efopus de Comédiens diftingués . Sous le
regne de Louis XIV. vécurent les Corneilles
les Racines , les Defpreaux , les Lafontaines
Baron fut le feul qui parvint à la perfection de
fon Art.
Gy
154 MERCURE DE FRANCE.
Nous ne donnons ici qu'un extrait de cettefettre
; ceux qui voudront la lire entiere , & ils
feront bien , la trouveront dans le Recueil des
Lettres philofophiques & critiques par Mlle.
Cochois imprimé à la Haye chés Pierre de
Hond en 1746. , elle eft la feptiéme à la page
$ 3 ils feront bien encore de lire la Réponſe
de M. le Marquis d'Argens fur le même fujet.
On ne lira pas fûrement ces deux lettres , fans
avoir envie de lire le Recueil entier. On y voit
les matieres les plus abftraites & les plus fpirituelles
dévelopées par Mlle. Cochois avec uno
fineffe & une jufteffe qui caractérisent l'éleve de
M.le Marquis d'Argens .
M
ΣΚΙ
W
AOUST. 555 1746.
shshshstasia & stasiasiastasia
COMEDIE ITALIENNE.
LET
E Theâtre Italien a remisTimon le Mifantrepe,
Comédie en trois actes de M. de Lille ;
cette Piéce a toujours eu des fuccès éclatans &
mérités , elle eft trop connue pour en donner
un extrait , perfonne n'ignore qu'elle eft remplie
d'une morale excellente & digne des plus
judicieux Philofophes de l'antiquité. Malgré
l'aufterité de cette morale on y eft fort amufé
par le rôle d'Arlequin qui a été parfaitement
executé par M. Carlin . Celui de Timon repré
fenté par M Ricoboni a eû le même fuffrage .
Cette Comédie eft coupée par trois divertiffemens
; les idées n'en font pas gaies & font
moins heureufes que celles qui enrichiffent la
Piéce.
Le premier intermede eft danfé par les paffions
on n'y trouve point le pitorefque que
pouvoit produire quelqu'une de ces paffions ,
traitée en comique.
Le deuxième eft un Ballet de flatteurs à qui
on peut faire unpareil reproche qu'au premier.
Mais le troifiéme composé de vérités eft totalement
à rejetter du Theatre ; comment y faire
danfer des vérités ? -
G vj
156 MERCURE DE FRANCE..
OPERA.
L'Vendredi 5 de
'ACADEMIE Royale de Mufique a repris le
ce mois les répréſentations
du Ballet du Triomphe de l'harmonie , interrompues
par la mort de Madame la
Dauphine ; on a repris le Jeudi dix- huit Hipermnestre
Tragédie de M. de la Font , mife en
mufique par M. Gervais Intendant de la Mufique
de S.A. R. M le Duc d'Orleans Regent.
MUSIQUE DE LA COUR..
LE Mercredi 22 & le Jeudi 23 Juin M. l'AbbéRouleau
Maître de Mufique de la Cathédrale
de Beauvais fit chanter pendant la
Meffe de leurs Majeftés le Pieaume Exaltabo te
Domine meus Rex , Motet qui fût fort applaudi
tant pour la fcience des morceaux travaillés ,
que pour la grace de fes recits .
Le Samedi 25 on exécuta au Concert de
la Reine l'Acte de Philotis du Ballet du Stratagéme
de l'Amour , dont les paroles font de M..
Roy de l'Ordre de faint Michel , & la Mufique
de M. Deftouches , Sur intendant de la Mufique
du Roi . M. Guerin nouveau . Aluficien du
Roi y chanta le Rôle de Baffe .
Le Lundi 27 pour la 1clôture du femeftre de
AOUST. 1746.. 1577
M. Deftouches Sur- Intendant de la Mufique
du Roi , on exécuta chés la Reine le Prologue.
& le premier Acte de Perfée Tragédie de M. de
Lulli.
Le Lundi 4 Juillet , le Mercredi 6 & le Samedi
9 on exécuta au Concert de la Reine le
Ballet des Fêtes Greques & Romaines dont les pa--
roles font de M. Fuzelier l'undes Auteurs chargés
par le Roi de la compofition du Mercure de
France , & la Mufique de M. Colin de Blamon
Sur-Intendant de la Mufique de la Chambre de
Sa Majefté; les rôles ont été fort bien remplis..
par Miles. Defchamps , Romainville , Mathieu
& Fel , & par Mrs Jeliot , Poirier , Benoift
, la Garde & Godonefche.
Le Samedi 9 Mille . Lainville âgée feulement:
de 10 ans , fille de M. Lainville qui a été Di--
recteur de l'Opera de Bordeaux, exécuta pen--
dant le diné de la Reine plufieurs pieces de
clavecin avec une brillante préciſion , & mérita
les applaudiffemens de Sa Majefté & de toute fa
Cour par fon jeu & par fon chant reglés par
l'art & ornés par le goût; elle fut accompagnée
par M. Guillemin Violon ordinaire de la
Chambre & de la Chapelle du Roi.
Le Lundi onze le Concert de la Reine
fut compofé du Prologue des Fêtes Greques &
Romaines , & d'un Cantatille intitu é la Mufe
Héroique , de la compofition de l'Auteur du
Prologue ...
Le Mercredi 13 on exécuta le Prologue &
le premier Acte d'Iphigenie ; le Samedi 16 & le
Lundi 18 les quatre autres Actes de cette Tra
gédie. Mlles . Mathieu , Canony , Fel & Godo--
nefche en remplirent les rôles de femmes , &
158 MERCURE DE FRANCE,
Ceux d'hommes furent remplis par Mrs. Benoift
Poirier, du Bourg & Godonefche.
Le Jeudi 14 on chanta pendant la Meffe de
leurs Majeftés pour la prife de la Ville de
Mons , le te Deum , ce fut M. de Blamon; qui
en battit la mefure , & il fut entonné par M.
l'Abbé Broffeau...
JOURNAL DE LA COUR..
DE PARIS , &c .
E Roi & la Reine accompagnés de Monfei
gneur le Dauphin & de Mefdames de
France retournerent le 3 de ce mois de Choify
à Verſailles , & en defcendant de caroffe
leurs Majeftés allerent voir Madame , leur
petite fille .
,
2
Les Députés des Etats de Languedoc eurent
le 4 audience du Roi , étant préfentés par le
Prince de Dombes Gouverneur de la Province
, & par le Comte de Saint Florentin ,
Secretaire d'Etat , & conduits par Monfieur le
Marquis de Dreux , grand 'Maître des Cérémonies
, & par Monfieur Defgranges Maitre
des Ceremonies. La Députation étoit
compofée pour le Clergé de l'Evêque de Comminges
qui porta la parole ; de M. Foreftier
Maire de faint Paul deFenouillede , & du Che
valier de Peprats pour le Tiers Etat , & de
AOUSŤ. 1746 159
M. Joubert Syndic Général . Le Marquis de
Brifons Député de la Nobleffe ne s'y eft point
trouvé étant abfent pour le fervice du Roi. Les
Députés eurent enfuite audience de la Reine ,
de Monfeigneur le Dauphin , de Madame & do
Mefdames de France .
Le 6 le Roi & la Reine accompagnés de Mon,
feigneur le Dauphin & de Mefdames de France
affifterent dans la Chapelle du Château au Te
Deum , qui y fut chanté en action de graces de
là priſe de Charleroy.
Le 4 les Princes & Princeffes du Sang rendirent
en cérémonie , à l'occafion de la mort de
Madame la Dauphine , leurs refpects au Roi , à
la Reine , à Monfeigneur le Dauphin , à Ma→
dame , & à Mefdames de France . Les Seigneurs
& Dames de la Cour , en habits de grand
deuil , s'acquitterent du même devoir.
Le lendemain matin le Parlement eut audience
du Roi , & M. de Maupeou Premies
Préfident portant la parole, complimenta S. M.
fur la mort de Madame la Dauphine . La Cham-.
bre des Comptes , la Cour des Aides , la Cour
des Monnoyes & le Corps-de-Ville eurent audience
du Roi fur le même fujet . M. de Nicolay
, Premier Préfident de la Chambre des
Comptes , M. de Lamoignon de Blancmefnil ,
Premier Préfident de la Cour des Aides , M.
Chopin de Goufangré , Premier Préſident de
celle des Monnoyes , & M. de Bernage Prevêt
des Marchands porterent la parole . L'après-midi
le Grand Confeil , M. de la Grandville
Confeiller d'Erat nommépar S. M. pour préfi
der pendant cette année à cette Compagnie
étant à la tête , s'acquitta du même devoir,
ainfi que l'Univerfité & l'Académie. M
160 MERCURE DE FRANCE . [
Fromentin Recteur parla pour l'Univerfité, &
M. Bignon , Chancelier de l'Académie au nom
de cette Compagnie. Ils furent tous préfentés à
l'audience du Roi & à celles qu'ils eurent le
même jour de la Reine & de Monfeigneur le
Dauphin , par le Comte de Maurepas , Miniftre
& Secretaire d'Etat , & ils y furent conduits
par le Marquis de Dreux Grand Maître
des Cérémonies , & par M. de Gifeux Maître.
des Cérémonies enfurvivance de M. Defgran--
ges.
Le 14 veille de la fête de l'Affomption de la
fainte Vierge le Roi & la Reine accompagnés
de Monfeigneur le Dauphin & de Mefdames de
France affifterent dans la Chapelle du Château
aux premieres Vêpres qui furent chantées par
la Mufique & aufquelles l'Evêque de Bethleem
officia.
La Reine communia le même jour par les
mains de l'Archevêque de Rouen fon grand
Aumônier.
Le lendemain jour de la fête Leurs Majeftés
accompagnées comme le jour précedent entendirent
dans la même Chapelle la Grande
Meffe célébrée pontificalement par l'Evêque
de Bethleem , & chantée par la Mufique. L'après
-midi elles affifterent aux Vêpres & à la
Proceffion qui fut faite dans la Cour du Châ
teau.
AOUST. 1746. 161
LETTRE DU ROI
A Meffieurs les Grands Vicaires.
MESSIEURS , après avoir mis par les pre
mieres opérations de cette Campagnemes
ennemis hors d'état de pénétrer en Brabant
& dans la partie de Flandre nouvellement
conquife , l'objet le plus important étoit
de leur fermer également les chemins de la Province
du Hainaut que la prife de Mons a réduit
fous mon obéiffance . C'eft dans cette vûe que
j'ai donné mes ordres à mon Coufin le Prince
de CONTY de faire attaquer en même tems
les places de Saint-Guillain & de Charleroy.
Le Marquis DE LA FARE , l'un de mes Lieutenans
Généraux en mes armées , qu'il avoit
chargé du fiége de la premiére , a obligé la
garnifon de fe rendre prifonniére de guerre
le 26 du mois dernier ; & mondit Couſin ayant
conduit lui- même le fiége de Charleroy , il en
a dirigé les attaques avec tant d'activité , d'intelligence
& de capacité , que cette Place l'une
des plus fortes de cette frontiére , & qui dans
les anciennes guerres avoit foûtenu près d'un
mois de fiége , a fuivi le 2. de ce mois le fort
de Saint- Guiflain le cinquième jour de la tranchée
ouverte. Un fuccès auffi imprévu eft une
preuve bien fenfible de la protection que le
Dieu des Armées ne ceffe d'accorder à la juftice
de ma cauſe ; & mettant toutes mes efpérances .
162 MERCURE DE FRANCE.
en fon fecours , je vous fais cette Lettre pour
vous dire que mon intention eft , qu'en actions
de graces de tout ce que je dois à fa divine providence
, vous faffiez chanter le Te Deum dans
l'Eglife Métropolitaine de ma bonne Ville de
Paris , & autres de votre Diocéfe , avec les folemnités
requifes , au jour & à l'heure que le
Grand Maître ou le Maître des Cérémonies
vous dira de ma part. Sur ce , je prie Dieu qu'il
vous ait , Meffieurs , en fa fainte garde . Ecrit
à Verſailles le 6 Août 1746. Signé, LOUIS.
Et plus pas , PHELY PEAUX. Et au dos eft écrit :
A Meffieurs les Grands Vicaires de Paris.
-
MANDEMENT
De Meffieurs les Vicaires Généraux du Chapitre
, & Archidiacres de Paris , Admi.
niftrateurs de l'Archevêché le Siége va
cant , qui ordonne que le Te Deum fera
chanté dans toutes les Eglifes du Dioceſe,
en actions de graces de la prife des Villes
. de SAINT GUISLAIN & de CHARLEROY.
NOU
"Ous Vicaires Généraux & Archidiacres ,
le Siége vacant : & c . Les Armes du Roi'
ont encore foumis à fon obéiffance deux Places
importantes , dont la conquête affure celles
qu'il avoit déja faites en Flandre , & laiffe à
fon Armée la liberté de porter ailleurs toutes fes
forces , & de préparer de nouvelles Victoires .
La prife de Charleroy , qui a fuivi de près
celle de Saint- Guiflain , réunit aux marques vifibles
de la protection de Dieu fur nous , des
AOUST. 1746. 161
prodiges d'activité & d'intelligence , dignes
du Prince qui commandoit le Siége.
Dès le cinquiéme jour de la tranchée ouverte,.
nos Soldats , par une hardieffe heureuſe , ont
pénetré dans cette Place redoutable , fiére encore
de la longue réfiftance qu'elle faifoit autrefois
, & comme fi Dieu eût répandu lui - mê--
me l'effroi dans la garnifon , elle s'eft rendue
tout-à-coup , & a dit à fes vainqueurs ce qu'un
peuple , qui s'étoit foumis , difoit au Chef d'If
raël : (a ) La crainte s'eft emparée de nous , & nous
avons fongé à mettre notre vie en fûreté ; la terreur
dont vous nous avez remplis , nous a forcés àprendre
ce parti.
Mais ne nous laiffons point éblouir par l'é
clat de nos triomphes ; ne perdons pas de vûe
celui qui en eft l'auteur , & ne difons jamais
comme l'impie , (b) qu'il ne nous fçauroit arriver
de mal , & que notre félicité eft fi bien établie que
rien ne peut la troubler ni la renverfer. Qui ne
craindra pas les jugemens qu'éxerce fur les
Royaumes & fur les Peuples (c) le Maître fou
verain des Nations ? Il tient en fes mains les
biens & les maux , les revers & les fuccès , la
tribulation & le bonheur , & il les répand à
fon gré fur la terre.
Nous venons de l'éprouver il y a peu de
jours. Au milieu de nos victoires , & dans le
( a ) Timuimus igitur valde , & providimus ani
mabus noftris , veftro terrore compulfi , & hoc confilium
inivimus. Jof. 9. y. 24.
( b )Dixit in corde fuo : Non movebor àgeneratio
ne ingenerationem , fine malo . Pf. 10. y. 6.J
(c ) Quis non timebit te , ô Rex gentium ? Je
rem. 10.7.7.
2.
164 MERCURE DE FRANCE.
temps même que la fécondité de Madame la
DAUPHINE nous faifoit efpérer de nouveaux
gages de la félicité publique ', une mort prématurée
nous la enlevé cettte Princefle , qui
devoit faire par fes vertus la gloire & le bonheur
de la France.
par
Qu'un malheur auffi imprévu nous apprenne
à être fidéles à la Loi de Dieu , & à ne pas
attirer fur nous fes ve..geances par nore ingratitude
& nos infidélités. Raffemblés dans
fon temple , environnons fes Autels ; offronslui
un hommage fincere de foumiffion , d'amour
& de reconno flance & méritons ,
tous les fentimens que la Religion infpire
qu'il verfe toujours fur nous fes graces & fes
bénédictions. ( a) Qui fçait , fi fléchi enfin par
nos priéres , il ne fera pas ceffer bientôt le fleau
de la guerre , & ne hatera pas le moment qui
doit diffiper toutes les jaloufies , (b & faire
affeoir l'Europe entiére dans la beauté de la paix,
dans des tabernacles de confiance , & dans un repas
plein d'abondance ?
A CES CAUSES , pour nous conformer aux ordres
duRoi, nous ordonnons que le feDeum . & c.
Par Mandement de Mefieurs les Vicaires Généraux
Archidiacres , ROBERT , Secrétaire.
Le Roi ayant écrit aux Vicaires Généraux
de l'Archevêché de Paris pour faire rendre à
Dieu de folemnelles actions de graces de la prife
de S. Guillain & de Charleroy , on chanta le
3
(a ) Quis fcit fi convertatur & ignofcat ? Joel 2 ,
14.
( b ) Sedebit populus meus in pulchritudine pacis ,
in tabernaculis fiducia , & in requic opulenta.
I. 32. y . 18.
AOUST. 1746. 163
3 dans l'Eglife Métropolitaine le Te Deum ,
auquel l'Abbé d'Harcourt, Doyen du Chapitre
officia. Le Chancelier deFrance accompagné de
-plufieurs Confeiller d'Etat & Maîtres des Requêtes
y affifta , ainsi que le Parlement , laChambredes
Comptes , la Cour des Aides & le Corps
de Ville qui y avoient été invités de la part
S. M. par le Marquis de Dreux Grand Maître
des Ceremonies.
de
Le 15 Fête de l'Affomption de laSte . Vierge
la Proceffion folemnelle qui fe fait tous les ans
à páreil jour en exécution du voeu de Louis
XIII. fe fit avec les ceremonies ordinaires ,
& l'Abbé d'Harcourt y officia . Le Parlement ,
la Chambre des Comptes , la Cour des Aides
& le Corps de Ville y affifterent .
Le 16 dans l'Aflemblée générale du Corps de
Ville , Monfieur de Bernage fut continué Prevoft
des Marchands , & l'on élut Echevins M.
L'homme & M Bricault.
Le jour que leTe Deum fut chanté dans l'Eglife
Métropolitaine en actions de graces de la
prife de Saint Gu flain & de Charleroy , on
tira un feu d'artifice dans la Place de l'Hôtel
deVille & il y eut des illuminations dans toutes
les rues.
Le Roi apprit le 4 de ce mois que le 2 au
matin le Gouverneur de Charleroy avoit arboré
le Drapeau blanc , & que par laCapitulation
qui avoit été fignée , la garniſon étoit prifonniere
de guerre . Cette nouvelle a été apportée
par le Marquis de Stainville , Colonel du Régiment
de Navarre , que le Prince de Conry a
dépêché à S. M. On a fçu en même tems
qu'auffi-tôt après la prife de Charleroy , le
166 MERCURE DE FRANCE.
Prince de Conty avoit marché avec l'armée
qu'il commande , pour joindre celle qui eft
aux ordres du Maréchal Comte de Saxe.
7
Les lettres du Camp de Walhem du 9 de ce
mois , portent que le le Maréchal Comte
de Saxe avoit changé la pofition qu'il avoit
fait prendre à fon armée en arrivant dans la
plaine de Gemblours , & qu'il avoit reculé fon
Camp pour le mettre hors de la portée du canon
que les ennemis auroient pû placer fur les
hauteurs . Ces lettresajoutent que l'armée commandée
par le Prince de Conty , à l'exception
du Corps de troupesqu'il a laiffé entre la Sambre
& la Meufe , aux ordres du Marguis de
Segur , Lieutenant Général , étoit campée à la
droite de l'armée du Maréchal Comte de Saxe,
laquelle a fait le vers les fources de la Dille
un fourage général.
.
Les lettres du même Camp du 14 portent
que l'armée que le Prince de Conty commandoit
, étoit venue ce jour là camper à
Torbaix & à Saint Tron , & à la gauche
du corps de troupes qui eft aux ordres du
Comte de Clermont ; que ce Corps s'étoit mis
en marche à midi par fa gauche fur deux colonnes
, & que le lendemain l'armée commandée
par le Maréchal Comte de Saxe devoit faire
un mouvement.
Le Roi a appris le 22 de ce mois que l'armée
Efpagnole & Françoiſe , ayant paſſé le Po pour
fe porter dans le Tortonois , les troupes de la
Reine de Hongrie avoient voulu s'oppoſer à
l'exécution du projet de l'Infant Don Philippe
, & que le 10 il y avoit eu fur le Tidon une
action très-vive , dans laquelle les troupes Ef
pagnoles & Françoifes avoient remporté fur
AOUST. 1746. 167
les ennemis un avantage très - confiderable . Cette
nouvelle a été apportée à S. M. par le Marquis
de Vogué , Meftre de camp , Lieutenant
du Régiment de Dragons Dauphin , & Maréchal
Général des logis , de la Cavalerie à l'armée
d'Italie .
Le Chevalier de Pont , Colonel du Régiment
de Baffigny , a été nommé par S. Majefté Brigadier
d'Infanterie , & le Comte de la Guiche
Meftre de Camp Lieutenant du Régiment de
Condé , a été nommé Brigadier de Cavalerie .
Le Roi a donné le Régiment d'Anjou , Infanterie
, à la tête duquel le Chevalier de Rochechouart
Faudoas a été tué à la Bataille de Plaifance
, au Chevalier de Rochechouart fon frere
, Major de ce Régiment. S. M. a accordé
celui de Dragons Dauphin , dont le Marquis
de Lefcure , tué à la même action , étoit Mef- *
tre de Camp du Regiment d'Anjou , & Maréchal
Général des Logis de la Cavalerie à l'armée
du Roi en Italie.
NOMINATION de M. l'Archevêque de Vienne à
Archevêché de Paris.
Le 5 de ce mois le Roi nomma M. l'Arche
vêque de Vienne à l'Archevêché de Paris vacant
par la mort de M. de Bellefont ; il fe nomme
Chriftophe de Beaumont daepaire. Il fut reçu
Chanoine & Comte de Lyon aux Fêtes de la
Touffaint de l'an 1732 ; il étoit Grand Vicaire
en 1734 de l'Evêque de Blois ( François de
Cruffol d'Uzés d'Amboife , fon coufin il fur
nommé à l'Abbaye de Notre - Dame de Vertus
O. S. A. au Diocefe de Châlons en 1738 , puis
à l'Evêché de Bayonne , & facré le 24 Décem
168 MERCURE DE FRANCE.
bre 1741 , & enfin transferé à l'Archevêché de
Vienne par la démiffion deM.leCardinal d'Auvergne
, au mois d'Avril 1745. Il eft né en
1701 ou 1702 , & eft fils de François de
Beaumont , Chevalier Seigneur de la Roque
Fayac du Repaire , de faint Aubin , de Caftel
& c. enPerigord , Guidon de laCompagnie de
Gendarmes de feu M. Philippe de France Duc
d'Orleans frere unique du Roi Louis XIV. en
1677 , & de Dame Marie- Anne de Loftanges
de faint Alvaire mariée le 10 Janvier 1699 , petite
fille d'Elifabeth du Cruffol d'Uzés , Il a pour
frere le Comte de Beaumont du Repaire retiré
dans fes terres auprès de Perigueux , lequel a
plufieurs enfans encore jeunes , dont l'aîné âgé
de 15. à 16 ans eft actuellement Sous- Lieutenant
au Régiment des Gardes- Françoifes . La
Maifon de Beaumont eft originaire du Dauphiné
, où eft fituée la Terre de ce nom , près la
Mure en Graifivodan , & d'une nobleſſe marquée
par fon ancienneté , étant connue il y a
plus de 500 ans , & par fes alliances . Laurent
de Beaumont Chevalier Seigneur de Beaumont
& de Montfort en Dauphiné quatriéme ayeul
de M. l'Archevêque de Paris , fut marié le 1
Décembre 1538 avec Delphine de Verneu
Dame de Pompignan , & de Peyrac , & fut
pere de Charles de Beaumont Chevalier Seigueur
de Montfort , qui par le mariage qu'il
contracta le 3 Mars 1577 avec Antoinette du
Pouget fut Seigneur du Repaire & de faint
Aubin , & ce fut par ces deux alliances que
cette branche de Beaumont fe tranfplanta dans
le Haut Languedoc , le Quercy & le Perigord.
Ilfe voit par les quartiers que M. l'Archevêque
produifit lors de fa réception de Chanoine &
Comte
AOUST 1746. 169%
Comte de Lyon , & dans lefquels entrent les
noms d'Alleman , de Touchebeuf , de Salignac,
de Baynac , de Lauzieres , Themines , de
Fumel, de Hautefort, de Chabannes , de Bonneval
, de Blanchefort, d'Efcars , deVienne , de Baufremont,
de Loftanges, de Montberon , deGouefdon
Genouillac , de Cruffol Uzès , de Clermont
Tonnerre , de Poitiers S. Valier , de la Queille ,
Châteaugay de Bethurnay , de Bourbon Ca
rency, duSaix & de Seneret, & c. que ce Prelat a
l'avantage d'être allié & parent à ce qu'il y a de
Grand dans le Royaume , outre celui d'avoir
pour dixiéme ayeul, AmblardSeigneur de Beaumont
l'un des principaux Seigneurs qui porterent
le Dauphin Humbert II . à transporter le
Dauphiné au fils de France , & qui en fignerent
le Traité au mois d'Avril 1343. Entre les differentes
branches forties de cette maifon ; celle
des Seigneurs d'Autichamp de laquelle eft Mre.
François de Beaumont d'Auticham pEvêque de
Tulles depuis l'année 1740 (ubfifte encore dans
le Dauphiné avec beaucoup de diftinction :
les armes de Beaumont du Repaire font de gueules
à une faffe d'argent chargée de trois Fleurs -de-
Lys d'azur voyez la Généalogie de cette Maifon
imprimée & dreffée par Allard , ou plûtôt .
celle qui eft imprimée dans l'Hiftoire des Mazu,
res de l'Ille-Barbe par le fieur le Laboureur.
Sa Majefté a fait Brigadiers d'Infanterie le
Marquis de Stainville , Colonel du Régiment
de Navarre , & le Marquis de Maupcou , Colonel
de celui de Bigorre , lequel eft arrivé à
Verſailles le 7 de ce mois avec les drapeaux
des trois Bataillons qui étoient dans Charleroy,
& qui ont été faits prifonniers de guerre.
H
170 MERCURE DE FRANGE . •
•
Le Roi a donné le Régiment d'Infanterie de
la Reine dont le Chevalier de Teffé , mort de
la bleffure qu'il avoit reçue à la bataille de
Plaifance , étoit Colonel- Lieutenant , au Marquis
de Gouy Colonel de celui de Gaſtinois ; le
Régiment d'Infanterie , vacant par la mort du
Comte de la Tour d'Auvergne , au Chevalier
de la Tour d'Auvergne fon frere , Capitaine
dans le Régiment de Cavalerie de Bellefont ,
& le Régiment de Cavalerie d'Anjou dont le
Marquis de Vogué étoit Meftre de Camp , à
M. de Lupecourt, Capitaine dans ce Régiment.
' On a reçu avis par un navire marchand , revenu
depuis peu de la Martinique , que le
Chevalier de Conflans Capitaine de vaiffeau
y étoit arrivé le 16 du mois de Juin dernier
avec la flotte de deux cent quatorze navires
mrrchands deftinés pour les Ifles Françoiſes
& qu'il étoit chargé d'eſcorter avec les vaiffeaux
du Roi qu'il commande.
On a appris auffi que M. de Macnemara , Capitaine
de vaiffeau , qui a eſcorté avec les vaiffeaux
du Roi une autre flotte de navires marchands
venans de l'Ile de Saint Domingue
avoit relâché au Port de la Corogne avec cette
flotte dont le chargement eft eftimé plus de
trente millions.
AOUST . ' 1746. 171
ENVOI d'un Amour fans arc & fans
bandeau, tenant unflambeau à la main .
Tu vois l'Amour foumis à ta puiſſance
Doris ; ce n'eft point en vainqueur
Que je veux triompher de ton indifference ;
Daphnis t'aime ; je viens parler en ſa faveur:
Je dépofe en tes mains le refte de mes armes
Tu tiens déja mes waits,prends auffi mon flambeauž
Il me manque ici mon bandeau ,
•
Daphnis l'a pris pour efluyer fes larmes.
Que te faut-il encor pour flêchir ta rigueur ?
Crains-tu de le compter au rang des infidéles
Si tu répons à fon ardeur ?
Eh bien , Doris , engage-lui ton coeur ;
Et pour garant du fien je te livre mes aîles .
Le Privilege exclufifdu fieur Macary de trois
differentes machines pour la fûreté du commerce
& de la navigation a été enregistré au Parlement
de Paris fuivant fes forme & teneur le 20
Avril 1746.
Meffieurs les Intendans des Provinces ont
fait imprimer & afficher ce Privilege dans toute
l'étendue du Royaume.
Avec le fecours de ces machines on peut
rendre telle riviere que ce foit navigable , cu-
Hij
7 2 MERCURE DE FRANCE
T
rer les Ports de mer , donner les profondeurs
néceffaires pour la fûreté de la navigation
recurer les marais falans perdus & abandonnes,
les remettre dans leur premier état & recurer
les foffés des fortifications.
Le fieur Macary a 'formé une compagnie
pour l'exécution de ce Privilege , avec laquelle
il eft en état d'entreprendre toutes fortes d'ouvrages
aufquels fes machinesfont propres , & de
donner bonne & fuffifante caution pour lefdi
tes entrepriſes.
Son adreffe eft chés M. le Chevalier Defpuech, rue
de Richelieu , vis- à- vis la rue Vildot.
On recevra toutes fortes de lettres & paquets
affrauchiffant les ports.
MANDEMENT de fon Eminence le Car
dinal de Tencin , Archevêque & Comte de Lyon ,
qui ordonne que le Te Deum fera chanté dans toutes
les Eglifes de fon Diocèfe , en actions de graces
de la prife de Saint Guillain & de Charleroy.
PIERRE DE GUERIN DE TENCIN , & C . Voici
encore , Mes Très- chers Freres , un de ces événemens
ou la promptitude du fuccès jointe à
l'importance de la conquête ,,"doit redoubler
notre joie & notre reconnoiffance envers le
Seigneur. La promptitude du fuccès nous laiffe
moins de fang à regretter. L'importance de la
conquête devroit difpofer enfin les ennemis à
la Paix. Mais quoi ! le vainqueur feul la defire
, & les vaincus ne refpirent que la guerre.
(a) Diffipez- les , Grand Dieu ; ou plûtôt touchez
leurs coeurs. Verfez-y ces fentimens d'équité
& d'humanité que vous avez mis dans celui
de notre Augufte Monarque. Rendez tous les
Princes de l'Europe auffi fenfibles que lui aux
A OUST.
1746. 173
maux affreux que la guerre entraîne après elle .
Qu'ils aiment leurs fujets , comme il aime les
fiens , & qu'ils faffent , comme lui , leur bonheur
& leur gloire d'en être aimés . Les Souverains
devroient être d'autant plus jaloux de
cet amour de leurs peuples , que c'eft le feul
bien que puiffent acquérir encore ceux à qui
leur naiffance a déja donné tous les autres.
A CES CAUSES , & C.
(a) MandaDeus virtuti tua ... Diffipagentes qua
bella volunt Pl. 67. 29.
Audivimus quod Reges Ifrael clementes fint 3
Reg. 6. 20. 31.
OPERATIONS DE L'ARME’E
DU ROI.
Au Camp de Walhem les Août .
Sque l'es Allies continuoient de s'avancerdans
UR l'avis qu'on reçût le 30 du mois dernier
le deffein d'occuper le camp de Gemblours ,
le Maréchal Comte de Saxe prit la réſolution
de les prévenir , & de fe rendre dans ce camp ,
avant qu'ils puffent y arriver . Pour cet effet
il fe mit en marche le même jour à neuf heures
du foir avec dix Compagnies de Grenadiers
, un pareil nombre de Piquets , les Carabiniers
, le Régiment de Dragons de Septimanie
, & celui de Huffards de Beaufobre . Le
174 MERCURE DE FRANCE.
lendemain à cinq heures du matin il arriva
avec ces troupes à la hauteur de Conroy , où
il fut joint par le Corps que commandoit le
Comte d'Eftrées , Lieutenant General . S'étant
avancé dans la plaine de Gemblours , il marqua
le camp , la droite en arriere de Sauveniay
, & la gauche au Village de Nielle Saint
Martin , & il établit le Quartier general à Walhem.
En même temps il envoya ordre au refte
de l'armée , qui l'avoit fuivi fur cinq colonnes
, de marcher vers ce camp avec le plus de
diligence qu'il feroit poffible . Elle y fut dès le
foir prefque entierement raffemblée , & cette
marche , quoique de plus de fept lieuës , &
malgré la difficulté des chemins , s'eft faite fans
confufion. Le Corps commandé par le Comte
de Clermont , & celui qui étoit aux ordres du
Comte de Lowendalh , fe réunirent le 31 avec
l'armée , qui par ce renfort fe trouva compofée
de cent huit Bataillons & de cent quatrevingt-
quatorze Efcadrons , fans y comprendre
huit Bataillons & trente- huit Efcadrons , avec
lefquels le Marefchal Comte de Saxe a ordonné
au Comte d'Eftrées d'aller mafquer le paffage
du Mazy fur l'Orneau, Le Maréchal Comte
de Saxe par fa pofition ferme le paffage du
défilé des Cinq Etoiles , qui eft le feul chemin
par lequel les ennemis auroient pû pénetrer
dans la plaine. Le Prince de Conty ayant
quitté fon camp fous Charleroy le 3 de ce mois
à deux heures du matin , fe porta le même jour
à Sombref, & le lendemain à Conroy. Il joint
par fa gauche la droite de l'armée que commande
le Maréchal Comte de Saxe , & il n'eft
qu'à une demie lieuë des ennemis qui font
Foftés au camp du Mazi le long de l'Orneau.
AOUST. 1746. 175
Tous les équipages de l'armée du Prince de
Conty font reftés à Marchienne au Pont , près
de Charleroy.
Le neuf.
Il eft parti le 8 le 9 deux détachements confiderables
, l'un de l'armée que commande le
Maréchal Comte de Saxe , l'autre de celle qui
a fait le fiege de Charleroy fous les ordres du
Prince de Conty. Le bruit court que les ennemis
, qui ont rapproché de leur droite leurs
troupes legeres , fe font étendus par leur gauche
, & l'on eft d'autant plus impatient d'apprendre
à quel parti ils fe détermineront , que
felon les apparences leurs premiers mouvements
décideront du refte des operations de
cette campagne . Le 9 l'armée a fait vers les
fources de la Dyle un fourage general , qui a
été commandé le Comte de la Vauguion ,
Maréchal de Camp. Les détachemens du
Marquis d'Armentieres & du Comte de Froulay
font revenus à l'armée , fans avoir rencontré
d'ennemis fur leur route. Trois cent
hommes du Regiment de la Morliere attaquerent
a le 7 dans le Village de Rochepaille
quatre cent des ennemis , dont un grand nombre
a été tué , & le refte mis en fuite. Le Marquis
de Saint Germain a été nommé par le Maréchal
Comte de Saxe pour commander à
Waure fur la Dyle , & les troupes qui font
dans ce pofte ont été renforcées du Regiment
Royal Dragons & de celui de Septimanie .
par
Au Camp de Thyn le 20.
L'Armée du Roi commandée par le Maré
476 MERCURE DE FRANCE.
chal Comte de Saxe, alla camper le 19 à Thyne
près d'Hennuye , la droite appuyée à la Tombe
de Soleil , la gauche au Village de Breff , & le
centre vis- à-vis de ceux de Thyne & d'Hennuye.
La marche de l'armée , quoique fous les
yeux de celle des Alliés , dont en arrivant
à ce camp on découvrit la plus grande partie
vis-à-vis du camp , s'eft faite avec autant d'ordre
que les précédentes , & la prefence des ennemis
n'a point empêché l'exécution des ordres
donnés par le Maréchal Comte de Saxe. Le
Comte de Lowendahl , lequel avec le déta
chement qui occupoit le pofte des cinq Etoies
, & deux mille hommes de Cavalerie qu'on
y avoit joints , a fait l'arrieregarde , a été ſuivi
par les troupes légeres des ennemis , & par un
détachement de quatre mille hommes d'Infanterie
, à la tête duquel étoit le Prince Charles
de Lorraine. Malgré leur grand feu qui a duré
pendant huit heures , & auquel celui de nos
troupes a répondu avec beaucoup de vivacité
la marche de l'arriere- garde n'a point été dérangée
, & la perte de deux mille hommes
que les Alliés ont faite en cette occafion , eft
une preuve du courage avec lequel les François
ont foûtenu les efforts des ennemis , & ont
fecondé les difpofitions faites dans cette marche
par le Comte de Lowendahl & par le Marquis
d'Armentieres. Les François y ont perdu
cent cinquante hommes , du nombre defquels
eft Monfieur de Lombefcure , Lieutenant Colonel
du Régiment de Cavalerie de la Reine.
Les dernieres lettres du Camp de Thyne
marquent que le Comte de Lowendahl , Lieutenant
Général , ayant été détaché de l'armée
Four s'avancer à Huys , il avoit fait occuper
1
AOUST.
1746. 177
ce pofte , dans lequel les ennemis avoient des
magafins confidérables .
HHHHHEDE
ARRESTS NOTABLES.
ARREST du Confeil d'Etat du Roi , & lettres
patentes fur icelui , données à Versailles le 5 Avril
1746. Registrées en Parlement le 25 Mai fuivant.
Qui ordonnent l'acquifition pour le compre du Roi
de l'Hôtel de Longueville , à l'effet d'y établir les
Bureaux néceffaires à la régie de la ferme de Tabac.
LETTRES patentes du Roi , & reglement concernant
les Etoffes de laine ou mélées de laine , foie
ou fil , qui fe frabriqnent dans lu Généralité de Tours.
Données au Chateau de Boucbout le 27 Mai registrées
enParlement.
ARREST du Confeil d'Etat du Roi du 4. Jain
pour obliger les Propriétaires des héritages aboutiflans
à la riviere d'Eure à faire les réparations néceffaires
fur les bords d'icelle , & à entretenir les
shemins fervans au ballage & tirage des bâteaun
chargés defel , &c.
ARREST du Confeil d'Etat privé du Roi du 13
qui ordonne que dans un an , à compter du jour
de l'enregistrement fait en la Chambre Syndicale du
prefent Arrêt , les Soufcripteurs des ouvrages intitulés
Hiftoire Généalogique & Chronologique
de la Maiſon Royale de France , en neuf vo-
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
lumes in-folio & Oeuvres de Moliere en fix
volumes in-quarto , enrichis de Figures , ferons
demeureront déchus du bénéfice quileur a été accordé
par leurs Soufcriptions , fans même qu'ils puiffent
prétendre que les Imprimeurs & Libraires leur
rendent complets les Exemplaires dont ils auroient
retiré partie.
DECLARATION du Roi du 5 Juillet , qui indique
aux Propriétaires des Maifons , Edifices, Boutiques
, Echoppes , Jardins & Places de la Ville &
Fauxbourgs de Paris les moyens de juftifier des payemens
faitspour le rachat ordonné par Edit du mois
de Janvier 1704 , pour l'entretien des Lanternes
Pompes publiques l'enlevement des Boxes de ladi
se Ville.
AR REST du Confeil d'Etat du Roi du 12 „ qui
permet pendant une année , à compter du 18 Septembre
1746 , l'entrée dans le Royaume des Beurres
venans d'Angleterre , d'Ecoffe & d'Irlande
payant les droits quifont dus.
en
ARREST du Confeil d'Etat du Roi du 21 , qui
preferit ce qui doit être obfervé par les Marcbands
qui ont dans leurs Bontiques & Magafins des ouvra
e de dorure fauffe , fabriqués avant la déclaration
du 21 Mai 1746.
AOUST. 1746. 179
NOUVELLES ETRANGERES.
ALLEMAGNE.
?
N mande de Vienne que les circonftances
qui avoient déterminé la Reine de
Hongrie à faire affembler une armée dans
I'Empire , & à en deftiner le commandement
au Prince Charles de Lorraine , étant changées
, fa Majefté a engagé fes Alliés à confentir
qu'il commandât en chef l'armée dans les
Païs-Bas. Ce Prince , après avoir pris congé le
10 du mois dernier de fa Majefté & du Grand
Duc de Tofcane , eft parti le lendemain pour
aller fe mettre à la tête de cette armée où
l'on compte qu'il eft arrivé le 22. La Reine a
conclu avec le Roi de la Grande Bretagne ,
le Roi de Sardaigne & la République des Provinces
Unies une nouvelle.Convention , par
laquelle elle confirme tous les engagements
pris antérieurement , & s'engage à n'accepter
aucunes propofitions que de concert avec ces
trois Puiffances . Le Prince de Saxe Hildburgshaufen,
qui commande en Croatie , a mandé à
la Reine , qu'il étoit convenu avec les Etats
de cette Province , qu'à l'avenir ils entretiendroient
pendant la guerre un Corps de vingt
mille hommes pour le fervice de fa Majefté , &
que pour en faciliter les moyens , on obligeroit
les habitans de payer en argent le taxe
qui leur feroient impofées. Sa Majefté a reçu
180 MERCURE DE FRANCE.
avis par les mêmes dépêches , que le Prince
de Saxe Hildburgshaufen s'étant fait rendre
compte des divers fujets que les Croates prétendoient
avoir de fe plaindre , il avoit pris
les mesures convenables pour prévenir les
abus qui s'étoient introduits dans la perception
des droits & dans l'adminiſtration de la Juftice .
Les lettres de Petersbourg marquent que l'Imperatrice
de Ruffie avoit fait un voyage à Czarska-
Zelo , & qu'elle étoit retournée enfuite à
Petershoff. Selon les mêmes lettres , trois des
Regimens arrivés depuis peu de Mofcou font.
employés aux travaux que l'Imperatrice de
Ruffie a ordonné de faire à Petershoff, à Czarska-
Zelo & à Sufterbeeck .
Suivant les avis reçus de Drefde , le Prince
Eugene d'Anhalt- Deffau , qui eft entré au fervice
du Roi de Pologne Electeur de Saxe , a
été nommé par ce Prince pour commander
dans la Haute & la Baffe Luface , & Monfieur
de Minckwitz a été fait Lieutenant General
des troupes Saxones. Les lettres de Munich
marquent que le bruit couroit que l'Electeur
de Baviere avoit promis de fournir huit Bataillons
au Roi de la Grande Bretagne & aux
Etats Generaux des Provinces Unies , moyennant
un fubfide de cent cinquante mille écus
d'Allemagne par an . Celles de Manheim affûrent
que fur l'avis des excez que les troupes de
la Reine de Hongrie ont commis en traverfant
le Baillage de Mulheim , l'Electeur Palatin a
ordonné à fes fujets de prendre les armes en
pareille occafion , pour repouffer la violence ,
& de n'accorder à l'avenir que le fimple paf
fage à ces troupes.
AOU ST. 1746. 181
Le 20 du mois paffé la Reine de Hongrie tint
un Confeil , après lequel on fit partir des couriers
pourPeterſbourg, Drefde, Munich,Londres
& la Haye .
M. Lanczinsky , Miniftre Plenipotentiaire
de l'Imperatrice de Ruffie auprès de la Reine
, eût le 9 du mois paffé une audience
particuliere de fa Majefté , & il fut admis enfuite
à celle du Grand Duc de Tofcane. Ils eft
tenu , à l'occafion des dépefches dont ce Mi
niftre a donné part à la Reine , un Confeil
d'Etat après lequel on a fait partir un Courier
pour Petersbourg. Le 10 , fa Majefté al-
Ia avec le Grand Duc de Tofcane , l'Archiduc ,
le Prince Charles & la Princeſſe Charlotte de
Lorraine , dîner à Herzendorf chés l'Imperatrice
Premiere Doüairiere , & de ce Château
elle fe rendit à celui de Mannerftorf..
Le Gouvernement à la requifition du
Comte de Podes wil a fait faifir tous les exemplaires
d'un ouvrage , dans lequel l'Auteur'
parle peu refpectueufement du Roi de Pruffe .
Un grand nombre d'ouvriers eft employé à
travailler aux armes & aux habits uniformes
des nouvelles troupes qu'on a levées en Croatie
, & dont une partie s'eft dé a miſe en marche
vers l'Italie . Les Commiffaires nommcs
par fa Majefté pour inftruire le procez du Prince
Cantacuzene , ont fait rapport qu'il paroiffoit
par fes propres lettres , que fon deffein
avoit été d'exciter le Grand Seigneur à une
rupture avec la Reine , & de profiter de la divifion
des deux Puiflances , pour s'affurer la
Souverain de la Valachie , & que par- là
s'étant rendu coupable de haute trahifon ,
<
# 2 MERCURE DE FRANCE.
avoit merité la mort. La Reine a charge fon
Miniftre à Conftantinople de déclarer au
Grand Vifir qu'elle étoit fort éloignée de pen
fer que le Grand Seigneur eût la moindre connoiffance
de ce complot ; qu'elle ne confideroit
dans cette affaire que les mauvaiſes intentions
du Prince Cantacuzene , & qu'elle avoit de fi
fortes preuves de la fincerité des affurances de
fa Hauteffe , qu'elle fe repofoit fur les déclarations
de la Porte avec la plus parfaite confiance
. Le jugement du Baron de Trenk lui fera
prononcé inceffamment ; on croit que le Reine
lui accordera la vie , & qu'il fera conduit à la
Fortereffe de Gerolzeg dans leTirol,pour y demeurer
en prifon le refte de fes jours . Les cha-
Jeurs font fi exceffives , que plufieurs perfonnes
font mortes en ' travaillant dans la campagne .
Sur la nouvelle que la Reine de Hongrie reçut
Je 27 du mois dernier de la mort du Roi d'Efpagne
, fa Majefté tint le même jour à Schombrun
un Confeil extraordinaire , & le lende--
main on fit partir deux couriers , l'un pour
Petersbourg , l'autre pour l'armée d'Italie ,
dont la Reine a appris ces jours- ci que la
jonction s'étoit faite avec les troupes du Roi
de Sardaigne. Le Marquis de Rotta a envoyé
à fa Majefté le plan des operations par lefquelles
ce Prince fe propofe d'empêcher avec
les deux armées réunies les troupes Françoifes
& Efpagnoles de tirer des vivres & des contributions
du Milanez . Le Corps de Croates
qui eft en marche vers l'Italie , eft compofé de
cinq mille hommes : on compte qu'il fera bientôt
fuivi de quelques autres troupes de la mê
me nation , & le bruit couroit que la Reine a
AOUST. 1746.
18%
réfolu d'envoyer au Marquis de Botta , outre
ces renforts , plufieurs Régimens qu'on tirera
du Royaume de Hongrie . Les Etats de la Baffe
Autriche ont accordé à la Reine un fubfide
extraordinaire de cinq cent mille florins , &
cette fomme , dont fa Majefté a déja reçu la
plus grande partie , eft deftinée à payer les
appointemens dûs aux Officiers de l'armée
d'Italie . Le Grand Duc de Tofcane nommera
un Commiffaire pour affifter de fa part à l'élection
que le Chapitre de Wurtzbourg doit
faire d'un Evêque , & il y a apparence que le
même Commiffaire fera chargé de fe trouver
auffi à celle de l'Evêque de Bamberg. Les follicitations
employées par plufieurs Puiffances
étrangeres , en faveur des Juifs du Royaume
de Boheme , n'ayant pas produit l'effet qu'on
en attendoit , l'Édit contre les perfonnes de
cette nation fera executé dans toute fa rigueur ,
& elles feront obligées de fortir des Etats de fa
Majefté dans le tems qui leur a été prefcrit.
Selon les nouvelles de Coppenhague , les trois
Vaiffeaux Danois qui font entrés il y a quelque
temps dans le Port de Lisbonne , doivent
fe rendre dans la Mediterranée , & le Chef
d'Efcadre qui les commande , a ordre du Roi
de Dannemarck , de negocier avec la Regence
d'Alger un Traité femblable à ceux qui fubfiftent
entre les principales Nations commerçantes
de l'Europe & cette Regence . On mande
de Stockholm que le Marquis del Puerto
Ambaffadeur du Roi d'Efpagne , a demandé
la révocation de l'octroi que le Roi de Suede
a accordé à Monfieur Arfwedſon , pour faire
des établiſſemens en Amerique , dans les ter-
·
84 MERCURE DE FRANCE.
res qui ne font point habitées par des Européens.
Suivant les avis reçus de Peterſbourg ,
le Prince Galliczin doit fe rendre en Perfe
ave caractére d'Ambaffadeur l'Imperatrice de
Ruffie.
L'Imperatrice de Ruffie accompagnée du
Grand Duc & de la Grande Ducheffe eft partie
le 21 Juillet pour fe rendre à Revel. L'affaire
concernant les differends entre le Roi
de Dannemark & la Maifon de Holftein n'a
pû être terminée avant le départ de ſa Majefté
Imperiale , mais le Grand Duc a fait affurer
T'Ambaffadeur de Sa Majefté Danoife qu'il
perfiftoit dans la refolution de fe prêter à
toutes les voyes de conciliation qui lui feroient
propofées ; que s'il fufpendoit la negociation
ce n'étoit que par l'impoffibilité
de la continuer pendant les voyages que devoit
faire l'Imperatrice , & qu'on recommenceroit
les conferences dès qu'on pourroit
compter qu'elles ne fuffent plus interrompuës.
Le Comte de Hoften n'ayant pu procurer
l'entier accommodement du Roi fon Maître
avec le Grand Duc , a voulu du moins ne rien
negliger pour refferrer les liens de la bonne
intelligence entre la Ruffie & le Dannemarck ,
& en engageant l'Imperatrice à figner un nouveau
Traité d'alliance & d'amitié avec fa Majefté
Danoife , il a réuffi dans la principale
commiffion dont il étoit chargé...
Selon les avis reçus de Munich , l'Electeur de
Baviere a conclu avec la Reine de Hongrie un
Traité , par lequel on affure qu'il s'engage à
entrer dans les mesures que cette Princeffe
jugera à propos de prendre pour l'avantage
& pour la tranquillité de l'Allemagne. Il n'a
AOUST. 1746. 185
pu obtenir que ſes ſujets fuffent déchargés des
Tommes qui leur restent à payer des contributions
exigées par les troupes de la Reine de
Hongrie , mais les deux Cours font convenues
de certains arrangemens par lesquels il trouvera
, fans debourfer d'argent , le moyen de
s'acquitter des quatre cent mille florins que fa
Majefté Hongroife lui a avancez après la fignature
du Traité de Fueffen. Le Traité de fubfide
que le Roi de la Grande Bretagne & la
République des Provincés Unies negocioient
avec l'Electeur de Baviere , a été figné le zi
Juillet. Ce Prince leur fournira un Corps de
cinq mille hommes , qui fera commandé par
le Prince de Saxe Hildburgshaufen , & qui fe
mettra en marche le 10 Août & ces deux
Puiflances lui payeront en quatre ans fix cent
mille écus. On mande de Coppenhague que
le Comte de Puſchkin , nouveau Miniftre de
l'Imperatrice de Ruffie auprès du Roi de Dannemark
, n'avoit point eu encore audience
de fa Majefté Danoife , & que ce Prince n'en
donneroit à aucun Miniftre Etranger, tant qu'il
continueroit l'ufage des remedes qui lui ont été
..ordonnés.
Le Roi de Pologne Electeur de Saxe a déclaré
le 26 Juillet que le mariage du Prince
Electoral fon fils étoit conclu avec la Princeffe
Marie Antoinette de Baviere , & que la
Princeffe Marie- Anne devoit époufer le Prince
Electoral de Baviere , mais on conjecture que
ces mariages ne feront célébrés qu'après que
S. M. fera revenue de Varfovie.
186 MERCURE DE FRANCE,
•
ITALIE.
,
a-
Onouvelle du peu de fuccez de l'entre-
N mande de Naples que la premiere
prife formée par l'Infant Don Philippe pour
chaffer les troupes de la Reine de Hongrie
de leurs retranchemens de San - Lazaro
voit caufé quelque inquietude , & que le Roi de
Naples avoit envoyé ordre à divers Régimens
de s'avancer dans l'Abruzze . Mais les lettres
qu'on a reçues depuis de l'armée combinée
d'Efpagne & de France , ont entierement raffuré
cette Cour , & l'on a appris que les ennemis
avoient fait une perte très- conſiderable
& que bien-loin d'avoir retiré quelque avan
tage de s'être maintenus dans leur pofition
ils n'étoient pas en état de s'oppofer aux courfes
que les troupes de fa Majefté Catholique
font jufqu'aux portes de Milan . On a recommencé
à payer les penfions qui avoient été fufpendues
depuis la feconde année de la guerre.
Les foldats d'un Bataillon de milice , qui étoit
en garnifon à Pizzo-Falcone dans la Calabre
Citerieure , ayant formé le complot de tuer
leurs Officiers , & de déferter avec leurs armes,
le Prince de Biffignano , Commandant de la
Place , a été averti affés-tôt de leur deffein
pour en prévenir l'exécution . Après avoir
fait inveftir ce Bataillon par des troupes réglées
aufquelles il avoit ordonné de s'avancer fecrettement
dans les envitons de Pizzo-Falcone , il
l'a fait defarmer , & l'on a mis aux fers les plus
coupables.
Le Marquis Philippe de Carretto s'étant avan-
Cé avec les Régimens de Montferrat , de Nice
AOUST . 1746. 187
7
& de Marina , & un Corps de Milices Piedmon
toifes , pour tâcher de s'emparer des Châteaux
de Caftelvecchio & de Zuccarello , il furprit
le 21 Juillet le Bourg de Cifano qu'il abandonna
au pillage , & quatre des principaux habitans
furent enlevés pour affurer le payement
des contributions . Il attaqua le 22 par trois endroits
le Château & le Bourg deZuccarello ,& il
chargea un détachement de fe rendre maître de
Caftelvecchio . Dès que Monfieur Saoli , Commiffaire
Général d'Albenga , fut informé de
l'entrepriſe des ennemis , il fit marcher au fecours
de ces deux poftes quelques Piquets &
toutes les milices qu'on pût raffembler . Monfieur
Aftengo , qui commandoit ce Corps , ne
put arriver affés - tôt pour empêcher la prife
de Zuccarello . La Garnifon dé ce Château
avoit déja capitulé , à condition qu'on lui accorderoit
les honneurs de la guerre , & les milices
Piedmontoiſes difperfées de côté & d'autre
, pilloient & ravageoient les environs . Ne
mettant même aucun frein à leur licence , elles
avoient porté l'excez jufqu'à dépouiller & maltraiter
le Podeftat & fon Chancelier. Tandis
qu'elles étoient occupées à tranfporter leur
butin , Monfieur Aftengo , malgré la fuperiorité
des ennemis , forma le projet hardi de reprendre
le pofte de Zuccarello. Après avoir
mis en fuite les Barbets , & avoir fait occuper
toutes les hauteurs voifines du Château ,
fomma le Marquis de Carretto de fe rendre
prifonnier avec toutes fes troupes. Ce dernier
voulut tenter de s'ouvrir le paflage l'épée à la
main , mais il fut répouffé , & contraint d'accepter
la propofition qui lui avoit été faite.
Monfieur Franchi , Lieutenant Colonel , qui
il
188 MERCURE DE FRANCE.
commandoit dans Caftelvecchio , s'étoit défendu
avec tant de valeur , & avoit fait plufieurs
forties avec un fi grand fuccez ,. que les
ennemis avoient abandonné l'attaque de ce
pofte. Les Piedmontois ont eu aux deux attaques
foixante hommes de tués : on leur a fait
trois cent quatre - vingt - quatre prifonniers ,
parmi lesquels font vingt & un Officiers , fans y
comprendre le Marquis de Carretto , & illeur
a deferté deux cent cinquante foldats. Le Roi
de Sardaigne , dans le deffein de contraindre
le Gouvernement de Génas de lui rendre quatre .
Contrebandiers d'Oneille , qui y ont été arrêtés
fait enlever à Novi quatre jeunes gens , dont
deux font fils de Nobles Genois. Les Seigneurs
des terres , fituées dans les environs de cette
derniere Ville , n'ayant point payé les contributions
que ce Prince leur avoit demandées ,
il a fait vendre tous les meubles & autres effets
qui fe font trouvés dans leurs Châteaux &
leurs maifons de Plaifance . Les troupes de la
Reine de Hongrie ont bombardé Plaifance pendant
quatre jours , mais feulement par intervalle
, & elles n'y ont caufé que très - peu de
dommage , n'y ayant eu que trois perfonnes
de tuées. Ges troupes diminuent tous les jours
par la grande défertion & par les maladies.
L'Infant Don Philippe reçut peu de jours.
après à Codogno , où il a établi fon Quartier
general , un courier du Marquis de Caftellar ,
qui commande dans Plaifance , & il apprit par
ce courier que les ennemis , après avoir jetté
des bombes dans cette Place , mais fans fuccez,
s'étoient retirés des poftes avancés qu'ils occupoient
dans les environs. Auffi- tôt le Comte
de Gages alla reconnoître leur pofition , & ce
AOUST . 1746. 189
Général s'étant affuré qu'ils étoient retournés
dans leur camp de San Lazaro , l'Infant a jugé
à propos de ne pas s'éloigner de l'Adda & du
Lambro. Le Corps de troupes , qui eft fous les
ordres du Marquis Pignatelli , s'eft avancé à
Malleo , & un détachement de ce Corps s'eft
emparé du Pofte de Saint François , où l'on
a placé des batteries , qui ont déja commencé
à tirer contre le Fort de Ghera d'Adda . Le
Marquis de Mirepoix , Lieutenant Général des
troupes Françoifes , à la tête de quelques Compagnies
de Grenadiers & de huit Bataillons
a tenté dernierement de furprendre Pavie , &
il avoit déja penétré dans les Fauxbourgs , mais
la vivacité du feu de moufqueterie de la garnifon
obligea lesFrançois de fe retirer. Un détachement
des mêmes troupes a enlevé quinze
bâteaux chargés de vivres & de munitions de
guerre , aufquels le Roi de Sardaigne faifoit
defcendre le Po , & l'on a fait prifonniers quatre
cent hommes de l'eſcorte de ce convoi .
,
Le Grand Duc de Tofcane exige que les Seineurs
qui poffedent des fiefs Imperiaux fur la
côte Orientale de l'Etat de Génes , lui rendent
hommages & payent les taxes qui leur
feront impofées , & le Gouvernement Génois
ayant lieu de craindre que ce Prince n'employe
la violence pour appuyer fes prétentions
, on a armé tous les pay fans de la côte ,
& l'on a détaché 600 hommes pour s'oppofer
aux entrepriſes de quelques partis de Huffards
qui ont paru fur les hauteurs voisines .
L'armée de la Reine de Hongrie ne pouvant
demeurer plus long- tems dans fon camp de San
Lazaro, tant par la difficulté d'y fubfifter , qu'à
caufe de l'infection caufée par les cadavres qui
190 MERCURE DE FRANCE.
ont été enterrés dans les environs , elle fe remit
en marche le 16 Juillet fur trois colonnes
, pour s'approcher des troupes du Roi
de Sardaigne , avec lefquelles elle eft actuellement
réunie . Le 17, avant que la jonction des
deux armées fut faite , le Roi de Sardaigne fe
rendit à celle de la Reine de Hongrie , où il
fut reçu au bruit d'une falve generale d'artillerie
, & après avoir parcouru la premiere &
la feconde ligne , il dîna chés le Général Botta.
Il prit le lendemain le commandement general
des deux armées , & il ordonna que feize Bataillons
& douze Efcadrons des troupes Allemandes
, ainfi que quatorze Bataillons Piedmontois
& trois Regimens de Cavalerie de la
même nation , ſe tinffent prêts à marcher. La
réunion des armées ennemies n'a rien changé à
la pofition des troupes Efpagnoles & Françoifes
, le Quartier general de l'Infant Don Philippe
étant refté à Codogno , & celui du Maréchal
de Maillebois à Cafal Puftallengo : le pofte
de Saint François a continué d'être occupé
par quatre mille Efpagnols , & l'Infant a fait
avancer à Cravazuca le Duc d'Arcos avec plufieurs
Compagnies de Grenadiers & mille hommes
de Cavalerie . Il y a eu à Génes quelques
fecouffes de tremblement de terre , & elles ont
été beaucoup plus violentes à Lucques , à Maffa
, & dans quelques autres endroits . La maladie
épidemique , qui a regné l'année derniere
parmi les beftiaux , recommence à caufer de
nouveaux ravages dans ce païs . Selon les lettres
écrites de Naples , fa Majefté Sicilienne a
nommé Viceroi de Sicile , à la place du Prince
Corfini , le Duc de la Viefville qui commande
AOUST 1746.
190
lés troupes Napolitaines en Lombardie , & elle
a donné au Prince d'Arragona la charge de Majordôme
Major de la Reine des Deux Siciles.
Prefque toutes les troupes de la Reine de
Hongrie ayant repaffé le Po , & le parti que
le Marquis de Botta a pris de faire transferer
dans le Mantoüan les Hôpitaux qui étoient à
Parme , donnant lieu de croire que les ennemis
ne penfent point à revenir dans leur camp.
de San Lazaro , la;Ville de Plaiſance a r'ouvert
plufieurs de fes portes. Le Roi de Sardaigne ,
dont l'armée continue de s'affoiblir par les maladies
& par la defertion , eft campé entre Pavie
& la riviere d'Ambro. Les ennemis ont attaqué
deux des ponts conftruits fur le Po par les
Eſpagnols , mais ils ont été repouffés avec une
perte confiderable , & l'on a appris non-feufement
qu'ils avoient envoyé à Cremone un
grand nombre de chariots chargés de bleffés ,
mais encore qu'il étoit arrivé à Plaiſance beaucoup
d'Officiers & de foldats Piedmonteis
qui ont été faits prifonniers de guerre en cette
occafion. L'Infant Don Philippe eft décampé
de Codogno , pour marcher à l'Hospitaletto
où il a établi fon Quartier general. Il paroît
que ce Prince eft dans le deffein de travailler
ferieuſement à rouvrir la communication entre
cet Etat & la Lombardie. Six Bataillons François
, arrivés de Provence , ont été joints par
un pareil nombre de Bataillons Génois , &
l'on compte que ce Corps , avec les troupes
Efpagnoles & Napolitaines qui font dans les
environs de Génes , fera en état de donner de
l'inquiétude au Roi de Sardaigne . Le Marquis
de Mirepoix , qui doit avoir le commandement
de ce Corps , s'eft rendu à Génes .
192 MERCURE DE FRANCE.
Peu de temps après que le Roi de Sardaigne'
eut paffé le Po , & fe fut porté avec ſon armée
dans le Pavefan , où il a été joint par un Corps
de douze mille hommes des troupes de la Reine
de Hongrie , l'Infant Don Philippe étoit décampé
de Codogno , & il s'étoit approché du
Lambro , dans le deffein de difputer aux ennemis
le paffage de cette riviere depuis fon embouchure
jufqu'à San Columbano.
,
Une partie de l'armée du Roi de Sardaigne
s'étant avancée à San Angelo , on n'eût plus
lieu de douter que les ennemis ne penfaffent à
s'emparer de Lodi , afin d'empêcher l'armée
combinée d'Espagne & de France de continuer
de mettre le Milanez à contribution , & de tirer
des vivres de l'Etat de Venife . L'Infant
n'étoit point à portée de fecourir cette place ,
& les magafins , qui avoient été établis dans
Plaiſance n'étoient fuffifans que pour faire
fubfifter l'armée pendant trois femaines. Ces
raifons ont déterminé ce Prince à revenir
dans le Tortonois , & le Confeil de guerre
dans lequel cette réſolution fut prife , décida
que la nuit du 8 au 9 de ce mois on repafferoit
le Po fur trois ponts entre la Trebia & l'em- `
bouchure du Tidon. L'ordre ayant été envoyé
dès le 7 aux troupes qui étoient dans Lodi
d'abandonner ce pofte , l'armée commença le
8 au foir à fe mettre en mouvement , & l'avant
garde , compofée de trente Compagnies
de Grenadiers , des fix Bataillons de la Brigade
de la Reine , & de 500 hommes de Cavalerie
& commandée par le Marquis de la Chetardie ,
Maréchal de Camp , defcendit le Lambro depuis
Corte di Sant Andrea , partie fur des bâteaux
AOUST 1746. 193
=
teaux deftinés à l'établiffement des ponts , partie
le long de la rive gauche de la riviere .
Les troupes avec lefquelles le Comte de
Monteynard étoit à Albarone s'embarquerent
en même tems fur la rive droite , & fe rendirent
à l'embouchure . Tous les bâteaux qui devoient
former deux des ponts , y étant arrivés ,
le premier pont fut achevé le 9 à la pointe du
jour , le ſecond deux heures après , & le troifiéme
, qui remontoit de Plaifance , ayant été
perfectionné à midi , toute l'armée fuivie de
fes équipages , de quatre mille mulets , de
mille chariots des vivres, & de foixante pieces
de canon , paffa le Po dans la journée & dans
la nuit fuivante .
Le Marquis de la Chetardie après avoir
brûlé un pont que les ennemis avoient fur le
Bas Tidon , fe pofta à la gauche de cette riviere
, & à mesure que l'armée defila , elle fe
forma le long de la rive droite , pour couvrir
les équipages & l'artillerie , tandis que le Comte
de Monteynard chaffa les ennemis de Parpanefe
, & qu'un détachement des troupes Efpagnoles
, aux ordres de Don Carlos Mighel
s'avança vers Caftel San Giovani.
po-
Le io à la pointe du jour l'armée paffa le Tidon , & elle fe difpofoit à continuer fa marche
, lorfque le Marquis de Botta , qui pencamp
devant
dant la nuit s'étoit porté de fon
Plaiſance à Rottofreddo
avec toutes les troupes
qu'il commande , vint reconnoître la
fition des Eſpagnols & des François . Se flatant
de pouvoir leur couper le chemin de San Caftel
Giovanni , il paffa auffi la riviere , & il attaqua
l'aile qui étoit fous les ordres du Marquis
Pignatelli Le feu des Grénadiers de cette aile
I
194 MERCURE DE FRANCE.
arrêta les ennemis , & donna lieu au Marquis
de Sennecterre , Lieutenant Général des troupes
Françoifes , de s'avancer avec les Brigades
d'Anjou & des Gardes Lorraines . Ce Lieutenant
Général fit prendre pofte à pluſieurs piquets
de cette derniere Brigade fur une chauffée
dont le Marquis de Botta vouloit fe rendre
maître , & il plaça des troupes dans les caffines
à droite & à gauche de la chauffée . Avec
le refte des deux Brigades il chargea fi vivement
les ennemis que ceux-ci ayant été attaqués
en même tems par la Cavalerie Eſpagnole
& par un Efcadron du Régiment de Dauphin ,
Cavalerie , ils furent obligés de repaffer en
defordre le Tidon , & les Régimens des Dragons
Efpagnols de la Reine & de Sagonte envelopperent
le Régiment de Dragons de Savoye
, qu'ils taillerent prefque entierement en
piéces.
Lorfque les Allemands fe furent réformés ,
il pafferent une feconde fois la riviere , & par
le mouvement qu'ils firent pour tourner les
caffines que le Marquis de Senneterre avoir
garnies de troupes , ils mirent les piquets qui
gardoient ces caffines dans la néceffité de les
abandonner. Elles furent bien -tôt repriſes par
Monfieur du Vigier , qui à la tête de la Brigade
des Gardes Lorraines les emporta l'épée à la
main. Les principales forces des ennemis s'ém
tant portées de ce côté , l'Infanterie qui étoit
à cette aile de l'armée combinée , eut beſoin
de toute fa valeur pour foûtenir leurs efforts,
Elle fut foutenue à propos par la Cavalerie
Françoife que commandoit le Marquis d'Argouges
, Lieutenant Général , & qui contraignit
enfin l'Infanterie ennemie de reculer . Peps
AOUST. 1746 193
Hant que cette Infanterie fe replioit elle effuya
par le flanc un feu fi vif des trois Bataillons du
Régiment du Vigier , qu'elle fut tout- à-fait
ébranlée , & n'ofa revenir à la charge. Alors
l'artillerie & les équipages ayant défilé pendant
le combat qui avoit duré depuis huit heures
du matin jufquà deux heures après midi
l'armée fe remit en marche , le Marquis de la
Chetardie étant demeuré avec le Corps de troupes
qu'il commandoit & avec le Régiment des
Gardes Espagnoles fur le champ de bataille .
Ge Maréchal de Camp fit enfuite l'arriere- garde
, fans que les ennemis entrepriffent de l'inquietter
, & dans le moment qu'il replioit fes
troupes , les fix mille hommes avec lefquels le
Marquis de Caftellar étoit refté dans Plaifance,
& qui en étoient fortis pour venir rejoindre
1'Infant , occuperent le terrain où les troupes
combinées avoient combattu , & s'y maintinrent
jufqu'à la nuit.
Les ennemis s'étant retirés de l'autre côté du
Tidon , le Marquis de Caftellar ſuivit le Marquis
de la Ghetardie. La nuit même toute l'armée
, à l'exception de l'arriere-garde qui refta
à.Caftel San Giovani fous les ordres du Marquis
de Campo Santo , arriva à la Stradella où
Alle campa .
Le à midi on fit partir l'artillerie & les
équipages , & le 12 trois heures avant le jour
l'armée marcha fur trois colonnes pour venir
camper à Voghera.
Le projet de paffer le Po entre deux armées
ennemies , également attentives à s'opposer à
ce paffage , eft un des plus hardis que jamais
aucun Général ait formé , & l'exécution de ce
projet peut-être comptée au nombre des ex
I ij
96 MERCURE
DE FRANCE.
ploits de guerre , qui méritent le plus qu'on en
conferve la memoire . La fageffe des difpofitions
par lefquelles les Généraux des troupes
combinées , après avoir paffé le fleuve , ont
affüré la marche de l'artillerie & de tous les
équipages , ne fait pas moins d'honneur à leur
fcience dans l'art militaire. On ne peut non
plus trop louer le zéle & l'habileté avec lefquels
tous les Officiers Généraux de l'armée
particulierement les Marquis Pignatelli & de
Campo Santo , le Marquis de Sennecterre , le
Gomte de Coffé , & le Marquis de la Chetardie
les ont fecondés , & la valeur avec laquelle
les troupes Efpagnoles & Françoiſes , qui ont
eu part à l'action , ont combattu . Les Brigades
d'Infanterie d'Anjou & des Gardes Lorraines
le Régiment du Vigier & le Régiment Dauphin
, Cavalerie , s'y font fur - tout extrêmement
diftingués , ainfi que deux Efcadrons du
Régiment de Dragons de la Vieufville , qui
ayant à leur tête le Marquis de Vogué , ont
contribué beaucoup à l'avantage remporté
fur les ennemis .
Les Efpagnols y ont perdu le Marquis de
Candel , un de leurs Lieutenans Généraux ,
& le Comte de Ceyve , auffi Lieutenant Gé
néral de leurs troupes a été bleſſé.
>
Les principaux Officiers , qui l'ont été du
côté des François , font le Comte de Coffé
Maréchal de Camp , lequel a reçû une contufion
legere ; le Chevalier Baltazar , Brigadier ;
le Chevalier de Grolier , Colonel du Régiment
de Foix ; le Chevalier de Rochechouart
Golonel de celui d'Anjou , & le Marquis de
Puifignieux , Colonel de celui de Guienne .
On eftime la perte des Efpagnols & des Fran-
.
AOUST.
1746. 297
çois à deux mille hommes , & celle des ennemia
à plus de fix mille.
ESPAGNE.
9
E feuRoiayant été expofé pendant plufieurs.
jours dans fon appartement , lequel étoit
entierement tendu de noir , & éclairé d'une
grande quantité de lumieres , & le Clergé ,
tant des Chapitres & des Paroiffes , que des
Maifons Religieufes de cette Ville , étant allé
fucceffivement au Palais du Buen Retiro rendre
les honneurs funebres à ce Prince , le Convoi
fe mit en marche le 14 de ce mois dans
l'ordre fuivant. Un détachement des Gardes
Efpagnoles ; cinquante Gardes du Corps , quatre
cent pauvres, les Religieux des quatre Ordres
mendians , les Domeftiques des écuries
à pied ; les Gentils-hommes & les Officiers de
la Venerie , à cheval ; les Officiers des Offiees
& de la Chambre ; les caroffes des Premiers
Gentils-hommes de la Chambre & des
Grands Officiers de la Couronne , les Pages
des écuries ; les Ecuyers du Roi ; les Gentilshommes
de la Maifon de fa Majefté ; les Alcades
de la Cour ; les Majordômes de femaine ;
les caroffes de la Reine , ceux du Roi , dans
lefquels le Marquis d'Uftariz Secretaire
d'Etat , chargé de la fignature des actes ufités
en pareilles occafion , & le Marquis de Saint
Jean , que le Roi avoit nommé pour faire les
honneurs de la pompe funebre , étoient avec les
Premiers Gentils-hommes de la Chambre , &
avec plufieurs autres Seigneurs ; l'Archevêque
de Lariff & les Officiers de la Chapelle du Roi
dans un autre caroffe de Sa Majefté ; les trom
Iinj
18 MERCURE DE FRANCE
pettes de la Chambre ; les Herauts d'armes ; "le-
Grand Maître & le Maître des cérémonies ; les
Grands Officiers de la Couronne le Char funebre,
entouré d'un grand nombre de valets de
pied qui portoient des flambeaux , ainfi que les
Pages, les Gardes du Corps, & toutes les perfonnes
qui accompagnoient à pied le convoi. Quatre
Aumoniers de S. M. portoient les coins du
Poele , dont le Char étoit couvert. Ce Char
étoit fuivi de cent cinquante Gardes du Corps,
à la tête defquels étoit le Prince de Mafferan 2
Capitaine des Gardes en quartier , & la marche
étoit fermée par un fecond détachement
des Gardes Eſpagnoles & par les caroffes de
plufieurs des Seigneurs qui ont affiſté à la cérémonie.
Le convoi étant arrivé le 17 à faint.
Ildefonfe , l'Archevêque de Lariffe prefenta
le corps au Doyen de l'Eglife collégiale , &
après les prieres ordinaires , il fut placé dans
la Chapelle , où il doit demeurer en dépôt
jufqu'à ce qu'il ſoit inhumé.
GRANDE BRETAGN.
Es Seigneurs lurent le 18 du mois dernier
une Requête par laquelle les Comtes de
Kilmarnock & de Cromarty ont fupplié lạ
Chambre de permettre qu'ils puffent commuquer
librement avec Mrs. Georges Roff & Adam
Gordon , qu'ils ont choifis pour leur fervir
d'Avocats , & cette demandé a été accordée
à ces deux prifonniers.
Le 30 du mois dernier le Roi d'Angleterre
alla dîner à Richmond , & retourna le foir
à Kenfington , où le Duc de Cumberland eft
arrivé les Août d'Edimbourg. On fit le 2 de
AOUSY. 199
1746. 1
ce mois dans la Chambre des Pairs la premie
re lecture du Bill , qui ordonne de défarmer les
Montagnards d'Ecoffe , & plufieurs Seigneurs
prêterent ferment devant la Chambre pour
pouvoir être du nombre des Juges des Pairs
Ecoffois qui font prifonniers à la Tour. La
Chambre des Communes a terminé fes délibérations
fur le fubfide & fur les moyens de le lever.
Il a été ordonné au Gouverneur de la
Tour par la Chambre des Pairs de faire conduire
le 8 de ce mois à la Salle de Weftminſter
les Comtes de Kilmarnoch & de Cromarty &
le Lord Balmerino , pour y être jugés . Le z
Le Lord chef de Juftice , le Baron de Clive
& les Chevaliers Martin Wright , Michel Forf
fer , Thomas Keynols , & Thomas Abney ,
nommés Commiffaires pour inftruire le procès
de Mrs. Thomas Townley , Alexandre Abernethy
, Thomas Furnival , Jacques Gadd ,
Georges Fletcher , Thomas Chadwyck , Guillaume
Battrag , Jacques Dawfon , Thomas
Deacon , Jacques Barwick , André Blood ,
Chriftophe Taylor , Jean Saunderfon , Thomas
Siddall , Charles Deacon , Jacques Wilder
& David Morgan , fe rendirent en corps
à la montagne Sainte Marguerite , & ayant
déclaré que ces Officiers s'étoient rendus coupables
de haute trahifon , en acceptant des emplois
dans l'armée avec laquelle le Prince Edouard
a fait la guerre à fa Majefté , ils les
condamnerent à être pendus , & enfuite écartelés
. L'exécution de ces prifonniers a été fixée
au 10 , & ils feront trainés fur une claye au
lieu du fupplice . Leur grace , & particulierement
celle de M. Townley & de M. Morgan
, eft follicitée vivement par plufieurs per
I iiij
200 MERCURE DE FRANCE.
,
fonnes de la Cour , mais on croit que ce fera
inutilement , & que le Roi n'accordera la vie
qu'à Mrs Jacques Wilder & Charles Deacon
, dont la grande jeuneffe a engagé leurs
Commiffaires à implorer pour eux la clémence
de Sa Majesté . Le jugement de toutes les perfonnes
qui font actuellement dans les prifons
de Chefter à l'occafion de l'affaire d'Ecoffe , devant
leur être prononcé à Yorck , on a envoyé
ordre de les y transferer . Plufieurs Officiers de
la garnifon , qui a défendu Carliſle lorfque
le Duc de Cumberland a affiegé cette Place
ont repréfenté qu'on ne pouvoit , fans violer
la capitulation qui leur avoit été accordée
leur faire fubir la peine de mort, mais on ne
croit pas qu'ils éprouvent un traitement different
de celui des autres prifonniers . On affure
que le Prince Edouard a repaffé la mer à bord
d'un Vaiffeau Irlandois , & fur divers avis on
conjecture qu'il eft débarqué fur les côtes de
Bretagne. Les troupes du Roi d'Angleterre ,
afin d'ôter toute retraite aux partifans de la
Maifon de Stuard , qui font encore des courfes
jufqu'aux portes d'Inverneff , ont brûlé les forêts
fituées entre cette place & le Fort Auguf
te. M. Leftock Vice-Amiral de l'Efcadre
Bleue partit le 30 du mois dernier pour
aller prendre le commandement de l'Eſcadre
qui étoit fous les ordres de l'Amiral Martin
& qui eft revenue mouiller à Spithead , & le
1er de ce mois il a arboré fon Pavillon à bord
du Vaiffeau le Royal Georges . On a reçu avis
que le Général Sinclair étoit arrivé auffi au
même Port , & les troupes deftinées pour l'expédition
, dont il eft chargé , étant embarquées
, on ne doute pas qu'il ne mette bien
,
AOUST. 1746 : 201
tôt à la voile. Les Commiffaires de l'Amirauté
font équiper le Vaiffeau de guerre le Bristol
de cinquante canons , lequel fera commandé
par le Capitaine Guillaume Montagu , frere
du Comte de Sandwich. L'ordre donné par les
mêmes Commiffaires de mettre beaucoup de
vivres fur les bâtimens de tranfport qu'on a
raffemblés à la rade de Leith , fait juger qu'on
fe propofe de s'en fervir pour faire paffer en
Flandres un nouveau Corps de troupes. Les fix
vaiffeaux qui ont été envoyés en Irlande , a.
fin d'efcorter jufqu'à la côte d'Angleterre plufieurs
navires appartenans à la Compagnie
des Indes Orientales , font arrivés à Galway.
Selon les lettres de Lisbonne , l'Armateur de
Cherfterfield a coulé à fond un vaiffeau de la
Compagnie Hollandoife , lequel a refufé de
mettre fon canot à la mer , lorsqu'on lui en a
fait le fignal , & l'on n'a pû fauver que feize
hommes de l'équipage de ce bâtiment. On a
été informé par les mêmes lettres que le Capitaine
d'un navire Portugais avoit rapporté
qu'il avoit rencontré dans un Port des Indes
Orientales trois bâtimens François , qui après
y avoi pris des provifions , en étoient partis
précipitamment, pour éviter d'être attaqués
par le Chef d'Efcadre Barnet. Les nouvelles
de l'Amérique portent que les François le font
emparès d'un grand nombre de vaifleaux Anglois
, & que les habitans de la Jamaïque & de
quelques au.res Colonies non feulement ne
peuvent faire tranfporter leur fu re , faute de
navires , mais encore ouffrent beaucoup de
la difette de vivres . le Roi a donné à M.
Richard Arundel la charge de Tréforier de fa
Chambre , & à M. Jofeph Allen une place
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
d'Intendant de la marine. Les Actions de la
Compagnie de la mer du Sud font à cent cinq ;
celles de la Banque à cent trente - trois & demi ;
celles de la Compagnies des Indes Orientales
à cent foixante & dix-fept , & les Annuités.
à cent deux & un quart .
Le 8 de ce mois le Lord Chancelier fe rendit
en grand cortege à la Salle de Westminster ,
où les Pairs de la Grande Bretagne étoient af
femblés. Après qu'il eût pris fa place , le Clerc
de la Couronne , étant à genoux , lui remit la
Patente qui le conftituoit Grand Stewart , &
pendant la lecture de laquelle les Pairs fe tinrent
debout , la tête découverte . Le Roi d'Armes
& l'Huiffier de la Verge Noire ayant
préfenté enfuite la Baguette blanche au Grand
Stewart , les Comtes de Kilmanorck & de Cromarty
& le Lord Balmerino furent conduits à
la Barre , & les deux premiers ſe reconnurent
coupables. Le Lord Balmerino refufa de faire
un pareil aveu , & l'on commença à inftruire
fon procès. Avant qu'on entendit les témoins
qui ont dépofé contre ce prifonnier , l'Evêque
de Londres demanda , tant pour lui que
pour les autres Pairs Eccléfiaftiques , la permiffion
de fe retirer , laquelle leur fut accordée.
Sur les dépofitions des témoins les Pairs
déclarerent le Lord Balmerino convaincu de
haute trahison , & ayant renvoyé les prifonniers
à la Tour , ils retournerent à la Cham
bre.
Le 10 le Lord Cornwalis communiqua à la
Chambre des Pairs une lettre qui avoit été
adreffée au Vice -Gouverneur de la Tour , &
dans laquelle il y avoit trois billets femblables
P'un à l'autre , deftinés pour les trois Seigneurs
AOUST. 1746. 203
prifonniers , & qui contenoient les raifons que
ces Seigneurs pouvoient alleguer pour fufpendre
leur jugement. On permit au Lord Cornwallis
de leur faire remettre ces billets , & il
fut ordonné que le Grand Stewart leur demanderoit
s'ils étoient dans la réfolution de faire
ufage des moyens qui leur étoient propofés ,
& qu'il leur déclareroit qu'ils devoient s'atten
dre à fubir le même jugement qui avoit été
prononcé le 9 Fevrier 1715 contre le Comte
de Derwentwater. Les Pairs s'étant raffemblés
le même jour dans la Salle de Weſtminſter, les
Comtes de Kilmanoch & de Cromarty & le
Lord Balmerino furent ramenés à la Barre , où
ils fe tinrent à genoux jufqu'à ce qu'on leur dit
de fe relever.Le GrandStewart ayant demandé
au premier quelles étoient fes difpofitions , le
Comte de Kilmarnock répondit que pendant
prefque toute fa vie il avoit donné des preuves
de fon attachement pour le Roi & pour la préfente
Conftitution du Royaume qu'il avoit infpiré
les mêmes principes à fon fils , lequel étoit
même au fervice de Sa Majeftés qu'il n'avoit été
entrainé dans le parti de la Maifon de Stuard
qu'après le combat de Prefton Pans ; qu'il lui
auroit été facile de fe fauver , lor qu'il étoit
venu fe rendre au Duc de Comberland , mais
qu'il avoit préferé d'avoir recours à la clémence
de Sa Majesté.
Le Comte de Cromarty à qui le Grand Stewart
fit la même demande q au Comte de Kilmarnock
, dit qu'il prio les Juges d'interceder
en fa faveur , & qu'il n'avoit d'efperance
que dans la bonté du Roi.
La réponſe du Lord Balmerino fut que les
Grands Jurés du Comté de Surrey n'avoient
Ivj
204 MERCURE DEFRANCE.
point été autorisés à recevoir des dépofitions
contre lui , puifque leur commiffion ne regar
doit que ce qui s'étoit paffé à la prife de la Ville
& du Château de Carlifle , qu'ainfi l'on devoit
déclarer nulle leur procédure. Les gens du Roi
ayant été confultés fur ce fujet , il fut décidé
qu'on accorderoit des Avocats au Lord Balmerino
, qui chargea de fa défenfe Mrs Wilbraham
& Forefter .
Le 12 vers les neuf heures du matin on a
conduit pour la troifiéme fois à la Barre les
trois Seigneurs prifonniers , la hache étant
portée devant eux , & après le plaidoyer des
Avocats du Lord Balmerino , le Grand Stewart
de l'avis des Pairs de la Grande Bretagne a
condamné à mort ce Seigneur , ainfi que les
Comtes de Kilmarnock & de Cromarty.
Le jugement porte qu'ils feront conduits fur
des traineaux au lieu du fupplice , pour y être
pendus & écartelés , mais en confidération de
fcur qualité de Pairs , on a commué la peine ,
& ils doivent avoir la tête coupée . Après que le
jugement a été prononcé , le Lord Chancelier,
pour marquer que fa commiffion de Grand Ste
wart étoit finie a rompu fa Baguette en deux
morceaux .
>
-
Neuf des dix fept Officiers qui furent condamnés
à mort le 2 de ce mois , furent conduits
le 10 fur trois traireaux à la Commune de
Kensington , où 1500 hommes , tant d'Infanterie
que de Cavalerie , étoient en bataille . Dans
le premier traineau étoient Mrs FrançoisTownley
, Jean Barwick & André Blood , avec l'exécuteur
de la Juſtice tenant un fabre à la
main. Mrs Thomas Morgan , Thomas Deacon
& Thomas Siddal étoient dans le fecond , &
AOUST. 1746. 20
:
Mrs Georges Fletcher , Thomas Chadwyck &
Jacques Deaufon dans le troifiéme étant
arrivés au lieu de l'exécution , ils furent pen
dus on leur coupa enfuite la tête , & leurs
corps ayant été ouverts , on brûla leurs entrailles
. Ils ont tous fouffert la mort avec une intrépidité
vraiment héroïque , & avant que d'être
exécutés , ils ont déclaré hautement que fi cela
dépendoit d'eux , ils prendroient encore les
armes pour foûtenir le parti de la Maiſon de
Stuard. L'exécution des autres Officiers qui
ont été jugés eft differée de trois femaines.
Le Roi a nommé le Comte de Sandwych
pour aller affifter en qualité de fon Miniftre Plénipotentiaire
aux conférences qui doivent fe
tenir à Breda , pour examiner les moyens , de
rendre la tranquilité à l'Europe .
PROVINCES - UNIES.
Es Députés des Etats de Hollande & de Weftfrife
ont accordé la charge de Grand Bailly
des Ville & Pays de Heufde à M. Pierre de
Vaffanaer , Seigneur de Starrenbourg , & celle
de Grand Juge de Schellinghout à M. Jean Allard
de Schagen . M. Samuel Gilles a été fait
Confeiller de la Cour de Hollande , Zelande &
Frife , à laplace de feu M.Corneille Guerrit Fagel.
Le 25 du mois dernier Mrs de Schimmelpenning
Vander Oyen , Martens , Sloer de Lindenhorft
& Gerlacius furent introduits dans
l'Affemblée des Députés des Etats Généraux ,
& ils rendirent compte de l'état dans lequel ils
ont trouvé les places qu'ils avoient reçû
ordre de vifiter. Le Baron d'Utenhoven &
206 MERCURE DE FRANCE.
M. Van Haren doivent aller à Maeſtricht en
qualité de Commiffaires décifeurs.
Le Prince Charles de Lorraine a mandé aux
Etats Généraux qu'il a pris le commandement
de l'armée , & par fa lettre il les affure de fon
zele pour le fervice des Alliés , ainfi que de fa
confidération pour la République . On a appris
que le 4 de ce mois ce Prince s'étoit rendu à
Namur où il avoit affifté au Te Deum qui avoit
été chanté dans l'Eglife Cathédrale à l'occaſion
de fon arrivée , & qu'après avoir été traité magnifiquement
à dîner par les Magiftrats , &
avoir vifité les fortifications & les magafins de
la place , il étoit retourné à l'armée . Les Etats
du Comté de Namur ont fait préfent à ce
Prince de foixante mille florins. Le 8 M.
Trevor , Envoyé Extraordinaire du Roi de la
Grande Bretagne , eut une conference avec
plufieurs Députés de l'Affemblée des Etats Généraux
. Les les Députés des Etats de Hollande
& de Weftfrife fe féparerent , & ils ont repris
le 19 leurs féances.
Leig Juillet l'armée des Alliés marcha à Hooglon,
où le Feldt - Maréchal Comte de Bathiany
établit fonQuartier général . Elle féjournale lendemain
dans ce camp , & le 21 , elle s'avança à
Walkenfwaard. Le 22 elle y fut jointe par
l'avant- garde des troupes qui font venues d'Allemagne
fous les ordres du Prince de Locbokowitz.
Le Prince Charles de Lorraine y arriva le
même jour , & étant deſcendu au Quartier général
, il alla accompagné du Feldt - Maréchal
de Bathiany , du Prince de Waldeck , & d'un
grand nombre d'Officiers Généraux , voir les
troupes qui étoient en bataille fous les armes.
1
AOUST
1746. 107
Le 23 , l'armée continua la marche vers le
pays de Liége , par lequel elle doit fe rendre
dans les environs de Maeftricht . On publie
qu'en y comprenant les troupes du Prince de
Lobckowitz , elle eft compofée de quatre-vingt
dix- huit bataillons , de cent quarante - huit Efcadrons
de Cavalerie & de Dragons , de fix Régimens
de Huffards , & de deux mille Pandoures.
L'armée des Alliés étant arrivée le 29 du mois
dernierfur le bord de la Mehaigne , alla fe pofter
entre les villages de Bref & de Hanuye . Le
lendemain , elle paffa la riviere , & s'avança à
une petite diftance de Waffeigne , que le Prince
Charles de Lorraine fit occuper par quelques
troupes. Ayant continué le 31 fa marche , elle
fe porta le même jour à Longchamp , & le premier
de ce mois à Suarle , la droite appuyée à
Oftain , & la gauche aux hauteurs du Mazi . La
riviere de l'Orneau couvre le front de cette
armée , qui doit être renforcée d'un Corps de
huit mille hommes qu'on attend d'Allemagne
avec un train d'artillerie . On compte auffi que
fix mille hommes , qui ont été laiffés par le
Prince Charles de Lorraine entre Maeftricht &
Tongres , iront bien-tôt le rejoindre . Le premier
le Maréchal Comte de Saxe étant venu
avec plufieurs piquets reconnoître notre pofition
, quelques- uns de ces piquets furent attaqués
par les troupes irrégulieres , & la perte
fut à peu près égale de part & d'autre . Il y a eu
fréquemment de vives elcarmouches entre les
troupes des poftes avancés de l'armée du Roi, &
de celle des Alliés,
208 MERCURE DE FRANCE.
NAISSANCES ET MORTS.
LE 13 de ce mois à été bâtifé en l'Eglife de S.
Sulpice Marie -Françoife de Sade née le même
jour, fille de Jean - Baptifte- François de Sade ,
Comte de la Cofte & de Saumane , dit le Comte de
Sade , Lieutenant Général pour le Roi aux Pays de
Breffe , Bugey , Valromey & Gex , & de Dame
Marie- Eleonore de Maillé de Carman , mariés depuis
le 12 Novembre 1733. M. le Comte de Sade
eft fis de Gafpard- François de Sade , Seigneur
de Mazan de Saumane & de la Cofte , Capitai
ne héréditaire des Ville & Château de Vaizon , Colonel
de la Cavalerie du Pape au Comtat Venaiffin
, & Conful d'Avignon en 170 ^ , & de Dame
Louife- Aldonce d'Aftoaud de Murs. La Maiſon de
Sade eft connue en Provence dès l'an 1175 , &
par fes alliances & fes fervices militaires ; fes armes
étoient anciennement de gueules à une étoile
à huit rayes d'or, mais depuis la conceffion faite l an
1416 par l'Empereur Sigifmond à un de la Maifon
, elle porte l'étoile chargée d'un Aigle Impérial
à deux têtes de fat le couronnées & becqués de
gueules . Voyez l'état de la Provence dans la No-
Bleffe par l'Abbé Robert , imprimée en 1693 vold
3. fol . 21.
Le 21 a été bâtifé en la Paroiffe
de S. Roch
Elifabeth
née ledic jour
fille de Pierre- Hen
ri-Benoit
d'Arquiftade
de S. Fulgent , Confeiller
au Parlement
de Paris , depuis le 26 Juiller
AOUST. 2.09
1746.
1743 , & Commiffaire -aeaux Requêtes du Palais
& de Dame Louife- Adelaide Lorimier. Les Parein
& Maraine ont été Antoine- Charles Lorimier
, Secretaise du Roi , Intendant & Contrôleur
Général des Ecuries & Livrées de fa Majefté , &
Maître de la Chambre aux deniers , fon ayeul maternel
, & Dame Françoife Defcajaux , femme de
René d'Arquiftade , l'un des quatre Lieutenans
de la grande Venerie du Roi , Député des
Etats de Bretagne & Maire de la Ville de Nantes ,
ayeule maternelle de l'enfant .
Le23 Juillet mourut àParis Eleonor Frederic Jean-
Baptifte-Jofeph de Croy ; il étoit agé de cinq femaines
, & le dernier des enfans de Louis Ferdi
nand Jofeph de Croy Duc d'Havrech & de Croy ,
Prince du Saint Empire , Grand d'Efpagne de la
premiere claffe , Maréchal des camps & armées du
Roi du premier Mai 1745 , & de De . Marie- Louiſe
Cunegonde de Montmorenci Luxembourg, mariée
le 16 Janvier 17 6 , fille de M. le Maréchal de
Montmorency. M.le Duc d'Havrech eft fils de Jean-
Baptifte- Jofeph de Croy , Duc d'Havrech , Prin
ce & Maréchal de l'Empire , Grand d'Eſpagne de
la premiere clafle , mort le 24 Mai 1727. & de De .
Marie-Anne Céfarine Lanti de la Rovere mariée
5 Juin 1712 , aujourd'hui veuve , & fille d'Antoine
Lanty de la Rovere Duc de Bonmars ,
Prince de Belmont , Marquis de la Roche Sinibalde,
adinis pour être reçû Chevalier des Ordres du Roi,
& de Dame Louife Angelique de la Tremoille
Noiremouftier ; il eft d'une branche cadette de
celle des Comtes de Solre , dont eft chef aujourd'hui
Emanuel de Croy Comte de Solre dit le Prince de
Croy , Meftre de Camp du Régiment Royal Rouffillon
Cavalerie , & Brigadier des armées du Roi , &
le
,
210 MERCURE DE FRANCE.
marié depuis le 18 Fevrier 1741 avec De. Gabrielle
Lidie d'Harcourt , troifiéme fille de M. le Duc
d'Harcoat Lieutenant Général des armées du Roi
& Chevalier de fes Ordres , &c . de laquelle il a des
enfans . L'ancienneté de cette Maifon que les Sçavans
croyent être fortie de celle des Seigneurs de
Pecquigny , Vidames d'Amiens , & des plus
grands Seigneurs de Picardie , fes grandes Allianecs
dont plufieurs font avec des Maiſons Souveaines
, la quantité des branches qui en font ferries
& les Terres confidérables qui ont été poffedées par
ces differentes branches tant en France qu'aux
Pays-bas , dans l'Empire & en Efpagne fous les
titres de Bucs , Princes de l'Empire & Grands
d'Efpagne , les Grands-hommes qu'elle a produits
de tous les tems , & les fervices qu'ils ont rendus
aux differens Princes aufquels ils ont été attachés
POrdre de la Toifon d'or duquel 25 Seigneurs
de ce nom ont été honorés dès & depuis l'établiffement
de cet Ordre , outre ceux qui l'ont été des
Ordres de faint Michel & du S. Efprit &c. font des
avantages qui nous difpenfent d'entrer dans un plus
grand détail , nous renvoyons le lecteur à la
génealogie qui s'en trouvera des mieux détaillée
dans l'Hiftoire des Grands Officiers de la Couronne.
vol. 5. fol. 634.
Le 30 N ........ de Ligondex , Marquis de
Ligondez , mourut à Paris ..... il étoit fils de Jaeques
de Ligondez , Comte de Ligondez , Meftre
de Camp de Cavalerie & Brigadier des Armées du
Roi.
La Maifon de Ligondez eft de l'ancienne Nobleffe
d'Auvergne , & elle tire fon nom de la Seigneurie
de Ligondez , fituée dans la Paroiffe de Chambouchart
fur les confins de l'Auvergne & dans
#Election de Combrailles , Intendance de Moulins
AOUST. 1746. 212
Tes Seigneurs de Ligondés font connus il y a plus
de quatre cens ans . François de Ligondez Seigneur
de Ligondez , Ecuyer ordinaire de Monseigneur
Le Dauphin depuis Roi. Henri II.par lettres du 14
Mai 1543 , Gentilhomme de la Chambre de ce
Prince en 1556 , Capitaine d'une Compagnie de
cent hommes d'armes en 1557 , fût marié le 11
Mai 1523 avec Jeanne de Châteaubodeau Dame
dudit lieu en Bourbennois ; il en eût pour cadet
Jean de Ligondez , reçû Chevalier de l'Ordre
de Saint Jean de Jerufalem au grand Prieuré
d'Auvergne au mois d'Avril 1545 , & pour aîné
Sebaftien Seigneur de Ligondez , duquel font iffus
les Seigneurs de Chateaubodeau , de Fortanier
de Chezault , & les Seigneurs de Ligondez &
de Rochefort , tous marqués par des ſervice militaires,
& dont les armes font d'azur fémé des mo◄
lettes d'or , à un Lion auffi d'or lampaſſé & armé
de gueulles .
Chreftien VI. Roi de Dannemark & de Norwe
ge mourut au Château de Chriftianſbourg le 6 de ce
mois à 6 heures du matin , âgé de 46 ans , 8 mois
& 8 jours, étant né le 30 Novembre 1699.Ce Prin
ce qui étoit fils du feu Roi Frederic IV , & de Louife
de Meckelbourg , fille de Guftave Adolphe Duc
de Melckelbourg Guftrau , morte le 15 Mars
1731 , avoit été proclamé le lendemain de la
mort du Roi fon pere , arrivée à Odenfée dans
' Ifle de Funen le 12 Octobre 1730 , & il avoit
été couronné le 6 du mois de Juin de l'année ſui→
vante.Il avoit épousé le 7 Août 1721 Sophie-Magdeleine
de Brandebourg, fille de Chreftien Henti ,
Margrave de Brandebourg Culmbach , née le 28
Novembre 1700 , & il a eu de ce mariage Frede-
Kic , Prince Royal de Dannemarck , né le 31
212 MERCURE DE FRANCE
Mars 1713 , qui fuccede aux Couronnes de Dan
nemark & de Norwege fous le nom de Frederic
V. Louife , née le 19 Juin 1724 , morte le
21 Decembre de la même année , & la Princeffe
Royale qui porte auffi le nom de Louife , & qui
eft née le 19 Octobre 1726. Le jour de la mort
du Roi les troupes de la garnifon prêterent ferment
à Frederic V , lequel fut complimenté le lendemain
fur fon avenement à la Couronne & fur la
mort du Roi fon pere par les Miniftres Etrangers
& par les Seigneurs & Dames de la Cour.
Le même jour Meffire Jacques - Jofeph de reux de
Nancré Abbé Commendataire de faint Cibar- lez-
Angoulême , O. S. B. depuis 1688 , Prieur de faint
Pierre & faint Paul de Bouteville du même Ordre
au Diocefe de Saintes , depuis 1717 , mourut à
Paris âgé de 84 ans ou environ , étant né le 22
Mars 1662. Il étoit fils puîné de Claude de Dreux
Comte de Nancré , Lieutenant Général des armées
du Roi , Gouverneur des Ville & Citadelle
d'Arras , mort le 2 Avril 1689 , & de Dame Edmée
Therefe de Montgommery fa premiere femme
& petit-fils d'Antoine de Dreux , Seigneur de
la Chendlaye & de l'Hermitage , & de Jeanne
Ruellé après la mort de laquelle il fe fit d'Eglife , &
mourutChanoine de N. D. le 27 Septembre 1662 .
Feu M. l'Abbé de Dreux avoit eu pour frere aîné
Louis- Jacques- Edme- Theodore de Dreux , Marquis
de Nancré , Capitaine Colonel des Suiffes
de la garde de feu M. le Duc d'Orleans Regent
, mort fans être marié le 7 Juillet 1719 .
& pour puîné Claude - Edme de Dreux , Comte de
Nancré , Seigneur de Carenci en Artois , Meftre
de Camp de Cavalerie à brevet , mort le 12 Sep
tembre 1729 , ne laiffant de fon mariage avec De.
Marie- Therefe de Montmorency Chanoinefle de
AOUS
1746 213
Remiremont , que deux filles , Ifabelle- Claire- Eugênie
de Dreux de Nancré , mariée avec Michel
de Dreux , Marquis de Brezé fon parent , aujourd'hui
Lieutenant Général des armées du Roi , &
Grand Maître des Cérémonies de France en furvivance
du Marquis de Dreux fon pere auffi Lieu- ·
tenant Général , & Therefe- Catherine - Einée de
Dreux de Nancré femme de Joachim Ignace Barrenechea
l'un des Ambaffadeurs Extraordinaires &
Plénipotentiaires d'Espagne auCongrès deSoiffons
morte à Paris le 24 Juillet 1731.
·
Le 12 Jean - Leon Bonaventure du Gard ;
Ecuyer du Roi tenant une de fes Académies à Paris,
rue de l'Univerfité , mourut en cette Ville âgé de
46 ans : il étoit fils de Leon Bonaventure du Gard ,
auffi Ecuyer de la Grande Ecurie du Roi & tenant
Académie à Paris , & de De. Marie - Thereſe
Hugé fa deuxième femme ; le nom du Gard eft
connu en Picardie depuis plus de 400 ans . Jacques
du Gard , Seigneur de Mervillier , de Maucreux ,
& du Fief de Sotteville , neuviéme ayeul de feu
M. du Gard mérita d'être annobli par Lettres du
Roi Charles VI. du 26 Avril 1388. Il fut depuis
Confeiller au Parlement de Paris en 1408 , & enfuite
Maître des Requêtes de l'Hôtel du Roi en
1417 , & c'est à cette occafion que la généalogie
de cette famille fera rapporté dans l'Hiftoire des
Maîtres des Requêtes .
,
Le 16 Jean - François Bouquet , Ecuyer
Confeiller du Roi en l'Hôtel de Ville de Paris
ancien Echevin de cette Ville y mourut dans un âge
fort avancé , laiffant entr'autres enfans Jacques-
François Bouquet , Procureur Général des Requê
ses de l'Hôtel , pourvû le 27 Juillet 1736, & avan
114 MERCURE DE FRANCE.
Conſeiller au Châtelet , lequel eft marié & a pla
Geurs enfans.
1749 ,
Le même jour Meffire Nicolas- Hubert Montgauls
Prêtre , Abbé Commendataire des Abbayes deChartreuve
O. P. auDiocéfe deSoiffons en 1714, de Ville-
neuve O. C. Diocéfe & près de Nantes depuis
Secretaire des Commandemens de M.
le Duc d'Orleans & avant fon Précepteur
& auffi Secretaire Général de l'Infanterie , l'un des
quarante de l'Académie Françoife , depuis 1718
& aflocié vétéran de celle des Infcriptions & Belles
Lettres , mourut à Paris agé de 72 ans ou environ ;
il étoit frere de De. Charlotte Montgault de Ner
fac , Abbeffe de faint Remi de Villers cotterez.
PIECES
TABLE.
3
IECES fugitives en Vers & en Profe , Ode tirée
du Pleaume 1. Beatus vir qui non abiit .
Remarques fur les obſervations de l'Abbé Desfontaines
,
Ode fur le tems ,
Lettre de M. Beneton fur les Dictionnaires ,
Plainte en vers ,
Lettre fur l'éducation
Autre en Vers à Mlle
***
Réponse à la lettre précédente ,
Difcours fur l'Education ,
L'Aigle & la Colombe , fable ,.
Letre aux Auteurs du Mercure ,
L'Amour reconnoiffant , cantatille
Réponses aux reflexions fur l'ingratitude ,
Vers à Mde la Comteffe D. A. ***
20
25
35
36
46
49
50
56
3344fi
58
бо
61
67
Reflexions morales ; 69.
Songe à Mlle . P.
***
Air à Mde R. ****
Lettre aux Auteurs du Mercure fur des quatrains , 75
Reflexions fur la profe & les vers ,
Les Oyes & les Grues , fable ,
Bouquet à une mere pour le jour de fa fête ,
73
74
81
89
90
91
96
97
106
107
Lettre au fujet du proverbe les armes de Bourges
un ane en chaire .
Les charmes du Printems ,
Suite des Arrêts notables ,
Chanſon ,
Réponse de Silvie ,
Traduction de l'Ode VII du deuxième livre d'Horace
,
Autre de l'Ode XV du même livre ,
108
110
Nouvelles Litteraires , des Beaux Arts , Les Beaux
Arts réduits à uu même principe , Extrait , 113
Expériences & démonftrations fur les maladies des
dents , Extrait ,
Traité du Navire , &c. Extrait .
Quatriéme volume du Théatre Anglois ,
IIS
120
Poëfies diverſes dédiées à Monfeigneur le Dauphin ,
La Vie du P. de Britto ,
135
Ibid.
126
Inſtitutions de Géometrie ,
Ibid.
Lettres Spirituelles de M. Boffuet , 127
Entretiens avec J. C. dans le Très- Saint Sacrement
de l'Autel.
Ibid.
Deux Livres de l'Hiftoire Romaine de Caiius Velleiius
paterculus ,
Ibid.
La vie de Properce 128
Nouveau Voyageait au Levant
129
Abregé du Méchaniſme univerfel ,
Ibid.
Hiftoire du Théatre François
Ibid.
46. Jeux Floraux
Recueil de plufieurs piéces préfentées à l'Académie
2 139
Remarques fur Ciceron , Ibid.
Tableau fur les changes & c . Ibid.
Nouvelles Cartes du fieur le Rouge , 13.2
Fonds de Fonderie à vendre , 133
Poudre du fieur de la Jutais ,
Ibid.
L'Eau de Perle ,
134
Les Savonettes de pure crême de Savon ,
Ibid.
Programe de l'Académie de Bordeaux , Ibid.
de Juillet , 136
137
Mots de l'Enigme & des Logogryphes duMercure
Enigme & Logogryphes ,
Chanfon notée , 140
Spectacles , Comédie Françoiſe , extrait du Préjugé
vaincu ,
Lettre de Mlle Cochois aux M d'Argens ,
Comédie Italienne ,
Opera ,
Mufique de la Cour ,
Journal de la Cour . de Faris , & c.
141
151
155
156
Ibid
158
Lettre du Roi aux Grands Vicaires de Paris , 161
Mandement en confequence , 162
Nomination de l'Archevêque de Vienne à l'Archevêché
de Paris , 167
Envoi d'un Amour fans arc & fans bandeau , tenant
un flambeau à la main , Vers. 171
Privilege du fieur Macary , Ibid.
Mandement du Cardinal de Tencin 172
Opérations de l'armée du Roi , 173
Arrêts notables ,
177
Nouvelles Etrangeres , Allemagne , 179
Italie ,
186
Eſpagne ,
197
Grande Bretagne , 198
Provinces -Unies , 205
Naiffances & morts 208
La Mufique regarde lapage 140ìì
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
SEPTEMBRE. 1746.
IGIT
UT
SPARG
Chés
A
PARIS ,
GUILLAUME CAVELIER
rue S. Jacques.
La Veuve PISSOT, Quai de Conty
à la defcente du Pont- Neuf.
JEAN DE NULLY , au Palais
M. DCC . XLVI .
AvecApprobation & Privilége du Roi,
A VIS.
'ADRESSE générale du Mercure oft
LAM. DE CLEVES D'ARNICOURT
rue du Champ-Fleuri dans la Maifon de M.
Lourdet Correcteur des Comptes au premier
étage fur le derriere entre un Perruquier & un
Serrurier à côté de l'Hôtel d'Enguien. Nous
prions très-inftamment ceux qui nous adrefferont
des Paquets par la Pofte , d'en affranchir
le port , pour nous épargner le déplaifir
de les rebuter , & à eux celui de ne
pas voir paroitre leurs ouvrages.
Les Libraires des Provinces ou des Pays
Etrangers , qui souhaiteront avoir le Mergure
de France de la premiere main , & plus promppement
, n'auront qu'à écrire à l'adreſſe ci-deffus
endiquée ; en fe cenforinera très - exactement à
leurs intentions .
Ainfi il faudra mettre fur les adreffes à M.
de Cleves d'Arnicourt , Commis au 'Mercure
de France rue du Champ- Fleuri , pour ren
dre à M. de la Bruere,
PRIX XXX . SOLS.
MERCURE
DE FRANCE
DÉDIÉ AU ROI.
PIECES FUGITIVES
en Vers & en Profe.
POEME qui a remporté le irix de l'académie
de Rouen , diftribué pour la
premiere
fois le 12 Juillet 1746 ; le fujet
propofe étoit la Fondation même du Prix
alternatif entre les Belles Lettres & les
Sciences , par M. le Duc DE LUXEMBOURG
, Gouverneur de la Province &
Protecteur de l'ACADEMIE.
J
E vois donc s'élever au fein de nos (1)
remparts
Le Temple du Génie & l'Ecole dos
Arts.
(1) L'Auteur eft une Dame née à Rouen.
A ij
4 MERCURE DE FRANCE,
Quel aftre bienfaifant rend par fon influence
A nos climats féconds leur premiere abondance ?
Qui ne reconnoitroit à ces traits glorieux
LUXEMBOURG digne fils des plus nobles ayeux ?
Son nom fut toujours cher aux filles de mémoire :
Confacrons fes bienfaits , éternifons fa gloire ;
Il veut en divers Jeux , célébrés tous les ans ,
Accorder aux Vainqueurs le prix de leurs talens ;
Près de LOUIS l'amour & l'effroi de la terre ,
Ce Héros affrontant les périls de la guerre ,
Suit de loin nos progrès , & fçaura difcerner
L'athlete qu'en ces lieux fa main doit couronner :
Tel du haut de l'Olimpe , Hercule dans la Gréce ,
De cent rapides chars excitant la viteffe ,
Faifoit briller la Palme aux regards des Vainqueurs.
Au fommet du Parnaffe il eft d'autres honneurs
:
De plus nobles efforts nous offrent plus de gloire :
Dans de fçavans combats difputons la Victoire
C'est peu de triompher aux yeux de nos Rivaux
De nos Maitres encore égalons les travaux .
La Neuftrie eft fertile en excellens modéles ;
Devenons de leur marche obfervateurs fidéles
Des champs Elifiens évoquons leurs efprits ;
Mais que dis-je ? Leur ame exifte en leurs Ecrits
SEPTEMBRE 1746.
C'eft-là qu'il faut puifer la fçience profonde
De charmer , d'attendrir & d'éclairer le monde .
Cherchez -vous les lauriers dont Melpomene
en pleurs
Ceint le front des mortels qui peignent fes douleurs
?
Du Sophocle ( 1 ) François prenant l'effor fu
blime ,
Par l'éclat des vertus faites pâlir le crime :
Malherbe de Pindare imitant les accords ,
Vous apprend fur la lyré à régler vos tranſports :
Senfibles aux plaifirs que le tendre amour donne ,
Des chantres de Paphos briguez - vous la cou
ronne ?
Un autre Anacreon ( 2 ) nâquit en ces climats :
A fa courfe legére accoûtumez vos pas :
Sur nos rives , Segrais , ta voix tendre & facile
Rendit les doux accens des bergers de Virgile :
Brébeuf & Sarafin confacrérent leurs jours ,
L'un à chanter Bellone , & l'autre les Amours,
Favoris d'Apollon en cette illuftre Fête ,
Mon pinceau fur vos traits avec plaifir s'arrête :
De nos jours , du Refnel infpiré des neuf Soeurs ,
( 1 ) Pierre Corneille .
(2) L'Abbé de Chaulieu ,
A iij
6 MERCURE DE FRANCE,
Des tableaux qu'il imite embellit les couleurs.
Fontenelle formé pour plaire & pour inftrure ,
Nous enrichit encor des fruits qu'il fçut produire ;
C'est un arbre fécond refpecté par les ans ,
Qui dans fon hyver même a les fleurs du Prin→
tems :
Ses graces ont rendu la Science facile ;
Le Poëte fçavant en devient plus fertile ,
Uranie ( 1 ) & Clio (2 ) le fervent tourà tour.
Lorfqu'au point du Belier l'aftre brillant du jour ,
Avec Flore en nos champs ramenera Zéphire ,
LUXEMBOURG , qui des Arts veut étendre l'em
pire ,
}
Doit couronner ici le Sçavant , dont les yeux
Perceront les fecrets de la terre & des Cieux.
Sages , qui recherchez au fein de la nature ,
Le mouvement des corps , leur force , leur figure
Vous par un long calcul inftruits à meſurer
Des objets , que les yeux ne pouvoient qu'admirer
,
Le compas à la main marchez avec prudence ;.
Que votre efprit fe rende à la feule évidence ,
(1 ) Mufe qui préfide aux Sciences ,
(2) Mufe qui préside à la Peïfie.
SEPTEMBRE 1745.
*
Artiftes ( 1 ) , qui fçavez par de nouveaux ref
forts
Reffufciter Orphée , en rendre les accords ,
Et de nos mouvemens lui prêter la foupleffe ,
Sur d'utiles objets exercez votre adreſſe.
L'Art qui peut conferver par des fecours certains
La fragile ftructure , & les jours des humains ,
Préſente aux yeux inftruits un vafte labyrinthe ;
Qu'ils fuivent fes détours fans audace & far.s
crainte :
L'honneur doit animer les précieux travaux
Qui des bras de la mort arrachent nos Héros .
Et vous , qui de leurs faits célébrez les merveilles
,
Un Prix dans deux Printems eft offert à vos
veilles ;
Qu'une profonde étude , & que des feins conftans
Dévoilent à nos yeux l'obſcurité des tems.
L'Hiftoire des François dans la paix , dans les ar❤
mes ,
De l'Art des fictions n'emprunte point fes charmes
:
(1 ) M. de France , Académicien de Rollen , a fair
deux Elateurs automates , qu'on a vus cette année è
Faris.
A j
8 MERCURE DE FRANCE .
Mezeray , qui fut grand dans fa fimplicité ,
Employa les feuls traits qu'offre la vérité ;
Vertot fur les récits clairs , précis , équitables ,
Répandit fans excès des couleurs agréables :
Que d'Auteurs en ce genre ont illuftré ces lieux !
Le Gendre & Daniel font nés de vos Ayeux .
De leur ftyle imitant le tour & la fageffe ,
Au faux éclat des mots préférez la jufteffe :
Libres de préjugés , racontez de nos Rois ,
Les vices , les vertus , les fautes , les exploits ,
Et rendez vos Ecrits dignes du chef illuftre ,
Qui fonde ce Lycée , & lui prête fon luftre
Qui joint au nom brillant de favori de Mars
Le titre plus chéri de Protecteur des Arts.
Dat veniam corvis , vexat cenfura columbas.
Juv. Sat. II.
SEPTEMBRE 1746.
****O***O****
蘿燒鮮
VERS à Madame du B..... Sur Son
Poëme qui a remporté le Prix de l'Académie
de Rouen .
Dans vos Vers , aimable Sophie ,
Avec un air de dignité
Regne le tour brillant , fruit d'un heureux génie ,
-
L'expreffion fage & fleurie ,
L'élégante fimplicité.
Sous ces traits , le charmant ouvrage
Qu'Apollon feul vous a dicté ,
A fçu fixer notre fuffrage ;"
Sans connoitre la main qui l'avoir enfanté ,
Il eut pour juges , fans partage ,
Le fentiment & l'équité.
Le chiffre ( 1) fous lequel nous le vimes paroître
Sembla d'abord par l'Auteur einprunté
En fymbole d'humilité .
Mais après cet effai qui vaut un coup de maître ,
C'eft un cercle où nos yeux ne peuvent méconnoitre
Le fymbole affûré de l'Immortalité .
Par le Sécretaire de l'A adémie
(1 ) La Piece avoit pour No. O , & l'0 étoit chés
les Anciens l'Emblême de l'Eternité.
A v
40 MERCURE
DE FRANCE
.
Réponse de Madame du B ……………
Vous qui reçûtes en partage
L'agrément , la facilité ,
Le fel attique , la clarté 1
Et la fineffe du langage ' ,
J'accepte votre heureux préfage :
Vos louanges , en vérité ,
Valent bien mieux que mon ouvrage.
L'autorité de ce fuffrage ,
Le feul éclat qu'il m'a prêté ,
Pourroit me donner l'avantage
De vivre en la Poftérité .
REPLIQUE.
QUe ton Empire , aimable Poëfie ,
Eft préférable à celui de l'Amour !
Ici tout eft rigueur , caprice , frénéfie ;
Vainement d'une belle on attend du retour,
Mais avec toi , fans être téméraire ,
Sur les talens , fes vertus tour à tour
A la Dame la plus fevere
SEPTEMBRE 1746. II'
Une Muſe timide ofe faire fa cour.
On a , fur même ton , réponſe dans le jour.
"O Dieux ! quel fort ! que ce charmant myftere
Eft préférable à celui de l'Amour !
乳乳乳業券
و د
L'ACADEMIE des Sciences , des Belles
Lettres & des Arts , de la Ville de Roüen
sint fon Affemblée publique le 12 fuillet
1746. Voici Lextrait des piéces qui y furent
luës.
R. Guerin Sécretaire pour les Sciences
ouvrit la Séance par un difcours
pour rendre compte à l'affemblée des progrès
de l'Académie , & faire fentir les avantages
de fon travail. Voilà , dit - il ,
Meffieurs , la feconde fois que nous paroiffons
devant vous , afin que vous foyez les
témoins de nos efforts , & les juges de nos
progrès. Nous fommes sûrs de la folidité
de notre entrepriſe , nous ne le fommes pas
également de la réalité de nos fuccès ; le
tems & vos fuffrages en doivent décider.
Nos travaux ont une utilité reconnuë ;
les Sciences que nous cultivons font le
bonheur de la fociété ; c'eft dans la Nature
que PAuteur de notre étre a renfermé
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
nos befoins & nos commodités , mais il
faut des mains habiles & induftrieuſes pour
les y puifer. L'inftinct qui fait trouver à
la brute fes néceffités fans peine , nous refufe
fon fecours dans les nôtres. Sans entrer
dans l'examen de ce qu'il feroit pour
l'homme dans un autre état , ce qui eft certain
, c'est qu'en partant du point où nous
fommes , nous ferions les plus malheureux
de tous les êtres capables de fentiment
fi les Sciences & les Arts nous refufoient
leurs fécours ; depuis le berceau qui reçoit
Thomme au fortir du fein de fa mere , jufqu'au
tombeau qui renferme les cendres ,
tout eft marqué au coin de la dépendance
d'un Art éclairé & néceffaire. C'eft cet
Art qui lui façonne les premiers langes qui
le préfervent de la rigueur des faifons , qui
lui prépare la pulpe alimentaire qui le
nourrit dans fes premiers jours , il lui conftruit
la maifon qui le dérobe à la voracité
des bêtes ; une Phyfique lumineuſe rend
le Ciel , la terre & l'onde tributaires de
l'homme après lui avoir fourni fes befoins
avec profufion , elle lui apprend encore
l'art d'en jouir avec fageffe . Mettons l'homme
au milieu de l'abondance la plus complette
, cette abondance fera la fource de
fon malheur , fi une ſcience bienfaiſante ne
vient lui apprendre l'ufage moderé qu'il en
SEPTEMBRE MBI 1746. 19
doit faire ; des défirs fans frein l'entraineront
vers des jouiffances meurtrieres , &
cequi devoit être , felon la deftination de
la Nature , la fource de la conſervation de
l'homme , deviendra bien-tôt le principe
de fa deftruction.
Ces connoiffances fi utiles refteroient
dans le fombre réduit de l'organe où elles
prennent nailfance , fi le langage qui fair
la partie effentielle des Belles Lettres ne
leur prêtoit fon fecours ; il eft le lien extérieur
de la fociété , il fert aux hommes
à fe faire connoître mutuellement leurs befoins
& à fe les communiquer , il éclaire
l'efprit , il remué le coeur , il enleve l'homme
à lui même par fa préciſion , fa force &
fon harmonie. Nous fçavons ce que valent
à nos moeurs les foins qu'on fe donne pour
perfectionner notre langue ; fa culture eft
devenuë même une affaire de politique , fa
politeffe l'a fait adopter par toutes les
nations de l'Europe , & y a fait regner
nos Sciences , nos Arts & notre génie ; elle
forme une des branches de notre commerce
; que d'étrangers n'attire t'elle pas
dans le fein du Royaume , & quelles richeffes
n'apportent- ils pas avec eux !
Des efforts qui perfectionnent les inftrumens
de notre bonheur font donc louables
en général , les notres en particulier ne
14 MERCURE DE FRANCE
font-ils point témeraires ? Jugez en Mrs.
par les faits , continuë M. Guerin ; depuis
par
le court efpace qui a donné l'être à notre
Académie , nous avons vû naître dans fon
fein un cours de phyfique expérimentale ,
une école de peinture , un cours de chymie ;
le jardin botanique prend de jour en jour
de nouveaux accroiffemens , le théatre anatomique
de cette Ville a une datte plus
reculée , mais c'eft un de nos membres qui
par fes talens en foutient l'éclat . Mais ce
qui contribuera le plus à nos progrès , c'eſt
le Prix alternatif entre les fciences & les
Belles Lettres fondé par notre illuftre Protecteur
; dans ce monument authentique de
fou amour pour les fciences il nous donne
une preuve du zéle qu'il a pour notre avancement
; en nous établiſſant juges des ouvrages
des autres , il nous met à portée de
profiter de leurs lumieres , & de les fixer
chés nous .
>
M. Guerin lut enfuite l'éloge funébre de
M. l'Archevêque , Docteur en Medecine ,
membre de l'Académie. mort le 6 Avril
dernier. La mort , dit M. Guerin , qui
borne néceffairement les travaux d'un particulier
, n'a nulle atteinte fur ceux des focietés
; femblable aux ouvrages de la nature
qui renaiffent des cendres de ceux qui
périflent , les membres que la mort enleve
<
SEPTEMBRE 1746. 15
font remplacés par d'autres qui perpétuent
le travail des premiers. Cette fubftitutions
Dous confole de nos pertes , mais elle ne
nous les fait pas oublier , nous en avons
fait une cette année que nous regretterons
long-tems , c'eft M. l'Archevêque , Médecin
; nous allons rendre à fa mémoire le
tribut de louanges qui lui eft dû ; il a été
conftamment regat dé comme un g and Mé- regardé
decin par tous ceux qui l'ont connu ; les
qualités de l'efprit & du coeur chès lui en
auroient fait un des plus celebres de fon
fiécle , s'il eut été fur un plus grand théatre ,
ou qu'il eut eû moins de modellie. Son
application conftante à l'étude lui avoit fait
tout apprendre la bonté de fon coeur n'avoit
laiffé aucune de fes connoiffances inutiles
dans l'exercice de fa profeffion , c'eſt ſur
ces deux traits que roule tout fon éloge. $
On lut enfuite un mémoire de M. de la
Bourdonnaye , Intendant de Roiien & Préfdent
de l'Académie,dans lequel il examine la
principale objection qui peut être propoſée
contre l'utilité de la machine qu'a inventéeM.
de Vaucanfon pour faire des étoffes de foye,
Dans ce mémoire M. de la Bourdonnaye,
après avoir établi que les fciences , quelque
eftimables qu'elles foient par elles mêmes
, doivent être rappellées à leur vraie def
tination , en les faifant fervir , ou à
éclairer la raiſon de l'homme ou à fatis16
MERCURE DE FRANCE.
$
faire plus abondamment , & plus facilement
les befoins légitimes , entre dans la
difcuffion des principaux avantages de la
machine de M. de Vaucanfon . Cet homme
célébre , dont tout le monde connoit le
génie fupérieur pour les méchaniques , a
voulu le rendre utile à l'Etat & au commerce.
Après avoir fait à Lyon un féjour affés long ,
& y avoir approfondi la fabrique des étoffes
de foye , il a inventé & exécuté une machine
quiparun feul mouvement peut faire aller dix
ou douze métiers , chacun defquels travaille
tout feul une piéce d'étoffe unie ; cette invention
eft d'autant plus belle qu'elle corrige
la plus part des défauts qui fe trouvent
dans les étoffes faites à l'ordinaire , qu'elle
en fabrique un plus grand nombre d'aulnes
dans le même efpace de tems , & qu'elle
épargne une quantité confidérable d'ouvriers.
En effet pour conduire dix ou douze
métiers de cette efpéce il ne faut qu'une
femme qui racommode les fils qui caffent
dans les chaines , & une force fuffifante pour
faire marcher le mouvement qui répond à
tous les métiers , au lieu que dans les métiers
dont on fe fert ordinairement on a
befoin de deux perfonnes à chaque métier ,
ce qui fait par conféquent fur dix métiers
une épargne de dix-huit ou dix - neuf perfonnes
, & à proportion fur un plus grand
SEPTEMBRE 1746. 17
nombre. C'eſt ce dernier avantage de l'é
pargne des hommes qui fait l'objet du mé
moire dont- il s'agit ; on y laiffe à l'écart
toutes les autres raifons de préférence qu'on
peut attribuer aux métiers inventés par M.
de Vaucanfon par-deffus les métiers ordinaires
, & on s'attache à difcuter fi l'uſage
de cette machine ne pourroit pas occafion
ner autant d'inconveniens dans les lieux ou
on fabrique les étoffes de foye qu'elle y procureroit
d'avantages ; on fent affés que cette
difcuflion particuliere à un rapport immediat
à la queftion générale de fçavoir fi une machine
quelconque qui fupplée au travail &
aux forces des hommes eft utile dans tous
les cas aux manufactures , au commerce , &
par conféquent à l'Etat.
Les adverfaires de la machine nouvelle
ment inventée oppofent que , fi elle épargne
un auffi grand nombre d'ouvriers , c'eſt par
cela même qu'elle doit être rejettée , & que
l'ufage en deviendra pernicieux. Tout le
monde fçait que les fabriques d'étoffes de
Lyon & de Tours font vivre quantité de
familles qui travaillent felon les forces de
ceux qui les compoſent . Les femmes & les enfans
s'employent à la préparation des foyes ,
& les hommes au métier qui fait l'étoffe ;
plus une de ces familles eft nombreuſe ,
plus elle gagne , & les differentes efpeces de
18 MERCURE DE FRANCE
A
travaux qu'elle fait ayant une liaiſon néceffaire
, elle peut toujours être réunie , & vit.
par conféquent plus à l'aife à profit égal ;
les enfans font inftruits plus facilement
dans la profeffion de leur peres , peres , profeffion
douce , commode , exempte des intemperies
de l'air , & à laquelle il n'eft pas pof-
Gible que ceux qui y font accoûtumés fapuiffent
fubftituer une autre plus dure , &
tiguante ; quel fecours ne retirent pas la Ville
& le Pays où un pareil établiffement a lieu ,
de l'excedent d'habitans qu'il lui procure ,
de la confommation plus forte , du débit
des denrées plus avantageux , du payement
des impofitions plus facile , du crédit mieux
foutenu , de l'argent plus commun , & de l'abondance
de tout p us grande ! L'uſage de
la machine anéantit en un moment au moins
la moitié de tous ces avantages , en rendant
inutile une grande quantité d'ouvriers ,
& généralement tous les hommes , en divifant
par conféquent les familles , en les
dégoutant d'élever leurs enfans dans une
profeffion où il n'y a prefque plus rien à
faire , & en diminuant la confommation
les impofitions & le crédit ; que veut on
d'ailleurs que faffent des gens âgés de 40 ou
50 ans à qui on fupprime tout d'un coup
les moyens de gagner leur vie , qui font
hors d'état d'apprendre un autre métier ,
SEPTEMBRE, 1746. 19
& qui n'en pourroient choisir que de plus
rudes ? N'eft il point à craindre que tombans
dans le défeſpoir ils n'excitent des séditions
& des révoltes ? La Ville de Lyon
vient d'en fournir des exemples , dans lef
quels il s'agiffoit d'objets bien moins intéreffans
; n'eft - il pas certain que ces
ouvriers dèfoeuvrés pafferont dans les païs
étrangers , qu'ils y porteront leur induftrie
& leurs talens , & que les nations qui leur
ferviront d'azile , attentives à profiter de
nos pertes éleveront leurs manufactures
& leur commerce fur la ruine des nôtres ?
L'expérience nous apprend encore que ce
malheur nous peut arriver , & nous avons
vû differentes fabriques de France paffer
chés l'Etranger dans des circonftances moins
propres que celle- ci à produire cet effet.
Il n'eft pas douteux que pour peu que
l'ufage des métiers de M. de Vaucanfon
s'étende en France , il ne paffe auffi bientôt
chés les Etrangers ; le myftére que l'inventeur
peut faire aujourd'hui des refforts
qui font agir fa machine , ne fe foutiendra
pas long tems ; le befoin d'artifans pour la
conftruire , la curiofité , l'intérêt , découvriront
le fécret , & cet inftrument entre
les mains d'un Allemand ou d'un Hollandois
fera une étoffe auffi réguliere qu'entre
celles d'un François ; tout eft donc à crain
J
16 MERCURE DE FRANCE
•
dre dans l'établiffement dont- il s'agit , &
M. de Vaucanfon doit s'en tenir au mérite
de l'invention , fans avoir rien à prétendre
à celui de s'être rendu utile.
Quoique cette objection paroiffe forte ,
l'examen en detruit la folidité ; il eft d'a- '
bord conftant qu'elle prouve trop , car on
a droit d'en conclure qu'il ne falloit pas
établir les moulins ; qu'il auroit été utile
d'étouffer l'Art de l'Imprimerie dès ſa naiſfance
, qu'on n'auroit pas dû tolerer les métiers
à faire des bas , ni toutes les autres inventions
fans nombre , qui tendent à fimplifier
les ouvrages de l'Art , de peur d'oter la
fubfiftance aux Ouvriers qui s'en occupoient
auparavant ; cependant l'Hiftoire nous fournit-
elle des exemples d'inconveniens qui
ayent réfulté de ces differens établiſſemens ?.
?
Avec une diftinction tout va s'expliquer..
On convient que fi l'ufage de l'inftrument
dont il s'agit s'établiffoit tout d'un coup ,
il feroit fufceptible d'une partie des défordres
allegués mais il eft demontré que
cet ufage ne peut fe repandre que fucceffivement
, & dans le cours d'un nombre
d'années confidérable ; quand la fagefle de
Gouvernement négligeroit les attentions néceffaires
en pareil cas , la cherté des premiers
metiers de cette espéce , la néceffité préalable
de former des artifanspour les faire ,
SEPTEMBRE 1746. 27
$
de difpofer des lieux propres à les contenir
, tout cela en fufpendra long-tems la
multiplication . M. Colbert fit acheter en
Angleterre le premier métier à faire des baş
24000 l .; on en fit enfuite en France , mais
ils couterent encore long-tems 12000. Le
prix n'en a été réduit que de nos jours à
. quatre ou cinq cent livres ; on ne s'en eſt
fervi généralement qu'à mefure & à propor
tion que le prix en a diminué ; c'eft le préfage
de ce qui arrivera néceffairement aux
métiers à fabriquer des étoffes de foye ; la
progreffion lente de l'ufage de ces machi .
nes ménagera la confervation des Ouvriers
actuels , ils auront tout le tems d'elever
leurs enfans à d'autres profeffions , & c'eſt
un tableau de pure imagination que celui qui
les repréfente dèfouvres , mourans defaim , fe
laiffant aller à la révolte, & abandonnans leur
patrie pour transporter leurs talens chés l'Etranger.
Les circonftances , dans lesquelles
nous y avons vu paffer les Ouvriers François
n'ont aucun rapport à celle-ci ; la principale
époque eft la révocation de l'Edit de Nantes
; l'établiffement de droits nouveaux , ou
l'augmentation des anciens fur quelques
matiéres ou efpéce de marchandifes , a puрц
occafionner aufli dans differens tems la défertion
de nos Ouvriers.
Si nos métiers eux mêmes deviennent
12 MERCURE DE FRANCE.
propres aux nations rivales de notre commerce
, il n'en résulte autre choſe , ſi- non
que la France aura contribué au bien général
de l'Univers , fans fe faire tort à elle
même ; il n'eft queftion préfentement que
des étoffes unies , & la machine dont- il s'agit
ne va pas au- delà ; nous. fommes en
concurrence avec l'Etranger fur cet article :
toutes chofes font égales entre eux & nous
pour la fabrique de ces fortes d'étoffes ; nous
employons les mêmes moyens , & nous
nous fervons des mêmes inftrumens , cependant
nos manufactures font floriflantes ;
qu'arrivera- t'il lorfqu'ils auront adopté nos
nouveaux métiers , & qu'ils s'en ferviront ?
Toutes chofes demeureront encore égales ,
& la concurrence fubfiftera toujours dans
les mêmes termes .
Si le génie de M. de Vaucanfon le conduifoit
jufqu'à l'invention d'un métier qui
pût faire des étoffes travaillées , brochées &c .
les François conferveroient encore les avantages
qu'ils ont toujours eû fur les autres
nations ; la beauté & la correction des deffeips
, leur variété inépuifable , l'éxactitude
& la précifion de leur exécution , l'affortiment
des couleurs auffi recherché qu'agréable
, ce font là les fources de l'eftime
qu'on fait par tout des étoffes de France , &
de la poffeffion où eft ce Royaume d'affujetir
SEPTEMBRE 1746, 23
plus ou moins toute l'Europe à fes modes
& à fon genie. Les Etrangers n'acquereront
donc jamais par une manoeuvre méchanique
, telle qu'elle foit , le véritable mérite & la
fuperiorité de cette efpéce de manufacture.
១០០
Sans fe laiffer éblouir par des raifonnemens
captieux , il faut en revenir aux véritables
principes en cette matiére. Tout
expedient qui fupplée aux bras des hommes
, ou qui ménage leur force , eſt utile ;
c'eft créer 900 hommes que de trouver
les moyens de faire avec 100 ce qu'on
faifoit auparavant avec 1000 parce
que ces 900 hommes reftans peuvent
être employés à bien d'autres ouvrages
pour lefquels on n'en trouve quelquefois pas
fuffifamment ; la terre ne manque point
aux hommes , mais les hommes manquent
à la terre ; l'agriculture eft le premier des
Arts & le fondement de toutes les fubfiftances
; les hommes font la vraie richeffe
d'un Etat , ainfi plus l'examen des bons effets
de la machine nouvellement inventée
fera refléchi , plus on la trouvera eftimable de
tous points tout bon citoyen doit défirer
que l'ufage en foit admis , qu'il foit favorifé
, protegé & repandu , & qu'on encourage
l'Auteur de continuer à confacrer
à l'utilité publique des talens auffi fuper
rieurs & auffi rares que les fiens.
La fuite dans le prochain Mercure.
44 MERCURE DE FRANCE.
*******
VERS adreffés à Mad . en lui envoyant une
Tabatiere de glace.
C'EST à vous , aimable Nannette ,
A qui je dois mes ornemens.
C'est vous dont les regards charmans
De la beauté la plus parfaite
Me donnent tous les agrémens ;
Regardez-moi quelques momens ;
Tout ce que jamais la Nature
A fçu produire de plus beau ,
Sur moi fe peint en mignature ,
Et vos yeux en font le pinceau,
En vain Doris , en vain Silvie ,
Cherchent-elles le même honneur ;
Quoique je cede à leur envie ,
Je n'ai plus le même bonheur ;
Je dois faire toute ma vie
Votre triomphe & leur douleur,
IR
AUTRE ENVOI
Rois- je pour parer Nannette ,
Affortir un bouquet de fleurs ,
Tandis qu'il n'eft fleur fi parfaite
Dont les vives couleurs
Auprès
SEPTEMBRE . 29 1746.
3
Auprès de fes appas ne trouvent leur défaite
Non , il faut ailleurs recourir ,
Pour contenter la raiſon & mon.zéle ;
J'aimerois mieux mourir
Que de ne lui pas offrir
Quelque chofe d'auffi beau qu'elle.
Ah ! la Nature ofe en vain s'en flater ;
Il n'eft permis qu'à l'Art de le tenter;
Graces à fon pouvoir tùprême ,
Cette glace offre ce qu'il faut ,
Car en s'y voyant elle- même ,
Annette y doit trouver un bouquet fans défaut.
હ က် ဆုံး ရက်
A MONSIEUR *****.
Souffre
ouffrez , Monfieur , que je vous adreſſe
l'extrait que j'ai fait de quelques- unes des
rufes de Guerre de Polien & des ftratagême
de Frontin. Ces deux Auteurs ont raffemblé
tous les faits & dits qu'ils ont cru
pouvoir être de quelque utilité pour la guerre
; dans le nombre de ce qu'ils ont écrit j'ay
feulement choisi ce qui pouvoit avoir rapport
à la façon de faire la guerre d'apréfent.
Tout ce qui regarde l'attaque & la deffenſe
des Places , étant totalement hors d'ufage
actuellement , je n'en ay rien rapporté , non
B
26 MERCURE DE FRANCE.
plus que d'une quantité de faits que Polien
& Frontin même caractérifent, fort légerement
de rufes & de ftratagêmes, car ce font
en bonne police des fupercheries & même
des trahifons fort noires ; j'ay mêlé indiftinctement
ce qui eft de Frontin & de Polien.
J'ay raffemblé autant que j'ay pû les
differens articles qui ont quelques rapport
enfemble. J'ay ajoûté à plufieurs la façon
dont j'entends qu'ils peuvent être utiles. Je
vous prie de vouloir bien me donner votre
avis fur ces réflexions & me faire part deş
endroits où vous vous trouverez penfer differemment,
vous me trouverez toujours prêt
à profiter des lumieres que vous voudrez
bien me communiquer. Je vous prie d'être
bien perfuadé des fentimens avec lefquels je
fuis , Monfieur , votre très -humble & trèsobéiffant
ferviteur. *** .
EXTRAIT des rufes de guerre de Polien :
de Frontin par M. L.M. D. P. B. Di.
A
GESILAS faifoit la guerre aux Acarnaniens.
Il fe trouva hors de leurs limites,
dans le tems qu'on devoit enfemencer les terres .
Les Lacedemoniens vouloient qu'on empêchât
les Acarnaniens d'enfemencer , mais Agefilas
abulut qu'on les laiſſât faire , dans la penfee
SEPTEMBRE
1746. 27
que s'ils fe voyoient une moiſſon à conſerver, is
préfereroient la Paix à la Guerre , s'il arrive
au contraire , dit-il , qu'ils ne veuillentpas la .
Paix , ce fera pour nous qu'ils auront femé.
R. Il faut avoir attention lorfqu'une armée
demeure quelque tems dans un Païs où
l'on peut être obligé de refter l'hyver , ou
bien , où l'on compte revenir l'année d'après
, de laiffer les Habitans
enfemencer
leurs terres , il faut même les y obliger , s'ils
ont dequoi le faire , mais fi l'on avoit enlevé
tous leurs grains , & qu'ils fuffent hors
d'état d'en avoir d'autres , il faut leur en
fournir , au riſque même que l'ennemi vous
prévienne pour occuper ce Pais l'année
d'après.
Fabius Maximus ayant ravagé les terres
de ceux de Capoüe fe retira après la moiffon,
pour donner moyen aux Habitans de femer le
de bled qui leur reftoit , après quoi revenant
tout à coup , il les prit par famine .
Antigonus fit la même chofe contre les Athé
pen
niens.
R. Ce n'eft point là une rufe , c'eft feulement
profiter de la faute qu'une Ville a
faite de ne pas fe pourvoir de vivre lorſqu'elle
a pû, & qu'il étoit poffible qu'elle fut attaquée
une feconde fois .
Denis le Tyran voulant attaquer ceux de
Regé , qui étoient fort puiffans , il les pria de
Bij
28 MERCURE DE FRANCE
Tus fournir des vivres pour de l'argent , feignant
de fonger ailleurs ; & comme ils l'curnnt
fait il les affiégea , & les prit par famine . On
dit qu'ilfit la même chofe contre ceux d'Himére.
R. On peut eflayer cette rufe', mais il faut
que ceux qui y font attrapés ay ent crû fe
mement qu'ils ne pouvoient pas être attaqués.
Alexandre voulant attaquer Leucadie , qui
étoit pleine de vivres , alla prendre tous les
Châteaux qui étoient aux environs & permit
à ceux qui y étoient de fe retirer dans la Ville
afinde l'affamer plûtôt.
R, On peut en pareille occafion pratiquer
cela , & on peut obliger les Garnisons des
differens Châteaux de fe préfenter pour
entrer dans la Ville qu'on veut affamer ,
mais la Ville ne doit point les recevoir,
Cefar difoit qu'il falloit , vaincre les Ennemis
, comme les Médecins font les longues.
maladies , c'est-à- dire par lafaim , plûtôt que
par le fer & Domitius Corbulon difoit qu'il
en venoit à bout avec la bêche & le hoyau ,
c'est -à -dire , enfe retranchant & fe fortifiant.
R. L'un & l'autre revient au même , & forme
un principe incontestable , c'eſt qu'on ne
doit en venir à une bataille que lorsqu'elle
eft néceflaire , mais qu'il faut harceler fon
Ennemi , chercher à lui couper les vivres ,
& l'attirer dans un Païs qui lui foit déſavanSEPTEMBRE
1748. 29
!
<
tageux . ou fi l'on eft plus foible , ſe poſter
toujours de façon que l'Ennemi ne puiffe
pas vous forcer , & quand la fituation du
terrain n'eft pas favorable , qu'il faut l'accommoder
en s'y retranchant,
Antigone voulant fe rendre maître d'Athénes
, fit la Paix fur la fin de l'Automne.
Les Atheniens enfemencerent leurs terres& ne
garderent de grains que ce qu'il en falloit júfqu'à
la recolte, mais quand le tems de la maturitéfut
venu , Antigone conduifit de nouvedus
fon Armée dans l'Attique. Les Athéniens
ayant confumé ce qu'ils avoient de vivres ,
ne pouvant faire la récolte reçurent Antigone
dans leur Ville , & promirent d'obéir en tout
à fes ordres.
R. On ne peut mieux en agir pour s'emparer
d'une Ville qui n'a pris nulle précau .
tion pour fa fubfiftance .
Agefilas ayant mis fon armée en ordre de
bataille , s'apperçut que les Alliés n'étoient
pas dans de bonnes difpofitions . Il jugen à propos
de faire retraite mais comme il la faloit
faire par des défilés, où il s'attendoit d'être attaqué
par les troupes de Beotie, il donna l'avantgarde
aux Lacédémoniens & mit les Alliés à
l'arriere garde , afin que lorsque les Beotiens
attaqueroient la quenë , les Alliés fuffent dans
la neceffité de combattre courageufement.
R. On peutfuivre cette méthode dans cer-
Biij
30 MERCURE DE FRANCE.
taines retraites , mais il faut prendre garde
lorfqu'on prend ce parti , que les troupes
que vous laiffez ne foient gens à fe rendre
fans fe deffendre , & il faut qu'il n'y ait point
d'autres paffages par où elles puiffent s'enfuir
que celui par où vous vous retirez ; fans
cela il faut faire le contraire ., & avoir de
bonnes troupes à fon arriere - garde , afin
d'être fûr qu'elles tiennent affés de tems ,
pour vous donner celui de vous éloigner
avec le refte ; mais ce qui vaut encore mieux ,
c'eft que lorsqu'on ne peut dérober entierement
fa retraite, il faut combiner fa marche
& l'arrangement de fes troupes, de façon que
l'Ennemi ne puiffe en attaquer aucune partie
que toute votre armée ne foit auffi-tôt
raffemblée pour la deffendre ; c'eſt une operation
qui demande beaucoup de fcience ,
& des troupes bien exercées.
Philippe de Macédoine craignant que fes
foldats ne puffent foutenir l'effort des Scytes ,
mit la fleur de fa Cavalerie à la queue de
fon Infanterie , avec ordre de tuer le premier
qui reculeroit , ce
reculeroit , ce qui ne contribua pas pen à
la victoire. L'Auteur ajoute , chacun aimant
mieux perir de la main des Ennemis en combattant
, qu'en reculant de celle des fiens.
R.Des troupes conduites par l'honneur n'ont
pas besoin de pareil fecours pour ne pas reculer
, mais cela peut être fort utilement
SEPTEMBRE 1746. 31
employé pour toutes les troupes qui n'ont
pas cette émulation ou point d'honneur qui
eft à défirer..
Agefilas faifant incurfion dans la Beotię ,
commanda aux Alliés de mettre le feu par
tout , & de couper tous les bois . Il vit qu'ils
étoient lents à exécuter fes ordres , & ne les
fuivoient qu'à regret . Il s'avifa de faire changer
de pofte à fon armée deux ou trois fois le
jour, & alors la néceffité de dreffer fes Cafernes
, faifoit qu'on étoit obligé de couper les bois.
Ce n'étoit plus véritablement tant pour nuire
aux Ennemis que pour l'usage des troupes d'Agefilas
, mais c'étoit toujours également nuire
anx Beotiens,
pas
- R. Les foldats d'apréfent ne demandent
que
pas mieux de faire du dégât lorfque
l'on veut punir un Pays en y faifant du ravage
; il n'eft point néceffaire de l'ordonner ,
il n'y a qu'à le permettre , mais lorsqu'on
veut ménager un Pays, il faut éviter d'y chan
ger de camp le plus que l'on peut , c'eft
toujours dans les premiers jours des camps
qu'il fe fait le plus de défordre , mais après
quelques jours on en connoît mieux les environs
; & onpeut l'empécher plus ai fément.
Epaminondas voulant paſſer le pont bâtifur
le Sperque voyoit les Theffaliens campés devant
lui dans le deffein de lui difputer le paffage ;
il avoit remarqué que vers le point du jour
B
1111
52 MERCUREDE FRANCE.
il s'élevoit du Fleuve un brouillard épais. Il
commanda à chaque troupe de couper & de
porter deux faisceaux de bois , un de bois verd,
l'autre de boisfec , & d'y mettre le feu fur
le minuit , au bois verd au- deffus , & aubois
fec au- deffous. De cette forte , favorife de la
muit , du brouillard & de la fumée , qui déroboient
aux Ennemis la vue des objets , il fit
paffer fur le pont fes foldats qui fe trouverent
dans le milieu de la plaine , de l'autre côté,
avant que la fumée & le brouillard fe fuffent
diffipés. Alors , mais il étoit trop tard ) les (
Theffaliens s'aperçurent que les Thebains étoient
paſſes.
R. Lorfque l'on eft fur le bord d'une riviere
d'un marais & c. on peut tenter cette
rufe ; fi le vent vient de façon à chaffer la fumée
du côté de l'ennemi , alors elle fe confond
avec le brouillard , & pendant ce tems
on peut travailler à un pont , & y faire même
paffer des troupes fi l'on veut , & l'Ennemi
n'en aura point connoiffance , à moins
que fes poftes ou les partis n'ayent approché
fort près du lieu où vous paffez..
Epaminondas étant dans la difpofition d'en
venir aux mains avec les Lacedemoniens
auprès de Tégée , jugea qu'il devoit s'emparer
de quelques poftes avantageux. Afin de cacher
fon deffein aux Ennemis , il ordonna au Commandant
de la Cavalerie de s'avancer au-deSEPTEMBRE
1746. 33
vant de la Phalange avec 1600 chevaux
de faire plufieurs évolutions , marches &
contre-marches de côté & d'autre. Par ce
moyen il s'éleva beaucoup de pouffiere qui of
fufqua la vue des ennemis , & à l'aide de cette
obfcurité les poftes furent gagnés fecrettement
par Epimondas. Quand la pouffierefut appai
fee , les Lacédémoniens s'apperçurent quelle
avoit été la raison d'une cavalcade dont le
but leur avoit été d'abord inconnu,
R. Cette manoeuvre peut être mife en
pratique avec beaucoup de fuccès. C'eſt
toujours un grand avantage de pouvoir ſe
pofter , & prendre un ordre de bataille à
l'infçu de l'ennemi , en forte que lorsqu'il
s'en apperçoit , il ne foit point à tems de s'y
oppofer.
Pelopidas étant en Theffalie avoit une riviere
a paſſer & ne le pouvoit , parce qu'il
avoit les ennemis à dos . Il campa fur le bord
du fleuve , &fe retrancha de pieux & de faf
cines qu'il fut couper en grande quantité. Ily
fit mettre lefeu à minuit , par ce moyen bes
ennemis fe trouverent dans l'impoſſibilité de
poursuivre , & paffa le fleuve en liberté.
le
uer
R. Cette manoeuvre peut fe pratiq
avec fuccès lorsqu'on eft dans un Camp
fermé par les côtés par quelque marais , ou
fi l'on eft pofté dans quelque anfe de riviere
dont tout le front fait retranché par un ab-
By
84 MERCURE DE FRANCE .
w
batis d'arbres ; en ce cas , fi les arbres font
fecs , on y peut mettre le feu , & s'ils ne
l'étoient pas affés , il faudroit y jetter des
pailles pour faciliter l'embrafement , il faut
auffi avoir attention d'allumer le feu par le
côté d'où vient le vent.
Ifcholaus étant en marche , avoit d'un côté
des précipices & un très-mauvais chemin , &
de l'autre une montagne occupée par les ennemis.
Il faifoit un vent violent. Pour en profiter
, il alluma un grand feu , dont la chaleur
& la fumée chafferent les ennemis , & il paſſa
sûrement avec les troupes par le chemin qu'ils
avoient laiffé libre .
R. Cette manoeuvre ne peut être miſe en
ufage que contre un petit nombre de troupes
qui occuperoit un endroit refferré où
vous feriés obligé de paffer , & qui feroit
rempli de bois & de brouflailles faciles à
s'embrafer, & il faudroit encore que le vent
portât du côté où vous voulez paffer.
Iphicrate étant campé en Thrace auprès des
ennemis , s'avisa une nuit de mettre le feu à
ane forêt qui étoit entr'eux & lui , & laiffant
dans fon camp le bagage & beaucoup de beftiaux,
il fe retira à la faveur de la nuit, que la
fumée rendoit encore plus obfcure , dans un lieu
couvert & fort ombragé. Quand le jour fut
venu , les Thraces étant entrés dans fon camp
& n'y trouvant aucuns grecs , ſe mirent àpilSEPTEMBRE
1746. 35
ler le bagage , & à butiner les beftiaux. Iphicrate
les voyant difperfe's fe montra , & marchant
en bon ordre les vainquit , & ſauva tou e
fon bagage.
K. Pour faire une pareille manoeuvre , il
faudroit premierement être sûr de pouvoir
fe retirer dans un endroit où l'ennemi ne
pourroit vous découvrir , fecondement il
faudroit que l'ennemi fut capable de s'abandonner
fans ordre & fans précaution au pillage
du camp . Ainfi cela ne pourroit fe
tenter que contre une armée mal difciplinée
& formée de nouvelles levées , laquelle
fer oit dans un pofte qu'on ne pourroit attaquer
fans un grand défavantage , & dont par
ce ftragême vous tenteriés de la faire ſortir.
Pelopidas fe fervit du même artifice à la
guerre de Theffalie , car s'etant campé fur le
bord d'une riviere , & la voulant paffer fans
être traversé par les ennemis , il fit une grande
circonvallation de bois au tour de fon camp ,
& y ayant mis lefeu paffa fans danger.
Un Lieutenant de Sertorius fe trouvant engagé
avec peu de troupes dans un défilé bordé
de deux montagnes efcarpées avec les ennemis
en quenë , tira un grand retranchement d'une
montagne à l'autre , & l'ayant rempli de bois ,
y mit le feu ; cela les arrêta tout court , & lui
donna
moyen de fortir de ces détroitsfans danger.
Bvj
36 MERCURE DE FRANCE.
Démétrius fe retiroit par un chemin fort
ferré. Les Lacédémoniens preffoient fon arriere
garde, & lui bleffoient beaucoup de monde . Il
entaffa dans l'endroit le plus étroit tous les
chariots de bagage & y mit le feu. Les ennemis
ne purent paffer a travers cet incendie ,
& pendant que les chariots brûloient , Démétrius
gagna du terrain , prévint les ennemis ,
& evita leur pourſuite .
R. Cette manoeuvre peut aifément ſe pra- fe
tiquer par des troupes qui feroient pourfuivies
, & qui trouvant un défilé , foit chemin.
entre les montagnes ou marais , ou même
un pont , y arrêteroient quelques chariots
& y mettroient le feu , mais pour arrêter
toute une armée , premierement il faudroit
raffembler beaucoup de chariots & y mettre
le feu , fecondement il faut que dans le
tems que vous employez à cela , l'ennemi
ne puiffe pas aller paffer par un autre che
min & vous tourner.
(
Gorgias à la tête de la Cavalerie Thebaine,
avoit à combattre Phébidas qui conduifoit l'Infanterie
armée de boucliers. Comme il ſe trouvoit
dans un lieu fort ferré où la Cavalerie
ne pouvoit pas faire grand effet ) il lacha pied
devant l'Infanterie de Phebidas. Les ennemis
le pourfuivirent, & par ce moyen il les attira.
dans une plaine ; & c'étoit le but de cette
fuite.
SEPTEMBRE 1746. 17
R. Un Général dont l'armée eft compo
fée d'une nombreuſe Cavalerie doit fans
contredit attirer tant qu'il peut fon ennemi
dans un Païs de plaine , & de même celui
dont le Corps d'Infanterie eft fupérieur, doit
chercher les Païs coupés ; la manoeuvre que
fit Gorgias ne peut attirer que des gens peu
attentifs à leurs interêts ; cependant on pourroit
la tenter fi l'on fe trouvoit à la guerre
avec un Corps de Cavalerie , pourvû qu'on
fut affes für de fa Cavalerie pour être certain
qu'elle fe rallieroit quand on le lui ordonneroit.
Il faudroit auffi être für que l'ennemi
n'eût pas affés de Cavalerie pour pourfuivre
la vôtre fi vivement qu'elle ne pût ſe réfor
mer ailément.
de
Megaclidas s'étant retiré fur une montagne
fort converte, y fut affiégé . De ce qu'il avoit
troupes , il mit à part ce qu'il y avoit de
plus inutile & de plus pefant , & donna ordre
à ceux-là de prendre la fuite à travers les
bois. Les ennemis , comme il l'avoit bien jugé,
s'en apperçurent &fe mirent après cesfuyards;
pour lui avec se qui reftoit , c'est-à dire les
meilleurs troupes , ilprit la route opposée de la
forêt , & s'échappa.fans risque.
R. Cette manoeuvre eft on ne peut moins
fûre , car fi l'ennemi ne va pas tout entier
à la pourfuite de ces fuyards , vous n'en êtes
pas plus avancé pour votre retraite , s'il y va
38 MERCURE DE FRANCE.
tout entier , il eft à croire que tout ce qui
aura fui fera perdu , & il y a toujours une
partie de votre armée que vous lui abandonnez.
S
·
Cleandridas, Chef des Thouriens
gagna une
bataille contre les Leucaniens. Après la victoire
il mena fes troupes fur le champ de bataille
& leur fit voir par la fituation des
morts épars çà & là , que leur défaite ne ve
noit que de ce que fans fe tenir ferrés à leur
pofte , ils s'étoient trop répandus de côté &
d'autre d'où venoit qu'ils étoient tombés loin
les uns des autres ; au lieu qu'eux s'étoient
tenus ferrés & fermes. Alors Cleandridas
quitta la plaine , & pofta fon armée dans un
lieu étroit. La grande multitude des ennemis
ne leur donna aucun avantage. Le peu d'étendue
du lieu donna moyen à Cleandridas
d'oppofer un front égal à celui qu'il avoit devant
lui , & de cette forte les Thouriens
gnerent une feconde bataille fur les Leucaniens.
•
ga.
R. Selon les armes dont nous nous fer
vons , la force de notre ordre de bataille
confifte à avoir toujours les files ferrées , &
avoir auffi les rangs ferrés lorfque le bataillon
charge l'ennemi , & lorfque les files font
trop ouvertes , un bataillon a un défavantage
confiderable contre celui qui les a ferrées
, qui le perce & le ba aifément .
SEPTEMBRE 1746. ' 39
!
#
Cleandridas faisant la guerre aux Leucaniens
, avoit la moitié plus de troupes qu'eux.
Il eût peur que s'ils s'en appercevoient , ils ne
priffent la fuite pour éviter le péril. Il s'avifa
donc de donner beaucoup de profondeur à fa
Phalange. Les Leucaniens lui voyant peu de
~`largeur dans le front la mépriferent & etendirent
leurs rangs dans le deffein de le déborder.
Alors Cleandridas élargiffantfa Phalange, ordonna
aux ferre files de quitter la file , & de
fe mettre en rang du côté des chefs de file. De
cette maniere développant fon front , il vint à
bout de déborder lui- même les Leucaniens . Ils
furent enveloppés, percés de traits, & tous tués,
à la referve d'un petit nombre qui prit honteufement
la fuite.
R. Toute manoeuvre que l'on fait où l'ennemi
ne s'attend pas , ne peut que lui caufer
de l'embarras ; ce n'eft point en doublant
les files , & enfuite les dédoublant qu'on
peut augmenter fon front , mais en mettant
quelques bataillons ou efcadrons derriere
ceux qui font en premiere ligne affés près ,
pour que l'ennemi ne s'en apperçoive pas ,
& lorfqu'il eft prêt de charger , ces troupes
font face en arriere , & font une demi converfion
, & enfuite embraffent les droites ou
gauches des ennemis .
Démofthene conduifant -les Acarnaniens
les Amphiloquiens,fe trouva campé devant les
40 MERCURE DE FRANCE .
•
8
troupes du Péloponéſe un grand torrent entre
deux. Il vit que les ennemis étoient fort fupérieurs
en nombre , & qu'ils débordoient for
armée. Ilfit mettre en embuscade dans un lieu
creux propre à cela , un nombre fuffifant de
&
gens armes de toutespieces , & trois cent Fantaffins
armes à la legere , qui eurent ordre ,
quand ils verroient la Phalange débordée
les ennemis , de fondre en queue fur ce qui s'étendroit
au-delà de fa Phalange . Les ennemis
le déborderent effectivement , & les gens de
l'embufcade s'étant levés à propos, tomberent
tout d'un coup fur les ennemis qu'ils prirent
par derriere , & les vainquirent fans beaucoup
de peine.
par
R. Le torrent ne fait rien ici pour la manoeuvre
qui ne convient point pour en empêcher
le paffage,mais fuppofant qu'il n'y en
ait point , dans l'inftant qu'un ennemi marche
à vous quoiqu'avec un front plus étendu
que le vôtre , fi vous pouvez avoir fait paffer
des troupes par quelques détours , enforte
qu'elles viennent à l'attaquer par derriere
, il eft für que cela lui caufe beaucoup
de défordre , fur-tout s'il ne découvre pas
aifément par combien de monde il eft attaqué
par fes derrieres . Ce qu'il a de mieux
à faire alors , eft de faire retourner toutes .
les troupes qui déborderont les vôtres .
Timothée voulant traverser le Païs d'Oly
SEPTEMBRE 1746. 4-x
the ,& craignant la Cavalerie des Olynthiens,
fit un quarré long de fon armée. Il mit le bagage
& la Cavalerie au centre avec ungrand
nombre de chariots accouplés ensemble , & en
dehors , ilpofta de côté & d'autre les gens armés
de toutes pieces . De cette forte il empêcha
la Cavalerie des Olynthiens d'agir.
R. De l'Infanterie qui feroit chargée def-
Corter & de conduire un nombre de chariots
dans un Païs de plaines , ne pourroit
mieux faire que de s'en fervir pour s'enfermer
; il faut pourtant faire une attention néceffaire
depuis les armes à feu , c'eſt que leur
bruit effarouche les chevaux , & pour peu
qu'il y en ait qui s'emportent , l'effroi fe com
munique aux autres ; ainfi il faut prendre
fes précautions pour empêcher que ces accidens
n'arrivent , ſoit en attachant tous les
chariots au bout l'un de l'autre , ou en les
accouplant , ou quand on eſt arrêté en faifant
dételer les chevaux.
Antipaterfe trouvant en Theffalie , voulut
faire accroire aux ennemis qu'il avoit une Caalerie
fort nombreuse . Il raffembla un grand
ombre d'ânes & de mulets , les arrangea en
fcadrons , fit monter deffus des gens armés en
avaliers , & à la tête de chaque Escadron , il
ordonna que le premier rang fût de véritables
chevaux.Les ennemis voyant ces premiers rangs,
e perfuaderent que le reste étoit de même, pri
42 MERCURE DE FRANCE,
rent l'épouvante , &fe mirent en fuite. geft.
las s'eft fervi d'une rufe pareille en Macédoine
contre Efore , & Eumene l'a mise en pratique
en Afic contre Antigone.
R. Quelquefois pour faire paroître un détachement
plus nombreux qu'il n'eft , on fait
mettre chaque troupe en bataille fur un
rang ; l'ennemi peut s'appercevoir aisément
de cette manoeuvre , fi le tems eft clair , &
qu'il ne faffe point de pouffiere , mais en fe
fervant du ftratagême expliqué ci - deffus ,
& faifant mettre ou des valets , ou des fourrageurs
en fecond & troifiéme rang , il eft
fort aifé de tromper l'ennemi. On peut pratiquer
une manoeuvre toute differente , l'on
eft dans un Païs où il lyy ait une hauteur entre
l'ennemi & vous ; on peut faire paroître un
tiers environ de fes troupes fur cette hauteur,
& laiffer le refte en arriere au bas de la hauteur,
& des troupes que vous aurez avancées
fur la hauteur , en former le double ou le triple
, en les mettant fur un feul rang , enforte
que l'ennemi voye cette manoeuvre, & croye
par là que vous voulez lui faire paroître un
plus grand nombre de troupes que vous n'avez
en effet ; & s'il vient vous attaquer, vous
faites monter ce que vous aviez tenu caché
pour marcher à lui .
Pammenès avoit dans fon armée beaucoup
de Cavalerie. Ees ennemis etoient fupérieurs
SEPTEMBRE 1746. 43
an nombre de gens couverts d'écus . Il leur oppofa
le peu qu'il en avoit , avec son Infanterie
Légere , c'est - à-dire , ce qu'il avoit de plus foible
, à ce que les ennemis avoient de plus fort,
avec ordre de prendre la fuite , afin de feparer
les porteurs d'écus d'avec le reste de leur
Phalange . Quand cela futfait , il prit la Cavalerie
de l'autre aile , & fondit avec fur les
ennemis , quife trouverent envelopes ,tant par
cette Cavalerie , que par ceux qui avoient feint
auparavant de prendre la fuite , & avoient
fait volte face , & de cette maniere ils furent
entierement défaits.
R. Il faut qu'il y ait quelque chofe d'alteré
dans cet endroit , car il n'eft point dit
que Pammenès fe fervit d'une aîle avant de
parler de l'autre , & c'eſt le centre à qui il
donne ordre de plier.
Cette manoeuvre peut être employée avec
fuccès par des troupes bien exercées & difciplinées
, fur-tout contre d'autres qui feroient
de nouvelles levées.
Brafidas , General des Lacédémoniens , fe
laiffa enclore , à deffein , par la multitude des
ennemis pour difperfer leurs forces , puis fit un
effort par l'endroit le plus foible.
R. Cette manoeuvre ne vaut rien à pratiquer
que contre une multitude qui ne connoît
point ſa force , car fi lorſque Brafidas fit
an effort par un endroit , tous les autres
44 MERCURE DE FRANCE.
étoient tombés fur lui , il eût été battu ,
fon ordre perdant toute fa force , parće
qu'il auroit été obligé de ſe battre de tous les
côtés.
Cléomenès , plus foible en Cavalerie que fon
ennemi , embarraffa le champ de bataille d'arbres
coupés , & rendit par là l'effort de la Cavalerieinutile
, ou rendit par là le lien inacceffible
à la Cavalerie.
0 R.Le nombre de troupes ne fait rien au gain
d'une bataille quand on ne peut faire combattre
qu'une certaine quantité , & la force
d'un ordre de bataille ne confifte qu'à faire
combattre à la fois plus de troupes que fon
ennemi , & il y a des regles & des principesfûrs
pour tous les differens ordres de bataille
, fuivant les differens terreins . Dès
qu'on peut empêcher fon ennemi de fe fervir
de la Cavalerie en faifant un abbatis , on
diminue la force de fon ordre.
Cneius Scipion étant rangé en bataille contre
Hannon Général des Carthaginois , près de
la Ville d'Indibilis en Espagne , & ayant remarqué
que les Espagnols , qui étoient les meilleurs
Soldats , étoient à la droite , & les Africains
à la gauche , il retira un peu fon aile
gauche , afin qu'elle ne vint pas fitôt aux mains
avec les Espagnols , & avançant la droite out
il avoit mis fes meilleures troupes , il rompit
les Africains, puis obligea les autres àfe rendre.
SEPTEMBRE 1746. 49
R. Cette attaque eft fuivant l'ordre de
bataille de la ligne oblique expliquée par
Vegece.
Philippe de Macédoine en un combat con → ·
tre les illyriens , voyant que leur front de bataille
étoit fort ferré , & rempli de leurs meilleures
troupes , Ű que les côtés étoient foibles
il rangea iout ce qu'il avoit de bon à l'aile droi
te , en prenant en flanc leur aile gauche , mis
toute leur armée en defordre , & remporta la
victoire.
R. Id.
Parménès , Général des Thébains , voyant·
que les Perfes avoient mis leurs meilleures trou
pes à l'aile droite , leur oppofa les plus foibles
de fon armée , avec ordre fi on les venoit
attaquer , de fe retirer en un lieu avantageux
qui étoit proche ; & mettant toute fa
Cavalerie à l'aile droite , avec la flenr de fon
Infanterie , il envelopa les ennemis par leur
gauche, & les défit .
R. Cette maniere de combattre reflem
ble à la ligne oblique en partie , mais il faut
avoir un pofte sûr pour la retraite de la partie
qui doit fe retirer , & avoir des troupes
bien exercées & difciplinées.
Publius Cornelius Scipion l'Africain faifant
la guerre contre Afdrubal en Espagne ,
avoit accoutrmé de mettre les meilleures troupes
au miliu , ce que l'autre faifoit à fon exem
1
46 MERCURE DE FRANCE.
ple , mais le jour du combat Scipion les tranf
porta fur les ailes , & retira le milieu de la
bataille fort en dedans , de forte que combattant
des deux côtés avec fes meilleures troupes
contre les plus faibles des ennemis, il les
defit aifement.
R. Cet ordre de bataille reffemble beaucoup
à celui que Vegece explique, qui eft de
faire marcher les deux aîles pour attaquer ,
& de tenir le corps de bataille en arriere ,
& la figure prefque circulaire que Scipion
fait prendre à fon armée a cela de plus , c'eſt
que les flancs des parties qui vont attaquer
f'ennemi , font appuyés par la partie du
centre.
Metellus. de même au combat qu'il gagna
contre Herculeius en Espagne , voyant que ce
Général avoit mis fes meilleures troupes au milien
, il retira fa bataille fort en dedans , pour
ne combattre en cet endroit qu'après que fes
deux ailes auroient donné, & qu'elles auroient
envelopé l'ennemi.
R. Id.
leurs
Annibal tout au contraire , en la bataille
de Cannes , avança le milieu , & retira les
deux ailes ; & de ce milieu ayant renversé du
premier choc celui des Romains, parce que
plus foibles troupes y étoient , il fit avancer peu
peu fes deux ailes , fi bien que les Romains
fe trouverent envelopes de toutes parts ; mais on
SEPTEMBRE 1746. 49
ne peut fe fervir de ce ftratagême qu'avec des
troupes fort expérimentées comme étoient les
fiennes,
R. Il ne paroît pas aifé d'enveloper une
armée en la perçant par le centre , & attaquant
enfuite les droites & les gauches ;
aufli Frontin dit-il qu'il faut des troupes
fort expérimentées pour fe fervir de cette
façon de combattre ."
Livius Salinator & Claudius Nero , en la
feconde guerre punique , voyant qu'Afdrubal,
pour éviter le combat, s'étoit range en bataille'
fur une éminence affés inégale & rabotenfe , ils
retirerent toutes leurs troupes fur les aîles , &
laiffant le milieu dégarni , attaquerent l'ennemi
des deux côtés , & le taillerent enpieces.
R. Si la féparation de cette armée Romaine
a pû le faire affés promptement pour
qu'Afdrubal n'eût pû changé fon ordre de
bataille , il n'eft pas furprenant qu'il ait été
battu , mais auffi étoit - il mal pofté , puifqu'il
n'avoit que fon front retranché par le ter
rein , & que fes flancs étoient en l'air,
Alexandre en la journée d' Arbelles , crai
gnant d'être envelope par la multitude des ennemis
, &fe fiant en la valeur de fes troupes
Les rangea de forte , qu'elles pouvoient faire
front de tous côtés .
R. Ce n'eft que pour une défenfive forcée
qu'on doit prendre un pareil ordre , car il
48 MERCURE DE FRANCE.
ne peut fervir pour battre fon ennemi ; tout
ce qu'on en peut efpérer , c'eſt de n'être pas
forcé , car fi une armée dans cet ordre eft
attaquéede tous côtés , elle ne peut pouffer
fon ennemi d'aucun côté , qu'elle ne rompe
fon ordre , & ne laiſſe alors des vuides par
où la partie qui s'eft féparée peut être tournée
par l'ennemi.
Pompée à la journée de Pharfale rangea fes
legions fur trois lignes , à dix de hauteur , mit
les meilleures troupes fur les ailes de celles qui
étoient nouvellement levées; à la droite,qui étoit
couverte d'une petite riviere marécagenfe il
mit feulement fix cent chevaux , & jetta tout
le refte de la Cavalerie à l'aile gauche , avec
fes troupes auxiliaires , pour enveloper l'ennemi.
Cefar rangea de même fes Légions fur trois
lignes, couvritfon aîle gauche de marais, pour
n'étrepoint envelope de ce côté là , & mittoute
fa Cavalerie à l'aile droite , entremêlée de quelque
Infanterie légere qui étoit accoutumée de
combattre avec , mais comme fa Cavalerie
étoit beaucoup moindre que celle des ennemis ,
il la fortifia de fix Cohortes qu'il tira des Légions
, & qu'il rangea en flanc de
flanc de ce côté-là
pour s'empêcher d'être envelopé , ce qui lui donna
la victoire , car elles repoufferent la Cavalerie
ennemie qui vouloit fondre en cet endroit,
le croyant fans refiftance , & la mirent enfuite.
C'étoient des troupes de la troifiéme ligne qui
combattoieni
SEPTEMBRE 1746. 49
combattoient avec de gros pieux comme des hallebardes
, ce qui fut comme un mur que la Cavalerie
ne put forcer.
R.Façon d'employer la ligne oblique pour
empêcher d'être envelope .
Quand Iphicrate avoit à combattre contre
des troupes fans expérience , avec des Soldats
exercés de longue -main , il ne fe hâtoit pas
d'attaquer. Il trainoit l'affaire en longueur ,
Laffoit par ce retardement des ennemis peu accoutumés
à la peine , il les attaqueit ;
mais au contraire , quand il avoit en tête de
vieilles troupes , & ne conduifoit que de nouvelles
levées , il donnoit d'abord , pour mettre
à profit la premiere pointe de courage de fes
Soldats . qui avoient plus d'ardeur que d'experience.
R. Cette maxime peut être bonne , mais
pour la mettre en pratique il faut connoître
bien le génie & le caractére des troupes que
l'on méne.
Iphicrate, quoiqu'au milieu d'un Pays ami
muniffoitfon camp de paliffades , & difoit , il
n'appartient pas à un Capitaine d'être réduit
à dire , je n'y penfois pas.
R. Cette maxime eft bien vraye , & un
Général doit reconnoître ou faire reconnoître
, s'il ne le peut faire par lui - même
tous les environs de fon camp le plûtôt qu'il
peut, afin de fçavoir le parti qu'il en peut
C
50 MERCURE DE FRANCE
tirer , & s'il a deffein de fe deffendre dans
fon camp , il doit travailler à ſe retrancher ;
car il ne faut pas croire qu'il eft honteux de
frendre fes précautions ni fes avantages , &
Al faut combiner toutes les façons dont l'Enemi
peut vous attaquer , enforte que quoiqu'il
puiffe faire , qu'on ne puiffe pas fe dire ,
Je ne l'avois pas prévu , Je n'y penfoispas.
Iphicrate comparoit toute l'armée au corps
humain. If difoit que la Phalange étoit la poitrine
, que les fantaffins armes à la légere
étoient les mains , que les pieds étoient les gens
de cheval , & que le Général étoit la tête.
Quand il manquoit quelque chofe , il difoit
que l'armée étoit eftropiée , & que quand le
Général periffoit , tout le refte devenoit inutile.
R. Que l'Infanterie foit les mains ou les
pieds , ou que ce foit la Cavalerie il n'importe
, mais ces deux armes doivent le foutenir
mutuellement , & le Général eft la tête
qui dirige leurs mouvemens & leurs opérations
; quand cette tête manque, le refte ne
peut agir avec fuccès.
Iphicrate promit à fes foldats de leur donner
la victoire , s'ils vouloient avancer un pas
feulement, en s'animant les uns les autres ,
quand il leur en feroit le fignal. Dans la plus
grande ardeur du combat au moment que l'affaire
alloit fe décider, Iphicrate hauffa le fignal
, Ses troupes s'avançerent avec de grands
SEPTEM BRE , 1746. 5
cris, & pouffant les Ennemis vigoureusement ,
ils les mirent en fuite.
R. Sans entrer dans la difcuffion , s'il faut
commander les manoeuvres aux troupes par
des fignaux ou non , & quels doivent être
ces fignaux il eft fûr que l'on donnoit des
fignaux autre fois même dans la plus grande
chaleur du combat.
Iphicrate exerçoit continuellement fes foldats
par de faux bruits , defauffes marches ,
de fauffes frayeurs , de fauffes embuches , de
fauffes trakifons , de fauffes defertions , de fauf
fes attaques & de fauffes nouvelles de fecours
arrives aux Ennemis , afin qu'onfut moinsfurpris
quand ces chofes arrivoient veritablement.
R. Cela ne peut être employé utilement
que dans des armées qui ne font point du
tout difciplinées , ou dans celles d'une République
qui feroit gouvernée par le Peuple.
Quand Iphicrate n'avoit point de quoipayer
la folde àfes troupes , il les menoit dans des
lieux deferts & fur le rivage de la mer , où
elles n'avoient pas occafion de faire de dépenfe
. Quand fa Caille étoit pleine , il conduifoit
fes foldats dans les Villes , & dans les lieux
où tout abondoit , afin que confumant leurfolde,
le manque drgent les rendit enfuite plus
ardents à de nouvelles expéditions. Il ne les
laiffoit jamais dans l'oifiveté , mais il les occupoit
fans ceße , tantôt à faire des tranchées,
C jj
42 MERCURE DE FRANCE,
Lantôt à couper du bois , tantôt à changer de
camp, tantôt à démenager & transporter le bagage.
Il étoit perfuadé qu'il n'y avoit que l'oifiveté
qui occafionnoient les mouvemens fedicieux.
R. Les Armées à préſent font des especes
de Villes ambulantes où l'on trouve toujours
à dépenfer autant que dans une veritable ,
Foccupation continuelle y eft bien néceffaire
, car fi on laiffe les troupes fans les exercer
& les faire travailler , cette oifiveté devient
la fource de tous les défordres & détruit entierement
le courage des troupes qui quand
elles font fouvent exercées fe perſuedant
ailément valoir mieux que d'autres , & par
conféquent ſe battent avec plus d'affurence.
Iphicrate ayant à traverser un Pays fans.
sau , par un chemin de deux journées , ordonna
à fes foldats de fouper & de faire provision
dean. A foleil couché il fe mit en chemin &
marcha toute la nuit. Lejour venu il campa,
fis manger fes troupes , & leur ordonna de se
fervir de l'eau qu'elles avoient apportée . Il les
fi repofer après midi , & fur le foir il leur
coinmanda de fouper. Après cela leur faifant
plier bagage , il marcha encore la nuit. De
catte maniere il fit en deux nuits le chemin de
de deux jours ; fes troupesfurent rafraichies, &
Dean ne manqua pas.
B. En pareil cas il faut faire exactement
3
SFPTEMBRE 1746 $ T
la même chofe ; on ne peut rien do
nieux , il n'y a que les chevaux qui fourfriroient
un peu , parce qu'il n'eft pas aifé de
porter affés d'eau pour eux ,
à moins qu'une
Armée ne fe trouvât dans un Pays où elle
pût faire marcher avec elle un grand nom
bre de chariots de payfans chargés de tonneaux
plein d'eau. La fuite dans le prochain
Mercure
A
* *
Life , pour tes beaux yeux
Tu fçais que je foupire ;.
Si j'of is te le dire
M'en aimerois tu mieux ?
Timide & curieux ,
J'attends & je défire
Qu'amour pour moi t'infpire
Un fouris gracieux.
C iij
54 MERCURE DE FRANCE
2:54:14:58 : 3
TRADUCTION d'une petite pièce d'un des
précedent Mercures en Vers Latins.
Divus amor parcis manibus fua munera prabens ;
Dulcia largitus cunctos tibi jura trabendi ,
Pro folis opibus , tribuit tihi dona placendi ,
Me quoque fincero pariter dotavit amore ;
Illa talenta duo ; à fe pendet utrumque viciſſim',
Vel melius , fifit folum , fit pondere nullo ;
Tane dignare mei pretium cognofcere doni.
Aut mihi tantillum vefiri, Lucinda, repende.
TRADUCTION."
LE Dieu d'amour avare en fes largeffes ,
En vous donnant le droit de tout charmer ,
Au don de plaire il borna vos richeſſes ,
Et referva pour moi celui d'aimer .
Ces deux talens ont befoin l'un de l'autre ,
Et le meilleur , s'il eft feul , ne vaut rien ;
Daignez connoître enfin le prix du mien ,
Ou donnez-moi , Lucinde , un peu du vôtre.
SEPTEMBRE 1746. 55
***************I
EPIGRAMME de M. de la Soriniere contre
un parleur impitoyable , un grand difeur de
riens.
AMi , qui de ton verbiage
Peut foutenir le faux & le bruit éclatant ?
Ah ! crois-moi , Lifimon , ou penfe davantage ,
Ou ne parle pas tant .
3
DU DU DU QU QU DU DU DU DU DU DU QU QU QUÁ
AUTRE du même centre Chrifologue.
Quand je vois Chrifologue épris de tous les arts
Coufondre les Quinauts avec les Thévenars ,
Et d'un airs conquérant , en paffant au Parnaſſe
Faire pâlir Marot , la Fontaine & Bocace ;
Quel homme , dis-je , tout ſurpris ;
11 fçait tout & n'a rien appris !
Cij
36 MERCURE DE FRANCE.
糕
ODE.
ANACREONTIQUE.
AUx rigueurs de l'hyver fuccedent les beaux
jours ;-
Le printems couronné de fleurs & de verdure
Ramene dans nos champs zéphire & les amours :
Flore étale à nos yeux fa riante parure :
Les oiſeaux enchantés expriment leurs tranſports
Par la douceur de leur ramage.
Tout l'univers renaît , tout annonce à ces bords
Que les jeux & l'amour demandent notre hommage.
Philis , que mes foupirs allument ton ardeur
Par de tendres baiſers couronne ma tendreffe ;
Fais paffer dans mes fens le plaifir enchanteur
Et livrons - nous tous deux à la plus douce yvreffe
Sur les naiffantes fleurs , reconnoiffons Venus
Livrons nous aux plaiſirs , redoublons notre flamme
;
Cedons aux tranſports inconnus
Que le Dieu des amours à verſés dans notre ame.
Jelaiffe les lauriers au Dieu de nos combats :
SEPTEMBRE 1746. 57
Que Maurice à fon char enchaîne la victoire ;
Il agit en héros dont Mars foutient le bras.
Un tendre amant foupire après une autre gloire 3
Il triomphe , s'il peut , mériter des faveurs ,
Et dans fon yvreffe il préfere
Aux lauriers dont on ceint la tête des vainqueurs
Les myrthes cueillis à Cythere .
L'ennemi de nos jours, l'infléxible trépas ,
Peut dans un feul inftant fermer notre paupiere.
Songeons à profiter des momens d'ici-bas
Et de fleurs , s'il fe peut , femons notre carriere.
Notre vie eft un foufle, un fonge , une vapeur,
Amour fuis mes tra es fans ceffe ,
Et puifqu'il faut mourir , Bacchus , que ta liqueur,,
M'endorme pour toujours au fein de ma maitreffe
Dupré Davalquin.
18 MERCURE DE FRANCE ,
Il y a quelques mois que nous reçûmes une
differtation ; intitulée , de la corruption du
gout dans la Musique , & notre intention étoit
de lui donner place dans notre Journal , mais
ayant des engagemens anterieurs à remplir,
l'Auteur nous a prévenus & nous a privés de
fa differtation en la faifant imprimer à Lyon:
voici une réponse que l'on nous adreffe &.
que nous imprimons comme nous euffions
imprimé la, differtation fi l'Auteur nous en
eût laiffé le tems. Le Mercure eft un champ
de bataille livré aux combats litteraires ;
nous fommes fpectateurs neutres de ces
joutes , & nous nous contentons de dire aux
combattans
Non noftrum inter vos ... componere lites.
LETTRE de M. de S. à M. de L. B
Ous connoiffez comme moi , Monfieur ,
toutes
toutes les difcuffions que nous avons
effuyées il y a quelques années fur la Mufique
; vous fçavez combien elles étoient
ennuyeufes , fans autre fruit que d'avoir fait
échauffer & même fouvent déraisonner de .
SEPTEMBRE 1746. 59
fort honnêtes gens, Vous les avez vû s'éteindre
ici à mesure que l'oreille s'eft habituée
aux nouveautés de nos Muficiens modernes.
Cependant l'écho des Provinces
fe fait encore entendre , & l'on vient d'imprimer
à Lyon une brochure qui a pour
tître de la corruption du goût dans la Mufique
Françoise par M. Bollioud &c.
Je vous avoue que fans ce titre qui m'a
paru un peu hardi & même injurieux pour
le fiécle , quoique avec le nom & toutes
les qualités litteraires de l'Auteur , je ne
F'aurois pas lûe , & quoique cet ouvrage
ne foit au fond qu'un renouvellement & une
repétition de toutes ces anciennes difcuffions
, aux étranges jugemens que l'Auteur
y porte de toute notre mufique , à tout cequ'il
dit pour les foutenir , je n'ai pû me
refufer les réflections que je vous envoie.
Je me flate que vous les aprouverez & que
Vous les trouverez d'un bon François , d'un
amateur de tous les Arts & de tous les tafens
, d'un défenſeur raiſonnable de fes contemporains.
M. B. parlant de la mufique en général
dit pages que le goût en ce genre tend à fa
décadence pour nepas dire qu'il y eft parvenu ;
page 19 que dans les moindres chofesla Mufique
panche vers fon declin ; felon lui il en
eft de même de tous les Arts ; que nous
Cvi
60 MERCURE DE FRANCE
annonce ce changement , dit- il page 52 , fi
non une décadence générale dans les Arts? Il
termine fon ouvrage par crier haro fur tout
le peuple muficien après avoir cité en hom--
me érudit comme il peut l'être , le trait:
d'Hiftoire du Muficien Thimotée condamné
à la peine de l'oftracifme par les
Spartiates pour avoir ajouté des cordes à
la Lyre..
•
> aux A une déclamation auffi forte
réquifitions formelles que fait M. B. auprès
des Académies , auprès des connoiffeurs
, auprès de tout homme capable de fentiment
, à une pareille démarche qui tend à
defhonorer le goût de la nation & que l'importance
de l'objet pourroit tout au plus
juftifier , qui ne croiroit que cela feroit vrai ,
& que M. B. pour jouer ce perfonnage fingulier
feroit rempli des connoiffances les
plus profondes de cet Art , théorie & pratique
; qu'il auroit chés nous un nom connu
pour cela , une réputation égale à celle
de nos plus fameux Artiftes ; qu'il tiendroit
en main les preuves les plus convaincantes ,
les démonſtrations les plus claires , qu'il
nous feroit voir dans des paralleles des an-.
ciens avec les modernes , dans des difcuf
fons exactes & détaillées de leurs ouvrages
le goût le plus fin le plus sûr &
le moins partial ? Encore faudroit- il fuppo
"
SEPTEMBRE 1746.
fer ce qui ne fçauroit être , qu'on pût bien
juger de la mufique dans laquelle l'exécution
entre peut être pour plus de la moitié autre
part qu'à Paris qui eft à cet égard le point de
réunion des grands talens du Royaume.
Voyons donc fi M. B. eft auffi fort a foutenir
fes oracles qu'il eft confiant & ferme
à les prononcer.
Dans la premiere partie de fon ouvrage il
traite du Muficien compofiteur. Il dit qu'ib
faut néceffairement qu'il foit harmoniste par
régles & par principes. Qui en doute ? Reprochera
t'il l'ignorance à nos Muficiens
modernes ? Ce qu'il dit enfuite fur les qualités
que le Muficien doit avoir , fur le but
qu'il doit fe propoſer dans fon travail , font
encore de ces chofes générales & communes
qu'on a dit cent fois & que tout le
le monde fçait..
Il faut pourtant arrêter ici M. Bollioud
, pour lui demander ce qu'il entend
par imitet la Nature lorfqu'il ne s'agit point
de mufique vocale , ou qu'en inftrumentale:
il n'y a pas lieu à peindre foit quelque:
fituations , foit quelques bruits , même quelques
mouvemens naturels. Quelle eft , par
exemple , l'imitation de la Nature dans un
menuet , dans une gigue &c ? Eft- il là queſ
tion de la Nature , fi ce n'eft par les différens
rapports qu'elle a mis entre les diffé
rens fons ?
י
MERCURE DE FRANCE,
Voudroit-il bien nous dire encore com
ment il entend accorder la varieté qu'il exige
dans les ouvrages de fon compofiteur, les tours
nouveaux qu'il veut qu'il employe, lorfqu'il lui
propofe des modeles qu'on a imités pendant
60 , ans lorfqu'il fe laiffe voir tellement prévenu
pour ce genre de mufique , qu'on doit
croire que ce qui n'en feroit pas des copies
ferviles, n'auroit pas droit de lui plaire ; lorfque
par une fuite de ces mêmes affections
particulieres , il voudroit encore qu'on bornât
les inftrumens à ce que peut exécuter
la voix ?
Les modéles que M. B. propofe font
Lully pour le Théatre , & Lalande pour l'Eglife
. Ce font là fans doute de grands Muficiens
& c'eft pour cela même qu'on doit
s'étonner qu'il les mette en compagnie avec
Senaillez , Marais & Couperin ; comparer
les fymphonies de ces Auteurs avec celles
de Lully , c'eft nous prouver que l'expreffion
& la varieté le touchent moins que les
chants en pure perte , chants dont le tour
peut être agréable , mais qui ne peignent
rien , ou fi l'on veut y fuppofer quelques
peintures , ce n'eft jamais que dans ce goût
commun , cette maniere rebattuë qui n'eft
nouvelle pour perfonne. Les regrets qu'il
donne dans un autre endroit de fon ouvrage
à Lambert & à du Bouffet achevent de
SEPTEMBRE 1746. 64
faire connoître le goût particulier de M. B.
On peut comme M. Jourdain n'aimer que
la chanfon où il y a du mouton , mais il ne
faut pas pour cela blâmer ceux qui en aiment
d'autres , & n'en parler que comme
d'une foule méprifable avide de nouveautés
.
Doit- on être furpris de voir M. B. par
tant de ces préjugés paffer des éloges les
plus forts de fes héros aux reproches les
plus violens contre tous les Muficiens de
nos jours ? Si on l'en croyoit , il n'y en au
roit point qu'il ne fallut traiter comme Thimothée
. Forcé cependant de reconnoître
& d'admettre des degrés de talent & de
mérite , voici l'expédient dont M. B. ſe ſert
pour tout comprendre dans fa condamnation
. Il fuppofe que les maîtres fuivent les
traces des écoliers & que les bons Muficiens
ont la complaifance de faire comme
les mauvais , par ce que , dit- il , tout fe laiffe
entraîner au torrent.
Le Compofiteur , dit M. B. , ne fonge qu'à
faire du neuf Il lui a recommandé de chercher
des tours nouveaux ; voudroit il qu'il
fit du vieux ? Il choisit des fujets d'un chant
trivial & bizarre , voilà deux extremités
oppofées ; la chaleur de la matiére a brouille
fa Logique , perfuadé , pourfuit- il , qu'il les
embellira àforce dy mêler des traits , des fres
64 MERCURE DE FRANCE
dons. C'étoit la maniére de Lambert donton
eft corrigé depuis long- tems. On s'accoûtume
en compofant à négliger les régles.
On ne les a jamais fi bien connues que depuis
que nous avons un Traité de l'harmo
nie & d'autres ouvrages de ce même Auteur
qui en a heureufement trouvé & developé
le principe , & par conféquent elles
n'ont jamais été fi géneralement obfervées.
On force les caracteres , on tire le fens des
paroles , & bien d'autres reproches auffi
vagues dont il accable indiftinctement tous
nos compofiteurs , mais qui ne fçauroient
regarder ces maîtres qui font honneur à
l'Art & au fiécle.
Premierement fur les modéles que propofe
M. B. je crois qu'on peut à l'égard
de Lully le renvoyer à tout ce que vous
fçavez qui en a été dit à l'occafion des opéra
de Phaéton & d'Hyppolite inferé dans
les obfervations de l'Abbé Desfontaines ,
aux nombres 462 , 472 & 485 , & dont
Fa repétition ne pourroit que vous ennuyer.
M. B. qui ne paroît pas en être inftruit
verra des chofes difcutées en détail & par
conféquent d'une façon plus propre à don--
ner des éclairciffemens que ne feront jamais
toutes les déclamations , fi éloquentes
qu'elles puiffent être . II verra en même
tems que les plus zélés partifans de ce
SEPTEMBRE $ 746. 6.5
grand homme , font forcés de convenir qu'il
a laiffé à fes fucceffeurs à enchérir fur lui à
bien des égards & qu'il eft des modernes à
qui ils accordent de l'eſtime auffi bien qu'à
Lully.
Il en eft de même de Lalande ; nous lui
voyons aujourd hui de très dignes fucceffeurs
& en affés grand nombre , mais lorfqu'on
eft borné dans fes goûts on l'eft de
de même dans le choix qu'on fe fait de fes
héros , & c'eſt la précifément la fource de
ces decifions téméraires & injuftes , quelquefois
puériles , dont l'homme qui confidére les
Arts dans toute leur étendue ne fera jamais
capable.
C'eft à cette foule de manieres en peinture
fi differentes entre elles que nous devons
toutes ces productions variées qui ont
rendu cet Art fi beau , fi vafte , fi admirable.
L'amateur fage peut avoir des affections
, mais elles ne font jamais tyranniques ;
Il n'a d'éloignement pour rien ; s'il ne donne
fon amitié , il accorde au moins fon eftime
à tout ce qui a droit d'y prétendre , &
s'il fe fent quelque répugnance a approu
ver ce qu'il voit applaudir , loin de s'en fier
à fon goût & à fes connoiffances il s'en rapporte
au jugement des Artiftes célébres ,
comme les plus experts , M. B. ne nous
perfuadera point qu'un homme qui profeſſe
66 MERCURE DE FRANCE
avec diſtinction un Art dont il eft uniquement
occupé n'en ait pas des connoiffances
au- deffus de celles d'un particulier qui s'en
fait un objet d'amufement , & fouvent ne
pratique point ou pratique mal. Les Peintres
font en poffeffion de juger de la peinture
, & quand je dis que les habiles Artiftes
font les plus experts , je prétends qu'ils
font auffi les plus judicieux.
Je fuis encore à trouver de vraiment habiles
gens , ce qu'on appelle de grands maîtres
, qui n'ayent pas rendu , fi non en public
du moins en particulier , la juftice la
plus exacte à leurs concurrens , tandis que
les Partiſans les dégradent réciproquement ,
fouvent même les forcent à fe hair. C'eft
la marque du mérite que de le fentir & de
lui rendre hommage.
Il ne faut pas croire que Lully & Lalande
, s'ils revenoient aujourd'hui , penfaffent
de nos modernes comme en penfe M. B.;
ils leur rendroient certainement les éloges
qu'ils en reçoivent , ils fcauroient trop bien
que les défauts dont ils reconnoîtroient par
eux mêmes que perfonne n'eft exempt , fe
compenfent par les beautés. Lully fentiroit
toutes les obligations qu'il a à Quinault &
Lalande , s'avoueroit peut être furpaſſé
dans tel fujet qu'on n'a pas craint de traiter
aprés lui,
SEPTEMBRE 1746. 67
L'adjoint le plus digne que M. B. eut
pû donner à Lully & à Lalande , eft fans
contredit Campra qui fait tête à tous deux
& qui eft mort. Cela ne fait rien à M. B.;
outre qu'il n'aime que les morts pour goû
ter le plaifir des regrets , il n'en fçauroit
adopter qu'un de chaque efpéce. Il a un'
compofiteur pour le Théatre, un pour la Mu
fique d'Eglife , un violon , une viole , un cla
vecin ; il n'y a que pour les brunettes qu'il
fui en faut deux ; peut- être eft ce pour cela
qu'il les a tous & non pour les vraiment
belles chofes qu'ils ont faites fur- tout Lully
& Lalande , car pour Senaillez , par exemple
,je n'imagine pas comment on peut citer
un tel homme en voyant ce qu'il eft aujourd'hui
vis - à -vis d'un Leclair , précisément
le compatriote de M. B.
Ne fe montrer qu'un amateur , qu'un
homme de goût , ne fembloit pas à M. B.
emporter avec foi des titres fuffifans pour
juger en fouverain de toute la Mufique &
de tous les Muficiens ; comme fes pretentions
vont plus loin , il a voulu nous fai
re entendre qu'il étoit Muficien lui même :
mais fi fur ces grands fondemens d'expref
fion , d'imitation de la belle Nature , de
beau fimple , de varieté &c. il e ft aisé auprès
des ignorans fur- tout , de fe donner
quelque air de connoiffance de la Mufique ,
68 MERCURE DE FRANCE
coup
on ne trouve pas la même facilité lorsqu'on
veut aller plus loin & entrer dans quelque
détail du fond d'un Art qui a beaude
difficultés & dont les vraies connoiffances
font pour l'ordinaire le fait des
gens du métier , encore y a t'il parmi eux
des degrés d'habiletés & de connoiffances ,
comme il y en a de génie , de goût & de
pratique .
Je crois vous avoir fait fentir que la partialité
ne fut jamais le caractére du véritable
amateur ; vous fentez auffi , & tout le monde
le fentira , que qui cite aujourd'hui Sénaillez
pour fon ceriphée en Mufique inftrumentale
ne donne pas certainement des preuves d'un
goût bien relevé , ni de connoiffances pratiques
bien étendues ou du moins égales de
toutes fortes de Muſique , car il faut remarquer
que pour la Mufique Italienne M. B.
ne cite & ne connoît vraisemblablement
que Corelly ; voyons maintenant juſqu'ou
vont fes connoiflances du fond de cet Art
fur lequel il tranche en homme fupérieur à
tout.
En propofant la varieté des modes ou
modulations M. B. condamne l'abus
qu'on fait aujourd'hui du chromatique. Il
a du apprendre dans la génération harmo
nique de l'Auteur du Traité de l'harmonie ,
dont j'ai déja parlé , que le chromatique
SEPTEMBRE 1746. EMB 69
eft indifpenfable dans un paffage d'un ton à
un autre , que tous les modes ou tons different
entre eux d'un demi- ton chromatique
au moins , que ce n'eft pas l'accident de
se demi-ton qui conftitue le chromatique ,
mais bien la fucceffion fondamentale par
laquelle ce demi - ton eft occafionné , &
le demi- ton qui en eft occafionné ne fert
qu'à y modifier la mélodie fans que
l'effet en foit extraordinaire . Lalande &
Lully l'ont employé dans la vocale auffi
fréquemment qu'on le fait aujourd'hui .
que
Sans doute que M. B. ne connoît le chromatique
que dans le demi- ton en queſtion ;
ça été jufqu'ici l'erreur générale & l'on a
même traité indifferemment de chromatiques
plufieurs demi -tons de fuite fans diftinction
, lorfque cependant il ne s'en trouve
jamais deux de cette efpéce de fuite , excepté
qu'il ne s'agit d'un genre chromatique
enharmonique qui n'a pas encor été
házardé,
On diftinguera bien- tôt la caufe de l'ef
fet que produit en nous le chromatique
fi l'on exécute fucceffivement le monoloque
de trijtes aprêts de l'Opéra de Caftor
& Pollux , dont la fucceffion fondamentale
fournit à tout moment du chromatique
pendant que le demi-ton qui en naît
ne fe trouve jamais dans la mélodie , & le
90
MERCURE DE FRANCE
monologue de terminez mes tourmens de l'Opera
d'Ifis qui débute justement par ce demi-
ton. On pourra juger en même tems
quel est le plus pathétique.
Mais dequoi fe plaint M. B. ? A l'entendre
il fembleroit que pour jouir des ouvrages
modernes , il nous en couteroit le
facrifice des anciens , comme d'un édifice
qu'on abbattroit pour en reconftruire un
autre. On vient de donner Armide à
Paris ; vous avez vû comme cet Opera a
été fuivi & couru par cette même multitude
que M. B. dit n'être avide que de
nouveautés , combien on en a été affecté ,
fur-tout de ces chofes qui tiennent beaucoup
de leur mérite du fond d'intérêt qui
fe trouve dans le Poëme & de la beauté
des paroles & fur lesquelles encore les Acteurs
influent beaucoup ; on nous donne
journellement du Lalande ; M. B. ne peut
donc avoir raifon de ce côté la .
•
Comme c'eft fur le goût qu'il fe recrie
principalement , prétendroit-il qu'il eft tellement
changé que de tout ce qu'on fait aujourd'hui
rien n'eft dans celui de Lully &
de Lalande ? Il n'auroit pas plus de raifon.
Nous ne croyons pas au Théatre , par
exemple , que dans des cas tous pareils à
ceux ou s'eft trouvé Lully & ou l'on ne peut
être qu'auffi beau qu'il l'a été , on ne cher
SEPTEMBRE 1746. 71
che
pas à l'imiter
; on le fait
& on y réuffit
.
Je ne vois
pas
même
qu'on
néglige
les occafions
de faire
ce que
M. B.
appelle
du
fimple
, ne fut ce que
pour
la varieté
qu'on
obferve
plus
à prefent
qu'on
ne faifoit
autre
fois
, les Bergers
ne viennent
point
fur la
fcene
avec
des
trompettes
& leurs
mufettes
ne jouent
point
de fanfares
; les
Graces
ne danfent
point
d'airs
de Démons
, ni les
Démons
des
farabandes
&c. il en eft de
même
de Lalande
. Ainfi
donc
au lieu
de
regarder
les nouvelles
beautés
en Mufique
dont
le fiécle
prefent
eft
capable
, comme
fubftituées
à celles
du fiécle
paffé
, il faut
les
voir
au contraire
comme
de nouvelles
richeffes
acquifes
à l'Art
, ce qui rend
à mon
gré
fon
état
actuel
plutôt
digne
d'éloge
que de la critique générale & amere qu'en
fait M. B. , malgré les abus qu'il peut bien
y avoir aujourd'hui , mais d'après lefquels
on ne doit point juger d'une chofe en gé
néral.
M. B. croit- il que nous penfions qu'il n'y
ar point eu d'abus dans ce fiecle du beau
fimple ? Car voilà le grand mot. Croit- il que
tout le fimple nous paroiffe beau comme il
peut lui paroître à lui ? Non fans doute , Il y
a des écueils pour tous les genres , comme
des abus pour toutes les chofes , fi bonnes
qu'elles puiffent être. On peut être fimple fans
72
72 MERCURE DE FRANCE.
être beau , le vice de ce genre eft de devenir
plat & pauvre , & il ne faut pas croire que les
compofiteurs du fiécle paflé n'y foient point
tombés . Comme ce genre étoit le plus ordinaire
&prefque l'unique de ce fiécle , la pauvreté
& l'uniformité en étoient auffi les vices les
plus fréquens ; comment d'ailleurs nous propofer
pour le terme & l'époque du goût de
toute la mufique en général & de tout ce
qu'elle peut nous peindre,un fiecle où de l'aveu
même de M. B. cet Art n'étoit pas connu
comme il l'eft aujourd'hui & où parconféquent
faute de ces connoiffances & d'avoir
à choisir parmi tant de differens tours d'harmonie
qu'on a découverts depuis , on ne
pourroit pas rendre autant de chofes qu'on en
rend aujourd'hui , ni fe varier comme on fait
aprefent. M. B. n'y a pas bien réfléchi.
Si fur quelques tableaux qui nous reſtent
de nos premiers grands maîtres & qu'on paye
fi cher aujourd'hui , où les figures font en
effet à certains égards telles qu'on n'a pas
dû chercher a faire mieux , mais qui cependant
pêchent fi groffierrement contre la po
fpective que l'on ne connoiffoit point alors
& où par ce deffaut de perfpective comme
par l'ignorance ou l'on étoit de fçavoir rendre
d'autres objets qui entrent dans la compofition
d'un tableau , les fonds font miférables
, on avoit dit aux maîtres qui ont tra
vaill
SEPTEMBRE 1746. 73
vaillé après eux; regardes bien ces tableaux,
voilà l'époque du meilleur goût , ne vous avifez
pas de vous en écarter , je demande fi la
peinture feroit devenue ce qu'on l'a vû enfuite.
Vous ne pensez pas que je compte faire ici
une comparaifon de la mufique à la peinture
comine de deux chofes parfaitement femblables
; non : la difference eft grande entre
entre ces deux Arts. Dans la peinture il s'agit
toujours d'imitation d'objets fenfibles &
palpables , de formes , de couleurs que tous
les yeux voyent prefque de même , malgré
cela trouve t'on encore très peu de vrais
connoiffeurs ; rien qui ne foit reputé fait d'après
Nature s'il eft beau furtout.Enforte qu'il
n'y a dans la peinture d'abfolument arbitraire
que le choix des objets & la maniére
de les rendre , les feuls moyens par où on
en a pû faire un Art varié , mais dans la mu
fique il y a plus d'arbitraire qu'on ne fel i
magine.
Il ne feroit pas difficile de démontre
qu'hors l'harmonie qui eft une dans la Nature
& qui doit être à Peckin la même
qu'elle eft à Paris , à Naples , à Milan® &c.
tout ce qu'on nous donne pour des regles
immuables fur le goût en mufique n'eft autre
chofe que des ufages & des conventions
momentannés fujets à changer felon les pro
D
74 MERCURE DE FRANCE.
grès & les découvertes qu'on peut faire dans
la recherche des differentes tours de cette
harmonie qui peuvent être auffi variés que fes
combinaiſons font étendues. Il n'en faudroit
pour preuve que tous ces differens goûts ,
tous ces accens differents que les nations
font paffer dans le jeu de ces combinaiſons
& de ces tours de l'harmonie , toutes ces révolutions
dans ce qu'on appelle goût en mufique
chés toutes les nations qui s'appli
quent a en faire , ce commerce qu'elles en
font entre elles, à l'accent près qui n'eſt ſou .
vent fenfible que dans l'éxécution .
>
Je voudrois qu'un homme quand il
veut juger d'un art comme la muſique
avant que de le faire , fe dit toutes ces
chofes , qu'il fe dit auffi , mais l'organiſation
entre pour beaucoup dans l'effet qu'elle
produit en nous. L'expérience m'apprend
qu'il eft des gens , quoique le nombre en
foit petit , que toute muſique bleffe , à qui
elle fait réellement de la peine , de la néceffairement
bien des differentes organifations
plus ou moins parfaites. Je me fens le
goût borné à certain genre de mufique ,
j'ai de l'antipathie pour tout ce qui me paroît
s'en éloigner , fi c'étoit là une foibleffe
de conformation plutôt qu'un avantage ?
D'ailleurs pour juger de la mufique en général
, il faudroit pour ainsi dire ,la connoître
SEPTEMBRE 1746. 7.5.
>
toute & la connoître également,car l'habitude
peut auffi faire quelque chofe à cela ; outre
que je ne connois pas toute la mufique
de celle que je puis connoître il y en a que
j'ai entendu plutôt & plus longtems , &
c'eft peut-être la pareffe naturelle d'un organe
épais qui m'a fait m'en tenir à ce que
j'avois de familier ; en ce cas ce font là des
préjugés de mon oreille d'après lefquels je
ne dois point raiſonner & encore moins
décider ; d'un autre côté dois- je me flater
de connoître auffi à fond tout l'Art , toutes
les differentes beautés qu'il peut renfermer ,
dois-je croire raffembler en moi tous les
differens goûts ? Je doute qu'avec ces réflexions
on ofât juger d'autre chofe que du
degré de plaifir qu'on éprouve felon les differentes
occafions & qu'on ne craignit pas
de propoſer fon goût particulier pour le
bon & le vrai.
M. Bollioud entraîné par fon penchant
pour les regrets & pour les plaintes ne traite
pas mieux l'exécution qui fait le fujet de fa
leconde partie ; il y voit de méme tout corrompu
, tout perdu. Voix , inftrumens ,
talens de toute efpece , il n'en eft point à
qui il n'ait des reproches à faire , comment
n'a t'il point dit qu'on ne trouveroit plus de
bon fouffleur d'orgues comme du tems du
feu Ri?
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
Le violon ne lui paroit plus avoir que les
deux chanterelles , il trouve qu'on n'en tire
plus de fons fermes & nourris , qu'on ne
fait plus de ces beaux fons enflés , de ces .
belles cadences bien battues , de ces ports
de voix bien filés; la Alute a auffi fes reproches
& ainfi du refte.
Si M. B. n'avoit prétendu parler que de
l'exécution qu'il peut entendre journellement
dans fa Province , on lui diroit qu'il
peut bien avoir raifon , mais fon ouvrage ,
le titre qu'il lui a donné , l'impreffion à la
quelle il l'a livré , le débit qu'il en fait faire
à Paris , tout fait voir que fon intention a
été de juger en général de toute la mufique
Françoife , & de tous les muficiens éxécutans
, comme compofiteurs.
Comme tout ce que M. B. dit fur l'exécution
part des mêmes préjugés & des même
degrés de connoillance d'après lefquels
on vient de le voir juger de la compofition
on a toutes les mêmes réponſes a lui faire.
Quand il dit , par exemple , qu'on ne fçait
plus jouer le lent & le grave , c'eft une fuite
de fon idée qu'on n'en fait plus & qu'on n'en
fcait plus faire ; nous en entendons vous &
moi exécuter tous les jours d'une maniere
à n'y rien défirer ; celui même qui a l'attache
de M. B. Vous voyez comme on exécute
à Paris les Opéras de Lully ; vous vous
. SEPTEMBRE 1746. 77
rappellez , lorsqu'on a donné en dernier lieu
Acis & Galathée , cet applaudiffement univerfel
fur l'exécution de la chacone , éxécution
qui étoit fi parfaite qu'on doit être
prefque fur que Lully ne l'a jamais pu entendre
cette chacone auffi bien éxécutée
puifqu'il ne pouvoit faire adoucir fes violons
qu'en leur faifant mettre des fourdines.
Faut- il pour avoir entendu jouer des chofes
d'une pratique difficile & extraordinaire ,
chofes uniquement deſtinées pour faire briller
à cet égard l'exécution , qu'on ne donne
que pour cela & qu'il ne faut prendre que
pour cela , qui , fi elles déplaifent aux gens
qui ne fe prêtent à rien de ce qui ne leur
eft pas familier , pourront faire plaifir a
beaucoup d'autres , s'imaginer qu'on n'ait eu
d'autre intention dans la compofition de tels
morceaux de mufique , & qu'on veuille y
borner tout le mérite de l'éxécution en genéral
? Non certainement , c'eſt prendre une
fauffe idée de la chofe & les faits tel que
celui que je viens de vous citer prouvent le
contraire .
"
Connoiffons nous d'ailleurs tous les fecrets ,
tous les refforts de l'Art , tous les accidens
qui peuvent occafionner fon progrès ? Pour
moi , Monfieur , je regarde bien differemment
de M. B. tous ces Sonates pleines de
recherches difficiles , de traits finguliers ,
Cij
78 MERCURE DE FRANCE.
ces productions de ces gens à faillies à qui
il ne manque que le talent des compofitions
fuivies & régulieres , dumoins d'une certaine
étendue. Je vois tout cela comme des matériaux
jettés au hazard dont les grands maltres
fçavent profiter pour certaines occafions
, & je trouve que c'eft un bien pour
l'Art même ; c'eft felon moi préparer des
couleurs pour les Peintres ; perfuadé comme
je le fuis qu'un feul homme ne fçauroit tout
embraffer , tout penfer , que c'eft dans les
differens génies que l'habile homme fçait
puifer ce qui lui convient , & que Lully &
Lalande eux mêmes n'auroient pas fourni à
une auffi grande carriere fans le fecours de
la mufique étrangere dont leurs ouvrages
prouvent qu'ils avoient connoiffance."
Je ne m'arrête point à tout ce que M.
Bollioud dit des autres Inftrumens , comme
les Mufettes , les Vieles , qu'il voudroit
qu'on n'entendit que fous l'Ormeau , & pour
lefquelles il trouve très-mauvais que l'on
compofe des Piéces travaillées . S'il eut fait
attention qu'il faut varier auffi les Concerts ,
donner à briller à tous les differents talens
comme fatisfaire les differents goûts ; que
d'ailleurs le talent de ces Inftruments aft
pratiqué par de jeunes Dames à qui l'on ne
peut rien refufer , à qui même ces Piéces font
communément dédiées , il n'en eut pas fait
SEPTEMBRE 1746. 79
un crime à notre goût. Je paffe au Clavecin,
fur lequel M. B. s'eft le plus étendu en reproches.
Que dirons-nous , s'écrie M. B. page 354
du toucher du Clavecin ? Quelle idée en auroit
un Couperin , s'il revivoit aujourd'hui ? Les
Pieces de fentiment font négligées. La légereté
de la main , l'emporte fi fort fur l'expreffion ,
dans l'efprit de nos Muficiens , qu'ils oublient
que la perfection du Clavecin confifte auffi dans
la tendreffe , dans la propreté , dans la délica
teffe du toucher. Nos Grands- Maîtres s'attachoient
à lier leur jeu : nos modernes au contraire
ne s'étudient qu'à détacher les fons , & à
rendre par conséquent leur jeu fec , fur un Inftrument
qui n'a deja que trop ce défaut par luimême.
Mais M. B. n'a donc pas de connoiffance
exacte des faits , car c'eſt tout le contraire,
Couperin qui n'a guéres compofé que dans
le goût champêtre , avoit précisément ce jeu
fautillé que M. B. prétend nous reprocher
aujourd'hui. Il eft donc le feul à ignorer que
nous avons maintenant ce qu'il veut trèsférieuſement
qu'on cherche encore. Il ne
connoît donc pas toutes les piéces de Clave ,
ein de ce même homme à qui nous devons
les livres de théorie que je vous ai cités . S'il
les connoiffoit , il auroit vû qu'il y en a plufieurs
qui font précisément dans le genre du
Di
80 MERCUREÈ DE FRANCE.
fentiment , & pour l'exécution defquelles ,
telles qu'elles ont été compofées , il faut néceffairement
lier fon jeu , même former des
ports de voix , ce qu'on ne connoiffoit point
encore. Il y a même à la tête de ces piéces
un avertiffement que l'Auteur a été obligé
d'y mettre , pour indiquer la maniere d'exécuter
ces liaiſons & ces ports de voix. Voilà,
je crois, de quoi feroit étonné un Couperin ,
il revenoit aujourd'hui , plus que de voir
croifer les mains fur le Clavecin , ce que M.
B. appelle des fubtilités puériles.
Couperin ne manqueroit pas de lui dire
fur cela , mais mon cher admirateur , vous
parlez de croifer les mains fur le Clavecin .
Prenez - vous garde que j'ai compoſé plufieurs
Piéces dans ce genre. Il eft vrai que
je ne l'ai pas inventé , & que par cette raifon
, j'ai pû ne le pas approuver d'abord ,
mais forcé de convenir que cela avoit fon
mérite , & contribuoit d'ailleurs à la variété,
Jen fis moi-même du mieux que je pus . Il
fembleroit que c'eft de moi précisément que
vous entendez parler , lorfque vous dites
que ces tours d'adreffe fi vantés ne ressemblent
pas mal à ceux des Joueurs de Gobelets , dont
La fubtilitéfait tout le prix ; j'en ai juſtement
intitulé une , les Tours de Paffe-paſſe.
Vous dites d'ailleurs que la Nature préfente
la main droite pour les deffus , & la gauche
SEPTEMBRE 1746. 81
pour les baffes , mais que cer ufage étant furanné
, on croife les mains pour jouer les deffus
de la main gauche , & les baffes de la droite.
Apparemment que vous n'avez voulu faire
qu'une charge , fans examiner la chofe , car
ce n'eft point cela . On croiſe ordinairement
les mains fur le Clavecin , pour multiplier les
parties , comme par exemple , tandis que la
main droite , comme la plus brillante , fait
des batteries dans une partie , & qu'elle les
foutient , la gauche en croifant vous fait entendre
alternativement des traits dans les
autres parties , enforte que quand vous dites
encore que ce changement peut réjouir lesyeux
parfa fingularité , fans que l'oreille y gagne
rien , vous voyez bien qu'elle y gagne d'entendreplus
de parties .
Tel feroit certainement le difcours que
Couperin tiendroit à M. B. c'eft en vérité
bienheureux que le plaifir que M. B. repro
choit à nos yeux de prendre à voir croiſer
les mains , fe trouve juftifié par celui qui en
réſulte pour l'oreille. Le Clavecin étant plus
communément pratiqué par les Dames , par
de jeunes Demoifelles fur-tout , ne doit- on
pas plaindre M. B. fur le chagrin que cela lui
fait de voir de jolies mains s'entre - laffer &
fe livrer à un exercice auffi vif, auffi agile?
Je finis par une réflexion générale fur l'état
déplorable où M. B, croit voir la Mufi-
By
82 MERCURE DE FRANCE.
que en France , fur cette décadence qu'il dit
étre fi prochaine ; je penfe qu'on ne peut , &
qu'on ne doit dire cela d'un Art , que quand .
on le voit négligé , abandonné . Or je vois au
contraire qu'en France on ne s'eft jamais
tant occupé de la Muſique , qu'on s'en occupe
aujourd'hui ; qu'il n'y a jamais eu tant
d'émulation , tant de recherches , tant de découvertes
fur le fond , tant de poffibilités
trouvées dans l'exécution , tant de differentes
tentatives , enforte qu'il eft impoflible
qu'un Ait qu'on ne connoiffoit pas aupara
vant , à beaucoup près auffi- bien qu'on le
connoît à préfent , dont on ne s'eft jamais
tant occupé , ne fafle pas des progrès. Nous
voyons qu'en Italie , qui femble etre le fol de
la Mufique ,pour l'organe & le génie fur- tout ,
& d'où dans tous les temps font toujours
venus les premiers progrès de cet Art , tout
le monde s'en occupe , tout eft Muſicien .
Mais n'eft- ce pas d'ailleurs fe trop preffer
que de vouloir juger à préfent du progrès
que la Mufique eft capable de faire en Fran
ce : Cet Art y eftencore pour ainfi dire, dans
cette premiere fermentation de l'accroiffe
ment confidérable qu'il vient de prendre . Il
n'y a que l'oreille qui y eft prefque déja habituée.
Ces Livres de héorie qui ont jetté
tant de lumieres fur le fond , ne font point
encore digés en Livre cla ques à la po
SEPTEMBRE 83 1746.
tée de tout le monde. Nos Maîtres font euxmêmes
dans le cas de juger tous les jours de
l'effet de beaucoup de chofes , & d'acquerir
de l'expérience dans des pratiques qu'on peut
bien regarder comme encore nouvelles.
Que M. B. ne s'allarme point fur ce qui
regarde le goût , on ne dit pas le fien ; mais
fur le goût en général dont il voudroit faire
fon affaire . On fe croit bien fondé à ne rien
craindre fur cela de notre nation ; fi comme
je vous l'ai dit , Monfieur , l'Italie eft pour
la Mufique , le Pays où fe trouve plus ordi
nairement le gén e , la France qui eſt un
Pays moins Méridional , a pour fon partage
l'efprit de Méthode ; cet efprit de combinaifon
, de comparaifon , de raifonnement
de réflexion , de jufteffe , qui forme le goût :
ce goût fage dont M. B. entendroit parler. II
n'y avoit que celui de la variété que nous
n'avions pas à beaucoup près autant que las
Mufique en demande , & que le préjugé eut
été bien capable de nous empêcher d'acquérir
; mais heureufement nous l'avons pris a
mefure que les circonftances en ont fourni les
moyens en même-tems que les occafions..
Ainfi laiffons aller les chofes , & attendons
encore à porter nos jugemens. Je crois que
ée que les Amateurs ont de mieux à faire à
préfent , eft d'encourager les Artiftes chacun
dans leurs genres , chacun dans leurs talens
D vjj
84 MERCURE DE FRANCE.
à travailler & les laiffer fuivre leur génie &
1ur caractére; que, M. B. fe charge de trouver
des Quinaults , on fe chargera volontiers de
la confervation du goût dans la Mufique .
Nous fommes au moins aujourd'hui à l'abri
du reproche que j'ai entendu faire à notre
nation par plufieurs Etrangers , difans qu'ils
s'étonnoient qu'en France , où l'on paroiffoit
aimer la Mufique , elle eut été pendant ſoixante
ans à faire fi peu de progrès , que pour
eux ils croyoient entendre toujours la même
chofe , & que les airs de tous nos Muficiens ,
de ceux même que nous regardions comme
nos meilleurs Maîtres leur paroiffoient jettés
tous dans le même moule ; il n'eſt pas que
vous n'ayez entendu les mêmes propos. A
quoi devions- nous les attribuer , fi ce n'eft
à ce préjugé , ou plûtôt cet afferviffement
d'imitation fcrupuleufe & bornée de la maniere
de nos premiers Grands Maîtres , que
M.B. voudroit qu'on eut encore aujourd'hui,
dans un tems où nous avons de cetArt théorie
& pratique des connoiflances qui en ont fi
fort étendu les bornes?
Si dans le jugement que M. B. a voulu abfolument
porter de toute la Mufique Françoife
, il n'a fait autre chofe que nous donner
à connoître fon goût particulier , & nous
le propofer comme une loi qu'il falloit que
tout le monde fuivit , criant main-forte pour
י
SEEPPTTEEMBRE
1746. 35
qu'on lui aidât à nous y foumettre tous ; f
dans l'inftruction de ce procès qu'il a comp
té faire à tous nos Muficiens modernes , au
public même fur fon mauvais goût, il ne s'eſt
pas montré auffi régulier , auffi conféquent ,
auffi au fait , auffi exact , que des accufés
fur-tout,font en droit de l'exiger de leur Juge
, trouvez- vous , Monfieur, qu'il ait mieux
réuffi à prendre fon tems pour prononcer
& publier fon Arrêt , fans parler du lieu d'où
il le fait partir , & d'où je ne crois pas qu'on
puiffe valablement le dater.
J'ai l'honneur d'être bien fincérement, &c.
LA Métamorphofe de la Nymphe Jo.
La fille d'Inachus que Jupin aimoit tant ,
Malgré les foins fecrets de fon illuftre Amant ,
Fut en butte à la jalouſie
De la perfide & cruelle Junon ,
pour cacher fon Amante chérie ,
En fit une Vache , dit-on,
Et le Dieu
Quelle étrange métamorphofe !
Ah ! j'aurois préféré la mort .
Si pourtant on en croit la gloſe ,
Bien des Belles depuis ont eu le même fort,
Par M. de la Soriniere,
86 MERCURE DE FRANCE.
A
LETTRE de M. C. à un de fes Amis fur
fon retour de Paris à Avignon.
Ous avez donc quitté , mon cher Ami ,
les bords heureux de la Seine ; le féjour
enchanté du Comtat vous invite aujourd'hui
à prendre un doux repos , pour rétablir une
fanté qu'une trop grande occupation à l'étude
avoit fans doute altérée; comme je fçais
que votre indifpofition eft legere , je n'ai pas
de meilleur confeil à vous donner que celui
de vous égayer avec vos amis , & de ne faire
aucune forte d'excès :
D'une étude laborieufe
Fuyez le fardeau dangereux :
D'une faifon délicieufe
Suivez les plaifirs & les jeux :
Dans une intrigue un peu fecrette ,
Près d'une Iris jeune & bien faite ,
Fixez fan crainte vos amours ;
Sans paffion , fans jaloufie ,
D'une aimable Philofophie-
Faites revivre les beaux jours-
Ceft ainfi qu'Horace pafla jadis fes heu
reux jours , & que l'aimable Abbé de Chau
SEPTEMBRE.
1746. 87
lieu , fon fectateur fidéle , que vous n'imitez
pas moins par les rares qualités du coeur , que
par les graces de l'efprit , fuivit fans fcrupule
les traces de ce Poëte Latin , dont la Mufe fit
long-tems les délices de la Capitale de l'U
nivers.
Comme eux doué d'un coeur fincére ,
Le Dieu du bon goût vous chérit ;
Et vous joignez par-tout aux charmes de l'efprit
Le talent fortuné de plaire ..
Pour moi qu'une médiocre fortune a condamné
dès ma naiffance à un travail pénible
& affidu , je me vois obligé à gémir fous la
fervitude des Loix , & je n'ofe approcher de
Ja double montagne , de peur d'éprouver
le fort d'Icare , ou d'éfaroucher par mon
jargon de pratique les habitans du facié
Vallon.
Jadis au même badinage ,
Je vous offrois fouvent les fruits de mon loir
Votre coeur d'un tendre langage
Savouroit l'innocent plaifir :
Faté d une douce eſpérance ,
J'attends la même complaiſance
Pour ma lyre & fes foibles fons ;
Je fens bien qu'elle eft incommode ,
Et que dans l'Empire du Code
On ne produit que des faux tons,-
A Toulouse , C.......
88 MERCURE DE FRANCE
EXCES
AUX Auteurs anonymes , qui avoient
répandu des Vers Satyriques contre
quelques Dames.
DE par Phoebus , je vous le dis ,
Maigres Auteurs , foibles efprits ,
Votre verve au fiel ſatyrique
N'eft point marquée au coin de la bonne critique ;
Appollon vous profcrit , & l'aimable Cypris
Ne vous compta jamais parmi fes favoris ;
Elle adopte les jeux de nos tendres Bergeres ,
Dirige leurs plaiſirs , condamne vós chiméres ;
Elle approuve un amant tendre , refpectueux ,
Et bannit de l'Hymen les foupçons odieux ,
L'Epoufe ,fous fes Loix à fon Mari fidéle ,
Savoure les tranſports d'une ardeur mutuelle ;
Et Tircis à Daphné , par un voeu folemnel ,
Des mains du tendre amour veut dreffer un Autel,
SEPTEMBRE 1746. 89
A CYPRIS fur le même sujet.
Dans ces jours fortunés , enfans d'un doux loiſir,
L'aimable troupe de Cythére
Invita Terpficore , & l'innocent plaiſir >
Les jeux , les ris badins , Cupidon & ſa Mere ;
Tout fembloit annoncer des jours pleins de
douceur ,
Si la difcorde , & fa noire fureur ,
Au teint livide , au front terrible ,
N'euffent troublé cette fète paisible ;
Vos yeux , belle Cypris , n'en furent point émus ;
En vain fufcite- t'on l'injuftice & l'envie ,
Rien ne pourra ternir l'éclat de vos vertus ;
Les Dieux vous ont donné la fine raillerie ,
Et la ceinture de Venus .
EPITRE
Par le même.
SOLITAIRE.
Enfin , revenu des erreurs
D'une longue & tendre jeuneffe ;
Je goûte à longs traits les douceurs
De l'étude & de la fageffe ;
L'Amour- fut long-tems ma foibleffe ;
Mon coeur fe plût days ſes liens ;
Jo MERCURE DE FRANCE
J'euffe prodigué tous les biens
Pour les charmes d'une Maîtreffe ;
Hélas ! le fouvenir de mes égaremens
Rend ma raifon trifte & confuſe
Et je fens ici que ma Muſe
Me prête de nouveaux accens.
Heureux celui dont les années
Ont coulé dans un doux loifir ;
Qui , chéri des ames bien nées ,'
De l'étude a fait ſon plaiſir ,
Du vrai feul fectateur fidéle ,
Il nous offre un puiffant modéle ;
( Qu'il foit gravé dans nos efprits : }
Son nom vole au ſein de la gloire .
Et dans le Temple de mémoire
Il éternife fes Ecrits.
Par le même.
E 25 du mois dernier , jour de S. Louis ,
LE
l'Académie , fuivant l'ufage , entendit
dans la Chapelle du Louvre le Panégyrique
de S. Louis , qui fut prononcé par M. l'Abbé
Couturier.
L'après-dîner elle tint une Séance publique
, laquelle commença par la diftribution
du Prix de Poëfie. Le Sujet propofé étoit la
Gloire de Louis le Grand , perpétuée dans le
Roi fon Succeffeur.
La Piéce qui a été couronnée est un PoëSEPTEMBRE
1746. 1 9*
me dont l'Auteur eft M. l'Abbé Marmontel,
que les jeux floraux ont déja couronné trois
fois.
Après la lecture de ce Poëme , M. l'Abbé
de Bernis lût le premier Chant de fon Poëme
contre l'irreligion , vice trop commun dans
ce fiécle. Ce Poëme fut commencé en 1737,
& l'on fent aisément qu'un Ouvrage aufli important
n'eft pas l'ouvrage de peu d'années.
Dans différentes lectures que M. L. D.B.a faites
, plufieurs perfonnes en ont retenu différens
morceaux ; nous avons recueilli avec
foin ce que nous avons pû en recouvrer pour
en enrichir notre Journal.
L'Auteur montre d'abord l'orgueil qui
corrompt l'efprit , & la volupté qui féduit le
coeur. L'orgueil porte à la révolte les Anges,
& fe fert de ces efprits révoltés pour corrom
pre l'homme , & le rendre infidéle au Créa
teur.M.L.D.B.a imité Milton dans ce premier
Chant , mais fans le copier , & il a évité les
fictions du Poëte Anglois qui introduit
dans fon Poëme , les diables combattant:
contre Dieu. Voici l'invocation .
De l'Esprit de Dieu même immortelle clarté ,
Je t'invoque aujourd'hui , puiffante vérité ;
Toi , qui du haut des Cieux ici bas defcendue ,
Toujours victorieufe , toujours combattue ,
Loin du Peuple & des Grands aimes à te cacher ,
92 MERCURE DEF DE FRANCE.
Et të montres toujours , à qui veut te chercher ,
Viens remplir mon efprit de ta fplendeur Divine ,
Viens des erreurs du monde éclairer l'origine ,
Et forcer le Démon de l'incrédulité
A tamper fous les loix de la Divinité , & c.
On trouve quelques Vers après la com
paraifon heureufe des Géants de la Fable
avec les Impies.
Tels qu'on vit autrefois les enfans de la terre
Sur des Monts entaffés affronter le tonnerre ,
Tels qu'on vit les Tirans que l'orgueil déchaîna
Lancer contre le Ciel les rochers de l'Etna ,
Tels on voit aujourd'hui de nouveaux Salmonés ,
Qui voudroient pour remplir leurs hautes deftinées,
Dominer fur la terre , affujettir les Cieux ,
Ravir le Sceptre aux Rois ; & le tonnerre aux
Dieux ,
Qui fe croyant enfin plus grands que nous ne
fommes ,
Hommes , exigeroient les hommages des hommes.
Efclaves révoltés, rentrez dans le néant ,
Voyez le Nain caché ſous l'habit du Géant ;
L'orgueil qui vous forma femblables à lui- même ,
Vous dit, foulez aux pieds l'Autel , le Diadême ,
Le glaive de Thémis , & le Sceptre des Rois ;
Vos talens font vos Dieux , vos penchans font vos
Loix.
SEPTEMBRE 1746. PT 93
Après avoir fait une vive peinture des
incrédules & des motifs de leur incrédulité ,
le Poëte s'écrie :
Fantômes trop chéris de la terre obfédée ,
Qui de l'Etre fuprême obfcurciffez l'idée ,
Chiméres de l'efprit , dont les illufions
Allument dans le coeur le feu des paſſions ,
Le Soleil a paru , fuyez foibles menfonges ,
Le jour luit , perdez -vous dans la foule des fonges ,
&c.
Après cette expofition , l'Auteur peine
l'origine de l'orgueil , véritable fource de
l'irreligion .
L'orgueil qui fur la terre a rendu fi puiſſante
L'erreur toujours détruite & toujours renaiffante ,
Ce funefte inventeur des dogmes dangereux ,
Qui flattans nos défirs , nous rendent malheureux ,
N'étoit point , lorfque Dieu fubfiftant par luimême
,
Jouiffoit fans témoins de fa Grandeur fuprême.
La puiffance pour lui , fans borne & fans écueil ,
Le fauve également de foibleffe & d'orgueil
Qui n'a point commencé, ne peut fe méconnoftrę
L'orgueil avant le monde étoit encor à naitre ;
Mais quand au fein fécond de fon éternité
94 MERCURE DE FRANCE.
Dieu forma l'Univers vafte , mais limité ,
L'erreur audacieufe annonca la foibleffe ,
Et l'orgueil s'échappa du fein de la baffeffe.
Ce fier orgueil à peine avoit les yeux ouverts ,
Qu'il frémit de trouver un Maître à l'Univers ,
Un Maître intelligent dont l'oeil infatigable
L'éclaire , le pourfuit , le pénétre , & l'accable,
Jaloux de la puiffance , il voudroit la trahir ,
Et né pour être efclave , il ne peut obéir.
Qui croiroit que rempli d'une folle eſpérance
Dans l'Empire des Cieux , il perce en affurance ,
Et qu'élevant fon vol jufqu'au Trône facré ,
Il brave les carreaux dont il eft entouré ?
M. L.D.B. décrit ici la Majefté de Dieu ,
la foumiffion des, Anges qui l'environnont
& les détours artificieux dont l'orgueil fe
fert pour les féduire.
Affis dans fon Palais fur le Trône des airs ,
Dieu tranquille & ferein contemploit l'Univers ;
Il foumettoit les Cieux à fes Loix fouveraines ,
Et du monde naiffant ſa main tenoit les rênes.
L'Ange éleve vers lui , fes fuperbes regards ;
Mais le Palais des Cieux s'ouvre de toutes parts ,
De l'Olympe ébranlé la voûte tombe en poudre ;
Dieu pour l'annéantir n'y lança point la foudre
SEPTEMBRE 1746.
Savoix n'éclata point ; fon oeil toujours ferein
Fondit d'un feul regard & le marbre & l'airain ;
Tranquille aux élémens il déclara la Guerre ,
Dans le fein de la Paix il fit trembler la terre ;
Comment donc fans fortir d'un fi profond repos ,
Dieu pût-il rappeller l'image du cahos ,
9
Et du débris des Cieux remplir la terre & l'onde ?
Il voulut .. c'eft affez pour détruire le monde.
Il falloit que l'orgueil fut oumis à fa voix ,
Qu'il reconnut un culte & refpectât des Loix ;
De l'Olympe auf£-tôt les voûtes enflammées ,
S'exhalerent dans l'air en épaiffes fumées ,
Et les Anges frappés d'un bras victorieux ,
Roulerent dans l'abîme & perdirent les Cieux.
On voit en fuite une deſcription de l'Enfer
, dont voici quelques traits .
Ils font encor ouverts , ces Royaumes affreux ,
Des Anges révoltés théatres ténébreux ,
Séjour où les remords n'effacent point l'offence,
Où le défefpoir même irrite la vengeance ,
Où toutes les douleurs habitent un feul lieu ,
Où Dieu par les tourmens fait fentir qu'il eft Dieu.
L'orgueil contemple les Anges dans les
tourmens , & s'applaudit d'avoir caufé leur
chûte.
Content de fon ouvrage il éleve la voix ;
Tous les antres du Styx répondent à la fois j
96 MERCURE DE FRANCE.
Les Milices du Ciel dans les ondes noyées ,
Levent en frémiſfant leurs têtes foudroyées ,
Et fe trainant fans ordre autour d'un large écueil ,
Reprennent leur audace en envoyant l'orgueil.
C'eft alors que l'orgueil les encourage , &
les exhorte à féduire l'homme .
La vengeance , dit-il , rend l'enfer habitable ,
Qui la fent , qui s'en fert , n'eft jamais miférable.
Ainfi que la vertu le crime à fes douceurs ;
Il eſt de vrais plaiſirs attachés aux fureurs ;
C'eft Dieu , qui fous vos pas creuſa les noirs abîmes ,
C'eſtlui qui vous apprend à chercher des victimes ;
Le foufre qui vous brûle eft un encens pour lui ,
Ufez bien des leçons qu'il vous donne aujourd'hui :
S'il vous a défendu d'égaler fa puiffance ,
Effayez s'il permet d'imiter fa vengeance ,
Ne découvrés-vous pas malgré l'obſcure nuit ,
Cetae aurore brillante , & l'aftre qui la fuit ,
Cette terre avec art dans les airs ſuſpendue ,
Cette mer dont vos yeux admirent l'étendue ,
Ouvrage incomparable où l'homme établi Roi ,
Moins éclairé que vous foumet tout à ſa Loi ,
Cethomme qu'aujourd'hui le Créateur contemple ,
Dont le coeur vertueux de Dieu même eft le
Temple ?
SEPTEMBRE. 1476. 97
Ici eft la peinture de l'homme dans l'étag
d'innocence, l'orgeüil continue .
C'est lui que j'ai choifi pour venger votre injure :
Enfant chéri de Dieu , s'il lui devient parjure ;
Si fon coeur innocent eft un jour criminel ,
Des plus fenfibles coups nous frappons l'Eternel !
Peut-être que le Fils , Victime volontaire ,
Eteindra dans fon Sang la vengeance du Pere ,
De nos forfaits peut-être il portera le poids ,
Et nous ferons vengés d'obéir à fes Loix .
Ceffez donc de gémir à l'aſpect de vos chaînes ,
Vos maux n'égalent point la moindre de fes
peines ;
•
En lui tout eft immenfe , en vous tout eft fini :
S'il n'a pû de l'Olympe être encore banni ,
Que fur la terre au moins fa vengeance ſtérile
Des vices des mortels ſoit le frein inutile ;
Qu'au mépris de fon nom les profanes humains ,
Confacrent des Autels aux oeuvres de leurs mains ,
Que fes plus faintes Loix foient toujours conteftées,
Que de mon fein fécond renaiffent les athées ,,
Le doute Conducteur de l'irréligion ,
L'héréfie au front double & la rebellion ,
Le fçavoir orgueilleux , l'erreur opiniâtre ,
Et l'ignorance enfin d'elle - même idolâtre ,
Monftre que j'ai nourri d'arrogance & de fiel ,
Monftre que j'ai fauvé de la foudre du Ciel ,
E
98 MERRCUE DE FRANCE,
*
Four rendre à l'ennemi dont le bras nous accable
Les tourmens éternels qu'il prépare au coupable !
Mais il faut feconder ma haine & mes projets ;
Il faut ofer enfin n'être plus fes fujets ;
L'ofer c'est réuffir , le fuccès fuit l'audace.
Il dit ; dans tous les coeurs le repentir s'efface ,
Le crime fe réveille , & la honte s'endort ;
Tous quittent à l'inftant l'empire de la Mort ,
Et fuivis dans les airs par le bruit du tonnerre ,
Commeun noir tourbillon s'élançent fur la terre.
Il faut remarquer que par un art heureux
cette harangue de l'orgueil contient en action
toute l'expofition du fujet. En effet les
Anges révoltés vont fur la terre pour l'infecfer
fucceffivement de toutes les erreurs qui
viennent d'être indiquées , & que M. L. de
B. détruit dans fon Poëme.
Nous ne nous étendrons pas long- tems
fur les éloges que mérite cet Ouvrage ; les talens
de l'Auteur font trop avantageufement
connus pour qu'il foit néceffaire de rien
ajouter à la voix publique; on reçut ce premier
Chant avec applaudiffement , & les inftances
que l'on fit à M. L. de B. pour en lire
un ſecond , ſoit un für garand du plaifir qu'avoit
fait le premier , malheureuſement il n'avoit
apporté que celui-là ,
M. de Voltaire lut enfuite une Ode intitulée
la Félicité des Tems ou l'Eloge de la
SEPTEMBRE MBRE 1746.
France , qui fut reçûe avec de grands appla udiffemens.
Elle finit par ces trois beaux
Vers .
La nature eft inépuiſable ,
Et le travail infatigable
Eft un Dieu qui la rajeunit.
******
NOUVELLES LITTERAIRES ,
DES BEAUX ARTS , &c.
HISTOIRE du Théâtre François , &c .
Sepriéme volume.
E volume commence à l'année 1640 &
finit en 1643 parles Rivales premié
re Comedie de Quinault .
Si l'on voit dans ce feptiéme volume un
petit nombre de piéces plus fupportables que
celles qui les ont précedées , il faut avouer
qu'elles font en petit nombre , & que le grand
Corneille avoit plus d'envieux que d'imitateurs.
Dans une Tragédie d'Hyppolite , dont
l'Auteur M. Gilbert figuroit alors avec diftinction
fur le Parnaffe , Hyppolite dit que
fi fa vertu lui permettoit d'aimer fa bellemere
, il fe livreroit volontiers à la paffion
qu'elle lui infpire,
E ij
roo MERCURE DE FRANCE
80
"
Mais fi les ouvrages étoient mauvais ;
les Auteurs étoient en recompenfe dans l'ufage
de les louer outre méfure ; voici com
me l'Abbé de Boifrobert s'exprime dans la
préface de Caffandre . Je m'affure , lecteur
, que cette Tragi Comédie , que toute
la Cour & la Ville ont trouvée fi belle
ne te paroitra guéres moins agréable fur
le papier , & que tu la trouveras auffi bien
foutenue par la délicateffe & par la majeſ-
» té de fes vers,que par la dignité de fon fujet
Il ajoute que fi Villegas Auteur Efpagnol
qui a trouvé un fi beau noeud , eut inventé
un auffi beau dénouement , cette
production l'auroit égalé aux plus grands
hommes. Il n'y a point d'Ecrivain qui ofât
hazarder aujourd'hui de pareilles fanfaronades
, ce n'eft pas que nos Poëtes foient
moins vains que ceux de ce tems , mais lą
mode qui ne peut rien fur les vertus ni
fur les vices , porte du moins fon emr
pire fur eux jufqu'à leur donner des formes
dont elle difpofe ; parmi les Auteurs qui
commencent à figurer dans ce volume on
en voit deux qui ont eu de grands fuccès &
dont un fur- tout a un grand nom juſtement
méité. Nous parlons de Quinault & de
Thomas Corneille , que MM . P. nomment
Corneille de Lifle , ils nomment fon frère
Corneille l'aîné, & nous prendrons la liberté
SEPTEMBRE MBRE 1746. 101
de dire qu'il auroit été plus convenable peutêtre
de le nommer par le nom que lui a
donné le public , le grand Corneille .
On fçait affés que les piéces de Quinault
d'abord eu toutes des fuccès éclatans .
mais qu'il n'en eft resté au Théatre que trois ,
Agrippa ou le faux Tiberinus , Aftraté & la
Mere Coquette, ç'en feroit affés pour lui
donner un rang honorable parmi les Au-
' teurs Dramatiques de fon tems , mais ce
font fes chefs d'oeuvres lyriques qui feront à
jamais le fondement de fa réputation, & qui lui
donnent place parmi les grands hommes
qui ont illuftré le fiécle de Louis XIV. Il n'y
a perfonne qui n'ait fait à ce fujet une réfléxion
bien naturelle . Quinault a vû de ſon
vivant applaudir un grand nombre de ſes
cuvrages qui ont été depuis juftement oubliés
, il n'a pas joui de même de la réputation
de ceux qui paffent avec honneur à la
pofterité , à combien de critiques fes Opéra
n'ont ils pas été expofés ? Combien n'a
pas été méprifé & rabaiffé ce genre qu'il
crévit & qu'il perfectionnoit en méte
tems I eft mort fans fçavoir que le talent
qu'il avoit po ...s la Poëfie lyrique étoit
un talent rare , & qu'il fe pafferoit peutêtre
des fiécles que des hommes diftingués
en d'autres genres s'exerceroient vainement
pour le furpaffer , & même pour l'égaler.
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
que
On trouve ici une anecdote à fon fujet
qui peut- être a fouvent eu lieu dans d'autres
circonftances. Triftan dont Quinault étoit
l'éleve , le chargea de lire aux Comédiens la
piéce des Rivales premier ouvrage du jeune
Auteur , les Comédiens féduits par la réputation
de Triſtan & croyans la piéce de lui ,
offrirent d'en donner cent écus , mais dèsque
celui -ci eut déclaré
c'étoit le premier
ouvrage d'un jeune homme inconnu
le marché fut rompu , & les Comédiens ne
voulurent plus donner de la piéce que so
écus. Triftan fit de vains efforts , & la négociation
fe termina enfin en concluant que
l'Auteur auroit le neuviéme de la recette de
chaque repréſentation pendant qu'on joueroit
fa pièce , & c'eft là l'origine de cette
convention , qui depuis eft devenu le traité
général de tous les Auteurs.
MM . PP . nous apprennent que Don
Franciſco de Roxnas Auteur Eſpagnol à fourni
à Rotrou l'original de Venceflas , & que
ce dernier n'a prefque fait que traduire l'Efpagnol
; on a voulu avancer autfi que le
Calderon avoit donné à Corneille Tidée
d'Heraclius , mais MM. PP. prouvent fort
bien que c'eft le Calderon qu'il faut accufer
d'avoir copié Corneille .
On voit ici une Comédie de Scarron à
qui l'épithete de finguliere pouroit convenir
SSEEPPTTEEMMBBRREE 1746 103
exclufivement à toute autre , c'eft une piéce
d'un acte en vers de huit fyllabes , tous fur
la rime ment elle eft intitulée les boutades
du Capitan Matamore ; on fent combien les
adverbes doivent abonder dans des vers de
ce genre , & que l'on pourroit dire :
Tous ces adverbès la font admirablement.
Raymond Poiffon commença vers ce
tems à travailler dans un genre qui n'étoit
pas éloigné de celui de Scarron ; ce fut lui
qui créa le rôle de Crifpin . On releve ici avec
raifon ceux qui avoient dit qu'il avoit mis´
Ies bottines qui font devenues effentielles
à cerôle , paice qu'il avoit les jambes extrê
mement menues ; il eft plus raifonnable de
les attribuer à l'ufage , qui dans ce tems ou
Paris étoit fort crotté , faifoit porter des bottines
aux gens de pied , & fur tout aux valets.
Le Théatre de Poiffon eft imprimé , ainfi
nous nous difpenferons d'en parler.
Poiffon étoit protegé par M. Colbert ;
ce Miniftre avoit même tenu un de fes enfans
fur les fonts de baptême. Poiffon portoit
fouvent au Miniftre des vers à fa louange
& lui demandoit en même-tems un emploi
pour ce fils dont M. Colbert étoit le
parain , importuné de ces frequens éloges :
il défendit à Poiffon de le louer d'avantage,
E iiij
104 MERCURE DE FRANCE.
& celui-ci lui ayant encore apporté des vers
& le Miniftre rappellant fa défenfe , écou
tez ceux-ci, Monfeigneur, dit- il , la fumée de
cet encens ne vous incommodera point , il
lut en effet ces vers.
Ce grand Miniftre de la paix
Colbert que la France, revere "
Dont le nom ne moura jamais. ·
M. Colbert voulut arrêter là Poiffon , Jui
reprochant de tenir mal fa parole , mais celui
ci continua fans s'émouvoir.
Ehbien , tenez c'est mon compere ;
Fier d'un honneur fi peu commun ,
On eft furpris fi je m'étonne
Que de deux mille emplois qu'il donne ,
Mon fils n'en puiſſe obtenir un.
RECUEIL de plufieurs piéces d'Eloquence
& de Poëfie , préfentées à l'Academie des
Jeux Floraux l'année 1746 , avec les difcours
prononcés dans les affemblées publiques
de l'Académie de Touloufe 1746 , in-
12 chés Claude-Gille le Camus . Les recueils
de cette Academie fe diftribuent à Paris chés
Prault Pere Quai de Gêvres & on y trouve
tous ceux depuis 1710.
L'Académie des Jeux Floraux eft la plus
SEPTEMBRE 1746. 105
ancienne des Académies de France ; iil y a
400 ans queClemenceIfaure inftitua cesJeux
& qu'ils fe foutiennent dignement ; cet avan
tage joint à celui que le Languedoc partage
avec les autres Provinces Méridionales
d'avoir produit il y a 600 ans les Troubadours
, les premiers Poëtes de la Nation
n'eft pas une médiocre gloire pour ces Provinces.
Ce recueil eft rempli d'ouvrages auffi eftimables
que les précedens . Les prix fervent
à entretenir l'émulation parmi les jeunes
gens , & M. de Soubeyran l'un des membres
des Jeux Floraux , pénetré de la vérité de
cette maxime , l'a mife en pratique d'une façon
utile pour les lettres , & glorieufe pour
lui , en abandonnant une rente de deux cent
livres pour que le prix d'éloquence foit à l'avenir
de quatre cent cinquante livres ; il est
beau de voir un particulier jouiffant d'une
fortune honnête , mais non conſidérable , en
facrifier génereufement une partie au bien
public , tandis que tant de particuliers qui
jouiffent d'une fortune bien fupérieure à leur
état fe font des beſoinsou forment des défirs
fuperieurs à leur fortune. M. de Soubeyran
cultive les lettres avec fuccès , on voit dans
ce recueil un éloge de Clemence Ifaure compofé
par lui , & qui mérite d'être lu ; nous
asterons une a utrefois d'un difcours dont
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
il eft auffi l'auteur , inferé ici fous le titre de
REFLEXIONS fur le bon ton , fur le goût ,
fur la converfation & fur la bonne compagnie.
Nous nous bornerons pour cette fois à
dire quelques mots des vers qui compofent
ce recueil , mais nous dirons d'avance que
ces difcours font écrits avec élégance , pleins
de penfées ingénieufes & de vues fines , &
tels qu'ils n'ont pas beſoin de la prévention
favorable que l'action louable de l'Auteur
doit donner en fa faveur.
C'est une Ode fur l'Envie qui a remporté
le prix de 1746 ; en voici la premiére ftrophe.
Oui je la reconno's , c'eft l'implacable envie
Qui pour éxécuter fes projets odieux ,
Sort de cet antre invidieux ,
De mégere ou plûtôt de toute l'Enfer fuivie ;
Son vifage hideux , livide , décharné ,
La paleur de fon front , de ferpens couronné ,
Des fureurs de fon coeur m'offrent l'horrible image
Déja l'air eft fouillé de fonfoufle pervers ;
Ciel , fi tu n'enchaines fa rage ,
Ellevade forfaits inonder l'Univers.
Ily a des beautés dans cette Ode , & on
y voit du feu , de la poëfie & des idées.
Nous avons été un peu étonnés de voir l'auSEPTEMBRE
1746. 107
tre invidieux au milieu de tant de belles chofes
. De plus la cadence des ftrophes eft elle
bien harmonieufe ? Ces 8 vers Alexandrins
coupés par deux de huit fyllabes ont d'abord
l'air d'un Poëme en vers libres , plûtôt
que d'une Ode ; nous ne faifons que propofer
des doutes , mais l'exemple des grands
hommes nous autorife ; jamais l'illuftre Rouffeau
n'a mis enſemble tant de vers alexandrins.
Les ftrophes de la Palinodie font de
quatre vers , on n'en trouvera point non plus
d'exemple dans Malherbe & jamais ces Poëtes
n'ont fait de ftrophes où il entrât des
alexandrins de plus de fix vers , encore dans
ces fix y en avoit il de huit ou de fix fyllabes;
il n'eft pas beſoin d'avertir que la légére remarque
que nous faifons ne diminue rien du
prix de l'ouvrage , nous avons cru qu'il étoit
de notre devoir de la faire , parce que nous
voyons que bien des jeunes tombent dans ce
défaut & qu'un ouvrage couronné fervant
de modéle , pourroit accréditer un abus qu'il
faut éviter.
Voici trois beaux vers de cette Ode de
l'Envic.
Et fon coeur agité par les jaloux accès ,
Que l'orgueil frémiſſant inſpire ,
Pardonneroit plûtôt cent crimes qu'un ſuccès.
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
Parmi les morceaux qui font à la fuite de
cette Ode , nous avons furtout lu avec plaifir
l'Ode de l'éducation , en voici quelques ftrophes
qui nous ont parû belles.
Cesferpens au foufle homicide
Qu'en naiffant étouffent tes mains ,
Dès le berceau , divin Alcide ,
Annonçent ta gloire aux humains.
Ton ame aux combats exercée ,
De l'Hydre à tes pieds terraffée
Vaincra les efforts renaiffans ,
Et s'affermiffant avec l'âge ,
Confondra la jalouſe rage
Detes ennemis impuiffans .
Des triomphes de notre enfance
Ainfi dépendent nos ſuccès ;
Une premiere réfiftance
Du vice arrête les progrès ;
Les paffions envain liguées
D'un coeurqui les a fubjuguées
Semblent craindre la fermeté.
Au lieu qu'altieres fouveraines ,
Chaque inftant redouble les chaines
De celui qu'elles ont dompté .
Si dans les premiers jours de l'âge
On n'y répand un germe heureux ,
Le coeur off un deſert ſauvage,
SEPTEMBRE 1746, 109
1
Repaire de monftres affreux ;
Qu'on le feme , il devient fertile ,
Mais bientôt le chardon ftérile
Avec la rofe s'y confond ,
Si des mains toujours vigilantes
N'arrachent les funeftres plantes
Qui naiffent de fon fein fecond.
C'eft de cette heureufe culture
Que dépend le fort des humains ;
Ceffons de blâmer la Nature ;
Notre bonheur eft dans nos mains.
Neron Prince jufte & fans vices
Du monde eut été les délices ,
Digne fils de Germanicus,
Si rejettant loin de fon Trône ,
Un Senecion , un Petrone ,
Il n'eut écouté que Burrhus.
Ne fera- ce point entretenir les lecteurs trop
long- tems d'une même matiere que de leur
parler des Poëfies diverfes de M. de Bologne ,
que nous avons annoncées le mois dernier
& qui fe vendent chés les Freres Guerin.
و
On y voit de l'imagination , & du feu , &
M. de Bologne mérite de nouveaux éloges
pour l'emploi qu'il a fait de ſes talens car
prefque toutes fes Odes roulent fur des ſujets
tirés de l'Ecriture & des Pfeaumes , ou font
confacrées à célebrer les vertas du Roi & de
110 MERCURE
DE FRANCE
Monſeigneur
le Dauphin. Il tombe auffi
quelquefois
dans le défaut de mal cadencer
fes ftrophes,
Voici quelques vers qui feront juger du
ftyle de M. de B.
Dieu voit de fa Montagne Sainte
Les maux que fon peuple a foufferts ,
Il les voit , il briſe fes fers ,
Auffi-tôt qu'il entend falplainte.
Fils de Jacob , accourés tous ,
Peuples & Rois , raffemblez vous ;
Que de ce nom tous retentiffe
Envers lui montres votre ardeur
Qu'un même efprit vous réuniffe ,
Pour rendre hommage à fa grandeur.]
Envers lui n'est-il pas bien profaique
pour une Ode? C'eft une légére inattention
que l'Auteur auroit pu corriger en ſubſtituant
:
Venez lui montrer votre ardeur.
Les deux ftrophes fuivantes ne font pas
moins belles .
Roi des fiécles , ta vue embraffe
Dans un feul point tout l'avenir ;
Apprend moi , quand pourront finir ;
Ces tems d'opprobre & de diſgrace,
SEPTEMBRE 11774466.. 11#
Toi , dont la main bleffe & guerit ,
Tu peux jufqu'au moment prefcrit
Prolonger le jour qui m'éclaire ;
De ma vie attends le déclin ,
Et ne fais point dans ta colere
Sécher la fleur dès fon matin.
Tu parles , & tout prend naiffance
Le Ciel , la Terre & les Humains
Ne furent qu'un jeu de tes mains ,
Qu'un foible effai de ta puiffance ,
Les Etres par tavoix produits ,
A ta voix fe verront détruits ,
Et pafferont comme un nuage ,
Le tems ce fatal deftructeur , "
Le tems lui même eft ton ouvrage ,
Et ne peut rien fur fon Auteur.
Nous ne nous étendrons pas davantage
fur ce recueil de Poëfies qui mérite d'être .
reçu favorablement , nous croyons que la
meilleure façon de le louer ; c'eſt d'en préte
ter au public quelques morceaux , ainfi que
nous avons fait .
DISSERTATIONS fur les apparitions des
Anges , des Démons & des Efprits , & fur les
Revenans & Vampirs de Bohème, de Hongrie
de Moravie & de Siléfie , par le R. P.Dom Au
gulin Calmet , Religieux Bénédictin & Abbé
112 MERCURE DE FRANCE
de Senones en Lorraine , à Paris, in- 12.1746.
chés Debure l'aîné , Quai des Auguſtins.
LA VIE DE MECENAS , avec des notes
hiftoriques & critiques , par M. Richer, Paris
1746. in-12. chés Chaubert.
Cet Ouvrage fera bien- tôt fuivi du Recueil
entier de tous les Ouvrages de M. Richer ;
Dons efpérons qu'il fera reçu favorablement ,
& nous en parlerons inceffamment .
HISTOIRE DU TARIF de 1664. contenant
l'origine de ce Tarif , avec les fixations &
celles qui ont eu lieu avant & depuis 1664.
fur chaque Marchandiſe à la fortie du Royaume
, tome premier .
LE TOME SECOND , contenant les fixations
de ce Tarif, & celles qui ont eu lieu
avant & depuis le Tarifde 1664 , fur chaque
Marchandiſe , Droguerie , Epicerie , &c . à
l'entrée du Royaume , dreffés fur les piéces
authentiques , par M. Dufrefne de Francheville,
imprimés à Paris en 1746. en 2 vol. in-
4º. du prix de 14 livres reliés.
HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DES INDES ,
avec les titres de fes conceffions & Privilé
ges , dreffée fur les piéces authentiques , par
le même , imprimée à Paris en 1746 , chés
Debure l'aîné , comme les deux volumes cydeffus
, du prix de 7 livres reliés.
SEPTEMBRE 1746 .
113
DE LA CORRUPTION DU GOUT
dans la Musique Françoise , par M. Bollioud
de Mermet de l'Académie des Sciences &
des Belles-Lettres de Lyon , & de celle des
Beaux Arts de la même Ville , à Lyon 1746.
de l'Imprimerie d'Aimé de la Roche ; cet
Ouvrage fe vend à Paris chés Briaffen.
Nous rendrons juftice avec plaifir aux
talens , aux connoiffances & au ftile coulant
& facile de l'Auteur de cette Diflertation.
Il fait briller fon goût dans les éloges, qu'il
donne à Lulli & Lande , génies du premier
ordre en Mufique , & qui fe font immortalifés
par des chef- d'oeuvres que l'on admire
&
que l'on admirera long- tems. Nous nous
garderons bien d'entrer dans l'éxamen des
queſtions qu'il traite fur la corruption du
goût ; nous nous contentons d'être fenfibles
aux beautés de tous les genres fans prendre
de parti ; on a déja répondu à M. Bollioud
, & fi quelqu'un veut répondre pour
lui , nous lui prêterons le champ dans ce
Journal , proteftant d'être Spectateurs neutres
, Admirateurs de tous les bons Ouvrages,
& partifans d'aucun Auteur, & ne donnant
d'exclufion à aucun genre , ni à aucun
homme,
L'impreffion de cet Ouvrage eft très- bien
exécutée.
114 MERCURE D'E FRANC
L'ACADEMIE des Sciences de Dijon , qui.
avoit proposé pour le Prix de Phyfique de determiner
la nature des fels par les differentes
tonfigurations de leur cristaux , couronna dans
une Affemblée publique le 21 d'Août 1746 .
M. Didier , Medecin- Chymifte à Dunkerque.
Cette même Académie propofe pour le
prix de Morale de 1747 à tous les Sçavans
la queftion fuivante .
Des avd stages que le mérite retire de l'envie.
Il fera libre à ceux qui voudront concourir,
d'écrire en François ou en Latin , en obfervant
que les piéces foient lifibles , & n'excédent
pas trois quarts- d'heure de lecture ; elles
feront adreffées à M. Petit , Secretaire de l'Académie
, rue du Vieux-Marché , à Dijon ,
qui n'en recevra aucune paffé le premier d'Avril
, & fi elles ne font pas franches de port ,
elles refteront au 1ebut. Ceux qui ayant concouru
fe feront fait connoître avant l'adju
dication du Prix , ne pourront y avoir part.
Pour remédier à cet inconvénient , chaque
Auteur fera tenu de mettre au bas de fon Mémoire
une Sentence ou une Devife , & d'y
joindre une feuille de papier cachetée, au dos
de laquelle fera la même Sentence ou Devife ,
& fous le cachet fon nom , fes qualités & fa
SEPTEMBRE 1746. 119
demeure , pour y avoir recours lors de la diftribution
du Prix. Lefdites feuilles ainfi cachetées
ne feront point ouvertes avant ce
tems - là ; mais le Secretaire en tiendra un Regiftre
exact.
Ceux qui exigeront de lui un Récépiſſé de
leurs Ouvrages, le feront expédier fous un autre
nom que le leur , & dans le cas où celui
qui auroit ufé de cette précaution , auroit mérité
le Prix ; il fera obligé en chargeant une
perfonne domiciliée à Dijon , qui ne font
pointde l'Académie, de faprocuration fimple,
pour le recevoir, d'y joindre auffi le récépiffé.
Lorfque l'Académie aura decidé à qui le
Prix doit être adjugé , elle en fera donner
avis au vainqueur , qui fera obligé d'écrire à
l'Académie une Lettre de remerciement.
La diftribution du Prix fe fera dans une
Affemblée publique de l'Académie le Dimanche
20 Août 1747.
L'ACADEMIE des Belles - Lettres de
Montauban , tint fa Séance publique dans
l'Hôtel de Ville le 25 du mois dernier , jour
de Saint Louis.
Onfieur l'Abbé de la Tour , Directeur , ou-
Mvrit la
Séance.
M. de Savignac lut un Difcours fur les avantages
116 MFR CURE DE RRANCE.
de la confiance réciproque dans la Société.
M. de la Motte lut un Ouvrage mêlé de Profe &
de Vers fur les plaintes des Dames contre les
Hommes , pour les avoir exclues des emplois de
la République.
M. d'Aumont lut des réflexions fur les harangues
Militaires , & une Epître à M. le Frane , par
M. de Claris , Affocié à l'Académie.
M. l'Abbé Bellet lut un Difcours fur la gloire
mutuelle que retirent les héros & les hommes de
Lettres , les uns des autres .
M. de Bernoy, une Ode fur le fujet du Diſcours
propoſé par l'Académie pour les Prix de l'année
1746.
M. de la Prade , un Difcours fur l'injuftice du
doute que le Vulgaire forme fur les talens des
Dames.
M. de Bernoy , une Epître à M. le Franc .
M. l'Abbé Bellet , une Apologie de l'Académie
fur la réſervation des Prix , dont la diftribution eft
renvoyée à l'année prochaine 1747.
M. l'Abbé de la Tour finit la Séance par la
lecture de fon Difcours , fur les bienséances de la
langue Françoiſe.
M. l'Evêque de Montauban ayant deſtiné la
fomme de deux cent cinquante livres pour donner
un Prix de pareille valeur à celui qui au Jugement
de l'Académie des Belles - Lettres de cette
Ville fe trouvera avoir fait le meilleur Difcours
fur un fujet relatif à quelque point de Morale ,
tiré des Livres faints , l'Académie propoſe pour
fujet du Difcours de l'année 1747.
L'ORGUEIL EST LE PLUS GRAND ENNEMI
DE LA SOCIETE' : conformément à ces paSEPTEMBRE
1746. 117
roles de l'Ecriture : Inter fuperbosfemper jur
gia funt. Prov. XIII . 10.
Les Difcours ne feront tout au plus que de demieheure
de lecture , & finiront toujours par une
courte priere à JESUS - CHRIST . On n'en
recevra aucun qui n'ait une Approbation fignée
de deux Docteurs en Théologie.
L'Académie ayant été forcée de referver le Prix
de l'année 17-6 , elle fe propoſe pour ouvrir
un plus vafte champ aux Auteurs , de le diftribuer
à une Ode ou à un Poëme.
Le Poëme doit être de foixante vers au moins
ou de cent vers au plus .
L'Académie laiffe aux Poêtes le choix du fujet ;
elle exige feulement qu'il foit digne d'être approuvé
du Prélat qui donne le Prix.
Il y aura ainfi deux Prix à diftribuer le 25
Août prochain , Fête de SAINT LOUIS , Roi de
France : Un Prix de Difcours , & un Prix d'Ode
ou de Poëme.
Les Auteurs ne mettront point leur nom à leurs
Quvrages , mais feulement une marque ou paraphe
, avec un paffage de l'Ecriture Sainte ,
d'un Pere de l'Eglife , qu'on écrira auffi fur le
Registre du Secrétaire de l'Académie .
ou
Toutes fortes de perfonnes , de quelque qualité
qu'elles foient,feront reçûes à prétendre aux Prix,
hors les Membres de l'Académie , qui en doivent
être les Juges.
LesAuteurs feront remettre leurs Ouvrages vendant
tout le mois de Mai prochain , entre les mains
de M. DE BERNOY , Secrétaire perpétuel de
l'Académie , en fa maifon , rue Montmurat , ou en
fon abfence , à M. l'Abbé BELLET , en fa majfon
, rue Cour-de-Toulouſe ,
118 MERCURE DE FRANCE.
Le Prix ne fera délivré à aucun , qu'il ne fe nons
me , & qu'il ne fe préfente en perfonne , ou par
Procureur , pour le recevoir , & pour figner la
Difcours.
Les Auteurs font priés d'adreffer à M. le Secrétaire
trois copies bien lifibles de leurs Ouvrages
, & d'affranchir les Paquets qui feront envoyés
par la Pofte. Sans ces deux conditions les
Ouvrages ne feront point admis au concours.
Le mot de l'Enigme du Mercure d'Août
eft la Lettre G. Ceux des Logogryphes font
le Logogryphe même, On trouve dans le premier
, loge , orge , gogo , or , gril , rôle , Ile
Pole , bier & ego. Dans le fecond , qui eft
renverfé , on trouve , épi , hoir , poil , ire , Roi ,
Golphe , orgie , gloire , ogre & Loire.
AIR A DEUX PARTIES.
Par M. de la Richerie de Sainte Gemme.
Sommeil , viens fur mes fens , viens régner à ton
tour ;
Fais- moi dormir fous cette treille ;
Je ronds à Bacchus fa bouteille :
Jete confacre & la nuit & le jour ;
Si quelquefois je me réveille ,
Que ce ne foit qu'avec l'Amour,
1
THE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY.
ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATION&
i,
L
1
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THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
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ABTOR
, LENOX
AND
TILDEN
FOUNDATIONS
.
S
Je
Si
Q
SEPTEMBRE 1745. 119
A
LOGOGRYPHE.
Ux hommes je dois ma naiffance ;
Je renais douze fois par an ,
Sans boire & fans manger je cours toute la France;
Des pédans & des fous je fuis le Partiſan .
Mon tout par un pouvoir fuprême ,
Pofféde , renferme en lui-même
"
Ce qui fait l'agrément d'une jeune dondon ;
Ce qui fit maffacrer le mari de Didon .
Le Berger prend chés-moi , fon lit , fa nourriture :
Chés-moi les prez recouvrent leur verdure;
On y trouve l'objet des fureurs de Junon ;
Un poiffon de la mer , & le tombeau d'Aaron.
L'outil du Vigneron , ce qui dans les Montagnes ,
Six mois y dort, fix mois court les Campagnes.
Du Peuple & des boiffons ce qu'on méprife tant ,
Ce qui fait au Guerrier répandre bien du fang,
Ce qu'il affronte avec courage ,
A qui dans un Etat on doit tout fon hommage .
Un Verbe en Latin en Français ,
Sans lequel un enfant ne fait aucun progrès .
Combine moi , Lecteur ; tu trouveras encore
Ce qu'être du Soldat la Ville prife abhorre ,
Ce qui chés Cliftorel a bien plus d'un emploi ,
Ce qui caufe au Payfan tous les ans de l'effroi ,
120 MERCURE DE FRANCE
Une Ville de l'Albanie ,
Ce qui baigne la Lombardie.
Enfin , fans forces , fans vertu
Je vas te faire voir dans mon individu ,
La plus dangereuſe Riviere
Qui coule fous notre hémiſphere ,
Ce que cherche d'abord le Soldat arrivant ,
Ce qui fans ame a tant de mouvement ,
Qui fans bouche & fans pieds , dans fa marche
ordinaire
Annonce à tout inftant le cours de la lumiere.
Je renferme en mon fein en me ſubdiviſant ,
Un monftre de ma mere l'Oye ,
Ce qui marque toujours la furpriſe & lajoye.
J'en dis affez , je crois , Lecteur ,
Pour me faire connoître & te tirer d'erreur.
De plus , je fuis abfurde , hétéroclite ;
L'ignorance eft mon feul mérite ;
Mon être eft le cahos & la confufion :
Et de tout tems chés moi régna la déraiſon ,
Aux fots je donne des entraves ,
Pour les embarraffer je fais tous mes efforts ;
Je fuis avec raiſon méprifé de gens graves ,
Dix pieds enfin forment mon corps .
Par l'AbbéMarquet , Sacriftain de la Paroiffe
de Saint Cyr d'Ifjoudun,
AUTRE
SEPTEMBRE 1746 . 121
To
AUTRE .
Ous les ans on me voit nouvellement paroître ,
Ainfi que toutes les Saifons.
Or je puis dire , & j'en ai cent raifons ,
Que c'est moi qui les fais connoître .
Je marche à quatre pieds ; dix lettres font mon
tout :
Me fabriquer n'eft pas chofe facile ;
Je m'en rapporte au plus habile.
Souvent j'ai mis plus d'un Sçavant à bout.
On me voit chés les Rois , on me voit chés les
Princes ,
Dans la Ville & dans les Provinces ,
Chés le Robin , chés le Bourgeois ,
On voit auffi chés moi les Princes & les Rois.
Pour me trouver , Lecteur , voici tout le mystére.
Aux yeux j'offre d'abord un lac ,
Qu'on peut paffer fans bâteau ni fans bac ;
De le trouver c'eft ton affaire .
En paffant par-deffus , à quatre pas plus loin
Tuftrouveras , fi l'on cherche avecſoin
Quatre lettres qui feront rire.
Mais à préfent il eft tems de te dire
Que dans mon tout il faut trouver le nid
F
122 MERCURE DE FRANCE,
Un Hôpital dès long-tems aboli ,
Ce qui fait qu'au vifage on connoît la vieilleffe ;
Un inftrument chéri fur le Permeffe .
Un Héros renommé par fes travaux divers.
D'autres encor à tes yeux font offerts ,
Ainfi qu'un élément qui foûtient notre vie ;
Une Ville de Normandie ,
Mais c'eft affés , Lecteur , fi tu m'entends ,
Garde- moi jufqu'au nouvel an.
Dans
AUTRE.
Ans ma brufque formation
La Nature dément fa lenteur ordinaire .
Ma rapide production
De quelques momens eft l'affaire,
Parmi les plantes j'ai mon rang ;
Ma tiffure n'eft pas commune ,
N'ayant graine , ni feuille aucune ,
Morceau tout à la fois dangereux & friand.
Mon nom que compofent dix lettres
Béunit une foule d'Etres :
Hommes , Femmes , Divinités ,
Fleuves , Arbres , les , Cités ,
Oifeaux .... que fçais-je encore ? bien des métamorphofes
,
SEPTEMBRE 1746. 125
Par des traits diſtinctifs marquons toutes ces chofes.
Je vous offre d'abord cet odieux mortel
Qui fe fouilla du fang de l'innocent Abel,
Le Chef de la race profcrite ,
Que pourſuivit toujours le Peuple Ifraëlite.
Le Dieu , Protecteur des troupeaux .
Le plus fuperbe des oifeaux .
Femme d'humeur acariâtre "
De Phryxus & d'Hellé l'implacable marâtre.
Isle de l'Archipel fameufe par fes vins ,
Mais plus fameufe encor par le berceau d'Apelles,
Nom que portoient jadi les vengeurs des querelles.
Celui qui par fes chants divina
Conftruifit les mûrs des Thébains ;
Qui même difputa le prix de l'harmonie
Contre le Dieu de l'Hélicon..
Le fleuve où tomba Phaeton.
Le Phoenix de la Lombardie
L'un des plus beaux efprits qui parurent jamais.
Un aliment pétri des tréfors de Cérès .
Cet arbre en quoi par le jaloux Borée
La Nymphe Pitys fut changée .
Un Prêtre des Mahometans.
Un Port de Mer : un Fruit : une Ville de France ;
Ce qu'avec complaiſance
Chacun voudroit fauver du naufrage des tems.
Un animal enfin , ni mâle , ni femelle ,
Et je finis par-là , Lecteur , ma Kyrielle.
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
AUTR E.
L'Air eft mon élément . De dix lettres formée
Je renferme en mon nom un fameux Géné: al ,
Dont les rares talens , la valeur fortunée
Firent voir à la Gréce un exploit fans égal ;
Le pere d'un Guerrier célébre
Par le don de combattre avec agilité ;
Un fleuve qu'Annibal , vainqueur des bords de
l'Ebre ,
Franchit par un effet de fa capacité ;
Un grand Auteur Franç is ; un Augufte Monarque,
Bien aimé de fon Peuple , honoré des Romains .
Pour un Roi tel que lui prions Dieu que la Parque
Ait long-tems fes cifeaux fans vertu dans les
mains.
Par M. de Lanevere , ancien Mcufquetaire
du Roi , à Dax,
7
f
;
SEPTEMBRE 1746. 125
J
A UTRE
E fuis un Etre de raiſon ,
Brillante & pompeufe chimére ,
Que l'efpece humaine révére ,
Qu'elle décore d'un beau nom.
Cependant on me cherche à la Cour , à la Ville ;
Des beaux Arts je fuis le foutien ;
Des grands coeurs le premier mobile ;
J'ai prefque dit fouverain bien.
Noblement épris de mes charmes
Les Nourriffons du Dieu des armes
Tentent , pour m'obtenir , d'héroïques efforts.
Vifant au même but le Poëte s'anime
Prend fon effor , tend au fublime
Enfante d'immortels accords.
Ainfi tout à la fois maîtreffe
De mille rivaux généreux ,
Sans mériter le nom odieux de traîtreffe ,
Je puis également couronner leurs beaux feux,
Je n'avouai jamais un mérite ordinaire .
Il faut , pour parvenir à ma poffeffion ,
Fij
126 MERCURE DE FRANCE.
Laiffant au loin le vulgaire ,
Honorer fon état avec diftinction .
Du refte , n'excluant perfonne ,
Indifferemment je couronne
Les Favoris de Mars & des fçavantes Soeurs ,
Les Héros , les Littérateurs ,
Les Médecins , les Algébristes ,
Et tous les excellens Artiftes.
Si vous démontez les refforts
Des fix piéces qui font mon corps ,
Vous trouverez le fard bachique
Dont fe barbouilloient jadis
Les compagnons de Thefpis
Sur leur voiture tragique. "
La trifte fille d'Inachus ,
Qu'une Déeffe rancuniere
Commit à la garde d'Argus.
Un péché capital ; un rain ; une riviere ;
Un terme qui conclud chaque raiſonnement ,
Terme dont retentit l'Ecole ,
Le précieux métail que roule le Pactole ,
Que certains ont nommé le cinquième élément
Eft-ce tout ? Attendez : vous trouverez encore
Un attribut de Terpficore.
ZASS
SEPTEMBRE 1746. 127
SPECTACLE S.
Le Jeudi 18 Août la premiére repréfentation
d'Hypermnestre Tragédie en cinq
actes precédée d'un prologue ; les paroles
font de M. de la Fond qui a donné fur le
T'héatre Lyrique deux Ballets qui ont réuſſi ,
le premier intitulé les Fêtes de Thalie , que
lon revoit fouvent fur la fcéne avec une
égale fatisfaction ; le fecond eft intitulé les
Amours de Prothée. M. de la Fond a auffi
donné de petites piéces à la Comédie
Françoife , comme les trois Freres Rivaux ,
l'Amour vengé , le Naufrage de Crifpin. La .
mufique d'Hypermneftre eft de la compofition
de M. Gervais Surintendant de la Mufique
de M. le Duc d'Orleans Regent .
'Académie Royale de Mufique a dona
Cette piéce a été donnée pour la premiére
fois le Jeudi 5 Novembre 1716 , elle a
été remife au Théatre le Mardi 25 Mai
1728.
La cruelle avanture des Danaides eft une
fable fi connue que, ce feroit abufer de la patience
des lecteurs que de donner ici un exrait
de l'Opera qu'elle a occafionné, M.
Fij
128 MERCURE DE FRANCE.
.
l'Abbé de Ruiperoufe a traité le même fujet
pour la Comédie Françoife .
L'Opera prépare une Tragédie dont la
mufique eft de la compofition de M. le Clerc
qui s'eft fait une grande réputation dans
l'Europe tant parfes compofitions harmoniques
que par leur brillante exécution ;
le fujet de fon Opera eft la fable de Glaucus
& de Scylla , célebre dans les Métamorphofes
d'Ovide.
Le premier Septembre on a remis auThéatre
françois l'Inconnu Comédie en cinq actes
du cadet des Corneilles,elle eft fi connue depuis
très long- tems qu'il feroit inutile d'en
donner un extrait . Ily a même déja quelques
années que les anciens intermedes qui ornoient
ce Poëme ont été remplacés par de
nouveaux divertiffemens dont lesparoles font
de M. Dancourt & la mufique de M. Gilliers
Auteur de tant de jolis vaudevilles . Ily a
dans l'Inconnu une des plus gracieufes farabandes
qui ait jamais été faite . Les ballets
nouveaux ont été fort applaudis , auffi bien
que la diftribution des rôles .
Le Jeudi 15 Septembre une jeune debutate
au - deffous de 15 ans à joué le rôle
d'Agnés avec un applaudiffement général
& arraché par le talent ; fa figure & fa taille
font fort jolies , fon jeu eft naturel & fin .
SEPTEMBRE 1746. 129
Elle a rendu parfaitement tous les traits naifs
dont l'Ecole des femmes eft femée , ce début
là promet une très - aimable Actrice .
On a donné à la Comédie Italienne Arlequin
Bohemienne Comédie en cinq actes ,
plein de lazis d'Arlequin , peu fucceptibles
d'une defcription. On y prépare une piéce
Italienne intitulé l'Inconnue avec des divertiffemens.
Les bornes étroites impofées à Momus
dans l'enceinte du preau par les arrêts de
Thémis ne laiffent pas aux troupes foraines
la liberté de divertir le public autant
qu'elles le fouhaiteroient , cependant M.
Dourdet maître de Danfe & entrepreneur
d'un fpectacle renfermé dans un espace fi
courtn'a pas laiffe d'en tirer parti . Il a fait
repréſenter differentes piéces Pantomimes
qui ont obtenu l'approbation des connoiffeurs.
Le jeu des quatre coins fi cher aux
Enfans a été repréſenté par un ballet naïf
& pourtant varié. La fable de Pigmalion a
offert un tableau plus fçavant , quoi qu'aùffi
récréatif ; on a entendu avec un très grand
plaifir la mufique de M. Corrette , Čompofiteur
déjà eftimé par plufieurs ouvrages.
Momus a trouvé le fecret de faire des
Epigrammes fans parler & fans chanter,
Le 24 du mois paffé on repréſenta au
Collége de Vernon pour la diftribution des
Fy
30 MERCURE DE FRANCE.
prix Les Incommodités de la Grandeur , Co ÷
médie héroïque du R. P. du Cerceau , qui
fut fuivie d'une autre perite Comédie en
trois actes , qui a pour titre l'Ecolier Precep
teur de la compofition de M. le Blanc fous
principal de ce College , il y a eu un ballet
à chaque intermede de la premiere piéce ,
dont les Ecoliers fe font acquités parfaite
ment , & ils ont déclamé les deux piéces
avec un goût admirable. Les ballets font
de la compofition de M. Tarlet grand Muficien
, Maître à danfer & ci- devant Danfeur
de l'Opera , il a exécuté avec M. Morant
fon adjoint un pas de deux avec une legereté
& une précifion que tout le monde a
admirées . Le Théatre étoit fort grand & d'un
goût fingulier ; au lieu de coul fles il y avoit
trois portiques dans l'enfoncement , ornés
de tapifferies des Gobelins avec des rideaux
de damas cramoifi devant chaque portique.
On avoit fait venir pour les Acteurs & Danfeurs
24 à 25 habits de l'Opera de Paris. Enfin
une très nombreuſe aſſemblée a paru extrêmement
contente , & furpriſe de voir que
F'on n'a pas moins de goût en Province qu'à
Paris.
SEPTEMBRE 1746. 131
963636363636363636 261638
P
SONNET
Sur les fentimens d'un Athée converti.
Uifqu'aux plus grands pécheurs vous étes fa
vorable ,
Permettez qu'à vos pieds , adorable Sauveur ,
Je confeffe à ma honte une erreur effroyable
Que l'excès des plaifirs fit naître dans mon coeur
La Loi difoit envain qu'un fort incomparable
Seroit un jour le prix de ma fidelle ardeur ,.
Je traitois follement de chimere & de fable
Le principe certain du fouverain bonheur.
Depuis que votre amour a levé tout obſtacle ,
Les charmes de la Grace opérans leur miracle ,
De tous mes fens bientôt ſe ſont rendus vainqueurs.
Uſez donc envers moi d'une extrême indulgence ,
Et pour mettre , Grand Dieu , le comble à vos faveurs
,
Oubliez à jamais mon crime & mon offenfe."
Par M. Cotterean Curé de Donnemarie.
Fvj
132 MERCURE DE FRANCE.
*£3**£3**£3**23* ÷£3÷ ÷£3÷÷€3÷÷£3*
JOURNAL DE LA COUR,
DE PARIS , & c.
L'E defue cangaffadeur Extraordi-
E Duc de Huefcar que le Roi d'Efpagne
nale auprès du Roi , eut le 27. du mois
dernier fa premiere audience de Sa Majeſté.
Il fut conduit à cette audience , ainfi qu'à
celles de la Reine , de Monfeigneur le Dauphin
, de Madame & de Mefdames de France
par leChevalier de Sainctot , Introducteur
des Ambaffadeurs .
Le 21 le Corps de Ville fe rendit à Verfailles
, & le Duc de Gefvres , Gouverneur
de París , étant à la tête , il eut audience du
Roi avec les cérémonies accoûtumées . Il
fut préfenté à Sa Majefté par le Comte de
Maurepas Miniftre & Secrétaire d'Etat , &
conduit par le Marquis de Dreux Grand-
Maître des cérémonies. Le Prevôt des Marchands
& les deux nouveaux Echevins piêterent
entre les mains du Roi le ferment de
fidélité , dont le Comte de Maurepas fit la
lecture , ainsi que du Scrutin qui fut préſenté
à Sa Majefté par M. de Courchamp , Avocat
du Roi au Châtelet lequel prononca un
difcours plein d'éloquence & de nobleſſe .
SEPTEMBRE. 1746. 133
Le même jour le Corps de Ville eût l'honneur
de rendre fes refpects à la Reine , à
Monſeigneur le Dauphin , à Madame & à
Mefdames de France.
Le
25 fête
de Saint
Louis
la Proceffion
des
Carmes
du
grand
Convent
, à laquelle
le Corps
de Ville
affifta
, alla
fuivant
la coûtume
à la Chapelle
des
Thuilleries
, où
les
Religieux
chanterent
la Meffe
.
L'Académie Royale des Sciences , & celle
des Infcriptions des Belles-Lettres célébré .
rent la même féte dans l'Eglife des Prêtres
de l'Oratoire , où le Panégyrique du Saint
fut prononcé par l'Abbé Thiebault.
L'après- midi l'Académie Françoife tint
une Affemblée publique , dans laquelle elle
donna le Prix de Poëfie qui a été remporté
par M. de Marmontel .
- Le premier de ce mois le Roi & la Reine
entendirent dans la Chapelle du Château la
Meffe de Requiem , pendant laquelle le De
profundis fut chanté par la Mufique , pour
le repos de l'ame du feu Roi Louis XIV.
Le 8 fête de la Nativité de la Sainte Vierge
leurs Majeftés entendirent dans la même
Chapelle la Meffe chantée par la Mufique ,
& l'après -midi elles affifterent aux Vêpres,
La Reine communia le même jour par les
mains de l'Abbé de Fleury , nommé à l'E
vêché deChartres , fon Premier Aumônier ,
Ï34 MERCURE DE FRANCE .
DE F
Le 6 le Roi & la Reine quitterent le deuil
que leurs Majeftés avoient pris le 26 du
mois de Juillet dernier, pour la mort du Roi
d'Espagne.
Le Marquis de Puyfieulx , nommé pour
affifter en qualité de Miniftre Plénipoten
tiaire du Roi aux Conférences qui doivent
fe tenir à Breda avec le Miniſtre du Roi de
la Grande Bretagne , & ceux des Etats Généraux
des Provinces Unies , a pris congé de
Sa Majefté , & il eft parti le , pour fe rendre
en Hollande.
Le Samedi 3 à fept heures du foir tout
étant difpofé dans le Choeur de l'Eglife de
l'Abbaye Royale de Saint Denis , les Gardes
du Corps précédés des Religieux , por
tans chacun un chandelier de l'eftrade , &
recitans des Pleaumes ,defcendirent le corps
de Madame la Dauphine de la Chapelle ardente
, pour le placer dans le lieu préparé
fur l'eftrade du catafalque:lorfque le Prieur
de l'Abbaye qui marchoit derriere le corps
avec la Couronne fur un carreau , eut achevé
les Prieres , les entrailles furent portées au
caveau dans le même ordre & avec les
mêmes Prieres.
Le Dimanche à quatre heures du foir on
chanta les Vépres folemnelles qui furent célébrées
par l'ancien Evêque de Mirepoix ,
de fuite les Vigiles , aufquelles le Prieur de
F'Abbaye officia
SEPTEMBRE 1746. 135
"
Le Lundi lorfque Meſdames, filles du Roi &
la Duchefle de Chartres , qui étoient les
Princeffes du deüil ,& le Duc de Chartres , le
Prince de Conty & le Comte de la Marche ,
qui devoient les mener à l'Offrande , eurent
pris leurs places , l'ancien Evêque de Mirepoix
, Premier Aumônier de Madame la
Dauphine , lequel avoit officié la veille aux
Vepres des Morts , chantées par la Mufique,
célébra pontificalement la Meffe , étant af
fifté des Evêques de Valence , de Lefcar , de
Comminges & de Saint Claude. A l'Offertoire
, & après les faluts ordinaires , faits par
le Marquis de Dreux , Grand Maître , &
par M. Defgranges Maître des cérémonies
, les Princelles allerent à lOffrande,
Madame y fut menée par le Duc de Chartres
, la queuë de fa mante étant portée par
le Comte de Matignon , par le Marquis de
Matignon & par le Marquis de Gontaut : Madame
Adelaïde y fut menée par le Prince de
Conty , & la queuë de fa mante fur portée
par le Comte de la Marck , le Marquis de
Saulx & le Comte de Champagne . La Ducheffe
de Chartres fut menée à l'Offrande
par le Comte de la Marche , la queuë de fa
mante étant portée par le Marquis de Simianne
& par le Comte de Maillé . Après
cette cérémonie l'Evêque de Troyes prononça
l'Oraifon funébre , & la Melle étant
1
136 MERCURE DE FRANCE.
finie , l'ancien Evêque de Mirepoix , & les
quatre Evêques Affiftans defcendirent de
l'Autel , & firent les Encenfemens ordinaires
autour du corps , qui fut enſuite levé
par les Gardes du Corps du Roi , & porté au
caveau de la Sépulture de la Maiſon Royale.
M. Defcajeuls , Lieutenant des , Gardes
du Corps marchoit près du cercueil ; les
quatre coins du Poële étoient tenus par le
Marquis de Saffenage , par le Marquis de
Saint Herem , par le Chevalier de Montegu,
Menins de Monfeigneur le Dauphin , & par
le Marquis d'Oyfe. Le Comte de Rubempré
Premier Ecuyer de Madame la Dauphine
, faifant dans cette cérémonie les fonctions
de Chevalier d'honneur , à cauſe de
l'abſence du Marquis de la Farre , portoit la
Couronne , & le Chevalier de Mailly , repréfentant
le Premier Ecuyer , portoit le
Manteau à la Royale. Lorfque le Corps eut
été defcendu dans le caveau , le comte de
Rubempré y apporta la Couronne , & le
Chevalier de Mailly , le Manteau à la Royale.
Le Comte du Muy , faifant les fonctions
de Premier Maître d'Hôtel de Madame la
Dauphine , & les Maîtres d'Hôtel de cette
Princelle , y apporterent leurs bâtons , & le
Roi d'Armes fit la Proclamation ordinaire.
Le Clergé , le Parlement , la Chambre des
Comptes , la Cour des Aides , la Cour des
SEPTEMBRE •
le
1746. 137
Monnoyes , Univerfité , le Châtelet ,
Corps de Ville & l'Election , qui avoient été
invités de la part du Roi par le Grand Maître
des Cérémonies à ce Service , y affifterent
, ainfi que la Maifon de Madame la
Dauphine , & fes Dames .
* Pr
DESCRIPTION DU CATAFALQUE .
E Choeur étoit orné d'une architecture
Lor
d'ordre Ionique , faifant plan avec pans
coupés; ledit ordre régnant dans tout le pourtour
exécuté de marbre vert , élevé fur une
bafe générale , formant un filet de lumiere
, ces pilaftres étoient coëffés de leurs chapiteaux
en relief , & dorés , portans une
corniche de marbre blanc veiné , fur laquelle
étoit un attique , ce qui faifoit monter
cette décoration à hauteur des vitreaux de
l'Eglife . Cette ordonnance formoit fur les
côtés & à la partie du Jubé plufieurs arcardes
diftribuées avec fymmétrie , où l'on
avoit pratiqué des gradins pour placer les
perfonnes invitées. Chacune de ces arcades
étoit enrichie de grands cartels , contenans
les Armes & les Chiffres de la Princeffe , pofés
à l'alternative ; au haut de ces arcades &
derriere ces cartels naiffoient de grands ri140
MERCURE DE FRANCE.
qui le réuniffoient par leurs têtés , en recevant
un corps d'architecture ; ce morceau
fervant d'amortifiement au total de cet édifice
, le tout doré ; fur ces conſoles étoient
en à plomb de colomnes des groupes d'enfans
en argent , tenans des girandoles ; fur
la partie éminente de ce couronnement
étoit un globe en marbre blanc , ainſi que
la figure qui étoit affife deffus , repréſentant
le Tems d'une attitude impérieuſe , ayant à
fes pieds les inftrumens qui peuvent défigner
les différens états de la vie , & montrer fon
pouvoir & le triomphe abfolu de fa faulx.
Au milieu de l'eftrade , entre les colomnes
, étoit un focle de porte or , fervant de
baze à quatre grandes confoles ifòlées , au
milieu defquelles étoit une urne fépulchrale
d'agathe , entourée de Cyprès argent , formans
des feftons ; fur ces confoles étoit un
membre d'architecture qui recevoit le tomheau
de porphire , où étoient en relieffur
les quatre faces les Armes de la Princeffe ;
fur ce tombeau s'élevoit la hectique couverte
du Poële de la Couronne ; aux pieds étoit
le Manteau Royal , & à la tête la Couronne
furun couffin de velours noir , couverte d'un
crêpe .
Sur l'eftrade au bas du focle , aux quatre
angles , étoient des figures de ronde boffe en
marbre blanc , repréfentans la douleur &
SEPTEMBRE PTEMBI 1746. 14%
l'abattement , appuyés au pied du tom-
'beau .
Sur les degrés des flancs de l'eftrade étoient
deux figures en marbre blanc , repréſentans
la Religion & la Piété .
Cet édifice pouvoit avoir environ qua
rante pieds de hauteur fur une baze proportionnée
, fans y comprendre le grand
pavillon qui couvroit le tout , étant fufpendu
& retrouflé du haut de la voûte.
Toute l'eftrade du catafalque étoit garnie
d'un très - grand nombre de chandeliers portans
des cierges , ainfi qu'il en avoit été placé
à l'Autel & par-tout le Choeur , ce qui
pouvoit produire environ deux mille lumieres,
Ce catafalque & l'appareil de cette pompe
funebre , dont la richeffe & la magnificence
ne cédent en ri
à ce qui a été fait dans ce
genre , ont été ordonnés par M. le Duc
d'Aumont , Pair de France , Premier Gentilhomme
de la Chambre du Roi , conduits
par M. de Cindré , Intendant & Controljeur
Général de l'Argenterie , Menus Plaifirs
& Affaires de la Chambre de Sa Majefté ,
&exécutés par Mrs Slodtz,Sculpteurs du Roi ,
Le 24 du mois dernier les Bénédictins de
l'Abbaye de faint Germain des Prez chanrent
dans leur Eglife le Te Deum , en actions
#42 MERCURE DE FRANCE.
de graces de la convalefcence de S. A.S. M.
le Comte de Clermont , Prince du Sang
leur Abbé , & folemniferent cet événemet ,
par une fête proportionnée aux allarmes que
leur avoit caufées la maladie d'un Prince ,
dont la conſervation leur eſt auſſi chére
que
précieuſe à l'Etat .
Ils annoncerent cette fête dès le matin ,
& à midi par le bruit de leurs cloches , de
cent boëtes , & quelques canons .
A l'iflue des Vêpres , après une troifiéme
décharge de la même artillerie , M. Blavet
Intendant de la Mufique de S. A. S. fit exécuter
dans l'Eglife un bruit de guerre en
fymphonie , avec tymballes & trompettes.
On chanta enfuite le Te Deum , dont les
Verfets alternatifs furent fupplées par d'excellentes
piéces de fymphonie , chofies par
le même M. Blavet , & exécutées fous fes
ordres par un grand nombre d'habiles Muficiens
, que fon zéle & le défir de contribuer
à la folemnité de la fête lui avoient fait
raffembler.
Le foir une quatriéme décharge d'artillerie
fervit de fignal pour les illuminations
dans tout l'enclos de l'Abbaye , & pour un
très-beau feu d'Artifice qui avoit été préparé
dans la cour Abbatiale , par M Denifor,
Intendant de la Maiſon de S. A. S. qui s'eft
fait un devoir dans cette heureufe circonf
SEPTEMBRE 1746. 143
tance de faire parrager au public les tranf
ports de joye que lui caufoit le rétabliffement
de la fanté de fon Maître ; enfuite le
Palais Abbatial qu'il avoit fait décorer avec
beaucoup de goût , fut magnifiquement illuminé,
ainfi que le bâtiment des Religieux ,
dont les trois portiques & toutes les fenêtres
étoient garnis de lumieres dans tout leur
contour , avec des pyramides & des girandoles
dans les intervales. Au- deffus du portique
du milieu , entre les deux cordons
qui régnent le long du bâtiment , & qui
formoient deux rayons de lumieres , fortoit
d'un cartouche bien éclairé cette Infcription
Latine , qui exprimoit le fujet de la fête,
Principi Abbati redivivo.
Ces exemples furent fuivis avec émulation
par tous les habitans des deux cours exté
rieures de l'Abbaye, quifurent remplies pendant
prefque toute la nuit d'une affluence &
d'un concours de monde qui venoit des extrémités
de la Ville partager ces réjouiffances.
Le 13 de ce mois le Baron de Bernstorff ,
Envoyé Extraordinaire du Roi de Dannemarck
eut en long manteau de deuil une
audience particuliere du Roi , dans laquelle
il donna part à Sa Majefté de la mort du
Roi de Dannemarck Chreftien VI. Il fut
conduit à cette audience , ainfi qu'à celles
144 MERCURE DE FRANCE.
de la Reine , de Monfeigneur le Dauphin ,
de Madame & de Mefdames de France , par
le Chevalier de Sainctot Introducteur des
Ambaffadeurs.
Le Roi a accordé l'agrément du Régiment
d'Infanterie qu'avoit le Marquis de Gouy ,
nommé Colonel Lieutenant du Régiment
d'Infanterie de la Reine , à M. de Lanjamet ,
Capitaine dans le Régiment d'Infanterie du
Roi , & l'agrément du Régiment d'Infanterie
de Quercy , vacant par la Promotion de M.
Chauvelin au grade de Marêchal de Camp ,
au Comte de Somont , Lieutenant dans le
Régiment d'Infanterie de Sa Majefté.
Le 18 de ce mois , leurs Majeftez prirent
le deuil pour la mort du Roi de Dannemarck
Chreftien VI.
Le Roi a appris le 20 au foir par le Marquis
de Polignac lequel a été dépêché à ſa
Majefté par le Comte de Clermont , que le
19 le Commandant de la Ville de Namur
avoit fait arborer le Drapeau , & qu'on travailloit
à dreffer les articles de la Capitulation.
Le Roi a fait Brigadier de fes Armées le
Marquis de Polignac.
Le 15 de ce mois , on célébra avec les
cérémonies accoutumés , dans l'Eglife de
l'Abbaye Royale de Saint Denis , le Service
folemnel qui s'y fait tous les ans pour le repos
SEPTEMBRE 1746. 145
pos de l'ame de Louis XIV. L'Evêque de
Bethleem y officia pontificalement : le Prince
de Dombes & le Comte d'Eu y affifterent ,
ainfi que plufieurs perfonnes de diftinction..
Le Jeudi 15 M. l'Abbé de la Ville fut reçu
à l'Académie & prononça fon diſcours
de remerciement. Le nouvel Académicien
qui dans des occupations importantes s'eſt
fait un nom diftingué , répondit dignement
& à fa réputation & à l'attente du public ;
en attendant l'extrait de fon difcours que
nous ne pouvons donner le mois proque
chain , nous dirons , d'après le public qu'il y
a peu de ces difcours ou l'on remarque plus
de nobleffes & de vrais éloquence une ordonnance
fage & un file orné fans affectation
, diftingué par le fond des chofes plus
que par les tours , mérite auffi eftimable que
rare.
Le Jeudi 22 l'Académie élut pour remplacer
M. Montgault M.Duclos de l'Académie
des Belles Lettres Auteur de l'Hiftoire
de Louis XI & de quelques autres ouvrages
qui ont eu avec raifon des fuccès éclatans .
La Flotte de Navires marchands , revenant
de Saint Domingue fous l'eſcorte des
Vaiffeaux du Roi , l'Invincible & le Jafon
& de la Frégate l'Atalante , commandés par
M. de Macnemara , Capitaine de Vaiffeau
laquelle avoit relâché au Port de la Corogne
D
146 MERCURE DE FRANCE.
eft arrivée le 14 de ce mois à la Rade de
l'Ifle Daix . L'eſcorte de cette Flotte depuis
fon départ de la Corogne avoit été renforcée
de quatre autres Vaiffeaux ou Frégates,
qui l'ont jointe fur la côte d'Eſpagne.A
l'arrivée deM.deMacnemara, on a appris que
le 26 du mois de Décembre dernier , étant
encore près de l'Ile de Saint Domingue ,
& faifant route vers le petit Goave avec les
Navires qu'il efcortoit , il avoit découvert
une flotte de trente- fix voiles , qui venoit
à lui , & dont quatre Vaiffeaux s'étoient dé
tachés pour l'attaquer. Auffi-tôt il fit fignal
aux Bâtiments de fon Convoi de ranger la
terre , & de gagner un Port , & ne pouvant
pas aller au-devant des ennemis qui avoient
l'avantage du vent , il prit le parti de les attendre.
Lorfqu'ils furent à fa portée , il revira
de bord fur eux , & il engagea le com .
bat avec le feul Vaiffeau l'Invincible , parcę
que le Vaiffeau le Jafon & la Frégate l'Atalante
ne purent gagner le vent aflés promptement
pour le mettre en ligne. Après deux
heures d'un feu très vif , les Vaifleaux en
nemis fe trouverent fi maltraités , qu'ils furent
obligés de prendre chaffe, M. de Macnemara
les pourfuivit pendant deux autres
heures avec le Vaiffeau le Jafon & la Frégate
l'Atalante , mais la nuit étant furvenue ,
il fut dans la néceffité de rejoindre fon Con
SEPTEMBRE 1746. 147
voy , dont il ne perdit aucun Navire . Il a
fait trois prifes à la côte de Saint Domingue
, & dans le paffage de la Corogne à
I'Ifle Daix une des Frégates de l'Eſcorte s'eſt
emparée du Corfaire Anglois le Renard...
BENEFICES
LE
DONNES.
F Roi à nommé l'Archevêché de Vienne
l'Evêque de Rhodez , & à l'Evêché de
Rhodez l'Abbé de Grimaldi , Aumônier de
Sa Majesté.
Le Roi a donné l'Abbaye de faint Cybar,
Ordre de faint Benoît , Diocéfe d'Angoulême
, à l'Evêque d'Angoulême .
Celle de la Cour-Dieu , Ordre de Cîteaux,
Diocèle d'Orleans , à l'Abbé de Lowendalh.
Celle de Chartreuve , Ordre de Prémontré
, Diocéſe de Soiſſons , à l'Abbé de Montal
, Confeiller- Clerc du Parlement de Grenoble.
Celle de Mafdazil , Ordre de faint Be
noît , Diocéfe de Rieux , à l'Abbé de Montlezun
, Vicaire - Général de l'Archevêché
d'Auch .
Le Prieuré de Bouteville , Ordre de faint
Auguſtin , Diocèſe de Saintes , à l'Abbé de
Rouffiac, Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
Celui de Notre - Dame du Rocher - à-
Mortain , Diocéfe d'Avranches , à l'Abbé
d'Imbercourt.
PRISES DDEE VAISSEAUX
T
Es Frégates du Roi l'Aurore & le Caftor ,
commandées par M. du Vignau , Capistaine
de Vaiffeau , fe font emparées des Navires
Anglois l'Elizabeth , l'Aventure , le
Jean , le Hopper Graffer , l'Endeavour , la
Sufanne & la Brife.
Le Capitaine Faugas qui monte le Corfaire
le Shoram de Nantes , a conduit à Breft
de Navire le Roi de Sardaigne.
Un autre bâtiment Anglois , nommé lạ
Julienne , a été mené dans le même Port par
le Capitaine la Moinnerie , commandant le
Corfaire l'Anonyme de faint Malo.
Le Corfaire le Comte de Maurepas , auffi
de faint Malo , & que commande le Capitaine
Blondelas , eft entré dans le Port de
Morlaix avec deux Vaiffeaux ennemis , dont
l'un étoit chargé de fucre, de bray & de thérebentine
, & il a repris le Navire le Forsuné.
Deux Navires chargés de différentes marchandiſes
, ont été conduits dans ce der
SEPTEMBRE 1746. 149
nier Port par le Corfaire la Comteffe de la
Marck
Il eſt arrivé à faint Malo un bâtiment à
bord duquel il y a du taffia & du bois de
teinture , & un Corfaire de Jerſey , dont le
Corfaire le Conquérant de Granville s'eft
rendu maître .
On apprend de Cherbourg que le Corfaire
la Bourette y a envoyé le Navire le Fidéle
Jean de Hole.
Le Capitaine Cauchois , commandant le
Corfaire le Dauphin de Dieppe a enlevé lés
Navires François la Volonté & la Société à un
Armateur Anglois qui s'en étoit emparé.
Le Corfaire la Claudine de Boulogne s'eft
rendu à Dieppe avec le bâtiment la Marie
de Sunderland , dont la charge confifte en
bois de conftruction.
Suivant les avis reçûs du premier de ces
Ports le Corfaire la Ducheffe de Villars ,
monté par le Capitaine Guillaume le Clerc ,
a rançonné pour deux cent livres fterlings
le Navire l'Edouard d'Almarie .
On mande de Dunkerque que le Capitaine
Sauvage , qui commande le Vaiffeau
le Prince de Conty, armé en courfe à Calais,
eft arrivé dans le premier de ces Ports avec
le Navire le Nancy de Scarbourg , & qu'il
s'est rendu maître de deux autres bâtimens
ennemis nommés l'Industrie & la Providence,
Gij
Iso MERCURE
DE FRANCE.
dont il a exigé mille fept cent vingt - cing
livres fterlings de rançon .
Le Capitaine Claude Paillette , qui monte
le Corfaire l'Oiseau de Calais en a retiré une
de cent trente livres fterlings du Navire les
deux Freres de Harwick, & il a conduit à Of
tende le Vaiffeau le jeune Théodore , avec un
chargement d'huile , de tabac & d'autres
marchandiſes.
Les Corfaires le Comte de Lovvendalh &
le Comte de Maurepas le font emparés au
Nord de l'Ecoffe des bâtimens la Sara , le
Baltick Marchand , le Léopard , le Hector &
la Refolution , chargés de fucre , de Cacao ,
d'indigo & de riz , & ils ont pris plufieurs
autres bâtimens qui ont payé mille huit cent
quarante - fept livres fterlings pour ſe racheter.
›
Il est entré dans le Port - Louis un Bâtiment
de la même Nation , nommé le Canard,
qui a été pris par les Frégates du Roi l'Aurore
& le Caflor.
Le Capitaine Hugon , qui monte le Corfaire
le Conquerant , de Granville , a conduit
à Morlaix le Navire le Jules Céfar , de la Jamaïque
, d'environ rrois cent tonneaux
armé de quatorze canons , & chargé d'indigo
, de fucre & de coton.
On mande de Boulogne que le Corfaire
la Claudine a enlevé le Navirela Marguerite
, de Louveſtot,
›
SEPTEMBRE 1746. 151
Une Barque de la Rie a été envoyé à
Dunkerque par le Corfaire l'Esperance , que
commande le Capitaine Portier.
Suivant les avis reçus de Bayonne , le Capitaine
Dubezin , commandant le Corfaire
l'Eclair , de ce Port , s'eft rendu maître du
Navire le Charmant Poly , de Londres, dont
la charge eft compofée de caffé , de fucre ,
d'indigo & de bois de teinture , & avec lequel
il a relaché à Saint Ander.
OPERATIONS DE L'ARME’E
DURO 1.
Du Camp de Villers du 22 Août.
'Artillerie & les équipages de l'armée ayant
L'été envoyés à Orbais , & le Prince de Pons
Lieutenant Général ayant été détaché avec un
Corps confidérable , pour occuper les bois & le
défilé de Terine , le Corps de féferve s'avança le
14 de ce mois à Torbais Saint Tron , & les troupes
qui avoient fait le fiége de Mons & de Charleroy
, fous les ordres du Prince de Conty , marcherent
fur quatre colonnes aux Tombes de Liberfat.
Le lendemain l'armée décampa de Walhem
fur fix colonnes , & alla appuyer fa droite aux
bois du Sart , & fa gauche au Mont Saint André
Les ennemis tenterent d'inquietter les campe-
G iiij
# 52 MERCURE DE FRANCE.
mens > en attaquant à deux repriſes les troupes
que le Maréchal Comte de Saxe avoit miſes dans
le Village de Perver , mais ils furent repouffés
par les Brigades d'Infanterie de Beauvoifis & de
Bettens . Pendant que l'armée fe porta fur ce Village
, le corps de réſerve marcha à Geft & à Vìrompont
, & un détachement d'Infanterie , de
Dragons & de Huffards , commandé par le Marquis
de Clermont Gallerande Lieutenant Général
s'approcha de Judoigne . M. de Saint Germain
, qui commandoit à Vaure , fe replia de fon
côté fur Teruvre , afin de protéger la communication
de Bruxelles à Louvain. Les troupes qui
étoient ci - devant aux ordres du Prince de Conty ,
s'étant réunies le 16 du mois dernier avec celles
du Maréchal Comte de Saxe , pour ne plus former
avec elles qu'une même armée , on paffa le
lendemain le ruiffeau de Perver fur huit colonnes-
& en ordre de bataille , les campemens étant protégés
par douze mille hommes . On s'avança fans
obftacle vis-à- vis le défilé d'Arche , & les Ulans
ayant pouffé devant eux jufqu'à ce défilé quelques
troupes de Huffards qui vinrent eſca moucher
, le Comte d'Eftrées Lieutenant Général
prit pofte fur la Mehagne. Le Maréchal Comte
de Saxe ne fit point occuper le Village de Neuville
, parce qu'on y auroit perdu beaucoup de
monde , fi ce Village avoit été attaqué par les
ennemis . & qu'il étoit difficile de fe maintenir dans
ce pofte , fous le feu d'un Château , dans lequel
ils s'étoient fortifiés de l'autre côté de la riviere.
L'armée campa fur quatre lignes , la droite aux
bois de Rochepaille , la gauche à la Tombe de
Branchon , & la réſerve à Jandrain . Un détachement
de cinquante hommes d'Infanterie & de cent
Dragons de cette réferve , lequel s'étoit trop apSEPTEMBRE
1746. 153
le 19
>
proché des ennemis , fut attaqué & mis en defordre
, après avoir foutenu malgré fon infériorité
un long combat . Le même jour que l'armée arriva
fur le bord de la Mehagne , celle des Alliés
fe rendit fur l'autre bord , la droite aux Tombes
de Serun , & la gauche à Arche. Après être demeuré
le 18 dans la même pofition tant pour
attendre un convoi , que pour donner du repos
aux troupes qui avoient paffé prefque tout le jour
précédent fous les armes , le Maréchal Comte de
Saxe porta fa droite à la Tombe du Soleil ,
& fa gauche à Thine , l'armée ayant marché par
lignes & fur fix colonnes , dont deux furent deftinées
pour l'artillerie & pour les équipages . Le
Corps de réſerve fut envoyé à Warem fur le Jar ,
& quatre Régimens de Dragons , commandés par
le Duc de Chevreufe , prirent un camp féparé
entre Warem & la gauche de l'armée . Dans cette
derniere marche les troupes qui étoient reftées
aux Cinq Etoiles fous les ordres du Comte de Lowendalh
firent l'arriere-garde . Elles furent harcelées
depuis onze heures du matin juſqu'à cinq
du foir par un nombreux détachement de Grenadiers
, de Huffards & de Pandoures Le Régi
ment de Graffin s'eft extrêmement diftingué en
cettte occafion , & ayant marché fouvent à l'ennemi
, il l'a repouffé toujours avec avantage. Les
Alliés qui n'avoient gardé le 19 leur pofition
que pour favorifer le détachement par lequel ils
avoient fait inquietter l'arriere-garde des troupes
du Roi , s'avancerent le 20 dans la Plaine de Bourdine
, leur droite s'étendant vers Falais . a difficulté
de les attaquer derriere la Mehagne , ne
laiffant d'autre parti à prendre que celui de leur
ôter les fubfiftances , le Maréchal Comte de Saxe
détacha le 20 au foir le Comte de Lowendalh
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
avec un Corps d'Infanterie & de Dragons , les
Régimens de Graffin & de la Morliere , & une
Brigade d'Artillerie , pour s'emparer de Huys ,
dont ce Lieutenant Général fe rendit maître le
21. On y a trouvé quatre-vingt caiffons & quatre-
vingt mille rations de pain , & l'on y a fait
plufieurs prifonniers. Le 21 le Corps de réſerve
eut ordre d'aller camper , la droite au Château
d'Ottermont , & la gauche à Vignamont , & le
Comte d'Eftrées , qui en a pris le commandement
depuis la maladie du Comte de Clermont ,
fut
chargé d'obliger les ennemis d'abandonner les
ponts de Falais & de Hordin.
Depuis que le Comte de Lowendalh s'eft rendu
maître de Huys , le Maréchal Comte de Saxe a
fait un détachement commandé par Monfieur de
Beaufobre , auquel il a ordonné de fe porter fur
Liege ; le Convoi que le Marquis de Saint Pern ,
Maréchal de Camp , à la tête de trois mille hommes
, a été chargé de protéger , eft arrivé à l'armée
; le 28 au foir l'armée des Alliés a fait un
mouvement pour s'approcher de la Meufe ; ils ont
pris le parti de paffer cette riviere ; le Maréchal
Comte de Saxe doit marcher pour fuivre les ennemis,
& il paroît dans la difpofition de faire paffer
de l'autre côté de la Meufe une partie de l'armée
du Roi.
Du Camp de Breff, du 3 1 .
Le 29 du mois dernier au matin , fur la nouvelle
qu'on eut que l'armée des Alliés étoit décampée
, le Maréchal Comte de Saxe envoya ordre
au Marquis de Clermont Gallerande , de s'avancer
à Thyne avec le Corps qu'il commande ,
& aux Comtes d'Eftrées & de Berchiny de marcher
à la pourfuite des ennemis. On battit en
SEPTEMBRE 1746. 155
-même tems la générale , & les équipages s'étant
raffemblés au centre , la feconde & la troifiéme
ligne de l'armée pafferent laMehagne , pour foutenir
les deux Corps commandés par les Comtes d'Eftrées
& de Berchiny. Ces deux lignes fe porterent
fur la Ville de Huys , & elles camperent dans
les environs , appuyant leur droite à Burdines ,
& leur gauche à la Tombe de Veſcou . Le Comte
de Lovvendalh , qui dès la veille avoit marché en
avant au-dèlà de Huys , fut renforcé par le Corps
à la tête duquel étoit le Marquis de Contades.
Le Maréchal Comte de Saxe ayant appris que
toute l'armée ennemie , à l'exception de quelques
troupes de Huffards qui avoient la facilité de fe
retirer par un gué , avoit paffé la Meufe , ce Général
manda aux Comtes d'Eftrées & de Berchiny
de ne pas continuer leur marche , & de camper
à Meradia , & les premiere & quatrième lignes
, qui pendant le mouvement des deux autres
étoient toujours restées en bataille , & s'étoient
tenues prêtes à paffer auffi la Mehagne , retendirent
leurs tentes . Le même jour le Maréchal
Comte de Saxe vint établir ici fon quartier , &
-le 30 il alla vifiter le camp que le Comte de Lovvendalh
occupe fur les hauteurs de Notre- Dame
du Jar. Les ordres que le Maréchal Comte de
Saxe a donnés de jetter des ponts fur la Meuſe ,
donnent lieu de croire que l'armée ne gardera pas
encore long-tems la même pofition . Depuis le 28
le Corps que commande le Comte de Segur s'eft
pofté fous Dinan, pour veiller fur les mouvemens
des ennemis , qui étoient campés hier à Ohet avec
leur réſerve en potence fur Loyau. M. de Beaufobre
qui eft toujours dans les environs de Lié-
& qui fut joint avant- hier par le reste de fon
Régiment , doit être relevé demain par le Mar-
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
quis de Clermont Gallerande , lequel ira camper
de l'autre côté de la Ville . Trois jours avant le
mouvement du 29 , deux détachemens confidérables
aux ordres du Chevalier de Saint André &
du Vicomte du Chayla , avoient marché du côté
de Ramillies , pour y envelopper un Corps de
troupes legéres des Alliés . Le premier de ces détachemens
ayant dépaffé ce Village , fut attaqué
par un Corps de Dragons & de Huards. Le
Duc de Briffac Maréchal de Camp , à la tête de
fix cent Gendarmes , repouffa les ennemis , &
leur enleva deux piéces de canon , mais l'Infanterie
n'ayant pu avancer affés promptement pour
foûtenir la Cavalerie , celle- ci ne put profiter de
fon avantage , & le Chevalier de Saint André ayant
reçû ordre de fe rendre à Judoigne , il y marcha
ainfi que le Vicomte du Chayla. L'objet de ce
nouveau mouvement étoit de s'oppofer au deffein
de quelques troupes ennemies qui s'étoient avancées
pour tâcher de s'emparer de Louvain , & qui
fe retirerent lorfqu'elles reçurent avis que la Gar
nifon de cette Place avoit été renforcée de quatre
mille hommes , qu'on y avoit envoyés pour protéger
un convoi parti de Bruxelles . Le Chevalier
de Saint André & le Vicomte du Chayla ayant
paffe à Judoigne avec leurs détachemens , la nuit
du 26 au 27 , ils revinrent le 27 au camp avec
quelques prifonniers faits fur les ennemis.
Suivant les lettres du camp de Breff dattées
du 4 de ce mois le Prince Charles de Lorraine ,
après avoir fai depuis le paffage de la Meufe plufieurs
mouvemens pour perfuader qu'il vouloit
fe retirer dans le Duché deuxembourg , s'eft
déterminé à fe replier vers Maestricht par une
route prefque impraticable , & à paffer par Dur
buy , Auvalle , Verviers & Dalem. Le Maréchal
EPTEMBRE 1746. 137
Comte de Saxe , auffi-tôt qu'il en a été inftruit ,
a envoyé ordre au Marquis de Clermont Galle
rande , qui s'étoit porté au-de là de la Chartreufe ,
de l'autre côté de Liége , de repaffer la Meufe ,
& le Corps de ce Lieutenant Général a été renforcé
de trois Brigades d'Infanterie , d'une de Cavalerie
, & des Régimens de Graffin & de la
Morliere. La Maifon du Roi s'avança le 3 à moitié
chemin du camp de Breff à Liege , & elle doit
fe rendre fur le Jar , où elle fera fuivie par l'armée
de Sa Majesté.
Du Camp de Tongres , le 11 Septembre.
L'armée du Roi , commandée par le Maréchal
Comte de Saxe , quitta le 5 de ce mois le camp
de Breff , & ayant marché fur huit colonnes , elle
arriva le foir à Warem. Le lendemain elle s'eft
rendue ici , où elle eft campée fur deux lignes ,
la droite étant appuyée à Oreille , & la gauche
à Tongres. Le jour que l'armée eft part e du
camp de Breff , le Comte d'Eftrées , Lieutenant
Général s'eft avancé avec quatre Régimens de
Huffards à Lontin , où ce détachement a été renforcé
d'une Brigade d'Infanterie , d'une de Cava➡
lerie & d'un Régiment de Huffards Ces troupes
ont marché le 6 à Milmont , pour être à portée
de s'opposer aux détachemens que les ennemis
pourroient faire paffer par le Gué de Vifé , fur
les hauteurs duquel le Général Trips eft campé
avec le Corps de troupes qu'il commande . Les
efcortes néceffaires pour la fûreté des convois
qu'on fait venir ici de Bruxelles , caufant aux troupes
beaucoup de fatigue , le Maréchal Comte de
Saxe , occupé du foin de leur en épargner , a donné
ordre à M. de Saint Germain, Maréchal de Camp ,
158. MERCURE DE FRANCE.
"
qui étoit à Trevure , de fe porter à Tirlemont ,
& il a fait en même- tems avancer à Saint Tron
le Régiment des Volontaires de Saxe & celui
des Cantabres , & par cette difpofition il a affûre
la communication d'ici à Bruxelles. Les Volontaires
Royaux ont été répandus dans differens
poftes le long de la Demer , pour empêcher les
troupes legeres des Alliés de venir inquietter ce
camp. Le Marquis de Contades , qui étoit refté
avec quatorze Bataillons & un Régiment de Huffards
de l'autre côté de Huys , a rejoint l'armée le 7 ,
& il a laiffé dans ce pofte les Grenadiers Royaux
de Chatillon . Depuis que les ennemis fe font reti
és du côté de Maeftricht ils n'ont fait aucun
mouvement , mais s'ils fe déterminent à changer
de pofition , le Maréchal Comte de Saxe s'eft mis
en état , par les marches qu'il a fait reconnoître
& par les ponts établis fur le Jar , de s'oppofer
à l'exécution des différens projets que le Prince
Charles de Lorraine pourra former.
Du Camp de Tongres le 18 ..
Un Corps de troupes des Alliés s'étant avancéc
fur la montagne de S. Pierre , le Maréchal
Comte de Saxe marcha la nuit du 11 au 12 de ce
mois avec trois Brigades d'Infanterie & quatre de
Cavalerie pour l'attaquer , mais il changea de réfolution
à l'inſpection du terrain que les troupes ennemies
occupoient , & fur la nouvelle que toute
l'armée commandée par le Prince Charles de
Lorraine avoit repaffé la Meufe. Il fe contenta
de faire charger un Corps de Pandoures , qui fut
entierement diffipé , & dont il y eut quinze cent
hommes de tués , & l'on canonna en même tems
avec beaucoup de vivacité un détachement , à
SEPTEMBRE 1746.. 159
la tête duquel étoit le Général Baroniay. Depuis
que le Prince Charles de Lorraine a paflé la Meufe
la rive droite du Jar devenoit peu effentielle à
garder, & il convenoit de prendre une pofition ,
qui empêchât les ennemis d'inquietter les convois
deftinés pour l'armée . Ces raiſons ont déterminé
le Maréchal Comte de Saxe à faire le 17 un
mouvement , par lequel il a porté fa droite un peu
en avant de Tongres , & fa gauche à Bilfen. En
précédant les campemens avec les Volontaires
Royaux , il rencontra au Village de Houffelt une
parties du Corps du Général Trips , laquelle fut,
obligée de repaffer le Demer , après avoir fait
une perte affés confidérable . Dès le 11 , le Marquis
de Clermont Gallerande a réjoint l'armée
après avoir renforcé de deux Régimens de Dragons
& de celui de Graffin le Corps commandé
par le Comte d'Eftrées , qui s'eft retiré en deçà
du Ruiffeau des Freres . Le Vicomte du Chayla ,
avec les troupes qui font fous fes ordres , a repaffè
le Jar , & il a appuyé fa gauche à Tongres . L'armée
des Alliés étant campée à une demie lieue
de celle du Roi , la droite à Spaven & la gauche
à Millin , on a fait toutes les difpofitions convenables
pour recevoir les ennemis , s'ils prennent
le parti de nous attaquer , & le Maréchal Comte
de Saxe , afin de proteger notre flanc gauche , a
donné ordre d'occuper Haffelt , Bilfen & Dippenbek.
Du Camp devant Namur , le 6 Septembre
La retraite de l'armée des Alliés ayant facifité
les moyens d'entreprendre le fiége de Namur
, le Comte de Clermont a été nommé pour
Commander les troupes deſtinées à attaquer cette
160 MERCURE DE FRANCE.
Place . Il a fous fes ordres le Comte de Ségur ,
le Marquis de Putanges , le Marquis de Chazeron
, le Marquis de Saint Jal , le Marquis de Villemur
& le Comte de Lovvend lh Lieutenans
Généraux ; le Marquis de Fimarcon le Marquis
de Bellefont , le Duc de Chevreufe , le Marquis
du Chatelet , le Vicomte de Pons , le Marquis de
Fiennes , le Baron de Montinorency , le Chevalier
de Gramont , le Comte de Levy , le Comte
de Coëtlogon , le Duc de Fitz-James , le Duc de
Chaulnes , le Marquis de Frémur , le Marquis de
Bauffremont , le Chevalier de Nicolay , le Marquis
de Vibraye , le Marquis de Surgeres , le Comte
de Luffan , le Comte de Blet , le Duc d'Havré
, le Comte de Froulay & le Chevalier Chau
velin , Maréchaux de camp. Le Comte de Clermont
a formé l'inveftiflement de la Place avec
cinquante-neuf Bataillons & cinquante - deux Efcadrons
, & il a fait occuper le terr in entre la
Meufe & la Sembre par les Régimens de Picardie
, de Champagne , de Monaco , de Bourbon ,
de la Ferre , de Bettens , de Mo nin , de Crillon
& de Rohan ; par les Bataillons de Grenadiers
Royaux de Coincy , de Chantilly & de la Treme ;
par les Régimens de Cavalerie de Clermont
d'Asfeld & d'Egmont , & par les Régimens de
Dragons , Meftre de Camp Général , du Roi ,
d'Orleans & d'Harcourt. La Ville eft enfermée
de l'autre côté de la Meufe par le Comte de Ségur
avec les Régimens de Ségur , de Brezé , de
Bearn , Royal Suédois , & d'Alface , & par ceux
de Cavalerie de Rofen , de Vintimille & de Naffau .
Les Bataillons de Royal Artillerie , employés au
fiége , font ceux de Fontenay & de Pumbeck.
La défenfe du pofte de Huys a été confiée au
Régiment de Chabrillant , & à un Bataillon de
Grenadiers Royaux ,
SEPTEMBRE 161
1746.
Du Gamp devant Namur le 15 .
&
Le Comte de Clermont a voulu que la tran
chée devant la Ville de Namur ne fut ouverte
qu'après l'établiffement de quelques Batteries ,
dont deux commencerent à tirer le II de ce'
mois au matin. Les affiegés y répondirent par
un très - grand feu d'artillerie , tant de la
Ville que du Fort d'Epinoy & des Châteaux ,
ils jetterent plufieurs bombes fur la Batterie de la
droite , mais leur feu ne put faire taire celui des
affiegeans , & le foir le Fort de Saint Antoine'
étoit déja prefque entierement ruiné . A l'entrée
de la nuit le Chevalier de Son Lieutenant Colonel
alla avec deux Compagnies de Grénadiers
reconnoître la brêche du Fort d'Epinoy , qu'il ne
trouva pas pratiquable. Deux nouvelles batteries
établies près de l'Abbaye de Salzine furent achévées
le 12 , & deftinées à battre à ricochet les
prolongemens des Chemins couverts du Baſtion
de Monterey & du demi Baſtion de la Sambre. La
nuit du 12 au 13 la tranchée fut ouverte , & l'on
embraffa à la droite le Fort Coquelet par un Boyau ,
qu'on pouffa jufqu'à 30 toifes du chemin couvert du
Fort de S. Ifidore . A l'attaque de la Porte de S. Nicolas
on établit deux Boyaux de communication
depuis le rocher jufqu'à la Menfe . Dans le moment
de l'ouverture de cette tranchée le Marquis de Villemur
fit une fauffe attaque du côté des Châteaux ,
& M. de Vaux montra du côté des Forts de S. Antoine
& d'Epinoy une tête de Travailleurs , qui attirala
principale attention de l'ennemi . On eut entiérement
perfectionné le 13 à la pointe du jour une
batterie de 8 mortiers , qui bat le Fort Coquelet , &
une autre de deux mortiers & de 8 piéces de canon
162 MERCURE DE FRANCE.
qui tire contre l'Ouvrage à Corne de S. Nicolas &
contre une Redoute fituée fur la rive droite de la
Meuſe.Pendant la nuit fuivante on forma une ſeconde
parallele à l'attaque de la Porte de S. Nicolas &
du côté du Fort Coquelet on s'avança par une Sappe
affés près des paliffades . A l'attaque d'Outre- Meufe
on travailla à une feconde parallele , qui fut jointe
à la premiere par une communication . Le 15 les
Boyaux commencés fur la Capitale du Fort Coquelet
furent prolongés jufqu'à l'Angle Saillant du
chemin couvert de ce Fort ; on perfectionna en
Sappe tournante les débouchés de la feconde attaque
, & à la troifiéme on s'empara par eſcalade du
demi Baftion de la Meufe , dans lequel on a fait 5
Officiers , un Ingénieur & 112 foldats prifonniers.
Le 19 la Ville de Namur arbora le drapeau blanc
après fept jours de tranchée ouverte ; il y avoit
déja une bréche très- confidérable au corps de la
place , & l'on étoit maître de l'ouvrage à corne
dès la nuit précédente.Les affiégés ont été obligés
par la Capitulation de fe retirer dans les Châteaux
avecleurs effets & leurs chevaux ; on fe prépare à
former l'attaque des Châteaux .
SEPTEMBRE 1746. 163
NOUVELLES ETRANGERES.
ALLEMAGNE,
LEs la
Es lettres de Petersbourg marquent que fa
minée , & qu'il y avoit eu de très- grandes ré ouiffances
le jour que l'Impératrice de Ruffie y
étoit arrivée ; que le lendemain cette Princeffe
avoit donné audience aux perfonnes les plus diftinguées
de la Province ; qu'ayant renoncé au deffein
d'aller à Riga , elle devoit partir le premier
du mois d'Août pour revenir à Petersbourg , &
qu'elle fe propofoit de prendre fa route par Pleskow.
La Nation des Carakalpaques lui a envoyé
des Députés pour lui offrir un Corps de troupes
, fi elle en a beſoin. On mande de Coppenhague
que le Roi & la Reine de Dannemarck
étoient allés à Hirſcholm , pour y paffer quelques
jours avec la Reine Douairiere . Selon les avis
reçus de Drefde tout s'y difpofe pour le voyage
du Roi de Pologne , Electeur de Saxe , à Warfovie
, où fa Majefté Polonoife compte de demeurer
pendant deux mois. Les Députés des Etats de
l'Electorat de Saxe fe féparerent le 14 , après
avoir accordé des fubfides demandés , & ils ont
réfolu de faire preſent de cent trente mille écus
d'Allemagne au Roi de Pologne Electeur de Saxe ,
de vingt-quatre mille à la Reine , de dix mille au
Prince Electoral & de quarante mille à la Prin
ceffe qui doit époufer l'Electeur de Baviere.
164 MERCURE DE FRANCE.
On a reçû avis de Ratisbonne que de M.de Polman
, Miniftre du Ro de Pruffe auprès de la
Diette de l'Empire , avoit remis à cette Affemblée
un Mémoire contenant les raifons qui font
défirer à fa Majefté Pruffienne que l'Empire"
lui garantiffe la poffeffion du Duché de Silefie.
On mande de Vienne que la nouvelle de la
prife de Plaifance , dont la garnifon a capitulé le
12 Août & a été fai e prifonniere de guerre y a
été apportée par le fils du Comte de Pappenheim .
On n'a pas trouvé dans cette Place une auffi
grande quantité d'artillerie qu'on s'y étoit attendu
, & la plupart des bleffés & des malades que
les François & les Efpagnols y ont laiffés , étoient
des prifonniers faits à la bataille de Plaifance
par les troupes de la Reine , & qui avoient été
renvoyés aux ennemis , pour en avoir foin . La
joye caufée par le bruit qui s'étoit répandu
que le Marquis de Botta avoit remporté une
victoire complette fur l'armée combinée d'Efpagne
& de France , n'a pas été d'une longue
durée , & par diverfes relations particulieres
qu'on a reçues de l'action , il paroît non feulement
que l'armée combinée d'Eſpagne & de
France eft demeurée maîtreffe du champ de
bataille , mais encore que celle de fa Majefté a
fait une perte très- conſidérable . Independamment
de ce qu'on en a appris par plufieurs lettres , on
juge par
le nombre des officiers de marque , tués
ou bleffés , qu'elle monte beaucoup au- delà de ce
que publie le Gouvernement . Le Baron de Be-
Tenklau a été extrêmement regretté de la Reine ,
qui a été informée par le fils du Comte de Pappenheim
, que le Maruis Serbelloni étoit more
auff de fes bleffures .
SEPTEMBRE. 1746. 165.
?
la
prequi
en-
Selon les nouvelles de Ratisbonne
miere colonne des troupes Bavaroifes
trent au fervice de la République des Provinces
Unies , s'eft miſe en marche le 7 Août : elle
fut fuivie le 19 par la feconde , & le rendezyous
de ces troupes eft à Donawert.
Le 28 du mois dernier l'Electeur de Baviere
arriva à Drefde fous le nom du Comte d'Engels
berg , & il alla defcendre chés le Baron de Wetzel
, fon Miniftre en cette Cour. Vers les cinq
heures du foir il fe rendit chés le Roi de Pologne
, Electeur de Saxe , qui le reçut dans fon
cabinet où la Reine étoit avec les Princes &
Princeffes de la Maiſon Electorale . N'ayant gar
dé l'incognito que le jour de fon arrivée il fut
complimenté le lendemain par les Miniftres
Etrangers , les Miniftres d'Etat & les principaux
Seigneurs de la Cour. 11 reçut le même jour à
midi la vifite du Roi du quel il alla audevant
jufqu'au bas de l'efcalier , & après un court entretien
il fuivit fa Majeté , dans le caroffe de la
quelle il monta le Roi lui donnant la droite.
L'Electeur dîna avec leurs Majestés à une table
de quarante couverts , & il fut placé entre le
Roi & la Reine . Le 30 le Roi donna pour la feconde
fois à l'Electeur un magnifique repas , auquel
furent invités tous les Miniftres Etrangers ,
& qui fut fuivi d'un bal. Il y eut le 31 concert
chés la Reine , & bal chés la Princeffe Marie Anne.
Le premier de ce mois l'Electeur est allé avec
leurs Majeftés à la chaffe , après laquelle il a affifté
à la reprefentation d'un nouvel Opera. Ce
Prince ne partira de Drefde qu'après la célébration
de l'anniverfaire de la naiffance du Prince
Electoral . Le Marquis des Iffars Ambaffadeur du
Roi auprès du Roi & de la République de Po
"
166 MERCURE DE FRANCE,
logne eut le 28 du mois dernier une audience
particuliere de fa Majefté , & il fut admis enfuite
à celle de la Reine.
On ' mande de Drefde du 8 de ce mois
que Electeur de Baviere foupa le premier
chés le Comte de Bruhl , Premier Miniftre d'Etát
& du Cabinet , dont l'Hôtel , ainfi que les
Jardins qui en dépendent , étoit illuminé avec la
plus grande magnificence . Le repas fut fuivi d'un
feu d'artifice , & d'un Bal auquel fe trouverent
toutes les perfonnnes de diftinction de la Cour .
Ce Prince alla le 2 à Meiffen voir la Manufac
ture de Porcelaine s & il y fut accompagné par
le Comte de Bruhl qui en a la principale Direction ,
& qui lui prefenta de la part du Roi un fervice
de Porcelaine de cette Manufacture . Le 3 l'Electeur
de Baviere prit avec le Roi le divertiffement
de la chaffe ; il affifta enfuite à une repréfen
tation de l'Opera , & le foir il foupa avec leurs
Ma eftés . Les deux jours fuivans ont été remplis
par diverfes fêtes données par le Roi à ce Prin-
, qui eft parti la nuit du 6 au 7 pour
retourner à Munich & qui à fon départ a été
falué d'une triple déchage de cent piéces de canon.
Les Princeffes filles du Roi ont pris le 8 la
route de Warſovie , & leurs Majeftés les ont fuivi
le 13.
ce
?
"
La maladie du Roi de Pruffe n'ayant eu au,
cune fuite , fa Majesté eſt attendue inceffamment
à Berlin de Potſdam où elle ne demeure qu'a
fin de conferer plus tranquillement avec fes Miniftres
fur quelques affaires importantes . Le 5 de
ce mois M. de Villiers Miniftres Plenipotentiaire
du Roi de la Grande Bretagne fe rendit à ce
Château , & il eut du Roi une audience particuliere,
dans laquelle il communiqua à fa Majesté
SEPTEMBRE 1746. 167
quelques dépêches qu'il avoit reçûes de Londres,
Ces dépêches étant relatives aux conférences qui
doivent fe tenir à Breda , le Roi affûra ce Miniftre
qu il perfiftoit dans la réfolution de contribuer
en tout ce qui dépandroit de lui , à procurer
un accommodement entre les Puiffances bellihérentes.
Les troupes de la Reine de Hongrie , qui après
s'être aflemblées au camp de Sontheim près de
Heilbron , s'étoient mifes en marche , pour fe
rendre en Italie , ont reçû un contr'ordre , & l'on
croit qu'elles iront renforcer l'armée des Alliés
dans les Pays Bas . La derniere colonne des troupes
Bavaroifes , qui entrent au fervice de la Ré
publique des Provinces Unies , n'a du partir que
le IŞ de Donawert,
ITALI E.
On mande de Génes du 26 Août que l'armée combinée
d'Espagne & de France n'étant pas dans les
environs de Tortone affés à portée de s'oppofer
aux entrepriſes que les ennemis auroient pu former
contre les Etats de cette République , l'Infant
Don Philippe a jugé à propos de fe rappro
cher de Seravalle , & que cette armée eft actuellement
campée entre ce Château & Gavi . Le Marquis
de la Mina , qui arriva de Madrid à Voghera
le 14 du mois dernier , y, prit le commandement
des troupes Espagnoles fous les ordres de l'Infant
à la place du Comte de Gages . Le même jour
que le Marquis de la Mina fe rendit à l'armée ,
le Marquis de Caftellar reçut ordre de retourner
en Efpagne Ce dernier Général a paffé par ·
Génes en aliant à Madrid , & le Comte de Ga,
ges y eft depuis le 22,
168 MERCURE DE FRANCE.
Les fourages étant extrêmement rares dans
ce pays , on a été contraint d'envoyer la plus
grande partie de la Cavalerie Efpagnole & Françoife
dans le Comté de Nice . En attendant
qu'on ait trouvé le moyen de remedier à cet inconvenient
, & que l'Infant ait été rejoint par fa
Cavalerie , ce Prince demeurera à Génes avec le
Duc de Modéne . La République fait partir tous
les jours quelques renforts pour l'armée , & à l'exception
des troupes deftinées à la garde du Palais
, il ne refte plus dans cette Ville que des
Bataillons de Milices . Un détachement Piémontois
, qui s'étoit avancé fur les hauteurs d'Albenga,
en a été chaffé par les Payfans des environs , qui
ont brûlé les barraques que les ennemis avoient
commencé à y conftruire. On a envoyé de ce
côté fix cent hommes de troupes reglées , pour
foûtenir les Payfans , fi les ennemis reparoiffent
, & l'on a formé à Chiavari fur la côte
Orientale de cet Etat un camp dont les troupes
ont ordre de veiller à la fûreté des Villages
qui confinent au Duché de Plaiſance . Deux Galeres
d'Efpagne , qui étoient depuis quelque tems
à Antibes , ont conduit à Génes des Officiers &
des équipages pour deux autres Galeres qui
ont été construites dans l'Arfenal de cette Ville ,
Le 15 du mois paffé l'armée combinée d'Efpagne
& de France s'eft portée de Voghera fous
Tortone , fans avoir été inquiettée par les ennemis
, la marche ayant été couverte par un détachement
confidérable que commandoit le Marquis
de Campo- Santo , Lieutenant Général . L'armée
décampa le 17 des environs de Tortone
pour fe raprocher de Novi , & l'on fit paffer la
Cavalerie & les Dragons de la droite à la gau-
9
che,
SEPTEMBRE 1746. 169
ehe. Le même jour les ennemis s'avancerent entre
Voghera & Caftelnovo , & il paroiffoit par
leurs difpofitions qu'ils étoient dans le deffein de
refferrer les troupes Efpagnoles & Françoifes du
côté de l'Etat de Génes.
Lorfque l'Infant Don Philippe arriva à Génes
le 22 du mois dernier avec le Duc de Modéne &
le Maréchal de Maillebois , il alla deſcendré au
Palais du Duc de Saint Pierre dans le Fauxbourg
de Saint Pierre d'Arena . Le 24 il
tint un Confeil de guerre , & le Marquis de la
Mina fe rendit eu cette Ville , ainfi que le Comte
de Cecile , Général des troupes de la Républi
que , pour y affifter . On avoit cru que l'infant
étoit dans la réfolution de paffer en cette Ville
quelque tems , mais il eft parti le 26 pour Seftri
de Levant , & le même jour le Maréchal de Maillebois
eft retourné à Campomorone , où eft le
quartier général des troupes Françoifes , & d'où
ce Général a fait marcher un Corps pour défendre
le paffage de la Bochetta. Les ennemis qui
fe font emparés du Château de Seravalle , ont
bloqué enfuite la fortereffe de Gavi . Ils ont éxigé
de Novi , avec menace d'abandonner en cas
de refus la Ville au pillage , une nouvelle contribution
de cinq cent mille livres de Piémont .
Un Corps de douze mille hommes de leur armée
s'eft avancé à Voltaggio dont les environs ont
été prefque entiérement ravagés par une troupe
de vagabonds du Montferrat , qui y ont exercé
des cruautés inouies.
&
On mande de Génes du 4 Septembre qu'on
reçût avis le premier de ce mois que les ennemis
avoient forcé le paffage de la Bochetta ,
que huit mille hommes de leurs troupes s'étant
avancés à Campomorone , avoient faccagé &
H
170 MERCURE DE FRANCE.
brûlé plufieurs Villages ; que le foir cette nou
velle fut confirmée par un grand nombre d'ha
bitans de la campagne , qui vinrent fe refugier
à Génes avec leurs principaux effets . Cet évennement
a déterminé le Gouvernement à faire
archer de nouvelles troupes , particulierement
de Cavalerie , pour garder quelques defilés . On
a fait en même tems prendre les armes à toutes
les milices , & les portes de la Ville ont été
fermés , à l'exception de deux par lesquelles on
ne laiffoit entrer que des perfonnes connues . I es
deux Caiffes militaires de l'armée combinée d'Efpagne
& de France ont été embarquées fur un
bâtiment Catalan , ainfi que les équipages de l'In
fant Don Philippe , & ce Prince s'eft rendu de
Seftri à Antibes . Le 3 le Maréchal de Maillebois
, dont les équipages font partis en même
tems que ceux de l'Infant , prit auffi la même
route. Toutes les troupes Efpagnoles & Françoiſes
défilent vers le Comté de Nice , où l'on a
transporté leur artillerie & leurs munitions de
guerre . Quelques Régimens qui viennent de
France , & qui étoient arrivés dans ce Comté ,
ont reçû ordre de fufpendre leur marche. Les
ennemis ont affiegé dans les formes la Fortereffe
de Gavi , & ils l'ont attaqué par quatre endroits
differens . Une Efcaare Angloife , compofée de
fix vaiffeaux de guerre , de deux balandres & de
quelques bâtimens de tranfport , après avoir bordoyé
pendant quelque tems le long de la côte
Occidentale de cet Etat , & après avoir fait
divers fignaux , croife actuellement à la hauteur
de ce Port.
On mande de Turin du 10 de ce mois que la
prife de Seravalle ayant procuré aux troupes de
13 Reine de Hongrie , & à celles du Roi de SarSEPTEMBRE
1746. 171
daigne le moyen d'entrer dans les Etats de la
République de Génes , l'armée Piémontoife dé
campa de Rivalta le 23 du mois dernier , & arriva
le 25 dans les environs d'Acqui , où elle fut
fut jointe par douze Bataillons du Corps que
commande le Général Brown . Le lendemain le
Roi qui étoit allé à San Salvador pour y voir le
Duc de Savoye qu'une indifpofition avoit obligé
de s'y arrêter , revint à fon armée Il fit le
même jour la revûë des troupes dont elle avoit
été renforcée , & le 27 il fe mit en marche vers
Savone avec avec trente-fix Bataillons , huit cent
Carabiniers s quatre cent Dragons & trois cent
Huffards. Cinq Régimens Piémontois qui étoient .
en garnifon dans Tortone l'année derniere lorfque
les Espagnols & les François s'emparerent de
cette Place , font attendus inceffamment à l'armée
, le tems pendant lequel ils s'étoient engagés
à ne point fervir contre l'Eſpagne , étant expiré
le 3 de ce mois . Le Marquis de Botta , qui
faifoit le fiége de Gavi avec un train d'artille
rie que le Roi lui a fournt de l'Arfenal d'Alexandrie
a obligé le Commandant de cette Fortereffe
de capituler ; s'étant ouvert enfuite le paffage
de plufieurs défilés il a continué fa marthe
vers Génes , après avoir fait prendre les devans à
toute la Cavalerie Legere de l'armée de la
Reine de Hongrie. Cette Cavalerie , commandée
par
le Général Nadaíti s'eft avancée dans les
environs de Génes , dont le Général Nadafti s'eft
fait remettre une porte . On affûre que ce Général
à demandé aux Génois une contribution trèsconfidérable
, mais on n'eft pas encore affés certain
de cette nouvelle pour pouvoir en parler pofitivement.
En conféquence d'une réfolution prife
daus un Confeil de guerre , on s'eft contenté de
>
Hij
172 MERCURE DE FRANCE
former le blocus de Tortone avec deux Brigades
d'Infanterie & huit Régimens de Cavalerie , qui
font fous les ordres de M. de la Mante , Lieutenant
Général des troupes Piémontoiſes. Il y a
dans cette Place neuf Bataillons Eſpagnols avec
une nombreuſe artillerie & beaucoup de muni❤
tions . Le Duc de Savoye , dont la fanté eft parfaitement
rétablie , doit avoir quitté San Salvador
& être à prefent à l'armée avec fa Majesté.
ESPAGNE.
La proclamation du nouveau Roi d'Espagne
fe fit le 10 du mois dernier , & on s'eftmisen habits
de Gala à ce fujet pendant trois jours , même
les Dames de la Reine veuve ; il y a eû des illuminations
au Retiro & dans toute la Ville les trois
foirs ; il n'y eut point de Cour le matin le jour
de la proclamation. Voici en quoi cette céré→
monie confifte .
Elle commença par une cavalcade d'environ
200 perfonnes entre lefquelles il y avoit beaucoup
de Grands , de Gentilshommes de la Chambre
& de fils de Grands , ainfi que plufieurs autres
perfonnes de condition , Marquis , Comtes
&c. , des Officiers ou Exempts des Gardes du
Corps& quelques Officiers d'Infanterie & de Cavalerie
qui avoient été invités par le jeune Comte
d'Altamira , qui devoit porter l'étendart de la
Ville , par un droit attaché à fa Maiſon. Tout ce
cortége alla le prendre fur les quatre heures après
midi , & le conduifit à l'Hôtel de Ville , où il
prit l'étendart. La marche commença de là pour
fe rendre au Retire qui en eft affés eloigné ; les
Regidors ou Echevins precédés par leurs Maffiers
& quelques Alguazils , & d'un Tymballier avec
SEPTEMBRE 1746. 173
quatre Trompettes faifoient l'avant- garde deux
à deux avec le Lieutenant de la Ville qui étoit
feul & le dernier , enſuite tout le refte fuivoit
entremêlé , & fans avoir égard au rang & à la
qualité ; le Comte d'Altamira fermoit la marche ;
il avoit devant lui quatre Rois d'Armes qui avoient
des habits uniformes d'un drap bleu galonné d'or
& par-deffus des efpeces de cottes d'armes ; on
avoit fait un échaffaut à un des coins de la principale
cour du Retiro , & vis-à- vis les fenêtres où
leurs Majeftés & les Infant & Infantes devoient
fe placer ; elles s'y rendirent fur les fix heures du
foir ; elles étoient feules dans un balcon ; Madame
Infante & l'Infante fa fille étoient dans un
autre à la gauche de leurs Majeftés , & l'Infant
Cardinal & l'Infante Marie Antoinette dans celui
qui étoit à leur droite ; ce balcon étoit plus
éloigné de l'échaffaut que celui de la gauche ;
il y en avoit d'autres pour les Dames de la Reine ;
les principaux Officiers de leurs Majeftés , de l'Infant
& des Infantes étoient derriere leurs fauteuils
. Auffi-tôt que leurs Majeftés furent arrivées
, la cavalcade entra par une porte de la
cour qui étoit vis - à- vis de leur balcon , & y vint
tout droit. A mefure que les Cavaliers paffoient
fous leur balcon ils faluoient profondément leurs
Majeftés & les Infant & Infantes , & faifoient le
tour de l'échaffaut ; il y avoit dans la cour une
Compagnie de Gardes Efpagnoles & une de Gardes
Walonnes fous les armes rangées en haye fur
deux aîles , & cette cour étoit pleine d'un peuple
infini ; auffi tôt que le Comte d'Altamira fut proche
de l'échaffaut il mir pied à terre & monta
deffus , de même que les Rois d'Armes & le Lieutenant
de la Ville , par des efcaliers de bois qu'on
y avoit faits & qui étoient couverts de tapis de
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
même que l'échaffaut , enfuite un Roi d'Armes
cria par trois fois filence , & autant de fois écoutez ,
écoutez , après quoi le Comte d'Altamira dit à
haute voix , le Roi Don Fernand VI . pour la Caf
tille , & il baiffa fon étendart & le branla à
droite & à gauche , après quoi ceux qui étoient
fur l'echaffaut crierent Vive le Roi , ainfi que toute
la populace . Cette même cérémonie fe repeta
trois fois à la fin de la premiere la Reine
fe leva & felicita le Roi. Cette proclamation
achevée un des Maffiers de la Ville apporta au
Lieutenant une e pece de grande bourfe de ve
lours , dans laquelle il y avoit mille piaftres en
differentes efpeces , qu'il jetta au peuple , après
quoi la cavalcade fe remit en marche fortant par
une autre porte que celle par où elle étoit entrée ,
& fe rendit fucceffivement dans trois Places de
la Ville où on fit la même cérémonie & où on
jetta au peuple une pareille quantité de monnoye
ce qui fit quatre mille piaftres en tout ;
on finit à la Place qui eft devant la Maifon de
Ville , & le Comte d'Altamira donna un grand
refreſco chés lui à la plûpart de ceux de la cavalcade
; tous y étoient invités , mais il y en eut
beaucoup qui s'excuferent ; tous ceux qui la compofoient
étoient en général fort bien montés ; les
harnois des chevaux , les houffes & c. étoient la
plûpart fort riches ; plufieurs Seigneurs avoient
des habits neufs magnifiques ; celui du Comte d'Altamira
paroiffoit fimple de loin ; c'étoit une pluie
d'argent fur un fond tirant fur le brun , mais les
boutons étoient de diamans & les boutonnieres
en étoient bordées ; ce Seigneur n'a que douze
ans ; il avoit deux Gentilshommes à côté de lui
qui avoient des habits brodés fort riches , plufieurs
Valets de pied qui alloient des deux côtés de
•
SEPTEMBRE 1946. 175
fon cheval , fix chevaux de main & trois caroffes
qui fuivoient la cavalcade 2 dont un attelé de
quatre chevaux & les autres de quatre mufes
, tous magnifiquement enharnachés ; les cochers
& les laquais avec des habits neufs de livrée
galonnés d'argent ; il y avoit auffi des chevaux
de main de quelques autres Seigneurs . Le
foir on tira un feu d'artifice dans une Place qui
eft vis-à- vis du Palais du Retiro.
Le lendemain onze il y eut Befa manos le matin
pour les hommes , le foir pour les Dames de
la Ville , & le vendredi au matin douze , pour
les Confeils .
Le 13 la Reine veuve vint au Retiro rendre
vifite à leurs Majeftés & leur faire compliment ;
on avoit repris le deuil ce jour là , on le quitta
le quatorze pour fe mettre encore en habits de
Gala , parce que c'eft le jour de la naiffance de
Madame Infante . La Reine alla fe promener
l'après dînée en caroffe hors de la Ville , & paffa
au travers du Prado , où il y avoit un grand
nombre de caroffes & une populace à pied infinie
qui cria beaucoup Via ; au retour elle paſſa encore
au milieu du Prado .
Le Comte d'Altamira a été nommé Gentile
homme de la Chambre du Roi.
L'Intendant de Marine de Bilbao a mandé au
Roi que le 6 Août la Fregate la Notre- Dame de
Begona étoit entrée dans ce Port avec le Navire
Anglois la Bonne Intention , chargé de cinq cent
quarante-fix barriques de riz , qui revenoit de
la Caroline , & dont elle s'eft emparée à l'entrée
de la Manche . Sa Majefté a appris par des lettres
de l'intendant de la Principauté des Afturies
que le Navire l'adsfrie , fur lequel il y avoit
douze cent barriques d'eau de vie , avoit été pris
Hiiij
176 MERCURE DE FRANCE.
,
par la même Fregate . On a reçu avis de Ceuta
que quatre Armateurs Efpagnols y avoient conduit
un autre bâtiment ennemi nommé le Prince
Guillaume , & monté de dix -huit canons & de
huit pierriers , qui avoit fait voile de Plymouth
pour Gibraltar & à bord duquel on a trouvé
beaucoup de fucre , de falines , de vin , de bierre
& d'autres proviſions.
2
Le Roi d'Eſpagne en confidération des ſervices
éclatans par lesquels le Comte de Gages s'eft acquis
une fi grande réputation , a accordé à ce Capitaine
Général la Commanderie de Villoria dans
l'Ordre de Saint Jacques , & celle de Pozuelo
dans l'Ordre de Calatrava. Don Jofeph Joachin
de Montalegre y Andrade , Duc de Salas , qui a
rempli avec tant de diftinction la place de Miniftre
du Roi des Deux Siciles , a obtenu la confirmation
des Lettres par lesquelles le feu Ror
l'avoit nommé Confeiller d'Etat . Sa Majefté a
difpofé d'une Dignité du Chapitre de l'Eglife Cathédrale
de Cadix en faveur de Don Gabriel d'Efpinofa
. Le 4 de ce mois les Deputés de la Ville de
Pampelune , Capitale du Royaume de Navarre , eurent
l'honneur de complimenter le Roi fur fon
avenement au Trône , & Don Manuel Cruzat ,
qui étoit à la tête de la Députation , porta la parole.
Ces Députés furent prefentés par le Comte
de Maceda , Viceroi & Capitaine Général du
Royaume de Navarre .
Le Pere Michel de Leranoz , Général de la
Congrégation des Religieux de la Mercy établis
en . Efpagne , mourut à Corella dans une Maifon
de fon Ordre le 27 du mois dernier , âgé de
foixante & cinq ans.
SEPTEMBRE 1746. 177
à
GRANDE BRETAGNE.
Le 23 du mois paffé le Roi de la Grande
Bretagne s'eft rendu à la Chambre des Pairs , &
Sa Majefté , ayant mandé celle des Communes
a fait le difcours fuivant ; Mylords & Meffieurs
Je ne puis mettre fin à cette féance du Parlement
fans vous témoigner ma fatisfaction de la conduite
que vous avez tenue dans vos déliberations , Le zélo
que vous avezfait paroître pour la défense de mon
Gouvernement , & qui a été fi généralement fecondé
par tous mes bons fujets , a non-feulement repondu à
mon attente mais encore m'affûre que vous étes déterminés
à perfectionner ce grand ouvrage , & à réa
tablir fur desfondemens folides la tranquillité de ces
Royaumes , en faisant perdre au Prétendant 5 à ſes
4dberens les espérances dont ils pourroient continuer
de fe flater . Les moyens que vous avez jugés
propos de me fournir ont été employés d'une maniere
convenable efficace , 5 je m'en fuis uniquement
fervi pour parvenir aux fins que vous vous étiez
propofées. Je fuis très -fàché qu'il reste encore des af
faires d'une extreme importance à regler. Il auroit été
à propos de les terminer , pour nous procurer unefûreté
durable , pour prevenir les calamités qu'on a fujer
de craindre , mais comme vous avez pris à cet égard
toutes les précautions que la prudence pouvoit vous
dider , je n'ai pas voulu retarder plus long-temps
votre retour dans vos Provinces C'est une fatisfaction
pour moi que de vous informer que la futuation des
affaires au dekors me paroit plus favorable qu'elle e
l'etoit lorfque vous avés commencé vos feances. Dès ·
que la fituation interieure de mes Royaumes a pû le
permettre , j'ai envoyé dans les Pays- Bas les troupes·
dent on pouvoitfe paffer ici , afin de renforcer l'armée
H v
178 MERCURE DE FRANCE
>
$5
0
des Alliés , de pourvoir à la défense des Provinces
Unies , & d'arreter de ce coté les progrés des armesé
de la France. Par ce renfort les autresfecours que
vous m'avez mis en état de donner à mes A liés leur
armée a été confidérablement augmentée , & méme
beaucoup plus qu'on n'auroit du s'y attendre. Cet
évenement , joint aux Leureux fuccès que la Reine de
Hongrie & le Roi de Sardaigne ont eus en Italie
a quelques autres incidens furvenus a l'avantage de
la caufe commune nous fat envisager plus de fasilité
d'obtenir une paix fire & honorable , ce qui eft
mon principal obj.t. Meffieurs de la Chambre des
Communes , l'empreffem nt avec lequel vous m'avez
accordé les jubfides pour le fervice de cette ane
née exige que je vous en jaffe mes remerciemens particuliers.
Je fuis infiniment fenfible aux inconveniens
que les circonftances des tems ont occafionnés , jur-tour
par rapport au crédit pub.ic , qui n'ont pu étre furmnés
que par votre prudence & par votre fermeté.
Les fommes que vous m'avez accordées feront exac◄
sement apppliquées aux objets pour lesquels vous les
deftinez , vous avez pu vous appercevoir combien
je defre de diminuer les depenjes de la Nation all
tant qu'il eft poffible , puiſque j'ai faifi la premiere
occafion de congedier les Regimens , que plufieurs de
mes fideles fujets de rang le plus diftingue , animés
d'un zéle louable , avoient levés pour augmenter mes
forces. Mylords & Meffieurs , j'ai tant de peuves de
voire fizeté inbranlable de votre affection & de
votre devouement pur mal erfonne 5 pour ma famille
, que je me repoſe avec une entiere confiancefur
votre conduite. Je ne doute pas que pendant le fejour
que vous ferez dans vos diffrentes Provinces vous
ne falhez les plus grands efforts pour rétablir & conferver
la paix dans ces Royaumes ; pour remedier aux
malheurs caufes par la Rebellion , pour entretenir
"
SEPTEMBRE 1746. 179
dans mes fujets les fentimens de zéle 5 d'amour >
dont plufieurs ont donné des preuvesfi fignalées . M
efprit en confervera long- tems les impreffions , j
chercherai à vous en convaincre par la continuation d➡
ma vigilance de mes foins , pour rendre mon peue
ple heureux. Le Roi ayant reçu la lettre par la
quelle le Roi de France lui donne part de la mort
de Madame la Dauphine , & celle que le Roi d'Ef
pagne lui a écrite, pour l'informer de la mort de
Philippe V , fa Majefté a pris le deuil le 25 .
Le 21 , le Lord Maire accompagné des Aldermans
& de plufieurs Députés du Commun Confeil
, préfenterent au Duc de Cumberland des
Lettres de Bourgeoifie de Londres On parle
d'un voyage que la Princeffe , époufe du Prince
Frederic de Heffe doit faire bien- tôt en Angleterre
, pour prendre les eaux de Bath . Le 16
les Seigneurs pafferent le Bill qui autorife le Roi
à faire un emprunt d'un million de livres fterlings
fur le fond d'amortiffement , & le 17 ils
`renvoyerent à la Chambre des Communes avec
des changemens le Bill pour defarmer les Mon.
tagnards d'Ecoffe . La Chambre des Communes a
réfola de prefenter une Adreffe au Roi , pour demander
qu'on faffe arrêter le Chevalier Jean Douglas
, Membre du Parlement pour le Comté de
Domfries , & qu'on foupçonne d'avoir favorité le:
parri du Prince Edouard . Le jour auquel les
Comtes de Kilmarnock & de Cromarty , & le
Lord Balmerino furent condamnés à mort le
Comte de Cromarty fit à fes Juges un difcours
dans lequel il implora la clémence royale pour
fon épouse & pour fes enfans. L'époufe du Lord
Balmerino a obtenu la permilion de voir ce
Seigneur , mais pendant qu'elle a demeuré avec
qui , elle a été toujours gardée à vuë , dans by
ii
"
H vj
180 MER CURE DE FRANCE
crainte d'une entrepriſe femblable à celle par la
qi elle le Lord Nithifdale fe fauva de prifon en
1715. Le Roi a accordé la grace au Comte de
Cromarty. L'autorité que les Seigneurs ont en
Ecoff fur leurs Vaffaux étant regardée comme
prejudiciable aux interêts du Roi , par la facilité
qu'elle donne aux Partifans de la Maifon de
Stuard de faire prendre , quand ils veulent , les
armes aux l'ayfans qui dépendent d'eux , le Parle
ment fe propofe de porter un Bill pour reftraindre
cette autorité . Le 12 l'Amiral Leftock fit
voile de Sainte Helene avec l'Efcadre qu'il commande
, & qui eft compofée des vaiffeaux de
guerre la Princeffe & l'Edimbourg , chacun de
quatre-vingt-dix canons ; le Devonshire , de quatre-
vingt ; le Tilbury , le Superbe & 'Tork , chacun
de foixante ; le Haftings , le Saphir & le Lynn , de
quarante ; de la galiotte à bombes le Motter , &
du brulot le Unlcain . Les bâtimens de transport
fur lefquels fe font embarquées les troupes qui font
aux ordres du Général Sinclair , font partis avec
cette Efcadre . L'Amiral Anfon eft allé à Portf
mouth prendre le commandement de celle deftinée
à croifer dans la Manche . On a reçu avis
que le Chef d'Eſcadre Knowles étoit avec dix
vaiffeaux de guerre dans le Port de Louisbourg ,
où font arrivées toutes les troupes & les munitions
que le Gouvernement y a envoyées. Le 21
le Confeil de guerre , affemblé pour juger l'Amiral
Mathews , acheva de recevoir les depo
fitions contre cet Amiral. Trois mille hommes
d'Infanterie fe font embarqués pour aller renforcer
l'armée des Alliés dans les Pays - Bas . Ils
doivent être inceffamment fuivis des Régimens de
Wolf , de Pulteney , de Sempil , de Cholmondeley
, de Hovvard & de Kingſton .
SEPTEMBRE 1746. 181
L'Efcadre commandée par l'Amiral Leftock
n'ayant pú tenir la mer à caufe des vents contraires
, eft revenue à la Rade de Sainte Helene ,
& le vaiffeau la Princeffe , que montoit cet Amiral
, a echoué en paffant à l'Eft de l'Ile de Wight.
Les bâtimens à bord defquels fe font embarqués
les Régimens de Wolff , de Sempil & de
Pulteney , pour aller dans les Pays-Bas , pafferent
le 20 Août à la hauteur de Neucaftle. Quatre
Vaiffeaux de guerre équipés depuis peu à
Portſmouth ont reçu ordre des Commiffaires de
l'Amirauté d'aller croifer für la côte d'Oftende .
On a lèvé l'embargo qui avoit été mis dans les
Ports du Royaume d'Ecofle , d'où l'on a reçu avis
que cinq Armateurs François avoient fait un grand
nombre de prifes dans les environs de Kirkwall .
Le Gouvernement a congedié quarante- cinq na
vires qu'il avoit fretés pour le ſervice du Roi,
Le 28 M. Benjamin Keene , Envoyé Extraordinaire
de fa Majesté Br. auprés du Roi de Portugal
, partit pour ſe rendre à Lisbonne . La réfolution
que le Baron de Boetzlaar , qui eft venu
à Londres exécuter une commiffion des Etats Généraux
des Provinces Unies , a priſe de louer un Hôtel
en cette Ville , & d'y faire venir de Hollande
fon epouſe , donne lieu de conjecturer qu'il y fera
un plus long féjour qu'on n'avoit cru . Le Lord
Hobart a obtenu le titre de Comte de Buckingham
, & le bruit court que le Lord Fitzwilliam
fera créé Pair de la Grande Bretagne . On doit
célébrer un jour folemnel d'actions de graces à
l'occafion du rétabliffement de la tranquillité dans
le Royaume d'Ecoffe . Le Chevalier Jean Douglas
, de la perfonne duquel le Parlement a demandé
qu'on s'affûrât , fut conduit le 28 à la
Tour.
182 MERCURE DE FRANCE.
"
Il ſe tint le 26 du mois dernier à Whitehall un
Confeil d'Etat , après lequel on fit partir un courier
, chargé de dépêches pour le Comte de Sandwich
qui doit affifter en qualité de Miniftre
Plénipotentiaire du Roi de a Grande Bretagne
aux conferences de Breda . Le 19 jour fixé pour
l'exécution du Comte de Kilmarnock & du Lord
Balmerino on apporta à dix heures du matin
leurs cercueils fur l'échaffaut qu'on avoit dreſſé
dans la Place vis- à- vis de la Tour. Ces cerçueils
étoient couverts de drap noir , & deffus chacun
étoit une lame de cuivre , où étoient marqués le
nom , le titre & l'âge du Seigneur auquel il étoit
deftiné , & le genre du fupplice auquel ce Seigneur
avoit été condamné . A dix heures & demie
les Scheriffs allerent prendre a la Tour le
Comte de Kilmarnock & le Lord Balmerino , qu'ils
conduirent dans la maifon , d'où ces prifonniers
devoient être menés à l'échaffaut Le Gouverneur
de la Tour , lorfqu'ils en fortirent , ayant
prononcé fuivant l'ufage ces mots , Dieu beniffe le
Ro Gorges , le Comte de Kilmarnock , pour témoigner
qu'il formoit le même voeu , fit une in
clination de tête , mais le Lord Balmerino , qui
ne vouloit laiffer aucun doute fur fes derniers
fentimens , cria à haute voix , Vice le Roi Jacques .
Le Comte de Kilmarnock , vêtu d'un habit noir ,
monta le premier fur l'échaffaut . Il harangua le
peuple , & s'étant reconnu coupable envers le
Roi ainfi qu'envers la Patrie , il temoigna beaucoup
de repentir & de refignation . Enfuite il s'entretint
quelque tems avec le Miniftre qui l'accompagnoit
pour le préparer à la mort , & le
fignal ayant été donné l'Exécuteur de la Haute
Juftice lei abattit la tête d'un feul coup . Après
cetre exécution le Lord Balmerino , qui avoit
SEPTEMBRE 1746 185
en
confervé fon habit uniforme , fut conduit à l'échaffaut
. Ayant lu l'infcription qui étoit fur fon
cercueil , & ayant remis aux Scheriffs un écrit
par lequel il déclaroit qu'il perfiftoit dans fon at
tachement aux interêts de la Maifon de Stuard ,
il fe mit av c la contenance la plus affûrée
pofture de recevoir la mort Il effuya deux coups
qui porterent à faux , & ce ne fut que du troifieme
qu'il eut la tete emportée. Les lettres de
grace du Comte de Cromarty furent expédiées
Le premier de ce mois au Grand Sceau : le Roi
a accordé feulement la vie au coupable , & les
biens de ce Seigneur demeurent confifqués ,
mais on croit qu'il fera pourvû convenablement
à la fubfiftance de fa famille , & l'on ne doute
pas que fon fils ainé n'obtienne auffi fa grace. Sa
Majesté a donné une penfion de cinquante livres
ferlings à l'époufe du Lord Balmerino . On a
exécuté le 2 dans la plaine de Kennington Mrs.
Donald Macdonald Jacques Micholſon & Walter
Ogilvie , Officiers des troupes du Prince
Edouard . Le fupplice des Officiers du Régiment
de Mancheſter eft encore differé de trois femaines.
Il a été décidé que le Lord Lovat , qui a
été amené à Londres d'Ecoffe , & qui et détenu
à la Tour , ne feroit point jugé comme Pair d'Ecoffe.
En conféquence il doit être transferé à las
nouvelle prifon , pour être interrogé par les Com
miffaires qui s'affemblent à la montagne de Sainte
Marguerite . Quoique la tranquillité paroiffe être
entierement rétablie en Ecoffe une partie des
troupes ci- devant commandée par le Duc de
Cumberland , campera encore pendant quelque
tems près du Fort Augufte. Le Régiment Royal
Irlandois & celui de Handafyde ayant été remplacés
à Inverneff par ceux de Blackeney & de
>
184 MERCURE DE FRANCE.
Battereau font allés prendre des quartiers હૈ
Forres , à Elgin & à Neitra.
Un convoi de navires Marchands eft arrivé
de la Jamaïque aux Dunes fous l'escorte des
vaiffeaux de guerre le Falmouth & le Cheval Marin,
qui ont rapporté trois cent mille livres fterlings.
Le Confeil de guerre , qui doit juger l'Amiral
Mathews , s'étant affemblé le 29 Août à Deptford
, cet Amiral préfenta un Mémoire par lequel
il répond aux divers chefs d'accufation intentés
contre lui. Les Actions de la Compagnie de la
mer du Sud font à cent fept & demi ; celles de
la Banque à cent trente -neuf ; celles de la Compagnie
des Indes Orientales à cent quatre-vingttrois
, & les Annuitésà cent fix , trois huitiémes.
"
Deux Bataillons du premier & du fecond des
Régimens des Gardes à pied , le Régiment des
Fufiliers du Prince de Galles , & fept autres Régimens
ont ordre de fe tenir prêts à s'embarquer.
Le 4 de ce mois l'Efcadre commandée par l'Amiral
Leftock fit voile de la. Rade de Sainte Helene
& elle fut rencontrée le 6 entre Saint
Albans & l'Ifle de Wight. L'Amiral Anfon eft
allé croifer dans la Manche avec fept vaiffeaux'
de guerre & un brulot. Six bâtimens de la Compagnie
des Indes Orientales , efcortés par les
vaiffeaux de guerre le Deptford & le Dauphin ,
mouillerent le 5 aux Dunes. Leurs équipages ont
rapporté qu'à la hauteur de Madagaſcar une tempête
les avoit feparés du navire le Northampton ,
qui a perdu tous fes mâts . On a fçû par les mêmes
équipages que le Chef d'Efcadre Barnet s'é- `
toit emparé de fix bâtimens François dans les.
mers des Indes . Le navire la For une de la même
nation a été pris par un Armateur de Briſtol .
Les François de leur côté ont enlevé neuf väiſSEPTEMBRE
1745. 185
feaux Anglois , & le vaiffeau Suedois Weftervvyck
qui tranfportoit à . Livourne une grande quantité
de marchandiſes pour le compte de quelques
Negocians.
PAYS - BAS.
ONmande
N mande de la Haye qu'il arriva d'Angleterre
equid arrivanie
hommes d'Infanterie , qui commencerent le 23 à
débarquer , & qui fe font mis le 24 en marche vers
T'armée des Alliés . Le Comte de Waffenaer & M.
Gillés affifteront en qualité de Miniftres Plénipotenti
ires de la République , aux conférences qui
doivent fe tenir à Breda. Les Etats Généraux
ont renvoyé à Paris le courier qui leur avoit apporté
il y a quelque tems des depêches de ces
deux Miniftres. M. Trevor , Envoyé Extraordinaire
du Roi de la Grande Bretagne , & le Comte
de Chavanne , qui réfide à la Haye de la part du
Roi de Sardaigne avec le même caractére , eurent
le 23 une conference avec le Préſident de cette
Affemblée , ainfi que le Baron de Reifchach , Miniftre
du Grand Duc de Tofcane. Suivant les
avis reçus de Flandres le Préfident & plufieurs
Confeillers du Confeil Supérieur de Malines ,
qui s'étoient retirés à Namur par ordre du Comte
de Kaunitz , font retournés à Malines avec des
Paffeports du Roi,
On écrit de Namur du 22 Août qu'un mouvement
que l'armée Françoife fit le 17 & par lequel
elle déborda du côté de Warem le front de
celle des Alliés , obligea le même jour le Prince
Charles de Lorraine de faire changer de pofition
à cette derniere , qui s'étendit par fa droite
le long de la Mehagne , Le Maréchal Comte de
186 MERCURE DE FRANCE.
>
Saxe paroiffant être dans le deffein de paffer l'Or
neau & d'occuper le hauteurs du Mazi , le Prince
Charles de Lorraine pofta de ce côté deux Bataillons
du Régiment da Saxe Gotha , deux du Ré
giment de Linange , un du Régiment de Lynden
& un du Régiment de Broeckuyfen , & les deux
Régimens de Cavalerie de Buys & de Reichteren ,
pour difputer le paffage de la riviere , & il donna
le commandement de ce Corps au Baron de
Schwartzemberg , Lieutenant Général , qui avoit
fous fes ordres le Baron d'Aylva , auffi Lieutenant
Général ; le Major Général Veldtman , & Mrs.
de Roode & de Scaghen , Brigadiers Généraux.
Le 18 on envoya à Namur tous les équipages &
même les tentes de l'armée des Alliés , laquelle
pendant toute la journée demeura fous les armes
& il y eut plufieurs efcarmouches entre les troupes
legeres des François , & les Corps de Huffards
commandés par.les Généraux Trips & Baroniay
. On fut informé le foir que le Maréchal
Comte de Saxe fe difpofoit à quitter le lendemain
dés la pointe du jour fon camp du Grand
Rofier , pour côtoyer la gauche de la Mehagne ,
& que le Corpse troupes , avec lequel le Comte
de Lox endalh étoit refté aux Cinq- Etoiles , devoit
fuivre la même route. Le Prince Charles de
Lorraine fe détermina fur cette nouvelle à faire
marcher le 19 les troupes du Corps de réſerve ,
pour attaquer les détachemens que les François
avoient fait avancer à Aſche & à Pervis . Ces
détachemens ayant abandonné ces poftes , on les
pourfuivit jufqu'à une petite diflance des Tombes
d'Ottomont , & le Prince Efterhafi auroit
pû réuffir à les couper s'il avoit été joint plutôt
par le Régiment de Ligne. Le même jour le
Général Trips fit quelques prifonniers dans une
SEPTEMBRE 1746 187
Efcarmouche. , & un parti de Huffards amena au
Quartier général fept Officiers François , qui s'étoient
éloignés de leur camp . Diverfes difpofitions
faites par le Maréchal Comte de Saxe ne
laiffant point lieu de douter qu'il ne penfât à fe
rendre maître de Huys , le Prince Charles de
Lorraine y envoya un renfort de huit cent hommes
, & il fit paffer la Mehagne à un Corps de
Huffards , mais ces précautions n'ont pû empêcher
f'exécution du projet des François. Ce Général
qui retira le 20 les troupes qu'il avoit laiffées fur
le bord de l'Orneau aux ordres du Lieutenant
Général Schwartzemberg , a renforcé confidérablement
la garnifon de Namur , d'où il a fait re
venir à fon camp tous les équipages de l'armée .
Le 19 il arriva à Namur un tambour , envoyé
par le Comte de Segur , pour demander aux Etats
de la Province , de lui fournir , fous peine d'exécution
militaire , deux cent chariots de bois &
foixante mille rations de fourage .
On mande de Maeftricht du 2 de ce mois que
I'impoffibilité de fubfifter plus long- tems dans le
camp du Mazi ayant obligé les troupes des Al
fiés de changer de pofition , elles repafferent
la Meufe le 28 & le 29 du mois dernier fur trois
ponts conftruits à deux lieues de Huys. Avant que
de faire ce mouvement le Prince Charles de Lor
raine a renforcé la garni on de la Ville de Namur
, où il y actuellement onze Bataillons Hol
landois & deux des troupes de la Reine de Hongrie.
Le 30 l'armée des Alliés marcha vers Haltin
& Haylot , Bourgs fitués fur les frontieres du
pays de Condroff& à peu de distance de la riviere
d'Hioule Le Prince Charles de Lorraine
envoya le lendemain divers détachemens reconnoître
l'armée commandee par le Maréchal Comte
188 MERCURE DE FRANCE
de Saxe , de laquelle une partie s'étoit avancée
entre Huys & Modave. Le 31 une partie de l'armée
des Alliés ayant defilé par fa droite du côté
de la riviere d'Ourte on crut que le deffein du
Prince Charles de Lorraine étoit de fe retirer
dans le Duché de Luxembourg , & l'on avoit
d'autant plus lieu d'en être furpris qu'il ne pouvoit
efperer de trouver facilement des fubfiftances
dans cette Province , mais on apprit le premier
de ce mois qu'il n'avoit eu d'autre objec
que de cacher le véritable but de fa marche au
Maréchal Comte de Saxe , & que l'armée des
Alliés s'étant repliée fur fa gauche avoit pris la
route de Limbourg.
Le Comte de Waffenaer & M. Gillés font depuis
le 4 à Breda , où ils affifteront en qualité de
Miniftres Plénipotentiaires de cette République
aux conferences qui doivent s'y tenir , & où le
Comte de Sandwich , Miniftre Plénipotentiaire
du Roi de la Grande Bretagne , fe difpofe à fe
rendre inceffamment. On y attend auffi ces joursci
le Marquis de Puyfieux de la part du Roi .
NAISSANCE , MARIAGE
ET MORTS.
LE17 fils
E 17 de ce mois eft né , & a été baptifé le même
jour à Saint Roch Louis-Antoine Armand ,
premier né du mariage d'Antoine - Antonin de
Gramont Due de Gramont , Pair de France , fouverain
de Bidache , Gouverneur du Royaume de Navarre
& du pays deBearn , Colonel du Régiment
SEPTEMBRE 1746. 189
de Bourbonnois & Brigadier d'Armée , & de Marie-
Louiſe-Victoire de Gramont mariés le 2 Mars
1-739. M. le Duc de Gramont appellé ci-devant le
Duc de Lefparre , eft fils aîné de feu Louis Duc
de Gramont Pair de France , Chevalier des Ordres
du Roi , Lieutenant Général des Armées de
Sa Majesté , Colonel du Régiment des Gardes Françoifes
, &c. tué d'un coup de canon à la bataille
de Fontenoy le 11 Mai 1745 , & de De.Genevieve
de Gontaut Biron . Madame la Ducheffe de Gramont
eft couſine germaine de fon mari & Fille
aînée de Louis-Antoine Armand Duc de Gramont
Pair de France ,&c . mort le 16 Mai 1741 , & de
Dame Louiſe - Françoife d'Aumont de Crévantd'Humieres.
Voyez la généalogie de cette Maiſon dans l'Hiftoire
des Grands - Officiers dc-la Couronne , vol. 4.
617 & 618 .
Le 14 a été fait le mariage de Noel Florimond
Huchet Chevalier , Seigneur de la Bedoyere , âgé de
36 ans , fils de Charles Huchet Chevalier , Seigneur
& Comte de la Bedoyere , Procureur Général
auParlement de Bretagne depuis le 14 Août 1710,
& de Dame Marie-Anne Guyonne Danycan de
l'Epine , avec Dlle. Marie Angelique Cofté da
Saint Suplix , file d'Alexandre Cofté Seigneur de
Saint Suplix , Baron de Crefpon & de Dame Marie
Guillemette Moura Le nouveau marié eft frere
puîné de Marguerite- Hugues-Charles -Marie Huchet
de la Bedoyere né le 4 Avril 1709 , ci-de
vant Avocat Général de la Cour des Aydes de Paris.
Le nom de Huchet eft connu dans l'Epée &
dans la Robe , & par fes alliances en Bretagne
depuis trois cent ans ; fes armes font d'Azur à fix
Billettes d'argent percées en rond 5 pofées 3.2 &
190 MERCURE DE FRANCE
une. Pour la famille de Cofté Saint Suplix , elle
eft connue à Rouen entre les bonnes du Parlement
au quel a donné plufieurs Confeillers depuis
l'an 16.7.
Le 5 Août Charles - François de Granges de
Surgeres , Marquis de Puiguyon & de la Floceliere
Maréchal des Camps & armées du Roi du premier
Mai 1745 , l'un des Menins de Monfeigneur le Dauphin
, dont il avoit été Gentilhomme de la Manche,
mourut à l'armée d'Italie , âgé d'environ 39
ans , laiffant des enfans de Dame Catherine- Emanuelle
Gaillard de la Bouexiere qu'il avoit epoufée
le 22 Décembre 1739 , foeur de Dame Marie-
Anne-Françoife Gaillard de la Bouexiere femme
de Jean -Hyacinte Hocquart Seigneur de Monfermel
, l'un des Fermiers Généraux de S. M. 1 étoit
fils de Gilles-Charles de Granges de Surgeres , Marquis
de la Floceliere & de Mauleon , Capitaine
des vaiffeaux du Roi & Chevalier de l'Ordre militaire
de Saint Louis & de Dame Jeanne - Françoife
de Granges de Surgeres Dame de Puiguyon
& de la Flocelere , fille & héritiere en partie de
François de Granges de Surgeres Marquis de Puiguyon
& de la Floceliere , Lieutenant Général
des armées du Roi mort le 22 Février 1723 , & de
Dame Françoife de la Caffaigne de Saint Laurent.
Feu M.de la Floceliere & feu M. le Marquis de Pui
guyon pere & grand-pere de celui qui donne lieuà
cet article , avoient joint le nom de Surgeres à celui
de Granges , comme étant fortis de la Maifon
de Surgeres l'une des premieres du Poitou parGeoffroy
de Surgeres leur tréiziéme ayeul vivant ès années
1208 & 1:18 , lequel ayant eu en partage
la terre de Granges près Surgeres en Aunis ,
prit le nom qu'il tranfmit à fa pofterité avec les
Armes de la maifon de Surgeres qui étoint de gueuen
SEPTEMBRE 1746. 191
les frettés de vair , qu'il brifa comme puiné , d'un che f
d'or chargé d'uu lambel de trois pendan de fable.
Voyez la Généalogie de la Maifon de Surgeres
imprimée à Paris en 17 7 & dreffée fur titres en
forme d'inftruction pour fa famille par feu M le
Marquis de Puiguyon Lieutenant Général des ar
mées du Roi , &c.
Le 21 Dame Marie-Magdeleine du Bois de Gue
dreville , veuve depuis le 20 Septembre 1723 de
Felix le Pelletier Seigneur de la Houffaye , Confeiller
d'Etat Ordinaire , Contrôleur Général des
Finances , Commandeur des Ordres du Roi dont il
avoit été Prevôt & Maître des Céremonies , Chancelier-
Garde des Sceaux , chef du Conſeil & Sur-
Intendant des Maifon & finances de feu Monfieur
le Duc d'Orleans Régent du Royaume . &
avec lequel elle avoit été mariée le 13 Janvier
1687 , mouru à Paris âgée de 81 ans accomp is ,
laiffant de fon mariage Felix le Pelletier Seigneur
de la Houffaye & de Signy, Confeiller d Etat & Intendant
des finances , marié depuis le 6 Novembre
1719 avec Charlotte- MarieLallemant deLevignan,
de laquelle il a Claude-Jacques-Charles le Pelletier
de la Houffaye né le 26 Janvier 1726 , & Magdeleine-
Louiſe-Charlotte le Pelletier de la Heuf
faye mariée depuis le 3 Mai 1740 avec Paul- Eſprit
la Bourdonnaye Seigneur de Bloffac aujourd'hui
Maître des Requêtes.
Madame le Pelletier de la Houffaye qui donne
lieu à cet article étoit fille de Sebaftien du Bois
Seigneur de Guedreville & de Signy, Maître des
Requêtes ordinaire de l'Hôtel du Roi & Préíident
au Grand Confeil & de Marie Thierfault Voyez
pour la Généalogie de la famille de le Pelletier la
Houffaye le vol 9 de l'Hiftoire des Grands Officiers
de la Couronne fol . 318. en attendant l'Hif192
MERCURE DE FRANCE.
/
toire des Maîtres des Requêtes dans laquelle elle
fera amplement déduite de même que celles de
du Bois Guedreville & Thierfault.
Le 30 Jacques de Crevecoeur de Vienne , dit le
Le Comte de Crevecoeur , Brigadier des armées du
Roi , Chevalier de l'Ordre Militaire de S. Louis ,
ancien Lieutenant Colonel , Commandant le Régiment
du Roi , mourut à Paris dans la 78e. ann
e de fon âge ; il étoit fils puîné de Charles -Martin
de Crevecoeur , Seigneur de Vienne près
Villeneuve le Roi au Diocéfe de Sens , dit le
Marquis de Crevecoeur , Maréchal des Camps &
armées du Roi , Chevalier de fon Ordre , Gouverneur
& Grand Bailly de la Ville de Montargis
, mort le 14 Juillet 1683 , & de Dame Françoife
Texier de Hautefeuille , foeur de M. le Bailly
de Hautefeuille , Ambaffadeur de l'Ordre de
Malthe en France . Le nom de Crevecoeur eft diftingué
par fon ancienneté , par fes alliances &
par fes feryices militaires .
Le 2 Septembre Jean-Baptifte Colbert Marquis
de Torcy , de Croiffy , de Sablé , de Bois-
Dauphin, Comte de la Barre , Baron de Pincé & c .
Miniftre d'Etat , Commandeur des Ordres du Roi
dont il avoit été Grand Tréforier , & enfuite
Chancelier,& Honoraire de l'Académie Royale des
Sciences , mourut à Paris âgé de 81 ans prefque
accomplis , étant né le 14 Septembre 1665. Après
avoir été employé par le feu Roi dans plufieurs
des principales Cours de l'Europe , il avoit été
nommé au mois de Septembre 1689 Sécretaire
d'Etat au Département des affaires Etrangere .
en furvivance du Marquis de Croiffy fon pere ,
auquel il fucceda dans le mois de Juillet 1696 ;
il
SEPTEMBRE 1746. 193
2
a exercé cette charge de la maniere la plus
capable de juftifier la confiance dont le feu Roi
l'a honoré , & de lui attirer une grande confidération
; le fuccès des Négociations auffi importantes
que difficiles dont il a été chargé , & là réputation
qu'il s'eft acquife dans les Pays Etrangers
feront toujours regardés comme des témoignages
fûrs de l'étendue de fon efprit , de fa capacité
dans les affaires , & de fon zéle fur ce qui pouvoit
intéreſſer le ſervice du Roi , le bien de l'Etat
& l'honneur de la France ; il n'étoit pas
moins recommandable par les excellentes qualités
du coeur qui formoient fon caractére , &
qui le faifoient généralement eftimer ; il étoit
fils de Charles Colbert Marquis de Croiffy & de
Torcy , Miniftre & Sécretaire d'Etat pour les Affaires
Etrangeres , Commandeur & Grand Tréforier
des Ordres du Roi , & avant Préfident à
Mortier au Parlement de Paris , mort le 26 Juillet
1696 , & de Dame Françoife Beraud mariée
le 20 Janvier 1664 , & morte le 17 Septembre
1719 il avoit épousé le 13 Août 1696 ; Dlle.
Catherine Felicité Arnauld de Pomponne fille de
Simon Arnauld , Marquis de Pomponne , Miniftre
& Sécretaire d'Etat , Surintendant Général
des Poftes & Relais de France , & de Dame Catherine
Rénée Ladvocat , & de ce mariage il laiffe
pour filles Françoife - Felicité Colbert de Torcy ,
mariée le 4 Avril 1715 avec Jofeph André
d'Ancezune Oraifon , Marquis d'Ancezune , Maréchal
de Camp , duquel elle n'a pas d'enfans ;
Marguerite Pauline Colbert , mariée le 24 Février
1718 avec Louis du Pleffis Chaſtillon , Marquis
du Pleffis Chaſtillon & de Nonant , Lieutenant
Général des armées du Roi , dont elle a un
fils & une fille ; Conftance Colbert mariée le 21
I
194 MERCURE DE FRANCE
Avril 1732 avec Jofeph- Auguftin de Mailly Hau
court , dit le Comte de Mailly , Capitaine Lieutenant
des Gendarmes Ecoffois & Maréchal de
Camp , morte le 13 Décembre 1734 , ne laiffant
qu'une fille ; & pour fils Jean - Baptiste-Joachim
Colbert , Marquis de Croiffy , Sablé , Bois-Dauphin
, Baron de Pincé & de Nonent , Capitaine
des Gardes de la Porte du Roi , Lieutenant Général
des armées de Sa Majefté , né le 25 Janvier
1703 , & marié le 27 Fevrier 1726 avec
Dlle . Henriette Bibienne de Franquetot de Coigny
fille de M. le Maréchal de Coigny , duquel
mariage font nés Jean- François- Menelay Colbert
Marquis de Sablé né le 27 Mai 1728 , Capitaine
de Cavalerie dans le Régiment de Berry du 30
Janvier 1745 , Antoine -Charles- Felix Colbert ,
Comte de Bierné né le 11 Juillet 1729 , Guidon
de Gendarmerie du 30 Janvier 1745 , Jofeph .
Edmé-François de Salles Colbert , & André-
I hérefe- Auguftin Colbert nés jumeaux le 10 Juil
let 1740 & Henriette- Bibienne Colbert de
Croiffy née le 10 Janvier 1717 , mariée le 21 Fevrier
1746 avec Guy- François de la Porte de
Ryantz , Marquis de Ryantz , Comte de Brion
Baron de Villeray & de la Broffe , Cornette deș
Chevaux-Legers de Bretagne .
M. le Marquis de Torcy qui donne lieu à cet
article étoit neveu de Jean- Baptiste Colbert ,
Marquis de Seignelai , Miniftre & Sécretaire d'Etat
, ayant le Département de la Marine , Contrô
leur Général des finances , Commandeur & Grand
Tréforier des Ordres du Roi , mort le 6 Septembre
1683 , âgé de 64 ans & 6 jours, en réputa,
tion d'un des plus grands Ministres que la France
ait jamais eû ; voyez pour cette Généalogie le
volume 9 de l'Hiftoire des Grands Officiers de
SEPTEMBRE 1746 195*
la Couronne fol . 231. 308. 324.2325. 326.327
& 341 ; le Dictionnaire Hiftorique de Morery Edition
de 1732 , vol . 2 fol . 930. en attendant celle
qui fera rapportée avec toutes les branches ,
dans l'Hiftoire des Maîtres des Requêtes à laquelle
on travaille .
Le même jour Henri -François de Bretagne
Comte de Vertus & de Goello , Baron d'Avaugour ,
Premier Baron de Bretagne , Seigneur de Cliffon ,
&c.ancien Colonel d'un Régiment d'Infanterie réformé
en 1714. & Chevalier de l'Ordre Militaire de
Saint Louis , mourut à Paris âgé de 61 ans
étant né le 17 Juin 1685 , fans laiffer d'enfans de
Dame Magdeleine-Catherine-Jeanne d'Alegre fa
premiere femme , qu'il avoit époufée le 15 Juin
1735 , & qui mourut le 14 Avril 1738 , & de Dame
Marie - Magdeleine - Gabrielle Charrette de
Montebert , fa deuxième femme , qu'il époufa le
15 Août 1743 , étant alors veuve de Louis de
Seran , Chevalier , Seigneur de Kerfily , & fille
de Gilles Charrette , Seigneur de Montebert ,
Confeiller au Parlement de Bretagne , & d'Elifabeth-
Gabrielle de Montigny.
M. le Comte de Vertus étoit fils de Claude de
Bretagne , Comte de Vertus & de Goello , Baron
d'Avaugour, premier Baron de Bretagne , Seigneur
de Cliffon , mort le 7 Mars 1699 , & de Dame
Anne - Judith le Lievre de la Grange , morte le
22 Décembre 1690 ; & il eft mort le dernier de
la Branche des Comtes de Vertus , iffus de François
, Bâtard de Bretagne fon cinquiéme ayeul ,
Comte de Vertus & de Goello , fils naturel de
François II . Duc de Bretagne , qui le créa Baron
d'Avaugour, premier Baron de Bretagne le 24 Septembre
1480 , lui donna le Comté de Vertus en
I ÿj
196 MERCURE DE FRANCE.
1485 , l'établit fon Lieutenant Général en Bretague
, & lui donna le Gouvernement de S. Malo .
Voyez la Généalogie des Ducs de Bretagnl , vol.
1. de l'Hiftoire des Grands Officiers de Couronne
, fol. 467 & 472.
Le 12 Dame Marie-Catherine-Angélique d'Al
1ert Luynes , veuve depuis le 23 Mai 1976 de Charles-
Antoine Gouffier , Marquis de Heilly, Seigneur
de Ribemont , & c . dit le Marquis de Gouffier
Maréchal de Camp , mort à la Bataille de Ramilles
à la tête des Gendarmes de la Garde , dont
al étoit Enfeigne , & qu'elle avoit épousé le 23
Novembre 1694 , mourut à Paris dans la foixantedix
-huitième année de fon âge , étant née le 9 Novembre
1663 , laiffant entr'autres enfans Louis-
Charles Gouffier , Marquis de Heilly , dit le Marquis
de Gouffier , Maréchal de Camp du 15 Mars
1740 , marié depuis le 13 Janvier 1734
Dame Marie-Catherine Phelypeaux d'Outreville ,
coufine iffue de Germain de M. le Comte de Maurepas
, Miniftre & Secrétaire d'Etat ; Dame Marie-
Thérèſe Catherine Gouffier , femme de Louis-
François Crozat , Marquis du Chatel , aujourd'hui
Lieutenant Général des armées du Roi , & Dame
Marie-Charlotte Gouffier , femme de Céfar- Alexandre
Gouffier, Marquis d'Efpagny, dit le Comte
de Gouffier .
avec
Madame la Marquife de Gouffier étoit fille de
Louis-Charles d'Albert , Duc de Luynes , Pair de
France , Chevalier des Ordres du Roi , mort le
premier Octobre 1690 , & de Dame Anne de Rohan
Montbazon fa deuxième femme , morte le 29
Octobre 1684. Voyez pour la Généalogie de la
Maifon d'Albert l'Hiftoire des Grands Officiers
el, 4. fol. 263 , & pour celle de la Maifon de
2
SEPTEMBRE 1748. 107
Gouffier la même Hiftoire , vol . 5. fol . 674 .
Le 13 Religieux Seigneur Frere François de
Brenne , Chevalier , Grand- Croix de l'Ordre de
Saint Jean de Jérufalem , Commandeur d'Abbeville
, Procureur Général & Receveur du commun
Tréfor du même Ordre au Grand - Prieuré de France
, mourut à Paris âgé d'environ 57 ans , & le
lendemain fon corps fut porté de l'Eglife de faint
Roch fa Paroiffe en celle de fainte Marie du
Temple , Sépulture ordinaire de ceux de fon Ordre.
Il avoit été reçû dans cet Ordre de minoriré
, & Page du Roi en fa petite Ecurie en Février
1704 ; il étoit fils de François de Brenne ,
Chevalier , Seigneur de Bombon & de Montjay
en Brie , & de Dame Félice de Poftel d'Ormoy.
Il avoit pour frere aîné Bafile de Brenne de Poftel
, créé Comte de Bombon par Lettres du mois
de Mars 1699 , lequel de fon mariage avec Dame
Marie-Magdeleine Duret de Chevery a eu pour
fille Edme Charlotte de Brenne , Comteffe de
Bombon , Dame de Montjay & d'Ormoy, mariée le
11 Mai 1720 avec Marie-Thomas-Augufte Goyon
de Matignon Gacé , dit le Marquis de Matignon ,
Chevalier des Ordres du Roi , depuis le premier
Janvier 1725 , duquel mariage eft née Damoiſelle
Victoire- Louife-Jofeph Goyon de Matignon , mariée
avec Charles Duc de Fitz- James , Pair de
France , Gouverneur du Haut & Bas Limofin , duquel
elle a des enfans . Le nom de Brenne Bombon
eft marqué par fa nobleffe & par fes alliances
& fes Armes font d'argent à un Lien de fable
, lampaffe & armé de gueules .
,
-
Le 15 Meffire Jean-Louis du Lau de la Côte d'Allemans
, Evêque de Digne , facré le 20 Octobre
I iij
158 MERCURE DE FRANCE
1
1742 , mourut à Paris dans la trente-huitiéme année
de fon âge . Il avoit entr'autres freres Meffire
Jean du Lau , Vicaire de la Paroiffe de faint Sulpice
, & étoit d'une Nobleffe diftinguée.
Le 16 Dame Marie- Barthelemy Thoynard femme
de Michel-Philippe Levêque , Seigneur de
Gravelle , Confeiller au Parlement , avec lequel
elle fut mariée le 15 Février 1729 , mourut à
Paris dans la trente-cinquiéme année de fon âge ,
laiffant une fille & un fils unique , nommé Philippe-
Barthelemy Levêque de Gravelle , Seigneur de
6. Felix , deftiné à la Robe. Elle étoit foeur de Barthelemy-
François Thoynard de Jouy , à préfent
Maître des Requêtes , & de Magdelaine Thoynard
, femme depuis le 8 Août 1736 de Louis-
Arnaud de la Briffe , aujourd'hui Maître des Requêtes
& Intendant de Juftice à Caen , & elle
étoit fille de Barthelemy Thoynard , Seigneur de
Cendré &c. l'un des Fermiers Généraux des Fermes
unies du Roi , & de De. Marie de Saint Paire.
La Famille de Thoynard eft connue dans l'Orléannois
depuis l'an 1430 , &c.
SEPTEMBRE 1746.
199
ARRESTS NOTABLES.
RREST du Confeil d'Etat du Roi du onze
Juin , pour l'ouverture de l'Annuel de l'année
1747.
ART. I. Que tous les Officiers de judicature ,
police , finances , & autres fujets à des revenus
cafuels , feront admis au payement du prêt & droit
annuel pour l'année 1747 , à commencer du r .
Novembre 1746 , jufqu'au dernier Décembre inclufivement.
II. Ceux defdits Officiers qui auront fatisfait
au payement defdits droits pour l'année 1746 , y
feront reçus pour l'année 1747 , en payant une
année d'annuel feulement , fans aucun prêt .
III. Les Officiers Omiffionnaires de fix années
d'annuel dûes en exécution de la Déclaration du 19
Juin 1740 , y feront reçus en payant lefdites fix
années omifes , & en outre celle de 1747 , & un
tiers du prêt feulement , Sa Majefté ayant jugé à
propos de leur remettre un tiers du prêt , pour
leur faciliter la confervation de leurs Offices à
leurs familles , en leur continuant la même grace
qu'Elle a bien voulu leur accorder après les fix
premieres années des précedentes déclarations ,
pour l'ouverture de l'annuel , expirées.
IV. A l'égard des Offices de Sénéchauffées ,
Préfidiaux , Bailliages , Siéges Royaux , Prévôtés
Vicomtés , Jurifdictions Royales , & autres faifant
corps d'icelles , & de ceux de Police , ils feront
reçus aufdits droits fur le pied de la moitié de
l'évaluation de leurs Offices , conformément aux
I jv
200 MERCURE DE FRANCE.
Arrêts des 27 Septembre 1740 , 20 Juin 1741 ;
19 Juin 1742 , 18 Juin 743 , 19 Juin 1744 , 19
Juin 17.5 , & le prefent , par lefquels a été dérogé
à l'article III de la Déclaration du 19 Juin 1740 ,
portant qu'ils feront reçus au payement defdits
droits en entier pendant les neuf années d'icelle .
V. Lequel article III de la fufdite Déclaration
fera au furplus exécuté & fortira fon plein &
entier effet au regard des Officiers des Maréchauf
fées , Amirautés de Bretagne , Monnoyes & autres
Jurifdictions extraordinaires , Receveurs des Confignations
, Commiffaires aux faifies réelles , &
Greffiers qui ne pourront prétendre en aucune maniere
être du corps defdits Préfidiaux , Sénéchauffée
, Prévôtés , Vicomtés & Siéges Royaux , fous
pretexte qu'ils y font reçus , immatriculés & inftallés
, lefquels par conféquent feront reçus à l'annuel
en entier , & au prêt de la même maniere , à
la remife néanmoins des deux tiers.
>
VI. Veut au furplus Sa Majesté que la Déclaration
du 19 Juin 1740 foit exécutée fuivant fa
forme & teneur , ainsi que l'Arrêt du 17 Août
1675 concernant les engagiftes de nos domaines
, qui ont droit de nommer aux Offices dépendans
de leurs engagemens , qui feront tenus de
recevoir fans difficulté à l'annuel d'iceux , & en
entier , les Officiers qui juftifieront avoir payé le
prêt en nos revenus cafuels , quoiqu'à moitié ; lef
quels en cas de refus , après leur avoir fait les
fommations requifes , fe pourront pourvoir en nos
revenus cafuels , pour y être admis , & à moitié ,
conformément au préfent Arrêt , fi leurs Offices
font de la nature de ceux qui doivent jouir du bérefice
d'icelui ; fans que les engagiſtes refuſant
de les recevoir , puiffent prétendre , pour raifon
du défaut dudit payement en leurs revenus cafuels ,
SEPTEMBRE 1746. 201
>
lefdits Offices vacans à leur profit . FAIT au Conſeil
d'Etat du Roi tenu à Bruxelles le onze Juin
mil fept cent quarante fix. Collationné . Signé
DE VOUGNY avec paraphe . ›
AUTRE & Lettres Patentes fur icelui , Regiftrées
en la Cour des Aides le 19 Août 1746 ,
contenant de nouvelles difpofitions pour arrêter
le cours des fraudes qui fe font à la fortie de s
Vins enlevés de l'étendue des cinq groffes fermes
pour paffer à l'étranger , ou dans les Provinces
réputées étrangeres , & mettre le Fermier en état
de fuivre plus particulierement la confommation
des Vins qui font déclarés pour la frontiere,
AUTTE & Lettres Patentes fur icelui , Regiftrées
en la Cour des Aides du 19 Août 1746,
qui ordonnent l'exécution de l'article IX du titre
II de l'Ordonnance de's Fermes du mois de Février
167 ; en conféquence que ceux qui y contreviendront
en faifant décharger des marchandifes
des bâteaux ou vaifleaux fans un congé par
écrit du Fermier ou fans la prétence de fes
Commis , feront condamnés à la confifcation defdites
marchandifes & en trois cent livres d'amende.
"'
AUTRE Contradictoire de la Cour des Aides ,
qui confirme avec amende & dépens une Sentence
de la Jurifdi&tion des Traites d'Abbeville
du 23 Juillet 74 , qui a prononcé la confifcation
d'un cheval faifi fur le nommé Guillain Mallet
Laboureur demeurant en Artois , & qu'il avoit
fait entrer en Picardie fans déclaration ni paye.
ment des droits ,
202 MERCURE DE FRANCE.
AUTRE du Confeil d'Etat du Roi , qui indique
les précautions à prendre contre la maladie épidémique
du 19 Juillet 1746. Extrait des Regiſtres
du Confeil d'Etat .
Le Roi étant informé que la maladie épidé
mique fur les boufs & fur les vaches , qui
dépuis quelque tems s'étoit rallentie , fe fait
fentir de nouveau dans quelques Provinces du
Royaume , qu'il y a lieu de penfer qu'elle s'y eft
communiquée , foit parce que des proprietaires
de beftiaux , dans la crainte de voir périr chés
eux ceux de leurs beftiaux dont l'état étoit fufpect
, fe font déterminés à les donner à des prix
médiocres , & les ont fait conduire à des foires
& marchés dans des lieux où la maladie n'avoit
point encore pénétré , foit parce que ceux qui
font le commerce de beftiaux voulant par une
avidité condamnable profiter de l'inquiétude
defdits proprietaires , ont acheté leurs beftiaux à
des prix extrêmement bas , & les ont revendus
par préférence à ceux qui venoient des cantons
non fufpects , en les donnant à des prix inférieurs
ee qui dans l'un & l'autre cas a porté la maladie
dans les lieux où lesdits beftiaux ont été conduits ,
en forte qu'elle pourroit s'étendre fucceffivement
dans les endroits qui jufqu'à préfent en ont été
préfervés , s'il n'y étoit pourvû par des difpofitions
capables de remedier à un abus fi préjudiciable
au bien public & à l'interêt de chaque
Province en particulier . Et l'experience ayant fait
connoître que le moyen le plus affûré pour em
pêcher le progrès de cette maladie , eft d'émpêcher
toute communication des beftiaux qui en font
attaqués , avec ceux qui ne le font pas , comme
auffi que les beftiaux d'un lieu où la maladie s'eft
ait fentir ne foient conduits dans un lieu où elle
"
SEPTEMBRE. 1746. 203
n'a point penétré , Sa Majefté voulant fur ce
expliquer les intentions : Oui le rapport du fieur
de Machaalt Confeiller ordinaire au Confeil Royal,
Contrôleur Général des finances , le Roi étant
en fon Confeil a ordonné & ordonne ce qui
fuit.
›
ART. I. Tous proprietaires de bêtes à cornes
habitans dans les villes ou paroiffes de la campa
gne , dont les beftiaux feront malades ou foupçonnés
de maladie , feront tenus d'en avertir dans
le moment le principal Officier de Police de la
ville , ou le Syndic de la paroille dans laquelle
ils habiteront , fous peine de cent livres d'amende ;
à l'effet par ledit Officier de Police ou ledit Syndic
de faire marquer en fa préfence lesdits bef
tiaux malades ou foupçonnés , avec un fer chaud
portant la lettre M. & de conftater que lesdites
bêtes malades ou foupçonnées de maladie ont été
féparées des beftiaux fains , & renfermées dans des
endroits d'où elle ne puiffent communiquer avec
lefdits beftiaux fains de la même ville ou paroiffe.
II. Ne pourront lefdits proprietaires , fous quelque
pretexte que ce foit , faire conduire dans les
pâturages ni aux abreuvoirs lefdits beftiaux attaqués
ou foupçonnés de maladie ; & feront tenus
de les nourrir dans les lieux où ils auront été renfermés
fous la même peine de cent lives d'amende.
III. Les Syndics de paroiffes dans lesquelles il y
aura des beftiaux malades ou foupçonnés de inaladie
, feront tenus fous peine de cinquante livres
d'amende , d'en avertir dans le jour le Subdélégué
du département , & de lui déclarer le nombre de
beftiaux qui feront malades ou foupçonnés , & qu'ils
auront fait marquer ; les noms des preprietaires
I uj
204 MERCURE DE FRANCE
auxquels ils appartiennent , & s'ils en ont été aver
tis par lefdits proptietaires ou par d'autres parti
culiers de ladite paroiffe . Veut Sa Majefté qu'au
dernier cas le tiers des amendes qui feront pro
noncées contre lefdits proprietaires , faute de déclaration
, appartienne à ceux qui auront donné le
premier avis , foit au principal Officier de Police
dans les villes , foit aux Syndics des paroiffes de la
campagne.
IV. Le Subdélégué , conformément aux ordres
& inftructions qu'il aura reçus du fieur Intendant
de la Province , & les Officiers de Police dans les
villes tiendront la main non feulement pour empecher
que les beftiaux malades ou foupçonnés
n'ayent aucune communication avec les beftiaux
fains de la même ville ou paroiffe , mais encore
pour empêcher que tous les beftiaux , foit malades ,
foit fouponnés , foit fains , du heu ou la maladie
fe fera manifeftée › n'ayent aucune communica
tion avec ceux des villes ou paroifles voifines .
V. Fait Sa Majefté très expreffes inhibitions &
défenſes aux habitans des villes ou des paroiffes de
la campagne dans lesquelles la maladie fe fera
manifeftée , de vendre aucun boeuf , vache ou
veau , & à tous particuliers des autres paroifles ,
ou étrangers , d'en acheter , fous peine de cent
livres d'amende , tant contre le vendeur que contre
l'acheteur , par chaque tête de bétail vendu ou
acheté en contravention de la préfente difpofi
tion fans préjudice néanmoins de ce qui fera réglé
par l'article VII . ci - après .
VI Fait pareillement Sa Majefté défenfes à
tous particuliers , foit proprietaires des bêtes à
cornes , ou autres , de conduire aucuns des beftiaux
fains ou malades , des Villes ou paroiffes de
la campagne où la maladie fe fera manifeftée .
!
SEPTEMBRE 1746. 207
dans aucunes foires ou marchés , & ce fous peine
de cinq cent livres d'amende par chacune contra
vention , de la quelle amende les proprietaires def
dits beftiaux qni pourroient fe fervir d'étrangers
pour les conduire auxdites foires & marchés , feront
refponfables en leur propre & privé nom
VII. Permet Sa Majefté à tous particuliers qui
rencontreront , foit dans les pâturages publics ,
foit aux abreuvoirs , foit fur les grands chemins ,
foit aux foires ou marchés des bêtes cornes
marquées de la lettre M. de les conduire devant le
plus prochain Juge Royal ou Seigneurial , lequel
les fera tuer fur le champ en fa préſence .
VIII. Pourront néanmoins les proprietaires
des bêtes à corne qui auront des beftiaux fains &
non foupçonnés de maladie dans un lleu où quelques
uns des beftiaux auront été attaqués , vendre
lefdits beftiaux fains & non foupçonnés de maladie ,
aux bouchers qui voudront les acheter , mais à la
charge qu'ils feront tués dans les vingt- quatre heures
de la vente , fans que lefdits bouchers puiffent ,
fous aucun pretexte , les garder plus long- tems ,
à peine tant contre lefdits propriétaires que contre
lefdits bouchers , de deux cent livres d'amende
pour chacune contravention , pour raifon de laquelle
amende leidits proprietaires & lesdits bouchers
feront folidaires.
9
IX. Seront en outre tenus lefdits bouchers qui
dans les lieux où il y aura des beftiaux malades ou
foupçonnés , acheteront des beftiaux fains de
prendre un certificat des proprietaires defquels ils
feront lefdits achats , lequel fera vifé de l'Officier
de Police de la ville ou du Syndic de la paroiffe
dans lefquels les achats auront été faits , & conviendra
le nombre & la défignation des beftiaux.
qu'ils auront achetés & qu'ils n'ont eu aucun
106 MERCURE DE FRANCE
fymptôme de maladie ; comme auffi de repréfem er
lefdits certificats à l'Officier de Police de la ville
ou au Syndic de la paroiffe dans lesquels ils conduiront
lefdits beftiaux , à l'effet de conftater que
lefdits beftiaux feront tués dans les vingt- quatre
heures du jour de l'achat ; le tout fous la même
peine contre lefdits bouchers , de deux cent livres
d'amende par chaque contravention & par chaque
tête de bécail qui n'auroit pas été tué dans leídites
vingt- quatre heures de l'achat.
X. Si aucuns defdits bouchers , abufant de la
faculté qui leur eft accordée par les deux articles
précédens , revendoient aucun defdits beftiaux à
telle perfonne que ce puiffe être veuc Sa Majefté
qu'ils foient condamnés en cinq cent livres
d'amende par chaque tête de bétail , même qu'il
foit procedé extraordinairement contre eux , pour
après l'inftruction faite , être prononcé telle peine
afflictive ou infamante qu'il appartiendra .
X I. Les bouchers qui pour s'aprovifionner des
beftiaux dont ils auroient befoin , en acheteroient
dans les lieux où la maladie n'aura point encore
pénétré , feront tenus de prendre un certificat de
I'Officier de Police de la ville ou du Syndic de la
paroiffe dans laquelle ils feront leurs achats , lequel
certificat fera mention de l'état de la paroiffe
fur le fait de ladite maladie , & du nombre &
défignation des beftiaux qu'ils y auront achetés
comme auffi de repréfenter ledit certificat à l'Officier
de Police de la viile , ou au Syndic de la
paroiffe de leur domicile , toutes fois & quantes
ils en feront requis , pour juftifier que lesdits bef
tiaux ont été achetés dans des lieux fains , & peuvent
être confervés fans danger , fous peine de
confiſcation defdits beftiaux , & de deux cent
livres d'amende par chaque tête des bêtes à cornes
SEPTEMBRE 207 1746.
XII. Veut & entend pareillement Sa Majefté
que tous les particuliers & habitans des villes ou
des paroiffes de la campagne où la maladie n'aura
point pénétré , qui voudront conduire ou envoyer
des beftiaux aux foires & marchés , pour y étre
vendus , foient tenus fous peine de confifcation
de leurs beftiaux & de deux cent livres d'amende
par chaque tête des bêtes à cornes , de fe munic
d'un certificat de l'Officier de Police de la ville
ou du Syndic de ladite paroille , vifé par le Curé
ou par un des Officiers de Juftice , lequel certifi
cat fera mention de l'état de ladite ville ou paroiffe
fur le fait de la maladie , & contiendra le
nombre & la défignation defidits beftiaux ; & fera
ledit certificat repréſenté aux Officiers de Police ,
fi aucuns y a , ou aux Syndics des paroiffes des
lieux où fe tiendront les foires & marchés , avant
l'expofition defdits beftiaux en vente .
XIII. Fait Sa Majefté très - exprefles inhibitions
& défenſes auxdits Officiers de Police & Syndics
des lieux & communautés où lesdites foires &
marchés fe tiendront , de permettre l'expofition
d'aucuns defdits beftiaux , fans préalablement s'être
affûrés par la repréfentation defdits certificats ,
du lieu d'où ils viennent , & que la maladie n'y a
point pénétré , à peine contre les Syndics des paroiffes
, de cent livres d'amende , & contre lefdits
Officiers de Police , de deftitusion de leurs
Offices. *
XI V. Si aucuns des Officiers de Police des
villes & des Syndics des paroiffes de la campagne ,
dans le cas où il leur eft enjoint par le préfent Arrêt
de donner des certificats , en donnoient de
contraires à la verité , veut Sa Majefté qu'ils foient
condamnés en mille livres d'amende , même pourfuivis
extraordinairement , pour , après l'inftrue208
MFR CURE DE RRANCE,
tion faite , être prononcé contr'eux telle peine
afflictive ou infamante qu'il appartiendra .
X V. Veut Sa Majesté que dans tous les cas
où les amendes prononcées par le préfent Arrêt ,
feront encourues , les délinquans foient contrai
gnables par corps au payement de dites amendes ,
& qu'ils tiennent prifon jnfqu'au parfait payement
d'icelles.
XV I. Lefdites amendes feront remiſes au
Greffier de Police pour les villes , & au Greffier
des fubdélégations dans chaque département pour
les paroilles de la campagne , pour être diftribuées ,
fçavoir un tiers en conformité & dans le cas porté
par l'article III du préſent Arrêt , & le furplus ainfi
qu'il fera ordonné par Sa Majefte , fur l'avis du
fieur Lieutenant Général de Police de la Ville de
Paris , & des fieurs Intendans dans les Provinces .
Enjoint S M. au S. Lieutenant Général de Police
à Paris & aux ficurs Intendant & ( en milanes
départis dans les Provinces , de tenir la main à
l'exécution du préfent Arrét , qui fera lû , publié
& affiché partout où befoin fera , à ce que perfonae
n'en ignore , & exécuté nonobftant oppofition ou
autres empêchement quelconques , pour lesquels
ne fera differé , & dont fi aucuns interviennent ,
Sa Majefté fe referve & à fon Confeil la connoiffance
, icelle interdifans à toutes fes Cours & autres
Juges, FAIT au Confeil d'Etat du Roi , Sa Majefté
y étant , tenu à Verſailles le dix neuvième jour de
Juillet mil fept cent quarante- fix.
Signé PHELYPEANX.
ORDONNANCE du Roi du 18 , portant qu'au
cuns Officiers mariniers & Matelots as pourront
être exempts du fervice des vaifleaux de Sa Majefté
, fous prétexte des fonctions particulieres aux
quelles ils pourroient être affectés,
SEPTEMBRE 1746. 209
ARREST de la Chambre des Comptes du rz
Août rendu en interprétation de celui du 15 Septembre
1744 , portant reglement pour la publication
des Aveux & Dénombremens préſentés par les
Vaffaux du Roi.
AUTRE de la Cour des Monnoies du 29 , qui
déclare François Duchefne , dit Moirand , duement
atteint & convaincu du crime de fabrication'
& expofition de faux Louis ; pour réparation de
quoi le condamne à faire amende honorable &
enfuite être pendu.
AUTRE du 31 qui déclare les nominés Jean le
Roux , dit Vernier ou Lavernier , & Elizabeth le
Febvre , dite Babet , dûement atteints & convaincus
du crime de fabrication & expofition de faux
Louis ; pour reparation de quoi les condamne
à faire amende honorable & enfuite être pendus:
ORDONNANCE du Roi du 31 , pour porter
la Compagnie de Bas-officiers Invalides de Jacquette
, en garnifon au Château de Saumur , au
nombre de cent hommes , & former du détachemment
qui a été tiré de ladite Compagnie pour gatder
le Château d'Angers , une nouvelle Compa
gnie compofée pareillement de cent hommes , fous
le commandement de M. Toucheronde Capitaine
en fecond de ladite Gompagnie de Jacquette
.
AUTRE du 28 , pour obliger les Officiers de
Cavalerie à prendre l'attache de Monfieur le
Comte d'Evreux , Colonel Général de la Cavalerie ,
fur leurs Commiſſions,
210 MERCURE DE FRANCE
De par le Roi. Sa Majefté s'étant fait répréfenter
les Ordonnances rendues par le feu Roi fon bis
fayeul les 1 Juin 1701 & 25 Juin 1714 , pour
obliger , fous les peine y contenues , tous Officiers
pourvûs d'emplois dans fa Cavalerie , de prendre
fur leurs commiffions ou brevets l'attache de Monheur
le Comte d'Evreux , Colonel Général de ce
Corps : Et étant informé du peu d'attention qu'une
partie defdits Officiers ont eue depuis plufieurs
années de fatisfaire à un devoir auffi effentiel à
la fubordination , Sa Majeft a ordonné & ordonne ,
veut & entend que , conformément auxdites Ordonnances
, les Meftres de Camp , Lieutenans-
Colonels , Majors , Capitaines & généralement
ceux qui ont été pourvûs d'autres charges dans la
Cavalerie , & qui y ont été reçus fans avoir pris
l'attache du Colonel Général , feront tenus de lui
préfenter ou lui faire préfenter dans le terme de
fix mois , leurs commiffions ou brevets , pour la
recevoir. A l'égard de ceux qui feront pourvûs
de pareilles charges à l'avenir , vent Sa Majesté
qu'ils ne puiffent y être reçus qu'après avoir pris
ladite attache , à moins que leurs ommiffions
ou Brevets ne leur fuffent envoyés dans des pays
éloignés , ou dans une armée où le Colonel Général
ne feroit pas , auquel cas feulement Sa Majefté
trouve bon qu'ils foient reçus par proviñon
dans lefdites charges , à condition que trois mois
après la féparation de l'armée , ou du retour de
leur Régiment où il aura été employé , ils fe pourvoiront
devers le CCoolloonneell GGéénnéérraall pour recevoir
fon attache , à peine d'être interdits des fonctions
des charges dans lefquelles ils auront éré reçus .
Enjoint Sa Majesté à tous Meſtre de Camp , Lieutenans-
Colonels ou Commandans d'une troupe
Cavalerie , de fe conformer & tenir la main
de
SEPTEMBRE 1746. 211
ce qui eft en cela de la volonté de Sa Majeſté , ſous
la même peine d'interdiction . MANDE & ordonne
Sa Majellé aux Directeurs & Infpe &teurs de fa Cavalerie
de marquer dans les revûes qu'ils en enverront
à l'avenir , les noms de ceux defdits Of
ficiers qui n'auront pas fatisfait à ce qui leur eft
prefcrit par la préfente Ordonnance , pour en être
rendu compte à Sa Majefté , & aux Commiffaires
ordinaires des guerres de la lire & publier à la tête
des Régimens & troupes de Cavalerie , aux premieres
revues qu'ils en feront , afin qu'aucun n'en
puiffe prétendre caufe d'ignorance . FAIT à Verfailles
le vingt- huitième jour du mois d'Août mik
fept cent quarante- fix. Signé LOUIS . & plus bas ,
M. P. DE VOYER D'ARGENSON,
132 MERCURE DE FRANCÉ.
A. MONSIEUR LE MARQUIS
DE *** en lui envoyant les Vers Juivans
, Jur Mlle. de Mareuil fa niece.
R Eçois , Marquis , quelques vers qu'a fait naître
L'aimable objet que tu m'as fait connoître .
J'avois vécu jufqn'à ce jour
Dans l'indifférence & la profe.
Quelle heureufe métamorphofe !
En moi la Poëfie eft née avec l'Amour.
Le Ciel a mis tous fes dons en Mareüil
Taille , beauté , grace ; voila pour l'eeil :
Puis pour F'oreille une voix fi touchante !
Sur Epinette une main fi brillante !
Venons à l'ame. Efprit folide & fin ,
Bon petit coeur , gayeté , douceur ; enfin
J'ai bien complets auprès de tá niéce ,
( J'ai pensé dire auprès de ma maîtreffe )
Plaifirs des fens , de l'efprit , & du coeur ,
Ét , ſauf un point , parfait eft mon bonheur ,
Mais plus parfaite encore eft ma tendreffe .
TABLE.
PIECE
IECES FUGITIVES en Vers & en Profe.
Poëme qui a remporté le Prix de l'Académie de
Rouen. 3
Vers à Madame du B ******* fur fon Poëme qui
a remporté ce Prix.
Réponse de cette Dame & Replique.
Extrait de la Séance de la même Académie .
9
10
II
Vers adreffés à une Dame , en lui envoyant une Tabatiere
dè glace , & autre Envoi. 24
Lettre & Extrait des rufes de guerre de Polien &
de Frontin .
Vers à *** .
Traduction d'une piéce en Vers Latins .
Epigrammes de M. de la Soriniere.
Ode anacréontique.
25
53
54
55
56
Lettre & réponde à une Differtation fur la Mufique.
La Métamorphofe de la Nymphe Io .
58
85
86
88
Lettre à un ami fur fon retour à Paris .
Vers à des Auteurs anonymes .
Autres à Cypris & Epitre Solitaire.
Séance publique de l'Académie Françoiſe , Extrait.
85
୨୦
Nouvelles Littéraires , des Beaux Arts . Hiftoire du
Théatre François , VIIe volume , Extrait . 99
Recueil de piéces d'Eloquence & de Poëfie , préfentées
à l'Académie des Jeux Floraux . Extrait .
104
Differtations fur les apparitions des Anges , des
Démons & des Efprits , & fur les Revenans &
Vampirs de Bohême.
La Vie de Mecenas;
/III
IIZ
Premier & deuxième tomes de l'Hiftoire du Tarif
de 1664. ibid,
Hiftoire de la Compagnie des Indes.
ibid.
De la corruption du goût dans la Mufique Françoife
. 113
Progamme de l'Académie des Sciences de Dijon
pour 1747 . 114
Séance & Progamme de celle des Belles- Lettres de
115 Montauban pour 1747.
Mots de l'Enigme & des Logogryphes d'Août. 118
Chanfon notée .
ibid.
Logogryphes.
119
127
Spectacles.
Sonnet fur les fentimens d'un Athée converti. 131
Journal de la Cour.
Inhumation de Madame la Dauphine.
Deſcription du Catafalque .
132
134
137
Te Deum chanté à l'Abbaye faint Germain des Prez,
pour la convalefcence de M. le Comte de Clermont.
Régimens donnés .
Réception de M, l'Abbé de la Ville à l'Académie .
141
144
145
Celle de M. Duclos, itid.
Bénéfices donnés . ibid.
Combat fur mer. 148
Prifes de Vaiffeaux . 151
Opérations de l'Armée du Roi ,
152
Nouvelles Etrangéres , Allemagne. 163
Italie.
167
Efpagne. 172
Grande-Bretagne, 177
Pays-Bas.
185
Naiffance , Mariage & Morts. 188
Arrrêts notables . 199
La Chanfon notée doit regarder la page 118
Fantes à corriger dans ce Livre,
PAge Age 19 ligne 9 réflections , lifez réflexions ,
Pag . 64 lig. 10 tire , iijez tord.
Pag. 66 lig. 4 du bas , & Lalande , lifez & La
bande .
Pag. 8 lig . 7 d'habiletés, liſez d'habileté ,
Pag. 69 lig. 19 s'agit , lifez s'agit point.
Pag. 78 lig. antépénultiéme , tous , lifez tout .
Pag. 73 lig. premiere , regardes , lifez regardez,
Pag. 7 lig. 2 differentes , lifex differens ,
lbid , lig. 22 de la , lifez de-là .
1
Pag. 75 lig. derniere , Ri , lifez Roi.
Pag . 76 lig. derniere , Operas , lifez Opera.
Pag. 77 lig. pénultiéme , tous , lifez toutes.
Pag. 79 lig . 8 de la main , otez la virgule.
Pag. 81 lig. 19 c'eft en vérité , fz il eſt en vérité,
Pag. 82 lig. derniere , digés , lifez redigés .
Pag. 85 lig. 12 dater , lifez dater ?
Pag. 145 lig. 15 nobleffes , lifez nobleffe,
Ibid , vrais , lifez vraie.
I
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI
OCTOBRE. 1746.
LIGIT
UT
SPARCAL
Chés
is, A PARIS ,
GUILLAUME CAVELIEN
rue S. Jacques.
La Veuve PISSOT, Quai de Conty
à la deſcente du Pont-Neuf.
JEAN DE NULLY , au Palais
M. DCC . XLVI.
Avec Approbusion &Privilége das Rak
A VIS.
'ADRESSE générale du Mercure eft
LAM. DE CLEVES D'ARNICOURT
rue du Champ-Fleuri dans la Maifon de M.
Lourdet Correcteur des Comptes au premier
étage fur le derriere entre un Perruquier & un
Serrurier à côté de l'Hôtel d'Enguien. Nous
prions très-inflamment ceux qui nous adrefferont
des Paquets par la Pofte , d'en affranchir
le port , pour nous épargner le déplaifir
de les rebuter , & à eux celui de ne
pas voir paroître leurs ouvrages.
Les Libraires des Provinces ou des Pays
Etrangers , qui fouhaiteront avoir le Mercure
de France de la premiere main , & plus prompsement
, n'auront qu'à écrire à l'adreſſe ci-deſſus
indiquée ; on fe conformera très- exactement à
leurs intentions.
Ainfi il faudra mettre ſur les adreſſes à M.
de Cleves d'Arnicourt , Commis au Mercure
de France rue du Champ¿Fleuri , pour ren
dre à M. de la Bruere,
Paix XXX. SOLL
MERCURE
DE FRANCE
DÉDIÉ AU ROI.
PIECES FUGITIVES
en Vers & en Profe.
TRADUCTION de l'Ode XIe. du
fecond Livre d'Horace ad Pofthumum.Ehen
fugaces, Pofthume , &c.
UE notre vie , hélas ! s'écoule avec
vîteffe !
Que par nos ans l'un fur l'autre entaffés
Les traits rians de l'aimable jeuneffe ,
Ami , font bien- tôt effacés !
La piété , la vertu même ,
N'arrêtent point l'ordre fuprême
A j
4 MERCURE DE FRANCE
De chacun de nos jours qui s'envole & qui fuit ,
Telle que le couchant qui précéde la nuit ,.
La vieilleffe à grands pas s'avance ,
Et de quelques inftans dévance.
L'indomptable mort qui la ſuit ,
Par la plus fervente priere ,
Par l'ençens le plus pur à la Divinité ,
Nul ne fçauroit s'ouvrir l'invincible barriere
Que le Ciel nous oppofe à l'immortalité.
C'est le terme fatal où tout homme s'arrête ;
Le pauvre y voit finir fa langueur & ſes maux
Et c'eft là qu'avec lui le plus grand des Héros
Voit expirer fa derniere conquête .,
C'est affés pour fubir ces immuables Icix ,
De jouir des trésors dont la terre eft couverte a 7
Et fuffions-nous iffus du fang des Rois ,
Il fuffit d'avoir vû la lumiere une fois ,
Pour être affuré de fa perte.
Envain nous fuyons Mars & fes terribles coups ,
Nous évitons le plomb & le fer homicide ,
Et n'ofant nous fier à l'élément perfide ,
Nous vivons à l'abri de Neptune en courroux :
Envain au feul aſpect d'une automne mortelle ,
Tout l'art de Gallien s'épuiſe fur nos corps ;
La fatale voix nous appelle ;
Il faut , malgré nos foins & nos efforts ,
Defcendre en la nuit éternelle,
OCTOBRE 3 1746.
Il faut quitter la terre , & laiffer pour jamais ,
Cherami , ces plaifirs , ces honneurs , ces richeſſes,
Ces enfans , cette épouſe & leurs tendres careffes ,
Ce fpectacle charmant dont la Nature exprès
Sémble avoir peint pour nous l'image enchantereffe
,
Et de tant de beautés fi diverſes d'attraits ,
Le feul bien que le fort nous laiffe ,
Eft d'emporter un funefte Cyprès.
supsup
TRADUCTION d'un Manuferit
Ileftun
Arabe.
Left un canton dans l'Arabie heureuſe ,
appellé le Ludiſtan , Ce pays où la Nature
femble avoir pris plaifir à déployer les
tréſors , étoit fous la domination d'un jeune
Roi , qui étoit lui -même le préfent le plus
précieux que le Ciel eût fait à ce beau cli
mat. Aux vertus héroïques qui forment
un grand Roi , il joignoit les qualités qui
forment un homme aimable ; une figure
charmante donnoit un nouvel éclat au carac
tére le plus aimable , & tous deux fe faifoient
briller mutuellement. Les peuples heureux
fous le regne d'un Roi qu'ils adoroient,
ne défiroient autre chofe que de voir le
6 MERCURE DE FRANCE
"
bonheur de leur Prince affûré par le choix
d'une épouſe & le leur par un héritier
né d'un fang fi cher à la nation ,
Quoique le Prince eut déja atteint l'âge de
dix -neuf ans , il avoit paru jufques-là plus
touché de la crainte d'un engagement , que
fenfible aux charmes qu'il peut offrir ; mais
une fi belle ame n'étoit point faite pour reſter
infenfible . L'amour n'avoit pas encore marqué
fon heure , & elle arriva enfin .
Grifdelin , c'eft le nom du Roi dont nous
parlons , avoit à ſa Cour un Ambaſſadeur
de la Fée des Cygnes, Reine puiffante dont
le Royaume étoit voifin de celui de Grifdelin.
La difcuffion de quelques interêts peu difficiles
à régler , avoit attiré cet Ambaſſadeur à la
Cour de Grifdelin , mais cet homme habile
& attentif aux intérêts de fa Souveraine,
avoit formé un projet plus important que
les inftructions dont il étoit chargé . La Fée
des Cygnes avoit une fille nommée Charmante
, & fi quelqu'un dans l'univers pouvoit
être comparé à Grifdelin , c'étoit Charmante
qui à fon tour ne pouvoit trouver
que le Prince qui fût digne d'elle . Il étoit
peu convenable d'offrir la Princeffe à Grifdelin
, & peut-être de s'expofer à un refus ;
auffi l'Ambaffadeur en demandant à ce fujet
les ordres de la Fée, lui promit-il d'amener les
chofes à un point que Grifdelin demanderoit
.
OCTOBRE 1746. 7
lui même Charmante, comme la plus grande
faveur qu'il put obtenir. L'accès qu'il avoit
auprès du Prince lui donnoit les moyens do
préparer fon efprit à ce qu'il avoit à lui dire,
& de l'amener à fon but : après avoir connu
dans plufieurs entretiens que le Prince n'étoit
pas auffi éloigné de prendre un engagement
qu'on le croyoit , un jour lui parlant des
Peintres excellens qui étoient à la Cour de
la Fée des Cygnes , il lui montra négligeamment
quelques mignatures du plus célebre
d'entr'eux. Parmi ces differens tableaux un
feul attira l'attention de Grifdelin. Dès qu'il
l'eut apperçu , il négligea tous les autres ;
fes yeux fe fixerent fur cette peinture , &
l'Ambaffadeur n'eut pas de peine à s'appercevoir
qu'elle faifoit fur lui l'impreffion la
plus vive. J'ai fouvent entendu parler , dit
Grifdelin , de la beauté de la Princeffe Charmante,
& je croirois que c'eft là fon portrait,
s'il étoit poffible que jamais on pût reffembler
à cette peinture , qui eft le chef- d'oeuvre
de l'Art & l'ouvrage de l'imagination . C'eſt
pourtant fon portrait , reprit l'Ambaffadeur,
& un portrait qui n'eft point flaté.
Le Prince ne répondit rien , & peu de
tems après fe retira , laiffant l'Ambaſſadeur
bien perfuadé que fa négociation avoit
reuffi. En effet le lendemain le Roi le fit
appeller. Je veux , dit - il , vous avouer ma
A iiij
8 MERCURE DE FRANCE.
foibleffe. Depuis que j'ai vû ce portrait , je
ne fuis plus le même ; tout ce que j'ai entendu
dire des vertus , des graces de Char-
-mante , s'eft rappellé à mon efprit . Ce que
j'avois jufques -là entendu fans intérêt , cette
peinture en fait un ſouvenir qui trouble mon
ame ; c'étoit une matiere combuftible qui
n'attendoit qu'un flambeau pour s'embrafer.
Enfin , je fens que mon bonheur dépend de
Charmante ; que je ne puis vivre heureux
fans être fon époux , & c'eſt à vous , c'eſt à
vos foins que j'ai recours pour l'obtenir. Je
veux faire partir une Ambaffade confidérable
pour la Cour de la Fée des Cygnes.
Retournez avec mes Ambaſſadeurs ; appuyez
leur demande , je vous devrai le bonheur de
ma vie.
L'Ambaffadeur au comble de fes voeux , ne
cacha point à Grifdelin les ordres qu'il avoit
reçus, & lui avoua que cette union qu'il défiroit
avec tant d'ardeur, n'étoit pas moins précieuſe
pour la Fée des Cygnes . S'il eſt ainſi,
dit le Prince , partons au plûtôt pour aller
trouver Charmante, pour mettre ma couronne
& mon coeur à fes pieds. Les apprêts du
départ furent ordonnés avec l'impatience
de l'amour ; & trois jours après , le Prince
menant avec lui l'Ambaſſadeur , & fuivi d'un
cortege digne d'un Roi puiffant , partit pour
la Cour des Cygnes , rempli des eſpérances
es plus flatteufes .
OCTOBRE 1746 .
"
Pendant qu'il fe croyoit être sûr du fort le
plus heureux , Rorage le plus funefte ſe préparoit
contre lui .
Ifmenor , Magicien puiffant , & Roi de
de l'Ifle des Lions , avoit une fille nommée
Riquette , cette créature haute de trois pieds
& demi , borgne & boiteufe , avoit plûtôt
l'air d'un démon que d'une fille ; mais tels
font les droits de la Nature , qu'elle étoit
auffi chere à fon pere , que Charmante pouvoit
l'être à la Fée des Cygnes ; elle étoit
devenue amoureuſe de Grifdelin fur un
portrait qu'elle avoit vû de ce Prince ; &
fon pere qui ne fçavoit rien lui refufer ,
alloit envoyer des Ambaffadeurs pour propofer
à Grifdelin ce vilain mariage , lorfqu'il
apprit que le Prince étoit parti pour
FIle des Cygnes. Le défefpoir de Riquette
ne fe peut exprimer , & le Magicien touché
de la douleur de fa fille , entra en fureur contre
Grifdelin ', comme fi ce Prince l'eût of
fenfé de la maniere la plus cruelle ; il jura
de fe venger , & exhortant fa fille à fe calmer
& à preudre de meilleures efpérances ,
il lui promit de travailler de toute fa puiffance
à faire fon bonheur. En effet , il partit
le lendemain à la pointe du jour , fuivi d'un
feul Palefrenier nommé Rabot : il étoit horriblement
contrefait & hideux à voir ; ce
fut là le fujet qu'il choifit pour fervir la ven-
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
geance, & avec lequel il fe rendit à une forêt
par où il falloit néceffairement que le Prince
Grifdelin pafsât . Il l'attendit fur le chemin , &
pendant ce tems - là n'oublia pas de fe fervir
de fon art magique , & de faire les conjurations
néceffaires pour exécuter ſon deffein.
Quand il entendit approcher la caravane
de Grifdelin, il tira de fa poche un mouchoir
enchanté , qui avoit la vertu de rendre
invifibles ceux qui le touchoient ; il en donna
un bout à tenir à Rabot , & tint l'autre
dans fa main; alors il fe mêle en aſſurance avec
la caravane ,& eft bien furpris de n'y pas trouver
Grifdelin ; le Prince s'étoit arrêté avec
quelques-uns de fes gens à une fontaine , &
avoit ordonné au refte de fa fuite de prendre
les devans . La fraîcheur de l'eau & la fatigue
l'avoient endormi, & il repefoit à l'ombre
d'un palmier. Ifmenor l'apperçut, & étant·
toujours invifible, il le toucha de fa baguette
pour augmenter fon fommeil , & par la vertu
de la même baguette il endormit le petit
nombre de Gardes qui étoient auprès du
Prince , enfuite il lui ôta tous fes habits , &
ayant fait auffi dépouiller Rabot , il mit les
habits du Palefrenier à Grifdelin , & à Rabot
ceux du Prince, puis fans perdre de tems , il
toucha Rabot de fa baguette , en difant :
va , & deviens en tout femblable à Grifdelin
juſqu'au moment où tu auras époufé la fille
de la Reine des Cygnes. En effet , il l'enOCTOBRE
1746. II
chanta de façon, qu'il prit entierement la ref
femblance du malheureux Prince ; & le charme
étoit fi fort, qu'il crut lui-même l'être ,mais
heureuſement le Magicien n'eut pas le pou
voir de faire paffer auffi la belle ame de Grifdelin
dans le corps de Rabot . Quand cette
opération fut faite , Imenor toucha le Prinee
de fa baguette pour le réveiller. Quelle
fut fa furprife , lorfqu'en fe levant il appercut
fes habits fur un autre lui- même , & qu'il
fe vit vêtu des plus vilains haillons. Il fe frotta
les yeux , croyant rêver , mais le Magicien
le prenant par les cheveux , fans lui rien
dire , l'enleva & lemporta dans une nuée à
la porte de l'appartement de la Princeffe
Riquette. Pendant ce tems- là Rabot avoit
monté fur le cheval du Prince & rejoignoit
la caravane avec la fuite du Prince qui s'étoit
réveillée dès que le Magicien avoît difparu.
Chacun le prit pour le vrai Griſdelin.
D'abord qu'il fut arrivé , il dit : J'ai faim ,'
qu'on me donne à manger. Son premier
Maître d'Hôtel lui répondit : Sire , le fouper
de Votre Majefté n'eft pas commencé , & les
tentes ne font pas même encore dreffées. Taifez-
vous , lui dit le faux Prince , vous êtes un
fot ; il n'y a qu'à me faire griller une cuiffe
de cheval. En même tems il égorge lui-même
un des plus beaux chevaux de fa troupe , &
A v
12 MERCURE DE FRANCE.
en ayant dépecé une cuiffe , ordonne qu'on
la faffe cuire fur le champ , & qu'on la lui
ferve. Dès que cela fut fait , il fe mit à table ,
& mangea la cuiffe de cheval , en difant :
Je n'en ai jamais mangé de fi bon : je
veux que mes Courtifans en mangent , &
qu'on ne faffe point d'autre fouper pour ma
fuite ; il n'y a qu'à tuer encore trois ou quatre
chevaux , afin que chacun en ait abondamment.
La raiſon de ce goût pour la chair
de cheval , c'eft que dans le Pays des Lions
où Rabot étoit Palefrenier du Roi , comme
on fe fervoit de lions en guife de chevaux,
les chevaux fervoient comme les boeufs au
labourage & à la nourriture des habitans , ils
paffoient même pour un excellent manger ;
c'eft pourquoi Rabot fut bien-aife d'en manger
à fon appetit. Le lendemain il ne mangea
pas autre chofe , & en fit nourrir auffi
toute fa fuite. Enfin quand on arriva à la
Cour de la Reine des Cygnes , il avoit au
moins une trentaine tant de Courtisans que
de Pages à pied , & lui- même fit fon entrée
dans la Ville à pied , parce qu'il venoit de
manger ce jour- là le beau cheval bleu &
blanc fur lequel le Prince étoit monté. On
lui en offrit bien un autre , mais il dit que
ce n'étoit pas la peine pour fi peu de tems ,
& qu'il feroit bien une journée à pied . Auffitôt
toute la Cour mit pied à terre , & chasun
marcha tenant fon cheval par la bride,
OCTOBRE 1746. 13
Les Courtifans de Grifdelin ne revenoient
point de l'étonnement que leur caufoit la
conduite de celui qu'ils croyoient leur Prince,
car perfonne ne doutoit que ce ne fût lui,
& à dire vrai , il lui reffembloit fi parfaitement
, qu'on ne pouvoit pas ne s'y pas tromper.
Les uns difoient : Qu'est - il donc arrivé
à notre Prince ? eft-ce qu'il eft devenu fou ?
D'autres : c'eft l'amour qu'il a pour Charmante
qui lui a tourné la tête . D'autres enfin,
& c'étoient les plus fenfés, difoient qu'il
falloit que quelqu'un l'eût enforcelé. Mais
quelle que fut la caufe de fon changement, il
n'en étoit pas moinsvrai ni moins fâcheux , &
toute la Cour en étoit au défefpoir. Quand
il arriva au-deffous du balcon où étoit la
Reine , la Princeffe & toutes les Dames de
la Cour , 11 demanda : Où eft la Reine ?
On la lui montra ; & en s'approchant d'elle ,
il lui dit : Madame , vous êtes peut- être étonnée
de me voir arriver à pied , mais c'eſt
qu'en chemin faifant j'ai eu faim & j'ai mangé
mon cheval ; cela n'empêche pas que je ne
fois un grand Prince , & que je ne devienne
votre gendre. Enfuite il demanda : Où eft
Charmante La Reine lui dit : Seigneur ,
Vous avez fon portrait , & il faut qu'il ait
fait bien peu d'impreffion fur vous, fi vous
ne la reconnoiffez pas. Je ne me fouviens
pas d'avoir fon portrait , répondit Rabot ,
14 MERCURE DE FRANCE.
mais je m'en vais voir s'il eft dans ma poche
, pour voir fi je la trouverai bien après
tout feul. Tous les Seigneurs & les Dames de
la Cour de la Reine fe regardoient , & ne
fçavoient que penfer d'un début fi extraordinaire
& fi peu conforme à l'idée que l'Ambaffadeur
leur avoit donné du Prince. Rabot
fouilla dans fes poches , & les renverfa
toutes l'une après l'autre , fans y trouver
le portrait de la Princefle , qui rougifloit &
trouvoit le procédé de fon amant fort extraordinaire.
Il fallut qu'on montrât Charmante
au faux Prince , qui s'en approcha ,
& lui fit ce compliment : Je ne fçai pas ce
que votre mere veut dire avec votre portrait,
je ne l'ai jamais eu & voilà la premiere
fois que je vous vois ; mais je vous trouve
très-belle , & je ne demande pas mieux que
de vous époufer quand vous voudrez : en
attendant , je m'en vais me repofer , car je
fuis las d'avoir marché à pied toute la journée
. En difant cela , il entra fans façon dans
le Palais , & on le conduifit à l'appartement
qu'on lui avoit préparé , où il fe jetta ſur un
fit , & fe mit à ronfler fi fort , qu'on l'entendoit
de l'autre bout de la Ville. Pendant ce
tems-là la Fée & fa fille étoient dans la derniere
furpriſe des manieres groffieres & impertinentes
d'un homme qu'on leur avoit dé
peint extrêmement aimab e.La pauvre CharOCTOBRE
1746.
mante fur-tout étoit inconfolable . Elle avoit
depuis quinze jours le portrait de Grifdelin ,
& fa figure lui avoit beaucoup plû ; cela joint
à tous les biens que l'Ambafladeur en avoit
écrit , avoit fait impreffion fur elle , & elle
étoit très- tendrement prévenue pour lui ,
quand fon imbécille reffemblance arriva . Elle
le trouva bien ftupide & bien groffier ; mais:
ce qui la fachoit le plus, e'eft qu'il ne lui paroiffoit
point du tout amoureux d'elle, ce qui
choquoit également fa vanité & fa fenfibilité,
deux points bien effentiels chés une jeune
beauté. La Reine Fée ne fçavoit non plus que
penfer, quand le grandChambellan deGrifdelin
vint latrouver, & lui fit demander une audience
en particulier. Elle la lui accorda, &
le fit paffer dans fon cabinet . Alors il lui dit,
avec les marques de la plus fincere douleur,
qu'il étoit auffi étonné qu'elle des procédés
du Prince , que depuis quatre jours il ne le
reconnoifoit pas , qu'il fembloit être devenu
fou & hebêté ; il lui raconta comment
il avoit eu la fantaifie de manger des chevaux
, & qu'il les avoit tous obligés de s'en
nourrir , fantaifie qu'il ne pouvoit attribuer
qu'à une fubite aliénation d'efprit. A l'égard
de la Princeffe Charmante , je fçai , dit-il , à
n'eu pouvoir douter, que le Prince mon Maî
tre en eft devenu paffionnément amoureux
dès le premier inftant qu'il a vû fon portrait;
16 MERCURE DE FRANCE,
cependant aujourd'hui il foutient qu'il ne
l'a jamais vûe , & réellement le portrait ne
fe trouve pas fur lui. Je vous avouerai , Madame
, que la bizarrerie de cette avanture,
me paroît incompréhenfible. Ce récit fit
penfer à la Fée qu'il y avoit là quelque chofe
d'extraordinaire ; & pour s'en éclaircir, après
avoir congédié le Chambellan , & l'avoir remercié
de fes avis , elle alla confulter le miroir
de la verité . C'étoit un miroir enchanté
que la Fée avoit fait, & dans lequel on voyoit
les évenemens & les figures qu'on fouhaitoit
de voir , & tout cela dans la plus exacte vérité
& reffemblance. La Reine fouhaita de
voir le Prince tel qu'il étoit réellement ; alors
elle le vit , non pas ronflant fur un lit comme
le faux Prince , mais enfermé chés Ifmenor
dans une tour inacceffible , couvert de
haillons dégoutans , & baifant le portrait
de Charmante qu'il avoit au bras , & qu'il
baignoit de fes larmes. Le Prince l'avoit
toujours porté à fon bras , & le Magicien
en le déshabillant , ne l'avoit pas apperçu , .
& le lui avoit laiffé , ce qui faifoit que Kabot
auroit bien retourné toutes les poches
de l'univers fans l'y trouver. La Reine fut
attendrie de l'état où elle vit Grifdelin ; elle
courut chercher fa fille pour la rendre
témoin du même ſpectacle. On ne fçauroit
être plus touchée que le fut Charmante à
cette vûe,fur-tout lorſqu'en continuant de reOCTOBRE
1746. 17
garder dans le miroir qui leur repréfentoit la
tour inacceffible, elles virent tout à coup ouvrir
la porte de cette priſon affreuſe où entra
Riquette qui parut parler tendrement au
Prince ; elles ne purent entendre ce qu'elle
lui difoit ni ce que Grifdelin lui répondoit ,
mais elles en jugerent par les geftes de
Grifdelin , qui mit fa main devant fon viſage
comme pour ne pas voir Riquette, auffi bien
que par le défefpoir de l'amoureufe Riquette
qui fortit le vifage plus rouge qu'un
brazier ardent , & dans l'inftant quatre boureaux
arriverent & battirent cruellement le
Prince , qui fouffrit leurs cruautés avec un
vifage ferein , & où étoit peint tout l'amour
qu'il reffentoit pour Charmante.
Charmante à cette vue fit un cri perçant ,
& il lui fembla dans ce moment avoir
éprouvé tous les maux qu'elle avoit vû faire
à fon amant. Elle s'évanouit , mais la Fée
fa mere la fit bien tôt revenir & l'appaila
un peu en lui promettant de la venger elle
& fon amant , & de les unir tous deux comme
ils le fouhaitoient. Charmante étoit dans
une fituation d'efprit bien peu tranquille .
Elle voyoit fon amant fouffrir des maux
cruels , mais c'étoit pour elle qu'il les fouffroit
, & toutes fes fouffrances étoient autant
de gages de fon amour ; qu'elle circonf
tance pour un coeur fenfible ! Mais il ne fal
18 MERCURE DE FRANCE.
loit
pas s'en tenir à de foibles plaintes , il
falloit agir & fecourir le Prince : d'abord
elles voulurent voir dans le miroir de la vérité
le fujet de la reflemblance qui les avoit
trompées , elles n'eurent pas plutôt fouhaité
, qu'elles virent Rabot tel qu'il étoit
réellement , c'eft à dire un Pallefrenier horrible
& dégoutant. Il n'en fallut pas d'avantage
à la Fée pour éclaircir toute la noirceur
d'Ifmenor ; fur le champ elle prit la
réfolution d'aller délivrer le Prince , elle
communiqua fes projets à Charmante qui
ne manqua pas de les approuver. Ma fille ,
lui dit-elle , je pars pour une avanture bien
difficile , car le Magicien à qui j'ai affaire
eft plus puiffant que moi , & ce n'eſt que
par rufe que je puis réuffir , mais n'importe
, il s'agit de vous venger & de fervir ce
que vous aimez ; je ferme les yeux
fur le peril & je ne vois plus que ce qu'exige
mon extrême tendreffe pour vous.
Adieu ; ma fille , efforcez vous de bien traiter
le faux Grifdelin , donnez lui tous les jours
de nouvelles fêtes , & prenez bien garde
que perfonne ne puiffe foupçonner la moindre
partie de ce que nous fçavons ; s'il fonge
à vous demander ce que je fuis devenue
vous lui direz que je fuis partie pour aller
vifiter les frontiéres de mon Royaume parce
que je veux lui céder ma Couronne en
OCTOBRE 1746. 19.
vous le donnant pour époux & qu'il faut
préparer à ce changement de domination
des peuples qui n'ont jamais obéi à un
étranger. Aprés ce peu de paroles elle s'éleva
en l'air & envelopée d'un nuage qui .
la déroboit à tous les yeux elle vola droit
chés Ifmenor ; quand elle fut au- deffus de
la tour ou Griſdelin étoit prifonnier , elle s'arrêta
& voulut y entrer , mais il fembloit que
l'air la repouffat toujours dès qu'elle vouloit y
deſcendre ; étonnée elle fe pofe au pied de
la tour ; elle a recours à fon art , & tout fon
fçavoir , ne peut lui apprendre autre choſe
fi non que cette tour eft enchantée & que
la puiffance du Magicien eft fi forte qu'on
ne peut rompre aucun de fes charmes ni entreprendre
rien contre lui à moins d'avoir
une pierre de l'Anneau de Gygés qu'il garde
foigneufement , dont la vertu eft telle que
tous les enchantemens font fans force contre
ceux qui la poffedent ; mais comment avoir
cette précieuſe pierre dont apparemment
Ifmenor n'ignoroit pas le prix ? de quelle
rufe fe fervir pour la dérober ? l'extrême
envie de fervir fa fille lui en fuggera une.
& elle ne tarda pas à l'employer ; elle écri-.
vit un billet par lequel elle avertiffoit Grif
delin de l'envie qu'elle avoit de le favorifer
& de tout ce qu'il falloit faire pour réuffir ,
enfuite elle fe changea en hirondelle & ſe
20 MERCURE DE FRANCE
mit à voler autour de la fenêtre de la tour ,
ayant le billet dans fon bec , & attendant que
le Prince fe montrât pour le lui donner; il pa
rut bien-tôt à la fenêtre ; l'hirondelle Fée
vola auprès de lui & lui preſentoit le billet ,
mais il étoit fi occupé de charmante & de
fon portrait qu'il fut près d'une heure fans
l'appercevoir , enfin il la vit & furpris de
fe voir apporter une lettre par un oiſeau ,
& plus furpris encore de voir qu'il paroiſfoit
s'attendrir fur fes malheurs , il tendit
la main & tira à lui le billet , qu'il lut à la
hâte & où il trouva ce qui fuit . On veut
vous fervir , charmant Grifdelin , & l'hirondelle
qui vous rend cette lettre eft la Fée
Reine des Cygnes , mere de Charmante ;
Charmante fçait vos malheurs , elle
y eft
fenfible & vous aime autant que vous l'aimez
. Charmante m'aime , s'écria le Prince ;
eft-il vrai fécourable hirondelle ? puis fe fouvenant
qu'il parloit à la Reine , Madame ,
lui dit- il , pardonnez ce tranfport à mon
amour & fouffrez que je vous demande encore
des affûrances de mon bonheur. L'hirondelle
ne pouvoit rien répondre , & Gril- `
delin après avoir baifé cet endroit du billet
où on l'affûroit du coeur de Charmante , fe
remit à lire le refte où on lui expliquoit toute
l'hiftoire de Rabor , & où on lui donnoit avis
que le pouvoir de laFée n'étant pas auffi grand
OCTOBRE 1746. 21
que celui du Magicien , il falloit avoir
recours à la rufe pour avoir de lui une
pierre de l'Anneau de Gygés qui avoit la
vertu de rompre tous les enchantemens; que
pour cela il n'avoit qu'à faire femblant de
confentir à époufer Riquette & lui dire
qu'il l'aimeroit fi elle pouvoit prendre au
Roi fon pere cette pierre fatale & la lui
donner. Grifdelin dit à la Fée qu'il ne manqueroit
pas à ce qu'elle lui, prefcrivoit , &
dès le lendemain quand Riquette vint le
voir il la reçut beaucoup mieux qu'à l'ordinaire
, & lui dit qu'il avoit eu pendant la
nuit un rêve mystérieux dans lequel il avoit
vû Charmante qui fe moquoit de lui entre
les bras d'un autre ; il ajouta que dans
fon rêve une Fée lui avoit dit que s'il vouloit
le détacher de Charmante & s'attacher
à la fille d'Ifmenor , il falloit qu'il eut en
fa poffeffion une certaine pierre de l'Anneau
de Gygés , qu'Ifmenor avoit , qu'infailliblement
cette pierre le rendroit pour
toujours amoureux de la Princeffe Riquette
; fur cela le petit monftre fe mit à pleurer
de joie , elle embraffa plus de trente
fois Grifdelin , ce qui ne fut pas fans lui
cracher au vifage ; il étoit au délef
poir , il auroit mieux aimé les coups de
baton qu'on lui donnoit ordinairement , que
de pareilles careffes , mais il falloit fe con22
MERCURE DE FRANCE.
traindre & il fit fi bien que Riquette en
fut la dupe . Elle fortit d'avec lui enchantée
des efpérances qu'il lui avoit données &
lui promit de lui donner la pierre en queftion
. Sur le champ elle alla trouver le Roi
fon pere , & lui conta fa bonne fortune ,
puis fe jettant tout d'un coup à fes pieds elle
lui demanda la pierre de l'Anneau de Gygés ;
cette propofition furprit Ifmenor & lui donna
beaucoup à penfer , mais comme c'étoit
T'homme le plus fin & le plus diffimulé de
fon tems , il cacha aifément fon trouble à fa
fille & la renvoya en lui difant , allez ma
chere Riquette , comptez que je n'aime rien
plus que de vous faire plaifir ; je vais chercher
la pierre que vous me demandez & je
vous la donnerai : fur le champ il s'enferma
dans fon cabinet , & après avoir jetté les of
felets & fait plufieurs autres opérations
magiques, il connut par laforce de fon art que
la Fée fon ennemie étoit dans fon Palais,il découvrit
tout fon projet & réfolut de fevenger ;
pour cela il prit une pierre qui avoit la vertu
de petrifier tous ceux qui la touchoient ;
il la mit dans une boëte & fit appeller la
Princeffe fa fille ; elle fe rendit aux ordres
de fon pere , qui en lui remettant la boëte
entre les mures, lui dit , donnez la telle qu'elle
eft à votre amant & gardez vous bien de
T'ouvrir par ce qu'elle perdroit toute fa ver
OCTOBRE 1746. 23
tu ; fur le champ Riquette vole à la prifon
& Ifmenor tenant fon mouchoir enchanté
la fuit invifiblement ; il entre dans la prifon
& voit au pied de la Tour la Reine des
Cygnes qui attendoit dans fa forme natu
relle la pierre que Grifdelin devoit lui jetter
par la fenêtre , en effet à peine le Prin
ce eut-il la boëte que Riquette lui donna
avec mille careffes , qu'il s'approcha fans fai
re femblant de rien de la fenêtre & jetta
la boëte , dès que la Fée l'apperçut , elle
s'en faifit & l'ouvrit promptement pour
prendre la pierre , mais à peine l'eut- elle
touchée qu'elle fe fentit devenir pierre elle
même ; elle veut parler , la voix lui manque
, & à peine elle peut proferer ces
mots , nous fommes trompés ; oui vous l'êtes
, s'écria en fe montrant Ifmenor , avec
une voix terrible , & vous allez être punis
de votre perfidie ; regarde malheureux , ditil
au Prince , en le trainant à la fenêtre ; regarde
l'état ou eft ta miferable protectrice
& envole toi fi tu veux par cette fenêtre ;
car tu feras Perroquet bleu jufqu'à ce que
-Charmante t'ait écrasé la tête . A ces mots
Grifdelin fe regarde & ne voit plus en lui
qu'un oifeau ; plein de rage il s'envole &
fe hâte d'abandonner des lieux confacrés à
l'horreur des plus grandes cruautés , auffitôt
le Roi fit porter dans fa chambre la
24 MERCURE DE FRANCE.
Princeffe fa fille , que la frayeur avoit fait
évanouir & il monta dans un char trainé
par fix Dragons volans & fe rendit en
moins de fix minutes à la Ville ou étoit
Charmante ; dès qu'il y fut arrivé il voulut
faire fentir à tous fes habitans le poids de
fa colere & il les petrifia tous ; chacun devint
pierre & refta dans l'attitude où il étoit.
Rabot & la fuite Grifdelin ne furent point
épargnés ; il n'y eut que la Princeffe qu'Ifmenor
réfervoit à un plus grand fupplice ; il la
prit par les cheveux & la mit à côté de lui
dans fon char volant qu'il conduifit droit
à la forêt des merveilles , quand il y fut
arrivé il mit pied à terre & prononça l'arrêt
de la malheureufe Charmante , avec une
voix terrible , en lui difant , j'ai puni ta mere
qui avoit eu la témérité de vouloir me furprendre
dans mon propre Palais , j'ai changé
ton amant en Perroquet & je vais te métamorphofer
en arbre ; je te laiffe la mémoire
& la réflexion pour augmenter ton
fupplice & tu demeureras fous la forme que
je vais te donner jufqu'à ce que tu ais écrafé
la tête de ton amant ; achevant ces paroles
il la toucha de fa baguette , & Charmante
ne fut plus qu'un arbre ; c'eft ainfi
que le méchant Ifmenor affouvit fa rage fur
les perfonnes du monde , qui méritoient le
plus d'être heureuſes.
La faite pour le prochain Mercure. TRAD,
OCTOBRE 1746. 25
SAPSAPSPSAPSAPSAP SAPSAPI
TRADUCTION de l'Ode XIII. du
fecond Livre. d'Horace , ad Groſphum
Otium divos rogat inpatenti , &c.
Ui , le premier des biens qu'ici bas l'on defire
Ami , c'eft la tranquillité :
Peu content de fon fort & toujours agité ,
Elle eft l'unique but où tout mortel aſpire .
Que demande au milieu des flots
Ce Marchand qui conçoit un malheureux préfage
Quand la Lune fe cache en un fombre nuage ,
Ou que le Ciel s'obfcurçit fous les eaux ,
Si ce n'eft le repos ?
Et ce Guerrier qui met fa fortune en fes armes ,
Dans le fein des allarmes ,
Où tendent tous fes voeux ?
C'eft à pouvoir un jour goûter les charmes
De ce loifir heureux .
Mais cet état fuprême ,
Cette tranquille paix ,
Les tréfors, les honneurs , le rang , l'Empire même,
Ne la donnent jamais :
Ne la cherchez donc point dans ces vaftes Palais
Dont l'Art & la Nature
B
MERCURE DE FRANCE
Ordonnent à l'envi la ſuperbe ſtructure ,
C'est là qu'elle habite le moins ;
Plus ils font grands , & plus ils renferment de foins,
L'homme qui vit du fimple néceſſaire ,
Et fatisfait du bien qu'il tienr de fes ayeux ,
Sans crainte , fans remords , fans importune affaire,
Et fans défirs ambitieux ,
Après avoir joui du jour pur qui l'eclaire ,
Un paifible fommeil vient lui fermer les yeux.
Pourquoi courir de contrée en contrée ,
Sous un nouveau Soleil chercher de nouveaux
biens ,
Et comme des bannis , abandonner les fiens ,
Quand notre vie hélas ! a fi peu de durée ?
Est- ce pour éviter le chagrin qui nous ſuit ?
Avec nous aux champs , à la Ville ,
Il feleve le jour & fe couche la nuit ;
Le vent eft moins leger , le cerfeft moins agile ;
Il s'embarque , il paffe les mers ,
Sur un cheval il fend les airs ,
!
Et toujours en nous-même il trouve ſon azile.
Que notre esprit jouiſſant du préſent
Laiffe un avenir qui l'afflige ;
Et que par la gayté , notre raifon corrige
Les amertumes d'un inftant ,
Dans les malheurs elle doit nous apprendre
OCTOBRE 1746. 27
A ne nous point laiffer pouffer à bout ;
Que l'homme peut tout entreprendre ,
Mais ne peut être heureux en tout .
Un fort prématuré fit la gloire d'Achilles ;
Une vieilleffe lente & des ans inutiles
Firent la honte de Tithon .
A chacun de nous deux le Ciel a fait un don ;
Mais mon partage eft different du vôtre ,
Et ce qu'il donne à l'un , il le refufe à l'auere.
D'une prodigue main
Il verſe fur vous fes largeſſes :
Vous avez d'immenſes richeſſes ,
Et moi je n'ai qu'un modique terrain ,
Mais avec les neuf foeurs l'agréable commerce
Me rend peut-être encor plus fortuné que vous
Quand mon efprit s'exerce
A méprifer les traits d'un vulgaire jaloux,
Bit
28 MERCURE DE FRANCE,
Q:IbbQ&A: ITTILLIT
SUITE de la Séance publique de l'Asademie
de Rouen. M. de Premagny Sécretaire
pour les Belles Lettres ,
avant que de
faire la lecture du Poëme qui a remporté le
prix , lut un difcours dont voici l'extrait.
MESSIEURS
La libéralité de notre illuftre Protecteur
2 excité l'émulation des Poëtes. Le défir d'acquerir
la gloire attachée aux fuccès , a fait
entrer en lice plufieurs concurrens. Tous
afpirent à la recompenfe; teus fe flatent en fecret
de voirbientôt leur tête ornée du laurier
dont une main génereufe s'aprête à couronner
le vainqueur, Il n'eft rien de fi naturel
que de fe croire du talent , rien de fi louable
que de s'éforcer à perfe tionner ceux que
l'on a reçus , & l'on ne peut fe difpenfer
d'applaudir aux plus foibles effais , mais lą
modeftie & la docilité doivent rectifier
leurs défauts , temperer leur vivacité , & les
arrêter même au befoin dans leur courſe ,
lorfque l'on n'y peut appercevoir que
témerité
& qu'indifference . C'eſt la réflexion
que devraient faire ceux qui fe laiffent enOCTOBRE
1746 .. 29
traîner par les charmes de la Poëfie . On
n'eft point Poëte feulement , parce qu'on
croit l'être ; il ne faut pas moins qu'un fuffrage
univerfel pour mériter ce nom , & la
médiocrité en ce genre approche fi fort de
l'obfcurité méprifable , que l'on a fouvent
décidé qu'il n'étoit plus de rangs au Parnafe
au- deffous des premiers , ni de milieu entre
le fommet de la montagne , & la fange des
environs.
Auffi fevere dans fes loix que la Morale ,
la Poëfie n'admet rien de facile , comme
celle -là n'admet rien d'indifferent : Elle eſt ,
dit un Auteur célebre , de tous les Arts le
plus parfait , car la perfection des autres
Arts eft bornée , celle de la Poëfie ne l'eft
point. Pour faire un Poëte il faut un génie
extraordinaire , un grand naturel , un efprit
jufte , fertile , pénetrant , folide , une intelligence
droite & pure , une imagination nette
& agréable ; cette élévation de génie qui
ne dépend ni de l'Art , ni de l'étude , &
qui eft un don purement du Ciel , doit être
foutenue d'un grand fens & d'une grande
vivacité. Il faut du jugement pour penfer
fagement les chofes ; il faut de la vivacité
pour les exprimer avec cette grace & cette
abondance qui en font la beauté, mais comme
le jugement fans génie eft froid & languiffant
, le génie fans jugement eft fujet à
B iij
90 MERCURE DE FRANCE.
s'égarer ; enfin , pour faire un Poëte accom
pli il faut un tempéramment d'efprit & d'i
magination , de force & de douceur , de pénétration
& de délicateffe ; il faut , dit Hosace
, quelque chofe de divin dans l'efprit .
Heureux ceux que laNature a favorifés de
ces dons ! plus heureux ceux qui les poffedant
tous ont le courage de réprimer les
faillies de leur imagination , & les fentimens
de l'amour propre ! C'eft principalement en
fait de Poefie que le mérite modeſte eſt
auffi le plus réel & le plus éminent. Rien
ordinairement n'eft plus admiré que l'ouvrage
d'un homme également refervé & judicieux ,
qui a fçu ſe défier de fes propres forces , &
recevoir avec docilité , & diftinguer avec efprit
les confeils d'une faine critique ; avec
ces fecours il travaille fans préfomption &
fans timidité, il corrige fans rélâche , & bientôt
devenu uniquement fenfible à ce vrai
beau que la Nature & 1 Art forment d'intelligence
, il mérite l'admiration & les éloges
de fon fiécle , & s'affûre les fuffrages de la
pofterité.
Le fujet indiqué par l'Académie pour le
premier Prix en faveur des Belles -Lettres ,
a été un jufte tribut de reconnoiffance envers
fon illuftre Mecene , heureuſe fi elle eut
pû confier ce dépôt en des mains également
apables de le faire fructifier ! Elle a vû par
CTOBRE 1746. 31
expérience que le fentiment n'eſt pas toujours
foutenu par l'expreffion , qui eft la partie
effentielle de la Poëfre. Le premier n'a
point échapé aux efforts des afpirans . La vérité
d'un éloge où la flaterie & l'exageration
n'étoient point néceffaires pour le rendre
brillant , s'eft prefentée fans peine à leur
efprit. Tous ont faifi l'objet , tous ont eu
des fentimens , tous ont pris la vérité pour
guide ; mais la vérité elle -même , quand elle
emprunte le langage divin de la Poëfie , ne
peut plus paroître avec cette fimplicité re
butante. Ses images doivent être embellies ,
fes graces plus vives & plus animées , fon
expérience plus noble & plus fublime ; c'eſt
à ces traits que l'on reconnoît le Poëte : c'eſt
far ces principes que nous avons tâché d'appuyer
notre jugement , en évitant égale
ment l'excès de févérité & d'indulgence.
C'eft ce que vous allez décider vous mêmes ,
Meffieurs , à la lecture du Poëme auquel
nous avons adjugé le prix.
Après la lecture de la pièce , le prix fut
reclamé au nom de Madame du Bocage de
Rouen par M. Duperon fon beau frere, Confeiller
au Parlement,
Comme la Séance avoit déja duré fort
long-tems , on ne lût que le titre de deux
Mémoires qui avoient été deftinés pour cette
même Séance ,
B iiij
$2 MERCURE DE FRANCE.
Le premier étoit fur une pétrification fin
guliere trouvée dans la vallée de Boudeville
prés de Rouen , avec des conjectures fur
les cauſes de cette pétrification par M. Guerin.
Le fecond Mémoire contenoit une nouvelle
explication des phénomenes de la Larme
Batavique avec une application des mêmes
principes à la trempe de l'acier , & aux
fermentations , par M. le Cat.
On annonça à la fin de la Séance pour
l'année 1747 le fujet du Prix fondé par M.
le Duc de Luxembourg , Gouverneur de la
Province de Normandie , & Protecteur de
l'Académie ; ce fujet eſt le principe de l'afcenfion
des liqueurs dans les tuyaux capilaires
, & fon application à divers phénomenes
qui en dépendent.
w
33
כ כ
On a jugé à propos d'annoncer auffi le
fujet du prix de l'année 1748 , afin de donner
plus de tems aux Auteurs des Mémoires
de faire les recherches néceffaires . » Voici le
fujet, Quelle étoit la fituation Topographique
de la Neuftrie , fes bornes , fes
- villes, fes ports , fes places fortes , & leurs
» noms , lorfque les Normands , après plufieursincurfions
dans le Royaume , ſe fixe-
» rent dans cette Province.
29
20. Par rapport à la Religion , s'il n'y
retoit pas quelques traces du Paganiſme ,
OCTOBRE 1746. 33
39
20
33
22
20
33
des Temples des faux Dieux , & des céremonies
qui tinffent du culte des. Gaulois
& des Romains.
30. Si les habitans de la Neuftrie n'avoient
pour lors rien de different du reſte
de la France dans leurs Loix , dans leurs
ulages , & dans la forme de leurs juge-
» ment.
» 40. Quel étoit pour lors l'état des Scien-
» ces , & quels étoient les hommes les plus
célebres dans le facré , le civil , le militaire
& les Lettres .
30
Les Mémoires fur ce point d'Hiftoire feront
écrits en Latin & en François , & ſeront
d'environ une heure de lecture ; on prie
ceux qui compoſeront , de citer à la marge
de leur Mémoire le nom des Auteurs , & la
page de leurs écrits , d'où les faits allegués feront
tirés.
Le prix qui eft alternatif entre les Sciences
& les Belles Lettres, eft une Médaille d'or
de la valeur de trois cent livres. Les piéces
feront admifes au concours jufqu'au premier
d'Avril 1747 , pour le prix du fujet de Phyfique
, & jufqu'au premier du même mois de
l'année 1748 , pour le prix du fujet de l'hiftoire.
Les Mémoires pour la Phyſique feront addreffés
à M. Guerin Sécretaire pour les Sciences
rue S. Romain chés M. de la Roche Doc-
By
34 MERCURE DE FRANCE.
•
.
teur en Médecine; & les Mémoires pour l'Hiftoire
feront adreffés à M. de Premagny Secretaire
pour les Belles-Lettres au College
du Pape rue S. Nicolas .
Les Auteurs mettront à leurs Mémoires
une marque diftinctive , comme ſentence ,
devife ou fignature , laquelle fera couverte ,
& ne fera dévelopée qu'en cas que la piéce
foit jugée la meilleure .
Ils auront attention d'adreffer leurs Mémoires
fans nom d'Auteur , & affranchis de
port. Le prix fera délivré , ou à l'Auteur
même , ou au porteur d'une procuration de
fa part , l'un ou l'autre réprefentant la marque
diftinctive avec l'original de la piéce.
M. le Cat Directeur de l'Académie lut
- enfuite un Mémoire fur l'Electricité ; celui
ci fait la fuite du premier qu'il avoit lû à
l'Affemblée publique de 1745 ,,. il y avoit
traité de l'attraction , de la répulfion de l'étincelle
, de la propagation & de la confervation
de l'Electricité.
Dans ce fecond Mémoire N eft queſtion
des phenoménes découverts depuis l'Affemblée
de 1745. La premiere de ces découvertes
a été faite par M. le Cat même.
On fait que quand on préfente à la barre
de fer électrifée une feuille d'or , elle en
eft attirée & répouffée alternativement :
M. le Cat a trouvé un phénoméne mitoyen
OCTOBRE 1746 , 35
entre cette attraction , & cette répulfion .
c'eft celui par lequel la feuille d'or en équi
libre entre ces deux forces , refte fufpendue
au deffous de la barre. Il enſeigne les moyens
de trouver cet équilibre , & il en explique
le méchaniſme.
"
Il a obfervé que les petites feuilles fe fufpendent
plus près de la barre , & les grandes
plus loin. C'eft ainfi , dit - il , que les petites
planettes de Mercure & de Venus font
placées très près du Soleil , tandis que les
globes immenfes de Jupiter & de Satura
ne font à l'extrêmité de notre monde.
20
59
M.le Cat ne regarde point ceci comme une
fimple comparaifon , mais comme des effets
dépendans trés- vraisemblablement d'un
même méchanifme , il dévelope fort au long
celui de la diftance des feuilles d'or en raifon
de leur volume, & il indique feulement l'application
de fes principes au fyftême planetaire
.
Nous paffons quantité de circonſtances
de la fufpenfion que fon Auteur a approfondies
, & qu'il faut lire dans ce Mémoire
même.
Le fecond article traite de l'étincelle célebre
trouvée par M. Mufchembrock , & que
M. le Catappelle l'étincelle foudroyante. C'eſt
celle qu'on tire d'une barre de fer , ou d'un
fil d'archal plongé par fon extrémité dans
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
l'eau d'un vaiffeau de verre . Cette découverte
ayant été communiquée à M. le Cat
prefqu'auffitôt qu'à l'Académie de Paris , le
Phyficien de Rouen effaia fur le champ de
répeter cette expérience terrible , mais d'autant
plus curieufe pour un amateur des prodiges
de la Nature , & il eut , dit- il , le plaifir
d'être foudroyé parfaitement dès le premier
effai qu'il en fit.
Il ajouta à la découverte de M. Muſchem
brock plufieurs circonftances qu'il communiqua
à l'Académie des Sciences de Paris ,
& qui y furent lues le 29 Janvier 1746 .
M. le Cat donne une hiftoire de cette étincelle
finguliere que nous ne fçaurions fuivre
ici ; il entreprend enfuite d'en expliquer la
caufe , ce qu'il fait par voye d'expérience , &
dans le goût de l'optique de Newton.
Il établit par ces expériences qu'il y a une
forte d'incompatibilité entre les matieres
électriques des differens fujets , telle qu'on
en obferve entre l'eau & l'huile ; qu'au
moyen de cette incompatibilité , la main qui
touche au vafe rempli d'eau , envoye dans
le verre une matiere électrique qui arrête
celle qui vient de la barre ou du globe electrique
dans ce vafe , l'y concentre , & la
force de s'y accumuler. Cette étincelle devient
donc alors plus violente , felon M. le
Cat. 1. parce que la matiere. électri que
OCTOBRE 1746. 31.
eft plus retenue & plus abondante. 2. parce
qu'elle eft dans un état refferré , & violent
, & qu'elle a des points d'appui . 30. &
enfin parce qu'à l'explofion de la matiere
électrique fe joignent les vibrations des parties
folides du verre & de l'eau.
C'eft de ces premiers caracteres de l'etincelle
foudroyante qu'il fait dériver toutes
les circonftances de ce phénomene qu'il
prétend avoir beaucoup d'analogie avec le
méchaniſme du tonnere. Les foufres fub-
29
>
"
20
»
tils que la terre exhale , dit-il , font une
» matiere électrique . Les nuages dans lefquels
» cette matiere fe jette , font analogues au
matras plein d'eau , fans ces nuages qui
font aufli de l'eau , ces foufres ne font
que des éclairs fimples qui ne font que de
», la lumiere fans éclat & fans force ; ce
font là les étincelles électriques ordinaires
ou fimples qu'on tire de la barre de
fer qui ne trempe point dans l'eau : I'eau
eft donc dans l'un & l'autre phénoméne ,
le milieu qui contribue à rendre la force
de ces inflammations fulfureufes fi terrible,
» & le froid de la region fuperieure aux nuages
concentre dans ces vapeurs les fouf-
» pres fubtils du tonnere , comme la
» main appliquée fur le matras de notre expérience
y refferre la matiere électrique .
M, le Cat termine ce Mémoire par l'ex
99
39
"
"
3
38 MERCURE DE FRANCE.
plication du méchaniſme de l'ébranlement
qu'à produit cette vive étincelle , & la propagation
étonnante de cette fecouffe , à deux
ceat perfonnes ou plus , qui fe tiendroient
par la main.
茶託
VEUX à la paix.
Bjet de nos tendres fouhaits ,
Defcends du Ciel , aimable Paix ;
Viens rendre le calme à la terre ;
Le Dieu qui préfide à la guerre
A de fes bruyantes fureurs
Affés répandu les horreurs .
LOUIS. plus fenfible à tes charmes
Qu'au bruit tumultueux des armes ,
Veut joindre au titre de Vainqueur
Celui de Pacificateur.
Boran.
OCTOBRE 1746. 39
SUITE de l'Extrait des rufes de guerre de
Polien & de Frontin par M. L. M. D. P.
Ans le dernier combat qu'Alexandre-
Dádonna à Darius à Arbelles , un grand
détachement des Perfes ayant fait le tour de
l'armée des Macédoniens , donna fur leur bagage
& le pilla. Parmenion confeilloit à Alexandre
de donner du fecours au bagage. Non , dit
Alexandre , il nefaut point feparer notre Phalange
; il faut combattre les ennemis de piedferme.
Si nous fommes vaincus , nous n'aurons
pas befoin de bagage , &fi nous sommes vain .
queurs , nous aurons le nôtre celui des Ennemis.
R. Dès qu'il faut abfolument combattre ,
il vaut mieux fe fervir de toutes les forces
pour battre l'armée Ennemie , qué de rifquer
d'être battu en en féparant une partie
pour deffendre des équipages , mais fi l'on
peut défendre fes équipages , & fe retirer ,
enforte que l'ennemi ne puiffe vous attaquer,
cela convient encore mieux ; l'interêt particulier
dans le pillage des bagages devoit
être moindre dans l'armée d'Alexandre que
que dans une armée d'apréfent ; fi une armée
de ce tems avoit eu fes équipages pillés ,
quoiqu'enfuite elle eut pris ceux des Ennemis
, cela ne récompenferoit jamais plu-
1
40 MERCURE DE FRANCE
feursOfficiers des pertes qu'ils auroient faites.
Auffi eft-il à craindre que le dêfir de
fauver les équipages ne foit plus grand à préfent
dans ceux- ci , &c.
Antigone avoit pris fes quartiers aux environs
de Gadamares en Médie. Eumene l'avoit
prévenu , s'étoit faifi du chemin juſqu'à
mille ftades, & avoit tout garni de fes troupes.
Le chemin étoit bordé de montagnes , & la,
plaine qui s'étendoit au-devant étoit unie , fans
cau , fans aucune habitation , fans herbe , fans
aucune plante ,fans arbres , pleine de bitume
de maresfalées , enforte que ni hommes , ni
bêtes ne pouvoient paffer. Cependant Antigone
, pour éviter le chemin fi bien gardépar les
Ennemis , réfolut de traverser cette trifte plaine.
Il ordonna de coudre dix mille outres, & de
les remplir d'eau , de cuire des vivres pourdix
jours , & de porter de l'orge & du fourage
pour les chevaux. Tout fut préparé , & il ſe
mit en marche avec fon armée par le milieu
de la plaine. Il avoit en la précaution de deffendre
d'allumer du feu la nuit , pour dérober
la connoiffance de fa marche aux Ennemis
qui étoient engarde au pied des montagnes.Effectivement
ils auroient ignoré fon paffage fi
les ordres d Antigone euffent étéfidélement execntés
, mais un petit nombre de fes foldats ne
pouvant fupporter la gelés qu'il fit une nuit
OCTOBRE 1746. 41
allumerent dufeu. Les Ennemis virent laflâmme
, & devinerent ce que c'étoit . Ils donnerent
Sur la queue des troupes d' Antigone qui étoient
déja bors de la plaine , & tuerent quelques
traineurs. Mais il ne tint pas à Antigone que
tous ne s'échapaffent en fûreté , ce qu'il avoite
ordonné futfalutaire à ceux quifurent exacts à
lui obéir.
R. Ce recit n'eft point une rufe , mais on
y voit toutes les précautions néceffaires employées.
Il faut y remarquer que ces troupes
devoient être endurcies à la fatigue , puifqu'elles
fupportoient le grand froid fans faire
de feu , & qu'elles portoient des fardeaux
fi pefans.
Ptolomée voyant que Perdiccas avoit entrepris
de paffer le Fleuve vers Memphis , &
qu'une grande quantité de fes troupes l'avoit
déja traverfé ,fit affembler tout ce qu'il y avoit
dans le pais de troupeaux de chèvres , de pourceaux
, & de boeufs , & fit attacher à chaque
animal unfaget , avec ordre aux Paſtres & à
fes Cavaliers de pouffer tout cela au travers
les fables , afin d'exciter une grande pouffiere .
Et lui , à la tête de ce qui lui reftoit de Cavalerie
, fe préfenta aux Ennemis. Ceux- ci jugeans
à cette grande pouffiere que Ptolomée
amenoit des troupes nombreuſes , prirent auſſitôt
lafuite, Beaucoup perirent dans le Fleuve ,
ily en eut auffi un grand nombre de pris.
42 M ERCURE DE RFANCE.
R. L'idée de cette rufe eft trop finguliere
pour n'être pas rapportée ; on dit quelle a été
mife en ufage en Rouffillon .
Pendant qu'Iftice étoit en Perfe auprès de
Darius , il forma le deffein de faire foulever
l'Ionie , mais il n'ofa envoyer des lettres dans
la crainte qu'elles ne fuflent interceptées par
les guides des chemins. Il s'avifa de faire rafer
un esclave, de la fidelité duquel il étoit affuré
, & lui piqua fur la tête ce peu
de mots.
Iftice à Ariftagore , fais foulever l'Ionie. Il
laiffa enfuite croître les cheveux , puis envoya
l'efclave , qui s'embarqua , fe rendit au
près d'Ariftagore , & s'étantfait rafer de nouveau
, luifit lire ce qu'Iftice lui avoit impriméfur
la tête. Ariftagore exécuta ce qui lui
étoit marqué , & l'Ionie fe foûleva.
R. Depuis l'ufage de la poudre on, rend
de pareils caracteres indélebiles.
Pompifque Arcadien , avoit cette pratique
dans fes campemens.. Le chemins qui conduifoient
à fon camp , il les coupoit par des
tranchées les rendoit impraticables , & en
dreffoit de nouveaux , afin que les efpions &
ceux qui auroient pu faire des entreprises de
quit , marchans par les anciens chemins , tombaftent
dans les tranchées , faute d'avoir connoiffance
des chemins nouvellement dreffes.
Pour découvrir plus aifement les efpions des
ennemis Pompifque avoit coûtume après avoir
OCTOBRE 1746. 43
placé fon camp fur des hauteurs , d'y faire des
avenues fort étroites , dont les entrées étoient
marquées par des chapeaux. C'étoit par là qu'il
ordonnoit ceux qui alloient aux vivres &
au fourage d'entrer & de fortir. Les efpions
évitoient ces chemins , comme trop fréquentés ,
le foin qu'ils prenoient de tenir des chemins
de traverse , les faifoit découvrir & prendre.
Labienus , Lieutenant de Cefar , voulant
combattre les Gaulois avant qu'un fecours qui
leur venoit d'Allemagne fut arrivé , il repaffa
une riviere , comme s'il eût eu peur , puis fit
publier que chacun eût à fe tenir prêtpour marsher
le lendemain. Les Gaulois trompés par cette
apparence , pafferent la riviere pour le
fuivre , &furent défaits au paffage.
R. Lorfque l'on veut engager un ennemi à
donner bataille , & qu'on ne court point rifque
d'abandonner un païs , cette rule peut
fe tenter , & s'il entreprend de paffer avant
que votre armée foit affés éloignée , vous
avez un avantage fûr à revenir fur lui , &
l'attaquer pendant que Les troupes font féparées.
Lucius Martius Chevalier Romain qui
commanda l'armée d'Espagne après la mort
des deux Scipions , voyant les Cartaginois inveftis
redoubler leurs forces pour vendre cherement
leur vie s'ouvrit pour leur donner paf-
Sage , & les défit aprèsfans danger , lorsqu'ils
furent épars & diffipés.
44 MERCURE DE FRANCE.
1
Cefar voyant les Allemands inveſtis ſe deffendre
vaillamment leur fit donner auffi paſſage
, & les chargea dans la fuite.
Annibal à la journée de Trafimene , comme
les Romains enfermés de toutes parts faifoient
des merveilles , fit ouvrirfes bataillons
pour leur donner paffage , puis les chargeant en
queue les défit fans peine & fans danger.
Antigonus Roi de Macédoine , voyant les
Etoliens qu'il affiegeoit réfolus à périr par une
fortie genereuse , plûtôt que de mourir de faim ,
ou de fe rendre , il leur donna moyen defe retirer
, & les chargeant dans la retraite , les
défit.
Agefilaus voyant les Thebains enfermés de
toutes parts , fe battre plus par désespoir que par
réfolution , il leur donna paffage , puis les chargeant
en queue , les défit fans perdre detroupes.
Comme le Conful Cneus Manlius de retour
d'une bataille eût trouvé les ennemis maîtres
de fon camp , il mit des troupes à toutes les portes
, ce quiles réduifit à un tel désespoir , pour
fe voir enfermés de toutes part qu'ilfut tué dans
le combat. Mais fes Lieutenans inftruits par
fa perte leur laifferent une porte libre , & les
chargeans en queue les défirent entierement ,
avec l'aide de l'autre Conful qui les vint rencontrer
de front dans la retraite.
Themistocle après la victoire de Salamine ,
empêcha qu'on me rompit le Pont de bateaux
OCTOBRE 1746. 45
que Xercès avoit fait fur l'Hellefpont , & dit
qu'il étoit plus avantageux de le chaffer de
l'Europe que de l'y retenir. Pour plus grande
affurance il l'avertit de fe retirer promptement
, comme s'il eût étéfon ami.
Pyrrus à la prise d'une Ville , voyant que
les habitans envelopes de toutes parts s'opiniatroient
à la défenfe , leur fitpaſſage, & dans les
maximes de guerre qu'il a laiffées , il eft d'avis
de ne point trop preſſer celui qui fuit de peur
de lui faire tourner tête , outre que cela l'empêche
de tenir ferme , lorsqu'il fçait qu'il sepeut
fauverfans peril.
R. Il faut faire un pont d'or à fes ennemis
plûtôt que de les réduire au défeſpoir.
Una falus viltis nullam fperare falutem .
1
Quintus Fabius , comme fon fils lui confeilloit
de fe faifir d'un poste avantageux ,
lui difoit qu'on l'emporteroit en perdant quelques
foldats, Veux-tu être un de ceux-là, ditil ?
R. Avant d'entreprendre de forcer cer
tains poftes , il faut combiner l'avantage
qu'on en peut tirer avec la perte qu'on
peut faire pour les forcer.
Pendant que Cleonyme affiegeoit Edeffe , le
mur tomba. Les ennemis fe prefentereni avec
de grandes lances , de la longueur chacune de
feize condées. Cleonyme voyant cela , donna
une grande profondeur à fa Phalange , ú ma
46 MERCURE DE FRANCE .
voulut point que les chefs de file & ceux qui les
fuivoient immédiatement , euffent des dards.
Il leur ordonna de faifir à deux mains & de
tenir ferme les lances des ennemis , dans le moment
qu'ils fe préfenteroient , & à ceux quifuivoient
dans chaquefile , il ordonna de fe couler
à côté des premiers & de combattre vigoureufement.
Il arriva donc que les chefs defile,
faifirent les lances des ennemis , qui tiraillerent
pour les ravoir , pendant que fes ferres files s'avançant
de derrière les autres faifoient unterde
ces lanciers. Ainfi Cleonyme
par fon habilité , fit voir que les longues lances
étoient de peu d'ufage.
rible
carnage
R.Cela n'a pas beloin d'application, & montre
aflés le défaut de ces longues lances, mais
quand même on ne les prendroit pas avec
les mains pour en empêcher l'uſage , elles
ne peuvent jamais donner qu'un coup , &
ceux qui en font armés , font obligés de les
laiffer pour fe fervir d'autres armes , ce qui
ne fe peut pratiquer qu'à la défenſe d'une
Place .
En hyver & dans une forte gelée Aphicrate
voyant l'occafion favorable de donner fur les
ennemis , voulut mener fes foldats au combat ,
s'appercevant que la rigueur du froid & la nudite
leur ôtoient le courage, il prit le plus mauvats
habit qu'il pût trouver , & alla de tente
en tente exhorter fes foldats àfaire effort conOCTOBRE
1746. 47
tre les ennemis. Ces gens voyant leur Général
fi mal vêtu , & fans fouliers , qui ne laiſſoit
pas avec cela de témoigner de l'ardeur pour le
falut commun , fe fentirent animés à bien faire
& le fuivirent courageufement.
de R. Rien n'anime tant les foldats que
voir leurs Officiers fupporter les mêmes
peines.
Céfar comme fes foldats plioient , mit pied
à terre , & faisant emmener fon cheval ,
marcha devant eux contre l'ennemi ; deforte.
quayant honte de l'abandonner , ils retablirent
le combat.
Xenophon ayant commandé à fes troupes de.
gagner en diligence lefommet d'une montagne ,
comme il les preffoit de s'avancer, unfoldat cria
qu'il parloit bien à fon aile , & qu'il étoit à
cheval & les autres à pied. Cela le piqua de
forte qu'il defcendit fur l'heure , & fi monter
le foldatfurfon cheval , mais comme il grimpoit
mal aisément à cause de la pefanteur de
fes armes , lefoldat touché de repentir & des
reproches de fes compagnons , le lui rendit.
Mais on eût bien de la peine à le lui faire reprendre
, & à lui faire referverfes forces pour
des emplois plus dignes d'elles , quoiqu'il fouffrit
beaucoup en cet état , parce qu'il étoit armé
en cavalier , & non pas en fantaſin .
•
R. Il y a peu de Généraux en état de faire
la même chofe que Xenophon ; il eft cer
13
48 MERCURE DE FRANCE
tain que cela doit animer beaucoup les foldesinais
comme il eft dit , un Général doit
referver fes forces pour des emplois plus dignes
d'elles.
Scipion étant en Iberie fut informé que l'armée
ennemie venoit au combat fans avoir réph.
Il affecta de la lenteur à mettre fes troupes
en ordre de bataille . Ce ne fut qu'à la feptieme
beure dujour qu'ilfit aller à la charge , & rencontrant
des ennemis affoiblis par la faim &
la foif, il n'eut pas depeine à les vaincre.
Scipion ayant appris qu'Afdrubal avoit rangé
fes troupes en bataille dès le point du jour ,
Jans les faire repaître , retint les fiennes dans
fon camp jufqu'après midi , alors les menant
au combat comme les autres fe retiroient
défit les ennemis abattus de faim , de foif& de
Laffitude.
, il
Metellus Pius faisant la guerre contre Herculeius
en Espagne , ufa du même artifice ; car
les ennemis s'étant venu ranger enbataille de
vantfon camp dès le point du jour , pendant
les plus grandes ardeurs de l'été , il attendit
à les combattre jusqu'à midi , qu'ils furent
accablés de chaud , & les défit avec fes
troupes toutes fraiches . Le même s'étant joint
à Ponpće ne voulut point accepter la bataille
que Sertorius lui prefentoit , tant parce que
T'ennemi l'avoit refufée à divers fois que parce
qu'il le voyoit dans une grande ardeur de com
battre
OCTOBRE 1746. 49
battre. L'Auteur dit qu'ils levoient les bras &
branloient leurs lances.
Iphicrate campé en présence des ennemis
avoit remarqué qu'ils dinoient toujours à la
même heure. Il ordonna àfes troupes de diner
avant , & quand cela futfait , il attaqua les
ennemis , fur lesquels on ne ceffa point de tirer
jufquan feir. Quand les deux armees fe furent
feparées , les ennemis fe mirent à fouper . Iphicrate
dont les troupes avoient déja répû , fondit
fur ces gens qui étoient à manger , & enfit un
grand carnage.
R. Une armée qui eft affés fuperieure pour
obliger l'armée entiere de l'ennemi à fetenir
fous les armes pendant un affés long tems
fans qu'elle puifle trouver le moment de repaître
, a un grand avantage ,fi elle peut repaître
elle-même pendant ce tems , & attaquer
enfuite fon ennemi , car les forces dimiuuent
beaucoup plus vite quand on eft en
péril dans une action , & le befoin de manger
vient beaucoup plutôt que lorfqu'on n'eft
point expofé , de forte qu'une armée qui
avant une affaire a pû repaître , a un grand
avantage fur celle qui n'a pu le faire.
pû
Philippe exerçoit fes troupes pour le peril .
en lesfaifant. marcher des trois cent ftades , armées
de toutes pieces, & leur faifant porter tout
à la fois le cafque ; les boucliers , les botines ,
des longues lances , les vivres & les uftenciles
C
so MERCURE DE FRANCE.
de menage qui fervent chaque jour.
R. On ne doit demander à des troupes
que ce qu'elles ont appris à faire , & celles
qui auroient été habituées à marcher longtems
& à porter des fardeaux , foutiendront
bien mieux la fatigue pendant la campagne,
que celles qui entreroient en campagne
fans
y avoir été exercées . Les Romains & les
Grecs portoient de très- lourds fardeaux, &
& faifoient comme il eft dit ci- deffus jufqu'à
trois cent ftades de fuite , ce qui revient à
environ trois ou quatre lieues de France de
2500 toifes la lieiie , étant eftimée 80 Stades
Philopemen apprit au peuple d' Achaïe à quitser
les longues targes & le javelot , & prendre
à la place le bouclier & la pique . Il leur don
na encore des cafques & des cuiraffes , & leur
arma les jambes. Il les exerçoit à fe battre de
pied ferme , & non à darder en courant comane
faifoient ceux qui étoient armés d'écus. I
ota desrepas des habits
toutes
& les fuperflui
tes , & tout ce qui n'y étoit que pour fomenter
la molleffe , & vouloit qu'à l'armée on se con
tentat du fimple néceffaire. Par le moyen de cet
se difcipline , Philopemen forma des troupes.qu
s'acquirent beaucoup de réputation dans li
combats.
R. Si la frugalité & l'habitude de la fatigue
ne contribuent pas à augmenter le cou
rage , au moins la molleffe , la fomptualité.
OCTOBRE 1746. 5t
la prodigalité ne l'augmentent pas non plus;
on n'a jamais crû que cela pût former des
troupes à la guerre ; bien des gens ont crû
que le contraire contribuoit à les former.
Scipion près de Numance trouvant la dif
cipline corrompue par la négligence des chefs
précédens, chaffa defon camp toute la multitu
de des vivandiers & des marchands qui ne fervoit
qu'à entretenir le luxe , & faifant rentrer
le foldat dans fon devoir par un continuel exercice
, il l'obligea à porter fur.foi dans la marche
,pour plufieurs jours de vivres , & l'accoûtuma
à fouffrir le froid & la pluye , & à
paffer à gue les rivieres ; il retrancha auffi tous
L'equipage fuperflu , & après leur avoir reproché
leur lachete & leur pareffe , it dit à un
Colonel voluptueux , tu ne me feras inutile que
pour quelque tems , mais tu le feras pour toujours
à toi-même, & à la République.
,
1
La premierefois que Philippe de Macédoine
leva des troupes , il deffendit de mener den
chariots , & ne voulut pas qu'un Cavalier eûs
plus d'un valet , il n'en donna qu'un auſſi à
chaque efconade d'Infanterie pour porter la
tente , & de quoi moudre le grain , & contraignit
fes foldats de porterfur eux pour trente
jours de farine. Le Latin dit, fur leur col.
Lucullus voyant une partie de fa Cavalerie
qui fe retiroit vers l'ennemi , fit fonner la
sharge , & envoya quelques troupes après
Cij
32 MERCURE DE FRANCE.
comme pour lafoutenir . L'ennemi croyant qu'el
le le venoit attaquer , la chargea , de forte que
fe voyant inveflie de tous côtés , elle diffimula
fon deffein , & fe tourna contre lui.
R. Il faut beaucoup de préſence d'efprit
pour prendre ainfi fon parti tout d'un coup ,
mais il faut être dans la même pofition pour
pouvoir dans le moment qu'on s'apperçoit
de la défertion de ce corps de Cavalerie, atcaquer
promptement l'ennemi.
Datamès Perfan fafant la guerre contre
Autophradates en Cappadoce , & voyant une
partie de fa Cavalerie qui s'alloit rendre à l'ennemi
, la fuivit en diligence avec le refte , &
Fayant atteinte , la loua d'avoir devancé les
autres , la pria de bienfaire , ce qui la pi-
"qua d'honneur , & la fit changer de deffein ,
croyant
n'être découverte..
pas
R. Il n'eft pas bien für fi cette Cavalerię
qui défertoit changea de deffein , feulement
fur ce que lui difoit Datamès , & fi ce n'étoit
pas la crainte d'être chargée par celle qui venoit
de la rejoindre , mais l'occafion de Da
ramès ne marque pas moins de préſence
d'efprit & d'exécution .
Le Conful Titus Quintus Capitolinus voyant
l'aile qu'il commandoit fur le point de lacher
le pied, fit courir le bruit que Fautre etoit vi ọ
porteuse , ce qui lui rendit le courage &fu
caauufſee de la victoire.. y aport..
OCTOBRE 1748. 13
કે
que
Le Conful Cneins Manlius en un combat
contre les Tofcans , ayant appris que fon com
pagnon Marcus-Fabius ) avoit été blessé à
l'aile gauche , & qu'elle commençoit à plier ,
ily accourut en diligence avec quelque Cava
lerie , & criant que ce n'étoit rien •& qu'il
avoit remporté la victoire à l'alle droite , il la
raffura & fut caufe du gain de la bataille.
Dans une bataille donnoient à ceux de
Carthage les Syracufiens & les Italiens , les
Syracufiens avoient l'aile droite , & les Italiens
la gauche, & s'y étant rendu en
étant rendu en diligen
ce ily vit les Italiens maltraités & fur le point
d'être vaincus. Il retourna avec précipitation à
l'aile droite dit aux Syracufiens . Les Italiens
gagnent la victoire à l'aîle gauche ; il ſeroit
bon que nous fiffions auffi un effort de noire
côté. Les Syracufiens perfuadés que leur Genéral
difoit la verité s'écrierent : pouffons tous
fans nous épargner. Its firent de fi grands efforts,
qu'à la fin ils mirent les Barbares enfuite.
R. Il ne peut être que fort avantageux de
faire courir de tels bruits d'une droite à une
gauche , & cela peut fouvent angmenter le
courage & la vivacité des troupes , & e
même tems étonner & faire plier les enne
mis.
Titus Labienus après la journée de Phart
fale s'étant fauvé à Dyrrachium , adouciť
la défaite de Pompée par une fausse nou
Cij
54 MERCURE DE FRANCE
velle , difant que Cefar étoit bleſſe à mort , ce
qui raffra les efprits & les retint dans leur
devoir.
R. On peut laiffer courir des nouvelles
femblables dans les premiers jours après une
défaite , lorfque les troupes ont beloin d'être
raffurées ; mais fur tout dans le cas où fe
trouvoit Labienus , qni avoit une armée
dont une partie vouloit fe rendre à Céfar .
Les Beotiens gardoient les paffages les plus
difficiles de leurs frontieres , entr' autres la
gorge étroite d'une montagne . Philippe ne les y
attaqua point , mais il porta le feu dans le plat
Pays , & ravagea les Villes. Les Beotiens ne
purent souffrir de voir leurs villes fi maltrairées
, defcendirent de la montagne. C'étoit ce &
que Philippe fouhaitoit , & alors il fit paſſer
fon armée par la montagne que les ennemis
avoient abandonnée .
R. Si une armée étoit contrainte d'abandonner
une partie de fon pays , & que pour
fauver le refte elle prit le parti d'occuper un
paffage qui fermât l'entrée du refte du pays,
il faut qu'elle demeure dans ce pofte , fans
vouloir aller empêcher le pillage de la partie
qu'elle a abandonnée , fans cela , fi elle
fe dépofte elle court rifque de perdre le
refte du pays & d'être battue ; ainfi la rufe
que Philippe tenta n'auroit pû faire donner
dans le paneau des gens qui auroient voulu
OCTOBRE 1746. 55
s'affûrer une partie de leur pays ; mais elle
pouvoit le tenter contre une armée qui ne
pouvant empêcher fes ennemis de paffer
dans fon pays , fe feroit porté dans des gorges
& défilés pour empêcher qu'ils ne penétrent
dans un pays voilin.
Philippe voulant fe rendre maître de la
Theffalie , ne fit point de guerre ouvertement
aux Theffaliens , mais ilprofita des divifions
qui étoient entre ceux de Pelinne & de Pharfale
, & entre ceux de Pherès & de Lariffe ,
qui fe faifoient la guerre , & tout le pays partagé
en factions prenoit parti pour les uns ou
pour les autres. Philippe donnoit fecours à ceux
qui lui en demandoient , & lorfqu'il avoit
vaincu , il ne détruifoit point ceux qui avoient
en du défavantage , il ne les défarmoit point,
il ne rafoit point leurs murailles ; en un mot il
nourriffoit plutôt les divifions , qu'il ne les appaifoit
; il protegeoit les plus foibles , & détruifour
lesplus puiffans ; il étoit aimé des peuples ,
& enfavorifoit les Orateurs.
t
R. Céfar en ufa à peu près de même pour la
conquête des Gaules , & après en avoir chaffé
les Allemands , il foutint & fomenta les
divifions entre les differens peuples , enforte
qu'il les affoiblit.affés pour les affujettir
aifément-
La façon dont Philippe en agit eft la plus
fûre , & en même tems la plus aifée , pour
Ciiij
56 MERCURE DE FRANCE.
s'emparer
d'un
pays où il y a plufieurs
Sou verains qui ont differens
interêts.
Alexandre
fe hatoit d'aller contre Darius vers les bords du Tigre. Une terreur panique
fe repandit
tout d'un coup dans fon armée , à commencer
depuis l'arriere -garde jufqu'aux premiers
rangs. Alexandre
ordonna
aux trompettes
de donner unfignal d'affûrance
, & aux
premiers
rangs de fon Infanterie
de pofer les armes à terre , à leurs pieds , & de dire à ceux
qui étoient derriere
eux d'en faire autant. Tous de fuite firent la même chofe , & cela fervit à découvrir
l'origine
du faux bruit. La vaine ter- reur fut diffipee ; les foldats reprirent
leurs ar→ mes & continuerent
leur marche.
R. Il eft fouvent parlé dans les anciens.
Auteurs de ces terreurs paniques ; je ne fçais
d'où cela pouvoit provenir ; il me femble
qu'il n'y en a point comme cela à préfent ;
peut- être que les fuperftitions du culte des
Payens contribuoient à cela ,il falloit qu'elles
fuffent fréquentes , puifqu'il y avoit un ſignal
indiqué , appellé le Gignal d'affûrance,
Denis voyant que les Carthaginois venoiens
fondre dans le pays avec une armée de deux
cent mille hommes , fit élever de tous côtés des
forts , & y mit des gens de guerre , avec ordre
de traiter avec les Carthaginois , de recevoir
leurs garnifons. Les Carthaginois furent fort
aifes, de prendre poffeffion du pays fans coup feOCTOBRE
1746. $7
vir & partagerent en differentes garnisons la
plupart de leurs troupes. Quand Denis vis
leurs plus grandesforces diffipées par tous ces
détachemens , il attaqua ce qui reftoit enſemble
, C
remporta
la victoire. 3
R. C'est le même défaut qui fe trouve å
fe réduire à une étroite deffenfive fur une
frontiere où le nombre de Places qu'il y a
à garder conſomme une armée prefque égale
à celle qui attaque.
Les Etoliens s'étant campés au pas des Termo
pyles pour deffendre l'entrée de la Grece à Philippe
de Macédoine , & lui ayant envoyé cependant
des députés pour l'amufer , il les retint
; puis tirant vers ces détroits à grandes
journées , il les trouva gardés négligemment
par les Etoliens , qui attendoient le retour de
leurs députés , pour prendre une derniere réfolution
R. Philippe ne donna point dans un paneau
groffier que lui tendoient les Etoliens ,
Céfar ne s'eft jamais non plus laiſſé airêter
-par les Ambaffadeurs que les peuples contre
qui il marchoit lui envoyoient , au contraire
il fe preffoit davantage d'arriver chez
eux .
Afranius faifant retraite devant Céfarprès
de Lerida , & fe voyant preffé, feignii de
camper , ce que Céfar fit a fon exemple : mais
lorfque les troupes de Céfar furent difperfues
CY
58 MERCURE DE FRANCE.
4
pour aller au bois & au fourage , il poursuivis
fa marche.
R. Cette rufe eft affés difficile à pratiquer
fi ce n'est dans le cas fuivant ; fi deux
armées avoient une riviere entre deux , &
que l'une des deux voulut en remontant ou
defcendant devancer d'une marche celle de
l'ennemi , elle pourroit envoyer des détachemens
avec les campemens à l'avant garde
ou partie des campemens pour marquér
fon camp , & pendant qu'il fe marqueroit
la marche des colonnes feroit difpofée de
façon qu'elles pafferoient une marche plus
loin , en s'éloignant un peu de la vue de
l'ennemi , & les détachemens qui auroient
marché avec les campemens marcheroient
après l'armée & en feroient l'arriere-garde.
Démetrius avoit à paffer le Fleuve Lycus ,
qui eft très-rapide , & au courant du quel fon
Infanterie ne pouvoit refifter ; il choifit parmi
fes cavaliers les plus grands , les plus vigoureux
, & les mieux montés , & en ayant fair
une phalange quarrée , il s'en fervit à rompre
l'effort du Fleuve , en l'oppofant à fon conrant
, & par ce moyen il rendit le paffage de
fes gens de pied plus facile.
R. Ce moyen de paffer à gué a été perfectionné
par Céfar qui fit mettre des Cavaliers
audeffus du gaé pour rompre le cours,
& d'autres au-deffous pour retenir les folCCTOBRE
1746. 19
dats qui ne pourroient réfifter au courant,
Philopemen ne croyoit pas qu'il fut conve
nable qu'un Général marchât à la tête de fa
phalange. Il eftimoit qu'il devoit fe mettre tantôt
à la queue , tantôt au centre , & caracoler
fouvent de côté & d'autre pour obſerverfi tout
étoit dans l'ordre , & redreſſer ce qui n'y étoit
pas.
ger
R. Un Officier Général ne doit point fonà
combattre de la main comme peut faire
un Officier particulier ou un fimple Cavalier
, il doit faire marcher fa divifion jufqu'à
portée de l'ennemi , & lorfqu'elle eft
à portée de charger il faut qu'il refte dans un
intervale , afin de pouvoir diftinguer qu'elle
partie peut avoir befoin de fa préfence ,foit
pour l'arrêter dans la pourfuite des ennemis,
fort pour ramener à la charge celle qui auroit
éré repouffée , alors il peut , s'il veut ſe
mettre à la tête de cette partie & charger ,
mais lorfqu'elle aura bien repris , il doit fe
porter où fa préfence peut être néceffaire.
Crefus ne pouvant paffer la riviere d'Halys,
faute de bateaux , la détourna par le moyen
d'un canal qu'il fit tirer derrierefon camp, &
Je trouva ainfi campé de l'autre côté. Céfar
près de Lerida déchargea la Segre par de
grands canaux & ainfi la paffa à gué.
R. Crefus a pû faire un canal qui conduifit
la riviere derriere fon camp , & file lis
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE
de la riviere étoit creux il a fallu pour le
paffer qu'il l'ait comblé en tout ou en partie.
Céfar près de Lerida a pû auffi faire des
canaux , & donner par là au courant plus de
fuperficie , mais pour avoir pû paffer à gué
la riviere , il a fallu furement qu'il l'ait comblé
en partie,
1
Marcus Caton , ayant remarqué qu'il pouvoit
emporter une Place par furprise , fit en
deux jours le chemin de quatre journées , &
trouvantles habitans qui n'étoient pas fur leurs
gardes ,fe rendit maître de leur ville. Comme
on s'étonnoit depuis d'un fi heureux fuccès
& qu'on lui en demandoit la raifon , il n'en
rendit point d'autre la diligence. Pour
avoir fait en deux jours le chemin de quatre
journées.
que
R. Lorfqu'une armée peut fe porter dans
un pais , & fe placer de façon à donner jaloufie
à l'ennemi fur plufieurs places , fi l'ennemi
eft réduit à deffendre ces places il eft
obligé de garnir également toutes celles
qui font menacées , mais fi l'armée
qui veut attaquer peut faire en deux jours
quatre journées de chemin , elle pourra peut
être fe porter fur une place que l'ennemi ne
croyoit pas pouvoir être attaquée , laquelle
n'étant point munie comme les autres fera
prife beaucoup plus aifément.
Les Lacédémoniens pillerent une ville 87
OCTOBRE 1746, 6
tirant une chauffée à travers la riviere qui couloit
par le milieu, & enfaisant remonter l'ean
qui branla le fondement des maisons & des
mursde la place.
R. Il faut un travail immenfe , & une fi
tuation faite exprès pour réuffir dans un pa
reil projet .
Lifander Lacedemonien châtía un foldat
qui etoit forti defon rang dans la marche , &
comme il crioit que ce n'étoit pas pour piller,il
n'en falloit pas, dit- il, donner le moindre foupçon.
R. On ne peut pouffer plus loin la févé→
rité , mais c'eft le feul moyen de faire ob
ferver l'ordre , & il faut éviter de faire grace
, fur tout dans les commencemens , car
alors le défordre ne fait qu'augmenter de
jour enjour,
62 MERCURE DE FRANCE,
EPITRE FAMILIARE.
En réponse à celle de M. de la Soriniere ,
inferée dans le premier Volume du Mercure
de Juin 1746. Par M. Desforges Maillard
, focié de l'Académie des Belles-
Lettres de la Rochelle.
En Bretagne an Croific , le 12 Septembre 1746°·
Ui, le talent des Vers eft beau, cher Soriniere,
Quand on fçait l'art d'unir au brillant coloris
L'élégance , l'accord , le bon goût , la maniere ,
Que j'admire dans tes écrits.
Mais je prife encor plus ton coeur tendre & fincére,
Cette candeur , & cette probité ,
Qui , comme on me l'a raconté ,
Forment ton rare caractére.
Voilà pour toi , fans compliment ,
Ami , les vrais motifs de mon attachement ,
Car à Londres , à Paris , de Congo , juſqu'à Rome ,
On trouveroit plus aisément
Cent beaux efprits qu'un honnête homme.
Quand Diogéne revivroit ,
Que fa lanterné en main il fe promeneroit ,
Et fe mettroit en fentinelle ,
OCTOBRE 1746. 63
En le cherchant il uſeroit
Plus des trois quarts de fa chandelle.
En differens Etats , comme en divers Pays ,
Je me fuis fait ce qu'on appelle
En ftile commun des amis .
Ainfi qu'un Papillon qui voltige & s'immole
Al'éclat qui féduit fa crédulité folle ,
J'ai fuivi quelques Grands , Fantômes refpectés ,
Avares de réalités ,
Prodigues d'un espoir frivole.
Ceux-ci dans mes Chanfons en Héros érigés ,
Yvres de mon encens , de mes palmes chargés ,
M'ont afpergé de certaine onde ,
Eau bénite appellée , & m'ont fort poliment
Promis à tout événement
La moitié de la terre ronde.
Les autres qu'infpiroit une veine féconde ,
Dans leurs chiffres tracés de la main du Zéphir ,
M'ont juré de m'aimer jufqu'au dernier foupir.
Leurs fons étoient fi doux ; leur voix étoit fi tendre
,
Qu'il fembloit que l'Amour aux rives du Lignon
Sous un myrthe fleuri leur eut fait la leçon ,
Comme il la faifoit à Silvandre ,
Au jeune Hilas , à Celadon.
Cette foule d'Amis , fi vrais à les entendre ,
Ne l'étoit pourtant que de nom.
J'ai vu fe diffiper leur volage féquelle ,
Comme on voit dans les airs un volant eſcadron
64 MERCURE DE FRANCE :
Se rompré devant l'Aquilon ,
Et s'échapper tirant de l'aîle.
Deux ou trois , & fur tout le célébre Titon
Et l'illuftre Bouguer , dont le peuple Triton
Fait fonner fur les flots la louange immortelle
Que la terre à l'envi répéte à l'uniffon ,
Ceux-là , fans démentir leur bonté naturelle ,
M'ont conftamment payé d'une foi mutuelle.
Telle étoit au furplus l'étrange illufion ,
La téméraire opinion
D'un homme fimple & franc , qui n'avoit pour
fyftême
Que de fe figurer les fentimens d'autrui ,
Suivant ce qu'il fentoit en lui.
Dans mon aveuglément extrême ,
Inſenſé , j'oubliois ce que Pétrone a dit ,
Comme , dans le quatrain qui fuit .
Je l'ai paraphrafé moi- même.
On prône , on vante affez ſon coeur
De promettre beaucoup on ſe fait un mérite ;
Mais l'Ami qu'on éprouve , héfite ,
S'il s'agit d'employer fes foins & fa fayeur.
Hélas ! c'eft de tout tems que la fortune adverſe ,
Cette Divinité perverſe ,
* Nomen amicitia fi quatenus expedit , baret,
Petr, Satyric.
OCTOBRE
1746.
Des amis inconftans a fait rougir le front.
Ceux du galant Ovide exilé dans le Pont ,
En font une preuve éternelle.
Mais que quelqu'un des miens par une trahiſon
M'ait lâchement vendu, victime trop fidelle ?
Un fi grand coup de foudre étonne ma raiſon .
J'ai long-tems reffenti fon atteinte cruelle ,
Dont pour moi la penfée eft encore un poiſon.
Auffi j'ai fait une liaffe
Des lettres , des billets de tout ce monde là
Et pour infcription fur cette paperaffe ,
Dans ma mauvaiſe humeur j'ai mis, à qui lira
Lettres de faux amis , trompeurs & cætera .
Enfin perfévérant dans fa longue colere :
Soufflant toujours le vent contraire
La fortune ma confiné
Dans le climat où je fuis né,
Sur une côte folitaire .
C'eft-là qu'en impromptu l'Hymen vint me lier ,
Surquoi le Préfident Bouhier ,
Ce Sçavant renommé , que le Pinde regrette
M'écrivit affez plaiſamment
Qu'il étoit juste qu'un Poëtej
Eût tout fait
poëtiquement.
2
Mais puis-je , ami très-cher , te faire en affûrance
Une certaine confidence ?
Tu me promets du moins de ne point l'éventer
Mets la main fur ta conſcience.
66 MERCURE DE FRANCE.
La femme que j'ai prife , aime tant coqueter ,
Que nulle autre en ce point ne l'égale , je penſe.
Sarrazin , diras-tu , dans un fort beau Sonnet
Nous apprend que l'efprit coquet
Des femmes fut toujours l'attrait
Et la rocambole ordinaire.
D'accord , mais j'ai furpris la mienne fur le fait.
Sur le fait ! avec qui de cet autre fecret
Si tu m'affures de te taire ,
Je te ferai dépofitaire.
Eh bien! je l'ai trouvée , écoute & fois difcret :
Je l'ai trouvée , ami , fur un lit de fougere ,
Que parfumoit le ferpolet 2
Et les rideaux tirés , même en fon cabinet ,
Tête à tête , en commerce , avec Virgile , Homére
,
Horace , Anåcréon & tel autre Muguet .
Tu comptois , conviens-en , que la fin du myftére
Feroit allonger mon bonnet .
Non, d'une fage époufe , & très-digne de plaire
Par fes appas & fes talens ,
Euterpe fur le Pinde , Euphrofine à Cithére,
Voilà les Favoris , les aimables Galans .
Sans ce rapport de goût ferois-je aujourd'hui pere ,
Pere de deux fils en deux ans ?
Moi qui bravant d'Hymen le pénible esclavage ,
Ne connoiffois l'Amour que pour un Dieu volage ,
Et qui n'étois voué pour toujours à l'Etat
OCTOBRE . 1746.
67
D'un volontaire célibat ,
Moi qui ne prétendois dans mon petit ménage ,
Qu'être pere d'enfans qu'il ne faut point bercer ,
Qui ne coutent pas plus à nourrir que mon ombre ;
Maſculins , féminins , toujours prêts à danſer ,
Qui ne coutent point à chauffer, :
Quoique leurs pieds foient en grand nombre
;
Enfin , moi qui n'avois d'autre cupidité ,
Agiffant , penfant à ma mode ,
Que d'être le pere d'une Ode ,
Ou telle autre poftérité :
Famille qui fe joue , & n'eft point incommode ,
Agréable paternité !
Suivant certain dicton , dont la date eft antique ,
Et qu'en tous lieux l'uſage à rendu fort commun ,
On dit , 'lorfque l'on voit fourmiller chez quelqu'un
Une effantine République , ¦
Qu'il n'est pas trop de gens de bien ;
Sans doute , & , comme un bon Chrêtien ,
Ce bien fi vanté , je fouhaite
Qu'il abonde chez mes voiſins ,
Comme le Roi Prophête
L'exprime dans fes chants divins.
Le Dieu qui régle mes deftins ,
M'eft pourtant , Soriniere , en un point favorablę ,
En ce que la bonté me conſerve un tréfor ,
68 MERCURE DE FRANCE
À mon coeur , à mes yeux tréfor plus eſtimable
Que la perle , l'argent & l'or.
Je n'ai point voyagé de contrée en contrée ,
Et n'ai point fillonné , Marchand ambitieux ,
Sur la foi du fougueux Borée
L'Empire inconftant de Nérée ,
Pour chercher ce bien précieux.
tl eft en ce réduit maritime & champêtre ,
Et je ne puis le trouver qu'en ces lieux.
Ce tréfor , cher ami , c'eft celle à qui les Dieu
Ont voulu que je dûffe l'Etre ;
A qui je dois bien plus , l'amour de la vertu ,
Le défit d'obliger & la crainte de nuire ;
Ce coeur que les méchans ont en vain combattu
Que le clinquant n'a pû féduire ;
Qui fçait diftinguer l'homme & du titre du rang
Les talens perfonnels des chiméres du fang.
Veillez donc fur fes jours , ô puiffance éternelle ;
Accordez lui , grands Dieux , par clémence pour
nous
La veilleffe d'Hécube & des deftins plus doux,
Attentive à vos loix , fa charité , fon zéle
Et la pureté de fes moeurs
La rendent à jamais digne de vos faveurs.
D'un petit patrimoine oeconome fidelle ,
Laiffez - là partager entre nous les douceurs ,
Et cinquante ans encore affembler fous fon aîle
Cinq frerestendrement unis à quatre foeurs.
OCTOBRE 1746.
Tu goutes , cher ami , ces plaiſirs enchanteurs
Dans ta retraite pacifique ;
Maître d'un Château magnifique ,
Ta femme , tes enfans te forment une Cour
Où fans fadeur , fans flaterie ,
La fincére amitié par la vertu nourrie ,
Naquit du plus parfait amour.
La fortune pour toi moins fauvage , moins dure
Et moins quinteufe que pour moi ,
T'a tranfmis de fes dons une jufte meſure ,
Pour vivre indépendant , & pour être ton Roi.
Tu plais à ton Epoufe , elle te plaît de même.
Tu l'ainies autant qu'elle t'aime ,
Du foin de vos enfans vous faites votre emploi ;
Et tout autour de votre table .
Vous voyez d'un oeil amoureux ,
Comme plans d'Oliviers , cette troupe agréable
S'élever & combler vos voeux,
Ainfi coulent tes jours heureux ;
Ainfi , cher ami , tu t'amufes
Affidu ménager d'un loifir ftudieux
?
Et dans ce beau féjour , Parnaffe glorieux ,
Le pere eft l'Apollon , les enfans font les Mufes,
Qui forment fur les chants leurs tons harmonieux
jupal
Tute plains que troublant le repos de ta vie ,
La chicane contre elle ofe lancer les traifigu, tax I
70 MERCURE DE FRANCE
Elle m'attaque bien , cette ſombre ennemie ,
Moi , dont le revenu ne doit point faire envie
Aux noirs amateurs des procès .
Ami , n'ayons dans nos projets ,
Que la feule équité pour guide ;
Banniffons l'interêt avide ;
Et l'exacte Thémis nous répond du fuccès .
LeCiel en te faifant poffeffeur d'une terre ,
Comme aux autres , mon cher , t'a donné des voi
fins ;
Si leur cupidité te déclarant la guerre
Cherche à reculer tes confins ,
Pour étendre les leurs , fur un acte équivoque ,
Ou fur un vieux titre baroque ,
Dont le chiffre effacé rend le tems incertain ,
Je pense toutefois qu'il vaut mieux ſe deffendre ,
Et refuter ce qu'ils ofent prétendre ,
Que de n'avoir point de terrain ,
Ou ramaffer affez de grain
Pour fournir au cours du ménage ,
De l'avoine & du foin pour nourrir l'équipage
Pour égayer la veine un peu d'excellent vin ,
Ofeille & laitue au jardin ,
Pour en couronner le potage.
Quant au fruit de la vigne ; il t'eft indifferent ;
Tes Vers font le panégyrique
De l'eau froide qui ne te rend
En revanche que la colique .
Pourquoi dise à l'un d'eux un éternel adieu ,
OCTOBRE 71 1746.
•
Et ne pas marier la Nayade & le Dieu ?
Le Créateur de tout , & qui par tout réfide
Débrouillant le cahos , tempéra fagement
Le chaud avec le froid , le fec avec l'humide ,
Pour en former chaque Elément ,
Ce qui nous prouve évidemment
Que de notre frêle machine
L'onde claire & le vin mêlangés fobrement
Peuvent retarder la ruine ,
Et le fameux Roi d'Ifraël ,
Ce Botaniſte univerſel ,
Qui connut herbe , fruit , & la Nature en fomme
N'enfeignoit-il pas que vinum
bonum
Réjouiffoit le coeur de l'homme ?
Si le Nectar d'Anjou , pareil au vin Breton
Ne valoit pas du jus de pomme,
Je te pardonnerois , mais c'eft un divin baume
Sur-tout lorfque le tems le meurit en flacon .
Homére , Theognis , Horace , Anacreon ,
Ont chanté du bon vin la puiffance & la gloire ,
Et fa vertu , nous dit l'Hiftoire,
Théognis , Poëte Grec , dont les Poëfies font
morales & fententieuſes ; il a dit en parlant du
vin , fuivant cette traduction,
Vinum potare multùm malum eft , fi vero quis ipfum
potarit prudenter , non malum , fed bonum eft,
#2 MERCURE DE FRANCE
·Réchauffa celle de Caton ,
Et Mathurin Regnier , ce cynique garçon ,
Du mordant Defpreaux , ce maître à rouge trogne ,
N'a t'il point dit auffi , d'un facétieux ton ,
Qn'unjeune Médecin vit moins qu'un visil yvrogne ?
Notre corps eft pour nous un joug affez péfant ;
N'affligeons point notre ame , en le tyrannifant.
De tout un peu , c'eft ma Philofophie.
Si toutefois contre mon argument
De ta foible fanté le foin te juftifie ,
Bois de l'eau , fi l'eau duit à ton tempéramment,
Lorfque le préjugé n'eft pas fon truchement ,
Sa leçon doit être fuivie .
Ne l'importune point , écoute ce qu'il veut ,
Et fais lui feulement fupporter ce qu'il peut ,
de nos biens n'eft
pas dans cette vie La perte
Le plus grand des malheurs , qui puiffe l'affliger:
C'est la crainte du mal , c'eft l'effroi du danger ,
Plus cruels que le mal & que la maladie.
De tous nos accidens le dernier c'eft la mort
Et quoiqu'en fes écarts le vain'orgueil publie ,
Tandis que la fanté feconde ſa folie ,
Quand la mort eft prochaine il n'eſt plus d'eſprit
fort.
Je n'ai pu profiter de ton offre polie,
Par mes affaires arrêté ,
Quoiquejufques chez toi mon défir m'ait porté ; ---
Mais fi- tôt que Flore embellie
Ramenera Zéphir fur fon char argenté ,
Ami ,
OCTOBRE 1746 . 73
Ami , je t'irai voir , comme ces bons Hermites
Alloient de tems en tems fe faire des viſites ,
Afin d'entretenir la confraternité.
Par la lettre que nous allons imprimer ,
on jugera de l'exacte impartialité que nous
obfervons dans les difputes litteraires , puifque
nous donnons place à une pièce où l'on
nous fait quelques reproches ; il eft vrai que
cette lettre eft écrite avec tant de politeffe
& de ménagement , qu'il faudroit que
nous euffions un amour propre bien délicat
, pour qu'il eût été bleffé d'une critique
auffi douce ; ce morceau feroit digne de
fervir de modéle dans ce genre d'écrire
par la douceur , l'élégance , & la fineffe qui
y régnent : à l'égard du fond de la queſtion ,
nos occupations ne nous permettant pas
d'entrer dans une difcuffion bien exacte ,
nous fupplions notre cenfeur de fe contenter
de la courte réponſe que nous lui adref
fons ici.
Il a été choqué de ce que j'ai dit que
Montagne avoit commenté Epictete & M.
Aurele , peut-être applique t'il à ce terme
de commenter une idée de dédain qu'il
n'emporte pas , peut- être auffi n'en ai- je pas
affés fenti la valeur. Je n'ai point voulu ra-
D
74 MERCURE DE FRANCE.
baiffer Montagne dont je fuis admirateur
ainfi que tous les bons efprits , j'ai pretendu
fimplement une chofe dont l'Auteur de
la lettre convient , c'eft que les principes
de la Morale fur lefquels Montagne a écrit ,
fe trouvent dans Epictete & dans M. Aurele,
j'ai dit qu'il fe rencontroit des ignorans qui
faifoient plus de cas de Montagne que de
M. Aurele , le fait eft vrai , j'ai vû des
gens qui affectoient de méprifer ce dernier
& qui lui oppofoient Montagne , & j'avouerai
que ce parallele m'a choqué , mais je n'ai
point voulu conclure de là qu'il n'y avoit que
les ignorans qui aimaffent Montagne ; fon
livre plus agréable , plus amufant que celui
de M. Aurele , eft fait pour être admiré
par les gens de tous les ordres d'efprit , mais
je m'en rapporte à l'Auteur de la lettre lui
même fur l'eftime qu'on doit à M. Aurele
& à Epictete , ce dernier a la dureté des
Stoïciens , mais M. Aurele ne l'avoit ni dans
fon caractére , ni dans fes écrits ; inacceffible
au trouble des paffions , fon ame s'ouvroit
au fentiment , c'étoit un de fes principes
qu'il faut vivre avec les hommes tels
qu'ils font , fupporter leurs défauts , & les aimer
parce qu'ils font hommes comme nous ,
& non parce qu'ils font parfaits. Dans l'cuvrage
admirable qu'il a laiffé tout éleve l'ame
; on fe fent penêtré du defir d'être aufli
OCTOBRE 1746.
75
vertueux que lui , & de l'efpérance de le
devenir. Montagné nous donne le tableau
de fes foibleffes ; en fondant les replis de fon .
coeur , il porte la lumiere dans le notre , il
nous fait demêler & nos défauts & leurs
differentes fources. L'un nous femble un maître
d'une espéce fupérieure à la nôtre, qui nous
inftruit qu'on admire & qu'on aime ; l'autre eſt
un ami qui converſe avec vous & qui vous amufe.
M, Aurele peint les charmes de la vertu
, Montagne le ridicule des foibleffes humaines
, il y a plus de gens à portée de profiter
de Montagne que de M. Aurele , parce
que celui - ci veut rendre les hommes parfaits
& que l'autre n'afpire qu'à les corriger.
Que conclure de là ? que ce font deux efprits
d'un ordre fupérieur , qui ont travaillé
chacun dans un genre different , & qui ont
fait tous les deux un ouvrage digne de l'admiration
des hommes vertueux & éclairés ;
nous ne nous engagerons point à difcuter
qui des deux mérite la preference , qu'importe
puifque tous deux meritent notre eftime.
Voila quels font mes fentimens à l'égard
de Montagne , & quels ils ont toujours
été il me refte à remercier l'Auteur
des politeffes dont- il m'honore , & des
éloges qu'il me donne , il eft flateur de les
recevoir d'un homme qui a autant de folidité
, de fineffe & de grace dans l'efprit ;
;
Dij
76 MERCURE DE FRANCE .
dulce eft laudari a laudabilibus viris , mais
ma préfomption ne va pas jufqu'à croire les
mériter & je ne les attribue qua fon indulgence,
LETTRE écrite à M. de L. B. l'un
des Auteurs du Mercure.
M.
perfonnne, je ne l'ai
Je n'ai jamais cherché à donner leton à
perfonnne
,je ne l'ai pas même défiré ;
trop borné pour inftruire , trop parelleux
pour difputer , je juge de tout par fentiment
& je me tiens à mon opinion fans .
être jaloux de l'honneur
d'y foumettre
les
autres ; un Auteur qui joint la force , -
grément & la jufteffe , m'enchante
, un Auteur
ridicule
me divertit , je jouis d'une
beauté réelle , je me mocque d'une abſurdité
; moins Philofophe
que Spectateur
tranquile
des differens
Tableaux
mouvanş
de l'univers , j'ai perdu depuis long- tems
l'efperance
d'en découvrir
les refforts : le
peu de raifonnement
dont je fuis capable
m'a fouvent ramené au fepticiſme , j'aime à
me deffendre
contre les Dogmatiftes
, cependant
je connois & refpecte
les bornes
que doit avoir cette façon de penfer , en
un mot le peu de Philofophie
dont je fuis
OCTOBRE 1746. 77
capable n'eft tout au plus qu'une nouvelle.
preuve du Traité de M. Huet fur la foi
bleffe de l'efprit humain .
Ne trouvez point étrange , Monfieur ,
que je commence par vous faire mon portrait
; j'ai cru devoir vous faire connoître
un homme obfcur qui ofe diſputer avec
vous ; je me prépare à deffendre Montagne
& l'on contracte aifément avec cet Auteur
un peu de défir de parler de foi.
J'ofe donc vous avouer , Monfieur , que
je fuis un de ces ignorans qui aiment Montague
, un de ces ignorans qui n'ayant nulle
réputation litteraire à conferver , le compare
& le prefere , quelquefois , à ces anciens
fi refpectés ; un de ces ignorans enfin
qui voit enlever avec chagrin à cet Auteur
une réputation dont -il jouit depuis près de
deux fiécles , une gloire que nos voisins
ont conftatée par leurs traductions & leurs
éloges , & que huit générations fe font ac- ſe
cordées à reconnoître .
Vous fçavez , Monfieur , que ces mêmes
voifins nous reprochent fouvent une trop
grande legereté dans nos opinions & dans
nos goûts , qu'ils vont même jufqu'à croire
que chés nous la Philofophie & la Metapyhfique
font affujeties à la mode . Que
diront ils , lorfqu'ils verront celui qui eft
chargé d'écrire l'Hiftoire Journaliere du
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
goût de la Nation dans le Mercure , traiter
Montagne d'inutile commentateur des anciens
, & fes fectateurs d'ignorans ? ne feront-
il pas fondés dans leurs reproches ? jaloux
de l'approbation qu'ils ont donnée à cet
Auteur , bleffés de fe trouver compris dans
votre cenfure , n'iront ils pas peut- être jufqu'à
dire que les François n'étoient pas
dignes que Montagne fût né chés eux ?
›
Si j'avois à fuivre aveuglement l'opinion
de quelqu'un , certainement , Monfieur , je
choifirois la vôtre ; quoique retiré au fond
d'une Province je connois les lumiéres & les
agrémens de votre efprit , je connois tout le
prix des fecours que vous etes fûr de trouver
dans une fociété charmante , dans un de
ces génies rares , fublimes & aimables ,
digne par fa naiffance & fon rang d'être
compté parmi les plus illuftres protecteurs
des Lettres , digne par fes talens - d'être à la
tête de ceux qui les enrichiffent tous les
jours , mais , Monfieur , vous avez vû dans
mon portrait que mon opinion m'eſt chere
quand elle eft déterminée par le fentiment ;
vous fçavez d'ailleurs que les ignorans ſont
fujets à être entêtés .
Pardonnez moi de repeter encore cette
plaifanterie ; je vous jure qu'elle n'eſt point
dictée par l'humeur , il me feroit impoffible
d'en conferver avec vous , je vais fimpleOCTOBRE
1746. 79
ment tacher de deffendre Montagne , égalment
jaloux de vous perfuader & de vous
plaire .
Je commence , Monfieur , par féparer les
intérêts de Montagne & de Charron; l'un eft
trop fupérieur à l'autre.
Le voyage que Charron fit en Perigord ,
ſes entretiens avec Montagne , la communication
que ce Philofophe lui donna de
fes ouvrages , les confeils , l'amitié dont il
l'honora , voila ce qui donna naiffance au
Traité de la fagefle , Charron pénêtré d'admiration
& de reconnoiffance pour Montagne
, ne craignit point de placer des
paffages entiers des Effais de Morale , dans
les trois livres de la fageffe ; il les regarda
comme une partie de l'héritage de fon bienfaiteur
( a )
> }
Charron adopta les fentimens de Montagne
, mais il avança quelques propofitions
plus hardies que celles des Effais de Morale
, il les rendit affirmatives ; on ne paffa
point au Théologal de Comdom d'approfondir
ce que l'homme du monde n'avoit
ofé qu'effleurer ; jamais Auteur n'a été
attaqué avec plus d'animofité que Charron ,
plufieurs cependant , comme le Médecin
Chanet , eurent la prudence d'attendre fa
(4 ) Montagne laiffa un legs à Charron & la permiffion
de porter ſes armes .
Diiij
8. MERCURE DE FRANCE.
mort pour écrire contre lui. Naudé , dont
le nom a quelque autorité , le deffendit
avec force
"
Cependant dans toutes les querelles qui
s'éleverent au ſujet du livre de la fageffe (querelles
dont le motif étoit bien refpectable ) il
n'y eut rien qui tienne à celle d'aujourd'hui
Je ne crois point devoir prendre la deffenfe
de Charron dans cette occaſion , je me
borne à celle de Montagne , puifque c'eſt
celui qui eft principalement attaqué ; je com ·
mence par la critique de Monfieur de Voltaire
, qui a donné naiffance à la vôtre.
Monfieur de Voltaife n'attaque point
Montagne fur le fond de fon ouvrage , il
convient du plaifir que l'on trouve à caufer
avec lui , il loue la beauté & la vérité de ces
tableaux dans lesquels il s'offre toujours lui
même comme un exemple de la foibleſſe
humaine ; Monfieur de Voltaire admire fon
imagination , fon énergie , la naïveté avec
laquelle il exprime des idées fublimes , il lui
rend l'hommage , d'avoir été le premier Auteur
François qui ait mérité d'être traduit ,
cependant il defaprouve fon ftyle , fes conftructions
vicieuſes , quelques maniéres de
parler trop baffes , & la critique de Monfieur
de Voltaire tombe encore plus fur l'imperfection
de la Langue Françoife du tems de
Montagne , que fur la diction de cet AuOCTOBRE.
1746. 81
teur ; je ne chercherai point a refuter une
critique auffi judicieufe & auffi bien placée
dans la bouche d'un Académicien qui rend
compte des progrès de la Langue ; s'il regrette
que le langage de l'écrivain ne foit
pas parfait , ilrend juftice au Philofophe.
Cependant mon foible pour Montagne
me rend ingénieux à lui trouver des excufes
, même fur cette critique que j'approu-'
ve. Montagne n'avoit eu nuls fecours , nuls
exemples pour parler fa Langue d'une façon
plus correcte & plus épurée : de tout tems
elle a été défigurée dans la Province de Perigord
qu'il habitoit : vous fçavez d'ailleurs
quelle fut fon éducation , la Langue Latine
eft la feule qui lui fut enfeignée dans fon enfance
, il la begaya dans fon berceau ; la
Langue Françoiſe fut donc pour lui ce que
les Langues fçavantes font pour nous , (a) &
de même qu'on nous reproche quelquefois
des gallicifmes dans la Latinité , l'on peut
reprocher à Montagne des conftructions Latines
dans fon ftyle ; du moins nous lui
avons l'obligation de nous avoir fait fentir
tout le pouvoir de l'expreffion , & de nous
avoir prouvé que le mot propre eft le feul
qui puiffe rendre une penfée fans en alterer
ou le fens ou la force , j'ajouterai qu'il y a
(4) Montagne étoit fi acoûtumé à la Langue Lasine
qu'il dit qu'il penfoit en Latin,
DV
82 MERCURE DE FRANCE.
des morceaux entiers de cet Auteur écrits
avec autant de nobleffe que d'energie , mais
il eft vrai qu'on peut lui reprocher fon
inégalité.
Je fuis donc , Monfieur , très perfuadé
que Monfieur de Voltaire qui fait honneur
afon fiécle & qui en auroit fait à celui d'Augufte
, fe plaindra avec raifon en lifant
l'extrait de fon difcours dans le Mercure ,
qui vous ayés abufé d'une critique auffi juſte,
& auffi bien placée. ( a ) --
;
C'eft cette partie de fon difcours qui vous
conduit à dire qu'Horace a fourni la baſe
des ouvrages de Charron & de Montagne ,
que la plupart de nos ignorans qui donnent
le ton aujourd'hui , regardent comme
de plus grands Philofophes qu'Epictete ,
Marc Aurele &c , que ces modernes n'ont
fait que commenter.
Voila , Monfieur , vos propres paroles ; on
a reproché quelques diftractions à Homere ,
fouffrez que je vous en reproche une dans
cette occafion ; cette façon tranchante de
dénigrer les fectateurs de Montagne eft trop
dure , les bornes que vous mettez à ſon eſprit
& à fon travail font injuftes.
Je vous jure , Monfieur , que j'ai eu l'honneur
de lire plufieurs fois les ouvrages d'E-
(a ) Ce n'eft point à l'occafion de ce que M.
de V. a dit de Montagne qu'on en a parle .
OCTOBRE 1746. 83
ne
pictete & de Marc Aurele , qu'ils font placées
dans mon cabinet à la tête des meilleurs
livres dans ce genre , mais je ne vois
rien de moins femblable que leur Philofophie
& celle de Montagne . Epictete & Marc
Aurele étoient Stoïciens ; leurs propofitions
font toutes affirmatives , ils trai .
tent les paffions que comme de vils eſclaves
que l'ame doit & peut enchainer ; ils ne reconnoiffent
de perfection dans les opérations
de l'efprit , qu'autant qu'il eft abfolument
degagé de ce dont les fens peuvent
l'alterer , Ah , Monfieur , que Montagne ref
femble peu à ces hommes , qui dans leur
Morale veulent reffembler à des Dieux ,
Montagne connoit trop bien le pouvoir de
Ja Nature , il l'étudie fans ceffe , il la peint
telle quelle eft , il cherche à fe deffendre de
ce quelle a de vicieux , il tend à perfection .
ner ce quelle a de bon & de raifonnable ,
il compofe avec elle , il la reprime , il l'écoute
, il en demêle les foibleffes ; c'eſt ainfi
qu'il réuffit fouvent à l'éclairer ; voila fans
doute deux genres de leçons bien différens ,
& vous conviendrez que fi le fond de ‹ ur
Morale eft le même , ils prennent des routes
bien oppofées pour l'enfeigner.
Quelle reffemblance en effet peut fe
trouver entre des Dogmatiftes , & un feeptique
? Je conviendrai , Monfieur , que dans
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
quelques occafions Montagne s'eft appuyé de
leur autorité , mais convenez avec moi qu'il
ne s'eft jamais abaiffé à n'ofer penſer de lui
même & commenter fervilement cesAuteurs.
On donne quelquefois trop legerement
le nom d'imitateur & de plagiaire , ces noms
doivent être refervés pour les Auteurs des
ouvrages purement de bel efprit , mais on
ne doit les donner qr'avec une extrême réſerve
à ceux qui écrivent fur la Morale .
L'idée que nous avons de la vérité nous
la repréfente comme un point fixe dont on ne
peut s'écarter fans erreur. Óu la Morale
n'exifte pas , ou les principes doivent être
les mêmes dans toutes les Nations , dans
tous les âges , dans tous les efprits capables
de la concevoir & de la tranſmettre , il eſt
donc naturel que les Philofophes d'un certain
ordre ayent les mêmes penfées . La Morale
exifte par elle même , le fond en eft
commun à tous , il n'y a dans les leçons
qu'on en donne que les differens moyens dont
on fe fert pour la faire fentir, qui foient véritablement
à nous.
Montagne fans doute s'eft rencontré
avec les Stoïciens pour la bafe & pour les
principes , mais quant à la maniere de raifonner
fur leur fuite , la méthode differe en
tous points.
C'est ici , Monfieur , que j'ofe vous reOCTOBRE
1746. 85
peter que je fuis affés ignorant pour preferer
celle de Montagne , je n'écoute les leçons
d'Epictete & de Marc Aurele, que comme
le peuple profterné devant les trépieds recevoit
les oracles ; je fens la force & la
vérité de leurs leçons , mais dès que je penſe
à les fuivre , effrayé de la fublimité & de la
féchereffe de mes maîtres , je cours me renfermer
avec mon ami Montagne , je raifonne
avec lui , il me confole , il fe montre
auffi foible que moi , il me découvre des
reffources dans mon coeur que j'ignorois ,
& peu à peu il me donne les moyens de mettre
les leçons des autres en pratique.
C'eft beaucoup pour les hommes que
d'avoir l'idée de la perfection , & de faire
tous leurs efforts pour marcher toûjours
vers ce but , mais ils feroient trop malheureux
fi ces efforts étoient abſolument inutiles
, jufqu'à ce qu'ils euffent atteint cette
perfection trop fublime , trop élevée pour
eux ; la Philofophie trop auftere nous effarouche
& nous défefpére , le ftoïciſme ne
doit être regardé que comme l'héroiſme de
la Morale , mais rendons nous juftice ; la
Nature connoît peu l'héroifme , le combat
& le détruit fans ceffe , & malheureuſement
nous fommes tous enfans de cette Nature
foible & fujette à l'erreur.
Le reproche de commentateur des anciens
86 MERCURE DE FRANCE.
que vous faites à Montagne , me tient bien
au coeur ; j'y reviens malgré moi , Monfieur ,
permetrez moi une vengeance innocente , je
vous prie de relire ce qui nous refte de
Pithagore & vous verrez qu'Epictete & Marc
Aurele ont fouvent commenté les vers dorés
& ce que Hiérocles nous a tranfmis de la
Philofophie .
C'eft ainfi que les hommes fe prêtent des
fecours d'âge en âge.
C'eſt une perfection de l'efprit dans le
Philofophe de partir d'un principe dicté par
la raifon , & reçû chés tous les hommes ,
c'eſt une témérité pleine d'orgueil de s'en
faire de nouveaux , c'eft auffi une ingratitude
extrême de méconnoître les fources ou l'on
a puifé & qui nous ont enrichi : la bonne
foi de Montagne fur cet article fait l'éloge
de fon coeur & de fon efprit ; qu'il feroit
heureux pour notre fiécle que ce Philofophe
eût des commentateurs dignes de lui , & qui
fuffent capables de remplir ce fouhait qui
prouve fi bien fa candeur ! j'aimerois bien
quelqu'un ( dit- il ) qui me fçut déplumer par
clarté de Jugement.
Si Montagne a quelquefois imité les anciens
, c'eft qu'il n'y avoit point de façon plus
claire , plus préciſe d'annoncer une vérité ;
il n'en doit infpirer que plus de confiance.
OCTOBRE . 1746. 87
Laiffons aux feu's Phyficiens la gloire paf
fagere de forger de nouveaux fyftémes ; n'en
admettons point dans la morale ; fes droits
font trop facrés pour dépendre de l'imagination
.
Ses principes furent fans doute imprimés
dans le coeur des premiers hommes : fes
loixs furent écrites par les premiers Légiflateurs
, nous ne pouvons depuis bien des
fiécles difcuter que les moyens d'acomplir
ces loix primitives , & ceux que Montague
nous offre me paroiffent les plus sûrs , les
plus à la portée de la foibleffe humaine.
Les plus célébres écrivains qui lui ont fuccedé
& qui ont écrit dans le même genre ,
ont fait fon éloge & Pont fouvent imité , le
célébre Afhley Cooper , Comte de Schatſbury
fe fit honneur d'être appellé le Montagne
de l'Angleterre ; le Duc de Bukingham
, le préfere à un Compatriote illuftre
au fameux Bacon. Montagne attaqué par
Badius & quelques fçavans trouva les plus
beaux génies de fon tems & tous les gens de
goût pour les deffenſeurs , (a)
Les effais de Morale font traduits dans la
plupart des Langues de l'Europe ; ils ont été
(a) La Bruiere a dit que Balzac ne penfoit pas
affés pour aimer Montagne , & que le Pere Malbranche
penfoit trop fubtilement pour goûter un
eſprit auf naturel .
88 MERCURE DE FRANCE.
réimprimés d'âge en âge , jamais livre Fran
çois n'a eu un fuccès plus conftant.
Je fuis fans doute , Monfieur , un des plus
foibles deffenfeurs que Montagne pouroit
trouver aujourd'hui , mais je fuis pénétré de
la juftice de la caufe que je foutiens ; je
vous demande au nom de tous fes Sectateurs
d'adoucir une critique que nous trou
vons trop févére , vous nous avez trop accoutumés
au plaifir de vous entendre par
des ouvrages pleins d'agrémens & de beautés
naturelles , pour vous paffer cet inſtant
d'humeur contre notre ami Montagne ; les
hommes font affés injuftes , pour exiger
qu'un Auteur auffi capable de leur plaire ,
foit occupé de leur plaire toujours.
J'ai l'honneur d'être avec toute l'eftime
poffible , &c.
OCTOBRE 1746.
89
SEANCE PUBLIQUE de l'Académie
pour la réception de M. l'Abbé de la Ville ,
le Jeudi is Septembre.
Ous avons déja rendu compte des fen-
Ntimens du public fur le difcours de M.
l'Abbé de la Viile , mais nos engagemens
avec le public exigent de nous que nous lui
rendions un compte plus détaillé de cette
Séance , & c'est ce que nous allons faire.
Des circonstances qui ne dépendoient pas
de M. L. D. L. V. lui ont fait fufpendre fon
remerciement & fa réception. Après avoir
remercié l'Académie de la grace qu'elle lui
a accordée le nouvel Académicien paffe
par une tranfition heureuſe à l'éloge de M.
l'Evêque de Bazas . Cet art des tranſitions fi
néceffa re dans les difcours de ce genre
brille ici dans fon plus grand éclat , & M. L.
D. L. V. a lié les differentes matieres qui
entrent néceffairement dans ce difcours ,
avec une adreffe qu'il eft plus aifé d'admirer
que d'imiter.
Les dignités & les honneurs , dit- il , en
parlant de M. l'Evêque de Bazas , qui tron
ordinairement fervent de prétexte à l'oifiveté
, furent pour M. l'Abbé Mongin un
90 MERCURE DE FRANCE.
engagement pour des occupations plus vives
& moins interrompues , & ce n'eft point
à lui qu'on a pu reprocher qu'il avoit ceffé
d'inftruire au moment que fon état lui en
avoit impofé l'obligation . Elevé à l'Epifcopat
, il a fait , pour l'édification des peuples
confiés à fon zéle , un ufage conftant & utile
de l'art de perfuader , dont il avoit appris
parmi vous les principes & les régles . Enfin
illuftre Académicien & Prélat vertueux , il
a mérité vos regrets & ceux de fon Diocèſe.
Après avoir encore jetté quelques fleurs fur
la tombe de fon prédécefleur , M. L. de la
Ville continue .
C'eſt à vous
rendre digne de la grace que vous m'avez
faite , & c'eft dans vos affemblées
que je
vais tâcher d'apprendre
cet art fublime
de
penfer & de s'exprimer
, qui fait le caractére
de la véritable
éloquence
, & qui n'eſt
pas moins
néceffaire
au négociateur
qu'à
Ï'orateur
.
MESSIEURS , à me
Les Romains en étoient fi perfuadés ,
qu'ils employoient le même terme pour fignifier
l'une & l'autre de ces deux fonctions.
C'eft auffi par cette raison qu'un Miniftre
en qui le mérite fe perpétue avec l'ancienneté
de la nobleffe , & dont le nom annonce
tout-à-la fois le citoyen défintereſſë .
OCTOBRE 1746. 91
l'homme d'Etat & l'homme de Lettres , a
- bien voulu en cette occafion fi intereflante
pour moi , encourager les vûës de mon ambition
. Il a parfaitement fenti que pour
être plus en état d'exécuter fes ordres , &
de répondre à la confiance dont il m'honore
, j'avois befoin de vos leçons , & il a
fouhaité que je fuffe à portée de les rece-
*
voir.
En effet , MESSIEURS , il n'eft peut -être
point de profeffion qui exige autant que celles
qui ont rapport au miniftére étranger .
une grande fupériorité de talens & de connoiffances.
Il eft fur- tout effentiel à tout négociateur
de poffeder exactement notre
Langue , puifque par vos foins & pas vos ouvrages
elle eft devenue dans toutes les Cours
le lien neceffaire de fociété & de correfpondance
entre les adminiftrateurs des interêts
publics.
Votre Fondateur , ce célébre reftaurateur
de la belle Litterature & de la faine po.
litique , ne porta peut- être pas fi loin fes
efpérances,lorfqu'il établit cette Compagnie
d'hommes choiſis , deftinée à perfectionner
la raifon & le Langage.
Vous fçavez , MESSIEURS , que les annales
de notre Monarchie renferment peu de miniftéres
auffi difficiles que celui du Cardinal
de Richelieu , mais elles ne nous offrent au92
MERCURE DE FRANCE.
cun Miniftre qui ait conçu & exécuté des
projets fi hardis & fi vaftes pour la gloire
de fon Maître & de fa Nation .
Affermir l'autorité royale fur la ruine des
factions étrangères & des cabales domeſtiques
, entretenir la confiance & l'amitié entre
des Nations toujours jalouſes & ſouvent
injuftes , concilier les interéts les plus oppofés
, proportionner les difcours & fes démarches
aux préjugés & aux paffions d'autrui
, ménager avec art des efprits prévenus
& des coeurs indociles , ralentir l'impétuofité
des uns , échauffer la nonchalance des
autres , ne développer fes idées & ſes vûës
que par des progrès fucceffifs & avec toute
la dextérité convenable pour en faciliter le
dénouement , mais fans s'écarter des loix
effentielles de l'honneur & de la vérité ; réparer
les fondemens de la tranquillité puplique
, ébranlée par l'efprit d'ambition &
de vengeance , difcuter le fort des Empires
, en prévenir la décadence , ou en accélérer
les révolutions , & préparer ces événemens
d'éclat qui changent tout- à- coup la
fcéne du monde , & qui lui donnent de nouveaux
maîtres.
Tels furent les grands objets qui occuperent
conſtamment ce fameux Miniftre , &
pour les remplir avec gloire & avec fuccès ,
quelles qualités ne réuniffoit- il pas en lui
feul ?
OCTOBRE 1746. 93
Difcernement für , éloquence naturelle ,
application au travail , facilité à s'expliquer
avec préciſion , grace & fentiment , efprit
de détail & de combinaiſon , fidélité dans
les correfpondances , fagacité dans les conjectures
, décence dans la repréfentation
nobleffe dans les procédés , élévation dans le
génie , prudence dans les délibérations , activité
dans les entrepriſes , perfévérance dans
l'exécution , fecret fans diflimulation ; & dignité
fans fauffe gloire , connoiffance dest
hommes pour leur parler à propos , & des
affaires pour les traiter avec avantage . En
un mot , MESSIEURS , votre Fondateur
poffe doit cet affemblage précieux de talens ,
de lumieres & de force , qui le rendirent
toujours fupérieur aux événemens , aux di- ,
gnités & à la jalouſie.
Votre établiffement ne fut pas un des
moindres traits de fa politique , & il auroit
recueilli par avance le fruit de fes travaux ,
s'il avoit prévu le dégré de perfection où
parviendroient la Langue & la Litterature
Françoife , & cette efpèce d'empire univerfel
qu'elles exercent aujourd'hui en Europe .
Il étoit réservé à Louis XIV . d'achever
par fa protection & par fes bienfaits l'ouimmortel
dont le Cardinal de Richelieu
avoit jetté les fondemens.
vrage
Vous le retrouvez ce Monarque véri
94 MERCURE DE FRANCE.
tablement grand dans l'héritier de fon fceptre
, de fa gloire & de fes vertus .
Ne vous attendez pas , MESSIEURS , que
je vous repréſente ici le vainqueur de Fontenoi
, le conquérant de la Flandre , du Brabant
; & du Hainault. C'eft à vous à tranfmettre
à tous les âges & à toutes les Nations
cette bataille à jamais mémorable , & tous
les exploits militaires qui fans le fecours de
l'Hiftoire & des Beaux Arts , ne feroiena
guéres connus que de ceux qui en auroient
été les héros , les fpectateurs ou les victimes
. Peignez des plus vives couleurs la guer
re , ce fléau cruel , mais quelquefois inévitable
, qui fuivant les points de vûe differens
fous lefquels on l'envilage , eft ou la gloire ,
ou la honte , mais toujours la deftruction
de l'humanité .
Pour moi , MESSIEURS , témoin des principes
d'équité & de modération qui dirigent
les réfolutions du Roi , je ne vous parlerai
que de fes vertus pacifiques.
Quelque juftifié qu'il foit aux yeux de la
raifon & de l'impartialité des calamités
d'une guerre qu'on l'oblige de continuer ;
quelque inépuifables que foient les reffources
qu'il peut le promettre de la justice de
વિ
fa caufe , de la droiture de fes intentions
de la fermeté de fon courage , de la fageffe
de fes confeils , de la valeur de fes troupes ,
*
OCTOBRE 1746. 95
& de l'amour de fes fujets , il ne cherche
qu'à faire oublier le Roi conquérant , pour
ne montrer que le Roi pacificateur .
Rappellez vous , MESSIEURS, ce moment
fi flatteur où quatre Nations liguées contre
lui venoient enfin après un combat opiniâtre
de fuccomber fous l'effort de fes armes .
Quel fentiment prévalut alors dans le coeur
de ce Prince magnanime ? Il s'attendrit ſur
le fort des vaincus , prêt à arrêter le cours
de fes victoires , puifque leur fang devoit en
être le prix. Je fus moi-même chargé de leur
porter des paroles de paix lorfqu'ils étoient
encore agités des premiers mouvemens de
leur confternation , & j'eus la fatisfaction de
voir dans cette conjoncture fi critique , ce
que j'avois toujours remarqué en d'autres
occafions , que fi la France a des ennemis &
des envieux , fon Roi trouve parmi les envieux
même & les ennemis de fa puiffance ,
des admirateurs & des panégyriftes.
Quel fpectacle plus touchant que celui
de fon entrée triomphante dans les villes récemment
foumises à fa domination ? Les peu-i
ples paroiffoient donner une attention mé
diocre à l'éclat & à la pompe de la Majefté`
Royale , pour n'ériger des trophées qu'à la
clémence & à la générofité du Roi. Ce n'étoit
point un hommage forcé ; c'étoit un tribut
fincére que leur refpect , leur amour &
و گ
MERCURE DE FRANCE.
leur reconnoiffance payoient avec empreffement
au meilleur de tous les Princes . No.
tre magnificence ne faifoit fur ces peuples
qu'une legere impreffion ; ils ne nous envioient
que notre Maître , & ils craignoient
uniquement qu'en les affujettiffant à fes loix ,
la Providence ne leur eut accordé qu'une
faveur paflagere,
Veuille le Ciel fenfible à nos voeux & aux
befoins des Nations répandre dans l'ame
des autres Souverains cet efprit d'humanité ,
de douceur & de conciliation qui éterniſe la
mémoire des bons Rois, & qui fait le repos ,
la fûreté & le bonheur public !
Que ce fanctuaire de l'éloquence retentille
fans cefle des juftes éloges de votre augufte
Protecteur , qui fan's craindre la guerre,
défire fincérement la paix , & qui ne redou
tant aucun de fes ennemis , voudroit les
avoir tous pour alliés.
Si nous avions donné encore de plus grands
éloges à ce difcours , cet extrait les juftifieroon
v voit par tout l'éloquence d'un efprit
élevé & fage, dont l'imagination eft réglée
fans que la regle en amortifle le feu ; la difficul
té de la matiere traitée tant de fois par d'excellens
ciprits,quiíemblent l'avoir épuifée, ajoute
un nouvel éclat au fuccès.
M. Bignon , Chancelier de l'Académie ,
répondit au difcours de M. l'Abbé de la
OCTOBRE 1746.
97
Ville. Cette réponſe contient, fuivant l'uſage,
l'éloge du dernier Académicien , & celui de
fon Succeffeur, écrit élégamment & avec pureté.
M. l'Abbé deBernis lut enfuite le cinquiéme
Chant de fon Poëme contre l'irreligion . L'ob
jet de ce Chant eft d'expoſer le fyftêine de
Spinofa , & de montrer les inconvéniens qui
en résultent quant à la Morale.
Le Poëte commence ainſi :
Enfin je vous revois , bois antique & ſauvage ,;'
Lieu fombre , lieu défert , qui dérobez le fage
Au luxe des Cités , à la pompe des Cours ,
Où quand la raifon parle elle convainc toujours ,
Où l'ame reprenant l'autorité fuprême
Dans le fein de la paix s'envifage elle-même.
Efclave dans Paris , ici je deviens Roi ;
Cette grotte où je penſe eſt un louvre pour moi.
La fageffe eft mon guide , & l'univers mon livre ,
Et j'apprends à penfer pour commencer à vivre.
C'eftici que la fage & profonde raiſon
De mon efprit captif étendit la priſon ,
Quand armé du flambeau de la Philofophie
Je démafquai l'erreur que l'orgueil défie ,
Que toléra long- tems le Batave féduit .
Et que jufqu'en nos murs le menfonge a conduit.
E
98 MERCURE DE FRANCE
Après une invocation que le Poëte adreffe
à Dieu pour lui demander la force de convaincre
l'erreur.
Un feu pâle & foudain
De ma grotte à ces mots remplit le vafte fein.
Je crus être témoin de la chute du monde.
Les Aftres égarés dans une nuit profonde ,
Et par leurs tourbillons vainement fufpendus
Roulerent dans les airs enſemble confondus ;
Tout parut s'abimer .
Je vis fortir alors des débris de la terre
Un énorme Géant , que dis-je ? un monde entier ,
Un coloffe infini , mais par- tout régulier ;
Sa tête eft à mes yeux une montagne horrible ,
Ses cheveux des forêts , fa paupière terrible
Une fournaife ardente , un abîme enflammé ,
Je crûs voir l'univers en un corps transformé.
Dans fes moindres vaiffeaux ferpentent les fontai
nes
Le profond océan écume dans fes veines ,
La robe qui'le couvre eft le voile des airs ,
Sa tête touche aux cieux , & fes pieds aux enfers.
Telle eft l'image fenfible par laquelle eft
repréſenté le fyftême de Spincfa , dans lequel
Dieu eft l'affemblage de tous les Etres.
Cet art du Poëte eft digne de remarque &
OCTOBRE 1746. 99
d'éloge , & on doit fçavoir gré à M. L. D. B.
d'avoir orné de toute la magnificence de la
Poëfie une matiere auffi abftraite .
Ce fantôme que la vérité ne préfente que
pour être détruit , acheve de fe faire connoître
en s'adreffant lui-même au Poëte ; c'eft
une fuite du premier artifice que l'Auteur a
employé , & qui met en action l'explication
d'un fyftême métaphyfique . Ceffè , dit le
fantôme .
Ceffe de méditer dans ce fauvage lieu :
Homme , plante , animaux , eſprit , corps , tout est
Dieu.
Spinofa le premier connut mon exiſtence ;
Je fuis l'Etre complet , & l'unique fubftance .
La matiere & l'efprit en font les attributs ;
Si je n'embraffois tout , je n'exifterois plus ;
Principe univerſel , je comprends tous les Etres ;
Je fuis le Souverain de tous les autres Maîtres ,
Les membres differens de ce vafte univers
Ne compofent qu'un tout , dont les modes divers
Dans les airs , dans les cieux fur la terre & fur
l'onde
>
Embelliffent entre eux le théatre du monde ,
Et c'eft l'accord heureux des Etres réunis
Qui comble mes tréfors & les rend infinis ;
Ceffe donc de borner ma puiffance divine ;
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
Je fuis tout ; tout en moi , puife fon origine ;
Ma grande ame circule , agit dans tous les corps ,
( a).
Et felon leur ftructure anime leurs refforts ,
Mais le feu de l'efprit ne s'échappe & n'émane
Qu'à travers le bandeau que m'oppoſe l'organe;
Si le voile eft épais , l'efprit éclate moins ,
S'il eft plus délié , libre alors de tous foins
Il brife le tiffu de fes liens rebelles ,
Et jufques dans le ciel lance fes étincelles .
·
Mon corps eft le monceau de toute la matiere ;
L'union des efprits forme mon ame entiere.
Il dit , mais de cent coups à l'inftant foudroyé ,
Comme un foible criſtal le coloffe eft broyé ,
L'obfcurité s'enfuit , le jour enfin m'éclaire ,
Et tout s'offre à mes yeux dans fa forme ordinaire,
Après avoir expofé ce fyftême avec toute
la fublimité d'une imagination hardie , & de
la Poëfie la plus noble , le Poëte entre dans
le détail des abfurdités & des contradictions
qu'il implique quant à la Morale. Quoi !
dit-il :
Levice le plus bas , la plus haute vertu ,
( 1) C'est ici une imitation de ces deux Vers de
Virgile :
Spiritus intus alit , totamque infufa per artus
Mens agitat molem & magno fe corpore miſcet,
OCTOBŘE * 1746. . 10t
Auroient le même Auteur & la même naiffance ?
Dieu peut donc réunir le crime & l'innocence ,
Et pouffant le contraſte au dégré le plus haut ,
Remplir tout à la fois le trône & l'échaffaut.
Tout eft Dieu , dans un fiécle où la miſére abonde?
Où l'erreur , la folie , ont envahi le monde ,
Où la chûte eft toujours voifine du fuccès ;
Où l'excès eft fans ceffe à côté de l'excès ?
Tout eft Dieu , difons-nous , & le globe où nous
fommes
A peine a-t'il produit , non des Dieux , mais des
hommes.
M. L. D. B. parcourt les differens âges &
les differens états de la vie , & montre les
contradictions infoutenables que tous ces objets
offrent aux fectateurs de Spinofa. Nous
allons donner quelques traits de la peinture
qu'il fait de la Cour.
Du cahos de la Cour fondez la profondeur ,
Des Dieux qu'on y révére obfervez la grandeur ,
Démêlez la droiture ou démafquez les vices
Des modernes Burrhus ou des nouveaux Narciffes ,
Au politique habile arrachez le bandeau ,
Au traître ténébreux préfentez le flambeau ,
•
Parcourez à loifir le dangereux féjour
D iij
102 MERCURE DE FRANCE.
Où lafortune éveille & la haine & l'amour ,
Où la vertu modefte & toujours poursuivie
Marche au milieu des cris qu'elle arrache à l'envie ,
Tout préſenté en ces lieux l'étendart de la paix ;
Où fe forge la foudre il ne tonne jamais ;
Les coeurs y font émus , mais les fronts y font calmes
,
Et toujours les Cyprès s'y cachent fous les palmes ;
Théatre de la rufe & du déguiſement ,
Le poifon de la haine y coule fourdement ;
Il n'eft point à la Cour de pardon pour l'offenfe .
Hommes dans leurs arrêts , & Dieux dans leur
vengeance ,
Les Courtifans cruels reftent toujours armés ,
Contre des ennemis que la haine a nommés .
Après avoir parcouru les conditions humaines
, le Poëte s'écrie :
"
A ces traits que penfer d'un horrible fyftême
Où Dieu tout à la fois , favori de lui-même ,
Rival ambitieux , & ligueur inconftant ,
Fonde , éleve & détruit fon Empire flottant ,
Tantôt adroit Ulyffe , imprudent Salmonée ,
Ajax blaſphémateur , religieux Enée ,
Objet de fon eftime , objet de ſes mépris ,
Il eft Therfite , Hector , Ménélas & Paris.
Affemblage imparfait de force & de foibleffe ,
Infame dans Tarquin , & chafte dans Lucrece ,
OCTOBRE
1746. 103
Fauteur de l'ignorance , inventeur des Beaux Arts ,
Foible comme Venus , effrayant comme Mars ,
Il fait voler enfemble & l'Aigle & la Colombe.
C'eft un ruiffeau qui fuit ; c'eft un torrent qui
tombe.
Image de la paix , image de la guerre ,
Réuniffant en lui l'enfer , le ciel , la terre
Protecteur du menfonge & de la vérité ,
Quel trait lui refte- t'il de la Divinité ?
Spinofa confondit & l'efclave & le maître ;
Séparons Dieu de l'homme , & le néant de l'Etre;
Ceffons de l'avilir en uniffant à lui
Les Etres dont il eft & l'Auteur & l'appui ;
Il feroit moins puiffant s'il avoit nos richeſſes ,
Et
pour lui nos vertus ne font que des foibleffes.
On répond enfuite à ce principe de Spinofa
, qui a nié l'exiſtence réelle du bien &
du mal moral . Vos titres , fait - on dire à
cet Athée.
Vos titres , non vos jours , deviendront immortels ,
Mais qu'importent aux morts l'encens & les Autels
?
Dois- je m'inquiéter qu'un refte de ma cendre
Occupe avec éclat le tombeau d'Alexandre
Le fafte nous fuit- il dans la nuit du cercueil ?
Eij
104 MERCURE DE FRANCE.
La gloire eft-elle utile où l'on n'a plus d'orgueil ?
Ofez braver des loix que vous pouvez enfraindre ;
Otez la foudre aux Dieux en ceffant de la craindre.
'Ainfi
que la vertu le crime eft chimérique ,
Tous deux font les enfans de notre politique ;
L'audace & la valeur nous ont donné les Rois >
L'ignorance les Dieux , & la crainte les Loix ,
Mais devant la raiſon rien n'eft illégitime ;
Le cruel affaffin ainfi que fa victime
Par des moyens divers fatisfont au devoir ,
L'un doit porter le coup , l'autre le recevoir ;
Nos divers fentimens dépendent des organes ,
Non , rien n'eft glorieux , rien n'eft humiliant ,
Le bien eft l'exiſtence , & le mal le néant.
Un fyftême fi abſurde eſt aiſé à réfuter.
Le Poëte montre avec force les contradictions
qu'il implique ; il peint les charmes
de la vertu , l'horreur des crimes , & pourfuit
ainfi :
›
D'où vient qu'une bergere affife fur les fleurs ,
Simple dans fes habits , plus fimple dans fes moeurs,
Impoſe à fes amans furpris de fa fageffe ?
Sévére avec douceur , & tendre fans foibleffe ,
Elle a l'art de charmer fans rien devoir à l'art ;
OCTOBRE 105 1746.
Son devoir eft fa loi , fa défenfè un regard ,
Qui joint à la fierté d'un modefte filence ,
Fait tomber à fes pieds l'audace & la licence.
D'où vient qu'un Villageois affis fous un ormeau ,'
Juge des differens qui naiffent au Hameau ?
Pauvre , chargé de foins , & confumé par l'âge ,
Qui peut l'avoir rendu le Dieu du voisinage ?
Les Paſteurs raffemblés viennent autour de lui
Chercher dans fes leçons leur joye & leur appui ;
Eh ! ne voyez-vous pas qu'amant de la fageffe ,
* 11 eft jufte fans fafte , & prudent fans fineſſe ,
Et que l'intégrité conduifant fes projets
De fes Concitoyens il s'eft fait des ſujets ?
La vertu ſous le chaume attire nos hommages ,
Le crime fous le dais eft la terreur des fages.
,
Qui foule aux pieds les loix , le trône & les autels ,
Et l'opprobre du monde , & l'horreur des mor-
瞿tels.
Dire que tout est bien , c'eft dire aux parricides ,
Frappez , enfanglantez vos armes hommicides ;
Sujets, révoltez -vous ; Rois , foyez des tyrans ;
Fiers vainqueurs , infultez aux vaincus expirans ,
&c.
L'Affemblée écouta ce Chant avec le même
plaifir que lui avoit donné celui que M.
L. D. B. lut le jour de S. Louis . On doit lui
fçavoir d'autant plus de gré de cet emploi
qu'il fait de fes talens , que jamais le vice
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
qu'il combat n'a été plus commun ; jamais
il n'a été plus néceffaire de faire des efforts
efficaces pour l'écrafer. C'eſt que malheureuſement
les bons efprits font plus rares
que jamais. Car c'eft une remarque qu'il
elt aifé de faire ; tous les gens entichés de
ce vice , font de mauvaiſes têtes , ou des
jeunes gens fans expérience , qui croyent
s'élever en combattant les principes les plus
facrés . Et pour ne parler que des gens de
Lettres , jettons les yeux fur ceux qui ont
illuftré le fiécle paffé ; le grand Corneille ,
Racine , Boileau , n'ont jamais été foupçonnés
d'irreligion, Ces écarts étoient faits pour
Cirano qu'une imagination déréglée entraînoit
vers tout ce qui lui paroiffoit fingu
lier. L'immortel Rouffeau , l'inimitable la
Fontaine , ont paffé les dernieres années de
leurs vies dans les pratiques de la Religion ,
& ceux qui fe diftinguent de nos jours , font
déles à la Religion & à la Vertu .
*
OCTOBRE
1746. 107
LETTRE de M. l'Abbé Seran de la Tour
aux Auteurs du Mercure .
Extrait du Mercure de France , mois d'Août
1746.
Lettre 248 , pag. 188 du 17e . tome des Obfervations
de feu M. l'Abbé Desfontaines.
Il ne falloit à Epaminondas, dit M. l'Abbé
Seran de la Tour , que des jours plus longs
pour rendre fa Patrie fouveraine de la
Grece par Mer.
A jamaistombé dans l'efprit de ce grand
Vûe de pays je ne crois pas qu'il foit
homme , ni d'aucun Thébain ſenſé de projetter
une Marine fi redoutable . Thebes ,
Ville méditerrannée , fituée fur le bord d'une
petite riviere à laquelle on peut bien donner
le nom de ruiffeau , & qui porte à peine
bâteau , éloignée de la Mer , fans commerce
ni navigation , dénuée parconféquent d'Officiers
, & Matelots, Thébes, dis- je , n'étoit pas
propre à eſpérer la Souveraineté de ces Mers.
Cela me fait conjecturer que ce fyftême de
Marine Thébaine n'a jamais exifté que dans
l'imagination de l'Hiftorien moderne d'E108
MERCURE DE FRANCE.
paminondas , ou dans les panégyriques
qu'on a faits de ce Héros .
Voilà , Meffieurs , la remarque qu'un Critique
anonyme a faite fur l'extrait que feu
M. l'Abbé Desfontaines a donné de l'Hiftoire
d'Epaminondas. Voici la réponſe .
Il eft conftant que Thébés étoit une Ville
méditerranée , c'est- à-dire , ce que le Cenfeur
auroit pû expliquer , que Thébes étoit
fituée affès loin des côtes de la Béotie ; mais,
dira-t'on que la France ne fçauroit avoir de
Marine , parceque Paris eſt éloigné de la Mer
environ de quarante lieues:Si la France a des
Villes Maritimes , n'eft- elle pas au contraire
maîtreffe d'avoir telle Marine qu'elle le juge
à propos?
Il en eft de même de la Béotie , Patrie
d'Epaminondas , dont Thébes étoit Capitale :
un fimple coup d'oeil fur la Carte de la Grece,
faite exprès pour l'Hiftoire d'Epaminondas
par un Géographe célébre , l'auroit fait appercevoir
au Critique , s'il avoit voulu juger
à vue de pays, comme il le dit très fauffemen .
Il auroit vu qu'une partie confidérable de la
Béotie étoit fituée fur le Golfe de Corinthe,
aujourd'hui de Le pante , fameux par le combat
naval qui en a pris le nom . S'il s'étoit
donné la peine de parcourir l'Hiftoire d'Epaminondas
, les faits renfermés dans les pages
15 & 216 lui auroient prouvé invincibleOCTOBRE
1746. 109
ment que Thébes avoit une une Marine. La
République d'Athéne en prit un fi grand ombrage
qu'elle envoya Laches , le meilleur
homme de Mer qu'elle eut alors , pour traverfer
une expédition que les Thébains méditoient
fur les Ifles de Rhodes & de Chio.
Ce grand homme cependant , tout Athénien
qu'il étoit , c'est-à - dire né au milieu d'un peuple
confommé dans la Marine , eut la douleur
de voir la Flotte Théhaine s'emparer à la vûe
de la fienne des Ifles qu'il venoit protéger. Il
ne put ou il n'ofa les deffendre . Ce trait eſt
appuyé fur l'autorité des meilleurs Hiſtoriens
cités exactement , lorfque l'importance des
événemens l'exige.
Après des preuves fi évidentes de l'exiftence
réelle de la Marine des Thébains , je
fuis perfuadé que l'Auteur de laremarque
aura quelque regret de l'avoir prife dans une
fi grande averfion , cependant fi ces preuves
ne fuffifent pas pour le réconcilier avec elle ,
je ne puis rien de plus ni pour l'un nipour
l'autre ; j'aurois défiré que cette Critique eut
été plus jufte , pour remercier celui qui l'a
faite . Sans doute il trouvera bon que je remette
mes remerciemens à une occafion plus
heureuſe. Je ne puis dans celle- ci qu'eftimer
fon intention tout ce qu'elle vaut.
J'ai l'honneur d'être , & c.
110 MERCURE DE FRANCE
L'ECOLIER ET LA PIE,
FABLE.
UN Ecolier , pour s'amuſet ,
S'en fut un jour à la pipée
Et paffa la demie journée
Prefque entiere à s'y difpofer. !
Il faifoit beau : l'après- dînée
Il prit fon divertiffement ,
Et vit pour le commencement
Près de lui tomber une Pie
Qui fe trouva bien étourdie-
Dans les mains du jeune cadet.
La petite au bruyant caquet ,
Voyant fa liberté ravie ,
D'abord effaya de s'enfuir ;
Mais une maudite ficelle
Vint s'opposer à ſon défir
Et pour furcroit de déplaifir ,
Le drôle faiſant ſentinelle ,
Aiſé n'étoit de déguerpir.
Elle eût beau fe plaindre & gémir ;
L'Ecolier qui la trouvoit belle,
Ne fe laiffa point attendrir.
» Mon cher poulet , lui diſoit-elle ,
OCTOBRE 1746.
III
A quoi pourrois.je te fervir ?
» Je n'ai rien en moi qui rappelle ;
Je te couterois à nourrir
Plus qu'une Linote nouvelle
» Qui fçaura mieux te divertir .
Rends- moi le plaifir des campagnes ;
» Je te promets de revenir
» Et de t'amener mes compagnes :
» Elles font plus graffes que moi ;
» Ce gibier ſera bon pour toi ;
» Tu peux compter fur ma parole :
» Déja j'en vois une qui vole.....
» A d'autres , reprit l'Ecolier ,
» Ce n'eft pas ainfi qu'on m'amufe ,
» Vous avez fait plus d'un mêtier ,
» Ma mie , & je vois votre rufe :
Mais venez toujours au panier ;
Tout fait nombre , & fou qui refuſe.
112 MERCURE DE FRANCE.
** ** *
A Mile la B ........ pour le jour de fa
JE
Fête.
E voulois par des vers polis
Célébrer , Philis , votre fête ,
Et de myrthes les plus fleuris
Couronner votre belle tête.
De tant d'attraits dont vous brillez
Je voulois tracer une idée ,
Et montrer que vous furpaffez
Tout ce qu'en dit la renommée ,
Mais tandis qu'un fi beau projet
Excitoit ma timide Muſe ,
L'Amour vint & me dit tout net :
Ceffe d'écrire ; tu t'abuſe ;
Va , laiffe- là ton compliment ,
Laiffe -là tes vers & ta profe ;
Pour louer Philis dignement
Tu n'as befoin que d'une chofe ;
Son nom feul ici te fuffit :
Dis la B ....... & tout eft dit.
L. ARB........ Etudiant en Médecine
à Aix.
OCTOBRE 1746. 113
de de de de de de de de de de de de de Ste
NOUVELLES LITTERAIRES.
ET DES BEAUX ARTS.
INSTITUTIONS DE GEOMETRIE
&c. Par M. de la Chapelle.
Car
E Livre que nous avons annoncé le mois
dernier eft muni d'un fuffrage qui doit
lui fervir de paffe port dans le public. MM .
Lemonnier & d'Alemberg de l'Académie des
Sciences , ayant été nommés par cette Académie
pour examiner l'ouvrage de M. de la
Chapelle , ont dit dans leur certificat imprimé
à la tête du Livre , que cet ouvrage méritoit
l'approbation de la Compagnie , tant par
P'ordre la clarté qui y régnent , que par la
méthode nouvelle à plufieurs égards , avec laquelle
l'Auteur a traité un fujet déja tant de
fois manié.
Il n'eſt pas besoin d'ajouter d'autres éloges
pour donner une bonne idée de ceLivre.
M. de la Chapelle s'eft fur- tout propofé de
mettre la Géométrie à la portée des enfans ,
même de fix ans ; il avoit , il y a quelquetems
, fait un difcours pour prouver que les
enfans de cet âge étoient capables d'attein114
MERCURE DE FRANC
dre du moins aux élémens des Mathématiques
, & qu'on faifoit fort mal de ne pas lès
leur apprendre dès ce temps . Ce difcours eft
imprimé à la tête de ce Livre , avec un au
tre où l'Auteur répond aux objections qui
lui ont été faites en grand nombre , & aufquelles
il paroît avoir été fort ſenſible pour
l'interêt de la vérité .
C'eft auffi l'interêt de la vérité qui nous
oblige à expofer quelques doutes que la lecture
de fes deux difcours nous a fait naître ,
après avoir rendu juftice au plan de ces inftitutions.
La méthode qui y eft fuivie , eft claire ,
facile à faifir , & telle qu'elle facilite confidérablement
l'étude de la fcience que l'Auteur
veut que l'on enfeigne aux enfans ; en
déduifant les propofitions immédiatement
les unes des autres , fans en laiffer d'inutiles ,
& qui ne foient pas néceffaires à l'explication
des fuivantes il procure deux
grands avantages , l'un d'abréger le chemin
, l'autre de foulager l'efprit & la
mémoire , qui tous les deux faifiſſent
bien plus ailément les chofes qui ont
quelque rapport enfemble , que celles qui
n'en ont point.
>
Nous ne doutons nullement que la Géométrie
élémentaire ainfi expliquée , ne foit à
la portée d'un enfant de fix ans , mais fautOCTOBRE
1746. 115
il conclure de - là qu'il vaille mieux lui apprendre
la Géométrie que le Latin , la fyntaxe
, pour lefquels l'Auteur paroit avoir
trop peu d'eftime ? Nous ne répéterons ni
les objections aufquelles l'Auteur a fuffifamment
répondu , ní celles qui fubfiftent peutêtre
en leur entier , malgré fes réponſes ,
mais nous lui demanderons fi un homme de
vingt ans n'apprendra pas les élémens en
beaucoup moins de tems que celui qui aura
commencé à fix ans ; nous ne doutons nullement
de fa réponſe , mais quand il voudroit
foutenir que l'enfant apprendra auffi aifément
que l'homme déja formé , il s'enfuivroit
encore qu'il auroit oublié ce qu'il auroit
appris à fix ans , lorfqu'il feroit arrivé à vingt,
âge où il feroit tems de prendre des connoiffances
d'état , aufquelles les élémens des
Mathématiques peuvent être utiles ou néceffaires
, car l'Auteur parle de l'éducation
générale , & non de celle qui auroit pour but
de faire un Géométre. En ce dernier cas on
ne pourroit trop tôt donner à l'éleve les premieres
notions de l'Art dans lequel il excelle
, mais dans les autres cas il fe trouvera ou
que l'enfant aura fait une étude que l'oubli
rendra inutile, ou qu'il aura employé plufieurs
années à acquérir des connoiffances que dans
un âge plus avancé , on lui auroit donné en
fort peu de tems ; ainfi on aura inutilement
116 MERCURE DE FRANCE.
fatigué fa jeuneffe , & perdu des momens
précieux qui pouvoient être employés .
Mais répondra M. de la Chapelle , cette
étude fert à former l'efprit d'un enfant ; la
rigueur & le fcrupule , avec lesquels les Mathematiciens
obfervent les objets de leurs spéculations
, accoutument l'ame à fe défier de fes premieres
vûes. On commence toujours trop tard à
lier fes idées.
M. de la Chapelle appuye ce raiſonnement
par plufieurs autres propofitions . Les
bornes de ce Journal ne nous permettent pas
d'entrer dans un grand détail , mais qu'il nous
permette de propofer quelques doutes que
nous foumettons à fes lumieres .
Un Géométre recommandable par fon efprit
aa ddiitt que la Géométrie ne redreffoit que
les efprits droits , & il eft plus vrai , peut -être
qu'on ne penfe que la Logique & la Géométrie
ne donnent point à l'efprit de principes
qui foient d'un grand ufage dans les
matières qui leur font étrangères. Voyons
comment les gens qui ont excellé en Géométrie
ont raiſonné fur ce qui n'étoit pas foumis
au calcul des Mathématiques.
Defcartes , qui le premier a fait connoître
le prix & la néceffité de la méthode & de la
Logique , Defcartes , qui au point où il a
trouvé la Géométrie lui a fait faire un chemin
beaucoup plus grand qu'aucun de ceux
OCTOBRE 1746. 117
qui l'ont fuivi , dès que cet homme , fi grand
Logicien & fi grand Géométre , eft forti de
la fphére de ces fciences , il a enfanté un ſyſtéme
brillant , peu folide , où l'imagination
abonde au défaut de la jufteſſe ,
Newton , que nos Géométres regardent
comme leur Patriarche , Newton a voulu faire
un fyftême de Chronologie , que l'illuftre
M. Freret a mis en poudre. Nous ne voulons
point abufer de nos avantages , & lui reprocher
encore fon Commentaire fur l'Apocalypfe.
Si la Géométrie n'a pû empêcher fes deux
héros de mal raifonner , quel fecours peutelle
donner à ceux à qui on n'apprendra que
les élémens , & qui feront à peine initiés dans
fes myftéres ?
Qu'on nous permette d'avancer un paradoxe
qui le paroîtra peut-être moins à meſure
qu'on l'examinera d'avantage . Cette matiere
pourroit être l'objet d'une differtation
ex profeffo , nous ne ferons à notre ordinaire
qu'indiquer une réflexion ; heureux fi cela
pouvoit engager de plus habiles que nous à
traiter ce fujet,
Sans doute tout eft foumis aux régles invariables
de la Logique , tout eft affaire de
calcul , mais ce n'e't là qu'un mot . Dans toutes
les ai aires de ce monde , le nombre des
conféquences qu'il faudroit tirer en réduifant
118 MFR CURE DE FRANCE.
les chofes au raifonnement, eft fi grand que ce
n'eft point par les opérations qu'enfeigne la
Logique que l'on peut fe conduire . Quoi
de plus foumis au calcul proprement dit que
le jeu des échets ? Mais les combinaiſons en
font fi multipliées qu'il n'y a point de Géométre
qui puiffe en calculer deux coups . Feu
M. Saurin , Géométre du premier ordre, étoit
défeſpéré de perdre aux échets contre un
Marchand qui ne fçavoit pas un mot de Géométrie.
Le calcul feroit fans doute applicable
à tout ; mais hors les chofes qui lui font
fpécialement foumifes , c'eft un inftrument
trop grand , dont les forces de l'humanité ne
nous permettent pas de nous fervir.
Ce joueur qui gagne un Géometre n'a pas
calculé toutes les combinaifons du coup qu'il
va jouer , mais l'efprit du jeu lui a fait former
par une expérience journaliere , differens réfultats
qui fe combinant dans ſa tête , réduifent
la chofe à un calcul plus fimple , & d'inftinct
, fi l'on veut , qui le trompe rarement.
Ce que nous difons du jeu le peut appl : -
quer à tout , chaque chofe à la Logique particuliere.
Un Ambaffadeur ne raiſonne point
comme un Juge , ni un Juge comme un Avocat
, la raison de cela eft que toutes les af
faires de ce monde fe déterminant par le
calcul des probabilités & des convenances ,
lefquelles font differentes dans tous les cas ,
OCTOBRE. 1746. 119
les régles générales qui font les feules que le
rafonnement faififle bien nettement , font
abſorbées par les exceptions & le nombre
infini de leurs combinaifons , que l'on n'apprécie
que par une espece d'inftinct .
En général ce n'eft point faute d'avoir l'ef
prit géométrique que les hommes fe trompent
; cet efprit fi l'on entend par-là l'efprit
de jufteffe que la Géométrie ou la Logique
peuvent donner , n'a été refufé à aucun homme
fain d'entendement.
Les caufes de nos erreurs font la prévention
, la précipitation dans les jugemens , & c ,
Cela appartient aux paffions. Celles qui appartiennent
à l'efprit viennent du peu de proportion
qui eft entre les différentes facultés
de l'efprit. Ceci a befoin d'être expliqué .
La faculté de comparer les idées que l'on
a conçues , eft la même chès tous les hommes;
c'eft-là ce qu'on appelle raifonner; mais
l'imagination qui eft la facilité de faifir ces
idées , l'étendue de l'efprit , qui eft la puiffance
de concevoir plufieurs objets à la fois &
d'en appervoir tous les rapports ; ces qualités,
font chez tous les hommes dans des degrés
fort différens. Si un homme a plus d'imagination
à proportion que d'étendue dans l'efprit,
il aura fouvent l'efprit faux , car il faifira
facilement les idées , mais n'appercevant pas
tous leurs rapports , ne pouvant pas garder
120 MERCURE DE FRANCE.
enſemble les idées, qu'une imagination facile
fera fuccéder rapidement , il ne verra qu'une
partie , & croira avoir tout vu. Ainfi il raifonnera
mal fans être mauvais Logicien ; il
n'aura eû que le tort de mal voir , & non de
mal conclure de ce qu'il a vu .
C'eft ainfi que Defcartes a fait un fyftême
qui eft un roman philofophique . Ce n'eft
point faute de Logique que ce grand homme
s'eft égaré , c'eft pour avoir embraffé une
matiere plus vafte que fon efprit , & qui
paffe l'étendue de l'efprit humain. Du grand
au petit ceraifonnement eft applicable à tout.
Les efprits faux font ceux que leur imagination
entraîne par de-là la fphére d'étendue
de leur efprit ; les efprits juftes font ceux qui
s'y bornent. Voilà pourquoi on dit fi fouvent
que les gens d'une grande imagination
ont l'efprit peu jufte , ils l'ont peut- être plus
que leurs critiques , mais la carri ‹ re où leur
imagination les entraîne paffe fouvent leurs
forces.
Nous nous flatons que fi M, de la Chapelle
veut examiner férieufement les difficultés
que nous lui propofons , il fera de notre
avis , & nous donnera de nouvelles lumieres
fur une matiere digne d'exercer un auffi bon
efprit que le fien .
Qu'il nous permette de lui faire encore
un petit reproche, Pourquoi donne-t'il le
fceptre
OCTOBRE 1746. 121
il
fceptre des ſciences à l'Angleterre ? Ne fçaitpas
que les plus grands Géométres de l'Europe
font en France ? A l'égard de Newton ,
il eft un grand Géométre , mais il a fait faire
à proportion moins de progrès à la Géométrie
que Defcartes ; le Syfteme de ce dernier
eft renverfé ; s'enfuit - il de-là que celui qui l'a
renverfé foit un plus grand homme que lui ?
à ce compte les derniers venus feroient toujours
les premiers,
Nous avons dit déja que le quatriéme volume
du Théatre Anglois n'étoit point inférieur
aux trois premiers , qui ont reçû du
public un accueil fi favorable. On y trouve
les extraits de plufieurs Comédies de Sakefpear,
& deux Comédies entieres , c'eſt à ſçavoir
Timon & les Commeres de Windfor
& au moyen de ce volume on a le Théatre
de Saxefpear complet.
•
que
Le Timon eft auffi different de celui
nous connoiffons fur notre Théatre , que le
Théatre Anglois l'eft du Théatre François.
Sakeſpear peint ici les vices de la fociété ,
la baffeffe des fateurs , l'inhumanité des ingrats,
le manége des coquettes, avec la même
force de pinceau dont il a peint l'horreur des
difcordes civiles , les combats funeftes des
factions de Lancaftre & d'Yorck , & la jalou
fie d'Othello . On dira peut-être qu'une Co,
F
122 MERCURE DE FRANCE
médie comme Timon , n'eft pas dans nos
moeurs , mais elle eft fûrement felon la nature
, puifqu'elle peint fort bien des vices & des
paffions qui font les mémes dans tous lesPays,
On voit d'abord l'indifcrette libéralité de
Timon , qui.confultant plus fon coeur généreux
que l'état de fes affaires , prodigue
fes biens à tous ceux qui fe préfentent pour
les recevoir. Une troupe de flateurs de tous
les états cherche à nourrir ſon erreur ; on ne
voit qu'unPhilofophe qui reclame pour la raifon
,mais ce cynique imprudent eft plus fait
pour infpirer l'averfion des maximes qu'il
débite , que pour les faire goûter. On voit
bien que Sakeſpear a voulu , fuivant les prin
cipes de l'Art, mettre des contraftes dans ſon
tableau , mais ceux ci font fi oppofés qu'il
n'en peut rien réfulter.
Le Poëte a mieux réuffi dans les caractéres
oppofés des deux maîtreffes de Timon.
Evandra n'aime Timon que pour lui-même;
honneur , dignités , richeſſes , elle eſt
prête à lui tout facrifier ; elle ne regrette que
fon coeur qui lui a été enlevé par Meliffe ,
jeune Athénienne , qui a tout le manége ,
toutes les graces , toute la légereté & la perfidie
que l'on pourroit donner à la coquetterie
perfonnifiée. Celle ci aimée d'abord d'Aleibiade
pour qui elle avoit du goût , fe retourne
vers Timon dès qu'elle voit fon preOCTOBRE
1746. 123
mier amant banni , prête à abandonner Timon
au premier bruit de fa déroute: fidelle à
fon feul interêt , n'ayant d'autre ſentiment
que la vanité , d'autre loi que l'ambition
d'autre plaifir que les triomphes de ſa beauté.
Telle qu'elle eft, elle eft préférée par Timon,
qui fent inutilement les torts qu'il a avec
Evandra , & la perte qu'il fait en abandonnant
une femme qui l'aime avec une bonne
foi & une conftance fi rares.
Cependant le mauvais état des affaires de
Timon ne peut plus fe cacher. Son Intendant
ne peut plus lui diffimuler qu'il n'a plus d'argent
, que les terres font engagées au-delà de
leur valeur , & fon crédit épuifé . Timon peu
allarmé de ces nouvelles funeftes , comptefur
les amis qu'il croit s'être faits. Il envoye demander
cinquante talens à chacun d'eux pour
l'aider dans fes preffans befoins , mais tous
font de glace au récit de fa mifére , &refuſent
fous differens prétextes de le fecourir. Meliffe
lui fait fermer la porte , & ce dernier trait lui
fait fentir plus vivement que cous les autres la
profondeur de l'abime qu'il s'eft creufé , & le
tort qu'il a eu de compter fur des hommes
perfides & ingrats .
Evandra feule vient lui offrir tous les biens
qu'elles a reçûs de lui , tout ce qu'elle poffede
, & fon coeur , devenu par ce facrifice d'un
prix au-deffus de tout ce qu'elle offre ;
Fij
124 MERCURE DE FRANC
Timon trop généreux pour vouloir lui faire
partager fon malheur , aigri par l'infortune ,
ne fonge qu'à fuir à jamais le commerce des
hommes , mais il veut auparavant ſe venger
des ingrats qui l'ont trahi. Il fait publier que
fa fortune eft toujours la même , qu'il a
voulu feulement éprouver ſes amis , & il les
invite à dîner. Lorfqu'ils font prêts à fe mettre
à table , il fait cette finguliere priere.
39
"
33
" Dieux immortels , fi vous voulez être
applaudis de vos bienfaits , prenez ce ſoin
», vous mêmes L'homme eft trop ingrat pour
les fentir. Ménagez vos dons envers les
» mortels , fi vous ne voulez bien -tôt en être
méprifés , & gardez - vous d'attendre rien
de leur reconnoiflance. Faites parmi ces
tigres que le repas foit toujours plus eftimé
que celui qui le donne. Que dans une
affemblée de vingt perfonnes il fe trouve
toujours plus de dix-neuf fripons , & que
leurs femmes foient dignes d'eux . Que ta
jufte colere , ô Ciel enveloppe & confonde
à la fois le Sénat & le peuple d'Athénes.
Et quant à ceux qui font ici préfens
, ne les épargnequ'autant qu'ils furent
amis , mes& remplis toujours leurs voeux ,
» commeTimon va fatisfaire leur appétit.
35
99
30
38
Alors Timon découvre les plats qui fe trouvent
vuides ; il les jette à la tête des Con
vives , & les pourfuit en les accablant d'injug
res,
OCTOBRE 1746.
&
Nous ne voulons que préfenter une efquiffe
imparfaite de cette piéce , & non un
extrait en forme, c'eft pourquoi nous ne nous
attachons pas à fuivre avec fcrupule la marche
des Actes & des Scénes. Timon fe retire
dans le défert ; il cultive la terre la bêche à
la main , & en travaillant , il trouve un tréfor;
mais cette nouvelle fortune ne le tente
point , il veut que fon or refte enfoui
que cependant les Athéniens fçachent que
jamais il ne fut plus riche. Dans le moment
il voit arriver la fidelle Evandra , qui l'a fuivi
dans le défert ; elle vient lui apporter
tous les biens , ou s'y enfévelir avec lui .
Timon confent avec peine qu'elle demeure
avec lui , & joignant l'or & les bijoux
d'Evandra au tréfor qu'ils enfouiffent , tiens ,
regarde , dit Timon à Evandra , en lui montrant
cet or, en faut- il plus pour faire condamner
l'innocent , pour juftifier le coupable,
pourannoblir le roturier, rajeunir le vieillard,
faire un héros d'un lâche , & des Dieux
fur la terre , &c . Ce morceau & toute la Scéne
où il fe trouve , nous a paru d'une grande
beauté...
Les anciens amis de Timon, fi on peut leur
donner ce nom , font d'inutiles efforts pour
le tirer de fon défert , dès qu'ils fçavent qu'il
a trouvé un tréfor ; Méliffe y vient auffi , mais
Timon , éprouvé par l'adverfité , eft inaccef-
F iij
126 MERCURE DE FRANCE.
fible à toutes les féductions ; il meurt enfin
dans fon défert & Evadnra fe tue.
Nous n'avons point parlé d'une intrigue
d'Albiciade , qui chemine au milieu de tout
ceci , comme étant étrangere à la peinture
des caractéres qui faifoit feule l'objet de no.
tre difcours.
-
Nous dirons hardiment qu'on trouve rarement
les hommes peints avec des traits auffi
forts & auffi vrais qu'ils le font dans cette
piéce. Le rôle de Timon & celui d'Evandra
font pleins des beautés les plus fublimes ,
& en même tems les plus touchantes. Le
beau caractére de cette maîtreffe de Timon
confole les fpectateurs du tableau affligeant
pour l'humanité, mais malheureuſement trop
vrai, que le refte des Acteurs leur préfente .
La Poëfie de ftyle à en juger par la tra
duction nous a paru , comme toute celle de
Sakeſpear , d'un fublime auquel péu de gens
atteignent , & nous ne doutons pas qu'un
Auteur dramatique qui fçauroit ajuſter à
notre Théatre les beautés dont les rôles de
Timon & d'Evandra furtout font remplis,n'excitât
l'interêt le plus vif , & n'arrachât bien
des larmes aux Spectateurs.
Les Commeres de Vindfor qui font la feconde
Comédie , traduite dans ce volume ,
forment une intrigue d'un autre ordre
celle de Timon, mais qui doit paroître véritaque
OCTOBRE 1749 127
blement comique aux Anglois pour qui elle
a été faite .
On voit auffi dans ce volume une Tragé
die en un Acte ; elle n'eft point de Sakeſpear ,
mais de Fletcher, & a de grandes beautés ; &
plus encore de hardieffe. Elle a fur- tout le
mérite de ne reffembler à rien , ce qui en eft
ungrand & bien rare pour les ouvrages dragmatiques
.
DICTIONNAIRE ABREGE' de
Peinture & d'Architecture où l'on trouvera
les principaux termes de ces deux Arts avec
leur explication , la Vie abregée des grands
Peintres & des Architectes célébres , & une
deſcription fuccinte des plus beaux ouvrages
de Peinture , d'Architecture & de Sculpture
, foit antiques foit modernes. Deux vo
lumes in-12 . A Paris , Quai des Auguftins ,
chés Nyon fils à l'occafion , & Barrois à la
Ville de Nevers , 1746.
PIECES d'Eloquence & de Poëfie qui
ont remporté le Prix au jugement de l'Académie
Royale des Sciences & Belles Lettres ,
établie à Pau , avec un remerciment à la même
Académie , par M. C *** D. PO. A
Paris chés Ph.N.Lottin, Imprimeur-Libraire,
& Aug. Martin Lottin fils , Libraire , 1746.
Fij
128 MERCURE DE FRANCE;
ESSAI fur les principes de la Phyfique ,
1746.
LE CHEMIN de l'Amour divin , defcription
de fon Palais & des beautés qui y
font renfermées , par M. *** un volume
in- 12 . A Paris , chés Chardon , Imprimeur
Libraire rue Galande à la Croix d'or
746.
DISSERTATION de la Queſtion , fçavoir
fi quelqu'un peut étre garant & refponfable
de la perte arrivée par les cas fortuits ,
telle que celle des beftiaux occafionnée par
la contagion & mortalité générale. Brochure
in- 12 , à Paris chés Giffey , ruë de la vieille
Bouclerie , à l'Arbre de Jeffé , 1746. prix
15 fols,
HISTOIRE d'un reméde très- efficace pour
la foibleffe & pour la rougeur des yeux &
autres maladies du même organe , avec un
reméde infaillible contre la morfare du chien
enragé , par le Chevalier Hans Sloane , Barronnet
, Médecin du Roi d'Angleterre & ancien
Préſident de la Société Royale & du
Collége des Médecins de Londres , traduite
de l'Anglois & enrichie de notes , par M.
Cantvvel , Docteur- Régent de la Faculté de
OCTOBRE 1746. 129
Médeciné de Paris & Membre de la Société
Royale de Londres. A Paris chés Prault ?
fils , Quai de Conty , vis - à- vis la deſcente du
Pont-Neuf à la Charité , 1746.
(
REFLEXIONS fur le bon ton , fur le goût ,
fur la converſation de la bonne compagnie
Jues dans une Séance de l'affemblée publique
des Jeux Floraux à Toulouſe , par M. de
Soubeyran de Scopon.
Il n'y a point de mot d'un ufage plus général
& dont la valeur foit moins fixée que
celle de ce mot le bon ton. Ceux même qui
en ont une idée plus précife feroient fort
embarraffés de l'expliquer clairement. C'eſt
une espéce de je ne fcais quoi , & il eft vrai
de dire que plus les chofes font foumises à
un fentiment fin & délicat , plus il eft impoffible
de les exprimer autrement que par
des à peu près.
M. de Soubeyran remarque judicieufement
que le bon ton n'eft pas fixe , qu'il
várie.felon les moeurs différentes des peuples
& la forte d'éducation qu'on leur donne ; ily
a , dit-il , le ton de la Cour , le ton de la Ville,
le ton des Auteurs , rien n'eſt plus judicieux ;
il auroit pu ajouter qu'il y a le ton des perfonnes
; tel homme feroit fort mal de pren
dre le ton d'un autre qui en a un fort bon ,
parce que le refte de fon extérieur ne qua-
Ev
# 30 MERCURE DE FRANCE.
drant pas avec ce ton , feroit un fort mauvais
effet ; la même chofe dite par deux perfonnes
différentes fera bonne dans la bouche de
l'une, & tres platte dans celle de l'autre , (ceci
regarde fur tout les plaifanteries de Société)
parce que l'une aura ce qu'il faut pour faire
paffer ce qu'elle dit, & que ces qualités manqueront
à l'autre . Concluons de là que le bon
ton dans tous les états eft l'accord parfait
entre les penſées , les fentimens , l'état , le
maintien & tout l'exterieur & l'intérieur de
celui qui parle.
Mais écoutons M. de Soubeyran qui nous
expliquera beaucoup mieux ce que c'eſt
que la vraie politeffe , qui fait l'effence du
bon ton .
Elle a néceffairement pour baſe la modeftie
, la bonne opinion des autres , & le
défir de s'en faire aimer ; où ces trois principaux
caractéres ne fe rencontrent point il
ne peut y avoir de vraie politeffe; c'eſt la vertu
propre des grands & des gens d'efprit , parce
qu'il n'appartient qu'à eux d'être modeftes.
Rien n'eft plus judicieux & plus vrai que
cette réflexion , cependant pour ne pas par◄
ler des grands, combien voyons nous de gens
d'efprit qui à cet égard négligent abfolument
leur droit.
M. de Soubeyran peint avec des traits bien
OCTOBRE 1746.
rais ces fleaux de la fociété qui veulent dominer
par-tour. Un ton élevé , des manieres
bruyantes , un dédain indifcret pour les gens
dont on ne connoît pas la valeur , un mépris
révoltant pour les qualités & pour les talens
qu'on ne peut feindre , une indifférence
affectée pour les perfonnes en qui on ne peut
s'empêcher de les reconnoître , afin de fauver
l'aveu d'une fupériorité humiliante ; écouter
fans répondre , ou parler fans avoir écouté ,
diftribuer avec orgueil des paroles vuides de
fens , tels font en partie les priviléges fingu
liers de ceux qui préfument avoir le droit de
donner le ton , & qui ne font pas même cápables
de le prendre.
M. de Soubeyran fait ici une réflexion in
génieufe , c'eft que dans les converfations
bruyantes les traits fins & délicats ne peu--
vent être fentis. Les traits heureux ne souffrena
point d'être répétés , ni expliqués , quelquefois il
ne faut que les ébaucher'; un geste , un regard
parlent , à des yeux 'attentifs & clairs- voyans.
Le filence même doit être entendu.
Les gens qui font trop pleins d'eux- mêmes,
qui veulent tout ramener à eux , & faire
toujours le ſujet de la converſation , ne fçau→
roient y apporter de l'agrément. Il y a plus ;
quelque efprit qu'ils ayent , cette fureur de
parler d'eux ou d'en faire parler leur fera né
ceffairement dire des fottifes, comme il arrive
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
que ceux qui veulent que le public foit
toujours occupé d'eux , qui veulent toujours
fe donner en fpectacle , rencontrent le ridicule
en cherchant la célébrité.
Bien écouter , bien répondre fur tous les
fujets , fe taire à propos : voilà , felon M. S.
le fommaire des loix de la converſation, voilà
le bon ton , & tous les gens fenfés feront de
fon avis.
Voici des conditions que M. S. exige
bien judicieufement , pour former le bon ton
& la bonne compagnie.
Si chaque particulier doit avoir la liberté
de propofer les goûts il doit avoir auffi le
courage de les fubordonner. Il fe dépouil
lera de la prévention que fes travaux , que'-
que nobles qu'ils foient , & fes études lui
infpirent. Sa profeflion ne doit ni lui impoſer
à lui-même, ni aflujettir les autres. Egalement
préparés à foutenir à leur gré leur attention ,
ou à leur donner la fienne , ils doivent tous
Jaiffer à la porte leurs lauriers , leur faiſceaux,
leurs fourrures , & leur amour propre.
Le bon ton fera donc le précieux réfultat ,
l'accord heureux de la fcience & de la politeffe,
de la dignité & de l'affabilité du relpect
inaltérable pour les bonnes moeurs & de la
condefcendance pour les ufages établis , du
férieux , qu'est l'expreffion des égards , & le
maintien de la raifon , avec une gayeté déOCTOBRE
1746: 133
cente qui caractériſe la liberté de l'efprit , &
l'eftime qu'on fent pour ceux avec qui on
converfe.
Le bonton bannit toute fingularité, touté
affectation dans le langage & dans les manieres
; le bon ton , comme le bon accent ,
confifte à n'en point avoir qui foit trop marqué
, il doit plaire à ceux mêmes qui ne l'ont
pas.
$
'Académie de Peinture & de Sculpture
fit fon expofition ordinaire dans le
grand Salon du Louvre le 25 Août : Pendant
un mois qu'elle a duré le public y a accouru
avec empreffement , & en effet un pareil
Spectacle ne pouvoit que l'étonner pendant
la guerre qui par tout ailleurs fait tomber
les Arts . L'Ecole Françoife eft la feule:
qui fe foutienne encore , & l'on peut dire
Mellieurs les Académiciens ont fait de
nouveaux efforts pour mériter les fuffrages
du public. Ils y ont tous eû plus ou moins
part & nous avons regret de ne pouvoir
donner à chacun en particulier les éloges
qui leur font dûs Suivant notre uſage ordinaire
nous ne parlerons que de quelques
uns & ce ne fera toujours que d'après le
le public dont nous tâchons , autant qu'il
eft en nous , de confulter la voix fur tous
que
154 MERCURE DE FRANCE .
les ouvrages dont nous avons à parler.
Les trois grands tableaux qui reprefenrent
différens Myfté res de la vie de la Sainte
Vierge , & que M. Carlo Van - Loo a faits
pour la Chapelle de Saint Sulpice , font
d'une belle & noble compofition , & dignes
du grand Maître dont- il eft l'éléve ; on en
loue également & la correction du deffein
& la beauté du coloris .
Les deux tableaux que M. Boucher a
fait pour la Bibliothéque du Roi , dont l'un
repréfente l'Eloquence & l'autre l'Aftro
nomie , font honneur à ce Peintre , que l'on
peut appeller le Peintre des Graces.
Les différens morceaux que M. Parrocel
avoit mis l'an paffé au Salon lui ont valu
l'honneur d'être deſtiné à peindre les Con
quêtes du Roi ; il a prouvé que perfonne
n'en étoit plus digne que lui par les efquif
fes definées qui les repréfentent & qu'il a
expofées cette année à la critique des connoiffeurs
qui ne lui ont donné que des louanges.
Que feront les Tableaux fi les feuls
deffeins font un fi grand effet !
Le public eft toujours furpris de la fécondité
de M. Pierre ; elle eſt l'effet de fa
jeuneffe & de fes grands talens. On voit que
les fujets qui demandent le plus d'élevation
font à fa portée , & peut être eft il à regretter
qu'avec de fi heureufes difpofitions il
OCTOBRE 1746. 139
s'amufe à peindre des bambochades , maist
Homere après avoir chanté la colére d'A
chille à décrit les combats des Rats .
Le Benedicite de M. Chardlin eft , comme
tout ce qu'on a vû de lui , marqué à
un coin d'ingenuité & de vérité qui n'appertient
qu'à lui .
Le portrait de M. de Crebillon de l'Académie
Françoife , peint par M. Aved , eft
un de ceux qui lui font le plus d'honneur
& l'un des morceaux les plus frappans du
Salon.
M. Nattier en a expofé plufieurs où il
foûtient la réputation qu'il s'eft fi juſtement
acquife,
Le nouveau portrait de Monfeigneur le
Dauphin par M. de la Tour a réuni tous les
fuffrages ; il y a long- tems que ce célébre
Peintre n'eft plus expofé à les voir partagés:
l'envie même n'ofe plus élever fa voix con→
tre lui ; elle a été trop fouvent étouffée
par
par les acclamations publiques avec lesquel
les tous les ouvrages font reçûs. Tel à encore
eté l'effet du portrait de M. Reftout
que M. de la Tour a peint pour l'Académie
; c'eft un vrai Tableau où il s'eft
plû à déployer toutes les reffources de fon
talent & toute la fcience de fon Art. Les
fpectateurs les moins éclairés, les plus grands
connoiffeurs & les meilleurs juges , tous l'ont
admiré également,
136 MERCURE DE FRANCE.
Nous ne pouvons auffi trop louer les quatre
tableaux reprefentant des Marines &
différentes vûës de Naples & d'Italie , que
M. le Duc de Saint Aignan , fi bon juge des
Arts , a apportés de Rome & qui font de M.:
Vernet. Un des quatre repréfente un Soleil
qui fe léve fur la mer & qui diffipe un
brouillard ; l'Art & l'intelligence de ce tableau
ont étonné ceux même qui font accoûtumés
à voir les Chefs - d'oeuvre , que
Claude le Lorrain a faits en ce genre. Il
ne nous refte qu'à fouhaiter que M. Vernet
vienne bien - tôt embellir Paris des merveilles
de fon Pinceau,
M. Eouchardon , M. Adam l'ainé , M.
le Moine , fils , & M. Vinache ont auffi
expofé au Salon différens morceaux de
Sculpture qui font honneur à leurs talens.
On ne craint pas d'affûrer que les uns & les
autres foûtiennent dignement la réputation
que les Sculpteurs François ont par toute
l'Europe.
L'explication des Peintures , Sculptures
& autres ouvrages de Meffieurs de l'Académie
,fe vend à Paris chés Jacques François
Colombat , Imprimeur du Roi & de l'Académie.
91.
OCTOBRE 1746. 1137
LETTRE à M. de la Tour par M. de
Bonneval , du 21 Septembre 1746.
L'Expofition des Tableaux dans le Louvre
annonce l'augufte protection du
Roi pour les Arts , & excite l'émulation des
Artiftes , il feroit à fouhaiter qu'elle fût fuivie
d'un examen judicieux dans lequel on
fit. fentir le caractére de chaque Peintre , &
les différentes parties dans lesquelles ils excellent.
Je conviens que ce projet exigeroit
de l'Auteur de l'examen un grand fond de
connoiffance , & fur- tout beaucoup de cette
aménité de ftyle qui fçait rendre la critique
utile fans blefler. Un pareil ouvrage inf
truiroit par degrés , & infenfiblement mettroit
les Spectateurs qui ont quelque génie
en état de ne pas hazarder des jugemens
auffi bizarres que ceux que j'ai quelque fois
entendus ; la beauté du coloris ne féduiroit
plus affés pour faire grace à la pefanteur
des draperies , & à l'irrégularité de l'ordon
nance ; on ne confondroit pas la dureté
avec la force de l'expreffion , les graces, avec
les mignardifes , ainfi du refte.
On peut affûrer que Paris eft aujour
d'hui le feul endroit de l'Europe où l'on
138 MERCURE DE FRANCE
puiffe encore trouver de grands Peintres ;
on doit faire des voeux pour qu'un Art fi
noble , & qui exige tant d'intelligence avec
une fi belle imagination , fe perfectionne
ou du moins fe foûtienue ,
Voici , Monfieur , ce que m'a infpiré ma
Mufe que j'avois condamnée au filence ,
mais le moyen de lui réfifter à la vûë de
vos admirables portraits ?
Je ris de tes efforts , dit un jour la naturė
A l'Art qui prétendoit tout au moins l'égaler ;
Tes traits les plus naifs ne font qu'une impofture
Que l'oeil le moins fçavant peut toûjours deceler ;
Regarde cet objet ; repons avec franchiſe ;
Rendrois-tu fans dechet ces graces , ce contour
La Nature elle même en ce moment ſurpriſe
Montroit fans y penfer un portrait de la Tour ;
L'Art triompha de fa méprife.
J'aurois bien pu , Monfieur , vous faire
mon compliment en profe ; elle eût même
été plus conforme à la fincérité de mon
admiration ; voici le motif qui m'a déterminé
à parler un autre langage.
La Poëfie & la Peinture
Vivront toûjours en bonnes foeurs ,
Puifque l'eftime la plus pure
Unit leurs efprits & leurs coeurs ;
?
OCTOBRE 1746. 139
L'interêt du même héritage
Redouble encor leur union ;
Sans trouble ni divifion
Tout l'Univers eft leur partage.
Maîtreffe du choix des fujets ,
Souvent fur les mêmes objets
Elles exercent leur fcience ,
Et c'eft à la rivalité
De leur fublime intelligence
Que les Arts doivent leur beauté.
Emule de nos plus grands Maîtres ,
La Tour , dont l'élegant pinceau
Saifit toujours dans tous les êtres
Le vrai , le naturel , le beau ;
Toi chés qui l'Art de la Peinture
N'eft qu'une belle édition
Des ouvrages de la Nature ,
Tu plains la fauffe ambition
Et des Peintres & des Poëtes ,
Qui ne font que les interpretes
De leur bizarre opinion ;
Ils n'auront jamais l'avantage
Qu'on fe meprenne à leur ouvrage ;
On decidera par leurs traits
Que l'Art feul a fait tous les frais .
146 MERCURE DE FRANCE.
On vient de mettre au jour un Livre de
fix Sonates en quatuor pour deux flutes ,
un violon obligé , & la baffe continue , dédiées
à M. le Comte de Rottembourg , Colonel
d'un Régiment de Dragons , Lieutenant
Général des Armées du Roi de Pruffe ,
& Chevalier de l'Aigle - Noire , par M. Guillemant
, Maître de flute , Oeuvre premier ,
prix douze livres , & un petit Livre contenant
deux fuites d'Airs pour deux Autes ,
qui peuvent fe jouer fur le hautbois & le
violon , & qui font un fort bon effet fur les
petites flutes à la tierce . Prix une livre ſeize
fols.
Ces Livres fe vendent chez l'Auteur , rue
fainte Marguerite , à la Pomme d'Orange ;
chez Madame Boivin , rue faint Honoré ,à la
Régle d'Or , & Leclerc , rue du Roule , à la
Croix d'Or.
OCTOBRE 1746. 14!
NOUVELLES ESTAMPES.
A belle & magnifique édition des Mémoires de
?
LPhilippe de Comines, qui va paroître en quatre
yolumes in-quarto , chez le fieur Rollin , Libraire
par les foins de M. l'Abbé Lenglet Dufresnoy , a
donné lieu au fieur Odieuvre , Marchand d'Eftampes
, rue d'Anjou Dauphine , de faire graver les
Portraits de toutes les perfonnes illuftres qui ont
paru fous les Régnes de Louis XI. & de Charles
VIII. Ce ne font pas des Portraits d'imagination ,
comme la plufpart de ceux qu'on infére ordinairement
dans l'Hiftoire ; tous font tirés fur des origi
naux , foit tombeaux foit miniatures du tems ,
foit même des tableaux peints dans le fiêcle où ils
ont vécu . Cette fuite ne va pas à moins de cinquante
, dans laquelle outre les Princes du Sang
on verra encore le Maréchal de Gié , l'un des plus
illuftrés Seigneurs de la Maiſon de Rohan ; Antoine
de Chabannes , Comte de Dammartin , fi célébre
par fes difgraces , & par les fervices qu'il a rendus
à l'Etat , y eft pris d'après fon tombeau . On y
trouvera même le Cardinal Ballue , qui n'a pas été
moins diftingué par fon élévation que par fes trahifons
& par fa prifon . Cette fuite fera inconteftablement
l'une des plus belles de celles qu'à fait
graver le fieur Odieuvre , qui continue toujours
avec le même fuccès , à nous donner les Portraits
des perfonnes illuftres , tant du Royaume que des
Pays Etrangers.
Il y a joint même la Bataille de Montlhery en
1465 , & celle de Nancy , où fut tué Charles
142 MERCURE DE FRANCE.
dernier Due de Bourgogne en 1477.
Le même Marchand d'Eftampes vient de faire
graver les Portraits de .
MARIE-THERESE DAUPHINE DE
FRANCE , née le 11 Juin 726 , morte à Verfailles
le 22 Juillet 1746 , deffinée par Jean Robert
, & gravée par Pinffio.
RENE' DE FROULLAY COMTE DE TESSE' ,
Maréchal de France , Grand d'Efpagne , Général
des Galéres , &c. mort le 30 Mai 1725 , peint par
Hyacinte Rigaud , & gravé par Tardieu, fils.
Le fieur Petit , Graveur , rue faint Jacques , visà-
vis les Mathurins , qui continue de graver la fuite
des Hommes Illuftres du feu fieur Defrochers , Graveur
ordinaire du Roi , vient de mettre au jour les
Portraits fuivans.
MARIE-THE'RESE INFANTE D'ESPAGNE
née à Madrid le 11 Juin 1726 , mariée à Louis
Dauphin de France le 23 Février 1744 , morte le
2 Juillet 1746 ; on lit au bas ces Vers de M. le
Chevalier de Neufville , Capitaine d'Infanterie .
Il eſt beau dans le rang fuprême
De mêler à la Majesté
D'un front fait pour le Diadême
Un caractére de bonté ;
Ce font les attributs de la Divinité ,
Qui veut qu'on la révére en même - tems qu'on,
l'aime.
}
OCTOBRE 1746 . 143
ANTOINE - FRANÇOIS
PREVOST
Aumônier de S. A. S. M. le Prince de Conty ; on
lit au bas ces Vers de M, Moraine.
Ecrivain délicat , Critique ingénieux ,
Je ne puis mieux vanter ton mérite fublime ,
Qu'eu publiant qu'un de nos demi Dieux ,
Le Grand , Conty te protége , t'eftime.
Chan
NICOLAS DE L'ARGILLIERE ,
celier , ancien Directeur & Recteur de l'Académic
Royale de Peinture & Sculpture , né à Paris le 2
Octobre 1656 , mort le 20 Mars 1746 , peint en
1745. par M. Chevalier Defcombes fon très -digue
Eleve ; les deux Vers Latins qui font au bas , font
du Pere Vaniere de la Compagnie de Jeſus .
Pingendo fic ora refers , ut & ipfa tabellis
Non defint , oculo judice verba tuis,
• HYACINTHE RIGAUD , Ecuyer noble
Citoyen de Perpignan , Chevalier de l'Ordre de
Saint Michel , Recteur & ancien Directeur de l'Académie
Royale de Peinture & Sculpture , né le 25
Juillet 1663 , mort à Paris le 29 Décembre 17442
peint par lui- même ; on lit au bas ces Vers de
M. Moraine.
Dans le Portrait & dans l'Histoire
Rigaud s'acquit une immortelle gloire ;
De la Nature habile imitateur ,
Il fçut la furpaffer par fon Art enchanteur,
(44 MERCURE DE FRANCE,
O
N nous fçaura fans doute bon gré d'annoncer
ici l'Elixir de Géniévre de Madame
la Croix , Privilégiée du Roi ; il opére
efficacement , fur -tout dans les maladies d'eltomach
; l'ufage de cet Elixir approuvé par M.
de Chicoyneau , Premier Medecin , en empêche
le dérangement. Madame la Croix
demeure à Paris. au coin de la rue des Foffés
Saint Victor , dans la maifon de l'Epicier ,
qui a pour enfeigne la Croix d'or. Le prix
des bouteilles eft de vingt- quatre fols .
Le Reméde fpécifique que nous avons annoncé
dans le Mercure du mois de Juillet
dernier pour la guérifon de la furdité , ayant
produit de très -bons effets fur plufieurs perfonnes
, & entre autres deux cures fingulieres
, nous engage à en faire part au public
comme de fûrs garants de fon efficacité.
M. Pichet , Valet- de-Chambre de S. A. 5 .
M. le Duc d'Orleans s'eft trouvé guéri en
fort peu de tems par l'ufage continué de ce
baume , quoique fourd depuis quinze années.
M. Croyer , Officier du Roi du quartier
d'Octobre , a été auffi guéri auffi en fort
peu de tems , fourd depuis fept années ;
ces
OCTOBRE 1746. 1451
ces deux cures furprenantes font deux exemples
bien piopres à encourager les perfonnes
incommodées à fe fervir de ce reméde & à en
continuer l'ufage ; comme il y a des furdités
bien plus difficiles à guérir , en perfévérant
à la longue , on doit fe flater que la guérifon
s'en fuivra.
On a dû expliquer les Logogriphes du
Mercure d'Août , par Logogriphe , Calendrier
, Champignon , Hirondelle & Gloire.
On trouve dans le premiergorge , or , loge,
orge, rigole , plie , loir , lie , gloire , péril
, Roi , lire , lego , proie , phiole, role , pergo ,
oglio , loi , poil , loger , Loire , horloge , ogre. -
On trouve dans le fecond lac , rire , nid ,
ladrerie , ride , lire , Alcide , air , Caen.
On trouve dans le troifiéme Cain , Cham
Pan, paen, Ino , Cô , champion, Amphion , Pô ,
pie , pain , pin , Iman , Mahon , coin , Mâcon ,
nom , chapon. On trouve dans le quatrième
Dion , Oilée , pere du fecond Ajax , Rhône
Rollin , Hiéron II. du nom , Roi de Syracufe.
Dans le cinquiéme on trouve lie, lo , ire, orge,
Loire , ergo , or & lire.
ZASS
2
GI
146 MERCURE DE FRANCE
****
AIR. Les paroles font de M. D. M. & ♫
Mufique de M. de Monceaux. 1
R Uiffeau , votre aimable murmure
Endort les foins & le tourment
D'un malheureux amant .
Un doux penchant que forme la Nature
Vous fait couler vos eaux avec ce bruit charmant,
Comme vous , Ruiffeau , je murmure ,
Mais c'eft des maux que j'éprouve en aimant ,
*£3< 3< ÷ 3++£ 3 *} ****
CHANSON par M. Boran de Saint
Domingue.
UN mortel qui ne fçait que boire ,
Et qui ne connoit pas le doux plaifir d'aimer ,
Ne s'acquiert qu'une foible gloire .
Au printems de nos jours laiffons nous enflâmer
Par l'objet qui peut nous charmer ;
Dans la froide vieilleffe
Bacchus aura fon tour ;
En attendant confacrons à l'Amour
Tout le feu de notre jeunesse,
t
THE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY.
ABTOR , LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS,
MER CURE DE FRANCE
MHC
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
.
ABTOR
, LENOX
AND TILDEN
FOUNDATIONS
.
OCTOBRE 1746. 147
ENIG ME.
Nous femmes bien des foeurs , & toutes ra
femblées
En genre mafculin nous nous trouvons changée .
L'ordre a fi grande part à notre utilité
Qu'il cauſe quelquefois notre immortalité.
Par l'Hiftoire on apprend quelle eft notre origine ;
On nous montre partout , même au fond de la
Chine.
Qui fçaît nous bien forger acquiert plus d'un
talent ,
Et très fouvent fans nous on n'est qu'un ignca
rant .
Heureux eft celui-là qui dès fa tendre enfance
Apporta tous fes foins à notre connoiffance.
Sans craindre le pouvoir du puiffant Dieu d'amour
,
Nous lui fervons fouvent à bien faire fa cour.
H. D. T. Commis de M. le
Marquis d'Argenson.
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
JE
AUTRE .
E fuis un Etre de raifon
Qui de l'imagination
Tire mon unique avantage.
De tout Pays & de tout âge
J'abuſe en ce bon univers
Mille & mille cerveaux divers.
De moi l'on fe repaît ; on m'aime , !
Quoique mon erreur foit extrême.
C'est un Philofophe étoffé.
Qui dans un abufif ſyſtême
Croit voir de moi feul coëffé ,
>
Dans le faux la vérité même :
C'est un amant que les rigueurs
D'une Céliméne inflexible
N'ont fait que rendre plus fenfible ,
Et qui fous l'appas des faveurs
Dont fe nourrit fon espérance ,
Goûte fauffement par avance
Des plaifirs fouvent impoſteurs :
Bref, c'eft un argus incommode
Qui craint , dans fes tranſports jaloux ,
Que fa moitié ne s'accommode
Mieux d'un amant que d'un époux.
OCTOBRE 1746 149:
Je fçais , Maris , que cette idée
Se trouve quelquefois fondée ,
Mais il fuffit que mes abus
Soient plus fréquens pour ne me chérir plus,
Par M. Corneffe de Thouars , en Poitou.
ઈંડે ૨૮૯
ENIGME EN LOGOGRYPHE.
Toujours loin du Soleil j'en partage le cours ;
Quoique banni de fa lumiere :
Je fuis exactement fa brillante carriere ;
Et termine les plus beaux jours.
Ma fubfiſtance étant de très - foible durée ,
Un feul inftant me voit naître & mourir ,
Cependant dans les tems paffés & à venir
Je régle en bien des mers le flux & la marée.
Ainfi , Lecteur , il te faut obferver
Ce qui pourra te paroître un emblême
C'eft que jamais on ne me peut trouver
Que dans la moitié de moi-même.
Ecoute encor , ceci n'eft plus qu'un jeu ;
Quand j'exifte en entier, je fuis le vraj milieu
De ce que je fuis fans ma tête.
Adieu , tu peux me voir un certain jour de fête .
G iij
150 MERCURE DE FRANCE
* * * * * *: 4:22 .
ENIGM E.
PAr moi l'on réuffit auprès d'une beauté ,
Sans moi perfonne n'eſt aimable.
Je fuis le doux lien de la Société ,
Ou tout au moins je la rends agréable.
Quand on m'a fans difcernement ,
C'eft un défaut , ce n'eft plus un méríte,,
Et je puis caufer bien fouvent
1
Plus d'une défaftreuſe fuite.
D'en trop avoir gardez- vous bien
Sexe charmant , à qui tout céde :
Après ; les regrets n'y font rien .
Hélas ! c'eft un mal fans reméde.
EXCES
LOGO GRYPH E.
Sans être jamais dans la Ville ,
J'en ai le goût & l'ornement ;
J'avois jadis un abord difficile ;
On n'y rencontre aujourd'hui qu'agrément .
Dans mes fept pieds on voit un élément ,
Deux animaux , dont l'un eft plus utile ;
L'autre plus drôle & plus habile
Fait du mal prefque à chaque pas.
Ce
que fur fon honneur chacun veut n'avoir pas.
Le tout à deviner me paroît très- facile.
OCTOBRE 1746. 151
EXCES
SPECTACLES.
' Académie Royale de Mufique a tenté
La d'égayer Hypermnestre le Dimanche 18
Septembre , en l'étayant d'un Ballet intitulé
la Fête Champêtre & Guerriere. La Mufique
de ces danfes eft de la compofition de M.
Aubert , Surintendant de la Mufique de M.
le Duc. Elle eft vive & gracieufe ; on y reconnoît
le génie auffi piquant que naturel
qui régne dans fes Ouvrages. Les danſes font
deffinées par M. Maltaire , Compofiteur des
Ballets de l'Opéra .
Elles ont eu le fuccès qu'elles méritoient.
Pouvoient- elles manquer de plaire ? On y
voyoit à chaque inftant fe fuccéder les plus
brillans fujets de Therpficore. Les amateurs
de l'ordre & de la gradation qui doivent primer
dans tous les Arts , même dans ceux fubordonnés
aux plaiſirs , ont en s'y amuſant
défapprouvé l'economie de cette Fête. Apparemment
M. Dupré qui danfoit à la fin
a fait oublier au public le défaut d'un arrangement
où l'héroïque fuivoit le comique.
On a fort applaudi dans ce joli tableau Mademoiſelle
Sauvage , danfeuſe nouvelle , qui
embellit le Théatre lyrique. Sa vive & gra-
G.iiij
152 MERCURE DE FRANCE.
,
cieuſe légéreté a réuni tous les fuffrages . Elle
a la jambe fine , la taille de Nymphe , & la
phyfionomie très aimable . Cette charmante
fujette deTherpficore a fouvent été fêtée ſur
la fcéne , tant en France que dans les Pays
Etrangers & Paris a confirmé les jugemens
de Berlin.
Le Mardi 4 Octobre on a donné la
premiere
repréſentation de Scylla & Glaucus ,
Tragédie. Les paroles font de M. d'Albaret,
& la mufique de M. le Clair , célébre dans
P'Europe par les fonates fçavantes & travaillées
, & par l'élégance de fon jeu fur le violon.
Son génie fe reconnoît dans la compofition
de fon Opéra.
On a vû courir dans le monde , il y a plus
de quarante ans , un Glaucus d'un certain
Abbé de Calcavi , mis d'abord en mufique
par un maître de Clavecin , nommé M. Cuvilier
, & à fa mort corrigé & ajufté par un
habile maître à chanter , & malgré toutes
ces réparations toujours refuſé.
Le Glaucus de M. d'Albaret a été plus
heureux .
M. d'Albaret dit dans fa Préface qui eft
fort bien écrite , que les fujets du Prologue &
de la Tragédie font tirés l'un & l'autre des
Métamorphofes. Ovide parle des Propétides ,
comme citoyennes de la Ville d'Amathonte .
Elles nioient la divinité de Venus : la Déeffe
rritée les changea en ftatues de pierre.
OCTOBRE 1746. 153
Cette fable des Propétides forme le Prologue
, & M. d'Albaret l'a choiſie comme
analogue à celle de Scylla.
Ce Prologue eft ingénieux & bien écrit.
La premiere fcéne de la Tragédie ouvre
par l'indifférente Scylla , qui dit .
Non , je ne cefferai jamais
De fuir tes dangereufes chaînes ,
Amour ; les biens que tu promets
Peuvent-ils égaler tes peines ?
Sa confidente Témire arrive qui lui annonce
une fête préparée par fes Amans
Bergers & Silvains ; elle lui parle auffi de l'amour
de Glaucus ; Scylla marque pour tous
une égale froideur.
La fete champêtre arrive dans laquelle
il y a plufieurs jolis airs , entre autres une mufette
fort agréable . Scylla peu touchée des
hommages que lui rendent fes adorateurs , ne
traite pas mieux Glaucus , pour qui elle doit
bien-tôt devenir fenfible.
Nymphe , dit Glaucus
Nymphe , tout fur ces bords célébre vos appas ;
Des jeux & des plaiſirs c'eft ici la retraite ;
Les amours ne vous quittent pas ;
Gy
154 MERCURE DE FRANCE.
On diroit à les voir attachés fur vos pas
Qu'ils méditent votre défaite.
Il y a dans le cours de cette fcéne un morceau
de chant fort agréable ; c'eít Glaucus
qui dit à Scylla,
Quand je ne vous vois pas , je languis , je foupire ;
Je goûte auprès de vous mille plaiſirs parfaits ,
Et quoique vos beaux yeux cauſent tout mon martyre
J'oublie en les voyant tous les maux qu'ils m'ont
faits .
Glaucus défefpéré des rigueurs de Scylla ,
prend le parti d'aller implorer le fecours de
Circé. On pourroit avec juftice reprocher à
cet amant qu'il y a peu de délicateſſe à vouloir
obtenir fon bonheur par le moyen d'une
Magicienne ; Glaucus en eftbien puni , parce
qui lui arrive chez Circé .
On connoît le caractére de cette fameufe
amante d'Uliffe & de tant d'autres . Il eſt peint
ici avec une grande vérité. Circé avoue naivement
à fa confidente qu'elle ne peut le paffer
d'aimer.
Mon coeur eff fait pour s'enflammer .
J'oppoſe envain ma réſiſtance ;
Il languit dans l'indifférence
Et ne peut vivre fans aimer.
OCTOBRE 155 1746.
Apprends ce qu'aujourd'hui le fort m'a fait connoître
;
J'ai fçû découvrir que l'Amour
Améneroit dans ce féjour
Un amant rebuté, trop fidéle peut-être....
On n'eft pas étonné après cela de voirCircé
s'enflammer pour Glaucus, dès qu'elle le voit
paroître. Glaucus implore le fecours de fon
art pour attendrir Scylla; mais c'eft pour elle-
même ; c'eft pour rendre Glaucus fenfible
à fa nouvelle paffion , que Circé va travailler
; cet incident améne naturellement une
fète galante où les miniftres de Circé s'éforcent
de féduire Glaucus. Le charme réuffit ,
Scylla eft bien-tôt oubliée , & Glaucus animé
d'une paffion nouvelle , tombe aux pieds
de Circé , mais l'effet du charme ne dure pas
long- tems. Le confident de Glaucus vient
lui apprendre que Scylla gémit de fon abfence.
Le nom feul de Scylla rompt l'enchantement
; Glaucus revient à lui même , & quitte
Circé avec précipitation , pour voler auprès
de fa maîtreffe .
On imagine aifément qu'elle eft la fureur
de Circé, lorfqu'elle voit fes efpérances
trompées ; elle jure de ſe venger , & ne tiendra
parole que trop exactement.
Scylla ouvre le troifiéme acte, mais ce n'eft
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
point cette beauté fiére du premier acte qui
mettoit toute fa gloire & tous fes plaifirs à
méprifer les voeux des amans.
Sermens trompeurs , tendre langage ,
Ah ! qu'il eft dangereux de vous trop écouter ;
Eh!! que feroit- ce , hélas ! fi j'avois pt compter
Sur la foi d'un amant volage?
Sermens trompeurs , & c.
Glaucus n'eft plus fur ce rivage ;
Thémire , un autre objet l'engage.
Il auroit été à fouhaiter que ce changement
fubit de Scylla eut été annoncé , rien ne le
prépare , mais cela n'empêche pas que la fcéne
qui fuit ne foit remplie de traits fins & galans
, exprimés avec efprit. Glaucus après
avoir juré à Scylla de l'aimer toujours , continue
:
Mais pourquoi des fermens emprunter le langage ?.
Vos yeux feuls de mes feux ne répondoient - ils
pas ?
Ce n'est point avec tant d'appas
Que l'on voit fon amant volage.
Scylla ne s'explique pas avec moins de fineffe
, lorfqu'elle répond aux inftances paſfonnées
de Glaucus.
OCTOBRE 1746. 157
Je crains votre infidélité ,
Je m'en plains ; puiffe -je mieux dire que je vous aime?
Glaucus appelle les Divinités de la mer
& les exhorte à chanter fa victoire , la fète
eft troublée par Circé ; tout fuit à l'afpect de
la Magicienne jaloufe , qui termine l'acte
par un monologue de fureur.
Le quatriéme acte ouvre par une fcéne entre
Circé & Glaucus , où la premiere fait de
vains efforts pour ramener Glaucus .
Il y a dans cette fcéne un morceau de
Chant très-expreffif & très- touchant. C'eſt
celui où Circé dit à Glaucus ,
Reviens ingrat , mais cher amant ,
Et reprends de fi douces chaînes.
Reviens dans un féjour charmant ,
Où pour nos tendres coeurs l'amour exempt de peines
,
Devoit par les plaifirs marquer chaque moment.
Reviens , & c .
Scylla arrive fur ces entre- faites, & fa préfence
allume la jaloufe colére de Circé , cependant
celle ci feint de fe rendre aux larmes
de Glaucus , mais ce n'eft que pour perdre
fa rivale avec plus de fûreté. En effet ,
dès que les deux amans font fortis , Circé
158 MERCURE DE FRANCE.
commence fes conjurations magiques pour
fe venger de fa rivale.
C'eſt dans ces morceaux que les Muficiens
déployent toutes les reffources de leur Art ,
& M. le Clair a montré ici l'étendue de fes
talens. Cette magie a été trouvée fort belle ,
& il n'y a eu qu'une voix. On a vu avec plaifir
le nouveau Spectacle que M. D. a introduit.
La Lune attirée par les conjurations de
Circé defcend du Ciel , & fe précipite aux
Enfers ; alors ce n'eſt plus Diane , c'eſt Hecate,
& en effet on la voit fortir des Enfers. Elle
apporte à Circé
Le plus mortel poiſon
Qu'ait fur fes triftes bords produit le Phlegeton.
C'est ce poifon qui fera l'inftrument de la
vengeance de Circé.
Le Théatre repréſente au cinquiéme acte
un lieu préparé pour une fête : on voit une
fontaine dans le fond du Théatre.
Glaucus & Scylla rempliffent la premiere
fcéne de tendres fentimens mêlés de crainte ;
le fouvenir de Circé inquiette la Nymphe.
Son amant tache de la raffurer. Peut-être ,
dit-il , en parlant de Circé,
Peut-être que fon coeur fi prompt à s'enflammer
De Glaucus pour jamais a perdu la mémoire.
OCTOBRE 1746. 159
Eh quoi ! répond Scilla .
Eh quoi Scylla peut-elle croire
Que l'on ceffe de vous aimer ?
A la fin de cette fcéne on voit paroître les
Habitans de la Sicile qui viennent célébrer le
jour de la délivrance de leur Pays , lequel
avoit été foumis à l'Empire tyrannique des
Cyclopes.
Glaucus plus occupé de fon amour que de
la fête : s'écrie envoyant la fontaine que Circé
a empoisonnée :
C'eft au bord de cette fontaine
Pour la premiere fois que je vis vos beaux .
Scylla répond !
Un fouvenir fi précieux
Vers fon charmant criſtal m'entraîne .
A ces mots elle regarde dans la fontaine ;
le charme de Circé opére ; Scylla aprouve
fa cruelle vengeance , & court le précipiter
dans la mer , malgré les foins & les efforts de
fon amant éperdu . Circé vient jouir de la
douleur de Glaucus , & lui apprend la cataftrophe
funefte de fa rivale .
Le Théatre change & repréfente la mer
& le détroit de Sicile . On voit d'un côté le
160 MERCURE DE FRANCE.
promontoire de Rhege , & de l'autre un ro
cher repréfentant une femme , ayant le corps
d'une Syrene , & des monftres qui ſemblent
aboyer autour d'elle.
La douleur de Glaucus eft un nouveau
triomphe pour l'ennemie qu'il a méprifée. Il
fort , & elle ferme le Théatre par ces Vers.
Que ce rocher monument de ma rage ,
Près de ce goufre dangereux
Soit un accueil encor une fois plus affreux ,
Et qu'offrant à jamais un funefte affemblage ,
Pour le malheur de l'univers ,
Et Charybde & Scylla foient la terreur des mers.
Mademoiſelle la Balle a continué fon début
comique dans le Chevalier à la mode , &
dans le galand Jardinier. Elle a auffi joué du
tragique , & rempli gracieufement le rôle de
Junie dans Britannicus , Tragédie de l'illuftre
Racine.
Le Samedi premier octobre les Comédiens
François ont donné la premiere repréſentation
d'une Comédie d'un acte , intitulée
l'Amour & les Fées , fuivie d'un Diverment.
Cette piece , quoique fpirituellement
écrite , n'a pas eu un heureux fuccès . C'eſt
une Comédie dans un goût métaphyfique.
La Mardi 4 Octobre , les Comédiens Ita
liens ont donné fur leur Théatre la premiere
1
癟
OCTOBRE 1746. 161
Co- repréfentation de la Serva Padrona ,
médie en deux actes , accompagnée de deux
divertiffemens. Cette piéce reflemble parfaitement
à ce qui s'eft exécuté fur le Théatre
de l'Académie Royale de mufique ; quand
S.A. S. M. le Prince de Carignan y fit paroître
des Acteurs bouffons , venus exprès d'Italie.
La Serva Padrona eft une efpéce d'Opéra
Comique Italien , mêlé de Profe ; la inufique
en a été trouvée excellente ; elle eft d'un
Auteur ultramontain , mort fort jeune :
L'ouverture ajoutée elt du Signor Paganelli
, eſtimé en France & en Italie. Il n'y a
dans cette Piéce que deux Acteurs chantans,
& un Perfonnage muet , exécuté par Scapin .
M. Riccoboni joue le rôle d'Uberto , Vieillard
dominé par Serpina , fa fervante , qui
le gourmande éternellement ; elle l'impatiente
d'abord , en ne lui donnant pas
fon
chocolat , enfuite en l'empêchant de fortir ,
lui alléguant qu'il eft midi. Enfin le maître
trop débonnaire , outré, prend la réſolution
de le marier pour ſe fouftraire au joug de
fon impérieufe fervante : Serpina lui dit qu'il
fera fort bien , & fe propofe obftinément ,
pour être fon Epoufe. Uberto ébranlé par
fes difcours preflans fe retire , prefque déterminé
à ce ridicule mariage. Au deuxiémé acte
Serpina qui a mis le Valet dans fes interêts ,
162 MERCURE DE FRANCE.
lui fait entreprendre une maſcarade comi
que , pour accélérer le fuccès de ſon deſſein.
Il fe déguiſe en militaire furibond , & par fes
geftes menaçans oblige Uberto de fe livrer
à Serpina.
Les deux divertiffemens qui coupent &
terminent cette piéce font très- amuſans , &
d'une compofition vive & legere . Le rôle de
Serpina étoit exécuté par la Signora Monti
très- aimable Italienne , qui n'avoit jamais
paru fur aucun Théatre ; le feu & l'intelligence
régnoient auffi dans le rôle d'Uberto ,
& cela ne doit pas furprendre , puifque M.
Riccoboni en étoit chargé.
La premiere repréfentation de la Serva
Padrona avoit été précédée de quelques
jours par le Prince de Salerne Comédie
nouvelle Italienne en cinq actes , ornée d'un
fpectacle varié & très-divertiffant , & entremêlée
de Ballets charmans.
"
L'intrigue de cette Comédie produit beaucoup
de fcénes gayes & de machines agréa
blement furprenantes. L'enjoué Arlequin ,
revétu du pouvoir d'un Génie , protecteur du
Prince de Salerne , le conduit à la félicité par
un chemin femé d'images brillantes ; le fujet
eſt un Prince détrôné par un ufurpateur, qui
par le fecours d'Arlequin , céde enfin à la
puiffance légitime, & defcend du Trône qu'il
avoit ravi.
OCTOBRE 1746. 163
Le premier acte finit par un fpectacle du
char & de la Cour de Neptune. La mufique
en eft charmante & gracieufe. Le Ballet
compofé par M. Sodi , eft très- bien figuré.
Le pas de deux de l'aimable Camille eft du
petit Dubois qui la feconde fi bien , a été
extrêmement & juftement applaudi . La contre-
danfe eft de M. Deshayes , qui a donné
bien des preuves de fa capacité dans la danfe
théatrale & pittorefque. Les décorations
les vols , enfin tous les changemens diverfifiés
de la fcéne font dûs au goût raifonné du
Signor Veroneſe , chargé du rôle de Pantalon.
La piéce finit par un Ballet pantomime
ingénieufement deffiné où le Signor Sodi
donne du comique , après avoir donné du
gracieux & du noble , à la fin du premier
acte. On voit d'abord defcendre des Chaffeurs
d'une Montagne fuivis du gibier , porté par
leurs Valets. Dans le tems que leurs danfes
expriment ' eur fatisfaction , une petite Vendingeufe
& un petit Vendangeur paroiffent
fur le côteau , rempliffent leurs hottes de raifin
, & joignent les Chaffeurs , qui après les
avoir intimidés par leurs fufils , & dépouillés
de leurs vendanges , les raffurent en la leur
payant libéralement.
Les charmans petits fuppôts de Bacchus
dédommagés & contents , fignalent leur re64
MERCURE DE FRANCE .
connoiffance & leur joye par un Pas de deux,
très-plaifant & parfaitement exécuté . On ſe
doute bien que le petit Vendangeur eſt M,
Dubois , & que la petite Vendangeufe eft la
charmante Camille , de qui les graces jeunes
& brillantes croiffent tous les jours.
LETTRE aux Auteurs du Mercure .
Depuis le 18 Novembre 1696 , Meffieurs
, je n'ai pas à me reprocher d'avoir
manqué à la Comédie Françoiſe une premiere
repréſentation dans aucun genre. J'ai
ma place fixe fous la loge de la Reine ;
cinq ou fix perfonnes aufli defoeuvrées que
moi écoutent fervilement mes avis , & les
font paffer d'autorité au refte dụ Parterre.
C'eft de moi que font tous les bons mots
qui ont été dits contre les nouveaux ouvrages
, on attend que je parle pour crier
ouvrez les loges. Je fais faire place aux Dames
& aux Acteurs ; c'eft à ma voix que
les Abbés levent les bras , & depuis près de
quarante- cinq ans on n'a pas crié une fois bis
fans mon confentement ou exprès on tacite .
J'ai fiflé moi feul plus de piéces qu'une
jeune femme bien inftruite n'en a lues. Je
fuis en un mot , ou peu s'en faut Parterre
Jubilé , & j'ai acquis , je crois , le privilége
exclufif , de décider du fort des Acteurs
nouveaux & des nouvelles Actrices.
OCTOBRE 1746. 165
Jeudi dernier 15 de ce mois ,je me rendis
de bonne heure à la Comédie Françoife ;
indigné de ce qu'on s'avifoit de faire débuter
un enfant , encore , difois - je , fi on
l'avoit fait paffer deux ou trois ans en Province
, on pourroit en efperer quelque
chofe ; mais , à quatorze ans qu'attendre
d'une fille qui fcait feulement depuis deux
mois qu'il y a des Comédies , un Théatre ,
des Acteurs ? Je grondai ainfi depuis trois
heures jufqu'à cinq & demie que la toile fut
levée ; je détournai même les yeux lorfque
Mlle . Melanie parut ... elle parla ... Ah !
Meffieurs , je crus entendre la voix de la
divine Duclos. Ces fons charmans m'entrainerent
; je confidérai l'Actrice ; fa figure
me charma ; fans m'en appercevoir j'applaudis
de toutes mes forces , & je ne vous le
cache pas , je me retirai enchanté .
Voilà des Vers que je lui envoyai dans
le premier moment de mon enthoufiafme.
Je vous prie de les inferer dans votre Mercute.
J'aurois bien pris le parti de les faire
courir au Caffé , mais depuis trois ans je
ne vais plus chés Procope ; on y parle une
langue que je n'entends pas & je fuis fûr
qu'on y trouveroit mes vers déteftables .
Je fuis , Meffieurs , votre , & c.
166 MERCURE DE FRANCE.
9383 383 83 83 83 83
LE PARTERRE DE LA COMEDIE,
à Mlle. MELANIE , après fon debut.
dans Agnés.
M Elanie eft actrice au fortir de l'enfance ;
Elle joue , & n'imite pas .
La nobleffe , l'amour , les graces , l'innocence ,
S'expriment par ſa voix & marchent ſur ſes pas ,.
Ah ! quelle expreffion ! quels regards ! que d'ap
pas !
Que de coeurs vont en foule implorer ta puiffance
Dieu d'Amour ! c'eft Pfiché qu'on croit voir dans
fes bras.
Le 20 Septembre dernier les Commédiens Italiens
donnerent Arlequin enfant , Statuë &
Perroquet ; Arlequin chanta le couplet
fuivant , fur l'air , Quoi ! vous partez .
JE fçais un nid de jeunes Tourterelles ;
Pour trouver mieux il faudroit bien chercher ,
Mais par malheur ces oifeaux ont des ailes ,
Et je crains bien de les voir échaper.
Petit Amour qui voltiges près d'elies ,
Sois de moitié ; je vais les denicher.
OCTOBRE 1746. 167
JOURNAL DE LA COUR,
L
DE PARIS , &c,
E 14 du mois dernier le Prince de
Campo Florido Ambaffadeur Extraor
dinaire d'Espagne ayant reçû ordre de S ,
M. C. de fe rendre à la Cour de Naples ,
eut une audience particuliere du Roi , dans
laquelle il prit congé de Sa Majefté. 11 fut
conduit à cette audience , ainfi qu'à celles
de la Reine , de Monſeigneur le Dauphin
de Madame , & de Mefdames de France par
le Chevalier de Sainctot , Introducteur des
Ambaffadeurs.
Le 4 de ce mois leurs Majeftés entendírent
dans la Chapelle du Château de Verfail
les la Meffe , pendant laquelle le Te Deum fut
chanté par la Mufique,pour la prife des Ville
& Châteaux de Namur.
Le même jour l'Abbé de Saint-Hubert
eut une audience du Roi , & il y fut conduit
ainfi qu'à celles de la Reine , de Monfeigneur
le Dauphin & de Madame , par le Chevalier
de Sainctor , Introducteur des Ambaffa,
deurs.
Le 3 de ce mois le Roi & la Reine quit,
168 MERCURE DE FRANCE.
terent le deuil que leurs Majeftés avoient
pris le 18 du mois dernier pour la mort du
Roi de Dannemarck.
Leurs Majeftés accompagnées de Monfeigneur
le Dauphin & de Mefdames de France
font arrivees à Fontainebleau le 7.
Le 14 de ce mois l'Achevêque d'Arles &
l'Evêque de Nantes , prêterent ferment de
fidélité au Roi, à la Meffe de Sa Majeſté,pendant
laquelle M. l'Abbé Madin , Maître de
Mufique en quartier , fit chanter un nouveau
Motet en trompettes & tymballes , qui parut
à toute la Cour , & à tous les Auditeurs ,
d'autant plus admirable par la beauté des récits
, la fcience des Chours & la nobleffe des
expreffions , que les paroles tirées du premier
Livre des Paralipomenes, chapitre 2 , fem-.
bloient être faites exprès à la louange du
Roi , au fujet de la victoire que l'armée de
France venoit de remporter fur les troupes
des Alliés , dont l'importante nouvelle étoit
arrivée de la veille , ce qui fit grand plaifir
à tout le monde . qui en témoigna fa joye à
ce célébre Auteur.
Le 16 de ce mois le Roi , la Reine & Mefdames
de France affifterent dans la Chapelle
du Château au Te Deum qui fut chanté par
la Mufique en actions de graces de la Victoire
remportée le 11 à Raucoux fur les Alliés
par l'armée du Roi , commandée par le Maréchal
Comte de Saxe . Le
OCTOBRE 1746. 169
Le Lundy 19 , le Samedy 24 & le Lundy
26 on exécuta chés la Reine l'Opera d'Héffone
, les Rôles furent chantés par Meldames
, Lalande , Mathieu , Selle & Godonneſche
& par Mrs. Poirier, Lagarde Dubourg
& Godonneſche.
"
Le Samedy premier Octobre & leLudy 10
on exécuta l'Opera d'Acis & Galatée . Mefdames
Lalande , Mathieu & Daigremont
en ont chanté les Rôles , ainfi que Mrs. Lagarde
, Poirier , Dubourg & Godonneſche.
Le Mardy 4 on chanta pendant laMeſſe de
leur Majefté le Te Deum de M. de Blaſmont
pour la priſe de la Ville & des Châteaux de
Namur M. l'Abbé Broffeau l'a entonné ainqu'il
le pratique ordinairement,
Le Vendredy 7 leur Majefté accompagné
de Monfeigneurle Dauphin & de Mefdames
fe rendirent à Fontainebleau.
Le Mardy 11 les Comédiens François
ouvri.ent les Spectacles à Fontainebleau par
la Comédie du Muet & l'Etourdi.
Le Mercredy 12 & le Lundy 17 on
chanta chés la Reine le Prologue & les 3 premiers
Actes de l'Opéra d'Armide . Mlles.
Lalande , Mathieu , Selle & Defchampts, en
ont chanté les Rôles , ainfi que Mrs. Poirier
Godonnefche & le Page, lequel a chanté
Hydraot , & la Haine.
Le Jeudy 13 les Comédiens François ont
H
170 MERCURE DEFRANCE,
repréſenté la Tragédie de Medee , & les
Rendez- vous pour petite Piece,
Le Samedy 15 les Comédiens Italiens
ont joué la Comédie de Timon Mifamırope
entremêlé de trois divertiffements.
Le Dimanche 16 on chanta le Te Deum
de M. de Blafmont pendant la Meffe de leurs
Majeftés , pour la bataille gagnée contre les
Alliez . M. l'Abbé Gergeois l'a entonné.
Le même jour les Etats d'Artois eurent
audience de leurs Majeftés préfentés parM.le
Prince Charles de Lorraine , Gouverneur de
la Province , par M. le Comte d'Argenfon
Miniftre de la guerre,& M, Defgranges Maitre
des Cérémonie .
Le même jour après le Concert de la
Reine la Dlle. Marianne Allemande chanta
dans la chambre de Sa Majefté plufieurs
Airs Italiens ; elle fut accompagnée par Mrs.
Guilmin & de Quay le fils , tous deux ordinaites
de la Mufique de Chapelle & Chambre
du Roi. Cette Dlle. Marianne avoit
chanté la veille au diner de la Reine chés
Mefd. & chés Monfegr. le Dauphin , des Airs
Italiens, Allemands, Efpagnols & François ,
imitant avec fa voix les accompagnements
avec beaucoup d'art. Elle fut fort applaudie.
Le Mardy 18 les Comédiens François
repréſenterent la Comédie du Duc de Surey
& le Préjugé vaincu pour petite piece .
OCTOBRE 1746. 171
Le 19 M. le Vicomre de Rouhan aporta
à Sa Majefté les Drapeaux pris auxAlliez .
Le même jour les Comédiens François
repréſenterent la Tragédie d'Herode &
Marianne
& pour petite piece Crispin
Rival de fon Maitre.
,
Le Marquis de Crillon , Colonel du Régiment
d'Infanterie de fon nom , & que le Ccm
te de Clermont a choifi pour apprendre au
Roi que le Commandant des Châteaux de
Namur avoit demandé à fe rendre , arriva à
Verſailles le 2 de ce mois . La capitulation
par laquelle la garniſon de ces Châteaux
compofée de treize bataillons & d'un eſcadron
de Cavalerie , a été faite priſonniere de
guerre , a été apportée à Sa Majefté par le
Duc d'Antin , Colonel du Régiment de Picardie
, & le Roi a reçû le fix par le Marquis
de Sourdis les Drapeaux des troupes qui
formoient cette garnifon.
Le Marquis de Crillon a été fait Maréchal
de Camp ; le Duc d'Antin & le Marquis de
Sourdis ont été nommés Brigadiers , ainſi que
M. Robert , Lieutenant de Roi de Maubeuge
, & Ayde.Maréchal des Logis de l'armée ,
lequel a apporté au Roi la Capitulation de la
Ville de Namur.
Les lettres de Breda du 30 du mois dernier
portent que le Marquis de Puyfieulx ,
Miniftre Plénipotentiaire du Roi aux Con-
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
férences qui doivent fe tenir dans cette Ville,
y étoit arrivé le 29 ; que le Comte de Waffenaer
, Miniftre de la République des Provinces-
Unies aux mêmes Conférences , & le
Comte de Sandwych qui y doit affifter de la
part du Roi de la Grande - Bretagne , s'y
etoient rendus avant le Marquis de Puyfieulx
, & que M. Gillés , Penfionnaire de
Hollande , y étoit attendu le premier de ce
mois .
Le Marquis d'Armentieres , Maréchal de
Camp , & que le Maréchal Comte de Saxe a
dépêche au Roi , eft arrivé à Fontainebleau
le 13 de ce mais au foir , & il a apporté la
nouvelle d'une victoire remportée le 11 par
l'armée de Sa Majefté fur celle des Alliés :
Le Comte de l'Hôpital , Meftre de Camp
du Régiment de Dragons de fon nom , eft
arrivé dans le même moment , ainfi que M.
de Keremar de Boifchateau , Lieutenant de
Vaiffeau , & ils ont appris au Roi que les troupes
Angloifes qui étoient débarquées ſur les
côtes de Bretagne , dans le deffein de s'emparer
de la Ville de l'Orient , n'ayant pu
réuffir dans cette entrepriſe , avoient pris le
parti de fe rembarquer,
La fête de fainte Anne dont M. de Vendeuil
, Ecuyer du Roi , porte le nom , n'a
pas été célébrée cette année par les jeunes
OCTOBRE 1746. 173
*
Seigneurs de fon Académie , à caufe de la
mort de Madame la Dauphine , mais ils l'ont
remiſe au trois Octobre , veille de faint
François , dont M. de Vendeüil porte auſſi
le nom.
Cette fête à été annoncée le matin par
une falve de 50 boëtes , & le foir un bouquet
a été préſenté à M. de Vendeüil par
M. le Marquis de la Vaupalliere , Doyen de
Meffieurs fes Penfionnaires , & par M. le
Marquis de Lufignan , Doyen des Externes ,
en lui faiſant , au nom de tous , un compliment
qui marquoit la reconnoiffance qu'ont
ces Meffieurs de toutes les attentions & bontés
de M. de Vendeüil pour eux ; enfuite ils
donnerent la main aux Dames invitées à cet
te fête, & les conduifirent dans des chambres
préparées , pour voir le feu qui fut brillant
d'un bon goût & bien exécuté.
Après quoi les Dames furent conduites de .
même par ces Meffieurs dans une fale deſtinée
pour le Bal , qui étoit ornée avec goût
le Bal fut ouvert par M. de Vendeüil & Madame
la Marquife de Beaufremont , & tous
ces Meffieurs , tant Penfionnaires qu'Externes
, ont danſé avec les Dames , qui toutes
de la premiere diftinction , fe font beaucoup
louées de la politeffe de ces Meffieurs : toutes
fortes de rafraîchiffemens y ont été donnés
en abondance , enfin cette brillante fête
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
s'eſt paffée avec joye & décence.
La Reine accompagnée de Monfeigneur
le Dauphin & de Meldames de France , fe
rendit le 15 à l'Eglife des Carmes des Baſſes-
Loges où l'on célébroit la fête de Sainte Therefe
, & S. M. y entendit les Vêpres & le Salut,
Le 14 pendant la Meffe du Roi l'Archevêque
d'Arles & l'Evêque d'Avranches , préterent
ferment de fidélité entre les mains de
Sa Majesté. L'Evêque de Vannes prêta le 18
le même ferment.
Le Roi a accordé la place de Confeiller
d'Etat d'épée vacante par la mort du Marquis
de Fenelon au Marquis de Puyfieulx
Miniftre Plénipotentiaire de Sa Majeſté aux
conferences de Breda , & cy- devant fon Ambaffadeur
Extraordinaire auprès du Roi des
deux Siciles .
Le 16 de ce mois l'Evêque de Eazas fut
facré dans la Chapelle du Seminaire de Saint
Sulpice par l'Evêque de Mende , affifté des
Evêques de l'Efcar & du Puy.
L'Evêque de Chartres a été facré le même
jour par l'Archevêque de Rouen.
Le Roi a nommé Lieutenans Généraux de
fes armées le Comte de Voluire Commandant
en Bretagne , & le Marquis d'Armentieres.
Le Chevalier d'Efpagnac Aide Maréchal
Général des Logis de l'armée de Flandres,leOCTOBRE
1946. 175
quel a été dépêché au Roi par le Maréchal
Comte de Saxe le même jour que le Marquis
d'Armentieres , M. Defchamps Lieutenant
de Roi du Port Louis , & le Vicomte
de Rohan Meftre de Camp du Régiment de
Cavalerie de fon nom , qui a apporté à Sa
Majefté les Drapeaux pris fur les ennemis à
la bataille de Varoux , ont été faits Brigadiers.
LETTRE du Roi à Meffieurs les Vicaires
.
Généraux.
ESSIEURS , la conquête de Namur
acheve de combler les fuccès dont
ila plû à la divine Providence de favorifer la
juftice de mes armes dans les Pays - Bas pendan:
le cours de cette Canipagne. Cette
Place étoit Funique reffource qui reftât à la
Reine de Hongrie entre la Mer & la Meuſe
pour troubler la tranquillité de mes anciennes
frontieres , & pénétrer dans les pays
nouvellement foumis à mon obéiffance : auffi
mes ennemis fondant leurs efpérances fur fa
confervation , avoient raſſemblé toutes leurs
forces dans un Camp dont la feule fituation
en deffendoit les approches à mon armée.
Mais mon Coufin le Maréchal Comte DI
Hiiij
176 MERRCUE DE FRANCE.
•
SAXE , par des marches & des mouvemens
habilement compaffés , a fçû fe procurer
fans effufion de fang tout l'avantage qu'il
auroit pû retirer d'une victoire complette :
mes ennemis privés par fa pofition, de toute
efpéce de fubfiftance , ont été forcés de fe
dépofter , d'abandonner la Place à fes propres
forces , & de chercher leur fûreté audelà
de la Meufe. Ils la pafferent le 29 du
mois d'Août , & Namur fe trouva inveſti le
3 du mois dernier par mon Coufin le Comte
DE CLERMONT , qui en forma le Siége
avec une partie de mon armée. Il fit ouvrir
la tranchée devant la Ville le 12 , elle capi
tula le 19, & la garnifon s'étant retirée dans les
Châteaux , il en a dirigé & conduit les atta
ques avec tant d'activité , d'intelligence & de
capacité, que les troupes qui les deffendoient
au nombre de treize Bataillons , ont été obligées
de fubir la loi qu'il a voulu leur impoſer,
en fe rendant prifonnieres de guerre le 30
dudit mois , fixiéme jour ſeulement de l'ouverture
de la tranchée . Quelque part qu'-
ayent eu à la rapidité de cette conquête le
zéle , les talens & l'expérience de mondit
Coufin le Comte DI CLERMONT , & la
valeur de mes troupes ; le peu de tems qu'elle
a coûté , comparé à ce que l'on devoit attendre
de fa réfiftance , eft une nouvelle
preuve de la protection du Dieu des Armées :
OCTOBRE 1746. 177
ainfi en lui rapportant toute la gloire qui lui
en eft dûe , je ne cefferai pas de l'invoquer
pour qu'il daigne m'accorder la continuarion
de fes bienfaits , & infpirer à mes ennemis
cet efprit d'équité fi néceffaire pour parvenir
à une paix qui puiſſe rétablir folides
ment le repos de l'Europe , & me mettre en
état de n'être occupé que du bonheur de mes
Sujets. Senfible de plus en plus à cet objet
je vous écris cette Lettre pour vous dire ,
que mon intention eft , qu'en actions de graces
de tout ce que je dois à la divine Providence
, vous faffiez chanter le Te Deum dans
l'Eglife Métropolitaine de ma bonne Ville
de Paris , & autres du Diocèfe , avec les folemnités
accoutûmées en pareil cas , au jour
& à l'heure que le Grand- Maître ou le Maître
des Cérémonies vous dira de ma part.
Sur ce , je prie Dieu qu'il vous ait , Meffieurs
, en fa fainte garde. Ecrit à Verſailles
le quatre Octobre mil fept cent quarante fix .
Signé , LOUIS.
Et plus bas , PHELYPEAUX.
Et au dos eft écrit : A Meffieurs les Vicaires
Généraux de Paris .
HY
178 MERCURE DE FRANCE .
33 વેટડેટ
MANDEMENT des Meffieurs les Vicaires
Généraux du Chapitre , & Archidiacres
de l'Eglife de Paris , Adminiſtrateurs
de l'Archevêché , le Siege vacant ;
Qui ordonne que le TE DEUM fera
chanté dans toutes les Eglifes du Diocèse ,
en actions de graces de la prise de la Ville
& des Châteaux de Namur.
N
Ous Vicaires Généraux & Archidiacres
, Adminiſtrateurs de l'Archevêché
de Paris , le Siége vacant : Aux Archiprê
tres de fainte Marie-Magdeleine & de faint
Severin , & aux Doyens ruraux du Diocèse ,
SALUT.
Le Ciel a répandu de nouvelles bénédictions
fur les armes de la France dans les
Pays - Bas.
Nos troupes ne connoiffent plus ces longueurs
qu'elles éprouvoient dans les Siéges
fous les Régnes précédens ; la Ville de Namur
& les Forter effes ont cédé en peu de
jours aux attaques d'un Prince , héritier du
courage & de la gloire de fes ancêtres , qui
à peine échappé des portes de la mort , s'eft
livré pour le fer vice de l'Etat à de nouveaux
OCTOBRE 1746. 179
périls , & a mérité notre admiration & notre
reconnoiffance.
La prife de cette Place importante eft le
fruit d'une campagne , où la valeur & le génie
, l'habileté & la prudence ont vaincu l'ennemi
fans le combattre , & l'ont réduit à la
néceffité d'être fpectateur oifif de nos triomphes.
Le Général à qui le Roi a confié le ſoin
de fuivre les opérations qu'il avoit lui- même
commencées avec tant de fuccès , fçait &
gagner des batailles quand il les croit néceffaires
, & négliger l'honneur d'une victoire
quand il peut fans elle obtenir les avantages
qu'elle auroit procurés.
* Dieu eft jufte dans les révolutions des Empires
. Par la conquête de la Flandre , il remet
l'ancien patrimoine de nos Rois entre
les mains d'un Monarque qui ne combat que
pour la paix, & qui a toujours pour * gardes
fideles la bonté , la vérité& la clémence , dont
il fait le plus ferme appui de fon trône.
Puiffe cet événement rappeller nos ennemis
à des fentimens d'équité , propres à réunir
tous les interêts , & à terminer heureu-
* Transfert regna atque conftituit. Daniel. 2 .
* . 21 .
* Mifericordia & veritas cuftodiunt regem , &
roboratur clementiâ thronus ejus . Prov. 10. v . 8.
H vj
180 MERCURE DE FRANCE
fement une guerre qui fait le malheur des
peuples.
Mais ce ne font pas les hommes qui rétabliront
le calme. Nous ne pouvons attendre
ce bienfait que de Dieu feul. * C'eft lui qui a
allumé la colere des Rois , pour punir les
Nations de ce que le feu de fon amour s'éteint
fur la terre.
Travaillons donc à l'appaifer par des facrifices
qui lui foient agréables ; immolons nos
coeurs fur fes autels , en même tems que nous
lui donnerons dans fon Temple des témoignages
publics de notre reconnoiffance
pour
les victoires qu'il nous accorde. Nos voeux
feront écoutés , quand nous lui demanderons
que la paix , après laquelle nous foupirons ,
ne tourne qu'à fa gloire , qu'elle ramene avec
elle l'innocence des moeurs , la véritable
piété , & toutes les vertus qui peuvent nonfeulement
rendre un Empire floriffant , mais
encore nous obtenir cet autre Royaume
qui, comme dit faint Auguftin, n'a pour Roi
que la vérité , pour loi que la charité , & pour
bornes que l'éternité.
Qu'il feroit confolant pour une Eglife affligée
par des coups redoublés , de voir naître
ces jours tranquilles , & de les annoncer
Nonne Dominus ipfe cui peccavimus ? If. 42.
9. 24.
1
S. Aug. Ep. 138. ad Marcell, n . 17.
OCTOBRE 1746. 181
à tout Ifraël ! * Mais il eſt réſervé à un Pontife
pacifique & plein de douceur de chanter
le Cantique de la paix au milieu d'un grand
peuple , qui fait déja fon bonheur de l'avoir
pour Paſteur , & de pouvoir bien- tôt vivre
fous fon gouvernement
. *
A CES CAUSES , pour nous conformer
aux ordres du Roi , nous ordonnons
que le Te Deum , avec le Verfet Benedicamus
Patrem & Filium , & l'Oraifon Pro gratiarum
actione , l'Antienne Domine , falvumfac
Regem , &c. le Verfet Fiat manus tua , &c.
& l'Oraiſon Pro Rege & ejus exercitu , fera
chanté Mercredi prochain douze du préſent
mois d'Octobre , dans notre Eglife Métropolitaine
, en actions de graces de la priſe de
la Ville & Châteaux de Namur . Qu'il fera
pareillement chanté le Dimanche feize d'Octobre
, dans toutes les Abbayes , Chapitres ,
Paroiffes & Communautés Séculieres & Régulieres
de la Ville & des Fauxbourgs de
Paris , & le Dimanche qui fuivra la réception
de notre préfent Mandement , dans toutes
les autres Eglifes du Diocèfe.
SI VOUS MANDONS que ces Prefentes
vous ayez à notifier à tous Abbés, Prieurs,
* Benedicet populo fuo in pace. Pf. 28. v. 11 .
* Erant enim omnes expectantes eum, Luc. 8,
v. 49.
182 MERCURE DE FRANCE,
Curés , Supérieurs & Supérieures des Communautés
exemptes & non exemptes , à ce
qu'ils n'en ignorent. DONNE' à Paris let
dixiéme jour d'Octobre mil ſept cent quarante
- fix .
Par Mandement de Meffieurs les Vicaires
Généraux & Archidiacres ,
ROBERT , Secrétaire.
Le Te Deum fut chanté en conféquence
dans l'Eglife Métropolitaine , auquel l'Abbé
Harcourt officia , & auquel affifterent le
Parlement , la Chambre des Comptes , la
Cour des Aides & le Corps de Ville qui y
avoient été invités de la part du Roi par le
Marquis de Dreux , Grand - Maître des Cérémonies
.
Le foir on tira un feu d'Artifice dans la
Place de l'Hôtel de Ville , & il y eut des illuminations
dans toutes les rues.
L'Evêque de Nantes & l'Evêque d'Avranches
furent Sacrés leg de ce mois dans la
Chapelle de la Congrégation de la Maifon
Profeffe des Jefuites par l'Evêque de Lef
car , affifté des Evêques du Puy & de Saint
Claude.
OCTOBRE 1746.- 187
SapsapsapSapsapsap saps
MANDEMENT de fon Eminence M.
le Cardinal de Tencin , Archevêque & Com
te de Lyon , qui ordonne que le TE DEUM
fera chanté dans toutes les Eglifes de fon Diocèfe,
en actions de graces de laprise de laVille
& des Châteaux de Namur.
ERRE DE GUERIN DE TENCIN , PIERRE
A tous Abbés , Doyens, Chapitres, Prieurs,
Curés , Vicaires & autres Eccléfiaftiques ,
Séculiers & Réguliers , & à tous les Fidéles
de notre Diocèfe : SALUT & Bénédiction
en notre Seigneur .
* Un Prince auffi cher au Roi & à l'Etat
par fes grandes qualités que par fa naiffance
, nous rappelle aux pieds des Autels
mes très chers Freres , pour y
pour y remercier
le Seigneur d'une conquête qui , plus importante
que toutes celles qui l'ont précédée
a cependant été encore plus prompte.
Soyons flatés comme François , d'une cir
conftance qui ajoute un nouvel éclat à la
gloire de nos armes ; ce fentiment n'a rien
Princeps ea quæ digna funt Principe cogita
bit , & ipfe fuper Duces ftabit . If. ch. 32. v.8.
184 MERCURE DE FRANCE.
-
que de légitime. Mais comme hommes &
comme Chrétiens , foyons bien plus touchés
que cette conquête & les autres avantages
de cette Campagne en Flandres , n'ayent
couté que peu de fang à nos ennemis même.
Soyons-y fenfibles encore comme Sujets du
plus humain de tous les Monarques . * Le titre
faftueux de Conquérant qu'a confacré
l'admiration du vulgaire auffi aveugle fur
fes propres interêts que fur le véritable héroïfme
; ce titre fouvent auffi incompatible
avec la juftice qu'avec l'humanité ; quelquefois
même auffi chérement payé par les vainqueurs
que par les vaincus , le Roi ne l'a jamais
ambitionné : * jamais il n'a oublié que
les dernieres paroles de fon illuftre bifayeul ,
furent des confeils d'éviter la guerre , &
d'humbles aveux de l'avoir trop aimée. Il
fçait que la France , l'Europe entiere les recueillirent
avec tranfport , & qu'elles en conçurent
les douces espérances d'un régne pasique.
Puiffent ces efpérances , templies
* Salomon habebat pacem ex omni parte in cir-
& erat fapientior cunctis hominibus . cuitu . ...
3. Reg. c . 4. v. 24.
* Ante mortem fuam vocavit Salomonem filium
fuum ... dixitque David ; Fili mi... factus eft
fermo Domini ad me dicens ; multum fanguinem
effudifti , & plurima bella bellafti.... Filius qui
nafcetur tibi , erit vir quietiffimus ... & ob hanc
saufam pacificus vocabitur. Paralip , 22. v.5.&sej,
OCTOBRE 1746. 185
pendant un fi grand nombre d'années , l'être
bien-tôt encore par le retour de la Paix !
Puiffe Sa Majefté , n'étant plus , forcée de
vaincre , mettre déformais toute fa gloire à
gouverner & à faire la félicité d'un peuple
qui par fon zéle & fon amour , lui procure
alle-même la gloire la plus précieuſe &
le plus grand bonheur des Rois !
A CES CAUSES &c. و
ARREST du Confeil d'Etat du Roi ;
qui déclare nulle une faifie de Piaftres faite
à Bayonne , à la requête des Officiers de la
Monnoye, fur le fieur de la Barde Négociant
de cette Ville ; & condamne le fieur Arnaud
, Directeur de ladite Monnoye , en
trois mille livres de dommages & interêts ,
&c.
E Roi étant informé qu'au préjudice de la
Ldifpofition de l'Arrêt du Confeil du 4 Novem
bre 1727 , par laquelle Sa Majefté auroit expreffément
déclaré qu'Elle n'entendoit point interdire
le Commerce des piaftres & réaux d'Eſpagne
aux Négocians qui ont coûtume de le faire , les
Officiers de la Cour des Monnoyes de Bayonne
ont faifi le 18 Juillet dernier , en conféquence du
Réquifitoire du fieur Arnaud , Directeur de ladite
Monnoye , fur le fieur Jofeph la Borde , Négo
188 MERCURE DE FRANCE.
ciant de ladite Ville , une partie de feize cent
quarante trois mares une once & douze deniers
de piaftres , & autres matieres d'argent qu'il fe
propofoit de faire paffer à Lyon , defquelles efpéces
& matieres le Juge- Garde & Contrôleur dé
ladite Monnoye a prononcé la confifcation par
fon Jugement du 19 du même mois , lequel Juge
ment a depuis été exécuté par la fonte desdites
efpéces & matieres par ledit fieur Arnaud ; à quoi
Sa Majefté jugeant néceffaire de pourvoir. Vûledit
Arrêt du 4 Novembre 1727 , le Réquifitoire
dudit Arnaud , le procès-verbal de faifie deſdits
Officiers , celui de péfée & eftimation desdites
efpéces & matieres , & ledit Jugement du 19
Juillet , enfemble les Mémoires fournis , tant de
la part dudit fieur la Borde que dudit Arnaud . Vâ
pareillement l'avis du fieur Intendant & Commiſ
faire départi dans la Généralité d'Auch , & celui
des Députés au Bureau dufCommerce . Qui le Rap
port du fieur de Machault , Confeiller ordinaire au
Confeil Royal , Contrôleur Général des Finances.
LE ROI E'TANT EN SON CONSEIL ,
fans avoir égard audit procès-verbal de faifte & au
Jugement rendu en conféquence , que Sa Majefté
a déclarés nuls & de nul effet , enfemble tout ce
qui s'en eft enfuivi , a fait & fait pleine & entiere
main- levée audit la Borde , defdits feize cent qua→
rante - trois marcs une once & douze deniers de
piaftres & autres matieres d'argent ; en conféquence
condanme ledit Arnaud , & par corps , à en
payer dans le jour de la fignification qui lui fera
faite du préfent Arrêt , le montant audit la Borde ,
fur le pied de leur valeur au cours de la place de
Lyon le 18 dudit mois de Juillet : Condamne auffi
Sa Majefté ledit Arnaud en trois mille livres de
dommages & interêts envers ledit la Borde , au
OCTOBRE. 1746. 187
payement defquelles il fera pareillement contraint
par toutes voyes dues & raiſonnables , même par
corps. Ordonne en outre Sa Majesté qu'à compter
du jour de la fignification qui lui fera faite du préfent
Arrêt , ledit Arnaud demeurera interdit de
toutes fonctions de fon Office de Directeur . Enjoint
Sa Majesté au Sieur Intendant & Commiffaire
départi en la Généralité d'Auch , de tenir la main
à l'exécution du préfent Arrêt , qui fera lú , publié
& affiché par-tout où befoin fera . FAIT au Con
feil d'état du Roi , Sa Majefté y étant , tenu à Ver
failles le dix-neuviéme jour de Septembre mil ſept
cent quarante-fix .
Relation de cequi s'eſtpaffé à l'Orient le 10 Odobré.
'Eſcadre Angloife fur laquelle on avoit
L'embarqué les troupes deftinées à faire
une deſcente en France , partit de Plymouth
le 26 du mois dernier. Cette Efcadre compofée
de cinquante - quatre vaiſſeaux , tant
de guerre que de tranfport , de plufieurs
frégates & brigantins , & de deux galiotes à
bombes , parut le 30 à la hauteur d'Oueffant
& elle mouilla le premier de ce mois dans la
Baye du Poulduc. M. de Sainclair , Commandant
des troupes qui étoient fur cette
flotte , commença le même jour à faire débarquer
cinq mille hommes , lefquels s'emparerent
le foir du Château de Coidor , éloigné
de l'Orient d'environ deux lieues , Le 2
1
188 MERCURE DE FRANCE.
le refte des troupes Angloifes , qui fe mon
toit à deux mille homines , étant débarqué
, les ennemis marcherent du Château du
Cóidor , & allerent occuper le Moulin de la
Montagne & du Bourg de Plomeur à une
lieue de l'Orient. Ils s'emparerent le 3 du
Bourg de Guidel , & ce fut entre ces deux
Bourgs qu'ils commencerent à former un
Camp où ils fe retrancherent. Le 4 ils fi
rent avancer du canon , & ils envoyerent
fommer la garnifon de cette Ville de fe rendre.
M. de Sainclair ayant paru déterminé à
exiger qu'on s'en remit à la difcrétion , on
ne fongea plus qu'à trouver les moyens de
réfifter aux efforts des Anglois. Pendant que
les Habitans , aidés de quelques Compagnies
de Cavalerie & de Dragons , & des
Compagnies des Milices Gardes-Côtes qu'on
avoit fait entrer fe mettoient en état de fe
deffendre , les ennemis continuerent de s'approcher.
S'étant contentés le 5 de tirer quelques
coups de canon , ils commencerent le
lendemain à fortifier un nouveau Camp qu'ils
avoient pris à un quart de lieue , & ils établirent
contre la Ville une batterie de quatre
canons & d'un mortier, Le Comte de Voluire
, Maréchal de Camp , qui commande dans
cette Province étant arrivé le 5 , il reconnut
les difpofitions déja faites pour la deffenfe
de cette Ville , & il donna fes ordres pour
OCTOBRE 1746. 18
l'établiffement de trois differentes batteries ,
compofées de vingt-fix piéces de canon . Le
7 à la pointe du jour , les Anglois jetterent
quelques bombes dans la Ville , & ils l'attaquerent
par un feu auffi vif qu'il leur étoit
poffible , avec le peu qu'ils avoient d'artillerie.
Ils continuerent ce feu jufqu'à la nuit ,
mais les batteries de la Ville furent fervies
avec tant de vivacité & de fuccès , que les
ennemis ne pouvant y réfifter , prirent le
parti de fe retirer. On jugea par la ceffation
de leur feu qu'ils s'étoient éloignés , & le
Comte de Voluire ayant envoyé un détachement
reconnoître leur Camp , il apprit
le foir qu'ils avoient abandonné leurs canons
& un mortier , & qu'ils étoient allés reprendre
leur pofte au Château du Coidor. Le
8 on fut informé que ces troupes fe rembarquoient
, & l'on a fçù qu'elles l'étoient entierement.
.
Il y a une erreur de nom dans le Mercure
du Mois précedent Page 144 ligne 1 3
& C'eft au Comte de Lomont Lieutenant au
Regiment du Roi Infanterie , aide- Major
Général de l'Armée de Flandre & fils de
M. le Marquis du Chatelet que fa Majefté
à donnél'Agrément du Regiment du Quer-
Y
190 MERCURE DE FRANCE.
•
- apo jo jo jo gje ✡ †
OPERATIONS DE L'ARME’E
DU ROL
De Namur le 11 Septembre.
Onfieur de Crommelin qui commandoit dans
cette Ville pendant le fége ayant fait arbe
şer le 19 de ce mois le drapeau blanc , on a figné
la Capitulation, par laquelle on eft convenu qu auffi
-tôt après la fignature les Portes de Bruxelles &
de Saint Nicolas feroient remifes aux troupes du
Roi , & que la garniſon feroit obligée de ſe retirer
pendant les deux jours fuivans dans les Châ
teaux , avec les Domestiques , équipages & effets .
qui lui appartiennent que les munitions de guerre
& de bouche , qui étoient dans la Ville , ne pourroient
être tranfportées dans les Châteaux , &
qu'elles feroient livrées aux Commiffaires , prépofés
par le Comte de Clermont pour les recevoir ;
que le Prince de Gauye , Gouverneur & Grand
Bailly du Comté de Namur , pourroit fe retirer où
il jugeroit à propas avec fa famille , ſes domeft –
ques , fes équipages , & les feuls papiers qui con- .
cernent fes affaires particulieres ; que pour les
Officiers & Soldats bleffés , tant de la garnifon
que de l'armée commandée par le Prince Charles de
Lorraine , qui étoieut dans la Ville , on fe con- .
formeroit au Cartel de Francfort , ainfi que pour ,
Les Médecins , Chirurgiens , Apoticaires , & Entre
OCTOBRE 1746. 191
preneurs des Hôpitaux ; que les prifonniers faite
de part & d'autre pendant le fiége , feroient échan
gés ; que pendant les deux jours accordés à la gar
nifon pour le retirer dans les Châteaux , il n'y au
roit aucun acte d'hoftilité ; que lorsque les Châ
teaaux feroient attaqués , la Ville pourroit tirer
fur les Châteaux , & les Châteaux fur la Ville.
Hier à la pointe du jour les Compagnies de Gre
nadiers du Régiment de Picardie occuperent les
deux Portes , qui devoient être remifes aux A
fiégeans.
Du Camp de Fongres le 25 Septembre.
Le Comte de Clermont depuis la prife de la
Ville de Namur n'ayant plus befoin de toutes les
troupes avec lesquelles il avoit le fiége de cette
Place , ce Prince fit marcher le 20 de ce mois le
Comte de Segur avec dix-neuf Betaillons & un pareil
nombre d'Eſcadrons , pour ſe rendre à Breff ,
où ces troupes arriverent le 21. Le lendemain le
Comte de Segur reçut ordre de s'approcher de
l'armée commandée par le Maréchal Comte de
Saxe , & de venir camper le même jour la gau
che au Jar , & la droite le long de la Chauffée
de Saint Tron. Ce Lieutenant Général féjourna
le 23
à Oreille , & ayant laiffé un Détachement
pour la fûreté d'un convoi qu'il attendoit le 25
il s'avança le 24 entre le Jar & le ruiffeau des
Freres. Il devoit aller prendre pofte au delà de ce
ruiffeau , mais fa pofition a été changée , parce
qu'avant fon arrivée les Hollandois ont paffé le
Jar , & ont établi leur Camp le long du Ravin
de Slings . Le Maréchal Compte de Saxe croyant
que ce Camp n'étoit compofé que de troupes lé
geres a marché ce matin pour l'attaquer , mais les
194 MERCURE DE FRANCE
approches en étant trop difficiles , il a renoncé à
ceprojet . Dans un mouvement que l'armée a fait le
17 le Marquis de Berville Brigadier , à la tête d'un
Détachement de douze Compgnies de Grenadiers
, de deux cens Carabiniers , de deux cens
Dragons & d'un pareil nombre de Huffards , s'eft
emparé d'un Village où l'on a fait plufieurs prifonniers.
Du Camp devant les Châteaux de Namur
le 28 Septembre.
Quarante-une piéces de canon & tente- fix
mortieres des batteries , établies fur les remparts
de la Ville de Namur , ayant commencé le 24
de ce mois fur les deux heures après-midi à tirer
contre les Châteaux , on fit la nuit fuivant l'outure
de la tranchée à deux attaques , dont l'une
eft du côté du Vieux-Mur & l'autre vers l'Abbaye
de Salfine . Le fieur de Primlet , Capitaine dans
le Régiment d'Enguien , fut tué à la feconde attaque
, & à la premiere le fieur de Blauzi , Officier
d'artillerie a été bleffé , ainfi que le fieur de la Pollerie
, Capitaine dans le Régiment de Dragons
Meftre de Camp Général , & M. de Floberg , Ingénieur
en Chef & Lieutenant Colonel au fervice
de Sa Majefté Catholique , lequel a reçu un coup
de fufil an travers du corps . Ce dernier Offiçier eft
le même qui l'année derniere n'étant à la tête que
de cent hommes s'eft emparé de Pavie. Il a fervi
comme Volontaire aux fiéges d'Anvers , de Mons ,
de Charleroy & de Namur , il a été chargé pendant
ce dernier fiége , de conduire douze Compagnies
de Grenadiers par la brêche à l'affaut de l'ouvrage
à Corne de la Porte Saint Nicolas. Le 26 la premiere
attaque fut prolongée jufqu'au delà du Fort
Camus
OCTOBRE 1746. 193
Camus , & l'on embraffa par la parallele une redoute
fituée fur la gauche , contre laquelle deux
piéces de canon , placées en barbette , tirerent
pendant toute la nuit. A la feconde attaque après
avoir débouché de la premiere parallele , on travailla
à l'établiſſement d'une batterie deftinée à
ruiner la porte baffe de Terre- Neuve . Les Affié -
gés firent un feu très-vif , & ils démafquerent quatre
embraſures fur la Capitale à droite & à gauche
du Fort Camus. La batterie commencée le 26 fut
perfectionnée le lendemain , auffi - bien qu'une de
dix mortiers placée vis - à- vis le Fort d'Orange . On
prolongea de cinquante toifes la parallele de la
premiere attaque , & l'on pouffa un boyau fur
l'angle faillant du chemin couvert jufqu'à quatre
toifes de la paliffade. Les Travailleurs de l'au
tre attaque formerent la droite d'une feconde parallele
, & ouvrirent deux boyaux qui s'étendant le
long de la Sambre , fe terminent à la montagne.
M. de Vaubrun & M Sallier Ingénieurs , & M.
de la Bafonniere , Capitaine dans le Régiment de
Cambrefis , ont été le premier tué & les deux au
tres bleffés , Le feu des Affiégés plongeant un boyau
de double Sappe à l'attaque du côte de l'Abbaye
de Salfine , on y a fait cette nuit dix- huit traverfes
tournantes , & à cette même attaque on a attaché
le Mineur à l'angle faillant de l'ouvrage qui
couvre le Fort Camus . A l'attaque de la droite on
a débouché par un boyau qui longe la branche du
chemin couvert du Fort , & qui embraffe l'angle
de la Capitale. Deux nouvelles batteries , l'une
de huit piéces de canon , l'autre de fix mortiers ,
tirent depuis ce matin . Cette nuit Meffieurs de
Saune & de Narbonne , Capitaines dans dans le
Régiment de Monaco ; M. de Court , Capitaine
dans le Régiment de la Cour-au-Chantre, & M , de
I
194 MERCURE DE FRANCE.
Brionville ont été bleffés , & le premier a eu les
deux jambes emportées d'un coup de canon .
Du Camp fous Namur le 2 Octobre.
Les troupes qui après avoir deffendu la Ville de
Namur s'étoient renfermées dans les Châteauxayant
été obligées d'arborer le drapeau , on eft convenu
par la Capitulation qui fut fignée avant-kier , qu'elles
fe rendroient prifonnieres de guerre , & que
demain elles fortiroient par la porte du bord de
l'eau , & mettroient les armes bas à la Barriere ,
après quoi elles pafferoient la Sambre au Pont de
Salfines , d'où elles iroient avec eſcorte par la
chauffée , la premiere journée à Gemblours , & la
feconde à Mons ; qu'il leur froit fourni aux frais
du Pays , foit par eau , foit par terre , tous les fecours
, dont elles auroient befoin , & qu'il feroit
permis aux Officiers d'emporter les équipages &
effets qui leur appartiennent ; qu'auffi - tôt après la
Capitulation fignée , tous les ouvrages extérieurs
feroient remis aux Affiégeans , ainfi qu'une Porte
des Châteaux au choix du Comte de Clermont ,
& que l'artillerie & les magaſins feroient livrés
aux Commiffaires d'artillerie & aux Commiffaires
des guerres , que ce Prince nommeroit pour les
recevoir ; que tous les prifonniers faits par les Affiégés
pendant le fiége de la Ville & pendant celui
des Châteaux , en quelque occaſion ou dans
quelque pofte que ce pût être,feroient mis en liberté
, & que perfonne de part ni d'autre ne pourroit
entrer dans la Ville ni dans les Châteaux qu'après
l'expiration du terme donné pour la fortie de la
garnifon . Hier on ajouta à la Capitulation un fupplément
, par lequel il a été réglé que la garnifon
laifferoit en êtages un Officier Major d'un Régi-
1
OCTOBRE 1746 . 195
ment , un Capitaine & un Auditeur pour la fûreté
du payement des dettes du Fifc & de celles des
troupes; qu'un tiers des Officiers pourroit fe retirer
fur leur parole d'honneur où ils jugeroient à propos ;
qu'on accorderoit la même liberté à tous les Officiers
de l'Etat Major de la Ville & des Châteaux , &
qu'on leur expédieroit les paffeports néceffaires .
Du Camp de Tongres le 8 Octobre.
Les ennemis étant décampés la nuit du 6 au 7 de
ce mois , le Maréchal Comte de Saxe fit battre
hier au matin la Générale , & l'armée ſe mit en bataille
à la tête de fon Camp. Le Marquis de Sallie
res avec deux Brigades d'Infanterie & deux mille
hommes de Cavalerie s'avança en même- tems de
Bilfen jufqu'à la Grande Commanderie des Vieux-
Tours. Un autre Corps fous les ordres du Comte de
la Mothe Houdancourt , alla joindre le Marquis de
Clermont Gallerande au Tongelberg , & ces deux
Lieutenans Généraux fe porterent avec leurs troupes
fur les hauteurs du Jar dans le camp que les Alliés
avoient abandonné . Pendant que ces difpofitlons
ſe faifoient à la rive gauche du Jar , le Maréchal
Comte de Saxe ordonna au Marquis de Chazeron
& au Comte d'Eftrées de paffer le ruiffeau
des Freres avec les Corps qu'ils commandoient, &
au Comte de Clermont Tonnerre de paffer le Jar
avec la Maiſon du Roi , la Gendarmerie , les Carabiniers
, quatre Brigades d'Infanterie , un Détachement
des Volontaires Royaux & de l'artillerie.
On trouva au-delà de la plaine en avant du
ruiffeau des Freres , de l'autre côté d'un Ravin, fept
à huit mille hommes des ennemis en bataille , ma's
le feu de l'artillerie les obligea de fe replier à la
hauteur du Village de Selingen, Le Maréch: 1
Iij
196 MERCURE DE FRANCE.
Comte de Saxe ayant faifi ce moment pour paffer
le Ravin à la tête des Régimens d'Infanterie d'Alface
& de Monnin , des Carabiniers , des Régimens
de Cavalerie de Saint Jal , de Vintimille
& de Rozen , & des Volontaires Royaux , il trouya
l'armée entiere des Alliés campée fur deux lignes
, ayant devant fa droite & fa gauche deux
Ravins impraticables & le Village de Selingen au
centre. Comme il étoit trop tard pour faire avancer
de nouvelles troupes , ce Général fe contenta
d'obferver les ennemis jufqu'au coucher du ſoleil
après lequel il fe retira en bon ordre fans être inquietté.
Ainfi toute la journée ſe paſſa à ſe canonner
de part & d'autre , mais avec beaucoup d'avantage
du côté des François. Quelques Efcadrons
ennemis qui voulurent s'emparer d'une de nos batteries
, furent chargés & mis en déroute par les
Volontaires Royaux, L'armée a repris aujourd'hui
fon ancien Camp , la droite à Saint Tron vers la
chauffée de Liege , & la gauche à Tongres , le Jar
en avant de la premiere ligne,
Du Camp de Varoux.
Depuis le 13 de ce mois que le Roi a reçu par le
Marquis d'Armentieres la premiere nouvelle de la
Victoire remportée le 11 à Raucoux par les trou
pes de Sa Majefté fur l'armée des Alliés , on a eu
le détail de plufieurs circonstances qui la rendent
beaucoup plus avantageufe qu'on ne l'avoit crû
d'abord.
Le Maréchal Comte de Saxe , lequel avoit formé
depuis long-tems le projet de forcer les ennemis
à repaffer la Meuze , ayant été informé que le
de ce mois le Prince Charles de Lorraine avoit
quitté le camp d'Elderen , pour en prendre un nou
7
CCTOBRE 1746. 197
veau en appuyant ſa gauche à Grace au- deſſus de
Liége & fa droite au-delà de Houtain vets le Jar ,
il réfolut d'attaquer les ennemis. Le to il fit mar◄
cher l'armée fans équipages , & ayant paffé le Jar,
ilcampa le même jour entre les deux chauffées qui
conduisent à Liege , fa droite appuyée à la chauffée
de Saint Tron à Liege , & le Village de Sehendermale
étant au centre de la ligne , dont la gauche
débordoit la chauffée de Tongres à Liege.
Un Corps de réſerve prit fon camp en troifiéme
ligne derriere le Village de Houté , où le quarties
général avoit été établi , & un autre Corps de réferve
commandé par le Marquis de Contades.
campa en quatriéme ligne . Les troupes détachées
aux ordres du Comte de Clermont , & celies
commandées par le Comte d'Eftrées , camperent
en avant de l'armée fur la chauffée de Saint Tron
à Liége. Le Marquis de Clermont Gallerande
avec les troupes qui étoient à fes ordres , fut pla
cé à la gauche , ainfi que le Comte de Mortaigne.
Le Maréchal Comte de Saxe s'occupa pendant
tout le jour à reconnoître la pofition des
ennemis , qui occupoient les hauteurs , ayant leur
gauche à Ance & dans le Fauxbourg de Sainte
Valburge , & dépaffant par leur droite la Cenfe
d'Enick qu' Is avoient laiffée devant eux. Il regia
fes difpofitions fur leur fituation , & après avoir
donné fes ordres aux Officiers Généraux , deft
nés a commander les differentes attaques des Villages
que les Alliés occupoient , il prit les précautions
les plus capables d'affûrer le fuccès de
fon projet. Le 11 à la pointe du jour , on battit
la Generale , & deux heures après , toutes les
troupes s'étant mifes en mouvement , l'armée
marcha fur dix colonnes paralleles jufqu'à la
hauteur du Village de Lontain qui avoit été 2
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
donné pour point de direction de la marche de
chaque Colonne. Lorſque l'armée fut arrivée dans
l'endroit d'où l'on devoit marcher aux ennemis
la Cavalerie des deux aîles fe mit en bataille , &
l'Infanterie chargée des attaques refta en Colonne
par Bataillons. Les ennemis , ayant fait en même
temps leurs difpofitions , s'avancerent à cinq cent
pas ou environ du front de leur camp , en confervant
toujours les differens poftes qu'ils avoient
fur les hauteurs . Vers midi le feu du canon placé
à notre droite commença , & il dura avec
beaucoup de vivacité jufqu'à deux heures , que le
Comte de Clermont & le Comte d'Eftrées marcherent
avec les Brigades de Picardie , de Champagne
, de Monaco , de Segur , de la Ferre , & .
de Bourbon , au Fauxbourg de Sainte Valburge
& au Village d'Ance , d'où les ennemis furent depoftés
prefque auffitôt que l'attaque en fut formée ,
n'ayant pû réfifter à l'ardeur & au courage avec
lefquels l'Infanterie fe porta à cette attaque
dans laquelle il y a eu beaucoup d'Officiers &
de Soldats tués du côté des Alliés . Le Marquis
de Maubourg , chargé de la feconde attaque
qui étoit celle du Village de Varoux
marcha vers les deux heures & demie avec les Brigades
d'Orleans , des Vaiffeaux , de Beauvoifis &
de Rouergue , & il y fit attaquer les hayes , derriere
lefquelles les ennemis étoient retranchés. Elles
furent emportées par la valeur de nos troupes malgré
la réfiftance des Alliés , qui les ayant défendues
avec beaucoup de courage , y ont fait une
perte très considérable. Le Marquis de Maubourg
eut un cheval tué fous lui à cette attaque . Le Marquis
d'Herouville , Lieutenant Généra , chargé de
celle du Village de Raucoux , la commença vers les
rois heures avec les Brigades de Navarre , d'Au-
2 y
OCTOBRE 1746. 199
l'arvergne
, de Royal & de Montmorin . Le feu prodigieux
de l'artillerie , que les ennemis avoient dans
ce Village , ébranla un inftant ces Brigades dans
leur marche , mais s'étant ralliées , elles attaquerent
ce Village avec la plus grande intrépidité , & elles
s'en emparerent après avoir tué ou fait prifonniers
préfque tous les Soldats qui le défendoient. Le
Marquis de Clermont Gallerande , qui étoit entre
le Village de Varoux & celui de Liers , joignit
pendant l'attaque le Corps qui étoit fous fes ordres,
à celui commandé par le Marquis d'Herouville . Le .
Maréchal Comte de Saxe avoit fait avancer fix Bataillons
pour aller chaffer les ennemis de deux redoutes
qu'ils avoient fur les hauteurs , mais ayant
fçu qu'ils les avoient abandonnées , il n'y fit point
marcher ces Bataillons . Pendant cette action ,
tillerie placée en avant de l'armée ne ceffa pas un
moment de tirer , & elle jetta beaucoup de défordre
dans la Cavalerie Hollandoife , dont la fuite
précipitée mit une extrême confufion dans le refte
de l'armée , laquelle abandonnant la plus granpartie
de fon artillerie , ne fongea qu'à feretirer par
les derrieres du Village de Liers. Il étoit cinq heures
lorfque les ennemis étant chaffés de tous leura
poftes le Maréchal Comte de Saxe donna ordre à la
Cavalerie de les pourſuivre , mais la nuit étant furvenue
& deux Ravins impraticables ayant empêché
de les joindre , on fe contenta de les canonner dans
leur retraite qui leur a couté beaucoup de monde ,
par l'attention qu'eut le Comte d'Eftrées de faire
avancer des troupes légeres vers leurs Ponts. La
perte que les Alliés ont faite dans cette Bataille ,
monte fuivant ce qu'on en a appris à plus de treize
mille hommes , en ajoutant '. â ceux qui ont été
tués pendant l'action , 300 prifonniers & ceux
qui ont péri dans leurs rétraite. On leur a pris neuf
200 MERCURE DE FRANCE.
Drapeaux , un Etendart , & foixante & quatre piéces
de canon , indépendamment de celles qu'ils ont
jettées dans l'eau. Nous avons eu mille hommes de
tués & deux mille bleffés , dont le plus grand nombre
l'eft legerement. Le Marquis de Fenelon
Lieutenant Général , eft mort du coup de canon
qu'il a reçu à la jambe. Le Prince de Monaco , le
Marquis de Laval , & M. Bonavanture , Brigadiers ;
le Marquis de Vaubecourt , le Marquis de Bezons ,
le Marquis de Segur , le Comte de Bafleroy , M de
Lugeac , le Comte de Montmorin & le Comte de
la Tour d'Auvergne , Colonels ont été bleffés. Le
Maréchal Comte de Saxe a dans cette occafion par
faitement rempli ce qu'on pouvoit attendre de fes
talens pour la guerre & de fon zele pour la gloire
des armes du Roi . Le Comte de Clermont y a donné
de nouvelles preuves de fon courage . Les Officiers
Généraux aufquels la conduite des differentes
attaques a été confiée , ceux qui ont eu part à l'exécution
, les Commandans des Corps , & généralement
tous les Officiers , par les grands exemples
qu'ils ont donnés de valeur & d'intrépidité aux troupes
, ont contribué avec la même ardeur au fuccès
de cette action , qui fait un grand honneur à l'Infanterie
Françoife.
CTOBRE 1746. 201
NOUVELLES ETRANGERES.
CONSTANTINOPLE.
E Grand - Vifir étant mort , fon Kiaya a été
nommé pour lui fucceder , & la place de ce
dernier a été donnée par le Grand - Seigneur à
Said-Effendi , qui a été Ambaſſadeur de Sa Hauteffe
auprès du Roi.
ALLEMAGNE.
On a reçû avis à Vienne que la troifiéme colonne
du nouveau Corps de Croates & de Wara
dins , qui a eu ordre de fe rendre en Italie , étoit
arrivée à Bolfano dans le Tirol le 24 du mois de
nier. Cette colonne & celle dont elle eft fuivie , font
compofées de deux mille cinq cent quarante hommes
, & le bruit court que la Reine ſe propofe
d'envoyer encore en Italie un autre corps de fix
mille Efclavons . Le 5 du mois dernier le Baron de
Trenck , qui eft fort incommodé , fut transféré de
la prifon de Stockans à l'Arſenal , & l'on a remis
en liberté fon Lieutenant Colonel & fon Adjudant,
fur les preuves qu'ils ont données de leur innccence.
CeBaron ayant obtenu qu'on fit la révifion de
fon procès, les nouveaux Commiffaires , que laReine
lui a donnés , font le Feldt- Maréchal Comte de Konigſeg
, les Généraux Wallis , Ballayra & de Fin ,
M. de Turba , Conſeiller du Conſeil de Régence de
Bohême , & M. de Doppelhoften , Référendaire du
même Royaume . Le fils du Comte de Harrach ,
marchant une nuit dans la rue fans domeſtiques
γι
202 MERCURE DE FRANCE,
す
avec le Comte de la Lippe Buckebourg , fut
bleffé de deux coups très - dangereux par quatre
affaffins . Le Comte de la Lippe , après avoir tué
l'un de ces affaffins , & mis les autres enfuite , fit
porter chez lui le Comte de Harrach , parce que
celui-ci étoit trop éloigné de l'Hôtel du Comte
fon pere , & l'on efpére que les bleffares de ce
jeune Seigneur n'auront aucune fuire fâcheufe .
Il a été réfolu de tirer des Pays Héréditaires24000
mille hommes de recrues , & les Etats de la Baffe
Autriche ont déja donné les ordres néceffaires pour
tenir prêt le contingent qu'ils doivent fournir
Les mêmes Etats remirent avant- hier à la Caiffe
militaire cinq cent mille florins fur le même ſubfide
qu'ils ont accordé à Sa Majesté.
Suivant les avis reçûs de Hambourg les Juifs
qui y font établis ayant demandé la permiffion d'y
faire bâtir une Synagogue , les Magiſtrats de la
Ville y avoient confenti , mais la populace en a
témoigné tant de mécontentement , qu'on a été
obligé de deffendre aux Juifs de continuer la conftruction
de cet édifice . Les nouvelles de Drefde
portent que le 12 le Roi de Pologne , Electeur de
Saxe eft parti pour ſe rendre à Warfovie , & que
quelques jours auparavant , le Miniftre qui réfide
de la part du Roi de la Grande- Bretagne auprès
de ce Prince , lui avoit préfenté M. de Villiers ,
Miniftre de Sa Maje fté B irannique auprès du Roi
de Pruffe. On apprend de Berlin que Sa Majesté
Pruffienne , qui jouit à préfent d'une auifi bonne
fanté qu'on puiffe le défirer , y revint le 13 de
Potfdam ; que le lendemain elle y donna audience
à plufieurs Miniftres Etrangers , qu'elle dîna enfuite
avec la Reine & les Princes & Princeffes
de la Famille Royale chez la Reine Douairiere ,
& que le 16 elle retourna à Potſdam avec les
Princes Henri & Ferdinand .
OCTOBRE 1746. 203
Selon les lettres écrites de Coppenhague , le Roid
Dannemarck a réfolu de fuivre la négociation commencée
par le Roi fon pere , pour la conclufion
d'un Traité de commerce avec l'Eſpagne . CePrince
a pris pour devife cette maxime : Prudens refpicit
finem . Un courier arrivé de Paris a apporté à lAbbé
le Maire chargé des affaires du Roi à la Cour de
Dannemarck des dépêches qui ont pour objet la
confirmation des engagemens pris par le feu Roi
avec Sa Majesté .
On écrit de Francfort que le 25 du mois paffé
le Cercle du Haut-Rhin a reçu des lettres Réquifi -
toriales de la République des Provinces Unies ,pour
le paffage des troupes Bavaroifes qu'elle a prifes à
fon ſervice , & en conféquence les ordres on: été
expédiés pour fournir les logemens & les fubfif
tances à ces troupes , parmi lesquelles la défertion
eft fi confidérable , qu'elles font diminuées prefque
de moitié. Le Régiment des Gardes de l'Electeur
de Baviere & le Régiment de Seckendorf
ont parlé ici il y a quelques jours , pour ſe rendre
dans les Pays - Bas . Les nouvelles de Ratisbonne
portent que les Miniftres de la Diette de l'Empire
s'étoient affemblés le 18 du mois dernier pour la
premiere fois depuis les vacances , & qu'il devoit
paroître un nouveau Décret de Commiffion du
Grand Duc de Tofcane concernant la fureté de
P'Allemagne ; mais que le bruit couroit qu'on dif
féreroit de le publier jufqu'à ce qu'on eut vû le
fuccès des conférences qui doivent fe teair à Breda.
On mande de Munich que l'Electeur de Ba
viere y eft revenu le 13 , que le lendemain il
avoit donné audience au Baron d'Aylva , Miniſtre
Plénipotentiaire des Etats Généraux des Provin
ces-Unies .
Il paroît ici des copies de la réponſe de la Reine
204 MERCURE DE FRANCE .
de Hongrie à la demande faite par le Roi de Pruffe
touchant la garantie qu'il veut obtenir de l'Empire
pour la Siléfie . Quoique cette Princeffe ſe ſoit
engagée par l'article IX . du Traité de Drefde ,
de faire accorder cette garantie à Sa Ma efté Pruffienne
, le Confeil de Vienne élude actuellement
cette promeffe fous divers prétextes , dont il n'avoit
point été queftion lorfque le Traité a été conclu
& ratifié .
Les lettres de Stockholm marquent que le 14
du mois paffé le Baron de Korff , Miniftre de l'Impératrice
de Ruffie , avoit préfenté un Mémoire au
Roi de Suéde , à l'occafion du bruit qui s'est répandu
que cette Princeffe favorifoit un prétendu
Parti , formé pour changer l'ordre établi par les
Etats de Suéde pour la fucceffion à la Couronne .
11 eft dit dans ce Mémoire que ce bruit eſt ſemé
par des perfonnes ennemies de la tranquillité du
Nord , & qu'il n'a d'autre fondement que leut défir
de faire ceffer la bonne intelligence entre les
Puiffances ; que l'Impératrice de Ruffie , bien éloignée
de donner la moindre atteinte à un arrangement
qu'elle même avoit défirée , & que par conféquent
elle ne pouvoit voir qu'avec plaifir , étoit
réfolue de contribuer de tout fon pouvoir à le
maintenir , & d'entretenir avec la Suéde une parfaite
union . On mande de Warfovie que l'ouverture
de la Diette générale du Royaume de Pologne
a été fixée au 3 de ce mois , & qu'il s'étoit
déja tenu en préſence de Sa Majefté Polonoife plufieurs
conférences pour délibérer fur les affaires
qui doivent être décidées dans cette aſſemblée,
Les Diettes particulieres de plufieurs Palitinats s'étant
féparées fans rien terminer , ces Palatinats
avoient demandé la permiffion d'en convoquer de
nouvelles , mais le Roi de Pologne Electeur de
t
OCTOBRE 1746. 205
Saxe n'a pas crû devoir y confertir . Sa Majesté
Polonoife a accordé au Prince Lubomirsky , Porte
Epée de la Couronne , la Charge de Grand Maître
de l'Artillerie , vacante par la mort du Général
Ribinsky.
On mande d'Alger que quatre vaiffeaux de guerre
dont on ne connoiffoit point le pavillon , étant
venus mouiller le premier de ce mois à l'entrée de
la Baye de cette Ville , le Dey envoya fçavoir de
quelle Nation étoient ces bâtimens , & quel étoit
le fujet de leur arrivée . Sur le rapport qui lui fut
fait qu'ils appartenoient au Roi de Dannemarck ,
qui avoit chargé le Commandant de cette Eſcadre
de conclure un Traité avec la Régence , le
Chancelier du Dey alla par fon ordre dire à ce
Commandant qu'on écouteroit volontiers fes propofitions.
Le jour fuivant un des Officiers de l'Efcadre
vint à terre , & il fut conduit à l'audience
du Dey , auquel il déclara de la part du Comte de
Dannekiold , qui commande l'Eſcadre Danoiſe
que le Roi de Dannemarck défiroit que Les Sujets
puffent naviguer dans la Méditerannée , fans être
inquiétés par les Corfaires Algériens. Auffi - tôt le
Dey affembla le Divan , qui décida qu'on pouvoit
confentir à la demande de Sa Majesté Danoiſe ,
en confidération des avantages qu'elle offroit de
fon côté de procurer à la République. Le 4 le
Traité fut figné , & l'on eft convenu par les deux
premiers articles , que les Algériens ne troubleroient
à l'avenir en aucune maniere la navigation
des vaiffeaux qui porteroient pavillon de Dannemarck
ou de Norwege , pourvû que les Commandans
de ces vaiffeaux euffent la précaution de
prendre des paffeports de la Régence , de même
que l'obfervent les Nations qui font en paix avec
elle, & à condition que le Roi de Dannemarck
206 MERCURE DE FRANCE.
ne fouffriroit point que des navires Etrangers fe
ferviffent de fon pavillon . En confidération de ce
Traité , le Dannemarck fournira chaque année à
cette Régence trois mille bombes , cinq mille
boulets , cinq cent quintaux de poudre , fix mortiers
, vingt- huit pièces de canon & vingt - cinq
mâts de navires , & cette année le préfent fera
doublé. On annonça le 6 au peuple la conclufion
de ce Traité parune décharge générale de l'artillerie
des Châteaux , à laquelle les vaiffeaux Danois
répondirent par plufieurs falves Le Dey en donnant
part de ce Traité aux Confuls de France , d'Angleterre
& de Hollande , les a affurés que ce qui venoit
d'être réglé à cet égard , ne cauferoit aucun
changement par rapport aux engagemens que la
République a pris avec ces Puillances . Le 10 le
Comte de DannesKiold , accompagné des princi
paux Officiers de l'Efcadre qu'il commande , fe
rendit au Palais où il falua le Dey , avec lequel
il dîna , & qui ordonna qu'on lui fit voir ce qu'il
y a de plus remarquable en cette Ville . Etant re
tourné enfuite à ſon bord , il a demeuré à la Rade
jufqu'au 22 , qu'il a remis à la voile . Avant fon
départ , il a établi pour Conful de la Nation Da
noife auprès de la Régence M. de Hammeken
qui l'a été ci- devant de la Nation Hollandoiſe.
ESPAGNE.
" a
>
On mande de Madrid du 13 Septembre que
Don André Regio , Commandant de l'Efcadre
qui eft à la Havanne mandé à Sa Majesté
qu'ayant été informé que quelques Armateurs Anglois
croifoient fur la côte , il avoit détaché quatre
petits bâtimens fous les ordres de Don Vincent
de la Quintana , Capitaine de Frégate , pour
leur donner la chaffe ; que deux de ces bâtimens
OCTOBRE 1746. 207
après un combat de quatre heures , avoient pris
par abordage deux des Corfaires ennemis ; qu'il
n'y avoit eu du côté des Eſpagnols que douze hommes
de tués & vingt neuf de bleffés , du nombre
defquels font trois Officiers , & qu'on avoit trouvé
à bord du principal des navires dont on s'eit emparé,
cent cinquante hommes d'équipage , dix - huit
canons , un pareil nombre de pierriers , cent quatre-
vingt fufils , quatre - vingt fabres , foixante
paires de piftolets , & beaucoup de munitions de
guerre. Le Roi d'Efpagne a marqué deux jours de
la femaine pour recevoir lui - même les Requêtes ;
& écouter les repréſentations des particuliers , &
ceux qui feront connus obtiendront même la permiffion
d'entretenir en particulier Sa Majefté .
L'Intendant de Marine du Ferol a mandé au Roi
que le vaiffeau Anglois le Mer ure , de 150 tonneaux
, chargé de fel & de vin , a été conduit au
Port de Rivadeo par l'Armateur Don Juan Florent
de Miranda , qui s'en eft emparé à la hauteur
des tfles Berlingues . Le 13 de ce mois la Confrai
rie Royale du Rofaire fit célébrer dans l'Eglife des
Religieux Dominicains un fervice folemnel pour le
repos de l'ame de Philippe V.
Le 23 du mois paffé jour de l'anniverſaire de la
naiffance du Roi qui eft entré dans la trente- qua➡
triéme année de fon âge , leurs Majeftés reçurent
ainfi que la Reine Douairiere les complimens des
Miniftres Etrangers & des Grands Lorfque le Marquis
de Saint Gilles a rendu compte au Roi du fuc
cès des négociations dont il a été chargé auprès de
la République des Provinces-Unies , il a remis à
Sa Majefté une lettre écrite au feu Roi par les Etats
Généraux . Cette lettre porte qu'ils ont vû partir
avec regret le Marquis de Saint - Gilles , lequel s'eft
acquis pendant fon féjour à la Haye l'eftime &
208 MERCURE DE FRAN CJE.
l'affection générale par fa prudence & par fon ha
bileté, Les Etats Généraux ajoutent dans la même
lettre que fi quelque chofe peut les confoler de la
perte de ce Miniftre c'eft l'efpérance dans laquelle
ils font qu'il perfuadera le Roi de leurs fentimens
refpectueux , & de leur défir de cultiver
l'amitié de Sa Majesté. Pour répondre à l'empref
fement que le Roi de Portugal témoigne de réfferrer
de plus en plus les liens qui uniffent cette Cour
& celle de Lisbonne , le Roi a nommé le Duc de
Soto - Mayor fon Ambaſſadeur auprès de Sa Majefté
Portugaife.
ITALIE.
On mande de Génes que fur la nouvelle que les
troupes de la Reine de Hongrie après avoir forcé
le paffage de la Bochetta & quelques autres défilés
, s'approchoient de cette Ville , le Gouvernement
envoya le 5 de ce mois un magnifique préfent
au Marquis de Botta qui le refufa . Il fe tint le
même jour un Confeil dans lequel il fut réfolu que
la République fe remettroit à la difcrétion de la
Reine de Hongrie , & l'avant-garde des ennemis
commandée par le Général Nadafti , s'étant préfentée
le 7 devant la Ville , on leur remit les portes
du Fanal & de Saint Thomas , de chacune defquelles
cent de leurs Grenadiers prirent poffeffion
. On e péroit qu'eu égard à la différence que
les Puiffances ont coutume de mettre entre les
Nations qui font parties principales dans une guer.
re , & celles qui n'y prennent part que comme auxiliaires
, la Cour de Vienne feroit éprouver à la
République un traitement moins rigoureux . Mais
le Général de la Reine de Hongrie a demandé une
contribution de vingt- quatre millions , dont huit
27.
OCTOBRE 1746. 209
devoient être payés fur le champ , huit autres
après-demain , & le refte à la fin de ce mois . Les
Députés qu'on lui a envoyés lui ayant repréfenté
l'impuiffance où l'on étoit de fournir fi-tôt cette
fomme , il a confenti de recevoir fealement pour le
préfent cinq cent cinquante mille Génuines en deux
payemens. Il a déclaré que la Reine de Hongrie
défiroiti que les pierreries fur lesquelles elle a
fait des emprunts dans cette Ville lui fuffent remifes
, & qu'on habillât trente mille hommes de
fes troupes . Le Gouvernement a dépêché à Vienne
pour obtenir que cette Princeffe modérât fes
prétentions , & le bruit court que la République
de Venife & le Corps Helvetique doivent employer
leur bons offices en faveur de cette République
·
Le Marquis de Botta a dépêché à Vienne le Comte
de Colloredo qui y arriva le 14 du mois paflé pour
informer la Reine de Hongrie que l'avant-garde
des troupes de Sa Majefté s'étant préfentée devant
Génes , le Général Nadafti qui commandoit
cette avant-garde , s'étoit fait remettre deux portes
de la Ville , dont la garnifon avoit été faite prifonniere
de guerre ; qu'en même tems il avoit
exigé qu'on lui livrât toutes les armes & les munitions
de guerre qui étoieut dans Génes , ainfi
que les magafins deftinés pour la fubfiftance des
troupes ,foit nationales, foit étrangères , & les équipages
ou autres effets que ces dernieres pourroient
avoir laiffés dans les Etats de la République ; que
par une convention proviñonnelle la République
s'étoit engagée à recevoir dans le Port de Génes
tous les vaiffeaux Anglois & ceux des autres Na- .
tions alliées de la Reine ; à accorder dans toutes
les occafions pendant que la guerre durera ,
libre paffage aux troupes de Sa Majesté par toutes
les Places , Fortereffes , Villes & autres lieux de
le
210 MERCURE DE FRANCE,
la dépendance de la République ; à ordonner que
les troupes Génoifes qui deffendoient la Ville & le
Château de Gavi fe rendiffent prifonnieres de
guerre ; à faire remettre en liberté tous les prifonniers
faits fur celles du Roi de Sardaigne , &
à rendre tous les Déferteurs de celles de la
Reine.
Un Corps de fix mille hommes des troupes Autrichiennes
s'eft étendu le long de la rivieres de
I evant depuis le Fauxbourg de Bifagno jufqu'à la
Specie . La Fortereffe de Gavi a été remife aux
ennemis , & le bruit court qu'ils veulent qu'on leur
livre auffi le Fort de Sainte Marie. Le 14 de ce
mois cinquante de leurs Grenadiers ayant à leur
tête quelques Officiers , traverferent cette Ville
les armes hautes , & allerent prendre poffeffion
du Lazaret , où ils firent prifonniers de guerre environ
neuf cent Efpagnols malades ou bleffés . Le
Marquis de Borta a voulu mettre garni on dans
Savone , mais le Roi de Sardaigne s'y eft oppofé
, & il a déclaré qu'il ne fouffriroit point qu'il
y entrât d'autres troupes que des Piémontoifes.
Quelques repréfentations qu'ait faites le Gouvernement
, il a été obligé d'acquitter avant - hier le
re ant des huit millions qu'il devoit fournir pour
le payement des contributions exigées par la Reine
de Hongrie , & on a employé tous les moyens
qu'on a pû imaginer pour être en état de fatisfaire
à cet engagement . Une commiffion compefée
de trois Sénateurs de cinq Nobles & d'un
pareil nombre de Bourgeois a été établie pour régler
les fommes
que chacun fournira pour le payement
de ces contributions
. Le Gouvernement
a fait publier une deffenſe à toutes per- fonnes de quelque condition qu'elles foient , de s'abfenter fous peine de confiſcation
de leurs biens .
OCTOBRE 17 + 6. 211
Quatre vaiffeaux de guerre Anglois qui parurent
le 14 du mois paffé à la hauteur de Savone fe font
- retirés à Vado .
Lc Gouverneur du Château de Savone , fur la
fommation qui lui a été faite de la part du Roi , de
fe rendre , ayant repondu qu'il ne capituleroit
qu'avec les Généraux de la Reiue de Hongrie,
le Roi de Sardaine a ordonné qu'on formât le 9
du mois paffc l'inveftiffement de cette Fortereffe
Le même jour ce Prince ſe rendit à Logino , où il
établit fon quartier général , & où il reçut avis quelle
Marquis de Balbian avoit enlevé un pofte des Ef
pagnols , dans lequel ils avoient eu cent foixante
hommes tués ou bleffés , Les Galeres Piedmontoifes
étant venues le 11 jetter l'ancre devant la Calline
où logeoitfa Majefté , elle firent une falve générale
de leur artillerie & de leur moufqueterie , &
quelque tems après elles continuerent leur route
vers le Port de Vado . Il entra le foir en même tems
qu'elles dans ce Port trois Vaiffeaux de guerre Anglois
, commandés par le Chef d'Efcadre Thownshend
, qui defcendit le lendemain à terre pour fa
luer le Roi de Sardaine & qui eut l'honneur de dîder
avec ce Prince. M. Peterſon , dont ce Chef
d'Efcadre étoit accompagné , informa fa Majefté
que deux des Caleres Angloifes , dont il a le commandement
, s'étoient emparées de deux barques
ennemies , chargées de 8000 facs d'orge . Le 12
le Roi de Sardaine apprit que les troupes qu'il
avoit fait marcher à Final , y étoient entrées , &
que la Garniſon de cette Ville s'étoit retirée dans
fes Châteaux . Sur cette nouvelle , ſa Majeſté détacha
le Prince de Carignan avec la Brigade de Sa
voye & celle de Saluce , pour renforcer ces troupes.
Elle fe rendit le 13 à bord du Vaiſſeau du Chef
212 MERCURE DE FRANCE.
d'Efcadre Thownshend , qui lui avoit fait préparer
une magnifique colation : elle vifita enfuite les
autres Vaiffeaux də l'Eſcadre Angloife , & le foir
elle retourna à fon Quartier. Ayant marché le 14
à Spotorno avec la plus grande partie de fon armée
, elle ſe préfenta le 1 devant Final , & les
Commandans des Châteaux ayant demandé de capituler
, ils fe rendirent le lendemain prifonniers
de guerre avec les troupes qui étoient fous leurs ordres
Quatre bataillons des troupes de la Reine de
Hongrie ont joint l'armée Piedmontoife . On écrit
de Savoye, qu'un corps de troupes Eſpagnols les à for
méun camp dans les environs de la Ville de Montmelian
, aux fortifications de laquelle 4000 Travailleurs
font employés ; que les Eſpagnols forti
fient auffi les Chateaux de Marebes & d'Entremonɛ
& qu'il ont conftruit des Lignes depuis Montmeliant
juſqu'à la frontiere du Comté de Maurienne .
Les François en ont conftruit près du Fort Barraux
dont la Garnifon a été confidérablement augmen
tée . Les lettres de Genes marquent que la Republique
avoit chargé les Senateurs Cefar Cattaneo
Mathieu Franzone , Auguftin Lomellini & Auguſ
tin Gayotto , d'aller à Vienne folliciter une dimi
nution des contributions exigées par le Marquis de
Botta. Ces lettres ajoutent qu'une partie des trou
pes de cette Princeffe , qui font dans l'Etat de Genes
, avoit commencé à prendre des quartiers de
cantonnement dans differens Diftricts de la Riviere
de Levant.
On mande de Naples du 16 du mois paffé que depuis
quelque-tems leGouvernement paroît être plus
tranquille fur l'invafion dont ce Royaume paroiffoit
être menacé , cependant on continue de prendre
OCTOBRE 1746. 21 }
J
les mefures néceffaires pour le mettre à l'abri de
toute furpriſe , & l'on a pourvû abondamment de
mmunitions les places frontieres . Le Roi alla le 9 de
ce mois vifiter les ouvrages qu'il a ordonné d'ajouter
aux fortifications de cette Ville & à celles du
Port Sa Majesté en fut très fatisfaite , & elle
fit diftribuer aux ouvriers une fomme conſidérable.
Il fe tient de fréquens Confeils après lefquels
on dépêche fouvent des couriers aux Miniftres qui
réfident de la part du Roi dans les Cours Etrangéres
.
GRANDE BRETAGNE.
On mande de Londres que le Confeil de guerre
établi pour examiner la conduite de quelques- uns
des Officiers Généraux qui ont commandé lès
troupes de Sa Majesté dans les batailles de Pref
tonpans & de Falkirck , s'affembla le 15 du mois
paffé pour la premiere fois Whitehall . Ce Confeil
a déclaré que les accufations intentées contre
le Général Cope etoient deftituées de tout fondement.
11 eft compofé du Duc de Richmond , qui
en eft Préſident ; du Comte de Cadogan , du Maréchal
Wade , & de Meffieurs Folliot & Guife
Lieutenans Généraux . On conduifit le 13 devant
les Juges du Tribunal de la Montagne de Sainte
Marguerite le Chevalier Wedderburn & dix-fept
autres Officiers des troupes du Prince Edouard ,
lefquels refuferent de fe reconnoître coupables.
L'Amiral Anfon rentra le 11 dans le Port de Ply
mouth avec l'Efcadre qu'il commande : celle qui
eft fous les ordres de l'Amiral Leftock eft atten
due ces jours- ci à Spithead . Les Commiffaires
de l'Amirauté ont été informés par des lettres du
Chef d'Efcadre Barnet , que quatre cent hommes
214 MERCURE DE FRANCE.
de la garnifon de Pondichery ayant marché avec
fix cent Négres armés & quelques piéces de canon
pour attaquer le Fort de Saint David , il avoit
feint de vouloir tenter une defcente à Pondichery,
& que par ce moyen il avoit obligé les François
d'abandonner leur entreprife . Deux des vaiffeaux
de guerre commandés par ce Chef d'Eſcadre
, fe font emparés des navires ennemis le Chardenagor
, le Dupleix & l'Heureux , chargés le premier
de fel , de cuivre & de quelques balles de
marchandiſes ; le fecond de caffé & de fel , & le
troifiéme de coton . On a fretté pour le Gouvernement
plufieurs bâtimens de deux & de trois cent
tonneaux Quelques particuliers fe font engagés
de fournir à la Compagnie des Indes Orientales les
vingt navires qu'elle fe propofe de prendre à fon
fervice. La récolte , particulièrement celle du houblon
, eft plus abondante qu'elle ne l'a été depuis
plufieurs années .
Le Duc de Cumberland a été nommé Colonel
d'un nouveau Régiment de Dragons que le Roi a
ordonné de lever. Deux Bataillons des deux premiers
Régimens des Gardes à pied s'embarquerent
le 21 fur la Tamife pour defcendre à Gravefend ,
d'où ils doivent être tranfportés à Plymouth. On
leur diftribua une fomme confidérable par ordre
du Duc de Cumberland qui fut préſent à leur embarquement.
Suivant les nouvelles de Gibraltar , le Corfaire
le Harwick y a conduit un Navire Efpagnol , qui
portoit de Cidix au Ferol 2000 quintaux de plombs
&o de poudre . Les Navires le Roi de Sardaine
le Prince Guillaume , le Nancy & l'Induſtrie , ont été
pris par les François , & un Armateur de cette Nation
a rançonné pour 800 livres fterlings le Vaifleau
la Providence , qui revenoit de Hambourg à
OCTOBRE
1746. 215
Leith . Les lettres d'Antigoa confirment qu'il y regne
une extrême difette à caufe du grand nombre
de prifes faites par les habitans de la Maatinique ,
qui ont actuellement quarante-deux baftimans ar
més en courſe .
•
PAYS - BA S.
?
M. Gillés , Penfionnaire de Hollande , partit
de la Haye le 2 de ce mois pour ſe rendre à Breda ,
où le Comte de Vaffenaer eft arrivé dès le 29 du
mois dernier , ainfi que le Marquis de Puyfieulx ,
Ministre Plénipotentiaire du Roi Très- Chrétien ,
& le Comte de Sandwych , qui doit affifter aux
conférences en la même qualité de la part de Sa
Majefté Britannique . Le 30 M. Jean de la Baffecourt
, Tréforier Général des Provinces - Unies ,
fut nommé fecond Greffier des Etats Généraux , &
fa charge fut donnée à M. Jean Vander Doës
Confeiller du Haut Confeil pour la Province de
Hollande . Les Etats de cette Province & de celle
de Weftfrife ont difpofé de la place de Conful à
Cadix en faveur de M. Philippe Renard . Hier les
Etats Généraux reçurent la copie de la Capitulation
des Châteaux de Namur. Par la nouvelle
pofition que les troupes des Alliés ont prife , elles
occupent Fefche , Juprelle , Villers , Saint Siméon ,
Liers Varoux & elles s'étendent jufque dans
les environs de Liege . M. François Fagel , cidevant
feul Greffier des Etats Généraux
mourut à la Haye la nuit du 3 âgé de quatre- vingtfept
ans.
,
Un Parti de l'Armée des Alliés , fans avoir
égard aux paffeports d'un courier que le Marquis
de Puyfieulx avoit fait partir avant hier pour Paxis
, l'ayant arrêté & dépouillé , & lui ayant enle216
MERCURE DE FRANCE.
vé fes dépêches , le fieur Gillés , Penfionnaire de
Hollande , a écrit au Printe de waldeck , Général
des troupes Hollandoifes , qu'un tel attentat demandant
une fatisfaction prompte & éclatante
il étoit d'une néceffité indifpenfable d'ordonner
des perquifitions exactes à ce fujet , afin d'être en
état de reftituer les lettres & de faire punir les
coupables ; que fi cette violence a été commifc
par des foldats de la Reine de Hongrie , on ne
peut infifter trop fortement auprès du Prince Charlés
de Lorraine & auprès du Feldt -Maréchal Bathiany
, pour en obtenir une réparation convena
ble , & qu'il importe de faire voir que les Généraux
de la République , bien loin d'avoir pû autorifer
ou approuver une femblable action , en relfentent
toute l'indignation qu'elle mérite. Par la
même lettre M. Gillés prie le Prince de Waldeck
de procurer à l'avenir une entiere fureté pour
tous les couriers , & de lui marquer les meſures
qui auront été prifes à cet égard . Le Comte de
Sandwych , Miniftre Plénipotentiaire du Roide la
Grande Bretagne a écrit en même-tems à M.
Ligonier , Général des troupes Britanniques pour
lui repréſenter les fuites fâcheufes qui pourroient
réfulter d'un tel événement , & en témoignant à ce
'Général combien il en eft indigné , il l'exhorte
à tacher par toutes les voyes poffibles d'en décou
vrir les auteurs.
?
Le courier & les paquets dont il étoit chargé
ont été depuis reftitués.
LETTRE
OCTOBRE 1746:
LETTRE
À MÓNSEIGNEUR L'EVESQUE de ***
Au fujet d'un Livre , qui a pour Titre ,
LA RELIGION CHRETIENNE , MEDITE'E
dans le véritable efprit defes maximes , &c.
en fix Volumes . A Paris , chez PIERRE
PRAULT , Quay de Gêvres , 1745 .
MONSEIGNEUR ,
Jenefçai qu'obéir , quand Votre Grandeur ·
ordonne , & je conviens que je dois facrifier à
l'obéiffance , les fcrupules de la modeſtie ; je
vais donc avec confiance , & avec une fage
liberté , rendre compte à Votre Grandeur , de
la maniére dont j'ai été affecté à la lecture du
Livre de la Religion méditée , dans le véritable
efprit de fes maximes . Ma premiere réfléxion
tombe fur ce qu'on doit à la Providence ,
quiveut bien infpirer encore des Ouvriers de
falut , dans un tems où l'efprit d'une fauffe Philofophie
tente de détruire , ou d'altérer au
moins les plus fublimes vérités de la Religion .
Je connois peu de Livre plus capable de con-
K
216 MERCURE DE FRANCE.
·
firmer le coeur dans la faine morale , & de
l'appuyer par des principes plus purs , & plus
lumineux que celui de la Religion méditée , &
cela ne pouvoit être autrement , puifque l'Auteur
a tiré tout ce qu'il dit de l'Evangile , qui
eft , & fera toujours une fource féconde à
ceux qui la liront avec cette fimplicité d'intelligence
, qui ne veut qu'être éclairée , &
qui joignent à cette difpofition la droiture du
coeur , & la foumiffion aux décifions de l'Eglife.
Ce Livre eft fait avec une méthode fi admirable
, que l'efprit & le coeur trouvent tout
ce qui leur convient , conviction & fentiment
; on ne peut lire ce Livre fans faire cette
double expérience : la Religion y eft traitée
avec cette élévation , qui eft fon véritable caractére.
On y fait l'analyfe de toutes les vertus,
avec tant de préciſion , que l'efprit n'a rien à
défirer : c'eſt le point fixe du coeur bien difpofé
. On yfait fentir la différence des vertushumaines
& des vertus chrétiennes : on ramene
l'homme à la folide gloire . On peut s'en convaincre
par la lecture de l'Epître de la quatriéme
femaine de l'Avent pour le Samedi.
Alors chacun recevra de Dieu la louange qui
Luifera dûe. S. Paul. 1. Cor. c. 4.
» Le defir de la gloire eft gravé dans la na-
→ ture de l'homme ; il eft créépour elle , mais ,
» pour fon malheur , il s'y méprend ; il eſt fait
OCTOBRE 1746 . 217
30
∞
ဘ
D
8
53
ဘ
pour une gloire immortelle , & fa vanité fe
repaît d'une gloire qui paffe comme la fleur :
la feule gloire folide à laquelle il puiffe pré-
» tendre en cette vie , la feule dont il doive
» être jaloux , c'eft la gloire du témoignage de
fa confcience. Que lui ferviroit d'être efti-
» mé de ceux qui ne voyent que les oeuvres ,
» s'il étoit condamné par celui qui voit le
» coeur ? C'eft par-là que Dieu nous jugera ,
» & c'eft par-là qu'il faut lui plaire . Que re-
» viendra-t-il à l'hypocrite d'avoir furpris les
fuffrages des hommes par l'apparence de fes
fauffes vertus ? Sa ftérile gloire ne fait qu'accumuler
fes peines , & lui préparer une plus
grande confufion. Quel plaifir même pou-
>> vons-nous goûter dès-à-préfent dans une réputation
qu'un feul mot peut flétrir pour
toujours ? Et que n'avons-nous affez de fageffe
pour changer d'objet ? L'eftime des
» hommes , toute frivole qu'elle eft , ne coûte-
» t-elle pas plus dans le fond , que l'approba-
» tion de Dieu ? Quelle gêne , quels affujettiffemens
! Que ne faifons - nous pas , que ne
» riſquons- nous pas en voulant plaire au monde
, & yêtre compté pour quelque chofe ?
» Il ne connoît pas en quoi confifte le vrai mé-
» rite ; l'efprit de menfonge & d'erreur le do-
» mine ; il ne fait pas rendre juftice à la vertu ,
» le plus fouvent il la mépriſe : c'eſt tout ce
qu'on peut en attendre tôt ou tard.
و د
30
8
ဘ
و ر
30
50 •
Kij
218 MERCURE DE FRANCE.
» Hélas ! condamnons-nous plûtôt à ce mépris
, s'il le faut ; recherchons les humilia-
» tions , apprenons du moins à nous en réjouir
» quand elles fe préfentent , & connoiffons- en
le prix : choififfons , autant qu'il eft poffible,
» les états , les places , les fonctions , les vertus
les plus obfcures ; & cachons avec foin
» le bien que nous faifons , pour en réſerver
» toute la récompenfe au Jugement de Dieu ;
il n'y a qu'elle feule de folide : les hommes
» mourront , & notre gloire mourroit avec
eux. Qu'importe donc que nous foyions ef-
» facés de leur efprit , pourvû que nousfoyions
écrits dans le coeur du Dieu vivant ? Quelle
différence entre les louanges humaines &
» celles qu'on recevra de lui ! Louanges fûres ,
» exemptes de toute méprife ; Dieu ne loue-
30
و د
30
ra que ceux qui mériteront d'être loués , &
» lui feul connoît ceux qui le méritent : louan-
" ges équitables , où la flatterie n'aura point
de part ; il ne louera chacun qu'autant qu'il
» fera louable : louanges légitimes , dont le
» jufte & l'innocent plaifir ne fera point troublé
par la crainte de l'orgueil ; il n'y aura
point de vanité dans la complaifance de fe
» voir loué par la vérité : louanges univerfelles
que perfonne ne défavouera , parce qu'il
n'y aura plus alors de variété dans les vûes
des hommes , ni d'injuftices dans leurs affections
: louanges éternelles , enfin , qui ne ſe-
သ
37
OCTOBRE 1746. 219
> ront interrompues ni par l'inconftance de
celui qui les donnera , ni par le changement
» de ceux qui les recevront.
و د
3
30
သ
8.A
PRIERE.
» O gloire folide ! feule digne de tous les
empreffemens des hommes & des Anges ,
excitez aujourd'hui toute la vivacité de mes
defirs , ou confondez du moins toute la fo-
» lie de mes penſées. Vous le voyez , Sei-
" gneur , à quoi s'amufe ma vanité ; vous m'a-
→ vez donné, en me créant , des pensées élevées.
Je me fens fait pour quelque chofe de
grand , & je m'avilis ; toutes mes vûes , &
jufques dans les chofes les plus faintes , ce
qui eft horrible à vos yeux , toute mon ambition
fe borne à la recherche d'une eftime
» vaine , que j'obtiens rarement jufqu'au point
» que je voudrois , dont je ne jouis jamais avec
fécurité , que je puis perdre à tout moment ,
qui n'ira pas du moins au- delà des bornes de
» ma vie , ou de celle de mes admirateurs : &
» ce n'étoit que de votre bouche , ô mon Dieu!
que je devois defirer d'être loué , & je facri-
» fie cette efpérance confolante , en m'expo-
» fant d'ailleurs à un opprobre éternel . Je le
comprens , Seigneur ! & il eft temps d'ou-
» vrir les yeux fur mon erreur ; diffipez - la par
» la lumière de votre vérité ; corrigez le dé-
» fordre de mon coeur par l'impreffion de vo-
४
»
1
220 MERCURE DE FRANCE .
tre grace , & apprenez - moi déformais à
» mieux uſer du penchant que vous m'avez
» donné je réprimerai alors les impatiences
» que ma vanité me caufe ; je ne me plaindrai
و د
30
ni du mépris , ni de l'oubli de vos créatures ;
» toute mon inquiétude fera de mériter des
louanges auffi folides que juftes : trop heu-
» reux d'y pouvoir parvenir ! & je n'aurai de
plaifir à les recevoir , que quand elles me
» viendront de vous-même.
33
y
Toutes les vertus théologiques & morales
font traitées avec la même clarté ; ce Livre
eft hors d'atteinte de toute interprétation équivoque
, auffi a - t-il réuni les fuffrages des ſçaqui
par état annoncent la valeur des
Livres ; ce mérite eft rare dans un temps où
l'efprit de difcuffion eft porté jufqu'au dernier
vans ,
terme .
Voici comme s'en expliquent Meffieurs les
Journaliſtes de Trevoux , page 376 , mois de
Février 1746.
Cet Ouvrage paroît travaillé , il est écrit
d'une maniére folide & inftructive , il entre
dans un détail de moeurs qui eft à la portée de
tous les états.
Meffieurs du Journal des Sçavans , Décembre
1745. page 2196 , après avoir expofé le
plan de tout l'Ouvrage , s'expriment dans les
Termes fuivans.
OCTOBBE. 1746. 221
Il ne nous refte plus , pour achever de donner
quelque idée d'un Ouvrage , qui , felon nous,
ne fçauroit être trop connu ni trop répandu ,
que de mettre ici tout au long une des inftructions
prife au hafard , &c. Et après l'inftruction
, le Journaliſte continue de la forte . Nous
n'en dirons pas davantage fur cet Ouvrage :
Nous ne pouvons cependant nous difpenfer d'a
jouter ici , que l'Auteur y montre par- tout une
grande connoiffance de la Religion, & ducoeur
humain ; qu'il nous a paru écrit avec autant
d'onction que de lumiére , & qu'on peut le regarder
comme un corps complet d'inftructions ,
auffi propres à entretenir la piété dans le coeur
desfidéles , qu'à la faire aimer & refpecter de
tous les hommes.
Par la réunion de tous ces fuffrages , il eft
prouvé que ce Livre eft à la portée des fimples
, & peut fatisfaire les Sçavans ; il n'éblouit
point l'efprit par des allégories déplacées ,
celles qu'on y trouve ne font que des conféquences
néceffaires du fens litteral ; on n'y
cherche point à s'élever au-delà de la fphére
de la fimplicité de la Foi , par une myfticité
recherchée , plus propre à égarer qu'à édifier.
Enfin , MONSEIGNEUR , je fuis perfuadé , qu'il
y a peu de Livres auffi capables de ramener
dans les coeurs la ferveur des premiers temps
du Chriftianifme , d'enlever de l'efprit , les
doutes que les paffions y font naître , & de
222 MERCURE DE FRANCE.
(
diffiper les ténébres de ceux qui croupiffent
dans une ignorante fécurité. C'eſt donc répandre
la lumiére que de le faire connoître ;
& j'oferois bien répondre des biens qu'il produira
dans les Diocèfes où il fera lû & médité.
Il devroit être le Livre de toutes les familles .
J'ai l'honneur d'être , avec un profond refpect ,
MONSEIGNEUR ,
DE VOTRE GRANDEUR ,
Le très -humble , & trèsobéiffant
ferviteur ,
D. B.
J'ai lû cette Lettre , dans laquelle il m'a
paru , que l'on a donné une jufte idée du Livre
de piété , qui a pour Titre , la Religion
méditée , &c.
En Sorbonne le 25 Octobre 1746.
DE MARCILLY.
TABLE
TABL E.
PIEC
IECES FUGITIVES en Vers & en Profe.
Traduction de l'onziéme Ode du deuxiéme Livre
d'Horace.
Traduction d'un Manuferit Arabe.
3
$
Traduction de l'Ode XII du fecond Livre d'Horace.
25
Suite de la Séance publique de l'Académie de
Rouen , Extrait.
Voeux à la Paix.
28
38
Suite de l'Extrait des rufes de guerre de Polien &
de Frontin .
Epitre familiere.
Lettre écrite à M. de L. B. fur Montagne.
39
бг
76
Séance publique de l'Académie pour la réception
de M. l'Abbé de la Ville , & Extrait de fon
Difcours .
Extrait du Poëme contre l'irreligion..
Lettre aux Auteurs du Mercure,
L'Ecolier & la Pie , Fable.
89
97
107
IIŐ
112
Vers à Mademoiſelle la B****, pour le jour de
fa fête.
Nouvelles Littéraires & des Beaux Arts . Inftitutions
de Géométrie , Extrait.
Extrait de Timon , piéce du Théatre Anglois.
113
121
Dictionaire abregé de Peinture & d'Architectu
re. 127
Piéces qui ont remporté le Prix à l'Académie de
Pau.
idida
fai fur les principes de la Phyfique .
Le chemin de l'amour divin.
128
ibid.
Differtation de la Queſtion , fçavoir fi on peut être
garant de la perte des beftiaux occafionnée par
la contagion .
ibid.
Hiftoire d'un reméde pour la foibleffe & la rou
geur des yeux , & un reméde infaillible contre
la morfure du chien enragé. ibid.
Réflexions fur le bon ton , &c. Extrait. 129
Expofition des Tableaux au Salon du Louvre . 133
Lettre à M. de là Tour par M. de Bonneval. 137
Livres de Mufique,
Estampes nouvelles.
Elixir de Géniévre .
149
141
144
Certificats de deux perfonnes guéries de la fordité.
ikid,
Mots des Logogryphes du Mercure d'Août. 145
Chanfons notées.
Enigmes & Logogryphe .
146
147
Spectacles , Hypermnere & la Fete Champêtre &
Guerriere.
151
Scylla & Glaucus , Tragédie nouvelle , Extrait.
L'Amour
tée fur le Théatre François.
les Fées , nouvelle Comédie repréfen-
152
150
1
La Seva Padrona , nouvelle pièce Italienne , repréfentée
fur le Théatre de l'Hôtel de Bourgogne
, Extrait, of
1124161
Le Prince de Salerne , autre piéce nouvelle Italienne
, Extrait.
Lettre aux Auteurs du Mercure,
Wers à Mademoiſelle Mélanie après fon début dans
Agnès.
Couplet chanté par Arlequin.
Journal de la Cour , de Paris , &c.
166
ibid.
167
Te Deum chanté à Fontainebleau pour la victoire
remportée à Varoux . 170
-Lettre du Roi aux Vicaires Généraux du Chapitre
de Paris , & Mandement en conféquence . 178
Te Deum chanté à Notre-Dame.
Mandement du Cardinal de Tencin.
182
183
Arrêt qui déclare nulle une faifie de Piaftres. 185
Relation de ce qui s'eft paffé à l'Orient. 187
"Opérations de l'Armée du Roi , 190
Nouvelles Etrangéres , Conftantinople. 201
Allemagne.
ibid.
Efpagne .
206
Italie . 208
Grande- Bretagne. 213
Pays- Bas. 215
moditée , &c.
Lettre fur un Livre intitulé la Religion Chrétienne
Les Chansons notées doivent regarder la page 146
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROL
A O UST. 1746.
AGIT
||UT
"
SPARGAT
Papilia
A PARIS ,
GUILLAUME CAVELIER ,
rue S. Jacques.
Chés La Veuve PISSOT , Quai de Conty,
à la defcente du Pont- Neuf.
JEAN DE NULLY , au Palais.
M. DCC. XLVI.
Avec Approbation & Privilege du Roi.
*E NEW YORK
UBLIC LIBRARY
300252
ASTOR, LENOX AND
TILDEN
FOUNDATIONS
AVIS.
LADRESSE générale du Mercure eft
a M.DE CLEVES D'ARNÍCOURT
rue du champ-Fleuri dans la Maifon de M.
Lourdet , Correcteur des Comptes au premier
étage fur le derriere entre un Perruquier &
un Serrurier, à côté de l'Hôtel d'Enguien,
Nousprions très- inftamment , ceux qui nous adrefferont
des Paquets par la Pofte , d'en affranchir
le Port,pour nous épargner le déplaifir
de les rebuter, & à eux celui de ne pas voir
paroître leurs Ouvrages .
Les Libraires des Provinces & des Pays
Etrangers , quifouhaiteront avoir le Mercure
de France de la premiere main , & plus
promptement, n'auront qu'à écrire à l'adreffe
si-deffus indiquée on fe conformera trèsexactement
à leurs intentions .
Ainfi ilfaudra mettrefur les adreffesà M.
DE CLEVES D'ARNICOURT, Commis
au Mercure de France rue du Champ-
Fleuri , pour rendre à M. de la Bruere.
La negligence de l'Imprimeur a caufél'exceffif
retardement du Mercure de Juillet
mais comme on en a changé , on efpere que
sela n'arriveraplus.
PRIX XXX SOLS
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI
PIECES FUGITIVES
en Vers & en Profe.
ODE.
Tirée du Pleaume I. Beatus vir qui non
H
abiit , & c.
EUREUX celui qui des mé
chans
Fuyant l'odieufe affemblée ,
De leurs blafphemes féduifans
N'eût jamais la langue fouillée
Qui de la Loi de Dieu , fait fon plus cher défir
Et de la méditer fon unique plaifir !
A ij
MERCURE DE FRANCE.
Tel fur le bord d'une onde pure
Un arbre au milieu des buiffons
Unit à l'aimable verdure
Les fruits des plus belles faifons ;
Tel le jufte à l'abri des fureurs de l'envie ,
Coulera doucement la plus heureuſe vie.
'impie à fes vices fougueux
Au contraire toujours enproie ,
Dans les moments les plus heureux
Ne goûte qu'une vaine joie.;
Tel l'atome devient le jouet des Zephirs ;
De même il obéit a fes honteux défirs.
Lorfque précedé du tonnerre ;
Pour juger les foibles humains ,
Le Très-Haut viendra fur la terre
Accompagné de mille Saints.
Le pecheur accablé fous le poids de fes crimes
Se précipitera dans le fond des abîmes.
L'Eternel qui fonde les coeurs ,
Voit d'an oil plein de complaifance
Le jufte comblé de bonheur ,
Dans le chemin de l'innocence ,
Tandis qu'à fes defirs pour toujours enchaîné
L'impie eft fans reſſource à ſa perte entraîné.
AOUST 1746.
Cette Lettre a été adreſſée à feu M. l'Abbé
Desfontaines dans les derniers tems defa
vie ; comme il n'eût point le tems d'enfaïre
ufage , l'Auteur qui avoit envie de la
rendre publique , s'eft adreffé à nous , &
nous avons cru devoir lui rendre cefervice.
Momption
je n'ai pas affés de préfomption
pour m'imaginer que les remarques
que je vous ai déja envoyées foient
dignes de votre attention ; je fuis convaincu
de mon infuffifance & de la futilité
de la plûpart de ces remarques , mais j'efpere
de votre politefle & de votre indulgence
, que vous ne condamnerez pas à la
rigueur la liberté que je prends de vous faire
part de mes petites obfervations ,ſauf à votre
difcernement à les apprécier a leur jufte
valeur , c'eſt-à- dire , de les mépriſer , fi elles
ne méritent pas votre approbation ou votre
judicieufe critique . C'eft avec une telle réfignation
que je me hazarde à vous envoyer
encore les fuivantes.
la
J'ai lû avec plaifir ce que vous obſervez à
page 259. du joe volume de vos obfer.
vations fur l'Y grec , que vous confeillez de
A iij
MERCURE DE FRANCE.
n'emploïer que dans les mots dérivés du
Grec. Je pense qu'on le pourroit bannir de
tous les mots qui n'en dérivent pas , & lui
fubftituer l'i tréma , comme vous l'avez déja
fait dans Païs , Plébeïen , que vous écrivez
cependant auffi Pays , Plébeyen . Cette premiere
orthographe peut déja fervir de paffeport
à mon averfion contre l'Y grec qui
dans ces mots & tant d'autres peut être remplacé
par cet ï. Je crois que pour faciliter
aux étrangers l'étude de notre Langue , il
conviendroit d'obferver à cet égard une uniformité
conftante , & qu'en leur faveur nous
ne devrions pas écrire indifferemment aiant
& Roiaume , ou ayant & Royaume , & vous
dites que cela eft indifferent.
J'écris , dit Ménage, dans fon Ménagiana
fédition d'Amfterdam 1713 ) Pays de deux
fyllables , Payfan de trois , & Abbaye de
quatre.Tels font les caprices des hommes ou
de l'uſage , car la même prononciation ſe
trouve dans Pais , Paifan , Abbaie , en
prononçant les deux i que prefente l'i tréma.
Mais cefçavant n'étoit pas conféquent
fur l'orthographe d'autres mots qui fembloient
auffi exiger des Y grecs & devoir
augmenter de fyllables. Il écrit dans la même
édition , envoioit , jecroiois , moïen , &c.
qui me paroît la bonne ortographe , & fuiwant
fes principes il auroit dû écrire , en
AOUST. 1746
voyioit , je croyiois , moyien. Je penfe Monfieur
, que l'i tréma bien accrédité
par vos
fçavans ouvrages diffiperoit tous ces caprices
d'un ufage inconftant ou indifferent
que nous fçaurions enfin à quoi nous en tenir,&
que les étrangers y trouveroient mieux
leur compte
.
Ils nous fçauroient gré auffi d'obferver
une ortographe uniforme dans bifarre &
bifarrerie , qui eft fans doute votre orthographe
, au lieu d'écrire indifferemment bizarre
, bizare , bizarerie , qui fe trouvent
auffi dans vos ouvrages , par la faute fans
doute de votre Imprimeur.
J'ai auffi remarqué que vous écrivez indifféremment
l'aiman , ou l'aimant. Je crois
que l'ufage eft pour aiman , quoiqu'on dife
éguille aimantée , & non aimanée.
Je n'ai pas affés lû pour pouvoir
affûrer
que vous aïés le premier
écrit vide au lieu de vuide
, mais je fuis perfuadé
que les étrangers
vous auront
obligation
du retran- chement
de cet u inutile
, qui leur faifoit prononcer
vu-i-de. Combien
de lettres
inutiles
ne pourroit
-on pas retrancher
de même
d'u- ne infinité
de mots,fans leur faire perdre
leur analogie
, ni encourir
les reproches
que vous faites fi judicieuſement
à M. l'Abbé
de faint
Pierre
?
Dans la fable du Lion & de l'Ours intitu
A iiij
MERCURE DE FRANCE.
lée l'excès de bonté , que vous avés inſerée à
la fin de la 238e feuille de vos obſervations ,
l'Auteur place leur entrevûe dans l'Inde Occidentale.
Il n'y eût jamais de tels animaux
dans l'une ou l'autre Amérique. Les Lions ,
comme vous le fçavez , habitent les Pays
chauds de l'Afie & de l'Afrique , que nous
appellons Indes Orientales , & les Ours net
fe trouvent que dans les païs Septentrionaux
de l'Europe. Ces animaux ne fe font ,
je crois,jamais rencontrés enſemble que dans
des ménageries ou des arénes. Je ne fçais fi
ce défaut de vrai-femblance n'en eft point
un quoique dans une fable.
Quoique vous aïés défaprouvé dans M.
Rollin l'orthographe , nous fefons , ils fefoient
, &c. je l'ai trouvée dans quelquesunes
de vos feuilles , j'y ai auffi trouvé aiguille
& éguille , fautes fans doute à mettre
fur le compte de vos Copiftes ou de vos Imprimeurs.
Les varietés ne peuvent manquer
d'embarraffer les étrangers , & de leur faire
fuppofer deux fignifications à un même mot
écrit de deux façons , même application au
mot triturition & trituration , fçavans , ſavans
, &c.
Leur embarras eft encore plus grand lorfqu'ils
rencontrent de ces fortes de phraſes
ou de locutions , feuille 299. au bas de la
page 314. que je n'ai fait qu'annoncer,feuil
AOUST. 1746.
304.page 90. Eft- ce que Philippe étoit inconnu
? Feuille 307 , page 148. Il ne faifoit
encore que bégayer. Ils ont une peine infinie
à fe familiariler avec ces fortes d'expreffions
& à s'en fervir , ils ne les peuvent rendre
litteralement dans leurs Langues. Ils s'ac
commoderoient bien mieux des fuivantes ,
Quej'ai fimplement annoncé. Philippe étoitil
inconnu ? Il bégaioit encore. Ce n'eft , pas
je vousprotefte,pour critiquer votre diction
qui eft très pure & d'ufage , que je fais cette
remarque , je ne la hazarde qu'en faveur
des étrangers. Je pense qu'en fimplifiant &
en abregeant ces fortes de locutions notre
Langue feroit encore plus de progrès parmi
eux , fans qu'elle en fouffrit d'alteration ,
& que notre Librairie y trouveroit fon profit.
Lettre 248 , page 188. du 17e Tome des
obfervations. Il ne falloit aEpaminondas , dit
M. l'Abbé Seran de la Tour , que des jours
plus longs pour rendre fa Patrie fouveraine
de la Grece par mer. A vûe de païs je ne
crois pas qu'il foit jamais tombé dans l'efprit
de ce grand homme ni d'aucun Thebain
fenfé de projetter une marine fi redoutable.
Thebes , Ville méditerrannée , fituée fur le
bord d'une petite riviere à laquel'e on peut
bien donner le nom de ruil eau, & quià peinne
porte bâteau , éloignée de la mer , fans
commerce ni navigation , dénuée par con
Av
to MERCURE DE FRANCE
féquent d'Officiers & de Matelots ; Thebes
dis je , n'étoit pas propre à efperer la fouveraineté
de ces mers. Cela me fait conjectu
rer que ce fyftême de marine Thebaine n'a
jamais exifté que dans l'imagination de l'Hif
torien moderne d'Epaminondas, ou dans les
panégyriques qu'on a faits de ce Heros.
Lettre 255. page 352. & 353. Jem'éton
ne que M. Riccoboni n'ait pas mis Catz au
nombre des bons Poëtes Hollandois,& qu'il
n'ait cité que Hooft & Vondel , deux bons
Poëtes à la vérité, mais Catz ne leur eft pas
inferieur. Il eft l'Ovide , le Juvenal , le Martial
& l'Aufone tout enfemble des Hollandois,
Ce que M. Riccoboni remarque fur la
Langue , la Poëfie & les Rimes Hollandoi
fes , eft fort jufte, & je puis en décider,puiſ
que je poffede cette Langue . Cependant je
ne prévois pas quefon éloge puiffe faire n'ai
tre l'envie & la mode d'apprendre cet idiome.
Il paroît concentré dans les Pays- Bas ,
& les feuls Commerçans étrangers ne l'apprenent
que pour être en état de correfpondre
avec les Hollandois. Leur litterature
n'eft pas aſſés abondante ni féduiſante pour
exciter les Scavans à l'étude de leur Langue
, mais on a tort de leur reprocher une
monotonie continuelle dans leurs rimes feminines
, qui fe terminent par la fyllabe en,
car P'N. ne fe prononce point , ce que fans
AOUST. 1746
doute M. Riccoboni a ignoré , lorfqu'il a
avancé que ce fréquent retour de fons femblables
devoit être défagreable.Vous en pou
vez juger par les fuivantes rimes feminines
que vous trouverez fans doute allés variées
pour n'être pas regardée comme monotones.
Leeren ,
Deeren ,
Dingen
Springen
Zeden ,
Reden ,
"
Toonen ,
Klink en , Myden,
Kroonen ,
Zinken ,
Týden ,
Tous ces mots fe prononcent comme s'il
n'y avoit point d'N. à la fin , àpeu près comme
nous prononçons nos verbes qui ſe terminent
en er, où l'r ne fe fait pas fentir ,
fi elle n'eft fuivie d'une voïelle ; ou comme
nos S. finales qui ne fe prononcent pas. Libres,
communes, familieres & autres qui forment
des rimes differentes .
Il eft encore vrai , que la Langue Hollando
fe eft plus riche & plus expreffive que la
nôtre , qu'elle a beaucoup de mots qui nous
manquent & au défaut defquels il nous faut
fouvent ufer de circonlocution de périphrafes
& du verbe faire . Elle a des comparatifs
, des fuperlatifs , des diminutifs , des
mots compolés , & des verbes de deux à
trois fyllables qui expriment ce que nous
ne difons qu'avec deux ou trois mots :fa conf-
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
truction eft à peu près égale à celle du
eſt
Latin , ce qui rend les difcours oratoires
fonores & majeſtueux . J'ai lû & vû repréfenter
fur leurs Theâtres plufieurs Tragédies
de Corneille & de Racine , qui font en
effet fort bien traduites dans cetteLangue;ils
n'ont point de Tragédies de leur compofition
qui foient paffables. Quant à leurs Comédies
, elles font pitoïables ; la plupart ne
font que pour jouer la Religion Catholique
: on y voit des Cardinaux , des Cordeliers
, des Capucins pour Acteurs, beaucoup
de groffiereté & d'indécence , auffi n'y a-t'il
que la populace qui s'amufe à ces farces là.
Leur Theâtre d'Amfterdam eft en effet le
plus beau de l'Europe . La moitié du produit
des repréfentations appartient aux Hôpitaux.
Le fpectacle eft toujours nombreux. Les au
mônes qui proviennent duTheâtre font fans
doute ce qui a empêché les Rigoriſtes de
ce Pays là de fronder les Spectacles , car.je
ne fçache pas qu'ils fe foient jufqu'à préſent
exercé fur cette matiere .
A l'occafion de la Nation Hollandoiſe, me
permettrez- vous , Monfieur , de vous témoi
gner ma furprife de ce que nous n'avons
point fon Hiftoire complette de main francoife
, pendant que la France fourmille de
tant d'Hiftoires & de révolutions de toutes
les autres Nations? Celle- ci a cependant fair
AOUST. 1746.
re
une figure éclatante dans le monde depuis
qu'elle a entrepris de fecouer le joug Eſpa
gnol , & qu'elle s'eft érigée en République ,
& fans vouloir la comparer avec la Répu
blique Romaine , je trouve que les Hollandois
ont plus fait de conquête & donné plus
d'étendue à leur domination dans les trois
autres parties du monde dans l'efpace de so
ans , depuis le recouvrement de leur liberté ,
les Romains feulement en Europe
que
dans les 500 premieres années de la fondation
de leur Empire. Les Romains n'avoient
pas encore paffé le Pô à cet âge de
leur République , malgré tant de victoires
qui les rendoient fi redoutables long-tems
auparavant dans leurs Hiftoires, & ils avoient
fi peu d'idées de la marine , quoiqu'environnés
de mers , & continuellement harcelés &
pillés par les Pirates des Ports très voifins de
leur Capitale , qu'ils n'avoient pas encore au
bout de ces 500 ans fait aucune conquête
hors de l'Italie.
Les Hollandois au contraire en même .
tems qu'ils fe défendent contre l'Espagne ,
enlevent fes galions , détruiſent fes flottes ,
s'emparent de fes poffeffions dans les deux
Indes & en Afrique , fe fondent à fes dépens
en Afie un Empire qui a plufieurs Prin
ces pour tributaires , ruinent fon commer4
MERCURE DE FRANCE.
ce & fa navigation , s'en faififfent & par
viennent enfin à ce degré de puiffance & d'o
pulence auquel nous les voïons montés.
Tout cela s'eft exécuté dans moins de so
ans. Mais , Monfieur , vous fcavez tout ce
Ja mieux que moi, pardonnez-moi cette longue
tirade qui ne part que de la perfuafion
où je fuis de la beauté du fujet de cette
Hiftoire. Elle nous touche pour ainfi dire
d'auffi près que les Hollandois , par les fe
cours d'hommes & d'argent que la France
leur a fournis , par la protection qu'elle leur
a accordée , par les Traités d'alliance & de
commerce qu'elle a faits avec eux, &c. Cette
Hiftoire maniée &redigée par une bonne plume
figureroit infailliblement parmitant d'au
tres que nous avons,& qui à coup für nefont
pas fi intereffantes.
Les matériaux ne feroient pas difficiles à
raffembler & à mettre en oeuvres :aulecours
des Pieces & Mémoires qui font dans les
Archives & dans les Cabinets du Koïaume
nous avons Campana , Strada , Querenghi,
Bentivoglio , Coneftaggio , Pompée Giuf
tiniani , Wicquefort , qui ont publié des
Hiftoires ou des mémoires des troubles &
des révolutions des Païs-Bas , s'ils ne fuffifent
pas pour compofer un corps d'Hiftoire
complet , le fameux Grotius nous en a donAOUST.
1746. 15
*
né une très fidelle qui finit à la treve de
1609 , (a ) & le célebre Adrien Baillet fous
le nom de la Neuville en a publié une excellente
continuation jufqu'à l'année 1678.
Ces deux derniers ouvrages font les meil
leurs dans ce genre , cependant on y pourroit
coudre une infinité de beaux traits ré .
pandus dans d'autres Hiftoires ou mémoires
de Dumaurier , le Chevalier Temple & c.
Ait-Zema en a publié une en Hollandois
mais elle n'a pas mérité d'être traduite dans
aucune Langue fçavante. C'eſt une compila
tion monftrueufe de Faits , d'Edits , d'Or.
donnances , d'Actes publics, de Traités, qui
ne peut être bien placée que dans les Archives
des Provinces Unies. M. le Clerc , cet
Auteur infatigable , a auffi mis au jour en
deux volumes in-folio une Hiſtoire Françoife
& complette des fept Provinces Unies,
qui commence à l'année 1560 , & finit à
-Fannée 1715 , mais il a emploïé plufieurs
plumes à cet ouvrage , ce qu'il eft aifé de
reconnoître à la difference du Style qui en
beaucoup d'endroits eft trop diffus & fémé
de dictions très vicieuſes. Dans la feconde
( a ) L'Hiftoire des Pais - Bas & les Annales
de Grotius ont été imprimées à Amfterdam en
1657 , infol. & en 1658 in 12 ; elles ont été traduites
en François par M. l'Héritier, & imprimées
à Paris in ful, en 1672 .
16 MERCURE DE FRANCE.
édition même on trouve un grand nombre
de Batavicififmes. L'Auteur , par des raisons
qui lui étoient particulieres , y a inſeré tout
au long l'Hiftoire ennuieufe des factions des
Arminiens & des Gomariftes. Il fait mention(
dans fa Préface de l'Hiftoire Metallique
des Provinces-Unies qu'il a inferée à la fin
de fon Ouvrage ) des Annales de ces mêmes
Provinces par M. Bafnage , mais je n'ai
point encore vû ce dernier Ouvrage ni l'Hiftoire
Métallique des XVII Provinces des
Pays-Bas par Gerard Van- Loon dont vous
faites mention dans la quarante-feptiéme
Lettre du Nouvellifte du Parnaffe ; en tour
cas je me perfuade que toutes ces Annales
& ces Hiftoires difparoitroient en France à
la vue d'une bonne Hiftoire compofée par
un Auteur habile & impartial , tels qu'é
toient Grotius & Baillet. Elle feroit honneur
à la Nation & l'interreferoit. Je pense
Monfieur , qu'en expofant à nos Hiſtoriens
le pré udice que nous fouffrons de la privation
d'un tel Ouvrage , vous en engageriés
quelqu'un à l'entreprendre.
N'avez-vous jamais obfervé , Monfieur
con bien eft abufive l'habitude où font tous
nos Auteurs de réduire les monnoies anciennes
& étrangeres en livres tournois , aulieu
de les évaluer en marcs d'or ou d'argent ? Il ne
faut être ni Banquier ni Financier pour fça-
D
A O U ŠT.
1746. 17
voir combien l'un & l'autre contiennent de
livres tournois . Ces réductions ou calculs de
nos Auteurs ne peuvent manquer d'être vicieuſes
, vû les fréquentes mutations furvenues
fur nos efpeces. Il n'y en a point eu depuis
1727, ainfi M. Rollin , qui n'a , je crois ,
écrit que depuis ce tems-là en François , peut
avoir raifon d'évaluer le talent à 3000 livres.
Je n'examine pas ici fi fon calcul eft jufte ,
mais fi le marc d'argent remontoit à 120
livres , ou retomboit à 30 livres ou plus bas,
fon calcul feroit fort abufif , car à trente liv.
le marc d'argent , le talent vaudroit 1800
livres , & à 120 livres le marc d'argent , le
talent vaudroit 7200 livres ; fuppofant fon
calcul jufte , 3000 livres à raifon de so liv.
le marc , font so marcs d'argent . Il auroit
donc mieux fait d'évaluer le Talent à
So
marcs d'argent, ce qui auroit été vrai & jufte
dans tous les tems , & à quelque valeur
numéraire que nos efpeces pûffent être aug.
mentées ou diminuées ; c'eſt ce qu'a obfervé
M. Du Clos dans fon Hiftoire de Louis
XI. Tome premier, page 116. Le Duc de Sa
voye , dit -il , donna en mariage à fa fille
deux cent mille écus d'or de foixante-dix au
marc. S'il n'avoit pas ajouté que le mare
contenoit 70 de ces écus , il faudroit faire
de grandes recherches dans les Auteurs mo❤
netaires pour fçavoir la valeur de ces 200
GS MERCURE DE FRANCE
mille écus. Il a auffi eu la précaution de
nous faire connoître la valeur du marc d'or
ou d'argent fous le regne de ce Prince ,
& de nous dire combien le marc contenoit
d'écus . Cette méthode devroit être
fuivie par tous les Hiftoriens , & je ſouhaiterois
qu'elle l'eût été par le célebre M.
Rollin. Il auroit été imité par nos Auteurs
, & les lecteurs fçauroient mieux à
quoi s'en tenir fur la jufte valeur des talens ,
des monnoyes étrangeres , comme Livres
fterlings d'Angleterre , Florins & Ducats
d'Allemagne , Scudis d'Italie , &c .
X
Les Auteurs du grand Dictionnaire de
Commerce ont fait la même faute en éva
luant les monnoyes étrangeres en livres de
France ; la valeur numéraire étant plus hau
te lorfqu'ils ont écrit qu'elle n'eft à preſent ,
on ne peut tabler fur leurs évaluations .
Et quand les monnoyes ne devroient plus
changer , cette méthode de réduire les grof--
Les fommes au marc d'argent & non en livres
tournois , défabufera tous les lecteurs
qui ont trouvé dans les Auteurs les talens &
les monnoyes anciennes ou étrangeres évafués
à differens prix , fans pouvoir découvrir
quel eft précisément le véritable.
Je relis vos Jugements pour la feconde
fois ; je trouve dans le premier Tome aut
Bas de la page 246 , cette perfection & bien
AOUST. 1746.
19
d'autres qualités de eet Ouvrage ONT
ECHAPEES à certains Juges . Ne faudroitil
pas écrire ont échapé , ou plutôtfont échapées
?
>
Tome premier des Jugemens , page 313 ,
vous avez fort bien apprécié l'Eflai fur le
Commerce & fur la Marine de M. Deslandes
, on trouve cependant que vous l'avez
traité avec trop d'indulgence , & l'on eft
étonné que vous ayez qualifié de très- curienfe
la fantaftique defcription qu'il fait des
richeffes & des délices de la Ville d'Ormus.
Je fuis en mon particulier très-mortifié de
ce que , comme lui & comme M. Saverien
( dont vous faites mention dans vos feuilles
fuivantes Tome 2. page 269 ) vous ayez crû
que cette Ville exiſtoit encore dans toute
cette opulence où d'anciens Auteurs ou
Voyageurs nous l'ont repréſentée . Mille Re
lations nous ont appris la deftruction entiere
de cette ville dès l'an 1622 , comme vous le
pourrez voir dans le Dictionnaire Géogra
phique de Baudran. Refte à fçavoir lequel
de MM. Deslandes ou Saverien a dérobé à
l'autre cette grotefque imagination , ou fr
tous deux l'ont embellie d'après quelques anciens
Voyageurs . Ce n'eft pas d'après le feul
M. de Luffan que M. Deflandes a dit avec
raifon , que fi Paris étoit Ville maritime,
Femme Amfterdam , Londres , Lisbonne , Gé
20 MERCURE DE FRANCE
nes , la Marine feroit bien plus cultivée en
France. Il y a plus de cent ans que cela s'eſt
dit & écrit dans nos Ports de mer.
ODE SUR LE TEM S.
Omniatempus habent , habet & fimul omnia
tempus ,
Nec melius fequitur quod fuit ante bono-·
FXISTER c'eft périr , c'eft mourir que de vivre` ,
néant. Ce n'eft par tout que mort , & par tout que
Tout paffe & tel qu'un trait que l'oeil a peine àfuivre
L'univers tout entier fuit la loi du torrent.
Le tems même , le tems paffera comme un fable ;
Et qu'est- ce que ton cours , ton fort le plus durable
Rapide deftructeur de l'orgueil redoûté ?
Un inftant échapé des heures éternelles
A qui les vents prêtent leurs aîles.
Pour rejoindre l'éternité .
Le ciel m'a donc placé dans ce court intervalle
J'y coule des momens cent & cent fois plus courts
Chaque inftant que je vis , creufe l'urne fatale
Où doit fe terminer la trame de mes jours.
Ledeftin le plus beau des mortelles carrieres
AOUST. 1746 . 21
Neft q'un enchainement de cent morts journalieres,
Que fuit de près l'horreur d'une derniere mort,
Je vis en périffant ; par degrès je fuccombe ,
Et j'arrive au bord de ma tombe
Sans voir le terme de mon fort.
Irrévocables jours ! Paffé que je regrette !
Jours qu'on ne peut hâter ! Incertain avenir !
Nous n'offrez pour tout bien à mon ame inquiette
Q'un espoir incertain , qu'un triſte ſouvenir !
Le préfent n'eft qu'une onde & rapide & traitreffe ;
Peut-être , helas ! le flot dont je fuis la viteffe ,
Va-t- il en fe brifant enfanter mon trépas ?
L'inftant feul où je fuis eft le tems de ma vie ,
Et ce tems , je le facrifie
A l'inftant où je ne fuis pas .
L'être par un cheveu ſuſpendu fur l'abîme ,
Menace d'y rentrer auffi - tôt qu'il en fort ;)
Unjour qui l'a fait naître immole la victime ;
Unfoufle eſt le rempart qu'elle oppoſe à la mort,
Et les folles amours , l'efpérance infenfée
De plaifirs , de projets occupant fa penſée
Eternifent l'erreur toujours prompte à s'offrir.
Le réveil t'apprendra , mais trop tard , vil atôme ,
Qu'il n'eft que trois inftants dans l'homme ;
Naître , loupirer & mourir.
Sur un commun théâtre en caprice célébre ,
22 MERCURE DE FRANCE.
Auffi prompt que l'éclair , paffe le Conquerant
Le triomphe fini , vient la pompe funebre :
Que de lauriers flétris , leheros expirant !
Arbitre des revers dont la terre s'étonne , ¦
Le tems met & ravit à fon gré la Couronne ;
Sa main prête le mafque , & l'ôte à l'impoſteur
Et porté fur un cercle inconftant & mobile
Il vange l'Autel , le pupile.
En dépouillant l'ufurpateur. !
Titres , faftes, grandeurs, avec lui tout s'envole
La vanité n'a point le droit d'éternifer :
A peine aux yeux publics offre -t'elle l'idole ,
Que le marteau fatal tombe & vient l'écrafer ;
Salmonée ofe- t'il s'emparer de la foudre?
Elle éclatte en fes mains & le réduit en poudre ;
Le plus brillant des jours eft fuivi de fa nuit.
Tu peris , cedre altier , tu meurs , humble fougeres
Le même vent , dont la colere
Flétrit la fleur , abbat le fruit.
Ambitieux néant , orgueilleufe pouffiere ,
Hâte-toi d'animer & le marbre & l'airain :
Au delà du trépas ouvre une autre carriere ;
Renais , nouveau phoenix , fous une habile main
Lefuccès a trahi l'efpoir de tes delires ;
Malgré tes foins , l'airain , le mabre où tu refpires
Sont les tristes cyprès qui marquent ton cercueil
Et déja mutilés, eux qui bravoient l'orage,
AOUST.
1746. 23
Ne m'offrent plus dans ton image
Que les débris de ton orgueil.
Antiques monumens , prodigieux ouvrages ,
Dont les reftes mourans femblent s'en orgueillir,
Ceffez de nous contraindre à d'éternels hommages.
Les ombres de l'oubli vont nous ensevelir.
Mourezgarants trompeurs d'une immortelle gloire ;
Temples que l'homme en vain éleve à fa mémoire
Périffables travaux d'un ouvrier mortel
Le bras qui fans égard frappole fimulacre,
Quand l'amour propre le confacre
N'eft- il pas levé fur l'Autel ?
Oufont , Thebes , Memphis , vos merveilles divi
nes?
Quels cadavres éparts ! Quels tombeaux ! Quels
déferts !
L'orgueil ne peut marcher fans heurter ſes ruines ;
La terre chaque jour offre un autre univers ;
Deftructeurs dont le tems a détruit juſqu'aux cen
dres ,
Quel fruit de vos exploits , Sefoftris , Alexandres ?
Un Sceptre qui fe briſe en tombant de vos mains
L'impétueux torrent fe déborde & s'écoule ,
Telle on a vû paffer la foule
Des Perfes , des Grecs & des Romains,
Naftes feux dont le Ciel orne, enrichit fes youtes,
24 MERCURE DE FRANCE
Du tems que vous reglez vous fentirez l'effort ;
Un jour vous tomberez égarés dans vos routes
Vomiſſant la terreur , l'incendie & la mort,
Vos rayons convertis en une flâme obſcure
N'éclaireront alors le deuil de la Nature
Que de fombres lueurs , de mille affreux éclairs
Enfin vous vous perdrez dans la nuit éternelle ,
Et votre derniere étincelle
Verra la fin de l'univers.
Raffûre -toi , mortel , énigme difficile ,
Compofé merveilleux & d'argile & d'efprit ;
Le glaive dévorant a beau frapper l'argile ,
L'efprit brave fes coups quand l'argile périt ;
Idée , expreffion de la raiſon fuprême ,
Feu moteur , être actif où Dieu fe peint lui- même
Sa beauté lui répond de l'immortalité ,
Et du dernier inftant la fureur meurtriere
Ne fait qu'abreger la carriere
Qui le rend à l'éternité.
Ipfiperibunt, tu autem permanes.
Pfal.
101,
LETTRE
AOUST. 1746. 25
LETTRE de M. BENETON , adressée à
M. De la Bruere , au fujet
des Dictionaires.
Mfemble fifort s'être déterminé en fa-
ONSIEUR , le goût du public qui
-
veur des Dictionnaires à en juger par le
grand nombre qui s'en eft imprimé de nos
jours , & l'attention qu'il femble que vous
prenez de relever les fautes qui fe trouvent
dans quelques uns , comme cela fe voit
dans vos Mercures , où vous avez inferé
des corrections pour le Moreri , font les
raifons qui me font vous adreffer cette lettre
; vous y verrez ce qui peut fe penfer fur
les ouvrages dont je parle , ce qu'ils devroient
être pour fe foutenir dans leur réputation
, & vous y trouverez pour le même
Moreri des corrections aufquelles je m'inte
reffe.
Il y a préfentement un grand nombre de
Dictionaires , chaque Science a le fien ; il
yen a d'Hiftoire , de Théologie , de Critique,
de Géographie , d'Encylopedie , de Cas de
Confcience, de Medecine , de Pharmacie
Economie, de Commerce , de Finance , de..
B
26 MERCURE DE FRANCE,
reur pour
il Jurifprudence & ďArrêts ; y en a de
Poefie , la Bible en a un , un autre a le titre
d'Univerfel , les Arts ont le leur , & il ne
faut pas défefperer que chaque Métier , depuis
le plus néceffaire jufqu'au plus abject ,
n'aye le fien ; il en paroît un pour l'intelli
gence des Gazettes , peut-être fera-t'il ſuivi
d'un tiré de l'Almanach du bon Laboudire
le tems où il faut femer l'oignon
, & planter les choux , d'un autre qui
inftruira les Dames des modes du Palais , &
enfin d'un de Cuifine qui apprendra qu'elles
font les fauffes & ragoûts d'ufage. Il y a tant
de Dictionnaires que fi on joint à eux lesocabulaires
, les Lexicons , les Concordances
& les Gloffaires , il fe pourroit faire des
Bibliotheques aflés nombreufes avec de ces
feuls livres ; mais en ce cas , il faudroit confiderer
de femblables Bibliothéques comme
remplies de deux fortes de livres , une forte
plus eftimée que l'autre , car de même que
ma lettre va parler de l'inutilité dont font
certains Dictionaires , il faut de même convenir
que d'autres , & fur-tout ceux qui ont
pour objet de faciliter l'intelligence des Langues
, ou de n'être que des Index alphabétiques
des termes de Science rapportés avec
précision , font d'une utilité à ne s'en pou
voir paffer,
Ce font les Dictionaires Panglotes ( qui
AOUST. 1746. 27
›
la rigueur font les feuls néceffaires ) qui
ont donné origine à tous les autres ; fi on s'en
tenoit à ceux-là , & à ceux qui , comme je
dis, ne font que des indications , il n'y auroit
rien à redire , mais la mode des ouvrages de
ce titre fans diftin &tion d'utile ou d'inutile .
prévaut fi fort , qu'elle devient manie ;
elle dure , la République des Lettres fe trouvera
inondée de Dictionaires , & toute la
Litterature fera tranfportée dans eux.
pour
>
Cette manie , qui peut faire négliger de
-composer ou de lire des livres de difcours
fuivis , ne plaît pas à tout le monde , & les
raifons s'élever contre ne font pas à rejetter
; en voici deux entre autres . La premiere
; y ayant des Dictionaires pour toutes
fortes d'étude , des gens , en fe bornant à
apprendre ce qui s'y trouve fans aller confulter
lesfources, ne peuvent par-là devenir que
des demi - favans , en forte que ces gens qui
auroient la difpofition d'aller plus loin , en
donnant dans cette lecture , deviendront fi
pareffeux qu'en s'en tenant à une fuperficialité
& à une généralité de connoiffance , ils
ne tireront pas de leur génie ce qu'ils en
pourroient tirer ; les défenfeurs des Dictionaires
foutiennent au contraire que ces li
wres font utiles ,non-feulement pour apprendie
, mais même pour compofer par leur
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
on y
moyen ; cela auroit quelque fondement f
trouvoit exactement cités les livres qui
font les fources fur quelque matiere qu'on
ait à travailler , & qu'on n'y fouffrit point
par de trop longs articles l'ennuis des narrations
prifes en leur entier dans ces fources ,
les articles d'un Dictionaire ne devant être
que de courtes analyfes , mais c'eft fouwent
ce qui n'eft pas : une feconde raifon
de blâme contre les Dictionaires , eft qu'on.
puife quelquefois pour les faire dans de
mauvaifes fources , & : ils laiffent ignorer
les bonnes , ou ce qui en eft pris eft mal
rendu .
7
Les Dictionaires ne peuvent faire que
tort aux fources qui les produifent , & dans
certains de ces Dictionaires , ce tort por
te auffi-bien fur les Auteurs de ces fources
comme fur les fources mêmes , ainfi qu'il fe
wa.voir. Il y a donc des Dictionaires nuifibles
à la Litterature , & cela peut aller , par
rapport aux Auteurs , jufqu'à les rebuter de
travailler en réflechiffant aux risques que
courent leurs travaux d'être perdus pour
eux par la licence que fe donnent les Auteurs
ou plûtôt les Compilateurs de ces Dic,
tionnaires nuifibles.
En effet , Monfieur , auffi-tôt qu'un livre
nouveau paroîtra , des Compilateurs
}
AOUST
.
1746. 19
mercenaires ne manqueront pas de le mettre
en pièces , fi ce livre a le malheur de
venir à leur connoiffance.
+
Le livre & le dépieceur ne citant point,
felon la mauvaiſe coûtume qui s'introduit
l'Auteur du livre démembré , aura le chagrin
de voir fon Livre mourir auffi-tộc qu'il
fera vû , & l'anéantiflement du Livre de
même que l'oubli du nom de l'Auteur ne
peut manquer d'arriver,fi le Compilateur ,
comme cela eft encore de coûtume , met
fon norn à la tête de la compilation où fe
trouve fondu le livre : j'éprouve moi-même
combien eft jufte la crainte que les Auteurs
doivent avoir de certains faifeurs de
Dictionaires. Quatre de mes livres qui
font le Traité des marques nationales ,
Hiftoire de la guerre , un Commentaire fur
les Enfeignes d'armées , & une Differtation
fur les Tentes , ont fervi à groffir confidé
rablement le Dictionaire Militaire qui s'eft
imprimé l'an palé 1745 , chés Gifley à Paris
; j'ai été copié mot à mot , & n'ai point
été cité comme il le falloit ; la nature dont
eft.un Dictionnaire , qui eft de contenir dif
férents fentimens fur chacune des chofes
qui font article , n'excufe point dans ce qui
m'a été fait , la probité veut que l'on aver
sifle d'où l'on tient ce qui n'eft pas de fon
Biij
30 MERCURE DE FRANCE.
crû ; les citations entretiennent l'émulation
; les Sciences languiflent quand danş
un grand nombre de fentimens rapportés
tout de fuite , on ne fçait pas qui a
bien ou mal penfé. Voffius , Etienne , du
Cange , Bayle , Menage , & autres grands
Compilateurs ont cité régulièrement , les
Editeurs du Trevoux l'ont auffi fait , & ce
n'eft qu'à ce prix qu'il devroit être permis
de prendre dans les ouvrages d'autrui ; cette
formalité fe perd , & après cela a-t- on
tant de raifon à être auffi favorable qu'on
l'eft aux Dictionaires fans exception d'aucuns?
la multiplication outrée de cette forte
de livres ne pourroit- elle pas être l'une
des caufes de la décadence des Lettres parmi
nous ? trop de livres inutiles , & trop de
répétitions fur des mêmes matieres peuvent
la produire : on a fur cela l'exemple de ce
qui eft arrivé chés les Grecs & chés les
Romains : par une viciffitude qui a auffi des
exemples il s'eft déja vû qu'à un tems fçavant
en a fuccedé un qui l'eft moins,pendant
lequel il ne fe fait plus que des ouvrages
de critique , ou de répétition ; & après en
vient un d'ignorance , où il ne fe fait plus
rien du tour. Le fiécle paffé a été pour nos
Sciences un tems bien brillant , on donne
dans celui-ci beaucoup dans la critique &
AOUST.
1946.
dans les redites ; fouhaitons que l'avenir ne
foit pas encore pire.
Les fentimens ont bien changé ; autre
fois les Compilateurs regratiers méprifés
dès ce tems-là , comme ils le devroient être
encore , paffoient feulement pour les Portefaix
des Sçavans , préfentement ils font en
chemin de dominer, puifqu'ils peuvent faire'
éclipfer , difparoître , & même s'approprier
des ouvrages qu'ils ne feroient pas capables
de faire , & ainfi un homme lans efprit peut
aller jufqu'à en effacer un autre de mérite
reconnu , quel changement ! Un Compila
teur , qui dans ce qu'il fait ne met rien du
fien , peut-il aller d'égal avec un Sçavant?
La raifon dit que non , cela eft pourtant ,
& pour le faire fentir , comparons Moreri
avec Pafcal ; celui-ci par la force de fon gé
nie avoit prefque trouvé tout ce qui eft dans
Euclyde le Géomètre fans avoir lû Euclyde ,
& l'autre a paffé fa vie à ne faire que copier
des lectures , cependant par une fatalité le
nom du premier percera les fiécles à venir .
& celui de l'autre pourra fe perdre ; un Dic
tionnaire Mathématique enterrera pour tou
jours le nom de Pafcal , & l'on dira toujours
le Dictionaire de Moreri : ce n'eft pas même
affés que de dire qu'un Compilateur d'inu
tilités peut fe paffer d'efprit , il peut même
fe pafler de lire : un homme de cette elpecé
?
B iij
32 MERCURE DE FRANCE.
n'a qu'à avoir des copiftes'au rôle qu'il char
gera de dépiecer les livres qu'il voudra fondre
en Dictionaires , & pour être Auteur
il n'aura que la peine de mettre fon nom. La
honte d'une telle chofe ne retombe-t-elle "
pas fur les Dictionaires ? Il n'eft donc pas
étonnant que bien des gens ne foient pas favorables
à cette forte de livres , & il l'eft
que le public fe plaife fi fort à les recevoir ,
mais le goût a prévalu , il faut laiffer écouler
le torrent de la mode , & voir ce qui en
arrivera.
Au refte en blâmant les compilations qui
ne font que des lambeaux recoufus de livres
mis en pièces , & en excitant à méprifer
les Auteurs de telles productions , je ne
pretends pas nier , ainfi que je l'ai déja infinué,
qu'il n'y ait des compilations très utiles
& qu'il n'y ait auffi des Compilateurs trèsrecommendables
, auffi je ne diftingue point
ceux-ci d'avec les Sçavans ; un Ecrivain qui
ne s'avilit point â copier fervilement ceux
de qui il prend , qui met beaucoup du fien
dans ce qu'il fait , & qui en citant les fources
dont il s'eft aidé approuve ou rejette
avec difcernementt ce qui eft dans ces fources
, un tel Auteur mérite des louanges , il
va d'égal avec lesScholiaftes & les Commentateurs
; ce n'eft, comme je le repete encore ,
que les Compilateurs dont le plagiat & l'iAOUST
. 1746.
33
gnorance fe montrent dans leurs productions
qui méritent du mépris.
Les Dictionaires faits de la maniere qu'ils
doivent l'être , & donnés par des perfonnes
à talens pour cela , font de bons livres , fur
tout fi les matieres qui les ont occafionnées
méritent d'en avoir un chacune en particulier
, cependant un autre inconvénient fe
trouve , c'eft qu'un Dictionaire fait fur une
matiere qui le mérite , & donné par un ¹Âuteur
capable , ne laille pas d'avoir d'ordinai
re du défectueux dans fa premiere édition
un Auteur n'envilageant fouvent pas affés
d'abord l'in menfité qu'il s'appercevra par
la fuite être à fon travail , mais en ce cas il
ya remede , & fi une premiere édition d'un
Dictionaire commencé ſur un bon plan &
deftiné à être bon ne le rend pas d'abord tout .
à- fait tel , des rééditions fucceffives le feront
: il faut avoir bien corrects les Dictionaires
d'ufage indifpenfables qu'on a ,
& fans cela ceux de ces livres qui peuvent
s'eftimer les meilleurs deviennent prefque au
rang des inutiles par les erreurs où ils jettent
des lecteurs qui fe contentent de s'inftruire
dans eux; ce que je dis peut fe démontrer par
un exemple pris du Moreri. Ce Livre étoit
forti affés informe des mains de fon Auteur ,
il a eu befoin que differentes éditions le
racommodent , & encore quelques-unes le
By
34 MERCURE DE FRANCE.
rendront un livre utile , ou du moins amufant
, mais fa correction devroit être le tra
vail de plufieurs perfonnes , chacune verſée
dans des Litteratures differentes ; cette néceffité
a été àffés reconnue par la maniere avec
laquelle on a procédé dans l'édition de
1732 , & de fon fuplément de 17353 dif
ferens Ecrivains y ayant mis la main , il ne
reste plus qu'à continuer fur le même plan
pour l'edition qui eft promiſe : je vais contribuer
à cette correction pour quelque cho
fe , & quoique ce foit pour peu,néanmoins
fi chacun de ceux qui lifent ce Dictionaire,
& qui font en état de relever les fautes"
qu'ils y apperçoivent en vouloient faire de
même , l'ouvrage ne feroit pas longtems
fans fe fentir du zéle du public , & à de
venir dans la plus grande bonté où il puiffe
être porté.
Le reste pour un autre Mercure,
AOUST.
1746. 35
୨୧୬
Deraima
PLAIN TE.
E l'aimable Themire on m'interdit la vûe ;
Cet ordre trop cruel & m'afflige & me tuë.
Senfible à fes attraits , fes graces , fa douceur ,
L'on veut punir mes yeux du plaifir de mon coeur.
Des Parens inhumains favourant ma mifere ,
Me pénetrent le coeur d'une douleur amere ;
Dieu même en puniffant nos forfaits odieux ,
Ne voit point fans pitié fouffrir les malheureux,
Tel qui plein d'amitié m'accabloit de oareffes ,
Et dans fes complimens s'épuifoit en promeffes ,
Paflant auprès de moi feint de ne me pas voir ;
S'il me rend le falut rougit de fon devoir.
Ovide infortuné fe plaignant de fon aftre ,
Jadis avec raifon difoit dans fon défaftre .
» L'or attache à nos pas la foule qui nous fuit ;
» Sommes nous malheureux?tout le monde nous fuità
Donec eris felix multos numerabis amicos.
Temporafifuerint nubila,folus eris.
A Nantes, le 7 Mai 1746 , DE BEL ..
E vi
36 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE à M. Rigoley de Juvigny ,
Avocat au Parlement , contenant quel
ques remarques fur l'Education.
C
Omme je fuis perfuadé , Monfieur, qne
c'eft l'interêt du bien public qui vous a
infpiré fur l'Education des reflexions que
je viens de lire dans le dernier cahier des
Jugemens de feu l'Abbé Desfontaines , j'oſe
me flater que le même interêt m'infpirant
auffi , vous ne vous offenferez point des remarques
que je vous adreife . Quoique je
n'aye pas l'honneur de vous connoître perfonnellement
, la candeur , la modeftie , le
zéle pour la vérité , qui regnent dans votre
lettre , fuffifent pour me faire croire qu'en
critiquant quelques-unes de vos réflexions ,
je n'ai pas à craindre de me faire un ennemi
; vous n'êtes pas de ces hommes qui ne
diftinguent pas les caprices de leur imagination
de la vérité , & qui regardent leurs
penſées comme autant d'oracles qu'on ne
peut attaquer fans allumer leur haine & leur
fureur. Travers ridicule qui apprête fouvent
à rire au dépens de ces petits tyrans
Litteraires par le ton fottement impérieux
avec lequel ils tâchent de défendre l'empire
AOU'ST.
34 1745.
defpotique qu'ils fe font arrogés fur la maniere
de penfer des autres!
>
Vous avancez ce principe , Monfieur , &
perfonne ne yous le conteftera , qu'on doit
regarder Education comme la nourrice de
l'ame, puifque c'eft d'elle que l'efprit & le
coeur reçoivent leur premiere nourriture.
L'expérience de tous les fiecles en prouve la
jufteffe & la vérité , & cependant tout ce que
vous ajoutez lui eft diamétralement oppofé.
C'eft ce qui me paroillant mériter attention ,
m'a engagé à vous propofer mes doutes en
les foumettant à vos lumieres mêmes.Vos intentions
font trop droites , & vous êtes trop
éclairé pour que j'aie lieu de craindre que
l'amour propre vous faffe illufion , comme
auffi je puis vous affûrer de ma part d'une
parfaite docilité fi vous me faites voir que je
me fois trompé. Vous trouvez deux grands
obftacles qui nuifent à l'Education ; vous tirez
les uns de la conduite des Parens & des
Maîtres , & les autres des difpofitions des
enfans mêmes. Vous ne jugez pas les premiers
fans remede , puifqu'ils dépendent de
nous , & certainement vous avez raiſon . Les
autres vous paroiffent invincibles,parce qu'ils
font l'ouvrage de la Nature. C'eft , fi vous
le voulez bien , ce que nous allons exami .
ner. Je conviens avec vous des triftes fuites
d'une mauvaiſe Education , Elles nefontque
18 MERCURE DE FRANCE.
trop fenfibles de nos jours où il femble ,
Comme vous le remarquez fort bien , que
l'Education ne foit qu'un fimple étalage inventé
pour flater la vanité des grands &
des riches , vous pouviez ajouter & même
des fimples bourgeois qui ont leur vanité
comme les autres. C'eft cette vanité des Parens
qui fe laiffant imbécilement éblouir
par quelques fruits précoces d'une étude fuperficielle
& prématurée , donne tant de
vogue aux Charlatans qui font parmi nous
en plus grand nombre qu'en aucun autre
Pays . C'eft cette vanité qui leur fait prodiguer
l'argent pour le jeu , les fpectacles , la
bonne chere , & mille colifichets , & qui leur
fait fouvent apporter moins de foins pour le
choix d'un Précepteur , que pour celui d'un
Cuifinier où d'un Cocher , tandis qu'ils confient
leurs enfans au premier venu , à celui
qui fe donne à meilleur marché. C'eſt cette
vanité qui aveuglant les Parens fur les
défauts de leurs enfans , fait qu'ils les croyent
parfaits , veulent qu'on les croye tels, & ne
peuvent fouffrir qu'un Maître ofe les détromper
, ce qui les rend timides &
lâchement complaifans quand ils n'ont
pas affés de générofité pour facrifier leurs
interêts à leur devoir. C'eft enfin cette même
vanité qui porte les Parens à donner à
leurs enfans ces Maîtres de toute efpece, qui'
AOUST. 1746. 39
femblent plutôt faits pour annoncer l'opu →
lence de ceux qui les employent , que choifis,
pour élever à l'ombre de la vertu lesjeunes,
efprits qu'on leur confie.
Voilà , Monfieur , fi je ne me trompe ,
les principales caufes de l'inutilité de l'Education
. Voilà ce qui la rend défectueuse &
même pernicieuſe , & je neferai pas furpris
qu'un homme qui aura été ainſi élevé ne foic
pas moins méchant ou même le foit plus que
celui qui n'aura point eu du tout d'Education .
Mais que rien ne foit plus douteux que le
fuccès d'une heureufe éducation , comme vous
le dites ; mais que vous demandiez férieuſement
fi , enfuppofant l'éducation auſſi pars
faite qu'elle devroit l'être , les avantages
qu'elle procure font auffi folides , auffi per+
manens qu'on le prétend , & que vous préten
diez que les grands & le peuple , le riche
& le pauvre , ceux qui ont eu de l'éducation
comme ceux qui en ont étéprivés , tous agiffent
de même , & tous obéiſſent aux mêmes
paffions, C'et , je vous l'avoue , ce que je
ne puis concevoir. S'il eft ainſi , ne blâmons
pas la négligence des Parens par rapport à
l'Education de leurs enfans. Si les hommes
font en naiffant ce qu'ils doivent être un
jour, fans que l'Education puifle contribuer
à les rendre meilleurs , à quoi bon prendre
tant de foins , tant de précautions , tant de
40 MERCURE DE FRANCE.
peines ? Laillons agir la Nature . Le Payfan
qui n'a guéres de l'homme que la figure , qui
eft né , qui a été élevé & nourri au milieu des
troupeaux , & à peu près comme l'un des
plus vils animaux , ce pauvre Payfan , ce
ma'heureux qui l'eft au point de ne pas le
fentir , eft auffi avancé que celui qui a eu
de l'Education , & celui- ci agit de même ,
& obéit aux mêmes paffions. Si l'un & l'au
tre font méchans , c'eft qu'ils font nés tels
c'eft qu'il étoit impoffible de les guérir des
vices à l'extirpation defquels ils avoient apporté
en naillant des obftacles invincibles.
Si l'un & l'autre ont de la droiture & de la
vertu, c'eft un pur don de la Nature, auquel
Education peut ajouter fi peu , qu'elle ne
vaut pas la moindre des peines qu'elle exige.
Elle ne fert prefque de rien pour les bons ,
puifque , felon vous , ce n'eftpoins à l'Art
mais a la Nature à graver dans nos coeurs
ces grands principes de morale qui nous donnent
une jufte horreur du crime , & non-feulement
elle ne fert de rien aux méchans
mais même elle leur eft dangereufe , puifqu'elle
ne peut tout au plus que leur apprendre
à diffimuler leur malice. Foible avantage
qui n'en peut faire que des traîtres , des
parjures , des hypocrites I Cela étant , fermons
les Colleges & les Ecoles particulie
res ; plaignons la fimplicité de ceux qui faAOU'ST.
1746: 41
rifient tout pour donner de l'Education à
leurs enfans. Fuyons les Académies , négligeons
les Lettres & les Sciences , fouhaitons
de voir renaître ces fiecles d'ignorance
& de barbarie que nous regardions en pitié
& qui devroient être l'objet de nos regrets,
eu plutôt tranfportons nous chez ces heureux
Habitans d'Afrique où d'Amérique ,
dont les moeurs nous font injuftement fré
mir. Là nous verrons un Antropophage inf
truit par la feule Nature , dévorer tranquil
lement fon femblable , où un Negre inftruit
dans la même école vendre froidement fes
enfans ou fon pere , pour quelques pintes
' d'eau de vie.
Quoi ! Monfieur , pourriez-vous penſer
que fi ces miférables euffent eû de l'Education
, ils n'en feroient ni moins cruels ni
moins feroces ? Ne voyons-nous pas au contraire
que fi parmi nous il
y en a qui ref
femblent aux Cannibales & aux Negres
ce font ordinairement ceux qui n'ont point
eû d'Education , ou qui en ont eu une mau
vaife ? Entre ces fcelerats qui expirent fur
les échafauts , combien y en a-t'il qui ayent
eu de l'Education ? Pourquoi est- ce une
chofe fi rare qu'un bon domestique , fi ce
n'eſt que ceux qui fervent n'ont point eu
d'Education , puifqu'on n'en trouve de fages,
42 MERCURE DE FRANCE .
de laborieux , de fidéles , qu'à proportion
qu'ils font inftruits ?
Vous avez raiſon , Monfieur , de penſer
avec Montagne qu'il feroit plus facile de
Je former à la vertu , de façon que le vice ne
prit en neus aucune racine , que de déraciner
Je vice ou d'en arrêter les progrès . Mais
fi je ne me trompe , Montagne ne veut pas
dire par-la que 'homme apporte en naiffant
des vices que ' Education la plus parfaite
ne peut détruire. Il eft vrai que nous
naiffons avec une forte inclination au mal
funefte héritage que nous a laiflé notre premier
& malheureux pere :mais cette inclina
tion n'eft pas invincible , fi on prend de bonne
heure les précautions néceffaires pour
l'affoiblir & la détruire , autant qu'elle peur
l'être en cette vie , en faifant éclore & croître
les femences de vertu que tour homme
apporte en naiffant auffi certainement que.
l'inclination au mal. Le grand point eft de
ne point perdre de tems pour empêcher celle-
ci de fe fortifier au préjudice de celles la
Udum & molle lutum es : nunc , nuns
properandus , & acri
Fingendus fine fine rota.
Perl. Sat, 3. V. 23.
AOUST. 1746. 45
La premiere enfance eft celle qui deman
de plus de foins & de précautions , & c'eſt
malheureuſement ce qu'on néglige le plus.
C'eſt un plus grand abus qu'on ne penfe de
ne s'occuper dans les premieres années des
enfans que de la nourriture de leurs corps ,
dont on fe repofe fur des perfonnes viles &
mercenaires,entre les mains de qui ils reçoivent
mille impreffions baffes & vicieufes
Auffi-tôt qu'un enfant eft né , il faut travail.
ler à fon Education , & y apporter d'autant
plus de foins que fon efprit , fon coeur , fon
tempérament vuides de toutes impref
fions faifiront avidement les premieres
qui leur feront préſentées.
>
Præcipuum jam inde à teneris impende
Laborem ( * )
Vous fçavez le célebre apologue des deux
chiens de Lycurgue , fi ingénieufement habillé
à la françoife par la Fontaine ; leurs ·
inclinations oppofées ne venoient certaine
ment pas de leur naiffance , mais de la maniere
differente dont on les éleva. La gloutonnerie
de l'un & la paffion de l'autre pour
la chaffe furent également le fruit des foins
( ) Virg. Georg. lib. 3. v. 74.
44 MERCURE DE FRANCE.
qu'on prit de fomenter en eux dès leur naiffance
ces inclinations qu'il n'eût plus été
poffible de détruire dans la fuite. Adeò àteneris
confuefcere multum eft. Comme je ne
fais pas un Traité d'Education , je n'entrerai
pas dans le détail des foins que demande la
premiere enfance . Quintilien les explique au
long, & y revient à tous momens. Vous (çavez
qu'ilprend fon jeune Orateur dès la naif
fance même. Igitur nato filio , parerSpem
de illo primum quam optimam capiat : ita
diligentior à principiis fiet.Cet excellentAuteur
eft bien éloigné de penfer qu'il y ait des
hommes qui naiffent avec des obftacles invincibles
aux foins de l'Education la plus
parfaite. Nemo , dit -il , reperitur , qui fit
ftudio nihil confecutus. C'est donc dans la
négligence de la premiere enfance qu'il faut
rechercher les principales caufes de l'inuti
lité des foins de l'Education pour bien des
enfans. La difference n'eft que du plus au
moins , felon que les enfans font bien ou
mal organifés. Mais cette difference ne tombe
guéres que fur les progrès dans les fciences
& non fur la vertu qui doit toujours être
le principal objet de l'Education.
Les foins qu'on prend de notre enfance
Forment nos fentimens , nos moeurs , notre créance.
AOUST. 45 1746.
L'inftruction fait tout , & la main de nos Peres .(*)
Grave en nos foibles coeurs ces premiers caractéres
Que l'exemple & le tems nous viennent retracer ,
que peut- être en nous Dieu feul peut effacer. Et.
Je pourrois appuyer ces beaux vers de
beaucoup de raifons & d'autorités , que les
bornes d'une lettre ne me permettent pas
d'ajouter. D'ailleurs en voilà affés, fi , comme
j'ofe le préfumer , je penſe juſte ſur l'origine
des Educations infructueufes. Quand
on a le bonheur d'avoir la vérité de fon cô
té , il ne s'agit que de mettre fur ces voyes
ceux qui ont le coeur droit ; ils la faififfent
promptement. Mais auffi c'en eft beaucoup
trop , fi je me trompe , & en ce cas vous
m'obligerez très-fenfiblement , fi vous voulez
bien me le faire voir. J'ai l'honneur d'être
avec la plus parfaite eftime , Monfieur
votre , & c.
Ce 9 Avril 1746.
M. M. P.
[*] Zayre, Scene 1.
46 MERCURE DE FRANCE.
AFAFAFAFAFAF A FAGAGAGAGAG
LETTRE du B
Mar. •
de P
à Mile . · • .•
-·
• qui lui
avoit demandé une Piece de vers.
VOUS Ous m'avez demandé des vers ;
Je n'ai jamais touché la lyre : ,
Si je vais chanter de travers ,
L • · au moins n'allez pas rire .
Vous le fçavez , j ai tout quitté ,
Vous voulez pourtant que j'écrive
J'obéis , charmante beauté ;
Prêtez une oreille attentive .
Je poffedois un beau tréfor ;
On me l'a pris à la fourdine :
Grands Dieux ! Falloit- il donc encor
Le nouveau trait qui me chagrine ?
Mais vous riez de mon malheur .
Vous l'avez vû prendre , je gage .
Ah ! J'y fuis ; voilà le voleur ;
Je le vois fur votre vifage.
L'Amour est un petit vaurien
Dont jamais on ne fe défie
..
AOUST.
1746. 輝
On ne le connoît que trop bien ,
Et pourtant on lui facrifie.
Dans vos yeux il étoit niché ,
Quand près de vous je vins me rendre
J'ignorois qu'il y fût caché ,
Et je me fuis laiffé furprendre.
J'avois juré , je m'en fouviens ;
De n'écouter que ma mufette ,
Mais quand je jurai , j'en conviens ,
Je ne connoiflois point L
•
On fe flate bien vainement
De n'aimer jamais de fa vie ;
Helas ! Il ne faut qu'un moment
Pour changer tout d'un coup d'envie,
Un regard allume des feux ,
Qu'il n'eft pas facile d'éteindre :
Amour , ce font là de tes jeux ,
Mais à quoi fert-il de fe plaindre
Jeunes & vieux , petits & grands ,
A la beauté tout rend hommage ;
Par tout , dès les plus jeunes ans ,
D'amour on entend le langage.
Ce Dieu tôt ou tard eft vainqueur
Et fou le mortel qui le brave ;
48 MERCURE DE FRANCE
On a beau défendre fon coeur ,
On n'en fera pas moins elclave .
Si fort en garde que l'on foit ,
Peut -on refifter à des charmes
Qui foumettent tout ce qu'on voit ?
Non , non , il faut rendre les armes.
Un coeur que l'amour a furpris ,
Ne vit plus que dans l'efperance
De voir quelque jour fon Iris
Couronner fa persévérance .
Si j'ai perdu ma liberté ,
C'eſt à vous d'adoucir ma peine ;
Comptez fur ma fidelité ,
Mais ne foyez point inhumaine.
Belle Brune , vous m'entendez ;
Ou vivre , ou mourir de trifteffe,
Mourir Ah ! plûtôt accordez
Ce que demande ma tendreffe.
REPONSE
AOUST.
49 1746.
**
REPONSE à la lettre précedente. -
Q I U i l'auroit crû , mon cher Baron,
Qu'un vieux Philofophe à votre âge
Aimât encore le badinage ,
Et dût le prendre fur ce ton ?
L'on dit : mal prend à vieux barbos
D'époufer jeune tourterelle ,
Etmoi j'ajoûte à ce dicton :
Mal fied à tout grifon
De foupirer près d'une belle
Si la phrafe n'eft pas nouvelle,
Faites profit de la leçon.
L'Amour peut aller en cornettes
Sans déroger à fon.bandeau ;
Mais lui faire porter lunettes ,
Baron , ce feroit du nouveau .
茶
C
jo MERCURE DE FRANCE.
DISCOURS SUR L'EDUCATION
Par M. AILHAUD fils , Legifte
d'Aix.
UELQUE indifpenfable que foit aux
peres l'obligation de donner à leurs enfans
une bonne éducation , il n'eft rien cependant
qu'ils négligent davantage , & dont
ils faffent moins de cas,
Cette négligence eft la fource funefte de
tous leurs malheurs , & il arrive peu de révolutions
de fortune dans les familles dont
elle ne foit la principale caufe . De -là ces
inimitiés continuelles , ces haines mortelles
entre les freres , la difcorde , la defunion
des familles , & le peu de refpe &t des enfans
leurs Verroit - on tant de cor peres .
ruption dans les moeurs , tant de licence
dans les plaifirs , en un mot , fi peu de Reli
gion dans les jeunes gens , fi on avoit foin
de leur donner une bonne éducation .
pour
En effet quel bien plus précieux peut laif,
fer un pere à fes enfans ? Les richeffes , les
honneurs , les dignités , les places les plus
éclatantes font fujets à mille accidens qui
peuvent réduire un homme de l'état le plus
fiche à l'état le plus indigent , mais la bonne
AOU'ST. 1746.
éducation refte toujours , c'eft un fonds inaliénable;
un homme de bonnes moeurs & bien
élevé trouve dans tous les tems de la vie un
abri dans fon propre fonds.
Les plus grands Philofophes & les plus
fameux Legiflateurs ont toujours regardé ce
devoir non-feulement comme la fource la
plus certaine du repos & du bonheur des familles,
mais encore comme le moyen le plus
propre de rendre un état ftable & floriflant.
De tous les âges de la vie il n'en eft point
de plus dangereux que la jeuneffe. Le défaut
d'expérience , la foibleffe de la raifon , le
faux brillant de tant d'objets qui éblouiflent
& qui plaifent ; la molle indulgence de ceux
qui devroient arrêter le torrent , tout ſemble
contribuer à multiplier les dangers dans
un âge où il eſt ſiimportant de fe conferver
dans l'innocence , & où les fautes ont toutes
des fuites funeftes . Qu'il eft difficile que les
jeunes gens puiffent fe foutenir dans un pas
fi gliffant où tout confpire contre leur innocence
! comment fe débarraffer de tant d'ennemis
? & la volonté eft-elle affés forte pour
y refifter mais ? que les peres élevent bien
leurs enfans , qu'ils leur infpirent de bonne
heure des fentimens d'honneur , de piété &
de Religion , qu'on leur faffe goûter la vertu
, on verra combien il eft facile à un
jeune homme qui a reçu une bonne éduca
; Cij
MERCURE DEFRANCE.
tion de ſe préſerver de tant de dangers , &
combien grands font les avantages qu'on en
retire.
a
L'Hiftoire nous en fournitun grand exem
ple dans la perfonne de Cyrus , le Prince le
plus accompli de fon tems. On y voit combien
une bonne éducation fert à fortifier le
corps , & à perfectionner l'efprit. Plein de
douceur & d'humanité , il ne fut jamais
effrayé d'aucun danger , ni rebuté d'aucun
travail quand il s'agilloit du bien de l'Etat ; il
poffedoit toutes les qualités qui forment les
Grands Hommes , fageffe , modération
grandeur d'ame , profonde connoiffance de
Art Militaire. Ce fut par le concours de
toutes ces vertus qu'il fonda en très-peu de
tems le plus grand & le plus floriflant de tous
Les Empires, qu'il fe fit aimer & refpecter
pon-feulement par fes fujets , mais encore.
par toutes les nations qu'il avoit conquiles.
Avec quelle fermeté & avec quelle pruden
ce fe conduifit- il dans la Cour d'Aftiage fon
ayeul Quelle fageffe ne montra-t'il
la vue de ces repas fomptueux qu'on avoit
préparés à fon arrivée , dans l'unique deſſein
de lui faire perdre l'envie de retourner dans
La patriez mais il ne fe laiffa poinr éblouir,
Le fafte , le luxe , la magnificence qui regnoient
dans ce Palais,loin de faire la moindre
impreffion fur lui , ne fervirent au conpas
સે
AOUST. 1746.
traire qu'à l'irriter d'avantage ; il fe main
tint toujours dans les principes qu'il avoit
reçu dès fon enfance , & rendit dans la fui
te fon peuple auffi heureux qu'on vouloit
le rendre malheureux.
pas
D'où les Loix elles-mêmes tirent- elles
leur force & leur vigueur , fi ce n'eft de la
bonne éducation qui y affujettit les efprits ,
fans quoi elles feroient une foible barriere
contre les paffions ? elles gênent l'homme
dans ce qu'il a de plus doux. Or s'il n'y
avoit quelque chofe qui le retint, il n'eft
douteux qu'il ne fecouât ce joug , & ne les
violât toutes , mais l'éducation les lui fair
aimer ; les principes qu'elle grave dans les
coeurs des jeunes gens demeurent fermes &
inébranlables , comme étant fondés fur la volonté
qui eft toujours un lien plus fort & plus
durable que celui de la contrainte. Elle leur
inſpire de bonneheure l'amour de la patrie ,le
refpect pour les Loix du pays , le goût des
principes & des maximes de l'état dans lef
quels ils ont à vivre.
On reconnoit fouvent , mais trop tard, le
prix & les avantages d'une bonne éducation
, car combien peu y en a-t-il aujour
Y
d'hui qui ne fe plaignent de ce que leur édu
cation a été négligée , & qui n'avouent que
c'eft ce défaut qui les a éloignés des emplois
les plus importans , qui les a fait fuccomber
Ciij
34 MERCURE DE FRANCE.
dans leurs entrepriſes & dans les charges
où le poids de leurs obligations les accabloit?
Combien de belles qualités ne fe perdent
pas faute d'un pareil fecours ? combien de
vertus ne voit-on pas étouffées par la multitude
des paffions qu'on laiffe croître avec
elles ? quels beaux talens ne voit-on pas tous
les jours devenir inutiles pour être placés
dans un mauvais fonds : qu'il eft même rare
que les vertus produifent tous les effets qu'on
en pourroit attendre , parce qu'on a négligé
de les cultiver ? combien vieilliffent dans
une dégoutante médiocrité pour n'avoir pas
eu de bons principes , fans lefquels les meil
leures qualités deviennent infructueuſes ? i
en eft peu qui n'en reconnoiffent alors les
avantages , & qui ne comprennent combien
une bonne éducation eft capable d'élever un
homme non-feulement au-deffus de fon âge,
mais encore au-deffus de fa naiſſance.
Mais quand même l'éducation ne ſerviroit
qu'à acquerir l'habitude du travail , à
en adoucir la peine , & à vaincre l'averſion
que tous les jeunes gens en ont , ne feroitce
pas déja un très-grand avantage : en effet
elle nous apprend de bonne heure à fuir l'oifiveté
, le jeu , la débauche qui ont été de
tout tems la pefte & la ruine des Etats les
plus floriflans.
Une fatale expérience ne nous montre que
AOUST. 1746.
trop fouvent de quels defordres l'efprit humain
eft capable lorfqu'il n'eft pas conduit
par les regles de la vertu & les lumieres d'u
ne raifon cultivée , néanmoins il eſt des actions
qui toutes horribles& criminelles qu'elles
font naiffent d'un principe qui auroit pû
produire de très-bons effets , s'il avoit été
mieux conduit & dirigé par une bonne édu-.
cation , car qui peut s'empêcher d'admirer la
fidelité & l'amour de ces peuples , qui à la
mort de leur maître,ou fur ce qu'ils changent
de fervice, fe donnent la mort à eux-mêmes?
jufques où ne porteroit pas cette grandeur
d'ame , toute fauvage qu'elle eft , fi elle étoit
bien cultivée?de quoi ne feroient pas capables
ce courage , cette conftance & cette patience
qu'on admire en eux , s'ils avoient eu le bonheur
d'être nés dans des pays où les Arts &
les Sciences fleuriffent , & ou on cultive avec
plus de foin l'éducation de la jeuneſſe ?
Mais je ne prétends pas ici donner des regles
fur la bonne éducation ; il me fuffit d'en
faire connoître les avantages, & je me croirai
dignement récompenfé fi cet effai infpire
aux peres & à ceux qui font chargés de
l'éducation de la jeuneſſe un zéle ardent
pour les bien élever , & s'il porte les jeunes
gens à profiter des leçons de fageffe & de
vertu qu'on tâche de graver dans leur coeur,
C iiij
56 MERCURE DE FRANCE.
L'AIGLE ET LA COLOMBE
FABLE.
A Monfieur DAMOURS , Avocas
au Parlement...
TANDI
AND IS qu'au milieu des éclairs
La Reine des oiſeaux , l'Aigle tant réverée ,
Du haut de la voute étherée-
Vouloit donner des loix aux habitans des airs ,
Dans un bofquet fleuri , la Colombe craintive ,
Et des oifeaux à peine exigeant les regards ,
Sans le vouloir tenoit captive
Une Cour qui de l'Aigle offenfa les égards.
Quoi ! j'aurai donc en vain, dit-elle .
Obtena la place immortelle
Qui dans les cieux m'a fait monter !
Dépofitaire de la foudre ,
Je ne pourrai réduire en poudre
Quiconque à mon pouvoir ſe permet d'attentert
Maître des autres Dieux , c'eſt à toi d'éclater ...`
D'un femblable couroux Jupin ne fit que rire ;
Agnores- tu , dit- il , qu'il eft plus d'un empire» 3-
AOUST
57
1746.
L'un dépend de l'autorité ,
L'autre du goût , du choix & de la volonté ;
Le premier , il eft vrai , des Rois eft le
Mais l'autre l'eft de la beauté ,
Avec cet heureux avantage
partage ,
Qu'elle étend fur les coeurs fa fouveraineté
A ce titre charmant tout autre titre cede ,
Et l'on a ( quand on le poffede )
La véritable Royauté.
Objets de nos defirs & fouvent de nos larmes ,
Vous offrez aux mortels juſqués dans leurs allarmes
Des appas fi flateurs & des traits fi touchans ,
Que leur force eft inévitable ;
Le fuprême pouvoir & le plus redoutable
sera toujours celui qui flate nos penchans,
ENVO I.
De cette Fable , ami , tu m'as donné l'idée ;
L'hommage t'en eft dû ; reçois-le de mon coeur ;
Crois-tu ravir le tien à ce fexe vainqueur 3-
Non fà défaite eft décidée , ;
Ne ris plus de la nôtre avec un air mocqueur ;
La tienne n'eft que retardée .
Par Mr. PESSELIER
CY
58 MERCURE DE FRANCE:
LETTRE adreffée aux Auteurs du
Mercure.
M Mercure eft la plus commode pour
ESSIEURS , comme la voye de votre
Mercure
s'éclaircir de certaines chofes , j'ofe vous
prier de rendre cette lettre publique .
Depuis long-tems , lorfque l'on fait des
marchés de vente & acquifition , & c. il eft
toujours fait mention du pot- de -vin & des
épingles. La queftion que j'aurois à propofer
feroit de fçavoir au jufte l'origine de ces.
deux mots qui entrent dans tous les marchés
, & même dont on fait mention dans
les Contrats & autres Actes.
Il eft vrai qu'il y a pluſieurs étymologies
vulgaires de ces deux mots , mais toutes
celles que l'on a données jufqu'ici ne m'ont
point parû plaufibles ni férieuſes. J'ai entendu
dire à beaucoup de perfonnes que le
pot - de-vin tiroit fon origine de ce qu'après
le marché fait c'eft une coûtume entre
Marchands d'aller boire le vin du marché ,
& que c'eft ce que l'on a appellé pot-de-vin ..
Je conviens que cela pourroit peut-être y
avoir donné lieu , mais cependant il eft bon
de remarquer qu'il y a une difference en
AOUST. 1746. 59
pour
tre pot-de-vin & vin de marché. Le pot-devin
ne fe donne que lors de la paffation de
quelque Acte comme une efpece d'indemnité
le vendeur , & il n'y a que ce
dernier qui en profite , au lieu que le vin de
marché fe paye de Marchand àMarchand, &
qu'il fe boit entre les parties contractantes.
Ainfi je penfe que y ayant une difference
totale entre le pot-de-vin & le vin de marché
, ce dernier ne peut tirer fon origine du
premier.
Pour ce qui eft des épingles , cela n'a de
rapport avec aucun marché , & de plus tantôt
on les donne à la fervante , tantôt à la
femme du vendeur ; enfin c'eſt une coûtume
que l'on fuit fans en fçavoir précisément
forigine.
Comme il y a certaines chofes qui piquent
la curiofité , j'ai crû ne pouvoir mieux
fatisfaire la mienne que par la voye de votre
Mercure que toutes perfonnes lifent , &
du nombre defquelles il s'en trouvera peutêtre
en état de me donner la folution que je
demande. J'ai l'honneur d'être , & c.
A Paris ce 12 Mai 1746.
C vj
o MERCURE DE FRANCEL
à mà mà tà á á á à à
CANTATILE.
L'AMOUR
RECONNOISSANT
Au milieu des horreurs d'une profonde nuit U
L'Amour retournoit à Cythere ;
Son flambeau l'éclairoit , quand le vent avec bruit :
Sortant des antres de la terre ,
Mêla fes fifflemens aux éclats du tonnerre.
Au Dieu des Amours
Un fouffle perfide
Du feu qui le guide
Ote le fecours ;
La frayeur s'empare
Du fils de Cypris ;
Dans l'ombre il s'égare ¿
Et l'Echo furpris
Répond à fes cris .
Lycas qu'une nouvelle chaîne
Unit a l'objet le plus beau >
Entendit Cupidon , & fenfible à ſa peine ,,
Luicria , viens Amour , rallumer ton flambeau
AOUST. 1746.
A la flâme vive & fidelle
Que parune ardeur mutuelle
Tu fis naître en mon fein & dans celui d'Iris ;
Puis-je de ce bienfait te mieux payer le prix
L'Amour dans fon Empire
Eft un Dieu bienfaifant ,
Et tout coeur qu'il inſpire
Devient reconnoiflant.
La tendre obéiffance
Qu'exige fon pouvoir,
N'eft que reconnoiffance ,
Et non pas un devoir .
L'Amour dans fon Empire
Eft un Dieubienfaiſant ,
Et tout coeur qu'il infpire
Deviem reconnoiffant..
.
REPONSES aux réflexions fur l'ins
gratitude inférées au Mercure de Jan
vier 1746.
I
A lecture des réflexions de M. de la
Cofte fur l'ingratitude ne peut procu
zei que du plaifir à quiconque aime ce qui
A bien écrit, & qui à des fentimens..
62 MERCURE DE FRANCE.
L'idée qu'il donne de l'ingrat , le portrait
qu'il en fait avec les couleurs les plus vives ,
fes caractéres & les fuites funeftes qu'il at
tribue à ce vice , les comparaifons qu'il en
fait avec d'autres vices notables pour en relever
l'énormité , tout cela écrit avec le feu
qui anime l'efprit & la plume de l'Ecrivain
feroit capable de faire connoître combien il
eft honteux à tout honnête homme d'avoir
un coeur méconnoiffant , & de chaffer ce
monftre de l'univers , s'il étoit poffible de
faire cefler totalement les vices.
Mais une chofe qui m'a frappé en lifant
ces réflexions , c'eft que M. de la Cofte qui
par fon état , fon attachement au Barreau ,
& fon étude desLoix ne doit pas ignorer leurs
difpofitions , ait fauté par deffus , en difant
que les Loix n'ont attaché aucune peine à
l'ingratitude.
Car quoique Grotius ait dit avant lui que
l'on ne doive point punir les vices ou les actions
contraires aux vertus à la pratique defquelles
on ne peut contraindre, & que M.
de la Cofte lui - même ait tiré de-là une raifon
de dire que les Loix n'ont attaché aucune
peine à l'ingratitude , cependant il eft
confent qu'il y a des Loix précifes qui frondent
l'ingratitude , & en font connoître toute
l'horreur.
On fçait que cette mauvaiſe difpofition
AOUST . ST. 1746.
63
du coeur humain eft l'objet de la Loi der
niere fi unquam. Code de revocandis donationibus
, qui permet au Donateur de révo
quer fa donation , fi le Donataire lui a donné
des marques d'ingratitude.
Perfonne n'ignore encore que cette Loi
a été adoptée par notre ufage & par la Ju
rifprudence de tous les Parlemens , en particulier
par celui de Paris , fuivant plufieurs
Arrêts dont l'un des plus célebres eft celui
du 12 Avril 15515 obtenu par le fameux:
Charles du Moulin contre Ferry du Moulin
fon frere.
Le titre de Jure Patronatus nous fournir
encore un exemple que les Loix féviffent
contre les ingrats. A Rome les esclaves
qui étoient convaincus d'ingratitude envers
leurs maîtres , étoient punis de differentes
peines pécuniaires & même corporelles ,
fuivant la gravité du cas.
Or ces Loix devoient moins échaper à
l'attention deM.de laCofte,pour entrer dans
fes preuves , qu'à tout autre , parce qu'ayant
fuccé le lait des Loix Romaines , qui font
celles de font Pays , elles doivent lui être
plus familieres.
n'au
Quelle nouvelle force fes argumens
roient-ils pas tirée de ces Loix , car on peut
dire que l'on ne fçauroit fournir de plus for-
Les preuves de l'atrocité de l'ingratitude ,
}
64 MERCURE DE FRANCE.
puifqu'en permettant à un Donateur de re
tirer fes dons , elles jugent l'ingrat indigne.
de tout bienfait ? elles veulent , contre l'ordre
de l'équité & de la juftice , qu'un Acte .
fait de la libre volonté de l'homme puiffe.
être révoqué par lui-même auffi librement
& impunément , quand même il auroit renoncé
formellement à pouvoir le révoquer...
On va plus loin. On peut même dire a-.
vec fondement que les Loix fur l'ingratitu
de femblent répugner fortement à un grand.
principe de notre Religion , qui veut que la
vengeance ne foit réfervée qu'à Dieu feul,
car la révocation d'une Donation eft une
efpece de vengeance permife en haine de
L'ingratitude.
Quelles épithetes affreuſes ne mérite
donc pas un crime pour la répréhenfion duquel
les Loix permettent de reuverfer l'ordre
! En effet on ne peut rien ajoûter à l'idée
d'un indigne que fuppofe néceffairement
la révocation des donations,& qui en eft le
fondement & le motif.
On donne & on ne fe laffe point de
donner à l'homme reconnoiffant , mais on
ôte à l'ingrat ce qu'il femble avoir , c'eſtà-
dire , l'efperance même d'avoir. Le Sage
nous apprend & l'expérience nous en con--
vainc , que l'efperance de l'ingrat fe fond
comme la glace de l'hyver, & qu'elle s'éAOUST.
1746. 69
Coule comme une eau inutile à tout. Ehr
de combien d'exemples tirés des Livres
Saints ne pourroit-on pas appuyer ce que
l'on avance, & qu'en un million d'occafions
les ingrats ont été punis ?
Dieu même a pris ſouvent foin de venger
les bons coeurs des coeurs ingrats ; un feul
exemple le prouve efficacement , c'eft celui
de Laban peu reconnoiffant des bons fervices
de Jacob , auquel Dieu ordonna de
quitter Laban & de s'en retourner dans fon
pays . J'ai vû , dit Dieu , tout ce que Laban
vous a fait. C'eſt un foudre qui donne
le dernier coup de pinceau au portrait de
Fingrat.
L'Hiftoire de tous les peuples nous prou
ve encore que par tout on punit les ingrats.
quoique diverfement . La plupart des Loix
Civiles ont leur fondement fur l'ingratitu
de ; celles qui permettent , par exemple , les
Exhérédations , les Subftitutions , celles qui
excluent de fucceder l'enfant qui a négligé
de venger la mort de fon pere tué, & c. n'ontelles
pas l'ingratitude pour but , finon exprimé
au moins tacite , & ne tolerent- elles
pas ces chofes pour mettre un frein à cette
paffion , dont il n'y a que des mauvais.
coeurs , des coeurs inflexibles & infenfibles
des coeurs de pierre qui puiffent être fuf
ceptibles , & qui ne peuvent être réprimés
66 MERCURE DE FRANCE.
que par des Loix tonnantes & impératives ,
en un mot que par des coups de foudre ?
M. de la Cofte me répliquera peut - être
qu'il n'a eu en vûe que de décrire l'ingra
titude en général , & de donner une idée de
ceux qui ne reconnoiffent pas les bienfaits ,
les fervices les bons offices qu'ils reçoivent
de leurs amis , & tous les avantages qui
réfultent de la fociété civile:
que
Mais il me femble fa théfe eft prife ,
& foutenue dans un fens trop général , pour
ne pouvoir être envilagée que dans ce feul
point de vue. Il n'a pas fimplement eu pour
objet le défaut de gratitude des bons offices
que les hommes fe rendent tous les
jours , fur quoi il n'y a en effet point de
Loix , mais il a parlé de l'ingratitude fans
reftriction d'aucun cas ; c'eft ce que veut
dire à tous égards cette propofition qu'il n'y
a point de Loi contre les ingrats.
Mon but , après tout , n'eft pas de m'ériger
en critique. J'avoue que mes réflexions
fimples n'auront jamais le fel & la fagacité
de celles deM.de la Cofte ,je foumets
même les miennes à fon jugement , & le
faifant juge de fa propre caufe , mon idée
eft de lui prouver par- là la droiture de mes
intentions. En effet une differtation qui auroit
eu moins de délicateffe que la fienne ,
ne m'auroit pas touché de même , & ne
AOUST. 1746. 67
m'auroit peut-être pas fait naître l'idée d'y
répondre. C'eft une gloire pour les meilleurs
Auteurs d'être critiqués , car le mépris &
l'oubli font le falaire ordinaire des mauyais
Ecrivains qui ne méritent pas d'être admis
dans la République des Lettres. M. de la
Cofte fe dit jeune ; je le fuis peut-être plus
que lui ; fi j'ai moins d'expérience qu'il en
a , je n'ai pas moins d'envie d'apprendre , &
je recevrai avec plaifir & même avec recon
noiffance ce qu'il voudra bien me faire voir
de défectueux dans mon difcours.
D.......... de Montereau on Faut-Tonne
to 1 Mai 1746.
A Madame la Comteſſe D. A... AG.C.
E. F. C. le 1. Janvier 1746.
DEE ce jour de cérémonic ,
Où l'on s'ennuye & l'on ennuye
Par tant de complimens de different aloi ,
vitons , s'il fe peur , la commune folie ,
Mais fuivons la commune Loi.
D'abord, de ces Dieux qu'on fupplic
Deboane ou de mauvaife foi
63 MERCURE DE FRANCE.
Aucun n'aura d'encéns de moi ;
Je ne forme de voeux que pour notre Emilie
De celle de Circy la rivale & l'amie ,
Ainfi je n'implore que toi ,
O puiffe & charmante Higie !
Plus fiere que Pallas , plus belle que Venus , 1
Tu peux feule embellir , Janus ;
Sur ta trace toujours fleurie
Des ris , des tendres jeux , des plaifirs ingenus
Voltige la troupe chérie ;
Tu difparois , ils ne font plus.
Tout languit , l'Amour & Bacchus
Des défirs la fource eft taric ,
On dédaigne même Plutus ;
Hebé n'eft plus fans toi ; qu'une rofe flétrie
Long-tems éclipfée à mes yeux ,
Tu reparois Charmante Higie ;
Je renais ,& pour moi s'ouvrent de nouveaux Ciep
Je ne fens plus des ans le poids injurieux ?
De tous les autres biens je crois te voir fuivie.
Mais quel trouble fufpend dans mon ame ravio
Des tranfports fi délicieux ?
Je te vois divine Emilie ;
Tafouffres ! Je gémis. Je forme encor des voeux
Exauce-les , puiffante Higie
AOUST. 1746 . 69
Et jette un regard gracieux
Sur la Divinité qui préfide en ces lieux.
Ranime fes beaux jours , & veille fur la vie .
Par fon
rang
9.
fes vertus elle reffemble aux Dieux
Faut- il que parfes.maux affreux
Elle puiffe porter envie
tant de vils mortels que tu veux rendre heureux ?
REFLEXIONS MORALES.
Ui n'a plus de defirs eft au deffus des
graces.
Quin
Dieu n'a befoin de foudres , ni de carreaux
pour punir les hommes , il n'a qu'à les abandonner
à eux- mêmes, & à leurs paffions.
c'est le plus grand de tous les fuplices.
Dans la réconciliation des grands l'extérieur
s'accommode , & jamais l'intérieur,
Pour affûrer le bonheur de la vie , il faut
toujours foutenir avec conftance le parti que
l'on a une fois embraffe , quand bien même
il fe trouveroit une apparence de mieux
à le changer.
Les hommes ne vivroient pas long-tems
en fociété s'ils n'étoient la dupe les uns des
autres.
On fait des fautes toute la vie ; tout ce
70 MERCURE DE FRANGE.
peut faire à force de faillir c'eft de
que
l'on
mourir
corrigé
.
On eft bien petit quand on n'a rien de
grand que fa naiffance.
De l'homme du monde le plus entier en
fes volontés une femme fera cependant
tout ce qu'il lui plaira , pourvu qu'elle ait
beaucoup d'esprit , affés de beauté & peu
d'amour.
Pour fe tromper il ne faut qu'être hommais
s'obftiner dans fon erreur ,
pour me ,
il faut être fou.
La vieilleffe eft un tyran qui défend fur
peine de la vie les plaifirs de la jeuneffe ,
Le coeur eft le véritable temple de la Religion
,
Les boureaux nous défont de nos ennemis
, & les Medecins tuent nos meilleurs
Kamis,
Les plus dangereux ennemis à la Cour
font ceux qui tâchent de nous perdre en
nous louant.
Plus nous connoiffons l'infirmité humaine
, plus nous devons être enclins au pardon .
Ignorer les maux de cette vie c'est être
plus fçavant que tous les Docteurs enfemble.
Notre ignorance nous feroit pitié fi notre
vanité ne nous en ôtoit la connoiffance.
Une unité parfaite avec foi-même & une
AOUST. 1746. 71
conftante égalité font au deffus de l'homme.
Les contradictions doivent nous rendre
retenus & moderés ; fouvent on ne nous
contredit que pour nous voir plus à découvert.
Les caractéres empruntés ne réuffiffent
point.
La Cour eft un pays où il faut ufer de
con.repoifon à chaque moment qu'on y
Eue attaché à fes amis eft une qualité
qui uit bien plus à la Cour , que le défaut
de timer perfonne,
left bon de ſe fier aux hommes , mais
le meilleur de s'en défier.
s femmes ne font jamais fi prêtes à
to trahir , que lorfque nous les aimons de
Come foi.
Les femmes le tiennent derriere le rideau
, & cependant elles jouent les principaux
perfonnages dans les Tragédies &
dans les révolutions du monde.
Le Pays du mariage a cela de particulier¸
que les étrangers ont envie de l'habiter , &
les habitans naturels voudroient en être
exilés.
Rien ne fuffit à celui qui ne fe fuffit pas à
lui-même.
Le moïen de pouvoir juger des hommes
fainement feroit de penetrer au dedans
2 MERCURE DE FRANCE.
d'eux ; on y découvriroit quelquefois la ver
tu cachée par la modeftie , mais plus fouvent
le vice fous le manteau de l'hipocrifie.
La pierre éprouve l'or , l'or éprouve
l'homme.
Tout le monde raifonne , & il y a fort
de gens raifonnables.
peu
Il y a autant de differens plaifirs , qu'il y
a de divers tempéramens , mais le fage en
fait la difference , & ne prend jamais le faux
pour le véritable.
La Cour eft un Pays où les joyes font vi
fibles , mais faufles , & les chagrins cachés
mais réels.
Pour parvenir , voici les regles fondamentales
de la Cour ; n'ayez honte de rien,
intriguez - vous dans les affaires de tout le
monde , débufquez qui vous pourrez , reglez
votre haine & votre amitié fur votre profit
, ne donnez jamais qu'à ceux qui vous le
rendent avec ufure , foyez complaifant envers
tout le monde , & ayez toujours deux
cordes à votre arc.
De toutes les folies , la plus dangereufe
& la plus incurable c'eft la paffion de la Cour.
Il faut voir fes amis dans la profperité
lorfqu'ils nous en prient , mais quand la for-.
tune leur eft contraire , & qu'ils font dans
Tadverfité , il faut y courir fans attendre
qu'ils nous appellent,
Si
AOUST. 1746. 73.
Si vous voulez vivre ſelon la nature, vous
ne ferez jamais pauvre , fi vous voulez vivre
felon l'opinion , vous ne ferez jamais riche.
On n'eft point vertueux fans fruir,
La malice , l'amour , & la contradiction
font les alimens naturels des femmes.
La femme eft un animal aimable , mais
de la nature muable.
L'innocence eft louvent plus hardie , que
le vice n'eft
entreprenant.
On eft bien à plaindre , quand on ne
voit les objets qu'au travers le bandeau de
la paffion.
အ
Paris 7 Juillet 1746 .
A Mademoiſelle P
I
SONGE.
A nuit derniere un rêve
Tendrement m'agitoit ;
Lejour vint & mit trêve
A ce qui me flaroit ;
J'aimois , j'étois heureux ,
Je careflois Silvie ;
Vous vous ouvrez mes yeux ;
La belle m'eft ravie .
B
74 MERCURE DE FRANCE,
De la felicité
Le cours eft peu durable
Il ne m'eft rien reſté
Qu'un regret incroyable.
Guillaumei
A Madame R ...
CESSE
AIR.
Philis d'être cruelle
Laffe -toi de me voir fouffrir ;
A quoi te fert d'être fi belle
Si ton Coeur ne fçait s'attendrir
Plus il montre d'indifference ,
Et plus s'accroiflent mes defirs ;
Ah j'efpere que ta clémence ,
Se laffera de mes foupirs .
Par le même;
AOUST.
1745 75
•
LETTRE écrite aux Auteurs du Mer
cure de France.
ESSIEURS , en lifant le Mercure
M de France , premier volume du mois
à
de Juin de cette année j'y trouvai u
ne lettre adreflée à vous , Meffieurs ,
la page 79, dont l'Auteur paroît embaraf
fé d'interprêter les quatrains qu'il vous adreffe
. Il n'y a pourtant rien d'auffi énigmatique
, que dans les vers des Sybilles ou de .
Noftradamus , & fans avoir recours à Rouen
ou a Caen, il eft plus facile de deviner pour
quelle fin ils ont été faits , que le motif par
lequel on a inferé dans un Miffel des vers
d'une compofition , bonne peut-être pour
leur tems , mais trop dure pour des oreilles
auffi délicates que celles de notre fiecle . J'ai
trouvé des vers du même goût & du même
Auteur fans doute , dans des heures imprimées
, non en caractéres gothiques , mais
tels que ceux dont on fe fert aujourd'hui , avec
les lettres initiales & rubriques rouges :
Heures anciennes que l'on pourroit appeller
le Diurnal des Laïques , d'où je conclus que
s'il y avoit quelque utilité d'inferer ces vers
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
"
dans un Miffel , afin que les Eccléfiaftiques
comptans par leurs doigts , trouvaffent plus
facilement le jour auquel devoit tomber chaque
mois la fête des Saints les plus diſtingués
, il étoit bien plus utile de les inferer
dans des heures , afin que ceux qui fcavoient
lire , les appriffent à ceux qui ne le fçavoient
pas.
En voici la clef. Chaque quatrain eft compofé
d'autant de fillabes , que chaque mois
à de jours , & le jour auquel tombe la fête
de quelque Saint notable , eft marqué par
la premiere fyllabe de fon nom , Cela eft aifé
à voir par le feul quatrain du mois de
Mai , où faint Jacques , l'Invention de la
fainte Croix , faint Jean Porte- Latine , &
faint Honoré , font expreffément marqués.
Il faut juger de même des quatrains des
autres mois , fans s'embarrafler du fens qu'ils
peuvent renfermer , & qu'il feroit bien difficile
de trouver dans la plupart. Je fuis furpris
que l'Auteur n'ait trouvé que les quatrains
des mois de Mars , Avril , Mai , Juin
& Juillet dans ce Miffel, Dans les heures
dont j'ai parlé , je n'ai trouvé que ceux de
Juillet , Août , Septembre & Octobre , les
autres feuillets du Calendrier avoient été
dé hirés , je ne fçai pourquoi. Je foupçonne
prurtant que c'étoit à caufe de quelques
diſtiques latins qui renfermoient d'une maAOUST.-
1746.
77
nière trop libre des préceptes de médecine ,
ponr conferver un régime de vie durant le
cours de chaque mois , car on devoit faire
grace aux quatrains pour la rareté de la
pocfie.
Le quatrain de Juiller eft le même que
celui que vous a envoyé l'Auteur de la lettie
; on y voit la tranflation de faint Martin
le 4 du mois , celle de faint Benoît , le
faint Vaaft , fainte Marguerite , fainte
Magdeleine , faint Jacques , les freres dor- II ,
fainte Anne & faint Germain chacun
en leur place. Je n'examine point fi ces
vers font d'un Auteur normand , je m'avoue
même incapable de cet examen. Si
vous le jugez à propos vous infererez dans
votre Mercure la maniere que je vous propofe
d'expliquer ces quatrains , je vous envoye
ceux d'Août , Septembre & O&tobre ,
& ' ai l'honneur d'être.
Voici ceux des douze mois de l'année ,
qui nous ont été envoyés par M. Fauquette,
Expert Ecrivain , penfionné de M. M. les
Magiftrats de la Ville de Lille ; il nous écrit
qu'il les a tirés d'un livre de velin fans
aucune date, intitulé : Heures à l'ufage de
Rome tout au long , fans rien requerir, avec
les figures de l'Apocalypfe & plusieurs autres
Hiftoires.
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
JANVIER
.
En Janvier que les Rois venus font
Glau me dit Bremin morfont
Anthoin boit le jour vin cent foye
Pollus en font tous fes dois .
FEVRIER.
Au Chandelier Agathe beut
Mais levin fi fort les meut
Qu'il tu après daufſi
Pierres Mathias auffi.
MARS.
Aubin dit que Mars eft prilleux
C'est mon faict Gregoir il eſt feux
Et tout prêt à donner des eaux
Marie dit-il eft caux.
AVRIL
En Avril Ambroise vint
Droit à Leon là fe tint
En fon tems étoit en balle
George marchant de godalle.
MAI.
Jacques Croix que Jehan & mog
AOUST.
1746. 79
Nicolas dit il eft vray
Honnorez font faiges & fotz ,
Carmes Auguftins & Bigotz.
JUIN.
En Juing alon bien fouvent
Grant foif ou Barnabe ment
En fon tems fut prins comler res
Damp Jehan Eloy & Damp Pierres.
JUILLET.
En Juillet Martin fe combat
Et du benoitier Saint Vaaſt bať ,
La furvint Marguet Magdelain
Jac Mar Dor Anne & Germain.
AOUST.
Pierres & os on gettoit
Après Laurens qui brutoit
Marie lors fe print à braire
Barthelemy fait Jehan taire.
SEPTEMBRE.
Gilles à ce queje vois
Marie toy fi tu me croix
At prie des nopces Mathiu
D iiij
80 MERCURE DE FRANCE
Son fils Fremin Cofme Micheu.
OCTOBRE.
Remis font Françoys en vigueur
Denis n'en eft point trop affeur
Car Luc eft prifonnier à Han
Crefpin & Symon à Caën.
NOVEMBRE.
Saintz mors font les
gens
bien curez
Com dit Martin Du biez
Auffi faict Porrus de Millan
Clement Catherin & Satan .
DECEMBRE.
Eloy fait Barba Colart
Marie cri e Luce art
Dont en grant ire Thamas meut
De No & Jehan Innocens fut.
'A O UST. 1746.-
REFLEXIONS fur la Profe & les
Vers par rapport à la Tragédie.
I.
Ly a deux fortes de difcours , le diſcours
libre , & le difcours mefuré & rimé . J'appelle
le premier Profe , & le fecond Vers.
Je n'appelle point celui-ci Poëfie . La Poë
fie eft commune d'elle -même à la Profe &
aux Vers. Elle confifte dans le ftyle , au lieu
que la verification ne confifte que dans
l'arrangement méchanique des paroles. Ainfi
la Profe peut être Poëtique , fans ceffer
d'être une véritable Profe , & les Vers peuvent
être Profaïques , fans cefler d'être de
véritables Vers.
II.
Le difcours mesuré & rimé a été princi
palement inventé pour le plaifir de l'oreille.
III.
Ce n'eft pourtant qu'à l'aide d'un peu
d'habitude que l'oreille eft flatée par le difcours
mefure & rimé. Il choque plutôt qu'il
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
x
ne flate l'oreille non encore accoûtumée ;
il fatigue même l'oreille la plus accoûtumée,
pour peu qu'il foit long , quelque parfait
qu'il foit d'ailleurs . C'eft une des raifons qui
engagent les bons Acteurs dans les piéces
de theâtre en Vers, à en marquer rarement
la cadence.
IV.
Mais cette contrainte de la meſure & de
la rime eft un grand obftacle à la perfection
, obftacle qui n'eft jamais continuement
furmonté dans les ouvrages de quelque
étendue ; feconde raifon de dégoût pour
les ouvrages dans les perfonnes d'efprit qui
ne font pas accoutumées aux Vers.
Elles font plus bleffées des endroits où la
difficulté n'eft pas furmontée , que flatées.
de ceux où elle l'eft le plus heureufement .
V.
De la difficulté furmontée il naît un plaifr
pour l'efprit , fenfible fur-tout aux per
fonnes accoûtumées.
V I.
La Profe harmonieufe fait auffi plaifir à
Poreille , plaifir moins vif , mais plus ca
AQUST. 1746.
pable de le foutenir long-tems par fa douceur
& fa varieté. Il en eſt des Vers & de la
Profe pour les oreilles , comme d'un jardin
très- regulier
, & d'une
belle
can belle
d'un beau payfage pour les yeux ,
campagne & le beau payfage plaifent plus à
la longue.
VII.
Dans le difcours mefuré & rimé il eft permis
, pour la commodité , de changer louvent
l'ordre nature des mots & des idees.
· C'est ce qu'on appelle inverſions , tranſpofitions.
VIII.
Ces inverfions donnent quelquefois plus
de grace & de force aux penfées. Par elles
encore les mots fe trouvent arrangés d'une
maniere plus propre à flater l'oreille , &
pour ces raifons la Profe les admet quelque .
fois. Prefque continuelles dans ' es Vers à
caufe de la contrainte de la me ure & de la
rime , elles ne nous bleflent point, elles nous
plaifent même par la force de l'habitude. Ce
qu'on permit avec peine aux premiers Verfificateurs
, eft exprefférent commandé'
à ceux d'ajou : d'hui ; on loue dans les uns
ce qu'on ne fit que pardonner aux autres.
Dvj
84 MERCURE DE FRANCE
IX.
Ces inverfions , les ellipfes , les figures
hardies , &c.... font ce que j'appelle la
Poëfie , commune d'elle- même , comme je
l'ai dit , aux Vers & à la Profe.
X.
On peut traiter en Profe toutes fortes de
fujets , donc on peut écrire Poëtiquement
en Profe. On ne fçauroit prouver par aucune
bonne raifon que le difcours libre ne
puifle être Poëtique , & qu'il ne foit permis
de l'être qu'au difcours mefuré & rimé. C'eſt
uniquement le fujet du diſcours , la matiere
à traiter , qui admet ou rejette la Poefie.
Dire une Profe Poëtique , c'eft allier , ſelon
quelques - uns , des idées contradictoires
qu'on définiffe les mots , & la contradiction
s'évanouira .
XI.
;
De ce qu'on peut traiter tous les fujets en
Profe , il ne s'enfuit pas qu'on puiffe traiter
tous les fujets en Vers. Non-feulement les
Vers n'ont pour aucun fujet de privilége
exclufif , mais ils n'ont de privilége que
AOUST. 1746.
pour un très-petit nombre ; & premierement
le difcours en Vers n'étant pas un difcours
naturel , les Vers ne conviennent
point , lorfqu'il faut parler naturellement.
XII.
2. Pour être inftruit , il faut concevoir
& retenir. Les Vers aident la mémoire ; parlà
ils feroient favorables à l'inftruction
mais d'un autre côté les préceptes particuliers
ne peuvent guéres être expofés en Vers
aflés clairement , pour être conçus facilement
, ni avec affés d'étendue & dans un
affés grand détail , pour rendre l'inftruction
complette.
XIII.
3. Les Vers font encore moins propres à
toucher qu'à inftruire ; le coeur ne veut rien
que de naturel & de fimple . Demofthene &
le P. Bourdaloue euffent moins touché
moins ébranlé en Vers. Ofons- le dire , les
Vers , fur- tout les Vers rimés , n'ont pas
même l'air ferieux . Par confequent ils conviennent
moins que la Profe à la Tragédie ,
dont le but principal eſt de toucher le coeur ,
XIV.
Dans la Tragédie on fait parler des per86
MERCURE FRANCE. DE FR
fonnages. C'eft un dialogue , une fuite de
converfations fur les chofes les plus inté
reflantes pour ces perfonnages. C'eft le développement
de leur coeur , & par confequent
un ouvrage de fentiment , j'en dois
oublier l'Auteur. Mon plaifir eft imparfait ,
ce n'eft pas le plaifir effentiel d'une Tragé
die , si ne va pas jufqu'à l'illufion , mais
par où eft- elle procurée cette douce illufion ?
par la réunion de toutes les convenances ,
tant celles qui frappent les fens , que celles
qui affectent immédiatement l'ame ; convenance
dans la décoration du Théatre , les
habits des Acteurs , leur figure , leur âge ;
convenance dans les penfées , les fentimens ,
le ftyle de leurs difcours . Or n'eft- ce
de ces convenances de les faire parler , à la
vérité ingénieuſement , noblement , parce
qu'ils repréfentent des perfonnages à qui on
fuppofe de l'efprit & de la naiffance , mais
en Profe & non en Vers , parceque ces perfonnages
ne font pas fuppofés Poëtes , du
moins dans l'uſage ordinaire de la vie ?
XV.
pas une
Mais , dit un homme de beaucoup d'ef
prit , les Vers même contribuent à l'illu-
* Feu M. de la Faye de l'Académie Françoife.
་
AOUST. 1746 87
*
20
hon; ils augmentent mon interêt pour les
perfonnages , en me les faifant paroître
plus grands , plus importans. Vous vous
trompez , Monfieur , ce font les Auteurs
des Tragédies qui vous en paroiffent plus
grands , plus importans ; ce font euxfeuls
que vous allez chercher au Théatre
& que vous y voyez . Peut-être y voyez-vous
encore les Acteurs , vous jugez des talens
des uns & des autres , vous les admirez
vous les appréciez. Votre plaifir eft un plaifir
de joye & non d'attendriffement ; le pathétique
ne vous affecte que comme beau ;
vous dites , fans être touché , que tel endroit
eft infiniment touchant. Vous fouriez
à une reconnoiffance comme à un bon mot
vous répetez en vous-même de beaux Vers ,
& moi je pleure , la plus vive inquiétude
m'agite , & je fuis confterné , fi la cataſtrophe
n'eft pas heureuſe pour les perſonnages
quej'aime , je ne vois que Dom Pedre , Inès,
Alphonfe . Je les emporte dans mon coeur
j'y rêve la nuit,je ne penfe que le lendemain.
à M. de la Motte , & lorfque je le vois , je
ne lui dis point , votre Piece m'a paru trèsbien
conduite ; les Vers en font beaux , vous
devez même être content des Acteurs ; mais
;
* Ceci eft relatif au caractére affés connu de
M. de la F. qui aimoit infiniment les Vers,
88 MERCURE DE FRANCE.
je lui dis : jamais je n'ai étéfi intereffé ,
ému ; jamais je n'ai tant pleurê au Théatre,
ni tant vú pleurer , qu'hier au foir , mais ne
pouviez-vous fauver Inès ?
Voilà fans doute les vraies louanges , & la
Tragédie dont je parle les eût également
obtenues , quoiqu'en Profe. Je dis davanta
ge ; elle eût paru plus touchante encore ,
du moins à deux fortes de fpectateurs , les
uns à quilapiece n'a pas parû bien verfifiée ,
car cette peine s'oppofe certainement à l'émotion
& l'affoiblit ; les autres en très- grand
nombre qui font indifferens pour les Vers ,
& qui ne vont au Théatre que pour être intereffés
& touchés . Les Vers répandent
pour eux dans les Tragédies un air
peu naturel
dont je les ai entendu fouvent le plaindre
, mais qu'ils ne fçavent pas toujours à
quoi attribuer. Or il eft certain qu'avec cette
impreffion ils font moins facilement émus .
Heureuſement , à la vérité , ils oublient
dans les endroits les plus intéreffans qu'ils
entendent des Vers : ce n'étoit donc pas la
peine d'en faire.
Σ
AOU'ST . 89 1746.
EEEEEEEEEE
LES OYES ET LES GRUES.
FABLE.
NE Oye ou deux , avec cinq ou fix Grues ,
Paiffoient un jour à côté d'un marais ;
Un Oifeleur les ayant apperçues ,
Vint pour y tendre ſes filets ,
Mais une Grue ayant vû le manége ,
Lefit remarquer à fa foeur ,
Qui jugeant fainement du piége ,
Fit détaler tout le cortège :
Et bien leur prit d'avoir tant de maigreur ,
Car leurs compagnes par trop graſſes ;
Ne pouvant point fuivre leurs traces
Furent prifes par l'Oifeleur.
Ce n'eft pas toujours l'abondance
Qui fait notre félicité :
Moins de bien & plus de prudence ,
On en vit plus en fûreté.
90 MERCURE DE FRANCE.
BOUQUET
A une mere pour le jour de fa fote.
DANS ce jour folemnel¸
Où l'on célebre de MARIE
Le triomphe éternel ,
A vous louer tout me convie.
C'est trop peud'une voix , c'eft trop peu d'une vie,
Pour rendre l'univers témoin
Desvertus qu'à nos yeux vous cachez avec ſoin ;
Je voudrois publier .... mais votre modeſtie :
M'empêche de pouffer plus loin.
Que j'ai de graces à vous rendre ,
Pour les biens que fur moi vous avez fçû répandre Ï
Vous m'avez fait préfent du jour ,
Préfent digne de votre amour,
Préfent plus précieux qu'on ne peut le comprendre ,
Et qui demandé
un femblable retour.
D'une Mufe au berceau que pouvez- vous attendre ?
Et quel préfent fera digne de vous ?
Un refpe&t éternel , l'amitié la plus tendre
AOUST. 1746. 97
Voilà , mere aimable , entre nous ,
Ce que je viens offrir : le refuferez-vous ?
LETTRE écrite aux Auteurs du Mercure
au fujet du proverbe par lequel on
dit: les armes de Bourges , un Ane en
Chaire.
Cette Lettre doit faire d'autant plus de
plaifir à nos Lecteurs , qu'outre qu'on y
trouvera deux origines vrai femblables du
proverbe dont il eft queſtion , on y voit auf
fi regner un tendre amour pour fon pays ,
mais après tout , l'Auteur a-t'il raiſon de fe
fâcher fi férieuſement contre un de fes compatriotes
, qu'il veuille lui difputer fans raifon
l'avantage d'être de Bourges ?
M
ESSIEURS , je n'eus pas plutôt jetté
les yeux
fur la queftion propofée dans
votre Mercure du mois de Fevrier dernier
touchant le proverbe par lequel on dit : les
armes de Bourges , un âne en chaire , que
je me fentis entraîné , malgré la multiplicité
& la gravité de mes occupations , à entre
prendre de répondre à cette queftion . Ce ne
fut point un vain défir de briller qui me mit
ce deffein dans l'efprit ; tous mes conci
92 MERCURE DE FRANCE.
toyens fçavent combien je fuis
peu fufcepti
ble d'un tel foupçon. e n'avois en vue que
de détourner de deffus ma Ville natale les
fades plaifanteries & les applications malignes
qu'enfante journellement
un vieux
proverbe qu'on peut raifonablement
regarder
comme un excrément de l'antiquité Berrichonne.
Je mis donc fubitement la main à la plume
, mais je fentis bientôt qu'il falloit plus
que des raisonnem ens pour détruire le préjugé
vulgaire. Il me parut néceffaire de pénésrer
jufques dans le berceau de ce proverbe ;
mais quelle route tenir ? aucuns monumens
ne conftatent , ni n'indiquent même fa naiffance
; c'eſt , ſans doute , un enfant obſcur
de l'ignorance , adopté par la malice des ennemis
de ma bonne Ville natale. Je me vis
donc réduit à prendre des informations d'une
tradition vague & incertaine ; mais un
peu de reflexion m'apprit auffi -tôt que fila
malignité naturelle à toute l'efpece humaine
avoit befoin de fi peu pour ſe donner
carriere , il falloit au contraire des forces
extraordinaires pour lui arracher un aliment
auffi flateur pour elle , qu'il eft peu folide &
peu raisonnable : qu'imporre , j'aurois franchi
toutes ces difficultés ; il fe préſenta malheureuſement
un autre obftacle ; je craignis ,
Meffieurs , que des raifonnemens faits en
AOUST. 1746. 93
confequence de la tradition , ne vous paruf
fent trop peu
folides & trop peu fatisfailans
pour tenir place dans votre Mercure. Graces
a votre complaitance pour l'Auteur anonime
de la ridicule Hiftoire interée dans votre
premier volume du Mercure de ce mois ,
cet obftacle s'eft diffipé , & la connoiffance
que j'ai de votre judicieuſe impartialité
me fait efperer que vous n'aurez pas moins
de condefcendance pour zéle généreux
d'un bon citoyen , que vous venez d'en
montrer pour le deflein malin d'un faux Ber
richon.
Je pourrois , Meffieurs , vous faire ici
au nom de toute la Ville de Bourges , de juſtes
plaintes fur la façon dont vous avez annoncé
l'Hiftoire en queftion ; il n'est que
trop vifible que la plaifanterie vous a plu ,
mais je regarde le plaifir qu'elle vous a fait ,
comme un furprise contre laquelle aucun
interêt ne vous mettoit en gar
;
r'e.
Je dois d'abord commencer , Meffieurs ,
par affûrer que je fuis très- certainement de
Bourges , & que l'Auteur de la réponſe à la
queftion dont il s'agit n'en eftnullement.
Que je fois de Bourges , j'en donnerai
quand on voudra des preuves fimples & qui
convaincront mieux que tous extraits baptiftaires
& autres certificats .
Que l'Auteur dont il s'agit , n'en foit pas ,
94 MERCURE DE FRANCE.
c'eſt ce qu'il eft inutile de chercher à prouwer
, il n'y a qu'à lire fa production de contrebande
pour en être moralement certain.
En effet quel eft le citoyen affès dénaturé
pour aller prêter gratuitement des armes
àun préjugé qui tend à tourner en ridicule
fa Ville natale : l'Auteur en queſtion
fait encore pis , il rencherit fur toutes les
mauvaiſes plaifanteries : il crée , pour ainfi
dire , un nouveau ridicule , par l'application
qu'il fait à la Ville de Bourges d'un vieux
conte qu'on peut lire en cent endroits differens,&
notamment dans l'Hiftoire de la Baftille
. Faut- il plus que du fens commun pour
voir le contrafte que fait une telle mauvaiſe
foi avec l'affurance que nous donne cet Au
teur qu'il eft de la capitale du Berry ?
Vous fçavez , Meffieurs , combien j'ai
interêt d'expatrier ce mauvais plaifant ; on
ne dit déja que trop de mal de ma pauvre
Ville , fans qu'on ait encore à lui imputer
de produire des enfans ingrats & dénaturés.
Je fuis furieufement piqué con re ce
prétendu concitoyen , mais il me foulage
un peu par une bévue qui fait tomber fur lui
le ridicule dont il prétendoir accabler notre
Capitale. Où a-t'il pris , ce beau conteur
que Henri IV. ait jamais été à Bourges ? il
avoit bien raifon de, nous dire dans fon début
qu'il n'étoit pas fçavant. Mais venons
AOUST.
1746: 9$
aux traditions , puifque vous voulez bien
vous en contenter.
On prétend que Bourges étant un jour af
fiégé par je ne fçais qui ( car je ne veux rien
hazarder de mon chefpour ne pas faire à
mon tour quelque bévue ) le Gouverneur
de la Ville , qu'on nommoit Afinius Pollio ,
chargé d'années & de goute , fe fit porter
dans un fauteuil furles remparts de la Ville :
là du gefte & de la voix , il infpira un tel
courage aux affiégés , que les affiégeans furent
brufquement forcés de lever le fiége.
Le nom d'Afinius que les ennemis chaffés
ou le tems changerent apparemment en celui
d'Afinus , l'utilité de la préſence du Gouverneur
qui valut feul les armes les mieux
trempées ; n'en étoit-ce pas affés pour faire
dire que la défenſe ou les armes de Bourges
avoient été un âne dans un fauteuil, & pour
donner lieu dans la fuite au cours du prover.
be , les armes de Bourges un âne dans un
fauteuil ou en chaire?
Une autre tradition nous apprend que les
habitans de Bourges poffedoient autrefois
une partie du pont d'Orleans , du côté qui
conduit de cette Capitale à celle- ci , & que
fur l'une des arches de cette partie du pont ,
on avoit repréſenté en bas- relief fainte Anne
endoctrinant la fainte Vierge d'un fiége
éminent en forme de chaire , ce qui avoit
96 MERCURE DE FRANCE .
donné lieu par une mauvaiſe prononciation
au proverbe dont il s'agit.
Voilà , Meffieurs , des traditions , qui , fi
elles ne font point déterminantes , ne donnent
du moins aucun ridicule à ma Ville. Je
pourrois ( & c'étoit d'abord mon deffein )
joindre a ceci des reflexions folides qui feroient
voir clairement combien on eft mal
fondé à tirer des inductions malignes d'un
proverbe dont la naiflance doit fe rapporter
au moins au tems où la Capitale du Berry
étoit l'une des Villes les plus floriflantes de
France ; mais je craindrois que trop de longueur
ne me privât du plaifir de voir rendre
public ce foible témoignage de mon zéle &
de ma tendreffe pour le lieu de ma naiſſance.
Je fuis très , & c.
Le 18 Juillet 1746.
妮妮妮妮妮妮妮妮妮妮妮光
SUGGUtUUUUUU
LES CHARMES DU PRINTEMS.
QUEUE de charmes , amis ! tout invite à l'amour.
Le printems fait fentir ſon aimable retour
Et répand par tout l'allégreſſe.
Ala nature qui ſourit
•
La
AOUST. 1746. 97
La raifon applaudit ;
C'eſt le regne de la tendreйe .
Hatons-nous , profitons d'un tems fi précieux ;
Chacun dans les bras de fa belle
Célebre le plus grand des Dieux :
Quand la raiſon n'eft plus rebelle ,
Les plaifirs ici bas font les mêmes qu'aux cieux,
Par M. de la Soriniere.
Si depuis quelque tems nous n'avons pas
inftruit le public des Arrêts remarquables
du Parlement , il n'y a eu aucune négligence
de notre part. Notre filence n'a été causé que
par la rareté des Arrêts intereffans pour
tout le monde. Nous promettons d'être plus
exacts dans la fuite , fi les matieres nous le
permettent.
** ** * *
SUITE des Arrêts notables rendus en
la Grande Chambre du Parlement de Paris .
A Cour par un Arrêt rendu dans le mois
de Juillet dernier & digne d'être remarqué
a profcrit une fraude qui n eft que trop que
E
98 MERCURE DE FRANCE.
ordinaire entre un mari & une femme pour
difpenfer le mari de payer fes dettes . Cette
fraude eft unefeparation de biens que la fem
me fait prononcer clandeftinement contre
fon mari , & une adjudication qu'elle fe
fait faire de ſes meubles & effets , en vertu
de laquelle elle les reclame comme lui appartenans
, lorfque le créancier légitime
veut les faire vendre pour fe procurer fon
payement,
Les faits & la procédure de cette Caufe
étoient qu'un particulier Maître Paveur à
Paris étoit débiteur envers les Sieur &
Dame ... d'un billet de 500
livres
.
Les Sieur & Dame...avoient obtenu contre
lui en l'année 1744 une condamnation aux
Requêtes du Palais où ils ont droit de Committimus,
&en vertu de cette condamnation
ils avoient fait faire à ce particulier un.
Commandement le 30 Septembre 1744 de
payer les 500 livres.
Ce premier Commandement avoit été fuivi
d'un iteratifCommandement tendant à
faifie & exécution des meubles du débiteur
du 15 Décembre fuivant , et lors de cè fecond
Commandement fa femme s'étant retirée
dans fon appartement , & en ayant fermé
la porte avoit repondu en dedans que
font mari iroit voir cette femaine les Seur
& Dame ... & leur p orteroit de l'argent ;
AOUST. 1746.
97
99.
c'eft ce qui étoit prouvé par le procès- verbal
de l'huiffier .
D Les Sieur & Dame . obtinrent le 22
Décembre 1744 une Sentence aux Requêtes
du Palais,par laquelle il fut ordonné que
le débiteur feroit ouverture des portes , finon
qu'elle feroit faite par un Serrurier en
obfervant les formalités prefcrites par l'Ordonnance.
En vertu de cette Sentence il fut fait le
14 Janvier 1745 un autre Commandement
& une faifie & exécution de meubles : on
établit une garnifon , & il fut donné affignation
à ce particulier pour donner bon
olvable gardien.
Tandis que les Sieur & Dame ... faient
ces pourfuites contre le mari , fa femrede
concert avec lui,voulant mettre à couvart
les meubles dont on pourfuivoit la venta
, faiſoit de ſon côté la procédure qui a été
profcrite par l'Arrêt que l'on a annoncé , &
nt il faut faire le détail .
Le 14 Octobre 1744 ( poftérieurement
premier Commandement qui avoit été
ta fon mari ) elle avoit prefenté fa Requê
te à M. le Lieutenant Civil pour qu'il lui fût
permis de faire affigner fon mari , pour voir
re qu'elle feroit féparée de biens d'avec lui,
qu'il feroit condamné à lui rendre fa dot ,
& afin d avoir permiſſion de faire faifir , ga.
SECTOR
E ij
TOO MERCURE DE FRANCE.
ger & arrêter tous meubles , marchandifes
effets à lui appartenans , & elle avoit ob.
tenu au bas de cette Requête une Ordonnance
portant permiffion d'affigner & defaifir
& gager ces meubles,
En confequence de cette Ordonnance
le lendemain elle fit donner affignation à
fon mari , & fit faifir & gager une partie
de fes meubles ; le mari lui- même fut établi
gardien,
Après que cette femme eût fait fon enquête
pour prouver la prétendue diffipation
& la mauvaiſe conduite de fon mari , elle
obtint le 23 Décembre 1744 une Sentence
( par forclufion contre lui ) qui ordonnoit
qu'elle demeureroit feparée de biens , qui
déclaroit la faifie gagerie bonne & valable,
& ordonnoit que les meubles faifis & gagés
feroient vendus,& que les deniers en prove
nans feroient délivrés à la femme .
Cette Sentence fut fignifiée au Procure
du mari le 30 du même mois de Décembre ,
mais ( ce qui formoit une des principales
nullités dans la procédure de la femme )
cette Sentence ne fut point infinuée alors ,
ni fignifiée à la perfonne ou au domicile du
mari.
Cependant la femme lui fit fignifier le ; 1
du même mois de Décembre 1744 que faute
de payement il feroit procedé le 2 Janvier
AOUST. 1746. 101
fuivant au recollement & à la vente des
meubles faifis & gagés .
Il paroifloit une fignification faite le même
jour 31 Décembre par le nommé Dufour
buiffier à plufieurs prétendus créanciers du
mari , & notamment aux Sieur & Dame ...
& à celui qu'ils avoient établi en garnifon
chés leur débiteur lors de leur faifie , & cette
fignification contenoit une dénonciation
de celle faite le même jour au mari avec indication
que la vente des meubles à la requête
de la femme fe feroit le 2 Janvier fuivant,&
fommation de fe trouver pour être
prefens à la vente & adjudication , & pour
déduire leurs caufes & moyens d'oppofition ,
s'ils en avoient aucuns pour empêcher la délivrance
des deniers .
Enfin le 2 Janvier 1745
Janvier 1745 s'étoit faite la
derniere opération pour confommer la fraude
que le débiteur & fa femme vouloient
faire. Il paroifloit un exploit donné au mari ,
Contenant qu'en continuant la faifie gagerie
du 15 Octobre 1744 , & la fignification de
vente du 31 Décembre précedent , il étoit
fait iteratif commandement au mari de
payer les condamnations
; pour fon refus
onavoit fait le recollement des meubles contenus
dans la faifie gagerie.
Mais comme dans cette premiere faifie
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
gagerie on n'avoit pas eu l'attention de comprendre
tous les meubles du mari , lors du
recollement qui s'en fit , il s'en trouva d'autres
en évidence qui furent à l'inftant laifis
& enlevés à l'inftant avec les premiers ; &
le procès-verbal portoit qu'ils avoient été
tranfportés fur le carreau de la halle pour
être vendus par un huiffier prifeur) requis
par le nommé Dufour qui avoit procedé
aux faifies & aux recollemens , & qui ayoit
fait les fignifications précedentes .
Il y avoit enfuite un procès-verbal de vente
de tous les meubles faite à lafemme , au
commencement duquel le nommé Dufour
certifioit fauffen.ent qu'il n'y avoit aucune
oppofition qui pût empêcher la vente , tandis
qu'il prétendoit avoir fignifié lui -même
cette vente à celui que les Sieur & Dame ...
avoient établi en garnifon lors de leur faifie,
dont il n'y avoit point de main - levée. Et
dans cet état la totalité des meubles avoit
été adjugée à la femme moyennant 1675 li
vres i fol.
Alors la femme avoit fait fignifier au
Procureur des Sieur & Dame .... le 14
Fevrier 1745 une oppofition à la faifie exécu
tion & enlevement des meubles de fon mari,
attendu qu'elle étoit féparée par Sentence
du Châtelet , & qu'elle s'étoit renduë adju
AOUST. 1746. 103
dicataire des meubles le 2 Janvier 1745 en
place publique , comme plus offrante &
derniere encheriffeufe .
Les Sieur & Dame ... voyant une pa
reille collufion , préfenterent le 25 du même
mois de Janvier leur Requête aux Requêtes
du Palais, & y firent affigner leur débiteur &
fa femme , pour voir dire qu'ils feroient, en
tant que de befoin,reçus oppofans à l'Ordonnance
du fieur Lieutenant Civil portant permiffion
defaifir & gager les meubles du mari,
à la faifie gagerie qui en avoit été faite , à la
Sentence de féparation & à la vente faire à la
femme de ces mêmes meubles , que toute
cette procédure feroit déclarée nulle , qu'il
feroit fair main- levée de fon oppofition , &
qu'il feroit procedé & paffé outre à leur requête
à la vente de çes meubles , & que le
mari & la femme feroient contraints à les repréſenter.
Les moyens des Sieur & Dame ..
étoient que la Requête que la femme de
Ieur débiteur avoit préfentée au Châtelet
pour avoir permiffion de faire affigner fon
mari, & de faire faifir & gager fes meubles,
étoit poftérieure au premierCommandement
qu'ils lui avoient fait de payer la fomme de
soo livres à eux dûe , & ils montroient parlà
que c'étoit une fraude évidente pratiquée
pour difpenfer le mari de les payer.
E iiij
104 MERCURE DE FRANCE.
A l'égard de la procédure de la femme , it
s'y trouvoit à chaque pas une nullité.
1°. Elle n'avoit aucun titre pour faire fa
faifie gagerie qui eft équivalente à unefaifie
& execution , puifqu'il faut dans l'une comme
dans l'autre un établiſſement de gardien ,
& qu'elle tend à la vente des effets faifis &
gagés . Outre cela la créance de la femme
n'étoit point de chofe liquide & certaine ,
ce qui étoit contraire à l'article 2 du titre des
faifies & exécutions de l'Ordonnance de
1667.
2º. On oppofoit à la femme que la Sentence
de féparation qu'elle avoit obtenue par
forclufion contre fon mari n'avoit point été
infinuée , & qu'elle ne lui avoit point été ſignifiée
à fa perfonne ou domicile, mais feulement
à fon Procureur , ce qui opéroit d'abord
qu'elle n'étoit point devenue publique,
ni connue de fes créanciers par l'infinuation ,
& qu'elle n'étoit point en effet un titre en
vertu duquel on pût faire vendre fes meubles
, parce qu'une Sentence par défaut ne
devient un titre contre quelqu'un que lorfqu'elle
eft fignifiée à fa perfonne ou à fon
domicile.
3. On objectoità la femme comme une
autre nullité évidente , que la plupart des
meubles de fon mari n'ayant point été compris
dans la ſaiſie gagerie qu'elle avoit faiAOUST
1746. 105
Octobre 1744 ,
ils n'avoient été fai te le
fis que le 2 Janvier 1745 , & àl'inftant en- levés & vendus , ce qui étoit abſolument
contraire
à la difpofition
de l'Ordonnance
qui porte art. 12. du titre des faifies & exécu
tions , qu'il y aura au moins huit jours entre
lafaifie & la vente , ce qui eſt établi nonfeulement
en faveur du débiteur
pour lui
donner
le tems de trouver de l'argent
pour
empêcher
que fes meubles ne foient vendus,
mais principalement
pour les créanciers
, afin de leur donner un delai pour former
leur oppoſition
à la diftribution
des deniers .
En vain oppofoit-on de la part de la femme
qu'elle avoit exactement fuivi dans fa
féparation l'ufage du Châtelet , on répondoit
que ce prétendu ufage étoit un abus dès
qu'il n'étoit pas conforme à l'Ordonnance.
Sur ces moyens Sentence les Juiller
1745 , laquelle reçoit les Sieur & Dame ...
oppofans à l'Ordonnance portant permiffion
de faifir & gager du 14 Octobre 1744 ,
à la faifie gagerie faite en confequence , à la
Sentence de féparation & à la vente & adjudication
des meubles aifis & gagés , déclare
à leur égard la procédure nulle ; ordonne
qu'il fera procedé & paflé outre à leur pourfuite
& diligence à la vente des effets faifis
pour être les deniers tenus en Juftice à la
confervation des droits des Parties ; & pour
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
faire droit fur la délivrance d'iceux continue
l'Audience au premier jour.
La femme ayant interjetté appel au Parlement
de cette Sentence , Arrêt eft intervenu
le 13 Juillet 1746 par lequel elle a
été confirmée avec amende & dépens.
XCALOID AIONADTOWN DEAD DEADEDED HADDENET:
CHANSON.
Sur l'air : Quand le péril eft agréable.
DE L'OPERA D'ATIS.
ALA Cour pays d'esclavage
Où l'on vend trop cher les faveurs ,
Connoiffant fes dehors trompeurs,
Je ne rends plus hommage ,
Ennemi de tout faux langage ,
De la baffeffe & de l'orgueil ,
Je n'apperçois dans cet écueil
Que gens qui font naufrage.
Dans une demeure champêtre ,
Où brillent la Nature & l'Art ,
AOUST.
107 1746.
Qu'on eft heureux d'être à l'écart ,
Et de fe fentir maître !
Ainfi vont les jours de ma vie,
Dans une douce oifiveté ,
Jouiffant de ma liberté ,
Et careffant Silvie.
REPONSE DE SILVIE.
Libre de crainte & d'efperance ,
Gardant pour les Dieux votre encens ,
Vous regnez au ſein des talens
Par votre indépendance.
Loin de tout brillant eſclavage ;
Et des idoles de l'erreur ,
Vous fçavez placer le bonheur
Dans les plaifirs du fage.
Soumis à la Philofophie ,
Votre ame eſt ſans ambition ,
Pour moi, de cette paffion ,
Je ne fuis point guérie.
Mon coeur eft trop de la partie ,
Et je ne puis m'en détacher ,
C'est toujours de vous voir aimer
Votre tendre Silvie.
40
508 MERCURE DE FRANCE
Je jure à la belle Silvie
De l'aimer toujours tendrement ;
Du coeur part cet engagement
Qui conftamment me lie.
Le fentiment de la Nature ,
Eft le premier chés les humains ,
La plus part des autres font vains ,
Et fouvent impofture.
TRADUCTION DE L'ODE VIIc .
DU II. LIVRE D'HORACE.
AD LICINIUM.
Rectius vives , Licini , neque altum , &c.
EN pleine mer redoute le naufrage :
Crains les écueils trop proches du rivage ,
Si tu veux , cher ami , couler des jours heureux :
Trop s'expofer ou manquer de courage ,
Ces deux excès pour l'homme fage
Sont également dangereux.
Quiconque fçait fe plaire
AOUST. 104 1746 .
Dans l'état précieux de médiocrité ,
A l'abri des mépris qu'infpire la mifere ,
Et des traits que redoute une richeſſe altiere ;
Il trouve la félicité .
Le Pin dont l'orgueilleufe tête
S'éleve jufqu'aux Cieux ,
Eft fouvent agité par les vents furieux :
La fuperbe Tour dont le faîte
Se dérobe à nos yeux ,
Effraye par fa chûte , & fe réduit en poudre :
Et les Monts fourcilleux
Sont frappés de la foudre.
Quand on veut rappeller fa raiſon au ſecours,
On fe foumet à tout ce que le Ciel ordonne ;
Dans l'adverſe fortune on efpere toujours ,
Et l'on craint toujours dans la bonne."
Rien n'eft ſtable ici - bas : chaque choſe a ſon cours :
Ce cours univerfel par tout nous environne.
L'Eté fait le Printemps, l'Hyver chaffe l'Automne
Et les obfcures nuits font place à de beaux jours.
La fortune de même en fa rapide courſe ,
A fon gré nous entraîne & change nos deftins ;
Et nos plus grands chagrins
Ne font point fans reflource,
Quelquefois Apollon réveille les accords
10 MERCURE DE FRANCE:
D'une Muſe endormie ,
Et quelquefois une yerve ennemie
Réfifte à nos efforts.
Si tu te vois menacé de l'orage ,
Ami , ne porte poinr ta douleur à l'excès ↓
C'eft alors que tu dois ranimer ton courage :
Mais file bon vent fouffle , également fois fage ,.
Et ne te laiſſe point enfler d'un bon ſuccès.
1
XXX*XXX XXXXX
TRADUCTION DE L'ODE XVe.
DU ME ME LIVRE.
Non ebur , neque aureum , &c.
JE ne repofe point fous de riches lambris
L'or, le marbre & le bronze ornés par la fculpture ;
Ne brillent point dans mon logis ,
Et fes dehors ne font point embellis
D'une fuperbe architecture.
Content d'un habit fimple & d'un humble réduit ;
En meubles , vêtemens , bâtimens , équipages
Cent ouvriers ne font point à mes gages
AOUST .
1746. 1
Occupés jour & nuit.
Parl'injuftice & la baſſeſſe
Je n'ai point recherché l'opulence d'un Roi ,
Mais un coeur franc & de la bonne foi
Font toute ma richeffe :
Pour ce feul bien qu'il trouve en moi ,
Tout pauvre que jefuis , le riche me careffe.
Sans fatiguer le Ciel par des voeux fuperflus ,
Ni pouffer près des Grands une plainte importune ,
Je fcais me contenter de quelque revenus ,
Et je jouis de toute la fortune .
Les jours font détruit par les jours i
Leur nombre qui fe multiplie
Forme les mois , les ans , & leur rapide cours
A bien-tôt entraîné celui de notre vie.
Pourquoi donc à grands frais
Faire élever ces fuperbes palais ,
Pour fi peu de tems qui te refte ?
La terre femble encore trop petite pour toi ,
Homme infenfé ! Leveles yeux , & voi ;
Lis ton arrêt funefte.
Eh ! que te fert d'agrandir ton terrain
Par la fraude & la violence ,
Et de bâtir ton opulence
12 MERCURE DE FRANCE.
Sur la ruine d'un voisin ?
Ne fcais-tu pas qu'il faut que l'homme meure,
Que c'eft de la rerre qu'il fort ,
Qu'ildoit y rentrer par la mort ,
Et qu'il n'a point de plus fûre demeure ?
Faut- il tant de maiſons , de terres à la fois ,
Pour loger un feul homme , & qui touche à fon
terme ?
Loriqu'un fi court efpace également renferme
Lepauvre & les enfans des Rois ?
Si de cette loi redoutable ,
A force de tréfors , on pouvoit s'affranchir i
Mais la Parque eft inexorable ;
Créfus & tout fon or ne purent la fléchir .
Elle vient foulager le pauvre en fa mifere ,
Mais fouvent il l'appelle en vain à fon fecours ,
Et fans égard à fa priére ,
Du riche elle tranche les jours.
AOUST. 1746. 11
NOUVELLES LITTERAIRES
DES BEAUX ARTS , &c.
N vient d'imprimer un ouvrage qui a
pour titre les Beaux Arts réduits à um
même principe. Ce principe eft l'imitation de
la belle Nature. Cet ouvrage eft divifé en
trois parties dans la premiere l'Auteur
prouve 1 °. que le Génie , qui eft le pere des
Arts ne peut créer qu'en imitant , que les
Arts ne font que des imitations , des images,
des phantômes qui paroiffent-être réels &
qui ne le font point. 2° Que ces imitations
ne doivent point être ferviles , c'est- à-dire ,
repréfenter fcrupuleufement la Nature telle
qu'elle eft , telle qu'on la voit ordinairement
, mais telle qu'elle peut être & qu'on
peut la concevoir par l'efprit. 3. Il expofe
l'état dans lequel doit être le Génie
imiter de la forte, Cet état s'appelle enthoufiafme
; il le définit , il en montre les fonctions.
Jufques-là tout ce qu'on dit eft com .
mun à tous lesArts.On marque enfuite leurs
differences propres qui les caractériſent.
Tous les arts font une imitation de la belle
pour
114 MERCURE DE FRANCE.
Nature , mais cette imitation eft exprimée
par les couleurs , fi c'eft la peinture qui imite
, par le relief , fi c'eft la Sculpture , par les
attitudes , fi c'eft la Danfe , par les fons inarticulés
, fi c'eft la Mufique,enfin par la parole,
fi c'ett la Poefie. D'où il eft aifé de tirer des
définitions des Arts qui foient claires & précifes.
La feconde partie eft fur le goût qui eft
le juge & l'arbitre des Arts. On le fait d'abord
connoître : c'eft un fentiment du bon
ou du mauvais . Il nous eft naturel ; c'eft une
faculté qui nous eft néceffaire pour notre
confervation , fon objet ne peut être que la
Nature , & fi les Arts peuvent l'être, ce n'eft
qu'en fe mettant eux- mêmes â la place de la
Nature en tâchant de lui reflen bler. Cette
vérité eft prouvée par des raifonnemens & -
par l'hiſtoire même du goût. Enfuite ce même
goût eft porté au milieu des Arts comme
un Légiflateur fouverain . Sa premiere
loi eft , que la belle Nature foit imitée. La
feconde , qu'elle fait bien imitée . Ces deux
foix font développées . L'Auteur fait voir
qu'elles contiennent toutes les autres, & même
les regles particulieres qui doivent fortir
de chaque fujet felon fon genre & fon caractére.
De ces principes on tire quatre conféquences
importantes. La rere. Qu'il n'y a
qu'un bon goût en général , & qu'il peut y
AOUST. 1746.
en avoir plufieurs en particulier. Ce paradoxe
eft expliqué. La 2c. Qu'on doit juger
des ouvrages de l'art par comparaiſon. Laze..
Que le goût s'étend à tout. La 4e . Qu'on devroit
fonger à former le goût de bonne heu
re , & comment on devroit le former. Ces
quatre conféquences font exposées chacune
dans un chapitre ſeparé.
,
La troifiéme Partie eft une application du
principe général qui embraffe tous les Arts ,
aux differentes efpeces. Toutes les regles
font rappellées à ce point commun. Celles
de la Poëfie , les générales & les particulieres.
Celles de l'Epopée , de la Tragédie
de la Comédie , de la Paftorale de l'Apologue
, de la Poëfie Lyrique. Celles de
la Peinture , celles de la Mufique & de
la Danfe. Ce qui met à portée de juger
avec plus de certitude & de facilité des ou
vrages de l'Art, en y appliquant fur le champ
un principe aifé que chacun a en foi même ,
& dont la vérité & l'étendue , ayant été une
fois rendue ſenſibles,augmentent la confiance
de ceux qui veulent juger , & diminuent
en même tems le danger de fe tromper. Ce
livre fe vend chés Durand , Libraire , ruë
faint Jacques.
EXPERIENCES & démonstrations
faites à l'Hôpital de la Salpétriere &
àSaint Côme , en présence de l'Académie
A16 MERCURE DE FRANCE.
Royale de Chirurgie , pour fervir defuite &
de preuves à l'effai fur les maladies des
dents , &c.
อน Et une Pharmacie Odontalgique , ou
traité des médicamens fimples & compofés
propres aux maladies des dents , & des
differentes parties de la bouche , à l'ufage
des Dentiftes , par M. Bunon , Chirurgien
Dentiste à Paris , chés Briaſſon , rue S. Jacques
, Chaubert , Quai des Auguſtins , & la
veuve Pilot , à la defcente du Pont- Neuf.
L'objet de l'Auteur de cet ouvrage eft non
feulement de confirmer & de juftifier tous
les faits établis dans fon effai , mais de le
rendre encore plus utile en appliquant l'expérience
à la théorie, & prouver que c'étoit à
tort, (quequoi qu'on eût eftimé & loué publiquement
ce livre) qu'on le regardoit comme
un ouvrage de fpéculation , d'imagination,de
réflexion , enfin comme une production pu
rement de cabinet ; ce fut pour détruire les
doutes que lui marquerent plufieurs maîtres
de l'Art dans la communication de fon manufcrit
, ou en prévenir d'autres que M. Bunon
offrit au Chef de la Chirurgie de mettre
en évidence les principes établis dans cet effai,
ce qui ayant été accepté, même exigé par
M. de la Peyronye , à qui ces ouvrages font
dédiés , a donné lieu aux expériences & démonftrations
mentionnées dans ce dernier
AOUST. 1746. 117
L'Auteur yappuye ces obfervations d'exemples
relatifs & les plus recens qu'il a choifis
parmi ceux qu'il fe propofe de publier dans
un ouvrage qui fuivra de près celui dont
nous faifons ici mention ; ces exemples font
des années 1744. 4´ . & 1746 , & à la
connoiffance de Medecins & Chirurgiens
célebres ; ces expériences & la Pharmacie
odontalgique font précedées d'un difcours
en forme d'avant-propos , divifé en huit Paragraphes
, on peut le regarder proprement
comme l'hiftoire des deux ouvrages , on y
voit jufqu'où peut aller l'ambition des dé
couvertes , & la marche d'un obfervateur opiniâtre
livré à cette louable & utile paſſion:
fans nous attacher à fuivre pas à pas M. Bunon
, nous obferverons qu'on trouve dans
fon livre de nouvelles obfervations très-utiles
fur l'érofion,& fur le nom qu'on lui donne
, auffi les commiffaires ont ils rendu un
témoignage très - avantageux à M. Bunon . Ils
reconnoiffent. que » l'érofion eft une des maladies
les plus communes qui furviennent
» aux dents dès l'enfance , qu'autant l'impref
» fion qu'elle fait fur les dents faute aux
» yeux , quand elles font dehors , autant la
caufe qui la produit étoit ignorée avant les
» recherches de l'Auteur , puifqu'aucun
» Dentifte n'en avoit parlé avant lui , &
que Fauchard s'eft contenté de l'effleurer,
ور
18 MERCURE DE FRANCE.
» On a reconnu , difent-ils , dans differens
Hôpitaux & à nombre de fujets , l'éroſion
imprimée fur des dents qui n'avoient pas
» encore vû le jour , & qu'on n'a pour ainſi
» dire déchâtoné que pour voir avec étonnement
la jufteffe & la ſolidité du prognoftique
qui l'avoit annoncé ».
L'Auteur traite fçavamment des taches de
carie & de la carie formée,des accidents qui
s'eufuivent quand les dents qui en font atteintes
ne font pas fecourues à propos , foit
par la lime ,foit par le plomb, & plufieurs e
xemples qui prouvent l'abus des effences en
vûe de faire mourir les nerfs des dents
il n'oublie pas les progreffions tartreuſes ··
& les differens effets que le tartre produit
, les difpofitions au mauvais arrangement
des dents , &c. fes effets , ceux de l'inégalité,
avec des exemples, enfin les effets
la plethore & la cacochimie produifent lur
la qualité de la matiere des dents. La brieveté
de notre recueil ne nous permet pas de
nous étendre fur le détail des expériences
faites par M. Bunon , mais il eft de notre devoir
de rendre compte de la déclaration.
qu'il fait dans un avertiffement qui eft à la
tête de fon ouvrage , » fi quelqu'un peut ,
» dit - il , découvrir quelques ouvrages de
» Médecine ou de Chirurgie , en quelque
Langue que ce foit , où il fe trouve aucun
و د
que
AOUST
1746. TIS
39
eftige de ce que j'ofe appeller avec fonement
le feul fruit de mon expérience &
» de nes travaux , je le fomme authentique-
» ment de dénoncer le plagiat , & pour pouf
›› fer la confiance encore plus loin , je proinets
de récompenfer leurs foins fuivant
" mon pouvoir , & le mérite de la décou
» verte , s'ils en font aucune ; par toutes les
» demonſtrations & les détails que l'on
vient de voir continue l'Auteur ,je crois
savoir prouvé que l'objet important que
»porte le titre de mon effai eft rempli , &
» que je n'ai rien exageré en y
faifant en-
و د
31 ger des moyens fürs de conferver les
de its» . Il eft à croire que perfonne ne répondra
à M. Bunon que par les éloges
que méritent fon expérience & les utiles
découvertes. On ne peut trop exhorter tous
les Artiftes à joindre la fpéculation à la
prodque ; la théorie ne fait que des aveuy's
quand elle eft feule , mais l'expérience
foule dénuée du ſecours de la théorie
ne foit que des ignorans ; on ne peut trop
loue. ceux qui comme M. Bunon cher
chent a approfondir les principes de leur
Art.
La Pharmacie odontalgique , ou traité
des médicamens, & c. contient cinq chapitres.
Les médicamens y font divifés en fimples
& en compofés , leurs propriétés font décri
120 MERCURE DE FRANCE.
tes méthodiquement ainfi que leurs vertus ,
& les degrés de leurs qualités spécifiques ; le
dernier chapitre eft formé d'un choix de ..
recettes ou compofitions.
TRAITE DU NAVIRE , de fa conf
truction & de fes mouvemens . Par M. Bouguer
, de l'Académie Royale des Siences
ci-devant Hydrographe du Roi au Port de
Croific & au Havre de Grace , à Paris , chés
Jombert , Libraire , Quai des Auguftins , à
Image Notre-Dame.
Si les Romains qui ne voyageoient que
le long des côtes étoient affés étonnés du
courage des navigateurs , pour qu'Horace
ait dit.
Olli robur & as triplex
Cinapectus erat , primus qui fragilem truci
Commifit pelago ratem.
Que ne diroit-il pas aujourd'hui de nos
voyages de long cours , avec quel étonne..
ment ne verroit- il pas les progrès qu'à faits
l'art de la manoeuvre des Vaiffeaux. Cet art
en fait & en fera encore tous les jours d'e
nouveaux. Le docte donne auouvrage
que
jourd'hui M. Bouguer fera toujours compté
parmi les plus confidérables.
L'Auteur
AOUST. 1746. 127 .
L'Auteur après avoir expliqué toutes les
pratiques qui font en ufagepourformer toutes
les parties du Vaiffeau & en conduire les
courbures , vient à des théories plus profon
des ; il fe repréfente le Vaiffeau dans les
deux divers états ou nous le voyons ordinairement.
Le Navire eft d'abord cenfé en repos;
il flote, mais il ne fingle pas ; il eſt à
l'ancre dans une rade & expoſé , fi on le
veut , à la violence d'une Mer agitée . Cet
état donne lieu à d'autant plus de differentes
recherches , qu'il faut regler non-feulement
le poids du Navire , mais auffi fa diftribution.
On examine. 1 ° Si la pefanteur du
Vaiffeau n'eſt pas trop grande , & fi- elle
répondra exactement à l'efpace que la carène
doit occuper dans la Mer. On diſcute en
même tems plufieurs queſtions qui tiennent
à cette matiere & dont la folution , comme
celle du jaugeage , eft utile à la Marine.
2 °. On examine file centre de gravité
ou le point dans lequel fe réunit toute la
pefanteur du Vaiſſeau , n'eſt pas trop
élevé.
La hauteur de ce point ne doit pas paffer certaine
limite , autrement le Navire ſe trouvant
fans affiette , verferoit fur le champ &
même dans le Port. 3 ° . Quoique toutes ces
chofes ayent été bien réglées , il faut enco
re faire attention à la diftribution des parties
legeres ou pefantes , ou à leur diſtance
F
22 MERCURE DE FRANCE
3
au centre de gravité . Il eft vrai que cette
differente difpofition du poids ne change
rien dans l'enfoncement de la carène , &
n'empêche pas que le Navire ne foit fujet à
la même inclinaifon , lorfqu'une force étrangere
le pouffe actuellement de côté
mais cette circonftance fait preſque tout à
la violence des balancemens qu'on nomme
roulis balancemens ue le Navire contrac
te dans le tems mêm qu'il eft à l'ancre , &
qui le font quelquefois paroître un Vailleau
tout different. La diftribution de la charge
à ce dernier égard fait le fujet de la troific
me & derniere Section du fecond Livre.
On fuppofe enfuite que le Vailleau eft
en mouvement , & comme cette matiere
eft très étendue , on l'a partagée en cinq Sections.
On développe dans la premiere les loix
que les fluides oblervent dans leur choc ; le
vent en frappant les voiles , & l'eau en rencontrant
la proue . On enfeigne des moyens
tant géométriques que méchaniques de déterminer
la grandeur de ces impulfions,
Lorfqu'on nous propofera un Vaiffeau ou
feulement un Plan exact qui les repréfente ,
nous pourrons toujours déformais décou
vrir avec facilité combien la faillie ou la
convexité de fa proue rend l'impulfion de
l'eau moindre que fi la proue étoit terminée
par un plan vertical, On apprendra par ces
AOUST. 1746. 123
fi
méthodes que certaines prouës rendent le
choc de l'eau à 6 fois plus petit que
S
l'eau frappoit un plan vertical , ou le plan
même du maître gabari : au lieu que dans
d'autres Navires le choc de l'eau eft fimplement
diminué deux ou trois fois On pourra
à l'aide d'un pareil examen choisir d'une
maniere fûre entre divers projets propofés
par divers Conft ucteurs , & d'ailleurs il ne
fera jamais néceffaire de pouffer la difcuffion
fort loin. Il fuffira fouvent de comparer les
Vaiffeaux dans un feul cas , parce que , com
me on le fait voit dans les derniers Chapi
tres de cette premiere Section , les impul
fons de l'eau fur la proue font toujours foumifes
à des loix connues & très-fimples ,
malgré la diverfité des routes.
Une des utilités qu'ont les théories établies
dans la premiere Section , c'eft que dans
la feconde elles conduitent à la folution
générale des principaux problêmes de Manoeuvre.
On avoit cru depuis que M. Bernouilli
avoit découvert les vrais principes
dans cette matiere , qu'il n'étoit pas poffi
b'e de réfoudre ces problêmes d'une manie
re univerfelle, & qu'il falloit néceſſairement
tenter des folutions particulieres & nouvelles
pour chaque Navire , mais on ramene ici
certe partie de la Manoeuvre à la premiere
fimplicité , où M. Renau n'avoit cru la met-
Fij
24 MERCURE DE FRANCE.
tre que parce qu'il fe trompoit. Cependant
on fait entrer une nouvelle confidération qui
avoit toujours été négligée . On cherche le
rapport de la viteffe du Navire à celle du
vent, & on découvre que dans les cas les plus
favorables, l'une eft à peu près le quart ou le
tiers de l'autre . Ainfi les Mathématiciens qui
avoient travaillé fur ce fujet n'étoient nullement
fondés à regarder une des deux vîteffes
comme infinie par raport à l'autre. Le
Navire en finglant avec rappidité & en fuyant
pour ainfi dire le vent , évite une partie
confidérable de fon impulfion , fouvent plus
de la moitié. Or il n'en faut pas davantage
pour rendre défectueuse la plupart des regles
de Manoeuvre qu'on nous avoit données
jufqu'à préfent , dans lesquelles on n'avoit
point eu cette attention."
Sans nous attacher à fuivre M. Bouguer
dans la route épineufe & fçavante qu'il s'eft
tracée , finiflons en remarquant ce qu'il dit
au fujet de la mâture. Il montre que chaque
Navire exige une certaine difpofition de
mâts & de vergues qui eft la meilleure à fon
égard . On pourra fouvent, en obfervant ces
nouvelles regles , tirer parti du plus manvais
woffier , en lui trouvant des qualités qu'on ne
lui connoiffoit pas. On ne fe borne pas à cette
feule recherche on examine toutes les
Conditions qui rendent le Vaiffeau plus pro
AOUST. 1746. 1-17
pre à recevoir une mâture avantageufe , &
cet examen fait découvrir d'une maniere na
turelle la forme du premier gabari , ou la fi
gure qu'il faut donner à la carène dans le
fens de fa largeur.
Quoique nous fentions bien que notre fuf
frage eft de peu de poids de poids , nous dirons avec
confiance d'après de plus habiles que nous
que ceLivre fait honneur à la France,à l'Auteur,
& à la Géométrie dont les tranſcendan→
tes fpéculations font ici employées à un uſageutile.
M. DELAPLACE a donné le 4e. vo
lume du Théâtre Anglois ; nous en rendrons
inceffamment un compte plus détaillé , en
attendant nous nous contenterons de dire
qu'on trouve dans ce volume les dernieres
Pieces de Sakefpéar ou traduites ou extrartes
, & que ce volume répond à la réputation
méritée des trois premiers.
4
gneur
POESIES diverfes dédiées à Monfeile
DAUPHIN par M. de Bologne,
de l'Amérique , affocié à l'Académie Royale
des : Belles Lettres de la Rochelle , Paris in
12 1746. chés lesfreres Guerin,prix 1 l.iff
Nous ne faifons qu'annoncer ce Livre dont
nous parlerons le mois fuivant ainfi que de
plufieurs autres dont nous allons en atten
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
dant donner les titres pour fatisfaire l'impatience
du public & des Auteurs..
LA VIE du vénérable Pere Jean de Brito
de la Compagnie de Jefus , mis à mort dans
le Maduré, en haine de la foi, compofée par
le Pere de Beauvais , de la Compagnie de
Jefus , dédiée à Monfeigneur le DAUPHIN ,
Faris 1746. in 12. chès Giffey & Bordelet ,
prix 2 liv. relié.
On voit dans cet ouvrage l'Hiftoire édi
fiante d'un Miffionnaire plein de zéle , qui
s'eft facrifié pour le falut des ames ; on fçait
combien la Compagnie de Jefus a produit
de Heros en ce genre..
INSTITUTIONS DE GEOMETRIE , enrichies
de notes critiques & philofophiques fur la
nature & les développemens de l'efprit hu
main , avec un difcours fur l'étude des Mathématiques
, où l'on effaye d'établir que les
enfans font capables de s'y appliquer , au
gmenté d'une réponse aux objections qu'on
y a faites. Ouvrage utile non-feulement à
ceux qui veulent apprendre ou enfeigner les
Mathématiques par la voye la plus naturelle
, mais encore à toutes les perſonnes qui
font chargées de quelque éducation , par M..
de la Chapelle , Paris ,in 89 2 vol. 1746. chés
AOUST. 1746. 127
de Bure l'aîné , Quai des Auguftins , & Pierre-
Guillaume Simon rue de la Harpe.
LETTRES SPIRITUELLES de MeffireJac
ques- Benigne Bouet , Evêque de Meaux
à une de fes Pénitentes , Paris. 1746. in 12
chér Defaint & Saillant , rue S. Jean de
Beauvais .
Le feul nom de l'illuftre Auteur fuffit pour
rendre recommandable cet ouvrage fur le
quel nous n'avons pas encore eule tems de
jetter les yeux.
ENTRETIENS avec JESUS- CHRIST dans
le très-faint Sacrement de l'Autel , contenant
divers exercices de piété pour honorer
ce divin Myftere & pour s'en approcher di
gilement. Par un Religieux Bénédictin de la
Congrégation de S. Maur , nouvelle édition
plus correcte & plus ample que les précedentes
. Paris 1746 , chés Jacques Vincent ,
rue S. Severin. On a oublié de marquer le
prix du Livre , ce qui eft plus néceſſaire encore
aux livres de ce genre , parce qu'ils font
d'an ufage plus général .
CAII VELLEI PATERCULI Hiftoria Ro
mana libri duo accurante Stephano Andrea
Philippe , Lutetia Parifiorum , fumptibus
Mich. Steph. David 1746. in 24..
Fiiij ,
28 MERCURE DE FRANCE.
Cette édition eft des mêmes forme , pa
pier & caracteres que les éditions de Salufte
& de Cornelius Nepos que M. David a déja
donnés. Ainfi les fuffrages que les premieres
ont obtenues font l'éloge de celleci
; elle eft en effet fort bien exécutée . Mi
Philippe , dont les ta ens font connus a préfidé
à l'édition ; nous avons vû avec plaifir
qu'il l'a ornée d'un détail chronologique fur
la vie de Velleius , & d'unr index géographique
qui épargne la peine de recourir en lifant
le livre aux Dictionaires quelquefois
fautifs. Cet index eft fuivi d'un catalogue
de toutes les éditions qui ont été faites de
Paterculus. Nous ne pouvons qu'applaudir
à ce foin. Si toutes les éditions des Auteurs
étoient enrichies d'une pareille note, on auroit
l'Hiftoire de l'Imprimerie dans le meil
lenr ordre qu'elle puifle être.
M. David a eu l'attention de tirer pour
les. curieux un petit nombre d'exemplaires
des trois Auteurs fufdits en très- beau papier
de Hollande.
LA VIE DE PROPERCE , Chevalier
Romain, & la traduction en profe & en vers
françois de ce qu'il y a de plus intereffant
dans fes Poëfies , avec des remarques &
'Hitoire des principaux événemens de fon
fiecle qui ont rapport à fes ouvrages . Par
AOUST. 1746 . 129
M. Gillet de Moyvre Paris 1746 , in 12..
chés André Cailleau , rue S. Jacques.
On trouve chés le même Libraire l'Architecture
des voutes , ou l'art des traits & cou.
pes des voutes par le Pere Durand , Jeluite
Nouvelle édition corrigée,avec toutes les figures
- gravées en taille-douce,in folio 24 liv.
NOUVEAU VOYAGE fait au Levant
ès année; 1731 & 1732 , par M. Tollot , in
12 , prix 2. livres.
ABREGE du méchanifme univerfel en
difcours & queſtions phyfiques, par M. Mo
rin , in 12. avec figures , prix 3 , liv.
HISTOIRE DU THEATRE FRANCOIS , depuis
fon origine jufqu'à préfent , avec la viedes
plus célebres Poetes Dramatiques , un
catalogue exact de leurs pieces & des notes
historiques & critiques , tome feprieme,Paris
1746 , in 12. chés le Mercier , rue S
Jacques, & Saillant rue S. Jean de Beauvais.
Nous avons dé a parlé des fix premiers vo❤
Lumes de cet ouvrage , & nous rendrons
compte inceffamment de ce feptieme volu
ne : n- attendant il faut rendre ruftice à la
diligence & à l'exactitude des Auteurs qui
Fv
130 MERCURE DE FRANCE..
rempliffent fi bien les engagemens qu'ils ont
pris avec le public.
RECUEIL de plufieurs piéces d'éloquence
& de poefie préfentées à l'Académie des
Jeux Floraux , avec les difcours prononcés
dans les Affemblées publiques de l'Académie ..
Ce livre eft imprimé à Toulouſe , mais on a
oublié de marquer au frontifpice où il fe
vend à Paris ..
REMARQUES fur Ciceron par M. le Pré--
fident Boubier , de l'Académie Françoiſe
nouvelle édition , Paris 1746,in 12. chès la
veuve Gandouin , Quai des Auguftins.
M. Dérnis qui a déja dônné une table eftimée
qui fait connoître la valeur relative des .
elpeces en France depuis Charlemagne
jufqu'au regne du Roi , vient de donner un «
nouvel ouvrage de ce genre , intitulé TABLEAU
fur les changes entre la France & les
principales Villes de l'Europe , calculésfur
les prix de l'argent monnoyé , depuis 27 liv.
le marc jusqu'à 50 , & par lequel on peut
voir en tout temsfila France eft créanciere
des autres Etats , ou fi au contraire ces Etats
font créanciers de la France ; il fe vend chés
le fieur Beaumont , fur le Pont Notre-DaAOUST.
1746. 131
me, au Griffon d'or , & chés l'Auteur à
l'Hôtel de la Compagnie des Indes.
II
L'écu de 8 au marc fabriqué en 1641 .
12
atoujours fervi de fondement pour les changes
entre la France & les principales Villes de
FEurope , & a été reçu en Hollande en matiere
de change de parité pour 100 deniers
de gros , parce que fuivant les loix de cette
République le marc d'argent de France &
des autres Etats y eft fixé à 22 florins 10 fols
qui repréfentent 900 deniers de gros, dont
les 40 font un florin de change ; voilà le
le change de parité.
ΙΘ
Il eſt un change de néceffité qui vient de
lå rareté ou de l'abondance des Lettres de
Change , fouvent variable , fuivant que
les négocians ont plus ou moins befoin de
tirer ou de remettre fur lesplaces étrange--
res .
Ce Tableau eft divifé en plufieurs colonnes
dont la premiere contient les differens
prix du marc d'argent en France ſuppoſés
depuis 27 livres jufqu'à so. Les autres co-
Jonnes contiennent le nom d'une Ville , le
nom de fes monnoyes de changes, & la valeur
de ces monnoyes qui répond à la valeur
de l'argent de France.
Ainfi en jettant les yeux fur ce Tableau ,
on verra tout d'un coup fi la France eft ou
Fvj
32 MERCURE DE FRANCE.
n'eft point créanciere des autres Etats. Si le
cours du change de néceffité fe trouve au- def
fus du change de parité, la France eft créan
eiere , & elle doft fi le change de parité eſt
au-deffus du change de néceffité. Par exem →
ple ,le pair d'un écu de 60 fols à so livres le
marc , étant à 54 deniers de gros d'Amfterdam
, & le change fe trouvant a 56 pair
de 48 liv. le marc , il eft évident que la Fran
ce gagne fur l'étranger la difference de 54
à 56 4.
Il eft remarquable que depuis 1664 juſ
qu'en 1725 les changes de l'Europe avoient
toujours été defavantageux à la France ,
parce que les étrangers nous fourniffoient
plus de marchandiſes qu'ils n'en tiroient dè
nous. Mais depuis 1725 le commerce de la
Compagnie des Indes a fait pencher la ba
lance , & le change a toujours été avantageux.
à la France..
Le fieur le Rouge , Géographe du Roi à
Paris , rue des Auguftins , vient de donner
une Carte topographique des environs de
Charleroy jufqu'à Philippeville , contenant
55 lieues quarrées. Cette Carte a le même
mérite que celles des environs de Namur ;
ces Cartes font parfaitement bien gravées.
Plus le Brabant , où le trouve le Théatre
AOUST. 1746. 15 :
de la guerre intitulé , Campagne du Roi ,
pour 1746. Plus la Hollande ou les VII
Provinces-Unies . Les attaques de Mons.
LE SIEUR COTTIN Libraire à Paris demeu
rant rue du Mont faint Hilaire , donne avis qu'il
eft dans le deffein de vendre fon fonds de fonderie
de caracteres d'Imprimerie; il confifte en
Poinçons & Matrices de tous les corps ordi
naires & extraordinaires , même de Gothiques,
Hébreux & Saxons, de Lettres de deux points,
Vignettes , & c . Le tout gravé par d'anciens &
habiles Maîtres , Garamont , Granjon , Gau
ret , Hautin , Matil & Keblin , & il eft afforti
des moules & ufanciles propres & néceffaires.
audit Art..
Ledit fieur Cottin a auffi un ample Magafin
de Fontes bien afforties , toutes neuves & prêtes
à vendre. On communiquera chez lui un
état plus détaillé dudit fonds ..
"
Nous nous faifons un devoir de rappeller au
public une chofe utile ,c'eft la Poudre Royale
Febrifuge du fieur de la Jutais, compofée uniquement
de plantes ; ce fpec fique eft renommé
par un grand nombre d'expériences faites avec
fuccès & muni du fuffrage de plufieurs Premiers
Medecins du Roi , parmi lesquels fe trou
ve celui de M. Fagon
2
Getre poudre nieft taxée qu'à raifon de dix fols
La prife, afin que chacun foit en état d'en pro
fiter.
Le fieur de la Jutais qui demeure à Paris rue
de Bourbon à la Ville- neuve , tire une quinze
434 MERCURE DE FRANCE.
fence de cette poudre dont il compofe un firop
d'un goût agréable qui renferme les mêmes
vertus encore plus efficaces ; il opere fi doucement
que les femmes enceintes en peuvent faire
ufage , fans crainte d'aucun danger:
L'Eau de Perfe annoncée dans le Mercure
précédent fe vend chés le fieur Rouffelor
Cleriffeau , Marchand Gantier- Parfumeur du
Roi , Privilegié fuivant la Cour , demeurant
rue Tirechape , au Gant de Paris , à la porte
cochere qui fait le paffage de chés M. Gautier,.
rue des Bourdonnois , à la Couronne. Cette
Eau a la proprieté de teindre les cheveux blancs
& roux en couleur brune , de forte qu'ils ne
changent jamais de couleur . Il y a deux fortes
d'Eau la premiere eft brune en la remuant
la feconde eft claire.
La Veuve Bailly renouvelle au public fes affû→
rances qu'elle n'a point quitté fon commerce
& que les véritables Savonettes de pure crême
de Savon , dont elle feule a le fecret , fe dif
tribuent toujours chés elle , rue du Petit Lyon ,
à l'Image faint Nicolas , proche la rue Fran
goife , Quartier de la Comédie Italienne.
L'ACADEMIE des Belles Lettres , Sciences
& Arts , établie à Bordeaux , diftribue
chaque année un Prix de Phyfique,fondée
par M. le Duc DE LA FORCE , c'eſt une
Médaille d'or de la valeur de trois cent
livres.
Elle a donné deux Prix cette année ; l'un
AOUST 1746. 135
acété remporté par Mr. Hambergerd , Profeffeur
de Phyfique & de Medecine dans
l'Univerfité d'lene , fur la Méchanique des
Secrétions dans le Corps humain: Et l'autre a
été adjugé à la Differtation fur la Rouillure :
des métaux , par M. Chimbaut de Filhot , fecond
fils d'un Confeiller au Parlement de
Bordeaux du même nom.
L'Académie a déja propofé deux Sujets
pour les deux Prix de l'année 1747. Le premier
, Quelle eft la meilleure maniere de
mesurer fur mer le chemin d'un vaisseau ,
indépendamment des Obfervations Aftronomiques
: Et le ſecond , Pourquoi certains
Corps augmentent de poids étant calcinés
au feu , ou aux rayons du foleil par le miroir
ardent..
Cette Compagnie propofe maintenant
pour le Sujet du Prix de l'année 1748. S'il
ya quelque rapport entre la caufe des effets :
de l'Aimant , & celle des phénomenes de
PElectricité.
Les Differtations fur ce Sujet ne feront
reçûes que jufqu'au premier Mai de l'année
1748. Elles peuvent être en François ou en
Latin ; on demande qu'elles foient écrites
en caracteres bien lifibles .
Au bas des Differtations il y aura une
Sentence , & l'Auteur mettra dans un bil.
136 MERCURE DE FRANCE.
let féparé & cacheté la même Sentence avec
fon nom , fon adreffé & les qualités .
Les paquetsferont affranchis de port ,
adreffés à Mr. le Prefident BAR BOT , Secretaire
de l'Academie , fur les foffés du
Chapeau Rouge , où an Sr. BRUN, Impri
meur aggregéde ladite Académie , rue faint
James.
"
On a dû expliquer l'Enigme & les Logogry--
phes du Mercure de Juillet par les Arbres , Pawaris
, Mouchettes , Laurier & uxembourg , nom*
d'une Ville , & d'un Maréchal de France ; on
trouve dans le premier Logogryphe , Pan , ris ,
Si , Panar , panais , Paris , panis & pin. Dans le fe
cond on trouve mer , rát , rame rameau ver
avare, mât, eau , autre, trame, rét , marte zybeline,
Art, amer, rume & mur dans le milieu duquel entre
un u qui fe trouve auffi dans le mot eaux
L'un & l'autre mot n'a que trois lettres , ainfi
mur eft compofé d'un tiers d'eau . On trouve
dans le quatriéme Logogryphe EuVille & Comté
, vale air , eau , rue herbe , vie
Lire
Avril, Fri un des treize Cantons Suiffes , ail
rave , racines , Lia , femme de Jacob , Arrie
fémme de Petus ; & dans le cinquième on trouve
luxe , luxure , Bourg Ville Capitale de la
Brejle
AOUST. 1746. 37
****************
ALA
ENIGM E.
La tête des gens de guerre
Lecteur , j'aime à me voir placer..
J'occupe un pofte en Angleterre ;
Sans moi Georges n'y peut regner.
Je joue un rôle en Allemagne ,
A faint Petersbourg , en Espagne ,
Et prime pat tout dans le grand ;
Avec ce relief magnifique ,
t
Sans en être moins véridique ,
Je fuis le dernier en tout rang
Par M, de Lanevere , ancien Moufque
aire du Roi, à Dax..
LOGOGRYP HE.
AM1 Picquot , qui prends M1 goûtau fupplice.
D'un mot haché , goûte ici mon caprice :
L'offre à tes yeux un mot grec enfrançois ;
Tu peux compter fes membres fur tes doigts .
Et dans ces vers à peu près pentamertres
138 MERCURE DE FRANCE.
Faire germer dix mots dé ces dix lettres ,
l'autre & chacun à fon tour.
L'un
portant
Le premier mot , à certain point du jour ,
Aux Fri- Maflons'offroit un receptacle.
Le fecond mot fournit par grand miracle-
De quoi nour ir cinq milliers d'affamés .
Le mot qui feit fans le mot quatrième
Dans l'âge d'or , dans un tems renommé
Eût fon effet , & quant au mot cinquième
Fût-il connu des cuifiniers d'alors ?
Ne puis fçavoir: le mot ſuivant expofe
De notre tems chofe connue au corps
De la Juftice ; & fans métamorphofe ,
A tout Acteur ; en outre , les dehors
De l'autre mot toujours furent humides.
T'éloignes-tu des Arenes torrides ?
Le mot d'après te conduit vers un point
Sans l'autre mot aujourd'hui n'étoit point.
Finalement le mot dixiéme approche,
* Ce dernier mot plus heureux qu'un Lutin
De plein faut & fans anicroche
Eft premiere perfonne au Royaume Latin ,
Lecteur ; tu me jettes la griffe
Non fur Pegaſe , ains fur un Hypogriphe
Etoit grimpé qui le premier fongea
A rimailler le facheux Logogryphe
Qui mainte tête & maint ongle rongea
AOUST
139 1746
Pefte du Sphinx & de fa rateléc '
Ami Picquot , reprends ta quenouillée ;
De ces dix mots qu'enfante un mot tort ſeul
La lettre en chef , l'une à l'autre enfilée ,
Donne le mot des autres mots l'ayeul .
F. Hilaire
************ :***********
***********************
LOGOGRYPHE RENVERSE'.
Di
I s- moi , Picquot , ce qui fort de la graine¸.
Ce qu'un mort laifle en terme de Palais ,
Ce qu'au menton l'on compte par centaine ,
Ce qui produit les guerres & la haine ,
Ce qui fe place au Louvre fous le Dais ,
Ce qui contient la fuperbe Veniſe ,
Le nom qu'on donne aux fêtes de Bacchus ,
Par notre Roi le Roi de la Tamife
Etant battu , ce qui l'immortaliſe ,
Ce qui fait peur aux enfans éperdus ,
Quel fleuve en Trance y ferpente le plus ?
Puis fur ces vers marchant en écreviffe
Prends ta réponſe , & lui coupe foudain
Les premiers chef , ainfi fans leur milice
140 MERCURE DE FRANCE
Ces chefs unis , ô le rare artifice !
Rendront le mot que tu tiens fous ta main .
Par le même.
RECIT DE BASSE.
Les paroles font de M. de la Soriniere
d' njou, & la mufique de M. Boran de
Saint Domingue.
Qu
U 1 fçait s'inquiéter fur un fort incertain ,
Eft un mortel qu'un vain remords accable .
Pour moi qui n'eûs jamais d'autres objets à table
Que ceux qui roulent fur le vin ,
Je tiens que ce jus délectable
Quand on le boit fans eau ,
S'il ne peut nous fauver de la nuit du tombeau
Al'écarte du moins ce penfer effroyable.
THE NEW YORK
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340 MED DI
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AOUST. 141
1746.
* * *: * * * * **
SPECTACLES.
酥
COMEDIE FRANÇOISE.
L
E Vendredis de ce mois les Comédiens
François & Italiens rouvrirent leur
Théatre qui avoit été fermé le 22 du mois
précedent.
Le Samedi 6 les Comédiens François repréſenterent
pour la premiere fois une Comédie
en Profe en un acte , intitulée le Préjugé
vaincu. Quoiqu'elle eût été bien reçue , l'Auteur
a jugé à propos d'y faire quelques changemens
qui ont fait redoubler les applaudiffemens
& l'affluence des fpectateurs. L'Auteur
ne fe nomme point malgré fon fuccès. Quelques
perfonnes ont cru que cet ouvrage étoit de
M.de Marivaux nous n'éclaircirons pas ce myftere
, mais nous dirons que c'eft faire l'éloge de
la piéce que de l'attribuer à un écrivain célebre
par tant de fuccès brillans fur les deux
Théatres , & par des ouvrages excellens . On
peut dire qu'on trouve dans cette piéce la vivacité
du dialogue , l'abondance de penſées fines
& l'art d'intereffer le fpectateur que l'on
trouve dans les autres piéces de M. de M ..
Nous allons en donner l'extrait .
Dorante jeune homme de 30 ans & d'une famille
bourgeoife , mais à qui fon pere a laillé
142
MERCURE
DE
FRANCE
.
de grands biens , qui s'eft d'ailleurs acquis une
eftime générale par fes qualités perfonnelles ,
& qui va être revêtu d'une Charge confidera
ble a eu occafion de rendre à Paris quelques
fervices effentiels à un homme de qualité appelié
le Marquis de ... qui n'eft pas riche .
Ie Marquis devenu intime ami de Dorante
l'engage à venir avec lui paffer quelques jours
à une Terre où il fait fon (éjour ordinaire , &
quieft prefque le feul bien qui lui refte.
"
Dorante y trouve Angelique fille du Marquis
, il en devient amoureux fans ofer le lui
dire , & le motif de fon filence eft précisément
le fujet de la piece.
"
Voici donc ce qui l'empêche de parler ; c'eft
qu'Angelique toute railonnable qu'elle eft
d'ailleurs eft extrêmement entêtée de fa naiffance.
Il remarque l'orgueil exceff.f qu'elle a
là.deffus , & il a peur que l'aveu de fon amour
ne lui attire des dédains injurieux qu'il ne fuporteroit
pas , qui du caractere dont il eft
lui même le mettrroient dans la néceffité de
renoncer à elle & il voudroit bien n'en
sêtre pas réduit à cette extrémité - là ; pour
fçavoir quel parti il prendra , il croit devoir
confulter Lifette Suivante d'Angelique ;
fon deffein eft de la mettre dans les interêts
, & de l'interroger fur les difpofitions où
Angelique fe trouve pour lui , de forte qu'il
charge fon valet Lepine d'averti cette Suivante
qu'il veut lui parler , & c'est ici où commence
la piece.
Lepine & Lifette ouvrent la fcéne . Lepine
prie celle- ci d'attendre fon maître qui va venir,
& tout de fuite il lui dit qu'il l'aime , & qu'il
prétend en être aimé ; Lifette rejette d'abord
AOUST. 1746. 143
fon amour , lui dit qu'elle ne peut y répondre,
qu'elle eft la fille du Procureur fiical du lieu
& que par- là elle eft bien au- deffus d'un valet,
à ce que lui a dit fa maîtreſſe .
Cependant fur ce que Lepine lui repréſente
qu'il va être ( oncierge d'un Château que fon
maître a dans le voifinage , elle ſe relâche &
convient a la fin de l'aimer à ſon tour d'autant
plus qu'elle a naturellement de l'inclination
*pour lui.
Leur converfation en eft là quand Dorante
paroît , & comme il arrive au moment où
Lepine baife la main de Lifette , cela le met
au fait de l'amour mutuel qu'ils fe font jurés ,
& lui perfuade qu'il peut prendre une entiere
confiance en Lilette.
Il lui avoue donc qu'il a me fa maîtreffe , &
après lui avoir appris les raisons qui l'ont engagé
à fe taire , il demande à Litette ce qu'Angelique
penfe de lui , & s'il ne rifque rien à lui
déclarer fa paffion .
Lifette lui répond qu'elle n'en fçait rien ellemême
, qu'effectivement Angelique fait bien
peu de cas de tout homme qui n'eſt pas né
Gentilhomme , que cependant elle s'eft apperçue
que Dorante eft épris d'elle qu'elle
en parle fouvent comme d'un aimable homme
à qui elle fouhaiteroit plus de naiflance , mais
que malgré tout ce qu'elle dit là à Dorante , il eft
encore très-douteux qu'Angelique ne méprife
pas fon amour quand il lui en parlera . Là-defus
Voici à quoi Dorante fe détermine , c'eft de dire
à Lifette d'avertir fa maîtrefie qu'il a un parti à
lui propofer , qu'il s'agit d'un homme con me
lui ,d'unhomme de ton état , qui eft jeune , très--
riche , & deſtiné à un pofte important , il ajou
te qu'Angelique qui s'eft apperçue de fon
144 MERCURE DE FRANCE.
1
amour ne manquera pas de croire que Dorante
eft lui -même l'homme en queftion , mais que
Lifette feindra d'être perfuadée du contraire, &
lui foutiendra qu'il s'agit d'un autre .
Lifette à qui Dorante donne cette commiffion
fe récrie ,& lui dit que fa maîtreffe rejettera
ce parti avec d'autant plus d'indignation qu'elle
ne pourra plus croire ni fe flater que Dorante
l'aime , puifqu'il propofe de la marier
à un autre , qu'elle lui feroit peut- être grace ,
tout bourgeois qu'il eft , s'il parloit pour lui
mais qu'elle ne lui pardonnera pas de s'interreffer
pour un autre.
Dorante convient de la colere qu'il va exciter
, & de tous les mépris que témoignera Angelique
, mais il dit que ce mépris du moins ne
tombera pas fur lui , & que lorfqu'Angelique
apprendra qu'il eft lui-même l'homme en queftion
, elle fçaura alors , à n'en pouvoir douner
, qu'il l'aime , que de fon côté il n'aura
point été rejetté perfonnellement , puifque les
dédains d'Angelique ne fe feront point adreffés
à lui , & n'auront regardé que cet autre bourgeois
fuppofé , deforte qu'Angelique , s'il eft
vrai qu'elle ait de l'inclination pour lui , fera
encore en état d'ufer favorablement de la connoiffance
qu'elle aura de fon amour.
Lifette goute fi bien cet expédient , qu'elle
va , dit- elle , aigrir le plus qu'elle pourra Angelique
fur la propofition que Dorante doit
fui faire , car , lui dit-elle , plus elle aura dédaigné
injurieuſemement la condition du bourgeois
en queftion , plus elle craindra de vous
avoir ôté tout efpoir , quand elle fçaura que ce
bourgeois , c'eft vous , & comme je fuis fûre
qu'elle vous aime , elle n'en fera que plus difpofée
AOUST, 1746. 143
pofée à vous détromper & à fe dedire en votre
faveur.
Quant à moi , ajoute encore Lifette , dès
qu'elle fera inftruite de votre amour j'affecterai
de vous paroître contraire , & fous prétexte
qu'elle eft fille de qualité , je lui dirai que
vous étes bien hardi d'ofer l'aimer & d'afpirer
à fa main ; ce difcours lui déplaira , & tant
mieux ; ce fera augmenter fon penchant pour
vous que de le contredire . Dorante confent à
cette petite induftrie , & comme Angelique
paroît il quitte Lifette , qui finit par lui recommander
de Içavoir d'Angelique quand il la verra
, fi elle ne defaprouvera pas que Lepine
époufe fa fuivanre ; elle rejettera encore ce
mariage- là , dit Lifette , car je vais la mettre
de mauvaiſe humeur contre vous & fon refus
là- deffus ne nous fera pas inutile , nous en tirerons
parti ; laiffez-moi avec elle.
,
A peine Lifette a-t- elle congedié Dorante
qu'Angelique arrive ; cette fuivante s'acquitté
auprès d'elle de la commiffion que Dorante
lui a donnée , lui apprend qu'il a un mari à
lui propofer , & lui conte ce que c'eſt que ce
mari.
Angelique auffi- tôt croit que ce mari eft Dorante.
Lifette la défabufe , & lui dit que quoique
Dorante ne lui ait pas nommé l'homme
dont il s'agit , elle eft bien certaine que ce n'eft
pas de lui dont il entend parler , ce qui met
Angelique dans une fi grande colere contre ce
Dorante dont elle s'imaginoit être aimée ,
qu'elle ordonne fur le champ à I fette d'a'l r
lui défendre de fa part de l'entretenir de ce
mari fuppofé, & puis par reflexion , elle conclut
que ce n'eft pas la peine de fe fâcher tant
G
46 MERCURE DE FRANCE.
qu'il n'y qu'à laiffer venir Dorante , & qu'il
fuffira de traiter fa propofition de ridicule. Lifette
, en convient d'un ton qui fait la critique
de la fierté de fa maîtreffe , & en même tems
elle la difpofe auffi à rebuter fon mariage avec.
Lepine à caufe de l'inégalité qu'il y a entre un
valet & une fille de Procureur Fiſcal , qui a
d'ailleurs l'honneur d'être ſa ſuivante .
Tout fe paffe au gré de Lifette dans la ſcene
que Dorante a avec fa maîtreffe . Lemari bourgeois
eft rejetté par Angelique avec toute la
hauteur imaginable , elle fe regarderoit comme
defhonorée , fi elle fe marioit à un homme
qui malgré ſes richeffes & les charges qu'il doit
remplir , n'eft pourtant que d'une condition
bourgeoife & comme Dorante qui feint d'être
confondu , la prie d'oublier le tort qu'il a
d'avoir fongé à ce parti là pour elle , elle lui
répond qu'elle en garde fi peu de reffentiment
qu'elle l'invite à refter encore quelque tems à
La campagne pour la voir marier à un Baron
fon coufin qui n'attend à Paris que le gain d'un
procès pourvenir l'époufer auffitôt , elle fait mème
entendre à Dorante qu'elle aime ce parent,
fans pourtant le dire en termes pofitifs . Dorante
tout confterné qu'il eft ( car il croit de bonne
foi ce qu'elle lui dit ) finit ' cette ſcene par lui
parler de Lepine , à qui , dit -il , il défendra de
fonger à Lifette , fi elle l'ordonne ; Angelique
répond que ce mariage ne paroit pas convenir
à fa fuivante , & Dorante prend congé d'elle
mais il eft arrêté par le Marquis qui arrive pour
fçavoir Angelique a accepté le parti que
Dorante lui a propofé ( car on a oublié de dire
que c'eft de fon aveu que Dorante en a parlé
Angelique).
AOUST. 1746. 147
Celle-ci dit à fon pere qu'il a bien prévu
fans doute qu'elle ne l'accepteroit pas , vû la
difproportion d'une pareille alliance : elle eft
fort étonnée que le Marquis n'approuve pas
le refus qu'elle a fait d'un homme riche , deftiné
à de grandes dignités , & qui ne peut-ê
tre que fort eftimable , puifqu'il eft ami de
Dorante , mais il eft jufte , dit - il , de la laiffer
fa maîtreffe fur cet article-là , & enfuite il prie
Dorante de vouloir bien leur apprendre quel é
toit cet ami qui avoit tant d'envie d'épouser fa
fille.
Dorante un peu preffé là deffus lui avoue que
c'eft lui , ce qui déconcerte Angelique , qui fe
repent intérieurement de fon refus , & qui fe
retire pour cacher le défordre de fon coeur.
Le Marquis refte un moment encore avec
Dorante , & lui dit fans s'expliquer , qu'il a une
grace à lui demander , qu'il faut qu'il promette
de la lui accorder , & qu'il ne s'agit que d'une
fimple complaifance. Dorante s'engage à
ce qu'il veut , fans fçavoir de quoi il s'agit &
lui donne fa parole , fur quoi le Marquis le
quitte. Dorante refte , & Lepine & Lifette arrivent
pour apprendre des nouvelles de fa converfation
avec Angelique il leur dit que tout eft
défefperé , qu'elle aime un Baron qui eft fon
coufin , & qu'elle n'attend que fon retour
pour l'époufer. Lifette fe mocque de ce qu'elle
à avancé là , & foutient qu'elle n'a tenu ce
difcours que par dépit; & comme Dorante objecte
qu'il s'eft nommé qu'Angelique ne s'eft
point dédite , Lifette continue de dire que tout
cela n'eft que pure fierté, & que honte de fe rétracter;
qu'il ne faut pas fe décourager ,
que tout va le mieux du monde , qu'elle en a
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
des preuves qu'elle n'a pas le tems de lui dire
, parce qu'Angelique approche , deforte
que Lepine & Dorante fe retirent.
Dans cette fcene d'Angelique & de Lifette
Angelique querelle celle - ci de n'avoir pas
compris quand Dorante lui a parlé ,qu'il étoit
lui- même le mari qu'il devoit lui offrir , elle
l'accufe d'être caufe du chagrin qu'elle vient de
donner à fon pere , en refufant Dorante , refus,
dit- elle , que le Marquis ne lui pardonnera
pas,& c'eft toujours fous le prétexte d'avoir déplû
à fon pere qu'elle cache la douleur qu'elle
a elle même d'avoir rejetté un homme qu'elle
aime , fans compter l'obligation qu'elle a
contractée de s'unir au Baron dont elle ne s'eft
jamais fouciée , & qu'elle hait depuis quelle
a dit qu'elle l'aimoit , & depuis que le Marquis
lui aappris qu'il avoit gagné fon maudit
procès à Paris , & qu'il arriveroit dans la journée
pour lui offrir ſa main.
à
$
Dans l'embarras où cela la jette elle fe détermine
à confentir au mariage de Lifette avec
Lepine. Elle fçait que Dorante aime ce valet
qu'il voudra infailliblement affifter à fa noce
& en faire la dépenfe , & que cela l'empêchera
de s'en retourner dans quelques heures à Paris
comme il l'à réfolu ,
ce que vient lui
rapporter Lepine , qu'elle charge d'avertir fon
maître du confentement qu'elle donne à fon
mariage avec fa fuivante , & de l'envie qu'elle
a de l'entretenir là deffus. Ce n'eft pourtant
pas
là dans fon coeur le véritable motif qu'el
le a d'envoyer chercher Dorante , mais fa fierté
, toute affoiblie qu'elle eft , ne lui permet pas
encore de dire le vrai fujet de fon empreffement
AOUST
1746. 149
à le voir , & elle feint que cela ne regarde que
Lifette dans l'efperance de renouer avec Dorante
dans l'entretien qu'elle demande à avoir
avec lui.
Mais Lifette qui fent que fon orgueil fe rend
& qui prend le parti de la pouffer à bout, feint
à fon tour de ne vouloir point époufer Lepine
qu'elle a-dit-elle , précedemment refufé
par l'ordre fa maîtreffe.
Angelique plus embarraffée que jamais la tire
à part , lui dit que fon mariage avec Lepine
eft le feul prétexte qui lui refte pour avoir une
converfation avec Dorante , & pour l'empêcher
de partir , & que s'il part fon pere l'accufera
d'en être caufe ; ( autre détour de la
.fierté prefque vaincue, ) que d'ailleurs il lui
eft avantageux d'époufer Lepine dont Doran.
te veut faire la fortune , & que fi elle continue
de refufer le valet elle lui déclare une haine
éternelle.
,
Lifette fe rend à cette menace , s'engage à
tout fous condition qu'Angelique lui donnera
l'exemple & s'unira à Dorante , & c'eft ainfi
que la fuivante s'explique à Lepine qui a at
tendu un peu à l'écart le fuccès des efforts qu '
Angelique vient de faire en fa faveur pour ga
gner Lifette ,
Angelique ne répond rien de précis aux
conditions que lui impofe Lifette , mais on voit
bien qu'elle fe rendra , & elle fe contente alors
de håter Lepine d'aller avertir fon maître qu'elle
veut lui parler. Elle ajoute qu'elle va dire
un mot à fon pere , mais qu'elle fera de retour
dans un inftant , & que Dorante n'a qu'à l'attendre
.
A peine eft-t- elle partie que Dorante arrive ,
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
& trouve les valets riants de tout leur coeur
des tendres inquiétudes d'Angelique dont - ils
lui racontent l'état d'une maniere fi rapide qu'il
n'entend rien a ce qu'ils lui content , & qu'ils
n'ont pas le tems de lui mieux expliquer parce
que le Marquis avec lequel ils le laiffent
vient à paroître . Le Marquis fomme Dorante
de la parole qu'il lui a précedemment donnée
de fe rendre à une complaifance qu - il a exigée
de lui , & qu'il ne lui a pas encore expliquée ,
mais qui ne confifte qu'à aller voir avec lui une
cadette d'Angelique qui eft au Convent à quelque
lieues delà , & qu'il dit pour le moins auf
fi belle que fon ainée. Comme il n'y a que huit
jours que Dorante connoît Angelique & qu'il
en eft amoureux il efpere que la vûe de cette
cadette effacera les impreffions que l'ainée
a faites fur lui , d'autant plus que cette ainée
ne veut point de lui , à ce qu'il paroît.
Dorante par pure complaifance fe rend à
fes inftances ; ils en font là quand Angelique
qui a dit avoir à parler à Dorante arrive , &
fe plaint ouvertement de Dorante qui a rifqué
de la brouiller avec fon pere , en ne fe
nommant pas ; & elle finit par dire que pour
fatisfaire le Marquis dont elle connoît toute
l'amitié pour Dorante , elle eft prête de lui donner
la main.
Le Marquis qui croit qu'elle aime le Baron
refuſe à fon tour d'accepter cette marque trop
forte de fa complaifance pour lui , & prétend
qu'elle s'en tienne au Baron qu'elle aime , à
ce quil croit , & qu'il faut qu'elle époufe ; &
fans lui donner le tems de répondre , il finit
par lui dire qu'il efpere que fa cadette prendra
fa place dans le coeur de Dorante , & là
AOUST 1746.
deffus il fe retire ; Angelique abfolument vaincue
acheve après cela de fe déclarer , & avoue
enfin à Dorante qu'elle l'aime ; il fe jette à fes
genoux. Le pere qui vient dire àAngelique que
le Baron eft arrivé , le trouve dans cette pof
ture ; il en demande la raifon ; Angelique l'en
inftruit & le tout finit par Lepine & Lifette
qui fe donnent la main en fe réjouiffant d'avoir
réuffi dans leurs projets.
Nous croyons pouvoir placer avec l'approbatfon
de nos lecteurs à l'article de la Comédie
Françoife uneLettre de Mlle Cochois qui fe diftingue
fur leTheâtre de Berlin. Cette lettre concerne
fa profeffion , & fait éclater l'efprit philofophique
& cependant délicat de l'aimable
perfonne qui l'a écrite. Elle eft adreffée à M:
le Marquis d'Argens fi connu par les poftes
qu'il occupe à la Cour d'un Roi favori de Mars
& de Minerve , & par fes Ouvrages auffi bril
fans que judicieux .
LETTRE de Mademoiselle Cochois Comédienne
du Roi de Pruffe à M. le Marquis
d'Argens Chambellan de S. M. P. & Directeur
de l'Academie Royale de Berlin.-
Ousmeatre ,vous croyez Ous me vantez tous les jours les agrémens
l'état d'une Comédienne
gracieux ; il l'eft à certains égards ,
mais à d'autres il l'eft moins que vous ne penfez,
Rien n'eft fi glorieux que d'obtenir les
Giiij
152 MERCURE DE FRANCE.
fuffrages du public.Rien n'eft fi trifte que de dé
pendre de ce même public; je ne fçaurois exprimer
quelle eft ma fatisfaction lorfque je fors du
Theâtre pour retourner chés moi , je compare
une Comédiene à un Avocat très -peu affuré de
la réuffite de la caufe qu'il doit plaider & qui
vient à gagner fon procès. Les Jugemens des
hommes ne font pas moins incertains fur le
goû que fur les loix, & j'ai éprouvé que les rôlesquej'avois
étudiés avec le plus de foin n'ont.
pas été ceux où j'ai été le plus applaudie . Il eft
vrai que lorsque la multitude fembloit m'approuver
moins qu'à l'ordinaire , un petit nom
bre de gens d'efprit me donnoient des louanges
. Mais prenez garde que tel eft le fort d'une
Comédienne , qu'il faut qu'elle plaife également
à tout le monde ; rien ne peut nous reompenfer
des fatigues du Theâtre que les fuffrages
unanimes de tous ceux qui nous écoutent.
1
&
Ce n'eft point encore là tous les défagrémensde
la profeffion du Theâtre . Les gens de qualité
, il eft vrai , ont des attentions pour les
Comédiens ; ils vivent avec eux malgré l'iné .
galité de la naiffance & du rang , mais le peuple
en général les méprife . Quand je dis le
peuple , j'entens même les bons Bourgeois ,
par une bizarrerie inexprimable , ceux qui condamnent
ce préjugé & qui pourroient le détruire
dans les autres , ne font aucune démarche
pour cela . Il femble qu'ils veuillent juftifier le
fentiment de la Bruyere . La condition des Comédiens
, dit- il , étoit infame chés les Romains & honorable
chés les Grecs . Qu'eft- elle chés nous ? on penfe.
d'eux comme les Romains & on vit avec eux comme
Les Grecs.
'A OUST .
155 1746.
L'idée que les Romains avoient des Comédiens
étoit née chés eux dans le tems de leur
barbarie.Si nous voulons prendre les moeurs des
peuples anciens , choififlons donc ce qu'il y a
de bon chés eux , & n'allons point nous approprier
leurs vices & leurs défauts. Pourquoi
imiter un refte de barbarie des Romains quand
les Grecs nous offrent leur goût & leur delicateffe
ces derniers étoient trop polis & trop
civilifés pour vouloir fletrir ceux dont les ra
lens fervoient à illuftrer les veilles des Sophocles
& des Euripides. Des Auteurs Grecs
jouoient très-fouvent dans leurs piéces , mais
lorfqu'ils mouroient , la République leur rendoit
les plus grands honneurs.
Succeffeurs des Grecs pour le goût du Theatre
pourquoi les François n'imitent- ils pas
leur façon de penfer fur ceux qui portent fi
haut la gloire de ce Theâtre ?
Le peuple fe figure qu'un Comédien eft un
homme doué d'une bonne mémoire , qui recite
prefque machinalement des vers qu'il a appris;
il faut pour former un bon Comédien autant de
peine , autant de foins , de travaux & de génie
que pour faire un grand Poete : je dis plus , il
faut que le Comédien naiffe Comédien , comme
il faut que le Poëte naiffe Poëte le fiécle
d'Augufte a produit plufieurs grands Poëtes ,
je ne connois dans le même fiécle que Rofcius
& Efopus de Comédiens diftingués . Sous le
regne de Louis XIV. vécurent les Corneilles
les Racines , les Defpreaux , les Lafontaines
Baron fut le feul qui parvint à la perfection de
fon Art.
Gy
154 MERCURE DE FRANCE.
Nous ne donnons ici qu'un extrait de cettefettre
; ceux qui voudront la lire entiere , & ils
feront bien , la trouveront dans le Recueil des
Lettres philofophiques & critiques par Mlle.
Cochois imprimé à la Haye chés Pierre de
Hond en 1746. , elle eft la feptiéme à la page
$ 3 ils feront bien encore de lire la Réponſe
de M. le Marquis d'Argens fur le même fujet.
On ne lira pas fûrement ces deux lettres , fans
avoir envie de lire le Recueil entier. On y voit
les matieres les plus abftraites & les plus fpirituelles
dévelopées par Mlle. Cochois avec uno
fineffe & une jufteffe qui caractérisent l'éleve de
M.le Marquis d'Argens .
M
ΣΚΙ
W
AOUST. 555 1746.
shshshstasia & stasiasiastasia
COMEDIE ITALIENNE.
LET
E Theâtre Italien a remisTimon le Mifantrepe,
Comédie en trois actes de M. de Lille ;
cette Piéce a toujours eu des fuccès éclatans &
mérités , elle eft trop connue pour en donner
un extrait , perfonne n'ignore qu'elle eft remplie
d'une morale excellente & digne des plus
judicieux Philofophes de l'antiquité. Malgré
l'aufterité de cette morale on y eft fort amufé
par le rôle d'Arlequin qui a été parfaitement
executé par M. Carlin . Celui de Timon repré
fenté par M Ricoboni a eû le même fuffrage .
Cette Comédie eft coupée par trois divertiffemens
; les idées n'en font pas gaies & font
moins heureufes que celles qui enrichiffent la
Piéce.
Le premier intermede eft danfé par les paffions
on n'y trouve point le pitorefque que
pouvoit produire quelqu'une de ces paffions ,
traitée en comique.
Le deuxième eft un Ballet de flatteurs à qui
on peut faire unpareil reproche qu'au premier.
Mais le troifiéme composé de vérités eft totalement
à rejetter du Theatre ; comment y faire
danfer des vérités ? -
G vj
156 MERCURE DE FRANCE..
OPERA.
L'Vendredi 5 de
'ACADEMIE Royale de Mufique a repris le
ce mois les répréſentations
du Ballet du Triomphe de l'harmonie , interrompues
par la mort de Madame la
Dauphine ; on a repris le Jeudi dix- huit Hipermnestre
Tragédie de M. de la Font , mife en
mufique par M. Gervais Intendant de la Mufique
de S.A. R. M le Duc d'Orleans Regent.
MUSIQUE DE LA COUR..
LE Mercredi 22 & le Jeudi 23 Juin M. l'AbbéRouleau
Maître de Mufique de la Cathédrale
de Beauvais fit chanter pendant la
Meffe de leurs Majeftés le Pieaume Exaltabo te
Domine meus Rex , Motet qui fût fort applaudi
tant pour la fcience des morceaux travaillés ,
que pour la grace de fes recits .
Le Samedi 25 on exécuta au Concert de
la Reine l'Acte de Philotis du Ballet du Stratagéme
de l'Amour , dont les paroles font de M..
Roy de l'Ordre de faint Michel , & la Mufique
de M. Deftouches , Sur intendant de la Mufique
du Roi . M. Guerin nouveau . Aluficien du
Roi y chanta le Rôle de Baffe .
Le Lundi 27 pour la 1clôture du femeftre de
AOUST. 1746.. 1577
M. Deftouches Sur- Intendant de la Mufique
du Roi , on exécuta chés la Reine le Prologue.
& le premier Acte de Perfée Tragédie de M. de
Lulli.
Le Lundi 4 Juillet , le Mercredi 6 & le Samedi
9 on exécuta au Concert de la Reine le
Ballet des Fêtes Greques & Romaines dont les pa--
roles font de M. Fuzelier l'undes Auteurs chargés
par le Roi de la compofition du Mercure de
France , & la Mufique de M. Colin de Blamon
Sur-Intendant de la Mufique de la Chambre de
Sa Majefté; les rôles ont été fort bien remplis..
par Miles. Defchamps , Romainville , Mathieu
& Fel , & par Mrs Jeliot , Poirier , Benoift
, la Garde & Godonefche.
Le Samedi 9 Mille . Lainville âgée feulement:
de 10 ans , fille de M. Lainville qui a été Di--
recteur de l'Opera de Bordeaux, exécuta pen--
dant le diné de la Reine plufieurs pieces de
clavecin avec une brillante préciſion , & mérita
les applaudiffemens de Sa Majefté & de toute fa
Cour par fon jeu & par fon chant reglés par
l'art & ornés par le goût; elle fut accompagnée
par M. Guillemin Violon ordinaire de la
Chambre & de la Chapelle du Roi.
Le Lundi onze le Concert de la Reine
fut compofé du Prologue des Fêtes Greques &
Romaines , & d'un Cantatille intitu é la Mufe
Héroique , de la compofition de l'Auteur du
Prologue ...
Le Mercredi 13 on exécuta le Prologue &
le premier Acte d'Iphigenie ; le Samedi 16 & le
Lundi 18 les quatre autres Actes de cette Tra
gédie. Mlles . Mathieu , Canony , Fel & Godo--
nefche en remplirent les rôles de femmes , &
158 MERCURE DE FRANCE,
Ceux d'hommes furent remplis par Mrs. Benoift
Poirier, du Bourg & Godonefche.
Le Jeudi 14 on chanta pendant la Meffe de
leurs Majeftés pour la prife de la Ville de
Mons , le te Deum , ce fut M. de Blamon; qui
en battit la mefure , & il fut entonné par M.
l'Abbé Broffeau...
JOURNAL DE LA COUR..
DE PARIS , &c .
E Roi & la Reine accompagnés de Monfei
gneur le Dauphin & de Mefdames de
France retournerent le 3 de ce mois de Choify
à Verſailles , & en defcendant de caroffe
leurs Majeftés allerent voir Madame , leur
petite fille .
,
2
Les Députés des Etats de Languedoc eurent
le 4 audience du Roi , étant préfentés par le
Prince de Dombes Gouverneur de la Province
, & par le Comte de Saint Florentin ,
Secretaire d'Etat , & conduits par Monfieur le
Marquis de Dreux , grand 'Maître des Cérémonies
, & par Monfieur Defgranges Maitre
des Ceremonies. La Députation étoit
compofée pour le Clergé de l'Evêque de Comminges
qui porta la parole ; de M. Foreftier
Maire de faint Paul deFenouillede , & du Che
valier de Peprats pour le Tiers Etat , & de
AOUSŤ. 1746 159
M. Joubert Syndic Général . Le Marquis de
Brifons Député de la Nobleffe ne s'y eft point
trouvé étant abfent pour le fervice du Roi. Les
Députés eurent enfuite audience de la Reine ,
de Monfeigneur le Dauphin , de Madame & do
Mefdames de France .
Le 6 le Roi & la Reine accompagnés de Mon,
feigneur le Dauphin & de Mefdames de France
affifterent dans la Chapelle du Château au Te
Deum , qui y fut chanté en action de graces de
là priſe de Charleroy.
Le 4 les Princes & Princeffes du Sang rendirent
en cérémonie , à l'occafion de la mort de
Madame la Dauphine , leurs refpects au Roi , à
la Reine , à Monfeigneur le Dauphin , à Ma→
dame , & à Mefdames de France . Les Seigneurs
& Dames de la Cour , en habits de grand
deuil , s'acquitterent du même devoir.
Le lendemain matin le Parlement eut audience
du Roi , & M. de Maupeou Premies
Préfident portant la parole, complimenta S. M.
fur la mort de Madame la Dauphine . La Cham-.
bre des Comptes , la Cour des Aides , la Cour
des Monnoyes & le Corps-de-Ville eurent audience
du Roi fur le même fujet . M. de Nicolay
, Premier Préfident de la Chambre des
Comptes , M. de Lamoignon de Blancmefnil ,
Premier Préfident de la Cour des Aides , M.
Chopin de Goufangré , Premier Préſident de
celle des Monnoyes , & M. de Bernage Prevêt
des Marchands porterent la parole . L'après-midi
le Grand Confeil , M. de la Grandville
Confeiller d'Erat nommépar S. M. pour préfi
der pendant cette année à cette Compagnie
étant à la tête , s'acquitta du même devoir,
ainfi que l'Univerfité & l'Académie. M
160 MERCURE DE FRANCE . [
Fromentin Recteur parla pour l'Univerfité, &
M. Bignon , Chancelier de l'Académie au nom
de cette Compagnie. Ils furent tous préfentés à
l'audience du Roi & à celles qu'ils eurent le
même jour de la Reine & de Monfeigneur le
Dauphin , par le Comte de Maurepas , Miniftre
& Secretaire d'Etat , & ils y furent conduits
par le Marquis de Dreux Grand Maître
des Cérémonies , & par M. de Gifeux Maître.
des Cérémonies enfurvivance de M. Defgran--
ges.
Le 14 veille de la fête de l'Affomption de la
fainte Vierge le Roi & la Reine accompagnés
de Monfeigneur le Dauphin & de Mefdames de
France affifterent dans la Chapelle du Château
aux premieres Vêpres qui furent chantées par
la Mufique & aufquelles l'Evêque de Bethleem
officia.
La Reine communia le même jour par les
mains de l'Archevêque de Rouen fon grand
Aumônier.
Le lendemain jour de la fête Leurs Majeftés
accompagnées comme le jour précedent entendirent
dans la même Chapelle la Grande
Meffe célébrée pontificalement par l'Evêque
de Bethleem , & chantée par la Mufique. L'après
-midi elles affifterent aux Vêpres & à la
Proceffion qui fut faite dans la Cour du Châ
teau.
AOUST. 1746. 161
LETTRE DU ROI
A Meffieurs les Grands Vicaires.
MESSIEURS , après avoir mis par les pre
mieres opérations de cette Campagnemes
ennemis hors d'état de pénétrer en Brabant
& dans la partie de Flandre nouvellement
conquife , l'objet le plus important étoit
de leur fermer également les chemins de la Province
du Hainaut que la prife de Mons a réduit
fous mon obéiffance . C'eft dans cette vûe que
j'ai donné mes ordres à mon Coufin le Prince
de CONTY de faire attaquer en même tems
les places de Saint-Guillain & de Charleroy.
Le Marquis DE LA FARE , l'un de mes Lieutenans
Généraux en mes armées , qu'il avoit
chargé du fiége de la premiére , a obligé la
garnifon de fe rendre prifonniére de guerre
le 26 du mois dernier ; & mondit Couſin ayant
conduit lui- même le fiége de Charleroy , il en
a dirigé les attaques avec tant d'activité , d'intelligence
& de capacité , que cette Place l'une
des plus fortes de cette frontiére , & qui dans
les anciennes guerres avoit foûtenu près d'un
mois de fiége , a fuivi le 2. de ce mois le fort
de Saint- Guiflain le cinquième jour de la tranchée
ouverte. Un fuccès auffi imprévu eft une
preuve bien fenfible de la protection que le
Dieu des Armées ne ceffe d'accorder à la juftice
de ma cauſe ; & mettant toutes mes efpérances .
162 MERCURE DE FRANCE.
en fon fecours , je vous fais cette Lettre pour
vous dire que mon intention eft , qu'en actions
de graces de tout ce que je dois à fa divine providence
, vous faffiez chanter le Te Deum dans
l'Eglife Métropolitaine de ma bonne Ville de
Paris , & autres de votre Diocéfe , avec les folemnités
requifes , au jour & à l'heure que le
Grand Maître ou le Maître des Cérémonies
vous dira de ma part. Sur ce , je prie Dieu qu'il
vous ait , Meffieurs , en fa fainte garde . Ecrit
à Verſailles le 6 Août 1746. Signé, LOUIS.
Et plus pas , PHELY PEAUX. Et au dos eft écrit :
A Meffieurs les Grands Vicaires de Paris.
-
MANDEMENT
De Meffieurs les Vicaires Généraux du Chapitre
, & Archidiacres de Paris , Admi.
niftrateurs de l'Archevêché le Siége va
cant , qui ordonne que le Te Deum fera
chanté dans toutes les Eglifes du Dioceſe,
en actions de graces de la prife des Villes
. de SAINT GUISLAIN & de CHARLEROY.
NOU
"Ous Vicaires Généraux & Archidiacres ,
le Siége vacant : & c . Les Armes du Roi'
ont encore foumis à fon obéiffance deux Places
importantes , dont la conquête affure celles
qu'il avoit déja faites en Flandre , & laiffe à
fon Armée la liberté de porter ailleurs toutes fes
forces , & de préparer de nouvelles Victoires .
La prife de Charleroy , qui a fuivi de près
celle de Saint- Guiflain , réunit aux marques vifibles
de la protection de Dieu fur nous , des
AOUST. 1746. 161
prodiges d'activité & d'intelligence , dignes
du Prince qui commandoit le Siége.
Dès le cinquiéme jour de la tranchée ouverte,.
nos Soldats , par une hardieffe heureuſe , ont
pénetré dans cette Place redoutable , fiére encore
de la longue réfiftance qu'elle faifoit autrefois
, & comme fi Dieu eût répandu lui - mê--
me l'effroi dans la garnifon , elle s'eft rendue
tout-à-coup , & a dit à fes vainqueurs ce qu'un
peuple , qui s'étoit foumis , difoit au Chef d'If
raël : (a ) La crainte s'eft emparée de nous , & nous
avons fongé à mettre notre vie en fûreté ; la terreur
dont vous nous avez remplis , nous a forcés àprendre
ce parti.
Mais ne nous laiffons point éblouir par l'é
clat de nos triomphes ; ne perdons pas de vûe
celui qui en eft l'auteur , & ne difons jamais
comme l'impie , (b) qu'il ne nous fçauroit arriver
de mal , & que notre félicité eft fi bien établie que
rien ne peut la troubler ni la renverfer. Qui ne
craindra pas les jugemens qu'éxerce fur les
Royaumes & fur les Peuples (c) le Maître fou
verain des Nations ? Il tient en fes mains les
biens & les maux , les revers & les fuccès , la
tribulation & le bonheur , & il les répand à
fon gré fur la terre.
Nous venons de l'éprouver il y a peu de
jours. Au milieu de nos victoires , & dans le
( a ) Timuimus igitur valde , & providimus ani
mabus noftris , veftro terrore compulfi , & hoc confilium
inivimus. Jof. 9. y. 24.
( b )Dixit in corde fuo : Non movebor àgeneratio
ne ingenerationem , fine malo . Pf. 10. y. 6.J
(c ) Quis non timebit te , ô Rex gentium ? Je
rem. 10.7.7.
2.
164 MERCURE DE FRANCE.
temps même que la fécondité de Madame la
DAUPHINE nous faifoit efpérer de nouveaux
gages de la félicité publique ', une mort prématurée
nous la enlevé cettte Princefle , qui
devoit faire par fes vertus la gloire & le bonheur
de la France.
par
Qu'un malheur auffi imprévu nous apprenne
à être fidéles à la Loi de Dieu , & à ne pas
attirer fur nous fes ve..geances par nore ingratitude
& nos infidélités. Raffemblés dans
fon temple , environnons fes Autels ; offronslui
un hommage fincere de foumiffion , d'amour
& de reconno flance & méritons ,
tous les fentimens que la Religion infpire
qu'il verfe toujours fur nous fes graces & fes
bénédictions. ( a) Qui fçait , fi fléchi enfin par
nos priéres , il ne fera pas ceffer bientôt le fleau
de la guerre , & ne hatera pas le moment qui
doit diffiper toutes les jaloufies , (b & faire
affeoir l'Europe entiére dans la beauté de la paix,
dans des tabernacles de confiance , & dans un repas
plein d'abondance ?
A CES CAUSES , pour nous conformer aux ordres
duRoi, nous ordonnons que le feDeum . & c.
Par Mandement de Mefieurs les Vicaires Généraux
Archidiacres , ROBERT , Secrétaire.
Le Roi ayant écrit aux Vicaires Généraux
de l'Archevêché de Paris pour faire rendre à
Dieu de folemnelles actions de graces de la prife
de S. Guillain & de Charleroy , on chanta le
3
(a ) Quis fcit fi convertatur & ignofcat ? Joel 2 ,
14.
( b ) Sedebit populus meus in pulchritudine pacis ,
in tabernaculis fiducia , & in requic opulenta.
I. 32. y . 18.
AOUST. 1746. 163
3 dans l'Eglife Métropolitaine le Te Deum ,
auquel l'Abbé d'Harcourt, Doyen du Chapitre
officia. Le Chancelier deFrance accompagné de
-plufieurs Confeiller d'Etat & Maîtres des Requêtes
y affifta , ainsi que le Parlement , laChambredes
Comptes , la Cour des Aides & le Corps
de Ville qui y avoient été invités de la part
S. M. par le Marquis de Dreux Grand Maître
des Ceremonies.
de
Le 15 Fête de l'Affomption de laSte . Vierge
la Proceffion folemnelle qui fe fait tous les ans
à páreil jour en exécution du voeu de Louis
XIII. fe fit avec les ceremonies ordinaires ,
& l'Abbé d'Harcourt y officia . Le Parlement ,
la Chambre des Comptes , la Cour des Aides
& le Corps de Ville y affifterent .
Le 16 dans l'Aflemblée générale du Corps de
Ville , Monfieur de Bernage fut continué Prevoft
des Marchands , & l'on élut Echevins M.
L'homme & M Bricault.
Le jour que leTe Deum fut chanté dans l'Eglife
Métropolitaine en actions de graces de la
prife de Saint Gu flain & de Charleroy , on
tira un feu d'artifice dans la Place de l'Hôtel
deVille & il y eut des illuminations dans toutes
les rues.
Le Roi apprit le 4 de ce mois que le 2 au
matin le Gouverneur de Charleroy avoit arboré
le Drapeau blanc , & que par laCapitulation
qui avoit été fignée , la garniſon étoit prifonniere
de guerre . Cette nouvelle a été apportée
par le Marquis de Stainville , Colonel du Régiment
de Navarre , que le Prince de Conry a
dépêché à S. M. On a fçu en même tems
qu'auffi-tôt après la prife de Charleroy , le
166 MERCURE DE FRANCE.
Prince de Conty avoit marché avec l'armée
qu'il commande , pour joindre celle qui eft
aux ordres du Maréchal Comte de Saxe.
7
Les lettres du Camp de Walhem du 9 de ce
mois , portent que le le Maréchal Comte
de Saxe avoit changé la pofition qu'il avoit
fait prendre à fon armée en arrivant dans la
plaine de Gemblours , & qu'il avoit reculé fon
Camp pour le mettre hors de la portée du canon
que les ennemis auroient pû placer fur les
hauteurs . Ces lettresajoutent que l'armée commandée
par le Prince de Conty , à l'exception
du Corps de troupesqu'il a laiffé entre la Sambre
& la Meufe , aux ordres du Marguis de
Segur , Lieutenant Général , étoit campée à la
droite de l'armée du Maréchal Comte de Saxe,
laquelle a fait le vers les fources de la Dille
un fourage général.
.
Les lettres du même Camp du 14 portent
que l'armée que le Prince de Conty commandoit
, étoit venue ce jour là camper à
Torbaix & à Saint Tron , & à la gauche
du corps de troupes qui eft aux ordres du
Comte de Clermont ; que ce Corps s'étoit mis
en marche à midi par fa gauche fur deux colonnes
, & que le lendemain l'armée commandée
par le Maréchal Comte de Saxe devoit faire
un mouvement.
Le Roi a appris le 22 de ce mois que l'armée
Efpagnole & Françoiſe , ayant paſſé le Po pour
fe porter dans le Tortonois , les troupes de la
Reine de Hongrie avoient voulu s'oppoſer à
l'exécution du projet de l'Infant Don Philippe
, & que le 10 il y avoit eu fur le Tidon une
action très-vive , dans laquelle les troupes Ef
pagnoles & Françoifes avoient remporté fur
AOUST. 1746. 167
les ennemis un avantage très - confiderable . Cette
nouvelle a été apportée à S. M. par le Marquis
de Vogué , Meftre de camp , Lieutenant
du Régiment de Dragons Dauphin , & Maréchal
Général des logis , de la Cavalerie à l'armée
d'Italie .
Le Chevalier de Pont , Colonel du Régiment
de Baffigny , a été nommé par S. Majefté Brigadier
d'Infanterie , & le Comte de la Guiche
Meftre de Camp Lieutenant du Régiment de
Condé , a été nommé Brigadier de Cavalerie .
Le Roi a donné le Régiment d'Anjou , Infanterie
, à la tête duquel le Chevalier de Rochechouart
Faudoas a été tué à la Bataille de Plaifance
, au Chevalier de Rochechouart fon frere
, Major de ce Régiment. S. M. a accordé
celui de Dragons Dauphin , dont le Marquis
de Lefcure , tué à la même action , étoit Mef- *
tre de Camp du Regiment d'Anjou , & Maréchal
Général des Logis de la Cavalerie à l'armée
du Roi en Italie.
NOMINATION de M. l'Archevêque de Vienne à
Archevêché de Paris.
Le 5 de ce mois le Roi nomma M. l'Arche
vêque de Vienne à l'Archevêché de Paris vacant
par la mort de M. de Bellefont ; il fe nomme
Chriftophe de Beaumont daepaire. Il fut reçu
Chanoine & Comte de Lyon aux Fêtes de la
Touffaint de l'an 1732 ; il étoit Grand Vicaire
en 1734 de l'Evêque de Blois ( François de
Cruffol d'Uzés d'Amboife , fon coufin il fur
nommé à l'Abbaye de Notre - Dame de Vertus
O. S. A. au Diocefe de Châlons en 1738 , puis
à l'Evêché de Bayonne , & facré le 24 Décem
168 MERCURE DE FRANCE.
bre 1741 , & enfin transferé à l'Archevêché de
Vienne par la démiffion deM.leCardinal d'Auvergne
, au mois d'Avril 1745. Il eft né en
1701 ou 1702 , & eft fils de François de
Beaumont , Chevalier Seigneur de la Roque
Fayac du Repaire , de faint Aubin , de Caftel
& c. enPerigord , Guidon de laCompagnie de
Gendarmes de feu M. Philippe de France Duc
d'Orleans frere unique du Roi Louis XIV. en
1677 , & de Dame Marie- Anne de Loftanges
de faint Alvaire mariée le 10 Janvier 1699 , petite
fille d'Elifabeth du Cruffol d'Uzés , Il a pour
frere le Comte de Beaumont du Repaire retiré
dans fes terres auprès de Perigueux , lequel a
plufieurs enfans encore jeunes , dont l'aîné âgé
de 15. à 16 ans eft actuellement Sous- Lieutenant
au Régiment des Gardes- Françoifes . La
Maifon de Beaumont eft originaire du Dauphiné
, où eft fituée la Terre de ce nom , près la
Mure en Graifivodan , & d'une nobleſſe marquée
par fon ancienneté , étant connue il y a
plus de 500 ans , & par fes alliances . Laurent
de Beaumont Chevalier Seigneur de Beaumont
& de Montfort en Dauphiné quatriéme ayeul
de M. l'Archevêque de Paris , fut marié le 1
Décembre 1538 avec Delphine de Verneu
Dame de Pompignan , & de Peyrac , & fut
pere de Charles de Beaumont Chevalier Seigueur
de Montfort , qui par le mariage qu'il
contracta le 3 Mars 1577 avec Antoinette du
Pouget fut Seigneur du Repaire & de faint
Aubin , & ce fut par ces deux alliances que
cette branche de Beaumont fe tranfplanta dans
le Haut Languedoc , le Quercy & le Perigord.
Ilfe voit par les quartiers que M. l'Archevêque
produifit lors de fa réception de Chanoine &
Comte
AOUST 1746. 169%
Comte de Lyon , & dans lefquels entrent les
noms d'Alleman , de Touchebeuf , de Salignac,
de Baynac , de Lauzieres , Themines , de
Fumel, de Hautefort, de Chabannes , de Bonneval
, de Blanchefort, d'Efcars , deVienne , de Baufremont,
de Loftanges, de Montberon , deGouefdon
Genouillac , de Cruffol Uzès , de Clermont
Tonnerre , de Poitiers S. Valier , de la Queille ,
Châteaugay de Bethurnay , de Bourbon Ca
rency, duSaix & de Seneret, & c. que ce Prelat a
l'avantage d'être allié & parent à ce qu'il y a de
Grand dans le Royaume , outre celui d'avoir
pour dixiéme ayeul, AmblardSeigneur de Beaumont
l'un des principaux Seigneurs qui porterent
le Dauphin Humbert II . à transporter le
Dauphiné au fils de France , & qui en fignerent
le Traité au mois d'Avril 1343. Entre les differentes
branches forties de cette maifon ; celle
des Seigneurs d'Autichamp de laquelle eft Mre.
François de Beaumont d'Auticham pEvêque de
Tulles depuis l'année 1740 (ubfifte encore dans
le Dauphiné avec beaucoup de diftinction :
les armes de Beaumont du Repaire font de gueules
à une faffe d'argent chargée de trois Fleurs -de-
Lys d'azur voyez la Généalogie de cette Maifon
imprimée & dreffée par Allard , ou plûtôt .
celle qui eft imprimée dans l'Hiftoire des Mazu,
res de l'Ille-Barbe par le fieur le Laboureur.
Sa Majefté a fait Brigadiers d'Infanterie le
Marquis de Stainville , Colonel du Régiment
de Navarre , & le Marquis de Maupcou , Colonel
de celui de Bigorre , lequel eft arrivé à
Verſailles le 7 de ce mois avec les drapeaux
des trois Bataillons qui étoient dans Charleroy,
& qui ont été faits prifonniers de guerre.
H
170 MERCURE DE FRANGE . •
•
Le Roi a donné le Régiment d'Infanterie de
la Reine dont le Chevalier de Teffé , mort de
la bleffure qu'il avoit reçue à la bataille de
Plaifance , étoit Colonel- Lieutenant , au Marquis
de Gouy Colonel de celui de Gaſtinois ; le
Régiment d'Infanterie , vacant par la mort du
Comte de la Tour d'Auvergne , au Chevalier
de la Tour d'Auvergne fon frere , Capitaine
dans le Régiment de Cavalerie de Bellefont ,
& le Régiment de Cavalerie d'Anjou dont le
Marquis de Vogué étoit Meftre de Camp , à
M. de Lupecourt, Capitaine dans ce Régiment.
' On a reçu avis par un navire marchand , revenu
depuis peu de la Martinique , que le
Chevalier de Conflans Capitaine de vaiffeau
y étoit arrivé le 16 du mois de Juin dernier
avec la flotte de deux cent quatorze navires
mrrchands deftinés pour les Ifles Françoiſes
& qu'il étoit chargé d'eſcorter avec les vaiffeaux
du Roi qu'il commande.
On a appris auffi que M. de Macnemara , Capitaine
de vaiffeau , qui a eſcorté avec les vaiffeaux
du Roi une autre flotte de navires marchands
venans de l'Ile de Saint Domingue
avoit relâché au Port de la Corogne avec cette
flotte dont le chargement eft eftimé plus de
trente millions.
AOUST . ' 1746. 171
ENVOI d'un Amour fans arc & fans
bandeau, tenant unflambeau à la main .
Tu vois l'Amour foumis à ta puiſſance
Doris ; ce n'eft point en vainqueur
Que je veux triompher de ton indifference ;
Daphnis t'aime ; je viens parler en ſa faveur:
Je dépofe en tes mains le refte de mes armes
Tu tiens déja mes waits,prends auffi mon flambeauž
Il me manque ici mon bandeau ,
•
Daphnis l'a pris pour efluyer fes larmes.
Que te faut-il encor pour flêchir ta rigueur ?
Crains-tu de le compter au rang des infidéles
Si tu répons à fon ardeur ?
Eh bien , Doris , engage-lui ton coeur ;
Et pour garant du fien je te livre mes aîles .
Le Privilege exclufifdu fieur Macary de trois
differentes machines pour la fûreté du commerce
& de la navigation a été enregistré au Parlement
de Paris fuivant fes forme & teneur le 20
Avril 1746.
Meffieurs les Intendans des Provinces ont
fait imprimer & afficher ce Privilege dans toute
l'étendue du Royaume.
Avec le fecours de ces machines on peut
rendre telle riviere que ce foit navigable , cu-
Hij
7 2 MERCURE DE FRANCE
T
rer les Ports de mer , donner les profondeurs
néceffaires pour la fûreté de la navigation
recurer les marais falans perdus & abandonnes,
les remettre dans leur premier état & recurer
les foffés des fortifications.
Le fieur Macary a 'formé une compagnie
pour l'exécution de ce Privilege , avec laquelle
il eft en état d'entreprendre toutes fortes d'ouvrages
aufquels fes machinesfont propres , & de
donner bonne & fuffifante caution pour lefdi
tes entrepriſes.
Son adreffe eft chés M. le Chevalier Defpuech, rue
de Richelieu , vis- à- vis la rue Vildot.
On recevra toutes fortes de lettres & paquets
affrauchiffant les ports.
MANDEMENT de fon Eminence le Car
dinal de Tencin , Archevêque & Comte de Lyon ,
qui ordonne que le Te Deum fera chanté dans toutes
les Eglifes de fon Diocèfe , en actions de graces
de la prife de Saint Guillain & de Charleroy.
PIERRE DE GUERIN DE TENCIN , & C . Voici
encore , Mes Très- chers Freres , un de ces événemens
ou la promptitude du fuccès jointe à
l'importance de la conquête ,,"doit redoubler
notre joie & notre reconnoiffance envers le
Seigneur. La promptitude du fuccès nous laiffe
moins de fang à regretter. L'importance de la
conquête devroit difpofer enfin les ennemis à
la Paix. Mais quoi ! le vainqueur feul la defire
, & les vaincus ne refpirent que la guerre.
(a) Diffipez- les , Grand Dieu ; ou plûtôt touchez
leurs coeurs. Verfez-y ces fentimens d'équité
& d'humanité que vous avez mis dans celui
de notre Augufte Monarque. Rendez tous les
Princes de l'Europe auffi fenfibles que lui aux
A OUST.
1746. 173
maux affreux que la guerre entraîne après elle .
Qu'ils aiment leurs fujets , comme il aime les
fiens , & qu'ils faffent , comme lui , leur bonheur
& leur gloire d'en être aimés . Les Souverains
devroient être d'autant plus jaloux de
cet amour de leurs peuples , que c'eft le feul
bien que puiffent acquérir encore ceux à qui
leur naiffance a déja donné tous les autres.
A CES CAUSES , & C.
(a) MandaDeus virtuti tua ... Diffipagentes qua
bella volunt Pl. 67. 29.
Audivimus quod Reges Ifrael clementes fint 3
Reg. 6. 20. 31.
OPERATIONS DE L'ARME’E
DU ROI.
Au Camp de Walhem les Août .
Sque l'es Allies continuoient de s'avancerdans
UR l'avis qu'on reçût le 30 du mois dernier
le deffein d'occuper le camp de Gemblours ,
le Maréchal Comte de Saxe prit la réſolution
de les prévenir , & de fe rendre dans ce camp ,
avant qu'ils puffent y arriver . Pour cet effet
il fe mit en marche le même jour à neuf heures
du foir avec dix Compagnies de Grenadiers
, un pareil nombre de Piquets , les Carabiniers
, le Régiment de Dragons de Septimanie
, & celui de Huffards de Beaufobre . Le
174 MERCURE DE FRANCE.
lendemain à cinq heures du matin il arriva
avec ces troupes à la hauteur de Conroy , où
il fut joint par le Corps que commandoit le
Comte d'Eftrées , Lieutenant General . S'étant
avancé dans la plaine de Gemblours , il marqua
le camp , la droite en arriere de Sauveniay
, & la gauche au Village de Nielle Saint
Martin , & il établit le Quartier general à Walhem.
En même temps il envoya ordre au refte
de l'armée , qui l'avoit fuivi fur cinq colonnes
, de marcher vers ce camp avec le plus de
diligence qu'il feroit poffible . Elle y fut dès le
foir prefque entierement raffemblée , & cette
marche , quoique de plus de fept lieuës , &
malgré la difficulté des chemins , s'eft faite fans
confufion. Le Corps commandé par le Comte
de Clermont , & celui qui étoit aux ordres du
Comte de Lowendalh , fe réunirent le 31 avec
l'armée , qui par ce renfort fe trouva compofée
de cent huit Bataillons & de cent quatrevingt-
quatorze Efcadrons , fans y comprendre
huit Bataillons & trente- huit Efcadrons , avec
lefquels le Marefchal Comte de Saxe a ordonné
au Comte d'Eftrées d'aller mafquer le paffage
du Mazy fur l'Orneau, Le Maréchal Comte
de Saxe par fa pofition ferme le paffage du
défilé des Cinq Etoiles , qui eft le feul chemin
par lequel les ennemis auroient pû pénetrer
dans la plaine. Le Prince de Conty ayant
quitté fon camp fous Charleroy le 3 de ce mois
à deux heures du matin , fe porta le même jour
à Sombref, & le lendemain à Conroy. Il joint
par fa gauche la droite de l'armée que commande
le Maréchal Comte de Saxe , & il n'eft
qu'à une demie lieuë des ennemis qui font
Foftés au camp du Mazi le long de l'Orneau.
AOUST. 1746. 175
Tous les équipages de l'armée du Prince de
Conty font reftés à Marchienne au Pont , près
de Charleroy.
Le neuf.
Il eft parti le 8 le 9 deux détachements confiderables
, l'un de l'armée que commande le
Maréchal Comte de Saxe , l'autre de celle qui
a fait le fiege de Charleroy fous les ordres du
Prince de Conty. Le bruit court que les ennemis
, qui ont rapproché de leur droite leurs
troupes legeres , fe font étendus par leur gauche
, & l'on eft d'autant plus impatient d'apprendre
à quel parti ils fe détermineront , que
felon les apparences leurs premiers mouvements
décideront du refte des operations de
cette campagne . Le 9 l'armée a fait vers les
fources de la Dyle un fourage general , qui a
été commandé le Comte de la Vauguion ,
Maréchal de Camp. Les détachemens du
Marquis d'Armentieres & du Comte de Froulay
font revenus à l'armée , fans avoir rencontré
d'ennemis fur leur route. Trois cent
hommes du Regiment de la Morliere attaquerent
a le 7 dans le Village de Rochepaille
quatre cent des ennemis , dont un grand nombre
a été tué , & le refte mis en fuite. Le Marquis
de Saint Germain a été nommé par le Maréchal
Comte de Saxe pour commander à
Waure fur la Dyle , & les troupes qui font
dans ce pofte ont été renforcées du Regiment
Royal Dragons & de celui de Septimanie .
par
Au Camp de Thyn le 20.
L'Armée du Roi commandée par le Maré
476 MERCURE DE FRANCE.
chal Comte de Saxe, alla camper le 19 à Thyne
près d'Hennuye , la droite appuyée à la Tombe
de Soleil , la gauche au Village de Breff , & le
centre vis- à-vis de ceux de Thyne & d'Hennuye.
La marche de l'armée , quoique fous les
yeux de celle des Alliés , dont en arrivant
à ce camp on découvrit la plus grande partie
vis-à-vis du camp , s'eft faite avec autant d'ordre
que les précédentes , & la prefence des ennemis
n'a point empêché l'exécution des ordres
donnés par le Maréchal Comte de Saxe. Le
Comte de Lowendahl , lequel avec le déta
chement qui occupoit le pofte des cinq Etoies
, & deux mille hommes de Cavalerie qu'on
y avoit joints , a fait l'arrieregarde , a été ſuivi
par les troupes légeres des ennemis , & par un
détachement de quatre mille hommes d'Infanterie
, à la tête duquel étoit le Prince Charles
de Lorraine. Malgré leur grand feu qui a duré
pendant huit heures , & auquel celui de nos
troupes a répondu avec beaucoup de vivacité
la marche de l'arriere- garde n'a point été dérangée
, & la perte de deux mille hommes
que les Alliés ont faite en cette occafion , eft
une preuve du courage avec lequel les François
ont foûtenu les efforts des ennemis , & ont
fecondé les difpofitions faites dans cette marche
par le Comte de Lowendahl & par le Marquis
d'Armentieres. Les François y ont perdu
cent cinquante hommes , du nombre defquels
eft Monfieur de Lombefcure , Lieutenant Colonel
du Régiment de Cavalerie de la Reine.
Les dernieres lettres du Camp de Thyne
marquent que le Comte de Lowendahl , Lieutenant
Général , ayant été détaché de l'armée
Four s'avancer à Huys , il avoit fait occuper
1
AOUST.
1746. 177
ce pofte , dans lequel les ennemis avoient des
magafins confidérables .
HHHHHEDE
ARRESTS NOTABLES.
ARREST du Confeil d'Etat du Roi , & lettres
patentes fur icelui , données à Versailles le 5 Avril
1746. Registrées en Parlement le 25 Mai fuivant.
Qui ordonnent l'acquifition pour le compre du Roi
de l'Hôtel de Longueville , à l'effet d'y établir les
Bureaux néceffaires à la régie de la ferme de Tabac.
LETTRES patentes du Roi , & reglement concernant
les Etoffes de laine ou mélées de laine , foie
ou fil , qui fe frabriqnent dans lu Généralité de Tours.
Données au Chateau de Boucbout le 27 Mai registrées
enParlement.
ARREST du Confeil d'Etat du Roi du 4. Jain
pour obliger les Propriétaires des héritages aboutiflans
à la riviere d'Eure à faire les réparations néceffaires
fur les bords d'icelle , & à entretenir les
shemins fervans au ballage & tirage des bâteaun
chargés defel , &c.
ARREST du Confeil d'Etat privé du Roi du 13
qui ordonne que dans un an , à compter du jour
de l'enregistrement fait en la Chambre Syndicale du
prefent Arrêt , les Soufcripteurs des ouvrages intitulés
Hiftoire Généalogique & Chronologique
de la Maiſon Royale de France , en neuf vo-
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
lumes in-folio & Oeuvres de Moliere en fix
volumes in-quarto , enrichis de Figures , ferons
demeureront déchus du bénéfice quileur a été accordé
par leurs Soufcriptions , fans même qu'ils puiffent
prétendre que les Imprimeurs & Libraires leur
rendent complets les Exemplaires dont ils auroient
retiré partie.
DECLARATION du Roi du 5 Juillet , qui indique
aux Propriétaires des Maifons , Edifices, Boutiques
, Echoppes , Jardins & Places de la Ville &
Fauxbourgs de Paris les moyens de juftifier des payemens
faitspour le rachat ordonné par Edit du mois
de Janvier 1704 , pour l'entretien des Lanternes
Pompes publiques l'enlevement des Boxes de ladi
se Ville.
AR REST du Confeil d'Etat du Roi du 12 „ qui
permet pendant une année , à compter du 18 Septembre
1746 , l'entrée dans le Royaume des Beurres
venans d'Angleterre , d'Ecoffe & d'Irlande
payant les droits quifont dus.
en
ARREST du Confeil d'Etat du Roi du 21 , qui
preferit ce qui doit être obfervé par les Marcbands
qui ont dans leurs Bontiques & Magafins des ouvra
e de dorure fauffe , fabriqués avant la déclaration
du 21 Mai 1746.
AOUST. 1746. 179
NOUVELLES ETRANGERES.
ALLEMAGNE.
?
N mande de Vienne que les circonftances
qui avoient déterminé la Reine de
Hongrie à faire affembler une armée dans
I'Empire , & à en deftiner le commandement
au Prince Charles de Lorraine , étant changées
, fa Majefté a engagé fes Alliés à confentir
qu'il commandât en chef l'armée dans les
Païs-Bas. Ce Prince , après avoir pris congé le
10 du mois dernier de fa Majefté & du Grand
Duc de Tofcane , eft parti le lendemain pour
aller fe mettre à la tête de cette armée où
l'on compte qu'il eft arrivé le 22. La Reine a
conclu avec le Roi de la Grande Bretagne ,
le Roi de Sardaigne & la République des Provinces
Unies une nouvelle.Convention , par
laquelle elle confirme tous les engagements
pris antérieurement , & s'engage à n'accepter
aucunes propofitions que de concert avec ces
trois Puiffances . Le Prince de Saxe Hildburgshaufen,
qui commande en Croatie , a mandé à
la Reine , qu'il étoit convenu avec les Etats
de cette Province , qu'à l'avenir ils entretiendroient
pendant la guerre un Corps de vingt
mille hommes pour le fervice de fa Majefté , &
que pour en faciliter les moyens , on obligeroit
les habitans de payer en argent le taxe
qui leur feroient impofées. Sa Majefté a reçu
180 MERCURE DE FRANCE.
avis par les mêmes dépêches , que le Prince
de Saxe Hildburgshaufen s'étant fait rendre
compte des divers fujets que les Croates prétendoient
avoir de fe plaindre , il avoit pris
les mesures convenables pour prévenir les
abus qui s'étoient introduits dans la perception
des droits & dans l'adminiſtration de la Juftice .
Les lettres de Petersbourg marquent que l'Imperatrice
de Ruffie avoit fait un voyage à Czarska-
Zelo , & qu'elle étoit retournée enfuite à
Petershoff. Selon les mêmes lettres , trois des
Regimens arrivés depuis peu de Mofcou font.
employés aux travaux que l'Imperatrice de
Ruffie a ordonné de faire à Petershoff, à Czarska-
Zelo & à Sufterbeeck .
Suivant les avis reçus de Drefde , le Prince
Eugene d'Anhalt- Deffau , qui eft entré au fervice
du Roi de Pologne Electeur de Saxe , a
été nommé par ce Prince pour commander
dans la Haute & la Baffe Luface , & Monfieur
de Minckwitz a été fait Lieutenant General
des troupes Saxones. Les lettres de Munich
marquent que le bruit couroit que l'Electeur
de Baviere avoit promis de fournir huit Bataillons
au Roi de la Grande Bretagne & aux
Etats Generaux des Provinces Unies , moyennant
un fubfide de cent cinquante mille écus
d'Allemagne par an . Celles de Manheim affûrent
que fur l'avis des excez que les troupes de
la Reine de Hongrie ont commis en traverfant
le Baillage de Mulheim , l'Electeur Palatin a
ordonné à fes fujets de prendre les armes en
pareille occafion , pour repouffer la violence ,
& de n'accorder à l'avenir que le fimple paf
fage à ces troupes.
AOU ST. 1746. 181
Le 20 du mois paffé la Reine de Hongrie tint
un Confeil , après lequel on fit partir des couriers
pourPeterſbourg, Drefde, Munich,Londres
& la Haye .
M. Lanczinsky , Miniftre Plenipotentiaire
de l'Imperatrice de Ruffie auprès de la Reine
, eût le 9 du mois paffé une audience
particuliere de fa Majefté , & il fut admis enfuite
à celle du Grand Duc de Tofcane. Ils eft
tenu , à l'occafion des dépefches dont ce Mi
niftre a donné part à la Reine , un Confeil
d'Etat après lequel on a fait partir un Courier
pour Petersbourg. Le 10 , fa Majefté al-
Ia avec le Grand Duc de Tofcane , l'Archiduc ,
le Prince Charles & la Princeſſe Charlotte de
Lorraine , dîner à Herzendorf chés l'Imperatrice
Premiere Doüairiere , & de ce Château
elle fe rendit à celui de Mannerftorf..
Le Gouvernement à la requifition du
Comte de Podes wil a fait faifir tous les exemplaires
d'un ouvrage , dans lequel l'Auteur'
parle peu refpectueufement du Roi de Pruffe .
Un grand nombre d'ouvriers eft employé à
travailler aux armes & aux habits uniformes
des nouvelles troupes qu'on a levées en Croatie
, & dont une partie s'eft dé a miſe en marche
vers l'Italie . Les Commiffaires nommcs
par fa Majefté pour inftruire le procez du Prince
Cantacuzene , ont fait rapport qu'il paroiffoit
par fes propres lettres , que fon deffein
avoit été d'exciter le Grand Seigneur à une
rupture avec la Reine , & de profiter de la divifion
des deux Puiflances , pour s'affurer la
Souverain de la Valachie , & que par- là
s'étant rendu coupable de haute trahifon ,
<
# 2 MERCURE DE FRANCE.
avoit merité la mort. La Reine a charge fon
Miniftre à Conftantinople de déclarer au
Grand Vifir qu'elle étoit fort éloignée de pen
fer que le Grand Seigneur eût la moindre connoiffance
de ce complot ; qu'elle ne confideroit
dans cette affaire que les mauvaiſes intentions
du Prince Cantacuzene , & qu'elle avoit de fi
fortes preuves de la fincerité des affurances de
fa Hauteffe , qu'elle fe repofoit fur les déclarations
de la Porte avec la plus parfaite confiance
. Le jugement du Baron de Trenk lui fera
prononcé inceffamment ; on croit que le Reine
lui accordera la vie , & qu'il fera conduit à la
Fortereffe de Gerolzeg dans leTirol,pour y demeurer
en prifon le refte de fes jours . Les cha-
Jeurs font fi exceffives , que plufieurs perfonnes
font mortes en ' travaillant dans la campagne .
Sur la nouvelle que la Reine de Hongrie reçut
Je 27 du mois dernier de la mort du Roi d'Efpagne
, fa Majefté tint le même jour à Schombrun
un Confeil extraordinaire , & le lende--
main on fit partir deux couriers , l'un pour
Petersbourg , l'autre pour l'armée d'Italie ,
dont la Reine a appris ces jours- ci que la
jonction s'étoit faite avec les troupes du Roi
de Sardaigne. Le Marquis de Rotta a envoyé
à fa Majefté le plan des operations par lefquelles
ce Prince fe propofe d'empêcher avec
les deux armées réunies les troupes Françoifes
& Efpagnoles de tirer des vivres & des contributions
du Milanez . Le Corps de Croates
qui eft en marche vers l'Italie , eft compofé de
cinq mille hommes : on compte qu'il fera bientôt
fuivi de quelques autres troupes de la mê
me nation , & le bruit couroit que la Reine a
AOUST. 1746.
18%
réfolu d'envoyer au Marquis de Botta , outre
ces renforts , plufieurs Régimens qu'on tirera
du Royaume de Hongrie . Les Etats de la Baffe
Autriche ont accordé à la Reine un fubfide
extraordinaire de cinq cent mille florins , &
cette fomme , dont fa Majefté a déja reçu la
plus grande partie , eft deftinée à payer les
appointemens dûs aux Officiers de l'armée
d'Italie . Le Grand Duc de Tofcane nommera
un Commiffaire pour affifter de fa part à l'élection
que le Chapitre de Wurtzbourg doit
faire d'un Evêque , & il y a apparence que le
même Commiffaire fera chargé de fe trouver
auffi à celle de l'Evêque de Bamberg. Les follicitations
employées par plufieurs Puiffances
étrangeres , en faveur des Juifs du Royaume
de Boheme , n'ayant pas produit l'effet qu'on
en attendoit , l'Édit contre les perfonnes de
cette nation fera executé dans toute fa rigueur ,
& elles feront obligées de fortir des Etats de fa
Majefté dans le tems qui leur a été prefcrit.
Selon les nouvelles de Coppenhague , les trois
Vaiffeaux Danois qui font entrés il y a quelque
temps dans le Port de Lisbonne , doivent
fe rendre dans la Mediterranée , & le Chef
d'Efcadre qui les commande , a ordre du Roi
de Dannemarck , de negocier avec la Regence
d'Alger un Traité femblable à ceux qui fubfiftent
entre les principales Nations commerçantes
de l'Europe & cette Regence . On mande
de Stockholm que le Marquis del Puerto
Ambaffadeur du Roi d'Efpagne , a demandé
la révocation de l'octroi que le Roi de Suede
a accordé à Monfieur Arfwedſon , pour faire
des établiſſemens en Amerique , dans les ter-
·
84 MERCURE DE FRANCE.
res qui ne font point habitées par des Européens.
Suivant les avis reçus de Peterſbourg ,
le Prince Galliczin doit fe rendre en Perfe
ave caractére d'Ambaffadeur l'Imperatrice de
Ruffie.
L'Imperatrice de Ruffie accompagnée du
Grand Duc & de la Grande Ducheffe eft partie
le 21 Juillet pour fe rendre à Revel. L'affaire
concernant les differends entre le Roi
de Dannemark & la Maifon de Holftein n'a
pû être terminée avant le départ de ſa Majefté
Imperiale , mais le Grand Duc a fait affurer
T'Ambaffadeur de Sa Majefté Danoife qu'il
perfiftoit dans la refolution de fe prêter à
toutes les voyes de conciliation qui lui feroient
propofées ; que s'il fufpendoit la negociation
ce n'étoit que par l'impoffibilité
de la continuer pendant les voyages que devoit
faire l'Imperatrice , & qu'on recommenceroit
les conferences dès qu'on pourroit
compter qu'elles ne fuffent plus interrompuës.
Le Comte de Hoften n'ayant pu procurer
l'entier accommodement du Roi fon Maître
avec le Grand Duc , a voulu du moins ne rien
negliger pour refferrer les liens de la bonne
intelligence entre la Ruffie & le Dannemarck ,
& en engageant l'Imperatrice à figner un nouveau
Traité d'alliance & d'amitié avec fa Majefté
Danoife , il a réuffi dans la principale
commiffion dont il étoit chargé...
Selon les avis reçus de Munich , l'Electeur de
Baviere a conclu avec la Reine de Hongrie un
Traité , par lequel on affure qu'il s'engage à
entrer dans les mesures que cette Princeffe
jugera à propos de prendre pour l'avantage
& pour la tranquillité de l'Allemagne. Il n'a
AOUST. 1746. 185
pu obtenir que ſes ſujets fuffent déchargés des
Tommes qui leur restent à payer des contributions
exigées par les troupes de la Reine de
Hongrie , mais les deux Cours font convenues
de certains arrangemens par lesquels il trouvera
, fans debourfer d'argent , le moyen de
s'acquitter des quatre cent mille florins que fa
Majefté Hongroife lui a avancez après la fignature
du Traité de Fueffen. Le Traité de fubfide
que le Roi de la Grande Bretagne & la
République des Provincés Unies negocioient
avec l'Electeur de Baviere , a été figné le zi
Juillet. Ce Prince leur fournira un Corps de
cinq mille hommes , qui fera commandé par
le Prince de Saxe Hildburgshaufen , & qui fe
mettra en marche le 10 Août & ces deux
Puiflances lui payeront en quatre ans fix cent
mille écus. On mande de Coppenhague que
le Comte de Puſchkin , nouveau Miniftre de
l'Imperatrice de Ruffie auprès du Roi de Dannemark
, n'avoit point eu encore audience
de fa Majefté Danoife , & que ce Prince n'en
donneroit à aucun Miniftre Etranger, tant qu'il
continueroit l'ufage des remedes qui lui ont été
..ordonnés.
Le Roi de Pologne Electeur de Saxe a déclaré
le 26 Juillet que le mariage du Prince
Electoral fon fils étoit conclu avec la Princeffe
Marie Antoinette de Baviere , & que la
Princeffe Marie- Anne devoit époufer le Prince
Electoral de Baviere , mais on conjecture que
ces mariages ne feront célébrés qu'après que
S. M. fera revenue de Varfovie.
186 MERCURE DE FRANCE,
•
ITALIE.
,
a-
Onouvelle du peu de fuccez de l'entre-
N mande de Naples que la premiere
prife formée par l'Infant Don Philippe pour
chaffer les troupes de la Reine de Hongrie
de leurs retranchemens de San - Lazaro
voit caufé quelque inquietude , & que le Roi de
Naples avoit envoyé ordre à divers Régimens
de s'avancer dans l'Abruzze . Mais les lettres
qu'on a reçues depuis de l'armée combinée
d'Efpagne & de France , ont entierement raffuré
cette Cour , & l'on a appris que les ennemis
avoient fait une perte très- conſiderable
& que bien-loin d'avoir retiré quelque avan
tage de s'être maintenus dans leur pofition
ils n'étoient pas en état de s'oppofer aux courfes
que les troupes de fa Majefté Catholique
font jufqu'aux portes de Milan . On a recommencé
à payer les penfions qui avoient été fufpendues
depuis la feconde année de la guerre.
Les foldats d'un Bataillon de milice , qui étoit
en garnifon à Pizzo-Falcone dans la Calabre
Citerieure , ayant formé le complot de tuer
leurs Officiers , & de déferter avec leurs armes,
le Prince de Biffignano , Commandant de la
Place , a été averti affés-tôt de leur deffein
pour en prévenir l'exécution . Après avoir
fait inveftir ce Bataillon par des troupes réglées
aufquelles il avoit ordonné de s'avancer fecrettement
dans les envitons de Pizzo-Falcone , il
l'a fait defarmer , & l'on a mis aux fers les plus
coupables.
Le Marquis Philippe de Carretto s'étant avan-
Cé avec les Régimens de Montferrat , de Nice
AOUST . 1746. 187
7
& de Marina , & un Corps de Milices Piedmon
toifes , pour tâcher de s'emparer des Châteaux
de Caftelvecchio & de Zuccarello , il furprit
le 21 Juillet le Bourg de Cifano qu'il abandonna
au pillage , & quatre des principaux habitans
furent enlevés pour affurer le payement
des contributions . Il attaqua le 22 par trois endroits
le Château & le Bourg deZuccarello ,& il
chargea un détachement de fe rendre maître de
Caftelvecchio . Dès que Monfieur Saoli , Commiffaire
Général d'Albenga , fut informé de
l'entrepriſe des ennemis , il fit marcher au fecours
de ces deux poftes quelques Piquets &
toutes les milices qu'on pût raffembler . Monfieur
Aftengo , qui commandoit ce Corps , ne
put arriver affés - tôt pour empêcher la prife
de Zuccarello . La Garnifon dé ce Château
avoit déja capitulé , à condition qu'on lui accorderoit
les honneurs de la guerre , & les milices
Piedmontoiſes difperfées de côté & d'autre
, pilloient & ravageoient les environs . Ne
mettant même aucun frein à leur licence , elles
avoient porté l'excez jufqu'à dépouiller & maltraiter
le Podeftat & fon Chancelier. Tandis
qu'elles étoient occupées à tranfporter leur
butin , Monfieur Aftengo , malgré la fuperiorité
des ennemis , forma le projet hardi de reprendre
le pofte de Zuccarello. Après avoir
mis en fuite les Barbets , & avoir fait occuper
toutes les hauteurs voifines du Château ,
fomma le Marquis de Carretto de fe rendre
prifonnier avec toutes fes troupes. Ce dernier
voulut tenter de s'ouvrir le paflage l'épée à la
main , mais il fut répouffé , & contraint d'accepter
la propofition qui lui avoit été faite.
Monfieur Franchi , Lieutenant Colonel , qui
il
188 MERCURE DE FRANCE.
commandoit dans Caftelvecchio , s'étoit défendu
avec tant de valeur , & avoit fait plufieurs
forties avec un fi grand fuccez ,. que les
ennemis avoient abandonné l'attaque de ce
pofte. Les Piedmontois ont eu aux deux attaques
foixante hommes de tués : on leur a fait
trois cent quatre - vingt - quatre prifonniers ,
parmi lesquels font vingt & un Officiers , fans y
comprendre le Marquis de Carretto , & illeur
a deferté deux cent cinquante foldats. Le Roi
de Sardaigne , dans le deffein de contraindre
le Gouvernement de Génas de lui rendre quatre .
Contrebandiers d'Oneille , qui y ont été arrêtés
fait enlever à Novi quatre jeunes gens , dont
deux font fils de Nobles Genois. Les Seigneurs
des terres , fituées dans les environs de cette
derniere Ville , n'ayant point payé les contributions
que ce Prince leur avoit demandées ,
il a fait vendre tous les meubles & autres effets
qui fe font trouvés dans leurs Châteaux &
leurs maifons de Plaifance . Les troupes de la
Reine de Hongrie ont bombardé Plaifance pendant
quatre jours , mais feulement par intervalle
, & elles n'y ont caufé que très - peu de
dommage , n'y ayant eu que trois perfonnes
de tuées. Ges troupes diminuent tous les jours
par la grande défertion & par les maladies.
L'Infant Don Philippe reçut peu de jours.
après à Codogno , où il a établi fon Quartier
general , un courier du Marquis de Caftellar ,
qui commande dans Plaifance , & il apprit par
ce courier que les ennemis , après avoir jetté
des bombes dans cette Place , mais fans fuccez,
s'étoient retirés des poftes avancés qu'ils occupoient
dans les environs. Auffi- tôt le Comte
de Gages alla reconnoître leur pofition , & ce
AOUST . 1746. 189
Général s'étant affuré qu'ils étoient retournés
dans leur camp de San Lazaro , l'Infant a jugé
à propos de ne pas s'éloigner de l'Adda & du
Lambro. Le Corps de troupes , qui eft fous les
ordres du Marquis Pignatelli , s'eft avancé à
Malleo , & un détachement de ce Corps s'eft
emparé du Pofte de Saint François , où l'on
a placé des batteries , qui ont déja commencé
à tirer contre le Fort de Ghera d'Adda . Le
Marquis de Mirepoix , Lieutenant Général des
troupes Françoifes , à la tête de quelques Compagnies
de Grenadiers & de huit Bataillons
a tenté dernierement de furprendre Pavie , &
il avoit déja penétré dans les Fauxbourgs , mais
la vivacité du feu de moufqueterie de la garnifon
obligea lesFrançois de fe retirer. Un détachement
des mêmes troupes a enlevé quinze
bâteaux chargés de vivres & de munitions de
guerre , aufquels le Roi de Sardaigne faifoit
defcendre le Po , & l'on a fait prifonniers quatre
cent hommes de l'eſcorte de ce convoi .
,
Le Grand Duc de Tofcane exige que les Seineurs
qui poffedent des fiefs Imperiaux fur la
côte Orientale de l'Etat de Génes , lui rendent
hommages & payent les taxes qui leur
feront impofées , & le Gouvernement Génois
ayant lieu de craindre que ce Prince n'employe
la violence pour appuyer fes prétentions
, on a armé tous les pay fans de la côte ,
& l'on a détaché 600 hommes pour s'oppofer
aux entrepriſes de quelques partis de Huffards
qui ont paru fur les hauteurs voisines .
L'armée de la Reine de Hongrie ne pouvant
demeurer plus long- tems dans fon camp de San
Lazaro, tant par la difficulté d'y fubfifter , qu'à
caufe de l'infection caufée par les cadavres qui
190 MERCURE DE FRANCE.
ont été enterrés dans les environs , elle fe remit
en marche le 16 Juillet fur trois colonnes
, pour s'approcher des troupes du Roi
de Sardaigne , avec lefquelles elle eft actuellement
réunie . Le 17, avant que la jonction des
deux armées fut faite , le Roi de Sardaigne fe
rendit à celle de la Reine de Hongrie , où il
fut reçu au bruit d'une falve generale d'artillerie
, & après avoir parcouru la premiere &
la feconde ligne , il dîna chés le Général Botta.
Il prit le lendemain le commandement general
des deux armées , & il ordonna que feize Bataillons
& douze Efcadrons des troupes Allemandes
, ainfi que quatorze Bataillons Piedmontois
& trois Regimens de Cavalerie de la
même nation , ſe tinffent prêts à marcher. La
réunion des armées ennemies n'a rien changé à
la pofition des troupes Efpagnoles & Françoifes
, le Quartier general de l'Infant Don Philippe
étant refté à Codogno , & celui du Maréchal
de Maillebois à Cafal Puftallengo : le pofte
de Saint François a continué d'être occupé
par quatre mille Efpagnols , & l'Infant a fait
avancer à Cravazuca le Duc d'Arcos avec plufieurs
Compagnies de Grenadiers & mille hommes
de Cavalerie . Il y a eu à Génes quelques
fecouffes de tremblement de terre , & elles ont
été beaucoup plus violentes à Lucques , à Maffa
, & dans quelques autres endroits . La maladie
épidemique , qui a regné l'année derniere
parmi les beftiaux , recommence à caufer de
nouveaux ravages dans ce païs . Selon les lettres
écrites de Naples , fa Majefté Sicilienne a
nommé Viceroi de Sicile , à la place du Prince
Corfini , le Duc de la Viefville qui commande
AOUST 1746.
190
lés troupes Napolitaines en Lombardie , & elle
a donné au Prince d'Arragona la charge de Majordôme
Major de la Reine des Deux Siciles.
Prefque toutes les troupes de la Reine de
Hongrie ayant repaffé le Po , & le parti que
le Marquis de Botta a pris de faire transferer
dans le Mantoüan les Hôpitaux qui étoient à
Parme , donnant lieu de croire que les ennemis
ne penfent point à revenir dans leur camp.
de San Lazaro , la;Ville de Plaiſance a r'ouvert
plufieurs de fes portes. Le Roi de Sardaigne ,
dont l'armée continue de s'affoiblir par les maladies
& par la defertion , eft campé entre Pavie
& la riviere d'Ambro. Les ennemis ont attaqué
deux des ponts conftruits fur le Po par les
Eſpagnols , mais ils ont été repouffés avec une
perte confiderable , & l'on a appris non-feufement
qu'ils avoient envoyé à Cremone un
grand nombre de chariots chargés de bleffés ,
mais encore qu'il étoit arrivé à Plaiſance beaucoup
d'Officiers & de foldats Piedmonteis
qui ont été faits prifonniers de guerre en cette
occafion. L'Infant Don Philippe eft décampé
de Codogno , pour marcher à l'Hospitaletto
où il a établi fon Quartier general. Il paroît
que ce Prince eft dans le deffein de travailler
ferieuſement à rouvrir la communication entre
cet Etat & la Lombardie. Six Bataillons François
, arrivés de Provence , ont été joints par
un pareil nombre de Bataillons Génois , &
l'on compte que ce Corps , avec les troupes
Efpagnoles & Napolitaines qui font dans les
environs de Génes , fera en état de donner de
l'inquiétude au Roi de Sardaigne . Le Marquis
de Mirepoix , qui doit avoir le commandement
de ce Corps , s'eft rendu à Génes .
192 MERCURE DE FRANCE.
Peu de temps après que le Roi de Sardaigne'
eut paffé le Po , & fe fut porté avec ſon armée
dans le Pavefan , où il a été joint par un Corps
de douze mille hommes des troupes de la Reine
de Hongrie , l'Infant Don Philippe étoit décampé
de Codogno , & il s'étoit approché du
Lambro , dans le deffein de difputer aux ennemis
le paffage de cette riviere depuis fon embouchure
jufqu'à San Columbano.
,
Une partie de l'armée du Roi de Sardaigne
s'étant avancée à San Angelo , on n'eût plus
lieu de douter que les ennemis ne penfaffent à
s'emparer de Lodi , afin d'empêcher l'armée
combinée d'Espagne & de France de continuer
de mettre le Milanez à contribution , & de tirer
des vivres de l'Etat de Venife . L'Infant
n'étoit point à portée de fecourir cette place ,
& les magafins , qui avoient été établis dans
Plaiſance n'étoient fuffifans que pour faire
fubfifter l'armée pendant trois femaines. Ces
raifons ont déterminé ce Prince à revenir
dans le Tortonois , & le Confeil de guerre
dans lequel cette réſolution fut prife , décida
que la nuit du 8 au 9 de ce mois on repafferoit
le Po fur trois ponts entre la Trebia & l'em- `
bouchure du Tidon. L'ordre ayant été envoyé
dès le 7 aux troupes qui étoient dans Lodi
d'abandonner ce pofte , l'armée commença le
8 au foir à fe mettre en mouvement , & l'avant
garde , compofée de trente Compagnies
de Grenadiers , des fix Bataillons de la Brigade
de la Reine , & de 500 hommes de Cavalerie
& commandée par le Marquis de la Chetardie ,
Maréchal de Camp , defcendit le Lambro depuis
Corte di Sant Andrea , partie fur des bâteaux
AOUST 1746. 193
=
teaux deftinés à l'établiffement des ponts , partie
le long de la rive gauche de la riviere .
Les troupes avec lefquelles le Comte de
Monteynard étoit à Albarone s'embarquerent
en même tems fur la rive droite , & fe rendirent
à l'embouchure . Tous les bâteaux qui devoient
former deux des ponts , y étant arrivés ,
le premier pont fut achevé le 9 à la pointe du
jour , le ſecond deux heures après , & le troifiéme
, qui remontoit de Plaifance , ayant été
perfectionné à midi , toute l'armée fuivie de
fes équipages , de quatre mille mulets , de
mille chariots des vivres, & de foixante pieces
de canon , paffa le Po dans la journée & dans
la nuit fuivante .
Le Marquis de la Chetardie après avoir
brûlé un pont que les ennemis avoient fur le
Bas Tidon , fe pofta à la gauche de cette riviere
, & à mesure que l'armée defila , elle fe
forma le long de la rive droite , pour couvrir
les équipages & l'artillerie , tandis que le Comte
de Monteynard chaffa les ennemis de Parpanefe
, & qu'un détachement des troupes Efpagnoles
, aux ordres de Don Carlos Mighel
s'avança vers Caftel San Giovani.
po-
Le io à la pointe du jour l'armée paffa le Tidon , & elle fe difpofoit à continuer fa marche
, lorfque le Marquis de Botta , qui pencamp
devant
dant la nuit s'étoit porté de fon
Plaiſance à Rottofreddo
avec toutes les troupes
qu'il commande , vint reconnoître la
fition des Eſpagnols & des François . Se flatant
de pouvoir leur couper le chemin de San Caftel
Giovanni , il paffa auffi la riviere , & il attaqua
l'aile qui étoit fous les ordres du Marquis
Pignatelli Le feu des Grénadiers de cette aile
I
194 MERCURE DE FRANCE.
arrêta les ennemis , & donna lieu au Marquis
de Sennecterre , Lieutenant Général des troupes
Françoifes , de s'avancer avec les Brigades
d'Anjou & des Gardes Lorraines . Ce Lieutenant
Général fit prendre pofte à pluſieurs piquets
de cette derniere Brigade fur une chauffée
dont le Marquis de Botta vouloit fe rendre
maître , & il plaça des troupes dans les caffines
à droite & à gauche de la chauffée . Avec
le refte des deux Brigades il chargea fi vivement
les ennemis que ceux-ci ayant été attaqués
en même tems par la Cavalerie Eſpagnole
& par un Efcadron du Régiment de Dauphin ,
Cavalerie , ils furent obligés de repaffer en
defordre le Tidon , & les Régimens des Dragons
Efpagnols de la Reine & de Sagonte envelopperent
le Régiment de Dragons de Savoye
, qu'ils taillerent prefque entierement en
piéces.
Lorfque les Allemands fe furent réformés ,
il pafferent une feconde fois la riviere , & par
le mouvement qu'ils firent pour tourner les
caffines que le Marquis de Senneterre avoir
garnies de troupes , ils mirent les piquets qui
gardoient ces caffines dans la néceffité de les
abandonner. Elles furent bien -tôt repriſes par
Monfieur du Vigier , qui à la tête de la Brigade
des Gardes Lorraines les emporta l'épée à la
main. Les principales forces des ennemis s'ém
tant portées de ce côté , l'Infanterie qui étoit
à cette aile de l'armée combinée , eut beſoin
de toute fa valeur pour foûtenir leurs efforts,
Elle fut foutenue à propos par la Cavalerie
Françoife que commandoit le Marquis d'Argouges
, Lieutenant Général , & qui contraignit
enfin l'Infanterie ennemie de reculer . Peps
AOUST. 1746 193
Hant que cette Infanterie fe replioit elle effuya
par le flanc un feu fi vif des trois Bataillons du
Régiment du Vigier , qu'elle fut tout- à-fait
ébranlée , & n'ofa revenir à la charge. Alors
l'artillerie & les équipages ayant défilé pendant
le combat qui avoit duré depuis huit heures
du matin jufquà deux heures après midi
l'armée fe remit en marche , le Marquis de la
Chetardie étant demeuré avec le Corps de troupes
qu'il commandoit & avec le Régiment des
Gardes Espagnoles fur le champ de bataille .
Ge Maréchal de Camp fit enfuite l'arriere- garde
, fans que les ennemis entrepriffent de l'inquietter
, & dans le moment qu'il replioit fes
troupes , les fix mille hommes avec lefquels le
Marquis de Caftellar étoit refté dans Plaifance,
& qui en étoient fortis pour venir rejoindre
1'Infant , occuperent le terrain où les troupes
combinées avoient combattu , & s'y maintinrent
jufqu'à la nuit.
Les ennemis s'étant retirés de l'autre côté du
Tidon , le Marquis de Caftellar ſuivit le Marquis
de la Ghetardie. La nuit même toute l'armée
, à l'exception de l'arriere-garde qui refta
à.Caftel San Giovani fous les ordres du Marquis
de Campo Santo , arriva à la Stradella où
Alle campa .
Le à midi on fit partir l'artillerie & les
équipages , & le 12 trois heures avant le jour
l'armée marcha fur trois colonnes pour venir
camper à Voghera.
Le projet de paffer le Po entre deux armées
ennemies , également attentives à s'opposer à
ce paffage , eft un des plus hardis que jamais
aucun Général ait formé , & l'exécution de ce
projet peut-être comptée au nombre des ex
I ij
96 MERCURE
DE FRANCE.
ploits de guerre , qui méritent le plus qu'on en
conferve la memoire . La fageffe des difpofitions
par lefquelles les Généraux des troupes
combinées , après avoir paffé le fleuve , ont
affüré la marche de l'artillerie & de tous les
équipages , ne fait pas moins d'honneur à leur
fcience dans l'art militaire. On ne peut non
plus trop louer le zéle & l'habileté avec lefquels
tous les Officiers Généraux de l'armée
particulierement les Marquis Pignatelli & de
Campo Santo , le Marquis de Sennecterre , le
Gomte de Coffé , & le Marquis de la Chetardie
les ont fecondés , & la valeur avec laquelle
les troupes Efpagnoles & Françoiſes , qui ont
eu part à l'action , ont combattu . Les Brigades
d'Infanterie d'Anjou & des Gardes Lorraines
le Régiment du Vigier & le Régiment Dauphin
, Cavalerie , s'y font fur - tout extrêmement
diftingués , ainfi que deux Efcadrons du
Régiment de Dragons de la Vieufville , qui
ayant à leur tête le Marquis de Vogué , ont
contribué beaucoup à l'avantage remporté
fur les ennemis .
Les Efpagnols y ont perdu le Marquis de
Candel , un de leurs Lieutenans Généraux ,
& le Comte de Ceyve , auffi Lieutenant Gé
néral de leurs troupes a été bleſſé.
>
Les principaux Officiers , qui l'ont été du
côté des François , font le Comte de Coffé
Maréchal de Camp , lequel a reçû une contufion
legere ; le Chevalier Baltazar , Brigadier ;
le Chevalier de Grolier , Colonel du Régiment
de Foix ; le Chevalier de Rochechouart
Golonel de celui d'Anjou , & le Marquis de
Puifignieux , Colonel de celui de Guienne .
On eftime la perte des Efpagnols & des Fran-
.
AOUST.
1746. 297
çois à deux mille hommes , & celle des ennemia
à plus de fix mille.
ESPAGNE.
9
E feuRoiayant été expofé pendant plufieurs.
jours dans fon appartement , lequel étoit
entierement tendu de noir , & éclairé d'une
grande quantité de lumieres , & le Clergé ,
tant des Chapitres & des Paroiffes , que des
Maifons Religieufes de cette Ville , étant allé
fucceffivement au Palais du Buen Retiro rendre
les honneurs funebres à ce Prince , le Convoi
fe mit en marche le 14 de ce mois dans
l'ordre fuivant. Un détachement des Gardes
Efpagnoles ; cinquante Gardes du Corps , quatre
cent pauvres, les Religieux des quatre Ordres
mendians , les Domeftiques des écuries
à pied ; les Gentils-hommes & les Officiers de
la Venerie , à cheval ; les Officiers des Offiees
& de la Chambre ; les caroffes des Premiers
Gentils-hommes de la Chambre & des
Grands Officiers de la Couronne , les Pages
des écuries ; les Ecuyers du Roi ; les Gentilshommes
de la Maifon de fa Majefté ; les Alcades
de la Cour ; les Majordômes de femaine ;
les caroffes de la Reine , ceux du Roi , dans
lefquels le Marquis d'Uftariz Secretaire
d'Etat , chargé de la fignature des actes ufités
en pareilles occafion , & le Marquis de Saint
Jean , que le Roi avoit nommé pour faire les
honneurs de la pompe funebre , étoient avec les
Premiers Gentils-hommes de la Chambre , &
avec plufieurs autres Seigneurs ; l'Archevêque
de Lariff & les Officiers de la Chapelle du Roi
dans un autre caroffe de Sa Majefté ; les trom
Iinj
18 MERCURE DE FRANCE
pettes de la Chambre ; les Herauts d'armes ; "le-
Grand Maître & le Maître des cérémonies ; les
Grands Officiers de la Couronne le Char funebre,
entouré d'un grand nombre de valets de
pied qui portoient des flambeaux , ainfi que les
Pages, les Gardes du Corps, & toutes les perfonnes
qui accompagnoient à pied le convoi. Quatre
Aumoniers de S. M. portoient les coins du
Poele , dont le Char étoit couvert. Ce Char
étoit fuivi de cent cinquante Gardes du Corps,
à la tête defquels étoit le Prince de Mafferan 2
Capitaine des Gardes en quartier , & la marche
étoit fermée par un fecond détachement
des Gardes Eſpagnoles & par les caroffes de
plufieurs des Seigneurs qui ont affiſté à la cérémonie.
Le convoi étant arrivé le 17 à faint.
Ildefonfe , l'Archevêque de Lariffe prefenta
le corps au Doyen de l'Eglife collégiale , &
après les prieres ordinaires , il fut placé dans
la Chapelle , où il doit demeurer en dépôt
jufqu'à ce qu'il ſoit inhumé.
GRANDE BRETAGN.
Es Seigneurs lurent le 18 du mois dernier
une Requête par laquelle les Comtes de
Kilmarnock & de Cromarty ont fupplié lạ
Chambre de permettre qu'ils puffent commuquer
librement avec Mrs. Georges Roff & Adam
Gordon , qu'ils ont choifis pour leur fervir
d'Avocats , & cette demandé a été accordée
à ces deux prifonniers.
Le 30 du mois dernier le Roi d'Angleterre
alla dîner à Richmond , & retourna le foir
à Kenfington , où le Duc de Cumberland eft
arrivé les Août d'Edimbourg. On fit le 2 de
AOUSY. 199
1746. 1
ce mois dans la Chambre des Pairs la premie
re lecture du Bill , qui ordonne de défarmer les
Montagnards d'Ecoffe , & plufieurs Seigneurs
prêterent ferment devant la Chambre pour
pouvoir être du nombre des Juges des Pairs
Ecoffois qui font prifonniers à la Tour. La
Chambre des Communes a terminé fes délibérations
fur le fubfide & fur les moyens de le lever.
Il a été ordonné au Gouverneur de la
Tour par la Chambre des Pairs de faire conduire
le 8 de ce mois à la Salle de Weftminſter
les Comtes de Kilmarnoch & de Cromarty &
le Lord Balmerino , pour y être jugés . Le z
Le Lord chef de Juftice , le Baron de Clive
& les Chevaliers Martin Wright , Michel Forf
fer , Thomas Keynols , & Thomas Abney ,
nommés Commiffaires pour inftruire le procès
de Mrs. Thomas Townley , Alexandre Abernethy
, Thomas Furnival , Jacques Gadd ,
Georges Fletcher , Thomas Chadwyck , Guillaume
Battrag , Jacques Dawfon , Thomas
Deacon , Jacques Barwick , André Blood ,
Chriftophe Taylor , Jean Saunderfon , Thomas
Siddall , Charles Deacon , Jacques Wilder
& David Morgan , fe rendirent en corps
à la montagne Sainte Marguerite , & ayant
déclaré que ces Officiers s'étoient rendus coupables
de haute trahifon , en acceptant des emplois
dans l'armée avec laquelle le Prince Edouard
a fait la guerre à fa Majefté , ils les
condamnerent à être pendus , & enfuite écartelés
. L'exécution de ces prifonniers a été fixée
au 10 , & ils feront trainés fur une claye au
lieu du fupplice . Leur grace , & particulierement
celle de M. Townley & de M. Morgan
, eft follicitée vivement par plufieurs per
I iiij
200 MERCURE DE FRANCE.
,
fonnes de la Cour , mais on croit que ce fera
inutilement , & que le Roi n'accordera la vie
qu'à Mrs Jacques Wilder & Charles Deacon
, dont la grande jeuneffe a engagé leurs
Commiffaires à implorer pour eux la clémence
de Sa Majesté . Le jugement de toutes les perfonnes
qui font actuellement dans les prifons
de Chefter à l'occafion de l'affaire d'Ecoffe , devant
leur être prononcé à Yorck , on a envoyé
ordre de les y transferer . Plufieurs Officiers de
la garnifon , qui a défendu Carliſle lorfque
le Duc de Cumberland a affiegé cette Place
ont repréfenté qu'on ne pouvoit , fans violer
la capitulation qui leur avoit été accordée
leur faire fubir la peine de mort, mais on ne
croit pas qu'ils éprouvent un traitement different
de celui des autres prifonniers . On affure
que le Prince Edouard a repaffé la mer à bord
d'un Vaiffeau Irlandois , & fur divers avis on
conjecture qu'il eft débarqué fur les côtes de
Bretagne. Les troupes du Roi d'Angleterre ,
afin d'ôter toute retraite aux partifans de la
Maifon de Stuard , qui font encore des courfes
jufqu'aux portes d'Inverneff , ont brûlé les forêts
fituées entre cette place & le Fort Auguf
te. M. Leftock Vice-Amiral de l'Efcadre
Bleue partit le 30 du mois dernier pour
aller prendre le commandement de l'Eſcadre
qui étoit fous les ordres de l'Amiral Martin
& qui eft revenue mouiller à Spithead , & le
1er de ce mois il a arboré fon Pavillon à bord
du Vaiffeau le Royal Georges . On a reçu avis
que le Général Sinclair étoit arrivé auffi au
même Port , & les troupes deftinées pour l'expédition
, dont il eft chargé , étant embarquées
, on ne doute pas qu'il ne mette bien
,
AOUST. 1746 : 201
tôt à la voile. Les Commiffaires de l'Amirauté
font équiper le Vaiffeau de guerre le Bristol
de cinquante canons , lequel fera commandé
par le Capitaine Guillaume Montagu , frere
du Comte de Sandwich. L'ordre donné par les
mêmes Commiffaires de mettre beaucoup de
vivres fur les bâtimens de tranfport qu'on a
raffemblés à la rade de Leith , fait juger qu'on
fe propofe de s'en fervir pour faire paffer en
Flandres un nouveau Corps de troupes. Les fix
vaiffeaux qui ont été envoyés en Irlande , a.
fin d'efcorter jufqu'à la côte d'Angleterre plufieurs
navires appartenans à la Compagnie
des Indes Orientales , font arrivés à Galway.
Selon les lettres de Lisbonne , l'Armateur de
Cherfterfield a coulé à fond un vaiffeau de la
Compagnie Hollandoife , lequel a refufé de
mettre fon canot à la mer , lorsqu'on lui en a
fait le fignal , & l'on n'a pû fauver que feize
hommes de l'équipage de ce bâtiment. On a
été informé par les mêmes lettres que le Capitaine
d'un navire Portugais avoit rapporté
qu'il avoit rencontré dans un Port des Indes
Orientales trois bâtimens François , qui après
y avoi pris des provifions , en étoient partis
précipitamment, pour éviter d'être attaqués
par le Chef d'Efcadre Barnet. Les nouvelles
de l'Amérique portent que les François le font
emparès d'un grand nombre de vaifleaux Anglois
, & que les habitans de la Jamaïque & de
quelques au.res Colonies non feulement ne
peuvent faire tranfporter leur fu re , faute de
navires , mais encore ouffrent beaucoup de
la difette de vivres . le Roi a donné à M.
Richard Arundel la charge de Tréforier de fa
Chambre , & à M. Jofeph Allen une place
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
d'Intendant de la marine. Les Actions de la
Compagnie de la mer du Sud font à cent cinq ;
celles de la Banque à cent trente - trois & demi ;
celles de la Compagnies des Indes Orientales
à cent foixante & dix-fept , & les Annuités.
à cent deux & un quart .
Le 8 de ce mois le Lord Chancelier fe rendit
en grand cortege à la Salle de Westminster ,
où les Pairs de la Grande Bretagne étoient af
femblés. Après qu'il eût pris fa place , le Clerc
de la Couronne , étant à genoux , lui remit la
Patente qui le conftituoit Grand Stewart , &
pendant la lecture de laquelle les Pairs fe tinrent
debout , la tête découverte . Le Roi d'Armes
& l'Huiffier de la Verge Noire ayant
préfenté enfuite la Baguette blanche au Grand
Stewart , les Comtes de Kilmanorck & de Cromarty
& le Lord Balmerino furent conduits à
la Barre , & les deux premiers ſe reconnurent
coupables. Le Lord Balmerino refufa de faire
un pareil aveu , & l'on commença à inftruire
fon procès. Avant qu'on entendit les témoins
qui ont dépofé contre ce prifonnier , l'Evêque
de Londres demanda , tant pour lui que
pour les autres Pairs Eccléfiaftiques , la permiffion
de fe retirer , laquelle leur fut accordée.
Sur les dépofitions des témoins les Pairs
déclarerent le Lord Balmerino convaincu de
haute trahison , & ayant renvoyé les prifonniers
à la Tour , ils retournerent à la Cham
bre.
Le 10 le Lord Cornwalis communiqua à la
Chambre des Pairs une lettre qui avoit été
adreffée au Vice -Gouverneur de la Tour , &
dans laquelle il y avoit trois billets femblables
P'un à l'autre , deftinés pour les trois Seigneurs
AOUST. 1746. 203
prifonniers , & qui contenoient les raifons que
ces Seigneurs pouvoient alleguer pour fufpendre
leur jugement. On permit au Lord Cornwallis
de leur faire remettre ces billets , & il
fut ordonné que le Grand Stewart leur demanderoit
s'ils étoient dans la réfolution de faire
ufage des moyens qui leur étoient propofés ,
& qu'il leur déclareroit qu'ils devoient s'atten
dre à fubir le même jugement qui avoit été
prononcé le 9 Fevrier 1715 contre le Comte
de Derwentwater. Les Pairs s'étant raffemblés
le même jour dans la Salle de Weſtminſter, les
Comtes de Kilmanoch & de Cromarty & le
Lord Balmerino furent ramenés à la Barre , où
ils fe tinrent à genoux jufqu'à ce qu'on leur dit
de fe relever.Le GrandStewart ayant demandé
au premier quelles étoient fes difpofitions , le
Comte de Kilmarnock répondit que pendant
prefque toute fa vie il avoit donné des preuves
de fon attachement pour le Roi & pour la préfente
Conftitution du Royaume qu'il avoit infpiré
les mêmes principes à fon fils , lequel étoit
même au fervice de Sa Majeftés qu'il n'avoit été
entrainé dans le parti de la Maifon de Stuard
qu'après le combat de Prefton Pans ; qu'il lui
auroit été facile de fe fauver , lor qu'il étoit
venu fe rendre au Duc de Comberland , mais
qu'il avoit préferé d'avoir recours à la clémence
de Sa Majesté.
Le Comte de Cromarty à qui le Grand Stewart
fit la même demande q au Comte de Kilmarnock
, dit qu'il prio les Juges d'interceder
en fa faveur , & qu'il n'avoit d'efperance
que dans la bonté du Roi.
La réponſe du Lord Balmerino fut que les
Grands Jurés du Comté de Surrey n'avoient
Ivj
204 MERCURE DEFRANCE.
point été autorisés à recevoir des dépofitions
contre lui , puifque leur commiffion ne regar
doit que ce qui s'étoit paffé à la prife de la Ville
& du Château de Carlifle , qu'ainfi l'on devoit
déclarer nulle leur procédure. Les gens du Roi
ayant été confultés fur ce fujet , il fut décidé
qu'on accorderoit des Avocats au Lord Balmerino
, qui chargea de fa défenfe Mrs Wilbraham
& Forefter .
Le 12 vers les neuf heures du matin on a
conduit pour la troifiéme fois à la Barre les
trois Seigneurs prifonniers , la hache étant
portée devant eux , & après le plaidoyer des
Avocats du Lord Balmerino , le Grand Stewart
de l'avis des Pairs de la Grande Bretagne a
condamné à mort ce Seigneur , ainfi que les
Comtes de Kilmarnock & de Cromarty.
Le jugement porte qu'ils feront conduits fur
des traineaux au lieu du fupplice , pour y être
pendus & écartelés , mais en confidération de
fcur qualité de Pairs , on a commué la peine ,
& ils doivent avoir la tête coupée . Après que le
jugement a été prononcé , le Lord Chancelier,
pour marquer que fa commiffion de Grand Ste
wart étoit finie a rompu fa Baguette en deux
morceaux .
>
-
Neuf des dix fept Officiers qui furent condamnés
à mort le 2 de ce mois , furent conduits
le 10 fur trois traireaux à la Commune de
Kensington , où 1500 hommes , tant d'Infanterie
que de Cavalerie , étoient en bataille . Dans
le premier traineau étoient Mrs FrançoisTownley
, Jean Barwick & André Blood , avec l'exécuteur
de la Juſtice tenant un fabre à la
main. Mrs Thomas Morgan , Thomas Deacon
& Thomas Siddal étoient dans le fecond , &
AOUST. 1746. 20
:
Mrs Georges Fletcher , Thomas Chadwyck &
Jacques Deaufon dans le troifiéme étant
arrivés au lieu de l'exécution , ils furent pen
dus on leur coupa enfuite la tête , & leurs
corps ayant été ouverts , on brûla leurs entrailles
. Ils ont tous fouffert la mort avec une intrépidité
vraiment héroïque , & avant que d'être
exécutés , ils ont déclaré hautement que fi cela
dépendoit d'eux , ils prendroient encore les
armes pour foûtenir le parti de la Maiſon de
Stuard. L'exécution des autres Officiers qui
ont été jugés eft differée de trois femaines.
Le Roi a nommé le Comte de Sandwych
pour aller affifter en qualité de fon Miniftre Plénipotentiaire
aux conférences qui doivent fe
tenir à Breda , pour examiner les moyens , de
rendre la tranquilité à l'Europe .
PROVINCES - UNIES.
Es Députés des Etats de Hollande & de Weftfrife
ont accordé la charge de Grand Bailly
des Ville & Pays de Heufde à M. Pierre de
Vaffanaer , Seigneur de Starrenbourg , & celle
de Grand Juge de Schellinghout à M. Jean Allard
de Schagen . M. Samuel Gilles a été fait
Confeiller de la Cour de Hollande , Zelande &
Frife , à laplace de feu M.Corneille Guerrit Fagel.
Le 25 du mois dernier Mrs de Schimmelpenning
Vander Oyen , Martens , Sloer de Lindenhorft
& Gerlacius furent introduits dans
l'Affemblée des Députés des Etats Généraux ,
& ils rendirent compte de l'état dans lequel ils
ont trouvé les places qu'ils avoient reçû
ordre de vifiter. Le Baron d'Utenhoven &
206 MERCURE DE FRANCE.
M. Van Haren doivent aller à Maeſtricht en
qualité de Commiffaires décifeurs.
Le Prince Charles de Lorraine a mandé aux
Etats Généraux qu'il a pris le commandement
de l'armée , & par fa lettre il les affure de fon
zele pour le fervice des Alliés , ainfi que de fa
confidération pour la République . On a appris
que le 4 de ce mois ce Prince s'étoit rendu à
Namur où il avoit affifté au Te Deum qui avoit
été chanté dans l'Eglife Cathédrale à l'occaſion
de fon arrivée , & qu'après avoir été traité magnifiquement
à dîner par les Magiftrats , &
avoir vifité les fortifications & les magafins de
la place , il étoit retourné à l'armée . Les Etats
du Comté de Namur ont fait préfent à ce
Prince de foixante mille florins. Le 8 M.
Trevor , Envoyé Extraordinaire du Roi de la
Grande Bretagne , eut une conference avec
plufieurs Députés de l'Affemblée des Etats Généraux
. Les les Députés des Etats de Hollande
& de Weftfrife fe féparerent , & ils ont repris
le 19 leurs féances.
Leig Juillet l'armée des Alliés marcha à Hooglon,
où le Feldt - Maréchal Comte de Bathiany
établit fonQuartier général . Elle féjournale lendemain
dans ce camp , & le 21 , elle s'avança à
Walkenfwaard. Le 22 elle y fut jointe par
l'avant- garde des troupes qui font venues d'Allemagne
fous les ordres du Prince de Locbokowitz.
Le Prince Charles de Lorraine y arriva le
même jour , & étant deſcendu au Quartier général
, il alla accompagné du Feldt - Maréchal
de Bathiany , du Prince de Waldeck , & d'un
grand nombre d'Officiers Généraux , voir les
troupes qui étoient en bataille fous les armes.
1
AOUST
1746. 107
Le 23 , l'armée continua la marche vers le
pays de Liége , par lequel elle doit fe rendre
dans les environs de Maeftricht . On publie
qu'en y comprenant les troupes du Prince de
Lobckowitz , elle eft compofée de quatre-vingt
dix- huit bataillons , de cent quarante - huit Efcadrons
de Cavalerie & de Dragons , de fix Régimens
de Huffards , & de deux mille Pandoures.
L'armée des Alliés étant arrivée le 29 du mois
dernierfur le bord de la Mehaigne , alla fe pofter
entre les villages de Bref & de Hanuye . Le
lendemain , elle paffa la riviere , & s'avança à
une petite diftance de Waffeigne , que le Prince
Charles de Lorraine fit occuper par quelques
troupes. Ayant continué le 31 fa marche , elle
fe porta le même jour à Longchamp , & le premier
de ce mois à Suarle , la droite appuyée à
Oftain , & la gauche aux hauteurs du Mazi . La
riviere de l'Orneau couvre le front de cette
armée , qui doit être renforcée d'un Corps de
huit mille hommes qu'on attend d'Allemagne
avec un train d'artillerie . On compte auffi que
fix mille hommes , qui ont été laiffés par le
Prince Charles de Lorraine entre Maeftricht &
Tongres , iront bien-tôt le rejoindre . Le premier
le Maréchal Comte de Saxe étant venu
avec plufieurs piquets reconnoître notre pofition
, quelques- uns de ces piquets furent attaqués
par les troupes irrégulieres , & la perte
fut à peu près égale de part & d'autre . Il y a eu
fréquemment de vives elcarmouches entre les
troupes des poftes avancés de l'armée du Roi, &
de celle des Alliés,
208 MERCURE DE FRANCE.
NAISSANCES ET MORTS.
LE 13 de ce mois à été bâtifé en l'Eglife de S.
Sulpice Marie -Françoife de Sade née le même
jour, fille de Jean - Baptifte- François de Sade ,
Comte de la Cofte & de Saumane , dit le Comte de
Sade , Lieutenant Général pour le Roi aux Pays de
Breffe , Bugey , Valromey & Gex , & de Dame
Marie- Eleonore de Maillé de Carman , mariés depuis
le 12 Novembre 1733. M. le Comte de Sade
eft fis de Gafpard- François de Sade , Seigneur
de Mazan de Saumane & de la Cofte , Capitai
ne héréditaire des Ville & Château de Vaizon , Colonel
de la Cavalerie du Pape au Comtat Venaiffin
, & Conful d'Avignon en 170 ^ , & de Dame
Louife- Aldonce d'Aftoaud de Murs. La Maiſon de
Sade eft connue en Provence dès l'an 1175 , &
par fes alliances & fes fervices militaires ; fes armes
étoient anciennement de gueules à une étoile
à huit rayes d'or, mais depuis la conceffion faite l an
1416 par l'Empereur Sigifmond à un de la Maifon
, elle porte l'étoile chargée d'un Aigle Impérial
à deux têtes de fat le couronnées & becqués de
gueules . Voyez l'état de la Provence dans la No-
Bleffe par l'Abbé Robert , imprimée en 1693 vold
3. fol . 21.
Le 21 a été bâtifé en la Paroiffe
de S. Roch
Elifabeth
née ledic jour
fille de Pierre- Hen
ri-Benoit
d'Arquiftade
de S. Fulgent , Confeiller
au Parlement
de Paris , depuis le 26 Juiller
AOUST. 2.09
1746.
1743 , & Commiffaire -aeaux Requêtes du Palais
& de Dame Louife- Adelaide Lorimier. Les Parein
& Maraine ont été Antoine- Charles Lorimier
, Secretaise du Roi , Intendant & Contrôleur
Général des Ecuries & Livrées de fa Majefté , &
Maître de la Chambre aux deniers , fon ayeul maternel
, & Dame Françoife Defcajaux , femme de
René d'Arquiftade , l'un des quatre Lieutenans
de la grande Venerie du Roi , Député des
Etats de Bretagne & Maire de la Ville de Nantes ,
ayeule maternelle de l'enfant .
Le23 Juillet mourut àParis Eleonor Frederic Jean-
Baptifte-Jofeph de Croy ; il étoit agé de cinq femaines
, & le dernier des enfans de Louis Ferdi
nand Jofeph de Croy Duc d'Havrech & de Croy ,
Prince du Saint Empire , Grand d'Efpagne de la
premiere claffe , Maréchal des camps & armées du
Roi du premier Mai 1745 , & de De . Marie- Louiſe
Cunegonde de Montmorenci Luxembourg, mariée
le 16 Janvier 17 6 , fille de M. le Maréchal de
Montmorency. M.le Duc d'Havrech eft fils de Jean-
Baptifte- Jofeph de Croy , Duc d'Havrech , Prin
ce & Maréchal de l'Empire , Grand d'Eſpagne de
la premiere clafle , mort le 24 Mai 1727. & de De .
Marie-Anne Céfarine Lanti de la Rovere mariée
5 Juin 1712 , aujourd'hui veuve , & fille d'Antoine
Lanty de la Rovere Duc de Bonmars ,
Prince de Belmont , Marquis de la Roche Sinibalde,
adinis pour être reçû Chevalier des Ordres du Roi,
& de Dame Louife Angelique de la Tremoille
Noiremouftier ; il eft d'une branche cadette de
celle des Comtes de Solre , dont eft chef aujourd'hui
Emanuel de Croy Comte de Solre dit le Prince de
Croy , Meftre de Camp du Régiment Royal Rouffillon
Cavalerie , & Brigadier des armées du Roi , &
le
,
210 MERCURE DE FRANCE.
marié depuis le 18 Fevrier 1741 avec De. Gabrielle
Lidie d'Harcourt , troifiéme fille de M. le Duc
d'Harcoat Lieutenant Général des armées du Roi
& Chevalier de fes Ordres , &c . de laquelle il a des
enfans . L'ancienneté de cette Maifon que les Sçavans
croyent être fortie de celle des Seigneurs de
Pecquigny , Vidames d'Amiens , & des plus
grands Seigneurs de Picardie , fes grandes Allianecs
dont plufieurs font avec des Maiſons Souveaines
, la quantité des branches qui en font ferries
& les Terres confidérables qui ont été poffedées par
ces differentes branches tant en France qu'aux
Pays-bas , dans l'Empire & en Efpagne fous les
titres de Bucs , Princes de l'Empire & Grands
d'Efpagne , les Grands-hommes qu'elle a produits
de tous les tems , & les fervices qu'ils ont rendus
aux differens Princes aufquels ils ont été attachés
POrdre de la Toifon d'or duquel 25 Seigneurs
de ce nom ont été honorés dès & depuis l'établiffement
de cet Ordre , outre ceux qui l'ont été des
Ordres de faint Michel & du S. Efprit &c. font des
avantages qui nous difpenfent d'entrer dans un plus
grand détail , nous renvoyons le lecteur à la
génealogie qui s'en trouvera des mieux détaillée
dans l'Hiftoire des Grands Officiers de la Couronne.
vol. 5. fol. 634.
Le 30 N ........ de Ligondex , Marquis de
Ligondez , mourut à Paris ..... il étoit fils de Jaeques
de Ligondez , Comte de Ligondez , Meftre
de Camp de Cavalerie & Brigadier des Armées du
Roi.
La Maifon de Ligondez eft de l'ancienne Nobleffe
d'Auvergne , & elle tire fon nom de la Seigneurie
de Ligondez , fituée dans la Paroiffe de Chambouchart
fur les confins de l'Auvergne & dans
#Election de Combrailles , Intendance de Moulins
AOUST. 1746. 212
Tes Seigneurs de Ligondés font connus il y a plus
de quatre cens ans . François de Ligondez Seigneur
de Ligondez , Ecuyer ordinaire de Monseigneur
Le Dauphin depuis Roi. Henri II.par lettres du 14
Mai 1543 , Gentilhomme de la Chambre de ce
Prince en 1556 , Capitaine d'une Compagnie de
cent hommes d'armes en 1557 , fût marié le 11
Mai 1523 avec Jeanne de Châteaubodeau Dame
dudit lieu en Bourbennois ; il en eût pour cadet
Jean de Ligondez , reçû Chevalier de l'Ordre
de Saint Jean de Jerufalem au grand Prieuré
d'Auvergne au mois d'Avril 1545 , & pour aîné
Sebaftien Seigneur de Ligondez , duquel font iffus
les Seigneurs de Chateaubodeau , de Fortanier
de Chezault , & les Seigneurs de Ligondez &
de Rochefort , tous marqués par des ſervice militaires,
& dont les armes font d'azur fémé des mo◄
lettes d'or , à un Lion auffi d'or lampaſſé & armé
de gueulles .
Chreftien VI. Roi de Dannemark & de Norwe
ge mourut au Château de Chriftianſbourg le 6 de ce
mois à 6 heures du matin , âgé de 46 ans , 8 mois
& 8 jours, étant né le 30 Novembre 1699.Ce Prin
ce qui étoit fils du feu Roi Frederic IV , & de Louife
de Meckelbourg , fille de Guftave Adolphe Duc
de Melckelbourg Guftrau , morte le 15 Mars
1731 , avoit été proclamé le lendemain de la
mort du Roi fon pere , arrivée à Odenfée dans
' Ifle de Funen le 12 Octobre 1730 , & il avoit
été couronné le 6 du mois de Juin de l'année ſui→
vante.Il avoit épousé le 7 Août 1721 Sophie-Magdeleine
de Brandebourg, fille de Chreftien Henti ,
Margrave de Brandebourg Culmbach , née le 28
Novembre 1700 , & il a eu de ce mariage Frede-
Kic , Prince Royal de Dannemarck , né le 31
212 MERCURE DE FRANCE
Mars 1713 , qui fuccede aux Couronnes de Dan
nemark & de Norwege fous le nom de Frederic
V. Louife , née le 19 Juin 1724 , morte le
21 Decembre de la même année , & la Princeffe
Royale qui porte auffi le nom de Louife , & qui
eft née le 19 Octobre 1726. Le jour de la mort
du Roi les troupes de la garnifon prêterent ferment
à Frederic V , lequel fut complimenté le lendemain
fur fon avenement à la Couronne & fur la
mort du Roi fon pere par les Miniftres Etrangers
& par les Seigneurs & Dames de la Cour.
Le même jour Meffire Jacques - Jofeph de reux de
Nancré Abbé Commendataire de faint Cibar- lez-
Angoulême , O. S. B. depuis 1688 , Prieur de faint
Pierre & faint Paul de Bouteville du même Ordre
au Diocefe de Saintes , depuis 1717 , mourut à
Paris âgé de 84 ans ou environ , étant né le 22
Mars 1662. Il étoit fils puîné de Claude de Dreux
Comte de Nancré , Lieutenant Général des armées
du Roi , Gouverneur des Ville & Citadelle
d'Arras , mort le 2 Avril 1689 , & de Dame Edmée
Therefe de Montgommery fa premiere femme
& petit-fils d'Antoine de Dreux , Seigneur de
la Chendlaye & de l'Hermitage , & de Jeanne
Ruellé après la mort de laquelle il fe fit d'Eglife , &
mourutChanoine de N. D. le 27 Septembre 1662 .
Feu M. l'Abbé de Dreux avoit eu pour frere aîné
Louis- Jacques- Edme- Theodore de Dreux , Marquis
de Nancré , Capitaine Colonel des Suiffes
de la garde de feu M. le Duc d'Orleans Regent
, mort fans être marié le 7 Juillet 1719 .
& pour puîné Claude - Edme de Dreux , Comte de
Nancré , Seigneur de Carenci en Artois , Meftre
de Camp de Cavalerie à brevet , mort le 12 Sep
tembre 1729 , ne laiffant de fon mariage avec De.
Marie- Therefe de Montmorency Chanoinefle de
AOUS
1746 213
Remiremont , que deux filles , Ifabelle- Claire- Eugênie
de Dreux de Nancré , mariée avec Michel
de Dreux , Marquis de Brezé fon parent , aujourd'hui
Lieutenant Général des armées du Roi , &
Grand Maître des Cérémonies de France en furvivance
du Marquis de Dreux fon pere auffi Lieu- ·
tenant Général , & Therefe- Catherine - Einée de
Dreux de Nancré femme de Joachim Ignace Barrenechea
l'un des Ambaffadeurs Extraordinaires &
Plénipotentiaires d'Espagne auCongrès deSoiffons
morte à Paris le 24 Juillet 1731.
·
Le 12 Jean - Leon Bonaventure du Gard ;
Ecuyer du Roi tenant une de fes Académies à Paris,
rue de l'Univerfité , mourut en cette Ville âgé de
46 ans : il étoit fils de Leon Bonaventure du Gard ,
auffi Ecuyer de la Grande Ecurie du Roi & tenant
Académie à Paris , & de De. Marie - Thereſe
Hugé fa deuxième femme ; le nom du Gard eft
connu en Picardie depuis plus de 400 ans . Jacques
du Gard , Seigneur de Mervillier , de Maucreux ,
& du Fief de Sotteville , neuviéme ayeul de feu
M. du Gard mérita d'être annobli par Lettres du
Roi Charles VI. du 26 Avril 1388. Il fut depuis
Confeiller au Parlement de Paris en 1408 , & enfuite
Maître des Requêtes de l'Hôtel du Roi en
1417 , & c'est à cette occafion que la généalogie
de cette famille fera rapporté dans l'Hiftoire des
Maîtres des Requêtes .
,
Le 16 Jean - François Bouquet , Ecuyer
Confeiller du Roi en l'Hôtel de Ville de Paris
ancien Echevin de cette Ville y mourut dans un âge
fort avancé , laiffant entr'autres enfans Jacques-
François Bouquet , Procureur Général des Requê
ses de l'Hôtel , pourvû le 27 Juillet 1736, & avan
114 MERCURE DE FRANCE.
Conſeiller au Châtelet , lequel eft marié & a pla
Geurs enfans.
1749 ,
Le même jour Meffire Nicolas- Hubert Montgauls
Prêtre , Abbé Commendataire des Abbayes deChartreuve
O. P. auDiocéfe deSoiffons en 1714, de Ville-
neuve O. C. Diocéfe & près de Nantes depuis
Secretaire des Commandemens de M.
le Duc d'Orleans & avant fon Précepteur
& auffi Secretaire Général de l'Infanterie , l'un des
quarante de l'Académie Françoife , depuis 1718
& aflocié vétéran de celle des Infcriptions & Belles
Lettres , mourut à Paris agé de 72 ans ou environ ;
il étoit frere de De. Charlotte Montgault de Ner
fac , Abbeffe de faint Remi de Villers cotterez.
PIECES
TABLE.
3
IECES fugitives en Vers & en Profe , Ode tirée
du Pleaume 1. Beatus vir qui non abiit .
Remarques fur les obſervations de l'Abbé Desfontaines
,
Ode fur le tems ,
Lettre de M. Beneton fur les Dictionnaires ,
Plainte en vers ,
Lettre fur l'éducation
Autre en Vers à Mlle
***
Réponse à la lettre précédente ,
Difcours fur l'Education ,
L'Aigle & la Colombe , fable ,.
Letre aux Auteurs du Mercure ,
L'Amour reconnoiffant , cantatille
Réponses aux reflexions fur l'ingratitude ,
Vers à Mde la Comteffe D. A. ***
20
25
35
36
46
49
50
56
3344fi
58
бо
61
67
Reflexions morales ; 69.
Songe à Mlle . P.
***
Air à Mde R. ****
Lettre aux Auteurs du Mercure fur des quatrains , 75
Reflexions fur la profe & les vers ,
Les Oyes & les Grues , fable ,
Bouquet à une mere pour le jour de fa fête ,
73
74
81
89
90
91
96
97
106
107
Lettre au fujet du proverbe les armes de Bourges
un ane en chaire .
Les charmes du Printems ,
Suite des Arrêts notables ,
Chanſon ,
Réponse de Silvie ,
Traduction de l'Ode VII du deuxième livre d'Horace
,
Autre de l'Ode XV du même livre ,
108
110
Nouvelles Litteraires , des Beaux Arts , Les Beaux
Arts réduits à uu même principe , Extrait , 113
Expériences & démonftrations fur les maladies des
dents , Extrait ,
Traité du Navire , &c. Extrait .
Quatriéme volume du Théatre Anglois ,
IIS
120
Poëfies diverſes dédiées à Monfeigneur le Dauphin ,
La Vie du P. de Britto ,
135
Ibid.
126
Inſtitutions de Géometrie ,
Ibid.
Lettres Spirituelles de M. Boffuet , 127
Entretiens avec J. C. dans le Très- Saint Sacrement
de l'Autel.
Ibid.
Deux Livres de l'Hiftoire Romaine de Caiius Velleiius
paterculus ,
Ibid.
La vie de Properce 128
Nouveau Voyageait au Levant
129
Abregé du Méchaniſme univerfel ,
Ibid.
Hiftoire du Théatre François
Ibid.
46. Jeux Floraux
Recueil de plufieurs piéces préfentées à l'Académie
2 139
Remarques fur Ciceron , Ibid.
Tableau fur les changes & c . Ibid.
Nouvelles Cartes du fieur le Rouge , 13.2
Fonds de Fonderie à vendre , 133
Poudre du fieur de la Jutais ,
Ibid.
L'Eau de Perle ,
134
Les Savonettes de pure crême de Savon ,
Ibid.
Programe de l'Académie de Bordeaux , Ibid.
de Juillet , 136
137
Mots de l'Enigme & des Logogryphes duMercure
Enigme & Logogryphes ,
Chanfon notée , 140
Spectacles , Comédie Françoiſe , extrait du Préjugé
vaincu ,
Lettre de Mlle Cochois aux M d'Argens ,
Comédie Italienne ,
Opera ,
Mufique de la Cour ,
Journal de la Cour . de Faris , & c.
141
151
155
156
Ibid
158
Lettre du Roi aux Grands Vicaires de Paris , 161
Mandement en confequence , 162
Nomination de l'Archevêque de Vienne à l'Archevêché
de Paris , 167
Envoi d'un Amour fans arc & fans bandeau , tenant
un flambeau à la main , Vers. 171
Privilege du fieur Macary , Ibid.
Mandement du Cardinal de Tencin 172
Opérations de l'armée du Roi , 173
Arrêts notables ,
177
Nouvelles Etrangeres , Allemagne , 179
Italie ,
186
Eſpagne ,
197
Grande Bretagne , 198
Provinces -Unies , 205
Naiffances & morts 208
La Mufique regarde lapage 140ìì
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
SEPTEMBRE. 1746.
IGIT
UT
SPARG
Chés
A
PARIS ,
GUILLAUME CAVELIER
rue S. Jacques.
La Veuve PISSOT, Quai de Conty
à la defcente du Pont- Neuf.
JEAN DE NULLY , au Palais
M. DCC . XLVI .
AvecApprobation & Privilége du Roi,
A VIS.
'ADRESSE générale du Mercure oft
LAM. DE CLEVES D'ARNICOURT
rue du Champ-Fleuri dans la Maifon de M.
Lourdet Correcteur des Comptes au premier
étage fur le derriere entre un Perruquier & un
Serrurier à côté de l'Hôtel d'Enguien. Nous
prions très-inftamment ceux qui nous adrefferont
des Paquets par la Pofte , d'en affranchir
le port , pour nous épargner le déplaifir
de les rebuter , & à eux celui de ne
pas voir paroitre leurs ouvrages.
Les Libraires des Provinces ou des Pays
Etrangers , qui souhaiteront avoir le Mergure
de France de la premiere main , & plus promppement
, n'auront qu'à écrire à l'adreſſe ci-deffus
endiquée ; en fe cenforinera très - exactement à
leurs intentions .
Ainfi il faudra mettre fur les adreffes à M.
de Cleves d'Arnicourt , Commis au 'Mercure
de France rue du Champ- Fleuri , pour ren
dre à M. de la Bruere,
PRIX XXX . SOLS.
MERCURE
DE FRANCE
DÉDIÉ AU ROI.
PIECES FUGITIVES
en Vers & en Profe.
POEME qui a remporté le irix de l'académie
de Rouen , diftribué pour la
premiere
fois le 12 Juillet 1746 ; le fujet
propofe étoit la Fondation même du Prix
alternatif entre les Belles Lettres & les
Sciences , par M. le Duc DE LUXEMBOURG
, Gouverneur de la Province &
Protecteur de l'ACADEMIE.
J
E vois donc s'élever au fein de nos (1)
remparts
Le Temple du Génie & l'Ecole dos
Arts.
(1) L'Auteur eft une Dame née à Rouen.
A ij
4 MERCURE DE FRANCE,
Quel aftre bienfaifant rend par fon influence
A nos climats féconds leur premiere abondance ?
Qui ne reconnoitroit à ces traits glorieux
LUXEMBOURG digne fils des plus nobles ayeux ?
Son nom fut toujours cher aux filles de mémoire :
Confacrons fes bienfaits , éternifons fa gloire ;
Il veut en divers Jeux , célébrés tous les ans ,
Accorder aux Vainqueurs le prix de leurs talens ;
Près de LOUIS l'amour & l'effroi de la terre ,
Ce Héros affrontant les périls de la guerre ,
Suit de loin nos progrès , & fçaura difcerner
L'athlete qu'en ces lieux fa main doit couronner :
Tel du haut de l'Olimpe , Hercule dans la Gréce ,
De cent rapides chars excitant la viteffe ,
Faifoit briller la Palme aux regards des Vainqueurs.
Au fommet du Parnaffe il eft d'autres honneurs
:
De plus nobles efforts nous offrent plus de gloire :
Dans de fçavans combats difputons la Victoire
C'est peu de triompher aux yeux de nos Rivaux
De nos Maitres encore égalons les travaux .
La Neuftrie eft fertile en excellens modéles ;
Devenons de leur marche obfervateurs fidéles
Des champs Elifiens évoquons leurs efprits ;
Mais que dis-je ? Leur ame exifte en leurs Ecrits
SEPTEMBRE 1746.
C'eft-là qu'il faut puifer la fçience profonde
De charmer , d'attendrir & d'éclairer le monde .
Cherchez -vous les lauriers dont Melpomene
en pleurs
Ceint le front des mortels qui peignent fes douleurs
?
Du Sophocle ( 1 ) François prenant l'effor fu
blime ,
Par l'éclat des vertus faites pâlir le crime :
Malherbe de Pindare imitant les accords ,
Vous apprend fur la lyré à régler vos tranſports :
Senfibles aux plaifirs que le tendre amour donne ,
Des chantres de Paphos briguez - vous la cou
ronne ?
Un autre Anacreon ( 2 ) nâquit en ces climats :
A fa courfe legére accoûtumez vos pas :
Sur nos rives , Segrais , ta voix tendre & facile
Rendit les doux accens des bergers de Virgile :
Brébeuf & Sarafin confacrérent leurs jours ,
L'un à chanter Bellone , & l'autre les Amours,
Favoris d'Apollon en cette illuftre Fête ,
Mon pinceau fur vos traits avec plaifir s'arrête :
De nos jours , du Refnel infpiré des neuf Soeurs ,
( 1 ) Pierre Corneille .
(2) L'Abbé de Chaulieu ,
A iij
6 MERCURE DE FRANCE,
Des tableaux qu'il imite embellit les couleurs.
Fontenelle formé pour plaire & pour inftrure ,
Nous enrichit encor des fruits qu'il fçut produire ;
C'est un arbre fécond refpecté par les ans ,
Qui dans fon hyver même a les fleurs du Prin→
tems :
Ses graces ont rendu la Science facile ;
Le Poëte fçavant en devient plus fertile ,
Uranie ( 1 ) & Clio (2 ) le fervent tourà tour.
Lorfqu'au point du Belier l'aftre brillant du jour ,
Avec Flore en nos champs ramenera Zéphire ,
LUXEMBOURG , qui des Arts veut étendre l'em
pire ,
}
Doit couronner ici le Sçavant , dont les yeux
Perceront les fecrets de la terre & des Cieux.
Sages , qui recherchez au fein de la nature ,
Le mouvement des corps , leur force , leur figure
Vous par un long calcul inftruits à meſurer
Des objets , que les yeux ne pouvoient qu'admirer
,
Le compas à la main marchez avec prudence ;.
Que votre efprit fe rende à la feule évidence ,
(1 ) Mufe qui préfide aux Sciences ,
(2) Mufe qui préside à la Peïfie.
SEPTEMBRE 1745.
*
Artiftes ( 1 ) , qui fçavez par de nouveaux ref
forts
Reffufciter Orphée , en rendre les accords ,
Et de nos mouvemens lui prêter la foupleffe ,
Sur d'utiles objets exercez votre adreſſe.
L'Art qui peut conferver par des fecours certains
La fragile ftructure , & les jours des humains ,
Préſente aux yeux inftruits un vafte labyrinthe ;
Qu'ils fuivent fes détours fans audace & far.s
crainte :
L'honneur doit animer les précieux travaux
Qui des bras de la mort arrachent nos Héros .
Et vous , qui de leurs faits célébrez les merveilles
,
Un Prix dans deux Printems eft offert à vos
veilles ;
Qu'une profonde étude , & que des feins conftans
Dévoilent à nos yeux l'obſcurité des tems.
L'Hiftoire des François dans la paix , dans les ar❤
mes ,
De l'Art des fictions n'emprunte point fes charmes
:
(1 ) M. de France , Académicien de Rollen , a fair
deux Elateurs automates , qu'on a vus cette année è
Faris.
A j
8 MERCURE DE FRANCE .
Mezeray , qui fut grand dans fa fimplicité ,
Employa les feuls traits qu'offre la vérité ;
Vertot fur les récits clairs , précis , équitables ,
Répandit fans excès des couleurs agréables :
Que d'Auteurs en ce genre ont illuftré ces lieux !
Le Gendre & Daniel font nés de vos Ayeux .
De leur ftyle imitant le tour & la fageffe ,
Au faux éclat des mots préférez la jufteffe :
Libres de préjugés , racontez de nos Rois ,
Les vices , les vertus , les fautes , les exploits ,
Et rendez vos Ecrits dignes du chef illuftre ,
Qui fonde ce Lycée , & lui prête fon luftre
Qui joint au nom brillant de favori de Mars
Le titre plus chéri de Protecteur des Arts.
Dat veniam corvis , vexat cenfura columbas.
Juv. Sat. II.
SEPTEMBRE 1746.
****O***O****
蘿燒鮮
VERS à Madame du B..... Sur Son
Poëme qui a remporté le Prix de l'Académie
de Rouen .
Dans vos Vers , aimable Sophie ,
Avec un air de dignité
Regne le tour brillant , fruit d'un heureux génie ,
-
L'expreffion fage & fleurie ,
L'élégante fimplicité.
Sous ces traits , le charmant ouvrage
Qu'Apollon feul vous a dicté ,
A fçu fixer notre fuffrage ;"
Sans connoitre la main qui l'avoir enfanté ,
Il eut pour juges , fans partage ,
Le fentiment & l'équité.
Le chiffre ( 1) fous lequel nous le vimes paroître
Sembla d'abord par l'Auteur einprunté
En fymbole d'humilité .
Mais après cet effai qui vaut un coup de maître ,
C'eft un cercle où nos yeux ne peuvent méconnoitre
Le fymbole affûré de l'Immortalité .
Par le Sécretaire de l'A adémie
(1 ) La Piece avoit pour No. O , & l'0 étoit chés
les Anciens l'Emblême de l'Eternité.
A v
40 MERCURE
DE FRANCE
.
Réponse de Madame du B ……………
Vous qui reçûtes en partage
L'agrément , la facilité ,
Le fel attique , la clarté 1
Et la fineffe du langage ' ,
J'accepte votre heureux préfage :
Vos louanges , en vérité ,
Valent bien mieux que mon ouvrage.
L'autorité de ce fuffrage ,
Le feul éclat qu'il m'a prêté ,
Pourroit me donner l'avantage
De vivre en la Poftérité .
REPLIQUE.
QUe ton Empire , aimable Poëfie ,
Eft préférable à celui de l'Amour !
Ici tout eft rigueur , caprice , frénéfie ;
Vainement d'une belle on attend du retour,
Mais avec toi , fans être téméraire ,
Sur les talens , fes vertus tour à tour
A la Dame la plus fevere
SEPTEMBRE 1746. II'
Une Muſe timide ofe faire fa cour.
On a , fur même ton , réponſe dans le jour.
"O Dieux ! quel fort ! que ce charmant myftere
Eft préférable à celui de l'Amour !
乳乳乳業券
و د
L'ACADEMIE des Sciences , des Belles
Lettres & des Arts , de la Ville de Roüen
sint fon Affemblée publique le 12 fuillet
1746. Voici Lextrait des piéces qui y furent
luës.
R. Guerin Sécretaire pour les Sciences
ouvrit la Séance par un difcours
pour rendre compte à l'affemblée des progrès
de l'Académie , & faire fentir les avantages
de fon travail. Voilà , dit - il ,
Meffieurs , la feconde fois que nous paroiffons
devant vous , afin que vous foyez les
témoins de nos efforts , & les juges de nos
progrès. Nous fommes sûrs de la folidité
de notre entrepriſe , nous ne le fommes pas
également de la réalité de nos fuccès ; le
tems & vos fuffrages en doivent décider.
Nos travaux ont une utilité reconnuë ;
les Sciences que nous cultivons font le
bonheur de la fociété ; c'eft dans la Nature
que PAuteur de notre étre a renfermé
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
nos befoins & nos commodités , mais il
faut des mains habiles & induftrieuſes pour
les y puifer. L'inftinct qui fait trouver à
la brute fes néceffités fans peine , nous refufe
fon fecours dans les nôtres. Sans entrer
dans l'examen de ce qu'il feroit pour
l'homme dans un autre état , ce qui eft certain
, c'est qu'en partant du point où nous
fommes , nous ferions les plus malheureux
de tous les êtres capables de fentiment
fi les Sciences & les Arts nous refufoient
leurs fécours ; depuis le berceau qui reçoit
Thomme au fortir du fein de fa mere , jufqu'au
tombeau qui renferme les cendres ,
tout eft marqué au coin de la dépendance
d'un Art éclairé & néceffaire. C'eft cet
Art qui lui façonne les premiers langes qui
le préfervent de la rigueur des faifons , qui
lui prépare la pulpe alimentaire qui le
nourrit dans fes premiers jours , il lui conftruit
la maifon qui le dérobe à la voracité
des bêtes ; une Phyfique lumineuſe rend
le Ciel , la terre & l'onde tributaires de
l'homme après lui avoir fourni fes befoins
avec profufion , elle lui apprend encore
l'art d'en jouir avec fageffe . Mettons l'homme
au milieu de l'abondance la plus complette
, cette abondance fera la fource de
fon malheur , fi une ſcience bienfaiſante ne
vient lui apprendre l'ufage moderé qu'il en
SEPTEMBRE MBI 1746. 19
doit faire ; des défirs fans frein l'entraineront
vers des jouiffances meurtrieres , &
cequi devoit être , felon la deftination de
la Nature , la fource de la conſervation de
l'homme , deviendra bien-tôt le principe
de fa deftruction.
Ces connoiffances fi utiles refteroient
dans le fombre réduit de l'organe où elles
prennent nailfance , fi le langage qui fair
la partie effentielle des Belles Lettres ne
leur prêtoit fon fecours ; il eft le lien extérieur
de la fociété , il fert aux hommes
à fe faire connoître mutuellement leurs befoins
& à fe les communiquer , il éclaire
l'efprit , il remué le coeur , il enleve l'homme
à lui même par fa préciſion , fa force &
fon harmonie. Nous fçavons ce que valent
à nos moeurs les foins qu'on fe donne pour
perfectionner notre langue ; fa culture eft
devenuë même une affaire de politique , fa
politeffe l'a fait adopter par toutes les
nations de l'Europe , & y a fait regner
nos Sciences , nos Arts & notre génie ; elle
forme une des branches de notre commerce
; que d'étrangers n'attire t'elle pas
dans le fein du Royaume , & quelles richeffes
n'apportent- ils pas avec eux !
Des efforts qui perfectionnent les inftrumens
de notre bonheur font donc louables
en général , les notres en particulier ne
14 MERCURE DE FRANCE
font-ils point témeraires ? Jugez en Mrs.
par les faits , continuë M. Guerin ; depuis
par
le court efpace qui a donné l'être à notre
Académie , nous avons vû naître dans fon
fein un cours de phyfique expérimentale ,
une école de peinture , un cours de chymie ;
le jardin botanique prend de jour en jour
de nouveaux accroiffemens , le théatre anatomique
de cette Ville a une datte plus
reculée , mais c'eft un de nos membres qui
par fes talens en foutient l'éclat . Mais ce
qui contribuera le plus à nos progrès , c'eſt
le Prix alternatif entre les fciences & les
Belles Lettres fondé par notre illuftre Protecteur
; dans ce monument authentique de
fou amour pour les fciences il nous donne
une preuve du zéle qu'il a pour notre avancement
; en nous établiſſant juges des ouvrages
des autres , il nous met à portée de
profiter de leurs lumieres , & de les fixer
chés nous .
>
M. Guerin lut enfuite l'éloge funébre de
M. l'Archevêque , Docteur en Medecine ,
membre de l'Académie. mort le 6 Avril
dernier. La mort , dit M. Guerin , qui
borne néceffairement les travaux d'un particulier
, n'a nulle atteinte fur ceux des focietés
; femblable aux ouvrages de la nature
qui renaiffent des cendres de ceux qui
périflent , les membres que la mort enleve
<
SEPTEMBRE 1746. 15
font remplacés par d'autres qui perpétuent
le travail des premiers. Cette fubftitutions
Dous confole de nos pertes , mais elle ne
nous les fait pas oublier , nous en avons
fait une cette année que nous regretterons
long-tems , c'eft M. l'Archevêque , Médecin
; nous allons rendre à fa mémoire le
tribut de louanges qui lui eft dû ; il a été
conftamment regat dé comme un g and Mé- regardé
decin par tous ceux qui l'ont connu ; les
qualités de l'efprit & du coeur chès lui en
auroient fait un des plus celebres de fon
fiécle , s'il eut été fur un plus grand théatre ,
ou qu'il eut eû moins de modellie. Son
application conftante à l'étude lui avoit fait
tout apprendre la bonté de fon coeur n'avoit
laiffé aucune de fes connoiffances inutiles
dans l'exercice de fa profeffion , c'eſt ſur
ces deux traits que roule tout fon éloge. $
On lut enfuite un mémoire de M. de la
Bourdonnaye , Intendant de Roiien & Préfdent
de l'Académie,dans lequel il examine la
principale objection qui peut être propoſée
contre l'utilité de la machine qu'a inventéeM.
de Vaucanfon pour faire des étoffes de foye,
Dans ce mémoire M. de la Bourdonnaye,
après avoir établi que les fciences , quelque
eftimables qu'elles foient par elles mêmes
, doivent être rappellées à leur vraie def
tination , en les faifant fervir , ou à
éclairer la raiſon de l'homme ou à fatis16
MERCURE DE FRANCE.
$
faire plus abondamment , & plus facilement
les befoins légitimes , entre dans la
difcuffion des principaux avantages de la
machine de M. de Vaucanfon . Cet homme
célébre , dont tout le monde connoit le
génie fupérieur pour les méchaniques , a
voulu le rendre utile à l'Etat & au commerce.
Après avoir fait à Lyon un féjour affés long ,
& y avoir approfondi la fabrique des étoffes
de foye , il a inventé & exécuté une machine
quiparun feul mouvement peut faire aller dix
ou douze métiers , chacun defquels travaille
tout feul une piéce d'étoffe unie ; cette invention
eft d'autant plus belle qu'elle corrige
la plus part des défauts qui fe trouvent
dans les étoffes faites à l'ordinaire , qu'elle
en fabrique un plus grand nombre d'aulnes
dans le même efpace de tems , & qu'elle
épargne une quantité confidérable d'ouvriers.
En effet pour conduire dix ou douze
métiers de cette efpéce il ne faut qu'une
femme qui racommode les fils qui caffent
dans les chaines , & une force fuffifante pour
faire marcher le mouvement qui répond à
tous les métiers , au lieu que dans les métiers
dont on fe fert ordinairement on a
befoin de deux perfonnes à chaque métier ,
ce qui fait par conféquent fur dix métiers
une épargne de dix-huit ou dix - neuf perfonnes
, & à proportion fur un plus grand
SEPTEMBRE 1746. 17
nombre. C'eſt ce dernier avantage de l'é
pargne des hommes qui fait l'objet du mé
moire dont- il s'agit ; on y laiffe à l'écart
toutes les autres raifons de préférence qu'on
peut attribuer aux métiers inventés par M.
de Vaucanfon par-deffus les métiers ordinaires
, & on s'attache à difcuter fi l'uſage
de cette machine ne pourroit pas occafion
ner autant d'inconveniens dans les lieux ou
on fabrique les étoffes de foye qu'elle y procureroit
d'avantages ; on fent affés que cette
difcuflion particuliere à un rapport immediat
à la queftion générale de fçavoir fi une machine
quelconque qui fupplée au travail &
aux forces des hommes eft utile dans tous
les cas aux manufactures , au commerce , &
par conféquent à l'Etat.
Les adverfaires de la machine nouvelle
ment inventée oppofent que , fi elle épargne
un auffi grand nombre d'ouvriers , c'eſt par
cela même qu'elle doit être rejettée , & que
l'ufage en deviendra pernicieux. Tout le
monde fçait que les fabriques d'étoffes de
Lyon & de Tours font vivre quantité de
familles qui travaillent felon les forces de
ceux qui les compoſent . Les femmes & les enfans
s'employent à la préparation des foyes ,
& les hommes au métier qui fait l'étoffe ;
plus une de ces familles eft nombreuſe ,
plus elle gagne , & les differentes efpeces de
18 MERCURE DE FRANCE
A
travaux qu'elle fait ayant une liaiſon néceffaire
, elle peut toujours être réunie , & vit.
par conféquent plus à l'aife à profit égal ;
les enfans font inftruits plus facilement
dans la profeffion de leur peres , peres , profeffion
douce , commode , exempte des intemperies
de l'air , & à laquelle il n'eft pas pof-
Gible que ceux qui y font accoûtumés fapuiffent
fubftituer une autre plus dure , &
tiguante ; quel fecours ne retirent pas la Ville
& le Pays où un pareil établiffement a lieu ,
de l'excedent d'habitans qu'il lui procure ,
de la confommation plus forte , du débit
des denrées plus avantageux , du payement
des impofitions plus facile , du crédit mieux
foutenu , de l'argent plus commun , & de l'abondance
de tout p us grande ! L'uſage de
la machine anéantit en un moment au moins
la moitié de tous ces avantages , en rendant
inutile une grande quantité d'ouvriers ,
& généralement tous les hommes , en divifant
par conféquent les familles , en les
dégoutant d'élever leurs enfans dans une
profeffion où il n'y a prefque plus rien à
faire , & en diminuant la confommation
les impofitions & le crédit ; que veut on
d'ailleurs que faffent des gens âgés de 40 ou
50 ans à qui on fupprime tout d'un coup
les moyens de gagner leur vie , qui font
hors d'état d'apprendre un autre métier ,
SEPTEMBRE, 1746. 19
& qui n'en pourroient choisir que de plus
rudes ? N'eft il point à craindre que tombans
dans le défeſpoir ils n'excitent des séditions
& des révoltes ? La Ville de Lyon
vient d'en fournir des exemples , dans lef
quels il s'agiffoit d'objets bien moins intéreffans
; n'eft - il pas certain que ces
ouvriers dèfoeuvrés pafferont dans les païs
étrangers , qu'ils y porteront leur induftrie
& leurs talens , & que les nations qui leur
ferviront d'azile , attentives à profiter de
nos pertes éleveront leurs manufactures
& leur commerce fur la ruine des nôtres ?
L'expérience nous apprend encore que ce
malheur nous peut arriver , & nous avons
vû differentes fabriques de France paffer
chés l'Etranger dans des circonftances moins
propres que celle- ci à produire cet effet.
Il n'eft pas douteux que pour peu que
l'ufage des métiers de M. de Vaucanfon
s'étende en France , il ne paffe auffi bientôt
chés les Etrangers ; le myftére que l'inventeur
peut faire aujourd'hui des refforts
qui font agir fa machine , ne fe foutiendra
pas long tems ; le befoin d'artifans pour la
conftruire , la curiofité , l'intérêt , découvriront
le fécret , & cet inftrument entre
les mains d'un Allemand ou d'un Hollandois
fera une étoffe auffi réguliere qu'entre
celles d'un François ; tout eft donc à crain
J
16 MERCURE DE FRANCE
•
dre dans l'établiffement dont- il s'agit , &
M. de Vaucanfon doit s'en tenir au mérite
de l'invention , fans avoir rien à prétendre
à celui de s'être rendu utile.
Quoique cette objection paroiffe forte ,
l'examen en detruit la folidité ; il eft d'a- '
bord conftant qu'elle prouve trop , car on
a droit d'en conclure qu'il ne falloit pas
établir les moulins ; qu'il auroit été utile
d'étouffer l'Art de l'Imprimerie dès ſa naiſfance
, qu'on n'auroit pas dû tolerer les métiers
à faire des bas , ni toutes les autres inventions
fans nombre , qui tendent à fimplifier
les ouvrages de l'Art , de peur d'oter la
fubfiftance aux Ouvriers qui s'en occupoient
auparavant ; cependant l'Hiftoire nous fournit-
elle des exemples d'inconveniens qui
ayent réfulté de ces differens établiſſemens ?.
?
Avec une diftinction tout va s'expliquer..
On convient que fi l'ufage de l'inftrument
dont il s'agit s'établiffoit tout d'un coup ,
il feroit fufceptible d'une partie des défordres
allegués mais il eft demontré que
cet ufage ne peut fe repandre que fucceffivement
, & dans le cours d'un nombre
d'années confidérable ; quand la fagefle de
Gouvernement négligeroit les attentions néceffaires
en pareil cas , la cherté des premiers
metiers de cette espéce , la néceffité préalable
de former des artifanspour les faire ,
SEPTEMBRE 1746. 27
$
de difpofer des lieux propres à les contenir
, tout cela en fufpendra long-tems la
multiplication . M. Colbert fit acheter en
Angleterre le premier métier à faire des baş
24000 l .; on en fit enfuite en France , mais
ils couterent encore long-tems 12000. Le
prix n'en a été réduit que de nos jours à
. quatre ou cinq cent livres ; on ne s'en eſt
fervi généralement qu'à mefure & à propor
tion que le prix en a diminué ; c'eft le préfage
de ce qui arrivera néceffairement aux
métiers à fabriquer des étoffes de foye ; la
progreffion lente de l'ufage de ces machi .
nes ménagera la confervation des Ouvriers
actuels , ils auront tout le tems d'elever
leurs enfans à d'autres profeffions , & c'eſt
un tableau de pure imagination que celui qui
les repréfente dèfouvres , mourans defaim , fe
laiffant aller à la révolte, & abandonnans leur
patrie pour transporter leurs talens chés l'Etranger.
Les circonftances , dans lesquelles
nous y avons vu paffer les Ouvriers François
n'ont aucun rapport à celle-ci ; la principale
époque eft la révocation de l'Edit de Nantes
; l'établiffement de droits nouveaux , ou
l'augmentation des anciens fur quelques
matiéres ou efpéce de marchandifes , a puрц
occafionner aufli dans differens tems la défertion
de nos Ouvriers.
Si nos métiers eux mêmes deviennent
12 MERCURE DE FRANCE.
propres aux nations rivales de notre commerce
, il n'en résulte autre choſe , ſi- non
que la France aura contribué au bien général
de l'Univers , fans fe faire tort à elle
même ; il n'eft queftion préfentement que
des étoffes unies , & la machine dont- il s'agit
ne va pas au- delà ; nous. fommes en
concurrence avec l'Etranger fur cet article :
toutes chofes font égales entre eux & nous
pour la fabrique de ces fortes d'étoffes ; nous
employons les mêmes moyens , & nous
nous fervons des mêmes inftrumens , cependant
nos manufactures font floriflantes ;
qu'arrivera- t'il lorfqu'ils auront adopté nos
nouveaux métiers , & qu'ils s'en ferviront ?
Toutes chofes demeureront encore égales ,
& la concurrence fubfiftera toujours dans
les mêmes termes .
Si le génie de M. de Vaucanfon le conduifoit
jufqu'à l'invention d'un métier qui
pût faire des étoffes travaillées , brochées &c .
les François conferveroient encore les avantages
qu'ils ont toujours eû fur les autres
nations ; la beauté & la correction des deffeips
, leur variété inépuifable , l'éxactitude
& la précifion de leur exécution , l'affortiment
des couleurs auffi recherché qu'agréable
, ce font là les fources de l'eftime
qu'on fait par tout des étoffes de France , &
de la poffeffion où eft ce Royaume d'affujetir
SEPTEMBRE 1746, 23
plus ou moins toute l'Europe à fes modes
& à fon genie. Les Etrangers n'acquereront
donc jamais par une manoeuvre méchanique
, telle qu'elle foit , le véritable mérite & la
fuperiorité de cette efpéce de manufacture.
១០០
Sans fe laiffer éblouir par des raifonnemens
captieux , il faut en revenir aux véritables
principes en cette matiére. Tout
expedient qui fupplée aux bras des hommes
, ou qui ménage leur force , eſt utile ;
c'eft créer 900 hommes que de trouver
les moyens de faire avec 100 ce qu'on
faifoit auparavant avec 1000 parce
que ces 900 hommes reftans peuvent
être employés à bien d'autres ouvrages
pour lefquels on n'en trouve quelquefois pas
fuffifamment ; la terre ne manque point
aux hommes , mais les hommes manquent
à la terre ; l'agriculture eft le premier des
Arts & le fondement de toutes les fubfiftances
; les hommes font la vraie richeffe
d'un Etat , ainfi plus l'examen des bons effets
de la machine nouvellement inventée
fera refléchi , plus on la trouvera eftimable de
tous points tout bon citoyen doit défirer
que l'ufage en foit admis , qu'il foit favorifé
, protegé & repandu , & qu'on encourage
l'Auteur de continuer à confacrer
à l'utilité publique des talens auffi fuper
rieurs & auffi rares que les fiens.
La fuite dans le prochain Mercure.
44 MERCURE DE FRANCE.
*******
VERS adreffés à Mad . en lui envoyant une
Tabatiere de glace.
C'EST à vous , aimable Nannette ,
A qui je dois mes ornemens.
C'est vous dont les regards charmans
De la beauté la plus parfaite
Me donnent tous les agrémens ;
Regardez-moi quelques momens ;
Tout ce que jamais la Nature
A fçu produire de plus beau ,
Sur moi fe peint en mignature ,
Et vos yeux en font le pinceau,
En vain Doris , en vain Silvie ,
Cherchent-elles le même honneur ;
Quoique je cede à leur envie ,
Je n'ai plus le même bonheur ;
Je dois faire toute ma vie
Votre triomphe & leur douleur,
IR
AUTRE ENVOI
Rois- je pour parer Nannette ,
Affortir un bouquet de fleurs ,
Tandis qu'il n'eft fleur fi parfaite
Dont les vives couleurs
Auprès
SEPTEMBRE . 29 1746.
3
Auprès de fes appas ne trouvent leur défaite
Non , il faut ailleurs recourir ,
Pour contenter la raiſon & mon.zéle ;
J'aimerois mieux mourir
Que de ne lui pas offrir
Quelque chofe d'auffi beau qu'elle.
Ah ! la Nature ofe en vain s'en flater ;
Il n'eft permis qu'à l'Art de le tenter;
Graces à fon pouvoir tùprême ,
Cette glace offre ce qu'il faut ,
Car en s'y voyant elle- même ,
Annette y doit trouver un bouquet fans défaut.
હ က် ဆုံး ရက်
A MONSIEUR *****.
Souffre
ouffrez , Monfieur , que je vous adreſſe
l'extrait que j'ai fait de quelques- unes des
rufes de Guerre de Polien & des ftratagême
de Frontin. Ces deux Auteurs ont raffemblé
tous les faits & dits qu'ils ont cru
pouvoir être de quelque utilité pour la guerre
; dans le nombre de ce qu'ils ont écrit j'ay
feulement choisi ce qui pouvoit avoir rapport
à la façon de faire la guerre d'apréfent.
Tout ce qui regarde l'attaque & la deffenſe
des Places , étant totalement hors d'ufage
actuellement , je n'en ay rien rapporté , non
B
26 MERCURE DE FRANCE.
plus que d'une quantité de faits que Polien
& Frontin même caractérifent, fort légerement
de rufes & de ftratagêmes, car ce font
en bonne police des fupercheries & même
des trahifons fort noires ; j'ay mêlé indiftinctement
ce qui eft de Frontin & de Polien.
J'ay raffemblé autant que j'ay pû les
differens articles qui ont quelques rapport
enfemble. J'ay ajoûté à plufieurs la façon
dont j'entends qu'ils peuvent être utiles. Je
vous prie de vouloir bien me donner votre
avis fur ces réflexions & me faire part deş
endroits où vous vous trouverez penfer differemment,
vous me trouverez toujours prêt
à profiter des lumieres que vous voudrez
bien me communiquer. Je vous prie d'être
bien perfuadé des fentimens avec lefquels je
fuis , Monfieur , votre très -humble & trèsobéiffant
ferviteur. *** .
EXTRAIT des rufes de guerre de Polien :
de Frontin par M. L.M. D. P. B. Di.
A
GESILAS faifoit la guerre aux Acarnaniens.
Il fe trouva hors de leurs limites,
dans le tems qu'on devoit enfemencer les terres .
Les Lacedemoniens vouloient qu'on empêchât
les Acarnaniens d'enfemencer , mais Agefilas
abulut qu'on les laiſſât faire , dans la penfee
SEPTEMBRE
1746. 27
que s'ils fe voyoient une moiſſon à conſerver, is
préfereroient la Paix à la Guerre , s'il arrive
au contraire , dit-il , qu'ils ne veuillentpas la .
Paix , ce fera pour nous qu'ils auront femé.
R. Il faut avoir attention lorfqu'une armée
demeure quelque tems dans un Païs où
l'on peut être obligé de refter l'hyver , ou
bien , où l'on compte revenir l'année d'après
, de laiffer les Habitans
enfemencer
leurs terres , il faut même les y obliger , s'ils
ont dequoi le faire , mais fi l'on avoit enlevé
tous leurs grains , & qu'ils fuffent hors
d'état d'en avoir d'autres , il faut leur en
fournir , au riſque même que l'ennemi vous
prévienne pour occuper ce Pais l'année
d'après.
Fabius Maximus ayant ravagé les terres
de ceux de Capoüe fe retira après la moiffon,
pour donner moyen aux Habitans de femer le
de bled qui leur reftoit , après quoi revenant
tout à coup , il les prit par famine .
Antigonus fit la même chofe contre les Athé
pen
niens.
R. Ce n'eft point là une rufe , c'eft feulement
profiter de la faute qu'une Ville a
faite de ne pas fe pourvoir de vivre lorſqu'elle
a pû, & qu'il étoit poffible qu'elle fut attaquée
une feconde fois .
Denis le Tyran voulant attaquer ceux de
Regé , qui étoient fort puiffans , il les pria de
Bij
28 MERCURE DE FRANCE
Tus fournir des vivres pour de l'argent , feignant
de fonger ailleurs ; & comme ils l'curnnt
fait il les affiégea , & les prit par famine . On
dit qu'ilfit la même chofe contre ceux d'Himére.
R. On peut eflayer cette rufe', mais il faut
que ceux qui y font attrapés ay ent crû fe
mement qu'ils ne pouvoient pas être attaqués.
Alexandre voulant attaquer Leucadie , qui
étoit pleine de vivres , alla prendre tous les
Châteaux qui étoient aux environs & permit
à ceux qui y étoient de fe retirer dans la Ville
afinde l'affamer plûtôt.
R, On peut en pareille occafion pratiquer
cela , & on peut obliger les Garnisons des
differens Châteaux de fe préfenter pour
entrer dans la Ville qu'on veut affamer ,
mais la Ville ne doit point les recevoir,
Cefar difoit qu'il falloit , vaincre les Ennemis
, comme les Médecins font les longues.
maladies , c'est-à- dire par lafaim , plûtôt que
par le fer & Domitius Corbulon difoit qu'il
en venoit à bout avec la bêche & le hoyau ,
c'est -à -dire , enfe retranchant & fe fortifiant.
R. L'un & l'autre revient au même , & forme
un principe incontestable , c'eſt qu'on ne
doit en venir à une bataille que lorsqu'elle
eft néceflaire , mais qu'il faut harceler fon
Ennemi , chercher à lui couper les vivres ,
& l'attirer dans un Païs qui lui foit déſavanSEPTEMBRE
1748. 29
!
<
tageux . ou fi l'on eft plus foible , ſe poſter
toujours de façon que l'Ennemi ne puiffe
pas vous forcer , & quand la fituation du
terrain n'eft pas favorable , qu'il faut l'accommoder
en s'y retranchant,
Antigone voulant fe rendre maître d'Athénes
, fit la Paix fur la fin de l'Automne.
Les Atheniens enfemencerent leurs terres& ne
garderent de grains que ce qu'il en falloit júfqu'à
la recolte, mais quand le tems de la maturitéfut
venu , Antigone conduifit de nouvedus
fon Armée dans l'Attique. Les Athéniens
ayant confumé ce qu'ils avoient de vivres ,
ne pouvant faire la récolte reçurent Antigone
dans leur Ville , & promirent d'obéir en tout
à fes ordres.
R. On ne peut mieux en agir pour s'emparer
d'une Ville qui n'a pris nulle précau .
tion pour fa fubfiftance .
Agefilas ayant mis fon armée en ordre de
bataille , s'apperçut que les Alliés n'étoient
pas dans de bonnes difpofitions . Il jugen à propos
de faire retraite mais comme il la faloit
faire par des défilés, où il s'attendoit d'être attaqué
par les troupes de Beotie, il donna l'avantgarde
aux Lacédémoniens & mit les Alliés à
l'arriere garde , afin que lorsque les Beotiens
attaqueroient la quenë , les Alliés fuffent dans
la neceffité de combattre courageufement.
R. On peutfuivre cette méthode dans cer-
Biij
30 MERCURE DE FRANCE.
taines retraites , mais il faut prendre garde
lorfqu'on prend ce parti , que les troupes
que vous laiffez ne foient gens à fe rendre
fans fe deffendre , & il faut qu'il n'y ait point
d'autres paffages par où elles puiffent s'enfuir
que celui par où vous vous retirez ; fans
cela il faut faire le contraire ., & avoir de
bonnes troupes à fon arriere - garde , afin
d'être fûr qu'elles tiennent affés de tems ,
pour vous donner celui de vous éloigner
avec le refte ; mais ce qui vaut encore mieux ,
c'eft que lorsqu'on ne peut dérober entierement
fa retraite, il faut combiner fa marche
& l'arrangement de fes troupes, de façon que
l'Ennemi ne puiffe en attaquer aucune partie
que toute votre armée ne foit auffi-tôt
raffemblée pour la deffendre ; c'eſt une operation
qui demande beaucoup de fcience ,
& des troupes bien exercées.
Philippe de Macédoine craignant que fes
foldats ne puffent foutenir l'effort des Scytes ,
mit la fleur de fa Cavalerie à la queue de
fon Infanterie , avec ordre de tuer le premier
qui reculeroit , ce
reculeroit , ce qui ne contribua pas pen à
la victoire. L'Auteur ajoute , chacun aimant
mieux perir de la main des Ennemis en combattant
, qu'en reculant de celle des fiens.
R.Des troupes conduites par l'honneur n'ont
pas besoin de pareil fecours pour ne pas reculer
, mais cela peut être fort utilement
SEPTEMBRE 1746. 31
employé pour toutes les troupes qui n'ont
pas cette émulation ou point d'honneur qui
eft à défirer..
Agefilas faifant incurfion dans la Beotię ,
commanda aux Alliés de mettre le feu par
tout , & de couper tous les bois . Il vit qu'ils
étoient lents à exécuter fes ordres , & ne les
fuivoient qu'à regret . Il s'avifa de faire changer
de pofte à fon armée deux ou trois fois le
jour, & alors la néceffité de dreffer fes Cafernes
, faifoit qu'on étoit obligé de couper les bois.
Ce n'étoit plus véritablement tant pour nuire
aux Ennemis que pour l'usage des troupes d'Agefilas
, mais c'étoit toujours également nuire
anx Beotiens,
pas
- R. Les foldats d'apréfent ne demandent
que
pas mieux de faire du dégât lorfque
l'on veut punir un Pays en y faifant du ravage
; il n'eft point néceffaire de l'ordonner ,
il n'y a qu'à le permettre , mais lorsqu'on
veut ménager un Pays, il faut éviter d'y chan
ger de camp le plus que l'on peut , c'eft
toujours dans les premiers jours des camps
qu'il fe fait le plus de défordre , mais après
quelques jours on en connoît mieux les environs
; & onpeut l'empécher plus ai fément.
Epaminondas voulant paſſer le pont bâtifur
le Sperque voyoit les Theffaliens campés devant
lui dans le deffein de lui difputer le paffage ;
il avoit remarqué que vers le point du jour
B
1111
52 MERCUREDE FRANCE.
il s'élevoit du Fleuve un brouillard épais. Il
commanda à chaque troupe de couper & de
porter deux faisceaux de bois , un de bois verd,
l'autre de boisfec , & d'y mettre le feu fur
le minuit , au bois verd au- deffus , & aubois
fec au- deffous. De cette forte , favorife de la
muit , du brouillard & de la fumée , qui déroboient
aux Ennemis la vue des objets , il fit
paffer fur le pont fes foldats qui fe trouverent
dans le milieu de la plaine , de l'autre côté,
avant que la fumée & le brouillard fe fuffent
diffipés. Alors , mais il étoit trop tard ) les (
Theffaliens s'aperçurent que les Thebains étoient
paſſes.
R. Lorfque l'on eft fur le bord d'une riviere
d'un marais & c. on peut tenter cette
rufe ; fi le vent vient de façon à chaffer la fumée
du côté de l'ennemi , alors elle fe confond
avec le brouillard , & pendant ce tems
on peut travailler à un pont , & y faire même
paffer des troupes fi l'on veut , & l'Ennemi
n'en aura point connoiffance , à moins
que fes poftes ou les partis n'ayent approché
fort près du lieu où vous paffez..
Epaminondas étant dans la difpofition d'en
venir aux mains avec les Lacedemoniens
auprès de Tégée , jugea qu'il devoit s'emparer
de quelques poftes avantageux. Afin de cacher
fon deffein aux Ennemis , il ordonna au Commandant
de la Cavalerie de s'avancer au-deSEPTEMBRE
1746. 33
vant de la Phalange avec 1600 chevaux
de faire plufieurs évolutions , marches &
contre-marches de côté & d'autre. Par ce
moyen il s'éleva beaucoup de pouffiere qui of
fufqua la vue des ennemis , & à l'aide de cette
obfcurité les poftes furent gagnés fecrettement
par Epimondas. Quand la pouffierefut appai
fee , les Lacédémoniens s'apperçurent quelle
avoit été la raison d'une cavalcade dont le
but leur avoit été d'abord inconnu,
R. Cette manoeuvre peut être mife en
pratique avec beaucoup de fuccès. C'eſt
toujours un grand avantage de pouvoir ſe
pofter , & prendre un ordre de bataille à
l'infçu de l'ennemi , en forte que lorsqu'il
s'en apperçoit , il ne foit point à tems de s'y
oppofer.
Pelopidas étant en Theffalie avoit une riviere
a paſſer & ne le pouvoit , parce qu'il
avoit les ennemis à dos . Il campa fur le bord
du fleuve , &fe retrancha de pieux & de faf
cines qu'il fut couper en grande quantité. Ily
fit mettre lefeu à minuit , par ce moyen bes
ennemis fe trouverent dans l'impoſſibilité de
poursuivre , & paffa le fleuve en liberté.
le
uer
R. Cette manoeuvre peut fe pratiq
avec fuccès lorsqu'on eft dans un Camp
fermé par les côtés par quelque marais , ou
fi l'on eft pofté dans quelque anfe de riviere
dont tout le front fait retranché par un ab-
By
84 MERCURE DE FRANCE .
w
batis d'arbres ; en ce cas , fi les arbres font
fecs , on y peut mettre le feu , & s'ils ne
l'étoient pas affés , il faudroit y jetter des
pailles pour faciliter l'embrafement , il faut
auffi avoir attention d'allumer le feu par le
côté d'où vient le vent.
Ifcholaus étant en marche , avoit d'un côté
des précipices & un très-mauvais chemin , &
de l'autre une montagne occupée par les ennemis.
Il faifoit un vent violent. Pour en profiter
, il alluma un grand feu , dont la chaleur
& la fumée chafferent les ennemis , & il paſſa
sûrement avec les troupes par le chemin qu'ils
avoient laiffé libre .
R. Cette manoeuvre ne peut être miſe en
ufage que contre un petit nombre de troupes
qui occuperoit un endroit refferré où
vous feriés obligé de paffer , & qui feroit
rempli de bois & de brouflailles faciles à
s'embrafer, & il faudroit encore que le vent
portât du côté où vous voulez paffer.
Iphicrate étant campé en Thrace auprès des
ennemis , s'avisa une nuit de mettre le feu à
ane forêt qui étoit entr'eux & lui , & laiffant
dans fon camp le bagage & beaucoup de beftiaux,
il fe retira à la faveur de la nuit, que la
fumée rendoit encore plus obfcure , dans un lieu
couvert & fort ombragé. Quand le jour fut
venu , les Thraces étant entrés dans fon camp
& n'y trouvant aucuns grecs , ſe mirent àpilSEPTEMBRE
1746. 35
ler le bagage , & à butiner les beftiaux. Iphicrate
les voyant difperfe's fe montra , & marchant
en bon ordre les vainquit , & ſauva tou e
fon bagage.
K. Pour faire une pareille manoeuvre , il
faudroit premierement être sûr de pouvoir
fe retirer dans un endroit où l'ennemi ne
pourroit vous découvrir , fecondement il
faudroit que l'ennemi fut capable de s'abandonner
fans ordre & fans précaution au pillage
du camp . Ainfi cela ne pourroit fe
tenter que contre une armée mal difciplinée
& formée de nouvelles levées , laquelle
fer oit dans un pofte qu'on ne pourroit attaquer
fans un grand défavantage , & dont par
ce ftragême vous tenteriés de la faire ſortir.
Pelopidas fe fervit du même artifice à la
guerre de Theffalie , car s'etant campé fur le
bord d'une riviere , & la voulant paffer fans
être traversé par les ennemis , il fit une grande
circonvallation de bois au tour de fon camp ,
& y ayant mis lefeu paffa fans danger.
Un Lieutenant de Sertorius fe trouvant engagé
avec peu de troupes dans un défilé bordé
de deux montagnes efcarpées avec les ennemis
en quenë , tira un grand retranchement d'une
montagne à l'autre , & l'ayant rempli de bois ,
y mit le feu ; cela les arrêta tout court , & lui
donna
moyen de fortir de ces détroitsfans danger.
Bvj
36 MERCURE DE FRANCE.
Démétrius fe retiroit par un chemin fort
ferré. Les Lacédémoniens preffoient fon arriere
garde, & lui bleffoient beaucoup de monde . Il
entaffa dans l'endroit le plus étroit tous les
chariots de bagage & y mit le feu. Les ennemis
ne purent paffer a travers cet incendie ,
& pendant que les chariots brûloient , Démétrius
gagna du terrain , prévint les ennemis ,
& evita leur pourſuite .
R. Cette manoeuvre peut aifément ſe pra- fe
tiquer par des troupes qui feroient pourfuivies
, & qui trouvant un défilé , foit chemin.
entre les montagnes ou marais , ou même
un pont , y arrêteroient quelques chariots
& y mettroient le feu , mais pour arrêter
toute une armée , premierement il faudroit
raffembler beaucoup de chariots & y mettre
le feu , fecondement il faut que dans le
tems que vous employez à cela , l'ennemi
ne puiffe pas aller paffer par un autre che
min & vous tourner.
(
Gorgias à la tête de la Cavalerie Thebaine,
avoit à combattre Phébidas qui conduifoit l'Infanterie
armée de boucliers. Comme il ſe trouvoit
dans un lieu fort ferré où la Cavalerie
ne pouvoit pas faire grand effet ) il lacha pied
devant l'Infanterie de Phebidas. Les ennemis
le pourfuivirent, & par ce moyen il les attira.
dans une plaine ; & c'étoit le but de cette
fuite.
SEPTEMBRE 1746. 17
R. Un Général dont l'armée eft compo
fée d'une nombreuſe Cavalerie doit fans
contredit attirer tant qu'il peut fon ennemi
dans un Païs de plaine , & de même celui
dont le Corps d'Infanterie eft fupérieur, doit
chercher les Païs coupés ; la manoeuvre que
fit Gorgias ne peut attirer que des gens peu
attentifs à leurs interêts ; cependant on pourroit
la tenter fi l'on fe trouvoit à la guerre
avec un Corps de Cavalerie , pourvû qu'on
fut affes für de fa Cavalerie pour être certain
qu'elle fe rallieroit quand on le lui ordonneroit.
Il faudroit auffi être für que l'ennemi
n'eût pas affés de Cavalerie pour pourfuivre
la vôtre fi vivement qu'elle ne pût ſe réfor
mer ailément.
de
Megaclidas s'étant retiré fur une montagne
fort converte, y fut affiégé . De ce qu'il avoit
troupes , il mit à part ce qu'il y avoit de
plus inutile & de plus pefant , & donna ordre
à ceux-là de prendre la fuite à travers les
bois. Les ennemis , comme il l'avoit bien jugé,
s'en apperçurent &fe mirent après cesfuyards;
pour lui avec se qui reftoit , c'est-à dire les
meilleurs troupes , ilprit la route opposée de la
forêt , & s'échappa.fans risque.
R. Cette manoeuvre eft on ne peut moins
fûre , car fi l'ennemi ne va pas tout entier
à la pourfuite de ces fuyards , vous n'en êtes
pas plus avancé pour votre retraite , s'il y va
38 MERCURE DE FRANCE.
tout entier , il eft à croire que tout ce qui
aura fui fera perdu , & il y a toujours une
partie de votre armée que vous lui abandonnez.
S
·
Cleandridas, Chef des Thouriens
gagna une
bataille contre les Leucaniens. Après la victoire
il mena fes troupes fur le champ de bataille
& leur fit voir par la fituation des
morts épars çà & là , que leur défaite ne ve
noit que de ce que fans fe tenir ferrés à leur
pofte , ils s'étoient trop répandus de côté &
d'autre d'où venoit qu'ils étoient tombés loin
les uns des autres ; au lieu qu'eux s'étoient
tenus ferrés & fermes. Alors Cleandridas
quitta la plaine , & pofta fon armée dans un
lieu étroit. La grande multitude des ennemis
ne leur donna aucun avantage. Le peu d'étendue
du lieu donna moyen à Cleandridas
d'oppofer un front égal à celui qu'il avoit devant
lui , & de cette forte les Thouriens
gnerent une feconde bataille fur les Leucaniens.
•
ga.
R. Selon les armes dont nous nous fer
vons , la force de notre ordre de bataille
confifte à avoir toujours les files ferrées , &
avoir auffi les rangs ferrés lorfque le bataillon
charge l'ennemi , & lorfque les files font
trop ouvertes , un bataillon a un défavantage
confiderable contre celui qui les a ferrées
, qui le perce & le ba aifément .
SEPTEMBRE 1746. ' 39
!
#
Cleandridas faisant la guerre aux Leucaniens
, avoit la moitié plus de troupes qu'eux.
Il eût peur que s'ils s'en appercevoient , ils ne
priffent la fuite pour éviter le péril. Il s'avifa
donc de donner beaucoup de profondeur à fa
Phalange. Les Leucaniens lui voyant peu de
~`largeur dans le front la mépriferent & etendirent
leurs rangs dans le deffein de le déborder.
Alors Cleandridas élargiffantfa Phalange, ordonna
aux ferre files de quitter la file , & de
fe mettre en rang du côté des chefs de file. De
cette maniere développant fon front , il vint à
bout de déborder lui- même les Leucaniens . Ils
furent enveloppés, percés de traits, & tous tués,
à la referve d'un petit nombre qui prit honteufement
la fuite.
R. Toute manoeuvre que l'on fait où l'ennemi
ne s'attend pas , ne peut que lui caufer
de l'embarras ; ce n'eft point en doublant
les files , & enfuite les dédoublant qu'on
peut augmenter fon front , mais en mettant
quelques bataillons ou efcadrons derriere
ceux qui font en premiere ligne affés près ,
pour que l'ennemi ne s'en apperçoive pas ,
& lorfqu'il eft prêt de charger , ces troupes
font face en arriere , & font une demi converfion
, & enfuite embraffent les droites ou
gauches des ennemis .
Démofthene conduifant -les Acarnaniens
les Amphiloquiens,fe trouva campé devant les
40 MERCURE DE FRANCE .
•
8
troupes du Péloponéſe un grand torrent entre
deux. Il vit que les ennemis étoient fort fupérieurs
en nombre , & qu'ils débordoient for
armée. Ilfit mettre en embuscade dans un lieu
creux propre à cela , un nombre fuffifant de
&
gens armes de toutespieces , & trois cent Fantaffins
armes à la legere , qui eurent ordre ,
quand ils verroient la Phalange débordée
les ennemis , de fondre en queue fur ce qui s'étendroit
au-delà de fa Phalange . Les ennemis
le déborderent effectivement , & les gens de
l'embufcade s'étant levés à propos, tomberent
tout d'un coup fur les ennemis qu'ils prirent
par derriere , & les vainquirent fans beaucoup
de peine.
par
R. Le torrent ne fait rien ici pour la manoeuvre
qui ne convient point pour en empêcher
le paffage,mais fuppofant qu'il n'y en
ait point , dans l'inftant qu'un ennemi marche
à vous quoiqu'avec un front plus étendu
que le vôtre , fi vous pouvez avoir fait paffer
des troupes par quelques détours , enforte
qu'elles viennent à l'attaquer par derriere
, il eft für que cela lui caufe beaucoup
de défordre , fur-tout s'il ne découvre pas
aifément par combien de monde il eft attaqué
par fes derrieres . Ce qu'il a de mieux
à faire alors , eft de faire retourner toutes .
les troupes qui déborderont les vôtres .
Timothée voulant traverser le Païs d'Oly
SEPTEMBRE 1746. 4-x
the ,& craignant la Cavalerie des Olynthiens,
fit un quarré long de fon armée. Il mit le bagage
& la Cavalerie au centre avec ungrand
nombre de chariots accouplés ensemble , & en
dehors , ilpofta de côté & d'autre les gens armés
de toutes pieces . De cette forte il empêcha
la Cavalerie des Olynthiens d'agir.
R. De l'Infanterie qui feroit chargée def-
Corter & de conduire un nombre de chariots
dans un Païs de plaines , ne pourroit
mieux faire que de s'en fervir pour s'enfermer
; il faut pourtant faire une attention néceffaire
depuis les armes à feu , c'eſt que leur
bruit effarouche les chevaux , & pour peu
qu'il y en ait qui s'emportent , l'effroi fe com
munique aux autres ; ainfi il faut prendre
fes précautions pour empêcher que ces accidens
n'arrivent , ſoit en attachant tous les
chariots au bout l'un de l'autre , ou en les
accouplant , ou quand on eſt arrêté en faifant
dételer les chevaux.
Antipaterfe trouvant en Theffalie , voulut
faire accroire aux ennemis qu'il avoit une Caalerie
fort nombreuse . Il raffembla un grand
ombre d'ânes & de mulets , les arrangea en
fcadrons , fit monter deffus des gens armés en
avaliers , & à la tête de chaque Escadron , il
ordonna que le premier rang fût de véritables
chevaux.Les ennemis voyant ces premiers rangs,
e perfuaderent que le reste étoit de même, pri
42 MERCURE DE FRANCE,
rent l'épouvante , &fe mirent en fuite. geft.
las s'eft fervi d'une rufe pareille en Macédoine
contre Efore , & Eumene l'a mise en pratique
en Afic contre Antigone.
R. Quelquefois pour faire paroître un détachement
plus nombreux qu'il n'eft , on fait
mettre chaque troupe en bataille fur un
rang ; l'ennemi peut s'appercevoir aisément
de cette manoeuvre , fi le tems eft clair , &
qu'il ne faffe point de pouffiere , mais en fe
fervant du ftratagême expliqué ci - deffus ,
& faifant mettre ou des valets , ou des fourrageurs
en fecond & troifiéme rang , il eft
fort aifé de tromper l'ennemi. On peut pratiquer
une manoeuvre toute differente , l'on
eft dans un Païs où il lyy ait une hauteur entre
l'ennemi & vous ; on peut faire paroître un
tiers environ de fes troupes fur cette hauteur,
& laiffer le refte en arriere au bas de la hauteur,
& des troupes que vous aurez avancées
fur la hauteur , en former le double ou le triple
, en les mettant fur un feul rang , enforte
que l'ennemi voye cette manoeuvre, & croye
par là que vous voulez lui faire paroître un
plus grand nombre de troupes que vous n'avez
en effet ; & s'il vient vous attaquer, vous
faites monter ce que vous aviez tenu caché
pour marcher à lui .
Pammenès avoit dans fon armée beaucoup
de Cavalerie. Ees ennemis etoient fupérieurs
SEPTEMBRE 1746. 43
an nombre de gens couverts d'écus . Il leur oppofa
le peu qu'il en avoit , avec son Infanterie
Légere , c'est - à-dire , ce qu'il avoit de plus foible
, à ce que les ennemis avoient de plus fort,
avec ordre de prendre la fuite , afin de feparer
les porteurs d'écus d'avec le reste de leur
Phalange . Quand cela futfait , il prit la Cavalerie
de l'autre aile , & fondit avec fur les
ennemis , quife trouverent envelopes ,tant par
cette Cavalerie , que par ceux qui avoient feint
auparavant de prendre la fuite , & avoient
fait volte face , & de cette maniere ils furent
entierement défaits.
R. Il faut qu'il y ait quelque chofe d'alteré
dans cet endroit , car il n'eft point dit
que Pammenès fe fervit d'une aîle avant de
parler de l'autre , & c'eſt le centre à qui il
donne ordre de plier.
Cette manoeuvre peut être employée avec
fuccès par des troupes bien exercées & difciplinées
, fur-tout contre d'autres qui feroient
de nouvelles levées.
Brafidas , General des Lacédémoniens , fe
laiffa enclore , à deffein , par la multitude des
ennemis pour difperfer leurs forces , puis fit un
effort par l'endroit le plus foible.
R. Cette manoeuvre ne vaut rien à pratiquer
que contre une multitude qui ne connoît
point ſa force , car fi lorſque Brafidas fit
an effort par un endroit , tous les autres
44 MERCURE DE FRANCE.
étoient tombés fur lui , il eût été battu ,
fon ordre perdant toute fa force , parće
qu'il auroit été obligé de ſe battre de tous les
côtés.
Cléomenès , plus foible en Cavalerie que fon
ennemi , embarraffa le champ de bataille d'arbres
coupés , & rendit par là l'effort de la Cavalerieinutile
, ou rendit par là le lien inacceffible
à la Cavalerie.
0 R.Le nombre de troupes ne fait rien au gain
d'une bataille quand on ne peut faire combattre
qu'une certaine quantité , & la force
d'un ordre de bataille ne confifte qu'à faire
combattre à la fois plus de troupes que fon
ennemi , & il y a des regles & des principesfûrs
pour tous les differens ordres de bataille
, fuivant les differens terreins . Dès
qu'on peut empêcher fon ennemi de fe fervir
de la Cavalerie en faifant un abbatis , on
diminue la force de fon ordre.
Cneius Scipion étant rangé en bataille contre
Hannon Général des Carthaginois , près de
la Ville d'Indibilis en Espagne , & ayant remarqué
que les Espagnols , qui étoient les meilleurs
Soldats , étoient à la droite , & les Africains
à la gauche , il retira un peu fon aile
gauche , afin qu'elle ne vint pas fitôt aux mains
avec les Espagnols , & avançant la droite out
il avoit mis fes meilleures troupes , il rompit
les Africains, puis obligea les autres àfe rendre.
SEPTEMBRE 1746. 49
R. Cette attaque eft fuivant l'ordre de
bataille de la ligne oblique expliquée par
Vegece.
Philippe de Macédoine en un combat con → ·
tre les illyriens , voyant que leur front de bataille
étoit fort ferré , & rempli de leurs meilleures
troupes , Ű que les côtés étoient foibles
il rangea iout ce qu'il avoit de bon à l'aile droi
te , en prenant en flanc leur aile gauche , mis
toute leur armée en defordre , & remporta la
victoire.
R. Id.
Parménès , Général des Thébains , voyant·
que les Perfes avoient mis leurs meilleures trou
pes à l'aile droite , leur oppofa les plus foibles
de fon armée , avec ordre fi on les venoit
attaquer , de fe retirer en un lieu avantageux
qui étoit proche ; & mettant toute fa
Cavalerie à l'aile droite , avec la flenr de fon
Infanterie , il envelopa les ennemis par leur
gauche, & les défit .
R. Cette maniere de combattre reflem
ble à la ligne oblique en partie , mais il faut
avoir un pofte sûr pour la retraite de la partie
qui doit fe retirer , & avoir des troupes
bien exercées & difciplinées.
Publius Cornelius Scipion l'Africain faifant
la guerre contre Afdrubal en Espagne ,
avoit accoutrmé de mettre les meilleures troupes
au miliu , ce que l'autre faifoit à fon exem
1
46 MERCURE DE FRANCE.
ple , mais le jour du combat Scipion les tranf
porta fur les ailes , & retira le milieu de la
bataille fort en dedans , de forte que combattant
des deux côtés avec fes meilleures troupes
contre les plus faibles des ennemis, il les
defit aifement.
R. Cet ordre de bataille reffemble beaucoup
à celui que Vegece explique, qui eft de
faire marcher les deux aîles pour attaquer ,
& de tenir le corps de bataille en arriere ,
& la figure prefque circulaire que Scipion
fait prendre à fon armée a cela de plus , c'eſt
que les flancs des parties qui vont attaquer
f'ennemi , font appuyés par la partie du
centre.
Metellus. de même au combat qu'il gagna
contre Herculeius en Espagne , voyant que ce
Général avoit mis fes meilleures troupes au milien
, il retira fa bataille fort en dedans , pour
ne combattre en cet endroit qu'après que fes
deux ailes auroient donné, & qu'elles auroient
envelopé l'ennemi.
R. Id.
leurs
Annibal tout au contraire , en la bataille
de Cannes , avança le milieu , & retira les
deux ailes ; & de ce milieu ayant renversé du
premier choc celui des Romains, parce que
plus foibles troupes y étoient , il fit avancer peu
peu fes deux ailes , fi bien que les Romains
fe trouverent envelopes de toutes parts ; mais on
SEPTEMBRE 1746. 49
ne peut fe fervir de ce ftratagême qu'avec des
troupes fort expérimentées comme étoient les
fiennes,
R. Il ne paroît pas aifé d'enveloper une
armée en la perçant par le centre , & attaquant
enfuite les droites & les gauches ;
aufli Frontin dit-il qu'il faut des troupes
fort expérimentées pour fe fervir de cette
façon de combattre ."
Livius Salinator & Claudius Nero , en la
feconde guerre punique , voyant qu'Afdrubal,
pour éviter le combat, s'étoit range en bataille'
fur une éminence affés inégale & rabotenfe , ils
retirerent toutes leurs troupes fur les aîles , &
laiffant le milieu dégarni , attaquerent l'ennemi
des deux côtés , & le taillerent enpieces.
R. Si la féparation de cette armée Romaine
a pû le faire affés promptement pour
qu'Afdrubal n'eût pû changé fon ordre de
bataille , il n'eft pas furprenant qu'il ait été
battu , mais auffi étoit - il mal pofté , puifqu'il
n'avoit que fon front retranché par le ter
rein , & que fes flancs étoient en l'air,
Alexandre en la journée d' Arbelles , crai
gnant d'être envelope par la multitude des ennemis
, &fe fiant en la valeur de fes troupes
Les rangea de forte , qu'elles pouvoient faire
front de tous côtés .
R. Ce n'eft que pour une défenfive forcée
qu'on doit prendre un pareil ordre , car il
48 MERCURE DE FRANCE.
ne peut fervir pour battre fon ennemi ; tout
ce qu'on en peut efpérer , c'eſt de n'être pas
forcé , car fi une armée dans cet ordre eft
attaquéede tous côtés , elle ne peut pouffer
fon ennemi d'aucun côté , qu'elle ne rompe
fon ordre , & ne laiſſe alors des vuides par
où la partie qui s'eft féparée peut être tournée
par l'ennemi.
Pompée à la journée de Pharfale rangea fes
legions fur trois lignes , à dix de hauteur , mit
les meilleures troupes fur les ailes de celles qui
étoient nouvellement levées; à la droite,qui étoit
couverte d'une petite riviere marécagenfe il
mit feulement fix cent chevaux , & jetta tout
le refte de la Cavalerie à l'aile gauche , avec
fes troupes auxiliaires , pour enveloper l'ennemi.
Cefar rangea de même fes Légions fur trois
lignes, couvritfon aîle gauche de marais, pour
n'étrepoint envelope de ce côté là , & mittoute
fa Cavalerie à l'aile droite , entremêlée de quelque
Infanterie légere qui étoit accoutumée de
combattre avec , mais comme fa Cavalerie
étoit beaucoup moindre que celle des ennemis ,
il la fortifia de fix Cohortes qu'il tira des Légions
, & qu'il rangea en flanc de
flanc de ce côté-là
pour s'empêcher d'être envelopé , ce qui lui donna
la victoire , car elles repoufferent la Cavalerie
ennemie qui vouloit fondre en cet endroit,
le croyant fans refiftance , & la mirent enfuite.
C'étoient des troupes de la troifiéme ligne qui
combattoieni
SEPTEMBRE 1746. 49
combattoient avec de gros pieux comme des hallebardes
, ce qui fut comme un mur que la Cavalerie
ne put forcer.
R.Façon d'employer la ligne oblique pour
empêcher d'être envelope .
Quand Iphicrate avoit à combattre contre
des troupes fans expérience , avec des Soldats
exercés de longue -main , il ne fe hâtoit pas
d'attaquer. Il trainoit l'affaire en longueur ,
Laffoit par ce retardement des ennemis peu accoutumés
à la peine , il les attaqueit ;
mais au contraire , quand il avoit en tête de
vieilles troupes , & ne conduifoit que de nouvelles
levées , il donnoit d'abord , pour mettre
à profit la premiere pointe de courage de fes
Soldats . qui avoient plus d'ardeur que d'experience.
R. Cette maxime peut être bonne , mais
pour la mettre en pratique il faut connoître
bien le génie & le caractére des troupes que
l'on méne.
Iphicrate, quoiqu'au milieu d'un Pays ami
muniffoitfon camp de paliffades , & difoit , il
n'appartient pas à un Capitaine d'être réduit
à dire , je n'y penfois pas.
R. Cette maxime eft bien vraye , & un
Général doit reconnoître ou faire reconnoître
, s'il ne le peut faire par lui - même
tous les environs de fon camp le plûtôt qu'il
peut, afin de fçavoir le parti qu'il en peut
C
50 MERCURE DE FRANCE
tirer , & s'il a deffein de fe deffendre dans
fon camp , il doit travailler à ſe retrancher ;
car il ne faut pas croire qu'il eft honteux de
frendre fes précautions ni fes avantages , &
Al faut combiner toutes les façons dont l'Enemi
peut vous attaquer , enforte que quoiqu'il
puiffe faire , qu'on ne puiffe pas fe dire ,
Je ne l'avois pas prévu , Je n'y penfoispas.
Iphicrate comparoit toute l'armée au corps
humain. If difoit que la Phalange étoit la poitrine
, que les fantaffins armes à la légere
étoient les mains , que les pieds étoient les gens
de cheval , & que le Général étoit la tête.
Quand il manquoit quelque chofe , il difoit
que l'armée étoit eftropiée , & que quand le
Général periffoit , tout le refte devenoit inutile.
R. Que l'Infanterie foit les mains ou les
pieds , ou que ce foit la Cavalerie il n'importe
, mais ces deux armes doivent le foutenir
mutuellement , & le Général eft la tête
qui dirige leurs mouvemens & leurs opérations
; quand cette tête manque, le refte ne
peut agir avec fuccès.
Iphicrate promit à fes foldats de leur donner
la victoire , s'ils vouloient avancer un pas
feulement, en s'animant les uns les autres ,
quand il leur en feroit le fignal. Dans la plus
grande ardeur du combat au moment que l'affaire
alloit fe décider, Iphicrate hauffa le fignal
, Ses troupes s'avançerent avec de grands
SEPTEM BRE , 1746. 5
cris, & pouffant les Ennemis vigoureusement ,
ils les mirent en fuite.
R. Sans entrer dans la difcuffion , s'il faut
commander les manoeuvres aux troupes par
des fignaux ou non , & quels doivent être
ces fignaux il eft fûr que l'on donnoit des
fignaux autre fois même dans la plus grande
chaleur du combat.
Iphicrate exerçoit continuellement fes foldats
par de faux bruits , defauffes marches ,
de fauffes frayeurs , de fauffes embuches , de
fauffes trakifons , de fauffes defertions , de fauf
fes attaques & de fauffes nouvelles de fecours
arrives aux Ennemis , afin qu'onfut moinsfurpris
quand ces chofes arrivoient veritablement.
R. Cela ne peut être employé utilement
que dans des armées qui ne font point du
tout difciplinées , ou dans celles d'une République
qui feroit gouvernée par le Peuple.
Quand Iphicrate n'avoit point de quoipayer
la folde àfes troupes , il les menoit dans des
lieux deferts & fur le rivage de la mer , où
elles n'avoient pas occafion de faire de dépenfe
. Quand fa Caille étoit pleine , il conduifoit
fes foldats dans les Villes , & dans les lieux
où tout abondoit , afin que confumant leurfolde,
le manque drgent les rendit enfuite plus
ardents à de nouvelles expéditions. Il ne les
laiffoit jamais dans l'oifiveté , mais il les occupoit
fans ceße , tantôt à faire des tranchées,
C jj
42 MERCURE DE FRANCE,
Lantôt à couper du bois , tantôt à changer de
camp, tantôt à démenager & transporter le bagage.
Il étoit perfuadé qu'il n'y avoit que l'oifiveté
qui occafionnoient les mouvemens fedicieux.
R. Les Armées à préſent font des especes
de Villes ambulantes où l'on trouve toujours
à dépenfer autant que dans une veritable ,
Foccupation continuelle y eft bien néceffaire
, car fi on laiffe les troupes fans les exercer
& les faire travailler , cette oifiveté devient
la fource de tous les défordres & détruit entierement
le courage des troupes qui quand
elles font fouvent exercées fe perſuedant
ailément valoir mieux que d'autres , & par
conféquent ſe battent avec plus d'affurence.
Iphicrate ayant à traverser un Pays fans.
sau , par un chemin de deux journées , ordonna
à fes foldats de fouper & de faire provision
dean. A foleil couché il fe mit en chemin &
marcha toute la nuit. Lejour venu il campa,
fis manger fes troupes , & leur ordonna de se
fervir de l'eau qu'elles avoient apportée . Il les
fi repofer après midi , & fur le foir il leur
coinmanda de fouper. Après cela leur faifant
plier bagage , il marcha encore la nuit. De
catte maniere il fit en deux nuits le chemin de
de deux jours ; fes troupesfurent rafraichies, &
Dean ne manqua pas.
B. En pareil cas il faut faire exactement
3
SFPTEMBRE 1746 $ T
la même chofe ; on ne peut rien do
nieux , il n'y a que les chevaux qui fourfriroient
un peu , parce qu'il n'eft pas aifé de
porter affés d'eau pour eux ,
à moins qu'une
Armée ne fe trouvât dans un Pays où elle
pût faire marcher avec elle un grand nom
bre de chariots de payfans chargés de tonneaux
plein d'eau. La fuite dans le prochain
Mercure
A
* *
Life , pour tes beaux yeux
Tu fçais que je foupire ;.
Si j'of is te le dire
M'en aimerois tu mieux ?
Timide & curieux ,
J'attends & je défire
Qu'amour pour moi t'infpire
Un fouris gracieux.
C iij
54 MERCURE DE FRANCE
2:54:14:58 : 3
TRADUCTION d'une petite pièce d'un des
précedent Mercures en Vers Latins.
Divus amor parcis manibus fua munera prabens ;
Dulcia largitus cunctos tibi jura trabendi ,
Pro folis opibus , tribuit tihi dona placendi ,
Me quoque fincero pariter dotavit amore ;
Illa talenta duo ; à fe pendet utrumque viciſſim',
Vel melius , fifit folum , fit pondere nullo ;
Tane dignare mei pretium cognofcere doni.
Aut mihi tantillum vefiri, Lucinda, repende.
TRADUCTION."
LE Dieu d'amour avare en fes largeffes ,
En vous donnant le droit de tout charmer ,
Au don de plaire il borna vos richeſſes ,
Et referva pour moi celui d'aimer .
Ces deux talens ont befoin l'un de l'autre ,
Et le meilleur , s'il eft feul , ne vaut rien ;
Daignez connoître enfin le prix du mien ,
Ou donnez-moi , Lucinde , un peu du vôtre.
SEPTEMBRE 1746. 55
***************I
EPIGRAMME de M. de la Soriniere contre
un parleur impitoyable , un grand difeur de
riens.
AMi , qui de ton verbiage
Peut foutenir le faux & le bruit éclatant ?
Ah ! crois-moi , Lifimon , ou penfe davantage ,
Ou ne parle pas tant .
3
DU DU DU QU QU DU DU DU DU DU DU QU QU QUÁ
AUTRE du même centre Chrifologue.
Quand je vois Chrifologue épris de tous les arts
Coufondre les Quinauts avec les Thévenars ,
Et d'un airs conquérant , en paffant au Parnaſſe
Faire pâlir Marot , la Fontaine & Bocace ;
Quel homme , dis-je , tout ſurpris ;
11 fçait tout & n'a rien appris !
Cij
36 MERCURE DE FRANCE.
糕
ODE.
ANACREONTIQUE.
AUx rigueurs de l'hyver fuccedent les beaux
jours ;-
Le printems couronné de fleurs & de verdure
Ramene dans nos champs zéphire & les amours :
Flore étale à nos yeux fa riante parure :
Les oiſeaux enchantés expriment leurs tranſports
Par la douceur de leur ramage.
Tout l'univers renaît , tout annonce à ces bords
Que les jeux & l'amour demandent notre hommage.
Philis , que mes foupirs allument ton ardeur
Par de tendres baiſers couronne ma tendreffe ;
Fais paffer dans mes fens le plaifir enchanteur
Et livrons - nous tous deux à la plus douce yvreffe
Sur les naiffantes fleurs , reconnoiffons Venus
Livrons nous aux plaiſirs , redoublons notre flamme
;
Cedons aux tranſports inconnus
Que le Dieu des amours à verſés dans notre ame.
Jelaiffe les lauriers au Dieu de nos combats :
SEPTEMBRE 1746. 57
Que Maurice à fon char enchaîne la victoire ;
Il agit en héros dont Mars foutient le bras.
Un tendre amant foupire après une autre gloire 3
Il triomphe , s'il peut , mériter des faveurs ,
Et dans fon yvreffe il préfere
Aux lauriers dont on ceint la tête des vainqueurs
Les myrthes cueillis à Cythere .
L'ennemi de nos jours, l'infléxible trépas ,
Peut dans un feul inftant fermer notre paupiere.
Songeons à profiter des momens d'ici-bas
Et de fleurs , s'il fe peut , femons notre carriere.
Notre vie eft un foufle, un fonge , une vapeur,
Amour fuis mes tra es fans ceffe ,
Et puifqu'il faut mourir , Bacchus , que ta liqueur,,
M'endorme pour toujours au fein de ma maitreffe
Dupré Davalquin.
18 MERCURE DE FRANCE ,
Il y a quelques mois que nous reçûmes une
differtation ; intitulée , de la corruption du
gout dans la Musique , & notre intention étoit
de lui donner place dans notre Journal , mais
ayant des engagemens anterieurs à remplir,
l'Auteur nous a prévenus & nous a privés de
fa differtation en la faifant imprimer à Lyon:
voici une réponse que l'on nous adreffe &.
que nous imprimons comme nous euffions
imprimé la, differtation fi l'Auteur nous en
eût laiffé le tems. Le Mercure eft un champ
de bataille livré aux combats litteraires ;
nous fommes fpectateurs neutres de ces
joutes , & nous nous contentons de dire aux
combattans
Non noftrum inter vos ... componere lites.
LETTRE de M. de S. à M. de L. B
Ous connoiffez comme moi , Monfieur ,
toutes
toutes les difcuffions que nous avons
effuyées il y a quelques années fur la Mufique
; vous fçavez combien elles étoient
ennuyeufes , fans autre fruit que d'avoir fait
échauffer & même fouvent déraisonner de .
SEPTEMBRE 1746. 59
fort honnêtes gens, Vous les avez vû s'éteindre
ici à mesure que l'oreille s'eft habituée
aux nouveautés de nos Muficiens modernes.
Cependant l'écho des Provinces
fe fait encore entendre , & l'on vient d'imprimer
à Lyon une brochure qui a pour
tître de la corruption du goût dans la Mufique
Françoise par M. Bollioud &c.
Je vous avoue que fans ce titre qui m'a
paru un peu hardi & même injurieux pour
le fiécle , quoique avec le nom & toutes
les qualités litteraires de l'Auteur , je ne
F'aurois pas lûe , & quoique cet ouvrage
ne foit au fond qu'un renouvellement & une
repétition de toutes ces anciennes difcuffions
, aux étranges jugemens que l'Auteur
y porte de toute notre mufique , à tout cequ'il
dit pour les foutenir , je n'ai pû me
refufer les réflections que je vous envoie.
Je me flate que vous les aprouverez & que
Vous les trouverez d'un bon François , d'un
amateur de tous les Arts & de tous les tafens
, d'un défenſeur raiſonnable de fes contemporains.
M. B. parlant de la mufique en général
dit pages que le goût en ce genre tend à fa
décadence pour nepas dire qu'il y eft parvenu ;
page 19 que dans les moindres chofesla Mufique
panche vers fon declin ; felon lui il en
eft de même de tous les Arts ; que nous
Cvi
60 MERCURE DE FRANCE
annonce ce changement , dit- il page 52 , fi
non une décadence générale dans les Arts? Il
termine fon ouvrage par crier haro fur tout
le peuple muficien après avoir cité en hom--
me érudit comme il peut l'être , le trait:
d'Hiftoire du Muficien Thimotée condamné
à la peine de l'oftracifme par les
Spartiates pour avoir ajouté des cordes à
la Lyre..
•
> aux A une déclamation auffi forte
réquifitions formelles que fait M. B. auprès
des Académies , auprès des connoiffeurs
, auprès de tout homme capable de fentiment
, à une pareille démarche qui tend à
defhonorer le goût de la nation & que l'importance
de l'objet pourroit tout au plus
juftifier , qui ne croiroit que cela feroit vrai ,
& que M. B. pour jouer ce perfonnage fingulier
feroit rempli des connoiffances les
plus profondes de cet Art , théorie & pratique
; qu'il auroit chés nous un nom connu
pour cela , une réputation égale à celle
de nos plus fameux Artiftes ; qu'il tiendroit
en main les preuves les plus convaincantes ,
les démonſtrations les plus claires , qu'il
nous feroit voir dans des paralleles des an-.
ciens avec les modernes , dans des difcuf
fons exactes & détaillées de leurs ouvrages
le goût le plus fin le plus sûr &
le moins partial ? Encore faudroit- il fuppo
"
SEPTEMBRE 1746.
fer ce qui ne fçauroit être , qu'on pût bien
juger de la mufique dans laquelle l'exécution
entre peut être pour plus de la moitié autre
part qu'à Paris qui eft à cet égard le point de
réunion des grands talens du Royaume.
Voyons donc fi M. B. eft auffi fort a foutenir
fes oracles qu'il eft confiant & ferme
à les prononcer.
Dans la premiere partie de fon ouvrage il
traite du Muficien compofiteur. Il dit qu'ib
faut néceffairement qu'il foit harmoniste par
régles & par principes. Qui en doute ? Reprochera
t'il l'ignorance à nos Muficiens
modernes ? Ce qu'il dit enfuite fur les qualités
que le Muficien doit avoir , fur le but
qu'il doit fe propoſer dans fon travail , font
encore de ces chofes générales & communes
qu'on a dit cent fois & que tout le
le monde fçait..
Il faut pourtant arrêter ici M. Bollioud
, pour lui demander ce qu'il entend
par imitet la Nature lorfqu'il ne s'agit point
de mufique vocale , ou qu'en inftrumentale:
il n'y a pas lieu à peindre foit quelque:
fituations , foit quelques bruits , même quelques
mouvemens naturels. Quelle eft , par
exemple , l'imitation de la Nature dans un
menuet , dans une gigue &c ? Eft- il là queſ
tion de la Nature , fi ce n'eft par les différens
rapports qu'elle a mis entre les diffé
rens fons ?
י
MERCURE DE FRANCE,
Voudroit-il bien nous dire encore com
ment il entend accorder la varieté qu'il exige
dans les ouvrages de fon compofiteur, les tours
nouveaux qu'il veut qu'il employe, lorfqu'il lui
propofe des modeles qu'on a imités pendant
60 , ans lorfqu'il fe laiffe voir tellement prévenu
pour ce genre de mufique , qu'on doit
croire que ce qui n'en feroit pas des copies
ferviles, n'auroit pas droit de lui plaire ; lorfque
par une fuite de ces mêmes affections
particulieres , il voudroit encore qu'on bornât
les inftrumens à ce que peut exécuter
la voix ?
Les modéles que M. B. propofe font
Lully pour le Théatre , & Lalande pour l'Eglife
. Ce font là fans doute de grands Muficiens
& c'eft pour cela même qu'on doit
s'étonner qu'il les mette en compagnie avec
Senaillez , Marais & Couperin ; comparer
les fymphonies de ces Auteurs avec celles
de Lully , c'eft nous prouver que l'expreffion
& la varieté le touchent moins que les
chants en pure perte , chants dont le tour
peut être agréable , mais qui ne peignent
rien , ou fi l'on veut y fuppofer quelques
peintures , ce n'eft jamais que dans ce goût
commun , cette maniere rebattuë qui n'eft
nouvelle pour perfonne. Les regrets qu'il
donne dans un autre endroit de fon ouvrage
à Lambert & à du Bouffet achevent de
SEPTEMBRE 1746. 64
faire connoître le goût particulier de M. B.
On peut comme M. Jourdain n'aimer que
la chanfon où il y a du mouton , mais il ne
faut pas pour cela blâmer ceux qui en aiment
d'autres , & n'en parler que comme
d'une foule méprifable avide de nouveautés
.
Doit- on être furpris de voir M. B. par
tant de ces préjugés paffer des éloges les
plus forts de fes héros aux reproches les
plus violens contre tous les Muficiens de
nos jours ? Si on l'en croyoit , il n'y en au
roit point qu'il ne fallut traiter comme Thimothée
. Forcé cependant de reconnoître
& d'admettre des degrés de talent & de
mérite , voici l'expédient dont M. B. ſe ſert
pour tout comprendre dans fa condamnation
. Il fuppofe que les maîtres fuivent les
traces des écoliers & que les bons Muficiens
ont la complaifance de faire comme
les mauvais , par ce que , dit- il , tout fe laiffe
entraîner au torrent.
Le Compofiteur , dit M. B. , ne fonge qu'à
faire du neuf Il lui a recommandé de chercher
des tours nouveaux ; voudroit il qu'il
fit du vieux ? Il choisit des fujets d'un chant
trivial & bizarre , voilà deux extremités
oppofées ; la chaleur de la matiére a brouille
fa Logique , perfuadé , pourfuit- il , qu'il les
embellira àforce dy mêler des traits , des fres
64 MERCURE DE FRANCE
dons. C'étoit la maniére de Lambert donton
eft corrigé depuis long- tems. On s'accoûtume
en compofant à négliger les régles.
On ne les a jamais fi bien connues que depuis
que nous avons un Traité de l'harmo
nie & d'autres ouvrages de ce même Auteur
qui en a heureufement trouvé & developé
le principe , & par conféquent elles
n'ont jamais été fi géneralement obfervées.
On force les caracteres , on tire le fens des
paroles , & bien d'autres reproches auffi
vagues dont il accable indiftinctement tous
nos compofiteurs , mais qui ne fçauroient
regarder ces maîtres qui font honneur à
l'Art & au fiécle.
Premierement fur les modéles que propofe
M. B. je crois qu'on peut à l'égard
de Lully le renvoyer à tout ce que vous
fçavez qui en a été dit à l'occafion des opéra
de Phaéton & d'Hyppolite inferé dans
les obfervations de l'Abbé Desfontaines ,
aux nombres 462 , 472 & 485 , & dont
Fa repétition ne pourroit que vous ennuyer.
M. B. qui ne paroît pas en être inftruit
verra des chofes difcutées en détail & par
conféquent d'une façon plus propre à don--
ner des éclairciffemens que ne feront jamais
toutes les déclamations , fi éloquentes
qu'elles puiffent être . II verra en même
tems que les plus zélés partifans de ce
SEPTEMBRE $ 746. 6.5
grand homme , font forcés de convenir qu'il
a laiffé à fes fucceffeurs à enchérir fur lui à
bien des égards & qu'il eft des modernes à
qui ils accordent de l'eſtime auffi bien qu'à
Lully.
Il en eft de même de Lalande ; nous lui
voyons aujourd hui de très dignes fucceffeurs
& en affés grand nombre , mais lorfqu'on
eft borné dans fes goûts on l'eft de
de même dans le choix qu'on fe fait de fes
héros , & c'eſt la précifément la fource de
ces decifions téméraires & injuftes , quelquefois
puériles , dont l'homme qui confidére les
Arts dans toute leur étendue ne fera jamais
capable.
C'eft à cette foule de manieres en peinture
fi differentes entre elles que nous devons
toutes ces productions variées qui ont
rendu cet Art fi beau , fi vafte , fi admirable.
L'amateur fage peut avoir des affections
, mais elles ne font jamais tyranniques ;
Il n'a d'éloignement pour rien ; s'il ne donne
fon amitié , il accorde au moins fon eftime
à tout ce qui a droit d'y prétendre , &
s'il fe fent quelque répugnance a approu
ver ce qu'il voit applaudir , loin de s'en fier
à fon goût & à fes connoiffances il s'en rapporte
au jugement des Artiftes célébres ,
comme les plus experts , M. B. ne nous
perfuadera point qu'un homme qui profeſſe
66 MERCURE DE FRANCE
avec diſtinction un Art dont il eft uniquement
occupé n'en ait pas des connoiffances
au- deffus de celles d'un particulier qui s'en
fait un objet d'amufement , & fouvent ne
pratique point ou pratique mal. Les Peintres
font en poffeffion de juger de la peinture
, & quand je dis que les habiles Artiftes
font les plus experts , je prétends qu'ils
font auffi les plus judicieux.
Je fuis encore à trouver de vraiment habiles
gens , ce qu'on appelle de grands maîtres
, qui n'ayent pas rendu , fi non en public
du moins en particulier , la juftice la
plus exacte à leurs concurrens , tandis que
les Partiſans les dégradent réciproquement ,
fouvent même les forcent à fe hair. C'eft
la marque du mérite que de le fentir & de
lui rendre hommage.
Il ne faut pas croire que Lully & Lalande
, s'ils revenoient aujourd'hui , penfaffent
de nos modernes comme en penfe M. B.;
ils leur rendroient certainement les éloges
qu'ils en reçoivent , ils fcauroient trop bien
que les défauts dont ils reconnoîtroient par
eux mêmes que perfonne n'eft exempt , fe
compenfent par les beautés. Lully fentiroit
toutes les obligations qu'il a à Quinault &
Lalande , s'avoueroit peut être furpaſſé
dans tel fujet qu'on n'a pas craint de traiter
aprés lui,
SEPTEMBRE 1746. 67
L'adjoint le plus digne que M. B. eut
pû donner à Lully & à Lalande , eft fans
contredit Campra qui fait tête à tous deux
& qui eft mort. Cela ne fait rien à M. B.;
outre qu'il n'aime que les morts pour goû
ter le plaifir des regrets , il n'en fçauroit
adopter qu'un de chaque efpéce. Il a un'
compofiteur pour le Théatre, un pour la Mu
fique d'Eglife , un violon , une viole , un cla
vecin ; il n'y a que pour les brunettes qu'il
fui en faut deux ; peut- être eft ce pour cela
qu'il les a tous & non pour les vraiment
belles chofes qu'ils ont faites fur- tout Lully
& Lalande , car pour Senaillez , par exemple
,je n'imagine pas comment on peut citer
un tel homme en voyant ce qu'il eft aujourd'hui
vis - à -vis d'un Leclair , précisément
le compatriote de M. B.
Ne fe montrer qu'un amateur , qu'un
homme de goût , ne fembloit pas à M. B.
emporter avec foi des titres fuffifans pour
juger en fouverain de toute la Mufique &
de tous les Muficiens ; comme fes pretentions
vont plus loin , il a voulu nous fai
re entendre qu'il étoit Muficien lui même :
mais fi fur ces grands fondemens d'expref
fion , d'imitation de la belle Nature , de
beau fimple , de varieté &c. il e ft aisé auprès
des ignorans fur- tout , de fe donner
quelque air de connoiffance de la Mufique ,
68 MERCURE DE FRANCE
coup
on ne trouve pas la même facilité lorsqu'on
veut aller plus loin & entrer dans quelque
détail du fond d'un Art qui a beaude
difficultés & dont les vraies connoiffances
font pour l'ordinaire le fait des
gens du métier , encore y a t'il parmi eux
des degrés d'habiletés & de connoiffances ,
comme il y en a de génie , de goût & de
pratique .
Je crois vous avoir fait fentir que la partialité
ne fut jamais le caractére du véritable
amateur ; vous fentez auffi , & tout le monde
le fentira , que qui cite aujourd'hui Sénaillez
pour fon ceriphée en Mufique inftrumentale
ne donne pas certainement des preuves d'un
goût bien relevé , ni de connoiffances pratiques
bien étendues ou du moins égales de
toutes fortes de Muſique , car il faut remarquer
que pour la Mufique Italienne M. B.
ne cite & ne connoît vraisemblablement
que Corelly ; voyons maintenant juſqu'ou
vont fes connoiflances du fond de cet Art
fur lequel il tranche en homme fupérieur à
tout.
En propofant la varieté des modes ou
modulations M. B. condamne l'abus
qu'on fait aujourd'hui du chromatique. Il
a du apprendre dans la génération harmo
nique de l'Auteur du Traité de l'harmonie ,
dont j'ai déja parlé , que le chromatique
SEPTEMBRE 1746. EMB 69
eft indifpenfable dans un paffage d'un ton à
un autre , que tous les modes ou tons different
entre eux d'un demi- ton chromatique
au moins , que ce n'eft pas l'accident de
se demi-ton qui conftitue le chromatique ,
mais bien la fucceffion fondamentale par
laquelle ce demi - ton eft occafionné , &
le demi- ton qui en eft occafionné ne fert
qu'à y modifier la mélodie fans que
l'effet en foit extraordinaire . Lalande &
Lully l'ont employé dans la vocale auffi
fréquemment qu'on le fait aujourd'hui .
que
Sans doute que M. B. ne connoît le chromatique
que dans le demi- ton en queſtion ;
ça été jufqu'ici l'erreur générale & l'on a
même traité indifferemment de chromatiques
plufieurs demi -tons de fuite fans diftinction
, lorfque cependant il ne s'en trouve
jamais deux de cette efpéce de fuite , excepté
qu'il ne s'agit d'un genre chromatique
enharmonique qui n'a pas encor été
házardé,
On diftinguera bien- tôt la caufe de l'ef
fet que produit en nous le chromatique
fi l'on exécute fucceffivement le monoloque
de trijtes aprêts de l'Opéra de Caftor
& Pollux , dont la fucceffion fondamentale
fournit à tout moment du chromatique
pendant que le demi-ton qui en naît
ne fe trouve jamais dans la mélodie , & le
90
MERCURE DE FRANCE
monologue de terminez mes tourmens de l'Opera
d'Ifis qui débute justement par ce demi-
ton. On pourra juger en même tems
quel est le plus pathétique.
Mais dequoi fe plaint M. B. ? A l'entendre
il fembleroit que pour jouir des ouvrages
modernes , il nous en couteroit le
facrifice des anciens , comme d'un édifice
qu'on abbattroit pour en reconftruire un
autre. On vient de donner Armide à
Paris ; vous avez vû comme cet Opera a
été fuivi & couru par cette même multitude
que M. B. dit n'être avide que de
nouveautés , combien on en a été affecté ,
fur-tout de ces chofes qui tiennent beaucoup
de leur mérite du fond d'intérêt qui
fe trouve dans le Poëme & de la beauté
des paroles & fur lesquelles encore les Acteurs
influent beaucoup ; on nous donne
journellement du Lalande ; M. B. ne peut
donc avoir raifon de ce côté la .
•
Comme c'eft fur le goût qu'il fe recrie
principalement , prétendroit-il qu'il eft tellement
changé que de tout ce qu'on fait aujourd'hui
rien n'eft dans celui de Lully &
de Lalande ? Il n'auroit pas plus de raifon.
Nous ne croyons pas au Théatre , par
exemple , que dans des cas tous pareils à
ceux ou s'eft trouvé Lully & ou l'on ne peut
être qu'auffi beau qu'il l'a été , on ne cher
SEPTEMBRE 1746. 71
che
pas à l'imiter
; on le fait
& on y réuffit
.
Je ne vois
pas
même
qu'on
néglige
les occafions
de faire
ce que
M. B.
appelle
du
fimple
, ne fut ce que
pour
la varieté
qu'on
obferve
plus
à prefent
qu'on
ne faifoit
autre
fois
, les Bergers
ne viennent
point
fur la
fcene
avec
des
trompettes
& leurs
mufettes
ne jouent
point
de fanfares
; les
Graces
ne danfent
point
d'airs
de Démons
, ni les
Démons
des
farabandes
&c. il en eft de
même
de Lalande
. Ainfi
donc
au lieu
de
regarder
les nouvelles
beautés
en Mufique
dont
le fiécle
prefent
eft
capable
, comme
fubftituées
à celles
du fiécle
paffé
, il faut
les
voir
au contraire
comme
de nouvelles
richeffes
acquifes
à l'Art
, ce qui rend
à mon
gré
fon
état
actuel
plutôt
digne
d'éloge
que de la critique générale & amere qu'en
fait M. B. , malgré les abus qu'il peut bien
y avoir aujourd'hui , mais d'après lefquels
on ne doit point juger d'une chofe en gé
néral.
M. B. croit- il que nous penfions qu'il n'y
ar point eu d'abus dans ce fiecle du beau
fimple ? Car voilà le grand mot. Croit- il que
tout le fimple nous paroiffe beau comme il
peut lui paroître à lui ? Non fans doute , Il y
a des écueils pour tous les genres , comme
des abus pour toutes les chofes , fi bonnes
qu'elles puiffent être. On peut être fimple fans
72
72 MERCURE DE FRANCE.
être beau , le vice de ce genre eft de devenir
plat & pauvre , & il ne faut pas croire que les
compofiteurs du fiécle paflé n'y foient point
tombés . Comme ce genre étoit le plus ordinaire
&prefque l'unique de ce fiécle , la pauvreté
& l'uniformité en étoient auffi les vices les
plus fréquens ; comment d'ailleurs nous propofer
pour le terme & l'époque du goût de
toute la mufique en général & de tout ce
qu'elle peut nous peindre,un fiecle où de l'aveu
même de M. B. cet Art n'étoit pas connu
comme il l'eft aujourd'hui & où parconféquent
faute de ces connoiffances & d'avoir
à choisir parmi tant de differens tours d'harmonie
qu'on a découverts depuis , on ne
pourroit pas rendre autant de chofes qu'on en
rend aujourd'hui , ni fe varier comme on fait
aprefent. M. B. n'y a pas bien réfléchi.
Si fur quelques tableaux qui nous reſtent
de nos premiers grands maîtres & qu'on paye
fi cher aujourd'hui , où les figures font en
effet à certains égards telles qu'on n'a pas
dû chercher a faire mieux , mais qui cependant
pêchent fi groffierrement contre la po
fpective que l'on ne connoiffoit point alors
& où par ce deffaut de perfpective comme
par l'ignorance ou l'on étoit de fçavoir rendre
d'autres objets qui entrent dans la compofition
d'un tableau , les fonds font miférables
, on avoit dit aux maîtres qui ont tra
vaill
SEPTEMBRE 1746. 73
vaillé après eux; regardes bien ces tableaux,
voilà l'époque du meilleur goût , ne vous avifez
pas de vous en écarter , je demande fi la
peinture feroit devenue ce qu'on l'a vû enfuite.
Vous ne pensez pas que je compte faire ici
une comparaifon de la mufique à la peinture
comine de deux chofes parfaitement femblables
; non : la difference eft grande entre
entre ces deux Arts. Dans la peinture il s'agit
toujours d'imitation d'objets fenfibles &
palpables , de formes , de couleurs que tous
les yeux voyent prefque de même , malgré
cela trouve t'on encore très peu de vrais
connoiffeurs ; rien qui ne foit reputé fait d'après
Nature s'il eft beau furtout.Enforte qu'il
n'y a dans la peinture d'abfolument arbitraire
que le choix des objets & la maniére
de les rendre , les feuls moyens par où on
en a pû faire un Art varié , mais dans la mu
fique il y a plus d'arbitraire qu'on ne fel i
magine.
Il ne feroit pas difficile de démontre
qu'hors l'harmonie qui eft une dans la Nature
& qui doit être à Peckin la même
qu'elle eft à Paris , à Naples , à Milan® &c.
tout ce qu'on nous donne pour des regles
immuables fur le goût en mufique n'eft autre
chofe que des ufages & des conventions
momentannés fujets à changer felon les pro
D
74 MERCURE DE FRANCE.
grès & les découvertes qu'on peut faire dans
la recherche des differentes tours de cette
harmonie qui peuvent être auffi variés que fes
combinaiſons font étendues. Il n'en faudroit
pour preuve que tous ces differens goûts ,
tous ces accens differents que les nations
font paffer dans le jeu de ces combinaiſons
& de ces tours de l'harmonie , toutes ces révolutions
dans ce qu'on appelle goût en mufique
chés toutes les nations qui s'appli
quent a en faire , ce commerce qu'elles en
font entre elles, à l'accent près qui n'eſt ſou .
vent fenfible que dans l'éxécution .
>
Je voudrois qu'un homme quand il
veut juger d'un art comme la muſique
avant que de le faire , fe dit toutes ces
chofes , qu'il fe dit auffi , mais l'organiſation
entre pour beaucoup dans l'effet qu'elle
produit en nous. L'expérience m'apprend
qu'il eft des gens , quoique le nombre en
foit petit , que toute muſique bleffe , à qui
elle fait réellement de la peine , de la néceffairement
bien des differentes organifations
plus ou moins parfaites. Je me fens le
goût borné à certain genre de mufique ,
j'ai de l'antipathie pour tout ce qui me paroît
s'en éloigner , fi c'étoit là une foibleffe
de conformation plutôt qu'un avantage ?
D'ailleurs pour juger de la mufique en général
, il faudroit pour ainsi dire ,la connoître
SEPTEMBRE 1746. 7.5.
>
toute & la connoître également,car l'habitude
peut auffi faire quelque chofe à cela ; outre
que je ne connois pas toute la mufique
de celle que je puis connoître il y en a que
j'ai entendu plutôt & plus longtems , &
c'eft peut-être la pareffe naturelle d'un organe
épais qui m'a fait m'en tenir à ce que
j'avois de familier ; en ce cas ce font là des
préjugés de mon oreille d'après lefquels je
ne dois point raiſonner & encore moins
décider ; d'un autre côté dois- je me flater
de connoître auffi à fond tout l'Art , toutes
les differentes beautés qu'il peut renfermer ,
dois-je croire raffembler en moi tous les
differens goûts ? Je doute qu'avec ces réflexions
on ofât juger d'autre chofe que du
degré de plaifir qu'on éprouve felon les differentes
occafions & qu'on ne craignit pas
de propoſer fon goût particulier pour le
bon & le vrai.
M. Bollioud entraîné par fon penchant
pour les regrets & pour les plaintes ne traite
pas mieux l'exécution qui fait le fujet de fa
leconde partie ; il y voit de méme tout corrompu
, tout perdu. Voix , inftrumens ,
talens de toute efpece , il n'en eft point à
qui il n'ait des reproches à faire , comment
n'a t'il point dit qu'on ne trouveroit plus de
bon fouffleur d'orgues comme du tems du
feu Ri?
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
Le violon ne lui paroit plus avoir que les
deux chanterelles , il trouve qu'on n'en tire
plus de fons fermes & nourris , qu'on ne
fait plus de ces beaux fons enflés , de ces .
belles cadences bien battues , de ces ports
de voix bien filés; la Alute a auffi fes reproches
& ainfi du refte.
Si M. B. n'avoit prétendu parler que de
l'exécution qu'il peut entendre journellement
dans fa Province , on lui diroit qu'il
peut bien avoir raifon , mais fon ouvrage ,
le titre qu'il lui a donné , l'impreffion à la
quelle il l'a livré , le débit qu'il en fait faire
à Paris , tout fait voir que fon intention a
été de juger en général de toute la mufique
Françoife , & de tous les muficiens éxécutans
, comme compofiteurs.
Comme tout ce que M. B. dit fur l'exécution
part des mêmes préjugés & des même
degrés de connoillance d'après lefquels
on vient de le voir juger de la compofition
on a toutes les mêmes réponſes a lui faire.
Quand il dit , par exemple , qu'on ne fçait
plus jouer le lent & le grave , c'eft une fuite
de fon idée qu'on n'en fait plus & qu'on n'en
fcait plus faire ; nous en entendons vous &
moi exécuter tous les jours d'une maniere
à n'y rien défirer ; celui même qui a l'attache
de M. B. Vous voyez comme on exécute
à Paris les Opéras de Lully ; vous vous
. SEPTEMBRE 1746. 77
rappellez , lorsqu'on a donné en dernier lieu
Acis & Galathée , cet applaudiffement univerfel
fur l'exécution de la chacone , éxécution
qui étoit fi parfaite qu'on doit être
prefque fur que Lully ne l'a jamais pu entendre
cette chacone auffi bien éxécutée
puifqu'il ne pouvoit faire adoucir fes violons
qu'en leur faifant mettre des fourdines.
Faut- il pour avoir entendu jouer des chofes
d'une pratique difficile & extraordinaire ,
chofes uniquement deſtinées pour faire briller
à cet égard l'exécution , qu'on ne donne
que pour cela & qu'il ne faut prendre que
pour cela , qui , fi elles déplaifent aux gens
qui ne fe prêtent à rien de ce qui ne leur
eft pas familier , pourront faire plaifir a
beaucoup d'autres , s'imaginer qu'on n'ait eu
d'autre intention dans la compofition de tels
morceaux de mufique , & qu'on veuille y
borner tout le mérite de l'éxécution en genéral
? Non certainement , c'eſt prendre une
fauffe idée de la chofe & les faits tel que
celui que je viens de vous citer prouvent le
contraire .
"
Connoiffons nous d'ailleurs tous les fecrets ,
tous les refforts de l'Art , tous les accidens
qui peuvent occafionner fon progrès ? Pour
moi , Monfieur , je regarde bien differemment
de M. B. tous ces Sonates pleines de
recherches difficiles , de traits finguliers ,
Cij
78 MERCURE DE FRANCE.
ces productions de ces gens à faillies à qui
il ne manque que le talent des compofitions
fuivies & régulieres , dumoins d'une certaine
étendue. Je vois tout cela comme des matériaux
jettés au hazard dont les grands maltres
fçavent profiter pour certaines occafions
, & je trouve que c'eft un bien pour
l'Art même ; c'eft felon moi préparer des
couleurs pour les Peintres ; perfuadé comme
je le fuis qu'un feul homme ne fçauroit tout
embraffer , tout penfer , que c'eft dans les
differens génies que l'habile homme fçait
puifer ce qui lui convient , & que Lully &
Lalande eux mêmes n'auroient pas fourni à
une auffi grande carriere fans le fecours de
la mufique étrangere dont leurs ouvrages
prouvent qu'ils avoient connoiffance."
Je ne m'arrête point à tout ce que M.
Bollioud dit des autres Inftrumens , comme
les Mufettes , les Vieles , qu'il voudroit
qu'on n'entendit que fous l'Ormeau , & pour
lefquelles il trouve très-mauvais que l'on
compofe des Piéces travaillées . S'il eut fait
attention qu'il faut varier auffi les Concerts ,
donner à briller à tous les differents talens
comme fatisfaire les differents goûts ; que
d'ailleurs le talent de ces Inftruments aft
pratiqué par de jeunes Dames à qui l'on ne
peut rien refufer , à qui même ces Piéces font
communément dédiées , il n'en eut pas fait
SEPTEMBRE 1746. 79
un crime à notre goût. Je paffe au Clavecin,
fur lequel M. B. s'eft le plus étendu en reproches.
Que dirons-nous , s'écrie M. B. page 354
du toucher du Clavecin ? Quelle idée en auroit
un Couperin , s'il revivoit aujourd'hui ? Les
Pieces de fentiment font négligées. La légereté
de la main , l'emporte fi fort fur l'expreffion ,
dans l'efprit de nos Muficiens , qu'ils oublient
que la perfection du Clavecin confifte auffi dans
la tendreffe , dans la propreté , dans la délica
teffe du toucher. Nos Grands- Maîtres s'attachoient
à lier leur jeu : nos modernes au contraire
ne s'étudient qu'à détacher les fons , & à
rendre par conséquent leur jeu fec , fur un Inftrument
qui n'a deja que trop ce défaut par luimême.
Mais M. B. n'a donc pas de connoiffance
exacte des faits , car c'eſt tout le contraire,
Couperin qui n'a guéres compofé que dans
le goût champêtre , avoit précisément ce jeu
fautillé que M. B. prétend nous reprocher
aujourd'hui. Il eft donc le feul à ignorer que
nous avons maintenant ce qu'il veut trèsférieuſement
qu'on cherche encore. Il ne
connoît donc pas toutes les piéces de Clave ,
ein de ce même homme à qui nous devons
les livres de théorie que je vous ai cités . S'il
les connoiffoit , il auroit vû qu'il y en a plufieurs
qui font précisément dans le genre du
Di
80 MERCUREÈ DE FRANCE.
fentiment , & pour l'exécution defquelles ,
telles qu'elles ont été compofées , il faut néceffairement
lier fon jeu , même former des
ports de voix , ce qu'on ne connoiffoit point
encore. Il y a même à la tête de ces piéces
un avertiffement que l'Auteur a été obligé
d'y mettre , pour indiquer la maniere d'exécuter
ces liaiſons & ces ports de voix. Voilà,
je crois, de quoi feroit étonné un Couperin ,
il revenoit aujourd'hui , plus que de voir
croifer les mains fur le Clavecin , ce que M.
B. appelle des fubtilités puériles.
Couperin ne manqueroit pas de lui dire
fur cela , mais mon cher admirateur , vous
parlez de croifer les mains fur le Clavecin .
Prenez - vous garde que j'ai compoſé plufieurs
Piéces dans ce genre. Il eft vrai que
je ne l'ai pas inventé , & que par cette raifon
, j'ai pû ne le pas approuver d'abord ,
mais forcé de convenir que cela avoit fon
mérite , & contribuoit d'ailleurs à la variété,
Jen fis moi-même du mieux que je pus . Il
fembleroit que c'eft de moi précisément que
vous entendez parler , lorfque vous dites
que ces tours d'adreffe fi vantés ne ressemblent
pas mal à ceux des Joueurs de Gobelets , dont
La fubtilitéfait tout le prix ; j'en ai juſtement
intitulé une , les Tours de Paffe-paſſe.
Vous dites d'ailleurs que la Nature préfente
la main droite pour les deffus , & la gauche
SEPTEMBRE 1746. 81
pour les baffes , mais que cer ufage étant furanné
, on croife les mains pour jouer les deffus
de la main gauche , & les baffes de la droite.
Apparemment que vous n'avez voulu faire
qu'une charge , fans examiner la chofe , car
ce n'eft point cela . On croiſe ordinairement
les mains fur le Clavecin , pour multiplier les
parties , comme par exemple , tandis que la
main droite , comme la plus brillante , fait
des batteries dans une partie , & qu'elle les
foutient , la gauche en croifant vous fait entendre
alternativement des traits dans les
autres parties , enforte que quand vous dites
encore que ce changement peut réjouir lesyeux
parfa fingularité , fans que l'oreille y gagne
rien , vous voyez bien qu'elle y gagne d'entendreplus
de parties .
Tel feroit certainement le difcours que
Couperin tiendroit à M. B. c'eft en vérité
bienheureux que le plaifir que M. B. repro
choit à nos yeux de prendre à voir croiſer
les mains , fe trouve juftifié par celui qui en
réſulte pour l'oreille. Le Clavecin étant plus
communément pratiqué par les Dames , par
de jeunes Demoifelles fur-tout , ne doit- on
pas plaindre M. B. fur le chagrin que cela lui
fait de voir de jolies mains s'entre - laffer &
fe livrer à un exercice auffi vif, auffi agile?
Je finis par une réflexion générale fur l'état
déplorable où M. B, croit voir la Mufi-
By
82 MERCURE DE FRANCE.
que en France , fur cette décadence qu'il dit
étre fi prochaine ; je penfe qu'on ne peut , &
qu'on ne doit dire cela d'un Art , que quand .
on le voit négligé , abandonné . Or je vois au
contraire qu'en France on ne s'eft jamais
tant occupé de la Muſique , qu'on s'en occupe
aujourd'hui ; qu'il n'y a jamais eu tant
d'émulation , tant de recherches , tant de découvertes
fur le fond , tant de poffibilités
trouvées dans l'exécution , tant de differentes
tentatives , enforte qu'il eft impoflible
qu'un Ait qu'on ne connoiffoit pas aupara
vant , à beaucoup près auffi- bien qu'on le
connoît à préfent , dont on ne s'eft jamais
tant occupé , ne fafle pas des progrès. Nous
voyons qu'en Italie , qui femble etre le fol de
la Mufique ,pour l'organe & le génie fur- tout ,
& d'où dans tous les temps font toujours
venus les premiers progrès de cet Art , tout
le monde s'en occupe , tout eft Muſicien .
Mais n'eft- ce pas d'ailleurs fe trop preffer
que de vouloir juger à préfent du progrès
que la Mufique eft capable de faire en Fran
ce : Cet Art y eftencore pour ainfi dire, dans
cette premiere fermentation de l'accroiffe
ment confidérable qu'il vient de prendre . Il
n'y a que l'oreille qui y eft prefque déja habituée.
Ces Livres de héorie qui ont jetté
tant de lumieres fur le fond , ne font point
encore digés en Livre cla ques à la po
SEPTEMBRE 83 1746.
tée de tout le monde. Nos Maîtres font euxmêmes
dans le cas de juger tous les jours de
l'effet de beaucoup de chofes , & d'acquerir
de l'expérience dans des pratiques qu'on peut
bien regarder comme encore nouvelles.
Que M. B. ne s'allarme point fur ce qui
regarde le goût , on ne dit pas le fien ; mais
fur le goût en général dont il voudroit faire
fon affaire . On fe croit bien fondé à ne rien
craindre fur cela de notre nation ; fi comme
je vous l'ai dit , Monfieur , l'Italie eft pour
la Mufique , le Pays où fe trouve plus ordi
nairement le gén e , la France qui eſt un
Pays moins Méridional , a pour fon partage
l'efprit de Méthode ; cet efprit de combinaifon
, de comparaifon , de raifonnement
de réflexion , de jufteffe , qui forme le goût :
ce goût fage dont M. B. entendroit parler. II
n'y avoit que celui de la variété que nous
n'avions pas à beaucoup près autant que las
Mufique en demande , & que le préjugé eut
été bien capable de nous empêcher d'acquérir
; mais heureufement nous l'avons pris a
mefure que les circonftances en ont fourni les
moyens en même-tems que les occafions..
Ainfi laiffons aller les chofes , & attendons
encore à porter nos jugemens. Je crois que
ée que les Amateurs ont de mieux à faire à
préfent , eft d'encourager les Artiftes chacun
dans leurs genres , chacun dans leurs talens
D vjj
84 MERCURE DE FRANCE.
à travailler & les laiffer fuivre leur génie &
1ur caractére; que, M. B. fe charge de trouver
des Quinaults , on fe chargera volontiers de
la confervation du goût dans la Mufique .
Nous fommes au moins aujourd'hui à l'abri
du reproche que j'ai entendu faire à notre
nation par plufieurs Etrangers , difans qu'ils
s'étonnoient qu'en France , où l'on paroiffoit
aimer la Mufique , elle eut été pendant ſoixante
ans à faire fi peu de progrès , que pour
eux ils croyoient entendre toujours la même
chofe , & que les airs de tous nos Muficiens ,
de ceux même que nous regardions comme
nos meilleurs Maîtres leur paroiffoient jettés
tous dans le même moule ; il n'eſt pas que
vous n'ayez entendu les mêmes propos. A
quoi devions- nous les attribuer , fi ce n'eft
à ce préjugé , ou plûtôt cet afferviffement
d'imitation fcrupuleufe & bornée de la maniere
de nos premiers Grands Maîtres , que
M.B. voudroit qu'on eut encore aujourd'hui,
dans un tems où nous avons de cetArt théorie
& pratique des connoiflances qui en ont fi
fort étendu les bornes?
Si dans le jugement que M. B. a voulu abfolument
porter de toute la Mufique Françoife
, il n'a fait autre chofe que nous donner
à connoître fon goût particulier , & nous
le propofer comme une loi qu'il falloit que
tout le monde fuivit , criant main-forte pour
י
SEEPPTTEEMBRE
1746. 35
qu'on lui aidât à nous y foumettre tous ; f
dans l'inftruction de ce procès qu'il a comp
té faire à tous nos Muficiens modernes , au
public même fur fon mauvais goût, il ne s'eſt
pas montré auffi régulier , auffi conféquent ,
auffi au fait , auffi exact , que des accufés
fur-tout,font en droit de l'exiger de leur Juge
, trouvez- vous , Monfieur, qu'il ait mieux
réuffi à prendre fon tems pour prononcer
& publier fon Arrêt , fans parler du lieu d'où
il le fait partir , & d'où je ne crois pas qu'on
puiffe valablement le dater.
J'ai l'honneur d'être bien fincérement, &c.
LA Métamorphofe de la Nymphe Jo.
La fille d'Inachus que Jupin aimoit tant ,
Malgré les foins fecrets de fon illuftre Amant ,
Fut en butte à la jalouſie
De la perfide & cruelle Junon ,
pour cacher fon Amante chérie ,
En fit une Vache , dit-on,
Et le Dieu
Quelle étrange métamorphofe !
Ah ! j'aurois préféré la mort .
Si pourtant on en croit la gloſe ,
Bien des Belles depuis ont eu le même fort,
Par M. de la Soriniere,
86 MERCURE DE FRANCE.
A
LETTRE de M. C. à un de fes Amis fur
fon retour de Paris à Avignon.
Ous avez donc quitté , mon cher Ami ,
les bords heureux de la Seine ; le féjour
enchanté du Comtat vous invite aujourd'hui
à prendre un doux repos , pour rétablir une
fanté qu'une trop grande occupation à l'étude
avoit fans doute altérée; comme je fçais
que votre indifpofition eft legere , je n'ai pas
de meilleur confeil à vous donner que celui
de vous égayer avec vos amis , & de ne faire
aucune forte d'excès :
D'une étude laborieufe
Fuyez le fardeau dangereux :
D'une faifon délicieufe
Suivez les plaifirs & les jeux :
Dans une intrigue un peu fecrette ,
Près d'une Iris jeune & bien faite ,
Fixez fan crainte vos amours ;
Sans paffion , fans jaloufie ,
D'une aimable Philofophie-
Faites revivre les beaux jours-
Ceft ainfi qu'Horace pafla jadis fes heu
reux jours , & que l'aimable Abbé de Chau
SEPTEMBRE.
1746. 87
lieu , fon fectateur fidéle , que vous n'imitez
pas moins par les rares qualités du coeur , que
par les graces de l'efprit , fuivit fans fcrupule
les traces de ce Poëte Latin , dont la Mufe fit
long-tems les délices de la Capitale de l'U
nivers.
Comme eux doué d'un coeur fincére ,
Le Dieu du bon goût vous chérit ;
Et vous joignez par-tout aux charmes de l'efprit
Le talent fortuné de plaire ..
Pour moi qu'une médiocre fortune a condamné
dès ma naiffance à un travail pénible
& affidu , je me vois obligé à gémir fous la
fervitude des Loix , & je n'ofe approcher de
Ja double montagne , de peur d'éprouver
le fort d'Icare , ou d'éfaroucher par mon
jargon de pratique les habitans du facié
Vallon.
Jadis au même badinage ,
Je vous offrois fouvent les fruits de mon loir
Votre coeur d'un tendre langage
Savouroit l'innocent plaifir :
Faté d une douce eſpérance ,
J'attends la même complaiſance
Pour ma lyre & fes foibles fons ;
Je fens bien qu'elle eft incommode ,
Et que dans l'Empire du Code
On ne produit que des faux tons,-
A Toulouse , C.......
88 MERCURE DE FRANCE
EXCES
AUX Auteurs anonymes , qui avoient
répandu des Vers Satyriques contre
quelques Dames.
DE par Phoebus , je vous le dis ,
Maigres Auteurs , foibles efprits ,
Votre verve au fiel ſatyrique
N'eft point marquée au coin de la bonne critique ;
Appollon vous profcrit , & l'aimable Cypris
Ne vous compta jamais parmi fes favoris ;
Elle adopte les jeux de nos tendres Bergeres ,
Dirige leurs plaiſirs , condamne vós chiméres ;
Elle approuve un amant tendre , refpectueux ,
Et bannit de l'Hymen les foupçons odieux ,
L'Epoufe ,fous fes Loix à fon Mari fidéle ,
Savoure les tranſports d'une ardeur mutuelle ;
Et Tircis à Daphné , par un voeu folemnel ,
Des mains du tendre amour veut dreffer un Autel,
SEPTEMBRE 1746. 89
A CYPRIS fur le même sujet.
Dans ces jours fortunés , enfans d'un doux loiſir,
L'aimable troupe de Cythére
Invita Terpficore , & l'innocent plaiſir >
Les jeux , les ris badins , Cupidon & ſa Mere ;
Tout fembloit annoncer des jours pleins de
douceur ,
Si la difcorde , & fa noire fureur ,
Au teint livide , au front terrible ,
N'euffent troublé cette fète paisible ;
Vos yeux , belle Cypris , n'en furent point émus ;
En vain fufcite- t'on l'injuftice & l'envie ,
Rien ne pourra ternir l'éclat de vos vertus ;
Les Dieux vous ont donné la fine raillerie ,
Et la ceinture de Venus .
EPITRE
Par le même.
SOLITAIRE.
Enfin , revenu des erreurs
D'une longue & tendre jeuneffe ;
Je goûte à longs traits les douceurs
De l'étude & de la fageffe ;
L'Amour- fut long-tems ma foibleffe ;
Mon coeur fe plût days ſes liens ;
Jo MERCURE DE FRANCE
J'euffe prodigué tous les biens
Pour les charmes d'une Maîtreffe ;
Hélas ! le fouvenir de mes égaremens
Rend ma raifon trifte & confuſe
Et je fens ici que ma Muſe
Me prête de nouveaux accens.
Heureux celui dont les années
Ont coulé dans un doux loifir ;
Qui , chéri des ames bien nées ,'
De l'étude a fait ſon plaiſir ,
Du vrai feul fectateur fidéle ,
Il nous offre un puiffant modéle ;
( Qu'il foit gravé dans nos efprits : }
Son nom vole au ſein de la gloire .
Et dans le Temple de mémoire
Il éternife fes Ecrits.
Par le même.
E 25 du mois dernier , jour de S. Louis ,
LE
l'Académie , fuivant l'ufage , entendit
dans la Chapelle du Louvre le Panégyrique
de S. Louis , qui fut prononcé par M. l'Abbé
Couturier.
L'après-dîner elle tint une Séance publique
, laquelle commença par la diftribution
du Prix de Poëfie. Le Sujet propofé étoit la
Gloire de Louis le Grand , perpétuée dans le
Roi fon Succeffeur.
La Piéce qui a été couronnée est un PoëSEPTEMBRE
1746. 1 9*
me dont l'Auteur eft M. l'Abbé Marmontel,
que les jeux floraux ont déja couronné trois
fois.
Après la lecture de ce Poëme , M. l'Abbé
de Bernis lût le premier Chant de fon Poëme
contre l'irreligion , vice trop commun dans
ce fiécle. Ce Poëme fut commencé en 1737,
& l'on fent aisément qu'un Ouvrage aufli important
n'eft pas l'ouvrage de peu d'années.
Dans différentes lectures que M. L. D.B.a faites
, plufieurs perfonnes en ont retenu différens
morceaux ; nous avons recueilli avec
foin ce que nous avons pû en recouvrer pour
en enrichir notre Journal.
L'Auteur montre d'abord l'orgueil qui
corrompt l'efprit , & la volupté qui féduit le
coeur. L'orgueil porte à la révolte les Anges,
& fe fert de ces efprits révoltés pour corrom
pre l'homme , & le rendre infidéle au Créa
teur.M.L.D.B.a imité Milton dans ce premier
Chant , mais fans le copier , & il a évité les
fictions du Poëte Anglois qui introduit
dans fon Poëme , les diables combattant:
contre Dieu. Voici l'invocation .
De l'Esprit de Dieu même immortelle clarté ,
Je t'invoque aujourd'hui , puiffante vérité ;
Toi , qui du haut des Cieux ici bas defcendue ,
Toujours victorieufe , toujours combattue ,
Loin du Peuple & des Grands aimes à te cacher ,
92 MERCURE DEF DE FRANCE.
Et të montres toujours , à qui veut te chercher ,
Viens remplir mon efprit de ta fplendeur Divine ,
Viens des erreurs du monde éclairer l'origine ,
Et forcer le Démon de l'incrédulité
A tamper fous les loix de la Divinité , & c.
On trouve quelques Vers après la com
paraifon heureufe des Géants de la Fable
avec les Impies.
Tels qu'on vit autrefois les enfans de la terre
Sur des Monts entaffés affronter le tonnerre ,
Tels qu'on vit les Tirans que l'orgueil déchaîna
Lancer contre le Ciel les rochers de l'Etna ,
Tels on voit aujourd'hui de nouveaux Salmonés ,
Qui voudroient pour remplir leurs hautes deftinées,
Dominer fur la terre , affujettir les Cieux ,
Ravir le Sceptre aux Rois ; & le tonnerre aux
Dieux ,
Qui fe croyant enfin plus grands que nous ne
fommes ,
Hommes , exigeroient les hommages des hommes.
Efclaves révoltés, rentrez dans le néant ,
Voyez le Nain caché ſous l'habit du Géant ;
L'orgueil qui vous forma femblables à lui- même ,
Vous dit, foulez aux pieds l'Autel , le Diadême ,
Le glaive de Thémis , & le Sceptre des Rois ;
Vos talens font vos Dieux , vos penchans font vos
Loix.
SEPTEMBRE 1746. PT 93
Après avoir fait une vive peinture des
incrédules & des motifs de leur incrédulité ,
le Poëte s'écrie :
Fantômes trop chéris de la terre obfédée ,
Qui de l'Etre fuprême obfcurciffez l'idée ,
Chiméres de l'efprit , dont les illufions
Allument dans le coeur le feu des paſſions ,
Le Soleil a paru , fuyez foibles menfonges ,
Le jour luit , perdez -vous dans la foule des fonges ,
&c.
Après cette expofition , l'Auteur peine
l'origine de l'orgueil , véritable fource de
l'irreligion .
L'orgueil qui fur la terre a rendu fi puiſſante
L'erreur toujours détruite & toujours renaiffante ,
Ce funefte inventeur des dogmes dangereux ,
Qui flattans nos défirs , nous rendent malheureux ,
N'étoit point , lorfque Dieu fubfiftant par luimême
,
Jouiffoit fans témoins de fa Grandeur fuprême.
La puiffance pour lui , fans borne & fans écueil ,
Le fauve également de foibleffe & d'orgueil
Qui n'a point commencé, ne peut fe méconnoftrę
L'orgueil avant le monde étoit encor à naitre ;
Mais quand au fein fécond de fon éternité
94 MERCURE DE FRANCE.
Dieu forma l'Univers vafte , mais limité ,
L'erreur audacieufe annonca la foibleffe ,
Et l'orgueil s'échappa du fein de la baffeffe.
Ce fier orgueil à peine avoit les yeux ouverts ,
Qu'il frémit de trouver un Maître à l'Univers ,
Un Maître intelligent dont l'oeil infatigable
L'éclaire , le pourfuit , le pénétre , & l'accable,
Jaloux de la puiffance , il voudroit la trahir ,
Et né pour être efclave , il ne peut obéir.
Qui croiroit que rempli d'une folle eſpérance
Dans l'Empire des Cieux , il perce en affurance ,
Et qu'élevant fon vol jufqu'au Trône facré ,
Il brave les carreaux dont il eft entouré ?
M. L.D.B. décrit ici la Majefté de Dieu ,
la foumiffion des, Anges qui l'environnont
& les détours artificieux dont l'orgueil fe
fert pour les féduire.
Affis dans fon Palais fur le Trône des airs ,
Dieu tranquille & ferein contemploit l'Univers ;
Il foumettoit les Cieux à fes Loix fouveraines ,
Et du monde naiffant ſa main tenoit les rênes.
L'Ange éleve vers lui , fes fuperbes regards ;
Mais le Palais des Cieux s'ouvre de toutes parts ,
De l'Olympe ébranlé la voûte tombe en poudre ;
Dieu pour l'annéantir n'y lança point la foudre
SEPTEMBRE 1746.
Savoix n'éclata point ; fon oeil toujours ferein
Fondit d'un feul regard & le marbre & l'airain ;
Tranquille aux élémens il déclara la Guerre ,
Dans le fein de la Paix il fit trembler la terre ;
Comment donc fans fortir d'un fi profond repos ,
Dieu pût-il rappeller l'image du cahos ,
9
Et du débris des Cieux remplir la terre & l'onde ?
Il voulut .. c'eft affez pour détruire le monde.
Il falloit que l'orgueil fut oumis à fa voix ,
Qu'il reconnut un culte & refpectât des Loix ;
De l'Olympe auf£-tôt les voûtes enflammées ,
S'exhalerent dans l'air en épaiffes fumées ,
Et les Anges frappés d'un bras victorieux ,
Roulerent dans l'abîme & perdirent les Cieux.
On voit en fuite une deſcription de l'Enfer
, dont voici quelques traits .
Ils font encor ouverts , ces Royaumes affreux ,
Des Anges révoltés théatres ténébreux ,
Séjour où les remords n'effacent point l'offence,
Où le défefpoir même irrite la vengeance ,
Où toutes les douleurs habitent un feul lieu ,
Où Dieu par les tourmens fait fentir qu'il eft Dieu.
L'orgueil contemple les Anges dans les
tourmens , & s'applaudit d'avoir caufé leur
chûte.
Content de fon ouvrage il éleve la voix ;
Tous les antres du Styx répondent à la fois j
96 MERCURE DE FRANCE.
Les Milices du Ciel dans les ondes noyées ,
Levent en frémiſfant leurs têtes foudroyées ,
Et fe trainant fans ordre autour d'un large écueil ,
Reprennent leur audace en envoyant l'orgueil.
C'eft alors que l'orgueil les encourage , &
les exhorte à féduire l'homme .
La vengeance , dit-il , rend l'enfer habitable ,
Qui la fent , qui s'en fert , n'eft jamais miférable.
Ainfi que la vertu le crime à fes douceurs ;
Il eſt de vrais plaiſirs attachés aux fureurs ;
C'eft Dieu , qui fous vos pas creuſa les noirs abîmes ,
C'eſtlui qui vous apprend à chercher des victimes ;
Le foufre qui vous brûle eft un encens pour lui ,
Ufez bien des leçons qu'il vous donne aujourd'hui :
S'il vous a défendu d'égaler fa puiffance ,
Effayez s'il permet d'imiter fa vengeance ,
Ne découvrés-vous pas malgré l'obſcure nuit ,
Cetae aurore brillante , & l'aftre qui la fuit ,
Cette terre avec art dans les airs ſuſpendue ,
Cette mer dont vos yeux admirent l'étendue ,
Ouvrage incomparable où l'homme établi Roi ,
Moins éclairé que vous foumet tout à ſa Loi ,
Cethomme qu'aujourd'hui le Créateur contemple ,
Dont le coeur vertueux de Dieu même eft le
Temple ?
SEPTEMBRE. 1476. 97
Ici eft la peinture de l'homme dans l'étag
d'innocence, l'orgeüil continue .
C'est lui que j'ai choifi pour venger votre injure :
Enfant chéri de Dieu , s'il lui devient parjure ;
Si fon coeur innocent eft un jour criminel ,
Des plus fenfibles coups nous frappons l'Eternel !
Peut-être que le Fils , Victime volontaire ,
Eteindra dans fon Sang la vengeance du Pere ,
De nos forfaits peut-être il portera le poids ,
Et nous ferons vengés d'obéir à fes Loix .
Ceffez donc de gémir à l'aſpect de vos chaînes ,
Vos maux n'égalent point la moindre de fes
peines ;
•
En lui tout eft immenfe , en vous tout eft fini :
S'il n'a pû de l'Olympe être encore banni ,
Que fur la terre au moins fa vengeance ſtérile
Des vices des mortels ſoit le frein inutile ;
Qu'au mépris de fon nom les profanes humains ,
Confacrent des Autels aux oeuvres de leurs mains ,
Que fes plus faintes Loix foient toujours conteftées,
Que de mon fein fécond renaiffent les athées ,,
Le doute Conducteur de l'irréligion ,
L'héréfie au front double & la rebellion ,
Le fçavoir orgueilleux , l'erreur opiniâtre ,
Et l'ignorance enfin d'elle - même idolâtre ,
Monftre que j'ai nourri d'arrogance & de fiel ,
Monftre que j'ai fauvé de la foudre du Ciel ,
E
98 MERRCUE DE FRANCE,
*
Four rendre à l'ennemi dont le bras nous accable
Les tourmens éternels qu'il prépare au coupable !
Mais il faut feconder ma haine & mes projets ;
Il faut ofer enfin n'être plus fes fujets ;
L'ofer c'est réuffir , le fuccès fuit l'audace.
Il dit ; dans tous les coeurs le repentir s'efface ,
Le crime fe réveille , & la honte s'endort ;
Tous quittent à l'inftant l'empire de la Mort ,
Et fuivis dans les airs par le bruit du tonnerre ,
Commeun noir tourbillon s'élançent fur la terre.
Il faut remarquer que par un art heureux
cette harangue de l'orgueil contient en action
toute l'expofition du fujet. En effet les
Anges révoltés vont fur la terre pour l'infecfer
fucceffivement de toutes les erreurs qui
viennent d'être indiquées , & que M. L. de
B. détruit dans fon Poëme.
Nous ne nous étendrons pas long- tems
fur les éloges que mérite cet Ouvrage ; les talens
de l'Auteur font trop avantageufement
connus pour qu'il foit néceffaire de rien
ajouter à la voix publique; on reçut ce premier
Chant avec applaudiffement , & les inftances
que l'on fit à M. L. de B. pour en lire
un ſecond , ſoit un für garand du plaifir qu'avoit
fait le premier , malheureuſement il n'avoit
apporté que celui-là ,
M. de Voltaire lut enfuite une Ode intitulée
la Félicité des Tems ou l'Eloge de la
SEPTEMBRE MBRE 1746.
France , qui fut reçûe avec de grands appla udiffemens.
Elle finit par ces trois beaux
Vers .
La nature eft inépuiſable ,
Et le travail infatigable
Eft un Dieu qui la rajeunit.
******
NOUVELLES LITTERAIRES ,
DES BEAUX ARTS , &c.
HISTOIRE du Théâtre François , &c .
Sepriéme volume.
E volume commence à l'année 1640 &
finit en 1643 parles Rivales premié
re Comedie de Quinault .
Si l'on voit dans ce feptiéme volume un
petit nombre de piéces plus fupportables que
celles qui les ont précedées , il faut avouer
qu'elles font en petit nombre , & que le grand
Corneille avoit plus d'envieux que d'imitateurs.
Dans une Tragédie d'Hyppolite , dont
l'Auteur M. Gilbert figuroit alors avec diftinction
fur le Parnaffe , Hyppolite dit que
fi fa vertu lui permettoit d'aimer fa bellemere
, il fe livreroit volontiers à la paffion
qu'elle lui infpire,
E ij
roo MERCURE DE FRANCE
80
"
Mais fi les ouvrages étoient mauvais ;
les Auteurs étoient en recompenfe dans l'ufage
de les louer outre méfure ; voici com
me l'Abbé de Boifrobert s'exprime dans la
préface de Caffandre . Je m'affure , lecteur
, que cette Tragi Comédie , que toute
la Cour & la Ville ont trouvée fi belle
ne te paroitra guéres moins agréable fur
le papier , & que tu la trouveras auffi bien
foutenue par la délicateffe & par la majeſ-
» té de fes vers,que par la dignité de fon fujet
Il ajoute que fi Villegas Auteur Efpagnol
qui a trouvé un fi beau noeud , eut inventé
un auffi beau dénouement , cette
production l'auroit égalé aux plus grands
hommes. Il n'y a point d'Ecrivain qui ofât
hazarder aujourd'hui de pareilles fanfaronades
, ce n'eft pas que nos Poëtes foient
moins vains que ceux de ce tems , mais lą
mode qui ne peut rien fur les vertus ni
fur les vices , porte du moins fon emr
pire fur eux jufqu'à leur donner des formes
dont elle difpofe ; parmi les Auteurs qui
commencent à figurer dans ce volume on
en voit deux qui ont eu de grands fuccès &
dont un fur- tout a un grand nom juſtement
méité. Nous parlons de Quinault & de
Thomas Corneille , que MM . P. nomment
Corneille de Lifle , ils nomment fon frère
Corneille l'aîné, & nous prendrons la liberté
SEPTEMBRE MBRE 1746. 101
de dire qu'il auroit été plus convenable peutêtre
de le nommer par le nom que lui a
donné le public , le grand Corneille .
On fçait affés que les piéces de Quinault
d'abord eu toutes des fuccès éclatans .
mais qu'il n'en eft resté au Théatre que trois ,
Agrippa ou le faux Tiberinus , Aftraté & la
Mere Coquette, ç'en feroit affés pour lui
donner un rang honorable parmi les Au-
' teurs Dramatiques de fon tems , mais ce
font fes chefs d'oeuvres lyriques qui feront à
jamais le fondement de fa réputation, & qui lui
donnent place parmi les grands hommes
qui ont illuftré le fiécle de Louis XIV. Il n'y
a perfonne qui n'ait fait à ce fujet une réfléxion
bien naturelle . Quinault a vû de ſon
vivant applaudir un grand nombre de ſes
cuvrages qui ont été depuis juftement oubliés
, il n'a pas joui de même de la réputation
de ceux qui paffent avec honneur à la
pofterité , à combien de critiques fes Opéra
n'ont ils pas été expofés ? Combien n'a
pas été méprifé & rabaiffé ce genre qu'il
crévit & qu'il perfectionnoit en méte
tems I eft mort fans fçavoir que le talent
qu'il avoit po ...s la Poëfie lyrique étoit
un talent rare , & qu'il fe pafferoit peutêtre
des fiécles que des hommes diftingués
en d'autres genres s'exerceroient vainement
pour le furpaffer , & même pour l'égaler.
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
que
On trouve ici une anecdote à fon fujet
qui peut- être a fouvent eu lieu dans d'autres
circonftances. Triftan dont Quinault étoit
l'éleve , le chargea de lire aux Comédiens la
piéce des Rivales premier ouvrage du jeune
Auteur , les Comédiens féduits par la réputation
de Triſtan & croyans la piéce de lui ,
offrirent d'en donner cent écus , mais dèsque
celui -ci eut déclaré
c'étoit le premier
ouvrage d'un jeune homme inconnu
le marché fut rompu , & les Comédiens ne
voulurent plus donner de la piéce que so
écus. Triftan fit de vains efforts , & la négociation
fe termina enfin en concluant que
l'Auteur auroit le neuviéme de la recette de
chaque repréſentation pendant qu'on joueroit
fa pièce , & c'eft là l'origine de cette
convention , qui depuis eft devenu le traité
général de tous les Auteurs.
MM . PP . nous apprennent que Don
Franciſco de Roxnas Auteur Eſpagnol à fourni
à Rotrou l'original de Venceflas , & que
ce dernier n'a prefque fait que traduire l'Efpagnol
; on a voulu avancer autfi que le
Calderon avoit donné à Corneille Tidée
d'Heraclius , mais MM. PP. prouvent fort
bien que c'eft le Calderon qu'il faut accufer
d'avoir copié Corneille .
On voit ici une Comédie de Scarron à
qui l'épithete de finguliere pouroit convenir
SSEEPPTTEEMMBBRREE 1746 103
exclufivement à toute autre , c'eft une piéce
d'un acte en vers de huit fyllabes , tous fur
la rime ment elle eft intitulée les boutades
du Capitan Matamore ; on fent combien les
adverbes doivent abonder dans des vers de
ce genre , & que l'on pourroit dire :
Tous ces adverbès la font admirablement.
Raymond Poiffon commença vers ce
tems à travailler dans un genre qui n'étoit
pas éloigné de celui de Scarron ; ce fut lui
qui créa le rôle de Crifpin . On releve ici avec
raifon ceux qui avoient dit qu'il avoit mis´
Ies bottines qui font devenues effentielles
à cerôle , paice qu'il avoit les jambes extrê
mement menues ; il eft plus raifonnable de
les attribuer à l'ufage , qui dans ce tems ou
Paris étoit fort crotté , faifoit porter des bottines
aux gens de pied , & fur tout aux valets.
Le Théatre de Poiffon eft imprimé , ainfi
nous nous difpenferons d'en parler.
Poiffon étoit protegé par M. Colbert ;
ce Miniftre avoit même tenu un de fes enfans
fur les fonts de baptême. Poiffon portoit
fouvent au Miniftre des vers à fa louange
& lui demandoit en même-tems un emploi
pour ce fils dont M. Colbert étoit le
parain , importuné de ces frequens éloges :
il défendit à Poiffon de le louer d'avantage,
E iiij
104 MERCURE DE FRANCE.
& celui-ci lui ayant encore apporté des vers
& le Miniftre rappellant fa défenfe , écou
tez ceux-ci, Monfeigneur, dit- il , la fumée de
cet encens ne vous incommodera point , il
lut en effet ces vers.
Ce grand Miniftre de la paix
Colbert que la France, revere "
Dont le nom ne moura jamais. ·
M. Colbert voulut arrêter là Poiffon , Jui
reprochant de tenir mal fa parole , mais celui
ci continua fans s'émouvoir.
Ehbien , tenez c'est mon compere ;
Fier d'un honneur fi peu commun ,
On eft furpris fi je m'étonne
Que de deux mille emplois qu'il donne ,
Mon fils n'en puiſſe obtenir un.
RECUEIL de plufieurs piéces d'Eloquence
& de Poëfie , préfentées à l'Academie des
Jeux Floraux l'année 1746 , avec les difcours
prononcés dans les affemblées publiques
de l'Académie de Touloufe 1746 , in-
12 chés Claude-Gille le Camus . Les recueils
de cette Academie fe diftribuent à Paris chés
Prault Pere Quai de Gêvres & on y trouve
tous ceux depuis 1710.
L'Académie des Jeux Floraux eft la plus
SEPTEMBRE 1746. 105
ancienne des Académies de France ; iil y a
400 ans queClemenceIfaure inftitua cesJeux
& qu'ils fe foutiennent dignement ; cet avan
tage joint à celui que le Languedoc partage
avec les autres Provinces Méridionales
d'avoir produit il y a 600 ans les Troubadours
, les premiers Poëtes de la Nation
n'eft pas une médiocre gloire pour ces Provinces.
Ce recueil eft rempli d'ouvrages auffi eftimables
que les précedens . Les prix fervent
à entretenir l'émulation parmi les jeunes
gens , & M. de Soubeyran l'un des membres
des Jeux Floraux , pénetré de la vérité de
cette maxime , l'a mife en pratique d'une façon
utile pour les lettres , & glorieufe pour
lui , en abandonnant une rente de deux cent
livres pour que le prix d'éloquence foit à l'avenir
de quatre cent cinquante livres ; il est
beau de voir un particulier jouiffant d'une
fortune honnête , mais non conſidérable , en
facrifier génereufement une partie au bien
public , tandis que tant de particuliers qui
jouiffent d'une fortune bien fupérieure à leur
état fe font des beſoinsou forment des défirs
fuperieurs à leur fortune. M. de Soubeyran
cultive les lettres avec fuccès , on voit dans
ce recueil un éloge de Clemence Ifaure compofé
par lui , & qui mérite d'être lu ; nous
asterons une a utrefois d'un difcours dont
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
il eft auffi l'auteur , inferé ici fous le titre de
REFLEXIONS fur le bon ton , fur le goût ,
fur la converfation & fur la bonne compagnie.
Nous nous bornerons pour cette fois à
dire quelques mots des vers qui compofent
ce recueil , mais nous dirons d'avance que
ces difcours font écrits avec élégance , pleins
de penfées ingénieufes & de vues fines , &
tels qu'ils n'ont pas beſoin de la prévention
favorable que l'action louable de l'Auteur
doit donner en fa faveur.
C'est une Ode fur l'Envie qui a remporté
le prix de 1746 ; en voici la premiére ftrophe.
Oui je la reconno's , c'eft l'implacable envie
Qui pour éxécuter fes projets odieux ,
Sort de cet antre invidieux ,
De mégere ou plûtôt de toute l'Enfer fuivie ;
Son vifage hideux , livide , décharné ,
La paleur de fon front , de ferpens couronné ,
Des fureurs de fon coeur m'offrent l'horrible image
Déja l'air eft fouillé de fonfoufle pervers ;
Ciel , fi tu n'enchaines fa rage ,
Ellevade forfaits inonder l'Univers.
Ily a des beautés dans cette Ode , & on
y voit du feu , de la poëfie & des idées.
Nous avons été un peu étonnés de voir l'auSEPTEMBRE
1746. 107
tre invidieux au milieu de tant de belles chofes
. De plus la cadence des ftrophes eft elle
bien harmonieufe ? Ces 8 vers Alexandrins
coupés par deux de huit fyllabes ont d'abord
l'air d'un Poëme en vers libres , plûtôt
que d'une Ode ; nous ne faifons que propofer
des doutes , mais l'exemple des grands
hommes nous autorife ; jamais l'illuftre Rouffeau
n'a mis enſemble tant de vers alexandrins.
Les ftrophes de la Palinodie font de
quatre vers , on n'en trouvera point non plus
d'exemple dans Malherbe & jamais ces Poëtes
n'ont fait de ftrophes où il entrât des
alexandrins de plus de fix vers , encore dans
ces fix y en avoit il de huit ou de fix fyllabes;
il n'eft pas beſoin d'avertir que la légére remarque
que nous faifons ne diminue rien du
prix de l'ouvrage , nous avons cru qu'il étoit
de notre devoir de la faire , parce que nous
voyons que bien des jeunes tombent dans ce
défaut & qu'un ouvrage couronné fervant
de modéle , pourroit accréditer un abus qu'il
faut éviter.
Voici trois beaux vers de cette Ode de
l'Envic.
Et fon coeur agité par les jaloux accès ,
Que l'orgueil frémiſſant inſpire ,
Pardonneroit plûtôt cent crimes qu'un ſuccès.
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
Parmi les morceaux qui font à la fuite de
cette Ode , nous avons furtout lu avec plaifir
l'Ode de l'éducation , en voici quelques ftrophes
qui nous ont parû belles.
Cesferpens au foufle homicide
Qu'en naiffant étouffent tes mains ,
Dès le berceau , divin Alcide ,
Annonçent ta gloire aux humains.
Ton ame aux combats exercée ,
De l'Hydre à tes pieds terraffée
Vaincra les efforts renaiffans ,
Et s'affermiffant avec l'âge ,
Confondra la jalouſe rage
Detes ennemis impuiffans .
Des triomphes de notre enfance
Ainfi dépendent nos ſuccès ;
Une premiere réfiftance
Du vice arrête les progrès ;
Les paffions envain liguées
D'un coeurqui les a fubjuguées
Semblent craindre la fermeté.
Au lieu qu'altieres fouveraines ,
Chaque inftant redouble les chaines
De celui qu'elles ont dompté .
Si dans les premiers jours de l'âge
On n'y répand un germe heureux ,
Le coeur off un deſert ſauvage,
SEPTEMBRE 1746, 109
1
Repaire de monftres affreux ;
Qu'on le feme , il devient fertile ,
Mais bientôt le chardon ftérile
Avec la rofe s'y confond ,
Si des mains toujours vigilantes
N'arrachent les funeftres plantes
Qui naiffent de fon fein fecond.
C'eft de cette heureufe culture
Que dépend le fort des humains ;
Ceffons de blâmer la Nature ;
Notre bonheur eft dans nos mains.
Neron Prince jufte & fans vices
Du monde eut été les délices ,
Digne fils de Germanicus,
Si rejettant loin de fon Trône ,
Un Senecion , un Petrone ,
Il n'eut écouté que Burrhus.
Ne fera- ce point entretenir les lecteurs trop
long- tems d'une même matiere que de leur
parler des Poëfies diverfes de M. de Bologne ,
que nous avons annoncées le mois dernier
& qui fe vendent chés les Freres Guerin.
و
On y voit de l'imagination , & du feu , &
M. de Bologne mérite de nouveaux éloges
pour l'emploi qu'il a fait de ſes talens car
prefque toutes fes Odes roulent fur des ſujets
tirés de l'Ecriture & des Pfeaumes , ou font
confacrées à célebrer les vertas du Roi & de
110 MERCURE
DE FRANCE
Monſeigneur
le Dauphin. Il tombe auffi
quelquefois
dans le défaut de mal cadencer
fes ftrophes,
Voici quelques vers qui feront juger du
ftyle de M. de B.
Dieu voit de fa Montagne Sainte
Les maux que fon peuple a foufferts ,
Il les voit , il briſe fes fers ,
Auffi-tôt qu'il entend falplainte.
Fils de Jacob , accourés tous ,
Peuples & Rois , raffemblez vous ;
Que de ce nom tous retentiffe
Envers lui montres votre ardeur
Qu'un même efprit vous réuniffe ,
Pour rendre hommage à fa grandeur.]
Envers lui n'est-il pas bien profaique
pour une Ode? C'eft une légére inattention
que l'Auteur auroit pu corriger en ſubſtituant
:
Venez lui montrer votre ardeur.
Les deux ftrophes fuivantes ne font pas
moins belles .
Roi des fiécles , ta vue embraffe
Dans un feul point tout l'avenir ;
Apprend moi , quand pourront finir ;
Ces tems d'opprobre & de diſgrace,
SEPTEMBRE 11774466.. 11#
Toi , dont la main bleffe & guerit ,
Tu peux jufqu'au moment prefcrit
Prolonger le jour qui m'éclaire ;
De ma vie attends le déclin ,
Et ne fais point dans ta colere
Sécher la fleur dès fon matin.
Tu parles , & tout prend naiffance
Le Ciel , la Terre & les Humains
Ne furent qu'un jeu de tes mains ,
Qu'un foible effai de ta puiffance ,
Les Etres par tavoix produits ,
A ta voix fe verront détruits ,
Et pafferont comme un nuage ,
Le tems ce fatal deftructeur , "
Le tems lui même eft ton ouvrage ,
Et ne peut rien fur fon Auteur.
Nous ne nous étendrons pas davantage
fur ce recueil de Poëfies qui mérite d'être .
reçu favorablement , nous croyons que la
meilleure façon de le louer ; c'eſt d'en préte
ter au public quelques morceaux , ainfi que
nous avons fait .
DISSERTATIONS fur les apparitions des
Anges , des Démons & des Efprits , & fur les
Revenans & Vampirs de Bohème, de Hongrie
de Moravie & de Siléfie , par le R. P.Dom Au
gulin Calmet , Religieux Bénédictin & Abbé
112 MERCURE DE FRANCE
de Senones en Lorraine , à Paris, in- 12.1746.
chés Debure l'aîné , Quai des Auguſtins.
LA VIE DE MECENAS , avec des notes
hiftoriques & critiques , par M. Richer, Paris
1746. in-12. chés Chaubert.
Cet Ouvrage fera bien- tôt fuivi du Recueil
entier de tous les Ouvrages de M. Richer ;
Dons efpérons qu'il fera reçu favorablement ,
& nous en parlerons inceffamment .
HISTOIRE DU TARIF de 1664. contenant
l'origine de ce Tarif , avec les fixations &
celles qui ont eu lieu avant & depuis 1664.
fur chaque Marchandiſe à la fortie du Royaume
, tome premier .
LE TOME SECOND , contenant les fixations
de ce Tarif, & celles qui ont eu lieu
avant & depuis le Tarifde 1664 , fur chaque
Marchandiſe , Droguerie , Epicerie , &c . à
l'entrée du Royaume , dreffés fur les piéces
authentiques , par M. Dufrefne de Francheville,
imprimés à Paris en 1746. en 2 vol. in-
4º. du prix de 14 livres reliés.
HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DES INDES ,
avec les titres de fes conceffions & Privilé
ges , dreffée fur les piéces authentiques , par
le même , imprimée à Paris en 1746 , chés
Debure l'aîné , comme les deux volumes cydeffus
, du prix de 7 livres reliés.
SEPTEMBRE 1746 .
113
DE LA CORRUPTION DU GOUT
dans la Musique Françoise , par M. Bollioud
de Mermet de l'Académie des Sciences &
des Belles-Lettres de Lyon , & de celle des
Beaux Arts de la même Ville , à Lyon 1746.
de l'Imprimerie d'Aimé de la Roche ; cet
Ouvrage fe vend à Paris chés Briaffen.
Nous rendrons juftice avec plaifir aux
talens , aux connoiffances & au ftile coulant
& facile de l'Auteur de cette Diflertation.
Il fait briller fon goût dans les éloges, qu'il
donne à Lulli & Lande , génies du premier
ordre en Mufique , & qui fe font immortalifés
par des chef- d'oeuvres que l'on admire
&
que l'on admirera long- tems. Nous nous
garderons bien d'entrer dans l'éxamen des
queſtions qu'il traite fur la corruption du
goût ; nous nous contentons d'être fenfibles
aux beautés de tous les genres fans prendre
de parti ; on a déja répondu à M. Bollioud
, & fi quelqu'un veut répondre pour
lui , nous lui prêterons le champ dans ce
Journal , proteftant d'être Spectateurs neutres
, Admirateurs de tous les bons Ouvrages,
& partifans d'aucun Auteur, & ne donnant
d'exclufion à aucun genre , ni à aucun
homme,
L'impreffion de cet Ouvrage eft très- bien
exécutée.
114 MERCURE D'E FRANC
L'ACADEMIE des Sciences de Dijon , qui.
avoit proposé pour le Prix de Phyfique de determiner
la nature des fels par les differentes
tonfigurations de leur cristaux , couronna dans
une Affemblée publique le 21 d'Août 1746 .
M. Didier , Medecin- Chymifte à Dunkerque.
Cette même Académie propofe pour le
prix de Morale de 1747 à tous les Sçavans
la queftion fuivante .
Des avd stages que le mérite retire de l'envie.
Il fera libre à ceux qui voudront concourir,
d'écrire en François ou en Latin , en obfervant
que les piéces foient lifibles , & n'excédent
pas trois quarts- d'heure de lecture ; elles
feront adreffées à M. Petit , Secretaire de l'Académie
, rue du Vieux-Marché , à Dijon ,
qui n'en recevra aucune paffé le premier d'Avril
, & fi elles ne font pas franches de port ,
elles refteront au 1ebut. Ceux qui ayant concouru
fe feront fait connoître avant l'adju
dication du Prix , ne pourront y avoir part.
Pour remédier à cet inconvénient , chaque
Auteur fera tenu de mettre au bas de fon Mémoire
une Sentence ou une Devife , & d'y
joindre une feuille de papier cachetée, au dos
de laquelle fera la même Sentence ou Devife ,
& fous le cachet fon nom , fes qualités & fa
SEPTEMBRE 1746. 119
demeure , pour y avoir recours lors de la diftribution
du Prix. Lefdites feuilles ainfi cachetées
ne feront point ouvertes avant ce
tems - là ; mais le Secretaire en tiendra un Regiftre
exact.
Ceux qui exigeront de lui un Récépiſſé de
leurs Ouvrages, le feront expédier fous un autre
nom que le leur , & dans le cas où celui
qui auroit ufé de cette précaution , auroit mérité
le Prix ; il fera obligé en chargeant une
perfonne domiciliée à Dijon , qui ne font
pointde l'Académie, de faprocuration fimple,
pour le recevoir, d'y joindre auffi le récépiffé.
Lorfque l'Académie aura decidé à qui le
Prix doit être adjugé , elle en fera donner
avis au vainqueur , qui fera obligé d'écrire à
l'Académie une Lettre de remerciement.
La diftribution du Prix fe fera dans une
Affemblée publique de l'Académie le Dimanche
20 Août 1747.
L'ACADEMIE des Belles - Lettres de
Montauban , tint fa Séance publique dans
l'Hôtel de Ville le 25 du mois dernier , jour
de Saint Louis.
Onfieur l'Abbé de la Tour , Directeur , ou-
Mvrit la
Séance.
M. de Savignac lut un Difcours fur les avantages
116 MFR CURE DE RRANCE.
de la confiance réciproque dans la Société.
M. de la Motte lut un Ouvrage mêlé de Profe &
de Vers fur les plaintes des Dames contre les
Hommes , pour les avoir exclues des emplois de
la République.
M. d'Aumont lut des réflexions fur les harangues
Militaires , & une Epître à M. le Frane , par
M. de Claris , Affocié à l'Académie.
M. l'Abbé Bellet lut un Difcours fur la gloire
mutuelle que retirent les héros & les hommes de
Lettres , les uns des autres .
M. de Bernoy, une Ode fur le fujet du Diſcours
propoſé par l'Académie pour les Prix de l'année
1746.
M. de la Prade , un Difcours fur l'injuftice du
doute que le Vulgaire forme fur les talens des
Dames.
M. de Bernoy , une Epître à M. le Franc .
M. l'Abbé Bellet , une Apologie de l'Académie
fur la réſervation des Prix , dont la diftribution eft
renvoyée à l'année prochaine 1747.
M. l'Abbé de la Tour finit la Séance par la
lecture de fon Difcours , fur les bienséances de la
langue Françoiſe.
M. l'Evêque de Montauban ayant deſtiné la
fomme de deux cent cinquante livres pour donner
un Prix de pareille valeur à celui qui au Jugement
de l'Académie des Belles - Lettres de cette
Ville fe trouvera avoir fait le meilleur Difcours
fur un fujet relatif à quelque point de Morale ,
tiré des Livres faints , l'Académie propoſe pour
fujet du Difcours de l'année 1747.
L'ORGUEIL EST LE PLUS GRAND ENNEMI
DE LA SOCIETE' : conformément à ces paSEPTEMBRE
1746. 117
roles de l'Ecriture : Inter fuperbosfemper jur
gia funt. Prov. XIII . 10.
Les Difcours ne feront tout au plus que de demieheure
de lecture , & finiront toujours par une
courte priere à JESUS - CHRIST . On n'en
recevra aucun qui n'ait une Approbation fignée
de deux Docteurs en Théologie.
L'Académie ayant été forcée de referver le Prix
de l'année 17-6 , elle fe propoſe pour ouvrir
un plus vafte champ aux Auteurs , de le diftribuer
à une Ode ou à un Poëme.
Le Poëme doit être de foixante vers au moins
ou de cent vers au plus .
L'Académie laiffe aux Poêtes le choix du fujet ;
elle exige feulement qu'il foit digne d'être approuvé
du Prélat qui donne le Prix.
Il y aura ainfi deux Prix à diftribuer le 25
Août prochain , Fête de SAINT LOUIS , Roi de
France : Un Prix de Difcours , & un Prix d'Ode
ou de Poëme.
Les Auteurs ne mettront point leur nom à leurs
Quvrages , mais feulement une marque ou paraphe
, avec un paffage de l'Ecriture Sainte ,
d'un Pere de l'Eglife , qu'on écrira auffi fur le
Registre du Secrétaire de l'Académie .
ou
Toutes fortes de perfonnes , de quelque qualité
qu'elles foient,feront reçûes à prétendre aux Prix,
hors les Membres de l'Académie , qui en doivent
être les Juges.
LesAuteurs feront remettre leurs Ouvrages vendant
tout le mois de Mai prochain , entre les mains
de M. DE BERNOY , Secrétaire perpétuel de
l'Académie , en fa maifon , rue Montmurat , ou en
fon abfence , à M. l'Abbé BELLET , en fa majfon
, rue Cour-de-Toulouſe ,
118 MERCURE DE FRANCE.
Le Prix ne fera délivré à aucun , qu'il ne fe nons
me , & qu'il ne fe préfente en perfonne , ou par
Procureur , pour le recevoir , & pour figner la
Difcours.
Les Auteurs font priés d'adreffer à M. le Secrétaire
trois copies bien lifibles de leurs Ouvrages
, & d'affranchir les Paquets qui feront envoyés
par la Pofte. Sans ces deux conditions les
Ouvrages ne feront point admis au concours.
Le mot de l'Enigme du Mercure d'Août
eft la Lettre G. Ceux des Logogryphes font
le Logogryphe même, On trouve dans le premier
, loge , orge , gogo , or , gril , rôle , Ile
Pole , bier & ego. Dans le fecond , qui eft
renverfé , on trouve , épi , hoir , poil , ire , Roi ,
Golphe , orgie , gloire , ogre & Loire.
AIR A DEUX PARTIES.
Par M. de la Richerie de Sainte Gemme.
Sommeil , viens fur mes fens , viens régner à ton
tour ;
Fais- moi dormir fous cette treille ;
Je ronds à Bacchus fa bouteille :
Jete confacre & la nuit & le jour ;
Si quelquefois je me réveille ,
Que ce ne foit qu'avec l'Amour,
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THE NEW YORK
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S
Je
Si
Q
SEPTEMBRE 1745. 119
A
LOGOGRYPHE.
Ux hommes je dois ma naiffance ;
Je renais douze fois par an ,
Sans boire & fans manger je cours toute la France;
Des pédans & des fous je fuis le Partiſan .
Mon tout par un pouvoir fuprême ,
Pofféde , renferme en lui-même
"
Ce qui fait l'agrément d'une jeune dondon ;
Ce qui fit maffacrer le mari de Didon .
Le Berger prend chés-moi , fon lit , fa nourriture :
Chés-moi les prez recouvrent leur verdure;
On y trouve l'objet des fureurs de Junon ;
Un poiffon de la mer , & le tombeau d'Aaron.
L'outil du Vigneron , ce qui dans les Montagnes ,
Six mois y dort, fix mois court les Campagnes.
Du Peuple & des boiffons ce qu'on méprife tant ,
Ce qui fait au Guerrier répandre bien du fang,
Ce qu'il affronte avec courage ,
A qui dans un Etat on doit tout fon hommage .
Un Verbe en Latin en Français ,
Sans lequel un enfant ne fait aucun progrès .
Combine moi , Lecteur ; tu trouveras encore
Ce qu'être du Soldat la Ville prife abhorre ,
Ce qui chés Cliftorel a bien plus d'un emploi ,
Ce qui caufe au Payfan tous les ans de l'effroi ,
120 MERCURE DE FRANCE
Une Ville de l'Albanie ,
Ce qui baigne la Lombardie.
Enfin , fans forces , fans vertu
Je vas te faire voir dans mon individu ,
La plus dangereuſe Riviere
Qui coule fous notre hémiſphere ,
Ce que cherche d'abord le Soldat arrivant ,
Ce qui fans ame a tant de mouvement ,
Qui fans bouche & fans pieds , dans fa marche
ordinaire
Annonce à tout inftant le cours de la lumiere.
Je renferme en mon fein en me ſubdiviſant ,
Un monftre de ma mere l'Oye ,
Ce qui marque toujours la furpriſe & lajoye.
J'en dis affez , je crois , Lecteur ,
Pour me faire connoître & te tirer d'erreur.
De plus , je fuis abfurde , hétéroclite ;
L'ignorance eft mon feul mérite ;
Mon être eft le cahos & la confufion :
Et de tout tems chés moi régna la déraiſon ,
Aux fots je donne des entraves ,
Pour les embarraffer je fais tous mes efforts ;
Je fuis avec raiſon méprifé de gens graves ,
Dix pieds enfin forment mon corps .
Par l'AbbéMarquet , Sacriftain de la Paroiffe
de Saint Cyr d'Ifjoudun,
AUTRE
SEPTEMBRE 1746 . 121
To
AUTRE .
Ous les ans on me voit nouvellement paroître ,
Ainfi que toutes les Saifons.
Or je puis dire , & j'en ai cent raifons ,
Que c'est moi qui les fais connoître .
Je marche à quatre pieds ; dix lettres font mon
tout :
Me fabriquer n'eft pas chofe facile ;
Je m'en rapporte au plus habile.
Souvent j'ai mis plus d'un Sçavant à bout.
On me voit chés les Rois , on me voit chés les
Princes ,
Dans la Ville & dans les Provinces ,
Chés le Robin , chés le Bourgeois ,
On voit auffi chés moi les Princes & les Rois.
Pour me trouver , Lecteur , voici tout le mystére.
Aux yeux j'offre d'abord un lac ,
Qu'on peut paffer fans bâteau ni fans bac ;
De le trouver c'eft ton affaire .
En paffant par-deffus , à quatre pas plus loin
Tuftrouveras , fi l'on cherche avecſoin
Quatre lettres qui feront rire.
Mais à préfent il eft tems de te dire
Que dans mon tout il faut trouver le nid
F
122 MERCURE DE FRANCE,
Un Hôpital dès long-tems aboli ,
Ce qui fait qu'au vifage on connoît la vieilleffe ;
Un inftrument chéri fur le Permeffe .
Un Héros renommé par fes travaux divers.
D'autres encor à tes yeux font offerts ,
Ainfi qu'un élément qui foûtient notre vie ;
Une Ville de Normandie ,
Mais c'eft affés , Lecteur , fi tu m'entends ,
Garde- moi jufqu'au nouvel an.
Dans
AUTRE.
Ans ma brufque formation
La Nature dément fa lenteur ordinaire .
Ma rapide production
De quelques momens eft l'affaire,
Parmi les plantes j'ai mon rang ;
Ma tiffure n'eft pas commune ,
N'ayant graine , ni feuille aucune ,
Morceau tout à la fois dangereux & friand.
Mon nom que compofent dix lettres
Béunit une foule d'Etres :
Hommes , Femmes , Divinités ,
Fleuves , Arbres , les , Cités ,
Oifeaux .... que fçais-je encore ? bien des métamorphofes
,
SEPTEMBRE 1746. 125
Par des traits diſtinctifs marquons toutes ces chofes.
Je vous offre d'abord cet odieux mortel
Qui fe fouilla du fang de l'innocent Abel,
Le Chef de la race profcrite ,
Que pourſuivit toujours le Peuple Ifraëlite.
Le Dieu , Protecteur des troupeaux .
Le plus fuperbe des oifeaux .
Femme d'humeur acariâtre "
De Phryxus & d'Hellé l'implacable marâtre.
Isle de l'Archipel fameufe par fes vins ,
Mais plus fameufe encor par le berceau d'Apelles,
Nom que portoient jadi les vengeurs des querelles.
Celui qui par fes chants divina
Conftruifit les mûrs des Thébains ;
Qui même difputa le prix de l'harmonie
Contre le Dieu de l'Hélicon..
Le fleuve où tomba Phaeton.
Le Phoenix de la Lombardie
L'un des plus beaux efprits qui parurent jamais.
Un aliment pétri des tréfors de Cérès .
Cet arbre en quoi par le jaloux Borée
La Nymphe Pitys fut changée .
Un Prêtre des Mahometans.
Un Port de Mer : un Fruit : une Ville de France ;
Ce qu'avec complaiſance
Chacun voudroit fauver du naufrage des tems.
Un animal enfin , ni mâle , ni femelle ,
Et je finis par-là , Lecteur , ma Kyrielle.
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
AUTR E.
L'Air eft mon élément . De dix lettres formée
Je renferme en mon nom un fameux Géné: al ,
Dont les rares talens , la valeur fortunée
Firent voir à la Gréce un exploit fans égal ;
Le pere d'un Guerrier célébre
Par le don de combattre avec agilité ;
Un fleuve qu'Annibal , vainqueur des bords de
l'Ebre ,
Franchit par un effet de fa capacité ;
Un grand Auteur Franç is ; un Augufte Monarque,
Bien aimé de fon Peuple , honoré des Romains .
Pour un Roi tel que lui prions Dieu que la Parque
Ait long-tems fes cifeaux fans vertu dans les
mains.
Par M. de Lanevere , ancien Mcufquetaire
du Roi , à Dax,
7
f
;
SEPTEMBRE 1746. 125
J
A UTRE
E fuis un Etre de raiſon ,
Brillante & pompeufe chimére ,
Que l'efpece humaine révére ,
Qu'elle décore d'un beau nom.
Cependant on me cherche à la Cour , à la Ville ;
Des beaux Arts je fuis le foutien ;
Des grands coeurs le premier mobile ;
J'ai prefque dit fouverain bien.
Noblement épris de mes charmes
Les Nourriffons du Dieu des armes
Tentent , pour m'obtenir , d'héroïques efforts.
Vifant au même but le Poëte s'anime
Prend fon effor , tend au fublime
Enfante d'immortels accords.
Ainfi tout à la fois maîtreffe
De mille rivaux généreux ,
Sans mériter le nom odieux de traîtreffe ,
Je puis également couronner leurs beaux feux,
Je n'avouai jamais un mérite ordinaire .
Il faut , pour parvenir à ma poffeffion ,
Fij
126 MERCURE DE FRANCE.
Laiffant au loin le vulgaire ,
Honorer fon état avec diftinction .
Du refte , n'excluant perfonne ,
Indifferemment je couronne
Les Favoris de Mars & des fçavantes Soeurs ,
Les Héros , les Littérateurs ,
Les Médecins , les Algébristes ,
Et tous les excellens Artiftes.
Si vous démontez les refforts
Des fix piéces qui font mon corps ,
Vous trouverez le fard bachique
Dont fe barbouilloient jadis
Les compagnons de Thefpis
Sur leur voiture tragique. "
La trifte fille d'Inachus ,
Qu'une Déeffe rancuniere
Commit à la garde d'Argus.
Un péché capital ; un rain ; une riviere ;
Un terme qui conclud chaque raiſonnement ,
Terme dont retentit l'Ecole ,
Le précieux métail que roule le Pactole ,
Que certains ont nommé le cinquième élément
Eft-ce tout ? Attendez : vous trouverez encore
Un attribut de Terpficore.
ZASS
SEPTEMBRE 1746. 127
SPECTACLE S.
Le Jeudi 18 Août la premiére repréfentation
d'Hypermnestre Tragédie en cinq
actes precédée d'un prologue ; les paroles
font de M. de la Fond qui a donné fur le
T'héatre Lyrique deux Ballets qui ont réuſſi ,
le premier intitulé les Fêtes de Thalie , que
lon revoit fouvent fur la fcéne avec une
égale fatisfaction ; le fecond eft intitulé les
Amours de Prothée. M. de la Fond a auffi
donné de petites piéces à la Comédie
Françoife , comme les trois Freres Rivaux ,
l'Amour vengé , le Naufrage de Crifpin. La .
mufique d'Hypermneftre eft de la compofition
de M. Gervais Surintendant de la Mufique
de M. le Duc d'Orleans Regent .
'Académie Royale de Mufique a dona
Cette piéce a été donnée pour la premiére
fois le Jeudi 5 Novembre 1716 , elle a
été remife au Théatre le Mardi 25 Mai
1728.
La cruelle avanture des Danaides eft une
fable fi connue que, ce feroit abufer de la patience
des lecteurs que de donner ici un exrait
de l'Opera qu'elle a occafionné, M.
Fij
128 MERCURE DE FRANCE.
.
l'Abbé de Ruiperoufe a traité le même fujet
pour la Comédie Françoife .
L'Opera prépare une Tragédie dont la
mufique eft de la compofition de M. le Clerc
qui s'eft fait une grande réputation dans
l'Europe tant parfes compofitions harmoniques
que par leur brillante exécution ;
le fujet de fon Opera eft la fable de Glaucus
& de Scylla , célebre dans les Métamorphofes
d'Ovide.
Le premier Septembre on a remis auThéatre
françois l'Inconnu Comédie en cinq actes
du cadet des Corneilles,elle eft fi connue depuis
très long- tems qu'il feroit inutile d'en
donner un extrait . Ily a même déja quelques
années que les anciens intermedes qui ornoient
ce Poëme ont été remplacés par de
nouveaux divertiffemens dont lesparoles font
de M. Dancourt & la mufique de M. Gilliers
Auteur de tant de jolis vaudevilles . Ily a
dans l'Inconnu une des plus gracieufes farabandes
qui ait jamais été faite . Les ballets
nouveaux ont été fort applaudis , auffi bien
que la diftribution des rôles .
Le Jeudi 15 Septembre une jeune debutate
au - deffous de 15 ans à joué le rôle
d'Agnés avec un applaudiffement général
& arraché par le talent ; fa figure & fa taille
font fort jolies , fon jeu eft naturel & fin .
SEPTEMBRE 1746. 129
Elle a rendu parfaitement tous les traits naifs
dont l'Ecole des femmes eft femée , ce début
là promet une très - aimable Actrice .
On a donné à la Comédie Italienne Arlequin
Bohemienne Comédie en cinq actes ,
plein de lazis d'Arlequin , peu fucceptibles
d'une defcription. On y prépare une piéce
Italienne intitulé l'Inconnue avec des divertiffemens.
Les bornes étroites impofées à Momus
dans l'enceinte du preau par les arrêts de
Thémis ne laiffent pas aux troupes foraines
la liberté de divertir le public autant
qu'elles le fouhaiteroient , cependant M.
Dourdet maître de Danfe & entrepreneur
d'un fpectacle renfermé dans un espace fi
courtn'a pas laiffe d'en tirer parti . Il a fait
repréſenter differentes piéces Pantomimes
qui ont obtenu l'approbation des connoiffeurs.
Le jeu des quatre coins fi cher aux
Enfans a été repréſenté par un ballet naïf
& pourtant varié. La fable de Pigmalion a
offert un tableau plus fçavant , quoi qu'aùffi
récréatif ; on a entendu avec un très grand
plaifir la mufique de M. Corrette , Čompofiteur
déjà eftimé par plufieurs ouvrages.
Momus a trouvé le fecret de faire des
Epigrammes fans parler & fans chanter,
Le 24 du mois paffé on repréſenta au
Collége de Vernon pour la diftribution des
Fy
30 MERCURE DE FRANCE.
prix Les Incommodités de la Grandeur , Co ÷
médie héroïque du R. P. du Cerceau , qui
fut fuivie d'une autre perite Comédie en
trois actes , qui a pour titre l'Ecolier Precep
teur de la compofition de M. le Blanc fous
principal de ce College , il y a eu un ballet
à chaque intermede de la premiere piéce ,
dont les Ecoliers fe font acquités parfaite
ment , & ils ont déclamé les deux piéces
avec un goût admirable. Les ballets font
de la compofition de M. Tarlet grand Muficien
, Maître à danfer & ci- devant Danfeur
de l'Opera , il a exécuté avec M. Morant
fon adjoint un pas de deux avec une legereté
& une précifion que tout le monde a
admirées . Le Théatre étoit fort grand & d'un
goût fingulier ; au lieu de coul fles il y avoit
trois portiques dans l'enfoncement , ornés
de tapifferies des Gobelins avec des rideaux
de damas cramoifi devant chaque portique.
On avoit fait venir pour les Acteurs & Danfeurs
24 à 25 habits de l'Opera de Paris. Enfin
une très nombreuſe aſſemblée a paru extrêmement
contente , & furpriſe de voir que
F'on n'a pas moins de goût en Province qu'à
Paris.
SEPTEMBRE 1746. 131
963636363636363636 261638
P
SONNET
Sur les fentimens d'un Athée converti.
Uifqu'aux plus grands pécheurs vous étes fa
vorable ,
Permettez qu'à vos pieds , adorable Sauveur ,
Je confeffe à ma honte une erreur effroyable
Que l'excès des plaifirs fit naître dans mon coeur
La Loi difoit envain qu'un fort incomparable
Seroit un jour le prix de ma fidelle ardeur ,.
Je traitois follement de chimere & de fable
Le principe certain du fouverain bonheur.
Depuis que votre amour a levé tout obſtacle ,
Les charmes de la Grace opérans leur miracle ,
De tous mes fens bientôt ſe ſont rendus vainqueurs.
Uſez donc envers moi d'une extrême indulgence ,
Et pour mettre , Grand Dieu , le comble à vos faveurs
,
Oubliez à jamais mon crime & mon offenfe."
Par M. Cotterean Curé de Donnemarie.
Fvj
132 MERCURE DE FRANCE.
*£3**£3**£3**23* ÷£3÷ ÷£3÷÷€3÷÷£3*
JOURNAL DE LA COUR,
DE PARIS , & c.
L'E defue cangaffadeur Extraordi-
E Duc de Huefcar que le Roi d'Efpagne
nale auprès du Roi , eut le 27. du mois
dernier fa premiere audience de Sa Majeſté.
Il fut conduit à cette audience , ainfi qu'à
celles de la Reine , de Monfeigneur le Dauphin
, de Madame & de Mefdames de France
par leChevalier de Sainctot , Introducteur
des Ambaffadeurs .
Le 21 le Corps de Ville fe rendit à Verfailles
, & le Duc de Gefvres , Gouverneur
de París , étant à la tête , il eut audience du
Roi avec les cérémonies accoûtumées . Il
fut préfenté à Sa Majefté par le Comte de
Maurepas Miniftre & Secrétaire d'Etat , &
conduit par le Marquis de Dreux Grand-
Maître des cérémonies. Le Prevôt des Marchands
& les deux nouveaux Echevins piêterent
entre les mains du Roi le ferment de
fidélité , dont le Comte de Maurepas fit la
lecture , ainsi que du Scrutin qui fut préſenté
à Sa Majefté par M. de Courchamp , Avocat
du Roi au Châtelet lequel prononca un
difcours plein d'éloquence & de nobleſſe .
SEPTEMBRE. 1746. 133
Le même jour le Corps de Ville eût l'honneur
de rendre fes refpects à la Reine , à
Monſeigneur le Dauphin , à Madame & à
Mefdames de France.
Le
25 fête
de Saint
Louis
la Proceffion
des
Carmes
du
grand
Convent
, à laquelle
le Corps
de Ville
affifta
, alla
fuivant
la coûtume
à la Chapelle
des
Thuilleries
, où
les
Religieux
chanterent
la Meffe
.
L'Académie Royale des Sciences , & celle
des Infcriptions des Belles-Lettres célébré .
rent la même féte dans l'Eglife des Prêtres
de l'Oratoire , où le Panégyrique du Saint
fut prononcé par l'Abbé Thiebault.
L'après- midi l'Académie Françoife tint
une Affemblée publique , dans laquelle elle
donna le Prix de Poëfie qui a été remporté
par M. de Marmontel .
- Le premier de ce mois le Roi & la Reine
entendirent dans la Chapelle du Château la
Meffe de Requiem , pendant laquelle le De
profundis fut chanté par la Mufique , pour
le repos de l'ame du feu Roi Louis XIV.
Le 8 fête de la Nativité de la Sainte Vierge
leurs Majeftés entendirent dans la même
Chapelle la Meffe chantée par la Mufique ,
& l'après -midi elles affifterent aux Vêpres,
La Reine communia le même jour par les
mains de l'Abbé de Fleury , nommé à l'E
vêché deChartres , fon Premier Aumônier ,
Ï34 MERCURE DE FRANCE .
DE F
Le 6 le Roi & la Reine quitterent le deuil
que leurs Majeftés avoient pris le 26 du
mois de Juillet dernier, pour la mort du Roi
d'Espagne.
Le Marquis de Puyfieulx , nommé pour
affifter en qualité de Miniftre Plénipoten
tiaire du Roi aux Conférences qui doivent
fe tenir à Breda avec le Miniſtre du Roi de
la Grande Bretagne , & ceux des Etats Généraux
des Provinces Unies , a pris congé de
Sa Majefté , & il eft parti le , pour fe rendre
en Hollande.
Le Samedi 3 à fept heures du foir tout
étant difpofé dans le Choeur de l'Eglife de
l'Abbaye Royale de Saint Denis , les Gardes
du Corps précédés des Religieux , por
tans chacun un chandelier de l'eftrade , &
recitans des Pleaumes ,defcendirent le corps
de Madame la Dauphine de la Chapelle ardente
, pour le placer dans le lieu préparé
fur l'eftrade du catafalque:lorfque le Prieur
de l'Abbaye qui marchoit derriere le corps
avec la Couronne fur un carreau , eut achevé
les Prieres , les entrailles furent portées au
caveau dans le même ordre & avec les
mêmes Prieres.
Le Dimanche à quatre heures du foir on
chanta les Vépres folemnelles qui furent célébrées
par l'ancien Evêque de Mirepoix ,
de fuite les Vigiles , aufquelles le Prieur de
F'Abbaye officia
SEPTEMBRE 1746. 135
"
Le Lundi lorfque Meſdames, filles du Roi &
la Duchefle de Chartres , qui étoient les
Princeffes du deüil ,& le Duc de Chartres , le
Prince de Conty & le Comte de la Marche ,
qui devoient les mener à l'Offrande , eurent
pris leurs places , l'ancien Evêque de Mirepoix
, Premier Aumônier de Madame la
Dauphine , lequel avoit officié la veille aux
Vepres des Morts , chantées par la Mufique,
célébra pontificalement la Meffe , étant af
fifté des Evêques de Valence , de Lefcar , de
Comminges & de Saint Claude. A l'Offertoire
, & après les faluts ordinaires , faits par
le Marquis de Dreux , Grand Maître , &
par M. Defgranges Maître des cérémonies
, les Princelles allerent à lOffrande,
Madame y fut menée par le Duc de Chartres
, la queuë de fa mante étant portée par
le Comte de Matignon , par le Marquis de
Matignon & par le Marquis de Gontaut : Madame
Adelaïde y fut menée par le Prince de
Conty , & la queuë de fa mante fur portée
par le Comte de la Marck , le Marquis de
Saulx & le Comte de Champagne . La Ducheffe
de Chartres fut menée à l'Offrande
par le Comte de la Marche , la queuë de fa
mante étant portée par le Marquis de Simianne
& par le Comte de Maillé . Après
cette cérémonie l'Evêque de Troyes prononça
l'Oraifon funébre , & la Melle étant
1
136 MERCURE DE FRANCE.
finie , l'ancien Evêque de Mirepoix , & les
quatre Evêques Affiftans defcendirent de
l'Autel , & firent les Encenfemens ordinaires
autour du corps , qui fut enſuite levé
par les Gardes du Corps du Roi , & porté au
caveau de la Sépulture de la Maiſon Royale.
M. Defcajeuls , Lieutenant des , Gardes
du Corps marchoit près du cercueil ; les
quatre coins du Poële étoient tenus par le
Marquis de Saffenage , par le Marquis de
Saint Herem , par le Chevalier de Montegu,
Menins de Monfeigneur le Dauphin , & par
le Marquis d'Oyfe. Le Comte de Rubempré
Premier Ecuyer de Madame la Dauphine
, faifant dans cette cérémonie les fonctions
de Chevalier d'honneur , à cauſe de
l'abſence du Marquis de la Farre , portoit la
Couronne , & le Chevalier de Mailly , repréfentant
le Premier Ecuyer , portoit le
Manteau à la Royale. Lorfque le Corps eut
été defcendu dans le caveau , le comte de
Rubempré y apporta la Couronne , & le
Chevalier de Mailly , le Manteau à la Royale.
Le Comte du Muy , faifant les fonctions
de Premier Maître d'Hôtel de Madame la
Dauphine , & les Maîtres d'Hôtel de cette
Princelle , y apporterent leurs bâtons , & le
Roi d'Armes fit la Proclamation ordinaire.
Le Clergé , le Parlement , la Chambre des
Comptes , la Cour des Aides , la Cour des
SEPTEMBRE •
le
1746. 137
Monnoyes , Univerfité , le Châtelet ,
Corps de Ville & l'Election , qui avoient été
invités de la part du Roi par le Grand Maître
des Cérémonies à ce Service , y affifterent
, ainfi que la Maifon de Madame la
Dauphine , & fes Dames .
* Pr
DESCRIPTION DU CATAFALQUE .
E Choeur étoit orné d'une architecture
Lor
d'ordre Ionique , faifant plan avec pans
coupés; ledit ordre régnant dans tout le pourtour
exécuté de marbre vert , élevé fur une
bafe générale , formant un filet de lumiere
, ces pilaftres étoient coëffés de leurs chapiteaux
en relief , & dorés , portans une
corniche de marbre blanc veiné , fur laquelle
étoit un attique , ce qui faifoit monter
cette décoration à hauteur des vitreaux de
l'Eglife . Cette ordonnance formoit fur les
côtés & à la partie du Jubé plufieurs arcardes
diftribuées avec fymmétrie , où l'on
avoit pratiqué des gradins pour placer les
perfonnes invitées. Chacune de ces arcades
étoit enrichie de grands cartels , contenans
les Armes & les Chiffres de la Princeffe , pofés
à l'alternative ; au haut de ces arcades &
derriere ces cartels naiffoient de grands ri140
MERCURE DE FRANCE.
qui le réuniffoient par leurs têtés , en recevant
un corps d'architecture ; ce morceau
fervant d'amortifiement au total de cet édifice
, le tout doré ; fur ces conſoles étoient
en à plomb de colomnes des groupes d'enfans
en argent , tenans des girandoles ; fur
la partie éminente de ce couronnement
étoit un globe en marbre blanc , ainſi que
la figure qui étoit affife deffus , repréſentant
le Tems d'une attitude impérieuſe , ayant à
fes pieds les inftrumens qui peuvent défigner
les différens états de la vie , & montrer fon
pouvoir & le triomphe abfolu de fa faulx.
Au milieu de l'eftrade , entre les colomnes
, étoit un focle de porte or , fervant de
baze à quatre grandes confoles ifòlées , au
milieu defquelles étoit une urne fépulchrale
d'agathe , entourée de Cyprès argent , formans
des feftons ; fur ces confoles étoit un
membre d'architecture qui recevoit le tomheau
de porphire , où étoient en relieffur
les quatre faces les Armes de la Princeffe ;
fur ce tombeau s'élevoit la hectique couverte
du Poële de la Couronne ; aux pieds étoit
le Manteau Royal , & à la tête la Couronne
furun couffin de velours noir , couverte d'un
crêpe .
Sur l'eftrade au bas du focle , aux quatre
angles , étoient des figures de ronde boffe en
marbre blanc , repréfentans la douleur &
SEPTEMBRE PTEMBI 1746. 14%
l'abattement , appuyés au pied du tom-
'beau .
Sur les degrés des flancs de l'eftrade étoient
deux figures en marbre blanc , repréſentans
la Religion & la Piété .
Cet édifice pouvoit avoir environ qua
rante pieds de hauteur fur une baze proportionnée
, fans y comprendre le grand
pavillon qui couvroit le tout , étant fufpendu
& retrouflé du haut de la voûte.
Toute l'eftrade du catafalque étoit garnie
d'un très - grand nombre de chandeliers portans
des cierges , ainfi qu'il en avoit été placé
à l'Autel & par-tout le Choeur , ce qui
pouvoit produire environ deux mille lumieres,
Ce catafalque & l'appareil de cette pompe
funebre , dont la richeffe & la magnificence
ne cédent en ri
à ce qui a été fait dans ce
genre , ont été ordonnés par M. le Duc
d'Aumont , Pair de France , Premier Gentilhomme
de la Chambre du Roi , conduits
par M. de Cindré , Intendant & Controljeur
Général de l'Argenterie , Menus Plaifirs
& Affaires de la Chambre de Sa Majefté ,
&exécutés par Mrs Slodtz,Sculpteurs du Roi ,
Le 24 du mois dernier les Bénédictins de
l'Abbaye de faint Germain des Prez chanrent
dans leur Eglife le Te Deum , en actions
#42 MERCURE DE FRANCE.
de graces de la convalefcence de S. A.S. M.
le Comte de Clermont , Prince du Sang
leur Abbé , & folemniferent cet événemet ,
par une fête proportionnée aux allarmes que
leur avoit caufées la maladie d'un Prince ,
dont la conſervation leur eſt auſſi chére
que
précieuſe à l'Etat .
Ils annoncerent cette fête dès le matin ,
& à midi par le bruit de leurs cloches , de
cent boëtes , & quelques canons .
A l'iflue des Vêpres , après une troifiéme
décharge de la même artillerie , M. Blavet
Intendant de la Mufique de S. A. S. fit exécuter
dans l'Eglife un bruit de guerre en
fymphonie , avec tymballes & trompettes.
On chanta enfuite le Te Deum , dont les
Verfets alternatifs furent fupplées par d'excellentes
piéces de fymphonie , chofies par
le même M. Blavet , & exécutées fous fes
ordres par un grand nombre d'habiles Muficiens
, que fon zéle & le défir de contribuer
à la folemnité de la fête lui avoient fait
raffembler.
Le foir une quatriéme décharge d'artillerie
fervit de fignal pour les illuminations
dans tout l'enclos de l'Abbaye , & pour un
très-beau feu d'Artifice qui avoit été préparé
dans la cour Abbatiale , par M Denifor,
Intendant de la Maiſon de S. A. S. qui s'eft
fait un devoir dans cette heureufe circonf
SEPTEMBRE 1746. 143
tance de faire parrager au public les tranf
ports de joye que lui caufoit le rétabliffement
de la fanté de fon Maître ; enfuite le
Palais Abbatial qu'il avoit fait décorer avec
beaucoup de goût , fut magnifiquement illuminé,
ainfi que le bâtiment des Religieux ,
dont les trois portiques & toutes les fenêtres
étoient garnis de lumieres dans tout leur
contour , avec des pyramides & des girandoles
dans les intervales. Au- deffus du portique
du milieu , entre les deux cordons
qui régnent le long du bâtiment , & qui
formoient deux rayons de lumieres , fortoit
d'un cartouche bien éclairé cette Infcription
Latine , qui exprimoit le fujet de la fête,
Principi Abbati redivivo.
Ces exemples furent fuivis avec émulation
par tous les habitans des deux cours exté
rieures de l'Abbaye, quifurent remplies pendant
prefque toute la nuit d'une affluence &
d'un concours de monde qui venoit des extrémités
de la Ville partager ces réjouiffances.
Le 13 de ce mois le Baron de Bernstorff ,
Envoyé Extraordinaire du Roi de Dannemarck
eut en long manteau de deuil une
audience particuliere du Roi , dans laquelle
il donna part à Sa Majefté de la mort du
Roi de Dannemarck Chreftien VI. Il fut
conduit à cette audience , ainfi qu'à celles
144 MERCURE DE FRANCE.
de la Reine , de Monfeigneur le Dauphin ,
de Madame & de Mefdames de France , par
le Chevalier de Sainctot Introducteur des
Ambaffadeurs.
Le Roi a accordé l'agrément du Régiment
d'Infanterie qu'avoit le Marquis de Gouy ,
nommé Colonel Lieutenant du Régiment
d'Infanterie de la Reine , à M. de Lanjamet ,
Capitaine dans le Régiment d'Infanterie du
Roi , & l'agrément du Régiment d'Infanterie
de Quercy , vacant par la Promotion de M.
Chauvelin au grade de Marêchal de Camp ,
au Comte de Somont , Lieutenant dans le
Régiment d'Infanterie de Sa Majefté.
Le 18 de ce mois , leurs Majeftez prirent
le deuil pour la mort du Roi de Dannemarck
Chreftien VI.
Le Roi a appris le 20 au foir par le Marquis
de Polignac lequel a été dépêché à ſa
Majefté par le Comte de Clermont , que le
19 le Commandant de la Ville de Namur
avoit fait arborer le Drapeau , & qu'on travailloit
à dreffer les articles de la Capitulation.
Le Roi a fait Brigadier de fes Armées le
Marquis de Polignac.
Le 15 de ce mois , on célébra avec les
cérémonies accoutumés , dans l'Eglife de
l'Abbaye Royale de Saint Denis , le Service
folemnel qui s'y fait tous les ans pour le repos
SEPTEMBRE 1746. 145
pos de l'ame de Louis XIV. L'Evêque de
Bethleem y officia pontificalement : le Prince
de Dombes & le Comte d'Eu y affifterent ,
ainfi que plufieurs perfonnes de diftinction..
Le Jeudi 15 M. l'Abbé de la Ville fut reçu
à l'Académie & prononça fon diſcours
de remerciement. Le nouvel Académicien
qui dans des occupations importantes s'eſt
fait un nom diftingué , répondit dignement
& à fa réputation & à l'attente du public ;
en attendant l'extrait de fon difcours que
nous ne pouvons donner le mois proque
chain , nous dirons , d'après le public qu'il y
a peu de ces difcours ou l'on remarque plus
de nobleffes & de vrais éloquence une ordonnance
fage & un file orné fans affectation
, diftingué par le fond des chofes plus
que par les tours , mérite auffi eftimable que
rare.
Le Jeudi 22 l'Académie élut pour remplacer
M. Montgault M.Duclos de l'Académie
des Belles Lettres Auteur de l'Hiftoire
de Louis XI & de quelques autres ouvrages
qui ont eu avec raifon des fuccès éclatans .
La Flotte de Navires marchands , revenant
de Saint Domingue fous l'eſcorte des
Vaiffeaux du Roi , l'Invincible & le Jafon
& de la Frégate l'Atalante , commandés par
M. de Macnemara , Capitaine de Vaiffeau
laquelle avoit relâché au Port de la Corogne
D
146 MERCURE DE FRANCE.
eft arrivée le 14 de ce mois à la Rade de
l'Ifle Daix . L'eſcorte de cette Flotte depuis
fon départ de la Corogne avoit été renforcée
de quatre autres Vaiffeaux ou Frégates,
qui l'ont jointe fur la côte d'Eſpagne.A
l'arrivée deM.deMacnemara, on a appris que
le 26 du mois de Décembre dernier , étant
encore près de l'Ile de Saint Domingue ,
& faifant route vers le petit Goave avec les
Navires qu'il efcortoit , il avoit découvert
une flotte de trente- fix voiles , qui venoit
à lui , & dont quatre Vaiffeaux s'étoient dé
tachés pour l'attaquer. Auffi-tôt il fit fignal
aux Bâtiments de fon Convoi de ranger la
terre , & de gagner un Port , & ne pouvant
pas aller au-devant des ennemis qui avoient
l'avantage du vent , il prit le parti de les attendre.
Lorfqu'ils furent à fa portée , il revira
de bord fur eux , & il engagea le com .
bat avec le feul Vaiffeau l'Invincible , parcę
que le Vaiffeau le Jafon & la Frégate l'Atalante
ne purent gagner le vent aflés promptement
pour le mettre en ligne. Après deux
heures d'un feu très vif , les Vaifleaux en
nemis fe trouverent fi maltraités , qu'ils furent
obligés de prendre chaffe, M. de Macnemara
les pourfuivit pendant deux autres
heures avec le Vaiffeau le Jafon & la Frégate
l'Atalante , mais la nuit étant furvenue ,
il fut dans la néceffité de rejoindre fon Con
SEPTEMBRE 1746. 147
voy , dont il ne perdit aucun Navire . Il a
fait trois prifes à la côte de Saint Domingue
, & dans le paffage de la Corogne à
I'Ifle Daix une des Frégates de l'Eſcorte s'eſt
emparée du Corfaire Anglois le Renard...
BENEFICES
LE
DONNES.
F Roi à nommé l'Archevêché de Vienne
l'Evêque de Rhodez , & à l'Evêché de
Rhodez l'Abbé de Grimaldi , Aumônier de
Sa Majesté.
Le Roi a donné l'Abbaye de faint Cybar,
Ordre de faint Benoît , Diocéfe d'Angoulême
, à l'Evêque d'Angoulême .
Celle de la Cour-Dieu , Ordre de Cîteaux,
Diocèle d'Orleans , à l'Abbé de Lowendalh.
Celle de Chartreuve , Ordre de Prémontré
, Diocéſe de Soiſſons , à l'Abbé de Montal
, Confeiller- Clerc du Parlement de Grenoble.
Celle de Mafdazil , Ordre de faint Be
noît , Diocéfe de Rieux , à l'Abbé de Montlezun
, Vicaire - Général de l'Archevêché
d'Auch .
Le Prieuré de Bouteville , Ordre de faint
Auguſtin , Diocèſe de Saintes , à l'Abbé de
Rouffiac, Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
Celui de Notre - Dame du Rocher - à-
Mortain , Diocéfe d'Avranches , à l'Abbé
d'Imbercourt.
PRISES DDEE VAISSEAUX
T
Es Frégates du Roi l'Aurore & le Caftor ,
commandées par M. du Vignau , Capistaine
de Vaiffeau , fe font emparées des Navires
Anglois l'Elizabeth , l'Aventure , le
Jean , le Hopper Graffer , l'Endeavour , la
Sufanne & la Brife.
Le Capitaine Faugas qui monte le Corfaire
le Shoram de Nantes , a conduit à Breft
de Navire le Roi de Sardaigne.
Un autre bâtiment Anglois , nommé lạ
Julienne , a été mené dans le même Port par
le Capitaine la Moinnerie , commandant le
Corfaire l'Anonyme de faint Malo.
Le Corfaire le Comte de Maurepas , auffi
de faint Malo , & que commande le Capitaine
Blondelas , eft entré dans le Port de
Morlaix avec deux Vaiffeaux ennemis , dont
l'un étoit chargé de fucre, de bray & de thérebentine
, & il a repris le Navire le Forsuné.
Deux Navires chargés de différentes marchandiſes
, ont été conduits dans ce der
SEPTEMBRE 1746. 149
nier Port par le Corfaire la Comteffe de la
Marck
Il eſt arrivé à faint Malo un bâtiment à
bord duquel il y a du taffia & du bois de
teinture , & un Corfaire de Jerſey , dont le
Corfaire le Conquérant de Granville s'eft
rendu maître .
On apprend de Cherbourg que le Corfaire
la Bourette y a envoyé le Navire le Fidéle
Jean de Hole.
Le Capitaine Cauchois , commandant le
Corfaire le Dauphin de Dieppe a enlevé lés
Navires François la Volonté & la Société à un
Armateur Anglois qui s'en étoit emparé.
Le Corfaire la Claudine de Boulogne s'eft
rendu à Dieppe avec le bâtiment la Marie
de Sunderland , dont la charge confifte en
bois de conftruction.
Suivant les avis reçûs du premier de ces
Ports le Corfaire la Ducheffe de Villars ,
monté par le Capitaine Guillaume le Clerc ,
a rançonné pour deux cent livres fterlings
le Navire l'Edouard d'Almarie .
On mande de Dunkerque que le Capitaine
Sauvage , qui commande le Vaiffeau
le Prince de Conty, armé en courfe à Calais,
eft arrivé dans le premier de ces Ports avec
le Navire le Nancy de Scarbourg , & qu'il
s'est rendu maître de deux autres bâtimens
ennemis nommés l'Industrie & la Providence,
Gij
Iso MERCURE
DE FRANCE.
dont il a exigé mille fept cent vingt - cing
livres fterlings de rançon .
Le Capitaine Claude Paillette , qui monte
le Corfaire l'Oiseau de Calais en a retiré une
de cent trente livres fterlings du Navire les
deux Freres de Harwick, & il a conduit à Of
tende le Vaiffeau le jeune Théodore , avec un
chargement d'huile , de tabac & d'autres
marchandiſes.
Les Corfaires le Comte de Lovvendalh &
le Comte de Maurepas le font emparés au
Nord de l'Ecoffe des bâtimens la Sara , le
Baltick Marchand , le Léopard , le Hector &
la Refolution , chargés de fucre , de Cacao ,
d'indigo & de riz , & ils ont pris plufieurs
autres bâtimens qui ont payé mille huit cent
quarante - fept livres fterlings pour ſe racheter.
›
Il est entré dans le Port - Louis un Bâtiment
de la même Nation , nommé le Canard,
qui a été pris par les Frégates du Roi l'Aurore
& le Caflor.
Le Capitaine Hugon , qui monte le Corfaire
le Conquerant , de Granville , a conduit
à Morlaix le Navire le Jules Céfar , de la Jamaïque
, d'environ rrois cent tonneaux
armé de quatorze canons , & chargé d'indigo
, de fucre & de coton.
On mande de Boulogne que le Corfaire
la Claudine a enlevé le Navirela Marguerite
, de Louveſtot,
›
SEPTEMBRE 1746. 151
Une Barque de la Rie a été envoyé à
Dunkerque par le Corfaire l'Esperance , que
commande le Capitaine Portier.
Suivant les avis reçus de Bayonne , le Capitaine
Dubezin , commandant le Corfaire
l'Eclair , de ce Port , s'eft rendu maître du
Navire le Charmant Poly , de Londres, dont
la charge eft compofée de caffé , de fucre ,
d'indigo & de bois de teinture , & avec lequel
il a relaché à Saint Ander.
OPERATIONS DE L'ARME’E
DURO 1.
Du Camp de Villers du 22 Août.
'Artillerie & les équipages de l'armée ayant
L'été envoyés à Orbais , & le Prince de Pons
Lieutenant Général ayant été détaché avec un
Corps confidérable , pour occuper les bois & le
défilé de Terine , le Corps de féferve s'avança le
14 de ce mois à Torbais Saint Tron , & les troupes
qui avoient fait le fiége de Mons & de Charleroy
, fous les ordres du Prince de Conty , marcherent
fur quatre colonnes aux Tombes de Liberfat.
Le lendemain l'armée décampa de Walhem
fur fix colonnes , & alla appuyer fa droite aux
bois du Sart , & fa gauche au Mont Saint André
Les ennemis tenterent d'inquietter les campe-
G iiij
# 52 MERCURE DE FRANCE.
mens > en attaquant à deux repriſes les troupes
que le Maréchal Comte de Saxe avoit miſes dans
le Village de Perver , mais ils furent repouffés
par les Brigades d'Infanterie de Beauvoifis & de
Bettens . Pendant que l'armée fe porta fur ce Village
, le corps de réſerve marcha à Geft & à Vìrompont
, & un détachement d'Infanterie , de
Dragons & de Huffards , commandé par le Marquis
de Clermont Gallerande Lieutenant Général
s'approcha de Judoigne . M. de Saint Germain
, qui commandoit à Vaure , fe replia de fon
côté fur Teruvre , afin de protéger la communication
de Bruxelles à Louvain. Les troupes qui
étoient ci - devant aux ordres du Prince de Conty ,
s'étant réunies le 16 du mois dernier avec celles
du Maréchal Comte de Saxe , pour ne plus former
avec elles qu'une même armée , on paffa le
lendemain le ruiffeau de Perver fur huit colonnes-
& en ordre de bataille , les campemens étant protégés
par douze mille hommes . On s'avança fans
obftacle vis-à- vis le défilé d'Arche , & les Ulans
ayant pouffé devant eux jufqu'à ce défilé quelques
troupes de Huffards qui vinrent eſca moucher
, le Comte d'Eftrées Lieutenant Général
prit pofte fur la Mehagne. Le Maréchal Comte
de Saxe ne fit point occuper le Village de Neuville
, parce qu'on y auroit perdu beaucoup de
monde , fi ce Village avoit été attaqué par les
ennemis . & qu'il étoit difficile de fe maintenir dans
ce pofte , fous le feu d'un Château , dans lequel
ils s'étoient fortifiés de l'autre côté de la riviere.
L'armée campa fur quatre lignes , la droite aux
bois de Rochepaille , la gauche à la Tombe de
Branchon , & la réſerve à Jandrain . Un détachement
de cinquante hommes d'Infanterie & de cent
Dragons de cette réferve , lequel s'étoit trop apSEPTEMBRE
1746. 153
le 19
>
proché des ennemis , fut attaqué & mis en defordre
, après avoir foutenu malgré fon infériorité
un long combat . Le même jour que l'armée arriva
fur le bord de la Mehagne , celle des Alliés
fe rendit fur l'autre bord , la droite aux Tombes
de Serun , & la gauche à Arche. Après être demeuré
le 18 dans la même pofition tant pour
attendre un convoi , que pour donner du repos
aux troupes qui avoient paffé prefque tout le jour
précédent fous les armes , le Maréchal Comte de
Saxe porta fa droite à la Tombe du Soleil ,
& fa gauche à Thine , l'armée ayant marché par
lignes & fur fix colonnes , dont deux furent deftinées
pour l'artillerie & pour les équipages . Le
Corps de réſerve fut envoyé à Warem fur le Jar ,
& quatre Régimens de Dragons , commandés par
le Duc de Chevreufe , prirent un camp féparé
entre Warem & la gauche de l'armée . Dans cette
derniere marche les troupes qui étoient reftées
aux Cinq Etoiles fous les ordres du Comte de Lowendalh
firent l'arriere-garde . Elles furent harcelées
depuis onze heures du matin juſqu'à cinq
du foir par un nombreux détachement de Grenadiers
, de Huffards & de Pandoures Le Régi
ment de Graffin s'eft extrêmement diftingué en
cettte occafion , & ayant marché fouvent à l'ennemi
, il l'a repouffé toujours avec avantage. Les
Alliés qui n'avoient gardé le 19 leur pofition
que pour favorifer le détachement par lequel ils
avoient fait inquietter l'arriere-garde des troupes
du Roi , s'avancerent le 20 dans la Plaine de Bourdine
, leur droite s'étendant vers Falais . a difficulté
de les attaquer derriere la Mehagne , ne
laiffant d'autre parti à prendre que celui de leur
ôter les fubfiftances , le Maréchal Comte de Saxe
détacha le 20 au foir le Comte de Lowendalh
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
avec un Corps d'Infanterie & de Dragons , les
Régimens de Graffin & de la Morliere , & une
Brigade d'Artillerie , pour s'emparer de Huys ,
dont ce Lieutenant Général fe rendit maître le
21. On y a trouvé quatre-vingt caiffons & quatre-
vingt mille rations de pain , & l'on y a fait
plufieurs prifonniers. Le 21 le Corps de réſerve
eut ordre d'aller camper , la droite au Château
d'Ottermont , & la gauche à Vignamont , & le
Comte d'Eftrées , qui en a pris le commandement
depuis la maladie du Comte de Clermont ,
fut
chargé d'obliger les ennemis d'abandonner les
ponts de Falais & de Hordin.
Depuis que le Comte de Lowendalh s'eft rendu
maître de Huys , le Maréchal Comte de Saxe a
fait un détachement commandé par Monfieur de
Beaufobre , auquel il a ordonné de fe porter fur
Liege ; le Convoi que le Marquis de Saint Pern ,
Maréchal de Camp , à la tête de trois mille hommes
, a été chargé de protéger , eft arrivé à l'armée
; le 28 au foir l'armée des Alliés a fait un
mouvement pour s'approcher de la Meufe ; ils ont
pris le parti de paffer cette riviere ; le Maréchal
Comte de Saxe doit marcher pour fuivre les ennemis,
& il paroît dans la difpofition de faire paffer
de l'autre côté de la Meufe une partie de l'armée
du Roi.
Du Camp de Breff, du 3 1 .
Le 29 du mois dernier au matin , fur la nouvelle
qu'on eut que l'armée des Alliés étoit décampée
, le Maréchal Comte de Saxe envoya ordre
au Marquis de Clermont Gallerande , de s'avancer
à Thyne avec le Corps qu'il commande ,
& aux Comtes d'Eftrées & de Berchiny de marcher
à la pourfuite des ennemis. On battit en
SEPTEMBRE 1746. 155
-même tems la générale , & les équipages s'étant
raffemblés au centre , la feconde & la troifiéme
ligne de l'armée pafferent laMehagne , pour foutenir
les deux Corps commandés par les Comtes d'Eftrées
& de Berchiny. Ces deux lignes fe porterent
fur la Ville de Huys , & elles camperent dans
les environs , appuyant leur droite à Burdines ,
& leur gauche à la Tombe de Veſcou . Le Comte
de Lovvendalh , qui dès la veille avoit marché en
avant au-dèlà de Huys , fut renforcé par le Corps
à la tête duquel étoit le Marquis de Contades.
Le Maréchal Comte de Saxe ayant appris que
toute l'armée ennemie , à l'exception de quelques
troupes de Huffards qui avoient la facilité de fe
retirer par un gué , avoit paffé la Meufe , ce Général
manda aux Comtes d'Eftrées & de Berchiny
de ne pas continuer leur marche , & de camper
à Meradia , & les premiere & quatrième lignes
, qui pendant le mouvement des deux autres
étoient toujours restées en bataille , & s'étoient
tenues prêtes à paffer auffi la Mehagne , retendirent
leurs tentes . Le même jour le Maréchal
Comte de Saxe vint établir ici fon quartier , &
-le 30 il alla vifiter le camp que le Comte de Lovvendalh
occupe fur les hauteurs de Notre- Dame
du Jar. Les ordres que le Maréchal Comte de
Saxe a donnés de jetter des ponts fur la Meuſe ,
donnent lieu de croire que l'armée ne gardera pas
encore long-tems la même pofition . Depuis le 28
le Corps que commande le Comte de Segur s'eft
pofté fous Dinan, pour veiller fur les mouvemens
des ennemis , qui étoient campés hier à Ohet avec
leur réſerve en potence fur Loyau. M. de Beaufobre
qui eft toujours dans les environs de Lié-
& qui fut joint avant- hier par le reste de fon
Régiment , doit être relevé demain par le Mar-
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
quis de Clermont Gallerande , lequel ira camper
de l'autre côté de la Ville . Trois jours avant le
mouvement du 29 , deux détachemens confidérables
aux ordres du Chevalier de Saint André &
du Vicomte du Chayla , avoient marché du côté
de Ramillies , pour y envelopper un Corps de
troupes legéres des Alliés . Le premier de ces détachemens
ayant dépaffé ce Village , fut attaqué
par un Corps de Dragons & de Huards. Le
Duc de Briffac Maréchal de Camp , à la tête de
fix cent Gendarmes , repouffa les ennemis , &
leur enleva deux piéces de canon , mais l'Infanterie
n'ayant pu avancer affés promptement pour
foûtenir la Cavalerie , celle- ci ne put profiter de
fon avantage , & le Chevalier de Saint André ayant
reçû ordre de fe rendre à Judoigne , il y marcha
ainfi que le Vicomte du Chayla. L'objet de ce
nouveau mouvement étoit de s'oppofer au deffein
de quelques troupes ennemies qui s'étoient avancées
pour tâcher de s'emparer de Louvain , & qui
fe retirerent lorfqu'elles reçurent avis que la Gar
nifon de cette Place avoit été renforcée de quatre
mille hommes , qu'on y avoit envoyés pour protéger
un convoi parti de Bruxelles . Le Chevalier
de Saint André & le Vicomte du Chayla ayant
paffe à Judoigne avec leurs détachemens , la nuit
du 26 au 27 , ils revinrent le 27 au camp avec
quelques prifonniers faits fur les ennemis.
Suivant les lettres du camp de Breff dattées
du 4 de ce mois le Prince Charles de Lorraine ,
après avoir fai depuis le paffage de la Meufe plufieurs
mouvemens pour perfuader qu'il vouloit
fe retirer dans le Duché deuxembourg , s'eft
déterminé à fe replier vers Maestricht par une
route prefque impraticable , & à paffer par Dur
buy , Auvalle , Verviers & Dalem. Le Maréchal
EPTEMBRE 1746. 137
Comte de Saxe , auffi-tôt qu'il en a été inftruit ,
a envoyé ordre au Marquis de Clermont Galle
rande , qui s'étoit porté au-de là de la Chartreufe ,
de l'autre côté de Liége , de repaffer la Meufe ,
& le Corps de ce Lieutenant Général a été renforcé
de trois Brigades d'Infanterie , d'une de Cavalerie
, & des Régimens de Graffin & de la
Morliere. La Maifon du Roi s'avança le 3 à moitié
chemin du camp de Breff à Liege , & elle doit
fe rendre fur le Jar , où elle fera fuivie par l'armée
de Sa Majesté.
Du Camp de Tongres , le 11 Septembre.
L'armée du Roi , commandée par le Maréchal
Comte de Saxe , quitta le 5 de ce mois le camp
de Breff , & ayant marché fur huit colonnes , elle
arriva le foir à Warem. Le lendemain elle s'eft
rendue ici , où elle eft campée fur deux lignes ,
la droite étant appuyée à Oreille , & la gauche
à Tongres. Le jour que l'armée eft part e du
camp de Breff , le Comte d'Eftrées , Lieutenant
Général s'eft avancé avec quatre Régimens de
Huffards à Lontin , où ce détachement a été renforcé
d'une Brigade d'Infanterie , d'une de Cava➡
lerie & d'un Régiment de Huffards Ces troupes
ont marché le 6 à Milmont , pour être à portée
de s'opposer aux détachemens que les ennemis
pourroient faire paffer par le Gué de Vifé , fur
les hauteurs duquel le Général Trips eft campé
avec le Corps de troupes qu'il commande . Les
efcortes néceffaires pour la fûreté des convois
qu'on fait venir ici de Bruxelles , caufant aux troupes
beaucoup de fatigue , le Maréchal Comte de
Saxe , occupé du foin de leur en épargner , a donné
ordre à M. de Saint Germain, Maréchal de Camp ,
158. MERCURE DE FRANCE.
"
qui étoit à Trevure , de fe porter à Tirlemont ,
& il a fait en même- tems avancer à Saint Tron
le Régiment des Volontaires de Saxe & celui
des Cantabres , & par cette difpofition il a affûre
la communication d'ici à Bruxelles. Les Volontaires
Royaux ont été répandus dans differens
poftes le long de la Demer , pour empêcher les
troupes legeres des Alliés de venir inquietter ce
camp. Le Marquis de Contades , qui étoit refté
avec quatorze Bataillons & un Régiment de Huffards
de l'autre côté de Huys , a rejoint l'armée le 7 ,
& il a laiffé dans ce pofte les Grenadiers Royaux
de Chatillon . Depuis que les ennemis fe font reti
és du côté de Maeftricht ils n'ont fait aucun
mouvement , mais s'ils fe déterminent à changer
de pofition , le Maréchal Comte de Saxe s'eft mis
en état , par les marches qu'il a fait reconnoître
& par les ponts établis fur le Jar , de s'oppofer
à l'exécution des différens projets que le Prince
Charles de Lorraine pourra former.
Du Camp de Tongres le 18 ..
Un Corps de troupes des Alliés s'étant avancéc
fur la montagne de S. Pierre , le Maréchal
Comte de Saxe marcha la nuit du 11 au 12 de ce
mois avec trois Brigades d'Infanterie & quatre de
Cavalerie pour l'attaquer , mais il changea de réfolution
à l'inſpection du terrain que les troupes ennemies
occupoient , & fur la nouvelle que toute
l'armée commandée par le Prince Charles de
Lorraine avoit repaffé la Meufe. Il fe contenta
de faire charger un Corps de Pandoures , qui fut
entierement diffipé , & dont il y eut quinze cent
hommes de tués , & l'on canonna en même tems
avec beaucoup de vivacité un détachement , à
SEPTEMBRE 1746.. 159
la tête duquel étoit le Général Baroniay. Depuis
que le Prince Charles de Lorraine a paflé la Meufe
la rive droite du Jar devenoit peu effentielle à
garder, & il convenoit de prendre une pofition ,
qui empêchât les ennemis d'inquietter les convois
deftinés pour l'armée . Ces raiſons ont déterminé
le Maréchal Comte de Saxe à faire le 17 un
mouvement , par lequel il a porté fa droite un peu
en avant de Tongres , & fa gauche à Bilfen. En
précédant les campemens avec les Volontaires
Royaux , il rencontra au Village de Houffelt une
parties du Corps du Général Trips , laquelle fut,
obligée de repaffer le Demer , après avoir fait
une perte affés confidérable . Dès le 11 , le Marquis
de Clermont Gallerande a réjoint l'armée
après avoir renforcé de deux Régimens de Dragons
& de celui de Graffin le Corps commandé
par le Comte d'Eftrées , qui s'eft retiré en deçà
du Ruiffeau des Freres . Le Vicomte du Chayla ,
avec les troupes qui font fous fes ordres , a repaffè
le Jar , & il a appuyé fa gauche à Tongres . L'armée
des Alliés étant campée à une demie lieue
de celle du Roi , la droite à Spaven & la gauche
à Millin , on a fait toutes les difpofitions convenables
pour recevoir les ennemis , s'ils prennent
le parti de nous attaquer , & le Maréchal Comte
de Saxe , afin de proteger notre flanc gauche , a
donné ordre d'occuper Haffelt , Bilfen & Dippenbek.
Du Camp devant Namur , le 6 Septembre
La retraite de l'armée des Alliés ayant facifité
les moyens d'entreprendre le fiége de Namur
, le Comte de Clermont a été nommé pour
Commander les troupes deſtinées à attaquer cette
160 MERCURE DE FRANCE.
Place . Il a fous fes ordres le Comte de Ségur ,
le Marquis de Putanges , le Marquis de Chazeron
, le Marquis de Saint Jal , le Marquis de Villemur
& le Comte de Lovvend lh Lieutenans
Généraux ; le Marquis de Fimarcon le Marquis
de Bellefont , le Duc de Chevreufe , le Marquis
du Chatelet , le Vicomte de Pons , le Marquis de
Fiennes , le Baron de Montinorency , le Chevalier
de Gramont , le Comte de Levy , le Comte
de Coëtlogon , le Duc de Fitz-James , le Duc de
Chaulnes , le Marquis de Frémur , le Marquis de
Bauffremont , le Chevalier de Nicolay , le Marquis
de Vibraye , le Marquis de Surgeres , le Comte
de Luffan , le Comte de Blet , le Duc d'Havré
, le Comte de Froulay & le Chevalier Chau
velin , Maréchaux de camp. Le Comte de Clermont
a formé l'inveftiflement de la Place avec
cinquante-neuf Bataillons & cinquante - deux Efcadrons
, & il a fait occuper le terr in entre la
Meufe & la Sembre par les Régimens de Picardie
, de Champagne , de Monaco , de Bourbon ,
de la Ferre , de Bettens , de Mo nin , de Crillon
& de Rohan ; par les Bataillons de Grenadiers
Royaux de Coincy , de Chantilly & de la Treme ;
par les Régimens de Cavalerie de Clermont
d'Asfeld & d'Egmont , & par les Régimens de
Dragons , Meftre de Camp Général , du Roi ,
d'Orleans & d'Harcourt. La Ville eft enfermée
de l'autre côté de la Meufe par le Comte de Ségur
avec les Régimens de Ségur , de Brezé , de
Bearn , Royal Suédois , & d'Alface , & par ceux
de Cavalerie de Rofen , de Vintimille & de Naffau .
Les Bataillons de Royal Artillerie , employés au
fiége , font ceux de Fontenay & de Pumbeck.
La défenfe du pofte de Huys a été confiée au
Régiment de Chabrillant , & à un Bataillon de
Grenadiers Royaux ,
SEPTEMBRE 161
1746.
Du Gamp devant Namur le 15 .
&
Le Comte de Clermont a voulu que la tran
chée devant la Ville de Namur ne fut ouverte
qu'après l'établiffement de quelques Batteries ,
dont deux commencerent à tirer le II de ce'
mois au matin. Les affiegés y répondirent par
un très - grand feu d'artillerie , tant de la
Ville que du Fort d'Epinoy & des Châteaux ,
ils jetterent plufieurs bombes fur la Batterie de la
droite , mais leur feu ne put faire taire celui des
affiegeans , & le foir le Fort de Saint Antoine'
étoit déja prefque entierement ruiné . A l'entrée
de la nuit le Chevalier de Son Lieutenant Colonel
alla avec deux Compagnies de Grénadiers
reconnoître la brêche du Fort d'Epinoy , qu'il ne
trouva pas pratiquable. Deux nouvelles batteries
établies près de l'Abbaye de Salzine furent achévées
le 12 , & deftinées à battre à ricochet les
prolongemens des Chemins couverts du Baſtion
de Monterey & du demi Baſtion de la Sambre. La
nuit du 12 au 13 la tranchée fut ouverte , & l'on
embraffa à la droite le Fort Coquelet par un Boyau ,
qu'on pouffa jufqu'à 30 toifes du chemin couvert du
Fort de S. Ifidore . A l'attaque de la Porte de S. Nicolas
on établit deux Boyaux de communication
depuis le rocher jufqu'à la Menfe . Dans le moment
de l'ouverture de cette tranchée le Marquis de Villemur
fit une fauffe attaque du côté des Châteaux ,
& M. de Vaux montra du côté des Forts de S. Antoine
& d'Epinoy une tête de Travailleurs , qui attirala
principale attention de l'ennemi . On eut entiérement
perfectionné le 13 à la pointe du jour une
batterie de 8 mortiers , qui bat le Fort Coquelet , &
une autre de deux mortiers & de 8 piéces de canon
162 MERCURE DE FRANCE.
qui tire contre l'Ouvrage à Corne de S. Nicolas &
contre une Redoute fituée fur la rive droite de la
Meuſe.Pendant la nuit fuivante on forma une ſeconde
parallele à l'attaque de la Porte de S. Nicolas &
du côté du Fort Coquelet on s'avança par une Sappe
affés près des paliffades . A l'attaque d'Outre- Meufe
on travailla à une feconde parallele , qui fut jointe
à la premiere par une communication . Le 15 les
Boyaux commencés fur la Capitale du Fort Coquelet
furent prolongés jufqu'à l'Angle Saillant du
chemin couvert de ce Fort ; on perfectionna en
Sappe tournante les débouchés de la feconde attaque
, & à la troifiéme on s'empara par eſcalade du
demi Baftion de la Meufe , dans lequel on a fait 5
Officiers , un Ingénieur & 112 foldats prifonniers.
Le 19 la Ville de Namur arbora le drapeau blanc
après fept jours de tranchée ouverte ; il y avoit
déja une bréche très- confidérable au corps de la
place , & l'on étoit maître de l'ouvrage à corne
dès la nuit précédente.Les affiégés ont été obligés
par la Capitulation de fe retirer dans les Châteaux
avecleurs effets & leurs chevaux ; on fe prépare à
former l'attaque des Châteaux .
SEPTEMBRE 1746. 163
NOUVELLES ETRANGERES.
ALLEMAGNE,
LEs la
Es lettres de Petersbourg marquent que fa
minée , & qu'il y avoit eu de très- grandes ré ouiffances
le jour que l'Impératrice de Ruffie y
étoit arrivée ; que le lendemain cette Princeffe
avoit donné audience aux perfonnes les plus diftinguées
de la Province ; qu'ayant renoncé au deffein
d'aller à Riga , elle devoit partir le premier
du mois d'Août pour revenir à Petersbourg , &
qu'elle fe propofoit de prendre fa route par Pleskow.
La Nation des Carakalpaques lui a envoyé
des Députés pour lui offrir un Corps de troupes
, fi elle en a beſoin. On mande de Coppenhague
que le Roi & la Reine de Dannemarck
étoient allés à Hirſcholm , pour y paffer quelques
jours avec la Reine Douairiere . Selon les avis
reçus de Drefde tout s'y difpofe pour le voyage
du Roi de Pologne , Electeur de Saxe , à Warfovie
, où fa Majefté Polonoife compte de demeurer
pendant deux mois. Les Députés des Etats de
l'Electorat de Saxe fe féparerent le 14 , après
avoir accordé des fubfides demandés , & ils ont
réfolu de faire preſent de cent trente mille écus
d'Allemagne au Roi de Pologne Electeur de Saxe ,
de vingt-quatre mille à la Reine , de dix mille au
Prince Electoral & de quarante mille à la Prin
ceffe qui doit époufer l'Electeur de Baviere.
164 MERCURE DE FRANCE.
On a reçû avis de Ratisbonne que de M.de Polman
, Miniftre du Ro de Pruffe auprès de la
Diette de l'Empire , avoit remis à cette Affemblée
un Mémoire contenant les raifons qui font
défirer à fa Majefté Pruffienne que l'Empire"
lui garantiffe la poffeffion du Duché de Silefie.
On mande de Vienne que la nouvelle de la
prife de Plaifance , dont la garnifon a capitulé le
12 Août & a été fai e prifonniere de guerre y a
été apportée par le fils du Comte de Pappenheim .
On n'a pas trouvé dans cette Place une auffi
grande quantité d'artillerie qu'on s'y étoit attendu
, & la plupart des bleffés & des malades que
les François & les Efpagnols y ont laiffés , étoient
des prifonniers faits à la bataille de Plaifance
par les troupes de la Reine , & qui avoient été
renvoyés aux ennemis , pour en avoir foin . La
joye caufée par le bruit qui s'étoit répandu
que le Marquis de Botta avoit remporté une
victoire complette fur l'armée combinée d'Efpagne
& de France , n'a pas été d'une longue
durée , & par diverfes relations particulieres
qu'on a reçues de l'action , il paroît non feulement
que l'armée combinée d'Eſpagne & de
France eft demeurée maîtreffe du champ de
bataille , mais encore que celle de fa Majefté a
fait une perte très- conſidérable . Independamment
de ce qu'on en a appris par plufieurs lettres , on
juge par
le nombre des officiers de marque , tués
ou bleffés , qu'elle monte beaucoup au- delà de ce
que publie le Gouvernement . Le Baron de Be-
Tenklau a été extrêmement regretté de la Reine ,
qui a été informée par le fils du Comte de Pappenheim
, que le Maruis Serbelloni étoit more
auff de fes bleffures .
SEPTEMBRE. 1746. 165.
?
la
prequi
en-
Selon les nouvelles de Ratisbonne
miere colonne des troupes Bavaroifes
trent au fervice de la République des Provinces
Unies , s'eft miſe en marche le 7 Août : elle
fut fuivie le 19 par la feconde , & le rendezyous
de ces troupes eft à Donawert.
Le 28 du mois dernier l'Electeur de Baviere
arriva à Drefde fous le nom du Comte d'Engels
berg , & il alla defcendre chés le Baron de Wetzel
, fon Miniftre en cette Cour. Vers les cinq
heures du foir il fe rendit chés le Roi de Pologne
, Electeur de Saxe , qui le reçut dans fon
cabinet où la Reine étoit avec les Princes &
Princeffes de la Maiſon Electorale . N'ayant gar
dé l'incognito que le jour de fon arrivée il fut
complimenté le lendemain par les Miniftres
Etrangers , les Miniftres d'Etat & les principaux
Seigneurs de la Cour. 11 reçut le même jour à
midi la vifite du Roi du quel il alla audevant
jufqu'au bas de l'efcalier , & après un court entretien
il fuivit fa Majeté , dans le caroffe de la
quelle il monta le Roi lui donnant la droite.
L'Electeur dîna avec leurs Majestés à une table
de quarante couverts , & il fut placé entre le
Roi & la Reine . Le 30 le Roi donna pour la feconde
fois à l'Electeur un magnifique repas , auquel
furent invités tous les Miniftres Etrangers ,
& qui fut fuivi d'un bal. Il y eut le 31 concert
chés la Reine , & bal chés la Princeffe Marie Anne.
Le premier de ce mois l'Electeur est allé avec
leurs Majeftés à la chaffe , après laquelle il a affifté
à la reprefentation d'un nouvel Opera. Ce
Prince ne partira de Drefde qu'après la célébration
de l'anniverfaire de la naiffance du Prince
Electoral . Le Marquis des Iffars Ambaffadeur du
Roi auprès du Roi & de la République de Po
"
166 MERCURE DE FRANCE,
logne eut le 28 du mois dernier une audience
particuliere de fa Majefté , & il fut admis enfuite
à celle de la Reine.
On ' mande de Drefde du 8 de ce mois
que Electeur de Baviere foupa le premier
chés le Comte de Bruhl , Premier Miniftre d'Etát
& du Cabinet , dont l'Hôtel , ainfi que les
Jardins qui en dépendent , étoit illuminé avec la
plus grande magnificence . Le repas fut fuivi d'un
feu d'artifice , & d'un Bal auquel fe trouverent
toutes les perfonnnes de diftinction de la Cour .
Ce Prince alla le 2 à Meiffen voir la Manufac
ture de Porcelaine s & il y fut accompagné par
le Comte de Bruhl qui en a la principale Direction ,
& qui lui prefenta de la part du Roi un fervice
de Porcelaine de cette Manufacture . Le 3 l'Electeur
de Baviere prit avec le Roi le divertiffement
de la chaffe ; il affifta enfuite à une repréfen
tation de l'Opera , & le foir il foupa avec leurs
Ma eftés . Les deux jours fuivans ont été remplis
par diverfes fêtes données par le Roi à ce Prin-
, qui eft parti la nuit du 6 au 7 pour
retourner à Munich & qui à fon départ a été
falué d'une triple déchage de cent piéces de canon.
Les Princeffes filles du Roi ont pris le 8 la
route de Warſovie , & leurs Majeftés les ont fuivi
le 13.
ce
?
"
La maladie du Roi de Pruffe n'ayant eu au,
cune fuite , fa Majesté eſt attendue inceffamment
à Berlin de Potſdam où elle ne demeure qu'a
fin de conferer plus tranquillement avec fes Miniftres
fur quelques affaires importantes . Le 5 de
ce mois M. de Villiers Miniftres Plenipotentiaire
du Roi de la Grande Bretagne fe rendit à ce
Château , & il eut du Roi une audience particuliere,
dans laquelle il communiqua à fa Majesté
SEPTEMBRE 1746. 167
quelques dépêches qu'il avoit reçûes de Londres,
Ces dépêches étant relatives aux conférences qui
doivent fe tenir à Breda , le Roi affûra ce Miniftre
qu il perfiftoit dans la réfolution de contribuer
en tout ce qui dépandroit de lui , à procurer
un accommodement entre les Puiffances bellihérentes.
Les troupes de la Reine de Hongrie , qui après
s'être aflemblées au camp de Sontheim près de
Heilbron , s'étoient mifes en marche , pour fe
rendre en Italie , ont reçû un contr'ordre , & l'on
croit qu'elles iront renforcer l'armée des Alliés
dans les Pays Bas . La derniere colonne des troupes
Bavaroifes , qui entrent au fervice de la Ré
publique des Provinces Unies , n'a du partir que
le IŞ de Donawert,
ITALI E.
On mande de Génes du 26 Août que l'armée combinée
d'Espagne & de France n'étant pas dans les
environs de Tortone affés à portée de s'oppofer
aux entrepriſes que les ennemis auroient pu former
contre les Etats de cette République , l'Infant
Don Philippe a jugé à propos de fe rappro
cher de Seravalle , & que cette armée eft actuellement
campée entre ce Château & Gavi . Le Marquis
de la Mina , qui arriva de Madrid à Voghera
le 14 du mois dernier , y, prit le commandement
des troupes Espagnoles fous les ordres de l'Infant
à la place du Comte de Gages . Le même jour
que le Marquis de la Mina fe rendit à l'armée ,
le Marquis de Caftellar reçut ordre de retourner
en Efpagne Ce dernier Général a paffé par ·
Génes en aliant à Madrid , & le Comte de Ga,
ges y eft depuis le 22,
168 MERCURE DE FRANCE.
Les fourages étant extrêmement rares dans
ce pays , on a été contraint d'envoyer la plus
grande partie de la Cavalerie Efpagnole & Françoife
dans le Comté de Nice . En attendant
qu'on ait trouvé le moyen de remedier à cet inconvenient
, & que l'Infant ait été rejoint par fa
Cavalerie , ce Prince demeurera à Génes avec le
Duc de Modéne . La République fait partir tous
les jours quelques renforts pour l'armée , & à l'exception
des troupes deftinées à la garde du Palais
, il ne refte plus dans cette Ville que des
Bataillons de Milices . Un détachement Piémontois
, qui s'étoit avancé fur les hauteurs d'Albenga,
en a été chaffé par les Payfans des environs , qui
ont brûlé les barraques que les ennemis avoient
commencé à y conftruire. On a envoyé de ce
côté fix cent hommes de troupes reglées , pour
foûtenir les Payfans , fi les ennemis reparoiffent
, & l'on a formé à Chiavari fur la côte
Orientale de cet Etat un camp dont les troupes
ont ordre de veiller à la fûreté des Villages
qui confinent au Duché de Plaiſance . Deux Galeres
d'Efpagne , qui étoient depuis quelque tems
à Antibes , ont conduit à Génes des Officiers &
des équipages pour deux autres Galeres qui
ont été construites dans l'Arfenal de cette Ville ,
Le 15 du mois paffé l'armée combinée d'Efpagne
& de France s'eft portée de Voghera fous
Tortone , fans avoir été inquiettée par les ennemis
, la marche ayant été couverte par un détachement
confidérable que commandoit le Marquis
de Campo- Santo , Lieutenant Général . L'armée
décampa le 17 des environs de Tortone
pour fe raprocher de Novi , & l'on fit paffer la
Cavalerie & les Dragons de la droite à la gau-
9
che,
SEPTEMBRE 1746. 169
ehe. Le même jour les ennemis s'avancerent entre
Voghera & Caftelnovo , & il paroiffoit par
leurs difpofitions qu'ils étoient dans le deffein de
refferrer les troupes Efpagnoles & Françoifes du
côté de l'Etat de Génes.
Lorfque l'Infant Don Philippe arriva à Génes
le 22 du mois dernier avec le Duc de Modéne &
le Maréchal de Maillebois , il alla deſcendré au
Palais du Duc de Saint Pierre dans le Fauxbourg
de Saint Pierre d'Arena . Le 24 il
tint un Confeil de guerre , & le Marquis de la
Mina fe rendit eu cette Ville , ainfi que le Comte
de Cecile , Général des troupes de la Républi
que , pour y affifter . On avoit cru que l'infant
étoit dans la réfolution de paffer en cette Ville
quelque tems , mais il eft parti le 26 pour Seftri
de Levant , & le même jour le Maréchal de Maillebois
eft retourné à Campomorone , où eft le
quartier général des troupes Françoifes , & d'où
ce Général a fait marcher un Corps pour défendre
le paffage de la Bochetta. Les ennemis qui
fe font emparés du Château de Seravalle , ont
bloqué enfuite la fortereffe de Gavi . Ils ont éxigé
de Novi , avec menace d'abandonner en cas
de refus la Ville au pillage , une nouvelle contribution
de cinq cent mille livres de Piémont .
Un Corps de douze mille hommes de leur armée
s'eft avancé à Voltaggio dont les environs ont
été prefque entiérement ravagés par une troupe
de vagabonds du Montferrat , qui y ont exercé
des cruautés inouies.
&
On mande de Génes du 4 Septembre qu'on
reçût avis le premier de ce mois que les ennemis
avoient forcé le paffage de la Bochetta ,
que huit mille hommes de leurs troupes s'étant
avancés à Campomorone , avoient faccagé &
H
170 MERCURE DE FRANCE.
brûlé plufieurs Villages ; que le foir cette nou
velle fut confirmée par un grand nombre d'ha
bitans de la campagne , qui vinrent fe refugier
à Génes avec leurs principaux effets . Cet évennement
a déterminé le Gouvernement à faire
archer de nouvelles troupes , particulierement
de Cavalerie , pour garder quelques defilés . On
a fait en même tems prendre les armes à toutes
les milices , & les portes de la Ville ont été
fermés , à l'exception de deux par lesquelles on
ne laiffoit entrer que des perfonnes connues . I es
deux Caiffes militaires de l'armée combinée d'Efpagne
& de France ont été embarquées fur un
bâtiment Catalan , ainfi que les équipages de l'In
fant Don Philippe , & ce Prince s'eft rendu de
Seftri à Antibes . Le 3 le Maréchal de Maillebois
, dont les équipages font partis en même
tems que ceux de l'Infant , prit auffi la même
route. Toutes les troupes Efpagnoles & Françoiſes
défilent vers le Comté de Nice , où l'on a
transporté leur artillerie & leurs munitions de
guerre . Quelques Régimens qui viennent de
France , & qui étoient arrivés dans ce Comté ,
ont reçû ordre de fufpendre leur marche. Les
ennemis ont affiegé dans les formes la Fortereffe
de Gavi , & ils l'ont attaqué par quatre endroits
differens . Une Efcaare Angloife , compofée de
fix vaiffeaux de guerre , de deux balandres & de
quelques bâtimens de tranfport , après avoir bordoyé
pendant quelque tems le long de la côte
Occidentale de cet Etat , & après avoir fait
divers fignaux , croife actuellement à la hauteur
de ce Port.
On mande de Turin du 10 de ce mois que la
prife de Seravalle ayant procuré aux troupes de
13 Reine de Hongrie , & à celles du Roi de SarSEPTEMBRE
1746. 171
daigne le moyen d'entrer dans les Etats de la
République de Génes , l'armée Piémontoife dé
campa de Rivalta le 23 du mois dernier , & arriva
le 25 dans les environs d'Acqui , où elle fut
fut jointe par douze Bataillons du Corps que
commande le Général Brown . Le lendemain le
Roi qui étoit allé à San Salvador pour y voir le
Duc de Savoye qu'une indifpofition avoit obligé
de s'y arrêter , revint à fon armée Il fit le
même jour la revûë des troupes dont elle avoit
été renforcée , & le 27 il fe mit en marche vers
Savone avec avec trente-fix Bataillons , huit cent
Carabiniers s quatre cent Dragons & trois cent
Huffards. Cinq Régimens Piémontois qui étoient .
en garnifon dans Tortone l'année derniere lorfque
les Espagnols & les François s'emparerent de
cette Place , font attendus inceffamment à l'armée
, le tems pendant lequel ils s'étoient engagés
à ne point fervir contre l'Eſpagne , étant expiré
le 3 de ce mois . Le Marquis de Botta , qui
faifoit le fiége de Gavi avec un train d'artille
rie que le Roi lui a fournt de l'Arfenal d'Alexandrie
a obligé le Commandant de cette Fortereffe
de capituler ; s'étant ouvert enfuite le paffage
de plufieurs défilés il a continué fa marthe
vers Génes , après avoir fait prendre les devans à
toute la Cavalerie Legere de l'armée de la
Reine de Hongrie. Cette Cavalerie , commandée
par
le Général Nadaíti s'eft avancée dans les
environs de Génes , dont le Général Nadafti s'eft
fait remettre une porte . On affûre que ce Général
à demandé aux Génois une contribution trèsconfidérable
, mais on n'eft pas encore affés certain
de cette nouvelle pour pouvoir en parler pofitivement.
En conféquence d'une réfolution prife
daus un Confeil de guerre , on s'eft contenté de
>
Hij
172 MERCURE DE FRANCE
former le blocus de Tortone avec deux Brigades
d'Infanterie & huit Régimens de Cavalerie , qui
font fous les ordres de M. de la Mante , Lieutenant
Général des troupes Piémontoiſes. Il y a
dans cette Place neuf Bataillons Eſpagnols avec
une nombreuſe artillerie & beaucoup de muni❤
tions . Le Duc de Savoye , dont la fanté eft parfaitement
rétablie , doit avoir quitté San Salvador
& être à prefent à l'armée avec fa Majesté.
ESPAGNE.
La proclamation du nouveau Roi d'Espagne
fe fit le 10 du mois dernier , & on s'eftmisen habits
de Gala à ce fujet pendant trois jours , même
les Dames de la Reine veuve ; il y a eû des illuminations
au Retiro & dans toute la Ville les trois
foirs ; il n'y eut point de Cour le matin le jour
de la proclamation. Voici en quoi cette céré→
monie confifte .
Elle commença par une cavalcade d'environ
200 perfonnes entre lefquelles il y avoit beaucoup
de Grands , de Gentilshommes de la Chambre
& de fils de Grands , ainfi que plufieurs autres
perfonnes de condition , Marquis , Comtes
&c. , des Officiers ou Exempts des Gardes du
Corps& quelques Officiers d'Infanterie & de Cavalerie
qui avoient été invités par le jeune Comte
d'Altamira , qui devoit porter l'étendart de la
Ville , par un droit attaché à fa Maiſon. Tout ce
cortége alla le prendre fur les quatre heures après
midi , & le conduifit à l'Hôtel de Ville , où il
prit l'étendart. La marche commença de là pour
fe rendre au Retire qui en eft affés eloigné ; les
Regidors ou Echevins precédés par leurs Maffiers
& quelques Alguazils , & d'un Tymballier avec
SEPTEMBRE 1746. 173
quatre Trompettes faifoient l'avant- garde deux
à deux avec le Lieutenant de la Ville qui étoit
feul & le dernier , enſuite tout le refte fuivoit
entremêlé , & fans avoir égard au rang & à la
qualité ; le Comte d'Altamira fermoit la marche ;
il avoit devant lui quatre Rois d'Armes qui avoient
des habits uniformes d'un drap bleu galonné d'or
& par-deffus des efpeces de cottes d'armes ; on
avoit fait un échaffaut à un des coins de la principale
cour du Retiro , & vis-à- vis les fenêtres où
leurs Majeftés & les Infant & Infantes devoient
fe placer ; elles s'y rendirent fur les fix heures du
foir ; elles étoient feules dans un balcon ; Madame
Infante & l'Infante fa fille étoient dans un
autre à la gauche de leurs Majeftés , & l'Infant
Cardinal & l'Infante Marie Antoinette dans celui
qui étoit à leur droite ; ce balcon étoit plus
éloigné de l'échaffaut que celui de la gauche ;
il y en avoit d'autres pour les Dames de la Reine ;
les principaux Officiers de leurs Majeftés , de l'Infant
& des Infantes étoient derriere leurs fauteuils
. Auffi-tôt que leurs Majeftés furent arrivées
, la cavalcade entra par une porte de la
cour qui étoit vis - à- vis de leur balcon , & y vint
tout droit. A mefure que les Cavaliers paffoient
fous leur balcon ils faluoient profondément leurs
Majeftés & les Infant & Infantes , & faifoient le
tour de l'échaffaut ; il y avoit dans la cour une
Compagnie de Gardes Efpagnoles & une de Gardes
Walonnes fous les armes rangées en haye fur
deux aîles , & cette cour étoit pleine d'un peuple
infini ; auffi tôt que le Comte d'Altamira fut proche
de l'échaffaut il mir pied à terre & monta
deffus , de même que les Rois d'Armes & le Lieutenant
de la Ville , par des efcaliers de bois qu'on
y avoit faits & qui étoient couverts de tapis de
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
même que l'échaffaut , enfuite un Roi d'Armes
cria par trois fois filence , & autant de fois écoutez ,
écoutez , après quoi le Comte d'Altamira dit à
haute voix , le Roi Don Fernand VI . pour la Caf
tille , & il baiffa fon étendart & le branla à
droite & à gauche , après quoi ceux qui étoient
fur l'echaffaut crierent Vive le Roi , ainfi que toute
la populace . Cette même cérémonie fe repeta
trois fois à la fin de la premiere la Reine
fe leva & felicita le Roi. Cette proclamation
achevée un des Maffiers de la Ville apporta au
Lieutenant une e pece de grande bourfe de ve
lours , dans laquelle il y avoit mille piaftres en
differentes efpeces , qu'il jetta au peuple , après
quoi la cavalcade fe remit en marche fortant par
une autre porte que celle par où elle étoit entrée ,
& fe rendit fucceffivement dans trois Places de
la Ville où on fit la même cérémonie & où on
jetta au peuple une pareille quantité de monnoye
ce qui fit quatre mille piaftres en tout ;
on finit à la Place qui eft devant la Maifon de
Ville , & le Comte d'Altamira donna un grand
refreſco chés lui à la plûpart de ceux de la cavalcade
; tous y étoient invités , mais il y en eut
beaucoup qui s'excuferent ; tous ceux qui la compofoient
étoient en général fort bien montés ; les
harnois des chevaux , les houffes & c. étoient la
plûpart fort riches ; plufieurs Seigneurs avoient
des habits neufs magnifiques ; celui du Comte d'Altamira
paroiffoit fimple de loin ; c'étoit une pluie
d'argent fur un fond tirant fur le brun , mais les
boutons étoient de diamans & les boutonnieres
en étoient bordées ; ce Seigneur n'a que douze
ans ; il avoit deux Gentilshommes à côté de lui
qui avoient des habits brodés fort riches , plufieurs
Valets de pied qui alloient des deux côtés de
•
SEPTEMBRE 1946. 175
fon cheval , fix chevaux de main & trois caroffes
qui fuivoient la cavalcade 2 dont un attelé de
quatre chevaux & les autres de quatre mufes
, tous magnifiquement enharnachés ; les cochers
& les laquais avec des habits neufs de livrée
galonnés d'argent ; il y avoit auffi des chevaux
de main de quelques autres Seigneurs . Le
foir on tira un feu d'artifice dans une Place qui
eft vis-à- vis du Palais du Retiro.
Le lendemain onze il y eut Befa manos le matin
pour les hommes , le foir pour les Dames de
la Ville , & le vendredi au matin douze , pour
les Confeils .
Le 13 la Reine veuve vint au Retiro rendre
vifite à leurs Majeftés & leur faire compliment ;
on avoit repris le deuil ce jour là , on le quitta
le quatorze pour fe mettre encore en habits de
Gala , parce que c'eft le jour de la naiffance de
Madame Infante . La Reine alla fe promener
l'après dînée en caroffe hors de la Ville , & paffa
au travers du Prado , où il y avoit un grand
nombre de caroffes & une populace à pied infinie
qui cria beaucoup Via ; au retour elle paſſa encore
au milieu du Prado .
Le Comte d'Altamira a été nommé Gentile
homme de la Chambre du Roi.
L'Intendant de Marine de Bilbao a mandé au
Roi que le 6 Août la Fregate la Notre- Dame de
Begona étoit entrée dans ce Port avec le Navire
Anglois la Bonne Intention , chargé de cinq cent
quarante-fix barriques de riz , qui revenoit de
la Caroline , & dont elle s'eft emparée à l'entrée
de la Manche . Sa Majefté a appris par des lettres
de l'intendant de la Principauté des Afturies
que le Navire l'adsfrie , fur lequel il y avoit
douze cent barriques d'eau de vie , avoit été pris
Hiiij
176 MERCURE DE FRANCE.
,
par la même Fregate . On a reçu avis de Ceuta
que quatre Armateurs Efpagnols y avoient conduit
un autre bâtiment ennemi nommé le Prince
Guillaume , & monté de dix -huit canons & de
huit pierriers , qui avoit fait voile de Plymouth
pour Gibraltar & à bord duquel on a trouvé
beaucoup de fucre , de falines , de vin , de bierre
& d'autres proviſions.
2
Le Roi d'Eſpagne en confidération des ſervices
éclatans par lesquels le Comte de Gages s'eft acquis
une fi grande réputation , a accordé à ce Capitaine
Général la Commanderie de Villoria dans
l'Ordre de Saint Jacques , & celle de Pozuelo
dans l'Ordre de Calatrava. Don Jofeph Joachin
de Montalegre y Andrade , Duc de Salas , qui a
rempli avec tant de diftinction la place de Miniftre
du Roi des Deux Siciles , a obtenu la confirmation
des Lettres par lesquelles le feu Ror
l'avoit nommé Confeiller d'Etat . Sa Majefté a
difpofé d'une Dignité du Chapitre de l'Eglife Cathédrale
de Cadix en faveur de Don Gabriel d'Efpinofa
. Le 4 de ce mois les Deputés de la Ville de
Pampelune , Capitale du Royaume de Navarre , eurent
l'honneur de complimenter le Roi fur fon
avenement au Trône , & Don Manuel Cruzat ,
qui étoit à la tête de la Députation , porta la parole.
Ces Députés furent prefentés par le Comte
de Maceda , Viceroi & Capitaine Général du
Royaume de Navarre .
Le Pere Michel de Leranoz , Général de la
Congrégation des Religieux de la Mercy établis
en . Efpagne , mourut à Corella dans une Maifon
de fon Ordre le 27 du mois dernier , âgé de
foixante & cinq ans.
SEPTEMBRE 1746. 177
à
GRANDE BRETAGNE.
Le 23 du mois paffé le Roi de la Grande
Bretagne s'eft rendu à la Chambre des Pairs , &
Sa Majefté , ayant mandé celle des Communes
a fait le difcours fuivant ; Mylords & Meffieurs
Je ne puis mettre fin à cette féance du Parlement
fans vous témoigner ma fatisfaction de la conduite
que vous avez tenue dans vos déliberations , Le zélo
que vous avezfait paroître pour la défense de mon
Gouvernement , & qui a été fi généralement fecondé
par tous mes bons fujets , a non-feulement repondu à
mon attente mais encore m'affûre que vous étes déterminés
à perfectionner ce grand ouvrage , & à réa
tablir fur desfondemens folides la tranquillité de ces
Royaumes , en faisant perdre au Prétendant 5 à ſes
4dberens les espérances dont ils pourroient continuer
de fe flater . Les moyens que vous avez jugés
propos de me fournir ont été employés d'une maniere
convenable efficace , 5 je m'en fuis uniquement
fervi pour parvenir aux fins que vous vous étiez
propofées. Je fuis très -fàché qu'il reste encore des af
faires d'une extreme importance à regler. Il auroit été
à propos de les terminer , pour nous procurer unefûreté
durable , pour prevenir les calamités qu'on a fujer
de craindre , mais comme vous avez pris à cet égard
toutes les précautions que la prudence pouvoit vous
dider , je n'ai pas voulu retarder plus long-temps
votre retour dans vos Provinces C'est une fatisfaction
pour moi que de vous informer que la futuation des
affaires au dekors me paroit plus favorable qu'elle e
l'etoit lorfque vous avés commencé vos feances. Dès ·
que la fituation interieure de mes Royaumes a pû le
permettre , j'ai envoyé dans les Pays- Bas les troupes·
dent on pouvoitfe paffer ici , afin de renforcer l'armée
H v
178 MERCURE DE FRANCE
>
$5
0
des Alliés , de pourvoir à la défense des Provinces
Unies , & d'arreter de ce coté les progrés des armesé
de la France. Par ce renfort les autresfecours que
vous m'avez mis en état de donner à mes A liés leur
armée a été confidérablement augmentée , & méme
beaucoup plus qu'on n'auroit du s'y attendre. Cet
évenement , joint aux Leureux fuccès que la Reine de
Hongrie & le Roi de Sardaigne ont eus en Italie
a quelques autres incidens furvenus a l'avantage de
la caufe commune nous fat envisager plus de fasilité
d'obtenir une paix fire & honorable , ce qui eft
mon principal obj.t. Meffieurs de la Chambre des
Communes , l'empreffem nt avec lequel vous m'avez
accordé les jubfides pour le fervice de cette ane
née exige que je vous en jaffe mes remerciemens particuliers.
Je fuis infiniment fenfible aux inconveniens
que les circonftances des tems ont occafionnés , jur-tour
par rapport au crédit pub.ic , qui n'ont pu étre furmnés
que par votre prudence & par votre fermeté.
Les fommes que vous m'avez accordées feront exac◄
sement apppliquées aux objets pour lesquels vous les
deftinez , vous avez pu vous appercevoir combien
je defre de diminuer les depenjes de la Nation all
tant qu'il eft poffible , puiſque j'ai faifi la premiere
occafion de congedier les Regimens , que plufieurs de
mes fideles fujets de rang le plus diftingue , animés
d'un zéle louable , avoient levés pour augmenter mes
forces. Mylords & Meffieurs , j'ai tant de peuves de
voire fizeté inbranlable de votre affection & de
votre devouement pur mal erfonne 5 pour ma famille
, que je me repoſe avec une entiere confiancefur
votre conduite. Je ne doute pas que pendant le fejour
que vous ferez dans vos diffrentes Provinces vous
ne falhez les plus grands efforts pour rétablir & conferver
la paix dans ces Royaumes ; pour remedier aux
malheurs caufes par la Rebellion , pour entretenir
"
SEPTEMBRE 1746. 179
dans mes fujets les fentimens de zéle 5 d'amour >
dont plufieurs ont donné des preuvesfi fignalées . M
efprit en confervera long- tems les impreffions , j
chercherai à vous en convaincre par la continuation d➡
ma vigilance de mes foins , pour rendre mon peue
ple heureux. Le Roi ayant reçu la lettre par la
quelle le Roi de France lui donne part de la mort
de Madame la Dauphine , & celle que le Roi d'Ef
pagne lui a écrite, pour l'informer de la mort de
Philippe V , fa Majefté a pris le deuil le 25 .
Le 21 , le Lord Maire accompagné des Aldermans
& de plufieurs Députés du Commun Confeil
, préfenterent au Duc de Cumberland des
Lettres de Bourgeoifie de Londres On parle
d'un voyage que la Princeffe , époufe du Prince
Frederic de Heffe doit faire bien- tôt en Angleterre
, pour prendre les eaux de Bath . Le 16
les Seigneurs pafferent le Bill qui autorife le Roi
à faire un emprunt d'un million de livres fterlings
fur le fond d'amortiffement , & le 17 ils
`renvoyerent à la Chambre des Communes avec
des changemens le Bill pour defarmer les Mon.
tagnards d'Ecoffe . La Chambre des Communes a
réfola de prefenter une Adreffe au Roi , pour demander
qu'on faffe arrêter le Chevalier Jean Douglas
, Membre du Parlement pour le Comté de
Domfries , & qu'on foupçonne d'avoir favorité le:
parri du Prince Edouard . Le jour auquel les
Comtes de Kilmarnock & de Cromarty , & le
Lord Balmerino furent condamnés à mort le
Comte de Cromarty fit à fes Juges un difcours
dans lequel il implora la clémence royale pour
fon épouse & pour fes enfans. L'époufe du Lord
Balmerino a obtenu la permilion de voir ce
Seigneur , mais pendant qu'elle a demeuré avec
qui , elle a été toujours gardée à vuë , dans by
ii
"
H vj
180 MER CURE DE FRANCE
crainte d'une entrepriſe femblable à celle par la
qi elle le Lord Nithifdale fe fauva de prifon en
1715. Le Roi a accordé la grace au Comte de
Cromarty. L'autorité que les Seigneurs ont en
Ecoff fur leurs Vaffaux étant regardée comme
prejudiciable aux interêts du Roi , par la facilité
qu'elle donne aux Partifans de la Maifon de
Stuard de faire prendre , quand ils veulent , les
armes aux l'ayfans qui dépendent d'eux , le Parle
ment fe propofe de porter un Bill pour reftraindre
cette autorité . Le 12 l'Amiral Leftock fit
voile de Sainte Helene avec l'Efcadre qu'il commande
, & qui eft compofée des vaiffeaux de
guerre la Princeffe & l'Edimbourg , chacun de
quatre-vingt-dix canons ; le Devonshire , de quatre-
vingt ; le Tilbury , le Superbe & 'Tork , chacun
de foixante ; le Haftings , le Saphir & le Lynn , de
quarante ; de la galiotte à bombes le Motter , &
du brulot le Unlcain . Les bâtimens de transport
fur lefquels fe font embarquées les troupes qui font
aux ordres du Général Sinclair , font partis avec
cette Efcadre . L'Amiral Anfon eft allé à Portf
mouth prendre le commandement de celle deftinée
à croifer dans la Manche . On a reçu avis
que le Chef d'Eſcadre Knowles étoit avec dix
vaiffeaux de guerre dans le Port de Louisbourg ,
où font arrivées toutes les troupes & les munitions
que le Gouvernement y a envoyées. Le 21
le Confeil de guerre , affemblé pour juger l'Amiral
Mathews , acheva de recevoir les depo
fitions contre cet Amiral. Trois mille hommes
d'Infanterie fe font embarqués pour aller renforcer
l'armée des Alliés dans les Pays - Bas . Ils
doivent être inceffamment fuivis des Régimens de
Wolf , de Pulteney , de Sempil , de Cholmondeley
, de Hovvard & de Kingſton .
SEPTEMBRE 1746. 181
L'Efcadre commandée par l'Amiral Leftock
n'ayant pú tenir la mer à caufe des vents contraires
, eft revenue à la Rade de Sainte Helene ,
& le vaiffeau la Princeffe , que montoit cet Amiral
, a echoué en paffant à l'Eft de l'Ile de Wight.
Les bâtimens à bord defquels fe font embarqués
les Régimens de Wolff , de Sempil & de
Pulteney , pour aller dans les Pays-Bas , pafferent
le 20 Août à la hauteur de Neucaftle. Quatre
Vaiffeaux de guerre équipés depuis peu à
Portſmouth ont reçu ordre des Commiffaires de
l'Amirauté d'aller croifer für la côte d'Oftende .
On a lèvé l'embargo qui avoit été mis dans les
Ports du Royaume d'Ecofle , d'où l'on a reçu avis
que cinq Armateurs François avoient fait un grand
nombre de prifes dans les environs de Kirkwall .
Le Gouvernement a congedié quarante- cinq na
vires qu'il avoit fretés pour le ſervice du Roi,
Le 28 M. Benjamin Keene , Envoyé Extraordinaire
de fa Majesté Br. auprés du Roi de Portugal
, partit pour ſe rendre à Lisbonne . La réfolution
que le Baron de Boetzlaar , qui eft venu
à Londres exécuter une commiffion des Etats Généraux
des Provinces Unies , a priſe de louer un Hôtel
en cette Ville , & d'y faire venir de Hollande
fon epouſe , donne lieu de conjecturer qu'il y fera
un plus long féjour qu'on n'avoit cru . Le Lord
Hobart a obtenu le titre de Comte de Buckingham
, & le bruit court que le Lord Fitzwilliam
fera créé Pair de la Grande Bretagne . On doit
célébrer un jour folemnel d'actions de graces à
l'occafion du rétabliffement de la tranquillité dans
le Royaume d'Ecoffe . Le Chevalier Jean Douglas
, de la perfonne duquel le Parlement a demandé
qu'on s'affûrât , fut conduit le 28 à la
Tour.
182 MERCURE DE FRANCE.
"
Il ſe tint le 26 du mois dernier à Whitehall un
Confeil d'Etat , après lequel on fit partir un courier
, chargé de dépêches pour le Comte de Sandwich
qui doit affifter en qualité de Miniftre
Plénipotentiaire du Roi de a Grande Bretagne
aux conferences de Breda . Le 19 jour fixé pour
l'exécution du Comte de Kilmarnock & du Lord
Balmerino on apporta à dix heures du matin
leurs cercueils fur l'échaffaut qu'on avoit dreſſé
dans la Place vis- à- vis de la Tour. Ces cerçueils
étoient couverts de drap noir , & deffus chacun
étoit une lame de cuivre , où étoient marqués le
nom , le titre & l'âge du Seigneur auquel il étoit
deftiné , & le genre du fupplice auquel ce Seigneur
avoit été condamné . A dix heures & demie
les Scheriffs allerent prendre a la Tour le
Comte de Kilmarnock & le Lord Balmerino , qu'ils
conduirent dans la maifon , d'où ces prifonniers
devoient être menés à l'échaffaut Le Gouverneur
de la Tour , lorfqu'ils en fortirent , ayant
prononcé fuivant l'ufage ces mots , Dieu beniffe le
Ro Gorges , le Comte de Kilmarnock , pour témoigner
qu'il formoit le même voeu , fit une in
clination de tête , mais le Lord Balmerino , qui
ne vouloit laiffer aucun doute fur fes derniers
fentimens , cria à haute voix , Vice le Roi Jacques .
Le Comte de Kilmarnock , vêtu d'un habit noir ,
monta le premier fur l'échaffaut . Il harangua le
peuple , & s'étant reconnu coupable envers le
Roi ainfi qu'envers la Patrie , il temoigna beaucoup
de repentir & de refignation . Enfuite il s'entretint
quelque tems avec le Miniftre qui l'accompagnoit
pour le préparer à la mort , & le
fignal ayant été donné l'Exécuteur de la Haute
Juftice lei abattit la tête d'un feul coup . Après
cetre exécution le Lord Balmerino , qui avoit
SEPTEMBRE 1746 185
en
confervé fon habit uniforme , fut conduit à l'échaffaut
. Ayant lu l'infcription qui étoit fur fon
cercueil , & ayant remis aux Scheriffs un écrit
par lequel il déclaroit qu'il perfiftoit dans fon at
tachement aux interêts de la Maifon de Stuard ,
il fe mit av c la contenance la plus affûrée
pofture de recevoir la mort Il effuya deux coups
qui porterent à faux , & ce ne fut que du troifieme
qu'il eut la tete emportée. Les lettres de
grace du Comte de Cromarty furent expédiées
Le premier de ce mois au Grand Sceau : le Roi
a accordé feulement la vie au coupable , & les
biens de ce Seigneur demeurent confifqués ,
mais on croit qu'il fera pourvû convenablement
à la fubfiftance de fa famille , & l'on ne doute
pas que fon fils ainé n'obtienne auffi fa grace. Sa
Majesté a donné une penfion de cinquante livres
ferlings à l'époufe du Lord Balmerino . On a
exécuté le 2 dans la plaine de Kennington Mrs.
Donald Macdonald Jacques Micholſon & Walter
Ogilvie , Officiers des troupes du Prince
Edouard . Le fupplice des Officiers du Régiment
de Mancheſter eft encore differé de trois femaines.
Il a été décidé que le Lord Lovat , qui a
été amené à Londres d'Ecoffe , & qui et détenu
à la Tour , ne feroit point jugé comme Pair d'Ecoffe.
En conféquence il doit être transferé à las
nouvelle prifon , pour être interrogé par les Com
miffaires qui s'affemblent à la montagne de Sainte
Marguerite . Quoique la tranquillité paroiffe être
entierement rétablie en Ecoffe une partie des
troupes ci- devant commandée par le Duc de
Cumberland , campera encore pendant quelque
tems près du Fort Augufte. Le Régiment Royal
Irlandois & celui de Handafyde ayant été remplacés
à Inverneff par ceux de Blackeney & de
>
184 MERCURE DE FRANCE.
Battereau font allés prendre des quartiers હૈ
Forres , à Elgin & à Neitra.
Un convoi de navires Marchands eft arrivé
de la Jamaïque aux Dunes fous l'escorte des
vaiffeaux de guerre le Falmouth & le Cheval Marin,
qui ont rapporté trois cent mille livres fterlings.
Le Confeil de guerre , qui doit juger l'Amiral
Mathews , s'étant affemblé le 29 Août à Deptford
, cet Amiral préfenta un Mémoire par lequel
il répond aux divers chefs d'accufation intentés
contre lui. Les Actions de la Compagnie de la
mer du Sud font à cent fept & demi ; celles de
la Banque à cent trente -neuf ; celles de la Compagnie
des Indes Orientales à cent quatre-vingttrois
, & les Annuitésà cent fix , trois huitiémes.
"
Deux Bataillons du premier & du fecond des
Régimens des Gardes à pied , le Régiment des
Fufiliers du Prince de Galles , & fept autres Régimens
ont ordre de fe tenir prêts à s'embarquer.
Le 4 de ce mois l'Efcadre commandée par l'Amiral
Leftock fit voile de la. Rade de Sainte Helene
& elle fut rencontrée le 6 entre Saint
Albans & l'Ifle de Wight. L'Amiral Anfon eft
allé croifer dans la Manche avec fept vaiffeaux'
de guerre & un brulot. Six bâtimens de la Compagnie
des Indes Orientales , efcortés par les
vaiffeaux de guerre le Deptford & le Dauphin ,
mouillerent le 5 aux Dunes. Leurs équipages ont
rapporté qu'à la hauteur de Madagaſcar une tempête
les avoit feparés du navire le Northampton ,
qui a perdu tous fes mâts . On a fçû par les mêmes
équipages que le Chef d'Efcadre Barnet s'é- `
toit emparé de fix bâtimens François dans les.
mers des Indes . Le navire la For une de la même
nation a été pris par un Armateur de Briſtol .
Les François de leur côté ont enlevé neuf väiſSEPTEMBRE
1745. 185
feaux Anglois , & le vaiffeau Suedois Weftervvyck
qui tranfportoit à . Livourne une grande quantité
de marchandiſes pour le compte de quelques
Negocians.
PAYS - BAS.
ONmande
N mande de la Haye qu'il arriva d'Angleterre
equid arrivanie
hommes d'Infanterie , qui commencerent le 23 à
débarquer , & qui fe font mis le 24 en marche vers
T'armée des Alliés . Le Comte de Waffenaer & M.
Gillés affifteront en qualité de Miniftres Plénipotenti
ires de la République , aux conférences qui
doivent fe tenir à Breda. Les Etats Généraux
ont renvoyé à Paris le courier qui leur avoit apporté
il y a quelque tems des depêches de ces
deux Miniftres. M. Trevor , Envoyé Extraordinaire
du Roi de la Grande Bretagne , & le Comte
de Chavanne , qui réfide à la Haye de la part du
Roi de Sardaigne avec le même caractére , eurent
le 23 une conference avec le Préſident de cette
Affemblée , ainfi que le Baron de Reifchach , Miniftre
du Grand Duc de Tofcane. Suivant les
avis reçus de Flandres le Préfident & plufieurs
Confeillers du Confeil Supérieur de Malines ,
qui s'étoient retirés à Namur par ordre du Comte
de Kaunitz , font retournés à Malines avec des
Paffeports du Roi,
On écrit de Namur du 22 Août qu'un mouvement
que l'armée Françoife fit le 17 & par lequel
elle déborda du côté de Warem le front de
celle des Alliés , obligea le même jour le Prince
Charles de Lorraine de faire changer de pofition
à cette derniere , qui s'étendit par fa droite
le long de la Mehagne , Le Maréchal Comte de
186 MERCURE DE FRANCE.
>
Saxe paroiffant être dans le deffein de paffer l'Or
neau & d'occuper le hauteurs du Mazi , le Prince
Charles de Lorraine pofta de ce côté deux Bataillons
du Régiment da Saxe Gotha , deux du Ré
giment de Linange , un du Régiment de Lynden
& un du Régiment de Broeckuyfen , & les deux
Régimens de Cavalerie de Buys & de Reichteren ,
pour difputer le paffage de la riviere , & il donna
le commandement de ce Corps au Baron de
Schwartzemberg , Lieutenant Général , qui avoit
fous fes ordres le Baron d'Aylva , auffi Lieutenant
Général ; le Major Général Veldtman , & Mrs.
de Roode & de Scaghen , Brigadiers Généraux.
Le 18 on envoya à Namur tous les équipages &
même les tentes de l'armée des Alliés , laquelle
pendant toute la journée demeura fous les armes
& il y eut plufieurs efcarmouches entre les troupes
legeres des François , & les Corps de Huffards
commandés par.les Généraux Trips & Baroniay
. On fut informé le foir que le Maréchal
Comte de Saxe fe difpofoit à quitter le lendemain
dés la pointe du jour fon camp du Grand
Rofier , pour côtoyer la gauche de la Mehagne ,
& que le Corpse troupes , avec lequel le Comte
de Lox endalh étoit refté aux Cinq- Etoiles , devoit
fuivre la même route. Le Prince Charles de
Lorraine fe détermina fur cette nouvelle à faire
marcher le 19 les troupes du Corps de réſerve ,
pour attaquer les détachemens que les François
avoient fait avancer à Aſche & à Pervis . Ces
détachemens ayant abandonné ces poftes , on les
pourfuivit jufqu'à une petite diflance des Tombes
d'Ottomont , & le Prince Efterhafi auroit
pû réuffir à les couper s'il avoit été joint plutôt
par le Régiment de Ligne. Le même jour le
Général Trips fit quelques prifonniers dans une
SEPTEMBRE 1746 187
Efcarmouche. , & un parti de Huffards amena au
Quartier général fept Officiers François , qui s'étoient
éloignés de leur camp . Diverfes difpofitions
faites par le Maréchal Comte de Saxe ne
laiffant point lieu de douter qu'il ne penfât à fe
rendre maître de Huys , le Prince Charles de
Lorraine y envoya un renfort de huit cent hommes
, & il fit paffer la Mehagne à un Corps de
Huffards , mais ces précautions n'ont pû empêcher
f'exécution du projet des François. Ce Général
qui retira le 20 les troupes qu'il avoit laiffées fur
le bord de l'Orneau aux ordres du Lieutenant
Général Schwartzemberg , a renforcé confidérablement
la garnifon de Namur , d'où il a fait re
venir à fon camp tous les équipages de l'armée .
Le 19 il arriva à Namur un tambour , envoyé
par le Comte de Segur , pour demander aux Etats
de la Province , de lui fournir , fous peine d'exécution
militaire , deux cent chariots de bois &
foixante mille rations de fourage .
On mande de Maeftricht du 2 de ce mois que
I'impoffibilité de fubfifter plus long- tems dans le
camp du Mazi ayant obligé les troupes des Al
fiés de changer de pofition , elles repafferent
la Meufe le 28 & le 29 du mois dernier fur trois
ponts conftruits à deux lieues de Huys. Avant que
de faire ce mouvement le Prince Charles de Lor
raine a renforcé la garni on de la Ville de Namur
, où il y actuellement onze Bataillons Hol
landois & deux des troupes de la Reine de Hongrie.
Le 30 l'armée des Alliés marcha vers Haltin
& Haylot , Bourgs fitués fur les frontieres du
pays de Condroff& à peu de distance de la riviere
d'Hioule Le Prince Charles de Lorraine
envoya le lendemain divers détachemens reconnoître
l'armée commandee par le Maréchal Comte
188 MERCURE DE FRANCE
de Saxe , de laquelle une partie s'étoit avancée
entre Huys & Modave. Le 31 une partie de l'armée
des Alliés ayant defilé par fa droite du côté
de la riviere d'Ourte on crut que le deffein du
Prince Charles de Lorraine étoit de fe retirer
dans le Duché de Luxembourg , & l'on avoit
d'autant plus lieu d'en être furpris qu'il ne pouvoit
efperer de trouver facilement des fubfiftances
dans cette Province , mais on apprit le premier
de ce mois qu'il n'avoit eu d'autre objec
que de cacher le véritable but de fa marche au
Maréchal Comte de Saxe , & que l'armée des
Alliés s'étant repliée fur fa gauche avoit pris la
route de Limbourg.
Le Comte de Waffenaer & M. Gillés font depuis
le 4 à Breda , où ils affifteront en qualité de
Miniftres Plénipotentiaires de cette République
aux conferences qui doivent s'y tenir , & où le
Comte de Sandwich , Miniftre Plénipotentiaire
du Roi de la Grande Bretagne , fe difpofe à fe
rendre inceffamment. On y attend auffi ces joursci
le Marquis de Puyfieux de la part du Roi .
NAISSANCE , MARIAGE
ET MORTS.
LE17 fils
E 17 de ce mois eft né , & a été baptifé le même
jour à Saint Roch Louis-Antoine Armand ,
premier né du mariage d'Antoine - Antonin de
Gramont Due de Gramont , Pair de France , fouverain
de Bidache , Gouverneur du Royaume de Navarre
& du pays deBearn , Colonel du Régiment
SEPTEMBRE 1746. 189
de Bourbonnois & Brigadier d'Armée , & de Marie-
Louiſe-Victoire de Gramont mariés le 2 Mars
1-739. M. le Duc de Gramont appellé ci-devant le
Duc de Lefparre , eft fils aîné de feu Louis Duc
de Gramont Pair de France , Chevalier des Ordres
du Roi , Lieutenant Général des Armées de
Sa Majesté , Colonel du Régiment des Gardes Françoifes
, &c. tué d'un coup de canon à la bataille
de Fontenoy le 11 Mai 1745 , & de De.Genevieve
de Gontaut Biron . Madame la Ducheffe de Gramont
eft couſine germaine de fon mari & Fille
aînée de Louis-Antoine Armand Duc de Gramont
Pair de France ,&c . mort le 16 Mai 1741 , & de
Dame Louiſe - Françoife d'Aumont de Crévantd'Humieres.
Voyez la généalogie de cette Maiſon dans l'Hiftoire
des Grands - Officiers dc-la Couronne , vol. 4.
617 & 618 .
Le 14 a été fait le mariage de Noel Florimond
Huchet Chevalier , Seigneur de la Bedoyere , âgé de
36 ans , fils de Charles Huchet Chevalier , Seigneur
& Comte de la Bedoyere , Procureur Général
auParlement de Bretagne depuis le 14 Août 1710,
& de Dame Marie-Anne Guyonne Danycan de
l'Epine , avec Dlle. Marie Angelique Cofté da
Saint Suplix , file d'Alexandre Cofté Seigneur de
Saint Suplix , Baron de Crefpon & de Dame Marie
Guillemette Moura Le nouveau marié eft frere
puîné de Marguerite- Hugues-Charles -Marie Huchet
de la Bedoyere né le 4 Avril 1709 , ci-de
vant Avocat Général de la Cour des Aydes de Paris.
Le nom de Huchet eft connu dans l'Epée &
dans la Robe , & par fes alliances en Bretagne
depuis trois cent ans ; fes armes font d'Azur à fix
Billettes d'argent percées en rond 5 pofées 3.2 &
190 MERCURE DE FRANCE
une. Pour la famille de Cofté Saint Suplix , elle
eft connue à Rouen entre les bonnes du Parlement
au quel a donné plufieurs Confeillers depuis
l'an 16.7.
Le 5 Août Charles - François de Granges de
Surgeres , Marquis de Puiguyon & de la Floceliere
Maréchal des Camps & armées du Roi du premier
Mai 1745 , l'un des Menins de Monfeigneur le Dauphin
, dont il avoit été Gentilhomme de la Manche,
mourut à l'armée d'Italie , âgé d'environ 39
ans , laiffant des enfans de Dame Catherine- Emanuelle
Gaillard de la Bouexiere qu'il avoit epoufée
le 22 Décembre 1739 , foeur de Dame Marie-
Anne-Françoife Gaillard de la Bouexiere femme
de Jean -Hyacinte Hocquart Seigneur de Monfermel
, l'un des Fermiers Généraux de S. M. 1 étoit
fils de Gilles-Charles de Granges de Surgeres , Marquis
de la Floceliere & de Mauleon , Capitaine
des vaiffeaux du Roi & Chevalier de l'Ordre militaire
de Saint Louis & de Dame Jeanne - Françoife
de Granges de Surgeres Dame de Puiguyon
& de la Flocelere , fille & héritiere en partie de
François de Granges de Surgeres Marquis de Puiguyon
& de la Floceliere , Lieutenant Général
des armées du Roi mort le 22 Février 1723 , & de
Dame Françoife de la Caffaigne de Saint Laurent.
Feu M.de la Floceliere & feu M. le Marquis de Pui
guyon pere & grand-pere de celui qui donne lieuà
cet article , avoient joint le nom de Surgeres à celui
de Granges , comme étant fortis de la Maifon
de Surgeres l'une des premieres du Poitou parGeoffroy
de Surgeres leur tréiziéme ayeul vivant ès années
1208 & 1:18 , lequel ayant eu en partage
la terre de Granges près Surgeres en Aunis ,
prit le nom qu'il tranfmit à fa pofterité avec les
Armes de la maifon de Surgeres qui étoint de gueuen
SEPTEMBRE 1746. 191
les frettés de vair , qu'il brifa comme puiné , d'un che f
d'or chargé d'uu lambel de trois pendan de fable.
Voyez la Généalogie de la Maifon de Surgeres
imprimée à Paris en 17 7 & dreffée fur titres en
forme d'inftruction pour fa famille par feu M le
Marquis de Puiguyon Lieutenant Général des ar
mées du Roi , &c.
Le 21 Dame Marie-Magdeleine du Bois de Gue
dreville , veuve depuis le 20 Septembre 1723 de
Felix le Pelletier Seigneur de la Houffaye , Confeiller
d'Etat Ordinaire , Contrôleur Général des
Finances , Commandeur des Ordres du Roi dont il
avoit été Prevôt & Maître des Céremonies , Chancelier-
Garde des Sceaux , chef du Conſeil & Sur-
Intendant des Maifon & finances de feu Monfieur
le Duc d'Orleans Régent du Royaume . &
avec lequel elle avoit été mariée le 13 Janvier
1687 , mouru à Paris âgée de 81 ans accomp is ,
laiffant de fon mariage Felix le Pelletier Seigneur
de la Houffaye & de Signy, Confeiller d Etat & Intendant
des finances , marié depuis le 6 Novembre
1719 avec Charlotte- MarieLallemant deLevignan,
de laquelle il a Claude-Jacques-Charles le Pelletier
de la Houffaye né le 26 Janvier 1726 , & Magdeleine-
Louiſe-Charlotte le Pelletier de la Heuf
faye mariée depuis le 3 Mai 1740 avec Paul- Eſprit
la Bourdonnaye Seigneur de Bloffac aujourd'hui
Maître des Requêtes.
Madame le Pelletier de la Houffaye qui donne
lieu à cet article étoit fille de Sebaftien du Bois
Seigneur de Guedreville & de Signy, Maître des
Requêtes ordinaire de l'Hôtel du Roi & Préíident
au Grand Confeil & de Marie Thierfault Voyez
pour la Généalogie de la famille de le Pelletier la
Houffaye le vol 9 de l'Hiftoire des Grands Officiers
de la Couronne fol . 318. en attendant l'Hif192
MERCURE DE FRANCE.
/
toire des Maîtres des Requêtes dans laquelle elle
fera amplement déduite de même que celles de
du Bois Guedreville & Thierfault.
Le 30 Jacques de Crevecoeur de Vienne , dit le
Le Comte de Crevecoeur , Brigadier des armées du
Roi , Chevalier de l'Ordre Militaire de S. Louis ,
ancien Lieutenant Colonel , Commandant le Régiment
du Roi , mourut à Paris dans la 78e. ann
e de fon âge ; il étoit fils puîné de Charles -Martin
de Crevecoeur , Seigneur de Vienne près
Villeneuve le Roi au Diocéfe de Sens , dit le
Marquis de Crevecoeur , Maréchal des Camps &
armées du Roi , Chevalier de fon Ordre , Gouverneur
& Grand Bailly de la Ville de Montargis
, mort le 14 Juillet 1683 , & de Dame Françoife
Texier de Hautefeuille , foeur de M. le Bailly
de Hautefeuille , Ambaffadeur de l'Ordre de
Malthe en France . Le nom de Crevecoeur eft diftingué
par fon ancienneté , par fes alliances &
par fes feryices militaires .
Le 2 Septembre Jean-Baptifte Colbert Marquis
de Torcy , de Croiffy , de Sablé , de Bois-
Dauphin, Comte de la Barre , Baron de Pincé & c .
Miniftre d'Etat , Commandeur des Ordres du Roi
dont il avoit été Grand Tréforier , & enfuite
Chancelier,& Honoraire de l'Académie Royale des
Sciences , mourut à Paris âgé de 81 ans prefque
accomplis , étant né le 14 Septembre 1665. Après
avoir été employé par le feu Roi dans plufieurs
des principales Cours de l'Europe , il avoit été
nommé au mois de Septembre 1689 Sécretaire
d'Etat au Département des affaires Etrangere .
en furvivance du Marquis de Croiffy fon pere ,
auquel il fucceda dans le mois de Juillet 1696 ;
il
SEPTEMBRE 1746. 193
2
a exercé cette charge de la maniere la plus
capable de juftifier la confiance dont le feu Roi
l'a honoré , & de lui attirer une grande confidération
; le fuccès des Négociations auffi importantes
que difficiles dont il a été chargé , & là réputation
qu'il s'eft acquife dans les Pays Etrangers
feront toujours regardés comme des témoignages
fûrs de l'étendue de fon efprit , de fa capacité
dans les affaires , & de fon zéle fur ce qui pouvoit
intéreſſer le ſervice du Roi , le bien de l'Etat
& l'honneur de la France ; il n'étoit pas
moins recommandable par les excellentes qualités
du coeur qui formoient fon caractére , &
qui le faifoient généralement eftimer ; il étoit
fils de Charles Colbert Marquis de Croiffy & de
Torcy , Miniftre & Sécretaire d'Etat pour les Affaires
Etrangeres , Commandeur & Grand Tréforier
des Ordres du Roi , & avant Préfident à
Mortier au Parlement de Paris , mort le 26 Juillet
1696 , & de Dame Françoife Beraud mariée
le 20 Janvier 1664 , & morte le 17 Septembre
1719 il avoit épousé le 13 Août 1696 ; Dlle.
Catherine Felicité Arnauld de Pomponne fille de
Simon Arnauld , Marquis de Pomponne , Miniftre
& Sécretaire d'Etat , Surintendant Général
des Poftes & Relais de France , & de Dame Catherine
Rénée Ladvocat , & de ce mariage il laiffe
pour filles Françoife - Felicité Colbert de Torcy ,
mariée le 4 Avril 1715 avec Jofeph André
d'Ancezune Oraifon , Marquis d'Ancezune , Maréchal
de Camp , duquel elle n'a pas d'enfans ;
Marguerite Pauline Colbert , mariée le 24 Février
1718 avec Louis du Pleffis Chaſtillon , Marquis
du Pleffis Chaſtillon & de Nonant , Lieutenant
Général des armées du Roi , dont elle a un
fils & une fille ; Conftance Colbert mariée le 21
I
194 MERCURE DE FRANCE
Avril 1732 avec Jofeph- Auguftin de Mailly Hau
court , dit le Comte de Mailly , Capitaine Lieutenant
des Gendarmes Ecoffois & Maréchal de
Camp , morte le 13 Décembre 1734 , ne laiffant
qu'une fille ; & pour fils Jean - Baptiste-Joachim
Colbert , Marquis de Croiffy , Sablé , Bois-Dauphin
, Baron de Pincé & de Nonent , Capitaine
des Gardes de la Porte du Roi , Lieutenant Général
des armées de Sa Majefté , né le 25 Janvier
1703 , & marié le 27 Fevrier 1726 avec
Dlle . Henriette Bibienne de Franquetot de Coigny
fille de M. le Maréchal de Coigny , duquel
mariage font nés Jean- François- Menelay Colbert
Marquis de Sablé né le 27 Mai 1728 , Capitaine
de Cavalerie dans le Régiment de Berry du 30
Janvier 1745 , Antoine -Charles- Felix Colbert ,
Comte de Bierné né le 11 Juillet 1729 , Guidon
de Gendarmerie du 30 Janvier 1745 , Jofeph .
Edmé-François de Salles Colbert , & André-
I hérefe- Auguftin Colbert nés jumeaux le 10 Juil
let 1740 & Henriette- Bibienne Colbert de
Croiffy née le 10 Janvier 1717 , mariée le 21 Fevrier
1746 avec Guy- François de la Porte de
Ryantz , Marquis de Ryantz , Comte de Brion
Baron de Villeray & de la Broffe , Cornette deș
Chevaux-Legers de Bretagne .
M. le Marquis de Torcy qui donne lieu à cet
article étoit neveu de Jean- Baptiste Colbert ,
Marquis de Seignelai , Miniftre & Sécretaire d'Etat
, ayant le Département de la Marine , Contrô
leur Général des finances , Commandeur & Grand
Tréforier des Ordres du Roi , mort le 6 Septembre
1683 , âgé de 64 ans & 6 jours, en réputa,
tion d'un des plus grands Ministres que la France
ait jamais eû ; voyez pour cette Généalogie le
volume 9 de l'Hiftoire des Grands Officiers de
SEPTEMBRE 1746 195*
la Couronne fol . 231. 308. 324.2325. 326.327
& 341 ; le Dictionnaire Hiftorique de Morery Edition
de 1732 , vol . 2 fol . 930. en attendant celle
qui fera rapportée avec toutes les branches ,
dans l'Hiftoire des Maîtres des Requêtes à laquelle
on travaille .
Le même jour Henri -François de Bretagne
Comte de Vertus & de Goello , Baron d'Avaugour ,
Premier Baron de Bretagne , Seigneur de Cliffon ,
&c.ancien Colonel d'un Régiment d'Infanterie réformé
en 1714. & Chevalier de l'Ordre Militaire de
Saint Louis , mourut à Paris âgé de 61 ans
étant né le 17 Juin 1685 , fans laiffer d'enfans de
Dame Magdeleine-Catherine-Jeanne d'Alegre fa
premiere femme , qu'il avoit époufée le 15 Juin
1735 , & qui mourut le 14 Avril 1738 , & de Dame
Marie - Magdeleine - Gabrielle Charrette de
Montebert , fa deuxième femme , qu'il époufa le
15 Août 1743 , étant alors veuve de Louis de
Seran , Chevalier , Seigneur de Kerfily , & fille
de Gilles Charrette , Seigneur de Montebert ,
Confeiller au Parlement de Bretagne , & d'Elifabeth-
Gabrielle de Montigny.
M. le Comte de Vertus étoit fils de Claude de
Bretagne , Comte de Vertus & de Goello , Baron
d'Avaugour, premier Baron de Bretagne , Seigneur
de Cliffon , mort le 7 Mars 1699 , & de Dame
Anne - Judith le Lievre de la Grange , morte le
22 Décembre 1690 ; & il eft mort le dernier de
la Branche des Comtes de Vertus , iffus de François
, Bâtard de Bretagne fon cinquiéme ayeul ,
Comte de Vertus & de Goello , fils naturel de
François II . Duc de Bretagne , qui le créa Baron
d'Avaugour, premier Baron de Bretagne le 24 Septembre
1480 , lui donna le Comté de Vertus en
I ÿj
196 MERCURE DE FRANCE.
1485 , l'établit fon Lieutenant Général en Bretague
, & lui donna le Gouvernement de S. Malo .
Voyez la Généalogie des Ducs de Bretagnl , vol.
1. de l'Hiftoire des Grands Officiers de Couronne
, fol. 467 & 472.
Le 12 Dame Marie-Catherine-Angélique d'Al
1ert Luynes , veuve depuis le 23 Mai 1976 de Charles-
Antoine Gouffier , Marquis de Heilly, Seigneur
de Ribemont , & c . dit le Marquis de Gouffier
Maréchal de Camp , mort à la Bataille de Ramilles
à la tête des Gendarmes de la Garde , dont
al étoit Enfeigne , & qu'elle avoit épousé le 23
Novembre 1694 , mourut à Paris dans la foixantedix
-huitième année de fon âge , étant née le 9 Novembre
1663 , laiffant entr'autres enfans Louis-
Charles Gouffier , Marquis de Heilly , dit le Marquis
de Gouffier , Maréchal de Camp du 15 Mars
1740 , marié depuis le 13 Janvier 1734
Dame Marie-Catherine Phelypeaux d'Outreville ,
coufine iffue de Germain de M. le Comte de Maurepas
, Miniftre & Secrétaire d'Etat ; Dame Marie-
Thérèſe Catherine Gouffier , femme de Louis-
François Crozat , Marquis du Chatel , aujourd'hui
Lieutenant Général des armées du Roi , & Dame
Marie-Charlotte Gouffier , femme de Céfar- Alexandre
Gouffier, Marquis d'Efpagny, dit le Comte
de Gouffier .
avec
Madame la Marquife de Gouffier étoit fille de
Louis-Charles d'Albert , Duc de Luynes , Pair de
France , Chevalier des Ordres du Roi , mort le
premier Octobre 1690 , & de Dame Anne de Rohan
Montbazon fa deuxième femme , morte le 29
Octobre 1684. Voyez pour la Généalogie de la
Maifon d'Albert l'Hiftoire des Grands Officiers
el, 4. fol. 263 , & pour celle de la Maifon de
2
SEPTEMBRE 1748. 107
Gouffier la même Hiftoire , vol . 5. fol . 674 .
Le 13 Religieux Seigneur Frere François de
Brenne , Chevalier , Grand- Croix de l'Ordre de
Saint Jean de Jérufalem , Commandeur d'Abbeville
, Procureur Général & Receveur du commun
Tréfor du même Ordre au Grand - Prieuré de France
, mourut à Paris âgé d'environ 57 ans , & le
lendemain fon corps fut porté de l'Eglife de faint
Roch fa Paroiffe en celle de fainte Marie du
Temple , Sépulture ordinaire de ceux de fon Ordre.
Il avoit été reçû dans cet Ordre de minoriré
, & Page du Roi en fa petite Ecurie en Février
1704 ; il étoit fils de François de Brenne ,
Chevalier , Seigneur de Bombon & de Montjay
en Brie , & de Dame Félice de Poftel d'Ormoy.
Il avoit pour frere aîné Bafile de Brenne de Poftel
, créé Comte de Bombon par Lettres du mois
de Mars 1699 , lequel de fon mariage avec Dame
Marie-Magdeleine Duret de Chevery a eu pour
fille Edme Charlotte de Brenne , Comteffe de
Bombon , Dame de Montjay & d'Ormoy, mariée le
11 Mai 1720 avec Marie-Thomas-Augufte Goyon
de Matignon Gacé , dit le Marquis de Matignon ,
Chevalier des Ordres du Roi , depuis le premier
Janvier 1725 , duquel mariage eft née Damoiſelle
Victoire- Louife-Jofeph Goyon de Matignon , mariée
avec Charles Duc de Fitz- James , Pair de
France , Gouverneur du Haut & Bas Limofin , duquel
elle a des enfans . Le nom de Brenne Bombon
eft marqué par fa nobleffe & par fes alliances
& fes Armes font d'argent à un Lien de fable
, lampaffe & armé de gueules .
,
-
Le 15 Meffire Jean-Louis du Lau de la Côte d'Allemans
, Evêque de Digne , facré le 20 Octobre
I iij
158 MERCURE DE FRANCE
1
1742 , mourut à Paris dans la trente-huitiéme année
de fon âge . Il avoit entr'autres freres Meffire
Jean du Lau , Vicaire de la Paroiffe de faint Sulpice
, & étoit d'une Nobleffe diftinguée.
Le 16 Dame Marie- Barthelemy Thoynard femme
de Michel-Philippe Levêque , Seigneur de
Gravelle , Confeiller au Parlement , avec lequel
elle fut mariée le 15 Février 1729 , mourut à
Paris dans la trente-cinquiéme année de fon âge ,
laiffant une fille & un fils unique , nommé Philippe-
Barthelemy Levêque de Gravelle , Seigneur de
6. Felix , deftiné à la Robe. Elle étoit foeur de Barthelemy-
François Thoynard de Jouy , à préfent
Maître des Requêtes , & de Magdelaine Thoynard
, femme depuis le 8 Août 1736 de Louis-
Arnaud de la Briffe , aujourd'hui Maître des Requêtes
& Intendant de Juftice à Caen , & elle
étoit fille de Barthelemy Thoynard , Seigneur de
Cendré &c. l'un des Fermiers Généraux des Fermes
unies du Roi , & de De. Marie de Saint Paire.
La Famille de Thoynard eft connue dans l'Orléannois
depuis l'an 1430 , &c.
SEPTEMBRE 1746.
199
ARRESTS NOTABLES.
RREST du Confeil d'Etat du Roi du onze
Juin , pour l'ouverture de l'Annuel de l'année
1747.
ART. I. Que tous les Officiers de judicature ,
police , finances , & autres fujets à des revenus
cafuels , feront admis au payement du prêt & droit
annuel pour l'année 1747 , à commencer du r .
Novembre 1746 , jufqu'au dernier Décembre inclufivement.
II. Ceux defdits Officiers qui auront fatisfait
au payement defdits droits pour l'année 1746 , y
feront reçus pour l'année 1747 , en payant une
année d'annuel feulement , fans aucun prêt .
III. Les Officiers Omiffionnaires de fix années
d'annuel dûes en exécution de la Déclaration du 19
Juin 1740 , y feront reçus en payant lefdites fix
années omifes , & en outre celle de 1747 , & un
tiers du prêt feulement , Sa Majefté ayant jugé à
propos de leur remettre un tiers du prêt , pour
leur faciliter la confervation de leurs Offices à
leurs familles , en leur continuant la même grace
qu'Elle a bien voulu leur accorder après les fix
premieres années des précedentes déclarations ,
pour l'ouverture de l'annuel , expirées.
IV. A l'égard des Offices de Sénéchauffées ,
Préfidiaux , Bailliages , Siéges Royaux , Prévôtés
Vicomtés , Jurifdictions Royales , & autres faifant
corps d'icelles , & de ceux de Police , ils feront
reçus aufdits droits fur le pied de la moitié de
l'évaluation de leurs Offices , conformément aux
I jv
200 MERCURE DE FRANCE.
Arrêts des 27 Septembre 1740 , 20 Juin 1741 ;
19 Juin 1742 , 18 Juin 743 , 19 Juin 1744 , 19
Juin 17.5 , & le prefent , par lefquels a été dérogé
à l'article III de la Déclaration du 19 Juin 1740 ,
portant qu'ils feront reçus au payement defdits
droits en entier pendant les neuf années d'icelle .
V. Lequel article III de la fufdite Déclaration
fera au furplus exécuté & fortira fon plein &
entier effet au regard des Officiers des Maréchauf
fées , Amirautés de Bretagne , Monnoyes & autres
Jurifdictions extraordinaires , Receveurs des Confignations
, Commiffaires aux faifies réelles , &
Greffiers qui ne pourront prétendre en aucune maniere
être du corps defdits Préfidiaux , Sénéchauffée
, Prévôtés , Vicomtés & Siéges Royaux , fous
pretexte qu'ils y font reçus , immatriculés & inftallés
, lefquels par conféquent feront reçus à l'annuel
en entier , & au prêt de la même maniere , à
la remife néanmoins des deux tiers.
>
VI. Veut au furplus Sa Majesté que la Déclaration
du 19 Juin 1740 foit exécutée fuivant fa
forme & teneur , ainsi que l'Arrêt du 17 Août
1675 concernant les engagiftes de nos domaines
, qui ont droit de nommer aux Offices dépendans
de leurs engagemens , qui feront tenus de
recevoir fans difficulté à l'annuel d'iceux , & en
entier , les Officiers qui juftifieront avoir payé le
prêt en nos revenus cafuels , quoiqu'à moitié ; lef
quels en cas de refus , après leur avoir fait les
fommations requifes , fe pourront pourvoir en nos
revenus cafuels , pour y être admis , & à moitié ,
conformément au préfent Arrêt , fi leurs Offices
font de la nature de ceux qui doivent jouir du bérefice
d'icelui ; fans que les engagiſtes refuſant
de les recevoir , puiffent prétendre , pour raifon
du défaut dudit payement en leurs revenus cafuels ,
SEPTEMBRE 1746. 201
>
lefdits Offices vacans à leur profit . FAIT au Conſeil
d'Etat du Roi tenu à Bruxelles le onze Juin
mil fept cent quarante fix. Collationné . Signé
DE VOUGNY avec paraphe . ›
AUTRE & Lettres Patentes fur icelui , Regiftrées
en la Cour des Aides le 19 Août 1746 ,
contenant de nouvelles difpofitions pour arrêter
le cours des fraudes qui fe font à la fortie de s
Vins enlevés de l'étendue des cinq groffes fermes
pour paffer à l'étranger , ou dans les Provinces
réputées étrangeres , & mettre le Fermier en état
de fuivre plus particulierement la confommation
des Vins qui font déclarés pour la frontiere,
AUTTE & Lettres Patentes fur icelui , Regiftrées
en la Cour des Aides du 19 Août 1746,
qui ordonnent l'exécution de l'article IX du titre
II de l'Ordonnance de's Fermes du mois de Février
167 ; en conféquence que ceux qui y contreviendront
en faifant décharger des marchandifes
des bâteaux ou vaifleaux fans un congé par
écrit du Fermier ou fans la prétence de fes
Commis , feront condamnés à la confifcation defdites
marchandifes & en trois cent livres d'amende.
"'
AUTRE Contradictoire de la Cour des Aides ,
qui confirme avec amende & dépens une Sentence
de la Jurifdi&tion des Traites d'Abbeville
du 23 Juillet 74 , qui a prononcé la confifcation
d'un cheval faifi fur le nommé Guillain Mallet
Laboureur demeurant en Artois , & qu'il avoit
fait entrer en Picardie fans déclaration ni paye.
ment des droits ,
202 MERCURE DE FRANCE.
AUTRE du Confeil d'Etat du Roi , qui indique
les précautions à prendre contre la maladie épidémique
du 19 Juillet 1746. Extrait des Regiſtres
du Confeil d'Etat .
Le Roi étant informé que la maladie épidé
mique fur les boufs & fur les vaches , qui
dépuis quelque tems s'étoit rallentie , fe fait
fentir de nouveau dans quelques Provinces du
Royaume , qu'il y a lieu de penfer qu'elle s'y eft
communiquée , foit parce que des proprietaires
de beftiaux , dans la crainte de voir périr chés
eux ceux de leurs beftiaux dont l'état étoit fufpect
, fe font déterminés à les donner à des prix
médiocres , & les ont fait conduire à des foires
& marchés dans des lieux où la maladie n'avoit
point encore pénétré , foit parce que ceux qui
font le commerce de beftiaux voulant par une
avidité condamnable profiter de l'inquiétude
defdits proprietaires , ont acheté leurs beftiaux à
des prix extrêmement bas , & les ont revendus
par préférence à ceux qui venoient des cantons
non fufpects , en les donnant à des prix inférieurs
ee qui dans l'un & l'autre cas a porté la maladie
dans les lieux où lesdits beftiaux ont été conduits ,
en forte qu'elle pourroit s'étendre fucceffivement
dans les endroits qui jufqu'à préfent en ont été
préfervés , s'il n'y étoit pourvû par des difpofitions
capables de remedier à un abus fi préjudiciable
au bien public & à l'interêt de chaque
Province en particulier . Et l'experience ayant fait
connoître que le moyen le plus affûré pour em
pêcher le progrès de cette maladie , eft d'émpêcher
toute communication des beftiaux qui en font
attaqués , avec ceux qui ne le font pas , comme
auffi que les beftiaux d'un lieu où la maladie s'eft
ait fentir ne foient conduits dans un lieu où elle
"
SEPTEMBRE. 1746. 203
n'a point penétré , Sa Majefté voulant fur ce
expliquer les intentions : Oui le rapport du fieur
de Machaalt Confeiller ordinaire au Confeil Royal,
Contrôleur Général des finances , le Roi étant
en fon Confeil a ordonné & ordonne ce qui
fuit.
›
ART. I. Tous proprietaires de bêtes à cornes
habitans dans les villes ou paroiffes de la campa
gne , dont les beftiaux feront malades ou foupçonnés
de maladie , feront tenus d'en avertir dans
le moment le principal Officier de Police de la
ville , ou le Syndic de la paroille dans laquelle
ils habiteront , fous peine de cent livres d'amende ;
à l'effet par ledit Officier de Police ou ledit Syndic
de faire marquer en fa préfence lesdits bef
tiaux malades ou foupçonnés , avec un fer chaud
portant la lettre M. & de conftater que lesdites
bêtes malades ou foupçonnées de maladie ont été
féparées des beftiaux fains , & renfermées dans des
endroits d'où elle ne puiffent communiquer avec
lefdits beftiaux fains de la même ville ou paroiffe.
II. Ne pourront lefdits proprietaires , fous quelque
pretexte que ce foit , faire conduire dans les
pâturages ni aux abreuvoirs lefdits beftiaux attaqués
ou foupçonnés de maladie ; & feront tenus
de les nourrir dans les lieux où ils auront été renfermés
fous la même peine de cent lives d'amende.
III. Les Syndics de paroiffes dans lesquelles il y
aura des beftiaux malades ou foupçonnés de inaladie
, feront tenus fous peine de cinquante livres
d'amende , d'en avertir dans le jour le Subdélégué
du département , & de lui déclarer le nombre de
beftiaux qui feront malades ou foupçonnés , & qu'ils
auront fait marquer ; les noms des preprietaires
I uj
204 MERCURE DE FRANCE
auxquels ils appartiennent , & s'ils en ont été aver
tis par lefdits proptietaires ou par d'autres parti
culiers de ladite paroiffe . Veut Sa Majefté qu'au
dernier cas le tiers des amendes qui feront pro
noncées contre lefdits proprietaires , faute de déclaration
, appartienne à ceux qui auront donné le
premier avis , foit au principal Officier de Police
dans les villes , foit aux Syndics des paroiffes de la
campagne.
IV. Le Subdélégué , conformément aux ordres
& inftructions qu'il aura reçus du fieur Intendant
de la Province , & les Officiers de Police dans les
villes tiendront la main non feulement pour empecher
que les beftiaux malades ou foupçonnés
n'ayent aucune communication avec les beftiaux
fains de la même ville ou paroiffe , mais encore
pour empêcher que tous les beftiaux , foit malades ,
foit fouponnés , foit fains , du heu ou la maladie
fe fera manifeftée › n'ayent aucune communica
tion avec ceux des villes ou paroifles voifines .
V. Fait Sa Majefté très expreffes inhibitions &
défenſes aux habitans des villes ou des paroiffes de
la campagne dans lesquelles la maladie fe fera
manifeftée , de vendre aucun boeuf , vache ou
veau , & à tous particuliers des autres paroifles ,
ou étrangers , d'en acheter , fous peine de cent
livres d'amende , tant contre le vendeur que contre
l'acheteur , par chaque tête de bétail vendu ou
acheté en contravention de la préfente difpofi
tion fans préjudice néanmoins de ce qui fera réglé
par l'article VII . ci - après .
VI Fait pareillement Sa Majefté défenfes à
tous particuliers , foit proprietaires des bêtes à
cornes , ou autres , de conduire aucuns des beftiaux
fains ou malades , des Villes ou paroiffes de
la campagne où la maladie fe fera manifeftée .
!
SEPTEMBRE 1746. 207
dans aucunes foires ou marchés , & ce fous peine
de cinq cent livres d'amende par chacune contra
vention , de la quelle amende les proprietaires def
dits beftiaux qni pourroient fe fervir d'étrangers
pour les conduire auxdites foires & marchés , feront
refponfables en leur propre & privé nom
VII. Permet Sa Majefté à tous particuliers qui
rencontreront , foit dans les pâturages publics ,
foit aux abreuvoirs , foit fur les grands chemins ,
foit aux foires ou marchés des bêtes cornes
marquées de la lettre M. de les conduire devant le
plus prochain Juge Royal ou Seigneurial , lequel
les fera tuer fur le champ en fa préſence .
VIII. Pourront néanmoins les proprietaires
des bêtes à corne qui auront des beftiaux fains &
non foupçonnés de maladie dans un lleu où quelques
uns des beftiaux auront été attaqués , vendre
lefdits beftiaux fains & non foupçonnés de maladie ,
aux bouchers qui voudront les acheter , mais à la
charge qu'ils feront tués dans les vingt- quatre heures
de la vente , fans que lefdits bouchers puiffent ,
fous aucun pretexte , les garder plus long- tems ,
à peine tant contre lefdits propriétaires que contre
lefdits bouchers , de deux cent livres d'amende
pour chacune contravention , pour raifon de laquelle
amende leidits proprietaires & lesdits bouchers
feront folidaires.
9
IX. Seront en outre tenus lefdits bouchers qui
dans les lieux où il y aura des beftiaux malades ou
foupçonnés , acheteront des beftiaux fains de
prendre un certificat des proprietaires defquels ils
feront lefdits achats , lequel fera vifé de l'Officier
de Police de la ville ou du Syndic de la paroiffe
dans lefquels les achats auront été faits , & conviendra
le nombre & la défignation des beftiaux.
qu'ils auront achetés & qu'ils n'ont eu aucun
106 MERCURE DE FRANCE
fymptôme de maladie ; comme auffi de repréfem er
lefdits certificats à l'Officier de Police de la ville
ou au Syndic de la paroiffe dans lesquels ils conduiront
lefdits beftiaux , à l'effet de conftater que
lefdits beftiaux feront tués dans les vingt- quatre
heures du jour de l'achat ; le tout fous la même
peine contre lefdits bouchers , de deux cent livres
d'amende par chaque contravention & par chaque
tête de bécail qui n'auroit pas été tué dans leídites
vingt- quatre heures de l'achat.
X. Si aucuns defdits bouchers , abufant de la
faculté qui leur eft accordée par les deux articles
précédens , revendoient aucun defdits beftiaux à
telle perfonne que ce puiffe être veuc Sa Majefté
qu'ils foient condamnés en cinq cent livres
d'amende par chaque tête de bétail , même qu'il
foit procedé extraordinairement contre eux , pour
après l'inftruction faite , être prononcé telle peine
afflictive ou infamante qu'il appartiendra .
X I. Les bouchers qui pour s'aprovifionner des
beftiaux dont ils auroient befoin , en acheteroient
dans les lieux où la maladie n'aura point encore
pénétré , feront tenus de prendre un certificat de
I'Officier de Police de la ville ou du Syndic de la
paroiffe dans laquelle ils feront leurs achats , lequel
certificat fera mention de l'état de la paroiffe
fur le fait de ladite maladie , & du nombre &
défignation des beftiaux qu'ils y auront achetés
comme auffi de repréfenter ledit certificat à l'Officier
de Police de la viile , ou au Syndic de la
paroiffe de leur domicile , toutes fois & quantes
ils en feront requis , pour juftifier que lesdits bef
tiaux ont été achetés dans des lieux fains , & peuvent
être confervés fans danger , fous peine de
confiſcation defdits beftiaux , & de deux cent
livres d'amende par chaque tête des bêtes à cornes
SEPTEMBRE 207 1746.
XII. Veut & entend pareillement Sa Majefté
que tous les particuliers & habitans des villes ou
des paroiffes de la campagne où la maladie n'aura
point pénétré , qui voudront conduire ou envoyer
des beftiaux aux foires & marchés , pour y étre
vendus , foient tenus fous peine de confifcation
de leurs beftiaux & de deux cent livres d'amende
par chaque tête des bêtes à cornes , de fe munic
d'un certificat de l'Officier de Police de la ville
ou du Syndic de ladite paroille , vifé par le Curé
ou par un des Officiers de Juftice , lequel certifi
cat fera mention de l'état de ladite ville ou paroiffe
fur le fait de la maladie , & contiendra le
nombre & la défignation defidits beftiaux ; & fera
ledit certificat repréſenté aux Officiers de Police ,
fi aucuns y a , ou aux Syndics des paroiffes des
lieux où fe tiendront les foires & marchés , avant
l'expofition defdits beftiaux en vente .
XIII. Fait Sa Majefté très - exprefles inhibitions
& défenſes auxdits Officiers de Police & Syndics
des lieux & communautés où lesdites foires &
marchés fe tiendront , de permettre l'expofition
d'aucuns defdits beftiaux , fans préalablement s'être
affûrés par la repréfentation defdits certificats ,
du lieu d'où ils viennent , & que la maladie n'y a
point pénétré , à peine contre les Syndics des paroiffes
, de cent livres d'amende , & contre lefdits
Officiers de Police , de deftitusion de leurs
Offices. *
XI V. Si aucuns des Officiers de Police des
villes & des Syndics des paroiffes de la campagne ,
dans le cas où il leur eft enjoint par le préfent Arrêt
de donner des certificats , en donnoient de
contraires à la verité , veut Sa Majefté qu'ils foient
condamnés en mille livres d'amende , même pourfuivis
extraordinairement , pour , après l'inftrue208
MFR CURE DE RRANCE,
tion faite , être prononcé contr'eux telle peine
afflictive ou infamante qu'il appartiendra .
X V. Veut Sa Majesté que dans tous les cas
où les amendes prononcées par le préfent Arrêt ,
feront encourues , les délinquans foient contrai
gnables par corps au payement de dites amendes ,
& qu'ils tiennent prifon jnfqu'au parfait payement
d'icelles.
XV I. Lefdites amendes feront remiſes au
Greffier de Police pour les villes , & au Greffier
des fubdélégations dans chaque département pour
les paroilles de la campagne , pour être diftribuées ,
fçavoir un tiers en conformité & dans le cas porté
par l'article III du préſent Arrêt , & le furplus ainfi
qu'il fera ordonné par Sa Majefte , fur l'avis du
fieur Lieutenant Général de Police de la Ville de
Paris , & des fieurs Intendans dans les Provinces .
Enjoint S M. au S. Lieutenant Général de Police
à Paris & aux ficurs Intendant & ( en milanes
départis dans les Provinces , de tenir la main à
l'exécution du préfent Arrét , qui fera lû , publié
& affiché partout où befoin fera , à ce que perfonae
n'en ignore , & exécuté nonobftant oppofition ou
autres empêchement quelconques , pour lesquels
ne fera differé , & dont fi aucuns interviennent ,
Sa Majefté fe referve & à fon Confeil la connoiffance
, icelle interdifans à toutes fes Cours & autres
Juges, FAIT au Confeil d'Etat du Roi , Sa Majefté
y étant , tenu à Verſailles le dix neuvième jour de
Juillet mil fept cent quarante- fix.
Signé PHELYPEANX.
ORDONNANCE du Roi du 18 , portant qu'au
cuns Officiers mariniers & Matelots as pourront
être exempts du fervice des vaifleaux de Sa Majefté
, fous prétexte des fonctions particulieres aux
quelles ils pourroient être affectés,
SEPTEMBRE 1746. 209
ARREST de la Chambre des Comptes du rz
Août rendu en interprétation de celui du 15 Septembre
1744 , portant reglement pour la publication
des Aveux & Dénombremens préſentés par les
Vaffaux du Roi.
AUTRE de la Cour des Monnoies du 29 , qui
déclare François Duchefne , dit Moirand , duement
atteint & convaincu du crime de fabrication'
& expofition de faux Louis ; pour réparation de
quoi le condamne à faire amende honorable &
enfuite être pendu.
AUTRE du 31 qui déclare les nominés Jean le
Roux , dit Vernier ou Lavernier , & Elizabeth le
Febvre , dite Babet , dûement atteints & convaincus
du crime de fabrication & expofition de faux
Louis ; pour reparation de quoi les condamne
à faire amende honorable & enfuite être pendus:
ORDONNANCE du Roi du 31 , pour porter
la Compagnie de Bas-officiers Invalides de Jacquette
, en garnifon au Château de Saumur , au
nombre de cent hommes , & former du détachemment
qui a été tiré de ladite Compagnie pour gatder
le Château d'Angers , une nouvelle Compa
gnie compofée pareillement de cent hommes , fous
le commandement de M. Toucheronde Capitaine
en fecond de ladite Gompagnie de Jacquette
.
AUTRE du 28 , pour obliger les Officiers de
Cavalerie à prendre l'attache de Monfieur le
Comte d'Evreux , Colonel Général de la Cavalerie ,
fur leurs Commiſſions,
210 MERCURE DE FRANCE
De par le Roi. Sa Majefté s'étant fait répréfenter
les Ordonnances rendues par le feu Roi fon bis
fayeul les 1 Juin 1701 & 25 Juin 1714 , pour
obliger , fous les peine y contenues , tous Officiers
pourvûs d'emplois dans fa Cavalerie , de prendre
fur leurs commiffions ou brevets l'attache de Monheur
le Comte d'Evreux , Colonel Général de ce
Corps : Et étant informé du peu d'attention qu'une
partie defdits Officiers ont eue depuis plufieurs
années de fatisfaire à un devoir auffi effentiel à
la fubordination , Sa Majeft a ordonné & ordonne ,
veut & entend que , conformément auxdites Ordonnances
, les Meftres de Camp , Lieutenans-
Colonels , Majors , Capitaines & généralement
ceux qui ont été pourvûs d'autres charges dans la
Cavalerie , & qui y ont été reçus fans avoir pris
l'attache du Colonel Général , feront tenus de lui
préfenter ou lui faire préfenter dans le terme de
fix mois , leurs commiffions ou brevets , pour la
recevoir. A l'égard de ceux qui feront pourvûs
de pareilles charges à l'avenir , vent Sa Majesté
qu'ils ne puiffent y être reçus qu'après avoir pris
ladite attache , à moins que leurs ommiffions
ou Brevets ne leur fuffent envoyés dans des pays
éloignés , ou dans une armée où le Colonel Général
ne feroit pas , auquel cas feulement Sa Majefté
trouve bon qu'ils foient reçus par proviñon
dans lefdites charges , à condition que trois mois
après la féparation de l'armée , ou du retour de
leur Régiment où il aura été employé , ils fe pourvoiront
devers le CCoolloonneell GGéénnéérraall pour recevoir
fon attache , à peine d'être interdits des fonctions
des charges dans lefquelles ils auront éré reçus .
Enjoint Sa Majesté à tous Meſtre de Camp , Lieutenans-
Colonels ou Commandans d'une troupe
Cavalerie , de fe conformer & tenir la main
de
SEPTEMBRE 1746. 211
ce qui eft en cela de la volonté de Sa Majeſté , ſous
la même peine d'interdiction . MANDE & ordonne
Sa Majellé aux Directeurs & Infpe &teurs de fa Cavalerie
de marquer dans les revûes qu'ils en enverront
à l'avenir , les noms de ceux defdits Of
ficiers qui n'auront pas fatisfait à ce qui leur eft
prefcrit par la préfente Ordonnance , pour en être
rendu compte à Sa Majefté , & aux Commiffaires
ordinaires des guerres de la lire & publier à la tête
des Régimens & troupes de Cavalerie , aux premieres
revues qu'ils en feront , afin qu'aucun n'en
puiffe prétendre caufe d'ignorance . FAIT à Verfailles
le vingt- huitième jour du mois d'Août mik
fept cent quarante- fix. Signé LOUIS . & plus bas ,
M. P. DE VOYER D'ARGENSON,
132 MERCURE DE FRANCÉ.
A. MONSIEUR LE MARQUIS
DE *** en lui envoyant les Vers Juivans
, Jur Mlle. de Mareuil fa niece.
R Eçois , Marquis , quelques vers qu'a fait naître
L'aimable objet que tu m'as fait connoître .
J'avois vécu jufqn'à ce jour
Dans l'indifférence & la profe.
Quelle heureufe métamorphofe !
En moi la Poëfie eft née avec l'Amour.
Le Ciel a mis tous fes dons en Mareüil
Taille , beauté , grace ; voila pour l'eeil :
Puis pour F'oreille une voix fi touchante !
Sur Epinette une main fi brillante !
Venons à l'ame. Efprit folide & fin ,
Bon petit coeur , gayeté , douceur ; enfin
J'ai bien complets auprès de tá niéce ,
( J'ai pensé dire auprès de ma maîtreffe )
Plaifirs des fens , de l'efprit , & du coeur ,
Ét , ſauf un point , parfait eft mon bonheur ,
Mais plus parfaite encore eft ma tendreffe .
TABLE.
PIECE
IECES FUGITIVES en Vers & en Profe.
Poëme qui a remporté le Prix de l'Académie de
Rouen. 3
Vers à Madame du B ******* fur fon Poëme qui
a remporté ce Prix.
Réponse de cette Dame & Replique.
Extrait de la Séance de la même Académie .
9
10
II
Vers adreffés à une Dame , en lui envoyant une Tabatiere
dè glace , & autre Envoi. 24
Lettre & Extrait des rufes de guerre de Polien &
de Frontin .
Vers à *** .
Traduction d'une piéce en Vers Latins .
Epigrammes de M. de la Soriniere.
Ode anacréontique.
25
53
54
55
56
Lettre & réponde à une Differtation fur la Mufique.
La Métamorphofe de la Nymphe Io .
58
85
86
88
Lettre à un ami fur fon retour à Paris .
Vers à des Auteurs anonymes .
Autres à Cypris & Epitre Solitaire.
Séance publique de l'Académie Françoiſe , Extrait.
85
୨୦
Nouvelles Littéraires , des Beaux Arts . Hiftoire du
Théatre François , VIIe volume , Extrait . 99
Recueil de piéces d'Eloquence & de Poëfie , préfentées
à l'Académie des Jeux Floraux . Extrait .
104
Differtations fur les apparitions des Anges , des
Démons & des Efprits , & fur les Revenans &
Vampirs de Bohême.
La Vie de Mecenas;
/III
IIZ
Premier & deuxième tomes de l'Hiftoire du Tarif
de 1664. ibid,
Hiftoire de la Compagnie des Indes.
ibid.
De la corruption du goût dans la Mufique Françoife
. 113
Progamme de l'Académie des Sciences de Dijon
pour 1747 . 114
Séance & Progamme de celle des Belles- Lettres de
115 Montauban pour 1747.
Mots de l'Enigme & des Logogryphes d'Août. 118
Chanfon notée .
ibid.
Logogryphes.
119
127
Spectacles.
Sonnet fur les fentimens d'un Athée converti. 131
Journal de la Cour.
Inhumation de Madame la Dauphine.
Deſcription du Catafalque .
132
134
137
Te Deum chanté à l'Abbaye faint Germain des Prez,
pour la convalefcence de M. le Comte de Clermont.
Régimens donnés .
Réception de M, l'Abbé de la Ville à l'Académie .
141
144
145
Celle de M. Duclos, itid.
Bénéfices donnés . ibid.
Combat fur mer. 148
Prifes de Vaiffeaux . 151
Opérations de l'Armée du Roi ,
152
Nouvelles Etrangéres , Allemagne. 163
Italie.
167
Efpagne. 172
Grande-Bretagne, 177
Pays-Bas.
185
Naiffance , Mariage & Morts. 188
Arrrêts notables . 199
La Chanfon notée doit regarder la page 118
Fantes à corriger dans ce Livre,
PAge Age 19 ligne 9 réflections , lifez réflexions ,
Pag . 64 lig. 10 tire , iijez tord.
Pag. 66 lig. 4 du bas , & Lalande , lifez & La
bande .
Pag. 8 lig . 7 d'habiletés, liſez d'habileté ,
Pag. 69 lig. 19 s'agit , lifez s'agit point.
Pag. 78 lig. antépénultiéme , tous , lifez tout .
Pag. 73 lig. premiere , regardes , lifez regardez,
Pag. 7 lig. 2 differentes , lifex differens ,
lbid , lig. 22 de la , lifez de-là .
1
Pag. 75 lig. derniere , Ri , lifez Roi.
Pag . 76 lig. derniere , Operas , lifez Opera.
Pag. 77 lig. pénultiéme , tous , lifez toutes.
Pag. 79 lig . 8 de la main , otez la virgule.
Pag. 81 lig. 19 c'eft en vérité , fz il eſt en vérité,
Pag. 82 lig. derniere , digés , lifez redigés .
Pag. 85 lig. 12 dater , lifez dater ?
Pag. 145 lig. 15 nobleffes , lifez nobleffe,
Ibid , vrais , lifez vraie.
I
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI
OCTOBRE. 1746.
LIGIT
UT
SPARCAL
Chés
is, A PARIS ,
GUILLAUME CAVELIEN
rue S. Jacques.
La Veuve PISSOT, Quai de Conty
à la deſcente du Pont-Neuf.
JEAN DE NULLY , au Palais
M. DCC . XLVI.
Avec Approbusion &Privilége das Rak
A VIS.
'ADRESSE générale du Mercure eft
LAM. DE CLEVES D'ARNICOURT
rue du Champ-Fleuri dans la Maifon de M.
Lourdet Correcteur des Comptes au premier
étage fur le derriere entre un Perruquier & un
Serrurier à côté de l'Hôtel d'Enguien. Nous
prions très-inflamment ceux qui nous adrefferont
des Paquets par la Pofte , d'en affranchir
le port , pour nous épargner le déplaifir
de les rebuter , & à eux celui de ne
pas voir paroître leurs ouvrages.
Les Libraires des Provinces ou des Pays
Etrangers , qui fouhaiteront avoir le Mercure
de France de la premiere main , & plus prompsement
, n'auront qu'à écrire à l'adreſſe ci-deſſus
indiquée ; on fe conformera très- exactement à
leurs intentions.
Ainfi il faudra mettre ſur les adreſſes à M.
de Cleves d'Arnicourt , Commis au Mercure
de France rue du Champ¿Fleuri , pour ren
dre à M. de la Bruere,
Paix XXX. SOLL
MERCURE
DE FRANCE
DÉDIÉ AU ROI.
PIECES FUGITIVES
en Vers & en Profe.
TRADUCTION de l'Ode XIe. du
fecond Livre d'Horace ad Pofthumum.Ehen
fugaces, Pofthume , &c.
UE notre vie , hélas ! s'écoule avec
vîteffe !
Que par nos ans l'un fur l'autre entaffés
Les traits rians de l'aimable jeuneffe ,
Ami , font bien- tôt effacés !
La piété , la vertu même ,
N'arrêtent point l'ordre fuprême
A j
4 MERCURE DE FRANCE
De chacun de nos jours qui s'envole & qui fuit ,
Telle que le couchant qui précéde la nuit ,.
La vieilleffe à grands pas s'avance ,
Et de quelques inftans dévance.
L'indomptable mort qui la ſuit ,
Par la plus fervente priere ,
Par l'ençens le plus pur à la Divinité ,
Nul ne fçauroit s'ouvrir l'invincible barriere
Que le Ciel nous oppofe à l'immortalité.
C'est le terme fatal où tout homme s'arrête ;
Le pauvre y voit finir fa langueur & ſes maux
Et c'eft là qu'avec lui le plus grand des Héros
Voit expirer fa derniere conquête .,
C'est affés pour fubir ces immuables Icix ,
De jouir des trésors dont la terre eft couverte a 7
Et fuffions-nous iffus du fang des Rois ,
Il fuffit d'avoir vû la lumiere une fois ,
Pour être affuré de fa perte.
Envain nous fuyons Mars & fes terribles coups ,
Nous évitons le plomb & le fer homicide ,
Et n'ofant nous fier à l'élément perfide ,
Nous vivons à l'abri de Neptune en courroux :
Envain au feul aſpect d'une automne mortelle ,
Tout l'art de Gallien s'épuiſe fur nos corps ;
La fatale voix nous appelle ;
Il faut , malgré nos foins & nos efforts ,
Defcendre en la nuit éternelle,
OCTOBRE 3 1746.
Il faut quitter la terre , & laiffer pour jamais ,
Cherami , ces plaifirs , ces honneurs , ces richeſſes,
Ces enfans , cette épouſe & leurs tendres careffes ,
Ce fpectacle charmant dont la Nature exprès
Sémble avoir peint pour nous l'image enchantereffe
,
Et de tant de beautés fi diverſes d'attraits ,
Le feul bien que le fort nous laiffe ,
Eft d'emporter un funefte Cyprès.
supsup
TRADUCTION d'un Manuferit
Ileftun
Arabe.
Left un canton dans l'Arabie heureuſe ,
appellé le Ludiſtan , Ce pays où la Nature
femble avoir pris plaifir à déployer les
tréſors , étoit fous la domination d'un jeune
Roi , qui étoit lui -même le préfent le plus
précieux que le Ciel eût fait à ce beau cli
mat. Aux vertus héroïques qui forment
un grand Roi , il joignoit les qualités qui
forment un homme aimable ; une figure
charmante donnoit un nouvel éclat au carac
tére le plus aimable , & tous deux fe faifoient
briller mutuellement. Les peuples heureux
fous le regne d'un Roi qu'ils adoroient,
ne défiroient autre chofe que de voir le
6 MERCURE DE FRANCE
"
bonheur de leur Prince affûré par le choix
d'une épouſe & le leur par un héritier
né d'un fang fi cher à la nation ,
Quoique le Prince eut déja atteint l'âge de
dix -neuf ans , il avoit paru jufques-là plus
touché de la crainte d'un engagement , que
fenfible aux charmes qu'il peut offrir ; mais
une fi belle ame n'étoit point faite pour reſter
infenfible . L'amour n'avoit pas encore marqué
fon heure , & elle arriva enfin .
Grifdelin , c'eft le nom du Roi dont nous
parlons , avoit à ſa Cour un Ambaſſadeur
de la Fée des Cygnes, Reine puiffante dont
le Royaume étoit voifin de celui de Grifdelin.
La difcuffion de quelques interêts peu difficiles
à régler , avoit attiré cet Ambaſſadeur à la
Cour de Grifdelin , mais cet homme habile
& attentif aux intérêts de fa Souveraine,
avoit formé un projet plus important que
les inftructions dont il étoit chargé . La Fée
des Cygnes avoit une fille nommée Charmante
, & fi quelqu'un dans l'univers pouvoit
être comparé à Grifdelin , c'étoit Charmante
qui à fon tour ne pouvoit trouver
que le Prince qui fût digne d'elle . Il étoit
peu convenable d'offrir la Princeffe à Grifdelin
, & peut-être de s'expofer à un refus ;
auffi l'Ambaffadeur en demandant à ce fujet
les ordres de la Fée, lui promit-il d'amener les
chofes à un point que Grifdelin demanderoit
.
OCTOBRE 1746. 7
lui même Charmante, comme la plus grande
faveur qu'il put obtenir. L'accès qu'il avoit
auprès du Prince lui donnoit les moyens do
préparer fon efprit à ce qu'il avoit à lui dire,
& de l'amener à fon but : après avoir connu
dans plufieurs entretiens que le Prince n'étoit
pas auffi éloigné de prendre un engagement
qu'on le croyoit , un jour lui parlant des
Peintres excellens qui étoient à la Cour de
la Fée des Cygnes , il lui montra négligeamment
quelques mignatures du plus célebre
d'entr'eux. Parmi ces differens tableaux un
feul attira l'attention de Grifdelin. Dès qu'il
l'eut apperçu , il négligea tous les autres ;
fes yeux fe fixerent fur cette peinture , &
l'Ambaffadeur n'eut pas de peine à s'appercevoir
qu'elle faifoit fur lui l'impreffion la
plus vive. J'ai fouvent entendu parler , dit
Grifdelin , de la beauté de la Princeffe Charmante,
& je croirois que c'eft là fon portrait,
s'il étoit poffible que jamais on pût reffembler
à cette peinture , qui eft le chef- d'oeuvre
de l'Art & l'ouvrage de l'imagination . C'eſt
pourtant fon portrait , reprit l'Ambaffadeur,
& un portrait qui n'eft point flaté.
Le Prince ne répondit rien , & peu de
tems après fe retira , laiffant l'Ambaſſadeur
bien perfuadé que fa négociation avoit
reuffi. En effet le lendemain le Roi le fit
appeller. Je veux , dit - il , vous avouer ma
A iiij
8 MERCURE DE FRANCE.
foibleffe. Depuis que j'ai vû ce portrait , je
ne fuis plus le même ; tout ce que j'ai entendu
dire des vertus , des graces de Char-
-mante , s'eft rappellé à mon efprit . Ce que
j'avois jufques -là entendu fans intérêt , cette
peinture en fait un ſouvenir qui trouble mon
ame ; c'étoit une matiere combuftible qui
n'attendoit qu'un flambeau pour s'embrafer.
Enfin , je fens que mon bonheur dépend de
Charmante ; que je ne puis vivre heureux
fans être fon époux , & c'eſt à vous , c'eſt à
vos foins que j'ai recours pour l'obtenir. Je
veux faire partir une Ambaffade confidérable
pour la Cour de la Fée des Cygnes.
Retournez avec mes Ambaſſadeurs ; appuyez
leur demande , je vous devrai le bonheur de
ma vie.
L'Ambaffadeur au comble de fes voeux , ne
cacha point à Grifdelin les ordres qu'il avoit
reçus, & lui avoua que cette union qu'il défiroit
avec tant d'ardeur, n'étoit pas moins précieuſe
pour la Fée des Cygnes . S'il eſt ainſi,
dit le Prince , partons au plûtôt pour aller
trouver Charmante, pour mettre ma couronne
& mon coeur à fes pieds. Les apprêts du
départ furent ordonnés avec l'impatience
de l'amour ; & trois jours après , le Prince
menant avec lui l'Ambaſſadeur , & fuivi d'un
cortege digne d'un Roi puiffant , partit pour
la Cour des Cygnes , rempli des eſpérances
es plus flatteufes .
OCTOBRE 1746 .
"
Pendant qu'il fe croyoit être sûr du fort le
plus heureux , Rorage le plus funefte ſe préparoit
contre lui .
Ifmenor , Magicien puiffant , & Roi de
de l'Ifle des Lions , avoit une fille nommée
Riquette , cette créature haute de trois pieds
& demi , borgne & boiteufe , avoit plûtôt
l'air d'un démon que d'une fille ; mais tels
font les droits de la Nature , qu'elle étoit
auffi chere à fon pere , que Charmante pouvoit
l'être à la Fée des Cygnes ; elle étoit
devenue amoureuſe de Grifdelin fur un
portrait qu'elle avoit vû de ce Prince ; &
fon pere qui ne fçavoit rien lui refufer ,
alloit envoyer des Ambaffadeurs pour propofer
à Grifdelin ce vilain mariage , lorfqu'il
apprit que le Prince étoit parti pour
FIle des Cygnes. Le défefpoir de Riquette
ne fe peut exprimer , & le Magicien touché
de la douleur de fa fille , entra en fureur contre
Grifdelin ', comme fi ce Prince l'eût of
fenfé de la maniere la plus cruelle ; il jura
de fe venger , & exhortant fa fille à fe calmer
& à preudre de meilleures efpérances ,
il lui promit de travailler de toute fa puiffance
à faire fon bonheur. En effet , il partit
le lendemain à la pointe du jour , fuivi d'un
feul Palefrenier nommé Rabot : il étoit horriblement
contrefait & hideux à voir ; ce
fut là le fujet qu'il choifit pour fervir la ven-
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
geance, & avec lequel il fe rendit à une forêt
par où il falloit néceffairement que le Prince
Grifdelin pafsât . Il l'attendit fur le chemin , &
pendant ce tems - là n'oublia pas de fe fervir
de fon art magique , & de faire les conjurations
néceffaires pour exécuter ſon deffein.
Quand il entendit approcher la caravane
de Grifdelin, il tira de fa poche un mouchoir
enchanté , qui avoit la vertu de rendre
invifibles ceux qui le touchoient ; il en donna
un bout à tenir à Rabot , & tint l'autre
dans fa main; alors il fe mêle en aſſurance avec
la caravane ,& eft bien furpris de n'y pas trouver
Grifdelin ; le Prince s'étoit arrêté avec
quelques-uns de fes gens à une fontaine , &
avoit ordonné au refte de fa fuite de prendre
les devans . La fraîcheur de l'eau & la fatigue
l'avoient endormi, & il repefoit à l'ombre
d'un palmier. Ifmenor l'apperçut, & étant·
toujours invifible, il le toucha de fa baguette
pour augmenter fon fommeil , & par la vertu
de la même baguette il endormit le petit
nombre de Gardes qui étoient auprès du
Prince , enfuite il lui ôta tous fes habits , &
ayant fait auffi dépouiller Rabot , il mit les
habits du Palefrenier à Grifdelin , & à Rabot
ceux du Prince, puis fans perdre de tems , il
toucha Rabot de fa baguette , en difant :
va , & deviens en tout femblable à Grifdelin
juſqu'au moment où tu auras époufé la fille
de la Reine des Cygnes. En effet , il l'enOCTOBRE
1746. II
chanta de façon, qu'il prit entierement la ref
femblance du malheureux Prince ; & le charme
étoit fi fort, qu'il crut lui-même l'être ,mais
heureuſement le Magicien n'eut pas le pou
voir de faire paffer auffi la belle ame de Grifdelin
dans le corps de Rabot . Quand cette
opération fut faite , Imenor toucha le Prinee
de fa baguette pour le réveiller. Quelle
fut fa furprife , lorfqu'en fe levant il appercut
fes habits fur un autre lui- même , & qu'il
fe vit vêtu des plus vilains haillons. Il fe frotta
les yeux , croyant rêver , mais le Magicien
le prenant par les cheveux , fans lui rien
dire , l'enleva & lemporta dans une nuée à
la porte de l'appartement de la Princeffe
Riquette. Pendant ce tems- là Rabot avoit
monté fur le cheval du Prince & rejoignoit
la caravane avec la fuite du Prince qui s'étoit
réveillée dès que le Magicien avoît difparu.
Chacun le prit pour le vrai Griſdelin.
D'abord qu'il fut arrivé , il dit : J'ai faim ,'
qu'on me donne à manger. Son premier
Maître d'Hôtel lui répondit : Sire , le fouper
de Votre Majefté n'eft pas commencé , & les
tentes ne font pas même encore dreffées. Taifez-
vous , lui dit le faux Prince , vous êtes un
fot ; il n'y a qu'à me faire griller une cuiffe
de cheval. En même tems il égorge lui-même
un des plus beaux chevaux de fa troupe , &
A v
12 MERCURE DE FRANCE.
en ayant dépecé une cuiffe , ordonne qu'on
la faffe cuire fur le champ , & qu'on la lui
ferve. Dès que cela fut fait , il fe mit à table ,
& mangea la cuiffe de cheval , en difant :
Je n'en ai jamais mangé de fi bon : je
veux que mes Courtifans en mangent , &
qu'on ne faffe point d'autre fouper pour ma
fuite ; il n'y a qu'à tuer encore trois ou quatre
chevaux , afin que chacun en ait abondamment.
La raiſon de ce goût pour la chair
de cheval , c'eft que dans le Pays des Lions
où Rabot étoit Palefrenier du Roi , comme
on fe fervoit de lions en guife de chevaux,
les chevaux fervoient comme les boeufs au
labourage & à la nourriture des habitans , ils
paffoient même pour un excellent manger ;
c'eft pourquoi Rabot fut bien-aife d'en manger
à fon appetit. Le lendemain il ne mangea
pas autre chofe , & en fit nourrir auffi
toute fa fuite. Enfin quand on arriva à la
Cour de la Reine des Cygnes , il avoit au
moins une trentaine tant de Courtisans que
de Pages à pied , & lui- même fit fon entrée
dans la Ville à pied , parce qu'il venoit de
manger ce jour- là le beau cheval bleu &
blanc fur lequel le Prince étoit monté. On
lui en offrit bien un autre , mais il dit que
ce n'étoit pas la peine pour fi peu de tems ,
& qu'il feroit bien une journée à pied . Auffitôt
toute la Cour mit pied à terre , & chasun
marcha tenant fon cheval par la bride,
OCTOBRE 1746. 13
Les Courtifans de Grifdelin ne revenoient
point de l'étonnement que leur caufoit la
conduite de celui qu'ils croyoient leur Prince,
car perfonne ne doutoit que ce ne fût lui,
& à dire vrai , il lui reffembloit fi parfaitement
, qu'on ne pouvoit pas ne s'y pas tromper.
Les uns difoient : Qu'est - il donc arrivé
à notre Prince ? eft-ce qu'il eft devenu fou ?
D'autres : c'eft l'amour qu'il a pour Charmante
qui lui a tourné la tête . D'autres enfin,
& c'étoient les plus fenfés, difoient qu'il
falloit que quelqu'un l'eût enforcelé. Mais
quelle que fut la caufe de fon changement, il
n'en étoit pas moinsvrai ni moins fâcheux , &
toute la Cour en étoit au défefpoir. Quand
il arriva au-deffous du balcon où étoit la
Reine , la Princeffe & toutes les Dames de
la Cour , 11 demanda : Où eft la Reine ?
On la lui montra ; & en s'approchant d'elle ,
il lui dit : Madame , vous êtes peut- être étonnée
de me voir arriver à pied , mais c'eſt
qu'en chemin faifant j'ai eu faim & j'ai mangé
mon cheval ; cela n'empêche pas que je ne
fois un grand Prince , & que je ne devienne
votre gendre. Enfuite il demanda : Où eft
Charmante La Reine lui dit : Seigneur ,
Vous avez fon portrait , & il faut qu'il ait
fait bien peu d'impreffion fur vous, fi vous
ne la reconnoiffez pas. Je ne me fouviens
pas d'avoir fon portrait , répondit Rabot ,
14 MERCURE DE FRANCE.
mais je m'en vais voir s'il eft dans ma poche
, pour voir fi je la trouverai bien après
tout feul. Tous les Seigneurs & les Dames de
la Cour de la Reine fe regardoient , & ne
fçavoient que penfer d'un début fi extraordinaire
& fi peu conforme à l'idée que l'Ambaffadeur
leur avoit donné du Prince. Rabot
fouilla dans fes poches , & les renverfa
toutes l'une après l'autre , fans y trouver
le portrait de la Princefle , qui rougifloit &
trouvoit le procédé de fon amant fort extraordinaire.
Il fallut qu'on montrât Charmante
au faux Prince , qui s'en approcha ,
& lui fit ce compliment : Je ne fçai pas ce
que votre mere veut dire avec votre portrait,
je ne l'ai jamais eu & voilà la premiere
fois que je vous vois ; mais je vous trouve
très-belle , & je ne demande pas mieux que
de vous époufer quand vous voudrez : en
attendant , je m'en vais me repofer , car je
fuis las d'avoir marché à pied toute la journée
. En difant cela , il entra fans façon dans
le Palais , & on le conduifit à l'appartement
qu'on lui avoit préparé , où il fe jetta ſur un
fit , & fe mit à ronfler fi fort , qu'on l'entendoit
de l'autre bout de la Ville. Pendant ce
tems-là la Fée & fa fille étoient dans la derniere
furpriſe des manieres groffieres & impertinentes
d'un homme qu'on leur avoit dé
peint extrêmement aimab e.La pauvre CharOCTOBRE
1746.
mante fur-tout étoit inconfolable . Elle avoit
depuis quinze jours le portrait de Grifdelin ,
& fa figure lui avoit beaucoup plû ; cela joint
à tous les biens que l'Ambafladeur en avoit
écrit , avoit fait impreffion fur elle , & elle
étoit très- tendrement prévenue pour lui ,
quand fon imbécille reffemblance arriva . Elle
le trouva bien ftupide & bien groffier ; mais:
ce qui la fachoit le plus, e'eft qu'il ne lui paroiffoit
point du tout amoureux d'elle, ce qui
choquoit également fa vanité & fa fenfibilité,
deux points bien effentiels chés une jeune
beauté. La Reine Fée ne fçavoit non plus que
penfer, quand le grandChambellan deGrifdelin
vint latrouver, & lui fit demander une audience
en particulier. Elle la lui accorda, &
le fit paffer dans fon cabinet . Alors il lui dit,
avec les marques de la plus fincere douleur,
qu'il étoit auffi étonné qu'elle des procédés
du Prince , que depuis quatre jours il ne le
reconnoifoit pas , qu'il fembloit être devenu
fou & hebêté ; il lui raconta comment
il avoit eu la fantaifie de manger des chevaux
, & qu'il les avoit tous obligés de s'en
nourrir , fantaifie qu'il ne pouvoit attribuer
qu'à une fubite aliénation d'efprit. A l'égard
de la Princeffe Charmante , je fçai , dit-il , à
n'eu pouvoir douter, que le Prince mon Maî
tre en eft devenu paffionnément amoureux
dès le premier inftant qu'il a vû fon portrait;
16 MERCURE DE FRANCE,
cependant aujourd'hui il foutient qu'il ne
l'a jamais vûe , & réellement le portrait ne
fe trouve pas fur lui. Je vous avouerai , Madame
, que la bizarrerie de cette avanture,
me paroît incompréhenfible. Ce récit fit
penfer à la Fée qu'il y avoit là quelque chofe
d'extraordinaire ; & pour s'en éclaircir, après
avoir congédié le Chambellan , & l'avoir remercié
de fes avis , elle alla confulter le miroir
de la verité . C'étoit un miroir enchanté
que la Fée avoit fait, & dans lequel on voyoit
les évenemens & les figures qu'on fouhaitoit
de voir , & tout cela dans la plus exacte vérité
& reffemblance. La Reine fouhaita de
voir le Prince tel qu'il étoit réellement ; alors
elle le vit , non pas ronflant fur un lit comme
le faux Prince , mais enfermé chés Ifmenor
dans une tour inacceffible , couvert de
haillons dégoutans , & baifant le portrait
de Charmante qu'il avoit au bras , & qu'il
baignoit de fes larmes. Le Prince l'avoit
toujours porté à fon bras , & le Magicien
en le déshabillant , ne l'avoit pas apperçu , .
& le lui avoit laiffé , ce qui faifoit que Kabot
auroit bien retourné toutes les poches
de l'univers fans l'y trouver. La Reine fut
attendrie de l'état où elle vit Grifdelin ; elle
courut chercher fa fille pour la rendre
témoin du même ſpectacle. On ne fçauroit
être plus touchée que le fut Charmante à
cette vûe,fur-tout lorſqu'en continuant de reOCTOBRE
1746. 17
garder dans le miroir qui leur repréfentoit la
tour inacceffible, elles virent tout à coup ouvrir
la porte de cette priſon affreuſe où entra
Riquette qui parut parler tendrement au
Prince ; elles ne purent entendre ce qu'elle
lui difoit ni ce que Grifdelin lui répondoit ,
mais elles en jugerent par les geftes de
Grifdelin , qui mit fa main devant fon viſage
comme pour ne pas voir Riquette, auffi bien
que par le défefpoir de l'amoureufe Riquette
qui fortit le vifage plus rouge qu'un
brazier ardent , & dans l'inftant quatre boureaux
arriverent & battirent cruellement le
Prince , qui fouffrit leurs cruautés avec un
vifage ferein , & où étoit peint tout l'amour
qu'il reffentoit pour Charmante.
Charmante à cette vue fit un cri perçant ,
& il lui fembla dans ce moment avoir
éprouvé tous les maux qu'elle avoit vû faire
à fon amant. Elle s'évanouit , mais la Fée
fa mere la fit bien tôt revenir & l'appaila
un peu en lui promettant de la venger elle
& fon amant , & de les unir tous deux comme
ils le fouhaitoient. Charmante étoit dans
une fituation d'efprit bien peu tranquille .
Elle voyoit fon amant fouffrir des maux
cruels , mais c'étoit pour elle qu'il les fouffroit
, & toutes fes fouffrances étoient autant
de gages de fon amour ; qu'elle circonf
tance pour un coeur fenfible ! Mais il ne fal
18 MERCURE DE FRANCE.
loit
pas s'en tenir à de foibles plaintes , il
falloit agir & fecourir le Prince : d'abord
elles voulurent voir dans le miroir de la vérité
le fujet de la reflemblance qui les avoit
trompées , elles n'eurent pas plutôt fouhaité
, qu'elles virent Rabot tel qu'il étoit
réellement , c'eft à dire un Pallefrenier horrible
& dégoutant. Il n'en fallut pas d'avantage
à la Fée pour éclaircir toute la noirceur
d'Ifmenor ; fur le champ elle prit la
réfolution d'aller délivrer le Prince , elle
communiqua fes projets à Charmante qui
ne manqua pas de les approuver. Ma fille ,
lui dit-elle , je pars pour une avanture bien
difficile , car le Magicien à qui j'ai affaire
eft plus puiffant que moi , & ce n'eſt que
par rufe que je puis réuffir , mais n'importe
, il s'agit de vous venger & de fervir ce
que vous aimez ; je ferme les yeux
fur le peril & je ne vois plus que ce qu'exige
mon extrême tendreffe pour vous.
Adieu ; ma fille , efforcez vous de bien traiter
le faux Grifdelin , donnez lui tous les jours
de nouvelles fêtes , & prenez bien garde
que perfonne ne puiffe foupçonner la moindre
partie de ce que nous fçavons ; s'il fonge
à vous demander ce que je fuis devenue
vous lui direz que je fuis partie pour aller
vifiter les frontiéres de mon Royaume parce
que je veux lui céder ma Couronne en
OCTOBRE 1746. 19.
vous le donnant pour époux & qu'il faut
préparer à ce changement de domination
des peuples qui n'ont jamais obéi à un
étranger. Aprés ce peu de paroles elle s'éleva
en l'air & envelopée d'un nuage qui .
la déroboit à tous les yeux elle vola droit
chés Ifmenor ; quand elle fut au- deffus de
la tour ou Griſdelin étoit prifonnier , elle s'arrêta
& voulut y entrer , mais il fembloit que
l'air la repouffat toujours dès qu'elle vouloit y
deſcendre ; étonnée elle fe pofe au pied de
la tour ; elle a recours à fon art , & tout fon
fçavoir , ne peut lui apprendre autre choſe
fi non que cette tour eft enchantée & que
la puiffance du Magicien eft fi forte qu'on
ne peut rompre aucun de fes charmes ni entreprendre
rien contre lui à moins d'avoir
une pierre de l'Anneau de Gygés qu'il garde
foigneufement , dont la vertu eft telle que
tous les enchantemens font fans force contre
ceux qui la poffedent ; mais comment avoir
cette précieuſe pierre dont apparemment
Ifmenor n'ignoroit pas le prix ? de quelle
rufe fe fervir pour la dérober ? l'extrême
envie de fervir fa fille lui en fuggera une.
& elle ne tarda pas à l'employer ; elle écri-.
vit un billet par lequel elle avertiffoit Grif
delin de l'envie qu'elle avoit de le favorifer
& de tout ce qu'il falloit faire pour réuffir ,
enfuite elle fe changea en hirondelle & ſe
20 MERCURE DE FRANCE
mit à voler autour de la fenêtre de la tour ,
ayant le billet dans fon bec , & attendant que
le Prince fe montrât pour le lui donner; il pa
rut bien-tôt à la fenêtre ; l'hirondelle Fée
vola auprès de lui & lui preſentoit le billet ,
mais il étoit fi occupé de charmante & de
fon portrait qu'il fut près d'une heure fans
l'appercevoir , enfin il la vit & furpris de
fe voir apporter une lettre par un oiſeau ,
& plus furpris encore de voir qu'il paroiſfoit
s'attendrir fur fes malheurs , il tendit
la main & tira à lui le billet , qu'il lut à la
hâte & où il trouva ce qui fuit . On veut
vous fervir , charmant Grifdelin , & l'hirondelle
qui vous rend cette lettre eft la Fée
Reine des Cygnes , mere de Charmante ;
Charmante fçait vos malheurs , elle
y eft
fenfible & vous aime autant que vous l'aimez
. Charmante m'aime , s'écria le Prince ;
eft-il vrai fécourable hirondelle ? puis fe fouvenant
qu'il parloit à la Reine , Madame ,
lui dit- il , pardonnez ce tranfport à mon
amour & fouffrez que je vous demande encore
des affûrances de mon bonheur. L'hirondelle
ne pouvoit rien répondre , & Gril- `
delin après avoir baifé cet endroit du billet
où on l'affûroit du coeur de Charmante , fe
remit à lire le refte où on lui expliquoit toute
l'hiftoire de Rabor , & où on lui donnoit avis
que le pouvoir de laFée n'étant pas auffi grand
OCTOBRE 1746. 21
que celui du Magicien , il falloit avoir
recours à la rufe pour avoir de lui une
pierre de l'Anneau de Gygés qui avoit la
vertu de rompre tous les enchantemens; que
pour cela il n'avoit qu'à faire femblant de
confentir à époufer Riquette & lui dire
qu'il l'aimeroit fi elle pouvoit prendre au
Roi fon pere cette pierre fatale & la lui
donner. Grifdelin dit à la Fée qu'il ne manqueroit
pas à ce qu'elle lui, prefcrivoit , &
dès le lendemain quand Riquette vint le
voir il la reçut beaucoup mieux qu'à l'ordinaire
, & lui dit qu'il avoit eu pendant la
nuit un rêve mystérieux dans lequel il avoit
vû Charmante qui fe moquoit de lui entre
les bras d'un autre ; il ajouta que dans
fon rêve une Fée lui avoit dit que s'il vouloit
le détacher de Charmante & s'attacher
à la fille d'Ifmenor , il falloit qu'il eut en
fa poffeffion une certaine pierre de l'Anneau
de Gygés , qu'Ifmenor avoit , qu'infailliblement
cette pierre le rendroit pour
toujours amoureux de la Princeffe Riquette
; fur cela le petit monftre fe mit à pleurer
de joie , elle embraffa plus de trente
fois Grifdelin , ce qui ne fut pas fans lui
cracher au vifage ; il étoit au délef
poir , il auroit mieux aimé les coups de
baton qu'on lui donnoit ordinairement , que
de pareilles careffes , mais il falloit fe con22
MERCURE DE FRANCE.
traindre & il fit fi bien que Riquette en
fut la dupe . Elle fortit d'avec lui enchantée
des efpérances qu'il lui avoit données &
lui promit de lui donner la pierre en queftion
. Sur le champ elle alla trouver le Roi
fon pere , & lui conta fa bonne fortune ,
puis fe jettant tout d'un coup à fes pieds elle
lui demanda la pierre de l'Anneau de Gygés ;
cette propofition furprit Ifmenor & lui donna
beaucoup à penfer , mais comme c'étoit
T'homme le plus fin & le plus diffimulé de
fon tems , il cacha aifément fon trouble à fa
fille & la renvoya en lui difant , allez ma
chere Riquette , comptez que je n'aime rien
plus que de vous faire plaifir ; je vais chercher
la pierre que vous me demandez & je
vous la donnerai : fur le champ il s'enferma
dans fon cabinet , & après avoir jetté les of
felets & fait plufieurs autres opérations
magiques, il connut par laforce de fon art que
la Fée fon ennemie étoit dans fon Palais,il découvrit
tout fon projet & réfolut de fevenger ;
pour cela il prit une pierre qui avoit la vertu
de petrifier tous ceux qui la touchoient ;
il la mit dans une boëte & fit appeller la
Princeffe fa fille ; elle fe rendit aux ordres
de fon pere , qui en lui remettant la boëte
entre les mures, lui dit , donnez la telle qu'elle
eft à votre amant & gardez vous bien de
T'ouvrir par ce qu'elle perdroit toute fa ver
OCTOBRE 1746. 23
tu ; fur le champ Riquette vole à la prifon
& Ifmenor tenant fon mouchoir enchanté
la fuit invifiblement ; il entre dans la prifon
& voit au pied de la Tour la Reine des
Cygnes qui attendoit dans fa forme natu
relle la pierre que Grifdelin devoit lui jetter
par la fenêtre , en effet à peine le Prin
ce eut-il la boëte que Riquette lui donna
avec mille careffes , qu'il s'approcha fans fai
re femblant de rien de la fenêtre & jetta
la boëte , dès que la Fée l'apperçut , elle
s'en faifit & l'ouvrit promptement pour
prendre la pierre , mais à peine l'eut- elle
touchée qu'elle fe fentit devenir pierre elle
même ; elle veut parler , la voix lui manque
, & à peine elle peut proferer ces
mots , nous fommes trompés ; oui vous l'êtes
, s'écria en fe montrant Ifmenor , avec
une voix terrible , & vous allez être punis
de votre perfidie ; regarde malheureux , ditil
au Prince , en le trainant à la fenêtre ; regarde
l'état ou eft ta miferable protectrice
& envole toi fi tu veux par cette fenêtre ;
car tu feras Perroquet bleu jufqu'à ce que
-Charmante t'ait écrasé la tête . A ces mots
Grifdelin fe regarde & ne voit plus en lui
qu'un oifeau ; plein de rage il s'envole &
fe hâte d'abandonner des lieux confacrés à
l'horreur des plus grandes cruautés , auffitôt
le Roi fit porter dans fa chambre la
24 MERCURE DE FRANCE.
Princeffe fa fille , que la frayeur avoit fait
évanouir & il monta dans un char trainé
par fix Dragons volans & fe rendit en
moins de fix minutes à la Ville ou étoit
Charmante ; dès qu'il y fut arrivé il voulut
faire fentir à tous fes habitans le poids de
fa colere & il les petrifia tous ; chacun devint
pierre & refta dans l'attitude où il étoit.
Rabot & la fuite Grifdelin ne furent point
épargnés ; il n'y eut que la Princeffe qu'Ifmenor
réfervoit à un plus grand fupplice ; il la
prit par les cheveux & la mit à côté de lui
dans fon char volant qu'il conduifit droit
à la forêt des merveilles , quand il y fut
arrivé il mit pied à terre & prononça l'arrêt
de la malheureufe Charmante , avec une
voix terrible , en lui difant , j'ai puni ta mere
qui avoit eu la témérité de vouloir me furprendre
dans mon propre Palais , j'ai changé
ton amant en Perroquet & je vais te métamorphofer
en arbre ; je te laiffe la mémoire
& la réflexion pour augmenter ton
fupplice & tu demeureras fous la forme que
je vais te donner jufqu'à ce que tu ais écrafé
la tête de ton amant ; achevant ces paroles
il la toucha de fa baguette , & Charmante
ne fut plus qu'un arbre ; c'eft ainfi
que le méchant Ifmenor affouvit fa rage fur
les perfonnes du monde , qui méritoient le
plus d'être heureuſes.
La faite pour le prochain Mercure. TRAD,
OCTOBRE 1746. 25
SAPSAPSPSAPSAPSAP SAPSAPI
TRADUCTION de l'Ode XIII. du
fecond Livre. d'Horace , ad Groſphum
Otium divos rogat inpatenti , &c.
Ui , le premier des biens qu'ici bas l'on defire
Ami , c'eft la tranquillité :
Peu content de fon fort & toujours agité ,
Elle eft l'unique but où tout mortel aſpire .
Que demande au milieu des flots
Ce Marchand qui conçoit un malheureux préfage
Quand la Lune fe cache en un fombre nuage ,
Ou que le Ciel s'obfcurçit fous les eaux ,
Si ce n'eft le repos ?
Et ce Guerrier qui met fa fortune en fes armes ,
Dans le fein des allarmes ,
Où tendent tous fes voeux ?
C'eft à pouvoir un jour goûter les charmes
De ce loifir heureux .
Mais cet état fuprême ,
Cette tranquille paix ,
Les tréfors, les honneurs , le rang , l'Empire même,
Ne la donnent jamais :
Ne la cherchez donc point dans ces vaftes Palais
Dont l'Art & la Nature
B
MERCURE DE FRANCE
Ordonnent à l'envi la ſuperbe ſtructure ,
C'est là qu'elle habite le moins ;
Plus ils font grands , & plus ils renferment de foins,
L'homme qui vit du fimple néceſſaire ,
Et fatisfait du bien qu'il tienr de fes ayeux ,
Sans crainte , fans remords , fans importune affaire,
Et fans défirs ambitieux ,
Après avoir joui du jour pur qui l'eclaire ,
Un paifible fommeil vient lui fermer les yeux.
Pourquoi courir de contrée en contrée ,
Sous un nouveau Soleil chercher de nouveaux
biens ,
Et comme des bannis , abandonner les fiens ,
Quand notre vie hélas ! a fi peu de durée ?
Est- ce pour éviter le chagrin qui nous ſuit ?
Avec nous aux champs , à la Ville ,
Il feleve le jour & fe couche la nuit ;
Le vent eft moins leger , le cerfeft moins agile ;
Il s'embarque , il paffe les mers ,
Sur un cheval il fend les airs ,
!
Et toujours en nous-même il trouve ſon azile.
Que notre esprit jouiſſant du préſent
Laiffe un avenir qui l'afflige ;
Et que par la gayté , notre raifon corrige
Les amertumes d'un inftant ,
Dans les malheurs elle doit nous apprendre
OCTOBRE 1746. 27
A ne nous point laiffer pouffer à bout ;
Que l'homme peut tout entreprendre ,
Mais ne peut être heureux en tout .
Un fort prématuré fit la gloire d'Achilles ;
Une vieilleffe lente & des ans inutiles
Firent la honte de Tithon .
A chacun de nous deux le Ciel a fait un don ;
Mais mon partage eft different du vôtre ,
Et ce qu'il donne à l'un , il le refufe à l'auere.
D'une prodigue main
Il verſe fur vous fes largeſſes :
Vous avez d'immenſes richeſſes ,
Et moi je n'ai qu'un modique terrain ,
Mais avec les neuf foeurs l'agréable commerce
Me rend peut-être encor plus fortuné que vous
Quand mon efprit s'exerce
A méprifer les traits d'un vulgaire jaloux,
Bit
28 MERCURE DE FRANCE,
Q:IbbQ&A: ITTILLIT
SUITE de la Séance publique de l'Asademie
de Rouen. M. de Premagny Sécretaire
pour les Belles Lettres ,
avant que de
faire la lecture du Poëme qui a remporté le
prix , lut un difcours dont voici l'extrait.
MESSIEURS
La libéralité de notre illuftre Protecteur
2 excité l'émulation des Poëtes. Le défir d'acquerir
la gloire attachée aux fuccès , a fait
entrer en lice plufieurs concurrens. Tous
afpirent à la recompenfe; teus fe flatent en fecret
de voirbientôt leur tête ornée du laurier
dont une main génereufe s'aprête à couronner
le vainqueur, Il n'eft rien de fi naturel
que de fe croire du talent , rien de fi louable
que de s'éforcer à perfe tionner ceux que
l'on a reçus , & l'on ne peut fe difpenfer
d'applaudir aux plus foibles effais , mais lą
modeftie & la docilité doivent rectifier
leurs défauts , temperer leur vivacité , & les
arrêter même au befoin dans leur courſe ,
lorfque l'on n'y peut appercevoir que
témerité
& qu'indifference . C'eſt la réflexion
que devraient faire ceux qui fe laiffent enOCTOBRE
1746 .. 29
traîner par les charmes de la Poëfie . On
n'eft point Poëte feulement , parce qu'on
croit l'être ; il ne faut pas moins qu'un fuffrage
univerfel pour mériter ce nom , & la
médiocrité en ce genre approche fi fort de
l'obfcurité méprifable , que l'on a fouvent
décidé qu'il n'étoit plus de rangs au Parnafe
au- deffous des premiers , ni de milieu entre
le fommet de la montagne , & la fange des
environs.
Auffi fevere dans fes loix que la Morale ,
la Poëfie n'admet rien de facile , comme
celle -là n'admet rien d'indifferent : Elle eſt ,
dit un Auteur célebre , de tous les Arts le
plus parfait , car la perfection des autres
Arts eft bornée , celle de la Poëfie ne l'eft
point. Pour faire un Poëte il faut un génie
extraordinaire , un grand naturel , un efprit
jufte , fertile , pénetrant , folide , une intelligence
droite & pure , une imagination nette
& agréable ; cette élévation de génie qui
ne dépend ni de l'Art , ni de l'étude , &
qui eft un don purement du Ciel , doit être
foutenue d'un grand fens & d'une grande
vivacité. Il faut du jugement pour penfer
fagement les chofes ; il faut de la vivacité
pour les exprimer avec cette grace & cette
abondance qui en font la beauté, mais comme
le jugement fans génie eft froid & languiffant
, le génie fans jugement eft fujet à
B iij
90 MERCURE DE FRANCE.
s'égarer ; enfin , pour faire un Poëte accom
pli il faut un tempéramment d'efprit & d'i
magination , de force & de douceur , de pénétration
& de délicateffe ; il faut , dit Hosace
, quelque chofe de divin dans l'efprit .
Heureux ceux que laNature a favorifés de
ces dons ! plus heureux ceux qui les poffedant
tous ont le courage de réprimer les
faillies de leur imagination , & les fentimens
de l'amour propre ! C'eft principalement en
fait de Poefie que le mérite modeſte eſt
auffi le plus réel & le plus éminent. Rien
ordinairement n'eft plus admiré que l'ouvrage
d'un homme également refervé & judicieux ,
qui a fçu ſe défier de fes propres forces , &
recevoir avec docilité , & diftinguer avec efprit
les confeils d'une faine critique ; avec
ces fecours il travaille fans préfomption &
fans timidité, il corrige fans rélâche , & bientôt
devenu uniquement fenfible à ce vrai
beau que la Nature & 1 Art forment d'intelligence
, il mérite l'admiration & les éloges
de fon fiécle , & s'affûre les fuffrages de la
pofterité.
Le fujet indiqué par l'Académie pour le
premier Prix en faveur des Belles -Lettres ,
a été un jufte tribut de reconnoiffance envers
fon illuftre Mecene , heureuſe fi elle eut
pû confier ce dépôt en des mains également
apables de le faire fructifier ! Elle a vû par
CTOBRE 1746. 31
expérience que le fentiment n'eſt pas toujours
foutenu par l'expreffion , qui eft la partie
effentielle de la Poëfre. Le premier n'a
point échapé aux efforts des afpirans . La vérité
d'un éloge où la flaterie & l'exageration
n'étoient point néceffaires pour le rendre
brillant , s'eft prefentée fans peine à leur
efprit. Tous ont faifi l'objet , tous ont eu
des fentimens , tous ont pris la vérité pour
guide ; mais la vérité elle -même , quand elle
emprunte le langage divin de la Poëfie , ne
peut plus paroître avec cette fimplicité re
butante. Ses images doivent être embellies ,
fes graces plus vives & plus animées , fon
expérience plus noble & plus fublime ; c'eſt
à ces traits que l'on reconnoît le Poëte : c'eſt
far ces principes que nous avons tâché d'appuyer
notre jugement , en évitant égale
ment l'excès de févérité & d'indulgence.
C'eft ce que vous allez décider vous mêmes ,
Meffieurs , à la lecture du Poëme auquel
nous avons adjugé le prix.
Après la lecture de la pièce , le prix fut
reclamé au nom de Madame du Bocage de
Rouen par M. Duperon fon beau frere, Confeiller
au Parlement,
Comme la Séance avoit déja duré fort
long-tems , on ne lût que le titre de deux
Mémoires qui avoient été deftinés pour cette
même Séance ,
B iiij
$2 MERCURE DE FRANCE.
Le premier étoit fur une pétrification fin
guliere trouvée dans la vallée de Boudeville
prés de Rouen , avec des conjectures fur
les cauſes de cette pétrification par M. Guerin.
Le fecond Mémoire contenoit une nouvelle
explication des phénomenes de la Larme
Batavique avec une application des mêmes
principes à la trempe de l'acier , & aux
fermentations , par M. le Cat.
On annonça à la fin de la Séance pour
l'année 1747 le fujet du Prix fondé par M.
le Duc de Luxembourg , Gouverneur de la
Province de Normandie , & Protecteur de
l'Académie ; ce fujet eſt le principe de l'afcenfion
des liqueurs dans les tuyaux capilaires
, & fon application à divers phénomenes
qui en dépendent.
w
33
כ כ
On a jugé à propos d'annoncer auffi le
fujet du prix de l'année 1748 , afin de donner
plus de tems aux Auteurs des Mémoires
de faire les recherches néceffaires . » Voici le
fujet, Quelle étoit la fituation Topographique
de la Neuftrie , fes bornes , fes
- villes, fes ports , fes places fortes , & leurs
» noms , lorfque les Normands , après plufieursincurfions
dans le Royaume , ſe fixe-
» rent dans cette Province.
29
20. Par rapport à la Religion , s'il n'y
retoit pas quelques traces du Paganiſme ,
OCTOBRE 1746. 33
39
20
33
22
20
33
des Temples des faux Dieux , & des céremonies
qui tinffent du culte des. Gaulois
& des Romains.
30. Si les habitans de la Neuftrie n'avoient
pour lors rien de different du reſte
de la France dans leurs Loix , dans leurs
ulages , & dans la forme de leurs juge-
» ment.
» 40. Quel étoit pour lors l'état des Scien-
» ces , & quels étoient les hommes les plus
célebres dans le facré , le civil , le militaire
& les Lettres .
30
Les Mémoires fur ce point d'Hiftoire feront
écrits en Latin & en François , & ſeront
d'environ une heure de lecture ; on prie
ceux qui compoſeront , de citer à la marge
de leur Mémoire le nom des Auteurs , & la
page de leurs écrits , d'où les faits allegués feront
tirés.
Le prix qui eft alternatif entre les Sciences
& les Belles Lettres, eft une Médaille d'or
de la valeur de trois cent livres. Les piéces
feront admifes au concours jufqu'au premier
d'Avril 1747 , pour le prix du fujet de Phyfique
, & jufqu'au premier du même mois de
l'année 1748 , pour le prix du fujet de l'hiftoire.
Les Mémoires pour la Phyſique feront addreffés
à M. Guerin Sécretaire pour les Sciences
rue S. Romain chés M. de la Roche Doc-
By
34 MERCURE DE FRANCE.
•
.
teur en Médecine; & les Mémoires pour l'Hiftoire
feront adreffés à M. de Premagny Secretaire
pour les Belles-Lettres au College
du Pape rue S. Nicolas .
Les Auteurs mettront à leurs Mémoires
une marque diftinctive , comme ſentence ,
devife ou fignature , laquelle fera couverte ,
& ne fera dévelopée qu'en cas que la piéce
foit jugée la meilleure .
Ils auront attention d'adreffer leurs Mémoires
fans nom d'Auteur , & affranchis de
port. Le prix fera délivré , ou à l'Auteur
même , ou au porteur d'une procuration de
fa part , l'un ou l'autre réprefentant la marque
diftinctive avec l'original de la piéce.
M. le Cat Directeur de l'Académie lut
- enfuite un Mémoire fur l'Electricité ; celui
ci fait la fuite du premier qu'il avoit lû à
l'Affemblée publique de 1745 ,,. il y avoit
traité de l'attraction , de la répulfion de l'étincelle
, de la propagation & de la confervation
de l'Electricité.
Dans ce fecond Mémoire N eft queſtion
des phenoménes découverts depuis l'Affemblée
de 1745. La premiere de ces découvertes
a été faite par M. le Cat même.
On fait que quand on préfente à la barre
de fer électrifée une feuille d'or , elle en
eft attirée & répouffée alternativement :
M. le Cat a trouvé un phénoméne mitoyen
OCTOBRE 1746 , 35
entre cette attraction , & cette répulfion .
c'eft celui par lequel la feuille d'or en équi
libre entre ces deux forces , refte fufpendue
au deffous de la barre. Il enſeigne les moyens
de trouver cet équilibre , & il en explique
le méchaniſme.
"
Il a obfervé que les petites feuilles fe fufpendent
plus près de la barre , & les grandes
plus loin. C'eft ainfi , dit - il , que les petites
planettes de Mercure & de Venus font
placées très près du Soleil , tandis que les
globes immenfes de Jupiter & de Satura
ne font à l'extrêmité de notre monde.
20
59
M.le Cat ne regarde point ceci comme une
fimple comparaifon , mais comme des effets
dépendans trés- vraisemblablement d'un
même méchanifme , il dévelope fort au long
celui de la diftance des feuilles d'or en raifon
de leur volume, & il indique feulement l'application
de fes principes au fyftême planetaire
.
Nous paffons quantité de circonſtances
de la fufpenfion que fon Auteur a approfondies
, & qu'il faut lire dans ce Mémoire
même.
Le fecond article traite de l'étincelle célebre
trouvée par M. Mufchembrock , & que
M. le Catappelle l'étincelle foudroyante. C'eſt
celle qu'on tire d'une barre de fer , ou d'un
fil d'archal plongé par fon extrémité dans
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
l'eau d'un vaiffeau de verre . Cette découverte
ayant été communiquée à M. le Cat
prefqu'auffitôt qu'à l'Académie de Paris , le
Phyficien de Rouen effaia fur le champ de
répeter cette expérience terrible , mais d'autant
plus curieufe pour un amateur des prodiges
de la Nature , & il eut , dit- il , le plaifir
d'être foudroyé parfaitement dès le premier
effai qu'il en fit.
Il ajouta à la découverte de M. Muſchem
brock plufieurs circonftances qu'il communiqua
à l'Académie des Sciences de Paris ,
& qui y furent lues le 29 Janvier 1746 .
M. le Cat donne une hiftoire de cette étincelle
finguliere que nous ne fçaurions fuivre
ici ; il entreprend enfuite d'en expliquer la
caufe , ce qu'il fait par voye d'expérience , &
dans le goût de l'optique de Newton.
Il établit par ces expériences qu'il y a une
forte d'incompatibilité entre les matieres
électriques des differens fujets , telle qu'on
en obferve entre l'eau & l'huile ; qu'au
moyen de cette incompatibilité , la main qui
touche au vafe rempli d'eau , envoye dans
le verre une matiere électrique qui arrête
celle qui vient de la barre ou du globe electrique
dans ce vafe , l'y concentre , & la
force de s'y accumuler. Cette étincelle devient
donc alors plus violente , felon M. le
Cat. 1. parce que la matiere. électri que
OCTOBRE 1746. 31.
eft plus retenue & plus abondante. 2. parce
qu'elle eft dans un état refferré , & violent
, & qu'elle a des points d'appui . 30. &
enfin parce qu'à l'explofion de la matiere
électrique fe joignent les vibrations des parties
folides du verre & de l'eau.
C'eft de ces premiers caracteres de l'etincelle
foudroyante qu'il fait dériver toutes
les circonftances de ce phénomene qu'il
prétend avoir beaucoup d'analogie avec le
méchaniſme du tonnere. Les foufres fub-
29
>
"
20
»
tils que la terre exhale , dit-il , font une
» matiere électrique . Les nuages dans lefquels
» cette matiere fe jette , font analogues au
matras plein d'eau , fans ces nuages qui
font aufli de l'eau , ces foufres ne font
que des éclairs fimples qui ne font que de
», la lumiere fans éclat & fans force ; ce
font là les étincelles électriques ordinaires
ou fimples qu'on tire de la barre de
fer qui ne trempe point dans l'eau : I'eau
eft donc dans l'un & l'autre phénoméne ,
le milieu qui contribue à rendre la force
de ces inflammations fulfureufes fi terrible,
» & le froid de la region fuperieure aux nuages
concentre dans ces vapeurs les fouf-
» pres fubtils du tonnere , comme la
» main appliquée fur le matras de notre expérience
y refferre la matiere électrique .
M, le Cat termine ce Mémoire par l'ex
99
39
"
"
3
38 MERCURE DE FRANCE.
plication du méchaniſme de l'ébranlement
qu'à produit cette vive étincelle , & la propagation
étonnante de cette fecouffe , à deux
ceat perfonnes ou plus , qui fe tiendroient
par la main.
茶託
VEUX à la paix.
Bjet de nos tendres fouhaits ,
Defcends du Ciel , aimable Paix ;
Viens rendre le calme à la terre ;
Le Dieu qui préfide à la guerre
A de fes bruyantes fureurs
Affés répandu les horreurs .
LOUIS. plus fenfible à tes charmes
Qu'au bruit tumultueux des armes ,
Veut joindre au titre de Vainqueur
Celui de Pacificateur.
Boran.
OCTOBRE 1746. 39
SUITE de l'Extrait des rufes de guerre de
Polien & de Frontin par M. L. M. D. P.
Ans le dernier combat qu'Alexandre-
Dádonna à Darius à Arbelles , un grand
détachement des Perfes ayant fait le tour de
l'armée des Macédoniens , donna fur leur bagage
& le pilla. Parmenion confeilloit à Alexandre
de donner du fecours au bagage. Non , dit
Alexandre , il nefaut point feparer notre Phalange
; il faut combattre les ennemis de piedferme.
Si nous fommes vaincus , nous n'aurons
pas befoin de bagage , &fi nous sommes vain .
queurs , nous aurons le nôtre celui des Ennemis.
R. Dès qu'il faut abfolument combattre ,
il vaut mieux fe fervir de toutes les forces
pour battre l'armée Ennemie , qué de rifquer
d'être battu en en féparant une partie
pour deffendre des équipages , mais fi l'on
peut défendre fes équipages , & fe retirer ,
enforte que l'ennemi ne puiffe vous attaquer,
cela convient encore mieux ; l'interêt particulier
dans le pillage des bagages devoit
être moindre dans l'armée d'Alexandre que
que dans une armée d'apréfent ; fi une armée
de ce tems avoit eu fes équipages pillés ,
quoiqu'enfuite elle eut pris ceux des Ennemis
, cela ne récompenferoit jamais plu-
1
40 MERCURE DE FRANCE
feursOfficiers des pertes qu'ils auroient faites.
Auffi eft-il à craindre que le dêfir de
fauver les équipages ne foit plus grand à préfent
dans ceux- ci , &c.
Antigone avoit pris fes quartiers aux environs
de Gadamares en Médie. Eumene l'avoit
prévenu , s'étoit faifi du chemin juſqu'à
mille ftades, & avoit tout garni de fes troupes.
Le chemin étoit bordé de montagnes , & la,
plaine qui s'étendoit au-devant étoit unie , fans
cau , fans aucune habitation , fans herbe , fans
aucune plante ,fans arbres , pleine de bitume
de maresfalées , enforte que ni hommes , ni
bêtes ne pouvoient paffer. Cependant Antigone
, pour éviter le chemin fi bien gardépar les
Ennemis , réfolut de traverser cette trifte plaine.
Il ordonna de coudre dix mille outres, & de
les remplir d'eau , de cuire des vivres pourdix
jours , & de porter de l'orge & du fourage
pour les chevaux. Tout fut préparé , & il ſe
mit en marche avec fon armée par le milieu
de la plaine. Il avoit en la précaution de deffendre
d'allumer du feu la nuit , pour dérober
la connoiffance de fa marche aux Ennemis
qui étoient engarde au pied des montagnes.Effectivement
ils auroient ignoré fon paffage fi
les ordres d Antigone euffent étéfidélement execntés
, mais un petit nombre de fes foldats ne
pouvant fupporter la gelés qu'il fit une nuit
OCTOBRE 1746. 41
allumerent dufeu. Les Ennemis virent laflâmme
, & devinerent ce que c'étoit . Ils donnerent
Sur la queue des troupes d' Antigone qui étoient
déja bors de la plaine , & tuerent quelques
traineurs. Mais il ne tint pas à Antigone que
tous ne s'échapaffent en fûreté , ce qu'il avoite
ordonné futfalutaire à ceux quifurent exacts à
lui obéir.
R. Ce recit n'eft point une rufe , mais on
y voit toutes les précautions néceffaires employées.
Il faut y remarquer que ces troupes
devoient être endurcies à la fatigue , puifqu'elles
fupportoient le grand froid fans faire
de feu , & qu'elles portoient des fardeaux
fi pefans.
Ptolomée voyant que Perdiccas avoit entrepris
de paffer le Fleuve vers Memphis , &
qu'une grande quantité de fes troupes l'avoit
déja traverfé ,fit affembler tout ce qu'il y avoit
dans le pais de troupeaux de chèvres , de pourceaux
, & de boeufs , & fit attacher à chaque
animal unfaget , avec ordre aux Paſtres & à
fes Cavaliers de pouffer tout cela au travers
les fables , afin d'exciter une grande pouffiere .
Et lui , à la tête de ce qui lui reftoit de Cavalerie
, fe préfenta aux Ennemis. Ceux- ci jugeans
à cette grande pouffiere que Ptolomée
amenoit des troupes nombreuſes , prirent auſſitôt
lafuite, Beaucoup perirent dans le Fleuve ,
ily en eut auffi un grand nombre de pris.
42 M ERCURE DE RFANCE.
R. L'idée de cette rufe eft trop finguliere
pour n'être pas rapportée ; on dit quelle a été
mife en ufage en Rouffillon .
Pendant qu'Iftice étoit en Perfe auprès de
Darius , il forma le deffein de faire foulever
l'Ionie , mais il n'ofa envoyer des lettres dans
la crainte qu'elles ne fuflent interceptées par
les guides des chemins. Il s'avifa de faire rafer
un esclave, de la fidelité duquel il étoit affuré
, & lui piqua fur la tête ce peu
de mots.
Iftice à Ariftagore , fais foulever l'Ionie. Il
laiffa enfuite croître les cheveux , puis envoya
l'efclave , qui s'embarqua , fe rendit au
près d'Ariftagore , & s'étantfait rafer de nouveau
, luifit lire ce qu'Iftice lui avoit impriméfur
la tête. Ariftagore exécuta ce qui lui
étoit marqué , & l'Ionie fe foûleva.
R. Depuis l'ufage de la poudre on, rend
de pareils caracteres indélebiles.
Pompifque Arcadien , avoit cette pratique
dans fes campemens.. Le chemins qui conduifoient
à fon camp , il les coupoit par des
tranchées les rendoit impraticables , & en
dreffoit de nouveaux , afin que les efpions &
ceux qui auroient pu faire des entreprises de
quit , marchans par les anciens chemins , tombaftent
dans les tranchées , faute d'avoir connoiffance
des chemins nouvellement dreffes.
Pour découvrir plus aifement les efpions des
ennemis Pompifque avoit coûtume après avoir
OCTOBRE 1746. 43
placé fon camp fur des hauteurs , d'y faire des
avenues fort étroites , dont les entrées étoient
marquées par des chapeaux. C'étoit par là qu'il
ordonnoit ceux qui alloient aux vivres &
au fourage d'entrer & de fortir. Les efpions
évitoient ces chemins , comme trop fréquentés ,
le foin qu'ils prenoient de tenir des chemins
de traverse , les faifoit découvrir & prendre.
Labienus , Lieutenant de Cefar , voulant
combattre les Gaulois avant qu'un fecours qui
leur venoit d'Allemagne fut arrivé , il repaffa
une riviere , comme s'il eût eu peur , puis fit
publier que chacun eût à fe tenir prêtpour marsher
le lendemain. Les Gaulois trompés par cette
apparence , pafferent la riviere pour le
fuivre , &furent défaits au paffage.
R. Lorfque l'on veut engager un ennemi à
donner bataille , & qu'on ne court point rifque
d'abandonner un païs , cette rule peut
fe tenter , & s'il entreprend de paffer avant
que votre armée foit affés éloignée , vous
avez un avantage fûr à revenir fur lui , &
l'attaquer pendant que Les troupes font féparées.
Lucius Martius Chevalier Romain qui
commanda l'armée d'Espagne après la mort
des deux Scipions , voyant les Cartaginois inveftis
redoubler leurs forces pour vendre cherement
leur vie s'ouvrit pour leur donner paf-
Sage , & les défit aprèsfans danger , lorsqu'ils
furent épars & diffipés.
44 MERCURE DE FRANCE.
1
Cefar voyant les Allemands inveſtis ſe deffendre
vaillamment leur fit donner auffi paſſage
, & les chargea dans la fuite.
Annibal à la journée de Trafimene , comme
les Romains enfermés de toutes parts faifoient
des merveilles , fit ouvrirfes bataillons
pour leur donner paffage , puis les chargeant en
queue les défit fans peine & fans danger.
Antigonus Roi de Macédoine , voyant les
Etoliens qu'il affiegeoit réfolus à périr par une
fortie genereuse , plûtôt que de mourir de faim ,
ou de fe rendre , il leur donna moyen defe retirer
, & les chargeant dans la retraite , les
défit.
Agefilaus voyant les Thebains enfermés de
toutes parts , fe battre plus par désespoir que par
réfolution , il leur donna paffage , puis les chargeant
en queue , les défit fans perdre detroupes.
Comme le Conful Cneus Manlius de retour
d'une bataille eût trouvé les ennemis maîtres
de fon camp , il mit des troupes à toutes les portes
, ce quiles réduifit à un tel désespoir , pour
fe voir enfermés de toutes part qu'ilfut tué dans
le combat. Mais fes Lieutenans inftruits par
fa perte leur laifferent une porte libre , & les
chargeans en queue les défirent entierement ,
avec l'aide de l'autre Conful qui les vint rencontrer
de front dans la retraite.
Themistocle après la victoire de Salamine ,
empêcha qu'on me rompit le Pont de bateaux
OCTOBRE 1746. 45
que Xercès avoit fait fur l'Hellefpont , & dit
qu'il étoit plus avantageux de le chaffer de
l'Europe que de l'y retenir. Pour plus grande
affurance il l'avertit de fe retirer promptement
, comme s'il eût étéfon ami.
Pyrrus à la prise d'une Ville , voyant que
les habitans envelopes de toutes parts s'opiniatroient
à la défenfe , leur fitpaſſage, & dans les
maximes de guerre qu'il a laiffées , il eft d'avis
de ne point trop preſſer celui qui fuit de peur
de lui faire tourner tête , outre que cela l'empêche
de tenir ferme , lorsqu'il fçait qu'il sepeut
fauverfans peril.
R. Il faut faire un pont d'or à fes ennemis
plûtôt que de les réduire au défeſpoir.
Una falus viltis nullam fperare falutem .
1
Quintus Fabius , comme fon fils lui confeilloit
de fe faifir d'un poste avantageux ,
lui difoit qu'on l'emporteroit en perdant quelques
foldats, Veux-tu être un de ceux-là, ditil ?
R. Avant d'entreprendre de forcer cer
tains poftes , il faut combiner l'avantage
qu'on en peut tirer avec la perte qu'on
peut faire pour les forcer.
Pendant que Cleonyme affiegeoit Edeffe , le
mur tomba. Les ennemis fe prefentereni avec
de grandes lances , de la longueur chacune de
feize condées. Cleonyme voyant cela , donna
une grande profondeur à fa Phalange , ú ma
46 MERCURE DE FRANCE .
voulut point que les chefs de file & ceux qui les
fuivoient immédiatement , euffent des dards.
Il leur ordonna de faifir à deux mains & de
tenir ferme les lances des ennemis , dans le moment
qu'ils fe préfenteroient , & à ceux quifuivoient
dans chaquefile , il ordonna de fe couler
à côté des premiers & de combattre vigoureufement.
Il arriva donc que les chefs defile,
faifirent les lances des ennemis , qui tiraillerent
pour les ravoir , pendant que fes ferres files s'avançant
de derrière les autres faifoient unterde
ces lanciers. Ainfi Cleonyme
par fon habilité , fit voir que les longues lances
étoient de peu d'ufage.
rible
carnage
R.Cela n'a pas beloin d'application, & montre
aflés le défaut de ces longues lances, mais
quand même on ne les prendroit pas avec
les mains pour en empêcher l'uſage , elles
ne peuvent jamais donner qu'un coup , &
ceux qui en font armés , font obligés de les
laiffer pour fe fervir d'autres armes , ce qui
ne fe peut pratiquer qu'à la défenſe d'une
Place .
En hyver & dans une forte gelée Aphicrate
voyant l'occafion favorable de donner fur les
ennemis , voulut mener fes foldats au combat ,
s'appercevant que la rigueur du froid & la nudite
leur ôtoient le courage, il prit le plus mauvats
habit qu'il pût trouver , & alla de tente
en tente exhorter fes foldats àfaire effort conOCTOBRE
1746. 47
tre les ennemis. Ces gens voyant leur Général
fi mal vêtu , & fans fouliers , qui ne laiſſoit
pas avec cela de témoigner de l'ardeur pour le
falut commun , fe fentirent animés à bien faire
& le fuivirent courageufement.
de R. Rien n'anime tant les foldats que
voir leurs Officiers fupporter les mêmes
peines.
Céfar comme fes foldats plioient , mit pied
à terre , & faisant emmener fon cheval ,
marcha devant eux contre l'ennemi ; deforte.
quayant honte de l'abandonner , ils retablirent
le combat.
Xenophon ayant commandé à fes troupes de.
gagner en diligence lefommet d'une montagne ,
comme il les preffoit de s'avancer, unfoldat cria
qu'il parloit bien à fon aile , & qu'il étoit à
cheval & les autres à pied. Cela le piqua de
forte qu'il defcendit fur l'heure , & fi monter
le foldatfurfon cheval , mais comme il grimpoit
mal aisément à cause de la pefanteur de
fes armes , lefoldat touché de repentir & des
reproches de fes compagnons , le lui rendit.
Mais on eût bien de la peine à le lui faire reprendre
, & à lui faire referverfes forces pour
des emplois plus dignes d'elles , quoiqu'il fouffrit
beaucoup en cet état , parce qu'il étoit armé
en cavalier , & non pas en fantaſin .
•
R. Il y a peu de Généraux en état de faire
la même chofe que Xenophon ; il eft cer
13
48 MERCURE DE FRANCE
tain que cela doit animer beaucoup les foldesinais
comme il eft dit , un Général doit
referver fes forces pour des emplois plus dignes
d'elles.
Scipion étant en Iberie fut informé que l'armée
ennemie venoit au combat fans avoir réph.
Il affecta de la lenteur à mettre fes troupes
en ordre de bataille . Ce ne fut qu'à la feptieme
beure dujour qu'ilfit aller à la charge , & rencontrant
des ennemis affoiblis par la faim &
la foif, il n'eut pas depeine à les vaincre.
Scipion ayant appris qu'Afdrubal avoit rangé
fes troupes en bataille dès le point du jour ,
Jans les faire repaître , retint les fiennes dans
fon camp jufqu'après midi , alors les menant
au combat comme les autres fe retiroient
défit les ennemis abattus de faim , de foif& de
Laffitude.
, il
Metellus Pius faisant la guerre contre Herculeius
en Espagne , ufa du même artifice ; car
les ennemis s'étant venu ranger enbataille de
vantfon camp dès le point du jour , pendant
les plus grandes ardeurs de l'été , il attendit
à les combattre jusqu'à midi , qu'ils furent
accablés de chaud , & les défit avec fes
troupes toutes fraiches . Le même s'étant joint
à Ponpće ne voulut point accepter la bataille
que Sertorius lui prefentoit , tant parce que
T'ennemi l'avoit refufée à divers fois que parce
qu'il le voyoit dans une grande ardeur de com
battre
OCTOBRE 1746. 49
battre. L'Auteur dit qu'ils levoient les bras &
branloient leurs lances.
Iphicrate campé en présence des ennemis
avoit remarqué qu'ils dinoient toujours à la
même heure. Il ordonna àfes troupes de diner
avant , & quand cela futfait , il attaqua les
ennemis , fur lesquels on ne ceffa point de tirer
jufquan feir. Quand les deux armees fe furent
feparées , les ennemis fe mirent à fouper . Iphicrate
dont les troupes avoient déja répû , fondit
fur ces gens qui étoient à manger , & enfit un
grand carnage.
R. Une armée qui eft affés fuperieure pour
obliger l'armée entiere de l'ennemi à fetenir
fous les armes pendant un affés long tems
fans qu'elle puifle trouver le moment de repaître
, a un grand avantage ,fi elle peut repaître
elle-même pendant ce tems , & attaquer
enfuite fon ennemi , car les forces dimiuuent
beaucoup plus vite quand on eft en
péril dans une action , & le befoin de manger
vient beaucoup plutôt que lorfqu'on n'eft
point expofé , de forte qu'une armée qui
avant une affaire a pû repaître , a un grand
avantage fur celle qui n'a pu le faire.
pû
Philippe exerçoit fes troupes pour le peril .
en lesfaifant. marcher des trois cent ftades , armées
de toutes pieces, & leur faifant porter tout
à la fois le cafque ; les boucliers , les botines ,
des longues lances , les vivres & les uftenciles
C
so MERCURE DE FRANCE.
de menage qui fervent chaque jour.
R. On ne doit demander à des troupes
que ce qu'elles ont appris à faire , & celles
qui auroient été habituées à marcher longtems
& à porter des fardeaux , foutiendront
bien mieux la fatigue pendant la campagne,
que celles qui entreroient en campagne
fans
y avoir été exercées . Les Romains & les
Grecs portoient de très- lourds fardeaux, &
& faifoient comme il eft dit ci- deffus jufqu'à
trois cent ftades de fuite , ce qui revient à
environ trois ou quatre lieues de France de
2500 toifes la lieiie , étant eftimée 80 Stades
Philopemen apprit au peuple d' Achaïe à quitser
les longues targes & le javelot , & prendre
à la place le bouclier & la pique . Il leur don
na encore des cafques & des cuiraffes , & leur
arma les jambes. Il les exerçoit à fe battre de
pied ferme , & non à darder en courant comane
faifoient ceux qui étoient armés d'écus. I
ota desrepas des habits
toutes
& les fuperflui
tes , & tout ce qui n'y étoit que pour fomenter
la molleffe , & vouloit qu'à l'armée on se con
tentat du fimple néceffaire. Par le moyen de cet
se difcipline , Philopemen forma des troupes.qu
s'acquirent beaucoup de réputation dans li
combats.
R. Si la frugalité & l'habitude de la fatigue
ne contribuent pas à augmenter le cou
rage , au moins la molleffe , la fomptualité.
OCTOBRE 1746. 5t
la prodigalité ne l'augmentent pas non plus;
on n'a jamais crû que cela pût former des
troupes à la guerre ; bien des gens ont crû
que le contraire contribuoit à les former.
Scipion près de Numance trouvant la dif
cipline corrompue par la négligence des chefs
précédens, chaffa defon camp toute la multitu
de des vivandiers & des marchands qui ne fervoit
qu'à entretenir le luxe , & faifant rentrer
le foldat dans fon devoir par un continuel exercice
, il l'obligea à porter fur.foi dans la marche
,pour plufieurs jours de vivres , & l'accoûtuma
à fouffrir le froid & la pluye , & à
paffer à gue les rivieres ; il retrancha auffi tous
L'equipage fuperflu , & après leur avoir reproché
leur lachete & leur pareffe , it dit à un
Colonel voluptueux , tu ne me feras inutile que
pour quelque tems , mais tu le feras pour toujours
à toi-même, & à la République.
,
1
La premierefois que Philippe de Macédoine
leva des troupes , il deffendit de mener den
chariots , & ne voulut pas qu'un Cavalier eûs
plus d'un valet , il n'en donna qu'un auſſi à
chaque efconade d'Infanterie pour porter la
tente , & de quoi moudre le grain , & contraignit
fes foldats de porterfur eux pour trente
jours de farine. Le Latin dit, fur leur col.
Lucullus voyant une partie de fa Cavalerie
qui fe retiroit vers l'ennemi , fit fonner la
sharge , & envoya quelques troupes après
Cij
32 MERCURE DE FRANCE.
comme pour lafoutenir . L'ennemi croyant qu'el
le le venoit attaquer , la chargea , de forte que
fe voyant inveflie de tous côtés , elle diffimula
fon deffein , & fe tourna contre lui.
R. Il faut beaucoup de préſence d'efprit
pour prendre ainfi fon parti tout d'un coup ,
mais il faut être dans la même pofition pour
pouvoir dans le moment qu'on s'apperçoit
de la défertion de ce corps de Cavalerie, atcaquer
promptement l'ennemi.
Datamès Perfan fafant la guerre contre
Autophradates en Cappadoce , & voyant une
partie de fa Cavalerie qui s'alloit rendre à l'ennemi
, la fuivit en diligence avec le refte , &
Fayant atteinte , la loua d'avoir devancé les
autres , la pria de bienfaire , ce qui la pi-
"qua d'honneur , & la fit changer de deffein ,
croyant
n'être découverte..
pas
R. Il n'eft pas bien für fi cette Cavalerię
qui défertoit changea de deffein , feulement
fur ce que lui difoit Datamès , & fi ce n'étoit
pas la crainte d'être chargée par celle qui venoit
de la rejoindre , mais l'occafion de Da
ramès ne marque pas moins de préſence
d'efprit & d'exécution .
Le Conful Titus Quintus Capitolinus voyant
l'aile qu'il commandoit fur le point de lacher
le pied, fit courir le bruit que Fautre etoit vi ọ
porteuse , ce qui lui rendit le courage &fu
caauufſee de la victoire.. y aport..
OCTOBRE 1748. 13
કે
que
Le Conful Cneins Manlius en un combat
contre les Tofcans , ayant appris que fon com
pagnon Marcus-Fabius ) avoit été blessé à
l'aile gauche , & qu'elle commençoit à plier ,
ily accourut en diligence avec quelque Cava
lerie , & criant que ce n'étoit rien •& qu'il
avoit remporté la victoire à l'alle droite , il la
raffura & fut caufe du gain de la bataille.
Dans une bataille donnoient à ceux de
Carthage les Syracufiens & les Italiens , les
Syracufiens avoient l'aile droite , & les Italiens
la gauche, & s'y étant rendu en
étant rendu en diligen
ce ily vit les Italiens maltraités & fur le point
d'être vaincus. Il retourna avec précipitation à
l'aile droite dit aux Syracufiens . Les Italiens
gagnent la victoire à l'aîle gauche ; il ſeroit
bon que nous fiffions auffi un effort de noire
côté. Les Syracufiens perfuadés que leur Genéral
difoit la verité s'écrierent : pouffons tous
fans nous épargner. Its firent de fi grands efforts,
qu'à la fin ils mirent les Barbares enfuite.
R. Il ne peut être que fort avantageux de
faire courir de tels bruits d'une droite à une
gauche , & cela peut fouvent angmenter le
courage & la vivacité des troupes , & e
même tems étonner & faire plier les enne
mis.
Titus Labienus après la journée de Phart
fale s'étant fauvé à Dyrrachium , adouciť
la défaite de Pompée par une fausse nou
Cij
54 MERCURE DE FRANCE
velle , difant que Cefar étoit bleſſe à mort , ce
qui raffra les efprits & les retint dans leur
devoir.
R. On peut laiffer courir des nouvelles
femblables dans les premiers jours après une
défaite , lorfque les troupes ont beloin d'être
raffurées ; mais fur tout dans le cas où fe
trouvoit Labienus , qni avoit une armée
dont une partie vouloit fe rendre à Céfar .
Les Beotiens gardoient les paffages les plus
difficiles de leurs frontieres , entr' autres la
gorge étroite d'une montagne . Philippe ne les y
attaqua point , mais il porta le feu dans le plat
Pays , & ravagea les Villes. Les Beotiens ne
purent souffrir de voir leurs villes fi maltrairées
, defcendirent de la montagne. C'étoit ce &
que Philippe fouhaitoit , & alors il fit paſſer
fon armée par la montagne que les ennemis
avoient abandonnée .
R. Si une armée étoit contrainte d'abandonner
une partie de fon pays , & que pour
fauver le refte elle prit le parti d'occuper un
paffage qui fermât l'entrée du refte du pays,
il faut qu'elle demeure dans ce pofte , fans
vouloir aller empêcher le pillage de la partie
qu'elle a abandonnée , fans cela , fi elle
fe dépofte elle court rifque de perdre le
refte du pays & d'être battue ; ainfi la rufe
que Philippe tenta n'auroit pû faire donner
dans le paneau des gens qui auroient voulu
OCTOBRE 1746. 55
s'affûrer une partie de leur pays ; mais elle
pouvoit le tenter contre une armée qui ne
pouvant empêcher fes ennemis de paffer
dans fon pays , fe feroit porté dans des gorges
& défilés pour empêcher qu'ils ne penétrent
dans un pays voilin.
Philippe voulant fe rendre maître de la
Theffalie , ne fit point de guerre ouvertement
aux Theffaliens , mais ilprofita des divifions
qui étoient entre ceux de Pelinne & de Pharfale
, & entre ceux de Pherès & de Lariffe ,
qui fe faifoient la guerre , & tout le pays partagé
en factions prenoit parti pour les uns ou
pour les autres. Philippe donnoit fecours à ceux
qui lui en demandoient , & lorfqu'il avoit
vaincu , il ne détruifoit point ceux qui avoient
en du défavantage , il ne les défarmoit point,
il ne rafoit point leurs murailles ; en un mot il
nourriffoit plutôt les divifions , qu'il ne les appaifoit
; il protegeoit les plus foibles , & détruifour
lesplus puiffans ; il étoit aimé des peuples ,
& enfavorifoit les Orateurs.
t
R. Céfar en ufa à peu près de même pour la
conquête des Gaules , & après en avoir chaffé
les Allemands , il foutint & fomenta les
divifions entre les differens peuples , enforte
qu'il les affoiblit.affés pour les affujettir
aifément-
La façon dont Philippe en agit eft la plus
fûre , & en même tems la plus aifée , pour
Ciiij
56 MERCURE DE FRANCE.
s'emparer
d'un
pays où il y a plufieurs
Sou verains qui ont differens
interêts.
Alexandre
fe hatoit d'aller contre Darius vers les bords du Tigre. Une terreur panique
fe repandit
tout d'un coup dans fon armée , à commencer
depuis l'arriere -garde jufqu'aux premiers
rangs. Alexandre
ordonna
aux trompettes
de donner unfignal d'affûrance
, & aux
premiers
rangs de fon Infanterie
de pofer les armes à terre , à leurs pieds , & de dire à ceux
qui étoient derriere
eux d'en faire autant. Tous de fuite firent la même chofe , & cela fervit à découvrir
l'origine
du faux bruit. La vaine ter- reur fut diffipee ; les foldats reprirent
leurs ar→ mes & continuerent
leur marche.
R. Il eft fouvent parlé dans les anciens.
Auteurs de ces terreurs paniques ; je ne fçais
d'où cela pouvoit provenir ; il me femble
qu'il n'y en a point comme cela à préfent ;
peut- être que les fuperftitions du culte des
Payens contribuoient à cela ,il falloit qu'elles
fuffent fréquentes , puifqu'il y avoit un ſignal
indiqué , appellé le Gignal d'affûrance,
Denis voyant que les Carthaginois venoiens
fondre dans le pays avec une armée de deux
cent mille hommes , fit élever de tous côtés des
forts , & y mit des gens de guerre , avec ordre
de traiter avec les Carthaginois , de recevoir
leurs garnifons. Les Carthaginois furent fort
aifes, de prendre poffeffion du pays fans coup feOCTOBRE
1746. $7
vir & partagerent en differentes garnisons la
plupart de leurs troupes. Quand Denis vis
leurs plus grandesforces diffipées par tous ces
détachemens , il attaqua ce qui reftoit enſemble
, C
remporta
la victoire. 3
R. C'est le même défaut qui fe trouve å
fe réduire à une étroite deffenfive fur une
frontiere où le nombre de Places qu'il y a
à garder conſomme une armée prefque égale
à celle qui attaque.
Les Etoliens s'étant campés au pas des Termo
pyles pour deffendre l'entrée de la Grece à Philippe
de Macédoine , & lui ayant envoyé cependant
des députés pour l'amufer , il les retint
; puis tirant vers ces détroits à grandes
journées , il les trouva gardés négligemment
par les Etoliens , qui attendoient le retour de
leurs députés , pour prendre une derniere réfolution
R. Philippe ne donna point dans un paneau
groffier que lui tendoient les Etoliens ,
Céfar ne s'eft jamais non plus laiſſé airêter
-par les Ambaffadeurs que les peuples contre
qui il marchoit lui envoyoient , au contraire
il fe preffoit davantage d'arriver chez
eux .
Afranius faifant retraite devant Céfarprès
de Lerida , & fe voyant preffé, feignii de
camper , ce que Céfar fit a fon exemple : mais
lorfque les troupes de Céfar furent difperfues
CY
58 MERCURE DE FRANCE.
4
pour aller au bois & au fourage , il poursuivis
fa marche.
R. Cette rufe eft affés difficile à pratiquer
fi ce n'est dans le cas fuivant ; fi deux
armées avoient une riviere entre deux , &
que l'une des deux voulut en remontant ou
defcendant devancer d'une marche celle de
l'ennemi , elle pourroit envoyer des détachemens
avec les campemens à l'avant garde
ou partie des campemens pour marquér
fon camp , & pendant qu'il fe marqueroit
la marche des colonnes feroit difpofée de
façon qu'elles pafferoient une marche plus
loin , en s'éloignant un peu de la vue de
l'ennemi , & les détachemens qui auroient
marché avec les campemens marcheroient
après l'armée & en feroient l'arriere-garde.
Démetrius avoit à paffer le Fleuve Lycus ,
qui eft très-rapide , & au courant du quel fon
Infanterie ne pouvoit refifter ; il choifit parmi
fes cavaliers les plus grands , les plus vigoureux
, & les mieux montés , & en ayant fair
une phalange quarrée , il s'en fervit à rompre
l'effort du Fleuve , en l'oppofant à fon conrant
, & par ce moyen il rendit le paffage de
fes gens de pied plus facile.
R. Ce moyen de paffer à gué a été perfectionné
par Céfar qui fit mettre des Cavaliers
audeffus du gaé pour rompre le cours,
& d'autres au-deffous pour retenir les folCCTOBRE
1746. 19
dats qui ne pourroient réfifter au courant,
Philopemen ne croyoit pas qu'il fut conve
nable qu'un Général marchât à la tête de fa
phalange. Il eftimoit qu'il devoit fe mettre tantôt
à la queue , tantôt au centre , & caracoler
fouvent de côté & d'autre pour obſerverfi tout
étoit dans l'ordre , & redreſſer ce qui n'y étoit
pas.
ger
R. Un Officier Général ne doit point fonà
combattre de la main comme peut faire
un Officier particulier ou un fimple Cavalier
, il doit faire marcher fa divifion jufqu'à
portée de l'ennemi , & lorfqu'elle eft
à portée de charger il faut qu'il refte dans un
intervale , afin de pouvoir diftinguer qu'elle
partie peut avoir befoin de fa préfence ,foit
pour l'arrêter dans la pourfuite des ennemis,
fort pour ramener à la charge celle qui auroit
éré repouffée , alors il peut , s'il veut ſe
mettre à la tête de cette partie & charger ,
mais lorfqu'elle aura bien repris , il doit fe
porter où fa préfence peut être néceffaire.
Crefus ne pouvant paffer la riviere d'Halys,
faute de bateaux , la détourna par le moyen
d'un canal qu'il fit tirer derrierefon camp, &
Je trouva ainfi campé de l'autre côté. Céfar
près de Lerida déchargea la Segre par de
grands canaux & ainfi la paffa à gué.
R. Crefus a pû faire un canal qui conduifit
la riviere derriere fon camp , & file lis
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE
de la riviere étoit creux il a fallu pour le
paffer qu'il l'ait comblé en tout ou en partie.
Céfar près de Lerida a pû auffi faire des
canaux , & donner par là au courant plus de
fuperficie , mais pour avoir pû paffer à gué
la riviere , il a fallu furement qu'il l'ait comblé
en partie,
1
Marcus Caton , ayant remarqué qu'il pouvoit
emporter une Place par furprise , fit en
deux jours le chemin de quatre journées , &
trouvantles habitans qui n'étoient pas fur leurs
gardes ,fe rendit maître de leur ville. Comme
on s'étonnoit depuis d'un fi heureux fuccès
& qu'on lui en demandoit la raifon , il n'en
rendit point d'autre la diligence. Pour
avoir fait en deux jours le chemin de quatre
journées.
que
R. Lorfqu'une armée peut fe porter dans
un pais , & fe placer de façon à donner jaloufie
à l'ennemi fur plufieurs places , fi l'ennemi
eft réduit à deffendre ces places il eft
obligé de garnir également toutes celles
qui font menacées , mais fi l'armée
qui veut attaquer peut faire en deux jours
quatre journées de chemin , elle pourra peut
être fe porter fur une place que l'ennemi ne
croyoit pas pouvoir être attaquée , laquelle
n'étant point munie comme les autres fera
prife beaucoup plus aifément.
Les Lacédémoniens pillerent une ville 87
OCTOBRE 1746, 6
tirant une chauffée à travers la riviere qui couloit
par le milieu, & enfaisant remonter l'ean
qui branla le fondement des maisons & des
mursde la place.
R. Il faut un travail immenfe , & une fi
tuation faite exprès pour réuffir dans un pa
reil projet .
Lifander Lacedemonien châtía un foldat
qui etoit forti defon rang dans la marche , &
comme il crioit que ce n'étoit pas pour piller,il
n'en falloit pas, dit- il, donner le moindre foupçon.
R. On ne peut pouffer plus loin la févé→
rité , mais c'eft le feul moyen de faire ob
ferver l'ordre , & il faut éviter de faire grace
, fur tout dans les commencemens , car
alors le défordre ne fait qu'augmenter de
jour enjour,
62 MERCURE DE FRANCE,
EPITRE FAMILIARE.
En réponse à celle de M. de la Soriniere ,
inferée dans le premier Volume du Mercure
de Juin 1746. Par M. Desforges Maillard
, focié de l'Académie des Belles-
Lettres de la Rochelle.
En Bretagne an Croific , le 12 Septembre 1746°·
Ui, le talent des Vers eft beau, cher Soriniere,
Quand on fçait l'art d'unir au brillant coloris
L'élégance , l'accord , le bon goût , la maniere ,
Que j'admire dans tes écrits.
Mais je prife encor plus ton coeur tendre & fincére,
Cette candeur , & cette probité ,
Qui , comme on me l'a raconté ,
Forment ton rare caractére.
Voilà pour toi , fans compliment ,
Ami , les vrais motifs de mon attachement ,
Car à Londres , à Paris , de Congo , juſqu'à Rome ,
On trouveroit plus aisément
Cent beaux efprits qu'un honnête homme.
Quand Diogéne revivroit ,
Que fa lanterné en main il fe promeneroit ,
Et fe mettroit en fentinelle ,
OCTOBRE 1746. 63
En le cherchant il uſeroit
Plus des trois quarts de fa chandelle.
En differens Etats , comme en divers Pays ,
Je me fuis fait ce qu'on appelle
En ftile commun des amis .
Ainfi qu'un Papillon qui voltige & s'immole
Al'éclat qui féduit fa crédulité folle ,
J'ai fuivi quelques Grands , Fantômes refpectés ,
Avares de réalités ,
Prodigues d'un espoir frivole.
Ceux-ci dans mes Chanfons en Héros érigés ,
Yvres de mon encens , de mes palmes chargés ,
M'ont afpergé de certaine onde ,
Eau bénite appellée , & m'ont fort poliment
Promis à tout événement
La moitié de la terre ronde.
Les autres qu'infpiroit une veine féconde ,
Dans leurs chiffres tracés de la main du Zéphir ,
M'ont juré de m'aimer jufqu'au dernier foupir.
Leurs fons étoient fi doux ; leur voix étoit fi tendre
,
Qu'il fembloit que l'Amour aux rives du Lignon
Sous un myrthe fleuri leur eut fait la leçon ,
Comme il la faifoit à Silvandre ,
Au jeune Hilas , à Celadon.
Cette foule d'Amis , fi vrais à les entendre ,
Ne l'étoit pourtant que de nom.
J'ai vu fe diffiper leur volage féquelle ,
Comme on voit dans les airs un volant eſcadron
64 MERCURE DE FRANCE :
Se rompré devant l'Aquilon ,
Et s'échapper tirant de l'aîle.
Deux ou trois , & fur tout le célébre Titon
Et l'illuftre Bouguer , dont le peuple Triton
Fait fonner fur les flots la louange immortelle
Que la terre à l'envi répéte à l'uniffon ,
Ceux-là , fans démentir leur bonté naturelle ,
M'ont conftamment payé d'une foi mutuelle.
Telle étoit au furplus l'étrange illufion ,
La téméraire opinion
D'un homme fimple & franc , qui n'avoit pour
fyftême
Que de fe figurer les fentimens d'autrui ,
Suivant ce qu'il fentoit en lui.
Dans mon aveuglément extrême ,
Inſenſé , j'oubliois ce que Pétrone a dit ,
Comme , dans le quatrain qui fuit .
Je l'ai paraphrafé moi- même.
On prône , on vante affez ſon coeur
De promettre beaucoup on ſe fait un mérite ;
Mais l'Ami qu'on éprouve , héfite ,
S'il s'agit d'employer fes foins & fa fayeur.
Hélas ! c'eft de tout tems que la fortune adverſe ,
Cette Divinité perverſe ,
* Nomen amicitia fi quatenus expedit , baret,
Petr, Satyric.
OCTOBRE
1746.
Des amis inconftans a fait rougir le front.
Ceux du galant Ovide exilé dans le Pont ,
En font une preuve éternelle.
Mais que quelqu'un des miens par une trahiſon
M'ait lâchement vendu, victime trop fidelle ?
Un fi grand coup de foudre étonne ma raiſon .
J'ai long-tems reffenti fon atteinte cruelle ,
Dont pour moi la penfée eft encore un poiſon.
Auffi j'ai fait une liaffe
Des lettres , des billets de tout ce monde là
Et pour infcription fur cette paperaffe ,
Dans ma mauvaiſe humeur j'ai mis, à qui lira
Lettres de faux amis , trompeurs & cætera .
Enfin perfévérant dans fa longue colere :
Soufflant toujours le vent contraire
La fortune ma confiné
Dans le climat où je fuis né,
Sur une côte folitaire .
C'eft-là qu'en impromptu l'Hymen vint me lier ,
Surquoi le Préfident Bouhier ,
Ce Sçavant renommé , que le Pinde regrette
M'écrivit affez plaiſamment
Qu'il étoit juste qu'un Poëtej
Eût tout fait
poëtiquement.
2
Mais puis-je , ami très-cher , te faire en affûrance
Une certaine confidence ?
Tu me promets du moins de ne point l'éventer
Mets la main fur ta conſcience.
66 MERCURE DE FRANCE.
La femme que j'ai prife , aime tant coqueter ,
Que nulle autre en ce point ne l'égale , je penſe.
Sarrazin , diras-tu , dans un fort beau Sonnet
Nous apprend que l'efprit coquet
Des femmes fut toujours l'attrait
Et la rocambole ordinaire.
D'accord , mais j'ai furpris la mienne fur le fait.
Sur le fait ! avec qui de cet autre fecret
Si tu m'affures de te taire ,
Je te ferai dépofitaire.
Eh bien! je l'ai trouvée , écoute & fois difcret :
Je l'ai trouvée , ami , fur un lit de fougere ,
Que parfumoit le ferpolet 2
Et les rideaux tirés , même en fon cabinet ,
Tête à tête , en commerce , avec Virgile , Homére
,
Horace , Anåcréon & tel autre Muguet .
Tu comptois , conviens-en , que la fin du myftére
Feroit allonger mon bonnet .
Non, d'une fage époufe , & très-digne de plaire
Par fes appas & fes talens ,
Euterpe fur le Pinde , Euphrofine à Cithére,
Voilà les Favoris , les aimables Galans .
Sans ce rapport de goût ferois-je aujourd'hui pere ,
Pere de deux fils en deux ans ?
Moi qui bravant d'Hymen le pénible esclavage ,
Ne connoiffois l'Amour que pour un Dieu volage ,
Et qui n'étois voué pour toujours à l'Etat
OCTOBRE . 1746.
67
D'un volontaire célibat ,
Moi qui ne prétendois dans mon petit ménage ,
Qu'être pere d'enfans qu'il ne faut point bercer ,
Qui ne coutent pas plus à nourrir que mon ombre ;
Maſculins , féminins , toujours prêts à danſer ,
Qui ne coutent point à chauffer, :
Quoique leurs pieds foient en grand nombre
;
Enfin , moi qui n'avois d'autre cupidité ,
Agiffant , penfant à ma mode ,
Que d'être le pere d'une Ode ,
Ou telle autre poftérité :
Famille qui fe joue , & n'eft point incommode ,
Agréable paternité !
Suivant certain dicton , dont la date eft antique ,
Et qu'en tous lieux l'uſage à rendu fort commun ,
On dit , 'lorfque l'on voit fourmiller chez quelqu'un
Une effantine République , ¦
Qu'il n'est pas trop de gens de bien ;
Sans doute , & , comme un bon Chrêtien ,
Ce bien fi vanté , je fouhaite
Qu'il abonde chez mes voiſins ,
Comme le Roi Prophête
L'exprime dans fes chants divins.
Le Dieu qui régle mes deftins ,
M'eft pourtant , Soriniere , en un point favorablę ,
En ce que la bonté me conſerve un tréfor ,
68 MERCURE DE FRANCE
À mon coeur , à mes yeux tréfor plus eſtimable
Que la perle , l'argent & l'or.
Je n'ai point voyagé de contrée en contrée ,
Et n'ai point fillonné , Marchand ambitieux ,
Sur la foi du fougueux Borée
L'Empire inconftant de Nérée ,
Pour chercher ce bien précieux.
tl eft en ce réduit maritime & champêtre ,
Et je ne puis le trouver qu'en ces lieux.
Ce tréfor , cher ami , c'eft celle à qui les Dieu
Ont voulu que je dûffe l'Etre ;
A qui je dois bien plus , l'amour de la vertu ,
Le défit d'obliger & la crainte de nuire ;
Ce coeur que les méchans ont en vain combattu
Que le clinquant n'a pû féduire ;
Qui fçait diftinguer l'homme & du titre du rang
Les talens perfonnels des chiméres du fang.
Veillez donc fur fes jours , ô puiffance éternelle ;
Accordez lui , grands Dieux , par clémence pour
nous
La veilleffe d'Hécube & des deftins plus doux,
Attentive à vos loix , fa charité , fon zéle
Et la pureté de fes moeurs
La rendent à jamais digne de vos faveurs.
D'un petit patrimoine oeconome fidelle ,
Laiffez - là partager entre nous les douceurs ,
Et cinquante ans encore affembler fous fon aîle
Cinq frerestendrement unis à quatre foeurs.
OCTOBRE 1746.
Tu goutes , cher ami , ces plaiſirs enchanteurs
Dans ta retraite pacifique ;
Maître d'un Château magnifique ,
Ta femme , tes enfans te forment une Cour
Où fans fadeur , fans flaterie ,
La fincére amitié par la vertu nourrie ,
Naquit du plus parfait amour.
La fortune pour toi moins fauvage , moins dure
Et moins quinteufe que pour moi ,
T'a tranfmis de fes dons une jufte meſure ,
Pour vivre indépendant , & pour être ton Roi.
Tu plais à ton Epoufe , elle te plaît de même.
Tu l'ainies autant qu'elle t'aime ,
Du foin de vos enfans vous faites votre emploi ;
Et tout autour de votre table .
Vous voyez d'un oeil amoureux ,
Comme plans d'Oliviers , cette troupe agréable
S'élever & combler vos voeux,
Ainfi coulent tes jours heureux ;
Ainfi , cher ami , tu t'amufes
Affidu ménager d'un loifir ftudieux
?
Et dans ce beau féjour , Parnaffe glorieux ,
Le pere eft l'Apollon , les enfans font les Mufes,
Qui forment fur les chants leurs tons harmonieux
jupal
Tute plains que troublant le repos de ta vie ,
La chicane contre elle ofe lancer les traifigu, tax I
70 MERCURE DE FRANCE
Elle m'attaque bien , cette ſombre ennemie ,
Moi , dont le revenu ne doit point faire envie
Aux noirs amateurs des procès .
Ami , n'ayons dans nos projets ,
Que la feule équité pour guide ;
Banniffons l'interêt avide ;
Et l'exacte Thémis nous répond du fuccès .
LeCiel en te faifant poffeffeur d'une terre ,
Comme aux autres , mon cher , t'a donné des voi
fins ;
Si leur cupidité te déclarant la guerre
Cherche à reculer tes confins ,
Pour étendre les leurs , fur un acte équivoque ,
Ou fur un vieux titre baroque ,
Dont le chiffre effacé rend le tems incertain ,
Je pense toutefois qu'il vaut mieux ſe deffendre ,
Et refuter ce qu'ils ofent prétendre ,
Que de n'avoir point de terrain ,
Ou ramaffer affez de grain
Pour fournir au cours du ménage ,
De l'avoine & du foin pour nourrir l'équipage
Pour égayer la veine un peu d'excellent vin ,
Ofeille & laitue au jardin ,
Pour en couronner le potage.
Quant au fruit de la vigne ; il t'eft indifferent ;
Tes Vers font le panégyrique
De l'eau froide qui ne te rend
En revanche que la colique .
Pourquoi dise à l'un d'eux un éternel adieu ,
OCTOBRE 71 1746.
•
Et ne pas marier la Nayade & le Dieu ?
Le Créateur de tout , & qui par tout réfide
Débrouillant le cahos , tempéra fagement
Le chaud avec le froid , le fec avec l'humide ,
Pour en former chaque Elément ,
Ce qui nous prouve évidemment
Que de notre frêle machine
L'onde claire & le vin mêlangés fobrement
Peuvent retarder la ruine ,
Et le fameux Roi d'Ifraël ,
Ce Botaniſte univerſel ,
Qui connut herbe , fruit , & la Nature en fomme
N'enfeignoit-il pas que vinum
bonum
Réjouiffoit le coeur de l'homme ?
Si le Nectar d'Anjou , pareil au vin Breton
Ne valoit pas du jus de pomme,
Je te pardonnerois , mais c'eft un divin baume
Sur-tout lorfque le tems le meurit en flacon .
Homére , Theognis , Horace , Anacreon ,
Ont chanté du bon vin la puiffance & la gloire ,
Et fa vertu , nous dit l'Hiftoire,
Théognis , Poëte Grec , dont les Poëfies font
morales & fententieuſes ; il a dit en parlant du
vin , fuivant cette traduction,
Vinum potare multùm malum eft , fi vero quis ipfum
potarit prudenter , non malum , fed bonum eft,
#2 MERCURE DE FRANCE
·Réchauffa celle de Caton ,
Et Mathurin Regnier , ce cynique garçon ,
Du mordant Defpreaux , ce maître à rouge trogne ,
N'a t'il point dit auffi , d'un facétieux ton ,
Qn'unjeune Médecin vit moins qu'un visil yvrogne ?
Notre corps eft pour nous un joug affez péfant ;
N'affligeons point notre ame , en le tyrannifant.
De tout un peu , c'eft ma Philofophie.
Si toutefois contre mon argument
De ta foible fanté le foin te juftifie ,
Bois de l'eau , fi l'eau duit à ton tempéramment,
Lorfque le préjugé n'eft pas fon truchement ,
Sa leçon doit être fuivie .
Ne l'importune point , écoute ce qu'il veut ,
Et fais lui feulement fupporter ce qu'il peut ,
de nos biens n'eft
pas dans cette vie La perte
Le plus grand des malheurs , qui puiffe l'affliger:
C'est la crainte du mal , c'eft l'effroi du danger ,
Plus cruels que le mal & que la maladie.
De tous nos accidens le dernier c'eft la mort
Et quoiqu'en fes écarts le vain'orgueil publie ,
Tandis que la fanté feconde ſa folie ,
Quand la mort eft prochaine il n'eſt plus d'eſprit
fort.
Je n'ai pu profiter de ton offre polie,
Par mes affaires arrêté ,
Quoiquejufques chez toi mon défir m'ait porté ; ---
Mais fi- tôt que Flore embellie
Ramenera Zéphir fur fon char argenté ,
Ami ,
OCTOBRE 1746 . 73
Ami , je t'irai voir , comme ces bons Hermites
Alloient de tems en tems fe faire des viſites ,
Afin d'entretenir la confraternité.
Par la lettre que nous allons imprimer ,
on jugera de l'exacte impartialité que nous
obfervons dans les difputes litteraires , puifque
nous donnons place à une pièce où l'on
nous fait quelques reproches ; il eft vrai que
cette lettre eft écrite avec tant de politeffe
& de ménagement , qu'il faudroit que
nous euffions un amour propre bien délicat
, pour qu'il eût été bleffé d'une critique
auffi douce ; ce morceau feroit digne de
fervir de modéle dans ce genre d'écrire
par la douceur , l'élégance , & la fineffe qui
y régnent : à l'égard du fond de la queſtion ,
nos occupations ne nous permettant pas
d'entrer dans une difcuffion bien exacte ,
nous fupplions notre cenfeur de fe contenter
de la courte réponſe que nous lui adref
fons ici.
Il a été choqué de ce que j'ai dit que
Montagne avoit commenté Epictete & M.
Aurele , peut-être applique t'il à ce terme
de commenter une idée de dédain qu'il
n'emporte pas , peut- être auffi n'en ai- je pas
affés fenti la valeur. Je n'ai point voulu ra-
D
74 MERCURE DE FRANCE.
baiffer Montagne dont je fuis admirateur
ainfi que tous les bons efprits , j'ai pretendu
fimplement une chofe dont l'Auteur de
la lettre convient , c'eft que les principes
de la Morale fur lefquels Montagne a écrit ,
fe trouvent dans Epictete & dans M. Aurele,
j'ai dit qu'il fe rencontroit des ignorans qui
faifoient plus de cas de Montagne que de
M. Aurele , le fait eft vrai , j'ai vû des
gens qui affectoient de méprifer ce dernier
& qui lui oppofoient Montagne , & j'avouerai
que ce parallele m'a choqué , mais je n'ai
point voulu conclure de là qu'il n'y avoit que
les ignorans qui aimaffent Montagne ; fon
livre plus agréable , plus amufant que celui
de M. Aurele , eft fait pour être admiré
par les gens de tous les ordres d'efprit , mais
je m'en rapporte à l'Auteur de la lettre lui
même fur l'eftime qu'on doit à M. Aurele
& à Epictete , ce dernier a la dureté des
Stoïciens , mais M. Aurele ne l'avoit ni dans
fon caractére , ni dans fes écrits ; inacceffible
au trouble des paffions , fon ame s'ouvroit
au fentiment , c'étoit un de fes principes
qu'il faut vivre avec les hommes tels
qu'ils font , fupporter leurs défauts , & les aimer
parce qu'ils font hommes comme nous ,
& non parce qu'ils font parfaits. Dans l'cuvrage
admirable qu'il a laiffé tout éleve l'ame
; on fe fent penêtré du defir d'être aufli
OCTOBRE 1746.
75
vertueux que lui , & de l'efpérance de le
devenir. Montagné nous donne le tableau
de fes foibleffes ; en fondant les replis de fon .
coeur , il porte la lumiere dans le notre , il
nous fait demêler & nos défauts & leurs
differentes fources. L'un nous femble un maître
d'une espéce fupérieure à la nôtre, qui nous
inftruit qu'on admire & qu'on aime ; l'autre eſt
un ami qui converſe avec vous & qui vous amufe.
M, Aurele peint les charmes de la vertu
, Montagne le ridicule des foibleffes humaines
, il y a plus de gens à portée de profiter
de Montagne que de M. Aurele , parce
que celui - ci veut rendre les hommes parfaits
& que l'autre n'afpire qu'à les corriger.
Que conclure de là ? que ce font deux efprits
d'un ordre fupérieur , qui ont travaillé
chacun dans un genre different , & qui ont
fait tous les deux un ouvrage digne de l'admiration
des hommes vertueux & éclairés ;
nous ne nous engagerons point à difcuter
qui des deux mérite la preference , qu'importe
puifque tous deux meritent notre eftime.
Voila quels font mes fentimens à l'égard
de Montagne , & quels ils ont toujours
été il me refte à remercier l'Auteur
des politeffes dont- il m'honore , & des
éloges qu'il me donne , il eft flateur de les
recevoir d'un homme qui a autant de folidité
, de fineffe & de grace dans l'efprit ;
;
Dij
76 MERCURE DE FRANCE .
dulce eft laudari a laudabilibus viris , mais
ma préfomption ne va pas jufqu'à croire les
mériter & je ne les attribue qua fon indulgence,
LETTRE écrite à M. de L. B. l'un
des Auteurs du Mercure.
M.
perfonnne, je ne l'ai
Je n'ai jamais cherché à donner leton à
perfonnne
,je ne l'ai pas même défiré ;
trop borné pour inftruire , trop parelleux
pour difputer , je juge de tout par fentiment
& je me tiens à mon opinion fans .
être jaloux de l'honneur
d'y foumettre
les
autres ; un Auteur qui joint la force , -
grément & la jufteffe , m'enchante
, un Auteur
ridicule
me divertit , je jouis d'une
beauté réelle , je me mocque d'une abſurdité
; moins Philofophe
que Spectateur
tranquile
des differens
Tableaux
mouvanş
de l'univers , j'ai perdu depuis long- tems
l'efperance
d'en découvrir
les refforts : le
peu de raifonnement
dont je fuis capable
m'a fouvent ramené au fepticiſme , j'aime à
me deffendre
contre les Dogmatiftes
, cependant
je connois & refpecte
les bornes
que doit avoir cette façon de penfer , en
un mot le peu de Philofophie
dont je fuis
OCTOBRE 1746. 77
capable n'eft tout au plus qu'une nouvelle.
preuve du Traité de M. Huet fur la foi
bleffe de l'efprit humain .
Ne trouvez point étrange , Monfieur ,
que je commence par vous faire mon portrait
; j'ai cru devoir vous faire connoître
un homme obfcur qui ofe diſputer avec
vous ; je me prépare à deffendre Montagne
& l'on contracte aifément avec cet Auteur
un peu de défir de parler de foi.
J'ofe donc vous avouer , Monfieur , que
je fuis un de ces ignorans qui aiment Montague
, un de ces ignorans qui n'ayant nulle
réputation litteraire à conferver , le compare
& le prefere , quelquefois , à ces anciens
fi refpectés ; un de ces ignorans enfin
qui voit enlever avec chagrin à cet Auteur
une réputation dont -il jouit depuis près de
deux fiécles , une gloire que nos voisins
ont conftatée par leurs traductions & leurs
éloges , & que huit générations fe font ac- ſe
cordées à reconnoître .
Vous fçavez , Monfieur , que ces mêmes
voifins nous reprochent fouvent une trop
grande legereté dans nos opinions & dans
nos goûts , qu'ils vont même jufqu'à croire
que chés nous la Philofophie & la Metapyhfique
font affujeties à la mode . Que
diront ils , lorfqu'ils verront celui qui eft
chargé d'écrire l'Hiftoire Journaliere du
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
goût de la Nation dans le Mercure , traiter
Montagne d'inutile commentateur des anciens
, & fes fectateurs d'ignorans ? ne feront-
il pas fondés dans leurs reproches ? jaloux
de l'approbation qu'ils ont donnée à cet
Auteur , bleffés de fe trouver compris dans
votre cenfure , n'iront ils pas peut- être jufqu'à
dire que les François n'étoient pas
dignes que Montagne fût né chés eux ?
›
Si j'avois à fuivre aveuglement l'opinion
de quelqu'un , certainement , Monfieur , je
choifirois la vôtre ; quoique retiré au fond
d'une Province je connois les lumiéres & les
agrémens de votre efprit , je connois tout le
prix des fecours que vous etes fûr de trouver
dans une fociété charmante , dans un de
ces génies rares , fublimes & aimables ,
digne par fa naiffance & fon rang d'être
compté parmi les plus illuftres protecteurs
des Lettres , digne par fes talens - d'être à la
tête de ceux qui les enrichiffent tous les
jours , mais , Monfieur , vous avez vû dans
mon portrait que mon opinion m'eſt chere
quand elle eft déterminée par le fentiment ;
vous fçavez d'ailleurs que les ignorans ſont
fujets à être entêtés .
Pardonnez moi de repeter encore cette
plaifanterie ; je vous jure qu'elle n'eſt point
dictée par l'humeur , il me feroit impoffible
d'en conferver avec vous , je vais fimpleOCTOBRE
1746. 79
ment tacher de deffendre Montagne , égalment
jaloux de vous perfuader & de vous
plaire .
Je commence , Monfieur , par féparer les
intérêts de Montagne & de Charron; l'un eft
trop fupérieur à l'autre.
Le voyage que Charron fit en Perigord ,
ſes entretiens avec Montagne , la communication
que ce Philofophe lui donna de
fes ouvrages , les confeils , l'amitié dont il
l'honora , voila ce qui donna naiffance au
Traité de la fagefle , Charron pénêtré d'admiration
& de reconnoiffance pour Montagne
, ne craignit point de placer des
paffages entiers des Effais de Morale , dans
les trois livres de la fageffe ; il les regarda
comme une partie de l'héritage de fon bienfaiteur
( a )
> }
Charron adopta les fentimens de Montagne
, mais il avança quelques propofitions
plus hardies que celles des Effais de Morale
, il les rendit affirmatives ; on ne paffa
point au Théologal de Comdom d'approfondir
ce que l'homme du monde n'avoit
ofé qu'effleurer ; jamais Auteur n'a été
attaqué avec plus d'animofité que Charron ,
plufieurs cependant , comme le Médecin
Chanet , eurent la prudence d'attendre fa
(4 ) Montagne laiffa un legs à Charron & la permiffion
de porter ſes armes .
Diiij
8. MERCURE DE FRANCE.
mort pour écrire contre lui. Naudé , dont
le nom a quelque autorité , le deffendit
avec force
"
Cependant dans toutes les querelles qui
s'éleverent au ſujet du livre de la fageffe (querelles
dont le motif étoit bien refpectable ) il
n'y eut rien qui tienne à celle d'aujourd'hui
Je ne crois point devoir prendre la deffenfe
de Charron dans cette occaſion , je me
borne à celle de Montagne , puifque c'eſt
celui qui eft principalement attaqué ; je com ·
mence par la critique de Monfieur de Voltaire
, qui a donné naiffance à la vôtre.
Monfieur de Voltaife n'attaque point
Montagne fur le fond de fon ouvrage , il
convient du plaifir que l'on trouve à caufer
avec lui , il loue la beauté & la vérité de ces
tableaux dans lesquels il s'offre toujours lui
même comme un exemple de la foibleſſe
humaine ; Monfieur de Voltaire admire fon
imagination , fon énergie , la naïveté avec
laquelle il exprime des idées fublimes , il lui
rend l'hommage , d'avoir été le premier Auteur
François qui ait mérité d'être traduit ,
cependant il defaprouve fon ftyle , fes conftructions
vicieuſes , quelques maniéres de
parler trop baffes , & la critique de Monfieur
de Voltaire tombe encore plus fur l'imperfection
de la Langue Françoife du tems de
Montagne , que fur la diction de cet AuOCTOBRE.
1746. 81
teur ; je ne chercherai point a refuter une
critique auffi judicieufe & auffi bien placée
dans la bouche d'un Académicien qui rend
compte des progrès de la Langue ; s'il regrette
que le langage de l'écrivain ne foit
pas parfait , ilrend juftice au Philofophe.
Cependant mon foible pour Montagne
me rend ingénieux à lui trouver des excufes
, même fur cette critique que j'approu-'
ve. Montagne n'avoit eu nuls fecours , nuls
exemples pour parler fa Langue d'une façon
plus correcte & plus épurée : de tout tems
elle a été défigurée dans la Province de Perigord
qu'il habitoit : vous fçavez d'ailleurs
quelle fut fon éducation , la Langue Latine
eft la feule qui lui fut enfeignée dans fon enfance
, il la begaya dans fon berceau ; la
Langue Françoiſe fut donc pour lui ce que
les Langues fçavantes font pour nous , (a) &
de même qu'on nous reproche quelquefois
des gallicifmes dans la Latinité , l'on peut
reprocher à Montagne des conftructions Latines
dans fon ftyle ; du moins nous lui
avons l'obligation de nous avoir fait fentir
tout le pouvoir de l'expreffion , & de nous
avoir prouvé que le mot propre eft le feul
qui puiffe rendre une penfée fans en alterer
ou le fens ou la force , j'ajouterai qu'il y a
(4) Montagne étoit fi acoûtumé à la Langue Lasine
qu'il dit qu'il penfoit en Latin,
DV
82 MERCURE DE FRANCE.
des morceaux entiers de cet Auteur écrits
avec autant de nobleffe que d'energie , mais
il eft vrai qu'on peut lui reprocher fon
inégalité.
Je fuis donc , Monfieur , très perfuadé
que Monfieur de Voltaire qui fait honneur
afon fiécle & qui en auroit fait à celui d'Augufte
, fe plaindra avec raifon en lifant
l'extrait de fon difcours dans le Mercure ,
qui vous ayés abufé d'une critique auffi juſte,
& auffi bien placée. ( a ) --
;
C'eft cette partie de fon difcours qui vous
conduit à dire qu'Horace a fourni la baſe
des ouvrages de Charron & de Montagne ,
que la plupart de nos ignorans qui donnent
le ton aujourd'hui , regardent comme
de plus grands Philofophes qu'Epictete ,
Marc Aurele &c , que ces modernes n'ont
fait que commenter.
Voila , Monfieur , vos propres paroles ; on
a reproché quelques diftractions à Homere ,
fouffrez que je vous en reproche une dans
cette occafion ; cette façon tranchante de
dénigrer les fectateurs de Montagne eft trop
dure , les bornes que vous mettez à ſon eſprit
& à fon travail font injuftes.
Je vous jure , Monfieur , que j'ai eu l'honneur
de lire plufieurs fois les ouvrages d'E-
(a ) Ce n'eft point à l'occafion de ce que M.
de V. a dit de Montagne qu'on en a parle .
OCTOBRE 1746. 83
ne
pictete & de Marc Aurele , qu'ils font placées
dans mon cabinet à la tête des meilleurs
livres dans ce genre , mais je ne vois
rien de moins femblable que leur Philofophie
& celle de Montagne . Epictete & Marc
Aurele étoient Stoïciens ; leurs propofitions
font toutes affirmatives , ils trai .
tent les paffions que comme de vils eſclaves
que l'ame doit & peut enchainer ; ils ne reconnoiffent
de perfection dans les opérations
de l'efprit , qu'autant qu'il eft abfolument
degagé de ce dont les fens peuvent
l'alterer , Ah , Monfieur , que Montagne ref
femble peu à ces hommes , qui dans leur
Morale veulent reffembler à des Dieux ,
Montagne connoit trop bien le pouvoir de
Ja Nature , il l'étudie fans ceffe , il la peint
telle quelle eft , il cherche à fe deffendre de
ce quelle a de vicieux , il tend à perfection .
ner ce quelle a de bon & de raifonnable ,
il compofe avec elle , il la reprime , il l'écoute
, il en demêle les foibleffes ; c'eſt ainfi
qu'il réuffit fouvent à l'éclairer ; voila fans
doute deux genres de leçons bien différens ,
& vous conviendrez que fi le fond de ‹ ur
Morale eft le même , ils prennent des routes
bien oppofées pour l'enfeigner.
Quelle reffemblance en effet peut fe
trouver entre des Dogmatiftes , & un feeptique
? Je conviendrai , Monfieur , que dans
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
quelques occafions Montagne s'eft appuyé de
leur autorité , mais convenez avec moi qu'il
ne s'eft jamais abaiffé à n'ofer penſer de lui
même & commenter fervilement cesAuteurs.
On donne quelquefois trop legerement
le nom d'imitateur & de plagiaire , ces noms
doivent être refervés pour les Auteurs des
ouvrages purement de bel efprit , mais on
ne doit les donner qr'avec une extrême réſerve
à ceux qui écrivent fur la Morale .
L'idée que nous avons de la vérité nous
la repréfente comme un point fixe dont on ne
peut s'écarter fans erreur. Óu la Morale
n'exifte pas , ou les principes doivent être
les mêmes dans toutes les Nations , dans
tous les âges , dans tous les efprits capables
de la concevoir & de la tranſmettre , il eſt
donc naturel que les Philofophes d'un certain
ordre ayent les mêmes penfées . La Morale
exifte par elle même , le fond en eft
commun à tous , il n'y a dans les leçons
qu'on en donne que les differens moyens dont
on fe fert pour la faire fentir, qui foient véritablement
à nous.
Montagne fans doute s'eft rencontré
avec les Stoïciens pour la bafe & pour les
principes , mais quant à la maniere de raifonner
fur leur fuite , la méthode differe en
tous points.
C'est ici , Monfieur , que j'ofe vous reOCTOBRE
1746. 85
peter que je fuis affés ignorant pour preferer
celle de Montagne , je n'écoute les leçons
d'Epictete & de Marc Aurele, que comme
le peuple profterné devant les trépieds recevoit
les oracles ; je fens la force & la
vérité de leurs leçons , mais dès que je penſe
à les fuivre , effrayé de la fublimité & de la
féchereffe de mes maîtres , je cours me renfermer
avec mon ami Montagne , je raifonne
avec lui , il me confole , il fe montre
auffi foible que moi , il me découvre des
reffources dans mon coeur que j'ignorois ,
& peu à peu il me donne les moyens de mettre
les leçons des autres en pratique.
C'eft beaucoup pour les hommes que
d'avoir l'idée de la perfection , & de faire
tous leurs efforts pour marcher toûjours
vers ce but , mais ils feroient trop malheureux
fi ces efforts étoient abſolument inutiles
, jufqu'à ce qu'ils euffent atteint cette
perfection trop fublime , trop élevée pour
eux ; la Philofophie trop auftere nous effarouche
& nous défefpére , le ftoïciſme ne
doit être regardé que comme l'héroiſme de
la Morale , mais rendons nous juftice ; la
Nature connoît peu l'héroifme , le combat
& le détruit fans ceffe , & malheureuſement
nous fommes tous enfans de cette Nature
foible & fujette à l'erreur.
Le reproche de commentateur des anciens
86 MERCURE DE FRANCE.
que vous faites à Montagne , me tient bien
au coeur ; j'y reviens malgré moi , Monfieur ,
permetrez moi une vengeance innocente , je
vous prie de relire ce qui nous refte de
Pithagore & vous verrez qu'Epictete & Marc
Aurele ont fouvent commenté les vers dorés
& ce que Hiérocles nous a tranfmis de la
Philofophie .
C'eft ainfi que les hommes fe prêtent des
fecours d'âge en âge.
C'eſt une perfection de l'efprit dans le
Philofophe de partir d'un principe dicté par
la raifon , & reçû chés tous les hommes ,
c'eſt une témérité pleine d'orgueil de s'en
faire de nouveaux , c'eft auffi une ingratitude
extrême de méconnoître les fources ou l'on
a puifé & qui nous ont enrichi : la bonne
foi de Montagne fur cet article fait l'éloge
de fon coeur & de fon efprit ; qu'il feroit
heureux pour notre fiécle que ce Philofophe
eût des commentateurs dignes de lui , & qui
fuffent capables de remplir ce fouhait qui
prouve fi bien fa candeur ! j'aimerois bien
quelqu'un ( dit- il ) qui me fçut déplumer par
clarté de Jugement.
Si Montagne a quelquefois imité les anciens
, c'eft qu'il n'y avoit point de façon plus
claire , plus préciſe d'annoncer une vérité ;
il n'en doit infpirer que plus de confiance.
OCTOBRE . 1746. 87
Laiffons aux feu's Phyficiens la gloire paf
fagere de forger de nouveaux fyftémes ; n'en
admettons point dans la morale ; fes droits
font trop facrés pour dépendre de l'imagination
.
Ses principes furent fans doute imprimés
dans le coeur des premiers hommes : fes
loixs furent écrites par les premiers Légiflateurs
, nous ne pouvons depuis bien des
fiécles difcuter que les moyens d'acomplir
ces loix primitives , & ceux que Montague
nous offre me paroiffent les plus sûrs , les
plus à la portée de la foibleffe humaine.
Les plus célébres écrivains qui lui ont fuccedé
& qui ont écrit dans le même genre ,
ont fait fon éloge & Pont fouvent imité , le
célébre Afhley Cooper , Comte de Schatſbury
fe fit honneur d'être appellé le Montagne
de l'Angleterre ; le Duc de Bukingham
, le préfere à un Compatriote illuftre
au fameux Bacon. Montagne attaqué par
Badius & quelques fçavans trouva les plus
beaux génies de fon tems & tous les gens de
goût pour les deffenſeurs , (a)
Les effais de Morale font traduits dans la
plupart des Langues de l'Europe ; ils ont été
(a) La Bruiere a dit que Balzac ne penfoit pas
affés pour aimer Montagne , & que le Pere Malbranche
penfoit trop fubtilement pour goûter un
eſprit auf naturel .
88 MERCURE DE FRANCE.
réimprimés d'âge en âge , jamais livre Fran
çois n'a eu un fuccès plus conftant.
Je fuis fans doute , Monfieur , un des plus
foibles deffenfeurs que Montagne pouroit
trouver aujourd'hui , mais je fuis pénétré de
la juftice de la caufe que je foutiens ; je
vous demande au nom de tous fes Sectateurs
d'adoucir une critique que nous trou
vons trop févére , vous nous avez trop accoutumés
au plaifir de vous entendre par
des ouvrages pleins d'agrémens & de beautés
naturelles , pour vous paffer cet inſtant
d'humeur contre notre ami Montagne ; les
hommes font affés injuftes , pour exiger
qu'un Auteur auffi capable de leur plaire ,
foit occupé de leur plaire toujours.
J'ai l'honneur d'être avec toute l'eftime
poffible , &c.
OCTOBRE 1746.
89
SEANCE PUBLIQUE de l'Académie
pour la réception de M. l'Abbé de la Ville ,
le Jeudi is Septembre.
Ous avons déja rendu compte des fen-
Ntimens du public fur le difcours de M.
l'Abbé de la Viile , mais nos engagemens
avec le public exigent de nous que nous lui
rendions un compte plus détaillé de cette
Séance , & c'est ce que nous allons faire.
Des circonstances qui ne dépendoient pas
de M. L. D. L. V. lui ont fait fufpendre fon
remerciement & fa réception. Après avoir
remercié l'Académie de la grace qu'elle lui
a accordée le nouvel Académicien paffe
par une tranfition heureuſe à l'éloge de M.
l'Evêque de Bazas . Cet art des tranſitions fi
néceffa re dans les difcours de ce genre
brille ici dans fon plus grand éclat , & M. L.
D. L. V. a lié les differentes matieres qui
entrent néceffairement dans ce difcours ,
avec une adreffe qu'il eft plus aifé d'admirer
que d'imiter.
Les dignités & les honneurs , dit- il , en
parlant de M. l'Evêque de Bazas , qui tron
ordinairement fervent de prétexte à l'oifiveté
, furent pour M. l'Abbé Mongin un
90 MERCURE DE FRANCE.
engagement pour des occupations plus vives
& moins interrompues , & ce n'eft point
à lui qu'on a pu reprocher qu'il avoit ceffé
d'inftruire au moment que fon état lui en
avoit impofé l'obligation . Elevé à l'Epifcopat
, il a fait , pour l'édification des peuples
confiés à fon zéle , un ufage conftant & utile
de l'art de perfuader , dont il avoit appris
parmi vous les principes & les régles . Enfin
illuftre Académicien & Prélat vertueux , il
a mérité vos regrets & ceux de fon Diocèſe.
Après avoir encore jetté quelques fleurs fur
la tombe de fon prédécefleur , M. L. de la
Ville continue .
C'eſt à vous
rendre digne de la grace que vous m'avez
faite , & c'eft dans vos affemblées
que je
vais tâcher d'apprendre
cet art fublime
de
penfer & de s'exprimer
, qui fait le caractére
de la véritable
éloquence
, & qui n'eſt
pas moins
néceffaire
au négociateur
qu'à
Ï'orateur
.
MESSIEURS , à me
Les Romains en étoient fi perfuadés ,
qu'ils employoient le même terme pour fignifier
l'une & l'autre de ces deux fonctions.
C'eft auffi par cette raison qu'un Miniftre
en qui le mérite fe perpétue avec l'ancienneté
de la nobleffe , & dont le nom annonce
tout-à-la fois le citoyen défintereſſë .
OCTOBRE 1746. 91
l'homme d'Etat & l'homme de Lettres , a
- bien voulu en cette occafion fi intereflante
pour moi , encourager les vûës de mon ambition
. Il a parfaitement fenti que pour
être plus en état d'exécuter fes ordres , &
de répondre à la confiance dont il m'honore
, j'avois befoin de vos leçons , & il a
fouhaité que je fuffe à portée de les rece-
*
voir.
En effet , MESSIEURS , il n'eft peut -être
point de profeffion qui exige autant que celles
qui ont rapport au miniftére étranger .
une grande fupériorité de talens & de connoiffances.
Il eft fur- tout effentiel à tout négociateur
de poffeder exactement notre
Langue , puifque par vos foins & pas vos ouvrages
elle eft devenue dans toutes les Cours
le lien neceffaire de fociété & de correfpondance
entre les adminiftrateurs des interêts
publics.
Votre Fondateur , ce célébre reftaurateur
de la belle Litterature & de la faine po.
litique , ne porta peut- être pas fi loin fes
efpérances,lorfqu'il établit cette Compagnie
d'hommes choiſis , deftinée à perfectionner
la raifon & le Langage.
Vous fçavez , MESSIEURS , que les annales
de notre Monarchie renferment peu de miniftéres
auffi difficiles que celui du Cardinal
de Richelieu , mais elles ne nous offrent au92
MERCURE DE FRANCE.
cun Miniftre qui ait conçu & exécuté des
projets fi hardis & fi vaftes pour la gloire
de fon Maître & de fa Nation .
Affermir l'autorité royale fur la ruine des
factions étrangères & des cabales domeſtiques
, entretenir la confiance & l'amitié entre
des Nations toujours jalouſes & ſouvent
injuftes , concilier les interéts les plus oppofés
, proportionner les difcours & fes démarches
aux préjugés & aux paffions d'autrui
, ménager avec art des efprits prévenus
& des coeurs indociles , ralentir l'impétuofité
des uns , échauffer la nonchalance des
autres , ne développer fes idées & ſes vûës
que par des progrès fucceffifs & avec toute
la dextérité convenable pour en faciliter le
dénouement , mais fans s'écarter des loix
effentielles de l'honneur & de la vérité ; réparer
les fondemens de la tranquillité puplique
, ébranlée par l'efprit d'ambition &
de vengeance , difcuter le fort des Empires
, en prévenir la décadence , ou en accélérer
les révolutions , & préparer ces événemens
d'éclat qui changent tout- à- coup la
fcéne du monde , & qui lui donnent de nouveaux
maîtres.
Tels furent les grands objets qui occuperent
conſtamment ce fameux Miniftre , &
pour les remplir avec gloire & avec fuccès ,
quelles qualités ne réuniffoit- il pas en lui
feul ?
OCTOBRE 1746. 93
Difcernement für , éloquence naturelle ,
application au travail , facilité à s'expliquer
avec préciſion , grace & fentiment , efprit
de détail & de combinaiſon , fidélité dans
les correfpondances , fagacité dans les conjectures
, décence dans la repréfentation
nobleffe dans les procédés , élévation dans le
génie , prudence dans les délibérations , activité
dans les entrepriſes , perfévérance dans
l'exécution , fecret fans diflimulation ; & dignité
fans fauffe gloire , connoiffance dest
hommes pour leur parler à propos , & des
affaires pour les traiter avec avantage . En
un mot , MESSIEURS , votre Fondateur
poffe doit cet affemblage précieux de talens ,
de lumieres & de force , qui le rendirent
toujours fupérieur aux événemens , aux di- ,
gnités & à la jalouſie.
Votre établiffement ne fut pas un des
moindres traits de fa politique , & il auroit
recueilli par avance le fruit de fes travaux ,
s'il avoit prévu le dégré de perfection où
parviendroient la Langue & la Litterature
Françoife , & cette efpèce d'empire univerfel
qu'elles exercent aujourd'hui en Europe .
Il étoit réservé à Louis XIV . d'achever
par fa protection & par fes bienfaits l'ouimmortel
dont le Cardinal de Richelieu
avoit jetté les fondemens.
vrage
Vous le retrouvez ce Monarque véri
94 MERCURE DE FRANCE.
tablement grand dans l'héritier de fon fceptre
, de fa gloire & de fes vertus .
Ne vous attendez pas , MESSIEURS , que
je vous repréſente ici le vainqueur de Fontenoi
, le conquérant de la Flandre , du Brabant
; & du Hainault. C'eft à vous à tranfmettre
à tous les âges & à toutes les Nations
cette bataille à jamais mémorable , & tous
les exploits militaires qui fans le fecours de
l'Hiftoire & des Beaux Arts , ne feroiena
guéres connus que de ceux qui en auroient
été les héros , les fpectateurs ou les victimes
. Peignez des plus vives couleurs la guer
re , ce fléau cruel , mais quelquefois inévitable
, qui fuivant les points de vûe differens
fous lefquels on l'envilage , eft ou la gloire ,
ou la honte , mais toujours la deftruction
de l'humanité .
Pour moi , MESSIEURS , témoin des principes
d'équité & de modération qui dirigent
les réfolutions du Roi , je ne vous parlerai
que de fes vertus pacifiques.
Quelque juftifié qu'il foit aux yeux de la
raifon & de l'impartialité des calamités
d'une guerre qu'on l'oblige de continuer ;
quelque inépuifables que foient les reffources
qu'il peut le promettre de la justice de
વિ
fa caufe , de la droiture de fes intentions
de la fermeté de fon courage , de la fageffe
de fes confeils , de la valeur de fes troupes ,
*
OCTOBRE 1746. 95
& de l'amour de fes fujets , il ne cherche
qu'à faire oublier le Roi conquérant , pour
ne montrer que le Roi pacificateur .
Rappellez vous , MESSIEURS, ce moment
fi flatteur où quatre Nations liguées contre
lui venoient enfin après un combat opiniâtre
de fuccomber fous l'effort de fes armes .
Quel fentiment prévalut alors dans le coeur
de ce Prince magnanime ? Il s'attendrit ſur
le fort des vaincus , prêt à arrêter le cours
de fes victoires , puifque leur fang devoit en
être le prix. Je fus moi-même chargé de leur
porter des paroles de paix lorfqu'ils étoient
encore agités des premiers mouvemens de
leur confternation , & j'eus la fatisfaction de
voir dans cette conjoncture fi critique , ce
que j'avois toujours remarqué en d'autres
occafions , que fi la France a des ennemis &
des envieux , fon Roi trouve parmi les envieux
même & les ennemis de fa puiffance ,
des admirateurs & des panégyriftes.
Quel fpectacle plus touchant que celui
de fon entrée triomphante dans les villes récemment
foumises à fa domination ? Les peu-i
ples paroiffoient donner une attention mé
diocre à l'éclat & à la pompe de la Majefté`
Royale , pour n'ériger des trophées qu'à la
clémence & à la générofité du Roi. Ce n'étoit
point un hommage forcé ; c'étoit un tribut
fincére que leur refpect , leur amour &
و گ
MERCURE DE FRANCE.
leur reconnoiffance payoient avec empreffement
au meilleur de tous les Princes . No.
tre magnificence ne faifoit fur ces peuples
qu'une legere impreffion ; ils ne nous envioient
que notre Maître , & ils craignoient
uniquement qu'en les affujettiffant à fes loix ,
la Providence ne leur eut accordé qu'une
faveur paflagere,
Veuille le Ciel fenfible à nos voeux & aux
befoins des Nations répandre dans l'ame
des autres Souverains cet efprit d'humanité ,
de douceur & de conciliation qui éterniſe la
mémoire des bons Rois, & qui fait le repos ,
la fûreté & le bonheur public !
Que ce fanctuaire de l'éloquence retentille
fans cefle des juftes éloges de votre augufte
Protecteur , qui fan's craindre la guerre,
défire fincérement la paix , & qui ne redou
tant aucun de fes ennemis , voudroit les
avoir tous pour alliés.
Si nous avions donné encore de plus grands
éloges à ce difcours , cet extrait les juftifieroon
v voit par tout l'éloquence d'un efprit
élevé & fage, dont l'imagination eft réglée
fans que la regle en amortifle le feu ; la difficul
té de la matiere traitée tant de fois par d'excellens
ciprits,quiíemblent l'avoir épuifée, ajoute
un nouvel éclat au fuccès.
M. Bignon , Chancelier de l'Académie ,
répondit au difcours de M. l'Abbé de la
OCTOBRE 1746.
97
Ville. Cette réponſe contient, fuivant l'uſage,
l'éloge du dernier Académicien , & celui de
fon Succeffeur, écrit élégamment & avec pureté.
M. l'Abbé deBernis lut enfuite le cinquiéme
Chant de fon Poëme contre l'irreligion . L'ob
jet de ce Chant eft d'expoſer le fyftêine de
Spinofa , & de montrer les inconvéniens qui
en résultent quant à la Morale.
Le Poëte commence ainſi :
Enfin je vous revois , bois antique & ſauvage ,;'
Lieu fombre , lieu défert , qui dérobez le fage
Au luxe des Cités , à la pompe des Cours ,
Où quand la raifon parle elle convainc toujours ,
Où l'ame reprenant l'autorité fuprême
Dans le fein de la paix s'envifage elle-même.
Efclave dans Paris , ici je deviens Roi ;
Cette grotte où je penſe eſt un louvre pour moi.
La fageffe eft mon guide , & l'univers mon livre ,
Et j'apprends à penfer pour commencer à vivre.
C'eftici que la fage & profonde raiſon
De mon efprit captif étendit la priſon ,
Quand armé du flambeau de la Philofophie
Je démafquai l'erreur que l'orgueil défie ,
Que toléra long- tems le Batave féduit .
Et que jufqu'en nos murs le menfonge a conduit.
E
98 MERCURE DE FRANCE
Après une invocation que le Poëte adreffe
à Dieu pour lui demander la force de convaincre
l'erreur.
Un feu pâle & foudain
De ma grotte à ces mots remplit le vafte fein.
Je crus être témoin de la chute du monde.
Les Aftres égarés dans une nuit profonde ,
Et par leurs tourbillons vainement fufpendus
Roulerent dans les airs enſemble confondus ;
Tout parut s'abimer .
Je vis fortir alors des débris de la terre
Un énorme Géant , que dis-je ? un monde entier ,
Un coloffe infini , mais par- tout régulier ;
Sa tête eft à mes yeux une montagne horrible ,
Ses cheveux des forêts , fa paupière terrible
Une fournaife ardente , un abîme enflammé ,
Je crûs voir l'univers en un corps transformé.
Dans fes moindres vaiffeaux ferpentent les fontai
nes
Le profond océan écume dans fes veines ,
La robe qui'le couvre eft le voile des airs ,
Sa tête touche aux cieux , & fes pieds aux enfers.
Telle eft l'image fenfible par laquelle eft
repréſenté le fyftême de Spincfa , dans lequel
Dieu eft l'affemblage de tous les Etres.
Cet art du Poëte eft digne de remarque &
OCTOBRE 1746. 99
d'éloge , & on doit fçavoir gré à M. L. D. B.
d'avoir orné de toute la magnificence de la
Poëfie une matiere auffi abftraite .
Ce fantôme que la vérité ne préfente que
pour être détruit , acheve de fe faire connoître
en s'adreffant lui-même au Poëte ; c'eft
une fuite du premier artifice que l'Auteur a
employé , & qui met en action l'explication
d'un fyftême métaphyfique . Ceffè , dit le
fantôme .
Ceffe de méditer dans ce fauvage lieu :
Homme , plante , animaux , eſprit , corps , tout est
Dieu.
Spinofa le premier connut mon exiſtence ;
Je fuis l'Etre complet , & l'unique fubftance .
La matiere & l'efprit en font les attributs ;
Si je n'embraffois tout , je n'exifterois plus ;
Principe univerſel , je comprends tous les Etres ;
Je fuis le Souverain de tous les autres Maîtres ,
Les membres differens de ce vafte univers
Ne compofent qu'un tout , dont les modes divers
Dans les airs , dans les cieux fur la terre & fur
l'onde
>
Embelliffent entre eux le théatre du monde ,
Et c'eft l'accord heureux des Etres réunis
Qui comble mes tréfors & les rend infinis ;
Ceffe donc de borner ma puiffance divine ;
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
Je fuis tout ; tout en moi , puife fon origine ;
Ma grande ame circule , agit dans tous les corps ,
( a).
Et felon leur ftructure anime leurs refforts ,
Mais le feu de l'efprit ne s'échappe & n'émane
Qu'à travers le bandeau que m'oppoſe l'organe;
Si le voile eft épais , l'efprit éclate moins ,
S'il eft plus délié , libre alors de tous foins
Il brife le tiffu de fes liens rebelles ,
Et jufques dans le ciel lance fes étincelles .
·
Mon corps eft le monceau de toute la matiere ;
L'union des efprits forme mon ame entiere.
Il dit , mais de cent coups à l'inftant foudroyé ,
Comme un foible criſtal le coloffe eft broyé ,
L'obfcurité s'enfuit , le jour enfin m'éclaire ,
Et tout s'offre à mes yeux dans fa forme ordinaire,
Après avoir expofé ce fyftême avec toute
la fublimité d'une imagination hardie , & de
la Poëfie la plus noble , le Poëte entre dans
le détail des abfurdités & des contradictions
qu'il implique quant à la Morale. Quoi !
dit-il :
Levice le plus bas , la plus haute vertu ,
( 1) C'est ici une imitation de ces deux Vers de
Virgile :
Spiritus intus alit , totamque infufa per artus
Mens agitat molem & magno fe corpore miſcet,
OCTOBŘE * 1746. . 10t
Auroient le même Auteur & la même naiffance ?
Dieu peut donc réunir le crime & l'innocence ,
Et pouffant le contraſte au dégré le plus haut ,
Remplir tout à la fois le trône & l'échaffaut.
Tout eft Dieu , dans un fiécle où la miſére abonde?
Où l'erreur , la folie , ont envahi le monde ,
Où la chûte eft toujours voifine du fuccès ;
Où l'excès eft fans ceffe à côté de l'excès ?
Tout eft Dieu , difons-nous , & le globe où nous
fommes
A peine a-t'il produit , non des Dieux , mais des
hommes.
M. L. D. B. parcourt les differens âges &
les differens états de la vie , & montre les
contradictions infoutenables que tous ces objets
offrent aux fectateurs de Spinofa. Nous
allons donner quelques traits de la peinture
qu'il fait de la Cour.
Du cahos de la Cour fondez la profondeur ,
Des Dieux qu'on y révére obfervez la grandeur ,
Démêlez la droiture ou démafquez les vices
Des modernes Burrhus ou des nouveaux Narciffes ,
Au politique habile arrachez le bandeau ,
Au traître ténébreux préfentez le flambeau ,
•
Parcourez à loifir le dangereux féjour
D iij
102 MERCURE DE FRANCE.
Où lafortune éveille & la haine & l'amour ,
Où la vertu modefte & toujours poursuivie
Marche au milieu des cris qu'elle arrache à l'envie ,
Tout préſenté en ces lieux l'étendart de la paix ;
Où fe forge la foudre il ne tonne jamais ;
Les coeurs y font émus , mais les fronts y font calmes
,
Et toujours les Cyprès s'y cachent fous les palmes ;
Théatre de la rufe & du déguiſement ,
Le poifon de la haine y coule fourdement ;
Il n'eft point à la Cour de pardon pour l'offenfe .
Hommes dans leurs arrêts , & Dieux dans leur
vengeance ,
Les Courtifans cruels reftent toujours armés ,
Contre des ennemis que la haine a nommés .
Après avoir parcouru les conditions humaines
, le Poëte s'écrie :
"
A ces traits que penfer d'un horrible fyftême
Où Dieu tout à la fois , favori de lui-même ,
Rival ambitieux , & ligueur inconftant ,
Fonde , éleve & détruit fon Empire flottant ,
Tantôt adroit Ulyffe , imprudent Salmonée ,
Ajax blaſphémateur , religieux Enée ,
Objet de fon eftime , objet de ſes mépris ,
Il eft Therfite , Hector , Ménélas & Paris.
Affemblage imparfait de force & de foibleffe ,
Infame dans Tarquin , & chafte dans Lucrece ,
OCTOBRE
1746. 103
Fauteur de l'ignorance , inventeur des Beaux Arts ,
Foible comme Venus , effrayant comme Mars ,
Il fait voler enfemble & l'Aigle & la Colombe.
C'eft un ruiffeau qui fuit ; c'eft un torrent qui
tombe.
Image de la paix , image de la guerre ,
Réuniffant en lui l'enfer , le ciel , la terre
Protecteur du menfonge & de la vérité ,
Quel trait lui refte- t'il de la Divinité ?
Spinofa confondit & l'efclave & le maître ;
Séparons Dieu de l'homme , & le néant de l'Etre;
Ceffons de l'avilir en uniffant à lui
Les Etres dont il eft & l'Auteur & l'appui ;
Il feroit moins puiffant s'il avoit nos richeſſes ,
Et
pour lui nos vertus ne font que des foibleffes.
On répond enfuite à ce principe de Spinofa
, qui a nié l'exiſtence réelle du bien &
du mal moral . Vos titres , fait - on dire à
cet Athée.
Vos titres , non vos jours , deviendront immortels ,
Mais qu'importent aux morts l'encens & les Autels
?
Dois- je m'inquiéter qu'un refte de ma cendre
Occupe avec éclat le tombeau d'Alexandre
Le fafte nous fuit- il dans la nuit du cercueil ?
Eij
104 MERCURE DE FRANCE.
La gloire eft-elle utile où l'on n'a plus d'orgueil ?
Ofez braver des loix que vous pouvez enfraindre ;
Otez la foudre aux Dieux en ceffant de la craindre.
'Ainfi
que la vertu le crime eft chimérique ,
Tous deux font les enfans de notre politique ;
L'audace & la valeur nous ont donné les Rois >
L'ignorance les Dieux , & la crainte les Loix ,
Mais devant la raiſon rien n'eft illégitime ;
Le cruel affaffin ainfi que fa victime
Par des moyens divers fatisfont au devoir ,
L'un doit porter le coup , l'autre le recevoir ;
Nos divers fentimens dépendent des organes ,
Non , rien n'eft glorieux , rien n'eft humiliant ,
Le bien eft l'exiſtence , & le mal le néant.
Un fyftême fi abſurde eſt aiſé à réfuter.
Le Poëte montre avec force les contradictions
qu'il implique ; il peint les charmes
de la vertu , l'horreur des crimes , & pourfuit
ainfi :
›
D'où vient qu'une bergere affife fur les fleurs ,
Simple dans fes habits , plus fimple dans fes moeurs,
Impoſe à fes amans furpris de fa fageffe ?
Sévére avec douceur , & tendre fans foibleffe ,
Elle a l'art de charmer fans rien devoir à l'art ;
OCTOBRE 105 1746.
Son devoir eft fa loi , fa défenfè un regard ,
Qui joint à la fierté d'un modefte filence ,
Fait tomber à fes pieds l'audace & la licence.
D'où vient qu'un Villageois affis fous un ormeau ,'
Juge des differens qui naiffent au Hameau ?
Pauvre , chargé de foins , & confumé par l'âge ,
Qui peut l'avoir rendu le Dieu du voisinage ?
Les Paſteurs raffemblés viennent autour de lui
Chercher dans fes leçons leur joye & leur appui ;
Eh ! ne voyez-vous pas qu'amant de la fageffe ,
* 11 eft jufte fans fafte , & prudent fans fineſſe ,
Et que l'intégrité conduifant fes projets
De fes Concitoyens il s'eft fait des ſujets ?
La vertu ſous le chaume attire nos hommages ,
Le crime fous le dais eft la terreur des fages.
,
Qui foule aux pieds les loix , le trône & les autels ,
Et l'opprobre du monde , & l'horreur des mor-
瞿tels.
Dire que tout est bien , c'eft dire aux parricides ,
Frappez , enfanglantez vos armes hommicides ;
Sujets, révoltez -vous ; Rois , foyez des tyrans ;
Fiers vainqueurs , infultez aux vaincus expirans ,
&c.
L'Affemblée écouta ce Chant avec le même
plaifir que lui avoit donné celui que M.
L. D. B. lut le jour de S. Louis . On doit lui
fçavoir d'autant plus de gré de cet emploi
qu'il fait de fes talens , que jamais le vice
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
qu'il combat n'a été plus commun ; jamais
il n'a été plus néceffaire de faire des efforts
efficaces pour l'écrafer. C'eſt que malheureuſement
les bons efprits font plus rares
que jamais. Car c'eft une remarque qu'il
elt aifé de faire ; tous les gens entichés de
ce vice , font de mauvaiſes têtes , ou des
jeunes gens fans expérience , qui croyent
s'élever en combattant les principes les plus
facrés . Et pour ne parler que des gens de
Lettres , jettons les yeux fur ceux qui ont
illuftré le fiécle paffé ; le grand Corneille ,
Racine , Boileau , n'ont jamais été foupçonnés
d'irreligion, Ces écarts étoient faits pour
Cirano qu'une imagination déréglée entraînoit
vers tout ce qui lui paroiffoit fingu
lier. L'immortel Rouffeau , l'inimitable la
Fontaine , ont paffé les dernieres années de
leurs vies dans les pratiques de la Religion ,
& ceux qui fe diftinguent de nos jours , font
déles à la Religion & à la Vertu .
*
OCTOBRE
1746. 107
LETTRE de M. l'Abbé Seran de la Tour
aux Auteurs du Mercure .
Extrait du Mercure de France , mois d'Août
1746.
Lettre 248 , pag. 188 du 17e . tome des Obfervations
de feu M. l'Abbé Desfontaines.
Il ne falloit à Epaminondas, dit M. l'Abbé
Seran de la Tour , que des jours plus longs
pour rendre fa Patrie fouveraine de la
Grece par Mer.
A jamaistombé dans l'efprit de ce grand
Vûe de pays je ne crois pas qu'il foit
homme , ni d'aucun Thébain ſenſé de projetter
une Marine fi redoutable . Thebes ,
Ville méditerrannée , fituée fur le bord d'une
petite riviere à laquelle on peut bien donner
le nom de ruiffeau , & qui porte à peine
bâteau , éloignée de la Mer , fans commerce
ni navigation , dénuée parconféquent d'Officiers
, & Matelots, Thébes, dis- je , n'étoit pas
propre à eſpérer la Souveraineté de ces Mers.
Cela me fait conjecturer que ce fyftême de
Marine Thébaine n'a jamais exifté que dans
l'imagination de l'Hiftorien moderne d'E108
MERCURE DE FRANCE.
paminondas , ou dans les panégyriques
qu'on a faits de ce Héros .
Voilà , Meffieurs , la remarque qu'un Critique
anonyme a faite fur l'extrait que feu
M. l'Abbé Desfontaines a donné de l'Hiftoire
d'Epaminondas. Voici la réponſe .
Il eft conftant que Thébés étoit une Ville
méditerranée , c'est- à-dire , ce que le Cenfeur
auroit pû expliquer , que Thébes étoit
fituée affès loin des côtes de la Béotie ; mais,
dira-t'on que la France ne fçauroit avoir de
Marine , parceque Paris eſt éloigné de la Mer
environ de quarante lieues:Si la France a des
Villes Maritimes , n'eft- elle pas au contraire
maîtreffe d'avoir telle Marine qu'elle le juge
à propos?
Il en eft de même de la Béotie , Patrie
d'Epaminondas , dont Thébes étoit Capitale :
un fimple coup d'oeil fur la Carte de la Grece,
faite exprès pour l'Hiftoire d'Epaminondas
par un Géographe célébre , l'auroit fait appercevoir
au Critique , s'il avoit voulu juger
à vue de pays, comme il le dit très fauffemen .
Il auroit vu qu'une partie confidérable de la
Béotie étoit fituée fur le Golfe de Corinthe,
aujourd'hui de Le pante , fameux par le combat
naval qui en a pris le nom . S'il s'étoit
donné la peine de parcourir l'Hiftoire d'Epaminondas
, les faits renfermés dans les pages
15 & 216 lui auroient prouvé invincibleOCTOBRE
1746. 109
ment que Thébes avoit une une Marine. La
République d'Athéne en prit un fi grand ombrage
qu'elle envoya Laches , le meilleur
homme de Mer qu'elle eut alors , pour traverfer
une expédition que les Thébains méditoient
fur les Ifles de Rhodes & de Chio.
Ce grand homme cependant , tout Athénien
qu'il étoit , c'est-à - dire né au milieu d'un peuple
confommé dans la Marine , eut la douleur
de voir la Flotte Théhaine s'emparer à la vûe
de la fienne des Ifles qu'il venoit protéger. Il
ne put ou il n'ofa les deffendre . Ce trait eſt
appuyé fur l'autorité des meilleurs Hiſtoriens
cités exactement , lorfque l'importance des
événemens l'exige.
Après des preuves fi évidentes de l'exiftence
réelle de la Marine des Thébains , je
fuis perfuadé que l'Auteur de laremarque
aura quelque regret de l'avoir prife dans une
fi grande averfion , cependant fi ces preuves
ne fuffifent pas pour le réconcilier avec elle ,
je ne puis rien de plus ni pour l'un nipour
l'autre ; j'aurois défiré que cette Critique eut
été plus jufte , pour remercier celui qui l'a
faite . Sans doute il trouvera bon que je remette
mes remerciemens à une occafion plus
heureuſe. Je ne puis dans celle- ci qu'eftimer
fon intention tout ce qu'elle vaut.
J'ai l'honneur d'être , & c.
110 MERCURE DE FRANCE
L'ECOLIER ET LA PIE,
FABLE.
UN Ecolier , pour s'amuſet ,
S'en fut un jour à la pipée
Et paffa la demie journée
Prefque entiere à s'y difpofer. !
Il faifoit beau : l'après- dînée
Il prit fon divertiffement ,
Et vit pour le commencement
Près de lui tomber une Pie
Qui fe trouva bien étourdie-
Dans les mains du jeune cadet.
La petite au bruyant caquet ,
Voyant fa liberté ravie ,
D'abord effaya de s'enfuir ;
Mais une maudite ficelle
Vint s'opposer à ſon défir
Et pour furcroit de déplaifir ,
Le drôle faiſant ſentinelle ,
Aiſé n'étoit de déguerpir.
Elle eût beau fe plaindre & gémir ;
L'Ecolier qui la trouvoit belle,
Ne fe laiffa point attendrir.
» Mon cher poulet , lui diſoit-elle ,
OCTOBRE 1746.
III
A quoi pourrois.je te fervir ?
» Je n'ai rien en moi qui rappelle ;
Je te couterois à nourrir
Plus qu'une Linote nouvelle
» Qui fçaura mieux te divertir .
Rends- moi le plaifir des campagnes ;
» Je te promets de revenir
» Et de t'amener mes compagnes :
» Elles font plus graffes que moi ;
» Ce gibier ſera bon pour toi ;
» Tu peux compter fur ma parole :
» Déja j'en vois une qui vole.....
» A d'autres , reprit l'Ecolier ,
» Ce n'eft pas ainfi qu'on m'amufe ,
» Vous avez fait plus d'un mêtier ,
» Ma mie , & je vois votre rufe :
Mais venez toujours au panier ;
Tout fait nombre , & fou qui refuſe.
112 MERCURE DE FRANCE.
** ** *
A Mile la B ........ pour le jour de fa
JE
Fête.
E voulois par des vers polis
Célébrer , Philis , votre fête ,
Et de myrthes les plus fleuris
Couronner votre belle tête.
De tant d'attraits dont vous brillez
Je voulois tracer une idée ,
Et montrer que vous furpaffez
Tout ce qu'en dit la renommée ,
Mais tandis qu'un fi beau projet
Excitoit ma timide Muſe ,
L'Amour vint & me dit tout net :
Ceffe d'écrire ; tu t'abuſe ;
Va , laiffe- là ton compliment ,
Laiffe -là tes vers & ta profe ;
Pour louer Philis dignement
Tu n'as befoin que d'une chofe ;
Son nom feul ici te fuffit :
Dis la B ....... & tout eft dit.
L. ARB........ Etudiant en Médecine
à Aix.
OCTOBRE 1746. 113
de de de de de de de de de de de de de Ste
NOUVELLES LITTERAIRES.
ET DES BEAUX ARTS.
INSTITUTIONS DE GEOMETRIE
&c. Par M. de la Chapelle.
Car
E Livre que nous avons annoncé le mois
dernier eft muni d'un fuffrage qui doit
lui fervir de paffe port dans le public. MM .
Lemonnier & d'Alemberg de l'Académie des
Sciences , ayant été nommés par cette Académie
pour examiner l'ouvrage de M. de la
Chapelle , ont dit dans leur certificat imprimé
à la tête du Livre , que cet ouvrage méritoit
l'approbation de la Compagnie , tant par
P'ordre la clarté qui y régnent , que par la
méthode nouvelle à plufieurs égards , avec laquelle
l'Auteur a traité un fujet déja tant de
fois manié.
Il n'eſt pas besoin d'ajouter d'autres éloges
pour donner une bonne idée de ceLivre.
M. de la Chapelle s'eft fur- tout propofé de
mettre la Géométrie à la portée des enfans ,
même de fix ans ; il avoit , il y a quelquetems
, fait un difcours pour prouver que les
enfans de cet âge étoient capables d'attein114
MERCURE DE FRANC
dre du moins aux élémens des Mathématiques
, & qu'on faifoit fort mal de ne pas lès
leur apprendre dès ce temps . Ce difcours eft
imprimé à la tête de ce Livre , avec un au
tre où l'Auteur répond aux objections qui
lui ont été faites en grand nombre , & aufquelles
il paroît avoir été fort ſenſible pour
l'interêt de la vérité .
C'eft auffi l'interêt de la vérité qui nous
oblige à expofer quelques doutes que la lecture
de fes deux difcours nous a fait naître ,
après avoir rendu juftice au plan de ces inftitutions.
La méthode qui y eft fuivie , eft claire ,
facile à faifir , & telle qu'elle facilite confidérablement
l'étude de la fcience que l'Auteur
veut que l'on enfeigne aux enfans ; en
déduifant les propofitions immédiatement
les unes des autres , fans en laiffer d'inutiles ,
& qui ne foient pas néceffaires à l'explication
des fuivantes il procure deux
grands avantages , l'un d'abréger le chemin
, l'autre de foulager l'efprit & la
mémoire , qui tous les deux faifiſſent
bien plus ailément les chofes qui ont
quelque rapport enfemble , que celles qui
n'en ont point.
>
Nous ne doutons nullement que la Géométrie
élémentaire ainfi expliquée , ne foit à
la portée d'un enfant de fix ans , mais fautOCTOBRE
1746. 115
il conclure de - là qu'il vaille mieux lui apprendre
la Géométrie que le Latin , la fyntaxe
, pour lefquels l'Auteur paroit avoir
trop peu d'eftime ? Nous ne répéterons ni
les objections aufquelles l'Auteur a fuffifamment
répondu , ní celles qui fubfiftent peutêtre
en leur entier , malgré fes réponſes ,
mais nous lui demanderons fi un homme de
vingt ans n'apprendra pas les élémens en
beaucoup moins de tems que celui qui aura
commencé à fix ans ; nous ne doutons nullement
de fa réponſe , mais quand il voudroit
foutenir que l'enfant apprendra auffi aifément
que l'homme déja formé , il s'enfuivroit
encore qu'il auroit oublié ce qu'il auroit
appris à fix ans , lorfqu'il feroit arrivé à vingt,
âge où il feroit tems de prendre des connoiffances
d'état , aufquelles les élémens des
Mathématiques peuvent être utiles ou néceffaires
, car l'Auteur parle de l'éducation
générale , & non de celle qui auroit pour but
de faire un Géométre. En ce dernier cas on
ne pourroit trop tôt donner à l'éleve les premieres
notions de l'Art dans lequel il excelle
, mais dans les autres cas il fe trouvera ou
que l'enfant aura fait une étude que l'oubli
rendra inutile, ou qu'il aura employé plufieurs
années à acquérir des connoiffances que dans
un âge plus avancé , on lui auroit donné en
fort peu de tems ; ainfi on aura inutilement
116 MERCURE DE FRANCE.
fatigué fa jeuneffe , & perdu des momens
précieux qui pouvoient être employés .
Mais répondra M. de la Chapelle , cette
étude fert à former l'efprit d'un enfant ; la
rigueur & le fcrupule , avec lesquels les Mathematiciens
obfervent les objets de leurs spéculations
, accoutument l'ame à fe défier de fes premieres
vûes. On commence toujours trop tard à
lier fes idées.
M. de la Chapelle appuye ce raiſonnement
par plufieurs autres propofitions . Les
bornes de ce Journal ne nous permettent pas
d'entrer dans un grand détail , mais qu'il nous
permette de propofer quelques doutes que
nous foumettons à fes lumieres .
Un Géométre recommandable par fon efprit
aa ddiitt que la Géométrie ne redreffoit que
les efprits droits , & il eft plus vrai , peut -être
qu'on ne penfe que la Logique & la Géométrie
ne donnent point à l'efprit de principes
qui foient d'un grand ufage dans les
matières qui leur font étrangères. Voyons
comment les gens qui ont excellé en Géométrie
ont raiſonné fur ce qui n'étoit pas foumis
au calcul des Mathématiques.
Defcartes , qui le premier a fait connoître
le prix & la néceffité de la méthode & de la
Logique , Defcartes , qui au point où il a
trouvé la Géométrie lui a fait faire un chemin
beaucoup plus grand qu'aucun de ceux
OCTOBRE 1746. 117
qui l'ont fuivi , dès que cet homme , fi grand
Logicien & fi grand Géométre , eft forti de
la fphére de ces fciences , il a enfanté un ſyſtéme
brillant , peu folide , où l'imagination
abonde au défaut de la jufteſſe ,
Newton , que nos Géométres regardent
comme leur Patriarche , Newton a voulu faire
un fyftême de Chronologie , que l'illuftre
M. Freret a mis en poudre. Nous ne voulons
point abufer de nos avantages , & lui reprocher
encore fon Commentaire fur l'Apocalypfe.
Si la Géométrie n'a pû empêcher fes deux
héros de mal raifonner , quel fecours peutelle
donner à ceux à qui on n'apprendra que
les élémens , & qui feront à peine initiés dans
fes myftéres ?
Qu'on nous permette d'avancer un paradoxe
qui le paroîtra peut-être moins à meſure
qu'on l'examinera d'avantage . Cette matiere
pourroit être l'objet d'une differtation
ex profeffo , nous ne ferons à notre ordinaire
qu'indiquer une réflexion ; heureux fi cela
pouvoit engager de plus habiles que nous à
traiter ce fujet,
Sans doute tout eft foumis aux régles invariables
de la Logique , tout eft affaire de
calcul , mais ce n'e't là qu'un mot . Dans toutes
les ai aires de ce monde , le nombre des
conféquences qu'il faudroit tirer en réduifant
118 MFR CURE DE FRANCE.
les chofes au raifonnement, eft fi grand que ce
n'eft point par les opérations qu'enfeigne la
Logique que l'on peut fe conduire . Quoi
de plus foumis au calcul proprement dit que
le jeu des échets ? Mais les combinaiſons en
font fi multipliées qu'il n'y a point de Géométre
qui puiffe en calculer deux coups . Feu
M. Saurin , Géométre du premier ordre, étoit
défeſpéré de perdre aux échets contre un
Marchand qui ne fçavoit pas un mot de Géométrie.
Le calcul feroit fans doute applicable
à tout ; mais hors les chofes qui lui font
fpécialement foumifes , c'eft un inftrument
trop grand , dont les forces de l'humanité ne
nous permettent pas de nous fervir.
Ce joueur qui gagne un Géometre n'a pas
calculé toutes les combinaifons du coup qu'il
va jouer , mais l'efprit du jeu lui a fait former
par une expérience journaliere , differens réfultats
qui fe combinant dans ſa tête , réduifent
la chofe à un calcul plus fimple , & d'inftinct
, fi l'on veut , qui le trompe rarement.
Ce que nous difons du jeu le peut appl : -
quer à tout , chaque chofe à la Logique particuliere.
Un Ambaffadeur ne raiſonne point
comme un Juge , ni un Juge comme un Avocat
, la raison de cela eft que toutes les af
faires de ce monde fe déterminant par le
calcul des probabilités & des convenances ,
lefquelles font differentes dans tous les cas ,
OCTOBRE. 1746. 119
les régles générales qui font les feules que le
rafonnement faififle bien nettement , font
abſorbées par les exceptions & le nombre
infini de leurs combinaifons , que l'on n'apprécie
que par une espece d'inftinct .
En général ce n'eft point faute d'avoir l'ef
prit géométrique que les hommes fe trompent
; cet efprit fi l'on entend par-là l'efprit
de jufteffe que la Géométrie ou la Logique
peuvent donner , n'a été refufé à aucun homme
fain d'entendement.
Les caufes de nos erreurs font la prévention
, la précipitation dans les jugemens , & c ,
Cela appartient aux paffions. Celles qui appartiennent
à l'efprit viennent du peu de proportion
qui eft entre les différentes facultés
de l'efprit. Ceci a befoin d'être expliqué .
La faculté de comparer les idées que l'on
a conçues , eft la même chès tous les hommes;
c'eft-là ce qu'on appelle raifonner; mais
l'imagination qui eft la facilité de faifir ces
idées , l'étendue de l'efprit , qui eft la puiffance
de concevoir plufieurs objets à la fois &
d'en appervoir tous les rapports ; ces qualités,
font chez tous les hommes dans des degrés
fort différens. Si un homme a plus d'imagination
à proportion que d'étendue dans l'efprit,
il aura fouvent l'efprit faux , car il faifira
facilement les idées , mais n'appercevant pas
tous leurs rapports , ne pouvant pas garder
120 MERCURE DE FRANCE.
enſemble les idées, qu'une imagination facile
fera fuccéder rapidement , il ne verra qu'une
partie , & croira avoir tout vu. Ainfi il raifonnera
mal fans être mauvais Logicien ; il
n'aura eû que le tort de mal voir , & non de
mal conclure de ce qu'il a vu .
C'eft ainfi que Defcartes a fait un fyftême
qui eft un roman philofophique . Ce n'eft
point faute de Logique que ce grand homme
s'eft égaré , c'eft pour avoir embraffé une
matiere plus vafte que fon efprit , & qui
paffe l'étendue de l'efprit humain. Du grand
au petit ceraifonnement eft applicable à tout.
Les efprits faux font ceux que leur imagination
entraîne par de-là la fphére d'étendue
de leur efprit ; les efprits juftes font ceux qui
s'y bornent. Voilà pourquoi on dit fi fouvent
que les gens d'une grande imagination
ont l'efprit peu jufte , ils l'ont peut- être plus
que leurs critiques , mais la carri ‹ re où leur
imagination les entraîne paffe fouvent leurs
forces.
Nous nous flatons que fi M, de la Chapelle
veut examiner férieufement les difficultés
que nous lui propofons , il fera de notre
avis , & nous donnera de nouvelles lumieres
fur une matiere digne d'exercer un auffi bon
efprit que le fien .
Qu'il nous permette de lui faire encore
un petit reproche, Pourquoi donne-t'il le
fceptre
OCTOBRE 1746. 121
il
fceptre des ſciences à l'Angleterre ? Ne fçaitpas
que les plus grands Géométres de l'Europe
font en France ? A l'égard de Newton ,
il eft un grand Géométre , mais il a fait faire
à proportion moins de progrès à la Géométrie
que Defcartes ; le Syfteme de ce dernier
eft renverfé ; s'enfuit - il de-là que celui qui l'a
renverfé foit un plus grand homme que lui ?
à ce compte les derniers venus feroient toujours
les premiers,
Nous avons dit déja que le quatriéme volume
du Théatre Anglois n'étoit point inférieur
aux trois premiers , qui ont reçû du
public un accueil fi favorable. On y trouve
les extraits de plufieurs Comédies de Sakefpear,
& deux Comédies entieres , c'eſt à ſçavoir
Timon & les Commeres de Windfor
& au moyen de ce volume on a le Théatre
de Saxefpear complet.
•
que
Le Timon eft auffi different de celui
nous connoiffons fur notre Théatre , que le
Théatre Anglois l'eft du Théatre François.
Sakeſpear peint ici les vices de la fociété ,
la baffeffe des fateurs , l'inhumanité des ingrats,
le manége des coquettes, avec la même
force de pinceau dont il a peint l'horreur des
difcordes civiles , les combats funeftes des
factions de Lancaftre & d'Yorck , & la jalou
fie d'Othello . On dira peut-être qu'une Co,
F
122 MERCURE DE FRANCE
médie comme Timon , n'eft pas dans nos
moeurs , mais elle eft fûrement felon la nature
, puifqu'elle peint fort bien des vices & des
paffions qui font les mémes dans tous lesPays,
On voit d'abord l'indifcrette libéralité de
Timon , qui.confultant plus fon coeur généreux
que l'état de fes affaires , prodigue
fes biens à tous ceux qui fe préfentent pour
les recevoir. Une troupe de flateurs de tous
les états cherche à nourrir ſon erreur ; on ne
voit qu'unPhilofophe qui reclame pour la raifon
,mais ce cynique imprudent eft plus fait
pour infpirer l'averfion des maximes qu'il
débite , que pour les faire goûter. On voit
bien que Sakeſpear a voulu , fuivant les prin
cipes de l'Art, mettre des contraftes dans ſon
tableau , mais ceux ci font fi oppofés qu'il
n'en peut rien réfulter.
Le Poëte a mieux réuffi dans les caractéres
oppofés des deux maîtreffes de Timon.
Evandra n'aime Timon que pour lui-même;
honneur , dignités , richeſſes , elle eſt
prête à lui tout facrifier ; elle ne regrette que
fon coeur qui lui a été enlevé par Meliffe ,
jeune Athénienne , qui a tout le manége ,
toutes les graces , toute la légereté & la perfidie
que l'on pourroit donner à la coquetterie
perfonnifiée. Celle ci aimée d'abord d'Aleibiade
pour qui elle avoit du goût , fe retourne
vers Timon dès qu'elle voit fon preOCTOBRE
1746. 123
mier amant banni , prête à abandonner Timon
au premier bruit de fa déroute: fidelle à
fon feul interêt , n'ayant d'autre ſentiment
que la vanité , d'autre loi que l'ambition
d'autre plaifir que les triomphes de ſa beauté.
Telle qu'elle eft, elle eft préférée par Timon,
qui fent inutilement les torts qu'il a avec
Evandra , & la perte qu'il fait en abandonnant
une femme qui l'aime avec une bonne
foi & une conftance fi rares.
Cependant le mauvais état des affaires de
Timon ne peut plus fe cacher. Son Intendant
ne peut plus lui diffimuler qu'il n'a plus d'argent
, que les terres font engagées au-delà de
leur valeur , & fon crédit épuifé . Timon peu
allarmé de ces nouvelles funeftes , comptefur
les amis qu'il croit s'être faits. Il envoye demander
cinquante talens à chacun d'eux pour
l'aider dans fes preffans befoins , mais tous
font de glace au récit de fa mifére , &refuſent
fous differens prétextes de le fecourir. Meliffe
lui fait fermer la porte , & ce dernier trait lui
fait fentir plus vivement que cous les autres la
profondeur de l'abime qu'il s'eft creufé , & le
tort qu'il a eu de compter fur des hommes
perfides & ingrats .
Evandra feule vient lui offrir tous les biens
qu'elles a reçûs de lui , tout ce qu'elle poffede
, & fon coeur , devenu par ce facrifice d'un
prix au-deffus de tout ce qu'elle offre ;
Fij
124 MERCURE DE FRANC
Timon trop généreux pour vouloir lui faire
partager fon malheur , aigri par l'infortune ,
ne fonge qu'à fuir à jamais le commerce des
hommes , mais il veut auparavant ſe venger
des ingrats qui l'ont trahi. Il fait publier que
fa fortune eft toujours la même , qu'il a
voulu feulement éprouver ſes amis , & il les
invite à dîner. Lorfqu'ils font prêts à fe mettre
à table , il fait cette finguliere priere.
39
"
33
" Dieux immortels , fi vous voulez être
applaudis de vos bienfaits , prenez ce ſoin
», vous mêmes L'homme eft trop ingrat pour
les fentir. Ménagez vos dons envers les
» mortels , fi vous ne voulez bien -tôt en être
méprifés , & gardez - vous d'attendre rien
de leur reconnoiflance. Faites parmi ces
tigres que le repas foit toujours plus eftimé
que celui qui le donne. Que dans une
affemblée de vingt perfonnes il fe trouve
toujours plus de dix-neuf fripons , & que
leurs femmes foient dignes d'eux . Que ta
jufte colere , ô Ciel enveloppe & confonde
à la fois le Sénat & le peuple d'Athénes.
Et quant à ceux qui font ici préfens
, ne les épargnequ'autant qu'ils furent
amis , mes& remplis toujours leurs voeux ,
» commeTimon va fatisfaire leur appétit.
35
99
30
38
Alors Timon découvre les plats qui fe trouvent
vuides ; il les jette à la tête des Con
vives , & les pourfuit en les accablant d'injug
res,
OCTOBRE 1746.
&
Nous ne voulons que préfenter une efquiffe
imparfaite de cette piéce , & non un
extrait en forme, c'eft pourquoi nous ne nous
attachons pas à fuivre avec fcrupule la marche
des Actes & des Scénes. Timon fe retire
dans le défert ; il cultive la terre la bêche à
la main , & en travaillant , il trouve un tréfor;
mais cette nouvelle fortune ne le tente
point , il veut que fon or refte enfoui
que cependant les Athéniens fçachent que
jamais il ne fut plus riche. Dans le moment
il voit arriver la fidelle Evandra , qui l'a fuivi
dans le défert ; elle vient lui apporter
tous les biens , ou s'y enfévelir avec lui .
Timon confent avec peine qu'elle demeure
avec lui , & joignant l'or & les bijoux
d'Evandra au tréfor qu'ils enfouiffent , tiens ,
regarde , dit Timon à Evandra , en lui montrant
cet or, en faut- il plus pour faire condamner
l'innocent , pour juftifier le coupable,
pourannoblir le roturier, rajeunir le vieillard,
faire un héros d'un lâche , & des Dieux
fur la terre , &c . Ce morceau & toute la Scéne
où il fe trouve , nous a paru d'une grande
beauté...
Les anciens amis de Timon, fi on peut leur
donner ce nom , font d'inutiles efforts pour
le tirer de fon défert , dès qu'ils fçavent qu'il
a trouvé un tréfor ; Méliffe y vient auffi , mais
Timon , éprouvé par l'adverfité , eft inaccef-
F iij
126 MERCURE DE FRANCE.
fible à toutes les féductions ; il meurt enfin
dans fon défert & Evadnra fe tue.
Nous n'avons point parlé d'une intrigue
d'Albiciade , qui chemine au milieu de tout
ceci , comme étant étrangere à la peinture
des caractéres qui faifoit feule l'objet de no.
tre difcours.
-
Nous dirons hardiment qu'on trouve rarement
les hommes peints avec des traits auffi
forts & auffi vrais qu'ils le font dans cette
piéce. Le rôle de Timon & celui d'Evandra
font pleins des beautés les plus fublimes ,
& en même tems les plus touchantes. Le
beau caractére de cette maîtreffe de Timon
confole les fpectateurs du tableau affligeant
pour l'humanité, mais malheureuſement trop
vrai, que le refte des Acteurs leur préfente .
La Poëfie de ftyle à en juger par la tra
duction nous a paru , comme toute celle de
Sakeſpear , d'un fublime auquel péu de gens
atteignent , & nous ne doutons pas qu'un
Auteur dramatique qui fçauroit ajuſter à
notre Théatre les beautés dont les rôles de
Timon & d'Evandra furtout font remplis,n'excitât
l'interêt le plus vif , & n'arrachât bien
des larmes aux Spectateurs.
Les Commeres de Vindfor qui font la feconde
Comédie , traduite dans ce volume ,
forment une intrigue d'un autre ordre
celle de Timon, mais qui doit paroître véritaque
OCTOBRE 1749 127
blement comique aux Anglois pour qui elle
a été faite .
On voit auffi dans ce volume une Tragé
die en un Acte ; elle n'eft point de Sakeſpear ,
mais de Fletcher, & a de grandes beautés ; &
plus encore de hardieffe. Elle a fur- tout le
mérite de ne reffembler à rien , ce qui en eft
ungrand & bien rare pour les ouvrages dragmatiques
.
DICTIONNAIRE ABREGE' de
Peinture & d'Architecture où l'on trouvera
les principaux termes de ces deux Arts avec
leur explication , la Vie abregée des grands
Peintres & des Architectes célébres , & une
deſcription fuccinte des plus beaux ouvrages
de Peinture , d'Architecture & de Sculpture
, foit antiques foit modernes. Deux vo
lumes in-12 . A Paris , Quai des Auguftins ,
chés Nyon fils à l'occafion , & Barrois à la
Ville de Nevers , 1746.
PIECES d'Eloquence & de Poëfie qui
ont remporté le Prix au jugement de l'Académie
Royale des Sciences & Belles Lettres ,
établie à Pau , avec un remerciment à la même
Académie , par M. C *** D. PO. A
Paris chés Ph.N.Lottin, Imprimeur-Libraire,
& Aug. Martin Lottin fils , Libraire , 1746.
Fij
128 MERCURE DE FRANCE;
ESSAI fur les principes de la Phyfique ,
1746.
LE CHEMIN de l'Amour divin , defcription
de fon Palais & des beautés qui y
font renfermées , par M. *** un volume
in- 12 . A Paris , chés Chardon , Imprimeur
Libraire rue Galande à la Croix d'or
746.
DISSERTATION de la Queſtion , fçavoir
fi quelqu'un peut étre garant & refponfable
de la perte arrivée par les cas fortuits ,
telle que celle des beftiaux occafionnée par
la contagion & mortalité générale. Brochure
in- 12 , à Paris chés Giffey , ruë de la vieille
Bouclerie , à l'Arbre de Jeffé , 1746. prix
15 fols,
HISTOIRE d'un reméde très- efficace pour
la foibleffe & pour la rougeur des yeux &
autres maladies du même organe , avec un
reméde infaillible contre la morfare du chien
enragé , par le Chevalier Hans Sloane , Barronnet
, Médecin du Roi d'Angleterre & ancien
Préſident de la Société Royale & du
Collége des Médecins de Londres , traduite
de l'Anglois & enrichie de notes , par M.
Cantvvel , Docteur- Régent de la Faculté de
OCTOBRE 1746. 129
Médeciné de Paris & Membre de la Société
Royale de Londres. A Paris chés Prault ?
fils , Quai de Conty , vis - à- vis la deſcente du
Pont-Neuf à la Charité , 1746.
(
REFLEXIONS fur le bon ton , fur le goût ,
fur la converſation de la bonne compagnie
Jues dans une Séance de l'affemblée publique
des Jeux Floraux à Toulouſe , par M. de
Soubeyran de Scopon.
Il n'y a point de mot d'un ufage plus général
& dont la valeur foit moins fixée que
celle de ce mot le bon ton. Ceux même qui
en ont une idée plus précife feroient fort
embarraffés de l'expliquer clairement. C'eſt
une espéce de je ne fcais quoi , & il eft vrai
de dire que plus les chofes font foumises à
un fentiment fin & délicat , plus il eft impoffible
de les exprimer autrement que par
des à peu près.
M. de Soubeyran remarque judicieufement
que le bon ton n'eft pas fixe , qu'il
várie.felon les moeurs différentes des peuples
& la forte d'éducation qu'on leur donne ; ily
a , dit-il , le ton de la Cour , le ton de la Ville,
le ton des Auteurs , rien n'eſt plus judicieux ;
il auroit pu ajouter qu'il y a le ton des perfonnes
; tel homme feroit fort mal de pren
dre le ton d'un autre qui en a un fort bon ,
parce que le refte de fon extérieur ne qua-
Ev
# 30 MERCURE DE FRANCE.
drant pas avec ce ton , feroit un fort mauvais
effet ; la même chofe dite par deux perfonnes
différentes fera bonne dans la bouche de
l'une, & tres platte dans celle de l'autre , (ceci
regarde fur tout les plaifanteries de Société)
parce que l'une aura ce qu'il faut pour faire
paffer ce qu'elle dit, & que ces qualités manqueront
à l'autre . Concluons de là que le bon
ton dans tous les états eft l'accord parfait
entre les penſées , les fentimens , l'état , le
maintien & tout l'exterieur & l'intérieur de
celui qui parle.
Mais écoutons M. de Soubeyran qui nous
expliquera beaucoup mieux ce que c'eſt
que la vraie politeffe , qui fait l'effence du
bon ton .
Elle a néceffairement pour baſe la modeftie
, la bonne opinion des autres , & le
défir de s'en faire aimer ; où ces trois principaux
caractéres ne fe rencontrent point il
ne peut y avoir de vraie politeffe; c'eſt la vertu
propre des grands & des gens d'efprit , parce
qu'il n'appartient qu'à eux d'être modeftes.
Rien n'eft plus judicieux & plus vrai que
cette réflexion , cependant pour ne pas par◄
ler des grands, combien voyons nous de gens
d'efprit qui à cet égard négligent abfolument
leur droit.
M. de Soubeyran peint avec des traits bien
OCTOBRE 1746.
rais ces fleaux de la fociété qui veulent dominer
par-tour. Un ton élevé , des manieres
bruyantes , un dédain indifcret pour les gens
dont on ne connoît pas la valeur , un mépris
révoltant pour les qualités & pour les talens
qu'on ne peut feindre , une indifférence
affectée pour les perfonnes en qui on ne peut
s'empêcher de les reconnoître , afin de fauver
l'aveu d'une fupériorité humiliante ; écouter
fans répondre , ou parler fans avoir écouté ,
diftribuer avec orgueil des paroles vuides de
fens , tels font en partie les priviléges fingu
liers de ceux qui préfument avoir le droit de
donner le ton , & qui ne font pas même cápables
de le prendre.
M. de Soubeyran fait ici une réflexion in
génieufe , c'eft que dans les converfations
bruyantes les traits fins & délicats ne peu--
vent être fentis. Les traits heureux ne souffrena
point d'être répétés , ni expliqués , quelquefois il
ne faut que les ébaucher'; un geste , un regard
parlent , à des yeux 'attentifs & clairs- voyans.
Le filence même doit être entendu.
Les gens qui font trop pleins d'eux- mêmes,
qui veulent tout ramener à eux , & faire
toujours le ſujet de la converſation , ne fçau→
roient y apporter de l'agrément. Il y a plus ;
quelque efprit qu'ils ayent , cette fureur de
parler d'eux ou d'en faire parler leur fera né
ceffairement dire des fottifes, comme il arrive
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
que ceux qui veulent que le public foit
toujours occupé d'eux , qui veulent toujours
fe donner en fpectacle , rencontrent le ridicule
en cherchant la célébrité.
Bien écouter , bien répondre fur tous les
fujets , fe taire à propos : voilà , felon M. S.
le fommaire des loix de la converſation, voilà
le bon ton , & tous les gens fenfés feront de
fon avis.
Voici des conditions que M. S. exige
bien judicieufement , pour former le bon ton
& la bonne compagnie.
Si chaque particulier doit avoir la liberté
de propofer les goûts il doit avoir auffi le
courage de les fubordonner. Il fe dépouil
lera de la prévention que fes travaux , que'-
que nobles qu'ils foient , & fes études lui
infpirent. Sa profeflion ne doit ni lui impoſer
à lui-même, ni aflujettir les autres. Egalement
préparés à foutenir à leur gré leur attention ,
ou à leur donner la fienne , ils doivent tous
Jaiffer à la porte leurs lauriers , leur faiſceaux,
leurs fourrures , & leur amour propre.
Le bon ton fera donc le précieux réfultat ,
l'accord heureux de la fcience & de la politeffe,
de la dignité & de l'affabilité du relpect
inaltérable pour les bonnes moeurs & de la
condefcendance pour les ufages établis , du
férieux , qu'est l'expreffion des égards , & le
maintien de la raifon , avec une gayeté déOCTOBRE
1746: 133
cente qui caractériſe la liberté de l'efprit , &
l'eftime qu'on fent pour ceux avec qui on
converfe.
Le bonton bannit toute fingularité, touté
affectation dans le langage & dans les manieres
; le bon ton , comme le bon accent ,
confifte à n'en point avoir qui foit trop marqué
, il doit plaire à ceux mêmes qui ne l'ont
pas.
$
'Académie de Peinture & de Sculpture
fit fon expofition ordinaire dans le
grand Salon du Louvre le 25 Août : Pendant
un mois qu'elle a duré le public y a accouru
avec empreffement , & en effet un pareil
Spectacle ne pouvoit que l'étonner pendant
la guerre qui par tout ailleurs fait tomber
les Arts . L'Ecole Françoife eft la feule:
qui fe foutienne encore , & l'on peut dire
Mellieurs les Académiciens ont fait de
nouveaux efforts pour mériter les fuffrages
du public. Ils y ont tous eû plus ou moins
part & nous avons regret de ne pouvoir
donner à chacun en particulier les éloges
qui leur font dûs Suivant notre uſage ordinaire
nous ne parlerons que de quelques
uns & ce ne fera toujours que d'après le
le public dont nous tâchons , autant qu'il
eft en nous , de confulter la voix fur tous
que
154 MERCURE DE FRANCE .
les ouvrages dont nous avons à parler.
Les trois grands tableaux qui reprefenrent
différens Myfté res de la vie de la Sainte
Vierge , & que M. Carlo Van - Loo a faits
pour la Chapelle de Saint Sulpice , font
d'une belle & noble compofition , & dignes
du grand Maître dont- il eft l'éléve ; on en
loue également & la correction du deffein
& la beauté du coloris .
Les deux tableaux que M. Boucher a
fait pour la Bibliothéque du Roi , dont l'un
repréfente l'Eloquence & l'autre l'Aftro
nomie , font honneur à ce Peintre , que l'on
peut appeller le Peintre des Graces.
Les différens morceaux que M. Parrocel
avoit mis l'an paffé au Salon lui ont valu
l'honneur d'être deſtiné à peindre les Con
quêtes du Roi ; il a prouvé que perfonne
n'en étoit plus digne que lui par les efquif
fes definées qui les repréfentent & qu'il a
expofées cette année à la critique des connoiffeurs
qui ne lui ont donné que des louanges.
Que feront les Tableaux fi les feuls
deffeins font un fi grand effet !
Le public eft toujours furpris de la fécondité
de M. Pierre ; elle eſt l'effet de fa
jeuneffe & de fes grands talens. On voit que
les fujets qui demandent le plus d'élevation
font à fa portée , & peut être eft il à regretter
qu'avec de fi heureufes difpofitions il
OCTOBRE 1746. 139
s'amufe à peindre des bambochades , maist
Homere après avoir chanté la colére d'A
chille à décrit les combats des Rats .
Le Benedicite de M. Chardlin eft , comme
tout ce qu'on a vû de lui , marqué à
un coin d'ingenuité & de vérité qui n'appertient
qu'à lui .
Le portrait de M. de Crebillon de l'Académie
Françoife , peint par M. Aved , eft
un de ceux qui lui font le plus d'honneur
& l'un des morceaux les plus frappans du
Salon.
M. Nattier en a expofé plufieurs où il
foûtient la réputation qu'il s'eft fi juſtement
acquife,
Le nouveau portrait de Monfeigneur le
Dauphin par M. de la Tour a réuni tous les
fuffrages ; il y a long- tems que ce célébre
Peintre n'eft plus expofé à les voir partagés:
l'envie même n'ofe plus élever fa voix con→
tre lui ; elle a été trop fouvent étouffée
par
par les acclamations publiques avec lesquel
les tous les ouvrages font reçûs. Tel à encore
eté l'effet du portrait de M. Reftout
que M. de la Tour a peint pour l'Académie
; c'eft un vrai Tableau où il s'eft
plû à déployer toutes les reffources de fon
talent & toute la fcience de fon Art. Les
fpectateurs les moins éclairés, les plus grands
connoiffeurs & les meilleurs juges , tous l'ont
admiré également,
136 MERCURE DE FRANCE.
Nous ne pouvons auffi trop louer les quatre
tableaux reprefentant des Marines &
différentes vûës de Naples & d'Italie , que
M. le Duc de Saint Aignan , fi bon juge des
Arts , a apportés de Rome & qui font de M.:
Vernet. Un des quatre repréfente un Soleil
qui fe léve fur la mer & qui diffipe un
brouillard ; l'Art & l'intelligence de ce tableau
ont étonné ceux même qui font accoûtumés
à voir les Chefs - d'oeuvre , que
Claude le Lorrain a faits en ce genre. Il
ne nous refte qu'à fouhaiter que M. Vernet
vienne bien - tôt embellir Paris des merveilles
de fon Pinceau,
M. Eouchardon , M. Adam l'ainé , M.
le Moine , fils , & M. Vinache ont auffi
expofé au Salon différens morceaux de
Sculpture qui font honneur à leurs talens.
On ne craint pas d'affûrer que les uns & les
autres foûtiennent dignement la réputation
que les Sculpteurs François ont par toute
l'Europe.
L'explication des Peintures , Sculptures
& autres ouvrages de Meffieurs de l'Académie
,fe vend à Paris chés Jacques François
Colombat , Imprimeur du Roi & de l'Académie.
91.
OCTOBRE 1746. 1137
LETTRE à M. de la Tour par M. de
Bonneval , du 21 Septembre 1746.
L'Expofition des Tableaux dans le Louvre
annonce l'augufte protection du
Roi pour les Arts , & excite l'émulation des
Artiftes , il feroit à fouhaiter qu'elle fût fuivie
d'un examen judicieux dans lequel on
fit. fentir le caractére de chaque Peintre , &
les différentes parties dans lesquelles ils excellent.
Je conviens que ce projet exigeroit
de l'Auteur de l'examen un grand fond de
connoiffance , & fur- tout beaucoup de cette
aménité de ftyle qui fçait rendre la critique
utile fans blefler. Un pareil ouvrage inf
truiroit par degrés , & infenfiblement mettroit
les Spectateurs qui ont quelque génie
en état de ne pas hazarder des jugemens
auffi bizarres que ceux que j'ai quelque fois
entendus ; la beauté du coloris ne féduiroit
plus affés pour faire grace à la pefanteur
des draperies , & à l'irrégularité de l'ordon
nance ; on ne confondroit pas la dureté
avec la force de l'expreffion , les graces, avec
les mignardifes , ainfi du refte.
On peut affûrer que Paris eft aujour
d'hui le feul endroit de l'Europe où l'on
138 MERCURE DE FRANCE
puiffe encore trouver de grands Peintres ;
on doit faire des voeux pour qu'un Art fi
noble , & qui exige tant d'intelligence avec
une fi belle imagination , fe perfectionne
ou du moins fe foûtienue ,
Voici , Monfieur , ce que m'a infpiré ma
Mufe que j'avois condamnée au filence ,
mais le moyen de lui réfifter à la vûë de
vos admirables portraits ?
Je ris de tes efforts , dit un jour la naturė
A l'Art qui prétendoit tout au moins l'égaler ;
Tes traits les plus naifs ne font qu'une impofture
Que l'oeil le moins fçavant peut toûjours deceler ;
Regarde cet objet ; repons avec franchiſe ;
Rendrois-tu fans dechet ces graces , ce contour
La Nature elle même en ce moment ſurpriſe
Montroit fans y penfer un portrait de la Tour ;
L'Art triompha de fa méprife.
J'aurois bien pu , Monfieur , vous faire
mon compliment en profe ; elle eût même
été plus conforme à la fincérité de mon
admiration ; voici le motif qui m'a déterminé
à parler un autre langage.
La Poëfie & la Peinture
Vivront toûjours en bonnes foeurs ,
Puifque l'eftime la plus pure
Unit leurs efprits & leurs coeurs ;
?
OCTOBRE 1746. 139
L'interêt du même héritage
Redouble encor leur union ;
Sans trouble ni divifion
Tout l'Univers eft leur partage.
Maîtreffe du choix des fujets ,
Souvent fur les mêmes objets
Elles exercent leur fcience ,
Et c'eft à la rivalité
De leur fublime intelligence
Que les Arts doivent leur beauté.
Emule de nos plus grands Maîtres ,
La Tour , dont l'élegant pinceau
Saifit toujours dans tous les êtres
Le vrai , le naturel , le beau ;
Toi chés qui l'Art de la Peinture
N'eft qu'une belle édition
Des ouvrages de la Nature ,
Tu plains la fauffe ambition
Et des Peintres & des Poëtes ,
Qui ne font que les interpretes
De leur bizarre opinion ;
Ils n'auront jamais l'avantage
Qu'on fe meprenne à leur ouvrage ;
On decidera par leurs traits
Que l'Art feul a fait tous les frais .
146 MERCURE DE FRANCE.
On vient de mettre au jour un Livre de
fix Sonates en quatuor pour deux flutes ,
un violon obligé , & la baffe continue , dédiées
à M. le Comte de Rottembourg , Colonel
d'un Régiment de Dragons , Lieutenant
Général des Armées du Roi de Pruffe ,
& Chevalier de l'Aigle - Noire , par M. Guillemant
, Maître de flute , Oeuvre premier ,
prix douze livres , & un petit Livre contenant
deux fuites d'Airs pour deux Autes ,
qui peuvent fe jouer fur le hautbois & le
violon , & qui font un fort bon effet fur les
petites flutes à la tierce . Prix une livre ſeize
fols.
Ces Livres fe vendent chez l'Auteur , rue
fainte Marguerite , à la Pomme d'Orange ;
chez Madame Boivin , rue faint Honoré ,à la
Régle d'Or , & Leclerc , rue du Roule , à la
Croix d'Or.
OCTOBRE 1746. 14!
NOUVELLES ESTAMPES.
A belle & magnifique édition des Mémoires de
?
LPhilippe de Comines, qui va paroître en quatre
yolumes in-quarto , chez le fieur Rollin , Libraire
par les foins de M. l'Abbé Lenglet Dufresnoy , a
donné lieu au fieur Odieuvre , Marchand d'Eftampes
, rue d'Anjou Dauphine , de faire graver les
Portraits de toutes les perfonnes illuftres qui ont
paru fous les Régnes de Louis XI. & de Charles
VIII. Ce ne font pas des Portraits d'imagination ,
comme la plufpart de ceux qu'on infére ordinairement
dans l'Hiftoire ; tous font tirés fur des origi
naux , foit tombeaux foit miniatures du tems ,
foit même des tableaux peints dans le fiêcle où ils
ont vécu . Cette fuite ne va pas à moins de cinquante
, dans laquelle outre les Princes du Sang
on verra encore le Maréchal de Gié , l'un des plus
illuftrés Seigneurs de la Maiſon de Rohan ; Antoine
de Chabannes , Comte de Dammartin , fi célébre
par fes difgraces , & par les fervices qu'il a rendus
à l'Etat , y eft pris d'après fon tombeau . On y
trouvera même le Cardinal Ballue , qui n'a pas été
moins diftingué par fon élévation que par fes trahifons
& par fa prifon . Cette fuite fera inconteftablement
l'une des plus belles de celles qu'à fait
graver le fieur Odieuvre , qui continue toujours
avec le même fuccès , à nous donner les Portraits
des perfonnes illuftres , tant du Royaume que des
Pays Etrangers.
Il y a joint même la Bataille de Montlhery en
1465 , & celle de Nancy , où fut tué Charles
142 MERCURE DE FRANCE.
dernier Due de Bourgogne en 1477.
Le même Marchand d'Eftampes vient de faire
graver les Portraits de .
MARIE-THERESE DAUPHINE DE
FRANCE , née le 11 Juin 726 , morte à Verfailles
le 22 Juillet 1746 , deffinée par Jean Robert
, & gravée par Pinffio.
RENE' DE FROULLAY COMTE DE TESSE' ,
Maréchal de France , Grand d'Efpagne , Général
des Galéres , &c. mort le 30 Mai 1725 , peint par
Hyacinte Rigaud , & gravé par Tardieu, fils.
Le fieur Petit , Graveur , rue faint Jacques , visà-
vis les Mathurins , qui continue de graver la fuite
des Hommes Illuftres du feu fieur Defrochers , Graveur
ordinaire du Roi , vient de mettre au jour les
Portraits fuivans.
MARIE-THE'RESE INFANTE D'ESPAGNE
née à Madrid le 11 Juin 1726 , mariée à Louis
Dauphin de France le 23 Février 1744 , morte le
2 Juillet 1746 ; on lit au bas ces Vers de M. le
Chevalier de Neufville , Capitaine d'Infanterie .
Il eſt beau dans le rang fuprême
De mêler à la Majesté
D'un front fait pour le Diadême
Un caractére de bonté ;
Ce font les attributs de la Divinité ,
Qui veut qu'on la révére en même - tems qu'on,
l'aime.
}
OCTOBRE 1746 . 143
ANTOINE - FRANÇOIS
PREVOST
Aumônier de S. A. S. M. le Prince de Conty ; on
lit au bas ces Vers de M, Moraine.
Ecrivain délicat , Critique ingénieux ,
Je ne puis mieux vanter ton mérite fublime ,
Qu'eu publiant qu'un de nos demi Dieux ,
Le Grand , Conty te protége , t'eftime.
Chan
NICOLAS DE L'ARGILLIERE ,
celier , ancien Directeur & Recteur de l'Académic
Royale de Peinture & Sculpture , né à Paris le 2
Octobre 1656 , mort le 20 Mars 1746 , peint en
1745. par M. Chevalier Defcombes fon très -digue
Eleve ; les deux Vers Latins qui font au bas , font
du Pere Vaniere de la Compagnie de Jeſus .
Pingendo fic ora refers , ut & ipfa tabellis
Non defint , oculo judice verba tuis,
• HYACINTHE RIGAUD , Ecuyer noble
Citoyen de Perpignan , Chevalier de l'Ordre de
Saint Michel , Recteur & ancien Directeur de l'Académie
Royale de Peinture & Sculpture , né le 25
Juillet 1663 , mort à Paris le 29 Décembre 17442
peint par lui- même ; on lit au bas ces Vers de
M. Moraine.
Dans le Portrait & dans l'Histoire
Rigaud s'acquit une immortelle gloire ;
De la Nature habile imitateur ,
Il fçut la furpaffer par fon Art enchanteur,
(44 MERCURE DE FRANCE,
O
N nous fçaura fans doute bon gré d'annoncer
ici l'Elixir de Géniévre de Madame
la Croix , Privilégiée du Roi ; il opére
efficacement , fur -tout dans les maladies d'eltomach
; l'ufage de cet Elixir approuvé par M.
de Chicoyneau , Premier Medecin , en empêche
le dérangement. Madame la Croix
demeure à Paris. au coin de la rue des Foffés
Saint Victor , dans la maifon de l'Epicier ,
qui a pour enfeigne la Croix d'or. Le prix
des bouteilles eft de vingt- quatre fols .
Le Reméde fpécifique que nous avons annoncé
dans le Mercure du mois de Juillet
dernier pour la guérifon de la furdité , ayant
produit de très -bons effets fur plufieurs perfonnes
, & entre autres deux cures fingulieres
, nous engage à en faire part au public
comme de fûrs garants de fon efficacité.
M. Pichet , Valet- de-Chambre de S. A. 5 .
M. le Duc d'Orleans s'eft trouvé guéri en
fort peu de tems par l'ufage continué de ce
baume , quoique fourd depuis quinze années.
M. Croyer , Officier du Roi du quartier
d'Octobre , a été auffi guéri auffi en fort
peu de tems , fourd depuis fept années ;
ces
OCTOBRE 1746. 1451
ces deux cures furprenantes font deux exemples
bien piopres à encourager les perfonnes
incommodées à fe fervir de ce reméde & à en
continuer l'ufage ; comme il y a des furdités
bien plus difficiles à guérir , en perfévérant
à la longue , on doit fe flater que la guérifon
s'en fuivra.
On a dû expliquer les Logogriphes du
Mercure d'Août , par Logogriphe , Calendrier
, Champignon , Hirondelle & Gloire.
On trouve dans le premiergorge , or , loge,
orge, rigole , plie , loir , lie , gloire , péril
, Roi , lire , lego , proie , phiole, role , pergo ,
oglio , loi , poil , loger , Loire , horloge , ogre. -
On trouve dans le fecond lac , rire , nid ,
ladrerie , ride , lire , Alcide , air , Caen.
On trouve dans le troifiéme Cain , Cham
Pan, paen, Ino , Cô , champion, Amphion , Pô ,
pie , pain , pin , Iman , Mahon , coin , Mâcon ,
nom , chapon. On trouve dans le quatrième
Dion , Oilée , pere du fecond Ajax , Rhône
Rollin , Hiéron II. du nom , Roi de Syracufe.
Dans le cinquiéme on trouve lie, lo , ire, orge,
Loire , ergo , or & lire.
ZASS
2
GI
146 MERCURE DE FRANCE
****
AIR. Les paroles font de M. D. M. & ♫
Mufique de M. de Monceaux. 1
R Uiffeau , votre aimable murmure
Endort les foins & le tourment
D'un malheureux amant .
Un doux penchant que forme la Nature
Vous fait couler vos eaux avec ce bruit charmant,
Comme vous , Ruiffeau , je murmure ,
Mais c'eft des maux que j'éprouve en aimant ,
*£3< 3< ÷ 3++£ 3 *} ****
CHANSON par M. Boran de Saint
Domingue.
UN mortel qui ne fçait que boire ,
Et qui ne connoit pas le doux plaifir d'aimer ,
Ne s'acquiert qu'une foible gloire .
Au printems de nos jours laiffons nous enflâmer
Par l'objet qui peut nous charmer ;
Dans la froide vieilleffe
Bacchus aura fon tour ;
En attendant confacrons à l'Amour
Tout le feu de notre jeunesse,
t
THE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY.
ABTOR , LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS,
MER CURE DE FRANCE
MHC
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
.
ABTOR
, LENOX
AND TILDEN
FOUNDATIONS
.
OCTOBRE 1746. 147
ENIG ME.
Nous femmes bien des foeurs , & toutes ra
femblées
En genre mafculin nous nous trouvons changée .
L'ordre a fi grande part à notre utilité
Qu'il cauſe quelquefois notre immortalité.
Par l'Hiftoire on apprend quelle eft notre origine ;
On nous montre partout , même au fond de la
Chine.
Qui fçaît nous bien forger acquiert plus d'un
talent ,
Et très fouvent fans nous on n'est qu'un ignca
rant .
Heureux eft celui-là qui dès fa tendre enfance
Apporta tous fes foins à notre connoiffance.
Sans craindre le pouvoir du puiffant Dieu d'amour
,
Nous lui fervons fouvent à bien faire fa cour.
H. D. T. Commis de M. le
Marquis d'Argenson.
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
JE
AUTRE .
E fuis un Etre de raifon
Qui de l'imagination
Tire mon unique avantage.
De tout Pays & de tout âge
J'abuſe en ce bon univers
Mille & mille cerveaux divers.
De moi l'on fe repaît ; on m'aime , !
Quoique mon erreur foit extrême.
C'est un Philofophe étoffé.
Qui dans un abufif ſyſtême
Croit voir de moi feul coëffé ,
>
Dans le faux la vérité même :
C'est un amant que les rigueurs
D'une Céliméne inflexible
N'ont fait que rendre plus fenfible ,
Et qui fous l'appas des faveurs
Dont fe nourrit fon espérance ,
Goûte fauffement par avance
Des plaifirs fouvent impoſteurs :
Bref, c'eft un argus incommode
Qui craint , dans fes tranſports jaloux ,
Que fa moitié ne s'accommode
Mieux d'un amant que d'un époux.
OCTOBRE 1746 149:
Je fçais , Maris , que cette idée
Se trouve quelquefois fondée ,
Mais il fuffit que mes abus
Soient plus fréquens pour ne me chérir plus,
Par M. Corneffe de Thouars , en Poitou.
ઈંડે ૨૮૯
ENIGME EN LOGOGRYPHE.
Toujours loin du Soleil j'en partage le cours ;
Quoique banni de fa lumiere :
Je fuis exactement fa brillante carriere ;
Et termine les plus beaux jours.
Ma fubfiſtance étant de très - foible durée ,
Un feul inftant me voit naître & mourir ,
Cependant dans les tems paffés & à venir
Je régle en bien des mers le flux & la marée.
Ainfi , Lecteur , il te faut obferver
Ce qui pourra te paroître un emblême
C'eft que jamais on ne me peut trouver
Que dans la moitié de moi-même.
Ecoute encor , ceci n'eft plus qu'un jeu ;
Quand j'exifte en entier, je fuis le vraj milieu
De ce que je fuis fans ma tête.
Adieu , tu peux me voir un certain jour de fête .
G iij
150 MERCURE DE FRANCE
* * * * * *: 4:22 .
ENIGM E.
PAr moi l'on réuffit auprès d'une beauté ,
Sans moi perfonne n'eſt aimable.
Je fuis le doux lien de la Société ,
Ou tout au moins je la rends agréable.
Quand on m'a fans difcernement ,
C'eft un défaut , ce n'eft plus un méríte,,
Et je puis caufer bien fouvent
1
Plus d'une défaftreuſe fuite.
D'en trop avoir gardez- vous bien
Sexe charmant , à qui tout céde :
Après ; les regrets n'y font rien .
Hélas ! c'eft un mal fans reméde.
EXCES
LOGO GRYPH E.
Sans être jamais dans la Ville ,
J'en ai le goût & l'ornement ;
J'avois jadis un abord difficile ;
On n'y rencontre aujourd'hui qu'agrément .
Dans mes fept pieds on voit un élément ,
Deux animaux , dont l'un eft plus utile ;
L'autre plus drôle & plus habile
Fait du mal prefque à chaque pas.
Ce
que fur fon honneur chacun veut n'avoir pas.
Le tout à deviner me paroît très- facile.
OCTOBRE 1746. 151
EXCES
SPECTACLES.
' Académie Royale de Mufique a tenté
La d'égayer Hypermnestre le Dimanche 18
Septembre , en l'étayant d'un Ballet intitulé
la Fête Champêtre & Guerriere. La Mufique
de ces danfes eft de la compofition de M.
Aubert , Surintendant de la Mufique de M.
le Duc. Elle eft vive & gracieufe ; on y reconnoît
le génie auffi piquant que naturel
qui régne dans fes Ouvrages. Les danſes font
deffinées par M. Maltaire , Compofiteur des
Ballets de l'Opéra .
Elles ont eu le fuccès qu'elles méritoient.
Pouvoient- elles manquer de plaire ? On y
voyoit à chaque inftant fe fuccéder les plus
brillans fujets de Therpficore. Les amateurs
de l'ordre & de la gradation qui doivent primer
dans tous les Arts , même dans ceux fubordonnés
aux plaiſirs , ont en s'y amuſant
défapprouvé l'economie de cette Fête. Apparemment
M. Dupré qui danfoit à la fin
a fait oublier au public le défaut d'un arrangement
où l'héroïque fuivoit le comique.
On a fort applaudi dans ce joli tableau Mademoiſelle
Sauvage , danfeuſe nouvelle , qui
embellit le Théatre lyrique. Sa vive & gra-
G.iiij
152 MERCURE DE FRANCE.
,
cieuſe légéreté a réuni tous les fuffrages . Elle
a la jambe fine , la taille de Nymphe , & la
phyfionomie très aimable . Cette charmante
fujette deTherpficore a fouvent été fêtée ſur
la fcéne , tant en France que dans les Pays
Etrangers & Paris a confirmé les jugemens
de Berlin.
Le Mardi 4 Octobre on a donné la
premiere
repréſentation de Scylla & Glaucus ,
Tragédie. Les paroles font de M. d'Albaret,
& la mufique de M. le Clair , célébre dans
P'Europe par les fonates fçavantes & travaillées
, & par l'élégance de fon jeu fur le violon.
Son génie fe reconnoît dans la compofition
de fon Opéra.
On a vû courir dans le monde , il y a plus
de quarante ans , un Glaucus d'un certain
Abbé de Calcavi , mis d'abord en mufique
par un maître de Clavecin , nommé M. Cuvilier
, & à fa mort corrigé & ajufté par un
habile maître à chanter , & malgré toutes
ces réparations toujours refuſé.
Le Glaucus de M. d'Albaret a été plus
heureux .
M. d'Albaret dit dans fa Préface qui eft
fort bien écrite , que les fujets du Prologue &
de la Tragédie font tirés l'un & l'autre des
Métamorphofes. Ovide parle des Propétides ,
comme citoyennes de la Ville d'Amathonte .
Elles nioient la divinité de Venus : la Déeffe
rritée les changea en ftatues de pierre.
OCTOBRE 1746. 153
Cette fable des Propétides forme le Prologue
, & M. d'Albaret l'a choiſie comme
analogue à celle de Scylla.
Ce Prologue eft ingénieux & bien écrit.
La premiere fcéne de la Tragédie ouvre
par l'indifférente Scylla , qui dit .
Non , je ne cefferai jamais
De fuir tes dangereufes chaînes ,
Amour ; les biens que tu promets
Peuvent-ils égaler tes peines ?
Sa confidente Témire arrive qui lui annonce
une fête préparée par fes Amans
Bergers & Silvains ; elle lui parle auffi de l'amour
de Glaucus ; Scylla marque pour tous
une égale froideur.
La fete champêtre arrive dans laquelle
il y a plufieurs jolis airs , entre autres une mufette
fort agréable . Scylla peu touchée des
hommages que lui rendent fes adorateurs , ne
traite pas mieux Glaucus , pour qui elle doit
bien-tôt devenir fenfible.
Nymphe , dit Glaucus
Nymphe , tout fur ces bords célébre vos appas ;
Des jeux & des plaiſirs c'eft ici la retraite ;
Les amours ne vous quittent pas ;
Gy
154 MERCURE DE FRANCE.
On diroit à les voir attachés fur vos pas
Qu'ils méditent votre défaite.
Il y a dans le cours de cette fcéne un morceau
de chant fort agréable ; c'eít Glaucus
qui dit à Scylla,
Quand je ne vous vois pas , je languis , je foupire ;
Je goûte auprès de vous mille plaiſirs parfaits ,
Et quoique vos beaux yeux cauſent tout mon martyre
J'oublie en les voyant tous les maux qu'ils m'ont
faits .
Glaucus défefpéré des rigueurs de Scylla ,
prend le parti d'aller implorer le fecours de
Circé. On pourroit avec juftice reprocher à
cet amant qu'il y a peu de délicateſſe à vouloir
obtenir fon bonheur par le moyen d'une
Magicienne ; Glaucus en eftbien puni , parce
qui lui arrive chez Circé .
On connoît le caractére de cette fameufe
amante d'Uliffe & de tant d'autres . Il eſt peint
ici avec une grande vérité. Circé avoue naivement
à fa confidente qu'elle ne peut le paffer
d'aimer.
Mon coeur eff fait pour s'enflammer .
J'oppoſe envain ma réſiſtance ;
Il languit dans l'indifférence
Et ne peut vivre fans aimer.
OCTOBRE 155 1746.
Apprends ce qu'aujourd'hui le fort m'a fait connoître
;
J'ai fçû découvrir que l'Amour
Améneroit dans ce féjour
Un amant rebuté, trop fidéle peut-être....
On n'eft pas étonné après cela de voirCircé
s'enflammer pour Glaucus, dès qu'elle le voit
paroître. Glaucus implore le fecours de fon
art pour attendrir Scylla; mais c'eft pour elle-
même ; c'eft pour rendre Glaucus fenfible
à fa nouvelle paffion , que Circé va travailler
; cet incident améne naturellement une
fète galante où les miniftres de Circé s'éforcent
de féduire Glaucus. Le charme réuffit ,
Scylla eft bien-tôt oubliée , & Glaucus animé
d'une paffion nouvelle , tombe aux pieds
de Circé , mais l'effet du charme ne dure pas
long- tems. Le confident de Glaucus vient
lui apprendre que Scylla gémit de fon abfence.
Le nom feul de Scylla rompt l'enchantement
; Glaucus revient à lui même , & quitte
Circé avec précipitation , pour voler auprès
de fa maîtreffe .
On imagine aifément qu'elle eft la fureur
de Circé, lorfqu'elle voit fes efpérances
trompées ; elle jure de ſe venger , & ne tiendra
parole que trop exactement.
Scylla ouvre le troifiéme acte, mais ce n'eft
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
point cette beauté fiére du premier acte qui
mettoit toute fa gloire & tous fes plaifirs à
méprifer les voeux des amans.
Sermens trompeurs , tendre langage ,
Ah ! qu'il eft dangereux de vous trop écouter ;
Eh!! que feroit- ce , hélas ! fi j'avois pt compter
Sur la foi d'un amant volage?
Sermens trompeurs , & c.
Glaucus n'eft plus fur ce rivage ;
Thémire , un autre objet l'engage.
Il auroit été à fouhaiter que ce changement
fubit de Scylla eut été annoncé , rien ne le
prépare , mais cela n'empêche pas que la fcéne
qui fuit ne foit remplie de traits fins & galans
, exprimés avec efprit. Glaucus après
avoir juré à Scylla de l'aimer toujours , continue
:
Mais pourquoi des fermens emprunter le langage ?.
Vos yeux feuls de mes feux ne répondoient - ils
pas ?
Ce n'est point avec tant d'appas
Que l'on voit fon amant volage.
Scylla ne s'explique pas avec moins de fineffe
, lorfqu'elle répond aux inftances paſfonnées
de Glaucus.
OCTOBRE 1746. 157
Je crains votre infidélité ,
Je m'en plains ; puiffe -je mieux dire que je vous aime?
Glaucus appelle les Divinités de la mer
& les exhorte à chanter fa victoire , la fète
eft troublée par Circé ; tout fuit à l'afpect de
la Magicienne jaloufe , qui termine l'acte
par un monologue de fureur.
Le quatriéme acte ouvre par une fcéne entre
Circé & Glaucus , où la premiere fait de
vains efforts pour ramener Glaucus .
Il y a dans cette fcéne un morceau de
Chant très-expreffif & très- touchant. C'eſt
celui où Circé dit à Glaucus ,
Reviens ingrat , mais cher amant ,
Et reprends de fi douces chaînes.
Reviens dans un féjour charmant ,
Où pour nos tendres coeurs l'amour exempt de peines
,
Devoit par les plaifirs marquer chaque moment.
Reviens , & c .
Scylla arrive fur ces entre- faites, & fa préfence
allume la jaloufe colére de Circé , cependant
celle ci feint de fe rendre aux larmes
de Glaucus , mais ce n'eft que pour perdre
fa rivale avec plus de fûreté. En effet ,
dès que les deux amans font fortis , Circé
158 MERCURE DE FRANCE.
commence fes conjurations magiques pour
fe venger de fa rivale.
C'eſt dans ces morceaux que les Muficiens
déployent toutes les reffources de leur Art ,
& M. le Clair a montré ici l'étendue de fes
talens. Cette magie a été trouvée fort belle ,
& il n'y a eu qu'une voix. On a vu avec plaifir
le nouveau Spectacle que M. D. a introduit.
La Lune attirée par les conjurations de
Circé defcend du Ciel , & fe précipite aux
Enfers ; alors ce n'eſt plus Diane , c'eſt Hecate,
& en effet on la voit fortir des Enfers. Elle
apporte à Circé
Le plus mortel poiſon
Qu'ait fur fes triftes bords produit le Phlegeton.
C'est ce poifon qui fera l'inftrument de la
vengeance de Circé.
Le Théatre repréſente au cinquiéme acte
un lieu préparé pour une fête : on voit une
fontaine dans le fond du Théatre.
Glaucus & Scylla rempliffent la premiere
fcéne de tendres fentimens mêlés de crainte ;
le fouvenir de Circé inquiette la Nymphe.
Son amant tache de la raffurer. Peut-être ,
dit-il , en parlant de Circé,
Peut-être que fon coeur fi prompt à s'enflammer
De Glaucus pour jamais a perdu la mémoire.
OCTOBRE 1746. 159
Eh quoi ! répond Scilla .
Eh quoi Scylla peut-elle croire
Que l'on ceffe de vous aimer ?
A la fin de cette fcéne on voit paroître les
Habitans de la Sicile qui viennent célébrer le
jour de la délivrance de leur Pays , lequel
avoit été foumis à l'Empire tyrannique des
Cyclopes.
Glaucus plus occupé de fon amour que de
la fête : s'écrie envoyant la fontaine que Circé
a empoisonnée :
C'eft au bord de cette fontaine
Pour la premiere fois que je vis vos beaux .
Scylla répond !
Un fouvenir fi précieux
Vers fon charmant criſtal m'entraîne .
A ces mots elle regarde dans la fontaine ;
le charme de Circé opére ; Scylla aprouve
fa cruelle vengeance , & court le précipiter
dans la mer , malgré les foins & les efforts de
fon amant éperdu . Circé vient jouir de la
douleur de Glaucus , & lui apprend la cataftrophe
funefte de fa rivale .
Le Théatre change & repréfente la mer
& le détroit de Sicile . On voit d'un côté le
160 MERCURE DE FRANCE.
promontoire de Rhege , & de l'autre un ro
cher repréfentant une femme , ayant le corps
d'une Syrene , & des monftres qui ſemblent
aboyer autour d'elle.
La douleur de Glaucus eft un nouveau
triomphe pour l'ennemie qu'il a méprifée. Il
fort , & elle ferme le Théatre par ces Vers.
Que ce rocher monument de ma rage ,
Près de ce goufre dangereux
Soit un accueil encor une fois plus affreux ,
Et qu'offrant à jamais un funefte affemblage ,
Pour le malheur de l'univers ,
Et Charybde & Scylla foient la terreur des mers.
Mademoiſelle la Balle a continué fon début
comique dans le Chevalier à la mode , &
dans le galand Jardinier. Elle a auffi joué du
tragique , & rempli gracieufement le rôle de
Junie dans Britannicus , Tragédie de l'illuftre
Racine.
Le Samedi premier octobre les Comédiens
François ont donné la premiere repréſentation
d'une Comédie d'un acte , intitulée
l'Amour & les Fées , fuivie d'un Diverment.
Cette piece , quoique fpirituellement
écrite , n'a pas eu un heureux fuccès . C'eſt
une Comédie dans un goût métaphyfique.
La Mardi 4 Octobre , les Comédiens Ita
liens ont donné fur leur Théatre la premiere
1
癟
OCTOBRE 1746. 161
Co- repréfentation de la Serva Padrona ,
médie en deux actes , accompagnée de deux
divertiffemens. Cette piéce reflemble parfaitement
à ce qui s'eft exécuté fur le Théatre
de l'Académie Royale de mufique ; quand
S.A. S. M. le Prince de Carignan y fit paroître
des Acteurs bouffons , venus exprès d'Italie.
La Serva Padrona eft une efpéce d'Opéra
Comique Italien , mêlé de Profe ; la inufique
en a été trouvée excellente ; elle eft d'un
Auteur ultramontain , mort fort jeune :
L'ouverture ajoutée elt du Signor Paganelli
, eſtimé en France & en Italie. Il n'y a
dans cette Piéce que deux Acteurs chantans,
& un Perfonnage muet , exécuté par Scapin .
M. Riccoboni joue le rôle d'Uberto , Vieillard
dominé par Serpina , fa fervante , qui
le gourmande éternellement ; elle l'impatiente
d'abord , en ne lui donnant pas
fon
chocolat , enfuite en l'empêchant de fortir ,
lui alléguant qu'il eft midi. Enfin le maître
trop débonnaire , outré, prend la réſolution
de le marier pour ſe fouftraire au joug de
fon impérieufe fervante : Serpina lui dit qu'il
fera fort bien , & fe propofe obftinément ,
pour être fon Epoufe. Uberto ébranlé par
fes difcours preflans fe retire , prefque déterminé
à ce ridicule mariage. Au deuxiémé acte
Serpina qui a mis le Valet dans fes interêts ,
162 MERCURE DE FRANCE.
lui fait entreprendre une maſcarade comi
que , pour accélérer le fuccès de ſon deſſein.
Il fe déguiſe en militaire furibond , & par fes
geftes menaçans oblige Uberto de fe livrer
à Serpina.
Les deux divertiffemens qui coupent &
terminent cette piéce font très- amuſans , &
d'une compofition vive & legere . Le rôle de
Serpina étoit exécuté par la Signora Monti
très- aimable Italienne , qui n'avoit jamais
paru fur aucun Théatre ; le feu & l'intelligence
régnoient auffi dans le rôle d'Uberto ,
& cela ne doit pas furprendre , puifque M.
Riccoboni en étoit chargé.
La premiere repréfentation de la Serva
Padrona avoit été précédée de quelques
jours par le Prince de Salerne Comédie
nouvelle Italienne en cinq actes , ornée d'un
fpectacle varié & très-divertiffant , & entremêlée
de Ballets charmans.
"
L'intrigue de cette Comédie produit beaucoup
de fcénes gayes & de machines agréa
blement furprenantes. L'enjoué Arlequin ,
revétu du pouvoir d'un Génie , protecteur du
Prince de Salerne , le conduit à la félicité par
un chemin femé d'images brillantes ; le fujet
eſt un Prince détrôné par un ufurpateur, qui
par le fecours d'Arlequin , céde enfin à la
puiffance légitime, & defcend du Trône qu'il
avoit ravi.
OCTOBRE 1746. 163
Le premier acte finit par un fpectacle du
char & de la Cour de Neptune. La mufique
en eft charmante & gracieufe. Le Ballet
compofé par M. Sodi , eft très- bien figuré.
Le pas de deux de l'aimable Camille eft du
petit Dubois qui la feconde fi bien , a été
extrêmement & juftement applaudi . La contre-
danfe eft de M. Deshayes , qui a donné
bien des preuves de fa capacité dans la danfe
théatrale & pittorefque. Les décorations
les vols , enfin tous les changemens diverfifiés
de la fcéne font dûs au goût raifonné du
Signor Veroneſe , chargé du rôle de Pantalon.
La piéce finit par un Ballet pantomime
ingénieufement deffiné où le Signor Sodi
donne du comique , après avoir donné du
gracieux & du noble , à la fin du premier
acte. On voit d'abord defcendre des Chaffeurs
d'une Montagne fuivis du gibier , porté par
leurs Valets. Dans le tems que leurs danfes
expriment ' eur fatisfaction , une petite Vendingeufe
& un petit Vendangeur paroiffent
fur le côteau , rempliffent leurs hottes de raifin
, & joignent les Chaffeurs , qui après les
avoir intimidés par leurs fufils , & dépouillés
de leurs vendanges , les raffurent en la leur
payant libéralement.
Les charmans petits fuppôts de Bacchus
dédommagés & contents , fignalent leur re64
MERCURE DE FRANCE .
connoiffance & leur joye par un Pas de deux,
très-plaifant & parfaitement exécuté . On ſe
doute bien que le petit Vendangeur eſt M,
Dubois , & que la petite Vendangeufe eft la
charmante Camille , de qui les graces jeunes
& brillantes croiffent tous les jours.
LETTRE aux Auteurs du Mercure .
Depuis le 18 Novembre 1696 , Meffieurs
, je n'ai pas à me reprocher d'avoir
manqué à la Comédie Françoiſe une premiere
repréſentation dans aucun genre. J'ai
ma place fixe fous la loge de la Reine ;
cinq ou fix perfonnes aufli defoeuvrées que
moi écoutent fervilement mes avis , & les
font paffer d'autorité au refte dụ Parterre.
C'eft de moi que font tous les bons mots
qui ont été dits contre les nouveaux ouvrages
, on attend que je parle pour crier
ouvrez les loges. Je fais faire place aux Dames
& aux Acteurs ; c'eft à ma voix que
les Abbés levent les bras , & depuis près de
quarante- cinq ans on n'a pas crié une fois bis
fans mon confentement ou exprès on tacite .
J'ai fiflé moi feul plus de piéces qu'une
jeune femme bien inftruite n'en a lues. Je
fuis en un mot , ou peu s'en faut Parterre
Jubilé , & j'ai acquis , je crois , le privilége
exclufif , de décider du fort des Acteurs
nouveaux & des nouvelles Actrices.
OCTOBRE 1746. 165
Jeudi dernier 15 de ce mois ,je me rendis
de bonne heure à la Comédie Françoife ;
indigné de ce qu'on s'avifoit de faire débuter
un enfant , encore , difois - je , fi on
l'avoit fait paffer deux ou trois ans en Province
, on pourroit en efperer quelque
chofe ; mais , à quatorze ans qu'attendre
d'une fille qui fcait feulement depuis deux
mois qu'il y a des Comédies , un Théatre ,
des Acteurs ? Je grondai ainfi depuis trois
heures jufqu'à cinq & demie que la toile fut
levée ; je détournai même les yeux lorfque
Mlle . Melanie parut ... elle parla ... Ah !
Meffieurs , je crus entendre la voix de la
divine Duclos. Ces fons charmans m'entrainerent
; je confidérai l'Actrice ; fa figure
me charma ; fans m'en appercevoir j'applaudis
de toutes mes forces , & je ne vous le
cache pas , je me retirai enchanté .
Voilà des Vers que je lui envoyai dans
le premier moment de mon enthoufiafme.
Je vous prie de les inferer dans votre Mercute.
J'aurois bien pris le parti de les faire
courir au Caffé , mais depuis trois ans je
ne vais plus chés Procope ; on y parle une
langue que je n'entends pas & je fuis fûr
qu'on y trouveroit mes vers déteftables .
Je fuis , Meffieurs , votre , & c.
166 MERCURE DE FRANCE.
9383 383 83 83 83 83
LE PARTERRE DE LA COMEDIE,
à Mlle. MELANIE , après fon debut.
dans Agnés.
M Elanie eft actrice au fortir de l'enfance ;
Elle joue , & n'imite pas .
La nobleffe , l'amour , les graces , l'innocence ,
S'expriment par ſa voix & marchent ſur ſes pas ,.
Ah ! quelle expreffion ! quels regards ! que d'ap
pas !
Que de coeurs vont en foule implorer ta puiffance
Dieu d'Amour ! c'eft Pfiché qu'on croit voir dans
fes bras.
Le 20 Septembre dernier les Commédiens Italiens
donnerent Arlequin enfant , Statuë &
Perroquet ; Arlequin chanta le couplet
fuivant , fur l'air , Quoi ! vous partez .
JE fçais un nid de jeunes Tourterelles ;
Pour trouver mieux il faudroit bien chercher ,
Mais par malheur ces oifeaux ont des ailes ,
Et je crains bien de les voir échaper.
Petit Amour qui voltiges près d'elies ,
Sois de moitié ; je vais les denicher.
OCTOBRE 1746. 167
JOURNAL DE LA COUR,
L
DE PARIS , &c,
E 14 du mois dernier le Prince de
Campo Florido Ambaffadeur Extraor
dinaire d'Espagne ayant reçû ordre de S ,
M. C. de fe rendre à la Cour de Naples ,
eut une audience particuliere du Roi , dans
laquelle il prit congé de Sa Majefté. 11 fut
conduit à cette audience , ainfi qu'à celles
de la Reine , de Monſeigneur le Dauphin
de Madame , & de Mefdames de France par
le Chevalier de Sainctot , Introducteur des
Ambaffadeurs.
Le 4 de ce mois leurs Majeftés entendírent
dans la Chapelle du Château de Verfail
les la Meffe , pendant laquelle le Te Deum fut
chanté par la Mufique,pour la prife des Ville
& Châteaux de Namur.
Le même jour l'Abbé de Saint-Hubert
eut une audience du Roi , & il y fut conduit
ainfi qu'à celles de la Reine , de Monfeigneur
le Dauphin & de Madame , par le Chevalier
de Sainctor , Introducteur des Ambaffa,
deurs.
Le 3 de ce mois le Roi & la Reine quit,
168 MERCURE DE FRANCE.
terent le deuil que leurs Majeftés avoient
pris le 18 du mois dernier pour la mort du
Roi de Dannemarck.
Leurs Majeftés accompagnées de Monfeigneur
le Dauphin & de Mefdames de France
font arrivees à Fontainebleau le 7.
Le 14 de ce mois l'Achevêque d'Arles &
l'Evêque de Nantes , prêterent ferment de
fidélité au Roi, à la Meffe de Sa Majeſté,pendant
laquelle M. l'Abbé Madin , Maître de
Mufique en quartier , fit chanter un nouveau
Motet en trompettes & tymballes , qui parut
à toute la Cour , & à tous les Auditeurs ,
d'autant plus admirable par la beauté des récits
, la fcience des Chours & la nobleffe des
expreffions , que les paroles tirées du premier
Livre des Paralipomenes, chapitre 2 , fem-.
bloient être faites exprès à la louange du
Roi , au fujet de la victoire que l'armée de
France venoit de remporter fur les troupes
des Alliés , dont l'importante nouvelle étoit
arrivée de la veille , ce qui fit grand plaifir
à tout le monde . qui en témoigna fa joye à
ce célébre Auteur.
Le 16 de ce mois le Roi , la Reine & Mefdames
de France affifterent dans la Chapelle
du Château au Te Deum qui fut chanté par
la Mufique en actions de graces de la Victoire
remportée le 11 à Raucoux fur les Alliés
par l'armée du Roi , commandée par le Maréchal
Comte de Saxe . Le
OCTOBRE 1746. 169
Le Lundy 19 , le Samedy 24 & le Lundy
26 on exécuta chés la Reine l'Opera d'Héffone
, les Rôles furent chantés par Meldames
, Lalande , Mathieu , Selle & Godonneſche
& par Mrs. Poirier, Lagarde Dubourg
& Godonneſche.
"
Le Samedy premier Octobre & leLudy 10
on exécuta l'Opera d'Acis & Galatée . Mefdames
Lalande , Mathieu & Daigremont
en ont chanté les Rôles , ainfi que Mrs. Lagarde
, Poirier , Dubourg & Godonneſche.
Le Mardy 4 on chanta pendant laMeſſe de
leur Majefté le Te Deum de M. de Blaſmont
pour la priſe de la Ville & des Châteaux de
Namur M. l'Abbé Broffeau l'a entonné ainqu'il
le pratique ordinairement,
Le Vendredy 7 leur Majefté accompagné
de Monfeigneurle Dauphin & de Mefdames
fe rendirent à Fontainebleau.
Le Mardy 11 les Comédiens François
ouvri.ent les Spectacles à Fontainebleau par
la Comédie du Muet & l'Etourdi.
Le Mercredy 12 & le Lundy 17 on
chanta chés la Reine le Prologue & les 3 premiers
Actes de l'Opéra d'Armide . Mlles.
Lalande , Mathieu , Selle & Defchampts, en
ont chanté les Rôles , ainfi que Mrs. Poirier
Godonnefche & le Page, lequel a chanté
Hydraot , & la Haine.
Le Jeudy 13 les Comédiens François ont
H
170 MERCURE DEFRANCE,
repréſenté la Tragédie de Medee , & les
Rendez- vous pour petite Piece,
Le Samedy 15 les Comédiens Italiens
ont joué la Comédie de Timon Mifamırope
entremêlé de trois divertiffements.
Le Dimanche 16 on chanta le Te Deum
de M. de Blafmont pendant la Meffe de leurs
Majeftés , pour la bataille gagnée contre les
Alliez . M. l'Abbé Gergeois l'a entonné.
Le même jour les Etats d'Artois eurent
audience de leurs Majeftés préfentés parM.le
Prince Charles de Lorraine , Gouverneur de
la Province , par M. le Comte d'Argenfon
Miniftre de la guerre,& M, Defgranges Maitre
des Cérémonie .
Le même jour après le Concert de la
Reine la Dlle. Marianne Allemande chanta
dans la chambre de Sa Majefté plufieurs
Airs Italiens ; elle fut accompagnée par Mrs.
Guilmin & de Quay le fils , tous deux ordinaites
de la Mufique de Chapelle & Chambre
du Roi. Cette Dlle. Marianne avoit
chanté la veille au diner de la Reine chés
Mefd. & chés Monfegr. le Dauphin , des Airs
Italiens, Allemands, Efpagnols & François ,
imitant avec fa voix les accompagnements
avec beaucoup d'art. Elle fut fort applaudie.
Le Mardy 18 les Comédiens François
repréſenterent la Comédie du Duc de Surey
& le Préjugé vaincu pour petite piece .
OCTOBRE 1746. 171
Le 19 M. le Vicomre de Rouhan aporta
à Sa Majefté les Drapeaux pris auxAlliez .
Le même jour les Comédiens François
repréſenterent la Tragédie d'Herode &
Marianne
& pour petite piece Crispin
Rival de fon Maitre.
,
Le Marquis de Crillon , Colonel du Régiment
d'Infanterie de fon nom , & que le Ccm
te de Clermont a choifi pour apprendre au
Roi que le Commandant des Châteaux de
Namur avoit demandé à fe rendre , arriva à
Verſailles le 2 de ce mois . La capitulation
par laquelle la garniſon de ces Châteaux
compofée de treize bataillons & d'un eſcadron
de Cavalerie , a été faite priſonniere de
guerre , a été apportée à Sa Majefté par le
Duc d'Antin , Colonel du Régiment de Picardie
, & le Roi a reçû le fix par le Marquis
de Sourdis les Drapeaux des troupes qui
formoient cette garnifon.
Le Marquis de Crillon a été fait Maréchal
de Camp ; le Duc d'Antin & le Marquis de
Sourdis ont été nommés Brigadiers , ainſi que
M. Robert , Lieutenant de Roi de Maubeuge
, & Ayde.Maréchal des Logis de l'armée ,
lequel a apporté au Roi la Capitulation de la
Ville de Namur.
Les lettres de Breda du 30 du mois dernier
portent que le Marquis de Puyfieulx ,
Miniftre Plénipotentiaire du Roi aux Con-
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
férences qui doivent fe tenir dans cette Ville,
y étoit arrivé le 29 ; que le Comte de Waffenaer
, Miniftre de la République des Provinces-
Unies aux mêmes Conférences , & le
Comte de Sandwych qui y doit affifter de la
part du Roi de la Grande - Bretagne , s'y
etoient rendus avant le Marquis de Puyfieulx
, & que M. Gillés , Penfionnaire de
Hollande , y étoit attendu le premier de ce
mois .
Le Marquis d'Armentieres , Maréchal de
Camp , & que le Maréchal Comte de Saxe a
dépêche au Roi , eft arrivé à Fontainebleau
le 13 de ce mais au foir , & il a apporté la
nouvelle d'une victoire remportée le 11 par
l'armée de Sa Majefté fur celle des Alliés :
Le Comte de l'Hôpital , Meftre de Camp
du Régiment de Dragons de fon nom , eft
arrivé dans le même moment , ainfi que M.
de Keremar de Boifchateau , Lieutenant de
Vaiffeau , & ils ont appris au Roi que les troupes
Angloifes qui étoient débarquées ſur les
côtes de Bretagne , dans le deffein de s'emparer
de la Ville de l'Orient , n'ayant pu
réuffir dans cette entrepriſe , avoient pris le
parti de fe rembarquer,
La fête de fainte Anne dont M. de Vendeuil
, Ecuyer du Roi , porte le nom , n'a
pas été célébrée cette année par les jeunes
OCTOBRE 1746. 173
*
Seigneurs de fon Académie , à caufe de la
mort de Madame la Dauphine , mais ils l'ont
remiſe au trois Octobre , veille de faint
François , dont M. de Vendeüil porte auſſi
le nom.
Cette fête à été annoncée le matin par
une falve de 50 boëtes , & le foir un bouquet
a été préſenté à M. de Vendeüil par
M. le Marquis de la Vaupalliere , Doyen de
Meffieurs fes Penfionnaires , & par M. le
Marquis de Lufignan , Doyen des Externes ,
en lui faiſant , au nom de tous , un compliment
qui marquoit la reconnoiffance qu'ont
ces Meffieurs de toutes les attentions & bontés
de M. de Vendeüil pour eux ; enfuite ils
donnerent la main aux Dames invitées à cet
te fête, & les conduifirent dans des chambres
préparées , pour voir le feu qui fut brillant
d'un bon goût & bien exécuté.
Après quoi les Dames furent conduites de .
même par ces Meffieurs dans une fale deſtinée
pour le Bal , qui étoit ornée avec goût
le Bal fut ouvert par M. de Vendeüil & Madame
la Marquife de Beaufremont , & tous
ces Meffieurs , tant Penfionnaires qu'Externes
, ont danſé avec les Dames , qui toutes
de la premiere diftinction , fe font beaucoup
louées de la politeffe de ces Meffieurs : toutes
fortes de rafraîchiffemens y ont été donnés
en abondance , enfin cette brillante fête
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
s'eſt paffée avec joye & décence.
La Reine accompagnée de Monfeigneur
le Dauphin & de Meldames de France , fe
rendit le 15 à l'Eglife des Carmes des Baſſes-
Loges où l'on célébroit la fête de Sainte Therefe
, & S. M. y entendit les Vêpres & le Salut,
Le 14 pendant la Meffe du Roi l'Archevêque
d'Arles & l'Evêque d'Avranches , préterent
ferment de fidélité entre les mains de
Sa Majesté. L'Evêque de Vannes prêta le 18
le même ferment.
Le Roi a accordé la place de Confeiller
d'Etat d'épée vacante par la mort du Marquis
de Fenelon au Marquis de Puyfieulx
Miniftre Plénipotentiaire de Sa Majeſté aux
conferences de Breda , & cy- devant fon Ambaffadeur
Extraordinaire auprès du Roi des
deux Siciles .
Le 16 de ce mois l'Evêque de Eazas fut
facré dans la Chapelle du Seminaire de Saint
Sulpice par l'Evêque de Mende , affifté des
Evêques de l'Efcar & du Puy.
L'Evêque de Chartres a été facré le même
jour par l'Archevêque de Rouen.
Le Roi a nommé Lieutenans Généraux de
fes armées le Comte de Voluire Commandant
en Bretagne , & le Marquis d'Armentieres.
Le Chevalier d'Efpagnac Aide Maréchal
Général des Logis de l'armée de Flandres,leOCTOBRE
1946. 175
quel a été dépêché au Roi par le Maréchal
Comte de Saxe le même jour que le Marquis
d'Armentieres , M. Defchamps Lieutenant
de Roi du Port Louis , & le Vicomte
de Rohan Meftre de Camp du Régiment de
Cavalerie de fon nom , qui a apporté à Sa
Majefté les Drapeaux pris fur les ennemis à
la bataille de Varoux , ont été faits Brigadiers.
LETTRE du Roi à Meffieurs les Vicaires
.
Généraux.
ESSIEURS , la conquête de Namur
acheve de combler les fuccès dont
ila plû à la divine Providence de favorifer la
juftice de mes armes dans les Pays - Bas pendan:
le cours de cette Canipagne. Cette
Place étoit Funique reffource qui reftât à la
Reine de Hongrie entre la Mer & la Meuſe
pour troubler la tranquillité de mes anciennes
frontieres , & pénétrer dans les pays
nouvellement foumis à mon obéiffance : auffi
mes ennemis fondant leurs efpérances fur fa
confervation , avoient raſſemblé toutes leurs
forces dans un Camp dont la feule fituation
en deffendoit les approches à mon armée.
Mais mon Coufin le Maréchal Comte DI
Hiiij
176 MERRCUE DE FRANCE.
•
SAXE , par des marches & des mouvemens
habilement compaffés , a fçû fe procurer
fans effufion de fang tout l'avantage qu'il
auroit pû retirer d'une victoire complette :
mes ennemis privés par fa pofition, de toute
efpéce de fubfiftance , ont été forcés de fe
dépofter , d'abandonner la Place à fes propres
forces , & de chercher leur fûreté audelà
de la Meufe. Ils la pafferent le 29 du
mois d'Août , & Namur fe trouva inveſti le
3 du mois dernier par mon Coufin le Comte
DE CLERMONT , qui en forma le Siége
avec une partie de mon armée. Il fit ouvrir
la tranchée devant la Ville le 12 , elle capi
tula le 19, & la garnifon s'étant retirée dans les
Châteaux , il en a dirigé & conduit les atta
ques avec tant d'activité , d'intelligence & de
capacité, que les troupes qui les deffendoient
au nombre de treize Bataillons , ont été obligées
de fubir la loi qu'il a voulu leur impoſer,
en fe rendant prifonnieres de guerre le 30
dudit mois , fixiéme jour ſeulement de l'ouverture
de la tranchée . Quelque part qu'-
ayent eu à la rapidité de cette conquête le
zéle , les talens & l'expérience de mondit
Coufin le Comte DI CLERMONT , & la
valeur de mes troupes ; le peu de tems qu'elle
a coûté , comparé à ce que l'on devoit attendre
de fa réfiftance , eft une nouvelle
preuve de la protection du Dieu des Armées :
OCTOBRE 1746. 177
ainfi en lui rapportant toute la gloire qui lui
en eft dûe , je ne cefferai pas de l'invoquer
pour qu'il daigne m'accorder la continuarion
de fes bienfaits , & infpirer à mes ennemis
cet efprit d'équité fi néceffaire pour parvenir
à une paix qui puiſſe rétablir folides
ment le repos de l'Europe , & me mettre en
état de n'être occupé que du bonheur de mes
Sujets. Senfible de plus en plus à cet objet
je vous écris cette Lettre pour vous dire ,
que mon intention eft , qu'en actions de graces
de tout ce que je dois à la divine Providence
, vous faffiez chanter le Te Deum dans
l'Eglife Métropolitaine de ma bonne Ville
de Paris , & autres du Diocèfe , avec les folemnités
accoutûmées en pareil cas , au jour
& à l'heure que le Grand- Maître ou le Maître
des Cérémonies vous dira de ma part.
Sur ce , je prie Dieu qu'il vous ait , Meffieurs
, en fa fainte garde. Ecrit à Verſailles
le quatre Octobre mil fept cent quarante fix .
Signé , LOUIS.
Et plus bas , PHELYPEAUX.
Et au dos eft écrit : A Meffieurs les Vicaires
Généraux de Paris .
HY
178 MERCURE DE FRANCE .
33 વેટડેટ
MANDEMENT des Meffieurs les Vicaires
Généraux du Chapitre , & Archidiacres
de l'Eglife de Paris , Adminiſtrateurs
de l'Archevêché , le Siege vacant ;
Qui ordonne que le TE DEUM fera
chanté dans toutes les Eglifes du Diocèse ,
en actions de graces de la prise de la Ville
& des Châteaux de Namur.
N
Ous Vicaires Généraux & Archidiacres
, Adminiſtrateurs de l'Archevêché
de Paris , le Siége vacant : Aux Archiprê
tres de fainte Marie-Magdeleine & de faint
Severin , & aux Doyens ruraux du Diocèse ,
SALUT.
Le Ciel a répandu de nouvelles bénédictions
fur les armes de la France dans les
Pays - Bas.
Nos troupes ne connoiffent plus ces longueurs
qu'elles éprouvoient dans les Siéges
fous les Régnes précédens ; la Ville de Namur
& les Forter effes ont cédé en peu de
jours aux attaques d'un Prince , héritier du
courage & de la gloire de fes ancêtres , qui
à peine échappé des portes de la mort , s'eft
livré pour le fer vice de l'Etat à de nouveaux
OCTOBRE 1746. 179
périls , & a mérité notre admiration & notre
reconnoiffance.
La prife de cette Place importante eft le
fruit d'une campagne , où la valeur & le génie
, l'habileté & la prudence ont vaincu l'ennemi
fans le combattre , & l'ont réduit à la
néceffité d'être fpectateur oifif de nos triomphes.
Le Général à qui le Roi a confié le ſoin
de fuivre les opérations qu'il avoit lui- même
commencées avec tant de fuccès , fçait &
gagner des batailles quand il les croit néceffaires
, & négliger l'honneur d'une victoire
quand il peut fans elle obtenir les avantages
qu'elle auroit procurés.
* Dieu eft jufte dans les révolutions des Empires
. Par la conquête de la Flandre , il remet
l'ancien patrimoine de nos Rois entre
les mains d'un Monarque qui ne combat que
pour la paix, & qui a toujours pour * gardes
fideles la bonté , la vérité& la clémence , dont
il fait le plus ferme appui de fon trône.
Puiffe cet événement rappeller nos ennemis
à des fentimens d'équité , propres à réunir
tous les interêts , & à terminer heureu-
* Transfert regna atque conftituit. Daniel. 2 .
* . 21 .
* Mifericordia & veritas cuftodiunt regem , &
roboratur clementiâ thronus ejus . Prov. 10. v . 8.
H vj
180 MERCURE DE FRANCE
fement une guerre qui fait le malheur des
peuples.
Mais ce ne font pas les hommes qui rétabliront
le calme. Nous ne pouvons attendre
ce bienfait que de Dieu feul. * C'eft lui qui a
allumé la colere des Rois , pour punir les
Nations de ce que le feu de fon amour s'éteint
fur la terre.
Travaillons donc à l'appaifer par des facrifices
qui lui foient agréables ; immolons nos
coeurs fur fes autels , en même tems que nous
lui donnerons dans fon Temple des témoignages
publics de notre reconnoiffance
pour
les victoires qu'il nous accorde. Nos voeux
feront écoutés , quand nous lui demanderons
que la paix , après laquelle nous foupirons ,
ne tourne qu'à fa gloire , qu'elle ramene avec
elle l'innocence des moeurs , la véritable
piété , & toutes les vertus qui peuvent nonfeulement
rendre un Empire floriffant , mais
encore nous obtenir cet autre Royaume
qui, comme dit faint Auguftin, n'a pour Roi
que la vérité , pour loi que la charité , & pour
bornes que l'éternité.
Qu'il feroit confolant pour une Eglife affligée
par des coups redoublés , de voir naître
ces jours tranquilles , & de les annoncer
Nonne Dominus ipfe cui peccavimus ? If. 42.
9. 24.
1
S. Aug. Ep. 138. ad Marcell, n . 17.
OCTOBRE 1746. 181
à tout Ifraël ! * Mais il eſt réſervé à un Pontife
pacifique & plein de douceur de chanter
le Cantique de la paix au milieu d'un grand
peuple , qui fait déja fon bonheur de l'avoir
pour Paſteur , & de pouvoir bien- tôt vivre
fous fon gouvernement
. *
A CES CAUSES , pour nous conformer
aux ordres du Roi , nous ordonnons
que le Te Deum , avec le Verfet Benedicamus
Patrem & Filium , & l'Oraifon Pro gratiarum
actione , l'Antienne Domine , falvumfac
Regem , &c. le Verfet Fiat manus tua , &c.
& l'Oraiſon Pro Rege & ejus exercitu , fera
chanté Mercredi prochain douze du préſent
mois d'Octobre , dans notre Eglife Métropolitaine
, en actions de graces de la priſe de
la Ville & Châteaux de Namur . Qu'il fera
pareillement chanté le Dimanche feize d'Octobre
, dans toutes les Abbayes , Chapitres ,
Paroiffes & Communautés Séculieres & Régulieres
de la Ville & des Fauxbourgs de
Paris , & le Dimanche qui fuivra la réception
de notre préfent Mandement , dans toutes
les autres Eglifes du Diocèfe.
SI VOUS MANDONS que ces Prefentes
vous ayez à notifier à tous Abbés, Prieurs,
* Benedicet populo fuo in pace. Pf. 28. v. 11 .
* Erant enim omnes expectantes eum, Luc. 8,
v. 49.
182 MERCURE DE FRANCE,
Curés , Supérieurs & Supérieures des Communautés
exemptes & non exemptes , à ce
qu'ils n'en ignorent. DONNE' à Paris let
dixiéme jour d'Octobre mil ſept cent quarante
- fix .
Par Mandement de Meffieurs les Vicaires
Généraux & Archidiacres ,
ROBERT , Secrétaire.
Le Te Deum fut chanté en conféquence
dans l'Eglife Métropolitaine , auquel l'Abbé
Harcourt officia , & auquel affifterent le
Parlement , la Chambre des Comptes , la
Cour des Aides & le Corps de Ville qui y
avoient été invités de la part du Roi par le
Marquis de Dreux , Grand - Maître des Cérémonies
.
Le foir on tira un feu d'Artifice dans la
Place de l'Hôtel de Ville , & il y eut des illuminations
dans toutes les rues.
L'Evêque de Nantes & l'Evêque d'Avranches
furent Sacrés leg de ce mois dans la
Chapelle de la Congrégation de la Maifon
Profeffe des Jefuites par l'Evêque de Lef
car , affifté des Evêques du Puy & de Saint
Claude.
OCTOBRE 1746.- 187
SapsapsapSapsapsap saps
MANDEMENT de fon Eminence M.
le Cardinal de Tencin , Archevêque & Com
te de Lyon , qui ordonne que le TE DEUM
fera chanté dans toutes les Eglifes de fon Diocèfe,
en actions de graces de laprise de laVille
& des Châteaux de Namur.
ERRE DE GUERIN DE TENCIN , PIERRE
A tous Abbés , Doyens, Chapitres, Prieurs,
Curés , Vicaires & autres Eccléfiaftiques ,
Séculiers & Réguliers , & à tous les Fidéles
de notre Diocèfe : SALUT & Bénédiction
en notre Seigneur .
* Un Prince auffi cher au Roi & à l'Etat
par fes grandes qualités que par fa naiffance
, nous rappelle aux pieds des Autels
mes très chers Freres , pour y
pour y remercier
le Seigneur d'une conquête qui , plus importante
que toutes celles qui l'ont précédée
a cependant été encore plus prompte.
Soyons flatés comme François , d'une cir
conftance qui ajoute un nouvel éclat à la
gloire de nos armes ; ce fentiment n'a rien
Princeps ea quæ digna funt Principe cogita
bit , & ipfe fuper Duces ftabit . If. ch. 32. v.8.
184 MERCURE DE FRANCE.
-
que de légitime. Mais comme hommes &
comme Chrétiens , foyons bien plus touchés
que cette conquête & les autres avantages
de cette Campagne en Flandres , n'ayent
couté que peu de fang à nos ennemis même.
Soyons-y fenfibles encore comme Sujets du
plus humain de tous les Monarques . * Le titre
faftueux de Conquérant qu'a confacré
l'admiration du vulgaire auffi aveugle fur
fes propres interêts que fur le véritable héroïfme
; ce titre fouvent auffi incompatible
avec la juftice qu'avec l'humanité ; quelquefois
même auffi chérement payé par les vainqueurs
que par les vaincus , le Roi ne l'a jamais
ambitionné : * jamais il n'a oublié que
les dernieres paroles de fon illuftre bifayeul ,
furent des confeils d'éviter la guerre , &
d'humbles aveux de l'avoir trop aimée. Il
fçait que la France , l'Europe entiere les recueillirent
avec tranfport , & qu'elles en conçurent
les douces espérances d'un régne pasique.
Puiffent ces efpérances , templies
* Salomon habebat pacem ex omni parte in cir-
& erat fapientior cunctis hominibus . cuitu . ...
3. Reg. c . 4. v. 24.
* Ante mortem fuam vocavit Salomonem filium
fuum ... dixitque David ; Fili mi... factus eft
fermo Domini ad me dicens ; multum fanguinem
effudifti , & plurima bella bellafti.... Filius qui
nafcetur tibi , erit vir quietiffimus ... & ob hanc
saufam pacificus vocabitur. Paralip , 22. v.5.&sej,
OCTOBRE 1746. 185
pendant un fi grand nombre d'années , l'être
bien-tôt encore par le retour de la Paix !
Puiffe Sa Majefté , n'étant plus , forcée de
vaincre , mettre déformais toute fa gloire à
gouverner & à faire la félicité d'un peuple
qui par fon zéle & fon amour , lui procure
alle-même la gloire la plus précieuſe &
le plus grand bonheur des Rois !
A CES CAUSES &c. و
ARREST du Confeil d'Etat du Roi ;
qui déclare nulle une faifie de Piaftres faite
à Bayonne , à la requête des Officiers de la
Monnoye, fur le fieur de la Barde Négociant
de cette Ville ; & condamne le fieur Arnaud
, Directeur de ladite Monnoye , en
trois mille livres de dommages & interêts ,
&c.
E Roi étant informé qu'au préjudice de la
Ldifpofition de l'Arrêt du Confeil du 4 Novem
bre 1727 , par laquelle Sa Majefté auroit expreffément
déclaré qu'Elle n'entendoit point interdire
le Commerce des piaftres & réaux d'Eſpagne
aux Négocians qui ont coûtume de le faire , les
Officiers de la Cour des Monnoyes de Bayonne
ont faifi le 18 Juillet dernier , en conféquence du
Réquifitoire du fieur Arnaud , Directeur de ladite
Monnoye , fur le fieur Jofeph la Borde , Négo
188 MERCURE DE FRANCE.
ciant de ladite Ville , une partie de feize cent
quarante trois mares une once & douze deniers
de piaftres , & autres matieres d'argent qu'il fe
propofoit de faire paffer à Lyon , defquelles efpéces
& matieres le Juge- Garde & Contrôleur dé
ladite Monnoye a prononcé la confifcation par
fon Jugement du 19 du même mois , lequel Juge
ment a depuis été exécuté par la fonte desdites
efpéces & matieres par ledit fieur Arnaud ; à quoi
Sa Majefté jugeant néceffaire de pourvoir. Vûledit
Arrêt du 4 Novembre 1727 , le Réquifitoire
dudit Arnaud , le procès-verbal de faifie deſdits
Officiers , celui de péfée & eftimation desdites
efpéces & matieres , & ledit Jugement du 19
Juillet , enfemble les Mémoires fournis , tant de
la part dudit fieur la Borde que dudit Arnaud . Vâ
pareillement l'avis du fieur Intendant & Commiſ
faire départi dans la Généralité d'Auch , & celui
des Députés au Bureau dufCommerce . Qui le Rap
port du fieur de Machault , Confeiller ordinaire au
Confeil Royal , Contrôleur Général des Finances.
LE ROI E'TANT EN SON CONSEIL ,
fans avoir égard audit procès-verbal de faifte & au
Jugement rendu en conféquence , que Sa Majefté
a déclarés nuls & de nul effet , enfemble tout ce
qui s'en eft enfuivi , a fait & fait pleine & entiere
main- levée audit la Borde , defdits feize cent qua→
rante - trois marcs une once & douze deniers de
piaftres & autres matieres d'argent ; en conféquence
condanme ledit Arnaud , & par corps , à en
payer dans le jour de la fignification qui lui fera
faite du préfent Arrêt , le montant audit la Borde ,
fur le pied de leur valeur au cours de la place de
Lyon le 18 dudit mois de Juillet : Condamne auffi
Sa Majefté ledit Arnaud en trois mille livres de
dommages & interêts envers ledit la Borde , au
OCTOBRE. 1746. 187
payement defquelles il fera pareillement contraint
par toutes voyes dues & raiſonnables , même par
corps. Ordonne en outre Sa Majesté qu'à compter
du jour de la fignification qui lui fera faite du préfent
Arrêt , ledit Arnaud demeurera interdit de
toutes fonctions de fon Office de Directeur . Enjoint
Sa Majesté au Sieur Intendant & Commiffaire
départi en la Généralité d'Auch , de tenir la main
à l'exécution du préfent Arrêt , qui fera lú , publié
& affiché par-tout où befoin fera . FAIT au Con
feil d'état du Roi , Sa Majefté y étant , tenu à Ver
failles le dix-neuviéme jour de Septembre mil ſept
cent quarante-fix .
Relation de cequi s'eſtpaffé à l'Orient le 10 Odobré.
'Eſcadre Angloife fur laquelle on avoit
L'embarqué les troupes deftinées à faire
une deſcente en France , partit de Plymouth
le 26 du mois dernier. Cette Efcadre compofée
de cinquante - quatre vaiſſeaux , tant
de guerre que de tranfport , de plufieurs
frégates & brigantins , & de deux galiotes à
bombes , parut le 30 à la hauteur d'Oueffant
& elle mouilla le premier de ce mois dans la
Baye du Poulduc. M. de Sainclair , Commandant
des troupes qui étoient fur cette
flotte , commença le même jour à faire débarquer
cinq mille hommes , lefquels s'emparerent
le foir du Château de Coidor , éloigné
de l'Orient d'environ deux lieues , Le 2
1
188 MERCURE DE FRANCE.
le refte des troupes Angloifes , qui fe mon
toit à deux mille homines , étant débarqué
, les ennemis marcherent du Château du
Cóidor , & allerent occuper le Moulin de la
Montagne & du Bourg de Plomeur à une
lieue de l'Orient. Ils s'emparerent le 3 du
Bourg de Guidel , & ce fut entre ces deux
Bourgs qu'ils commencerent à former un
Camp où ils fe retrancherent. Le 4 ils fi
rent avancer du canon , & ils envoyerent
fommer la garnifon de cette Ville de fe rendre.
M. de Sainclair ayant paru déterminé à
exiger qu'on s'en remit à la difcrétion , on
ne fongea plus qu'à trouver les moyens de
réfifter aux efforts des Anglois. Pendant que
les Habitans , aidés de quelques Compagnies
de Cavalerie & de Dragons , & des
Compagnies des Milices Gardes-Côtes qu'on
avoit fait entrer fe mettoient en état de fe
deffendre , les ennemis continuerent de s'approcher.
S'étant contentés le 5 de tirer quelques
coups de canon , ils commencerent le
lendemain à fortifier un nouveau Camp qu'ils
avoient pris à un quart de lieue , & ils établirent
contre la Ville une batterie de quatre
canons & d'un mortier, Le Comte de Voluire
, Maréchal de Camp , qui commande dans
cette Province étant arrivé le 5 , il reconnut
les difpofitions déja faites pour la deffenfe
de cette Ville , & il donna fes ordres pour
OCTOBRE 1746. 18
l'établiffement de trois differentes batteries ,
compofées de vingt-fix piéces de canon . Le
7 à la pointe du jour , les Anglois jetterent
quelques bombes dans la Ville , & ils l'attaquerent
par un feu auffi vif qu'il leur étoit
poffible , avec le peu qu'ils avoient d'artillerie.
Ils continuerent ce feu jufqu'à la nuit ,
mais les batteries de la Ville furent fervies
avec tant de vivacité & de fuccès , que les
ennemis ne pouvant y réfifter , prirent le
parti de fe retirer. On jugea par la ceffation
de leur feu qu'ils s'étoient éloignés , & le
Comte de Voluire ayant envoyé un détachement
reconnoître leur Camp , il apprit
le foir qu'ils avoient abandonné leurs canons
& un mortier , & qu'ils étoient allés reprendre
leur pofte au Château du Coidor. Le
8 on fut informé que ces troupes fe rembarquoient
, & l'on a fçù qu'elles l'étoient entierement.
.
Il y a une erreur de nom dans le Mercure
du Mois précedent Page 144 ligne 1 3
& C'eft au Comte de Lomont Lieutenant au
Regiment du Roi Infanterie , aide- Major
Général de l'Armée de Flandre & fils de
M. le Marquis du Chatelet que fa Majefté
à donnél'Agrément du Regiment du Quer-
Y
190 MERCURE DE FRANCE.
•
- apo jo jo jo gje ✡ †
OPERATIONS DE L'ARME’E
DU ROL
De Namur le 11 Septembre.
Onfieur de Crommelin qui commandoit dans
cette Ville pendant le fége ayant fait arbe
şer le 19 de ce mois le drapeau blanc , on a figné
la Capitulation, par laquelle on eft convenu qu auffi
-tôt après la fignature les Portes de Bruxelles &
de Saint Nicolas feroient remifes aux troupes du
Roi , & que la garniſon feroit obligée de ſe retirer
pendant les deux jours fuivans dans les Châ
teaux , avec les Domestiques , équipages & effets .
qui lui appartiennent que les munitions de guerre
& de bouche , qui étoient dans la Ville , ne pourroient
être tranfportées dans les Châteaux , &
qu'elles feroient livrées aux Commiffaires , prépofés
par le Comte de Clermont pour les recevoir ;
que le Prince de Gauye , Gouverneur & Grand
Bailly du Comté de Namur , pourroit fe retirer où
il jugeroit à propas avec fa famille , ſes domeft –
ques , fes équipages , & les feuls papiers qui con- .
cernent fes affaires particulieres ; que pour les
Officiers & Soldats bleffés , tant de la garnifon
que de l'armée commandée par le Prince Charles de
Lorraine , qui étoieut dans la Ville , on fe con- .
formeroit au Cartel de Francfort , ainfi que pour ,
Les Médecins , Chirurgiens , Apoticaires , & Entre
OCTOBRE 1746. 191
preneurs des Hôpitaux ; que les prifonniers faite
de part & d'autre pendant le fiége , feroient échan
gés ; que pendant les deux jours accordés à la gar
nifon pour le retirer dans les Châteaux , il n'y au
roit aucun acte d'hoftilité ; que lorsque les Châ
teaaux feroient attaqués , la Ville pourroit tirer
fur les Châteaux , & les Châteaux fur la Ville.
Hier à la pointe du jour les Compagnies de Gre
nadiers du Régiment de Picardie occuperent les
deux Portes , qui devoient être remifes aux A
fiégeans.
Du Camp de Fongres le 25 Septembre.
Le Comte de Clermont depuis la prife de la
Ville de Namur n'ayant plus befoin de toutes les
troupes avec lesquelles il avoit le fiége de cette
Place , ce Prince fit marcher le 20 de ce mois le
Comte de Segur avec dix-neuf Betaillons & un pareil
nombre d'Eſcadrons , pour ſe rendre à Breff ,
où ces troupes arriverent le 21. Le lendemain le
Comte de Segur reçut ordre de s'approcher de
l'armée commandée par le Maréchal Comte de
Saxe , & de venir camper le même jour la gau
che au Jar , & la droite le long de la Chauffée
de Saint Tron. Ce Lieutenant Général féjourna
le 23
à Oreille , & ayant laiffé un Détachement
pour la fûreté d'un convoi qu'il attendoit le 25
il s'avança le 24 entre le Jar & le ruiffeau des
Freres. Il devoit aller prendre pofte au delà de ce
ruiffeau , mais fa pofition a été changée , parce
qu'avant fon arrivée les Hollandois ont paffé le
Jar , & ont établi leur Camp le long du Ravin
de Slings . Le Maréchal Compte de Saxe croyant
que ce Camp n'étoit compofé que de troupes lé
geres a marché ce matin pour l'attaquer , mais les
194 MERCURE DE FRANCE
approches en étant trop difficiles , il a renoncé à
ceprojet . Dans un mouvement que l'armée a fait le
17 le Marquis de Berville Brigadier , à la tête d'un
Détachement de douze Compgnies de Grenadiers
, de deux cens Carabiniers , de deux cens
Dragons & d'un pareil nombre de Huffards , s'eft
emparé d'un Village où l'on a fait plufieurs prifonniers.
Du Camp devant les Châteaux de Namur
le 28 Septembre.
Quarante-une piéces de canon & tente- fix
mortieres des batteries , établies fur les remparts
de la Ville de Namur , ayant commencé le 24
de ce mois fur les deux heures après-midi à tirer
contre les Châteaux , on fit la nuit fuivant l'outure
de la tranchée à deux attaques , dont l'une
eft du côté du Vieux-Mur & l'autre vers l'Abbaye
de Salfine . Le fieur de Primlet , Capitaine dans
le Régiment d'Enguien , fut tué à la feconde attaque
, & à la premiere le fieur de Blauzi , Officier
d'artillerie a été bleffé , ainfi que le fieur de la Pollerie
, Capitaine dans le Régiment de Dragons
Meftre de Camp Général , & M. de Floberg , Ingénieur
en Chef & Lieutenant Colonel au fervice
de Sa Majefté Catholique , lequel a reçu un coup
de fufil an travers du corps . Ce dernier Offiçier eft
le même qui l'année derniere n'étant à la tête que
de cent hommes s'eft emparé de Pavie. Il a fervi
comme Volontaire aux fiéges d'Anvers , de Mons ,
de Charleroy & de Namur , il a été chargé pendant
ce dernier fiége , de conduire douze Compagnies
de Grenadiers par la brêche à l'affaut de l'ouvrage
à Corne de la Porte Saint Nicolas. Le 26 la premiere
attaque fut prolongée jufqu'au delà du Fort
Camus
OCTOBRE 1746. 193
Camus , & l'on embraffa par la parallele une redoute
fituée fur la gauche , contre laquelle deux
piéces de canon , placées en barbette , tirerent
pendant toute la nuit. A la feconde attaque après
avoir débouché de la premiere parallele , on travailla
à l'établiſſement d'une batterie deftinée à
ruiner la porte baffe de Terre- Neuve . Les Affié -
gés firent un feu très-vif , & ils démafquerent quatre
embraſures fur la Capitale à droite & à gauche
du Fort Camus. La batterie commencée le 26 fut
perfectionnée le lendemain , auffi - bien qu'une de
dix mortiers placée vis - à- vis le Fort d'Orange . On
prolongea de cinquante toifes la parallele de la
premiere attaque , & l'on pouffa un boyau fur
l'angle faillant du chemin couvert jufqu'à quatre
toifes de la paliffade. Les Travailleurs de l'au
tre attaque formerent la droite d'une feconde parallele
, & ouvrirent deux boyaux qui s'étendant le
long de la Sambre , fe terminent à la montagne.
M. de Vaubrun & M Sallier Ingénieurs , & M.
de la Bafonniere , Capitaine dans le Régiment de
Cambrefis , ont été le premier tué & les deux au
tres bleffés , Le feu des Affiégés plongeant un boyau
de double Sappe à l'attaque du côte de l'Abbaye
de Salfine , on y a fait cette nuit dix- huit traverfes
tournantes , & à cette même attaque on a attaché
le Mineur à l'angle faillant de l'ouvrage qui
couvre le Fort Camus . A l'attaque de la droite on
a débouché par un boyau qui longe la branche du
chemin couvert du Fort , & qui embraffe l'angle
de la Capitale. Deux nouvelles batteries , l'une
de huit piéces de canon , l'autre de fix mortiers ,
tirent depuis ce matin . Cette nuit Meffieurs de
Saune & de Narbonne , Capitaines dans dans le
Régiment de Monaco ; M. de Court , Capitaine
dans le Régiment de la Cour-au-Chantre, & M , de
I
194 MERCURE DE FRANCE.
Brionville ont été bleffés , & le premier a eu les
deux jambes emportées d'un coup de canon .
Du Camp fous Namur le 2 Octobre.
Les troupes qui après avoir deffendu la Ville de
Namur s'étoient renfermées dans les Châteauxayant
été obligées d'arborer le drapeau , on eft convenu
par la Capitulation qui fut fignée avant-kier , qu'elles
fe rendroient prifonnieres de guerre , & que
demain elles fortiroient par la porte du bord de
l'eau , & mettroient les armes bas à la Barriere ,
après quoi elles pafferoient la Sambre au Pont de
Salfines , d'où elles iroient avec eſcorte par la
chauffée , la premiere journée à Gemblours , & la
feconde à Mons ; qu'il leur froit fourni aux frais
du Pays , foit par eau , foit par terre , tous les fecours
, dont elles auroient befoin , & qu'il feroit
permis aux Officiers d'emporter les équipages &
effets qui leur appartiennent ; qu'auffi - tôt après la
Capitulation fignée , tous les ouvrages extérieurs
feroient remis aux Affiégeans , ainfi qu'une Porte
des Châteaux au choix du Comte de Clermont ,
& que l'artillerie & les magaſins feroient livrés
aux Commiffaires d'artillerie & aux Commiffaires
des guerres , que ce Prince nommeroit pour les
recevoir ; que tous les prifonniers faits par les Affiégés
pendant le fiége de la Ville & pendant celui
des Châteaux , en quelque occaſion ou dans
quelque pofte que ce pût être,feroient mis en liberté
, & que perfonne de part ni d'autre ne pourroit
entrer dans la Ville ni dans les Châteaux qu'après
l'expiration du terme donné pour la fortie de la
garnifon . Hier on ajouta à la Capitulation un fupplément
, par lequel il a été réglé que la garnifon
laifferoit en êtages un Officier Major d'un Régi-
1
OCTOBRE 1746 . 195
ment , un Capitaine & un Auditeur pour la fûreté
du payement des dettes du Fifc & de celles des
troupes; qu'un tiers des Officiers pourroit fe retirer
fur leur parole d'honneur où ils jugeroient à propos ;
qu'on accorderoit la même liberté à tous les Officiers
de l'Etat Major de la Ville & des Châteaux , &
qu'on leur expédieroit les paffeports néceffaires .
Du Camp de Tongres le 8 Octobre.
Les ennemis étant décampés la nuit du 6 au 7 de
ce mois , le Maréchal Comte de Saxe fit battre
hier au matin la Générale , & l'armée ſe mit en bataille
à la tête de fon Camp. Le Marquis de Sallie
res avec deux Brigades d'Infanterie & deux mille
hommes de Cavalerie s'avança en même- tems de
Bilfen jufqu'à la Grande Commanderie des Vieux-
Tours. Un autre Corps fous les ordres du Comte de
la Mothe Houdancourt , alla joindre le Marquis de
Clermont Gallerande au Tongelberg , & ces deux
Lieutenans Généraux fe porterent avec leurs troupes
fur les hauteurs du Jar dans le camp que les Alliés
avoient abandonné . Pendant que ces difpofitlons
ſe faifoient à la rive gauche du Jar , le Maréchal
Comte de Saxe ordonna au Marquis de Chazeron
& au Comte d'Eftrées de paffer le ruiffeau
des Freres avec les Corps qu'ils commandoient, &
au Comte de Clermont Tonnerre de paffer le Jar
avec la Maiſon du Roi , la Gendarmerie , les Carabiniers
, quatre Brigades d'Infanterie , un Détachement
des Volontaires Royaux & de l'artillerie.
On trouva au-delà de la plaine en avant du
ruiffeau des Freres , de l'autre côté d'un Ravin, fept
à huit mille hommes des ennemis en bataille , ma's
le feu de l'artillerie les obligea de fe replier à la
hauteur du Village de Selingen, Le Maréch: 1
Iij
196 MERCURE DE FRANCE.
Comte de Saxe ayant faifi ce moment pour paffer
le Ravin à la tête des Régimens d'Infanterie d'Alface
& de Monnin , des Carabiniers , des Régimens
de Cavalerie de Saint Jal , de Vintimille
& de Rozen , & des Volontaires Royaux , il trouya
l'armée entiere des Alliés campée fur deux lignes
, ayant devant fa droite & fa gauche deux
Ravins impraticables & le Village de Selingen au
centre. Comme il étoit trop tard pour faire avancer
de nouvelles troupes , ce Général fe contenta
d'obferver les ennemis jufqu'au coucher du ſoleil
après lequel il fe retira en bon ordre fans être inquietté.
Ainfi toute la journée ſe paſſa à ſe canonner
de part & d'autre , mais avec beaucoup d'avantage
du côté des François. Quelques Efcadrons
ennemis qui voulurent s'emparer d'une de nos batteries
, furent chargés & mis en déroute par les
Volontaires Royaux, L'armée a repris aujourd'hui
fon ancien Camp , la droite à Saint Tron vers la
chauffée de Liege , & la gauche à Tongres , le Jar
en avant de la premiere ligne,
Du Camp de Varoux.
Depuis le 13 de ce mois que le Roi a reçu par le
Marquis d'Armentieres la premiere nouvelle de la
Victoire remportée le 11 à Raucoux par les trou
pes de Sa Majefté fur l'armée des Alliés , on a eu
le détail de plufieurs circonstances qui la rendent
beaucoup plus avantageufe qu'on ne l'avoit crû
d'abord.
Le Maréchal Comte de Saxe , lequel avoit formé
depuis long-tems le projet de forcer les ennemis
à repaffer la Meuze , ayant été informé que le
de ce mois le Prince Charles de Lorraine avoit
quitté le camp d'Elderen , pour en prendre un nou
7
CCTOBRE 1746. 197
veau en appuyant ſa gauche à Grace au- deſſus de
Liége & fa droite au-delà de Houtain vets le Jar ,
il réfolut d'attaquer les ennemis. Le to il fit mar◄
cher l'armée fans équipages , & ayant paffé le Jar,
ilcampa le même jour entre les deux chauffées qui
conduisent à Liege , fa droite appuyée à la chauffée
de Saint Tron à Liege , & le Village de Sehendermale
étant au centre de la ligne , dont la gauche
débordoit la chauffée de Tongres à Liege.
Un Corps de réſerve prit fon camp en troifiéme
ligne derriere le Village de Houté , où le quarties
général avoit été établi , & un autre Corps de réferve
commandé par le Marquis de Contades.
campa en quatriéme ligne . Les troupes détachées
aux ordres du Comte de Clermont , & celies
commandées par le Comte d'Eftrées , camperent
en avant de l'armée fur la chauffée de Saint Tron
à Liége. Le Marquis de Clermont Gallerande
avec les troupes qui étoient à fes ordres , fut pla
cé à la gauche , ainfi que le Comte de Mortaigne.
Le Maréchal Comte de Saxe s'occupa pendant
tout le jour à reconnoître la pofition des
ennemis , qui occupoient les hauteurs , ayant leur
gauche à Ance & dans le Fauxbourg de Sainte
Valburge , & dépaffant par leur droite la Cenfe
d'Enick qu' Is avoient laiffée devant eux. Il regia
fes difpofitions fur leur fituation , & après avoir
donné fes ordres aux Officiers Généraux , deft
nés a commander les differentes attaques des Villages
que les Alliés occupoient , il prit les précautions
les plus capables d'affûrer le fuccès de
fon projet. Le 11 à la pointe du jour , on battit
la Generale , & deux heures après , toutes les
troupes s'étant mifes en mouvement , l'armée
marcha fur dix colonnes paralleles jufqu'à la
hauteur du Village de Lontain qui avoit été 2
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
donné pour point de direction de la marche de
chaque Colonne. Lorſque l'armée fut arrivée dans
l'endroit d'où l'on devoit marcher aux ennemis
la Cavalerie des deux aîles fe mit en bataille , &
l'Infanterie chargée des attaques refta en Colonne
par Bataillons. Les ennemis , ayant fait en même
temps leurs difpofitions , s'avancerent à cinq cent
pas ou environ du front de leur camp , en confervant
toujours les differens poftes qu'ils avoient
fur les hauteurs . Vers midi le feu du canon placé
à notre droite commença , & il dura avec
beaucoup de vivacité jufqu'à deux heures , que le
Comte de Clermont & le Comte d'Eftrées marcherent
avec les Brigades de Picardie , de Champagne
, de Monaco , de Segur , de la Ferre , & .
de Bourbon , au Fauxbourg de Sainte Valburge
& au Village d'Ance , d'où les ennemis furent depoftés
prefque auffitôt que l'attaque en fut formée ,
n'ayant pû réfifter à l'ardeur & au courage avec
lefquels l'Infanterie fe porta à cette attaque
dans laquelle il y a eu beaucoup d'Officiers &
de Soldats tués du côté des Alliés . Le Marquis
de Maubourg , chargé de la feconde attaque
qui étoit celle du Village de Varoux
marcha vers les deux heures & demie avec les Brigades
d'Orleans , des Vaiffeaux , de Beauvoifis &
de Rouergue , & il y fit attaquer les hayes , derriere
lefquelles les ennemis étoient retranchés. Elles
furent emportées par la valeur de nos troupes malgré
la réfiftance des Alliés , qui les ayant défendues
avec beaucoup de courage , y ont fait une
perte très considérable. Le Marquis de Maubourg
eut un cheval tué fous lui à cette attaque . Le Marquis
d'Herouville , Lieutenant Généra , chargé de
celle du Village de Raucoux , la commença vers les
rois heures avec les Brigades de Navarre , d'Au-
2 y
OCTOBRE 1746. 199
l'arvergne
, de Royal & de Montmorin . Le feu prodigieux
de l'artillerie , que les ennemis avoient dans
ce Village , ébranla un inftant ces Brigades dans
leur marche , mais s'étant ralliées , elles attaquerent
ce Village avec la plus grande intrépidité , & elles
s'en emparerent après avoir tué ou fait prifonniers
préfque tous les Soldats qui le défendoient. Le
Marquis de Clermont Gallerande , qui étoit entre
le Village de Varoux & celui de Liers , joignit
pendant l'attaque le Corps qui étoit fous fes ordres,
à celui commandé par le Marquis d'Herouville . Le .
Maréchal Comte de Saxe avoit fait avancer fix Bataillons
pour aller chaffer les ennemis de deux redoutes
qu'ils avoient fur les hauteurs , mais ayant
fçu qu'ils les avoient abandonnées , il n'y fit point
marcher ces Bataillons . Pendant cette action ,
tillerie placée en avant de l'armée ne ceffa pas un
moment de tirer , & elle jetta beaucoup de défordre
dans la Cavalerie Hollandoife , dont la fuite
précipitée mit une extrême confufion dans le refte
de l'armée , laquelle abandonnant la plus granpartie
de fon artillerie , ne fongea qu'à feretirer par
les derrieres du Village de Liers. Il étoit cinq heures
lorfque les ennemis étant chaffés de tous leura
poftes le Maréchal Comte de Saxe donna ordre à la
Cavalerie de les pourſuivre , mais la nuit étant furvenue
& deux Ravins impraticables ayant empêché
de les joindre , on fe contenta de les canonner dans
leur retraite qui leur a couté beaucoup de monde ,
par l'attention qu'eut le Comte d'Eftrées de faire
avancer des troupes légeres vers leurs Ponts. La
perte que les Alliés ont faite dans cette Bataille ,
monte fuivant ce qu'on en a appris à plus de treize
mille hommes , en ajoutant '. â ceux qui ont été
tués pendant l'action , 300 prifonniers & ceux
qui ont péri dans leurs rétraite. On leur a pris neuf
200 MERCURE DE FRANCE.
Drapeaux , un Etendart , & foixante & quatre piéces
de canon , indépendamment de celles qu'ils ont
jettées dans l'eau. Nous avons eu mille hommes de
tués & deux mille bleffés , dont le plus grand nombre
l'eft legerement. Le Marquis de Fenelon
Lieutenant Général , eft mort du coup de canon
qu'il a reçu à la jambe. Le Prince de Monaco , le
Marquis de Laval , & M. Bonavanture , Brigadiers ;
le Marquis de Vaubecourt , le Marquis de Bezons ,
le Marquis de Segur , le Comte de Bafleroy , M de
Lugeac , le Comte de Montmorin & le Comte de
la Tour d'Auvergne , Colonels ont été bleffés. Le
Maréchal Comte de Saxe a dans cette occafion par
faitement rempli ce qu'on pouvoit attendre de fes
talens pour la guerre & de fon zele pour la gloire
des armes du Roi . Le Comte de Clermont y a donné
de nouvelles preuves de fon courage . Les Officiers
Généraux aufquels la conduite des differentes
attaques a été confiée , ceux qui ont eu part à l'exécution
, les Commandans des Corps , & généralement
tous les Officiers , par les grands exemples
qu'ils ont donnés de valeur & d'intrépidité aux troupes
, ont contribué avec la même ardeur au fuccès
de cette action , qui fait un grand honneur à l'Infanterie
Françoife.
CTOBRE 1746. 201
NOUVELLES ETRANGERES.
CONSTANTINOPLE.
E Grand - Vifir étant mort , fon Kiaya a été
nommé pour lui fucceder , & la place de ce
dernier a été donnée par le Grand - Seigneur à
Said-Effendi , qui a été Ambaſſadeur de Sa Hauteffe
auprès du Roi.
ALLEMAGNE.
On a reçû avis à Vienne que la troifiéme colonne
du nouveau Corps de Croates & de Wara
dins , qui a eu ordre de fe rendre en Italie , étoit
arrivée à Bolfano dans le Tirol le 24 du mois de
nier. Cette colonne & celle dont elle eft fuivie , font
compofées de deux mille cinq cent quarante hommes
, & le bruit court que la Reine ſe propofe
d'envoyer encore en Italie un autre corps de fix
mille Efclavons . Le 5 du mois dernier le Baron de
Trenck , qui eft fort incommodé , fut transféré de
la prifon de Stockans à l'Arſenal , & l'on a remis
en liberté fon Lieutenant Colonel & fon Adjudant,
fur les preuves qu'ils ont données de leur innccence.
CeBaron ayant obtenu qu'on fit la révifion de
fon procès, les nouveaux Commiffaires , que laReine
lui a donnés , font le Feldt- Maréchal Comte de Konigſeg
, les Généraux Wallis , Ballayra & de Fin ,
M. de Turba , Conſeiller du Conſeil de Régence de
Bohême , & M. de Doppelhoften , Référendaire du
même Royaume . Le fils du Comte de Harrach ,
marchant une nuit dans la rue fans domeſtiques
γι
202 MERCURE DE FRANCE,
す
avec le Comte de la Lippe Buckebourg , fut
bleffé de deux coups très - dangereux par quatre
affaffins . Le Comte de la Lippe , après avoir tué
l'un de ces affaffins , & mis les autres enfuite , fit
porter chez lui le Comte de Harrach , parce que
celui-ci étoit trop éloigné de l'Hôtel du Comte
fon pere , & l'on efpére que les bleffares de ce
jeune Seigneur n'auront aucune fuire fâcheufe .
Il a été réfolu de tirer des Pays Héréditaires24000
mille hommes de recrues , & les Etats de la Baffe
Autriche ont déja donné les ordres néceffaires pour
tenir prêt le contingent qu'ils doivent fournir
Les mêmes Etats remirent avant- hier à la Caiffe
militaire cinq cent mille florins fur le même ſubfide
qu'ils ont accordé à Sa Majesté.
Suivant les avis reçûs de Hambourg les Juifs
qui y font établis ayant demandé la permiffion d'y
faire bâtir une Synagogue , les Magiſtrats de la
Ville y avoient confenti , mais la populace en a
témoigné tant de mécontentement , qu'on a été
obligé de deffendre aux Juifs de continuer la conftruction
de cet édifice . Les nouvelles de Drefde
portent que le 12 le Roi de Pologne , Electeur de
Saxe eft parti pour ſe rendre à Warfovie , & que
quelques jours auparavant , le Miniftre qui réfide
de la part du Roi de la Grande- Bretagne auprès
de ce Prince , lui avoit préfenté M. de Villiers ,
Miniftre de Sa Maje fté B irannique auprès du Roi
de Pruffe. On apprend de Berlin que Sa Majesté
Pruffienne , qui jouit à préfent d'une auifi bonne
fanté qu'on puiffe le défirer , y revint le 13 de
Potfdam ; que le lendemain elle y donna audience
à plufieurs Miniftres Etrangers , qu'elle dîna enfuite
avec la Reine & les Princes & Princeffes
de la Famille Royale chez la Reine Douairiere ,
& que le 16 elle retourna à Potſdam avec les
Princes Henri & Ferdinand .
OCTOBRE 1746. 203
Selon les lettres écrites de Coppenhague , le Roid
Dannemarck a réfolu de fuivre la négociation commencée
par le Roi fon pere , pour la conclufion
d'un Traité de commerce avec l'Eſpagne . CePrince
a pris pour devife cette maxime : Prudens refpicit
finem . Un courier arrivé de Paris a apporté à lAbbé
le Maire chargé des affaires du Roi à la Cour de
Dannemarck des dépêches qui ont pour objet la
confirmation des engagemens pris par le feu Roi
avec Sa Majesté .
On écrit de Francfort que le 25 du mois paffé
le Cercle du Haut-Rhin a reçu des lettres Réquifi -
toriales de la République des Provinces Unies ,pour
le paffage des troupes Bavaroifes qu'elle a prifes à
fon ſervice , & en conféquence les ordres on: été
expédiés pour fournir les logemens & les fubfif
tances à ces troupes , parmi lesquelles la défertion
eft fi confidérable , qu'elles font diminuées prefque
de moitié. Le Régiment des Gardes de l'Electeur
de Baviere & le Régiment de Seckendorf
ont parlé ici il y a quelques jours , pour ſe rendre
dans les Pays - Bas . Les nouvelles de Ratisbonne
portent que les Miniftres de la Diette de l'Empire
s'étoient affemblés le 18 du mois dernier pour la
premiere fois depuis les vacances , & qu'il devoit
paroître un nouveau Décret de Commiffion du
Grand Duc de Tofcane concernant la fureté de
P'Allemagne ; mais que le bruit couroit qu'on dif
féreroit de le publier jufqu'à ce qu'on eut vû le
fuccès des conférences qui doivent fe teair à Breda.
On mande de Munich que l'Electeur de Ba
viere y eft revenu le 13 , que le lendemain il
avoit donné audience au Baron d'Aylva , Miniſtre
Plénipotentiaire des Etats Généraux des Provin
ces-Unies .
Il paroît ici des copies de la réponſe de la Reine
204 MERCURE DE FRANCE .
de Hongrie à la demande faite par le Roi de Pruffe
touchant la garantie qu'il veut obtenir de l'Empire
pour la Siléfie . Quoique cette Princeffe ſe ſoit
engagée par l'article IX . du Traité de Drefde ,
de faire accorder cette garantie à Sa Ma efté Pruffienne
, le Confeil de Vienne élude actuellement
cette promeffe fous divers prétextes , dont il n'avoit
point été queftion lorfque le Traité a été conclu
& ratifié .
Les lettres de Stockholm marquent que le 14
du mois paffé le Baron de Korff , Miniftre de l'Impératrice
de Ruffie , avoit préfenté un Mémoire au
Roi de Suéde , à l'occafion du bruit qui s'est répandu
que cette Princeffe favorifoit un prétendu
Parti , formé pour changer l'ordre établi par les
Etats de Suéde pour la fucceffion à la Couronne .
11 eft dit dans ce Mémoire que ce bruit eſt ſemé
par des perfonnes ennemies de la tranquillité du
Nord , & qu'il n'a d'autre fondement que leut défir
de faire ceffer la bonne intelligence entre les
Puiffances ; que l'Impératrice de Ruffie , bien éloignée
de donner la moindre atteinte à un arrangement
qu'elle même avoit défirée , & que par conféquent
elle ne pouvoit voir qu'avec plaifir , étoit
réfolue de contribuer de tout fon pouvoir à le
maintenir , & d'entretenir avec la Suéde une parfaite
union . On mande de Warfovie que l'ouverture
de la Diette générale du Royaume de Pologne
a été fixée au 3 de ce mois , & qu'il s'étoit
déja tenu en préſence de Sa Majefté Polonoife plufieurs
conférences pour délibérer fur les affaires
qui doivent être décidées dans cette aſſemblée,
Les Diettes particulieres de plufieurs Palitinats s'étant
féparées fans rien terminer , ces Palatinats
avoient demandé la permiffion d'en convoquer de
nouvelles , mais le Roi de Pologne Electeur de
t
OCTOBRE 1746. 205
Saxe n'a pas crû devoir y confertir . Sa Majesté
Polonoife a accordé au Prince Lubomirsky , Porte
Epée de la Couronne , la Charge de Grand Maître
de l'Artillerie , vacante par la mort du Général
Ribinsky.
On mande d'Alger que quatre vaiffeaux de guerre
dont on ne connoiffoit point le pavillon , étant
venus mouiller le premier de ce mois à l'entrée de
la Baye de cette Ville , le Dey envoya fçavoir de
quelle Nation étoient ces bâtimens , & quel étoit
le fujet de leur arrivée . Sur le rapport qui lui fut
fait qu'ils appartenoient au Roi de Dannemarck ,
qui avoit chargé le Commandant de cette Eſcadre
de conclure un Traité avec la Régence , le
Chancelier du Dey alla par fon ordre dire à ce
Commandant qu'on écouteroit volontiers fes propofitions.
Le jour fuivant un des Officiers de l'Efcadre
vint à terre , & il fut conduit à l'audience
du Dey , auquel il déclara de la part du Comte de
Dannekiold , qui commande l'Eſcadre Danoiſe
que le Roi de Dannemarck défiroit que Les Sujets
puffent naviguer dans la Méditerannée , fans être
inquiétés par les Corfaires Algériens. Auffi - tôt le
Dey affembla le Divan , qui décida qu'on pouvoit
confentir à la demande de Sa Majesté Danoiſe ,
en confidération des avantages qu'elle offroit de
fon côté de procurer à la République. Le 4 le
Traité fut figné , & l'on eft convenu par les deux
premiers articles , que les Algériens ne troubleroient
à l'avenir en aucune maniere la navigation
des vaiffeaux qui porteroient pavillon de Dannemarck
ou de Norwege , pourvû que les Commandans
de ces vaiffeaux euffent la précaution de
prendre des paffeports de la Régence , de même
que l'obfervent les Nations qui font en paix avec
elle, & à condition que le Roi de Dannemarck
206 MERCURE DE FRANCE.
ne fouffriroit point que des navires Etrangers fe
ferviffent de fon pavillon . En confidération de ce
Traité , le Dannemarck fournira chaque année à
cette Régence trois mille bombes , cinq mille
boulets , cinq cent quintaux de poudre , fix mortiers
, vingt- huit pièces de canon & vingt - cinq
mâts de navires , & cette année le préfent fera
doublé. On annonça le 6 au peuple la conclufion
de ce Traité parune décharge générale de l'artillerie
des Châteaux , à laquelle les vaiffeaux Danois
répondirent par plufieurs falves Le Dey en donnant
part de ce Traité aux Confuls de France , d'Angleterre
& de Hollande , les a affurés que ce qui venoit
d'être réglé à cet égard , ne cauferoit aucun
changement par rapport aux engagemens que la
République a pris avec ces Puillances . Le 10 le
Comte de DannesKiold , accompagné des princi
paux Officiers de l'Efcadre qu'il commande , fe
rendit au Palais où il falua le Dey , avec lequel
il dîna , & qui ordonna qu'on lui fit voir ce qu'il
y a de plus remarquable en cette Ville . Etant re
tourné enfuite à ſon bord , il a demeuré à la Rade
jufqu'au 22 , qu'il a remis à la voile . Avant fon
départ , il a établi pour Conful de la Nation Da
noife auprès de la Régence M. de Hammeken
qui l'a été ci- devant de la Nation Hollandoiſe.
ESPAGNE.
" a
>
On mande de Madrid du 13 Septembre que
Don André Regio , Commandant de l'Efcadre
qui eft à la Havanne mandé à Sa Majesté
qu'ayant été informé que quelques Armateurs Anglois
croifoient fur la côte , il avoit détaché quatre
petits bâtimens fous les ordres de Don Vincent
de la Quintana , Capitaine de Frégate , pour
leur donner la chaffe ; que deux de ces bâtimens
OCTOBRE 1746. 207
après un combat de quatre heures , avoient pris
par abordage deux des Corfaires ennemis ; qu'il
n'y avoit eu du côté des Eſpagnols que douze hommes
de tués & vingt neuf de bleffés , du nombre
defquels font trois Officiers , & qu'on avoit trouvé
à bord du principal des navires dont on s'eit emparé,
cent cinquante hommes d'équipage , dix - huit
canons , un pareil nombre de pierriers , cent quatre-
vingt fufils , quatre - vingt fabres , foixante
paires de piftolets , & beaucoup de munitions de
guerre. Le Roi d'Efpagne a marqué deux jours de
la femaine pour recevoir lui - même les Requêtes ;
& écouter les repréſentations des particuliers , &
ceux qui feront connus obtiendront même la permiffion
d'entretenir en particulier Sa Majefté .
L'Intendant de Marine du Ferol a mandé au Roi
que le vaiffeau Anglois le Mer ure , de 150 tonneaux
, chargé de fel & de vin , a été conduit au
Port de Rivadeo par l'Armateur Don Juan Florent
de Miranda , qui s'en eft emparé à la hauteur
des tfles Berlingues . Le 13 de ce mois la Confrai
rie Royale du Rofaire fit célébrer dans l'Eglife des
Religieux Dominicains un fervice folemnel pour le
repos de l'ame de Philippe V.
Le 23 du mois paffé jour de l'anniverſaire de la
naiffance du Roi qui eft entré dans la trente- qua➡
triéme année de fon âge , leurs Majeftés reçurent
ainfi que la Reine Douairiere les complimens des
Miniftres Etrangers & des Grands Lorfque le Marquis
de Saint Gilles a rendu compte au Roi du fuc
cès des négociations dont il a été chargé auprès de
la République des Provinces-Unies , il a remis à
Sa Majefté une lettre écrite au feu Roi par les Etats
Généraux . Cette lettre porte qu'ils ont vû partir
avec regret le Marquis de Saint - Gilles , lequel s'eft
acquis pendant fon féjour à la Haye l'eftime &
208 MERCURE DE FRAN CJE.
l'affection générale par fa prudence & par fon ha
bileté, Les Etats Généraux ajoutent dans la même
lettre que fi quelque chofe peut les confoler de la
perte de ce Miniftre c'eft l'efpérance dans laquelle
ils font qu'il perfuadera le Roi de leurs fentimens
refpectueux , & de leur défir de cultiver
l'amitié de Sa Majesté. Pour répondre à l'empref
fement que le Roi de Portugal témoigne de réfferrer
de plus en plus les liens qui uniffent cette Cour
& celle de Lisbonne , le Roi a nommé le Duc de
Soto - Mayor fon Ambaſſadeur auprès de Sa Majefté
Portugaife.
ITALIE.
On mande de Génes que fur la nouvelle que les
troupes de la Reine de Hongrie après avoir forcé
le paffage de la Bochetta & quelques autres défilés
, s'approchoient de cette Ville , le Gouvernement
envoya le 5 de ce mois un magnifique préfent
au Marquis de Botta qui le refufa . Il fe tint le
même jour un Confeil dans lequel il fut réfolu que
la République fe remettroit à la difcrétion de la
Reine de Hongrie , & l'avant-garde des ennemis
commandée par le Général Nadafti , s'étant préfentée
le 7 devant la Ville , on leur remit les portes
du Fanal & de Saint Thomas , de chacune defquelles
cent de leurs Grenadiers prirent poffeffion
. On e péroit qu'eu égard à la différence que
les Puiffances ont coutume de mettre entre les
Nations qui font parties principales dans une guer.
re , & celles qui n'y prennent part que comme auxiliaires
, la Cour de Vienne feroit éprouver à la
République un traitement moins rigoureux . Mais
le Général de la Reine de Hongrie a demandé une
contribution de vingt- quatre millions , dont huit
27.
OCTOBRE 1746. 209
devoient être payés fur le champ , huit autres
après-demain , & le refte à la fin de ce mois . Les
Députés qu'on lui a envoyés lui ayant repréfenté
l'impuiffance où l'on étoit de fournir fi-tôt cette
fomme , il a confenti de recevoir fealement pour le
préfent cinq cent cinquante mille Génuines en deux
payemens. Il a déclaré que la Reine de Hongrie
défiroiti que les pierreries fur lesquelles elle a
fait des emprunts dans cette Ville lui fuffent remifes
, & qu'on habillât trente mille hommes de
fes troupes . Le Gouvernement a dépêché à Vienne
pour obtenir que cette Princeffe modérât fes
prétentions , & le bruit court que la République
de Venife & le Corps Helvetique doivent employer
leur bons offices en faveur de cette République
·
Le Marquis de Botta a dépêché à Vienne le Comte
de Colloredo qui y arriva le 14 du mois paflé pour
informer la Reine de Hongrie que l'avant-garde
des troupes de Sa Majefté s'étant préfentée devant
Génes , le Général Nadafti qui commandoit
cette avant-garde , s'étoit fait remettre deux portes
de la Ville , dont la garnifon avoit été faite prifonniere
de guerre ; qu'en même tems il avoit
exigé qu'on lui livrât toutes les armes & les munitions
de guerre qui étoieut dans Génes , ainfi
que les magafins deftinés pour la fubfiftance des
troupes ,foit nationales, foit étrangères , & les équipages
ou autres effets que ces dernieres pourroient
avoir laiffés dans les Etats de la République ; que
par une convention proviñonnelle la République
s'étoit engagée à recevoir dans le Port de Génes
tous les vaiffeaux Anglois & ceux des autres Na- .
tions alliées de la Reine ; à accorder dans toutes
les occafions pendant que la guerre durera ,
libre paffage aux troupes de Sa Majesté par toutes
les Places , Fortereffes , Villes & autres lieux de
le
210 MERCURE DE FRANCE,
la dépendance de la République ; à ordonner que
les troupes Génoifes qui deffendoient la Ville & le
Château de Gavi fe rendiffent prifonnieres de
guerre ; à faire remettre en liberté tous les prifonniers
faits fur celles du Roi de Sardaigne , &
à rendre tous les Déferteurs de celles de la
Reine.
Un Corps de fix mille hommes des troupes Autrichiennes
s'eft étendu le long de la rivieres de
I evant depuis le Fauxbourg de Bifagno jufqu'à la
Specie . La Fortereffe de Gavi a été remife aux
ennemis , & le bruit court qu'ils veulent qu'on leur
livre auffi le Fort de Sainte Marie. Le 14 de ce
mois cinquante de leurs Grenadiers ayant à leur
tête quelques Officiers , traverferent cette Ville
les armes hautes , & allerent prendre poffeffion
du Lazaret , où ils firent prifonniers de guerre environ
neuf cent Efpagnols malades ou bleffés . Le
Marquis de Borta a voulu mettre garni on dans
Savone , mais le Roi de Sardaigne s'y eft oppofé
, & il a déclaré qu'il ne fouffriroit point qu'il
y entrât d'autres troupes que des Piémontoifes.
Quelques repréfentations qu'ait faites le Gouvernement
, il a été obligé d'acquitter avant - hier le
re ant des huit millions qu'il devoit fournir pour
le payement des contributions exigées par la Reine
de Hongrie , & on a employé tous les moyens
qu'on a pû imaginer pour être en état de fatisfaire
à cet engagement . Une commiffion compefée
de trois Sénateurs de cinq Nobles & d'un
pareil nombre de Bourgeois a été établie pour régler
les fommes
que chacun fournira pour le payement
de ces contributions
. Le Gouvernement
a fait publier une deffenſe à toutes per- fonnes de quelque condition qu'elles foient , de s'abfenter fous peine de confiſcation
de leurs biens .
OCTOBRE 17 + 6. 211
Quatre vaiffeaux de guerre Anglois qui parurent
le 14 du mois paffé à la hauteur de Savone fe font
- retirés à Vado .
Lc Gouverneur du Château de Savone , fur la
fommation qui lui a été faite de la part du Roi , de
fe rendre , ayant repondu qu'il ne capituleroit
qu'avec les Généraux de la Reiue de Hongrie,
le Roi de Sardaine a ordonné qu'on formât le 9
du mois paffc l'inveftiffement de cette Fortereffe
Le même jour ce Prince ſe rendit à Logino , où il
établit fon quartier général , & où il reçut avis quelle
Marquis de Balbian avoit enlevé un pofte des Ef
pagnols , dans lequel ils avoient eu cent foixante
hommes tués ou bleffés , Les Galeres Piedmontoifes
étant venues le 11 jetter l'ancre devant la Calline
où logeoitfa Majefté , elle firent une falve générale
de leur artillerie & de leur moufqueterie , &
quelque tems après elles continuerent leur route
vers le Port de Vado . Il entra le foir en même tems
qu'elles dans ce Port trois Vaiffeaux de guerre Anglois
, commandés par le Chef d'Efcadre Thownshend
, qui defcendit le lendemain à terre pour fa
luer le Roi de Sardaine & qui eut l'honneur de dîder
avec ce Prince. M. Peterſon , dont ce Chef
d'Efcadre étoit accompagné , informa fa Majefté
que deux des Caleres Angloifes , dont il a le commandement
, s'étoient emparées de deux barques
ennemies , chargées de 8000 facs d'orge . Le 12
le Roi de Sardaine apprit que les troupes qu'il
avoit fait marcher à Final , y étoient entrées , &
que la Garniſon de cette Ville s'étoit retirée dans
fes Châteaux . Sur cette nouvelle , ſa Majeſté détacha
le Prince de Carignan avec la Brigade de Sa
voye & celle de Saluce , pour renforcer ces troupes.
Elle fe rendit le 13 à bord du Vaiſſeau du Chef
212 MERCURE DE FRANCE.
d'Efcadre Thownshend , qui lui avoit fait préparer
une magnifique colation : elle vifita enfuite les
autres Vaiffeaux də l'Eſcadre Angloife , & le foir
elle retourna à fon Quartier. Ayant marché le 14
à Spotorno avec la plus grande partie de fon armée
, elle ſe préfenta le 1 devant Final , & les
Commandans des Châteaux ayant demandé de capituler
, ils fe rendirent le lendemain prifonniers
de guerre avec les troupes qui étoient fous leurs ordres
Quatre bataillons des troupes de la Reine de
Hongrie ont joint l'armée Piedmontoife . On écrit
de Savoye, qu'un corps de troupes Eſpagnols les à for
méun camp dans les environs de la Ville de Montmelian
, aux fortifications de laquelle 4000 Travailleurs
font employés ; que les Eſpagnols forti
fient auffi les Chateaux de Marebes & d'Entremonɛ
& qu'il ont conftruit des Lignes depuis Montmeliant
juſqu'à la frontiere du Comté de Maurienne .
Les François en ont conftruit près du Fort Barraux
dont la Garnifon a été confidérablement augmen
tée . Les lettres de Genes marquent que la Republique
avoit chargé les Senateurs Cefar Cattaneo
Mathieu Franzone , Auguftin Lomellini & Auguſ
tin Gayotto , d'aller à Vienne folliciter une dimi
nution des contributions exigées par le Marquis de
Botta. Ces lettres ajoutent qu'une partie des trou
pes de cette Princeffe , qui font dans l'Etat de Genes
, avoit commencé à prendre des quartiers de
cantonnement dans differens Diftricts de la Riviere
de Levant.
On mande de Naples du 16 du mois paffé que depuis
quelque-tems leGouvernement paroît être plus
tranquille fur l'invafion dont ce Royaume paroiffoit
être menacé , cependant on continue de prendre
OCTOBRE 1746. 21 }
J
les mefures néceffaires pour le mettre à l'abri de
toute furpriſe , & l'on a pourvû abondamment de
mmunitions les places frontieres . Le Roi alla le 9 de
ce mois vifiter les ouvrages qu'il a ordonné d'ajouter
aux fortifications de cette Ville & à celles du
Port Sa Majesté en fut très fatisfaite , & elle
fit diftribuer aux ouvriers une fomme conſidérable.
Il fe tient de fréquens Confeils après lefquels
on dépêche fouvent des couriers aux Miniftres qui
réfident de la part du Roi dans les Cours Etrangéres
.
GRANDE BRETAGNE.
On mande de Londres que le Confeil de guerre
établi pour examiner la conduite de quelques- uns
des Officiers Généraux qui ont commandé lès
troupes de Sa Majesté dans les batailles de Pref
tonpans & de Falkirck , s'affembla le 15 du mois
paffé pour la premiere fois Whitehall . Ce Confeil
a déclaré que les accufations intentées contre
le Général Cope etoient deftituées de tout fondement.
11 eft compofé du Duc de Richmond , qui
en eft Préſident ; du Comte de Cadogan , du Maréchal
Wade , & de Meffieurs Folliot & Guife
Lieutenans Généraux . On conduifit le 13 devant
les Juges du Tribunal de la Montagne de Sainte
Marguerite le Chevalier Wedderburn & dix-fept
autres Officiers des troupes du Prince Edouard ,
lefquels refuferent de fe reconnoître coupables.
L'Amiral Anfon rentra le 11 dans le Port de Ply
mouth avec l'Efcadre qu'il commande : celle qui
eft fous les ordres de l'Amiral Leftock eft atten
due ces jours- ci à Spithead . Les Commiffaires
de l'Amirauté ont été informés par des lettres du
Chef d'Efcadre Barnet , que quatre cent hommes
214 MERCURE DE FRANCE.
de la garnifon de Pondichery ayant marché avec
fix cent Négres armés & quelques piéces de canon
pour attaquer le Fort de Saint David , il avoit
feint de vouloir tenter une defcente à Pondichery,
& que par ce moyen il avoit obligé les François
d'abandonner leur entreprife . Deux des vaiffeaux
de guerre commandés par ce Chef d'Eſcadre
, fe font emparés des navires ennemis le Chardenagor
, le Dupleix & l'Heureux , chargés le premier
de fel , de cuivre & de quelques balles de
marchandiſes ; le fecond de caffé & de fel , & le
troifiéme de coton . On a fretté pour le Gouvernement
plufieurs bâtimens de deux & de trois cent
tonneaux Quelques particuliers fe font engagés
de fournir à la Compagnie des Indes Orientales les
vingt navires qu'elle fe propofe de prendre à fon
fervice. La récolte , particulièrement celle du houblon
, eft plus abondante qu'elle ne l'a été depuis
plufieurs années .
Le Duc de Cumberland a été nommé Colonel
d'un nouveau Régiment de Dragons que le Roi a
ordonné de lever. Deux Bataillons des deux premiers
Régimens des Gardes à pied s'embarquerent
le 21 fur la Tamife pour defcendre à Gravefend ,
d'où ils doivent être tranfportés à Plymouth. On
leur diftribua une fomme confidérable par ordre
du Duc de Cumberland qui fut préſent à leur embarquement.
Suivant les nouvelles de Gibraltar , le Corfaire
le Harwick y a conduit un Navire Efpagnol , qui
portoit de Cidix au Ferol 2000 quintaux de plombs
&o de poudre . Les Navires le Roi de Sardaine
le Prince Guillaume , le Nancy & l'Induſtrie , ont été
pris par les François , & un Armateur de cette Nation
a rançonné pour 800 livres fterlings le Vaifleau
la Providence , qui revenoit de Hambourg à
OCTOBRE
1746. 215
Leith . Les lettres d'Antigoa confirment qu'il y regne
une extrême difette à caufe du grand nombre
de prifes faites par les habitans de la Maatinique ,
qui ont actuellement quarante-deux baftimans ar
més en courſe .
•
PAYS - BA S.
?
M. Gillés , Penfionnaire de Hollande , partit
de la Haye le 2 de ce mois pour ſe rendre à Breda ,
où le Comte de Vaffenaer eft arrivé dès le 29 du
mois dernier , ainfi que le Marquis de Puyfieulx ,
Ministre Plénipotentiaire du Roi Très- Chrétien ,
& le Comte de Sandwych , qui doit affifter aux
conférences en la même qualité de la part de Sa
Majefté Britannique . Le 30 M. Jean de la Baffecourt
, Tréforier Général des Provinces - Unies ,
fut nommé fecond Greffier des Etats Généraux , &
fa charge fut donnée à M. Jean Vander Doës
Confeiller du Haut Confeil pour la Province de
Hollande . Les Etats de cette Province & de celle
de Weftfrife ont difpofé de la place de Conful à
Cadix en faveur de M. Philippe Renard . Hier les
Etats Généraux reçurent la copie de la Capitulation
des Châteaux de Namur. Par la nouvelle
pofition que les troupes des Alliés ont prife , elles
occupent Fefche , Juprelle , Villers , Saint Siméon ,
Liers Varoux & elles s'étendent jufque dans
les environs de Liege . M. François Fagel , cidevant
feul Greffier des Etats Généraux
mourut à la Haye la nuit du 3 âgé de quatre- vingtfept
ans.
,
Un Parti de l'Armée des Alliés , fans avoir
égard aux paffeports d'un courier que le Marquis
de Puyfieulx avoit fait partir avant hier pour Paxis
, l'ayant arrêté & dépouillé , & lui ayant enle216
MERCURE DE FRANCE.
vé fes dépêches , le fieur Gillés , Penfionnaire de
Hollande , a écrit au Printe de waldeck , Général
des troupes Hollandoifes , qu'un tel attentat demandant
une fatisfaction prompte & éclatante
il étoit d'une néceffité indifpenfable d'ordonner
des perquifitions exactes à ce fujet , afin d'être en
état de reftituer les lettres & de faire punir les
coupables ; que fi cette violence a été commifc
par des foldats de la Reine de Hongrie , on ne
peut infifter trop fortement auprès du Prince Charlés
de Lorraine & auprès du Feldt -Maréchal Bathiany
, pour en obtenir une réparation convena
ble , & qu'il importe de faire voir que les Généraux
de la République , bien loin d'avoir pû autorifer
ou approuver une femblable action , en relfentent
toute l'indignation qu'elle mérite. Par la
même lettre M. Gillés prie le Prince de Waldeck
de procurer à l'avenir une entiere fureté pour
tous les couriers , & de lui marquer les meſures
qui auront été prifes à cet égard . Le Comte de
Sandwych , Miniftre Plénipotentiaire du Roide la
Grande Bretagne a écrit en même-tems à M.
Ligonier , Général des troupes Britanniques pour
lui repréſenter les fuites fâcheufes qui pourroient
réfulter d'un tel événement , & en témoignant à ce
'Général combien il en eft indigné , il l'exhorte
à tacher par toutes les voyes poffibles d'en décou
vrir les auteurs.
?
Le courier & les paquets dont il étoit chargé
ont été depuis reftitués.
LETTRE
OCTOBRE 1746:
LETTRE
À MÓNSEIGNEUR L'EVESQUE de ***
Au fujet d'un Livre , qui a pour Titre ,
LA RELIGION CHRETIENNE , MEDITE'E
dans le véritable efprit defes maximes , &c.
en fix Volumes . A Paris , chez PIERRE
PRAULT , Quay de Gêvres , 1745 .
MONSEIGNEUR ,
Jenefçai qu'obéir , quand Votre Grandeur ·
ordonne , & je conviens que je dois facrifier à
l'obéiffance , les fcrupules de la modeſtie ; je
vais donc avec confiance , & avec une fage
liberté , rendre compte à Votre Grandeur , de
la maniére dont j'ai été affecté à la lecture du
Livre de la Religion méditée , dans le véritable
efprit de fes maximes . Ma premiere réfléxion
tombe fur ce qu'on doit à la Providence ,
quiveut bien infpirer encore des Ouvriers de
falut , dans un tems où l'efprit d'une fauffe Philofophie
tente de détruire , ou d'altérer au
moins les plus fublimes vérités de la Religion .
Je connois peu de Livre plus capable de con-
K
216 MERCURE DE FRANCE.
·
firmer le coeur dans la faine morale , & de
l'appuyer par des principes plus purs , & plus
lumineux que celui de la Religion méditée , &
cela ne pouvoit être autrement , puifque l'Auteur
a tiré tout ce qu'il dit de l'Evangile , qui
eft , & fera toujours une fource féconde à
ceux qui la liront avec cette fimplicité d'intelligence
, qui ne veut qu'être éclairée , &
qui joignent à cette difpofition la droiture du
coeur , & la foumiffion aux décifions de l'Eglife.
Ce Livre eft fait avec une méthode fi admirable
, que l'efprit & le coeur trouvent tout
ce qui leur convient , conviction & fentiment
; on ne peut lire ce Livre fans faire cette
double expérience : la Religion y eft traitée
avec cette élévation , qui eft fon véritable caractére.
On y fait l'analyfe de toutes les vertus,
avec tant de préciſion , que l'efprit n'a rien à
défirer : c'eſt le point fixe du coeur bien difpofé
. On yfait fentir la différence des vertushumaines
& des vertus chrétiennes : on ramene
l'homme à la folide gloire . On peut s'en convaincre
par la lecture de l'Epître de la quatriéme
femaine de l'Avent pour le Samedi.
Alors chacun recevra de Dieu la louange qui
Luifera dûe. S. Paul. 1. Cor. c. 4.
» Le defir de la gloire eft gravé dans la na-
→ ture de l'homme ; il eft créépour elle , mais ,
» pour fon malheur , il s'y méprend ; il eſt fait
OCTOBRE 1746 . 217
30
∞
ဘ
D
8
53
ဘ
pour une gloire immortelle , & fa vanité fe
repaît d'une gloire qui paffe comme la fleur :
la feule gloire folide à laquelle il puiffe pré-
» tendre en cette vie , la feule dont il doive
» être jaloux , c'eft la gloire du témoignage de
fa confcience. Que lui ferviroit d'être efti-
» mé de ceux qui ne voyent que les oeuvres ,
» s'il étoit condamné par celui qui voit le
» coeur ? C'eft par-là que Dieu nous jugera ,
» & c'eft par-là qu'il faut lui plaire . Que re-
» viendra-t-il à l'hypocrite d'avoir furpris les
fuffrages des hommes par l'apparence de fes
fauffes vertus ? Sa ftérile gloire ne fait qu'accumuler
fes peines , & lui préparer une plus
grande confufion. Quel plaifir même pou-
>> vons-nous goûter dès-à-préfent dans une réputation
qu'un feul mot peut flétrir pour
toujours ? Et que n'avons-nous affez de fageffe
pour changer d'objet ? L'eftime des
» hommes , toute frivole qu'elle eft , ne coûte-
» t-elle pas plus dans le fond , que l'approba-
» tion de Dieu ? Quelle gêne , quels affujettiffemens
! Que ne faifons - nous pas , que ne
» riſquons- nous pas en voulant plaire au monde
, & yêtre compté pour quelque chofe ?
» Il ne connoît pas en quoi confifte le vrai mé-
» rite ; l'efprit de menfonge & d'erreur le do-
» mine ; il ne fait pas rendre juftice à la vertu ,
» le plus fouvent il la mépriſe : c'eſt tout ce
qu'on peut en attendre tôt ou tard.
و د
30
8
ဘ
و ر
30
50 •
Kij
218 MERCURE DE FRANCE.
» Hélas ! condamnons-nous plûtôt à ce mépris
, s'il le faut ; recherchons les humilia-
» tions , apprenons du moins à nous en réjouir
» quand elles fe préfentent , & connoiffons- en
le prix : choififfons , autant qu'il eft poffible,
» les états , les places , les fonctions , les vertus
les plus obfcures ; & cachons avec foin
» le bien que nous faifons , pour en réſerver
» toute la récompenfe au Jugement de Dieu ;
il n'y a qu'elle feule de folide : les hommes
» mourront , & notre gloire mourroit avec
eux. Qu'importe donc que nous foyions ef-
» facés de leur efprit , pourvû que nousfoyions
écrits dans le coeur du Dieu vivant ? Quelle
différence entre les louanges humaines &
» celles qu'on recevra de lui ! Louanges fûres ,
» exemptes de toute méprife ; Dieu ne loue-
30
و د
30
ra que ceux qui mériteront d'être loués , &
» lui feul connoît ceux qui le méritent : louan-
" ges équitables , où la flatterie n'aura point
de part ; il ne louera chacun qu'autant qu'il
» fera louable : louanges légitimes , dont le
» jufte & l'innocent plaifir ne fera point troublé
par la crainte de l'orgueil ; il n'y aura
point de vanité dans la complaifance de fe
» voir loué par la vérité : louanges univerfelles
que perfonne ne défavouera , parce qu'il
n'y aura plus alors de variété dans les vûes
des hommes , ni d'injuftices dans leurs affections
: louanges éternelles , enfin , qui ne ſe-
သ
37
OCTOBRE 1746. 219
> ront interrompues ni par l'inconftance de
celui qui les donnera , ni par le changement
» de ceux qui les recevront.
و د
3
30
သ
8.A
PRIERE.
» O gloire folide ! feule digne de tous les
empreffemens des hommes & des Anges ,
excitez aujourd'hui toute la vivacité de mes
defirs , ou confondez du moins toute la fo-
» lie de mes penſées. Vous le voyez , Sei-
" gneur , à quoi s'amufe ma vanité ; vous m'a-
→ vez donné, en me créant , des pensées élevées.
Je me fens fait pour quelque chofe de
grand , & je m'avilis ; toutes mes vûes , &
jufques dans les chofes les plus faintes , ce
qui eft horrible à vos yeux , toute mon ambition
fe borne à la recherche d'une eftime
» vaine , que j'obtiens rarement jufqu'au point
» que je voudrois , dont je ne jouis jamais avec
fécurité , que je puis perdre à tout moment ,
qui n'ira pas du moins au- delà des bornes de
» ma vie , ou de celle de mes admirateurs : &
» ce n'étoit que de votre bouche , ô mon Dieu!
que je devois defirer d'être loué , & je facri-
» fie cette efpérance confolante , en m'expo-
» fant d'ailleurs à un opprobre éternel . Je le
comprens , Seigneur ! & il eft temps d'ou-
» vrir les yeux fur mon erreur ; diffipez - la par
» la lumière de votre vérité ; corrigez le dé-
» fordre de mon coeur par l'impreffion de vo-
४
»
1
220 MERCURE DE FRANCE .
tre grace , & apprenez - moi déformais à
» mieux uſer du penchant que vous m'avez
» donné je réprimerai alors les impatiences
» que ma vanité me caufe ; je ne me plaindrai
و د
30
ni du mépris , ni de l'oubli de vos créatures ;
» toute mon inquiétude fera de mériter des
louanges auffi folides que juftes : trop heu-
» reux d'y pouvoir parvenir ! & je n'aurai de
plaifir à les recevoir , que quand elles me
» viendront de vous-même.
33
y
Toutes les vertus théologiques & morales
font traitées avec la même clarté ; ce Livre
eft hors d'atteinte de toute interprétation équivoque
, auffi a - t-il réuni les fuffrages des ſçaqui
par état annoncent la valeur des
Livres ; ce mérite eft rare dans un temps où
l'efprit de difcuffion eft porté jufqu'au dernier
vans ,
terme .
Voici comme s'en expliquent Meffieurs les
Journaliſtes de Trevoux , page 376 , mois de
Février 1746.
Cet Ouvrage paroît travaillé , il est écrit
d'une maniére folide & inftructive , il entre
dans un détail de moeurs qui eft à la portée de
tous les états.
Meffieurs du Journal des Sçavans , Décembre
1745. page 2196 , après avoir expofé le
plan de tout l'Ouvrage , s'expriment dans les
Termes fuivans.
OCTOBBE. 1746. 221
Il ne nous refte plus , pour achever de donner
quelque idée d'un Ouvrage , qui , felon nous,
ne fçauroit être trop connu ni trop répandu ,
que de mettre ici tout au long une des inftructions
prife au hafard , &c. Et après l'inftruction
, le Journaliſte continue de la forte . Nous
n'en dirons pas davantage fur cet Ouvrage :
Nous ne pouvons cependant nous difpenfer d'a
jouter ici , que l'Auteur y montre par- tout une
grande connoiffance de la Religion, & ducoeur
humain ; qu'il nous a paru écrit avec autant
d'onction que de lumiére , & qu'on peut le regarder
comme un corps complet d'inftructions ,
auffi propres à entretenir la piété dans le coeur
desfidéles , qu'à la faire aimer & refpecter de
tous les hommes.
Par la réunion de tous ces fuffrages , il eft
prouvé que ce Livre eft à la portée des fimples
, & peut fatisfaire les Sçavans ; il n'éblouit
point l'efprit par des allégories déplacées ,
celles qu'on y trouve ne font que des conféquences
néceffaires du fens litteral ; on n'y
cherche point à s'élever au-delà de la fphére
de la fimplicité de la Foi , par une myfticité
recherchée , plus propre à égarer qu'à édifier.
Enfin , MONSEIGNEUR , je fuis perfuadé , qu'il
y a peu de Livres auffi capables de ramener
dans les coeurs la ferveur des premiers temps
du Chriftianifme , d'enlever de l'efprit , les
doutes que les paffions y font naître , & de
222 MERCURE DE FRANCE.
(
diffiper les ténébres de ceux qui croupiffent
dans une ignorante fécurité. C'eſt donc répandre
la lumiére que de le faire connoître ;
& j'oferois bien répondre des biens qu'il produira
dans les Diocèfes où il fera lû & médité.
Il devroit être le Livre de toutes les familles .
J'ai l'honneur d'être , avec un profond refpect ,
MONSEIGNEUR ,
DE VOTRE GRANDEUR ,
Le très -humble , & trèsobéiffant
ferviteur ,
D. B.
J'ai lû cette Lettre , dans laquelle il m'a
paru , que l'on a donné une jufte idée du Livre
de piété , qui a pour Titre , la Religion
méditée , &c.
En Sorbonne le 25 Octobre 1746.
DE MARCILLY.
TABLE
TABL E.
PIEC
IECES FUGITIVES en Vers & en Profe.
Traduction de l'onziéme Ode du deuxiéme Livre
d'Horace.
Traduction d'un Manuferit Arabe.
3
$
Traduction de l'Ode XII du fecond Livre d'Horace.
25
Suite de la Séance publique de l'Académie de
Rouen , Extrait.
Voeux à la Paix.
28
38
Suite de l'Extrait des rufes de guerre de Polien &
de Frontin .
Epitre familiere.
Lettre écrite à M. de L. B. fur Montagne.
39
бг
76
Séance publique de l'Académie pour la réception
de M. l'Abbé de la Ville , & Extrait de fon
Difcours .
Extrait du Poëme contre l'irreligion..
Lettre aux Auteurs du Mercure,
L'Ecolier & la Pie , Fable.
89
97
107
IIŐ
112
Vers à Mademoiſelle la B****, pour le jour de
fa fête.
Nouvelles Littéraires & des Beaux Arts . Inftitutions
de Géométrie , Extrait.
Extrait de Timon , piéce du Théatre Anglois.
113
121
Dictionaire abregé de Peinture & d'Architectu
re. 127
Piéces qui ont remporté le Prix à l'Académie de
Pau.
idida
fai fur les principes de la Phyfique .
Le chemin de l'amour divin.
128
ibid.
Differtation de la Queſtion , fçavoir fi on peut être
garant de la perte des beftiaux occafionnée par
la contagion .
ibid.
Hiftoire d'un reméde pour la foibleffe & la rou
geur des yeux , & un reméde infaillible contre
la morfure du chien enragé. ibid.
Réflexions fur le bon ton , &c. Extrait. 129
Expofition des Tableaux au Salon du Louvre . 133
Lettre à M. de là Tour par M. de Bonneval. 137
Livres de Mufique,
Estampes nouvelles.
Elixir de Géniévre .
149
141
144
Certificats de deux perfonnes guéries de la fordité.
ikid,
Mots des Logogryphes du Mercure d'Août. 145
Chanfons notées.
Enigmes & Logogryphe .
146
147
Spectacles , Hypermnere & la Fete Champêtre &
Guerriere.
151
Scylla & Glaucus , Tragédie nouvelle , Extrait.
L'Amour
tée fur le Théatre François.
les Fées , nouvelle Comédie repréfen-
152
150
1
La Seva Padrona , nouvelle pièce Italienne , repréfentée
fur le Théatre de l'Hôtel de Bourgogne
, Extrait, of
1124161
Le Prince de Salerne , autre piéce nouvelle Italienne
, Extrait.
Lettre aux Auteurs du Mercure,
Wers à Mademoiſelle Mélanie après fon début dans
Agnès.
Couplet chanté par Arlequin.
Journal de la Cour , de Paris , &c.
166
ibid.
167
Te Deum chanté à Fontainebleau pour la victoire
remportée à Varoux . 170
-Lettre du Roi aux Vicaires Généraux du Chapitre
de Paris , & Mandement en conféquence . 178
Te Deum chanté à Notre-Dame.
Mandement du Cardinal de Tencin.
182
183
Arrêt qui déclare nulle une faifie de Piaftres. 185
Relation de ce qui s'eft paffé à l'Orient. 187
"Opérations de l'Armée du Roi , 190
Nouvelles Etrangéres , Conftantinople. 201
Allemagne.
ibid.
Efpagne .
206
Italie . 208
Grande- Bretagne. 213
Pays- Bas. 215
moditée , &c.
Lettre fur un Livre intitulé la Religion Chrétienne
Les Chansons notées doivent regarder la page 146
Qualité de la reconnaissance optique de caractères