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1730, 12, vol. 1
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MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROT.
DECEMBRE. 1730 .
PREMIER VOLUME.
nd
UE
COLLIGIT
STARCIT
Chez
A PARIS ,
GUILLAUME CAVE LIER , ne
S.Jacques , au Lys d'Or.
LA VEUVE PISSÓT, Quay de Conty.
à la defcente du Pont- Neuf , au coin
de la rue de Nevers , à la Croix d'Or,
EAN DE NULLY , au Palais.
à l'Ecu de France & à la Palme.
M. D C C. X X X.
Avec Approbation & Privilege du Roy.
B.D.J
XXX:XXXXXXX : XXXXX
L
و
AVIS.
'ADRESSE generale eft à
Monfieur MOREAU , Commis au
Mercure vis - à - vis la Comedie Fransoife
, à Paris. Ceux qui pour leur commodité
voudront remettre leurs Paquets cachetez
aux Libraires qui vendent le Mer-
Cure, à Paris , peuvent fe fervir de cette voye
pour les faire tenir.
On prie très-inftamment , quand on adreſſe
des Lettres on Paquets par la Pofte , d'avoir
fain d'en affranchir le Port , comme cela s'eft
toujours pratiqué , afin d'épargner , à nous
le déplaifir de les rebuter , & à ceux qui
les envoyent , celui , non -feulement de no
pas voir paroître leurs Ouvrages , mais
même de les perdre , s'ils n'en ont pas gardė
de copie.
Les Libraires des Provinces & des Pays
Etrangers , ou les Particuliers qui fouhaiteront
avoir le Mercure de France de la
premiere
main , & plus promptement , n'auront
qu'à donner leurs adreffes à M. Morean ,
qui aura foin de faire leurs Paquets fans
perte de temps , & de les faire porter fur
T'heure à la Pofte , ou aux Meſſageries qu'on
Ini indiquera.
PRIX XXX. SOLS.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROT.
DECEMBRE . 1730.
XXXXXXXX*XX*X *XXXXXXXXX
PIECES FUGITIVES ,
en Vers & en Profe.
ARTANE ET THESE'E.
D
CANTATE.
Ans l'Ile de Naxos quel bruit vienje
d'entendre ?
Quel tumulte agite les flots ?
Sur les bords de la Mer , quel mortel va ſe rendre
?
C'eft le Grec qu'a fuivi la fille de Minos.
Ce Héros qui lui doit tout l'éclat de fa gloire
1. Vela AN Va
2552 MERCURE DE FRANCE
Và payer en ce jour
Le plus fidele amour
Far la cruauté la plus noires
語
Fuyez l'amour , jeunes coeurs ;
Quoiqu'il préfente des charmes
De fes plaifirs impofteurs ,
Coule une fource de larmes.
Sous fes pas naiffent des Aeurs ,
Qui furprennent notre vûë ;
De leurs mortelles odeurs
S'exhale un venin qui tuë.
Fayez l'amour , &c.
W
Je le vois ce perfide amant ,
Sur un Rocher affreux conduire fon amante ,
Infenfible à fes pleurs , à fa voix gémiffante
Il s'enyvre à longs traits de fon cruel tourment ;
Envain pour l'arêter Ariane abuſée ,
Par fes embraffemens , veut amolir fon coeur ,
L'Ingrat en s'échapant fe rit de fa langueur,
Elle ne verra plus Thefée.
Un facile amour déplaît,
Un Rigoureux nous engage ,
1. Vol.
DECEMBRE. 1730. 2553
Un coeur trop tôt fatisfait ,
Vous méprife ou vous outrage,
Pour conferver un amant
Marquez de l'indifference ,
En amour , le plus content
A moins de reconnoiffance,
Un facile , & c.
Sur la rive agitée , en détournant les yeux
Ariane du coeur cherche encor l'infidelle ; ·
Mais il ne paroit plus . A fa douleur mortelle
Succedent des tranfports tendres & furieux ,
Non , à mon lâche coeur , tu n'es pas odieux
Hélas ! & malgré ton parjure ,
Barbare ,je t'appele , &je voudrois te voir...
Approche ... ses regards hâtent mon defefpoir
,
Et je fens terminer les tourmens que fendure
Elle dit , & foudain à la clarté des Cieux ,
Ferme fa paupiere mourante ,
En laiffant par l'ordre des Dieux ,
Cet unique Tableau d'une fidelle amante.
Non , on ne voit plus aimer
Avec tant de violence ;
Iv Val. Aviij
On
2554 MERCURE DE FRANCE
On confent de fe charmer
Sans fe piquer de conftance.
Le plaifir eft de changer;
Se fixer eft efclavage :
L'amant veut fe dégager,
Et l'amante fe dégage.
Non , on ne , &c.
Le Chevalier DE MONTADOR.
கு
SETIEME LETRE sur la bibliotèque
des enfans , et sur l'atirail literaire
du bureau tipografique.
MONSIEUR ,
Je n'aurois jamais osé doner dans le
Mercare de France la suite de l'atirail literaire
d'un enfant , si des pèrsones de
merite ne m'avoient fait remarquer que
ce journal étoit plus nécessaire et plus
instructif dans les provinces et dans les
patis étrangers que dans la capitale , et
que mon scrupule étoit mal fondé. Tous
les livres , m'a- t- on dit, ne peuvent ni ne
doivent ètre livres amusans , de mode
de
passage , et d'une seule espece de lec
teurs , come les voyages de Gulliver , etc.
I. Fel.
Votre
DECEMBRE. 1730. 2333
Votre ouvrage contient la premiere doc
trine , l'érudition élémentaire , cela sufit ,
m'a-t-on repliqué , pour justifier le motif
de vos petits essais literaires ; les parens
et les maîtres curieus en fait d'éducation
le penseront ainsi ,à Paris mème . Dailleurs
les provinces demandent des bureaus ; il
est donc mieus de leur donér la manière
de les faire faire chès eus à bon marché
que de les mètre dans la nécessité d'en
faire venir de plus chèrs , lentement et à
grans frais. Ces raisons m'ont facilement
détèrminé à tâcher de mètre le lecteur
atentif au fait de la construction , del'intelligence
, et de l'usage des petits meubles
literaires que je propose de livrér de
bone heure aus jeunes enfans , et aus autres
enfans de tout age qui ont le malheur
d'avoir été négligés ou retardés pendant
bien des anées.
§ . 1. Cassète abecédique , pour un enfant
de dens à trois ans , et de tout age.
La cassète abécédique , est le premier
meuble litéraire qu'il faudroit livrer à un
enfant de deus à trois ans . Cete cassète doit
ètre de carton; on peut la renforcer d'une
toile colée en dehors , et mètre des bandes
de parchemin à tous les angles exte
rieurs : la charniere de la cassète doit ètre
de toile , de parchemin , ou de peau , afin
A iiij qu'elle I. Vol.
2556 MERCURE DE FRANCE
qu'elle puisse resister aus mouvemens
Continuels ausquels elle sera exposée ..
Après avoir compassé , coupé , cousu
COlé
, et façoné cète cassète , il faudra l'habiller
de lètres , et de silabes ; enjoliver
tous les coins et toutes les bordures avec
du papier doré , marbré , ou tel autre
qu'on voudra y mètre , pour marquer le
quaré , ou le cadre des faces de la cas
sète. On donera au comancement de l'A
B , C latin , et en petit caractère , la
feuille des premières combinaisons élémantaires
, qu'il faudra faire imprimer
d'un caractère proportioné à la grandeur
de la cassète. Cète feuille est , pour ainsi.
dire , l'abrégé de l'a ,b, c latin , et l'on ne
sauroit y tenir un petit enfant trop lontems
pourvu qu'on ait soin de lui faire
lire sur sa cassète les combinaisons , non
seulement de gauche à droite , mais encore
de droite à gauche ; de haut en bas ,
et de bas en haut , ou en colones , etc.
Le premier des deus petits cotés à
droite , contient les lètres du grand A,B,
C latin , avec leur dénomination , ou le
nom doné et preté à chaque consone pour
rendre selon cète nouvèle métode l'art.
de lire plus aisé : On met donc dans ce
quaré de la cassète , n ° . 1. les voyèles
grandes et petites , et les lètres capitales.
avec leurs noms , Aa , Ee , Ii , Oo ,
I.Vok U u
DECEMBRE. 1730. 2357
3
U u. A , Be , Ceke , De , E , Fe , etc.
que
Le segond des deus petits cotés de la
cassète , à gauche , contient le petit a , b,c
latin , à coté du grand , lètre à lètre ; afin
l'enfant qui conoit bien les grandes
lètres , puisse facilement et presque de lui
mème aprendre ensuite à distinguer les
petites : On met donc , n ° . z . A a , Bb ,
Cc , Dd , etc. on y ajoute les principales
Higatures , les lètres doubles , et quelques
abreviations , sur lesquèles il est inutile
de s'arèter beaucoup de peur de dégouter
l'enfant.
La premiere des grandes faces de la
cassète et sur le devant , contiènt , n° . 3 .
en deus colones , les combinaisons élémentaires
du Ab , eb , ib , ob , ub , etc..
Le dessous de la cassète pouroit avoir
: quatre clous de léton , rivés en dedans ;;
savoir un à chaque angle pour servir de
pié et conserver cete face , sur laquelle ,
et sur cèle du couvercle en dedans , on
peut mètre une bèle crois de JESUS,come
La base , le principe , et la fin de toute action
cretiène.
Le deriere de la cassète contiendra , nº
4.et en deus colones , les combinaisons
du Ba , be , bi , bo , bu , etc. dans lesque
les on fera remarquer les changemiens .
qu'on a crit necessaires pour doner de
bons principes sur les combinaisons , Ca
: bokeb AV fo
2558 MERCURE DE FRANCE
fe , fi , co , qu ; Ga , je , ji , go , gu ; Ja ,
ge , gi , jo , ju ; Sa , ce , ci , fo , fu ; Ta ,
te , tici , to , tu , etc.
Le dessus du couvercle de la cassète
contiendra , nº. 5. n ° . 6. les combinaisons
du Bla , ble , bli , blo , blu , etc. et cèles
du Bra , bre , bri , bro , bru , etc ... N° 7.
les combinaisons des quatre petites lètres
ressemblantes , b , d , p , q , combinées
avec leurs quatre capitales, et ensuite avec
les cinq voyeles , come Bb , Dd , Pp ,
Qq , etc. Ba , de , pi , qu , bo , etc.
No. 8. des sons particuliers à la langue
françoise. A l'égard des cinq faces qui restent
au dedans de la cassète , il sufit qu'èles
solent couvertes de papier blanc , pour
faire mieus paroitre les lètres des cartes
que l'enfant y tiendra.
1
Cète cassète servira à faire dire la leçon
en badinant , et à tenir les cartons et les
jeus des cartes abecediques , qui ont servi
de premier amusement à l'enfant, et qu'il
peut ranger sur une table en les nomant
, jusqu'à ce qu'il soit en état d'avoir
le petit bureau tipografique , sur lequel
il rangera les premieres combinalsons,
Ab , eb , ib , ob , ub , etc. On poura
lui doner ces premieres combinaisons
avec un petit casseau de carton et de sis
logetes , qui entrera dans la cassète , de
mème que les petits cartons élémentaires ,
|
1. Vol. sur
DECEMBRE . 1730. 2559
sur lesquels on aura fait coler les quarés
de la feuille imprimée pour habiller la
cassete ; elle poura aussi servir à tenir une
garniture de bureau pour les persones
curieuses de ce petit atirail literaire.
§ . 2. Foureau ou Tablier du petit bõhome ,
pour l'usage du bureau.
L'on fera à l'enfant un tablier de quelque
bone toile rousse ou grise , afin de
conserver ses habits . Ce tablier poura s'apeler
en badinant , la bavète ou le tablier de
docteur ; il est necessaire pour y faire deus
poches , l'une servira à metre les cartes
des letres et des mots en rouge pour le
latin , et l'autre servira à mèrre les cartes
en noir pour le françois , lorsque l'enfant
comencera de travailler à la table du
bureau de laquèle au reste il ne faut pas
oublier de bien faire abatre la vive arète,à
cause du frotement continuel de l'enfant.
§. 3. Description du premier et petit bureaus
qui sert à la premiere claffe.
Dès qu'un enfant conoit bien les lètres
par l'exercice des jeus de cartes abécédiques
et de la cassete , on peut lui doner
un petit bureau semblable à ceus dont les
directeurs et les comis de la Poste se servent
en province pour ranger les lètres
missives qu'ils mèrent en colones vis - à-
1. Fol.
Αν
via
2560 MERCURE DE FRANCE
vis les lètres initiales des noms ausquels
les missives sont adressées. il faut donc
avoir une table de la largeur de cinq ou
sis cartes rangées , ensorte que cèles des
c'nq voyeles A , E , I , O , U , et des
combinaisons Ab , eb , ib , ob , ub , etc..
puissent ètre mises en colones sur la largeur
de ce bureau . il doit avoir la longueur
de trente cartes rangées de suite,
plus ou moins , selon le nombre des logetes
que l'on voudra doner à la caisse
de l'imprimerie ; et selon la grandeur des
cartes dont on se servira pour garnir le
bureau . La largeur de la table sera divisée
par quatre ou cinq lignes paralèles , qui
dans la suite serviront d'alignement et:
de reglèt à l'enfant qui doit imprimer oa
composer son tème sur cète table.
و
On peut doner à la table la longueurde
trente cassetins outre l'épaisseur
des montans ou du bois de séparation ;,
ce qu'il est aisé de mesurer : ensuite on
fait les trois liteaus , bandes , regles ou
rebors de la hauteur d'environ quatre pou
ces , ou de la hauteur d'une carte , l'un
de la longueur , et les autres deus pour la
largeur du bureau. Avant que de poserd'une
maniere fixe ou mobile à discretion,.
la tringle , la regle , le long liteau ou rebord
du derriere de la table , il faut lediviser
en trente parties , et marquer le
& Fet milicu
DECEMBRE. 1730. 2560
milieu de chaque partie d'une des lètres de
FABC, observant d'y imprimer la grandeet
la petite lètre ensemble , l'une sous.
Pautre , c'est- à- dire le grand A , sur le
petit as le B capital sur le petit b , et
ainsi de tout l'A BC , depuis les lètres.
Aa , Bb , jusqu'à cèles du Zz , sans oublier
l'Ex , l'a , ni les lètres doubles ,.
&t , ft , fl , etc. de même que les chifres et
les caracteres ou lès signes de la ponctua
tion , etc. que Fon rangera selon l'ordreobservé
dans la planche du bureau tipo
grafique que j'ai fait graver exprès. il sera.
peut-être mieus de doner à l'enfant un
casseau d'un seul rang de logètes , où il
puisse tenir les grandes et les petites kètress ,
Page et la taille décideront entre la trin
gle et le casseau d'un rang de logètes..
Les deus petits liteaus , rebors ou consoles
des cotés n'étant que pour retenir les
cartes , rendre le bureau plus solide , et
pour fermer la caisse , on peut arondir er:
façoner ces deus consoles par le bout , afin
que l'enfant ne puisse en ètre incomode :
après quoi l'on peut clouer les liteaus ou
rebors et metre ce bureau contre un mur
sur deus chaises , sur un chassis , sur deus
petits bancs ou deus petits traitaus dont
les piés soient solides et proportionés à
La taille de l'enfant. On poura , si l'on
eur, metre de petits tiroirs à ce bureau:
La bata
1
2562 MERCURE DE FRANCE
et couvrir la table , d'une basane , d'un
maroquin noir ou d'une toile cirée ; ce qui
n'est pas absolument necessaire, si le bois
est neuf, sans noeuds et bien uni : d'ailleurs
on pouroit faire la table de ce bureau
brisée en deus ; ce qui serviroit pour
les diferens ages et les diferens tèmes de
l'enfant , et mème pour ètre plus facilement
placé contre la muraille et transporté
de la vile à la campagne , come une
table brisée , qui ensuite relevée , ferme
roit la caisse du colombier literaire , et
ocuperoìt moins de place. On poura mètre
un petit rideau de tafetas ou de toile
pour couvrir le colombier quand on ne
s'en servira pas , une toile cirée sera peutètre
d'un mème usage , on doit en tout
chercher l'utilité , la comodité et la propreté.
S. 4. Casse d'imprimerie en colombier à
quatre rans de trente cassetins chacun.
3
Quand l'enfant sera fort sur l'exercice
de la cassète et du premier bureau , on
peut encore pour le divertir en l'instruisant
, lui doner une casse d'imprimerie ,
avec laquèle il composera et décomposera
les silabes , les mots , et les lignes qu'on
lui présentera écrites ou imprimées ; er
cela s'apelera l'exercice du tème en lat`n ou
en françois , selon les lignes et les tèmes
I. Vol.
qu'on
DECEMBRE. 1730. 2563
qu'on lui donera par la suite en ces langues-
là . Cète imprimerie en colombier
est composée d'un casseau qu'on met sur
la table du premier et petit bureau contre
le plus long liteau ou le deriere de cète
table , y étant assés fixe par
des crochets ,
des pitons , des clous à vis , des boutons
ou des chevilles de fer qui traversent l'épaisseur
des deus petits liteaus ou consoles
, et le bois de la premiere et de la derniere
celule : cete casse est divisée en soissante
compartimens, cassetìns, celules , logetes
ou boulins ; c'est-à-dire en deus
rans de trente celules quarées chacun , et
c'est-là le segond bureau ou casseau de la
segonde classe pour le latin , en atendant
la troisième aussi de soissante cassetins
pour le françois , les chiftes , la ponctuation
, l'ortografe des lètres et des sons et
pour la troisiéme classe.
On passera ensuite au quatrième casseau
ou bureau pour le rudiment pratique de
la quatrième classe. Le bureau complet
sera donc de sis rangées de trente cassetins
chacune ; quatre pour l'imprimerie
du latin et du françois , et deus pour le
rudiment. On poura le faire faire tout
d'un tems pour épargner le bois , la hau
teur et la façon du bureau ; en couvrant
d'une housse les rangées superieures
dont l'enfant n'aura pas d'abord l'usage :
I. Vol.
ce
2564 MERCURE DE FRANCE
ce voile piquera sa curiosité et lui donera
de l'impatience pour l'usage des autres
rangées , ainsi qu'on l'a déja dit dans les
letres sur le bureau tipografique , inserées.
dans les mercures des mois de Juin et
de Juillet 1730.
Les logetes doivent ètre un peu plus.
profondes que la longueur des cartes ;
savoir , les trente celules pour ranger et
mètre les petites lètres , les lètres dou-
Bles , etc. et les trente autres celules ou
cassetins pour les grandes lètres ou capitales
, etc. le quaré des celules doit ètre
proportioné à la longueur et à la largeur
des cartes dont on veut se servir ; ensorte:
que l'enfant puisse mètre aisément sa main
dans chaque celule pour y poser ou en
prendre les cartes : on parlera ci - dessous ;
des autresrans de logetes.il faudra marquer
abécédiquement au bureau latin chaque
celule d'en bas de sa petite lètre, et cèle d'ens
haut de sa lètre capitale : après quoi l'on
peut montrer à l'enfant l'art d'imprimer
le tème qu'on lui dicte , ou qu'on lui
done sur une carte ou sur un papier mis
assés haut sur un petit pupitre à jour et
de fil d'archal au milieu de son imprimerie
ou sur la table mème du bureau ; l'on
fera séparer tous les mots avec une carte:
blanche ou par une petite distance , pour
aprendre à l'enfant à distinguer les mots..
La Vali
On
DECEMBRE. 1730. 2565
On ne sauroit croire combien il profite
en imprimant quelques mots sous le dictamen
des uns et des autres , cela lui for
me l'oreille, et lui done ensuite une gran
de facilité pour l'ortografe des ïeus er
d'usage.
,
Il faut qu'il y ait au moins quinze ou
vint lètres dans chaque celule et un
plus grand nombre de voyèles , de liquides
et de certaines consones de plus d'usage
, afin de pouvoir composer plusieurs
lignes de tème tout de suite. Pour rendre
plus large la table du bureau , à mesure
que l'enfant croitra en age et en sience
on peut reculer la caisse de l'imprimerie
ou l'exhausser pour l'apuyer sur le deriere
du bureau , ou pour la metre contre le
mur d'un cabinet , de la chambre de l'enfant
ou autre lieu convenable. Je crois ce
pendant qu'il est mieus que le tout soit
isolé et portatif même au milieu de la
chambre ou du cabinet de l'enfant.
On aura des cartes marquées d'une virgule
pour séparer les mots au comencement
de l'exercice tipografique , afin
d'en rendre à l'enfant la lecture plus aisée
, moins confuse , et de lui aprendre
à distinguer les mots ; il faut mème que
l'enfant lise ou qu'il apèle les virgules et
les poins qui se trouvent dans ses leçons
ce qui l'acoutumera à observér les pauses.
Ja Vola ik
2566 MERCURE DE FRANCE
il ne sera pas mal aussi qu'il nome la quant
tième des pages , à la vue des chifres dont
elles sont cotées : cela sera d'autant plus
alsé , que les chifres entrent dans la com
position des tèmes , et que l'enfant de
trois ans quatre mois dont on a parlé
s'en servolt come il se servott des letres
, quoique tous les chifres fussent en
core dans une seule logere du petit bureau
latin . Le maître pour soulager l'enfant ,
lira à son tour jusqu'à la virgule ou jus
qu'au point.
Tous ceus qui vèront ce bureau et cite
imprimerie pouront dicter et faire imprimer
leurs noms, ou quelques autres mots
et encourager l'enfant à l'exercice du bus
reau qu'il faut continuer pendant lontems
quoique dans la suite l'enfant se serve de
livres pour dire sa leçon en latin et en
François. Le téme étant fait , on regarde
s'il n'y a point de fautes , et l'on montre
à l'enfant la manière de les coriger et de
distribuer les lètres , ou de les remetre
chacune dans sa celule , ce qu'il trouvera
facile aprés avoir su les ranger sur la table
du premier bureau .
S.§. 5. Description du bureau tipografique
latin-françois.
Les montans ou le bois qui forme les
celules
DECEMBRE. 1730. 2567
(
celules de haut en bas en ligne pèrpendiculaire
n'est que de deus à trois lignes
d'épaisseur , excepté le premier et le dernier
qui auront neuf lignes pour fortifier
la caisse , l'assemblage ou le bâti exterieur
; et les traverses ou le bois qui le
croise horisontalement et en rayons est
alternativement , c'est à dire le premier ,
le troisième , le cinquième , et le sétième
de neuf lignes , ou de la hauteur des letres
capitales. si l'enfant est déja un peu
grand , on poura doner neuf lignes à toutes
les traverses pour la comodité des étiquetes
de tous les rans de cassetins , chaque
celule à vide a en tout sens le quaré
long d'une carte tant pour la hauteur que
pour la largeur à vide , avec l'aisance nécessaire
pour le jeu tipografique. La profondeur
d'une celule est come l'étui de
quatre à cinq jeus de cartes ; de manière
que la main puisse les y mètre et les en
tirer facilement . Enfin les dimensions des
cartes doivent regler cèles du bureau et
des casseaus de l'imprimerie , ce qu'un
menuisier doit bien observer , en mesurant
avec exactitude une carte pour chaque
logète, ceus qui ne voudront pas
doner tant de longueur au bureau regleront
les dimensions de leurs cartes
par cèles des logétes du bureau qu'ils comanderont
selon l'endroit où ils le voudront
8
I. Vol.
2568 MERCURE DE FRANCE
€
dront placer , car il faut que la carte ou
la log te donent les dimensions l'une de
l'autre , et c'est ainsi qu'on l'a pratiqué
dans un grand colège pour le bureau d'un
jeune seigneur.
L'auteur dans une planche gravée exprès
done le plan , la description , le dessein
du bureau, des celules ; et des exemples
de la garniture de letres , afin qu'on
voie plus facilement de quèle manière on
doit les distribuer.chacun peut se faire un
plan sans s'asservir à l'abécédique ; si
P'on suit cet ordre , c'est pour faciliter à
-un enfant l'usage des dictionaires , et de
la table des matières des livres qui suivent
aussi l'ordre abécédique .
>
Le premier rang des celules d'en bas ,
- est pour les petites letres apelées ordinal
: rement letres du bas ou mineures ; c'est
pourquoi on l'apèle aussi le petit ordinaìre.
Après les logetes du z , de l' , de
P'è ouvert et de l'é fermé , on metra dans
· la vintneuvième logete les cartes ou les
tèmes donés sur l'histoire , sur la bible ,
sur les génealogies , sur la cronologie et sur
la géografie , et dans la trentième logere
les tèmes qui roulent sur la France , sur
l'Europe etc.
Le segond rang contient les grandes
letres apelées capitales , majeures ou majuscules
que les espagnols apelent aussi
I.Vol
verfales
DECEMBRE. 1730. 2569
versales ; c'est pourquoi on l'apele le grand.
ordinaire la vintneuvième logete sera.
pour les époques , l'histoire sainte , les listes
etc. la trentième pour les époques
P'histoire profane , la fable etc. ou bien on
se contentera de metre en haut les deus
étiquetes hist. s. hist . p. et en bas les autres
deus étiquetes géogr. fable.
5
Le troisième rang est pour toutes les
combinaisons de letres qui donent les mèmes
sons simples qu'exprime le rang des
letres ordinaires ; c'est pourquoi on l'apele
le premier rang composé ; ainsi à la cofone
de l'o et à la logete du 3 rang , on
met les diftongues oculaires au , ean , qui
en deus ou en trois letres expriment le
pur son de l'o , cette distinction et cet
ordre métodique donent d'abord à l'enfant
des idées inconues à la plupart des
maitres d'école . car s'il m'est permis de
le dire , on ne rougit pas d'ignorer l'algebre
; mais on est très honteus d'ignorer
ce qu'un petit enfant aprend d'abord
au bureau , sur la nature des letres et des
sons de la langue françoise , et ce que
tous les maîtres , tous les regens , et tous
les professeurs devroient savoir . Pour profiter
des logetes de reste , on met à la se
èt à la colone du H le mot magasin expliqué
ailleurs ; à la 10 tèmes à faire ; à
la 11 tèmes faits à la colone du Z , on
DANI. Vol.
met
2570 MERCURE DE FRANCE
met nombres , chifres ou livret ; et aus deus
dernieres les poins de suspension , d'interuption
.... , les paragrafes §§ , les piés
de mouche ¶¶ , les guillemets « » , les
signes de plus , de moins ,
d'égalité , et les traits ou tiréts
que les imprimeurs apelent division , qui
coupent, replient et divisent les mots qu'on;
n'a pu achever au bout de la ligne , ou qui
lient des mots composés, come porte-feuille,
tourne-broche etc. on tiendra tous les autres
signes et les asterisques dans ces deus
derniéres logetes du troisième rang de
cassetins .
Le quatrième rang est pour des sons.
diférens , placés néanmoins dans la colone
de la letre avec laquele ils ont le plus de
raport à l'oreille où à l'euil ; le reste come
poins , virgules , apostrofes , parentèses ,
crochets etc. est mis à discretion dans les
celules vides du 4 rang qu'on apele le
segond rang composé , ensorte que les deus
premiers rans sont dits simples , parceque
leurs celules contiènent les simples letres,
et les deus autres rans sont dits composés ,
parceque leurs celules contiènent de dou
bles consones , de doubles letres , de doubles
sons , et enfin des diftongues par
raport à l'euil ou à l'oreille. Pour profiter
du vide des colones M, N, on y a mis
les diftongues oi et ni , qui reviènent sou
GAL. Vol.
vent
DECEMBRE. 1730. 2571
vent dans les mots des tèmes , des frases ,
ou du discours , et pour distinguer le son
de la voyele è ou of du mot il conoìt , de
la diftongue oi du mot roi , on emploie
l'ì grave , come dans les mots il avoit , ils
portoient etc. et l'on emploie l'i ordinaìre
dans les mots loi , roi etc. ensorte que 1ì
grave servira à indiquer l'è ouvert composé
de deus letres dans les mots françois,
maitre , peine etc. et l'i algu indiquera l'ẻ
fermé composé aussi de deus letres dans
les mots j'ai , je ferai plaisir etc. ce qui
şera tres utile non seulement à l'enfant ,
mais encore aus étrangers et aus gens de
province peu au fait de la prononciation
des e simples , ou composés de plusieurs
letres.
On metra aussi au quatrième rang la
voyele eu au haut de la colone e ,
d'autant
que la prononciation en est presque come
cèle de l'é muet françois ou soutenu et
d'une seule lètre ; au lieu que la difton
gue oculaire eu est dans un sens l'e fran
çois soutenu de deus letres ... Le son
gne françois sera mis à la 7 celule au
haut de la colone g , parceque le mot copar
un g ; en Espagne et en portugal
on le metroit au fi ou au nh , colone
du n...Le son che françois , au mème
rang , et au haut de la colone du jou du
sonjeja , parceque le son françois che ost
I. Vol.
mence
le
2372 MERCURE DE FRANCE
le son fort du foible jes en Alemagne ,
on metroit le che à la colone du sch , parceque
les Alemans n'ont point de jou
le son du ge dans leur langue ... Les sons
ill , lh , ille mouillés , au haut de la colonel
, par raport à l'euil plutot qu'à l'oreille
; car en Italie on le metroit au gli ,
colone du g ... La voyele on au haut de
la colone o , par raport à l'euil plutot qu'à
l'oreilles en Italie , en Efpagne , en Âlemagne
, on metroit l'ou à la colone de l'u
qu'on y prononce on . ceci doit fe pratiquer
de mème pour le grec , l'ebreu
Parabe , et toutes les langues .
> > > , >
On doit metre les cinq voyeles nasales
ã‚é‚í‚õ‚ú¸ avant les chifres , et tout
de suite , pour en faciliter l'usage à l'enfant
qui compose sur la table du bureau .
Les dis chifres arabes seront mis aus dis
dernieres logétes avec des chifres romains
pour composer en françois et en latin .
c'est cète rangée de trente cassetins qui
a obligé à en doner autant aus autres
rans. on doit encore dire ici qu'on ne
sépare pas toujours par des virgules ou
par des poins les diférentes combinat
sons ou les diférens signes indiqués pour
la mème logete dans la planche du bureau
, parceque l'on a craint que le lecteur
n'imaginât ces virgules et ces poins
être nécessaires sur les cartes des mèmes
I. Vol.
logetes,
DECEMBRE. 1730. 257 3
logètes , come , par exemple, le point des
cartes marquées d'un c. au dessous de
la logete des chifres VI , 6.
La logète du magasin , du suplement.
ou du plein bureau , apelée la bureaulade
sert à l'enfant pour mètre les mots et les
tèmes composés , lorsque la table du bureau
est pleine , ou que l'enfant pressé
permet qu'un autre range les cartes après
qu'il a lui seul composé le tème , le tout
pour diversifier , et plaire en instruisant,
bien loin de dégouter. on trouvera à
peu près de mème la raison de chaque
chose , si l'on veut bien se doner la peìne
d'y faire un peu d'atention , come on
l'a déja dit bien des fois dans la manière
d'apeler les letres et les sons simples ou
composés par raport aus ieus ou à l'oreille.
§. 6. Garniture ou assortiment de cartes
Pour les quatre rans de casseins du bureau
tipografique.
Pour garnir le bureau tipografique , il
faudra mètre sur des cartes séparément
non seulement les lètres , mais encore
leurs diférentes combinaisons pour exprimer
les sons simples ou composés , ce qui
servira beaucoup à l'ortografe des ieus et
de l'oreille , et donera plus de facilité et
de varieté pour le jeu tipografique , que
I. Vol. B n'en
2574 MERCURE DE FRANCE
n'en pouroit doner une imprimerie ordinaire.
D'ailleurs l'avantage de pouvoir
lire et composer en latin et en françois
dès le premier jour de l'exercice , est un
avantage qui fera toujours taire les esprits
prévenus , incapables avec les métodes
vulgaires de montrer l'ortografe et
le latin à un petit enfant , avant qu'il
comance d'aprendre à écrire un autre
avantage du bureau , c'est de soulager les
maitres, les régens, et les professeurs , en
leur formant de bons écoliers , et les rendant
en moins de tems plus fermes sur
la téorie et sur la pratique des premiers
élemens literaires, que ne le sont ordinalrement
la plupart des enfans condanés à
Particulation des anciènes métodes , ce
qui démontre l'utilité et la compatibilité
de l'exercice du bureau avec tous les devoirs
des meilleurs colèges.
TABLE des letres , des sons simples ;
des sons composés et des combinaisons
necessaires pour la garniture du bureau
tipografique.
GARNITURE,
Logetes.
a
aa. à. á. â. a. ǎ. af. ha. has. aë.
ê.
с ce. è . é. ë.
iii. . . . . . I. if. hi. ic,
e. ĕ. ef. he.
I
I. Vol.
DECEMBRE. 1730. 2575
ô. ō. ŏ. ef. ho. hof. au. cau. haw
ooo. ò. 6.
u uu. ù. ú. ü. û. ũ . ŭ, uſ. hu. huſ, cu. ".
b bb. be, bd..hr .
с cc. ç . &t . c'. ce.
ddd. d'. de. 2ª.
fff. ph. ft. fs. ff. fi . ffi . ft. ft. pht. phth. phr.
phl. phe.
ggggu. ga. go . gh. ghe, gue.
hha. he, hi. hơ. hư. hy . heu . hai. hon.
kke. ky. que. ca, co. cu. qu.
1 11. P. le .
mmm. m. m³, m². m. m²®, m¹è, me, m², meat.
n
Me. MM .
nn. ñ. n'. n ° . n. ne.
P PP. pe. pn. pt. ps. PP.
q cq. qua, que , qui, quo . qu. qu'. quæ . q;, qui
r rr. rh. r'. re. " . RR..
iss. fl. fs, sl. fc. fç.fl. ff. sph. fph. fg. fi . fm.
ſp. ſq. ſqu. ft. fth . ffi. se. ſe. ci. ce. i. S. st.
• fee SS. ç.
t tt. th. thrh.thl. t '. te. .. a. &e. Ato. Au.
V v. w. W. ve. Ve.
Je. j'.ge. gi. ginta.
X x. xc. gz. kf. xc. xfc.
yhy. ys. yf. hys. ii. iï.-ÿ.
Z z. ze.
ง.0
ès. èf. cis. ci. ey. al. ay. ais. aî. aient.oiens
oi. oy. hai. hay. ols. oit.
é aí . oe. oe. &. &. ét. Æ. E.
eu eû. eus . heu . `oeu. oei,
I. Vol. Bij
OW
2576 MERCURE DE FRANCE
Ou ou. où. ouf. oû . hou.
ch ch. che,
gn gn. gn. gne. gne.
lh_lhe . il. ill. ille . lle. 1.
ã an. a. é: hen. em . han. hã. aën, aon , ham,
èn. èm. ein . èí. eim. hin . hĩ ein .
1 in. im. ain aim. aĩ. ein . eĩ. ìn , ain.
Õ on . om, hon . hõ . hom
ū un. um . hum . hun , hũ, cũ .
Diftongues.
Oi ois. oĩ. oin. oy. hoi . hoy oic.
ui uis. uĩ. uin, uy. hui. huy. uic.
Suplement.
a
ante 60ante. 20ª.
i 20leme , ier.
f Fin. Finis.
Įginta 30. 40ginia .
Ponctuation. , ; : . ? !
Chifres. 0. 1. 2. ༣. 4.
·
+
5. 6. 7. 8.
I. II. III. IV. V. VI. VII . VIII.
9. 0. 10 .....
IX. X.
31. & c.
XXXI. & c.
Signes . ( ) .. [ ] *. §. ¶. + ----
တ
& &c.
† * < >
1
T
·
i
I. Vol.
LES
DECEMBRE. 1730. 2577
XXXXXXXXXXXXXXX
LES HYRONDELES ,
IDILLE,
Par Me de Malcrais de la Vigne , du
Croific en Bretagne.
Vos petits becs , Hirondeles badines ,
Donnent à ma fenêtre en vain cent petits coups;
Vous croyez m'éveiller , moi qui dors moins que
vous :
Mais vous allez partir , aimables Pelerines.
Helas ! votre départ annonce à nos climats
Le retour des glaçons , des vents & des frimats.
Quand on aime, dort-on ? fur cela j'interroge
Tout ce qu'Amour peut bleffer de ſes traits ;
Dans le coeur , dans les yeux ce Dieu fubtil fe
loge ,
Et quelque part qu'il aille , il en bannit la paix.
Ah ! que j'aime à vous voir l'une à l'autre fideles
,
Vous donner en partant cent baifers favoureux ;
Et d'un leger battement d'aîles ,
Exprimer à l'envi les ardeurs mutuelles
Qui brulent vos coeurs amoureux !
1. Vol. Bij Rai2578
MERCURE DE FRANCE
Raifon vainement attentive ,
Pourquoi viens - tu mêler aux plus charmans plaifrs
De tes fâcheux conſeils l'amertume tardive
Nous fuivons malgré toi la pente des défirs
Où nous porte en naiffant l'humeur qui nous
domine ,
Et ta trifte lueur , cette lueur divine
N'éclaire que nos repentirs.
>
Habitantes des airs , Hirondeles legeres ,
Qu'à bon droit les Mortels devroient être jaloux
De l'inftinct qui vous rend plus heureufes que
nous?
Du déchirant remors les bleffures améres ,
Les foupçons délicats , les volages dégouts
Ne corrompent jamais vos unions finceres ;
Ce n'est pas l'or qui joint l'Epoule avec l'Epoux.
De ces parens atrabilaires ,
Par caprice à nos voeux le plus fouvent contraires
,
Vous ne craignez point le couroux.
L'Amour feul dont les loix ne font pas mercenaires
Préfide à vos tendres miſteres ,
C'est le coeur qu'il confulte en agiffant fur vous ›
Et vos noeuds toujours volontaires ,
Forment l'enchaînement d'un fort tranquile &
doux.
I. Vol "L'HiDECEMBRE.
1730. 2579
L'Hirondelle à fon pair paroît jeune à tout âge ,
La vieilleffe fur nous déployant fes rigueurs ,
Trop fortunés Oiſeaux , ne vous fait point d'outrages
Ses doigtslour ds & crochus, fur votre beau plu
mage,
Ne viennent point coucher d'odieufes couleurs ;
Sexe infortuné que nous fommes !
Quatre Luftres complets font à peine écoulés ,
Que , mauvais connoiffeur , le caprice des hommes
,
Croit les Ris & les Jeux loin de nous envolés ;
A trente ans on eft furannée ,
A quarante il devient honteux
Qu'on penfe qu'une amé bien née
Puiffe encore de l'amour fentir les moindres feux,
Cependant cet amour peureux
Qui veut & ne peut point éclore ,
En eft toujours plus allumé ;
Un brafier trop long- tems fous la cendre enfetmé
,
Soi-même à la fin fe dévore.
Et c'est ainsi qu'un coeur , en fecret enflammé ,.
Après avoir langui meurt en vain confumé ;
D'un défordre pareil la nature affligée
Murmure avec l'amour de fe voir negligée ,
Et qu'un honneur fondé fur de bizarres Loix ,
Retranche impunément la moitié de fes droits.
L Vo! B iiij Inflé2580
MERCURE DE FRANCE
Infléxible Raifon qui nous tiens à la gêne ,
Faite pour les Humains , tu parois inhumaine ;
Nos coeurs tirannifés par tes reflexions
Ne font qu'aller de peine en peine.
Couverne , j'y confens , les autres paffions ;
Tu peux les opprimer fous ta loi la plus dure ,
Semblable à l'horrible Vautour
Qui ronge Promethée & la nuit & le jour ;
Mais laiffe au moins à la Nature
A régler celle de l'Amour.
Cherchez un autre Ciel , aimables Hirondeles ,
Où le Soleil chaffant les pareffeux Hyvers ,
Entretienne en vos coeurs des chaleurs éternelles.
Hélas ! que n'ai -je auffi des aîles
Pour vous fuivre au milieu des airs !
Puiffiez- vous fans péril paffer les vaſtes mers !
Puiffe Eole , à votre paffage ,
'Ainfi qu'aux jours heureux où regne l'Alcion ,
Dans fes antres profonds emprifonner la rage
Des Enfans du Septentrion .
Mais fi malgré mes voeux les efforts de l'orage
Dans les flots contre vous armés ,
Vous ouvroient un tombeau , vous auriez l'avantage
D'embraffer en faifant naufrage
L'Hirondele que vous aimez,
I. Vol.
Le
DECEMBRE. 1730. 2581
Le plus charmant Mortel qui fut jamais au
monde ,
Et dont j'adore les liens ,
Le beau Clidamis eft fur l'Onde ,
En expoſant ſes jours , il a riſqué les miens
Si fur ces Plaines inconftantes
Vous voyez le Vaiffeau qui porte mon Amant
Allez fur fes Voiles flotantes
Prendre haleine au moins un moment.
Si par vous , cheres confidentes ,
Le fecours de ma voix pouvoit être emprunté ,
Yous lui raconteriez les peines que j'endure ,
Vous lui feriez une peinture
De mon efprit inquieté ;
Vous diriez qu'auffi -tôt qu'un Vaiſſeau nous arrive
Je vais d'un pas précipité ,
De mon cher Clidamis m'informer fur la rive
Le coeur entre la crainte & l'eſpoir agité ;
Que vers l'Element redouté
Je tourne inceffament la vue ;
"
Que pour peu qu'à mes yeux l'onde paroiffe
émuë ,
Je fuis prête à mourir d'effroi ;
Qu'il peut par fon retour terminer mon fuplice
Et qu'en attendant ſon Uliffe
Penélope jamais ne fouffrit tant que moi.
I. Vol By DFE
2582 MERCURE DE FRANCE
XXXXXX : XX:XX : XXXXX
DEFFENSE de la Lettre écrite à
M.l'Abbé de Cheret , & inferée dans le
Mercure du mois de May 1729. au´ſujet
du Projet du nouveau Miffel , à l'ufage
du Diocèfe de Chartres ; en reponse à un
Article des Memoires de Trevoux , du
mois d'Aouft de la même année.:
page
Remierement,l'Auteur de cette Let-
P tre avertit le Public qu'il s'y eft glif
fé plufieurs fautes d'Impreffion.Par exemple,
au lieu de Sauveau , il faut lire Fauveau
, c'eft le nom de l'Auteur. A la
864. ligne 1ere , au lieu des trois Mages ,
lifez le trois May. A la page 867.ligne 10.
il faut lire pofita , au lieu de pofita ; fans
compter les fautes de ponctuation , qui
alterent fouvent le fens.
Secondement , l'Imprimeur a'oublié de
marquer à la niarge,vis- à- vis l'endroit où
il eft parlé de Maldonat ; le monument
public , d'où l'on a tiré les Paffages Extraits
de cet Auteur , qui eft la 29 des
Lettres choifies de M. Simon , du Tome
2. de l'édition de 1704. A Roterdam
chez Reinier Leers , pages 180 & 181 .
Les Curieux liront fans doute cette Lettre.
M. Simon y fait l'Analyſe du Traité
I.Vol. manuf
DECEMBRE . 1730. 2583
manufcrit de Maldonat qu'il avoit , fur
les ceremonies en general ; & en particulier
fur les ceremonies de la Meffe . On
y trouvera mot à mot les paffages latins ,
citez dans la Lettre cy - deſſus , & que Maldonat
eft réellement & authentiquement
la caution de la Critique du Doyen de Maintenon.
Quoiqu'on en dife dans les Mémoires
impriméz à Trevoux, au mois d'Aouſt
1729. page 1475. On y trouvera auffi que
ce Sçavant Jéfuite y tient le même langage
,que l'on femble relever dans le Pere
le Brun de l'Oratoire , lorſqu'on cite l'endroit
où il a dit , que toutes les anciennes.
Collectes s'addreffent à Dieu le Pers ; ầ
moins que des gens exceffivement clairvoyans
, ne prétendent que cette Propofition
du P. le Brun , eft plus hardie &
moins ménagée que celle- cy de Maldonat
, rapportée par M. Simon , dans fa
Lettre cy - deffus citée. Numquam Ecclefia
direxit fuas orationes nifi ad Deum
Patrem quod à Chrifio fponfo fuo didicit.
On jugera par cet endroit dont on n'avoit
point parlé; fi loin d'avoir ajouté ,
on n'a pas au contraire fupprimé les
termes de Maldonat , qui pouvoient paroître
un peu forts , & un peu trop étendus
, pour le renfermer dans les Oraifons
& Collectes de la Meffe.
Il ne manque rien à l'Exemplaire que
I. Vol. B¯`vj j'ai
2584 MERCURE DE FRANCE
j'ai dit : M.Simon , dans la derniere page
de cette même Lettre 29. qui commence
à la page 174. & finit à la page 186.
On peut encore lire la Lettre 17. du 1er
tome , du même Auteur. ( C'eft apparemment
la même que Bayle cite , la i 、e
de l'édition de Trévoux , à l'article de
Maldonat ; ) on y trouvera plufieurs particularitez
affez curieufes au fujet des Ouvrages
MS S. de Maldonat. Comme les
Continuateurs de Morery nous affurent
dans l'édition de 1725. que M. Simon
a laiffé en mourant , fes Ecrits & fes Papiers
à la Bibliotheque de la Cathedrale
de Rouen. Le Manufcrit en queſtion de
M. Simon pourroit peut - être s'y trouver.
D'ailleurs , puifque M. Simon dans fa
17 Lettre cy-deffus , nous marque , qu'il
n'a rien vû de plus exact fur les Ouvrages
MSS. de Maldonat , qu'un Recueil
qu'il a vû , & qui étoit entre les mains
de M. Dubois , Docteur de Sorbonne ,
qui a fait imprimer quelques opufcules
de Maldonat en 1677. & qui eft l'Auteur
de l'Epître dédicatoire , & du Difcours
qui fuit , qui font à la tête de ces Opufcules.
On peut vérifier les citations cydeffus
, fur ce Recueil de M. Dubois , en
s'informant de ceux qui en font les Poffeffeurs
: Mais , au refte , fi malgré tout cela,
on ne vouloir point encore que Maldo-
1. Vol.
nat
DECEMBRE . 1730. 2585
nat fut notre caution , on en trouvera
d'autres qui le valent bien , & qui ne le
tier.dront point à deshonneur,
3° . On remarquera que l'Auteur de la
Lettre à M. l'Abbé de Cheret , n'ayant
pû , dans les bornes étroites de fa Lettre ,
renfermer toutes les preuves & authori
tez qu'il avoit en main , pour appuyer la
propofition qu'il a avancée , que les Colfectes
de la Meffe , doivent réguliérement
s'addreffer au Pere Eternel . Il pric
le public d'y fuppléer , en recourant à
l'excellent Traité de Ritibus Ecclefia du
Préfident Duranti , Auteur dont l'Ouvrage
eft generalement cftimé & regardé
comme un des meilleurs dans ce genre
de Litterature.
Duranti , dans le chap. 16. du 2. Liv.
de Ritibus Ecclefie , num. 12. 13. 14. 15.
16. & 17. de l'Edition de Cologne en
1592. pag. 385. auffi-bien que dans le ch.
31. du même livre , num. 8. pag. 464.
comme encore , ch . 33. num . 2. pag.49 3 .
& ch. 48. n. 1. pag. 635. foutient cette
même Theſe , & la prouve à fon ordinaire,
par les authoritez des Peres & des Auteurs
Eccléfiaftiques , des différens fiécles
de l'Eglife , en faifant voir la Tradition
fur ce dogme. On peut bien croire , qu'il
n'oublie pas le Capitule 23. du 3 Concile
I. Vol. de
2586 MERCURE DE FRANCE
de Carthage , que l'on a cité dans la Lettre
de M. l'Abbé de Cheret.
Mais afin que l'on ne croye pas que ce
foit là un Reglement des Evêques d'Af
frique , fur un point de difcipline , qui
ait changé dans les fiecles fuivans ; on
trouvera dans cet Auteur des Palages
tres-formels de prefque tous les fiecles de
l'Eglife , depuis ce Concile , qui tiennent
le même langage, Comme ont fait S.Fulgence
, lib. 2. ad Monimum , quaft. 1 .
Charlemagne , in fragmentis de Ritibus
Ecclefia veteris. Alcuin , femel atq . iterùm
de Divinis Officiis . cap. de celebratione
Miffa. Radulphus Tungrefis , de Canonis
obferv . prop. 23. Florus Magifter in Exegefi
Miffa: Micrologus : Stephanus Eduenfis.
lib. de Sacram. Altaris. Odo Cameracenfis
in expof. facri Canonis . S. Bernardus
, ou plutôt Guill. à S. Theodorico ,
lib. de amore Dei , cap. 8. & plures alii.
Je me contenterai de rapporter icy
quelques-uns de ces paffages , qui font fi
formels & fi précis , pour la preuve de la
propofition dont il s'agit , que je n'ai pas
la force de les fupprimer. Ils m'échappent
malgré moi. Voici comme parle , aunom
de tous les autres , Florus Magifter , in expofitione
Miffa fur ces mots : Te igitur ,
clementiffime Pater. Dirigiturhac oratio , dit
I. Vol.
cet
DECEMBRE. 1730. 2587
1
tet Auteur : Sicut reliqua Orationes juxta
Regulam fidei & morem Ecclefiæ ad Clementiffimum
Patrem ...... & hoc perJefum
Chriftum Filium tuum , Dominum noftrum ,
per quem , omnis fupplicatio , & petitio noftra
, ad Deum dirigi debet , tanquam per
verum mediatorem, & æternum Sacerdotem .
Le même Auteur , fur ces mots : Per
Dominum noftrum , de l'Oraiſon : Libera
nos , ajoute encore , quod utique certâ ras
tione ut fæpè dictum eft , Catholica concelebrat
Ecclefia, propter illud utique Sacramen▾
tum , quod Mediator Dei & hominum
factus eft homo Chriftus , & c.
,
L'Auteur , nommé Micrologue , ch. 5.
Oratio quidem ad Patrem dirigenda eft.
Juxta Domini Praeceptum , & c. Le même
Auteur , au ch. 6. de Conclufione oratio
dit encore : Concludimus orationes
per Dominum noftrum videlicet Patrem
orando
per Filium , juxta ejufdem Filii preceptum.
Le même Duranti , lib . 2. cap.48.pag.
635. rapporte encore un long Paffage ,
tiré des Capitulaires de Charlemagne , qui
femble être comme la bafe & le fondement
de cette Théologie des anciens.
Carolus Magnus in fragmentis de Ritibus
veteris Ecclefia : ut ad folum Patrem dirigatur
oratio : cùm totius fanita Trinitatis ,
ficnt una eft deitas , ita aqualis honor &
I. Vol. glori
2588 MERCURE DE FRANCE
glorificatio debeatur. Id Apoftoli, per eos,ordinante
Spiritu , fanxerunt , ut qui multorum
Deorum errores , unius Dei Pradicatione
, nitebantur evellere , fub Trinitatis
Sacramento , uni Perfona , in Sacrificiorum
ritu , fupplicare decernerent rectif
fime ergo conftitutum , ut quia Pater, &
Filius , & Spiritusfanctus , unius deitatis ,
unius naturæ , unius ſubſtantia , unius de- .
nique poteftatis exiftant , una ex eis Perfona,
propter unitatis Myfterium retinendum,
in facrificio invocaretur.
·
J
Combien de Dogmes , fur lefquels la
tradition n'eft pas plus claire , plus précife
& plus conftante ? Ne voit - on pas
d'abord que fi l'Auteur de l'Article en
queftion , des Mémoires de Trévoux
croit avoir droit de foupçonner l'Au--
teur de la Lettre , de croire que le Nom
de Dieu et proprement affecté au Pere,
& ne fe peut donner directement au Fils,
& de chercher à favorifer les nouveaux
Ariens ou Sociniens , pour avoir foutenus
la Theſe cy-deffus ( quoiqu'il ait répeté
plufieurs fois dans fa Lettre , que le
Fils étoit également Dieu comme le
Pere ; fi cela ne fuffit pas , on ajoutera
encore qu'il eft confubftantiel au Pere ,
& qu'il eft prêt de verfer fon fang ,
pour la confeffion de cette verité capi
tale de notre Foy. Ne voit- on pas , dis-
I.Vol.
je ,
DECEMBRE. 1730. 2589
›
je , que ce reproche & ces foupçons doivent
tomber également fur tous les Auteurs
cy- deffus citez ; & même à plus jufte titre
? Mais S. Fulgence , lib. 2. ad Monimum
, quæft. 1. raiſonnoit bien differemment
, fuivant en cela les Regles d'une
dialectique , bien plus conforme à l'efprit
de l'Evangile , & à la doctrine des
Saints Peres. Voicy comme il réfutoit ces
fauffes conféquences : Neque enim, dit il
prajudicium Filio , vel Spiritui fan &to comparatur,
dùm ad Patris perfonam precatio
ab offerente dirigitur , cujus confummatio
dum Filii & Spiritus fancti complectitur
nomen ; oftendit nullum effe in Trinitate difcrimen;
quia dùm ad folius Patris perfonam,
honoris fermo dirigitur , benè credentis fede ,
tota Trinitas honoratur , & cum ad Patrem
litantis deftinatur intentio , facrificii munus ,
omni Trinitati , uno eodemque offertur litantis
officio. Ne peut- on pas , après cela ,
en fe plaignant , fe fervir des termes
d'Optat de Mileve : Paganum vocas , ditil
, eum qui Deum Patrem per Filium ejus
ante altare oraverit , lib. 3 .
On voit par tous ces Paffages & par
les authoritez cy- deffus rapportées
que ces anciens Auteurs ne s'embaraf
foient guere des objections que l'on fait
dans les Mémoires de Trevoux , contre
cette Theſe , en difant que ce raiſonne-
I. Vol. ment
2590 MERCURE DE FRANCE
...
ment meneroit trop loin , qu'on doit
avoir égard non feulement au Sacrifice ,
mais encore au Sacrement , qui eft lié
étroitement au Sacrifice..
qu'on
doit trouver bon que des Collectes , où
l'on a en vûë le fruit du Sacrement , &
la participation à la victime , foient
quelquefois addreffées à JESUS- CHRIST
&c. Comme ces anciens font les garants
de l'Auteur de la Lettre , c'eft à eux ,
pour ainsi dire , à répondre pour lui
s'il eft neceffaire.
Mais s'il paroît que la principale objection
qu'on propofe avec un air de
triomphe & de confiance contre la Thefe
de l'Auteur de la Lettre , qu'apparemment
on a cru être une idée nouvelle
& particuliere , & n'avoir , aucun font
dement dans l'antiquité & la tradition
de l'Eglife. Il' paroît , dis -je , que la prin
cipale objection que l'on fait , & que l'on
croioit ne retomber que fur l'Auteur de
cette Lettre , eft que l'on addreffe à J.C.
en toutes les Meffes , les trois Oraifons
qui précedent immédiatement la Com
munion du Prêtre , & que c'eſt encore à
J. C. que s'addreffe l'Agnus Dei , & la
priere : Corpus tuum quodfumpfi.
Pour répondre à cette objection , il
eft bon de faire attention , 1°. à une remarque
que nous fait faire le Micrologue,
1. Vol. &
DECEMBRE 1730. 2391
,
& après lui Raoul ou Radulphe de Tongres
, fur ces mêmes Orailons. On ne
manqueroit pas de la trouver trop hardie
, fi on l'avançoit aujourd'hui pour la
premiere fois , dira - t- on ; cependant
que les fiecles où ont vécu ces Auteurs
fuffent trop délicats , & trop critiques.
Orationem dit Radulphe de Tongres,
quam inclinati dicimus , antequam communiamus
, non ex ordine , fed ex Religioforum
traditione habemus fcilicet hanc Domine
Jefu Chrifte , qui, &c. ac illud Corpus
& Sanguis Domini noftri Jefu Chrifti , quod
dicimus cum aliis Euchariftiam diftribuimus.
Sunt & alia multe orationes , quafquidem
ad Pacem & Communionem , privatim frequentant,
fed fecundum Micrologum, cap.18,
diligentiores antiquarum traditionum obfer
vatores , nos in hujufmodi privatis oratio.
nibus , brevitati ftudere docuerunt : potiuf
que publicis Precibus , in officio Miffa occupare
voluerunt. Nam B. Innocentius
Papa fcribens B. Auguftino & Aurelis
Epifcopis , afferit , quod nos plus communibus
& publicis , quam fingularibus & privatis
orationibus proficere poterimus.
On peut inférer de cette obfervation,
que ces Oraifons ne fe difoient pas encore
à la Meffe du temps du troifiéme
Concile de Carthage , & qu'ainfi fon Or
donnance du Capitule 23.cy- deffus citée,
I.Vol. n'étoit
2592 MERCURE DE FRANCE
n'étoit point encore contredite , par la
forme & la difpofition de ces Oraifons de
la Communion qui s'addreffent à Jefus-
Chrift. Auffi le Pere le Brun foutient - il
que ces trois Oraiſons n'ont pas plus de
fept à huit cens ans d'antiquité.
2.Ces Oraifons femblent être particulie
res pour la perfonne même du Prêtre ,
qui étant fur le point de communier
quitte , pour ainfi dire , l'action du Sacrifice
, & le perfonage de Sacrificateur,
pour adorer & prier Jefus- Chrift pour
foy même, avant que de le recevoir. C'eſt
pour cela apparemment , qu'il parle au
fingulier dans ces Oraifons ; l'Eglife qui
a adopté ces Prieres , qui nous viennent
des pratiques de dévotion de quelques
particuliers , felon les deux Auteurs cydeffus
: Non ex ordine , fed ex Religioforum
traditione, n'a pas cru apparemment qu'elles
fuffent à rejetter & condamnables ,
pour cela feul , qu'elles n'entrent peut-être
pas fi parfaitement dans l'action & le caractere
du Sacrifice , que les autres Collectes
& Oraifons , dans lefquelles le Peuple
s'unit au Prêtre , & s'affocie avec lui
pour offrir & participer au Sacrifice . Or il
ne s'agit que des Collectes & Oraifons de
la Meffe , lefquelles doivent exprimer les
voeux & les priéres de l'Eglife & du peuple.
I.Vol. De
DECEMBRE . 1730. 259 3
De même encore l'Agnus Dei , étant
une adoration de Jefus- Chriſt , comme
Agneau qui efface les péchez du monde ,
l'invocation n'en doit point être féparée ;
autrement on ſembleroit ignorer ſa Divinité
, & ne l'a pas reconnoître. Par cette
priére de l'Agnus Dei, & par ces Oraifons
de la Communion du Prêtre , nous pratiquons
ce que demande S. Auguftin , fur
le Pleaume 98. comme le remarque Duranti
, page 685. Sane hâc précatione obfervamus
quod Auguftinus ad Pfalmum 98 .
feribit , nemo carnem Chrifti manducat , nifi
priùs adoraverit : adorationem autem , &
oratio confequitur,quare hanc precationem &
eas que fequuntur,ad ipfum Chriftum conver
timus , dicentes : Agnus Dei , qui tollis peccata
mundi .
Au reste , quoique Fuxta Regulam fidei.
& morem Ecclefia , comme parlent les
Auteurs cy - deffus , les Oraifons de la
Meffe doivent s'adreffer au Pere Eternel ;
s'enfuit-il de - là qu'on ne puiffe jamais
adreffer fes Prieres à Jefus-Chrift ? Nullement
; car puifqu'il eft également Dieu ,
comme le Pere , il mérite également nos
voeux , nos hommages & nos Prieres . On
vient de le voir dans les Paffages de Charlemagne
& de S. Fulgence , cy- deffus rapportez
; mais c'est qu'il y a , felon les faints
Peres & les Théologiens , une certaine
oeconomie à obſerver. L'ex2594
MERCURE DE FRANCE
L'extrême difproportion & la diftance
infinie qu'il y a de notre baffeffe , notre
néant , notre indignité , à la Divinité
qui feule peut remplir nos befoins , a formé
la néceffité d'un Médiateur , pour
nous approcher de Dieu , & en être
pour ainfi-dire, plus à portée. Jefus Chriſt
Dieu & Homme , eft ce Médiateur qui
touche & joint ces deux extrémitez : Vnus
Médiator Dei & hominum , homo Chrif
tus Jefus. C'eſt lui qui nous fert comme
de degré pour nous élever & nous faire
arriver jufqu'à Dieu . Or c'eft précisément
felon fon humanité & en tant qu'homme,
que J.C. nous rend cet office, fuivant
S. Auguftin , Lib. de Peccato Originali ,
Cap. 28. Per hoc prodeft Chriftus , quia eft
Mediator ad vitam ; non autem per hoc Mediator
eft , quod aqualis eft Patri ; per hoc
enim , quantum Pater, tantùm & ipfe diftat
à nobis : & quomodo erit medietas , ubi
eadem diftantia eft. Ideò Apoftolus non ait ,
unus Mediator Dei & hominum Chriftus
Fefus , fed homo Chriftus Jefus : per hoc ergo
Mediator, per quod homo , &c. Si nous
confiderons Jefus - Chrift comme Dieu ,
la Priere qui lui eft adreffée eft alors ,
per ipfum implenda , comme parlent les
Théologiens ; fi nous le regardons comme
homme, la Priere eft alors , per ipfum impetranda.
Comme donc c'eft proprement .
7
L. Vol.
dans
DECEMBRE. 1730. 2595
1
dans le faint Sacrifice de la Mefle que J.C.
exerce cet office de Médiateur ; que fon
humanité , qui y eft le Sacrifice , eft la
médiatrice & la caufe méritoire ; il s'enfuit
que l'on confidere principalement
alors Jefus- Chrift fous le refpect & la
précifion d'homme , & qu'ainfi ce n'eft
point directement à J. C. mais par J. C.
qu'on doit alors adreffer les Prieres à Dieu
le Pere , autrement c'eſt ſortir du caractere
& de l'economie de ce Sacrifice ;
c'eft à Dieu le Pere , ou fi l'on veut à toute
la fainte Trinité , qu'on offre le Sacrifice
pour obtenir des graces & des
bienfaits , par la médiation de l'humanité
de J. C. qui y eft immolée , lequel on ne
confidere alors , à proprement parler ,
que comme Agneau , Victime , Holocaufte
, Prêtre , Ambaffadeur , Suppliant
Médiateur , & c.
Or n'eft-ce pas , pour ainfi - dire , pren
dre le change & varier , que de s'adreffer
dans cette action , à l'Agneau , à la
Victime , à l'Holocaufte , au Suppliant
même? & c. Les Collectes de la Melle font
comme des Actes de pouvoir & des pro-.
curations que le Peuple donne au Prêtre
d'agir en fon nom , pour négocier , pour
ainfi dire , la paix avec Dieu ; elles pechent
donc dans la forme & elles font
défectueufes quand elles ne s'adreffent
à celui avec qui on a à traiter,
pas
2596 MERCURE DE FRANCE
-. Enfin c'eft par Jefus- Chrift , en lui
& avec lui , que l'on offre ce Sacrifice
à Dieu le Pere , mais non pas à Jefus-
Chrift même , qui foutient alors un
caractere tout different , comme on l'a
déja dit tant de fois . Per ipfum , & cum
ipfo , & in ipfo , eft tibi Deo Patri , &c.
Lefquelles paroles Duranti regarde comme
la conclufion & l'abregé du Canon de
la Meffe : Ecce , dit- il , præclara Canonis
conclufio , quâ ex ordine , qua in hoc Sacrificio
peraguntur , compreffius recenfentur.
Par cette oeconomie , l'action du Sacrifice
en eft plus clairement exprimée ; car comme
dans le Sacrifice , le Prêtre , le Suppliant
, le Médiateur , &c . doivent être
diftinguez de celui à qui on facrifie , en
addreffant le Sacrifice à Dieu le Pere , par
Jefus- Chriſt , Prêtre Suppliant , Médiateur
; cette diftinction fe fait mieux fentir
que fi ce Sacrifice étoit addreffé par
Jeſus- Chrift, à Jeſus- Chrift même en tant
que Dieu.
Voilà les Reflexions que l'Auteur de
la Lettre à M. l'Abbé de Cheret , a crû
devoir communiquer au Public fur cette
matiere , tant pour fa propre juftification ,
que pour un plus grand éclairciffement
de la theſe qu'on a avancée , fans vouloir,
aù refte , s'écarter en tout ceci de la regle.
d'une parfaite foumiffion au jugement
de l'Eglife.
ODE
DECEMBRE. 1730. 2597
*****X*X: X :X:XXXXXX
O DE
Sur la gloire des Saints , à l'occafion de la
Ceremonie faite pour la Canonifation des
SS. Stanislas Koftka & Louis de Gonzague.
Esclaves de la
renommée ,
Dont la frivole paffion ,
N'a point d'autre occupation ,
Que de pourfuivre une fumée ;
Que votre fort me ſemble dur ,
Quand l'efpoir d'un nom moins obſcur
De votre fang vous rend prodigues ;
Quand pour vivre dans l'avenir
Vous trainez parmi les fatigues ,
Des jours que les regrets ne font plus revenir,
Couverts d'une noble pouffiere ,
En vain vous cherchez les hazards ,
En vain vous voit -on des beaux arts;
-Courir l'épineuſe carriere ;
Souvent l'honneur capricieux ,
Echappe aux voeux ambitieux ,
Qui s'obftinent à le pourſuivre ;'
De fes partifans empreffez ,
I. Vol. C Com
2598 MERCURE DE FRANCE
Combien en voyons- nous furvivre ,
A leur gloire expirante , à leurs noms éclipfez !
>
Mais je veux que les Deftinées ,
Vous réfervent un fort plus doux ,
Qu'honoré long-temps après vous
Votre nom brave les années ;
O foins ! O déplorable effort ,
Qui n'a pour objet que le fort
D'un Cefar , ou d'un Alexandre !
Eh ! que fervent à ces Héros ,
Les honneurs qu'on rend à leur cendre ,
Quand l'ire du Seigneur les inonde à grands flots ?
W
Venez , venez ; de plus furs guides
Vous découvriront en ce jour ,
La route qui mené au ſéjour ,
Des biens , & des honneurs folides ,
Voyez STANISLAS , & LOUIS ,
Offrir à VOS yeux éblouis ,
La vraye image de la gloire ;
Tandis qu'à l'envi nos Autels ,
Confacrent ici leur mémoire ,
Ils regnent dans l'Olimpe , heureux, grands , immortels.
Ils n'ont point tenté ces conquêtes ,
Qui font triompher nos Guerriers :
1. Vol. Ils
DECEMBRE . 1730. 2599
Ils ont dédaigné ces Lauriers ,
Dont nos Sçavans parent leurs têtes
Chercher Dieu dans l'obfcurité ,
Gouter fa paix , ſa verité ,
Voilà leur fçavoir , leur étude :
Ils n'ont combatu que leur coeur :
Guerre de toutes la plus rude ,
Où l'ennemi qu'on frappe eft cher à ſon vainqueur
?
L'un dans la fleur de fa jeuneffe ,
Voit avec un noble dédain
Et le titre de Souverain ,
Et les droits flateurs de l'aineffe .
Il rougiroit de s'abaiffer
A des grandeurs qu'on voit paſſer
Comme l'éclair qui fend la nuë.
Pour arriver à la fplendeur ,
Que l'oeil mortel n'a point connue ,
C'est dans l'abbaiffement qu'il cherche fa gran
deur.
Victime de l'Amour Célefte ,
L'autre a tout ſouffert , tout quitté ;
Haï tour à tour , & flatté ,
D'un monde que fon coeur détefte.
Non , l'Enfer & tous les affauts ,
Ni tous les biens , ni tous les maux ,
N'ébranleront point fa conftance :
1. Vole Cij 31
2600 MERCURE DE FRANCE
Il franchit tout , il eft au port ,
Mais , redoublant ta violence ,
Là , tu l'attens, Amour, pour lui donner la moit.
潞
Il eſt donc jufte qu'en nos Faſtes ,
Leurs noms occupent déformais ,
Un rang que n'obtinrent jamais
Les grands exploits , les projets vaftes.
S'ils n'euffent tendu vers les Cieux ,
De tant de Princes leurs Ayeux ,
Ils auroient fubi la fortune ,
Et dans un éternel oubli ,
Peut-être une tombe commune ,
Tiendroit avec leur corps leur nom enſeveli.
Aujourd'hui du haut de leurs Trônes ;
Combien verront - ils à leurs pieds ,
De Souverains humiliez ,
Venir déposer leurs Couronnes !
C'est pour eux que brillent ces feux ,
Que l'air retentit de nos voeux ,
Que cette pompe orne nos Temples .
Et par mille organes divers ,
C'eſt leur gloire , c'eſt leurs exemples ,
Que la voix du Seigneur propoſe à l'Univers.
O qui me donnera des aîles,
I. Vol. Pour
DECEMRBE . 1730. 2601
"
Pour m'élever jufqu'au féjour ,
Où le Jufte enyvré d'amour ,
Brille de fplendeurs éternelles !
Lieux éclatans d'or & d'azur ,
Quand donc s'écroulera le mur
Qui me fépare de vos fêtes !
Jamais ne verrai - je , grands Saints ,
Ces Diadêmes fur vos têtes ,
Que de fa propre main l'Eternel vous a ceints !
來
Mais votre voix fe fait entendre !
► Mortel , au bonheur des Elus
"
>
•
» Apprends que tes voeux fuperflus ,
» Sans efforts ne peuvent prétendre.
" .. Qui donc t'arrête ? . hâte toi :
» Armé de courage & de foi ,
» Marche , cours , vole fur nos traces
» Et fçache qu'aux Céleftes Choeurs ,
Les enfans d'Adam n'ont de places ,
Qu'à titre de foldats, d'athletes, de vainqueurs
來
C'en eft fait , & mon coeur docile
Se foumet à tout fans regret ;
Trop long- temps il fuivit l'attrait
Des faux biens , de l'honneur fragile.
Brifez-vous , fers injurieux ,
Fers , dont le poids impérieux ,
I. Vo!. Ciij Me
2602 MERCURE DE FRANCE
Me tenoit courbé vers la Terre.
Monde pervers , fens ennemis >
Je vous déclare à tous la guerre :
Qu'attendrois-je de vous quand le Ciel m'eft
promis.
J. F. FLEURIAU , de la Compagnie
de J fus.
REFLEXIONS fur ces paroles
d'Hippoctates , Aphorifme XXXIII.
Section II. In omni morbo mente valere
bonum eft ; contrarium vero malum.
Puifque Uifque nous voyons tous les jours
les moindres paffions de l'ame
occafionnent dans la fanté la mieux établie
mille dérangemens dangereux pour
la vie; pouvons- nous douter que la crainte
ou l'appréhenfion de mourir ne faſſe
de plus grands defordres dans un Malade?
Mais plutôt qui d'entre les hommes , le
plus intrépide même , lorſque le mal eſt
affez férieux , fe fent à l'abri des troubles
qu'une penſée fi affreuſe jette dans
tout le corps ? L'on ne doit donc point
refufer , pour peu que le bien des Malades
tienne à coeur , une attention particuliere
à ces mouvemens de l'ame qui
I. Vol. agiffent
DECEMBRE . 1730. 2603
3.
agiffent fi puiffamment à nos yeux , &
la faine pratique de Medecine ne fçauroit
les abandonner à eux- mêmes fans rendre
les meilleurs remedes de l'Art , ou inutiles
ou pernicieux dans leur ufage. C'eft fur
un fondement fi folide qu'on eft porté à
croire que la plupart des Maladies ne deviennent
ferieufes , intraitables même, que
parce que la crainte , l'abattement , la
frayeur & le defefpoir , font toujours aux
trouffes des pauvres Malades; & que la fermeté
en enleveroit un plus grand nombre à
la Parque, que les Remedes les plus fpecifi
ques,qui ne meritent pas fouvent un nom
fi impofant : de- là vient qu'on a tout fujet
de penfer que dans les moins dangereufes
maladies comme dans celles qui le font
veritablement , on épargneroit plus de
vies au genre humain , fi on s'attachoit
moins àdonner des remedes, qu'à raffures
l'efprit allarmé des Malades.
Pour le convaincre de ce que nous ve
nons d'avancer , il ne faut que jetter les
yeux fur ces mélancoliques hypocondriaques
, fujets à des prétendues vapeurs qui
ne reconnoiffent pour caufe que le vice
de leur imagination ; c'eft ainfi que nous
trouvons quelquefois dans notre pratique
de ces hommes que les biens & les honneurs
inondent de toutes parts , au milieu
des plaifirs , qu'une fanté parfaite-
Cij ment I. Vol.
2604 MERCURE DE FRANCE
&
ment bonne & vigoureufe laiffe gouter
paifiblement à la fleur de leur âge , tomber
tout à coup dans un abattement &
dans une langueur toujours funefte à la
vie , fe rendre infupportables aux autres ,
le devenir à eux mêmes , fe laiffer aller
à des contentions trop longues , à des afflictions
extrêmes ; en un mot , ſe montrer
le jouet de leur imagination par ces récits
ennuyeux des plus legeres circonftances
de leurs maux dont ils accablent ceux
qu'ils engagent férieufement à les entendre
. Des Malades de cette efpece peuventils
trouver du fecours dans l'adminiftration
des remedes , & ne feroit- ce pas pour
lors réfifter à l'experience qui apprend
conftamment au prix de la vie de ceux
qui la confient aux ignorans , que l'abattement
, la langueur de l'efprit , fe guerit
moins par l'ufage des remedes , que par
la diverfité des idées , les converfations ,
les Affemblées des perfonnes enjoüées ,
& fur tout par la fermeté ou le courage
que les bons Medecins ne manquent
jamais de préferer falutairement à tout
autre fecours ? d'ailleurs comme l'oifiveté
leur donne occafion de fe trop écouter
les exercices moderez du corps ne feroient
ils pas pour ces Malades un bon régime.
de vie ? peut être même que la reflexion
fuivante auroit affez de force pour
I. Vol.
préDECEMBRE
. 1730. 2605
prévenir & détourner la foibleffe de leur
imagination .
Il n'eft pas poffible que cette foule de
fonctions qui s'exercent par tant de differens
inftrumens dans une machine auffi délicate
que le corps
de l'homme
, ſe faffent
dans
la fanté
même
la plus
parfaite
d'une
égale
jufteffe
, puifque
tout
de même
que
dans
une
Montre
ou dans
des machines
femblables
le peu de folidité
de la matiere
dont
on conſtruit
les differentes
pieces
qui
les compofent
, les frottemens
des roues
de
leurs
arbres
qui
touchent
par
plufieurs
points
à des furfaces
jamais
planes
ou unies
;
en un mot,mille
caufes
, tant
internes
qu'externes
, font
de très- grands
obftacles
à la
perfection
de leurs
mouvemens
; de même
dans
le corps
humain
les roues
qu'on
y
découvre
, ou , pour
mieux
dire, les mouvemens
circulaires
, foit
dans
les folides
foit
dans
les liquides
, les leviers
, les puiffances
& leur
point
d'appui
, dans
le tems
que
tout
eft en jeu , fe trouvent
fujets
aux
mêmes
imperfections
que
les rouës
& les refforts
de la montre
en mouvement
;
& ces obftacles
font
d'autant
plus
fenfibles
à l'homme
,que
ceux
qui vivent
dans
une
fcrupuleufe
attention
fur
ce qui fe
pafle
au dedans
du corps
, ne fe croyent
malades
que
pour les trop
écouter
.
Si ceux qui fe montrent moins occupez
I. Vol. Cy dans
2606 MERCURE DE FRANCE
dans la pratique de Medecine à guerir
l'efprit,fouvent plus allarmé que le corps
n'eft malade , faifoient attention qu'on
doit toujours envifager dans un malade
la guérifon de deux maladies , dont la
violence ou la durée de tous les tems
qu'elles parcourent , fe répondent exactement
, & que chacune d'elles exige des
fecours differens , fuivant la fuperiorité
que l'une gagne fur l'autre , ils fe défabuferoient
avec plaifir de ce grand nombre
inutile ou meurtrier de remedes , que
Pandore a laiffé échaper , que l'avarice
fait employer , que l'honneur de la profeffion
défaprouve , & que la feule fermeté
dont les malades ont befoin ordi
nairement , ne permet jamais qu'on lui
préfere , fans reprocher les funeftes fuites
d'une fi injufte préférence à ceux qui ne
connoiffent point l'union ou la dépendance
mutuelle de ces deux fubftances qui
compofent l'homme.
Quoique l'union de l'ame avec le corps
doive plutôt paffer pour un fecret réfervé
à la Toute puiffance Divine , que pour
une connoiffance dûe aux plus profondes
recherches de l'efprit humain ; l'heureuſe
témerité des fçavans dans leurs découvertes
a fçû nous engager trop avant , pour
pouvoir nous difpenfer maintenant de
propofer nos conjectures . Cependant pour
I.Vol
AC
DECEMBRE . 1730. 2607
ne pas priver de leurs droits ceux qui pré
tendent en avoir fur cette queftion , nous
ne prendrons que ce qu'il nous faut pour
fatisfaire à notre projet.
Les Loix uniformes , & les raports réciproques
que l'Auteur de la nature a établis
dans l'union de l'ame & du corps ,
maintiennent ces deux fubftances dans
une dépendance mutuelle ; ce qui fait que
l'ame a des affections à l'occafion de certains
mouvemens du Corps, & que celui - ci
exécute des mouvemens , à l'occafion de
certaines affections de l'ame. La vivacité
de ces affections dépend de la violence des
impreffions, des objets externes fur les or
ganes du corps , & l'énergie de la puiffance
de l'ame fur le corps , de la vivacité
de fes affections; l'ame fera parconfequent
d'autant plus vivement affectée que le
.corps fera fortement émû; & le corps fera
d'autant plus puiffamment émû , que l'a
me fera vivement affectée ; le fentiment
interieur & l'expérience journaliere ne
nous permettent point de refufer notre
confentement à des véritez fi fenfibles &
fi connues.
C'eft à la faveur du genre nerveux que
les impreffions des objets externes fur les
organes du corps, d'où dépendent les fenfations
, fe tranfmettent dans le cerveau
jufqu'à l'origine des nerfs . C'eft auffi par
C vi I. Vol.
2608 MERCURE DE FRANCE
les mêmes voyes que les paffions de l'ame
agiffent fur la machine .
On peut donc regarder le genre nerveux
, comme un affemblage de petits
cordons difperfez par tout le corps ,
dans
un certain dégré de tenfion que la nature
leur a donné , réünis à la baze du crane ,
dans cet endroit du cerveau , qu'on nomme
moëlle allongée , & que nous appellerons
dans la fuite Emporeum. C'eft- là où
toutes les impreffions faites fur les organes
du corps aboutiffent , qu'on peut
placer le fiége des perceptions de l'âme.
Mais découvre-t- on dans cette parque
tie ? fi ce n'eft un tas de fibrilles fufceptibles
de vibration , capables de fe redreffer
& de fe remettre lorſque la cauſe
qui en a fait perdre la direction , ceſſe
d'agir ? Comment peut- il donc fe faire
que l'ame foit affectée dans les fenfations,
à l'occafion des impreffions faites par les
objets externes fur les organes
du corps ,
ou agir elle-même fur la machine dans,
les paffions ? une fubftance fpirituelle n'eftelle
point à l'abri des atteintes de la matiere
? Et celle - cy fouffrira-t- elle quelque
changement de la part de l'autre ? J'avouë
prefentement , que fi les fçavans fe
payoient moins de raifonnemens ingénieux
, que d'aveus finceres de la foibleffe
du génie , je n'aurois point de hon-
I.Vol
DECEMBRE . 1730. 2609
coup
te de la déclarer à des hommes dans cette
occafion , mais comme elles doivent beauà
la témérité des curieux , elles veulent
encore leur être plus redevables ; ) le
corps ne pouvant donc point agir materiellement
fur l'ame, ni l'ame fur le corps ,
il faut que le Créateur dans l'union de ces
deux fubftances , ait voulu , fuivant les
décrets immuables , qu'à l'occafion d'un
tel mouvement , où bien d'une vibration
plus ou moins forte des fibres de l'Emporeum
, l'ame fut plus ou moins vivement
ébranlée ; & qu'à l'occafion de certaines
perceptions de l'ame , il furvint à ces mêmes
fibres des vibrations dont la force
répondit exactement à la vivacité de ces
perceptions , pour lors le cordon de
nerf continu à la fibre vibrée , fera plus
ou moins tiraillé auffi-bien que les divifions
& les rameaux qui en partent, & qui
vont fe perdre dans les parties du corps.
Ainfi fuppofé maintenant que l'ame foit
vivement affectée ( comme il lui arrive
dans differentes paffions , mais fur tout
dans la crainte ou l'apprehenfion de mourir
) la vibration d'une , ou de plufieurs
fibres de l'Emporeum fera violente, le tiraillement
du cordon de nerf ne le fera
pas
moins, &fes filamens diviſez ,diſperſez dans
a machine , donneront bien - tôt des marques
tres- fenfibles de leur défordre , icy
L. Vol par
2610 MERCURE DE FRANCE
par la tenfion exceffive des membranes ,
par le retréciffement du diametre des
vaiffeaux dont les parois font devenuës
moins dociles aux caufes pulcifiques ; là,
par les douleurs infupportables , les convulfions
d'une ou de plufieurs parties , &
par l'état tonique qui fe prend au reffort
des folides ; d'où fuit le trouble, l'inégalité
de la circulation du fang , de la lymphe ,
leur féjour dans les chairs , ou dans les
vifceres qui s'enflamment , les fécretions
fufpendues , les coctions léfées , abolies
même ; enfin le bouleverfement de tout
le corps , qui fera toujours d'autant plus
puiffant fur les caufes de la vie , que le
moindre effet mentionné fuffit pour la
faire perdre.
il
Il ne fera pas difficile à prefent , de rendre
raifon des differens dégrez de dérangement
& de défordre , qui arrivent au
Corps humain ,à l'occafion des paffions de
l'ame , pour peu qu'on donne fes atten
tions à leur vivacité , à la difpofition des
fibres de l'Emporeum, & à l'état du corps
fain ou malade.
Nous avons déja vû que les affections
de l'ame occafionnent des vibrations dans
les fibres de l'Emporeum , fuivant donc le
different dégré de tenfion , de foupleffe
de rigidité , & de reffort , que la nature
feur a donné , elles font plus ou moins
I. Vol. vibraDECEMBRE
. 1730. 2611
vibratiles. Par exemple : Si l'ame eft vivement
affectée , la vibration que cette affection
occafionnera d'abord dans une ou
plufieurs fibres fera violente ; & fi les
fibres vibrées fe trouvent bien tenduës
naturellement , la force d'une telle fecouffe
produira un double effet. Il en eft à
peu près de même des autres qualitez ,
qu'on attribue à ces fibres qui varient
dans des fujets differens , par rapport au
fexe , à l'âge , au temperamment , & à la
maniere de vivre , & quelquefois dans le
même homme,à raifon de bien des circonftances,
mais fur tout de la frequence des
vibrations , d'où elles ont acquis la difpofition
d'obéir au moindre tremouffement.
Si les organes du corps fe trouvent
dans l'état le plus éloigné de la maladie ,
& que l'imagination ne foit que peu dérangée
, il eft clair que le corps n'en fera
pas fort incommodé ; delà vient qu'on'
voit une foule de mélancoliques , fe
porter d'ailleurs le mieux du monde ;
mais fi dans ce cas l'imagination eft conſiderablement
détraquée, le corps s'appro
chera pour lors de l'état malade , à proportion
que le dérangemeut de l'efprit
fera grand ; je crois même , que ce ne
feroit point fans fondement , fil'on avançoit
que l'imagination vivement frappée
de trifteffe , de crainte , &c . a affez de
I. Vol.
pou2612
MERCURE DE FRANCE
pouvoir fur la machine , pour en occafionner
la ruine.
Si dans un corps peu malade , l'imagination
n'eft que peu allarmée ; ces deux
maladies enſemble ne font point à crain
dre , on s'en releve facilement ; mais fi
dans ce même cas , l'ame eft fortement
agitée , le trouble dans la Machine fera
très -dangereux ; on voit bien fouvent des
malades guériffables par la nature du
mal , devenir incurables , fe défefpérer &
périr malheureuſement par la préférence
qu'on a fait des remedes quelquefois fort
violens , à cette fermeté dont le retour de
la fanté ne pouvoit fe paffer fans la perte
de la vie.
Enfin fi l'imagination & le corps font
tres dérangez , dans un pareil cas le malade
fera défefpéré , pour peu qu'on néglige
de lui donner du courage , ouqu'on
fe ferve des remedes qui le tour
mentent trop.
On voit par toute cetteThéorie que dans
le concours de ces cauſes , l'ame doit agir
fur la Machine , avec un pouvoir inſurmontable
, dont les effets feront par conféquent
très -funeftes.
On reconnoît encore d'où vient que
certaines perfonnes font plus fufceptibles
de chagrin , de trifteffe , d'abattement
de crainte & de defefpoir que bien d'au-
1. Vol. tres
DECEMBRE . 1730. 2613
tres , & en reffentent de plus grands maux
dans l'ufage de la vie.
Puifqu'on ne fçauroit à prefent difconvenir
que la trifteffe & la langueur de
l'efprit, ne dérangent confidérablement la
fanté la plus affurée , & que la crainte &
l'apprehenfion de mourir n'occafionne de
nouveaux défordres dans un malade ;
n'a- t-on pas raifon de penfer que les malades
auroient moins de mal s'ils avoient
moins de peur ? In omni morbo mente valere
bonum eft , contrarium verò malum.
C'eft fur ce principe de la veritable
Médecine , où tout ce que l'avarice de
l'homme a de plus haïffable , & de plus
dangereux dans les moyens qu'elle offre
pour affouvir le défir de groffir fes richeffes
, n'a aucune part , que nous avons
prétendu faire voir :
Premierement , que les gens de notre profeffion
moins ambitieux des biens que jaloux
de leur honneur , doivent s'attirer
des malades de la confiance, plutôt par une
jufte réputation que par une effronterie
odieufe , qui ne peut tourner qu'à leur
confuſion & au malheur de ceux qui ne
diftinguant point le vrai mérite , apprennent
par leur mort violente , à des héritiers
à ne pas les fuivre dans leur funefte
choix .
Secondement , que
I. Vol.
dans les maladies férieu2614
MERCURE DE FRANCE
rieuſes , où les malades craignent fort
pour leur vie , la préfence fréquente ,
mais jamais importune , du Medecin de
confiance , eft plus falutaire qu'un grand
appareil de remedes .
3mt, Et qu'ainfi on ne doit pas faire dif
Aculté de bannir , de retrancher de la
Médecine un grand nombre de remedes ,
non feulement comme inutiles , mais encore
comme très - pernicieux , & le malade
fera guéri pour lors à moins de frais &
plus furement.
Enfin , qu'on n'a confulté , dans le def
fein de mettre au jour ce petit Ouvrage ,
que l'honneur de la profeffion , & le verible
bien des malades.
Par G B. Barrés , de Pezenas , Docteur
en Médecine, de la Faculté de Montpellier.
お肉のよ。
A MONSIEUR M. D. M.
B O V QV E T.
I Lluftre & cher ami , c'eft aujourd'hui ta fête ;
Faudra - t - il feulement la chomer dans nos
coeurs ?
A célébrer ce jour il faut que je m'apprête ;
Mais je ne puis t'offrir que des vers ou des
Aeurs.
1. Vola L'Amante
DECEMBRE . 1730. 2615
L'Amante de Zéphire accorde à ma requête
Ce qu'elle a de plus beau dans fes jardins charmans
;
Aufſi -tôt Apollon m'arrête :
Pourquoi , dit - il , des fleurs laiffe - les aux
Amans ;
Leur éclat eft fujet à l'empire du temps ;
Mes Lauriers immortels doivent orner la tête,
Et des Héros & des Sçavans.
Grand Apollon que je révére ,
Plus que la Déité qu'on adore à Cythére
;
Inſpirez moi done en ce jour ,
Des Vers dignes de vous , & dignes de M.... our
As-tu fur le Parnaffe acquis affez de gloire ?
M'a répondu , le Dieu de l'Hélicon
Pour chanter dignement un nom ,
Que j'ai gravé moi-même au Temple de Mé
moire
Tes foins deviendroient fuperflus ;
Contente- toy d'admirer fes ouvrages ,
Ingénieux , galans & fages ;
Car enfin il n'eſt point de ces Sçavans en Us
Difcoureurs ennuyeux , & pédans infipides ,
Dont les Graces jamais n'éclairciffent les rides.
Il fait fouvent fa cour à Minerve , à Venus ,
Et dans l'un & dans l'autre empire
On le recherche , on le défire.
I. Vol. Les
2616 MERCURE DE FRANCE
Les Mufes mieux que toy publieront ſes vertus.
Ami , pour n'être téЛnéraire ,
Il faut donc en fecret te louer & me taire
Souffre au moins
efprit ,
que mon coeur acquitte mon
Et qu'il te rendre un légitime hommage ,
Un coeur fincere te fuffit .
Le mien du moins a l'avantage ,
De fentir toujours ce qu'il dit.
PONCY DE NEUVILLE.
EXTRAIT d'une Lettre de Bourgogne
fur le Journal de Paris fous les Regnes de
Charles VI. & Charles VII.
L
E Journal des évenemens arrivés d
Paris fous les Regnes de Charles VI.
& de Charles VII . qui a paru depuis quelques
mois , n'eft pas , Monfieur , de ces
monumens dans lefquels on doive envifager
le ftile. Il n'y a que les faits & les
ufages du fiecle auquel il a été écrit qu'on
puiffe y confiderer avec quelque fatisfaction.
Le langage , quoiqu'ancien , ne l'eft
pas afſez pour fournir beaucoup dequoi
profiter à ceux qui recherchent les origines
de notre Langue. Je ne difcon-
I. Vol.
viendrai
DECEMBRE. 1730. 2617
}
viendrai point cependant qu'on ne puiffe
y trouver dequoi faire encore des Remarques
importantes par rapport à la Langue
Françoile ; mais le principal fruit que je
recueille de la lecture de ces fortes de Mémoires
eft d'y apprendre les Coûtumes
de nos Peres. Il feroit à fouhaiter que
nous euffions un détail auffi ſpecifié des
Régnes précedens : combien ne fçaurions
nous pas de chofes fur lefquelles nous
n'ofons parler que d'une maniere trèsincertaine
?
Le morceau qui eft joint à ce Journal ,
& qui nous repréſente une lifte des Officiers
des Ducs de Bourgogne , étant tiré
de la Chambre des Comptes de Dijon,
eft un bel exemple qu'on donne aux Archiviftes
des autres Chambres des Comptes
& de pareils dépots pour les engager
à enrichir le public de ſemblables détails
qui tous réunis enſemble contribueroient
à former une Hiftoire de France parfaite,
ou au moins plus circonftanciée qu'on
ne l'a cue encore jufqu'ici . C'eft une obligation
infigne que la Bourgogne a à l'Editeur
,d'avoir non-feulement rendu publique
cette lifte , mais encore de l'avoir augmentée
de Notes curieufes & très- inftructives
, & on lui feroit encore plus redevable
s'il en eut fait autant par rapport
au Journal de Paris.
1. Vol.
2618 MERCURE DE FRANCE
Si cet Editeur n'étoit pas décedé dans
le tems de l'impreffion de fon Ouvrage
on auroit pris la liberté de lui demander
quelques éclairciffemens fur certains endroits
de ce Journal , & il auroit pû nous
fatisfaire , en recourant à fon original ou
à celui fur lequel fon Manufcrit a été rédigé.
Un des endroits qui paroiffent exiger
quelque correction eft dans l'un des
Item de la page 200. à l'an 1444. on y
lit ce qui fuit : Item , en icelui tems vint
ung jeune Cordelier à Paris de la nation de
Troyes en Champagne ou d'environ , petit
homme trés-doux regard , & avoit un nommé
Jehan Crete , aagé de vingt & ung an
on environ , lequel fut tenu à ung
leurs prefcheurs qui oncques eut été à Paris
depuis cent ans. On diroit à ce langage
le Cordelier & Jehan Crete feroient
que
des meil
deux perfonnages differens ; cependant
il y a toute apparence que c'eft le même,
& le fens du Difcours paroît demander
que
cela foit ainsi , enforte qu'au lieu de
dire & avoit un nommé Jehan Crete , il
faut fans doute lire & avoit nom Jehan
Crete , ou bien & étoit nommé Jehan Crete.
Je me fuis fouvenu en lifant cet Article
du Journal que j'avois vû ce nom dans
un des Comptes de notre Ville parmi
les langues difertes du quinziéme fiecle ,
& en effet j'y ai trouvé cet éclairciffement
1. Vol.
dans
DECEMBRE. 1730. 2619
tons ,
dans le compte de Jean Vivien , à l'an
1452. au 27. Juin. A Frere Jehan Crete ,
Frere Mineur , Docteur en Théologie , cent
dix fols , pour ce qu'il a fejourné à Auxerre
quinze jours , durant lequel tems il a chacun
jour prefchié & fermoné pour toujours induire
le peuple à bien faire. Il n'y a point d'accent
fur les voyeles de fon nom , parcequ'alors
l'ufage n'étoit pas d'en mettre ;
mais il y a lieu de croire que ce nom devoit
être terminé par un é accentué , comme
on le prononce encore dans nos Cand'où
probablement ce Cordelier
étoit natif , c'est- à - dire d'entre Troyes &
Auxerre. Je ne m'arrête point à vous faire
remarquer que dans la Table de l'Edition
de ce Journal ce Religieux eft appellé
Jehan de Crete ; le de eft de la pure
liberalité de la perfonne qui a compofé
cette Table , & perfonne n'ambitionne
de fe dire originaire , encore moins natif
d'une Ifle que l'Apôtre a fi bien caracterifée
après les Auteurs Payens. Ceci , au
refte , n'eft qu'une minutie que vous ne
communiquerez qu'autant que vous le
jugerez à propos à celui qui a fuccedé à
l'Editeur du Livre dans la conduite de
l'impreffion .
Je n'acheve point la teneur de l'Article
dans lequel parmi les preuves de réminent
fçavoir de ce Francifcain , il eft
I. Vol.
dit
2620 MERCURE DE FRANCE
dit qu'il poffedoit toute la Legende dorée.
C'étoit alors le Livre favori , & on pouvoit
en débiter les fables fans crainte d'ê
tre critiqué. Heureux le fiecle où l'on
nous a appris à revenir de toutes ces fimplicités
; vous fçavez que c'eſt l'immenfe
travail commencé par le Pere Papebroch ,
Jefuite, & continué par d'autres Ecrivains
de fa Compagnie , qui a mis tous les Sçavans
en train de dérouiller les Legendes
qui avoient befoin de l'être , & de purger
les Hiftoires des Saints de quantité de
traits inventés à plaifir , & ajoûtés après
coup. &c.
Ce 21. Decembre 1729 .
XXXXXX: X: XXXXX : XXX
O
VERS
A M. de Fontenelle.
Vous qui fçavez tout , modefte Fontenelle
Vous qui poffedez tous les tons
> De qui la veine ou la cervelle
Quand il vous plaît , égale celle
Des Virgiles ou des Newtons ,
Vous ignorez peut - être un trait à votre hiftoire.
Je voudrois vous le reciter ,
Et par bonheur je n'ai besoin que de mémoire ,
I. Vol.
Car
DECE MBRE. 1730. 262
Car je ne dois que répeter :
Tout au plus j'y fournis la rime ,
Mais pas le moindre coup de lime.
Certain Sçavant du Nord, à la grande Cité,
Uniquement pour vous entreprit un voyage ;
Vous avez maintes fois reçû pareil hommage ,
Sans en tirer de vanité ;
Auffi n'eft- ce pas la nouvelle
Que je veux vous apprendre ici ;
Mais de grace écoutez ceci.
Il arrive à Paris . Où loge Fontenelle ?
Dit- il , dès la Barriere au Commis qui l'ouvroit
Le Commis n'en fçait rien ; le Sçavant le qued
relle :
Surpris il croit qu'on le lui céle ,
Et penfoit qu'à Paris aucun ne l'ignoroit,
Voilà le fait tel qu'on l'a dit
Devant un Prince ( a ) en qui l'efprit ,
Heureux préfent de la Nature ,
Couronne mille autres beaux dons ;
11 dit de l'étranger qu'étonna l'avanture :
*Il nous louoit bien plus que nous ne méritons,
S. A. S. M. le Comte de Clermont,
1. Vol.
D LET
2622 MERCURE
DE FRANCE
おの
LETTRE écrite d'Aix le 30 .
Septembre 1730.
A prédilection , Monfieur , que j'ai
Ltoujours eue pour l'Ode du fecond euë
Livre d'Horace , qui commence par ces
mots Ehen ! fugaces & c. m'a fait lire avec
plaifir dans votre Mercure du mois de
Mars dernier l'Imitation qu'en a faite
M. Moreau de Mantour ; j'écrivis là- deffus
à M.le Marquis d'Eftrozzi de Margon,
avec lequel je fuis en relation de Belles-
Lettres depuis quelque- tems , pour fçavoir
fon fentiment fur cette Traduction,
le priant en même - tems d'avoir la complaifance
de m'en envoyer une de fa façon
en Vers François : la voici ; il fera
peut-être fâché que je la rende publique;
mais fi elle eft digne de votre approbation
, & d'être mife dans votre Mercure;
votre fuffrage me fera un motif fuffifant
calmer fon mécontentement envers
pour
moi . J'ai l'honneur d'être très parfaite
ment &c.
C. D. R.
TRA.
1. Vol
DECEMBRE . 1730. 2623
TRADUCTION
D'une Ode d'Horace :
Eheu ! fugaces , pofthume , pofthume
Labuntur anni & c.
LEE tems fuit , l'âge nous preffe
Il s'écoule à tout moment ;
A la mort , à la vieilleffe
On court fans retardement.
Qu'à Pluton on facrifie
Trois cent victimes par jour ;
Pour Geryon , pour Titye ,
Pour tous il eſt ſans retour.
Tout ce qui vit & reſpire ,
Riches , Pauvres , Bergers , Rois ,
Vers fon tenebreux Empire
Doit naviger une fois.
C'eſt en vain qu'on fuit Bellone }
Le Dieu des Mers irrité ,
Et qu'on craint le vent d'Automne
Si nuifible à la fanté.
Il faut voir le noir Cocite ,
Le cours errant de feseaux ,
I, Vol. Dij
Do
2624 MERCURE DE FRANCE
Des Soeurs la race maudite ,
De Sifyphe les travaux .
On perd tout fur cette rive ,
Femme , maiſons , quels regrets !
Des Arbres que l'on cultive
Rien ne fuit que le cyprès.
Nos heritiers feront gloire
De diffiper tous nos vins ,
Ces vins qu'on ne devoit boire
Que dans les plus grands feftins.
XXXXXXX )
LETTRE écrite aux Auteurs du Mercure
, au fujet des anciens Réglemens fur
les habits & fur la dépense de bouche
dont il eft fait mention dans le Mercure
de Septembre 1730,
E Public doit vous fçavoir gré
Meffieurs , de ce qu'à l'occafion des
modes actuellement en ufage dans les
habillemens , vous lui faites part des Reglemens
quefirent autrefois les Rois Henri
II. & Charles IX. pour reprimer le
luxe qui regnoit de leur tems , & pour
empêcher que les conditions & differens
I. Vol,
Etats
DECEMBRE. 1736. 2623
Etats ne fuflent confondus ; ce font des
Ordonnances qui ne fçauroient être trop
connues dans notre fiecle. En paffant
yous déclarez affez votre fentiment fur
les paniers des Dames , & vous l'aviez
déja fait en 1728. mais le petit coup que
vous leur donnez ne fera jamais capable
de les faire tomber . Il en fera comme de
ces eaux qui s'enflent à mesure qu'on les
frappe peut-être auffi qu'à force de s'enfler
il leur arrivera la même choſe qu'à
la Grenouille de la Fable ; il n'en faut
pas tout à fait defefperer.
On voit une infinité d'anciennes repréfentations
de Dames & de Demoiselles
aux vitrages des Eglifes & dans les Tapifferies
gothiques de deux à trois censt
ans ; mais je ne crois pas qu'il s'y en tronve
aucune habillée de la maniere dont eft
celle que vous avez fait graver . Une chofe
qui doit embaraffer ceux qui écrivent
en Latin l'Hiftoire des François & de
leurs ufages , eft le terme qu'ils employeront
pour fignifier cette forte d'habillement.
En vain le chercheroient- ils dans
les Ecrivains du fiecle d'Augufte. Je le
leur donne même à choisir parmi les quatre
cent mots ou environ que le Gloffaire
de la moyenne & bafle Latinité
rapporte à l'article de re veftiaria ; on
croit quelquefois avoir trouvé le mot
D iij fpe- 1. Vol
2626 MERCURE DE FRANCE
Specifique , & lorfque l'on a recours au
paffage d'où il eft tiré , on découvre que
ce qu'on prenoit pour un habit de femme
eft un habit d'homme . C'est ce que
j'ai reconnu au mot jupa qui m'avoit
frappé. En effet plufieurs perfonnes foutiennent
que les habits des hommes ont
été autrefois bien plus variés , plus amples
& plus fuperbes qu'ils ne font communément
, & que le luxe n'eft refté que
dans ceux des femmes. Permettez encore
M M. qu'à l'occafion de ce Catalogue
des anciens habits je vous dife ce qui m'eft
venu en penſée ; il ne feroit peut - être
pas inutile qu'à mesure que vous ferez
préfent au Public d'une nouvelle Eftampe
des modes courantes , quelqu'un d'entre
vous y ajoutât,pour la fatisfaction de ceux
qui font plus curieux des chofes paffées
que des prefentes , un petit éclairciffement
fur ces anciens habillemens ; la matiere
pourroit quelquefois réjouir les efprits
les plus mélancoliques . Pour moi ,
qui ne fuis pas moins curieux de connoître
les Reglemens qui ont été faits
pour moderer la dépenfe de la table que
ceux qui répriment le luxe des habits ou
qui en aboliffent certaines formes , je
fouhaiterois auffi très fort en voir une
compilation imprimée au bout de notre
Apicius François , ce feroit là fa place
I. Vol. naturelle
DECEMBRE . 1730. 2627
naturelle ; vous comprenez de quel Livre
je veux parler. Ce qui a irrité ma curio
fité fur cet article c'eft la lecture que je
viens de faire par hazard d'une Ordonnance
du Roi Philippe le Hardi de l'an
279. émanée à Paris dans fon Lit de
Juſtice , & rapportée en ces termes par
la Chronique de Rouen donnée par le
Pere Labbe : Statutum fuit in Parlamento
Parifiis à Domino Rege Philippo , & ejus
Baronibus , quod nullus poffit dare in fuo
convivio cum potagio præter duo fercula cum
quodam interferculo : & fuit poena appofita
contra omnes fuper hoc delinquentes. Voilà
un Reglement pour tous les Sujets du
Roi , défenſe d'avoir avec le potage au
delà de deux plats , avec un plat d'entremets.
La même défenſe fut réïterée
aux Gens d'Eglife dans un Concile de
Rheims au bout de quelques années ,
encore n'y eft il point fait mention d'entremets
: Statuimus , dit le Canon 5. de
ce Concile tenu en 1304. ut omnes &fingala
perfona Ecclefiaftica Remenfis Provin
cia in fingulis conviviis fint contente potagio
& duobus ferculis , nifi magnitudo perfonarumfupervenientium
aliud requirat. J'ai
traduit le mot ferculum par celui de plat ,
& je ne crois pas qu'on puiffe l'entendre
autrement , parceque s'il falloit rendre
mot par celui de fervice , le Roi ni le
I. Vol. D iiij Conr
2628 MERCURE DE FRANCE
Concile n'auroient pas impofé une grande
mortification en ordonnant de fe contenter
de trois fervices dans chaque repas,
puifqu'à chacun des trois fervices on peut
mettre cinq , fix , dix , douze , quinze
& vingt plats differens. Je fuis & c.
**
V
LA
Ce 13. Novembre 1730.
XXXX* X *XX***
JEUNESSE,
O D E.
Ers le Parnaffe un doux penchant m'en
traîne ;
Mon coeur brule d'un feu nouveau ;
Apollon vient m'ouvrir la veine :
Pour feconder un feu fi beau ,
Je ne demande point cet efprit emphatique
Ces mots dont font enflez mille ouvrages divers,
Je ne veux qu'être véridique ;
C'eſt un rare agrément dans un faifeur de vers.
O mortels ! apprenez le fujet qui m'inſpire ;
Un feul , digne de moy , vient s'offrir à mes
yeux :
C'est la Jeuneffe ; ſon délire ,
Pour exercer ma mufe en un champ ſpacieux ;
1. Vola
J'entre
DECEMBRE . 1730. 2629
J'entreprens de prouver , jeuneffe trop aimables
Que tes plus finceres faveurs
Deviennent pour nous tous une fource effroya
ble ,
Des plus affreux malheurs,
Quelle eft cette mer orageufe ,
Qui fe prefente à mes regards ?
Les flots d'une onde impetueufe
M'environnent de toutes parts.
Ciel ! par
même ,
où me ſauver ? ... je me livre moi
Aux périls les plus éminens'::
'Ainfi pour les humains c'eſt une loy fuprême ,
Qu'ils foient de tous leurs maux les premiers
inftrumens..
Cette mer agitée eſt l'état où nous ſommes
Quand les vices en foule affailliffent nos coeurs
Les paffions font pour les hommes ,
Ce que les flots font pour les voyageurs.
En fuyant les Rochers , celebres en nauffrages ,
Le Voyageur fouvent évite le trépas ;
L'homme , au contraire , obéit à l'orage ,
Et parmi les écueils précipite fes pas.
Ce n'eft point l'enfance timide
Que je décrie en mes difcours ;;
Ir Volu Dy Cif
2630 MERCURE DE FRANCE
C'eft la jeuneffe qui pour guide
'Aime les paffions qui la flattent toujours ,
Qui dans une molleffe entiere
Laiffant couler le temps qui fuit ',
Trouve le repentir au bout de la carriere :
Du temps perdu , c'eft tout le fruit .
L'homme mene d'abord une vie innocente ;
L'enfance dans fon coeur n'excite aucuns défirs
L'âge fait naître en lui cette ardeur pétulante ,
Qui l'entraîne vers les plaifirs :
La vieilleffe paroît, les jeux prennent la fuite,
A ces mêmes plaiſirs il ſe voit arraché ,
Et fouffre avec regret que le peché le quitte ,
Ne pouvant le réfoudre à quitter le peché.
A d'auffi grands dangers l'expofe le jeune
âge ,
Venus s'empare de fon coeur ,
Le conduit à fa perte ; un honteux efclavage ,
Souvent devient pour lui le comble du malheur
Et comment pourroit - il éviter les difgraces,
Qui font le prix de fes emportemens ,
Puifque du vice il fuit les traces
Il en doit éprouver les juftes châtimens.
O toy , dont on chérit l'aimable joüiffance r
Toy, dont on vante les douceurs !
I. Vol.
Jeuneffe
DECEMBRE. 1730. 2631
Jeuneffe , je veux mettre en la même balance ,
Tes défagrémens , tes faveurs.
Mais que vois-je ..... les maux dont tu nous
rends la proye ,
Surpaffent de beaucoup tes plus charmans at
traits :
Ah ! que ne pouvons-nous te poffeder fans
joye ,
Pour épargner un jour d'inutiles regrets.
XXXXXXXX
DISCOURS fur ces paroles Le
vice lui-même eft forcé de rendre hom
à la vertu.
mage
Left fi beau d'être vertueux , & la
I droite raifon trouve la vertu fi conforme
à fes premieres idées , qu'il n'y a
pas de quoi s'étonner fi les hommes dans
Tous les âges ont, à l'envi , fouhaité ou affecté
d'être vertueux , & s'ils ont accor
dé à la vertu les plus grands éloges..
L'amour de l'eftime & de la gloire, qui
remue avec tant d'empire & de fuccès les
refforts du coeur de l'homme , l'a toujours
déterminé à chercher fa véritable
grandeur dans le fein de la vertu , où
d'un Phantôme qu'il a pris pour elle.
Dvj Peut I.Vol
2632 MERCURE DE FRANCE
Peut- être que ces hommages confondus
avec les intérêts de l'amour propre , ne:
furent pas affez purs ; mais quoique la
vertu pût en reprouver les intentions
& les motifs , ils ont fervi à publier &
à étendre fa gloire.
i
L'Univers entier a confpiré à relever
fon excellence ; & ceux qui ont ignoré
Dieu même , fe font fait un merite de
la connoître & de la pratiquer.
Les Sages , les Philofophes , les Poë
tes , les Orateurs , les Guerriers & les Politiques
, tous ont voulu être du nombre
de fes amis. Les Arts & les Sciences ont
épuisé leurs talens , ont employé leurs
plus belles couleurs pour la peindre dans
tout fon éclat . Au milieu de tant de
gloire & d'honneur acquis à la vertu , ce
qui la diſtingue effentiellement , c'eſt de
n'avoir jamais trouvé d'autre ennemi que
le vice. Soit envie , chagrin , ou confufion
de la part de cet ennemi , l'oppofi
tion qui regne entre l'aimable vertu , &
ce monftre hydeux fera toujours une
fource de guerre : mais telle eft la fin de
Piniquité , elle fe dément elle- même , &
les traits injurieux du vice ne fervent
qu'à relever la vertu. C'eft ainfi que
contre fon intention il forme , façonne ,
embélit de ces propres mains la Cou
ronne dont il doit ceindre fa tête . Plus-
1. Vola il
DECEMBRE. 1730 : 3633
tâche à la déprifer , plus il la rend aimable
& précieufe , fes fatyres , & fes
dédains font pour elle un Panégyrique.
Ecoutons- le parler , pénétrons fes fentimens
, étudions fes démarches , nous le
verrons par tout forcé de rendre hom
mage à la vertu..
Il n'y a qu'à fe déprévenir , qu'à fixer
le veritable fens , & la valeur des expreffions
dont le vice fe fert pour dégrader
la vertu : Si nous les examinons de près ,
nous trouverons qu'au fond ces vaines
déclamations ne portent que fur l'erreur
& l'aveuglement , qui eft l'apanage du
vice. Ingénieux à fe féduire , il fe forme:
de foles chimeres qu'il prend plaifir à
combattre ; ainfi rehauffe t- il d'autant
plus l'éclatde la veritable vertu , qu'il s'ef
force de groffir les traits dont il peint ces
monftres difformes , qu'il voudroit con--
fondre avec elle. Aveugle , s'il ne peut entierement
fe cacher à fa vive lumiere , il
en détourne ce refte de vûë ; & cherchant
ailleurs les feules apparences de la vertu ,
il penfe triompher , s'il en montre le
vuide. Funefte illufion ! Que n'eft- il per--
mis à l'humble vertu de vaincre fa mo
deftie , elle triompheróit bien glorieufement
à fon tour de cet ennemi obſtiné
à lui nuire : mais il eft une victoire , qui
lui eft plus chere. Bien - tôt cet ennemi
Is-Kobo avouera
1634 MERCURE DE FRANCE
;
avouëra fa défaite, & fera forcé de préparer
le fuperbe Triomphe où il fera traîné
captif. En effet , il fe combat lui -même
& releve la vertu par où il femble voufoir
la détruire.
Il n'apperçoit pas , dit- il , de vraie vertu,
ce ne font que des apparences vaines, une
imitation frivole , un foible crayon qu'il
découvre , au lieu de ce parfait original ;
de cette réalité effective qu'il fe croyoit
en droit de trouver. Qu'if combatte tant
qu'il voudra ces apparences frivoles, qu'il
démafque cette imitation hipocrite , qu'il
confonde ce crayon imparfait. Qu'a- t'elle
à craindre , l'innocente vertu ou plutôt
qu'elle gloire pour elle ; que fon ennemi
apprenne aux hommes à reconnoître fes
véritables traits : & à la diftinguer de ces
phantômes qui ne lui reflemblent que
pour la trahir ! Non le vice ne l'attaque
point ouvertement ; il y auroit trop à
perdre pour lui , & trop de honte à ´effuyer
, de combatre à vifage découvert
contre la vertu , elle qui eft feule aimable
, & qui merite d'être adorée de toute
la terre.
Les combats qu'il lui livre font bien
differens des combats ordinaires. C'eft
par fes éloges qu'il l'attaque , c'est par
les portraits outrez & chimériques qu'il
en fait , qu'il veut l'élever au deffus de la
I. Vol
portée
DECEMBRE. 1730. 2635
portée des hommes , & dégouter ainfi de
fa fuivre fes amis les plus paffionez.
Envain cette fille du ciel vient- elle habiter
parmi les hommes : envain ſe montre-
t- elle avec cette majefté , cette grandeur
, cette nobleffe qui lui eft propre::
envain vient elle étaler aux yeux des
mortels , cette heureufe fimplicité, cette
innocence pure , ce défintereffement genereux
, toutes les qualitez qui forment
fon caractere ; fi elle ne paroît feule , le
vice , par les impoftures , s'atttibuë tout
fon mérite ,
, pour faire difparoitre à nos
yeux fes attraits raviffans.
Ne craignons pas pourtant qu'il lui
faffe du tort ; il ne la méconnoit qu'à
force d'en relever le mérite , & d'en concevoir
de brillantes idées. Conduite , à la
verité , injurieuſe à l'homme vertueux ,
mais toujours glorieufe à la vertu ; il veut
qu'elle foit fans deffaut , qu'elle brille de
toutes parts ,fans obfcurité , fans nuage ;
c'eft peut-être le feul endroit , par où le
vice entretient encore quelque commerce
avec la verité & la lumiere. Il a fauvé du
naufrage de toutes les idées du jufte & du
vrai la feule notion de l'integrité de la
vertu ; refte bien honorable pour elle.
Livrons lui donc fans crainte les
deffauts des hommes vertueux ; avouons
lui , s'il le faut , que malgré leurs efforts,
I.Vol.
ils
2636 MERCURE DE FRANCE
Ils ne peuvent point fe garantir de quelqu'une
de fes atteintes. Nous fçaurons
Bien-tôt les deffendré de ces réproches ;
mais qu'il foit forcé , ce perfécuteur in
jufte , de rendre hommage à la vraie
vertu , dont les deffauts des hommes ne
fçauroient jamais ternir l'éclat nila beauté.
Que dis-je , ne le rend- il pas cet hom-.
mage ? & puifque par tout où il recon →
noit fon empire , il dédaigne de retrouver
la vertu . N'avoue- t-il pas qu'elle lui
eft toujours contraire , & que l'augufte'
privilege dont elle joüit , c'eſt de ne pouvoir
jamais fouffrir aucun commerce , ni
aucune liaiſon avec lui.
Pénétrons encore'fes fentimens en faveur
de la vertu ; ils vont plus loin que
fes paroles ; & cet hommage , tout muet
qu'il eft , ne releve pas ſeulement la verta ,
il honore encore infiniment les hommes
vertueux .
Faifons au vice , pour un inftant , la
plus grande grace que nous puiffions lui
faire ; donnons- lui un peu de bonne foi
& de candeur. Qu'il mette au jour fes
fentimens les plus intimes. Amateurs de
la vertu , voici votre éloge , & un éloge
qui n'eft point flaté . Déja j'apperçois au
fond de fon coeur ce fentiment gravé en¹
caracteres inéfaçables : VOUS ESTES PLUS
JUSTE QUE MOY. La haine , le dépit , l'en--
J. Volo vie
DECEMBRE. 1730. 2637
vie , la jaloufie , n'ont pû étouffer ce cri
interieur. Qu'il eft doux à la vertu & à
fes Partifans , de trouver dans le fein du
vice , de quoi le faire rougir , & fans infulter
à fon impuiffante malice , de quoi
le confondre par un fimple regard.
,
Telle eft cependant la fituation du vice
& de fes efclaves , ils ont beau affecter une
contenance affurée un air content &
tranquille ; on les approfondit , & plus
on les penetre, plus on découvre que s'ils
font capables de tromper, ils ne trompent
pas long- temps , leur gêne & leur contrainte
les trahit.
Paroiffes ici , hommes vicieux , & fouf
frez qu'on voye ce qui fe paffe dans le
fond de votre ame. Eft -il vrai que vous
n'eftimés pas la vertu , & que fes Amateurs
font l'objet de vos mépris , comme
ils le font quelquefois
de vos railleries &
de vos infultes Sçavez -vous bien accor
der vos fentimens
avec vos difcours ?
Quelle contradiction
étrange ! Ils fe fati
guent , ils fuent , ils s'expofent , fe facrifient
pour leurs paffions ; fouvent tout les
contredit , & jamais rien ne les rebute ;
chargés de mille chaînes qui les captivent,
ils perdentleur liberté : n'importe ; habiles
à charmer leur aveugle fureur , ils lui
donnent les noms les plus honorables
;
habileté , grandeur d'ame , nobleffe de
I Vol . coeur
2638 MERCURE DE FRANCÉ
coeur ; eft-il rien qui l'égale ! Mais qu'it
eft douloureux pour eux de ne pouvoir
faire taire une voix importune & fecrete
qui leur rappelle les charmes de l'aima-
Ble vertu, de cette précieuſe indépendan→
ce que la feule vertu donne ! On peut
s'agiter , s'étourdir , détourner les yeux
de ce port , d'où l'on s'eft éloigné par
une fole & aveugle conduite ; mais malgré
foy le coeur y rappelle : tels que dans
ces torrens rapides qui ravagent tout ce
qui s'oppofe à leur courſe , on voit fe
former des tourbillons , où les eaux fe
tournant vers leur fource , femblent fe
repentir de leur violence & porter envie
à la noble tranquillité de ces Fleuves bien
faifants & paifibles , qui répandent par
tout & la fertilité & l'abondance.
L'ambitieux , efclave de fa fortune , facrifie
inutilemment à cette Divinité inconſtante
& aveugle , fon repos & fa vie .
Que ne va-t'il chercher dans la modération
de la vertu , un bonheur qu'il cherche
vainement ailleurs ? bonheur qu'il
apperçoit , qu'il eftime , qu'il honore &
qu'il ne peut fe déterminer de gouter en
paix.
Trifte condition de l'homme vicieux !
toujours contraint de fe fuir lui- même,
d'être toujours en guerre avec fa propre
confcience , & de n'en pouvoir fouf-
I. Vol. frir
DECEMBRE. 1730. 2639
frir le regard critique. C'eft l'hommage
le plus honorable que le vice puiffe fendre
à la vertu , qui en tout bien differente
de lui , s'enveloppe de fon propre mérite ,
& fans courir de dangers , ni effuyer de
fatigues , fans traverſer les mers , ni franchir
les montagnes pour acquerir du relief
, pour fixer fur elle les regards des
hommes , fçait captiver leur eftime ; &
par la même force le vice à fe revêtir
du moins de fes apparences pour fe fau
ver de l'opprobre qui lui eft dû.
Hommage public & intereffant pour
elle. Oui , le vice dont le pouvoir eſt ſi
étendu & fi defpotique , emprunte les
dehors & les démarches de la vertu pour
affermir fon empire.
Ici naît le penible embarras où nous
nous trouvons , lorfqu'il s'agit de diftin
guer au vrai la vertu folide du vice tra
vefti. Tout est égal à nos yeux dans l'un
& dans l'autre. La vertu ne fçauroit faire
un gefte que le vice ne prétende fe rendre
propre, & qu'il ne fçache imiter . Pourroit-
il mieux faire connoître qu'il en fent
le mérite , que de n'ofer fe produire que
fous ces dehors empruntez.
Ne diſons rien de ces Monftres d'iniquité
que le vice met au jour , Monſtres
dont il rougit & qu'il defavoûë ; laiffons
part ces horribles, forfaits que le Soà
I. Vol leil
2640 MERCURE DE FRANCE
leil n'éclaire qu'à regret. Il eft un autre
vice , pour ainfi dire , civilifé , qu'on ne
diftingue de la vertu que par l'intention
qui le fait agir & par les projets qui l'occupent
, c'eft ce vice ainfi déguifé qui
tend hommage à la vertu en fe cachant
fous la vettu même.
Voyez-vous cet homme affable , gracieux
, prévenant ; remarquez cet air em
preffé à vous fervir , cette modeftie dans
fes prétentions , ce dégagement de fes
propres interêts. Ne diriez-vous pas que
c'eft la feule vertu qui le guide ? Non , on
ne s'y trompe plus ; on le laiffe faire , H
cherche à s'élever en fe rabaiffant ; bientôt
, fi la fortune le favorife , il fçait fe
dédommager de tous les facrifices que fa
paffion lui coûte , & on le voit confacrer
au vice les récompenfes de la vertu.
Tout le monde le fçait , & le vice ne
l'ignore pas . La feule vertu a droit de
plaire , elle feule mérite d'être avoiiée de
l'homme né pour être vertueux. Ainfi à
quelque prix que ce foit il faut être vertueux
ou le paroître , fi l'on cherche à
regner dans l'efprit & le coeur des hommes.
Et qui eft- ce qui ne le cherche pas ?
Neceffité indifpenfable aux vicieux mêmes
, & de- là cet hommage forcé que le
vice rend à la vertu ; mais en eft- il moins
glorieux pour elle ?
I. Vol:
DECEMBRE . 1730. 2641
Il n'eft donc plus de prétexte qui autorife
l'homme à ne pas fe ranger du parti de
la vertu . Mille raifons concourent à
prouver fon mérite . Son feul ennemi . le
vice eft forcé de lui rendre hommage. Les
difcours , les fentimens , les oeuvres de
cet ennemi dépofent en fa faveur . Pourquoi
faut-il que nous méconnoiffions nos
vrais interêts ? notre veritable bonheur?
notre folide gloire ?
Videbunt recti & lætabuntur & omnis
iniquitas oppilabit os fuum, Pfal . 106. v. 429
IMITATION de l'Ode Latine du
P. Sanadon , adreffée aux Poëtes du
College de Louis le Grand , pendant l'Oc
tave de la Canonifatton des S S. Louis
DE GONZAGUE Staniflas KOSTKA,
Suivez les doux tranfports d'une celeſte ivreffe
Vous dont l'amour du Créateur ,
Mieux que l'arbitre du Permeffe ,
Anime fans effort & l'efprit & le coeur.
Aux pieds du facré Tabernacle ,
Approchez ; un nouveau fpectacle ,
Doit fixer en ce jour vos regards affidus .
Deux Héros au fein de la Gloire
I. Vol. Cou
1642 MERCURE DE FRANCE
Goutent le prix de leur Victoire ,
Et l'Univers charmé célebre leurs vertus.
器
Sur les bords où le Pô répand fes eaux fertiles,
Et que Manto rendit fameux ,
Et dans ces climats plus ftériles ,
Que l'auftere Sarmate a rendu belliqueux ,
Deux Princes au printems de l'âge ,
Mériterent le tendre hommage ,
Qui fait en leur honneur ériger des Autels
La vertu leur fraïant les routes >
Ils fçurent aux céleſtes voutes ,
S'affurer un grand nom parmi les Immortels,
諾
A mes yeux ébloüis une lumiere pure ,
Ouvre les barrieres du Ciel :
Que vois-je foible créature ,
Tu brilles fur un Trône & tu vois l'Eternel
Exemt des malheurs & des vices ,
D'un torrent de faintes délices ,
GONZAGUEà chaque inftant fent inonder fon
coeur :
STANISLAS après une vie
Aux mêmes devoirs affervie ,
D'un vol précipité court au même bonheur.
IGNACE , qui forma leurs coeurs à la fageffe ,
1. Vol.
Dans
DECEMBRE. 1730. 2643
Dans l'étroit fentier des Elus ,
En eux , au gré de fa tendreffe ,
Couronne peu de jours & beaucoup de vertus,
Quelle fplendeur les accompagne ?
La gloire & l'appui de l'Eſpagne ,
XAVIER & BORGIA paroiffent à leur tour.
Au culte de l'efprit immonde,
L'un arracha le nouveau Monde ,
L'autre fçut méprifer les attraits de la Cour,
淡
Le modefte REGIS vers la troupe s'avance
Tel dans fon air & fon maintien ,
Qu'il fe montre aux yeux de la France
Dont il rappelle encor qu'il fut le citoyen.
A leur fuite combien d'Apôtres ,
Se fuccedent les uns aux autres ?
La plus pure vertu régle feule leur rang.
Malgré l'erreur & fes preftiges ,
La foi fur leurs facrés veftiges ,
Eclaira l'Univers inondé de leur fang.
諾
Dans GONZAGUE & KOSTKA tout l'Olympe
révere
Le zele & les talens divers ,
Qu'il a couronnés dans le pere ,
Et par qui les enfans défarment les Enfers.
Formés par les mêmes maximes ,
En ce jour fur des tons fublimes
I. Vol,
Chan
2644 MERCURE DE FRANCE
Chantres ingénieux , multipliés vos airs ,
Et , dociles à vos exemples ,
Que vos éleves dans nos Temples ,
Célebrent un fujet fi propre à leurs Concerts.
Héritiers d'un grand nom confacré dans l'hiftoire
;
On vit GONZAGUE & STANISLAS
Rougir d'un titre , dont la gloire
A le fort pour principe , & pour fin le trépas,
Nés dans le fein de la molleffe ,
Des préjugés de la Nobleffe ,
Leur coeur ne fe fit point un agréable écueil . *
Ils fçavoient que les Grands périſſent ,
Et qu'avec les Héros finiffent
Dans l'horreur du tombeau leur fafte & leur or
gueil.
La Grace qui parut , pour embellir leur ame
Epuifer fes riches tréfors ,
Par les traits d'une vive flamme ,
En dirigea toujours les dociles refforts,
En eux déja les connoiffances ,
Sondoient l'abîme des Sciences ,
Quant à l'efpoir public la mort vint les ravir
Telles à l'afpect de l'Aurore ,
Des rofes fe hâtent d'éclore ,
Que le même Soleil voit naître & fe flétrir,
1.Vol. Mais
DECEMBRE . 1730. 2645
Mais plus que le rapport d'état , d'âge ou d'étude,
Dans leurs penchants & dans leurs moeurs
Même attrait , même exactitude ,
Les rendit l'un & l'autre heureux imitateurs,
L'Ambition au coeur barbare ,
Le Plaifir , enfant du Ténáre ,
Effayerent en vain de captiver leur coeur ,
Leur innocence fous l'écorce ,
Démêla la fatale amorce ,
Qu'aux Mortels , qu'il féduit , offre le Tentateur,
Echappés aux dangers d'un Monde tyrannique ,
Sans crainte , au ſéjour de la paix ,
Dans le fein d'un Dieu magnifique ,
Le plus parfait bonheur les fixe pour jamais,
Tel un Marchand , à qui Porage ,
Dans l'attente d'un promt naufrage ;
A retracé cent fois les horreurs de la mort ,'
Exemt de terreurs & d'allarmes ,
Se livre fans réſerve aux charmes
De contempler fa barque à l'abri dans le porta
F. L. de la Compagnie de Jefus,
9.
I. Vol,
E RE
2646 MERCURE DE FRANCE
REFLEXIONS.
Ly a ſouvent plus de gloire à con-
Iferver
ferver les chofes acquifes qu'à les acquerir.
La gloria mondana finifee col mondo , e
per nonoi il mondo finiſce col la vita.
La gloire après laquelle on court avec
tant d'empreffement , eft pourtant d'un
foible fecours contre l'indigence.
Le Magnanime eft celui qui fe croit
digne des grandes chofes , & qui ne fe
trompe pas dans le jugement qu'il fair
de foi-même.
Pour conferver le fouvenir des belles
actions , il en faut continuellement rafraîchir
la memoire de nouvelles
,
par
Ön
peut prefque affurer que perfonne
ne parle de nous en notre prefence comme
il en parle en notre abfence , & que
très- peu d'amitiés fubfifteroient , même
des plus anciennes & des plus folidement
établies , fi chacun fçavoit au vrai ce que
J. Vol.
fon
DECEMBRE. 1730. 2647
fon ami dit quelquefois de lui , lorfqu'if
n'eft pas prefent.
Un efprit né cauftique & à qui les paroles
& les écrits coutent peu , reprend
tout ce qui lui donne occafion d'exercer
fon talent favori , Souvent il cenfure , il
blâme des chofes , moins parce qu'elles
lui paroiffent défectueules , que parce
qu'elles lui fourniffent un bon mot.
On ne doit pas être furpris fi nous
nous connoiffons fi peu nous - mêmes .
Quand on eft trop loin d'un objet, on ne
le voit que confufément & rarement tout
entier ; quand on en eft trop près , on ne
voit que lui , il offufque la vue , & on ne
le peut comparer avec les autres .
Les coeurs étroits , les génies bornez ,
mefurent d'ordinaire les chofes qui font
au delà de leur portée fur la mefure de leurs
foibles pénétrations , & fe mocquent des
entrepriſes d'éclat où leur prévoyance &
leurs lumieres ne fçauroient atteindre.
Il eft toûjours bien plus aifé de prévenir
les fautes que de les réparer.
A ne prévoir rien , on eft furpris &
fouvent embarraffé. A prévenir tout ,
1. Vol,
E ij sing
2648 MERCURE DE FRANCE
s'inquieter toûjours fur l'avenir ,
miferable.
C'eft le propre de la pénétration trop
rafinée , de creufer elle- même des précipices
, où ceux qui la prennent pour gui
de , s'égarent prefque toûjours.
Les hommes en general font des aveugles
; leurs deffeins les mieux concertez
en apparence , manquent , pour l'ordi
naire , par les endroits les moins prévus ,
& fouvent même par les moyens qu'on
avoit choifis pour les faire réüffir.
Il eft bien difficile de paroître prudent
lorfqu'on eft malheureux ; car comme on
ne s'attache qu'à l'apparence des chofes ,
l'évenement feul regle d'ordinaire les ju
gemens , & jamais un deffein ne paroît
bien formé ni bien fuivi , lorſque l'iffuë
n'en eft pas heureuſe .
La prévoyance , toute eftimable qu'elle
nous paroît , n'en eft pas moins fille
de la crainte. C'eft une vertu , mais qui
fuppofe la mifere de celui qui la poffede ,
& qui lui fait fentir fans ceffe fon indigence
prochaine,
Il vaut mieux s'expofer à être trompé
I, Vol. quelDECEMBRE.
1730. 2649
quelquefois , que d'avoir mauvaife optnion
de tout le monde. Une défiance
generale feroit même tomber dans plus
de fautes qu'un peu de crédulité.
On doit fe défier de fes doutes autant
que de fa crédulité ; car ceux qui croyent
trop difficilement , s'éloignent auffi fouvent
de la verité , que ceux qui fe livrent
à tout ce qu'on leur raconte.
Moftrare di credere sempre , e dubitar
Sempre , e il migliore ammaeftramente che fo
poffono infegnare per viver ficuro.
Dieu nous garde de ceux aufquels nous
hous fions , nous nous garderons bien
de ceux dont nous nous défions .
Les gens de bien ſont ſouvent la dupa
pe des méchans , pour n'avoir pas affez
mauvaiſe opinion d'eux.
Bien des gens apprennent aux autres
tromper , par la crainte & la défiance
qu'ils témoignent d'être trompez.
I. Voli É iij EX
1650 MERCURE DE FRANCE
EXPLICATION de l'Enigme & du
Logogryphe du mois de Novembre.
Ous des détours énigmatiques ,
Mercure , en vain tu crois cacher la verité
Mon efprit n'eft point démonté
Par aucun de tes fens obliques.
Sans te parler avec orgueil ,
Enigme , Logogryphe , il voit tout d'un coup
d'oeil ,
Et leur voile feroit trois fois encor plus fombre ,
Qu'à fon flambeau foudain difparoîtroit leur
ombre.
On a dû expliquer le fecond Logo
gryphe par Courage.
ENIGM E.
Ous fommes bien des foeurs , mais loin d'ètre
bornées Nou
A ne fervir
que
d'ornement ,
Au plus preffant befoin nous fommes deftinées ;
Nous excellons fur tout par notre arrangement.
faire ,
De nos foins l'homme n'a que
Quand de fes ans il commence le cours ;
Mais il obtient notre fecours ,
Dès qu'il lui devient neceffaire,
I. Vol. Si
DECEMBRE. 1730. 2651
Si lorfque l'on nous perd nous pouvions revenir ,
O combien de Neftors paroîtroient rajeunir !
Des termes vainement on trouve l'élegance ;
Sans nous il n'eft point d'Orateurs ;
Voyez quelle eft notre puiſſance ,
Nous aidons à former ces fons vifs & flateurs ;
Dont pour perfuader ou pour toucher les coeurs,
Se fert la plus belle éloquence.
Voilà ce qu'on gagne avec nous..
Pour nous mettre au travail il eft certaines heures
Qui font communes prefqu'à tous :
Nous reffemblons aux fotifes des foux;
Les plus courtes font les meilleures.
Pour avoir differens emplois ,
Par la Nature & l'Art également formées ,
Notre nom paffe quelquefois ,
A des chofes inanimées,
LOGOGRYPHE.
MA premiere moitié reffemblé à la derniere
je
Choſe rare , j'ai double cou ,
ne fuis élevé par pere, ni par mere ;
Et paffe pour un franc filou.
J'habite les bois , les bruieres ,
On fçait qu'en dérobant je fais fouvent un don ,
Et quoique j'aye maints confreres ,
Perfonne cependant ne veut porter mon nom.
Is Vol. Bij - AUS
2652 MERCURE DE FRANCE
AUTR E.
Morbleu la
plaifante
rencontre ,
L'on dira fi , fi je me montre ,
Me lifant à rebours , mon nom quoique fuccint
Eft cependant celui d'un Saint.
DA
AUTRE.
Ans l'Empire Romain je fuis très remar
quable ,
Mais l'on peut lire dans la Fable ,
Que je fuis placé près d'un Dieu ;
Le feu de mes yeux étincelle.
Orez ma lettre du milieu ,
Vous ne me verrez plus qu'une aile.
D'Orvilliers , de Vernon.
**** :*******: ****
NOUVELLES LITTERAIRES
SE
DES BEAUX ARTS & c
ECONDE PARTIE de l'Extrait des
Mémoires pour fervir à l'Hiftoire des
Hommes Illuftres.
Catalogue des Ouvrages d'Eufebe Renaudot.
1. Il a traduit en Latin dès l'âge de 25 .
I. Vol. ans
DECEMBRE. 1730.. 265 3
ans les Atteftations des Eglifes d'Orient
touchant leur créance fur l'Euchariftie
que M. de Nointel , Ambaffadeur de
France à Conftantinople , envoya à M. de
Pomponne , pour être inferées dans le Livre
de la Perpetuité de la Foi fur l'Euchariftie
, & fa Traduction fe trouve dans
le troifiéme Volume , dans la Préface duquel
M. Arnauld s'exprime ainfi à fon
fujet » Ce feroit tout-à- fait manquer à
»la reconnoiffance & à la juftice , que de .
ne pas rendre un témoignage public
» de l'obligation qu'on a à celui qui a
» rendu ces Actes utiles à l'Eglife par la
» traduction qu'il en a faite , & la peine
qu'il a prife d'extraire lui - même des
>> Livres Orientaux tous les Paffages qui
» font rapportés dans cet Ouvrage . C'eft
» M. l'Abbé Renaudot , dont la modeftie
ne permet pas d'en dire davantage ;
» mais la diverfité de ces Actes & des
>> Livres dont fes Extraits ont été tirés ,
» qui font écrits les uns en Grec vul-
>> gaire , les autres en Arabe , les autres
» en Syriac , les autres en Copte , les autres
en Ethiopien , font affez connoître
>> l'intelligence qu'il a dans toutes ces Lan
» gues.
Défenfe de la Perpetuité de la Foi contre
les calomnies & les fauffetés du Livre
intitulé : Monumens authentiques de la
JVol
Ev Religion
2654 * MERCURE DE FRANCE
Religion des Grecs. Paris 1708. in 8. Jean
Aymon , Auteur des Monumens autentiques
que M. Renaudot entreprend ici
de réfuter , étoit né en Dauphiné ; après
avoir été ordonné Prêtre , il fut Aumônier
d'un Evêque de Maurienne qu'il
fuivit dans un Voyage de Rome où il acquit
un titre de Protonotaire Apoftolique
, & deffervit quelque tems une Cure
de Campagne. Il quitta enfuite Eglife
Romaine pour embraffer le Calviniſme,
& paffa en Hollande , d'où il vint à Paris
en 1705. fous prétexte de rentrer
'dans le fein de l'Eglife ; il s'acquit par fà
de la protection , & eut un libre accès à
la Bibliotheque du Roi , où il avoit la
liberté de parcourir les Manufcrits précieux
qui y font ; mais il ſe ſervit de cette
liberté pour en mutiler quelques- uns ,
& pour voler l'original d'un Synode de
Jerufalem , tenu en 1672. fous le Patriarche
Dofithée , qu'il emporta en Hollande,
& qu'il y fit imprimer en 1708. avec des
Notes de fa façon . Ce Livre tiffu de calomnies
, de raifonnemers abfurdes &
de bévûcs ridicules excita tellement l'indignation
de M.Renaudot, qu'il travailla
auffi- tôt à renverfer ces prétendus Monumens
, ce qu'il exécuta d'une maniere
également folide & fçavante . Le Manuſcrit
volé eft revenu dans la Bibliotheque
1. Vol du
DECEMBRE. 1730. 2655
du Roi , les Etats Generaux l'ayant retiré
de la Bibliotheque de Leyde , ou le
fieur Aymon l'avoit déposé pour le
rendre à fon premier Maître .
3. Gennadii Patriarcha Conftantinopoli
-tani Homilia de Sacramento Euchariftia ,
Meletii Alexandrini , Nectarii Hierofoly
mitani , Meletii Syrigi & aliorum de eodem
argumento Opufcula , gracè & Latinè , feu
Appendix ad Acta , qua circa Græcorum
de Tranfubftantiatione fidem relata funt in
opere de Perpetuitate Fidei. Eufebius Renaudotius
, Parifinus , ex Codd . Mff. edidit
, latinè vertit , Differtationes & Ob
fervationes adjecit. Paris , 1709. in 4.
4. La Perpetuité de la Foi de l'Eglife
Catholique touchant l'Euchariftie . Tome
-IV. contenant un Examen particulier
de la conformité de la Doctrine des Grecs
& de tous les Chrétiens Orientaux avec
celle de l'Eglife Latine , plufieurs nouveaux
Eclairciffemens touchant les Auteurs
& les faits allegués dans les Volumes
précedens , & la réfutation de tout
ce qui a été objecté contre les Atteftations
& autres Piéces qui y ont été produites.
Paris , 1711. in 4.
5. La Perpetuité de la Foi de l'Eglife Caª
tholique fur les Sacremens , & fur tous les
autres points de Religion & de Difcipline
que les premiers Réformateurs ont pris pour
I. Vol
5°
· prétexte
2656 MERCURE DE FRANCE
prétexte de leur Schifme , prouvée par le
confentement des Eglifes Orientales . Paris ,
1713. in 4. Il y a beaucoup d'érudition
dans ces deux Volumes .
6. Hiftoria Patriarcharum Alexandrinorum
Facobitarum à D. Marco ufque ad finem
faculi XIII. cum Catalogo fequentium
Patriarcharum , & collectaneis Hiftoricis ad
ultima tempora fpectantibus . Inferuntur multa
ad res Ecclefiafticas Facobitarum Patriarchatus
Antiocheni , Æthiopia , Nubia &
Armeniæ pertinentia. Accedit Epitome Hif
toria Muhamedane ad illuftrandas res
Ægyptiacas ; omnia collecta ex Autoribus
Arabicis , Severo , Epifcopo Afchmonie ,
Michaële , Epifcopo Taneos , Ephrem
filio Zaraa , Abulbircat & aliis Anonimisz
tum ex editis Eutichio , Elmacino , Abulfaragio
, Chronico Orientali , diverfifque
Hiftoria Muhamedana Scriptoribus Arabicis
& Perficis. Paris, 1713. in 8. On n'avoit
encore rien vû de fi exact ni de fr
recherché fur l'Histoire des Patriarches.
Jacobites d'Alexandrie.
7. Liturgiarum Orientalium Collectio
Parifiis, 1716. in 4. 2. tom.C'eft le Recueil
le plus ample qui ait jamais été fait des
Liturgies Orientales à l'ufage des Coptes,
des Jacobites , des Melchites de Syrie &
des Neftoriens . M. Renaudot s'eft contenté
de faire imprimer fa Traduction ,
I. Vol. fans
DECEMBRE 1730. 2657
fans y joindre le Texte original , don't
Pimpreffion auroit demandé une dépenfe
exceffive , & auroit rebuté beaucoup de
gens. Les Differtations qui accompagnent
La Traduction font très fçavantes .
8. Défenfe de l'Hiftoire des Patriarches
d'Alexandrie & de la Collection des Litur
gies Orientales , contre un Ecrit intitulé :
Défenſe de la Mémoire de M. Ludolf.
Paris , 1717. in 12. pp. 193. M. l'Abbé
Renaudot en donnant au Public l'Hif
toire des Patriarches d'Alexandrie & la
Collection des Liturgies Orientales crût
être obligé de réfuter quelques endroits
de l'Hiftoire d'Ethiopie de Ludolf & du
Commentaire que le même Auteur a
publié fur cette Hiftoire. C'est ce qui a
donné lieu au Mémoire inferé dans le
neuviéme Tome du Journal Litteraire ,,
page 217. où l'on prétend défendre Lu
dolf contre les accufations de M. Renaudot.
Ce fçavant Abbé s'y voyant accufe
à fon tour de mauvaiſe foi avec beau
coup de vivacité , publia cet Ouvrage
pour repouffer les attaques de cet Advesfaire
, qui lui a répondu avec la même
vivacité que la premiere fois dans un
Ecrit intitulé Examen défintereffe du
Livre de M. Renaudot , & inferé dans
PEurope Sçavante , Tome 1o. p. 23.1 . &
Tome 11. p . 28 .
I. Vol.
ބ
2658 MERCURE DE FRANCE
9. Anciennes Relations des Indes & de
la Chine , de deux Voyageurs Mahometans
qui y allerent dans le IX. fiecle , traduites
d Arabe , avec des Remarques fur les principaux
endroits de ces Relations . Paris , 1718.
in 8. Ces Relations font fimples & convenables
au tems , où elles ont été écrites.
Leurs Auteurs paroiffent inftruits &
finceres. Les Obfervations de M. Renaudot
les rendent plus inftructives & plus
utiles ; on n'y remarque ni l'aigreur qu'on
lui a reproché dans d'autres Ouvrages ,
ni une profufion exceffive d'érudition
affez ordinaire à ceux qui ont beaucoup
lû & fur- tout des Livres que peu de
perfonnes peuvent lire : c'eft le jugement
qu'on porte de cet Ouvrage dans PEu-
Fope Sçavante , tome 6. p. 95. Mais ce
jugement eft contredit par le Pere de
Prémare , Jefuite , Miffionnaire à la Chine
, qui dans une Lettre inferée dans le
dix- neuvième Recueil des Lettres édifiantes
& curieuſes , écrites des Miffions
Etrangeres par quelques Miffionnaires de
la Compagnie de Jefus , fait voir que
ces Relations font remplies de fables &
de contes , & que M. Renaudot , noncontent
d'adopter toutes les faufletés qu'il
s'eft donné la peine de traduire , eft tombé
lui -même dans une infinité de mépri
fes confiderables dans les Eclairciffemens
qu'il y a ajoûtés.
10.
DECEMBRE. 1730. 2659
10. De l'origine de la Sphere. Cette
Differtation qui fe trouve dans le premier
Tome des Mémoires de l'Académie des
Infcriptions , page 1. a été attaquée par
M. Des Vignoles dans des Remarquesfort
fçavantes , inferées dans le cinquié
meTome de la Bibliotheque Germanique,
page 153.
1. De l'origine des Lettres Grecques?
Les deux Mémoires où M. Renaudot
examine cette matiere,font contenus dans
le fecond Volume de l'Hiftoire de l'Académie
des Inſcriptions , page 246. Il y'
foutient , à l'exemple de Jofeph Jufte
Scaliger , que les Lettres Grecques tirent
feur origine , non point des Egyptiennes
mais des Phéniciennes ou anciennes Hebraïques.
3
12. Eclairciffement fur les Explications
que les Anglois ont données de quelques
Inferiptions de Palmyre & des Remarques
fur une qui fe trouve à Heliopolis de Syrie,
appellée communément Baalbek. Hiftoire de
' Académie des Infcriptions. Tom. 2. p.
-509.
13. Eclairciffement fur le nom de Septimia
qui eft joint à celui de Zenobia fur les Médailles
de cette Princeffe. Ibid. p. 567.
14. Lettre à M. Dacier fur les Verfions
Syriaques & Arabes d'Hippocrate , inferée
dans la Traduction d'Hippocrate par
Dacier
M
DS.
4660 MERCURE DE FRANCE
15. Les Libraires de Paris voyant l'empreffement
avec lequel on recherchoit le
Dictionnaire de M. Bayle , lorfqu'il parût
pour la premiere fois , formerent le deffein
de le réimprimer , & s'addrefferent
à M. le Chancelier pour avoir un pri
vilege ; M. le Chancelier ordonna à
M. l'Abbé Renaudot d'examiner l'Ouvrage
, pour voir s'il n'y avoit rien contre
la France ou contre la Religion , & M.
Renaudot dreffa un Mémoire où il en
donna une idée très défavantageuſe. Ce
Mémoire étant tombé entre les mains de
M. Jurieu , qui haïffoit M. Bayle , il le
fit imprimer avec quelques Extraits de
Lettres anonymes fur le même fujet , &
y ajoûta des Remarques fort vives ; le
tout parut fous le titre de fugement du
Public, & particulierement de M. l'Abbé
Renaudot fur le Dictionnaire Critique du
Sieur Bayle. Rotterdam, 1697. in 4. pp. 47.
M. Bayle y répondit par un Ecrit inti
tulé : Réflexions fur un Imprimé qui a pour
titre Jugement du Public &c. in 4. pp.
16. Il fut réfuté à fon tour par M. Jurieu
dans une Lettre fur les Réflexions
publiées contre le Jugement du Public
fur le Dictionnaire du ficur Bayle , in 44
pp. 16.
M. Bayle marque dans fa Lettre 2307
à M. Des Maizeaux que M. de Witt +
I. Vola
grand
DECEMBRE. 1730. 2661
à
grand ami de l'Abbé Renaudot , ayant
reçû une de ſes Lettres , où il lui marquoit
qu'il n'entroit qu'avec regret dans
des démêlés de cette nature , & qu'il
haïffoit naturellement les guerres Litte
raires , ménagea la paix entr'eux , & l'engagea
mettre tout en oubli , ce qui
fit qu'il ne dit pas un mot de leur differend
dans la feconde Edition de fon
Dictionnaire. D'un autre côté , M. de
Saint-Evremont compofa une petite Piéce
contre le Jugement de M. Renaudot , où
il le raille affez finement. On la trouve
parmi fes Oeuvres.
16. Il a préfidé pendant plufieurs années
à la compofition des Gazettes qui
doivent leur établiffement à Theophrafte
Renaudot , fon ayeul , lequel en fit en
1631. agréer le projet au Cardinal de
Richelieu , & dont il a eu le privilege
après fon pere.
Voyez fon Eloge par M. de Boze daus
Hiftoire de l'Académie des Infcriptions
tome 5. p. 384.
1.Vol. SUITE
2662 MERCURE DE FRANCE
SUITE de PExtrait de l'Hiftoire Litte
raire de la Ville de Lyon du Pere -
de Colonia:
L
nego-
E quinziéme fiécle commence à être
affez varié. Guy , Pape , & Mathieu
Thomaffin,fçavans Lyonnois, en occupent
le commencement. Le premiar étoit Jurifconfulte
, & Mathieu Thomaffin ſe diftingua
furtout dans une fameufe
ciation dont Louis XI. le chargea. Cette
negociation , fuivant le P. de Colonia
a produit un rare Manufcrit dont il a
jugé à propos de donner une notice. On
en conferve l'Original dans les Archives
de la Chambre des Comptes de Grenoble
, dont Thomaffin fut Preſident. Ce
rare Manufcrit porte pour titre : Regiftre
Delphinal , fait par le commandement du
Prince Louis Dauphin , par Mathieu Thomaffin
de Lyon , Confeiller Delphinal , &çi
Le venerable Gerfon n'eft'
pas Lyonnois
de naiffance ; mais comme il avoit
choifi la Ville de Lyon pour le lieu de fa
retraite , & qu'il y a paffe les dix dernie
res années de la vie , le P. de Colonia en
parle fort au long , en fe bornant cependant
à ce qui eft de fon ſujet , c'eſt-à-dire ,
à ce qui eft de particulier pour l'Hiftoire
de Lyon dans la vie de cet illuftre Chan-
I. Vol. cclier
DECEMBRE. 1730. 2663
celier de l'Univerfité de Paris , l'Hiftoire
du Cardinal Louis Allemand , connu fous
le nom du Cardinal d'Arles , & furtout
par la grande entrepriſe qu'il fit pour être
Pape , occupe une bonne partie du quinziéme
fiécle , lequel eft terminé par un
détail affez circonftancié du rétabliſſement
des Sciences dans cette grande Ville . Les
circonftances en font curieufes , & meri
tent toute votre attention .
Nous voici enfin arrivez au feize &
dix- feptiéme fiécle de l'Hiftoire Litteraire
de Lyon , c'est - à- dire , à l'âge d'or de
la Litterature dans Lyon . L'Hiſtorien
donne d'abord une idée de la Litte
rature en general du feiziéme fiécle , &
il entre dans le détail des caufes qui l'ont
fait fleurir dans Lyons ce qui lui donne'
lieu de parler des Pienfes Comedies que les
Religieux jouerent , en préfence de Louis
XII. & de la Reine Anne de Bretagne.
A ces pieufes Comedies , dit notre Hiftotien
, fuccéda l'avanture finguliere du
nouveau Mercure ou du nouvel Apollonius
, qui parut à Lyon l'an 1501. & qui
par fa fcience univerfelle , & par fes rares
fecrets , étonna très fort Louis XII. &
toute fa Cour. » C'étoit un Italien nommé
Jean , qui fe faifoit annoncer fous
» le nom de nouvel Apollonius , ou de
nouveau Mercure , & qui fe vantoit de
I.Vols réunig
£664 MERCURE DE FRANCE
» réünir dans fa feule perfonne toute la
» fcience qu'avoient jamais eue les plus fçavans
Auteurs Hebreux, Grecs , & Latins.
» Le nouveau Mercure prétendoit fçavoir
toutes les profondeurs & les fineffes de
l'Art , tant vanté de la tranfmutation
» des Métaux ; il poffedoit parfaitement
» la Magie naturelle , & c. Il fit deux préfens
au Roi , fçavoir , une épée d'une fabrique
toute finguliere & remplie de cent
quatre- vingt couteaux ; & un bouclier ,
au milieu duquel on voyoit un miroir
magique , fabriqué comme l'épée , fous
certaines conftellations , & c. Le détail de
cette avanture , qui étonna fort la Cour
de Louis XII. merite que vous la lifież
en entier dans cette Hiftoire.
Le P. de Colonia paffe enfuite à l'Aca
démie Litteraire de Fourviere , ou de l'An
gelique ; il indique les Auteurs qui en ont
fait mention , les Membres qui la compo
foient , les études qu'on y faifoit , & termine
cet article par quelques Remarquès
fur le Prefident de l'Ange , qui a donné
fon nom à la maiſon , où cette Academie
s'affembloit. Il n'eft pas poffible , Monfieur
, d'entrer dans le détail de tout ce
qui s'eft paffé de curieux & d'intereffan't
pour l'Hiftoire Litteraire de Lyon dan's
ces deux derniers fiécles , fans exceder de
beaucoup les bornes d'une Lettre .
I.Vol.
Vouts
DECEMBRE . 1730. 2665
Vous avez vû que l'Hiftorien ne fe
borne pas à faire mention dans fon Ou
vrage des Sçavans nés à Lyon , le Chancelier
Gerfon , quoi qu'étranger à cette
Ville , comme je l'ai déja dit , ne laiffe pas
de figurer dans fon Hiftoire par le long
fejour qu'il y a fait , & par les fçavans
Ouvrages qu'il y a compofez ; il en eft
de même de Clement Marot. Le P. de
Colonia remarque que ce Poëte , pendant
un féjour affez long qu'il fit dans Lyon
mit la Jeuneffe de cette Ville dans le
gout
de la Poëfie Françoife , & qu'elle alloit
en prendre des leçons dans fa maiſon .
Marot ne fe borna pas à marquer fon inclination
pour la Ville de Lyon pendant
qu'il y demeura , il voulut que la pofterité
eut connoiffance du féjour qu'il y
avoit fait , & il ne quitta cette fameufe
Ville qu'en lui faifant un folennel adieu
& en compofant des Vers à fon honneur
celui de fes habitans confervant
encore après fon départ des relations particulieres
avec les gens de Lettres qu'il
avoit laiffez . C'eft ce que le P. de Colonia
fait fentir avec fon attention ordinaire.
Le P. de Colonia fait enfuite paffer
comme en revue les Sçavans de l'un & de
l'autre fexe qui ont pris naiffance dans
Lyon , & qui font en grand nombre
I. Vol.
on
2666 MERCURE DE FRANCE
on voit ici avec plaifir parmi les femmes ,
Claudine & Sybille Seve , Jeanne Gaildarde
, Louife Labbé , Clemence de Bourges
, les Vouté , les Du Perrat , les Duchoul
, & c . L'Hiſtolre de l'Imprimerie de
Lyon vient enfuite , ce qui donne occafion
de parler de Jean Trerchel , premier
modele & pere de l'Imprimerie
Lyonoife , & des premiers Ouvrages qui
fortirent de fa preffe ; on n'oublie pas
Joffe Bade , qui après avoir exercé longtems
l'Art de l'Imprimerie à Lyon , alla
le pratiquer à Paris , où il établit le celebre
Pralum Afcenfianum. Sebaftien Gri
phius , &c.
On voit avec plaifir l'éloge , ou plutôt
Hiftoire entiere du College de la Trinité
de Lyon , tant de l'ancien que du nouveau
, occupé par les R R. PP. Jefuites,
& dont le P. de Colonia fait un détail curieux
, en rapportant beaucoup de particularitez
concernant les gens de Lettres
qui l'ont habité , ou qui en font fortis
tant pour ce qui regarde la Poëfie , l'Hiftoire
, la Grammaire , que les Humanitez
, &c. L'Hiftorien termine enfin fon
fçavant Ouvrage par une Notice ample
& curieufe de la Bibliotheque de ce fameux
College dans laquelle on voir
beaucoup d'éditions des plus rares & des
plus anciennes telles font un Tite-
,
I. Vol.
Live
O
DECEMBRE
. 1730. 2667
"
Live en deux volumes in folio , fur un
beau vélin hiftorié , & d'une parfaite confervation
, imprimé en 1470. à Venife par
Vincent de Spire . La Bible de Gryphius
& les Commentaires de Dolet. Le Talmud
mis au jour à Veniſe par Daniel Bombergue
, & un nombre infini d'autres éditions
de très - grande conféquence . Elles
peuvent , à la verité , le trouver dans les
autres Bibliotheques : mais en voici une
que l'Hiftorien croit pouvoir appeller
unique en Europe , du moins en France
où elle n'a paruë que cette année 1730,
c'eft une Hiftoire generale de la Chine en
30. volumes imprimez à Pe- kin,en beau
papier & en beaux caracteres Chinois.
Chaque volume a quatorze pouces de long
fur fept de large , &c. On y voit aufli les
Lettres originales de Sixte V. écrites par le
Cardinal Sadolet , que le P.de Colonia fe
prépare de donner au Public. A la Notice
de la Bibliotheque qui paroît très curieuſe ,
le P. de Colonia en joint une du curieux
Cabinet du même College , qui ne merite
pas moins l'attention des Antiquaires
mais ce feroit ôter à la defcription de
l'Auteur beaucoup de fon merite, que de
la donner en abregé ; c'eft pourquoi je
ne crois pouvoir faire mieux. que de
Vou
renvoyer à l'Ouvrage même.
Je fuis , &c.
J.Vol.
ཏུ
ANA2668
MERCURE DE FRANCE
ANA , Ou Bigarures Calotines,
A Paris , chez la Mefl:, ruë de la Vieille-
Bouclerie , à la Minerve ; & A. Huqueville
, Quay des Auguftins , au coin de la
rue Gille - Coeur. Brochure in 12.
» L'Hymen , dit l'Auteur dans fa Préface
, refufa de préfider à ma naiffance ;
» je dois le jour à un vieux Seigneur que
» je n'ai jamais vû , & dont une vieille
» femme , qui m'a élevé , & qui appȧ-
>> remment fçavoit tout ce myftere , ne
» m'a jamais pû ou voulu dire le nom.
» Il combattit toute fa vie fous les étendarts
de l'Amour , & Dieu fçait quels
» Myrthes il en rapporta bien fou-
» vent. Dans les dernières années , il s'at-
» tacha à une Danfeufe , qui pour avoir
» trop fatigué fa groffeffe , mourut en
» me mettant au monde. Sans ce con-
» tre-tems , je ferois peut - être Marquis
» ou Comte ; car mon pere en étoit fi fort
» enchanté , qu'il l'auroit infailliblement
» épousée , & c .
>> Au refte, ajoute-t- il plus bas , on trou-
» vera icy quantité d'Anecdotes curieu-
» fes & litteraires , qui n'ont jamais été
imprimées , &c.
Donnons- en quelques Echantillons.
2 Quand M. de Sacy , Avocat au Con-
•
I, Vole
» feil
DECEMBRE . 1730. 2669
feil , & l'un des 40. de l'Académie
>> Françoiſe , mort en 1728. eut mis au
»jour fon Traité de l'Amitié ; un bel ef
prit , qui avoit penfé être fon gendre
» fit les deux couplets fuivans ; fur l'air
» des Fanatiques:
» Sur l'amitié paroît au jour
Un admirable ouvrage ,
» L'Auteur fur un nouveau tour ,
Y brille à chaque page ;
Il en a fait pour l'amour
Un qui plaît davantage.
On n'y voit que de la douceur ,
» De la délicateffe ;
Tous les traits percent le coeur ,'
» Inſpirent la tendreſſe ,
ود
Trop heureux eft l'Imprimeur ,
Qui le met fous la Preſſe.
M. Autreau , connu par plufieurs
» Comédies , joüées fur le nouveau Théa-
» tre Italien , & entr'autres par Démo
» crite, prétendu fou , qui vient de lui faire
>> tant d'honneur , avoit fait des paroles
fort jolies fur un air d'un Opera nou-
» veau. Un petit Maître , fur un de ces
Bancs qui environnent le grand Baffin
» des Tuilleries , fe les attribuoit & en re-
I. Vol F » cevoir
2670 MERCURE DE FRANCE
ע
» cevoit les complimens. Le hazard fic
paffer M. Autreau . Un de ſes amis qui
» étoit fur le même banc , l'arrêta, & lui
» dit : Voilà un Monfieur qui fe dic Aureur
de ces paroles qui courent , fur
» tel air , & qui commencent par...
Pourquoi , Monfieur , ne les auroit- il
» pas faites , répondit M. Autreau , je les
wai bien faites , moi.
23
Le Comte de Gram. entendoit un
bruit d'épées affez loin de fon apparte
ment ; il y court & fepare deux de fes
Valets de chambre qui fe battoient ; il en
voulut fçavoir le fujet : L'agreffeur lui
dit naïvement : Nous vous avons volé de
concert cinq Loüis d'or , il ne m'en veut
donner que deux . Maraut, lui dit le Comte
, n'as-tu point de honte de l'égorger
pour fi de chofe ? Tiens , voilà un
Louis.
peu
Louis XIV. fit ce bel éloge du Cardinal
de Coiflin , en apprenant fa mort....
Il m'a toujours dit du bien de tout le monde,
perfonne ne m'a dit du mal de lui.
Dans une affemblée nombreuſe de l'Académie
Françoife , l'Abbé Regnier , qui
en étoit Secretaire , fit la collecte dans
lon Chapeau , d'une Pistole que chaque
I.Vol. AcaDECEMBRE.
1730. 2671 :
'Académicien devoit donner pour une
certaine affaire ; & n'ayant pas vû un de
ces Meffieurs , qui paffoit pour être fort
avare, donner fa piſtole , il la lui demanda.
Celui-cy affura qu'il l'avoit miſe dans
le Chapeau. Je le crois , dit l'Abbé Re
gnier , mais je ne l'ai pas vû : & moi ,
ajouta M. de Fontenelle qui étoit auprès ;
je l'ai vû , mais je ne le crois pas.
CONSIDERATIONS SUR LA TRAGEDIE CR
general , où par occafion on examine.ce
qui feroit neceffaire pour faire réüffir une
Tragédie en Profe. Ruë de la Harpe, chez
De la Tour, brochure in 12. de 44- pages ,
to fols.
HARMONIE DES DEUX SPHERES , celefte
& terreftre , ou la correfpondance des
Etoiles aux parties de la terre. Par M. Jo,
feph Goiffon , Aumônier de S. A. S. M. le
Duc du Maine, & Principal du College
de Dombes. Ruë S. Jacques, chez . Etienne
Ganeau , in 12. de 431 pag. prix 50 fols.
L'OPERATION DE LA TAILLE par l'Appareil
Latéral , ou la Méthode de Frere
Jacques , corrigée de tous fes deffauts : Par
R. J. Croiffant de Garengeot , Maître ès
Arts , & en Chirurgie , Démonftrateur .
Royal en matiere Chirurgicale , & de la
L.Vol.
Fij Socié2672
MERCURE DE FRANCE
Société Royale de Londres. A Paris , rue
S. Jacques chez Cavelier , 1730. in 12 .
de 118 pages.
HISTOIRE de la vie du Duc d'Epernon ;
divifée en trois parties. Par M. Girard
Quay des Auguftins , chez Montalant . 1730.
4 vol, in 12.
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Etrangeres ; fes fonctions & fes prérogatives
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Franquenay.Rue S. Jacques, chez Ganeau,
in 12. de 295 pag. prix 35 fols.
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preaux , &c. A Amfterdam , chez François
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nouvelles d'une grande beauté , gravées
par Picartle Romain.
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des fels , des criftaux , & la généra
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& des animaux, à l'occafion de la Pierre
Belemnite , & de la Pierre Lenticulaire,
avec un Mémoire fur la théorie de la terre.
Par M. Bourguet. A Amft. chez François
Honoré, 1729,
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fuivant les Droits civil & canon , la Jurifprudence
du Royaume , & les ufages
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Royal en l'Univerfité de Befançon . A Dijon
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Hollande. LETTRES de la tres - fameufe Demoiſelle
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micienne de la fameúfe Univerfité d'Utreck
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d'Hollande. Le tout traduit d'Hol
landois , par Madame de Zouteland , à
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du Roy. A Paris , ruë Dauphine , chez la
veuve Rebuffé. 1730.
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& à l'honnête homme , en forme de Sentences.
Par M. le Vaffeur , Chanoine Regulier
de l'Ordre de la fainte Trinité ,
&c. A Paris , rue du Foin. in 12. de 333
pages.
SENTIMENS DE CLEANTE fur les Entrefiens
d'Arifte & d'Engene. Par M. Bar-
I. Vol Fiij bier
2674 MERCURE DE FRANCE
"
bier d'Aucour, de l'Académie Françoiſe.
Quasréme Edition, revuë & corrigée , où
Fon a mis deux Fallums du mêmeAuteur.
pour Jacques le Brun , rue S. Jacques , chez
la veuve Delaulne . 1730. in 12.
>
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Pont S. Michel , chez André Caillean.
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Quai des Auguftins , chez la veuve Guillaume.
1731. 2 vol. in 12 , de plus de
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1731. Par M. Roflin , Expert Arithméticien
& Ecrivain . A Paris , ruë faint
Martin , prés l'Ecu de Venife , & ráë Ga
lande , chez G. F. Quillan.
I. Vol. ALMA
DECEMBRE. 1730. 2675
$
-
ALMANACH ASTRONOMIQUE , Géogra
phique, Hiftorique , Moral , general, particulier
; & , qui plus eft , veritable ; pour
l'an de grace 1731. dans lequel on trouvera
des prédictions infaillibles pour chaque
faifon & chaque mois. Ouvrage curieux
& folide , malgré fon titre. Avec
douze couplets de Centuries chantantes ;
de Me Michel Noftradamus. Par M.Conf
tantin Fleurlurault , Mathématicien .
Dic quibus in terris , & eris mihi magnu
Apollo ,
Tres pateat caeli fpatium non amplius ulnas.
Virg. Bucol . Ecl. 2 .
A Paris , chez Antoine de Heuqueville ,
Quai des Auguftins,ruë Gilles - le-Coeur‚à la
Paix.
1731.
On délivre aux Soufcripteurs , chez
G. Martin , Montalant , Coignard fils &
Guérin Painé , les Tomes 8 & 10. avec figures,
des anciens Mémoires de l'Académie
Royale des Sciences . On a donné cy- devant
les Tomes 5. 6. 7. 9. & 12 .. On fera
paroître à la fin de Décembre le Tomé
4. qui contient l'Hiftoire des Plantes,avec
figures ; & le 13 , qui fera la Table des
Mémoires , depuis 1710. jufqu'en 1720.
Le 3 volume , qui contiendra l'Hiftoire
I. Vola
Fiiit des
2676 MERCURE DE FRANCE
des Animaux eft prefque en état de paroître.
Les autres Volumes fuivront im
médiatement. Le Public aura lieu d'être
fatisfait de la beauté de l'exécution de cet
Ouvrage.
Guérin , l'aîné, Libraire, rue S: Jacques,
vend les Livres nouveaux , fuivans .
Alii Ariftidis Opera omnia græcè &
latinè , cum Notis diverforum & veterum
Scholis , ex recenfione Samuelis Jebb . Oxo
nii. 1730. 2 vol. in 4 .
Hiftoire de Lorraine, par D.Aug.Calmet,
4 vol. in fol.
Recueil des Edits , Déclarations , Arrefts
& Reglemens propres & particuliers aux
Provinces du Reffort du Parlement de
Flandres , in 4. C'est à M. Vernimen, Pro
cureur General dudit Parlement que l'on a
Pobligation de ce Recueil.
Hiftoire de la Musique , & de fes effets.
4 vol . in 12.
Abregé de l'Hiftoire d'Angleterre. La
Haye , 1730. 7 vol . in 12.
La Bibliotheque raisonnée des Sçavans de
l'Europe , juſqu'au mois de Juillet , 17300
8 part. in 8.
Les Lettres choifies de M.Richard Simon ;
avec la vie de l'Auteur , nouvelle édition ,
avec des Notes. Par M.Bruzen de la Martiniere.
Amft. 1729. 4 vol , in 12.
I.Vol
Ellai
DECEMBRE . 1730. 2677
Effai Philofophique fur l'Entendement
humain , traduit de l'Anglois de Locke
par Pierre Cofte. Nouvelle Edition , confiderablement
augmentée & éclaircie.
Amft. 1729. in 4 .
La Veuve Paulus Dumefnil , demeurant
rue Fromentel , auprès du Puits Certain ,
a achevé d'imprimer les Grammaires Hébraïque
, Chaldaïque , Syriaque & Samaritaine
, fans points , de feu M. Maſclef,
2. Volumes in 12.
Malgré les vieilles préventions & les
préjugés des partifans des Mafforethes ,
la premiere Edition de la Grammaire
Hébraïque avoit été affez bien reçue pour
engager le fçavant Chanoine d'Amiens à
donner au Public trois autres Grammaires
dans le même gout. Le premier Tome
ne contient que la Grammaire Hébraïque
fort augmentée. Dans le fecond , outre
les trois autres Grammaires , on trouvera
les principes juftificatifs du fiftême de
M. Mafclef , & les Réponses aux Objections.
L'Auteur a refondu ce qu'il avoit
dit dans les Prolegomenes qui parurent
à la tête de la premiere Edition , & y a
ajoûté bien des chofes curieufes .
M. Maſclef eft mort en achevant de
faire imprimer le premier Volume ; il
fçavoit que le R. P. D. Pierre Guarin
L.Vol
E v
>>
de .
2678 MERCURE DE FRANCE
.
de la Congrégation de Saint Maur , promettoit
d'anéantir la nouvelle Méthode
dans la Préface du fecond Volume de fà
Grammaire Hébraïque ; mais cette Préface
n'a paru qu'après la mort du Chanoine.
La réputation du celebre Benedictin
demandoit une Réponſe. Le R.
P. de la Bleterie , Prêtre de l'Oratoire ,
qui s'eft chargé du refte de l'Edition dé
M.Mafclef , fans compter les petites réparations
que demande neceffairement un
Ouvrage demeuré imparfait , a fuppléé
ce qui manquoit aux Vindicia de M. Mafclef,
& a répondu à Dom Guarin.
Le Public eft déformais en état de juger
fi l'illuftre Adverfaire de notre Chanoine
a effectivement anéanti fon fiſtême,
& de décider cette celebre controverfe
fi l'on peut apprendre parfaitement l'He
breu , fans ufer fes yeux fur les points ,
& fans faire aucun ufage des autres inventions
des Rabbins.
On annonce de Milan dans un Imprimé
Latin que nous venons de recevoir ,
une nouvelle Edition de l'Occo fur les
Médailles Romaines , augmentée par le
Comte Mezabarbe de Birague , fous le
titre d'Imperatorum Romanorum Numifmata
A Pompeio Magno ad Heraclium ab Adol
pho Occone olim congefta &c.in folio magno
&
majori .
M.
DECEMBRE. 1730. 2679
A
M. Argelati , Auteur de cette Editon
eft un Illuftre de Boulogne , connu dans
le monde fçavant par plufieurs Ouvrages
& par fa qualité de Directeur de la
Societé Palatine de Milan , l'une des plus
celebres Académies de l'Europe. On doit
efperer que l'Ouvrage dont il s'agit ici ,
& dont les Exemplaires étoient devenus
fort rares , fera d'autant mieux reçû du
Public , que le nouvel Editeur paroît n'avoir
rien oublié pour le rendre parfait.
Outre que cette Edition fera beaucoup
plus ample que les précedentes , on y
trouvera une infinité de corrections , nonfeulement
à l'égard des fautes d'Imprelfion
, mais encore de celles qui regardent
le fond du fujet , & principalement
la Chronologie.
M. Argelati s'eft fervi pour cela des
Mémoires de D. François Marie Biacca
Citoyen de Parme , fort verfé dans cette
connoiffance , & dans tout ce qui regarde
l'Antiquité , ayant employé une année
entiere à verifier les Faftes Confulaires
, & la Chronologie qu'il a redreffée en
plufieurs endroits , fans s'écarter des fentimens
des plus habiles Antiquaires.
Les Médailles qui lui ont parues fufpecres
, ou manifeftement fauffes , n'ont pas
été exemtes de fa Critique.
A l'égard des gravures des Médailles
I. Vol. F vj qui
2680 MERCURE DE FRANCE
que
qui font à la tête de l'Hiftoire ſommaire
de chaque Empereur , l'Editeur eſpere
les Connoiffeurs en feront contens ,
ayant été executées par Jofeph Pini , le
même qui grave actuellement le Cabinet
du Duc de Parme , & dont le burin
felon M. Argelati , n'eſt pas inférieur à
celui de Picart.
-
>
Le 14. Novembre , l'Académie Royale
'des Belles Lettres tint fon Affemblée
publique après deux mois de vacances ;
S. E. M. le Cardinal de Fleuri , Acadé--
micien honoraire , y préfida. M. l'Abbé
Sevin ouvrit la féance par la Relation
de fon Voyage litteraire dans le Levant .
L'Abbé Gedoin lut enfuite la Préface qu'il
doit mettre à la tête de fa Traduction
de Paufanias ; après quoi M. le Cardinal
de Fleuri ayant été obligé de partir pour
Verſailles , M. l'Abbé Bignon prit fa pla
ce , & l'Abbé Salier lut pour l'Abbé-
Bannier une Differtation Mythologiquefur
les Déeffes Meres , & l'Abbé Souchay·
termina la féance par une autre fur les
Pfylles.
Le 15. Novembre , l'Académie Royale
des Sciences fit auffi fa rentrée publique
à laquelle M. de Maison , Préfident à
Mortier , Académicien honoraire , pré-
La.Kala
fida .
DECEMBRE. 1730. 2681!
fida. M. de Fontenelle , Secrétaire , lut less
Eloges de M M. Maraldi & Bianchini
& donna un Catalogue raifonné & curieux
des Ouvrages de ces deux illuftres»
Académiciens , morts depuis peu.
M. de Reaumur lut enfuite un Mé
moire fur les Termometres , & parla d'u
ne efpece particuliere de fon invention¸
plus parfaits que les autres.-
M. du Fay lut un Mémoire fur la découverte
qu'il a faite d'un grand nombre
de Phofphores nouveaux , dont l'effet eft
femblable à celui de la pierre de Boulo--
gne. Jufques à préfent on ne connoiffoit
que cette pierre & une préparation chimique
connue fous le nom de Phoſphore
hermetique de Balduinus , qui euffent la
proprieté de s'impregner des rayons de la
lumiere , en les expofant au jour , & de
conferver cette lumiere, étant portés dans
l'obſcurité ; enſorte qu'il femble que ce
foient des charbons de feu embrafés fansaucune
chaleur.
La pierre de Boulogne & cette prépa
ration chimique ont été celebrées à l'envi
par un grand nombre d'Auteurs de
tous Pays , & on s'eft beaucoup plus appliqué
à deviner ce qu'il pouvoit y avoir
de fingulier dans cette pierre qu'à cher--
cher s'il n'y en avoit point d'autres qui
euffent la même proprieté. Enfin M. du
Lo Vol Fay
2682 MERCURE DE FRANCE
و
Fay s'en eft avifé , & le fuccès a de beaucoup
paffe fon attente ; car il a trouvé
un nombre infini de matieres de toute
efpece qui font précisément tous les mêmes
effets que la fameufe pierre de Boulogne
; & ce qu'il y a d'avantageux , c'eſt
que ces matieres ne font pas rares ; car
toutes les efpeces de gyps ou pierres à
plâtre , les albâtres les felenites , les
pierres à chaux , tous les marbres indifferemment
, les écailles d'huitre , les coquilles
d'oeuf , les os d'animaux ; enfin
toutes les matieres qui peuvent être calcinées
font dans ce cas ; il fuffit de les
mettre dans un creufet de placer le
creufet dans une forge , & de les chaufer
vivement pendant une demie heure ou
trois quarts d'heure : fi on manque la
premiere fois , il n'y a qu'à recommencer
une feconde , ou même une troifiéme , &
on réuffit.
و
M. Dufay ayant tenté la même choſe
fur les pierres de taille , les moilons , la
pierre de liais , la marne , les bols &c.
aucune ne lui réuffit ; mais il imagina de
les diffoudre dans l'Eau- forte , comme
on fait la craye dans le Phoſphore de
Balduinus , & toutes lui réuffirent par
cette voye. Il eut le même fuccès en employant
les cendres de toutes fortes de
bois , des feuilles , de la paille , enfin de
\ I. Val.
toutes
DECEMBRE . 1730. 2683
OF
།
ce
off
de
me
de
Jar
de
tes
les
A
1
toutes les matieres combuftibles.
Voici la préparation : il prend quelqu'une
de ces pierres , terres ou cendres ,
il les fait diffoudre dans l'Eau forte ; it
fait évaporer & deffecher la diffolution
& prend un morceau de cette matiere
feche qu'il met dans un creufet , & le
fait chauffer à peu près comme fi l'on
fondoit du plomb ; la matiere fe gonfle ,
fume , & fe deffeche une feconde fois , &
le Phoſphore eft préparé ; il n'y a qu'à
expoſer le creufet à la lumiere du jour ,
& le porter dans l'obſcurité. Voilà donc
toutes les matieres qui fe peuvent trouver
fur la terre devenues fufceptibles de
lumiere , il n'y a que les pierres dures ,
telles que les cailloux , agathes &c. & les
métaux qui n'ayent point encore réuffi à
M. Dufay ; mais il ne defefpere pas d'y
parvenir. Il ajouta enfuite les effets finguliers
que font quelques- uns de ces
Phofphores dans l'eau , l'efprit de vin
l'huile , l'eau-forte , les liqueurs alkalines
&c. mais nous ne le fuivrons point
dans ce détail . Enfin , il indiqua quelques
unes des experiences qu'il y auroit encore
à faire , & exhorta les Phyficiens à y
travailler auffi de leur côté , perfuadé
qu'elles peuvent mener à des découvertes.
importantes fur la nature de la lumiere.
1. Vol.
On-
2
2684 MERCURE DE FRANCE -
Ouverture du College Royal.
Les Profeffeurs du College Royal de
France , fondé à Paris par le Roi François
I. ont repris leurs exercices , & commencé
leur année Académique le Lundi
20. Novembre. Voici les noms des Profeffeurs
qui rempliffent actuellement les
Chaires de ce fameux College fous l'inſpection
de M. Clement.
Pour la Langue Hébraïque.
Mrs Sallier & Henri.
Pour la Langue Grecque.
Mrs Capperonnier & N ...
Pour les Mathématiques.
Mrs Chevalier & Pothenot.
Pour la Philofophie.
Mrs Terraffon & Privat de Molieres
Pour l'Eloquence Latine.."
Mr Rollin & N ...
Pour la Medecine , la Chirurgie , la Phar
macie & la Botanique.
Mr Preaux , Andry , Geoffroy & Bu
Fette.
Pour la Langue Arabe.
Mrs de Fiennes & Fourmont,
I. Vol. Pour
DECEMBRE. 1730. 268
Pour le Droit Canon.
Mrs Cappon & le Merre .
Pour la Langue Syriaque.
M. l'Abbé Fourmont.
Le 2. du mois dernier on apperçût
vers les neuf heures du foir à Florence
une Aurore Boreale , jettant d'un même
centre des rayons ou colonnes de lumiere
dont les unes durerent 3. heures , d'au
tes jufqu'à 4 & 5.
Question proposée.
On demande fi l'on peut trouver dur
plaifir dans quelque chofe qu'on n'entend
pas , & pour l'intelligence de laquelle
on n'a pas les difpofitions néceffaires : Par
exemple , on voit des gens qui fans fçavo'r
aucune des regles de l'harmonie, affu
rent qu'ils ont beaucoup de plaifir à entendre
un beau Concert d'Inftrumens ;
onveut fçavoir fi c'eft de la Mufique qu'ils
ignorent , ou des fons dont leur oreille eft
frappée , que réfulte leur plaifir .
On aime à entendre chanter une perfonne
qui a une belle voix , quoiqu'on
ne s'y connoiffe point : eft- ce la Mufique
qui plaît à l'auditeur ignorant ou la
beauté de la voix ?
I. Vol On
2686 MERCURE DE FRANCE
On nous a demandé une déciſion fur
cela ; mais nous avons crû qu'il vaudroit
mieux que nous ne fuffions que les échos
des divers fentimens du public. De fi
agréables Differtations font tout-à- fait du
reffort du Mercure.
Le fieur de Ranti , privilegié du Roi pour
le nouveau métail qui imite l'or , demeurant visà-
vis la Comédie Françoife , donne avis au Public
qu'il va demeurer rue de Grenelle , Fauxbourg
S. Germain , à l'Hôtel de S. Victour Senectere
; fon privilege fera fur fa porte. Il donne
auffi avis aux Curés de Paroiffes , aux Con
munautés de Religieux & Religieufes qu'il fait
toutes fortes d'ornemens d'Eglife très-propres ,
& à jufte prix , furpaffant toutes fortes de dorure
, & fans qu'ils changent , pourvû qu'on y
faffe au moins une fois l'an ce qui eft enfeigné
dans l'imprimé qu'il donne en vendant les Ŏuvrages
; & pour être affuré , dit-it, de ce qu'il
avance , on n'a qu'à fe tranfporter à la Chapelle
de M. Herault , Lieutenant General de Police ,
en fon Hôtel , rue du Boulois , où il Y a fix
chandeliers & une Croix dudit métail , que ledit
fieur de Renty lui a vendu il y a un an & demi
ou environ . On trouve chez lui genéralement
de toutes fortes d'ouvrages tels qu'on en fait
en or , en argent &c.
I. Vol. CHANSON
DECEMBRE . 1730. 2687
an
kakakakakakak
2686 MERCURE DE FRANCE
On nous a demandé une décifion fur
cela ; mais nous avons crû qu'il vaudroit
mieux que nous ne fuffions que les échos
blic De fi
ON
#]jKTHT
DECEMBRE. 1730. 2687
Lorfqu
akakakakakakakikiki
CHANSON.
Orfque de Jupiter les foudroyantes armes
Font fentir aux humains qu'ils font foibles Mot
tels ,
Je n'entends
mes ,
que des cris , je ne vois que des lar-
Lui-même en fa fureur renverſe fes Autels.
Pour moi , je me tiens ferme au plus fort de
Porage ;.
J'en détourne l'effet par le tin tin des pots.
C'eft toi , puiffant Bacchus , qui foutiens mon
courage ;
Rien ne peut l'ébranler , & je bois en repos.
******:*:* XXXX:XXX
A
SPECTACLES.
U commencement de ce mois les
Comédiens François ont remis au
Théatre une petie Piece d'un Acte , intitulée
Crifpin bel efprit , qu'on n'avoit
joüée depuis très - long - temps , & qu'on
revoit avec beaucoup de plaifir. Elle eft
imprimé fous le nom de la Thuillerie ,
ancien Comédien ; mais on affure que feu
I. Vol. l'Abbé
2688 MERCURE DE FRANCÈ
l'Abbé Abeille en eft Auteur , ainfi que
des Tragédies d'Hercule & de Soliman ,
qu'on voit aufli imprimées fous le même
nom .
Le Lundi 11. de ce mois , on donna
an Theatre François la premiere Repréfentation
de la Tragédie de Brutus , de
M. de Voltaire , qui fut extrémement applaudie
par une très belle & très- nombreufe
Affemblée . Nous en parlerons plus
au long dans le fecond Volume de ce
mois .
Les Comédiens François repréſenterent
à la Cour le Mardi 5. Décembre la Comédie
de l'Esprit folet.
Le 7. la Tragédie de Medée , de M. de
Longepierre , & la petite Comédie de
Crifpin Rival de fon Maître.
Le 12. D. Japhet d'Armenie.
Le 14. Bajazet & Crifpin bel Efprit.
Le 19. les Menechmes & la Comteffe
'd'Efcarbagnas:
Le 2. Décembre , les Comédiens Italien ,
repréſenterent à la Cour la Sylphide , la
petite Piece nouvelle du Triomphe de
'Interêt,& la Parodie du MaryJoueur & de
la Femme Bigotte , Scenes Italiennes , chantées
fur le Théatre de l'Opera au mois
de Juin 1729. Cette Parodie qui a fait
beaucoup de plaifir à la Cour , n'eft joüée
I. Vol
que
DECEMBRE 1730. 268**
que par la De Silvia & le fieurTheveneau
qui y ont été fort applaudis.
Le 9. ils reprefenterent les Amans réunis
& les Paifans de qualité.
Le 16. Timon le Misantrope & le Por
trait.
Le 21. l'Académie Royalé de Mufique
remit au Théatre l'Opera de Phaeton, qui
n'avoit pas été joué depuis le mois de
Novembre 1721. Cette Piece qui vient
d'être remife d'une maniere très- brillante
en habits & en décorations , a été reçuë
très favorablement du Public. On en parlera
plus au long , fur tout des Decorations
, qui font l'admiration de tous les
Spectateurs.
LETTRE de Mr de ... , à Mde de ...
fur la Tragedie de Venceflas.
Neté à peu fenfible aux beautez qui
E rougiffez pas , Madame , d'avoir
font répandues dans la Tragedie de Venceflas
; ce n'eft point par des applaudiffemens
qu'un efprit auffi délicat que le vôtre
doit fe déterminer. Un Acteur , tel que
Baron , peut prêter des graces aux endroits
d'une Tragédie , même les plus rebutanss
les fuffrages deviennent alors tres- équi-
I. Vol. yoques
2690 MERCURE DE FRANCE
voques , & l'on peut le tromper quand
on en fait honneur à l'Auteur.Ce n'eft pas
qu'il n'y ait de grandes beautez dans cette
Tragedie. Rotrou étoit un de ces génies
que la nature avare ne donne que de ſiécles
en fiécles ; le grand Corneille n'a pas
dédaigné de l'appeller fon Pere & lon
Maître;& fa fincerité avoit autant de part
que fa modeſtie à des noms fi glorieux ;
mais ce qui excitoit l'admiration dans un
temps où le Théatre ne faifoit que de naî
tre , ne va pas fi loin aujourd'hui ; on fe
contente d'eftimer ce qui a autrefois étonné
, & pour aller jufqu'à la furpriſe , on a
befoin de fe tranfporter au premier âge
des Muſes. Tel étoit celui de Rotrou , par
rapport à la Tragédie ; ceux qui avoient
travaillé avant lui dans ce genre de Poëfie
que Corneille & Racine ont élevé fi
haut , ne lui avoient rien laiffè qui pût
former fon goût ; de forte que la France
doit confiderer Rotrou comme le créateur
du Poëme Dramatique , & Corneille
comme le reftaurateur. Vous voyez ,
Madame , que cela pourroit fuffire pour
juftifier vos dégouts ; je veux aller plus
loin , & parcourir également les beautez
& les défauts de la Tragedie de Venceſlas
, pour pouvoir en porter un jugement
équitable.
1. Vol.
ACTE
DECEMBRE. 1730. 2691
Į
ACTE I.
Venceflas ouvre la Scene fuivi de
Ladifas & d'Alexandre fes fils ; il faut
retirer le dernier par ce vers adreffé à
tous les deux .
Prenez un fiége , Prince , & vous, Infant, ſortez.
Alexandre lui répond.
J'aurai le tort , Seigneur , fi vous ne m'écoutez.
Ce fecond vers eft un de ceux qu'il
faut renvoyer au vieux temps. J'aurai le
tort, n'eft plus françois , mais ce n'eft pas
la faute de l'Auteur . Que vous plaît-il ? cft
trop profaïque & trop vulgaire ; il n'étoit
pas tel du temps de Rotrou. Paffons
à quelque chofe de plus effentiel. Voici
des Vers dignes des fiécles les plus éclai
rez ; c'eſt Venceflas qui parle à Ladiflas.
Prêtez- moi , Ladiflas , le coeur avec Poreille
J'attends toujours du temps qu'il meuriffe le
fruit ,
Que pour me fucceder , ma couche m'a produit
Et je croyois , mon Fils , votre Mere immor,
relle ,
Par le refte qu'en vous elle me laiffa d'elle ;
Mais hélas ! ce portrait qu'elle s'étoit tracé ,
Perd beaucoup de fon luftre , & s'eft bien effacé
Ne
2692 MERCURE DE FRANC .
:
Ne diroit - on pas que c'eft Corneille
qui parle ? Ces Vers nous auroient , fans
doute , fait prendre le change , s'ils n'avoient
été précédez de cet à parte de
Ladiflas.
Que la Vieilleffe fouffre , & fait fouffrir autrui !
Oyons les beaux avis qu'un flatteur lui confeille
:
Quelle difparate ! tout ce que Venceflas
dit dans cette Scene , eft mêlé de petites
fautes , & de grandes beautez ; les
fautes font dans l'expreffion , les beautez
dans les penfées . Il y a pourtant dans ces
dernieres quelque chofe qui dégrade le
pompeux Dramatique : C'eft l'indigne
portrait que Venceflas fait d'un Fils qui
doit lui fucceder , & qui lui fuccede en
effet à la fin de la pièce. Le voicy ce
Portrait ;
S'il faut qu'à cent rapports ma créance réponde
,
Rarement le Soleil rend la lumiere au monde ;
Que le premier rayon qu'il répand icy bas ,
N'y découvre quelqu'un de vos affaffinats.
Où du moins on vous tient en fi mauvaiſe eftime,
Qu'innocent ou coupable , on vous charge du
crime ,
Et que vous offenfant d'un foupçon éternel ,
Aux bras du fommeil même, on vous fait criminel.
I. Vol. Quel
DECEMBRE . 1730. 2693
Quel correctif que ces quatre derniers
vers ! dans quelle eftime doit être un
Prince à qui on impute tous les crimes
que la nuit a dérobés aux regards du Public
? De pareils caracteres ont-ils jamais
dû entrer dans une Tragédie ? Mais dans
le refte de la Piéce , les difcours & les actions
de ce monftre iront plus loin que
le portrait.
Ce qu'il y a de plus furprenant , c'eſt
que Ladiflas , tel qu'il eft , trouve encore
le fecret de le faire aimer. On en peut ju¬
ger par ces Vers.:
Par le fecret pouvoir d'un charme que j'ignore,
Quoiqu'on vous meſeftime , on vous chérit encore
;
Vicieux , on vous craint , mais vous plaifez heureux
Et pour vous l'on confond le murmure & les
voeux.
J'avoue, Madame , que je ne comprends
pas le vrai fens de ce vers :
Vicieux , on vous craint ; mais vous plaifez heureux.
Vicieux & heureux, nefont pas faits pour
faire une jufte oppofition ; l'Auteur ne
voudroit-il pas dire , que malgré les vices
qui le font craindre , Ladiflas a le bon-
I. Vol
.G heur
2694 MERCURE DE FRANCE
heur de plaire ? Quoique ce vers puifle
fignifier , on ne fçauroit difconvenir qu'il
n'ait un fens bien louche . Mais que de
beautés fuivent ces petits deffauts ! Vous
en allez juger par cette belle tirade : c'eft
toujours Venceslas qui parle à fon Fils.
Ah ! méritez , mon Fils , que cet amour vous
dure ;
Pour conferyer les voeux , étouffez le murmure
Et regnez dans les coeurs par un fort dépendant
Plus de votre vertu que de votre aſcendant ;
Par elle rendez - vous digne du diadême ;
Né pour donner des loix , commencez par vous
même ;
Et que vos paffions , ces rebelles fujets ,
De cette noble ardeur foient les premiers objets .
Par ce genre de regne , il faut meriter l'autre
Par ce dégré , mon Fils , mon Thône fera vô
tre.
Mes Etats , mes Sujets , tout fléchira fous vous
Et , fujet de vous feul , vous regnerez fur tous .
>
2
?
Quand on trouve de fi grandes beautez
de détail dans une Piéce , on eft prefque
forcé à faire grace aux vices du fond;
& c'eft en cela feulement , Madame , que
je trouve vos dégouts injuftes . Voyons le
refte de cette Scene , qui eft dans le genre
déliberatif. Venceslas dans la leçon
qu'il fait à fon Fils , appuye fur trois
I. Vol, points
DECEMBRE . 1730. 2695
points ; fçavoir , fur les mauvais dépor
temens de fon Fils , fur fa haine pour fon
premier Miniftre , & fur l'averfion qu'il
a pour l'Infant. Ladiflas s'attache à répondre
exactement aux objections ; mais
il commence par convenir d'un reproche
que fon Pere ne lui a fait que d'une maniere
vague. Le voici :
Vous n'avez rien de Roy , que le défir de Pêtre
;
Et ce défir , dit -on , peu difcret & trop promt
En fouffre avec ennui le bandeau fur mon front.
Vous plaignez le travail où ce fardeau m'engage,
Et n'ofant m'attaquer , vous attaquez mon âge ,
&c.
Ce reproche doit- il obliger Ladiflas à
confeffer à fon Pere & à fon Roy , qu'il
eft vrai qu'il fouhaite la Couronne , &
qu'il lui eft échapé quelques difcours ?
Il fait plus , il cite le jour , où il a parlé
fi indifcretement fur une matiére fi délicate
:
Au retour de la Chaffe , hier affifté des micas
&c.
A quoi n'expofe- t-il pas les plus affidez
amis ? Sera- t- il bien difficile au Roy
de les difcerner ; il n'a qu'à fçavoir qui
font ceux qui l'ont fuivi à la Chaffe &
I. Voln Gij qui
2696 MERCURE DE FRANCE
qui ont foupé avec lui. Voicy ce qu'il
avoie lui être échappé :
Moy , fans m'imaginer vous faire aucune injure
,
Je coulai mes avis dans ce libre murmure ,
Et mon fein à ma voix s'ofant trop confier
Ce difcours m'échappa ; je ne le puis nier :
Comment , dis-je , mon Pere accablé de
d'âge ,
Et , fa force à prefent fervent mal fon courage,
Ne fe décharge- t- il avant qu'y fuccomber ,
D'un pénible fardeau qui le fera tomber ? &c.
tant
Voilà Venceflas inftruit d'un nouveau
crime qu'il pouvoit ignorer , & Ladiflas
très-imprudent de le confeffer ,fans y être
déterminé que par une plainte qui peut
n'être faite qu'au hazard. J'ai vu un pareil
trait dans une Comédie : Un Valet
pour obtenir grace pour un crime dont
on l'accufe , en confeffe plufieurs que fon
Maître ignore ; encore ce Valet eft-il plus
excufable, puifque l'épée dont on feint de
le vouloir percer , lui a troublé la raiſon;
au lieu que Ladiflas s'accufe de fang froid
devant un Pere qui l'aime , & qui vient
de lui dire :
Parlez , je gagnerai vaincu , plus que vainqueur
;
J. Vol. Je
DECEMBRE. 1730 : 2697
Je garde encor pour vous les fentimens d'un
Pere ;
Convainquéz-moi d'erreur ; elle me fera chere
-
Je fçais qu'on pourroit répondre à mon
objection ; que Ladiflas pouvoit fçavoir
qu'on avoit fait au Roy un fidele raport
de tout ce qui s'étoit dit à table ; mais
en ce cas là il faudroit en inftruire les
Spectateurs qui ne jugent pas d'après de
fuppofitions ; ainfi Ladiflas auroit dû dire
au Roy fon Pere : Je fçai qu'on vous a inf
trait ; ou l'équivalant. Il eft vrai qu'il
femble le dire par ce Vers :
J'apprends qu'on vous la dit , & ne m'en´ deffends
point.
Mais j'apprends, ne veut pas
dire qu'on
le lui ait apptis auparavant ; il feroit
bien plus pofitif de dire :je fçai qu'on
vous l'a dit
Ladiflas n'a garde de convenir que Ic
portrait que fon Pere vient de faire de
lui , foit d'après nature's bien loin delà
il l'accufe d'injufte prévention par ce'
Vers :
de ma part tout vous choque & vous
Encor que
bleffe , &c.
>
Pour ce qui regarde fa haine pour le
Giij Due I. Vol.
2698 MERCURE DE FRANCÈ
ſon Duc de Curlande,& fon averfion pour
Frere ,il ne s'abbaiffe à l'excufer que pour
,
s'y affermir. Voicy comme il s'explique :
J'en hais l'un , il eft vrai , cet Infolent Miniftre
,
Qui vous eft précieux autant qu'il m'eſt ſiniſtre ;
Vaillant , j'en fuis d'accord ; mais vain , fourbe ,
Aateur ,
Et de votre pouvoir , fecret ufurpateur , & c.
Mais s'il n'eft trop puiffant pour craindre ma
colere ,
Qu'il penfe murement au choix de fon falaire ,
&c.
&
Ce derniers vers fuppofe , comme il
eft expliqué un peu un peu auparavant
beaucoup plus dans la fuite , que Venceflas
a promis au Duc de lui accorder la
premiere grace qu'il lui demanderoit , en
faveur des fervices fignalez qu'il a rendus
à l'Etat. C'eſt pour cela que Ladiflas
ajoute :
Et que ce grand crédit qu'il poffede à la
Cour ,
S'il méconnoit mon rang , reſpecte mon amour,
Ou tout brillant qu'il eft , il lui fera frivole ,
Je n'ay point fans fujet , lâché cette parole ,
Quelques bruits m'ont appris jufqu'où vont fes
deffeins ;
I. Vol.
Et
DECEMBRË. 1730. 2699
Et c'eſt un des fujets , Seigneur , dont je më
plains.
Voicy ce qu'il dit au fujet de l'Infant.
Pour mon Frere , après fon infolence
Je ne puis m'emporter à trop de violence ;
Et de tous vos tourmens , la plus affreuſe horreur
Ne le fçauroit fouftraire à ma jufte fureur , &c.
L'humeur infléxible de ce Prince obli
ge fon Pere à prendre les voyes de la
douceur ; il convient qu'il s'eft trompés
il l'embraffe , & lui promet de l'affocier à
fon Thrône. C'eſt par là feulement qu'il
trouve le fecret de l'adoucir , & de lui
arracher ces paroles , peut-être peu finceres
;
>
De votre feul repos dépend toute ma joye ;
Et fi votre faveur , jufques -là fe déploye ,
Je ne l'accepterai que comme un noble emplois
Qui parmi vos fujets fera compter un Roy.
L'Infant vient pour fe juftifier du manque
de refpect dont fon Frere l'accufe ,
le Royle reçoit mal en apparence , & dit
à
part :
A quel étrange office , amour me réduis -tu ,
De faire accueil au vice & chaffer la vertu ?
1
I. Vol.
G iiij Ven
2700 MERCURE DE FRANCE
Venceslas ordonne à l'Infant de deman
der pardon à Ladiflas , & à Ladiſtas de
tendre les bras à fon Frere . Ladiflas n'obéit
qu'avec répugnance ; ce qu'il fait
connoître par ces Vers qu'il adreffe à l'Infant.
'Allez , & n'imputez cet excès d'indulgence ' ;
Qu'au pouvoir abſolu qui retient ma vengeance :
Le Roy fait appeller le Duc de Curlande
pour le réconcilier avec Ladiflas :
cette paix eft encore plus forcée que l'autre.
Venceflas preffe le Duc de lui demander
le prix qu'il lui a promis . Le
Duc lui obeït & s'explique ainfi :
Un fervage , Seigneur , plus doux que votre Em
pire ,
Des flammes & des fers font le prix où j'aſpire…..?
Ladiflas ne le laiffe
pas achever , &
lui dit :
Arrêtez , infolent , & c.
Le Duc fe tait par reſpect & ſe retire
avec l'Infant.
Le Roy ne peut plus retenir fa colere ,
il dit à ce Fils impétueux , qu'il ménage
mal l'efpoir du Diadême , & qu'il hazarde
même la tête qui le doit porter. Il le
quitte .
Je m'apperçus , Madame , que ces man-
I. Vol. ques
DECE MBRE. 1730: 2701
paques
de refpect , réïterés coup fur coup ;
en prefence d'un Roy ; vous revoltérent
pendant toute la réprefentation , je ne le
trouvai pas étrange , & je fentis ce que
vous fentiez . On auroit pû paffer de
reilles infultes dans les Tragedies qu'on
repreſentoit autrefois parmi des Républicains
; on ne cherchoit qu'à rendre les
Rois odieux ; mais dans un état monarchique
, on ne fçauroit trop refpecter le
facré caractere dont nos Maîtres font revêtus.
Dans la derniere Scene de ce premier
Acte on inftruit les Spectateurs de ce qui
a donné lieu à l'emportement de Ladif- .
las , & à l'infulte qu'il a faite au Duc en
prefence du Roy fon Pere. Ce Prince violent
croit que le Duc eft fon Rival. Ce--
pendant il ne fait que prêter fon nom
à l'Infant . Cela ne fera expofé qu'à la fin
de l'Acte fuivant , je crois qu'on auroit
mieux fait de nous en inftruire dès le
commencement de la Piéce.-
ACTE II
Theodore , Infante de Mofcovie , com
mence le fecond Acte avec Caffandre ,
Ducheffe de Cuniſberg . Elle lui parle ens
faveur de Ladiflas qui lui demande fas
main Caffandre s'en deffend par ces
Gy. Now
Vers :
LVola
2902 MERCURE DE FRANCE
Non , je ne puis fouffrir en quelque rang qu'if
monte ,
L'ennemi de ma gloire & l'Amant de ma honte ,
Et ne puis pour Epoux vouloir d'un ſuborneur ,
Qui voit qu'il a fans fruit attaqué mon honneur
L'Infant n'oublie rien pour appaifer
la jufte colere de Caffandre ; mais cette
derniere ne dément point ſa fermeté , &
découvre toute la turpitude des amours
de Ladiflas , par ces mots :
Ces deffeins criminels , ces efforts infolens ,
Ces libres entretiens , ces Meffages infames ,
. L'efperance du rapt dont il flattoit fes flammes ,
Et tant d'autres enfin dont il crut me toucher
Aufang de Cunisberg fe pourroient reprocher.
Je conviens avec vous , Madame,qu'un
amour auffi deshonorant que celui - là ,
n'eft pas fait pour la majefté de la Scene
Tragique, & qu'il doit faire rougir l'objet
à qui il s'adreffe . On a beau dire que
cela eft dans la nature ; il faudroit qu'il
fut dans la belle nature , & je doute qu'on
pafsât de pareilles images dans nos Comédies
d'aujourd'hui , tant le Théatre
eft épuré.
Ladiflas vient ſe joindre à fa four , pour
éblouir les yeux de Caffandre , par l'offre
d'une Couronne ; mais elle lui répond
avec une jufte indignation..
Me
DECEMBRE. 1730. 2703
Me parlez - vous d'Hymen & voudriez-vous.
pour femme
L'indigne & vil objet d'un impudique flamme ?
Moi ? Dieux ! moi ? la moitié d'un Roy d'un
Potentat !
Ah ! Prince , quel prefent feriez - vous à l'Etat >
De lui donner pour Reine une femme ſuſpecte
Et quelle qualité voulez - vous qu'il reſpecte ,
En un objet infame & fi peu refpecté ,
Que vos fales défirs ont tant follicité ?
Tranchons cette Scene , elle eft trop
révoltante. Ladiflas voyant que Caffandre
eft infléxible , s'emporte jufqu'à lui
dire , qu'il détefte fa vie à l'égal de la mort.
Caffandre faifit ce prétexte pour fe retirer.
Ladiflas court après elle ; il prie fa
foeur de la rappeller ; & fe repentant un
moment après de la priere qu'il vient
de lui faire; il dit qu'il veut oublier cette
ingrate pour jamais , & qu'il va preffer
fon Hymen avec le Duc qu'il croit fon
Rival, cette erreur produit une fituation ,
L'Infante qui fe croit aimée du Duc , &
qui l'aime en fecret , ne peut apprendre
fans douleur qu'il aime Caffandre. Elle /
fait connoître dans un Monologue ce qui
fe paffe dans fon coeur . On vient lui dire
que le Duc demande à lui parler. Elle le
fait renvoyer , fous prétexte d'une indif
1.Vol. Gvj pofi2704
MERCURE DE FRANCE
pofition . L'Infant vient pour fçavoir quelle
eft cette indifpofition ; il la confirme
dans fon erreur , il fait plus, il la prie de
fervir le Duc dans la recherche qu'il fait
de Caffandre ; l'Infante n'y peut plus tenir,
& fe retire , en difant :
Mon mal s'accroît , mon Frere , agréez ma re÷
traite.
Rien n'eft plus Théatral que ces fortes:
'de Scenes ; mais quand le Spectateur n'y
comprend rien , fon ignorance diminuë
fon plaifir ; il plaît enfin à l'Auteur de
nous mettre au fait , par un Monologue
qui finit ce fecond Acte ; & j'ofe avancer
que l'explication ne nous inftruit guére
mieux que le filence . Voicy comment
s'explique l'Infant dans fon Monologue.
O fenfible contrainte ! ô rigoureux ennui ,,
D'être obligé d'aimer deffous le nom d'autrui !
Outre que je pratique une ame prévenuë ,
Quel fruit peut tirer d'elle une flamme inconnuë?
Et que puis - je efperer fous cet afpect fatal ,
Qui cache le malade en découvrant le mal ? &c
Les deux premiers Vers nous apprennent
que l'Infant aime fous le nom d'au
trui ; mais les quatre fuivans me paroiffent
une énigme impénétrable : que veut
dire Rotrou , par ces mots ? Je pratique
L.. Kol.
une
DECEMBRE. 1730: 2705
1
une ame prévenuë ; & que pouvons - nous
entendre par cette flamme inconnue, & par
ce malade qui fe cache en découvrant le mal?
Eft ce que le Duc feint d'aimer Caffandre
aux yeux de Caffandre même ? Ne feroitil
pas plus naturel
que Caffandre fut inftruite
de l'amour de l'Infant , & qu'elle
confentit , pour des raifons de politique ,
à faire pafler le Duc pour fon Amant ?
Je crois que c'eft-là le deffein de l'Auteur
, quoique les expreffions femblent
infinuer le contraire ; quoiqu'il en foit ,
l'Infant ne devroit pas expofer , par cette
erreur , le Duc à la fureur de fon Frere ,-
pour s'en mettre à couvert lui- même.
D'ailleurs le Duc aimant l'Infante, com--
me nous le verrons dans la fuite , ne doit
pas naturellement le prêter à un artifice
qui le fait paffer pour Amant de Caf
fandre.
ACTE IM.-
Cet Acte paroît le plus deffectueux : Je
paffe légerement fur les premieres Scénes,
qui font tout-à-fait dénuées d'action . Let
Duc commence la premiere Scene par un
Monologue , dans lequel il réfléchit fur
la feinte maladie de l'Infante , pour lui
interdire fa préfence ; il préfume de cette
deffenfe, qu'elle eft inftruite de fon amour,
ou du moins qu'elle le foupçonne par le
L.Vol. demí.
2706 MERCURE DE FRANCE
1
demi aveu qu'il en a fait au Roy , quand
Ladiflas lui a deffendu d'achever ; il fe
détermine à aimer fans efperance .
Dans la feconde Scéne , l'Infant le
preffe de lui découvrir quels font fes.
chagrins ; ille foupçonne d'aimer Caffandre.
Le Duc détruit ce foupçon , fans
pourtant lui avouër fon veritable amour.
Dans la troifiéme , Caffandre preffe l'Infante
de la délivrer de la perfécution de
fon Frere, par l'Hymen dont il veut bien
l'honorer. Pour la quatrième , elle eſt
fi indigne du beau tragique , qu'il feroit
à fouhaiter qu'elle ne fut jamais fortie de
la plume d'un Auteur auffi refpectable
que Rotrou. En effet , quoi de plus bas
que ces Vers qui échapent à Ladiflas
dans une colere qui reffemble à un fang
froid. C'eft à Caffandre qu'il parle :
Je ne voi point en vous d'appas fi furprenans ,
Qu'ils vous doivent donner des titres éminens ;
Rien ne releve tant l'éclat de ce vifage ,
Où vous n'en mettez pas tous les traits en uſage ;
Vos yeux , ces beaux charmeurs , avec tous leurs
ap pas ,
Ne font point accufés de tant d'affaffinats , &c.
Pour moi qui fuis facile , & qui bien- tôt me
bleffe ,
Votre beauté m'a plû , j'avouerai ma foibleffe ;
Et m'a couté des foins , des devoirs & des pas ;
J. Vola Mais
DECEMBRE . 1730. 2707
Mais du deffein,je croi que vous n'en doutez pas,
&c.
Dérobant ma conquête elle m'étoit certaine ;
Mais je n'ai pas trouvé qu'elle en valût la peine.
Peut- on dire en face de fi grandes impertinences
? On a beau les excufer par le
caractere de l'Amant qui parle ; de pareils
caracteres ne doivent jamais entrer
dans la Tragedie.
Ladiflas fe croit fi bien guéri de fon
amour , qu'il promet au Duc , non - feulement
de ne plus s'oppofer à fon Hymen
avec Caffandre , mais même de le preffer .
Venceslas vient , il conjure le Duc de le
mettre en état de dégager la parole . Le
Duc le réfout enfin à s'expliquer , puifque
le Prince ne s'oppofe plus à fes défirs;
mais le Prince impetueux lui coupe encore
la parole , ce qui fait une efpece de Scéne"
doublée ; le Roy s'emporte pour la premiere
fois , jufqu'à l'appeller infolent. Ladiflas
daigne auffi s'excufer pour la pre
miere fois fur la violence d'une paffion
qu'il a vainement combattue. Il fort enfint
tout furieux , après avoir dit à fon Pere ::
Je fuis ma paffion , fuivez votre colere ;
Pour un Fils fans refpect , perdez l'amour d'un
Pere ;
Tranchez le cours du temps à mes jours deſtiné;
I. Vol
Ec
2708 MERCURE DE FRANCE
Ét reprenez le ſang que vous m'avez donné ; ·
Ou fi votre juſtice épargne encor ma tête ,-
De ce préfomptueux rejettez la requête ,
Et de fon infolence humiliez l'excès , '
Où fa mort à l'inftant en ſuivra le ſuccès.
Le Roy ordonne qu'on l'arrête ; c'eſt - là
le premier Acte d'autorité qu'il ait encore
fait contre un fi indigne Fils . Paffons
à l'Acte fuivant , nous y verrons une in
finité de beautez , contre un très - petit
nombre de deffauts.
ACTE IV..
L'action de cet Acte fe paffe pendant
le crepufcule du matin ; un fonge terrible
que l'Infante a fait , l'a obligée à
fortir de fon appartement ; ainfi ce fonge
qui d'abord paroît inutile, eft ingénieu
fement imaginé par l'Auteur , & donne
lieu à une tres - belle fituation , comme on
va le voir dans la feconde Scéne ; s'il y a
ya
quelque chofe à reprendre dans ce fonge,,
c'eft que l'Infante a vû ce qui n'eft pas
arrivé , & n'arrivera pas.
Hélas ! j'ai vu la main qui lui perçoit le flanc
J'ai vu porter le coup , j'ai vâ couler ſon fang ;
Du coup d'un autré main , j'ai vû voler fa tête
Pour recevoir fon corps j'ai vu la tombe prête .
I. Vol En
DECEMBRE: 1730. 2709
En effet ce n'eft pas à Ladiflas qu'on
a percé le flanc ; & pour ce qui regarde
eette tête qui vole du coup d'une autre
main ; le fonge n'eft , pour ainfi dire
qu'une Sentence comminatoire ; mais
voyons les beautez que cette légere faute
va produire.
"
Ladiflas paroit au fond du Théatre
bleffé au bras , foûtenu par Octave , font
confident. Voilà le fonge à demi expli
qué ; mais c'eft le coeur de l'Infante &
non du Prince , qui eft veritablement
percé. Ladiflas lui apprend qu'un avis
qu'Octave lui a donné de l'Hymen , du
Düc & de Caffandre , l'ayant mis au défefpoir
, l'a fait tranfporter au Palais de
cette Princeffe ; & qu'ayant apperçu le
Duc qui entroit dans fon appartement ,
il l'a bleffé à mort de trois coups de Poigard
; l'Infante ne pouvant plus contenir
fa douleur , à cette funefte nouvelle fe retire
pour dérober fa foibleffe aux yeux
de fon Frere : Elle fait connoître ce qui
fe paffe dans fon coeur par cet à parte :-
Mon coeur es -tu fi tendre ,
Qué de donner des pleurs à l'Epoux de Caffan
dre ,
Et vouloir mal au bras qui t'en a dégagé ?
Get Hymen t'offençoit , & fa mort t'a vengé.
Le jour qui commence à naître , oblige
I. Vol. La
C
2710 MERCURE DE FRANCÈ
Ladiflas à fe retirer ; mais Venceflas furvient
& l'apperçoit.Surpris de le voir levé
fi matin , il lui en demande la caufe , par
ces Vers :
Qui vous réveille donc avant que la lumiere ,
Ait du Soleil naiffant commencé la carriere.
"
Le Prince lui répond :
N'avez-vous pas auffi précédé fon réveil
Cela donne lieu à une tirade des plus
belles de la Piece. La voici , c'eft Vencel
las qui parle :
Oui , mais j'ai mes raiſons qui bornent mor
fommeil.
Je me voi , Ladiflas , au déclin de ma vie ,
Et fçachant que la mort l'aura bien - tôt ravie ,
Je dérobe au fommeil , image de la inort ;
Ce que je puis du temps qu'elle laiffe à mon
fort.
Près du terme fatal preſcrit par la nature
Et qui me fait du pied toucher ma ſépulture ,
De ces derniers inftants dont il preffe le cours ;
Ce que j'ôte à mes nuits , je l'ajoute à mes jours ,
Sur mon couchant enfin ma débile paupiere ,
Me ménage avec foin ce refte de lumiere ;
Mais quel foin peut du lit vous chaffer ſi matin
Vous à qui l'âge encore garde un fi long deſtin .
Ces beaux fentimens font fuivis d'un
I. Vol. coup
DECEMBRE. 1730. 2711
coup de théatre qui part de main de
Maître. Ladiflas preffé par fes remords
déclare à fon Pere qu'il vient de tuer le
Duc ; mais à peine a - t-il fait cet aveu ,
que le Duc paroît lui - même ; quelle
agréable furpriſe pour Venceflas la
que
nouvelle de la mort vient d'accabler ! &
quelle furprife pour Ladiflas qui croit
Favoir percé de trois coups de Poignard
!
Caffandre annoncée par le Duc , va bientôt
éclaicir cet affreux myftere ; elle vient
demander vengeance
de la mort de l'Infant.
yeux
de
Ce qui peut donner lieu à la critique
c'eſt un hors- d'oeuvre de cinquante vers ,
avant que de venir au fait. Je fçais , que
l'Auteur avoit befoin d'apprendre au Roy
que le Duc avoit prêté fon nom à l'Infant
, pour cacher fon amour aux
fon Frere ; mais cette expofition devoit
être placée ailleurs , ou mife icy en moins
de vers. Le refte de la Scene eft tres-pathetique;
elle jouë veritablement un peu trop
fur les mots. Vous en allez juger par ces
fragmens,
C'est votre propre fang , Seigneur , qu'on a
verfé ;
Votre vivant portrait qui fe trouve effacé ...
Vengez -moi , vengez-vous, & vengez un Epoux;
Que, veuve avant l'Hymen , je pleure à vos ge-
Mais поих.
2712 MERCURE DE FRANCE
Mais , apprenant , grand Roy , cet accident fi
niftre ,'
Hélas ! en pourriez - vous foupçonner le Miniftre?
Oui , votre fang fuffit , pour vous en faire foy ;
Il s'émeut , il vous parle, & pour & contre foy ,
Et par un fentiment enſemble horrible & tendre ,
Vous dit que Ladiſlas eſt méutrier d'Alexandre ...
Quel des deux fur vos fens fera le plus d'effort
De votre Fils meurtrier ou de votre Fils mort?
La douleur s'explique- t-elle en termes
fi recherchez ? Et n'eft- ce pas à l'efprit à fe
taire,quand c'eft au coeur feulement à par
ler?Je ne fçais même ſi ce vers tant vanté:
Votre Fils l'a tiré du fang de votre Fils :
eft digne d'être mis au rang des vers
frappés ; on doit convenir au moins què
l'expreffion n'en eft pas des plus juftes ;
en effet , Madame , un Poignard ne peutil
pas être tiré du fein , par une main innocente
, & même fecourable ?
Finiffons ce bel Acte. Venceslas promet
à la Ducheffe la punition du coupable . Il
ordonne à fon Fils de lui donner fon épée.
Ladiflas obéit , des Gardes le conduilent
au lieu de fureté ; le Roy dit au Duc :
De ma part donnez avis au Prince ,´
Què fa tête autrefois fi chere à la Province ,`
I. Vol. Doir
DECEMBRE . 1730. 2713
Doit fervir aujourd'hui d'un exemple fameux
Qui faffe détefter fon crime à nos neveux.
Venceflas fait connoître ce qui fe paſſe
dans fon coeur par cette exclamation .
Au gré
O ciel , ta Providence apparemment profpere ,
de mes
ſoupirs de deux Fils m'a fait Pere ,
Et l'un d'eux qui par l'autre aujourd'hui m'eft
ôté ,“
M'oblige à perdre encore celui qui m'eſt reſté .
7
Ce quatriéme Acte paffe pour être le
plus beau de la Piéce ; cependant celui
que nous allons voir , ne lui eft guére inférieur.
ACTE V.
que
Rien n'eft fi beau , que la réfolution
l'Infante forme dès le commencement ,
d'exiger du Duc qu'il borne à la grace de
Ladiflas la promeffe que le Roy lui a faite.
Le procédé du Duc n'eft pas moins heroïque
, il renonce à la poffeffion de l'objet
aimé , en faveur du plus mortel de fes
ennemis. La fituation de Venceflas eft des
plus touchantes , & fon ame des plus fer
mes. Il le fait connoître par ces Vers.
Tréve , tréve nature , aux fanglantes batailles
Qui , fi cruellement déchirent mes entrailles ,
Et me perçant le coeur le veulent partager ,
Entre mon Fils à perdre , & mon Fils à venger!
I. Vol. 发票
2714 MERCURE DE FRANCE
A ma juſtice en vain ta tendreffe eft contraire ,
Et dans le coeur du Roi cherche celui de
Je me fuis dépouillé de cette qualité ,
Et n'entends plus d'avis que ceux de l'équité, & c,
pere ;
La Scene qui fuit ce Monologue a des
beautés du premier ordre ; elle eſt entre
le pere & le fils. Je ne puis mieux en faire
fentir la force que par le Dialogue.
Ladiflas.
Venez-vous conſerver ou venger votre race ?
M'annoncez-vous , mon pere , ou ma mort , of
ma grace ?
Venceslas pleurant.
Embraffez-moi , mon fils .
Ladiflas
Seigneur , quelle bonté ?
Quel effet de tendreffe , & quelle nouveauté ?
Voulez - vous ou marquer , ou remettre mes peines
?
Et vos bras me font- ils des fayeurs , ou des chaî
nes ?
Venceslas pleurant toujours.
Avecque le dernier de mes embraffemens
Recevez de mon coeur les derniers fentimens,
Sçavez-vous de quel fang vous avez pris naiſfance
?
I. Vol. Ladiflas
DECEMBRE. 1730. 2715
Ladiflas.
Je l'ai mal témoigné ; mais j'en ai connoiffance.
Venceslas.
Sentez-vous de ce fang les nobles mouvemens ?
Ladiflas.
Si je ne les produis , j'en ai les fentimens.
Venceflas.
Enfin d'un grand effort vous fentez - vous capable
?
Ladifas.
Oui , puifque je réſiſte à l'ennui qui m'accable ,
Et qu'un effort mortel ne peut aller plus loin.
Venceslas.
Armez-vous de vertu vous en avez beſoin.
;
Ladifas.
S'il eft tems de partir , mon ame eft toute prête,
Venceslas.
L'échafaut l'eſt auffi ; portez-y votre tête &c.
fon
Tout le refte de cette Scene répond
aux fentimens que ces deux Princes viennent
de faire paroître. Ladiflas fe foumet
à fon fort ; il témoigne pourtant que
pere porte un peu trop loin la vertu d'un
Monarque : voici comme il s'exprime par
un à parte.
2716 MERCURE DE FRANCE
O vertu trop fevere !
VinceДlas vit encor , & je n'ai plus de pere.
Vinceflas eft fi ferme dans la réfolutiqn
qu'il a prife de n'écouter que la voix de
la juftice , qu'il refufe la grace du Printe
aux larmes de l'Infante & à la genérofité
de Caffandre ; le Duc même n'eft pas fûr
de l'obtenir ; il ne la lui accorde , ni ne
la lui refufe , & il ne fe rend qu'à une
efpece de fédition du peuple.
S'il y a quelque chofe à cenfurer dans
ce cinquiéme Acte , c'eft d'avoir fait prendre
le change aux fpectateurs. La premiere
grace promife au Duc dès le commencement
de la Piéce , fembloit être le
grand coup refervé pour le dénouement :
je ne fçais , Madame , fi vous ne vous by
étiez pas attendue comme moi ; car, enfin
, à quoi bon cette récompenfe fi folemnellement
jurée au Duc pour avoir fauvé
l'Etat , fi elle ne devoit rien produire ?
je conviens qu'elle influe dans la grace
du-Prince ; mais j'aurois voulu qu'elle én
fut la caufe unique & néceffaire ; cependant
cela ne paroît nullement dans les
motifs de la grace. C'eft Venceflas qui
parle
Qui , ma fille , oui , Caffandre , oui , parole
oùi , nature
I. Vol. Qüii
DECEMBRE . 1730. 2717
K
Oui , peuple , il faut vouloir ce que vous fouhaitez
,
Et par vos fentimens regler mes volontés.
Je fçai que tous ces motifs enfemble
rendent la grace plus raifonnable ; mais
elle feroit plus theatrale, fi après avoir refifté
à toute autre follicitation , Venceflas
ne fe rendoit qu'à la foi promife ; le Duc
même s'en eft flatté , quand il a ofé dire
à fon Maître :
J'ai votre parole , & ce dépot facré
Contre votre refus m'eft un gage affuré.
Il ne me refte plus qu'à examiner l'abdication
; elle n'eft pas tout-à- fait hors
de portée des traits de la cenfure . Quel
eft le motif de cette abdication ? le voici :
La juftice eft aux Rois la Reine des vertus.
Mais cette juftice ordonne- t'elle qu'on
mette le fer entre les mains d'un furieux?
Qui peut répondre à Venceslas que le repentir
de fon fils foit fincere ? Ne vientpas
de dire lui-même à Caffandre ? il
Ce Lion eft dompté ; mais peut-être , Madame
,
Celui qui fi foumis vous déguiſe ſa flamme ,
Plus fier , plus violent qu'il n'a jamais été ,
Demain attenteroit fur votre honnêteté ;
I. Vel H Peut2718
MERCURE DE FRANCE
Peut- être qu'à mon fang fa main accoutumée
Contre mon propre fein demain feroit armée.
Ne vaudroit - il pas
mieux que Venceflas
employât le peu de tems qui lui reste à
vivre à rendre fon fils plus digne de regner
? Et devroit- il expofer fon peuple
aux malheurs attachés à la tyrannie ? un
changement fi promt eft toujours fufpect,
& furtout dans un Prince auffi plongé &
auffi affermi dans le crime que Ladiflas.
Pour moi , Madame , fi la vertu de Venceflas
n'avoit brillé dans toute la Piéce ,
je ferois tenté de croire qu'il punit le
peuple d'avoir défendu un Prince fi indigne
de le gouverner. En effet n'eft-ce
pas ici le langage du dépit :
Et le Peuple m'enſeigne
Voulant que vous viviez , qu'il eft las que je regne
.
Je n'examine point la force de cette
abdication ; il a plû à Rotrou de faire la
Couronne dePologne moitié hereditaire ,
moitié élective : Venceflas le fait connoître
par ces Vers :
Une Couronne , Prince & e.
En qui la voix des Grands & le commun fuffrage
M'ont d'un nombre d'Ayeuls confervé l'herita¬
ge &c.
Regnez ; après l'Etat j'ai droit de vous élire ,
I. Vol
Et
DECEMBRE 1730. 2719
Et donner , en mon fils , un pere à mon Empire
Quel Pere lui donne- t'il ? Eft - ce là cette
juftice dont il fait tant de parade ?
Vous voyez , Madame , par tout ce que
je viens de remarquer dans la Tragédie
de Venceflas , que vos dégouts pour cette
Piéce ont été affez fondés. Pouvoit-elle
plus mal finir que par la récompenfe du
crime , & par l'oppreffion de la vertu ?
il femble l'Auteur en ait voulu annoncer
la catastrophe dès le commencement
, quand il a fait dire à VenceЛlas :
que
A quel étrange office , Amour , me réduis - tu ,
De faire accueil au vice , & chaffer la vertų.
Ce dernier Vers eft une espece de prophetie
justifiée par un dénouement auquel
on ne fe feroit jamais attendu.
Cela n'empêche pas que cette Tragédie
ne foit remplie de grandes beautés , &
qu'elle n'ait au moins trois Actes dignes
du grand Corneille. Je ne doute point
Madame , que vous ne rendiez cette juftice
à un Ouvrage qui s'eft confervé ſi
long- tems fur notre Théatre , & qui peut
s'affurer de l'immortalité fur la foi des
derniers applaudiffemens qu'il vient de
recevoir. Permettez - moi de finir cette
Lettre , en vous renouvellant les témoignages
de la plus parfaite eftime.
Hij NOUS I. Vol
2720 MERCURE DE FRANCE
*****
NOUVELLES ETRANGERES.
ORDRE de la Marche du Grand Seigneur,
de Conftantinople à Scutary ,
·le 3. Août 1730.
E réſultat de plufieurs Confeils tenus à la
9
Pambaffadeur
Chah - Thamas , ayant été de continuer la guerre
contre les Perfans , le Grand Seigneur fe détermina
à paffer en Afie , & à faire marcher le G. Vizir
à la tête de fes Troupes. Pour cet effet on
marqua le lieu d'affemblée dans la Campagne
entre Calcedoine & Scutary , derriere un Serrail
du Sultan : fes Tentes y furent dreffées & les Etendarts
à queue de Cheval, au nombre de 20. portez
& arborez avec beaucoup de pompe & de ceremonie
, fuivant l'ufage en pareille occafion.
*
Le 3. Août , le G. S. accompagné du G. V. du
Mufty , des Pachas & de fes autres principaux
Miniftres & Officiers , alla à 8. heures du matin
faire fa priere à la Mofquée d'Ajoub, dans le fond
du Port où le Mufty lui çeignit l'épée de la mê-
* L'Etendart à queue de Cheval ou le Toug,
comme les Turcs l'appellent , efl formé par une
groffe longue Pique , pour ceux qui le portent
à pied , par une plus petite pour ceux
qui le portent à cheval , au haut de laquelle eft
une boule de vermeil , & au- dessous un peu
plus bas , tout autour d'un bourrelet de bois doré
font attachez les crins d'une queuë de Cheval,
ordinairement teints de differentes couleurs,
I. Vol. me
DECEMBRE. 1730. 2721
me maniere qu'il fe pratique à l'avenement d'un
Sultan à l'Empire , ce qui tient lieu de Couronnement.
Cette cerémonie achevée , le G. S. revint
au Serrail , d'où peu après il s'embarqua avec les
Princes fes fils , le G. V. les Pachas & autres Miniftres
, fur la Galere du Capitan Pacha , dite la
Patrone Imperiale , magnifique ment pavoifée ;
il arriva à Scutary , vers le midi , au bruit du
Canon de la Galere qu'il montoit , & d'une autre
fur laquelle étoient les Pages & quelques -uns de
fes Officiers. Dès qu'il eut mis pied à terre , il
alla à une des principales Mofquées de la Ville où
il demeura plus d'une demie heure à prier Dieu
fur le Tombeau de fa mere qui y eft inhumée ;
enfuite montant à cheval il pourfuivit fa route
jufqu'à fon Serrail de Calcedoine , où il a toûjours
demeuré depuis avec fes Sultanes favorites
qui l'y vinrent joindre le même jour , n'étant
allé fous fes Tentes que quand il y a eu Grand-
Divan ou Confeil extraordinaire .
Quoique tous ceux qui devoient accompagner
le Sultan , fe fuffent mis en marche de grand
matin , les derniers cependant n'arriverent au
Camp qu'à plus de quatre heures après midi ; ce
n'eft pas que le Cortege de Sa Hauteffe , tout
nombreux qu'il étoit , n'eût du employer beaumoins
de temps à faire ce chemin qui n'eft
que d'environ une lieuë & demie , mais c'eſt que
faute d'âffez de terrain à la Marine , & de bon or -
dre pour mettre à propos chacun en mouvement,
à quoi les Turcs ne paroiffent gueres s'entendre ,
la Marche étoit fouvent interrompuë ; de forte
coup
* On remarque que c'est la premiere fois de
fa vie qu'il est venu à ce Serrail , quoique le
lieu foit fort agréable , & qu'il n'y ait pas une
demie heure de trajet de Mer à paffer.
Hiij qu'il 1. Vol.
2722 MERCURE DE FRANCE
qu'il s'écouloit quelquefois une demie heure fans
que perfonne bougeât , à cela près il n'y eut ni
foule ni confufion furtout de la part des Spectateurs
, quoiqu'en très- grand nombre , & il n'arriva
pas le moindre defordre , & depuis l'Echelle
où l'on débarque à Scutary jufqu'aux Pavillons
du G. S. les rues & la Campagne étoient bordées
de part & d'autre d'une haye de gens fous les armes,
fçavoir , de Janniffaires à droit & de Topdgis
& Gebedgis ou Canoniers &Armuriers à
che.
gau
Un peu avant que la Marche s'ouvrit , so . Chiaoux
des Janniffaires , pafferent , & après eux en differens
temps , la plus grande partie des principaux
Officiers de cette Milice , comme des Tchorbadgis
ou Capitaines , le Bach- Chiaoux ou le
Sergent Major, Le Sanffoudgi - Bachi. Chef
de ceux qui ont le foin des Levriers ou grands
Chiens du Sultan . Le Zagardgi - Bachi , à qui font
confiez les Dogues , les Epagneuls & autres
Chiens pour la Chaffe du fufil. Le Bach - Yazidgi
ou premier Secretaire des Janiffaires. L'Affas- Bachi
, qui a le foin de la Police , & le Sou- Bachi ,
qui eft le Prévôt de Conftantinople . Le Kiaya-
Bey , autrement nommé le Koul- Kiayaffy , ou le
Lieutenant General de ce Corps. Le Janiffaire,
Aga , ou le General des Janniffaires , & plufieurs
lefquels prirent tous les devants
cevoir Sa Hauteffe au Camp , ou parce que quelques
fonctions particulieres les empêchoient de
fe trouver à la Marche.
autres , pour
re-
Maiſon & Suite du G. V. fçavoir , 70. Tartares
à cheval , marchant deux à deux , ayant leur
Tartar- Agaffy ou Commandant à leur tête , leur
Drapeau blanc déployé , & armez chacun d'un
Sabie, de Piftolets d'Arçon , d'Arcs & de Fleches
Les Tartares font les Couriers du G. V.
I. Vol. Les
DECEMBRE. 1730. 2723
Les 4 Chefs des Gnululis & des Delis , qui
font des efpeces de Cavaliers ou Dragons volontaires
, tirez la plupart de l'Albanie & de la Bofnie
, & qui font une partie de la Garde à Cheval
du G. V.
Une Compagnie de Gnunulis , marchant fur
une ligne à la droite & une de Delis , marchant
´de même à la gauche ; il y avoit encore quelques
Dragons d'une autre forte , mêlez parmi ces deux
Compagnies.
Beaucoup de Divans Tchaoux ou Huiffiers du
Confeil à cheval fur deux lignes , & en Muderedgé,
c'eft- à-dire en grand Bonnet de ceremonie
, étroit par en bas , fort large au fommet
, haut d'un pied & demi , & tout couvert
d'une Mouffeline pliée autour.
Deux Tougilars ou Officiers portant chacun un
Etendart 2à queue de Cheval , fuivi de 4. Sangiactars
ou Porte- Enfeignes , portant les Sangiaks
ou Drapeaux des Pachas ; celui du G. V.
étoit verd , les autres de diverfes couleurs , & ils
étoient pliez tous quatre.
100. tant Vizirs- Agaffy , que Tcheknegirs ou
Mutaferikas , fort bien vétus & montez ; ils
avoient pour armes l'Arc & des Fleches dorées
dans des Carquois de cuivre ou couverts de ve→
lours , le tout relevé d'une riche broderie .
Les Ghedikluzaims , forte d'Officiers de Cavaferie
, qui poffedent les plus confiderables Ziamets
ou Fiefs de l'Empire.
Les Muderris ou Profeffeurs qui enfeignent
P'Alcoran , la Medecine , les Langues Arabe &
Perfane , & qui afpirent aux Charges de Judicature.
Les Moullahs , Grands -Juges ou Juges Souverains
dans les Provinces , en Turban rond , d'une
grofleur démefurée.
I. Vole
Hiiij 300.
2724 MERCURE DE FRANCE
300. Yazidgis du Kalem , Effendis ou Codgeas;
ee font differentes efpeces de Commis & d'Ecrivains
du Divan de la Chancellerie & des Tréſors.
Une Compagnie de Janniffaires en habit de
guerre , le fufil fur l'épaule.
L'Imbrohor , ou Grand- Ecuyer.
36. Chevaux de main , dont 7. entre autres
plus beaux & plus fuperbement harnachez que le
refte , portoient des Boucliers d'airain argenté
chargez d'ornemens d'or,& attachez à la Selle du
côté hors du montoir.
Le Capidgilar- Buluk- Bachi , ou Chef de Brigade
des Capidgis ou Portiers , entouré de beaucoup
de Choadars , ou -Porte - Manteau , le Moufquet
fur l'épaule.
Le Telkitchi , efpece de Meffager qui porte les
Billets & dans de certaines occafions les Avis de
bouche du G. V. au G. S.
Le Mectupchi ou Secretaire du Cabinet du G.V.
Le Buyuk & le Cutchuk- Teskeredgi , ou le
Grand & le Petit Greffier , qui expedient les ordres
du G. V. au Divan , & écoutent , accompagnez
du Chiaoux - Bachi , les plaintes & les Procès
des Particuliers.
La Compagnie du Muzur- Aga , ou d'Halebardiers
du G. V. marchant deux à deux, & fuivis
de leur Capitaine. Ils ont pour arme une demi
pique de bois noir ornée d'une bande
d'argent d'un pouce de large, qui tourne tout autour
en Spirale du bas en haut.
>
Le Kiaya du G. V. autrement dit le Vizir
Kiayaffi , il avoit un Arc & un Carquois fuperbes
, une petite Garde de Janniffaires & environ
100. Choadars à pied , le Moufquet fur l'épaule
& le Sabre au coté.
Le Hafnadar ou Tréforier , & l'Imam ou Aumônier
, avec l'Arc & le Carquois , & beaucoup
de Valets armez.
DECEMBRE . 1730. 2725
100. Itch Agalars ou Pages , marchant deux à
deux en fort bon ordre , & montez fur des Chevaux
d'une grande beauté , magnifiquement harnachez
& caparaçonnez à la Romaine; ils avoient
pour armes offenfives, le Sabre , les Piſtolets d'Arçon
, l'Arc & la Mildrac ou Lance Hongroife ,
qui n'eft qu'une demi Pique , & pour armes deffenfives
, une Cotte de Mailles à demi manches ,
qui leur defcendoit jufqu'aux genoux ; des Braſfarts
d'acier poli & damafquiné , dont leur avant
bras étoit couvert en dehors jufqu'au conde , &
de Mail.es en dedans ; une Calotte du même acier
leur tenoit lieu de Turban ; il en pendoit un petit
Raiſeau de Mailles pour leur garantir le cou &
& les joues & autour de cette Calotte une longue
Seffe ou écharpe de Soye de differentes couleurs ,
étoit entortillée & ajustée avec beaucoup de grace
; ils portoient outre cela un Kerekié au Manteau
long d'étoffe de Soye leger , à fleurs d'or &
d'argent, qui leur paffoit en écharpe de deffus l'épaule
gauche fous le bras droit , & dont les bouts
toient nouez par derriere à un Carquois de velours
en broderie , rempli de Fleches dorées .
Il y avoit un grand nombre de gens très - bien
faits , tant parmi ces Cavaliers , que parmi ceux
dont on va parler , & le tout enfemble for moit
une Troupe d'un air auffi lefte que martial.
100. autres Itch- Agalars en pareil équipage
que les précedens , excepté qu'au lieu de la Lance,
ils portoient la Carabine haute, dont la monture,
quoique d'un travail fort imparfait, ne laiffoit pas
de produire un effet très - brillant par la riche
marqueterie d'or , d'argent , de Nacre de Perle ,
de Corail & d'autres Joyaux dont elle étoit toute
couverte .
de
La Mufique guerriere du G. V. compofée de
40. Muficiens à cheval , tant Trompettes,
I. Vel.
plus
Hv Haut
2726 MERCURE DE FRANCE
Hautbois , Cimbales, que Tabours , petites Timbales
& autres Inftrumens du Pays. Marchoit
après la Maiſon & Sunte du Vizir Kiayaffy , fça.
voir , 22. Agas , Gentils - hommes Courtifans ou
Servans, bien montez, fort leftes & en bon ordre..
L'Imbrohor ou Ecuyer.
7. Chevaux de main , auffi beaux & auffi fu
perbement harnachez que ceux du G. V. à l'exception
qu'ils n'avoient ni peaux de Tigre , ni
Boucliers à la Selle . Il n'a pas droit de faire mener
un plus grand nombre de Chevaux, non- plus
que les Pachas. Le G. V. en fait mener tant qu'il
yeut.
avec la Carabine.
30. Itch-Agalars , avec l'Arc & le Carquois..
30. autres avec la Lance Hongroife. Et 30. autres
Le Kiaya ou l'Intendant du Vizir Kiayaffy &
le Kiatib ou Secretaire du Kiaya.
Le Hafnadar ou Tréforier & beaucoup d'au
tres Officiers & Domestiques..
Maifon & Suite particuliere du G. S.
200. Zaims ou Cavaliers rentez , c'eft- à- dire
qui poffedent des Ziamets ou Fiefs , entourez de
leurs Domestiques à pied armez.
60. Tant Effendis que Kiatibleri , Secretaires ,
Ecrivains ou Commis de la Chancellerie & du
Tréfor , en même équipage que les Zaims.
130. Eulemas ou Docteurs , coeffez de prodigieux
Turbans , & portant la Peliffe à longues.
manches fendues & pendantes
4. heiks ou Chefs d'Ordres Religieux..
4. Toygilars ou Porte- Ltendarts à queue de
Cheval, fuivis de 7. Bairactars ou Porte - Enfeignes,
portant chacun un Drapeau plié de diverfes couleurs.
Le G. S. a fix de ces Queues , mais on n'en
portoit que 4. les autres étoient au Camp pour
I. Vol.
marDECEMBRE
. 1730. 2727
marquer les Tentes de Sa Hauteffe.
6. Longs Sacqs de cuir rouge , pliffez & liez en
bourfe par en bas & par en haut à une grande
Pique qui les traverſe , renfermant des Bâtons pour
donner la baftonade , fupplice fort ordinaire &
qu'on inflge pour peu de chofe chez les Turcs .
Ces Sacqs portez font des marques d'autorité &
de fouveraineté .
&
Le fecond Hafnadar ou fecond Tréforier ,
le Tefter Eminy ou Controlleur . Le Hafnadar
Aga ou premier Tréforier du Serrail , qui eft un
Eunuque noir , étoit abſent.
Le Hekim- Bachi ou Premier Medecin , & le
Dgeack- Bachi ou Premier Chirurgien.
L'Ordi - Cadiffy , ou l'Intendant & le Juge des
Corps de Métiers & des Marchands . Il fait les
fonctions de Grand Prévôt à l'armée .
2. Anciens Iftambol- Effendy ou Lieutenans Ge
neraux de l'olice de Conftantinople.
Le Defterdar ou le Grand - Tréforier , qui après
le G. V. eft . auffi Sur - Intendant des Finances
marchant à la droite , & le Reys Effendi , Secretaire
d'Etat , marchant à la gauche. La Charge de
Reys- Effendi répond à peu près à celle de Chanceliér
en France.
Le Bach- Baki Koulon ou Chef des Receveurs
qui pourfuivent le payement des fommes dues au
Tréfor.
L'Iftambol- Effendy ou le Lieutenant General
de Police actuel , & le Nakib- Echeref, ou le Chef
des Emirs , defcendans de Mahomet.
20. Anciens Kadileskers ou Juges fuprêmes
d'Anatolie & de Komelie , en gros Turban , à la
tête defquels marchoient les deux Unkiar- Imams,"
ou le premier & le fecond Aumônier du G. Ş .
Les deux Kadileskiers qui font actuellement en
charge ; celui d'Anatolie marchant à la droite &
I. Vol.
H vj celui
2728 MERCURE DE FRANCE
celui de Romelie à la gauche ; ils étoient armez
d'Arcs & de Fleches & environnez de beaucoup
de Choadars.
4.Pachas ouVizirs à trois queues,marchant deux
deux précedez de leurs Eftafiers , ils portoient le
Turban nommé Calevi , fait à 4. coins ronds .
comme le font communément nos Mortiers à
piler ; ils étoient fuperbes en tout , & avoient
chacun plus de 4. Choadars , fort proprement
vétus & bien armez .
Le Mufti ou le premier Miniſtre de la Loy &
l'Oracle de la Religion parmi les Turcs en habit
blanc de Camelot , armé d'un Sabre , d'un
Arc & d'un Carquois , comme accompagnant le
G. S. à la guerre contre des Heretiques. Il marchoit
feul , entouré d'une vingtaine de Valets de
Pied , le Moufquet fur l'épaule.
*
Le G. V. appellé par les Turcs Vizir- Azem ,
qui fignifie le Chef du Confeil , & Muhur- Sahibi,
qui veut dire le Maître du Sceau , fon Cheval
étoit couvert de harnois d'argent , enrichis de
Pierres précieuſes. Ses Tufekchis ou Moufquetaires
& fes 8 Eftafiers le précedoient à pied, il étoit
entouré d'un grand nombre d'autres Domestiques
à pied, & fuivi de 4.Tchorbadgis de Janiffaires avec
le Bonnet de Ceremonie en grand plumage , il regardoit
de côté & d'autre affablement & jettoit de
temps en temps des Sequins au Peuple , fur tout
où il appercevoit des Etrangers.
24. Capidgis- Bachis , ou Chefs des Portiers du
Serrail ; ce font des Gentilshommes de la Chambre
, il y en a toûjours un de garde à la porte
des Appartemens de S. H. Ils introduifent à fon
* Cachet d'or où le nom du G. S. éft gravé.
S.H. le donne à celui qu'elle fait G. V. & le lui
ête quand il est tombé dans fa disgrace.
I, Vol. AuDECEMBRE.
1730. 2729
D
Audience les Ambaffadeurs & tous ceux qu'on y
admet en les prenant fous les bras ; ils ne paffent
jamais à de plus grandes Charges, & n'ont que
3.1. 15. .. par jour , mais on les envoye porter les.
ordres du Sultan au Vizir & Pachas dont ils font
quelquefois chargez d'apporter la tête , & ces fortes
de commiflions les dédommagent de la modicité
de leurs appointemens.
Le Buyuk Imbrohor , ou Grand-Ecuyer , & le
Kutchub Imbrohor , ou petit Ecuyer ; le premier
a l'inſpection fur tous les Chevaux , Chameaux,
Mulets &c. & le fecond qui eft le Lieutenant du
premier , fur les Coches , Caroffes , Litieres &c.
& marche devant la Sultane Valité , ou mere du
G. S. quand elle monte en Carroffe.
48. Chevaux de main ; fçavoir , 14. couverts
de houffes trainantes , les unes de drap , les autres
d'etoffes de foye relevées en broderie d'or &
d'argent.
10. autres auffi en houffes de drap trainantes
mais chargées d'ornemens faits de petites plaques.
en boffe d'argent ou d'or maffif , appliquées fur
le drap.
15. autres à houffes courtes de velours cramoifi
, brodées d'or & d'argent , avec un riche
bouclier attaché à la felle.
9. autres dont les houffes , les harnois & les
boucliers étoient couverts de perles & de pierres
précieuſes.
30. de ces Chevaux portoient des bouquets de
plumes fur la tête accompagnés d'enfeignes de
pierres précieufes , & de deffous la gorge , ik
pendoit un toupet de crin blanc , ou teint de diverfes
couleurs , avec une boule de vermeil au
bout. Une écharpe de gaze , de moire ou d'autre
étoffe de foye , mêlée d'or & d'argent s'entortiloít
legerement autour de ce toupet , & for-
1. Vel mang
2730 MERCURE DE FRANCE
mant une espece de fefton , fe retrouffoit à la
*felle qui avoit l'accompagnement ordinaire d'une
Maffe , d'une hache d'Armes , & d'un grand fabre
, le tout bien garni de pierreries. Il eft certain
qu'on ne peut gueres rien voir de plus fuperbe
en ce genre que ces 48. Chevaux de main
& leurs harnois .
Quelques Salabors , ou Ecuyers Cavalcadours,
fuivis par des redekchis , des Saratches & des
Seis , trois claffes differentes de Palfreniers.
6. Dogues & 6. autres Chiens pour la Chaffe
au fufil , peints en differens endroits de leur corps
& menés chacun en leffe par deux Boftandgis.
·Le Selam Agaffy , ou le Chef des Selam-
Chiaoux , ou Chiaoux du falut , & le Capidgilar
Kiayaffy , ou le Lieutenant des Portiers , qui fait
les fonctions de Maître des Cerémonies , & d'Introducteur
de tous ceux qui vont à l'audience du
Sultan.
Le Sandgiak Cherif , ou l'Etendart verd que
Mahomet donna lui-même aux Muſulmans ; il
étoit plié & enveloppé dans une longue bourfe
de taffetas verd ; un Emir , qui eft l'Alemdar , out
le Lieutenant du Nakib Echref , ou Chef des
Emirs , le portoit , entouré de beaucoup d'au
tres Emirs , tous , foi - difant , de la famille du
Prophete , & fuivis de plufieurs Dervichs ou Religieux
, ainfi que d'autres perfonnes qui deffervent
les Mofquées , chantant tous des Hymnes
pour la profperité des Armes du Sultan , la propagation
de la Foi Mufulmane Orthodoxe , &
la deftruction des Perfans Herétiques Sectateurs
d'Aly.
Un grand Caroffe fort bien doré par tout >
tant en dedans qu'en dehors , tiré par fix Chevaux
blancs dont les houffes & les harnois
étoient de velours cramoifi , brodé d'or ; il por-
2.
J. Vol.
toir
DECEMBRE. 1730. 2731
toit une petite caffette d'argent doré qui renfermoit
un Manufcrit de l'Alcoran & une boëte
d'argent ovale , dans laquelle étoit le Manteau
de Mahomet. C'est pour la premiere fois qu'on
a vû un Caroffe dans une Marche du G. S.
Le Solak- Bachi & le Peik Bachi ,
i, oules Commandans
des Solaks & des Peiks , ou petits Valets
de S. H. en habits magnifiques & en bonnets
de vermeils d'un pied de haut.
+6
& une 200. Selaks marchant deux à deux
Compagnie de Peiks , marchant de même dans.
l'interieur des deux lignes que formoient les Solaks
.
Le G. S entouré de s . Solaks à pied , portant
le Bonnet à haut & grand pannache , pour empêcher
, dit- on , qu'il ne foit va fi facilement du
peuple , & fuivi de 200. Chateirs , Boftandgis
Baltadgis & autres fortes de Domestiques à pied.
& bien armés . Le G. S. n'avoit pour tout orne→
ment guerrier qu'un Arc & un Carquois .
Les 6. Chah Jade , ou fils du G. S. armés
d'Arcs & de Carquois , marchant deux à deux
& environnés de leurs Gouverneurs , Officiers &
Domeftiques.
و
Le Selictar Aga , ou Porte- Epée de S. H. le.
Sabre du Sultan qu'il portoit éclatoit de pierreries
, & lui pendoit d'un Ceinturon paffé un baudrier.
Le Tehohadar Aga , ou Maître de la Garde
Robe , & Porte -Manteau du Sultan ; il portoir
fa Maffe d'Armes , & jettoit de fa part des poignées
de Paras au Peuple. Ce font de petites .
Piéces qui ne valent que 18. deniers.
2. Dulbent Agalar , ou Porte-Turban ; cha
cun d'eux en tenoit un dans fes mains , enveloppé
d'un taffetas verd fort clair , au travers du
quel brilloient de belles Enfeignes de diamans...
I. Vol.
2732 MERCURE DE FRANCE
4. Pages de l'Hafoda portant le Tabouret , l'Aiguiere
, le Sorbet & la Caffoletre de S. H.
Le Kiaya , ou Lieutenant du Kiflar- Aga , où
Second Chef des Eunuques Noirs , & le Capon-
Aga , ou Chef des Eunuques Blancs.
"
Une partie des Eunuques Noirs & des Eunuques
Blancs en cotte de mailles , le Pot en tête
avec le Sabre , l'Arc & le Carquois . Cette Troupe
n'étoit pas la moins curieufe de la Marche.
La Mufique Guerriere du G. S. composée de
plus de 60. perfonnes à cheval , excepté les Timbaliers
, montés fur des Chameaux.
2. Eunuques Blancs , à la tête de 30. Itch-
Agalars , ou Pages de l'Haf- oda , montés fur
des Chevaux Arabes ; ils étoient équipés comme
ceux dont on a ci- devant parlé , mais avec encore
plus de magnificence. Ils avoient un Kerckie
d'étoffe de foye jaune , une Echarpe ou Seſſe
rouge autour de leur calotte de fer , & pour armes
l'Arc & le Carquois.
2. Eunuques Blancs , fuivis de 30. Pages d'une
autre Chambre en Kerckie rouge , coeffure
blanche , & la lance ou demi- pique à la main .
Idem , fi ce n'eft que le Kerckté étoit verd &
la coëffure aurore.
Idem , en Kerckie couleur de rofe & coëffure
bleuë .
Idem , en Kerckie bleu , coëffure verd de mer ,
& portant la Carabine haute.
idem , en Kerckie verd celadon & coëffure
cramoifi .
>
2. Eunuques Blancs , & 20. Pages feulement ,
en Kerckie couleur de cerife , coëffure couleur
de citron , & avec la Carabine comme les deux
Brigades précedentes.
Et enfin quelques bas Officiers & Valets du
Sérail en foule qui fermoient la Marche.
I Vol Les
DECEMBRE. 1730. 2733
3
Les 6. Brigades d'Itch - Agalar dont on vient
de parler , formoient une Troupe veritablement
digne d'un grand Souverain , par la bonne mine
de la plupart des Cavaliers , la beauté des Chevaux
, la riche varieté , & le bon gout des habits
& des Equipages.
Suite des Nouvelles de Turquie.
› Lamascondunt depiller la Province ,les
Es Lettres de Syrie portent que le Pacha de
Payfans s'étoient affemblés fous les ordres du
nommé Alayon , Chef d'une Troupe d'Arabes,
qu'ils avoient attaqué les Troupes du Pacha , les
avoient battuës , & les avoient forcées de fe retirer.
On mande de Conftantinople que le nouveau
Sultan Mamouth , fils de Muftapha , frere du
Sultan dépofé , étoit un Prince âgé de 34. ans ;
que les Janiffaires du Camp de Scutari ayant
appris le commencement de la révolution dont
on a parlé , & la nouvelle de la mort du G. V .:
en avoient fait de grandes réjouiflances ; qu'ils
avoient écrit à ceux de Conftantinople pour les
déterminer à la dépofition du Sultan Achmet
III. que ces Lettres ayant été luës dans la Place
d'Atmeidam avoient animé le Peuple qui paroiffoit
d'abord ne pas approuver la révolte , & qui
s'y porta enfuite avec fureur.
Des Lettres particulieres portent que le nouveau
Sultan avoit envoyé ordre aux Pachas de
la Morée , de la Dalmatie & de l'Albanie , de
fournir à Sa Hauteffe 12000. hommes pour le
mois de Mars prochain ; que les Hofpodars de
Valachie & de Moldavie devoient auf fournir
6000. chevaux.
On a appris par la
1.Vol.
voye de Venife que 4i
Octobre
le
2734 MERCURE DE FRANCÈ
Octobre dernier les Soulevés s'étant affemblés de
nouveau devant le Sérail , avoient demandé les
têtes du Mufti & de l'Aga des Janiffaires ; que
le nouveau Sultan ayant promis de les fatisfaire,
avoit envoyé fur le champ des Eunuques pour"
les étrangler dans leurs Maifons ; mais qu'ayant
eu le tems de s'échaper , ils avoient traversé le
Canal dans une Barque Etrangere ; que le Mufti
avoit été pourfuivi jufqu'au rivage par la populace
: que le même jour après midi les Soulevez
s'étoient rendus en grand nombre aux Priſons
communes qu'ils avoient fait ouvrir , & avoient
donné la liberté à tous les prifonniers : qu'ils
s'etoient tranfportés enfuite à l'Arfenal , & qu'ils
avoient mis en liberté les Forçats de cinq Galeres
qui étoient la plupart étrangers que te
foir ils avoient tiré du vieux Sérail la mere du
nouveau Sultan qui y avoit été renfermée lorfque
le Sultan Mustapha avoit été dépofé ; qu'ils
Pavoient conduite en triomphe au nouveau Sérail
, & l'avoient déclarée Sultane mere : que les
Soulevés de Conftantinople quitterent les armes
les . qu'ils cefferent de s'affembler tumultueufement
, & commencerent à travailler aux préparatifs
du Couronnement dù G. S. on rouvrit
ce jour là les Boutiques , & le calme fut entie
rement rétabli dans toute la Ville ; que le même
jour S. H. fit une promotion de fes Grands Officiers
, ayant caffé tous ceux qui étoient en place
fous le Sultan dépofé , & renouvellé entierement
le Divan , dont il n'y a eu que quatre ou cinq
Membres qui ayent été confervés.
au
Le 6. jour deftiné à la Cerémonie du Couronnement
, les Grands Officiers s'étant rendus
nouveau Sérail , les Ruës & les Places de la
Ville furent occupées par les Janiffaires , dont la
plus grande partie fut poftée fur le chemin qui
Is Vol.
conduit
DÉCEMBRE . 1730. 2735
sonduit du Sérail à la grande Mofquée ; ils y
formerent une double haye , & le Peuple étoit
rangé derriere eux . Au fignal donné par un coup
de Canon, le G.S.monta à Cheval, & fon Cortege
fe mit en marche ; S. H. étoit revêtue d'une Robe
&la tête couverte d'un Turban prefque entierement
couverts de pierreries. Ce Prince étant arrivé à la
Mofquée , le Mufti que le Sultan avoit nommé
fa veille , lui ceignit le Cimeterre & falua enfuite
le G. S. avec les cerémonies accoutumées.
S. H. à fon retour au Sérail fit de grandes largeffes
au peuple , & envoya des aumônes confiderables
aux Efclaves Chrétiens qui font fur
les Galeres.
•
Le 7. le G. S. reçut les refpects & le ferment
de fidelité des Grands Officiers de l'Empire , du
nouvel Aga & des autres Officiers des Janiffaires,
du Capitan Pacha & autres Officiers de Marine,
& des principaux Officiers du Camp de Scutari
qui étoient venus pour recevoir les ordres de
S. H. fur le départ de l'Armée. L'après - midi , le
G. S. tint un grand Divan , dans lequel il fut
réfolu , à ce qu'on affure , de faire la paix avec
les Perfans , & d'envoyer des pleins pouvoirs au
Pacha de Babilone pour traiter avec le Roi de
Perfe
Le 8. il y eut comme les deux jours précedens
des réjouiffances publiques dans toute la
Ville.
Le 9. le G. V. reçut les vifites des Miniftres
Etrangers , aufquels il offrit de faire reparer tout
le dommage qu'on pourroit leur avoir fait
pendant le foulevement. L'après- midi il y eut encore
un grand Divan , dans lequel on acheva de
regler les principales affaires de l'interieur de
l'Empire.
Le 10. il y eut un petit Divan pour nommer
I. Vol.
2736 MERCURE DE FRANCE
à divers Emplois qui n'avoient pas été remplis
les jours précedens , & que le G. S. donna par
préference à ceux qui fe font diftingués dans
les Troupes.
Le 11. le Corps des Janiffaires qui fe trouve
à Conftantinople , & qui n'auroit dû être que
de 40000. s'affembla fur la grande Place , & ſe
trouva monter à 70000. hommes , pour demander
une augmentation de paye que le G. S.
leur a fait promettre , ainfi qu'aux Topigis ou
Canoniers qui s'étoient auſſi aſſemblez au nombre
de près de 20000.
Le bruit court qu'on a trouvé dans l'Appartement
du Sultan dépofé 28000000. en efpeces
d'or , & près de 6000000. en efpeces d'argent ,
10000000. chez le G. V. & des fommes trèsconfiderables
chez le Mufti , le Capitan Pacha
le Capigi Aga & l'Aga des Janiffaires. On attend
la confirmation de toutes ces Nouvelles , qui
pourroient n'être pas exactes , par des Lettres de
Conftantinople.
RUSSIE.
LEs Roide
Es Lettres de Derbent portent que le Roi de
Troupes Mofcovites en Perfe qu'il obferveroit
exactement les Traités qu'il a conclus avec le
feu Czar Pierre I. & que fi les Marchands, Sujets
de la Czarine , vouloient aller négocier dans
fes Etats , il leur accorderoit tous les Paffeports
qu'ils demanderoient.
>
Les Ouvriers qu'on avoit envoyés dans les
Montagnes de la Georgie pour y travailler aux
Mines d'or & d'argent qu'on y a découvertes
n'en étoient pas encore revenus à Aftracant au
mois de Septembre dernier , & l'on a fçû que
I. Vel. n'étant
DECEMBRE. 1730. 2737
:
n'étant pas en affez grand nombre , ils n'avoient
pú faire fauter les Rochers qui couvrent ces
Mines comme on eft perfuadé qu'elles feront
d'un grand produit , parceque les fources qui
coulent de ces Montagnes entraînent un fable
très -chargé de paillittes d'or , on a réſolu de ne
point abandonner cette entrepriſe & d'y envoyer
encore deux cens homines , avec des provifions
en abondance,
Les Chefs des Cofaques venus à Moscou pour
fervir d'otages de la fidelité de leur Nation , ont
été renvoyés chez eux après avoir promis , avec
ferment, de ne prendre les armes qu'en faveur de
la Czarine , & de lui fournir 100000. hommes
en cas qu'elle fut obligée d'entrer en guerre avec
le Grand- Seigneur.
Le Commandant de Pultowa a écrit depuis que
les Cofaques , tant ceux qui font fous la protection
du G. S. que ceux qui fe font mis fous
celle de S. M. Cz. avoient eu ordre , fous peine
de mort , de prêter ferment de fidelité à S. H.
& d'envoyer à Conftantinople les arrerages échus
de leur tribut ordinaire.
â
On a dépeché un Courier au Commandant
dans l'Ukraine pour lui porter ordre d'empêcher
les Cofaques foumis à la Czarine d'executer les
ordres de la Porte , & de leur promettre toutes
fortes de fecours , en cas qu'on voulut les forcer
à prêter le ferment qu'on leur demande.
SUEDE,
Lfente the Reque au Roi pour le prier
d'envoyer en Efpagne un Miniftre chargé de
pleins pouvoirs pour y négocier un Traité de
Commerce , & obtenir la diminution des droits
1. Vol. qu'on
E College du Commerce de Stokolm a pré
2738 MERCURE DE FRANCE
qu'on leve dans les Ports d'Eſpagne fur les Mar.
chandifes qu'on y porte de ce Pays . Ce College
a même offert de faire les frais de l'Ambaffade.
Le 16. Novembre le Roi donna des ordres
pour que les Officiers qui commandent les Troupes
que S. M. Suedoife doit fournir aux Puiffances
alliées par le Traité de Seville , fe tinffent
prêtes à marcher. On a envoyé depuis dans le
Landgraviat de Heffe- Caffel une Ordonnance dụ
Roi , par laquelle il eft défendu à tous les Sujets
d'entrer au fervice d'aucune Puiffance Etrangere,
& ordonné à ceux qui y font actuellement de
revenir dans l'efpace de trois mois , à peine de
confifcation de leurs biens.
POLOGNE.
E fecond Nonce d'Upita fit enregistrer au
LEcommencement du mois de Novembre dans
le Greffe de Grodno une proteftation contre celle
de M. Marcinkiewits , fon Collegue , qui a été
caufe de la rupture de la Diette , prétendant qu'il
n'avoit pas d'ordre particulier de faire cette proteftation.
La Czarine craignant qu'à l'occafion des changemens
arrivés à Conftantinople , les Turcs ou
les Perfans , & peut- être ces deux Puiffances
enfemble , ne vinflent attaquer les Provinces que
le feu Czar Pierre I.a conquifes en Perfe, a ordonné
à fon Miniftre à la Cour de Pologne , de
propofer un renouvellement d'alliance avec la
République , & de ne plus folliciter de paffage
pour les 3000.0. hommes qu'elle dévoit fournir
à l'Empereur , & dont elle prévoit qu'elle peut
avoir béfoin pour La propre fûreté.
I. Vol.
AL
DECEMBRE . 1730. 2739
ALLEMAGNE,
O
Na appris par les Lettres de Berlin que
le Prince Royal de Fruffe étoit rentré dans
les bonnes graces du Roi fon pere.
>
Les Lettres de Belgrade portent que les Pachas
de Widin , de Nizza & de Bofnie avoient été
arrêtés & conduits à Conftantinople , & que le
Pacha de la Morée ayant été foupçonné d'être
en intelligence avec la République de Venife
avoit été étranglé.
ITALIE.
2
N publia au commencement du mois derau
commencement din alclanderlingue
, portant deffenfe à toute perfonne , fans
exception , de porter fur les habits aucun galon
ou autres ornemens d'or & d'argent , excepté dans
les Villes de Rome , de Bologne & de Ferrare .
Le Cardinal Pignatelli ayant prié le Pape d'annuller
les conceflions accordées par le feu Pape
à plufieurs Seigneurs du Royaume de Naples de
garder le S. Sacrement dans leurs Chapelles domeftiques
, S. S. a donné ordre à la Congrégation
des Indulgences de fupprimer tous ces privileges
& plufieurs autres concernant tant les
Autels privilegiés que les Indulgences qu'on publie
dans diverfes Eglifes depuis le dernier Pontificat.
Le 9. Novembre vers les 3. heures après- midi,
il y eut à Rome un orage furieux , qui dura depuis
3. heures après-midi jufqu'à 10. heures du
foir. Le Tonnerre tomba dans le jardin du Duc
de Cefi & dans celui du Marquis Cavalieri , ou
1. Vol il
2740 MERCURE DE FRANCE
il renverfa plus de 30. toifes de muraille. Il tomba
auffi chez le Marquis Sacchetti , où il traverſa
une Salle dans laquelle il y avoit une affemblée
de Dames & de Cavaliers , aufquels il ne fit aucnn
mal . Vers le foir , il tomba ſur le Palais du
Prince de S. Martin dont il brûla ou gâta les plus
beaux tableaux.
Dans le Confiftoire du 22. du mois dernier ,
le Cardinal Ottoboni , Protecteur des affaires de
France , propofa l'Abbaye de Sainte Marie au
Vou de Cherbourg , Ordre de S. Auguſtin , Diocèfe
de Coutances , pour l'Abbé le Normand ; il
préconifa enfuite l'Abbé de la Vigerie pour celle
de S. Etienne de Baffac , Ordre de S. Benoît
Diocèfe de Saintes.
Prife de poffeffion de S. Jean de Latran.
L
E 19. Novembre , le Pape fe rendit le matin
du Palais du Quirinal à celui du Vatican,
où fa S. dîna. L'après midi , les Cardinaux , les
Prélats & les Seigneurs Romains qui avoient rang
dans la Cerémonie , s'y étant rendus , la marche
fe fit dans l'ordre fuivant, Un détachement des.
chevaux Legers de la Garde , habillés de drap
écarlatte galonné d'or , fortit du Palais , ayant à
fa tête le Marquis Caponi , Grand - Maréchal
des Logis du Pape . Il fut fuivi des Officiers de
la Chambre & de la livrée des Cardinaux , de
leurs Maffiers à cheval , de leurs Gentilshommes
& de la principale Nobleffe à cheval , ayant
livriée à fes cûtés .
fa
A quelque distance marchoient les bas Officiers
du Palais Apoftolique , la Haquenée du Pape couverte
d'un magnifique caparaçon , les litières de
S. S. fon Grand-Ecuyer , les Trompettes des Cheyaux
Legers de la Garde , les Cameriers extraor-
1. Vol dinaires
DECEMBRE. 1730 : 2741
dinaires , les Adjudans de la Chambre , les Avocats
Confiftoriaux , les Chapelains ordinaires , les
Chapelains Secrets , les Cameriers d'honneur de
Cape & d'Epée , les Cameriers d'honneur Ecclefiaftiques
, les Cameriers fecrets de Cape &
d'Epée , les Cameriers fecrets Écclefiaftiques , les
Abreviateurs , les Votans de la fignature 2. les
Clercs de la Chambre , les Auditeurs de Rote , le
Religieux Dominicain qui eft Maître du Palais
-Apoftolique, l'Ambaffadeur de laVille de Bologne,
le Prieur & les Confervateurs des Privileges du
Peuple Romain , le Connétable Colonne , Prince
du Soglio , le Gouverneur de Rome , les Maîtres
des Cerémonies Pontificales , M. Befonico , qui
étant le dernier des Auditeurs de Rote, portoit la
Croix au milieu de deux Acolites & marchoit
-immediatement devant le Pape , lequel étoit dans
un fauteuil de velours cramoifi , galonné d'or
porté fur un brancart par deux chevaux blancs ,
magnifiquement caparaçonnés . S.S. étoit entourée
de la Garde Suiffe , du refte de fa Compagnie,des
Chevaux Legers , de fes Pages , Coureurs, Palfre-
-niers , de deux Officiers portant des Ombrelles
-ou Parafols & de fes deux Maffiers à cheval. M.
Doria , Archevêque de Patraffo , Maître de la
Chambre du Pape , marchoit après S. S. au mi-
-lieu de deux Cameriers Secrets Affiftans. Il étoit
fuivi du Medecin , du Caudataire & du Maître de
la Garderobe du Pape , de deux Officiers de la
-bouche , avec leurs Cantines , du cheval que le
-Pape devoit monter , d'une chaife à porteurs , & de la Litière du Corps. Après ce Cortege marchoient
les Cardinaux
Barberin , Sous - Doyen du
Sacré College , Albani de S. Clement , Zondodari
, Belluga de S. Mathieu , Querini , Lercari , Caraffe , Borghefe , Cibo , Altieri , Alexandre
Albani, del Giudice & Rufpoli ; ils étoient fuivis
1. Vol.
I dés
2742 MERCURE DE FRANCE
des Patriarches, Archevêques &Evêques affiftans du
Trône, de l'Auditeur de S. S. & du Tréforier de
la Chambre Apoftolique. M.NeriCorfini, neveu du
Pape , marchoit au milieu des deux plus anciens
Protonotaires Apoftoliques , qui étoient fuivis des
autres Protonotaires , des Evêques non affiftans
des Referendaires des deux fignatures , des chevaux
de main & du Caroffe de S. S. devant lequel
étoient deux Trompettes de la Garde , de la Com.
pagnie des Cuiraffiers , de huit Compagnies d'Infanterie
, Enfeignes déployées , qui fe rangerent
en bataille dans la Place de S. Jean de Latran.
Le Pape étant arrivé au Capitole qui étoit tapiffé
de Velours cramoifi , avec des Crépines &
Galons d'or , le Marquis Marie Franchipani ,
en longue robbe de Sénateur , de toile d'or , accompagné
de fes Collegues , des Officiers du Capitole
, & affifté de deux Maîtres de cérémonies,
vint recevoir le Pape & lui rendre l'obédience au
nom du Sénat & du Peuple Romain. Son Difcours
fut reçû tres - favorablement de S. S. qui y
répondit en peu de mots.
>
Elle continua fa marche vers l'Arc de Triomphe
de Septime Severe, & quand on fût à une petite
diftance de celui de Tité, on trouva un autre
Arc de Triomphe , nouvellement érigé , fuivant
qu'il fe pratique en pareille cérémonie, par les Ordres
du Sereniff. Duc de Parme & de Plaiſance.
Cet Arc dont l'élevation, le gout, les riches ornemens
attirerent les regards de tous les connoiffeurs
, fut applaudi du Pape même , qui en marqua
une particuliere fatisfaction. On voyoit fur
la principale face deux grandes Statues dans des
Niches , l'une à droite, reprefentant la Charité
avec cette Infcription : Videant Pauperes &
latentur ; l'autre à gauche , fymbole de la Juftice
, avec ces mots : Juftitia ejus manet . Sur le
>
1. Velo milieu
DECEMBRE. 1730. 2743
milieu du comble de tout l'Edifice étoit pofé
entre deux Renommées , un grand Cartouche ,
contenant les Armes du Pape : avec cette Infcri
ption : CLEMENTI XII . P. O. M. genere virtutibus
praftantiffimo , Magno, Chriftiana Reipublica
bono & gaudio. Antonius Farnefius
Parma & Plac, Dux P. On lifoit cette autre Inf
cription fur la face oppofée , où les Armes du
Pape , foutenues par deux Renommées , étoient
encore répétées : AD ECCLESIAM OMNIUM
MATREM exoptatiffimi Principis iter , urbe
borbe plaudentibus , obfequentiffimè veneratur
Antonius Farnefius Parma & Plac. Dux. Il
feroit trop long de rapporter icy les autres Emblêmes
& Devifes qui ornoient toutes les parties
de ce Monument. Elles étoient toutes d'une heureufe
application & tirées pour la plupart de l'E
criture.Nous fommes auffi obligez de paffer fous
filence les autres magnificences du Duc de Parme
dans cette grande Fête. Elles brillerent fur tout
à la Façade du Jardin Farneſe , qui étoit fur la
même route , ainfi que l'Arc de Tite , à travers
duquel le Pape paffa,& le quartier des Juifs .L'Arc
de Tite étoit décoré de plufieurs Emblêmes, Devifes
, Infcriptions , &c. & on y lifoit fur divers
Rouleaux des Elegies latines à la gloire de S. S.
Le Pape fut reçû à l'entrée du Portail de l'Eglife
de S. Jean de Latran par le Card. Ottoboni
qui en eft Archiprêtre, à la tête du Chapitre.Etant
entré dans l'Eglife , ce Cardinal lui apporta la
Croix à baifer ; après quoi S. S. alla s'affeoir
fur fon Trône , préparé fous le Portique , qui
étoit tapiffé de brocard d'or & de damas. Elle y
prit les habits Pontificaux blancs & fa Mitre; alors
le Card. Ottoboni lui prefenta dans un Baffin
d'or deux Cefs , l'une d'or & l'autre d'argent.
Cette Cérémonie fut fuivie d'un Difcours latin
1. Vol. I ij très2744
MERCURE DE FRANCE
tres - éloquent que lui fit le même Cardinal ; après.
lequel les Cardinaux , les Patriarches , les Archevêques
& les Evêques qui s'étoient revêtus de
leurs habits Pontificaux dans une Salle à côté dụ
Portique , vinrent baifer les pieds du Pape ; cérémonie
qui fut enfuite obfervée par tous les Chanoines
, à chacun defquels le Tréforier de la
Chambre Apoftolique donna une Médaille d'argent.
Le Pape defcendit de fon Trône , précédé
de la Croix , des Cardinaux & des differens Or- .
dres de Prélature . Il entra dans l'Eglife donnant
l'Eau-benite à tous les affiftans. On lifoit deux
Infcriptions , l'une en dedans de la principale
Porte , & l'autre en dehors. La premiere contenoit
ce qui fuit , Ingredere, Sanctiffime Pater ,
exultantem adventu tuo comple&ere fponfam
Ecclefiarum Matrem que virtutis tua fulgoribus
illuftrata depofuit viduitatis infigne ut
novo tuorum latetur meritorum triumpho . Induit
fe veftimentis jucunditatis fua , Clementia
tua prafidio fulta nullos post hac fecura
pavebit incurfus . Pontifex pietate &munificentia
Optime , Maxime , diù vivas foelix aterno
Ecclefia decori , Corfinorum gloria perpe ,
tuo augmento. Publicè Urbis & Orbis Patri.
L'autre Infcription étoit en ces termes : Vox po
puli de Civitate , vox de Templo . Ecce venit defideratus
Gentibus fructus honoris quem dede-.
runtflores. CLEMENS XII. PONT. MAX.
occurrere latanti & facienti juftitiam . Lateranenfis
Ecclefia exultans clama magnum principium
, femita jufti recta eft , ofculate pedes ;
attolle portas ingredietur cuftodiens veritatem;
implebit Templum Majeftate nova. Parafii folium
, videbis Regem in decore fuc. Lorfque S.S.
fut arrivée dans le Choeur , elle y entonna le Te
Deum , après lequel elle fe rendit à fon Trône
I. Vol. élevé
DECEMBRE . 1730. 2743
élevé à côté du Grand Autel , où elle reçut l'obé
dience des Cardinaux qui lui baiferent la main, &
qui reçurent chacun une Médaille d'or & une
d'argent. Enfuite le Pape fut porté proceffionellement
à la grande Loge du Portail , où il donna
fa Benediction au peuple au fon des Timbales &
des Trompettes & au bruit d'une décharge gene
tale des Boëtes qui étoient rangées dans la Place.
Après la cérémonie , le Pape retourna en Chaife
à Porteurs au Palais du Quirinal.
Le foir , toute la Façade du Capitole fut ma
gnifiquement illuminée , ainfi que tous les Palais
de la Ville, & Pon fit plufieurs décharges de l'Ar
tillerie du Château S. Ange. A l'occafion de cette
cérémonie , le Pape a fait diftribuer du pain
toutes les pauvres familles , & diminuer confidérablement
le prix de la viande .
On a appris par Livourne que les Troupes de
la République de Génes s'étoient faifies de plufieurs
Chefs des Rebelles de l'Ile de Corfe, & que
plufieurs Villes de cette le avoient quitté les ar
mes & abandonné le parti des Révoltez.
On a auffi appris de la même Ville, qu'il y étoit
arrivé un Vaiffeau de Smirne , dont le Capitaine
a raporté qu'il y avoit embarqué l'Aga Aggi
Ofman & Mufa- Aly,& qu'il les avoit tranfportez
a l'Ile des Cerfs dans l'Archipel , où ces deux
Pachas le font fauvez pour éviter le fort malheureux
des autres principaux Officiers du Sultan
dépofé.
Les Lettres de Génes portent que les Rebelles
de l'Ile de Corfe avoient détruit deux habitations
de Grecs qui étoient établis depuis plufieurs an
Bées dans cette Ifle , & aufquels la République
de Gênes avoit accordé divers Privileges , &
qu'ils en avoient maffacré tous les habitans, fans
épargner les femmes ni les enfans ; que la Répu
I. Vol. I iij
bli
2746 MERCURE DE FRANCE
blique avoit réfolu de prendre des Suiffes à fa
folde pour aller réduire ces Rebelles , & que le
Commandement de ces Troupes étrangeres feroit
donné à M. Anfalde de Grimaldi.
Le bruit vient de fe répandre que l'on a arrêté
dans l'Ile de Corfe le principal Chef des Rebelles
de cette Ifle.
Le Comte de Staremberg eft parti du Camp
de la Lunegiane , avec quatre Bataillons.Le Prince
de Saxe & un autre General Allemand l'ont
fuivi avec deux Regimens d'Infanterie , & le
Comte de Waldeck avec le refte des Troupes Impériales
qui ont pris leurs quartiers dans differens
Villages de la Lombardie.
On écrit de Milan que le Comte Rezzonico
s'étant accommodé avec les parens de Dom Guy
Brevio , qu'il a tué en duel , avoit été remis en
liberté.
L
GRANDE BRETAGNE.
E 29 du mois dernier , on publia à Londres
une Proclamation du Roy , portant récompenfe
de 30 liv. Sterlin , pour ceux qui découvriront
les Auteurs des Lettres Anonimes menaçantes
, qui ont été écrites depuis peu à plufieurs
particuliers de Briftol & d'autres Villes . Ceux
d'entre les coupables qui viendront déclarer leurs
complices , auront leur grace & la même récompenfe.
Les de ce mois , Myladi Betti Germain , foeur
du Comte de Berkley , reçut une Lettre Anonime
, par laquelle on la menaçoit de l'affaffiner,fi
elle ne faifoit mettre dans un endroit indiqué les
jo Guinées qu'on lui demandoit. Le Duc de
Dorfet ayant porté cette Lettre au Palais de faint
James , le Roy donna ordre qu'on mit toutes les
1. Vole
nuits
DECEMBRE. 1730. 2747
nuits près de la maiſon de cette Dame fix Soldats
du Regiment des Gardes , avec un Sergent.
Aux Seffions qui s'affemblerent le 14. à Hickf
hall , le grand Juré y porta des Billets d'accufation
contre divers Prifonniers de la Prifon de
Newgatte , acculez d'avoir écrit les Lettres Anonimes
menaçantes , à l'ocafion defquels on a pu
plié la Proclamation du Roy ; & comme il n'y a
point de Loy affez fevere contre ce crime , on af
fure qu'on paffera un acte dans le prochain Parlement
, pour les punir avec la derniere rigueur.
L'Envoyé Extraordinairè de la Regence d'Alger
, dans une Audience particuliere qu'il a eu du
Roy & de la Reine , prefenta à L. M. Brit . deux
Léopards de la part du Dey de cette Regence.
Le Prince de Galles & la Princeffe Amelie al
lerent le 29 au Théâtre de Drurylane voir la
Comédie du Rehearsal, du feu Duc de Buckingham
, & le 12 de ce mois , le Roy , la Reine &
la Famille Royale , allerent au Théatre du Mar
ché au Foin , voir l'Opera d'Armide.
EXTRAIT d'une Lettre de M. Chêne,
Vicaire Apoftolique à Alger , écrite le
12. Octobre 1730. à M. Durand ,
Tréforier Géneral des Ligues Suiffes
cy-devant Conful à Alger
J
Efçai que laLettre quej'ai l'honneur de vous
écrire , vous caufera une douleur d'autant
plus fenfible , que vous avez moins de fujet de
vous y attendre. M. Antoine- Gabriël Durand
votre frere & notre cher & ancien ami ; Conful·
Réfident pour le Roi en cette Ville & Royaume,
eft mort après une maladie de fix femaines , laquelle
pour avoir été longue , n'en a pas été plus.
1. Vol. I iij con2748
MERCURE DE FRANCE
connue & nous a laiffez tous dans une affliction
qu'il eft difficile d'exprimer ; les Chrétiens , los
Turcs les Maures , le Dey lui-même , pleurent
cette perte; elle arriva le 8. de ce mois,& ilfur
inhumé le même jour , âgé d'environ 89. ans. Je
doute qu'on ait jamais vû dans Alger des funerailles
d'un Chrétien plus magnifiques ; tout ce
qu'il y a ici de Chrétiens , François , Espagnolsi
Portugais , e s'y trouverent. Les Confuls Anglois
, Suedois Hollandois , y affifterent avec
leurs Nations ; enfin ily eut des Turcs , des Mau
rès & des Juifs , choſe juſqu'à prefent fans
exemple, chacun donnant des marques fenfibles
de la douleur dont il étoit penetré.
*
Nous lui ferons des funerailles folemnelles.
dans notre Chapelle le 13. de ce mois , &j'ay.
donné des ordres pour les faire le même jour
dans tous les Bagnes , chez les RR. PP.)
Trinitaires de l'Hôpital, où elles feront celebrées
encore plus magnifiquement . Nous ferons venir
de Livourne , un Tombeau de Marbre qui ſera
orné d'un Epitaphe pour éternifer la mémoire
de cet Illuftre Conful.
A l'occafion de cette Lettre , il est bon de
favoir que le Vicaire Apoftolique d'Ager eft
soujours un Miffionnaire François ; it a avec
lui un autre Miffionnaire & un Frere pour le
fervir. Cete Miffion a été fondée & établie à
Algerpar la pi té de la Ducheffe diguillon ,
pour fou ager & con o'er les Efa aves dans leur
Servitude , & pour es confirmer dans leur for.
Les fonds en ont été affectez aux Miffionnaires
de S. Laz re , fous e bon plaifir du Roy . Celui
des deux miffionnaires qui eft Superieur , reçoit
du Pape le titre de Vic ire Apoftolique , qui
S
Lieux où font enfermez les Efclaves.
1. Val.
Li
DECEMBRE. 1730. 2749
<
lui donne une authorité preſqu'auſſi étenduë que`
celle d'un Evêque.
M. Durand qui vient de mourir , étoit fi's des
feu M, Durand , Secretaire du Roy , dont la
probité le défintereffement lui procurerent.
Veftime de S. M. & la confiance de M. Colbert
qui lui donna la Caiffe des Emprunts. Il laiffa
deux fils, dont l'aîné eft M. Durand , Thréforier
General des Ligues Suiffes , lequel a été fuccef
fvement Conful à Tripo'y & à Ager , & em
ployé en differentes Négociations auprès des
Puiffances d'Afrique. L'eftime qu'il s'est ace
quife chez es Algeriens, ' a fait choisir en plufieurs
occafions pour arbitre de leurs differends .
Le Dey même le confultoit quelquefois , & il
s'est fervi defes confeils en plufieurs occafions.
En 1704. il forma le deffein de repaffer en
France. Le Dey auquel il communiqua fon def
fein , ne confentit à ce voyage que fur la parole
lui donna M. Durand , qu'il retourneroit que
Alger.
M. Durand ayant terminé les affaires qui l'avoient
appellé en France revint à Alger Afon
Arrivée le Dey fit tirer tous les Canons de 14
Ville & des Forts : la plupart des perfonnes dif
tinguées allerent à bord de fon Vaiffeau pour le
recevoir : il fut reçû de la Ville avec toutes for
tes de démonftration de joye.on
En 1706, il eut ordre d'aller à Tunis ; pour J
négocier un Traité. Après l'avoir conclu il repaffa
en France , où il avoit refelu de fixer ſom
féjour, évita de paſſer à Alger , où fans doute
il eut été retenu,
Il fut remplacé par M. de Clerambaut , Frere
du Genealogifte des ordres du Roy , qui prit pour
fon Chancelier M. Durand , Frere de fon Préde
ceffeur , qui avoit été élevé à Alger auprès de
Lo Polo
Lov
2750 MERCURE DE FRANCE?
fon Frere. Dans lafuite M. de Clerambaut ayane
paffé à un autre Confulat , M. Durand fut nommé
Vice- Conful à la Canée : Mais par les inftances
des Algeriens auprès du Roi , M. Durand
leur fut accordé pour être Conful à Alger.
On ne peut donner de meilleures preuves de
l'amitié que les Algeriens avoient pour lui , fondée
fur fes excellentes qualités , que le trait
que voici. Il fut nommé il y a environ deux ans
Au Confulat du Grand- Caire. A peine le Dey
enfut-il informé qu'il fit appeller M. Durand,
& lui demanda s'il étoit poffible qu'il voulût
quitter Alger , s'il eftimoit fi peu l'amitié
que toute la nation lui portoit. M. Durand ayant
répondu qu'il étoit obligé d'obéir aux ordres du
Roi , le Dey écrivit à la Cour,& fit de fi grandes
inftances pour retenir M. Durand à Alger ,
que S. M. voulut bien y confentir , & elle lui
fit même donner une augmentation d'appointe
mens en confideration de ſes ſervices.
P
Addition aux Nouvelles de Turquie:
Ar les Lettres venues de Conftantinople par
Mofcou , on apprend que quoique le Grand
Seigneur eut ordonné plufieurs fois aux Janiffaires
de quitter les Armes & de fe retirer chez
eux , on en voyoit tous les jours un affez grand
nombre à la porte du Serrail ,qu'ils demandoient
avec hauteur la tête de plufieurs Miniftres & la
confifcation de leurs biens ; & qu'ayant exigé
auffi qu'on fit de nouveaux Réglemens en faveur
du Commerce avec les Etrangers , S. H. avoit
promis qu'elle en feroit publier un inceffamment,
que le G. S. avoit envoyé ordre au Pacha de
Smirne de faire étrangler Mufa Aly , Ofman
Aga & Agy Aga , favori du Sultan dépofé , mais
7
I. Val.
qu'on
- DECEMBRE. 1730.2751
qu'on avoit appris qu'ils s'étoient fauvez dans
une Ifle de l'Archipel ; que S. H. avoit déposé le
nouvel Hofpodar de Valachie , fils du dernier
Hofpodar , Mauro Cordato, qu'il l'avoit fait enfermer
avec fes enfans , que fes biens avoient été
mis en fequeftre , mais que fon fucceffeur n'étoit
pas encore nommé ; que les fils du Sultan déposé
avoient été enfermez dans les fept Tours , & fes
femmes difperfées dans diverfes Provinces, que les
Troupes du Camp de Scutari avoient eu ordre de
marcher vers Andrinople & d'y attendre de nouveaux
ordres; que le nouveau Roy de Perfe ayant
cu avis de la révolution arrivée à Conftantinople,
s'étoit retiré avec fon Armée du côté de Tauris
où il demeuroit dans l'inaction , ne doutant pas
que le nouveau Sultan ne lui fit bien - tôt propoſer
la Paix ; que le bruit couroit que dans les propo
fitions que le G. S. fait faire à ce Prince , S.H. ne
fouhaitoit de conferver de fes conquêtes que l'ancienne
Babylone , la Province qui en dépend , &
la Géorgie ; qu'elle offroit de rendre les autres.
conquêtes faites par Achmet IIF. & de fournir
des fecours au Roy de Perfe , pour aider à reprendre
les Conquêtes faites en Perfe par le feur
Czar Pierre I. & par la Czarine Catherine fa
veuve.
On mande de Venife qu'on y avoit appris par
des Lettres écrites de Conftantinople , que le G.S.
avoit pris vingt millions dans le Tréfor du Serrail
, pour des preffans befoins , & qu'il faifoit
faire des perquifitions , pour découvrir le lieu de
la retraite du Mufti & de l'Aga des Janiflaires.
2
1. Vol.
I vj FRANCE
2752 MERCURE DE FRANCE
****** : XX : XX : XXXXX
FRANCE ,
Nouvelles de la Cour, de Paris , &c.
E Novembre , Fête de S. André,
La Reine alla à l'Abbaye de Poiffi
où elle entendit la Meffe avec une pieté
édifiante ; on y chanta plufieurs Morets;
enfuite S. M. vifita les lieux réguliers
de ce refpectable Monaftere , & remarqua
en particulier la magnificence du
Refectoire , où s'eft tenu le fameux Colloque
de Poiffi. Elle fortit pour aller diner
chez Me la Comteffe de Mailly , dans
l'enceinte de la Maiſon. Les Dames de la
fuite de S. M. & la famille de Me de
Mailli eurent l'honneur de manger avec
la Reine ; fa Maifon y fut fervie avec
beaucoup d'ordre. Après diné S. M. rentra
dans l'Abbaye pour affifter à la Bene-
'diction du S. Sacrement , où l'Abbé de
S. Hermine , fon Aumônier en quartier
officia . L'Eglife étoit magnifiquement or
née , & la beauté du Temple relevée par
une très belle grille, attira l'admiration de
toutes les perfonnes qui y entrerent . Au
fortir du falut , la Reine fut reconduite à
la Porte par Me l'Abbeffe & par fa Com-
2
munauté.
Le
DECEMBRE. 1730. 2753
Le 2. de ce mois , le Roi & la Reine
revinrent à Verfailles du Château de'
Marli , & le même jour la Cour quitta
le deuil qu'on avoit pris pour la mort
du Roi de Danemark.
Le 3. premier Dimanche de l'Avent ,
pendant la Meffe du Roi , l'Evêque de
Digne prêta ferment de fidelité entre les
mains de S. M. L'après -midi , le Roi &
la Reine , accompagnés du Duc d'Orléans
& du Duc du Maine , entendirent
te fermon du Pere Cotonay , de la Compagnie
de Jefus .
Le 4. M. Chirac , que le Roi a nommé
fon Premier Medecin , prêta ferment
de fidelité entre les mains de S. M..
Le 3. de ce mois , M. Aluife Mocenigo ,
Ambaffadeur Ordinaire de la Républi
que de Venife , fit fon Entrée publique
dans la Ville de Paris. Le Maréchal de
Roquelaure & le Chevalier de Sainctor ,
Introducteur des Ambaffadeurs , allerent
le prendre dans les Caroffes du Roi &
de la Reine au Convent de Picpus , d'où
la Marche fe fit dans l'ordre fuivant : le
Caroffe de l'Introducteur , le Caroffe du
Maréchal de Roquelaure , précedés de
fon Ecuyer & de deux Pages à cheval ;
un Suiffe de l'Ambaffadeur à cheval , la
SAL. Vol. livrés
2754 MERCURE DE FRANCE
livrée de l'Ambaffadeur à pied , fix Officiers
à cheval , deux Ecuyers & fix Pages.
à cheval , le Caroffe du Roi , aux côtés
duquel marchoient la livrée du Maréchal
de Roquelaure & celle du Chevalier de
Sainctor ; le Caroffe de la Reine , celui
de Madame la Ducheffe d'Orleans ,
Douairiere , ceux du Duc d'Orleans , de
la Ducheffe de Bourbon
J
"
> Douairiere
du Duc de Bourbon , de la Ducheffe de
Bourbon , du Comte de Charolois , du
Comte de Clermont , de la Princeffe de
Conti , Douairiere , de la Princeffe de
Conti , Seconde Douairiere , de la Princeffe
de Conti , Troifiéme Douairiere ,
du Prince de Conti , du Duc & de la
Ducheffe du Maine , du Prince de Dombes
, du Comte d'Eu , du Comte & de
la Comteffe de Touloufe , & celui de M.
Chauvelin , Garde des Sceaux , Miniftre
& Secretaire d'Etat , ayant le département
des affaires étrangeres , & à unc
diſtance de 30 à 40. pas , un Suiffe de
l'Ambaffadeur marchant à cheval devant
fes quatre Caroffes.
part
Après qu'il fut arrivé à fon Hôtel , if
fut complimenté de la
du Roi par
le Duc de Rochechouart , Premier Gentilhomme
de la Chambre , de lapart
de
la Reine par le Comte de Teffé , fon
Premier Ecuyer , & de la part de Mada-
1. Vol. me
DECEMBRE . 1730. 2755
me la Ducheffe d'Orleans , Douairiere
par le Marquis de Crevecoeur , fon Premier
Ecuyer.
Le 5. le Prince de Pons & le Chevalier
de Sainctot , Introducteur des Ambaffadeurs
, allerent prendre l'Ambaffadeur
en fon Hôtel dans les Caroffes du
Roi & de la Reine , & le conduifirent à
Verſailles , où il eut fa premiere audiance
publique du Roi. Il trouva à fon paffage
dans l'avant court du Château les Compagnies
des Gardes Françoifes & Suiffes
fous les armes , les tambours appellant ;
dans la Cour les Gardes de la Porte &
ceux de la Prevôté fous les armes à leurs
poftes ordinaires , & fur l'efcalier les
Cent Suiffes en habits de cerémonie , la
hallebarde à la main . Il fut reçû en dedans
de la Salle des Gardes par le Duc
d'Harcourt , Capitaine des Gardes du
Corps , qui étoient en haye & fous les
armes. Après l'audience du Roi , l'Ambaffadeur
fut conduit à celle de la Reine
& de Monfeigneur le Dauphin par le
Prince de Pons & le Chevalier de Sainctot.
I alla à ces Audiences en Robe
conformément à l'uſage des Ambaſſadeurs
de Venife , & après avoir été traité par
les Officiers du Roi , il fut reconduit à
Paris par le Chevalier de Sainctot dans
les Caroffes de L. M. avec les cerémonies
accoutumées .
9
Le
2756 MERCURE de France
Le 4. de ce mois , jour de la naiſſance
de la Princeffe des Afturies , les Ambaffadeurs
du Roi Catholique en France , les
Grands d'Efpagne & les Chevaliers de la
Toifon d'or qui font à Paris , allerent le
matin au Convent des Carmelites baifer
la main à la Reine d'Efpagne , Veuve du
Roi Louis I. Les Dames y allerent l'aprèsmidi.
Le 11. jour de la naiffance de la Reine
d'Espagne , qui entroit dans fa 22. année,
S. M. reçut les mêmes complimens des
mêmes Seigneurs & Dames.
La troifiéme Charge de Garde du Tréfor
Royal qui avoit été fupprimée , a été
rétablie en faveur de M. Paris de Montmartel
, lequel ayoit déja poffedé cetto:
Charge.
Le Roi a accordé à M. Samuel Bernard
, Comte de Coubert , un Brevet de
Confeiller d'Etat.
S. M. a auffi accordé l'agrément de la
Charge de Préfident à Mortier , vacante
par la mort de M. Amelot de Gournay ,
M. Molé , Confeiller au Parlement.
Les Mercuriales du Parlement fe firent
le 29. du mois dernier à la maniere accoûtumée.
Le Premier Préfident & le Pro-
1. Vol. cureur
DECEMBRE. 1730. 2757
cureur General y parlerent avec beaucoup
d'éloquence : le premier fur la Cenfure de
foi-même , qualité effentielle dans un Magiftrat
, & le fecond fur le Respect humain ,
écueil le plus dangereux pour un Magiftrat
Le Duc d'Orleans a donné entre les
mains du Roi la démiffion de ſa Charge
de Colonel General de l'Infanterie Francoife
, qui avoit été fupprimée en 1639.
à la mort du Duc d'Epernon , & rétablie
en 1721. en faveur de S. A. S.
Le Marquis de Themines , ci - devant
Chevalier de Malte , qui avoit une Ab.
baye de 3000. livres de revenu , ayant
demandé au Duc d'Orleans avant la celé
bration de fon mariage P'agrément pour
entrer dans l'Ordre de S. Lazare , afin de
pouvoir conferver ce Benefice , ce Prince
a mieux aimé lui accorder une penfion
de pareille fomme , & l'a obligé de don
ner la démiffion du Benefice dont il joüif
foit.
"
Le 9. de gé mois , le Prince de Rohan
fit recevoir & prêter ferment à M. le
Comte de Gadagne de fa Charge de Gui
don des Gendarmes de la Garde du Roi.
On écrit de Chamberi que l'air de
cette Ville eft contraire à la fanté du Roi
Victor , pere du Roi de Sardaigne , actuellement
I. -Vol.
2758 MERCURE DË FRANCË
tuellement regnant , & que ce Prince
pourra retourner à Turin occuper l'ancien
Palais de la Ducheffe Douairiere de Savoye
, fa mere , pendant l'Hyver , & paffer
le Printems & l'Eté à Alexandrie ¿
où l'air eft très pur.
Le 22. Novembre , M. de Blamont , Sur-Intendant
de la Mufique du Roi , fit chanter
à Marly le fecond & troifiéme acte de fon
Balet des Fêtes Grecques & Rómainės , le fieur
Guignon , fameux joueur de Violon , executa ur
Concerto de fa compofition qui fut très applaudis
l'heure du fouper du Roi empêcha qu'il ne fut
achevé , & la Reine ordonna qu'il fut réjoué au
premier Concert.
Le 25. la Reine fe rendit au Salon de la Mufique
, où le fieur Guignon joüa feul deux Sonnates
qui firent beaucoup de plaifir à S. M. il fut accompagné
du Clavecin par M. de Blamont , &
de la Viole par le fieur Dampierre , le Roi demanda
enfuite qu'on jouat le Printemps de Vi
valdi , qui eft une excelente Piece de fimphonie ,
& comme les Muficiens du Roi ne fe trouvent pas
ordinairement à ce Concert,le Prince de Dombes,
le Comte d'Eu, & plufieurs autres Seigneurs de la
Cour , voulurent bien accompagner le fieur Gui
gnon , pour ne pas priver S. M. d'entendre cette
belle Piece de fimphonie qui fut parfaitement bien
executée.
Le 27. on chanta le divertiffement d'Erato ,
ainfi qu'il a été joué à l'Academie Royale de Mufique.
La Dlle. Antier chanta le Rolle de Junon ,
le fieur Dangerville celui d'Apollon , & la Dlle .
Lenner chanta celui d'une Baccante.
Le 29. on chanta à Marly le prologue & le
4. Vol premier
DECEMBRE 1730. 2759
premier Acte de Bellerophon ; les Dlles. Antier
& Lenner , chanterent les Rolles de Stenobée &
de la Princeffe ; les fieurs Boutelou & Godeneche
, ceux de Bellerophon & du Roi.
Le 4. & le 6. Decembre on continua le même
Opera avee beaucoup de fuccès , le fieur Dangerville
y chanta le Rolle d'Amiodar.
Le 11. on chanta dans les grands appartemens
du Château de Verfailles , le premier Acte d'Armide
, dont le principal Rolle fut chanté par la
Dlle. Antier , & celui d'Hidraot, par le fieur Dangerville.
Le 13. & le 18. on chanta le même Opera ; le
fieur le Prince chanta le Rolle de Renaud, le fieur
d'Aigremont celui d'Artemidore , & les Diles,
Barbier & Courvafier ceux de Bergere & de
Nymphe.
Le 8. jour Fête de la Conception , il y eut
Concert fpirituel au Château des Tuilleries : if
commença par Exultate jufti , Moret de M. de la
Lande , les Dlles. Erremens , le Maure & Petit
Pas , chanterent chacune une Cantatille avec ac
compagnement , qui firent beaucoup de plaifir ;"
le fieur Bordicio , habile Muficien Italien , chanta
deux Arietes qui furent goutées par ceux qui ai
ment cette forte de chant ; le Motet Confitebor
termina le Concert qui fut precedé de plufieurs
Pieces de fimphonie , executées par les fieurs Leller
& Blavet.
Le 13. & 20. il y eut Concert François; toute la
fimphonie executa une fuite d'Airs de Noëls anciens
& nouveaux, qui furent très goûtés ; le même
Muficien Italien chanta deux Arietes , & on finit
par le Motet Exultabo te Deus.
Le 24. & le 25. jour de la veille & fête de Noël,
il y eut Concert fpirituel , on y joüa encore une
fuite d'Airs des plus beaux Noëls , avec Violons
I. Vol. Flutes
2460 MERCURE DE FRANCE
Flutes , Hautbois, & Mufettes. La Dlle. le Maure
chanta feule un petit Motet , Hodiè Chriftus natus
eft , avec beaucoup de précifion , le Concert
de ces deux jours fut terminé par un Motet de
M. de la L'ande .
Le 24. de ce mois , veille de la fête de la Nati
vité de N. S. le Roi revêtu du Grand Collier dé
l'ordre du S. Efprit , fe rendit à la Chapelle du
Château de Verfailles , où S. M. communia par
les mains du Cardinal de Rohan , Grand Aumônier
de France : enfuite le Roi toucha un grand
nombre de malades .
Le même jour , la Reine entendit la Meffe dans
la même Chapelle , & S. M. communia par les
mains du Cardinal de Fleury , fon Grand Aumônier.
L'après midi, le Roi & la Reine entendirent les
premieres Vêpres chantées par la Mufique , aufquelles
l'Evêque de Tarbe officia
Le 25. jour de la Fête , le Roi & la Reine , qui
après avoir afifté aux Matines avoient entendu
à minuit trois Meffes , affifterent le matin à la
grande Meffe , celebrée pontificalement par l'Evêque
de Tarbes .
L'après midi , L. M. accompagnées du Prince
de Conty , du Prince de Dombes & du Comte
d'Eu , entendirent la Prédication du P. Cotonay ,
de la Compagnie de Jefus , & enfuite les Vêpres
chantées par la Mufique , aufquelles le même
Prélat officia.
BENEFICES
L'
DONNEZ
par le Roy.
'Abbaye d'Abfie , Ordre, de S. Benoift , Dio
céfe de la Rochelle , vacante par le décès de
M. de la Vieuville à l'Evêque de Châlons fur
Saone , à la charge de 800. livres de penfion
T. Vol. pour
DECEMBRE. 1730. 2761
pour le fieur Taflin , & 700. livres au fieur Dis
gaultray.
Celle de S. Florent -lès- Saumur,Ordre de faint
Benoist,Diocéfe d'Angers,vacante par la démiffion
du fieur Abbé de Thiard de Biffi , à la charge
de 1200. livres de penfion , pour le fieur Maille
de Carman , en faveur de l'Abbé de Forbin d'Opede
, Aumônier du Roi.
Celle de Vierzon , Ordre de S. Benoist , Diocéte
de Bourges , vacante par le décès du dernier
Titulaire , en faveur du fieur Bovenic de Bec de
Lievre.
Celle de Beaugency , Ordre de S. Auguftin
Diocéfe d'Orleans , vacante par le décès du fieur
Souving , en faveur du fieur Gedoyn , de l'Aca
demie Françoife.
Celle de S. Acheüil , Ordre de S. Auguftin ,
Diocéfe d'Amiens , vacante par le décès du fieur .
de Montbrifeuil , en faveur du fieur de Leftocq ,
Vicaire General d'Amiens.
Celle de S. Thibery , Ordre de S. Benoit ,Diocéfe
d'Agde , vacante par le décès du fieur Paris,
en faveur de Dom Simoneau , Religieux de l'Ordre
de Citeaux , à la charge de soo. livres dé
penfion pour le fieur Crevel.
. Celle d'Andres , Ordre de S. Benoift , Diocéfe
de Boulogne , vacante par le décés du fieur Tiberge
, en faveur du fieur de Luffan.
Celle de S. André le Hault , Ordre de S. Benoift
, Ville & Diocéfe de Vienne , vacante par le
décès de la Dame Charpin, en faveur de la Dame
de By de Vallier .
La Coadjutorerie de l'Abbaye de Liqueux
pour la Dame de Beaupoil de S. Aulaire.
Le Prieuré de Chavanon , Ordre de Grandmont
, Diocéfe de Clermont , vacant par le décès
du dernier Titulaire , en faveur du fieur Olivier.
L'Abbaye de Vauluifant , Ordre de Citeaux ,
1. Vol ...Diocéle
2762 MERCURE DE FRANCE
Diocéfe de Sens , vacante par le décés de M. de
Chavigny , Archevêque de Sens , en faveur de
M. l'ancien Evêque de Troyes,
Celle de Beaulieu,Ordre de S. Auguftin, dite de
Boulogne , vacante par la démiffion de M. Madot
, Evêque de Châlons , en faveur du fieur de
Courteillés .
Celle de Tonnay- Charente , Ordre de S. Benoift
, Diocéfe de Saintes , vacante par le décés
du hieur du Solier , en faveur du fieur Giemare,
Chanoine de Lizieux.
L'Archevêché de Sens a été donné à l'Evêque
de Soiffons.
MORTS , NAISSANCES
& Mariages.
Nibiruz, ancien Chantre de la Parciffede
T. François Fleuret , Doyen des Prêtres ha
S. Roch , mourut à Paris , le 9. Novembre,
dans fa 63. année de Prêtrife & dans la 89. de
fon âge.
D. Marie- Catherine Felix , veuve de Charles
Mannifier , Seigneur d'Iaucour , &c . Tréforier
General des Bâtimens du Roy , & Receveur General
des Finances de Moulins , mourut le 11,
Novembre , âgée de 77. ans.
D. Marie Bouffet de la Borde , Epoufe de Charles
de Jean , Ecuyer , Grand - Maître des Eaux &
Forêts de Guyenne , accoucha le 16. Octobre
d'une fille , à laquelle les ceremonies du Baptême
ayant été fuppléées le 15. Novembre dernier ,
elle fut nommée Marie - Jofeph , par Jofeph- Pier
re de Jean , Seigneur de Manville , Brigadier des
Armées du Roy , Chevalier de S. Louis ; & par
D. Marie-Anne - Catherine Damorefan de Prefigny
, Epoufe de Jean Moreau de Sechelles , Maître
des Requêtes & Intendant de la Province du
Haynault,
DECEMBRE. 1730. 2763
Le Mariage du Duc de Nivernois , fils du Dug
de Nevers , avec Madle de Pontchartrain , fille
du Comte de Ponchartrain , fut celebré le 17. de
ce mois par l'Archevêque de Bourges.
Le fecond Volume de ce mois , qui contiendra
avec les Pieces réservées , la Table generale
des 14. Mercures de la prefente année , est actuellement
fous preſſe, & paroitra inceſſament,
TABLE.
Ieces Fugitives. Ariane & Théfée, Cantate 2552
Sixiéme Lettre fur la Bibliotheque des Enfans
& le Bureau Typographique ,
Les Hyrondeles , Idyle ,
2554
2577
Deffenſe au fujet d'un nouveau Miffel de Chartres
, & c.
Ode fur la gloire des S S. &c.
2582
2597
Vapeurs. Réflexions fur un Aphorifme d'Hypo- crate , & c. >
Bouquet
à M. ***
2602
2614
Extrait d'une Lettre fur les Regnes de Charles VI.
& Charles VII .
Vers à M. de Fontenelle ,
2616
2620
Lettre & Traduction d'une Ode d'Horace , 2622
Lettre fur la dépenſe en habits, pour la table, &c,
La Jeuneffe , Ode ,
2624
2628
Le vice eft forcé lui -même de rendre homage à
la vertu. Difcours ,
Imitation d'une Ode Latine du P. Sanadon, 2641
Reflexions ,
Enigme , Logogryphes , & c.
2631
2646
2650
Nouvelles Litteraires , des Beaux Arts , &c. Memoires
pour fervir à l'Hiftoire des Hommes
illuftres , & c. 2657
Hiftoire Litteraire de la Ville de Lyon ,
ina , ou Bigaruses calotines ,
2662
2668
Grammaire Hebrai que , &c. 2677
Nouvelle Edition de l'Occo fur les Médailles Romaines
, &c.
Ouvertures des Academies , &c.
2678
2680
Extraits du Mémoire fur les Phoſpheres nouveaux
,
Ouverture publique du College Royal ,
Queftion propofée ,
Chanfon notée ;
Spectacles ,
2681
2684
2685
2687
Ibid.
Lettre critique fur la Tragedie de Vinceflas , 2689
Nouvelles Étrangeres . Ordre de la Marche du
G. S. de Conftantinople à Scutary , 2720
Suite des Nouvelles de Turquie , &c. 1733
De Ruffie , de Suede , de Pologne , d'Allemagne
& d'Italie ,
2736
Prife de Poffeffion de S. Jean de Latran , 2740
D'Angleterre , 2-746
Lettre fur la mort du Conful de Fr. Alger , 2747
Addition aux Nouvelles de Turquie , 2750
France, Nouvelles de la Cour, de Paris, & c. 27 52
Entrée publique & Audience du Roy , de l'Ambaffadeur
de Venife ,
Benefices donnez ,
Morts , Naiffances & Mariages ,
Page
Errata de Novembre.
2753
2760
2762
Age 2511. ligne 17. & de la Religion Mufulmane
, lifez , de l'Empire & de la Religion
des Turcs . P. 2543. 1. 3. le Roi eft informé, l. fe
Roi ayant été informé. P. 2550. 1. 8. du bas ,
non-feulement , l.font non feulement,
Fantes à corriger dans ce Livre.
Pr . P. 2646. 1. j. nonoi , l. noi. P. 2712. l .
Age 2583. ligne 1. avoir fur, lifex, avoir fait
fur.
4. fang , fein.
L'Air noté doit regarder la page 2687,
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROT.
DECEMBRE. 1730 .
PREMIER VOLUME.
nd
UE
COLLIGIT
STARCIT
Chez
A PARIS ,
GUILLAUME CAVE LIER , ne
S.Jacques , au Lys d'Or.
LA VEUVE PISSÓT, Quay de Conty.
à la defcente du Pont- Neuf , au coin
de la rue de Nevers , à la Croix d'Or,
EAN DE NULLY , au Palais.
à l'Ecu de France & à la Palme.
M. D C C. X X X.
Avec Approbation & Privilege du Roy.
B.D.J
XXX:XXXXXXX : XXXXX
L
و
AVIS.
'ADRESSE generale eft à
Monfieur MOREAU , Commis au
Mercure vis - à - vis la Comedie Fransoife
, à Paris. Ceux qui pour leur commodité
voudront remettre leurs Paquets cachetez
aux Libraires qui vendent le Mer-
Cure, à Paris , peuvent fe fervir de cette voye
pour les faire tenir.
On prie très-inftamment , quand on adreſſe
des Lettres on Paquets par la Pofte , d'avoir
fain d'en affranchir le Port , comme cela s'eft
toujours pratiqué , afin d'épargner , à nous
le déplaifir de les rebuter , & à ceux qui
les envoyent , celui , non -feulement de no
pas voir paroître leurs Ouvrages , mais
même de les perdre , s'ils n'en ont pas gardė
de copie.
Les Libraires des Provinces & des Pays
Etrangers , ou les Particuliers qui fouhaiteront
avoir le Mercure de France de la
premiere
main , & plus promptement , n'auront
qu'à donner leurs adreffes à M. Morean ,
qui aura foin de faire leurs Paquets fans
perte de temps , & de les faire porter fur
T'heure à la Pofte , ou aux Meſſageries qu'on
Ini indiquera.
PRIX XXX. SOLS.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROT.
DECEMBRE . 1730.
XXXXXXXX*XX*X *XXXXXXXXX
PIECES FUGITIVES ,
en Vers & en Profe.
ARTANE ET THESE'E.
D
CANTATE.
Ans l'Ile de Naxos quel bruit vienje
d'entendre ?
Quel tumulte agite les flots ?
Sur les bords de la Mer , quel mortel va ſe rendre
?
C'eft le Grec qu'a fuivi la fille de Minos.
Ce Héros qui lui doit tout l'éclat de fa gloire
1. Vela AN Va
2552 MERCURE DE FRANCE
Và payer en ce jour
Le plus fidele amour
Far la cruauté la plus noires
語
Fuyez l'amour , jeunes coeurs ;
Quoiqu'il préfente des charmes
De fes plaifirs impofteurs ,
Coule une fource de larmes.
Sous fes pas naiffent des Aeurs ,
Qui furprennent notre vûë ;
De leurs mortelles odeurs
S'exhale un venin qui tuë.
Fayez l'amour , &c.
W
Je le vois ce perfide amant ,
Sur un Rocher affreux conduire fon amante ,
Infenfible à fes pleurs , à fa voix gémiffante
Il s'enyvre à longs traits de fon cruel tourment ;
Envain pour l'arêter Ariane abuſée ,
Par fes embraffemens , veut amolir fon coeur ,
L'Ingrat en s'échapant fe rit de fa langueur,
Elle ne verra plus Thefée.
Un facile amour déplaît,
Un Rigoureux nous engage ,
1. Vol.
DECEMBRE. 1730. 2553
Un coeur trop tôt fatisfait ,
Vous méprife ou vous outrage,
Pour conferver un amant
Marquez de l'indifference ,
En amour , le plus content
A moins de reconnoiffance,
Un facile , & c.
Sur la rive agitée , en détournant les yeux
Ariane du coeur cherche encor l'infidelle ; ·
Mais il ne paroit plus . A fa douleur mortelle
Succedent des tranfports tendres & furieux ,
Non , à mon lâche coeur , tu n'es pas odieux
Hélas ! & malgré ton parjure ,
Barbare ,je t'appele , &je voudrois te voir...
Approche ... ses regards hâtent mon defefpoir
,
Et je fens terminer les tourmens que fendure
Elle dit , & foudain à la clarté des Cieux ,
Ferme fa paupiere mourante ,
En laiffant par l'ordre des Dieux ,
Cet unique Tableau d'une fidelle amante.
Non , on ne voit plus aimer
Avec tant de violence ;
Iv Val. Aviij
On
2554 MERCURE DE FRANCE
On confent de fe charmer
Sans fe piquer de conftance.
Le plaifir eft de changer;
Se fixer eft efclavage :
L'amant veut fe dégager,
Et l'amante fe dégage.
Non , on ne , &c.
Le Chevalier DE MONTADOR.
கு
SETIEME LETRE sur la bibliotèque
des enfans , et sur l'atirail literaire
du bureau tipografique.
MONSIEUR ,
Je n'aurois jamais osé doner dans le
Mercare de France la suite de l'atirail literaire
d'un enfant , si des pèrsones de
merite ne m'avoient fait remarquer que
ce journal étoit plus nécessaire et plus
instructif dans les provinces et dans les
patis étrangers que dans la capitale , et
que mon scrupule étoit mal fondé. Tous
les livres , m'a- t- on dit, ne peuvent ni ne
doivent ètre livres amusans , de mode
de
passage , et d'une seule espece de lec
teurs , come les voyages de Gulliver , etc.
I. Fel.
Votre
DECEMBRE. 1730. 2333
Votre ouvrage contient la premiere doc
trine , l'érudition élémentaire , cela sufit ,
m'a-t-on repliqué , pour justifier le motif
de vos petits essais literaires ; les parens
et les maîtres curieus en fait d'éducation
le penseront ainsi ,à Paris mème . Dailleurs
les provinces demandent des bureaus ; il
est donc mieus de leur donér la manière
de les faire faire chès eus à bon marché
que de les mètre dans la nécessité d'en
faire venir de plus chèrs , lentement et à
grans frais. Ces raisons m'ont facilement
détèrminé à tâcher de mètre le lecteur
atentif au fait de la construction , del'intelligence
, et de l'usage des petits meubles
literaires que je propose de livrér de
bone heure aus jeunes enfans , et aus autres
enfans de tout age qui ont le malheur
d'avoir été négligés ou retardés pendant
bien des anées.
§ . 1. Cassète abecédique , pour un enfant
de dens à trois ans , et de tout age.
La cassète abécédique , est le premier
meuble litéraire qu'il faudroit livrer à un
enfant de deus à trois ans . Cete cassète doit
ètre de carton; on peut la renforcer d'une
toile colée en dehors , et mètre des bandes
de parchemin à tous les angles exte
rieurs : la charniere de la cassète doit ètre
de toile , de parchemin , ou de peau , afin
A iiij qu'elle I. Vol.
2556 MERCURE DE FRANCE
qu'elle puisse resister aus mouvemens
Continuels ausquels elle sera exposée ..
Après avoir compassé , coupé , cousu
COlé
, et façoné cète cassète , il faudra l'habiller
de lètres , et de silabes ; enjoliver
tous les coins et toutes les bordures avec
du papier doré , marbré , ou tel autre
qu'on voudra y mètre , pour marquer le
quaré , ou le cadre des faces de la cas
sète. On donera au comancement de l'A
B , C latin , et en petit caractère , la
feuille des premières combinaisons élémantaires
, qu'il faudra faire imprimer
d'un caractère proportioné à la grandeur
de la cassète. Cète feuille est , pour ainsi.
dire , l'abrégé de l'a ,b, c latin , et l'on ne
sauroit y tenir un petit enfant trop lontems
pourvu qu'on ait soin de lui faire
lire sur sa cassète les combinaisons , non
seulement de gauche à droite , mais encore
de droite à gauche ; de haut en bas ,
et de bas en haut , ou en colones , etc.
Le premier des deus petits cotés à
droite , contient les lètres du grand A,B,
C latin , avec leur dénomination , ou le
nom doné et preté à chaque consone pour
rendre selon cète nouvèle métode l'art.
de lire plus aisé : On met donc dans ce
quaré de la cassète , n ° . 1. les voyèles
grandes et petites , et les lètres capitales.
avec leurs noms , Aa , Ee , Ii , Oo ,
I.Vok U u
DECEMBRE. 1730. 2357
3
U u. A , Be , Ceke , De , E , Fe , etc.
que
Le segond des deus petits cotés de la
cassète , à gauche , contient le petit a , b,c
latin , à coté du grand , lètre à lètre ; afin
l'enfant qui conoit bien les grandes
lètres , puisse facilement et presque de lui
mème aprendre ensuite à distinguer les
petites : On met donc , n ° . z . A a , Bb ,
Cc , Dd , etc. on y ajoute les principales
Higatures , les lètres doubles , et quelques
abreviations , sur lesquèles il est inutile
de s'arèter beaucoup de peur de dégouter
l'enfant.
La premiere des grandes faces de la
cassète et sur le devant , contiènt , n° . 3 .
en deus colones , les combinaisons élémentaires
du Ab , eb , ib , ob , ub , etc..
Le dessous de la cassète pouroit avoir
: quatre clous de léton , rivés en dedans ;;
savoir un à chaque angle pour servir de
pié et conserver cete face , sur laquelle ,
et sur cèle du couvercle en dedans , on
peut mètre une bèle crois de JESUS,come
La base , le principe , et la fin de toute action
cretiène.
Le deriere de la cassète contiendra , nº
4.et en deus colones , les combinaisons
du Ba , be , bi , bo , bu , etc. dans lesque
les on fera remarquer les changemiens .
qu'on a crit necessaires pour doner de
bons principes sur les combinaisons , Ca
: bokeb AV fo
2558 MERCURE DE FRANCE
fe , fi , co , qu ; Ga , je , ji , go , gu ; Ja ,
ge , gi , jo , ju ; Sa , ce , ci , fo , fu ; Ta ,
te , tici , to , tu , etc.
Le dessus du couvercle de la cassète
contiendra , nº. 5. n ° . 6. les combinaisons
du Bla , ble , bli , blo , blu , etc. et cèles
du Bra , bre , bri , bro , bru , etc ... N° 7.
les combinaisons des quatre petites lètres
ressemblantes , b , d , p , q , combinées
avec leurs quatre capitales, et ensuite avec
les cinq voyeles , come Bb , Dd , Pp ,
Qq , etc. Ba , de , pi , qu , bo , etc.
No. 8. des sons particuliers à la langue
françoise. A l'égard des cinq faces qui restent
au dedans de la cassète , il sufit qu'èles
solent couvertes de papier blanc , pour
faire mieus paroitre les lètres des cartes
que l'enfant y tiendra.
1
Cète cassète servira à faire dire la leçon
en badinant , et à tenir les cartons et les
jeus des cartes abecediques , qui ont servi
de premier amusement à l'enfant, et qu'il
peut ranger sur une table en les nomant
, jusqu'à ce qu'il soit en état d'avoir
le petit bureau tipografique , sur lequel
il rangera les premieres combinalsons,
Ab , eb , ib , ob , ub , etc. On poura
lui doner ces premieres combinaisons
avec un petit casseau de carton et de sis
logetes , qui entrera dans la cassète , de
mème que les petits cartons élémentaires ,
|
1. Vol. sur
DECEMBRE . 1730. 2559
sur lesquels on aura fait coler les quarés
de la feuille imprimée pour habiller la
cassete ; elle poura aussi servir à tenir une
garniture de bureau pour les persones
curieuses de ce petit atirail literaire.
§ . 2. Foureau ou Tablier du petit bõhome ,
pour l'usage du bureau.
L'on fera à l'enfant un tablier de quelque
bone toile rousse ou grise , afin de
conserver ses habits . Ce tablier poura s'apeler
en badinant , la bavète ou le tablier de
docteur ; il est necessaire pour y faire deus
poches , l'une servira à metre les cartes
des letres et des mots en rouge pour le
latin , et l'autre servira à mèrre les cartes
en noir pour le françois , lorsque l'enfant
comencera de travailler à la table du
bureau de laquèle au reste il ne faut pas
oublier de bien faire abatre la vive arète,à
cause du frotement continuel de l'enfant.
§. 3. Description du premier et petit bureaus
qui sert à la premiere claffe.
Dès qu'un enfant conoit bien les lètres
par l'exercice des jeus de cartes abécédiques
et de la cassete , on peut lui doner
un petit bureau semblable à ceus dont les
directeurs et les comis de la Poste se servent
en province pour ranger les lètres
missives qu'ils mèrent en colones vis - à-
1. Fol.
Αν
via
2560 MERCURE DE FRANCE
vis les lètres initiales des noms ausquels
les missives sont adressées. il faut donc
avoir une table de la largeur de cinq ou
sis cartes rangées , ensorte que cèles des
c'nq voyeles A , E , I , O , U , et des
combinaisons Ab , eb , ib , ob , ub , etc..
puissent ètre mises en colones sur la largeur
de ce bureau . il doit avoir la longueur
de trente cartes rangées de suite,
plus ou moins , selon le nombre des logetes
que l'on voudra doner à la caisse
de l'imprimerie ; et selon la grandeur des
cartes dont on se servira pour garnir le
bureau . La largeur de la table sera divisée
par quatre ou cinq lignes paralèles , qui
dans la suite serviront d'alignement et:
de reglèt à l'enfant qui doit imprimer oa
composer son tème sur cète table.
و
On peut doner à la table la longueurde
trente cassetins outre l'épaisseur
des montans ou du bois de séparation ;,
ce qu'il est aisé de mesurer : ensuite on
fait les trois liteaus , bandes , regles ou
rebors de la hauteur d'environ quatre pou
ces , ou de la hauteur d'une carte , l'un
de la longueur , et les autres deus pour la
largeur du bureau. Avant que de poserd'une
maniere fixe ou mobile à discretion,.
la tringle , la regle , le long liteau ou rebord
du derriere de la table , il faut lediviser
en trente parties , et marquer le
& Fet milicu
DECEMBRE. 1730. 2560
milieu de chaque partie d'une des lètres de
FABC, observant d'y imprimer la grandeet
la petite lètre ensemble , l'une sous.
Pautre , c'est- à- dire le grand A , sur le
petit as le B capital sur le petit b , et
ainsi de tout l'A BC , depuis les lètres.
Aa , Bb , jusqu'à cèles du Zz , sans oublier
l'Ex , l'a , ni les lètres doubles ,.
&t , ft , fl , etc. de même que les chifres et
les caracteres ou lès signes de la ponctua
tion , etc. que Fon rangera selon l'ordreobservé
dans la planche du bureau tipo
grafique que j'ai fait graver exprès. il sera.
peut-être mieus de doner à l'enfant un
casseau d'un seul rang de logètes , où il
puisse tenir les grandes et les petites kètress ,
Page et la taille décideront entre la trin
gle et le casseau d'un rang de logètes..
Les deus petits liteaus , rebors ou consoles
des cotés n'étant que pour retenir les
cartes , rendre le bureau plus solide , et
pour fermer la caisse , on peut arondir er:
façoner ces deus consoles par le bout , afin
que l'enfant ne puisse en ètre incomode :
après quoi l'on peut clouer les liteaus ou
rebors et metre ce bureau contre un mur
sur deus chaises , sur un chassis , sur deus
petits bancs ou deus petits traitaus dont
les piés soient solides et proportionés à
La taille de l'enfant. On poura , si l'on
eur, metre de petits tiroirs à ce bureau:
La bata
1
2562 MERCURE DE FRANCE
et couvrir la table , d'une basane , d'un
maroquin noir ou d'une toile cirée ; ce qui
n'est pas absolument necessaire, si le bois
est neuf, sans noeuds et bien uni : d'ailleurs
on pouroit faire la table de ce bureau
brisée en deus ; ce qui serviroit pour
les diferens ages et les diferens tèmes de
l'enfant , et mème pour ètre plus facilement
placé contre la muraille et transporté
de la vile à la campagne , come une
table brisée , qui ensuite relevée , ferme
roit la caisse du colombier literaire , et
ocuperoìt moins de place. On poura mètre
un petit rideau de tafetas ou de toile
pour couvrir le colombier quand on ne
s'en servira pas , une toile cirée sera peutètre
d'un mème usage , on doit en tout
chercher l'utilité , la comodité et la propreté.
S. 4. Casse d'imprimerie en colombier à
quatre rans de trente cassetins chacun.
3
Quand l'enfant sera fort sur l'exercice
de la cassète et du premier bureau , on
peut encore pour le divertir en l'instruisant
, lui doner une casse d'imprimerie ,
avec laquèle il composera et décomposera
les silabes , les mots , et les lignes qu'on
lui présentera écrites ou imprimées ; er
cela s'apelera l'exercice du tème en lat`n ou
en françois , selon les lignes et les tèmes
I. Vol.
qu'on
DECEMBRE. 1730. 2563
qu'on lui donera par la suite en ces langues-
là . Cète imprimerie en colombier
est composée d'un casseau qu'on met sur
la table du premier et petit bureau contre
le plus long liteau ou le deriere de cète
table , y étant assés fixe par
des crochets ,
des pitons , des clous à vis , des boutons
ou des chevilles de fer qui traversent l'épaisseur
des deus petits liteaus ou consoles
, et le bois de la premiere et de la derniere
celule : cete casse est divisée en soissante
compartimens, cassetìns, celules , logetes
ou boulins ; c'est-à-dire en deus
rans de trente celules quarées chacun , et
c'est-là le segond bureau ou casseau de la
segonde classe pour le latin , en atendant
la troisième aussi de soissante cassetins
pour le françois , les chiftes , la ponctuation
, l'ortografe des lètres et des sons et
pour la troisiéme classe.
On passera ensuite au quatrième casseau
ou bureau pour le rudiment pratique de
la quatrième classe. Le bureau complet
sera donc de sis rangées de trente cassetins
chacune ; quatre pour l'imprimerie
du latin et du françois , et deus pour le
rudiment. On poura le faire faire tout
d'un tems pour épargner le bois , la hau
teur et la façon du bureau ; en couvrant
d'une housse les rangées superieures
dont l'enfant n'aura pas d'abord l'usage :
I. Vol.
ce
2564 MERCURE DE FRANCE
ce voile piquera sa curiosité et lui donera
de l'impatience pour l'usage des autres
rangées , ainsi qu'on l'a déja dit dans les
letres sur le bureau tipografique , inserées.
dans les mercures des mois de Juin et
de Juillet 1730.
Les logetes doivent ètre un peu plus.
profondes que la longueur des cartes ;
savoir , les trente celules pour ranger et
mètre les petites lètres , les lètres dou-
Bles , etc. et les trente autres celules ou
cassetins pour les grandes lètres ou capitales
, etc. le quaré des celules doit ètre
proportioné à la longueur et à la largeur
des cartes dont on veut se servir ; ensorte:
que l'enfant puisse mètre aisément sa main
dans chaque celule pour y poser ou en
prendre les cartes : on parlera ci - dessous ;
des autresrans de logetes.il faudra marquer
abécédiquement au bureau latin chaque
celule d'en bas de sa petite lètre, et cèle d'ens
haut de sa lètre capitale : après quoi l'on
peut montrer à l'enfant l'art d'imprimer
le tème qu'on lui dicte , ou qu'on lui
done sur une carte ou sur un papier mis
assés haut sur un petit pupitre à jour et
de fil d'archal au milieu de son imprimerie
ou sur la table mème du bureau ; l'on
fera séparer tous les mots avec une carte:
blanche ou par une petite distance , pour
aprendre à l'enfant à distinguer les mots..
La Vali
On
DECEMBRE. 1730. 2565
On ne sauroit croire combien il profite
en imprimant quelques mots sous le dictamen
des uns et des autres , cela lui for
me l'oreille, et lui done ensuite une gran
de facilité pour l'ortografe des ïeus er
d'usage.
,
Il faut qu'il y ait au moins quinze ou
vint lètres dans chaque celule et un
plus grand nombre de voyèles , de liquides
et de certaines consones de plus d'usage
, afin de pouvoir composer plusieurs
lignes de tème tout de suite. Pour rendre
plus large la table du bureau , à mesure
que l'enfant croitra en age et en sience
on peut reculer la caisse de l'imprimerie
ou l'exhausser pour l'apuyer sur le deriere
du bureau , ou pour la metre contre le
mur d'un cabinet , de la chambre de l'enfant
ou autre lieu convenable. Je crois ce
pendant qu'il est mieus que le tout soit
isolé et portatif même au milieu de la
chambre ou du cabinet de l'enfant.
On aura des cartes marquées d'une virgule
pour séparer les mots au comencement
de l'exercice tipografique , afin
d'en rendre à l'enfant la lecture plus aisée
, moins confuse , et de lui aprendre
à distinguer les mots ; il faut mème que
l'enfant lise ou qu'il apèle les virgules et
les poins qui se trouvent dans ses leçons
ce qui l'acoutumera à observér les pauses.
Ja Vola ik
2566 MERCURE DE FRANCE
il ne sera pas mal aussi qu'il nome la quant
tième des pages , à la vue des chifres dont
elles sont cotées : cela sera d'autant plus
alsé , que les chifres entrent dans la com
position des tèmes , et que l'enfant de
trois ans quatre mois dont on a parlé
s'en servolt come il se servott des letres
, quoique tous les chifres fussent en
core dans une seule logere du petit bureau
latin . Le maître pour soulager l'enfant ,
lira à son tour jusqu'à la virgule ou jus
qu'au point.
Tous ceus qui vèront ce bureau et cite
imprimerie pouront dicter et faire imprimer
leurs noms, ou quelques autres mots
et encourager l'enfant à l'exercice du bus
reau qu'il faut continuer pendant lontems
quoique dans la suite l'enfant se serve de
livres pour dire sa leçon en latin et en
François. Le téme étant fait , on regarde
s'il n'y a point de fautes , et l'on montre
à l'enfant la manière de les coriger et de
distribuer les lètres , ou de les remetre
chacune dans sa celule , ce qu'il trouvera
facile aprés avoir su les ranger sur la table
du premier bureau .
S.§. 5. Description du bureau tipografique
latin-françois.
Les montans ou le bois qui forme les
celules
DECEMBRE. 1730. 2567
(
celules de haut en bas en ligne pèrpendiculaire
n'est que de deus à trois lignes
d'épaisseur , excepté le premier et le dernier
qui auront neuf lignes pour fortifier
la caisse , l'assemblage ou le bâti exterieur
; et les traverses ou le bois qui le
croise horisontalement et en rayons est
alternativement , c'est à dire le premier ,
le troisième , le cinquième , et le sétième
de neuf lignes , ou de la hauteur des letres
capitales. si l'enfant est déja un peu
grand , on poura doner neuf lignes à toutes
les traverses pour la comodité des étiquetes
de tous les rans de cassetins , chaque
celule à vide a en tout sens le quaré
long d'une carte tant pour la hauteur que
pour la largeur à vide , avec l'aisance nécessaire
pour le jeu tipografique. La profondeur
d'une celule est come l'étui de
quatre à cinq jeus de cartes ; de manière
que la main puisse les y mètre et les en
tirer facilement . Enfin les dimensions des
cartes doivent regler cèles du bureau et
des casseaus de l'imprimerie , ce qu'un
menuisier doit bien observer , en mesurant
avec exactitude une carte pour chaque
logète, ceus qui ne voudront pas
doner tant de longueur au bureau regleront
les dimensions de leurs cartes
par cèles des logétes du bureau qu'ils comanderont
selon l'endroit où ils le voudront
8
I. Vol.
2568 MERCURE DE FRANCE
€
dront placer , car il faut que la carte ou
la log te donent les dimensions l'une de
l'autre , et c'est ainsi qu'on l'a pratiqué
dans un grand colège pour le bureau d'un
jeune seigneur.
L'auteur dans une planche gravée exprès
done le plan , la description , le dessein
du bureau, des celules ; et des exemples
de la garniture de letres , afin qu'on
voie plus facilement de quèle manière on
doit les distribuer.chacun peut se faire un
plan sans s'asservir à l'abécédique ; si
P'on suit cet ordre , c'est pour faciliter à
-un enfant l'usage des dictionaires , et de
la table des matières des livres qui suivent
aussi l'ordre abécédique .
>
Le premier rang des celules d'en bas ,
- est pour les petites letres apelées ordinal
: rement letres du bas ou mineures ; c'est
pourquoi on l'apèle aussi le petit ordinaìre.
Après les logetes du z , de l' , de
P'è ouvert et de l'é fermé , on metra dans
· la vintneuvième logete les cartes ou les
tèmes donés sur l'histoire , sur la bible ,
sur les génealogies , sur la cronologie et sur
la géografie , et dans la trentième logere
les tèmes qui roulent sur la France , sur
l'Europe etc.
Le segond rang contient les grandes
letres apelées capitales , majeures ou majuscules
que les espagnols apelent aussi
I.Vol
verfales
DECEMBRE. 1730. 2569
versales ; c'est pourquoi on l'apele le grand.
ordinaire la vintneuvième logete sera.
pour les époques , l'histoire sainte , les listes
etc. la trentième pour les époques
P'histoire profane , la fable etc. ou bien on
se contentera de metre en haut les deus
étiquetes hist. s. hist . p. et en bas les autres
deus étiquetes géogr. fable.
5
Le troisième rang est pour toutes les
combinaisons de letres qui donent les mèmes
sons simples qu'exprime le rang des
letres ordinaires ; c'est pourquoi on l'apele
le premier rang composé ; ainsi à la cofone
de l'o et à la logete du 3 rang , on
met les diftongues oculaires au , ean , qui
en deus ou en trois letres expriment le
pur son de l'o , cette distinction et cet
ordre métodique donent d'abord à l'enfant
des idées inconues à la plupart des
maitres d'école . car s'il m'est permis de
le dire , on ne rougit pas d'ignorer l'algebre
; mais on est très honteus d'ignorer
ce qu'un petit enfant aprend d'abord
au bureau , sur la nature des letres et des
sons de la langue françoise , et ce que
tous les maîtres , tous les regens , et tous
les professeurs devroient savoir . Pour profiter
des logetes de reste , on met à la se
èt à la colone du H le mot magasin expliqué
ailleurs ; à la 10 tèmes à faire ; à
la 11 tèmes faits à la colone du Z , on
DANI. Vol.
met
2570 MERCURE DE FRANCE
met nombres , chifres ou livret ; et aus deus
dernieres les poins de suspension , d'interuption
.... , les paragrafes §§ , les piés
de mouche ¶¶ , les guillemets « » , les
signes de plus , de moins ,
d'égalité , et les traits ou tiréts
que les imprimeurs apelent division , qui
coupent, replient et divisent les mots qu'on;
n'a pu achever au bout de la ligne , ou qui
lient des mots composés, come porte-feuille,
tourne-broche etc. on tiendra tous les autres
signes et les asterisques dans ces deus
derniéres logetes du troisième rang de
cassetins .
Le quatrième rang est pour des sons.
diférens , placés néanmoins dans la colone
de la letre avec laquele ils ont le plus de
raport à l'oreille où à l'euil ; le reste come
poins , virgules , apostrofes , parentèses ,
crochets etc. est mis à discretion dans les
celules vides du 4 rang qu'on apele le
segond rang composé , ensorte que les deus
premiers rans sont dits simples , parceque
leurs celules contiènent les simples letres,
et les deus autres rans sont dits composés ,
parceque leurs celules contiènent de dou
bles consones , de doubles letres , de doubles
sons , et enfin des diftongues par
raport à l'euil ou à l'oreille. Pour profiter
du vide des colones M, N, on y a mis
les diftongues oi et ni , qui reviènent sou
GAL. Vol.
vent
DECEMBRE. 1730. 2571
vent dans les mots des tèmes , des frases ,
ou du discours , et pour distinguer le son
de la voyele è ou of du mot il conoìt , de
la diftongue oi du mot roi , on emploie
l'ì grave , come dans les mots il avoit , ils
portoient etc. et l'on emploie l'i ordinaìre
dans les mots loi , roi etc. ensorte que 1ì
grave servira à indiquer l'è ouvert composé
de deus letres dans les mots françois,
maitre , peine etc. et l'i algu indiquera l'ẻ
fermé composé aussi de deus letres dans
les mots j'ai , je ferai plaisir etc. ce qui
şera tres utile non seulement à l'enfant ,
mais encore aus étrangers et aus gens de
province peu au fait de la prononciation
des e simples , ou composés de plusieurs
letres.
On metra aussi au quatrième rang la
voyele eu au haut de la colone e ,
d'autant
que la prononciation en est presque come
cèle de l'é muet françois ou soutenu et
d'une seule lètre ; au lieu que la difton
gue oculaire eu est dans un sens l'e fran
çois soutenu de deus letres ... Le son
gne françois sera mis à la 7 celule au
haut de la colone g , parceque le mot copar
un g ; en Espagne et en portugal
on le metroit au fi ou au nh , colone
du n...Le son che françois , au mème
rang , et au haut de la colone du jou du
sonjeja , parceque le son françois che ost
I. Vol.
mence
le
2372 MERCURE DE FRANCE
le son fort du foible jes en Alemagne ,
on metroit le che à la colone du sch , parceque
les Alemans n'ont point de jou
le son du ge dans leur langue ... Les sons
ill , lh , ille mouillés , au haut de la colonel
, par raport à l'euil plutot qu'à l'oreille
; car en Italie on le metroit au gli ,
colone du g ... La voyele on au haut de
la colone o , par raport à l'euil plutot qu'à
l'oreilles en Italie , en Efpagne , en Âlemagne
, on metroit l'ou à la colone de l'u
qu'on y prononce on . ceci doit fe pratiquer
de mème pour le grec , l'ebreu
Parabe , et toutes les langues .
> > > , >
On doit metre les cinq voyeles nasales
ã‚é‚í‚õ‚ú¸ avant les chifres , et tout
de suite , pour en faciliter l'usage à l'enfant
qui compose sur la table du bureau .
Les dis chifres arabes seront mis aus dis
dernieres logétes avec des chifres romains
pour composer en françois et en latin .
c'est cète rangée de trente cassetins qui
a obligé à en doner autant aus autres
rans. on doit encore dire ici qu'on ne
sépare pas toujours par des virgules ou
par des poins les diférentes combinat
sons ou les diférens signes indiqués pour
la mème logete dans la planche du bureau
, parceque l'on a craint que le lecteur
n'imaginât ces virgules et ces poins
être nécessaires sur les cartes des mèmes
I. Vol.
logetes,
DECEMBRE. 1730. 257 3
logètes , come , par exemple, le point des
cartes marquées d'un c. au dessous de
la logete des chifres VI , 6.
La logète du magasin , du suplement.
ou du plein bureau , apelée la bureaulade
sert à l'enfant pour mètre les mots et les
tèmes composés , lorsque la table du bureau
est pleine , ou que l'enfant pressé
permet qu'un autre range les cartes après
qu'il a lui seul composé le tème , le tout
pour diversifier , et plaire en instruisant,
bien loin de dégouter. on trouvera à
peu près de mème la raison de chaque
chose , si l'on veut bien se doner la peìne
d'y faire un peu d'atention , come on
l'a déja dit bien des fois dans la manière
d'apeler les letres et les sons simples ou
composés par raport aus ieus ou à l'oreille.
§. 6. Garniture ou assortiment de cartes
Pour les quatre rans de casseins du bureau
tipografique.
Pour garnir le bureau tipografique , il
faudra mètre sur des cartes séparément
non seulement les lètres , mais encore
leurs diférentes combinaisons pour exprimer
les sons simples ou composés , ce qui
servira beaucoup à l'ortografe des ieus et
de l'oreille , et donera plus de facilité et
de varieté pour le jeu tipografique , que
I. Vol. B n'en
2574 MERCURE DE FRANCE
n'en pouroit doner une imprimerie ordinaire.
D'ailleurs l'avantage de pouvoir
lire et composer en latin et en françois
dès le premier jour de l'exercice , est un
avantage qui fera toujours taire les esprits
prévenus , incapables avec les métodes
vulgaires de montrer l'ortografe et
le latin à un petit enfant , avant qu'il
comance d'aprendre à écrire un autre
avantage du bureau , c'est de soulager les
maitres, les régens, et les professeurs , en
leur formant de bons écoliers , et les rendant
en moins de tems plus fermes sur
la téorie et sur la pratique des premiers
élemens literaires, que ne le sont ordinalrement
la plupart des enfans condanés à
Particulation des anciènes métodes , ce
qui démontre l'utilité et la compatibilité
de l'exercice du bureau avec tous les devoirs
des meilleurs colèges.
TABLE des letres , des sons simples ;
des sons composés et des combinaisons
necessaires pour la garniture du bureau
tipografique.
GARNITURE,
Logetes.
a
aa. à. á. â. a. ǎ. af. ha. has. aë.
ê.
с ce. è . é. ë.
iii. . . . . . I. if. hi. ic,
e. ĕ. ef. he.
I
I. Vol.
DECEMBRE. 1730. 2575
ô. ō. ŏ. ef. ho. hof. au. cau. haw
ooo. ò. 6.
u uu. ù. ú. ü. û. ũ . ŭ, uſ. hu. huſ, cu. ".
b bb. be, bd..hr .
с cc. ç . &t . c'. ce.
ddd. d'. de. 2ª.
fff. ph. ft. fs. ff. fi . ffi . ft. ft. pht. phth. phr.
phl. phe.
ggggu. ga. go . gh. ghe, gue.
hha. he, hi. hơ. hư. hy . heu . hai. hon.
kke. ky. que. ca, co. cu. qu.
1 11. P. le .
mmm. m. m³, m². m. m²®, m¹è, me, m², meat.
n
Me. MM .
nn. ñ. n'. n ° . n. ne.
P PP. pe. pn. pt. ps. PP.
q cq. qua, que , qui, quo . qu. qu'. quæ . q;, qui
r rr. rh. r'. re. " . RR..
iss. fl. fs, sl. fc. fç.fl. ff. sph. fph. fg. fi . fm.
ſp. ſq. ſqu. ft. fth . ffi. se. ſe. ci. ce. i. S. st.
• fee SS. ç.
t tt. th. thrh.thl. t '. te. .. a. &e. Ato. Au.
V v. w. W. ve. Ve.
Je. j'.ge. gi. ginta.
X x. xc. gz. kf. xc. xfc.
yhy. ys. yf. hys. ii. iï.-ÿ.
Z z. ze.
ง.0
ès. èf. cis. ci. ey. al. ay. ais. aî. aient.oiens
oi. oy. hai. hay. ols. oit.
é aí . oe. oe. &. &. ét. Æ. E.
eu eû. eus . heu . `oeu. oei,
I. Vol. Bij
OW
2576 MERCURE DE FRANCE
Ou ou. où. ouf. oû . hou.
ch ch. che,
gn gn. gn. gne. gne.
lh_lhe . il. ill. ille . lle. 1.
ã an. a. é: hen. em . han. hã. aën, aon , ham,
èn. èm. ein . èí. eim. hin . hĩ ein .
1 in. im. ain aim. aĩ. ein . eĩ. ìn , ain.
Õ on . om, hon . hõ . hom
ū un. um . hum . hun , hũ, cũ .
Diftongues.
Oi ois. oĩ. oin. oy. hoi . hoy oic.
ui uis. uĩ. uin, uy. hui. huy. uic.
Suplement.
a
ante 60ante. 20ª.
i 20leme , ier.
f Fin. Finis.
Įginta 30. 40ginia .
Ponctuation. , ; : . ? !
Chifres. 0. 1. 2. ༣. 4.
·
+
5. 6. 7. 8.
I. II. III. IV. V. VI. VII . VIII.
9. 0. 10 .....
IX. X.
31. & c.
XXXI. & c.
Signes . ( ) .. [ ] *. §. ¶. + ----
တ
& &c.
† * < >
1
T
·
i
I. Vol.
LES
DECEMBRE. 1730. 2577
XXXXXXXXXXXXXXX
LES HYRONDELES ,
IDILLE,
Par Me de Malcrais de la Vigne , du
Croific en Bretagne.
Vos petits becs , Hirondeles badines ,
Donnent à ma fenêtre en vain cent petits coups;
Vous croyez m'éveiller , moi qui dors moins que
vous :
Mais vous allez partir , aimables Pelerines.
Helas ! votre départ annonce à nos climats
Le retour des glaçons , des vents & des frimats.
Quand on aime, dort-on ? fur cela j'interroge
Tout ce qu'Amour peut bleffer de ſes traits ;
Dans le coeur , dans les yeux ce Dieu fubtil fe
loge ,
Et quelque part qu'il aille , il en bannit la paix.
Ah ! que j'aime à vous voir l'une à l'autre fideles
,
Vous donner en partant cent baifers favoureux ;
Et d'un leger battement d'aîles ,
Exprimer à l'envi les ardeurs mutuelles
Qui brulent vos coeurs amoureux !
1. Vol. Bij Rai2578
MERCURE DE FRANCE
Raifon vainement attentive ,
Pourquoi viens - tu mêler aux plus charmans plaifrs
De tes fâcheux conſeils l'amertume tardive
Nous fuivons malgré toi la pente des défirs
Où nous porte en naiffant l'humeur qui nous
domine ,
Et ta trifte lueur , cette lueur divine
N'éclaire que nos repentirs.
>
Habitantes des airs , Hirondeles legeres ,
Qu'à bon droit les Mortels devroient être jaloux
De l'inftinct qui vous rend plus heureufes que
nous?
Du déchirant remors les bleffures améres ,
Les foupçons délicats , les volages dégouts
Ne corrompent jamais vos unions finceres ;
Ce n'est pas l'or qui joint l'Epoule avec l'Epoux.
De ces parens atrabilaires ,
Par caprice à nos voeux le plus fouvent contraires
,
Vous ne craignez point le couroux.
L'Amour feul dont les loix ne font pas mercenaires
Préfide à vos tendres miſteres ,
C'est le coeur qu'il confulte en agiffant fur vous ›
Et vos noeuds toujours volontaires ,
Forment l'enchaînement d'un fort tranquile &
doux.
I. Vol "L'HiDECEMBRE.
1730. 2579
L'Hirondelle à fon pair paroît jeune à tout âge ,
La vieilleffe fur nous déployant fes rigueurs ,
Trop fortunés Oiſeaux , ne vous fait point d'outrages
Ses doigtslour ds & crochus, fur votre beau plu
mage,
Ne viennent point coucher d'odieufes couleurs ;
Sexe infortuné que nous fommes !
Quatre Luftres complets font à peine écoulés ,
Que , mauvais connoiffeur , le caprice des hommes
,
Croit les Ris & les Jeux loin de nous envolés ;
A trente ans on eft furannée ,
A quarante il devient honteux
Qu'on penfe qu'une amé bien née
Puiffe encore de l'amour fentir les moindres feux,
Cependant cet amour peureux
Qui veut & ne peut point éclore ,
En eft toujours plus allumé ;
Un brafier trop long- tems fous la cendre enfetmé
,
Soi-même à la fin fe dévore.
Et c'est ainsi qu'un coeur , en fecret enflammé ,.
Après avoir langui meurt en vain confumé ;
D'un défordre pareil la nature affligée
Murmure avec l'amour de fe voir negligée ,
Et qu'un honneur fondé fur de bizarres Loix ,
Retranche impunément la moitié de fes droits.
L Vo! B iiij Inflé2580
MERCURE DE FRANCE
Infléxible Raifon qui nous tiens à la gêne ,
Faite pour les Humains , tu parois inhumaine ;
Nos coeurs tirannifés par tes reflexions
Ne font qu'aller de peine en peine.
Couverne , j'y confens , les autres paffions ;
Tu peux les opprimer fous ta loi la plus dure ,
Semblable à l'horrible Vautour
Qui ronge Promethée & la nuit & le jour ;
Mais laiffe au moins à la Nature
A régler celle de l'Amour.
Cherchez un autre Ciel , aimables Hirondeles ,
Où le Soleil chaffant les pareffeux Hyvers ,
Entretienne en vos coeurs des chaleurs éternelles.
Hélas ! que n'ai -je auffi des aîles
Pour vous fuivre au milieu des airs !
Puiffiez- vous fans péril paffer les vaſtes mers !
Puiffe Eole , à votre paffage ,
'Ainfi qu'aux jours heureux où regne l'Alcion ,
Dans fes antres profonds emprifonner la rage
Des Enfans du Septentrion .
Mais fi malgré mes voeux les efforts de l'orage
Dans les flots contre vous armés ,
Vous ouvroient un tombeau , vous auriez l'avantage
D'embraffer en faifant naufrage
L'Hirondele que vous aimez,
I. Vol.
Le
DECEMBRE. 1730. 2581
Le plus charmant Mortel qui fut jamais au
monde ,
Et dont j'adore les liens ,
Le beau Clidamis eft fur l'Onde ,
En expoſant ſes jours , il a riſqué les miens
Si fur ces Plaines inconftantes
Vous voyez le Vaiffeau qui porte mon Amant
Allez fur fes Voiles flotantes
Prendre haleine au moins un moment.
Si par vous , cheres confidentes ,
Le fecours de ma voix pouvoit être emprunté ,
Yous lui raconteriez les peines que j'endure ,
Vous lui feriez une peinture
De mon efprit inquieté ;
Vous diriez qu'auffi -tôt qu'un Vaiſſeau nous arrive
Je vais d'un pas précipité ,
De mon cher Clidamis m'informer fur la rive
Le coeur entre la crainte & l'eſpoir agité ;
Que vers l'Element redouté
Je tourne inceffament la vue ;
"
Que pour peu qu'à mes yeux l'onde paroiffe
émuë ,
Je fuis prête à mourir d'effroi ;
Qu'il peut par fon retour terminer mon fuplice
Et qu'en attendant ſon Uliffe
Penélope jamais ne fouffrit tant que moi.
I. Vol By DFE
2582 MERCURE DE FRANCE
XXXXXX : XX:XX : XXXXX
DEFFENSE de la Lettre écrite à
M.l'Abbé de Cheret , & inferée dans le
Mercure du mois de May 1729. au´ſujet
du Projet du nouveau Miffel , à l'ufage
du Diocèfe de Chartres ; en reponse à un
Article des Memoires de Trevoux , du
mois d'Aouft de la même année.:
page
Remierement,l'Auteur de cette Let-
P tre avertit le Public qu'il s'y eft glif
fé plufieurs fautes d'Impreffion.Par exemple,
au lieu de Sauveau , il faut lire Fauveau
, c'eft le nom de l'Auteur. A la
864. ligne 1ere , au lieu des trois Mages ,
lifez le trois May. A la page 867.ligne 10.
il faut lire pofita , au lieu de pofita ; fans
compter les fautes de ponctuation , qui
alterent fouvent le fens.
Secondement , l'Imprimeur a'oublié de
marquer à la niarge,vis- à- vis l'endroit où
il eft parlé de Maldonat ; le monument
public , d'où l'on a tiré les Paffages Extraits
de cet Auteur , qui eft la 29 des
Lettres choifies de M. Simon , du Tome
2. de l'édition de 1704. A Roterdam
chez Reinier Leers , pages 180 & 181 .
Les Curieux liront fans doute cette Lettre.
M. Simon y fait l'Analyſe du Traité
I.Vol. manuf
DECEMBRE . 1730. 2583
manufcrit de Maldonat qu'il avoit , fur
les ceremonies en general ; & en particulier
fur les ceremonies de la Meffe . On
y trouvera mot à mot les paffages latins ,
citez dans la Lettre cy - deſſus , & que Maldonat
eft réellement & authentiquement
la caution de la Critique du Doyen de Maintenon.
Quoiqu'on en dife dans les Mémoires
impriméz à Trevoux, au mois d'Aouſt
1729. page 1475. On y trouvera auffi que
ce Sçavant Jéfuite y tient le même langage
,que l'on femble relever dans le Pere
le Brun de l'Oratoire , lorſqu'on cite l'endroit
où il a dit , que toutes les anciennes.
Collectes s'addreffent à Dieu le Pers ; ầ
moins que des gens exceffivement clairvoyans
, ne prétendent que cette Propofition
du P. le Brun , eft plus hardie &
moins ménagée que celle- cy de Maldonat
, rapportée par M. Simon , dans fa
Lettre cy - deffus citée. Numquam Ecclefia
direxit fuas orationes nifi ad Deum
Patrem quod à Chrifio fponfo fuo didicit.
On jugera par cet endroit dont on n'avoit
point parlé; fi loin d'avoir ajouté ,
on n'a pas au contraire fupprimé les
termes de Maldonat , qui pouvoient paroître
un peu forts , & un peu trop étendus
, pour le renfermer dans les Oraifons
& Collectes de la Meffe.
Il ne manque rien à l'Exemplaire que
I. Vol. B¯`vj j'ai
2584 MERCURE DE FRANCE
j'ai dit : M.Simon , dans la derniere page
de cette même Lettre 29. qui commence
à la page 174. & finit à la page 186.
On peut encore lire la Lettre 17. du 1er
tome , du même Auteur. ( C'eft apparemment
la même que Bayle cite , la i 、e
de l'édition de Trévoux , à l'article de
Maldonat ; ) on y trouvera plufieurs particularitez
affez curieufes au fujet des Ouvrages
MS S. de Maldonat. Comme les
Continuateurs de Morery nous affurent
dans l'édition de 1725. que M. Simon
a laiffé en mourant , fes Ecrits & fes Papiers
à la Bibliotheque de la Cathedrale
de Rouen. Le Manufcrit en queſtion de
M. Simon pourroit peut - être s'y trouver.
D'ailleurs , puifque M. Simon dans fa
17 Lettre cy-deffus , nous marque , qu'il
n'a rien vû de plus exact fur les Ouvrages
MSS. de Maldonat , qu'un Recueil
qu'il a vû , & qui étoit entre les mains
de M. Dubois , Docteur de Sorbonne ,
qui a fait imprimer quelques opufcules
de Maldonat en 1677. & qui eft l'Auteur
de l'Epître dédicatoire , & du Difcours
qui fuit , qui font à la tête de ces Opufcules.
On peut vérifier les citations cydeffus
, fur ce Recueil de M. Dubois , en
s'informant de ceux qui en font les Poffeffeurs
: Mais , au refte , fi malgré tout cela,
on ne vouloir point encore que Maldo-
1. Vol.
nat
DECEMBRE . 1730. 2585
nat fut notre caution , on en trouvera
d'autres qui le valent bien , & qui ne le
tier.dront point à deshonneur,
3° . On remarquera que l'Auteur de la
Lettre à M. l'Abbé de Cheret , n'ayant
pû , dans les bornes étroites de fa Lettre ,
renfermer toutes les preuves & authori
tez qu'il avoit en main , pour appuyer la
propofition qu'il a avancée , que les Colfectes
de la Meffe , doivent réguliérement
s'addreffer au Pere Eternel . Il pric
le public d'y fuppléer , en recourant à
l'excellent Traité de Ritibus Ecclefia du
Préfident Duranti , Auteur dont l'Ouvrage
eft generalement cftimé & regardé
comme un des meilleurs dans ce genre
de Litterature.
Duranti , dans le chap. 16. du 2. Liv.
de Ritibus Ecclefie , num. 12. 13. 14. 15.
16. & 17. de l'Edition de Cologne en
1592. pag. 385. auffi-bien que dans le ch.
31. du même livre , num. 8. pag. 464.
comme encore , ch . 33. num . 2. pag.49 3 .
& ch. 48. n. 1. pag. 635. foutient cette
même Theſe , & la prouve à fon ordinaire,
par les authoritez des Peres & des Auteurs
Eccléfiaftiques , des différens fiécles
de l'Eglife , en faifant voir la Tradition
fur ce dogme. On peut bien croire , qu'il
n'oublie pas le Capitule 23. du 3 Concile
I. Vol. de
2586 MERCURE DE FRANCE
de Carthage , que l'on a cité dans la Lettre
de M. l'Abbé de Cheret.
Mais afin que l'on ne croye pas que ce
foit là un Reglement des Evêques d'Af
frique , fur un point de difcipline , qui
ait changé dans les fiecles fuivans ; on
trouvera dans cet Auteur des Palages
tres-formels de prefque tous les fiecles de
l'Eglife , depuis ce Concile , qui tiennent
le même langage, Comme ont fait S.Fulgence
, lib. 2. ad Monimum , quaft. 1 .
Charlemagne , in fragmentis de Ritibus
Ecclefia veteris. Alcuin , femel atq . iterùm
de Divinis Officiis . cap. de celebratione
Miffa. Radulphus Tungrefis , de Canonis
obferv . prop. 23. Florus Magifter in Exegefi
Miffa: Micrologus : Stephanus Eduenfis.
lib. de Sacram. Altaris. Odo Cameracenfis
in expof. facri Canonis . S. Bernardus
, ou plutôt Guill. à S. Theodorico ,
lib. de amore Dei , cap. 8. & plures alii.
Je me contenterai de rapporter icy
quelques-uns de ces paffages , qui font fi
formels & fi précis , pour la preuve de la
propofition dont il s'agit , que je n'ai pas
la force de les fupprimer. Ils m'échappent
malgré moi. Voici comme parle , aunom
de tous les autres , Florus Magifter , in expofitione
Miffa fur ces mots : Te igitur ,
clementiffime Pater. Dirigiturhac oratio , dit
I. Vol.
cet
DECEMBRE. 1730. 2587
1
tet Auteur : Sicut reliqua Orationes juxta
Regulam fidei & morem Ecclefiæ ad Clementiffimum
Patrem ...... & hoc perJefum
Chriftum Filium tuum , Dominum noftrum ,
per quem , omnis fupplicatio , & petitio noftra
, ad Deum dirigi debet , tanquam per
verum mediatorem, & æternum Sacerdotem .
Le même Auteur , fur ces mots : Per
Dominum noftrum , de l'Oraiſon : Libera
nos , ajoute encore , quod utique certâ ras
tione ut fæpè dictum eft , Catholica concelebrat
Ecclefia, propter illud utique Sacramen▾
tum , quod Mediator Dei & hominum
factus eft homo Chriftus , & c.
,
L'Auteur , nommé Micrologue , ch. 5.
Oratio quidem ad Patrem dirigenda eft.
Juxta Domini Praeceptum , & c. Le même
Auteur , au ch. 6. de Conclufione oratio
dit encore : Concludimus orationes
per Dominum noftrum videlicet Patrem
orando
per Filium , juxta ejufdem Filii preceptum.
Le même Duranti , lib . 2. cap.48.pag.
635. rapporte encore un long Paffage ,
tiré des Capitulaires de Charlemagne , qui
femble être comme la bafe & le fondement
de cette Théologie des anciens.
Carolus Magnus in fragmentis de Ritibus
veteris Ecclefia : ut ad folum Patrem dirigatur
oratio : cùm totius fanita Trinitatis ,
ficnt una eft deitas , ita aqualis honor &
I. Vol. glori
2588 MERCURE DE FRANCE
glorificatio debeatur. Id Apoftoli, per eos,ordinante
Spiritu , fanxerunt , ut qui multorum
Deorum errores , unius Dei Pradicatione
, nitebantur evellere , fub Trinitatis
Sacramento , uni Perfona , in Sacrificiorum
ritu , fupplicare decernerent rectif
fime ergo conftitutum , ut quia Pater, &
Filius , & Spiritusfanctus , unius deitatis ,
unius naturæ , unius ſubſtantia , unius de- .
nique poteftatis exiftant , una ex eis Perfona,
propter unitatis Myfterium retinendum,
in facrificio invocaretur.
·
J
Combien de Dogmes , fur lefquels la
tradition n'eft pas plus claire , plus précife
& plus conftante ? Ne voit - on pas
d'abord que fi l'Auteur de l'Article en
queftion , des Mémoires de Trévoux
croit avoir droit de foupçonner l'Au--
teur de la Lettre , de croire que le Nom
de Dieu et proprement affecté au Pere,
& ne fe peut donner directement au Fils,
& de chercher à favorifer les nouveaux
Ariens ou Sociniens , pour avoir foutenus
la Theſe cy-deffus ( quoiqu'il ait répeté
plufieurs fois dans fa Lettre , que le
Fils étoit également Dieu comme le
Pere ; fi cela ne fuffit pas , on ajoutera
encore qu'il eft confubftantiel au Pere ,
& qu'il eft prêt de verfer fon fang ,
pour la confeffion de cette verité capi
tale de notre Foy. Ne voit- on pas , dis-
I.Vol.
je ,
DECEMBRE. 1730. 2589
›
je , que ce reproche & ces foupçons doivent
tomber également fur tous les Auteurs
cy- deffus citez ; & même à plus jufte titre
? Mais S. Fulgence , lib. 2. ad Monimum
, quæft. 1. raiſonnoit bien differemment
, fuivant en cela les Regles d'une
dialectique , bien plus conforme à l'efprit
de l'Evangile , & à la doctrine des
Saints Peres. Voicy comme il réfutoit ces
fauffes conféquences : Neque enim, dit il
prajudicium Filio , vel Spiritui fan &to comparatur,
dùm ad Patris perfonam precatio
ab offerente dirigitur , cujus confummatio
dum Filii & Spiritus fancti complectitur
nomen ; oftendit nullum effe in Trinitate difcrimen;
quia dùm ad folius Patris perfonam,
honoris fermo dirigitur , benè credentis fede ,
tota Trinitas honoratur , & cum ad Patrem
litantis deftinatur intentio , facrificii munus ,
omni Trinitati , uno eodemque offertur litantis
officio. Ne peut- on pas , après cela ,
en fe plaignant , fe fervir des termes
d'Optat de Mileve : Paganum vocas , ditil
, eum qui Deum Patrem per Filium ejus
ante altare oraverit , lib. 3 .
On voit par tous ces Paffages & par
les authoritez cy- deffus rapportées
que ces anciens Auteurs ne s'embaraf
foient guere des objections que l'on fait
dans les Mémoires de Trevoux , contre
cette Theſe , en difant que ce raiſonne-
I. Vol. ment
2590 MERCURE DE FRANCE
...
ment meneroit trop loin , qu'on doit
avoir égard non feulement au Sacrifice ,
mais encore au Sacrement , qui eft lié
étroitement au Sacrifice..
qu'on
doit trouver bon que des Collectes , où
l'on a en vûë le fruit du Sacrement , &
la participation à la victime , foient
quelquefois addreffées à JESUS- CHRIST
&c. Comme ces anciens font les garants
de l'Auteur de la Lettre , c'eft à eux ,
pour ainsi dire , à répondre pour lui
s'il eft neceffaire.
Mais s'il paroît que la principale objection
qu'on propofe avec un air de
triomphe & de confiance contre la Thefe
de l'Auteur de la Lettre , qu'apparemment
on a cru être une idée nouvelle
& particuliere , & n'avoir , aucun font
dement dans l'antiquité & la tradition
de l'Eglife. Il' paroît , dis -je , que la prin
cipale objection que l'on fait , & que l'on
croioit ne retomber que fur l'Auteur de
cette Lettre , eft que l'on addreffe à J.C.
en toutes les Meffes , les trois Oraifons
qui précedent immédiatement la Com
munion du Prêtre , & que c'eſt encore à
J. C. que s'addreffe l'Agnus Dei , & la
priere : Corpus tuum quodfumpfi.
Pour répondre à cette objection , il
eft bon de faire attention , 1°. à une remarque
que nous fait faire le Micrologue,
1. Vol. &
DECEMBRE 1730. 2391
,
& après lui Raoul ou Radulphe de Tongres
, fur ces mêmes Orailons. On ne
manqueroit pas de la trouver trop hardie
, fi on l'avançoit aujourd'hui pour la
premiere fois , dira - t- on ; cependant
que les fiecles où ont vécu ces Auteurs
fuffent trop délicats , & trop critiques.
Orationem dit Radulphe de Tongres,
quam inclinati dicimus , antequam communiamus
, non ex ordine , fed ex Religioforum
traditione habemus fcilicet hanc Domine
Jefu Chrifte , qui, &c. ac illud Corpus
& Sanguis Domini noftri Jefu Chrifti , quod
dicimus cum aliis Euchariftiam diftribuimus.
Sunt & alia multe orationes , quafquidem
ad Pacem & Communionem , privatim frequentant,
fed fecundum Micrologum, cap.18,
diligentiores antiquarum traditionum obfer
vatores , nos in hujufmodi privatis oratio.
nibus , brevitati ftudere docuerunt : potiuf
que publicis Precibus , in officio Miffa occupare
voluerunt. Nam B. Innocentius
Papa fcribens B. Auguftino & Aurelis
Epifcopis , afferit , quod nos plus communibus
& publicis , quam fingularibus & privatis
orationibus proficere poterimus.
On peut inférer de cette obfervation,
que ces Oraifons ne fe difoient pas encore
à la Meffe du temps du troifiéme
Concile de Carthage , & qu'ainfi fon Or
donnance du Capitule 23.cy- deffus citée,
I.Vol. n'étoit
2592 MERCURE DE FRANCE
n'étoit point encore contredite , par la
forme & la difpofition de ces Oraifons de
la Communion qui s'addreffent à Jefus-
Chrift. Auffi le Pere le Brun foutient - il
que ces trois Oraiſons n'ont pas plus de
fept à huit cens ans d'antiquité.
2.Ces Oraifons femblent être particulie
res pour la perfonne même du Prêtre ,
qui étant fur le point de communier
quitte , pour ainfi dire , l'action du Sacrifice
, & le perfonage de Sacrificateur,
pour adorer & prier Jefus- Chrift pour
foy même, avant que de le recevoir. C'eſt
pour cela apparemment , qu'il parle au
fingulier dans ces Oraifons ; l'Eglife qui
a adopté ces Prieres , qui nous viennent
des pratiques de dévotion de quelques
particuliers , felon les deux Auteurs cydeffus
: Non ex ordine , fed ex Religioforum
traditione, n'a pas cru apparemment qu'elles
fuffent à rejetter & condamnables ,
pour cela feul , qu'elles n'entrent peut-être
pas fi parfaitement dans l'action & le caractere
du Sacrifice , que les autres Collectes
& Oraifons , dans lefquelles le Peuple
s'unit au Prêtre , & s'affocie avec lui
pour offrir & participer au Sacrifice . Or il
ne s'agit que des Collectes & Oraifons de
la Meffe , lefquelles doivent exprimer les
voeux & les priéres de l'Eglife & du peuple.
I.Vol. De
DECEMBRE . 1730. 259 3
De même encore l'Agnus Dei , étant
une adoration de Jefus- Chriſt , comme
Agneau qui efface les péchez du monde ,
l'invocation n'en doit point être féparée ;
autrement on ſembleroit ignorer ſa Divinité
, & ne l'a pas reconnoître. Par cette
priére de l'Agnus Dei, & par ces Oraifons
de la Communion du Prêtre , nous pratiquons
ce que demande S. Auguftin , fur
le Pleaume 98. comme le remarque Duranti
, page 685. Sane hâc précatione obfervamus
quod Auguftinus ad Pfalmum 98 .
feribit , nemo carnem Chrifti manducat , nifi
priùs adoraverit : adorationem autem , &
oratio confequitur,quare hanc precationem &
eas que fequuntur,ad ipfum Chriftum conver
timus , dicentes : Agnus Dei , qui tollis peccata
mundi .
Au reste , quoique Fuxta Regulam fidei.
& morem Ecclefia , comme parlent les
Auteurs cy - deffus , les Oraifons de la
Meffe doivent s'adreffer au Pere Eternel ;
s'enfuit-il de - là qu'on ne puiffe jamais
adreffer fes Prieres à Jefus-Chrift ? Nullement
; car puifqu'il eft également Dieu ,
comme le Pere , il mérite également nos
voeux , nos hommages & nos Prieres . On
vient de le voir dans les Paffages de Charlemagne
& de S. Fulgence , cy- deffus rapportez
; mais c'est qu'il y a , felon les faints
Peres & les Théologiens , une certaine
oeconomie à obſerver. L'ex2594
MERCURE DE FRANCE
L'extrême difproportion & la diftance
infinie qu'il y a de notre baffeffe , notre
néant , notre indignité , à la Divinité
qui feule peut remplir nos befoins , a formé
la néceffité d'un Médiateur , pour
nous approcher de Dieu , & en être
pour ainfi-dire, plus à portée. Jefus Chriſt
Dieu & Homme , eft ce Médiateur qui
touche & joint ces deux extrémitez : Vnus
Médiator Dei & hominum , homo Chrif
tus Jefus. C'eſt lui qui nous fert comme
de degré pour nous élever & nous faire
arriver jufqu'à Dieu . Or c'eft précisément
felon fon humanité & en tant qu'homme,
que J.C. nous rend cet office, fuivant
S. Auguftin , Lib. de Peccato Originali ,
Cap. 28. Per hoc prodeft Chriftus , quia eft
Mediator ad vitam ; non autem per hoc Mediator
eft , quod aqualis eft Patri ; per hoc
enim , quantum Pater, tantùm & ipfe diftat
à nobis : & quomodo erit medietas , ubi
eadem diftantia eft. Ideò Apoftolus non ait ,
unus Mediator Dei & hominum Chriftus
Fefus , fed homo Chriftus Jefus : per hoc ergo
Mediator, per quod homo , &c. Si nous
confiderons Jefus - Chrift comme Dieu ,
la Priere qui lui eft adreffée eft alors ,
per ipfum implenda , comme parlent les
Théologiens ; fi nous le regardons comme
homme, la Priere eft alors , per ipfum impetranda.
Comme donc c'eft proprement .
7
L. Vol.
dans
DECEMBRE. 1730. 2595
1
dans le faint Sacrifice de la Mefle que J.C.
exerce cet office de Médiateur ; que fon
humanité , qui y eft le Sacrifice , eft la
médiatrice & la caufe méritoire ; il s'enfuit
que l'on confidere principalement
alors Jefus- Chrift fous le refpect & la
précifion d'homme , & qu'ainfi ce n'eft
point directement à J. C. mais par J. C.
qu'on doit alors adreffer les Prieres à Dieu
le Pere , autrement c'eſt ſortir du caractere
& de l'economie de ce Sacrifice ;
c'eft à Dieu le Pere , ou fi l'on veut à toute
la fainte Trinité , qu'on offre le Sacrifice
pour obtenir des graces & des
bienfaits , par la médiation de l'humanité
de J. C. qui y eft immolée , lequel on ne
confidere alors , à proprement parler ,
que comme Agneau , Victime , Holocaufte
, Prêtre , Ambaffadeur , Suppliant
Médiateur , & c.
Or n'eft-ce pas , pour ainfi - dire , pren
dre le change & varier , que de s'adreffer
dans cette action , à l'Agneau , à la
Victime , à l'Holocaufte , au Suppliant
même? & c. Les Collectes de la Melle font
comme des Actes de pouvoir & des pro-.
curations que le Peuple donne au Prêtre
d'agir en fon nom , pour négocier , pour
ainfi dire , la paix avec Dieu ; elles pechent
donc dans la forme & elles font
défectueufes quand elles ne s'adreffent
à celui avec qui on a à traiter,
pas
2596 MERCURE DE FRANCE
-. Enfin c'eft par Jefus- Chrift , en lui
& avec lui , que l'on offre ce Sacrifice
à Dieu le Pere , mais non pas à Jefus-
Chrift même , qui foutient alors un
caractere tout different , comme on l'a
déja dit tant de fois . Per ipfum , & cum
ipfo , & in ipfo , eft tibi Deo Patri , &c.
Lefquelles paroles Duranti regarde comme
la conclufion & l'abregé du Canon de
la Meffe : Ecce , dit- il , præclara Canonis
conclufio , quâ ex ordine , qua in hoc Sacrificio
peraguntur , compreffius recenfentur.
Par cette oeconomie , l'action du Sacrifice
en eft plus clairement exprimée ; car comme
dans le Sacrifice , le Prêtre , le Suppliant
, le Médiateur , &c . doivent être
diftinguez de celui à qui on facrifie , en
addreffant le Sacrifice à Dieu le Pere , par
Jefus- Chriſt , Prêtre Suppliant , Médiateur
; cette diftinction fe fait mieux fentir
que fi ce Sacrifice étoit addreffé par
Jeſus- Chrift, à Jeſus- Chrift même en tant
que Dieu.
Voilà les Reflexions que l'Auteur de
la Lettre à M. l'Abbé de Cheret , a crû
devoir communiquer au Public fur cette
matiere , tant pour fa propre juftification ,
que pour un plus grand éclairciffement
de la theſe qu'on a avancée , fans vouloir,
aù refte , s'écarter en tout ceci de la regle.
d'une parfaite foumiffion au jugement
de l'Eglife.
ODE
DECEMBRE. 1730. 2597
*****X*X: X :X:XXXXXX
O DE
Sur la gloire des Saints , à l'occafion de la
Ceremonie faite pour la Canonifation des
SS. Stanislas Koftka & Louis de Gonzague.
Esclaves de la
renommée ,
Dont la frivole paffion ,
N'a point d'autre occupation ,
Que de pourfuivre une fumée ;
Que votre fort me ſemble dur ,
Quand l'efpoir d'un nom moins obſcur
De votre fang vous rend prodigues ;
Quand pour vivre dans l'avenir
Vous trainez parmi les fatigues ,
Des jours que les regrets ne font plus revenir,
Couverts d'une noble pouffiere ,
En vain vous cherchez les hazards ,
En vain vous voit -on des beaux arts;
-Courir l'épineuſe carriere ;
Souvent l'honneur capricieux ,
Echappe aux voeux ambitieux ,
Qui s'obftinent à le pourſuivre ;'
De fes partifans empreffez ,
I. Vol. C Com
2598 MERCURE DE FRANCE
Combien en voyons- nous furvivre ,
A leur gloire expirante , à leurs noms éclipfez !
>
Mais je veux que les Deftinées ,
Vous réfervent un fort plus doux ,
Qu'honoré long-temps après vous
Votre nom brave les années ;
O foins ! O déplorable effort ,
Qui n'a pour objet que le fort
D'un Cefar , ou d'un Alexandre !
Eh ! que fervent à ces Héros ,
Les honneurs qu'on rend à leur cendre ,
Quand l'ire du Seigneur les inonde à grands flots ?
W
Venez , venez ; de plus furs guides
Vous découvriront en ce jour ,
La route qui mené au ſéjour ,
Des biens , & des honneurs folides ,
Voyez STANISLAS , & LOUIS ,
Offrir à VOS yeux éblouis ,
La vraye image de la gloire ;
Tandis qu'à l'envi nos Autels ,
Confacrent ici leur mémoire ,
Ils regnent dans l'Olimpe , heureux, grands , immortels.
Ils n'ont point tenté ces conquêtes ,
Qui font triompher nos Guerriers :
1. Vol. Ils
DECEMBRE . 1730. 2599
Ils ont dédaigné ces Lauriers ,
Dont nos Sçavans parent leurs têtes
Chercher Dieu dans l'obfcurité ,
Gouter fa paix , ſa verité ,
Voilà leur fçavoir , leur étude :
Ils n'ont combatu que leur coeur :
Guerre de toutes la plus rude ,
Où l'ennemi qu'on frappe eft cher à ſon vainqueur
?
L'un dans la fleur de fa jeuneffe ,
Voit avec un noble dédain
Et le titre de Souverain ,
Et les droits flateurs de l'aineffe .
Il rougiroit de s'abaiffer
A des grandeurs qu'on voit paſſer
Comme l'éclair qui fend la nuë.
Pour arriver à la fplendeur ,
Que l'oeil mortel n'a point connue ,
C'est dans l'abbaiffement qu'il cherche fa gran
deur.
Victime de l'Amour Célefte ,
L'autre a tout ſouffert , tout quitté ;
Haï tour à tour , & flatté ,
D'un monde que fon coeur détefte.
Non , l'Enfer & tous les affauts ,
Ni tous les biens , ni tous les maux ,
N'ébranleront point fa conftance :
1. Vole Cij 31
2600 MERCURE DE FRANCE
Il franchit tout , il eft au port ,
Mais , redoublant ta violence ,
Là , tu l'attens, Amour, pour lui donner la moit.
潞
Il eſt donc jufte qu'en nos Faſtes ,
Leurs noms occupent déformais ,
Un rang que n'obtinrent jamais
Les grands exploits , les projets vaftes.
S'ils n'euffent tendu vers les Cieux ,
De tant de Princes leurs Ayeux ,
Ils auroient fubi la fortune ,
Et dans un éternel oubli ,
Peut-être une tombe commune ,
Tiendroit avec leur corps leur nom enſeveli.
Aujourd'hui du haut de leurs Trônes ;
Combien verront - ils à leurs pieds ,
De Souverains humiliez ,
Venir déposer leurs Couronnes !
C'est pour eux que brillent ces feux ,
Que l'air retentit de nos voeux ,
Que cette pompe orne nos Temples .
Et par mille organes divers ,
C'eſt leur gloire , c'eſt leurs exemples ,
Que la voix du Seigneur propoſe à l'Univers.
O qui me donnera des aîles,
I. Vol. Pour
DECEMRBE . 1730. 2601
"
Pour m'élever jufqu'au féjour ,
Où le Jufte enyvré d'amour ,
Brille de fplendeurs éternelles !
Lieux éclatans d'or & d'azur ,
Quand donc s'écroulera le mur
Qui me fépare de vos fêtes !
Jamais ne verrai - je , grands Saints ,
Ces Diadêmes fur vos têtes ,
Que de fa propre main l'Eternel vous a ceints !
來
Mais votre voix fe fait entendre !
► Mortel , au bonheur des Elus
"
>
•
» Apprends que tes voeux fuperflus ,
» Sans efforts ne peuvent prétendre.
" .. Qui donc t'arrête ? . hâte toi :
» Armé de courage & de foi ,
» Marche , cours , vole fur nos traces
» Et fçache qu'aux Céleftes Choeurs ,
Les enfans d'Adam n'ont de places ,
Qu'à titre de foldats, d'athletes, de vainqueurs
來
C'en eft fait , & mon coeur docile
Se foumet à tout fans regret ;
Trop long- temps il fuivit l'attrait
Des faux biens , de l'honneur fragile.
Brifez-vous , fers injurieux ,
Fers , dont le poids impérieux ,
I. Vo!. Ciij Me
2602 MERCURE DE FRANCE
Me tenoit courbé vers la Terre.
Monde pervers , fens ennemis >
Je vous déclare à tous la guerre :
Qu'attendrois-je de vous quand le Ciel m'eft
promis.
J. F. FLEURIAU , de la Compagnie
de J fus.
REFLEXIONS fur ces paroles
d'Hippoctates , Aphorifme XXXIII.
Section II. In omni morbo mente valere
bonum eft ; contrarium vero malum.
Puifque Uifque nous voyons tous les jours
les moindres paffions de l'ame
occafionnent dans la fanté la mieux établie
mille dérangemens dangereux pour
la vie; pouvons- nous douter que la crainte
ou l'appréhenfion de mourir ne faſſe
de plus grands defordres dans un Malade?
Mais plutôt qui d'entre les hommes , le
plus intrépide même , lorſque le mal eſt
affez férieux , fe fent à l'abri des troubles
qu'une penſée fi affreuſe jette dans
tout le corps ? L'on ne doit donc point
refufer , pour peu que le bien des Malades
tienne à coeur , une attention particuliere
à ces mouvemens de l'ame qui
I. Vol. agiffent
DECEMBRE . 1730. 2603
3.
agiffent fi puiffamment à nos yeux , &
la faine pratique de Medecine ne fçauroit
les abandonner à eux- mêmes fans rendre
les meilleurs remedes de l'Art , ou inutiles
ou pernicieux dans leur ufage. C'eft fur
un fondement fi folide qu'on eft porté à
croire que la plupart des Maladies ne deviennent
ferieufes , intraitables même, que
parce que la crainte , l'abattement , la
frayeur & le defefpoir , font toujours aux
trouffes des pauvres Malades; & que la fermeté
en enleveroit un plus grand nombre à
la Parque, que les Remedes les plus fpecifi
ques,qui ne meritent pas fouvent un nom
fi impofant : de- là vient qu'on a tout fujet
de penfer que dans les moins dangereufes
maladies comme dans celles qui le font
veritablement , on épargneroit plus de
vies au genre humain , fi on s'attachoit
moins àdonner des remedes, qu'à raffures
l'efprit allarmé des Malades.
Pour le convaincre de ce que nous ve
nons d'avancer , il ne faut que jetter les
yeux fur ces mélancoliques hypocondriaques
, fujets à des prétendues vapeurs qui
ne reconnoiffent pour caufe que le vice
de leur imagination ; c'eft ainfi que nous
trouvons quelquefois dans notre pratique
de ces hommes que les biens & les honneurs
inondent de toutes parts , au milieu
des plaifirs , qu'une fanté parfaite-
Cij ment I. Vol.
2604 MERCURE DE FRANCE
&
ment bonne & vigoureufe laiffe gouter
paifiblement à la fleur de leur âge , tomber
tout à coup dans un abattement &
dans une langueur toujours funefte à la
vie , fe rendre infupportables aux autres ,
le devenir à eux mêmes , fe laiffer aller
à des contentions trop longues , à des afflictions
extrêmes ; en un mot , ſe montrer
le jouet de leur imagination par ces récits
ennuyeux des plus legeres circonftances
de leurs maux dont ils accablent ceux
qu'ils engagent férieufement à les entendre
. Des Malades de cette efpece peuventils
trouver du fecours dans l'adminiftration
des remedes , & ne feroit- ce pas pour
lors réfifter à l'experience qui apprend
conftamment au prix de la vie de ceux
qui la confient aux ignorans , que l'abattement
, la langueur de l'efprit , fe guerit
moins par l'ufage des remedes , que par
la diverfité des idées , les converfations ,
les Affemblées des perfonnes enjoüées ,
& fur tout par la fermeté ou le courage
que les bons Medecins ne manquent
jamais de préferer falutairement à tout
autre fecours ? d'ailleurs comme l'oifiveté
leur donne occafion de fe trop écouter
les exercices moderez du corps ne feroient
ils pas pour ces Malades un bon régime.
de vie ? peut être même que la reflexion
fuivante auroit affez de force pour
I. Vol.
préDECEMBRE
. 1730. 2605
prévenir & détourner la foibleffe de leur
imagination .
Il n'eft pas poffible que cette foule de
fonctions qui s'exercent par tant de differens
inftrumens dans une machine auffi délicate
que le corps
de l'homme
, ſe faffent
dans
la fanté
même
la plus
parfaite
d'une
égale
jufteffe
, puifque
tout
de même
que
dans
une
Montre
ou dans
des machines
femblables
le peu de folidité
de la matiere
dont
on conſtruit
les differentes
pieces
qui
les compofent
, les frottemens
des roues
de
leurs
arbres
qui
touchent
par
plufieurs
points
à des furfaces
jamais
planes
ou unies
;
en un mot,mille
caufes
, tant
internes
qu'externes
, font
de très- grands
obftacles
à la
perfection
de leurs
mouvemens
; de même
dans
le corps
humain
les roues
qu'on
y
découvre
, ou , pour
mieux
dire, les mouvemens
circulaires
, foit
dans
les folides
foit
dans
les liquides
, les leviers
, les puiffances
& leur
point
d'appui
, dans
le tems
que
tout
eft en jeu , fe trouvent
fujets
aux
mêmes
imperfections
que
les rouës
& les refforts
de la montre
en mouvement
;
& ces obftacles
font
d'autant
plus
fenfibles
à l'homme
,que
ceux
qui vivent
dans
une
fcrupuleufe
attention
fur
ce qui fe
pafle
au dedans
du corps
, ne fe croyent
malades
que
pour les trop
écouter
.
Si ceux qui fe montrent moins occupez
I. Vol. Cy dans
2606 MERCURE DE FRANCE
dans la pratique de Medecine à guerir
l'efprit,fouvent plus allarmé que le corps
n'eft malade , faifoient attention qu'on
doit toujours envifager dans un malade
la guérifon de deux maladies , dont la
violence ou la durée de tous les tems
qu'elles parcourent , fe répondent exactement
, & que chacune d'elles exige des
fecours differens , fuivant la fuperiorité
que l'une gagne fur l'autre , ils fe défabuferoient
avec plaifir de ce grand nombre
inutile ou meurtrier de remedes , que
Pandore a laiffé échaper , que l'avarice
fait employer , que l'honneur de la profeffion
défaprouve , & que la feule fermeté
dont les malades ont befoin ordi
nairement , ne permet jamais qu'on lui
préfere , fans reprocher les funeftes fuites
d'une fi injufte préférence à ceux qui ne
connoiffent point l'union ou la dépendance
mutuelle de ces deux fubftances qui
compofent l'homme.
Quoique l'union de l'ame avec le corps
doive plutôt paffer pour un fecret réfervé
à la Toute puiffance Divine , que pour
une connoiffance dûe aux plus profondes
recherches de l'efprit humain ; l'heureuſe
témerité des fçavans dans leurs découvertes
a fçû nous engager trop avant , pour
pouvoir nous difpenfer maintenant de
propofer nos conjectures . Cependant pour
I.Vol
AC
DECEMBRE . 1730. 2607
ne pas priver de leurs droits ceux qui pré
tendent en avoir fur cette queftion , nous
ne prendrons que ce qu'il nous faut pour
fatisfaire à notre projet.
Les Loix uniformes , & les raports réciproques
que l'Auteur de la nature a établis
dans l'union de l'ame & du corps ,
maintiennent ces deux fubftances dans
une dépendance mutuelle ; ce qui fait que
l'ame a des affections à l'occafion de certains
mouvemens du Corps, & que celui - ci
exécute des mouvemens , à l'occafion de
certaines affections de l'ame. La vivacité
de ces affections dépend de la violence des
impreffions, des objets externes fur les or
ganes du corps , & l'énergie de la puiffance
de l'ame fur le corps , de la vivacité
de fes affections; l'ame fera parconfequent
d'autant plus vivement affectée que le
.corps fera fortement émû; & le corps fera
d'autant plus puiffamment émû , que l'a
me fera vivement affectée ; le fentiment
interieur & l'expérience journaliere ne
nous permettent point de refufer notre
confentement à des véritez fi fenfibles &
fi connues.
C'eft à la faveur du genre nerveux que
les impreffions des objets externes fur les
organes du corps, d'où dépendent les fenfations
, fe tranfmettent dans le cerveau
jufqu'à l'origine des nerfs . C'eft auffi par
C vi I. Vol.
2608 MERCURE DE FRANCE
les mêmes voyes que les paffions de l'ame
agiffent fur la machine .
On peut donc regarder le genre nerveux
, comme un affemblage de petits
cordons difperfez par tout le corps ,
dans
un certain dégré de tenfion que la nature
leur a donné , réünis à la baze du crane ,
dans cet endroit du cerveau , qu'on nomme
moëlle allongée , & que nous appellerons
dans la fuite Emporeum. C'eft- là où
toutes les impreffions faites fur les organes
du corps aboutiffent , qu'on peut
placer le fiége des perceptions de l'âme.
Mais découvre-t- on dans cette parque
tie ? fi ce n'eft un tas de fibrilles fufceptibles
de vibration , capables de fe redreffer
& de fe remettre lorſque la cauſe
qui en a fait perdre la direction , ceſſe
d'agir ? Comment peut- il donc fe faire
que l'ame foit affectée dans les fenfations,
à l'occafion des impreffions faites par les
objets externes fur les organes
du corps ,
ou agir elle-même fur la machine dans,
les paffions ? une fubftance fpirituelle n'eftelle
point à l'abri des atteintes de la matiere
? Et celle - cy fouffrira-t- elle quelque
changement de la part de l'autre ? J'avouë
prefentement , que fi les fçavans fe
payoient moins de raifonnemens ingénieux
, que d'aveus finceres de la foibleffe
du génie , je n'aurois point de hon-
I.Vol
DECEMBRE . 1730. 2609
coup
te de la déclarer à des hommes dans cette
occafion , mais comme elles doivent beauà
la témérité des curieux , elles veulent
encore leur être plus redevables ; ) le
corps ne pouvant donc point agir materiellement
fur l'ame, ni l'ame fur le corps ,
il faut que le Créateur dans l'union de ces
deux fubftances , ait voulu , fuivant les
décrets immuables , qu'à l'occafion d'un
tel mouvement , où bien d'une vibration
plus ou moins forte des fibres de l'Emporeum
, l'ame fut plus ou moins vivement
ébranlée ; & qu'à l'occafion de certaines
perceptions de l'ame , il furvint à ces mêmes
fibres des vibrations dont la force
répondit exactement à la vivacité de ces
perceptions , pour lors le cordon de
nerf continu à la fibre vibrée , fera plus
ou moins tiraillé auffi-bien que les divifions
& les rameaux qui en partent, & qui
vont fe perdre dans les parties du corps.
Ainfi fuppofé maintenant que l'ame foit
vivement affectée ( comme il lui arrive
dans differentes paffions , mais fur tout
dans la crainte ou l'apprehenfion de mourir
) la vibration d'une , ou de plufieurs
fibres de l'Emporeum fera violente, le tiraillement
du cordon de nerf ne le fera
pas
moins, &fes filamens diviſez ,diſperſez dans
a machine , donneront bien - tôt des marques
tres- fenfibles de leur défordre , icy
L. Vol par
2610 MERCURE DE FRANCE
par la tenfion exceffive des membranes ,
par le retréciffement du diametre des
vaiffeaux dont les parois font devenuës
moins dociles aux caufes pulcifiques ; là,
par les douleurs infupportables , les convulfions
d'une ou de plufieurs parties , &
par l'état tonique qui fe prend au reffort
des folides ; d'où fuit le trouble, l'inégalité
de la circulation du fang , de la lymphe ,
leur féjour dans les chairs , ou dans les
vifceres qui s'enflamment , les fécretions
fufpendues , les coctions léfées , abolies
même ; enfin le bouleverfement de tout
le corps , qui fera toujours d'autant plus
puiffant fur les caufes de la vie , que le
moindre effet mentionné fuffit pour la
faire perdre.
il
Il ne fera pas difficile à prefent , de rendre
raifon des differens dégrez de dérangement
& de défordre , qui arrivent au
Corps humain ,à l'occafion des paffions de
l'ame , pour peu qu'on donne fes atten
tions à leur vivacité , à la difpofition des
fibres de l'Emporeum, & à l'état du corps
fain ou malade.
Nous avons déja vû que les affections
de l'ame occafionnent des vibrations dans
les fibres de l'Emporeum , fuivant donc le
different dégré de tenfion , de foupleffe
de rigidité , & de reffort , que la nature
feur a donné , elles font plus ou moins
I. Vol. vibraDECEMBRE
. 1730. 2611
vibratiles. Par exemple : Si l'ame eft vivement
affectée , la vibration que cette affection
occafionnera d'abord dans une ou
plufieurs fibres fera violente ; & fi les
fibres vibrées fe trouvent bien tenduës
naturellement , la force d'une telle fecouffe
produira un double effet. Il en eft à
peu près de même des autres qualitez ,
qu'on attribue à ces fibres qui varient
dans des fujets differens , par rapport au
fexe , à l'âge , au temperamment , & à la
maniere de vivre , & quelquefois dans le
même homme,à raifon de bien des circonftances,
mais fur tout de la frequence des
vibrations , d'où elles ont acquis la difpofition
d'obéir au moindre tremouffement.
Si les organes du corps fe trouvent
dans l'état le plus éloigné de la maladie ,
& que l'imagination ne foit que peu dérangée
, il eft clair que le corps n'en fera
pas fort incommodé ; delà vient qu'on'
voit une foule de mélancoliques , fe
porter d'ailleurs le mieux du monde ;
mais fi dans ce cas l'imagination eft conſiderablement
détraquée, le corps s'appro
chera pour lors de l'état malade , à proportion
que le dérangemeut de l'efprit
fera grand ; je crois même , que ce ne
feroit point fans fondement , fil'on avançoit
que l'imagination vivement frappée
de trifteffe , de crainte , &c . a affez de
I. Vol.
pou2612
MERCURE DE FRANCE
pouvoir fur la machine , pour en occafionner
la ruine.
Si dans un corps peu malade , l'imagination
n'eft que peu allarmée ; ces deux
maladies enſemble ne font point à crain
dre , on s'en releve facilement ; mais fi
dans ce même cas , l'ame eft fortement
agitée , le trouble dans la Machine fera
très -dangereux ; on voit bien fouvent des
malades guériffables par la nature du
mal , devenir incurables , fe défefpérer &
périr malheureuſement par la préférence
qu'on a fait des remedes quelquefois fort
violens , à cette fermeté dont le retour de
la fanté ne pouvoit fe paffer fans la perte
de la vie.
Enfin fi l'imagination & le corps font
tres dérangez , dans un pareil cas le malade
fera défefpéré , pour peu qu'on néglige
de lui donner du courage , ouqu'on
fe ferve des remedes qui le tour
mentent trop.
On voit par toute cetteThéorie que dans
le concours de ces cauſes , l'ame doit agir
fur la Machine , avec un pouvoir inſurmontable
, dont les effets feront par conféquent
très -funeftes.
On reconnoît encore d'où vient que
certaines perfonnes font plus fufceptibles
de chagrin , de trifteffe , d'abattement
de crainte & de defefpoir que bien d'au-
1. Vol. tres
DECEMBRE . 1730. 2613
tres , & en reffentent de plus grands maux
dans l'ufage de la vie.
Puifqu'on ne fçauroit à prefent difconvenir
que la trifteffe & la langueur de
l'efprit, ne dérangent confidérablement la
fanté la plus affurée , & que la crainte &
l'apprehenfion de mourir n'occafionne de
nouveaux défordres dans un malade ;
n'a- t-on pas raifon de penfer que les malades
auroient moins de mal s'ils avoient
moins de peur ? In omni morbo mente valere
bonum eft , contrarium verò malum.
C'eft fur ce principe de la veritable
Médecine , où tout ce que l'avarice de
l'homme a de plus haïffable , & de plus
dangereux dans les moyens qu'elle offre
pour affouvir le défir de groffir fes richeffes
, n'a aucune part , que nous avons
prétendu faire voir :
Premierement , que les gens de notre profeffion
moins ambitieux des biens que jaloux
de leur honneur , doivent s'attirer
des malades de la confiance, plutôt par une
jufte réputation que par une effronterie
odieufe , qui ne peut tourner qu'à leur
confuſion & au malheur de ceux qui ne
diftinguant point le vrai mérite , apprennent
par leur mort violente , à des héritiers
à ne pas les fuivre dans leur funefte
choix .
Secondement , que
I. Vol.
dans les maladies férieu2614
MERCURE DE FRANCE
rieuſes , où les malades craignent fort
pour leur vie , la préfence fréquente ,
mais jamais importune , du Medecin de
confiance , eft plus falutaire qu'un grand
appareil de remedes .
3mt, Et qu'ainfi on ne doit pas faire dif
Aculté de bannir , de retrancher de la
Médecine un grand nombre de remedes ,
non feulement comme inutiles , mais encore
comme très - pernicieux , & le malade
fera guéri pour lors à moins de frais &
plus furement.
Enfin , qu'on n'a confulté , dans le def
fein de mettre au jour ce petit Ouvrage ,
que l'honneur de la profeffion , & le verible
bien des malades.
Par G B. Barrés , de Pezenas , Docteur
en Médecine, de la Faculté de Montpellier.
お肉のよ。
A MONSIEUR M. D. M.
B O V QV E T.
I Lluftre & cher ami , c'eft aujourd'hui ta fête ;
Faudra - t - il feulement la chomer dans nos
coeurs ?
A célébrer ce jour il faut que je m'apprête ;
Mais je ne puis t'offrir que des vers ou des
Aeurs.
1. Vola L'Amante
DECEMBRE . 1730. 2615
L'Amante de Zéphire accorde à ma requête
Ce qu'elle a de plus beau dans fes jardins charmans
;
Aufſi -tôt Apollon m'arrête :
Pourquoi , dit - il , des fleurs laiffe - les aux
Amans ;
Leur éclat eft fujet à l'empire du temps ;
Mes Lauriers immortels doivent orner la tête,
Et des Héros & des Sçavans.
Grand Apollon que je révére ,
Plus que la Déité qu'on adore à Cythére
;
Inſpirez moi done en ce jour ,
Des Vers dignes de vous , & dignes de M.... our
As-tu fur le Parnaffe acquis affez de gloire ?
M'a répondu , le Dieu de l'Hélicon
Pour chanter dignement un nom ,
Que j'ai gravé moi-même au Temple de Mé
moire
Tes foins deviendroient fuperflus ;
Contente- toy d'admirer fes ouvrages ,
Ingénieux , galans & fages ;
Car enfin il n'eſt point de ces Sçavans en Us
Difcoureurs ennuyeux , & pédans infipides ,
Dont les Graces jamais n'éclairciffent les rides.
Il fait fouvent fa cour à Minerve , à Venus ,
Et dans l'un & dans l'autre empire
On le recherche , on le défire.
I. Vol. Les
2616 MERCURE DE FRANCE
Les Mufes mieux que toy publieront ſes vertus.
Ami , pour n'être téЛnéraire ,
Il faut donc en fecret te louer & me taire
Souffre au moins
efprit ,
que mon coeur acquitte mon
Et qu'il te rendre un légitime hommage ,
Un coeur fincere te fuffit .
Le mien du moins a l'avantage ,
De fentir toujours ce qu'il dit.
PONCY DE NEUVILLE.
EXTRAIT d'une Lettre de Bourgogne
fur le Journal de Paris fous les Regnes de
Charles VI. & Charles VII.
L
E Journal des évenemens arrivés d
Paris fous les Regnes de Charles VI.
& de Charles VII . qui a paru depuis quelques
mois , n'eft pas , Monfieur , de ces
monumens dans lefquels on doive envifager
le ftile. Il n'y a que les faits & les
ufages du fiecle auquel il a été écrit qu'on
puiffe y confiderer avec quelque fatisfaction.
Le langage , quoiqu'ancien , ne l'eft
pas afſez pour fournir beaucoup dequoi
profiter à ceux qui recherchent les origines
de notre Langue. Je ne difcon-
I. Vol.
viendrai
DECEMBRE. 1730. 2617
}
viendrai point cependant qu'on ne puiffe
y trouver dequoi faire encore des Remarques
importantes par rapport à la Langue
Françoile ; mais le principal fruit que je
recueille de la lecture de ces fortes de Mémoires
eft d'y apprendre les Coûtumes
de nos Peres. Il feroit à fouhaiter que
nous euffions un détail auffi ſpecifié des
Régnes précedens : combien ne fçaurions
nous pas de chofes fur lefquelles nous
n'ofons parler que d'une maniere trèsincertaine
?
Le morceau qui eft joint à ce Journal ,
& qui nous repréſente une lifte des Officiers
des Ducs de Bourgogne , étant tiré
de la Chambre des Comptes de Dijon,
eft un bel exemple qu'on donne aux Archiviftes
des autres Chambres des Comptes
& de pareils dépots pour les engager
à enrichir le public de ſemblables détails
qui tous réunis enſemble contribueroient
à former une Hiftoire de France parfaite,
ou au moins plus circonftanciée qu'on
ne l'a cue encore jufqu'ici . C'eft une obligation
infigne que la Bourgogne a à l'Editeur
,d'avoir non-feulement rendu publique
cette lifte , mais encore de l'avoir augmentée
de Notes curieufes & très- inftructives
, & on lui feroit encore plus redevable
s'il en eut fait autant par rapport
au Journal de Paris.
1. Vol.
2618 MERCURE DE FRANCE
Si cet Editeur n'étoit pas décedé dans
le tems de l'impreffion de fon Ouvrage
on auroit pris la liberté de lui demander
quelques éclairciffemens fur certains endroits
de ce Journal , & il auroit pû nous
fatisfaire , en recourant à fon original ou
à celui fur lequel fon Manufcrit a été rédigé.
Un des endroits qui paroiffent exiger
quelque correction eft dans l'un des
Item de la page 200. à l'an 1444. on y
lit ce qui fuit : Item , en icelui tems vint
ung jeune Cordelier à Paris de la nation de
Troyes en Champagne ou d'environ , petit
homme trés-doux regard , & avoit un nommé
Jehan Crete , aagé de vingt & ung an
on environ , lequel fut tenu à ung
leurs prefcheurs qui oncques eut été à Paris
depuis cent ans. On diroit à ce langage
le Cordelier & Jehan Crete feroient
que
des meil
deux perfonnages differens ; cependant
il y a toute apparence que c'eft le même,
& le fens du Difcours paroît demander
que
cela foit ainsi , enforte qu'au lieu de
dire & avoit un nommé Jehan Crete , il
faut fans doute lire & avoit nom Jehan
Crete , ou bien & étoit nommé Jehan Crete.
Je me fuis fouvenu en lifant cet Article
du Journal que j'avois vû ce nom dans
un des Comptes de notre Ville parmi
les langues difertes du quinziéme fiecle ,
& en effet j'y ai trouvé cet éclairciffement
1. Vol.
dans
DECEMBRE. 1730. 2619
tons ,
dans le compte de Jean Vivien , à l'an
1452. au 27. Juin. A Frere Jehan Crete ,
Frere Mineur , Docteur en Théologie , cent
dix fols , pour ce qu'il a fejourné à Auxerre
quinze jours , durant lequel tems il a chacun
jour prefchié & fermoné pour toujours induire
le peuple à bien faire. Il n'y a point d'accent
fur les voyeles de fon nom , parcequ'alors
l'ufage n'étoit pas d'en mettre ;
mais il y a lieu de croire que ce nom devoit
être terminé par un é accentué , comme
on le prononce encore dans nos Cand'où
probablement ce Cordelier
étoit natif , c'est- à - dire d'entre Troyes &
Auxerre. Je ne m'arrête point à vous faire
remarquer que dans la Table de l'Edition
de ce Journal ce Religieux eft appellé
Jehan de Crete ; le de eft de la pure
liberalité de la perfonne qui a compofé
cette Table , & perfonne n'ambitionne
de fe dire originaire , encore moins natif
d'une Ifle que l'Apôtre a fi bien caracterifée
après les Auteurs Payens. Ceci , au
refte , n'eft qu'une minutie que vous ne
communiquerez qu'autant que vous le
jugerez à propos à celui qui a fuccedé à
l'Editeur du Livre dans la conduite de
l'impreffion .
Je n'acheve point la teneur de l'Article
dans lequel parmi les preuves de réminent
fçavoir de ce Francifcain , il eft
I. Vol.
dit
2620 MERCURE DE FRANCE
dit qu'il poffedoit toute la Legende dorée.
C'étoit alors le Livre favori , & on pouvoit
en débiter les fables fans crainte d'ê
tre critiqué. Heureux le fiecle où l'on
nous a appris à revenir de toutes ces fimplicités
; vous fçavez que c'eſt l'immenfe
travail commencé par le Pere Papebroch ,
Jefuite, & continué par d'autres Ecrivains
de fa Compagnie , qui a mis tous les Sçavans
en train de dérouiller les Legendes
qui avoient befoin de l'être , & de purger
les Hiftoires des Saints de quantité de
traits inventés à plaifir , & ajoûtés après
coup. &c.
Ce 21. Decembre 1729 .
XXXXXX: X: XXXXX : XXX
O
VERS
A M. de Fontenelle.
Vous qui fçavez tout , modefte Fontenelle
Vous qui poffedez tous les tons
> De qui la veine ou la cervelle
Quand il vous plaît , égale celle
Des Virgiles ou des Newtons ,
Vous ignorez peut - être un trait à votre hiftoire.
Je voudrois vous le reciter ,
Et par bonheur je n'ai besoin que de mémoire ,
I. Vol.
Car
DECE MBRE. 1730. 262
Car je ne dois que répeter :
Tout au plus j'y fournis la rime ,
Mais pas le moindre coup de lime.
Certain Sçavant du Nord, à la grande Cité,
Uniquement pour vous entreprit un voyage ;
Vous avez maintes fois reçû pareil hommage ,
Sans en tirer de vanité ;
Auffi n'eft- ce pas la nouvelle
Que je veux vous apprendre ici ;
Mais de grace écoutez ceci.
Il arrive à Paris . Où loge Fontenelle ?
Dit- il , dès la Barriere au Commis qui l'ouvroit
Le Commis n'en fçait rien ; le Sçavant le qued
relle :
Surpris il croit qu'on le lui céle ,
Et penfoit qu'à Paris aucun ne l'ignoroit,
Voilà le fait tel qu'on l'a dit
Devant un Prince ( a ) en qui l'efprit ,
Heureux préfent de la Nature ,
Couronne mille autres beaux dons ;
11 dit de l'étranger qu'étonna l'avanture :
*Il nous louoit bien plus que nous ne méritons,
S. A. S. M. le Comte de Clermont,
1. Vol.
D LET
2622 MERCURE
DE FRANCE
おの
LETTRE écrite d'Aix le 30 .
Septembre 1730.
A prédilection , Monfieur , que j'ai
Ltoujours eue pour l'Ode du fecond euë
Livre d'Horace , qui commence par ces
mots Ehen ! fugaces & c. m'a fait lire avec
plaifir dans votre Mercure du mois de
Mars dernier l'Imitation qu'en a faite
M. Moreau de Mantour ; j'écrivis là- deffus
à M.le Marquis d'Eftrozzi de Margon,
avec lequel je fuis en relation de Belles-
Lettres depuis quelque- tems , pour fçavoir
fon fentiment fur cette Traduction,
le priant en même - tems d'avoir la complaifance
de m'en envoyer une de fa façon
en Vers François : la voici ; il fera
peut-être fâché que je la rende publique;
mais fi elle eft digne de votre approbation
, & d'être mife dans votre Mercure;
votre fuffrage me fera un motif fuffifant
calmer fon mécontentement envers
pour
moi . J'ai l'honneur d'être très parfaite
ment &c.
C. D. R.
TRA.
1. Vol
DECEMBRE . 1730. 2623
TRADUCTION
D'une Ode d'Horace :
Eheu ! fugaces , pofthume , pofthume
Labuntur anni & c.
LEE tems fuit , l'âge nous preffe
Il s'écoule à tout moment ;
A la mort , à la vieilleffe
On court fans retardement.
Qu'à Pluton on facrifie
Trois cent victimes par jour ;
Pour Geryon , pour Titye ,
Pour tous il eſt ſans retour.
Tout ce qui vit & reſpire ,
Riches , Pauvres , Bergers , Rois ,
Vers fon tenebreux Empire
Doit naviger une fois.
C'eſt en vain qu'on fuit Bellone }
Le Dieu des Mers irrité ,
Et qu'on craint le vent d'Automne
Si nuifible à la fanté.
Il faut voir le noir Cocite ,
Le cours errant de feseaux ,
I, Vol. Dij
Do
2624 MERCURE DE FRANCE
Des Soeurs la race maudite ,
De Sifyphe les travaux .
On perd tout fur cette rive ,
Femme , maiſons , quels regrets !
Des Arbres que l'on cultive
Rien ne fuit que le cyprès.
Nos heritiers feront gloire
De diffiper tous nos vins ,
Ces vins qu'on ne devoit boire
Que dans les plus grands feftins.
XXXXXXX )
LETTRE écrite aux Auteurs du Mercure
, au fujet des anciens Réglemens fur
les habits & fur la dépense de bouche
dont il eft fait mention dans le Mercure
de Septembre 1730,
E Public doit vous fçavoir gré
Meffieurs , de ce qu'à l'occafion des
modes actuellement en ufage dans les
habillemens , vous lui faites part des Reglemens
quefirent autrefois les Rois Henri
II. & Charles IX. pour reprimer le
luxe qui regnoit de leur tems , & pour
empêcher que les conditions & differens
I. Vol,
Etats
DECEMBRE. 1736. 2623
Etats ne fuflent confondus ; ce font des
Ordonnances qui ne fçauroient être trop
connues dans notre fiecle. En paffant
yous déclarez affez votre fentiment fur
les paniers des Dames , & vous l'aviez
déja fait en 1728. mais le petit coup que
vous leur donnez ne fera jamais capable
de les faire tomber . Il en fera comme de
ces eaux qui s'enflent à mesure qu'on les
frappe peut-être auffi qu'à force de s'enfler
il leur arrivera la même choſe qu'à
la Grenouille de la Fable ; il n'en faut
pas tout à fait defefperer.
On voit une infinité d'anciennes repréfentations
de Dames & de Demoiselles
aux vitrages des Eglifes & dans les Tapifferies
gothiques de deux à trois censt
ans ; mais je ne crois pas qu'il s'y en tronve
aucune habillée de la maniere dont eft
celle que vous avez fait graver . Une chofe
qui doit embaraffer ceux qui écrivent
en Latin l'Hiftoire des François & de
leurs ufages , eft le terme qu'ils employeront
pour fignifier cette forte d'habillement.
En vain le chercheroient- ils dans
les Ecrivains du fiecle d'Augufte. Je le
leur donne même à choisir parmi les quatre
cent mots ou environ que le Gloffaire
de la moyenne & bafle Latinité
rapporte à l'article de re veftiaria ; on
croit quelquefois avoir trouvé le mot
D iij fpe- 1. Vol
2626 MERCURE DE FRANCE
Specifique , & lorfque l'on a recours au
paffage d'où il eft tiré , on découvre que
ce qu'on prenoit pour un habit de femme
eft un habit d'homme . C'est ce que
j'ai reconnu au mot jupa qui m'avoit
frappé. En effet plufieurs perfonnes foutiennent
que les habits des hommes ont
été autrefois bien plus variés , plus amples
& plus fuperbes qu'ils ne font communément
, & que le luxe n'eft refté que
dans ceux des femmes. Permettez encore
M M. qu'à l'occafion de ce Catalogue
des anciens habits je vous dife ce qui m'eft
venu en penſée ; il ne feroit peut - être
pas inutile qu'à mesure que vous ferez
préfent au Public d'une nouvelle Eftampe
des modes courantes , quelqu'un d'entre
vous y ajoutât,pour la fatisfaction de ceux
qui font plus curieux des chofes paffées
que des prefentes , un petit éclairciffement
fur ces anciens habillemens ; la matiere
pourroit quelquefois réjouir les efprits
les plus mélancoliques . Pour moi ,
qui ne fuis pas moins curieux de connoître
les Reglemens qui ont été faits
pour moderer la dépenfe de la table que
ceux qui répriment le luxe des habits ou
qui en aboliffent certaines formes , je
fouhaiterois auffi très fort en voir une
compilation imprimée au bout de notre
Apicius François , ce feroit là fa place
I. Vol. naturelle
DECEMBRE . 1730. 2627
naturelle ; vous comprenez de quel Livre
je veux parler. Ce qui a irrité ma curio
fité fur cet article c'eft la lecture que je
viens de faire par hazard d'une Ordonnance
du Roi Philippe le Hardi de l'an
279. émanée à Paris dans fon Lit de
Juſtice , & rapportée en ces termes par
la Chronique de Rouen donnée par le
Pere Labbe : Statutum fuit in Parlamento
Parifiis à Domino Rege Philippo , & ejus
Baronibus , quod nullus poffit dare in fuo
convivio cum potagio præter duo fercula cum
quodam interferculo : & fuit poena appofita
contra omnes fuper hoc delinquentes. Voilà
un Reglement pour tous les Sujets du
Roi , défenſe d'avoir avec le potage au
delà de deux plats , avec un plat d'entremets.
La même défenſe fut réïterée
aux Gens d'Eglife dans un Concile de
Rheims au bout de quelques années ,
encore n'y eft il point fait mention d'entremets
: Statuimus , dit le Canon 5. de
ce Concile tenu en 1304. ut omnes &fingala
perfona Ecclefiaftica Remenfis Provin
cia in fingulis conviviis fint contente potagio
& duobus ferculis , nifi magnitudo perfonarumfupervenientium
aliud requirat. J'ai
traduit le mot ferculum par celui de plat ,
& je ne crois pas qu'on puiffe l'entendre
autrement , parceque s'il falloit rendre
mot par celui de fervice , le Roi ni le
I. Vol. D iiij Conr
2628 MERCURE DE FRANCE
Concile n'auroient pas impofé une grande
mortification en ordonnant de fe contenter
de trois fervices dans chaque repas,
puifqu'à chacun des trois fervices on peut
mettre cinq , fix , dix , douze , quinze
& vingt plats differens. Je fuis & c.
**
V
LA
Ce 13. Novembre 1730.
XXXX* X *XX***
JEUNESSE,
O D E.
Ers le Parnaffe un doux penchant m'en
traîne ;
Mon coeur brule d'un feu nouveau ;
Apollon vient m'ouvrir la veine :
Pour feconder un feu fi beau ,
Je ne demande point cet efprit emphatique
Ces mots dont font enflez mille ouvrages divers,
Je ne veux qu'être véridique ;
C'eſt un rare agrément dans un faifeur de vers.
O mortels ! apprenez le fujet qui m'inſpire ;
Un feul , digne de moy , vient s'offrir à mes
yeux :
C'est la Jeuneffe ; ſon délire ,
Pour exercer ma mufe en un champ ſpacieux ;
1. Vola
J'entre
DECEMBRE . 1730. 2629
J'entreprens de prouver , jeuneffe trop aimables
Que tes plus finceres faveurs
Deviennent pour nous tous une fource effroya
ble ,
Des plus affreux malheurs,
Quelle eft cette mer orageufe ,
Qui fe prefente à mes regards ?
Les flots d'une onde impetueufe
M'environnent de toutes parts.
Ciel ! par
même ,
où me ſauver ? ... je me livre moi
Aux périls les plus éminens'::
'Ainfi pour les humains c'eſt une loy fuprême ,
Qu'ils foient de tous leurs maux les premiers
inftrumens..
Cette mer agitée eſt l'état où nous ſommes
Quand les vices en foule affailliffent nos coeurs
Les paffions font pour les hommes ,
Ce que les flots font pour les voyageurs.
En fuyant les Rochers , celebres en nauffrages ,
Le Voyageur fouvent évite le trépas ;
L'homme , au contraire , obéit à l'orage ,
Et parmi les écueils précipite fes pas.
Ce n'eft point l'enfance timide
Que je décrie en mes difcours ;;
Ir Volu Dy Cif
2630 MERCURE DE FRANCE
C'eft la jeuneffe qui pour guide
'Aime les paffions qui la flattent toujours ,
Qui dans une molleffe entiere
Laiffant couler le temps qui fuit ',
Trouve le repentir au bout de la carriere :
Du temps perdu , c'eft tout le fruit .
L'homme mene d'abord une vie innocente ;
L'enfance dans fon coeur n'excite aucuns défirs
L'âge fait naître en lui cette ardeur pétulante ,
Qui l'entraîne vers les plaifirs :
La vieilleffe paroît, les jeux prennent la fuite,
A ces mêmes plaiſirs il ſe voit arraché ,
Et fouffre avec regret que le peché le quitte ,
Ne pouvant le réfoudre à quitter le peché.
A d'auffi grands dangers l'expofe le jeune
âge ,
Venus s'empare de fon coeur ,
Le conduit à fa perte ; un honteux efclavage ,
Souvent devient pour lui le comble du malheur
Et comment pourroit - il éviter les difgraces,
Qui font le prix de fes emportemens ,
Puifque du vice il fuit les traces
Il en doit éprouver les juftes châtimens.
O toy , dont on chérit l'aimable joüiffance r
Toy, dont on vante les douceurs !
I. Vol.
Jeuneffe
DECEMBRE. 1730. 2631
Jeuneffe , je veux mettre en la même balance ,
Tes défagrémens , tes faveurs.
Mais que vois-je ..... les maux dont tu nous
rends la proye ,
Surpaffent de beaucoup tes plus charmans at
traits :
Ah ! que ne pouvons-nous te poffeder fans
joye ,
Pour épargner un jour d'inutiles regrets.
XXXXXXXX
DISCOURS fur ces paroles Le
vice lui-même eft forcé de rendre hom
à la vertu.
mage
Left fi beau d'être vertueux , & la
I droite raifon trouve la vertu fi conforme
à fes premieres idées , qu'il n'y a
pas de quoi s'étonner fi les hommes dans
Tous les âges ont, à l'envi , fouhaité ou affecté
d'être vertueux , & s'ils ont accor
dé à la vertu les plus grands éloges..
L'amour de l'eftime & de la gloire, qui
remue avec tant d'empire & de fuccès les
refforts du coeur de l'homme , l'a toujours
déterminé à chercher fa véritable
grandeur dans le fein de la vertu , où
d'un Phantôme qu'il a pris pour elle.
Dvj Peut I.Vol
2632 MERCURE DE FRANCE
Peut- être que ces hommages confondus
avec les intérêts de l'amour propre , ne:
furent pas affez purs ; mais quoique la
vertu pût en reprouver les intentions
& les motifs , ils ont fervi à publier &
à étendre fa gloire.
i
L'Univers entier a confpiré à relever
fon excellence ; & ceux qui ont ignoré
Dieu même , fe font fait un merite de
la connoître & de la pratiquer.
Les Sages , les Philofophes , les Poë
tes , les Orateurs , les Guerriers & les Politiques
, tous ont voulu être du nombre
de fes amis. Les Arts & les Sciences ont
épuisé leurs talens , ont employé leurs
plus belles couleurs pour la peindre dans
tout fon éclat . Au milieu de tant de
gloire & d'honneur acquis à la vertu , ce
qui la diſtingue effentiellement , c'eſt de
n'avoir jamais trouvé d'autre ennemi que
le vice. Soit envie , chagrin , ou confufion
de la part de cet ennemi , l'oppofi
tion qui regne entre l'aimable vertu , &
ce monftre hydeux fera toujours une
fource de guerre : mais telle eft la fin de
Piniquité , elle fe dément elle- même , &
les traits injurieux du vice ne fervent
qu'à relever la vertu. C'eft ainfi que
contre fon intention il forme , façonne ,
embélit de ces propres mains la Cou
ronne dont il doit ceindre fa tête . Plus-
1. Vola il
DECEMBRE. 1730 : 3633
tâche à la déprifer , plus il la rend aimable
& précieufe , fes fatyres , & fes
dédains font pour elle un Panégyrique.
Ecoutons- le parler , pénétrons fes fentimens
, étudions fes démarches , nous le
verrons par tout forcé de rendre hom
mage à la vertu..
Il n'y a qu'à fe déprévenir , qu'à fixer
le veritable fens , & la valeur des expreffions
dont le vice fe fert pour dégrader
la vertu : Si nous les examinons de près ,
nous trouverons qu'au fond ces vaines
déclamations ne portent que fur l'erreur
& l'aveuglement , qui eft l'apanage du
vice. Ingénieux à fe féduire , il fe forme:
de foles chimeres qu'il prend plaifir à
combattre ; ainfi rehauffe t- il d'autant
plus l'éclatde la veritable vertu , qu'il s'ef
force de groffir les traits dont il peint ces
monftres difformes , qu'il voudroit con--
fondre avec elle. Aveugle , s'il ne peut entierement
fe cacher à fa vive lumiere , il
en détourne ce refte de vûë ; & cherchant
ailleurs les feules apparences de la vertu ,
il penfe triompher , s'il en montre le
vuide. Funefte illufion ! Que n'eft- il per--
mis à l'humble vertu de vaincre fa mo
deftie , elle triompheróit bien glorieufement
à fon tour de cet ennemi obſtiné
à lui nuire : mais il eft une victoire , qui
lui eft plus chere. Bien - tôt cet ennemi
Is-Kobo avouera
1634 MERCURE DE FRANCE
;
avouëra fa défaite, & fera forcé de préparer
le fuperbe Triomphe où il fera traîné
captif. En effet , il fe combat lui -même
& releve la vertu par où il femble voufoir
la détruire.
Il n'apperçoit pas , dit- il , de vraie vertu,
ce ne font que des apparences vaines, une
imitation frivole , un foible crayon qu'il
découvre , au lieu de ce parfait original ;
de cette réalité effective qu'il fe croyoit
en droit de trouver. Qu'if combatte tant
qu'il voudra ces apparences frivoles, qu'il
démafque cette imitation hipocrite , qu'il
confonde ce crayon imparfait. Qu'a- t'elle
à craindre , l'innocente vertu ou plutôt
qu'elle gloire pour elle ; que fon ennemi
apprenne aux hommes à reconnoître fes
véritables traits : & à la diftinguer de ces
phantômes qui ne lui reflemblent que
pour la trahir ! Non le vice ne l'attaque
point ouvertement ; il y auroit trop à
perdre pour lui , & trop de honte à ´effuyer
, de combatre à vifage découvert
contre la vertu , elle qui eft feule aimable
, & qui merite d'être adorée de toute
la terre.
Les combats qu'il lui livre font bien
differens des combats ordinaires. C'eft
par fes éloges qu'il l'attaque , c'est par
les portraits outrez & chimériques qu'il
en fait , qu'il veut l'élever au deffus de la
I. Vol
portée
DECEMBRE. 1730. 2635
portée des hommes , & dégouter ainfi de
fa fuivre fes amis les plus paffionez.
Envain cette fille du ciel vient- elle habiter
parmi les hommes : envain ſe montre-
t- elle avec cette majefté , cette grandeur
, cette nobleffe qui lui eft propre::
envain vient elle étaler aux yeux des
mortels , cette heureufe fimplicité, cette
innocence pure , ce défintereffement genereux
, toutes les qualitez qui forment
fon caractere ; fi elle ne paroît feule , le
vice , par les impoftures , s'atttibuë tout
fon mérite ,
, pour faire difparoitre à nos
yeux fes attraits raviffans.
Ne craignons pas pourtant qu'il lui
faffe du tort ; il ne la méconnoit qu'à
force d'en relever le mérite , & d'en concevoir
de brillantes idées. Conduite , à la
verité , injurieuſe à l'homme vertueux ,
mais toujours glorieufe à la vertu ; il veut
qu'elle foit fans deffaut , qu'elle brille de
toutes parts ,fans obfcurité , fans nuage ;
c'eft peut-être le feul endroit , par où le
vice entretient encore quelque commerce
avec la verité & la lumiere. Il a fauvé du
naufrage de toutes les idées du jufte & du
vrai la feule notion de l'integrité de la
vertu ; refte bien honorable pour elle.
Livrons lui donc fans crainte les
deffauts des hommes vertueux ; avouons
lui , s'il le faut , que malgré leurs efforts,
I.Vol.
ils
2636 MERCURE DE FRANCE
Ils ne peuvent point fe garantir de quelqu'une
de fes atteintes. Nous fçaurons
Bien-tôt les deffendré de ces réproches ;
mais qu'il foit forcé , ce perfécuteur in
jufte , de rendre hommage à la vraie
vertu , dont les deffauts des hommes ne
fçauroient jamais ternir l'éclat nila beauté.
Que dis-je , ne le rend- il pas cet hom-.
mage ? & puifque par tout où il recon →
noit fon empire , il dédaigne de retrouver
la vertu . N'avoue- t-il pas qu'elle lui
eft toujours contraire , & que l'augufte'
privilege dont elle joüit , c'eſt de ne pouvoir
jamais fouffrir aucun commerce , ni
aucune liaiſon avec lui.
Pénétrons encore'fes fentimens en faveur
de la vertu ; ils vont plus loin que
fes paroles ; & cet hommage , tout muet
qu'il eft , ne releve pas ſeulement la verta ,
il honore encore infiniment les hommes
vertueux .
Faifons au vice , pour un inftant , la
plus grande grace que nous puiffions lui
faire ; donnons- lui un peu de bonne foi
& de candeur. Qu'il mette au jour fes
fentimens les plus intimes. Amateurs de
la vertu , voici votre éloge , & un éloge
qui n'eft point flaté . Déja j'apperçois au
fond de fon coeur ce fentiment gravé en¹
caracteres inéfaçables : VOUS ESTES PLUS
JUSTE QUE MOY. La haine , le dépit , l'en--
J. Volo vie
DECEMBRE. 1730. 2637
vie , la jaloufie , n'ont pû étouffer ce cri
interieur. Qu'il eft doux à la vertu & à
fes Partifans , de trouver dans le fein du
vice , de quoi le faire rougir , & fans infulter
à fon impuiffante malice , de quoi
le confondre par un fimple regard.
,
Telle eft cependant la fituation du vice
& de fes efclaves , ils ont beau affecter une
contenance affurée un air content &
tranquille ; on les approfondit , & plus
on les penetre, plus on découvre que s'ils
font capables de tromper, ils ne trompent
pas long- temps , leur gêne & leur contrainte
les trahit.
Paroiffes ici , hommes vicieux , & fouf
frez qu'on voye ce qui fe paffe dans le
fond de votre ame. Eft -il vrai que vous
n'eftimés pas la vertu , & que fes Amateurs
font l'objet de vos mépris , comme
ils le font quelquefois
de vos railleries &
de vos infultes Sçavez -vous bien accor
der vos fentimens
avec vos difcours ?
Quelle contradiction
étrange ! Ils fe fati
guent , ils fuent , ils s'expofent , fe facrifient
pour leurs paffions ; fouvent tout les
contredit , & jamais rien ne les rebute ;
chargés de mille chaînes qui les captivent,
ils perdentleur liberté : n'importe ; habiles
à charmer leur aveugle fureur , ils lui
donnent les noms les plus honorables
;
habileté , grandeur d'ame , nobleffe de
I Vol . coeur
2638 MERCURE DE FRANCÉ
coeur ; eft-il rien qui l'égale ! Mais qu'it
eft douloureux pour eux de ne pouvoir
faire taire une voix importune & fecrete
qui leur rappelle les charmes de l'aima-
Ble vertu, de cette précieuſe indépendan→
ce que la feule vertu donne ! On peut
s'agiter , s'étourdir , détourner les yeux
de ce port , d'où l'on s'eft éloigné par
une fole & aveugle conduite ; mais malgré
foy le coeur y rappelle : tels que dans
ces torrens rapides qui ravagent tout ce
qui s'oppofe à leur courſe , on voit fe
former des tourbillons , où les eaux fe
tournant vers leur fource , femblent fe
repentir de leur violence & porter envie
à la noble tranquillité de ces Fleuves bien
faifants & paifibles , qui répandent par
tout & la fertilité & l'abondance.
L'ambitieux , efclave de fa fortune , facrifie
inutilemment à cette Divinité inconſtante
& aveugle , fon repos & fa vie .
Que ne va-t'il chercher dans la modération
de la vertu , un bonheur qu'il cherche
vainement ailleurs ? bonheur qu'il
apperçoit , qu'il eftime , qu'il honore &
qu'il ne peut fe déterminer de gouter en
paix.
Trifte condition de l'homme vicieux !
toujours contraint de fe fuir lui- même,
d'être toujours en guerre avec fa propre
confcience , & de n'en pouvoir fouf-
I. Vol. frir
DECEMBRE. 1730. 2639
frir le regard critique. C'eft l'hommage
le plus honorable que le vice puiffe fendre
à la vertu , qui en tout bien differente
de lui , s'enveloppe de fon propre mérite ,
& fans courir de dangers , ni effuyer de
fatigues , fans traverſer les mers , ni franchir
les montagnes pour acquerir du relief
, pour fixer fur elle les regards des
hommes , fçait captiver leur eftime ; &
par la même force le vice à fe revêtir
du moins de fes apparences pour fe fau
ver de l'opprobre qui lui eft dû.
Hommage public & intereffant pour
elle. Oui , le vice dont le pouvoir eſt ſi
étendu & fi defpotique , emprunte les
dehors & les démarches de la vertu pour
affermir fon empire.
Ici naît le penible embarras où nous
nous trouvons , lorfqu'il s'agit de diftin
guer au vrai la vertu folide du vice tra
vefti. Tout est égal à nos yeux dans l'un
& dans l'autre. La vertu ne fçauroit faire
un gefte que le vice ne prétende fe rendre
propre, & qu'il ne fçache imiter . Pourroit-
il mieux faire connoître qu'il en fent
le mérite , que de n'ofer fe produire que
fous ces dehors empruntez.
Ne diſons rien de ces Monftres d'iniquité
que le vice met au jour , Monſtres
dont il rougit & qu'il defavoûë ; laiffons
part ces horribles, forfaits que le Soà
I. Vol leil
2640 MERCURE DE FRANCE
leil n'éclaire qu'à regret. Il eft un autre
vice , pour ainfi dire , civilifé , qu'on ne
diftingue de la vertu que par l'intention
qui le fait agir & par les projets qui l'occupent
, c'eft ce vice ainfi déguifé qui
tend hommage à la vertu en fe cachant
fous la vettu même.
Voyez-vous cet homme affable , gracieux
, prévenant ; remarquez cet air em
preffé à vous fervir , cette modeftie dans
fes prétentions , ce dégagement de fes
propres interêts. Ne diriez-vous pas que
c'eft la feule vertu qui le guide ? Non , on
ne s'y trompe plus ; on le laiffe faire , H
cherche à s'élever en fe rabaiffant ; bientôt
, fi la fortune le favorife , il fçait fe
dédommager de tous les facrifices que fa
paffion lui coûte , & on le voit confacrer
au vice les récompenfes de la vertu.
Tout le monde le fçait , & le vice ne
l'ignore pas . La feule vertu a droit de
plaire , elle feule mérite d'être avoiiée de
l'homme né pour être vertueux. Ainfi à
quelque prix que ce foit il faut être vertueux
ou le paroître , fi l'on cherche à
regner dans l'efprit & le coeur des hommes.
Et qui eft- ce qui ne le cherche pas ?
Neceffité indifpenfable aux vicieux mêmes
, & de- là cet hommage forcé que le
vice rend à la vertu ; mais en eft- il moins
glorieux pour elle ?
I. Vol:
DECEMBRE . 1730. 2641
Il n'eft donc plus de prétexte qui autorife
l'homme à ne pas fe ranger du parti de
la vertu . Mille raifons concourent à
prouver fon mérite . Son feul ennemi . le
vice eft forcé de lui rendre hommage. Les
difcours , les fentimens , les oeuvres de
cet ennemi dépofent en fa faveur . Pourquoi
faut-il que nous méconnoiffions nos
vrais interêts ? notre veritable bonheur?
notre folide gloire ?
Videbunt recti & lætabuntur & omnis
iniquitas oppilabit os fuum, Pfal . 106. v. 429
IMITATION de l'Ode Latine du
P. Sanadon , adreffée aux Poëtes du
College de Louis le Grand , pendant l'Oc
tave de la Canonifatton des S S. Louis
DE GONZAGUE Staniflas KOSTKA,
Suivez les doux tranfports d'une celeſte ivreffe
Vous dont l'amour du Créateur ,
Mieux que l'arbitre du Permeffe ,
Anime fans effort & l'efprit & le coeur.
Aux pieds du facré Tabernacle ,
Approchez ; un nouveau fpectacle ,
Doit fixer en ce jour vos regards affidus .
Deux Héros au fein de la Gloire
I. Vol. Cou
1642 MERCURE DE FRANCE
Goutent le prix de leur Victoire ,
Et l'Univers charmé célebre leurs vertus.
器
Sur les bords où le Pô répand fes eaux fertiles,
Et que Manto rendit fameux ,
Et dans ces climats plus ftériles ,
Que l'auftere Sarmate a rendu belliqueux ,
Deux Princes au printems de l'âge ,
Mériterent le tendre hommage ,
Qui fait en leur honneur ériger des Autels
La vertu leur fraïant les routes >
Ils fçurent aux céleſtes voutes ,
S'affurer un grand nom parmi les Immortels,
諾
A mes yeux ébloüis une lumiere pure ,
Ouvre les barrieres du Ciel :
Que vois-je foible créature ,
Tu brilles fur un Trône & tu vois l'Eternel
Exemt des malheurs & des vices ,
D'un torrent de faintes délices ,
GONZAGUEà chaque inftant fent inonder fon
coeur :
STANISLAS après une vie
Aux mêmes devoirs affervie ,
D'un vol précipité court au même bonheur.
IGNACE , qui forma leurs coeurs à la fageffe ,
1. Vol.
Dans
DECEMBRE. 1730. 2643
Dans l'étroit fentier des Elus ,
En eux , au gré de fa tendreffe ,
Couronne peu de jours & beaucoup de vertus,
Quelle fplendeur les accompagne ?
La gloire & l'appui de l'Eſpagne ,
XAVIER & BORGIA paroiffent à leur tour.
Au culte de l'efprit immonde,
L'un arracha le nouveau Monde ,
L'autre fçut méprifer les attraits de la Cour,
淡
Le modefte REGIS vers la troupe s'avance
Tel dans fon air & fon maintien ,
Qu'il fe montre aux yeux de la France
Dont il rappelle encor qu'il fut le citoyen.
A leur fuite combien d'Apôtres ,
Se fuccedent les uns aux autres ?
La plus pure vertu régle feule leur rang.
Malgré l'erreur & fes preftiges ,
La foi fur leurs facrés veftiges ,
Eclaira l'Univers inondé de leur fang.
諾
Dans GONZAGUE & KOSTKA tout l'Olympe
révere
Le zele & les talens divers ,
Qu'il a couronnés dans le pere ,
Et par qui les enfans défarment les Enfers.
Formés par les mêmes maximes ,
En ce jour fur des tons fublimes
I. Vol,
Chan
2644 MERCURE DE FRANCE
Chantres ingénieux , multipliés vos airs ,
Et , dociles à vos exemples ,
Que vos éleves dans nos Temples ,
Célebrent un fujet fi propre à leurs Concerts.
Héritiers d'un grand nom confacré dans l'hiftoire
;
On vit GONZAGUE & STANISLAS
Rougir d'un titre , dont la gloire
A le fort pour principe , & pour fin le trépas,
Nés dans le fein de la molleffe ,
Des préjugés de la Nobleffe ,
Leur coeur ne fe fit point un agréable écueil . *
Ils fçavoient que les Grands périſſent ,
Et qu'avec les Héros finiffent
Dans l'horreur du tombeau leur fafte & leur or
gueil.
La Grace qui parut , pour embellir leur ame
Epuifer fes riches tréfors ,
Par les traits d'une vive flamme ,
En dirigea toujours les dociles refforts,
En eux déja les connoiffances ,
Sondoient l'abîme des Sciences ,
Quant à l'efpoir public la mort vint les ravir
Telles à l'afpect de l'Aurore ,
Des rofes fe hâtent d'éclore ,
Que le même Soleil voit naître & fe flétrir,
1.Vol. Mais
DECEMBRE . 1730. 2645
Mais plus que le rapport d'état , d'âge ou d'étude,
Dans leurs penchants & dans leurs moeurs
Même attrait , même exactitude ,
Les rendit l'un & l'autre heureux imitateurs,
L'Ambition au coeur barbare ,
Le Plaifir , enfant du Ténáre ,
Effayerent en vain de captiver leur coeur ,
Leur innocence fous l'écorce ,
Démêla la fatale amorce ,
Qu'aux Mortels , qu'il féduit , offre le Tentateur,
Echappés aux dangers d'un Monde tyrannique ,
Sans crainte , au ſéjour de la paix ,
Dans le fein d'un Dieu magnifique ,
Le plus parfait bonheur les fixe pour jamais,
Tel un Marchand , à qui Porage ,
Dans l'attente d'un promt naufrage ;
A retracé cent fois les horreurs de la mort ,'
Exemt de terreurs & d'allarmes ,
Se livre fans réſerve aux charmes
De contempler fa barque à l'abri dans le porta
F. L. de la Compagnie de Jefus,
9.
I. Vol,
E RE
2646 MERCURE DE FRANCE
REFLEXIONS.
Ly a ſouvent plus de gloire à con-
Iferver
ferver les chofes acquifes qu'à les acquerir.
La gloria mondana finifee col mondo , e
per nonoi il mondo finiſce col la vita.
La gloire après laquelle on court avec
tant d'empreffement , eft pourtant d'un
foible fecours contre l'indigence.
Le Magnanime eft celui qui fe croit
digne des grandes chofes , & qui ne fe
trompe pas dans le jugement qu'il fair
de foi-même.
Pour conferver le fouvenir des belles
actions , il en faut continuellement rafraîchir
la memoire de nouvelles
,
par
Ön
peut prefque affurer que perfonne
ne parle de nous en notre prefence comme
il en parle en notre abfence , & que
très- peu d'amitiés fubfifteroient , même
des plus anciennes & des plus folidement
établies , fi chacun fçavoit au vrai ce que
J. Vol.
fon
DECEMBRE. 1730. 2647
fon ami dit quelquefois de lui , lorfqu'if
n'eft pas prefent.
Un efprit né cauftique & à qui les paroles
& les écrits coutent peu , reprend
tout ce qui lui donne occafion d'exercer
fon talent favori , Souvent il cenfure , il
blâme des chofes , moins parce qu'elles
lui paroiffent défectueules , que parce
qu'elles lui fourniffent un bon mot.
On ne doit pas être furpris fi nous
nous connoiffons fi peu nous - mêmes .
Quand on eft trop loin d'un objet, on ne
le voit que confufément & rarement tout
entier ; quand on en eft trop près , on ne
voit que lui , il offufque la vue , & on ne
le peut comparer avec les autres .
Les coeurs étroits , les génies bornez ,
mefurent d'ordinaire les chofes qui font
au delà de leur portée fur la mefure de leurs
foibles pénétrations , & fe mocquent des
entrepriſes d'éclat où leur prévoyance &
leurs lumieres ne fçauroient atteindre.
Il eft toûjours bien plus aifé de prévenir
les fautes que de les réparer.
A ne prévoir rien , on eft furpris &
fouvent embarraffé. A prévenir tout ,
1. Vol,
E ij sing
2648 MERCURE DE FRANCE
s'inquieter toûjours fur l'avenir ,
miferable.
C'eft le propre de la pénétration trop
rafinée , de creufer elle- même des précipices
, où ceux qui la prennent pour gui
de , s'égarent prefque toûjours.
Les hommes en general font des aveugles
; leurs deffeins les mieux concertez
en apparence , manquent , pour l'ordi
naire , par les endroits les moins prévus ,
& fouvent même par les moyens qu'on
avoit choifis pour les faire réüffir.
Il eft bien difficile de paroître prudent
lorfqu'on eft malheureux ; car comme on
ne s'attache qu'à l'apparence des chofes ,
l'évenement feul regle d'ordinaire les ju
gemens , & jamais un deffein ne paroît
bien formé ni bien fuivi , lorſque l'iffuë
n'en eft pas heureuſe .
La prévoyance , toute eftimable qu'elle
nous paroît , n'en eft pas moins fille
de la crainte. C'eft une vertu , mais qui
fuppofe la mifere de celui qui la poffede ,
& qui lui fait fentir fans ceffe fon indigence
prochaine,
Il vaut mieux s'expofer à être trompé
I, Vol. quelDECEMBRE.
1730. 2649
quelquefois , que d'avoir mauvaife optnion
de tout le monde. Une défiance
generale feroit même tomber dans plus
de fautes qu'un peu de crédulité.
On doit fe défier de fes doutes autant
que de fa crédulité ; car ceux qui croyent
trop difficilement , s'éloignent auffi fouvent
de la verité , que ceux qui fe livrent
à tout ce qu'on leur raconte.
Moftrare di credere sempre , e dubitar
Sempre , e il migliore ammaeftramente che fo
poffono infegnare per viver ficuro.
Dieu nous garde de ceux aufquels nous
hous fions , nous nous garderons bien
de ceux dont nous nous défions .
Les gens de bien ſont ſouvent la dupa
pe des méchans , pour n'avoir pas affez
mauvaiſe opinion d'eux.
Bien des gens apprennent aux autres
tromper , par la crainte & la défiance
qu'ils témoignent d'être trompez.
I. Voli É iij EX
1650 MERCURE DE FRANCE
EXPLICATION de l'Enigme & du
Logogryphe du mois de Novembre.
Ous des détours énigmatiques ,
Mercure , en vain tu crois cacher la verité
Mon efprit n'eft point démonté
Par aucun de tes fens obliques.
Sans te parler avec orgueil ,
Enigme , Logogryphe , il voit tout d'un coup
d'oeil ,
Et leur voile feroit trois fois encor plus fombre ,
Qu'à fon flambeau foudain difparoîtroit leur
ombre.
On a dû expliquer le fecond Logo
gryphe par Courage.
ENIGM E.
Ous fommes bien des foeurs , mais loin d'ètre
bornées Nou
A ne fervir
que
d'ornement ,
Au plus preffant befoin nous fommes deftinées ;
Nous excellons fur tout par notre arrangement.
faire ,
De nos foins l'homme n'a que
Quand de fes ans il commence le cours ;
Mais il obtient notre fecours ,
Dès qu'il lui devient neceffaire,
I. Vol. Si
DECEMBRE. 1730. 2651
Si lorfque l'on nous perd nous pouvions revenir ,
O combien de Neftors paroîtroient rajeunir !
Des termes vainement on trouve l'élegance ;
Sans nous il n'eft point d'Orateurs ;
Voyez quelle eft notre puiſſance ,
Nous aidons à former ces fons vifs & flateurs ;
Dont pour perfuader ou pour toucher les coeurs,
Se fert la plus belle éloquence.
Voilà ce qu'on gagne avec nous..
Pour nous mettre au travail il eft certaines heures
Qui font communes prefqu'à tous :
Nous reffemblons aux fotifes des foux;
Les plus courtes font les meilleures.
Pour avoir differens emplois ,
Par la Nature & l'Art également formées ,
Notre nom paffe quelquefois ,
A des chofes inanimées,
LOGOGRYPHE.
MA premiere moitié reffemblé à la derniere
je
Choſe rare , j'ai double cou ,
ne fuis élevé par pere, ni par mere ;
Et paffe pour un franc filou.
J'habite les bois , les bruieres ,
On fçait qu'en dérobant je fais fouvent un don ,
Et quoique j'aye maints confreres ,
Perfonne cependant ne veut porter mon nom.
Is Vol. Bij - AUS
2652 MERCURE DE FRANCE
AUTR E.
Morbleu la
plaifante
rencontre ,
L'on dira fi , fi je me montre ,
Me lifant à rebours , mon nom quoique fuccint
Eft cependant celui d'un Saint.
DA
AUTRE.
Ans l'Empire Romain je fuis très remar
quable ,
Mais l'on peut lire dans la Fable ,
Que je fuis placé près d'un Dieu ;
Le feu de mes yeux étincelle.
Orez ma lettre du milieu ,
Vous ne me verrez plus qu'une aile.
D'Orvilliers , de Vernon.
**** :*******: ****
NOUVELLES LITTERAIRES
SE
DES BEAUX ARTS & c
ECONDE PARTIE de l'Extrait des
Mémoires pour fervir à l'Hiftoire des
Hommes Illuftres.
Catalogue des Ouvrages d'Eufebe Renaudot.
1. Il a traduit en Latin dès l'âge de 25 .
I. Vol. ans
DECEMBRE. 1730.. 265 3
ans les Atteftations des Eglifes d'Orient
touchant leur créance fur l'Euchariftie
que M. de Nointel , Ambaffadeur de
France à Conftantinople , envoya à M. de
Pomponne , pour être inferées dans le Livre
de la Perpetuité de la Foi fur l'Euchariftie
, & fa Traduction fe trouve dans
le troifiéme Volume , dans la Préface duquel
M. Arnauld s'exprime ainfi à fon
fujet » Ce feroit tout-à- fait manquer à
»la reconnoiffance & à la juftice , que de .
ne pas rendre un témoignage public
» de l'obligation qu'on a à celui qui a
» rendu ces Actes utiles à l'Eglife par la
» traduction qu'il en a faite , & la peine
qu'il a prife d'extraire lui - même des
>> Livres Orientaux tous les Paffages qui
» font rapportés dans cet Ouvrage . C'eft
» M. l'Abbé Renaudot , dont la modeftie
ne permet pas d'en dire davantage ;
» mais la diverfité de ces Actes & des
>> Livres dont fes Extraits ont été tirés ,
» qui font écrits les uns en Grec vul-
>> gaire , les autres en Arabe , les autres
» en Syriac , les autres en Copte , les autres
en Ethiopien , font affez connoître
>> l'intelligence qu'il a dans toutes ces Lan
» gues.
Défenfe de la Perpetuité de la Foi contre
les calomnies & les fauffetés du Livre
intitulé : Monumens authentiques de la
JVol
Ev Religion
2654 * MERCURE DE FRANCE
Religion des Grecs. Paris 1708. in 8. Jean
Aymon , Auteur des Monumens autentiques
que M. Renaudot entreprend ici
de réfuter , étoit né en Dauphiné ; après
avoir été ordonné Prêtre , il fut Aumônier
d'un Evêque de Maurienne qu'il
fuivit dans un Voyage de Rome où il acquit
un titre de Protonotaire Apoftolique
, & deffervit quelque tems une Cure
de Campagne. Il quitta enfuite Eglife
Romaine pour embraffer le Calviniſme,
& paffa en Hollande , d'où il vint à Paris
en 1705. fous prétexte de rentrer
'dans le fein de l'Eglife ; il s'acquit par fà
de la protection , & eut un libre accès à
la Bibliotheque du Roi , où il avoit la
liberté de parcourir les Manufcrits précieux
qui y font ; mais il ſe ſervit de cette
liberté pour en mutiler quelques- uns ,
& pour voler l'original d'un Synode de
Jerufalem , tenu en 1672. fous le Patriarche
Dofithée , qu'il emporta en Hollande,
& qu'il y fit imprimer en 1708. avec des
Notes de fa façon . Ce Livre tiffu de calomnies
, de raifonnemers abfurdes &
de bévûcs ridicules excita tellement l'indignation
de M.Renaudot, qu'il travailla
auffi- tôt à renverfer ces prétendus Monumens
, ce qu'il exécuta d'une maniere
également folide & fçavante . Le Manuſcrit
volé eft revenu dans la Bibliotheque
1. Vol du
DECEMBRE. 1730. 2655
du Roi , les Etats Generaux l'ayant retiré
de la Bibliotheque de Leyde , ou le
fieur Aymon l'avoit déposé pour le
rendre à fon premier Maître .
3. Gennadii Patriarcha Conftantinopoli
-tani Homilia de Sacramento Euchariftia ,
Meletii Alexandrini , Nectarii Hierofoly
mitani , Meletii Syrigi & aliorum de eodem
argumento Opufcula , gracè & Latinè , feu
Appendix ad Acta , qua circa Græcorum
de Tranfubftantiatione fidem relata funt in
opere de Perpetuitate Fidei. Eufebius Renaudotius
, Parifinus , ex Codd . Mff. edidit
, latinè vertit , Differtationes & Ob
fervationes adjecit. Paris , 1709. in 4.
4. La Perpetuité de la Foi de l'Eglife
Catholique touchant l'Euchariftie . Tome
-IV. contenant un Examen particulier
de la conformité de la Doctrine des Grecs
& de tous les Chrétiens Orientaux avec
celle de l'Eglife Latine , plufieurs nouveaux
Eclairciffemens touchant les Auteurs
& les faits allegués dans les Volumes
précedens , & la réfutation de tout
ce qui a été objecté contre les Atteftations
& autres Piéces qui y ont été produites.
Paris , 1711. in 4.
5. La Perpetuité de la Foi de l'Eglife Caª
tholique fur les Sacremens , & fur tous les
autres points de Religion & de Difcipline
que les premiers Réformateurs ont pris pour
I. Vol
5°
· prétexte
2656 MERCURE DE FRANCE
prétexte de leur Schifme , prouvée par le
confentement des Eglifes Orientales . Paris ,
1713. in 4. Il y a beaucoup d'érudition
dans ces deux Volumes .
6. Hiftoria Patriarcharum Alexandrinorum
Facobitarum à D. Marco ufque ad finem
faculi XIII. cum Catalogo fequentium
Patriarcharum , & collectaneis Hiftoricis ad
ultima tempora fpectantibus . Inferuntur multa
ad res Ecclefiafticas Facobitarum Patriarchatus
Antiocheni , Æthiopia , Nubia &
Armeniæ pertinentia. Accedit Epitome Hif
toria Muhamedane ad illuftrandas res
Ægyptiacas ; omnia collecta ex Autoribus
Arabicis , Severo , Epifcopo Afchmonie ,
Michaële , Epifcopo Taneos , Ephrem
filio Zaraa , Abulbircat & aliis Anonimisz
tum ex editis Eutichio , Elmacino , Abulfaragio
, Chronico Orientali , diverfifque
Hiftoria Muhamedana Scriptoribus Arabicis
& Perficis. Paris, 1713. in 8. On n'avoit
encore rien vû de fi exact ni de fr
recherché fur l'Histoire des Patriarches.
Jacobites d'Alexandrie.
7. Liturgiarum Orientalium Collectio
Parifiis, 1716. in 4. 2. tom.C'eft le Recueil
le plus ample qui ait jamais été fait des
Liturgies Orientales à l'ufage des Coptes,
des Jacobites , des Melchites de Syrie &
des Neftoriens . M. Renaudot s'eft contenté
de faire imprimer fa Traduction ,
I. Vol. fans
DECEMBRE 1730. 2657
fans y joindre le Texte original , don't
Pimpreffion auroit demandé une dépenfe
exceffive , & auroit rebuté beaucoup de
gens. Les Differtations qui accompagnent
La Traduction font très fçavantes .
8. Défenfe de l'Hiftoire des Patriarches
d'Alexandrie & de la Collection des Litur
gies Orientales , contre un Ecrit intitulé :
Défenſe de la Mémoire de M. Ludolf.
Paris , 1717. in 12. pp. 193. M. l'Abbé
Renaudot en donnant au Public l'Hif
toire des Patriarches d'Alexandrie & la
Collection des Liturgies Orientales crût
être obligé de réfuter quelques endroits
de l'Hiftoire d'Ethiopie de Ludolf & du
Commentaire que le même Auteur a
publié fur cette Hiftoire. C'est ce qui a
donné lieu au Mémoire inferé dans le
neuviéme Tome du Journal Litteraire ,,
page 217. où l'on prétend défendre Lu
dolf contre les accufations de M. Renaudot.
Ce fçavant Abbé s'y voyant accufe
à fon tour de mauvaiſe foi avec beau
coup de vivacité , publia cet Ouvrage
pour repouffer les attaques de cet Advesfaire
, qui lui a répondu avec la même
vivacité que la premiere fois dans un
Ecrit intitulé Examen défintereffe du
Livre de M. Renaudot , & inferé dans
PEurope Sçavante , Tome 1o. p. 23.1 . &
Tome 11. p . 28 .
I. Vol.
ބ
2658 MERCURE DE FRANCE
9. Anciennes Relations des Indes & de
la Chine , de deux Voyageurs Mahometans
qui y allerent dans le IX. fiecle , traduites
d Arabe , avec des Remarques fur les principaux
endroits de ces Relations . Paris , 1718.
in 8. Ces Relations font fimples & convenables
au tems , où elles ont été écrites.
Leurs Auteurs paroiffent inftruits &
finceres. Les Obfervations de M. Renaudot
les rendent plus inftructives & plus
utiles ; on n'y remarque ni l'aigreur qu'on
lui a reproché dans d'autres Ouvrages ,
ni une profufion exceffive d'érudition
affez ordinaire à ceux qui ont beaucoup
lû & fur- tout des Livres que peu de
perfonnes peuvent lire : c'eft le jugement
qu'on porte de cet Ouvrage dans PEu-
Fope Sçavante , tome 6. p. 95. Mais ce
jugement eft contredit par le Pere de
Prémare , Jefuite , Miffionnaire à la Chine
, qui dans une Lettre inferée dans le
dix- neuvième Recueil des Lettres édifiantes
& curieuſes , écrites des Miffions
Etrangeres par quelques Miffionnaires de
la Compagnie de Jefus , fait voir que
ces Relations font remplies de fables &
de contes , & que M. Renaudot , noncontent
d'adopter toutes les faufletés qu'il
s'eft donné la peine de traduire , eft tombé
lui -même dans une infinité de mépri
fes confiderables dans les Eclairciffemens
qu'il y a ajoûtés.
10.
DECEMBRE. 1730. 2659
10. De l'origine de la Sphere. Cette
Differtation qui fe trouve dans le premier
Tome des Mémoires de l'Académie des
Infcriptions , page 1. a été attaquée par
M. Des Vignoles dans des Remarquesfort
fçavantes , inferées dans le cinquié
meTome de la Bibliotheque Germanique,
page 153.
1. De l'origine des Lettres Grecques?
Les deux Mémoires où M. Renaudot
examine cette matiere,font contenus dans
le fecond Volume de l'Hiftoire de l'Académie
des Inſcriptions , page 246. Il y'
foutient , à l'exemple de Jofeph Jufte
Scaliger , que les Lettres Grecques tirent
feur origine , non point des Egyptiennes
mais des Phéniciennes ou anciennes Hebraïques.
3
12. Eclairciffement fur les Explications
que les Anglois ont données de quelques
Inferiptions de Palmyre & des Remarques
fur une qui fe trouve à Heliopolis de Syrie,
appellée communément Baalbek. Hiftoire de
' Académie des Infcriptions. Tom. 2. p.
-509.
13. Eclairciffement fur le nom de Septimia
qui eft joint à celui de Zenobia fur les Médailles
de cette Princeffe. Ibid. p. 567.
14. Lettre à M. Dacier fur les Verfions
Syriaques & Arabes d'Hippocrate , inferée
dans la Traduction d'Hippocrate par
Dacier
M
DS.
4660 MERCURE DE FRANCE
15. Les Libraires de Paris voyant l'empreffement
avec lequel on recherchoit le
Dictionnaire de M. Bayle , lorfqu'il parût
pour la premiere fois , formerent le deffein
de le réimprimer , & s'addrefferent
à M. le Chancelier pour avoir un pri
vilege ; M. le Chancelier ordonna à
M. l'Abbé Renaudot d'examiner l'Ouvrage
, pour voir s'il n'y avoit rien contre
la France ou contre la Religion , & M.
Renaudot dreffa un Mémoire où il en
donna une idée très défavantageuſe. Ce
Mémoire étant tombé entre les mains de
M. Jurieu , qui haïffoit M. Bayle , il le
fit imprimer avec quelques Extraits de
Lettres anonymes fur le même fujet , &
y ajoûta des Remarques fort vives ; le
tout parut fous le titre de fugement du
Public, & particulierement de M. l'Abbé
Renaudot fur le Dictionnaire Critique du
Sieur Bayle. Rotterdam, 1697. in 4. pp. 47.
M. Bayle y répondit par un Ecrit inti
tulé : Réflexions fur un Imprimé qui a pour
titre Jugement du Public &c. in 4. pp.
16. Il fut réfuté à fon tour par M. Jurieu
dans une Lettre fur les Réflexions
publiées contre le Jugement du Public
fur le Dictionnaire du ficur Bayle , in 44
pp. 16.
M. Bayle marque dans fa Lettre 2307
à M. Des Maizeaux que M. de Witt +
I. Vola
grand
DECEMBRE. 1730. 2661
à
grand ami de l'Abbé Renaudot , ayant
reçû une de ſes Lettres , où il lui marquoit
qu'il n'entroit qu'avec regret dans
des démêlés de cette nature , & qu'il
haïffoit naturellement les guerres Litte
raires , ménagea la paix entr'eux , & l'engagea
mettre tout en oubli , ce qui
fit qu'il ne dit pas un mot de leur differend
dans la feconde Edition de fon
Dictionnaire. D'un autre côté , M. de
Saint-Evremont compofa une petite Piéce
contre le Jugement de M. Renaudot , où
il le raille affez finement. On la trouve
parmi fes Oeuvres.
16. Il a préfidé pendant plufieurs années
à la compofition des Gazettes qui
doivent leur établiffement à Theophrafte
Renaudot , fon ayeul , lequel en fit en
1631. agréer le projet au Cardinal de
Richelieu , & dont il a eu le privilege
après fon pere.
Voyez fon Eloge par M. de Boze daus
Hiftoire de l'Académie des Infcriptions
tome 5. p. 384.
1.Vol. SUITE
2662 MERCURE DE FRANCE
SUITE de PExtrait de l'Hiftoire Litte
raire de la Ville de Lyon du Pere -
de Colonia:
L
nego-
E quinziéme fiécle commence à être
affez varié. Guy , Pape , & Mathieu
Thomaffin,fçavans Lyonnois, en occupent
le commencement. Le premiar étoit Jurifconfulte
, & Mathieu Thomaffin ſe diftingua
furtout dans une fameufe
ciation dont Louis XI. le chargea. Cette
negociation , fuivant le P. de Colonia
a produit un rare Manufcrit dont il a
jugé à propos de donner une notice. On
en conferve l'Original dans les Archives
de la Chambre des Comptes de Grenoble
, dont Thomaffin fut Preſident. Ce
rare Manufcrit porte pour titre : Regiftre
Delphinal , fait par le commandement du
Prince Louis Dauphin , par Mathieu Thomaffin
de Lyon , Confeiller Delphinal , &çi
Le venerable Gerfon n'eft'
pas Lyonnois
de naiffance ; mais comme il avoit
choifi la Ville de Lyon pour le lieu de fa
retraite , & qu'il y a paffe les dix dernie
res années de la vie , le P. de Colonia en
parle fort au long , en fe bornant cependant
à ce qui eft de fon ſujet , c'eſt-à-dire ,
à ce qui eft de particulier pour l'Hiftoire
de Lyon dans la vie de cet illuftre Chan-
I. Vol. cclier
DECEMBRE. 1730. 2663
celier de l'Univerfité de Paris , l'Hiftoire
du Cardinal Louis Allemand , connu fous
le nom du Cardinal d'Arles , & furtout
par la grande entrepriſe qu'il fit pour être
Pape , occupe une bonne partie du quinziéme
fiécle , lequel eft terminé par un
détail affez circonftancié du rétabliſſement
des Sciences dans cette grande Ville . Les
circonftances en font curieufes , & meri
tent toute votre attention .
Nous voici enfin arrivez au feize &
dix- feptiéme fiécle de l'Hiftoire Litteraire
de Lyon , c'est - à- dire , à l'âge d'or de
la Litterature dans Lyon . L'Hiſtorien
donne d'abord une idée de la Litte
rature en general du feiziéme fiécle , &
il entre dans le détail des caufes qui l'ont
fait fleurir dans Lyons ce qui lui donne'
lieu de parler des Pienfes Comedies que les
Religieux jouerent , en préfence de Louis
XII. & de la Reine Anne de Bretagne.
A ces pieufes Comedies , dit notre Hiftotien
, fuccéda l'avanture finguliere du
nouveau Mercure ou du nouvel Apollonius
, qui parut à Lyon l'an 1501. & qui
par fa fcience univerfelle , & par fes rares
fecrets , étonna très fort Louis XII. &
toute fa Cour. » C'étoit un Italien nommé
Jean , qui fe faifoit annoncer fous
» le nom de nouvel Apollonius , ou de
nouveau Mercure , & qui fe vantoit de
I.Vols réunig
£664 MERCURE DE FRANCE
» réünir dans fa feule perfonne toute la
» fcience qu'avoient jamais eue les plus fçavans
Auteurs Hebreux, Grecs , & Latins.
» Le nouveau Mercure prétendoit fçavoir
toutes les profondeurs & les fineffes de
l'Art , tant vanté de la tranfmutation
» des Métaux ; il poffedoit parfaitement
» la Magie naturelle , & c. Il fit deux préfens
au Roi , fçavoir , une épée d'une fabrique
toute finguliere & remplie de cent
quatre- vingt couteaux ; & un bouclier ,
au milieu duquel on voyoit un miroir
magique , fabriqué comme l'épée , fous
certaines conftellations , & c. Le détail de
cette avanture , qui étonna fort la Cour
de Louis XII. merite que vous la lifież
en entier dans cette Hiftoire.
Le P. de Colonia paffe enfuite à l'Aca
démie Litteraire de Fourviere , ou de l'An
gelique ; il indique les Auteurs qui en ont
fait mention , les Membres qui la compo
foient , les études qu'on y faifoit , & termine
cet article par quelques Remarquès
fur le Prefident de l'Ange , qui a donné
fon nom à la maiſon , où cette Academie
s'affembloit. Il n'eft pas poffible , Monfieur
, d'entrer dans le détail de tout ce
qui s'eft paffé de curieux & d'intereffan't
pour l'Hiftoire Litteraire de Lyon dan's
ces deux derniers fiécles , fans exceder de
beaucoup les bornes d'une Lettre .
I.Vol.
Vouts
DECEMBRE . 1730. 2665
Vous avez vû que l'Hiftorien ne fe
borne pas à faire mention dans fon Ou
vrage des Sçavans nés à Lyon , le Chancelier
Gerfon , quoi qu'étranger à cette
Ville , comme je l'ai déja dit , ne laiffe pas
de figurer dans fon Hiftoire par le long
fejour qu'il y a fait , & par les fçavans
Ouvrages qu'il y a compofez ; il en eft
de même de Clement Marot. Le P. de
Colonia remarque que ce Poëte , pendant
un féjour affez long qu'il fit dans Lyon
mit la Jeuneffe de cette Ville dans le
gout
de la Poëfie Françoife , & qu'elle alloit
en prendre des leçons dans fa maiſon .
Marot ne fe borna pas à marquer fon inclination
pour la Ville de Lyon pendant
qu'il y demeura , il voulut que la pofterité
eut connoiffance du féjour qu'il y
avoit fait , & il ne quitta cette fameufe
Ville qu'en lui faifant un folennel adieu
& en compofant des Vers à fon honneur
celui de fes habitans confervant
encore après fon départ des relations particulieres
avec les gens de Lettres qu'il
avoit laiffez . C'eft ce que le P. de Colonia
fait fentir avec fon attention ordinaire.
Le P. de Colonia fait enfuite paffer
comme en revue les Sçavans de l'un & de
l'autre fexe qui ont pris naiffance dans
Lyon , & qui font en grand nombre
I. Vol.
on
2666 MERCURE DE FRANCE
on voit ici avec plaifir parmi les femmes ,
Claudine & Sybille Seve , Jeanne Gaildarde
, Louife Labbé , Clemence de Bourges
, les Vouté , les Du Perrat , les Duchoul
, & c . L'Hiſtolre de l'Imprimerie de
Lyon vient enfuite , ce qui donne occafion
de parler de Jean Trerchel , premier
modele & pere de l'Imprimerie
Lyonoife , & des premiers Ouvrages qui
fortirent de fa preffe ; on n'oublie pas
Joffe Bade , qui après avoir exercé longtems
l'Art de l'Imprimerie à Lyon , alla
le pratiquer à Paris , où il établit le celebre
Pralum Afcenfianum. Sebaftien Gri
phius , &c.
On voit avec plaifir l'éloge , ou plutôt
Hiftoire entiere du College de la Trinité
de Lyon , tant de l'ancien que du nouveau
, occupé par les R R. PP. Jefuites,
& dont le P. de Colonia fait un détail curieux
, en rapportant beaucoup de particularitez
concernant les gens de Lettres
qui l'ont habité , ou qui en font fortis
tant pour ce qui regarde la Poëfie , l'Hiftoire
, la Grammaire , que les Humanitez
, &c. L'Hiftorien termine enfin fon
fçavant Ouvrage par une Notice ample
& curieufe de la Bibliotheque de ce fameux
College dans laquelle on voir
beaucoup d'éditions des plus rares & des
plus anciennes telles font un Tite-
,
I. Vol.
Live
O
DECEMBRE
. 1730. 2667
"
Live en deux volumes in folio , fur un
beau vélin hiftorié , & d'une parfaite confervation
, imprimé en 1470. à Venife par
Vincent de Spire . La Bible de Gryphius
& les Commentaires de Dolet. Le Talmud
mis au jour à Veniſe par Daniel Bombergue
, & un nombre infini d'autres éditions
de très - grande conféquence . Elles
peuvent , à la verité , le trouver dans les
autres Bibliotheques : mais en voici une
que l'Hiftorien croit pouvoir appeller
unique en Europe , du moins en France
où elle n'a paruë que cette année 1730,
c'eft une Hiftoire generale de la Chine en
30. volumes imprimez à Pe- kin,en beau
papier & en beaux caracteres Chinois.
Chaque volume a quatorze pouces de long
fur fept de large , &c. On y voit aufli les
Lettres originales de Sixte V. écrites par le
Cardinal Sadolet , que le P.de Colonia fe
prépare de donner au Public. A la Notice
de la Bibliotheque qui paroît très curieuſe ,
le P. de Colonia en joint une du curieux
Cabinet du même College , qui ne merite
pas moins l'attention des Antiquaires
mais ce feroit ôter à la defcription de
l'Auteur beaucoup de fon merite, que de
la donner en abregé ; c'eft pourquoi je
ne crois pouvoir faire mieux. que de
Vou
renvoyer à l'Ouvrage même.
Je fuis , &c.
J.Vol.
ཏུ
ANA2668
MERCURE DE FRANCE
ANA , Ou Bigarures Calotines,
A Paris , chez la Mefl:, ruë de la Vieille-
Bouclerie , à la Minerve ; & A. Huqueville
, Quay des Auguftins , au coin de la
rue Gille - Coeur. Brochure in 12.
» L'Hymen , dit l'Auteur dans fa Préface
, refufa de préfider à ma naiffance ;
» je dois le jour à un vieux Seigneur que
» je n'ai jamais vû , & dont une vieille
» femme , qui m'a élevé , & qui appȧ-
>> remment fçavoit tout ce myftere , ne
» m'a jamais pû ou voulu dire le nom.
» Il combattit toute fa vie fous les étendarts
de l'Amour , & Dieu fçait quels
» Myrthes il en rapporta bien fou-
» vent. Dans les dernières années , il s'at-
» tacha à une Danfeufe , qui pour avoir
» trop fatigué fa groffeffe , mourut en
» me mettant au monde. Sans ce con-
» tre-tems , je ferois peut - être Marquis
» ou Comte ; car mon pere en étoit fi fort
» enchanté , qu'il l'auroit infailliblement
» épousée , & c .
>> Au refte, ajoute-t- il plus bas , on trou-
» vera icy quantité d'Anecdotes curieu-
» fes & litteraires , qui n'ont jamais été
imprimées , &c.
Donnons- en quelques Echantillons.
2 Quand M. de Sacy , Avocat au Con-
•
I, Vole
» feil
DECEMBRE . 1730. 2669
feil , & l'un des 40. de l'Académie
>> Françoiſe , mort en 1728. eut mis au
»jour fon Traité de l'Amitié ; un bel ef
prit , qui avoit penfé être fon gendre
» fit les deux couplets fuivans ; fur l'air
» des Fanatiques:
» Sur l'amitié paroît au jour
Un admirable ouvrage ,
» L'Auteur fur un nouveau tour ,
Y brille à chaque page ;
Il en a fait pour l'amour
Un qui plaît davantage.
On n'y voit que de la douceur ,
» De la délicateffe ;
Tous les traits percent le coeur ,'
» Inſpirent la tendreſſe ,
ود
Trop heureux eft l'Imprimeur ,
Qui le met fous la Preſſe.
M. Autreau , connu par plufieurs
» Comédies , joüées fur le nouveau Théa-
» tre Italien , & entr'autres par Démo
» crite, prétendu fou , qui vient de lui faire
>> tant d'honneur , avoit fait des paroles
fort jolies fur un air d'un Opera nou-
» veau. Un petit Maître , fur un de ces
Bancs qui environnent le grand Baffin
» des Tuilleries , fe les attribuoit & en re-
I. Vol F » cevoir
2670 MERCURE DE FRANCE
ע
» cevoit les complimens. Le hazard fic
paffer M. Autreau . Un de ſes amis qui
» étoit fur le même banc , l'arrêta, & lui
» dit : Voilà un Monfieur qui fe dic Aureur
de ces paroles qui courent , fur
» tel air , & qui commencent par...
Pourquoi , Monfieur , ne les auroit- il
» pas faites , répondit M. Autreau , je les
wai bien faites , moi.
23
Le Comte de Gram. entendoit un
bruit d'épées affez loin de fon apparte
ment ; il y court & fepare deux de fes
Valets de chambre qui fe battoient ; il en
voulut fçavoir le fujet : L'agreffeur lui
dit naïvement : Nous vous avons volé de
concert cinq Loüis d'or , il ne m'en veut
donner que deux . Maraut, lui dit le Comte
, n'as-tu point de honte de l'égorger
pour fi de chofe ? Tiens , voilà un
Louis.
peu
Louis XIV. fit ce bel éloge du Cardinal
de Coiflin , en apprenant fa mort....
Il m'a toujours dit du bien de tout le monde,
perfonne ne m'a dit du mal de lui.
Dans une affemblée nombreuſe de l'Académie
Françoife , l'Abbé Regnier , qui
en étoit Secretaire , fit la collecte dans
lon Chapeau , d'une Pistole que chaque
I.Vol. AcaDECEMBRE.
1730. 2671 :
'Académicien devoit donner pour une
certaine affaire ; & n'ayant pas vû un de
ces Meffieurs , qui paffoit pour être fort
avare, donner fa piſtole , il la lui demanda.
Celui-cy affura qu'il l'avoit miſe dans
le Chapeau. Je le crois , dit l'Abbé Re
gnier , mais je ne l'ai pas vû : & moi ,
ajouta M. de Fontenelle qui étoit auprès ;
je l'ai vû , mais je ne le crois pas.
CONSIDERATIONS SUR LA TRAGEDIE CR
general , où par occafion on examine.ce
qui feroit neceffaire pour faire réüffir une
Tragédie en Profe. Ruë de la Harpe, chez
De la Tour, brochure in 12. de 44- pages ,
to fols.
HARMONIE DES DEUX SPHERES , celefte
& terreftre , ou la correfpondance des
Etoiles aux parties de la terre. Par M. Jo,
feph Goiffon , Aumônier de S. A. S. M. le
Duc du Maine, & Principal du College
de Dombes. Ruë S. Jacques, chez . Etienne
Ganeau , in 12. de 431 pag. prix 50 fols.
L'OPERATION DE LA TAILLE par l'Appareil
Latéral , ou la Méthode de Frere
Jacques , corrigée de tous fes deffauts : Par
R. J. Croiffant de Garengeot , Maître ès
Arts , & en Chirurgie , Démonftrateur .
Royal en matiere Chirurgicale , & de la
L.Vol.
Fij Socié2672
MERCURE DE FRANCE
Société Royale de Londres. A Paris , rue
S. Jacques chez Cavelier , 1730. in 12 .
de 118 pages.
HISTOIRE de la vie du Duc d'Epernon ;
divifée en trois parties. Par M. Girard
Quay des Auguftins , chez Montalant . 1730.
4 vol, in 12.
LE MINISTRE D'ETAT dans les Cours
Etrangeres ; fes fonctions & fes prérogatives
. Par le fieur Jean de la Sarras de
Franquenay.Rue S. Jacques, chez Ganeau,
in 12. de 295 pag. prix 35 fols.
LES OEUVRES de Nicolas Boileau Def
preaux , &c. A Amfterdam , chez François
Changuien. 2. vol. in fol. avec des Eftampes
nouvelles d'une grande beauté , gravées
par Picartle Romain.
LETTRES PHILOSOPHIQUES fur la formation
des fels , des criftaux , & la généra
tion & le Mécanisme organique des Plantes
& des animaux, à l'occafion de la Pierre
Belemnite , & de la Pierre Lenticulaire,
avec un Mémoire fur la théorie de la terre.
Par M. Bourguet. A Amft. chez François
Honoré, 1729,
TRAITE' DES PRESCRIPTIONS de l'alié
1.Vol nation
DECEMBRE. 1730 2673
nation des biens d'Eglife & des Dîmes ,
fuivant les Droits civil & canon , la Jurifprudence
du Royaume , & les ufages
du Comté de Bourgogne. Par M. Duned
ancien Avocat au Parlement & Profeffeur
Royal en l'Univerfité de Befançon . A Dijon
, chez Ant. du Fay. 1730. in 4.
ELOGE DE LA MEDECINE & de la Chirur
gie. Deffenfes de la Médecine contre les
calomnies de Montagne, en forme de Dialogue.
Par le fieur Beeverwyk , Médecin ,
& Echevin de la Ville de Dordrecht , en
Hollande. LETTRES de la tres - fameufe Demoiſelle
Anne- Marie Schurmans , Acade.
micienne de la fameúfe Univerfité d'Utreck
, avec une inftruction aux Médecins
d'Hollande. Le tout traduit d'Hol
landois , par Madame de Zouteland , à
prefent femme du fieur Boiffon , Ingénieur
du Roy. A Paris , ruë Dauphine , chez la
veuve Rebuffé. 1730.
INSTRUCTIONS UTILES AU CHRETIEN,
& à l'honnête homme , en forme de Sentences.
Par M. le Vaffeur , Chanoine Regulier
de l'Ordre de la fainte Trinité ,
&c. A Paris , rue du Foin. in 12. de 333
pages.
SENTIMENS DE CLEANTE fur les Entrefiens
d'Arifte & d'Engene. Par M. Bar-
I. Vol Fiij bier
2674 MERCURE DE FRANCE
"
bier d'Aucour, de l'Académie Françoiſe.
Quasréme Edition, revuë & corrigée , où
Fon a mis deux Fallums du mêmeAuteur.
pour Jacques le Brun , rue S. Jacques , chez
la veuve Delaulne . 1730. in 12.
>
ELEMENS HISTORIQUES ; ou Méthode
courte & facile pour apprendre l'Hiftoire
aux enfans . Dédiez à S. A. S. M.le Duc
de Chartres . Par M. l'Abbé de Maupertui.
Pont S. Michel , chez André Caillean.
1730.
ENTRETIENS NOCTURNES de Mercure &
de la Rénommée , au jardin des Thuilleries.
Par Me de Gomez. A Paris , chez
Prault , Quai de Gévres, 1730. Brochure
in 12.
LES AVANTURES D'ARISTE'E ET DE TELASIE
. Hiftoire galante & héroïque. A Paris,
Quai des Auguftins , chez la veuve Guillaume.
1731. 2 vol. in 12 , de plus de
Soo pages.
L'ESPRIST DU COMMERCE , pour l'année
1731. Par M. Roflin , Expert Arithméticien
& Ecrivain . A Paris , ruë faint
Martin , prés l'Ecu de Venife , & ráë Ga
lande , chez G. F. Quillan.
I. Vol. ALMA
DECEMBRE. 1730. 2675
$
-
ALMANACH ASTRONOMIQUE , Géogra
phique, Hiftorique , Moral , general, particulier
; & , qui plus eft , veritable ; pour
l'an de grace 1731. dans lequel on trouvera
des prédictions infaillibles pour chaque
faifon & chaque mois. Ouvrage curieux
& folide , malgré fon titre. Avec
douze couplets de Centuries chantantes ;
de Me Michel Noftradamus. Par M.Conf
tantin Fleurlurault , Mathématicien .
Dic quibus in terris , & eris mihi magnu
Apollo ,
Tres pateat caeli fpatium non amplius ulnas.
Virg. Bucol . Ecl. 2 .
A Paris , chez Antoine de Heuqueville ,
Quai des Auguftins,ruë Gilles - le-Coeur‚à la
Paix.
1731.
On délivre aux Soufcripteurs , chez
G. Martin , Montalant , Coignard fils &
Guérin Painé , les Tomes 8 & 10. avec figures,
des anciens Mémoires de l'Académie
Royale des Sciences . On a donné cy- devant
les Tomes 5. 6. 7. 9. & 12 .. On fera
paroître à la fin de Décembre le Tomé
4. qui contient l'Hiftoire des Plantes,avec
figures ; & le 13 , qui fera la Table des
Mémoires , depuis 1710. jufqu'en 1720.
Le 3 volume , qui contiendra l'Hiftoire
I. Vola
Fiiit des
2676 MERCURE DE FRANCE
des Animaux eft prefque en état de paroître.
Les autres Volumes fuivront im
médiatement. Le Public aura lieu d'être
fatisfait de la beauté de l'exécution de cet
Ouvrage.
Guérin , l'aîné, Libraire, rue S: Jacques,
vend les Livres nouveaux , fuivans .
Alii Ariftidis Opera omnia græcè &
latinè , cum Notis diverforum & veterum
Scholis , ex recenfione Samuelis Jebb . Oxo
nii. 1730. 2 vol. in 4 .
Hiftoire de Lorraine, par D.Aug.Calmet,
4 vol. in fol.
Recueil des Edits , Déclarations , Arrefts
& Reglemens propres & particuliers aux
Provinces du Reffort du Parlement de
Flandres , in 4. C'est à M. Vernimen, Pro
cureur General dudit Parlement que l'on a
Pobligation de ce Recueil.
Hiftoire de la Musique , & de fes effets.
4 vol . in 12.
Abregé de l'Hiftoire d'Angleterre. La
Haye , 1730. 7 vol . in 12.
La Bibliotheque raisonnée des Sçavans de
l'Europe , juſqu'au mois de Juillet , 17300
8 part. in 8.
Les Lettres choifies de M.Richard Simon ;
avec la vie de l'Auteur , nouvelle édition ,
avec des Notes. Par M.Bruzen de la Martiniere.
Amft. 1729. 4 vol , in 12.
I.Vol
Ellai
DECEMBRE . 1730. 2677
Effai Philofophique fur l'Entendement
humain , traduit de l'Anglois de Locke
par Pierre Cofte. Nouvelle Edition , confiderablement
augmentée & éclaircie.
Amft. 1729. in 4 .
La Veuve Paulus Dumefnil , demeurant
rue Fromentel , auprès du Puits Certain ,
a achevé d'imprimer les Grammaires Hébraïque
, Chaldaïque , Syriaque & Samaritaine
, fans points , de feu M. Maſclef,
2. Volumes in 12.
Malgré les vieilles préventions & les
préjugés des partifans des Mafforethes ,
la premiere Edition de la Grammaire
Hébraïque avoit été affez bien reçue pour
engager le fçavant Chanoine d'Amiens à
donner au Public trois autres Grammaires
dans le même gout. Le premier Tome
ne contient que la Grammaire Hébraïque
fort augmentée. Dans le fecond , outre
les trois autres Grammaires , on trouvera
les principes juftificatifs du fiftême de
M. Mafclef , & les Réponses aux Objections.
L'Auteur a refondu ce qu'il avoit
dit dans les Prolegomenes qui parurent
à la tête de la premiere Edition , & y a
ajoûté bien des chofes curieufes .
M. Maſclef eft mort en achevant de
faire imprimer le premier Volume ; il
fçavoit que le R. P. D. Pierre Guarin
L.Vol
E v
>>
de .
2678 MERCURE DE FRANCE
.
de la Congrégation de Saint Maur , promettoit
d'anéantir la nouvelle Méthode
dans la Préface du fecond Volume de fà
Grammaire Hébraïque ; mais cette Préface
n'a paru qu'après la mort du Chanoine.
La réputation du celebre Benedictin
demandoit une Réponſe. Le R.
P. de la Bleterie , Prêtre de l'Oratoire ,
qui s'eft chargé du refte de l'Edition dé
M.Mafclef , fans compter les petites réparations
que demande neceffairement un
Ouvrage demeuré imparfait , a fuppléé
ce qui manquoit aux Vindicia de M. Mafclef,
& a répondu à Dom Guarin.
Le Public eft déformais en état de juger
fi l'illuftre Adverfaire de notre Chanoine
a effectivement anéanti fon fiſtême,
& de décider cette celebre controverfe
fi l'on peut apprendre parfaitement l'He
breu , fans ufer fes yeux fur les points ,
& fans faire aucun ufage des autres inventions
des Rabbins.
On annonce de Milan dans un Imprimé
Latin que nous venons de recevoir ,
une nouvelle Edition de l'Occo fur les
Médailles Romaines , augmentée par le
Comte Mezabarbe de Birague , fous le
titre d'Imperatorum Romanorum Numifmata
A Pompeio Magno ad Heraclium ab Adol
pho Occone olim congefta &c.in folio magno
&
majori .
M.
DECEMBRE. 1730. 2679
A
M. Argelati , Auteur de cette Editon
eft un Illuftre de Boulogne , connu dans
le monde fçavant par plufieurs Ouvrages
& par fa qualité de Directeur de la
Societé Palatine de Milan , l'une des plus
celebres Académies de l'Europe. On doit
efperer que l'Ouvrage dont il s'agit ici ,
& dont les Exemplaires étoient devenus
fort rares , fera d'autant mieux reçû du
Public , que le nouvel Editeur paroît n'avoir
rien oublié pour le rendre parfait.
Outre que cette Edition fera beaucoup
plus ample que les précedentes , on y
trouvera une infinité de corrections , nonfeulement
à l'égard des fautes d'Imprelfion
, mais encore de celles qui regardent
le fond du fujet , & principalement
la Chronologie.
M. Argelati s'eft fervi pour cela des
Mémoires de D. François Marie Biacca
Citoyen de Parme , fort verfé dans cette
connoiffance , & dans tout ce qui regarde
l'Antiquité , ayant employé une année
entiere à verifier les Faftes Confulaires
, & la Chronologie qu'il a redreffée en
plufieurs endroits , fans s'écarter des fentimens
des plus habiles Antiquaires.
Les Médailles qui lui ont parues fufpecres
, ou manifeftement fauffes , n'ont pas
été exemtes de fa Critique.
A l'égard des gravures des Médailles
I. Vol. F vj qui
2680 MERCURE DE FRANCE
que
qui font à la tête de l'Hiftoire ſommaire
de chaque Empereur , l'Editeur eſpere
les Connoiffeurs en feront contens ,
ayant été executées par Jofeph Pini , le
même qui grave actuellement le Cabinet
du Duc de Parme , & dont le burin
felon M. Argelati , n'eſt pas inférieur à
celui de Picart.
-
>
Le 14. Novembre , l'Académie Royale
'des Belles Lettres tint fon Affemblée
publique après deux mois de vacances ;
S. E. M. le Cardinal de Fleuri , Acadé--
micien honoraire , y préfida. M. l'Abbé
Sevin ouvrit la féance par la Relation
de fon Voyage litteraire dans le Levant .
L'Abbé Gedoin lut enfuite la Préface qu'il
doit mettre à la tête de fa Traduction
de Paufanias ; après quoi M. le Cardinal
de Fleuri ayant été obligé de partir pour
Verſailles , M. l'Abbé Bignon prit fa pla
ce , & l'Abbé Salier lut pour l'Abbé-
Bannier une Differtation Mythologiquefur
les Déeffes Meres , & l'Abbé Souchay·
termina la féance par une autre fur les
Pfylles.
Le 15. Novembre , l'Académie Royale
des Sciences fit auffi fa rentrée publique
à laquelle M. de Maison , Préfident à
Mortier , Académicien honoraire , pré-
La.Kala
fida .
DECEMBRE. 1730. 2681!
fida. M. de Fontenelle , Secrétaire , lut less
Eloges de M M. Maraldi & Bianchini
& donna un Catalogue raifonné & curieux
des Ouvrages de ces deux illuftres»
Académiciens , morts depuis peu.
M. de Reaumur lut enfuite un Mé
moire fur les Termometres , & parla d'u
ne efpece particuliere de fon invention¸
plus parfaits que les autres.-
M. du Fay lut un Mémoire fur la découverte
qu'il a faite d'un grand nombre
de Phofphores nouveaux , dont l'effet eft
femblable à celui de la pierre de Boulo--
gne. Jufques à préfent on ne connoiffoit
que cette pierre & une préparation chimique
connue fous le nom de Phoſphore
hermetique de Balduinus , qui euffent la
proprieté de s'impregner des rayons de la
lumiere , en les expofant au jour , & de
conferver cette lumiere, étant portés dans
l'obſcurité ; enſorte qu'il femble que ce
foient des charbons de feu embrafés fansaucune
chaleur.
La pierre de Boulogne & cette prépa
ration chimique ont été celebrées à l'envi
par un grand nombre d'Auteurs de
tous Pays , & on s'eft beaucoup plus appliqué
à deviner ce qu'il pouvoit y avoir
de fingulier dans cette pierre qu'à cher--
cher s'il n'y en avoit point d'autres qui
euffent la même proprieté. Enfin M. du
Lo Vol Fay
2682 MERCURE DE FRANCE
و
Fay s'en eft avifé , & le fuccès a de beaucoup
paffe fon attente ; car il a trouvé
un nombre infini de matieres de toute
efpece qui font précisément tous les mêmes
effets que la fameufe pierre de Boulogne
; & ce qu'il y a d'avantageux , c'eſt
que ces matieres ne font pas rares ; car
toutes les efpeces de gyps ou pierres à
plâtre , les albâtres les felenites , les
pierres à chaux , tous les marbres indifferemment
, les écailles d'huitre , les coquilles
d'oeuf , les os d'animaux ; enfin
toutes les matieres qui peuvent être calcinées
font dans ce cas ; il fuffit de les
mettre dans un creufet de placer le
creufet dans une forge , & de les chaufer
vivement pendant une demie heure ou
trois quarts d'heure : fi on manque la
premiere fois , il n'y a qu'à recommencer
une feconde , ou même une troifiéme , &
on réuffit.
و
M. Dufay ayant tenté la même choſe
fur les pierres de taille , les moilons , la
pierre de liais , la marne , les bols &c.
aucune ne lui réuffit ; mais il imagina de
les diffoudre dans l'Eau- forte , comme
on fait la craye dans le Phoſphore de
Balduinus , & toutes lui réuffirent par
cette voye. Il eut le même fuccès en employant
les cendres de toutes fortes de
bois , des feuilles , de la paille , enfin de
\ I. Val.
toutes
DECEMBRE . 1730. 2683
OF
།
ce
off
de
me
de
Jar
de
tes
les
A
1
toutes les matieres combuftibles.
Voici la préparation : il prend quelqu'une
de ces pierres , terres ou cendres ,
il les fait diffoudre dans l'Eau forte ; it
fait évaporer & deffecher la diffolution
& prend un morceau de cette matiere
feche qu'il met dans un creufet , & le
fait chauffer à peu près comme fi l'on
fondoit du plomb ; la matiere fe gonfle ,
fume , & fe deffeche une feconde fois , &
le Phoſphore eft préparé ; il n'y a qu'à
expoſer le creufet à la lumiere du jour ,
& le porter dans l'obſcurité. Voilà donc
toutes les matieres qui fe peuvent trouver
fur la terre devenues fufceptibles de
lumiere , il n'y a que les pierres dures ,
telles que les cailloux , agathes &c. & les
métaux qui n'ayent point encore réuffi à
M. Dufay ; mais il ne defefpere pas d'y
parvenir. Il ajouta enfuite les effets finguliers
que font quelques- uns de ces
Phofphores dans l'eau , l'efprit de vin
l'huile , l'eau-forte , les liqueurs alkalines
&c. mais nous ne le fuivrons point
dans ce détail . Enfin , il indiqua quelques
unes des experiences qu'il y auroit encore
à faire , & exhorta les Phyficiens à y
travailler auffi de leur côté , perfuadé
qu'elles peuvent mener à des découvertes.
importantes fur la nature de la lumiere.
1. Vol.
On-
2
2684 MERCURE DE FRANCE -
Ouverture du College Royal.
Les Profeffeurs du College Royal de
France , fondé à Paris par le Roi François
I. ont repris leurs exercices , & commencé
leur année Académique le Lundi
20. Novembre. Voici les noms des Profeffeurs
qui rempliffent actuellement les
Chaires de ce fameux College fous l'inſpection
de M. Clement.
Pour la Langue Hébraïque.
Mrs Sallier & Henri.
Pour la Langue Grecque.
Mrs Capperonnier & N ...
Pour les Mathématiques.
Mrs Chevalier & Pothenot.
Pour la Philofophie.
Mrs Terraffon & Privat de Molieres
Pour l'Eloquence Latine.."
Mr Rollin & N ...
Pour la Medecine , la Chirurgie , la Phar
macie & la Botanique.
Mr Preaux , Andry , Geoffroy & Bu
Fette.
Pour la Langue Arabe.
Mrs de Fiennes & Fourmont,
I. Vol. Pour
DECEMBRE. 1730. 268
Pour le Droit Canon.
Mrs Cappon & le Merre .
Pour la Langue Syriaque.
M. l'Abbé Fourmont.
Le 2. du mois dernier on apperçût
vers les neuf heures du foir à Florence
une Aurore Boreale , jettant d'un même
centre des rayons ou colonnes de lumiere
dont les unes durerent 3. heures , d'au
tes jufqu'à 4 & 5.
Question proposée.
On demande fi l'on peut trouver dur
plaifir dans quelque chofe qu'on n'entend
pas , & pour l'intelligence de laquelle
on n'a pas les difpofitions néceffaires : Par
exemple , on voit des gens qui fans fçavo'r
aucune des regles de l'harmonie, affu
rent qu'ils ont beaucoup de plaifir à entendre
un beau Concert d'Inftrumens ;
onveut fçavoir fi c'eft de la Mufique qu'ils
ignorent , ou des fons dont leur oreille eft
frappée , que réfulte leur plaifir .
On aime à entendre chanter une perfonne
qui a une belle voix , quoiqu'on
ne s'y connoiffe point : eft- ce la Mufique
qui plaît à l'auditeur ignorant ou la
beauté de la voix ?
I. Vol On
2686 MERCURE DE FRANCE
On nous a demandé une déciſion fur
cela ; mais nous avons crû qu'il vaudroit
mieux que nous ne fuffions que les échos
des divers fentimens du public. De fi
agréables Differtations font tout-à- fait du
reffort du Mercure.
Le fieur de Ranti , privilegié du Roi pour
le nouveau métail qui imite l'or , demeurant visà-
vis la Comédie Françoife , donne avis au Public
qu'il va demeurer rue de Grenelle , Fauxbourg
S. Germain , à l'Hôtel de S. Victour Senectere
; fon privilege fera fur fa porte. Il donne
auffi avis aux Curés de Paroiffes , aux Con
munautés de Religieux & Religieufes qu'il fait
toutes fortes d'ornemens d'Eglife très-propres ,
& à jufte prix , furpaffant toutes fortes de dorure
, & fans qu'ils changent , pourvû qu'on y
faffe au moins une fois l'an ce qui eft enfeigné
dans l'imprimé qu'il donne en vendant les Ŏuvrages
; & pour être affuré , dit-it, de ce qu'il
avance , on n'a qu'à fe tranfporter à la Chapelle
de M. Herault , Lieutenant General de Police ,
en fon Hôtel , rue du Boulois , où il Y a fix
chandeliers & une Croix dudit métail , que ledit
fieur de Renty lui a vendu il y a un an & demi
ou environ . On trouve chez lui genéralement
de toutes fortes d'ouvrages tels qu'on en fait
en or , en argent &c.
I. Vol. CHANSON
DECEMBRE . 1730. 2687
an
kakakakakakak
2686 MERCURE DE FRANCE
On nous a demandé une décifion fur
cela ; mais nous avons crû qu'il vaudroit
mieux que nous ne fuffions que les échos
blic De fi
ON
#]jKTHT
DECEMBRE. 1730. 2687
Lorfqu
akakakakakakakikiki
CHANSON.
Orfque de Jupiter les foudroyantes armes
Font fentir aux humains qu'ils font foibles Mot
tels ,
Je n'entends
mes ,
que des cris , je ne vois que des lar-
Lui-même en fa fureur renverſe fes Autels.
Pour moi , je me tiens ferme au plus fort de
Porage ;.
J'en détourne l'effet par le tin tin des pots.
C'eft toi , puiffant Bacchus , qui foutiens mon
courage ;
Rien ne peut l'ébranler , & je bois en repos.
******:*:* XXXX:XXX
A
SPECTACLES.
U commencement de ce mois les
Comédiens François ont remis au
Théatre une petie Piece d'un Acte , intitulée
Crifpin bel efprit , qu'on n'avoit
joüée depuis très - long - temps , & qu'on
revoit avec beaucoup de plaifir. Elle eft
imprimé fous le nom de la Thuillerie ,
ancien Comédien ; mais on affure que feu
I. Vol. l'Abbé
2688 MERCURE DE FRANCÈ
l'Abbé Abeille en eft Auteur , ainfi que
des Tragédies d'Hercule & de Soliman ,
qu'on voit aufli imprimées fous le même
nom .
Le Lundi 11. de ce mois , on donna
an Theatre François la premiere Repréfentation
de la Tragédie de Brutus , de
M. de Voltaire , qui fut extrémement applaudie
par une très belle & très- nombreufe
Affemblée . Nous en parlerons plus
au long dans le fecond Volume de ce
mois .
Les Comédiens François repréſenterent
à la Cour le Mardi 5. Décembre la Comédie
de l'Esprit folet.
Le 7. la Tragédie de Medée , de M. de
Longepierre , & la petite Comédie de
Crifpin Rival de fon Maître.
Le 12. D. Japhet d'Armenie.
Le 14. Bajazet & Crifpin bel Efprit.
Le 19. les Menechmes & la Comteffe
'd'Efcarbagnas:
Le 2. Décembre , les Comédiens Italien ,
repréſenterent à la Cour la Sylphide , la
petite Piece nouvelle du Triomphe de
'Interêt,& la Parodie du MaryJoueur & de
la Femme Bigotte , Scenes Italiennes , chantées
fur le Théatre de l'Opera au mois
de Juin 1729. Cette Parodie qui a fait
beaucoup de plaifir à la Cour , n'eft joüée
I. Vol
que
DECEMBRE 1730. 268**
que par la De Silvia & le fieurTheveneau
qui y ont été fort applaudis.
Le 9. ils reprefenterent les Amans réunis
& les Paifans de qualité.
Le 16. Timon le Misantrope & le Por
trait.
Le 21. l'Académie Royalé de Mufique
remit au Théatre l'Opera de Phaeton, qui
n'avoit pas été joué depuis le mois de
Novembre 1721. Cette Piece qui vient
d'être remife d'une maniere très- brillante
en habits & en décorations , a été reçuë
très favorablement du Public. On en parlera
plus au long , fur tout des Decorations
, qui font l'admiration de tous les
Spectateurs.
LETTRE de Mr de ... , à Mde de ...
fur la Tragedie de Venceflas.
Neté à peu fenfible aux beautez qui
E rougiffez pas , Madame , d'avoir
font répandues dans la Tragedie de Venceflas
; ce n'eft point par des applaudiffemens
qu'un efprit auffi délicat que le vôtre
doit fe déterminer. Un Acteur , tel que
Baron , peut prêter des graces aux endroits
d'une Tragédie , même les plus rebutanss
les fuffrages deviennent alors tres- équi-
I. Vol. yoques
2690 MERCURE DE FRANCE
voques , & l'on peut le tromper quand
on en fait honneur à l'Auteur.Ce n'eft pas
qu'il n'y ait de grandes beautez dans cette
Tragedie. Rotrou étoit un de ces génies
que la nature avare ne donne que de ſiécles
en fiécles ; le grand Corneille n'a pas
dédaigné de l'appeller fon Pere & lon
Maître;& fa fincerité avoit autant de part
que fa modeſtie à des noms fi glorieux ;
mais ce qui excitoit l'admiration dans un
temps où le Théatre ne faifoit que de naî
tre , ne va pas fi loin aujourd'hui ; on fe
contente d'eftimer ce qui a autrefois étonné
, & pour aller jufqu'à la furpriſe , on a
befoin de fe tranfporter au premier âge
des Muſes. Tel étoit celui de Rotrou , par
rapport à la Tragédie ; ceux qui avoient
travaillé avant lui dans ce genre de Poëfie
que Corneille & Racine ont élevé fi
haut , ne lui avoient rien laiffè qui pût
former fon goût ; de forte que la France
doit confiderer Rotrou comme le créateur
du Poëme Dramatique , & Corneille
comme le reftaurateur. Vous voyez ,
Madame , que cela pourroit fuffire pour
juftifier vos dégouts ; je veux aller plus
loin , & parcourir également les beautez
& les défauts de la Tragedie de Venceſlas
, pour pouvoir en porter un jugement
équitable.
1. Vol.
ACTE
DECEMBRE. 1730. 2691
Į
ACTE I.
Venceflas ouvre la Scene fuivi de
Ladifas & d'Alexandre fes fils ; il faut
retirer le dernier par ce vers adreffé à
tous les deux .
Prenez un fiége , Prince , & vous, Infant, ſortez.
Alexandre lui répond.
J'aurai le tort , Seigneur , fi vous ne m'écoutez.
Ce fecond vers eft un de ceux qu'il
faut renvoyer au vieux temps. J'aurai le
tort, n'eft plus françois , mais ce n'eft pas
la faute de l'Auteur . Que vous plaît-il ? cft
trop profaïque & trop vulgaire ; il n'étoit
pas tel du temps de Rotrou. Paffons
à quelque chofe de plus effentiel. Voici
des Vers dignes des fiécles les plus éclai
rez ; c'eſt Venceflas qui parle à Ladiflas.
Prêtez- moi , Ladiflas , le coeur avec Poreille
J'attends toujours du temps qu'il meuriffe le
fruit ,
Que pour me fucceder , ma couche m'a produit
Et je croyois , mon Fils , votre Mere immor,
relle ,
Par le refte qu'en vous elle me laiffa d'elle ;
Mais hélas ! ce portrait qu'elle s'étoit tracé ,
Perd beaucoup de fon luftre , & s'eft bien effacé
Ne
2692 MERCURE DE FRANC .
:
Ne diroit - on pas que c'eft Corneille
qui parle ? Ces Vers nous auroient , fans
doute , fait prendre le change , s'ils n'avoient
été précédez de cet à parte de
Ladiflas.
Que la Vieilleffe fouffre , & fait fouffrir autrui !
Oyons les beaux avis qu'un flatteur lui confeille
:
Quelle difparate ! tout ce que Venceflas
dit dans cette Scene , eft mêlé de petites
fautes , & de grandes beautez ; les
fautes font dans l'expreffion , les beautez
dans les penfées . Il y a pourtant dans ces
dernieres quelque chofe qui dégrade le
pompeux Dramatique : C'eft l'indigne
portrait que Venceflas fait d'un Fils qui
doit lui fucceder , & qui lui fuccede en
effet à la fin de la pièce. Le voicy ce
Portrait ;
S'il faut qu'à cent rapports ma créance réponde
,
Rarement le Soleil rend la lumiere au monde ;
Que le premier rayon qu'il répand icy bas ,
N'y découvre quelqu'un de vos affaffinats.
Où du moins on vous tient en fi mauvaiſe eftime,
Qu'innocent ou coupable , on vous charge du
crime ,
Et que vous offenfant d'un foupçon éternel ,
Aux bras du fommeil même, on vous fait criminel.
I. Vol. Quel
DECEMBRE . 1730. 2693
Quel correctif que ces quatre derniers
vers ! dans quelle eftime doit être un
Prince à qui on impute tous les crimes
que la nuit a dérobés aux regards du Public
? De pareils caracteres ont-ils jamais
dû entrer dans une Tragédie ? Mais dans
le refte de la Piéce , les difcours & les actions
de ce monftre iront plus loin que
le portrait.
Ce qu'il y a de plus furprenant , c'eſt
que Ladiflas , tel qu'il eft , trouve encore
le fecret de le faire aimer. On en peut ju¬
ger par ces Vers.:
Par le fecret pouvoir d'un charme que j'ignore,
Quoiqu'on vous meſeftime , on vous chérit encore
;
Vicieux , on vous craint , mais vous plaifez heureux
Et pour vous l'on confond le murmure & les
voeux.
J'avoue, Madame , que je ne comprends
pas le vrai fens de ce vers :
Vicieux , on vous craint ; mais vous plaifez heureux.
Vicieux & heureux, nefont pas faits pour
faire une jufte oppofition ; l'Auteur ne
voudroit-il pas dire , que malgré les vices
qui le font craindre , Ladiflas a le bon-
I. Vol
.G heur
2694 MERCURE DE FRANCE
heur de plaire ? Quoique ce vers puifle
fignifier , on ne fçauroit difconvenir qu'il
n'ait un fens bien louche . Mais que de
beautés fuivent ces petits deffauts ! Vous
en allez juger par cette belle tirade : c'eft
toujours Venceslas qui parle à fon Fils.
Ah ! méritez , mon Fils , que cet amour vous
dure ;
Pour conferyer les voeux , étouffez le murmure
Et regnez dans les coeurs par un fort dépendant
Plus de votre vertu que de votre aſcendant ;
Par elle rendez - vous digne du diadême ;
Né pour donner des loix , commencez par vous
même ;
Et que vos paffions , ces rebelles fujets ,
De cette noble ardeur foient les premiers objets .
Par ce genre de regne , il faut meriter l'autre
Par ce dégré , mon Fils , mon Thône fera vô
tre.
Mes Etats , mes Sujets , tout fléchira fous vous
Et , fujet de vous feul , vous regnerez fur tous .
>
2
?
Quand on trouve de fi grandes beautez
de détail dans une Piéce , on eft prefque
forcé à faire grace aux vices du fond;
& c'eft en cela feulement , Madame , que
je trouve vos dégouts injuftes . Voyons le
refte de cette Scene , qui eft dans le genre
déliberatif. Venceslas dans la leçon
qu'il fait à fon Fils , appuye fur trois
I. Vol, points
DECEMBRE . 1730. 2695
points ; fçavoir , fur les mauvais dépor
temens de fon Fils , fur fa haine pour fon
premier Miniftre , & fur l'averfion qu'il
a pour l'Infant. Ladiflas s'attache à répondre
exactement aux objections ; mais
il commence par convenir d'un reproche
que fon Pere ne lui a fait que d'une maniere
vague. Le voici :
Vous n'avez rien de Roy , que le défir de Pêtre
;
Et ce défir , dit -on , peu difcret & trop promt
En fouffre avec ennui le bandeau fur mon front.
Vous plaignez le travail où ce fardeau m'engage,
Et n'ofant m'attaquer , vous attaquez mon âge ,
&c.
Ce reproche doit- il obliger Ladiflas à
confeffer à fon Pere & à fon Roy , qu'il
eft vrai qu'il fouhaite la Couronne , &
qu'il lui eft échapé quelques difcours ?
Il fait plus , il cite le jour , où il a parlé
fi indifcretement fur une matiére fi délicate
:
Au retour de la Chaffe , hier affifté des micas
&c.
A quoi n'expofe- t-il pas les plus affidez
amis ? Sera- t- il bien difficile au Roy
de les difcerner ; il n'a qu'à fçavoir qui
font ceux qui l'ont fuivi à la Chaffe &
I. Voln Gij qui
2696 MERCURE DE FRANCE
qui ont foupé avec lui. Voicy ce qu'il
avoie lui être échappé :
Moy , fans m'imaginer vous faire aucune injure
,
Je coulai mes avis dans ce libre murmure ,
Et mon fein à ma voix s'ofant trop confier
Ce difcours m'échappa ; je ne le puis nier :
Comment , dis-je , mon Pere accablé de
d'âge ,
Et , fa force à prefent fervent mal fon courage,
Ne fe décharge- t- il avant qu'y fuccomber ,
D'un pénible fardeau qui le fera tomber ? &c.
tant
Voilà Venceflas inftruit d'un nouveau
crime qu'il pouvoit ignorer , & Ladiflas
très-imprudent de le confeffer ,fans y être
déterminé que par une plainte qui peut
n'être faite qu'au hazard. J'ai vu un pareil
trait dans une Comédie : Un Valet
pour obtenir grace pour un crime dont
on l'accufe , en confeffe plufieurs que fon
Maître ignore ; encore ce Valet eft-il plus
excufable, puifque l'épée dont on feint de
le vouloir percer , lui a troublé la raiſon;
au lieu que Ladiflas s'accufe de fang froid
devant un Pere qui l'aime , & qui vient
de lui dire :
Parlez , je gagnerai vaincu , plus que vainqueur
;
J. Vol. Je
DECEMBRE. 1730 : 2697
Je garde encor pour vous les fentimens d'un
Pere ;
Convainquéz-moi d'erreur ; elle me fera chere
-
Je fçais qu'on pourroit répondre à mon
objection ; que Ladiflas pouvoit fçavoir
qu'on avoit fait au Roy un fidele raport
de tout ce qui s'étoit dit à table ; mais
en ce cas là il faudroit en inftruire les
Spectateurs qui ne jugent pas d'après de
fuppofitions ; ainfi Ladiflas auroit dû dire
au Roy fon Pere : Je fçai qu'on vous a inf
trait ; ou l'équivalant. Il eft vrai qu'il
femble le dire par ce Vers :
J'apprends qu'on vous la dit , & ne m'en´ deffends
point.
Mais j'apprends, ne veut pas
dire qu'on
le lui ait apptis auparavant ; il feroit
bien plus pofitif de dire :je fçai qu'on
vous l'a dit
Ladiflas n'a garde de convenir que Ic
portrait que fon Pere vient de faire de
lui , foit d'après nature's bien loin delà
il l'accufe d'injufte prévention par ce'
Vers :
de ma part tout vous choque & vous
Encor que
bleffe , &c.
>
Pour ce qui regarde fa haine pour le
Giij Due I. Vol.
2698 MERCURE DE FRANCÈ
ſon Duc de Curlande,& fon averfion pour
Frere ,il ne s'abbaiffe à l'excufer que pour
,
s'y affermir. Voicy comme il s'explique :
J'en hais l'un , il eft vrai , cet Infolent Miniftre
,
Qui vous eft précieux autant qu'il m'eſt ſiniſtre ;
Vaillant , j'en fuis d'accord ; mais vain , fourbe ,
Aateur ,
Et de votre pouvoir , fecret ufurpateur , & c.
Mais s'il n'eft trop puiffant pour craindre ma
colere ,
Qu'il penfe murement au choix de fon falaire ,
&c.
&
Ce derniers vers fuppofe , comme il
eft expliqué un peu un peu auparavant
beaucoup plus dans la fuite , que Venceflas
a promis au Duc de lui accorder la
premiere grace qu'il lui demanderoit , en
faveur des fervices fignalez qu'il a rendus
à l'Etat. C'eſt pour cela que Ladiflas
ajoute :
Et que ce grand crédit qu'il poffede à la
Cour ,
S'il méconnoit mon rang , reſpecte mon amour,
Ou tout brillant qu'il eft , il lui fera frivole ,
Je n'ay point fans fujet , lâché cette parole ,
Quelques bruits m'ont appris jufqu'où vont fes
deffeins ;
I. Vol.
Et
DECEMBRË. 1730. 2699
Et c'eſt un des fujets , Seigneur , dont je më
plains.
Voicy ce qu'il dit au fujet de l'Infant.
Pour mon Frere , après fon infolence
Je ne puis m'emporter à trop de violence ;
Et de tous vos tourmens , la plus affreuſe horreur
Ne le fçauroit fouftraire à ma jufte fureur , &c.
L'humeur infléxible de ce Prince obli
ge fon Pere à prendre les voyes de la
douceur ; il convient qu'il s'eft trompés
il l'embraffe , & lui promet de l'affocier à
fon Thrône. C'eſt par là feulement qu'il
trouve le fecret de l'adoucir , & de lui
arracher ces paroles , peut-être peu finceres
;
>
De votre feul repos dépend toute ma joye ;
Et fi votre faveur , jufques -là fe déploye ,
Je ne l'accepterai que comme un noble emplois
Qui parmi vos fujets fera compter un Roy.
L'Infant vient pour fe juftifier du manque
de refpect dont fon Frere l'accufe ,
le Royle reçoit mal en apparence , & dit
à
part :
A quel étrange office , amour me réduis -tu ,
De faire accueil au vice & chaffer la vertu ?
1
I. Vol.
G iiij Ven
2700 MERCURE DE FRANCE
Venceslas ordonne à l'Infant de deman
der pardon à Ladiflas , & à Ladiſtas de
tendre les bras à fon Frere . Ladiflas n'obéit
qu'avec répugnance ; ce qu'il fait
connoître par ces Vers qu'il adreffe à l'Infant.
'Allez , & n'imputez cet excès d'indulgence ' ;
Qu'au pouvoir abſolu qui retient ma vengeance :
Le Roy fait appeller le Duc de Curlande
pour le réconcilier avec Ladiflas :
cette paix eft encore plus forcée que l'autre.
Venceflas preffe le Duc de lui demander
le prix qu'il lui a promis . Le
Duc lui obeït & s'explique ainfi :
Un fervage , Seigneur , plus doux que votre Em
pire ,
Des flammes & des fers font le prix où j'aſpire…..?
Ladiflas ne le laiffe
pas achever , &
lui dit :
Arrêtez , infolent , & c.
Le Duc fe tait par reſpect & ſe retire
avec l'Infant.
Le Roy ne peut plus retenir fa colere ,
il dit à ce Fils impétueux , qu'il ménage
mal l'efpoir du Diadême , & qu'il hazarde
même la tête qui le doit porter. Il le
quitte .
Je m'apperçus , Madame , que ces man-
I. Vol. ques
DECE MBRE. 1730: 2701
paques
de refpect , réïterés coup fur coup ;
en prefence d'un Roy ; vous revoltérent
pendant toute la réprefentation , je ne le
trouvai pas étrange , & je fentis ce que
vous fentiez . On auroit pû paffer de
reilles infultes dans les Tragedies qu'on
repreſentoit autrefois parmi des Républicains
; on ne cherchoit qu'à rendre les
Rois odieux ; mais dans un état monarchique
, on ne fçauroit trop refpecter le
facré caractere dont nos Maîtres font revêtus.
Dans la derniere Scene de ce premier
Acte on inftruit les Spectateurs de ce qui
a donné lieu à l'emportement de Ladif- .
las , & à l'infulte qu'il a faite au Duc en
prefence du Roy fon Pere. Ce Prince violent
croit que le Duc eft fon Rival. Ce--
pendant il ne fait que prêter fon nom
à l'Infant . Cela ne fera expofé qu'à la fin
de l'Acte fuivant , je crois qu'on auroit
mieux fait de nous en inftruire dès le
commencement de la Piéce.-
ACTE II
Theodore , Infante de Mofcovie , com
mence le fecond Acte avec Caffandre ,
Ducheffe de Cuniſberg . Elle lui parle ens
faveur de Ladiflas qui lui demande fas
main Caffandre s'en deffend par ces
Gy. Now
Vers :
LVola
2902 MERCURE DE FRANCE
Non , je ne puis fouffrir en quelque rang qu'if
monte ,
L'ennemi de ma gloire & l'Amant de ma honte ,
Et ne puis pour Epoux vouloir d'un ſuborneur ,
Qui voit qu'il a fans fruit attaqué mon honneur
L'Infant n'oublie rien pour appaifer
la jufte colere de Caffandre ; mais cette
derniere ne dément point ſa fermeté , &
découvre toute la turpitude des amours
de Ladiflas , par ces mots :
Ces deffeins criminels , ces efforts infolens ,
Ces libres entretiens , ces Meffages infames ,
. L'efperance du rapt dont il flattoit fes flammes ,
Et tant d'autres enfin dont il crut me toucher
Aufang de Cunisberg fe pourroient reprocher.
Je conviens avec vous , Madame,qu'un
amour auffi deshonorant que celui - là ,
n'eft pas fait pour la majefté de la Scene
Tragique, & qu'il doit faire rougir l'objet
à qui il s'adreffe . On a beau dire que
cela eft dans la nature ; il faudroit qu'il
fut dans la belle nature , & je doute qu'on
pafsât de pareilles images dans nos Comédies
d'aujourd'hui , tant le Théatre
eft épuré.
Ladiflas vient ſe joindre à fa four , pour
éblouir les yeux de Caffandre , par l'offre
d'une Couronne ; mais elle lui répond
avec une jufte indignation..
Me
DECEMBRE. 1730. 2703
Me parlez - vous d'Hymen & voudriez-vous.
pour femme
L'indigne & vil objet d'un impudique flamme ?
Moi ? Dieux ! moi ? la moitié d'un Roy d'un
Potentat !
Ah ! Prince , quel prefent feriez - vous à l'Etat >
De lui donner pour Reine une femme ſuſpecte
Et quelle qualité voulez - vous qu'il reſpecte ,
En un objet infame & fi peu refpecté ,
Que vos fales défirs ont tant follicité ?
Tranchons cette Scene , elle eft trop
révoltante. Ladiflas voyant que Caffandre
eft infléxible , s'emporte jufqu'à lui
dire , qu'il détefte fa vie à l'égal de la mort.
Caffandre faifit ce prétexte pour fe retirer.
Ladiflas court après elle ; il prie fa
foeur de la rappeller ; & fe repentant un
moment après de la priere qu'il vient
de lui faire; il dit qu'il veut oublier cette
ingrate pour jamais , & qu'il va preffer
fon Hymen avec le Duc qu'il croit fon
Rival, cette erreur produit une fituation ,
L'Infante qui fe croit aimée du Duc , &
qui l'aime en fecret , ne peut apprendre
fans douleur qu'il aime Caffandre. Elle /
fait connoître dans un Monologue ce qui
fe paffe dans fon coeur . On vient lui dire
que le Duc demande à lui parler. Elle le
fait renvoyer , fous prétexte d'une indif
1.Vol. Gvj pofi2704
MERCURE DE FRANCE
pofition . L'Infant vient pour fçavoir quelle
eft cette indifpofition ; il la confirme
dans fon erreur , il fait plus, il la prie de
fervir le Duc dans la recherche qu'il fait
de Caffandre ; l'Infante n'y peut plus tenir,
& fe retire , en difant :
Mon mal s'accroît , mon Frere , agréez ma re÷
traite.
Rien n'eft plus Théatral que ces fortes:
'de Scenes ; mais quand le Spectateur n'y
comprend rien , fon ignorance diminuë
fon plaifir ; il plaît enfin à l'Auteur de
nous mettre au fait , par un Monologue
qui finit ce fecond Acte ; & j'ofe avancer
que l'explication ne nous inftruit guére
mieux que le filence . Voicy comment
s'explique l'Infant dans fon Monologue.
O fenfible contrainte ! ô rigoureux ennui ,,
D'être obligé d'aimer deffous le nom d'autrui !
Outre que je pratique une ame prévenuë ,
Quel fruit peut tirer d'elle une flamme inconnuë?
Et que puis - je efperer fous cet afpect fatal ,
Qui cache le malade en découvrant le mal ? &c
Les deux premiers Vers nous apprennent
que l'Infant aime fous le nom d'au
trui ; mais les quatre fuivans me paroiffent
une énigme impénétrable : que veut
dire Rotrou , par ces mots ? Je pratique
L.. Kol.
une
DECEMBRE. 1730: 2705
1
une ame prévenuë ; & que pouvons - nous
entendre par cette flamme inconnue, & par
ce malade qui fe cache en découvrant le mal?
Eft ce que le Duc feint d'aimer Caffandre
aux yeux de Caffandre même ? Ne feroitil
pas plus naturel
que Caffandre fut inftruite
de l'amour de l'Infant , & qu'elle
confentit , pour des raifons de politique ,
à faire pafler le Duc pour fon Amant ?
Je crois que c'eft-là le deffein de l'Auteur
, quoique les expreffions femblent
infinuer le contraire ; quoiqu'il en foit ,
l'Infant ne devroit pas expofer , par cette
erreur , le Duc à la fureur de fon Frere ,-
pour s'en mettre à couvert lui- même.
D'ailleurs le Duc aimant l'Infante, com--
me nous le verrons dans la fuite , ne doit
pas naturellement le prêter à un artifice
qui le fait paffer pour Amant de Caf
fandre.
ACTE IM.-
Cet Acte paroît le plus deffectueux : Je
paffe légerement fur les premieres Scénes,
qui font tout-à-fait dénuées d'action . Let
Duc commence la premiere Scene par un
Monologue , dans lequel il réfléchit fur
la feinte maladie de l'Infante , pour lui
interdire fa préfence ; il préfume de cette
deffenfe, qu'elle eft inftruite de fon amour,
ou du moins qu'elle le foupçonne par le
L.Vol. demí.
2706 MERCURE DE FRANCE
1
demi aveu qu'il en a fait au Roy , quand
Ladiflas lui a deffendu d'achever ; il fe
détermine à aimer fans efperance .
Dans la feconde Scéne , l'Infant le
preffe de lui découvrir quels font fes.
chagrins ; ille foupçonne d'aimer Caffandre.
Le Duc détruit ce foupçon , fans
pourtant lui avouër fon veritable amour.
Dans la troifiéme , Caffandre preffe l'Infante
de la délivrer de la perfécution de
fon Frere, par l'Hymen dont il veut bien
l'honorer. Pour la quatrième , elle eſt
fi indigne du beau tragique , qu'il feroit
à fouhaiter qu'elle ne fut jamais fortie de
la plume d'un Auteur auffi refpectable
que Rotrou. En effet , quoi de plus bas
que ces Vers qui échapent à Ladiflas
dans une colere qui reffemble à un fang
froid. C'eft à Caffandre qu'il parle :
Je ne voi point en vous d'appas fi furprenans ,
Qu'ils vous doivent donner des titres éminens ;
Rien ne releve tant l'éclat de ce vifage ,
Où vous n'en mettez pas tous les traits en uſage ;
Vos yeux , ces beaux charmeurs , avec tous leurs
ap pas ,
Ne font point accufés de tant d'affaffinats , &c.
Pour moi qui fuis facile , & qui bien- tôt me
bleffe ,
Votre beauté m'a plû , j'avouerai ma foibleffe ;
Et m'a couté des foins , des devoirs & des pas ;
J. Vola Mais
DECEMBRE . 1730. 2707
Mais du deffein,je croi que vous n'en doutez pas,
&c.
Dérobant ma conquête elle m'étoit certaine ;
Mais je n'ai pas trouvé qu'elle en valût la peine.
Peut- on dire en face de fi grandes impertinences
? On a beau les excufer par le
caractere de l'Amant qui parle ; de pareils
caracteres ne doivent jamais entrer
dans la Tragedie.
Ladiflas fe croit fi bien guéri de fon
amour , qu'il promet au Duc , non - feulement
de ne plus s'oppofer à fon Hymen
avec Caffandre , mais même de le preffer .
Venceslas vient , il conjure le Duc de le
mettre en état de dégager la parole . Le
Duc le réfout enfin à s'expliquer , puifque
le Prince ne s'oppofe plus à fes défirs;
mais le Prince impetueux lui coupe encore
la parole , ce qui fait une efpece de Scéne"
doublée ; le Roy s'emporte pour la premiere
fois , jufqu'à l'appeller infolent. Ladiflas
daigne auffi s'excufer pour la pre
miere fois fur la violence d'une paffion
qu'il a vainement combattue. Il fort enfint
tout furieux , après avoir dit à fon Pere ::
Je fuis ma paffion , fuivez votre colere ;
Pour un Fils fans refpect , perdez l'amour d'un
Pere ;
Tranchez le cours du temps à mes jours deſtiné;
I. Vol
Ec
2708 MERCURE DE FRANCE
Ét reprenez le ſang que vous m'avez donné ; ·
Ou fi votre juſtice épargne encor ma tête ,-
De ce préfomptueux rejettez la requête ,
Et de fon infolence humiliez l'excès , '
Où fa mort à l'inftant en ſuivra le ſuccès.
Le Roy ordonne qu'on l'arrête ; c'eſt - là
le premier Acte d'autorité qu'il ait encore
fait contre un fi indigne Fils . Paffons
à l'Acte fuivant , nous y verrons une in
finité de beautez , contre un très - petit
nombre de deffauts.
ACTE IV..
L'action de cet Acte fe paffe pendant
le crepufcule du matin ; un fonge terrible
que l'Infante a fait , l'a obligée à
fortir de fon appartement ; ainfi ce fonge
qui d'abord paroît inutile, eft ingénieu
fement imaginé par l'Auteur , & donne
lieu à une tres - belle fituation , comme on
va le voir dans la feconde Scéne ; s'il y a
ya
quelque chofe à reprendre dans ce fonge,,
c'eft que l'Infante a vû ce qui n'eft pas
arrivé , & n'arrivera pas.
Hélas ! j'ai vu la main qui lui perçoit le flanc
J'ai vu porter le coup , j'ai vâ couler ſon fang ;
Du coup d'un autré main , j'ai vû voler fa tête
Pour recevoir fon corps j'ai vu la tombe prête .
I. Vol En
DECEMBRE: 1730. 2709
En effet ce n'eft pas à Ladiflas qu'on
a percé le flanc ; & pour ce qui regarde
eette tête qui vole du coup d'une autre
main ; le fonge n'eft , pour ainfi dire
qu'une Sentence comminatoire ; mais
voyons les beautez que cette légere faute
va produire.
"
Ladiflas paroit au fond du Théatre
bleffé au bras , foûtenu par Octave , font
confident. Voilà le fonge à demi expli
qué ; mais c'eft le coeur de l'Infante &
non du Prince , qui eft veritablement
percé. Ladiflas lui apprend qu'un avis
qu'Octave lui a donné de l'Hymen , du
Düc & de Caffandre , l'ayant mis au défefpoir
, l'a fait tranfporter au Palais de
cette Princeffe ; & qu'ayant apperçu le
Duc qui entroit dans fon appartement ,
il l'a bleffé à mort de trois coups de Poigard
; l'Infante ne pouvant plus contenir
fa douleur , à cette funefte nouvelle fe retire
pour dérober fa foibleffe aux yeux
de fon Frere : Elle fait connoître ce qui
fe paffe dans fon coeur par cet à parte :-
Mon coeur es -tu fi tendre ,
Qué de donner des pleurs à l'Epoux de Caffan
dre ,
Et vouloir mal au bras qui t'en a dégagé ?
Get Hymen t'offençoit , & fa mort t'a vengé.
Le jour qui commence à naître , oblige
I. Vol. La
C
2710 MERCURE DE FRANCÈ
Ladiflas à fe retirer ; mais Venceflas furvient
& l'apperçoit.Surpris de le voir levé
fi matin , il lui en demande la caufe , par
ces Vers :
Qui vous réveille donc avant que la lumiere ,
Ait du Soleil naiffant commencé la carriere.
"
Le Prince lui répond :
N'avez-vous pas auffi précédé fon réveil
Cela donne lieu à une tirade des plus
belles de la Piece. La voici , c'eft Vencel
las qui parle :
Oui , mais j'ai mes raiſons qui bornent mor
fommeil.
Je me voi , Ladiflas , au déclin de ma vie ,
Et fçachant que la mort l'aura bien - tôt ravie ,
Je dérobe au fommeil , image de la inort ;
Ce que je puis du temps qu'elle laiffe à mon
fort.
Près du terme fatal preſcrit par la nature
Et qui me fait du pied toucher ma ſépulture ,
De ces derniers inftants dont il preffe le cours ;
Ce que j'ôte à mes nuits , je l'ajoute à mes jours ,
Sur mon couchant enfin ma débile paupiere ,
Me ménage avec foin ce refte de lumiere ;
Mais quel foin peut du lit vous chaffer ſi matin
Vous à qui l'âge encore garde un fi long deſtin .
Ces beaux fentimens font fuivis d'un
I. Vol. coup
DECEMBRE. 1730. 2711
coup de théatre qui part de main de
Maître. Ladiflas preffé par fes remords
déclare à fon Pere qu'il vient de tuer le
Duc ; mais à peine a - t-il fait cet aveu ,
que le Duc paroît lui - même ; quelle
agréable furpriſe pour Venceflas la
que
nouvelle de la mort vient d'accabler ! &
quelle furprife pour Ladiflas qui croit
Favoir percé de trois coups de Poignard
!
Caffandre annoncée par le Duc , va bientôt
éclaicir cet affreux myftere ; elle vient
demander vengeance
de la mort de l'Infant.
yeux
de
Ce qui peut donner lieu à la critique
c'eſt un hors- d'oeuvre de cinquante vers ,
avant que de venir au fait. Je fçais , que
l'Auteur avoit befoin d'apprendre au Roy
que le Duc avoit prêté fon nom à l'Infant
, pour cacher fon amour aux
fon Frere ; mais cette expofition devoit
être placée ailleurs , ou mife icy en moins
de vers. Le refte de la Scene eft tres-pathetique;
elle jouë veritablement un peu trop
fur les mots. Vous en allez juger par ces
fragmens,
C'est votre propre fang , Seigneur , qu'on a
verfé ;
Votre vivant portrait qui fe trouve effacé ...
Vengez -moi , vengez-vous, & vengez un Epoux;
Que, veuve avant l'Hymen , je pleure à vos ge-
Mais поих.
2712 MERCURE DE FRANCE
Mais , apprenant , grand Roy , cet accident fi
niftre ,'
Hélas ! en pourriez - vous foupçonner le Miniftre?
Oui , votre fang fuffit , pour vous en faire foy ;
Il s'émeut , il vous parle, & pour & contre foy ,
Et par un fentiment enſemble horrible & tendre ,
Vous dit que Ladiſlas eſt méutrier d'Alexandre ...
Quel des deux fur vos fens fera le plus d'effort
De votre Fils meurtrier ou de votre Fils mort?
La douleur s'explique- t-elle en termes
fi recherchez ? Et n'eft- ce pas à l'efprit à fe
taire,quand c'eft au coeur feulement à par
ler?Je ne fçais même ſi ce vers tant vanté:
Votre Fils l'a tiré du fang de votre Fils :
eft digne d'être mis au rang des vers
frappés ; on doit convenir au moins què
l'expreffion n'en eft pas des plus juftes ;
en effet , Madame , un Poignard ne peutil
pas être tiré du fein , par une main innocente
, & même fecourable ?
Finiffons ce bel Acte. Venceslas promet
à la Ducheffe la punition du coupable . Il
ordonne à fon Fils de lui donner fon épée.
Ladiflas obéit , des Gardes le conduilent
au lieu de fureté ; le Roy dit au Duc :
De ma part donnez avis au Prince ,´
Què fa tête autrefois fi chere à la Province ,`
I. Vol. Doir
DECEMBRE . 1730. 2713
Doit fervir aujourd'hui d'un exemple fameux
Qui faffe détefter fon crime à nos neveux.
Venceflas fait connoître ce qui fe paſſe
dans fon coeur par cette exclamation .
Au gré
O ciel , ta Providence apparemment profpere ,
de mes
ſoupirs de deux Fils m'a fait Pere ,
Et l'un d'eux qui par l'autre aujourd'hui m'eft
ôté ,“
M'oblige à perdre encore celui qui m'eſt reſté .
7
Ce quatriéme Acte paffe pour être le
plus beau de la Piéce ; cependant celui
que nous allons voir , ne lui eft guére inférieur.
ACTE V.
que
Rien n'eft fi beau , que la réfolution
l'Infante forme dès le commencement ,
d'exiger du Duc qu'il borne à la grace de
Ladiflas la promeffe que le Roy lui a faite.
Le procédé du Duc n'eft pas moins heroïque
, il renonce à la poffeffion de l'objet
aimé , en faveur du plus mortel de fes
ennemis. La fituation de Venceflas eft des
plus touchantes , & fon ame des plus fer
mes. Il le fait connoître par ces Vers.
Tréve , tréve nature , aux fanglantes batailles
Qui , fi cruellement déchirent mes entrailles ,
Et me perçant le coeur le veulent partager ,
Entre mon Fils à perdre , & mon Fils à venger!
I. Vol. 发票
2714 MERCURE DE FRANCE
A ma juſtice en vain ta tendreffe eft contraire ,
Et dans le coeur du Roi cherche celui de
Je me fuis dépouillé de cette qualité ,
Et n'entends plus d'avis que ceux de l'équité, & c,
pere ;
La Scene qui fuit ce Monologue a des
beautés du premier ordre ; elle eſt entre
le pere & le fils. Je ne puis mieux en faire
fentir la force que par le Dialogue.
Ladiflas.
Venez-vous conſerver ou venger votre race ?
M'annoncez-vous , mon pere , ou ma mort , of
ma grace ?
Venceslas pleurant.
Embraffez-moi , mon fils .
Ladiflas
Seigneur , quelle bonté ?
Quel effet de tendreffe , & quelle nouveauté ?
Voulez - vous ou marquer , ou remettre mes peines
?
Et vos bras me font- ils des fayeurs , ou des chaî
nes ?
Venceslas pleurant toujours.
Avecque le dernier de mes embraffemens
Recevez de mon coeur les derniers fentimens,
Sçavez-vous de quel fang vous avez pris naiſfance
?
I. Vol. Ladiflas
DECEMBRE. 1730. 2715
Ladiflas.
Je l'ai mal témoigné ; mais j'en ai connoiffance.
Venceslas.
Sentez-vous de ce fang les nobles mouvemens ?
Ladiflas.
Si je ne les produis , j'en ai les fentimens.
Venceflas.
Enfin d'un grand effort vous fentez - vous capable
?
Ladifas.
Oui , puifque je réſiſte à l'ennui qui m'accable ,
Et qu'un effort mortel ne peut aller plus loin.
Venceslas.
Armez-vous de vertu vous en avez beſoin.
;
Ladifas.
S'il eft tems de partir , mon ame eft toute prête,
Venceslas.
L'échafaut l'eſt auffi ; portez-y votre tête &c.
fon
Tout le refte de cette Scene répond
aux fentimens que ces deux Princes viennent
de faire paroître. Ladiflas fe foumet
à fon fort ; il témoigne pourtant que
pere porte un peu trop loin la vertu d'un
Monarque : voici comme il s'exprime par
un à parte.
2716 MERCURE DE FRANCE
O vertu trop fevere !
VinceДlas vit encor , & je n'ai plus de pere.
Vinceflas eft fi ferme dans la réfolutiqn
qu'il a prife de n'écouter que la voix de
la juftice , qu'il refufe la grace du Printe
aux larmes de l'Infante & à la genérofité
de Caffandre ; le Duc même n'eft pas fûr
de l'obtenir ; il ne la lui accorde , ni ne
la lui refufe , & il ne fe rend qu'à une
efpece de fédition du peuple.
S'il y a quelque chofe à cenfurer dans
ce cinquiéme Acte , c'eft d'avoir fait prendre
le change aux fpectateurs. La premiere
grace promife au Duc dès le commencement
de la Piéce , fembloit être le
grand coup refervé pour le dénouement :
je ne fçais , Madame , fi vous ne vous by
étiez pas attendue comme moi ; car, enfin
, à quoi bon cette récompenfe fi folemnellement
jurée au Duc pour avoir fauvé
l'Etat , fi elle ne devoit rien produire ?
je conviens qu'elle influe dans la grace
du-Prince ; mais j'aurois voulu qu'elle én
fut la caufe unique & néceffaire ; cependant
cela ne paroît nullement dans les
motifs de la grace. C'eft Venceflas qui
parle
Qui , ma fille , oui , Caffandre , oui , parole
oùi , nature
I. Vol. Qüii
DECEMBRE . 1730. 2717
K
Oui , peuple , il faut vouloir ce que vous fouhaitez
,
Et par vos fentimens regler mes volontés.
Je fçai que tous ces motifs enfemble
rendent la grace plus raifonnable ; mais
elle feroit plus theatrale, fi après avoir refifté
à toute autre follicitation , Venceflas
ne fe rendoit qu'à la foi promife ; le Duc
même s'en eft flatté , quand il a ofé dire
à fon Maître :
J'ai votre parole , & ce dépot facré
Contre votre refus m'eft un gage affuré.
Il ne me refte plus qu'à examiner l'abdication
; elle n'eft pas tout-à- fait hors
de portée des traits de la cenfure . Quel
eft le motif de cette abdication ? le voici :
La juftice eft aux Rois la Reine des vertus.
Mais cette juftice ordonne- t'elle qu'on
mette le fer entre les mains d'un furieux?
Qui peut répondre à Venceslas que le repentir
de fon fils foit fincere ? Ne vientpas
de dire lui-même à Caffandre ? il
Ce Lion eft dompté ; mais peut-être , Madame
,
Celui qui fi foumis vous déguiſe ſa flamme ,
Plus fier , plus violent qu'il n'a jamais été ,
Demain attenteroit fur votre honnêteté ;
I. Vel H Peut2718
MERCURE DE FRANCE
Peut- être qu'à mon fang fa main accoutumée
Contre mon propre fein demain feroit armée.
Ne vaudroit - il pas
mieux que Venceflas
employât le peu de tems qui lui reste à
vivre à rendre fon fils plus digne de regner
? Et devroit- il expofer fon peuple
aux malheurs attachés à la tyrannie ? un
changement fi promt eft toujours fufpect,
& furtout dans un Prince auffi plongé &
auffi affermi dans le crime que Ladiflas.
Pour moi , Madame , fi la vertu de Venceflas
n'avoit brillé dans toute la Piéce ,
je ferois tenté de croire qu'il punit le
peuple d'avoir défendu un Prince fi indigne
de le gouverner. En effet n'eft-ce
pas ici le langage du dépit :
Et le Peuple m'enſeigne
Voulant que vous viviez , qu'il eft las que je regne
.
Je n'examine point la force de cette
abdication ; il a plû à Rotrou de faire la
Couronne dePologne moitié hereditaire ,
moitié élective : Venceflas le fait connoître
par ces Vers :
Une Couronne , Prince & e.
En qui la voix des Grands & le commun fuffrage
M'ont d'un nombre d'Ayeuls confervé l'herita¬
ge &c.
Regnez ; après l'Etat j'ai droit de vous élire ,
I. Vol
Et
DECEMBRE 1730. 2719
Et donner , en mon fils , un pere à mon Empire
Quel Pere lui donne- t'il ? Eft - ce là cette
juftice dont il fait tant de parade ?
Vous voyez , Madame , par tout ce que
je viens de remarquer dans la Tragédie
de Venceflas , que vos dégouts pour cette
Piéce ont été affez fondés. Pouvoit-elle
plus mal finir que par la récompenfe du
crime , & par l'oppreffion de la vertu ?
il femble l'Auteur en ait voulu annoncer
la catastrophe dès le commencement
, quand il a fait dire à VenceЛlas :
que
A quel étrange office , Amour , me réduis - tu ,
De faire accueil au vice , & chaffer la vertų.
Ce dernier Vers eft une espece de prophetie
justifiée par un dénouement auquel
on ne fe feroit jamais attendu.
Cela n'empêche pas que cette Tragédie
ne foit remplie de grandes beautés , &
qu'elle n'ait au moins trois Actes dignes
du grand Corneille. Je ne doute point
Madame , que vous ne rendiez cette juftice
à un Ouvrage qui s'eft confervé ſi
long- tems fur notre Théatre , & qui peut
s'affurer de l'immortalité fur la foi des
derniers applaudiffemens qu'il vient de
recevoir. Permettez - moi de finir cette
Lettre , en vous renouvellant les témoignages
de la plus parfaite eftime.
Hij NOUS I. Vol
2720 MERCURE DE FRANCE
*****
NOUVELLES ETRANGERES.
ORDRE de la Marche du Grand Seigneur,
de Conftantinople à Scutary ,
·le 3. Août 1730.
E réſultat de plufieurs Confeils tenus à la
9
Pambaffadeur
Chah - Thamas , ayant été de continuer la guerre
contre les Perfans , le Grand Seigneur fe détermina
à paffer en Afie , & à faire marcher le G. Vizir
à la tête de fes Troupes. Pour cet effet on
marqua le lieu d'affemblée dans la Campagne
entre Calcedoine & Scutary , derriere un Serrail
du Sultan : fes Tentes y furent dreffées & les Etendarts
à queue de Cheval, au nombre de 20. portez
& arborez avec beaucoup de pompe & de ceremonie
, fuivant l'ufage en pareille occafion.
*
Le 3. Août , le G. S. accompagné du G. V. du
Mufty , des Pachas & de fes autres principaux
Miniftres & Officiers , alla à 8. heures du matin
faire fa priere à la Mofquée d'Ajoub, dans le fond
du Port où le Mufty lui çeignit l'épée de la mê-
* L'Etendart à queue de Cheval ou le Toug,
comme les Turcs l'appellent , efl formé par une
groffe longue Pique , pour ceux qui le portent
à pied , par une plus petite pour ceux
qui le portent à cheval , au haut de laquelle eft
une boule de vermeil , & au- dessous un peu
plus bas , tout autour d'un bourrelet de bois doré
font attachez les crins d'une queuë de Cheval,
ordinairement teints de differentes couleurs,
I. Vol. me
DECEMBRE. 1730. 2721
me maniere qu'il fe pratique à l'avenement d'un
Sultan à l'Empire , ce qui tient lieu de Couronnement.
Cette cerémonie achevée , le G. S. revint
au Serrail , d'où peu après il s'embarqua avec les
Princes fes fils , le G. V. les Pachas & autres Miniftres
, fur la Galere du Capitan Pacha , dite la
Patrone Imperiale , magnifique ment pavoifée ;
il arriva à Scutary , vers le midi , au bruit du
Canon de la Galere qu'il montoit , & d'une autre
fur laquelle étoient les Pages & quelques -uns de
fes Officiers. Dès qu'il eut mis pied à terre , il
alla à une des principales Mofquées de la Ville où
il demeura plus d'une demie heure à prier Dieu
fur le Tombeau de fa mere qui y eft inhumée ;
enfuite montant à cheval il pourfuivit fa route
jufqu'à fon Serrail de Calcedoine , où il a toûjours
demeuré depuis avec fes Sultanes favorites
qui l'y vinrent joindre le même jour , n'étant
allé fous fes Tentes que quand il y a eu Grand-
Divan ou Confeil extraordinaire .
Quoique tous ceux qui devoient accompagner
le Sultan , fe fuffent mis en marche de grand
matin , les derniers cependant n'arriverent au
Camp qu'à plus de quatre heures après midi ; ce
n'eft pas que le Cortege de Sa Hauteffe , tout
nombreux qu'il étoit , n'eût du employer beaumoins
de temps à faire ce chemin qui n'eft
que d'environ une lieuë & demie , mais c'eſt que
faute d'âffez de terrain à la Marine , & de bon or -
dre pour mettre à propos chacun en mouvement,
à quoi les Turcs ne paroiffent gueres s'entendre ,
la Marche étoit fouvent interrompuë ; de forte
coup
* On remarque que c'est la premiere fois de
fa vie qu'il est venu à ce Serrail , quoique le
lieu foit fort agréable , & qu'il n'y ait pas une
demie heure de trajet de Mer à paffer.
Hiij qu'il 1. Vol.
2722 MERCURE DE FRANCE
qu'il s'écouloit quelquefois une demie heure fans
que perfonne bougeât , à cela près il n'y eut ni
foule ni confufion furtout de la part des Spectateurs
, quoiqu'en très- grand nombre , & il n'arriva
pas le moindre defordre , & depuis l'Echelle
où l'on débarque à Scutary jufqu'aux Pavillons
du G. S. les rues & la Campagne étoient bordées
de part & d'autre d'une haye de gens fous les armes,
fçavoir , de Janniffaires à droit & de Topdgis
& Gebedgis ou Canoniers &Armuriers à
che.
gau
Un peu avant que la Marche s'ouvrit , so . Chiaoux
des Janniffaires , pafferent , & après eux en differens
temps , la plus grande partie des principaux
Officiers de cette Milice , comme des Tchorbadgis
ou Capitaines , le Bach- Chiaoux ou le
Sergent Major, Le Sanffoudgi - Bachi. Chef
de ceux qui ont le foin des Levriers ou grands
Chiens du Sultan . Le Zagardgi - Bachi , à qui font
confiez les Dogues , les Epagneuls & autres
Chiens pour la Chaffe du fufil. Le Bach - Yazidgi
ou premier Secretaire des Janiffaires. L'Affas- Bachi
, qui a le foin de la Police , & le Sou- Bachi ,
qui eft le Prévôt de Conftantinople . Le Kiaya-
Bey , autrement nommé le Koul- Kiayaffy , ou le
Lieutenant General de ce Corps. Le Janiffaire,
Aga , ou le General des Janniffaires , & plufieurs
lefquels prirent tous les devants
cevoir Sa Hauteffe au Camp , ou parce que quelques
fonctions particulieres les empêchoient de
fe trouver à la Marche.
autres , pour
re-
Maiſon & Suite du G. V. fçavoir , 70. Tartares
à cheval , marchant deux à deux , ayant leur
Tartar- Agaffy ou Commandant à leur tête , leur
Drapeau blanc déployé , & armez chacun d'un
Sabie, de Piftolets d'Arçon , d'Arcs & de Fleches
Les Tartares font les Couriers du G. V.
I. Vol. Les
DECEMBRE. 1730. 2723
Les 4 Chefs des Gnululis & des Delis , qui
font des efpeces de Cavaliers ou Dragons volontaires
, tirez la plupart de l'Albanie & de la Bofnie
, & qui font une partie de la Garde à Cheval
du G. V.
Une Compagnie de Gnunulis , marchant fur
une ligne à la droite & une de Delis , marchant
´de même à la gauche ; il y avoit encore quelques
Dragons d'une autre forte , mêlez parmi ces deux
Compagnies.
Beaucoup de Divans Tchaoux ou Huiffiers du
Confeil à cheval fur deux lignes , & en Muderedgé,
c'eft- à-dire en grand Bonnet de ceremonie
, étroit par en bas , fort large au fommet
, haut d'un pied & demi , & tout couvert
d'une Mouffeline pliée autour.
Deux Tougilars ou Officiers portant chacun un
Etendart 2à queue de Cheval , fuivi de 4. Sangiactars
ou Porte- Enfeignes , portant les Sangiaks
ou Drapeaux des Pachas ; celui du G. V.
étoit verd , les autres de diverfes couleurs , & ils
étoient pliez tous quatre.
100. tant Vizirs- Agaffy , que Tcheknegirs ou
Mutaferikas , fort bien vétus & montez ; ils
avoient pour armes l'Arc & des Fleches dorées
dans des Carquois de cuivre ou couverts de ve→
lours , le tout relevé d'une riche broderie .
Les Ghedikluzaims , forte d'Officiers de Cavaferie
, qui poffedent les plus confiderables Ziamets
ou Fiefs de l'Empire.
Les Muderris ou Profeffeurs qui enfeignent
P'Alcoran , la Medecine , les Langues Arabe &
Perfane , & qui afpirent aux Charges de Judicature.
Les Moullahs , Grands -Juges ou Juges Souverains
dans les Provinces , en Turban rond , d'une
grofleur démefurée.
I. Vole
Hiiij 300.
2724 MERCURE DE FRANCE
300. Yazidgis du Kalem , Effendis ou Codgeas;
ee font differentes efpeces de Commis & d'Ecrivains
du Divan de la Chancellerie & des Tréſors.
Une Compagnie de Janniffaires en habit de
guerre , le fufil fur l'épaule.
L'Imbrohor , ou Grand- Ecuyer.
36. Chevaux de main , dont 7. entre autres
plus beaux & plus fuperbement harnachez que le
refte , portoient des Boucliers d'airain argenté
chargez d'ornemens d'or,& attachez à la Selle du
côté hors du montoir.
Le Capidgilar- Buluk- Bachi , ou Chef de Brigade
des Capidgis ou Portiers , entouré de beaucoup
de Choadars , ou -Porte - Manteau , le Moufquet
fur l'épaule.
Le Telkitchi , efpece de Meffager qui porte les
Billets & dans de certaines occafions les Avis de
bouche du G. V. au G. S.
Le Mectupchi ou Secretaire du Cabinet du G.V.
Le Buyuk & le Cutchuk- Teskeredgi , ou le
Grand & le Petit Greffier , qui expedient les ordres
du G. V. au Divan , & écoutent , accompagnez
du Chiaoux - Bachi , les plaintes & les Procès
des Particuliers.
La Compagnie du Muzur- Aga , ou d'Halebardiers
du G. V. marchant deux à deux, & fuivis
de leur Capitaine. Ils ont pour arme une demi
pique de bois noir ornée d'une bande
d'argent d'un pouce de large, qui tourne tout autour
en Spirale du bas en haut.
>
Le Kiaya du G. V. autrement dit le Vizir
Kiayaffi , il avoit un Arc & un Carquois fuperbes
, une petite Garde de Janniffaires & environ
100. Choadars à pied , le Moufquet fur l'épaule
& le Sabre au coté.
Le Hafnadar ou Tréforier , & l'Imam ou Aumônier
, avec l'Arc & le Carquois , & beaucoup
de Valets armez.
DECEMBRE . 1730. 2725
100. Itch Agalars ou Pages , marchant deux à
deux en fort bon ordre , & montez fur des Chevaux
d'une grande beauté , magnifiquement harnachez
& caparaçonnez à la Romaine; ils avoient
pour armes offenfives, le Sabre , les Piſtolets d'Arçon
, l'Arc & la Mildrac ou Lance Hongroife ,
qui n'eft qu'une demi Pique , & pour armes deffenfives
, une Cotte de Mailles à demi manches ,
qui leur defcendoit jufqu'aux genoux ; des Braſfarts
d'acier poli & damafquiné , dont leur avant
bras étoit couvert en dehors jufqu'au conde , &
de Mail.es en dedans ; une Calotte du même acier
leur tenoit lieu de Turban ; il en pendoit un petit
Raiſeau de Mailles pour leur garantir le cou &
& les joues & autour de cette Calotte une longue
Seffe ou écharpe de Soye de differentes couleurs ,
étoit entortillée & ajustée avec beaucoup de grace
; ils portoient outre cela un Kerekié au Manteau
long d'étoffe de Soye leger , à fleurs d'or &
d'argent, qui leur paffoit en écharpe de deffus l'épaule
gauche fous le bras droit , & dont les bouts
toient nouez par derriere à un Carquois de velours
en broderie , rempli de Fleches dorées .
Il y avoit un grand nombre de gens très - bien
faits , tant parmi ces Cavaliers , que parmi ceux
dont on va parler , & le tout enfemble for moit
une Troupe d'un air auffi lefte que martial.
100. autres Itch- Agalars en pareil équipage
que les précedens , excepté qu'au lieu de la Lance,
ils portoient la Carabine haute, dont la monture,
quoique d'un travail fort imparfait, ne laiffoit pas
de produire un effet très - brillant par la riche
marqueterie d'or , d'argent , de Nacre de Perle ,
de Corail & d'autres Joyaux dont elle étoit toute
couverte .
de
La Mufique guerriere du G. V. compofée de
40. Muficiens à cheval , tant Trompettes,
I. Vel.
plus
Hv Haut
2726 MERCURE DE FRANCE
Hautbois , Cimbales, que Tabours , petites Timbales
& autres Inftrumens du Pays. Marchoit
après la Maiſon & Sunte du Vizir Kiayaffy , fça.
voir , 22. Agas , Gentils - hommes Courtifans ou
Servans, bien montez, fort leftes & en bon ordre..
L'Imbrohor ou Ecuyer.
7. Chevaux de main , auffi beaux & auffi fu
perbement harnachez que ceux du G. V. à l'exception
qu'ils n'avoient ni peaux de Tigre , ni
Boucliers à la Selle . Il n'a pas droit de faire mener
un plus grand nombre de Chevaux, non- plus
que les Pachas. Le G. V. en fait mener tant qu'il
yeut.
avec la Carabine.
30. Itch-Agalars , avec l'Arc & le Carquois..
30. autres avec la Lance Hongroife. Et 30. autres
Le Kiaya ou l'Intendant du Vizir Kiayaffy &
le Kiatib ou Secretaire du Kiaya.
Le Hafnadar ou Tréforier & beaucoup d'au
tres Officiers & Domestiques..
Maifon & Suite particuliere du G. S.
200. Zaims ou Cavaliers rentez , c'eft- à- dire
qui poffedent des Ziamets ou Fiefs , entourez de
leurs Domestiques à pied armez.
60. Tant Effendis que Kiatibleri , Secretaires ,
Ecrivains ou Commis de la Chancellerie & du
Tréfor , en même équipage que les Zaims.
130. Eulemas ou Docteurs , coeffez de prodigieux
Turbans , & portant la Peliffe à longues.
manches fendues & pendantes
4. heiks ou Chefs d'Ordres Religieux..
4. Toygilars ou Porte- Ltendarts à queue de
Cheval, fuivis de 7. Bairactars ou Porte - Enfeignes,
portant chacun un Drapeau plié de diverfes couleurs.
Le G. S. a fix de ces Queues , mais on n'en
portoit que 4. les autres étoient au Camp pour
I. Vol.
marDECEMBRE
. 1730. 2727
marquer les Tentes de Sa Hauteffe.
6. Longs Sacqs de cuir rouge , pliffez & liez en
bourfe par en bas & par en haut à une grande
Pique qui les traverſe , renfermant des Bâtons pour
donner la baftonade , fupplice fort ordinaire &
qu'on inflge pour peu de chofe chez les Turcs .
Ces Sacqs portez font des marques d'autorité &
de fouveraineté .
&
Le fecond Hafnadar ou fecond Tréforier ,
le Tefter Eminy ou Controlleur . Le Hafnadar
Aga ou premier Tréforier du Serrail , qui eft un
Eunuque noir , étoit abſent.
Le Hekim- Bachi ou Premier Medecin , & le
Dgeack- Bachi ou Premier Chirurgien.
L'Ordi - Cadiffy , ou l'Intendant & le Juge des
Corps de Métiers & des Marchands . Il fait les
fonctions de Grand Prévôt à l'armée .
2. Anciens Iftambol- Effendy ou Lieutenans Ge
neraux de l'olice de Conftantinople.
Le Defterdar ou le Grand - Tréforier , qui après
le G. V. eft . auffi Sur - Intendant des Finances
marchant à la droite , & le Reys Effendi , Secretaire
d'Etat , marchant à la gauche. La Charge de
Reys- Effendi répond à peu près à celle de Chanceliér
en France.
Le Bach- Baki Koulon ou Chef des Receveurs
qui pourfuivent le payement des fommes dues au
Tréfor.
L'Iftambol- Effendy ou le Lieutenant General
de Police actuel , & le Nakib- Echeref, ou le Chef
des Emirs , defcendans de Mahomet.
20. Anciens Kadileskers ou Juges fuprêmes
d'Anatolie & de Komelie , en gros Turban , à la
tête defquels marchoient les deux Unkiar- Imams,"
ou le premier & le fecond Aumônier du G. Ş .
Les deux Kadileskiers qui font actuellement en
charge ; celui d'Anatolie marchant à la droite &
I. Vol.
H vj celui
2728 MERCURE DE FRANCE
celui de Romelie à la gauche ; ils étoient armez
d'Arcs & de Fleches & environnez de beaucoup
de Choadars.
4.Pachas ouVizirs à trois queues,marchant deux
deux précedez de leurs Eftafiers , ils portoient le
Turban nommé Calevi , fait à 4. coins ronds .
comme le font communément nos Mortiers à
piler ; ils étoient fuperbes en tout , & avoient
chacun plus de 4. Choadars , fort proprement
vétus & bien armez .
Le Mufti ou le premier Miniſtre de la Loy &
l'Oracle de la Religion parmi les Turcs en habit
blanc de Camelot , armé d'un Sabre , d'un
Arc & d'un Carquois , comme accompagnant le
G. S. à la guerre contre des Heretiques. Il marchoit
feul , entouré d'une vingtaine de Valets de
Pied , le Moufquet fur l'épaule.
*
Le G. V. appellé par les Turcs Vizir- Azem ,
qui fignifie le Chef du Confeil , & Muhur- Sahibi,
qui veut dire le Maître du Sceau , fon Cheval
étoit couvert de harnois d'argent , enrichis de
Pierres précieuſes. Ses Tufekchis ou Moufquetaires
& fes 8 Eftafiers le précedoient à pied, il étoit
entouré d'un grand nombre d'autres Domestiques
à pied, & fuivi de 4.Tchorbadgis de Janiffaires avec
le Bonnet de Ceremonie en grand plumage , il regardoit
de côté & d'autre affablement & jettoit de
temps en temps des Sequins au Peuple , fur tout
où il appercevoit des Etrangers.
24. Capidgis- Bachis , ou Chefs des Portiers du
Serrail ; ce font des Gentilshommes de la Chambre
, il y en a toûjours un de garde à la porte
des Appartemens de S. H. Ils introduifent à fon
* Cachet d'or où le nom du G. S. éft gravé.
S.H. le donne à celui qu'elle fait G. V. & le lui
ête quand il est tombé dans fa disgrace.
I, Vol. AuDECEMBRE.
1730. 2729
D
Audience les Ambaffadeurs & tous ceux qu'on y
admet en les prenant fous les bras ; ils ne paffent
jamais à de plus grandes Charges, & n'ont que
3.1. 15. .. par jour , mais on les envoye porter les.
ordres du Sultan au Vizir & Pachas dont ils font
quelquefois chargez d'apporter la tête , & ces fortes
de commiflions les dédommagent de la modicité
de leurs appointemens.
Le Buyuk Imbrohor , ou Grand-Ecuyer , & le
Kutchub Imbrohor , ou petit Ecuyer ; le premier
a l'inſpection fur tous les Chevaux , Chameaux,
Mulets &c. & le fecond qui eft le Lieutenant du
premier , fur les Coches , Caroffes , Litieres &c.
& marche devant la Sultane Valité , ou mere du
G. S. quand elle monte en Carroffe.
48. Chevaux de main ; fçavoir , 14. couverts
de houffes trainantes , les unes de drap , les autres
d'etoffes de foye relevées en broderie d'or &
d'argent.
10. autres auffi en houffes de drap trainantes
mais chargées d'ornemens faits de petites plaques.
en boffe d'argent ou d'or maffif , appliquées fur
le drap.
15. autres à houffes courtes de velours cramoifi
, brodées d'or & d'argent , avec un riche
bouclier attaché à la felle.
9. autres dont les houffes , les harnois & les
boucliers étoient couverts de perles & de pierres
précieuſes.
30. de ces Chevaux portoient des bouquets de
plumes fur la tête accompagnés d'enfeignes de
pierres précieufes , & de deffous la gorge , ik
pendoit un toupet de crin blanc , ou teint de diverfes
couleurs , avec une boule de vermeil au
bout. Une écharpe de gaze , de moire ou d'autre
étoffe de foye , mêlée d'or & d'argent s'entortiloít
legerement autour de ce toupet , & for-
1. Vel mang
2730 MERCURE DE FRANCE
mant une espece de fefton , fe retrouffoit à la
*felle qui avoit l'accompagnement ordinaire d'une
Maffe , d'une hache d'Armes , & d'un grand fabre
, le tout bien garni de pierreries. Il eft certain
qu'on ne peut gueres rien voir de plus fuperbe
en ce genre que ces 48. Chevaux de main
& leurs harnois .
Quelques Salabors , ou Ecuyers Cavalcadours,
fuivis par des redekchis , des Saratches & des
Seis , trois claffes differentes de Palfreniers.
6. Dogues & 6. autres Chiens pour la Chaffe
au fufil , peints en differens endroits de leur corps
& menés chacun en leffe par deux Boftandgis.
·Le Selam Agaffy , ou le Chef des Selam-
Chiaoux , ou Chiaoux du falut , & le Capidgilar
Kiayaffy , ou le Lieutenant des Portiers , qui fait
les fonctions de Maître des Cerémonies , & d'Introducteur
de tous ceux qui vont à l'audience du
Sultan.
Le Sandgiak Cherif , ou l'Etendart verd que
Mahomet donna lui-même aux Muſulmans ; il
étoit plié & enveloppé dans une longue bourfe
de taffetas verd ; un Emir , qui eft l'Alemdar , out
le Lieutenant du Nakib Echref , ou Chef des
Emirs , le portoit , entouré de beaucoup d'au
tres Emirs , tous , foi - difant , de la famille du
Prophete , & fuivis de plufieurs Dervichs ou Religieux
, ainfi que d'autres perfonnes qui deffervent
les Mofquées , chantant tous des Hymnes
pour la profperité des Armes du Sultan , la propagation
de la Foi Mufulmane Orthodoxe , &
la deftruction des Perfans Herétiques Sectateurs
d'Aly.
Un grand Caroffe fort bien doré par tout >
tant en dedans qu'en dehors , tiré par fix Chevaux
blancs dont les houffes & les harnois
étoient de velours cramoifi , brodé d'or ; il por-
2.
J. Vol.
toir
DECEMBRE. 1730. 2731
toit une petite caffette d'argent doré qui renfermoit
un Manufcrit de l'Alcoran & une boëte
d'argent ovale , dans laquelle étoit le Manteau
de Mahomet. C'est pour la premiere fois qu'on
a vû un Caroffe dans une Marche du G. S.
Le Solak- Bachi & le Peik Bachi ,
i, oules Commandans
des Solaks & des Peiks , ou petits Valets
de S. H. en habits magnifiques & en bonnets
de vermeils d'un pied de haut.
+6
& une 200. Selaks marchant deux à deux
Compagnie de Peiks , marchant de même dans.
l'interieur des deux lignes que formoient les Solaks
.
Le G. S entouré de s . Solaks à pied , portant
le Bonnet à haut & grand pannache , pour empêcher
, dit- on , qu'il ne foit va fi facilement du
peuple , & fuivi de 200. Chateirs , Boftandgis
Baltadgis & autres fortes de Domestiques à pied.
& bien armés . Le G. S. n'avoit pour tout orne→
ment guerrier qu'un Arc & un Carquois .
Les 6. Chah Jade , ou fils du G. S. armés
d'Arcs & de Carquois , marchant deux à deux
& environnés de leurs Gouverneurs , Officiers &
Domeftiques.
و
Le Selictar Aga , ou Porte- Epée de S. H. le.
Sabre du Sultan qu'il portoit éclatoit de pierreries
, & lui pendoit d'un Ceinturon paffé un baudrier.
Le Tehohadar Aga , ou Maître de la Garde
Robe , & Porte -Manteau du Sultan ; il portoir
fa Maffe d'Armes , & jettoit de fa part des poignées
de Paras au Peuple. Ce font de petites .
Piéces qui ne valent que 18. deniers.
2. Dulbent Agalar , ou Porte-Turban ; cha
cun d'eux en tenoit un dans fes mains , enveloppé
d'un taffetas verd fort clair , au travers du
quel brilloient de belles Enfeignes de diamans...
I. Vol.
2732 MERCURE DE FRANCE
4. Pages de l'Hafoda portant le Tabouret , l'Aiguiere
, le Sorbet & la Caffoletre de S. H.
Le Kiaya , ou Lieutenant du Kiflar- Aga , où
Second Chef des Eunuques Noirs , & le Capon-
Aga , ou Chef des Eunuques Blancs.
"
Une partie des Eunuques Noirs & des Eunuques
Blancs en cotte de mailles , le Pot en tête
avec le Sabre , l'Arc & le Carquois . Cette Troupe
n'étoit pas la moins curieufe de la Marche.
La Mufique Guerriere du G. S. composée de
plus de 60. perfonnes à cheval , excepté les Timbaliers
, montés fur des Chameaux.
2. Eunuques Blancs , à la tête de 30. Itch-
Agalars , ou Pages de l'Haf- oda , montés fur
des Chevaux Arabes ; ils étoient équipés comme
ceux dont on a ci- devant parlé , mais avec encore
plus de magnificence. Ils avoient un Kerckie
d'étoffe de foye jaune , une Echarpe ou Seſſe
rouge autour de leur calotte de fer , & pour armes
l'Arc & le Carquois.
2. Eunuques Blancs , fuivis de 30. Pages d'une
autre Chambre en Kerckie rouge , coeffure
blanche , & la lance ou demi- pique à la main .
Idem , fi ce n'eft que le Kerckté étoit verd &
la coëffure aurore.
Idem , en Kerckie couleur de rofe & coëffure
bleuë .
Idem , en Kerckie bleu , coëffure verd de mer ,
& portant la Carabine haute.
idem , en Kerckie verd celadon & coëffure
cramoifi .
>
2. Eunuques Blancs , & 20. Pages feulement ,
en Kerckie couleur de cerife , coëffure couleur
de citron , & avec la Carabine comme les deux
Brigades précedentes.
Et enfin quelques bas Officiers & Valets du
Sérail en foule qui fermoient la Marche.
I Vol Les
DECEMBRE. 1730. 2733
3
Les 6. Brigades d'Itch - Agalar dont on vient
de parler , formoient une Troupe veritablement
digne d'un grand Souverain , par la bonne mine
de la plupart des Cavaliers , la beauté des Chevaux
, la riche varieté , & le bon gout des habits
& des Equipages.
Suite des Nouvelles de Turquie.
› Lamascondunt depiller la Province ,les
Es Lettres de Syrie portent que le Pacha de
Payfans s'étoient affemblés fous les ordres du
nommé Alayon , Chef d'une Troupe d'Arabes,
qu'ils avoient attaqué les Troupes du Pacha , les
avoient battuës , & les avoient forcées de fe retirer.
On mande de Conftantinople que le nouveau
Sultan Mamouth , fils de Muftapha , frere du
Sultan dépofé , étoit un Prince âgé de 34. ans ;
que les Janiffaires du Camp de Scutari ayant
appris le commencement de la révolution dont
on a parlé , & la nouvelle de la mort du G. V .:
en avoient fait de grandes réjouiflances ; qu'ils
avoient écrit à ceux de Conftantinople pour les
déterminer à la dépofition du Sultan Achmet
III. que ces Lettres ayant été luës dans la Place
d'Atmeidam avoient animé le Peuple qui paroiffoit
d'abord ne pas approuver la révolte , & qui
s'y porta enfuite avec fureur.
Des Lettres particulieres portent que le nouveau
Sultan avoit envoyé ordre aux Pachas de
la Morée , de la Dalmatie & de l'Albanie , de
fournir à Sa Hauteffe 12000. hommes pour le
mois de Mars prochain ; que les Hofpodars de
Valachie & de Moldavie devoient auf fournir
6000. chevaux.
On a appris par la
1.Vol.
voye de Venife que 4i
Octobre
le
2734 MERCURE DE FRANCÈ
Octobre dernier les Soulevés s'étant affemblés de
nouveau devant le Sérail , avoient demandé les
têtes du Mufti & de l'Aga des Janiffaires ; que
le nouveau Sultan ayant promis de les fatisfaire,
avoit envoyé fur le champ des Eunuques pour"
les étrangler dans leurs Maifons ; mais qu'ayant
eu le tems de s'échaper , ils avoient traversé le
Canal dans une Barque Etrangere ; que le Mufti
avoit été pourfuivi jufqu'au rivage par la populace
: que le même jour après midi les Soulevez
s'étoient rendus en grand nombre aux Priſons
communes qu'ils avoient fait ouvrir , & avoient
donné la liberté à tous les prifonniers : qu'ils
s'etoient tranfportés enfuite à l'Arfenal , & qu'ils
avoient mis en liberté les Forçats de cinq Galeres
qui étoient la plupart étrangers que te
foir ils avoient tiré du vieux Sérail la mere du
nouveau Sultan qui y avoit été renfermée lorfque
le Sultan Mustapha avoit été dépofé ; qu'ils
Pavoient conduite en triomphe au nouveau Sérail
, & l'avoient déclarée Sultane mere : que les
Soulevés de Conftantinople quitterent les armes
les . qu'ils cefferent de s'affembler tumultueufement
, & commencerent à travailler aux préparatifs
du Couronnement dù G. S. on rouvrit
ce jour là les Boutiques , & le calme fut entie
rement rétabli dans toute la Ville ; que le même
jour S. H. fit une promotion de fes Grands Officiers
, ayant caffé tous ceux qui étoient en place
fous le Sultan dépofé , & renouvellé entierement
le Divan , dont il n'y a eu que quatre ou cinq
Membres qui ayent été confervés.
au
Le 6. jour deftiné à la Cerémonie du Couronnement
, les Grands Officiers s'étant rendus
nouveau Sérail , les Ruës & les Places de la
Ville furent occupées par les Janiffaires , dont la
plus grande partie fut poftée fur le chemin qui
Is Vol.
conduit
DÉCEMBRE . 1730. 2735
sonduit du Sérail à la grande Mofquée ; ils y
formerent une double haye , & le Peuple étoit
rangé derriere eux . Au fignal donné par un coup
de Canon, le G.S.monta à Cheval, & fon Cortege
fe mit en marche ; S. H. étoit revêtue d'une Robe
&la tête couverte d'un Turban prefque entierement
couverts de pierreries. Ce Prince étant arrivé à la
Mofquée , le Mufti que le Sultan avoit nommé
fa veille , lui ceignit le Cimeterre & falua enfuite
le G. S. avec les cerémonies accoutumées.
S. H. à fon retour au Sérail fit de grandes largeffes
au peuple , & envoya des aumônes confiderables
aux Efclaves Chrétiens qui font fur
les Galeres.
•
Le 7. le G. S. reçut les refpects & le ferment
de fidelité des Grands Officiers de l'Empire , du
nouvel Aga & des autres Officiers des Janiffaires,
du Capitan Pacha & autres Officiers de Marine,
& des principaux Officiers du Camp de Scutari
qui étoient venus pour recevoir les ordres de
S. H. fur le départ de l'Armée. L'après - midi , le
G. S. tint un grand Divan , dans lequel il fut
réfolu , à ce qu'on affure , de faire la paix avec
les Perfans , & d'envoyer des pleins pouvoirs au
Pacha de Babilone pour traiter avec le Roi de
Perfe
Le 8. il y eut comme les deux jours précedens
des réjouiffances publiques dans toute la
Ville.
Le 9. le G. V. reçut les vifites des Miniftres
Etrangers , aufquels il offrit de faire reparer tout
le dommage qu'on pourroit leur avoir fait
pendant le foulevement. L'après- midi il y eut encore
un grand Divan , dans lequel on acheva de
regler les principales affaires de l'interieur de
l'Empire.
Le 10. il y eut un petit Divan pour nommer
I. Vol.
2736 MERCURE DE FRANCE
à divers Emplois qui n'avoient pas été remplis
les jours précedens , & que le G. S. donna par
préference à ceux qui fe font diftingués dans
les Troupes.
Le 11. le Corps des Janiffaires qui fe trouve
à Conftantinople , & qui n'auroit dû être que
de 40000. s'affembla fur la grande Place , & ſe
trouva monter à 70000. hommes , pour demander
une augmentation de paye que le G. S.
leur a fait promettre , ainfi qu'aux Topigis ou
Canoniers qui s'étoient auſſi aſſemblez au nombre
de près de 20000.
Le bruit court qu'on a trouvé dans l'Appartement
du Sultan dépofé 28000000. en efpeces
d'or , & près de 6000000. en efpeces d'argent ,
10000000. chez le G. V. & des fommes trèsconfiderables
chez le Mufti , le Capitan Pacha
le Capigi Aga & l'Aga des Janiffaires. On attend
la confirmation de toutes ces Nouvelles , qui
pourroient n'être pas exactes , par des Lettres de
Conftantinople.
RUSSIE.
LEs Roide
Es Lettres de Derbent portent que le Roi de
Troupes Mofcovites en Perfe qu'il obferveroit
exactement les Traités qu'il a conclus avec le
feu Czar Pierre I. & que fi les Marchands, Sujets
de la Czarine , vouloient aller négocier dans
fes Etats , il leur accorderoit tous les Paffeports
qu'ils demanderoient.
>
Les Ouvriers qu'on avoit envoyés dans les
Montagnes de la Georgie pour y travailler aux
Mines d'or & d'argent qu'on y a découvertes
n'en étoient pas encore revenus à Aftracant au
mois de Septembre dernier , & l'on a fçû que
I. Vel. n'étant
DECEMBRE. 1730. 2737
:
n'étant pas en affez grand nombre , ils n'avoient
pú faire fauter les Rochers qui couvrent ces
Mines comme on eft perfuadé qu'elles feront
d'un grand produit , parceque les fources qui
coulent de ces Montagnes entraînent un fable
très -chargé de paillittes d'or , on a réſolu de ne
point abandonner cette entrepriſe & d'y envoyer
encore deux cens homines , avec des provifions
en abondance,
Les Chefs des Cofaques venus à Moscou pour
fervir d'otages de la fidelité de leur Nation , ont
été renvoyés chez eux après avoir promis , avec
ferment, de ne prendre les armes qu'en faveur de
la Czarine , & de lui fournir 100000. hommes
en cas qu'elle fut obligée d'entrer en guerre avec
le Grand- Seigneur.
Le Commandant de Pultowa a écrit depuis que
les Cofaques , tant ceux qui font fous la protection
du G. S. que ceux qui fe font mis fous
celle de S. M. Cz. avoient eu ordre , fous peine
de mort , de prêter ferment de fidelité à S. H.
& d'envoyer à Conftantinople les arrerages échus
de leur tribut ordinaire.
â
On a dépeché un Courier au Commandant
dans l'Ukraine pour lui porter ordre d'empêcher
les Cofaques foumis à la Czarine d'executer les
ordres de la Porte , & de leur promettre toutes
fortes de fecours , en cas qu'on voulut les forcer
à prêter le ferment qu'on leur demande.
SUEDE,
Lfente the Reque au Roi pour le prier
d'envoyer en Efpagne un Miniftre chargé de
pleins pouvoirs pour y négocier un Traité de
Commerce , & obtenir la diminution des droits
1. Vol. qu'on
E College du Commerce de Stokolm a pré
2738 MERCURE DE FRANCE
qu'on leve dans les Ports d'Eſpagne fur les Mar.
chandifes qu'on y porte de ce Pays . Ce College
a même offert de faire les frais de l'Ambaffade.
Le 16. Novembre le Roi donna des ordres
pour que les Officiers qui commandent les Troupes
que S. M. Suedoife doit fournir aux Puiffances
alliées par le Traité de Seville , fe tinffent
prêtes à marcher. On a envoyé depuis dans le
Landgraviat de Heffe- Caffel une Ordonnance dụ
Roi , par laquelle il eft défendu à tous les Sujets
d'entrer au fervice d'aucune Puiffance Etrangere,
& ordonné à ceux qui y font actuellement de
revenir dans l'efpace de trois mois , à peine de
confifcation de leurs biens.
POLOGNE.
E fecond Nonce d'Upita fit enregistrer au
LEcommencement du mois de Novembre dans
le Greffe de Grodno une proteftation contre celle
de M. Marcinkiewits , fon Collegue , qui a été
caufe de la rupture de la Diette , prétendant qu'il
n'avoit pas d'ordre particulier de faire cette proteftation.
La Czarine craignant qu'à l'occafion des changemens
arrivés à Conftantinople , les Turcs ou
les Perfans , & peut- être ces deux Puiffances
enfemble , ne vinflent attaquer les Provinces que
le feu Czar Pierre I.a conquifes en Perfe, a ordonné
à fon Miniftre à la Cour de Pologne , de
propofer un renouvellement d'alliance avec la
République , & de ne plus folliciter de paffage
pour les 3000.0. hommes qu'elle dévoit fournir
à l'Empereur , & dont elle prévoit qu'elle peut
avoir béfoin pour La propre fûreté.
I. Vol.
AL
DECEMBRE . 1730. 2739
ALLEMAGNE,
O
Na appris par les Lettres de Berlin que
le Prince Royal de Fruffe étoit rentré dans
les bonnes graces du Roi fon pere.
>
Les Lettres de Belgrade portent que les Pachas
de Widin , de Nizza & de Bofnie avoient été
arrêtés & conduits à Conftantinople , & que le
Pacha de la Morée ayant été foupçonné d'être
en intelligence avec la République de Venife
avoit été étranglé.
ITALIE.
2
N publia au commencement du mois derau
commencement din alclanderlingue
, portant deffenfe à toute perfonne , fans
exception , de porter fur les habits aucun galon
ou autres ornemens d'or & d'argent , excepté dans
les Villes de Rome , de Bologne & de Ferrare .
Le Cardinal Pignatelli ayant prié le Pape d'annuller
les conceflions accordées par le feu Pape
à plufieurs Seigneurs du Royaume de Naples de
garder le S. Sacrement dans leurs Chapelles domeftiques
, S. S. a donné ordre à la Congrégation
des Indulgences de fupprimer tous ces privileges
& plufieurs autres concernant tant les
Autels privilegiés que les Indulgences qu'on publie
dans diverfes Eglifes depuis le dernier Pontificat.
Le 9. Novembre vers les 3. heures après- midi,
il y eut à Rome un orage furieux , qui dura depuis
3. heures après-midi jufqu'à 10. heures du
foir. Le Tonnerre tomba dans le jardin du Duc
de Cefi & dans celui du Marquis Cavalieri , ou
1. Vol il
2740 MERCURE DE FRANCE
il renverfa plus de 30. toifes de muraille. Il tomba
auffi chez le Marquis Sacchetti , où il traverſa
une Salle dans laquelle il y avoit une affemblée
de Dames & de Cavaliers , aufquels il ne fit aucnn
mal . Vers le foir , il tomba ſur le Palais du
Prince de S. Martin dont il brûla ou gâta les plus
beaux tableaux.
Dans le Confiftoire du 22. du mois dernier ,
le Cardinal Ottoboni , Protecteur des affaires de
France , propofa l'Abbaye de Sainte Marie au
Vou de Cherbourg , Ordre de S. Auguſtin , Diocèfe
de Coutances , pour l'Abbé le Normand ; il
préconifa enfuite l'Abbé de la Vigerie pour celle
de S. Etienne de Baffac , Ordre de S. Benoît
Diocèfe de Saintes.
Prife de poffeffion de S. Jean de Latran.
L
E 19. Novembre , le Pape fe rendit le matin
du Palais du Quirinal à celui du Vatican,
où fa S. dîna. L'après midi , les Cardinaux , les
Prélats & les Seigneurs Romains qui avoient rang
dans la Cerémonie , s'y étant rendus , la marche
fe fit dans l'ordre fuivant, Un détachement des.
chevaux Legers de la Garde , habillés de drap
écarlatte galonné d'or , fortit du Palais , ayant à
fa tête le Marquis Caponi , Grand - Maréchal
des Logis du Pape . Il fut fuivi des Officiers de
la Chambre & de la livrée des Cardinaux , de
leurs Maffiers à cheval , de leurs Gentilshommes
& de la principale Nobleffe à cheval , ayant
livriée à fes cûtés .
fa
A quelque distance marchoient les bas Officiers
du Palais Apoftolique , la Haquenée du Pape couverte
d'un magnifique caparaçon , les litières de
S. S. fon Grand-Ecuyer , les Trompettes des Cheyaux
Legers de la Garde , les Cameriers extraor-
1. Vol dinaires
DECEMBRE. 1730 : 2741
dinaires , les Adjudans de la Chambre , les Avocats
Confiftoriaux , les Chapelains ordinaires , les
Chapelains Secrets , les Cameriers d'honneur de
Cape & d'Epée , les Cameriers d'honneur Ecclefiaftiques
, les Cameriers fecrets de Cape &
d'Epée , les Cameriers fecrets Écclefiaftiques , les
Abreviateurs , les Votans de la fignature 2. les
Clercs de la Chambre , les Auditeurs de Rote , le
Religieux Dominicain qui eft Maître du Palais
-Apoftolique, l'Ambaffadeur de laVille de Bologne,
le Prieur & les Confervateurs des Privileges du
Peuple Romain , le Connétable Colonne , Prince
du Soglio , le Gouverneur de Rome , les Maîtres
des Cerémonies Pontificales , M. Befonico , qui
étant le dernier des Auditeurs de Rote, portoit la
Croix au milieu de deux Acolites & marchoit
-immediatement devant le Pape , lequel étoit dans
un fauteuil de velours cramoifi , galonné d'or
porté fur un brancart par deux chevaux blancs ,
magnifiquement caparaçonnés . S.S. étoit entourée
de la Garde Suiffe , du refte de fa Compagnie,des
Chevaux Legers , de fes Pages , Coureurs, Palfre-
-niers , de deux Officiers portant des Ombrelles
-ou Parafols & de fes deux Maffiers à cheval. M.
Doria , Archevêque de Patraffo , Maître de la
Chambre du Pape , marchoit après S. S. au mi-
-lieu de deux Cameriers Secrets Affiftans. Il étoit
fuivi du Medecin , du Caudataire & du Maître de
la Garderobe du Pape , de deux Officiers de la
-bouche , avec leurs Cantines , du cheval que le
-Pape devoit monter , d'une chaife à porteurs , & de la Litière du Corps. Après ce Cortege marchoient
les Cardinaux
Barberin , Sous - Doyen du
Sacré College , Albani de S. Clement , Zondodari
, Belluga de S. Mathieu , Querini , Lercari , Caraffe , Borghefe , Cibo , Altieri , Alexandre
Albani, del Giudice & Rufpoli ; ils étoient fuivis
1. Vol.
I dés
2742 MERCURE DE FRANCE
des Patriarches, Archevêques &Evêques affiftans du
Trône, de l'Auditeur de S. S. & du Tréforier de
la Chambre Apoftolique. M.NeriCorfini, neveu du
Pape , marchoit au milieu des deux plus anciens
Protonotaires Apoftoliques , qui étoient fuivis des
autres Protonotaires , des Evêques non affiftans
des Referendaires des deux fignatures , des chevaux
de main & du Caroffe de S. S. devant lequel
étoient deux Trompettes de la Garde , de la Com.
pagnie des Cuiraffiers , de huit Compagnies d'Infanterie
, Enfeignes déployées , qui fe rangerent
en bataille dans la Place de S. Jean de Latran.
Le Pape étant arrivé au Capitole qui étoit tapiffé
de Velours cramoifi , avec des Crépines &
Galons d'or , le Marquis Marie Franchipani ,
en longue robbe de Sénateur , de toile d'or , accompagné
de fes Collegues , des Officiers du Capitole
, & affifté de deux Maîtres de cérémonies,
vint recevoir le Pape & lui rendre l'obédience au
nom du Sénat & du Peuple Romain. Son Difcours
fut reçû tres - favorablement de S. S. qui y
répondit en peu de mots.
>
Elle continua fa marche vers l'Arc de Triomphe
de Septime Severe, & quand on fût à une petite
diftance de celui de Tité, on trouva un autre
Arc de Triomphe , nouvellement érigé , fuivant
qu'il fe pratique en pareille cérémonie, par les Ordres
du Sereniff. Duc de Parme & de Plaiſance.
Cet Arc dont l'élevation, le gout, les riches ornemens
attirerent les regards de tous les connoiffeurs
, fut applaudi du Pape même , qui en marqua
une particuliere fatisfaction. On voyoit fur
la principale face deux grandes Statues dans des
Niches , l'une à droite, reprefentant la Charité
avec cette Infcription : Videant Pauperes &
latentur ; l'autre à gauche , fymbole de la Juftice
, avec ces mots : Juftitia ejus manet . Sur le
>
1. Velo milieu
DECEMBRE. 1730. 2743
milieu du comble de tout l'Edifice étoit pofé
entre deux Renommées , un grand Cartouche ,
contenant les Armes du Pape : avec cette Infcri
ption : CLEMENTI XII . P. O. M. genere virtutibus
praftantiffimo , Magno, Chriftiana Reipublica
bono & gaudio. Antonius Farnefius
Parma & Plac, Dux P. On lifoit cette autre Inf
cription fur la face oppofée , où les Armes du
Pape , foutenues par deux Renommées , étoient
encore répétées : AD ECCLESIAM OMNIUM
MATREM exoptatiffimi Principis iter , urbe
borbe plaudentibus , obfequentiffimè veneratur
Antonius Farnefius Parma & Plac. Dux. Il
feroit trop long de rapporter icy les autres Emblêmes
& Devifes qui ornoient toutes les parties
de ce Monument. Elles étoient toutes d'une heureufe
application & tirées pour la plupart de l'E
criture.Nous fommes auffi obligez de paffer fous
filence les autres magnificences du Duc de Parme
dans cette grande Fête. Elles brillerent fur tout
à la Façade du Jardin Farneſe , qui étoit fur la
même route , ainfi que l'Arc de Tite , à travers
duquel le Pape paffa,& le quartier des Juifs .L'Arc
de Tite étoit décoré de plufieurs Emblêmes, Devifes
, Infcriptions , &c. & on y lifoit fur divers
Rouleaux des Elegies latines à la gloire de S. S.
Le Pape fut reçû à l'entrée du Portail de l'Eglife
de S. Jean de Latran par le Card. Ottoboni
qui en eft Archiprêtre, à la tête du Chapitre.Etant
entré dans l'Eglife , ce Cardinal lui apporta la
Croix à baifer ; après quoi S. S. alla s'affeoir
fur fon Trône , préparé fous le Portique , qui
étoit tapiffé de brocard d'or & de damas. Elle y
prit les habits Pontificaux blancs & fa Mitre; alors
le Card. Ottoboni lui prefenta dans un Baffin
d'or deux Cefs , l'une d'or & l'autre d'argent.
Cette Cérémonie fut fuivie d'un Difcours latin
1. Vol. I ij très2744
MERCURE DE FRANCE
tres - éloquent que lui fit le même Cardinal ; après.
lequel les Cardinaux , les Patriarches , les Archevêques
& les Evêques qui s'étoient revêtus de
leurs habits Pontificaux dans une Salle à côté dụ
Portique , vinrent baifer les pieds du Pape ; cérémonie
qui fut enfuite obfervée par tous les Chanoines
, à chacun defquels le Tréforier de la
Chambre Apoftolique donna une Médaille d'argent.
Le Pape defcendit de fon Trône , précédé
de la Croix , des Cardinaux & des differens Or- .
dres de Prélature . Il entra dans l'Eglife donnant
l'Eau-benite à tous les affiftans. On lifoit deux
Infcriptions , l'une en dedans de la principale
Porte , & l'autre en dehors. La premiere contenoit
ce qui fuit , Ingredere, Sanctiffime Pater ,
exultantem adventu tuo comple&ere fponfam
Ecclefiarum Matrem que virtutis tua fulgoribus
illuftrata depofuit viduitatis infigne ut
novo tuorum latetur meritorum triumpho . Induit
fe veftimentis jucunditatis fua , Clementia
tua prafidio fulta nullos post hac fecura
pavebit incurfus . Pontifex pietate &munificentia
Optime , Maxime , diù vivas foelix aterno
Ecclefia decori , Corfinorum gloria perpe ,
tuo augmento. Publicè Urbis & Orbis Patri.
L'autre Infcription étoit en ces termes : Vox po
puli de Civitate , vox de Templo . Ecce venit defideratus
Gentibus fructus honoris quem dede-.
runtflores. CLEMENS XII. PONT. MAX.
occurrere latanti & facienti juftitiam . Lateranenfis
Ecclefia exultans clama magnum principium
, femita jufti recta eft , ofculate pedes ;
attolle portas ingredietur cuftodiens veritatem;
implebit Templum Majeftate nova. Parafii folium
, videbis Regem in decore fuc. Lorfque S.S.
fut arrivée dans le Choeur , elle y entonna le Te
Deum , après lequel elle fe rendit à fon Trône
I. Vol. élevé
DECEMBRE . 1730. 2743
élevé à côté du Grand Autel , où elle reçut l'obé
dience des Cardinaux qui lui baiferent la main, &
qui reçurent chacun une Médaille d'or & une
d'argent. Enfuite le Pape fut porté proceffionellement
à la grande Loge du Portail , où il donna
fa Benediction au peuple au fon des Timbales &
des Trompettes & au bruit d'une décharge gene
tale des Boëtes qui étoient rangées dans la Place.
Après la cérémonie , le Pape retourna en Chaife
à Porteurs au Palais du Quirinal.
Le foir , toute la Façade du Capitole fut ma
gnifiquement illuminée , ainfi que tous les Palais
de la Ville, & Pon fit plufieurs décharges de l'Ar
tillerie du Château S. Ange. A l'occafion de cette
cérémonie , le Pape a fait diftribuer du pain
toutes les pauvres familles , & diminuer confidérablement
le prix de la viande .
On a appris par Livourne que les Troupes de
la République de Génes s'étoient faifies de plufieurs
Chefs des Rebelles de l'Ile de Corfe, & que
plufieurs Villes de cette le avoient quitté les ar
mes & abandonné le parti des Révoltez.
On a auffi appris de la même Ville, qu'il y étoit
arrivé un Vaiffeau de Smirne , dont le Capitaine
a raporté qu'il y avoit embarqué l'Aga Aggi
Ofman & Mufa- Aly,& qu'il les avoit tranfportez
a l'Ile des Cerfs dans l'Archipel , où ces deux
Pachas le font fauvez pour éviter le fort malheureux
des autres principaux Officiers du Sultan
dépofé.
Les Lettres de Génes portent que les Rebelles
de l'Ile de Corfe avoient détruit deux habitations
de Grecs qui étoient établis depuis plufieurs an
Bées dans cette Ifle , & aufquels la République
de Gênes avoit accordé divers Privileges , &
qu'ils en avoient maffacré tous les habitans, fans
épargner les femmes ni les enfans ; que la Répu
I. Vol. I iij
bli
2746 MERCURE DE FRANCE
blique avoit réfolu de prendre des Suiffes à fa
folde pour aller réduire ces Rebelles , & que le
Commandement de ces Troupes étrangeres feroit
donné à M. Anfalde de Grimaldi.
Le bruit vient de fe répandre que l'on a arrêté
dans l'Ile de Corfe le principal Chef des Rebelles
de cette Ifle.
Le Comte de Staremberg eft parti du Camp
de la Lunegiane , avec quatre Bataillons.Le Prince
de Saxe & un autre General Allemand l'ont
fuivi avec deux Regimens d'Infanterie , & le
Comte de Waldeck avec le refte des Troupes Impériales
qui ont pris leurs quartiers dans differens
Villages de la Lombardie.
On écrit de Milan que le Comte Rezzonico
s'étant accommodé avec les parens de Dom Guy
Brevio , qu'il a tué en duel , avoit été remis en
liberté.
L
GRANDE BRETAGNE.
E 29 du mois dernier , on publia à Londres
une Proclamation du Roy , portant récompenfe
de 30 liv. Sterlin , pour ceux qui découvriront
les Auteurs des Lettres Anonimes menaçantes
, qui ont été écrites depuis peu à plufieurs
particuliers de Briftol & d'autres Villes . Ceux
d'entre les coupables qui viendront déclarer leurs
complices , auront leur grace & la même récompenfe.
Les de ce mois , Myladi Betti Germain , foeur
du Comte de Berkley , reçut une Lettre Anonime
, par laquelle on la menaçoit de l'affaffiner,fi
elle ne faifoit mettre dans un endroit indiqué les
jo Guinées qu'on lui demandoit. Le Duc de
Dorfet ayant porté cette Lettre au Palais de faint
James , le Roy donna ordre qu'on mit toutes les
1. Vole
nuits
DECEMBRE. 1730. 2747
nuits près de la maiſon de cette Dame fix Soldats
du Regiment des Gardes , avec un Sergent.
Aux Seffions qui s'affemblerent le 14. à Hickf
hall , le grand Juré y porta des Billets d'accufation
contre divers Prifonniers de la Prifon de
Newgatte , acculez d'avoir écrit les Lettres Anonimes
menaçantes , à l'ocafion defquels on a pu
plié la Proclamation du Roy ; & comme il n'y a
point de Loy affez fevere contre ce crime , on af
fure qu'on paffera un acte dans le prochain Parlement
, pour les punir avec la derniere rigueur.
L'Envoyé Extraordinairè de la Regence d'Alger
, dans une Audience particuliere qu'il a eu du
Roy & de la Reine , prefenta à L. M. Brit . deux
Léopards de la part du Dey de cette Regence.
Le Prince de Galles & la Princeffe Amelie al
lerent le 29 au Théâtre de Drurylane voir la
Comédie du Rehearsal, du feu Duc de Buckingham
, & le 12 de ce mois , le Roy , la Reine &
la Famille Royale , allerent au Théatre du Mar
ché au Foin , voir l'Opera d'Armide.
EXTRAIT d'une Lettre de M. Chêne,
Vicaire Apoftolique à Alger , écrite le
12. Octobre 1730. à M. Durand ,
Tréforier Géneral des Ligues Suiffes
cy-devant Conful à Alger
J
Efçai que laLettre quej'ai l'honneur de vous
écrire , vous caufera une douleur d'autant
plus fenfible , que vous avez moins de fujet de
vous y attendre. M. Antoine- Gabriël Durand
votre frere & notre cher & ancien ami ; Conful·
Réfident pour le Roi en cette Ville & Royaume,
eft mort après une maladie de fix femaines , laquelle
pour avoir été longue , n'en a pas été plus.
1. Vol. I iij con2748
MERCURE DE FRANCE
connue & nous a laiffez tous dans une affliction
qu'il eft difficile d'exprimer ; les Chrétiens , los
Turcs les Maures , le Dey lui-même , pleurent
cette perte; elle arriva le 8. de ce mois,& ilfur
inhumé le même jour , âgé d'environ 89. ans. Je
doute qu'on ait jamais vû dans Alger des funerailles
d'un Chrétien plus magnifiques ; tout ce
qu'il y a ici de Chrétiens , François , Espagnolsi
Portugais , e s'y trouverent. Les Confuls Anglois
, Suedois Hollandois , y affifterent avec
leurs Nations ; enfin ily eut des Turcs , des Mau
rès & des Juifs , choſe juſqu'à prefent fans
exemple, chacun donnant des marques fenfibles
de la douleur dont il étoit penetré.
*
Nous lui ferons des funerailles folemnelles.
dans notre Chapelle le 13. de ce mois , &j'ay.
donné des ordres pour les faire le même jour
dans tous les Bagnes , chez les RR. PP.)
Trinitaires de l'Hôpital, où elles feront celebrées
encore plus magnifiquement . Nous ferons venir
de Livourne , un Tombeau de Marbre qui ſera
orné d'un Epitaphe pour éternifer la mémoire
de cet Illuftre Conful.
A l'occafion de cette Lettre , il est bon de
favoir que le Vicaire Apoftolique d'Ager eft
soujours un Miffionnaire François ; it a avec
lui un autre Miffionnaire & un Frere pour le
fervir. Cete Miffion a été fondée & établie à
Algerpar la pi té de la Ducheffe diguillon ,
pour fou ager & con o'er les Efa aves dans leur
Servitude , & pour es confirmer dans leur for.
Les fonds en ont été affectez aux Miffionnaires
de S. Laz re , fous e bon plaifir du Roy . Celui
des deux miffionnaires qui eft Superieur , reçoit
du Pape le titre de Vic ire Apoftolique , qui
S
Lieux où font enfermez les Efclaves.
1. Val.
Li
DECEMBRE. 1730. 2749
<
lui donne une authorité preſqu'auſſi étenduë que`
celle d'un Evêque.
M. Durand qui vient de mourir , étoit fi's des
feu M, Durand , Secretaire du Roy , dont la
probité le défintereffement lui procurerent.
Veftime de S. M. & la confiance de M. Colbert
qui lui donna la Caiffe des Emprunts. Il laiffa
deux fils, dont l'aîné eft M. Durand , Thréforier
General des Ligues Suiffes , lequel a été fuccef
fvement Conful à Tripo'y & à Ager , & em
ployé en differentes Négociations auprès des
Puiffances d'Afrique. L'eftime qu'il s'est ace
quife chez es Algeriens, ' a fait choisir en plufieurs
occafions pour arbitre de leurs differends .
Le Dey même le confultoit quelquefois , & il
s'est fervi defes confeils en plufieurs occafions.
En 1704. il forma le deffein de repaffer en
France. Le Dey auquel il communiqua fon def
fein , ne confentit à ce voyage que fur la parole
lui donna M. Durand , qu'il retourneroit que
Alger.
M. Durand ayant terminé les affaires qui l'avoient
appellé en France revint à Alger Afon
Arrivée le Dey fit tirer tous les Canons de 14
Ville & des Forts : la plupart des perfonnes dif
tinguées allerent à bord de fon Vaiffeau pour le
recevoir : il fut reçû de la Ville avec toutes for
tes de démonftration de joye.on
En 1706, il eut ordre d'aller à Tunis ; pour J
négocier un Traité. Après l'avoir conclu il repaffa
en France , où il avoit refelu de fixer ſom
féjour, évita de paſſer à Alger , où fans doute
il eut été retenu,
Il fut remplacé par M. de Clerambaut , Frere
du Genealogifte des ordres du Roy , qui prit pour
fon Chancelier M. Durand , Frere de fon Préde
ceffeur , qui avoit été élevé à Alger auprès de
Lo Polo
Lov
2750 MERCURE DE FRANCE?
fon Frere. Dans lafuite M. de Clerambaut ayane
paffé à un autre Confulat , M. Durand fut nommé
Vice- Conful à la Canée : Mais par les inftances
des Algeriens auprès du Roi , M. Durand
leur fut accordé pour être Conful à Alger.
On ne peut donner de meilleures preuves de
l'amitié que les Algeriens avoient pour lui , fondée
fur fes excellentes qualités , que le trait
que voici. Il fut nommé il y a environ deux ans
Au Confulat du Grand- Caire. A peine le Dey
enfut-il informé qu'il fit appeller M. Durand,
& lui demanda s'il étoit poffible qu'il voulût
quitter Alger , s'il eftimoit fi peu l'amitié
que toute la nation lui portoit. M. Durand ayant
répondu qu'il étoit obligé d'obéir aux ordres du
Roi , le Dey écrivit à la Cour,& fit de fi grandes
inftances pour retenir M. Durand à Alger ,
que S. M. voulut bien y confentir , & elle lui
fit même donner une augmentation d'appointe
mens en confideration de ſes ſervices.
P
Addition aux Nouvelles de Turquie:
Ar les Lettres venues de Conftantinople par
Mofcou , on apprend que quoique le Grand
Seigneur eut ordonné plufieurs fois aux Janiffaires
de quitter les Armes & de fe retirer chez
eux , on en voyoit tous les jours un affez grand
nombre à la porte du Serrail ,qu'ils demandoient
avec hauteur la tête de plufieurs Miniftres & la
confifcation de leurs biens ; & qu'ayant exigé
auffi qu'on fit de nouveaux Réglemens en faveur
du Commerce avec les Etrangers , S. H. avoit
promis qu'elle en feroit publier un inceffamment,
que le G. S. avoit envoyé ordre au Pacha de
Smirne de faire étrangler Mufa Aly , Ofman
Aga & Agy Aga , favori du Sultan dépofé , mais
7
I. Val.
qu'on
- DECEMBRE. 1730.2751
qu'on avoit appris qu'ils s'étoient fauvez dans
une Ifle de l'Archipel ; que S. H. avoit déposé le
nouvel Hofpodar de Valachie , fils du dernier
Hofpodar , Mauro Cordato, qu'il l'avoit fait enfermer
avec fes enfans , que fes biens avoient été
mis en fequeftre , mais que fon fucceffeur n'étoit
pas encore nommé ; que les fils du Sultan déposé
avoient été enfermez dans les fept Tours , & fes
femmes difperfées dans diverfes Provinces, que les
Troupes du Camp de Scutari avoient eu ordre de
marcher vers Andrinople & d'y attendre de nouveaux
ordres; que le nouveau Roy de Perfe ayant
cu avis de la révolution arrivée à Conftantinople,
s'étoit retiré avec fon Armée du côté de Tauris
où il demeuroit dans l'inaction , ne doutant pas
que le nouveau Sultan ne lui fit bien - tôt propoſer
la Paix ; que le bruit couroit que dans les propo
fitions que le G. S. fait faire à ce Prince , S.H. ne
fouhaitoit de conferver de fes conquêtes que l'ancienne
Babylone , la Province qui en dépend , &
la Géorgie ; qu'elle offroit de rendre les autres.
conquêtes faites par Achmet IIF. & de fournir
des fecours au Roy de Perfe , pour aider à reprendre
les Conquêtes faites en Perfe par le feur
Czar Pierre I. & par la Czarine Catherine fa
veuve.
On mande de Venife qu'on y avoit appris par
des Lettres écrites de Conftantinople , que le G.S.
avoit pris vingt millions dans le Tréfor du Serrail
, pour des preffans befoins , & qu'il faifoit
faire des perquifitions , pour découvrir le lieu de
la retraite du Mufti & de l'Aga des Janiflaires.
2
1. Vol.
I vj FRANCE
2752 MERCURE DE FRANCE
****** : XX : XX : XXXXX
FRANCE ,
Nouvelles de la Cour, de Paris , &c.
E Novembre , Fête de S. André,
La Reine alla à l'Abbaye de Poiffi
où elle entendit la Meffe avec une pieté
édifiante ; on y chanta plufieurs Morets;
enfuite S. M. vifita les lieux réguliers
de ce refpectable Monaftere , & remarqua
en particulier la magnificence du
Refectoire , où s'eft tenu le fameux Colloque
de Poiffi. Elle fortit pour aller diner
chez Me la Comteffe de Mailly , dans
l'enceinte de la Maiſon. Les Dames de la
fuite de S. M. & la famille de Me de
Mailli eurent l'honneur de manger avec
la Reine ; fa Maifon y fut fervie avec
beaucoup d'ordre. Après diné S. M. rentra
dans l'Abbaye pour affifter à la Bene-
'diction du S. Sacrement , où l'Abbé de
S. Hermine , fon Aumônier en quartier
officia . L'Eglife étoit magnifiquement or
née , & la beauté du Temple relevée par
une très belle grille, attira l'admiration de
toutes les perfonnes qui y entrerent . Au
fortir du falut , la Reine fut reconduite à
la Porte par Me l'Abbeffe & par fa Com-
2
munauté.
Le
DECEMBRE. 1730. 2753
Le 2. de ce mois , le Roi & la Reine
revinrent à Verfailles du Château de'
Marli , & le même jour la Cour quitta
le deuil qu'on avoit pris pour la mort
du Roi de Danemark.
Le 3. premier Dimanche de l'Avent ,
pendant la Meffe du Roi , l'Evêque de
Digne prêta ferment de fidelité entre les
mains de S. M. L'après -midi , le Roi &
la Reine , accompagnés du Duc d'Orléans
& du Duc du Maine , entendirent
te fermon du Pere Cotonay , de la Compagnie
de Jefus .
Le 4. M. Chirac , que le Roi a nommé
fon Premier Medecin , prêta ferment
de fidelité entre les mains de S. M..
Le 3. de ce mois , M. Aluife Mocenigo ,
Ambaffadeur Ordinaire de la Républi
que de Venife , fit fon Entrée publique
dans la Ville de Paris. Le Maréchal de
Roquelaure & le Chevalier de Sainctor ,
Introducteur des Ambaffadeurs , allerent
le prendre dans les Caroffes du Roi &
de la Reine au Convent de Picpus , d'où
la Marche fe fit dans l'ordre fuivant : le
Caroffe de l'Introducteur , le Caroffe du
Maréchal de Roquelaure , précedés de
fon Ecuyer & de deux Pages à cheval ;
un Suiffe de l'Ambaffadeur à cheval , la
SAL. Vol. livrés
2754 MERCURE DE FRANCE
livrée de l'Ambaffadeur à pied , fix Officiers
à cheval , deux Ecuyers & fix Pages.
à cheval , le Caroffe du Roi , aux côtés
duquel marchoient la livrée du Maréchal
de Roquelaure & celle du Chevalier de
Sainctor ; le Caroffe de la Reine , celui
de Madame la Ducheffe d'Orleans ,
Douairiere , ceux du Duc d'Orleans , de
la Ducheffe de Bourbon
J
"
> Douairiere
du Duc de Bourbon , de la Ducheffe de
Bourbon , du Comte de Charolois , du
Comte de Clermont , de la Princeffe de
Conti , Douairiere , de la Princeffe de
Conti , Seconde Douairiere , de la Princeffe
de Conti , Troifiéme Douairiere ,
du Prince de Conti , du Duc & de la
Ducheffe du Maine , du Prince de Dombes
, du Comte d'Eu , du Comte & de
la Comteffe de Touloufe , & celui de M.
Chauvelin , Garde des Sceaux , Miniftre
& Secretaire d'Etat , ayant le département
des affaires étrangeres , & à unc
diſtance de 30 à 40. pas , un Suiffe de
l'Ambaffadeur marchant à cheval devant
fes quatre Caroffes.
part
Après qu'il fut arrivé à fon Hôtel , if
fut complimenté de la
du Roi par
le Duc de Rochechouart , Premier Gentilhomme
de la Chambre , de lapart
de
la Reine par le Comte de Teffé , fon
Premier Ecuyer , & de la part de Mada-
1. Vol. me
DECEMBRE . 1730. 2755
me la Ducheffe d'Orleans , Douairiere
par le Marquis de Crevecoeur , fon Premier
Ecuyer.
Le 5. le Prince de Pons & le Chevalier
de Sainctot , Introducteur des Ambaffadeurs
, allerent prendre l'Ambaffadeur
en fon Hôtel dans les Caroffes du
Roi & de la Reine , & le conduifirent à
Verſailles , où il eut fa premiere audiance
publique du Roi. Il trouva à fon paffage
dans l'avant court du Château les Compagnies
des Gardes Françoifes & Suiffes
fous les armes , les tambours appellant ;
dans la Cour les Gardes de la Porte &
ceux de la Prevôté fous les armes à leurs
poftes ordinaires , & fur l'efcalier les
Cent Suiffes en habits de cerémonie , la
hallebarde à la main . Il fut reçû en dedans
de la Salle des Gardes par le Duc
d'Harcourt , Capitaine des Gardes du
Corps , qui étoient en haye & fous les
armes. Après l'audience du Roi , l'Ambaffadeur
fut conduit à celle de la Reine
& de Monfeigneur le Dauphin par le
Prince de Pons & le Chevalier de Sainctot.
I alla à ces Audiences en Robe
conformément à l'uſage des Ambaſſadeurs
de Venife , & après avoir été traité par
les Officiers du Roi , il fut reconduit à
Paris par le Chevalier de Sainctot dans
les Caroffes de L. M. avec les cerémonies
accoutumées .
9
Le
2756 MERCURE de France
Le 4. de ce mois , jour de la naiſſance
de la Princeffe des Afturies , les Ambaffadeurs
du Roi Catholique en France , les
Grands d'Efpagne & les Chevaliers de la
Toifon d'or qui font à Paris , allerent le
matin au Convent des Carmelites baifer
la main à la Reine d'Efpagne , Veuve du
Roi Louis I. Les Dames y allerent l'aprèsmidi.
Le 11. jour de la naiffance de la Reine
d'Espagne , qui entroit dans fa 22. année,
S. M. reçut les mêmes complimens des
mêmes Seigneurs & Dames.
La troifiéme Charge de Garde du Tréfor
Royal qui avoit été fupprimée , a été
rétablie en faveur de M. Paris de Montmartel
, lequel ayoit déja poffedé cetto:
Charge.
Le Roi a accordé à M. Samuel Bernard
, Comte de Coubert , un Brevet de
Confeiller d'Etat.
S. M. a auffi accordé l'agrément de la
Charge de Préfident à Mortier , vacante
par la mort de M. Amelot de Gournay ,
M. Molé , Confeiller au Parlement.
Les Mercuriales du Parlement fe firent
le 29. du mois dernier à la maniere accoûtumée.
Le Premier Préfident & le Pro-
1. Vol. cureur
DECEMBRE. 1730. 2757
cureur General y parlerent avec beaucoup
d'éloquence : le premier fur la Cenfure de
foi-même , qualité effentielle dans un Magiftrat
, & le fecond fur le Respect humain ,
écueil le plus dangereux pour un Magiftrat
Le Duc d'Orleans a donné entre les
mains du Roi la démiffion de ſa Charge
de Colonel General de l'Infanterie Francoife
, qui avoit été fupprimée en 1639.
à la mort du Duc d'Epernon , & rétablie
en 1721. en faveur de S. A. S.
Le Marquis de Themines , ci - devant
Chevalier de Malte , qui avoit une Ab.
baye de 3000. livres de revenu , ayant
demandé au Duc d'Orleans avant la celé
bration de fon mariage P'agrément pour
entrer dans l'Ordre de S. Lazare , afin de
pouvoir conferver ce Benefice , ce Prince
a mieux aimé lui accorder une penfion
de pareille fomme , & l'a obligé de don
ner la démiffion du Benefice dont il joüif
foit.
"
Le 9. de gé mois , le Prince de Rohan
fit recevoir & prêter ferment à M. le
Comte de Gadagne de fa Charge de Gui
don des Gendarmes de la Garde du Roi.
On écrit de Chamberi que l'air de
cette Ville eft contraire à la fanté du Roi
Victor , pere du Roi de Sardaigne , actuellement
I. -Vol.
2758 MERCURE DË FRANCË
tuellement regnant , & que ce Prince
pourra retourner à Turin occuper l'ancien
Palais de la Ducheffe Douairiere de Savoye
, fa mere , pendant l'Hyver , & paffer
le Printems & l'Eté à Alexandrie ¿
où l'air eft très pur.
Le 22. Novembre , M. de Blamont , Sur-Intendant
de la Mufique du Roi , fit chanter
à Marly le fecond & troifiéme acte de fon
Balet des Fêtes Grecques & Rómainės , le fieur
Guignon , fameux joueur de Violon , executa ur
Concerto de fa compofition qui fut très applaudis
l'heure du fouper du Roi empêcha qu'il ne fut
achevé , & la Reine ordonna qu'il fut réjoué au
premier Concert.
Le 25. la Reine fe rendit au Salon de la Mufique
, où le fieur Guignon joüa feul deux Sonnates
qui firent beaucoup de plaifir à S. M. il fut accompagné
du Clavecin par M. de Blamont , &
de la Viole par le fieur Dampierre , le Roi demanda
enfuite qu'on jouat le Printemps de Vi
valdi , qui eft une excelente Piece de fimphonie ,
& comme les Muficiens du Roi ne fe trouvent pas
ordinairement à ce Concert,le Prince de Dombes,
le Comte d'Eu, & plufieurs autres Seigneurs de la
Cour , voulurent bien accompagner le fieur Gui
gnon , pour ne pas priver S. M. d'entendre cette
belle Piece de fimphonie qui fut parfaitement bien
executée.
Le 27. on chanta le divertiffement d'Erato ,
ainfi qu'il a été joué à l'Academie Royale de Mufique.
La Dlle. Antier chanta le Rolle de Junon ,
le fieur Dangerville celui d'Apollon , & la Dlle .
Lenner chanta celui d'une Baccante.
Le 29. on chanta à Marly le prologue & le
4. Vol premier
DECEMBRE 1730. 2759
premier Acte de Bellerophon ; les Dlles. Antier
& Lenner , chanterent les Rolles de Stenobée &
de la Princeffe ; les fieurs Boutelou & Godeneche
, ceux de Bellerophon & du Roi.
Le 4. & le 6. Decembre on continua le même
Opera avee beaucoup de fuccès , le fieur Dangerville
y chanta le Rolle d'Amiodar.
Le 11. on chanta dans les grands appartemens
du Château de Verfailles , le premier Acte d'Armide
, dont le principal Rolle fut chanté par la
Dlle. Antier , & celui d'Hidraot, par le fieur Dangerville.
Le 13. & le 18. on chanta le même Opera ; le
fieur le Prince chanta le Rolle de Renaud, le fieur
d'Aigremont celui d'Artemidore , & les Diles,
Barbier & Courvafier ceux de Bergere & de
Nymphe.
Le 8. jour Fête de la Conception , il y eut
Concert fpirituel au Château des Tuilleries : if
commença par Exultate jufti , Moret de M. de la
Lande , les Dlles. Erremens , le Maure & Petit
Pas , chanterent chacune une Cantatille avec ac
compagnement , qui firent beaucoup de plaifir ;"
le fieur Bordicio , habile Muficien Italien , chanta
deux Arietes qui furent goutées par ceux qui ai
ment cette forte de chant ; le Motet Confitebor
termina le Concert qui fut precedé de plufieurs
Pieces de fimphonie , executées par les fieurs Leller
& Blavet.
Le 13. & 20. il y eut Concert François; toute la
fimphonie executa une fuite d'Airs de Noëls anciens
& nouveaux, qui furent très goûtés ; le même
Muficien Italien chanta deux Arietes , & on finit
par le Motet Exultabo te Deus.
Le 24. & le 25. jour de la veille & fête de Noël,
il y eut Concert fpirituel , on y joüa encore une
fuite d'Airs des plus beaux Noëls , avec Violons
I. Vol. Flutes
2460 MERCURE DE FRANCE
Flutes , Hautbois, & Mufettes. La Dlle. le Maure
chanta feule un petit Motet , Hodiè Chriftus natus
eft , avec beaucoup de précifion , le Concert
de ces deux jours fut terminé par un Motet de
M. de la L'ande .
Le 24. de ce mois , veille de la fête de la Nati
vité de N. S. le Roi revêtu du Grand Collier dé
l'ordre du S. Efprit , fe rendit à la Chapelle du
Château de Verfailles , où S. M. communia par
les mains du Cardinal de Rohan , Grand Aumônier
de France : enfuite le Roi toucha un grand
nombre de malades .
Le même jour , la Reine entendit la Meffe dans
la même Chapelle , & S. M. communia par les
mains du Cardinal de Fleury , fon Grand Aumônier.
L'après midi, le Roi & la Reine entendirent les
premieres Vêpres chantées par la Mufique , aufquelles
l'Evêque de Tarbe officia
Le 25. jour de la Fête , le Roi & la Reine , qui
après avoir afifté aux Matines avoient entendu
à minuit trois Meffes , affifterent le matin à la
grande Meffe , celebrée pontificalement par l'Evêque
de Tarbes .
L'après midi , L. M. accompagnées du Prince
de Conty , du Prince de Dombes & du Comte
d'Eu , entendirent la Prédication du P. Cotonay ,
de la Compagnie de Jefus , & enfuite les Vêpres
chantées par la Mufique , aufquelles le même
Prélat officia.
BENEFICES
L'
DONNEZ
par le Roy.
'Abbaye d'Abfie , Ordre, de S. Benoift , Dio
céfe de la Rochelle , vacante par le décès de
M. de la Vieuville à l'Evêque de Châlons fur
Saone , à la charge de 800. livres de penfion
T. Vol. pour
DECEMBRE. 1730. 2761
pour le fieur Taflin , & 700. livres au fieur Dis
gaultray.
Celle de S. Florent -lès- Saumur,Ordre de faint
Benoist,Diocéfe d'Angers,vacante par la démiffion
du fieur Abbé de Thiard de Biffi , à la charge
de 1200. livres de penfion , pour le fieur Maille
de Carman , en faveur de l'Abbé de Forbin d'Opede
, Aumônier du Roi.
Celle de Vierzon , Ordre de S. Benoist , Diocéte
de Bourges , vacante par le décès du dernier
Titulaire , en faveur du fieur Bovenic de Bec de
Lievre.
Celle de Beaugency , Ordre de S. Auguftin
Diocéfe d'Orleans , vacante par le décès du fieur
Souving , en faveur du fieur Gedoyn , de l'Aca
demie Françoife.
Celle de S. Acheüil , Ordre de S. Auguftin ,
Diocéfe d'Amiens , vacante par le décès du fieur .
de Montbrifeuil , en faveur du fieur de Leftocq ,
Vicaire General d'Amiens.
Celle de S. Thibery , Ordre de S. Benoit ,Diocéfe
d'Agde , vacante par le décès du fieur Paris,
en faveur de Dom Simoneau , Religieux de l'Ordre
de Citeaux , à la charge de soo. livres dé
penfion pour le fieur Crevel.
. Celle d'Andres , Ordre de S. Benoift , Diocéfe
de Boulogne , vacante par le décés du fieur Tiberge
, en faveur du fieur de Luffan.
Celle de S. André le Hault , Ordre de S. Benoift
, Ville & Diocéfe de Vienne , vacante par le
décès de la Dame Charpin, en faveur de la Dame
de By de Vallier .
La Coadjutorerie de l'Abbaye de Liqueux
pour la Dame de Beaupoil de S. Aulaire.
Le Prieuré de Chavanon , Ordre de Grandmont
, Diocéfe de Clermont , vacant par le décès
du dernier Titulaire , en faveur du fieur Olivier.
L'Abbaye de Vauluifant , Ordre de Citeaux ,
1. Vol ...Diocéle
2762 MERCURE DE FRANCE
Diocéfe de Sens , vacante par le décés de M. de
Chavigny , Archevêque de Sens , en faveur de
M. l'ancien Evêque de Troyes,
Celle de Beaulieu,Ordre de S. Auguftin, dite de
Boulogne , vacante par la démiffion de M. Madot
, Evêque de Châlons , en faveur du fieur de
Courteillés .
Celle de Tonnay- Charente , Ordre de S. Benoift
, Diocéfe de Saintes , vacante par le décés
du hieur du Solier , en faveur du fieur Giemare,
Chanoine de Lizieux.
L'Archevêché de Sens a été donné à l'Evêque
de Soiffons.
MORTS , NAISSANCES
& Mariages.
Nibiruz, ancien Chantre de la Parciffede
T. François Fleuret , Doyen des Prêtres ha
S. Roch , mourut à Paris , le 9. Novembre,
dans fa 63. année de Prêtrife & dans la 89. de
fon âge.
D. Marie- Catherine Felix , veuve de Charles
Mannifier , Seigneur d'Iaucour , &c . Tréforier
General des Bâtimens du Roy , & Receveur General
des Finances de Moulins , mourut le 11,
Novembre , âgée de 77. ans.
D. Marie Bouffet de la Borde , Epoufe de Charles
de Jean , Ecuyer , Grand - Maître des Eaux &
Forêts de Guyenne , accoucha le 16. Octobre
d'une fille , à laquelle les ceremonies du Baptême
ayant été fuppléées le 15. Novembre dernier ,
elle fut nommée Marie - Jofeph , par Jofeph- Pier
re de Jean , Seigneur de Manville , Brigadier des
Armées du Roy , Chevalier de S. Louis ; & par
D. Marie-Anne - Catherine Damorefan de Prefigny
, Epoufe de Jean Moreau de Sechelles , Maître
des Requêtes & Intendant de la Province du
Haynault,
DECEMBRE. 1730. 2763
Le Mariage du Duc de Nivernois , fils du Dug
de Nevers , avec Madle de Pontchartrain , fille
du Comte de Ponchartrain , fut celebré le 17. de
ce mois par l'Archevêque de Bourges.
Le fecond Volume de ce mois , qui contiendra
avec les Pieces réservées , la Table generale
des 14. Mercures de la prefente année , est actuellement
fous preſſe, & paroitra inceſſament,
TABLE.
Ieces Fugitives. Ariane & Théfée, Cantate 2552
Sixiéme Lettre fur la Bibliotheque des Enfans
& le Bureau Typographique ,
Les Hyrondeles , Idyle ,
2554
2577
Deffenſe au fujet d'un nouveau Miffel de Chartres
, & c.
Ode fur la gloire des S S. &c.
2582
2597
Vapeurs. Réflexions fur un Aphorifme d'Hypo- crate , & c. >
Bouquet
à M. ***
2602
2614
Extrait d'une Lettre fur les Regnes de Charles VI.
& Charles VII .
Vers à M. de Fontenelle ,
2616
2620
Lettre & Traduction d'une Ode d'Horace , 2622
Lettre fur la dépenſe en habits, pour la table, &c,
La Jeuneffe , Ode ,
2624
2628
Le vice eft forcé lui -même de rendre homage à
la vertu. Difcours ,
Imitation d'une Ode Latine du P. Sanadon, 2641
Reflexions ,
Enigme , Logogryphes , & c.
2631
2646
2650
Nouvelles Litteraires , des Beaux Arts , &c. Memoires
pour fervir à l'Hiftoire des Hommes
illuftres , & c. 2657
Hiftoire Litteraire de la Ville de Lyon ,
ina , ou Bigaruses calotines ,
2662
2668
Grammaire Hebrai que , &c. 2677
Nouvelle Edition de l'Occo fur les Médailles Romaines
, &c.
Ouvertures des Academies , &c.
2678
2680
Extraits du Mémoire fur les Phoſpheres nouveaux
,
Ouverture publique du College Royal ,
Queftion propofée ,
Chanfon notée ;
Spectacles ,
2681
2684
2685
2687
Ibid.
Lettre critique fur la Tragedie de Vinceflas , 2689
Nouvelles Étrangeres . Ordre de la Marche du
G. S. de Conftantinople à Scutary , 2720
Suite des Nouvelles de Turquie , &c. 1733
De Ruffie , de Suede , de Pologne , d'Allemagne
& d'Italie ,
2736
Prife de Poffeffion de S. Jean de Latran , 2740
D'Angleterre , 2-746
Lettre fur la mort du Conful de Fr. Alger , 2747
Addition aux Nouvelles de Turquie , 2750
France, Nouvelles de la Cour, de Paris, & c. 27 52
Entrée publique & Audience du Roy , de l'Ambaffadeur
de Venife ,
Benefices donnez ,
Morts , Naiffances & Mariages ,
Page
Errata de Novembre.
2753
2760
2762
Age 2511. ligne 17. & de la Religion Mufulmane
, lifez , de l'Empire & de la Religion
des Turcs . P. 2543. 1. 3. le Roi eft informé, l. fe
Roi ayant été informé. P. 2550. 1. 8. du bas ,
non-feulement , l.font non feulement,
Fantes à corriger dans ce Livre.
Pr . P. 2646. 1. j. nonoi , l. noi. P. 2712. l .
Age 2583. ligne 1. avoir fur, lifex, avoir fait
fur.
4. fang , fein.
L'Air noté doit regarder la page 2687,
Qualité de la reconnaissance optique de caractères