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1730, 06, vol. 1-2
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Presentedby
John Bigelow
to the
600
Century
Association
DM
Mercure
ber

1
ERCURE
DE FRANCE ,
EDIE AU
ROT V
JUIN. 1730 .
PREMIER VOLUME.
QUE
COLLIGIT
SPARGIT
A PARIS ,
( GUILLAUME CAVELIEK , më
. Jacques , au Lys d'Or.
VEUVE PISSOT, Quay de Conty,
Chez à la defcente du Pont Neuf, au coin
de la rue de Nevers , à la Croix d'Or.
JEAN DE NULLY , au Palais,
à l'Ecu de France & à la Falme.
M. D C C. X XX.
Avec Approbation & Privilege du Roy.
THE NEW YORK
PUBLIXXXXXX*****: *****
835161
ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS
LA
A VIS.
ADRESSE generale pour toutes
chofes eft à M. MOREAU , Commis
au Mercure , vis- à- vis la Comedie Francoife
, à Paris, Ceux qui pour leur commodité
voudront remettre leurs Paquets cachetez
aux Libraires qui vendent le Mercure
, à Paris , peuvent fe fervir de cette voye
pour les faire tenir.
On prie très - infiamment , quand on adreffe
des Lettres ou Paquets par la Pofte , d'avoir
foin d'en affranchir le Port , comme cela s'eft
toûjours pratiqué , afin d'épargner , à nous
le déplaifir de les rebuter , & à ceux qui
les envoyent , celui , non -feulement de ne
pas voir paroître leurs Ouvrages , mais
même de les perdre , s'ils n'en ont pas gardé
de copie.
Les Libraires des Provinces & des Pays
Etrangers , ou les Particuliers qui fouhaiteront
avoir le Mercure de France de la premiere
main , & plus promptement , n'auront
qu'à donner leurs adreffes à M. Moreau
qui aura foin de faire leurs Paquets fans
perte de umps & de les faire porterfur
T'heure à la Pofte, oouu aauuxx Meffageries qu'on
Ini indigni
,
PRIX X X X. SOLS.
MERCURE
DE
FRANCE ,
DEDIE
AU
ROT.
JUIN.
1730.
默默默默默默默默找就哭就默默默默默默默默默跳
糕餅
PIECES FUGITIVES ,
en Vers & en Profe.
POLY
MNIE ,
Quelle
O DE.
Uelle eft cette fiere Déeffe ?
Elle fuit fur un Char loin des terreftres lieux.
Les Graces animent fes yeux ;
Jupiter fur fon front imprima fa nobleſſe.
Cupidon l'arme de fes Traits ,
Venus lui prête fes attraits ,
Mars & Bellonne , leurs Trompettes.
A ij Le
1060 MERCURE DE FRANCE
Le Dieu des Vers , fa Lyre & les accords vainqueurs.
Euterpe , fes tendres Mulettes ,
Et le vainqueur du Gange , un Thyrfe orné de
fleurs.
C'eſt toi , fublime Polymnie ;
Tu me faifis , mais Ciel ! fur quels bords enchantez
,
Mes pas foudain font tranſportez !
Qu'entens je! quelle voix! quelle douce harmonic▸
O Dieuxquels magiques effets !
Ta Lyre enfante des Palais ;
Des Tigres adoucit la rage ;
Sufpend le cours des eaux ; attendrit les Enfers ,
Et s'attire un fecret hommage ,
Des Muets habitans de l'Empire des Mers.
Dans ces Vallons qu'embellit Flore ,
De tes vrais Nouriffons , les Airs mélodieux ,
Celebrent le culte des Dieux.
Ici j'entens Linus , Orphée & Steficore.
*
Là le galant Anacréon ,
Chante Bacchus & Cupidon.
Il n'a que le plaifir pour guide ,
Sous ces arbres Sapho déplorant fes malheurs ,
Près d'Alcée & de Simonide ,
Charme tout , hors l'ingrat qui fait couler fes
pleurs.
1. Vol,
QNC
U. IN. 1730. 1061
Que vois-je ? d'une aîle affurée ,
front ceint de Lauriers , un Mortel fend les
Leairs.
Imprudent , crains les vaftes Mers .
Mais , il penetre au fein de la Voute azurée.
C'eft Pindare ; lâches Rivaux ,
Voyez par
des chemins nouveaux ,
Cet Aigle au-deffus du Tonnerre.
Que peuvent contre lui vos cris audacieux ?
Sçachez , vils enfans de la Terre ,
Que Pindare peut feul s'élever jufqu'aux Cieux.
Ses vrais imitateurs font rares.
Le Ciel , de loin en loin fe plaît à les former ;
Mais il dédaigne d'animer ,
Mille avortons obfcurs , témeraires Icares
Efprits bornez & tenebreux ,
Vous ofez prendre pour des feux
Les lueurs de votre caprice ;
Quel en fera le fruit , présomptueux Rimeurs ;
Sous vos pas s'ouvre un précipice ,
Où vont vous entraîner ces perfides lueurs .
Le Poëte ami de Mecéne ,
Sçait réunir en lui tous les talens divers` ;
Il fçait par de fublimes Airs ,
Reffufciter les fons de la Lyre Thébaine.
L'affreux Hyver , le doux Printemps ,
I. Volv
A iij Les
1062 MERCURE DE FRANCE
Les Dieux , les Buveurs , les Amans ,
Exercent tour-à-tour fa Verve.
Il allie avec grace aux faveurs d'Apollon ;
Les dons précieux de Minerve.
Le génie & le gout , l'efprit & la raiſon.
Portés fur les ailes rapides ,
Trois "Auteurs en nos jours ont fignalé leur
nom.
Cheris du Dieu de l'Helicon ,
Is furpaffent fouvent ceux qu'ils prenoient pour
guides.
Des ornemens ambitieux ,
Ariftarques judicieux ,
Ils fçavent inftruire & nous plaire.
Ce jeune Conquerant fous qui tout a plié ,
S'ils fuffent nez avant Homere ,
Aux vainqueurs d'Illion ne l'eût pas envié.
Près de ces modeles celebres ,
J'apperçois un Effain de Liriques naiffans.
Phébus accepte leur encens ,
Et leurs noms de l'oubli perceront les tenebres.
La Lice s'ouvre devant eux.
Courez , Athletes genereux ,
Thémis tient la balance égale .
Le mérite décide & feul la fait pancher ;
* M" de Santeüil , Rouſſeau , la Mothe.
1. Vol.
MéJUIN.
1730. 1063
Mépriſez l'obſcure cabale ;
Du Trône de Thémis elle n'oſe approcher.
Si le deftin vous eft contraire ,
Vaincus , n'en croyez point un aveugle courroux ;
Vos traits retomberont fur vous ,
Et la honte fuivra votre douleur amere.
Vainqueurs , veillez fur vos Lauriers
Les Poëtes & les Guerriers ,
Dormem au ſein de la victoire.
De leurs bras languiffants elle s'échappe & fuit.
Songez que la folide gloire ,
Des travaux affidus eft le penible fruit,
Cette Ode eft de l'Abbé Poncy de Neuville
, & a remporté cette année 1730. à
Thouloufe un des Prix réservez de l'année
1729. par le jugement de l'Académie des
Feux Floraux.
ののの
MEMOIRE adreffe aux Auteurs du
Mercure de France , fur les Antiquitez
de Northumberland en Angleterre.
C
Omme je fçai , Meffieurs , qu'on
voit votre Journal en Angleterre ,
trouvez bon que je vous prie d'y inferer
I. Vol. la
A iiij
1064 MERCURE DE FRANCE
la demande de quelques éclairciffemens
que je ferois bien aiſe d'avoir ſur une des
Eglifes de ce Royaume , qui a été illuftre
dans fon temps . Il m'eft tombé entre les
mains un Manufcrit du milieu du treiziéme
fiecle , qui contient entre autres
chofes un Catalogue des Evêques de cette
Ifle. Pour en verifier quelque choſe fur
les Collections Benedictines de Dom Mabillon
, j'ai choifi les derniers Sieges dont
il eft parlé , c'est-à- dire les plus Septentrionnaux
& du Pays que les Anglois appellent
Northumberland , ou l'ancienne
Province Ecclefiaftique d'York , & je me
fuis apperçu de quelques difficultez qui
reftent à lever fur les origines de l'Eglife
d'Hauguftald , par rapport à ce qu'en a
dit le P. Mabillon en differens endroits
de fes Ouvrages .
On trouve dans la premiere Partie du
troifiéme fiecle Benedictin , p. 208. l'Ecrit
d'un Chanoine Régulier de cette Eglife ,
rédigé au XII. fiecle , par lequel il paroît
, Num. 24. que ce fut le Roi Egfrid,
à qui S. Wilfrid , placé dès l'an 664. fur
le Siege d'York , avoit le malheur de déplaire
, lequel conjointement avec Theodore
, Archevêque de Cantorbery , pour
diminuer l'étendue du Diocèfe d'York ,
érigea un Evêché à Hauguftald , & que
le premier Evêque placé fur ce nouveau
I. Vol. Siege
JUIN. 1730. 1065
Siege s'appelloit Eata ou Aata. Quoique
le Catalogue manuſcrit que j'ai vŷ , paroiffe
s'accorder avec cet Imprimé , j'en
tranfcrirai cependant ici le commencement
, afin qu'on puiffe juger s'il eſt ſuffifamment
conforme à l'Hiftoire de Bede ,
qui ne pouvoit ignorer l'Hiftoire d'un
Diocèfe dont il étoit.
1
Paulinus primus fuit Archiepifcopus Eboracenfis.
Quo expulfo Scotti videlicet Aidenus,
Finianus, Colemannus fuccefferunt ; qui
nec pallio nec Urbis nobilitate volentes at
tolli , in infula Lindisfarnenfi delituerunt.
Succeffit wilfridus. Quo ultra mare caufa
confecrationis moras nectente , Ceadda contra
regulas ob Ofwio rege inthronizatur :
fed ipfo ab Archiepifcopo Theodoro extrufo ,"
wilfridus , iterum Epifcopus conftituitur. Quo
iterum expulfo duo pro eo conftitui funt ; in
Eboraco Bofa ; in Auguftaldo Eata. Illo
autem defuncto Johannes pro eo ordinatur
tempore Alfridi Regis.. Iterum in totum Epif
copatum wilfridus expulfis Johanne de Auguftaldo
& Bofa de Eboraco receptus eft per
annos quinque. Expulfo iterum wilfrido , illi
fedibus fuis reftituti funt. Defuncto Rege Al
frido , iterum in concordiam wilfridus receptus
fedem apud Auguftaldum habuit , Johanne
in Eboraco migrante , quia jam Bofa
defunctus erat. Succeffit in Eboraco Wilfridus
Presbiter fuus. Ifto defuncto fubftituitur·
1
Egbertus , &c. is
Et A v
1066 MERCURE DE FRANCE
Et dans l'Article fuivant intitulé
Dunhelmenfes Epifcopi , le Catalogue commence
ainfi Lindefarne eft Infula exigua
que nomine à Provincialibus Haligeland
vocatur, in qua Aidanus primus fedit Epif
eopus : Succeffores ejus fuerunt Finianus ,
Colemannus , Tudda , Eata , Cuthbertus ,
Adbertus, Edbertus , Adelwoldus , Kinewlfus
, Higebaldus. Hujus temporibus dani
depopulati funt Infulam , & c.
La liaifon qui a parû à plufieurs Ecrivains
être entre le Siege de Lindisfarne.
& celui d'Auguftald , m'a engagé a rapporter
auffi les dix dernieres lignes que
vous venez de lire . On ne fçauroit produire
trop de Catalogues , lorsqu'on veut
être parfaitement éclaifci fur des points
d'antiquité fi reculez . Il faut auffi avouer
que les variations arrivées dans l'Eglife
d'York , & celles qui ont été formées de
fes démembremens furent fi frequentes:
en peu d'années , que le Pere Mabillonparoit
même s'y être trompé. Il le mar
que au bas de la vie de S. Wilfrid par
Éddi , qu'il a publiée à la fin du premier
Tome du quatriéme fiecle Benedictin
mais d'une maniere qui fe contredit , puifqu'à
la page 689. il dit que lorfque Théodofe
divifa en trois l'Evêché d'York , ce
fut à Haguftald ou Lindisfarne que fur
mis Bofa , & que celui qui s'appelloit Eate
I. Vol. fut
JUIN. 1730. 1067
fut placé à York , & à la page 712. il
place ces deux Evêques tout au contraire,
& neanmoins par la main de Théodore
Bofa à York , & Eate à Haguſtald : qui
eft le fentiment qu'il a fuivi depuis dans
fes Annales , & qui eft conforme à Bede
& aux autres qui ont écrit depuis lui.
Mais cette faute échappée au Pere Mabillon
, eft pour faire voir en paffant que
l'arrangement des Evêques portionnaires
du Diocèfe d'York eft un vrai caffe - tête ,
que les plus habiles peuvent s'y tromper
, jufqu'à ce que les Anglois ayent écrit
à fond fur cette matiere.
&
L'Anonyme Chanoine Régulier d'Hauguftald
au XII fiecle, dont l'écrit paroît
avoir déterminé le P. Mabillon à admettre
Eate pour premier Evêque d'Hauguf
tald , avoit fait des recherches dans les
Chroniques & les Hiftoires du Pays , ainfi
qu'il le dit lui-même , Num. 24. & voici
le rang qu'il femble qu'on doit donner
aux Evêques de ce Siege , fuivant les Memoires
qu'il en a laiffés. Saint Eate auroit
été le premier Evêque d'Hauguftald ; fon
Epifcopat auroit été interrompu par quelques
années de la prélature d'un nommé
Jumbert ou Trumbertht , & cependant
Ş. Eate feroit mort Evêque d'Hauguftald .
Il auroit eu pour fucceffeur S. Jean , puis
S. Wilfrid d'York, lorfque Jean eut choifi
I. Vol.
York
1068 MERCURE DE FRANCE
Yorc , au lieu d'Hauguftald , enfuite faint
Acca , puis les Evêques qui fuivent , fçavoir
, S. Fredbert , S. Alchmond , & un
autre nommé Tilbert. Richard , Prieur
de la même Eglife d'Hauguftald , qui a
auffi étrit au XII . fiecle , fur les origines
de cette Eglife , marque (a) que ce fut
fainte Ethelrede , Reine , Epoufe du Roi
Egfrid , qui fit prefent à S. Wilfrid en
674. de la petite Ville d'Hauguftald , pour
y établir un Evêché. Ut eam Epifcopali
Cathedra fublimaret , cui ipfe primus ac poft
eum alii jure Ecclefiaftico federent , & en
effet ce faint Evêque d'York y bâtit à ce
deffein une Eglife en l'honneur de faint-
André , felon Eddi , Cap. 21.- Auteur de
fa Vie , plus ancien que Bede : mais il n'eut
pas le loifir d'accomplir lui- même la condition
que lui avoit demandée la fainte
Reine. On a vû plus haut que ce fut
Théodore de Cantorbery qui fit cette
érection dans la perfonne d'Eate. Où donc
placer un nommé Oftfore , que Dom Mabillon
met parmi les Evêques du Siege
d'Hauguftald , qui ont été de la connoiffance
du venerable Bede ? Ce feroit un
embarras difficile à lever , s'il étoit certain'
que ce fçavant Benedictin ne fe fût pas
trompé dans cet endroit de ſes Annales ,(b)
. (a) Sac. iij. Bened. P. 1. pag. 228
(b), Annal. Bened. P. 1. pag. 474.
L..Vol.
Mais
JUIN. 1730. 1069
Mais en comparant avec ce qu'il dit ,
l'endroit du quatriéme Livre de Bede
qu'il cite , Num. 23 on reconnoît que-
F'Evêque d'Hauguftald , dont Bede fait là
mention , eft S. Jean , qui le fut après la
mort de S. Eate , & qu'Oftfore , que Bede
nomme le troifiéme des Prélats formez
dans leur jeuneffe par les Ecclefiaftiques :
ou Moines deflervans le Monaftere de
fainte Hilde , & non perfonnellement par
cette fainte Abbeffe , comme le dit Dom
Mabillon , fut Evêque dans la contrée dés
Wicciens , & non d'Hauguftald . Il eft inu
tile de faire remarquer que c'eft encore
par une espece d'inadvertance que les mê
mes Annales Benedictines , page 595. attribuent
à Aetla ou Elda , Evêque de
Dorceſter , tous les voyages & les actions
que Bede , au même endroit , attribue às
cet Oftfore , Evêque des Wicciens . Cela
ne fait rien à P'Hiftoire des Origines
d'Hauguftald..
Mais ce qu'il ne feroit pas indifferent
de fçavoir eft , touchant la maniere ,d'e
crire le nom de la Ville dont je parle ,,
& s'il n'eft pas de l'exactitude de le com--
mencer par une aſpiration & non pas fimplement
par la voyelle A , comme fait le:
Manufcrit que j'ai rapporté cy- deffus &
d'autres Auteurs pofterieurs. N'y ayant:
point d'apparence que les Villes d'An-
Lt.Voll gleterre
FOTO MERCURE DE FRANCE
gleterre ayent tiré leur nom du Latin ,
puifque l'afpiration y eft ufitée jufques
dans les noms qui commencent par une
confonne , tel que Hripis , qui fignifie
l'Abbaye de Ripon; il eft , ce femble, plus
conforme à l'origine des chofes , d'employer
l'afpiration à tous les endroits où
les Anciens l'employoient dans ces noms
propres. On dira peut-être que le nom
d'Auguftald vient de quelque Empereur
Romain, par exemple, d'Hadrien , lequel
fit bâtir peu loin delà le fameux mur qui
féparoit les Bretons Romains d'avec les
Barbares ; mais c'eft deviner que d'avancer
un tel fait fans aucun garant. Richard,
Prieur de cette Eglife , donna , ce femble,
il y a fix cens ans , le dénouement de cette
difficulté Géographique . Parlant des Origines
de cette Ville : Hac autem , dit- il ,
arivulo ibi de currente & quandoque ad
modum torrentis exuberante Heftild nomine
Heftoldeldam quafi prædium Heftild vocatur,
& ailleurs il l'appelle Heftoldesham. Selon
cette étimologie , le nom d'Hauguftald
n'appartient à la Langue Latine , que par
les terminaifons des cas qu'on y ajuste , à
la maniere ordinaire , comme a fait Bede
& les autres depuis lui ; car Eddi , plus
ancien que lui écrit toûjours Haguftaldefe,
fans aucune influxion de cas. Le Chanoine
Regulier anonyme du XII . fiecle qui
Ꮧ. Vol . emJUIN.
1730. 1071
·
employe plufieurs fois l'expreffion de
Sandla Hanguftaldenfis Ecclefia , s'eſt ſervi
auffi une fois du terme d'Haguftaldunum :
& delà vient , fans doute, que dans les
fiecles fuivans cette terminaifon a été ufitée.
Pierre de Natalibus rapportant toute
la vie de S. Jean d'Hauguftald , tirée de
Bede , donne à cet Evêché d'Angleterre
le nom d'Auguftodunum. Ce changement
ou adouciffement de nom s'étant introduit
peu à peu , Maurolycus , Abbé de
Mefane & Baronius depuis lui , s'y font
conformez dans leurs Martyrologes . C'eft
pourquoi j'excuferois volontiers le Cardinal
Baronius , d'avoir annoncé ainfi dans.
le fien au 29. Octobre l'une des Fêtes de
S. Jean d'Hauguftald ; Auguftoduni S. Johannis
Epifcopi & Confefforis. On voit
fuffisamment par la Note , où il fait mention
d'un Wilfrid , fucceffeur de ce faint
Jean , que ce Cardinal n'a nullement cu
en vûe l'Eglife d'Autun en France . Mais
fi ce qu'on me mande du Calendrier du
nouveau Breviare d'Autun eft veritable .
fçavoir que les Editeurs ont fait de ce
faint Evêque d'Angleterre un Evêque
Bourguignon & affis fur le Siege d'Autun ;
la méprife mérite d'être remarquée dans
le fiecle où nous fommes . C'eft comme fi
les Poitevins s'avifoient de mettre au rang
de leurs Evêques un S. Victorin , Evêque
I. Vol.
de
1072 MERCURE DE FRANCE
de Pettau en Stirie , duquel a parlé faine
Jérôme , & qu'ils fe laiffaffent féduire par
le mauvais Latin de Baronius , qui a mis
Pictavienfis au lieu de Pictabionenfis . Je
ne doute pas que les Anglois ne revendiquent
bien vîte le S. Prélat Jean d'Hau ▲ -
guftald,, qquuee M. Robert , dans fa Gaule
Chrétienne , & M. Chaſtelain depuis lui ,
dans fon Martyrologe univerfel , ont
reconnu leur appartenir , & nullement à
l'Eglife d'Autun.
Quoique excufe en quelque maniere
Baronius , fur l'annonce qu'il a faite au
29. Octobre , je dirai cependant qu'il ſeroit
à fouhaiter qu'il s'en fût abftenu ;-
parce que la regle n'eft pas de marquer
un même Saint à deux jours differens
à moins qu'on ne dife que l'un des deux
jours eft celui d'une Tranflation ou autre
Fête , fans quoi on induit les Lecteurs
dans l'erreur . Peut être eft- ce cette duplication
d'annonce qui a porté ceux qui
ont dreffé la Table Topographique de fon
Martyrologe , à ranger ce S. Jean parmi
les Evêques d'Autun , à caufe du mot
´d'Auguftodunum , qu'ils ne fçavoient pas
être le même qu'Auguftaldunum d'Angleterre.
Quoiqu'il en foit , Baronius avoit
déja mis au 7. May le faint Jean Evêque ·
d'Haguftald , fous le nom de Jean de Beverley
, Archevêque d'York. On a vit cy
L. vol. deffus
JUIN
1730. 1073
deffus par les Hiftoriens que j'ai rapportez,
qu'en effet il paffa au Siege d'York après
avoir été affis fur celui d'Hauguftald . Mais
fon grand âge l'obligeant de quitter , il
fe retira à Beverley , qui étoit une Terre
qu'il avoit acquife , & il y mourut. Delà
fui vint ce fur- nom de Beverley , fous lequel
il eft connu plus communément.
L'experience journaliere des Taureaux indomptez
qui devenoient doux comme des
Moutons , dès qu'on les avoit fait entrer
dans le Cimetiere de l'Eglife où il avoit
été inhumé , eft une chofe finguliere à lire
dans Guillaume de Malmesbury . On trouve
auffi que Rever- Ley tire fon étymologie
de Petuaria- Parifiorum. 11 eft affez
fenfible comment Bever vient de Petuaria :
mais on ne voit pas bien d'où a été formée
cette dénomination de Parifiorum. La Capitale
de notre Royaume auroit- elle
vigné jufques- là ? Y auroit- elle envoyé
une Colonie ? Voilà des doutes à réfoudre
, auffi-bien que l'étymologie veritable
d'Hauguftald , l'Egifcopat d'Oftfore & le
nom du premier Prélat qui occupa le
nouveau Siege d'Hauguſtald .
TT
pro-
I. Kolo
L'A
1074 MERCURE DE FRANCE
L'AMOUR DE LA PATRIE.
D
O DE
Ans cét azile folitaire ,
Prête ta voix à ma douleur ,
Mufe , unique dépofitaire
Des ennuis fecrets de mon coeur.
Aux ris , aux jeux quand tout conſpire ,
Pardonne-mei fi fur ta Lyre
Je n'exprime que des regrets' ;
Plus à craindre que Philomele ,
Je viens foupirer avec elle.
Dans le filence des Forêts.
En vain fur cette aimable rive
La jeune Flore eft de retour ;
En vain Cerès long- tems captive
Rouvre fon fein au Dieu du Jour ;
Ces bords chéris de la Nature
Pour charmer l'ennui que j'endure
N'ont point d'attraits affez flatteurs ,
Par le defir de ma Patrie
Mon ame toujours attendrie
EA peu fenfible à leurs douceurs.
Loin
U IN 1730 . 1075
Loin du féjour que je regrette
J'ai déja vû quatre Printems ;
Une inquiétude fecrette
En a marqué tous les inftans.
De cette demeure chérie
Une importune rêverie
Me rappelle l'éloignement ;
Faut-il qu'un fouvenir que j'aime
Loin d'adoucir ma peine extrême
En aigriffe le fentiment ?
Mais que dis -je , forçant l'obftacle:
Qui me fépare de ces lieux ,
Mon efprit fe donne un fpectacle
Dont ne peuvent jouir mes yeux.
Pourquoi m'en ferois -je une peine
La douce erreur qui me ramene
Vers les objets de mes foupirs
Eft le feul plaifir qui me refte
Dans la privation funefte
D'un bien qui manque à mes defirs.
Soit inftinct , foit reconnoiffance
L'homme par un penchant fecret
Cherit le lieu de fa Naiffance
Et ne le quitte qu'à regret ;
Les Regions Hyperborées
Les plus infertiles Contrées
1
I Fol Sont
1076 MERCURE DE FRANCE
Sont cheres à leurs Habitans ;
Tranſplantez fur nos doux rivages
Les Peuples nés aux lieux fauvages ;
Leurs coeurs y feront peu contens.
Sans ce penchant qui nous domine
Par un invifible reffort ,
Le Laboureur en fa chaumine
Vivroit-il content de fon fort ?
Helas ! au foyer de fes Peres ,
Trifte héritier de leurs miferes ,
Que pourroit- il trouver d'attraits
Si la naiffance & l'habitude.
Ne lui rendoient fa folitude
Plus charmante que les Palais ?
Ceux qu'un deftin libre & tranquile
Retient fous leurs propres lambris-
Jouiffent de ce bien facile
Sans en connoître tout le prix ;
Mais quand le Ciel moins favorable
Nous prive du Pays aimable
Où nous avons reçû le jour ,
La voix du coeur fe fait entendre ,
Et nous inſpire un défir tendre
De revoir cet heureux féjour.
I. Vol. Pour
JUIN. 1730. 1077
Pour fixer le volage Ulyffe
Par Neptune perſecuté ,
En vain Calypfo plus propice
Lui promet l'immortalité ;
Cette efperance fi flatteufe
Dans une Ile délicieuſe
Ne peut captiver le Heros ;
Sa chere Itaque le rappelle';
Il part , il brave encor pour elle
La fureur des vents & des flots .

Mais tandis que ce Roi d'Itaque
Fuit Calypfo malgré l'Amour ,
Je vois le jeune Telemaque
Aborder à la même Cour ;
Autre Ulyffe pour la Déeffe ,
Ce fils guidé par la Sageffe
Refufe des jours immortels ,
Fidele à ces Dieux domestiques ,
Il veut de leurs Temples antiques
Encenfer encor les Autels.
A ces traits , qui peut méconnoître
L'Amour genéreux & puiſſant
Que le climat qui nous yoit naître
Nous infpire à tous en naiffant ?
Ce noble Amour dans la difgrace
Nous arme d'une utile audace
I. Vol.
Contre
1078 MERCURE DE FRANCE
Contre le fort & le danger ;
Si par des routes peu connuës
*
Un Mortel vole au fein des Nuës ,
fuir un Cielé tranger.
C'est
pour
Quand cet Amour est notre guide
Pour nous la Mort a des appas ;
Par lui plus d'une ame intrépide
A fçû triompher du trépas.
Quel eft ce Guerrier magnanime
Qui dans un tenebreux abîme
Se précipite fans effroi ?
C'eft Curtius , reconnois , Rome ,
Le dévouement de ce grand homme
Il vient de périr ; c'eſt pour toi.
N'admirons plus l'humeur barbare
De ces Philofophes errans
Qu'on a vûs par un goût bizarre
Pour leur Patrie indifferens.
Orgueilleux Citoyens du monde
De votre fecte vagabonde
Ma raiſon ne peut faire cas ;
Je n'y vois que des coeurs fauvages ,
Des fous parés du nom de fages
Bien plus dignes du nom d'ingrats,
* Dédale .
I. Vol.
Bords
JUIN. 1730. 1079
Bords de la Somme , aimables Plaines ,
Dont m'éloigne un deftin jaloux ,
Que ne puis -je brifer les chaines
Qui me retiennent loin de vous !
Que ne puis-je , nouveau Dédale ,
un fi vafte intervale Franchir
Par un induftrieux effor ,
Et jouir enfin fans allarmes
D'un féjour où regnent les charmes
Et les vertus de l'Age d'Or.
Greffet.
Cette Ode venuë de Tours , auroit été
imprimée dans le Mercure de May , fi elle
fut arrivée à tems.
XXXX:XXXXXXXXXXX
REPONSE du fecond Muficien au
premier Muficien, fur les deux Ecrits qui
concernent l'accompagnement du Clavecin
inferés dans les Mercures de Février
de Mars de la préfente année,
Mg
R. je vois avec plaifir que vous cor
rigez vos fentimens. Vous difiez
ci - devant que la maniere ordinaire d'accompagner
ne valoit rien , que la votrė
feule étoit bonne préfentement vous
n'attaquez que notre façon de l'enfei-
I. Vol.
gner
1080 MERCURE DE FRANCE
gner , en difant que nous couduifons tes
perfonnes par des difficultés prefque
infurmontables . Vous avez fagement abai
donné une mauvaiſe Thefe ; il étoit in
foutenable que notre pratique ne valu
rien , ayant toujours été approuvée par
tous les Compofiteurs ', & pratiquée par
plufieurs d'entr'eux qui ufoient du Clavecin
, comme M M. de Lully , de la
Lande , Lalouette , fans compter ceux qui
font vivans , & les Maîtres de Clavecin ,
qui font eux-mêmes habiles Compofi
teurs. J'avouë que nous n'enfeignions
notre pratique que par les principes que
vous avez expofés , vous auriez raifon de
nous blamer ; mais depuis plus de ving
› les Sçavans expliquent la même
théorie que celle que vous vous appropriez
, & ce qui revolte le plus , c'eft que
vous ne l'ignorez pas. Je pourrois en peu
de mots rendre invalides toutes vos prétendues
Obfervations , en déclarant que
votre expofé eft faux ou alteré dans tous
fes chefs , le témoignage de beaucoup d'ha
biles Maîtres fuffit pour le prouver . Ma
pour mieux déveloper tous les replis d
votre politique , je vais répondre à quel
ques articles des plus neceffaires.
Votre but eft de faire entendre que la
regle d'Octave & fes exceptions font toute
notre ſcience , je ne comprens pas com-
1. Vol.
ment
JUIN. 1730. 1081
10
r
it
,
ment on peut parler fi hardiment contre
fa confcience '; les leçons de votre Maître,
qui vit encore , les livres de nos Ecolieres
que vous avez examinés , & les converfations
que vous avez euës avec plufieurs de
nous , tout ne vous reproche- t'il pas votre
ingratitude ? fans eux vous ne sçauriez
pas raifonner du fon fondamental
d'un Accord , de fes renverfemens & de
fes fucceffions les plus naturelles . Vous
ne pourriez pas expliquer les divers mouvemens
des diffonances les degrés du
mode où certains Accords conviennent
principalement , & le veritable endroit où
le mode change , c'eft par eux que vous
connoiffez la mécanique des doigts , que
vous trouvez aifément vosAccords, & enfin
tout ce que vous avez de bon dans votre
Méthode ; c'eft fur ces principes &
plufieurs autres que vous ignorez que font
fondées depuis long - tems les leçons que
nous donnons ; chaque Maître les arrange
comme il lui paroît le plus convenable
& donne des explications plus ou moins
felon la portée de l'Ecolier.
Ce qui vous fait efperer de perfuader
le Public que vous poffedez feul ces connoiffances
, c'eft qu'il en eft peu fait mention
dans les Méthodes que quelques
Maîtres ont fait imprimer ; mais qu'eft
ce que cela conclut pour les autres Maî-
I. Vol. B tres ?
1082 MERCURE DE FRANCE
tres ? peut-on juger des Méthodes de ceux
qui ne les ont point rendues publiques ?
vous pourrez dire encore qu'un Organiſte
renommé n'a point donné toutes ces explications
dans fon Traité d'Accompagnement
qu'il a fait graver. Je repondrai
qu'apparemment il a voulu faire une Méthode
à la portée des plus fimples , & a
laifle au Maître le foin d'en expliquer davantage
, lorfque l'Ecolier feroit en état
de le comprendre ; car vous ne sçauriez
nier que cette théorie ne foit fort abftraite
& très-difficile à mettre en pratique dans
les changemens de mode principalement,
& vous avez experimenté que des Dames
,fort habiles d'ailleurs au Clavecin , en
ont été rebutées , & vous ont même
quitté. Il y a quelque- tems que j'entrepris
d'enfeigner cette théorie aux commençans
, j'en trouvai peu capables de la
comprendre , & tout confideré , je conclus
qu'il étoit plus à propos de l'enſeigner
plus tard .
Mais , direz -vous , au moins ma Méthode
feule eft bonne , & les autres ne
fuffifent pas. On avoue que les autres ne
fuffifent pas pour perfectionner entierement,
fans quelques explications refervées
au Maître , & la vôtre auroit ce mé-
2 que
rite de plus , fi elle étoit moins difficile
& fi en y mettant quelque chofe du vô.
>
I. Vol. tre
JUIN. 1730. 1083
tre,vous ne l'aviez pas remplie de deffauts
dans fa pratique ; ce font ces deffauts qui
forment mes fix Objections écrites dans
notre Conference ; je m'étois propofé de
les prouver à fond dans ce préfent Ecrit;
mais il eft plus à propos que j'attende que
votre Méthode foit achevée d'imprimer ,
le Plan abregé que vous en avez donné
ne fuffifant pas pour connoître fi vous en
avez corrigé ou augmenté les imperfections
. Je viens de developer bien du faux
dans votre expofé ; je vais vous reprocher
dans un feul article la maniere avec laquelle
vous l'avez alteré , afin qu'on puiſſe
par là juger des autres.
Pour être en droit de dire que nos regles
font fauffes , vous citez celle qui dit
que le triton doit être fauvé de la fixte ,
en montant d'un dégré , enfuite vous
faites remarquer qu'il y a des cas où le
triton doit refter fur le même dégré pour
former l'8 , la 6º , la 3º ou la 5º , que ce
conflit de regles oppofées ne peut produire
que de la confufion . Je n'en difconviendrois
pas fi nos explications ſe bor.
noient à ce que vous rapportez ; mais
vous fçavez bien que ceux qui ont écrit
que le triton fe fauve ainfi, entendoient le
triton de la foû-dominante , dans le
grès le plus fimple des parties , le tout tiré
d'un renversement de la cadence parpro-
I. Vol.
Bij faite
1084 MERCURE DE FRANCE
faite ; dans ce cas ils ont dit vrai ; vous
fçavez auffi qu'ils ont enfeigné de vive
Voix que
la baffe pouvoit parcourir toutes
les notes de l'Accord avant de fe rendre
à la médiante où le triton doit être
fauvé , & même faire fur cette médiante
un Accord de 7 & 9 avant celui de fixte ,
ce qui fait que ce triton peut refter fur le
même dégré pour former l'8e , la 3º , lá
6 & la se ; vous fçavez tout cela , mais
vous n'avez garde d'en parler ; vous n'avez
pas voulu nettre non plus que ce triton
doit après tous ces retardemens monter
enfin d'un dégré , cela auroit trop fait
fentir que ce principe de fauver, en montant
d'un dégré , eft fondamental ; vous
n'avez garde , cela feroit oppofé au projet
que vous avez fait d'établir votre reputation
aux dépens de vos Confreres.
Cependant vous êtes obligé à la fin d'avoüer
que l'on peut apprendre par ces
principes , tout défigurés que vous les.
rendez ; comment auriez- vous pû nier ce
que l'experience a confirmé tant de fois ?
enfin je conte avoir déja beaucoup gagné
de ce que vous n'attaquez plus la bonté
de notre pratique , & que vous vous retranchez
à la faveur de la diffimulation
fur notre maniere de l'enfeigner feulement.
Pour moi je ne change rien à ma
Theſe je dis toujours que notre pratique
I. Vol
eft
JUIN. 1730. 1085
l'on
eft plus parfaite que la vôtre , & que
ne peut rien ajoûter à la précifion de notre
théorie , ce que je promets de prouver
lorfque votre Méthode fera achevéed'imprimer
, à moins que vous ne l'ayez
corrigée ; dans ce cas je vous rendrai toute
la juftice que vous meriterez . Je fuis &c.
L
'Ode fuivante a perdu le mérite de ce
qu'on nomme l'à propos , la Fête celebre
qui en eft le fujet , ayant été donnée il y
a plus de quatre mois ; mais l'Auteur qui
avoit fait cette Piéce en même - tems eut des
raifons particulieres pour ne la pas foumettre
alors à la décifion du Public ; c'est à lui de
juger fi elle a d'ailleurs quelque mérite qui la
dédommage de celui qu'elle a perdu aujour
d'hui ; ce fera peut- être prévenir en fa faveur
que d'avertir qu'elle eft de M. Bouret , Lientenant
General de Gifors , qui a remporté les
deux années dernieres le Prix de Poëfie au
jugement de l'Académie Françoife .
I. Vol. Biij ODE
1
1086 MERCURE DE FRANCE
OD E.
Sur la Fête que les Ambaffadeurs & Plenipotentiaires
d'Espagne ont donnée à Paris
le 24. Janvier 1730. par l'ordre de Sa
Majefte Catholique Philippe V. à l'occafion
de la Naiffance du Dauphin.
E St-ce un charme trompeur ? au pouvoir des
preftiges
M'a-t'on livré de toutes parts ?
Les merveilles & les prodiges
S'offrent en foule à mes regards f
Suivi de tous les Dieux , le Maître du Tonnere
Pour venir habiter la Terre
A-t'il abandonné les Cieux ?
C'eft lui- même , lui feul vainqueur de mille obftacles
Pouvoit enfanter les ſpectacles
Que nous étalent ces beaux lieux..
De l'Augufte Junon , brillante Meflagere ,
* Iris fur un Arc- en-Ciel feint devoit paroltrefur
la cime des Monts Pirennées que repréfentoit
ce Feu d'artifice tiré ſur la Riviere , ces
ornement qni eut été trés - brillant ne parut pas
manqua par la faute de l'Entrepreneur : mais
il eft deffiné tel qu'il devoit étre fur toutes les
Planches que l'on a jointes à la Defcription dis
Feu.
I. Vol. Quel
JUIN. 1730. 1087
Quel vif éclat peint tes habits ?
Et fur ton écharpe legere
A femé l'or & les rubis ?
De feux étincelans la Terre s'illumine ,
Daigne m'apprendre où fe termine
Tout l'appareil de ce grand jour ?
Jupiter dans les foins d'une Fête fi belle ,
De quelque Déeffe nouvelle
Veut-il encore orner fa Cour ?
Mais , non ; ce que j'entends , ce que je vois pa
roître
M'offre de plus grands interêts ;
Pourrois-je encore méconnoître
L'objet de ces pompeux apprêts ?
La France de fon Fils celebre la Naiffance ,
Et la Paix que fuit l'innocence
Ramene avec lui tous les biens ;
De fes fruits les plus doux,fource heureuſe & feconde
,
-
Des deux premiers Trônes du monde
Il éternife les liens.
Augufte Rejetton d'une Tige cherie !
Tout va s'unir en ta faveur ;
Déja la France & l'Iberic
N'ont plus qu'un langage & qu'un coeur.
PHILIPPE avec tranfport fur nos rives déploye
I. Vo!.
De
Biiij
1088 MERCURE DE FRANCE
De fa tendreffe & de fa joye
Les témoignages précieux ;
Je vois paroître ici , Théatre de ſa Fête ,
Ces Monts , dont l'orgueilleufe tête
Semble fe cacher dans les Cieux..
Mais quel enchantement fur les bords de la Seine
Les a tout à coup tranſportés ?
En vain par la puiffance humaine
De tels efforts feroient tentés ;
PHILIPPE , c'eſt des Dieux la merveille écla
tante ;
Minerve a rempli ton attente ;
Elle en fait fon plus doux emploi.
C'est ainsi que Neptune & le Dieu du Permeffe
Servoient , flattés par fa promeffe ,
Un Roi moins celebre que toi.
L'ordre des Elemens pour la Fête ordonnée
Va-t'il fe confondre à ta voix ?
Ici la Nature étonnée
Voit fufpendre ou changer fes loix ;
Avec tous fes Tréfors l'Amante de Zephire
S'établit fur l'humide Empire
Dans la plus âpre des Saifons ;
Laomedon , Roide Pergame , pour qui Neptune
Apollon travaillerent & bâtirent les
murailles de Troye , depuis Capitale de l'Afie.
1. Vol Borée
JUIN. 1730. 1089
Borée en frémiſſant voit détruire ſon Regne ,
Surpris que Flore le contraigne
A fuir au fond de fes prifons..
Mais que vois -je ! ces fleurs , fans perdre leur
figure ,
Ces Arbriffeaux font embrafés,
Vulcain veut -il venger l'injure
Des Aquilons tyrannifés ?
Nom , Flore , ta beauté que le jour feul revele
Emprunte une grace nouvelle
Du vif éclat de ces flambeaux ;
Tes fleurs en feux brillans tout-à-coup transformées
>
Sur leurs Terraffes enflammées
En font des fpectacles plus beaux..
Pour le Cocq déformais le Lion pert fa haine ,
Prodige aux fiecles à venir !
De l'Ebre enſemble & de la Seine:
On voit les flots ſe réunir.
La Nuit déploye en vain fes voiles les plus ſom→
bres ,
Comment peut fortir de fes ombres
Le jour qui frappe ici mes yeux ?.
Le fuperbe Palais élevé fur ces rives
Me peint à des clartés fi vives.
Celui du plus brillant des Dieux..
* Le Palais du Soleil tel qu'ovide le décrit
dans fes Métamorphojes,
BOUIL
1090 MERCURE DE FRANCE
* BOUILLON , fi dans ce jour d'éternelle mémoire
Tu fers le zele d'un grand Roi
Son coeur t'affocie à ſa gloire ;
L'éclat en rejaillit fur toi.
Le Chef- d'oeuvre des Cieux , ton illuftre Compagne
*
Préfide aux Fêtes que l'Eſpagne
Confacre à l'Empire François :
PHILIPPE , qu'en ces lieux remplace la
Princeffe ,
A tant de grace & de nobleſſe
A bien dû fon auguſte choix.
Qu'entens-je ? un feu foudain va nous réduire
en poudre ;
Quel bruit ! quel fracas dans les airs !
Les Cieux s'embrafent , & la foudre
Gronde au milieu de mille éclairs !
Mais quel effroi nouveau ! du centre de la terre
La flamme , aliment du tonnerre
S'échape en lumineux fillons .
Du Vefuve entr'ouvert vois - je les vaftes gouffres?
De feux , de falpêtres , de fouffres ,
Vomir au loin des tourbillons !
* M. le Duc de Bouillon a prêté fon Hôtel &
le Jardin pour la Fête .
* Madame la Ducheffe de Bouillon a été priée
par le Roi d'Espagne de faire en fon nom les
honneurs de laFêt e.
1. Vol . Dans
JUIN. 1730. 1091
Dans l'Empire des eaux , Dieu du fombre Rivage,
As-tu tranfporté les Enfers ?
Viens-tu détruire le partage
Du Souverain des flots amers ?
La flamme dans leur fein , les Nayades tremblantes
,
Cent fois de leurs Grottes brulantes
Ont redouté l'embraſement ;
Depuis quand ? par quel art ? l'onde au feu ſi contraire
,
Souffre-t'elle qu'un temeraire
L'ofe braver impunément ?
Mais d'un art féduiſant m'é garent les merveilles
Grands Dieux ! quelle étoit mon erreur !
Quoi ! pour mes yeux & mes oreilles
Le plaifir devenoit terreur !
Des Aftres , des éclairs , agréables images ,
LOUIS ! ces feux font des hommages
"Rendus à ton augufte fils.
Ainfi deux grands Etats dans leurs tendres com.
merces ,
Chantoient par cent bouches diverfes
L'heureux prefent que tu leur fis.
* Les Serpentaux ou Feux Gregeois qui brulent
dans l'eau ..
I, Vol. B v Tout
1092 MERCURE DE FRANCE
Tout retentit du fon des bruyantes trompettes
A qui fe mêlent les hautbois ;
Quels fons ! écho , tu les repetes ,
Pour les apprendre au Dieu des Bois..
Mais lui -même s'avance avec les doctes Fées ,
Des Arions & des Orphées
J'entends les fublimes travaux :
Plus promte que l'éclair,quelle main bienfaifante
*
+
A mes yeux enchantés préfente
Des objets des plaiſirs nouveaux.
Chere Euterpe ! c'eſt toi , ta divine harmonie
Charme le Maître que tu fers ;
Voix raviflantes , * Polymnie
Guide elle-même vos Concerts ;
Quels doux frémiffemens me faififfent encore !
Les Rivales de Terpficore *
Forment les pas les plus fçavans
*
Les Graces fur leur danfe ont verfé la Nobleffe ;
Oui , les traits dont l'amour nous bleffe
Ont des
appas
moins décevans.
Quel cercle éblouiffant ! quelle augufte Affemblée
*
* La Pastorale en Mufique.
Les Dalles Antier & Le Maure..
* Les Des Camargo & Salé..
Le Ballet..
* Le Feftin
da. Volo Orne
JUIN.
1093
1730.
Orne encor ce brillant Salon ;
La pompe en ces lieux étalée
Répond au féjour d'Apollon ;
Comus conduit ici l'abondance élegante ,
La délicateffe piquante
Et l'aimable diverfité :
D'un ſuperbe feſtin retraçant l'ordonnance ,
Avec les loix le Dieu difpenfe
Les tréfors de la volupté..
Vous , Reine , dont jadis la tendreffe idolâtre-
A fait la honte & les deftins ,
Maintenant , vaine Cleopatre ,
Vantez vos celebres feftins .
Pour celui que l'Espagne àla France prépare ,
Ce que la Terre a de plus rare ,
Les flots , les airs font épuifés :
Cent mets délicieux qu'un art fçavant déploye
Peignent l'objet de notre joye *
Sous fon emblême déguiſés.
Quel changement ſoudain m'ouvre un nouveaus
Théatre ?
Tous les Miniftres de Comus
Font place à la troupe folâtre .
*Plufieurs Ouvrages de Pâtisserie & defucre
où étoient représentés des auphins , des petits.
Amours , des Fleurs de Lys Co.
1 Voly Qu'a1094
MERCURE DE FRANCE
Qu'amene & qu'inſpire Momus.
Ici de mille objets l'aimable bigarrure
Reçoit les loix & la parure
Du Dieu qu'elle y vient honorer.
Le mafque féducteur,l'un chez l'autre, fait naître
Ou l'embarras de fe connoître ,
Ou le plaifir de s'ignorer.
Eft- ce la jeune Hebé par Jupiter choific
Pour verfer le Nectar aux Dieux ,
Qui nous prépare l'Ambroisie
Que l'on prodigue dans ces lieux ?
Par un gout plus charmant les trésors de l'Automne
Jamais n'ont vaincu d'Erigone**
La refiftance & les mépris :
Glaçons qu'en fruits divers l'art déguife & colore
Aux dons de Pomone & de Flore
Vous ajoutez un nouveau prix.
Ces fpectacles , PHILIPPE , à ta vaſte puiſ-
Lance ,
A ton grand coeur font affortis ;
Moins d'éclat , de magnificence
Parut aux nôces de Thétis.
Ce tranquile féjour aux charmes qu'il étale
* Bacchus féduifit la Nymphe Erigonefous la
figure d'un Raifin
1. Vol. N'offre
JUIN. 1730. 1895
N'offre point la pomme fatale
Qui caufa de fi grands revers.
Le DAUPHIN , cher objet d'une Fête éclatante
Nous garentit la Paix conftante
Qui va regner dans l'Univers,
Quel art , au choix heureux de ces galans ſpec
tacles
Unit encor la dignité
N'en doutons plus , à ces miracles
Préfide une Divinité.
Mais fouvent parmi nous de fublimes génies
Dans leurs lumieres infinies
Remplacent le pouvoir des Dieux.
J'aperçois deux Mortels favoris'de Minerve ,
A qui la Déeffe referve
Ses tréfors les plus précieux.
De PHILIPPE en leur fein l'àugufte confi
dence
A verfé les plus grands fecrets ;
L'Europe entiere à leur prudence
Remet fes plus chers interêts.
Leur zele ingénieux , attentif à ta gloire ,
Grand Prince , a gravé ta mémoire
Avec des traits dignes de toi.
Dans les apprêts divers d'une Fête pompeuſe ,
* Les Ambaſſadeurs Plenipotentiaires d'Eſpagne.
I. Vol. Dans
1096 MERCURE DE FRANCE
Dans fa fplendeur majestueufe
Le Miniftre a montré le Roi.
MMMMMK
LETTRE écrite d'Apt , fur une Infcription
antique.
E ne fçai , Monfieur , fi vous agréerez
Jura
cription qu'on a découverte au voisinage
de notre Ville ; elle eft gravée en beaux
caracteres Romains , & contient les ра-
roles fuivantes ::
T. TROCIVS VIRILIS.
SIBI ET
MARIAE PRIVATAE
VX.SORI. T. F. I ..
C'est-à-dire , Titus Trocius Virilis a
ordonné par fon teftament qu'on dreffât
ce fepulchre pour lui & pour Marie Private
fa femme..
On ne trouve pas que le nom de Marie
ait été ufité pendant le Paganifme, ni qu'il
ait été donné à des perfonnes du fexe qu'après
la publication de l'Evangile , & à
celles feulement qui faifoient profeffion
du Chriftianifme ; car quoique dans une
Infcription trouvée à Valence en Daus
phiné , & rapportée par Spon dans fes Recherches
d'Antiquités , il foit fait mention
1. Vol. d'une
JUIN. 1730. 1097
d'une Verutia Maria fille de Marius , on
voit bien que c'eft ici un nom de famille
different de celui de notre Marie Private,
lequel fervant de prénom ou de nom propre
, ne peut avoir été impofé qu'à une
chrétienne ; cela fuppofé , je trouve dans
cette Infcription des caracteres qui me la
font porter bien plus avant que du tems
où nos Critiques modernes placent l'introduction
de la foi dans notre Province ;
ma raiſon eft qu'étant ainfi conçûë fans
aucune marque de Chriftianifme , fi l'on
excepte le nom de Marie , cette circonftance
nous donne à connoître qu'elle doit
être placée dans les tems orageux de l'Eglife
, & lorfque les Chrétiens n'ofoient
fe produire par des fingularités qui les
auroient trop défignés ; en effet,on n'y voit.
ni la Croix , ni le Chiffre Grec du nom
de Chrift que Conftantin mit fur les Etendarts
, & qui étoit long- tems avant lui en.
ufage parmi les fideles , comme Bofio &.
Arringui l'ont remarqué fur plufieurs
tombeaux dans leur Rome fouterraine
ni rien enfin qui dénote le Chriftianifine,
ce font là autant d'indices de l'ancienneté
de notre Infcription ; car je ne penſe pas
qu'on fut fondé de la mettre dans un tems
pofterieur à la Conftitution des Empereurs
Theodofe & Valentinien , publiée l'an du
Salut 427. & inferée dans le Livre premier
I. Vol.
du
1098 MERCURE DE FRANCE
du Code Juftinien fous cette Rubrique :
Nemini licere fignum Salvatoris Chrifti bumi
, vel in marmore , vel in filice fculpere
aut pingere. L'attachement que les Chrétiens
avoient pour le fimbole de notre falut,
avoit fait de fi grands progrès fous ces
Empereurs, qu'ils jugerent à propos d'arrêter
l'abus qui s'en étoit enfuivi ; mais ils
deffendent feulement par cette Conftitution
de graver ou de peindre le figne de
la Croix à plate terre , humi , afin qu'il ne
foit pas foulé aux pieds , ce qui n'a aucun
rapport avec notre infcription , laquelle
fe trouve gravée fur une pierre qui devoit
être élevée fur terre , & hors d'état de tomber
dans le cas prévu par Theodofe &
Juftinien ; d'ailleurs les Infcriptions
qu'on mettoit fur les tombeaux des Chrétiens
étoient alors conçues d'une autre
maniere , & n'avoit pas ce goût qui fe
reffent fi fort du Paganifme ; de forte que
celle- ci paroiffant d'un âge plus ancien
on doit neceffairement la placer dans un
tems qu'on n'avoit pas encore introduit,
ou plutôt qu'on n'ofoir introduire l'ufage
de mettre dans les Inferiptions fepulchrales
des marques de notre Religion ,
ni rien enfin qui pût fervir à diftinguer
les fideles d'avec les Payens .
Dans la Naiffance de l'Eglife , les Chrétiens
ou par l'apréhenfion d'être décou-
I. Vol. verts,
JUIN. 1736. 1099
verts , ou par un refte d'attachement aux
anciens ufages , n'exclurent pas toutes les
pratiques du Paganifme ; ils s'appliquetent
feulement à les fanctifier. On trouve
divers tombeaux de ces premiers Chré
tiens avec ces deux lettres D. M. que les
Payens mettoient à la tête des Infcrip
tions fépulchrales , mais ils leur donnoient
une explication differente , & au lieu de
les appliquer aux Dieux Manes , Diis Manibus,
ils les dédioient au Dieu très grand,
Deo Maximo , ce qui eft encore en ufage.
Les Chrétiens fe diftinguerent infenfiblement
par l'Alphabet & l'Oméga des
Grecs pour fignifier que comme ces deux
Lettres commencent & terminent l'Alphabet
, Dieu eft le commencement & la
fin de toutes chofes , par le Monogramme
de Chrift , par la Croix & enfin
par des
formules particulieres qui fervent encore
à diftinguer le tombeau d'un Chrétient
d'avec celui d'un infidele , comme benè
merenti , depofitus , feu depofitio , quiefcit in
pace , vixit in feculo , tranfiit , bona memoria
& quelques autres mais on ne
commença d'en ufer ainfi que dans le
calme de l'Eglife , & lorfque les Empereurs
après avoir renoncé aux vaines fuperftitions
du Paganifme , eurent embraffé
la Religion de Jesus-Chrift , ou tout au
plutôt dans le troifiéme fiecle ; de forte
I. Vol que
1100 MERCURE DE FRANCE
que notre Infcription n'ayant aucune de
ces marques , & le trouvant dediée à une
Chrétienne , comme il réfulte fort appa
remment des preuves que je viens de donner
, je perfifte dans l'opinion où je fuis
qu'on doit la placer dans un tems plus
ancien , c'est-à- dire , dans le premier âge
de l'Eglife naiffante où l'on ignoroit encore
toutes ces pratiques , & que la fureur
des perfécutions ne permettoit pas aux
Chrétiens de fe diftinguer par des fingu→
larités qui les auroient trop découverts ,
d'où je conclus, ce que j'ai voulu établir
que notre Province a eu le bonheur d'être
éclairée des lumieres de la foi beaucoup
plutôt qu'on ne veut nous l'accorder
. J'ai toûjours l'honneur d'être & c.
LE RHUME A LA MODE.
Ans le cours d'un Hyver plus doux qu'à
Dans
Pordinaire ,
Survint un Rhume general.
L'enfant dans fon berceau , la grande foeur , l'a
mere ,
Tout fut atteint du même mal .
Ni régime , ni prévoyance ,
Ne purent empêcher que de l'Aftre pervers ,
L. Vol. O'n
JUIN. 1101 1730.
On ne fentit au loin la maligne influence.
Il enrhuma toute la France ,
Il enrhuma tout l'Univers.
Dans les Citez où l'on fe picque ,
De varier les doux amuſemens ,
Plus de plaifirs , plus de Mufique.
Pour y parler tendreffe ou politique ,
Plus on ne s'affembloit ; ou fi de temps en temps
Des cercles s'y formoient encore ,
C'étoit pitié d'y figurer.
Propos entrecoupez qui ne pouvoient éclore ,
Bruit à vous rendre fourd ; on n'y pouvoit durer,
L'Amant touffoit auprès de fa Maîtreffe ,
La femme au nez de fon mari ;
Il n'étoit égards ni tendreffe ,
Qui contint ce charivari.
Thémis fut fur le point d'abandonner fon'Temple,
Ses Oracles prefque muets ,
Articuloient à peine fes decrets.
Chofe inouie à fon exemple ,
La Chicane fe tut , pour foutenir les droits ,
Tous fes Supports furent fans voix .
Heureux fi d'une telle engeance ,
Ce Rhume pour jamais avoit purgé la France.
Enfin chacun tapi chez foi ,
Quoiqu'il pút arriver s'y tenoit clos & coy ;
Nul n'en mourut , hors ceux qui pleins d'impatience
,
A nos Purgons , pour s'être confiez ,
2. Vol. Par
1102 MERCURE DE FRANCE
Par de lourds quiproco , furent expediez .
Pardonnez , Enfans d'Efculape ,
Si malgré moi la verité m'échappe.
Ce ne fut tout , la Faculté
Au même temps s'avifa de répandre ,
Que du Rhume public , qui n'avoit point tâté ,
N'avoit rien perdu pour attendre.
Sur la fin du prochain Eté ,
Brufque accident devoit lui prendre ,
Dont il feroit furement emporté.
Le Ciel ainfi l'avoit dicté.
Tel pronoftic parut fi ridicule ,
Qu'aucun ne crut à ce difcours.
Une femme ( ce fexe eft par fois bien crédule )
Le tint pour veridique & trembla pour ces jours.
Quoi ! je mourrois, dit-elle , & cela par ma faute !
Non , ma foi , non , je ne fuis pas fi fotte.
Ca, vite , enrhumons-nous. Dire comme elle fit,
N'eft pas , je penſe , un point fort neceffaire ;
Quoiqu'il en foit , le Rhume la faifit ,
Puis la fievre. On prélude , on décoche un Cliftere,
Onfaigne au bras, au pied , on purge avec vigueur;
Bref, tant fut operé fur elle ,
Qu'au bout de trois jours la femelle
A fes ayeux fut conter fon malheur.
Aux decrets que le Ciel difpenfe ,
Foibles Mortels , foumettons -nous ,
Tel penfe détourner fes coups ,
Qui le plus fouvent les avance.
1. Vol QBJUIN.
1730. 1103
******** ******:*
OBSERVATIONS fur la feconde
Lettre imprimée de M. Petit , Docteur
en Medecine , & de l'Académie Royale
des Sciences.
JE
E crois que M. Petit efttrop judicieux pour me
fçavoir mauvais gré de quelques Obfervations
que je prends la liberté de faire fur fa feconde
Lettre à M. Hecquet. Je fuis même tellement perfuadé
qu'il eft au-deffus de la prévention & de
la hauteur pédentefque qui indifpofent les hommes
naturellement contre ceux qui ont la hardieffe
de dire que nous nous fommes trompez ,
que j'ofe avec affurance lui offrir mes Remarques;
il les recevra, fans doute, en bonne part, puifqu'en
les lui préfentant je n'ai d'autre motif que mon
inftruction & le bien du Public.
Il n'y a pas lieu d'être furpris de ce qui a été avancé
par le celebre M.Hecquet,touchant la naiffance
des Cataractes cryftallines ; car quand il rapporte
que le fang, iorfqu'il dégenere de fon état naturel,
eft capable de ternir & d'obfcurcir toutes les humeurs
de l'oeil , en leur ôtant leurs tranſparences
& brillant , il ne dit rien que de vrai. En effet,
quoi de plus commun que de voir des Cataractes
cryftallines fe produire par la fuppreffion des Regles
, que le Sexe ne fouftre que trop fouvent ; qui
ne conviendra que cette maladie en corrompant
la male du fang , ne foit capable de former des
obstructions dans l'humeur cryftalline, & de caufer
des Cataractes De plus , ceux qui menent une
vie trop fédentaire , ne font-ils pas aufli fort fujets
à cette maladie Oculaire ? parce qu'elle favo-
→ 1. Vol.
rife
1104 MERCURE DE FRANCE

rife beaucoup l'amas des fuperfluités impures
qui feconfondent dans la maffe du fang, & dorit
il ne peut fe dégager ? Les hommes livrez aux
plaifirs de la table & à la débauche du fexe , n'y
font-ils pas bien fujets , puifque l'excès de la
bonne chere & du vin , augmentent trop le vo-
Jume du fang ; & le vin l'épaiffiffant contre nature
, le dépouille du Vehicule pur & fpiritueux
qui lui eft neceffaire pour entretenir la circulation
libre pour la nourriture de toutes les parties de
notre corps ? Pour revenir à la débauche du fexe,
elle appauvrit le fang & lui derobe un fluide le
plus animé & le plus fpiritueux de tous les liquides
du corps, qui entretient le Méchaniſme de
l'animal par l'ofcillation des Solides. Ne doit - on
pas conclure que l'épaiffiffement du fang contribue
à produire ces fortes de Cataractes cryftallines,
parce qu'en rendant la circulation trop lente,
& le brifement des parties folides du fang ne fe
faifant pas à propos , la Lymphe devient trop
groffiere & trop épaiffe pour être reportée par
les vaiffeaux abducteurs dans la voye de la circulation
, & le récrément qui en refte produit des
Cataractes de deux fortes , & quelquefois des
glaucômes de l'humeur vitrée , dont feu M. Lancifi
, Medecin du Pape , & après lui M. Heifter ,
ont produit plufieurs experiences.
Si M. Petit avoit fait plus d'attention à la
propofition, lorfqu'il dit qu'une Cataracte membraneufe
ne peut être abbattue fans déchirer la
Capfule du Chryftallin , il ne fe feroit pas expliqué
de cette maniere ; il fe feroit fouvenu que
dans fa premiere Lettre imprimée , page 8. il déclare
qu'il n'en connoît point , & qu'il n'en a jamais
vû. Comment pourroit-on faire pour déchirer
la Capfule du Cryftallin , puifque cette Caaracte
n'y eft pas adherente ? il faudroit être
·
1. Vol.
bien
JUI N. 1730 . 1105
bien peu verfé dans cetteOperation ,pour faire une
pareille bévûë ; s'il y avoit donc quelque chofe à
craindre , ce feroit d'endommager l'Ủvée plutôt
que la Capfule du Cryftallin , puifque cette Ca-.
taracte y eft quelquefois adherente , en tout , ou
en partie.
M. Petit dit encore à la page 15. que l'Operation
de la Cataracte Cryſtalline eft vingt fois
moins dangereufe que celle de la Cataracte Membraneufe,
fuppofé qu'il y en eût, & qu'on put les
diftinguer des Cryſtallines. Cet Ecrivain ne me
paroît pas bien fondé en parlant ainfi ; car il ne
devroit pas porter un jugement fi affirmatif fur
une matiere dont il avoue n'avoir point de connoiffance,
& qu'il nie abfolument.
Quel avantage M. Petit peut-il tirer, en avançant
qu'il y a vingt fois plus de Cataractes Cryltallines
que
de Membraneufes , ce qu'il a pris des
Differtations Ophthalmiques de M. de Woolouſe,
qui a fait cette découverte le premier ; y a-t- il la
moindre difpute à faire ? tout le monde n'en convient-
il pas prefentement ? peut- on faire une pareille
difficulté ? S'il n'y avoit que ce point à réfoudre
, on feroit bien - tôt d'accord , puifqu'on
n'en peut pas difconvenir ; mais la pluralité des
Cataractes Cryſtallines ne détruit aucunement l'éxiſtence
des Membraneuſes , puiſque l'experience
fait voir qu'il s'en rencontre de temps à autre.
J'en ai vû moi - même , comme je l'ai rapporté
dans le Mercure de France du mois de Decembre
1728. premier volume,page 2592. M. Rauffin
le pere , ancien Chirurgien Oculifte de Châlons
, & très- experimenté , & plufieurs autres,
n'en ont- ils pas rencontré dans leur pratique? Si
M. Petit veut en être convaincu à n'en plus douter,
il trouvera plufieurs Journaux de Trevoux,
qui en ont cité nombre d'experiences autentiques.
7
Is Vol.
C Je
1106 MERCURE DE FRANCE
Je fuis d'accord avec M. Petit que la Cataracte
Cryftalline peut auffi quelquefois fe former par
une forte contraction des Mufeles des Membranes
de l'oeil qui compriment le Cryſtallin en raprochant
fes parties, & en y faifant une forte com .
preffion ; or le Systême de M. Hecquet eft done
plus conftant & plus probable , lorfqu'il affure
que l'oeil étant affailli par trop de fang ou de
lymphe, fait un embarras dans les Vaiffeaux , un
amas & dépôt dans les chambres de l'oeil , les fucs
venant à s'accumuler & à y croupir trop longtems,
ne manquent pas,en l'épaiffiffant, d'obfcurcir
le Cryftallin, & de former une Cataracte Cryſtalline.
Les Veaux ne font- ils pas des animaux les
plus fujets à cette maladie fpecifique de l'oeil ,
c'eft- à - dire , aux Glaucômes qu'on veut appeller
aujourd'hui ( quoique mal à propos ) Cataractes
Cryftallines ; eft -ce par la contraction des Mufcles
& des Membranes de l'oeil qu'elle leur vient ?
peut-on dire que cette Contraction eft excitée par
feur attention ou application , comme notre Académicien
le prétend ? C'est donc une confequence
évidente de dire que les Cataractes Cryſtallines
fe forment ordinairement par la trop grande
abondance des fucs accumulez qui y croupiffent ,
& qui obfcurciffent le Cryftallin , & forment enfuite
des Cataractes Crystallines ; enforte que
l'Hypothefe de M. Hecquet me paroît la plus
naturelle & la meilleure , & ne fouffre aucune
difficulté , puifqu'elle eft prouvée par l'experience
des yeux des Veaux, qui eft inconteftable, & dont
tout le monde peut fe convaincre .
Le Crystallin fe deffeche quelquefois dans l'oeil,
comme on obferve dans de vieux Chiens domeftiques
& les Chevaux , fans que la diminution
des humeurs naturelles y ait aucune part , pour
lors il fe déchatonne, fe couche ou s'attache, jufques
D
at
JUIN. 1730. [ 107
ques fur les fibres pofterieures de l'Iris, comme je
l'ai vu arriver à une fille nommée Marguerite
Drouet , âgée d'environ 30 années , je ne puis
attribuer la caufe de ce deffechement du Cryſtallin
qu'au deffechement & détachement des Vaiffeaux
qui environnent fa Membrane , lefquels ,
faute de nourriture , fe flétriffent.
Si M. Petit avoit pouffé plus loin fa Reflexion
dans fa Réponse à Mrs Hecquet & Morgagni ,
qui difent qu'il fe trouve une eau au centre du
Cryftallin , & que la furface anterieure de cette
humeur fe trouve baignée , il fe feroit bien gardé
de s'exprimer de cette maniere , en difant : Je ne
erois pas que qui que ce foit ait jamais obfervé
une eau au centre du Cryftallin , non pas même
M. Morgagni , cela ne ſe trouve ni chez les
Anciens, ni chez les Modernes. Puifque M. Pecic
lui-même affure à la page 5. de fa premiere Lettre
imprimée , que le Crystallin eft toûjours hu
mecté d'une petite quantité de liqueur , fans qu'il
fe trouve une eau à fon centre , ni fans qu'il en
foit baigné , cela paroît oppofé , ou bien il faut
renoncer à tous les Principes ; il dit encore à la
page. 14. de fa feconde Lettre imprimée , que le
Crystallin eft pour l'ordinaire féparé de fa Capfule
par une très - petite quantité de liqueur qui
fe trouve renfermée dans fa Capfule ; après des
preuves fi claires, produites par l'Auteur , tirées
de fes Ouvrages , peut- on avoir encore quelques
doutes fur le Systême de Mrs Hecquet & Morgagui
n'eft-il pas fuffifamment prouvé ? è
M. Hecquet raifonne fort jufte fur l'Operation
de la Cataracte pour en faire voir toutes les difficultez
, & combien les fignes & les fymptomes
en font incertains & équivoques ; car, quand il dit
qu'il eft très- difficile de connoître le point de
maturité de ces fortes de Cataractes , il n'avance
Cij rien
1108 MERCURE DE FRANCE
rien qui ne foit bien connu de tous les bons Praticiens;
en effet, quand il s'agit de faire la difference
d'une Cataracte , de connoître fon état , fa fituation
, fon progrès , cela demande une experience
d'un nombre confiderable d'années que M. Petit
n'a point , puifqu'il eft nouvellement Oculifte ,
quoique Medecin de plufieurs années .
Lorfque M. Hecquet veut chercher les moyens
d'éviter cette Operation , c'eft qu'il eſt bien perfuadé
que ( quoiqu'elle ne faffe pas mourir ) elle
eft fouvent caufe que les Malades fouffrent longtemps
de grandes douleurs , furtout quand ils
tombent entre les mains de Chirurgiens Oculif
tes , qui ne fçavent pas la ftructure de l'oeil , &
qui ignorent les précautions qu'on doit prendre
avant que de l'entreprendre , & la maniere de la
faire.
Il eft vrai que M. Hecquet propofe la Paracenthèfe
comme un moyen utile pour prévenir la
Cataracte , ce remede feroit d'un grand fecours
fi les perfonnes à qui on le propoſe , avoient affez
de réfolution & de courage pour ſe ſoumettre à
cette ancienne Operation , qui les mettroit pourtant
à couvert de l'aveuglement ; mais comme
dans nos jours on eft trop délicat , & que le feul
nom d'une Operation fait peur , je me fers d'un
autre expedient qui m'a fort fouvent réüſſi dans
toutes fortes de Cataractes naiffantes , c'eſt une
compreffe trempée dans une liqueur de ma façon
& appliquée fur l'oeil fermé pendant une heure ;
fi on veut voir un effet plus confiderable , il faut
réiterer, en faisant tremper la même compreffe, &
faire la même application , les malades pour lors
trouveront un foulagement notable ; il faut continuer,
pendant huit jours, foir & matin; on peut
compter que par ce Remede que j'ai fouvent
expérimenté , la Cataracte fera entierement diffipée,
JUIN. 1730. 1109
fipée. Si elle étoit plus avancée dans fa maturité,
il la fixeroit au moins, & en empêcheroit le progrès
, à moins que la douleur de tête & migraine
n'affligeaflent fans ceffe les Malades.
J'ofe me flatter que le celebre M. Petit me fera
P'honneur d'une Replique avec fa politeffe ordinaire
, dont je lui tiendrai compte , & il me trouyera
plus docile & plus flexible que ce Sçavant
du premier ordre , avec lequel il eft en difpute
& qui s'eft retiré du monde pour ne fonger qu'à
fon falut ; deforte que M. Petit auroit pû s'épargner
la peine de dire qu'il n'auroit pas dorenavant
le temps de répondre aux Répliques de
M. Hecquet , au cas qu'il veuille en faire.
Par M. Blanchard , Prêtre du Diocèfe
de Châlons , Chapelain de l'Eglife Collegiale
de Notre- Dame.
***:*X * X:XXXX:XXXX
IMITATION
D'une Piece en Vers Latins , de M. de la
Monnoye.
L'Autre jour Lycoris Tapie ,
Sur un tendre Gazon , à l'abri du Soleil ,
En lifant s'étant affoupie,
Goutoit les douceurs du fommeil ,
Tout fe taifoit dans le Bocage ,
N
A peine on entendoit le fouffle des Zéphirs ,
Zo Volo
Les Cij
1110 MERCURE DE FRANCE
Les Oiseaux ,
ceffant leur ramage ,
Gazouilloient tout bas leurs foupirs.
Tout près un Ruiffeau , dont l'eau pure ,
Fat une fraîcheur douce invitoit au repos ,
Sembloit adoucir fon murmure ,
De concert avec les Echos ;
Voltigeant de Rofes en Rofes ,
Un Papillon trompé , fans doute , au coloris ,
Crut en voir fraîchement écloſes ,
Sur les levres de Lycoris..
M
Il profitoit de fa capture ,
Savourant à longs traits un fuc délicieux
Quand la douleur de la picquure ,
De cette Belle ouvrit les yeux..
Brulant d'un courroux inutile ,
C'eſt envain qu'elle cherche à punir l'inhumain ,
Elle voit fuir le Volatile ,
S'applaudiffant de ſon larcin .
A punir une telle offenſe ,
Cupidon , n'cft-tu pas toi - même intereffé
I. Vol. Si
JU I N. 1730 . 111E
Si tu la laiffois fans vengeance ,
Ton pouvoir en feroit bleffé.
Quoi donc , cette Beauté fi fiere
Voit fon repos troublé par un vain Papillon ,
Et ce que tes Traits n'ont pû faire ,
Eft l'ouvrage d'un Aiguillon.
Bordes de Malfart.
LETTRE de M. le Tellier , Medecin
de Peronne , fur l'abus des Remedes
Vo
chands.
Ous avez vû , Monfieur , mes nouveaux
Effais fur l'Ame des Bêtes ,
où je prétens établir que ce font de pures
Machines , je prends la liberté de vous
prefenter mes Reflexions touchant l'Extrait
d'un OuvrageAnglois fur la guériſon
des fievres par l'eau commune , qui ſe
trouve dans le Mercure de Fevrier 1724.
Il y a dans cet Extrait des particularitez
tout- à -fait dignes de remarque , & qui
méritent la plus foigneufe attention. Vous
trouverez bon que je prenne delà occafion
de relever un peu les abus qui fe
commettent dans l'ufage des Remedes
chauds.
1. Vol. Ciiij Rien
1112 MERCURE DE FRANCE
Rien de plus ordinaire , rien de plus
familier , chacun le fçait , que la pratique
des Cordiaux & des Drogues les plus brulantes
dans les maladies les plus ardentes,
telles que Petites Veroles , Rougeoles ,
Fievres malignes , pourprées , peftilentielles
, & la Pefte même , toutes maladies
revêtues du caractere de la plus cruelle
inflammation , & marquées , pour ainfi
dire , au coin de la Pierre infernale ; mais
en même-temps , quoi de plus finiftre &
de plus funefte que cette pratique ? Où
eft l'Axiome , que les contraires fe guériffent
par les contraires?& qu'eft devenue
la maxime qu'il faut rabattre les faillies
& réprimer l'impetuofité des Maladies ?
Le ravage affreux que fait ici la Petite
Verole , quand elle eft en regne , étonne
les Provinces où ce fleau ne fait pas
beaucoup près tant de dégats ; parce qu'on
l'y traite avec moins de fracas & moins
de pompe. On a vû les Campagnes à cet
égard plus heureufes que les Villes ; par
ce qu'elles étoient plus fimples & plus
paifibles , moins faftueufes & moins remuantes.
Les bonnes femmes qui n'avoient
pour regle en fanté que les befoins
modiques de la Nature , s'y regloient
, & s'y rapportoient auffi uniquement
en maladie. Economes dans les
remedes comme dans les alimens , elles
I. Vol
gućJUIN.
1730. 1113
guériffoient leurs enfans attaquez de petite
Verole , avec le petit lait pur & fimple
bû largement & prefque à toute heute.
Elles fembloient , conduites qu'elles
étoient au gré de la Nature , plutôt que
de leur caprice , avoir la Medecine par
inftinct , & dans le gout. machinal à l'inftar
des animaux guidez dans la recherche
de ce qui leur eft convenable par un penchant
ou une impulfion toute méchanique.
Mais quand on eut renoncé à l'ufage
du petit lait , pour y fubftituer le vin &
le Thériaque , alors , fuivant la Remarque
du celeble Lydenham , les petites Veroles
apprivoilées jufques - là , fe mutine
rent ; de dociles & de traitables qu'elles
étoient , elles devinrent malignes & meurtrieres.
Brufquées par les incendiaires &
les boute-feux , elles allumerent l'incendie
& ne refpirerent plus que le. carnage.
Les Turcs , à la faveur des Limonades &
du régime fimple , fobre & rafraîchiffant,
fe mettent en garde contre la Peſte , qui
ne difcontinue guere chez eux, mais qu'ils
entendent à faire venir à compoſition &
dont , grace à leur fobrieté , ils éludent .
les coups & fçavent triompher. M. Sidobre
, l'Eleve du fameux Barbeyrac un
des principaux ornemens de l'Ecole de
Montpellier , & l'Oracle des Medecins de
I.. Vol.
Cy for
4
1114 MERCURE DE FRANCE
fon temps , veut qu'on traite les petites
Veroles avec les Délayans , Calmans , Rafraîchiffans
pour baigner , arrofer &
réparer un fang que l'ardeur de la maladie
met à fec , qu'elle brule & qu'elle
confume , pour noyer des Sels âcres &
cauftiques , rabattre des Souffres exaltez &
développez , pour rappeller enfin le calme
& rétablir le bon ordre.
Mais un avantage à quoi les Dames:
pourront ouvrir les yeux & fe montrer
fenfibles , c'eft que le régime rafraîchif
fant épargne leurs agrémens , ménage
leurs graces , & donne moins d'atteinte:
à leurs attraits. Le fang rendu moins brulant
, moins cauftique , moins corrofif,,
produit un pus plus loüable , plus innocent
, qui fait fur la peau des impreffions
moins profondes, moins mordantes ,.
la ronge , la déchire moins , & n'eft pas
fi porté à laiffer les marques de fa fureur,
& les veftiges de fa malignité. On demande
des moyens , on cherche des fecrets
pour fauver les Lys & les Rofes du
venin de la maladie ; on s'amufe à des
Pomades , on s'arrête à des Huiles , tandis
que le grand fecret feroit d'adoucir
& de corriger l'acrimonie du fang , de le
temperer , de le rafraîchir , d'en calmer
l'ardeur , & d'en rabattre les faillies . Voilà
comme les fleurs du vifage pourroient

I. Vol.
échapJUIN.
1730. ITIS
échapper à la morfure de l'Afpic , qui
allarme tant les Belles , & fait la terreur de
la plus précieuſe partie du monde , & ce
ne feroit pas une petite confolation pour
un Sexe idolâtre de fes charmes , & qui
tremble autant pour la beauté que pour
la vie.
Si l'on faifoit le dénombrement des
Peftes qui ont ravagé l'Univers , on
trouveroit que celles qu'on a voulu dompter
par des échaufans , & que l'on a honoré
d'un fplendide & fingulier traitement
, ont été les plus rebelles & les plus
indomptables. La derniere Pefte de Marfeille
qui s'eft jouée ſi inſolemment des
Médecins , auroit peut- être perdu de fa
férocité fi on l'eût abaiffée & réduite à
une Cure aifée & naturelle , fans lui faire
l'honneur de l'attaquer par de pompeux
antidotes , & de fe guinder pour elle audeffus
des vûës ordinaires & des indications
accoûtumées. On tente de chaffer
un feu par un feu , on échaufe des corps
déja trop échaufez , on les met à la torture
, on acheve de les brûler. Y auroit-il
plus de rifque à jetter tous les Peftiferez
dans la Riviere , qu'à les faire paffer par
des feux fi dévorans ; & ne s'en fauveroitil
pas plus à la nage, qu'à travers les flammes
des Cordiaux ?
Le fang eft facré en temps de pefte , &
I. Vol. Cvj los
1116 MERCURE DE FRANCE:
les forces font ménagées au mépris de la
vie , au préjudice de la guérifon . On permet
au lang toutes fortes d'échapées , de
boutades, de dépôts , de congeftions. Tout
lui eft permis dans ces jours infortunez ;
il eft deffendu de le réprimer , de l'affoiblir
, de le diminuer dans l'excès de fon
volume , de l'arrêter dans la rapidité de
fon cours ; il faut le laiffer engager dans
les vifceres , l'y précipiter même à toutes
forces , & lui donner la liberté de porter
à l'économie animale le coup mortel qu'il
prépare. Cependant la Pefte fait fon chemin
hardiment , rien ne l'arrête ; une défolation
generale accompagne & fuit fes
pas. On pourroit pourtant s'y oppoſer,&
le moyen , ce femble , de mieux réüffir à
déconcerter ce fléau , ce feroit de s'y prendre
plus fimplement , de l'attaquer fans
tant de façons , à moins de frais & fans
beaucoup de bruit. A ce compte la faignée
feroit merveilles , & l'on verroit à
coup sûr couler moins de larmes , fi l'on
répandoit plus de fang. L'eau feroit auffi
d'un grand ſecours , tant pour la préſervation
que pour la guérifon , comme il
eft fort bien remarqué dans l'Extrait que
vous avez inféré , Meffieurs , dans le Mercure
déja cité , & qui donne lieu à cette
Differtation. Mais quoi ! réduire à l'eau
les Grands comme les petits , & contenir
IVol. dans.
JUIN. 1730. 117
dans un genre de vie fi chetif des gens qui
veulent faire auffi belle figure au lit qu'à
table , qui veulent briller en toute fituation
& le faire traiter auffi fplendidement
en maladie qu'en fanté. Qu'on les traite
donc comme ils veulent , & ils mourront
comme ils doivent. Il faut à la diftinction
de leur rang une pratique diftinguée.
Il eft bien plus noble & plus digne
d'eux de périr avec l'or potable , que de
réchaper avec l'eau .. Cependant quelle
douleur de voir ainfi moiffonner nos
têtes les plus auguftes & les plus précieuſes
, moins par le Glaive de la maladie
, que par les traits envenimez des
remedes ! Qu'il eft trifte que le Monarque
périffe où le fauve un Goujat ! Et qu'il
eft fâcheux pour ce grand équipage de
Médecine , ce grand attirail de remedes
de la haute volée pour la pratique fal
tueuse , enfin de n'avoir fur la pratique
fimple , rafraîchiffante , calmante & du
goût de la nature que le miférable avantage
, ce malheureux relief , de compter
d'illuftres victimes , & d'être fignalée par
de nobles facrifices , tandis que l'autre
que des monumens obfcurs de fa
réüffite , & des fuccès qui n'ont pas autant
d'éclat que de bonheur.
n'a
3
Dans le même Mercure , à la page 257.
on voit une réponse à une . Lettre , qui
I. Vol.
fait ,
Trrs MERCURE DE FRANCE
fait , pour ainfi dire , faire un miracle à
l'Emetique dans la petite Vérole. Je me
fouviens à cette occafion d'un Medecin .
nommé Gurdelheimer , qui fit grand
bruit à la Cour de Berlin , & dont il eft
parlé avantageufement dans les Actes des
Savans de la même Ville. Il entreprenoit
la guérifon de la petite Vérole par des
Emétiques redoublez. Cette méthode , à
ce qu'on dit , lui réüffit à tel point, qu'il
s'acquit le nom d'Efculape de la petite
Vérole. Mais après avoir par cette voye ,
conduit les autres au port , il fit naufrage
lui-même. Attaqué d'une fiévre maligne
, il prit deux fois l'Emétique , &
mourut en convulfions le onze de fa ma--
ladie. Son difciple fe montra jufqu'au
tombeau , fidele imitateur de fon maître..
Etant tombé dans la même maladie , il ſe
traita de même , & mourut de même.
Voilà de quoi groffir le Martyrologe de
l'Antimoine , dreffé par Guy Patin. Telles
font les réfléxions que j'aià vous communiquer
fur l'abus des remedes chauds,
& fur l'excellence des aqueux calmans
délayans , rafraîchiffans. La pratique des
premiers me paroît incertaine , bizarre ,
infidéle , pour ne rien dire de plus ; &
dans la difpofition où je fuis de pourfuivre
ce deffein , & de donner là- deffus
une differtation complete ; je crois voir ,
1. Vol. finon
JUÍN. 1730. TITO
finon de quoi décrier les échaufans & les
profcrire , du moins de quoi les rendre
fufpects , les faire appréhender & les af
fujettir aux loix de la précaution la plus
foigneufe , & de la plus exacte circonfpection.
Vous me permettrez,Monfieur
de vous faire part d'un nouveau fruit de
mes études : J'ai entrepris une Critique
fur l'Emménologie de M. Freind Medecin
Anglois , où j'attaque le Syftême de
la rupture des vaiffeaux pour l'écoule
ment des mois , y fubftituant l'Hypothéfe
de l'intrufion du fang dans les canaux
lymphatiques. Je fuis , & c.-
&
LES FLECHES de l'amour
perdues recouvrées.
Dans un Bois embelli par la feule nature
Azile impénetrable aux ardeurs du Soleil ;;
Cupidon étendu fur un lit de verdure ,
Goutoit les douceurs du fommeil.
Pour fervir les amours du maître du tonnere ,,
Mercure ce jour-là deſcendit ſur la terre ,
Il paffa dans ce Bois , mais il fut bien furpris ,
D'y trouver le fils de Cypris..
1. Vol. II
120 MERCURE DE FRANCE .
Il approche , il faifit ſes armes :
( Ce Dieu faifoit fouvent le métier de voleur. )
fuit , l'amour s'éveille , en voyant fon malheur
,
Il ne peut retenir ſes larmes.
Tout eft perdu , dit- il , on m'a pris mon Carquois

Ces Fléches qui rangeoient tant de coeurs fous
mes loix..
C'eſt ta juftice que j'implore ,,
Puiffant maître. des Dieux ! s'il te fouvient encorc
De ces heureux momens que tu dûs à l'Amour ,,
Daigne le vanger en ce jour.
On vient de l'infulter , Mercure a fait le crime ,,
Qu'il en foit au plutôt puni .
Pour un fujet moins légitime
Du celefte féjour Apollon fut banni..
En achevant ces mots , il s'envole à Cythere ,
Il y cherche , il trouve ſa mere :;
Abbatu , languiffant , les yeux baignez de pleurs ,,
Il lui tient ce trifte langage..
O Venus ! apprenez le plus grand des malheurs ;
Je paffois par hazard dans un fombre bocage ,
Je me fentis forcé de ceder au fomeil ,
Mais que fis-je, imprudent ! hélas ! à mon reveil ,,
I.Volg Je
JUIN. 1730. 1127
Je cherchai , mais en vain , ces armes redoutables
,
Ces traits à qui je dois tant d'exploits mémorables.
Qui faifoient reſpecter mon pouvoir en tous lieux.
Ces traits qui me rendoient le plus puiffant des
Dieux ,
On avoit ofé me les prendre.
Mercure avoit commis eet horrible attentat j
Conjurez Jupiter de me les faire rendre ;
Qu'il me vange de cet ingrat.
Il ne doit point fouffrir une telle infolence ;
L'Amour fans fon Carquois eft un Dieu fans
puiffance ;
Faut-il yoir les mortels m'accabler de mépris t
Ainfi parle l'Amour , mais l'aimable Cypris
Par ces mots calma fes allarmes.
Ceffe de répandre des larmes ,
Mon fils , la perte que tu fais
Peut fans peine être réparée ;
Cours , vole vers cette contrée ;
Que l'aimable Doris orne de fes attraits ,
Ses yeux te fourniront des traits ;
Avec ces armes agréables
Tu verrás tous les coeurs fe foûmettre à tes Loix,
Ces lieux retentiront du bruit de tes exploits ,
Ils feront plus fréquents , ils feront plus dura
bles..
I.Vol.
Du
1122 MERCURE DE FRANCE
Du confeil de Venus l'amour fçut profiter ,
Il vole auffi prompt que Zéphire
Cherche Doris , la voit , l'admire ,
Et forme le deffein de ne la plus quitter.
Eh ! que ne doit-il pas a l'aimable Mortelle !
Que d'exploits glorieux ! lui-même en eft fur
pris :
C'eſt en vain que Venus maintenant le rappelle
Il fe trouve trop bien dans les yeux de Doris.
Par M..... Aix.
XXXXXXXXX :XXXXXX
PROCE'S ECCLESIASTIQUE
à juger entre les Normans les Bourguignons.
Extrait d'une Lettre de Pravince
du 1. May 1730.
JBourguignons dont vous avez cons
E ne fçai à quoi penfent Meffieurs les
muniqué les prétentions , de s'approprier
commeils font,le bien desNormans.
Ils devroient , ce femble, fe contenter d'en
joüir aujourd'hui , fans dire publiquement
qu'il leur a toûjours appartenu. Ont- ils
bien prévu à quelle Nation ils fe jouënt ?
& qu'il eft très- fâcheux d'avoir affaire aux
Peuples Normans , & fur tout à ceux de
la Baffe Normandie Si les Regiftres des ?
I. Vol. Cours
JUIN. 1730. 1123
Cours de Parlement étoient à leur portée,
ils y trouveroient dequoi concevoir de la
terreur à la feule prononciation du nom
d'une Nation fi formidable , & ils ne s'aviſeroient
pas de vouloir enlever à cette
Province la gloire d'avoir produit tel ou
tel Saint , au moins avant le tems auquel
elle fut abandonnée aux Danois.
Reprenons ce que je vous en ai autrefois
touché dans une autre Lettre , afin
que vous foyez plutôt en état d'avoir làdeffus
le jugement de nos amis communs.
Heft queftion d'un S. Flocel honoré le 17.
Septembre tant en Bourgogne qu'en Normandie.
Les Normans conviennent qu'ils
ne font pas les feuls qui l'honorent ; ceux
de Coutances font fi francs qu'ils debutent
ainfi dès la premiere Leçon de leur
Breviaire, Partie d'Eté , ancienne Edition ,
page 486. Flocellum Martyrem Conftantien-
Jes & Aduifuum vindicant , &ficut Auguftoduni
Aduorum , fic in agro Conftantine
celebris eft hodie illius memoria. Les Bourguignons
paroiffent,au contraire, couverts
& diffimulés ; ils font ſemblant de ne pas
être informés des traditions de la Normandie
, & ils n'en difent pas le petit
mot. Ceux de Beaune qui poffedent le
corps de ce Saint fe contentent de dire
en general qu'avant qu'ils le poffedaffent,
il étoit confervé dans un endroit des Gau
I. Vol
les
1124 MERCURE DE FRANCE
les qu'ils defignent par ces mots : Divitrix
Gallia ; & ceux d'Autun croyant qu'il
ne faut point entendre d'autres qu'eux
par ce Divitrix Gallia , fe font imaginés
depuis peu que c'eft chez eux qu'il a fouffert
le martyre , & voudroient le faire
accroire aux autres Nations.
Examinons les Piéces du Procès . Le fac
des Autunois fera bientôt vû , il n'eft. pas
des plus enflés ; ils n'ont pour toute production
que le Martyrologe de Baronius ,
qui marque au 17. Septembre Auguftoduni
S. Flocelli pueri , qui fub Antonino Imperatore
& Valeriano Prafide multa paffus
demùm à feris difcerptus , martyrii coronam
adeptus eft , & ce Cardinal renvoye pour
la connoiffance des Actes de ce Saint à
Mombritius & à Pierre de Natalibus. Ils
ajoûtent encore qu'ils en ont le corps dans
la Ville de Beaune qui eft de leur territoire
, & qu'il y a fi long- tems qu'on l'y
conferve , qu'en 1265. le Legat Simon de
Brie , Cardinal, Prêtre du titre de Sainte
Cecile, le tira du tombeau le 9.de Novembre
, pour l'enfermer dans une Châffe.
Les Normans font plus diffus dans leurs
Ecritures. On trouve dans leur fac, qui eft
d'une groffeur raiſonnable , dequoi faire
les remarques fuivantes. Il eft vrai que
les Cotentins, réimprimant leur Breviaire
en dernier lieu , ne parlent plus des Autu-
I. Vol. nois ;
JUIN. 1730. 1125
nois. Il femble qu'ils ont profité de l'exemple
que les Bourguignons leur ont
donné d'une reticence affectée ; mais leurs
prétentions n'en font pas moins les mêmes.
Ils avoüent que les Bourguignons
n'ont nullement falfifié Baronius , & que.
Pierre , Evêque d'Equile en Italie , autre
ment dit de Natalibus , s'exprime de la
maniere que Baronius le cite. Mais quelles
autorités ! difent-ils . Un Auteur de trois
cens ans qui a ramaffé tout ce qui lui tomboit
fous les mains , à l'exemple de Jacques
de Voragine , & qui dans ce qu'on
lui aura envoyé fur S. Flocel , a fupprimé
ce qui pouvoit conduire à connoître le
premier lieu du culte de ce Saint , de quel
poids doit- il être reputé ? Outre que les
productions de Meffieurs de Coutances
font en plus grand nombre que celles de
Meffieurs d'Autun , elles font encore
beaucoup mieux raifonnées , n'en déplaiſe
à ces derniers . Ils citent des Actes de Saint
Flocel qu'ils ont découverts dans plufieurs
Bibliotheques du Royaume , & il eft remarquable
qu'aucun de ces Exemplaires
qui font d'une Ecriture du X.du XI. & du
XII. fiecle , & par conféquent beaucoup
anterieurs à Pierre de Natalibus , ne dit pas
que ce foit à Autun que S. Flocel ait
fouffert , mais feulement dans le voifinage
du Pays de Coutances . Il eft vrai , ajou-
1. Vol, tent
1126 MERCURE DE FRANCE
tent les Cotentins , que ces Actes font endurer
tant de differentes fortes de fupplices
à ce Saint , que fi on pouvoit compter
fur leur fincerité , il auroit dû paffer pour
un des plus celebres Martyrs de l'Occident
, comparable aux Laurents , aux Vincents
&c. Mais c'eft par cela même que
tout étendus qu'ils font , ils paffent cependant
fous filence le lieu du Martyre
du Saint ; il faut le chercher dans un Pays
où l'on trouve que fon culte eft plus ancien
, plus fuivi , plus continué , & plus
autorifé qu'il ne l'eft dans le Pays Autynois.
Quant à Autun , difent encore les
Cotentins , ce Saint y eft fi peu connu.
qu'il n'a jamais été dans aucun Calendrier
du Diocèfe jufqu'à l'an 1728. &
qu'on n'y en a jamais fait aucune mémoire.
Il y a même cela de fingulier , quant à
ce point , qu'aucun des anciens Martyrologes
où les Saints d'Autun furnumeraires
à ceux du Calendrier Diocéfain font exactement
infcrits , n'en a pas fait mention.
Ainfi , concluent- ils , Saint Flocel n'eſt
pas Autunois par fon martyre.
Nous avouons bien , ajoûtent les Cotentins
, que fon corps peut avoir été
transporté dans l'Autunois ; mais c'eſt de
chez nous qu'il a été enlevé. Il avoit vêcu
dans notre Pays , ou fort peu loin de nos
cantons , & il y eft mort , au moins il a
I. Vol. été
JUIN. 1730. 1127
été inhumé dans notre territoire felon les
Manufcrits de fept ou huit cens ans , &
nous poffederions fes faintes dépouilles
fans les guerres du IX. fiecle qui nous en
ont privés , comme de celles de quantité
d'autres Saints du Cotentin , du Beffin
lefquelles ont été refugiées dans l'interieur
du Royaume pour être mifes à l'abri des
incurfions que les Danois faifoient fur les
Côtes. Une partie des Eglifes de Bourgo.
• gne n'eft - elle pas enrichie de ces Reliques
ainfi refugiées ? nous ne refufons point
de croire qu'on n'y ait porté le corps de
S. Flocel comme d'autres , & qu'il n'ait
été mis dans un tombeau , en attendant
que des fiecles plus tranquilles permiffent
de l'élever de terre : mais pour ce qui eft
du lieu du martyre ou au moins de la
premiere fepulture de ce Saint , c'eft un
honneur que nous ne pouvons déferer à
la Bourgogne , & il ne nous convient pas
de nous en deffaifir.
Il me paroît que ce raiſonnement des
Bas-Normans n'eft pas tout-à- fait fi mauvais
, & j'y reconnois un caractere de fincerité
qui me fait pancher d'inclination
pour leur fentiment. Ce n'eft point içi
clameur de Haro , ni allegation de Charte
Normande. Ils avouent ingenument que
les Actes de S. Flocel , tant ceux qui font
diffus , & qu'on trouve dans de Manuf
་ I. Vol , crits
1128 MERCURE DE FRANCE
crits de fept cens ans , ou environ , que
ceux qui n'en font qu'un leger extrait &
qui font pofterieurs ,ne valent rien du tour.
C'eft pour cela qu'ils accordent qu'on ne
doit avoir aucun égard à ce que Pierre
de Natalibus en a tranfcrit , & que des
Actes ainfi fuppofés ne peuvent conftater
un fait prétendu du fecond fiecle à
l'égard d'un Martyr dont aucun des anciens
Martyrologes n'a fait mention , ni
S. Jerôme , ni Bede , ni Florus , ni Buard ,
ni Adon , ni Raban , ni pas un feul des
autres jufqu'au feiziéme fiecle , & qu'ils
font fi mauvais , que Dom Ruinart a eu
raifon de les regarder avec un fouverain
mépris. Il n'y a , felon eux , que l'article
du culte qui , étant attefté par un Ecrivain
affez ancien & par des Manufcrits
d'environ huit cent ans , doit être regardé
comme non falfifié. Je préfume
donc fans craindre de me tromper , que fi
cette caufe étoit portée devant un Tribunal
Agiologique, où l'on entreprit de difcuter
avec attention les raifons de part &
d'autre , les Autunois feroient condamnés
de reftituer aux Normans ce qui leur appartient,
non pas le corps du Saint à l'égard
duquel il y a prefcription , mais la gloire
de lui avoir donné la fepulture, & d'avoir
été les premiers poffeffeurs de fes Reliques.
I. Vol. J'ai
JUIN. 1730. 1129
J'ai voulu me convaincre par moi-même
touchant les faits allegués dans la
procedure des Normans ; j'ai déja découvert
en differentes Provinces du Royaume
quatre ou cinq Manufcrits du XI &
du XII. fiecle où toute la Fable eft trèsfenfible
, puifqu'on y fait débiter par
le
Préfident Valerien , en préſence de Dacien ,
des actions de S. Georges ; & que cependant
on fait vivre ce Préfident fous l'Empire
d'Antonin le Pieux . Mais auffi ce qui
s'y lit à la fin prouve que du tems qu'ils
ont été compofés, le corps de S.Flocel repofoit
au Pays de Cotentin : Ad provin
ciam pagi qui vocatur Conftantinus , & qu'il
étoit inhumé au territoire appellé Chriftonnum
ou Cruftonum dans un Village du
nom de Duurix. Je diftingue fort ce qui
regarde le culte de ce Saint d'avec ce
qu'on rapporte fur fon âge , fur les differens
genres de fupplices par lefquels on
le fit paffer , & fur l'Epoque de l'Empereur
qui regnoit alors. L'un peut être
conforme à la verité , tandis que l'autre
n'eft qu'un tiffu de fictions . Mais à travers
tout cela il est toujours facile d'entrevoir
qquuee l'Eglife Collegiale de Beaune
avoit été informée du contenu des periodes
qui finiffent les Actes de S. Flocel,
& que le Divitrix de la Legende moderne
du Propre de cette Eglife Autunoife ,
I, Vol,
n'eft D
1132. MERCURE DE FRANCE
Ces fortes de mauvais compilateurs étant
mal informés & éloignés des lieux , concluoient
volontiers qu'un tel Saint étoit
mort dans un tel territoire, parcequ'il étoit
de leur connoiffance qu'on y poffedoit fes
Reliques. Mais on peut joindre à cela que
la Ville de Coutances ayant été appellée
par quelques anciens du nom d'Augufta,
felon Polydore Vergile. L'abbreviation
de ce nom local aura pû tromper quelques
Lecteurs , & leur faire mettre Auguftoduni
dans un texte où il y aura cu
fimplement Augufta ou bien Augufta ad
mare , de même que les Manufcrits cideffus
cités fur le culte de S. Flocel mettent
Chriftonnum, au lieu du Crociatonum
de Ptolomée , qui étoit la Ville Capitale
des Peuples qu'il appelle Venelli , & que
les Commentaires de Cefar appellent
Vnelli.
***
REMERCIEMENT
A MADAME DE B ***
DIgne Sapho , dont le mérite
Rend ma parfaite eftime égale à ta vertu ,
D'un aimable devoir permets que je m'acquite ,
Et ne dédaigne pas un encens qui t'eft dû.
I. Vol.
Dans
JUIN. 1133 1730 .
Dans ton accueil , fans me connoître
Tu me fis voir tant de bonté ,
Que j'efperai depuis que je ferois peut- être
Plus cheri qu'autrefois de la Divinité.
Puifque fa plus parfaite image
Veut m'honorer de fon fecours ,
C'est un infaillible préfage .
Que j'aurai de plus heureux jours .
Quel plus aimable caractere
Peut affaifonner tes bienfaits
Tu prends pour toi , pour tout falaire ,
Le plaifir de les avoir faits.
Mais que fais-je ? j'oublie ici mon impuiffance ,
Dieux ! par quelle fatalité
Faut-il en cette circonftance
Que tant de generofité
Me force à garder le filence !
Oui , dans certaine occafion
La plus fenfible expreffion
Eft toujours au- deffous de la reconnoiffance.
D'une Muſe fans agrémens,
Je ne t'offre qu'un foible hommage
Puifqu'il n'exprime en ce langage
Que l'ombre de mes fentimens.
D'Hautefeuille.
L.Vol.
Diij . RE
134 MERCURE DE FRANCE
*****X** XXXXXXXXX
REMARQUES fur la Médaille de
François Duc de Valois , Comte d'Angoulême
&c. dont il eft parlé dans le Mercure
de Juin 1727. Vol. 2. page 1364.
addreffées à M. le Marquis de Pierrepont..
J
5.
E croyois , Monfieur , qu'il fuffifoit
que la Médaille de François I. encore
Enfant , au revers de la Salamandre dont
je conferve l'original , & dont je vous
envoyai le deffein avec ma 2. Lettre fur
le Voyage de Baffe Normandie , eut parû
gravée dans le Mercure pour m'exemter
de faire là -deffus aucune recherche , perfuadé
que vous prendriez foin de nous expliquer
cette efpece d'Enigme , du moins
qu'elle reveilleroit l'attention de quelque
Homme de Lettres qui pourroit inftruire
le Public. Ennuyé de ne rien voir paroître
fur ce fujet , j'ai employé quelque petit
loifir pour l'examiner , & voici à quoi
fe réduit tout ce que j'ai trouvé qu'on
peut dire fur cette Médaille .
La prévention generale veut que la Salamandre
ne fût le fymbole ou la deviſe
de François I. que depuis que ce Prince
parvint à la Couronne de France ; on
I. Vol voit
JUIN. 1730. 1135
voit effectivement ce fymbole fur la plûpart
des grands Edifices conftruits par fes
ordres durant fon Regne , & fur plufieurs
de fes Médailles . Je ne me fouviens pas
de l'avoir vû employée fur aucun Monument
avant cette Epoque , à l'exception
de notre Médaille frappée en l'année
M. D. IV. qui étoit la ro. de la vie de
ce même Prince , nommé alors François,
Duc de Valois , Comte d'Angoulême.
Le premier Auteur que j'ai confulté
pour fçavoir fi cette prévention étoit bien
fondée , eft Mezeray , & j'ai trouvé qu'elle
ne peut pas fubfifter avec le témoignage
de cet Hiftorien.
» François I. n'étant encore que Duc
» de Valois , dit Mezeray , page 1042. du
» 2. T. le Roi Louis XII . lui donna Ar-
» tus de Gouffier pour fon Gouverneur.
» C'étoit le Seigneur le plus fage & le
>> plus Chrétien de toute la Cour , qui
>> reconnoiffant que le naturel de fon nou
» riffon étoit excellent , mais femblable
>> aux terres franches qui produifent bien-
>> tôt des orties & des chardons fi elles ne
» font cultivées , n'omit aucun foin pour
planter dans un fi bon fonds toutes les
» vertus que doit avoir un grand Prince.
» Or , pour lui faire connoître qu'il de-
» voit appliquer la vivacité de fon génie
aux bonnes chofes , non pas à la vanité,
I. Vol. D iiij
ni
1136 MERCURE DE FRANCE
>> ni à la violence , où elle eût pû ſe por-
» ter auffi bien qu'aux belles actions , il
» lui choifit la Devife de la Salamandre
» qui fe nourrit dans les flammes , mais
» qui tempere fa trop grande activité par
» fa froideur , comme le fignifient ces
» paroles qui l'accompagnent : NOTRISCO
EL BUONO STINGUO ET REO. Au
» refte , il n'eft pas vrai que la Salaman-
» dre cherche le feu pour s'en nourrir
> ni même qu'elle puiffe durer long- tems
dans un grand brafier ; mais il eft conf-
» tant qu'elle eft fi froide , qu'elle peut
éteindre un petit feu .
Mezeray ne fe contente pas de rappor
ter ce fait , il le prouve , & le rend certain
, en rapportant auffi à la fin du Regne
de François I. toutes les Médailles
frappées pour ce grand Prince , qui font
venues à fa connoiffance . Elles font au
nombre de XXVII. la premiere eft juſtement
celle dont il s'agit ici , au revers de
la Salamandre dans le feu , avec une pareille
Legende pour le fens car le graveur
a manqué d'exactitude dans quelques
Lettres , il s'eft beaucoup plus mé
pris dans l'année qui ne peut pas
être
M. CCCC. IIII . comme il le marque ,
mais M. CCCCC. IIII . Au furplus ,
*
* Notrifco e bueno fringe el reo ,M. CCCC.111 .
I. Vol MezeJUIN.
1730. 1137
Mezeray n'a point fait graver la tête du
Prince , alors Duc de Valois , & âgé feulement
de 10. ans , ce qui étoit le plus
curieux. Il n'avoit apparemment pas vû
la Médaille en original. Ainfi , Monfieur,
la mienne qui fert d'ailleurs à corriger
les fautes duGraveur,en devient plus confiderable;
& c'eft , comme vous voyez , la
premiere qui ait été frappée pour ce Prince
, avec le fymbole inventé ( felon Mezeray
) par le Seigneur de Gouffier , plus
de dix ans avant qu'il montât fur le Trône.
Ce n'eft donc pas en qualité de Roi de
France que ce fymbole a été donné d'abord
à François I. Il y a plus. * Paradin
veut qu'il ait appartenu auparavant à
Charles , Comte d'Angoulême fon pere ;
mais il n'en donne aucune preuve. Il me
fouvient , ajoûte- t'il , avoir vû une Médaille
en bronze dudit feu Roi François ,
peint en jeune Adoleſcent , au revers de
laquelle étoit cette Devife de la Salamandre
enflammée , avec ce mot Italien
Nodrifco il buono , & pengo il reo.
Voilà , Monfieur , encore notre Mé--
* La Salamandre avec des flammes de feu 97
étoit la Devise du feu noble & magnifique
Roi François , & auffi auparavant de Charles,
Comte d'Angoulême fon pere. JE NOURRIS ET
FTEINS. Paradin. Devifes Héroïques &c. Paris
1622. in- 8.
I..Vol. D v dáille,
1138 MERCURE
DE FRANCE
daille du jeune Duc de Valois , Comte
de
d'Angoulême , que Paradin ne cite que
mémoire , & dont il rapporte la Devife à
fa maniere. Cette Piéce , comme l'on voit,
étoit déja rare en 1622.tems de l'impreffion
du Livre de cet Auteur , qui cite auffi
une riche tapifferie de Fontainebleau
chargée du même fymbole de la Salamandre
, & accompagnée de ce Diſtique :
Urſus atrox , Aquilæque leves , & tortilis Anguis
Cefferunt flammæ jam , Salamandra , tuæ.
C'eſt une allufion aux expeditions glorieufes
de François I. en Suiffe , en Allemagne
& dans le Milanois. Au refte , Paradin
n'eft pas le feul qui fait remonter
ce fameux fymbole jufqu'au pere de
François I. Jean le Laboureur dans fes
Tombeaux illuftres , après avoir parlé de
la Cerémonie du tranfport du coeur de
ce Prince aux Celeftins de Paris , ajoûte
, le S' d'Hemery d'Amboife lui donne la
Salamandre pour devife , & dit que le Roi
François fon fils la porta après lui.
Le même , le Laboureur en rapportant
auffi ce qui fe paffa le 22. May
1547. lorfque le coeur de ce Monarque
fut pareillement porté aux Celeftins, ob-
* Charles de Valois , Duc d'Orleans , Comte
d'Angouléme.
I. Vol.
ferve
JUIN. 1730 . 1139
1
ferve que fa Devife fut une Salamandre
dans les flammes , avec ce mot , Nutrifco
& extinguo. Quelques - uns l'ont , dit- il ,
interprêté avoir été le fymbole de vertu &
generofité de ce Roi en quelque entreprise que
cefût ; d'autres , entre lesquels eft Paul Jove,
difent que ce fut une Devife amoureuse pour
montrer qu'il brûloit du feu d'amour ..
& qu'il fe nourriffoit du feu de cet amour.
Le même Auteur dit auffi qu'il y ajoûta ce
mot Italien , mi nutriſco .
Il y a lieu d'être furpris que le P. Daniel
qui a pû être inftruit de toutes ces
chofes , qui cite même Paradin fur ce fu-
>
jet , ait
écrit
fi
affirmativement
que
François
I. prit
pour
fymbole
une
Salamandre
avec
ces
mots
de
fon
invention
: NUTRISCO
ET
EXTINGU
O.
Deux
chofes
extrêmement
douteufes
, fçavoir
que
ce
Prince
ait
choifi
lui
- même
ce
fymbole
, &
qu'il
foit
auffi
l'inventeur
de
la
Devife
, comme
le veut
le
P.
Daniel
. La
Médaille
qui
donne
lieu
à mes
Remarques
détruit
abfolument
cette
idée
; elle
eft
frappée
pour
ce
même
Prince
, elle
contient
le
même
fymbole
mais
le
Prince
n'avoit
alors
.
comme
on
l'a
déja
dit
, que
10.
ans
;
il
n'étoit
pas
en
âge
de
fe
choifir
un
fymbole
, encore
moins
d'inventer
là- deffus
des
paroles
convenables
; la
Deviſe
eſt
d'ailleurs
differente
fur
ce
Monument
>
,
I. Vol. D vj
incon1140
MERCURE DE FRANCE
inconteftable de celle dont parle le Pere
Daniel.
Cet Auteur ajoûte qu'il a peine à penetrer
le fens & la finefle des deux mots
de la Devife en queſtion ; il croit cependant
que le Prince vouloit faire comprendre
que comme cet animal , ainſi qu'on le dit
vit au milieu du feu , de même il étoit à l'é
preuve des plus rudes revers de la Fortune..
Enfin le P. Daniel qui avoit vû dans Paradin
ce qui eft dit de la Médaille du jeu
ne Duc de Valois au revers de la Salamandre
, avec la Devife Italienne : No-
2.
DRISCO IL BUONO ET SPENGO IL
REO , explique ainfi cette autre Devife :
Par où il marquoit , dit- il , fa bonté & fon
équité qui le rendoient liberal envers les gens
de bien , & lui faifoient punir les mechans,
Ma ſurpriſe augmente à cette autre interpretation
, qui prouve au moins que
le P. Daniel n'a pas fait attention aux
paroles expreffes de l'Auteur qu'il cite ,
que j'ai rapportées cy-devant , & que je
fuis obligé de repeter ici : Il me fouvient
avoir vu une Médaille en bronze dudit
feu Roi François peint en jeune Adoleſcent,
au revers de laquelle & c. Je vous laiffe ,
Monfieur , juger fi ce jeune Adolefcent ,
dont je vous ai marqué l'âge précis par
ma Médaille , étoit en état de punir les
méchans & de marquer fa liberalité en-
I. Vol.
vers;
JUIN. 1730. 1140
vers les gens de bien . La même raifon veut
qu'il n'étoit pas plus capable alors de don--
ner à cet Emblême une Deviſe Italienne
qu'une Devife Latine . Car le P. Daniel
ajoûte que l'Ame Latine fut apparemment
faite d'après l'Italienne qui fut abbregée
par ce Prince même , ou par quelqu'autre
qui ne fçavoit pas mieux le Latin que lui ;
car le Nutrifco n'est pas un mot Latin.
C'eft , ce me femble , tout ce qu'on peut
accorder là- deffus ; Nutrifco n'eft pas un
mot Latin ; cela eft certain ; mais tout le refte
paroît un peu hazardé. Quoiqu'il en foit ,
il doit du moins refulter de ces Obferva
tions que ce n'eft point François I. foit
comme Duc de Valois , foit comme Roi
de France , qui a inventé le fymbole & la
Devife de la Salamandre , que ce fymbole
paroît pour la premiere fois fur une Médaille
de ce Prince , frappée dans fon bas
âge , & dix ou douze ans avant fon ave
nement à la Couronne & enfin qu'à
moins qu'on ne produife une Médaille
ou quelqu'autre Monument inconteſtablequi
porte le même fymbole , fait pour
Charles de Valois , Comte d'Angoulême ,
ce que Paradin , le Laboureur & Damboife
ont avancé la- deffus fe trouve dénué
* Il faut entendre celle dont parle Paul Jo--
ve , cité par Paradin.
I. vol.
de
1142 MERCURE DE FRANCE
de preuves , & avancé fans fondement.
Dans ces circonftances , je ne vois
Monfieur , aucun inconvenient de nous
en rapporter à Mezeray , Auteur plus
exact , & d'un plus grand poids que les
trois dont je viens de parler , & de donner
l'invention de ce fymbole & des paroles
qui l'accompagnent à Artus de Gouffier,
Gouverneur du Prince , dans l'intention
& par les raifons marquées dans l'Hif
toire. C'eft , fans doute , ce fage Gouverneur
qui a fait frapper la Médaille
je poſſede , dont l'Epoque & l'âge du
Prince démontrent que c'eft la premiere
qui ait été faite pour lui ; elle confirme auffi
mes Remarques fur ce fujet.
que
Il paroît par plufieurs autres Médailles
frappées depuis que ce Prince fut monté
fur le Trône , qu'il aima particulierement
ce fymbole qui lui venoit d'une perfonne
cherie & refpectable . J'en rapporterai
feulement quatre du nombre de celles
que j'ai déja dit avoir été gravées & expliquées
dans Mezeray , fçavoir la 6. fur
le revers de laquelle eft une Salamandre
couronnée dans les flammes , Nutrifco &
extinguo , je m'y nourris & je l'éteins. La
23. une F couronnée , la Salamandre au
pied de cette Lettre , & pour Devife : Opera
Domini magna , frappée par les Echevins
de Paris , en mémoire du Bâtiment
I. Vol. de
JUIN 1730. 1143
24.
de l'Hôtel de Ville. La la Salamandre
dans le feu , & couronnée ; le champ de la
Médaille eft femé de la lettre F & de feurs
de Lys , avec ces mots : Extinguo , nutrior.
Et la 25. la Salamandre couchée au milieu
des flammes , les diffipe ou les amortit
par fon haleine , tournant la tête vers
une Couronne qui eft au - deffus , pour
marquer la grandeur du courage du Roi;
Pour Legende ces deux Vers autour :
Diſcutit hæc flammam ; Francifcus robore men
tis
Omnia pervicit , rerum immerſabilis undis.
Ces quatre Médailles ont été frappées
en or , & fe trouvent encore en certains
Cabinets ; elles prouvent la variation qu'il
y a eu dans l'application du fymbole de
la Salamandre , & dans les paroles qui
Font accompagné , fuivant les tems & les
differentes vûës des perfonnes qui l'ont
employé depuis le premier Inventeur. Aut
furplus , ne faifons point de procès ou
de mauvaiſe chicane à ceux qui ont eftropié
quelque mot Italien, en gravant ou en
imprimant la Devife en queftion , comme
je l'ai remarqué au commencement ?
on n'étoit pas fi exact en ce tems là . Cela
ne fait rien au fond du fujet , & ne diminuë
en rien le mérite du monument
1. Vol. ori144
MERCURE DE FRANCE
original qui eft gravé dans le Mercure.
Peut être , Monfieur , ne ferez-vous pas
fâché qu'en finiffant j'ajoûte un mot en
faveur du perfonnage , à qui Mezeray en
attribue l'invention. Artus de Gouffier ,
Comte d'Estampes & de Caravas , Seigneur
de Boify, &c. étoit iffu d'une illuf
tre & ancienne Maifon de la Province de
Poitou , laquelle a été feconde en grands
Hommes. Il étoit fils de Guillaume de
Gouffier , Seigneur de Boify , Baron de
Roanés , de Maulevrier, de Bonnivet, &c .
Premier Chambellan du Roy , Gouverneur
de Languedoc & de Touraine , &o .
Gouverneur du Roy Charles VIII . & de
Philippe de Montmorency.
François I. dont il fut Gouverneur , lecombla
de biens & d'honneurs ; il lui donna
la Charge de Grand- Maître de France,
& le Gouvernement de Dauphiné , le fit
fon principal Miniftre , & l'honora de
plufieurs Ambaffades importantes , dont
la principale fût vers les Electeurs de
Empire , après la mort de l'Empereur
Maximilien , pour déterminer leurs fuffrages
en faveur du Roy fon Maître.
Quelque temps auparavant Charles V.
Roy d'Espagne , qui fût depuis Empereur
, ayant propofé un accommodement,
le Roy nomma de fa part , pour Chef de
la Negociation , Artus de Gouffier , & le
I. Vol.. Roi.
JUIN. 1730. 1145
Roy d'Eſpagne Antoine de Crouy , Seigneur
de Chierres , qui avoit auffi été ſon
Gouverneur. Ces Seigneurs s'affemblerent
à Noyon , & firent le Traité qui porte
ce nom dans l'Hiftoire , lequel fut ratifié
par les deux Rois . La France ne profita
pas long- temps du Miniftere d'un homme
fi fage , & Artus de Gouffier n'eut pas
le déplaifir de voir les difgraces de l'Etat.
Il mourut en l'année 1519. laiffant un fils
unique , Claude de Gouffier , qui fut
Duc de Roanés , Pair de France , par
érection de 1566. Comte de Caravas , &c.
Grand-Ecuyer de France , & dont la pofterité
a formé plufieurs branches , & c.
Deux Freres d'Artus de Gouffier ,
Adrien & Guillaume de Gouffier , furent
élevez à des Charges & à des Dignitez
confiderables ; le premier fut Evêque
d'Alby , puis Cardinal , Legat'en France ,
& Grand- Aumônier. Le fecond eft celebre
dans l'Hiftoire fous le nom d'Amiral
de Bonnivet , s'étant fort fignalé par mer
& par terre. Il fut auffi Gouverneur de
Dauphiné & de Guyenne.
Deux autres Freres furent diftinguez
dans l'Eglife , fçavoir Pierre de Gouf-
* Doublet , dit le nouvel Hiftorien de S. Denys,
nous a confervé l'Epitaphe de Pierre de Gouf
fier , mort en 1516. gravée sur une Tombe d'ar
doife , qui fe voyoit autrefois dans le Choeur de
I. Vola S
1146 MERCURE DE FRANCE
fier , Abbé de S. Denys , & de S. Pierre
fur Dive , & Aimar , qui fut Evêque de
Coutances , puis d'Alby , Abbé de Lagny
, & enfin fucceffeur de fon frere en
l'Abbaye de faint Denys .
Un cinquième Frere , Guillaume de
Gouffier , Seigneur de Bonnivet , puis de
Thois ,par fon fecond mariage fait la Branche
des Seigneurs & Marquis de Bonnivet.
Il fe diftingua dans les guerres d'Italie, &
fut tué à la journée de Pavie en 1524.
Je paffe les autres illuftrations & les
grandes alliances de cette Maifon , qui
fubfifte encore aujourd'huy dans les per
fonnes du Marquis de Thoy , pere du
Marquis de Gouffier , du Comte de Roanés
, & du Marquis de Bonniver. Je ne
diray rien non plus de fes differentes
Branches de Caravas , d'Efpagny , de Brazeux
, de Heilly , &c. me contentant de
remarquer que la Duché de Roanés eft
fortie de cette illuftre Maifon par le mariage
de Charlotte de Gouffier , Ducheffe
de Roanés , qui épouſa en 1667. François
d'Aubuffon de la Feuillade , Pair & Maréchal
de France , & c.
Je fuis , Monfieur , & c.
A Paris , le 2. Fanvier 1729.
8. Denys , avec fes Armes qui font d'or à trois
Jumelles de fable.
Le Marquis de Thoy eft depuis decedé le z
Bars 1729.
JUIN. 1730. 1147
STANCES
E ole
A Monfieur....
Ole en fes antres afreux ,
Retient des Aquilons les bruïantes haleines ;
Et déja les fleurs dans les plaines ,
Reçoivent le tribut des Zéphirs amoureux.
Déja les frilleufes Driades ,
Quittant avec plaifir l'écorce des Ormeaux ,
Iront bien-tôt fous leurs Roſeaux ,
Pour fuir l'ardeur du jour, rechercher les Naya
des.
Là , fur un Gafon verdoyant ,
Venus de quelques fleurs négligemment parée ,
A danfer paffe la foirée ;
Et fon fils d'un coup d'aîle applaudit en riant.
*
Ami , laiffe à la feule Aurole ,
Pour Cephale , en ce jour , verfer encor de
pleurs.
Aux plaifirs , ces doux enchanteurs
Devrois-tu préférer le foin qui te dévore.
I. Vel. Profite
1148 MERCURE DE FRANCE
Profite de l'inftant prefent ,
Et ne confume pas les jours de ta jeuneffe
A rechercher pour ta vieilleffe ,
Des plaifirs que tu peus goûter en ce moment.
Que nos jours ne foient pas ftériles :
Ils ne font compofez que de momens tres- courts,
Des ans compofez de ces jours ,
Les uns font trop douteux , les autres inutiles .
Ami , cherchons le feul repos ;
A fe s plaifirs heureux , icy tout nous invite
Demain peut-être du Cocite ,
Boirai-je chez Pluton les infernales eaux.
F
Livrée aux plus legers caprices ,
La mort n'a pas toujours de noirs avant-coureurs
:
Souvent l'on reffent fes fureurs ,
Au milieu des feftins & parmi les délices.
Quelquefois malgré fon couroux
Elle marche à pas lents , & fa main parricide
Remet à la langueur timide
Son poifon & fa faulx , pour nous porter fes
coups..
: I. Vol. Tout
JUIN.
I 149 1730.
Tout te craint , infléxible Parque ,
Sous les ruftiques toicts , au milieu des Forêts ,
Et dans fes fuperbes Palais ,
Tu frappes le Berger ainfi que le Monarque,
Laiffons tout frivole défir ;
Ne nous, repaiffons pas de nos vaines chimeres
Le temps fur fes aîles légeres
Fuit fans ceffe & nous laiffe un trifte repentir.
L'Abbé BoNNOT DE MABLY,
XXXX:XXXXXXXXXXX
EXTRAIT d'une Lettre écrite de
Sainte- Menehould en Champagne.
V
Ous fçavez , M. qu'on travaille à la
réédification de notreVille de Sainte-
Menehould , qui fut prefque totalement
brulée le 7 Aouft 1719. par un accident
imprévu.
Le 2 du mois ( May dernier ) M. Þ’Efcalopier
Confeiller au Parlement , fils
aîné de M.l'Escalopier Confeiller d'Etat ,
Intendant de Champagne , reprefentant
M. fon pere , pofa la premiere Pierre du
Bâtiment de l'Hôtel de Ville , avec toute
la folemnité convenable en pareille occaſion.
I. Vol
A
1150 MERCURE DE FRANCE
A neuf heures du matin les Officiers
de l'Hôtel de Ville & ceux des autres Jurifdictions
, en Corps , précedez de trois
cens hommes de Milice Bourgeoife , fous
les armes , ayant à leur tête cinquante
Chevaliers de l'Arquebuze , uniformement
habillez , & foûtenus d'une Troupe
de Cavaliers de la Maréchauffée , marchant
fur deux Colonnes , au bruit des
Trompettes & des Tambours , allerent à
l'Eglife audevant de M. le Doyen de la
Paroiffe, avec lequel , accompagné de plufieurs
Ecclefiaftiques, tant de la Ville que
des environs , on fut prendre M. l'Efca
lopier , pour fe rendre au lieu de l'Edifice
, où la Pierre fut pofée dans le fondement
du gros mur de l'encognure Septentrionale
du côté de la place ; & dans
cette Pierre fut enchaffée une Lame de
cuivre , fur laquelle eft gravée cette Infcription.
LUDOVICO XV. REGNANTE,
CASARE- CAROLO L'ESCALOPIER
Sacri Confiftorii Comite
Campaniaque Prafecto.
Urbs Santa- Menechildis
Die v 1 1. Augufti M. DCC. XIX.
Infelici quodam fato exufta ,
Munificentia Principis
I. Vol. RaadiJUIN.
1730 . 1151
Readificata
Curifque ejufdem Prafecti
Qui
Forenfis Bafilica ac Municipalis
Primarium lapidem ,
Die 11. Maii M. DC C. XXX
Pofuit.
Ex orthographia
Philippi D E LA FORCE.
Militaris Provincia Architecti.
Le Doyen ayant enfuite complimenté
M. l'Escalopier avec beaucoup de dignité
& d'onction,il fit la ceremonie de benir
la Pierre , & pendant que l'on chantoit
les Prieres de la benediction , il y eut plufeurs
décharges du Canon du Château &
de la Moufqueterie. Après quoi le fieur
de la Force , Architecte & Ingenieur du
Roy en ladite Province , pofa une autre
Pierre à l'encogneure Méridionale du
Bâtiment , dans laquelle fut miſe cette
Infcription Françoife , gravée comme la
premiere fur une Lame de cuivre.
DU REGNE DE LOUIS XV.
Le 2 May 1730.
Cette Pierre a été pofée
par
PHILIPPE DE LA FORCE , Ingenieur
1. Vol.
ordi1152
MERCURE DE FRANCE
ordinaire du Roy
Lors de la Conftruction
de ce Bâtiment
&
du rétabliffement de la Ville
de Sainte-Menehould ,
'Incendiée le 7 Aouft 171.9.
Réédifiée
Par les foins & fous les Ordres
De
M. I'ESCALO PIER , Confeiller d'Etat ;
Intendant de Champagne ;
Sur
Les deffeins dudit fieur
DI L A FORCE
La Céremonie achevée , on reconduifit
le Clergé à l'Eglife dans le même ordre
qu'on étoit venu , en chantant le Te
Deum & des Hymnes pour le Roy.
Il y eut enfuite un grand Dîné , où ſe
trouverent M. le Lieutenant de Roy &
les principaux Officiers de la Ville & des
autres Jurifdictions ; après le repas il y
eut Bal , qui dura jufqu'au lendemain
matin , & le foir les Magiftrats de l'Hôtel
de Ville donnerent un magnifique
Souper. On a remarqué durant toutes ces
Fêtes , que la Bourgeoifie & le Peuple
touchez des politeffes & des liberalitez
I. Vol. de
JUI N. 1730 .
1153
de M. l'Escalopier , qui ne laiffa échaper
aucune occafion de faire fentir les bontez
& les bienfaits du Roy , firent éclater
leur joye , leur reconnoiffance & leur
zele de la façon du monde la plus expreffive
.
Le deffein de cet Hôtel de Ville , qui
contiendra tous les Tribunaux des differentes
Jurifdictions de la Ville, reprefente
une décoration fuperbe , quoique formé
fur les principes d'une architecture
fimple.Les Maifons , dont il y en a déja plus
de cent de bâties , feront toutes conftruites
en Manfardes , couvertes d'Ardoifes
& les Façades élevées uniformement en
Pierre & en Brique , mais d'un goût moderne
, & dont le coup d'oeil plaît infiniment;
de forte que lorfque cette Ville
fera achevée , elle pourra paffer pour une
des plus jolies du Royaume , foit par l'exterieur
de fes Maiſons , foit par la diftribution
du dedans , dont ledit fieur de la
Force continue de prendre foin , fur les
demandes qui en ont été faites par les
habitans à M. l'Intendant , aux foins duquel
la Ville eft redevable de fon rétabliſfement.
On tâchera d'engager ledit fieur de la
Force , qui eft un des meilleurs - Architectes
de ce temps , & fils de Philippe
de la Force , premier Architecte de feu
I, Vol. E MON1154
MERCURE DE FRANCE
MONSIEUR , a faire graver les deffeins
qu'il a inventez , tant pour les Façades des
Maifons , que pour les Bâtimens publics
& autres Ouvrages de diftinction , en faveur
des Amateurs de l'Architecture , &
pour faire connoître l'aggrandiffement &
les commoditez procurées à cette Ville
qui, avant l'incendie , étoit tres - mal conftruite
& tres - confuſement diftribuée .
pour
EXPLICATION de la premiere
Enigme du mois dernier.
C'Eft donc ainfique tu te ris , Mercure !
Le détour eft vraiment fubtil ,
Tu crois , pour une Enigme obfcure ,
Nous donner un Poiffon d'Avril.
On a dû expliquer la feconde Enigme
par la Nuit , & le Logogriphe par Miel ,
où l'on trouve Lime , Mi , Mil , Lie.
>
PA ICour
ENIGM E.
A rcourez & la Terre & l'Onde ,
J'y regne avec diftinction ,
Et fuis dans chaque coin du monde ,
En grande veneration .
I. Kol.
J'aime
JUIN. 1730.
J'aime tant la Robe & l'Eglife ,
Que fouvent ils font avec moi :
Bien des cherchent mon emploi , gens
Je fers l'un & l'autre à ſa guiſe.
Il eft une rude faiſon ,
Ou , rentrant dans mon Hermitage ,
Je prends congé de l'horizon ,
Et je ceffe d'être en ufage.
A Noël comme à la faint Jean ,
Pour obferver Dame Rubrique ,
Dans mainte & mainte République ,
On me garde pendant tout l'an.
Je donne , avec juſte raiſon ,
Au Lecteur , ample tablature ,
Car , s'il ne connoit ma figure ,
Il nepeut deviner mon nom.
>
LOGO GRIP HE.
DE
E ma nature , haïfſable ;
Souvent parunehabile main ,
Je deviens pourtant délectable ,
Retranchez ma tête & foudain
Je fuis dans plus d'un fens , utile au genre humain
.
• Otés mon col , un mot étranger refte
Et fans ce qu'il exprime , il n'eft grand , ni petit ,
Qui n'éprouvât un fort funefte ,
I. Vol.
Sans
E ij
1156 MERCURE DE FRANCE
Sans dernier pied , j'ai beaucoup de credit
Je fers à la Mufique , aux hommes , à la bête ,
Et de plufieurs façons , on me peut attacher,
Mettez ma queuë après ma tête ,
Malheur à qui par moi ſe laiffe trop toucher.
Faites mon chef de ma lettre derniere ,
Funefte aux uns , aux autres neceffaire ,
Je fais gémir ceux - là , je fais rire ceux- ci ,
Qui malgré mes efforts , peuvent être en fouci
Ma premiere part renversée ;
Et mes membres fuivant aprés ,
Selon le même ordre rangez ,
Je deviens une choſe & fale & mépriſée ,
Qui fût , à ce que dit , un Poëte chrétien ,
Sur la foy d'un hiftorien ,
Par une Belle convoitée.
Alors coupant mon col , & pour le remplacer ,
Si l'on emprunte un pied à mon dernier femblable
,
L'on trouvera que je fuis fort aimable ,
Et
que fans crainte on peut me careffer.
*******:*:*:*XX ***
NOUVELLES LITTERAIRES
DES BEAUX ARTS & C,
OMMENTAIRE fur la Géométrie
Cde M. Delcartes . Par le R.P. Claude
Rebuel, de la C. de J. à Lyon , rue Mer-
I. Vol. ciere
JUIN. 1730. 1157
ciere , chez Marcelin Duplain , in 4. de 590
pages , & 23 Planches.
COURS DE PHYSIQUE , accompagné de
plufieurs piéces concernant la Phyfique ,
qui ont déja paru , & d'un Extrait critique
des Lettres de M. Leeuwenhoek , par
feu M. Harfoeker. A la Haye, chez Fean
Swrat , 1730. in 4.
On trouve entre autres pieces dans cet
Ouvrage , une Differtation fur la Pefte
& fur les moyens de s'en garantir.
3
OBSERVATIONS fur les effets de la
Saignée , tant dans les Maladies du reffort
de la Médecine , que de la Chirurgie
, fondées fur les Loix de l'Hydroftatique
, avec des Remarques Critiques fur
le Traité de l'ufage des differentes fortes
de Saignées de M. Silva. Par François
Quefnay , Maître ès Arts , Membre de la
Société des Arts , & Chirurgien de Mante
, reçu à S. Côme. Paris, ruë S. Jacques,
chez Ofmont , 1730. in 12.
HISTOIRE DE LA MEDECINE
depuis Galien , jufqu'au xvi . fiecle , où
l'on voit les progrès de cet Art , de fiecle
en fiecle , par rapport principalement à
la Pratique .
Les nouvelles maladies qu'on a vû naî-
I. Vol. E iij tre
1158 MERCURE DE FRANCE
tre , & les noms des Medecins ; avec les
circonftances les plus remarquables de
leur vie , leurs découvertes , leurs opinions
, & enfin leur méthode de traiter les
Maladies , traduite de l'Anglois de Jean
Freind , Docteur en Medecine. A Paris ,
ruë S. Severin , chez Jacq. Vincent , 1730.
NOUVELLES DE COUVERTES En Mede-
CINE , ou ancienne Médecine développée;
très-utile pour le fervice du Roy & du
public. Par le fieur de Marcounay , Docteursen
Médecine. Nouvelle édition , A
Paris , rue de la Harpe , & Quay de Conti,
chez d' Houry , la veuve Piſſot , &c. 1730.
40 fols relié
ABREGE' CHRONOLOGIQUE de
P'Hiftoire univerfelle, facrée & prophane.
traduction nouvelle , fuivant la derniere
édition latine du P. Petan , par M. Maucroix
, & continuée jufqu'en 1701. avec
un Traité de Chronologie , par M. de
Pifle. A Paris , rue faint Jacques , chez la i
veuve Delaulne , 1730. 3. vol . in 12.
LES AVANTURES DE TELEMAQUE , fils
d'Uliffe , par feu M" François de Salignac
de la Motte- Fenelon , Precepteur de
Meffeigneurs les Enfans de France , &
depuis Archevêque de Cambray , &c.
I. Vel
NouJUIN.
1730. 1159
Nouvelle Edition, enrichie de Figures en.
Taille - douce , avec des Notes , chez lamême
, 1730. 2. vol. in 4° .
LA VIE DE PIERRE MIGNARD , premier
Peintre du Roy , par M. l'Abbé Maziere
de Mouville , avec le Poëme de Moliere
-fur les Peintures du Val-de - Grace , & deux
Dialogues de M. de Fénelon , Archevêques
de Cambrai , fur la Peinture. A Paris
, Quai des Auguftins , chez Jean Boudos
Jacq. Guerin , 1730. in 12. de 235 pages,
fans l'Epître & la Préface qui en contiennent
71. avec un beau Portrait de Mignard
au Frontifpice.
L'Elegant Auteur en parlant des Arts
dans l'Epître dédicatoire au Roy , dit que
te vulgaire n'en connoît pas toute la nobleffes
leur fin principale , pourfuit il , eft d'honorer
la vertu le Genie les enfante , l'Emulation
les perfectionne & l'Honneur ſeul pent
en être le digne prix.
:
On obferve dans la Preface que cet
Ouvrage eft en quelque forte le feul de
cette efpece qui ait paru parmi nous. En
cela bien differens des Italiens , qui , outre
une infinité de gros volumes fur les vies
des Peintres ont donné plufieurs Vies
particulieres. On en compte trois du
feul Michel- Ange , deux de Raphaël ,
deux du Titien , &c. On lit enfuite ,
,
1. Vol.
E iiij
avec
1160 MERCURE DE FRANCE
avec plaifir , une Réfléxion jufte & fenfée
fur ce que nous fommes devenus
trop délicats & trop difficiles dans
nos jugemens fur la Peinture , la Mufique
, la Poëfie , & c. Le Portrait qu'on
trouve dans la page fuivante eft un morceau
dont nous ne devons pas priver
le Lecteur : Le voici .
Qu'est- ce en effet qu'un Peintre digne
de ce nom ? C'eft l'homme de tous les ta
lens , un génie élevé & fécond , une immagination
vive & brillante , un jugement
exquis , un efprit capable de prendre
toute forte de formes ; la nobleſſe , la
grace , dons précieux qu'on reçoit avec la
vie , mais qu'il faut cultiver fans ceffe par
un travail opiniâtre , fidele imitateur , out
plutôt rival de la nature. Un fçavant
Peintre , non content de l'étaler toute entiere
à nos yeux , l'embellit encore & la
perfectionne ; fon muet langage intelligible
également à toutes les Nations , plaît ,
frappe, inftruit , avec un peu de couleur
il touche, il remue les fentimens du coeur,
les paffions de l'ame ; il fçait les rendre en
quelque maniere fenfibles & vifibles : Effort
qui femble tellement au - deffus de l'humanité
que M. du Frenoy ofe dire qu'il
faut participer de la divinité pour operer
de fi -grandes merveilles.
Sur les honneurs rendus dans tous les
I. Vol. tems
JUIN. 1730. 1161
tems à la Peinture & à la Sculpture , on
fait remarquer qu'Athenes , & la plupart
des Républiques de la Grece prenoient
des Magiftrats & des Ambaffadeurs parmi
ces mêmes hommes , des mains de qui
elles recevoient les images de leurs Divinitez.
Les Phidias , & les Policletes , felon
Lucien , fe font fait adorer dans leurs Ouvrages
. On les réveroit avec les Dieux
qu'ils avoient faits . On préparoit des entrées
publiques à Polignote, dans toutes les
Villes de la Grece où il y avoit des Tableaux
de fa main. Il fut ordonné par un
Decret des Amphyctions , qu'il feroit défrayé
aux dépens du public, dans tous les
Heux où il iroit. UnTableau de Parrhafius
fait pour Epheſe fa patric , lui fit donner
par fes Concitoyens une Robe de Pourpre
& une Couronne d'Or.
· Alexandre avoit mis Apelle & Lyfippe
au rang de fes favoris ; ce n'étoit pas ,
dit Ciceron , par un fimple defir d'être
bien repréſenté qu'il vouloit que feuls ils
fiffent , l'un fon portrait & l'autre fa Statuë
, mais parcequ'il croyoit que la fuperiorité
qu'ils avoient acquife dans leur
art contribueroit autant à fa gloire qu'à
la leur. Pour ne pas tifquer d'enfevelir
fous les ruines de Rhodes un Peintre dont
l'habileté étoit celebre , Demetrius Poliocertes
leva le Siege de cette Ville ; ce
th. I. Vol.
Ev Prince
1162 MERCURE DE FRANCE
Prince ne pouvant y mettre le feu par un
autre endroit que par celui où travailloit
Protogenes , il aima mieux , au rapport
de Pline , épargner la Peinture que de recevoir
la victoire qui lui étoit offerte.
Les Romains devenus les maîtres du
monde , regardoient les Ouvrages des
Peintres & des Sculpteurs Grecs comme
la portion la plus précieufe de leurs Conquêtes
les Chef- d'oeuvres de ces grands
Maîtres faifoient le principal ornement
de la Capitale de l'Univers.
L'Auteur dit plus bas , en parlant de
la Peinture & de la Sculpture , que les
Rois font venus leur rendre une espece
d'hommage à leur Berceau . Charles d'Anjou
, Roi de Naples , fit le voyage de Florence
pour y voir Cimabué , Peintre mort
à Florence en 1300. qui le premier a fait
connoître la Peinture dans fa Patrie . Michel-
Ange fut aimé & eftimé de tous les
Souverains de fon fiecle. Raphaël eft mort
à la veille d'être élevé au Cardinalat par
Leon X. Leonard de Vinci expira dans les
bras de François I. Je puis ' , difoit ce Prince
aux Courtilans furpris des regrets dont
il honoroit la mort de Leonard , faire en
un jour beaucoup de Seigneurs, mais Dieu
feul peut faire un homme tel que celui
que je perds. Charles - Quint fe glorifioit
d'avoir reçû trois fois l'immortalité des
1. Vol. mains
7
1730. 1163
JUIN.
mains du Titien. Il le fit Chevalier &
Comte Palatin , & l'honora de la Clef
d'or. Ce Peintre ayant laiffé tomber fon
Pinceau dans le tems qu'il faifoit le Portrait
de l'Empereur , Charles dit en le
ramaffant que Titien méritoit d'être fervi
par Cefar. Le Primatice fut nommé par le
Roi François II . Intendant General des
Bâtimens , Charge déja confiderable , que
M. de Villeroi & le pere du Cardinal de
la Boudaifiere avoient auparavant exercée .
Le dernier fiecle a vû Rubens , Ambaffadeur
d'Efpagne en Angleterre , & Secre
taire d'Etat des Pays-Bas. Vandeick , fon
Difciple , attiré à Londres par Charles I.
fut fait Chevalier. Il époufa la fille unique
du Comte de Gowry de la Maiſon de
Stwart.
y
Les Grecs avoient donné par un Decret
folemnel le premier rang à la Peinture
entre les Arts Liberaux ; ils voulcient
que ce fût la premiere Leçon que reçûffent
les Enfans de naiffance noble , qu'elle
ne fut exercée que par des perfonnes libres
, & ils en avoient abfolument interdit
l'ufage aux Efclaves.
Le feu Roi dans des Brevets donnés à
PAcadémie Royale de Peinture & de Sculpture
au mois d'Octobre 1664. & de Janvier
1667. accorde à ceux qui exercent
cette noble vertu , l'un des plus riches
I. Vol. E vj or
1164 MERCURE DE FRANCE
ornemens de l'Etat , les mêmes privileges !
que ceux de l'Académie Françoife , afin
que ces Arts Liberaux foient exercés plus
noblement , & avec une entiere liberté
n'y ayant rien entre les Beaux Arts de
plus noble que la Peinture & la Sculpture..
L'Abbé de Monville a fuivi l'ordre des
tems autant qu'il l'a pû dans les morceaux
de Mignard dont il fait mention . Renfermé
dans mon fujet , dit-il , je ne m'en
fuis écarté qu'avec retenue , & feulement
pour delaffer le Lecteur des Defcriptions:
trop fréquentes de Tableaux & de Portraits.
Après la Préface , on trouve le Catalo
gue des Oeuvres gravées d'après Mignard
, contenu en 22. pages , avec les
noms des Graveurs qui ont travaillé d'a
près fes Tableaux & fes Portraits , ou fur
fes Deffeins , des Frontifpices de Livres &
Vignetes &c.
Pierre Mignard nâquit à Troyes en
Champagne au mois de Novembre 1610 ..
Şa famille originaire d'Angleterre , mais
établie en France depuis deux generations;
s'étoit diftinguée par une fidelité inviolable
pour nos Rois durant les troubles.
de la Ligue. Son pere , Pierre More , changea
fon nom , fur ce que Henry IV. le
voyant un jour avec fix de fes freres
tous Officiers dans l'Armée Royale , &
1. Vol d'une
JUIN. 1730. IFS
d'une figure agréable , dit , Ce ne font pas
là des Mores , ce font des Mignards ; ce
nom de Mignard leur eft depuis resté , &
ileft devenu celui de toute cette nombreuſe
famille.
Après le Traité de Vervins , Mignard
fe retira à Troyes , & laiſſa la liberté à Nicolas
& à Pierre , deux de fes enfans , de
fuivre leur goût qui les portoit l'un &
Pautre à la Peinture. Nicolas , qui étoit
l'aîné , a eu de la réputation ; fon féjour
à Avignon , où il s'étoit marié avantageufement
, lui fit donner le nom de Mignard
d'Avignon. Il mourut à Paris en
1668. Recteur de l'Académie Royale de
Peinture.
Le cadet dont il s'agit ici , avoit d'abord
été destiné à l'étude de la Medecine,
mais fon pere l'ayant furpris à l'âge d'onze
ans , occupé à achever un Portrait
au crayon qu'il faifoit de mémoire , &
ayant découvert qu'il en avoit déja fait
un grand nombre d'autres , tous reffem
blans & pleins de feu , il fut envoyé à
Bourges auprès de Boucher , Peintre , fort
eftimé de la même Ville , dont il étoit natif
, & où l'on fait encore aujourd'hui
beaucoup de cas de fes Ouvrages. Après
un an d'étude fous ce Maître , le jeune
Mignard revint à Troyes , où il deffina
d'après la Boffe , fous François Gentil , ha-
1. Vol. bile
1166 MERCURE DE FRANCE
bile Sculpteur. Il alla enfuite à Fontainebleau
, & y étudia pendant deux ans fans
relâche , tant d'après les Ouvrages de
Sculpture qu'on avoit fait venir de Rome
que d'après les Peintures de Maître Roux,
du Primatice , de Meffer Nicolo & de Martin
Freminet , Parifien , Premier Peintre
du Roi.
Revenu à Troye pour la feconde fois ,
le Maréchal de Vitri l'emmena , & lui fic
peindre la Chapelle de fon Château de
Coubert en Brie. Ce même Maréchal fort
fatisfait de fon Ouvrage , le mena à Paris
& le mit fous la conduite de Simon Vouet
Premier Peintre du Roi , alors en grande
réputation , & il réuffit fi bien à imiter
les Ouvrages de fon Maître ,qu'on ne pouvoit
les diftinguer de ceux du Difciple.
Il partit pour l'Italie fur la fin de 1635.
& arriva à Rome l'année fuivante . Il fit
peu de tems après le Portrait du Pape Urbain
VIII . qui en fut très fatisfait ; il co
pia la Gallerie du Palais Farnefe , logé
dans la même chambre qu'Annibal Carrache
avoit occupée en la peignant ; il fit
enfuite les Portraits d'Innocent X. d'Alexandre
VII. & une très-grande quantité
d'autres de divers Cardinaux , Princes
Seigneurs & Dames Romaines & c .
Parmi un grand nombre d'Ouvrages à
Frefque , capables de faire juger , quoique
I. Vol.
peu
JUIN. 1730. 1167
peu confiderables , de ce qu'on devoit
attendre de Mignard , il avoit peint pour
s'amufer une Perſpective au fond de la
maiſon où il logeoit. On y voyoit peint
avec tant de verité un Chat qui guette
une Tortue cachee fous des feuilles , qu'on
dit avoir vû plus d'une fois des Chiens ,
courir , s'y bleffer & y laiffer les traces de
leur fang.
Quelques foins que prennent d'ordi
naire les Peintres Italiens pour empêcher
que ceux des autres Nations ne laiffent à
Rome des monumens publics de leur capacité
, plus d'une Eglife eft ornée de plu
fieurs morceaux de la main de Mignard
à frefque & à huile , ainfi que divers Palais
; il eut même pour concurrent le
Cavalier Pietro de Cortonne , celebre Peintre
, Diſciple de l'Albane.
L'empreffement qu'on eut d'avoir des
Ouvrages , & fur tout des Portraits de la
main de Mignard , & l'accueil favorable
que lui firent divers Princes d'Italie dans
Feurs Etats marquent bien le cas qu'on
faifoit de fa perfonne & de fes talens . Ce
qui lui arriva à Parme mérite d'être remarqué.
Marguerite de Medicis Ducheffe
Douairiere de Parme , inftruite de l'arrivée
du Peintre François , lui manda de
fe rendre au Palais ; on l'introduifit dans
1. Vol. un
1168 MERCURE DE FRANCE
un vafte Appartement , où tout étoit tendu
de noir ; nulle fenêtre ne donnoit
entrée au jour ; chaque Piece n'étoit éclairée
que par une feule bougie jaune , dont
la lumiere lugubre faifoit remarquer la
trifteffe de ces lieux. Mignard parvint
enfim à la Chambre de la Ducheffe ; deux
hommes en grand manteau noir en ouvrirent
la Porte dans un profond filence.
Je vous fais , lui dit elle , un honneur fingulier
, l'état où je fuis ne me permet de voir
que les Princes de ma Maiſon ; mais votre
réputation m'a donné de la curiofité. Après
diverfes queſtions fur fon âge , fur fon
Pays , fur les voyages , fur fa fortune , elle
lui dit , Feriez- vous de moi un beau Por- ~
trait ? Mignard avoit eu le tems de l'examiner
; elle n'avoit ni jeuneffe ni beauté ,
& fon deuil n'étoit pas de ceux qui fervent
de parure ; mais cet ajuſtement lugubre
étoit peut-être capable de faire un
effet heureux en Peinture , il répondit
comme elle le pouvoit fouhaiter : Cette
fatisfaction m' eft interdite , interrompit- elle ,
allez , dites par tout que la Ducheffe Douai--
riere de Parme a voulu vous voir , & qu'elle
vous a admis auprèsd'elle : Adieu , Seigneur
François.
On eftime beaucoup les Tableaux de
Vierges que Mignard peignit à ſon retour
de Venife. François Pouilli en a gravé plu
L.Vola
heurs
JUIN. 1730. 1169
hieurs qu'on appelle les Mignardes.
Après 20. ans de féjour à Rome , il y
époufa fur la fin de l'année 1656. Anna
Avolara , fille de Jean Carle Avolara ,
Architecte Romain , belle & jeune perfonne
, en qui il trouva un excellent modele.
Peu de tems après , il reçût des Lettres
de M. de Lionne qui lui ordonnoit de la
part du Roi de fe rendre à Paris &c . Prêt
à partir , & ne voulant plus entreprendre
aucun Ouvrage , il fut follicité d'en commencer
un nouveau . La plus belle Courtifane
de Rome defiroit paffionnément
d'être peinte de fa main ; La Cocque , c'eft
ainfi qu'elle s'appelloit , eut merité d'être
vertueufe ; elle s'étoit diftinguée par des
fentimens nobles & délicats. Mignard
confentit d'autant plus volontiers à la
peindre qu'elle ne lui demandoit fon Portrait
qu'afin qu'il le portât en France , où
il le vendit à fon retour un prix confiderable.
Il partit de Rome , après y avoir demeuré
près de 22. ans au mois d'Octobre
1657. & arriva à Marſeille après 8. jours
de Navigation.
Nous donnerons une feconde Partie de cet
Extrait.
I Vol Livres
1170 MERCURE DE FRANCE
Livres que Cavelier , Libraire , rue Saint
Jacques , a nouvellement reçûs des
Pay's Etrangers.
Effay Philofophique concernant l'entende
ment humain , par Lock , traduit de
l'Anglois par Cofte. Nouvelle Edition
augmentée d'Additions de l'Auteur
qui n'ont paru qu'après fa mort. in 4.
Amfterdam 1729.
Mémoire du Regne de Catherine , Imperatrice
de Jouf en Kuffie . in 12. Fig.
Amft. 1729 .
"
"
Lettres Choifies de M. Simon , où l'on
trouve un grand nombre de faits Anecdotes
de Litterature. Nov. Edition
augmentée d'un Volume & de la Vie
de l'Auteur. Par La Martiniere, 4. vol.
. in 12. Amft. 1630 .
3
"
Hiftoire des Provinces Unies des Pays- Bas,
par Le Clerc , depuis la naiffance de la
République jufqu'à la Paix d'Utrecht ,
& le Traité de la Barriere de 1716.
avec des Médailles. Tome 2. in fol.
Amft. 1728.
Robaulti ( Jac. ) Phyfica Annotationibus
ex Newtoni Philofophia hauftis , amplificavit
J. Clarke. 8. fig. Lug. Bat.
1729 .
Eutropii , Hiftoria Romana cum Notis
I. Vol. Cellarii
JUI N. 1730.
1171
Cellarii & variorum , recenfuit Havercampus
, Heumanni Notas adjecit.
in 8. Gr. Lat. Lug. Bat. 1729.
Mémoires du Regne de George I. Roi de la
Grande Bretagne. 3. vol . in 8. La Haye
1729.
Etat préfent de la République des Provinces
Unies & des Pays qui en dépendent ,
par Janiçon. in 12. La Haye 1729 .
Etat & les délices de la Suiffe , en forme
de Relation Critique , par plufieurs
Auteurs celebres . 4. vol. in 12. Fig.
Amft. 1730.
Journal Litteraire. Tomes XI. 2. Partie
XII . Sec. XIII & XIV. complet in 8 .
La Haye 1729.
Bibliotheque Italique , ou Hiftoire Litteraire
de l'Italie . Année 1728. & 4.
mois de 1729. 4. vol. in 8. Geneve .
Eloge de la Folie , d'Erafme , traduit en
François par Geudeville in 8. Fig. Amft.
1728.
Horatius ex recenfione & cum Notis R.
Benfley. 3. Editio in 4. Amft. 1728.
Bourguet , Lettres Philofophiques fur la for
mation des Sels & des Criftaux , in 12.
fig . Amft. 1729.
Maffei , delli Amfiteatri , quanto appar
tenne all' Hiftoria el quanto al Archi
tettura in 1. Verona 1728. fig.
L'Avanturier Hollandois , ou la Vie &
I. Vol. les
1172 MERCURE DE FRANCE *
les avantures divertiffantes d'un Hol
fandois. 2. vol. in 12. fig. Amft. 1729.
Il Paftorfido , del Cavaliere Guarini. in 4.
in Londra 1729.
S'allengre , Effai d'une Hiftoire des Provin
ces Unies , pour l'année 1721. in 4 .
La Haye 1728 .
Mémoires du Regne de Pierre le Grand
Empereur de Ruffie , par Juan Neftervrande.
4. vol in 12. fig. Amft. 1728 .
Nov. Edition augmentée.
Grotius , Droit de la Guerre & de la Paix.
Traduction nouvelle , avec les Notes
de Barbeirac. 2. vol . in 4. Amft. 1729 .
Recueil de Cantates , par Bachelier in 12.
La Haye 1728.
Hiftoire de la Medecine , où l'on voit l'origine
& le progrès de cet Art, de ficcle
en fiecle , les Vies des Medecins , & c.
par Le Clerc. Nouv. Edition augmentée
confiderablement par l'Auteur, in 4.
fig. La Haye 1729.
Ovidii Opera omnia , cum Notis integris
variorum Studio Burmanni. 4. vol. in
4. Amft. 1727.
L'ufage & les fins de la Prophetie dans les
divers Ages du monde , par Sherlock ,
traduit de l'Anglois par Le Moine , in
8. Amft. 1729.
On diftribue le premier & le fecond Tome de
1. Vol.
P'Ouvrage
JUIN. 1730. 1173
l'Ouvrage qui a pour titre : LES MONUMENS
DE LA MONARCHIE FRANÇOISE , qui compren
nent l'Hiftoire de France , avec une grande
quantité de Figures de chaque Regne que l'ins
jure des tems a épargnées; s.vol . in -fol. Par D.
Bernard de Montfaucon , Benedictin de la Congregation
de S. Maur.
Au commencement du fecond Tome eft la
conquête de l'Angleterre , par Guillaume le Conquérant
, tirée d'un Monument fort fingulier fait
dans le temps même. Après vient la fuite des
Rois de France , qui commence par Louis le
Gros , & finit par le Roi Jean II.
s'il leur
Ceux qui ont foufcrit apporteront ,
plaît , leur Billet de Soufcription , & payeront,
pour ce fecond Tome , comme il eft porté par
l'avis cy-devant imprimé , 20 liv. pour le grand
papier , & 12 liv. pour le petit. Ils s'addrefferont
à Dom Bernard de Montfaucon , ou aux Libraires
cy-deffous nommez .
Julien- Michel Gandouin , Quai de Conti, aux
trois Vertus , & Pierre François Giffart , rue
5. Jacques , à Sainte Thereſe.
·
D'Arles en Provence. Il paroît ici une Brachure
d'environ 90 pages , dans laquelle après
avoir appuyé les raifons dont M. de la Motte fe
fert pour prouver que la Verfification n'eſt pas
neceffaire à une Tragedie , après avoir réfuté les
raifons qu'employe M. de Voltaire dans la Préface
de la nouvelle édition de fon Edipe , pour
combattre le fentiment de M. de la Motte ; ou
enfin , après avoir répondu à l'Ode fur l'harmo
nie de M. de la Faye , par une tres-belle Ode en
Profe , on démontre invinciblement que la Verfification
n'eft pas neceffaire à aucun genre de
Pocfie , puifqu'elle peut fubfifter fans les Vers ,
1. Vol
pas,
1174 MERCURE DE FRANCE.
pas même dans les Ouvrages faits pour la Mufique
, & l'on fait voir que la Verfification ne
peut être utile qu'aux Sermons & aux Plaidoyers ;
ne fuffe- ce que pour empêcher les Juges de dormir
à l'Audiance & pour attirer plus de Curieux
aux Difcours publics. On ne doute pas que ce
petit Ouvrage ne faffe bien - tôt du bruit à Paris ,
& n'ait pour Protecteurs les Adhérans de M. de
la Motte.
Dans la derniere Affemblée publique
de l'Académie Royale des Sciences, M. de
Juffieu lut un Memoire dans lequel il fit
voir les avantages que l'on peut tirer d'un
commerce litteraire avec les perſonnes
qui s'appliquent à la Botanique dans les
païs Etrangers : Avantages qu'il ne fit pas
confifter feulement dans la connoiffance
des Plantes propres à orner nos Jardins ,
& à augmenter de quelque nouvel aliment
le ſervice de nos tables , mais à enrichir
la Médecine de quelqu'un de ces
remedes qu'on appelle fpécifiques , & à
nous apprendre par la comparaifon de
beaucoup de ces Plantes étrangeres avec
les nôtres , & par le rapport qu'elles ont
avec celles de Continent , les Vertus des
Plantes qui font communes , & qui ſont
fouvent regardées comme inutiles , parce
qu'on en ignoroit les ufages .
Pour cela M. de Juffien fit part au public
de cinq differentes Relations qu'il
I. Vol.
reçut
JUIN. 1730. 1175
reçut l'année paffée de divers endroits des
Indes Orientales , tels que de l'Ile de
Bourbon , de Pontichery , de Mahé & de
la côte de Bengale . Dans chacune de ces
Relations il y a quelque chofe d'interef
fant à ce fujet.
M. Geoffroy le cadet , lût un Mémoire
qui avoit pour titre Examen Chymique
des Viandes qu'on employe ordinairement
dans les Bouillons , par lequel on peut connoître
la quantité d'Extrait qu'elles fournif
fent , & détermine ce que chaque Bouillon
doit contenir de fuc nourriffant.
Après avoir fait le détail de ce que ces
Viandes diftillées crues contiennent de
principes , il fit voir ce que les Extraits
tirez de ces viandes par l'évaporation des
Bouillons , fourniffent de ces principes ,
& la diverfité de ces mêmes principes tant
dans les differentes Viandes , que dans
leurs os , le bois de Cerf , l'Yvoire , & c.
Il finit fon Mémoire par une récapitulation
exacte du poids des Extraits des dif
ferentes Viandes , afin de prouver, contre
l'opinion commune , qu'un malade auquel
on donne par jour cinq ou fix boiiilfons
, faits fuivant l'ufage , avec la tranche
de Boeuf , la Rouëlle de Veau & un
demi Chapon , reçoit autant de nourri
ture de cet aliment liquide en vingt- qua
I. Vol. tic
1176 MERCURE DE FRANCE .
tre heures , que lui en fourniroit en fanté
l'ufage des alimens folides ordinaires .
M. Geoffroy a joint à ce Mémoire une
table divifée , dont chaque article contient
les differens produits des Analifes
qu'il a faites de la Chair de Boeuf , de fes
Ôs ; de celle du Veau , de fon Coeur & de
fon Foye ; de l'Agneau , du Mouton , du
Poulet , du Cocq , du Chapon ,du Pigeon ,
du Faiſan , de la Perdrix , du Poulet d'Inde
, du bois de Cerf, de l'Yvoire , des Viperes
, du Brochet , de la Carpe , de la Tanche
, de la Tortuë , des Ecreviffes , des
Grenouilles , des Moules , & c.
Le Jeudi 11. May 1730. on foûtint à
Paris , dans les Ecoles de Médecine , une
Theſe de Chirurgie , pour autorifer une
nouvelle maniere d'ôter la Pierre de la
Veffie ; on donne à cette nouvelle méthode
de tailler , le nom d'Appareil Lateral
. Dans la premiere pofition de cette
Théfe , on explique la nature & la naiffance
des Pierres dans le corps humain .
Dans la feconde , on donne une fçavante
Deſcription Anatomique des parties expofées
à l'opération de la taille . (a) Mon-
(a ) M. Falconet Docteur Regent de la Faculté
de Médecine de Paris , Médecin confulsant
du Roy , eft fils de M. Falconet dont il eft
I. Vol. fieur
JUIN. 1730. 1177
fieur Falconet,dont l'érudition eft connue
de tous les Gens de Lettres, eft l'Auteur
de cette Theſe. Il y fait remarquer que
Celle dit , que la Veffie eft plus inclinée
du côté gauche que du droit ; il rapporte
les raifons de cette fituation , qu'il confirme
par plufieurs obfervations ; aucun
Anatomifte avant M. Falconet n'avoit
fait attention à cette fituation de la Vef
fie , quoique cela foit d'une grande con
féquence pour laTaille.Dans la troifiéme,
il décrit avec une grande erudition toutes
les differentes manieres de tailler, qui
ont été mifes en ufage dans tous les tems.
Dans la quatrième , il donne la maniere
d'exécuter furement l'Appareil Lateral ,
qu'il recommande ; & il remonte à toutes
les fources , pour trouver l'origine de
cette méthode , qu'il dit n'être aujour
d'hui que renouvellée ; il la fait voir dans
la méthode de Celfe (a ) , qui coupoit la
parlé dans les fameufes Lettres de Guy Patin
chez qui il étoit en penfion , lorfqu'il commençoit
à étudier la Médecine. On vit avec plaifir ce
venerable & refpectable Medecin affifter à une
partie de cet Acte , auquel M. fon fils préfidoit.
( a ) Celfe , Médecin Latin , vivoit dans le premier
fiecle, fous l'Empire de Tibere; il étoit Philofophe
de la Secte dAfclepiade , & eft loué par
Quintilien; il a écrit de la Rhétorique , de l'Art
Militaire, & huit Livres de Médecine que non's
avons encore,& que Jofeph Scaliger avoit eu def
I. Vol.
F tera
1178 MERCURE DEFRANCE ,
teralement fur la Pierre le Sphincter de
la Veffie , & une partie de la Veffie même;
fur tout , depuis que André de la
Croix , Medecin de Venife , & plufieurs
autres fe furent avifez d'introduire une
Sonde dans la Veffie , au lieu où l'on fai
foit defcendre la Pierre , pour couper
deffus.Ce que M.Falconet montre comme
une image de l'Appareil Lateral ; enfin il
rapporte comment cette méthode ayant
été introduite en France par un Hermite,
nommé Frere Jacques , M. Raw , Profeffeur
en Médecine , perfectionna cette
operation , & l'exerça lui - même en Hollande
avec un fuccès fi grand , que ce
fçavant Anatomifte, plufieurs années avant
fa mort , avoit guéri quinze cens taillez
lateralement. Dans la derniere pofition
M. Falconet compare les avantages & les
défavantages de toutes les méthodes , & il
conclut pour l'Appareil Lateral. Cette
queftion fut fçavamment agitée le jour de
la difpute ; on répondit pleinement à tou
tes les objections , & on foutînt avec force
les avantages de l'Appareil Lateral fus
toutes les autres méthodes de tailler.
fein de donner de nouveau au public, comme Voffius
le remarque; mais depuis Jean Antoine Vanderlinden
publia en 1657. les huit Livres de Cormelius
Celfus à Léïden.
1
I. Vol. On
JUIN. 1730. 1179
On écrit de Marſeille que l'Academie
des Belles Lettres tint le 19 du mois d'Avril
1730. fa premiere Affemblée publique
dans la Sale que le Roy vient de lui
accorder dans l'Arfenal des Galéres.L'Affemblée
étoit tres-nombreuſe. M. de la
Vifclede , Secretaire perpetuel , prononça
un Difcours , & dit les raifons que la Compagnie
avoit eues de ne pas donner le prix
cette année. On y lut auffi plufieurs
tres Difcours qui furent goûtez. Le Chevalier
de Romieu fit la clôture d'une ma
niere qui lui attira tous les applaudiffemens
.
QUESTION, fi la gloire des Orateurs
eft préférable à celle des Poëtes.
A
U mois de Janvier 1728.le Roy ordonna
au S'Oudry ,fonPeintre ordi-
-naire , de le fuivre à la chaffe pour reprefenter
une Chaffe de Cerf dans l'eau.
Le fieur Oudry en fit un Deffein qui fut
agréé , fur lequel le Roy lui demanda un
Tableau de 12 pieds de large ,fur 6 pieds
& demi de haut , pour placer dans le Ca- .
binet de Sa Majesté à Marly.
Les Figures ont à peu près 13 à 14 pouces
de hauteur . Il y a treize Portraits reffemblants.
Le Roy dans le milieu , fur un
Cheval blanc , nommé le Braffeur. A la
I. Vel. Fij droite
1180 MERCURE DE FRANCE
droite du Roy , M. le Prince Charles ,
monté fur l'Eclair. A la gauche , M. le
Premier , monté fur un Cheval , nommé
Aigle.
Sur le devant du Tableau , M.le Comte
de Toulouſe,à qui Sa Majefté parle , & lui
montre la Chaffe. Ce Prince eft monté fur
le Cheval nommé l'Arpenteur. Derriere le
Roy , M. le Duc de Retz , monté fur le
Royal.
A la droite de ce principal Groupe , M.
de Sourcy , Commandant de l'Equi page
du Cerf, monté fur le Cheval nommé
Poifeau ; & à côté , M. de Lanfmath:
Gentilhomme de la Vennerie , monté fur
l'Infinuant.
Devant le Roy , à gauche , M. de Neſtier
, Commandant de la grande Ecurie
monté fur l'Effronté , monture du Roy ;
à côté , M. de Dampierre , fur le Cheval
le Galant , auffi monture du Roy. A l'extrémité
du Tableau , à gauche , le nommé
Bonnet,coureur de vin , monté fur fa Mulle
, avec fa Cantine & tout fon équipage.
Près de lui un valet de Limier , nommé
la Bretêche , tenant fon chien , tirant fur
le trait.
Sur le devant & du même côté un Bateau
de Pêcheur , dans lequel il y a un
homme de l'Equipage & le Marinier , qui
vont au devant du Cerf.
I. Vol.
De
JUIN. 1730 113F
De l'autre bout, à la droite du Tableau ,
un Valet de Chiens , nommé Jean, tenant
une garde de huit jeunes Chiens fur le
bord de l'Etang .
A côté , le Portrait de l'Auteur , avec
un Porte-Feuillé & le Crayon à la main
deffinant l'action.
Le Cerf eft dans l'eau , affailli par une
grande quantité de Chiens , d'autres qui
arrivent fur la voye , & plufieurs autres
dans des Rofeaux qui paroiffent aboyer ;
ce qui fait un fracas & une action tresvive.
Tous ces Chiens font les plus beaux
de la Meutte, que Sa Majefté a choifis pour
cette Chaffe, qu'Elle a fouhaité être peints ,
& dont quelques- uns l'ont été en la préfence.
On voit dans le lointain , la Ville de
S. Germain & la partie du Bois , faite d'après
nature . Le Roy & tous les Seigneurs
font en habit de l'Equipage deftiné pour
la Chaffe du Cerf.
Le tout eft peint avec un foin extrême ;
& fait beaucoup d'honneur à l'Auteur.
C'est dans ce genre le premier Tableau
qui ait été fait. Le Roy en a été tres-fatisfait
, & toute la Cour a rendu juftice à ce
bel Ouvrage qu'on ne fe laffe point de
voir. Ce Tableau a donné lieu aux Vers
qu'on va lire.
I. Vol.
Fiij AU
1182 MERCURE DE FRANCE
A U ROY
PRINCE, dont les vertus aimables ,
Font le bonheur de l'Empire des Lys ,
ROY , modele parfait des Rois les plus affa
bles >
Sous ton regne charmant , fous tes yeux favorables
;
Par de nouveaux progrès les Arts font einbellis
,
La paix les fait fleurir fous ton paiſible Empire ;
Mars ne les trouble plus par fes fanglans Exploits .
Heureux le peuple qui reſpire
Dans les Climats où tu donnes des Loix !
Far les foins affidus d'un Miniſtre fidele
Nous goútons un profond repos.
Il ne veut pour prix de fon zéle
Que ce doux fruit de ſes travaux.
Déja le Ciel comble notre efperance ,
rend à fes défirs le calme & l'abondance ;
Nos fertiles Guérets étalent à nos yeux
Leurs tréfors les plus précieux .
La fageffe toujours fut ton plus cher partage ,
Du Ciel en ta perfonne on admire l'ouvrage ;
Que de vertus il couronne en un jour !
Il te fait un prefent par les mains de l'Amour.
Par un Héros naiffant il affure a la France ,
Le comble de fon efperance.
Les plaifirs & les jeux entourent fon berceau.
1. Vol. Tout
JUI N. 1730 .
1183
Tout lui promet le deftin le plus beau .
On voit croître avec toi ce rejetton aimable ,
Quels aimables objets te frappent tour à tour !
Tu vois avec plaifir l'affemblage adorable ,
Des trois Graces & de l'Amour.
Orné de la douceut de fon augufte Mere ,
Il porte dans fes yeux la grandeur de fon Perei
Il aura les vertus d'un couple fi charmant.
Le Ciel qui des vertus eft le dépofitaire ,
Dans l'ame des Bourbons les verſe abondam
ment.
Tu formeras bien-tôt fon illuftre courage ;
;
>
La paix loin de ses yeux écarte les combats ;
Mais la chaffe od Diane accompagne tés pas
Des plus fameux exploits lui tracera l'image.
Un mortel dont la France admirè le Pinceau ,
Qui fçait tout animer par fa vive peinture ;
Vient de s'éternifer par un fuccès nouveau
Son Art ingénieux , rival de la nature
De tes nobles plaiſirs nous a fait un Tableau.
J'y reconnois LOUIS , fon courage le guide ;
Les Graces , les Amours lui prêtent leurs apas ;
Il vole , il eft vainqueur , le Cerf las & timide ,
Semble à nos yeux émus , déplorer fon trépas.
Et le Chien de fa proye avide
Pour l'arrêter , précipite fes pas.
Cet illuftre fujet a fçû plaire à fon Maître ;
LOUIS veut à fon Art affurer fes biensfaits.
1. Vol. Fij Louis
1184 MERCURE DE FRANCE.
LOUIS à tout ſçait ſe connoître
Tous les Arts feront fatisfaits.
Il paroit deux nouvelles Eftampes d'après
Watteau , gravées par Baron & par
E.Brien; la premiere,intitulée Colin - Maillard
, & la feconde l'Accord parfait.On les
vend ainfi que les précedentes , chez la
veuve Chereau & chez Surugue , ruë faint
Jacques & rue des Noyers.
La veuve deFrançois Chereau , de l'Aca-
'demie Royale de Peinture & de Sculptu
re , & Graveur du Cabinet du Roy, vend
le Portrait du Roy & de la Reine , tresreffemblant
, d'après les derniers Originaux
, peints par M. Vanloo. Le Roy eft
gravé par le feur Gilles- Edme Petit , & la
Reine , par le fieur Jacques Cherean. Ils
ont tous deux tres -bien réüffi. Ces Portraits
font de la même grandeur de ceux
qui ont paru gravez par le fieur Larmefin.
La veuve Chereau demeure rue S.Fac
ques aux Pilliers d'Or. On trouvera chez
elle le mois prochain , les quatre Saifons
de l'année , d'après M.Lancret , d'un goût
nouveau & fort agréable. Elles font gravées
par les Sieurs Tardieu , Benoît Audran,
Lebas & Girard Scotin. On trouvera auffi
plufieurs Eftampes qu'on grave actuelle-
I. Vol. men
JUIN. 1730. 1183
ment d'après les plus beaux Tableaux de
Watteau.
LeTigre Marin en vie, qu'on a vû avec
fatisfaction à la Foire S. Germain derniere
, dans une Baignoire à demi pleine
d'eau , & qui attiroit quantité de curieux,
eft mort. S. A. S. M. le Comte de Clermont
l'a fait diffequer pour en conferver
le Squelette , & a fait remplir fa peau,
qu'on voit dans le Cabinet de ce Prince
avec quantité d'autres curiofitez de cette
efpece.
Méthode nouvelle , abregée & figurée , pour
apprendre conjointement le François & le Latin ,
enfemble l'Ortographe & la Ponctuation , le tout
par regles & par principes , en moins d'un an,
L'Auteur commence par le François , il y fait
d'abord une fenfible application des regles & des
préceptes de la Grammaire , y diftingue les huit
fortes de mots , leur proprieté , leur ufage & les
differences Grammaticales qui en procedent ; il
fait voir de combien de Parties eft compofée la
Phrafe , le rapport qu'elles ont les unes avec les
autres , & l'ordre qui s'y obferve. En un mót ,
raffemble ce que les Langues ont de commun ,
en fait un Corps d'inftruction qu'il réduit en
pratique par un exercice fimple & familier ; &
pour plus de facilité , il y joint encore certains
caracteres qui fans caufer de confufion femblent,
pour ainsi dire , conduire au doigt & à l'oeil.
il
Ayant mis le fondement de fa Méthode fur le
François , il s'agit de la faire paffer au Latin.
Pour cet effet , il donne fur un quarré de papier
le précis des terminaifons Latine's, dans un ordre
1. Vol.
qui Fv
1186 MERCURE DE FRANCE
qui , quoique fimple , fuffit néanmoins pour les
diftinguer , en faire la jufte application & demêler
ce qu'elles ont d'équivoque. C'eft donc fur
ces terminaiſons & les parties grammaticales
qu'elles dénotent , que s'appliquent ces caracteres
François , qui paffant au Latin , ont la vertu d'y
porter avec eux toutes ces notions fondamentales
de Grammaire qu'on y avoit déja attachées.
Pour venir enfuite à l'explication des Auteurs
qui d'ordinaire eft le but qu'on fe propofe dans
Cette forte d'étude , il eft effentiel de trouver cette
conftruction Latine par laquelle l'Ecrivain a voulu
nous communiquer fes penfées , & c'est ce que
la Méthode apprend , & qui fera d'autant plus
aifé à faire , qu'on fera plus jufte & plus habile à
diftinguer par les terminaifons les differentes parties
dont la Phrafe fe trouvera conpofée , & que
de plus on s'attachera à obferver le même ordre
qui s'eft pratiqué dans le François.
C'eft enfin par cette conftruction que l'Auteur
de la Méthode prétend conduire à une explication
promte & facile. Trois chofes felon lui y
concourent. 1º Le fens de l'Ecrivain renfermé
dans cette conftruction, qui n'eft autre chofe qu'u
ne fuite d'idées , lefquelles jointes enſemble font
un fens , & concourrent à le manifefter. 2 ° L'étimologie
ou rapport de fignification qui fe trouve
entre le Latin & le François. 5 L'analogie
autre rapport de fignification que les mots de
certaines claffes ont les uns avec les autres. Sur
les moyens dévelopés comme il faut , le fréquent
exercice qu'il y joint & l'experience qu'il en a ,
l'Auteur fe promet d'apprendre le Latin en peu de
tems , d'y remettre très promtement ceux qui
croyent l'avoir oublié & comme il a plus à
coeur l'interêt public que le fien propre , il fe
prêtera volontiers gratis à ceux à qui il convien-
>
dra de le faire.
E YORK
PUBLIC LIBRARY .
ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS.
Vol .
FORK
LIBRARY
.
ASTOR
, LENOX
AND TILDEN
FOUNDATIONS
JUIN. 1730. 1187
Il faut s'adreffer au S. Monier de Colonge
rue S. Chriftophe , chez Me de Quainfy , la derniere
Porte joignant celle du Cloître Notre-
Dame.
Briart continue avec fuccès à vendre la veritable
Effence de Savon à la Bergamotte & autres
odeurs douces dont on fe fert pour la barbe au
fieu de Savonnere , & dont les Dames fe fervent
auffi pour ſe laver le viſage & les mains ; il compofe
depuis peu une Effence d'une odeur trèsagréable
, & qui a plufieurs bonnes qualités . Un
Parfumeur Napolitain lui en a donné le fecret
fous le nom d'Aqua d'ogni fiori. On en mer
quelques goutes dans l'eau dont on fe lave après
avoir été raſé ; il la vent quinze fols l'once.
Sa demeure est toujours Cour Abbatiale de
S. Germain des Prés , vis-à- vis le Bailliage , à
Paris ;
fes bouteilles font cachetées de fon adreffe.
******* ****** : *
CHANSON
A BOIRE .
Non , l'amour eft trop dangereux ;
On s'y livre fans le connoître :
Prenons plutôt Bacchus pour Maître
En aimant on peut être heureux ;
En buvant on eft für de l'être.
聖華
1. Vol. SPEC
F vj
1188 MERCURE DE FRANCE
******** XXXXXXXX
L
SPECTACLES.
E mardi 9. May , l'Académie Roya
le de Mufique donna la premiere
Repréſentation d'Alcione , Tragédie de
M. de La Mothe & de M. Marais. Cet
Opera fut donné pour la premiere fois
le 18. Fevrier 1706. le fuccès qu'il eut engagea
à le remettre au Théatre le 17.
Avril 1719. la repriſe ne répondit pas aux
efperances qu'on en avoit conçues dans
fa naiffance ; mais on vient de rendre à
cet Ouvrage la juftice qui lui eft dûë . Le
Poëte & le Muficien ont partagé les applaudiffemens
; & fi quelques Critiques
fe font élevés contre le Poëme , M. de
La Mothe n'y a donné lieu que pour
s'être un peu trop fcrupuleufement attaché
à la maniere dont Ovide a traité ce
ſujet ; tant il eſt vrai que dans les Ou
vrages de Théatre , le vrai -femblable doit
être préferé au vrai. Au refte , le Public
trouve ce Poëme très bien écrit , & rempli
d'efprit & de fentimens on en va juger
par quelques morceaux.
Le Theatre représente au Prologue le Mont
Tmole ; des Fleuves & des Nayades appuyés
fur leurs urnes occupent la Montagne , &
I. Vol. forJUIN
1730. 1189
Forment une efpecè de cafcade.
Tmole fait connoître qu'Apollon &
Pan l'ont chiofi pour Arbitre de leurs
Chants. Pan choifit la guerre pour fujet.
Voici comment il s'exprime :
Fuyez , Mortels , fuyez un indigne repos ;
Non , ne vous plaignez plus des horreurs de la
guerre ; 1
Elle vous donne les Héros ;
Elle fait les Dieux de la Terre.
Courez affronter le trépas ;
Allez jouir de la victoire .
Sur fon front couronné , qu'elle étale d'appas §
L'affreufe mort qui vole au devant de ſes pas
Fait naître l'immortelle gloire.
Apollon celebre les avantages de la
Paix en ces termes :
Aimable Paix , c'eft toi que celebrent mes chants;
Defcends , vien triompher du fier Dieu de la
Thrace.
Tout rit à ton retour tout brille dans nos
champs ;
Dès que tu difparois , tout l'éclat s'en efface.
Regne , Fille du Ciel , mets la Difcorde aux fers;
Que le bruit des tambours dont la terre s'allarme
Ne trouble plus nos doux Concerts.
I. Vol.
Que
1196 MERCURE DE FRANCÉ
Heureux , heureux cent fois le vainqueur qui aè
s'arme
Que pour te rendre à l'Univers.
Le Chaur repete trois Vers de ce qu'Apollon
a chanté ; ce qui peut être ne contribuë
pas peu à déterminer Tmole en
faveur d'Apollon ; il couronne le Dieu '
des Vers , & Pan fe retire , non ſans ſe
plaindre de fon Juge . Le Prologue finit
par des danfes en l'honneur d'Apollon
& de l'Amour. Apollon annonce la Paix
à l'Univers , & ordonne aux Mufes derenouveller
l'Hiftoire des Alcions qui font
regner le calme fur les flots.
Au premier Acte , le Théatre repréſente
une Galerie du Palais de Ceix , terminée par
un endroit du Palais confacré aux Dieux.
Cet Acte n'eft pas chargé de beaucoup
d'action. Pelée amoureux d'Alcione , que
Ceix , Roi de Trachines , & fon ami ,
va époufer , témoigne fon defefpoir à
Phorbas , Magicien , dont les Ayeux ont
occupé le Trône de Ceix ; Phorbas lui
promet le fecours des Enfers pour troubler
un Hymen fi fatal à fon amour ; la
vertu de Pelée s'oppofe à cette perfidie ;
il le fait connoître par ces Vers :
Amour , cede à mes pleurs , & refpecte ma
gloire ;
Ah ! laiffe-moi brifer mes fers.
I. Vol. C'eft
I JUIN. 1730. 1191
C'est trop à la vertu difputer la victoire ,
Contente-toi , cruel , des maux que j'ai foufferts
Amour &c.
Phorbas le veut fervir malgré lui , &
lui dit :
Iſmene & moi , nous allons par nos charmes
Secourir votre amour contre votre vertu.
Pelée ne donne qu'un demi confentement
, exprimé par ce Vers :
}
Arrête ... on vient , ô Ciel , à quoi me réduis-tu?” ,
Ceix vient avec Alcione ; ils font fuivis
de leurs Sujets qui font le divertiffement.
Le Grand Prêtre invite ces deux Amans
à s'approcher de l'Autel. Ils n'achevent
pas le facré ferment qui doit les unir ; le
tonnerre gronde ; des Furies fortent des
Enfers ; elles faififfent en volant les flambeaux
des Prêtres , & embrafent tout le
Palais. Pelée témoigne fes remords par
ces Vers :
-Cet Autel , ce Palais devoré par la flamme
Malgré moi flatte mon ardeur ;
Mais je ne fens qu'avec horreur
Le perfide plaifir qui renaît dans mon ame.
Dieux , juftes Dieux , vengez- les-, vengez vous ;
Lancez vos traits ; je me livre à vos coups .
I
I. Vol.
Le
1192 MERCURE DE FRANCE
Le fecond Acte où le Théatré repréſente
une folitude affreuse & l'entrée de l'antre de
Phorbas & d'Ifmene , n'eft gueres plus
chargé d'action que le précedent. Phorbas
& Ilmene le préparent à fervir Pelée
malgré lui même . Ceix accufe les Dieux
de fon malheur , & les irrite par ces blafphêmes
:
Dieux cruels ! puniffez ma rage & mes murmu
res ;
Frappor , Dieux inhumains , comblez votre ri
gueur ;
Vous plaiſez vous à voir dans mes injures
L'excès du defefpoir où vous livrer mon coeur.
Dans la croyance où il eft que les Dieux
font armés contre lui , il fe réfoud à armer
les Enfers contre eux . Phorbas & If
mene feignent de le fervir malgré eux ;
ils confultent les Enfers. Voici l'oracle
que Phorbas lui prononce , en lifant fon
fort dans les Enfers qu'il a tranfportés en
ces lieux
par fes enchantemens , où dont
il leur fait voir la terrible, apparence.
Que vois-je ? où fuis-je ? ô Ciel ! quels effroyables
cris !
Infortuné tu perds l'objet que tú chéris
Od t'entraine l'amour arrête ; tu péris.
Quoique cet oracle paroiffe d'abord ab-.
I. Vol.
ܝ
folu
JUIN. 1730. 1193
folu , Phorbas le rend conditionel
Vers qu'il ajoûte :
par
ces
Hâte toi ; cours chercher du fecours à Claros
Apollon à ton fort peut encor mettre obftacle ;
Il n'eft permis qu'à lui d'affurer ton repos.
Pour le déterminer à partir , Phorbas
lui fait entendre que les jours de fa Princeffe
dépendent de ce voyage. Jufques là
on croit que Phorbas a inventé ce qu'il
vient d'annoncer ; mais il ne laiffe plus
douter qu'il n'ait vû le fort de Ceix
quand il dit en confidence à Ifmene , fon
Ecoliere en Magie :
J'ai vu fon fort ; fon départ va hâter
Les malheurs qu'il croit éviter.
Le Port de Trachines & un Vaiffeau
prêt à partir font la décoration du troifiéme
Acte . Pelée continue à fe livrer à fes
remords ; mais par malheur ils font infruc
tueux. Phorbas le flatte d'un plus heureux
fuccès dans fon amour par le départ de
Ceix ; il lui répond :
L'abfence d'un Rival flatte peu mes defirs
Rien ne rendra mon fort moins déplorable ;
Les maux de ce Rival m'arrachent des foupirs
Je ne puis à la fois être heureux & coupable.
Non , pour un coeur que le remors accable,
I. Vol.
Les
1194 MERCURE DE FRANCE
Les faveurs de l'amour ne font plus des plaifirs .
>
Les Matelots qui doivent conduire Ceix
à Claros viennent témoigner la joye
qu'ils ont de fervir leur Roi . Cette Fête
eft très guaye & très brillante ; elle eft
fuivie des adieux de Ceix & d'Alcione.
Cette Scene eft des plus intereffantes ;
en voici quelques fragmens.
Alcione
Mon coeur à chaque inftant vous croira la victime
t
Des flots & des vents en courroux ;
Je connois l'ardeur qui m'anime ;
Je mourrai des dangers que je craindrai pour
Yous.
Ceix.
Ah ! plus dans cet amour mon coeur trouve de
charmes ,
Et plus je fens pour vous redoubler mes frayeurs.
Laiffez moi fur vos jours diffiper mes allarmes ,
Et ne craignez pour moi que vos propres malheurs
, &c.
Alcione.
Vous partez donc, cruels ! Dieux ! je frémis ; je
tremble ;
Eft-ce ainfi qu'à mes pleurs s'attendrit un Epoux
Laiffez- moi par pitié m'expoſer avec vous ;
Du moins , s'il faut fouffrir , nous fouffrirons enfemble,
&c.
Ceix
JUIN. 1730. 1195
Ceix part après avoir recommandé Alcione
à Pelée ; Alcione fuit le Vaiffeau des
yeux ; & ceffant de voir Ceix , elle s'évanouit
; elle reprend fes fens en prononçant
le nom de Ceix . L'Acte finit
duo entre Alcione & Pelée.
Que j'éprouve un fupplice horrible !
Ciel , ne nous donnez -vous ,
Un coeur tendre & fenfible ,
par ce
Que pour le mieux percer de vos funeftes coups
Alcione commence le 4 Acte par ce
beau Monologue . Le Théatre reprefente
le Temple de Junon ,
Amour, cruel Amour , fois touché de mes peines,
Ecoute mes foupirs & voi couler mes pleurs.
Depuis que je fuis dans tes chaînes ,
Tu m'as fait éprouver les plus affreux malheurs ,
Le départ d'un Amant a comblé mes douleurs ;
Mais malgré tant de maux, fi tu me le ramenes,
Je te pardonne tes rigueurs.
Amour , &c.
La Grande Prêtreffe de Junon & fa fuite
viennent implorer la Déeffe en faveur de
Ceix & d'Alcione , ce qui forme le Divertiffement.
Alcione s'endort par un
pouvoir auquel elle ne peut refifter . Le
Dieu du fommeil ordonne qu'on la laiffe
I. Vol.
feule
1196 MERCURE DE FRANCE
feule , après avoir fait entendre qu'il va
executer les ordres fouverains de Junona
Voici ce qui donne lieu à cette fameuſe
tempête d'Alcione , fi connuë & fi admirée
:
Le Sommeil.
Volez , fonges , volez ; faites lui voir l'orage
Qui dans ce même inftant lui ravit fon Epoux ;
De l'onde foulevée imitez le courroux ',
Et des vents déchaînés l'impitoyable rage.
Toi qui fçais des Mortels emprunter tous les
traits ,
Morphée , à fes efprits offre une vaine image ;
Préfente lui Ceix dans l'horreur du naufrage ,
Et qu'elle entende fes regrets. &c.
Les fonges executent les ordres de Jus
non & du Dieu du fommeil. Alcione à
fon réveil ne peut mieux remercier Junon
que par ces Vers :
Déeffe, c'eft donc toi qui m'offres cette image
Tu viens m'avertir de mon fort ;
Eh bien pour prix de mon hommage ,
Acheve & donne moi la mort.
'Au cinquième Acte , Le Théatre repré .
fente un endroit des Jardins de Ceix Le
commencement de la Scene fe paffe dans la
nuit .
I. Vol. Les
JUIN, 1730, 1197
Les remors de Pelée vont toûjours en
augmentant ; l'ombre de Ceix les a re
doublez : il le fait connoître par ces Vers
L'ombre de mon ami s'éleve contre moi ;
Je vois couler les pleurs , j'entends fes cris funes
bres &c.
Alcione reproche à fes Suivantes la
cruauté qu'elles ont eue de lui arracherle
fer & le poifon ; Pelée la preffe de vivre
pour venger Ceix ; il lui promet de
lui livrer l'Auteur du crime , pourvû
qu'elle lui jure de lui percer le coeur. Al
cione fait le ferment que Pelée lui demande
; Pelée lui donne fon épée , &lui montre
fon coeur à fraper, Alcione faifie d'horreur
veut ſe frapper elle- même , après
avoir dit çe Vers ; се
Eh bien , fi vous m'aimez , ma mort va vous
punir.
Ses Suivantes lui , retiennent le bras
Phofphore vient calmer fon defefpoir par
ces Vers :
Ce que le fort m'apprend doit calmer tes allar
mes ;
Alcione , le Ciel va te rendre mon Fils
Aujourd'hui , pour prix de tes larmes ,
Vous devez fur ces bords être à jamais unis,
I. Vol. Pelée
1198 MERCURE DE FRANCE
Pelée reçoit ce nouvel Oracle avec beau
de moderation; il quitte pour jamais
Alcione , en lui diſant :
Coup
Pardonnez-moi le feu qui me dévore,
Je vais loin de vos yeux expier mes défirs ;
Je vais percer ce coeur qui vous adore
Et je meurs trop heureux encore ,
Si le Ciel à mes maux égale vos plaiſirs,
Alcione lui rend générofité pour générofité
; elle dit :
C'eft l'ami de Ceix ; ciel , pour lui je t'implore.
Le bonheur que Phoſphore a annoncé à
Alcione eft acheté par de mortelles allarmes;
elle apperçoit un corps pouffé par les
vagues fur le rivage ; elle approche & reconnoît
que c'est celui de fon Amant; elle
prend l'épée de fon cher Ceix, & s'en frappe.
Neptune pour réparer les maux qu'il
leur a faits , les reffufcite tous deux & les
rend immortels. Les Peuples celebrent
leur Apothéose.
On ne fçauroit difconvenir qu'il n'y ait
d'excellentes chofes dans la Mufique &
dans le Poëme de cet Opéra, Le Muficien
a eu moins de contradicteurs que le Poëte
; mais toutes les Critiques qu'on a faites
contre M. de la Mothe retombent fur
Qvide. Il n'a jamais tant fignalé fon ref-
I. Vol.
pect
JUIN. 1739. 1199
pect pour les anciens que dans cet ouvrage.
On a beau dire que Ceix joue bien de
malheur d'être noyé après avoir épousé
la fille du Dieu des Vents , d'autant plus
qu'il eft lui- même protégé de Neptune .
On ajoute en vain que Junon auroit
bien pû fe paffet de faire offrir à Alcione
qui l'implore , le cruel ſpectacle du naufrage
de fon époux . Tout cela fe trouve
à la lettre dans la Fable fur laquelle on a
compofé cet Opera. Il eft vrai que l'Auteur
n'a pas mis Pelée en fituation de
briller ; mais ce vertueux époux de Thétis
s'eft trouvé pour fon malheur dans la
Cour de Céix , & M. de la Mothe n'a pas
cru devoir chercher ailleurs un Rival de
ce Roy de Trachines , lieu de la Scene ;
s'il ne lui donne pas de la vertu , il lui
donne au moins des remors. Il ne lui
auroit pas été difficile , dit- on , de jetter
tout l'odieux de fa Tragedie fur fon perfonnage
épifodique.
Phorbas animé par fes droits au Trône,
& par l'amour, qu'on auroit pû y ajoûter
pour Alcione , auroit agi d'une maniere
moins indécife , & on auroit vû en lui.
plus de crimes que de remors. Quelques
Critiques trop feyeres ont encore reproché
à M. de la Mothe , l'amour que Pelée
reffent pour Alcione , tout uni qu'il eft
avec Thétis par des noeuds immortels ;
I. Vol.
mais
1200 MERCURE DE FRANCE .
mais M, de la Mothe peut aifément réfuter
cette objection , en difant qu'il fuppofe
que Pélée n'a pas encore époufé
Thétis; quoiqu'Ovide le faffe pere d'Achille
avant fon arrivée à la Cour de Céix;
un auteur de Tragédie n'eft pas efclave
des temps jufqu'à n'ofer en faire la moin,
dre tranfpofition, quand le fujet qu'il trai
te en a befoin. 1
Cet Opera n'a jamais été fi-bien exécuté
qu'à cette feconde repriſe , les rôles de
Céix & d'Alcione y font rendus d'une
maniere tres-pathetique par le fieur Triboult,
& par la DePeliffier, le S'Chaffe prête
au fien tout l'interêt dont il eft fufceptible.
Le fieur du Moulin , & les Dlles Camargo
& Salé brillent chacune dans leur
genre. Tous les autres Acteurs chantans
& dançants fe diftinguent auffi , & contribuent
, à l'envi , au fuccès.
L'Academie Royale de Mufique a re
pris l'Opera de Thefee. On prépare le Carnaval
& la Folie , Ballet.
Les Comédiens François remirent au
Théatre au commencement de ce mois
la petite Comédie des trois Gafcons.Ils donnerent
le 24 , la Tragédie d'Andromaque
dans laquelle la jeune Dule Dangeville , qui
n'avoit encore brillé que dans des Rôles
Comiques , joua celui d'Hermione ; elle y
I. Vol. fut
JUIN. 1730.
1201
fut generalement applaudie , & les plus
difficiles furent également fatisfaits &
étonnez de trouver tant de talens dans
une auffi jeune perfonne. Le fieur Dangeville
fon frere , a été reçu depuis peu,
dans cette Troupe , à laquelle if ya eu
quelques changemens. Les fieurs Dumirail
& du Chemin fils , & les Dlles le Grand
& de Cléves n'y font plus .
Le 14. les Comédiens Italiens donnerent
la premiere Repréſentation d'une
Piéce nouvelle en Profe & en trois Actes ,
avec trois Divertiffemens , compofez de
Danfes & de Vaudevilles , intitulée : PAmoureuxfans
le fçavoir ; laquelle n'ayant
pas été goûtée du public , n'a eu qu'une
feule Repréfentation,
NOUVELLES ETRANGERES.
PERSE,TURQUIE,ET AFFRIQUE,
ONaffure que le Prince Thamas a réfolu de
faites en Perfe par le Czar Pierre I, & qu'il a fait
offrir au Grand Seigneur de ratifier le Traité
qu'il a fait avec le Sultan Acheraff , à condition
qu'il ne donnera aucun fecours aux Mofcovites,
Les Juifs ont prêté plufieurs millions de Piaftres à
ce Prince depuis la prife d'Ifpahan.Les Arméniens
L' Vol & G
1202 MERCURE DE FRANCE
& les Indiens lui ont auffi avancé des fommes
Confidérables .
Des Lettres de Conftantinople portent , qu'un
Officier General du nouveau Roy de Perfe étoit
parti d'Ifpahan à la tête d'un Corps de Troupes
de 40 à so mille hommes , & que ce Prince devoit
le fuivre avec le refte de fon armée, qui a été augmentée
confiderablement par l'arrivée de diver-
Tes Troupes étrangeres qui font venues le joindre
de differens endroits.
?
On apprend de Tetouan , que les Peuples du
Royaume de Sus, ayant refufé de reconnoître le
Roy Muley- Abdalah pour leur Souverain , ce
Prince avoit fait marcher contr'eux une Armée
de 40000 hommes, à la tête de laquelle il avoit dû
fe mettre au commencement de May, qu'il avoit
nommé la Princeffe fa mere Regente des Royaumes
de Fez & de Maroc pendant tout le tems
qu'il employera à foumettre les Peuples de Sus
que les habitans des Montagnes n'étant pas encore
foumis , continuoient de faire des Courfes
du côté de Sainte- Croix , & qu'il ne le faifoit
aucun commerce dans cette Ville depuis fix mois,
EXTRAIT d'une Lettre écrite de
Smirne, le 20Janvier 1730. Réjouiffances
faites au fujet de la Naiffance de MON
SEIGNEUR LE DAUPHIN.
R de Fontenu, Conful de France à Smirne,
M'ayant reçu cette heureufe nouvelle , af
fembla chez lui toute la Nation , lui communiqua
les ordres qu'il venoit de recevoir , & fit à
cette occafion un fort beau Difcours. Il fut réfolu
que pour célébrer dignement un tel événement
, on fe conformeroit en quelque façon à ce
qui s'étoit pratiqué en cette Echelle en 1704.
Vol
la
JUIN. 1730. 1203
la naiffance du Duc de Bretagne. La Nation don
na en même -temps aux Sieurs de Saint - Amant
& Vincent , Députez du Commerce , les pou
voirs neceffaires pour faire travailler aux prépa
ratifs.
Le Conful envoya quelques jours après deux
Drogmans , accompagnez de deux Janiffaires,
chez les Confuls d'Angleterre , de Venife &
d'Hollande , pour leur faire part de la Naiffance
du Dauphin. Ils reçurent cette nouvelle avec de
grandes démonftrations de joye,& ils envoyerent
Le même jour complimenter le Conful de Fran
ce par un pareil nombre d'Interpretes & de Janiffaires
; ils vinrent eux-mêmes quelques jours
après en grande cérémonie,accompagnés de plufieurs
perfonnes de leur Nation , témoigner au
Conful la part fincere qu'ils prenoient à fa joye
& à celle de toute la France . M. de Fontenu leur
rendit vifite dans le même ordre & avec les mêmes
cérémonies , & les pria de la Fête.
Le Conful envoya auffi deux de fes Interpre
tes & deux Janiffaires , chez le Muffelem on
Commandant , le Cady ,le Grand Douanier , le
Serdar ou Commandant des Janiffaires & autres
Puiffances du Païs,pour leur notifier la Naiffance
du Dauphin, à laquelle ils parurent fort fenfibles;
ils ne le furent pas moins aux préfens que le
Conful leur f ( fuivant l'ufage du Pais ) en Ve
ftes de Draps, Caffé, Chocolat & toutes fortes de
Confitures.
La Fête commença le 18 Decembre.On arbora
d'abord le Pavillon de France à la Maiſon
Confulaire, qui fut à l'inſtant falué d'une déchar
.ge de 150 Boëtes & par 200 coups de Canons
des Vaiffeaux François , Anglois , Vénitiens &
Hollandois qui étoient dans le Port. On fit couler
en même temps une Fontaine de vin qui ne
1 Vole Gij difcon1204
MERCURE DE FRANCE
difcontinua que bien avant dans la nuit;une mul
xitude de peuple de toutes fortes de Nations vint
s'y défalterer , pouffant des cris réiterez de joye,
& ne ceffant de boire à la ſanté du Roy , de la
Reine & du Prince nouveau né.
- A trois heures , toute la Nation de France, magnifiquement
habillée , s'étant rendue à la Mai
fon Confulaire , on fe mit en marche. Le Conful
étoit précédé de fes Janniffaires & Interpre
tes , & fuivi de trente Négotians François qui
donnoient la main à un pareil nombre de Dames.
Il fut reçu à la porte de l'Eglife des Capu
cins par le Religieux qui devoit officier. L'Egli
fe de ces Peres, qui eft une des plus belles de tout
de Levant , étoit ornée extraordinairement de
riches Tapifleries , &c. On avoit placé dans le
fond de l'Eglife un magnifique Dais , fous lequel
étoient les Portraits du Roy & de la Reine.
Il regnoit autour de l'Eglife une ceinture de Feftons
, de Luftres , de Tableaux & d'Ecuffons aux
armes du Roy , de la Reine , de Monfeigneur le
Dauphin & de la Ville de Marfeille.
Gloriam
La Cérémonie commença par l'Eloge du Roy,
que le P. Barnabé , Superieur des Capucins , prononça
avec beaucoup d'applaudiffement. Il prit
pour texte ces paroles d'un Pleaume
regni tui dicent: On chanta enfuite le Te Deum
au bruit de 150 Boëtes & de toute l'Artillerie
des Vaiffeaux & autres Bâtimens de toutes fortes
de Nations qui fe trouverent dans le Port. On fit
après la Proceffion autour du Cloître , laquelle
fut terminée en rentrant dans l'Eglife par l'Exau
diat & la benediction du S. Sacrement. Le Conful
fe remit en marche dans le même ordre qu'il
étoit venu , éclairé d'un grand nombre de Flam
beaux , & au fon de tous les Inftrumens qu'on
Byoit pû raffembler; il eut bien de la peine à par
yenir
JUIN. 1730. 1205
venir jufqu'à la porte de la Maiſon Confulaire
tout le peuple y étant accouru pour voir l'illu
mination qui étoit fuperbe par la quantité &
l'arrangement des lumieres ; on avoit placé à
l'extrémité des aîles du Corps de Logis qui don
ne fur la rue , un Arc de Triomphe à deux faces
, de 21 pieds de hauteur,fur 17 de large, foûtenu
par huit Colonnes d'ordre Ionique , entoutées
de Feftons ; fur l'entablement defquelles
étoient les Armes de Monfeigneur le Dauphin ,
& plufieurs Urnes enflammées. L'Arcade avoit
12 pieds de hauteur fur fix de largeur. Elle étoit
furmontée de chaque côté par un beau Cartou
che , dans lequel on lifoit les Infcriptions fui
yantes ;
REGI, REGINE,
ET NATATIBUS
Galli
DELPHINI
Smirnis commorantes
Benè precantur.
L'Infcription du côté de la Cour , étoit
Sereniffimi Delphini incunabulis ,
Galli faufta acclamantes ,
Hunc Arcum triumphalem erexere.
M. D C C. XXI X.
On voyoit au-deffus du Cartouche les Armes
de France , & dans les Intercolonnes de grands
Vafes , chargez de fleurs avec leurs Piédeftaux
fur lefquels on avoit placé plufieurs Emblêmes
convenables au Prince auquel elles étoient appli
quées. Il y en avoit deux de chaque côté .
Une Etoille brillante de la premiere grandeur ,
1. Vol.
au G
1206 MERCURE DE FRANCE.
au coeur de laquelle étoit une Hermine, avec ces
mots :
Nova Lux Pronuntia Pacis.
Un Chêne dans fa vigueur , de lá Tige duquel
fortoient d'autres Chênes de differentes hauteurs.
Plura videbit.
Un Soleil qui diffipe un nuage :
Dum orior umbra fugit.
Un Lionceau dans une Forêt.
Avita virtutis non degener.
'Au fond de la Cour , faifant face à l'Arc de
triomphe , étoit la Fontaine de Vin , & aux côtez
deux Piramides quadrangulaires , hautes de
17 pieds , furmontées d'une Fleur de Lys à quatre
faces , & foutenues par deux Piedeftaux , fur
lefquels on voyoit les Emblêmes fuivantes ":
Un Oranger chargé tout à la fois de fleurs &
de fruits , avec ces paroles :
Gaudia fpemque fimul.
Hercule au berceau , ſe débarraffant de fes
langes , & étoufant un Serpent.
Hinc virtus & labor.
Un grand Lys & de petits Lys qui naiffent de
fa tige.
Ex Lilio Lilia.
Un Grenadier chargé de fruits qui ont tous
cette propriété d'avoir une espece de Diadême.
Nafcendo fert Coronam.
Plufieurs perfonnes devant un Palais qui regardent
un Soleil levant .
Expectatus adeft.
1. Vel.
Une
JU.IN. 1730. 1207
Une Ruche avec un effain d'Abeilles autour de
leur Roy.
Exultatio publica.
Entre les deux Piramides étoient les Armes de
France dans un grand ovale, à bordure dorée, de
18 pieds de tour & plus haut, à quelque diftance
les Portraits du Roy & de la Reine, en grand,
couronnez de Lauriers , de Rofes , d'Oeillets &
des plus belles fleurs qu'on avoit pu trouver
tous les Pilliers de la Cour & des Galeries étoient
entourez de Mirtes , de Guirlandes & de Feftons.
Il y avoit un pareil Tableau aux armes du Roy,
dans l'enfoncement du Corps de Logis du côté
de la ruë.
Sur les cinq heures du foir la Maifon Confu
laire parut toute en feu dans moins d'un quart
d'heure ; l'Arc de triomphe , & les deux grands
Tableaux , aux armes du Roy , étoient chargez
d'un nombre infini de Lampions , & les deux Piramides,
depuis leurs bafes jufqu'en haut, des Fanaux
aux armes du Roy & de Monfeigneur le
Dauphin.
La Galerie qui regne autour de la Maiſon étoit
auffi extraordinairement éclairée par quatre ceintures
de lumieres, placées avec fimétrie . Toutes ces
Jumieres ainfi difpofées fembloient fe multiplier
fans nombre par la réfléxion des Vitrages ; &
enfin cette illumination fut vue avec admiration
par toutes les differentes Nations établies à Smirne.
Le derriere de la Maiſon qui fait face à la
Mer , n'étoit pas moins bien éclairée , & faifoit
une perfpective charmante pour ceux qui étoient
fur les Vaiffeaux & fur les autres Bâtimens du
Port.On avoit employé plus de 6000 Fanaux ou
Lampions à cette illumination , fans compter
tous les appartemens qui étoient éclairez par
une quantité tres confiderable de Luftres , Gi-
I. Vol. Giuj randoles
208 MERCURE DE FRANCE
randoles , Flambeaux d'argent & de Bras dofez
garnis de bougies .
On commença lè Bal à fix heures qu'on difcontinua
à huit pour fe mettre à table , il y en
avoit quatre de 60 , 50 , 40 & 25 couverts qui
qui furent fervies avec autant de profufion que
de délicateffe, outre deux autres Tables de 30 couverts
chacune , chez deux particuliers de la Nation
, voifins de la Maiſon Confulaire , pour les
Perfonnes qui n'auroient pas pú trouver place
chez le Conful.
Pendant le repas on but les fantez du Roy , de
la Reine , de Monfeigneur le Dauphin , à la profperité
des Nations , chacune en particulier , à
celles des Ambaffadeurs ou Réfidens à la Porte
& on finit par celle des Souverains. On fit a
chaque fanté une falve de cent coups de Canon
des Vaiffeaux François , mouillez vis - à - vis la
Maiſon Confulaire. On refta à table jufqu'à minuit
, & on recommença le Bal , qui ne finit qu'à
fept heures du matin.
Quoiqu'on eut fixé la durée de la Fête à trois
jours , elle continua deux jours de plus à diverfes
repriſes. La Maiſon Confulaire fut également
illuminée , & le vin coula pour le peuple. Il n'y
cut pendant les deux derniers jours que trois Tables
de 60 , de 40 & de 25 couverts , les Nations
Etrangeres n'ayant point été invitées.
Le Vicaire Apoftolique qui réfide à Smirne &
qui eft à la tête du Clergé,s'eft trouvé à toutes les
fonctions de l'Eglife , & à un des repas.
Le fecond jour , le Muffelem , le Grand Douanier
, & autres Turcs de diftinction , voulurent
être témoins de la Fête ; ils pafferent une partie
de la nuit à voir danfer; ils fouperent même dans
·la Sale du Bal , où le Conful leur fit fervir fur
un Sopha , toute forte de Mets à la Turque ,fans
J. Vol. compter
JUIN. 1730. 12.00
compter le Caffé, le Sorbet , Parfums , &c . Ils fe
retirerent à trois heures du matin , autant char
mez de ce qu'ils avoient vûs , que de la maniere
noble & gracieufe avec laquelle le Conful les
avoit reçûs.
marques de
Toutes les différentes Nations de cette Echelle
ont donné dans cette occafion des
joye ; mais les Courtiers Juifs des Négocians
François , fe font particulierement diftinguez.
Ils vinrent le premier jour de la Fête au nombre
de plus de cent à la Maiſon Confulaire, pré-
*cédez de plufieurs Joueurs d'Inftrumens à la ma
niere du Païs. Ils marchoient deux à deux avec
chacun un Cierge allumé à la main.
"
Au milieu de cette efpece de Proceffion,s'élevoit
un Arc de triomphe , porté par quatre perfonnes
, tres -bien illuminé & chargé d'Ecuffons , &
de Banderolles aux arines de France & du Dau
phin ; ils firent le tour de la Cour en danſant
& criant à plufieurs reprifes : Vive le Roy Après
quoi ils allerent fe placer dans deux grandes
Chambres qu'on leur avoit deſtinées au Rez-dechauffée
, où ils trouverent trois Tables couver
tes de differentes Confitures , de Caffé & autres
rafraichiffements qu'ils diftribuoient à tous
venans.
Enfin on
-
peut dire que cette Fête a été des plus
galantes , des mieux ordonnées & des plus magnifiques
; & ce qui a paru de plus extraordi
naire , eft que toute la Maifon Confulaire s'é
tant trouvée remplie de differentes Nations
& en tres grand nombre , le vin y ait été
diftribué dans la plus grande abondance ; il n'eft
pas cependant arrivé le moindre défordre , par
les bons ordres que le Conful avoit donnez. Son
zéle infatigable à fuppléé à tout ; les Sieurs de
a
Saint- Amand & Vincent, Députez du Commer- >
1. Voig
1210 MERCURE DE FRANCE
ce en exercice , ont parfaitement bien ſecondé
-le zele de M. le Conful , de même que le fieur
de S. Amand le cadet , qui s'eft donné beaucoup
de foin pour la conftruction de l'Arc de triomphe
, & des Piramides dont il avoit donné les
deffeins.
REJOUISSANCES
faites à Chypres.
Extrait d'une Lettre écrite le 25. Février
1730.
Mi
.de Montgrand , Conful de France à Chypres
, dont la demeure eft à Lernica , n'eut
pas plutôt appris la Naiffance de Monfeigneur le
-Dauphin , qu'il en fit part au Corps de la Nation
, & on travailla , fans perdre temps aux
préparatifs pour les réjouiffances.
Le Conful , après avoir fait avertir par fon
premier Interprete , le Gouverneur du Pays , des
réjouiflances qu'on alloit faire , & du fujet qui
les occafionnoit , fe rendit le matin du 6. Février
en ceremonie , & fuivi de la Nation , à l'Eglife
Paroiffiale des Cordeliers de la Terre- Sainte
pour affifter à la grande Meffe que le Pere Gardien
celebra folemnelement , à la fin de laquelle
le Pere Prédicateur fit un très - beau Difcours Italien
fur la Fête qu'on celebroit , fon Texte étoit :
A Domino factum eft iftud , & eft mirabile oculis
noftris . On chanta enfuite le Te Deum enMufique,
pendant lequel on fit une décharge de quantité
de boëtes & de toute l'artillerie des Bâtimens
qui fe trouverent à la rade . Le Conful fe rendit
enfuite , avec le même Cortege , à la Maiſon
Confulaire , où les Confuls étrangers , fuivis de
leurs Nations , vinrent faire leur compliment.
On ne s'entreţint enfuite que de jeux , de plai
firs 1. Vo.
JUIN. 1730, 1211
frs & de divertiffemens , en attendant l'heure du
dîner. Le Conful avoit donné de fi bons ordres ,
fecondé par le fieur Manaire , Deputé du Commerce
, qu'il fit fervir un fuperbe Repas fur
deux differentes Tables , l'une de 40. Couverts,
& l'autre de 30. Tout fut trouvé de la derniere
délicateffe , les Vins de Chypres fi renommés y
furent répandus avec profufion ; le Conful com
mença le premier à boire la Santé du Roy , de la
Reine , & de Monfeigneur le Dauphin ; toute la
Nation , les Capitaines des vaiffeaux , & tous les
Etrangers invités fuivirent fon exemple , pendant
qu'on faifoit tirer un grand nombre de boëtes
placées dans le Jardin. Plufieurs Perfonnes diftinguées
du Pays vinrent prendre part à la Fête , &
on leur préfenta toutes fortes de rafraîchiffemens.
Après le Diner on commença le Bal' , qu'on
interrompit fur les quatre heures , pour aller en
ceremonie chanter un fecond Te Deum , à la
Chapelle du Roy , chez les Peres Capucins . Le
Pere Superieur fit un Difcours fur la Naiffance
du Prince ; il y eut le Salut enfuite , & la Benediction
du S. Sacrement , au bruit d'une déchar→
de boëtes.
gc
On retourna à la Maiſon Confulaire , où l'on
continua le Bal jufqu'à l'heure du Souper,qui fut
fervi avec la même profufion , les Santés Roya
les y furent encore buës plus d'une fois ,au bruit
des boetes qui ne cefforent de tirer , pendant
qu'une bande de douze Violons jouoient differens
Airs à la maniere du Pays , ce qui divertit beau--
coup pendant la Fête.
Le grand vent qu'il fit ce jour- là empêcha Pil
Junination qu'on devoit faire le foir , elle fut re
nife au premier jour calme ; cependant tout
étoit prêt , & les portes des maifons de tous les
AnVol-2
Gvji Fran
212 MERCURE DE FRANCE
François étoient déja ornées d'un Arc de triomphe
fait de lierre & de laurier , avec diverfes
Guirlandes de fleurs & de fruits , en forme de
Couronnes , avec ces Devifes :

Ridet humus , ridet Zephiris fpirantibus ather¿
It tota in plaufus altera Roma noves.
Et fous un Soleil naiffant on lifoit ,
Nec pluribus impar.
Après le Souper on reprit encore le Bal dans
une autre Sale très-vafte , ornée de quantité de
Luftres garnis de bougies. On y danſa jufqu'à
deux heures du matin à la Françoiſe , à la Gre
que , & à la Turque ; il y eut même quantité de
Mafques inconnus , qui furent très-bien reçus
on les fit danfer , & on leur prefenta des rafraî
chiffemens ; enfin tout ſe paſſa ſans la moindre
confufion.
Les deux jours fuivans , le 7. & le 8. Fevrier ,
les Fêtes recommencerent , le Te Deum fut encore
chanté avec les mêmes ceremonies , & les
Repas fervis avec la même delicateffe ; les Santés
Royales y furent encore buës , au bruit des boëtes
, & il y eut pendant les trois jours plus de
4000. verres caffés. Le Bal a toujours terminé
les réjouiffances de chaque jour , mais fans illumination
à caufe du vent.
Cela fut reparé le 11. par un tems des plus
favorables , chaque particulier ayant imaginé
quelque chofe d'ingenieux pour fe diftinguer en
illumination , les uns avoient élevé fur leurs
terraffes des Piramides d'une hauteur proportionnée
, dont les angles étoient garni à fond
de lampions , d'autres y avoient formé en illu
mination differentes Figures par le moyen d'un
A Vola
nombre
JUIN. 1730. 1213
nombre infini de Lampes fufpendues ; on apercevoit
fur d'autres Terraffes des Globes de feu
pofés à l'extrémité des Piramides , ce qui produifoit
un effet merveilleux. Outre toutes ces
ingenieufes illuminations , chacun avoit allumé
un feu de joye devant fa porte , & fait illuminer
les deffus des Galeries , les Terraffes , les Croifées
, &c. Tous les Bâtimens qui étoient en rade
étoient auffi illuminez ; on y voyoit un fuperbe
Obelifque , artiftement travaillé , qui s'élevoit
felon les regles de l'équilibre tout le long de
l'Enſeigne du Pavillon , élevé à la hauteur de 60%
pieds , garni de 1200. Lampes de verre , en égales
diftances , ce qui faifoit l'admiration de tout
le monde.
La petite Ville de Lernica parut en même tems
toute en feu par la quantité de Fufées qui partoient
d'un Feu d'Artifice , & qui rempliffoient .
l'air de mille clartez des plus brillantes ; on joignit
à cela une déchargé de Moufquetairie,, de
Petards , de Boëtes , & de fept Pieces de canon
de fonte , qu'un des Marchands François avoit
fait mettre en batterie chez luy.
Les deux jours fuivans furent encore employés
à réiterer les mêmes illuminations & les autres
marques de joye qui égalerent celles du premier
jour par les bons ordres que le Conful & le
Deputé avoient donnez , pour qu'il ne manqua
rien à la Fête , ayant même fait diftribuer des
aumônes aux pauvres.
Les principaux Marchands de la Nation ne fe
contenterent pas d'avoir pris part à la Fête publique
, ils voulurent encore témoigner leur zele
par des Fêtes particulieres ; chacun en fit à fon
tour par des Affemblées , des Repas , des Danfes
, &c. ce qui continua tout le refte du Carna →
yal.
do Volo
EXTRAIT
1214 MERCURE DE FRANCE.
EXTRAIT d'une Lettre écrite de Seyde,
le 25. Janvier 1730.
Benoît le Maire , Conful de France en
Mcette Echelle , n'eut pas plutôt reçu la nouyelle
de la Naiffance de Monfeigneur le Dauphin,
qu'il fit convoquer auffi-tôt toute la Nation, pour
luy faire part d'un heureux évenement ; on
travailla dès le même jour à faire tous les préparatifs
neceffaires pour celebrer avec éclat une fi
heureufe Naiffance.
Le 14. Janvier , veille du jour deſtiné aux réjouiffances
, le Conful accompagné des Deputez
de la Nation , & de tous les Negocians , alla
rendre vifite au Pacha , pour avoir fon agrément
fur les réjouiffances qu'on alloit faire , afin que
les Sujets du Grand - Seigneur puffent être les té
moins de la veneration & de l'amour que les
François ont pour leur Roy & pour toute fa
Royale Famille. Ce Gouverneur reçut le Conful
très-gracieuſement , il témoigna prendre beaucoup
de part à cet évenement , & accorda tout ce
qu'on luy demandoit.
Le 15. toute la Nation précedée des deux Deputez
du Commerce , allerent prendre le Conful.
& fe rendirent , en grande ceremonie , à l'Eglife
des Religieux de la Terre- Sainte , fuivis d'une
multitude de peuples. On y chanta folemnellement
la grande Meffe & l'Exaudiat , au bruit
d'une décharge de Boetes ; les Timbales , les
Tambours & les Fifres fuccederent à cette déchar
ge , ce qui fut continué prefque toute la journée.
Le Conful fut reconduit avec tout fon cortege
à la Maiſon Confulaire , où l'on fervit un Repas
magnifique , en ambigu , compofé de toutes for
tess
JUIN. 1730. 1215
tes de Mets , & des Vins les plus exquis ; on y
but , à plufieurs reprifes , les fantez du Roy , de
la Reine , & de toute la Famille Royale , au
bruit d'une pareille décharge de Boëtes . Le Bal
fucceda au Repas ; & pour procurer quelque divertiffement
à cette multitude de peuples qui étoit
accouruë au Kan des François , on fit entrer
dans la cour une troupe de Danfeurs de cordes ,
Joueurs d'inftrumens & de gobelets , qui divertit
parfaitement cette populace.
On avoit placé fur la porte du Kan le Portrait
du Roy , fous un fuperbe Dais , & toute la façade
étoit ornée de riches Tapifferies , & des Etofes
les plus rares. Comme l'ufage du vin eſt défendu
en Turquie , le Conful fit diftribuer du Caffé &
toutes fortes de rafraîchiffemens à l'ufage du
pays , qu'on prefentoit à toutes fortes de perfonnes.
Sur le foir , le Conful , accompagné de la Na
tion , fe rendit encore à l'Eglife , ou le Te Deum
fut chanté en Mufique , au bruit des Boetes &
des Fanfares ; on revint à la Maiſon Confulaire
où l'on fervit un fecond Repas avec la même
profufion.
A l'entrée de la nuit le Kan parut tout en feu
par l'illumination qui parut tout d'un coup. On
avoit placé une quantité innombrable de lam--
pions fur les terraffes , les galeries , les croisées ,
& fur tous les endroits qui en pouvoient conte
* Vafte Bâtiment quarré & ifolé en forme de
Cloître , où le Conful & tous les Negocians
François font logez dans des differents Appar
temens très commodes ; il y a une Cour Spa
tieufe , au milieu de laquelle il y a un magnifique
Baffin de marbre avec plufieurs Jers
d'eau.
at I Vil
A
1216 MERCURE DE FRANCE ,
ir. La façade du Kan où étoit le Portrait du
Roy , étoit fort ingenieufement illuminée . On
avoit auffi placé avec fymetrie une quantité
de lampions fur les arbres qui font autour
du Baffin , qui faifoient un effet admirable ,
fans compter une Piramide quadrangulaire de
60. pieds de hauteur , couverte de plus de 2000 .
lampions , qui s'élevoient fur le grand Baffin de
marbre du milieu de la cour du Kan , dont les
lumieres fe repetoient dans l'eau , ce qui produifoit
un grand éclat. On tira pendant l'illumination
quantité de Fufées , Pots à feu , &c . ce qui
continua pendant toute la nuit.
Les deux jours fuivans fe pafferent également
en réjouiffances ; le Te Deum fut chanté encore
avec beaucoup de folemnité chez les Peres Capucins,
avec les mêmes décharges de Boëtes ,Trompetes
, Timballes , & c. Enfin tout répondit parfaitement
aux foins que le Conful & les Députez
de la Nation s'étoient donnez pour l'exécution
d'une fi belle Fête. Celle du troifiéme jour fut un
peu dérangée, & fur tout l'illumination , par une
pluye très- abondante qui furvint ; cette même
pluye fut encore un nouveau fujet de réjouiffance
; tout le monde étoit en priere depuis trois
' mois pour en avoir , & la fechereffe regnoit à un
point à faire craindre des fuites fâcheufes pour la
recolte du bled. Tous ces peuples recommencerent
leurs danfes , ils allerent en foule où étoit le
Portrait du Poy , pouffer des cris de joye & de
remerciement, attribuant à ce Monarque la playe
abondante qui les garantiffoit d'une prochaine
famine,
I. Volx LETTRE
JUIN. 1730. 1217
LETTRE écrite de Rame , le 4.
Janvier 1730.
E Conful de France à Rame ayant appris
LFConfil à
Dauphin , alla en ceremonie le 27. Decembre
dernier , accompagné de toute la Nation , &
d'une Compagnie de Fufeliers , compofée de so.
hommes , Catholiques , Grecs , & Gens du Pays,
à l'Eglife des Religieux de la Terre- Sainte , que
le Pere Préfident du Convent avoit fait orner
des plus belles Tapifferies. La Meffe y fut chan
tée avec toute la folemnité poffible , & le Te
Deum , pendant lequel on fit plufieurs décharges
de Moufqueterie : les Tambours , Timbales ,
& autres Inftrumens du Gouverneur de la Ville ,
fe firent entendre pendant tout le Service. " Le
Conful avoit eu la précaution de prendre l'agrément
de ce Gouverneur pour la Fête qu'il devoit
donner.
Après la Meffe , le Conful fortit de l'Eglife
accompagné du même Cortege , & de la Compagnie
des Fufeliers , & fe rendit à ſa maiſon
où l'on fervit à dîner au Préfident , à fon Curé ,
& à toute la Nation ; on but les fantez du Roy
de la Reine & de Monfeigneur le Dauphin , au
bruit de la Moufqueterie & des Inftrumens ; on
fit diftribuer des vivres & des rafraîchiffemens à
toutes les perfonnes du pays qui s'étoient rendues
à la Maiſon Confulaire pour voir la Fête.
A l'entrée de la nuit le Conful fe rendit encore
avec le même Cortege & la même fuite , à l'Eglife
où le Te Deum fut chanté, comme le matin
, au bruit de la Moufqueterie & des Inftrumens;
après quoi le Conful , accompagné des .
Religieux & de la Nation , alla allumer un
I. Vol. grand
1218 MERCURE DE FRANCE
grand Feu qu'il avoit fait préparer hors la porte
de la ville. On revint enfuite à la Maiſon Confulaire
, qu'on trouva illuminée en lampions
d'une maniere très ingenieufe , on fervit un Repas
auffi delicat que celuy du matin , pendant lequel
les Inftrumens ne cefferent de jouer,
Le Gouverneur & autres Puiffances du Pays
voulant prendre part à la Fête , fe rendirent fur
le foir à la Maiſon Confulaire , où on leur fervit
une Collation , compofée de confitures, fruits
du Pays , Sorbet , Caffé , &c. Ce Gouverneur
pour rendre la Fête encore plus réjouiffante ,
avoit amené avec luy des Danfeurs & des Boufons
du Pays , qui divertirent beaucoup , & qui
terminerent la Fête , après avoir dansé une par
tie de la nuit.
AUTRE de Saint Jean d'Acre ,
le 4. Janvier 17.30,
ON
N n'ent pas plutôt appris icy la nouvelle de
la Naiffance de Monfeigneur le Dauphin
que M. Carbonnel , Conful de France , en infor
ma toute la Nation ; le Gouverneur & les autres
Seigneurs de la Ville & de la Campagne vinrent
áuffi - tôt lui en faire compliment , ainfi que les
Confuls d'Angleterre & d'Hollande , accompa
gnez de toute leur Nation.
M. le Conful choifit le jour de la Fête de
Noël pour celebrer la Naiffance de Monfeigneur
le Dauphin. Il fit orner extraordinairement la
Chapelle de la Maiſon Confulaire , qui fert de
Paroiffe , & s'y rendit , en ceremonie , à neuf
heures du matin , accompagné des Confuls d'Angleterre
, d'Hollande , des Dames des trois Nations
, & de plufieurs Negocians de Seyde. On
celebra une grande Meffe folemnelle en Mufi-
I, Vol.
que ,
JUIN. 1219
que , le Te Deum & l'Exaudiat furent chantés
par quelques perfonnes de la Compagnie qui
voulurent bien mêler leurs voix & leurs inftrumens
au chant des Religieux. On revint à la
Maifon Confulaire , où il fut fervi un Repas , en
ambigu ,auffi délicat qu'abondant ; & où les Vins
les plus rares furent prodiguez ;les fantez du Roy,
de la Reine , & de toute la Famille Royale furent
bues à diverfes repriſes , avec des cris réiterez de
Vive le Roy. On fit l'après- midy une magnifique
Promenade à cheval,après laquelle le Conful, accompagné
de toute cette Affemblée & des Religieux
, alla allumer un grand Feu qu'on avoit
préparé dans l'endroit le plus éminent de la ville,
où tous les habitans de differentes Nations & de
Religions étoient accourus. Le Domine , Salvum
fac Regem y fut chanté à plusieurs repriſes , &
on tira une très- grande quantité de Fulées.
On revint à la Maiſon Confulaire , qu'on trou
va illuminée de quantité de lampions ; les Terraffes
, toutes les Croifées , & tous les endroits
convenables en étoient garnis ; les Armès du Roy
étoient expofées fur la principale Porte, & celles
de la Reine & du Dauphin l'étoient dans un autre
Tableau en forme de Cartouche.
Aprês l'Illumination on fervit encore un Repas
très - delicat , où les Dames Françoifes , An--
gloifes , & autres Perfonnes diftinguées du Pays ,
furent invitées , les Santez Royales furent encore
bues plus d'une fois. Le Bal fucceda au Souper ,
il y cut plufieurs Tables de Jeu , & on fervit pendant
la nuit toutes fortes de Rafraichiffemens.
L'Aga ou le Gouverneur de la ville , & les plus
notables Seigneurs de la campagne vinrent prendre
part à la Fête , qui leur parut bien nouvelle ,
& fur tout aux Gens du Pays qui n'en avoient
de leur vie vû de plus finguliere.
I. Vol.
RUSSIE
1220 MERCURE DE FRANCE .
RUSSIE .
N mande de Mofcou , de la fin d'Avril
que les Princes Bazile & Alexis Dolhorucki
dont toute la famille étoit fufpecte à la Czarine
ont été exilez. Le Prince Alexis & le Prince Jean
fon fils font accufés principalement d'avoir fait faire
au feu Czar divers voyages dans des maifons de
campagne aux environs de Mofcou, afin de le détourner
du foin des affaires, pour en être feuls les
maîtres ; de l'avoir engagé à fiancer la Princeffe
Dolhorucki , fans en avoir donné aucune part
la Famille de ce Prince , & d'avoir enlevé du
Tréfor un grand nombre de pierreries , dont on
fait monter le prix à cent mille Roubles. Ces
trois Princes Dolhorucki ont été conduits à To-
-bolskoy avec une Efcorte de 40. Dragons. La
Princeffe Dolhorucki qui a eu l'honneur d'être
fiancée au feu Czar,& les autres femmes & enfans
de cette Famille ont été envoyez dans divers Mo
nafteres , pour y refter jufqu'à nouvel ordre.
On a publié à Mofcou un Edit , par lequel les
Archevêques , Evêques , Archimandrites , & au
tres Chefs des Ecclefiaftiques de ce Pays , font
obligez de fe conformer dans toutes leurs fonttions
Ecclefiaftiques au Rite reçû & approuvé icy
depuis plufieurs ficcles , fans rien emprunter du
Ceremonial des autres Religions.
Le Miniftre que l'Ufurpateur Sultan Acheraff
avoit envoyé à Mofcou , a reçu ordre de ſe retirer
, parce qu'on attend un Envoyé du nouveau
Roy de Perfe Sehah Thamas. Le General Ma ,
taonof , qui eft prefentement à Derbent , a été
nommé pour aller à Ifpahan en qualité d'Ambaffadeur
de S. M. Cz. avec les pleins pouvoits
pour renouveller les précedensTraitez entre le feu
Czar Pierre I. & le Prince Thamas , à preſent
Roy de Perfe.
La
7
JUIN. 17.30. 1221
*
La Czarine a augmenté les revenus des Colleges
de la Ville de Dorpt , l'une de celles qui ont été
cedées par la Couronne de Suede,& ruinée par la
derniere guerre,& les apointemens des Profefleurs
de l'Univerfité ; & pour rétablir cette Univerfité
dans fon ancienne fplendeur , Sa Majefté Czarienne
a déclaré qu'elle n'admettra aucun de fes
Sujets aux Emplois Civils & Ecclefiaftiques de
fes Etats que lorfqu'ils apporteront des certificats
de leurs Etudes dan scette Univerfité , au moins
pendant deux ans ,
Le Couronnement de la Czarine fe fit le 9 du
mois dernier dans l'Eglife Cathédrale de Mofcou,
avec une très -grande magnificence , & on a expedié
des ordres à tous les Miniftres de S. M. Czę
dans les Cours Etrangeres , pour celebrer par des
Fêtes la Cerémonie du Gouvernement de leur
Souveraine,
Aprés le Te Deum qu'on chanta à Petersbourg
dans l'Eglife de la Trinité , le même jour , avec
beaucoup de folemnité , on fit une décharge de
200 pieces de Canon , le foir ', le Genéral Comte
Munich donna un repas magnifique de soo
Couverts fur cinq Tables , qui fut fuivi d'un très
beau Feu d'artifice. Toutes les maiſons & Quais
de la Villé furent illuminez , ainfi que plufieurs
Bâtimens plats que le Vice- Amiral Stevers avoit
fait orner. Cette Fête fut terminée par un Bal
qui dura toute la nuit,
SUEDE.
N attend à Stokolm le Roi & la Reine qui
doivent arriver de Carlsberg pour affifter au
Jubilé de la Confeffion d'Augsbourg qu'on doit
celebrer inceffamment:Les Univerfités d'Upſale &
d'Abo en Finlande ont reçû au fujet de cette Fête
Ja Vol.
des
1222 MERCURE DE FRANCE
des inftructions conformes à celles qui leur furentenvoyées
il y a cent ans par ordre du Guftave
Adolphe. Les Profeffeurs de l'Univerfité de Grypfwalde
en Pomeranie , en ont reçû de femb ables,
afin que cette Fête qui doit durer huit jours.
foit obfervée uniformement. Tous les Etudians de
feront traitez pendant ce temps çes Univerfitez y
aux dépens du Roi.
ALLEMAGNE.
N affure
a
le commandement general des
Troupes de l'Empereur en Italie à été donné
au General Comte de Mercy , & que le Comte
de Daun y commandera par interim jufqu'à
fon arrivée , que le Duc Regent de Wirtemberg
commandera fur le Rhin en qualité de Maréchal
de Camp General de l'Empire. On vient d'apprendre
que les -Princes Frederick & Louis de
Wirtemberg , qui ont offert leurs fervices à l'Empereur
, commanderont en Italie en cas de guerre.
On écrit de Manheim que l'Electeur Palatin
avoit promis de fournir 8000. hommes de fes
Troupes à S. M. I. en cas que l'Empire fut attaqué.
Le 24. Mai , vers les 9. heures du foir , le ton .
nerre tomba fur le nouveau Clocher de Peglife
de S. Pierre à Berlin ; il y mit le feu , & en moins
d'un quart d'heure la Tour fut détruite ; par fa
chute,le feu fe communiqua à l'Eglife & aux maifons
voisines avec tant de violence & de rapidité
que les maifons de plufieurs rues étoient déja réduites
en cendre au départ du Courrier.
On apprend de Drefde que le Roi de Pologne
étoit arrivé au Camp de Muhiberg , accompagné
de plufieurs Princes de l'Empire & de la principale
Nobleffe de la Haute & Baffe Saxe , & que
le Duc de Saxe Gotha avoit fait présent à
1. Vol
S.
JUIN
1223
1730 .

S. M. P. du Regiment des Grenadiers à Cheval
qu'il a fait lever depuis un an dans la Principauté
Alembourg.
ITALIE.
E Sacré College défirant de faire ceffer les
Ldifferends du Saint Siege avec la Cour de
Portugal , a écrit à M. Aldobrandini, Nonce en
Efpagne , d'employer toutes fortes de moyens
pour engager Sa Majefté Portugaife à permettre
aux Cardinaux fes Sujets , ou du moins au Cardinal
de Motta , de venir à Rome , & de lui
donner fes pleins pouvoirs pour finir cette affaire,
On a rendu au Cardinal Cofcia tous les meu→
bles , linges , hardes & vaiffaille d'argent ; on n'a
gardé au Chateau S. Ange que fa Bibliotheque &
fes papiers que le Sacré College fait examiner.
Le 12. Mai , vers les 10. heures du foir , on
fentit à Rome une fecouffe de tremblement de
terre affez violente qui dura environ 6 minutes
& n'a caufé aucun dommage ; mais elle a été plus
confiderable à Tivoli , où elle a fait tomber quelques
murailles , & elle a abbatu prefque toutes
les Maifons de la petite Ville de Norcia , où plufeurs
perfonnes ont été enfevelies fous les ruines;
les autres habitans ont quitté leurs maifons , &
fe font fauvés fur la Place de S. Simon;
On a appris de Venife qu'une Montagne voifine
de la petite Ville de Chiapeffa s'étoit ouverte
le 2 Mai , vers les 9 heures du matin , après une
violente fecouffe de tremblement de terre, & qu'elle
avoit englouti plus de 30 maifons avec une partie
de ceux qui les habitoient ,
Le dernier tremblement de terre qu'on reffen
tit à Rome le 12 du mois dernier , a caufé beau-
I. Vol. coup
1224 MERCURE DE FRANCE
coup de dommages dans les Villes de Notcia ,
d'Aquila , de Cafcia , de Virfa , de Matrica , de
Monteleone & dans plufieurs Bourgs & Villages
des environs. Il y a eu à Norcia trois fecouffes ,
dont la derniere a été fi violente , que toutes les
Maifons de la Ville ont été renverfées de fond
en comble , à la réſerve de la Maifon de Ville &
des Couvents de S. François & de S. Antoine.
On a appris que depuis ce jour-là juſqu'au 14
on avoit déterré 400 perfonnes enfevelies fous
les ruines; les unes mortes & les autres eftropiées.
Cette Ville fituée dans l'Ombrie , près le Mont
Apennin , pouvoit contenir 4000 habitans , qui
la plupart fe retirerent à la Campagne, où ils font
dans une grande mifere. On y a fait venir 500
Soldats qu'on a mis autour des Murs & aux Por
bes , pour arrêter & fouiller tous ceux qui fortent
, afin de prévenir le pillage des effets qu'on
retire de deffous les démolitions. Ce tremblement
de terre s'eft fait fentir à Spolette , mais il n'y a
caufé aucun dommage confiderable.
Le 22 , on envoya de Rome à Norcia 3000
écus d'aumône pour les habitans de cette Ville ,
avec plufieurs Chirurgiens pour panfer les bleffez,
& des Médecins pour traiter les malades. On a
envoyé depuis d'autres fecours d'argent.
Les Cardinaux , Chefs d'Ordres , ont fait arrêter
un Religieux qui , prêchant dans une des
principales Eglifes de Rome , a été affez témé
raire pour prédire & affurer que la nuit du 14 au
15 May , la Ville de Rome feroit renversée de
fond en comble par un tremblement de terre , &
que cet évenement avoit été annoncé en fonge à
une de fes pénitentes, །
Le 17. les Cardinaux ordonnerent des Prieres
publiques pendant trois jours , dans differentes
Eglifes de Rome, & une Neuvaine dans l'Eglife
+
I Vol. de
JUI N. 1730. 1225
de S. Philippe de Neri , pour demander à Dieu
les lumieres neceffaires pour l'Election du Pape.
Les Pourvoyeurs du Conclave ont reçû ordre
d'y faire de nouvelles Provifions d'Huille , de
Bougies , de Bois & de Charbon.
Le bruit court que les Cardinaux de Schrot
tembach & Czacki ont reçû ordre de fe rendre
en diligence au Conclave , pour augmenter le
nombre de ceux qui font affectionnez à l'Empe
teur.
Le Cardinal Innico Carraccioli Napolitain
ayant vifité,fuivant la coutume , l'Eglife de faint
Pierre , entra le 21 du mois dernier au Concla
ve , où il y a prefentement 54 Cardinaux.
Le Commandeur Santini , nommé par le
Grand-Maître de Malte au Prieuré de Rome , a
offert au Sacré Collège d'en donner fa démiffion
, à condition d'une penfion fur ce Prieuré
, auquel les Cardinaux ont nommé le fecond
fils du Chevalier de S. George.
On apprend de Boulogne , qu'au commence→
ment du mois dernier , des Ouvriers travaillant
dans l'Eglife de S. Dominique de la même Ville,
y trouverent le tombeau de Lucius , Roy de
Sardaigne.
Pae un Courrier dépêché d'Anconne , on a re
çu avis qu'il étoit arrivé dans la Marche 3000
hommes de Troupes Impériales qui doivent fe
rendre dans le Royaume de Naples.
Le 25 Avril , on chanta à Naples un Te Deum,
folemnel , en mémoire de ce que cette Ville fut
préfervée de l'Incendie dont elle étoit menacée
par la chute de la Bourre enflammée d'un Canon
qui tomba dans le Magazin des Poudres du Châ
teau de l'Oeuf, lorsqu'on faifoit en 1723. des
décharges d'Artillerie à la fin d'un Te Deum
qu'on avoit chanté , pour rendre graces à Dieu
1. Val
da H
226 MERCURE DE FRANCE
de ce que cette Ville avoit été préfervée de la
communication du mal Contagieux qu'on crainoit
alors.
Le Comte de Wallis qui eft arrivé depuis peu
d'Allemagne à Naples, doit partir pour la Sicile,
pour aller commander en chef les Troupes de
PEmpereur.
On a appris de l'Ile de Corfe , par la voye de
Genes , que M. Venerolo avoit fait fommer trois
fois les Rebelles de cette Ifle de quitter les armes,
fans qu'ils cuffent obéi; & que ces Montagnards
ayant eu l'audace , au contraire , de venir piller
plufieurs Maifons de Campagne à quelques lieuës
de Baftia , le Commiffaire General de la Répus
Blique étoit parti ,à la tête de 500 hommes, pour
fes diffiper, Ces Lettres ajoutent qu'on doutoit à
Genes que les Corfes vouluffent rentrer dans leur
devoir , & qu'ils paroiffoient déterminez à fe
fouftraire à la domination de la République ;
e qui faifoit craindre qu'ils ne fuflent affurez
de la protection fecrete de quelque Puiffance.
ESPAGNE
E 24 du mois dernier , le Marquis de Bran
Le
cas, Ambaffadeur Extraordinaire & Plenipotentiaire
du Roy Tres - Chrétien , prit poffeffion
des honneurs de la Grandeffe, & fe couvrit pour
la premiere fois en cette qualité devant le Roy
yant pour parrain le Duc Del-Arco qui avoit
invité à cette cérémonie tous les Grands du
Royaume qui font à la Cour , & aufquels il
donna un repas magnifique , ainfi qu'aux Miniftres
Etrangers & à plufieurs autres Perfonnes
de diftinction ,
On mande de Grénade que le Roy , la Reine
les Princes & Princeffes de la Famille Royale
1. Vel.
conţinuent
JUIN 1730. 1227
Continuent à jouir d'une parfaite , fanté à Soto
de Roma.
FRANCE
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
L
E 31. dumois dernier , la Reine
partit
de Fontainebleau vers les deux
heures après midi , pour aller coucher au
Château de Petit-Bourg , d'où S. M. fè
rendit le lendemain à Verfailles. Le Roi
y arriva le 6. de ce mois , & le 8. Fête du
S.Sacrement,
S.M.accommpagné du Prince
de Dombes , du Comte d'Eu , & des
principaux Officiers de fa Maifon , fe rendit
à l'Eglife de la Paroiffe , où elle entendit
la grande Meffe , après avoir affifté
à la Proceffion , qui vint , fuivant l'ufage,
à la Chapelle du Château. La Reine n'étant
point allée à la Paroiffe à caufe de
fa groffeffe , vit paffer la Proceffion &
entendit enfuite la Meffe dans la Tribune
de la
Chapelle .
Le Roi a accordé la Charge de Premier
Prefident du Parlement de Grenoble ,
au Préſident de Grammont , le plus ancien
des Préfidens à Mortier de ce Parlement.
- S. M. a donné le Gouvernement de
AVol. Hij PHô1228
MERCURE DE FRANCE
'Hôtel Royal des Invalides , vacant par
la mort du Marquis de Beaujeu , au Che
valier de Ganges , Lieutenant de Roy du
même Hôtel, & le Chevalier de S. André,
Brigadier des Armées du Roi , a été nommé
à la Lieutenance de Roi.
Le 15. fur le foir , le Roi & la Reine
partirent de Verfaillles pour aller coucher
au Château de Marly , où L, M. dojvent
paffer quelque temps.
Le 24. du mois dernier , les Prieur &
Chanoines Réguliers de S, Jean des Vignes
, Ordre de S. Auguftin , dans le Dio .
cèfe de Soiffons , élurent pour Superieur
de leurMaifonChefde l'OrdreN.Joüailles,
cy- devant Prieur de Vandieres , dans le
même Diocèfe . La fage conduite de M. de
Jouailles dans les Maifons qu'il a gouvernées
, juftifie le choix des Chanoines de
S. Jean des Vignes,
Le Roi a accordé au Comte de Sainte
Maure , Lieutenant General de fes Armées
Navales , la Charge de Vice- Amiral
du Levant , vacante par la mort du Maréchal
de Coetlogon , & S. M. a nommé
Lieutenant General de fes Armées Navales
, M. de la Rocheallart , qui étoit Chef
d'Efcadre.
M. Marcel de Lopés de la Fare , Chevalier
Profès de l'Ordre de Malthe , Baron
né de l'Empire , Lieutenant de Ga-
1 Vol · leurs
MAUI1 N. 1730. 1229
lere & de la Compagnie des Gardes de
l'Etendart , vient d'être nommé le
par
Roi , Capitaine de Galere , il confervera
la Lieutenance des Gardes de l'Etendart.
Le 24. du mois dernier l'Archevêque
de Paris fe rendit en Sorbonne & y reçut
de Bonnet de Docteur,
H
Le Roy ayant agréé que la Faculté de
Théologie de Paris eût l'honneur de préfenter
à S. M. les Actes & Decrets qu'elle
a faits pour la reception & l'execution
de la Bulle Unigenitus M. Leullier ,
Doyen , & M. de Romigny , Svndic , &
les Docteurs députez , fe rendirent à
Fontainebleau , étant introduits dans le
grand Cabinet du Roi , & préſentez
par M. le Comte de Maurepas , Secretaire
d'Etat. M. le Doyen fit à S. M. le
Difcours fuivant,
SIRE,
C'eft avec la plus refpectueuse confiance
que nous approchons du Trône de Votre Ma
jefté , pour lui préfenter les Actes que la Faculté
de Théologie a faits pour renouveller l'execution
d'unDecret que votre augufte Bifayenl
reçut autrefois avec bonté , & dont il ordonna
la publication ; ils tendent , SIRE , à
concourir de notre part à éteindre ces divi-
I. Vol. Hiijfions
1230 MERCURE DE FRANCE
fions funeftes, dont les Eglifes de votre Royan
me ont été fi long-temps agitées & à ramener
à l'unité quelques- uns de nos Confreres qui
s'en font malheureusement écartez.
Louis le Grand a vû naître ces triftes dif
fentions dès les premieres années de fon
Regne , & ce Roi fi puiffant , fi redouté , n'a
pu , malgré fes defirs , ramener fes Sujets indociles
à l'obeisance , à la foumiffion due à
Eglife.
Cet beureux Evenement étoit réservé au
Regne & à laReligion devotreMajefté . Puiffe
la derniere Déclaration de Votre Majefté
fi digne de fa pieté , affermir une Paix qui
eft l'objet de fes voeux les plus ardens. Ainfi
marchez- vous fur les traces de vos auguftes
Ancêtres qui n'ont jamais fouffert qu'on alterât
dans leurs Etats la pureté de la Religion
Carbolique , ainfi vous imitez , SIRE ,
les Conftantins, les Théodofes , les Marciens ,
qui fe font acquis une gloire immortelle en re
primant par des Edits feveres les herefies
qui fe font élevées dès leurs temps. Si nos
Confreres indociles fe font attiré la jufte
indignation de V. M. par leur réfiftances
puiffent-ils parun retour prompt & fincere ,
meriter les effets de fa clémence ? Ce font ,
SIRE , les voeux d'une Compagnie qui che
rit les fiens , & qui regarde comme fon premier
devoird'êtrefoumise à l'Eglife, & oberf
fante àfon Roi.
Ja Vol A
JUIN: 1730. 1231

A LA REINE.
MADA ADAME,
Nous efperons que vous recevrez favoran
blement les Actes que nous avons l'honneur
de présenter à V. M. ils vous doivent être
d'autant plus chers , qu'ils font appuyez de
Fautorité du Roi , & qu'ils tendent à la confervation
de lafaine Doctrine . Toutes lesgrandes
qualitez de V. M. ne feroient rien de
vant Dieu , fi elles n'étoient foutenues de
votre zele pour la Religion , qui leur donne
leurprincipal luftre.
Le Ciel a commencé à les récompenfer
dès ce mondes elles vous ont placée sur le
premier Trône de l'Univers , elles vous ont
obtenu un Enfant fi defiré , qui fait la joye
de V. M. celle de vos Sujets , & qui affure
le repos de l'Europe.
Qu'il croiffe , MADAME , fous vos yeux,
eet aimable Dauphin ? qu'il recueille le fruit
de vos exemples , qu'il marche fur les pas de
fon augufte Pere & de fon Roi , qu'il foit un
four à fon exemple le Protecteur de l'Eglife
le foutien de la vraye Religion.
1. Vol.
Hiiij A
1232 MERCURE DE FRANCE
A. S. E. MONSEIGNEUR
LE CARDINAL DE FLEURY.
MONSEIG ONSEIGNEUR ,
Si la Faculté de Théologie reprend fon
ancienne fplendeur, fi après des jours nébuleux
qui l'ont obfcurcie , elle repand un nou
vel éclat , c'est à V. E. que nous en fommes
redevables ! Qu'il vous eft glorieux , Mon-
SEIGNEUR , de travailler avec tant de
Zele à étouffer ces femences de guerre ,. dons
les Peuples étoient allarmez ! mais j'ofe dire
qu'il ne vous le fera pas moins , ni moins
important pour le bien de l'Etat , de réunir
les efprits divifez fur la Religion. V. E, à
faifi l'unique voye d'y parvenir ; le calme
que vous avez remis dans la Faculté de
Théologie , la derniere Déclaration du Roi ,
fi neceffaire dans les circonstances prefentes,
font des préfages certains de la paix de l'Eglife
; paix qui confifte uniquement dans l'obéiffance
à l'autorité légitime. Que nos Freres
indociles ne ferment plus les yeux à la
lumiere qui brille de toutes parts en faveur
du Decret Apoftolique , qu'ils ceffent de préferer
leurs efprits particuliers au jugement de
tant de Pontifes unis avec le S. Siege. En
vain fe vantent-ils du zele qu'ils difent avoir
1. Vol.
•pour
SWAJULN. 1730. 1233
pour les Droits facrez de la Couronne ; en
vain fe donnent-ils la gloire d'être les plus
fideles Sujets de S. M. Cet artifice groffier,
ce langage feduifant mis en ufage par les
Novateurs de tous les fiecles , pour couvrir
leurs erreurs, ne trompe plus perfonne. Connoiffent-
ils donc mieux les Droits facrez du
Diademe , que le Souverain & les grands
Hommes à qui il donnefa confiance , & qu'il
admet dans fes Confeils ? Est-ce être fidele
Sujet du Roi que de réfifter à fes ordres les
plus précis ? Non , MONSEIGNEUR , il
n'y a point de Sujets plus fideles à leur Prin
ce que ceux qui font foumis à l'Eglife . C'eft
pour ramener nos Confreres à des fentimens
plus dignes de Théologiens Catholiques, que
la Faculté a dreffe les Alles qu'elle nous or◄
donne de préfenter à Votre Eminence .
A MONSEIGNEUR ,
LE CHANCELIER
MONSEIGNEUR ,
Elevé au fupreme degré de la Magiftra
ture , il vous appartient d'appuyer également
les Loix de l'Eglife celles de l'Etat,
& à nous de leur rendre une entiere &
parfaite
obéiffance ; quand l'Eglife parle à fes
Enfans & le Roi à fes Sujets , le feul parti
1. Voli Hv de
1234 MERCURE DE FRANCE
de ceux- cy eft celui de la foumiffion. Dans les
questions judicieufes , nous déliberons , nous
formons nos avis ; mais après le jugement
des premiers Pafteurs , notre gloire eft d'obeir.
Vous le difiez autrefois , MONSE 1-
GNEUR, dans l'importante place que vous
occupiez au Parlemenp & que vous foute
niez avec tant de dignité & d'éloquences
vous affuriez que le fuffrage des Evêques
affermit irrevocablement la décifion du Sou
verain Pontife , & que c'eft à cette union
parfaite des Membres avec les Chefs , que
les Chrétiens font obligez de reconnoître la
voix de la verité & le jugement de Dieu
même. Cependant , MONSEIGNEUR ,
quelle monftrueuse Doctrine n'a-t-on pas
avancée depuis quelques années , fous lefpecieux
prétexte d'attachement aux maximes
du Royaume ? on a foutenu avec opiniâtreté
des erreurs capitales profcrites par l'une &
Pautre Puiffance. On a ébranlé tous les fondemens
de ta Hyerarchie & de la fubordination
on a autorife chaque Particulier à s'ériger
en Juge & arbitre de fa foy , onfour
met les décifions des premiers Pafteurs unis
avec leur Chef , à l'approbation du Peuple..
On fait dépendre la validité de leurs Juge
mens , du confentement des fimples Fideles
nous le difons avec douleur , le malheur des
temps a entraîné dans ces écarts des perſon- ·
d'ailleurs refpectables , & quelques-uns
nes .
I.. Vola de
JUIN 1730. 1235.
de nos Confreres qui paroiffent y perfeverer
avec opiniâtreté.
·Ne pouvons-nous pas efperer , MON
SEIGNEUR
, que Les Actes que nous avons
Phonneur de vous prefenter , & fur tout la
derniere Déclaration du Roy , dreffée avec
tant de fageffe , tes feront revenir de leur
prévention & les rameneront à l'unité.
Oui , MONSEIGNEUR , nous l'efpe
rons , mais nous ne l'espérons que de la bonté
de celui qui a l'a toute puiffance de tournerles
Geurs les plus rebelles comme il lui plait &
de lesfaire rentrer dans l'obéiffance & dans
La foumission.
A MONSEIGNEUR
LE GARDE DES SCEAUX
MONSET ONSEIGNEUR ,
L'inclination, d'accord avec le devoir, nous
invite à vous prefenter un Decret de la Fa
culté de Théologie , qui n'eft pas tant un
effet de notre déliberation , qu'un témoignage
autentique de notre obéiffance à une Loy de
Eglife de l'Etat . L'Approbation dont
nous efperons que vous l'honorerez , entraî
nera celle de toutes les perfonnes fenfees.
Si le Roy eft le feul Légiflateur de for
Royaume , c'est vous , MONSEIGNEUR ,
qui imprimez le caractere de l'autorité à fes
I., Vol. E vj Loixs
1236 MERCURE DE FRANCE
Loix , & ce font les Théologiens qui doivent
donner aux autres Sujets l'exemple du respect
& de la foumiffion.
Nous voyons cependant avec douleur quel.
qu'un des nôtres s'en difpenfer fous des pré-.
textes les plus frivoles , & donner au contraire
Le fcandale de la résistance la plus marquée,
ils craignent , difent-ils , de donner atteinte
aux Droitsfacrez de la Couronne , mais en
effet c'est l'attachement qu'ils ont aux erreurs
tant de fois profcrites. Ces Droitsfacrez conrent-
ils quelques rifques , MONSEIGNEUR,
quand ils font fous votre garde ? C'est pour
faire revenir ces Docteurs de leur prévention
fi peu digne de Théologiens Ortodoxes , que
la Faculté de Théologie a dreffé les Actes que
nous avons l'honneur de vous préſenter.
*
Un grand nombre de Penfionnaires du
College de Louis le Grand , étant allé
à Verfailles le jour du Landy , la Ducheffe
de Ventadour eut , non-feulement la bonté
de les prefenter à Monfeigneur le Dau :
phin , mais elle voulut bien écrire ellemême
une Lettre , où elle marqua que
Monfeigneur le Dauphin , à qui ils étoient
venus faire leur cour , vouloit pour premiere
grace , leur donner un congé . C'eft
ce qui a donné occafion au Remerciement
fuivant.
I. Vol.
Vous
JUIN. 1237
% 1730.
Vous , qui nous élevez des Rois ,
Moins en Gouvernante qu'en Mere ,
Et qui formant le Fils après l'augufte Pere ,
Faites fi bien parler un Dauphin de dix mois ,'
Illuftre Ventadour , malgré fon âge tendre ,
S'il parle par vos foins, il peut bien vous entendre
Daignez donc un moment lui faire notre cour.
Pour un fi doux congé que pouvons - nous lui
rendre ?
Dites-lui que le Ciel fe chargeant du retour ,
Lui promet comme àvous un fiecle pour unjour
Le 8. jour de la Fête- Dieu , il y eut
Concert Spirituel au Château des Thuilleries
, on y chanta Sacris Solemniis , Motet
de M. de la Lande. Les Dies Eremens &
le Maure , en chanterent un autre nouveau
, O Sacrum convivium , à deux voix,
avec Symphonie , de la compofition de
M. Mouret , qui fut très- applaudi . Le
freur le Clair joüa un Concerto, & fit executer
un Trio de fa compofition qui fit plaifir;
on finit par le Te Deum, avec Timbales
& Trompettes , précedé d'une très - belle
Piece de Symphonie de M. Mouret .
Le 9. la Loterie pour le Rembourfement
des Rentes de l'Hôtel de Ville , fut
tirée en prefence du Prévôt des Marchands
& des Echevins , en la maniere
accoûtumée , le fonds de ce mois s'eft
J. Vol. ac
1118 MERCURE DE FRANCE
trouvé monter à la fomme de 1168225 .
livres , laquelle a été diftribuée aux Rentiers
, pour les Lots qui leur font échûs
conformement à la Lifte generale qui a
été rendue publique.
Le 26. la Lotterie de la Compagnie des
Endes ,
ordonnée par Arrêt du Confeil du
2. Mai pour le
rembourſement des Ac
tions fut tirée comme la precedente, Il y
a eu 280. Actions & 250. dixièmes d'Actions
de rembourfées , fuivant la Lifte
Numerotée qui a été rendue publique.
. Le So de ce mois , l'Ouverture folemelle
de l'Affemblée generale du Clergé
de France fe fit avec les ceremonies ac
coûtumées dans l'Eglife des Grands Auguftins
, par la Meffe du S. Efprit , à la➡
quelle les Prélats & les autres Députez qui
compofent l'Affemblée , communierent.
L'Archevêque de Paris y officia pontificalement
, & l'Evêque de Nîmes y prê
cha avec beaucoup d'éloquence.
L'Affemblée generale du Clergé , après
avoir élû pour Préfidents l'Archevêque
de Paris , l'Archevêque de Sens , l'Àrchevêque
de Rouen , l'Evêque de S. Pol
de Leon , l'Evêque de Marfeille & l'Evêque
de Nîmes , l'Abbé de Maugiron
pour Promoteur, & l'Abbé de Valras pour
Secretaire , a choifi pour Premier Préfi
dent le Cardinal de Fleury, Miniftre d'E
ZORJUIN
. 1730.
1119
tat , & l'Affemblée lui a député pour le
prier d'accepter ce choix.
Le 7. Juin les Prélats & les autres
Députez qui compofent l'Affemblée generale
du Clergé , allerent à Verſailles ren
dre leurs refpects au Roi .Ils s'affemblerent
dans laSale du Château qui leur eſt deſtinée
dans ces occafions , & le Comte de Mau
repas , Secretaire d'Etat , étant venu les
prendre pour les prefenter au Roi , ils
furent conduits à l'Audience de S. M. par
le Marquis de Dreux , Grand- Maître des
Ceremonies , & par M. Defgranges , Maître
des Ceremonies , avec les honneurs
qui fe rendent au Clergé lorfqu'il eft en
Corps , les Gardes du Corps étant dans
leur Sale en haye , & fous les armes , &
les deux Batans des Portes étant ouverts,
Le Cardinal de Fleuri , Premier Préfident
de l'Affemblée , alla ſe joindre aux Députés
dans la Sale où ils étoient affemblés,
& il marcha avec eux à la droite des Archevêques
de Paris & de Sens. L'Archevêque
de Paris complimenta le Roi par
un Difcours très éloquent , après lequel
le Cardinal de Fleuri préfenta à S. M. chaque
Député en particulier. Enfuite les
mêmes Deputés ayant le Cardinal de
Fleuri à leur tête , curent l'honneur de
complimenter la Reine & Monfeigneur
le Dauphin. L'Archevêque de Paris qui
fir les trois Harangues parla en ces termes.
1240 MERCURE DE FRANCE
AURO Y.
SIRE ,
Le Clergé de votre Royaume affemblé par:
vos Ordres , vient avec empreffement rendre
À VOTRE MAJESTE' fes refpectueux
hommages , & lui renouveller les assurances
de fon inviolable fidélité.
Nous vous l'avons promiſe avec ferment,
Dieu même nous l'ordonne comme une obli
gation effentielle ; mais , SIRE , indépendamment
de ces motifs , que la naiſſance &
·la Religion ont gravez dans nos coeurs , l'ufage
que vousfaites de l'autorité que vous tenez
de Dieu feul , fuffiroit pour nous porter
à remplir, par reconnoiffance , un devoir qui
eft d'ailleurs pour nous indifpenfable.
En effet , quel Princefut jamais plus ca
pable d'exciter ces fentimens dans le coeur des
Miniftres de JESUS - CHRIST , qu'un:
Roy qui a fait éclater en toute occafion fon
refpect pour la Religion , fon zéle pour protéger
l'Eglife , & qui employe fon autorité à
faire rendre à celle des Pafteurs , & à leurs
décifions , l'obéiffance qui leur est dûë ?
Animez par votre exemple , & foutenus
par votre protection , nous employerons tous
les moyens que la charité nous dicte pour appaifer
les troubles qui affligent l'Eglife , &
I. Vol.
pour
JUIN. 1730. 1241
pour infpirer à tous les Fidéles cet efprit de
docilité & de foûmiffion qui peut feul rétablir
lapaix & la tranquillité.
Le premier Corps de l'Etat , SIRE , en
donnant Pexemple aux autres , regardera
toujours comme un de fes principaux devoirs,
de fe diftinguer par un zéle ardent pour votre
fervices d'offrir à Dieu des Prieres
ferventes pour la confervation de la perfonne
facrée de VOTRE MAJESTE'.
A LA REINE;
MADAME,
Ce n'est pas moins parles mouvemens du
coeur que par devoir , que le Clergé du Royaume
vient rendre fes profonds refpects à une
Augufte Reine , que fes vertus ont élevée
fur le Trône , & dont la plus grande éléva- .
tion n'a fervi qu'à faire éclater fa Religion
&Sa Foy.
Quelle confolation pour les Miniftres de
JESUS-CHRIST , de trouver dans VOTRE
MAJESTE' le modèle des fentimens qu'ils
défirent d'inspirer à tous les Fidéles , & de
n'avoir , pourformer de vrais Chrétiens ,
qu'à fouhaiter qu'ils vous imitent.
Nousjouiffons déja , MADAME, des
fruits de votre piété , par l'heureuſe fécondité
I. Vol.
dont
3242 MERCURE DE FRANCE.
dont il a plû à Dieu de favorifer VOTRE
MAJESTE' , & par la naissance d'un Dauphin
fi défiré de toute la Nation , qu'il a
bien voulu accorder à la ferveur de vos
prieres.
Que nous refte-t-il à demander encore ,finon
que le Seigneur daigne nous conferver les
dons qu'il nous a faits , que ce Prince puiſſe
pendant long-tems profiter de vos exemples ,
apprendrefous le Roy fon Pere , à gouverner
avec fageffe ; & que le Ciel , qui protége
d'une manière fi visible ce grand Royaume
continue de verfer fes bénédictions fur Vo-
TRE MAJEST E' , en lui donnant enco☛
re des Princes , qui assurent pour toujours le
repos & le bonheur de la France ?
A MONSEIGNEUR
LE DAUPHIN.
MONSEIGNEUR ,
Votre naiffance eft le fruit des inftantes
Prieres & des Sacrifices que nous n'avons
cefsé d'offrir au Dieu de Miféricordes nous
continuerons nos Voeux avec la même ferveur
pour la confervation d'un Prince , qui fait
dès - à- prefent l'efperance du Royaume ; &
ous demanderons encore avec inftance à ce
I. Vol Dien
JUI N. 17:30: 1243
ن م
Dieu de bonté , qu'il grave dans votre coeur
fon amour & fa crainte , & que par les foins
de votre illuftre Gouvernante , nous puiffions
voir croître en vous , avec l'âge , ceite fageffe
qui vous rendra lajoye & la confolation du
Roy , le bonheur & la gloire de la Nation.
Le 12. de ce mois , M. Fagon , Confeiller
d'Etat. Ordinaire & du Confeil
Royal des Finances , le Comte de Maurepas,
Secretaire d'Etat ; M. de Courfon ,
Confeiller d'Etat ordinaire & ' du Confeil
Royal des Finances ; M. d'Ormeffon,
Confeiller d'Etat & Intendant des Finan
ces; & M. Orry , Confeiller du Conſeil
Royal des Finances & Controleur Genetal
des Finances , Commiffaires du Roy,
allerent à l'Affemblée generale du Clergé
, où ils furent reçus avec les ceremo→
nies ordinaires , & M. Fagon fit un Dif
cours auquel l'Archevêque de Paris repondit
au nom, de l'Affemblée.
Les Commiffaires du Roy qui étoient
allez , comme on vient de le dire , à l'Af
femblée generale du Clergé , y retournerent
le 16 , & ils demanderent aux Députez
, au nom de S. M. un , fecours de
quatre millions de livres , ce qui fut unanimement
accordé .
Le 22 , le Cardinal de Fleury, Miniftre
d'Etat , alla préfider à l'Affemblée du
Clergé , qui ayant étéinformée de fon ar
1244 MERCURE DE FRANCE .
rivée dans l'Eglife des Grands Auguftins ,
députa pour aller le recevoir, l'Archevêque
de Bordeaux , les Evêques de Nifmes ,
de Glandéves , d'Autun , de Boulogne &
de Grenoble ; & les Abbez de Chamron ,
de Coetlofque , de Caftelane , de Montferrand
, de Peruffy & de Vaulfere. Ces
Députez allerent audevant du Cardinal
de Fleury jufqu'à l'Eglife , d'où ils le conduifirent
dans la Sale de l'Affemblée.
Il prit fa place de Premier Préfident ;
& il fit un Difcours tres-éloquent , auquel
l'Archevêque de Paris répondit au
nom de l'Affemblée . Le Cardinal de Fleury
tint la Séance , & lorfqu'elle fut finie,
il fut reconduit par plufieurs des Prélats
de l'Affemblée.
La Ville de Carpentras , Capitale du
Contat Vénaiffin , quoique du Domaine
du S. Siége , ne laiffe échaper aucune occafion
de donner des marques de fon attachement
pour la France. Le nombre
d'Officiers & de Soldats qu'elle a toujours
fourni à fes Rois , lui a mérité depuis
long-tems le Privilege de Regnicole . Les
nouvelles publiques ont fait mention des
réjouiffances qu'on y fit pour le mariage
du Roy ; celles qu'on a faites à la naiffance
de Monfeigneur le Dauphin méritoient
certainement d'y avoir place. Sa
joye & fa reconnoiffance d'avoir été ho
JUIN 1730. 12:4
Dorée de la prefence de L, A. S. Madame
la Princeffe de Conti , troifiéme Douairiere
, & M. le Prince de Conti fon fils ,
viennent encore d'éclater.
Cette Princeffe étant allée fur fes Torres
avec le Prince fon fils , fut vifitée à
Orange & à Bedarrides par M. Abati
Evêque de Carpentras , par M. Gafparini,
Recteur ou Gouverneur pour le Pape du
Comtat Venaiffin , & par la principale
Nobleffe du païs ,
Le voifinage de la Ville de Carpentras ,
quatre petites lieuës du Comtat , & fa
charmante fituation , engagerent la Prin
cefle de Conti de s'y rendre le 22 May.
M. l'Evêque de Carpentras alla au devant
de leurs Alteffes dans fon Caroffe à
fix Chevaux , le Marquis de la Roque y
alla dans le fien auffi à fix Chevaux , accompagné
du Comte de Valoufe , Briga
dier des Armées du Roy , & autres perfonnes
de diftinction ,
A une lieuë de la Ville , leurs Alteffes
furent faluées par M.Cottier , riche Mar
chand , à la tête de quarante Maîtres ,
parfaitement bien montez , tous en has
bits rouges& la Bandoüillere , aux couleurs
de la livrée de Conti. Le fieur Cottier
leur offrit la Troupe pour fervir de
Gardes du Corps , ce qui fut accepté. La
Compagnie le partagea , la plus grande
I. Fol.
partie
#246 MERCURE DE FRANCE.
partie prit les devants , ayant à fa tête
deux Trompetes , un Timbalier & un
Etendart aux Armes de leurs Alteffes ,
l'autre partie entoura leur Berline.
C'eft ainfi qu'Elles arriverent fur les fix
heures du foir à une Sale bien décorée
qu'on avoit conſtruite hors de la Ville ; la
Façade de cette Sale étoit de verdure, d'un
tres- bel ordre d'architecture ; on avoit
placé fur le couronnement les Armoiries
de leurs Alteffes , avec cette devife .
Majeftas & Amor ; & aux côtez , deux
Renommées. Leurs Alteffes y furent reçues
par M. Gafparini , Gouverneur de la
Province , & par le Corps de Ville , au
bruit des Boëtes & d'une décharge d'une
nombreuſe Infanterie.
M. Charpaud , premier Conful , les
harangua avec fon éloquence ordinaire ;
il fit fentir que de tout tems la Ville de
Carpentras n'avoit pas moins été attachée
aux Rois de France & à leur Augufte
Maiſon , que foûmiſe & fidele au S. Siége,
& aux Pontifes Romains fes Souverains ;
c'eſt à ce même attachement qu'elle eft)
redevable des Privileges dont elle joüit &
qui lui ont été confirmez par tous les
Rois Tres- Chrétiens , depuis François I.
& en dernier lieu par Louis XV . glorieufement
regnant.
Au fortir de cette Sale , leurs Alteffes
Vol.
entre-
"
UIN. 1730. 1247
entrerent dans la Ville à travers un peuple
infini ; l'Infanterie commandée par les
Officiers de quartier , bordoit la haye
jufques à la porte du Palais Epifcopal , où
Elles furent reçûës par M. l'Evêque , ac
compagné d'une belle Nobleffe , & conduites
dans les magnifiques Appartemens,
Elles trouverent dans la Sale , qui eft
d'une grande beauté , toutes les Dames
de la Ville , & un grand Concert d'Inf
trumens , qui commença auffi- tôt.
L'Infanterie prit poffeffion de la porte
du Palais , & les Gardes du Corps de celles
des Appartemens. Leurs Alteffes furent
haranguées par le Magiftrat , M.Roleri
fils , reçû en furvivance à la Charge
d'Avocat General du Pape , que fon pere
remplit dignement depuis plufieurs années
, portant la parole,
La Princeffe en fut fi contente qu'elle
lui dit fort obligéamment ; qu'on voyoit
bien qu'en lui l'Eloquence devançoit les
années.
Leurs Alteffes reçurent enfuite le Prefent
la Ville lui offrit , compofé de
que
cent Boëtes de Confiture & d'un quintal
de Bougies de Table. Le Secretaire de la
Ville qui eut l'honneur de le leur preſenter
, leur fit fon compliment en Vers ; la
Princeffe les trouva fi jolis , qu'elle voulut
les avoir par écrit.
I. V.
L'Abbé:
1248 MERCURE DE FRANCE.
L'Abbé d'Aurel , Prevôt de la Cathe
drale , à la tête du Clergé , eut enſuite
Audiance de leurs Alteffes ,qu'il harangua
noblement & en peu de mots . Tous les
Corps Religieux le prefenterent auffi ,
mais on trouva à propos de les remercier
pour ne pas fatiguer leurs Alteffes , &
pour faire place à quelque chofe de moins
férieux ; ce furent une danfe qu'on nomme
vulgairement des Arquets, & une danfe
de Bergers & de Bergeres ; les premiers
plurent beaucoup.
Ces divertiffemens furent fuivis d'un
grand Souper , ordonné avec la magnificence
, la profufion & le bon goûr qu'on
connoît à M. de Carpentras , pendant lequel
la Symphonie ne ceffa pas de jouer.
Tout étoit difpofé pour le Bal , mais comme
il étoit déja tard , la Princeffe fe retira
dans fon Appartement.
Le 23 , après avoir vû la Synagogue des
Juifs , L. A. fe rendirent à la Cathedrale,
où elles tinrent fur les Fonts un fils de
M. de Limon- Mornas , beaufrere du Marquis
de Lapalun , & une fille du Marquis
de Lopis , M. l'Evêque leur adminiftrà ce
Sacrement. Enfuite leurs Alteffes baiferent,
entre les mains de ce Prélat, le Saint
Clou , qu'on conferve dans cette Cathedrale.
Les Miracles que fait cette fainte Relique
en prouvent l'authenticité ,
1. Vol.
Do
JUIN 1730. 1249
De la Cathedrale , leurs Alteffes le rendirent
chez le Marquis de la Palun , qui
eut l'honneur de leur donner un magni
fique Diner.Peu de jours auparavant cette
Princeffe avoit donné le gouvernement de
la Ville & Principauté d'Orange à ce
Marquis , Capitaine de Cavalerie , qui a
déja celui de Bourbon l'Archambaud, cydevant
Capitaine des Gardes de S.A.S.M.
le Comte de Charolois.
Au fortir de Table , leurs Alteffes partirent
pour Marſeille , dans le deffein de
voir en paffant la fameufe Fontaine de
Vauclufe. Elles trouverent le fieur Cot
tiér à la tête de fa Troupe , en bon ordre ,
qui eut l'honneur de les accompagner
jufques à ce qu'il plût à la Princeffe de les
congédier, après les avoir remerciés avec
cette bonté qui lui eft fi naturelle , & dont
tout le monde a été charmé. En fortant
de la Ville , leurs Alteffes voulurent voir
le cours de l'Aqueduc des Fontaines . On
tira les Boëtes & on fit une Salve generale
comme à leur arrivée.
La Princeffe de Conti & le Prince de
Conti fon fils , ont été reçûs dans toutes
les Villes & lieux de leur paffage avec les
honneurs dûs au Princes du Sang.
Le Chevalier de Lopés de la Fare , à la
tête de l'Academie des Belles Lettres de
Marfeille , harangua L.A.S. en ces termes.
J. Vol.
I. A
1250 MERCURE DE FRANCE .
A MADAME
LA PRINCESSE , DE CONTE
MADDAAMME
Depuis le tems que V. A. S. s'ennuie fi
poliment à entendre des harangues , vous
n'avez point reçû d'hommages plus pardonnable
que celui de l'Academie de Marſeille.
Ellone vient point vous louer d'être du Sang
de fes Rois pas même d'avoir legrand Conde
pour ayeul , fources d'éloges pour qui n'en
mériteroit pas de perfonnels ; mais , MADAME
, vous lui apprenez vous - même à
mépriser ces prefens du hazard . Elle s'inter
dira donc jufqu'au plaifir de parler de cette
imagination vive & jufte , qui, en fe jouant,
corrige & fixe le goût de la France ; & nous
feindrons d'ignorer que les graces répandent
fur vos difcours tout le brillant & le majef
tueux que l'efprit feul ne peut donner; mais
des dons plus folides & des qualitez vraiment
refpectables nous forcent à admirer en
Vous des fentimens & des vertus dignes de
notre culte. Si les Mufes qui fe piquent ordinairement
d'indépendance & de verité, uſent
quelquefois de complaisance & de politique,
on fçait affez , MADAME, que les
L Vol. A • Mufes
JUIN 1730. 11231
Mufes de Provence Je diftinguent par leur
franchife.
A MONSEIGNEUR ,
LE PRINCE DE CONTI
MONSEIGNEUR ,
L'Academie de Marseille vient offrir fes
plus profonds refpects à V. A. S. & s'acte
quite de ce tribut avec autant dejoye qu'elle
en reffentira dans la fuite à chanter vos béroiques
vertus. L'hiftoire de vos Auguftes
Ayeux vous en fournira les plus grands modeles
, mais vous en trouverez les plus pref
fans & les plus sûrs principes dans vousmême.
C
LE BANDEAU
EPIGRAMME.
Elimene a Philis falt prefent d'un bandeau
Qui déridant le front lui donne un teint plus
beau ;
Elle en eft par Philis foudain recompenfée ,
Et reçoit une fleur qu'on appelle Pensée.
C'est préfent pour préfent ; mais le nom de la
fleur
Sur fon front agité fait monter la rougeur ;
JI. Vol.
Iij Quoi
1252 MERCURE DE FRANCE
Quoi , dit -elle , à mon tour elle veut que je
penfe
» Contre l'affront des ans à me mettre en deffenfe
!
» C'eſt m'infulter ; mais quoi , fuis-je dans mon
Printems ?
» Auffi bien que Philis n'ai-je pas cinquante ans ?
>> C'eft affront pour affront
; chút ! il vaut mieux
fe taire ,
Qu'étaler en Public fon Extrait Babtiftaire,
Ce Bandeau n'eft point une fiction ; il eft
bon d'en avertir les fronts rides ; on le trouve
rue S. Honoré , au Berceau d'or , chez M.
Dulac , Parfumeur du Roi.
Le 24. de ce mois , le Roi nomma Confeiller
d'Etat M. Herault, Lieutenant General
de Police.
MORTS NAISSANCE.
AmeMarieMadelaine FrançoifeVoifin,
Epoufe de M. Robert Deflandes ,
Chevalier , Seigneur de Crevecoeur , Confeiller
au Parlement de Normandie , mourut
à Paris le 22. Mai , âgée de 33. ans .
Le 27. mourut à Paris , âgée de
51. ans , Dame Elifabeth Françoife Huillier
, femme de Paul Benoit , Comte de
I. Vol. BraJUIN.
1730. 1253
Braque , Chevalier , Seigneur du Luat de
Boifrenaud & c. Intendant & Contrôleur
General des Ecuries & Livrées du Roi ;
fon corps fut porté le 29. en l'Eglife de
S. Roch fa Paroiffe , & delà tranfporté en
l'Eglife des P. P. de la Mercy, lieu de la
fepulture de la Maifon de Braque qui l'a
fondée & dotée dès l'année 1348. où
M de Braque avoient établis cinq Chapellenies
& un Hôpital à l'inftar de
' Hôtel- Dieu , avec trois Religieux & un
Gouverneur pour regir cet Hôpital defervi
par les Chapelains de Braque depuis
fon établiffement jufqu'en 1613. que la
Reine Marie de Medicis fit demander
cette Maiſon , Hôpital & Chapelle de
Braque à François de Braque , Chevalier,
Seigneur du Luat , pour y établir les
Religieux de l'Ordre de la Menci , Redemption
des Captifs. Ledit François de
Braque , quatriéme Ayeul du Comte de
Braque , confentit avec fes Enfans les
que
PP. de la Merci fuflent êtablis en la Chapelle
& Maifon de Braque , & ceda à la
Reine le droit de Patronage en ladite
Eglife il fe referva neanmoins & aux
fiens, les droits de fondateurs & de dotateurs
de ladite Egliſe & Maiſon de Braque
qui leur ont été confirmés par plufeurs
Arrêts du Parlement. 7
Jean de Nompere , Chevalier , Com-
;
I. Vol. I iij man1254
MERCURE DE FRANCE
mandeur de la Commanderie de S. Jac
ques Dulys , de l'Ordre Royal de M. D.
de Mont Carmel & de S. Lazare , mou
rut le 30. âgé de 76. ans.
Le 7 Juin , Alain -Emanuel de Coëtlogon
, Maréchal & Vive- Amiral de Fran-
Chevalier des Ordres du Roy , mourut
à Paris âgé de 83 ans , fix mois. Le
Roy l'avoit nommé Maréchal de France ,
le premier de ce mois .
La Maifon de Coëtlogon eft originaire
de Bretagne , & très-ancienne ; par les
Pieces produites à la verification des preuves
de M. le Maréchal de Coëtlogon ,
pour facreception dans l'Ordre du Saint-
Efprit , il paroît que la Terre de Coëtlogon
étoit poffedée en 1207 par Eudes
de Coëtlogon.
Le Pere Lobineau , page 396 des preuves
de fon Hiftoire de Bretagne , rapporte
tout au long une Tranfaction paffée en
1248 , fur le partage de la Seigneurie de
Porrhoet ; & dans cette Tranfaction Henry
de Coëtlogon , fils d'Eudes , eft qualifié ,
Monfeigneur.
Le Public nous fçaura gré , fans doute
de lui donner quelque détail , fur la vie &
-le caractere du Maréchal de Coëtlogon :
-toûjours attentifà celebrer le vray merite;
nous yfommes encore invitez par les Provifions
de Maréchal de France , de cetil-
1. Vol.
luftre
EST
TUIN. 1730 .
luftre Mort , que le hazard a fait tomber
entre nos mains ; on y apprend entr'au
tres chofes, que ce Maréchal s'étoit trou
vé à onze combats , & qu'après plufieurs
actions d'éclat , qu'il feroit trop long
de rapportet de la maniere qu'elles font
énoncées dans les Provifions . Son dernier
combat fut en 1703 , lorfque comman
dant cinq vaiffeaux du Roy , iill eenn prit
cinq de guerre Hollandois. A l'égard de
fon caractere , le Roy lui rend cet illuftre
témoignage ; que S. M. a réfolu de l'élever
à la dignité de Maréchal de France ,
pour reconnoître d'une maniere éclatante une
longuefuite defervices , & honorer en fa Perfonne
la vertu la plus pure & le plus parfait
defintereffement. Ce font les
termes des Provifions.
propres
Le 18 de ce mois , François Cornu de
Baliviere , Lieutenant General des armées
du Roy , Grand- Croix de l'Ordre Royal
& Militaire de S. Louis , Gouverneur de
Rocroy , & ci - devant Lieutenant des
Gardes du-Corps , mourut à Paris , âgé
d'environ 78 , ans.
- D. Marguerite - Therefe Fleuriau , veuve
de Meffire Louis de Laurency , Chevalier
, Marquis de Montbrun , Confeiller
du Roy en tous fes Confeils d'Etat & Pri-
Prefident à Mortier du Parlement de
Touloufe, mourut à Paris le 19 Juin dans
I. Vol I j
la
1256 MERCURE DE FRANCE
la foixante & troifiéme année de fon âge,
F. Honoré Marion , Religieux , Prêtre,
de l'Ordre de S. Jean de Jerufalem , de la
Langue de Provence , de la ville de Marſeil
les ,Prieur,Curé de l'Eglife de la Commanderie
de S.Jean de Latran à Paris, mourut le
21 Juin âgé d'environ 54 ans.. Il étoit fort
eftimé dans fon Ordre , & il eft regreté
de tous ceux qu'un Miniftere. de vingt
années avoit conduits & édifiez
Dominique Barberię de Saint- Conteſt
Confeiller d'Etat Ordinaire , mourut à
Paris le 22. dans la 62. année de fon âge,
Il avoit été Ambaffadeur Extraordinaire
& Plenipotentiaire du Roi au Congrès de
Bade & de Cambray.
D. Marie Henriette Bourgoin , épouſe
de M. Anne- Louis Pinon , Chevalier ,
Vicomte de Quincy , &c. Confeiller au
Parlement , accoucha le 4. Juin , d'une
fille qui fut tenuë fur les fonts , & nommée
Marie- Agnès , par M. André- François
de Paul le Febvre d'Ormefon , Cons
feiller au Parlement , Chevalier Seigneur
Deftournelles ; & par Dame Marie-
Agnès Soullet , époufe de M. Jean
le Boulanger , Maître des Comptes.
D. Geneviève de Vandeuil , épouſe
d'Antoine-François de Lanquedouë de
Vandeuil , Seigneur de Paffay , Capitai-
I. Vol. ne
JUIN. 1730. 1257
ne de Cavalerie , accoucha le 15 Juin ,
d'une fille qui fut tenuë fur les fonts , &
nommée Anne-Loüife par François - Anne
de Vandeuil , Seigneur de Montgiron ,
&c. Ecuyer du Roy ; & par D. Louiſe
Charlotte le Fevre , veuve d'Aléxandro
Martinot , Maistre des Comptes.
On s'eft trompé en annonçant dans le
dernier Mercure , la mort de Pierre le
Clerc , Chevalier Seigneur des Hayes ,
Jumelles- le-Frefne , au Verfe- Guedenyau;
Confeiller au Parlement. Ce n'eſt point
lui qui eft mort , mais Dame Marie-Madeleine
Bachelier , fon époufe , fille de
M. Bachelier , Prefident des Tréforiers de
France , laquelle eft decedée le 11 May
dernier , âgée de 32. ans,
ARRESTS, DECLARATIONS ,
ORDONNANCES, & c.
Dati
ECLARATION du Roi , pour la reddition
des comptes duCinquantiéme.Donnée
Verfailles le 14. Mars 1730. Regiſtrée en la
Chambre des Comptes le 31. dudit mois.
Mars ,
ORDONNANCE du Roi du 25 .
concernant les Fugitifs & Deferteurs de la Milice,
qui voudront profiter du pardon accordé par
POrdonnance d'Amniftie du 17. Janvier 1730.
do Vol Iv ART258
MERGUREIDE FRANCE
ARREST du 28. Mars rendu fur le rap
port du nouveau Contrôleur Genéral des Finan
ces concernant la liquidation des dettes des
Communautés des Arts & Métiers de la Ville &
Fauxbougs de Paris.
AUTRE du même jour , concernant les
Droits attribués aux Offices d'Enquefteurs , Come
miffaires-Examinateurs , fur le montant de toures
les Adjudications par decret.
ORDONNANCE du Roi du même jour,
portant révocation de la permiffion ci -devant
accordée aux Compagnies d'Infanterie Françoife
d'y recevoir des Eftrangers.
ARREST de la Cour des Monnoyes du
19. Mars , portant Reglement pour l'Orfevrerie
& qui deffend à François Rigal , Maître Orfevre,
& à tous autres Maîtres & Ouvriers employant
des matieres d'Or & d'Argent de demeurer dans
des lieux privilegiés ; & pour la contravention
commife par ledit Rigal , le condamne en cin
quante livres d'amende , & confifque les Ouvrages
d'Orfevrerie fur lui faifis,
·
AUTRE de la Cour des Monnoyes du 30.
Mars , portant Reglement pour l'Orfevreie , &
qui déclare Pierre Landel , Maître Orfevre , déchû
de fa Maîtrife pour avoir recidivé à protéger des
Compagnons & Gens fans qualité ; confifque les
Ouvrages faifis , & condamne lefdits protegés en
des amendes envers le Roi.
ORDONNANCE du Roi du même jour,
pour mettre les Efcadrons des Regimens de la
Cavalerie Legere à cent foixante Maîtres.
I. Vol.
AR
JUIN. 1730. 1259
ARREST du 4. Avril , portant Reglement
pour la marque des Toiles communes & groffes
qui fe fabriquent dans les Provinces de la Flandré
Françoife , Hainaut , Cambrefis & Artois , &
affurer les Droits d'Entrée fur les Toiles de
même qualité , & qui feroient d'autres fabriques
que de celles defdites Provinces.
pour
ORDONNANCE DE POLICE du 19. Avril,
qui condamne plufieurs Particulieres trouvées
vêtues de Toiles Peintes en 200. liv. d'amende ,
AUTRE du 21. dudit , qui renouvelle les def
fenfes de vendre & acheter des Grains & Farines
ailleurs que dans les Marchez , & qui condamne
à l'amende le nommé Chevalier le jeune , & fa
femme , pour y avoir contrevenu,
AUTRE du même jour , qui condamne à l'amende
les nommez veuve Durand , Lavergne &
Ja Riviere , pour avoir contrevenu aux Reglemens
qui deffendent de loger aucuns Domestiques &
Ouvriers , s'ils ne font porteurs de Certificats de
leurs Maîtres.
AUTRE du 16. May , portant Reglement fur
ce qui doit être obfervé par les Etudians en Medecine
& Garçons Chirurgiens , lors de la vifite
des Malades dans l'Hopital des Religieux de la
Charité.
::
EDIT DU ROY , concernant l'Ordre de faint
Louis . Donné à Fontainebleau au mois de May
1730. Regiftré en la Chambre des Comptes le s
Juin fuivant , par lequel il eft dit ce qui fuit.
ARTICLE PREMIER.
Révoquons tous Edits , Déclarations & Arrêts
*I. Vol.
*por1260
MERCURE DE FRANCE
portant don à perpetuité ou autrement , en faveur
de quelque perfonne ou Ordre que ce puiffe être ,
tant des portions non comprifes dans les Baux
de nos Fermes, des cafuels de nos Domaines , confiftant
aux Droits de lads & vente , treiziémes
quines & requines , rachats , fous- rachats , aubaines,
bâtardifes, desherences, confifcations , épaves,
& autres Droits Seigneuriaux & cafuels de pareille
nature , que des jouiffances de differens Domaines
& Droits alienez à vie , dans lesquels nous
devons rentrer après le déceds des Engagiftes : Voulons
que tous lefdits Droits foient & demeurent
réunis au Domaine de notre Couronne , ainfi &
de la même maniere qu'ils l'étoient avant lefdits
Dons , qui demeureront nuls & de nul effet au
moyen des prefentes.
II. Les Receveurs generaux de nos Domaines
feront la recette des portions defdits Droits cafuels
réunis par ces prefentes , en même temps qu'ils
recevront les autres parts & portions qui font
compriſes dans les Baux de nos Domaines , pour
en compter à ceux en faveur de ceux de qui nous
રે
en difpoferons , foit par Bail ou autrement ; &
fans
que lefdits Receveurs , leurs Contrôleurs ou
autres nos Officiers puiffent prétendre aucun droit
ni remife fur la portion defdits cafuels réunis
comme ils n'en jouiffent point actuellement ,
rogeant à cet effet , en tant que befoin feroit ,
tous les Edits & Déclarations qui pourroient y
être contraires.
fans
de
III. Et attendu que les revenus dont joüit
P'Ordre Militaire de S. Louis , ne font pas fuffipour
payer les Penfions que nous accordons
ceux des Chevaliers dudit Ordre qui les ont méritées,
nous lui avons donné & accordé, donnons
& accordons en augmentation de dot & de fon¬
dation , la fomme de foixante-dix mille livres de
Z. Vel. rente
JUIN 1730. 1261
rente annuelle , que nous voulons être employée
dans les états des Charges affignées fur nos Domaines
de la Generalité de Paris , & payée chaque
année , à commencer du premier Janvier de la
prefente année 1730. au Tréforièr dudit Ordre
de S. Louis en exercice , fur fa fimple quittance ,
& fans aucune déduction fous quelque prétexte
que ce foit.
ORDONNANCE DU ROY du 22. May, pour
regler le fervice & les fonctions des Majors des
Regimens d'Infanterie , par laquelle S. M. ordonne
que les Majors des Regimens d'Infanterie
foient deformais feuls chargez du détail des deniers
& des Maffes , & qu'ils en répondent : Leur
permet neanmoins de fe fervir d'un Ayde- Major
dont ils feront garants . Enjoint S. M. aufdits
Majors , de donner tous les mois un bordereau
figné d'eux à chaque Capitaine , du compte de fa
Compagnie, lequel compte fera figné par chaque
Capitaine fur les Livres du Major . Entend au furplus
S. M. que les Majors fe donnent entierement
aux fonctions de leurs Charges , & qu'ils ne
puiffent s'en abfenter , pas même par Semeftre
fe réfervant de leur donner des congez , lorfqu'ils
en demanderont pour des raifons indifpenfables :
Ordonne S. M. que ceux defdits Majors qui
ne voudront pas fe charger des deniers , quitteront
leur emploi pour prendre des Compagnies.
REGLEMENT pour l'établiffement d'un Confeil
Royal de Commerce , par lequel le Roy ordonne
ce qui fuit.
Ledit Confeil fera appellé le Confeil Royal de
Commerce , & fera compofé de M. le Duc d'Or
leans , de M.le Cardina de Fleury , de M.le Chancelier
, de M. le Garde des Sceaux , de M. le Ma-
I. Vol. récha
1262 MERCURE DE FRANCE
C
réchal de Villars , du Secretaire d'Etat de la Mas
rine , du fieur d'Angervilliers , du Contrôleur ge
neral des Finances & du fieur Fagon Prefidenɛ
du Bureau du Commerce.
** Ce Confeil fe tiendra tous les quinze jours
ou plus fouvent, fi Sa Majefté le juge à propos.
M. le Garde des Sceaux , Secretaire d'Etat des
affaires étrangeres , le Secretaire d'Etat de la Ma
rine & le Contrôleur general des Finances y fe
ront leur rapport chacun des matieres principa
les qui concernent leurs départemens.
Tous les Arrefts & autres Expeditions du Con
feil Royal de Commerce feront fignez par M. le
Chancelier , & par M. le Garde des Sceaux , &
par le Secretaire d'Etat & le Contrôleur general
des Finances , relativement à leurs départemens.
Les principales & plus importantes matieres
du Commerce feront reglées dans ce Confeil
Royal , afin qu'elles y reçoivent une déciſion &
une forme capables de rendre cet établiſſement
utile à tous les Marchands & Négocians ; & les
-Reglemens concernant les Manufactures y feront
confirmez & arrêtez.
Sa Majefté veut & entend qu'à toutes les féances
de ce Confeil Royal il foit toujours fait rapport
de quelqu'une des differentes branches du
commerce , tant interieur , qu'exterieur & mari-
-time , qui demandent fon attention & fa protection
; enfemble de l'état prefent de quelque Manufacture
, afin d'examiner les moyens les plus
propres pour en perfectionner l'établiffement &
les travaux , & en affûrer le débit.
Sa Majefté fe referve de changer, augmenter ou
diminuer au prefent Reglement , felon qu'Elle lé
jugera à propos. Fait à Fontainebleau le 23 May
-1730. Signé LOUIS.Et plus bas PHELYPEAUX .
1. Vol.
Le
Le Second Volume de ce mois eft actuellement
fous la preffe & paroîtra inceffamment.
TABLE.
Ieces Fugitives . Polymnie , Ode ,
Pieces
· 1059
Memoire fur les Antiquitez d'Angleterre, 1063
L'Amour de la Patrie , Ode , 1074
Réponse fur l'Accompagnement du Clavecin, 1079
Ode fur la Fête des Ambaffadeurs d'Espagne, 1086
Lettre fur une Infcription antique ,
Le Rhume à la mode , Poëme
1096
1 100
Obfervation fur la Lettre de M. Petit , Medecin ,
1103
Imitation d'une Piece en Vers Latins de M. de lá
1109 Monnoye ,
Lettre fur l'abus des Remedes chauds , 111
Les Fleches de l'Amour perdues & recouvrées ,
* 1119
Procès Ecclefiaftiques à juger entre les Normans
& les Bourguignons , 1122
A Madame de B*** Remerciement en Vers, 1 133
Remarques fur la Médaille de François Duc de
Valois , &c.
Stances
1134
I 147
1149
Rétabliffement de la Ville de Sainte Menehould ,
&c.
Enigmes & Logogryphes , &c. 1154
Nouvelles Litteraires , des beaux Arts , &c. 1156
La Vie de Pierre Mignard , premier Peintre ,
&c.
1.159
Les Monumens de la Monarchie Françoife , &c.
1172
Extraits des Memoires lûs à l'Académie des Scien-
1. Vel
ces par M™ de Juffieu & Geauffroy le cader ¿
1174
Thefe de M.Falconet, fur l'Extraction de la Pier
re ,
1176
Dueftion , fi la gloire des Orateurs , &c. 1176
Tableau fait pour le Roi, Chaffe du Cerf, &c. Ibid
Nouvelles Eftampes ,
Chanfon notée ,
Spectacles , Opera d'Alcione ,
1184
1187
1188
Nouvelles Etrangeres. , de Perfe , Turquie & Affrique
1201
Réjouiffances au fujet de la Naiffance du Dau
phin , à Smirne , Chipres , Seyde , Rame &
S. Jean d'Acre , &c.
1
1202
1226
De Ruffie , Suede , Allemagne & Italie , 1220
Eſpagne , &c.
France , Nouvelle de la Cour , de Paris , &C.1227
Difcours des Doyen & Syndic de Sorbonne au
Roy , à la Reine , au Cardinal de Fleury , au
Chancelier de France, auGarde des Sceaux, 1229
Vers à la Ducheffe de Vantadour , 1237
Affemblée du Clergé , &c. & Difcours au Roy ,
à la Reine , &c.
Reception du Prince & de la Princeffe de Conty
à Carpentras , &c. & Difcours de l'Académie
de Marſeille , &c.
Le Bandeau , Epigramme.
Morts , Naiffances , &c.
1238
1242
1251
3252 1
Arrêts , Déclarations , Ordonnances , & c. 1257
Errata de May.
Page 1648. ligne derniere. 3000 , lifex , 300
P
Fautes à corriger dans ce Livre.
Age 1147. ligne 16. Aurole ,lifez , Aurore.
P. 1170. 1. 11. Juffieu , l. toute la.
Air noté doit regarder la page 1187
.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROT.
"
JUIN.
1730.
SECOND VOLUME.
QUE
COLLIG
SPARGIT
Chez
A PARIS ,
(GUILLAUME CAVELIER , ruë
S. Jacques , au Lys d'Or.
LA VEUVE PISSÓT, Quay de Conty,
à la defcente du Pont Neuf , au coin
de la ruë de Nevers , à la Croix d'Or.
JEAN DE NULLY , au Palais ,
à l'Ecu de France & à la Palme .
M. D C C. X X X.
Avec Approbation & Privilege du Roy .
XXX:XXXXXX X:XXXXX
L
A VIS.
'ADRESSE generale eft à
Monfieur MOREAU , Commis au
Mercure vis - à - vis la Comedie Frangoife
, à Paris. Ceux qui pour leur com
modité voudront remettre leurs Paquets cachetez
aux Libraires qui vendent le Mercure,
à Paris , peuventfe fervir de cette voye
pour les faire tenir.
On prie très-inftamment , quand on adreſſe
des Lettres ou Paquets par la Pofte , d'avoir
foin d'en affranchir le Port , comme cela s'eft
toujours pratiqué , afin d'épargner , à nous
le déplaifir de les rebuter, & à ceux qui
les envoyent , celui , non -feulement de ne
pas voir paroître leurs Ouvrages , mais
même de les perdre , s'ils n'en ont pas gardé
de copie.
Les Libraires des Provinces & des Pays
Etrangers , ou les Particuliers qui fouhaiteront
avoir le Mercure de France de la premiere
main , & plus promptement , n'auront
qu'à donner leurs adreffes à M. Moreau ,
qui aura foin de faire leurs Paquets fans
& de les faire porter temps fur
Perte de
Pheure à la Pofte , ou aux Meffageries qu'on
lui indiquera.
PRIX XXX. SOLS,
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROT.
JUIN. 1730 .
XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX
PIECES FUGITIVES ,
en Vers & en Profe.
LA BEAUTE
O DE.
Uel fpectacle s'offre à ma vie ?
Quel objet vient flatter mes fens !
Mon ame paroît toute émuë ;
D'où naît le trouble que je fens ?
Mon efprit étonné s'égare ;
Un charme inconnu s'en empare ,
Confus , inquiet , agité ,
II. Vol.
A ij Quelle
1264 MERCURE DE FRANCE
Quelle Divinité puiſſante
Me frappe , me ravit , m'enchante ?
Eft-ce toi , charmante Beauté ? ´
Mais qui pourroit te méconnoître.
Qui peut fe méprendre à ces traits ?
Déeffe , tu n'as qu'à paroître ,
Tout cede à tes divins attraits ;
Oui , l'Univers te rend hommage ;
On admire en toi i'affemblage
Des plus rares préfens des Dieux ,
Tout eft fous leur obéiffance ;
Mais tout l'éclat de leur puiffance
Cede à celui de deux beaux yeux,
Autrefois épris de tes charmes
On vit ces Maîtres des mortels
Te rendant à l'envi les armes
Venir encenſer tes Autels.-

En Satyre pour Antiope , *
En Taureau pour la belle Europe
On vit Jupiter fe changer ;
Bacchus d'un Raifin prend la forme ,
Neptune en Dauphin fe transforme
,
Le beau Phoebus devient Berger.
* Métamorphofe
d'Ovide . Liv. 7.
Mais II. Vol
JUIN. 1730 .
1265
Mais c'eft pea , du plus infenfible
Tu peux diffiper la froideur ;
De l'ennemi le plus terrible
Tu fçais défarmer la fureur ;
En calme tu changes l'orage ;
·Tu domptes le plus fier courage ;
Tu changes la haine en amour ;
Tu furmontes tous les obftacles;
Et pour enfanter des miracles ,
Tu n'as qu'à te montrer au jour.
L'Amour , ce fier Tyran qui brave
Le pouvoir des Dieux & des Rois ,
Devient lui-même ton Eſclave ;
Pfiché l'a foumis à tes Loix; '
Si tu ne lui prêtois des charmes
Ses traits feroient de vaines armes
Ils ne pourroient rien enflamer
Il faut du moins ton apparence
Pour faire pancher la balance
Vers l'objet dont il veut charmer.
De même qu'une fleur nouvelle
Qu'un Printems voit naître & mourir ,
On apperçoit dans la plus belle
Ton brillant éclat ſe flétrir .
Le tems qui n'épargne perfonne
II. Vol. A iij De
1266 MERCURE DE FRANCE
De fa cruelle faux moiffonne
Sans égard , tes Roſes , tes Lys ;
Mais fon inexorable rage
En penfant te faire un outrage
De tes dons augmente le prix.
Les Ris , les Graces , la Jeuneffe
Accompagnent par tout tes pas ;
Les plaifirs te fuivent ſans ceffe ,
Il n'en eft point où tu n'es pas ;
De fes Héros , Déeffe aimable ,
Tout l'Univers t'eft redevable ,
Il te doit leurs faits glorieux ;
Hercule eut Jupiter pour pere ;
Mais fans les attraits de fa mere
Auroit- il merité les Cieux ?
Grands Dieux ! quels cris fe font entendre !
Qu'apperçois -je de toutes parts !
Une Ville réduite en cendre
Vient de s'offrir à mes regards ;
Je frémis ! qui le pourroit croire
Décffe , on l'immole à ta gloire ,
C'est pour poffeder tes appas :
Oui l'on voit la fuperbe Troye
A la fureur des Grecs en proye
Pour l'Epoufe de Menelas.
I I. Vol.
Mais
JUIN. 1730. 1267
Mais infenfe , qu'ofai - je faire ?
Quel vain eſpoir peut me flater ?
Beauté , quelle ardeur temeraire
M'engage à vouloir te chanter ?
Ta vûë en dit plus que ma Lyre ,
Et malgré le feu qui m'infpire
Je peins mal tes divins attraits.
Heureux , pour prix d'un foible hommage ,
Si tu daignois fur mòn Ouvrage
Répandre quelqu'un de tes traits.
ParM. Richa rd de Ruffey , de Dijon.
REPONSE de l'Auteur de Marſeille
Sçavante &c. à la Lettre qui lui a été
écrite de Provence le premier Fevrier
1729.
Jde vos
E fais , Monfieur , tout le cas poffible
de vos Reflexions fur la Lettre qui eft
imprimée dans le Mercure de Françe
intitulée Marseille Sçavante &c. J'aurois
pû , il eft vrai , donner plus d'étenduë
aux differens articles qui la compofent,
& augmenter même le nombre de ces articles
, fur-tout à l'égard des Sçavans modernes
; mais un Livre entier auroit à
peine fuffi pour executer un Plan plus
vafte , & j'ai entrepris d'écrire feulement
II. Vol.
Aiiij une
1268 MERCURE DE FRANCE
une Lettre , dans la vûë que j'ai eu ſoin
d'expofer au commencement de la même
Lettre. Je me fuis cependant refervé ,
comme vous fçavez , la liberté de reparer
par un Supplément les omiffions effentielles
que je puis avoir faites , faute d'avoir
connu quelques Marfeillois Sçavans,
ou leurs Ouvrages , & de corriger les
fautes qui me feront échapées.
Mais avant que d'en venir là
me permettrez , Monfieur , de pourfuivre
mon deffein , & de mettre à la fuite des.
Auteurs Marfeillois les noms & les Ouvrages
de ceux de nos Compatriotes qui
ont cultivé les beaux Arts , fur- tout les
Arts utiles & qui y ont excellé. C'eſt ,
comme je l'ai déja dit , ce qui doit faire
la feconde Partie de Marseille Sçavante.
Vous
Cependant j'ai fait attention à ce que
vous m'écrivez , qu'il y a plufieurs Marfeillois
qui fans avoir été ni fçavans , ni
habiles dans les Arts fe font fait une grande
réputation par d'autres voyes ; fur
quoi vous me citez plufieurs perfonnages
illuftres qui font , dites vous , trèsdignes
d'exercer la plume d'un homme
de Lettres. Je conviens avec vous , Monfieur
, de cette verité ; mais je ne conviens
pas que cela puiffe regarder , fi ce n'eft
indirectement , mon premier deffein , &
le motif que j'ai eu en écrivant ce que
II. Vel.. VOUS
JUIN. 1730. 1269
vous avez vû dans le Mercure.Pour donner
cependant quelque chofe à vos idées qui
font toujours juftes , fans m'engager autrement
dans l'entrepriſe que vous m'indiquez
, j'ai choifi entre les fujets que vous
nommez, celui qu'il me convient le plus de
traiter , & dont j'ai le plus de connoiffance.
J'ai fait là - deffus un effai que je vous
adreffe avec ma Réponse ; je fouhaite que
vous en foyez content , & de trouver
fouvent les occafions de vous marquer à
quel point je fuis , Monfieur &c .
ELOG E de M. Baron , Conful de France
en Syrie , puis Direcleur General du
Commerce aux Indes Orientales , adreſſe
à M. de
R
....
Endre à la mémoire des hommes
vertueux ce qui lui eft dû , propo--
fer leur exemple à la Pofterité , en donnant
un abregé de leur vie , c'eft , Monfieur
, une action de Juftice , un hommage
rendu au vrai mérite , & un foin qui
tourne à l'utilité publique . Ainfi , quʊique
M. Baron foit mort depuis plufieurs
années , & qu'après le decès de M. J. Bap
tifte Baron fon neveu , Chevalier de l'Or
dre de S. Jean de Jerufalem , Comman--
deur d'Efpagnac , arrivé le 20. Novembre
il ne reste plus perfonne en France
1724.
II. Vol.
A y de
1270 MERCURE DE FRANCE
de cette vertueufe famille , je ne fais point
difficulté d'entreprendre de vous marquer
ici les principales circonftances de fa vie..
François Baron nâquit à Marſeille le 4 ..
Novembre 16 20. d'une ancienne famille
de la même Ville qui étoit originaire de
Cofme dans le Duché de Milan . Après
avoir fait fes Etudes & fes Exercices , il
entra dans le monde , & fe fit confiderer
par fes manieres polies & par le carac
tere d'une exacte probité.
Quelque tems après , il forma le deffein
de voyager ; après avoir vû une partie de
l'Italie , & féjourné particulierement à la
Cour de Turin , il paffa en Egypte ; c'étoit
dans le tems de la rupture des Turcs avec
la République de Venife , & durant le
Siege de Candie. Cependant il y avoit
encore au Caire un Conful & plufieurs
Marchands Venitiens , aufquels le Pacha
de cette Ville fit plus qu'une avanie Turque
car après leur avoir fuppofé des intelligences
criminelles avec les Affiegés
de Candie , il les fit mettre aux fers , &
enfuite d'une courte procedure , il les
condamna tous à la mort , ce qui empor-.
toit la confifcation de leurs effets dont il
s'empara d'abord.
Dans cette extremité , les Venitiens eurent
recours à M. Baron qu'ils fçavoient
être fort confideré du Pacha . Il s'employa
II. Vol. effiJUIN.
1730. 1271'
efficacement pour eux , & il obtint enfin
leur délivrance , moyennant une fomme
dont on convint en argent comptant . Les
Venitiens n'en pouvoient pas trouver à
caufe de la faifie de leurs effets , & ils
reftoient toûjours dans les fers , lorfque
M. Baron , par un excès de cette generofité
qui lui a toûjours été naturelle , prêta
lui- même la fomme en queftion , qui étoit
d'environ cinq mille Piaftres , dont il emprunta
une bonne partie de divers Marchands
, au moyen de quoi les Venitiens
furent tous élargis , & déchargés de l'accufation
.
Il eſt preſque inutile d'ajoûter que pour
la fûreté des deniers prêtés , le Sieur
Marco Zen , Conful de Veniſe au Caire ,
paffa en cette qualité , & au nom de fa
Nation le 3. May 1657. une obligation
en bonne forme en faveur de M. Baron
de la fomme prêtée , payable dans une
année , avec ftipulation d'interêts faute
de rembourſement paffé ledit terme
; l'Obligation fut enregistrée en la
Chancellerie du Confulat de France le 10 .
Novembre 1657. fuivant l'Expedition
autentique qui eft dans mes Mémoires .
Mais ce que la Pofterité aura de la peine
à croire , & ce qui eft cependant bien
certain , c'eft qu'un fervice fi fignalé fut
payé d'une ingratitude qui dure encore,
II. Vol. A vj
car
1272 MERCURE DE FRANCE
car jamais M. Baron ni fes heritiers n'ont
pû être payés de cette Obligation .
le
Il prêta auffi de les deniers, deux années :
après ,deux mille fix cent Piaftres pour une
moindre avanie faite aux * Harbis
par
même Pacha , dont il ne put être remboursé
avant fon départ d'Egypte , ce
qui eft encore tourné en pure perte. Peu
de tems après , & dans la même année
1659. M. Baron fut député à la Cour par
M. de Bermond Conful , & par le Corps
de la Nation Françoife établie au Caire ,
pour des affaires importantes , concernant
le commerce de cette Echelle ; ce qu'il
accepta au préjudice de fes propres affai--
res & du recouvrement de fes deniers.
Nos Marchands d'Egypte eurent toutlieu
de fe louer de cette députation , après
laquelle M. Baron revint à Marſeille , où
il fe lia d'une étroite amitié avec Gafpar
de Glandevez , Seigneur de Niozelles ;
ce Gentilhomme des plus qualifiés de la
Province , fut accufé d'être le principal
Auteur des troubles qui agitoient alors
la Ville de Marfeille , & le Roi étant venu
en Provence pour y remedier , fon Procès
Harbis , nom Arabe , qui fignifie , en un cer--
tainfens , Etranger , par lequel on entend tous
les:Marchands Européens qui réfident en Egyp
te, & qui n'y ont aucun Conful de leur Na-
11. Vol. lui
JUIN. 1730. 1273

fui fut fait avec la derniere rigueur , en--
forte qu'après la condamnation & fa retraite
tous les amis fe trouverent embaraffés
. M. Baron, quoique perfuadé de l'in--
nocence de M. de Niozelles , & encore
plus de la fienne , crut fe devoir quelque
précaution , & quitta cette Ville pour
un tems .
Cependant tout le monde lui rendit juk
tice , & en l'année 1661. le Roi informé
de fon mérite & de fa capacité lui fit
l'honneur de le nommer au Confulat d'Alep
, l'un des plus importans de tout le
Levant, & qui comprenoit alors , outre la
plus grande partie de la Syrie , la Caramanie
& les Echelles de Tripoly & de Chipre
, dont les Vice-Confuls lui étoient
fubordonnés. Le Conful d'Alep étoit auffi
Conful , avec l'agrément du Roi , des
Hollandois établis en cette Echelle . Le
Commerce des François à Alep avoit be--
foin d'un Conful de ce caractere ; il étoit
prefque ruiné par les abus qui s'y étoient
introduits & par l'avidité des Gouver
neurs, qui, contre la difpofition des Traités
, exigeoient des droits injuftes , opprimoient
, au lieu de proteger les Mar--
chands .
M. Picquet , qui depuis a été Evêque
de Babilone , étoit alors Conful dAlep ,
& devoit ceder fa place à M. Baron .
II. Vol. Après
#274 MERCURE DE FRANCE
Après avoir conferé enſemble fur l'Etat
du Commerce & fur les moyens de le rétablir
, on n'en trouva pas de plus affuré
que celui de prier le nouveau Conful de
faire avant toutes chofes , fous le bon plaifir
du Roi , un voyage à Conftantinople,
pour obtenir du Grand - Seigneur les commandemens
& les ordres neceffaires pour
ce rétabliffement.
M. Baron toûjours prêt à faire le bien
au préjudice même de fes interêts , entreprit
ce long voyage à fes dépens . Il confera
utilement avec M. de la Haye , Ambaffadeur
de France , de qui il fe fit confiderer
, & négocia fi heureuſement avec
le fameux Vizir Cupruli , qui ne put lui
-refufer fon eftime , qu'il obtint tout ce
qu'il demanda. Il revint à Alep , chargé
d'un Catacherif ou Commandement Imperial
qui fit bientôt changer de face au
Commerce de Syrie , qui fert encore de
regle , & qui met un frein à l'avarice infatiable
des Gouverneurs. L'un des Arti--
cles les plus importans , étoit la fupreffion
des interêts anciens des dettes de la Na--
-tion Françoise de Seyde , qui montoient™
à plus de dix huit mille Piaftres par an ,
& qui furent éteint pour toûjours.
Une année s'étoit à peine écoulée , que
M. Colbert , parvenu au Miniftere après
la mort du Cardinal Mazarin , & ayant
II. Vol
de
JUIN. 1730. 1275

de grandes vûës pour l'augmentation du
Commerce du Levant , fut bien aife de
confulter M. Baron fur ce fujet ; il lui
envoya pour cela , fur la fin de l'année
1662. un ordre du Roi conçû en ces termes.
» Cher & bien amé. Defirant être in-
» formé par votre bouche de l'Etat dus
» Commerce qui s'exerce par nos Sujets
» en l'étendue de votre Confulat , pour
» y pourvoir felon les befoins & l'amélio-
» rer par les voyes qui feront jugées les
»plus convenables nous vous faifons
>> cette Lettre pour vous dire qu'auffi tôt
» que vous l'aurez reçûë vous ayez à vous
» rendre auprès de nous , après toutefois
» avoir établi le Sieur Pierre Baron votre
» frere pour exercer votre Charge pen--
>> dant votre abfence , & mis fi bon ordre
» aux affaires dudit Confulat qu'elle ne
» leur puiffe être d'aucun préjudice ; &
» comme il ne feroit pas jufte que vous
faifant venir pour l'interêt general du
» Commerce , les frais de votre voyage
tombaffent fur vous , nous entendons
» que toute la Nation les fupporte , puifnous
ne vous le faifons entreprenque
» dre que pour le bien & l'avantage de
fon négoce ; n'y faites donc faute. Car
tel eft notre plaifir , Donné à Paris le
2-13 . d'Octobre 1662. figné Louis &c. &
30
>>
"
II Vol.
av
1276 MERCURE DE FRANCE
>
» au dos eft écrit : A notre cher & bien
» amé , le Sieur Baron , Conful de la Nation
Françoife à Alep.
Mes Mémoires ne portent aucune cirtance
particuliere fur l'execution de
cet ordre du Roi ; mais ils marquent indirectement
que; Sa Majefté en fut fatisfaite
, & que le Miniftre fut confirmé dans
l'opinion avantageufe qu'il avoit déja de
M. Baron , lequel exerça pendant neuf
années confécutives le Confulat d'Alep ,
avec beaucoup de dignité & d'utilité pour
le Commerce de la Nation ; ce Commerce
fut fi floriffant que les Droits de Confulat
pour ces neuf années fe monterent à la
fomme de quatre vingt dix mille Piaftres.
Comme il avoit un grand fond de Religion
& de pieté , il ſe déclara d'abord le
protecteur & le pere de tous les Miffionnaires
de l'Orient , qui trouverent nonfeulement
un azile dans fa maiſon , mais
fouvent des reffources folides dans les
conjonctures fâcheufes qui n'arrivent que
trop fouvent dans le Pays des Infideles .
Il avoit la même attention pour les Prélats
, les Ecclefiaftiques & tous les Chré--
tiens du Pays qui n'étoient point féparés
de l'Eglife Romaine par le Schifme ou par
des erreurs . condamnées ; & il n'oublioit
rien pour attirer ceux qui avoient le
malheur d'être nés dans cette féparation.
- II. Vol.
Sa
JUIN. 1730. 1277
>
Sa charité fans bornes & fans diftinction
des Sujets n'étoit jamais épuifée , quoique
fes facultés le fuffent quelquefois en donnant
comme il faifoit de toutes mains
;
alors , en attendant d'autres reffources, il
donnoit jufqu'à fes meubles & fes propres
habits. Le P. Jofeph Beffon , Miffionnaire
de la Compagnie de Jefus en Syrie , étant
allé un jour lui repréfenter le danger évident
où fe trouvoit une jeune fille Maronite
auffi belle qquuee ppaauuvvrree ,, recherchée
par un Turc de confideration , faute de
quelque argent pour la mettre en fûreté
en l'envoyant chez fes parens du Mont
Liban ; le pieux Conful ſe trouvant alors
dépourvû d'argent , dépouilla fa Robe
Confulaire , qui étoit d'une belle écarlate,
doublée d'une fourrure de prix , & la
donna au Miffionnaire , qui touché d'une
telle action la déclara hautement , & fit
enforte avec un neveu de M. Baron que
l'argent en queftion fur trouvé ſur le cré-
' dit du Conful , & la fille Maronite fauvée.
Je me contente de ce trait entre plufieurs
autres qui font venus à ma connoiffance ,
& dont on parle encore dans là Ville d'Alep.
Je tiens celui ci de M. Feau que j'ai
vû deux fois dans l'Ile de Chypre , où il
eft mort Conful , lequel étoit fils d'une
foeur de M. Baron , & ne l'avoit prefque
jamais quitté durant fon Confulat d'Alep.
IL Vol.. C'eft:
7278 MERCURE DE FRANCE
>
C'eſt de ce même M. Feau que je tiens le
beau Portrait de notre illuftre Conful
que vous avez vû dans mon Cabinet , &
qu'il me remit à Chypre en l'année 1688 .
Il fut peint à Alep par un habile Flamand
que M. Baron avoit logé chez lui par eftime
& par courtoisie.
A l'égard de ce que j'ai dit , Monfieur,
de fon attention à proteger la Religion ,
& à bien traiter les Prélats & tous les
Ouvriers Evangeliques , je le trouve
confirmé par des Actes de la Congrégation
de la Propagande qui honorent fa
mémoire , & ces Actes font eux mêmes.
confirmés par un Bref du Pape Clement
IX. écrit au Roi en faveur de M. Baron;
vous ferez , fans doute , bien aife de le
trouver ici.
CHARISSIMO IN CHRISTO FILIO
NOSTRO ,
LUDOVICO , FRANCORUM REGI
CHRISTIANISSIMO.
CLEMENS PAPA IX.
CHARISSIME IN CHRISTO FILI NOSTER :
SALUTEM : Inclita pietati ac benefi
centia Majeftatis tuæ , non minus quàmgloria
per gratas accidere palam eft occafiones
omnes , fefe longè latèque per univerfum or-
II. Vol bem
JUIN. 1730. 1279
bem extendendi ; ubi præfertim non folum de
privatis hominum utilitatibus augendis , verum
etiam de publici boni , & vel maximè
fidei Chriftiane rationibus juvandis, ac provehendis
agatur. Quapropter accuratè, acfidenter
ei commendamus Francifcum Baronium
, eo die Nationis Francorum in Civitate
Aleppi Confulem , qui profecto , ut omni
fide digni viri, ac potiffimum Apoftolici Miffionarii
teftantur , quaftudio , folertia , Confiliis
, quà propriis etiam impenfis , cunctis
in Afia fanita Religionis vel confervanda ,
vel propaganda rebus per plures jam annos
efficaciter incumbit ; adeò ut fedulitas ejus
domus omnium in vineâ domini laborantium
neceffitatibus , commodis in Partibus
illis communiter pateant , hac Majef
tati tuæ non ignota effe , fufficere arbitramur
, ut eum dignum exiftimet , quem opportunè
regio beneficio aliquo donet : Cum prafertim
premium tam infigni virtuti tributum,
aliorum complurium charitatem acuere & inflammare
poffit ad eum imitandum , ingenti
multis in Regionibus fidei Chriftiana bono.
Ceterum officia Pontificia Ven. Fr. Archiepifcopus
Thebarum Nuncius nofter explicabit.
Nos Majeftati tuæ ex intimis animi paterni
fenfibus amantiffime benedicimus . ĎATUM
ROME, apud S. Mariam Majorem
fub annulo Pifcatoris . Die xxiv .
Augufti 1669. Pontificatûs noftri anno
III. M.
#280 MERCURE DE FRANCE

C.
M. Baron a encore fervi l'Eglife dans
une conjoncture ' importante & particuliere.
Vous fçavez ; Monfieur , qu'environ
dans ce tems - là Antoine Arnauld
Docteur de Sorbone , entreprit dans fon
grand Ouvrage ( a ) de la Perpetuité de la
Foy, & c. de prouver aux Novateurs, que
I'Eglife Orientale avoit toujours cru &
croit encore aujourd'hui , ce que croit
l'Eglife Latine fur la Tranfubftantiation
dans le Sacrement de l'Euchariftie , & c.
Ce qui ne fe pouvoit faire avec plus de
folidité & plus defuccès qu'en rapportant
les témoignages juridiques des principales
Eglifes fur ce point important. M. de
Nointel , alors Ambaffadeur à la Porte , fet
chargea de ce qui concernoit l'Eglife Patriarchale
de Conftantinople ; & M. Baron
, travailla de fon côté à fe rendre bien
certain de la Doctrine de toutes les Eglifes
Syriennes , fur le même point , ce qui
demandoit beaucoup de foin , d'applica
tion & de difcernement.
C'est par ce moyen qu'on voit dans le
premier volume de la Perpetuité de la
Foy , Liv. XII . page 82. deux Atteftations
autentiques ; fçavoir , l'une du Patriar-
( a ) La Perpetuité de la Foy de l'Eglife Catholique
, touchant l'Euchariftie, deffendue contre
le fieur Claude, Miniftre de Charenton.3.vol
in 4. Paris 1669. dédié au Pape Clement 1X.
II. Vol. che
JUIN. 1730. 1281
che , des Evêques & de plufieurs Prêtres
Arméniens , réfidens à Alep , de la créance
de cette Eglife fur l'Euchariſtie ; elle
eft dattée du premier Mars r117 . felon
L'Epoque des Arméniens , qui répond à'
l'année 1668. des Latins, traduite de l'Arménien
en Latin , ſouſcrite par les Prélats
y dénommez , & légalifée le même jour'
par M. Baron , qui affirme & attefte que
les Sceaux & les Seings qu'on y voit ont
été mis en fa préfence par les mêmes perfonnes.
L'autre Atteftation eft du Patriarche
des Syriens fur la créance de fon Egli
fe . Elle eft pareillement foufcrite de ce
Patriarche & de plufieurs Evêques , Prêtres
& Moines Syriens , & enfin renduë
autentique par la légaliſation du même
Conful.
Les Originaux de ces deux atteftations
qui font autant de Profeffions de Foy ,
écrits dans la Langue & dans les propres
caracteres de chaque Nation , fe trouvent
parmi les autres Originaux de cette efpece
dans le dépôt general qui en fut
fait à la Biblioteque de l'Abbaye S. Germain
des Prez , le 29 Septembre 1668 , &
le 7 Aouft 1670. fuivant le Procès verbal
latin qui eft à la tête de ce Recueil . Lex
Procès verbal eft foufcrit par M. (a) Jan-
(a ) M. Jannon étoit un Ecclefiaftique fort
zélé pour la Religion , & particulierement lié
II. Vol.
non
1282 MERCURE DE FRANCE.
non , Prêtre & Chanoine de S. Juft de
Lyon , par le R. P. General des Benedictins
de S. Maur , & fes Affiftans , par le
P. Prieur de S. Germain , par le Bibliotequaire
en chef, par Dom Luc d'Achery .
& par d'autresSçavans de la mêmeMaifon;
il eft enfin figné par deux Notaires Apoftoliques.
>-
Il y a dans le même Dépôt la Profef
fion de Foy originale , auffi légalifée par
M. Baron , le 4 Juin 1668. du Čuré Néophile
, Vicaire General de Macaire , Patriarche
Grec d'Antioche,foufcrite par lui
& par les principaux Curez & Prêtres du
Patriarchat.
M.Arnauld n'a point employé cette piéce
dans fon Livre de la Perpetuité de la
Foy. Peut-être lui arriva- t - elle trop tard.
Je ne dis rien des Profeffions de Foy
envoyées par M. de Nointel ; concernant
le Patriarchat de Conftantinople , qui
font partie du même Dépôt. Le tout enfemble
fait un des plus curieux Monumens
qu'on puiffe trouver en ce genre ;
j'ay eu le ppllaaiiffiirr ddee vvooiirr toutes
piéces à cette occafion.
ces
Entre celles qui m'ont parû mériter le
plus d'attention , j'ai diftingué les Actes,
avec M. Picquet & M. Arnauld, Il avoit recen
ces Originaux du Levant , & les depofa de la
maniere qu'il eft dit dans le Procès Verbal.
II. Vol. Origi
JUIN. 1730. 1288
Originaux, en grand nombre , du Métropolitain
Elie , Chef de l'Eglife Neftorienne
de ( a ) Diarbek , énoncez en Langue
Arabe , & écrits en caracteres Syriaques..
Ce précieux Recueil enfin contenu dans
deux gros volumes in-folio , prefente par
ta diverfité des Langues & des Caracte
res une refpectable variété , & mérite l'at
tention particuliere que les Sçavans Dépofitaires
ont pour fa confervation .
Sur la fin de l'année 1670. M. Colbert
qui honoroit M. Baron d'une eftime particuliere
& qui étoit tres- fatisfait des changemens
favorables arrivez au Commerce
de Syrie pendant fon Confulat , le propofa
au Roy comme un fujet propre à rétablir
& à faire fleurir celui de la Compagnie
des Indes Orientales ; & en conféquence
des Ordres de S. M. Mr Baron:
toujours prêt à obéir & à fe livrer au
bien public , partit d'Alep dans le courant
de l'année 1671. pour fe rendre à
Surate, lieu de la réfidence du Directeur
General du Commerce de France , & de
l'établiffement du principal Comptoir de
la Compagnie.
On ne fçauroit exprimer le regret
qu'on eut de le perdre à Alep. Le Procès
verbal de l'Affemblée de la Nation , tenuë
(a) Ville & Pays fituex dans l'ancienne
Mésopotamie
II. Vol. fur
1284 MERCURE DE FRANCE
fur ce fujet le 11. Janvier 1671 , dont
j'ai une Expédition en forme , apprend
là deffus quelques circonftances qu'il eft
bon de ne pas omettre .
M. du Pont , qui préfidoit à l'Affemblée
, en qualité de nouveau Conful d'Alep
, y fait l'éloge de M. Baron , puis il
propofe de déliberer fur deux Chefs. Le
premier , fur le prefent ou la gratification
ordinaire qui eſt dûë aux Confuls à
la fin de leur Charge , alléguant pour
exemple le plus recent celui de Mr.
Piquet , qui avoit reçû mille Piaftres de
gratification , quoique fon Confulat eût
été beaucoup moins long.
Le fecond Chef rouloit fur un rembourſement
de 519 Piaftres , données par
M. Baron de fes propres deniers , pour
terminer la malheureuſe affaire de deux
jeunes François , nommez dans l'Acte ,
que leur libertinage fit tomber entre les
mains du Sous- Bachi ou Officier du Guet,
dans un lieu de débauche , lequel les traita
avec la derniere rigueur , & prétendit
qu'il ne pouvoit les délivrer qu'en fe
faifant Mahometans , & c.
Sur quoi , dit l'Acte que je viens de
citer , lefdits Sieurs Affemblez , ont dit &
déliberé ;
ود
que
Que quelque reconnoiffance la
»Nation puiffe accorder àmondit fieur
II. Vol.
le
JUIN. 1730. 1285
» le Conful Baron , étant au deffous de ce
» qu'elle lui doit , pour le grand zele &
» le grand amour avec lequel il a agi
» pendant tout le tems de fon exercice ,
» & pour les fommes qu'il peut avoir
» fournies pour ladite Nation , dont il n'a
» pas été remboursé , qu'ils fe fentent
>> obligez de manifefter cette verité, & de
» prier M" les Echevins & Députez du-
>> Commerce de la Ville de Marfeille , de
» la lui donner auffi avantageuſe, qu'il l'a
» méritée fa bonne adminiftration &
par
» conduites ou fupplier tres-humblement
» Sa Majefté de lui accorder icelle.En foy
dequoi , &c. Signé Dupont Conful , Truillard
& Vitalis , Deputez de la Nation.
S. Jacques , Cheillan , Gardane , Gleize ,
Foreft , Bazan , Etienne , Marchands
François & Feris , Chancelier , Secretaire
du Confulat d'Alep. A côté eft le grand
Sceau du Conful ou l'Ecu des armes de
France , & c.
Ce font là , Monfieur , les belles difpofitions
, enfuite defquelles M.Baron partit
d'Alep pour les Indes , & qui lui ont tenu
lieu de réalité ; car il n'a jamais rien reçû
en confequence de cette déliberation ; fon
éloignement , fon efprit défintereffé , les
difficultez ou le peu de difpofition de la
part de ceux qui devoient effectuer ,
II. Vol. B ont
1236 MERCURE DE FRANCE
ont toujours été des obftacles plus que
fuffifans.
La fuite paroîtra dans le Mercure prochain.
LES CONQUESTES
du Maréchal
Duc de Villars , Protecteur de l'Acade
mie des Belles Lettres de Marseille.
O DE .
Tandis qu'au Temple de Mémoire ,
La fidelle Clio , par des traits éclatans ,
Grave ta glorieuſe hiſtoire ,
Sûre de triompher de l'outrage des temps ,
VILLARS , daigne avouer l'audace ,
D'un Eleve zélé de ce nouveau Parnaſſe ,
Que font refleurit tes bienfaits.
Et permets qu'il confie aux accords de fa Lyre ,
Ce qu'à tous les François infpire ,
L'éclat de tes Exploits qu'ils n'oubliront jamais.
K
Quelle ardeur dès ma tendre enfance ,
Quel zele à les chanter m'excita mille fois ,
Lorfqu'à la gloire de la France ,
Tes triomphes laffoient la Déeffe aux cent voix !
IL Vol.
Lorsqu'à
JUIN. 1730. 1287
Lorfqu'à tes Drapéaux enchaînée ,
Chaque jour la victoire à l'Aigle conſternée ,
Préparoit de nouveaux revers ;
Quels étoient mes tranfports , mais je n'ofai les
croire ;/
La crainte de trahir ta gloire ,
Infléxible toujours , me refufà des Vers.
Sans ceffe à ma Muſe charmée ,
Tu t'offrois au milieu des horreurs des combats,
Guidé par Bellone enflammée ·
Répandant l'épouvante & la mort fur tes pas.
Dans tes yeux quel feu magnanime ,
Infpire à tes Soldats le tranfport qui t'anime !
D'un regard tu faits des Héros.
On diroit que ton ame , en chacun d'eux tranf
mife ,
Les aiguillonne , les maîtriſe ,
Et qu'ils font tes Soldats bien moins que tes
rivaux.
Icy dans un inftant Critique
Où Minerve elle même enfeigne à tout ofer ,
Soudain ton courage héroïque
Frape le coup hardi qu'elle vient de peſer.
Quel fuccès fuit ta noble audace !
Fredelingue te voit , nouveau Dieu de la Thrace,
Foudroier le Germain ſurpris ;
Et l'on doute en voyant les fruits de ta victoire:
II. Vol. Bij S'il
1288 MERCURE DE FRANCE.
1
S'il te revenoit plus de gloire
D'avoir exécuté que d'avoir entrepris.
Là , redoublant envain leur rage
Ni l'hyver , ni le Rhin n'ofent te retenir
Sur l'ennemi gronde l'orage ,
Avant que fa prudence ait pû le prévenir.
Je vois des troupes renversées ,
où par
Od tombant fous tes coups,
fées.
Tout eft glacée par la terreur ;
toi difper-
La Quinche à ton effort voit ceder leurs redoutes,
Kiell témoin de leurs déroutes
Tombe,à peine attaqué,fous la loy du vainqueur.

Mais contre ton ardeur guerriere ,
Contre tous tes fuccès , raffurant le Germain ,
Une redoutable Barriere
De fes vaftes Etats , te ferme le Chemin.
Je vois de fuperbes aziles ,
Des Boulevars féconds en déluges utiles ,
T'oppofer leurs murs fourcilleux ;
Tous prêts , contre l'effort de ton ardent cou
rage ,
A mettre à couvert de l'orage
Sous un rempart flottant leurs Maîtres orgueilleux.
II.Val, Tel
JUIN. 1730. 1289
Tel de la Cime des Montagnes ,
Un fier torrent qui fond à bonds précipitez ,
S'indigne au milieu des campagnes
D'une Digue oppofée à fes flots irritez ,
Soudain fon onde fremiflante ,
A travers les débris de la maffe impuiffante ,
S'ouvre mille chemins nouveaux ;
Fier de cette victoire , & maître de la plaine ",
Il force , il arrache , il entraîne
Les Arbres , les Moiffons , les Jardins , les Troupeaux.
Tel, de l'obftacle tu t'indignes .
Et plus prompt que ces feux qui frappent en brillant
,
Tu forces ces fameufes lignes ,
Dignes de fuccomber fous un tel affaillant.
La plus légere réſiſtance
Suffit à ces guerriers dont la vaine arrogance ,
Trop prompte vient de te braver ;
Ces pâles déffenfeurs que la frayeur maitriſe ,
Gédent , frapez de l'entrepriſe ,
Sûrs que qui la forma , ne peut que l'achever..
Dans cette Contrée éperduë ,,
Quel champ par cet exploit ton bras s'eſt - il ouvert
?
L'épouvante au loin répanduë
I. Vol. En
B. iij
1290 MERCURE DE FRANCE
En fait devant tes pas un immenfe défert.
Où fuiront ces troupes
craintives ?
Le Danube effrayé voit déja fur fes rives ,
Flotter tes Etendarts vainqueurs.
Par de juftes tributs , chaque ville allarmée ,
Enrichit ta terrible armée.
Et par là fe dérobe à de juftes rigueurs.
Bien-tôt quelle fcene terrible !
Combien dans un combat, de combats renaiffans
Quatre fois ton bras invincible
Punit de l'ennemi les efforts impuiffans.
Mais Dieux ! ton fang rougit la plaine.
On t'emporte mourant , la victoire incertaine
Hélite , n'ofe fe fixer ,
Et laiffant du combat l'avantage en balance
Montre que ta feule preſence ,
2
Au parti qu'elle eût pris , auroit pu la forcer..
Mais une plus brillante image .
M'attire vers Denain ; que j'en fuis enchanté !
Que dois-je admirer d'avantage .
Ta valeur , ta prudence , ou ton activité ?
Quel fecret , quelle diligence !
Quelle marche quels foins ! fleuves, lignes, dif
tance,
Tous obftacles font fuperflus.
II. Tola
Eugéne
JUIN. 1730. 1291
Eugene confterné, part , preffe, vole , arrive ,
Guide une reffource tardive ,
Vient fecourir fon camp , fon camp n'est déja
plus.
Déja ton courage intrépide ,
Forçant un fier Rempart , bordé de Bataillons
Dans l'ardent tranfport qui te guide ,
-A de morts , & de fang rempli fes Pavillons.
Tout périt , céde , ou par la fuite
Tâche envain d'échaper à ta vive pourſuite ;
Quels antres pourront les cacher ?
Ah! la mort fous tes coups leur paroît fi terrible
Que , pour fuir ton bras invincible ,
Dans les eaux de Lefcaut,'ils courent la chercher.
Bien-tôt de la Flandre effrayée ,
Succombent fous tes coups les plus fieres Citez
La Ligue eft par tout foudroyée,
Déja par fes revers tous tes jours font comptez
Arrête , Mars & la Victoire
Ne fçauroient ajoûter à l'éclat de ta gloire.
Borne tes rapides travaux
En ramenant la paix fignale ta prudence ,
Villars , il eft beau que la France
Te doive également gloire & fon repos..
20 II. Vol. Mufes
B. iij.
1292 MERCURE DE FRANCE
Mufes fous la paifible olive
Partagez un loifir à l'Etat précieux:
Villars vous aime , vous cultive ,
Quel amour plus fateur , quels foins plus glo
rieux ?
De fes dons , un nouveau Lycée ,
Qui fleurit fous fes loix au ſein de la Phocée-
Ceint le front de vos nourriffons.
> Chantez fon nom fans vous fa gloire eft immortelle..
Mais c'eft l'ardeur de votre zele
Qui doit s'éternifer dans vos doctes chanſons.
SUITE du Voyage de Baffe- Normandie
LETTRE VII.
E féjour de Torigny parût , Mon-
Lfieur ,fi agréable à mes Compagnons
de Voyage , qu'ils me donnerent tout le
tems que je pouvois ſouhaiter , pour faire,
en les attendant, toutes mes courfes litteraires
aux environs de Caën . Comme les
ruines de Vieux , ou plutôt les découvertes
faites dans ce lieu par M. Foucault ,
étoient mon principal objet , je commen
çai pat m'y tranfporter , accompagné de
mon Docteur Medecin , & d'un autre Cu
rieux de la Ville , fuivis de quelques Domeftiques
en état d'agir en cas de befoin .
I.Vol.
Vieux
JUIN 1730. 1293
Vieux eftun village fitué à deux petites
lieuës de Caën , vers le Couchant de cette
ville , entre la riviere d'Orne , & la petite
riviere de Guynes , ce qui rend ce lieu.
fort agréable. C'eft un Fief noble , ou
plutôt ce font trois Fiefs contigus , dont
le premier appartient à M. de Pontpierredu
Four , & releve de la terre de Segue--
ville; le fecond & le troifiéme nommez de
Jacqueffon & d'Effon , relevent du Roy.
Vieux a été de tout tems renommé dans
le Païs , par l'opinion generale qui veut
que dans l'étendue du terrain , qui porte
ce nom il y eût autrefois une ville
, & cette opinion fortifiée par les
Monumens d'Antiquité qui y ont été.
trouvez en differens tems , eft aujour
d'hui confirmée par les nouvelles décou--
vertes qui y furent faites par les foins de
M. Foucault , découvertes que je ne vis
alors qu'en paffant , & dont je fuis à prefent
beaucoup plus en état de vous rendre
un compte exact ...

..Mais il faut vous dire , Monfieur , avec
franchife , qu'étant arrivé à Vieux , dans
Pintention d'en reconnoître les ruines ,
de conftater du moins ces nouvelles dé--
couvertes, & de les examiner fur les Me--
moires dont je n'avois pas oublié de me
charger , nous fumes fort furpris de ne
trouver prefque rien de ce que nous cher-
II. Vol By chions
1294 MERCURE DE FRANCE:
(
chions , & de ce que j'avois vû moi-même
la premiere fois que je paffai par Vieux :
en effet , à l'exception de quelques reſtes
de plufieurs grands Edifices ruinez, nom--
mez aujourd'hui Châteaux aux Oyes , &
aux Arres , tout eft , pour ainfi dire , dif
paru ; Gymnafe , Bains , Statues , Tombeaux
, Infcriptions , &c . Eft -ce illufion
eft- ce enchantement ? Non , Monfieur
cependant tout eft changé ; mais vous ne
perdrez rien à la Metamorphofe. Voici la
verité du fait.
Comme nous plaifantions fur nôtre
avanture , affis fur des tas de briques au
pied de ces Edifices ruinez , arriva le-
Gentilhomme du lieu , nommé M. de-
Vieux , homme fort âgé , qui nous pria:
fört honnêtement d'entrer dans faMaiſon ,
offrant de nous donner bien des éclairciffemens
fur notre recherche . Nous ne
pouvions gueres mieux rencontrer : car-
M. de Vieux étoit bien informé de tout ,.
tant en qualité d'Ancien , & de Seigneur
de ce lieu , que parce que M. Foucault
l'avoit chargé de la direction des travaux
qu'il fit faire à Vieux , & qu'en l'abſence
de M. l'Intendant on n'avoit pas , difoitil
, remué une pierre qu'il n'en eût une
connoiffance parfaite..
La raifon qu'il nous donna d'abord du
grand changement que nous trouvions ,
II. Vol. nous
JUIN 1730.
1295
nous parut fenfible & fuffifante , M. Foucault
animé de l'amour de l'Antiquité &
engagé par le fuccès de fes recherches , fit
faire un grand remûment dans tous ces
lieux . UnIntendant Antiquaire eft un terrible
homme en pareille rencontre. Les
Proprietaires& les Laboureurs des champs
renverfez , ou fous lefquels on avoit beaucoup
creufé , en murmurerent ; on les fit
taire en les dédommageant du dégât prefent
; mais pour l'avenir , dès que toutes
les operations furent faites , ces mêmes
Proprietaires, moins curieux d'Antiquités
que de quelques boiffeaux de blé de plus ,
rétablirent toutes chofes dans leur premier
état , en comblant , bouchant &
uniffant tout ce qui en avoit befoin ; enforte
qu'en continuant de labourer &
d'enfemencer les terres endommagées ,
prefque toutes ces belles découvertes dif
parurent & les Curieux de Caën
qui veulent qu'une fancienne ville fut
affife dans ce territoirre, reprirent là - def
fus leur premier langage.

Nunc feges eft ubi Troia fuit..
Voilà ,Monfieur, la verité d'un fit que
nous avions de la peine d'abord à comprendre.
Le bon M. de Vieux , plus chargé
de memoire que de litterature, nous fatisfit
affez fur toutes nos queftions ; car nous
*
II. Vol. B vj n'avions
1296 MERCURE DE FRANCE
n'avions befoin que des faits dont il avoit
été le témoin affidu ; ce qui fervit à éclaircir
quelques endroits de mes Memoires.
Il nous fit voir auffi qu'il ne s'étoit pas
oublié dans ces recherches , en nous montrant
dans fon jardin une grande quantité :
de tuyaux & de pots de brique, trouvez
difoit- il , dans la grande fale de ces bâ--
timens foûterrains ; les uns attachez fur la
muraille , prefque l'un contre l'autre , à
la hauteur de cinq pieds ; les autres
au plancher de la même fale , ayant
chacun un pied & demi de longueur , &
un demi pied de largeur. Du jardin nous ,
entrâmes dans la cuifine , qui étoit toute
pavée de longues & larges . briques quis
avoient été trouvées dans ces Edifices ruinez
, fur tout dans les débris des tombeaux..
M. de Vieux ajouta que dans un Cime
tierre , dit aujourd'hui de S. Martin , an-.
cien de plus de 500 ans , on trouva du
tems de ces recherches plufieurs grands
tombeaux de pierre & couverts , conte
nont chacun , plufieurs , fqueletes placés
P'un contre l'autre , ayant à côté d'eux des
haleb rdes , marque de valeur , ou de la
profeffion des armes . On découvrit , dit-- .
il , d'autres pareils tombeaux , dans le
champ nommé Catillon Gelet , & on en
trouve de pareils dans le Cimetiere, de la
II. Vol.

JUIN 1730. 12.9.7
Paroiffe de Vieux. Enfin il nous affura.
qu'on voit encore à Magny dans ce voifinage
, une espece de petite cuve de mar
bre rouge , d'environ fix pieds de circon--
ference , affez femblable à des Fonts Baptiſmaux
. , avec une Infcription Latine
dont il ignoroit le fens..
Enfin , notre Gentilhomme n'oublia
pas
les Medailles de toute efpece , trouvées,
de tout tems à Vieux & aux environs , affurant
que M..Foucault en avoit eû plus
de mille pour fa part. Il entreprit même
de nous en décrire plufieurs ; quoi faifant,.
ce fut pour nous , je vous l'avoue , une pe
tite ſcene affez réjouiffante ; jamais l'Antiquité
Metallique.ne.fût traitée plus plai--
famment , nous n'avions pas autrement
befoin d'une telle inftruction , vous en
jugerez par les Medailles , de la Reine
Chriftine, qu'il eftimoit beaucoup, & dont
il , affura qu'on avoit trouvé un grand
nombre. C'est ainsi , Monfieur , qu'il ap
pelloit Crifpine , femme de l'Empereur
Commode ,, dont effectivement il nous
montra plufieurs - medailles avec quantité
d'autres auffi communes: cela s'excufe facilement
dans une perfonne de fa profeſ--
fion..
Avant que de quitter Vieux , j'allai
accompagné du même Gentilhomme ,,
voir la carriere de marbre rouge , qui eft
II.Vol . aux
1298 MERCURE DE FRANCE
aux environs , & ainfi marquée dans la
Carte du Dioceſe de Bayeux ; mais fituée
dans le diſtrict du village voifin . Ce marbre
n'eſt pas du plus beau de fon efpece .
On affure que le pied-deftal antique de
Thorigny , dont il a déja été parlé , ainſi
que d'autres morceaux qu'on trouve dans :
les Eglifes de Caën , & fur tout la cuve de
Magny ,font de ce même marbre , ce qui
eft fortaifé à reconnoître.
Il ne tint qu'à nous de faire un grand
repas chez M.de Vieux : il vouloir à toute
force nous retenir jufqu'au lendemain ;
mais ayant amplement déjeûné à Caën , &
d'ailleurs m'étant venu une penfée fur la
Deſcription exacte de cesAntiquitez , qu'il
n'étoit plus poffible de revoir dans leur
entier , je réfolus de retourner de bonne
heure à cette Ville , pour la mettre à execution.
Il fallut cependant voir encore avec
quelque attention toute la maiſon du bon
Gentilhomme , & examiner fur tout fur
la porte de la Chapelle une repréfentation
en grand relief de Jefus-Chrift affis
dans le tombeau , accompagné de deux
Anges debout. Le P. de Vitry, Jefuite, eftimoit
fort cette figure , felon M.de Vieux,
& prétendoit que l'habile Sculpteur s'étoit
conformé à l'ancien ufage de mettre
en cette pofture les corps dans les fepul-
II.. Vol. chres
JUIN 1730. 1290
chres ; ufage qu'il croyoit avoir été pratiqué
à l'égard de Jefus - Chrift. C'eft fur
quoi nous ne conteftames point , & fur'
quoi , comme vous fçavez , divers Auteurs
ont écrit. L'Eglife Paroiffiale de
Vieux n'offre rien qui puiffe arrêter . Le
Curé eft à la nomination de l'Abbaye de
Fontenay..
De retour à Caen un pou tard , je fus
obligé de remettre au lendemain l'execution
de mon deffein. Outre plufieurs Lettres
de M. Foucault & de M.Galland , qui
m'inftruifoient affez fur les Antiquitez de
Vieux , j'avois un affez long. Narré fur le
même fujet , fait dans le tems même de la
découverte , par M. Bellin , Curé de Blainville
, habile homme , & Secretaire perperuel
de l'Academie de Caën , lequel
avoit eû bonne part à tout ce qui s'étoit
paffé là - deffus. C'étoit pour moi autant
& plus qu'il n'en falloit ; mais quand il
s'agit d'inftruire les autres fur des chofes
de cette nature , dont on n'a entendu
ler que confufément , on ne fçauroir prendre
trop de précaution pour fe faire bien
entendre , &pour ne rien dire que
vrai .
parde
Je crus donc qu'une petite conference
avec M. Bellin , que j'étois d'ailleurs bienaiſe
de revoir , acheveroit de jetter de la
clarté fur cette matiere , & qu'avec toutes
II. Vol.
ces
F300 MERCURE DE FRANCE
ces meſures je parviendrois à produire ens
fin une defcription exacte & claire desAntiquitez
de Vieux. Blainville n'eſt qu'à une
lieuë & demie de Caën , peu éloigné du
chemin qui mene à la Délivrande ,fameufe
Dévotion du Païs , au voisinage de la
mer, où l'on va de Caën en moins de deux
heures. Nous réfolumes d'aller droit à la
Délivrande & de revenir pár Blainville.
Nous partîmes de fort bon matin , parce
que j'étois bien aife de voir en paffant
l'Abbaye d'Ardennes qu'on trouve à une
petite lieuë de la Ville..
Cette Abbaye eft de l'Ordre de Prémontré
, & fondée au commencement du
douziéme fiecle. Un Difciple de S. Nortbert
, nommé Gilbert , en fut le premier-
Abbé , preſque dès l'origine de l'Ordre :
On ajoûte , que Philippe de Harcourt
Evêque de Bayeux , contemporain de ceɛ
Abbé , fit des biens confiderables à cette :
Maifon naiffante. C'étoit alors une vraie
folitude,à caufe des grands Bois dont elle :
étoit toute environnée , ce qui lui a fait
donner le nom d'Ardennes , de l'ancien
mot Gaulois Arden , qui fignifie foreft ,
nom qui s'eft confervé dans la grande fo--
reft des Ardennes , dans la Gaule Belgique,
& dans la plus grande foreft d'Angleter--
re: c'eft du moins le fentiment de M. a )
(a)Origines de Caën , ch. 22. på 3-125 .
11..Vol..
Huet :
JUIN. 1730. 1301
Huet ,qui à cette occafion & fur le même
fujet , releve une méprife de M. de la Roque
dans fon Hiftoire de la Maiſon de
Harcourt : cette Abbaye , où nous fûmes
fort bien reçûs , eft aujourd'hui un lieu
fort agreable , élevé. fur une petite coline,
avec des vûës charmantes . Les bâtimens en
font folides , commodes & fpacieux , & les
Religieux qui y demeurent joignent de la
politeffe à une grande édification : on y
aime auffi l'étude & l'application , convenable
à cet Etat.Ils nous apprirent qu'entre
quelques Abbez d'Ardennes , diftin
guez par leur érudition , on compte le fameux
Marguarin de la Bigne ; Auteur du
grand Ouvrage intitulé : La Bibliotheque
des Peres. Ce fçavant Homme , felon eux,
étoit de Vire , & doit être ajoûté aux Illuftres
de cette Ville , dont je vous ai par
lé dans ma derniere Lettre. M de la Baftie
eft aujourd'hui Abbé Commandataire.
d'Ardennes.
#
3:
Une large plaine qui ne fe termine qu'à
la mer , vers le Septentrion , nous conduifit
à laDélivrande, lieu celebre en Normandie
& dans les Provinces voisines
par le concours qu'une grande devotion
envers la fainte Vierge y attire de tous cô.
tez. Nous y entendîmes d'abord la Meffe,
& enfuite nous vîmes avec attention l'Eglife
qui eft fort jolie , extrêmement or
LL.Koh. née
1302 MERCURE DE FRANCE.
née , & très- bien deffervie par des Ecclefiaftiques
commis par M. l'Evêque de
Bayeux. Le Chapitre de la Cathedrale y
tient auffi un de fes Chanoines qui reçoit
les Offrandes , & dirige toutes chofes. Il
y a tout auprès un petit Seminaire conduit
par des Miffionnaires de la Congregation
de S. Lazare , dont nous vifitâmes
auffi P'Eglife & la Maiſon.
Nous apprîmes d'eux qu'on ne fçait
rien de bien affuré fur l'origine de l'Eglife
de la Délivrande , que quelques- uns font
remonter fans preuves à une haute Antiquité
; mais qu'on ne peut s'empêcher de
reconnoître que depuis un fort longtems
Dieu y eft particulierement fervi
& adoré , la Sainte Vierge honorée , & les
Fideles confolez & édifiez. Le vrai nom
moderne de ce lieu eft la Délivrande , duquel
, difent- ils , le Peuple ignorant à faiɛ
éelui de Délivrance : cependant Délivran
de eft un nom originairement Anglois : il
vient de Deale, qui en cette Langue fignifie
partie , portion de quelque chofe ; les
Normands difent Delle pour fignifier la
même chofe ; or les vieux titres portent
que la portion de terrain , ou la piece de
terre fur laquelle eft bâtie l'Eglife en
queftion , appartenoit au nommé Ivrand ,
ou Ivrande , & cette piece eft dénommée
Delle d'Ivrande , ou la piece de terre
AA II. Vol.
d'IJUIN.
1730. 1303
d'Ivrande : Rien ne paroît mieux dérivé ,
& il feroit difficile de trouver une meilleur
étymologie. Tout ce terrain eft de la
Paroiffe de Luc, à un quart de lieuë de -là ,
tirant vers la mer , & releve de l'Abbaye
de Fecamps, dont les Religieux font Pa
trons & Collateurs de la Cure.
Nous prenions congé de ces Meffieurs,
qui nous avoient offert obligeamment à
dîner , pour aller manger des huitres fur
le bord de la mer , & partir enfuite pour
Blainville , lorfque nous entendîmes un
grand bruit au dehors : ce bruit augmentoit
à mesure que nous fortions , & en
ayant demandé la cauſe au premier venu,
on nous dit que c'étoit une grande querelle
furvenue entre deux Etrangers, dont
on n'entendoit pas la Langue , qui s'échauffoit
beaucoup , & qui ne paroiffoit
ne devoir pas fi- tôt finir. Cela nous fit
avancer:mais il n'y avoit pas moyen d'approcher
: une nombreufe Populace envi
ronnoit les deux Champions , ils ne que
relloient point , mais autant valoit - il ,
car ils difputoient à outrance & fans ménager
les termes en Dialecticiens des plus
ferrez , ce qu'il nous étoit aifé d'entendre
de l'endroit où nous étions. La fingularité
du fait nous furprit , mais nous ne tar
dâmes pas d'être éclaircis ; car le Supe
ricus de la Maiſon ayant envoyé du mon-
II. Vola de
1304 MERCURE DE FRANCE
de pour impofer filence , & pour faire retirer
les Affiftans , nous vîmes fortir de la
foule les deux Conteftans fort échauffez &
tout enroüez , dont l'un, connu par mes
Compagnons de Voyage , étoit un bon
Hybernois , habitué à Caën ; l'autre étoit
un Pelerin Eſpagnol qui venoit du Mont
S. Michel . Le premier nous joignit fort
civilement , & ne nous quitta plus . Nous
les ramenâmes à Caen , & il nous conta
fon avanture, qui étoit telle.

Je fortois , nous dit-il , de cette Eglife
où j'ai coûtume de venir tous les Samedis
, quand j'ai rencontré ce Pelerin , lequel
après un leger falut m'a interrogé
affez brufquement en ces termes : Quoibous
ftoudouifti ? j'ai d'abord compris que
mon homme cherchoit noife , & qu'il
étoit frais émoulu des Ecoles . Vous fçavez
Meffieurs , que les Hibernois font un peu
Grecs fur l'article , & qu'en particulier
j'ai quelque petite réputation dans votre
Univerfité ; ainfi je n'ai point hefité à lui
répondre Studui Philofophia & etiam
Theologia. Il a fait là - deffus une exclamation
, puis tournant deux fois autour de
moi , il a debuté ainſi : Sentio te effe Thomiftam
, contra fic argumentor de Pramotione
Phifica, &m'a lâché tout de fuite un argument;
la difpute n'a gueres tardé à s'echauffer
& à nous attirer des Auditeurs , ou
II. Vol. plutôt
JUIN. 1730. 1305
plutôt des Spectateurs. Mon Adverfaire
n'eft rien moins que patient ; à chaque
négative que je lui donnois il fe trémouf
foit , & paroiffoit prêt à m'infulter ; enfin
, Meffieurs , la rumeur étoit à fon comble
lorsque vous nous avez entendu ; car
de la Prémotion Phyfique nous nous étions
jettés dans la diftinction des Attributs
& fur d'autres pareils points de pure Mé
taphyfique , lui foûtenant les fubtilités de
Scot, & moi , pour ne pas le faire mentir,
deffendant toujours les fentimens de l'autre
Ecole . Mais graces à la prudence de
M. le Superieur , la difpute a ceffé de la
maniere que vous l'avez vû , & graces à
votre courtoisie , j'efpere de me remettre
bientôt de la fatigue à laquelle je ne me
ferois jamais attendu , dans un lieu où j'étois
venu en partie pour me delaffer l'ef
prit.
Je vous avoue , Monfieur , que l'avanture
nous parut plaiſante ; nous en dejeunâmes
plus gayement. Après avoir vû
pêcher & avoir examiné plufieurs coquillages
fur les bords de la Mer , nous
remontâmes à Cheval pour nous rendre
à Blainville , où nous arrivâmes affez à
tems pour profiter d'un bon diner
que
M. Bellin , averti à mon inſçû par notre
Docteur , avoit préparé. Il s'étoit auffi
préparé lui-même en cherchant dans fes
II. Vol.
papiers
1306 MERCURE DE FRANCE
papiers & en rappellant dans fa memoire
tout ce qui pouvoit concerner les découvertes
de Vieux. Je fus , au refte , charmé
de revoir un ami de ce mérite , qui malgré
les années ne faifoit voir aucun changement
dans la folidité de fon efprit &
dans fes manieres polies & agréables .
Après le repas , le principal fujet de ma
vifite fut mis fur le tapis , & nous eumes
bientôt éclairci toutes choſes à cet égard ;
il me communiqua très obligeamment
tout ce qu'il avoit là- deffus , & me laiffa
emporter tout ce que je voulus. J'appris
de lui qu'à Blainville , comme à Vieux
on trouve de tems en tems des Médail
les & d'autres monumens de l'Antiquité
Romaine , dont il me promit de me donner
des preuves. Nous vîmes enfuite les
dehors du Village qui nous parurent fort
agréables , ce qui nous mena chez M.
D. L. L. qui a une fort jolie Maifon , &
poffede un Fiefdans le Marquifat de Blainville
; c'eft un homme de très bon commerce
, & qui fçait bien de bonnes choſes;
il me promit auffi une inftruction fur les
Antiquités trouvées dans ce Canton. La
Terre de Blainville appartient au Comte
de Rochechouart , frere du Duc de Mortemart
, lequel a époufé la fille de N Colbert
, Marquis de Blainville , troifiême
fils de Jean Baptifte Colbert , Miniſtre &
II. Vol. SecreJUIN.
1730 130 % -
Secretaire d'Etat , qui en avoit fait l'acquifition.
Blainville , au refte , n'eft pas un nom
donné à l'avanture; fi on en croit M.-Huet,
il renferme en lui une antiquité Gauloife ;
c'eſt Beleni Villa ; Apollon & Belenus
chez les Gaulois étoient la même Divinité .
Dans les vieux Titres , ajoûte ce Sçavant ,
le nom de ce Village eft Belainville ;
néanmoins dans plufieurs autres il eft nomme
Bléville , & dans la Charte de fondation
de l'Abbaye de Sainte Trinité de
Caen , Bledvilla , ce qui peut venir du
mot Bladum , qui dans la baffe Latinité
fignifie du bled , ainfi Bledville fignificroit
Village fertile en bled . Vous voyez ,
Monfieur , combien le nom d'un fimple
Village prend de formes differentes entre
les mains d'un habile homme. Il ne tint
à notre Hibernois que le nom même
de M. Bellin , Curé de Blainville , ne
devint miſterieux , & n'entrât pour quelque
chofe dans ces étimologies ..
pas
Au retour de notre petite promenade,
nous fûmes affez furpris de trouver dans
le Presbitere de la Delivrande le Pelerin
Efpagnol qui venoit d'arriver ; il fe jetta
aux pieds de M. le Curé , lui demandant
humblement fa benediction & l'hofpitalité
, ce qui lui fut accordé de bonne
grace , à condition qu'on ne difputeroit
II. Vol.
point ;
1308 MERCURE DE FRANCE
point ; là deffus , il vint embraffer fon
Antagoniſte , & nous fit civilité. Il produifit
enfuite fes papiers qui le firent
connoître pour Prêtre Espagnol & pour
Bachelier de la Faculté de Theologie d'Alcala
; il ajoûta qu'un vou folemnel l'avoit
conduit au Mont S. Michel , allant de Pro.
vince en Province & de Paroiffe en Paroiffe
, efperant s'en retourner de même
quand il auroit vû Caën .
Notre Medecin , homme fort jovial ,
lia avec lui converfation , & d'un ton affez
plaifant , ne fe montrant pas autrement
favorable à l'efprit de pelerinage ; le Bachelier
la foûtint encore plus plaifamment
entendant raillerie à merveilles , aux dépens
même de fa Nation dit de bons
mots avec efprit & de bonne grace , fans
oublier celui de l'Eſpagnol ( a ) aboyé de
près par des Chiens dans les Campagnes
de Bordeaux durant une forte gelée . La
converſation devint plus férieufe , quand
le rufé Pelerin , pour avoir fa revanche,
pouffa à fon tour notre Docteur fur la Phifique
, pour tomber , comme il fit , fur la
Medecine , dont il offrit de démontrer
( a ) Cet Espagnol voulant fe défaire des
Chiens à coups de pierres ne peut jamais en
détacher une fenle , à cause de la gelée ; fur
quoi il s'écria Maledicha la tierra en la quale
Jos perros fon deligados i las piedras ligadas.
II. Vol.
l'incerJUI
N. 1730.
1309
l'incertitude & l'illufion , ajoûtant que les
PhyficiensFrançois n'étoient que lesEchos
des Efpagnols ; témoin , dit - il , votre Delcartes
qui a bâti tout fon ſyſtême de l'ame
des Bêtes, fur celui de notre Gomelius Pereira
b lequel long- tems avant la naiffance
du Philofophe François , a foutenu que les
bêtes n'ont point de fentiment , & font
de pures Machines. Le bon Curé qui avoit
interdit toute difpute ne parut pas trop
fâché de voir embarquer celle- ci , elle
étoit propre à nous faire coucher à Blainville
, comme il le fouhaitoit ; mais je
rompis les chiens à propos ; notre Docteur
fe tira d'embarras comme il pût ; le
Bachelier crût avoir triomphé , & nous
crûmes , en remontant à cheval , après
avoir bien embraffé notre Hôte , avoir
bien employé cette journée , qui fe termina
par notre retour à Caën .
Lelendemain je gardai la maiſon toute
la journée , pour dreffer fur toutes mes
Inftructions une Relation exacte des Recherches
& des Découvertes faites à Vieux
du tems de M. Foucault ; ce fera la matiere
de la premiere Lettre que je vous
écrirai , & j'efpere que votre curioſité en
fera fatisfaite. Je fuis , Monfieur & c .
( b ) G. Pereira , fameux Medecin du XIV:
fiecle , a foutenu cette Doctrine dans un Livro
imprimé en 1554.
II. Vol C TRA
1310 MERCURE DE FRANCE
******** ***** X : X
TRADUCTION
Du Poëme de Petrone ,fur la Guerre civile..
LEs Pays éclairez par le flambeau du monde
Ce vafte compofé de la Terre & de l'Onde
Rome poffedoit tout , & fouhaitoit encor ,
Quelque abîme au- delà ; recele- t'il de l'or ?
C'eft Pays ennemi ; bien- tôt pour fa conquête
On arme des vaiffeaux , une flote s'apprête ,
On cherche , on veur de Por ; les Dieux trop
inhumains
Par ce prefent cruel , divifent les Romains ;
Les plaifirs prodiguez à l'uſage ordinaire ,
Sont à peine goûtez par le fimple vulgaire ;
La perle d'Affyrie eft en proye au foldat ;
La pourpre trop commune a perdu ſon éclat ;
La nouveauté l'efface , à peine en Arabie ,
Trouve- t'on des parfums , du marbre eu Numidie
;
Le Sere eft dépouillé de fes rares toiſons .
Rome réunit tout dans fes vaftes maiſons.
Que je prévoi de maux ! une fecrete rage ,
Au milieu de la paix , infpire le carnage,
Le Maure eft étonné de voir fur des vaiffeaux
Tranfporter avec foin de cruels animaux ;
Les Tigres arrachez des forefts de l'Afrique ,
11, Vol ,
Viennens
JUI N. 1730. 1311
Viennent donner dans Rome une ſcene tragique
Du fang des Citoyens les theatres fumans ;
D'un peuple furieux font les amuſemens ;
Dirai -je, en quels excès cette Rome s'abîme ?
On va chercher en Perfe un exemple de crime .
J'en parle avec horreur , au fortir de berceau
Les hommes mutilez font un fexe nouveau.
Ces lâches inftrumens , d'une flâme impudique ,
Malgré l'effort du tems & fa Loi tyranique ,
Confervent par le fer , leurs criminels appas ;
La nature fe cherche , & ne fe trouve pas ;
L'excès regne par tout , on bannit la tendreſſe.
Pour faire triompher ces fils de la moleffe ;
Leur indolent maintien , leurs cheveux ajustez,
Ces divers noms d'habits par le luxe inventez
Tous ces attraits nouveaux qui défigurent l'hom
me ,
Sont autant d'hameçons où l'on voit courir Rog
me ;
Le Maure en efclavage arrive par troupeaux ;
Les cedres transformez en des meubles nou
yeaux ,
S'applaniffent en table ; où leur couleur dorée
D'un mélange de Pourpre artiftement parée ,
Semble combattre l'or, par un éclat trompeur
Couchez fur ces Autels , les Romains en fureur
Immolent , à l'envi , la raifon trop fevere';
Les fens font leur Idole , & pour les failsfaire ,
L'on voit de toutes parts le foldat furieux "
II.Vol. Cij Ravir
1312 MERCURE DE FRANCE
Ravir ce que la terre offre de précieux ;
En vain deffous les flots qui baignent la Sicile
Le Scare pourfuivi va chercher un azile ,
On l'amene vivant ; dans l'huitre du Lucrin
On trouve le fecret de repater la faim ;
Le ventre ingenieux fçait rendre tout facile
Du Phaſe dépeuplé , le rivage eft tranquille
Et fes arbres jadis fi chargez d'Habitans
Ne font plus agitez que dú fouffle des vents .
Jufques au champ de Mars Rome dans l'efclavage
,
Au gré de l'intereft dirige fon fuffrage ;
Le Peuple , le Senat , marchands de leur faveur
Vendent publiquement le pouvoir & l'honneur ' ;
Même dans les veillards cette vertu févere ,
La liberté Romaine aujourd'hui dégenere ;
Le merite eft l'argent , les charges font à prix
La majefté par- là tombe dans le mépris ;
Caton par-là fuccombe , ou plutôt pour fa
gloire ,
Le Peuple on le bravant rougit de la victoire ;
Caton injuftement privé du Confulat ,
Fait la honte de Rome , il en ternit l'éclat ,
Il entraîne avec lui l'honneur & la puiffance ;
1
Les moeurs fans gouvernail rappellent la licence;
Rome , de fes forfaits le prix & l'artiſan ,
Sans efpoir de vengeur eft fon propre tyran ;
Par le luxe & l'ufure également vaincuë ,
Dans deux gouffres affreux elle reste abatue , 11. Vol.
JUIN. 1730. 1313 .
Sur tous fes Citoyens , fur leurs poffeffions ,
L'hypoteque a par tout gravé fes actions ;
Cet air contagieux , courant de veine en veine
Jufques aux inteftins a porté la gangrene :
Fout refpire la guerre ; on efpere en fes coups ;
On croit dans les hafards trouver un fort plus
doux ;
L'audace fans reffource , ofe tout entreprendre ;
Des remèdes communs on ne doit rien attendre
La guerre , la fureur , eft le feul déformais
Qui puiffe ôter à Rome un fang auffi mauvais.
La fortune avoit mis les Cohortes Romaines ,
Dans trois partis divers , fous trois grands Ca
pitaines ;
Bellone à ces trois Chefs gardant un mêmë fort,
Leur porte en trois endroits une femblable mort.
Chez le Parthe Craffus va terminer fa vie ;
Pompée eft égorgé fur les flots de Lybie ;
Jules au Capitole en proye à des Romains ,
De fes enfans ingrats , enfanglante les mains
Raffembler ces grands Morts , étoit trop entre
prendre ,
S
On diroit que la terre a divifé leur cendre ,
Ne pouvant dans un lieu foûtenir leurs tom
beaux
C'eft ainfi que la gloire honnore ces Heros.
Entre Naple & ces champs où regnoit la Juftice
11. Vol. IL
Cij
1314 MERCURE DE FRANCE
L
Il eſt un lieu borné d'un affreux précipice
Le Cocyte l'arrofe , & dans les environs ,
Répand l'efprit mortel de fes exhalaiſons.
Là , jamais le printemps ne porta la verdure
Jamais un feul gazon n'y para la nature ;
Jamais on n'entendit les tendres arbriffeaux
Y mêler leur murmure aux accens des oiſeaux ;
Les Roches dans la mouffe au hazard entaffées
Parmi quelques cyprès affreufement placées ,
En font tout l'ornement , & dans ce noir cahos
Paroiffent aux regards comme autant de tom
beaux .
Là , le Dieu des Enfers, d'une tête enflâmée ;
Perçant un tourbillon de feux & de fumée

y
Parut , & découvrant la fortune en fon cours
Il l'appelle , l'arrête & lui tient ce difcours :
» Décffe , dont les loix par toi feule bornées 33
Des hommes & des Dieux , reglent les deftif
nées "
» Et qui courant toûjours après la nouveauté
Ne peus dans aucun bien laiffer de fûreté ,
" Quoi donc! l'unique Rome ignore ton Empire!
Tu formas fa grandeur , ne peus- tu la détruire
?
» Voi ces lâches Romains , d'eux- mêmes ennemis
,
Profaner ce haut rang où ta main les a mis
Ces dépouilles , ces biens entaffez par la guer-
***
Ces
JUI N. 1730 . 1315
1
Ces prefens infinis que leur produit la terre ,
→ Tout devient l'inftrument d'un demon furieux,
Qui leur ronge le coeur , en leur charmant les
yeux ;
Ils font des maiſons d'or ; jufques dans les
nuées ,
» De cens nouveaux Palais les faces font pouf
fées ,
30
Ils repouffent les eaux , ils traverfent les airs ;
Dans le milieu des champs ils font naître des
mers ;
Enfin l'on voit par tout d'un mouvement red
belle ;
Les élemens changer leur forme naturelle
Jufques dans mon Palais , j'ai fenti leurs ef
forts ;
La terre dans fon fein cache en vain fes tré
fors ,
Perçans en mille endroits les folides campa
gnes ,
Des autres gemiffans , ils tirent des monta
gnes ;
Et tandis qu'épuisée en uſages divers ,
La pierre par leurs mains s'entaffe dans les
airs "
→ Phebus de mes états échauffant la frontiere
Fait aux fombres enfers efperer la lumiere ;
Va donc , Fortune , va ; la guerre eft dans tes
mains ,
» Va¸ cours chaffer la paix , cours armer les
Romains
R
11, Vol. Coe
1316 MERCURE DE FRANCE
Qu'on ne voye en tous lieux que fáng , que
funerailles ;
Redouble mes fujets par cent & cent batailles,
Mon fceptre dès long- temps n'eft plus enfan
glanté:
De ma chere Alecton voi le flanc agité ;
€ » Rien n'a calmé fa foif depuis cette journée ,
Ou du brave Sylla la fureur couronnée ,
Fit naître dans les champs & des bleds & des
fruits ,
» Teints encore du fang dont ils furent nourris
I dit , puis écartant la terre qui le preffe ,
Il joint avec fa main , la main de la Déeffe..
La Fortune auffi-tôt d'une legere voix ,
Commença ce diſcouts : Prince, dont les Loir,
Retiennent pour toujours dans une nuit profonde
,
Tous ceux que leCocyte a portés fur fon onde,
Si je puis en ce jour , fans bleffer mon pouvoir
N
➡ annoncer fûrement ce qu'on va bien - tôt voir,
Tes voeux font exaucez ; mon coeur plein de
< colere ,
S'accorde avec le tien ; il faut les fatisfaire :
Je haï ce que j'ai fait pour ces Peuples ingrats;
Mon bras va renverfer l'ouvrage de mon bras;
C'en eft fait , il est temps de contenter ma
rage ;
11, Vol. Mêlons
JUIN. 1730. 1317
Melons par tout les cris, les feux & le carnage;
Mais quoi je voi déja le Tage épouvanté
Par un double combat , Pharfale
enfanglanté,
Je voi trembler le Nil , & fremir la Lybie ,
Je voi fur les buchers perir la Theffalie ;
Déja dans Actium , les coups d'un Dieu ven→
geur ,
Font entendre des cris
d'épouvante & d'hor
reurs.
➡Va donc ; de tes Etats , ouvre tous les palla
ges ;.
»Du Cocyte alteré prépare les Rivages ;
☛ Pour paffer les mortels qui courent au trépas
» Caron , le feul Caron ne te fuffira pas ;
te faut une flotte ; & toi , pâle Déeſſe
Alecton , que la foif , depuis fi long - tems
preffe ,
» Du fang qui va couler ,,fais cens ragoûts divers
;
Le monde par morceaux và tomber aux En
fers.
Elle parloit encor , lorfqu'un affreux nuage ,
Percé de mille feux , à grand bruit fe partage ;
Pluton connoît la voix du Souverain des Dieux
Difparoît & s'enfuit loin du jour & des Cieux .
annoncée
Par des fignes divers , la terre menacée ,
Auffi- tôt dans le Ciel , voit fa perte
Le Soleil obfcurci retire les rayons ;
H. VOL CY Le
1318 MERCURE DE FRANCE
On croit voir dans les airs marcher des legions
Diane , avec regret fourniffant fa carriere ,
Aux crimes des humains refuſe ſa lumiere ;
Les Rochers avec bruit quittant le haut des
monts ,
Vont par bonds éclatant foudroyer les valons ,
Les fleuves ne font plus bornez par leurs rivages>
En des lieux inconnus ils s'ouvrent des paffages
Ethna jufques au Ciel , élevanr fes torrens ,
Semble contre les Dieux feconder les Titans ;
D'un vain bruit de combats , les Echos retentiffent
;
Les morts font ranimez ; les fepulchres gemif
fent ;
On voit errer par tout des Phantômes affreux a
D'un aftre menaçant les flamboyans cheveux ,
Sement déja par tout l'horreur & l'incendie ;
Le fang enfin , le fang tombe en forme de
pluye...
Ces préfages bien - tôt font fuivis des effets :
Cefar de fa vengeance écoutant les projets ,
Et laiffant des climats en conquêtes fertiles ,
Quitte le fer gaulois pour les armes civiles.
Dans cet enchaînement de monts audacieux
Qui femblent attacher la Terre avec les Cieux ,
On découvre un Rocher , ou plutôt dans la nuë ,
Son front trop élevé diſparoît à la vûë ,
Les Alpes dans ce lieu confervent un Autel
11. Vol.
D'Alci
JUIN. 1319
1730 .
D'Alcide de fes faits , monument éternel ;
De neige & de glaçons les roches revêtues
De cet affreux féjour ferinent les avenuës ;
Le Soleil n'en a pû bannir les aquilons ,
L'hyver y regne feul de toutes les faifons.
Le refte fera dans le prochain Mercure
XXX
و
LETRE pour fervir de réponse à la
Letre de M.... écrite de Grenoble , &
inferée dans le Mercure du mois de Mai
1730 .
I
Left vrai , Monfieur , que le livre
anoncé fous le titre , d'A B C DE CANDIAC
auroit déja du paroitre , mais cela
n'a pas abfolument dépendu de l'auteur ;
come il fouhaite doner une Edition paffable
& corecte , il n'a voulu prendre au
cun engagement avec des libraires , fe
fatant d'avoir dans peu la liberté de
mieux faire avec quelque imprimeur . Le
titre d'ABC de Candiac aïant paru
trop fimple à bien des perfones , on lui
a confeillé d'en prendre un autre moins
vague , & qui donat une idée plus exacte
de fon ouvrage ; c'eft pourquoi il l'a intitulé
, LA BIBLIOTEQUE DES ENFANS , OU
LES PREMIERS ELEMENS DES LETRES , &c.
11. Vol. Cvj & c'eft
1320 MERCURE DE FRANCE
& c'eft fous ce titre qu'il en a obtenu le
privilege.
Voici , Monfieur , le plan de fon ouvrage.
Il eft divifé en deux volumes , l'un
pour le maitre , & l'autre
pour l'enfant. >
Celui de l'enfant, ou de pure pratique , eft.
divifé en cinq parties.
La premiere partie contient en cinquante
leçons, trois A B C latins ; favoir,
le premier en vint & une petites leçons ?
pour les letres , voyeles ou confones ;
grandes & petites : les confones avec
leur nom ou fans leur nom ; reffemblantes
ou non reffemblantes ; letres grifes
romaines , & italiques ; letres à poins , à
titres , à trema , à accens ; voyeles naza
fes ; diftongues , fons fimples , ou compofés
; confones fortes , confones foibles ; letres
fiflantes , afpirées ; letres doubles , ligatures
, &s ..... Le fegond A B C´latin
en quinze petites leçons , eft pour les
combinaiſons des confones avec les voye
fes initiales , finales , & mediales ; pour:
les combinaiſons des confones à double
emploi , ufage ou valeur , come font les .
letres c, g ,f, t, x, y , & c. pour les combinaifons
des letres liquides ou coulantes.
1, r; pour les combinaifons des caracte
resch , ph , rb , th , & des letres dificiles
pour les combinaifons des confones fimples
, doubles , fortes ou foibles , & c. ....
2.
II. Fol
Le
JUIN 1730. 1321
Le troifiéme A B C latin en quatorze petites
leçons , contient les monofilabes latins
la filabifation , ou l'art d'épeler toute
forte de polifilabes & de mots dificiles
faits exprès , ou choifis dans les livres ; des
mots , fans voyeles , & de vieux mots la
tins abregés ou non abrégés.
La fegonde partie contient auffi trois
ABC françois en deux cens & tant de
leçons ; favoir le premier en huit petites
leçons pour les voyeles latines & les
voyeles françoifes; pour les confones avec:
leur nom ou fans leur nom ; pour les fons .
fimples ou compofés ; pour toutes les combinaiſons
des confonnes , foibles ou fortes;
pour les combinaiſons des fons fecs, liquides,
& mouillés , &c....Le fegond ABC
françois en fix petites leçons contient les
monofilabes françois , & la filabifation ,
ou l'art d'épeler toute forte de mots &c.
... Le troifiéme ABC plus étendu ,
contient toutes les autres combinaiſons.
neceffaires , & quantité de leçons de lecture,
variées par diferens fujets fur les le
tres & fur les nombres ; & enfin une no →
menclature des arts & des fiences , fuivie
de la doctrine chrétienne , & du calen--
drier de Jules-Cefar à côté de notre al--
manac. On parlera des autres trois parties
dans le mercure du mois prochain .
Le volume du maître , qui fervira en-
JI. Vol fuite
122 MERCURE DE FRANCE
fuite à l'enfant , eft auffi diviſé en cinq
parties ; la premiere partie contient en
cent & tant de pages la preface de l'ou--
vrage, & les réflexions ou inftructions neceffaires
fur tout l'atirail literaire que l'on
peut doner à un petit enfant , come
des jeux de cartes , une caffete , & un bureau
abécédiques ; une caffe d'imprimerie
, en colombier , la fuite du bureau tipografique
, latin- françois , un rudiment
pratique ; & enfin le dictionaire du bureau
tipografique ; cette même partie con--
tient les reflexions , & les remarques fur
les cinquante leçons des trois A B C la
rins.
ge.
La fegonde partie en cent & tant de
pages , contient d'abord les reflexions
nerales , & préliminaires fur l'étude de la
langue françoife , & des fons qui la dif--
tinguent des autres langues ; & enſuite
des remarques grammaticales fur les leçons
des trois A B C françois.
La troifiéme partie en trente & tant de
pages , contient une réponse aux raifonemens
, ou aux préjugés de M. l'Abe
Regnier dans fon traité de l'ortografe , &
quelques reflexions fur l'ortografe des dic
tionaires de Richelet , de Furetiere , det
Trevoux , de l'Academie Françoife , & def
Academie d'Espagne.
La quatrième partie , en foixanté &
II. Vol.
*tane™
JUIN. 1730 1323
tant de pages , contient
dans un ordre
cronologique
des extraits
critiques
d'une'
trentaine
d'auteurs
, par rapport à la tradition
de l'ortografe
& de les principes
,
fuivis ou changés
depuis
près de deux
fiecles. Cette partie poura être augmen
tée à mesure que les ortografiftes
anciens
ou modernes
tomberont
fous la main de
l'auteur de ce petit ouvrage.
La cinquième partie contient les inf
tructions préliminaires fur le rudiment
pratique de la langue latine , & des refle
xions fur les petits exercices de l'enfant ,
auquel les parens fouhaitent de doner
une noble & belle éducation .
Voilà , Monfieur , l'idée la plus apro
chante que je puiffe vous doner de cet
ouvrage , l'auteur , felon les principes de
Ramus , infifte toujours beaucoup fur la
pratique , parce qu'il croit plus aife de faire
agir les enfans , que de les faire raifo- '
ner ; c'eft travaillet en pure perte que de
les arêter lontems fur des fpeculations
qui vont à prouver l'utilité des regles ,
au lieu de les faire paffer au plutôt à la
pratique même de ces regles. Il a ceperdant
expliqué fa métode auffi clairement
qu'il lui a été poffible , il a même pris à
tâche de rendre raifon de tout dans le
corps de l'ouvrage , & de répondre à
toutes les dificultés raifonables qu'on
NII Vol
peut
1324 MERCURE DE FRANCE
R
peut former contre cette nouvele maniere
d'inftruire les enfans .
Il ya deux fortes de perfones que l'auteur
ne s'eft jamais flaté de pouvoir convaincre.
Il met au premier rang ceux qui ,
par un entêtement exceffiffur l'exactitude,
de leurs recherches , croient que tout eft
trouvé , parce qu'il leur plaît de croire
qu'ils n'ont plus rien à aprendre ; dans
cette idée ils n'ont que du mépris pour les
nouveles découvertes , & ne laiffent tout
au plus aux autres que la gloire d'ateindre
au dégré de favoir ,
ou la. la trop
opinion de leur fufifance les a placés. Le
plus court avec eux , c'eft de les abandoner
à leur fauffe préfomtion , qui n'a rien
de réel que l'ignorance où elle les retient,
& le ridicule qui en eft inféparable.
bone
La fegonde efpece de gens , ce font
ceux qui par une déference aveugle pour
ceux qui nous ont devancés dans la catiere
des belles letres , fe bornent uniquement
à favoir les opinions des autres ;
come le travail eft inféparable de la recherche
, ils aiment mieux fupofer que les
ancienes métodes font bones & fufifan--
tes , que de fe charger du foin d'examiner :
fi les nouveles ne valent pas mieux . On va .
toujours bien felon eux , quand on eft
dans un chemin batu , quelque long qu'il
Loit , & quelque embaras qu'on y trouve ;
II. Vol. comme™
y
JUIN 1730 1325
come fi l'avantage d'ariver plutot , &
plus comodément ne valoit pas la peine
de tenter une nouvele route. Du refte
fujets modeftes & foumis dans la republique
des letres , ils ne mettent point de
diference entre une hardieffe outrée, toujours
prete à tout contredire , & une ho
nete liberté qui fe referve le droit de
choifir entre le bien & le mieux : fcrupu
leufement atachés à leur routine , ils s'y
repofent come dans une poffeffionoù perfone
n'eft en droit de les troubler. Les
premiers qu'on peut apeler des demi-favans
glorieux , font trop entêtés de leur
propre merite , ceux- ci de celui d'autruis
cette double difpofition , également bla
mable & dans les uns & dans les autres ,
aretera toujours le progrès des fiences.
à moins qu'on ne prene le parti de fe metre
au-deflus de la fote vanité des premiers
, & de la timidité de ces derniers .
Il y a plus de quinfe ans que l'Auteur
de cette metode fit quelque étude des fons
de la langue françoife , & cela pour profiter
un peu du fejour de Paris où il fe
trouvoit alors. Il mit fes reflexions fur le
papier , mais pour lui feul , ou tout au
plus pour quelques amis . De retour en
province , il eut ocafion de faire l'effai
de cette doctrine des fons : & avec un
peu d'aplication & de travail , il mit dans
II. Vol
peu
1326 MERCURE DE FRANCE
peu de tems une gouvernante en état de
montrer les letres & les fons à un enfant
de deux ans ; ce qu'on pouroit même
pratiquer encore plutôt , fi les enfans
étoient pour l'ordinaire capables d'articuler
des fons avant ce tems là. Cet effai
réuffit fi bien , que l'enfant conut toutes
les letres grandes & petites à l'âge de
trente mois , & qu'à trois ans il lut paſſablement
le françois & le latin , l'heureux
fuccès fur la premiere de ces deux langues
aïant porté l'auteur à tenter la même
chofe fur la fegonde.
On croit ordinairement qu'il eft inutile
, indiferent , & peut- etre meme dangereux
de montrer les lètres à un enfant
dès qu'il fait articuler quelques filabes .
Bien des gens s'imaginent que de comancer
deux ou trois ans plutot ou plus tard, cela
ne fauroit guere influer ni en bien nien mak
dans le refte de la vie ; & qu'enfin l'education
tardive peut mener également à la
perfection ; c'eft là , ce me femble , un
prejugé que l'ignorance & la coutume
paroiffent n'avoir déja que trop autorifé;
car le degout de la plupart des écoliers
ne vient peut- etre pas moins d'une édu
cation tardive que d'un defaut de difpo
fition à l'étude. Je penfe donc avec l'auteur
qu'il feroit très utile que l'enfant pût
lire auffi tot qu'il fait parler ; cela lui do-
I I. Vol. neroit
UIN. 1730.
1327
neroit plus de facilité dans toutes les études.
La diference d'un enfant qui lit à
trois ans , & de celui qui à peine lit à ſept ,
doit etre contée pour beaucoup dans la
fuite des études. Il y a tant de chofes à
aprendre , qu'on ne fauroit trop tôt comancer.
On ne prend pour pretexte la
fanté , la foibleffe , ou la vivacité d'un enfant
, que pour fe juftifier foi meme , &
pour excufer un ufage fuivi par imitation
plutot que par raifon ; chacun pouroit
fournir fur autrui , & peut-etre fur foi
même , des exemples de cet abus .
D'où vient que les ainés , les enfans uniques
, ou les enfans le plus cheris , font
ordinairement moins avancés dans les étu
des que les autres : c'eft qu'on les a mis
trop tard à l'abc , ou peut être trop tôt
fur des livres ordinaires & mal faits : on
a rempli de fimples puerilités leur imagination
tendre ; ils ont grandi dans l'exereice
continuel des badinages ; ils ont enfuite
peine à les facrifier aux leçons inftructives
& penibles qu'on leur done
D'ailleurs enfeveli dans les prejugés , on
aime mieux en general voir vivre fon
enfant dans l'ignorance , que de s'expofer
à la crainte mal fondée , de le perdre fort
favant ; & l'on conclud fans raifon que la
frence abrege leurs jours , come fi l'ignorance
& l'oifiveté prometoient une plus
II. Vol. longue
1328 MERCURE DE FRANCE
longue vie . Quelques particuliers peuvent,
l'imaginer ainfi , mais le Public penſe &
taifone plus jufte.
pas mal
Puifque les autorités & les exemples
font ordinairement plus d'impreffion que
les fimples raifonemens , il n'eft
d'en raporter ici quelques uns. Certaines
perfones ont cru , dit Quintilien , qu'il ne
faut pas entreprendre de rien enfeigner
aux enfans avant fept ans : mais ceux qui
come Chrifipe , ne veulent pas qu'aucun
age foit exemt d'aplication , l'entendent
bien mieux. Car quoiqu'il laiffe l'enfant
entre les mains des femmes jufqu'à trois
ans , il veut qu'elles prenent foin dès ce
tems là de lui former l'efprit par les meil-
Ieures inftructions qu'elles font capables
de doner. Et pourquoi ce meme age , qui
eft déja fufceptible d'impreffion pour
les
moeurs , ne le feroit- il pas auffi des premiers
elemens de literature ?
Socrate lontems auparavant avoit fait
comprendre à fes diciples que les enfans
qui favent parler , & qui comancent à
faire paroitre du dicernement , ne font
point trop jeunes pour les fiences. Ariftote
& Platon l'ont penfé de même : &
fi Quintilien déja cité , M. le Fevre , Madame
Dacier , & beaucoup de favans , ont
eu le malheur de perdre leurs enfans ce-
Jebres , doit on conclure qu'il font morts
II. Vol. par
JUIN. 1730. 1329
par des excès d'étude ? la tendreffe paternele
des favans eft elle moins naturele que
celle des autres homes ? font ils plus avcuglés
, & moins atentifs lorfqu'il s'agit
des égars & des menagemens neceffaires à
la confervation des enfans le plus cheris ?
Il eft vrai que les énemis de l'étude l'a
cufent d'etre meurtriere , & difent qu'elle
affaffine les enfans ou qu'elle les empêche
de croitre. Dès qu'il meurt quelque enfant
celebre les études , les ignorans
ne manquent pas d'en acufer ces mêmes
études ; c'eft la maniere dont ils s'y prenent
pour confoler des parens afligés , &
cela fans faire atention au nombre infini
d'enfans qui restent nains ou qui meurent
malgré leur parfaite ignorance & au
par
و
grand nombre de ceux qui vivent au delà
de quatre vints ans quoiqu'ils aient comencé
de fort bone heure à étudier . On
fait que le Cardinal Lugo dès l'âge de trois
ans fit paroitre fon heureux genie ; car il
favoit lire les imprimés & les manufcrits.
Bayle en parle dans fon dictionaire. Le
Taffe à l'age de trois ans , comença à étu
dier la gramaire ; & il fe portoit à l'étude
avec tant d'ardeur & tant de gout , que
fon pere n'hefita point à l'envoyer au co
lege des Jefuites , dès l'ege de quatre ans.
Sous ces habiles maitres le petit Torquato
fit de fi grans progrès , qu'à fept ans il
II. Vol. favoir
1330 MERCURE DE FRANCE
favoit parfaitement le latin , & tres palla
blement le grec. La fuite des nouveles
d'Amfterdam du 30 avril 1726 parloit
du petit Jean Filipe Baratier de Schwal
bach , qui comença d'aprendre les letres
avant l'age de deux ans. Mais ctier des
enfans morts, aux ïeux des ignorans , c'eſt
prefque decrier une métode : citer das
enfans étrangers , c'eft s'expofer à n'etre
pas cru : il en faut donc citer qui foient
en vie , & à Paris , la choſe eft aisée , &
ce fera pour un autre Mercure.Je fuis, &c.
ODE
Préfentée à Madame la Princeffe de Conti ,
par les Ecoliers des Prêtres de l'Oratoire
de Pezenas , lorfque la Princeffe paffa par
cette Villle avec M. le Prince de Conti
fon fils , le 4 du mois de fuin 1730 ,
S Cavantes Nimphes du Permeffe ,
Dans vos Concerts harmonieux ,
Celebrez l'Augufte Princeffe
Qui vient de s'offrir à mes yeux.
Par vous plus d'une fois conduite
Ma Lyre a chanté le mérite
Des demi dieux & des Héros ;
II. Vol. Epris
JUI N. 1739. 1331
.
Epris d'une fureur divine ,
Je vais chanter une Héroïne ,
Infpirez-moi des tours nouveaux.
Quels charmes éclatent en elle
Son afpect ravit mes efprits ;
Telle parut cette immortelle
Qui ravit le coeur de Paris .
Mais où tend ton vol témeraire
Mufe , fi tu prétens lui plaire
Laiffe tous ces frêles attraits ;
Son coeur que la fageffe guide
D'un éloge bien plus folide
Te fournira les plus beaux traits.
?
Des doux charmes que la nature
Nous accorde au gré du deſtin
L'éclat trop fragile ne dure ,
Comme la rofe , qu'un matin.
Et s'ils méritent quelque éloge ,
Plus d'une Mortelle s'arroge
Les hommages qui leur font dûs :
Princeffe , fi tu les furpaffes ,
Tu fçais unir avec les graces
L'éclat des plus rares vertus .
Ces vertus , plus que la Naiffance ,
Font que tu regnes fur le coeur
J
I'I, Vol.
D#
1332 MERCURE DE FRANCE
Des Peuples dont par ta prudence
Tu ſçais afſurer le bonheur .
Lorfque la Parque meurtriere
Vint borner l'illuftre carriere
Du Héros l'objet de tes feux ,
Quelle reffource à nos diſgraces ! ( a )
Si ton grand coeur fuivant les traces
Ne l'eut fait revivre à nos yeux.
Mais que fais-tu , Mufe imprudente ?
Faut - il par tes triftes accens
D'une playe encore fanglante
Renouveller les traits perçans ?
Banniffons ces mornes penfées ,
Pourquoi de nos pertes paffées
Garder encor le fouvenir ?
CONTI reproduit de fa cendre
Un Héros qui nous fait attendre
Le plus gracieux avenir.
Conduit par fon augufte Mere
Dans le fentier de la vertu,
Il regarde d'un oeil fevere
A fes pieds le vice abbatu :
Exemt d'une indigne moleffe ,
Il fait les jeux de fa jeuneffe
Des deffeins les plus glorieux ;
( a ) Pezenas dépend de la Maiſon de Conti.
II. Vol. On
JUIN. 1333 1730.
On le voit courir pour s'inftruire
Des moyens de les rendre heureux.
Ainfi , lorfqu'un foudain orage
Vient renverfer par La fureur
Un Arbre dont l'épais feuillage.
Servoit d'azile au Laboureur
Trifte , il detefte la tempête,
Qui met à découvert la tête
;
En proye au trait du Chien brulant
Mais tandis qu'il murmure encore
Un Rejetton qu'il voit éclore
Ranime fon coeur languiffant.
O vous ! dont la main bienfaiſante
Cultive ce tendre Rameau ,
Préſervez de l'ardeur brulante
Un fi précieux Arbriffeau.
Qu'à fes pieds l'Onde toujours pure
Coulant avec un doux murmure
L'arrofe dans les jeunes ans
Qu'ainfi de fa tige féconde
Naiffent les plus beaux fruits du monde ;
Qu'il nous promet dès fon Printems
11. Volg
VERS D
1334 MERCURE DE FRANCE
VERS LIBRES
Préfentés à Monseigneur le Prince de Conti
par les mêmes Ecoliers.
LA Déeffe Minerve en Mentor déguifée ,
Du jeune fils d'Uliffe accompagnoit les pas ;
S'il faut croire, au rapport d'Homere en l'Odiffée;
Pour moi , Conti , je ne m'y trompe pas
Et voici quelle eft ma penſée :"
Cet habile Poëte infpiré par les Dieux ,
Sous un fimbole ingénieux
Sans doute voulut nous dépeindre
Ce qui devoit un jour fe paffer fous nos yeux,
Oui , pofe le dire , fans craindre >
Les frivoles difcours d'un Cenfeur odieux
Du jeune Voyageur d'Homere
Vous avez tous les traits , le port , la majefté ,
La naiffance , les moeurs & la docilité
Pour la vertu la plus fevere.
Entre Minerve & votre augufte Mere
Les rapports font trop reflemblans
Pour que l'on puiffe s'y méprendre ;
Tout le monde à la voir peut ailément compren
dre
Qu'Homere en écrivant l'eut préfente à les fens.
De Mentor elle a la ſcience ,
L'efprit , le coeur & la douce éloquence
Qui fçait charmer en inftruifant ;
II. Vel Jufques
JUIN. 1730.
1337
Jufques- là le portrait eft en tout reffemblant
Entre vous & le fils du Monarque d'Ithaque ;
Mais au lieu que Pallas pour fuivre Telemaque
Se revêtit des traits d'un fourcilleux vieillard ;
Plus favorable à votre égard ,
Pour vous fuivre en votre voyage ,
De votre augufte Mere elle a pris le vifage ,
La démarche , la voix , le port majestueux
Pour n'en dire pas davantage ,
Elle a voulu fe montrer à vos yeux
Telle qu'elle paroît dans le Confeil des Dieux.
VERS déclamés
par
les mêmes , & ad
dreffés à Madame la Princeffe de Conti.
Bon compliment eft Marchandiſe rare
Maint bel efprit crut égaler Pindare ,
Qui ne fut onc qu'un diſeur ennuyeux,
Vous autres Grands vous le fçavez trop mieux
Sans recourir à l'Art de Negromance ,
Bien gagerois qu'en traverfant la France ,
Maint harangueur copiant Moreri ,
Par long propos qu'il cuidoit bien fleuri ,
Vous a prouvé qu'étiez de haut Lignage ,
D'eftoc Royal & de grand Parentage ,
Et le conteur fe fera crâ difcret
S'il ne l'a pris que de Hugues Capet,
Dans fon difcours , & qu'il vous ait fait grace
De vos Majeurs de la feconde Race,
1
II. Vot Pis
Dij
7336 MERCURE DE FRANCE
Pis cut été fi du fac d'Ilion
Ayant tiré Monfeigneur Francion ,
De pere en fils , ennuyeux Annaliſte ,
De tent d'Ayeux il eur fourni la Lifte.
Aucuns ont crû qu'en un fujet fi grand
Point ne falloit Cloyis ni Childebrand ;
Que vos vertus , l'ornement de votre âge ,
Bien méritoient particulier hommage ;
Que ne louer que dévancier défunt
Sentoit par trop le mérite d'emprunt ;
Que ce grand coeur digne de la Couronne
Elprit charmant ou lumiere foiſonne
Grande lumiere affortie à bonté ,
Si doux acueil , fi ferme pieté ,
Bref tant de dons dont nature eft avare
Sont les grands traits dont éloge fe pare.
Or bien faudroit l'Homerique talent ,
Pour foutenir un fujet fi brillant.
Tel fe jettant fur matiere ſi vaſte
Trop a fenti le bizare contrafte
Du grapd fujet & du mince Orateur .
Pour moi cheif, qui ne fus onc Auteur
Qui ne paroits que pour montrer mon zele
Et quant & quant celui de ma fequelle ;
Je dois laifler à plus doctes Esprits
De
Car je reprens
mon
texte
, & quoiqu'on
dife ;
celebrer vos noms dans leurs Ecrits ,
Bon compliment eft rare Marchandiſe.
11g Vola REPLIQUE
JUIN. 1730. 1337
REPLIQUE du premier Musicien à
la réponse du fecond , inferée dans le Mer
cure du mois de May dernier.
P
Armi les faits que vous fuppofez ,
Monfieur , dans votre Réponſe , il y
en a deux où l'on peut voir clairement
que vous manquez de bonne foy; le premier
que vous avez déja avancé dans vo
tre conférence , regarde mon prétendu
defaveu du Traité de l'Harmonie , & le fecond
regarde la perfonne à qui vous fai
tes dire qu'elle m'a enfeigné tout ce que
j'ai mis au jour depuis peu , & où vous
confondez la Baffe fondamentale.
Si j'ai prouvé dans l'examen de votre
conférence , pag. 2373. la fauffeté de votre
application à un paffage du Traité de
Harmonie , à l'occafion de laquelle application
vous me faites prononcer contre
cet ouvrage ; il falloit détruire ma
preuve, avant que'd'infifter ; puis-je avoir
défavoué mon ouvrage à propos de rien ?
& prétendez - vous en impofer par vos témoins
? Confultez - les , ils ne font pas fG
préoccupez que vous ; votre condamna
tion fuivra de près leur jugement.
Je me fuis toujours fait un plaifir de
publier dans l'occafion, que M. Lacroix,
H.Vol
Diij de
1333 MERCURE DE FRANCE
de Montpelier , dont vous avez marqué
la demeure , m'avoit donné une connoiffance
diftincte de la regle de l'8 , à l'âge
de 20 ans ; mais il y a loin delà à la Bre
F. dont nul ne peut fe vanter de m'avoir
jamais donne la moindre notion ;j'ofe
même avancer , que nul ne la connoît encore
parfaitement. En proférer le nom ,
en avoir quelques idées , la difcerner en
certains cas , fentir ce qui en peut naître,
ce n'eft encore-là que l'entrevoir; en vain
la mettez - vous au rang des principes pratiquez
avant l'Edition de mon Livre; fr
cela étoit , on en auroit du moins touché
quelque chofe dans quelques- unes des
Méthodes de compofition ou d'accompagnement
, imprimées ou manufcrites ,
qui ont paru avant cette Edition ; & co
feroit rendre leurs Auteurs fufpects de
la plus grande charlatanerie , que de faire
entendre qu'ils ne l'ont profeffée que
dans des leçons de vive voie . Où font ces
leçons? où font ceux qui les ont données?
A l'égard des 4 chefs qui font , dites
vous , toute notre difpute , j'entamerai
encore moins la matiére que je ne l'ai fait
dans l'examen de votre conférence , parce
que je dois bien-tôt mettre au jour un
Ouvrage intitulé: Génération Harmonique,
où vous trouverez plus que vous ne demandez
à prefent ; mais comme je veux
II. Vol
mettre
JUIN 1730. 1339
mettre fin à votre critique , je vais feule
ment tâcher de vous prouver que ce que
vous m'oppofez de plus férieux,fe détruit
de lui-même.
Vous prétendez d'abord que le premier
fondement de l'Harmonie doit fe tirer despro
portions qui fe trouvent dans les Vibrations
des fons, pour me fervir de vos propres
termes ; & moi je foutiens qu'il éxifte
dans l'Harmonie qui réſulte de la réſonnance
d'un corps fonore . Vous dites que
c'eft un fait de Phyfique ; mais avez vous
bien pris garde que ce fait , qui vérita
blement eft Phyfique dans la maniére que
je l'expofe , devient purement Géométri
que de la façon que vous le préfentez
Ne fçavez-vous pas que la Mufique eft
une fcience Phificomathématique , que le
fon en eft l'objet Physique , & que les
rapports trouvez entre différens fons en
font l'objet Mathématique ou Géomé
trique ? Je m'étonne qu'avec un argument
tel que celui que vous me faites à
ce fujet , vous confondiez ainfi les cho
fess mais c'eft apparamment là votre intention
,comme la fuite en eft une preuve .
Car , fi nous paffons au 2. chef , nous
Vous y verrons retomber dans les contradictions
dont votre conférence eft
remplie , nous vous y verrons approuver
& défapprouver fucceffivement la même
HVol Dilj
chofe;
340 MERCURE DE FRANCE.
chofe ; vous n'y cachez pas même affez
l'embarras que vous voulez y jetter .Vous
imaginez - vous que la diftinction fubtile
& frivole que vous y faites entre l'accord
& l'intervale de 7 , change la nature de
cette même 7 °, & empêche qu'elle ne foit
toujours la même diffonance , pendant
que le fon grave , qui fait qu'elle eft 7° ,
en eft toujours la Be, Fle ? c'eft cependantlà
dequoi il sagit , & ce qui décide la
queſtion.
Au lieu de fimplifier les objets , de les
ramener au même point , & de faciliter
par ce moyen , l'intelligence de votre
art ; vous ne faites qu'obfcurcir l'idée de
la diffonnance, fi claire par elle - même ,
& fi importante pour la fucceffion de
T'Harmonie , dont apparemment vous faites
peu de compte. Croyez - vous parvenir
jamais à pouvoir m'enfeigner la Be, Fle ,
tant que vous y admettrez des 2es & des
4es ? Dites- nous franchement fi vous vous
foumettez au principe dont vous vous
autoriſez , ou fi ce principe vous eſt ſoumis
? Si c'eſt à vous de lui donner la loy ,
il n'y a rien à dire ; mais fi c'eft à vous
de fuivre celle qu'il vous impofe ; de
quel droit lui attribuez-vous donc gra
tuitement & directement des 2es & des
4 , tandis qu'au moment que vous vous
le propofez ( pag. 885. ) vous lui refufez
ces II. Vol.
JUIN. 1730 1341
es
ces mêmes Diffonances , que fourniffent
les renverſemens de cet accord de 7º, ré ,
fa , la , ut , où vous voulez que ré foit fondamental
de tous côtez ? Et tandis qu'a
près avoir confondu la fuppofition , & la
Sufpenfion avec l'Harmonie fondamentale
, en donnant indifféremment des ger ,
des 2es & des 4 au fondement , vous ne
fçauriez vous empêcher de renoncer à
ce même fondement dans cet accord par
fuppofition , fol , ré , fa , la , ut , ( p.890 . )
vous n'y regardez plus la Baffe actuelle ,
fol, comme fondamentale , & vous y rendez
à ré , ce que vous lui aviez d'abord
accordé ; quelles contradictions ! Mais ne
ne ferois- je pas moi -même dans l'erreur,
& ne doit-on pas avoir égard aux raiſons
qui vous en ont fait ufer de la forte ? Ici ,
felon vous , c'est un fon retardant , paref
feux pour ainsi dire , à fe rendre à japla
ce ; là c'eft une difpofition approchante ; là
c'est une Baffe qui reste à la finale comme
par entêtement , ou par une immobilité inébranlable
on fent que l'Harmonie , pour
remplirfon miniftere , qui eft de donner de la
variété , touche l'accord de la Dominante
mais que la Baffe manque , pour ainsi dire ,
à fun devoir. Je ne fçavois pas effectivement,
que ce fuffent -là des raifons ; dites
plutôt , pour vous juftifier , que la raifon
eft fuperfluë en Mufique ; mais avouez en
a
Mr.Vol même
1342 MERCURE, DE FRANCE
même-tems que vous avez tort de vouloir
y en admettre.
N'eft-ce pas vous feul , M. qui avez
bâti cette Tour de Babel , par un entaffement
de 3 fur 3 , où, en effet, la confufion
fe mêle ? Heureufe audace que la
vôtre ! Cet accord ut , mi , fol , fi , ré, fa
que vous citez ( pag. 890. ) & qui vient fi
dignement à la fuite de votre Trio , E,
eft il donc un enrichiffement de l'Harmonie
, un prodige de variété ? Je ferois
bien curieux de voir les Certificats des
Compofiteurs à grand Choeur fur cette
découverte , & fur ce qui regarde votre
3me chef; car je m'attends qu'on recevra
une grande fatisfaction du renverſement
d'un pareil accord par l'union de ces fix
notes , fi , ut, re , mi ,fa , fol ; encore une
note , & vous auriez eû la gloire de ne
faire qu'un accord de toute la Gamme.
des
Quant au 4me chef , on devine affez le
motif qui vous fait parler : Dites tant
qu'il vous plaira que je ne fuis qu'un
compilateur ; ce qui eft cependant bien
éloigné de la vérité ; il me fuffira
efprits d'ordre & de fyftême reconnoiffent
ma Méthode d'accompagnement
pour ce qui s'appelle une Methode , &
pour l'unique qui ait encore paru dans
ce genre.
que
Au furplus , M. vous juftifiez pleine-
11.Vob.
ment
JUIN. 1730. 1343
ment ce que j'ai avancé dans la Préface
de mon Livre , fur le peu de connoiffan
ce & de fond qui ont accompagné juf
qu'ici la pratique des Muficiens . Vous ne
jugez de votre Art que par la voye des
fens , vous vous y laiffez prévenir par les
effets , & n'en cherchez la caufe que dans
vos affections . Delà naît cette confufion
que vous faites de l'objet Phyſique avec
Le Géométrique , auffi -bien que de la fuppofition
& de la fufpenfion avec l'Harmonie
fordamentale ; delà naiffent tous vos
grands mots qui n'aboutiffent tout au
plus qu'à éblouir ceux qui ne font point
au fait delà naît enfin votre Accord à ;
fix cornes , qui eft le plus fidele interprete
de toutes vos connoiffances . Comment
vous démontrer des véritez , fi vous n'avez
pour principes que des autoritez, des
certificats , des difpofitions approchan
tes, des fons pareffeux , des Baffes entêtées,
des comparaifons , & pour derniere ref
fource , des défis , des rodomontades ?
Que prouve tout cela en fait de fcience,
& que peuvent des gens à talens , même
leurs productions les plus heureufes , contre
un fyftême raiſonné ?
Je finis , M. en vous avertiffant que
la
qualité donnée dans l'examen à celui qui
récuſe une Méthode d'accompagnement ,
fur ce qu'elle exige la connoiffance di
II.Vol.
D vj Mod
1344 MERCURE DE FRANCE.
Mode,lui reftera toujours , juſqu'à ce qu'il
reconnoiffe & confeffe fon erreur ; mais
faites bien attention que j'ai toujours compté
parler à un Anonime, & que je ne l'ai
défigné ni par fes ouvrages , ni autrement.
****************
SUR LE RETABLISSEMENT
DE LA SANTE DE MAD ...
C Effez , ceffez , mes yeux , de répandre des
>
- pleurs ,
Il eft tems de calmer ma crainte , & mes douleurs
:
Des portes du trépas mon Iris revenuë ,
Plus belle que jamais va paroître à ma vûë ,
Des horreurs de la mort fes yeux déja cou
verts ,
'A la clarté du jour fe font enfin ouverts .
O vous qui refpirez l'air tendre de Cythere ,
Vous , fideles fujets du Dieu qu'on y revére ,
Venez , accourez tous , que vos plus doux concerts
,
En ce jour fortuné raiſonnent dans les airs ;
Qu'aux jeux les plus charmans fuccede la tendreffe
;
Vous ne fçauriez trop loin pouffer votre allegreffe
;
11. Vol. C'eft
JUIN. 1730. 1345..
C'eft votre aimable Dieu qui triomphe du fort ,
Il a ſçû déſarmer l'inéxorable mort.
A ma voix, attentifs , apprenez fa victoire ,
Et chantez avec moi , fon triomphe & ſa gloire .
A peine les dangers d'Iris me font connus ,
Que mes triftes fanglots ne font plus retenus ;
Une fombre pâleur , fur mon vifage empreinte
Marque le noir chagrin dont mon ame eft
atteinte,
Et du jour qui me luit , déteftant, le flambeau ,-
Déja je me prépare à la fuivre au tombeau,
Mais enfin au milieu de mes plus vives craintes ,
Addreffant à l'Amour ma priere , & mes plaintes
Dieu puiffant , m'écriai- je , ô toi , qui de mon
coeur ,
Fis toujours le plaifir , la joye & le bonheur ,
Toi , que je connoiffois avant de me connoître,
Toi , de mes fentimens , feul , & fouverain
maître
Amour , daigne , pour moi , t'employer aujour
d'hui ,
;
Signale ta puiffance , & deviens mon appui.
La mort impunément ofe attaquer la vie ,
De l'adorable objet dont mon ame eſt ravie
Pour terminer des jours fi précieux , fi beaux ,
Je la vois éguifer fon implacable Faux :
Verras - tu fans courroux cette horrible injuftice
?
JI.Vol Souffriras- tu
1346 MERCURE DE FRANCE
Souffriras- tu , grand Dieu ! ce cruel facrifice ! ~
Laifferas-tu périr cette jeune beauté ?
Réferves- tu ce prix à ma fidelité
Iris feule , à tes loix , fçut affervir mon ame ;
Elle feule , en mon coeur , fçut allumer ta flme.
Et depuis le moment que les traits de fes yeux
M'ont caufé des tranfports qui m'égaloient aux
Dieux.
Toujours conftant , toujours plus charmé de ma
chaîne ,
J'en ai porté le poids fans murmure & fans
peine ,
Je n'ai jamais tenté de brifer un lien ,
Trop doux , puifqu'il unit mon coeur avec le
fien.
Depuis cet heureux jour que j'adore ſes char—
mes J
Mon coeur n'a reffenti que ces douces allarmes
و ت
Que l'amour fait fentir aux coeurs les plus heureux
,
Et dont nul n'eft exempt dans l'empire amoureux
.
Mais faut - il que la mort , plus que jamais
cruelle ,
Ofe couper les noeuds d'une union fi belle !
Veut-elle , la barbare , enlever à mon coeur
D'un fi parfait amour la charmante douceur
>
Mon Iris n'étant plus , quel objet dans mon
ame ,
11, Vol.
Eft
T JUIN. 1730. 1347
Eft digne d'allumer une nouvelle flâme ?
Si , d'Orphée autrefois animant les Concerts ,
Tu fçus fléchir , pour lui , le fier Dieu des en
fers ,
Tente un nouvel effort , dans ce péril extrême ,
Entreprens tout, grand Dieu !
j'aime.
Si ce n'eft
pour
fauver ce que
pas affez , pour attendrir ton coeur
De mon interêt feul , & de mon feul bonheur
Ne regarde que toi , c'est toi que l'on outrage ;
Voy tout ce que tu perds, & quel affreux ravage ,
Dans ton empire heureux va caufer cette mort.
Que de coeurs dégagez , & maîtres de leur fort !
Iris n'avoit fur eux remporté la victoire ,
Que pour faire éclater ta puiſſance & ta gloire .
Ah ! ne balance pas , cours arrêter le trait ,
Qui menace les jours de cet aimable objet !
Touché de mes regrets , fenfible à ma priere ,
L'amour part auffi - tôt du temple de Cythere ,. !
Et d'un effor hardi s'elevant dans les airs ,
Traverfe d'un coup d'aile , & la terre & les
mers ;
Il pénétre bien- tôt dans la demeure affreufe
Qu'enceint neuf fois , du Stix , l'Onde noire &
bourbeufe.
Tout tremble à fon afpect , Pluton faifi d'ef
froi ,
Craint qu'à tout fon Empire il ne donne la loy
JJ. Vel L'Amor
$348 MERCURE DE FRANCE
L'Amour vole au milieu du tenebreux Aver
ne ;
Sous un Roc, va fe perdre une horrible caverne,
L'aftre brillant du jour n'y pénétra jamais ,
Nul mortel , en ce lieu , ne peut avoir d'accès :
Ceft - là que dans l'horreur d'un éternel filence ,
Minos tient dans fes mains la terrible balance
Là , roule inceffamment l'Urne ou de chaque
humain ,
Eft renfermé le nom tracé par le Deſtin
Là , de rage écumant , la Parque inéxorable
Coupe le fil des jours du Mortel déplorable ,›
Dont le nom malheureux eft tiré par le fort.
L'amour découvre enfin ce féjour de la mort
Il y court , quelle horreur ! le fort impitoya
ble
$
Avoit déja d'Iris , tiré le nom aimable ;
Déja pour la plonger dans la nuit du Tombeau ,,
La cruelle Atropos apprêtoit fon Cizeau ;
Mais retenant ce bras armé de barbarie ,
Arrêté , dit l'Amour , implacable furie ;
Quoi , peux-tu , fans pitié , trancher de fi beauxjours
?
Et détruire par là l'empire des Amours ?
Porte tes coups ailleurs , & change de victime
Ou je vais , par mes traits , te punir de ton
crime.
Pour te dédommager , dans peu tu me verras , ›
11-Voli Porter
JUIN. 1730. 1349
Porter dans mille coeurs de funeftes trépas ;
Pour en venir à bout , Iris me doit fuffire ,
Ses yeux fçauront peupler le tenebreux empire :
Il dit , des mains du fort arrachant le billet
Dans le Vaſe fatal , lui même il le remet
La Parque n'ofe alors s'oppoſer à fon zele ,
Et cachant fon dépit , je me rends , lui dit - elle
Le plus barbare coeur s'adoucit à ta voix ,
Dans les Cieux , aux Enfers , tes défirs font des
Loix ;
Mais garde ta promeffe , & prends foin de ma
gloire.
Charmé de ce triomphe , & fier de fa victoire.
Le Dieu fuit auffi - tôt ce féjour odieux ,
Et revient m'annoncer ce fuccès glorieux.
Séche , féche , dit- il , la fource de tes larmes ,
Calme , Berger heureux , de fi juftes allarmes,
Ton -Iris va revoir la lumiere du jour ,
Et ce parfait bonheur tu le dois à l'Amour.
A vivre fous mes Loix fois toujours plus fidele ,
Tu vois comme je fers la conftance & le zéle.
Il me laiffe à ces mots , & depuis mon Iris ,
Recouvre tous les jours , fa force , & ſes efprits.
Elle reprend ce feu , doux vainqueur de mor
ame
>
Et par qui de l'Amour tout fent la vive flamme.
Que la plus vive joye éclate dans mon coeur ,
Que les plus doux tranſports annoncent mon
bonheur.
11. Vol. Conjectures
1350 MERCURE DE FRANCE
Sp
XXXXXXX XX :XXXXXX
CONJECTURES fur le mot
Cornicula , qu'on lit dans la troifiéme
Lettre du premier Livre des Epîtres
d'Horace.
Eux qui ont lû dans Phédre la Fable
du Geai glorieux , qui s'étant paré
des Plumes d'un Paon qu'il avoit ramaffées
, s'étant mêlé parmi les Paons qui le
chafferent de leur Compagnie , font furpris
en lifant Horace , de ce que cet Au
teur en défignant la même Fable , ne la
met point fous le nom du Geai comme
Phédre , mais fous le nom d'un Oifeau
qu'il nomme Cornicula.
Nifi fortè fuas repetitum venerit olim
Grex avium plumas , moveat Cornicula , rifum
Furtivis nudata coloribus ....
Horace & Phédre étoient contempo
rains , ou du moins ils ont vécu dans des
temps peu éloignez ; ils ne font pas les
Inventeurs de cette Fable , ils l'ont puifée
vrai -femblablement dans les mêmes
fources de la Mythologie; pourquoi donc
dira - t - on cette difference entre eux ?
Quand deux Autheurs de notre temps
rapportent une Fable connuë ; par exem
ple , celle du Loup & de l'Agneau , de la
1. Vol GreJUI
N. 1730. 1351
Grenouille & du Boeuf, &c. ils ne s'avi
fent point d'en changer les perfonnages
d'où vient donc la difference qu'on remarque
entre Horace & Phédre par rap
port à la même Fable ? Eft - ce caprice ?
Eft ce un défaut de mémoire dans l'un de
ces deux Poëtes ?
S'il étoir permis , fans témerité , de
s'opposer au torrent des Traducteurs &
des Interpretes d'Horace qui fe fuivent &
fe copient les uns les autres , j'oferois hazarder
une penfée qui pourroit concilier
Horace & Phédre ; ce feroit de dire que
Cornicula dans Horace ne marque point
POileau que nous nommons la Corneille
, mais que ce terme fignifie le Geai . Je
fens bien qu'on m'accablera tout auffi-
τότ par le nombre des Interpretes & des
Traducteurs d'Horace,qui n'ont pas eu la
moindre penfée que Cornicula pût fignifier
un Geai . Ce mot dérivé de Cornix ,
écarte tout-à-fait l'idée du Geai , & ne leur
laiffe que celle de la Corneille ; cependant
en laiffant à part les préjugez , on prie
les perfonnes équitables de faire attention
qu'il n'en eft pas du mot Cornicula , par
rapport à Cornix , d'où il dérive ; comme
de Graculus par rapport à Gracus , ou de
Hadulus par rapport à Hadus-Graculus
& Gracus font précisément la même cho
fe , & Hadulus ne differe point de Hadus
II. Vol quant
1352 MERCURE DE FRANCE
"
quant à l'efpece , mais feulement quant
à l'âge & à la taille au contraire , je ſoutiens
, non comme une verité certaine
mais comme une conjecture probable, que
le mot Cornicula ne défigne point la Cor
neille , mais en general toutes les especes
contenues fub genere Corvino , lefquelles
font plus petites que la Corneille , & en
particulier le Geai , lequel eft une defdites
efpeces .
Aldrovandus dans fon Ornithológie
diftingue & nomme jufqu'à dix-neuf ef
peces d'Oifeaux contenus fous le genre
des Corbeaux & des Corneilles , dont le
Geai que les Grecs nomment Pyrrhoco
rax ou Corbeau rouge eft une , la Pie une
autre, la Choüete une autre , le Pivert une
autre , &c. ce font toutes ces efpeces
qu'on nomme Cornicula , parce qu'elles
font comprifes fub genere Corvino ,
80
qu'elles font plus petites que les Corbeaux
& les Corneilles . Mais peut - on donner
quelques preuves de ce qu'on avance icy?
C'en eft une que les bons Dictionnaires ,
comme celui d'Etienne & d'autres , no
donnent jamais pour l'équivalent du mot
Cornicula le mot grec open , qui eſt
le feul mot fpecifique qui défigne la Cor
neille , mais celui de xoxoide qui défigne
proprement & principalement lo
Geai , Graculus ; quoiqu'il marque auffi
II. Vol. moins
JUIN. 1730. 1355
moins principalement quelques - unes des
petites efpeces qu'on range fons le genre
des Corbeaux ou Corneilles , comme la
Pie , la Chouette qui font appelées par
cette raifon Cornicule ou Parva Cornices
, ce qui n'empêche pas qu'elles ne
foient d'une espece & d'un nom different
de la Corneille , proprement dite , laquel
le feule a retenu le nom du genre. If réfulte
de ces remarques qu'Horace a voulu
marquer par Cornicula , non la Corneille
qui n'a point en latin d'autre nom
fpecifique que celui de Cornix ,
ni en gręc
que celui de xopov , mais un Geai
comme Phédre l'a marqué bien expreffer
ment ; on ne peut point entendre Phédre
d'une Corneille , mais on peut bien entendre
d'un Geai le Cornicula dont Horace
s'eft fervi , puifque ce mot veut dire
lifeau que les Grecs appellent κολοιός ,
& que la premiere fignification de xoods
eft de marquer un geai . Cette maniere de
concilier enfemble ces deux Auteurs n'a
rien qui me paroiffe choquer la raiſon ,ni
fortir des bornes de la vraisemblance
c'est tout ce qu'on peur attendre dans une
matiere comme celle - ci qui n'eft point
fufceptible de démonftrations métaphyfiques
. S'il fe trouve quelque perfonne ha
bile qui daigne adopter mon fentiment ,
j'en ferai bien aife , s'il s'en trouve qui
II. Vol. veuille
1354 MERCURE DE FRANCE
veuille prendre la peine de le réfuter , je
n'en ferai nullement fâché , je puis dire
même que je lui en fçaurai gré, puifqu'elle
me donnera lieu de profiter de fes lumie
res , ce n'eft même qu'à ce deffein que
queſtion a été miſe fur de tapis.
la
a
POUR CORINE ,
Chienne de Maa Pafquier,
E veux peindre en mes Vers la charmante
Corine ,
Amour , tu fçais pour qui ; dirige mon Pinceau,
Elle n'eft pas ce que l'on s'imagine ,
Et dans fon efpecé canine
Vit-on jamais rien de fi beau.
Quels yeux plus vifs ! quelle plus riche
Elle peut en beauté difputer à l'Hermine
Eft-il un plus joli muſeau ;
Sa phifionomie eft tant foit peu mutine ,
Et ce défaut chez elle eft gracieux.
Une noble fierté marque notre origine.
On connoît à l'air de Corine
peau t
Qu'elle defcend du Chien qui brille dans les
Cieux
Mais ce qui rend pour moi fon fort digne d'envic
,
C'eftqu'elle plaît à deux beaux yeux ,
LI. Vol. Deux
JUIN. 1730. 1355
Beux yeux qui feroient feuls le bonheur de ma
vie
Si l'on me permettoit de foupirer pour eux.
Le Solitaire.
XXXXXXX: X:X:XXXXXX
L
REFLEXIONS.
A clemence dont on fait une vertu fi
rare , fe pratique tantôt par vanité ,
quelquefois par pareffe , fouvent par crain
te , & prefque toujours par tous les trois
enfemble.
Il eft plus beau de faire des Rois que
d'en vaincre. C'eft la penfée de Valere
Maxime , au fujet de Pompée , qui ayant
défait Tigranes , Roi d'Armenie , lui remit
la Couronne fur la tête. In priftinum
fortuna habitum reftituit ; aquè pulchrum effe
judicans & vincere Reges & facere,
Nous pardonnons fouvent à ceux qui
nous ennuyent ; mais nous ne pardonnons
pas à ceux que nous ennuyons. Par
ceque ceux que nous ennuyons nous mé
prifent ; ceux qui nous ennuyent ne font
gue nous importuner.
11. Vol. C'eft
1356 MERCURE DE FRANCE
C'est trop de comettre une faute , & ce
n'eft pas affez de faire toujours fon devoir,
Notre réputation doit nous être moins
chere que notre devoir .
Celui qui fait fon devoir feulement parce
qu'il craint de ne fe pouvoir cacher, s'il
y manquoit , y manquera auffi-tôt qu'il
croira n'être vû de perfonne.
Un vain refpect humain nous fait fou
vent acheter l'approbation d'un petit nombre
de libertins , aux dépens de notre devoir
& de l'eftime de tous les honnêtes
gens.
Il vaut mieux fouffrir l'injuftice que de
la faire,
On doit préferer d'être plutôt juge entre
fes ennemis , qu'entre les amis ; car
étant juge entre les ennemis , on pourra
peut- être fe faire un ami ; mais étant juge
entre les amis , on ne manque guere de ſe
faire un ennemi.
La chicane eft plus à craindre que Pin
juſtice même ; car l'injuftice en nous rui
nant nous laiffe au moins la confolation
d'avoir droit de nous plaindre ; mais la
chicane par fes artifices nous donne le
II. Vol tort,
JUIN. 1730. 1357
tort , en nous ôtant notre bien.
Les procès ne dureroient pas fi long
tems , fi on vouloit examiner fans paffion
les raifons de fon adverfaire , & n'en pas
juger felon fesinterêts.
La morale trop auftere fe fait moins aimer
qu'elle ne fe fait craindre . Qui veut
qu'on profite de fes leçons , doit donner
envie de les entendre . On doit prendre
l'ame par fon foible , & tâcher de la conduire
à la vertu par un chemin qui ne la
rebute
pas.
En faifant bien , on apprend à faire
mieux , & fouvent en failant des fautes
on apprend à fe corriger.
que
Rien n'eft plus aifé de donner des
preceptes , & rien de plus difficile que de
donner de bonnes moeurs .
Faciliùs eft præcepta dare quàm mores.
Il eft bon de ne jamais rien faire d'ex
traordinaire ; mais on doit toujours le piquer
de faire extraordinairement bien
tout ce qu'on fait.
La Fortune donne fouvent trop aux
hommes ; mais à nul fuffifamment .
II. Vol.
Si
E
1358 MERCURE DE FRANCE
Si un foffe fignore dell' univerfo e haveſſe
quanto defideraffe , che naufeate de mondani
diletti , fi difperarebbe vedendo non havere
ritrovata la felicita , e non rimanergli altro
luogo dove cercarle.
En verité , les honneurs , les charges&
les dignités ne récompenfent pas de la
peine qu'on le donne pour y arriver.
L'ambition n'eft blâmable que dans fon
excès ; car elle éleve l'efprit & le courage,
& anime de ce feu divin qui fait les Héros
, & qui rend digne des Empires.
On perd fouvent l'occafion d'acquerir
un bien affuré , en fe flattant d'un plus
avantageux , mais incertain .
› Le deffein commence toutes nos actions
; l'occafion les acheve.
Il y a certaines occafions où l'on ne
fçauroit faire un pas qui ne conduife à
la gloire ou à l'infamic.
Non mancano mai le occafioni agl'huomini
, magl'huomini fono effi che mancano alle
ocafioni.
II. Vol.
ENIG
JUIN. 1730. 1359
J
ENIGM E.
E puis dire qu'en ma figure
L'Art a pris foin d'imiter la nature ;
Et c'eft par lui que je fuis en faveur .
Mon corps eft compofé de mille & mille freres
Avec ordre rangés , d'une égale grandeur ,
Et felon les befoins differens en couleur ,
Dont on voit en tous lieux les peres & les meres
Dès que l'âge ou le tems ont flétri ma beauté ,
Pour me la rendre alors , des mains trop ménaj
geres
Me viennent de liens charger de tout côté.
On me vit en naiffant , fans paroître bizarre ,
Paffer du Prince au Peuple , & devenir moins rared
Aux jeunes comme aux vieux je donne des appas
Chez cent Peuples divers on ne me connoît pas.
LOGO GRIP HE.
JE puis,quoique Latin, paffer pour francifé ;
Puifqu'en ftile François l'on me met en uſage ,
Mais fi mon corps en deux eft divifé ,
Deux mots vraiment Latins font alors mon par
tage ;
L'un défigne un endroit inférieur aux yeux ,
II. Vol. Eij Et .
1360 MERCURE DE FRANCE
AS
Et l'autre un animal vil , abject , odieux ;
Mais laiffons le Latin , parlons Langue connue.
Regardez moi dans mon entier ;
Si vous ôtez mon chef , je vous expoſe en vûë
Le frere d'un Romain , Prince & fameux Guerrier
,
Dont l'Hiftoire eft fi merveilleufe
Qu'elle peut bien paffer pour fabuleuſe.
Remettez ma tête en fon lieu ,
Et ne laiffez auprés que ma feconde Lettre
Tout mortel me doit un aveu
Des defirs qu'en lui je fais naître.
Etes-vous curieux de mes varietés
Vous aurez du fil à retordre.
Remettez mon tout en fon ordre ;
Puis joignez fans rien plus mes deux extremités
Je fuis un mets pour certaine mâchoire
Renvoyez mon membre dernier
Du quatre faites le premier ,
Et pour ajufter ce grimoire ,
← Mettez le trois au quatrième rang ,
Que ce foit tout ; alors je differe du blanc.
Voulez-vous me donner une nouvelle face
Sans déroger à l'ordre , où me voici :
Prenez ma penultiéme , & qu'en ladite place
Elle foit inftallée ici,
Je fuis chez les humains une forte d'ordure ;
Chez certains animaux un mal très - dangereux ,
Prife differemment , poiffon bon en faumure ,
II. Vol.
JUIN. 1730 . 1361
Si l'on me mange frais , encor plus favoureux
En cet état , fi vous ôtez mon ventre ,
Ou la Lettre qui fait directement mon centre ,
J'affecte une grimace ou bien un air boudeux;
Mais j'ai tant de Métamorphofes ,
Que ce feroit un penible travail
D'en continuer le détail.
Par chiffre , à moins de frais , j'indiquerai les
chofes
Que renferme mon corps formé de fix morceaux;
Comptez , tournez , virez , voici mes numeros :
Deux , un , quatre & puis trois , j'offre une Ville.
antique ;
Quatre , trois , deux , un terrible élement ;
Deux , trois , je tiens mon coin dans la Mufique;"
Cinq , trois & deux , je vais rampant ;
Deux , cinq , fix , trois tour fubtil ou d'adreffe
;
Quatre , cinq , fix & trois , j'ai droit fur le Permeffe
;
Six , trois & quatre , on voit un des fils de Noë
Un & deux , quatre & trois , Arbre d'un grand
ufage ,
Et qui par fon touffu branchage
Aidoit aux doux propos de Daphnis & Cloč.
Deux , cinq & trois , plante odoriferante ,
Qui dans la Médecine a plus d'une vertu ,
Ou dans un autre fens , chemin libre & battu ;
Cinq , trois , deux , fix
qu'on chante ,
foit qu'on parle ou'
H. Vol.
Quand iij
1362 MERCURE DE FRANCE
Quand je fuis bon , je plais également ;
Deux & cinq,quatre & trois ,maladie,& fréquente,
Quatre , cinq , deux & trois , fruit de couleur
tachante ,
Qui du mal précedent adoucit le tourment.
Six , cinq , trois , deux , acte de canicule
( Soit dit pour éluder un plus long préambule ).
Deux , un , fix , trois , je deviens une fleur
Suave à l'odorat , & brillante en couleur ;
Deux , un, cinq , trois , voyez une autre ef
pece ,
Je fuis le marchepied d'une aveugle Déeſſe.
Quatre , un , deux , fix , je ne fers qu'au Che
val ;
Quatre , cinq , deux , je fuis formé par la truelle:
Un , cinq , deux , fix , un féroce animal § .
Joignez y trois , vous verrez fa femelle
Et grace au Ciel , la fin de cette kirielle.
新洗洗洗洗洗洗洗
NOUVELLES LITTERAIRES
L
DES BEAUX ARTS &c.
ETTRE CRITIQUE de M *
à M *** fur le Traité de Mathéma--
tique du P.. C. & les Extraits qu'il a faits
dans les Journaux de Trevoux des Mémoires
de l'Académie des Sciences de l'an--
née 1725. A Paris , rue S. Jacques , chez
II. Vol. G..
TUIN. 1730. 1363
6. Martin & L. Guerin 1730. in 4. de so.
pages.
LE JARDINIER SOLITAIRE
contenant la Méthode de faire & de cultiver
un Jardin fruitier & potager & plu
fieurs Experiences nouvelles , avec des
Reflexions fur la culture des Arbres. Cinquiéme
Edition augmentée.Chez le même,
in 12. avec figures.
HISTOIRE ABREGE'E de l'Ancien'
Teftament , avec la Vie de N. S. J. C.
Rue S. Victor , chez Gab. Ch . Berton in 12
à l'ufage des Ecoles. Septiéme Edition .
INSTRUCTION CHRETIENNE pour
les perfonnes qui aſpirent au mariage , ou
qui y font déja engagées , avec un Traité
de l'Education Chrétienne des Enfans.
Chez le même in 12.
SUPPLEMENT à l'abregé de l'Hiftoire
des Plantes ufuelles , dans lequel on
donne leurs noms differens , tant François
que Latins , la maniere de s'en fervir , la
dofe & les principales compofitions de
Pharmacie dans lequelles elles font employées.
Par J. B. Chomel , Docteur Regent
en la Faculté de Medecine de Paris ,
de l'Académie Royale des Sciences , Con-
II.Vol
E-iiij feiller
1364 MERCURE DE FRANCE
i
7
feiller & Medecin ordinaire du Roi. Tome
troifiéme. A Paris , rue S. Jacques ,
chez Jacq. Clouzier. 1730. in 12 de 214.
pages , fans le Catalogue des Plantes qui
en contient 116. & fans la Table Alphabetique.
M. Chomel avertit obligeamment dans
un Avis au Lecteur , qu'il a fuivi le même
' ordre qu'il avoit obfervé dans les Editions
précedentes , & qu'il n'a rien changé ni :
augmenté dans les deux premiers Volu
mes. Il a refervé ce qu'il a recueilli depuis:
leur impreffion pour en former ce Suplement
qu'on peut avoir à de frais ,
fans être obligé d'acheter un nouveru
Livre tout entier..
peu
HISTOIRE de Fleur-d'Epine , Conte:
Par M. le Comte Antoine Hamilton . A
Paris , rue S. Jacques > chez J. Fr. Joffe
1730. in 12 de 275. pages .
Après l'accueil favorable qu'on a fait
au Conte du Belier , le Libraire efpere que
celui -ci fera lû avec autant de plaifir. Le
goût du Public pour les Ouvrages de cèt
Auteur l'ont engagé à les rechercher avec
foin , il en a trouvé un affez grand nombre
de cette efpece , manufcrits , & il promet
dans fon Avertiffement de les donner
de fuite. Il affure qu'ils ne fe cedent point
les uns aux autres,& qu'il y a dans tous les
I I.Vol -mêmes.
JUIN 1730 1365
mêmes graces du ftile , cette fertilité d'imagination
inépuifable & ce naturel
charmant qui faifoient le caractere de M ,
Hamilton.
LA VIE DE PIERRE MIGNARD ,
Premier Peintre du Roi , par l'Abbé de
Monville &c. A Paris , Quay des Auguf
tins , chez Boudot & Guerin 1730.
Nous avons donné dans la premiere
Partie de cet Extrait ce qui regarde la
Vie de Mignard depuis fa naiffance jufqu'à
fon voyage de Rome & fon retour en
France.
Il fut très bien reçû à la Cour , & fon
premier Ouvrage fut le Portrait du jeune
Roi Louis XIV. fait en trois heures , die
Auteur , & envoyé fur le champ à Madrid.
Mignard exprima fi bien cet air de
grandeur & de majesté qui a toujours été
gravé fur le front de ce Monarque, que
toute la Cour d'Espagne en fut frappće .
L'Infante , à la vûë de ces traits auguftes,
fouhaita que le Ciel la fit bientôt le fceau
& le noeud de la Paix .
La Reine more ne tarda pas à ordon
ner à Mignard de la peindre . Elle avoit les
mains parfaites , & elle ne les regardoic:
pas fans une fecrette complaifance . Mi--
gnard imita avec la derniére précifion
cette belle proportion & cette délicateffe
I-I, Vol. Ey
qu gui
1366 MERCURE DE FRANCE..
=1
qui
les rendoit admirables. Il fçut join--
dre dans le Portrait de la Reine mere ,
la jeuneffe qu'elle n'avoit plus , à la beauté
qu'elle avoit encore. Les Courtiſans
n'eurent befoin que de fincerité pour approuver
& pour loüer. Cette Princeffe :
elle- même vit cet effet de l'art avec un
plaifir que fa vertu ne put fe refufer.
Il peignit enfuite le Cardinal Mazarin .
Son Portrait avoit été jufqu'alors l'écueil
de tous les Peintres ; la gloire d'y réüffir :
étoit réfervée à Mignard . Il fe furpaffa luimême
dans cet Ouvrage. Mais cet extrait
feroit bien plus long qu'il ne faut fi on:
s'arrêtoit fur tous les excellens Portraits :
de cet habile Maître. Il fit plufieurs fois
celui du Roy , de la Reine,de Monfieur,
de M. le Dauphin & de quantité de Prin--
de Seigneurs , de Dames , de Minif
tres & d'un tres- grand nombre de perfonnes
de diftinction , qui lui firent une
tres- grande réputation.
ces ,
*
Le premier Portrait qu'il peignit à Paris
fut celui du Duc d'Efpernon . Ce Sei--
gneur qui fe piquoit de vivre en Prince,,
paya mille écus ce Bufte , afin , difoit- il
de mettre le prix aux Portraits de Mignard;;
& lui ayant fait peindre à Frefque dans
fon Hôtel , depuis l'Hôtel de Longue--
ville , une chambre & un cabinet , il luienvoya
40000 liv. L'eftime que les con--
LI.Vol noiffeurss
JUIN. 1730 1367
noiffeurs firent de ces Peintures , donnerent
un nouvel éclat à cette liberalité.
Le Portrait de la Marquiſe de Gouvernet
entr'autres furprit & charma : on y
trouya cette vie que les effets furprenans
dont l'hiftoire a confervé le fouvenir
donnent lieu de croire qu'avoient les Tableaux
des Peintres Grecs. On a vû fou
vent le Perroquet de Madame de Gouvernet
dire à fon Portrait : Baifez-moi, ma
maitreffe.
La Reine mere ayant enfin vû au gré
de fes fouhaits , le Dôme du Val- de- Grace
élevé , crut qu'il ne manqueroit rien à
la magnificence de cet Edifice , fi elle en
faifoit peindre la Coupe par le fçant
Maître que Rome avoit rendu peu d'années
auparavant à la France. Cette Princeffe
confia ce grand Ouvrage à Mignard
qui le finit en huit mois.
A
-
On peut dire en effet que le Val-de-
Grace n'eft peut- être pas moins le triomphe
de la peinture que celui de Mignard.
Jamais production de l'Art ne mérita
mieux Epithete Italienne , dont il eft
fi difficile de faire paffer toute l'énergie
en notre langue , opera daftupire
L'Agneau Pafcal , environné d'Anges
profternez , & le Chandelier à fept bran--
ches , viennent frapper d'abord le Spec- ~
tateur , que le premier regard ravic , char
Evj me
T368 MERCURE DE FRANCE
me ,failit. On lit au deffous ces paroles" :
Fui mortuus , & ecce ſum vivens.
I
Plus haut , un Ange porte ouvert, le Li--
vre fcellé de fept Sceaux , dont il eft parlé
dans l'Apocalypfe.
Le Signe adorable de la Croix eft vû
dans les Airs , à une diftance fupérieure's
porté,foutenu & couronné par les Anges.
Dans le centre eft une Gloire , où les
'trois Perfonnes de la Trinité paroiffent
fur un Trône de Nuës . La Puiffance , la-
Grandeur , la Majefté éclatent fur le vi--
fage & dans toute l'attitude du Pere ; fa:
main droite eft étenduë ; de la gauche il
tient le Globe du Monde . JESUS CHRIST
cft reprefenté tel que dans l'Ecriture , of--
frant à fon Pere les Elus qu'il lui a don--
nez , & faifant parler fon Sang répandu
pour tous les hommes. L'Efprit Saint fous
la forme d'une Colombe , placé au milieu
d'eux. Un vafte cercle de lumieré les en--
vironne. Le jour qu'elle répand a quelque
chofe de furnaturel ; c'eft un jour pur,,
c'eft une clarté divine ; tout le fujet en eft
clairé
Les Choeurs des Anges groupez dans
cette lumiere ; compofent le premier Or--
' dre de la Cour celefte . Une infinité de
Chérubins entourent la Divinité . Un
grand nombre d'Anges forment des Con--
certs d'autres plus proches du Trône fe
cachent
JUIN 1730. 1369
cachent de leurs aîles , & baiffent leurs
yeux éblouis.
Auprès de la Croix eft la fainte Vier
ge à genoux fur un nuage, fuivie , mais à
quelque diftance , de la Magdelaine &
des autres pieufes Femmes qui rendirent
à Jefus mourant les honneurs de la Se--
pulture. De l'autre côté on voit S. Jean--
Baptifte dans une attitude grave & noble,
tenant la Croix qui fert à le défigner-
A droit & à gauche de l'Agneau Paf--
chal font les quatre Peres de l'Eglife Latine
, les Miſteres de la Loy ancienne mê--
lez avec les attributs de la Loy nouvelle , ›
font voir la liaiſon éternelle des deux Teftamens.
A droite on recennoît S. Ambroife
& S. Jérôme . Le Pape S. Gregoire &.
guftin font à gauche , fuivis de faint
ouis & de la Reine Anne d'Autriche..
Elle dépofe fa Couronne pour s'humilier
devant le Roy des Rois , & elle lui offre
le Bâtiment qu'elle vient d'élever en fon
honneur . Un roulement de nuës fépare
les deux Peres qui font à gauche des Apôtres
& de ceux d'entre les Saints que ·PE
glife honore fous le nom de Confeffeurs.-
S. Benoît , pere de tous les Moines d'Occident
, dont les Religieufes du Val- de
Grace fuivent la Regle , eft vû dans un
rang éminent.
Une Légion innombrable de Martyrs
II.Vol.
occupe
1370 MERCURE DE FRANCE.
20
Occupe la place qui fuit . Ils ont à leurs
pieds les fondateurs des Ordres Religieux .
Sous cette partie de l'Eglife triomphante
eft écrit : Laverunt ftolas fuas in fanguine
Agni.
Moyfe tenant les Tables de la Loy
Aaron l'encenfoir à la main.David, Abraham
, Jofué , Jonas , & quelques autres
Saints de l'ancien Teflament forment le
bas du Tableau.
Les Anges qui emportent l'Arche d'al--
fiance , marquent excellemment que la
Loy de Grace a pris la place de la Loy Figurative
, & qu'on ne peut meriter le ciel
que par celui qui a die qu'il étoit la voye,,
la verité & la vie. Le paffage qui eft audeffous
ne laiffe pas lieu de douter que ce
mait été là l'efprit du Peintre : Sains. Dee
•·noftro & Agno..
Le chafte troupeau des Vierges remplit
tout ce qui refte de place. Le privilege
qu'elles ont de fuivre par tout l'Agneau
fans tache , eſt expliqué par ces mots :
•Sequuntur Agnum quocumque ierit.
On voit une foule d'efprits celeftes ré--
pandus dans differens endroits , les uns
-apportent des palmes aux Vierges & aux
Martyrs : les autres font fumer l'encens
en l'honneur du Très -Haut. Rien n'eft
oublié de tout ce qui peur donner quelque
idée de cette demeure , que l'oeil n'a
2
HiVol. -point
JUIN 1730 1371

C
3
point vû , que l'efprit humain ne fçauroit
comprendre ; de cette felicité pleine
& immuable , dont celui qui eft l'Auteur
de toute felicité enivre à jamais fes Saints.
Sic exultant Sancti in gloria , fic lætanturin t
cubilibus fuis ; lit- t'on au bas , Pfeaume
149..
Mignard fit quelque tems après beau
coup d'ouvrages à frefque à l'Hôtel d'Her
vart , aujourd'hui l'Hôtel d'Armenon--
vile. Il peignit dans la vouté du cabinet
l'apotheofe de Pfiché son la voit qui s'é--
leve vers le plus haut de l'Olympe,portée
par Mercure & par l'Hymenées Jupiter
paroît empreffe à recevoir la nouvelle
Divinité qui vient embellir fon Empire.-
Cette fleur de la premiere jeuneffe , dont
les charmes font fi puiffans & à la beauté
la plus reguliere , fe joignent fur le vifage
de Pfiché, ces graces féduifantes qu'inf
pire le defir de plaire , &c.
On fçait le cas que font les Curieux
des Ouvrages de ces grands Maîtres d'I--
talie , qui outre leur merite réel , ont en--
core chez les demi-fçavans le merite de
n'être plus , ils élèvent la réputation des >
morts fur le débris de celle des vivans.-
Mignard ; qui avoit le rare talent d'attraper
parfaitement les differentes manieres
des plus excellens Peintres , ayant
-peint fur une toile d'Italie , une Made-
2
II! Vol . leine
132 MERCURE DE FRANCE .
:
leine dans le gout du Guide , ce tableau
fut vendu deux mille livres , pour être de
ce dernier Maître, au Chevalier de Clairville
, qui le jugea tel , ainfi que les plus
grands Curieux & Connoiffeurs ; & M. le
Brun lui-même.
Cependant quelque bruit s'étant rés
pandu , que cette Madeleine étoit de Mignard
, le Chevalier de Clairville alla le
trouver. Il répondit modeftement fur
l'honneur qu'on lui faifoit , & fit entrevoir
qu'il ne croioit pas le tableau du -
Guide. M. le Brun , foûtient le contraire,
lui dit le Chevalier , & je vous prie de
main à dîner avec lui pour éclaircir cette
affaire . La partie liée avec plufieurs Cornoiffeurs;
tout le monde fut du fentiment
de le Brun , & la difpute s'échauffa ; &
Mignard propofa 300 louis à parier
que le tableau n'étoit pas du Guide . Ie
Brun vouloit accepter le pari , & quand
Mignard vir la chofe auffi avant engagée
qu'elle pouvoit l'être pour fa gloire ; je :
ne puis pas parier en confcience , dit -il ,
car le tableau eft de moi ; & il en donna
la
preuve fur le champ , en découvrant
avec de l'huile de therebentine un endroit
du tableau , fous les cheveux de la Madé--
laine , où l'on trouva la Barette d'un Car- -
dinal qui avoit été peint d'abord fur cette
toile Mignard voulut reprendre fon ta--
II.Vol. bleau
JUIN. 1730. 1373
bleau & rendre les deux cent piftoles au
Chevalier , mais celui-ci fut bien-aife de
le garder.
Les portraits pour lesquels Mignard
étoit toûjours de plus en plus recherché
n'épuiferent pas tout fon tems , il fit de
tems en tems des ouvrages à frefque , &
des tableaux de chevalet.
La belle Ducheffe de Briffac , de la Maifon
de S. Simon , fouhaita alors que Mignard
fit fon portrait , & elle eut défiré
qu'il ne la fit pas attendre long-tems .
C'étoit beaucoup exiger d'un homme qui
ne difpofoit pas de fes momens à fon gré.
Elle engagea Racine à lui en parler , &
Mignard donna à l'amitié ce qu'il eut
peut-être refufé à toute autre confideration
. Il peignit Madame de Briffac en
grand avee un Amour auprès d'elle , dont
elle tient le flambeau , & qu'elle paroît
avoir défarmé . C'eft ainfi qu'elle avoit
voulu être reprefentée. Ce portrait fit
d'autant plus d'honneur à fon auteur ,
que la beauté de la Ducheffe de Briffac
confiftoit moins dans la regularité , que
dans l'enfemble , & dans le jeu des traits :
que d'ailleurs il avoit été queſtion d'épier
,fi l'on peut parler ainfi , & de fixer
fur fon vifage ces graces fugitives , qui
tiennent aux differens mouvemens de l'ame,
& de peindre même le fentiment qui
les fait naître. Il
1374 MERCURE DE FRANCE
Il fit quelque tems après le portrait de
la Ducheffe de la Valiere. Elle eft peinte
au milieu de fes deux enfans , le Comte
de Vermandois , jeune Prince que le'
Ciel n'a fait que montrer à la terre , &
Mademoifeile de Blois , depuis la Princeffe
de Conti , que Mignard bon connoiffeur
, affuroit dès-lors devoir être un
jour la plus grande beauté de fon fiecle.
Madame de la Valiere eft reprefentée tenant
un chalumeau , d'où pend une boule
de favon , autour de laquelle on lit: Sic
tranfit gloria mundi. Image naturelle de
la vanité ou occupation des hommes , &
fur tout des faveurs de la Cour. Cette
genereufe perfonne qui a fait voir qu'un
Roy peut être aimé pour lui- même , fe
préparoit déja au grand facrifice , qu'elle
confomma bien-tôt après. Il est vrai-femblable
, que ce fut elle qui donna l'idée
du tableau ; & il eft certain que fes
agrémens n'étoient pas diminués lorfqu'elle
prit le parti de les enfevelir dans
la plus auftere retraite. La France n'ou-
Bliera jamais les grands exemples qu'elle
a donné fous le nom de Sour Loüife de
Ja Mifericorde. Une fainte mort'a couronné
des vertus que nous voyons revivre
aujourd'hui dans fon augufte fille.
Le Roy voulant un jour fçavoir l'idée
que le Duc de Montaufier avoit de le
II.Fol
Brun
TUIN. 1730. 1375
Brun & de Mignard , qui avoient chacun
leurs Partifans : Sire , répondit-il , je ne
me connois pas en peinture , mais il me pa
rcit que ces hommes la peignent comme leur
nom.
Au mois de Mars 1677 , feu Monfieur,,
Frere unique de Louis XIV. ne dédaigna
pas d'aller chez Mignard , & il eut la bonté
de lui dire , qu'il faifoit bâtir exprès à
S. Cloud , une Galerie , un cabinet & un
falon , afin de les lui faire peindre , &c.
Mignard prit Apollon pour fujet princi
pal de ce grand ouvrage. Toutes les avantures
que la Fable prête à ce Dieu , tous
les attributs qu'elle lui donne , font parfaitement
reprefentés dans la Galerie..
A l'un des bouts on le voit dans l'inftant
de fa naiffance fur les genoux de Latone.
Vis-à-vis il eft vû fur le Parnaffe avec les
Mules. Dans le premier tableau , Latone
infultée par les payfans de Lybie , s'adref
fe à Jupiter qui la vange en changeant
ces hommes impitoyables en grenouilles.
La Divinité qui prefide aux beaux Arts ,
& aux differens talens de l'efprit , prefide
auffi aux faifons ; elles font peintes d'un
côté & de l'autre de la galerie , &c. Dans
le grand plafond , au milieu de la galerie ,
qui fert comme de couronnement à tout
Fouvrage , le Soleil fous la figure du Roi
paroît fur un char , tiré par quatre che
II. Fol Vaux
1376 MERCURE DE FRANCE,
vaux blancs .... l'Aurore le precede ,& c .
A la page 116 de ce livre , il y a une
faute de Copifte dont l'Auteur fera fans
doute bien aife que nous avertiffions le
Lecteur. En parlant du Portrait que fit
Mignard de Marie- Loüife d'Orleans , fille
aînée de Monfieur & d'Henriette d'Angleterre
son a mis que fon mariage venoit
d'être conclu avec Philippe IV. Roi d'Efpagne
, il faut lire Charles II.
Nous abregeons à regret la defcription
des peintures de S. Cloud , où Mignard
fit encore quantité d'autres grands Ou
vrages , comme le cabinet de Diane en
quatre grands tableaux & le plafond de
Aurore , le grand falon , où l'on voit
Olympe & tous les Dieux réunis , pour
voir Mars & Venus qui vont être envelo
pez par les retz de Vulcain , & c.
En 1684 il peignità Verfailles le petit
apartement , & pour faire voir que la perfection
où les Arts ont été portez en Fran
ce , étoit l'effet de la protection du Roi ,
fla reprefenté au milieu du plafond fur
des nuages , Apollon & Minerve ; le Genie
de la France eft debout entre ces deux
Divinitez , tenant un Lys d'une main &
s'appuyant de l'autre fur le genoux de
Minerve. On voit au deffous plufieurs
groupes d'Enfans , environnez des Inftrumens
des Sciences & des Arts . Ces
II. Vol.
Dieux
JUIN. 1739. 1377
?
Dieux leur diftribuenr des Couronnes.
de Laurier & des Medailles d'or. Aux
deux Salons qui terminent cette Galerie
il peignit au premier , Promethée qui a
dérobé le feu du Ciel , & dans l'autre
Pandore , & c. Après ces Ouvrages , Mignard
peignit le beau plafond du grand
Cabinet de Monfeigneur , qui ne fubfifte
plus.
Au mois de Juin 1687. Mignard fut
ennobli. Son tableau reprefentant l'hommage
de la Mer au Roy , fuivit de près
cette marque glorieufe dont S. M. venoit
de l'honorer.
Le Portrait de la Ducheffe du Lude
fut finienviron ce tems là . A l'affection &
l'eftime qu'elle avoit pour Mignard
elle joignit une telle inclination pour fa
fille que l'amitié la plus tendre y fucceda
bien- tôt , lorfque Mademoiſelle Mignard
devint , par fon mariage avec le Comte
de Feuquieres , coufine germaine de la
Ducheffe du Lude.
Un de fes derniers portraits eft celui de
Madame de Foix : Elle avoit des charmes
dans l'efprit , dont on ne pouvoit fe défendre.
Il fçût la peindre telle qu'elle étoit
effectivement , plutôt jolie que belle , parée
de cet art de plaire qui n'accompagne
pas toujours la beauté , & qui lui eft fouvent
préferé. La plupart des femmes , diloit
II. Vol.
1378 MERCURE DE FRANCE
ce Peintre , ne fçavent ce que c'est que de fe
fairepeindre telles qu'elles font ; elles ont une
idée de la beauté à laquelle elles veulent ref
fembler : c'eft leur idée qu'elles veulent qu'on
copie , & non pas leur visage.
Le fameux le Brun étant mort au mois
de Février 1690. le Roi donna ſur le
champ à Mignard la Charge de Premier
Peintre & Garde General du Cabinet des
Tableaux & Deffeins de S. M. Il fut nommé
en même-tems , Directeur & Chancelier
de l'Academie Royale de Peinture &
Sculpture , & Directeur de la Manufacture
Royal des Gobelins . Il mourut à Paris
le 13. Mai 1695. âgé de 84. ans ,
fix mois
& quelques jours.
L'Auteur termine la Vie de Mignard
par cet Eloge: Sa compofition eft riche
gracieufe & noble. Grand Poëte dans l'invention
, fa difpofition eft fçavante & fage
, fon ftile heroïque & fublime , fonpinceau
hardi , moelleux & leger. Tout
cela fans perdre de vûë les beautez du détail.
Ses expreffions font vrayes , confor
mes à l'action , moderées fans être infipides
; toûjours nobles , toujours élevées .
Il drapoit d'un grand goût : fes plis font
grands & bien jettez , marquant & flatant
judicieufement le nud , en imitant , autant
qu'il eft poffible , la varieté des étoffes
, &c. C'eft fur les Memoires de la
11. Vol. Comteffe
JUIN. 1730. 1379
Comteffe de Feuquieres qu'on a écrit la
vie de fon illuftre Pere ; c'eft elle , pourfuit
l'Auteur , qui lui fait rendre un honneur
fi bien merité , & lui donne cette
derniere marque de fa pieté , de fon rel
pect & de fa tendre reconnoiffance .
DEMOCRLTE PRETENDU FOU , Comedie
en trois Actes , reprefentée pour la premiere
fois fur le theatre de l'Hôtel do
Bourgogne , le Lundy 24. Avril 1730 .
A Paris , rue dela Harpe , aux trois Rois
chez L. D de la Tour 1730. in 80. 82. pa
ges.
Cette Piece dont nous avons donné une
Extrait affez étendu dans le dernier Mercure,
& marqué le fuccès , a eu 22. Repre
fentations au profit de l'Auteur , & les
aplaudiffemens qu'elle a cûs ne font
pas démentis par l'impreffion . Le plaifir.
qu'elle fait à lire eft prouvé par le débit.
Au refte ce n'eft pas ici le feul Ouvrage
que M. Autreau ait donné à l'Hôtel de
Bourgogne.
Deux ans après l'arrivée des Comediens
Italiens à Paris , la curiofité du Pue
blic étant affez fatisfaite , & toutes leurs
Pieces plufieurs fois repriſes , ayant perdu
la grace de la nouveauté , leur Theatre
devint défert , & ils fentirent le befoin
qu'ils avoient de Pieces Françoifes , mais
II, Vol.
aucun
1380 MERCURE DE FRANCE
aucun bon Auteur François n'ofant rif
quer de travailler pour des Acteurs étrangers
, la Troupe le difpofoit à paffer en
Angleterre. Dans cette conjoncture , il fit
pour eux la Piece intitulée , Le Naufrage
au Port à l'Anglois , dont le fuccès les arrêta
à Paris , & donna courage à d'autres
Auteurs de travailler pour eux.
Il leur donna enfuite L'Amante Roma
nefque , on la Capricieufe , en cinq Actes ,
laquelle pour quelques mots quifentoient
un peu trop l'ancien Theatre , tomba d'abord
, mais elle fe releva enfuite , réduite
en trois Actes , & plût beaucoup ; la Demoifelle
Silvia & Arlequin y ayant des
rôles très avantageux . L'indifpofition
d'une Actrice en arrêta le cours au fort
de fon fuccès. Comme le fond de la piece
eft bon & les divertiffemens agréables &
bien amenez , il l'a refaite depuis prefque
d'un bout à l'autre , & on doit la remettre
inceffamment au Theatre comme
neuve.
La Comedie , Les Amans ignorans , fuivit
celle- ci , & attira beaucoup de monde
.
Panurge à marier, parut enfuite , dont le
Prologue & le premier Acte , qui font des
Pieces détachées , réüffirent parfaitement;
on les joua plufieurs fois ; & comme le
fujet de la Piece fut trouvé bon & d'une
II. Vol. invention
JUIN. 1730. 1381
invention heureufe & finguliere , je l'ai
encore travaillée depuis toute entiere avec
foin , & l'ai même augmentée d'un Acte
nouveau. Les mêmes Comediens promet
tent de la redonner bien- tôt.
La Fille inquiéte , ou le Befoin d'aimer ,
vint enfuite , mais elle n'eut aucun fuccès.
On ne sçauroit bien dire pourquoi ,
car cette Piece fait plaifir à lire , & l'édition
qu'on en fit alors fut toute venduë
en peu de tems.
M. Autreau , après avoir été quelquestems
fans travailler , par dégoût & par
d'autres raifons particulieres , s'eft remis
à faire fa cour à Thalie , & il prépare pour
differens Theatres , encouragé par le fuccès
de Démocrite , plufieurs Ouvrages
dont il efpere que le Public fera content.
Il va bien-tôt paroître un Ouvrage intitulé
LE THEATRE DES GRECS , dont leR.P.
Brumoy Jefuite , qui en eft l'Auteur , a
donné par avance l'idée & le plan imprimé
C'eft un Ouvrage de goût , qui avoit
toujours manqué à la République des
Lettres . Quatre ou cinq Pieces , foit Tragiques
, foit Comiques , données féparément
par quelques Sçavans , n'en ont
donné qu'une legere idée. Il étoit donc
neceffaire de réunir tous les précieux
reftes que le tems nous a confervez pour en
II. Vol. F com1382
MERCURE DE FRANCE
"
compofer un corps vivant & animé , &
pour rebâtir le Theatre ancien fur fes propres
débris. C'eft ce que l'Auteur dit fort
modeftement avoir effayé de faire après
un travail de neufannées.
Il divife fon Ouvrage en trois Parties.
La premiere eft précedée de trois Difcours
également utiles aux Sçavans de
-Profeffion , & aux Gens d'efprit , & qui
rendent le refte de l'Ouvrage avantageux
aux uns & aux autres. Le premier Difcours
traite de la maniere de confiderer le
Theatre des Grecs. Le but du P. Brumoy.
eft de bien convaincre le Lecteur que dans
le Pays de l'Antiquité , il faut marcher
avec de grandes précautions , quand il
s'agit de prononcer fur des Ouvrages de
gout : S'il eft des regles pour les expofer,
il en eft auffi pour en juger. Le fecond
-Difcours préliminaire a pour Sujet l'origine
& l'accroiffement de la Tragedie
Grecque. Dans le troifiéme Difcours
l'Auteur fait voir l'étendue & les bornes
de la comparaiſon entre le Theatre antique
& le moderne , & difpofe l'efprit à
faire un parallele fans prévention & équitable
de l'un & de l'autre , en comparant
le caractere des Siecles & des Genies , des
Poëtes & des Spectateurs.
Après ce Difcours , l'Auteur entre dans
la premiere Partie de fon Ouvrage : Elle
II.Vol. 3. comprend
JUIN. 1730. 1383
comprend la Traduction entiere de fept
Tragedies , dont trois font de Sophocle
& quatre d'Euripide : il inftruit le Public
des raifons pour lefquelles il ne traduit
en entier aucune Piece d'Efchyle , le Pere
de la Tragedie. Quant à celles des deux
autres Poëtes , il n'a pas , dit- il , choiſi
les plus belles pour les traduire , mais
feulement celles qui lui ont paru avoir le
moins de ces manieres Grecques , fi capables
de nous choquer , à la reſerve de
celle d'Alceste , qu'il a traduite de deffein
formé , tout entiere : il rend raiſon de ce
qui l'a engagé à le faire.
Il explique enfuite fa penfée fur la Traduction
de ces Poëtes : & cette digreffion
fait voir la folidité du genie de l'Auteur ,
& combien il eft exact & judicieux. Défigurer
ces Pieces , dit-il , ce n'eft pas les
traduire ; c'eft là le défaut de la plûpart
des Traductions. Ce défaut vient de trois
caufes. La premiere eft une exactitude
fcrupuleuse à rendre mot pour mor le
Grec en François , & d'en fuivre les tours
dans la Traduction. La feconde confifte
à changer les expreffions reçûes dans le
bel ufage de l'antiquité en termes bas &
populaires , c'eſt une Parodie plutôt qu'u
ne Traduction. Le P. Brumoy reproche
cette malignité à M. Perrault. La troifié
me eft de rendre en François chaque Epi-
II. Vol.
Fij thete
1384 MERCURE DE FRANCE
2
thete & d'amortir par un allongement
vicieux tout le feu de la Poëfie Grecque.
L'Autheur développe enfuite la route
qu'il a fuivie dans fa Traduction : il a eu
foin de l'enrichir de Notes curieuſes , &
de mettre à la tête de chaque Tragedie le
Sujet expliqué , autant qu'il peut l'être
& à la fin quelques Obfervations fur le
gout & le tour de chacune de ces Pieces.
*-
La feconde Partie de l'Ouvrage eft com- ·
pofée d'environ 50. Pieces Theatrales . I
yen a fept d'Efchile , autant de Sophocle
, dix- huit d'Euripide , & autant d'Ariftophane
; l'Auteur ne les a pas traduites
au long , par l'impoffibilité qu'il y a
d'y réüffir , par rapport au gout de notre
fiecle : il en donne les preuves dans fon
Projet imprimé : il y a fuppléé par des
Analyfes raifonnées , ou prefque tout eft
traduction & où aucun trait confiderable
- n'eft obmis : & pour rendre ces Analyfes
auffi curieufes qu'utiles , le P.Brumoy a cu
foin de recueillir , en paffant , des traits
d'Hiftoire , & des pensées de divers Poëtes
qui y avoient quelque conformité , &
d'y joindre des caracteres & des tours
imités exprès , ou par hazard .
Le Theatre de Seneque fournit encore
à notre Auteur de quoi enrichir fon Ouvrage
, parce que la plupart des Pieces
Latines que nous avons fous ce nom , font,
II. Vol. .
dit-il ,
JUIN. 1730. 1283
dit-il , tirées des Grecs. Ainfi il en fait la
confrontation avec les Pieces Grecques ;
& il avertit le Lecteur qu'on regrettera
fans doute le Theatre Romain du fiecle
d'Augufte , que le tems nous a envié . Il
fait remarquer en paffant , que Seneque
& Lucain ont été en partie l'origine du
Theatre François : il fait à ce fujet une
belle comparaifon qui n'eft pas au défa
vantage de nos Poëtes , & qu'on peut voir
dans le projet auquel nous renvoyons.
Il n'a pas manqué de faire remarquer
les imitations qu'en ont fait les Modernes
, afin de jetter plus de lumieres fur les
Originaux qu'on veut connoître.
Le P. Brumoy ajoûte à ces deux Parties
du Theatre une troifiéme , qui concerne
le Theatre comique : elle comprend un
long Difcours fur la Comedie Grecque ;
les onze Pieces d'Ariſtophane rangées fuivant
l'ordre de leurs dattes , & une con
clufion generale de tout l'Ouvrage . Le
fujet du Difcours eft la perfonne & les
Ouvrages d'Ariftophane , fes partifans &
fes critiques , un jugement fur les uns &
les autres , la Comedie Romaine , & d'autres
Curiofités utiles. "
L'Auteur y joint des Obfervations neceffaires
pour lire avec fruit ce qu'il donne
d'Ariftophane ; les faftes de la guerre
du Peloponese , à laquelle prefque toutes
II. Vol.
Fii
les
1386 MERCURE DE FRANCE
les Pieces ont rapport. Dans le détail des
Pieces, outre la Traduction de tout ce qui
peut être traduit , ifexplique tous les évenemens
Hiftoriques qui y conviennent
& qui regardent pour la plupart le Gouvernement
d'Athénes. Enfin l'Auteur
dans la conclufion de fon Ouvrage , examine
le Theatre dans fes commencemens,
dans fon progrès & dans les diverfes décadences:
ils'attache à donner une vraïe idée
du genie d'Ariftophane , & de faire voir
le tour de fes railleries , fes défauts & les
beautés de fes peintures allegoriques , fur
tout celles du Peuple Athénien : il continuë
ces mêmes Réflexions à l'égard des
trois autres Poëtes , & donne ainfi une
nouvelle efpece de Poëtique par les faits.
Le feul Projet de cet Ouvrage fait connoître
le gout fin & l'exactitude des recherches
de l'Auteur du Theatre des
Grecs.
On a orné l'Ouvrage d'un Frontifpice ,
de plufieurs Vignettes , & d'une Carte.
Le fond du Frontifpice eft un Theatre
d'Ordre Ionien . Le Genie François qui
préfide à la Scene , leve leur rideau ; &
l'on voit la Déeffe d'Athénes fur un nuage.
Elle montre à Melpomene & à Thalie
, caracterifées par leurs Symboles , &
plus encore par les noms de nos plus illuftres
Poëtes François , un Olivier , dont
II. Vol.
le
UIN. 1730. 1387
le Tronc eft revêtu en Trophée de Théatre
, & des branches duquel pendent quatre
Médaillons où font les noms des qua
tre Poëtes Athéniens . Les Latins ne font
pas oubliez dans un Rouleau , porté par
un Génie.Quantité
d'autres petits Génies,
dont les vols & les attitudes fe contra
ftent , contribuent à animer le Deffein.
On a mis au bas ces deux Vers de Boi
leau.
Des fuccès fortunez du Théatre Tragi
que ,
Dans Athénes nâquit la Comédie antique.
Les Vignettes repreſentent les plus frap?
pantes fituations des Tragédies aufquelles
on les
auffi variez les fujets .
rapporte.
que
Les ornemens en font
La Carte ne pouvant montrer aux
yeux toute la Grece , vû fa grandeur, n'en
fait voir qu'une partie , mais la plus effentielle
pour le Livre ,
le Livre , fur tout pour l'intelligence
d'Ariftophane.
On a gravé auffi quelques Monnoyes
les Athéniennes. Le tout a été fait par
plus habiles Maîtres.
Les Caracteres & les Papiers font les
mêmes que ceux du Projet imprimé.
Les Exemplaires, en grand papier , font
imprimez fur le plus beau Grand-Raiſin
d'Auvergne.
II. Vol. Fiiij Or
1588 MERCURE DE FRANCË.
On avertit enfin qu'on ne tirera qu'un'
tres petit nombre d'Exemplaires de cet
Ouvrage,
Et quoiqu'il foit d'une dépenfe confidérable
, les trois volumes in 4 ° . petit
papier , ne fe vendront que 20 livres en
feuilles , & 30 , en grand papier , à ceux
qui s'affureront des premiers Exemplaires
; ils auront outre cela l'avantage des
premieres épreuves des Figures & Vignettes.
On s'adreffera à Paris , aux Libraires
ci -deffus ; & dans les Provinces
chez les principaux Libraires.
2
L'Ouvrage entier paroîtra au mois
d'Octobre de cette année 1730. en trois
volumes in 49. avec Figures , chez Rollin
pere & fils , Quay des Auguftins , & chez
Coignard, fils , rue S.Jacques.
Livres que Cavelier Libraire , ruë faint
Jacques à Paris, a nouvellement reçûs des
Païs étrangers.
i
Prolegomena ad Novi Teftamenti Græci
Editionem accuratiffimam è vetutiffimis
Cod. M. S S. denuò procurandam
proponitur , animadverfiones & cautiones
ad examen variarum lectionum
N. T. neceffarias. 49. Amft. 1730.
Gotha numaria fiftens Thefauri Fridericiani
Numifmata Antiqua , Aurea, Argentea
, Ærea , eâ ratione deſcripta
II. Vol. ut
JUI N. 1730. 1389
ut generali eorum Notitia Exempla
fingularia fubjungantur Auctore Chrift.
Sigil. Liebe , in fol. fig. Amft. 1730 .
Les Vertus Médicinales de l'Eau commune,
où Receuil des meilleurs Piéces qui
ont été écrites fur cette matiere ; aufquelles
on a joint la Differtation de
M. de Mairan , fur la Glace, & celle de
M. Frid. Hoffinan , fur l'excellence des
Remedes domeftiques , traduites du
Latin ; nouv. Edition , augmentée de
plufieurs Piéces , 2. vol. in 12. Paris ,
1730.chez Cavelier, rue S. Jacques.Les
2 vol . ont 880 pages , fans la Préface.
N. B. Cette Edition eft augmentée de plus
de moitié , & beaucoup plus exacte que les
précedentes.
Bibliotheque Germanique , ou Hiftoire Lit
teraire de l'Allemagne , année 1729 .
tom. 18. in 8. Amft. 1730.
Bibliotheque raisonnée des Ouvrages des
Savans de l'Europe . Janvier , Février
Mars 1730. tom. IV. premiere Partie į
in 8. Ant . 173ɔ .
و
HISTOIRE D'ECHO ET DE NARCISSE , par
M.le Comte Alexandre C.D.M. à Leyde ,
cbez Fuib, 1730. & fe vend à Bordeaux
chez Pierre Brun & Raim , Labottiere ;
où elle vient d'être imprimée ; in 12. de
Fy C'eft
124pages.
1390 MERCURE DE FRANCE

C'eft un Ouvrage qui avoit été envoyé
à l'Académie de Bordeaux , fur le Programme
qu'elle avoit donné pour la nature
de l'Echo. L'Auteur qui n'avoit eu
en vûë que d'écrire une galanterie , tirée
de la Fable , l'a faite imprimer en Hollande,
avec une Lettre aux Auteurs du Programme
, & une autre Lettre pour les
preuves de l'Hiftoire . On nous mande de
Bordeaux qu'on trouve dans cetOuvrage,
outre les agrémens du ftile , du neuf , du
fin, du naturel & fur tout l'antiquité bien
traitée.
La Vie du B. Fidele , Capucin & Martyr
de la facrée Congrégation de la pro
pagation de la Foy , in 12 , chez Paul Offrai
, Imprimeur & Libraire à Avignon
par leR.P.Jean-François de la Roche , Capucin
, Prédicateur & Gardien du Grand
Convent à Avignon.
Cette Vie eft divifée en trois livres . Dans
le premier l'Auteur raconte ce que le B.a
fait lorsqu'il vivoit dans le fiecle : fon enfance
, fes études , fes voyages , fon integrité
dans le Barreau , fa vocation à l'état
Religieux.Le fecond renferme les vertus
qui l'ont rendu fi recommandable dans
la Religion , foit qu'il fût particulier, foit
qu'il fût Superieur. Le troifiéme contient
Les travauxApoftoliques chez les Grifons,
II. Vol. fon
JUIN. 1730. 1391
fon Martyre & quelques Miracles éclatans
. Le naturel dans la narration , l'élegance
dans l'expreffion , la nobleffe dans
le ftyle, la délicateffe dans la penfée qu'on
trouve dans cette vie, font plus l'éloge de
l'Auteur, que tout ce que nous pourrions
en dire.
EXTRAIT d'une Lettre écrite de Rome,
au fujet de l'Eglife de la Minerve , par
M. l'Abbé...
T
Out le monde fçait que la raifon
qui fait appeller le Convent des
Dominicains à Rome , Della Minerva
c'eft qu'on croit qu'il eft bâti fur les ruines
d'un Temple dédié à Minerve ; mais
un Prélat tres - diftingué par fon érudition
croit que c'eft une erreur populaire . En
effet , qu'un auffi grand bâtiment que l'eft
celui du Monaftere des Dominicains ait
été élevé fur un Temple , fans qu'on en
apperçoive aucun veftige ; c'eſt ce qu'on
ne perfuadera jamais à ceux qui reflechiffent
un peu ; refte donc à prétendre que
c'eft à peu près dans le même quartier que
ce Convent a été bâti . On ne fçauroit nier
que Pompée n'ait élevé dans Rome un
Temple à Minerve. Pline rapporte au 3
livre de fon Hiftoire , que ce Temple fut
conftruit & dédié par le grand Pompće ,
4
11. Vol.
F vj &
7392 MERCURE DE FRANCE.
& qu'il y dépofa toutes les Enfeignes Militaires
& les Monumens des Peuples qu'il
avoit fubjuguez . Il y fit mettre enfuite la
Statuë de Minerve . Perfonne ne doute de
cela , mais la difficulté confifte à déterminer
où étoit ce Temple , & c'est ce point
qui me paroît avoir été trop négligé par
nos Antiquaires. Car dire précifément
qu'il étoit où eft aujourd'hui le Convent
des Dominicains , & n'en point apporter
d'autre preuve que la voix du peuple ,
c'eft donner pour principe ce qui eſt en
queftion. S'il eut été bâti où on le prétend
, il eft probable qu'on y en trouveroit
quelques veftiges . J'avoue qu'il y a
au même lieu , dans des fouterrains , des
morceaux de bronze , qu'on dit fignifier
des chofes merveilleufes ; fçavoir , qu'ils
étoient à la Statuë de Minerve , comme
pour lui fervir de rempart , afin de la
préferver des injures de l'air. Mais le fçavant
Prélat qui vient de publier une Dif
fertation fur ce fujet , a fait voir que ces
idées étoient infoutenables , & c ..
.
11. Vol.
Réponse
JUIN 1730. 1393
REPONSE pour M' . du Boile , au
fujet de ce qui a été inferé dans le Mercure
de May, page 970. fur les Microf
copes par réfléxions.
M
par
R du Boile dit , qu'il n'éft que
l'Editeur du fameux Microſcope
réflection , qu'il a eu la complaifance.
de confronter contre tous ceux qu'on lui
préfentez , & avec lequel il a fait voir
des animaux dans le fang , aux Curieux
de Paris , lorfqu'il y étoit en 1727. &
qu'il n'a garde de s'attribuer un honneur
qui ne lui appartient point , en s'en difant
l'Inventeur.
Que n'étant point l'Auteur de ce Microſcope
, il ne lui convient point de le
publier.
Que n'ayant point l'honneur d'être
Membre d'Académie , ni d'aucune Profeffion
fcientifique , il peut s'en difpenfer,
fi bon lui femble.
Que ce qu'il a fait par complaifance &
fimplement pour fe réjouir , ne l'engage
ni en honneur , ni en aucune façon du
monde à negliger fes affaires domeftiques,
pour fe livrer entierement au progrès des
Arts & des Sciences qui ne permettent
point qu'on s'adonne à autre choſe.
Qu'ayant toujours oui dire , que les
II. Vol. Sçavans
1394 MERCURE DE FRANCE
Sçavans font d'Illuftres neceffiteux , il
n'ambitionne point ce glorieux titre .
Que depuis qu'il a vû la Terre d'un
Sçavant , mife en decret par fa négligence
, & qu'il a fçû que ce Scavant étoit à
fupputer fur les lieux , combien il falloit
de brouetées de terre pour faire le chemin
neuf, qui eft le long de la Riviere
entre Roüen & la côte Sainte Catherine ,
dans le temps qu'on faifoit l'adjudication
de fa Terre , au lieu d'être au Palais à folliciter
fes Juges , il eft en garde contre les
attraits de la Philofophie.
Que toutes réfléxions faites , il préfére
le peu de plaifir qu'il a à faire achever
une Maifon qu'il fait bâtir fur une de fes
Terres , dans le Boulonois , & la peine
utile qu'il va avoir à régler les affaires qui
lui font furvenues au fujet de la fucceffion
de Me la Marquife de Berniere , à
Pexceffive fatisfaction qu'il auroit à paffer
fa vie à philofopher ; étant perfuadé qu'il
faut toujours faire ceder l'agréable àl'utile
, lorsqu'il n'eft pas poffible de les marier
enfemble.
Qu'il y a long-temps qu'il fçait que
nombre de Sçavans travaillent à toute outrance
, pour tâcher à découvrir fon fecret,
& qu'il ne fera point furpris lorfque
quelqu'un d'eux y parviendra , parce que
cela n'eft pas impoffible.
Et
JUIN. 1730. 139'5'
Et qu'ainfi il verra , fans envie , le celebre
Membre de la Société des Arts dont
il s'agit , poffeder & meriter par fes recherches
& par fon travail affidu , la gloire
d'Inventeur des fameux Microfcopes
par reflection.
Voilà tout ce que M. du Boile dit , &
l'on ne croît pas qu'il en dife davantage,
du moins tant qu'il aura quelque chofe
de mieux à faire.
L'Auteur du Supplément à la Méthode
pour apprendre l'Ortographe par
Principes , &c. laquelle fe vend chez le
Clerc , Jacques Joffe , le Gras & la veuve
Piffot , & dont on a parlé en dernier lieu
dans le Mercure d'Avril 1730. pag. 743 .
donne avis au Public que cette Méthode
& fon Supplément joints enfemble , ne fe
vendent chez lefdits Libraires que liv.
reliez , au lieu de 4 liv . comme on l'a imprimé
par
inadvertance dans ledit Journal
d'Avril.
L'Abbé Ségui prêcha à Sceaux le 24 de
ce mois , le Panegyrique de S. Jean- Baptifte
, devant leurs A. S. Monfeigneur le
Duc du Maine & Madame la Ducheffe
du Maine . Nous aurions fouhaité pouvoir
donner l'Extrait de fon Difcours &
de celui qu'il avoit fait quelque temps
II. Vol. aupa1396
MERCURE DE FRANCE
·
auparavant fur une Profeffion Religieufe
; mais tout ce que nous avons pû obtenir
de lui , c'eft de mettre icy ce qu'il dit
fur la fin de fa premiere Partie du Panegyrique
de S. Jean , à la louange de S.A.S.
M. la Ducheffe du Maine , de Monfeigneur
le Duc du Maine & de Mademoi
felle du Maine..... Notre vie répondt-
elle aux vûës de celui qui nous a confié
cette forte de Miniftere & par nos
moeurs , nos difcours , nos exemples ;
rendons - nous à notre maniere , après
Jean Baptifte , quelque témoignage à
Jefus Chrift ? car c'eft ,mes freres, en être
vraiment le Prédicateur que d'en être lè
vrai difciple. N'alléguons point vainement
les féductions du fiecle & les trop
grandes difficultez de la vertu . Ćes
Grands du monde , ces Dieux de la terre ,
ou qui du moins le feroient s'ils n'étoient
mortels,bien plus expofez que nous, fans
doute , ne font pas plus difpenfez que
nous de ce devoir , & il en eft neanmoins ,
malgré la foule qui s'égare & les dangers
toujours plus grands au milieu des
humaines grandeurs , il en eft encore qui
fçavent rendre à J.C. le témoignage dont
je parle. Religion fainte qui les conduifez
, vous nous en faites voir icy deux
grands exemples . Un Prince aufli digne
de vos éloges qu'il l'a été de bonne heu-
II. Vol. re
JUIN. 1730 1397
re de l'amour des peuples & de l'eftime
de ce grand Roy dont la mémoire faira à
jamais honneur à la Royauté. Un Prince
à qui le Dieu qu'il adore a ménagé des
traits également éclatans de moderation
& de conftance ; un Prince en qui fe trouvent
tout à la fois les qualitez du Prince
& les lumieres du Sage , & la perfection
de l'honnête homme & les fentimens du
Heros , & la piété du chrétien qui confacre
toutes ces vertus ; piété conftante que
rien ne peut alterer dans fon efprit ni
déranger dans fes pratiques. Une Princef
fe,l'admiration des deux Sexes , & l'honneur
du fien , qui édifie par la fincerité
de fa Religion ceux qu'elle étonne par la
fupériorité de fon génie, pénétrant,beau,
jufte , facile , étendu jufqu'au prodige ;
une Princeffe qui joignant aux profon
deurs des Sciences qu'elle fubftitue à un
dangereux loifir , les plus vifs agrémens
que la fageffe peut avouer , ne fent de
toutes les veritez qu'elle a pénétrées , ne
fent rien tant que la vérité de la foy ,
n'aime rien tant qu'à la mettre en évidence
aux yeux des autres , n'admet à fa
Cour l'efprit même qu'à la recomman
dation de la vertu , & de la vertu fondée
fur le Chriftianifme ; heureufe de voir le
fruit fenfible de fes exemples dans cette
II. Vol. jeune
1398 MERCURE DE FRANCÉ
jeune Princeffe ( a ) qui la paye fi bien
de l'éducation précieufe qu'elle en reçut ,
enforte qu'on demande ce qu'elle a en
un dégré plus éminent des charmes de
l'efprit , des graces , ou des fentimens de
Religion. Ainfi fçait - on , quand on le veut ,
efficacement rendre témoignage à J.C. au
milieu des dangers attachez à la grandeur .
L'Académie des Belles Lettres de Marfeille
a jugé à propos de renvoyer à l'année
prochaine , le Prix qu'elle avoit deftiné
cette année à la Profe ; ainfi elle avertit
le Public que le premier Mecredi d'après
la Quafimodo de l'année 1731. elle
aura deux Prix à diftribuer ; l'un , à un
Ouvrage en Profe ; l'autre, à un Ouvrage
en Vers.
L'Ouvrage en Profe fera d'un quart
d'heure au moins , & d'une demie heure
de lecture au plus , fur ce fujet : Que la
Raillerie eft moins une marque de l'étendue
dela fécondité de l'efprit , que de fa petiteffe
& de fa fterilité , felon ces paroles des
Proverbes , chap . 14.6 . Quarit derifor
fapientiam & non invenit.
L'Ouvrage en Vers fera une Ode ou
un Poëme à rimes plates de 80 Vers au
moins, & de cent au plus , qui aura pour
( a ) Mademeifelle du Maine.
II. Vol. fujet
JUIN. 1730. 1399
fujet , le Commerce. On fçait que le Prix
confifte en une Médaille d'or , de la valeur
de 300 liv . que M. le Maréchal de
Villars , Protecteur de l'Académie , veut
bien lui fournir tous les ans .
On adreffera les Ouvrages à M.de Chalámont
de la Vifclede , Sécrétaire perpetuel
de l'Académie des Belles Lettres de
Marſeille , ruë de l'Evêché , à Marſeille.
On affranchira les Paquets à la Pofte
fans quoi ils ne feront point retirez. Ils
ne feront reçûs que jufqu'au premier Janvier
inclufivement . Les Auteurs n'y met
tront point leur nom , mais une Sentence
de l'Ecriture , des Peres ou des Auteurs
profanes. On pourra envoyer à M. le Sé
cretaire une adreffe à laquelle on envoyera
fon recepiffé .
On prie les Auteurs de prendre les précautions
néceffaires pour n'être point connus
avant le jour deftiné à la diftribution
des Prix ; & on les avertit que dès qu'ils
le feront par leur faute , ils feront exclus
du Concours.
Les Auteurs qui auront remporté les
Prix , viendront les recevoir eux-mêmes,
dans la Salle de l'Académie , le jour deftiné
à leur diftribution , qui fera toujours
dorénavant le premier Mecredy
après la Quafimodo , s'ils font à Marſeille,
& s'ils n'y font pas, ils envoyeront à une
II.Vol.
per1400
MERCURE DE FRANCÊ
Perfonne domiciliée dans cette Ville , une
Procuration qui fera remife à M. le Secretaire
, avec le recepiffé de leurs Ou
vrages , moyennant quoi on remettra le
Prix à cette perfonne.
On aprend de Londres que des Ou
vriers travaillant dans le Cloître de l'Hôpital
de S. Barthelem , trouverent une
Boëte dans laquelle il y avoit cent Médailles
d'argent , du Roy Henri I. qui
fonda cet Hopital il y a environ 600 ans .
M. Thomas , Ingenieur du Roy , qui
a inventé les nouveaux Canons donton a
déja parlé , a auffi fait fabriquer depuis
peu une Machine où il y a trois Canons
aufquels on peut mettre le feu par une
feule lumiere , & qui tirent à la fois trois
Boulets de deux livres chacun . On doit
faire l'épreuve de cette Machine , que
deux hommes peuvent tranfporter ailément.
Le Sieur Baradelle , Ingénieur du Roy
pour les Inftrumens de Mathématique ,
demeurant à Paris , Quay de l'Horloge du
Palais , à l'Enfeigne de l'Obfervatoire ,
donne avis qu'il a inventé une efpece de
Porte-Crayon , long de quatre pouces , quatre
lignes , avec un Compas au bout,fur
II. Vol. les
JUIN. 1730. 1401
re e
les faces duquel il a marqué un Calendrier
pour 56 années , à commencer par
1730. L'ufage de ce Calendrier eft également
fimple & facile ; on y trouvera le
jour de la femaine fur lequel tombera le
premier du mois & les jours fuivans , &
les jours du mois qui répondront à ceux
de la 1 , 2 , 3 & 4 femaine ; on y
trouvera les momens précis de la nouvelle
& de la pleine Lune ; du premier
& du dernier quartier pour chaque mois ;
l'âge de la Lune , à tel jour & à telle heure
qu'on voudra , on y trouvera auffi où
arriveront les Fêtes mobiles de chaque
années ; les Epactes pour toutes les années
qui font notées. Sur la huitiéme face , les
pouces & les lignes . Il donnera auffi une
inftruction imprimée pour l'ufage de ce
Calendrier. Il a conftruit des Tables pour
en faire de 5 & 6 pouces pour ceux qui
commanderont, afin que les Parties fe
trouvent plus au large , quoique celui
qu'il a fait de 4 pouces foit tres- vifible ,
n'ayant point de confufion dans les chifres.
Il continue à débiter un Encrier
connu par fa propriété de conferver
l'Encre plufieurs années fans ce fécher ni
s'épaiffir, & qui ne verfe point en quelque
fituation qu'il puiffe être.
en
II. Vol.
Spectacles
1402 MERCURE DE FRANCE
SPECTACLES.
Lo
E 28 Juin , les Comédiens Italiens
donnerent la premiereReprefentation
d'une petite Piece nouvelle , en Profe & en
un Acte , qui a pour titre : Le Mariage
fait par crainte , que le public n'a pas goutée
elle n'a été jouée qu'une feule fois.
Les Comédiens François ont repris quelques
Pieces qui font beaucoup de plaifir,
comme la Tragédie d'Electre , la Comédie
des trois Coufines , celle de la Coupe enchantée.
Ils vont remettre la Tragédie
d'Abfalon , & repetent une Piece nouvelle
dont on parlera dans fon tems.
S
Le 27. Juin , P'Opera Comique fir
l'ouverture de fon Theatre à la Foire
S. Laurent par une Piéce nouvelle en Vaudeville
, intitulée Zemine & Almanfor
fuivie des Routes du Monde ; ces deux
Piéces font précedées d'un Prologue qui a
pour titre L'Induftrie. Le tout orné de
Divertiffemens , de Danfes & c.
La Scene du Prologue fe paffe devant le
Palais de l'Industrie , dont la moitié du Bâtiment
paroît moitié gothique & moitié
II. Vol
moderne
JUIN. 1730. 1403
-
à
moderne. Pierrot & Jacot defcendent
dans un char. Jacot fe plaint de la voiture
, & dit qu'il n'aime pas à fe voir dans
un char volant neuf cens piés au deffus
des ornieres ; Je vois bien , lui répond
Pierrot , que tu ne te plais pas voyager
côte à côte des nuages. Cependant , mon cher
petit frere Jacot , puifque je t'aifait recevoir
depuis peu par mon crédit à l'Opera Comique,
ilfaut bien que tu te faffes à la fatigue ; car
vois- tu , nous devons effuyer les mêmes corvées
que les Divinités de l'Opera,
Sur l'Air , Ramonez ci &c.
Attachés à des ficelles ,
Il nous faut , volant comme elles ,
Mais avec moins de fracas ,
Ramoner ci , ramoner là , la , la , la ,
La Couliffe du haut en bas.
Jacot demande à fon frere quel eft le
Palais qui fe préfente à fes yeux , & dans
quel deffein un Enchanteur de leurs amis
vient de les y tranſporter ; Pierrot lui
répond que ce Palais , quoique délabré, eft
le féjour de la Nouveauté , dont ils ont
grand befoin pour leur Théatre , & tandis
qu'il reſte à la porte , il envoye Jacot
pour découvrir s'il n'en eft point quelqu'autre
qui foit ouverte. L'Antiquité fort
du Château , & parle Gaulois à Pierrot ,
II. Vol.
qui
1404 MERCURE DE FRANCE
qui rebuté de fon langage l'appelle radoteufe
: elle le frappe avec fa béquille , &
le laiffe là . Pierrot la pourfuit ; il eſt arrêté
par la Chronologie , qui lui reproche
le crime qu'il commet en ne refpectant
pas la venerable Antiquité . Pierrot lui
demande quel eft fon emploi ; la Chronologie
lui décline fon nom & fes titres.
Pierrot la. prie de lui donner des nouvelles
de la Nouveauté ; la Chronologie , loin
de lui répondre jufte , commence toutes
fes Phrafes par des Epoques , & veut l'entretenir
des Olimpiades de l'Egire de Mahomet
& autres dates celebres ; cela impatiente
Pierrot ; il la chaffe, & dit , l'Enchanteur
m'a joué d'un tour ; il me promet
de me transporter au Palais de la Nouveauté
... j'y trouve d'abord une vieille Decrépite
, & enfuite une faifeufe d'Almanachs.
Dans ce moment l'Industrie avance ; Pierrot
la prend pour la Nouveauté ; elle le
défabule , & lui dit que la Nouveauté eſt
morte depuis plus de quatre
mille ans
qu'elle n'en eft que la copie , que le Public
tombe quelquefois dans l'erreur fur
fon compte , & prend l'induftrie pour la
Nouveauté. Je renouvelle , ajoûte l'Induftrie
, non feulement les habits & les meubles,
mais je rajeunis les vieux Ouvrages d'efprit,
& chante fur l'Air , Robin turelure & c.
II. Vol. Dans
JUIN.
1405 1730.
· Dans un moderne morceau ,
Je joins par une coûture
De Terence un fin lambeau ...
Pierrot.
Ture lure.
Chacun voit la rentraiture .
L'Induftrie , ironiquement.
Robin , turelurelure.
Alors Pierrot lui expofe les befoins de
l'Opera Comique , qui manque de Piéces
nouvelles ; l'Induftrie lui préfente un
Drame intitulé Zemine & Almanfor , Sujet
tiré de l'Hiftoire de Tartarie , dont Bourfaut
a pris fon dénouement d'Ejope à la
Cour. Le Public n'a pas approuvé cette
reffemblance , quoique fondée fur une autorité
irrécufable , & cela , fans doute, par
ce qu'il a plus vu la Comédie d'Efope à
la Cour qu'il n'a lû l'Hiftoire de Tartarie.
Pierrot marque fon inquiétude à l'Induftrie
, qui lui réplique qu'il fait le Public
plus méchant qu'il n'eft , qu'il s'eft
bien accommodé de tous les Ocdipes &
de toutes les Mariannes qu'on lui a re
tournées de cent façons.
Lefecond Drame offert par l'Induftrie,
eft intitulé les Routes du Monde. Jacot
II. Vol. G IC
1406 MERCURE DE FRANCE
revient dans cet inftant , & excuſe ſon
retardement par le plaifir qu'il a eu à voir
repeter un Balet Comique ; l'Induſtrie
leur apprend que c'eft une Fête qu'on prépare
pour elle , & qu'ils peuvent voir.
Elle eft executée fur le champ par les Chevaliers
de l'Induſtrie , figurés par des
Zanis Italiens. Voici les paroles du Vaudeville
de ce Divertiffement.
VAUDEVILLE.
Dans les Jardins de l'Induſtrie
Phoebus & la Galanterie
S'en vont cueillant foir & matin , tin tin tin tią
Mais en vain leur adreffe trie , ho ho ho !
Ce n'eft jamais du fruit nouveau.
On voudroit connoître une Belle ,
A fon Epoux toujours fidelle ,
Et voir l'Epoux auffi conftant , tan tan tan
Un ménage de ce modele , ho ho ho
Ce feroit là du fruit nouveau.
Dès la bavetté on fonge à plaire ;
La fille en fçait plus que
fa mere ,
Qui pourtant jeune a coqueté , té té té ;
Et dans les Jardins de Cithere , ho ho ho !
On trouve peu de fruit nouveau.
I I. Vol. Un
JUIN. 1730.
1407
Un Cadet de race Gaſcone ,
Qui n'emprunte pas & qui donne ,
Et qui convient qu'on l'a battu , tu tu tu
Sur les Rives de la Garone , ho ho ho,
Ce feroit là du fruit nouveau.
Un Grand du mérite idolâtre ,
Géometre vif & folâtre ,
Actrice vouée à Yeſtá , ta ta ta ,
Par ma foi fur plus d'un Théatre , ho ho he
Ce ſeroit là du fruit nouveau.
Ce Prologue eft fuivi de Zemine & Al
manfor , en un Acte. La premiere Scene
fe paffe entre Pierrot , Confident d'Almanfor
, Vizir & fils de Timurcan , Roi
'd'Aſtracan , mais crû fils de l'Emir Abe
nazar , & Lira , Suivante de Zemine , fille
de l'Emir Abenazar , & cruë fille du Roi
Timurcan. Voici le premier Couplet que
chante Pierrot , fur l'Air , Chers amis , que
mon ame eft ravie :
Oüi , Lira , fi tu tiens ta promeffe ,
Par l'Hymen j'efpere que dans peu
Tu verras couronner notre feu ; a
Du Monarque enfin touché de leur tendreffe ,
Nos Amans ont obtenu l'aveu ;
Le Vizir mon Maître époufe la Princeffe ;
II. Vol.
Gij L'a
1408 MERCURE DE FRANCE
L'amitié du bon Roi d'Aftracan
L'éleve juſqu'au premier rang.
Lira répond à Pierrot que Zemine fa
Maitreffe ne craindra donc plus la prédiction
d'une Devinereffe qui lui a depuis
peu annoncé qu'elle alloit être mariée au
fils d'un Souverain. Pierrot applaudit au
bonheur de fon Maître , qui , quoique
jeune,le furpaffe en prudence & en valeur;
il n'oublie pas dans fon Eloge qu'il n'eft
pourtant pas de meilleure maifon que lui,
& qu'ils ont gardé enfemble les moutons.
Lira lui demande par quel hazard Almanfor
eft devenu fi grand Seigneur ; je vais
te le dire , répond Pierrot Un jour que
notre grand Roi Timurcan chaffoit autour
de chez nous , il rencontra le petit Almanfor
qui lifoit l'Hiftoire de Tartarie en faisant
paître fon troupeau , il s'amusa à caufer avec
lui ; il le trouva gentil , bien avifé , & le
prit en affection. Sur ces entrefaites mourut
Kalem , pere du jeune Berger , que Timurcan'
fit auffi-tôt venir à la Cour. Il le fit
élever en Prince , & l'envoya enfuite dans
fes Armées , où il fe diftingua bientôt. IL
joignit même dans peu de temps les talens
du Miniftere au mérite guerrier , & devint
Grand-Vizir par le fecours de fa . feule
vertu. L'année derniere , comme il revenoit
de la frontiere , il paſſa par notre Village
II. Vol.
aveg
JUIN. 1730 . 1409
3
avec une troupe degens de guerre ,
il
m'apperçut
dans la foule, & me dit : Eh ! te voilà,
mon pauvre Pierrot , approche , approche ...
il chante :
Je lui tirai ma reverence 2
Enfuite je lâchai ces mots :
Ces Moutons gaillards & difpos
Que mene là Votre Excellence ,
Ne fe laifferoient pas , je penfe
Manger la laine fur le dos.
,
Il rit de ce trait de malice qui lui rappelloit
fa premiere condition , & changea
la mienne , en m'emmenant avec lui. On
} débite , interrompt Lira s qu'il eft fort
defintereffe ; Pierrot lui avoue qu'il a eu
long tems cette opinion , mais qu'il en
eft defabuſe , depuis que déjeunant avec
Jacot , Secretaire du Prince Alinguer , il
a entendu Almanfor qui enfermé dans un
cabinet , faifoit cette exclamation : Air ,
L'autre jour ma Cloris.
O précieux Tréfor !
Si jamais dans fa courfe
On arrête Almanfor ,
Tu feras fa reffource ;
O Tréfor mes amours
Je t'aimerai toujours.
-II. Vol. Lira G iij
1410 MERCURE DE FRANCE
Lira conclud que le Vizir amaffe des remedes
contre la défaveur , & que l'on
agit prudemment dans l'incertitude de
fon fort : Oui , vraiment , répond Pierrot
, & chante fur l'Air : Adieu panier.
Quand on a rempli fes pochetes ,
Si l'on eft chaffé par malheur , -
En fuyant , on dit de bon coeur
Adieu panier , vendanges font faites.-
A ces mots , Zemine arrive éplorée , &
leur dit que la prophetie de la Devinereffe
va s'accomplir , que l'inconnu fixé
depuis peu à la Cour d'Aftracan vient de
lui déclarer fon amour , & de lui apprendre
en même tems qu'il étoit fils du Monarque
de la Ruffie : Helas , s'écrie - t'elle,
Alinguer eft fils d'un Roi puiſſant , Alman--
for fimple Sujet ne tiendra pas contre lui !
fur l'Air : Pour paſſer doucement la vie.
Il a le mérite en partage ;
Mais le mérite par malheur
Ne trouve pas fon avantage
A luter contre la Grandeur.
Lira apperçoit de loin Timurcan qui
fe promene ; Zemine va le joindre pour
le toucher en fa faveur ; Pierrot refte feul
avec Lira , & lui expofe la crainte que
II. Vol. fait
JUIN. 1730. 141
fait naître dans fon efprit le haut rang du
Rival de fon Maître . Il exige un aveu
décifif pour lui ; Lira en le flattant lui déclare
pourtant qu'elle prétend fuivre le
fort de Zemine. Jacot paroît , & contefte
avec Pierrot fur les amours d'Alinguer ;
il prétend que ce Prince époufera Zemine
, & que lui , en qualité de Secretaire ,
deviendra le mari de Lira ; elle les quitte
en leur déclarant qu'elle époufera celui
des deux dont le Maitre obtiendra fa
Maitreffe. Les deux confidens rivaux reftent
enfemble , & continuent leur dif
pute ; ils y mêlent des difcours fur la fortune
& le tréfor caché du Vizir , qui
font interrompus par l'arrivée du Roi &
du Prince Alinguer. Pierrot & Jacot fe
retirent. Alinguer demande Zemine en
mariage ; le Roi lui apprend qu'elle n'eft
pas heritiere de fon Royaume , qu'il a
un fils que des raifons politiques l'ont
empêché jufqu'ici de faire paroître ;
Alinguer répond en Amant genereux ,
qu'il n'exige point d'autre dot que la
perfonne de Zemine ; le Roi lui objecte fa
parole donnée au Vizir Almanfor , & fait
le Panegyrique de fes vertus. Alinguer
piqué , ofe le contredire , & lui dit que
ce Miniftre , dont il vante fi fort le défintéreffement,
a un tréfor confiderable qu'il
dérobe à fa connoiffance , & dont , fans
II. Vol.
Giiij doute
1412 MERCURE DE FRANCE
doute , il doit faire un ufage crimine!. H
jette de violens foupçons dans l'efprit de
Timurcan , & offre de lui produire un
témoin fidele qui le conduira à l'endroit
où font enfermées les richeffes fecretes
d'Almanfor. Le Roi ébranlé confent à
cette vifite , & fort avec le Prince de
Ruffie.
Le Théatre change , & repréfente une
Salle de la Maifon du Vizir , où l'on ne
voit rien qui ne foit d'une grande fimplicité
. Almanfor y eft avec Zemine , à
qui il exalte fon bonheur & fon amour ;
Pierot vient leur annoncer gayement l'arrivée
du Roi , qui va , dit- il , unir Almanfor
& la Princeffe , ce qui lui procu
rera l'avantage d'époufer Lira. Le Roi
entre furieux , & reproche au Vizir fon
prétendu tréfor ; Jacot arrive , & montre
à Timurcan le Cabinet où l'on doit le
trouver. On l'ouvre par ordre de Timurcan
, & l'on n'y trouve que la houlete
& l'habit que portoit Almanfor quand il
étoit Berger : Je les gardois , dit - il , pour
me rappeller ma naiſſance , & pour les reprendre
, Seigneur , fi vous m'ôtiez votre
faveur & c.
La vertu d'Almanfor ayant éclaté dans
fon plus grand jour , le Roi lui apprend
qu'il eft fon fils ; cette découverte favorable
pour la gloire d'Almanſor , attriſte
II. Vol. fon
JUIN 1730. 1413
fon amour ; Zemine qui reconnoît qu'il
eft fon frere , partage fa douleur , & fe
plaint avec refpect au Roi d'Aftracan de
ce qu'il a permis qu'elle aime le Prince
Almanfor. Timurcan termine leur trou
ble , & comble leur joye , en leur appre
nant qu'ils nneeffoonntt point unis par le fang,
&
que
Zemine
eft
fille
de l'Emir
Abena
zar. Almanfor
remercie
le Roi
de ces
heu
reux
éclairciffemens
, & chante
ce Cou
plet
:
Le grand Nom que je tiens de vous
Flatte l'amour qui me domine
Il me devient d'autant plus doux
Qu'il fait plus d'honneur à Zemine
Ah ! dit Zemine à Almanfor ::
Seigneur , de vos tranfports je juge par moimême
;
Vous avez herité de mon noble défir ;
Fille de Timurcan , quel étoit mon plaifir
D'élever mon Berger à la grandeur fuprême
Pierot obtient Eira , & chaffe Jacot . La
Piéce finit par une Fête champêtre , execurée
par les Habitans du Village où a été
élevé Almanfor..
La feconde Piéce , auffi d'un Acte , compofée
de Scenes détachées , eft allegorique
& morale , tant par les idées que par quel-
II Vol. ques
1414 MERCURE DE FRANCE
د
ques- uns de fes perfonages ; elle eft inti ,
tulée les Routes du monde. Le . Théatre re
préfente dans les aîles les Jardins d'Hebé,
& dans le fond trois Portiques qui commencent
les trois chemins que prennent
les hommes en fortant de la Jeuneffe. Le
Portique du milieu eft étroit , compofé de
Rochers couverts de ronces avec cette
Infcription : Le chemin de la Vertu . Le
fecond , à droite , plus large ( ainfi que le
troifiéme qui eft à gauche ) eft orné de
tous les fimboles des honneurs & des richeffes
, & a pour titre , Le chemin de la
Fortune. Le troifiéme , intitulé Le chemin
de la Volupté , paroît chargé des attributs
des Plaiſirs , du Jeu , de l'Amour &
de Bacchus. La Scene ouvre par Leandre,
conduit par le Tems.
Leandre , Air : Amis , fans regreter Pa--
ris &c.
O Saturne , Doyen des Dieux
Des Peres le moins tendre ...
O Tems , dites -moi dans quels lieux
Vous conduifez Leandre ?
Le Tems , Air : Contre mon gré je cheriss
Peau :
Je vais vous expliquer cela ;
Voyez ces trois Portiques là ,
Du monde ils commencent les routes
11. Vol. On
JUIN. 1415 1730.
On doit ( telle eft la loi du fort )
Paffer fous l'une de ces Voutes
Quand des Jardins d'Hebé l'on fort.
Leandre.
Depuis que je vis dans ces Jardins , je
n'avois point encore apperçû ces trois
Portiques .
Le Tems.
Je le crois bien ; vous ne pouviez les
voir fans moi .
Air : Quand le péril eft agréable .
Ici dans une Paix profonde ,-
Les Jeunes Gens font jour & nuit ;
C'eſt le Tems feul qui les conduit
Près des routes du monde.
Mais je ne leur fais pas toujours comme
à vous , l'honneur de me rendre viſible.
Leandre confiderant les Portiques.
Que ces Portiques là fe reffemblent peu!
Le Tems.
Les chemins aufquels ils conduifent
font encore plus differens.-
Leandre montrant le Portique de la Fertu,
Air: Fe fuis la fleur des garçons du Village.
II. Vol. G-vis Que
1416 MERCURE DE FRANCE
Que ce chemin me paroît effroyable !
Mes yeux en font épouvantés !
Le Tems.
I eft pourtant à la plus adorable.
De toutes les Divinités.
r
Leandre , Air Philis , en cherchant for
Amant.
Eh ! quelle eft donc la Déïté
Par qui peut être fréquenté
Ce paffage étroit , peu battu ,
Paf tout de ronces revêtu ?
Le Tems.
C'eft la Vertu .
La Vertu
Leandre étonné.
Le Tems , Air : Sois complaifant , & cà
De la vertu la demeure épouvante ,
De fon chemin l'entrée eft rebutante
Mais
La fortiè en eft brillante ; -
C'eft la Gloire & fon Palais.
Le Portique, à droite, enrichi d'or & de
pierreries ,mene au Temple de la Fortune;:
II. Val par
JUIN. 1730 1417
par cette Porte on voit paffer , Air : J'ai
fait fouvent réfoner ma Mufette.
Le Peuple altier , dangereux , formidable
Des Conquerans & des Agioteurs ;
Ces derniers - ci ( le fait eft incroyable )
Ont avec eux compté quelques Auteurs.
Leandre , Air : Voyelles anciennes.
Ce chemin ne me tente pas
Le Tems.
C'eft pourtant le plus magnifique .
Leandre montrant le Portique de la Volupté
Cet autre a pour moi plus d'appas .
Quel eft donc ce galand Portique ?
Le Tems
C'eft celui de la Volupté ;
Tous les plaifirs en font l'enſeigne
Des trois c'eſt le plus fréquenté ,
Quoique très -fouvent on s'en plaigne .
Leandre.
Je ne vois là que des violons , des ver
res , des bouteilles , des cartes & des dez :
Le Tems.
C'eft ce qui fait qu'on y met la preffe..
O
ça , nous allons 繄 nous féparer ; mais
II. Vol avant
1418 MERCURE DE FRANCE
avant que je vous quitte , il faut que je
vous donne un avis falutaire ; ayez grand
foin de fuir la Débauche qui rode fans
ceffe autour de ces Portiques ...
Leandre.
Oh ! la Débauche m'a toujours fait horreur
; elle ne me féduira pas.
Le Tems , Air : Baifez moi donc , me di
foit Blaife.
Vous êtes dans l'erreur , Leandre ;
Craignez de vous laiffer furprendre ;
Fuyez cette Sirene là ;
Déguifant fon effronterie ,
Devant vous elle paroîtra
Sous le nom de Galanterie.
Leandre.
Je fuis bien aile de fçavoir cela.-
Adieu .....
Le Tems..
Leandre le retenant.
Encore un moment .... Air : Il faut
que je file file.
Sur un point qui m'embaraffe
Je voudrois vous confulter
11.-Vol.-
JUIN
1730. 1419
Le Tems voulant toujours s'en aller.
Cela ne fe peut ....
Leandre l'arrêtant encore.
De
grace ››
Daignez encor m'écouter ...
Le Tems.
C'eft trop demeurer en place 5 .
Suis-je fait pour y refter ?
Le Tems toujours paffe paffe ,
Rien ne fçauroit l'arrêter.
On a donné cette Scene - ci entiere , patce
qu'on ne pouvoit gueres expofer plus
fuccinctement le fujet de la Piéce.Leandre
refté feul , delibere fur le chemin qu'il doit
choifir ; mais , dit- il , Air : Les filles de
Nanterre.
Suis- je donc à moi-même ,
Et Maître de mes voeux ?
On eft à ce qu'on aime
Quand on eft amoureux.
Oui , c'est à l'aimable Angelique à difpo
fer de mon fort ; allons la chercher , & prenons
enfemble des mefures pour fléchir fon
Tuteur qui s'oppose à notre hymen.
Dans le moment qu'il veut partir , il eſt
arrêté par la Débauche , qui fous le nom
1.1. Volg
det
1420 MERCURE DE FRANCE
de Galanterie s'efforce de l'attirer à elle ;
Leandre refifte à fes difcours fuborneurs,
& la quitte. Elle le fuit , voyant paroître
une mere coquette avec ſa fille , en diſant
qu'elle n'a que faire là . Araminte , mere
de Lolotte , eft fort parée : elle a du rouge,
des mouches , des fleurs & des diamans- :
fa fille eft en fimple grifette & en linge
uni. Araminte prêche Lolotte , & veut la
faire entrer dans le chemin de la Vertu ;
Lolotte y repugne , & fe deffend avec opi
niâtreté.
Araminte , Air Je ne fuis né ni Roi ni
Prince.
Votre coeur en fecret murmure
De n'avoir point une parure ,
A faire briller vos appas ;
Vous n'avez point de modeſtie .
Lolotte.
Eh ! pourquoi n'en aurois -je pas ?
Sans ceffe je vous étudie ?
Araminte , Air : Ma raifon s'en va beau
train .
1
Vous me repondez , je crois ...
Lolotte.
Je répons ce que je dois ;
N'ai - je pas raifon
II. Vol.
De
JUI N. 1730. 1421
De trouver fort bon
Ce qu'en vous je contemple
Araminte.
Oh ! ne fuivez que ma leçon ...
Lolotte..
Je fuivrai votre exemple , lon la
Je fuivrai votre exemple,
La conteftation d'Araminte & de Lolotte
finit par le parti que prend la mere d'être
la conductrice de fa fille dans la route des
plaifirs où elles entrent enſemble. La Debauche
reparoît , & dit : Je fçavois bien le
chemin que cette petite fille là prendroit.
Mais j'apperçois mes deux voifines. C'est
la Sageffe & la Richeffe qui fortent l'une
du Portique de la Vertu & l'autre de celui
de la Fortune , & s'efforcent de s'attirer des
Chalans. La bonne Marchandife que vous
criez là toutes deux , leur dit ironiquement.
la Sageffe, Air : Vous qui vous macquez par
vos ris.
Elle eft d'un fort bon acabit.
La Richeffe
Nous fçavons l'une & l'autre
Tout le bien que le monde dit
Déeffe , de la vôtre ...
II. Vol. ·LA
1422 MERCURE DE FRANCELa
Débauche.
Mais elle n'eft point de débit ,
Et nous vendons la nôtre.
Therefe , jeune perfonne bien élevée ,
refufe les offres de la Richeffe , refifte aux
attraits de la Débauche , & fuit la Sageffe
qui la conduit dans le chemin de la Vertu.
La voilà bien charmée de nous avoir enlevé
une petite fille , dit la Richeffe Bon , répond
la Débauche , nous lui en fouflons
bien d'autres. Un jeune heritier en grand
deuil & en pleureufes furvient : Dépensez,
lui crie la Débauche , amaffez , lui dit la
Richeffe , Air : Le Cotillon de Thalie.
A préfent Phomme në fçait plus
Compter les vertus
Que par les écus
Comme votre pere
Il faut faire ,
Toujours courir fus ,
Aux Jacobus ,
Aux Carolus.
A préfent l'homme ne fçait plus &c.

L'Heritier , tout bien confideré , fe livre
à la Débauche , fuivant la loüable
coûtume de bien des Mineurs. Guillot
Payfan , remplace l'Heritier ; mais comme
II. Vol.
il
JUIN. 1730 1423
il n'a rien , il dit qu'il veut commencer
fa carriere par le chemin de la Fortune.
Mais , lui dit la Débauche , Air : Attendez
moi fous l'Orme.
Mais la Richeffe exige"
Un travail dur & long ;
A cent foins elle oblige ..
La Richeffe.
Dans le Commerce , bon ,
La finance moins fouche
Procure un gain plus promt ;:
Un Créfus , fur fa couche ,
Croît comme un champignon .
La Débauche détermine la Richeffe à
favorifer promtement Guillot , & à le luf
remettre opulent ; Guillot toujours avide
de nouveaux dons , demande qu'on ajoûte
s'il fe peut , une promte nobleffe à fa
promte richeffe : on lui accorde fa Requête.
Ho ! ho ! dit-il , Air : Nos plaifirs
feront peu
durables.
Quan plaifi ! quan bone avanturé ,
Au mitan de ma parenté ,
Qu'eft jufqu'au cou dans la roture !!
Je frai tou feul de qualité..
Guillot , après une promeffe de vivre
très noblement dès qu'il feroit riche , &
II. Vol.
le
1424 MERCURE DE FRANCE
le feul Gentilhomme de fa famille , entre
vîte dans le Portique de la Fortune , guidé
par la Richeffe. La Débauche le fuit
un moment pour l'encourager encore
dans fes bons deffeins.
Angelique arrive avec fon Tuteur , qui
lui propofe trois maris contre fon inclination
. L'amour interrompt ce fâcheux
entretien , chaffe le Tuteur & confeille à
Angelique d'époufer Léandre qu'elle
aime. Mais vous n'y pensez pas , dit- elle
au petit Dieu ; ce mariage fait fans l'aven
de mon Tuteur, m'écarteroit du chemin de
la vertu. Vous n'y pense pas vous même
lui répond le fils de Venus , ce font les
triftes Mariages faits fans l'aveu de l'amour
qui écartent du chemin de la vertu. L'irré
folution d'Angelique eft vaincuë par
Léandre qui lui apporte le confentement
de fa famille pour leur Hymen. La Débauche
revient à la charge & s'oppose à
l'union légitime des deux Amans ; ils la
rebutent elle appelle à fon fecours les
Plaifirs libertins qui fortent par Troupesdes
Portiques de la Fortune & de la Vo
lupté. Ils danfent & font briller leurs
charmes dangereux aux yeux de Léandre
& d'Angelique. La Sageffe & les Plaifirs
innocens fortent par le Portique de la
Vertu. Les Plaifirs libertins étonnez , leur
;
II. Vol. cedent
JUIN. 1730. 1425
cedent le paffage qu'ils prétendoient leur
fermer.
La Sageffe , aux deux Amans.
N'écoutez que l'innocence ,
Ne fuivez que fes plaifirs ;
Défiez- vous de vos défirs ;
Que devant la Raiſon ils gardent le filence.
N'écoutez que l'innocence ,
Ne fuivez que fes plaifirs.
La Débauche , aux mêmes.
Ne fongez qu'à rire & qu'à boire ,
Folâtrez , mocquez- vous dans le fein du repos ,
Des fecours de l'honneur , des Faveurs de la
gloire ,
Et de l'Exemple des Héros ;
Ne fongez qu'à rire & qu'à boire,
L'Amour , aux mêmes .
Air : du Roy de Cocagne.
Gardez-vous d'écouter la Débauche
Qui porte un Mafque trompeur ;
Sur fes pas on prend toujours à gauche
Et l'on fuit le vrai bonheur.
Non , non , jamais il ne fut fon partage ;
Et lon , lan , la ,
Ce n'eft pas là ,
11. Vol. Qu'on
426 MERCURE DE FRANCE
Qu'on trouve cela ,
Craignez la fin du voyage.
La Sageffe.
Heureux qui fuit dès fa jeuneffe,
Du vice le Sentier battu
Et qui formé par la vertu ,
Se fait mener par la Sageffe !
Elle fçait le payer enfin
De la fatigué du chemin.
La Débauche.
;
N'écoutez pas la voix févere ;
Qui condamne l'amufement
Voulez- vous voiager gaiment ?
Que le plaifir feul vous éclaire.
Si vous fuivez ce Pelerin ,
Vous irez droit au bon chemin.
Lolotte.
Autrefois , dit -on , l'art de, plaire ,
Coutoit bien des foins & du temps ,
Et l'on mettoit douze ou quinze ans ,
Pour fe rendre au Port de Cithere ;
Mais à prefent on eft plus fin
On fcait accourcir le chemin .
La Sageffe.
Vous qui du Dieu de la Bouteille ,
II. Vel.
Suivez
JUI N. 1739. 1427
Suivez affidument les pas ,
Que vous vous plaindrez des appas
Qui vous amufent fous la Treille !
Lorfqu'on cherche toujours le vin
On trouve la Goutte en chemin.
La Débauche.
Maris , fi vous trouvez vos femmes
Tête à tête avec leurs Galans ,
N'allez pas faire les méchans ,
Et manquer de refpect aux Dames ;
Sans dire mot , d'un air benin ,
Paffez , paffez votre chemin.
La Sageffe , aux Spectateurs.
Meffieurs , nous avons pour vous plaire ‚ ·
Employé nos petits talens ,
Et
;
pour vous rendre plus conten's
Nous allons tâcher de mieux faire
De nos Jeux , puiffions nous demain ,
Vous voir reprendre le chemin.
Léandre & Angélique conduits par
'Amour & la Sageffe , entrent dans le
chemin de la Vertu ; la Débauche accompagnée
des plaifirs libertins , fe retire
fous les Portiques de la Fortune & de la
Volupté.
Į Í.Vol. Nou1428
MERCURE DE FRANCE
NOUVELLES ETRANGERES.
TURQUI E.
Elon quelques Lettres de Conftantinople , le
Sultan Acheraf y étoit arrivé , accompagné
de peu de perfonnes , ayant été obligé d'abandonner
ceux de fon parti , & de faire courir le
bruit qu'il avoit été affaffiné en voulant fe fouftraire
à la pourfuite du nouveau Roy de Perſe.
On a appris par ces Lettres que le Grand Seigneur
ne fortoit plus du Serail , & qu'il n'y
voyoit que fon fils Aîné , le Grand Vifir , l'Aga
des Janiffaires & fes Medecins ; & que S. H.avoit
envoyé mille bourfes à la Mecque pour obtenir
le rétabliffement de fa fanté , par les prieges des
Dervis qui deffervent la Mofquée de cette Ville.
Par d'autres Lettres du 9 May , on apprend
que
le Grand Seigneur fe portoit un peu mieux
depuis que S. H. faifoit ufage de certaine
Eau
Minérale , qu'un Médecin
de l'Ile de Chio lui
avoit confeillé de prendre ; qu'on avoit envoyé
ordre aux Commandans
des Troupes
qu'on a
fait défiler vers les Frontières de Perfe ; de prendre
toutes fortes de mefures pour la confervation
des Provinces
conquifes
fur ce Royaume
,
& d'empêcher
en même temps que les Soldats
ne commiffent
aucune hoftilité, parce que le Gr.
Seigneur
veut éviter d'entrer
en guerre avec le
nouveau Roy de Perſe.
11. Vol RéjouissanJUI
N. 1730 .
1429
REJOUISSANCES faites à ( a )
Salonique par la Nation Françoife. Extrait
d'une Lettre écrite de cette Ville.
J
E n'entreprends pas de vous exprimer avec
quel excès de joye notre Nation apprit la
grande nouvelle de la Naiffance de MONSEIGNEUR
LE DAUPHIN ; je me contenterai de vous
faire en abregé un Récit ſimple & fidelle de toutes
les marques extérieures qu'elle en a données.
M. le Conful ayant reçu le 10 du mois de Novembre
dernier cette heureufe nouvelle , fit convoquer
une ailemblé générale de la Nation , laquelle
d'un fentiment unanime fut d'avis de faire
une Fête auffi brillante que la grandeur du fujet
le demandoit , & que la capacité des Gens du
Païs pourroit le permettre.
On donna autli -tôt les ordres néceffaires , mais
malgré la diligence dont on ufa, tout ne pût être
en état que le 27 du même mois.
La Fete commença ce même jour -là au lever
du Soleil , par un Salve de 150 Boetes , qu'on
tira dans la Cour de la Maifon Confulaire , aufquelles
on répondit par 200 coups de Canon , qui
furent tirez par les Batimens François qui fe
trouvoient dans cette Rade. Enfuite , tous les
Marchands François & les Capitaines fe rendirent
en Corps de Nation , le Député à leur tête ,
à la Maifon Confulaire, pour accompagner M. le
Conful à l'Eglife , où l'on devoit chanter le Te
Deum .
>
Le Conful étoit précedé de huit Janiffaires mitrez,&
portant leur long Bâton en main; de douze
Joueurs d'Inftrumens,de fix Drogmans Fran-
(a) C'est l'ancienne & celebre Ville de Thef-
Jalonique dans la Macedoine.
II. Vel. H pois
1430 MERCURE DE FRANCE
çois , & accompagné de tous les Marchands de
la Nation. Marchoient enfuite les Capitaines &
Officiers des Bâtimens , fuivis des Arafans &
Matelots François . Cette Marche fe fit avec beaucoup
d'ordre.
En arrivant à l'Eglife , le R. P. Tarillon , Su
périeur des Jefuites , vint recevoir le Conful à la
porte de la Cour , & le conduifit dans l'Eglife,
Lorfqu'on entonna le Te Deum , les cent icin
quante Boetes de la Maifon Confulaire , tirerent
pour la feconde fois , & furent fuivies de
tout le Canon des Bâtimens François. Le P. Su
perieur fit enfuite un Difcours fort éloquent.
Le Te Deum fut fuivi, à la fortie de l'Eglife , par
de grands cris de Vive le Roy. On reconduifig
M. le Conful dans fa Maifon , où il donna un
repas des plus fomptueux fur trois differentes
Tables.
- fix
La premiere Table , qui étoit de trente
Couverts , fut occupée par les Marchands de la
Nation , ayant le Conful à leur tête. La feconde
de quarante Couverts , fut occupée par les Capitaines
& Officiers des Bât mens ; & la troifiémo
Table , auffi de quarante couverts , fut occupée
par les Officiers de la Nation & par les Artifans
diſtinguez.
Après qu'on eut fervi le fruit qui étoit magnifique
, le Conful s'étant levé , il porta la fan.
té du Roy , à laquelle chacun fit raiſon par un
eris de Vive le Roy, qui fut réitéré plufieurs fois.
avec tant de force , qu'à peine pouvoit- on enten →
dre le bruit des Boetes & du Canon qu'on tiroit
en même temps. On but enfuite celle de la Reine,
de Monfeigneur le Dauphin & de toute la Fa
mille Royale , avec les Vivat , &c.
Les Gens du Pais qui n'avoient jamais rien v
de femblable,accouroient de toutes parts pour fa-
11. Vol.
tisfaire
JUIN. 2 1730. 1431
tisfaire leur curiofité , & pour participer à notre
joye. Les Buvcurs venoient en foule fe défalterer
auprès d'une Fontaine de Vin , qui coula depuis
le matin jufqu'à huit heures du foir dans un
grand Baffin , fitué devant la Maiſon Confulaire.
Les femmes qui venoient en troupe & à qui la
bienfceance ne permet gueres de fe montrer icy
en public, prirent du Caffé , du Sorbet, &c . Elles
avoient auffi le plaifir de voir danfer & d'entendre
jouer les Inftrumens que le Bacha Comman
dant de ' a Province , avoit envoyés pour honorer
la Fête .
Il avoit auffi envoyé vingt Janiflaires de la
Garde , avec ordre de fe tenir aux Fortes de la
Maiſon Confulaire , pour éviter la confufion &
prévenir les défordres qui auroient på arriver
parmi la populace de diverfes nations , que la curiofité
attiroit de toutes parts .
On avoit dreffé une Tente à l'entrée de la Mai
fon , au pied du Pavillon , où l'on diftribuoit le
Caffé à tous ceux qui en demandoient. Il fuffit de
dire que pendant les trois jours que la Fête dura,
il en fut confemmé plus de treize mille Taffes.
Le Repas fini , on diftribua au peuple quantité
de Dragées & de Confitures feches qu'on
jetta des Fenêtres en abondance. L'avidité & la
confufion du Peuple firent tant de plaifir aux
Spectateurs , que le Conful pour la faire durer
plus long- tems,s'en fit un de faire diftribuer de la
même maniere , quantité de pieces de
Avant que d'entrer dans le détail de ce qui fe
pafla à f'entrée de la nuit , il eft neceffaire de
donner icy une idée des Décorations qu'on avoit
placées dans toutes les avenues & aux endroits
Tes plus expofez à la vûë du Peuple.
monnoyes.
Je commencerai par la grande Porte de la ruë ¡
II. Vol. Hij Aus
1432 MERCURE DE FRANCE .
au-devant de laquelle étoit un beau Portique, or
né de verdure & entrelaffé de Banderolles, parfehées
de fleurs de Lys & de Dauphins couronnez,
d'où l'on voyoit en face une Piramide élevée ,
dans le milieude la grande allée, de la hauteur dé
foixante pieds , fur un Arc de Triomphe qui og
cupoit toute la largeur de l'Allée , garnie à droite
& à gauche de Laurier & de Myrthe , avec des
Banderolles femblables à celle du Portique , fur
lefquelles il y avoit alternativement une Fleur de
Lys & un Dauphin couronné. On avoit placé audeffus
de l'Arc de Triomphe un grand Tablcay
qui reprefentoit un Ange,de grandeur naturelie ,
& adoffé à la Piramide , lequel tenoit fufpendu
de la main droite , l'Ecu des armes du Roy , &
de la gauche , celics de la Reine que l'Ange cou
vroit également de fes aîles. Il y avoit au bas une
Corae d'abondance , d'où fortoit plufieurs Fleurs
& differens fruits , avec un Dauphin couronné ,
qui s'élevoit audeffus , & fur le fommet de la
Piramide on voyoit une Renommée.
Les Armes de France étoient élevées fur la
grande Porte d'entrée de la Maifon Confulaire ,
regardant celles du Dauphin placées à l'oppofite
fur des Arceaux de Verdure qui regnoient en
forme de Fer à Cheval autour du Baffin où étoit
la Fontaine de vin , dont on a parlé. Sur les
bords du Baffin on avoit mis de diftance en diftance
de grands Vafes , liez les uns aux autres
par des Feitons de verdure , & chaque Vafe portoit
un grand Chandelier à trois rangs , qui devoit
fervir à l'illumination . Dans la partie du
Jardin qui eft derriere la Maiſon du Ĉənful , il
y a deux grandes allées qui fe croifent dans le
milieu , lequelles étoient bordées de quantité
d'Arceaux de verdure, de la hauteur de dix pieds ,
fe fuccedant les uns aux autres juſqu'au fond du
Al. Vel.
Jardin
JUIN. 1730. 1433
Jardin , fur lefquels regnoit une espece de Corniche
pour porter les Cobelets pour l'illumina
tion. Ôn avoit auffi pofé fur les quatre Angles
des Arceaux de verdure qui formoient la croifée
des deux allées , quatre grandes Girandoles qui
s'élevoient au- deffus d'environ fix pieds ; & dans
un des quarrés du Jardin on avoit dreffé un
grand Feu de joye , fur le haut duquel s'élevoient
Ies Armes du Roy ; mais on ne jugea pas àà propos
d'allumer ce Feu de joye , crainte que ld
vent ne portât les étincelles fur les Maifons
voifines , toutes bâties de bois.
Cette premiere & magnifique journée fut termiuée
comme elle avoit commencé , par une
grande Salve de Canon , de Boetes & de toute
Artilerie des Bâtimens François. Auffi- tôr
après on commença les Illuminations avec tant
de diligence qu'en moins d'une demie heure , le
comble de la Maifon Confulaire , la Piramide
les Allées , & generalement tous les Murs qui
forment l'enceinte de ce vafte Enclos , furent
éclairez d'une clarté fi brillante , qu'elie ramena
le jour , malgré l'obfcurité de la nuit.
Cette illumination étoit compofée de plus de
euf mille Gobelers ,fur lefquels étoient repréfentées
des Figurs de Lys, des Dauphins couronnez
, &c. & ils furent renouvellez pendant trois
foirs confécutifs . On fit en même tems arborer
un Pavillon tout enflammé,compofé de quantité
de petits Fanaux , fufpendus en l'air par une infinité
de Cordes tres -fines , qu'on ne pouvoit ap
percevoir que de fort près.
Les Capitaines François à qui on avoit fait di
ftribuerunegrande quantité de Bougies & de Go
belets , voulurent auffi donner des marques de
feur joye , en faifant illuminer leurs Vaiffeaux .
Ils y travaillerent tous avec ardeur, & ils eurent
II. Vol Hiij. tous
1434 MERCURE DE FRANCE
tous le même fuccès . C'étoient des Bâtimens tout
en feu , qui par la multitude des lumieres dont
ils brilloient , & par l'arrangement avec lequel
elles étoient diftribuées , produifoient un effet
enchanté, ce qui fut encore relevé par une infinité
de Fufées volantes , qui s'élevant à travers
cette clarté, alloient à la rencontre de celles qu'on
jettoit de la Maifon Confulaire.
Tout ce charmant Spectacle fe découvroit de
la Ville , & faifoit l'admiration de tout le monde,
& principalement des Turcs qui en habitent la
hauteur , bâtie en amphithéatre."
Cependant tout le monde fut charmé de la
magnificence avec laquelle on avoit paré la grande
Sale où fe donna le Bal; elle étoit tendue d'une
riche Tapifferie , éclairée de plufieurs Luftres de-
Criftal & de quantité de Girandoles, de Bras ,& c;
On prefenta , fans diftinction , pendant tout le
temps du Bal , tous les rafraichiffemens qu'on
pouvoit défirer dans cette faifon. Il dura jufqu'à
deux heures du matin que chacun le retira , mais
ce ne fut que pour recommencer bien- tôt après ;
les Démonftrations de joye qui avoient duré pendant
cette premiere journée , & qu'on continua
encore pendant deux autres jours , avec autant
d'éclat & de magnificence qu'on en avoit fait
paroître le premier jour de la Fête.
RUSSIE .
A Czarine a fait dire au Comte de Wratislaw,
Antalladeur Extraordinaire de l'Empereur
qu'elle ne pourroit pas fournir cette année à
S. M. I. les 30000. hommes promis par les
Traités faits il y a trois ou quatre ans , parcequ'elle
avoit befoin de toutes fes Troupes pour
conferver les Provinces conquifes fur la Perfe
II. Vol. ayant
JUIN. 1730 1435
ayant reçu des avis certains que le Sultan Schach
Thamas avoit pris la réfolution de faire tous fes
efforts pour fe remettre en poffeffion de ces Provinces
, auffi -tôt qu'il auroit diffipé le refte de
l'Armée du Sultan Acheraf.
On a appris depuis que le nouveau Roi de
Perfe envoyoit à Mofcou un Ambaffadeur pour
complimenter la Czarine fur fon Avenement à la
Couronne , & que ce Prince avoit permis aux
Mofcovites de négocier à Ipaham en toute li
berté.
On a fait équiper à Cronstadt quatre Vaiſſeaux
de Guerre & cinq Frégates pour former une Ef
cadre qui fera commandée par le Contre- Amiral
Kas. On ne fçait pas pour quelle expedition.
ALLEMAGNE,
A petite Ville d'Enzerftoff , fituée au - delà du
Danube, dans le Diocèfe de . Freifengen, à 4
lieues de Vienne , compofée d'environ 600. Maifons
, fut réduite en cendres le 14. Juin par la
faute d'un Vigneron , chez qui le feu commença.
L'Eglife feule eft restée de cet incendie .
Le 7. Mai on fit à Maydampuk , dans le Banat
de Temefvar , l'ouverture d'une Mine de'
cuivre nouvellement découverte qui eft extrêmement
abondante ,
Le 14. Juin , le Comte de Mercy partit de
Vienne pour aller commander en Chef les Trou
pes de l'Empereur en Italie.
Les Lettres de Dantzick portent que le Duc
Charles Leopold de Meckelbourg en devoit partir
pour les Etats , après avoir paffé quelques jours
au Monaftere d'Oliva , où il a eu plufieurs Conferences
avec diverfes perfonnes inconnues. On
apprend de Schwerin que ce Prince y étoit ar-
II. Vol. rivé,
HE
136 MERCURE DE FRANCE
rivé , qu'il y avoit fait venir de Domitz fes-
Miniftres & fa Chancellerie ; qu'il avoit réfolu
d'y faire fa réfidence , & d'y lever une Compa-.
gnie de Gardes à Cheval ; que fa Cour devenoit
fort nombreufe , qu'il avoit renforcé la Garniſon
de cette Place ; que la Commiffion Imperiale de
Roftock avoit dépeché un. Courrier à Vienne
pour demander de nouvelles inftructions au fu→
jet de l'arrivée du Duc Charles Leopold dans fes
Etats , & qu'en attendant la réponſe elle avoit
fait publier une Ordonnance par laquelle il eft
défendu à la Nobleffe , aux Officiers de Juftice &
aux autres habitans du Duché , d'obéïr aux oFdres
que ce Prince pourroit donner contre l'execution
des Decrets de la Commiffion.
La même Commiffion a fait déchirer le dernier
Mandement que le Duc Charles Leopold de
Meckelbourg avoit fait afficher dans divers endroits
de fon Duché , & elle a fait arrêter quelques
Baillifs qui ont enrôlé , des Payfans pour le
fervice de ce Prince . On a renforcé les Troupes
d'execution qui occupent differens poftes entre-
Schwerin & Domitz, afin d'empêcher la communication
entre ces deux Villes , & de prévenir
les forties que les Garnifons pourroient faire. Les
Troupes Mofcovites qui font en quartier fur les
Frontieres de Lithuanie ont ordre de fe tenir prê- ·
tes à marcher , ce qui fait croire qu'elles feront
quelque entrepriſe en faveur du Duc de Meckelbourg
, fi la Commiffion Imperiale continue de
faire fes pourfuites pour les frais d'execution.
dont elle veut être payée avant que de faire retirer
fes Troupes.
II. Vol.
Camp
JUIN 1730. 1437
Camp de Mulhberg.
N parle dans toute l'Allemagne du Camp
de Mulhberg en Saxe , où le Roi de Pologne
a fait camper une grande quantité de Troupes
d'élite , & où ce Prince donne une fête militaire,
digne d'un grand Roi .
Toute l'Armée eft habillée de neuf, & avec autant
de propreté & d'uniformité pour les Cavaliers
, & les Soldats que de richeffe & de goût
pour les Officiers qui ont chacun jufqu'à trois
habits d'un uniforme varié feulement par les
differens agrémens où l'or & l'argent font employés
avec art pour produire un coup d'oeil
magnifique & brillant.:
La fituation du Camp eft des plus agréables ,
le fuperbe Pavillon du Roi & les magnifiques
Tentes qui l'environnent, font fur une éminence,
d'où l'on découvre toute l'Armée , campée fur
deux lignes dans une belle Plaine , arrofée par
la Riviere d'Elbe . Les Troupes les plus magnifi-
.ques , & qui fe font diftinguer dans ce fuperbe
Camp , font les Gardes du Corps de S. M. P. Les
Chevaliers Gardes , les Grands Moufquetaires ,
les Carabiniers , les Gardes à pied & les Cuiraffiers.
Le 31. Mai , le Roi fortit du Camp pour alfer
audevant du Roi de Pruffe. S. M. étoit à la
tête des Chevaliers de l'Aigle Blane , au nombić
de 36. & accompagnée de 160 Princes , Generaux ,
Miniftres & autres Seigneurs. Le Prince Royal
étoit fuivi des Militaires . Les deux Rois fe ren
contrerent à une demie lieue du Camp , où ils
s'embrafferent avec des marques les plus vives
de la plus parfaite amitié , & après avoir dejeuné
fous une Tente magnifique à demi ouverte , ils
11. Vola Hy viurent
1438 MERCURE DE FRANCE
L
vinrent au Camp. Le Roi de Pruffe étoit à Cheval
avec le Prince Royal fon fils , accompagné
de plufieurs Princes , Generaux , Colonels & c . au
nombre de plus de 150. L. M. étoient fuivies de
9. Cavaliersarmés de pié en cap , portant des drapeaux
& une queue de Cheval , comme auffi d'une
Troupe de Huffars armés d'Arcs & de Fleches.
Le premier Juin l'Armée marcha , commandée
par le Prince Royal de Pologne , & fe rangea
fur deux lignes , dont chacune contenoit une
étendue de trois quarts de lieue. L. M. & les
Princes & Generaux de leur nombreuſe & brillante
fuite , des deux fexes , à Cheval & en Caroffe
, les parcoururent d'un côté & d'autre. Le Roi
de Pruffe étoit toujours accompagné de quatre
jeunes Turcs habillés de drap d'or. Les deux
Rois s'étant enfuite retirez fous leurs Tentes. ,
ils furent falués par une falve de 60. pieces de
Canons , & L. M. virent défiler toute l'Armée
par Regimens..
Le lendemain , le Roi de Pologne s'étant trouvé
fatigué , nomma la Princeffe Royale fa Bru ,
pour faire les honneurs du Repas , & S. A. s'en
acquita très bien. On mangea fous une Tente à
la Turque , fur une Table de 40. Couverts , toute
fervie en vaiffelle de vermeil doré , & avec la plus
grande délicateffe & plus grande abondance.
Le 3. les deux Rois dinerent enfemble dans le
Quartier du Roi de Pologne, avec plufieurs Princes
, Generaux & antres Seigneurs. Vers les fix
heures , peu de tems après le diné , il y eut Comédie
Italienne..
Le 4. à quatre heures du matin , les 4. Re--
gimens de Dragons marcherent fur deux colomnes
, & enfuite s'étant mis en parade , firent leur
Exercice & diverſes évolutions à Cheval & à pied
II. Vola jufqu'à
JUIN. 1730. 1439
que
jufqu'à 2. heures après midi . Ils pratiquerent la
nouvelle maniere de coupler les Chevaux ' ,
S. M. P. fait introduire dans fon Armée , & qui
a divers avantages , fur tout celui de pouvoir
former un front de Bataillon , & par là couvrir
les Chevaux & c. Le Roi de Pruffe alla diner ,
accompagné de quelques Generaux , chez le Duc
Jean Adelphe Weifenfels . Le Prince Royal de
Pruffe dina avec le Roi de Pologne & les Dames.
Le foir il y eat Comédie & Bal à la Cour.
Le s .
elle
la Cavalerie fit fes Exercices , compofée
de 24. Efcadrons des Gardes du Corps , des Carabiniers
& des 3. Regimens de Cuiraffiers . Elle
marcha fur quatre Colomnes vers le Pavillon
Royal , où s'étant formée fur deux lignes ,
fit plufieurs mouvemens , marches , attaques &c.
& forma enfuite un quarré , dont le Pavillon du
Roi étoit le centre , & elle rentra dans le Camp
fur une Colomne , en tournant autour du Pavil
Jon Royal.
Le 6. il y eut Concert de voix & d'Inftrumens
&c.
Les Rois de Pologne & de Pruffe ayant été indifpofés
pendant quelques jours , & L. M. étant
parfaitement rétablies , le 10. elles fe rendirent
avec leur fuite au Pavilion , éloigné d'une portée´
de Canon du centre de la premiere ligne de l'Armée
, pour voir l'Exercice de l'lafanterie. Ce
Pavilon eft conftruit de charpente , orné de
peintures & de dorures de très bon goût , élevé
fur une hauteur qui domine fur toute la Plaine.
L'Infanterie qui étoit fortie du Camp dès le
matin , avoit formé autour de ce Pavillon un'
quarré , dont chaque flanc étoit compofé de fixt
Bataillons. On commença par les évolutions des
armes , & on pratiqua enfuite les differentes manieres
de charger par rangs , par pelotons , par
1 Vel. H vj demi
1440 MERCURE DE FRANCE
demi divifions , par divifions entieres & par hayes,
où les Grenadiers jetterent quantité de Grenades
vers le milieu du quarré &c. Après cet Exercice
& diverfes autres évolutions , L. M. allerent diner
à leur quartier. C'eſt un quarré gardé par des
Janiflaires & par une Garde de Cadets , où des
Soldats Turcs , avec des Veſtes de drap d'or ,
& des efpeces de Turbans de velours cramoifi ,
font la garde devant la Tente de ces deux Rois ,
& où l'on voit auffi des Hongrois en habits
d'écarlate , avec des galons & des franges d'or.
Il y a encore douze Gardes qu'on nomme Peckins
, auffi habillés d'écarlate avec des bonnets
de velours noir , bródés d'argent , & une aigrette
de plumes blanches , tenant chacun une hache
d'argent. Le milieu de ce qnarré eft occupé par
une grande Sale tendue de damas cramoifi &
jaune . Cette Sale eft percée de 4. portes par
lef
quelles on entre dans quatre Galeries , qui aboutiffent
à autant de Cabinets , à côté defquels il y
a 8. Tentes à la Turque , ornées de riches étoffes .
Quatre grandes Tentes qui fervent de Sale à
manger , font contigues à ces Cabinets.
>
On a fervi tous les jours trois Tables de 24
Couverts chacune ; les deux Rois mangent à la
premiere , L. A. R. à la feconde , & la troifiéme
eft deftinée pour les Officiers Generaux des deux
Cours ; ces Tables font fervies en vaiffelle de vermeil
doré. Il y a outre cela cinq autres Tables
auffi de 24. Couverts chacune , fervies en vaiffelle
d'argent pour les Hauts Officiers & les
Etrangers. Un Officier de diftinction de la Maifon
du Roi fait les honneurs de chaque Table.
Le Roi de Pologne eft logé dans un Palais
qu'il a fait conftruire exprès, à une portée de pif
tolet du Quarré dont on vient de parler . Le Roi
de Pruffe y eft auffi logé, avec le Prince Royal
on fils , & toute fa Cour. Dans
JUIN. 1730. 1441
DO
52
ם כ
Dans une Lettre écrite de ce Camp , on s'exprime
ainfi : » Je fuis, bien fâché que vous ne
foyez pas à portée de voir ce corps d'armée ++
en verité on ne fçauroit donner une idée de la
magnificence de l'Armée de Darius , que par
celle-cy. Il n'y a point de Sous - Lieutenant de
Cavalerie , dont le Cheval avec le harnois ne
→ vaille au moins mille écus. Il y a trois Tables
» chez le Roy , de 24. Couverts chacune , fervies
en vaiffelle d'or , & plufieurs autres au nombre
" de 300. Couverts , en vaiffelle d'argent. Les
Tentes feules du Quartier du Roi , font eftimées
deux millions. Ce qu'on voit de toutes fortes
» de Voitures , Caroffes , Chaifes & Chevaux de
» felle pour les Etrangers & pour les Dames , elt
» inconcevable. On diftingue ici des Officiers Ge-
» neraux & autres de toutes les Troupes de l'Europe
, & un concours infini d'Etrangers de toutes
Nations.Je ne fçai fi le calcul eft jufte , mais
on compte qu'outre les Troupes , il y a 300
mille ames dans le Camp ou aux environs.
» Au refte , il n'eft queftion ici que de Colon-
» nes , dans le gout de celles du Livre du Chevalier
de Follard ; petits & grands , tout le monde
fe mêle de faire des Colonnes . Il y a un jour
» destiné exprès , où toute l'Infanterie ne fera
පා que des Colonnes ; & le Roi de Pruffe , qui y
» étoit totalement oppofé it y. a deux ans , s'eft
» enfin rendu à l'opinion de l'Auteur de ce Livre
» & à la mienne , fur le fait des Colonnes.
37
םכ
»Le Roi de Pologne m'a fait l'honneur de me
dire qu'il feroit deffiner toutes les évolutions
qui fe font faites , pour que je vous les envoye.
» Mais de tout ce qu'on a fait , le plus beau fera
fans doute , un Paffage de Riviere. L'E be eft
deux fois large ici comme la Seine à Paris . On
» établira trois Ponts en preſence de l'Ennemi , à
11. Vol.
» la
1442 MERCURE DE FRANCE
20
la faveur du Canon & de certains Prammies'
garnis de Canons. Ces Ponts font mobiles &
» deſcendront la Riviere , s'établiront , pour ainfi
→ dire, dans un moment , & le paffage fe fera de
dire vive force. On peut fans craindre le ridi
cule , que ce font Jeux de Prince. A Dieu ,
cher Chevalier , je vous écrirai plus au long ,
quand je pourrai yous envoyer les Deffeins de

→ tout ceci .
Les Lettres qu'on a reçues depuis du Camp
de Malhberg portent que le 17. Juin l'Armée
marcha en Phalanges ou Bataillons quarrez , fui
vant l'ufage des Anciens. Cette marche reprefentoit
parfaitement le même ordre de bataille done
les Grecs fe fervoient pour combattre leurs enne
mis , & faifoit un coup d'oeil incomparable. I
y avoit une Phalange d'Infanterie & deux de
Cavalerie , lefquelles après avoir marché quelque
temps dans cet ordre , formerent enfuite deux
lignes toute l'Armée fe replia par le centre &
fe remit fur le même terrain ; après quoi on fe
retira en combattant jufqu'au Camp ; le tout fut
parfaitement bien executé.
Le 18. le Roi de Pruffe dîna chez le Comte de
Wackerbarth , avec le Duc de Saxe Weimar-
Le foir il y eut Comedie Italienne.
Le 19. toute l'Armée fe mit de nouveau en
marche , & forma d'abord neuf grands quarrez ,
l'Infanterie s'étant enfuite formée en quarré long,
fut attaquée par la Cavalerie , qui fut vivement
repouflée par le Canon , les Grenades & la Moufqueterie
L'Infanterie fe voyant trop preffée , forma un
autre quarré long , & fut encore attaquée à di-.
verfes reprises dans fa retraite par toute la Cavalerie
, avec tant d'acharnement , qu'on cut de la
peine à faire retourner quelques Efcadrons qui
11. Vola
effuyerent
JUIN. 1730. 1443
effuyerent le feu , ayant la tête des chevaux dans
les Bayonettes. Enfin la retraite fe fit en deux colonnes
, par des défilez d'une manière qui n'avoit
pas encore été pratiquée & qui fut jugée d'une
grande utilité par les connoiffeurs .
Le 20. Le Regiment des grands Grenadiers fit
fes exercices avec beaucoup d'adreffe devant les
deux Rois . Le Comte de Rutowski , qui en eft le
Commandant , traita enfuite fplendidement le
Roi de Pruffe. Le même jour le Roi alla reconnoître
le terrain où S. M, avoit deffein de paffer
l'Elbe avec un Détachement de l'Armée : ce deffejn
s'executa le 21. Une partie de l'Armée paffa
cette Riviere & fe retrancha ; elle fut enfuite attaquée
par le gros de l'Armée , commandé par
le Comte de Wackerbarth, il fut à la fin repouffé;.
У eut dans cette action deux Soldats de tuez &
un de bleffé par accident. Jamais Artillerie n'a été
fetvie avec plus d'adreffe & d'art , qu'en cette occafion
, y ayant eu de groffes pieces qui ont tiré
coups dans une minute..
il
fix
Le 22. le Roi de Pruffe alla dîner chez lé Prince
Royal de Pologne , qui le régala fuperbement.
Les Exercices Militaires finirent le 23. par une
bataille rangée : l'Armée étoit partagée en deux
corps, dont l'un étoit commandé par le Velt- Maréchal
, Comte de Wackerbarth , & l'autre par le
Duc de Saxe - Weffeinfels , qui après avoir perdu
la bataille , fit une très - belle retraite , ayant mar
ché en bon ordre vers le Bois.
Pendant cette retraite, le Roi de Pologne , qui s'é
toit mis à la tête de fix Efcadrons qu'il avoit déta
chés fecretement de l'aîle droite, tomba dans le flanc
de l'aile gauche , & fit prifonnier un Efcadron
du Régiment de Pohlentz , qui ne s'étoit pas ap
perçu de ce mouvement. Il y eut des pieces de
Canon qui tirerent ce jour- là 159. coups , &
11. Vol.
PArtillerie
1444 MERCURE DE FRANCE
l'Artillerie tira en tout 9000. coups.
Le 24. on tira le fuperbe Feu d'artifice que le
Roi avoit fait préparer fur l'Elbe : le temps calme
& l'air obfcur qu'il faifoit cette nuit- là , ne contribuerent
pas peu à rendre ce fpectacle plus mafique
& plus agréable : il fut executé dans toute
fa perfection , & tous ceux qui l'ont vû , conviennent
que c'eft le plus beau qui ait été tiré de me--
moire d'homme.
Après le Feu d'artifice , le Bucentaure parut
fur l'Elbe avec une Flotille de 15. Bâtimens ,
tous entierement illuminez & ornez de leurs Banderoles
, &c. Cette Fête dura jufqu'à quatre heurés
du matin.
Lers . on celebra au Camp le Jubilé de la Confeffion
d'Ausbourg. Le Roi dîna ce jour - là chezle
General Bauditz , & vit enfuite fon beau Rément
de Carabiniers ."
Le 26. toute l'Armée fut magnifiquement traitée
; elle fe mit à table à onze heures & s'en leva à
midy. Le 27. les deux Rois & leurs fuites s'em→ ,
barquerent fur la Flotille , & defcendirent l'Elbe
jufqu'à Leuchtenberg , où l'on coucha.
Le 28. on finit les Diverriffemens par une
grande Chaffe que le Roi donna au Roi de Pruffe,
& qui n'a pas été moins magnifique que toutes
les autres Fêtes on y a tué à coups de fufil ,
1100. Pieces , tant Cerfs que Biches , Chevreuils
& Sangliers.
Après la Chaffe , on fervit plufieurs Tables de
plus de 400. Couverts ; les deux Rois le féparerent
enfuite avec de grandes marqués d'amitié &
de tendreffe. Le Roi de Pruffe eft allé à Poſtdam ,
& S. M. Pol. eft retournée au Camp , où elle
reftera encore quelques jours avant que de fe rendre
à Drefde.
Par les dernieres Lettres reçûës , on a appris
le circonftances fuivantes : Lo
JUIN 1730. 1445
Le 12. Juin , l'Artillerie fit l'Exercice avec 48.
Pieces de Canon. Outre le Bataillon de l'Artillerie
, on commanda encore trois Regimens d'Infanterie.
Après que ce Corps fe fut rangé fur fir
lignes ; & qu'on eut reparti les Canons en huit
Brigades , il fe mit en marche fur fix colonnes'
vers le Pavillon Royal . Les Canons avec les Chariots
de munitions , alloient au milieu des colonnes
, & étoient accompagnez d'un certain nom
bre de Canoniers & de Soldats détachez de l'Infanterie.
Les Timbales de l'Artillerie étoient fur
un Char attelé de quatre chevaux blancs .
Après que tout fut arrivé à une distance mar
quée du Pavillon , on détela & on fit fortir
des rangs les Chevaux de l'Artillerie & les Chariots
de munitions. Tout le Corps fe remit enfuite
en bataille fur fix lignes , ayant le Canon ;
dans les intervales marques.
Pendant que le Canon faifoit les differentes
charges , l'Infanterie rangée par pelotons , fortoit
par les intervales à chaque charge, & faifoit
fon feu par rang , de même que celle qui étoit à
la tête & à la queue, Elle fe retira enfuite derriere
le Canon. Toutes ces differentes manieres de charges
ont été fort bien executées , malgré les groffes
pluies qu'il faifoit ,ceCorps fit après un mouvement
pour avancer jufqu'à un certain endroit , & continua
toujours à tirer . Il forma enfuite un Quarré
, ayant les Canons rangez fur les flancs , & finit
cette manoeuvre par une décharge generale
des 48. Canons à la fois , qui fut fuivie de celles
72. Pelotons de l'Infanterie, & réïterée fix fois.
Enfin après avoir fait fortir les Chariots de Munitions
du Quarré , & les Brigades des Canons ,
les Pelotons de l'Infanterie firent un mouvement
pour fe mettre fur un Terrain marquê , & fe retirer
; ce qu'ils firent en chargeant en retraite , &
de
11. Vol. ren1446
MERCURE DE FRANCE
rentrerent ainfi dans le Camp. Le Roi de Pruffe
dîna avec le Prince Royal fon fils , chez le
Velt-Maréchal Comte de Wackerbarth , & le Roi
de Pologne , chez le Duc de Saxe-Weimar.
Le 13. les deux Rois dînerent chacun en particulier
, & le Prince Royal dîna en compagnie
la feconde Table ; fervie en vermeil doré. Après
midy fe fit PExercice des Lanciers . Les , fix Efca
drons des Gardes du Corps , armez de Cuiraffes
de Cafques & de Lances , fe prefenterent ; on y
avoit joint cinq Bataillons de Grenadiers ou Gardes
à pied , aufquels on avoit fait diftribuer 128.
Piques par Bataillon.

Les Lanciers , en fortant du Camp , fe formerent
fur une ligne , ayant toûjours un Bataillon
entre deux Efcadrons. La marche fe fit vers le
Payillon fur deux lignes , dont la premiere fut
formée par les fix Efcadrons de Lanciers , & la
feconde par les cinq Bataillons d'Infanterie. Pendant
que les Lanciers firent leurs mouvemens✨
vers le Pavillon , les Huffars Polonois , armez de
Cuiraffes & de Cafques,coururent la Bague devant
L.M.& briferent leurs Lances contre desMachines
qu'on avoit préparées pour cet effet. En arrivant
a quelque diftance du Pavillon , les Lanciers fe
formerent de nouveau fur une Ligne ; l'Infante
rie fe mit au milieu , & les fix Efcadrons fur les
aîles , trois Efcadrons fur chaque aîle. Après
avoir avancé ainfi jufqu'à une diſtance marquée
en attaquant , chargeant & le retirant , ils fe formerent
de la même maniere fur trois lignes , & .
avancerent de nouveau en faifant la même manoeuvre
; ce qui ayant été exécuté , les cinq Bataillons
formerent chacun un Bataillon quarré
ayant les Lanciers fur les aîles , & firent enſem
ble diverfes manoeuvres . Enfin les quatre Batail-
' ours des Gardes formerent un grand quarré au-
II. Vol.
tour
JUIN. 1730. J447
tour du cinquiéme Bataillon , qui étoit celui des
Grenadiers. Les Lanciers fe rangerent pour les
couvrir , & après avoir fait plufieurs attaques ,
marches & contremarches , on fe battit en retraite
& on entra dans le Camp.
Le 14, le Roy de Pruffe alla dès le matin voir
l'armée , qui étant fortie du Camp fans armes
&C.
LE
ITALI E.
"
Es Cardinaux Chefs d'Ordre ayant appris que
les Bandits dont on a déja parlé , étoient ve
nus piller des maifons de Campagne prefqu'aux
portes de Rome >ont donné des ordres au Gouverneur
de cette Ville , en vertu defquels il a fair
publier une Ordonnance par laquelle il recom
mande l'execution de la Bulle de Sixte V. qui
donne pouvoir aux Communes & à tout Particu
lier domicilié , de les tuer par tout où ils les trou
veront , promettant de plus 500 écus de recompenfe
à quiconque livrera vivant un de ces Bandits
à la Juftice , & 200 écus pour, chacun de
ceux qui auront été tués . Qutre ces ordres on
vient de faire partir encore deux détachemens de
Soldats , avec des Juges , des Greffiers , des Sbir
res & des Executeurs pour juger ces Voleurs &
les punir auffi- tôt qu'ils auront été arrêtés .
t
On a appris depuis que les Stirres envoyez contre
ces Bandits , en ont tué un auprès de Sabine ,
mais il y a conteftation entr'eux au fujet de la
recompenfe promife pour la mort de ce fcelerat,
plufieurs prétendant avoir tiré le coup qui l'a tué.
Le Cardinal Cibo ayant eu encore une foibleffe
depuis fa derniere faignée , fortit du Conclave le
4 Juin.
Le 8 Juin , la Proceffion folemnelle du S. Sa
11. Vol. crement
1448 MERCURE DE FRANCE
creinent , où tout le Clergé feculier & regulier
affifte , lorfqu'il y a un Pape, ne fe fit pas à caufe
du differend du Cardinal Camerlingue & du Cardinal
- Vicaire, mais on en fit de particulieres dans
les Eglifes de S. Jean de Latran , de S. Pierre du
Vatican , de S. Paul hors des murs , & de Sainte
Marie majeure. Le Cardinal Barberin porta lo
S. Sacrement à la Chapelle Pauline , où il de
meura expofé pendant le Scrutin , après lequel ce
Cardinal donna la Benediction.
Le même jour , on iéçut avis de Norcia que le
refte des maifons & des murailles de certe Ville
infortunée , qui étoient encore fur pied , avoient
été renversées le 28 Mai par une troifiéme fecouffe
de tremblement de terre,& qu'il étoit forti
en differens endroits de la Ville plufieurs fources
d'une eau fort claire , mais e pente quatité .
On mande de Leoniffe , petite Ville dans l'A
bruffe , fur les frontieres de l'Ombrie , que le 12
on y avoit effuyé un ouragan des plus terribles ,
lequel avoit été fuivi d'un tremblement de terre
qui avoit renversé plus de la moitié des maiſons
de la Ville , dont plus de 300 habitans avoient été
enfevelis fous les ruines . On a auffi fenti à Caffia
dans l'Ombrie plufieurs fecouffes de tremblement
de terre , mais qui n'ont caufé ucun dommage .
les
Le 13 Juin , Fête de S. Antoine de Padoue ,
Cardinaux Chefs d'Ordres firent dire cent Meffes
dans differentes Eglifes ,pour demander à Dieu de
nouvelles graces pour la prompte Election d'un
Pape.
Les Cardinaux ayant reflechi que c'étoit une
grande incommodité pour leurs Officiers & leurs
Domestiques de venir tous les jours en cortege au
Tour du Conclave , pour accompagner les vivres
& les provifions neceffaires pour chaque Cardi-.
nal , ont tenu unè Congregation particuliere
11. Voly dans
JUIN 1730. 1449
dans laquelle il a été réfolu qu'à l'avenir il fuffiroit
d'envoyer un fourgon accompagné d'un
Chapelain , d'un Gentilhomme , de deux Valets
de Chambre , & de quatre Eftafiers : les Cardinaux
Colonne , Alexandre Albani Lercari
Porzia , Querini ; Gotti & Senzendorf , fe font
déja conformés à cette réfolution , malgré l'oppofition
du Cardinal Pignatelli , Doyen du Sacré
·College , & de quelques autres Cardinaux qui
n'ont voulu rien changer à l'ancien ufage.
Les chaleurs commençant à devenir exceffives ,
la plupart des Cardinaux dont les Cellules font
du côté de la Boulangerie , en ont fait abbatre le
mur pour avoir plus d'air.
Le 14 du même mois , le Cardinal Corradini
eut trente voix au Scrutin du matin , ce qui fit
croire qu'il pourroit être élu Pape l'aprés midi
mais il n'en eut que 28 à l'accès depuis ce jour
il ne s'eft rien paffé au Conclave qui puiffe faire
croire que l'Election du Pape foit prochaine."
M. Santini eft arrivé dans le deffein de fe mettre
en poffeffion du grand Prieuré de Rome , auquel
le grand Maître de Malte l'a nommé , & dont le
facré College a difpofé en faveur du fecond fils
du Chevalier de S. Georges. On croit cependant
qu'on le déterminera à donner fa démiffion
moyennant une penfion.
Sur la fin du mois dernier ,il arriva un Courrier
avec des dépêches pour le Cardinal Cienfuegos, &
le bruit fe répandit auffi - tôt que l'Empereur ne
S'oppofe plus à l'Election des Cardinaux Tofcans
qui pourroient être propofez dans le Conclave.
Les Cardinaux Chefs - d'Ordre envoyerent ordre
au commencement de ce mois à M. Bondelmonte
, Vicaire Apoftolique de Benevent, de faire
fortir des prifons l'Archiprêtre de Sainte Luce
qu'il avoit fait mettre aux fers , parce qu'il lui
I I. Vola
avoir
1450 MERCURE DE FRANCE
avoit fait fignifier d'une maniere peu reſpectu eu fe
une proteftation de M. Targa , Grand - Vicaire de
la même Ville , contre toutes les procedures qu'il
avoit faites jufqu'à prefent , laquelle proteftation
étoit fondée fur le refus que ce Vicaire Apoftolique
avoit fait de rendre fa commiffion publique,
mais comme il a craint que d'autres particuliers
ne fe ferviffent du même prétexte pour defobéir
à fes ordres , il a fait publier cetic commiffion
avec les Lettres Patentes du Sacré College ; après
quoi il a fait fermer une des portes de la Ville &
renforcer les Corps de gardes de celles qui font
ouvertes , pour prévenir la fuite de quelques perfonnes
accufées de malverfations qu'il a ordre de
faire punir. On a appris depuis que les Ecclefiaftiques
de Benevent attachés au Cardinal Coſcia`,
ayant envoyé au Sacré College un Memoire dans
lequel ils établiffoient la neceffité de leur conferer
les Ordres Sacrés , à caufe qu'ils ne pouvoient
deffervir les Benefices aufquels ils ont été nommés
, les Cardinaux Chefs d'Ordres ont écrit à
M. Cofcia , Evêque Titulaire de Targa , qui s'étoit
retiré dans le Royaume de Naples , pour l'engager
à venir faire cette ordination ; & ce Prélat
s'étant rendu pour cela à Benevent , il y a vû M.
Bondelmonte , qui lui a rendu fa vifite. Ce Commiflaire
Apoftolique du Diocèfe avoit pris la réfolution
d'abandonner les fonctions de fa Charge
& de retourner chez lui à caufe des ordres qu'il
avoit reçûs de remettre en liberté l'Archiprêtre de
Sainte Lucie , prétendant que c'étoit condamner
fa conduite que de lui donner de pareils ordres ;
mais il s'eſt déterminé à demeurer à Benevent de
puis que le Sacré College lui a écrit une Lettre
en forme de Decret , par laquelle il approuve &
confirme tout ce que cet Ecclefiaftique a fait juf
qu'à prefent dans le Diocèle de Benevent.
II. Vol. On
JUI N. 1730. 1451
On a reçû avis de Lisbonne que le Roi ayant
deffein de faire conduire dans cette Ville l'eau
d'une fource qui eft dans les Montagnes voifines,
pour la commodité des Habitans , & ne le pou
vant faire fans une dépenfe extraordinaire ' , ilavoit
réfolu de lever une taxe fur les Ecclefiaftiques
de fon Royaume pour l'aider à faire les frais
de cette entreprife ; mais que le Patriarche dé
Lisbonne s'étoit oppofé à l'execution de ce projet
, prétendant que S. M. Port . ne pouvoit lever
aucune impofition fur les revenus du Clergé de
fes Etats fans l'aveu du Pape , & qu'il falloit attendre
qu'il y en eut un d'élu. On craint que ce
nouvel incident ne retarde Paccommodement
qui fe negocioit avec le Sacré College par un Jefuite
qui eft l'Agent fecret du Roi de Portugal.
Les Dominicains de Venife ont obtenu un Ordre
du Sacré College pour fe faire rendre par les
Chanoines de Benevent un Calice d'or , garni de
pierres précieufes , dont M, Farfetti , Archevêque
de Ravenne avoit fait prefent au feu Pape
lorfqu'il le facra à Benevent , & que $ . S. avoit
fait mettre dans le Trefor de l'Eglife Metropolitaine
, avec ordre de le donner après la mort a
ces Religieux , chez lefquels il avoit pris l'habit.
Les Dominicains de Naples fe font fait remettre
auffi la Bibliotheque de ce Pape , dont il
leur avoit fait don immediatement après fon
Election au Pontificat.
On a propofé au Senat de Milan de lever une
taxe annuelle de 9 livres par tête fur les Payfans
du Duché depuis l'âge de 20 ans jufqu'à 60 ;
mais cette propofition a été unanimement rejettée
comme trop onereufe ; on à feulement accordé
une contribution extraordinaire pour le pain , le
foin , l'avoine & le logement des Troupes Imperiales
nouvellement arrivées d'Allemagne , &
II. Vol.
qui
1452 MERCURE DE FRANCE
qui ont leurs quartiers dans le pays , où elles continuent
de commettre de grands defordres , malgré
les ordres réïterés que l'Empereur a donnez
de leur faire obſerver une exacte difcipline.
On apprend de l'Ile de Corfe , que deux détachemens
des Troupes que M. Venerofo comman
de dans l'Ifle , avoient été furpris & battus par
les
mécontens ; qu'ils continuoient de fe tenir aux
environs de la Baftia ; que plufieurs familles de
l'Ile qui jufqu'à prefent n'avoient rien fait contre
leur devoir , s'étoient rangées du côté des
Rebelles , pour prévenir le pillage de leurs Mai-.
fons ; que les Chefs qui commandent ces mutins
avoient fait dire à M. Venerofo qu'ils ne quitteroient
les armes que lorfque la Republique leur
auroit donné fatisfaction fur leurs plaintes
qu'on croyoit que les Genois feroient obligez
d'envoyer contre eux des Troupes étrangeres
n'en ayant pas fuffisamment pour les foumettre.
&
On a appris depuis que ces Montagnards ont
rejetté toutes les propofitions qui leur ont été faites
par M. Venerofo , Commiffaire de la République
de Genes , & qu'ils ont menacé d'attaquer
toutes les places , de l'ile fi dans quinze jours on
ne les fatisfait pas fur toutes les demandes dont
ils ont envoyé un Memoire à la Republique . Ce
Commiffaire a écrit au Senat pour demander
fon rappel , reprefentant qu'il lui étoit defagreable
de difputer avec des rebelles qui ne veulent
traitter que les armes à la main ; que n'étant pas
en état de les faire rentrer dans leur devoir , il
croyoit qu'il n'étoit pas de fon honneur ni de
celui de la Republique de fe compromettre plus
longtems , & qu'enfin il falloit prendre le parti
de les reduire , ou de leur accorder les conditions
qu'ils demandent , le Senat ayant élu depuis peu
M. Jean - François Gropalo pour Gouverneur
11. Vol. General
JUI N. 17.30 . 1453
General de l'Ile de Corfe, lui a donné des pleins
pouvoirs pour traiter d'un accomodement avec
ces Rebelles.
ESPAGNE .
E Roi , la Reine , les Princes & les Prin-
Leeffes de la Famille Royale , partirent le s
Juin de Soto de Roma, pour aller coucher à Loxa
Le 6 , L. M. coucherent à Archidonna , le 7 à
Bonamexi , le 8 à Anquilar ; le 9 à Ezija ; le 10
à Palma ; le 11 à la Puebla ; le 12 à Conftantina,
& le 13 à la Ville de Cazalla , où la Cour doit
paffer quelques jours pour y prendre le divertif
fement de la Chaffe.
La Flotte des Gallions qui eft dans la Baye de
Cadix, & qui doit partir au mois de Juillet pour
Carthagene & Porto- Bello , eft compofée de 3
Vaiffeaux de guerre de 64 pieces de Canon chacun
, de deux autres de 44 & de 34 Canons , &
de onze autres Vaiffeaux marchands , montez
.de 198 pieces de Canons & de 30 hommes d'équipage
, & qui portent enſemble une charge de
2250 tonneaux.
On mande de Carthagene que les Religieux de
la Mercy des Provinces de Caſtille & d'Andaloufie
, y étoient arrivez les de Juin avec 3'47 Efclaves
qu'ils ont rachetés , & dans le nombre
defquels il y a quatre Ecclefiaftiques , trois Lieutenans
d'Infanterie , plufieurs Soldats , deux
femmes & 27 enfans .
Le Roi a accordé depuis peu diverfes graces ,
privileges & exemptions à la Societé établie à Sewille
, de Chevaliers qui s'exercent à monter à
cheval . Les principaux de ces privileges font
qu'ils auront toujours pour Chef un des Infans
d'Efpagne , S. M. ayant donné dès - à -preſent ce
Titre à l'Infant Don Philippe qu'elle à nommé
11. Vol.
pour
I
1454 MERCURE DE FRANCE
pour leur Juge & Protecteur dans toutes leurs
affaires ; qu'ils pourront faire tous les ans deux
courfes de Taureaux à la longue lance , & qu'ils
porteront des habits uniformes de drap écarlate,
avec des paremens d'étoffe d'argent & des veſtes
galonnées , pareils à ceux qu'ils avoient dans les
Fêtes qu'ils ont données à L. M. pendant leur
féjour à Seville.
On mande de Barcelone qu'il y avoit dix Vaiſt
feaux de guerre Eſpagnols , fept Galeres & plus
Ade 60 Bâtimens de tranfport prêts à mettre à la
voile.
Lud
GRANDE BRETAGNE.
E Vaiffeau que la Compagnie de la Mer du
Sud envoye tous les ans aux Indes Occidentales,
en vertu du Traité de l'Affiente, partit vers
la fin du mois de Juin des Dunes , pour
dre à la Vera- Cruz.
fe ren-
Sur la fin de ce mois on déclara à la Doüanne
40000 mille onces d'argent , 3000 onces d'or
& 1000 onces de poudre d'or,pour la Hollande,
HOLLANDE , PAYS - BAS .
A vente du Thé de la Compagnie d'Oftende ,
La été remife à un autre tems , parce que les
-Directeurs n'ont pas jugé à propos de le délivrer
à deux Florins la livre , qui eft le plus fort
-prix qu'on en ait offert. Le difcredit de cette
Marchandiſe a fait baiffer les Actions de la Compagnie
à 114.
*** XXXXXX
MORTS , NAISSANCES
Mariages des Païs Etrangers .
N'a appris de Naples que le Seigneur Léo-
Onard Vinci , Maître de Mufique de la Cha- .
pelle du Palais , l'un des plus celebres Muficiens
11. Vol
d'Italic
JUIN 1730. 1455
d'Italie , quoique tres-jeune , mourut le 28 May
en peu de momens , d'une violente colique.
Le 23 May , la Reine de Pruffe accoucha hou
reufement d'un Prince , à Berlin.
Le 29 May , on fit au Palais du Roy à Berlin,
la cérémonie des Fiançailles de la Princeffe Charlotte
, troifiéme fille du Roy de Pruffe , avec le
Prince de Brunſwick Bevéren .
FRANCE
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
E 19 Juin , il y eut Concert à Marly.
M. Deftouches , fur- Intendant de la
Mufique du Roy , fit chanter devant la
Reine , le Prologue & le premier Acte de
L'Opera d'Omphale , qui fut continué le
21 & le 26. La Dlle Antier chanta dans
le Prologue & dans la Piéce le Rôle d'Argine
, avec beaucoup d'applaudiffement.
Le S' d'Angerville & la Die Lenner chan
terent ceux d'Alcide & d'Omphale , dont
la Cour parut fatisfaite. L'exécution des
Choeurs & de toute la Symphonie fut
auffi tres-brillante. La Mufique de cet
Opera eft de la compofition de M. Deftouches.
Le 30 , vers les 3 heures après midi , le
Roy fit au Camp de Mars , près le Châ-
II. Vol. Iijteau,
1456 MERCURE DE FRANCE
teau , la Revuë des quatre Compagnies
des Gardes du Corps & de celle des Gre
nadiers à Cheval. S. M. paffa dans les
rangs & les vit défiler.Meldames de France
virent cette Revûë.
Le même jour le Roy donna le Gou
vernement de Rocroy à M. de Vernaffal,
Maréchal de Camp & Lieutenant des Gardes
du Corps.
BENEFICES DONNEZ.
Lay ›
E Roy a donné l'Abbaye d'Ambouray
Ordre de S. Benoit , Diocèle de
Lyon , à l'Abbé de Maugiron , Agent du
Clergé.
Celle de S. Martin_de Pontoiſe , Ordre
de S. Benoît , à l'Abbé de Salignac- Féne
lon , Archidiacre de Cambray.
Celle de Bolbonne , Ordre de Citeaux
Diocèle de Mirepoix , à l'Abbé de Choifeul
, Aumônier de S. M.
Celle de S. Jovin , Ordre de S.Benoît,
Diocèle de Poitiers , à l'Abbé Chauvelin,
Celle de Vallemont , même Ordre
Diocèle de Rouen , à l'Abbé de Valleras,
Agent du Clergé.
Celle de Chalivoy, Ordre de Citeaux,
Diocèfe de Bourges , à l'Abbé Terriffe ,
Docteur de Sorbonne.
Celle de N. D. du Bouchet , même Or-
"
11. Vol. dre
JUIN. 1730. 1457
dre , Diocèle de Clermont,à l'Abbé Rouf
fet , Chinoine de Toul.
- Le Prieuré de Gigny , Ordre de S. Be
noît, Diocèle de Lyon , à l'Abbé de Suze,
Aumônier du Roy, & Doyen des Comtes
de Lyon.
L'Abbaye de Tourtuirac,même Ordre,
Dioc.de Périgueux , à l'Abbé de Beaupoil.
Le Prieuré de Saint Nicolas de la Chef
naye , Ordre de S. Auguftin , Diocèfe de
Bayeux , à l'Abbé de Montferrant, Grand
Vicaire de Noyon.
L'Abbaye de Moncé, Ordre de Citeaux ,
Diocèfe de Tours , à la Dame de Carman.
Celle de Saint Julien du Pré , Ordre de
S. Benoît , Ville & Diocèfe du Mans ,' à la
Dame de Saint- Simon.
Celle de S. Sernin de Rhodés , même
Ordre , à la Dame de Clermont du Bofc.
Et celle de S. Laurent de Bourges , auffi
du même Ordre , à la Dame de la Roche
Aymon.
RELATION de la Fête que les
Moufquetaires de la feconde Compagnie
ont donnée à Nemours , où ils étoient en
guartier, pendant que la Cour étoit à
Fontainebleau. Ecrite par un
par un Moufquetaire
de la même Compagnie.
Lees
E lundy 29. May, fur les quatre heures
du foir , une vintaine de Pelerins
LI. Vol. de
I iij.
1458 MERCURE DE FRANCE
de Cythere s'embarquérent dans un Vaif
feau Galand, nommé l'Amathonte ; fix Colonnes
de verdures avec leurs Chapi
teaux de fleurs;, Ceintres, Traverſes , Arcs,
Feftons & autres ornemens formoient un
Bâtiment convenable à l'aimable Reine
d'Amathonte. Elle étoit reprefentée au
naturel dans un grand Pavillon à fond
verd ; & l'on peut dire que le Peintre
avoit épuiſe fon Art , pour lui donner
toutes les graces qu'il avoit , lorfqu'elle
fortit de l'Onde . A côté étoit Baccus , affis
fur un Tonneau ', tenant d'une maîn
une Bouteille , & ferrant de l'autre celle
de Venus . L'alliance de ces Divinitez
fait la Volupté , & c'eft ce qui nous avoit
fait mettre cette Infcription en gros ca
ractere : VOLUPTATI . Le Pavillon
Amiral étoit de Taffetas blanc ; l'un &
Pautre au bout du Vaiffeau flottoient au
gré des vents , dont nous pouvions connoître
les moindres changemens par une
Girouette blanche & verte , qui s'élevoit
audeffus de l'Architecture de ce Bâtiment.
Les Pélerins étoient vêtus de blanc avec
des Guirlandes & Banderolles de fleurs ;
des Rubans verds treffoient leurs cheveux
; chacun d'eux joüoit de differens
Inftrumens , comme de Vieles Violons ,
Haut- Bois , Flutes & Mufettes . Le Ciel
fembloit prendre part à notre Fête ; il ne
II.Vol. faifoit
JUIN. 1730. 1459 .
faifoit ni pluye , ni vent , & il n'y avoit
de nuages en l'air , qu'autant qu'il en falloit
pour nous garantir des Rayons du
Soleil trop brûlans en cette faifon , tems
favorable aux Dames , qui ayant , à l'envi
, relevé par l'art , leurs graces naturelles
, ornoient les rivages. Le Marquis de
Pont- du- Château , qui commandoit notre
quartier , & qui ce jour-là avoit don
né un grand Repas aux Officiers des Moufquetaires
gris , parut avec ces Meffieurs
fur la Rive, ainfi que tous les habitans de
Nemours , qui alors fe trouva défert.
L'Amathonte qu'on avoit volontiers
prife pour une Ifle flotante, voguoit paifiblement
& enchantoit également les
yeux & les oreilles des Spectateurs ; lorfque
nous apperçûmes de loin un Vaiſfeau
. Je dis , Nous , car j'étois un des Pélerins
de Cythere. La Chaloupe que nous
détachâmes pour l'aller reconnoître, nous
rapporta que c'étoit un Corfaire d'Alger.
Auffi- tôt nous revirâmes de bord & gagnâmes
à force de Rames un des Forts du
Port où il y avoit une Batterie de 12 pieces
de Canon , dont le feu n'empêcha
pas l'Algérien de venir faire une rude dé
charge fur nous. Son Equipage qui étoit
de 40 hommes avoit déja le Cimetére levé,
& faifoit mine de vouloir fauter dans
notre Bord ( tant nous étions près) quand
II. Vol. Iiiij
un
1460 MERCURE DE FRANCE
un coup de vent nous fépara ; la joye fir
redoubler notre Symphonie. Le Capitaine
Algérien au défefpoir d'avoir manqué
fa prife , vouloit couper la tête à fon Pilote
, fi , profterné à fes genoux , il ne l'eûr
afsûré qu'il nous joindroit avant une heure.
Il obtins fa grace à ce prix , & enfin
il la mérita . A peine une demie heure s'étoit
écoulée que nous nous trouvons accrochez
par ces Pirates , qui bravant une
feconde fois notre Canon , fous lequel
nous nous étions retirez , firent un feu terrible
fur nous. La moitié paffe dans notre
Vaiffeau , le Sabre à la main , ils nous font
entrer dans le leur nous crions merci . Eh.!
que pouvions nous faire , n'ayans pour
toutes armes que nos Inftrumens , trop
impuifans contre des Corfaires ? J'eus
grand foin d'examiner le nouveau Bâtiment
où je me trouvois , qui étoit dif
ferent du nôtre , où tous les attributs de
la Volupté étoient raffemblez ! Dans celui-
ci ce n'eft qu'horreur de guerre ; le
(a)Capitaine fut celui qui fixa le plus mes
yeux ; il eft grand & gros , beau & bienfait
; mais fon nez aquilain & fa mouftache
noire lui donnoient un air formidable
, qui cependant paroiffoit s'adoucir à
mefure que les fons de nos Inftrumens
flattoient les oreilles , car il nous avoit
( a ) Le Chevalier de Vandeüil,
II. Vol. ordonné
JUIN. 1730. 1461
ordonné d'en jouer . Il avoit un grand bonnet
rouge , galonné d'argent & orné de
Pierreries'; au haut étoit une Touffe de
Rubans rouges & noirs , le bas étoit d'un
poil étranger. Sur une Vefte rouge ,
bro
dée en argent , il portoit un Doliman
d'une Etoffe dont je n'ai point encore
vû de femblable pour la rareté & la beau
té, tant du deffein que des couleurs. Son
Cimetére étoit remarquable par la Poignée
d'argent & enrichie de Diamans ; le
Foureau couvert de Lames d'argent & la
Lame recourbée , d'une largeur & longueur
prodigieufe. Il étoit dans le milieu
de fonVaiffeau , affis , les jambes croifées,
fur un Tapis noir , ayant derriere lui fon
Iman (4) , vêtu d'une longue Robegrife ,
les cheveux prefque ras , fans barbe , les
mains croifées fur la poitrine , & les yeux
modeftement baiffez . A fes pieds un petit
Algérien ( b ) , beau & jeune , portoit fa
Pipe , dont le Fourneau eft affez grand
pour contenir une livre de. Tabac . Deux
Corfaires , le Sabre nud , fe tenoient de
bout à fes côtez . A un Poteau font fes Ordonnances,
qu'il fait exécuter avec la derniere
rigueur , à ce que m'ont afsûré quel-
( a ) Fran. Antonio Hermite , Italien , revenant
d'Espagne , auquel pour fa complaisance
les Moufquetaires ont donné fix Louis d'Or.
(b ) M. de Berville,
II..Vol: ques-
I v
1462 MERCURE DE FRANCE
ques-uns des fiens , qui parloient notre
langue.
Audeffus de fon Vaiffeau , s'élevoit fort
haut ,un Dome noir & rouge , fon Pavilfon
étoit noir , femé de Flammes rouges,
& deux Sabres en fautoir. Au côté droit
étoient des Menotes , d'où pendoit une
chaîne , & au côté gauche , une Tête de
mort , avec ces mots : Aut Vincula , aut
Lethum , pour faire connoître que ceux
qu'il prend font foûmis ou à l'esclavage,
ou à la mort. L'uniforme de fon Equipage
eft rouge , galonné d'argent ; Cocardes
rouges & noires, avec le Cimetére & 2 Piftolets
à la Ceinture ; des Trompes & des
Tambours forment toute la Symphonie
de ces Barbares. Elle ne ceffa que lorsque
le Capitaine l'eût ordonné , pour entendre
la nôtre.
Après nous avoir entendu quelque tems
& examiné notre contenance attentivement
, il voulut ſçavoir qui nous étions.
Son Interprete que nous en inftruifimes
le lui expliqua. Il fe fit apporter nôtre
grand pavillon & prit un plaifir fingulter
à confiderer nôtre Venus ; il ordonna à
fon Pilote d'aborder ; il defcendit le premier
à terre , efcorté à fon ordinaire , &
chacun de nous le fuivoit tenu par deux
des fiens qui avoient le cimetere à la main.
Il envoya dire aux Dames qui vouloient
II. Vol.
fe
JUIN. 1730, 1463
X
fe retirer , croyant qu'on alloit faire une
boucherie fanglante des Pelerins , qu'il
avoit befoin d'elles , qu'elles s'approchaf
fent , qu'aucun mal ne leur feroit fait ,
finon que la fuite ne les fauveroit point.
Soit crainte ou affurance elles approchent
, le Corfaire leur donne le pavillon
de la Volupté car pour nôtre Amiralil le
rembarqua avec lui ; & leur fir prefent dest
Pelerins , nous recommandant de leur
être foumis & de les fervir. La furpriſe
fut extrême & augmenta , quand après
avoir jetté fon mouchoir à la plus jolie de
la Compagnie , il la fit prier de danfer
avec lui. Les fiens imiterent fon exemple,
& quitterent dans ce moment l'air feroce
que je leur avois trouvé d'abord ; ils fembloient
s'être rangez fous l'étendart de la
Volupté ; enfin après avoir fait autour de
nous une espece de danfe , qu'en ce pays
nous nommerions branle , le Capitaine fit
un Salamalec gracieux aux Dames & fe
rembarqua ; fon penchant pour le beau
fexe lui fit pouffer les attentions jusqu'à
mettre une Sentinelle à nos provifions
aufquelles il ne permit pas qu'on touchât,
quand il eut appris nôtre deſtination . Elles
convenoient à une caravanne telle que la
nôtre , & ne furent point inutiles ; car les
Dames laffes de danfer fur le gazon nous
menerent dans une Salle fort ample , où
II. Vol.
I vj Balgaland
1464 MERCURE DE FRANCE
Balgaland ſe tint , force mafques y arri
vent; provifions abondantes fe confomment
, & la nuit fort avancée eut peine à
mettre fin à une fi agreable journée . Il ne
faut point obmettre que le Corfaire étant
venu defcendre au port de la Ville , fuivi
de toute la Troupe , marchant en bon ordre
, alla chez le Marquis de Pont du
Château, à la porte duquel il fit faire une
déchargede fa Moufqueterie & lui remit le
pavillon Amiral de l'Amathonte : Voici le
compliment que fon Interprete lui fit; ( a)
LeCapitaine mon Maître m'ordonne de vous
remercier , Monfieur, de l'honneur que vous
nous avez fait d'affifter à la petite image ,
que nous avons donné dans nôtre Fête d'une
manoeuvre de guerre , nous fouhaiterions
qu'elle fut réelle , perfuadez que fous vos
ordres nous ferions en état de vous faire fouvent
des prefens pareils à celui que nous
avons l'honneur de vous offrir , qui eft le drapeau
que nous venons de prendre..
(b)Celui qui commandoit l'Amathonte
& qui avec les fiens honoroit le triomphe:
du Corfaire , fit en termes differens les
mêmes remercimens , & ajouta ::
Dans une guerre qui ne feroit pas feinte ,
nous ne craindrions pas Monfieur , tant
( a ) Mr. de Depence..
(b) Mr. de Prunelé..
II. Vol.. que
JUIN. 1730. 1465
que vous ferez à nôtre tête , que jamais les
ennemis nous enlevalent ni Drapeau ni
Etendart.
TRE'S-HUMBLES SUPPLICATIONS
preſentées au Roi
par la Faculté de Theo
logie de Paris , au fujet d'un Arrêt rendu
par le Parlement , le 17 Mai 1730. & là
Lettre de M. le Comte de Maurepas , Se
cretaire d'Etat , écrite en réponſe par or
dre de fa Majefté.
SIRE,
La Faculté de Theologie de Paris , qui
ne devroitapprocher du Trône de VOTRE
MAJESTE , que pour lui témoigner avec
le plus profond refpect la jufte reconnoiffance
, dont elle eft penetrée pour les faveurs,
dont vous venez encore recemment
de la combler , fe trouve dans la dure-neceffité
de mêler aujourd'hui à ces fentimens
ceux d'une trifteffe auffi amere qu'-
elle lui paroît bien fondée .
Pourroit - elle s'empêcher d'être vivement
touchée à la vûe de l'Arrêt que lë
Parlement vient de rendre contre une
Thefe foutenue par le Sieur Haffett , Licentié
en Theologie , le & Mai dernier ??
Elle fçait qu'on y a relevé quelques termes
dont on pourroit abuſer des con-
2
par
II. Vol
fequences
1466 MERCURE DE FRANCE
fequences non avoüées , ou plutôt vifiblement
contraires à l'intention de l'Auteur,
qui , bien loin d'avoir avancé , ou même
infinué dans fa Thefe qu'un Confeffeur
doit interroger tous fes Penitens fur leur
foumiffion aux décifions de l'Eglife , * n'a
parlé que de ceux , qui les attaqueroient ,
ou qui y réfifteroient avec opiniâtreté , &
qui en avoüant leurs fautes paffées , ne
donneroient point de marques certaines
& non équivoques de leur repentir.
Mais quand les termes de la Thefe n'en
marqueroient pas auffi clairement le veritable
efprit , la Faculté de Theologie ne
pourroit fe difpenfer de reprefenter à V.
M. qu'il s'agiffoit en cette occafion d'une
matiere purement fpirituelle , dont un
Parlement auffi éclairé que celui de Paris
ne croit pas , fans doute , pouvoir prendre
connoiffance.
C'eft ce qu'il reconnut folemnellement
en l'année 1663. lorfque par la bouche
d'un des plus illuftres Chefs qu'il ait jamais
eû , il déclara aux Députés de la Faculté
de Theologie » qu'il étoit bien éloi-
* Dogmaticas Ecclefia docentis ... definitiomes
pertinaciter impugnando , vel iifdem refiftendo.
Nulla vel dubia refipifcentia dant indicia
Col. S.
Ecclefia judicio privatum fuum anteferunt
fenfum . Col. 6.
II. Vol.
gné
JUIN 1730. 1467
gné de vouloir s'attribuer le pouvoir de
» rendre un Jugement doctrinal fur des
matieres Theologiques , & qu'au con-
" traire , s'il furvenoit quelque doute à cer
égard , le Parlement ordonneroit que
→ l'on confultât la Faculté , dont il defiroit
que les droits fuffent confervés dans
toute leur pureté & leur integrité. A
» quoi il ajouta , que la Compagnie n'em-
» ployoit l'autorité du Roi que pour dé-
» fendre , dans les vues d'un fage Gouver-
» nement , l'ufage des Propofitions , qui
→→ par le fens qu'on pourroit leur donner ,
leroient contraires à l'adminiſtration ou
» à la police exterieure & generale de l'Eglife
, dont le foin fait une partie principale
de ce qui appartient à la Royauté.
La Faculté eft bien perfuadée que le
Parlement fuivra toujours des principes
fi dignes de fa fageffe ; mais c'eft par cette
raifon même qu'elle a été auffi furpriſe
qu'affligée de voir , qu'à l'occafion d'une
matiere toute fpirituelle , comme elle vient
´de le dire , & qui n'a rien de commun ni
avec les droits de la Couronne , ni avec les
Libertez de l'Eglife Gallicane , le Farlement
ait rendu un Arrêt par lequel fans
défigner aucunes des Propofitions qui lui
avoient déplu dans la Theſe , dont il s'agit
, Il a fait défenfes à tous Bacheliers , Licenties
, Docteurs & autres , defoutenirdes
II. Vol.
Propo1468
MERCURE DE FRANCE
Propofitions contraires à l'ancienne Doctrine
de l'Eglife , aux Saints Canons aux Decrets
des Conciles Generaux , aux Libertez
de l'Eglife Gallicane , aux Maximes &
Ordonnances du Royaume , aux clauſes &
conditions portées par l'Arrêt d'enregistrement
des Lettres Patentes de 1714. & notammentfur
lapropofition 91. & aux Déclarations
du 4 Août 1663. & Edit du mois de
Mars 1682. fur l'autorité du Pape , la fuperiorité
des Conciles Generaux , & autres
matieres contenues en ladite Thefe , qui pourroient
tendre à fchifmes & troubler la tran
quillité publique , à peine d'être procedé con
tre les contrevenans , ainfi qu'il appartiendra.
A quoi l'on ajoute des injonctions faites
au Syndic , & la précaution d'ordonner
que l'Arrêt fera fignifié , non-feulement
au Syndic ,, mais au . Doyen même de la
Faculté.
Elle voudroit pouvoir fe diffimuler à
elle-même , que par- là toutes les difpofitions
de cet Arrêt deviennent une espece
de note flétriffante qui tombe fur le Corps
entier de la Faculté , comme fi elle pouvoit
être foupçonnée de relâchement , &
même de prévarication fur des matieres fi
importantes : foupçon qui lui eft d'autant
plus fenfible , qu'il paroîtra autorifé ent
quelque maniere par une Compagnie ref
pectable , qui a toujours honoré la Fa-
II. Vol. culté
JUI N. 1730. 1469
culté d'une confiance particuliere , & qui
a rendu fi fouvent témoignage au zele de
cette Faculté pour la confervation de l'ancienne
doctrine du Royaume.
( a ) Si l'on examine même avec la plus
grande rigueur , la Thefe dont il s'agit
on n'y découvrira rien qui puiffe donner
la moindre atteinte à cette doctrine . Au
contraire on y en trouvera les principes
les plus effentiels fur tous les points , qui
ont quelque rapport avec les matieres de
la Thefe. On y reconnoîtra cette même
doctrine que la Faculté a enfeignée dans
tous les tems , & dont en 1663. elle dreffa
des Articles que Louis XIV.votre augufte
Bilayeul autorifa par une Déclaration où
( a ) Qui Apoftolis fuccefferunt , Ecclefia
Paftores , Epifcopi , fummâ perinde & infallibili
omnes docendi gentes authoritate
Chrifto data firmati Colom. 2 .
In Romano Pontifice , & Corpore Epifcopo
rum collata eft à Chrifto arx authoritatis &
cathedra veritatis . Ibid.
Sicut Concilia Oecumenica convocare , fic &
eorumdem ... neceffitatem determinare . . est
Summi Pontificis , vel Corporis Epifcoporum.
Colomne. 5.
In quibus ( Conciliis Nationalibus & Provincialibus
) Epifcopi comprovincialis vel in
fide vel notoriè in moribus delinquentis caufa
agitur& definitur , falvo jure appellationis ad
S.. Pontificem. Colomne . 6.
II. Vol. il
1470 MERCURE DE FRANCE
il honore la Faculté des plus grands éloges.
*
On voit en plufieurs endroits de cette
Thefe & fur tout dans les textes qui font
ici au bas. #
1°. Une attention continuelle à ne
point féparer le Pape du Corps des Paſteurs
dans ce qui regarde l'infaillibilité.
2º. La neceffité des Conciles generaux
en certains cas reconnue expreffement par
l'auteur.
3. La détermination de ces cas par.
l'autorité de l'Eglife attribuée au Pape ,
ou au Corps des Evêques.
4°. Les maximes de la France fur les
jugemens canoniques des Evêques accufes,
ouvertement foutenues.
Enfin perfonne n'ignore la conformité de
ces fentimens avec la doctrine du Royaume
& leur oppofition aux opinions contraires.
Par quel endroit une Thefe qui porte
ces caracteres a-t - elle pû être reprefentée
comme unobjet de fcandale & de mépris ,
La Faculté de Theologie de notre bonne
Ville de Paris , qui depuis fon établiſſement a
été le plus ferme appui de la Religion & de la
faine doctrine dans notre Royaume , & qui a
toujours fait profeffion de s'oppofer fortement à
ceux qui ont voulu en alterer la pureté , ayant
reconnu , &c. Declaration du Roi du 4. Août
1663.
II. Vol. &
JUIN. 1730. 1471
& paroître mériter la flétriffure & les précautions
humiliantes pour la Faculté , qui
font renfermées dans l'Arrêt duParlement?
Eft- ce par ce que l'Auteur a dit fur la
Propofition 91. condamnée par la Bulle
Unigenitus ? mais a- t'il eu tort de prétendre
que cette Propofition a été bien condamnée
, parce qu'elle eft univerfelle , &
parceque l'Auteur des Refléxions Morales
en a fait une mauvaise application ? Si
cela eft , ce tort lui eft commun avec les
Evêques de France , qui tous ont déclaré
que la Propofition étoit cenfurable par fa
genéralité même , qui ne met aucune difference
entre les devoirs fondés feulement
fur une Loi pofitive , & entre ceux qui
font de droit naturel & divin , foit par
l'abus que fon Auteur en a fait pour fou
tenir les erreurs qui affligent l'Eglife de
France depuis tant d'années.
Loin de penfer d'une autre maniere que
les Evêques de France fur la Propofition
91. la Faculté a toûjours été perfuadée
comme eux qu'on ne pouvoit avoir trop
d'attention pour prévenir les mauvaiſes
conféquences que des efprits mal inten
tionnés auroient peut - être voulu tirer
malicieuſement de la cenfure de cette
Propofition. Elle a applaudi au zele des
Parlemens du Royaume , & adheré de
tout fon coeur aux fages précautions qu'ils
II. Vol. ont
1472 MERCURE DE FRANCE
ont prifes dans cette occafion ; mais con
formément aux principes conftans des
Théologiens & des Canoniftes , elle a toû
jours regardé non feulement comme injuftes
, mais comme notoirement nulles
les Cenfures dont l'Autorité Ecclefiafti
que voudroit fe fervir pour donner atteinte
à l'obéiffance que les Sujets doivent
à leur Souverain. (a) C'eft ainfi qu'elle s'eft
toujours expliquée , comme il paroît par
un grand nombre de Thefes foutenues
fans interruption , & même tout recem
ment dans une du 20. Mai dernier , fignée
par le Syndic , imprimée & diftribuée
plufieurs jours avant l'Arrêt du Parlement
qui fait le fujet des plaintes de la Faculté,
quoiqu'elle n'ait été foûtenuë que depuis
cet Arrêt.
La Faculté n'ayant donc rien fait qui
puiffe préjudicier directement ni indirec
tement aux claufes ou conditions portées
par l'Arrêt d'enregistrement des Lettres
Patentes de 1714. & qui ne tende même
à les fuivre exactement , il eft bien triſte
de voir qu'on tourne en quelque maniere
ces précautions contre elle , comme fi
(a ) Excommunicationis poena homini catho
lico femper eft timenda , nifi fit notoriè nullay
qualis effet profecto ea omnis qua fubditos à debitâ
Regibus obedientiâ removeret.
Vefperie du St Terriffe , Colonne 6.
II.Vol. elle
JUIN. 1730. 1473
elle avoit befoin d'une efpece de moni
tion fur ce fujet.
Donner à l'Eglife par fa doctrine &
par fa conduite des preuves de fa parfaite
& fincere foumiffion , fignaler en même
tems fa fidelité & fon entiere obéiffance à
fon Roi , c'eft en quoi elle a toujours fait
confifter les principaux devoirs , & elle
les a toûjours regardés comme également
inviolables.
Attentive à faire obferver par tous fes
membres les loix faites pour la manu
tention des Libertés de l'Eglife de Fran
ce , elle ne permettra jamais qu'on y donne
la moindre atteinte ; mais elle s'oppofera
toûjours à ce qu'on s'en ferve , comme
on a fait dans ces tems malheureux ,
ou pour foutenir des erreurs condamnées ,
ou pour le maintenir dans une défobéiffance
ouverte aux jugemens de l'Eglife &
aux Déclarations de Votre Majesté.
que
Inftruite & accoûtumée à former fes
avis fur le langage de l'Ecriture & fur
celui de la Tradition , la Faculté enfeigne
& enfeignera toujours que les Rois font
établis de Dieu même dont ils tiennent
leur Sceptre & leur Couronne , & que la
Loi naturelle & divine oblige leurs Sujets
à l'obéiſſance & à la fidelité , fans qu'ils
en puiffent être jamais difpenfes fous
quelque prétexte que ce foit,
II. Vol. Elevée
1474 MERCURE DE FRANCE
&
Elevée dans l'Ecole de J. C. dont le
Royaume n'étoit pas de ce monde
qui s'eft foumis aux Princes de la Terre
pour nous apprendre à refpecter leur au
torité , la Faculté n'oubliera dans aucun
tems les leçons que ce divin Maître lui
a données. Elle enfeignera fans interruption
la doctrine qu'elle a reçûë de lui , &
que fes Apôtres ,fes Difciples & les premiers
Chrétiens lui ont apprife par leurs
écrits & par leurs exemples.
Ayant le bonheur d'être établie dans le
premier Royaume du monde , & fous
l'obéiffance du Fils aîné de l'Eglife , elle
réfiftera de toutes fes forces à ceux qui
oferoient tenter de donner même indirectement
à V. M. dans fon temporel aucun
autre fuperieur que Dieu feul.
( a ) Telle eft l'ancienne doctrine de la
Faculté , qui fe foûtient tous les jours
dans fes Ecoles. Il feroit facile de le juf
tifier par un nombre infini de Thefes qui
forment fur cer Article important une
( a ) C'eft la doctrine de la Facultéque le Roi
ne reconnoît & n'a d'autre fuperieur au temporel
que Dieu feul ; c'eft fon ancienne doctrine de laquelle
elle ne fe départira jamais.
C'eft la doctrine de la même Faculté que les
Sujets du Roi lui doivent tellement la fidélité &
l'obéiffance qu'ils n'en peuvent être difpenfés fous
quelque prétexte que ce foit. Articles
la Déclaration de la Faculté du 5.
2
ن م
3.
de
Mai 1663 .
It. Vol. tradition
JUIN. 1730. 1475
tradition conftante & non interrompuë ,
& qui font voir que fur ce fujet on ne
peut rien reprocher à la Faculté.
Elle fe flattoit d'avoir prévenu par ces
fentimens & par une conduite qui y répondoit
parfaitement des injonctions qui
lui ont paru d'autant plus deshonorantes
pour elle qu'elles étoient plus inutiles
, mais quelque jufte fujet qu'elle puiffe
avoir de s'en plaindre , elle refpecte trop
l'autorité dont elles partent & les principes
genéraux fur lefquels l'Arrêt du 17 ,
du mois dernier paroît fondé , pour vou
loir s'y oppofer , par rapport à l'application
qui en a été faite dans cette occa
fion , & que la Faculté ne croit
meritée.
pas avoir
Elle ne cherche donc ici qu'à fe juftifier
dans l'efprit du Public , & encore
plus dans celui de V. M. en la fuppliant,
Sire , de vouloir bien recevoir la Déclaration
qu'elle vient de faire de fes fentimens
, & de lui permettre de la faire imprimer
, après l'avoir inferée dans fes Regiftres
, afin qu'elle lui ferve de témoignage
dans le fiécle préfent , & de monument
dans la pofterité , pour faire voir
que dans tous les tems & fans aucune
interruption , elle a toujours été inviolablement
attachée aux maximes du Royaume,
aux droits de laCouronne, auxLibertés
>
II. Vol.
de l'Eglife
1476 MERCURE DE FRANCE
Eglife Gallicane , & à l'obfervation de
toutes les Ordonnances , Edits & Declations
publiées pour les maintenir. La Faculté
continuera fes voeux & prieres pour
la fanté & profperité de Votre Majeſté.
Lû en l'Affemblée generale de la Faculté
le premier Juin 1730. & en conféquence de
la déliberation faite à ce sujet , figné l'Af
Jemblée tenant ,
J. LEULLIER , Doyen.
DE ROMIGNY , Syndic.
Et plus bas , HERISSANT , Greffier.
LETTRE de M. le Comte de Maurepas
, Secretaire d'Etat , écrite par ordre
"du Roi , en réponſe aux très- humbles Supplications
de la Faculté de Théologie de
Paris. A Fontainebleau le 2. Juin 1730 .
L la
E Roi a reçû, Meffieurs , avec bonté,
les très humbles Supplications que
Faculté de Théologie lui a faites au fujet
d'un Arrêt rendu par le Parlement le 17.
Mai dernier , & Sa Majefté y a reconnu
avec plaifir cet atachement inviolable aux
droits de la Couronne , & aux Libertés
de l'Eglife Gallicane , dont votre Faculté
a donné en tant d'occafions l'exemple à
toutes les autres .Vous ne devez pas craindre
que cet Arrêt puiffe jamais porter aucun
préjudice , ni imprimer de flétriffure
II. Vol
JUIN 1730. 1477
à un Corps auffi éloigné que le vôtre , de
la mériter. Au furplus , Sa Majefté trouve
bon que la Faculté conferve 'dans fes
Regiftres les Supplications qu'elle lui a
fait préfenter , & qu'elle les faffe imprimer
, non comme une juftification dont
elle n'avoit pas befoin , mais comme une
nouvelle preuve de fon zele. pour
cienne doctrine de la France , zele qui
devient auffi une nouvelle raifon à Sa
Majefté pour l'honorer toûjours de plus
en plus de fa protection. Je fuis , Meffieurs
, très parfaitement à vous.
l'an-
Signe MAURE pas.
Et au dos eft écrit : A Meffieurs les Doyen
Syndic & Docteurs de la Faculté de Théologic
de Paris.
MARIAGE.
LE 30 May ,M. Loiis-Robert Mallet de Gra- Liville , Sous -Lieutenant des Chevaux Legers de
Berry,époufa Dame Magdeleine Bouton de Chamilly
, veuve de M. François Martel , Comte de
Clere , fille de feu M. François Bouton , Comte
de Chamilly , Lieutenant General des Armées du
Roy, cy- devant Ambaffadeur Extraordinaire en
Dannemarc , & de Dame Catherine Poncet de la
Rivière , petite Niéce de feu Noël Bouton , Mar
quis de Chamilly , Maréchal de France , Cheva,
fier des Ordres du Roy , & Gouverneur de Straf
bourg.
M. le Comte de Graville eft fils de feu Louis
II.Vol. K Malle
1478
MERCURE DE FRANCE
Mallet de Graville , Marquis de Valſemé, Lieutenant
General des Armées du Roi,
Commandant en
Provence,
Commandeur de l'Ordre de S.Louis, &
auparavant Capitaine des Chevaux-Legers d'Or
leans,mort en Décembre 1707. & de feue D.Marguerite
de Sonnyng , petit- fils de Fury Mallet
de Graville , Marquis de Valfemé , auffi Capitaine
de la Compagnie des Chevaux- Legers d'Orleans,
& de Marguerite Mandot, arriere-petit-fils de Jean
Mallet , Seigneur de Drubec & de Valfemé , & de
Dame Magdeleine de Choifeul du Pleffis Pralin ,
Soeur de Cefar , Duc de Choifeul , Pair & Maréchal
de France, il a pour Trifayeul François Mallet
, Seigneur de Drubec , marié avec Françoife de
Hautemer , proche parente de Guillaume de Hautemer,
Maréchal de France, Chevalier des Ordres
du Roi,& Lieutenant General
aúGouvernement de
Normandie , ledit François Mallet , Seigneur de
Drubec, eft forti des Seigneurs de Cramefnil Mallet,
puifnez de la Maifon de Mallet- Graville, l'une des
plus grandes & des plus illuftres de la Province de
Normandie, comme on le verra par la
Genealogie
qui en fera donnée dans la nouv . Hift. des Grands
Officiers de la Couronne , au Chap. de Jean Mallet
, Sire de Graville , Grand- Maître des Arbalêtriers
, Grand-Pannetier, & Grand - Fauconnier de
France , ès anneés 1423. & 142 5. de Louis Mallet
, Sire de Graville , Amiral de France , Gouver→
neur de Picardie & Normandie , Chevalier des
Ordres du Roy , Capitaine des cent Gentilshom→
mes de fa Maifon , mort l'an 1516. & de Guillaume,
Seigneur de Cramefnil, Chevalier, Chambellan
du Roi , cominis par S. M. à l'exercice de
Maître des
Arbalêtriers de France au mois de Janvier
de l'an 1415. lequel est le 7e Ayeul de M. le
Comte de Graville , qui donne lieu à cet article .
La Généalogie de la Maifon de Bouton - Chamilli
,l'une des
premieres du Duché de
Bourgo-
II. Vol.
gne ,
JUIN. 1730. 1479
gne, fera auffi rapportée dans la même Hiftoire,
au Chapitre des Maréchaux de France , de même
que celle de la Maifon de Martel , l'une des plus
anciennes & des plus illuftres de Normandie ,
1'occafion de Guillaume Martel , Seigneur de Ba-
Confeiller Chambellan queville , Chevalier ,
établi Garde de l'Oriflame de France , en 1414.
TABLE .
રે
1263 Ieces Fugitives . La Beauté , Ode ,
Réponse de l'Auteur de Marfeille fçavante , PR
&c 1267
Eloge de M. Baron , Conful de France , Directeur
, &c.
1269
Les Conquêtes du Maréchal de Villars,Ode, 12 86
Suite du Voyage de Baffe Normandie , 1292
Traduction du Poëme de Petrone fur la Guerre
Civile ,"
Lettre fur PA, B , C , D de Candiac ,
1310
1319
Ode à la Princeffe de Conty ,
1330
Vers au Prince de Conty
1334
Réplique du Premier Muficien , fur l'Harmonie ,
1337
Sur le rétabliffement de la fanté de Mad *** 1344
Conjectures fur le mot Cornicula d'Horace, 1350
Pour Corine , Chienne de Mile P.
Reflexions ,
1354
1355
Enigmes & Logogryphes , 1359
Nouvelles Litteraires , des beaux Arts , &c . 1362
Les Plantes ufuelles , Supplement , &c. 1363
Hiftoire de Fleur- d'Epine , 1364
La Vie de Pierre Mignard , &c. 1365
Démocrite prétendu fou , &c.
Le Théatre des Grecs , & c .
Hiftoire d'Echo & de Narciffe
1379
1381
1389
La Vie du B. Fidele 3390
Extrait d'une Lettre de Rome , fur la Rotonde;
1391
Réponse de M. du Boile , fur les Microſcopes
par reflection ,
1393
Panegyrique de S. Jean - Baptifte ,, par l'Abbé
Seguy ,
Prix de Académie de Marſeille ,
1395
1398
Spectacles : Zemine & Almanfor , Pieces Comiques
, Extrait ,
Vaudeville ,
Nouvelles Etrangères. , Turquie ,,
ܐ140
1406
1426
Réjouiffances faites à Salonique , pour la Naiffan-
Nouvelles de Ruffie , d'Allemagne ,
ce du Dauphin
Du Camp de Mulhberg ,
1429
1434
1437
D'Italie, d'Efpagne, d'Angleterre& Hollande, 1453
Morts , Nailfances & Mariages ,
France , Nouvelles de la Cour , & c.
Benefices donnez ,
Fête des Moufquetaires
Mariage ,
>
1454
145 ?
1456
1457
Supplications de la Faculté de Theol. au Roi, 1465
Errata de May.
1 1477
Page 933. ligne 1. l'Uretere , lifez , l'Urethre
Errata du premier volume de Fuin.
Page: 1070 , ligne penultiéme, influxion , lifez
inflexion. P. 1073.1. Reverley, 1. Beverley.
Ibid. Egifcopat , 1. Epifcopat. P. 1128. l. 11 .
Duard , 7. Uluard.
Fautes à corriger dans ce Livre.
Age 1311. ligne 6. de , lifez, du. P. 1330. 1
1.
P. 1354. 1. 20. notre , 1. fon . P. 1358. 1. 5. Cer
erle, 1. Cercrla. P. 1359. 1. 6. grandeur , l. grof
feur; P. 1378, 1, 23 , du , . de,
Qualité de la reconnaissance optique de caractères
Soumis par lechott le