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1725, 01-03
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John
Bigelow
to the
Century
Association
* DM
Mercure



MERCURE
DE
FRANCE ,
DEDIE AU ROT
JANVIER 1725.
QUE COLLIGIT SPARGIT.
A PARIS .
( GUILLAUME CAVELIER , at Paiais.
GUILLAUME CAVFLIER , fils rue
Chez S. Jacques , au Lys d'Or.
2
NOEL PISSOT, Quay des Auguftins , à la ,
defcente du Pont-neuf, à la Croix d'Or
M DC C. XXV
ن م
Avec Approbation & Privilege du Roi
THE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY
S35140
ASTOR , LENOX AND
TIL DEN FOUNDATIONS
1005
PRIVILEGE
DU ROr.
LOUIS, par la grace de Dieu , Roi de France & de
9
Navarr à nos Amez & Feaux Confeillers , les
Gens tenans nos Cours de Parlement , Majires des
Requêtes ordinaires de nôtre Hôtel , Grand - Confeil
Baillifs , Senéchaux , leurs Lieutenans Civils , & au
tres nos Officie s & Jufticiers qu'il appartiendra, Sa
LUT : l'applaudiffement que reçoit le M RCURE DE
FRANCE , Cy - devant appellé le Mercure Galant
compofé depuis l'année 1672 , par le fieur de vifé , &
autres Auteurs , nous fait croire que le fieur Dufreni ,
Titulaire du dernier Brevet étant decedé , il ne convient
pas que le Public foit à l'avenir privé d'un ouvrage
auffi utile qu'agréable , tant à nos fujets qu'aux
étrangers ; c'est dans cette vuë que bien informé des
talens , & de la fageffe du fieur ANTOINE D. LA ROQUE ,
Ecuyer , ancien Gendarme dans la Compa nie des
Gendarmes de nôtre Garde ordinaire , & Cheva ier
de nôtre Ordre Militaire de Saint Louis ; nous l'avons
choisi pour compoſer à l'avenir exclufivement à tout
autre ledit Ouvrage , fous le ticre de MERCURE DE
FRANCE , & nous lui en avons à cet effet accordé nôtre
Brevet le 17 , Octobre dernier , pour l'execución du
quel ledit fieur de la Roque nous fait fupplier de
lui accorder nos Lettres de Privilege fur ce neceſſaires
: A CES CAUSES , conformément audit Brevet , Nous
lui avons permis & permettons par ces Prefentes de
compofer & donner au Public à l'avenir tous les mois
à lui feul exclufivement , ledit Mercure de France, qu'il
pourra faire imprimer en tel volume , forme , marge ,
caractere , conjointement , ou feparement , & aunt ant
de fois que bon lui femblera , chaque mois , & de le
faire vendre & débiter par tout nôtre Royaume, & ce
pendant le temps de douze années confecutives , à
compter du jour de adatte des Prefentes ; à condition
neanmoins que chaque volume portera fon Approsation
expreſſe de P'Examinateur , qui aura été com-
A ij
mis à cet effer. Faifons défenſes à toutes fortes de
perfonnes de quelques qualitez & conditions qu'elles
foient d'en introduire d'impresions étrangeres dans
aucun lieu de nôtre obéance , comme auffi à tous
Libraires , Imprimeurs , Graveurs , & autres , d'im
primer , faire imprimer , graver , vendre , faire vendre,
débiter ni contrefaire ledit Livre , ou planches en cour
ou en partie , ni d'en faire aucun Extrait , fous quelque
prétexte que ce foit , d'augmentation , corrections
, changement de titre , ou autrement fans la
permiffion expreſſe & par écrit de l'Expofant , ou de
ceux qui auront droit de lui ; le tout à peine de confifcation
des exemplaires contrefaits , de 6000. livres
d'amende , payables fans déport par chacun des contrevenans
, dont un tiers à Nous , un tiers à l'Hôtel-
Dieu de Paris , l'autre tiers à l'Expofant , ou à ceux
qui auront droit de lui , & de tous dépens , domma
ges & interefts ; à la charge que ces Prefe tes feront
enregistrées tout au long fur les Registres de la Communauté
des Libraires & Imprimeurs de Paris , & ce
dans trois mois de la datte d'icelles ; que l'impreflion
de ce Livre fera faite dans nôtre Royaume , & non
ailleurs , en fin papier , & en beau caractere , conformément
aux Reglemens de la Librai ie ; & qu'avant
de l'expofer en vente , le manufcrit ou impriné qui
aura fervi de copie à l'impreflion dudit Livre fra
remis dans le même état , où les Approbacions y auront
été données és mains de nôtre très - cher &
Feal Chevalier , Garde des Sceaux de France , le
fieur FLEURIAU D'ARM NON VILLE, Commandeur de nos
ordres , & qu'il en fera enfuite remis deux Exemplaires
de chacun dans notre Bibliotheque publique , un
dans celle de nôtre Château du Louvre , & un dans
celle de nótredit très - cher & Feal Chevalier , Garde
des Sceaux de France ; le tout à peine de nulli.é des
Prefentes , du contenu defquelles Vous enjoignons de
faire jouir ledit Expofant , ou fes ayans caufe pleine
ment & paifiblement , fans fouffrir qu'il leur foit fait
aucuns troubles & empêchemens , & à cet effet nous
avons revoqué & revoquons tous autres Privileges
qui pourroient avoir été donnez cy - devant à d'autres
qu'audit Expofant ; Voulons que la copie des Preſentes
qui fera imprimée tout au long au commencement ou
à la fin dudit Livre foit tenue pour dûëment fignifiée ,
& qu'aux copies collarionnées par l'un de nos Amez
Feaux Confeiliers Secretaires , foy ſoit ajoutéc
: Comme à l'original commandons au premier nôtre
Huifier ou Sergent de faire pour l'execution d'icelles ,
tous Actes requis & neceffaires , fans demander autre
permilion , nonobitant clameur de Haro , Chartre Normande
, & Lettres à ce contraires ; CAR tel eft nôtre
plaifir, Donné à Paris le 9. jour de Novembre , l'an de
grace 124. & de nôtre Re ne le io . Par le Roi en
fon Confeil. Signe , DE SAINT HILAIRE .
Registré fur le Regiftre VI . de la Chambre
Royale Syndicale de la Librairie & Imprimerie
de Paris , N. 110. fol. 95. conformément
au Reglement de 1723. Qui fait défenfes art.
IV. à toutes personnes de quelque qualité
qu'elles foient , autre que les Libraires & Imprimeurs
, de vendre , débiter & faire afficher
aucuns Livres pour les vendre en leurs noms
foit qu'ils s'en difent les Auteurs ou autrement.
Et à la charge de fournir les Exemplaires prefcrits
par l'Article CVIII du même Reglement .
A Paris le vingt - trois Novembre mil ſept cent
vingt- quatre. Signé , BRUNET , Syndic.
>
A iij
LA
A VIS.
hhat
ADRESSE generale pour toutes
chofes eft à M. MOREAU ,
Commis au Mercure , chez M. le Com
miffaire le Comte , vis - à- vis la Comedie
Françoife , à Paris . Ceux qui pour leur
commodité voudront remettre leurs Paquets
cachetez aux Libraires qui vendent le
Mercure à Paris , peuvent fe fervir de
cette voye pour les faire tenir.
2
On prie très - inftamment , quand on
adreffe des Lettres ou Paquets par la Pofte,
d'avoir foin d'en affranchir le Port ,
comme cela s'eft toûjours pratiqué , afin
d'épargner à nous le déplaifir de les
rebuter , & à ceux qui les envoyent ,
celui , non feulement de ne pas voir
paroître leurs Ouvrages , mais même de
les perdre , s'ils n'en ont pas gardé de
copie.
·
Les Libraires des Provinces & des Pays
Etrangers , où les particuliers qui foubaiteront
avoir le Mercure de France de
la premiere main , & plus promptement ,
n'auront qu'à donner leurs adreffes à M.
Moreau , qui aura foin de fair: leurs paquets
fans perte de temps , & de les faire
porter fur l'heure à la Pofte , ou aux Mef
fageries qu'on lui indiquera.
Le prix eft de 30. fols.
LS
MERCURE
DE FRANCE ,
DEDIE
AU ROT
JANVIER 1725.
XXXXXXXXXXXXXXXX
PIECES FUGITIVES ,
en Vers & en Profe.
R
LA VU E.
ODE.
Iche prefent de la nature ,
Brillante Reine de nos fens ,
Qui nous découvrez la figure
De tous les objets differens .
Sources des belles connoiffances ,
A iiij
Mere
2 MERCURE DE FRANCE.
Mere des Arts , & des Sciences ,
D'où naiffent des travaux divins
Tu peins à ton gré la matiere ,
Des couleurs (a ) par qui la lumiere ,
Abuſe nos fens incertains.
Le front (6) de la voute azurée ,
Des Aftres les feux éclatans ,
Les fleurs dont la terre eft parée ,
Les
ruiffeaux par tout
ſerpentans ;
Les Prez , les Valons , les
Montagnes ,
Les Forefts , les vaftes
Campagnes ,
Objets fi rians & fi doux ,
Où l'oeil avec plaifir s'égare ,
Sans l'éclat du jour qui les pare ,
N'auroient point de beauté pour nous.
Que je contemple de merveilles
Dans la vafte enceinte des Cieux !
(c) Bien- tôt nos curieufes veilles ,
(a) Les couleurs ne font que les differentes
modifications de la lumiere.
(b L'éclat de la voute azurée & des Aftres
les feux brillans .
(c) L'Aftrologie .
PerceJANVIER
1725.
3
Perceront le féjour des Dieux :
Chaque Planette eſt meſurée ,
Sa route n'eſt pas égarée ,
Autour de l'Aftre qui nous luit ;
Il n'eft rien pour nous d'invifible ,
L'Etoile la moins perceptible
Paroît tourner dans fon circuit.
La Mer dans un calme tranquille ,
Fixe mes regards enchantez ,
Je voi cette plaine mobile ,
Briller de fes flots argentez ....
Ciel ! quelle tempête foudaine !
Les vents par leur bruyante haleine ,
La font mugir avec horreur ;
Mon efprit inconftant comme elle,
Doute s'il la trouve plus belle ,
Dans fon calme , ou dans fa fureur.
(4) Le Peintre anime fon ouvrage ,
(6 ) Des beautez qu'il v it en tous lieux ,
Mais il doit fon apprentiffage ,
(a) La Peinture,
(b) La S. ulpture.
A v A
4
MERCURE DE FRANCE.

A fa main , bien moins qu'à fes yeux ,
Qu'il imite , ou qu'il imagine ,
Son Art tire fon origine ,
De la vue & de fes leçons ;
Ce n'eft que fur de tels modeles ,
Que fe font formez les Appelles ,
Qu'à nôtre tour nous nous traçons.
Ces fons (a) fi cheris des oreilles ,
Par un art qui nous peint le chant ,
A nos yeux (6 ) dictent leurs merveilles ,
Et ce qu'ils ont de plus touchant.
Si l'inventeur ( c ) de l'harmonie ,
En découvrit l'art à l'oüie ,
Des coups mefurez du marteau ,
Par des regles bien compaffées ,
Et par des figures tracées ,
La vûë en fit un Art nouveau.
Une fcience (d) plus utile ,
(a) La Mufique.
(b) La Note .
(c) Jubal inventa la Mufique au fon de la
cadence , que les coups de fon marteau faifoient
Sur l'Enclume.
(d) Les Mathematiques .
AttaJANVIER
1725 . 5
Attache nos fens inquiers ,
La nature toûjours fertile ,
Nous communique fes fecrets :
Une Bouffole (a) ingenieuſe ,.
Trace une route perilleufe ,
Dans les climats les plus lointains ;
Bien- tôt un calcul ( 6 ) fans limite ,
Des atomes que l'air agite ,
Nous fera des comptes certains .
Par l'ufage de la lecture ,
Nos efprits groffiers & peſans ,
Reçoivent l'heureuſe teinture , (c)
De ce goût qui fait les Sçavans.
Ainfi fe forme le genie ,
Les beautez de la Poëfie (d)
Naiffent du travail de nos yeux ,
L'efprit nourri de ſes images
Imite alors les beaux ouvrages ,
Et quelquefois fait encor mieux.
(a) La Navigation.
(c) La Philofophie .
(b) L'Algebre.
(d) La Poësie.
1
A vj
Une
6 ' MERCURE DE FRANCE.
Une idée encor plus touchante ,
Vient ſe montrer à mon eſprit ,
Qu'une vive amitié s'augmente ,
Quand on revoit ce qu'on cherit ;
Souvent une trop longue abfence ,
Nous fait tomber dans l'indolence ,
Malgré tous nos engagemens :
La vûë eft le remede aimable ,
Qui par fa force inexprimable ,
Ranime nos coeurs languiffans.
Je termine ici ma carriere , -
Les traits que je viens d'expoſer ,
Ne font qu'une image groffiere ,
D'un bien qu'on ne peut trop prifer ;
La vûë en miracles feconde ,
Diffipe cette nuit profonde ,
Où fans elle nous ferions tous.
Profitons de fes avantages ,
Enfantons de fi beaux ouvrages ,
Que nos neveux en foient jaloux.
Perrin.
ANAJANVIER
1725. 7
kkkkkkk kakakakakak
ANALISE de la queftion propoſée dans
le Mercure du mois de Novembre
1724. page 2418 .
Lequel est le plus malheureux & le plus
à plaindre , ou d'un homme qui déplaît
à tout le monde , ou d'un homme à qui
tout le monde déplaît.
I
peu
L femble d'abord que le malheur de
l'un & de l'autre foit égal , mais un
de réflexion en fait voir la difference.
Je commence par celui qui déplaît à
tout le monde , pour fuivre mon ſujet
dans l'ordre qui m'eft prefcrit , & je dis
premierement , que l'amour propre dont
l'homme eft enyvré , le rend bizarre en
même temps qu'il le flatte , & en fecond
lieu , qu'il ne lui fait jamais regarder ſon
femblable qu'avec des yeux de mépris ;
l'orgueil , la jaloufie , l'envie le dominent,
& lui infpirent la haine , qui tôt ou
tard produit une vengeance fans bornes ;
toutes fes paffions fe déchaînent , & l'aveuglement
où il eft, fait qu'il s'oublie de
telle forte , qu'il eft auffi éloigné de luimême
, qu'il l'eft des autres . Un homme
de ce caractere déplait à tout le monde ;
11
8 MERCURE DE FRANCE .
il eſt ſans doute malheureux & à plaindre
. La cauſe du malheur de celui à qui
tout le monde déplaît eft particulierement
dans l'humeur d'où raillent prefque
tous les défauts ; pour être de fon
goût il faut être de fon fentiment , c'eſt
ce qu'il ne trouve point , il méprife , &
il méprifé infailliblement , fon efprit
qui eft très borné ne peut fouffrir dans
les autres les fautes les plus legeres ; il
eft fans éducation , qui eft l'ame de la
focieté civile , fon caprice l'éloigne du
monde , qu'il n'a pas allez pratiqué ,
pour le connoître & le lui rend infuportable
une certaine capacité lui manque
dans la conduite de fes paffions &
de fon humeur , il s'abandonne entierement
à fon penchant : le voilà réduit à
être feul , quelle affreuſe fituation ! tout
le monde lui déplaît , eft il malheureux
& à plaindre ? oui , & plus que l'autre ,
puifqu'il ne dépend que de lui que tout
le monde lui plaife ; au lieu que celui
qui déplait à tout le monde ne peut plus
parvenir à lui plaire , quand une fois il
lui a déplû ; quelques efforts qu'il falle
pour regagner fon eftime , il ne le defabufera
pas des premieres impreffions . Tout
le monde eft prévenu contre le premier ,
confequemment il ne tient pas à lui de
s'en raprocher ; celui- ci , au contraire , eft
maître
JANVIER 1725.
J
prévenu contre tout le monde , il eft le
maître d'y rentrer , fon propre fond lui
en fourniroit les moyens pour peu
qu'il voulut fe faire violence , étouffer
en lui ces paffions qui le tiranniſent
& quitter ces manieres fi contraires au
commerce de la vie ; mais il ne veut pas
y entendre , & c'eft juftement ce qui fait
que tout le monde lui déplaît ; il eft donc
plus malheureux & plus à plaindre que
l'autre , ce qui me détermine à conclure
que celui à qui tout le monde déplaît eft
plus malheureux & plus à plaindre que
celui qui déplait à tout le monde.
Par M. Duguai - de - Farge.
MMMMMMMMM MM MMMMMMM
A MADAME B .... SUPERIEURE ,
pour le jour de Sainte Therefe ,
fa Fê e.
Vers prononcez par une jeune fille de la
maifon, au nom de toutes fes compagnes .
Ans cet illuftre jour , où tout ici s'apprête
,
A rendre les devoirs qu'éxige vôtre fête ,
Me voici devant vous , & foumise à vos loix ,
Tout un peuple d'enfans vous parle par ma
voix :
Entre
10 MERCURE DE FRANCE.
Entre mille fujets le Ciel vous a choiſie ,
Il feconde l'ardeur dont vôtre ame eſt ſaiſie ,
Et c'est de ce concert , pour vous fi glorieux ,
Que naît tout le bonheur dont joüiffent ces
lieux.
Fideles à des foins tracez fur vos exemples ,
Du Seigneur dans ces murs nous devenons les
temples.
L'innocence furtout s'y trouve en feureté
Nôtre plus grand Tréfor eft nôtre pauvreté ,
Un Dieu feul nous fuffit , riche de nos miferes
,
Nous ne reffemblons point à ces vils tributaires
,
Du luxe , des plaifirs , des indignes befoins ;
Nos defirs font comblez & le Ciel par vos
foins ,
Reparant les malheurs d'une trifte naiffance ,
Mefure à vos bienfaits nôtre reconnoiffance ;
Et dans ces mêmes foins pour lui feul entrepris
,
Déja de vos travaux vous fait trouver le
prix :
Beni foit le Seigneur qui du haut de fon Trône,
Vous montra les vertus d'une illuftre patrone
,
Vous
JANVIER 1725 .
Yous couvrit de fon aîle & vous ouvre aujourd'hui
,
Des fentiers differens pour vous conduire à
lui ,
Dans le ſein de fon Dieu toute entiere abîmée,
Contemplant des grandeurs dont fon ame eft
charmée ,
Therefe, maintenant digne Hôteffe des Cieux ,
D'une union fi pure eut le don précieux ,
Et vous que fous fon nom embraſe un zele
extrême ,
Dans les foins du prochain vous cherchez
Dieu lui-même ,
Et fa main juſqu'à nous abaiſſant vos regards,
Vous retrouvez fes traits dans les membres
épars.
Vrais pauvres qu'en ces lieux fous vôtre dépendance
,
Raffemble l'éternelle & fage providence
Et qui, fi le fuccès répond à vos deffeins ,
Devant fa face un jour feront autant de Saints
C'eſt ainfi que du Chriſt la grace repartie ,
Epancha tous fes dons entre Marthe & Marie
Et que de ces deux foeurs qu'un beau zele ravit
L'une aima le Seigneur , & l'autre le fervit.
LET
12 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE écrite de Chartres aux Auteurs
du Mercure de France , au sujet d'un
Monftre , dont il eft parlé dans le Mercure
de Novembre dernier.
L
'Hiftoire du Monftre à deux corps ,
que vous avez , Meffieurs , raportée
dans le Mercure de France , du mois de
Novembre dernier , m'a fait juger que je
vous ferois plaifir de vous envoyer le
morceau fuivant , tiré de l'Hiftoire du
Royaume d'Ecofle par George Buchanan.
Cet Hiftorien , comme vous fçavez , a
écrit en Latin , mon exemplaire eft imprimé
à Amfterdamn , chez Elzevir en
1543. voici la traduction du paſlage en
queftion qui fe trouve à la page 444 •
>> On vit naître en Ecoffe vers l'an
» 1490. un Monftre d'une espece toute
» finguliere , & dont on n'avoit point
» encore vû d'exemple . Il n'avoit rien
" d'extraordinaire en fa partie inferieure,
» ayant la figure ordinaire d'un homme
» dont on diftinguoit fort bien le fexe ;
» mais fa partie fuperieure fe partageoit
» au nombril en deux troncs qui avoient
» leurs membres diftincts , & qui faifoient
» chacun leurs fonctions particulieres . Le
Roi
JANVIER. 1529 .

c
Roi Jacques IV. le fit élever avec foin . «
Il le fit inftruire , & lui fit apprendre «<
la Mufique , dans laquelle il fit de «<
grands progrès . On le vit même s'a- « -
donner à l'étude des Langues , & il en «
apprit plufieurs. Ces deux fujets étoient <<
d'humeur differente , & fe contrarioient «
quelquefois jufqu'à fe quereller , & fe «
battre,felon qu'une chofe faifoit du plai- «<
fir ou de la peine à l'un des deux. Quelquefois
auffi ils agiffoient tellement de <<
concert, qu'ils s'entredemandoient leur «
avis . Mais ce qu'il y a de plus fingu- «
lier , c'eft que lorfque la partie infe- «<
rieure étoit attaquée de quelque incom - <<
modité à la cuille ou aux reins , les «<
deux corps en reffentoient de la dou- «
leur , & fi l'on piquoit ou pinçoit la «
partie fuperieure , il n'y avoit qu'un «
des corps qui y fut fenfible. Cette fingu- «
larité parut furtout à la mort : car l'un
étant mort plufieurs jours avant l'au- «
tre , celui qui reftoit en vie fecha peu- «
à - peu pendant que l'autre fe pourrit . «
Ce monftre vécut 28. ans , & mourut «
enfin du temps que Jean Duc d'Albin , «
éroit Viceroi d'Ecolfe. Je fuis , Mef- «<
fieurs , & c. «<
«
VERS
14 MERCURE DE FRANCE .
I
XXXXXXXXXXXXXXX
VERS prefentez le premier jour de l'année
1725. à S. Å. R. Madame , Ducheffe
d'Orleans , par une perfonne de
fa Maifon.
S Age & vertueufe Princeffe ,
Qu'admire l'Univers , que protegent les
Cieux ,
Du fond de mon neant jufques à votre Alteffe
,
J'ofe aujourd'hui lever les yeux.
Les Grands qui du Très -Haut font la parfaite
image ,
Doivent , écouter les petits :
Agréez donc les voeux & le fincere hommage
,
D'un coeur qui met fa gloire à vous être
foûmis.
Que le Ciel beniffant cette heureuſe alliance ,
Qui doit des rejettons à la tige des Lys ,
Vous faffe retrouver dans votre aimable fils ,
Ce que vous regrettez avec toute la France .
Afa Pofterité ce Pince tranfmettra
Le
JANVIER 1725 .
IS
Le Sang qu'il tient de vous & vos vertus auguftes
,
* Et comme Dieu cherit les juftes ,
Ainfi que le Palmier fa Race fleurira.
★ Juftus ut palma florebit , Pf. 91. v.
LETTRE écrite aux Auteurs du Mercure
de France par M. Capperon ,
ancien Doyen de S. Maxent , touchant
le puits qui eft proche de Breft , dont
il est parlé dans le Mercure du mois
de May dernier , & fur un autre femblable
qui eft au Bourg du Treportan
Comté d'Eu.
J
’Ai vû , Meſſieurs , dans vôtre Mercure
du mois de Mai , ce qui y eft rapporté
d'un puits fitué proche de Breft , peu
éloigné de la mer , où l'eau baiffe lorfque
la mer monte , & où elle hautle
quand la mer defcend ; & j'ai lû dans
celui du mois de Juillet fuivant , deux
explications differentes de ce phenomene
; là -deſſus j'ai été curieux de fçavoir,
s'il n'y auroit pas quelque puits femblable
au Bourg du Treport , qui eſt un
petit port de mer , diftant de cette Ville
d'environ trois quarts de lieuë. M'en
étant
16 MERCURE
DE FRANCE
.
étant informé , j'ai trouvé qu'en effet il
y en avoit un parfaitement femblable ,
lequel n'eft éloigné du port que d'environ
40. pas.
M'étant transporté fur les lieux pour
examiner la chofe de près , j'ai été moimême
témoin , que lorfque la mer étoit
haute , il n'y avoit que deux ou trois
pouces d'eau ; & que tout au contraire ,
lorfque la mer étoit baffe , il s'y en trouvoit
juſqu'à la hauteur de cinq à fix pieds ;
mais ce qui me furprit davantage , fut
qu'ayant été voir un autre puits voifin ,
qui n'eft éloigné de celui -là que d'environ
50. pas , & deux autres qui font
auprès , je trouvai que l'eau y avoit
un mouvement tout oppofé , & conforme
à celui de la mer : c'est - à -dire ,
qu'elle y hauffe quand la mer monte ,
qu'elle y baiffe , lorfque la mer deſcend ;
avec cette autre difference , que l'eau de
ces trois puits eft parfaitement douce &
très-bonne , pendant que celle du premier
fe fent tant foit peu de la faleure
de la mer , & eft , ce qu'on appelle Samache
; ce qui fait qu'on ne peut pas en
boire , quoiqu'on s'en ferve à faire de
la foupe & à pétrir le pain.
Ce n'eft donc pas une chofe fi finguliere
, que le puits qui eft proche de
Breft ; & il me paroît , que ce n'eft pas
auff
JANVIER 1725. 17
auffi une chofe fi difficile à expliquer ;
la diverfité qui fe rencontre entre ces
differens puits , ne venant que de la maniere
dont l'eau qui s'y trouve fe dégorge
, foit dans la mer , foit dans le
port , & de la pofition differente des canaux
par lefquels elle s'y répand .
12
Car , premierement, pour ce qui eft des
trois puits où l'eau hauffe lorfque la mer
monte , & où elle baiffe quand la mer defcend
, cela arrive de ce que l'extrémité
du Canal par lequel l'eau de ces puits
s'écoule dans la mer , eft formée de telle
façon , que cette eau , en fortant s'éleve
perpendiculairement , c'eft- à-dire , de
bas en haut , à peu près comme les jetsd'eau.
Et parce que l'ouverture de ce
Canal , par où l'eau fort , eft toûjours couverte
de l'eau de la mer , dont le poids
naturel s'oppofe continuellement à la fortie
de cette eau jailliffante , il eſt aifé de
voir , que plus l'eau de la mer prend de
hauteur , plus cette eau trouve d'oppofition
à fa fortie , ayant alors un plus grand
poids à vaincre; ainfi s'y dégorgeant moins
librement , elle doit retourner neceffairement
vers la fource , ce qui la fait par
confequent hauffer dans le puits d'où elle
vient. Le contraire doit arriver lorique
la mer baiffe .
Qu'il y ait de ces fortes de Canaux
par
18 MERCURE
DE FRANCE .
par lefquels l'eau des fources fouterrai
nes fe dégorge dans la mer , en s'élevant
directement de bas en haut , c'est ce qui
fe voit dans une Fontaine parfaitement
belle , qui eft fur le même rivage , trois
quarts de lieuë plus loin , en tirant vers
Dieppe , proche d'un Hameau , nommé
Menival , où les eaux très -douces , quoique
couvertes deux fois chaque jour des
eaux faléés de la mer , fortant ainfi perpendiculairement
de leur Canal , forment
trois gros bouillons , dont le principal
ayant un jour été renfermé par un curieux
dans un tuyau de fer blanc , pendant
qu'il comprimoit les deux autres , il eut
le plaifir de voir qu'il s'en élevoit un
très -beau jet- d'eau .
Il n'eft pas plus difficile d'expliquer
pourquoi dans l'autre puits l'eau baille ,
quand la mer monte , & pourquoi elle
hauffe, lorfque la mer defcends car il fuf,
fit pour cela , que le Canal , par lequel
l'eau de ce puits s'écoule , au lieu d'aller
fe terminer à la mer , fe continue feule- .
ment jufqu'au port , où eft le lit de la riviere
, & qu'il y ait une pofition differente
particulierement à fon extrémité :
c'eſt - à - dire , qu'au lieu que le Canal des
autres puits va & entre à angle droit dans
la mer en fe recourbant verticalement à
fon extrêmité , celui- ci va vers le port ,
&
JANVIER 1725 . 19
& y entre par une ligne diagonale , étant
placé horizontalement ; de maniere que
l'eau qui en fort , prend naturellement
une ligne de direction femblable à celle
que prend la mer , lorsqu'en montant
dans le port , elle reflue vers les terres ,
& qu'elle a un cours oppofé à celui de
la riviere : car alors la mer , coulant dans
le port du même fens que l'eau qui fort
de ce Canal , cela doit neceffairement faciliter
fa fortie , en l'entraînant , pour ,
ainfi dire , avec elle.
Mais lorsque la mer vient à defcendre
, reprenant alors un cours tout oppofé
, & directement contraire à la direction
du Canal , par lequel l'eau de ce
puits s'écoule , il eft clair , que le courant
de la mer , repouffant cette eau qui
veut fortir , elle la repouffe dans fon Ĉanal,
& la fait par fon moyen rentrer vers
fa fource , ce qui la fait en même temps
hauffer confiderablement dans le puits.
Que fi l'eau de ce puits n'eft pas auffi
douce que celle des trois autres , c'eſt
qu'étant plus proche du port , & l'eau
falée de la mer fe filtrant à travers des
terres , l'eau qui refluë dans le puits , y
transporte une petite portion de cette faleure.
Je fuis , Meffieurs , & c.
B LE
20 MERCURE
DE FRANCE.
LE PESCHEUR
ET LE CHASSEUR
,
FABLE.
Ans un des plus froids jours de la faifon
cruelle ,
De ces jours où les Aquilons
Annoncent les glaçons ;
Lucas , pauvre Pêcheur , mit en mer fa nacelle.
Après plufieurs coups de filet ,
Qu'il retira toûjours rempli de maint rou
get ,
Et de divers poiffons de delicate eſpece,
Se fentant tomber en foibleffe
De froid , de laffitude , il tira vers le bord
Mit pied à terre , il s'affit & d'abord
Arrive Colas fon compere ,
Braconnier
des plus fiers du lieu.
Vous ferez bon argent , dit -il , & bonne chere,
Et qui ne vous couteront guere :
Morbleu , quelle capture ! ah ! s'il plaiſoit à
Dieu ,
Cu'n mon travail de même je gagna Te ,
Sans
JANVIER
1725 . 21
;
Sans nulle crainte & nul tourment ,
Combien au Ciel j'en rendrois grace
e !
J'ai dans mon fac fix lapins feulement .
Quatre perdrix , une becaffe.
Pour attraper cela , tremblant à tout moment ,
J'ai traversé les monts , bravé les vents , la
glace ....
Mon pauvre compere Colas ,
Lui repartit Lucas :
Vous voulez badiner . Moi ? non , je vous le
jure.
Helas ! fi vous fçaviez la peine que j'endure ,
A tirer ces poiffons de l'eau ,
Pendant cette rude froidure ,
D'un travail , où je fouffre autant qu'à la torture
,
Vous ne me feriez pas un fi charmant tableau ;
De plus , vous fçavez bien que j'ai les vents
à craindre.
Bon , bon ! dit le Chaffeur , allez , ceffez de
feindre ,
Vous avez mille fois moins de peine que moi ,
Je vous confeille de vous plaindre.
Chacun croit ſes pareils plus fortunez que foi ,
Et l'on ne fut jamais content de fon emploi.
Bij EX22
MERCURE
DE FRANCE.
t
XXX:XXXXXXXXX
:XXX
EXTRAIT
d'une Lettre écrite de Paffy
près d'Evreux le 3. Decembre 1724 . au fujet d'un effet extraordinaire
de
tonnerre , dontil eft parlé dans le Mer-
· cure de Septembre dernier.
E dis que le Chêne du Val David a
Jpû être coupé par un tourbillon
de
l'efprit de Vitriol . Pour prouver ceci ,
trois chofes font fuffifantes. Il faut qu'il
ait pu fe formerun tourbillon
de l'efprit de
vitriol qui aitpû être pouffé vers la terre en
tourbillon
, & qu'il ait eu affez de force pour
couper le Chêne de la maniere qu'il a
été coupé. Or tout ceci eft poffible.
1. Le tonnerre
du Val - David a pû
former un tourbillon
de l'efprit de vitriol
car pour former ce tourbillon
, voici tout ce qui a été neceffa re. Il a dû
fe faire une diftillation
de vitriol , la matiere
diftillée a dû fortir de la concavité
, où la diftillation
s'étoit faite , & il a
dû fe former auffi - tôt autour d'elle un
tourbillon
de quelque
matiere qui l'enveloppât
, & qui la contînt. Or le tonnerre
du Val- David a pû diftiller du vitriol
, il a pû faire que l'efprit diftillé fortit de la concayité
où la diftillation
s'étoit
JANVIER 1725. 23
toit faite , & qu'il fe formât auffi- tôt autour
de lui un tourbillon de quelque
matiere qui l'enveloppât , & qui le contint.
Car je fuppofe que ce tonnerre n'ait
été , comme tous les autres , que la chute
de deux ou plufieurs nuées les unes
fur les autres , au milieu defquelles fe
foit trouvé beaucoup d'air mêlé avec une
grande quantité d'exhalaifons propres à
s'enflammer , & de fels acides tel qu'eft
le vitriol ; n'eft- il pas vrai que cet air
étant comprimé de tous côtez , a dû nonfeulement
faire un grand bruit , mais encore
enflammer les exhalaifons propres à
cela , puifque le feu ne confifte que dans
le mouvement rapide des parties du troifiéine
élement avec lequel cet air &
ces exhalaifons font mêlées : or ces
exhalaifons enflammées ont pû diftiller
le vitriol , & en tirer l'efprit dont je parle.

mais
Car non - feulement ce mouvement
fuffit pour faire cette diftillation
même pour expliquer certains effets de
la foudre affez communs ; il faut dire
que cette diftillation s'eft faite , & que
la foudre renferme une grande quantité
d'efprit de vitriol : faudroit - il done
une cornuë enduite d'une boue compofée
d'argile , &c. Cet efprit ainfi diftillé
étant violemment agité par le mouve
ment des exhalaifons enflammées , n'a-t - il
B iij pas
24 MERCURE DE FRANCE.
pas dû fortir de la concavité où étoit le
vitriol dés que l'éclair lui en a donné le
moyen ? car les corps tendent toûjours
où ils trouvent moins de refiftance . Enfin
cet efprit de vitriol ainfi tiré du milieu
des nuées , n'a-t'il pas dû écarter les
parties de l'air qu'il a rencontrées , & qui
ont été forcées de lui faire place ? leur
refiftance n'a - t'elle pas dû faire
, que les
parties de l'efprit de vitriol tournaffent
fur elles -mêmes , & priffent un mouvement
circulaire ? ce mouvement circulaire
n'a t- il pas. dû fe communiquer aux
parties de l'air qu'il a rencontrées , & qui
ont été forcées de lui faire place ? leur refiftance
n'a- t'elle pas dû fe communiquer
aux parties de l'air , qui ont enveloppé
auffi -tôt l'efprit de vitriol felon les loix
du mouvement , ainfi n'a-t'il pas dû fe
former un tourbillon ?
Si cela n'a pas dû arriver , je demande
d'où font venus les tourbillons du
Soleil , des Etoiles , & des Flanettes ?
je demande comment ils s'entretiennent,.
& comment fe forment les feux qu'on
appelle folets , & les exhalaifons qui s'enflament
prefque tous les foirs. Car ce ne
font que de petits tourbillons , dont la
chute de deux ou plufieurs nuées , les unes
fur les autres , au milieu defquelles s'eft
trouvé beaucoup d'air , mêlé avec une
grande
JANVIER 1725 . 25
grande quantité d'exhalaiſons propres
à s'enflammer , a pû diftiller du vitriol ,
faire que l'efprit diftillé fortît avec un
très-grand mouvement de la concavité où
étoit le vitriol , & qu'il fe formât autour
de lui un tourbillon de quelque
matiere qui le contint , donc le tonnerre
du Val- David a pû agir de la maniere
dont il eft parlé ci - deffus .
2. Le tourbillon de l'efprit diftillé du
vitriol a pû être pouffé fur le Chêne en
tourbillon. Avant que de prouver cette
feconde partie , il faut obferver que le
Val -David eft fitué fur une colline affez
élevée , & ifolée prefque de tous côtez ,
autour de laquelle eft une vallée qui la
fepare d'une autre colline . Cela fuppofé,
voici comment je raifonne. Un corps une
fois mis en mouvement , fuit toûjours la
détermination qui lui a d'abord été donnée
, s'il n'en eft empêché par la rencontre
de quelqu'autre corps. C'eft une loi
du mouvement : or le tourbillon de l'efprit
de vitriol que je fuppofe tiré du
milieu des nuées , a reçu d'abord une détermination
vers la terre , & non feulement
il ne s'eft rencontré aucun corps
fuffifant pour l'en empêcher , mais il y
a même été pouffé par plufieurs autres
caufes. La premiere partie eft déja prouvée
, puifqu'en fortant de la nuée il a été
B iiij pouflé
26 MERCURE DE FRANCE.
pouffé vers la terre . La feconde fer
claire à quiconque voudra faire attention
à tous les meteores qui accompa
gnent le tonnerre , & qui ont une détermination
vers la terre. Mais je prie qu'on
penfe à la reflexion des vents qui durent
encore pouffer ce tourbillon vers la terre
, & fur le Chêne à caufe de la fituation
du lieu . Car les vents qui accom
pagnerent ce tonnerre s'étant engloutis ,
pour ainfi dire , dans la vallée , ils durent
recevoir deux déterminations differentes
l'une de l'autre par l'oppofition des deux
collines , & par confequent , felon une
loi du mouvement , ils durent ſe réunir
des deux côtez de la vallée pour décrire
la ligne du milieu , dont un point étoit
dans le fond de la vallée , & l'autre fe
terminoit à la nuée , qui étoit plus étenduë
que le Val- David , & cette nuée leur
refiftant ils refléchirent en changeant
de détermination vers l'endroit où ils
trouverent moins de réſiſtance .
Or l'endroit où ils trouverent moins
de reſiſtance , fut celui où se trouva ;
le tourbillon de l'efprit de vitriol , parce
que l'action des extrêmitez de la nuée
étoit plus violente que celle de ce petit
milieu où étoit le tourbillon , par confequent
ils durent pouffer le tourbillon
felon la détermination qu'ils reçûrent :
or
JANVIER
27 1725.
or ils reçûrent la détermination vers la
terre , dans le milieu du Val- David , vers
le Chêne qui étoit environ au centre de
la réunion des vents. Car ces vents ayant
été repouffez par la nuée , & par l'action
de fes extrêmitez , ils durent ſe réiinir
au point qui répond au centre du
cercle que décrit la vallée qui eft autour
du Val-David. Par confequent ils
ont dû pouffer le tourbillon de l'efprit
de viriol vers le milieu du Val - David
, vers le Chêne . Donc , comme la
réunion de ces vents a contribué à la
confervation du tourbillon , ce même efprit
de vitriol a dû tomber fur le Chêne
en tourbillon.
3. Ce tourbillon a eu la force de couper
le Chêne de la manière qu'il a été
coupé. L'efprit de vitriol eft composé de
parties oblongues , tranchantes des deux
côtez , & qui font les plus mordantes
& les plus corrofives , qui foient dans
tous les métaux , excepté l'or . Je demande
fi un tourbillon compofé de tous
ces petits rafoirs , n'a pas pu en tombant
fur un Chêne le couper fans pierre , fans
feu , & comme avec une fcie , furtout
s'ils font fuppofez dans une très - violente
agitation . Le Chêne eft- il plus diflicile
à couper que le fer , l'argent , &
le cuivre ? Or l'efprit de vitriol coupe
B v
&
28 MERCURE DE FRANCE.
& ronge tous les métaux , il a donc pû
en rencontrant un chêne en couper une
partie d'environ demi-pied en la confumant
, & faire que les deux bouts qui
font demeurez fullent coupez comme avec
une fcie , à peu près comme l'eau chaude
ou froide coupe le fucre , & comme ce
même efprit de vitriol coupe une barre
de fer en confumant la partie coupée ,
lorfqu'il eft renfermé dans la foudre ordinaire.
Donc le tourbillon compofé de
l'efprit de vitriol a pû couper le chêne en
queftion de la maniere qu'il a été coupé ;
d'ailleurs ce tourbillon a pû fe former &
tomber fur le chêne ; donc il l'a pû couper.
*********
LE LAURIER.
ODE.
ARbre dont l'aimable verdure ,
Sans fe flétrir voit les moiffons ;:
Arbre dont la belle parure ,
Brave l'hiver & fes glacons :
Rameau dont l'immortel feüillage ,១ :
D'une fi gracieuſe image ,
En tout temps enchante nos yeux :
Laurier , le beau feu qui m'infpire ,
AfferJANVIER
17250
2.9
Affervit aujourd'hui ma Lyre ,
A chanter ta gloire en ces lieux.
Flore , Priape , & toi Pomone ,
Vous vous hâtez de m'applaudir
L'écho des jardins en raifonne,
Et fa voix fert à m'enhardir.
Le Laurier orne vôtre Empire .
Şouvent à fon ombre ſoupire ,
Un effain de tendres Zephirs :
Souvent, aux amans favorable,
Il cache au cenfeur intraitable
Les Jeux , l'Amour & les plaifirs
Laurier, telle eft ton excellence,
Tu fers au triomphe amoureux ,
Quand deux coeurs font d'intelligence,
Et cherchent à fe rendre heureux ;
Mais fi l'amour trop témeraire ,
Infulte une beauté fevere ,
Que ne fais - tu pas pour Daphné
Dans les champs de la Theffalie ,
Tu fais avorter la folie
D'un amant trop paffionné.
B vj
Sup
30
MERCURE DE FRANCE.
Sur les bords du fleuve ( a) Pinée ,
Laurier tu tiens le premier rang :
Une étonnante deſtinée
En toi fait circuler fon fang.
Que vois - jea un Chaffeur intrépide,
Marche ici fur les pas ( 6) d'Alcide..
Tombe , meurs , affreux fangliers :
Bien- tôt en pompe fur fa table .
Paroîtra ta hure effroyable ,
Toute couverte de Laurier..
Diane dans ce jour de joye ,
Veut que de fes rameaux cheris
On s'empreffe à parer la proye.
Mortels n'en foyez pas furpris..
Une vertu , fa favorite ,.
Revet le Laurier d'un merite .
Digne de fa rare faveur;
Par lui l'audace eſt étouffée ,
Il eft (a ) l'azile & le trophée ,
D'une magnanime pudeur.
(a) Nom du Fleuve , Pere de Daphné.
( b) Hercule tua un Sanglier monstrueux en
Arcadie.
(c) Le Laurier fauva Daphné des mains
d'Appollon
JANVIER
31 1725.
Laurier, ne crains point la vengeance,
D'Apollon rentré dans les Cieux :
Là, regne une ſageſſe immenſe;
Tu ne feras plus odieux.
D'Efculape l'Art refpectable
Comme plante recommandable ,
T'adoptera dans fes écrits :
Je l'entends , le fils de Latone ,
Du haut de fa gloire l'ordonne,
Et ce n'eft pas là tout ton prix.
De Lauriers fur le Mont (a ) Parnaffe,
Croiffent des bofquets toûjours verds
La main d'Appolon même en trace ,
Mille compartimens divers.
Muſes pour ſes tiges naiffantes ,
Ah ! que vous ferez bienfaifantes ,»
L'augure en eſt vôtre fous -ris :
Déja vôtre augufte fuffrage
Les honore de l'avantage
De couronner vos favoris.
(a) Les plus beaux Lauriers croiffoient furle
Parnasse
Avec
32 MERCURE DE FRANCE.
Avec ardeur j'y vois foufcrire ,
Les Atheniens , les Romains.
O, Laurier ! après toi foupire ,
L'élite de tous les humains.
Que la (a ) Grece , que l'Italie ,
Pendant plufieurs fiecles t'oublie ;
Je fuis garant de ta grandeur.
Sur le (6) Tibre , un Docte Monarque ,
Un jour en faveur de Petrarque,
Fera revivre ta fplendeur.
Laurier va triompher en France ,
Tes honneurs feront immortels :
Sur le front des vainqueurs , (c ) Clemence
Te place en des jeux folemnels .
Toûjours ce floriffant Empire ,
Sous les Bourbons fera reluire ,
Les Sciences & les beaux Arts.
A jamais fecond en grands Princes ,
(a) Décadence des Lettres en Grece & en
Italie , &c.
(b) Robert , Roi de Naples fait couronner
Petrarque de Laurier dans Rome en 1343.
(c) Clemence Ifaure , Fondatrice des Jeux
Floraux à Toulouse
Lie
JANVIER
3.3
1725.
Le fang qui regne, à nos Provinces ,
Promet des Neftors & des Mars.
Laurier , une illuftre Déeffe ,
Dans d'autres Jeux que les Floraux ,
De t'immortalifer s'empreffe ,
Aprés toi courent fes Heros.
Minerve (a) aux premieres allarmes ,
Qu'enfantent la guerre & les armes ,›
Te confacre aux travaux guerriers.
Si Loüis livre des batailles ,
Ou s'il attaque des murailles ,
II moiffonnera des Lauriers.
Avec Pallas , Mars & Bellonne
Vont concourir en ta faveur :
Par eux tu donnes la Couronne ,
De l'adreffe & de la valeur.
Vainqueurs de la terre & de l'onde,
Les Romains , ces maîtres du monde,.
Par toi défignent leurs exploits ;
Tes rameaux ornent la Peinture
(a ) Minerve , Déeffe de la Guerre , auffi bien
que des Sciences & des beaux Arts.
On
34 MERCURE DE FRANCE.
On en couronne la Sculpture ,
Les grands hommes & les grands Rois.
Olivier , du Soldat barbare ,
Tu fçais arrêter la fureur ;
Mais d'un privilege fi rare ,
Le Laurier partage l'honneur.
L'un & l'autre aux riantes fêtes
Ornez les plus illuftres têtes ,
J
Comme Symboles de la paix ;
Laurier , un fameux ( a ) perfonnage ,-
Auffi pacifique que fage ,
Ta cheri fous ces derniers traits.
Laurier , fi quelquefois la gloire ,
Après de genereux travaux ,
Repofe au ſein de la victoire ,
C'eft à l'ombre de tes rameaux .
Le Heros de la Boëtie
Avec la vigne t'affocie ,
Vous entrelaffant fur fon char
(a) Le Cardinal de Trente , Pernard' Cles' ,
grand Amateur de la paix , prit pour Symbole
une branche de Laurier avec une Palme
QuelJANVIER
37 1725..
Quelquefois le fils de Seméle ,
Dans fes charmans réduits t'appelle ,
Et t'y fait fervir d'étendard.
(a)Laurier , à ton Panegyrique ,
Pour toi déja fi glorieux ,
J'ajoûte un trait plus magnifique , *
Ah ! que ton fort eft précieux.
C'eft peu que ta tige naiffante ,
Couronne la valeur preſente ,
Elle garantit l'avenir ;
Aux Cefars tu marques la gloire ,
Où fur l'aîle de la victoire ,
Ils doivent un jour parvenir.
Par M. Dabat , Medecin à Terbes
(a) Le Rameau de Laurier que portoit dans
fon bec l'Aigle qui laiffa tember dans le fein de
Drufille une Poule blanche , &c.
www
LET.
36
MERCURE DE FRANCE..
LETTRE au Reverend Pere Buffier
au fujet de la Réponse qu'il a adreffée à
M. de la Roque , dans le Mercure de
Septembre 17 24.
J
E prends la liberté de vous adreffer
cette Réponſe , mon R. Pere , par
les raifons contraires à celles qui vous
ont déterminé à faire la vôtre à M. de la
R. Vôtre réputation eft connue , j'ofe
même dire qu'elle n'eft point équivoque ;
mais comme un illuftre nom ne juftifie pas
les fautes des grands , je n'ait pas crû que
l'éclat du vôtre dût impofer à ma raiſon
au point de me faire admettre vos principes
fans examens le public vous eft redevable
de plus d'un ouvrage , il n'y en a point à
mon fens , où vous ayez montré tant de
generofité que dans le Traité des premieres
veritez ; vous y abandonnez tous les
droits de l'amour propre , & vous nous
prefentez comme de fimples effets du
fens commun les fruits d'une imagination
finguliere . Pour vous marquer ma reconnoiffance
je vais rendre à vôtre efprit
ce qui lui appartient , & tâcher de prouver
par vôtre jugement même , que ce
que vous nommez le fens commun ne
fuffic
JANVIER 1725. 37
fuffit pas pour la découverte de vos premieres
veritez.
J'ai dit dans ma Réponſe , qu'avec le
fens commun je ne pouvois admettre des
jugemens fans principe anterieur ; vous
allurez que fi je comprends bien ma difficulté
, elle fera à elle- même fa propre
folution j'avoue que je n'ai pas encore
ce degré d'intelligence neceffaire pour me
rendre à vôtre Dilême , il femble que
j'aye avancé que je voulois admettre des
principes malgré le fens commun ; & par
une Dialectique qui vous eft particuliere ,
vous concluez en vôtre faveur . Il ne faut
que lire l'endroit de vôtre Livre , & ma
Répcnfe , pour entendre l'objection ; uns
lecteur defintereffé fentira que le fens
commun n'eft pas fuffifant pour décou→
vrir les premières veritez , & qu'il y
faut ajoûter fouvent les réflexions d'un
Philofophe , dont les propofitions foient
fi évidentes qu'elle foumettent nôtre raifon
; c'est alors que le fens commun admet
fans répugnance ce qu'il n'auroit
peut -être jamais découvert fans les lumieres
de ce grand homme ; vous voyez
bien par là que je n'ai pas deffein d'admettre
des principes en dépit du fens
commun , & que j'appelle fimplement de
la multitude à Socrate .
Ce que vous ajoûtez pour foutenir vôtre
38 MERCURE
DE FRANCE
.
la
tre quatrième propofition dans le rang
que vous lui avez affigné , n'eft pas plus
folide , & je vous affure que le fens
.commun n'a point tant de fubtilité . Comment
pouvez - vous fonder une objection'
fur un équivoque de nom vous , mon
R. P. qui prouvez fi bien que c'eſt la baſe
ordinaire des divifions Philofophiques :
que m'objectez - vous ? J'ai afluré que
vôtre prétendue principe n'étoit que
confequence d'un autre ; mais ai -je dit
que cet autre fut un principe à vôtre façon
; ce n'en eft qu'un relatif qui dépend
de plufieurs autres encore ; ainfi tout ce
que vous ajoûtez porte à faux , puiſque
cette propofition : tous les hommes ne fint
point d'accord à me tromper, n'eft point
une premiere verité , & la difficulté refte
toûjours , parce que vôtre replique ne
roule que parce qu'il vous a plû de me
faire prendre le mot principe dans le
fens abfolu ; au lieu que je n'ai donné ce
nom à cette propofition que par rapport
à la vôtre .
Vous prêtez à mon imagination une
efpece d'obfcurité , dont heureuſement
elle ne s'eft point fentie environnée. Le
flambleau qui m'a fervi n'étoit point affez
vif pour m'éblouir , je n'ai brillé dans
aucun lieu , ni à droit , ni à gauche
mais je ne me fuis point écarté , & puifque
JANVIER 1725. 39
que vous voulez que je m'explique avec
plus de précifion , je ne fuis pas convaincu
que cette propofition , il y a quelque
chofe en nous qui s'appelle intelligence ,
& qui a des propricte differentes du corps,
foit une verité de fens commun ; il n'eſt
pas necellaire pour le prouver, de donner
dans les entortillemens du Spinofifme ; il
fuffit de démontrer que le fens commun
des hommes peut les accoûtumer à cette
idée , qu'une parcelle de matiere , à force
de modifications differentes , peut devenir
une penfée ; c'eſt- là précisément ce qui
me met en garde contre le fens commun ;
il a fouvent admis des chofes par habitude,
fans les entendre , qu'il a rejettées par
la fuite , lorfque le fens particulier de
quelque homme fuperieur l'a ramené à la
verité ; il feroit à fouhaiter que ma propofition
fut moins facile à établir , ce font
des faits qui la foutiennent , & de grandes
nations ont crû l'ame corporelle .
Voici ce que raporte M. de la Loubere
dans fon voyage de Siam , p. 361 .
>> Tous les Payens de l'Orient croyent,
à la verité , qu'il refte quelque chofe de
» l'homme après fa mort , qu'il fubfifte
feparément , & independemment de
» fon corps ; mais ils donnent étendue &
» figure à ce qui en refte , & ils lui attri-
» buent les mêmes membres , & toutes
>>
Les
40 MERCURE DE FRANCE .
AD
pour
fe
les mêmes fubftances folides & liqui-
>> des dont nos corps font compofez ;
» ils fuppofent feulement que les ames
font d'une matiere aflez fubtile
» dérober à l'attouchement & à la vûë
>> quoiqu'ils croyent d'ailleurs , que fi on
» en bleffoit quelqu'une, le fang qui cou-
" leroit de fa bleffure pourroit paroître ,
telles étoient les Manes & les ombres
des Grecs & des Romains , & c.
Les Chinois font fi perfuadez de la
reffemblance du corps & de l'ame , que
lorfque l'Empereur Tartare voulut les
forcer à fe rafer les cheveux , comme
font les Tartares , plufieurs d'entre eux
aimerent mieux fouffrir la mort que
d'aller , difoient -ils , en l'autre monde
paroître fans cheveux devant leurs ancêtres
, s'imaginant qu'on raſoit la tête de
l'ame en rafant celle du corps.
Il eft fi difficile au fens commun de
penfer jufte fur cette matiere que les ' Saducéens
& les Efleniens même , avec le
fecours des Livres facrez, n'ont point connu
la fpiritualité de l'ame. Les premiers
Peres de l'Eglife ne fe font pas expliquez
fort exactement fur cette queftion ; il eft
donc clair par ces citations que la materialité
de l'ame a été crue par un nombre
infini de perfonnes , & que le fens commun
n'appercevoit point la contradiction
de
JANVIER 1725. 41
de cette erreur ; par confequent cette propofition
, l'intelligence n'est pas le corps ,
n'eft point une premiere verité , puifque
non feulement elle a befoin d'être prou
vée , mais même que les raifonnemens
humains ne font pas fuffifans à toutes fortes
d'efprits : une penfée , dites - vous , ne
fe mefure ni au poids , ni à l'aune ; & de
là , mon R. P. vous concluez tout d'un
coup à la fpiritualité , le fens commun
n'eft pas fi vif , s'il faut admettre pour
immateriel , tout ce que nous ne pouvons
mefurer , plufieurs corps feront
fpiritualifez .
;
Je finis cette Lettre par une hypothe
fe , j'efpere que vous voudrez bien l'admettre
fi ces peuples ignorans dont je
viens de parler avoient eu le bonheur de
voir naître parmi eux un Philofophe
auffi éclairé que yous , & que pour les
tirer d'erreur vous leur euffiez apporté
l'autorité du fens commun ; il eft certain
que la verité auroit perdu fon procès
par le calcul même que vous fuppofez
certain pour l'établir , ou bien vous auriez
défini le ſens commun un juſte rapport
avec vos idées , ce que ces peuples
n'auroient admis vrai - femblablement ;
ce n'auroit été que par la force de vos
argumens que vous les auriez difpofé à
faire un meilleur ufage de leur raifon ,
pas
&
42 MERCURE
DE FRANCE
.
& tout l'honneur de leur converfion auroit
été l'ouvrage de vôtre penetration
particuliere , & non pas celui du ſens
commun qui auroit été le premier ennemi
que vous auriez eu à combattre .
Je perfifte donc à croire qu'il eft un
tribunal plus certain que le fens commun
pour juger des premieres veritez ; au
refte , mon R. P. les lecteurs vo us font
bien obligez de les avoir garantis de la
méprise de vous attribuer mes expreffions
éblouiffantes ; cependant quelquesuns
m'ont affuré qu'ils ne feroient pas
tombez dans cette erreur ; pour moi je
vous avoue que je ne les aurois pas employez
contre M. Loch , ou quelqu'autre
fombre méditatif ; mais je ne les ai point
crû déplacées contre un Philofophe qui
fçait donner de l'enjouëment & de la legereté
aux fciences les plus profondes &
les plus abftraites . Je fuis , mon R. P,
& c .
"
PF
ODE
JANVIER 1723. 43
ODE AU ROY.
Guidépar Fardeur de mon zele ,
Grand Roi d'une lyre nouvelle,
Je te confacre fes accords : -
Envain une indigne pareffe ,
Me rappelle ici ma foibleffe ,
Je m'abandonne à mes tranſports.
Ma voix que mon coeur feul anime
Ne poffede point l'art fublime ,
Qui fçait orner la verité ,
Je n'aſpire qu'à l'avantage ,
De répandre dans mon ouvrage,
Une heureuſe fimplicité.
Style pompeux, je te rejette,
Je ne viens point fur la trompette ,
Celebrer de fameux exploits :
La droite raiſon me fait croire ,
Qu'il eft une plus belle gloire ,
Pour faire la grandeur des Rois.
C Les
44 MERCURE DE FRANCE,
Les plus chers prefens de Bellone ,
Valent- ils les biens que nous donne ,
Une douce & tranquille paix ?
Fille du Ciel fous ton empire ,
Eft né le Heros que j'admire ,
Quel plus doux fruit de tes bienfaits?
De tes faveurs ce premier gage ,
N'eft-il pas l'affeuré préſage ,
Du bonheur dont nous nous flatons ?
Bien- tôt la corne d'abondance ,
Va répandre fur nôtre France ,
Les plus précieux de fes dons.
Les Edits les plus falutaires ,
Ont déja mis dans les affaires ,
Un merveilleux arrangement ;
L'ordre établi par ta fageſſe ,
Grand Roi , fera de ta jeuneſſe,
Le glorieux amuſement.
Pour foutenir le titre augufte ,
Dont Rome par un choix fi jufte,
Honora tes prédeceffeurs ;
La
JANVIER 1725: 45
La foi par tes foins protegée ,
Ne fe verra plus affligée ,
Des atteintes des novateurs.
Les loix que foutiendra ton zele ,
Du perturbateur infidele ,
Reprimeront les attentats ;
Les Arts fleuriront dans nos Villes ,
Nos campagnes feront fertiles ,
Seure richeff: des Etats .
De tant de merveilles charmée ,
Avec cent voix la Renommée
Portera ta gloire en tous lieux ;
Et par l'éclat de fes paroles ,
Jufques aux lieux voifins des Foles .
Fera taire tes envieux.
Ainfi ma Muſe prophetique,
Prédit dans cet effai lyrique ,
Un regne à jamais floriffant ;
Puiffent les faintes deſtinées ,
En multipliant tes années ,
Le rendre auffi long que puiffant.
Cij
Dans
46 MERCURE DE FRANCE .
Dans l'avenir ma Mufe perce ,
Je vois refleurir le commerce ,
Et fur la terre & fur les eaux ;
Les nations les plus fauvages ,
Viennent fur nos heureux rivages ,
Apporter des tributs nouveaux.
*******************
NOUVELLE Portugaife à M. le C,
de P. 1693. Par M. Vergier .
L
Efpagne & le Portugal , qui pendant
tant de fiecles ont été le Theatre
des plus grandes actions militaires ,
ne le font depuis long- temps que des
avantures galantes , & je ne fçai s'ils n'ont
pas en cela plus gagné que perdu ; ce
changement leur vient de la tranquillité
dont jouiffent leurs peuples , & de l'oifiveté
dans laquelle ils vivent ; la tranquillité
& l'oifiveté ne font-elles pas
préferables à la gloire , & à tous les
autres biens ? c'eft dans ces pays -là que
regne veritablement l'amour ; ailleurs il
ya moins d'amour que de déreglement
& de coqueterie ; le repos , le loifir , le
climat , le temperamment , la nourriture
:
Pécation , les coutumes , tout femble
JANVIER 1725. ' 47
ble concourir à les rendre amoureux , &
dans ces deux Royaumes il n'y a point
de Villes , ni de Villages fi petits , & fi
pauvres qu'ils puiffent être , qui n'ayent
leurs avantures extraordinaires à raconter
, & qui n'en fourniffent tous les jours
de nouveaux exemples : l'Hiftoriette que
je vais écrire , & que j'ai apprife fur les
lieux des perfonnes mêmes qui y ont eu
le plus de part , pourra fervir de preuve
à tout ce que j'ai avancé .
Dans Villanova , petite Ville Mariti
me du Portugal , ou plutôt du Royaume
des Algarves, qui fait une partie de celui
de Portugal , il y a deux familles confiderables
en naiffance , en biens & en autorité.
Ces deux familles font depuis longtemps
liées entr'elles d'une étroite amitié
, mais elles ne l'avoient jamais été fi
fortement que dans les perfonnes de Dom
Pedro Oliviero & Dom Francifco Fernando
de Ribena , chefs de l'une & de
l'autre ; ce dernier homme capable de
grandes chofes , ayant perdu une femme
qu'il aimoit tendrement , & pour laquelle
il avoit toûjours negligé les foins de
fa fortune , libre alors , & n'étant plus
occupé que du defir d'acquerir des honneurs
& des richeffes à un fils unique
qu'il en avoit eu , obtint de la Cour un
Gouvernement confiderable au Brefil ;
C iij mais
48 MERCURE DE FRANCE.
mais comme ce fils , pour lequel il s'expofoit
aux fatigues & aux dangers de ce
voyage , étoit encore dans un âge trèsfoible
, il ne pût fe réfoudre à l'y expofer
lui- même , & le laiffa entre les mainsde
Dom Pedro Oliviero Almaro , fon
intime ami , qu'il pria d'avoir foin de fon
éducation. Dom Pedro fçachant combien
étoit cher à fon ami le dépoft qu'il
venoit de lui laiffer , ne negligea rien
pour le bien élever ; auffi trouva- t'il un
fujet digne de fon attention , & bien- tôt
l'amitié qu'il avoit pour le pere , eut
moins de part aux foins qu'il prit du fils ,
que la tendreffe qu'il conçût pour le fils
même.
s , toute
Dom Juan ( c'eft le nom de cet enfant
) n'étoit alors âgé que de huit ans s
mais on ne pouvoit déja le connoître fans
l'aimer , toutes les graces du
la complaifance de l'humeur , & toute
la vivacité de l'efprit étoient raffemblées
en lui. Il y avoit pourtant dans le monde
une perfonne , c'étoit Ifabelle , fille de
Dom Pedro Oliviero Almaro , en qui
toutes ces qualitez fe rencontroient auffi
à un fi haut point , qu'elle fembloit lui
en difputer l'avantage , & les fentimens
étoient fort partagez là - deffus ; toutes les
femmes jugeoient en faveur de Dom
Juan , & tous les hommes en faveur
d'Ifa
JANVIER 1725. 49
Habelle ; mais les uns & les autres convenoient
également que tous les deux
étoient ce qu'il y avoit de plus parfait
fous le Ciel.
Dom Juan fut élevé avec Ifabelle , ils
étoient à peu près de même âge , & cette
convenance jointe à toutes celles qui fet
trouvoient en leurs perfonnes , fit naître
entr'eux une fimpathie qui prit bien- tôt
un autre nom . Les amours font enfans
& fe plaifent quelquefois à jouer avec
l'enfance ; c'eft même à la faveur de cet
âge innocent qu'ils établiffent mieux
leur pouvoir & les paffions qu'ils y
font naître font d'autant plus fortes &
plus durables , qu'elles jettent leurs racines
parmi la confiance & la fincerité
Dom Juan & Ifabelle fentirent deflors
l'autre ce que
dans un âge plus
parfait ils devoient infpirer à tout le mon
de : étoient- ils un moment feparez , plus
de plaifirs , plus de paffe-temps pour eux ?
étoient- ils enfemble , tout devenoit pour
eux plaifirs & paffe- temps , jamais affections
ne furent fi égales , jamais volontez
fi unies ; enfin jamais amour ne fe fit
tant fentir avant que de fe faire connoître
; mais il fe fit connoître auffi , ce fentiment
étoit trop vif pour pouvoir être
long- temps confondu avec les autres , &
G iiij Voici
l'un
pour
MERCURE DE FRANCE.
voici comment ils le débrouillerent dans
leurs coeurs .
Ifabelle avoit auprès d'elle une Gouvernante
qui aimoit fort la lecture des
Romans , & Dom Juan étant un jour
feul avec Ifabelle dans la chambre de
cette Gouvernante ; & ayant trouvé fur
fa table un de ces Livres , l'ouvrit , &
en lût le titre en badinant ; ce titre donna
de la curiofité à Ifabelle , elle le pria
d'en lire quelques pages , & Dom Juan
étant tombé fur une peinture qu'un
Amant & une Maîtreffe fe faifoient l'un
à l'autre de leur amour , Ifabelle trouva
les fentimens de la Maîtreffe fi confor
mes aux fiens , qu'elle en rougit , & en
devint rêveufe , & Dom Juan qui avoit
trouvé la même reffemblance entre les
fiens & ceux de l'Amant , ceffa de lire ;
& après avoir auffi rêvé quelque temps :
Ifabelle , dit - il ingenument , plus j'y
fais réflexion , plus je crois que j'ai de
l'amour pour vous , depuis que je vous
vois , j'ai pensé mille fois tout ce que je
viens de lire , & la feule difference
je pourrois y mettre , c'eſt que je le penfois
plus vivement encore ; mais que je
n'aurois pas fçû fi bien vous l'exprimer :
Dom Juan , répondit Ifabelle en rougiffant
davantage , je faifois la même réflexion
, & je ne doute plus que ce ne foit
que
de
JANVIER 1725. ST
de l'amour que j'ai pour vous ; j'ai reffen
ti mille fois , fans fçavoir les démêler ,
les tranfports , les craintes , les plaifirs ,
les inquiétudes qui font décrits dans cet
Livre mais fi ce que j'entends dire de
ces fentimens eft veritable , c'eſt un crime
à moi de les avoir conçûs ; cependant
je ne fçaurois croire que le crime
puiffe fe prefenter fous une figure auffi
agréable que celle -là , & en tout cas je
fens que j'aurai bien de la peine à m'empêcher
d'être toûjours criminelle . La
Gouvernante furvint & interrompit cette
converfation ; ils ne furent pas longtemps
fans la reprendre , & tout le fruit
de leurs réflexions fut de convenir que
non feulement ils s'aimoient , & qu'ils
s'aimeroient toute leur vie ; mais qu'ils
fe tiendroient à l'avenir fur leurs gardes ,
& qu'ils prendroient foin de cacher à
tout le monde l'union qui étoit entre
leurs coeurs .
Ils pafferent ainfi quelques années ,;
joüiffant d'un bonheur dont ils ne connoiffoient
pas le prix , parce qu'ils en
avoient joui prefqu'auffi tôt que de la
lumiere , & qu'il n'avoit jamais été troublé,
mais enfin le Ciel s'obfcurcit fur leurs
têtes , & les effraya d'autant plus qu'il
a voit toûjours été fans nuages pour eux ;
Ifabelle avoit en ce temps- là environ
Gv treize
52
MERCURE DE FRANCE.
treize ans , & fa beauté qui croilloit de
jour en jour , faifoit trop de bruit pour
les laiffer tranquilles ; il fe prefenta un
parti.confiderable pour elle , que fes parens
crurent devoir accepter , & Dom
Pedro chargea Dona Maria fa femme d'en
faire la propofition à fa fille , & de fonder
fes fentimens là - deflus. Dona Maria.
prit donc un jour fa fille en particulier ;
&-après lui avoir exageré l'avantage de
ce parti , elle lui dit que la douceur & la
foumiffion qu'elle avoit fait voir dans
toute fa conduite paffée , ne lui permettoient
pas de douter qu'elle n'acceptât
fans balancer une chofe qui lui convenoit
fi fort , & que fon pere & elle
avoient réfolu. Ifabelle qui ne s'attendoit
à rien moins qu'à cette propofition , en
fut fi furpriſe , qu'elle refta immobile ;
cependant fa mere la preffant de s'expliquer
, toute la réponse qu'elle pût en tirer
, fut un torrent de larmes qu'elle verfa
après s'être long - temps forcée de les.
retenir. Dona Maria qui aimoit beaucoup
fa fille ne manqua pas d'interpreter favorablement
fes larmes , elle crût que fa
pudeur & la crainte de fe feparer d'elle ,
en étoient la caufe ; aprés l'avoir embraffée
tendrement pour la confoler , ellela
quitta , ne voulant pas la preffer davantage
pour cette fois ; mais elle fut bientôt
JANVIER 1725. 53
tôt éclaircie de ce myftere . Au fortir de là
elle entra dans la chambre de fon mari
pour lui rendre compte de ce qu'elle venoit
de faire , & fut fort furpriſe d'y voir
aux pieds de Dom Pedro , Dom Juan
fondant en larmes ; il avoit appris dans
la Ville la nouvelle de ce mariage , &
étoit venu avec l'impetuofité d'un jeune
homme amoureux & defefperé eſſayer
de le fléchir ; il le conjuroit par les hommes
& par les Dieux de ne point achever
ce mariage qu'il appelloit l'arreſt de
fa mort oui , lui difoit il , Dom Pedro ,
je connois & je reffens vivement les obligations
que je vous ai , elles font fi grandes
que s'il s'agifloit de prendre parti en
tre mon pere & vous , je balancerois , &
je ne fçai lequel des deux l'emporteroit
dans mon coeur ; mais je ne fçaurois vous
regarder que comme mon affaffin , fi vous
m'ôtez Ifabelle ; je ne vis que pour elle
& je ne veux plus vivre , fi je la perds.
Ne me l'ôtez pas , je vous en conjure ,
par la tendrelle que vous m'avez toû--
jours marquée , & par celle que vous
avez pour vôtre fille car je ne feindrai
point de vous dire ici qu'elle a pour moi
les mêmes fentimens que j'ai pour elle ,.
& que nos coeurs font . fi parfaitement
unis , que vous ne fçauriez me porter un
coup qu'elle ne reffente , ni me rendre:
Cvjj mal
34 MERCURE DE FRANCE.
;
malheureux fans la rendre auffi malheu
reufe ; n'accablez donc pas de douleurs
deux perfonnes , dont l'une doit vous être :
fi chere par le fang , & par fon propre
merite l'autre par l'amitié & par les
foins que vous avez pris de fon enfance
& de fa jeuneffe ; dès qu'il apperçût Dona
Maria , il alla fe jetter à fes pieds , &
la conjura avec les mêmes prieres & les
mêmes larmes , de ne point pourfuivre ce
deffein. Dom Pedro & fa femme pendant
ce difcours fe regardoient l'un l'autre
fans fçavoir qu'y répondre ; quelqu'irritez
qu'ils fuffent de ce qu'ils apprenoient
, ils ne pouvoient s'empêcher d'excufer
ces deux jeunes Amans , & là tendrefle
paternelle parloit également en
faveur de l'un & de l'autre ainfi Dom
Pedro prit le parti de la douceur , & renvoya
Dom Juan plein d'efperance ; en
effet après y avoir bien penfe , il crût net
pouvoir rien faire de mieux que d'écrireà
Dom Francifco de Ribena , & de lui
propofer le mariage de Dom Juan avec
Ifabelle pour refferrer davantage les..
noeuds de l'amitié qui avoit toûjours été
entre leurs familles mais en attendant fa
réponſe , Dona Maria ne laiffa plus à
Don Juan la même liberté de voir fa
Maîtrefle , & ce n'étoit que rarement, &
qu'en fa prefence qu'elle leur permettoit
;
de
JANVIER 1725. 5.5
de s'entretenir ; quelque dur que fut
pour eux ce changement , l'efperance qui
y étoit mêlée en adoucifloit la peine , &
après quelques mois paffez avec beaucoup
d'inquiétude , la réponſe de Dom
Francifco arriva . Il mandoit à Dom Pedro
qu'il étoit ravi qu'il l'eut prévenu
dans une chofe qu'il avoit depuis longtemps
réfolu de lui propofer , qu'il donnoit
avec plaifir fon confentement au mariage
de Dom Juan avec Ifabelle , & qu'il
le prioit feulement d'en differer la conclufion
jufqu'à fon retour qui devoit
être dans trois mois , parce que le temps
de fon gouvernement finiroit alors : il eft
aifé . de concevoir avec quels tranfports
de joye nos deux Amans reçûrent cette
nouvelle , leur efperance devenoit pure:
& fans mêlange de crainte ; on leur ren
dit la liberté de fe voir & de s'entrete
nir , & leur bonheur n'étoit plus troublễ
que par leur impatience qui augmentoit
tous les jours , femblable en cela aux Rivieres
qui plus elles approchent du terme
où doit finir leurs cours , plus elles
deviennent fortes & impetueufes.
Enfin Dom . Francifco arriva , & tou--
tes choſes furent réfoluës pour ce mariage
, Dom Juan & Ifabelle ravis & pleins
de confiance regardoient leur bonheur
comme certain & affuré : & qui ne l'au--
Loit
56 MERCURE DE FRANCE.
roit crû comme eux ? cependant ils n'en
furent jamais fi éloignez , & les voilà
qui vont être feparez fans efpoir de ſe
rejoindre jamais . Dans le temps qu'on
faifoit avec emprellement les préparatifs
pour leur union , un oncle de Dom Francifco
mourut fans enfans , & le laiffa feul
heritier d'une riche fucceffion . L'ambition
& l'avarice ont toûjours été les plus
grands obftacles que l'amour ait trouvé
dans fes deffeins , & fon empire ne fçauroit
être abfolu dans le monde jufqu'à ce
qu'il en ait banni ces deux paffions ;
cette élevation de fortune donna à Dom
Francifco des vûës plus élevées pour fon
fils les biens- & l'alliance de Dom Pe--
dro lui femblerent trop mediocres , &
fans avoir égard à fa parole ni à l'attachement
de Dom Juan , il rompit ce mariage
; il fit plus , comme il connoffoit la
tendrefle de fon fils pour Ifabelle, & qu'il
eraignoit que cette tendreffe ne s'opposât
aux deffeins qu'il formoit pour lui,
il voulut la lui faire oublier , & employa
pour cela un remede auffi violent qu'inutile.
Il apprit qu'il y avoit un vaiffeau
prêt à mettre à la voile pour le Brefil
il fit enlever Dom Juan , & l'envoya dans
ce pays- là auprès d'un parent qu'il y
avoit laiffé pour prendre foin de quelques
acquifitions qu'il y avoit faites . Je
n'entre-
2.
JANVIER 1725. ST
n'entreprendrai point de décrire quel fut
le defefpoir de ces deux Amans à cette
feparation , ce font des mouvemens qui
ne peuvent s'exprimer.
3
Dès que le bruit de cette rupture fut
répandu dans la Province ,
mille gens
charmez de la beauté d'Ifabelle , fe prefenterent
pour remplir auprès d'elle la
place de Dom Juan & ce fut une nou
velle peine pour elle que les perfecutions
qu'elle eut à foûtenir de la part de
tous ces prétendans ; elle refifta neanmoins
à toutes ces importunitez , & la fermeté
avec laquelle elle y refifta , l'en délivra
à la fin ; ainfi elle vécut quelque
temps , finon moins affligée , au moins
plus libre dans fon affliction ; mais quelque
mediocre que fut ce bien , Amour
le trouva trop grand encore pour un
coeur qu'il vouloit mettre aux dernieres
épreuves , & le troubla bientôt par le
coup le plus terrible qu'il put lui porter
; vous voyez combien Dom Juan
lui eft cher , elle apprit que dans un
combat que les Portugais avoient donné
au Brefil contre les Sauvages de ce Païslà
, fon Amant emporté par trop d'ardeur
, ou plûtôt par fon défefpoir , s'étant
jetté temerairement parmi eux , y
avoit été tué , & elle l'apprit à n'en
pouvoir douter , puifque ce fut par le
deüil
8 MERCURE DE FRANCE.
deüil qu'en prit la Famille de Dom Juan,
& par les Services mortuaires qu'on fit
pour lui dans toutes les Eglifes de Villanova
; l'excès de fa douleur lui en ôta
d'abord le fentiment , & lui auroit fans
doute ôté la vie , fi l'Amour , qui par
fes deffeins éternels en avoit autrement
ordonné , ne l'eut dans ce moment foutenue
contre elle - même . Enfin Ifabelle
revenue de ce premier accablement ,
n'ayant plus rien à efperer dans le monde
, refolut d'y renoncer , & de chercher
dans la folitude & dans l'aufterité une
vie convenable à fon affliction ; elle en
fit la propofition à fes parens ; Ses parens
s'y oppoferent quelque temps ; mais
comme ils l'aimoient beaucoup, ils ne purent
s'empêcher de lui accorder une chofe
, en laquelle elle marquoit que confiftoit
tout fon bonheur , & confentirent
qu'elle fe re- irât dans un Convent qui
eft près de Lisbonne , plus regulier &
plus refferré , que ne le font d'ordinaire
ceux de ces Pais là , & duquel une parente
de Dona Maria étoit Prieure.
Les hommes toûjours aveugles , prenent
"
fouvent des mefures qui les
conduisent à ce qu'ils veulent éviter ;
Ifabelle fe retire dans ce Convent
pour fuïr le monde , pour fe delivrer des
importunitez de fes parens , qui lui propofoient
JANVIER. 1725. 5.9
pofoient tous les jours de nouveaux établiffemens
, & pour pouvoir s'abandonner
toute entiere à fa douleur , & elle
va y trouver des obftacles à toutes fes
vûës , plus grands qu'elle n'en trouvoit
dans la maison de fon pere. Il y avoit
dans ce Convent une jeune Religieufe ,
fille de qualité & très - aimable , qui conçût
beaucoup d'amitié pour Ifabelle ; elle
entra d'abord dans fon affliction , & la
partagea avec elle ; il n'en falloit pas davantage
pour s'infinuer bien avant dans
fon coeur ; ainfi les voilà liées d'une étroi
te amitié . Cette Religieufe s'appelloit
Dona Cecilia , elle avoit un frere , c'étoit
Dom Gulinan de Loredas , Grand de
Portugal ; ce frere l'aimoit beaucoup , &
venoit fouvent la voir , & Dona Cecilia
entêtée d'Ifabelle , ne l'entretenoit que
de fon merite dans toutes les vifites qu'il
lui rendoit : Dom Gufman fur ces recits
eut la curiofité de la voir...... Et
voilà la paffion de Dom Gufman qui
prend de nouvelles forces par cette difficulté.
A la troifiéme fois Ifabelle confentit
à le voir , & cette complaisance redoubla
fon amour ; enfin il n'eft plus poffedé
que d'Ifabelle , & ne connoît plus
de bonheur que celui de la poffeder.
Pour y parvenir , il met tout en ufage ,
il va à Villanova la demander à fes parens
,
60 MERCURE DE FRANCE.
rens , & trouva auprès d'eux toutes les
facilitez qu'il pouvoit defirer. Il preffe ,
il follicite lui-même. Sa Famille , qui eft
une des plus confiderables du Royaume ,
obfede Ifabelle , & lui demande la même
chofe ; il fait agir les prieres & l'autorité
du Roi , mais toutes ces pourfuites
auroient été inutiles fans celles de Dona
Cecilia , l'amitié qui paroît fi douce &
fi complaifante eft pourtant fort imperieufe
, elle ne l'eft gueres moins que
F'amour , fouvent même elle l'eft davantage
; l'amour eft d'ordinaire fufpect d'in
tereft , & l'on s'en défie ; l'on croit toûjours
l'amitié defintereffée , l'on s'y abandonne
, & elle ne manque jamais d'en
abufer. Ifabelle refiftoit à toutes les autres
follicitations, en ne les écoutant pas ,
mais elle ne pouvoit pas en ufer ainfi
avec fon amie ; & cette amie adroite &
infinuante ſçût fi bien profiter de ce privilege
, que , foit par fes raifons , foit par
l'autorité qu'elle avoit prife fur fon
efprit , qu'elle la fit confentir à devenir
fa belle -four.
La chofe étant dans ces termes , Dom
Pedro , que fes indifpofitions & fa vieilleffe
empêchoient d'aller à Lisbonne , &
qui vouloit affifter à ce Mariage , écrivit
à Dom Gufman , pour le prier de
trouver bon que la Ceremonie s'en fit à
Villa
JANVIER 1725. 6i
Villanova , & que pour cela Dona Maria fa
femme partiroit inceffamment pour aller
prendre & conduire fa fille ; mais Dom
Gufman , à qui ce délai parut trop long ,
pria une tante qu'il avoit de vouloir bien
fe charger de cette conduite ; ainfi Ifabelle
partit avec cette Dame accompa
gnée de Dom Gufman & de toute la jeuneffe
de la Cour , qu'il avoit invitée à
venir être témoin de fon bonheur , & arriva
à Villanova. Dom Gufman , qui
vouloit marquer fa joye par toute forte
de moyens , y donnoit tous les jours
des fêtes magnifiques , en attendant que
les preparatifs des noces fuffent achevez
, & ce n'étoient que Bals , que Tournois
, que Courfes de Bagues , & autres
pareils divertiffemens .
Villanova eft le lieu du monde le
mieux difpofé pour ces fortes de Spectacles
, la Ville eft fituée en Amphitheatre
fur une petite colline , la mer qui
baigne fes murs , s'étend en rond au
devant , & y forme un grand & large
baffin , environné de prairies riantes , &
de côteaux couverts d'Orangers & d'Oliviers
, & laiffe à côté de la Ville un
grand Terre- plein , le long duquel eft
une allée en terraffe , qui termine les
jardins de la maifon de Dom Pedro ; c'étoit
fur ce Terre- plein que le donnoient
tous
60 MERCURE DE FRANCE.
rens , & trouva auprès d'eux toutes les
facilitez qu'il pouvoit defirer . Il prefle
il follicite lui -même . Sa Famille , qui eft
une des plus confiderables du Royaume ,
obfede Ifabelle , & luî demande la même
chofe ; il fait agir les prieres & l'autorité
du Roi , mais toutes ces pourfuites
auroient été inutiles fans celles de Dona
Cecilia , l'amitié qui paroît fi douce &
fi complaifante eft pourtant fort imperieufe
, elle ne l'eft gueres moins que
F'amour , fouvent même elle l'eft davantage
; l'amour eft d'ordinaire fufpect d'in
tereft , & l'on s'en défie ; l'on croit toûjours
l'amitié defintereffée , l'on s'y abandonne
, & elle ne manque jamais d'en
abufer. Ifabelle refiftoit à toutes les autres
follicitations, en ne les écoutant pas ,
mais elle ne pouvoit pas en ufer ainfi
avec fon amie ; & cette amie adroite &
infinuante fçût fi bien profiter de ce privilege
, que , foit fes raifons , foit par
l'autorité qu'elle avoit prife fur fon
efprit , qu'elle la fit confentir à devenir
fa belle -four.
par
La chofe étant dans ces termes , Dom
Pedro , que fes indifpofitions & fa vieilleffe
empêchoient d'aller à Liſbonne , &
qui vouloit affifter à ce Mariage , écrivit
à Dom Gufman , pour le prier de
trouver bon que la Ceremonie s'en fit à
Villa
JANVIER 1725. 6 N
Villanova, & que pour cela Dona Maria fat
femme partiroit inceffamment pour aller
prendre & conduire fa fille ; mais Dom
Gufman , à qui ce délai parut trop long ,
pria une tante qu'il avoit de vouloir bien
fe charger de cette conduite ; ainfi Ifabelle
partit avec cette Dame accompagnée
de Dom Gufman & de toute la jeuneffe
de la Cour , qu'il avoit invitée à
venir être témoin de fon bonheur , & arriva
à Villanova. Dom Gufman , qui
vouloit marquer fa joye par toute forte
de moyens , y donnoit tous les jours
des fêtes magnifiques , en attendant que
les preparatifs des noces fuffent achevez
, & ce n'étoient que Bals , que Tournois
, que Courfes de Bagues , & autres
pareils divertiffemens .
,
Villanova eft le lieu du monde le
mieux difpofé pour ces fortes de Spectacles
, la Ville eft fituée en Amphitheatre
fur une petite colline , la mer qui
baigne fes murs s'étend en rond au
devant , & y forme un grand & largebaffin
, environné de prairies riantes , &
de côteaux couverts d'Orangers & d'Oliviers
, & laiffe à côté de la Ville un
grand Terre - plein , le long duquel eft
une allée en terraffe , qui termine les
jardins de la maifon de Dom Pedro ; c'étoit
fur ce Terre-plein que le donnoient
tous
52 MERCURE DE FRANCE .
tous ces jeux , & c'étoit d'un cabinet
de verdure , qui eft au milieu de l'aklée
en terraffe , qu'Ifabelle placée avec
les autres Dames voyoit d'ordinaire ces
fêtes , & y ajoûtoit par fa prefence l'éclat
& les charmes qu'elle répandoit
dans tous les lieux où elle paroiffoit.
Un jour Dom Gufman propofa un
combat à la lance , dans lequel le vainqueur
devoit recevoir pour prix une
épée & un poignard très - riches , & les
recevoir de la main d'Ifabelle ; toute la
Nobleffe de la Province y fut invitée ,
& Dom Gufman , qui excelloit en ces
fortes d'exercices , ne doutoit point que
le prix qu'il propofoit ne le regardât
uniquement ; enfin le jour marqué arriva
, & Dom Gufman , qui avoit ouvert
le combat , avoit déja defarçonné
& fait tomber les deux premiers Chevaliers
qui s'étoient prefentez ; mais il
fut lui -mêine terraffé par le troifiéme s
c'étoit un jeune homme inconnu à toute
l'Aflemblée , vêtu fimplement & même
negligemment , auffi avoit- il une figure
& un air qui n'avoient pas befoin
du fecours des ajuftemens : dès qu'il parut
dans le lieu , il s'attira les voeux de
tout le monde , & ceux même qui s'intereffoient
le plus pour Dom Gufman ,
ne purent fouhaiter qu' eut l'avantage
fur
JANVIER 1725.
fur celui - ci ; tout ceci s'étoit paffé fans
qu'Ifabelle s'en fut apperçûë : depuis fon
retour à Villanova , elle étoit plus que
jamais occupée de l'idée de Dom Juan
elle n'étoit plus environnée que d'ob
jets qui lui en rappelloient le fouvenir ,
le lieu même où elle étoit alors cent fois.
témoin de leur tendreffe , l'occupoit trop
par les images qu'il lui retraçoit pour
qu'elle put donner aucune attention à
tout le refte : cependant Dom Gufman
étant venu s'affeoir auprès d'elle pour
fe
faire honneur de fa défaite par de galantes
railleries , elle ne put à fa priere fe
difpenfer de tourner les yeux fur celui
qui l'avoit vaincu ; mais quel fut fon
trouble à fon afpect ! Cet homme inconnu
à toute l'Affemblée , ne le fut pas
pour elle , l'amour a fes fignaux de reconnoiffance
aufquels on ne fçauroit ſe
tromper c'étoit Dom Juan ; & quoiqu'elle
le crut mort , & qu'il fut extrêmement
changé par les années , par les
fatigues , & plus encore par fes chagrins,
elle ne put un moment le méconnoître,
Cette avanture fent extrêmement fa
fiction de Roman , & quelque veritable
qu'elle foit , j'avois été tenté pour la rendre
croyable, d'en changer les circonftan
ces ; mais après y avoir bien penfé , j'ai
cru que dans le recit d'une Hiftoire , la
verité
"
64 MERCURE DE FRANCE.
verité devoit l'emporter fur la vrai
feinblance .
Dom Juan avoit feulement été fait prifonnier
avec un de fes coufins dans le
combat où l'on croyoit qu'il avoit été tué,
& ces deux jeunes Seigneurs ayant trouvé
le moyen de s'échaper d'entre les
mains des Sauvages , ce coufin , à la priere
de Dom Juan , qui par là vouloit faciliter
fon retour en Portugal, répandit
le bruit de fa mort ; en effet , s'étant tenu
quelque temps caché dans la maiſon
de Don Gabriel ( c'eft le nom de ce coufin )
ils s'embarquerent enſemble dans un
Vaiffeau Hollandois , qui étoit venu apporter
des Negres au Brefil , & pafferent
en Hollande , d'où ils revinrent à
Villanova. Mais quelle recompenſe cet
Amant va-t- il trouver de fes fouftrances
& de fa fidelité ? la premiere chofe qui
y frappe les yeux & fes oreilles , font
les fêtes données pour le mariage d'Ifabelle
, & les cris de joye qui les accompagnoient.
Les projets les plus violens &
les plus bizarres que puiffe former un
Amant defefperé , fe prefenterent alors
à fa fureur ; mais il voulut avant que de
prendre aucun parti , s'éclaircir des fentimens
d'Ifabelle , & c'est ce qui l'obligea
de fe prefenter au combat à la lance ,
dans l'efperance d'y trouver l'occaſion de
lui
JANVIER
65 1725.
lui parler , & cela lui réüſſit .
Nous donnerons la fuite le mois prochain.
A Mademoiselle Rolland pour le jour
de fa naiffance. 1683 .
Q
Ue les jeux , que les Ris viennent dans
ce fejour ;
Que Venus dans ces lieux tout les plaiſirs raffemble,
Et que les Graces à leur tour
Honorent en ce jour
Une beauté qui leur reffemble.
Que tout brille dans l'Univers ;
C'eſt en cet heureux jour que nâquit Celimene
A cet aimable nom , au nom de vôtre Reine
Venez Amours , venez de cent climats divers,
Amenez avec vous vos plus aimables charmes
,
Laiffez en d'autres lieux les foupirs & les lar
mes ,
Les foupçons , les triftes langueurs ,
Laiffez même vos armes ;
66 MERCURE DE FRANCE.
Il fuffit de fes yeux pour bleffer tous les
Coeurs.
Et yous , Déeffe du Printemps ,
Flore à qui furent de tout temps
Nos prez & nos bois tributaires ,
Faites à cette Belle un hommage charmant
Des fleurs , dont vous femez les gazons folitaires
,
Où vous recevez vôtre Amant,
Apollon paroiffez aux Cieux ,
Tel qu'autrefois en ces bas lieux ,
Vous vous montrâtes à Climene ;
Pour mieux encor vous fignaler ,
Tâchez , s'il fe peut , d'égaler
L'éclat dont brille Celimene.
De nos Bois , aimable terreur ,
Diane ? dans cejour calmez vôtre fureur ;
Laiffez dans leurs demeures fombres
Les Tigres & les Ours
Goûter à la faveur des ombres ,
La douceur du repos & celle des amours ;
En faveur de cette mortelle ,
Jupiter , du Titan rebelle ,
Oubliez
JANVIER
1725 .
67
Oubliez le deffein injufte & furieux ,
Laiffez entre vos mains repofer le tonnerre :
Que dans ce jour à jamais glorieux ,
Tout foit tranquille dans les Cieux.
Que la Paix regne fur la terre ,
Et qu'on n'y parle d'autre guerre ,
Que de celle que font fes yeux. 1
M. Vergier.
XXX XXXXX XXXX.XXX
LETTRE à M. de la R. fur les Chaffes
d'Auxerre , & en particulier fur celle
de Saint Hubert , où il eft parlé de
l'antiquité de la Chaffe aux Lievres
de l'origine de la devotion des Chaf
feurs envers S. Hubert.
V
Ous avez fouhaitté , Monfieur ,
que je vous fille la defcription
de la Chaffe de S. Hubert telle qu'elle
fe fait chez nous . Il en eft parlé , ditesvous
, magnifiquement dans le Mercure
Galant de l'an 1680. & ce qui en eft
dit , vous a infpiré la curiofité d'en apprendre
davantage. Je n'ai point vû ce
Mercure qui eft plus ancien que moi ,
& je ne fçai fi j'y ajoûterai ici quelque
chofe de nouveau. On m'a affeuré que
D dans
68 MERCURE
DE FRANCE.
dans ce temps un Poëte du païs , Profeffeur
en Rhetorique
, fit fur ce fujet
une Piece qui fut alfez applaudie. Mais
comme les Poëtes. fçavent relever les
chofes les plus fimples , je ne fuis pas
furpris , que fur la lecture de fon Ouvrage
, vous ayez conçu une idée fi avantageule
de notre Chaffe. Il n'y a gueres
de Villes entre les principales
du Royauine
qui n'ayent quelque ufage particu
lier. Sans fortir de la Bourgogne
, d'où
j'ai l'honneur de vous écrire , je pourrois
vous rapporter l'exemple de ce qu'à
Dijon on appelloit autrefois la Merfolle.
L'on reprefente
encore à Autun
le premier jour de Septembre
de cha
que année une efpece de Spectacle , qui eft un refte des exercices de l'ancienne
Milice: & quoiqu'un
Poëte du lieu ait
affecté de le traitter de pitoyabile belz
lum , il n'en attire pas moins les yeux
de tous les habitans des environs ; je vous
avouërai même que j'ai été picqué de curiofité
d'en être témoin cette année.
Il en eft de même à Auxerre pour
la Chaffe de S. Hubert . On y accoure
des Villes voisines ; .& quoiqu'il y ait
un très grand nombre de Chaffeurs , il
y en a encore un bien plus grand de
Spectateurs . Les Etrangers ne pouvant
croire qu'on prend les Lievres , les Lapins
JANVIER 1725.
69
pins & les perdrix à la main , fans armes
, fe rendent dans le pays , ou s'y
arrêtent pour être témoins de cette maniere
de chaffer qui paroît incroyable à
plufieurs. Au fond , cependant c'eft peutêtre
la plus ancienne , comme c'eft la
plus fimple & la plus naturelle ; & je
ne crois pas me tromper , en lui donnant
plus d'antiquité qu'à l'invention des
filets , dont les Grecs fe fervoient pour
prendre les Lievres au rapport de Xenophon.
t
On fçait depuis quel temps font inventées
les armes à feu ; nos Chaffes
font auffi plus anciennes que cette invention.
Nous ne voyons pas qu'on ſe
foit fervi de fleches pour arrêter des Lievres
; on ne les employoit gueres que
contre les grandes bêtes. Nous avons dans
le pays l'exemple d'un Chaffeur bien
ancien j'entens parler de notre Evêque
faint Germain , lequel fe plaifoit extrêmement
à la Chaffe avant qu'il eut reçû
la Tonfure. Il femble qu'il en faifoit fon
exercice journalier. Il avoit coutume de
faire attacher à un arbre , qui étoit au
milieu de la Cité , les têtes des bêtes
qu'il prenoit : mais l'Ecrivain de fa vie
ne nous donne point à entendre des bê
tes de la petite efpece , telles qu'on les
prend aujourd'hui communément dans
Dij nos
73 MERCURE
DE FRANCE
.
nos campagnes
. Tout le pays qui eft
prefent en bruyeres
à une lieue ou deux
d'Auxerre
, du côté de l'Occident
d'Eté ,
en approchant
du Septentrion
, étoit couvert de bois. C'étoit là où le Gouverneur
d'Auxerre
s'exerçoit
à la Chaffe.
Il étoit fur les terres d'Appoigni
& de Perrigni
qui lui venoient
de fes Ancêtres.
Après les expreffions
de l'Hif
torien Conftance
, & le recit du Moine
Heric , on ne doit point deuter , que dans
le fait de ce Magiftrat
il ne s'agit de la
Chaffe à la grande bête. Je ne fçai fi alors on s'amufoit
aux Lievres & aux Lapins
: A peine leurs têtes euffent- elles été
vifibles fur l'arbre où Germain
attachoit
fes trophées. Si donc l'on peat appliquer
après de celebres Auteurs , à cette action de notre Gouverneur
, ce Vers du fecond
Livre des Georgiques
de Virgile :
Ofcilla ex altâ fufpendunt
mollia pinu .
Je crois qu'il eft encore plus naturel d'y
reconnoître
un refte de la coutume qu'avoient
les Payens d'attacher
aux arbres
les bois de Cerf , & autres principales
dépoüilles
des grandes bêtes, en confequens
ce du voeu qu'ils en avoient fait à quelque
Divinité : Votivi cornua cervi , dit
Ovide dans un endroit de fes Metamorphofes
. Virgile paroît ne parler que de
ces
ANVIER 1725. 71
ces efpeces de têtes ou de vifages en forme
humaine qu'on offroit aux faux Dieux .
Vous ne trouverez pas mauvais que je
vous rapporte ici les paroles du Poëte ,
Heric , qui fut Precepteur du Roi Charles
le Chauve au neuvième fiecle : je le
fais

pour vous prouver , que je ne prétens
pas faire nos Chaffes aux Lievres
plus anciennes qu'elles ne font. Sa Mufe
n'étoit pas trop ingrate pour le fiecle auquel
il vivoit. C'eft ainfi qu'il décrit la
jeuneffe de Germain .
Copia multarum juveni per magna ferarum
Sylveftres præbebat opes ; venatibus ille
Deditus , & levium meditans fpectacula rerum
Lafcivis animum ftudiis pafcebat inertem :
Cumque foret facri diluties fonte liquoris
Nudo fe tantum gaudebat nomine dici
Chrifticolam , luteum fapiebant cætera fæ
clum.
Altòque & latò ftabat gratiffima quondam
Urbe pirus mediâ populo fpectabilis omni ;
Non quia pendentum flavebat honore piro-
Fum ,
D'iij Nec
72 MERCURE DE FRANCE.
Nec quia perpetuæ vernabat munere from
-dis
7
Sed deprehenfarum paffim capita alto ferarum
Arboris obfcenæ patulis hærentia ramis
Præbebant vario plaufum & fpectacula vul
go
Horrebant illic trepidi ramelia cervi ,
Et di um frendentis apri fera ſpicula dentes
Acribus exitium meditantes forte moloffis ;
Tunc quoqué fic variis arbos induta trophæis
Fundebat rudibus lafcivi femina rifus :
Fixerat hæc juvenis laudis captator & auræ
Quâ faciles animi pafcique capique fuef
cunt.
Il eft clair qu'il s'agit ici de Cerfs &
de Sangliers . On voyoit , felon Heric ,
au milieu de notre Ville un Poirier d'une
grofleur confiderable , où étoient attachés
, comme des efpeces de trophées ,
les bois des Cerfs & les têtes des Sangliers
qui apprêtoient à rire à toute la
populace. Ce Poëte fait auffi mention des
chiens qui fervoient à arrêter ces bêtes :
mais quoiqu'il ne parle point des fleches
qui venoient au fecours , il eft indubi--
table
JANVIER 1725. 73
table que c'étoit alors la feule maniere de
pouvoir atteindre de loin la grande bête
& que la multitude des Challeurs , quelque
grande qu'elle eut été , feroit difficilement
venue à bout de bleffer autrement
un Sanglier.
Aujourd'hui il n'en eft pas de même.
On fort de la Ville d'Auxerre fans filéches
, à la verité , mais non fans bois. On
fort un bâton à la main , mais en fi grand
nombre , & l'on fe repand dans la campagne
avec une telle methode qu'on entoure
aifément le gibier qui peut s'y rencontrer.
LesLiévres & lesLapins ne trou
vant aucune iffue font fouvent obligez
de fe venir jetter entre les mains de ceux
qui les cherchent . Une partie des Chaffeurs
eft à cheval , les autres font à pied.
Ces derniers font toûjours en plus grand
nombre , plus expeditifs & plus heureux
pour la capture. Il eft permis aux uns &
aux autres d'y mener des chiens : mais il
eft défendu d'y porter d'autres armes que
le bâton , dont j'ai parlé , qu'on lance fur
la piece de gibier qu'on veut avoir . Vous
concevez aisément , Monfieur , que quelquefois
un vieux Liévre peut prendre
fa courfe par un défilé : c'eft ce qui exerce
avec plaifir les jambes de nos courreurs
, & qui fait tomber une grêle de
bâtons fur l'objet qu'on veut atteindre ,
D iiij lequel
74 MERCURE DE FRANCE.
lequel par fa prétendue fineffe n'a fait
qu'irriter davantage les Chaffeurs. Il
y a parmi nous une regle affez particuliere
pour acquerir le domaine & la
proprieté du gibier qu'on a arrêté , & en
devenir paifible poffeffeur. Tel qui a tué
un Liévre ou un Lapin d'un coup de bâton
, ou qui l'a pris tout vivant , n'eſt
pas toûjours affez heureux pour l'emporter
chez lui. Il faut qu'il foit aſſez
agile & fubtil pour le lever promptement
fur la tête , & qu'il profere fans
héfiter ni bégayer ces paroles à l'autre ,
à l'autre celui-là eft bien levé. S'il manque
à ce ceremonial , le Liévre appartient
au premier qui peut le lui arracher,
& proferer les paroles effentielles . S'il
arrive que le fecond ne leve pas le gibier
affez vite , & qu'une troupe de Chaffeurs
furvienne avant qu'il ait obſervé la
ceremonie preferite , il s'en voit aufli -tôt
-privé fans mifericorde ; car à l'inftant
ceux qui viennent fondre fur le miferable
prifonnier de guerre , en font une impitoyable
laceration que le peuple appelle
un déchiris. De forte que le pauvre animal
fe voit en moins d'une demie- minute
divifé , ou pour parler plus categoriquement
diffequé en plus de vingt ou trente
morceaux , les uns tirant les pieds , les
autres la tête , ceux- ci les entrailles toutes
JANVIER 1725. 75
tes fumantes , ceux - là la peau ; après quoi
il fe fait encore des fous - divifions par des
bandes qui furviennent , & qui font auffi
empreffées que les premieres . Heureux
les Chaffeurs qui fe retirent de la chaleur
du combat avec leurs habits fains & faufs.
Plus heureuſes les vignes qui peuvent fe
préferver de ces fortés d'irruptions. Nos
vieux Liévres épargnent quelquefois aux
proprietaires des heritages le defagrement
de les avoir ainfi hachez en pieces
. Vous fçavez que nos vignes font
rangées par treilles en maniere d'allignement
formé par les perches qui traverfent
, ce qui les diftingue des vignes de
nos voifins vous le fçavez , & vous
leur avez donné là - deffus tout l'éloge
qu'elles meritent. (a ) Leur difpofition
ne permet donc pas aux hommes de pouvoir
courir autrement qu'en, long dans
les allées de ces vignes : il eft impoffible
de les traverfer que dans certains
fentiers pratiquez pour l'écoulement des
eaux , que le peuple appelle par corruption
marteau , au lieu de morte- eau . Nos
vignes étant ainfi difpofées , vous voyez
avec quelle facilité un Liévre peut fe
fauver en traverfant le deffous de toutes
les treilles , & combien il en échaperoit
s'il n'y avoit pas de monde fuflifammeng
(a) Mercure de Nov. 1723. P. 877.
D v pour
76 MERCURE DE FRANCE .
pour les envelopper , ni des champs entre-
mêlez avec les vignes , ou bien des
terres labourées où plus ordinairement
ils font arrêtez. Mais de quelque finelle
qu'ait ufé l'animal , s'il n'eft pas pris
dans une année , il n'échape pas dans une
autre, & l'on ne voit jamais dans nôtre
pays les Liévres mourir de leur belle
mort . Outre ceux qu'on mange dans le
pays , les étrangers en font auffi quelque
confommation pendant l'hyver. Il s'en
tranfporte une quantité à Paris où l'experience
a fait connoître que ces animaux
font meilleurs lorfqu'ils viennent d'un
pays de vignoble que d'ailleurs , & d'un
goût d'autant plus exquis que les montagnes
où ils ont été nourris font plus feches
& plus pierreufes .
A l'égard des Perdrix on les prend
avec moins de difficulté ; quelquefois on
les tue d'un coup de bâton jetté en
Fair , d'autrefois on les ramaffe toutes
vives à terre, lorfqu'elles font fatiguées ,
& qu'elles ne peuvent plus voler. Mais
il faut s'armer des mêmes précautions que
s'il s'agiffoit d'un Liévre , fi l'on veut
demeurer paifible poffeffeur de l'oifeau:
fur lequel on a mis la main ..
Le troifiéme jour de Novembre n'eft
pas à Auxerre le feul qui foit deftiné au
plaifir de la chaffe publique , comme cela
JANVIER 1725. 77
la eft en plufieurs autres pays. On y em
ploye regulierement une partie de l'après
-midi des Dimanches & Fêtes qui fe
trouvent depuis les vendanges juſqu'à la
Saint Martin . Ces chaffes fe font dans
tous les climats du finage ou territoire
d'Auxerre alternativement. Je n'examine
pas fi elles font bien placées ces jourslà
: je ne fuis ici que fimple Hiftorien.
Elles pallent toutes pour avoir été accordées
par nos anciens Comtes fur les terres
defquels on les fait . Il étoit même
permis anciennement de chaffer dans les
Forefts du Comte . Mais il eft toûjours
vrai de dire que la chaffe de S. Hubert
eft la plus belle , parce qu'elle eft la plus
nombreuſe & la plus longue.
Elle s'étend plus avant qu'aucune autre
dans le territoire du Comté d'Auxerre
vers le midy. On fe répand ce jour - là
jufques dans le voifinage deCoulanges - lès-
Vineufes , c'eft- à-dire jufqu'à deux ou
trois lieues , en parcourant principalement
certaines terres qui font de l'ancien
domaine de l'Eglife d'Auxerre. ( a) C'eſtlà
où l'on fait halte à l'heure de midy , & à
l'exemple de ce que les Ifraëlites faifoient
autrefois dans le défert où ils vivoient de
Cailles , chaque troupe plante le piquet
au milieu des chainps , our au coin d'un
(4) Gi-l'Evêque & Juffi.
D vj petic
78 MERCURE DE FRANCE.
petit bofquet. Mais quoique l'on ait countr
depuis huit heures du matin , on ne laiſſe
pas de continuer à marquer plus d'avidité
pour la capture du gibier , que pour
le plaifir de la table. Car fi par hazard la
nappe mife , le pâté entâmé , la bouteille.
décoëffée , le vin verfé , on apperçoit un
Liévre en courfe , auffi - tôt toutes les
troupes fe levent de terre , quittent la .
meilleure chere , & commencent à cou-.
rir fur le perturbateur du repos & du
repas ; ce qui peut arriver agréablement.
à plufieurs repriſes , comme on l'a vû
quelquefois. Je ne voudrois pas au refte
garentir que quelques perfonnes bien intentionnées
n'ayent porté quelquefois.
des Liévres tout vivans en cet endroit ,
pour avoir la fatisfaction de troubler le
dîner des Chaffeurs ; car les Dames vont
auffi à cette chaffe en caroffe ou en chaife.
pour en être spectatrices , & comme c'eft.
le plaifir qui conduit toute cette action
il n'eft pas furprenant d'y voir facrifier
ces fortes de bagatelles. Ce facrifice a quelquefois
une conclufion un peu prompte ;
car l'experience a fait connoître en cette
occafion que les Liévres ou Lapins nour-.
ris à la maifon ne pouvoient plus trouver
leurs jambes , lorfqu'il s'agilfoit de leur
faire jouer leur perfonnage ; & ainfi les .
premiers Challeurs qui les voyent paroître
JANVIER 79 1725.
tre en deviennent bien vîte les maîtres ,
ou bien il s'en fait fur le champ un partage
fans autres formalitez de procedures
que celles que j'ai marquées cy- deffus .
En ce jour auquel il eft jufte que tous
les ouvrages ceffent pour une affaire de
cette importance , il n'y a point de Vigneron
ni d'Artifan qui ne préfere la
prife d'une piece de gibier , ou même
d'un feul morceau au plus excellent dîner
. Mais , felon moi , ce qu'il y a encore
de plus agréable, c'eft lorsqu'au retour de
ce dîner champêtre l'on pourfuit les Liévres
dans la plaine , qui continue jufqu'aux
vallons de Vaux-fur- Ionne . Lå
cet animal dont les anciens difent qu'il
n'y en a aucun de fa taille qui courre fi
vite que lui , fe voit obligé de fe jetter
à corps perdu dans des defcentes fcabreuſes
; & comme il a les pieds de devant
plus courts que ceux de derriere
il ne trouve point fon compte en defcendant
, il le précipite malgré lui , quelquefois
auffi le Chaffeur après lui ; mais
avec cette difference que le Liévre , fi le
bâton ne l'aſſomme , eft bien plutôt relevé
que le coureur. Cet animal dont la petite
corpulence eft foutenue par quatre nerfs
très dégourdis & fort agiles , reprend fes
forces en un inftant , & remonte une autre
montagne bien plus vite que les plus
2
habi80
MERCURE DE FRANCE.
habiles coureurs. Trouvant des Chaffeurs
en face ou à côté , il rebrouffe chemin ;
étant redefcendu il remonte un autre endroit
arrivé dans le haut du côteau , s'il
apperçoit les mêmes obftacles il retourne
dans le vallon , où fouvent aboutiffent ,
comme les lignes dans le centre , les bâtons
de tous les Challeurs. On ne peut
nier que ce ſpectacle n'ait fon agrément .
Pour moi je l'ai trouvé fi divertiflant que
je ne crois pas qu'on puiffe appliquer ce
que Xenophon difoit de la courfe du Liévre
, lorfqu'il écrivoit pour les Grecs fes
compatriotes. Lepus adcò lepidum animal
eft , ut nemo fit, qui fi eum videat dum
vestigatur , dum invenitur , dum curfu petitur,
dum capitur , cujufvis rei cara non
oblivifcatur. En verité , lorfqu'on voit la
velocité de cet animal , fes tours de foupleffe
, les mouvemens qu'il fe donnet
pour fauver fa vie , les figures qu'il fait
à l'approche de fon peril , on ne peut
avoir rien de fi cher dans la vie dont on
ne ceffe de fe fouvenir alors . Le fpectateur
fe fent autant porté à arrêter la proye,
que fi fes yeux étoient capables de lui
donner le coup décifif , & fans avancer
ou reculer plus qu'un ou deux pas , on
croit en regardant avoir fait autant de chemin
que les Chaffeurs les plus animez ,
parce qu'on a parcouru des yeux le même
efpace
JANVIER 1725. 8 F
efpace que les autres ont parcouru des
pieds. Si cet animal paſſe les barrieres
des Chaffeurs qui l'attendent à la pointe
de la montagne , il trouve un peu plus
loin nombre d'efcadrons d'habitans de
nôtre Ville qui viennent au devant de la
chaffe. Un Magiftrat quelquefois le plusgrave
peut fe trouver fans y penfer à la
rencontre du Liévre ; il peut fe faire encore
qu'il foit affez adroit pour le prendre
& le lever ; mais auffi fi l'animal n'a
pas le bonheur d'être levé en forme dans
ces dernieres campagnes du jour , il efluye
alors le plus fâcheux quart-d'heure de fa
vie. On voit paroître encore bien mieux:
que dans les campagnes de la matinée
cet efprit de chaffeur que Jean de Sarifberi
appelloit il y a plus de cinq cent ans,
Venatoris carnificium. ( a) De quelque
qualité que foit revêtu celui qui arrête le
Liévre en venant au -devant de la chaffe ,
ou en regardant ce qui fe pafle aux approches
d'Auxerre , fi un certain dégré
d'activité lui manque , & qu'il fe couche
fur le Liévre au lieu de le lever , il peut
compter qu'à l'inftant il fent fondre fur
lui au moins quinze ou vingt perfonnes ,
dont il eft obligé de fupporter charitablement
la pefanteur , jufqu'à ce qu'il ait
lâché la proye , & que chacun en ait eu
(a) De nugis curialium , lib. 1. c. 14.
fon
82 MERCURE DE FRANCE.
fon lambeau . Mais comme dit l'Evêque
de Chartres après un ancien Pocte dans
l'endroit qui vient d'être cité , il eft trèsrare
de voir Titius & Seius fe mêler dans
⚫ ce qui ne convient qu'à Crefpin , & ce
qui feroit au deffous des honnêtes gens
fied alors à merveille à certains artifans.
Nam quod turpe bonis Seio , Titioque ,
decebit Crifpinum .
Je fuppofe que le Poëte qui fit la defcription
de cette chaffe , il y a quarante
ans ou environ , n'oublia pas de marquer
l'ordre avec lequel on part . On obferve
cet ordre jufqu'au bout du Fauxbourg , &
on revient dans le même ordre par un
autre Fauxbourg. Les Compagnies fe reconnoiffent
à leurs couleurs , & chacun
ayant rejoint fa troupe on rentre dans la
Ville comme on en eſt parti , avec cette
difference qu'on ne manque pas d'étaler
pompeufement le gibier qu'on a pris .
Pour ce qui eft des Artifans & des Vignerons
qui font auffi plufieurs bandes ,
leur ordre le plus fouvent eft de n'en
avoir aucun. Le Poëte cy - deffus n'aura
pas oublié de marquer qu'ils font de leur
micux pour exciter , comme ils feroient
dans le temps du carnaval , la rifée de
ceux qui vont les voir partir ou revenir,
& qu'il n'y a point de fi petit morceau de
gibier que ces fortes de gens ne fallent
gloire
1

ANVIER 1725 8.3
gloire de porter avec triomphe & parade.
Il y a eu un temps auquel les Ecclefiaftiques
alloient à cette chaffe. Leur prefence
étoit , dit- on , quelquefois necellaire
pour pacifier les querelles qui naiſſent
dans certains conflicts , & empêcher les
batteries ; mais on reconnoît aujourd'hui
qu'il vaut mieux laiffer aux feculiers à
décider fur ces fortes de matieres , & à
prévenir les occafions de difpute. Grande
dévotion au refte dans tout le pays au
glorieux S. Hubert , en l'honneur duquel
il y a dans nos vieux Miffels une Meffe,
où dans les Oraifons il eft qualifié de
bienheureux Patron , ce qui fait voir combien
nos ancêtres étoient de grands &
devots Chaffeurs .
Vous voulez , Monfieur , que j'entre
en difcuffion du choix que ceux qui fe
mêlent de chaffer ont fait de ce Saint
pour leur protecteur & tutelaire. Je
fçai qu'il y a des pays où l'on a choifi
Saint Germain nôtre Evêque. Il a été
Chaffeur plus certainement que S. Hubert
; mais il ne s'eft pas fanctifié dans ce
métier. Auffi ne l'envifage-t'on point ici
de ce côté- là , & les Chaffeurs de nos
environs invoquent S. Hubert , comme
prefque par tout ailleurs. On pourroit
dire que S. Germain d'Auxerre a été
regardé particulierement en France , comme
-
84 MERCURE DE FRANCE.
me protecteur des Chaffeurs , s'il eft vrai,
comme le difent quelques Auteurs , (a)
que la Foreft de Laye , proche Paris , ait
été mife fous fa protection par le Roi
Robert. Au moins cela eft certain quant
à celle de Bierre , dite depuis de Fontainebleau
. Helgaud , Moine de Fleuri qui
a écrit la vie de ce Roi marque qu'il y
bâtit un Monaſtere en l'honneur de Saint
Germain d'Auxerre : Monafterium SanƐti
Germani Aatiffiodorenfis Ecclefiam
S. Michaelis in Sylva cognominata Bieria
. Mais j'aime mieux réſerver le privilege
d'être reclamé fur le fait de la chaffe
à S. Hubert feul. On dit qu'il avoit été
long- temps dans le fiecle , & même qu'il
a été furement marié avant fon Epifcopat
comme S. Germain d'Auxerre ; on
aflure outre cela par tradition qu'il a
imité nôtre Saint fur l'article de la chaffe.
Je ne ferois curieux que de vous fatisfaire
pleinement touchant l'origine de
cette dévotion dans nos quartiers , puifque
l'exemple d'un endroit fuffiroit pour
tirer une induction plus generale . Nous
avons eu autrefois un Evêque dont la
chaffe fut la paffion dominante . C'eft Heribert
qui fut frere naturel du Roi Hugues
Capet. Il fit bâtir uniquement pour
(a ) Vie de S. Germain par Dom G. Viole ,
page 179
cela
JANVIER 1725. 85
cela deux Châteaux dans fon Diocèle.
l'un à l'entrée des Foreſts de la Puiffaye
dans un lieu appellé Touci , & Fautre au
milieu de la même contrée , dit aujour
d'hui de Saint Fergeau. Mais nous igno-
Fons à quel Saint cet Evêque avoit confacré
fa dévotion. Je ne crois pas au refte
qu'il en eut beaucoup . Ce ne fera pas de
lui que nous apprendrons l'origine du
culte de Saint Hubert par les Chaffeurs
d'Auxerre . Les Auteurs de fa vie qui lui
étoient contemporains n'ont pu s'empê
cher de le blâmer très-fort , & ils ne
marquent point qu'il ait fait des miraeles
. C'eft ce qu'on peut voir dans les
geftes de nos Evêques , publiez par le
Pere Labbe , Jefuite . ( a ) Ses fuccefleurs
ne chaffoient point en perfonne ; mais il
y en eut qui firent chafer , & même fous
les yeux des Comtes d'Auxerre , quelques
puiffants qu'ils fuffent , afin de maintenir
leur ancien droit . La même collection
du Pere Labbe nous apprend dans la
vie du venerable Hugues de Mâcon qui
avoit été premier Abbé de Pontigni , &
qui fut grand ami de S. Bernard , que ce
Prélat , quoique tout occupé des chofes
fpirituelles , voulut rentrer en poffeffion
du droit de faire chaffer dans les Forefts
du Comte d'Auxerre , fituées à l'Orient
(a) Biblioth. MS. Tomo I. pag. 447.-
d'été
86 MERCURE DE FRANCE.
d'été de la Ville , & qu'afin que foti
Eglife fut fuffisamment inveftie de ce
droit , il eut de fon temps des Chaffeurs
& des Chiens , qu'il eut grand foin de
faire chaffer fort fouvent dans ces bois
qui couvroient alors le chemin de Pontigui
, & de faire apporter le gibier en
public par le milieu de la Ville au fon du
Cors de chaffe avec oftentation , grand
fracas & force clameurs. Avec tout cela
je ne crois pas non plus qu'il y eut alors
dans Auxerre aucune Confrerie de Saint
Hubert en faveur des Challeurs . Il faut
la chercher dans des pays où les chaffes
étoient encore plus celebres , c'est- à- dire,
dans des Provinces où il y avoit dé plus
confiderables Forefts . Il eft vrai que nos
bois étoient alors beaucoup plus étendus
qu'ils ne font aujourd'hui ; mais ce n'étoit
encore rien en comparaifon de ces fameufes
Forefts , où nos Rois de la premiere
race fe font plû à chaffer , je veux dire
celles d'Iveline & de Laye , auprès de
Paris , celles de Senlis , de Quierfi - fur-
Oife , de Compiegne , dite alors de Cuiffe
, de Biere ou Biévre , qu'on a depuis
appellée de Fontainebleau , & celle d'Otte
(a) qui commençoit à deux lieuës de
Sens , au fortir du Palais de Maflay , où
(a ) Otte , Uta en Latin.
les
JANVIER 1725. 87
>
les Rois de ces temps - là fe retiroient
quelquefois , (a) fans parler de celles
qui étoient plus éloignées , & où les Rois
de France fe font exercé à la chaffe
lorfqu'ils furent devenus Empereurs , par
exemple , la vafte Foreft des Ardennes
qui fut fouvent honorée de la preſence
de l'Empereur Louis le Debonnaire . Aimoin
nous apprend que c'étoit furtout
dans l'Automne que ce Prince y paſſoit
le plaifir de la chafle. Il dit même qu'il
s'étoit fait une regle de chaffer toutes les
Automnes , tantôt dans cette Foreft , tantôt
dans celles de Vôge , & autres du côté
de l'Allemagne , more folemni , lib . 4. c,
107. ex more , c. 108. Voyez encore les
Chapitres 109. 110 , 111 , 113. & 114,
(a) Ce Maflay eft le Manfolacum que le P.
Mabillon a mis dans fa Diplomatique au rang
des anciens Palais de nos Rois , mais dont il
n'a pû trouver le nom François , ni la fituation.
Ily a Malay- le- Roi & Mâlay - le Vicomte
, tout proche l'un de l'autre fur la Riviere
de Vanne , à une lieuë de Sens. C'eft-là où
Emmon , Archevêque de Sens tint en l'an 657,
un Concile auquel affifterent grand nombre
d'Evêques , même du fond de la Normandie ,
entre autres Biggon , Evêque de Lizieux , le
celebre S. Renobert , Evêque de Bayeux , &c.
Un Acte de ce Concile finit ainfi , Actum Manfolaco
, curte Dominicâ , anno tertio regni Domini
noftri Clotharii Regis , Nithard parle de la
Foreft d'Othe , & l'appelle Utta.
1
8.8 MERCURE DE FRANCE.
que
& le huitiéme Chapitre du cinquiéme
Livre. Je ne fais cette digreffion que pour
en venir à l'éclairciffement que vous
m'avez demandé fur l'origine de la dévotion
des Chafleurs envers S. Hubert.
On ne peut difconvenir que cette dévotion
ne foit ancienne . Il eſt certain que
dès le dixiéme fiecle ou environ , on invoquoit
ce Saint Evêque pour réüffir dans
cet exercice , ( a) & ceft parce qu'on
étoit déja dans cet ufage qu'on a pû inventer
une prétendue vifion que le Saint
auroit eue d'une Croix entre les bois d'un
Cerf les Peintres & Sculpteurs reprefentent
fi communément , comme fi
cette apparition étoit la caufe du choix.
Pour moi j'ai toûjours crû qu'elle le préfuppofoit
, & qu'elle en étoit l'effet , parce
que dans chaque profeffion c'eſt la
coûtume de reprefenter auprès du Saint
Patron quelque chofe qui fafle reconnoître
ce Saint dans fa qualité de Patron ,
poſterieurement au choix qu'on en a fait,
Surius & Chapeauville , Hiftorien de
Liege ont méprifé cette Hiftoire. J'ai
voulu voir fi Molanus n'en diroit rien
dans fon Traité des Images ; mais cet
Auteur que je croyois parfaitement inftruit
de toutes les dévotions du Pays -Bas
où il faifoit fa demeure , ne parle point du
(4) Sxc. iy . Bened. Mabill . T. 1. pag. 301,
tout
JANVIER 1725. 89
tout de S. Hubert. J'ai toûjours conjecturé
que ce Saint n'eft devenu Patron des
Challeurs , qu'à l'occafion de la faifon
dans laquelle fe fit la Tranflation de fon
corps chez les Moines d'Andain dans la
Foreft des Ardennes . Elle fe fit dans le
temps auquel l'Empereur Louis le Débonnaire
avoit coûtume d'être occupé à
la chaffe dans ces quartiers là. Ce fut
i même ce Prince qui permit cette Tranflas
tion , après en avoir fait parler dans le
Concile d'Aix- la Chapelle. La ceremonie
fit naître le fameux pelerinage . Les
Chaffeurs qui accompagnoient l'Empereur
y prirent part comme les autres &
commmuniquerent enfuite leur dévotion
à d'autres Chaffeurs du Royaume , &
felon moi c'eft ainfi qu'elle commença.
Il y avoit déja eu une Tranflation du
Corps de ce Saint l'an 743. L'une fut
faite le 30. Septembre , l'autre le 3. Novembre
; toutes les deux , comme on voit,
dans la faifon de l'Automne , eft en des
jours differens de celui de fa mort qui
eft le 30. Mai. La multiplication des Fêtes
du Saint augmenta le concours. Jonas
, Evêque d'Orleans , écrivit l'Hiftoi
re de la celebre Tranflation , Il y marque
que le Corps (a ) du Saint avoit été trouvé.
entier & fans corruption la quatre- vingt-
(a) Sac, IV. Bened, p. 1,
dix
90 MERCURE DE FRANCE .
dix huitième année depuis fa mort . Les
Pelerins & les Chaffeurs , qui en avoient
été témoins , divulguerent, cette merveille.
On y accourut principalement de
tous les cantons de la Foreft , où les Loups
malades cauloient fouvent du degât..
L'Hiftorien des Miracles du Saint , qui
vivoit deux cents ans après ( a ) parle
d'une perfonne , qui dès ces commencemens
fut guerie par l'attouchement de
fon étole , de la morfure d'un Loup enragé.
M. Baillet conclut , que de là
vint la devotion des Chaffeurs , & de
ceux qui nourriffent des chiens . Mais le
même Anonyme , qui écrivoit il y a
fept cens ans , nous découvre la voie par
laquelle cette devotion fit le plus de progrès
dès qu'elle eut commencé. C'est
qu'il s'éleva une opinion , que S. Hubert
avoit été lui-même Chaffeur avant
que d'être Evêque de Liege. La devotion
fondée fur ce principe , devint fi
grande de la part des Chaffeurs dans tou-
( a ) ibid. Erat enim ab antiquo totius Arduennæ
primoribufce debito firmatæ confuetudinis
per fingulas vices annuæ venationis
primitias & decimas cujufque generis ferarum
beato Huberto perfolvere , eo quod idem
Sanctus priufquàm murato fæculari habitu
propofiti fancti ordinem percepiffet , hujus
exercitii fuerit ftudiofus . Unde & de cætero
à quibufcumque vicinis Nobilibus idem ftudium
in ejus nomine agitur. pag. 301 .
te
1
JANVIER
91
1725.
te l'étendue des Ardennes , même avant
J'onzième fiecle , que c'étoit une coutume
univerſellement reçûe chez tous
les Seigneurs de ce pays là , d'offrir à
S. Hubert les prémices de leur Chaffe ,
& de lui faire preſent de la dixiéme
partie de tout le gibier generalement qu'ils
prennent chaque année.
Dans les pays plus éloignez , où l'on
n'a pas pû faire de femblables offrandes,
les Chaffeurs fe font contentez de marquer
comme ils ont pû leur devotion à
ce Saint , en choififfant le jour de fa
Tranflation pour l'employer à la Chaffe.
Cette maniere de celebrer une Fête
en l'honneur de ce Saint , paroît autorifée
par l'ufage de plufieurs fiecles fans
aucune oppofition , parce qu'il n'y a pas
d'obligation d'aller à la Meffe , ni à l'Ôffice
Divin , quoique nos Chaffeurs foient
exacts à la Meffe ce jour- là , ce qui fait
qu'ils ont foin d'en faire celebrer plufieurs
dès le grand matin. Je penfe donc
que l'Eglife ne peut trouver à redire
aux divertiffemens de ce jour , que lorfqu'ils
concourent avec lejour du Dimanche
; & en effet , il femble qu'en ce
cas on devoit ou abreger la Chaffe , ou
la remettre au lendemain . A Dieu ne
plaife , que je fois du fentiment qu'il
faille l'abolir entierement . La Chaffe eft
E un
94 MERCURE
DE FRANCE.
un refte de cet exercice qui a form éles
anciens Francs à la fatigue. Arrianus dit
qu'ils en faifoient leur occupation ordiẹ
naire . Chez les Romains même , felon
Pline , on drefloit par le moyen de la
Chaffe ceux qu'on vouloit former pour
la conduite des Armées. Ils regardoient
cet exercice comme une image de la guerre
; & nos anciens Comtes ont appris par
l'experience , que ces courfes frequentes
& réïterées avoient rendu leurs Bourgeois
plus difpos pour les Chevauchées
qu'ils leur faifoient faire de côté & d'autre
quand bon leur fembloit. ( a )
Je n'ai traité , Monfieur , cette matiere
un peu au long , que parce que vous
m'avez prié de vous inftruire ample,
ment fur la methode de notre Chaffe , &
fur l'origine de la devotion envers faint
Hubert. ( b ) Si à l'égard du fecond chef
j'ai donné dans la conjecture , toutes les
circonftances
du premier n'en font pas
moins veritables . Vous pouvez vous en
informer à quantité de perfonnes du pays
& des environs qui font répandues dans
Paris. Je fuis ,
& c.
D'Auxerre le 12. Novembre 1724 .
(a ) Lib. de Venatione . c. 34
76 In Panegyrico .
Tabular, Urb . Autiff. ad arn. 1194 & feq.
ADEJANVIER
1725. 93
XX : XXXXXXX XXXX : XX
ADELAIDE , Fable de M. Vergier à
Madame de B*** pour louer une Elegie
qu'il avoit faite fur un départ , fous
le nom d'Adelaide.
Ontre les tra its d'Amour tenons- nous
Cmoins ar mez ;
Rien n'eſt fi doux que les feux qu'il inſpire.
Voit-on fortir de fon Empire
Ceux qu'une fois il a charmez?
A fon ardeur quand une fois on cede,
L'on ne ceffe jamais d'aimer.
Plus on fut enflammé plus on veut s'enflammer
;

A peiné un feu s'éteint qu'un autre lui fuccede
,
Ah ! fi fes fers étoient fi durs , fi rigoureux
,
N'éviteroit- on pas leur piege dangereux ?
De Daphné , Clitie & Climene ,
De cent autres encor ayant ufé la chaîne .
Qui croiroit qu'Apollon tant de fois enflammé
,
De craintes , de defirs tant de fois confumé,
Eij Put
94 MERCURE DE FRANCE . '
Pû encor en amour former quelque entres
prife ?
'Toutefois d'un nouvel objet
Son ame eft ardemment éprife ,
Et ce feu de mes Vers doit être le ſujet ,
Ce Dieu , dont la fplendeur éclaire tout le
monde ,
Ayant un jour fini fa courſe vagabondę ,
Venoit enſeigner ſes leçons
Sur les bords fameux de la Seine ,
Car c'eft le temps qu'il faut qu'il prenne
,
Pour inftruire fes nouriffons ,
Prefé par les voeux d'une Amante ,
Qui pour faire des Vers imploroit fon fecours
,
Il s'arrêta dans une Ifle charmante
Que ce fleuve forme en fon cours.
Là dans un Palais plus ſplendide
Et plus éclairé que le fien ,
Il vit la belle Adelaide ,
Dont de tristes penfers faifoit tout l'entretien
,
Elle étoit fut un lit negligemment couchée,
Et comme cle croyoit être là fans témoin ,
JANVIER 1925 : 95
Ses voiles voltigeant fans foin ,
Purent bien laiffer voir quelque beauté ca
chée ;
Auffi de cet afpect le Dieu du jour cha rm
Se cacher pour mieux voir & d'un oeil enflammé
,
Devore les appas que de loin il admire ;
Ses yeux qui d'un regard embraſent l'Univeis
,
A voir tant de charmes divers ,
Ne fçauroient qu'à peine fuffire :
C'est ainsi qu'en lieux écartez ,
Où fouvent l'ardeur des Etez
Invite une Nimphe timide'
Aſe plonger dans un criſtal liquide ,
Quand elle vient à montrer fes beautéž ,
Dont le feul fouvenir mille defirs infpire :
On voit le Faune & le Satyre
Cachez dans les buiffons , porter de toutes
parts ,
Au defaut de leurs mains , leurs avides regards
;
Mais tandis qu'Apollon contemple tant de
charmes ,
Adelaide en pleurs ne pouvant repofer ,
E iij
Täche
96 MERCURE DE FRANCE.
Tâche enfin dans fes Vers d'exprimer les allarmes
,
Qu'un départ rigoureux s'apprête à lui caufer
;
Mille traits delicats vont s'offrant à fon ame ,
Elle ne peut les exprimer ;
Apollon dans fon fein n'a pas verſé ſa flamme
,
Et fans lui vainement on s'efforce à rimer.
Pour expliquer l'ennui qui la devore ,
Elle écrit , elle efface , écrit , efface encore ,
Sans pouvoir rien former digne de fon efprit
,
Et fit tant qu'à la fin un doux fommeil la
prit.
Alors pour l'infpirer le Dieu s'approche
d'elle ,
Les yeux étincelans de fon ardeur nouvelle ,
Ciel ! quand il vit de près cette rare beauté :
De combien de defirs fon coeur fut agité?
Pour infpirer tout autre , il ne fait d'ordinaire
Qu'appliquer un doigt fur le fein
Mais fur Adelaïde il mit la main entiere ,
Et même il la gliffa , foit hazard , foit deffein

JANVIER 1725. 97
Où la rime n'avoit que faire.
A peine elle eut fenti l'approche d'Apollon ,
Que pleine du Dieu qui l'inſpire ,
Elle s'éveille , & ne reſpire
Que les chants du facré vallon.
D'une fainte fureur c'eft alors qu'animée
Elle entonna ces tendres Vers ,
Où d'un cruel départ une Amante allarmée ,
Dépeint fi bien les mouvemens divers.
Du Maître du Parnaffe ils tirerent des larmes ,
Il ne put affez les vanter ,
Et fent en les vantant fon amour s'augmen
ter ;
Il les chante & leur donne encore de nouveaux
charmes ;
Mais parmi ces tranfports l'Aurore l'avertit ,
Que pour donner le jour il falloit qu'il partît.
De quels troubles alors n'eut- il point l'ame
atteinte ?
Combien fe plaignit - il de fon rang glorieux >
A peine de mon cours la lumiere eft éteinte ›
Qu'il faut , dit- il , qu'encor j'aille éclairer les
Cieux.
A tant d'emplois divers faut- il que je prefide?
E iiij
Et
98 MERCURE DE FRANCE.
Et que feul entre tous les Dieux
Je dépende toujours du vol capricieux
Du temps tantôt trop lent , & tantôt trop ra
pide ;
Mais enfin fa douleur ne peut s'exprimer
mieux ,
Qu'en repetant cent fois les Vers qu'Adelaide
Venoit fur un départ de tracer à fes yeux.
Il part & cede aux loix des fieres deſtinées
Par qui les volontez des Dieux font enchaî
nées ;
Bien que pour abreger fon cours ,
Il cherchât dans les airs mille nouveaux détours
;
Combien s'ennuya - t- il encor de fa carriere !
Sans ceffe il regarde en arriere ,
Et pour revoir plûtôt cet objet plein d'appas,
Il voulut mille fois retourner fur fes pas.
Sa main pour les chevaux autrefois fi rigide ,
Sur leur col bondiffant laiffe flotter la bride ,
Et méprife des Cieux les ornemens divers ;
Il neglige fon cours , la feule Adelaide
Occupe les regards qu'il doit à l'Univers.
Mais à la fin d'un vol rapide ,
Et moins rapide encor que fon amour',
11
JANVIER
99 1725 .
I alla fe cacher dans l'Empire liquide ,
Et ferma les portes du jour.
C'eft en vain qu'en fon fein humide ,
La fidelle Thetis fonge à le recevoir ,
A peine il la regarde , en hâte il va revoir
Les lieux où fon amour le guide ;
Ainfi pour charmer fes ennuis ,
Il y revient toutes les nuits ;
Mais la nuit , ce temps favorable ,
Aux heureux Amans deftiné ,
Ne le rend pas plus fortuné.
Près de cet objet aborable ,
Tant qu'il parle de Vers , d'Eloquence ou de
Chant ,
On l'écoute , on le fuit , mais lorsque plus
touchant
Il parle de fes feux , & veut prendre un aig
tendre ,
a
Il ne fçauroit fe faire entendre. '
Tel eſt le fort des beaux efprits »
On les eftime , on les revere ;
Rarement de tendreffe on eft pour eux épris s
L'Amour jeune & badin hait l'air docte &
fevere.
Ce font de fages Precepteurs »
Ev Qui
336140
100 MERCURE DE FRANCE.
Qui des foins amoureux montrent la Theories
Une étrange bizarrerie ,
En reſerve l'uſage à de moindres Docteurs.
LETTRE écrite aux Auteurs du Mercure
touchant l'Evêché de Bethleem .
Lfeur, rendre publiques les re-
A profeffion que vous faites , Mefmarques
hiftoriques qu'on vous adreffe ,
m'engage à vous écrire , pour vous faire
part de celle que j'ai crû devoir faire aprésbien
des délais . Le petit Almanach de
poche qui s'imprime chaque année à Paris
chez Collombit , eft entre les mains
de tout le monde . Il renferme un Catalogue
de tous les Evêchez du Royaume ,
difpofé felon les Provinces Ecclefiaftiques
. Il y a plufieurs années , qu'ayant
voulu examiner s'il étoit exact , j'ai remarqué
qu'il plaçoit l'Evêché de Bethléem
dans le Diocéfe & Territoire de Nevers
, perfuadé que tous les Libraires &
Imprimeurs doivent trouver bon qu'on
leur communique ce qu'on remarque à
corriger dans les Livres de cette nature ,
j'écrivis à ce fujet aux perfonnes que je
crus être chargées de l'impreffion de ce
petit
JANVIER 1725. ΤΟΥ
petit Volume ; mais il ne furvint point.
pour cela de changement dans cet article
de l'Almanach . Mais pour empêcher
qu'on ne croye que l'impreffion de cette
lifte des Evêchez eft exacte , j'ai eu foin
d'en avertir dans la premiere Note Geografique
de mon petit Livre de l'Hiftoire
du Calvinifme de ce pays - cí , que
vous avez eu la bonté d'annoncer il y a
un an avec tant de politeffe : & j'ai marqué
dans cette premiere Note qui regarde
la Ville de Clameci , que l'Eglife de
Bethleem , fituée à fon faubourg, a toûjours
été du Diocéfe d'Auxerre. Il n'étoit pas
de mon deffein d'en déduire alors les preu
ves mais puifqu'on laifle toûjours la
planche du Catalogue en queftion dans
le même état , & qu'il paroît qu'on n'y
veut changer aucun mot , je me crois
obligé d'expofer avant que l'année 1725 .
commence , les preuves de l'attribution
que le Diocéfe d'Auxerre a raifon de fe
faire du lieu où eft le titre de l'Evêché
de Bethleem . Je ne prétens point remonter
ici à l'origine de cet Evêché , je laiffe
ce foin au R. P. Dom Dollet , Benedicin
de la Congregation Reformée de
Cluni , qui publiera bien tôt l'Hiftoire du
Nivernois . Je puis dire par avance , que
ce fçavant Religieux de S. Martin des
Champs eft convaincu comme moi , que
E vj Beth102
MERCURE DE FRANCE.
Bethleem eft & a toûjours été du Diocéſe
d'Auxerre , & non de celui de Nevers ,
comme celui qui a redigé le Memoire
de M. Collombat voudroit le perfuader.
Si quelque Diocéfe a penfé enlever
ce petit Evêché à celui d'Auxerre , ç'a
été celui d'Autun , & non pas celui de
Nevers . Autun , qui eft un vaſte Diocéfe ,
s'étend jufqu'auprès de Clameci . Il n'y
avoit qu'un fiecle ou environ , que l'Hôpital
on l'Hôtel de Bethléem étoit exiftant
au Faubourg de Pantenor proche
Clameci , Faubourg feparé de la Ville
par la riviere d'Yonne , lorfqu'il s'éleva
une conteſtation entre l'Evêque d'Auxerre
& celui d'Autun touchant les limites .
de leur Diocéfe , chacun d'eux prétendant
que la Chapelle de Bethleem devoit
lui appartenir . L'Evêque d'Auxerre
étoit alors Guillaume de Seignelay , qui
fut depuis transferé à Paris où il fit
tant de peine à l'Univerfité. Celui d'Autun
s'appelloit fimplement Gautier , &
il foutenoit que Pantenor étoit du Territoire
d'Armos qui eft la derniere Paroiffe
du Diocéfe d'Autun , & ( felon
un ancien poüiller que j'ai , & qui vient
de M. Robert , premier Auteur du Gallia
Chriftiana, ) de l'Archiprêtré ou Mi
niftere de Corbigni.
·
30
Le differend de ces deux Evêques vint
बे
JANVVER 1724. 203
à un tel point , que le Fape Innocent
III . s'en mêla. Il avoit nommé pour en
connoître trois Chanoines de Bourges
fçavoir , le Chantre , un Archiprétre ,
& un Chanoine appellé Maître Bonamiz
mais les deux Prelats aimant mieux ,
fuivant les regles , fe foumettre à des
Arbitres de leur choix , élurent pour ce-
Ia Manaffés de Seignelai , Evêque d'Or
Ieans , frere de l'Evêque d'Auxerre ,
Hugues , Archidiacre de Bourges , &
Humbaud , Chanoine d'Auxerre , qui
tous trois enfemble , ou deux feulement
des trois decideroicnt la difficulté . Le
compromis fut approuvé par les Chapitres
des deux Eglifes Cathedrales. L'Acte
de celui de S. Lazare d'Autun , nomme
d'abord Hugues qui en étoit alors
Doyen. Celui du Chapitre de S. Etienne
d'Auxerre porte le nom du Doyen
Renaud , bien different du Doyen d'Auxerre
de même nom , qui fut tué la même
année dans une croifade du côté de
l'Agenois , & duquel les fçavans Jeſuites
d'Anvers ont parlé dans leur premier
Tome des Saints de Juillet. Après un
meur examen Manaffés & Humbaud fe
transporterent à Autun & y prononcerent
en prefence des parties & de
plufieurs Chanoines d'Autun , une Sentence
diffinitive , en faveur de l'Evêque
,
d'Au
104 MERCURE DE FRANCE .
d'Auxerre. L'Evêque d'Autun ayant fur
le champ conferé à ce fujet avec ceux
de fes Chanoines qui s'y trouverent prefens
, donna un Acte d'acquiefcement ,
que je rapporterai ici en fon entier parce
qu'il n'eft pas long.
» Galterus , Dei gratiâ Eduenfis Epif-
» copus , dilectis in Chrifto Fratribus de
» Bethleem , & omnibus in Burgo de
» Bethleem apud Clamiciacum minen-
» tibus , falutem in Domino . Noveritis
» quod per fententiam Venerabilis Patris
» Manalle , Aurelianenfis Epifcopi , &
>> dilecti noftri Humbaudi , Autiliodo-
>> renfis Canonici , in quos compromife-
» ramus fuper Capella & jurifdictione .
» Burgi de Bethleem , diffinitum eft &
» declaratum quod Capella , Domus , &
Burgus quoad Ecclefiafticam Jurifdic-
» tionem pleno jure fpectant ad Epifco-
>> Pum Autiffiodorenfein ; & nos eidem
»fententiæ parentes id vobis notifica-
» mus , & præfentium infinuatione de-
» nuntiamus . Datum anno gratiæ M. CC .
» XI. menfe Odobri , quarto Kalendas
» Novembris.
"
J'ai tiré cet Acte de la même ſource
d'où Meffieurs de Sainte- Marthe l'avoient
puifé mais avec quelque difference.
Il paroît que dans tout ce procès il n'eſt
pas
JANVIER 1725. 105
pas dit un feul mot de l'Evêque de Nevers
, qui n'auroit pas manqué d'intervenir
s'il avoit vû jour à quelque prétention.
Ce qui peut avoir trompé quelques
perfonnes , eft qu'il y a eu des Evêques
de Bethleem qui le font enfuite devenus
de Nevers , entr'autres Philippe
Froment Jacobin , qui fucceda à fon oncle
Maurice de Coulanges - les-Vineufes
auffi Jacobin , decedé l'an 1394 .
Il faut donc pofer pour certain que
Bethleem n'eft du Nivernois que pour
le temporel , & qu'il n'en eft que parce
que la Ville de Clameri en fait partie.
Le Nivernois , qui eft une Province
prefque ronde de zo . lieues de diamètre
ou environ, s'étend même au de - là du côté
du Septentrion . Mais pour ce qui eft de
la Jurifdiction fpirituelle , l'Evêque
d'Auxerre l'a toute entiere dans tout ce
qui eft Faubourg de Clameci. Il n'y a
aucun Prêtre refident, au Benefice de
Bethleem aucun Clergé n'y fait l'Office
que celui de Clameci .
Le Fermier de l'Evêque, qui occupe le
bâtiment contigu à l'ancien Cloître , fait
fes Pâques à la Paroiffe de la Ville de
Clameci , qui eft du Diocéfe d'Auxerre.
Il y offre le Pain-beni à fon rang , & il
y eft affujetti pour toutes les marques
d'un Paroiffien femblable aux autres. Depuis
106 MERCURE DE FRANCÈ.
:
puis que les Ecclefiaftiques payent un
tribut annuel au Roi , & qu'il y en a un
rôlle dans chaque Diocéfe , il eft confftant
que l'Evêque de Bethléem n'a jamais
été compris dans aucun autre que
dans celui du Diocéfe d'Auxerre . Cela
eft de notorieté publique dans le pays .
11
m'eft tombé entre les mains un compte
de l'an 1577. dreffé à l'occafion des fommes
que le Clergé paya alors pour le ra
chat du temporel des Eglifes qui pouvoit
avoir été vendu l'Article qui fuit
immediatement celui de Meffire Jacques
Amyot , pour lors notre Evêque , eft
conçu en ces termes : De Monfieur l'Evêque
de Bethleem la fomme de cent cinquante
livres. C'étoit alors un Religieux
de l'Ordre de S. Auguſtin , nommé Charles
Bourbonnat . On ne connoift point de
Titre Epifcopal en France qui ait eu des
Evêques de plus de differens Ordres que
celui de Bethleem. Il y en a eu de Benedictins
de differente efpece , de Chanoines
Reguliers ou Auguftins de plufieurs
manieres : il y en a eu de Dominiquains
, de Cordeliers , de Carmes , de
Religieux de S. François de prefque toutes
les fortes. Il y en a même eu de l'Ordre
de Cîteaux , s'il eft vrai qu'Antoine
Abbé de l'Etoile en Poitou l'an 1513.
fut Regulier. J'ai vu un écrit figné An
toine
JANVIER 1725. 107
toine , Evêque de Bethleem , ( a ) par lequel
en qualité d'Abbé de l'Etoile il reconnoît
avoir reçû cette année -là du Receveur
du Domaine Royal en Poitou , la
fomme de foixante fols tournois pour
une année de l'Anniverſaire , fondé en
cette Abbaye par Alfonfe , Comte de
Poitou. Je marque ceci parce que cet
Evêque n'a pas été connu par ceux qui
en ont dreflé la lifte.
Quelquefois auffi les Evêques de Bethléem
ont été tirez des Chapitres d'Auxerre
, de Sens ou de Nevers . Le plus
fameux de ceux- là eft Urbain Reverſey,
Préchantre de Sens qui a écrit en Latin
l'Hiftoire des Archevêques de Sers
qu'on eft en peine de retrouver , & qui
n'eft connue que pour avoir été citée par
le fameux M. Pithou , (b) lorfqu'il infinuë
que ce ne fut que pour un temps
que le Roi Louis XII. obtint des Evêques
l'introduction de l'O falutaris à l'élevation
des Meffes Canoniales , & pour
l'oppofer aux Oraifons du Pape Jules IT.
Ce Chanoine de Sens , Auteur de cette
importante remarque étoit Evêque de
Bethleem en 1558. Il eft auffi arrivé que
les Evêques d'Auxerre ont chargé l'E-
(a) Dans les Portefeuilles de M. Gagnieres,
à la Bibl du Roi.
(b) In Notis ad capitularia , pag s8.
cèfe .
106 MERCURE DE FRANCE.
puis que les Ecclefiaftiques payent un
tribut annuel au Roi , & qu'il y en a un
rôlle dans chaque Diocéfe , il eft confftant
que l'Evêque de Bethléem n'a jamais
été compris dans aucun autre que
dans celui du Diocéfe d'Auxerre . Cela
eft de notorieté publique dans le pays .
11
m'eft tombé entre les mains un compte
de l'an 1 577. dreffé à l'occafion des fommes
que le Clergé paya alors pour le rachat
du temporel des Eglifes qui pouvoit
avoir été vendu : l'Article qui fuit
immediatement celui de Meffire Jacques
Amyot , pour lors notre Evêque , eft
conçu en ces termes : De Monfieur l'Evêque
de Bethleem la fomme de cent cinquante
livres . C'étoit alors un Religieux
de l'Ordre de S. Auguſtin , nommé Charles
Bourbonnat. On ne connoift point de
Titre Epifcopal en France qui ait eu des
Evêques de plus de differens Ordres que
celui de Bethleem. Il y en a eu de Benedictins
de differente efpece , de Chanoines
Reguliers ou Auguftins de plufieurs
manieres : il y en a eu de Dominiquains
, de Cordeliers , de Carmes , de
Religieux de S. François de prefque toutes
les fortes. Il y en a même eu de l'Ordre
de Cîteaux , s'il eft vrai qu'Antoine
Abbé de l'Etoile en Poitou l'an 1513.
fut Regulier. J'ai vû un écrit figné An
toine
JANVIER 17257
107
toine , Evêque de Bethleem , ( a) par lequel
en qualité d'Abbé de l'Etoile il reconnoît
avoir reçû cette année - là du Receveur
du Domaine Royal en Poitou , la
fomme de foixante fols tournois pour
une année de l'Anniverſaire , fondé en
cette Abbaye par Alfonfe , Comte de
Poitou . Je marque ceci parce que cet
Evêque n'a pas été connu par ceux qui
en ont dreflé la lifte .
Quelquefois auffi les Evêques de Bethléem
ont été tirez des Chapitres d'Auxerre
, de Sens ou de Nevers. Le plus
fameux de ceux - là eft Urbain Reverſey,
Préchantre de Sens qui a écrit en Latin
'Hiftoire des Archevêques de Sens
qu'on eft en peine de retrouver , & qui
n'eft connue que pour avoir été citée par
le fameux M. Pithou , (b ) lorfqu'il infinue
que ce ne fut que pour un temps
que le Roi Louis XII . obtint des Evêques
l'introduction de l'O falutaris à l'élevation
des Meffes Canoniales , & pour
l'oppofer aux Oraifons du Pape Jules II.
Ce Chanoine de Sens , Auteur de cette
importante remarque étoit Evêque de
Bethleem en 1558. Il eft auffi arrivé que
les Evêques d'Auxerre ont chargé l'E
(a ) Dans les Portefeuilles de M. Gagnieres,
à la Bibl . du Roi.
(b) In Notis ad capitularia , pag s8.
cèfe .
168 MERCURE DE FRANCE.
>
vêque de Bethléem du foin de leur Diocèfe
. Filbert de Beaujeu qui étoit grand
Prieur de l'Abbaye de S , Germain d'Auxerre
fut même Vicaire General des Evêques
d'Auxerre & d'Autum en 153r.
1534. & 1535 Mais les Evêques de Bethléem
quels qu'ils ayent été n'ont jamais
pû exercer les fonctions Epifcopales dans
Clameci ou ailleurs dans le Diocèfe
d'Auxerre , fans le confentement des
Evêques d'Auxerre. C'eft ce qui doit détromper
ceux qui croyent que Bethleem
eft un petit Diocèfe indépendant , où il
y a un Clergé & quelques Diocèfains
puifqu'il n'eft rien de tout cela Un des
Prêtres de Clameci eft quelquefois honoré
par le vulgaire du nom de Doyen
de Bethleem , parce qu'il acquitte dans
la Chapelle de ce nom les Meffes qui y
font fondées , foit par forme de Confrerie
, foit autrement . On affure par tradi
tion que les Freres de cet Hôpital ont
autrefois élû cet Evêque comme ils auroient
fait un Maître ou Administrateur.
Mais cela n'eft fondé ſur aucun titre . Ces
Freres Hofpitaliers étoient Chanoines de
l'Ordre de S. Auguftin , & cependant ils
étoient , dit- on , vêtus de violet , s'il faut
en croire certaines peintures qu'on voyoit
il n'y a pas long - temps au côté gauche du
Sanctuaire de cette Eglife , & qu'on a
Laiffe
ANVIER 1725. 100
laiffé couvrir ces années dernieres d'une
couche de blanc de chaux. Mais cette couleur
ne leur étoit pas finguliere , puifque
les Chanoines de la Cathedrale d'Auxerre
la portoient dans le fiecle dernier ,
comme font encore plufieurs autres Chanoines.
Durand , Evêque de Mende qui
écrivoit fon Rational des Offices Divins ,
vers la fin du treiziéme fiecle , y parle de
P'Evêque de Bethléem d'une maniere finguliere.
Il dit que quelque jour que cet
Evêque celebrât la Meffe , & quelque
Meffe que ce fût , même celle des Morts ,
il y recitoit le Gloria in excelfis , à cauſe
que c'étoit dans fon territoire qu'il avoit
été d'abord chanté par les Anges. ( :) Durand
traite cet ufage d'abus , & avec raifon
ce n'étoit pas le feul que les anciens
Evêques de ce titre euffent introduit ;
mais les Evêques d'Auxerre s'y font
oppofé dans leurs Statuts Synodaux , ( b)
& l'on a fagement remedié aux inconveniens
qui naiffoient de l'extrême facilité
(a) Dur. I. 4. c. 13.
(6) Stat . de François de Dinteville de l'an
1552. chap. 17 Comperimus nonnullo fua ruditatis
& infcitia confcios , ideò dimifforias litteras
quarere , ut examen noftrum fubterfu .
giant ac aliò demigren , ubi nullus aut modicus
canonica traditionis refpectus habetur. Què
fit ut ab Epifcopo Bethleemitano ex noftris clericis
ordinari velimus neminem.
des
110 MERCURE DE FRANCÉ .
des Evêques de Bethleem .
Au refte , le nom de Bethléem ne dût
pas paroître nouveau en France , lorfqu'il
fut mis en uſage au Diocèſe d'Auxerre.
Il y avoit déja plufieurs fiecles
que ce nom étoit ufité pour defigner une
des Eglifes de la celebre & très- ancienne.
Abbaye de Ferrieres , en Gâtinois , au
Diocèfe de Sens . Il y a eu en ce lieu une
fi fameufe Confrerie , fous le nom de
Nôtre Dame de Bethleem , qu'il femble
qu'elle ait dû furpaffer toute la dévotion
qui pouvoit être à Nôtre Dame de Bethléem
, proche Clameci. Le Roi Louis
XIII. d'heureuſe memoire s'y fit enre--
giftrer en 1626. dès l'année précedente
la Ville de Paris s'y étoit aufli fait inf
crire par un acte figné de fes principaux
Magiftrars . Le fçavant Loup de Ferrieres
appelle quelquefois fon Abbaye du
nom de Bethléem . Il a été certains fiecles
où l'on aimoit donner des noms de la
Terre Sainte aux lieux qu'on prenoit en
affection. Les Chartrains ont une Vallée
appellée Jofaphat au Septentrion de leur
Ville , avec une Abbaye qui portoit ce
nom au moins dès le douzième fiecle.
Lorfque S. Ouen fonda l'Abbaye de Rebais
, au Diocèfe de Meaux , il lui donna
le nom de Jerufalem . Nous avons de même
dans notre Diocèfe un endroit ancienneJANVIER
1725 IT
ciennement appellé Jerufalem , où Antoine
Savelle & Michel le Beuf bâtirenţ
il y a près de deux cens ans une Chapelle
domeftique dans leur Château , du
confentement de nôtre Evêque François
de Dinteville , dont vous avez parlé dans
vôtre Mercure de Septembre . Cet endroit
eft de la Paroiffe de l'ancienne Baronie
de Saint Verain - des Bois , à quatre
lieuës ou environ de la Loire , & ils ne
doit pas être plus furpris de voir qu'on
aît donné à des lieux les noms Hebreux
de la Paleſtine , que de voir les hommes
même dans la coûtume de la prendre , com
me cela eft ſouvent arrivé dans les fiecles
du moyen âge , où l'on trouve les noms
de Laban , d'Abel , Jeffé , Helie , Manaffé
, ufitez même parmi les Evêques.
Il feroit à fouhaiter que ces dénominations
données aux lieux n'euffent
pas
fait naître bien des fables , dont on peut
voir un échantillon dans l'Hiftoire de
l'Abbaye de Ferrieres , publiée à la fin de
l'Hiftoire du Gâtinois , par Morin ,
Prieur de ce Monaftere .
Heureuſement toutes ces Hiftoires inventées
après coup tombent aujourd'hui
dans l'oubli , & l'on n'y a plus aucun
égard. L'Eglife de Sens & d'autres , auſſi
bien que celle de Paris , font revenues de
la crédulité de quelques Ecrivains des bas
fieg
142 MERCURE DE FRANCE.
fiecles touchant leur origine . Mais je
m'apperçois que je n'éloigne infenfiblement
du fujet qui m'a fait prendre la plume
pour vous écrire. Je me fens obligé
de finir , en vous affurant que je fuis , &c.
A Auxerre ce 28. Novembre 1724.
Le vrai mot des deux Enigmes du premier
volume de Decembre , font la Lardoir:
& la Savenette. On doit expliquer
celles du fecond volume du même mois
par l'Esprit.
*******************
PREMIERE ENIG ME.
E fuis le ferme appui de la plus belle
plante ,
Que le Ciel ait jamais produit
Et je fers à porter un fruit ,
Dont la vûë eft toûjours charmante.
J'ai le nom d'un grand homme honoré de
Thémis ,
Et jadis un Heros que la Gréce revere ,
A la Parque fans moi n'eut point été foumis ,
On fait qu'en Iberie eft une loi fevere ,
Qui
JANVIER 113
1725.
Qui défend au beau fexe en mainte occafion ,
De me faire fortir tout nud de ma priſon.
J
DEUXIEME ENIG ME.
E fuis un inftrument délicat & fragile ,
Que l'on exerce en Cour , à la campagne
en Ville ,
Je m'échauffe au travail & mon corps plein
d'ardeur ,
Excite mes amis à prendre un air rêveur ,
C'eſt pour eux feul que je refpire ,
Et les entretiens fans rien dire .
TROISIEME ENIGME.
Tous les mois ,tous les jours je fais plus
de conquêtes ,
Que le Grand Charlequint qui n'a pû prendre
Mets.
Celui pour qui je tiens mes forces toutes
prêtes ,
Me refuſe fouvent , & me trouve mauvais.
Mais pourquoi dire ici mes qualitez ſecretes ?
Puifqu'outre que j'ai grand renom ,
Dans les vers précedens on peut lire mos
nom.
A Genéve, parJ. A. M.
IL
114 MERCURE DE FRANCE.
il eft bon d'avertir , qu'en faveur des
amateurs du Chant & de la Mufique , tous
les airs qui paroîtront à l'avenir dans le
Mercure , feront compofe par les meilleurs
Maîtres.
AIR DU TEMPS,
Uoi ! deux ans font paffez ,
QU⁰
Sans neige , ni glaçons ,
Difoit un Biberon infigne ,
Le Ciel a-t'il ôté du nombre des faifons
L'Hiver trop fatal à la vigne.
Bans doute il prend pitié de mon trifte deſtin
Et voyant la foif que j'endure ,
Il aime mieux changer l'ordre de la nature ,
Que de me voir manquer de vin.
PAROLES faites fur un air qui a été
ajoûté à l'Opera d'Amadis de Grece ,
danjé par Mile Prevost.
J
'Ai perdu Climene ,
Mon infortune eft certaine
J'en meurs de douleur ,
L'
THE
NEW
YOR
K PUBLIC
LIBRARY
ASTOR
, LENOX
A TILDEN
FOUNDATI
NO.
THE
NEW
YORK PUBLIC
LIBRARY
ASTOR
, LENOX
AND
TILBEN
FOUNDATIONS
.
JANVIER 1725. 115
L'ingrate me laiffe ,
Toute ma tendreffe ,
Et m'ôte fon coeur .
J'étois enchanté d'elle ;
Grands Dieux ! qu'elle avoit d'attraits!
Une Amante fi belle
Et fidelle ,
Ne fe trouva jamais .
J'ai perdu , &c.
Tous les jours je la quitte ,
Du moins je le crois ,
Quand je la revois ,
J'héfite ,
Tout m'agite ,
J'y vole encor malgré moi.
J'ai perdu , &c.
T
F NOU116
MERCURE
DE FRANCE,
MMMMMMM UMBRE 巔
C
鮮類
NOUVELLES LITTERAIRES
DES BEAUX ARTS , &c.
ETTRES FAMILIERES , inftructives &
Lamufantes , fur divers Sujets , à un
nou veau Miffionnaire. Lettre premiere.
Janvier 1725. A Paris , chez Cavelier,
Saugrain , Huet , Prault & Piffot , rue
S. Jacques , au Palais , Quay de Gefures
& Quay des Auguftins. Brochure de 104 .
pages , petit in 12,
L'Auteur de cette Opufcule tient exactement
parole , ces Lettres font parfaitement
familieres ; on va le faire connoître :
le Public jugera fi elles font amufantes &
inftructives. On promet une de ces Lettres
au commencement de chaque mois .
La diverfité des fujets eft encore une
chofe , fur laquelle on n'aura, je penſe,.
rien à reprocher à l'Auteur , puifque les
principaux objets de fes Lettres font ,
Réflexions Critiques & Morales , Remar
ques Hiftoriques , Recherches Curieufes
Defcripuons des Eftres Celeftes , Aeriens
Terreftres & Aquatiques. Explication des
termes anciens & nouveaux de toutes les
Sciences & Profeffions , & dans tous les
Arts & Métiers.
JANVIER 1725. 117
1
Cet Auteur a bonne envie de plaire à
Efes lecteurs . Vous y trouverez , leur dit - il ,
en parlant de fon ouvrage , de l'ancien &
du nouveau , le tout affaifonné felon que
ma capacité me le permettra ; s'il arrive
que l'ancien vous foit déja connu , l'affaifonnement
que je lui donnerai pourra vous
Alefaire paroître nouveau, en réveillant vôtre
goût en ja faveur ..... Ma plume m'in-
Spirera ; ma memoire demandera à être de
la partie ; mon jugement appellera ma
memoire à fon aide , & ma volonté qui eft
toute portée à vous faire plaifir , mettra
l'un & l'autre en oeuvre , que pouvezvous
souhaiter de plus ?
Les articles de cette Lettre font intitulez
& chiffrez au nombre de 30. fans.
compter quelques pages de Laconifmes
qui font au nombre de 2 30. petits articles .
A l'article 6. de la Rojée qui eft fort
inftructif , on apprend que la Rofée du
mois de Mai blanchit la toile & la cire.
Article 7. du Phenix , » fur ce que
» l'Hiftoire raconte , dit l'Auteur , qu'on
>> envoya un Phenix à l'Empereur ` Ĉlau-
>> de , Pline foutient que c'étoit un faux
» Phenix , ce qu'il pouvoit dans ce temps
» fçavoir affurément mieux que nous .
L'article fuivant eft encore plus amufant
, il contient beaucoup de gentilleffes
& de fingularitez fur les Singes . On y
Fij
ap,
118 MERCURE
DE
FRANCE
.
apprend que celui qui fe fervit de la patte
tirer les marrons du feu du Chat
pour
avoit été nourri dans le Palais du Pape
Jules II.
Reſte à faire fentir la familiarité dont
on a parlé d'abord ; l'article 15. du Fromage
paroît propre à ce deffein. Il comainfi
: mence
2
>> Comme vous aimez le Fromage au-
» tant que je l'aime , je vais vous en en-
» tretenir. Le Fromage eft un lait caillé
» feché & durci. Etant trop nouveau ,
» eft , dit- on , à charge à l'eſtomach , &
» étant trop vieux , il échauffe trop par
>> fon fel.
il
>> Jean Langins l'aimoit extrêmement
, » & comme vous fçavez , je ne l'aime
» pas moins . C'eſt une vraye bonne chere
» pour moi , que du pain , du vin & du
» fromage , & c.
La varieté fe trouve par tout , à l'article
26. du corail , il eft dit qu'il arrête
le fang , qu'il préferve les maiſons de la
foudre , qu'il écarte les mauvais genies ,
& qu'il eft plus rouge porté par un homme
que par une femme. A l'article fuivant
de la Baleine , on dit que le bruit des
féves que l'onbrife épouvente beaucoup ce
poiffon monftrueux
, & qu'on peut trem-
'fa main dans l'huile bouillante
de
per Baleine fans fe brûler . Peu de lecteurs
feron:
2
JANVIER 1725 .
119
feront tentez de fe convaincre de ces deux
faits par l'experience.
LETTRE D'UN THEOLOGIEN à un Ec
clefiaftique de fes amis , fur une Differtation
touchant la validité des Ordinations
Angloifes . A Paris , Place de Sorbonne
, chez Gabriel Amaulry 1724 .
broc . in 12. 127. pages .
RECUEIL de divers ouvrages Philofophiques
, Theologiques , Hiftoriques ,
Apologetiques & de Critiques . Par le R.
P. Daniel , de la Compagnie de Jefus . A
Paris , rue S. Jacques , chez J. B. Coignard
, fils , & Denis Mariette 1724.3 .
vol. in 4 .
CONFERENCES fur les principaux Myf
teres , fur les Dimanches , & quelques
Fêtes choifies , &c . A Paris , Quay des
Auguftins , chez de la Boche & Chaubers
1724. 2. vol. in 12 .
NOUVELLE MANIERE de faire l'ope
ration de la Taille , pratiquée par M.
Douglaff , & c. on y a ajoûté ce
que M.
Rouffet a écrit fur ce fujet ; le Traité de
M. Chefelden fur l'operation de la Taille
par le haut appareil , & la Thefe de M.
Prettre. Traduit de l'Anglois , par M.
Fiij No120
MERCURE DE FRANCE.
Noguez. A Paris , rue S. Jacques , chez
Labottiere , in 12. de 226. pages.
AN PARISIENSIS agri tenui a vinaBurgundo
, Campano , & c. Differtation fur
l'excellence des Vins du Terroir de Paris ,
au- deffus desvins de Bourgogne , de Champagne
, & de plufieurs autres . De l'Imprimerie
de Jean Quillau , à Paris , in 4
de 4. pages.
LE PREDESTINATIANTISME ,
ou les
Herefies fur la Prédeſtination & la Réprobation
. Traité Hiftorique & Theolo
gique , &c. Par le Pere du Chefne , de la
Compagnie de Jefus . A Paris , ruë du
Fouarre , chez Quillau 1724. in 4 .
TRAITE' du S. Sacrifice de la Meffe .
Par M. Goulde , Abbé de S. Laon de
Thouars , Miffionnaire du Poitou , & Auteur
de la veritable croyance de l'Eglife.
A Paris , chez J. B. Coignard , fils 1724-
LES PSEAUMES ET LES CANTIQUES , Latin
François , nouvellement traduis , &
diftribuez d'une maniere nouvelle , felcn
les Offices des Dimanches & des Fêtes
de l'année , à l'ufage de Rome & de Paris.
Dédié à S. A. S. Madame de Bourbon
,
JANVIER 1725 .
bon , Abbeffe de S. Antoine. A Paris ,
ruë S. Jacques , chez Lottin.
CARPENTERIANA ,
ou Remarques
d'Hiftoire , de Morale , de Critique ,
d'Erudition & de Bons Mots de M. Charpentier
, de l'Académie Françoiſe . A
Paris , Quay des Auguftins , chez Nicolas
le Breton , fils 1724. in 12. de 491 .
pages.
LE SAGE CHRETIEN , ou les Principes
de la vraye Sageffe , pour fe conduire
Chrétiennement dans le monde . A Paris
, chez N. le Clerc , rue Saint Jacques
1724. in 16. de 248. pages , fans l'A
vertiffement.
MODELE des Familles Chrétiennes ,
ou le Livre de Tobie , avec des Réflexions
Morales fur tous les Verfets , &
les Notes Critiques fur les endroits les
plus difficiles . Par le P. A. J. de la Neuville
, de la Compagnie de Jefus. A Paris ,
rue S. Jacques , chez J. B. Delépine ,
in 12. de 343 pages. •
L'INVOCATION ET L'IMITATION des
Saints , pour tous les jours de l'année ;
qui contient un Extrait de leurs vies , de:
Prieres , des Réflexions & des Maximes ,
F iiij tirées
122 MERCURE DE FRANCE.
tirées de l'Ecriture Sainte , volume in
12. propre à toute forte d'Etat. A Paris ,
ruë neuve Notre - Dame , chez C. J. B.
Heriffant 1725.
TRAITE' des Vertus Medicinales de
l'eau commune , où l'on fait voir qu'elle
prévient & guerit une infinité de maladies
par les obfervations', tirées des plus
celebres Medecins , & appuyées de quarante
ans d'experience avec quelques
regles pour le regime de vivre. Par M.
Smith. On y a ajoûté le Traité de l'eau
du Docteur Hancok , intitulé Febrifugium
Magnum , où l'eau commune eft
le meilleur de tous les remedes pour guerir
les fièvres & la pefte. Traduit de
l'Anglois , avec les Thefes de M's Hecquet
& Geoffroy fur l'eau. A Paris , ruë
S. Jacques , chez Guillaume Cavelier
1725. vol . in 12. de 335. pages fans la
Table , la Preface , qui en contient 92 .
& l'Epitre à M. le Duc de la Force.
LETTRE en forme de Differtation pour
fervir de Réponse aux difficultez qui
ont été faites contre le livre des Obfervations
fur la Saignée du Pied , & fur la
Purgation , au commencement de la petite
Verole , &c. A Paris , chez Guillaume
Cavelier , fils , rue S. Jacques 1725.
bro .
JANVIER 1725. 123
brochure in 12. de 106. pages .
BOERHAAVE , Tractatus de Viribus.
Medicamentorum , 12. Paris 1723. chez
le même.
HECQUET ( Dom . ) Novus Medicine
Confpectus quæ Phifiologia & Pathologia
eft cum Appendice de Pefte. Parif. in 12.
2. vol. 1722. idem.
TRAITE' de la Pefte , le danger des
Baraques & des Infirmeries forcées , avec
un Problême fur la Pefte. Par le même ,
1722. vol. in 12. chez le même.
EJUSD. Hyppocratis Aphorifmi
, ad mentem ipfius , Artis ufum , &
corporis mecha nifmi rationem expofiti ,
2. vol. in 12. Paris , 1724. idem .
LA SCIENCE NATURELLE , ou Explication
curieufe & nouvelle des differents
effets de la nature Terreftre & Celefte.
A Paris , Place de Sorbonne , chez A.
Cailleau , & chez J. B. Lamefle , ruë des
Noyers.
LA VIE DE RUFIN , Prêtre de l'Eglife
d'Aquilée. A Paris , ruë de la Harpe ,
chez F. Barois 17 24. 2. vol. in 12 .
Fv EGLO124
MERCURE DE FRANCE.
EGLOGUES DE VIRGILE , Traduction
nouvelle , avec des Notes Hiftoriques &
Critiques , où l'on a inferé les endroits
que Virgile a imitez de Theocrite , avec
un difcours fur la Poëfie Paſtorale . Par
M. Vaillant. A Paris , chez le même ,
in 12. 1724.
HISTOIRE de l'Empire Ottoman
traduit de l'Italien de Sagredo par M.
Laurent. A Paris , chez le même 1724.
5. vol. in 12 .
Livres nouveaux qui fe vendent che
André Cailleau , Place de Sorbonne ,
à Paris.
TRAITE' de l'Etude des Conciles &
de leurs Collections , in 4°.
MEDITATIONS Chrétiennes pour tous
les jours de l'année , avec des Meditations
particulieres pour les Fêtes mobiles
, par le R. P. Chappuis , Jefuite , in
12. 3. vol.
TRAITE' de Phyfique fur la pefanteur
univerſelle des Corps , par le R.
P. Caftel , Jefuite , in 12. 2. vol.
RECUEILS de Lettres Galantes & diverfes
JANVIER 1725. 125
verfes Poefies , par M la Marquife de
Perne , in 12. 2. vol.
LES PRETENDUS RE'FORMEZ convaincus
de Schifme , nouvelle édition , par
M. Nicole , in 12. 2. vol.
LES PRE'JUGEZ LEGITIMES contre les
Calviniftes. Nouvelle édition augmentée
de deux Additions confiderables contre
M. Claude dans fa défenſe de la Réformation,
& d'un Avertiffement fur l'utilité
de cette Edition , par M. Nicole , in 12 .
1725.
DES VRAYES & des fauffes idées contre
ce qu'enſeigne l'Auteur de la Recherche
de la Verité , par M. Arnaud ,
in 8°.
ANNALES DE TACITE , avec des Notes
politiques & Hiftoriques , par M.
Amelot de la Houffaye , in 12. 4. vol.
Nouvelle Edition .
TRAITE' des Hypoteques , par M.
Bafnage. Nouvelle Edition augmentée ,
in 12 .
LES AVANTURES du Voyageur Aërien,
Hiftoire Eſpagnole , avec les Paniers , ou
F vj
la
126 MERCURE DE FRANCE.
t
la vieille Précieuſe , Comedie, in 12 .
GRISELIDIS , ou la Marquife de Saluffes
, par Me A. de M. in 12 .
Les Effais de Michel , Seigneur de
Montaigne , donnez fur les plus anciennes
& les plus correctes Editions
augmentez de plufieurs Lettres de l'Auteur
, & où les paffages Grecs , Latins &
Italiens font traduits plus fidellement , &
citez plus exactement que dans aucune
des précedentes , avec des Notes & de
nouvelles Tables des matieres , beaucoup
plus utiles que celles qui avoient paru
jufqu'ici. Par Pierre Cofte , nouvelle
Edition , plus ample & plus correcte que
les précedentes , 3. volumes in 4°, grand
papier. A Paris , par la Societé.
Le merite des Elfais de Montaigne eft
affez connu depuis long- temps ; & d'ailleurs
, comme nous en avons déja parlé
dans un de nos Journaux , nous ne repeerons
point ce que nous en avons dit ;
nous nous contenterons de marquer fuivant
le projet imprimé de cet ouvrage
que M. Cofte déja connu dans la République
des Lettres par plufieurs ouvra
ges , a fuivi pour le Texte l'Edition d'Abel
l'Angelier de 1595. comme la plus
autentique , & la plus correcte. On fait
efperer
JANVIER 1725. 127
efperer le portrait de Montaigne deffiné
& gravé par un habile Maître , & qu'on
n'épargnera rien pour donner un ouvrage
digne de l'attention du Public ,
c'eſt ce qui a engagé les Libraires nommez
cy- deffous à le propofer par foufcriptions
. Il fera en trois volumes in 4°
tout en grand papier. On promet cet ouvrage
complet à la S. Jean 1725. Les
Soufcriptions feront pour la premiere
moitié de douze livres , & de pareille
fomme en retirant l'exemplaire. Ceux
qui n'auront pas foufcrit , le payeront
36. liv. en feuilles. On ne recevra des
Souſcriptions que jufqu'au premier Mars,
& pour les Pays Etrangers jufqu'au premier
Avril. On recevra des Soufcriptions
à Paris , rue S. Jacques , chez la
veuve de Laulne ; la veuve Foucaut , a
Palais ; chez Goffelin , le Gras , Quay
des Auguftins , chez la veuve Cloufier ,
P. Gandoin.
The Chevalier d'Arvieux Travels in
'Arabia the defart , & c. London 1724
vol. 8 c'est- à- dire , Voyage du Chevalier
d'Arvieux dans l'Arabie deferte ,
& c. à Londres 1. vol. 8. avec des figu
res , & c.
Ce Livre n'eft pas originairement Anglois
, c'eſt la Traduction Angloiſe d'un
Оце
118 MERCURE DE FRANCE.
par
vieux ,
,
Ouvrage de M. de la Roque , imprimê
à Paris chez André Cailleau en l'année
1717. & réimprimé à Roterdam la même
année , fous le titre de Voyage fait
ordre du Roi Louis XIV. dans la
Palestine, vers le grand Emir , Chef des
Princes Arabes du Defert , &c . L'Ouvrage
eft divifé en deux parties , dont
la premiere contient la Relation d'un
Voyage fait par M. le Chevalier d'Arde
Seyde au Mont Carmel
où campoit ce grand Emir , qui poffedoit
alors cette fameufe Montagne , fous
l'autorité du Sultan Mahomet IV. A la
fuite de la Relation du Voyage eft un
Traité des moeurs & des Coutumes des
Arabes du Defert , avec des Notes &
des Remarques de l'Editeur François . La
2. partie contient la Defcription generale
de l'Arabie , faite par le Sultan Ifmael
Abulfeda , fameux Geographe Arabe ,
traduite en François , auffi avec des Notes
& des Remarques , par M. de la
Roque.
Remarks upon the antient and prefent
ftate of London , occafion'd by fome
Roman urns , coins , and other Antiquities
, lately difcover'd. London 1724.
c'est - à - dire , Remarques fur l'état ancien
& moderne de la Ville de Londres,
JANVIER
129
1725.
à l'occafion de quelques urnes Monnoyes
Romaines , & autres Antiquitez
découvertes depuis peu , Brochure 8. à
Londres, troifiéme Edition .
The Battle of the fexes , à Poem . London
1724. c'est - à- dire , Diſpute entre
les deux Sexes , Poëme Anglois , par
un Anonyme , Brochure 8. 2. Edition ,
à Londres , & c.
pu-
Quelques connoiffeurs , dont les fuffrages
déterminent fouvent ceux du
blic , ayant trouvé à redire qu'on n'eut
pas mis des Cartes Geographiques des
Provinces , & des Plans des principales
Villes , dans le Livre de la nouvelle defcription
de la France , que M, Piganiol
de la Force publia en 1718. & en
1722. les Libraires , fçavoir , la veuve
Delaune , rue S. Jacques , & Theodore
le Gras , au Palais , qui ont imprimé cet
Ouvrage , toujours attentifs à ce qui
peut lui donner toute la perfection dont
i eft fufceptible , firent auffi tôt travailler
à des Cartes particulieres des Provinces
de la France , & aux Plans des
Villes principales. Comme ce travail
vient d'être achevé , ils donnent avis au
public que tous les Exemplaires de la
nouvelle deſcription de la France qu'ils
debi130
MERCURE DE FRANCE.
débiteront à l'avenir , feront ornez de
ces Cartes , qu'ils offrent auffi de vendre
féparément à ceux qui ont acheté
ce Livre , avant qu'il ait été enrichi d'un
ornement auffi neceffaire.
DES JEUX DES COLLEGES , Spectacles ,
divertiffemens , Actes , Reprefentations
de Tragedies , Comedies Comedies , Paftorales
Balets , & c. donnez , foit dans les Colleges
, Communautez d'hommes & de
filles , Confreries , dans d'autres Maifons
Seculieres & Regulieres . Avec un
Extrait des Pieces qu'on y a reprefentées
en Grec , en Latin , en François , & en
Langue vulgaire de differentes Provinces
du Royaume.
L'Auteur de ce projet prie ceux qui
ont de ces fortes de pieces , de vouloir
les lui communiquer par le moyen de
l'adreffe du Mercure. De quoi il leur
marquera fa reconnoiffance en temps &
lieu.
M. du Quet , connu par fes découvertes
qu'on voit dans les Memoires de
1'Académie Royale des Sciences , par
fes acoustiques qu'il a inventez , & dontles
perfonnes attaquées de furdité fe fervent
très -utilement , vient d'imaginer un
Pupitre avec un porte- feuille , par le
moyen
JANVIER 1725.
moyen defquels on peut écrire deux lignes
à la fois , fur deux feuilles de pa
pier feparées ; en forte qu'on peut faire
en même temps l'original & la copie ; ce
qui peut être fort utile à quantité de
gens , même aux Muficiens . On mon
tre la poffibilité de cette invention
moyennant la piece de 13. fols par perfonne
, ruë de l'Arbre - fec , vis - à - vis le
petit Paradis , où fe debitent les Acouſ
tiques les Plumes , & les Curedents
d'acier.

Nouvelle Statue Equeftre , en bronze, du
Roy Louis le Grand. Extrait d'une
Lettre écrite de Rennes le 17. Decem
bre 1724
.
L
Es Etats de Bretagne , aufquels M.
le Maréchal d'Alegre a préfidé au
nom du Roi , tinrent hier leur derniere
Séance à S. Brieuc . Ils ont accordé environ
cent mille écus à la Ville de
Rennes , pour la dépenfe d'une Place
Royale , dans laquelle on doit ériger une
Statue Equeftre du feu Roi , en bronze .
Cette Place fera en face du Palais , &
l'une des plus belles qui foient peutêtre
en France. La Statue a été fonduë
à Lyon par l'un des plus habiles Maîtres
du Royaume : elle eft actuellement
132 MERCURE DE FRANCE.
à Nantes , d'où elle doit être tranſpor
tée ici fans perte de temps :
On écrit de Portugal , que pluſieurs
perfonnes fçavantes de la Ville de Guimaraens
, qui avoient établi une espece
d'Académie , fous la protection de Dom
Thadée Louis Antoine Lopes de Carvalho
, de Fonfeca & Camoens , Donataire
dos Coutos , de Negrellos & de Abbadin
, & qui avoient ceffé leurs Conferences
le 27. Fevrier dernier , ont recommencé
à s'affembler depuis quelques
jours dans la maifon de leur Protecteur
où le Docteur François Dacunha - Rebello
, Chanoine & Vicaire General du
College Royal de la même Ville , fitun
Difcours très - éloquent › par lequel il
exhorta les Académiciens à continuer les
Ouvrages qu'il avoit commencez , leur
faifant efperer que le Roi , à qui ces
fortes d'établiffemens font agreables ,
accorderoit des Lettres Patentes on y
recita enfuite plufieurs Pieces de Poëfie
& d'Eloquence du Docteur Manuel
Lopes , & du Pere Jofeph Caetano .
Le 9. de ce mois on fit à Londres l'infertion
de la petite verole , au fils unique
de M. Georges Stanley , gendre du Chevalier
Hans Sloane , Medecin du Roi ;
"
mais
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
ASTOR
, LENOX
AND
TILDEN
FOUNDATIONS
.
JETTONS DE I L'ANNEE 1721
II.
ETERNA
TE
JUVENTUS
SUA
DONA
REPENDIN
III.
TRESOR ROYAL
1725
ACCEPTA
REPE
PARTIES CASUELLES.
IV.
1725.
VINCI
NESCIA
LUD.XV.REX
PECTORA
ORDINAIRE DES GUERRES.
1725
VU
TU
TA
EQUORA
MARINE .
1725.
FACIES
MUTANT
SILENT
CHE
RISTIANISS
SEMPERQUE
CHANGE AUX DENIERS
1725
LABOR
EXTRAORDINAIRE
DES GUERRES
1725.
DECENTER
REMIGIO
VI
ALARUM
BATIMENS DU ROY
1725.
7B
GALERES
1725
JANVIER 1725. 133
mais la petite verole ayant paru la nuit
fuivante , on a foupçonné qu'il avoit déja
dans le fang le levain de cette maladie.
EXPLICATION des Types , & Legendes
des Jettons frappez pour le premier
Janvier 1725.
TRESOR ROYAL.
Le Nil appuyé fur une urne , dont les
eaux fe répandent dans une vafte campagne.
Legende. Late fua dona rependit.
Il répand fes dons abondamment.

PARTIES CASUELLES .
Un Serpent qui vient de quitter fa
vieille peau. Legende . Eterna juventus.
Sa jeuneffe ne ceffe point.
CHAMBRE AUX DENTERS .
Un champ rempli d'épis . Legende.
Accepta rependit. Il donne ce qu'il a
reçû.
BASTIMENS DU ROI.
La Regle , le Compas , & l'Equerre
artiftement pófez . Legende. Mutant facies
femperque decenter. Ils changent de
formes , mais toujours avec grace.
OR*
34 MERCURE DE FRANCÉ.
ORDINAIRE DES GUERRES.
Une troupe de Lions . Legende . Nefcia
vinci pectora. Leur courage eft invin
cible:
EXTRAORDINAIRE DES GUERRES .
Un Cheval de bataille retenu à la barriere.
Legende. Cohibere labor. La peis
ne eft de le retenir.
MARINE.
Des Tritons fonnans de la trompette
fur une mer calme. Legende. Æquora
tuta filent. Le bruit des vagues a ceffé.
GALERES.
Des Aigles qui prennent leur effort
Legende. Ces deux mots de Virgile . Remigio
alarum. Les Rames leur fervent
d'ailes. A la premiere face on voit les
Armes du Chevalier d'Orleans , General
des Galeres .
On donnera le mois prochain la nouvelle
Medaille du Roi du jour de l'an
1725. où l'on trouvera un Portrait de Sa
Majefté parfaitement reffemblant .
SPECJANVIER
1725. 13-1
****************** W
SPECTACLES.
E 26. de ce mois les Comediens Ita
Leliens reprefenterent pour la premiere
fois une Comedie en Profe & en trois
Actes , qui a pour titre , Le dédain affecté
. Cette piece eft d'un Auteur anonime
mais elle eft d'un ftyle à faire
connoître qu'elle part d'une bonne plus
me. Nous n'en dirons ici , que ce qu'une
premiere reprefentation nous a permis
d'emporter. L'action en eft très- fimple ,
& fe paffe entre cinq Acteurs , dont voici
les noms.
Sylvia , Amante de Lelio.
Lelio , Amant de Sylvia.
Pantalon , pere de Sylvia.
Arlequin , Valet de Lelio.
Colombine , Suivante de Sylvia.
La Scene eft dans la Maifon de Campagne
de Pantalon.
Arlequin fatigué de la chaffe où il a
laiffé Lelio fon Maître , cherche à fe délaffer
à fa maniere ordinaire , c'eft- à- dire
, en mangeant & en beuvant . Colombine
136 MERCURE DE FRANCE.
lombine le furprend dans cette agreable
Occupation ; elle lui demande des nouvelles
de fon Maître. Arlequin ne peut mieux
fatisfaire fa curiofité , qu'en lui donnant
une lettre qu'il a trouvée fur la table de Lelio.
Colombine lit cette lettres il y eft parlé
d'un mariage fecret , entre un Cavalier &
une Baronne , qui doit le faire dans une
maifon de Campagne , voifine de celle de
Pantalon . L'Auteur a fi bien menagé l'équivoque
des termes , que Colombine
& Arlequin ne doutent point que Lelio
ne foit le Cavalier qui doit époufer la
Baronne. Colombine communique la lettre
à Sylvia fa Maîtreffe , qui en conçoit
le même foupçon. Le caractere de
Sylvia n'eft gueres moins équivoque que
la lettre en queftion . Elle aime en fecret
Lelio , & cependant elle l'a toû
jours maltraité , & l'a même obligé à ſe
bannir de chez elle à force de rigueurs;
cependant elle n'a pas plûtôt appris qu'il
doit époufer la Baronne , qu'elle en eft
jaloufe à l'excès ; d'abord ce ne font que
plaintes de part & d'autre ; mais Lelio ,
continuant à lui parler de fon amour ,
elle en eft d'autant plus irritée , qu'elle
croit qu'il la jouë , puifqu'il va fe ma
rier à une autre, Voilà fur quoi toute
l'action de cette Piece eft fondée . Le
fens obfcur de la lettre en fait le noeud,
&
JANVIER 1725. 137
& le vrai fens expliqué en fait le dénouement,
La Baronne & Mario ne paroiffent
point dans la piece. Il auroit été
très- difficile de foûtenir l'équivoque avec
ces deux Acteurs de plus ; mais il n'y
en auroit eu que plus de gloire pour
l'Auteur. Quoiqu'il en foit , cette Piece
ne peut que lui faire honneur ; toutes
les Scenes qui font entre Lelio &
Sylvia y font très - bien traitées , très- fines
, & très delicates , & le fyftême du
coeur y eft fi bien développé , qu'on a
foupçonné que c'étoit l'Ouvrage d'une
femme. Nous attendons qu'elle fe nomme
, pour la mettre en pleine poffeffion
de fa gloire.
?
Le 9. les Comediens Italiens donne
rent une Piece nouvelle d'un Acte en
Vers intitulée La Folle raisonnable ;
c'est le même fujet .des Folies amoureufes
de Renard. Sylvia , qui aime éperduëment
Leandre , & qui en eft aimée,
ne fçait comment faire pour ne pas époufer
M. de Baffemine que fa mere lui
deftine , & qu'elle ne peut fouffrir ; elle
feint d'avoir perdu l'efprit , & en donne
des marques par mille extravagances
qu'elle debite en prefence de fa mere
& du futur époux haï ; & enfin la Sui
vante de Sylvia , qui voit cette mere
defolée , lui confeille de donner fa fille
138 MERCURE DE FRANCE.
à Leandre , & de renvoyer M. de Baffemine
, ne fçachant , dit-elle , que ce feu
expedient pour guerir la folie de Sylvia .
La mere confent à tout ce qu'on veut
pour la guerifon de fa fille. La Piece eft
terminée par un divertiffement, compofé
de Pelerins & de Pelerines , Sylvia à la
tête ; ils projettent un voyage à Cythere
pour y rendre des hommages à l'Amour,
qui a fait triompher Sylvia , & ôté les
obftacles qui empêchoient qu'elle n'épousât
fon Amant. Ce divertiffement a
fait beaucoup de plaifir. La Dile Sylvia
joue fon rôlle de Folle à ravir,
Le 21. Les mêmes Comediens donnerent
la premiere reprefentation de la
Parodie d'Armide , Piece nouvelle en
Vaudevilles, avec un divertiffement que
le Public a parû goûter. Nous en parlerons
plus au long.
Le Vendredi 5. de ce mois , les Comediens
François reprefenterent à la
Cour la Tragédie de Phedre , & la petite
Comedie de Crispin Medecin. Le
fieur du Mirail joua le principal rôlle
dans celle - ci , & celui de Thefée dans
l'autre . Il fut également goûté dans ces
deux Pieces , & il a été reçû dans la
Troupe du Roi , pour jouer les rôlles
de
JANVIER 1725 . 139
de Roi en troifiéme. Le fieur Duchemin
le fils a auffi été reçû à demi- part
pour un an, & on a rétabli la penfion
de 500. livres que le fieur de Molignit
avoit fur la Comedie .
Le même jour la Dlle de Seine , dont
nous avons déja parlé , qui a joué devant
le Roi à Fontainebleau avec beaucoup
d'applaudiffement , & que Sa Majefte
a reçûë dans fa Troupe , parut fur
le Theatre François , fuperbement parée
de l'habit dont le Roi lui a fait prefent.
Il eſt de velours couleur de cerife , extraordinairement
enrichi de cartifanes ,
de franges , & de point d'Efpagne d'argent
, dont on fait monter le poids jufqu'à
900. onces . On affure que cet habit
revient à 8000. livres . Elle joüa le
rôle d'Hermione dans la Tragedie d'Andromaque
avec beaucoup d'applaudiffement.
C'eft une jeune perfonne de 18 .
ans , d'une taille mediocre mais bien
prife , ayant beaucoup de nobleffe & de
jufteffe dans fon gat & dans fon main- /geste
tien ; fon vifage eft plein d'agrément ,
avec les plus beaux yeux du monde. Elle
joua quelques jours après le rôlle d'Emilie
dans la Tragedie de Cinna , dans
lequel elle fut auffi beaucoup applaudie ,
ainfi que dans celui de Juftine dans la
Tragedie de Geta de M. de Pechautré.
G Le
140 MERCURE DE FRANCE .
Le 16 , de ce mois les mêmes Come
diens reprefenterent la Tragedie de Britannicus
à Versailles , dans laquelle la
Dile Ponchard , nouvelle Actrice , qui
avoit déja paru dans des rôles Comiques
, joua le rôlle d'Agrippine avec intelligence.
Le fieur Durand , qui a déją
été de la Troupe Françoife y joua Burrus,
& dans la petite Comedie du Deüil , le
rôlle de Nicodême il fut goûté dans
l'un & dans l'autre.
:
Les Comediens du Roi donnerent ces
jours paffez une petite Comedie en Vers
très- courte , qui n'avoit pas été reprefentée
depuis très-long temps , dont le titre
eft Dom Pafquin d'Avalos , de A. J. de
Montfleury , Avocat, qui étoit bon Poëte,
fils d'un excellent Comedien de l'Hôtel
de Bourgogne , de même nom. Cet Auteur
avoit compofé diverfes Pieces , dont
quelques -unes font reftées au Theatre.
Le Public les verroit avec plus de plaifir
, fi elles n'étoient pas un peu trop libres.
Onne fera peut-être pas fâché d'en
trouver ici un Catalogue. Au refte , il
eft bon de le repeter : ce Poëte étoit fils
du Comedien de même nom , & non pas
Comedien lui -même , comme on le dit
dans un Avertiffement , à la tête de fes
Oeuvres , imprimées à Paris , en 2. vol .
in 12, en 1705. La
JANVIER 1725 .
139
de Roi
en
troifiéme
. Le
fieur
Duchemin
le fils a auffi
été
reçû
à demi
- part
pour
un an, & on
a rétabli
la penfion
de 500.
livres
que
le fieur
de Moligni
avoit
fur la Comedie
.
Le même jour la Dlle de Seine , dont
nous avons déja parlé , qui a joué devant
le Roi à Fontainebleau avec beaucoup
d'applaudiffement , & que Sa Majeſte
a reçûë dans fa Troupe , parut fur
le Theatre François , fuperbement parée
de l'habit dont le Roi lui a fait prefent.
11 eft de velours couleur de cerife , extraordinairement
enrichi de cartifanes
de franges , & de point d'Eſpagne d'ar
gent , dont on fait monter le poids jufqu'à
900. onces . On affure que cet habit
revient à 8000. livres . Elle joüa le
rôle d'Hermione dans la Tragedie d'Andromaque
avec beaucoup d'applaudiffement.
C'eft une jeune perfonne de 18.
ans , d'une taille mediocre , mais bien,
prife , ayant beaucoup de nobleffe & de
juſteſſe dans fon gt & dans fon main- /gute
tien ; fon vifage eft plein d'agrément ,
avec les plus beaux yeux du monde . Elle
joua quelques jours après le rôlle d'Emilie
dans la Tragedie de Cinna , dans
lequel elle fut auffi beaucoup applaudie ,
ainfi que dans celui de Juftine dans la
Tragedie de Geta de M. de Pechautré.
G Le
140 MERCURE DE FRANCE .
,
Le 16 , de ce mois les mêmes Come
diens reprefenterent la Tragedie de Britannicus
à Verſailles , dans laquelle la
Dile Ponchard , nouvelle Actrice
qui
avoit déja paru dans des rôlles Comiques
, joua le rôlle d'Agrippine avec intelligence.
Le fieur Durand , qui a dėją
été de la Troupe Françoiſe y joua Burrus,
& dans la petite Comedie du Deüil , lẹ
rôlle de Nicodême il fut goûté dans
l'un & dans l'autre.
Les Comediens du Roi donnerent ces
jours paffez une petite Comedie en Vers
très-courte , qui n'avoit pas été reprefentée
depuis très -long temps , dont le titre
eft Dom Pafquin d'Avalos , de A. J. de
Montfleury , Avocat, qui étoit bon Poëte,
fils d'un excellent Comedien de l'Hôtel
de Bourgogne , de même nom. Cet Auteur
avoit compofé diverfes Pieces , dont
quelques -unes font reſtées au Theatre.
Le Public les verroit avec plus de plaifir
, fi elles n'étoient pas un peu trop libres
. Onne fera ppeeuutt--être pas fâché d'en
trouver ici un Catalogue . Au refte , il
eft bon de le repeter : ce Poëte étoit fils
du Comedien de même nom , & non pas
Comedien lui -même , comme on le dit
dans un Avertiffement , à la tête de fes
Oeuvres , imprimées à Paris , en 2. vol .
in 12 , en 1795.
La
JANVIER 1725 139
La Femme Juge & Partie , en Vers & en
5. Actes , en 1668.
L'Ambigu Comique , ou les Amours de
Didon & d'Enée, Tragedie en trois Actes,
mêlée de trois intermedes , Comiques ,
fçavoir :
Le nouveau Marié.
Dom Paſquin d'Avalos .
Le Semblable à foi-même.
La Mort d'Afdrubal , Tragedie .
Trigaudin , ou Martin Braillard , Comedie
en Vers , 5. Actes .
L'Ecole des Filles , Comedie , idem.
Le Mariage de rien , Comedie d'un
Acte , en petits Vers de 8. Syllabes.
Le Procès de la Femme Juge & Partie
, en un Acte , en Vers .
La Fille Capitaine , Comedie en 5 .
Actes , en Vers , reprefentée en 1669 .
Le Comedien Poëte , Comedie en 5.
Actes , en Vers , jouée à Guenegaud en
1673. Cette Piece a paru imprimée fous
le titre du Garçon fans conduite.
Le Mari fans Femme , Comedie en
5. Actes.
L'Ecole des Jaloux , ou le Cocu volontaire
, Comedie en 3. Actes .
Le Gentilhomme de Beauce , Comedie
ens . Actes , reprefentée en 1669.
Gij Trafi142
MERCURE DE FRANCE.
Trafibule , Tragi- Comedie, en 5. Actes.
L'Impromptu de l'Hôtel de Condé , en
un Acte .
La Dame Medecin , Comedie reprefentée
fur le Theatre de l'Hôtel de Guenegaud
en 1678.
LES HERITIERS INGRATS , Drame Comique
, en Latin , reprefenté par les Rhetoriciens
du College deLouis le Grand,
le 17. de ce moiș .
Sujet de la Piece.
Dreftament en faveur de deux ne-
Emiphon , riche Parifien , fait un
veux qu'il aime éperduement , & dont
il croit être tendrement aimé ; averti par
fon âge & fes infirmitez de fe retirer
du grand monde où il n'eft plus de mife
, il cede la plus grande partie de ſes
biens à fes deux heritiers , & ne s'en referve
qu'une portion modique , pour couler
doucement fes jours à la campagne.
Chryfobule , ami fidele & clair-voyant ,
eft fenfiblement affligé de voir tomber ce
riche heritage fur deux ingrats , à l'exclufion
d'un autre neveu , qui, joint à un
vrai merite , un attachement fincere pour
fon oncle . Après mille tentatives inutiles
pour détromper le vieillard dupe &
obſtiné , cet ami vient enfin à bout , par
les
JANVIER 1725. 143
t
les intrigues de quelques domeftiques ,
de lui ouvrir les yeux fur les tromperies
de fes legataires. Demiphon reconnoît fon
erreur , & fe choifit un heritier plus
digne de fon affection & de fes bienfaits .
La Scene eft dans une falle de Demiphon .
Le Merite & la Fortune , Dialogue
François pour fervir d'intermede à la
Piece.
On apprend de Florence que les Divertiffemens
du Carnaval ont commencé
par la reprefentation de l'Opera de Didon.
L
Lettre écrite d'Hollande.
Idée peu avantageufe que vous
avez donnée , Meffieurs , du Theatre
Hollandois dans un de vos préce
dens Mercures , me porte à vous parler
d'un Poëte Dramatique qui fait beaucoup *
d'honneur à cette Nation . Ses Poëfies
diverfes font imprimées à la Haye , chez
F. Halma en 1715. in 4° de plus de
700. pages .
On trouve dans ce Recueil deux Tragedies
, où l'Auteur a exactement obfervé
toutes les regles du Theatre , en prenant
pour modeles les Tragiques Fran-
Giij çois ,
144 MERCURE DE FRANCE.
1
çois , que felon fon propre aveu ,
fere à tous les autres .
il pré-
Les fujets font tout - à-fait nouveaux ;
le premier pris du 12. Livre de l'Enéïde
, eft le combat d'Enée & de Turnus
pour Lavinie.
Il y a peu de Tragedies où les circonftances
qui doivent mettre le fpectateur
au fait , fe déployent plus naturellement.
On voit en differens recits d'Enée &
de Latinus , l'arrivée des Troyens en
Italie , l'Oracle de Daunus qui défendoit
à Latinus de donner fa fille à un Prince
Italien l'engagement où ce Roi étoit
entré de donner la Princeffe à Enée ; la
rupture de cette alliance caufée par Turnus
& par Amate , les Batailles où ce
Roi des Rutuliens avoit été battu par les
troupes de fon Rival ; le fiege mis devant
la Ville Royale : tout cela fe développe
fans le moindre embarras.
La Scene eft dans le Palais de Latinus ,
où le Prince Troyen vient pendant une
Tréve pour chercher avec Latinus les
moyens de terminer la guerre ; c'eft un
changement que l'Auteur a fait à l'Hiftoire
pour menager l'unité du licu . Turnus
s'obftine malgré les exhortations &
les promeffes de Latinus à ne point ceder
Lavinie à cet étranger. Ces concr rens
ont differens entretiens enſemble , où il
ne
JANVIER 1725. 145
ne fe palle rien d'indigne du caractere
de Heros. Turnus n'y appelle pas fon
Rival comme dans Virgile Phrygien effeminé
, demi homine , &c. Enée fur tout
y parle à Turnus avec une moderation
& des marques d'eftime dignes de fa fageffe.
Une fédition eft excitée cependant
dans la Ville où le peuple, las de la guerre
, prétend que le Roi des Rutuliens
vuide fa querelle avec fon ennemi dans
un combat fingulier. Il reçoit cette propofition
avec joye , & malgré Latinus
malgré Amate , tremblante pour cet illuftre
parent , il propoſe ce combat à Enée
qui eft charmé d'un pareil expedient .
La Princelle qui n'a declaré fon penchant
pour Enée qu'à fa confidente , allarmée
d'un côté par le fang , & de l'autre
par la tendrefle , fait de vains efforts pour
détourner leurs deffeins . La Scene où
elle les conjure de ne le pas executer ,
eft une des plus belles de toute la Piece .
L'Auteur du Journal Litteraire de la
Haye , à la page 25. du 6º vol . en donne
cette traduction .
Lavinie.
Princes , ou courez- vous ? voyez une Prins
ceffe ,
Qui pour fauver vos jours à vos genoux s'abaille
,
Giiij Qui
146 MERCURE DE FRANCE .
D'un amour malheureux moderez le tranſport,
Vous volez au combat , ou plutôt à la mort.
Que vôtre fang verfé me va coûter de larmes !
Cruels , épargnez- moi de fi vives allarmes.
Par quelle aveugle rage êtes - vous agitez ?
Vous voulez m'acquerir , & vous me combattez.
Oui , ces dards dont vos mains menacent vôtre
vie ,
Vont paffer par vos coeurs au coeur de Lavinie
;
Avant qu'ils foient lancez d'une cruelle main ,
J'en fens déja les coups qui me percent le fein.
Princes , vous me voyez fans voix & fans
haleine ,
Ah ! fouffrez que mes pleurs éteignent vôtre
haine.
Et toi , parent illuftre , intrepide Turnus ,
Toi , le plus ferme appui du Trône de Daunus,
Qui menas mille fois aux Villes de tes Peres ,
D'ennemis enchaînez des Cohortes entieres ,
Par un dernier effort couronne ta valeur ,
Combats tes paffions , triomphe de ton coeur.
Non,
JANVIER 1725 .
147
~Turnus.
Non , Princeffe , mon bras a fait peu pour ma
gloire >
S'il ne joint à mes faits la plus noble victoire ,
Si du Heros Troyen ce fer n'ouvre le flanc ,
Et ne lui fait vomir fon ame avec fon fang.
Mais fi par mon trépas mon ennemi t'achete ,
La gloire de Turnus croîtra par fa défaite ;
Princeffe , il perira par un fort des plus beaux,
Pour les plus grands appas , par le plus grand
Heros.
Lavinie.
Puis qu'à mes voeux ardens Turnus eft infenfible
,
Je n'ai recours qu'à toi , Phrygien invincible ,
Toi , qui traînas long- temps fur les flots
courroucez ,
Des forces de Priam les débris ramaffez.
Toi , qui pendant dix ans fur les rives du Xante
Fis redouter tes coups à la Gréce tremblante ;
Qui chargeant fur ton dos ton pere furanné ,
L'arrachas de la flâme & du Grec acharné.
Le Deftin s'obftinant à laffer ta conftance ,
Epura tes vertus , affermit ta prudence.
Ta pieté t'a fait le favori des Dieux ,
Gv Sou146
MERCURE DE FRANCE.
D'un amour malheureux moderez le tranfport,
Vous volez au combat , ou plutôt à la mort.
Que vôtre fang verfé me va coûter de larmes
Cruels , épargnez - moi de fi vives allarmes.
Par quelle aveugle rage êtes - vous agitez ?
Vous voulez m'acquerir , & vous me combattez.
Oui , ces dards dont vos mains menacent vôtre
vie ,
Vont paffer par vos coeurs au coeur de Lavinie
;
Avant qu'ils foient lancez d'une cruelle main,
J'en fens déja les coups qui me percent le fein.
Princes , vous me voyez fans voix & fans
haleine ,
Ah ! fouffrez que mes pleurs éteignent vôtre
haine.
Et toi , parent illuftre , intrepide Turnus ,
Toi , le plus ferme appui du Trône de Daunus,
Qui menas mille fois aux Villes de tes Peres ,
D'ennemis enchaînez des Cohortes entieres ,
Par un dernier effort couronne ta valeur ,
Combats tes paffions , triomphe de ton coeur.
Non,
1
JANVIER 147 1725.
-Turnus .
Non , Princeffe, mon bras a fait peu pour ma
gloire
S'il ne joint à mes faits la plus noble victoire ,
Si du Heros Troyen ce fer n'ouvre le flanc ,
Et ne lui fait vomir fon ame avec fon fang.
Mais fi par mon trépas mon ennemi ť'achete ,
La gloire de Turnus croîtra par fa défaite ;
Princeffe , il perira par un fort des plus beaux,
Pour les plus grands appas , par le plus grand
Heros.
Lavinie.
Puis qu'à mes voeux ardens Turnus eft infenfible
,
Je n'ai recours qu'à toi , Phrygien invincible ,
Toi , qui traînas long- temps fur les flots
courroucez ,
Des forces de Priam les débris ramaffez .
Toi , qui pendant dix ans fur les rives du Xante
Fis redouter tes coups à la Gréce tremblante ;
Qui chargeant fur ton dos ton pere furanné ,
L'arrachas de la flâme & du Grec acharné.
Le Deſtin s'obstinant à laffer ta conftance ,
Epura tes vertus , affermit ta prudence.
Ta pieté t'a fait le favori des Dieux ,
Gy
Sou148
MERCURE DE FRANCE .
Soutiens , fage Heros , ce titre glorieux .
De ton fier ennemi menage la jeuneffe ,.
Dans un âge plus meur fais voir plus de fagefie
Par une heureuſe paix meſts fin à tes travaux
Qu'un doux noeud d'amitié ferre ici deux
rivaux .

Loin du trifte appareil d'un fatal Hymenée ,
Je pafferai ma vie aux larmes deſtinée.
Occupée à pleurer des amis , des parens ,
Que le fort par tes mains terraffa dans nos
champs.
Après la mort du Roi , l'on me verra moimême
,
Sur ton augufte front pofer fon Diadême.
Rens toi , je t'en conjure au nom de cette ar
deur ,
Que Creufe autrefois alluma dans ton coeur .
Enée.
L'ombre de cette épouſe à mes bras échapée ,
Sçût calmer la douleur dans mon ame frapée ,
Quand elle me prédit qu'au pays du Latin ,
De la fille d'un Roi je recevrois la main.
A cet heureux Hymen l'arreft des Dieux
m'appelle ,
Je
JANVIER . 1725 . 149
Je foutiendrai mes droits à leurs ordres fidelle
,
Ma pieté l'ordonne , & ta rare beauté ,
Fait encor fur mon coeur plus que leur volonté.
Turnus.
Adieu , Princeffe , adieu , je tombe fous fes
armes ,
Où je reviens à toi , poffeffeur de tes charmes.
Lavinie.
Princes ....... Ils font partis , impitoyables
Dieux , & c .
Latinus apprend bien- tôt l'iffue du combat
& la mort de Turnus. Ce Prince
même ne demande pas la vie ici comme
dans Virgile ; les fpectateurs la demandent
pour ce Heros tout prêt à recevoir
la mort avec intrepidité. Le Poëte a fort
bien fait de changer cette circonftance ;
on lui auroit pardonné volontiers une
liberté plus grande , & il auroit parfaitement
bien fait d'épargner à Enée l'infigne
lâcheté de tuer fon Rival de fang
froid.
Lavinie approche de fon pere , dès que
voulant lui raconter le fuccès du combat,
il a prononcé le nom d'Enée ; la Prince
ffe l'interrompt bruſquement , faiſie de
G vj dou150
MERCURE DE FRANCE .
douleur , elle lui demande fi Enée eft
tombé fous les coups de Turnus , & parlà
elle lui découvre fa paffion pour cet
étranger . Cet endroit et bien menagé ,
mais il auroit fait encore plus d'impreffion
, fi jufques- là on n'avoit eu la moindre
connoillance du penchant de Layinie
.
que
Le recit de la mort d'Amate pourroit
trouver encore des Critiques ; elle fe
pend , defefperée de la mort de Turnus ;
& par tendreffe pour lui , auffi bien
par haine contre Enée. La pendaifon fait
une impreffion dégoûtante dans l'efprit
de la plupart des peuples . On meurt
d'une mort plus Theatrale par le poiſon
ou par le poignard.
Le fujet de la feconde Tragedie eſt
pris des Metamorphofes. C'eft Scylla ,
qui charnée de la bonne mine de Minos,
trahit la Ville de fon pere Nifus , en livrant
à l'objet de fa tendreffe un cheveu
de couleur de pourpre , dont dépendoit
la confervation de l'Etat.
Pour menager à cette Hiftoire la bienféance
du Theatre , le Poëte y fait plufieurs
changemens neceffaires.
Il fubftitue au cheveu de pourpre , un
bouclier , de la confervation duquel dépendoit
la Couronne de Nifus . Scylla le
prend en cachette , & le porte à Minos
dans
JANVIER 1725. 151'
dans fa tente, devant les murs d'Alcathée
où toute l'action fe paffe, Les Prêtres ne
voyant plus ce gage facré , excitent une
fédition dans la Ville , & la font tomber
entre les mains du Roi de Créte . Scylla
ne fe découvre pas d'abord à Minos ; mais
elle confeffe hardiment fon crime à Dorife
, fa Confidente , qui étoit parmi les
prifonniers , où étoit encore Nifus ; Ifmene
, foeur de Scylla , & Phocus , Amant
d'Ifmene , fils d'Eacus , Roi d'Ethiopie,
le plus vaillant défenſeur des murs où fa
Maîtreffe avoit vû le jour. Scylla eft
reconnue , & fon crime eft découvert par
fes parens , ce qui donne lieu à des difcours
très-pathetiques . Minos n'a que de
l'horreur pour le fervice odieux que la
perfide Scylla lui a rendu ; fon mépris la
rend defefperée , & dans fes difcours on
voit ce flux & reflux de tendreffe & de
rage , qu'un amour méprifé fait naître
dans des coeurs corrompus & des efprits
violens.
Toute la tendreffe du vainqueur panche
vers Ifmene , auffi vertueufe que fa
foeur eft criminelle ; il tâche en vain de
chaffer du coeur de cette Princeffe l'image
de fon cher Phocus ; fa conftance la
rend plus eftimable aux yeux de Minos ;
mais maîtrifé de fa paffion , il s'obſtine
à la vouloir fatisfaire : Ifmene doit
I'é152
MERCURE DE FRANCE.
l'époufer , ou voir immoler à fes yeux
fon pere ou fon Amant , & choifir la victime
elle- même ; ces malheureux font
bien-tôt inftruits d'une fi cruelle réfolution
, ils fçavent qu'il faut qu'Ifmene
foit inconftante , ou bien que l'un d'eux
meure , & que l'autre foit mené en
triomphe.
Rien n'eft plus touchant que cette par
tie de la Piece ; Ifmene ne veut pas renoncer
à fon époux , elle ne veut pas le
voir mourir , elle ne fçauroit fe réfoudre
à prononcer la Sentence de mort contre
l'Auteur de fa vie . Les grands fentimens
n'éclatent pas moins dans les difcours de
l'Amant & du Pere ; obftinez tous deux à
mourir pour le fauver la vie l'un à l'autre
, & pour ne point fuivre honteuſement
le char du vainqueur. On feroit
ravi qu'une bonne main voulut traduire
ces morceaux exactement & élegamment ;
le lecteur feroit charmé de les comparer
avec ce qu'on voit de plus touchant dans
Corneille & dans Racine.
Minos enfin deſtiné à adminiftrer après
fa mort la juftice aux ombres , fait fur fa
propre injuftice des réflexions ferieuſes .
Il reprend un noble empire fur lui - même
, & il couronne la conftante tendre fle
des deux Amans vertueux par un heureux
mariage ; en même temps il rend
à

ANVIER 1725. -153
à Nifus fes Etats , content de fe réſerver
un leger tribut.
La joye que cauſe la magnanimité imprévue
du Roi de Crete , eft troublée par
le recit de la mort de Scylla , qui chaffée
honteuſement de la prefence de Minos
& le voyant prêt à s'embarquer fans
elle , s'eft poignardées fon pere & fa
foeur qu'elle avoit fi indignement trahis
, ne laiffent pas d'être touchez de fon
fort , & d'honorer fon trépas de quelques
larmes. Je fuis , &c.
NOUVELLES DU TEMPS.
TURQUIE .
N écrit de Conftantinople que les
O troupes commandées par le Gouverneur
de Wan , ont penetré jufques à
la Ville de Taurus pour en faire le fiege ,
mais que les habitans ont pris les armes ,
à l'exemple de ceux d'Hamadan & d'Erivan
, pour le défendre jufqu'à la derniere
extrêmité . On croit cependant que
la faifon étant fort avancée , cette entreprife
fera renvoyée au printemps prochain
.
Le nouveau Kan des Tartares de Crimée
,
154 MERCURE DE FRANCE .
mée , ayant eu audience du Grand Seigneur
, qui lui a donné un ſabré , enrichi
de diamans , & fait plufieurs autres magnifiques
prefens , partit de Conftantinople
le 1. Novembre , pour aller prendre
poffeffion de fa dignité. Le Grand Vifir
l'accompagna à une lieuë de la Ville , où
il avoit fait preparer un magnifique dîné
fous des tentes.
L
RUSSIE.
E 5. de l'autre mois à Petersbourg ,
tous les Miniftres Etrangers fe rendirent
après- midi à la Cour , où ils avoient
été invitez la veille , pour affifter aux
fiançailles du Duc d'Holstein avec la Princeffe
Anne. Le Czar en fit lui - même la
ceremonie , en faisant l'échange des bagues
, & en donnant un baifer aux époux ;
après quoi l'Archevêque de Novagrod
leur donna fa benediction . Cette ceremonie
fe termina par de grandes acclamations
du peuple . La Princeffe fiancée prefenta
enfuite un verre de vin à leurs Majeftez
Czariennes , au Duc fon époux , &
aux principaux Seigneurs & Dames , dont
elle reçût alors les complimers . Le feftin
qu'on avoit preparé à cette occafion , fut
précedé d'un magnifique feu d'artifice ,
& fuivi d'un bal .
Le Czar a fixé le prix des grains &
des
JANVIER 1725. 155
des autres denrées neceffaires pour les
habitans de Peterſbourg , & il a fupprimé
les droits d'entrée que ces Marchandifes
payoient auparavant.
Le jeune Prince des Tartares Calmuques
, qui eft venu à Peterſbourg pour fe
faire baptifer , doit retourner inceffamment
dans fon pays , avec quelques Prêtres
Grecs qui feront chez lui les fonctions
de Miffionnaires.
On mande de Petersbourg que l'on y
Imprime actuellement en Langue Ruffienne
la vie du Czar regnant , que ce
Prince a dictée lui - même à M. Lubras
fon Secretaire , afin de prévenir les Hif
toires peu fideles qu'on pourroit publier
de fon Regne.
POLOGNE.
TRADUCTION de la Réponſe du Roi
de Pologne aux Magiftrats
de Thorn , & c.
E contenu de vôtre très - humble interceffion
enfaveur de Jean - Henri Zernick,
Vice- President , Bourgue- Maîtres
en datte du 9. de ce mois , nous a été exposé
respectueusement. Comme nous prenons fort
à coeur le trifte état où la bonne Ville de
Thorn vient d'être réduite par le dernier
tumulte
156 MERCURE de France .
tumulte , après avoir été d'ailleurs exposee
à de grandes calamitez , nous aurions fort
fouhaité que les conjonctures euffent pu
permettre de prononcer en nôtre nom une
Sentence moins rigoureufe , ou du moins
de la moderer dans l'execution , & le pardon
que nous avons accordé de nôtre propre
mouvement au Vice- Prefident Zernich
, même avant l'arrivée de votre Lettre
d'interceffion , vous fera connoître que nous
fommes portez à agir plutôt fuivant les
mouvemens de notre tendreſſe paternelle
que felon la rigueur de la Juftice. Donné
à Varfovie le 13. Decembre 1724. figné ,
Augufte , Roi , & plus bas , J. H. Comte
de Flemming.
و
Depuis que le Roi de Pologne eft arrivé
à Dresde , il a écrit aux Magiſtrars de
Dantzick , pour leur défendre de donner
aucune retraite ou affiftance aux fugitifs
de la Ville de Thorn , leur enjoignant au
contraire de les arrêter , & de les mettre
entre les mains de la Juftice.
S. M. Polonoife a reçu une Lettre du
Roi de Pruffe , dattée de Berlin du 18 .
Novembre dernier , par laquelle ce Prince
prie S. M. de furfeoir l'execution de
la Sentence rendue contre la Ville de
Thorn , de nommer des perfonnes équitables
, choifies dans les deux Religions ,
pour revoir l'affaire , & interroger de
nouJANVIER
1725. 157
nouveau les accufez ; en cas de conviction
de préferer la clemence à la rigueur de la
Juftice , de proteger & maintenir par
l'autorité Royale les privileges & les
libertez de cette Ville , qui eft compriſe
dans le Traité de Paix d'Oliva , ainſi que
les autres Villes de la Pruffe Polonoife
que les Princes Proteftans qui font gafants
de cette paix , font obligez de proteger
, & de faire quelque attention fur
les fuites que l'execution de cette Sentence
pourroit avoir.
و ت
Le 14 de l'autre mois on proceda à
Thorn à l'élection des Magiftrats , dans
les quatre places qui font remplies par
les Catholiques , on a été obligé d'y mettre
deux Etrangers.
On mande de Stokolm que le Roi de
Suede a encore écrit au
"
Roi & à la République
de Pologne qu'il a appris «
avec beaucoup de regret & de fenfibi- «
lité que l'on ait procedé contre les ha- «
bitans de Thorn d'une maniere fi feve- «
re , & qu'on prétende s'emparer de «
leurs Eglifes & de leurs biens ; qu'il ne «<
peut fe difpenfer d'interpofer fes in - c
ftances en faveur de cette Ville , afin <<
qu'elle ne foit point dépouillée de fes «
privileges , & que l'ancienne alliance <<
entre les deux Couronnes ne reçoive «
par - là aucune atteinte . «
M.
158 MERCURE DE FRANCE.
M. Poniatouski , Treforier de la Cou
tonne de Pologne , a été nommé pour
remplir la Charge de Colonel des Gardes
de S. M. vacante par la démiffion volontaire
du Comte de Flemming.
Le Roi de Pologne a fait publier dans
touté l'étendue de fon Electorat de Saxe
une Ordonnance par laquelle il eft défendu
de rien écrire , publier ou imprimer
touchant l'affaire de Thorn.
Suivant quelques avis de Berlin , le
Roi de Pruffe avoit réfolu en plein confeil
de faire marcher un corps de troupes
vers la Pruffe Polonoife , pour maintenir
les Proteftans dans la joüiffance des privileges
ftipulez par le Traité de Paix ,
conclu au Monaftere d'Oliva le 3. Mai
1560. entre Charles Guftave , Roi de
Suede , & Jean Cazimir , Roi de Pologne .
ITALIE.
Odi,
Prefident de la
Fabrique de
N mande de Rome que M. Sogar-
S. Pierre , fait fraper des Medailles d'or
& d'argent , avec l'empreinte de la Statue
de Charlemagne , qui vient d'être
érigée dans le portique de la Bafilique
Vaticane , & qui fera découverte après
les ceremonies de l'ouverture de la porte
Sainte. Ces Medailles feront diftribuée
JANVIER 1725.
159
buées aux Princes Catholiques del'Europe
& aux Cardinaux ,
On apprend de Piémont que les Alpes
font couvertes d'une fi grande quantité
de neige , que les couriers ont beaucoup
de peine à paffer : on n'en a jamais tant
vu auffi fur les montagnes de Savoye , &
en beaucoup d'autres endroits.
Le 17. Decembre le Pape remit , avec
les ceremonies ordinaires, à M. Thomas
Munez -y -Flores , Auditeur de Rote , la
Bulle du Jubilé univerfel de l'année
Sainte , dont M. Frederic Cornaro , dernier
Auditeur de Rote , fit la lecture , au
Palais du Vatican , qui fut fuivie d'une
falve generale de l'artillerie du Château
S. Ange , & du bruit des Tambours &
des Trompettes des troupes de la garde
de S. S. Le même jour après midi les
Couriers Apoftoliques fe rendirent avec
le cortege ordinaire aux Eglifes de Saint
Paul , de S. Jean de Latran & de Sainte
Marie Majeure , où ils publierent la Bulle
du Jubilé , au fon des Tompettes & des
Tambours devant les portes dorées de
chacunes de ces Eglifes , dont l'ouverture
doit être faite , à l'occafion de l'année
Sainte .
On mande de Sienne qu'on y avoit
reffenti depuis peu de frequentes fecouffes
de tremblement de terre qui avoient
caufe
160 MERCURE DE FRANCE.
caufé quelques dommages dans les environs
de cette Ville , & qu'il étoit tombé
une fi grande quantité de neige dans les
montagnes voiſines , que toutes les rivieres
du pays étoient débordées. L'Arne eft
fortie de fon lit , & a inondé en moins
de deux heures une grande étenduë de
pays , ce qui n'eſt pas ordinaire à cette
riviere , principalement dans cette faifon.
On a appris depuis que ce tremblement
de terre avoit caufé beaucoup plus
de dommages qu'on ne l'avoit dit d'abord.
Il a duré près de 10. heures , & il a renverfé
plufieurs bâtimens à la campagne.
Le Cardinal Alberoni prit poffeffion à
Rome le 17. Decembre de fon titre de
S. Adrien , in Campo Vaccino.
Des Lettres de Florence portent que
l'Empereur a fait fignifier au Duc de
Mafla , par le Gouverneur de Milan ,
qu'il lui défend de vendre ou aliéner fon
Duché , fous peine de fon indignation .
On ajoûte que le Comte Charles Borromée
, Plenipotentiaire de l'Empereur , a
été chargé depuis peu par la Cour de
Vienne , de s'oppoſer à l'aliénation de ce
Duché , & il a dû declarer au Duc de
Mafla , que S. M. I. refufoit de confentir
à la vente qu'il vouloit faire de fon Duché
, & qu'elle n'en accorderoit jamais
l'inveftiture à la République de Genes ,
au
JANVIER 1725 .
161
au cas , que malgré cette défenfe il hazardât
d'en figner le Traité .
Le Pape a nommé Prelats affiftans de
fon Trône , M. Antoine - Marie Palavicini
, Archevêque Titulaire de Lepante,
Votant de la Signature de Grace , & Secretaire
de la Congregation de la Vifite
Apoftolique , M. Alexandre Borgia ,
Archevêque de Fermo , & le Pere Jean-
Paul Torri , Evêque d'Andria.
Le 20. Decembre Sa Sainteté a declaré
au Sacré College dans un Confiftoire
fecret , qu'il avoit deffein d'affembler le
Sinode Romain aux Fêtes de Pâques prochaines
, & qu'il avoit fait Cardinaux M ,
Profper Marefofchi de Macerata , Archevêque
de Cefarée , fon Auditeur , & le
Pere Auguftin Pipia , de Sardaigne , General
de l'Ordre des Dominiquains , &
qu'il avoit proposé pour l'Evêché d'Ofimo.
A la fin du Confiftoire , le Pape ouvrit
la bouche au Cardinal Vincent Petra
, auquel elle donna le Titre de faint
Onufre , vacant depuis le 28. Juin dernier
par la mort du Cardinal Spada : il
accorda enfuite le Pallium à l'Archevêque
de Fermo , à l'Archevêque de Befançon
, & à l'Evêque du Puy-en - Ve
lay.
Le 21. les Dominiquains s'étant affemblez
162 MERCURE DE FRANCE.
femblez dans leur Convent de fainte Marie
fur la Minerve , on lut un Bref du
Pape , par lequel Sa Sainteté continuë le
Cardinal Pipia dans les fonctions de General
de l'Ordre de S. Dominique , juf
qu'au Chapitre general , qui doit fe tenir
dans la Ville de Bologne aux Fêtes
de la Pentecôte prochaine : par un autre
Bref ,
le Cardinal Marefofchi a confer
vé , jufqu'à nouvel ordre , le titre & les
fonctions d'Auditeur du Pape..
Le 23. S. S. tint un Confiftoire public
, dans lequel elle donna le Chapeau
aux deux nouveaux Cardinaux , & leur
fit compter à chacun 3000. écus pour
contribuer à former leur Maiſon.
Le même jour , l'Edit pour la reforme
des Prêtres & des Abbez ayant Benefice ,
fut publié . Il défend abfolument de porla
ter la perruque , & ordonne de porter
foutane , ou habit long defcendant jufqu'aux
pieds.

Le Prince Electoral de Baviere , &
le Prince Ferdinand fon frere , arriverent
à Rome le 23. du mois dernier , pour
voir , incognito , les Ceremonies de l'ouverture
de la Porte Sainte. L'Abbé Scarlati
, Miniftre des Princes de cette Maifon
, alla les recevoir hors des portes de
la Ville , & les conduifit au Palais de
Nevers qu'il avoit fait preparer pour
eux .
JANVIER 1725.
163
eux. Le ape leur a donné une Audience
particuliere , & leur a fait prefent
de quelques Reliques , & d'un morceau
de la vraye Croix .
Le même jour le Pape donna à Dom
Leonard Tocco , Prince de Montemileto
la Charge de Capitaine de la feconde
Compagnie des Chevaux - Legers de la
Garde , vacante par la mort du Duc de
Guadagnole .
Le 24 on publia par ordre de S. S.
que les Evêques & les Députez du Clergé
de toutes les Villes qui reconnoiſſent
Romepour leur Eglife Patriarchale , euffent
à s'y rendre le 8. du mois d'Avril
prochain , jour de la Quasimodo , afin de
s'y trouver au Concile Romain , que le
Pape a jugé à propos de convoquer.
Le même jour après midi , le Clergé
Seculier & Regulier de Rome ſe rendit
au Palais du Vatican.
Le Pape , les Cardinaux , & les Evêques
s'étant revêtus de leurs ornemens
Pontificaux , de damas blanc , & ayant la
Mitre en tête , s'affemblerent auffi dans
la Chapelle de Sixte , où ils entendirent
les Vêpres , après lefque les S. S.
entonna le Veni Creator ; après l'Hymne
le Sacré College fe rendit proceffionnellement
au grand Portail de l'Eglife
de S. Pierre , où le Pape fe plaça fur un
Trône H
164 MERCURE DE FRANCE.
Trône qui lui avoit été preparé ; il y
recita quelques Orajfons ; & ayant pris
un marteau d'or il defcendit de fon
Trône , & frappa par trois fois la Porte
fainte qui étoit murée , & que l'Architecte
& les Maîtres Malfons, qui étoiene dans
l'Eglife , acheverent d'ouvrir . S. S. ayant
commencé l'Antienne , Aperite mihi portas
juftitia , fe remit fur fon Trône .
pendant que les Penitenciers de l'Eglife
de S. Pierre lavoient la Porte fainte avec
de l'Eau- benite. Enfuite les Muficiens de
la Chapelle Fontificale chanterent le
Pleaume , Jubilate Deo omnis terra , &
lorfqu'il fut fini , le Pape prit la Croix ,
defcendit de fon Trône ; & s'étant mis
à genoux devant la Porte fainte , il entonnale
Te Deum, qui fut fuivi des Complies
, après lefquelles les Cardinaux ,
ayant quitté leurs ornemens Pontificaux,
& repris leurs Chapes , ils reconduifirent
Sa Sainteté dans fes appartemens .
Le 25. jour de la Fête , le Pape celebra
une Meffe baffe à fept heures du
matin , & vers les dix heures , s'étant
, rendu à fon Trône il tint Chapelle
pour l'Office de Tierces , après lequel ·
S. S. celebra pontificalement la Meſſe à
l'Autel , dit la Confeffion des Apôtres
& elle eut ce jour - là pour Affiftans les
Cardinaux Paulucci , Imperiali , Altieri,
&
:
JANVIER 1725. 165
& Alberoni. Les Ambaffadeurs & Miniftres
Etrangers occuperent leurs places
ordinaires , & le Connêtable Colonne y
affifta en qualité de Prince du Soglio.
Après la Meffe le Pape fut porté à la
grande Loge du Portail de l'Eglife , où
il donna au peuple , qui y étoit affemblé
, fa benediction qni fut fuivie d'une
falve generale de l'artillerie du Château
S. Ange.
Le 28. S. S. fit expofer à la veneration
des Fideles les Reliques de deux
Martyrs , qu'il deftinoit à la confecration
de l'Autel du Rofaire de la Chapelle
interieure du Palais , & le 29. elle confacra
cet Autel .
Dom Jofeph de Cohorne de la Palun ,
nommé par le Pape à l'Evêché de Vaifon
, dans le Comtat d'Avignon , fut ſacré
à Rome le premier de ce mois , dans
l'Eglife de S. Laurent in Lucina , par le
Cardinal Gualterio , affifté de Mrs Doria
& Vallemani . S. E. donna enfuite à cette
Occafion un grand repas au Cardinal de
Polignac , aux deux Evêques Affiftans
& à une partie des Prelats qui avoient
été à cette Ceremonie. La Maifon de
Cohorne eft originaire de Suede , où elle
a produit plufieurs hommes illuftres . La
Branche dont eft iffu l'Evêque de Vaifon
, s'établit à Avignon en 1474. pen-
Hij dant
166
MERCURE
DE FRANCE.
dant le Regne de Chriſtian , premier Roi
de Suede & de Dannemark , & fous le
Pontificat du Pape Pie IV .
Le 3. le Cardinal Cienfuegos , chargé
des affaires de l'Empereur à Rome , eut une Audience extraordinaire
du Pape
, auquel il remit le Decret autentique
de Sa Majefté Imperiale pour la reftitution
de Commaccio . On allure , qu'en
reconnoiffance
de cette ceffion , Sa Sain,
teté a accordé à l'Empereur une Bulle
pour la levée des Decimes fur toutes les
Terres appartenantes
au Clergé, tant Seculier
que Regulier des Pays hereditaires
, que la Maifon d'Autriche poflede
en Allemagne .
On mande de Florence , qu'on a mis
ordre du Grand Duc , touen
liberté
par
tes les perfonnes qui avoient été arrêtées
à l'occafion des Billets de la Lotterie de
Gennes , dont on a parlé , mais elles ont
été condamnées chacune à 200. écus d'amende
& à quelques aumônes,
LE
ESPAGNE.
.
E Chevalier de Conflans qui eft
de Madapart
venu à Madrid de la
me la Ducheffe d'Orleans & du. Duc
d'Orleans , pour complimenter
le Roi
& la Reine fur la mort du Roi d'Efpagne
Dom Louis , fe prepare à partir
pout
JANVIER 1724
167
pour retourner à Paris. Il a obtenu l'agrément
de S. M. C. pour le retour de
la Reine Douairiere , veuve de ce Prince
, en France , où l'on croit qu'elle fe
rendra vers la fin du mois d'Avril prochain.
Le 3. de ce mois M. de Vander- Meer,
Ambaffadeur de la Republique d'Hollande
, accompagné du Marquis de Villa
- Real , Majordome du Roi , & conduit
par le Comte de Villa- Franca , Introducteur
des Ambaffadeurs , fit fon
Entrée publique à Madrid .
La Cavalerie Espagnole eft prefque
toute remontée , & l'Infanterie fera habillée
de neuf au Printemps prochain .
,
Le 6. de ce mois , Fête de l'Epiphanie
, le Roi & le Prince des Afturies ,
affifterent à la Meffe folemnelle , qui fut
celebrée dans la Chapelle Royale , &
S. M. y porta l'Offrande ordinaire de
trois Calices avec les ceremonies ordinaires.
On a reçû la confirmation des premiers
avis qu'on avoit eus du naufrage
de l'Amiral Guevara , qui étoit parti
de Madrid vers le mois d'Aouft dernier
, à bord d'un Vaiffeau qui a peri
fur les côtes de l'Ile de S. Domingue ,
où l'Amiral a eu le malheur de fe noyer,
Hij quoi168
MERCURE DE FRANCE.
quoique la plus grande partie de fon
Equipage fe foit fauvée .
Par un Bref datté du 31. Juillet dernier
, le Pape a ordonné , qu'on inſereroit
dans le Martyrologe Romain les
deux cens Martyrs du Monaftere de faint
Pierre de Cardone , Ordre de faint Benoift
, Diocéfe de Burgos ; & aux Religieux
des Eglifes qui poffedent leurs
Reliques , de celebrer à certain jour de
l'année une Meffe folemnelle , avec une
Oraifon particuliere pour l'invocation de
ces Martyrs.
L'autre
PORTUGAL.
'Ouragan du 19. Novembre a auffi
caufé beaucoup de dommage dans la
plupart des autres Villes du Royaume ,
de même que dans l'Ile de S. Michel ,
où fept Batimens Marchands ont peri.
Le même Ouragan a auffi caufé de
grands dommages en divers endroits d'E
pagne , entr'autres dans la Ville d'Almeira
, où l'on dit que plus de 400. perfonnes
ont été écrafées fous les ruines des
maiſons renversées ; divers Villages , fituez
fur la côte de Malaga , ont été fubmerzez
ave: la plupart des Habitans .
On a repêché une grande quantité des
marchandifes que l'Ouragan avoit fait
perir à Liſbonne , & on les a expofées
dans
JANVIER 1725. 169
,
dans une grande place , gardées par un
détachement de la Garnifon où les
Proprietaires vont les reconnoître ; &
lorfqu'ils donnent des enfeignemens certains
, on les leur rend , fans exiger aucuns
frais.
On apprend tous les jours de nouveaux
naufrages , dont le détail feroit
trop long. On mande de Gibraltar , que
la tempête du 19. Novembre dernier
avoit fait perir 20. Vaiffeaux de differentes
Nations dans la Baye. La Fidelité
, commandée par le Capitaine Toye,
& un Vaiffeau de la Compagnie des Indes
d'Hollande , ont fait naufrage près
de l'Ile de Madere le premier du mois
de Decembre dernier ; de 240. Soldats
ou Matelots , qui montoient ce Vaiffeau
Hollandois , 214. ont été noyez :
les Marchandiſes & 1500. barres d'argent
dont il étoit chargé , ont été perdues
dans les écüeils de l'Ifle , contre
lefquels le Bâtiment s'eft brifé : la tempête
qui les a fait perir , a détruit auffi
un Village de cette Ifle & plufieurs habitations
voisines .
ANGLETERRE.
LE
Es Lettres
d'Edimbourg
font
mention
d'une
espece
de prodige
: une
Jeune
fille
qui
s'étoit
couchée
en fort
Hiiij bonne
170 MERCURE DE FRANCE.
bonne fanté , avoit dormi 14. jours & 14-
nuits fans fe réveiller.
Le 2. de ce mois la jeune Princeſſe
dont la Princeffe de Galles eft accouchée
depuis peu , fut baptifée à Londres
, & nommée Louife , au nom du
Prince Royal de Pruffe , de la Princeffe,
foeur de ce Prince , & de la Princeffe
Amelie , l'une des filles du Prince de
Galles.
Suivant l'Extrait des Regiftres des
Paroiffes de Londres , il a été baptifé en
cette Ville , depuis le 21. Decembre
1723. jufqu'au 26. Decembre 1724.
9902. garçons & 9468. filles , & il eft
mort pendant le même temps 25952 .
perfonnes , de forte que le nombre des
morts eft de 3245. moindre que celui de
l'année paffée.
Le Docteur Wofton , nouvel Evêque
d'Exefter , & le Docteur Clavering
nouvel Evêque de Landaff, ont reçû depuis
peu à Londres l'impofition des mains,
felon le Ceremonial & les Rites de l'Eglife
Anglicane.
PAYS - BAS.
>
L
Es Deputez de la nouvelle Compagnie
de Commerce des Pays - Bas ,
font revenus depuis peu de Vienne ; Sa
Majefté Imperiale a cedé encore à cette
Com .
JANVIER 1725. 171
Compagnie les établiflemens faits aux
Indes Orientales avant les Lettres Patentes
de fon établiffement , & principalement
celui de Coblon fur la côte de Coromandel
, à condition qu'elle contentera
les Particuliers aufquels elle eft redevable
de ces établiffemens.
XX.XXX.XXXXXXXXXX
MORTS des Pays Etrangers .
Lam
A Princeffe Abaffi , Doüairiere du
dernier Prince de Tranfylvanie ,
mourut à Vienne le 2. de ce mois .
que
Dom Antoine Oforio de Mofcofo ,
Marquis d'Aftorga , Comte d'Altamira,
l'un des 5. Seigneurs Espagnols le
Roi de France avoit fait propofer dans
le Chapitre tenu à Verfailles le 3. du
mois de Juin dernier , pour être Chevalier
de l'Ordre du S. Efprit , mourut
à Madrid le 3. de ce mois âgé de 35 ..
ans .
Le Cardinal François Acquaviva eft
mort à Rome le 9. de ce mois dans la
foixantiéme année de fon âge , étant né
à Naples le 4 , Octobre 1665. Il étoit
Cardinal Prêtre du Titre de fainte Cecile
, Protecteur des affaires d'Efpagne
depuis l'année 1715. que S.M. C. lui ac-
Hv cor172
MERCURE DE FRANCE.
corda 20000. écus de penfion fur l'Archevêché
de Lima. Au mois de Juillet
1716. le Roi d'Efpagne l'avoit chargé du
foin de fes affaires à Rome , & l'avoit
nommé à l'Evêché de Cordouë. Dans
le Confiftoire du 24. Juin dernier , il
étoit entré dans l'Ordre des Cardinaux
Evêques , fous le Titre d'Evêque de Sabine
. Il avoit été Maître de Chambre du
Pape Innocent XII . & Nonce en Efpagne
en 1700
La Princeffe Dorothée - Elifabeth de
Holftein Sonderbourg , mourut à Vienne
le 7. de ce mois , âgée de 8o . ans . Elle
avoit époufé en premieres nôces le Comte
George- Louis de Sinzendorff , Prefident
de la Chambre Aulique , dont elle
a eu le Comte de Sinzendorff, Chancelier
de la Cour , & en fecondes nôcés
le Maréchal Comte de Rabutin ,
Marquis de Fremonville , duquel elle a
eu le General Comte de Rabutin , nommé
Envoyé Extraordinaire de l'Empereur
à la Cour du Roi de Pruffe.
Dom Jean François de Bete , Marquis
de Lede , Chevalier de la Toifon d'Or ,
Grand d'Espagne , Capitaine General des
Armées de S. M. C. Directeur General
de l'Infanterie Espagnole , & Prefident
du Confeil de Guerre , mourut le 11 .
de ce mois à Madrid dans fa 58. année .
11

173 JANVIER 1725 .
·
Il avoit été Viceroi & Capitaine General
du Royaume de Sicile .
Thomas Guy , fameux Libraire de
Londres , y mourut le 17. de ce mois ; il
fut porté le 18. avec grande pompe à
l'Hôpital de S. Thomas , où fon corps
doit demeurer en dépôt , jufqu'à ce qu'on
ait achevé l'Hôpital qu'il a fondé pour
les malades Incurables , dans lequel on
doit lui élever un Maufolée de marbre :
outre cette fondation , il a fait plufieurs
legs à d'autres Hôpitaux , & il a laiffé
80000. liv. fterlin à fes heritiers .
FRANCE ,
Nouvelles de la Cour , de Paris , & c .
L
E 1. de mois le Duc d'Orleans , le
Duc de Bourbon , & les autres Princes
& Princeffes du Sang , eurent l'honneur
de complimenter le Roi fur la nouvelle
année .
Le même jour les Commandeurs , les
Chevaliers & les Grands Officiers de
l'Ordre du S. Efprit , fe rendirent vers
les dix heures dans le Cabinet du Roi ,
où S. M. tint Chapitre. Le Roi alla en
fuite à la Chapelle du Château de Ver
H vj fail.
174 MERCURE DE FRANCE.
failles , étant précedé du Duc d'Orleans ,
du Duc de Bourbon , du Comte de Charolois
, du Comte de Clermont , du Prince
de Conti , du Duc du Maine , du Comte
de Toulouſe & des Chevaliers , Commandeurs
& Grands Officiers de l'Ordre .
Le Cardinal de Biffi , en Chappe de Cardinal
, marchoit derriere Sa Majefté ,
& le Marquis de Matignon en habit de
Novice , immediatement après les Grands
Officiers. Le Roi , devant lequel les
deux Huiffiers de la Chambre portoient
leurs Maffes , étoit en manteau , le
Collier de l'Ordre par - deffus , ainfi que
les Chevaliers. Le Roi étant entré dans
la Chapelle , on commença le Veni Creator
Spiritus , après lequel le Cardinal de
Biffi , qui avoit été nommé Commandeur
de l'Ordre dès le deux du mois de Fevrier
dernier , prêta ferment & fut reçû
par S. M. avec les ceremonies accoutumées
; le Roi entendit enfuite la Meſſe
qui fut celebrée par l'Abbé Tefniere ,
Chapelain de la Chapelle de Mufique.
Lorfqu'elle fut finie , S. M. donna le
Collier de l'Ordre au Marquis de Matignon
, qui avoit été nommé Chevalier ,
le 3. du mois de Juin dernier. Après
cette ceremonie le Roi remonta dans fon
appartement dans le même ordre qui avoit
été obfervé , lorfque S. M. en étoit fortie,
JANVIER 1725. 175
tie , pour ſe rendre à la Chapelle.
Le 9. de ce mois M. Walpool , Ambaffadeur
extraordinaire du Roi d'Angleterre
, eut une audience particuliere du
Roi , à laquelle il fut conduit par le Comte
de Meflay , Introducteur des Ambafladeurs.
Le 8. de ce mois & jours fuivans les
Prefidens & Confeillers de Grand'-
Chambre , Tournelle & des Enquêtes ,
s'affemblerent pour examiner & entendre
le rapport de M. , de Ruau-Falu &
Delpech de Merinville , Confeillers de
Grand'- Chambre & des Enquêtes , au
fujet des affaires des accufez de la Baſtille
& de la Conciergerie , & autres mentionnez
au procès , & informations qui ont
été faites . Le Duc d'Orleans & le Prince
de Conti y ont affifté. Le nombre des
Juges a monté à près de deux cens. Il y
eut Arreft le 22. de ce mois , portant
que toutes les informations & procedures
faites au fujet des affaffinats , dont il
a été parlé , feroient renvoyées à la Tournelle
, où les procès font pendans , fuivant
les derniers erremens , pour y être
fait droit , conformément aux Lettres
Patentes de Sa Majefté.
On a appris par des Lettres de Nanci
que les Chefs de la Compagnie de Commerce
, & de la Lotterie de Lorraine ont
diſparu ,
196 MERCURE DE FRANCE .
difparu , & ont emporté les fonds des
caifes.
Le 17. de ce mois le Roi partit de
Versailles pour aller à Marly , où S. M.
reftera quelque temps . Il y a outre les
Princes & Princeffes 36. Dames & 72 .
Seigneurs nommez qui ont leurs logemens
à Marly , ainfi fous le regne du
feu Roi.
que
Le 22. de ce mois , avant la féance des
Chambres affemblées , l'Abbé Dantin ,
Evêque de Langres , & l'Abbé de la Farre
, Evêque de Laon , prêterent ferment
& prirent féance au Parlement , en qualité
de Pairs Ecclefiaftiques de France. Le
Duc Dantin donna le même jour un
magnifique repas de plus de 50. couverts
aux Ducs & Pairs qui avoient aſſiſté à la
ceremonie , & à plufieurs Prefidens &
Confeillers du Parlement.
Le Roi a créé depuis peu une fixiéme
Charge d'Intendant des Finances ,
dont il a donné l'agrément à M. Berthelot
de Montchêne , Confeiller au Parlement
, & l'un des quatre Intendans du
Commerce , & S. M. a accordé fa Charge
d'Intendant du Commerce à M. Roul
lé , Maître des Requêtes . Son département
eft , dit on , compofé des Hôpitaux
du Royaume , des Octrois des Villes
, deſtinez à leur entretien , & du
ConJANVIER
1725.
177
Contrôle des Actes & Greffes .
Le Roi fe plaît beaucoup à Marly où
la Cour est très-brillante . La magnificence
, la délicateffe & le goût éclatent
en tout. S. M. prend prefque tous les
jours le divertiſſement de la chaffe ; ſçavoir
, du Cerf, dans la Foreft de Marly ,
du Sanglier & du Chevreuil dans celle
de S. Germain , dont le petit Parc vient
d'être entouré de Palis , pour y mettre
des Cerfs , qu'on tire de Monceaux , &
en lâcher dans la Foreft , lorfque le Roi
en voudra chaffer.
S. M. mange toûjours à fon petit couvert
le matin ; le foir il y a une table de
20. couverts , fervie avec la plus grande
fomptuofité , où le Roi mange avec les
Princes , Princeffes , Seigneurs & Dames
qui font nommez. Il y a jeu de Lanfquenet
, de Quadrille & autres , avant &
après le fouper. Le Roi reviendrá à Verfailles
pour la Proceffion de la Chandeleur
; on compte que Sa Majefté retournera
enfuite à Marly , jufqu'au premier
Dimanche de Carême .
Le Roi a donné au Marquis de Prye,
Chevalier des ordres du Roi , la Charge
de Lieutenant General du Bas - Languedoc
, vacante par la mort du Marquis de
Canillac .
Les fonds deftinez pour le Canal de
Pro178
MERCURE DE FRANCE.
Provence , & qui avoient été réduits aux
trois cinquièmes par le vifa , ont été remis
en entier par une ordonnance de 150000.1.
que le Roi vient de faire expedier fur
le Tréfor Royal , payable en efpeces , à
condition
que l'on faffe inceffamment travailler
à ce canal . M. de Crozat , Tréforier
qui en avoit touché 50000. liv . réduits
à 40005. liv . par la derniere diminution
, a fait indiquer une affemblée
des Directeurs , & principaux Actionnaires
porteurs de vingt Actions & audeffus
cette affemblée fe tint le 9. chez
M. de Crozat , où il fut réfolu que ces
40000. liv. feroient remifes au fieur de
S. Cyprien , Député par la Compagnie
en 1720. pour aller à Rome demander
au Pape Clement XI. la permiffion de
faire paffer ce Canal par fon Territoire
d'Avignon .
MMMMMMMMMMMMMM淡M淡茶 浴
BENEFICES DONNEZ.
'Abbaye des Chanoineffes de Baume ,
L'ordre de S. Benoit , Diocèle de Befançon
, vacante par le decès de la Dame
de Biffy , derniere Titulaire , a été donnée
à la Dame Angelique de Thiard de
Biffy ,
JANVIER 1725. 179
Biffy , Religieufe profeffe dudit Ordre
de S. Benoît.
L'Abbaye Commendataire de Boulencourt
, Ordre de Cîteaux , Diocèfe de
Troyes , vacante par le decès de M. de
Catelan , Evêque de Valence , en faveur
de M. Jean Marie de Catelan , Diacre
du Diocèle de Toulouſe .
L'Abbaye Dacey , Ordre de Cîteaux ,
Diocèle de Befançon , vacante par le decès
de M. l'Abbé de Crouy , en faveur de
M. Philippe de S. André Vercel , Clerc
tonfuré du Diocèfe de Paris .
L'Abbaye de S. Paul de Beaurepaire ,
Ordre de Cîteaux , Diocèſe de Vienne
vacante par le decès de la Dame de Buffa
fant , en faveur de Dame Anne Françoife
de Chafte , Religieufe dans l'Abbaye
de S. Paul de Beauvais.
MARIAGES & MORTS.
Lelife de Saint Sulpice la celebration
E Janvier 1725. on fit dans l'E-
· du mariage de Charles Emmanuel de
Cruffol S. Sulpice , Duc d'Ufez , premier
Pair de France , Comte de Cruffof,
Baron de Florençac, &c. Gouverneur en
furvivance , & Lieutenant General pour
le
180 MERCURE DE FRANCE.
le Roi des Provinces de Xaintonge &
Angoumois , & de Die Emilie de la Rochefoucault
, fille de François , Duc de la
Rochefoucault , Pair de France , Prince
de Marfillac , &c. Chevalier des ordres
du Roi , Grand- Maître de la Garde - Robe
; & de Dane Charlotte le Tellier de
Louvois. L'époux âgé de 18. ans eft fils
de Jean Charles de Cruffol' , Duc
-
d'Ufez , Chevalier des ordres du Roi ,
& de Dane Anne- Marie Marguerite de
Bullion .
Dame Marie İolande d'Eſtrée , épouſe
de M. Hiacinthe Dominique du Laurent,
Chevalier de l'Ordre de Saint Louis ,
mourut à Paris le 1. Janvier 1725. âgée
de 46. ans .
Il y a erreur à l'article qui regarde le
mariage de Dle de la Vieuville , inferé
dans le 1. volume du mois de Decembre
dernier , page 2680. Cette Demoiſelle
a épousé M. de la Luzerne , Comte de
Bufville , Colonel des Cuiraffiers . Elle
eft fille de M. de la Vieuville , Grand
Audiencier de France , & niéce de M. le
Fevre , Intendant & Contrôleur de l'Argenterie
& affaires de la Chambre du
Roi , & Garde des Pierreries de S. M.
M. Michel Boutet , Ecuyer , Seigneur
d'Equilly & de Vitri -le -Croifé , Treforier
General des Varennes , Fauconneries
&
JANVIER 1725 .
181
& Toilles de chaſſe du Roi , Gentilhomme
de la Venerie , & ancien Echevin de
Paris , mort le 8. Janvier , âgé de 70%
ans.
Le même jour M. Charles de la Falis
fe , fieur de Socqueville , Secretaire ordinaire
de la feue Reine , mort âgé de
88. ans.
Le 24 M: Jofeph du Cornet , Avocat
Confultant du premier Ordre , qui s'étoie
acquis une grande réputation par fon
fçavoir & la probité , mourut âgé d'environ
82. ans , generalement regretté.
Damoifelle Lucie de la Rochefoucault
de Fonfeque , de Montdion , de Montandre
, mourut le 11. Janvier , âgée de 92 .
ans fans avoir pris d'alliance.
M. Jacques , Sire de Matignon , Com
te de Thorigny , Baron de S. Lo , Hambie
& Mannouville , Seigneur du Duché
d'Eftouteville , & c. Chevalier des ordres
du Roi , Lieutenant General de fes
armées & de la Province de Normandie ,
Gouverneur des Villes & Citadelles de
S. Lo , Grahville , Cherbourg , & des
Ifles de Chauzai , & c. mourut le 14. âgé
de 80. ans. Il étoit pere du Duc de Valentinois
, & frere aîné du Maréchal de
Matignon. La maifon de Matignon porte
d'argent au Lion de gueules , armé ,
armé , lampaßé
, & couronné d'or.
Louis
182 MERCURE DE FRANCE .
Louis de Rochechouard , fils du Comte
de Rochechouard de Mortemart & de
Dame Marie Magdelaine Colbert de
Blainville , mourut le 21. du même mois
âgé de 17. ans .
Dame Anne Therefe de Zilof , épou
fe de M. Pierre de Mergeret , Maréchal
des Camps & Armées du Roi , Premier
Capitaine du Regiment des Gardes Françoifes
, mourut le 15. âgée de 44. ans.
M. Florimont Charles Langlois ,
Ecuyer , ancien Confeiller- Secretaire du
Roi , le 12. Janvier , âgé de 82. ans.
M. François de la Roquette de Sainte
Croix , Chevalier de S. Louis , Briga
dier des Armées du Roi , & . Gouver
neur de la Ville de Roye , mourut le 17.
âgé de 58. ans .
Nicolas de Quelen Stuart de Cauffade,
Prince de Carency , Comte de la Vauguion
, mourut à Verfailles le 8. de ce
mois dans la 68 année de fon âge.
Guy de Seve de Rochechouart , Evê
que d'Arras , Docteur de Sorbonne , &
Abbe de Saint Michel en Tierache , eft
mort dans fon Diocèſe vers la fin du mois
dernier. Il étoit le plus ancien des Prélats
du Royaume. Le Roi nomme à l'Evêché
d'Arras , en vertu de l'Indult de
Clement IX . en 1668. car cet Evêché
n'eft point du Clergé de France , non
plus
JANVIER 1725. 183
plus que S. Omer & Cambray.
Louis , Vicomte d'Aubuffon , Comte
de la Feuillade , Duc de Roüannois ,
Pair & Maréchal de France , cy- devant
Gouverneur & Lieutenant General pour
S. M. de la Province de Dauphiné ,
mourut à Marly la nuit du 28. au 29 .
de ce mois , âgé d'environ 53. ans , fans
laiffer de pofterité . Il avoit été fait Brigadier
de Cavalerie au mois de Janvier
1702. Maréchal de Camp au mois dẹ
Fevrier fuivant , Lieutenant General en
Janvier 1704 Il prêta ferment & prit
léance au arlement le 26. Novembre
1716. en qualité de Pair de France : il
remit au Roi le Gouvernement de Dauphiné
en Septembre 1719. & fut nommé
Maréchal de France , le 2. Fevrier 1724 ,
D'Aubuffon porte d'or à la croix ancrée
de gueulles.
Le même jour 29. mourut à Paris dans
la 56 année de fon âge , Philippe de
Beaufort de Montboiffier , Marquis de
Canillac , Maréchal des Camps & Armées
du Roi , Confeiller d'Etat d'Epée ,
Lieutenant General pour S. M. dans la
Province du Bas - Languedoc , cy - devant
Confeiller au Confeil de Regence .
SUP
# 84 MERCURE DE FRANCE.
SUPLEMENT.
LETTRE écrite d'Auxerre à M. de la
R.... au fujet d'une nouvelle déconverte
de Médailles Romaines .
L
1
I y avoit long- temps qu'il ne s'étoit
fait dans ce pays - ci de découvertes
confiderables de Médailles . Depuis la
découverte d'une Urne antique de cuivre
faite à Charbui il y a au moins foixante
ans , & celle d'un pot dans un
champ à Pré , il n'en étoit venu aucune
à ma connoiffance. Ces découvertes
ne font attachées ni aux temps ni auxlieux
, c'eſt le pur hazard qui les fait
faire. Nous avons à cinq lieues d'ici ,
fur la riviere de Cure , une petite Ville.
nommée Vermenton , dont il eft fait
mention dans un Diplome du Roi Charles
le Simple de l'an 900. ou environ ,
que le Pere Martenne a donné au Public
dans le premier Tome de fa grande
Collection. C'eſt dans ce lieu qu'eſt un
des plus anciens édifices d'Eglife de tout
notre Diocéfe , au moins quant au Portail
, qui reffemble en quelque maniere
à celui de faint Germain des Prez , ou à
celui de Neelle- la Repofte , que le Pere
MaJANVIER
1725. 18

Mabillon a fait graver dans fes Annales
Benedictines. C'eft auffi à une demi -lieuë
de cette Ville vers le Midi , à l'Orient
de l'Abbaye de Regni , dans les limites
de la Paroiffe de Luci fur - Cure , qu'on
a trouvé des Médailles .
Un Vigneron travaillant dans fa vi
gne le huitiéme de ce mois , & voulant
provigner quelques feps dans le lieu
prefque le plus bas du côteau , fut obligé
de lever la terre que les eaux y avoient
amaffées à la hauteur d'un pied ou environ.
I trouva enfuite des pierres qu'il
lui fallut ôter pour faire la foffe. A peine
eut- il levé les premieres qu'il apperçût
une grande quantité de pieces anciennes
blanches , la plûpart comme de
l'argent & un peu vertes ; d'autres entierement
vertes , plus petites & auffi en
plus grand nombre. Après avoir donné
quelques autres coups de pioche , il en
apperçût encore qui étoient mêlées parmi
les pierres & la terre , & les ayant
ramaffées , il en remplit un petit fac.
Les Anciens du lieu , qui font tout
remplis comme à Auxerre de hautes idées
pour la Comteffe Mahauld , qui avott
un Château à Vermenton , crurent que
c'étoient des pieces de fon temps. A ce
compte elles n'auroient été que du treiziéme
fiecle. UnChanoine d'Auxerre en
ayant
186 MERCURE DE FRANCE .
ayant été informé , a été auffi - tôt fur les
lieux , & les a toutes achetées , de crainte
qu'elles ne fuffent diffipées , comme elles
commençoient déja à l'être. Ce curieux ,
qui ne laille rien paller de ce qui peut
fervir a recommander fa Patrie , foit en
matiere profane , foit en matiere Ecclefiaftique
, m'a avoué ingenuement que
la trouvaille n'eft pas fi confiderable
qu'il fe l'étoit d'abord imaginé ſur le
recit qu'on lui en avoit fait. Car apres
deux petites Médailles de Septime Severe
& une de Gordien Pie , toutes les
autres fe font trouvées des Empereurs &
Tyrans , qui ont vécu depuis le milieu
du troifiéme fiecle jufqu'à Diocletien
exclufivement. Il y en avoit fort peu d'argent
: & celles qui paroiffent en être ,
font de cet argent qui avoit cours fous
les Empereurs Valerien & Gallien , fous
Pofthume & fous l'Empereur Claude.
Toutes les autres qui paroiffent en être,
fe trouvent feulement couvertes d'une
fimple feuille argentée , qui difparoît
lorfqu'on les manie pendant quelque
temps. C'est ce que les Antiquaires appellent
Médailles faucées . Le Chanoine
d'Auxerre eft d'avis que cette vieille
monnoye a pû être cachée en cet endroit
dès le Regne de Numerien. Il ne s'y eft
trouvé dans le tas confus de ces Médailles
JANVIER 1725. 187
les qu'une feule piece fous cet Empereur.
Si je me fers ici du terme de Monnoye
, je crois fuivre le fentiment des
plus habiles . Je fuis convaincu en particulier
, par l'infpection que j'ai faite
de quelques autres trouvailles , & de
celle-ci en dernier lieu , que ces anciennes
pieces ne pouvoient être que de la
monnoye courante du temps des Empereurs
qui y font defignez. Quand même.
une Médaille s'y trouveroit quinze ou
vingt fois repetée avec la mêine legende
des deux côtez , on y voit toûjours une
difference notable , qui fuppofe un creufet
& un monetaire different. Cette difference
ne peut venir que du mouvement
perpetuel qui eft dans le commerce.
Une même perfonne avoit dès - lors ,
comme aujourd'hui , des pieces de monnoye
battuës en vingt ou trente Villes differentes,
& en commerçant elle les répandoit
par tout où elle paffoit, ce qui faifoit
que le pecule d'un particulier ne reffembloit
pas au pecule d'un autre , non plus
qu'aujourd'hui ,cela ne peut fe rencontrer
Ce n'eft pas là la feule fois qu'on la
trouvé des Médailles proche l'Abbaye de
Regni , qui eft de la Filiation de Clairvaux
. On trouva en 1156. dans le même
pays , & fur les Terres de cette Ab-
I baye,
188 MERCURE DE FRANCE.
baye , une quantité fi confiderable de ces
mêmes pieces , dont Miles , Seigneur de
Noyers , voulut fe rendre le maître au
préjudice des Religieux de Regni. L'Acte
qui met fin aux difputes qui furvinrent
à cette occafion , eft une Bulle du
Pape Adrien IV . où ces pieces ne font
point appellées autrement que Cuprum
inventum. ( a ) Alors on n'y regardoit
que la matiere & le poids ; & rien davantage.
Les Evêques d'Auxerre & de
Langres eurent foin de faire reftituer ce
métal . Les Religieux en firent enfuite ce
qu'ils jugerent à propos . Ce qui eft leur
& certain , c'est qu'ils n'en compoferent
point un Médailler. Je fçai même des
endroits du Diocèfe d'Auxerre , où l'on
en a trouvé des boiffeaux entiers , il n'y
a que quatre - vingt ans au plus , & on
les a abandonnez à un Fondeur de cloches
qui les mit auffi -tôt en oeuvres . Que
d'obfervations hiftoriques periffent à jamais
par l'indifference de ceux entre les
mains defquels ces anciennes monnoyes
fe rencontrent.
Luci , où les Médailles dont je vous
écris , ont été trouvées , étoit autefois
un pays tout couvert de bois , comme le
nom le
porte , auffi-bien que Luci -fur-
( a ) Cartul. Regniae. Cap. 65.
Ionne
JANVIER 1725. 189
Tonne & Luci- le- Bois , qui n'en font
éloignez que de quatre ou cinq lieuës. Un
endroit plus nouvellement ellarté dans
le territoire de Luci , s'appelle encore
Effert , d'un nom qui fait voir fon origine.
Il y a à prefent des vignes en ces
endroits , comme prefque par tout ailleurs.
La trouvaille qu'on fit il y a deux
ans dans les vignes de Champeaux au finage
d'Auxerre , & fur laquelle on vous
écrivit dans le temps , n'eft pas fi confiderable.
Ce n'étoit que des reftes d'un
ancien édifice bâti de pierres du pays ,
avec quelques reftes de marbre blanc.
On y apperçût un refte d'aqueduc fouterrain
formé de belles pierres en forme de
nos goutieres anciennes ; on y trouva un
Dens Terminus de pierre fort tendre ,
quelques manches de couteaux , reflemblans
à ceux que les Romains appelloient
Secefpita , cinq ou fix Médailles de cuivre
très- petites , dont la feule qui a été
lifible étoit de Licinius le pere. Je fouhaite
que dans la fuite on trouve ici dequoi
exercer davantage l'attention des
Curieux. J'ai toûjours crû ne devoir pas
negliger de vous donner avis de cette
nouvelle découverte.
Je fuis , &c.
A Auxerre ce 21. Janvier 1725.
I ij
Nous
190 MERCURE DE FRANCE.
Nous prions l'Auteur de cette Lettre
de vouloir bien nous procurer une lifte
des Medailles les plus confiderables de la
découverte en queftion . On y peut trouver
quelque tête rare , ou inconnuë jufqu'à
prefent , ce qui peut fervir à éclaircir
l'Hiftoire ancienne , & à exercer l'érudition
de Mrs les Antiquaires .
Explication des deux Enigmes du fecond
volume du Mercure du mois
de Decembre.
CEs Enigmes fans contredit ,
Font voir que leurs Auteurs n'ont pas perdu
leur peine .
Car en quelque fens qu'on les prenne .
L'une & l'autre eſt pleine d'esprit.
VERS à Madame la Ducheffe d'Orleans ,
pour le premier jour de l'année 172 5.
Une petite figure d'Email les preſentoit.
J
'Etois Marchand , jadis , j'allois offrant aux
hommes ,
Grace au fage Merlin , ce fameux Negromant
,
Tous
JANVIER
191 1725 .
Tous les dons qu'au fiecle où nous fommes
On poffede fi rarement .
Je vendois de l'efprit , mais que fimple &
timide ,
Ne cherchoit point à dominer ;
Aimoit - on la vertu ? j'en avois de rigide
Pour foi- même , & d'ailleurs facile à pardonner
Les foibleffes d'autrui j'avois de toute efpece-
L'égalité d'humeur & la docilité ,
Que la raiſon produit & non pas la foibleffé ,
J'attachois au pouvoir la liberalité ,.
Aux honneurs l'affabilité ,
Rarement on les voit enſemble ?
Vouloit- on du haut rang avoir la dignité ,
J'en feparois l'orgueilleuſe fierté ,
Vain fantôme qui lui reffemble.
Muni de ces Tréfors , je vais dans mainte
Cour
Les expofer ; je crus vendre tout en un jour.
Venez, mortels, chez -moi le vrai merite abonde,
Venez tous , achetez , je ne veux pour profit
Que le plaifir de voir la vertu dans le monde ;
Mais je ne fais point de credit.
I
iij
De
192 MERCURE DE FRANCE.
De la vertu , helas ! on n'a pas le débit.
Je perdis tout mon étalage ,
Jugez de mon étonnement ,
Je n'avois pas au bout d'un long voyage ,
Ce qui s'appelle étrenné ſeulement .
J'arrive enfin à Bade heureufement ;
J'approche du berceau d'une jeune Princeffe
Elle rit à mes dons , s'empreffe , me careffe
Je les lui cedai tous , je n'en réſervai rien :
Qui ne les acquiert pas dès la tendre jeuneffe
Ne les poffede jamais bien.
Avec elle ils ont crû ; de cette ame fi belle ,
Ils ne peuvent être éxilez ,
>
Te le voi bien , c'étoit pour elle ,
Que lerage chchanteur les avoit raffemblez..
*KKKKKKK kkkkkk
IMITATION de la Satire de Perfe ,
Hunc Macrine diem.
E Nfin après deux ans de fervices rendus ,
De chagrins effuyez , & de foins affidus ,
Tu vois le jour , Macrin , choifi par ton
Amante ,
Pour être le témoin de fa fierté mourante ,
Le
JANVIER 19258 193
Le jour , dis - je , où l'Himen fecondant tes
defirs ,
Doit te faire goûter les plus tendres plaifirs .
Par quelques grains d'encens rend toi l'amour
propice ,
Et ne te pique pas d'un plus grand facrifice.
Tu ne veux pas , Macrin , par des dons précieux
,
Acheter la faveur & l'oreille des Dieux.
Tu ne veux pas auffi leur faire des prieres ,
Qui foient à la pudeur comme à leurs loix
contraires.
Laiffe à nos Citoyens cette efpece de voeux ,
Qu'on ne fçauroit former fans en être honteux
.
On dit fouvent aux Dieux dans le temps où
nous fommes ,
Ce que l'on n'oferoit dire au dernier des hommes.
Combien de fois Pifon au pied de leurs Autels
,
Leur a t'il fait l'aveu de fes feux criminels ,
Et les a t'il priez de fe rendre complices ,
Du fuccès qu'il voudroit qu'euffent fes injuftices
?
Son frere que tu fçais être auſſi fou que lui ,
Leur fait part en fecret de fon mortel ennui.
I iiij Quoi194
MERCURE DE FRANCE.
Quoiqu'il ait en partage une pudique époufe ,
La nature l'a fait d'une humeur fi jalouſe ,
Que conftant à la fuivre , il croit à tout mo
"
ment ,
La voir s'abandonner aux tranſports d'un
Amant .
Dans fes foupçons jaloux il fouffre davantage ,
Qu'un forçat qui fe voit à deux doigts du
naufrage;
Mais, dis -moi , que crois -tu que demande à
Pallas ,
Cette mere qui tient foni enfant dans fes bras ?
Ecoute- la . De gra ce , invincible Déeſſe ,
Dit - elle , à cet enfant accordez vôtre adreffe ,
Vôtre coeur , vôtre efprit , vôtre fierté , vôtre
air
Faites qu'avec Cefar il aille un jour du pair ;
Qu'ilfaffe mieux en vers que Virgile & qu'Homere
,
Et qu'il fuive, en un mot,les traces de fon pere
Voilà quels font fes voeux. Cotta , ce débauché
,
Dont le vifage eft pâle & le corps deſſeché ,
Après avoir commis toutes fortes de crimes ,
Tâche de recouvrer à force de victimes
La fanté maintenant l'objet de fes defirs ,
Qu'il
JANVIER 195 1725.
Qu'il prodiguoit jadis à d'infames plaiſirs .
Cléopatre prétend par ſes chants de loüange
Obtenir de Bacchus une bonne vendange ;
Et fa fille Barfine , au vifage fleuri ,
Demande fans remife à l'Amour un mari ,
Tandis que fa cadette importune Cithere ,
De vouloir lui prêter fes agrémens pour plaire.
Si monpere mouroit , dit Narciffe tout bas ,
Pour vous , grands Dieux ! pour vous que ne
ferois - je pas !
Tous les jours fans manquer je vous en rendrois
graces ,
Par le fang épanché de deux geniffes grafſes ;
Et fi mon vieux Coufin , dont j'attends les
grands biens ,
Alloit voir fes ayeux aux champs Elyfiens ;
Avant qu'on eut porté fes cendres dans la
tombe ,
Je vous ferois humer l'odeur d'un Hecatombe.
Ah ! chien , ame de bouë , efprit fimple &
borné ,
Qu'à ramper pour jamais le fort a condamné,
Penfes- tu que les Dieux au comble des délices
,
Soient fi fort affamez de tes grands facrifices ;
I v Que
196 MERCURE DE FRANCE .
Que pour quelques Moutons brûlez fur leurs
Autels ,
Ils vendiffent les jours des malheureux mortels
?
Non , tu juges mal d'eux , ils font trop équitables
,
Pour livrer l'innocence aux prefens des coupables
;
Offre leur , fi tu peux , avec d'humbles tranſports
,
Ce que n'égalent point les plus riches tréfors,
C'est-à-dire , un coeur net , une droiture d'ame,
Un efprit innocent , des moeurs exempts de
blâme ,
Une haute fageffe , un veritable honneur
Enfin une vertu fans faſte & fans rigueur.
Voilà quels font les dons qui leur font agréa
bles ,
Et qui pourroient les rendre à tes voeux far
vorables.
LET
JANVIER 1725. 197
XX:XXXXXXX XXXXXX
LETTRES
PATENTES ,
A
ARRESTS , & c.
RREST du 7. Octobre 1724. & Lettres
Patentes fur icelui , données à Fontainebleau
le 25 Novembre 1724. Regiſtrées en la
Cour des Aydes le 22. Decembre 1724. qui
ordonnent que les Communautez Ecclefiaftiques
, & Gens de Main - Morte , payeront les
Droits d'Aydes , des Vins provenans de leurs
Vignes non amorties.
DECLARATION du Roi , pour regler le
nombre de Chevaux des Charettes à deux
rouës . Donnée à Fontainebleau le 14. Novem
bre 1724. par laquelle il eft dit , qu'à commencer
au premier Juillet prochain , tout
Rouillier ou Voiturier , foit qu'il voiture pour
fon compte particulier ou pour d'autres , ne
puiffe avoir à chaque Charette à deux rouës
que le nombre de Chevaux marqué cy- après
fçavoir , depuis le premier Octobre jufqu'au
premier Avril , quatre Chevaux , & depuis le
Iremier Avril jufqu'au premier Octobre , trois
Chevaux ; à peine contre ceux qui auroient
excedé le nombre de Chevaux ci- deffus limité,
de confifcation des Chevaux , Charettes &
harnois , & de trois cens livres d'amende.
Permettons à ceux qui voudront fe fervir
de Chariots à quatre rouës , d'y atteler telle
quantité de Chevaux qu'ils jugeront à propos
Permettons pareillement pour la facilité de
I vj
lai
198
MERCURE
DE
FRANCE
.
la culture des terres , à tous Fermiers , Laboureurs
, Vignerons & autres , qui tiennent des
biens fonds à Ferme , ou qui en étant Proprietaires
les font valoir par leurs mains , de
mettre tel nombre de Chevaux qu'ils jugeront
à propos , aux Charettes à deux rouës , dont
ils croiront neceffaire de fe fervir pour les
Voitures qu'ils feront dans la diſtance de trois
lieues de leur demeure , pour la culture & exploitation
defdits fonds , & c.
ARREST du même jour , qui débouté les
Marchands de Vin de Paris , de l'oppofition
par eux formée à l'Arreft du fept Mars 1724.
& conformément à la Declaration du vingttrois
Octobre 1708 & à l'Arreſt du vingttrois
May 1724. ordonne que les Droits de
Courtiers- Jaugeurs des Vins & Boiffons venant
des Pays Redimez , feront acquittez au
premier Bureau de Paffage.
DECLARATION du Roi , qui regle le
droit d'indemnité dûe au Roi par les Ecclefiaftiques
& Gens de Main - Morte , pour les
acquifitions qu'ils font dans l'étendue des
Seigneuries ou Juftices Royales. Donnée à
Fontainebleau le 21. Novembre 1724. regiftrées
au Parlement le 27 Janvier 1725.
ARREST du 28. Novembre 1724. & Lettres
Patentes fur icelui , données à Verſailles
les . Decembre 1724. Regiftrées en la Cour
des Aydes le 22. Decembre 1714. qui declarent
communs pour le Comté d'Auxerre l'Arreft
du Confeil du 10. Novembre 1711. & la
Declaration du 29. Avril 1713. intervenuës
pour la Ville , Fauxbourgs & Banlieue d'Orleans
; & en confequence ordonnent que le
droit
JANVIER 1725. 199
droit de Gros fera payé fur tous les Vins venans
du Comté d'Auxerre dans tous les Pays
où le droit de Gros a cours , nonobitant &
fans s'arrêter aux acquits dudit droit de Gros,
donnez par le Fermier des Aydes dudit Comté
d'Auxerre.
ARREST du 12. Decembre , qui confifque
au profit de Martin Girard , deux Pipes & un
Quart de Vin , avec Charette , fix Boeufs &
deux Chevaux , faifis fur les Superieure &
Religieufes de Saint François de la Ville de la
Fleche , & la confifcation évaluée à la fomme
de 300. liv . condamne lefdites Superieure &
Religieufes en 8co. liv. d'amende ; ſçavoir ,
300. Livres fauffe declaration aux Droits
d'Infpecteurs aux Boiffons , & cinq cers livres
pour refus d'ouverture des Portes de
leur Convent , & rebellion par elles faite aux
Commis dudit Girard.
pour
ARREST du 19. Decembre , qui ordonne
que fans tirer à confequence , & pendant une
année feulement , à compter du jour & datte
du prefent Arreft , les Droits d'entrée fur les
Verres en tables , pour vitres , ne feront payez
que fur le pied qu'ils ont été perçûs avant
Arreft du 29. Mai 1688. dont Sa Majesté a
fufpendu l'execution pendant ladite année feulement.
ARREST du 23. Decembre , qui proroge
jufqu'au premier Avril 1725. le delay accordé
aux Gens d'affaires , pour faire liquider
leurs avances , & retirer des mains du Garde
du Trefor Royal , les fommes qui peuvent
Ieur être dues par Sa Majeſté .
LET200
MERCURE DE FRANCE.
LETTRES Patentes en forme d'Edit , postant
conceffion de Committimus au grand
Sceau aux Officiers du Parlement de Paris .
Données à Verfailles le 28 Decembre 1724.
Regiftrées en Parlement le 29. Decembre
1724 .
,
ARREST du 30. Decembre , par lequel
Sa Majefté a prorogé & proroge jufqu'au pre
mier Avril prochain , le delay porte par l'Arselt
de fon Confeil du 15. Septembre dernier
pour le controlle des Quittances de toutes
efpeces , qui n'ont pû jufqu'à prefent être
remiſes aux Bureaux du controlle general des
Finances , dans le terme prefcrit par la Declaration
du Roi du 6. Mars 1716. Veut Sa Ma
jefté , que jufqu'audit jour premier Avril pro
chain , toutes celles qui y feront prefentées
foient controllées en vertu du prefent Arrelt
, & fans que les Particuliers , au nom de
qui elles fe trouveront expediées , encou
rent la peine portée par ladite Declaration du
6. Mars 1716. & c.
ARREST du 2. Janvier , qui ordonne ,
que les Particuliers qui leveront pendant le
courant de l'année 1725. des Offices vacans aux
Revenus Cafuels , ou de nouvelle création ,
ne feront tenus de payer que moitié des
frais de Marc d'or , Enregistrement , Sceau ,
Reception & Inftallation dans les Jurifdictions
où ils feront reçûs ou inftallez .
ARREST du 9. Janvier 1725. qui condamne
le fieur Auvray , Procureur au Parle
ment & le fieur Colleffon Greffier des
Décrets de la Cour des Aydes de Paris , chacun
en oo. livres d'amende , & au rappo.t
> ,
du
JANVIER 1725. ΤΟΥ
du quadruple des Droits de Commiffaires-
Confervateurs Generaux des Decrets Volontaires
& leurs Controlleurs pour avoir le
fieur Auvray pourfuivi & fait expedier un Decret
Volontaire; & ledit Colleffon pour l'avoir
délivré, fans que les Droits defdits Commiffaires-
Confervateurs & leurs Controlleurs ayent
été acquittés.
ARREST du 16. Janvier 1725. par lequel
Sa Majefté ordonne que les Ecus de dix au
marc, fabriquez ou reformez en confequence
des Edits des mois de May 1718. & Septembre
1720. enfemble les Tiers , Sixiémes
& Douziémes defdits Ecus , continueront:
d'avoir cours jufqu'au premier jour de May
prochain ; paffé lequel temps lefdites Efpeees
demeureront décriées de tout cours &
mife , conformément audit Edit , & ne feront
plus reçûës qu'au poids , dans les Hôtels des
Monnoyes , & c.
ARREST du 23. Janvier , en interpretation
de celui du 11. Octobre 1724. au ſujet
des Cafernes ordonnées être conftruites par
Ordonnance du 25. Septembre 1719. dans les
vinge Generalitez & Pays d'Election du.
Royaume.
AVER
201 MERCURE DE FRANCE .
I
AVERTISSEMENT.
L nous paroît que le Mercure eft
affez goûté , car le debit à Paris , dans
les Provinces , dans les Pays Etrangers
, en eft fort raisonnable. Pour répondre
à cet heureux fuccès , nous redoublerons
notre application , pour que cet Ouvrage
fe foutienne & devienne encore
plus utile & plus digne de la curiofité du
Public ; nous népargnerons ni foins , ni
dépense pour meriter fon approbation , en
nons conformant à fon goût , & en recherchant
tout ce qui peut l'inftruire , l'intereffer
ou l'amufer.
,
Il ne nous reste plus qu'à en pouvoir
baiffer le prix , c'est ce que nous ne manquerons
pas de faire d'abord que la chofe
fera poffible. Mais à prefent les frais font
encore trop grands pour un fi gros Volume,
enrichi de planches en taille douce ,
qui eft toûjours de plus de 200. pages
de Cicero , grand in douze , & qui comparé
à l'éten lue des autres Ouvrages periodiques
, fe trouve encore au-deffous de
leur prix.
Quelques Dames d'autres personnes
d'efprit , ont trouvé mauvais , qu'on ne
vit pas plus souvent des Hiftoires galantes
JANVIER 1725. 203
tes dans le Mercure. Senfibles à ce reproche
, & empreffez à fatisfaire le goût dr
beau fexe , oous commençons à donner
dans ce Volume une Hiftoriette qui a
femblé très -jolie , & à l'avenir nous ferons
enforte que ce Journal foit toûjours orné
d'un article de cette espece on équiva
lent.
Pour les Nouvelles , foit de France ,foit
des Pays Etrangers , que quelques - uns
nous ont dit être de vieille datte , lorfqu'el
les paroißent dans le Mercure , nous ne
changerons rien à l'ordre que nous fui
vons , nous renfermant à donner des faits
certains plûtoft que des nouvelles. Les Gazettes
font établies pour donner les Nou
velles dans leur premiere nouveauté , ce
qui fait qu'elles font fouvent prématurées.
Le Mercur au contraire ne doit les expofer
aux yeux du Public , que dans leur
parfaite maturité , & accompagnées de
toutes leurs circonstances , & chaque matiere
avec tout ce qui la concerne , pour y
avoir recours en temps & lieu. C'est ce
qui fait qu'on trouve fouvent dans ce Livre
des chofes que l'Hiftoire n'apprend
point , & qui demeureroient ensevelies
dans un oubli éternel. Si depuis le commencementde
la Monarchie , les Ecrivains
de notre Nation avoient donné un pareil
détail , nous fçaurions bien des chofes à
fond
204 MERCURE DE FRANCE .
fond , que les Hiftoriens n'ont encore bien
pu faire entendre , même à ceux qui font
les plus verfez dans les Loix des anciens
François , dans leurs Coûtumes , leurs Fêtes
& leur maniere d'agir.
Nous demandons toujours le fecours des
Gens de Lettres , des Poëtes , & des ama¬
teurs des beaux Arts , qui veulent bien
prendre quelque intereft à cet Ouvrage ;
nous leur faifons les plus fortes inftances
de favorifer le Public de quelques - unes de
leurs productions . Mais qu'on ne prétende
point , pour nous fervir de l'expreſſion
de M. Bayle , é ablir un Bureau d'adreffe
de médifance & d'invectives . C'eſt une
licence indigne des honnêtes gens. Nous
avertiffons , afin qu'on ne fe donne, pas
une peine inutile , qu'on n'employera aucun
écrit , où l'on remarquera des animofitez
particulieres , que des jaloufies de
profeffion , ou des mouvemens d'envie excitent
d'ordinaire , & dont tout le but est
de flétrir la reputation des Auteurs on des
Critiques , & de les maltraiter fous divers
prétextes. Le Public fe divertit fans douto
de ces fortes de Satyres , mais il n'en
méprife pas moins ceux qui les font , ow
qui les publient.
La Mufique Italienne étant aujourd'hui
extrêmement goûtée en France , on
nous a demandé des Airs Italiens . Nous
tâcherons
JANVIER 1725. 205
tâcherons de puifer dans les meilleures
fources , pour en donner d'agreables , &
qui puiffent fatisfaire les connoiffeurs . On
en verra un eßai le mois prochain. Et à
Pégard des Airs François , nous n'en
donnerons point , qui n'ayent été compofez
ou revus par les meilleurs Maîtres.
Nous croyons devoir avertir une fois
pour toûjours , que fi on retouche à quelques
morceaux , foit de Profe ,foit de Poëfie
, ce n'est que pour les perfectionner s
nous prenons encore quelquefois cette liberté
fur les endroits qui nous paroißent trop
libres ou trop fatyriques. Nous faifons de
notre mieux en corrigeant ces pieces pour
conferver ce qu'elles ont d'ingénieux & de
brillant.
·Nous differons quelquefois à mettre dans
le mois courant les pieces qu'on nous envoye
pour y être inferées , mais ce n'est
prefque jamais qu'à l'égard de celles qui
n'ont aucun befoin de l'ordre des temps
pour être trouvées bonnes , & qui ne perdent
rien de leur prix le mois fuivant-
Tout ce qui eft bon , & qui ne peut pas
être employé dans un temps l'eft dans un
autre. Nous voyons cependant quelquefois.
avec douleur des chofes très -bien tournées
trés fpirituelles , qui ne font pas bonnes
à imprimer. C'est dans ce cas que nous
fommes fâchez de ne pas connoître les Auteurs,
206 MERCURE DE FRANCE.
teurs pour leur faire nos objections ,
les prier de retoucherleurs Ouvrages. L'experience
dans la compofition de ce Journal
nous a rendus très - circonfpects & trèsattentifs
à ne rien dire qui puiffe bleſſer
perfonne
ن م
Au reste , notre reconnoiſſance nous engage
à rendre de nouvelles graces au Public
, de l'accueil favorable qu'il daigne
faire au Mercure. Nous ne doutons pas
que la meilleure partie du fuccès de ce Livre
ne foit dû aux excellens morceaux
que des Sçavans du premier ordre ,
des gens d'un merite diftingué , veulent
bien nous communiquer. Nos Lecteurs
paroiffent fi contens de l'usage que nous
en faifons , que nous sommes fouvent obli
gez d'avoir recours aux Supplémens pour
fatisfaire à leur empreffement , & ne pas
les priver des évenemens & des Ouvra
ges qui regardent le temps prefent , &fam
tisfaire auffi à l'impatience des Auteurs ,
qui veulens voir paroître leurs Ouvrages.
Enfin , nous pouvons le dire fans vanité
c'est peut-être ici le feul Livre dont un Auteur
puiffe publier le ſuccès fans paroître
vain , car la plus grande partie des louanges
tombent fur les Ouvrages d'autrui :
nous devons cet aveu public à leurs Ahteurs.
CATA-
1
JANVIER 1725. 207
Ja
************
CATALOGUE des Mercures de France,
depuis l'année 1721. jusqu'à prefent.
Uin & Juillet 1721 .
Aouft , Septembre , Octobre ,
vembre & Decembre.
2. vol.
No-
Janvier & Fevrier 1722 .
S. vol
.
2. vol.
Mars. 2. vol .
Avril.
I. vol.
Mai.
2. vol.
Juin , Juillet & Aouft,
3. vol.
Septembre. 2. vol.
Octobre.
I. vol.
Novembre,
2. vol.
Decembre .
I. vol .
Année 1723. le mois de Decembre double.
Année 1724. les mois de Juin & de
13. vol.
Decembre double,
14. vol.
50. vol,
TT
208
J
APPROBATION.
'Ay lû par ordre de Monfeigneur le Garde
des Sceaux le Mercure de France du mois
de Janvier, & j'ay crû qu'on pouvoit en
permettre l'impreffion . A Paris , le 31. Janvier
1725.
N
HARDION.
海鮮鮮: 豬油鮮魚
TABLE
Ouveau Privilege.
Pieces fugitives , la Vûë , Ode.
I
Analyfe fur la queftion propofée au mois de
Novembre.
Vers à Madame B ......
Lettre au fujet d'un Monftre , & c.
7
9
12
Vers prefentez à S. A. R. Madame la Ducheffe
d'Orleans. 14
Lettre de M. Caperon fur le Puits de Bretagne
, dont on a déja parlé , & ſur un autre ,
&c.
Le Pecheur & le Chaffeur , Fable.
15
20
Lettre écrite de Paffi fur un effet du Tonnerre.
Le Laurier , Ode.
22
Lettre au Pere Buffier , au fujet de ſa Réponfe
, & c,
Ode au Roi.
Nouvelle Portugaiſe ,
28
36
43
46
Vers à Mademoiſelle R....
63
Lettre fur la chaffe de S. Hubert.
Adelaide , Fable.
Lettre touchant l'Evêché de Bethleem.
Enigmes.
Chanfon & Parodie.
67
93
ΤΟΙ
112
114
116
126
Nouvelles Litteraires , & c. Lettres familieres ,
& c.
Effais de Michel de Montagne , & c.
Voyage Anglois . 127
Nouvelle invention pour écrire avec deux
plumes .
130
Nouveaux Jettons frapez & gravez en tailledouce.
Spectacles. Le Dedain affecté , &c.
Oeuvres de Montfleury , Catalogue.
Les Heritiers Ingrats , Drame Comique.
Lettre fur le Theatre Hollandois .
133
135
140
142
143
Nouvelles du Temps , Turquie , Ruffie , &c.
Morts des Pays Etrangers .
153
171
Journal de Paris , & c. 173
Benefices donnez.
178
Mariages , Morts , & c. 179
Supplement , Medailles Romaines découvertes
.
184
Explication des deux Enigmes du 2. vol. du
mois de Decembre dernier. 190
Vers à Madame la Ducheffe d'Orleans pour le
premier jour de l'an . ibid.
Imitation d'une Satyre de Perfe.
192
Lettres Patentes , Arrelts , & c.
Avertisement.
Catalogue du Mercure de France .
197
202
207
Errata du 1. vol. de Decembre.
Age 2660. ligne 2. du bas , femelle , lifez
femele.
Page 1673. ligne 25. de Guée , lifez de Cuée,
Ibid. de Cormelier , lifez de Cornulier.
Errata du 2. vol. de Decembre 1724.
PAge 1734. ligne 1. d'une furannée , liſex
d'un furanné.
Page 27.7. dans la notte ( a) Traité , lifez
Tacite.
Page 2788. ligne derniere fermoient , lifez,
formoient.
Page 2811. ligne 12. n'ait , lifez naît.
Page 281. ligne .1.l'intereffe , lifez s'intereffe.
Page 2841. ligne 21. litterale ,lifez litteraire.
Page 2853. ligne 6. Julie , lijez Celie.
Page 2869. ligne 1. Extrit , lifez Extrait,
Page 1889. ligne 21. Brozas , lifez Bazas.
Page 289. ligne 14. 62. lifez 162 .
Page 2908. ligne 18 , S. Brieuc , lifez Brieux,
Fautes à corriger dans ce Livre.
P Age 87. ligne to . paffoit , lifez prenoit Page 130 ligne derniere , porte- feuille ,
lifez porte- plume.
Page 131. ligne. 20. Brieux , lifez Brieux.
Page 139. ligne 24. fon goût , lifez fon gefte.
Ibid. ligne derniere Pechautré , lifez Pechantré.
Page 140. ligne 4. Ponchard , iifez Pouchard.
114
Les Airs notez doivent regarder la page
Les Jettons frapez an 1. jour de l'an doivent
regarder la page
133
MERCURE
DE
FRANCE ,
DĚDIE
AU
ROT
AV
FEVRIER
1725 .
QUE COLLIGIT SPARGIT.
A PARIS ,
( GUILLAUME CAVELIER , au Palais.
GUILLAUME CAVELIER , fils , rue
Chez S. Jacques , au Lys d'Or.
NOEL PISSOT, Quay desAuguftins , à la
defcente du Pont-neuf, à la Croix d'Or
M DCC. XXV
Avec Approbation & Privilege du Roi.
LA
AVIS.
' ADRESSE generale pour toutes
chofes eft à M. MOREAU ,
Commis au Mercure , chez M. le Com
miffaire le Comte , vis - à- vis la Comedie
Françoife , à Paris . Ceux qui pour
leur
commodité voudront remettre leurs Paquets
cachetez aux Libraires qui vendent le
Mercure à Paris , peuvent fe fervir de
cette voye pour les faire tenir.
On prie très - inftamment , quand on
adreffe des Lettres ou Paquets par la Pofte,
d'avoir foin d'en affranchir le Port ,
comme cela s'eft toûjours pratiqué , afin
d'épargner , à nous le déplaifir de les
rebuter , & à ceux qui les envoyent ,
celui , non feulement de ne pas voir
paroître leurs Ouvrages , mais même de
les perdre , s'ils n'en ont pas gardé de
copie.
-
Les Libraires des Provinces & des Pays
Etrangers , ou les particuliers qui fonhaiteront
avoir le Mercure de France de
• la premiere main , & plus promptement,
n'auront qu'à donner leurs adreffes à M.
Moreau , qui aura foin de faire leurs paquets
fans perte de temps , & de les faire
porter fur l'heure à la Pofte , ou aux Mef
fageries qu'on lui indiquera.
Le prix eft de 30. fols.
209
MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ AU
ROr
FEVRIER
1725.
XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX
PIECES
FUGITIVES ,
en Vers & en
Profe.
EPITRE DE M.
VERGIER ,.
BODIQ
à M. de
Montcourt.
Uoi ! ne fera-t'il pas poffible ,
Que je reçoive un mot de vôtre
main ,
De
lendemain en
lendemain ,
Remettez- vous un travail fi penible ?
Helas ! tandis que des abfens ,
A ij
Vous
210 MERCURE DE FRANCE .
Vous negligez les foins & les defirs preffans ,
Une dargereufe homicide ,
La fiévre au teint pâle & livide ,
D'un oeil tantôt glaçant , & tantôt enflâmé ,
Vjent ici m'attaquer , en vain contr'elle armé ,
Aux dépens de mon fang je tâche à m'en défendre
;
Quatorze fois déja d'un fouffle envenimé ,
Elle m'a contraint à me rendre ;
Mais touché de me voir fouffrir ,
Son plus redoutable adverſaire
Le Quinquina vient de m'offrir
Contr'elle un fecours falutaire ;
Je l'accepte & prétends vaincre par ce ſecours,
Cette affaffine en peu de jours ;
Mais un autre ennemi plus implacable encore,
L'ennuy , l'affreux' ennui , m'accable & me
dévore ;
On peut le conjurer par certains mots d'écrit ,
Vous m'entendez , cela fuffit :
Quittez pour moi cet air pareffeux & trans
quille ,
Prenez la plume à vôtre tour ,
Apprenez-moi ce qu'on fait à la Cour ,
ApreFEVRIER
1725. 211
Apprenez -moi ce qu'on fait à la Ville.
Les plaifirs font- ils de retour ,
Dans l'un & dans l'autre féjour ?
Mais , dites- moi , que faites- vous vous même ?
Les Dieux par leur bonté fuprême ,
Vous ont donné de la fanté ,
Du bien fuffiſamment , un loifir raisonnable ,
Devant ces Dieux un jour , vous ferez condamnable
,
Si de leurs dons vous n'avez profité.
Comment donc , dites - moi , de la faifon nouvelle
.
Paffez -vous l'agréable temps ?
A la faveur de ces tendres inftans ,
Tâchez-vous de fléchir le coeur de quelque
belle ?
Car tout eft maintenant favorable aux amours,
La verdure , les fleurs , les zephirs , les beaux
jours ;
Venus même en ce temps dans les airs répanduë
,
Tout infpire à nos coeurs mille & mille tranfports
;
Et parmi des charmes fi forts ,
Comment d'une beauté poursuivie , éperduë ,
Sera la pudeur défenduë ?
A iij Je
212 MERCURE DE FRANCE,
Je vois déja fes bras abbatus , languiffans ,
Je vois dans fes regards mille troubles naiffans
;
D'un objet fi touchant détournons nôtre vûë ,
Je fuis foible , & mon ame en pourroit être
émûë.
Quel eft à prefent le réduit ,
Où vous allez en petit nombre ,
Loin des importuns & du bruit ,
Chaffer les foucis & l'air fombre ?
Buvez - vous quelquefois avec le bon Raifin ,
Lui devant qui l'ennui , ni le trifte chagrin ,
N'oferoient fe montrer , ou bien s'ils y pa
roiffent ,
On leur y voit prendre foudain ,
Un air riant , un air badin ,
Et tels que les plus fins fouvent les mécon
noiffent.
Qu'est- ce que depuis Mons font les armes du
Roi ?
On nous dit en ces lieux , que Namur , Char
leroy ,
Et d'autres Forts encor vont éprouver fa
foudre ;
Je crois tout ; car enfin quoiqu'il veüille réfoudre
,
Cela
FEVRIER 1725. 213
Cela fera fûrement achevé ;
Et fi fur l'Univers fon bras étoit levé ,
Je croirois l'Univers bien- tôt réduit en poudre.
Le Theatre François a - t'il des nouveautez ?
Que fait l'Auteur de Tiridate ,
Dans le loifir obfcur d'une pareffe ingrate ,
Perdroit- il des momens par Apollon comptez
Ou fans daigner reprendre haleine ,
Suit-il l'heureux effort de ce feu dont fa veine
Vient de ravir , d'enchanter tout Paris ?
Travaille- t'il ? quel eft le fujet qu'il a pris ?
Je ne vous parle point de nos Auteurs tragiques
,
Ce font Mufes froides , étiques ,
Et j'attends froidement ce qui nous en viendra ;
Bourfault , Baron & Palapra ,
Au peuple apprêtent- ils à rire ?
En le contrefaifant , en fe mocquant de lui ?
Enfin ayez pitié de mon mortel ennui ,
Et fur tous ces propos prenez foin de m'écrire.
Tous ces faits font pour moi curieux & nouveaux
,
Ici l'on veut fçavoir les moindres bagatelles ,
Et le Cerf alteré dans les jours les plus chauds ,
A iiij Court
214 MERCURE DE FRANCE.
Court moins avidement aux eaux ,
Qu'au fond d'une Province on ne court aux
nouvelles.
XXXXXXXXXXXXXXX
SUITE de la Nouvelle Portugaife ,
inferée dans le dernier Mercure ,
page 46.
D
Epuis la victoire que Dom Juan
avoit remportée ſur Dom Gufman,
& pendant que j'ai raconté les avantures
du Brefil , & fon retour à Villanova , il
continuoit à donner dans la lice des
preuves de fa force & de fon adreffe , il
avoit eu l'avantage fur trois autres Champions
; & comme de ces trois , deux
avoient été bleffez dangereufement , perfonne
n'ofa plus fe prefenter pour le
combattre ; ainfi le prix lui fut adjugé
d'une commune voix : c'est ici que le
trouble d'Iſabelle fut plus grand que jamais.
Le vainqueur devoit recevoir de
fa main le prix propofé , mais ce vain .
queur eft le fien propre : comment foutiendra-
t'elle fa vûë ? comment cacherat'elle
à tout le monde le defordre que
caufoient dans fon coeur la joye de revoir
un Amant , & le defeſpoir de lui paroître
FEVRIER 1725 . 215
tre infidelle ? cependant il fallut s'y réfoudre
; & l'Amour qui eft un Confeiller
admirable dans les cas où il faut prendre
fon parti fur le champ , la fervit en celuici
plus fagement , que n'auroient fait les
plus longues réflexions .
1
Après le combat de Dom Gufman qui
faifoit les honneurs de la fête , elle alla à
Dom Juan qui vint ſe preſenter à elle :
Seigneur , lui dit - elle , d'une voix tremblante
, & en baiffant la tête , voilà une
épée & un poignard qui font dûs à vôtre
valeur , on a crû qu'en les recevant de
moi , ils vous feroient plus agréables ;
mais je doute que j'aye ce pouvoir , ce
que je fçai , c'eſt que je fouhaiterois fort
l'avoir , & qu'il ne tiendroit pas à moi
que ma main n'y ajoûtât tout le prix que
vous meritez. Dom Juan agité de cent
pa ffions differentes , fut quelque temps
fans pouvoir répondre ; & enfuite il lui
dit : vous ne devez pas douter , Madame ,
que ce prix déja confiderable par luimême
, ne reçoive de vôtre main une
valeur inestimable : heureux fi tous les
prix que j'avois mieux meritez encore ,
m'avoient été payez avec la même fidelité
; mais . à ces mots Ifabelle apprehendant
qu'il ne dit quelque chofe qui
e fit reconnoître , & qui fit échouer le
deffein qu'eile meditoit : Seigneur , lui
dit276
MERCURE DE FRANCE.
dit - elle en l'interrompant , nous laifferez
-vous ignorer plus long -temps qui
vous êtes , & refuſerez - vous à tant de
braves Chevaliers , dont vous venez de
triompher , la fatisfaction de fçavoir du
moins le nom de leur vainqueur , & de
pouvoir par un nom illuftre ( car vôtre
air & vos manieres ne permettent pas
de douter qu'il ne le foit ) diminuer en
quelque façon le chagrin de leur défaite ?
peut-être auffi par des raifons que nous
ne pouvons penetrer , ne voudriez - vous
pas declarer à tout le monde ce que je
vous demande ; mais il y a ici des perfonnes
difcretes entre les mains de qui
vous pourrez en toute fûreté dépofer vôtre
fecret ; & moi même , fi vous me
jugiez digne de cette confidence , j'ofe
rois vous affurer d'une entiere difcretion
. Dom Gufman & tous ceux qui
étoient- là prefens applaudirent à la demande
d'Ifabelle , & prefferent DomJuan
de contenter fa curiofité qui étoit commune
à tout le monde , & Dom Juan qui
trouvoit en cela l'occafion qu'il cherchoit
avec ardeur , ne fe défendit que foiblement
, & dit feulement en lui adref
fant la parole : s'il ne falloit , Madame ,
que vous dire mon nom pour vous expliquer
qui je fuis , il me feroit aifé de
vous obéïr ; mais je ne fçaurois me faire
conFEVRIER
1725 .
217
connoître qu'en vous faifant un recit de
toute ma vie ; & comme ma vie n'eft
qu'un enchaînement de malheurs , ce recit
, ou vous feroit trop ennuycux s'il
ne vous intereffoit point , ou vous attrifteroit
s'il pouvoit vous interefler ; & je
croirois avoir commis un crime fi j'avois
obfcurci par aucun ennui , ni par aucune
trifteffe des jours auffi beaux & auffi heureux
que les vô res ; cependant , Mada--
me , fi vous me l'ordonnez , il me fera
difficile de m'en défendre , j'exigerai feulement
de vous fur plufieurs particularitez
que j'ai à vous raconter , le fecret auquel
vous avez bien voulu vous engager.
Tabelle le promit , & ces conventions
faites , Dom Gufman & le refte de
la troupe s'écarterent en d'autres allées
du jardin , & laifferent ces deux Amans
feuls dans celle où ils étoient. Dès qu'Ifabelle
jugea qu'on ne pouvoit les entendre
: Dom Juan , dit elle , ( car mon coeur
n'a pû vous méconnoître un moment )
ne croyez pas que je prenne la parole la
premiere pour prévenir vos reproches
par les raifons que je pourrois alleguer
pour ma défenfe ; comme j'ai trop de
délicateffe pour être moi même fatisfaite
de ces raifons , j'ai trop de fincerité pour
m'en fervir ; je ne fçaurois pourtant
m'empêcher de vous dire , que fi c'eft le
A vj
coeur
218 MERCURE DE FRANCE.
coeur feul qui fait les infidelitez , je fuis
innocente , puiſque malgré le bruit de
vôtre mort , & malgré l'état où vous me
trouvez ici , le mien vous a toûjours été
confervé tout entier ; cependant je reconnois
que j'ai fait une faute d'autant
moins excufable , que j'étois perfuadée
que rien n'auroit pù vous porter à en
commettre une pareille ; mais fi le repentir
le plus fincere & la douleur la
plus vive peuvent en meriter la grace ,
je vous la demande , Dom Juan , & vous
ne devez pas me la refufer. Elle avoit
jufques là parlé fans ofer le regarder : en
achevant ces dernieres paroles , elle
tourna fur lui des yeux baignez de pleurs ;
il n'en falloit pas tant pour le défarmer ,
il ne cherchoit qu'à s'appaifer , & luimême
tout en larmes étoit prêt à fe jetter
à fes pieds pour obtenir la grace qu'elle
lui demandoit : Non , dit -il , ma chere
Iſabelle , vous n'êtes point coupable , &
je n'ai point douté de vôtre fidelité , je
fçai que l'amour que nous avons reffenti
l'un pour
l'autre prefque en naiſſant , eſt
devenu une partie de nous - mêmes , & ne
fçauroit plus finir qu'avec nôtre vie ;
ceffez donc de vous imputer une faute
qui ne doit être attribuée qu'à ma mauvaiſe
deſtinée , qui n'ayant pû feparer nos
coeurs , a mis tous les efforts à feparer
nos
FEVRIER 1725. 219
#
fi
nos perfonnes : elle n'y réüffira pas ,
vous voulez me feconder , reprit Iſabelle
, elle s'eft jufqu'à preſent ſervie de
l'autorité de nos parens pour nous perfecuter
, il faut nous fouftraire à cette tyrannie
; & fi vous m'aimez affez pour
pouvoir méprifer pour moi l'indignation
& la fortune des vôtres , je mépriſerai
pour vous fans balancer , la colère des
miens & la fortune qui m'attend ; nous
poffederons tout en nous poffedant l'un
l'autre ; ainfi faites choix d'un lieu où
nous puiffions nous retirer , & rendezvous
demain à deux heures de la nuit
porte
vers la
de ce jardin
avec un bâtiment
prêt à mettre
à la voile , vous m'y trouverez
difpofée
à vous fuivre
par tout : voilà le deffein
, qu'a formé
mon amour
dès le moment
que je vous ai reconnu
; il vous paroîtra
peut être bien hardi pour une perfonne
de mon âge , & de mon fexe , mais c'eft pour vous que je l'entre- prens , & pour vous que n'entreprendrois-
je pas ? cette réfolution
dans laquel- le l'amour
d'Ifabelle
fe montroit
fi bien
combla
Dom Juan d'une telle joye , qu'il eut befoin
de toute fa retenue
pour s'empêcher
de lui en marquer
les tranfports à la vûë de tout ce qui étoit dans le jar- din ; quelque
éloignez
que foient
entre eux le defefpoir
& l'efperance
, la joye
&
*
120 MERCURE DE FRANCE .
& l'affliction , il n'y a point de paffage fi
court que celui - la pour les Amans , &
fouvent un même inftant les voit pafler
plufieurs fois de l'un à l'autre. Dom Juan
oublia dans ce moment toutes fes peines
paffées , & regarda fon bonheur comme
une chofe qui ne pouvoit plus lui manquer
, qui n'alloit plus dépendre que
d'Ifabelle ; mais il fe trompoit , l'Amour
qui tient d'une main tous les biens & de
Pautre tous les maux des mortels ,
coutume de les verfer fur eux par égale
mefure . Dom Juan & Ifabelle avoient
joui pendant cinq ou fix ans d'une felicité
parfaite , il falloit qu'ils fuffent malheureux
pendant le même efpace de
temps avant que le jour marqué pour la
fin de leurs peines pût arriver. Quoiqu'il
en foit , après avoir fait entre eux les
proteftations & les épanchemens de coeur
qu'on peut faire en pareilles occafions
& après avoir concerté toutes chofes pour
leur départ , ils allerent rejoindre la
troupe qui les attendoit avec impatience ;
& Ifabelle adreffant la parole à Dom
Gufman : Seigneur , lui dit - elle , je viens
d'apprendre des chofes étonnantes , &
qui répondent fort à l'opinion que nous
avions conçue de ce Chevalier ; mais je
vous prie de ne me preffer pas de vous
les redire avant trois jours , c'eft le ter-
"
me
FEVRIER 1725. 221
me qu'il a prefcrit , & qu'il a eu de juf
tes raifons de prefcrire à ma difcretion ;
enfuite Dom Juan ſe retira & s'en alla à
Lagos qui n'eft qu'à trois lieuës de- là
pour s'y affurer d'un bâtiment.
11 eft aifé de juger avec quelles agitations
ces deux Amans attendirent le lendemain
. L'arrivée de la nuit étant venue,
Ifabelle trouva le moyen de fe dérober à
la vigilance de fa mere , & fe rendit à
l'heure marquée à la porte du jardin .
Après y avoir attendu quelque temps ,
elle vit au travers de l'obfcurité un bâtiment
arriver vers la porte du jardin , &
tout vis- à - vis ; elle ne douta pas que ce
ne fut Dom Juan , & fon impatience ne
lui ayant pas permis d'attendre , elle fortit
, & alla au devant fur le bord de la
mer. Dès qu'elle y parut , deux hommes
defcendirent du bâtiment & vinrent à
elle mais quel fut fon étonnement ,
lorfqu'au lieu de Dom Juan , elle trouva
deux hommes inconnus : elle voulut
fuir , mais il n'en étoit plus temps : ces
deux hommes l'avoient faifie ; & malgré
fes cris , fes larmes & fes prieres , l'emmenerent
dans leur vaifeau qui remit
auffi -tôt à la voile & fortit de la rade.
Dom Juan , qui avoit été retenu par
un vent contraire , arriva peu de temps
après ; il defcendit à terre , & trouva la
porte
222 MERCURE DE FRANCE.
porte du jardin ouverte mais il n'y
trouva point ce qu'il y cherchoit , il attendit
toute la nuit avec des inquiétudes
cruelles ; & comme le jour commençoit
à paroître , il prit le parti de s'en retourner
à Lagos pour n'être pas décou-
.vert fe flattant que peut- être Ifabelle
obfervée de trop près , n'avoit pû cette
nuit- là executer fon deffein , & l'avoit
remis à une autre fois ; il ne put fe flatter
long- temps de cette erreur ,
il apprit
le lendemain qu'Ifabelle avoit difparu
, & que cette même nuit Dom Gufman
avoit difparu auffi , fuivi feulement
de deux de fes gens , fans que l'on fçut
où les uns & les autres étoient allez . Il ne
feroit pas poffible de décrire quels furent
dans ce moment les fentimens de Dom
Juan ; fi- tôt qu'il eut appris cette nouvelle
, il partit dans le deffein d'aller
chercher Dom Gufinan , & de lui arracher
Ifabelle , ou d'y perdre la vie ; d'un
autre côté Dom Pedro , qui ne doutoit
point auffi que Dom Gufman n'eut fait
cet enlevement , envoya de toutes parts
après lui des Archers & d'autres gens
armez ; heureuſement pour lui Dom Juan
le manqua' ; mais il fut dès le même jour
rencontré par les gens de Dom Pedro qui
l'arrêterent , & Dona Maria s'étant allée
jetter aux pieds du Roi , en obtint un
ordre
FEVRIER 1725. 22
ordre
pour lui faire
faire
fon
procès
s'il
ne
declaroit
où étoit
Ifabelle
, & s'il
ne
l'époufoit
pour
, reparer
fon
honneur
.
>
Dom Gufman étoit d'une humeur trèsbizare
, & il étoit tellement connu pour
homme capable des caprices les plus outrez
, que la Cour , la Ville , & fa famille
même , crurent qu'il avoit fait cet
enlevement. Il avoit beau alleguer pour
fa défenfe , qu'étant fur le point d'époufer
Ifabelle fans l'oppofition de qui
que ce foit , il n'y avoit nulle apparence
qu'il eût voulu l'enlever ; que fon départ
de Villanova , qui feul le rendoit
fufpect de cet enlevement , étoit une circonftance
innocente ; qu'ayant été affuré
par un de ſes domeftiques , que l'Inconnu
, qui avoit remporté le prix au combat
à la lance , étoit un fien frere naturel ,
qui s'en étoit fui depuis plufieurs années ,
après avoir pris dans la maiſon de fon
pere des richeffes immenfes en pierreries
, il s'étoit mis en chemin fur le champ
pour le pourfuivre & pour le faire arrê
ter. Toutes ces raifons étoient regardées
comme de fauffes défaites & le Roi ,
qui vouloit , par un exemple éclatant &
fevere , empêcher à l'avenir de pareilles
violences
étoit prêt à faire executer
l'Arreft qu'il avoit prononcé , lorfqu'on
apprit qu'Ifabelle étoit retrouvée & de
,
,
retour
224 MERCURE DE FRANCE .
retour à Villanova : voici comment.
Pendant que ces pourfuites fe faifolent
contre Dom Gufman , Dom Juan,
qui cherchoit toûjours Iſabelle , après
plufieurs courfes inutiles étoit arrivé à
Cadix , & y avoit appris d'un Corfaire
Saltin qui y étoit prifonnier , qu'un nommé
Ali Achmet , Corfaire de la même
Nation , avoit depuis quelques mois enlevé
fur la côte de Portugal , une jeune
perfonne qu'il avoit emmenée à Salé.
Le portrait qu'il en fit , & le temps de
l'enlevement convenoient fi fort à Ifabelle
, qu'il ne douta point que ce ne fut
elle voilà donc une nouvelle forte de
*
traits que la fortune prend pour le perfecuter
; il avoit crû fa Maîtreffe entre
les mains de fon Rival , il apprend
qu'elle eft entre les mains des Barbares ,
lequel vaut le mieux , c'eft ce que je
n'oferois décider , & les divers goûts
donneront à ces deux états des faces differentes
, mais il n'eft pas temps de faire
des reflexions ; il ne faut fonger qu'à
aller delivrer cette Amante affligée ; il
n'étoit pas poffible de l'entreprendre par
la force , ainfi tous les projets que put
former fur cela le courage de Dom Juan
furent inutiles , & il fallut fe retrancher
à la ravoir par rançon , encore ce moyen
ne lui étoit - il gueres plus aifé que l'autre.
FEVRIER
2 1725. 225
tre. Il n'ofoit fe découvrir à aucun de
fes parens ; & quand il fe feroit découvert
à eux , il ne pouvoit efperer d'en
recevoir aucun fecours pour cet uſage :
il n'y avoit que Dom Gabriel , ce coufin
avec lequel il étoit revenu du Brefil , à
qui il put s'adreffer ; il étoit maître de
fes biens , & lui avoit depuis fon retour
fourni l'argent neceffaire pour fa dépenfe
, auffi fut- ce à lui qu'il eut recours ,
& Dom Gabriel , non feulement lui prêta
tout l'argent qu'il put trouver dans fa
bourfe & dans celle de fes amis , mais il
voulut l'accompagner dans ce voyage ;
ainfi , après avoir obtenu du Gouverneur
de Salé un paffeport & fureté pour leurs
perfonnes , ils s'embarquerent tous deux ,
& arriverent à Salé fans aucun obftacle.
Dès qu'ils eurent mis pied à terre ,
Dom Gabriel alla chez le Gouverneur
lui demander fa protection en vertu de
fon paffeport , & Dom Juan courut , ou
plûtoft vola chez Aly Achmet ; il apprit
de lui comment étant entré de nuit à Villanova
, ainfi qu'ils ont coûtume de faire
dans tous les petits Ports de cette côte,
pour y enlever ce qu'ils trouvent fans
defenfe
& s'en retourner à la même
marée , & y ayant vû fur le bord de la
mer une femme qui s'approchoit à mefure
>
116 MERCURE DE FRANCE.
,
fure qu'il arrivoit , il avoit envoyé à
terre deux de fes gens qui l'avoient faífie
& emmenée à bord , qu'elle avoit toûjours
été fort trifte depuis , & ne ceffoit
dans fes regrets de reclamer un Dom
Juan , qu'il en avoit toûjours pris les
mêmes foins qu'il auroit eus de fa propre
fille , dans l'efperance d'en tirer une grande
rançon ; mais que n'ayant trouvé perfonne
qui eut voulu lui en donner le prix
qu'il l'eftimoit , il avoit depuis deux jours
refolu de l'envoyer au Roi de Maroc
& qu'Ifabelle , à qui il avoit declaré fa
refolution , après quelques difficultez
avoit ce jour - là même témoigné y confentir.
Toutes les horreurs imaginables
s'emparerent de Dom Juan à ce recit ,
Ifabelle fur le point d'être envoyée au
Roi de Maroc , & le confentement qu'elle
y avoit donné , furent pour lui deux
coups mortels . On ne fçauroît feparer
l'amour de la jaloufie , & par confequent
on ne fçauroit le feparer de la plus
vive de toutes les peines ; mais les foupçons
de Dom Juan ne durerent pas longtemps
, & firent bien - tôt place.à de plus
juftes fentimens.
En entrant avec le Corfaire dans le lieu
où étoit Iſabelle , il la trouva couchée
fur une natte , la mort peinte fur le vifage
, & portant de tous côtez des regards
FEVRIER 1725 . 227
gards incertains ; dès qu'elle vit Dom
Juan , elle crut qu'il avoit été fait efclave
comme elle , & fit un cri pitoyable ,
puis fe foulevant un peu fur un coude :
Dom Juan , dit elle , le Ciel a donc voulu
nous rejoindre avant ma mort , mais
il a pris foin d'empoifonner cette faveur,
comme il a fait toutes celles que nous en
avons reçûës , & il ne nous l'a faite que
pour nous rendre plus malheureux l'un
& l'autre, vous , par le triſte ſpectacle de
l'état où je fuis , & moi en vous voyant
entrer dans les fers , d'où la mort va me -
tirer.
Jufqu'ici nous avons vu Dom Juan
expofé à diverfes douleurs , mais l'on
conviendra aisément que celle- ci fut la
plus pefante de toutes , auffi étoit - ce le
dernier effort que la fortune devoit tenter
contre lui , & pour l'y faire fuccomber
, elle épuifa tout ce qu'elle avoit de
cruauté , il s'alla mettre à genoux auprès
d'Ifabelle , & prenant une de fes mains
qu'il baigna de fes larmes : raffurez - vous ,
lui dit- il , ma chere Ifabelle , non feulement
je ne fuis point efclave ici comme
vous le penfez , mais j'y viens pour vous
délivrer de votre captivité : Aces mots
elle prit un vifage plus ferain ; voilà
donc , dit- elle , en appuyant fa tête fur
lui , voilà donc ma mort delivrée d'une
?.
parti228
MERCURE
DE FRANCE
.

partie des horreurs qui l'environnoient
tout- à-l'heure : mais elle n'eft pas moins
certaine ; & il n'eft pas poffible que je
joüiffe du fecours que vous venez m'apporter.
Comme elle parloit ainfi , le Corfaire
fit un cri horrible , & alla prendre
une petite boëte qui étoit à côté d'Ifabelle
, c'étoit une boete qu'il avoit coûtume
de porter avec lui pleine de poifon
lorfqu'il alloit en courſe , afin de
pouvoir par fon moyen fe delivrer d'ef
clavage , s'il lui arrivoit quelque jour
d'être pris ; & Ifabelle qui vit fon étonnement
, lui dit d'un vifage afluré : ce
n'étoit qu'à cette condition , Achmet , &
qu'après m'être faifie de cette boëte que
j'ai confenti ce matin à être envoyée au
Roi de Maroc ; puis fe tournant vers Dom
Juan : tant que j'ai crû , lui dit- elle , pouvoir
conferver dans toute fa pureté la foi
que je vous ai donnée , j'ai foutenu avec
conftance les peines de mon eſclavage ;
mais enfin ayant appris que je devois aller
chez un Roi barbare , augmenter le
nombre de ſes efclaves , ( elle rougit en
difant ces paroles ) j'ai crû devoir me derober
à cette indignité par le poifon que
j'ai trouvé dans cette boête , trop heureufe
de pouvoir en mourant vous marquer
ma fidelité , de pouvoir rendre entre
vos bras mes derniers foupirs , & de
Longer
FEVRIER 1725. 229
fonger qu'une main fi chere fermera ma
paupiere , & prendra,foin des reftes malheureux
d'une victime que l'amour lui
immole. Dom Juan accablé de douleur ,
fe tint long- temps la face contre terre
fans pouvoir parler ; enfuite fe relevant
brufquement : c'en eft fait , s'écria - t- il ,
le fort ne nous feparera plus , & la mort
qui va nous unir , nous affranchira de
fes perfecutions . Il tira en même temps
fon poignard pour s'en frapper , mais le
Corfaire le retint , & lui dit , après avoir
appris d'Ifabelle qu'elle n'avoit avalé le
poifon que ce jour - là , qu'il n'y avoit
rien de defefperé , & que ce poifon dont
il connoiffoit l'effet , n'ayant pas encore
eu le temps d'agir , il en avoit le remede
certain ; il tira enfuite de fa poche une
autre boëte dans laquelle étoit ce remede ,
& en fit prendre à Ifabelle que la menace
de Dom Juan contre lui- même avoit
mife dans un état plus dangereux que le
poifon qu'elle avoit pris : cependant le
remede opera , & après des efforts violents
elle vomit ce poifon . On ne fçauroit
exprimer quels furent les tranſports
de Dom Juan , quand il vit Ifabelle hors
de danger , il ne fçavoit comment en remercier
le Corfaire , il lui baifoit les
mains , il fe jettoit à fes pieds , & s'il
avoit pû difpofer de la Couronne de l'U
nivers,
1
228
MERCURE
DE FRAN
partie des horreurs qui l'environ
tout-à-l'heure : mais elle n'eft pas
certaine ; & il n'eft pas poffible
jouiffe du fecours que vous venez
porter. Comme elle parloit ainfi
faire fit un cri horrible , & alla
une petite boëte qui étoit à côt
belle , c'étoit une boëte qu'il av
tume de porter avec lui pleine
fon lorfqu'il alloit en courfe ,
pouvoir par fon moyen fe deliv
clavage , s'il lui arrivoit quele
d'être pris ; & Ifabelle qui vit 1
nement , lui dit d'un vifage a
n'étoit qu'à cette condition , A
qu'après m'être faifie de cette
j'ai confenti ce matin à être e
Roi de Maroc ; puis fe tournan
Juan : tant que j'ai crû , lui dit
voir conferver dans toute fa P
que je vous ai donnée , j'ai fo
conftance les peines de mon
mais enfin ayant appris que je
ler chez un Roi barbare , aug
nombre de fes efclaves , ( ell
difant ces paroles ) j'ai crû de
rober à cette indignité par le
j'ai trouvé dans cette boête
reufe de pouvoir en mourar
quer ma fidelité , de pouvo
tre vos bras mes derniers for
FEVRIER 1725. 229
qu'une main fi chere fermera ma
e , & prendra foin des reftes mald'une
victime que l'amour lui
Dom Juan accablé de douleur ,
long- temps la face contre terre
voir parler ; enfuite fe relevant
ment : c'en eft fait , s'écria -t-il ,
e nous feparera plus , & la mort
ous unir , nous affranchira de
tutions. Il tira en même temps
hard pour s'en frapper , mais le
le retint , & lui dit , après avoir
fabelle qu'elle n'avoit avalé le
e ce jour- là , qu'il n'y avoit
fefperé , & que ce poifon dont
bit l'effet , n'ayant pas encore
s d'agir , il en avoit le remede
1 tira enfuite de fa poche une
dans laquelle étoit ce remede,
rendre à Ifabelle que la memJuancontre
lui-mêmeavoit
un état plus dangereux
que le
elle avoit pris : cependant
le
ra, & après des efforts viovomit
ce poifon. On ne fcauper
quelsfurent les tranfports
an , quand il vit Ifabelle hors
il ne fçavoit comment
en re-
Corfaire
, il lui baifoit les
jettoit à fes pieds , &s'il
pofer de la Couronne
de l'U.
nivers,
230 MERCURE DE FRANCEnivers
, il la lui auroit donnée ; enfin ,
foit que le remede feul eut produit un
effet fi furprenant , ou que la joye de voir
fans ceffe fon Amant , y eut beaucoup
contribué , trois jours après Ifabelle reprit
fes premieres forces & fa premiere
fanté , il ne s'agifloit donc plus que de
traiter de fa rançon ; mais ce n'étoit pas
une petite difficulté . Le Corfaire voyant
Dom Juan fi amoureux , mit la rançon à
fi haut prix , que tout l'argent que Dom
Gabriel avoit apporté n'en pouvoit payer
qu'une partie. On pria , on preffa , le
tout inutilement On s'engagea par
ferment
d'en payer le refte quand on feroit
arrivé en Portugal ; cela fut inutile encore.
Enfin Dom Juan ne fçachant plus
que propofer , offrit de demeurer en la
place d'Ifabelle pour ôtage de la portion
qu'il reftoit à payer , & le Corfaire trouvant
en cela des furetez fuffifantes , voulut
bien y confentir ; mais quand il s'agit d'executer
cette convention , Ifabelle s'y oppofa
, elle vouloit bien que Dom Juan
reftât ; mais elle vouloit refter avec lui;
tant de fois joints , & tant de fois feparez,
elle ne pouvoit fe refoudre à le quitter ,
de crainte que quelque nouvel accident
ne le lui enlevât encore : cependant les
raifons & les prieres de Dom Juan l'emporterent
, & il fut refolu qu'elle parti-
*
1
roit
FEVRIER 1725. 231
Foit ; regrets de fe quitter , voeux ardens
pour le retour , fermens de s'aimer
au- delà même du trépas , difcours tendres
& touchans , foupirs , larmes , fan
glots , adieux triftes & douloureux ; tout
ayant été mis en oeuvre par nos Amans ,
Ifabelle s'embarqua avec Dom Gabriel ,
& arriva , comme je l'ai dit , à Villanova
, dans le temps qu'on pourfuivoit
Dom Gulman pour fon enlevement.
Ses premiers foins furent de faire avertir
Dom Francifco de Ribena de la détention
de Dom Juan . Dom Franciſco ,
qui le croyoit mort , traita cette nouvelle
de chimere , & ne l'écouta pas ,
elle parla & fit parler à fes autres parens
; mais ils avoient trop d'intereft à
empêcher fon retour pour vouloir y contribuer
. Dom Gabriel , qui étoit le feul
bien intentionné pour lui , s'étoit épuisé,
& n'auroit pû avec le refte de fon bien
former la fomme convenue avec le Corfaire
de forte que la feule reffource d'Iſabelle
, fut d'aller fe jetter aux pieds de
Dom Pedro , pour le prier de lui accorder
cette fomme : mais Dom Pedro ne
crut pas devoir faire pour Dom Juan ce
que fon propre pere refufoit ; ainfi ce dernier
moyen lui manqua auffi . Ifabelle ne
pouvant donc fecourir fon Amant que
par d'inutiles larmes , gemifloit fans ef-
B perance,
;
232 MERCURE
DE FRANCE .
perance , lorsque l'Amour , qui n'a jamais
abandonné
les fiens , la lui rendit
fans autre rançon que les foupirs & les
larmes , que l'abfence leur avo t coûtez à
l'un & à l'autre.
Eftre aimable , avoir l'art de plaire ,
Eft le prefent le plus grand que les Dieux ,
Aux foibles humains puiffent faire .
Dom Juan l'éprouva . Sans ce don precieux
,
Il gemiroit encor en de barbares lieux.
La femme du Corfaire avare ,
Qui le tenoit en fes fers arrêté ,
Le vit , l'aima ; la chofe n'eft pas rare ;
Ce font les droits de la beauté.
Il n'en coûta qu'un peu de complaifance
à Dom Juan pour flater la paffion
de fa Patrone. Un rendez - vous menagé
à
lui donna lieu de fe fauver
propos , avec deux autres efclaves qu'il avoit mis
de fa confidence , & avec lefquels il aborda
heureuſement
en Portugal.
Ici finirent tous les malheurs de nos
deux Amans , le retour de Dom Juan à
Villanova fut comme un fignal auquel &
le deftin & l'amour , la fortune , l'ambition
, l'avarice , & toutes les autres puif.
fances
FEVRIER
233
1725.
fances qui les avoient fi
cruellement ferfecutez
, fe réunirent pour leur fonder un
bonheur que rien , ne pût plus ébranler.
Dom Francifco de Ribena reconnut fon
fils dès le moment qu'il fe prefenta devant
lui , & la joye de retrouver un fils
fi cher , après l'avoir pleuré comme
mort , & de le retrouver plus digne que
jamais de fa tendreffe , fit taire fon ambition
. Dom Pedro d'Almaro , penetré
des mêmes fentimens pour fa fille , oublia
en fa faveur l'affront que lui avoit fait
Dom Francifco par fon
manquement de
parole , & ils confentirent à fe réunir
par
l'union de Dom Juan & d'Ifabelle . Il n'y
avoit plus qu'une difficulté à furmonter :
c'étoit Dom Gufman de Loredas , lequel
ayant été mis hors de prifon fi - tôt
qu'on apprit le retour d'Ifabelle , étoit
revenu auprès de fa Maîtreffe ; & toûjours
plein de fon amour , demandoit l'execution
des paroles qu'on lui avoit données
mais dès que Dom Juan fut de retour
, & qu'il eut été témoin lui- même
de la tendreífe qui étoit entre Habelle &
lui , il fe fit une genereufe violence ; &
comme Dom Pedro , à caufe des engagemens
qu'il avoit avec lui , balançoit à
donner fon
confentement au mariage de
fa fille avec Dom Juan , il fe démit de
tous fes droits , & le follicita lui même
*
Bij
en
234 MERCURE DE FRANCE .
en faveur de fon Rival ; ainfi tous ces
obftacles étant levez , Dom Juan & Ifabelle
furent folemnellement conduits à
l'Eglife , où aux cris de joye de tous les
peuples , ils reçûrent la benediction nuptiale.
De- là ils furent menez chez Dom
Pedro Almaro , où Venus , après avoir
elle-même ceint leurs têtes de Myrthes
dont elle couronne fes Elûs , laiffa autour
d'eux les Amours , les plaifirs , les tranfports
& les raviffemens qu'elle avoit exprès
fait venir de cent lieux divers , &
qui quelques nombreux qu'ils fufſent ,
ne purent qu'à peine fuffire à fervir ces
deux Amans .
P
LA PARESSE.
ODE à Monfieur D **
Our une Nimphe immortelle ,
Je vais former des accords ;
Mufe , l'ardeur de mon zele ,
Demande tous tes tranſports,
Loin le prophane vulgaire ,
Le peu de fens qui l'éclaire ,
De tenebres combattu ,
Lui
FEVRIER
1725. 235
Lui fait , ſouvent fans juſtice ,
Traiter même comme un vice ,
La plus aimable vertu .
Amufante & douce Fée ,
De qui les attraits charmans ,
Nous font feuls , après Morfée ,
Paffer de fi doux momens ;
C'eſt toi, pareffe touchante,
Qui des faux biens qu'on nous vante ,
M'as fait voir la vanité ;
Deflors , plein de tes maximes ,
De tes plaifirs legitimes ,
J'ai fait ma felicité.

Que je plains ce triſte avare ,
Qui , mépriſant tes vertus ,-
Fait fon bonheur le plus rare ,
De la faveur de Plutus !
Des biens les plus eftimables ,
Il fuït les douceurs aimables ,
L'or feul le poffede entier ;
Il meurt , fes tréfors en proye ,
B iij
Font
236 MERCURE DE FRANCE.
Font le comble de la joye ,
De quelque indigne heritier.

Ce mortel qui fe fatigue ,
Fou dans fes illufions ,
S'acquiert le nom de Prodigue ,
Quel prix des profuſions ?
Tout l'excite , tout le tente ;
Par fa conduite imprudente
Réduit à l'extrêmité ,
Il voit ceux dont la rapine ,
Hâta jadis fa ruine ,
Rire de fa pauvreté.

Loin de moi, funeſte exemple
De ce farouche guerrier ,
Dont l'audace ne contemple ,
Que la mort , ou le laurier.
Ciel ! fuivrai-je un témeraire ,
Dont l'humeur ne fe peut plaire ,
Qu'à faire des malheureux ?
Qui traînant par tout la guerre ,
SemFEVRIER
1725. 237
Semble vouloir de la terre ,
Former un défert affreux ?
L'indolence qui me guide ,
Mépriſe ce trifte honneur :
Sans devenir homicide ,
Je fçais faire mon bonheur.
Jamais l'infame avarice ,
A la fourbe , à l'injuſtice ,
Ne me fraya le chemin ;
M'a- t'on vû dans un carnage ,
Comme un Tigre plein de rage ,
Nager dans le fang humain ?
Libre de l'inquiétude ,
Que caufent de vains defirs ,
Dans une facile étude ,
Je goûte mille plaifirs .
Du fond d'un lieu folitaire ,
J'apperçois qu'à la chimere ,
Chacun dreffe des Autels ,
Et loin que je m'en irrite ,
Riiij
Je
238 MERCURE DE FRANCE.
Je ris avec Democrite ,
Des fottifes des mortels,
Efclave de fes maximes ,
Le vulgaire audacieux ,
N'admet pour vertus fublimes ,
Que des brillans faftueux.
Dans fon jugement trop libre ,
Fuyant un jufte équilibre ,
Il ne fait que des faux pas ;
Et d'un bien dont l'homme fage ,
Sçait faire un charmant ufage ,
Il ignore les appas .

Qui fuit l'aimable Pareffe ,
Perd de veritables biens :
Que de fages de la Gréce ,
Ont cheri fes doux liens !
Toi-même , ô fuperbe Rome ,
Tu m'offres plus d'un grand homme ,
Qui charmé de ſes douceurs ;
Et quittant le faux principe ,
Des
FEVRIER
1725 . 239
Des fectateurs de Chrifipe ,
A recherché fes faveurs.

Dans les bras de la victoire ,
Quel -homme étoit Lucullus ?
Yvre de fa propre gloire ,
Fier , cruel , & rien de plus.
Mais fous un joug moins terrible ,
Gracieux , humain , paisible ,
Il brille dans fes repas ;
Son loifir le rend utile ,
Cette vertu fi tranquille ,
Fut celle de Mecenas.

Fiere & mortelle ennemie ,
D'une vaine ambition ;
Par elle l'ame affermie ,
Bannit toute paffion.
Elle fait fuir les baſſeſſes :
Par les appas des richeffes ,
Nôtre coeur n'eft point tenté ;
Et , devenus raiſonnables .
By . Son
240 MERCURE DE FRANCE . "
Son pouvoir nous rends femblables ,
Même à la Divinité,

Mais la fage Providence ,
Qui forma cet Univers ,
Aux mortels , avec prudence ,
Donna des penchans divers.
Que ceux de qui l'ame avide ,
N'a que le feul gain pour guide ,
S'agitent pour nos befoins ;
Nous que la raifon éclaire ,
' Contents du feul neceffaire ,
Fuyons d'inutiles foins.
Favori de la Pareffe ,
Efprit des plus excellens ,
D** permets que ma tendreffe ,
Chante tes heureux talens .
Docile , poli , fincere ,
Par ton charmant caractere ,
Tu rends chacun fatisfait ;
Et toûjours avec décence ,
Tu
FEVRIER 1725. 241
Tu fçais joindre la fcience ,
A l'honnête homme parfait.
A Genève , par J. A. M. C. D. P. D. F.
*******************
LETTRE dans laquelle on prétend
prouver, contre l'opinion commune , que
la Pucelle d'Orleans n'a pas été brûlée ;
& qu'après fes exploits elle fut mariée ,
& cd
L
A Demoiſelle dont vous me demandez
des nouvelles , Monfieur , a été
mariée depuis quelques mois à un Gentilhomme
fort bien fait , dont je ne puis
vous dire le nom ; je fçai feulement qu'il
eft d'une maiſon très-bien alliée , & qu'il
fe vante d'être de la Race de la Pucelle
d'Orleans , qui eft un titre de Noblee
fort avantageux à ceux qui le juftifient .
J'avois toûjours entendu dire que Charles
VII . pour récompenfer les fervices
importans rendus à l'Etat par cette vaillante
fille , avoit ennobli fes freres , &
leurs defcendans ; mais ce qui vient de
tomber entre mes mains , donne lieu de
douter , fi ceux qui fe difent Nobles
de ce côté - là , ne font point de la Race
B vj même
242 MERCURE DE FRANCE.
même de cette Heroïne , que l'on prétend
avoir été mariée , malgré le nom de
Pucelle , qu'on lui a toûjours donné , &
qui par confequent n'auroit pas été brûlée
à Rouen par les Anglois , comme le
marquent toutes nos Hiftoires . Ce fentiment
, quoique contraire à l'opinion
commune , eft appuyé fur deux témoignages
rapportez par un homme très- digne
de foi , & que fon rare merite , & fa
profonde érudition ont rendu fameux . Je
parle du Pere Vignier , Prêtre de l'Oratoire
, fi eftimé dans cette Congregation ,
& qui eft mort à Paris en 1661. âgé
de 56. ans , dans la Maifon de Saint Magloire.
Pour être perfuadé qu'il ne donnoit
point dans la bagatelle , il ne faut
que lire l'éloge qu'en a fait le P. Dom
Luc Dachery dans fa Preface du 5 * tome
de fon grand ouvrage , intitulé Spicilegium
, & c. Après avoir fait connoître
qu'il étoit né en Bourgogne de la Noble
& ancienne famille des Vignier , il dit
que dès l'âge de 30. ans fes écrits lui
avoient acquis la réputation d'être un des
plus fçavans hommes de fa Congregation ,
qu'il a donné au Public quantité d'ouvra
ges d'un très grand travail ; fçavoir , la
Genealogie des Seigneurs d'Alface , un
Supplement très- utile aux Oeuvres de
S. Auguftin , une Concordance Françoife
des
JANVIER 1725. 243
des Evangiles' , & qu'il avoit été furpris
de la mort , lorſqu'il étoit prêt de faire
imprimer un très beau Traité de S. Fulgence
, inconnu jufqu'ici , l'origine des
Rois de Bourgogne , la Genealogie des
Comtes de Champagne , & l'Hiſtoire
de l'Eglife Gallicane , pour lefquels ouvrages
il avoit employé beaucoup d'années
, & de veilles , & parcouru toute la
France , la Lorraine & l'Alface. Il ajoûte
que ce qui étoit de plus fâcheux , c'eft
qu'après la mort , quelques envieux de
fa gloire , ou plutôt de l'avantage des
Lettres , s'étoient emparez de fes écrits ,
fans que fes heritiers en euflent pû avoir
connoiffance . Cet éloge fait connoître que
le P. Vignier ne doit pas être fufpect dans
les témoignages que vous allez trouver
dans une Lettre de M. Vignier , fon frere,
dont je vous envoye la copie Elle est
écrite en ces termes de la Ville de Richelieu
en Poitou le 2. Novembre 1683 .
à M. de Grammont fon intime ami.
Vous m'avez trouvé bien hardi , Monfieur
, de vous dire que Jeanne d'Arcq ,
dite la Pucelle d'Orleans , n'a point été
brûlée à Rouen . Vous me croirez encore
plus témeraire aujourd'hui , de foutenir
qu'elle a été mariée , qu'elle a eu des
enfans , & que ceux qui defcendent de
cette illuftre fouche , en font leur plus
gran244
MERCURE DE FRANCE.
grande gloire. Je fçai tout ce que les Hiftoriens
difent de la cruelle mort de cette
Heroïne, & je ne fais point de doute que
ceci ne foit mis au nombre des Fables.
Peut- être auffi qu'il fe trouvera quelqu'un
qui fera réflexion fur la force de
mes preuves , & fur l'autorité de celui
de qui je tiens une Hiftoire fi furprenante.
Il n'étoit pas impoffible au Dieu des
armées , qui avoit envoyé miraculeufement
la Pucelle d'Orleans , pour délivrer
la France de l'oppreffion de ſes ennemis
, de la tirer auffi de leurs mains ,
après l'examen de l'Evêque de Beauvais ,
& de plufieurs Docteurs efclaves de la
tyrannie Angloife . C'eft ce qu'on peut
inferer de ce que vous verrez dans la
fuite de cette Lettre ; & ce qui fit que
les Anglois expoferent aux flâmes en fa
place quelque malheureufe criminelle ,
pour ne jetter pas la terreur dans leurs
troupes , fi elles euffent fçû en liberté le
bras qui les avoit mifes tant de fois en
fuite. Je vous ai déja dit , Monſieur , que
le P. Vignier de l'Oratoire , mon frere ,
fut celui qui découvrit ce que les Anglois
& les François même ont tâché d'étouffer.
L'étroite amitié qu'il avoit liée avec
M. Vignier , Marquis de Ricey , fon proche
parent , le fit réfoudre de faire avec
lui le voyage de Lorraine , où il alloit .
en
FEVRIER 1725. 245
en qualité d'Intendant de Juftice . Ce fut
là qu'en paffant dans toutes les Villes ,
Bourgs , & Villages , il mettoit en pratique
ce qu'il dit dans fa Preface de la Genealogie
de la Maifon d'Alface , s'informant
foigneufement des antiquitez &
particularitez des lieux . Il fit dans Mets
une fort exacte recherche qui ne lui fut
pas inutile , puifque le bonheur lui fit
tomber entre les mains un ancien Manufcrit
des chofes arrivées en cette Ville .
Je l'ai vû , & je vous envoye l'Extrait
qu'il en fit faire à Nancy par un Notaire
Royal , & qu'il me donna quelque temps
après fon retour. 11 eft en ces termes.

CC
L'an mil quatre cens trente-fix , fut «<
Meffire Echevin de Mets Plin Mar- «<
cou , & le vingtiéme jour de Mai l'an «
deffus dit , vint la Pucelle Jehanne qui
avoit été en France , à la Grange oz «<
Ormes , près de Saint Privé , & y fut «
amenée pour parler à aucun des fieurs «
de Mets , & fe faifoit appeller Claude . «
Et le propre jour y vindrent voir les «
deux freres , dont l'un étoit Chevalier, «
& s'appelloit Meffire Fierre , & l'autre «
Petit Jehan , Ecuyer , & cuidoient <<
qu'elle fut Arfe. Et tantôt qu'ils la vi- «
rent , ils la cognurent , & auffi fit elle «<
eux . Et le Lundi vingt & uniéme jour «
dudit mois , ils amenent leur four avec «
eux
246 MERCURE DE FRANCE .
» eux à Boquelon , & lui donnoit le fieur
» Nicole , comme Chevalier , un Rouffin
>> au prix de trente francs , & une paire
» de Houffels , & fieur Aubert Roulle ,
>> un Chaperon & fieur Nicole Grognet ,
» une épée. Et ladite Pucelle faillit fur le-
>> dit Cheval très -habillement , & dit
» plufieurs chofes au fieur Nicole. Com-
>> me donc il entendit bien que c'étoit elle
» qui avoit été en France , & fut recon-
» nue par plufieurs enfeignes pour la Pu-
" celle Jehanne de France , qui amenet
» facré le Roi Charles à Reins , & vi-
» rent dire plufieurs qu'elle avoit été Ar-
>> fe en Normandie , & parloit le plus de
» fes paroles paraboles ; & ne difoit ne
>> fut ne ans de fon intention , & difoit
» qu'elle n'avoit point de puiffance de-
» vant la S. Jean - Baptiffe. Mes quant ſes
>> freres l'eurent mené , elle revint tan-
» tôt en Fête de Pentecôte , en la Ville
» de Marnelle , en Chief Jehan Renat ,
» & le tient - là jufqu'à environ trois ſep
» maines , & puis fe partit pour aller à
>> Nôtre Dame d'Alliance le troisième
» jour , & quant elle volt partir , plu-
>> fieurs de Mets l'allent voir à ladite Mar-
» nelle , & lui donnent plufieurs Inels ,
» & ils cognurent proprement que c'é-
>> toit la Pucelle Jehanne de France . A
» donc l'y donnet fieur Geoffroy dex un
Chlx ,
FEVRIER 1725. 247
Chlx , & puis s'en allait à Erion en la e
Duché de Luxembourg , & y fut gran- «
de preffe , juſqu'à ten que le fils le «
Comte de Wnenbourg la menet à Co- «
logne de côté fon pere le Comte de «
Wnenbourg , & l'aimoit ledit Conte <<
trés- fort. Et quant elle en volt venir , «
il l'y fit faire une très belle curaffe «
pour le y armer , & pris s'en vint à la- «
dite Erlon , & là fut fait le mariage de «
M. de Hermoife , Chevalier , & de la- «
dite Jehanne la Pucelle , & puis après «
c'en vint ledit fieur Hermoife avec la «
femme la Pucelle demeurer en Mets , «
en la Maiſon que ledit fieur avoit de- «
vant Sainte Seglenne , & fe tinrent -là «
jufqu'à tant qu'il leur plaifit aller. «
L'article cy -deffus eft extrait d'un an▲
cien Manufcrit de certaines chofes arrivées
en la Ville de Mets , & fe conformément
le fein du foufcrit , Notaire Royal , demeurant
à Nancy ; cy mis pour témoignage
, cejourd'hui xxv. Mars 1645.
Signé, COLIN.
Le P. Vignier n'auroit pas ajoûté beaucoup
de foi à ce Manufcrit , s'il n'eut été
fortifié par une preuve qu'il crût inconteftable
, & que je laiffe au jugement des
fçavans . Comme il étoit fort aimé de toutes
les perfonnes de qualité de Lorraine ,
il les vifitoit fouvent ; & fe trouvant
un
248 MERCURE DE FRANCË.
un jour à dîner chez M. des Armoiſes ,
d'une illuftre Maifon , & de l'ancienne
Chevalerie , il fit tomber la converfation
fur la Genealogie de ce Seigneur ; mais
comme ce n'eft pas toûjours le fort des
plus nobles , de bien connoître ceux dont
ils font defcendus , il lui dit qu'il en
apprendroit plus dans fon tréfor , que de
fa bouche. Nôtre curieux ne demandoit
autre chofe. Auffi, le dîner ne fut pas plutôt
achevé , qu'en lui mettant un gros
trouleau de clefs entre les mains , on le
conduifit à ce tréfor. Il y paffa le reſte
de la journée à remuer quantité de papiers
, & de titres fort anciens. Enfin il
trouva le contrat de mariage d'un Robert
des Armoifes , Chevalier , avec Jehanne
d'Arcq , dite la Pucelle d'Orleans.
Je vous laiffe à penfer , Monfieur ,
fi le P. Vignier fut furpris de cette confirmation
, & quelle fut la joye de fon
hôte , quand il fçût ce qu'il avoit ignoré
jufqu'alors , & qu'il defcendoit de cette
illuftre perfonne , qu'il préferoit à toutes
les grandes alliances . Je croi vous avoir
conté la rencontre que je fis de M. fon
fils dans la Galerie de Conflans . Il étoit
arrêté devant le portrait de cette genereufe
Pucelle , & difoit à ſon Gouverneurs
voilà celle de qui je viens . A quoi
fans l'avoir jamais connu , je fis réponſe ,
vote
FEVRIER 1725. 249
votre nom , Monfieur , eft donc des Armoifes
& le vôtre , me dit-il incontinent
, doit être Vignier ; M. des Moulins
qui étoit prefent vous peut témoi
gner les civilitez que ce jeune Gentilhomme
me fit , quand il apprit que j'étois ,
frere de celui qui avoit déterré ce qu'il
eftimoit de plus honorable dans fa famille.
Il eft vrai , Monfieur , que vous m'avez
dit des raifons capables de détruire une
nouveauté , contre laquelle tout le monde
fe foulevera ; mais vous m'avouerez
qu'un contrat de mariage , enfuite d'un
Manufcrit dont vous voyez l'Extrait eft
digne de confideration .
,
Après la mort du P. Vignier , l'Original
de cet ancien Manufcrit eut la même
deftinée que tous ceux dont il eſt parlé
dans l'éloge que le P. Dachery a fait
de lui ; mais comme il pourroit faire découvrir
ceux qui fe font emparez des
autres à mon préjudice , je ne m'attends
pas qu'on le mette en lumiere tant que
je ferai vivant. S'il étoit en mon pouvoir
, je le donnerois de tout mon coeur
au public , auffi bien que l'extrait , &
j'aurois une joye extrême d'exercer les
efprits des curieux fur une fi belle matiere.
Je fuis , Monſieur , &c .
Signé , VIGNIER .
PARA.
250 MERCURE
DE FRANCE.
jkjkjkjkjkjkak kakakakakak k
PARAPHRASE fur le Pfeaume 136.
Super flumina Babylonis illic , & c.
1675 .
Captifs infortunez & preffez des remords ,
Que font naître de juftes peines ,
Nous cedâmes au poids de nos honteufes
chaînes ,
Nous nous affimes fur les bords ,
De ce fleuve fameux qui baigne dans fa courſe,
Les murs de Babilone , inépuiſable fource .
Des maux que nous avons foufferts ;
Ses flots , gros de nos pleurs , verfez fur le rivage
,
Précipitoient leur cours pour en porter l'hommage
,
Aux peuples qui chantoient leur victoire &
nos fers ,
Sion , trifte Sion , quelles douleurs ameres ,
Nous caufa ton cher fouvenir !
Cependant de toi feul au fort de nos miferes
Nous nous plaifions à nous entretenir ;
Nos harpes tant de fois dans le Temple entenduës
<
Alors
FEVRIER 1725. 251
Alors aux Saules fufpenduës ,
Ne fe faifoient plus admirer ;
Quel chant affez lugubre eut pû nous fatisfaire
?
Et loin de ton féjour que pouvions - nous
mieux faire ,
Que foupirer fans ceffe , & fans ceffe pleurer ?
D'un air mocqueur & tirannique ,
Infultant aux vaincus , nos vainqueurs odieux,
Chantez - nous , difoient- ils , quelque charmant
cantique ,
Pour nous délaffer en ces lieux.
A ces mots outrageans , que de ruiffeaux de
larmes ,
Coulerent de nos yeux ! c'étoient nos feules
armes .
Quoi ! des chants fi facrez , fi faints ,
Deſtinez feulement à louer la puiffance ,
Du Dieu qui pour l'aimer nous donna la
naiffance ,
Serviroient à flater de lâches affaffins !
A cette indigne complaiſance ,
Chere Sion, rien ne peut nous porter;
Ce n'eft que dans ton fein , ce n'eft qu'en ta
prefence ,
Qu'on peut nous entendre chanter ;
Tes
252 MERCURE
DE FRANCE
..
Tes remparts abatus & ta gloire flétrie ,
Te rendent moins heureufe, & non pas moins
cherie .
Ah! fi j'adreffe ailleurs des voeux ,
Que mon bras foit perclus , que ma langue
muette ,
Ne joüiffe jamais de la douceur fecrette ,
De conter , en pleurant , nos maux à nos neveux
;
Maître du Ciel & de la Terre ,
Oublieras - tu , Seigneur , dans ton jufte courroux
,
Les Chefs de cette injufte guerre ?
Arme contre eux ce bras , dont les feux du
Tonnerre ,
Sont les Miniftres les plus doux ;
Ce bras qui d'un feul trait peut égaler fans
peine ,
Le plus fuperbe Mont à la plus baffe plaine ,
Arme enfin ce bras contre Edom :
Comme tu rends aux bons le bien avec ufure ,
A ces blafphemateurs rends à même mefure ,
Les maux qu'ils font à ceux qui reverent ton
nom .
Grand Dieu ! fi ton courroux ne fait gronder
lalfoudre ,
Pour
FEVRIER 1725. 253
Que four punir les barbarès mortels ,
Lance-la pour abattre & pour réduire en
poudre ,
Ces deftructeurs de tes Autels ,
Qui , parlant aux foldats , lents à fervir leur
rage ,
Achevons , difoient - ils , ce glorieux ouvrage ,
Renverfons de cette Cité
Les orgüeilleufes tours , les monumens fuperbes
,
Et que le voyageur la cherchant fous les herbes
,
Puiffe douter un jour qu'elle ait jamais été.
Babilone en voyant nôtre malheur extrême ,
Plus que nous tu dois t'allarmer ,
Le Dieu qui nous punit , eft un Dieu qui nous
aime ,
Il te punira fans t'aimer.
Heureux , cent fois heureux , le vengeur dont
les armes
Effaceront ton nom , dans ton fang , dans res
larmes ;
Heureux celui de qui la main ,
Puniffant tes enfans des crimes de leurs peres
Rendra ta peine égale à ton crime inhumain ,
M. Vergier.
EXA
254 MERCURE DE FRANCE .
EXAMEN d'une partie de la Critique
de la Tragedie de Berenice , inferée
dans le Mercure du mois de Novembre
dernier , adreẞée à M. Moreau de Mautour
par un fçavant de Province .
P
Our continuer , Monfieur , le commerce
Litteraire qui eft entre nous ,
je vous envoye quelques Obfervations
que j'ai faites fur la Critique des Vers de
la Tragedie de Berenice de M. Racine ;
s'il a paru extraordinaire que l'on ait
attaqué cet illuftre Auteur jufques dans
fon fort , vous ferez peut-être également
furpris qu'un homme auffi peu verfé
que je le fuis dans la Poëfie entreprenne
de le défendre . Quoiqu'il en foit , je ne
cours aucun rifque de vous faire part de
ces Réflexions , vos lumieres & vôtre
difcernement me mettront à couvert de
tout inconvenient.
ACTE PREMIER .
SCENE I.
Quoi ! déja de Titus épouſe en eſperance ,
On dit bienheureux en apparence ;
mais
FEVRIER 1725. 255
mais heureux en efperance ne me pa- «
roît pas fort ufité . *
Pourquoi ne pas dire dans cette occafion
épouse en efperance , puifque l'on
dit d'une perfonne qui a mis fur un vaiffeau
ou à la Tontine , qu'elle eft riche
en efperance ? D'ailleurs cette préciſion
débarraffe l'Auteur d'une circonlocution
inutile .

SCENE III.
Non , Arface , jamais je ne l'ai moins haie.
On dit , jamais je ne l'ai plus aimé , «<
parce qu'on peut fuppofer qu'on a moins «<
aimé ; mais l'hipotheſe n'a pas lieu ici , «
& Antiochus n'a jamais hai Berenice . «<
Il fuffit pour détruire ce raifonnement
de joindre les paroles d'Antiochus à ce
vers précedent.
L'inimitié fuccede à l'amitié trahic.
L'on trouvera que cette réponse qui
tire tout fon fens & fa force du difcours
d'Arface eft très - délicate , & que le Prince
ne pouvoit gueres mieux faire fentir
combien il étoit éloigné d'haïr Berenice ,
ou plutôt combien il l'aimoit , qu'en difant
, que jamais il ne l'avoit moins haïe.
La Reine vient, adieu : fais tout ce que j'ai dit.
C Adieu ,
256 MERCURE DE FRANCE.
» Adieu doit plutôt être dans la bouche
» de celui qui s'en va , que dans celle de
» celui qui demeure. Fais tout ce que
» j'ai dit me paroît très- profaïque , &
» même un peu bas dans la bouche d'un
» Roi parlant à fon Sujet.

Voilà ce qui s'appelle entendre fon ceremonial
; mais l'adieu fe trouve ici
bien placé , cette maniere de congedier
les inferieurs étant d'uſage.
Fais tout ce que j'ai dit.
La Reine paroît , Antiochus n'a que le
temps de dire ces trois mots : Fais tout
ce que j'ai dit.
Hé quoi ! faudra- t- il que les Souverains
ayent recours au ftile ampoulé pour donner
leurs moindres ordres ? cette affectation
feroit une petiteffe.
59%
SCENE IV.
Il n'avoit plus pour moi cette ardeur affi-
« duë ,
Lorfqu'il paffoit les jours attaché fur ma
» vûë.
» Du premier de ces Vers au fecond
» il y a une ellipfe ; on fous -entend qu'il
» avoit , cette figure eft très belle , fur-
>> tout quand elle eft employée dans les
» grandes paffions ; mais il en faut uſer
» de manière qu'elle ne faffe point de
fens
FEVRIER 1725.
257
fens contraire , comme elle pourroit ici <<
à la faveur d'une tranfpofition très-or- «
dinaire à la Poëfie. En effet , il n'y a «
pour trouver un fens different , qu'à «
arranger ainfi ces deux Vers , «
Lorfqu'il paffoit les jours attaché fur ma «
vûë, «
Il n'avoit plus pour moi cette ardeur affi- «
duë. «
Je fçai bien qu'on ne fçauroit l'en- «
tendre dans ce dernier fens , la contra- «
' diction feroit trop marquée ; mais ces «<
fortes d'ellipfes pourroient fe trouver <<
fans qu'on y penfât , dans des endroits «< -
où le fens contraire fe prefenteroit plus
naturellement ; c'eft pourquoi il faut en «<
ufer plus fobrement. <
«66
L'on convient de l'ellipfe , mais de la
maniere dont on l'employe ici , bien loin
d'obscurcir le Vers , elle l'embellit ; ainfi
faifons- lui grace avec d'autant plus de
raifon , que de l'aveu du Critique , le
fens eft à couvert ; & que pour lui en
trouver un mauvais , il faut qu'il ait recours
à une tranfpofition ; on pourroit
même lui dire , fans rien outrer , que
cette figure eft moins hors d'oeuvre dans
cet endroit , que l'érudition qu'il affecte :
donc pour me fervir de fes termes , il
pourroit uſer plus fobrement.
C ij De
158 MERCURE DE FRANCE .
» De ce jufte devoir fa pieté contente ,
» A fait place , Seigneur , aux foins de fon
» Amante.
» Soin eft pris ici dans le fens paffif ;
» mais n'eft-on pas expofé à le prendre
» dans le fens actif , & à croire que c'eft
>> le foin que l'Amante prend de fon
>> Amant .
Non , l'on n'eft pas expofé à prendre
le change , pour peu que l'on faffe attention
, que le devoir que Titus vient de
rendre à fon pere , fait place aux foins
qu'il prend de fon Amante. La conftruction
de la phrafe rapporte tout à Titus ,
comme feul principe & feul Acteur. Le
fens y détermine abfolument.
» Si j'en crois fes fermens redoublez mille
» fois,
» Redoublez convient mieux à des ef-
» forts qu'à des fermens ; j'aimerois mieux
"repetez ou renouvellez.
Il mefemble que j'aimerois mieux redoublez
que repetez , l'un eft énergique ,
l'autre paroift plus foible.
32 De mon heureux rival j'accompagnai lęs
> armes.
Accompagner des armes , n'eft- ce pas
>> une expreffion un peu forcée ?
Je ne vois rien là de forcé que la critique
FEVRIER 1725.
259
tique , car l'expreffic n eſt très -belle.
Heureux dans mes malheurs d'en avoir pû
fans crime , "
Contre toute l'hiſtoire aux yeux qui les ont «
faits. «
Je ne comprens pas par quelle raiſon «
Antiochus croit que l'aveu de fon cri- «
me n'en eft pas un. En eft- il moins <<
defobéïffant envers Berenice pour s'é- «
loigner ; tout cela eft très- énigmatique . «
Si l'on rappelle ces quatre Vers .
Je vois que vôtre coeur m'applaudit en fe
cret ;
Je vois que l'on m'ecoute avec moins de regret
,
Et que trop attentive à ce recit funefte ,
*
En faveur de Titus vous pardonnez le refte.
· L'on décidera qu'Antiochus , ayant fi
bien fçû confondre les interefts de Titus
avec les fiens , il eft moins furprenant
qu'il fe faffe écouter , que de voir qu'on
ne veüille pas comprendre comment ce
Prince a crû pouvoir raconter fans crime
fes malheurs & fon amour à Berenidont
l'adieu certainement n'a rien
que de très-doux , puifqu'elle lui dit
avant qu'il la quitte :
ce >
Je fais plus : à regret je reçois vos adieux .
C iij
SCENE
260 MERCURE DE FRANCE.
2
SCENE V.
Mais Phoenice où m'emporte un ſouvenir
charmant ; 59
Cependant Rome entiere en ce même mo-
» ient ,
Fait des voeux pour Titus.
>> La tranfition du premier Vers m'a
paru fi brufque , que j'ai toûjours crû
» dans les reprefentations , que l'Acteur
» oublioit quelques Vers intermediaires .
» Berenice fait un tableau admirable de
» ce qui s'eft paffé dans l'apotheofe de Vefpafien
: l'éclat de cette fête ayant re-
» jailli fur fon Amant , elle fe plaît à fe
» le retracer, & c'eft là ce qui lui fait
33
dire que le fouvenir en eft charmant
» pour elle. Elle veut dire qu'il l'eft à tel
» point , qu'il lui fait oublier qu'elle doit
» joindre les voeux à ceux que l'on fait
» pour Titus en ce même temps . Voilà
le feul endroit par où l'on peut fauver
» cette efpece de lacune ; mais j'avouë
» que j'ai peine à m'y prêter.
Le Critique trouve ici une difficulté
bien moins pour la combattre que pour
la refoudre : car à peine fes doutes fontils
formez , que fans s'y arrêter , convaincu
par fon propre raifonnement , il
diffipe fur le champ tous ces nuages .
Qu'il
FEVRIER 1725. 261
Qu'il convienne donc de bonne foi , que
cette efpece de lacune dont il dit être
frappé , bien loin d'être un défaut , doit
paller pour un coup de maître , rien
n'étant plus propre à peindre une gran
de paffion qu'un beau defordre.
ACTE I I.
SCENE I.
Il fuffit , & que fait la Reine Berenice. «
Que fait me paroît trop bas dans une «
Tragedie , furtout en parlant d'une Rei- «
ne dont on veut fçavoir la fituation à la «
veille d'un grand malheur qu'elle peut «
prévoir. «<
Le Critique fe perfuade- t-il , qu'un
Auteur dans les Tragedies doit être toû
jours guindé ; & n'y auroit- il pas une
forte de ridicule d'en bannir les expreffions
naturelles ces mots , que fait , lui
déplaifent , parce qu'il s'agit d'une Reine
; & moi , je foutiens , fans crainte de
choquer ni la langue ni les bienfeances ,
que cette maniere de s'exprimer : fut- il
question d'une Imperatrice , eft recevable
.
Charge le Ciel de voeux pour vos profperitez.
Ciiij
ee
Charger
262 MERCURE DE FRANCE.
» Charger le Ciel de voeux , n'eft-il
» pas un peu trop figuré ; ne feroit- il ,
» pas plus naturel de dire :
Fait mille voeux au Ciel pour vos proſperitez.
.
» Les voeux qu'on fait aux Dieux font-
» ils des engagemens pour eux ?
Pour peu que l'on compare ces deux
Vers , l'on trouvera que l'un a beaucoup
plus de force que l'autre. C'eft au fentiment
& à l'oreille à decider ; il ne faut
pas toûjours aller terre à terre , la Poëfie
a droit de s'élever quand il lui plaît.
"⁹
En fa faveur d'où naît cette trifteffe.
» Avoir de la trifteffe en faveur de
quelqu'un , n'eft gueres plus naturel
que l'expreffion dont je viens de par-
» ler dans le Vers precedent.
C'eſt mal s'y prendre pour juger du
merite d'un Vers , que de le refondre
ainfi , & en faire de la Profe ; cette̱nouvelle
conftruction défigure le fens , &
il eft difficile que l'expreffion ainfi déplacée
conferve toute fa jufteffe.
29
SCENE I I.
Quel fuccès attend on d'un amour fi fi-
» dele ?
Je fçai qu'on dit également bon ou
mauvais
FEVRIER 1725. 263
» mauvais fuccès ; mais fuccès fans épi-
>> thete ne devroit pas être pris pour
fimple évenement ; cependant cette ex-
» preffion n'eft pas fans exemple.
n
Succès fans épithete peut fort bien être
pris pour fimple évenement ainfi je
pourrois dire : quel fuccès attend le Critique
de fes Obfervations , fera- t'il bon .
ou mauvais ? fes Obfervations lui feront-
elles honneur ?
J'ai mis même à ce prix mon amitié fecrette.
» Même me paroît mal placé , il fau-
>> droit qu'il fut avant , & non pas après
>> le verbe parce qu'étant après , il fem-
>> ble tomber fur à ce prix , & ce n'eft
pas - là ce que M. de Racine veut nous
>> faire entendre. Il veut dire : j'ai même
>> mis à ce prix , & non j'ai mis à ce
» prix même.
» L'épithete de fecrette eft une che-
» ville pour rimer avec interprete.
L'on peut dire que
cette Critique
eft puerile ; fi j'aimois les jeux de mots ,
je lui dirois volontiers avec ce Valet de
la Comedie .
» Il ne m'importe gueres
Que Pafcal foit devant , our Paſcal foit derriere
Qu'il me dife d'ailleurs où il prend
La difference qu'il peut y avoir entre
Cv j'ai
264 MERCURE DE FRANCE.
entre , j'ai mis même à ce prix , ou j'aï
même mis à ce prix , n'eft - il pas évident
c'eft une même chofe ?
que
» Mon amitié fecrete.
Par les quinze , ou vingt vers que reeite
Titus , lefquels précedent & fuivent
le vers où l'épithete de fecrete eft employée
; il est évident que l'Empereur a
fait choix de Paulin pour être fon homme:
de confiance à la Cour , puifque le Prince
lui dit que voulant fermer l'oreille à
la voix des flateurs , il defire connoître
tous les coeurs par fa bouche. Cela fuppofe
on ne peut difconvenir qu'il ne fut
effentiel que l'amitié dont Titus hono--
roit ce favori fut fecrete , pour que les
Courti fanes ne fe défiaflent de lui ,
& qu'il peut remplir le miniftere auquel
l'Empereur l'avoit deſtiné .
pas
Je voulois que ton zele achevât en fecret ,
De confondre un Amant qui fe tait à regret.
En fecret n'eft dans le dernier vers e
que pour la rime. Un Auteur tel que «
M. de Racine en doit-il être efclave à «
ce point- là: «
Titus prend Paulin emparticulier pour
Jui ouvrir fon coeur au fujet de fon amour
pour Berenice ; & comme il prévoit que™
les fuites n'en peuvent être que funeftes,
"
1
FEVRIER 1725. 265
il le conjure de tout employer pour l'aider
à fe guerir d'une paffion dont il eft
G peu le maître .
Il eft aifé de voir qu'il eft également
important à l'Empereur & à fon confident
que tout ce miftere fe paffe entre
eux & que le fecret bien loin d'y être
de trop , y figure pour le moins auffi bien
que dans cet exemple .
SCENE IV.
" De combien de malheurs pour vous per
fecuter.
» Le verbe perfecuter ne doit pass
s'appliquer à des chofes inanimees : ca
>>font les hommes qui perfecutent , &
» non pas les malheurs ; les derniers ne
>> font que des effets de la perfecution .
Ne dit-on pas tous les jours un Prince
que la fortune perfecute ? pourquoi ne
diroit-on pas de même , furtout en Poë--
fie : un Prince que les malheurs perfecutent
, puifque la mauvaiſe fortune n'eſt
autre chofe qu'un enchaînement de male-
Heurs.
ACTE FIL
SCENE I
Rome contre les Rois de tous temps fou
→ levée ,
Cvj Dedail
266 MERCURE DE FRANCE.
"
Dédaigne une beauté dans la pourpre élevée
» Soulevée ne devroit s'employer que
» de l'inferieur au fuperieur , de l'efcla-
» ve au maître , du fujet au Roi ; ainfi il
» me paroît étrange que cette même Ro-
» me qui fe croit maîtreffe des Rois , fe
fouleve contre fes fujets je fçai que
» foulevée dans cette occafion veut dire
<«< ennemie ; mais cette expreffion eſt ſi
» voifine de Roi , qu'elle emporte une
efpece de défobéiſſance & de révolte
» au propre. La pourpre eft un terme
» trop generique pour défigner préciſé-
« ment un Roi ou une Reine ; les Senaa
teurs Romains étoient élevez dans la
pourpre auffi bien que Berenice, «

י

L'on convient que le terme de foulevée
s'employe ordinairement du ſujet au
Roi; & c'eft pour cela même que Titus
indigné contre Rome , qui s'oppofe à fes
voeux , ufe d'un terme qui marque fon
dépit contre cette orgueilleufe qu'il vou--
droit humilier à faire rentrer dans fa
fphere. Cette petite délicateffe fe fait.
mieux fentir qu'elle ne s'exprimne , &
n'eſt pas du reffort de la Grammaire.
» Dans la pourpre élevée.
Le terme de pourpre n'eft pas ici generique
, & s'entend uniquement de la
pourFEVRIER
1725. 267
pourpre Royale , puifque dans le vers
fuivant il eft dit :
1
L'éclat du Diadême deshonorant ma flâme.
SCENE II.
Arface,je me'vois chargé de fa conduite
» J'aimerais, mieux de la conduire .
» Conduite femble plutôt regarder les
» actions de Berenice que fon départ
.
Il ne peut y avoir ici d'équivoque , à
moins que de vouloir prendre le change
de gayeté de coeur ; puifqu'Arface prend
foin d'avertir dès le fecond vers de la
fcene , qu'Antiochus doit partir avec Be
renice ; ainfi le Prince parle très -jufte ,
en difant qu'il feroit chargé de fa conduite
; & c'eft penfer fingulierement ,
pour ne rien dire de plus , que d'imaginer
que cette conduite regarde plutôt les
actions de Berenice , qu'un départ fi
marqué.
Hé ! qui peut mieux que vous confoler fa
difgrace .
>>>Antiochus peut confoler Berenice
dans fa difgrace , mais non pas confo-
» ler la difgrace de Berenice . Les Poëtes
» étendent leurs droits un peu trop loin ,
ils veulent tout animer , tout perfonifier
, qu'ils fe contentent de parler
com
168 MERCURE DE FRANCE :
» comme les Dieux , fans prétendre agir
» comme eux. Peut - être M. de Racine
» entend foulager pour confoler , ces deux
» verbes dérivent veritablement de la
» même racine ; mais l'ufage leur a don-
» né des fignifications bien differentes
» il faut nous y affujettir.
C'est dégrader la Poëfie & l'énerver ,
pour ainfi dire , que de l'alfervir à une
fcrupuleufe exactitude , & fi l'on ne permet
de pareilles licences , la plupart des
vers de nos meilleurs Poëtes deviendront
bien- tôt l'objet du premier Critique .
" Et ne la crois-tu pas affez infortunée ,
» D'apprendre à quel mépris Titus l'a con-
» damnée ;
99
Sans lui donner encor le déplaifir fatal ,
D'apprendre ce mépris par fon propre rival.
» Ce n'eft pas par la conftruction que
» J'attaque ces quatre vers , c'eſt par le
>> fens : quel nouveau déplaifir feras ce
» pour Berenice d'apprendre le mépris
» de Titus par la bouche d'Antiochus
" fon Rival ? fi c'étoit par la bouche
» d'une Rivale qui en triompheroit
j'avoue que ce feroit- là un grand accroiffement
de déplaifir ; mais par la
» bouche d'Antiochus qui l'aime , qui l'a
dore , & qui fait mieux qu'un autre
ce
FEVRIER 1925. 269
» ce qu'elle vaut , je ne vois pas que
>> Berenice en doive recevoir un déplai-
» fir fi fatal. Je mets en Italique ce der-
» nier mot pour faire fentir Fabus qu'on:
» en fait ; il eft devenu finonime avec:
» cruel , & c'eft à Ms les Poëtes , fur-
» tout aux faiſeurs d'Opera, que nous de
vons cette improprieté..
Oui , c'eft un furcroit de peines pour
Berenice d'apprendre le mépris de Titus
par la bouche d'un Prince qu'elle n'aime
point , & de fervir en quelque forte de
fpectacle à un Amant rebuté , qui fe trouve
témoin de fon defordre , & fe vange
peut -être de fes dedains par le cruel plaifir
de lui annoncer lui- même fon infor
tune.
SCENE III.
» Madame , je vois bien que vous êtes déçue
Et que c'étoit Cæfar que cherchoit vôtre
» vûë..
>> On dit quelquefois vue pour yeux ,
»il s'offre à ma vûë , & il s'offre à mes
» yeux , font deux manieres de s'expri-
>>>mer tout-à-fait finonimes , & parfaite
» ment bonnes. Je vais plus loin , mes
» yeux s'égarent , & ma vûë s'égare font
>>>encore dans le même cas ; mais comme
»> nous n'avons que des prefques- finoni--
» mes dans la Langue Françoife , ce qui
s'accor
170 MERCURE DE FRANCE.
s'accorde quelquefois , ne s'accorde pas
» toûjours . Vôtre vûë me cherchoit , me
» paroît dans le dernier cas , l'ufage n'y
» a pas encore mis le fceau.
Nôtre Critique fe rend toûjours plus
difficile quand il rejette une expreffion ,
à laquelle , felon lui , il ne manque que
l'ufage , comme s'il ne falloit pas que
quelqu'un introduifit cet ufage or perfonne
étoit-il plus en droit de le faire
qu'un Auteur de la réputation de M. de
Racine .
">
De ma prefence encor importune vos yeux-
» Cette maniere de parler n'eft gueres
plus ufitće que la précedente. On dit
» ma prefence vous importune ; mais je ne
» crois pas qu'on puiffe dire que je vous
>> importune , ou importune vos yeux de
» ma preſence , il vaudroit mieux dire
» par ma prefence , parce que la prefence
» n'eft que le moyen , & non l'action
d'importune.
Je me fervirai ici des propres arme's
du Critique pour le combattre , il fou
tient qu'il feroit mieux de dire par ma
prefence fur le fondement que la prefence
eft plutôt le moyen que l'action d'importuner
, & moi je conclus de fon principe
, qu'il vaut mieux dire de ma prefence,
parce que la prefence eft directement
FFVRIER · 1725. 171
ment l'objet qui importune , & non , comme
il le prétend , le moyen d'importuner.
ACTE IV.
SCENE I I.
Hé , que m'importe , helas ! de ces vains
» Ornemens .
>> On dit que m'importe cela ; mais je
» prends plutôt cette expreffion pour une
» hardieffe que pour une faute . La fitua
>> tion violente où le trouve Berenice ,
» peut lui permettre un peu de defordre
» dans la maniere de s'exprimer. C'eft
» dans les grandes paffions que les Ellip
» ſes font non -feulement permiſes , mais
>> élegantes .
Il femble que le Critique veuille fe
reconcilier avec l'Auteur , il ne releve
précifement cette Ellipfe que pour l'admirer.
Que n'en ufe t'il ainfi dans plufieurs
endroits qu'il attaque , où il y a
plus fujet d'applaudir que de reprendre ?
Dis -moi que produiront tes fecours ſuperflus >
» Cela frife le Pleonafme il est bien
» certain que des fecours fuperflus ne
>> produiront rien , c'eft prefque dire
qu'ils font fuperflus .
»
Superflus
joint ici , bien loin de frifer
le Pleonafme
, eft abfolument
neceffaire
pour
272
MERCURE DE FRANCE.
pour
déterminer le fens , par exemple ,
fi je me
contentois de dire que produiront
les remarques du Critique ? N'eſtil
pas vrai que le fens de ces paroles eft
fufpendu , & que l'on ne fçait s'il doit
être pris en bonne ou mauvaiſe part ;
mais que je dife , que
produiront tant de
remarques
fuperfluës : pour lors tout le
monde
m'entend.
SCENE I V.
» Je viens percer un coeur que j'adore , qui
» m'aime.
» Le coeur aime , mais il n'eſt
>> ni adoré.
pas aimé
Oui , ce n'eft
pas le coeur
qui eft aimé
ou adoré
, c'eſt
la perfonne
; mais
qui
ne
voit que le coeur
eft perfonifié
, ainſi
que
dans
ces deux
vers
:
Rendez-moi ma chere Euridice ,
Ne feparez pas nos deux coeurs.
Qui ne veulent dire autre chofe. Si
non ne feparez pas deux perfonnes qui
s'aiment .
» Au bout de l'univers, va, cours te confiner
- Et fais place à des coeurs plus dignes de
» regner.
» Regner ne rime pas avec confiner.
>
On
FEVRIER 1725. 273
*
» On a fait de pareilles rimes dans des
>> Tragedies modernes qui ont eu un
très- grand fuccès. Cela fait voir que
l'exemple des grands hommes eft dan-
» gereux , leurs défauts même femblent
>> confacrez . Je n'en veux pas davantage
» pour juſtifier la liberté que je me don-
» ne de critiquer un Auteur auffi ref
» pectable que M. de Racine .
Le Critique a-t'il bonne grace d'improuver
deux rimes , qui , felon lui , ont
de fi bons garants . Le Public a paffé dans
M. de Corneille des rimes qui n'étoient
pas meilleures , les petites licences , lorfqu'elles
ne font pas frequentes doivent
fe tolerer , furtout dans un grand Poëme.
Je ne les approuverois pas dans un
petit ouvrage.
SCENE V.
Je fens bien que fans vous je ne fçaurois
» plus vivre ,
Que mon coeur de moi-même eft prêt de
s'éloigner ;
» Mais il ne s'agit plus de vivre , il faut regner.
» Je pafferois le fecond vers , s'il étoit
» dans le ftile figuré , quoiqu'il fente un
» peu fon Italien , tant la metaphore eft
» outrée ; mais l'expreffion eft au propre,
il
174 MERCURE DE FRANCE.
» il s'agit de mourir très - phyfiquement
» c'eft- là ce que j'y trouve de défectueux.
C'eſt le ſtile d'un Amant au deſeſpoir
& prêt à mourir. Pourquoi ne mettroitil
pas le coeur de la partie ? & dequoi ſe
mêle le Critique ? que ne laiffe-t'il nos
Amans en repos ? & à chacun la liberté
de mourir comme il lui plaît .
Non , je crois tout facile à vôtre barbarie ,
Je vous crois digne ingrat de m'arracher la
» vie.
ג כ
L'expreffion de ce dernier vers eft
» un latiniſme , fi on prend digne pour
capable ; mais il faut remonter cinq vers
plus haut pour retrouver le veritable
>> fens de l'Auteur.
ל כ
35
Titus dit à Berenice,après avoir mis les
moeurs les plus feroces des anciens Romains
au-deffous de la cruauté qu'il
exerce contre elle , en la preffant de partir .
» Mais , Madame , après tout , me croyez-
» vous indigne
- De laiffer un exemple à la pofterité ,
Qui fans de grands efforts ne puiffe être
» imité.
C'eft delà , fans doute , que dérive
» la réponſe de Berenice : comme Titus
>> croit qu'il y a de la gloire à être cruel ,
>> fon Amante lui répond ironiquement
qu'elle

FEVRIER 1725. 275
» qu'elle le croit capable de porter cette
gloire barbare , juſqu'à lui arracher la
» vie , pour laiffer à la pofterité un exemple
inimitable,
>>
Le Critique prend foin lui-même de
juftifier cet endroit par un raiſonnement
fenfé , qui démontre le raport du vers
avec ce qui précede. Pourquoi donc le
met- il dans le nombre de ceux qu'il condamne
quelle contradiction ?
SCENE VIII.
» Vous voulez raffurer ,
>> Un coeur que vous voyez tout prêt à s'é
»
*
garer.
» Raffurer, ce qui s'égare n'eſt pas une
metaphore bien jufte. Ces deux verbes
»> ne font pas faits l'un pour l'autre , ni
» dans le propre , ni dans le figuré ; on
» raffure ceux qui craignent , & on éclai-
» re , ou on ramene dans le bon chemin
>> ceux qui s'égarent.
Si j'accorde au Critique , que raffurer
& égarer ne font pas deux verbes faits
l'un pour l'autre , il doit convenir avec
moi , qu'il n'en eft pas de même de raffurer
ce qui eft prêt à s'égarer ; parce que
raffurer pour fors tombe fur le danger
prochain , & non fur l'égarement. De
même que l'on dit éclairer un efprit quị
s'égar
276 MERCURE DE FRANCE.
s'égare , on peut dire également , remettre
ou affurer un eſprit tout prêt à s'égarer.
ACTE V.
SCENE VI.
» La Reine qui m'entend peut me defavoüer.
>>
Il y a une Ellipfe dans ce vers , au-
» trement il feroit un fens tout - à -fait
» contraire à la penfée de l'Auteur ; il
» veut dire peut me defavoüer , fi je ne
dis pas la verité.
Cette Ellipfe eft fi élegante , qu'elle fe
trouve plutôt dans le cas de meriter des
éloges , que d'avoir befoin qu'on la juftifie.
Cependant le Critique eft d'une fi
grande fechereffe fur les louanges , qu'il
croit encore faire grace de la laiffer paffer.
Mais le pourriez-vous croire en ce moment
» fatal.
» Le moment n'eft - là que pour la me-
» fure , & fatal pour la rime.
Selon l'anonime les deux termes font
ici fort mauvaiſe figure ; l'un, dit - il, ne s'y
trouve que pour la mefure , & l'autre
pour la rime. Cependant fi l'on y prend
garde , l'on trouvera qu'ils font effentiels
, & très -propres pour marquer le
moment d'une declaration auffi interef
fante qu'inattenduë.
Voilà
FEVRIER 1725. 277
Voilà , Monfieur , ce que je penfe des
Remarques de l'anonime , je ne les ai
point toutes relevées ,quelqu'unes m'ayant
paruës bien fondées , & d'autres trop legeres
pour m'y arrêter. Cet Auteur qui
ne manque ni de goût , ni de délicatelle
auroit pû , ce femble , être plus circonfpect
à donner de plus juftes bornes à fa
Critique. Je fuis , Monfieur , &c.
aaaaaaOMM
COMPLIMENT A M. L'. D'.
Le premier jour de l'an 1725.
MU
Ufe , à mes voeux toûjours fidelle ,
Tu n'ignores pas la nouvelle ,
Qu'aujourd'hui l'an ſe renouvelle ;
Qu'il faut tirer de ta cervelle ,
Comme du fond d'une efcarcelle ,
De rimes une Kyrielle ,
Pour un Prélat que l'on appelle ,
Des plus grands Prélats le modelle .
Pour le peindre il faut un Apelle ;
Fais- lui compliment ſur ſon zele ,
Sur fa fcience univerſelle ,
Chacun fçait que la Cour démêle
Son éloquence naturelle ,
Lorfque
278 MERCURE DE FRANCE.
Lorſque dans la Chaire il querelle ,
Le pecheur aux graces rebelle.
En l'écoutant, la Demoiselle,
Quitte fa coëffure à dantelle ,
Fait l'Oraifon dans fa Chapelle ,
Et fuit la mondaine fequelle ,
Qui la rendoit fi criminelle.
Le Mondain comme un rofeau frêle ,
Qui dans tous fes projets chancelle ,
Fait une entrepriſe réelle ,
Et renonce à la bagatelle.
Ici , d'une pâleur mortelle ,
Le Penitent en fentinelle ,
Fuit le Démon qui n'étincelle ,
Que d'une flâme fenfuelle.
Son troupeau mis fous fa tutelle ,
Goûte une joye effentielle ,
Jouit d'une paix éternelle s
En foins , en bonté paternelle ,
Ainfi qu'en vertus il excelle ;
Le temps qui fuit à tire d'aîle ,
Bien plus vite que l'hirondelle ,
Doit rendre fa gloire immortelle.
Puiffe , Poncet , vivre autant qu'elle ?
}
De
FEVRIER 279 1725.
De ta Lire la chanterelle ,
Muſe , interromps : déja la grêle
Qui tout à coup au vent fe mêle ,
L'Aquilon même qui tout gêle ,
Feroient échouer ta nacelle.
********** ******
LETTRE du R. Pere Buffier à M. de
la Roque , au fujet d'une nouvelle
Critique inferée dans le Mercure du
mois de Janvier dernier , fur le Traité
des premieres veritez .
J
E me fuis trouvé , Monfieur , un peu
embaraffé d'abord ,, pour faire une Réponſe
à la lettre qui m'eft adreffée dans
vôtre Mercure du mois précedent , &
fur l'éclairciffement que j'avois donné
aux difficultez propofées auparavant.
L'Auteur de cette Lettre avoue qu'il
n'a pas affez d'intelligence pour entendre
ma réponse ; & moi j'avoue que je
n'ai pas affez d'intelligence pour entendre
fa replique. Ce n'eft pas , comme
vous voyez , pour faire des differtations
fort juftes & fort claires ; c'eſt donc au
Public de juger ( en cas que la chofe le
merite ) lequel du Critique ou de moi
D eft
280 MERCURE DE FRANCE .
eft le mieux fondé en difette d'intelli
gence.
Il ajoûte dans fon file fleuri , que je
prête à fon imagination une espece d'obfcurité
, dont heureufement elle ne s'eft point
fentie environnée ; & moi je dis dans la
fimplicité du mien , que fans examiner
ce qu'il a fenti , les efprits obfcurs font
ordinairement ceux qui fentent le moins
leur obfcurité ; & que du refte il ne
m'eft jamais revenu qu'on m'ait reproché
d'être peu intelligible dans ce que
j'ai écrit l'endroit même que cite le
Critique en peut fervir d'exemple.
3
Le fond & le but de mon Traité des
premieres veritez , eft de montrer qu'il
eft des jugemens , qui pour être admis
n'ont pas besoin d'être prouvez par un
principe anterieur ; le Critique oppofe
à cela , qu'il ne peut avec le fens commun ,
admettre de jugement fans principe anterieur.
Je lui ai repliqué qu'il falloit bien
admettre neceflairement quelque jugement
qui n'eut pas befoin d'un principe
anterieur fans quoi il faudroit admettre
des jugemens qui ne feroient jamais certains
ni prouvez , puifque chacun fuppofant
toûjours ( felon lui ) un principe
anterieur , la preuve iroit à l'infini ; &
qu'on n'en trouveroit jamais le principe
, ce qui eft contre le fens commun :
voilà,
FEVRIER 1725.
281
voilà , dit-il , ce qu'il ne peut
comprendre
; & moi je dis : voilà ce que je ne
comprens
pas , qu'il ne foit pas
compris
de tous ceux qui ont une ombre d'intelligence.
Cependant , comme j'ai coûtume de
fuppofer qu'avec un peu de raiſon , les
gens veulent dire quelque chofe de rai-
Tonnable ,
quoiqu'ils ne le difent pas toûjours
: j'ai cherché ce que le Critique
avoit pû penſer à ce fujet . J'ai crû l'entrevoir
dans l'endroit où il dit , que le
fens commun n'eft pas suffisant pour découvrir
les premieres verite . Il aura apparemment
regardé ici le fens commun ;
tel qu'il eft toûjours &
generalement
dans tous les hommes , dès qu'ils n'extravaguent
pas , en quelque conjoncture
d'erreurs ou de
préventions qu'ils puiffent
être d'ailleurs ; en ce cas je tombe
rai d'accord avec lui qu'il dit vrai ; mais
il faudra qu'il tombe d'accord avec moi,
qu'il n'a pas pris la peine de lire ou d'entendre
mon livre comme d'autres que lui
pourroient donner en femblables mépriſes
fur un point d'ailleurs important ; il
eft bon d'aider ici leur
inattention &
de leur faciliter la maniere de juger avec
exactitude.
,
Toutes fortes de
premieres veritez ne
font pas
également à la portée de tous
Dij ceux
282 MERCURE DE FRANCE .
Ceux qui ont du fens commun ; il s'eŋ
faut bien , 1. j'ai dit au contraire ( nombre
34. ) en termes exprès , après avoir
donné quelques exemples de premieres
veritez qu'elles ne devoient pas être
également , avec la même facilité , admifes
par tout le monde. 2. Je n'ai mis
au rang de celles qui étoient admifes generalement
& en toutes fortes de conjonctures
, que celles qui emportent le
fentiment du peuple , même le plus groffier
, comme le fentiment de l'existence
des corps , & de quelques êtres differens
de notre être particulier . 3. J'ai employé
cinquante pages au moins , à montrer
en détail pourquoi certaines premieres veritez
étoient méconnues de plufieurs , qui
n'étoient pas à portée de les démêler ,
faute de connoiffances , dont ils n'avoient
pas l'experience ou l'ufage. 4: J'ai obfervé
en particulier comment des premieres
veritez fubfiftoient évidemment
avec des erreurs populaires fort répanduës
( nomb. 79. ) ; parce qu'elles étoient
démenties par le fentiment commun le
plus pur de la nature raisonnable , qui
eft celui de la reflexion . J'ai montré encore
dans tout le Chapitre VIII . nomb.
63. que la certitude des premieres veritez
n'étoit point affoiblie par les ſubtilitez
qu'on y oppofe quelquefois ; telles
FEVRIER 1725. 283
les que celles des Septiques contre les
veritez de notre exiftence ; celle de Zenon
( adoptée par M. Baile ) contre la
poffibilité du mouvement , celle des Cartefiens
ou Malbranchiftes contre la certitude
de l'exiftence des corps . 5. J'ai
fait fentir qu'il y avoit naturellement en
nous une neceffité de juger ( en quoi je
fais confifter l'évidence ) laquelle ne nous
permet pas de fufpendre notre jugement,
même en des chofes , où par la pointe
de l'efprit , & à force de reflexions alambiquées
, nous prétendrions le fufpendre
ou le contrarier , comme lorfque
nous nous figurons une forte de poffibilité
dans les chofes que nous fommes neceffitez
de juger impoffibles : par exemple
, qu'une horloge qui montre regulierement
les heures , ait été formée par un
pur efft du hazard : car avec cette prétendue
poffibilité , apperçue par un raifonnement
pouffé à l'excès , il m'eft cependant
impoffible , à moi , dis-je , & à
tout homme fenfé , de juger , & de croire
qu'une horloge , qui montre regu
lierement les heures , ne foit pas l'ouvrage
de quelque intelligence.
Suppofé ces principes qu'il a fallu remettre
aux yeux du Critique , pour le
faire rentrer dans le droit chemin , re
venons à fa principale difficulté ; car les
D iij
autres
284 MERCURE DE FRANCE.
autres ne meritent pas qu'on y arrête les
Lecteurs.
J'ai mis pour premiere verité , qu'il
eft quelque chofe dans nous qui s'appelle
intelligence , & qui a des proprietez differentes
de ce qui s'appelle corps . Quand
cette propofition ne feroit pas également
admife de tous , ni à la portée de tous,
ni même exempte de quelques difficultez
, elle n'en feroit pas moins une verité
admife par le fens commun ; it fuffic
afin que le fens commun l'admette , qu'étant
regardée de près par des efprits à
portée de difcerner ce que nous appellons
efprit & corps , ou intelligence &
matiere. Il fuffit , dis-je , que tout homme
fenfé capable de ce difcernement , ſe
trouve déterminé à juger que les proprietez
de ce que nous appellons efprit
font differentes de ce que nous appellons
corps , & reciproquement. Ainfi , disje
, il ne peut ferieufement & fenfément
juger , qu'une pierre ou du bois , du feu
ou de l'air , ayent la proprieté de produire
ce que nous appellons une penſée,
un doute , un fentiment ; ni juger qu'un
efprit ou une intelligence ait la proprie
té de pouvoir être coloré ou pefant , long
d'un pied ou large d'un pouce.
Ce que voudroit oppofer le Critique ,
n'entame point cette verité. Il dit 1. que
La
FEVRIER 1725.ˆ 289
le fens commun a fouvent admis des cho-
Jes fans les entendre , & qu'il les a rejetté
dans la fuite quand il a été redreffe
mais un fens commun , qui eft capable
d'être redreffé , & d'admettre des chofes
fans les entendre , n'eſt plus un fens
commun ; du moins n'eft-ce pas le mient
ni celui que j'ai admis : ce fens commun
là eft de la façon du Critique , & eſt
précisément ce que j'ai appellé des er
reurs populaires oppofées au fema commun.
Le Critique peur tire mon Livre ,
ou fe le faire expliquer , j'y repete la
chofe à diverfes fois , furtout dans le
Chapitre IX du premier Livre & aux
fuivans , pour montrer comment le fens
commun ne fe trouve pas dans tous les
hommes.
Il objecte z . que le fens commun peut
s'accoûtumer à cette idée , qu'une parcelle
de matiere , àforce de modifications
differentes , peut devenir une penfee. Je
répons 1. que quand la chofe par impoffible
feroit comme il l'a dit , elle ne fesoit
encore rien contre cette verité , que
l'intelligence demeurant intelligence , a
des propriete differentes du corps
de
même qu'une parcelle de matiere qui eſt
actuellement plomb , pourroit peut- être
à force de modifications , devenir or ,
fans que le plomb ait pour cela les pro-
D iiij prietez
286 MERCURE DE FRANCE.
prietez de l'or, Ainfi par là même le Critique
a manqué à bien prendre la propofition
, & il ne lui faudroit point d'autre
réponse ; mais que prétend- il quand
il avance qu'on peut s'accoûtumer à cette
idée ? une parcelle de matiere , à force
de meditations , peut devenir une pensée ;
l'erreur peut s'accoûtumer à toute forte de
verbiage ; mais le fens commun s'y accoûtume-
t -il? non, & fuivant la raifon qui eft
fon guide : voici comme il penfera fur le
point en queftion , pour diffiper le verbiage
de l'erreur. Je fuppofe une modification
de parcelles de matiere qui faffe
cette penfée , deux & deux font quatre ;
une modification formellement opposée
fera donc une penfée toute contraire &
contradictoire , comme celle - ci ; deux
& deux ne font pas quatre : quel fens
y a-t- il en tout cela ? voilà où fe terminent
les raifonnemens de ces raisonneurs
à perte de vûë ! vrais avortons de Metaphyfique.
Touchant l'exemple qu'apporte le Critique
, des Indiens qui fuppofent l'ame
corporelle , ( quand il feroit auffi vrai
qu'il le penfe ) que prouve -t- il , finon
qu'il eft des peuples pleins d'idées confufes
& erronées ? voilà une belle découverte
! il n'eft pas befoin de la chercher
FEVRIER. 1725. 287
cher aux Indes ; le peuple dans tout l'Univers
, & même en Europe , n'attribuë-
t-il pas fouvent par une idée également
confuſe , le fentiment de chaleur
ou de couleur au feu , qui produit ce
ſentiment en nous ? cela empêche - t- il
qu'il ne foit vrai que le feu materiel eft
incapable de fentiment ? les idées ou erreurs
populaires des Indiens n'empêcheroient
donc pas , que ce ne foit une verité
que celle- ci ; ce que nous appellons
intelligence a des proprietez differentes de
ce que nous appellons corps . Que fi c'eft
une verité , il eft incontestable que c'eſt
une premiere verité , puifqu'on ne sçaurait
la prouver ni la combattre par une
propofition qui fait plus claire , ni plus
immediate à l'efprit & au fens commun.
Ce qui fait l'effence d'une premiere verité
prife en general. Defcartes & le Pere
Malbranche
, que le Critique femble reconnoître
pour les Maîtres , apportenti's
des preuves anterieures à cette propofition
? La difficulté eft donc uniquement
dans fa méprife. Faute d'attention
à mon Livre , & contre ce que j'y mets
formellement , à diverfes fois , il aura
crû que les premieres veritez dont je
parle , admifes par le fens commun , devoient
toutes être à la portée de tous les
efprits même des plus grofliers : dès- là
D v qu'ils
288 MERCURE DE FRANCE .
qu'ils ne manquent pas de fens commurt
dans l'ufage ordinaire de la vie ; & c'eſt
ce qui ne convient qu'aux premieres ve
xitez du fuprême genre d'évidence.
Au refte , je fuis obligé au Critique ,
de l'éloge qu'il fait de moi ; quand il
dit , que je fuis un Philofophe qui fçait.
donner de l'enjouement & de la legereté
aux fciences les plus profondes . II fait
même entendre , que c'eft d'après moi ,.
qu'il a employé des expreffions, que j'ai
traité d'éblouiffantes . En tout cas , s'il y
a de ma faute , je lui demande très-humblement
pardon , du mauvais exemple
que je lui aurois donné . Je fuis , Monfeur
, & c.
Addition à la Lettre précedente.
Je ne refuferai point , Monfieur , de
donner des éclaircillemens aux. difficultez
qu'on me propofera dans votre Livre
contre le mien ; mais pour ménager
vos Lecteurs , je crois qu'il fera bon
que vous faffiez un difcernement de celles
qu'on vous adreffera à mon fujet ; il
en eft , & on m'en a marqué , qui pour-
Loient être expofées avec utilité ; pour
les autres vous me difpenferez d'y répondre
deformais .
Vous m'en difpenferez en particulier,
s'il
FEVRIER 1725.
289
ن م
s'il vous plaift , à l'égard d'une Lettre
inferée dans votre Mercure de Decembre
1724. page 2596. celui qui l'écrit
s'avife de faire l'entremetteur dans une
chofe où il ne paroît feulement pas avoir
pris la peine d'entendre l'état de la queftion.
Il dit que j'ai donné pour une verité
la propofition fuivante ce que penfent
tous les hommes , en tous les temps
en tous les pays du monde , eft vrai : mais
il ne dit pas que je parle de ce que penfent
ainfi tous les hommes fur les obofes
dont ils font à partée de juger , Lesquelles
foient indépendantes d'une experience
que tous n'ont pas. C'eft ce que je repe
te en cinq ou fix Chapitres du premier
Livre de mon Traité . Comme il n'y a
pas fait attention , le public ni moi n'en
devons pas faire davantage à ce qu'il
dit.
!!
D vj ODE
290 MERCURE DE FRANCE .
ODE imitée de la X. du IV. Livre
d'Horace. Ad Ligurinum.
Par M. Desforges - Maillard
A. A. P. D. B.
PHilis , barbare autant que belle ,
Trents Hivers de ton teint n'ont pas fané les
fleurs ,
On y voit encor les couleurs ,
Dont fe pare au Printemps une Roſe nouvelle.
Ce teint perdra bien tôt fa fraîcheur naturelle
,
Ces cheveux n'auront plus leur éclat fi
vanté.
C'eft alors qu'accufant un miroir trop fi
delle ,
Tu plaindras tes beaux jours paffez avec
fierté.
Le coeur de regret agité ,
En vain tu t'écriras dans ton impatience ,
Amour, Amour,rends - moi ma premiere beauté
Ou ma premiere indifference.
Remar
FEVRIER 1725. 291
XX.XXX.XXXXXXXXXX
Remarques de M. Moreau de Mautour,
fur une Epitaphe de Philippe le Bon,
Duc de Bourgogne , imprimée dans le
Mercure d'Octobre 1724.
J a
E fuis du fentiment de l'Anonyme ,
qui a produit cette Epitaphe , que
l'on ne peut être trop attentif à tirer de
l'obfcurité les pieces qui peuvent fervir
à l'Hiftoire desgrands Princes . Mais il ne
faut pas donner pour nouveauté , ce qui
eft déja connu & rapporté ailleurs. Cette
Epitaphe que l'on cite , eft prife , dit - on ,
d'un Manufcrit. De quelque temps que
foit ce Manufcrit , on n'a pas dû ignorer
que cette piece eft au long citée ,
& rapportée dans les Annales de Bourgogne
, par Guillaume Paradin , page
919. imprimée à Lyon en 1565. İl eft
vrai que celle- ci est un peu differente
de celle du Mercure , non feulement par
quelques termes qui ne font pas les mêmes
, & par la tranfpofition de deux
Vers , ce que l'on peut juftifier , en
comparant les deux pieces enſemble ,
mais encore par l'obmiffion de deux Vers
entiers dans le Mercure , qui font rapportez
dans Paradin , où , après le 18 .
Vers,
192 MERCURE DE FRANCE.
Vers , qui finit par ces mots , vaincus
maintes fois, on lit ces deux Vers.
Le Concile de Bafle Pape Eugene priva
Telle faveur lui fis que Pape demoura.
De ces differences , on doit conclure
que cette Epitaphe n'a jamais été gravée
fur le tombeau de Philippe le Bon car
fi cela étoit , on ne douteroit point de la
fidelité de cette piece , & l'on en auroit
pu tirer ou conferver des copies
exactes.
Ce Prince né à Dijon en 1376 mourut
à Bruges le 15. Juin 1467. âgé de
72. ans , après en avoir regné 43. Son
corps fut déposé dans l'Eglife de S. Donat
à Bruges , & quelques années après
il fut tranfporté dans la Chartreufe de
Dijon , fondée par le Duc Philippe le
Hardy fon ayeul , mais à Bruges il n'y
a eu ni Mauſolée ni Epitaphe pour Philippe
le Bon , ce qui m'a été confirmé par
une lettre d'un fçavant Jefuite de cette
même Ville.
A l'égard de l'Epitaphe rapportée dans
Paradin & dans le Mercure , attribuée
à un Poëte nommé Molinet , cette piece
a été de la nature de celles que la plûpart
des Poëtes du temps compofent dans
Teurs Cabinets à la memoire des grands
Hommes ,
FEVRIER 1725. 293
Hommes , mais qui n'ont point été confacrées
par aucun monument. Ce Mo
linet , que l'on ne defigne pas, & que les
Hiftoriens du temps appelloient gentil
Poëte,ainfi nommé dans Paradin , eft neanmoins
employé par l'Editeur dans une note
marginale fous ce titre. Molinet , Poëte
vulgaire.
3
Pour le mieux connoître , il faut avoir
recours à la Bibliotheque de la Crois
du Maine. Il fe nommoit Jean Moli
net ou Moulinet , natif de Valenciennes
en Hainault & étoit Chanoine dudit.
lieu. Il a mis en Profe Françoife le Ro
man de la Roze , imprimé à Paris en
52. Plufieurs Traitez de lui , Oraifons
, & chants Royaux ont été auffi
imprimez à Paris en 1537. Il vivoit en
148 o, ou environ , & par confequent
il avoit été contemporain du Duc Philippe
le Bon , après la mort duquel il
avoit compofe fon Epitaphe..
Mais puifque l'on ne peut
être trop
attentif à tirer de l'obfcurité les pieces
fervant à l'Hiftoire des grands Princes ,
je vais produire la veritable Epitaphe en
vers de Philippe le Bon , compofée par
un autre Poëte du même temps . & du
même goût que l'autre , laquelle eft
peinte en Lettres Gothiques fur le mur
du grand Caveau de la Chartreufe de Dis
jon,
294 MERCURE DE FRANCE:
jon , où le corps de ce Prince eft inhumé
& déposé aux pieds du Cercueil du Duc
Jean , ſon pere. La copie de cette Epitaphe
m'a été envoyée avec d'autres qui
fuivent , par le R. P. Prieur de la Chartreuſe
de Dijon , * qui occupe ce poſte
depuis plufieurs années , Religieux diftingué
par fon merite .
Voici cette Epitaphe telle qu'elle eſt
de 34. vers , où il faut neanmoins remarquer
que l'Auteur n'a pas tout- à-fait obfervé
l'ordre des temps , par raport aux
faits Hiftoriques .
Cy gift Philippe le Grand , Duc de Bourgoingne
,
Qui de bons los tout le monde en befoingne.
Toutes vertus furent en fa perfonne ,
Sans vice nul qui touche , ni qui fonne ,
Au Roi Franchois fit guerre longuement
En fon honneur s'en fit appaiſement.
La mort vangea du Duc Jehan fon feu pere ,
Si fierement que France le compere ,
Il fubjuga les Lorrains & Barrois ,
Ceux de Caffel & les Puiffans Gantois ,
A Broufchaven les Anglois defconfit ,
Dom Devoyo , frere du feu Lieutenant
Criminel de Dijon.
Dont
FEVRIER 1725+ 295
Dont tout Hainault & Hollande conquit ,
Sur Allemans par fa Chevalerie ,
De Luxembourg acquit la Seignorie.
Contre Payens envoya telle armée ,
Qui fervit Dieu & cru fa renommée ,
Il eut volu paffer dedans Aifye.
Mais vieilleffe le mit en maladie ,
?
Dans l'an foixante & fept il trépaffa
Quinze en Juin à Bruges il paſſa.
Après avoir regné comme on l'entend
Duc & Seigneur par quarante - trois ans.
Cy gift auffi Dame très-vertueufe ,
De Portugal Iſabelle fon épeuſe ,
Fille du Roi & puiffant d'Angleterre ,

De Caftille & Princes de la terre ,
En fon temps fut furtout moult renommée ,
De Sens , de Los , & de vertus loüée.
Et ne crois pas qu'il foit veu par recors ,
L'affemblée de deux plus nobles corps :
Cinq ans vêcut après fondit Seigneur ,]
Priant pour lui fervant fon createur ,
Or requerons fa pitié & grace ,
Qu'à leurs ames mifericorde faffe.
296 MERCURE DE FRANCE.
1
Voici une autre Epitaphe en profe de
ce Prince , avec celle de deux de fes -
femmes , gravées fur deux marbres , qui
font dans ce même caveau où leurs corps
font inhumez .
Cy gifent très -haults & puiffants Prince
& Princeffe , Philippe , Duc de Bourgogne
, de Lothier , de Brabant & de
Luxembourg , Comte de Flandres d'Artois
& de Bourgogne , Palatin de Hainaut
, de Hollande , de Zelande & de
Namur , Marquis du Saint Empire , Seigneur
de Frife , de Salins & de Malines
fils de feu très - hault & très- puiffant
Prince Jehan , qui fut fils du Fondateur
de cette Eglife , & de Dame Ifabelle ,
fille du Roi Jean de Portugal , fa compaigne
, lequel Duc Philippe trépaſſa à
Bruges le xv. Juin mil ccccLxvii. & la
Dame Ifabelle , fa compaigne le xv11 .
jour de Decembre l'an mil ccCCLXXII .
priez Dieu pour leurs ames.
Cy gift auffi en icelle fepulture trèshaute
, & très - puiffante Dame Bonne
d'Artois , laquelle fut feconde femme , &
époufe de très- hault & très- puiffant Prince
Philippe , Duc de Bourgoigne , fils du
Duc Jehan , laquelle Dame trépaffa le
XVI I. jour de Septembre l'an de grace
mil ccccxxv.
H
FEVRIER. 1525. 297
Il faut remarquer que Michelle de
France , qui fut premiere femme de Philippe
le Bon , Duc de Bourgogne , & fut
quatriéme fille du Roi Charles VI . &
mariée en l'année 1411. & née le 13 .
Janvier de l'an 1394. mourut à S. Bavon
, près de Gand , l'an 1422. âgée de
28. ans , & dont le corps ne repofe pas
dans l'Eglife de la Chartreuse de Dijon.
On a marqué dans le Mercure que
l'Epitaphe qui y eft raportée de Philippe
le Bon avoit été gravée fur fon tombeau
qui commençoit à fe reffentir de l'injure
du temps. Comment a-t'on pû avancer un
fait femblable ? puifque ce Prince n'a eu
aucun tombeau ou Maufolée , ni à Bruges
, ni à la Chartreufe de Dijon , ainfi
que je l'ai déja obfervé. Il eft bien vrai
que ce Prince avoit de fon vivant deſtiné
une fomme confiderable pour lui faire
ériger , après la mort , dans la même
Chartreufe un Maufolée aux pieds de celui
du Duc Jean , fon pere. Mais le Duc
Charles , fils & fucceffeur de Philippe le
Bon , preflé d'argent pour fournir aux
frais de la guerre , à laquelle il étoit
occupé , voulut retenir cette fomme , &
maltraita même le Prieur de la Chartreufe
, qui ofa lui faire quelques remon
trances , & qui fut enfin obligé de lui remettre
l'argent.
Ainfi
298 MERCURE DE FRANCE.
1
Ainfi l'on ne voit dans le Choeur de
l'Eglife que les deux Maufolées des deux
premiers Ducs , très-bien confervez. Le
premier eft celui de Philippe le Hardy ,
Fondateur , dont la figure eft repreſentée
au naturel , couchée & armée de pied en
cap fous une ample draperie ou manteau
Ducal , ayant à la tête deux Anges à genoux
qui foutiennent fon cafque , & un
Lion à fes pieds . Rien n'eſt ſi beau , ni
fi parfait que ce monument , tant pour la
rareté des marbres précieux , dont il eft
compofé , que pour la correction du defein
, & fur tout pour la fingularité de
plufieurs petites figures de marbre blanc
de 15. pouces environ de hauteur , au
nombre de 40. qui font autour du tombeau
, & qui reprefentent le convoi du
Frince. On voit d'abord un Acolythe qui
t'ent un benitier , enfuite deux autres qui
Fortent des Chandeliers , un porte- Croix,
un Diacre , un Evêque en Chappe & en
Mitre , trois Chappiers , puis deux figures
de Chartreux , tenants un livre ouvert
dans leurs mains . Les autres figures
fuivantes reprefentent les principaux
Officiers du Prince dans leurs habits deceremonies.
Toutes ces figures expriment
differemment l'abbattement & la
douleur , & c'eft cette varieté d'expreffions
qui fait connoître le grand art &
l'haFBVRIER
1725. 299
l'habileté du Sculpteur , & qui attire
l'admiration des connoiffeurs.
Sur l'épaiffeur , & tout autour de la
grande tombe de marbre noir , fur laquelle
eft reprefentée la figure de Philippe
le Hardy , on lit en caracteres dorez
& Gothiques cette Epitaphe .
Cy gift très - haut & puiffant Prince &
Fondeur de l'Eglife de ceans Philippe ,
fils de très- haut , très - excellent & puilfant
Prince Jean , par la grace de Dieu ,
Roi de France , & de Dame Bonne , fille
du bon Roi de Behaigne , fa compaigne ,
Duc de Bourgoingne , Palatin de Limbourg
, Comte de Flandres , d'Artois &
de Bourgoingne , Palatin , Sire de Salins ,
Comte de Nevers , de Rhetel & de Charolois
, & Seigneur de Malines , qui trépaffa
à Halle en Brabant le xxv11 . jour
d'Avril , l'an de grace mil quatre cent &
quatre , fi vous plaife prier Dieu devote
ment pour fon ame,
Au- deffous de ce Maufolée en face da
grand Autel eft celui du Duc Jean , fon
fils , furnommé fans peur , dont la figure
couchée eft reprefentée au naturel , avec
celle de Marguerite de Baviere , fa femme.
Ce monument eft de la même gran-.
deur que l'autre , & de la même beauté ,
avec le même nombre de petites figures
de marbre blanc qui font autour du tom
beau
300 MERCURE DE FRANCE .
&
beau , & qui repreſentent le convoi de ce
Prince , de la même maniere que celuide
Philippe le Hardy . On lit autour ,
fur l'épaiffeur de la grande table de marbre
noir , fur laquelle font pofées les
figures , cette Epitaphe gravée en caracteres
dorez .
Cy gifent très -hauts & très - puiffants
Prince & Princeffe , Jean , Duc de Bourgoingne
, Comte de Flandres , d'Artois ,
& de Bourgoingne Palatin , Seigneur de
Salins & de Malines , fils de feu trèshaut
, & trés- puiffant Prince Philippe ,
fils de Roi de France , Duc de Bourgoingne
, Fondeur de cette Eglife , & Dame
Marguerite de Baviere , fa compaigne ,
lequel Duc Jehan trépaffa le x. jour de
Septembre l'an mil ccccxIx. & ladite
Dame fa compaigne le xx111.jour de Janvier
, l'an mil ccccxx111 . veuilles devotement
prier Dieu pour leurs ames.
Voilà ce qui regarde la memoire des
trois premiers Ducs de Bourgogne de la
feconde race Royale. J'apprends qu'un
fçavant Benedictin de l'Abbaye de Saint
Benigne de Dijon , qui travaille à l'Hiftoire
de la Province , & de la Ville de
Dijon en particulier , a pris foin de faire
deffiner ces deux Maufolées , qui feront
apparemment gravez dans fon Hiftoire.
Il eft furprenant que jufqu'à prefent il
n'ait
FEVRIER 1725.
3༠ ་
en
n'ait paru encore aucun deffein de ces
fameux tombeaux qui ne le cedent en
rien pour la beauté & pour la magnificence
à aucuns de ceux qui font en France.
Feu M. de Gagnieres qui n'avoit rien
épargné pour avoir en Portraits ,
Eftampes & en Deffeins , tout ce qui
étoit de plus curieux dans le Royaume
n'avoit aucun deffein de ces tombeaux , ce
que je remarquai dans le temps que je
vifitai fon cabinet & fes curiofitez . J'ai
appris depuis, que quelques années avant
fa mort il avoit fait faire ces deffeins , &
qu'ils font aujourd'hui dans la Bibliotheque
du Roi.
A l'égard de Charles , dernier Duc de
Bourgogne , furnommé le Guerrier
après la mort , & la défaite entiere de
fon armée devant Nancy , en 1477. René
, Duc de Lorraine , fon vainqueur , lui
fit faire des obfeques magnifiques , & fit
inhumer fon corps honorablement dans le
Choeur de l'Eglife de Saint George de
Nancy. Entre autres circonftances des
honneurs que le Duc René rendit au
Duc Charles , étant venu en grand habit
de deüil , avec toute fa maiſon , pour vifiter
le corps de ce Duc , * il portoit à la
mode des anciens Preux qui avoient
remporté quelque victoire , une grande
# Paradin , Liv, 3,
barbe
302 MERCURE DE FRANCE .
barbe d'or qui lui pendoit juſqu'à la ceinture
, & prenant l'une des mains du défunt
, il dit vôtre ame ait Dieu , vous
nous avez fait moult de maux & douleurs.
Le Duc René lui fit ériger un fepulchre
de cuivre avec fon effigie au naturel,
au bas de laquelle il y avoit une Epitaphe
de 20. vers Latins , gravez fur le
cuivre que j'ai vûs & copiez moi - même
fur les lieux en 1699. & qui commençoient
ainfi.
Carolus boc bufto Burgonda gloria gentis ,
Conditur , Europa qui fuit ante timor.
Mais qui chercheroit aujourd'hui ce
monument ne l'y trouveroit plus , parce
que dans la conſtruction d'un nouveau
Palais de M. le Duc de Lorraine , attenant
l'Eglife de S. George , comme il a
fallu changer la difpofition du Choeur de
cette Eglife , on a été obligé d'ôter &
d'enlever ce monument , qui faifoit neanmoins
également honneur à la memoire
de René , Duc de Lorraine , & à celle
de Charles , Duc de Bourgogne , & l'on
auroit perdu le fouvenir de l'Epitaphe ,
fi elle n'avoit été confervée dans la vie
de ce dernier Duc par Mrs de Sainte
Marthe où elle fe trouve imprimée.
Il est vrai que ce tombeau dans Nan-
су,
FEVRIER 1725. 303
cy , n'étoit plus qu'un Cenotaphe , car le
corps du Prince fut tranfporté à Bruges
en 1553. par l'ordre de Charlequint ,
fon arriere-petit -fils , dans la fept hure de
Marie de Bourgogne , au milieu du Chour
de Nôtre Dame de Bruges , où l'on voit
leurs tombeaux qui font très-magnifiques.
Voici leurs Epitaphes qui m'ont été envoyées
par le fçavant Jefuite dont j'ai
parlé , adreflées pour moi au R. P. Chamillard
, Jefuite de Faris , toûjours difpofe
à obliger les gens de Lettres , & qui
me les a procurées .
Cy gift très haut , très puiffant & magnanime
Prince , Charles , Duc de Bourgogne
, de Lothrycke , de Brabant , de
Lembourg , de Luxembourg , & de Gueldres
, Comte de Flandres , d'Artois , de
Bourgogne , Palatin de Hainaut , de Hollande
, de Zeelande , de Namur , & de
Zutphen , Marquis du Saint Empire ,
Seigneur de Frife , de Salins & de Malines
, lequel étant grandement doüé de
force , conftance & magnanimité , profpera
long temps en hautes entrepriſes ,
batailles & victoires , tant à Montlehery
, en Normandie , en Artois , en Liege ,
que autre part , jufqu'à ce que fortune
lui tournant le dos , l'oppreffa la nuit des
Rois 1177. devant Nancy , le corps duquel
dépofité audic Nancy , fut depuis
E par
304 MERCURE
DE FRANCE
.
par le très -hault , très- puiffant & trèsvictorieux
Prince Charles , Empereur
des Romains V. de ce nom , fon petit
neveu, heritier de fon nom , victoires &
Seignories
, tranfporté
à Bruges , où le
Roi Philippe de Caftille , Leon , Arragon
, Navarre , & fils dudit Empereur
Charles , l'a fait mettre en ce tombeau
du côté de ſa fille & unique heritiere
Marie , femme & époufe de très- hault
& très-puiffant Prince Maximilien
, Archiduc
d'Auftriche
, depuis Roi & Empereur
des Romains , priez Dieu pour
fon ame. Amen.
Sepulture
de très-illuftre Princeffe ,
Dame Marie de Bourgogne
, par la grace
de Dieu , Archiduchefle
d'Auftriche
, Ducheffe
de Limbourg , de Lothrycke
, de
Brabant , de Lembourg
, de Luxembourg
& de Gueldre , Comteffe de Flandres ,
d'Artois , de Bourgogne
, Palatine de Hainaut
, de Hollande , de Zeelande , de
Namur , & de Zutphen , Marquile
du
Saint Empire , Dame de Frife , de Salins
& de Malines , femme & époufe de trèsilluftre
Prince , Monfeigneur
Maximi
lien , lors Archiduc d'Auftriche
, depuis
Roi des Romains , fils de Frederic , Ėmpereur
de Rome , laquelle Dame trépafla
à ce fiecle à l'âge de 25 , ans , le 27.
jour de Mars l'an 1481 , & demeura
d'elle
1
FEVRIER
1725.
305
d'elle fon
heritier
Philippe
d'Auftriche
& de
Bourgogne , fon feul fils en l'âge
de 3. ans & 9. mois , & auffi
Marguerite,
fa fille , en l'âge de 14. mois. Elle fut
Dame des Pays fufdits 4. ans & 9. mois ,
& vêcut en
mariage
vertueufement , &
en grand amour avec
Monfeigneur fon
mari
regrettée , plainte & plorée de ſes
fujets , & tous autres qui la
connoifferent
autant que fut onques
Princeffe.
Priez Dieu pour fon ame. Amen.
DE'F I.
MAints
cerveaux dans cette Ville,
Envain ſe font efcrimez
A remplir ces bouts rimez ,
Et l'on doute
qu'Argafile ,
Trouve la chofe
facile.
淡茶湯
Cornaline
Baldaquin
Vilebrequin
Aveline.
Berline
E ij Bou
306 MERCURE DE FRANCE.
Bouquin
Palanquin
Papeline.
Cifean
Oifean
Monftache.
Sobriquet
Fiftache
Tourniquet .
aaaaaaaaaaaaaa
Sur la Queftion , lequel est le plus malbeureux
, ou de celui qui déplaît à tout
le monde , ou de celui à qui tout le mon◄
de déplaît.
C
Elui à qui tout le monde déplaît eft
un Philofophe fàcheux , à qui rien
nerait plaifir. Tout ce qu'il voit , ou tout
ce qu'il entend , lui donne neceffairement
de la haine , du chagrin , ou du mépris ,
Quelque eftimable que l'on foit , il ne fe
faut pas fiter de fon approbation . Ce
mifant rope ofera même condamner le fage
, le Heros , le Sçavant , & en general
tout
FEVRIER 1725. 307
tout ce que communément on eftime le
plus dans le monde. Ayez de l'efprit , de
la vertu , de la valeur , n'attendez pas
de lui qu'il vous rende juftice. Vous ne
le guerirez point ,de fa mauvaiſe humeur.
Il n'y a , felon lui , parmi les hommes
que fourberie , diffimulation , déguifement
. Ne briguez point fon fuffrage ,
qu'il n'eft point en état de vous donner
comme un autre Timon , il haït la moitié
du monde , & n'aime point l'autre.
Neceffairement malheureux de hair tous
les hommes , pour le commerce defquels
il est né , & de ne pouvoir fupporter la
vûë & l'image de fa figure.
Mais il eft question de fçavoir fi un
malheureux de cette efpece eft plus ou
moins malh reux que celui qui déplaît
à tout 1 monde , tel eft le problême qu'il
eft question de réfoudre.
Celui qui déplaît à tout le monde doit
être generalement dépourvû de toutes
qualitez aimables. Ce malheur procede ,
ou de fa malice qui lui fait abufer des
biens de la fortune , & des talens de fon
efprit , où il n'eft fimplement que l'effet
d'un naturel mal formé , vicieux , defagréable
: quoiqu'il en foit , celui- ci paroît
encore beaucoup plus malheureux
que l'autre , parce que celui qui déplaît
à tout le monde , peut cependant confer-
E iij
ver
308 MERCURE DE FRANCE-
>
ver encore affez d'efprit , pour fentir &
connoître toute l'étenduë de fa difgrace
ce qui doit augmenter beaucoup le fentiment
de fon malheur ; au lieu que le
premier à qui tout le monde déplaît , ne
peut-être tel que par une efpece de folie ,
qui naturellement ne lui doit pas laiffer
affez de raifon pour être malheureux . En
effet , le malheur dépend fouvent moins
des chofes que l'on fouffre que de l'idée
qu'on s'en forme. Or il eft vrai - femblable
que celui à qui tout le monde déplaît
n'a pas une jufte idée de ce qui
peut nous rendre heureux ou malheureux
, & qu'il ne fçait ce que c'eſt que
malheur . Car s'il le fçavoit il tâcheroit à
fe corriger de cette noire mifantropie qui
lui rend tous les hommes odieux , il
chercheroit à s'en guerir comme d'une
maladie . C'est donc l'aveuglement où il
eft de la jufte valeur des chofes qui excite
fon humeur chagrine , & par cette
raifon c'eft le même aveuglement qui
foulage le poids de fes miferes.
Le plus grand malheur de la vie eſt
d'être fans ami . Celui à qui tout le monde
déplaît n'en connoît pas le prix , &
cette ignorance lui ôte le fentiment d'une
grande partie de fon malheur .
Il n'en eft pas de même de celui qui
déplaît à tout le monde , rien ne peut
empêFEVRIER
1725. 309
empêcher qu'il ne connoiffe parfaitement
fa fituation malheureufe , & s'il eft
dépourvû de tout ce qu'il faut pour plaire,
il ne l'eft pas de ce qui lui eft neceffaire
pour ſe connoître. Or qui peut bien comprendre
les réflexions triftes & fâcheufes
aufquelles il fe livre , nulle confolation
pour lui , nul relâche à fa douleur.
Haï , fui , abandonné de tout le monde.
La mort que les autres craignent eſt la
feule efperance qui lui refte pour s'affranchir
des miferes dont il eft accablé.
Il eft également parvenu au comble du
malheur , foit que fa difgrace foit l'effet
de fa malice , ou fimplement du défaut
des qualitez neceflaires à la focieté civile.
Parce que ni l'un , ni l'autre de ces
inconveniens ne lui ôte pas la raiſon , le
plus dangereux inftrument de fes fouffrances.
Une deuxième raiſon qui autoriſe à
eftimer moins malheureux celui à qui
tout le monde déplaît , que celui qui déplaît
à tout le monde ; c'eft que le premier
, quoiqu'il haiffe tous les hommes
peut neanmoins être aimable , cela n'eſt
pas impoffible , & avec cela il peut être
certain encore qu'il eft aimé. Or fi la
vûë ou l'idée des hommes l'inquiéte , il
ne fera pas, à la verité , fans chagrin , mais
auffi il jouira du plus grand de tous les
E iiij plai310
MERCURE
DE FRANCE.
plaifirs , qui eft d'être content de for
même.
Tout au contraire celui qui déplaît à
tous les hommes quand il auroit pour
eux une amitié parfaite , cette difpofition
de fon coeur , loin d'adoucir fes peines
, feroit pour lui un nouveau furcroit
de malheur & d'accablement d'aimer des
ingrats , & qui le récompenfent fi mal
de fon amitié.
Enfin , comme l'eftime des hommes &
la bonne renommée font la récompenfe
de la vertu, il eft naturel d'eftimer celuilà
plus heureux qui peut jouir de ces
avantages , quoiqu'il haïffe tout le monde
, que l'autre qui eft un objet d'horreur
fur la terre , qui doit avoir le corps contre-
fait , l'efprit & le coeur gâtez & corrompus.
En un mot , il eft plus naturel
de croire celui là le plus malheureux qui
merite le plus de l'être.
Hair tout le monde eft une fimple indifpofition
du coeur , qui n'exclut point
d'autres qualitez qu'on peut eftimer aimer.
Mais celui qui eft haï de tous les
hommes , il faut nece Tairement qu'il foit
indifpofé de coeur & d'efprit , qu'il ait
tous les vices de l'ame , & toutes les imperfections
du corps . Concluons donc
que celui - là eft plus malheureux qui déplaît
FEVRIER 1725.- 311
1
plaît à tout le monde , que celui à qui
tout le monde déplaît.
Par M. Michaud , Avocat au Parlement
de Befançon .
A M. de Roc .... fur fes vers à Mademoifelle......
au 1. tom . du Mercure
de
Decembre 1724.
F
Aifant ce matin ouverture
Du premier tome du Mercure ,
Vers de vôtre façon j'ai lû :
Admirable en eft la ftructure ,
Mais l'adreſſe m'en a déplû.
Quand femme on a comme la vôtre ,
D'autant d'efprit & de beauté ,
Et de fageffe & de gayeté ,
Convient- il d'en lorgner une autre. ?
Croyez- moi , mon cher Roc....
L'époux d'une telle éveillée ,
A de la befogne taillée ,
Dans fa maifon plus qu'il ne faut.
Partant né vous conviendroit gueres ,
De chaffer fur terre étrangere.
E v
Point
312 MERCURE DE FRANCE.
Point ne faut prendre femme au pis ›
La plus fage , dans fes dépits ,
Peut enfin perdre patience ;
Rare n'en eft l'experience ;
La vôtre on le fçait fe tient bien ,
Mais ne faut répondre de rien ;
Chefne fouvent fait chûte trifte ,
Pendant que le roſeau réfifte
Peut- être auffi que fur ce point ,
Vous faites conte à la Cigogne ,
Et que vous ne reffemblez point ,
A ces vivans de Catalogne ,
Qui faifoient à ce que nous dit
Un Poëte de grand crédit ,
Bien moins de bruit que de befogne.
On peut fans être de Gascogne ,
Etre Gafcon fur ce point- là.
Flus long ne faut que j'en découfe ;
Convient à vôtre aimable épouſe ,
Que vous le foyez fur cela .
Une femme autant accomplie ,
Demande un époux tout entier :
Point ne merite qu'on l'oublie ,
Ni
FEVRIER
1725. 313
Ni qu'on la ferve par quartier.
Ah ! fi j'étois à vôtre place ,
Pour tout autre ferois de glace......
Tout beau , Monfieur le Sermoneur ;
A quoi bon toutes ces redites ?
Conviens de tout ce que me dites :
Cela me fait beaucoup d'honneur.
Mais ceffez de me chanter gamme ;
Perfonne au monde ne fait cas ,
De fon efprit , de fes appas ,
Autant que moi ; mais c'eſt ma femme.
OBSERVATION ANATOMIQUE.
Par M. Deflandes , Contrôleur
de la Marine , à Breſt.
Out ce qui arrive d'extraordinaire ,
Tfoit en Phyfique , foit en Medecine
, devroit être recueilli avec foin . On
en compoferoit dans la fuite une fcience
toute de faits , plus agréable fans comparaifon
, & plus inftructive que les raifonnemens.
Ils font bien fujets à nous
égarer.
E vj Le
314 MERCURE DE FRANCE .
Le 6. de Decembre 1724. un jeune
Chirurgien , entretenu dans l'Hôpital de
la Marine de Breft , fe fentant l'eftomach
trop chargé , voulut fe provoquer au vəmillement.
Il fe fervit pour cela d'une
plume , à ſon ordinaire . Mais l'ayant enfoncée
trop avant dans l'afophage , elle
lui échappa des doigts , & il l'avala.
C'etoit une plume de Coq -d'Inde , plus
longue & plus ferme que les plumes ordinaires
, & malheureuſement encore
taillée .
Le lendemain de cet accident , le Chirurgien
prit une forte dofe d'émetique ,
dans la vûë de rejetter la plume qu'il
avoit avalée. Ce qui étoit une feconde
imprudence . Depuis ce moment , il lui
furvint des fimptômes très-fâcheux : une
douleur vive fous la mamelle gauche
un dégoût general , des vomiffemens
teints de fang , & un cours de ventre
prefque continuel . Enfin , il mourut le 70
Janvier 1725. après de beaucoup de convulfions
& de mouvemens involontaires.
Le jour même on ouvrit fon cadavre ,
& comme la maladie venoit de l'eftomach
, on le mit d'abord à découvert. La
plume en occupoit tout le fonds , s'étendant
d'un orifice à l'autre. La partie taillée
étoit fichée un peu au deffous de l'orifice
fuperieur , & la partie barbuë s'étoit
3
pliće
FEVRIER 1725. 315
pliée & engagée dans l'orifice inferieur ,
& même entroit d'un demi pouce dans
le duodenum. C'eft cette extrêmité qui
chatouillant le pylore , & les endroits
voifins , a irrité le canal cholidoque , &
l'a obligé de fe yuider des humeurs qu'il
contient . Ajoûtez-y les mouvemens convulfis
& antiperiftaltiques , que l'eſtomach
a fouffert par l'effet de l'émetique ,
& les piqueures réiterées de la plume.
Tout cela a déchiré les membranes interieures
de l'eftomach , & ces efforts ont
été accompagnez & fuivis d'une abondante
évacuation de fang.
On trouva encore les poulmons vitiez
& abreuvez d'une matiere fétide.
Ce que j'attribuë , outre leur tiffure &
leur délicateffe naturelle , à ce que le
fang dépouillé de ſes parties balfamiques
& nutritives ne fe portoit plus aux vif-
- ceres comme il devoit. La digeſtion étant
interrompuë , tout le corps fe reffentit
en peu de temps de cette interruption .
Je conferve la plume dans mon cabinet
, qui eft auffi faine , & auffi entiere
que le premier jour.
SON316
MERCURE DE FRANCE.
XXXXXXX .
SONNET énigmatique fur les Boutsrimez
proposez.
Elui chez qui je ſuis eſt toûjours Taciturne,
CElui
Fut-il à Londres , à Rome , à Paris , à
L'influence de Mars ou celle de
Maroc.
Saturne ,
Ne peuvent rien fur moi , non plus que fur un
Roc.
Je fuis le Brodequin , je cheris le Cothurne.
Je fais trembler le cafque auffi-bien que le
Froc.
Minos affez fouvent par moi regle ſon Urne.
Et j'attaque fans choix l'honnête homme &
PEC Croc.
Des Pays éloignez d'où l'on tire la Perle,
Vient un Heros fameux , prefqu'auffi noir
qu'un Merle ,
Qui me chaffe , m'abat fans épée & fans Are.
Ma puiffance fans lui feroit cruelle & Longue ,
Car tel, à grand loifir,épluche une Diphtongue,
Que
FEVRIER
1725. 317
Que la mort , par mes foins , auroit mis dans
fon
A Geneve par J. A M ***
Deuxième Enigme.
Parc .
Ous fommes vingt jumeaux d'une même
maiſon ,
Qui tous pouvons agir fans quitter notre
place ,
Nous faifons quelquefois faire maintes grimaces
,
Surtout quand on nous met hors de notre
priſon.
D'un Amant indifcret nous puniffons l'audace
;
Et comme nous n'avons ni rime ni raiſon ?
Chacun nous montre au doigt comme un objet
rifible ;
Mais notre dure troupe.y paroît infenfible .
Troifiéme Enigme.
E fuis une femelle affez heteroclyte ,
JE
Qui fous deux fexes differens ,
Nouveau genre d'hermaphrodite ,`
Amuſe tous les jours mainte efpece de gens.
Ce commerce eſt d'une nature >
A
318 MERCURE DE FRANCE .
A ne pouvoir donner aucun mauvais foupçon;
De crainte cependant que quelqu'un ne murmure
,
Quiconque ufe de moi , fe contraint par rai、
Ton
A garder certaine meſure.
Quand avec ma compagne on veut m'apparier
,
Souventje fais la difficile :
Dans d'autres momens plus facile ,
Je m'offre fur le champ fans me faire prier.
Se gouverner ainfi , Lecteur , que vous en
femble ?
C'eft fuivre fon humeur , plûtôt que la raifon
,
Auffi m'eft- il permis d'oublier fa leçon ,
Car il n'eft pas commun de nous trouver enfemble.
Les Talons , la Pipe , & le Quinquina,
font les trois mots des Enigmes du mois
paffé.
ARIETA.
o come ne 'mier
THE
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ASTOR
, LENOX
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FOUNDATIONS
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THE NEW YORK
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ASTOR, LEMOX AND
TILDEN FOUNDATIONS,
FEVRIER 1725. 319
Q
ARIET A.
Uel bel volto e quel bel nome
Sempre trovo , e non sò come ,
Ne' miei labbr' , e nel mio cor :
Volgo i paffi , e il guardo giro
E colei , per cui fofpiro ,
Mi dipinge in ogni loco
Tutto foco,
Il dio d'Amor.
NOUVELLES LITTERAIRES
DES BEAUX ARTS , & c.
RAISON FUNEBRE de très - Haut ,
Orès Paiffant , de très - Excellent
-
Prince Louis I du nom , Roi d'Eſpagne
& des Indes > prononcée dans l'Eglife
de Paris le 15. Decembre 1724. par
M. l'Abbé Mongin , de l'Académie Françoiſe
, nommé à l'Evêché de Bazas . A
Paris , de l'Imprimerie de J. B. Coignard,
320 MERCURE DE FRANCE.
gnard , fils , Imprimeur du Roi , & c. in
49. PP. 35.
a
En donnant dans notre Journal de Decembre
, la defcription de la lompe funebre
faite dans l'Eglife de Faris , à l'occafion
du Service de Louis I. du nom ,
Roi d'Espagne , nous avons parlé de l'Oraifon
funebre qui y fut prononcée par
M. l'Abbé Mongin ; mais nous nous
fommes contentez d'en rapporter feulement
le titre , parce que le fujet nous a
paru fi beau , fi touchant , & fi bien traitté
, que nous avons jugé à propos d'en
faire un article particulier pour ce Moisci
, c'eft dequoi nous allons nous acquitter
avec le plus d'exactitude qu'il
nous fera poffible.
M. l'Abbé Mongin a tiré le texte de
fon difcours du Livre de la Sageffe ,
Chap. 4. confummatus in brevi , explevit
tempora multa. Il a peu vêcu , mais
il a rempli le cours d'une longue vie.
Ces faintes paroles donnent lieu à la diviſion
du difcours , qui eft telle : Il a peu
vêcu , mais il s'eſt conduit avec fagelle,
& par là il a rempli le cours d'une longue
vie. Il a peu regné , mais il a regné
avec gloire , & par là il a rempli le cours
d'un long regne. Si jamais , dit d'abord
l'Orateur Chrêtien , vous vous étiez flattęz
FEVRIER 1725. 321
J
tez , Grands de la terre , que la jeuneffe
ou la fanté puffent vous affurer pour
long- temps la poffeffion de vos biens &
de vos grandeurs , détrompez - vous à la
vue de ce trifte fpectacle , voilà dans ce
tombeau , qui renferme tant de Couronnes
portées fi peu , & tombées fi vîte
la réponſe à vos fauffes efperances , à vos
defirs fans fin , à votre ambition fans bornes
, & c . Si d'un autre côté vous vous
êtes plaints que la vie fût trop courte pour
acquerir la fageffe , & pour remplir avec
gloire tous les devoirs de votre état ,
interrogez * ces vertus affligées , elles
vous diront mieux que moi , que la vie
même la plus courte vous fuffit pour
acquerir une longue gloire . Regardez
vous diront-elles , ce jeune Monarque
que nous pleurons , il étoit notre ouvrage
, c'eft nous qui avons conduit fon enfance
, & inftruit fa jeunefle , & c. nous
avions entouré fon trône , comme nous
entourons aujourd'hui fon tombeau . En
effet , continue M. l'Abbé Mongin , foit
que l'on confidere cet augufte Prince
dans la noble carriere qui le conduifoit
au Trône , foit que nous le regardions
fur le Trône même , je trouve des deux
côtez fa gloire également affurée , & fa
99 Voyez la defcription de la Pompe fune
bre , Mercure de Decembre 2. vol.
courfe
322 MERCURE DE FRANCE .
courſe glorieufement remplie , il a peu
vêcu , mais il s'eft conduit avec fagelle
& par là il a rempli le cours d'une longue
vie ; il a peu regné , mais il a regné
avec gloire , & par là il a rempli le cours
d'un long regne , confum natus , &c .
M. l'Abbé Mongin fait voir enfuite la
difference qu'il y a entre vivre longtemps
, & remplir fa courſe , & il ufe
pour cela de termes fi expreffifs , qu'on
reconnoît aisément qu'ils partent de
fource , c'est - à -dire , d'un genie accoûtumé
à traitter dignement les plus grands
fujets. Dieu fit naître , dit- il , ce Prince
dans des conjonctures , où l'Espagne occupée
à défendre fon Roi , demandoit au
Ciel un heritier . Sa nailfance devenue
neceffaire pour calmer l'Europe , rendit
fon éducation plus précieuſe , & c. Le
Prince des Afturies , comme le jeune Salomon
, étoit né avec un eſprit penetrant,
& avec un coeur dont la bonté formoit le
caractere. La penetration de fon eſprit
lui fit connoître fes devoirs , & la bonté
de fon coeur les lui fit aimer.
De quatre Langues que le Roi d'Efpagne
avoit apprifes avec methode , & qu'il
parloit avec grace , la nature , la reconnoiffance
, & l'amour , dit l'Orateur , lui
en avoient enfeigné trois , & le defir
d'acquerir les vertus Romaines , lui apprit
FEVRIER 1725. 323
prit celle des Scipions & des Cefars.
L'interêt prefqu'égal qu'il fentit à apprendre
la Langue de fes peres & celle
de fes peuples , le fit bien tôt exceller
dans l'une & dans l'autre. Il joignit tou
tes les graces de la Langue Françoiſe à
toute la nobleffe de la Langue Elpagno,
le , & la Langue Françoife dans la bouche
en devint plus majestueufe. Nos François
aimoient à retrouver un Fils de
France dans le Prince des Afturies ; &
les Efpagnols charmez de l'entendre parler
avec autant de politeffe que de dignité
, fe plaifoient à admirer dans leur
Prince , le caractere des deux Nations.
Je n'ofe , continue l'Orateur , parler ici
du goût que fa reconnoiffance & fon
amour encore , lui avoient infpiré pour
une Langue , dont il reçut les premieres
leçons en recevant les premiers gages de
tendreffe maternelle. Je réveillerois trop
de douleurs , en rappellant la memoire
d'une Reine courageufe ,dont la France &
l'Eſpagne revelent encore les vertus , &c.
L'Auteur parle enfuite du double mariage
qui s'eft fait entre les deux Couronnes
, ce qui le conduit infenfiblement à
faire le Portrait du Roi & de l'Infante-
Reine. Dans le même temps , dit-il , que
la France envoyoit à l'Espagne ce qu'elle
avoit de plus grand , l'Espagne , par un
échange
26 MERCURE DE FRANCE.
tailles , & pour triompher de fes ennemis
, & c.
>
L'Auteur rapporte ici l'exemple de
David , qui apres un regne glorieux , &
dans une vieilleffe défaillante , fe plai
gnoit que fes jours étoient évanouis comme
une ombre , & que lui même avoit
feché comme l'herbe ; il fait voir enfuite
, que Salomon , après avoir goûté les
plaifirs du monde en fentit la vanité
trop tard pour lui , & les plaintes qu'il
en fair , marquent plutôt fes dégoûts que
fes regrets. Mais voici un Koi , dit il ,
arrêté dans le commencement de la cour
fe , & qui ne regrette point , coinine David
, fes floriffantes années , qui connoît
, comme Salomon , la vanité des
biens de la terre fans en avoir goûcé les
douceurs , & c. Maître de tant de Royaumes
, à peine a- t- il eu le temps de recevoir
les hommages de tous les Sujets,
& de compter toutes fes Couronnes ,
qu'il les voit tomber fans s'affliger de
leur chute , & c. Au milieu de tous ces
débris , il ne s'occupe que de l'efperance
prochaine des biens éternels.
Cependant un mal cruel , un feu dévorant
confomme fes entrailles , mais à
voir la tranquillité avec laquelle il fouffre,
vous diriez qu'il n'eft que le témoin
de fes maux , il laiffe à ceux qui l'environnent
FEVRIER 1725.
327
"
Tonnent le foin des remedes ; mais il appelle
lui - même les Medecins de fon ame,
& il leur expofe dans l'amertume de fon
coeur toutes les fautes de fa jeuneffe."
C'est l'innocence peut - être qui s'afflige ,
c'eſt l'amour qui s'accufe , &c. 11 tourne
enfin fes derniers regards tantôt vers le
Ciel , tantôt vers fes peuples , &tantôt il
les porte fur S. Ildefonfe , Roi Chrêtien ,
pere de fes Peuples , & fils refpectueux ;
ilfonge à rendre tout à la fois ce qu'il
doit à Dieu , & à fes Peuples , & au
Roi fon pere. Il s'acquitte envers Dieu,
en conformant le facrifice de fa jeuneffe,
de fa Couronne , & de fa vie. Il s'acquitte
envers fes peuples , en afſurant
leur Etat , & il s'acquitte envers fon
pere , en lui remettant tous les droits
qu'il lui avoit cedez , &c.
Nous ne repeterons point ici ce que
nous avons déja dit , en faifant la defcription
de cette grande Ceremonie , qu'il
y avoit plufieurs Princes , & beaucoup de
gens de la premiere diftinction , nous nous
contenterons de dire , que le Difcours
de M. l'Abbé Mongin , où tout refpire la
Religion & la folide pieté , finit par des
traits d'une Morale touchante & pathetique
, & qu'il fut generalement applaudi .
Le merite de l'illuftre Auteur eſt déja
connu par plufieurs pieces d'Eloquence ,
F dont
328 MERCURE DE FRANCE.
dont nous avons rendu compte dans nos
précedens Journaux . Heureufe l'Eglife ,
qui va poffeder un Pafteur , lequel , avec
le don précieux de la parole , réunit tant
d'autres grandes qualitez.
ACADEMIE UNIVERSELLE DES JEUX ;
contenant les regles des Jeux du Trictrac
, des Echets , du Quadrille , du
Quintille , de l'Hombre à trois , du Piquet
, du Reverfis , & de tous les autres
Jeux , avec des inftructions faciles pour
apprendre à les bien jouer. A Paris , an
Palais , chez Theodore le Gras 1725. in
12. pag . 170. pour le Quadrille , 52 .
pour le Piquet , & 354. pour les autres
Jeux .
Le Jeu de Quadrille eft fi fort à la
mode , & la premiere Edition du Livre
qui en contient les regles , a eu un fuccès
fi favorable , que cela a engagé l'Auteur
d'en donner ici une feconde plus
érenduë & plus parfaite . Tous les incidens
qui peuvent arriver dans ce Jeu ,
y font décidés par des raifons fi juftes
& fi naturelles , que perfonne ne fera
difficulté de s'y foumettre . On trouvera
peut -être , pourfuit l'Auteur , des regles
qui paroîtront à quelques uns trop feveres
, à d'autres trop peu . On dira aux
premiers , que l'on conviendra qu'elles
·
ne
FEVRIER 1725. 329
ne fçauroient l'être affez , puifque c'eft
pour empêcher que la mauvaiſe foi , qui
ne manque pas de partifans parmi les
Joueurs , ne puiffe s'y glitfer ; ainfi l'on
ne fçauroit condamner que très- rigoureuſement
ce qui en a la feule apparence.
On dira aux derniers , pour ce qui
peut paroître trop adouci , qu'en l'examinant
bien , l'on ne trouvera pas que la
mauvaiſe foi puiffe y avoir part . Cependant
pour fatisfaire & remplir l'attente
de ceux qui veulent qu'on ne puiffe
rien faire fans leur dire pourquoi , l'on
trouvera dans les décifions nouvelles ,
qui font immediatement après le Quadrille
, d'affez bonnes raifons pour appuyer
les regles qu'on y donne , & éclaircir
les doutes qui peuvent naître parmi
tant de perfonnes qui jouent ce jeu.
,
On ne peut faire d'extrait d'un pareil
Livre , nous nous contenterons d'indiquer
les Jeux dont l'Auteur donne les
regles . Les voici : les Jeux de Quadrille
de l'ancien & nouveau Quintille , de
l'Hombre à trois & à deux , avec un
Dictionnaire de tous les termes qui font
affectez à ces Jeux . Les Jeux de Piquet ,
de l'Imperiale , du Reverfis , de la Manille
, autrement la Comette , du Papillon
, de l'Ambigu , du Commerce , de
la Tontine , de la Lotterie , de ma Co-
Fij mere
330 MERCURE DE FRANCE .
mere accommodez - moi , de la Guimbar
de , autrement la Mariée , de la Triomphe
, de la Bête , de la Mouche , de
l'Homme d'Auvergne , de la Ferme , du
Hoc , du Poque , du Romeftecq , de la
Lifette , de l'Emprunt , de la Guinguette ,
du Sixte , du Vingt - quatre , de la Belle ,
du Flux & du Trente - un , du Gillet ,
du Culbas , du Coucou , de la Brufquembille
, du Trictrac , du Revertier , du
Toute table , du Tournelafe , des Dames
rabatues , du Plain , du Toc , des Echecs,
du Mail , du Billard ordinaire , du Billard
, appellé à toutes Billes , du Billard,
appellé le jeu de la Guerre , de Paulme
& de la Longue Paulme , &c,
DISSERTATION fur les Tombeaux
de Quarrée , Village du Duché de
Bourgogne , dans le Reffort du Bailliage
Royal d'Avalon , qui est une Paro :ſſe
Archiprêtre du Diocèse d'Autun.
Par M. Bocquillot , Chanoine d'Avalon.
A Lyon 1724. vol. in 12 .
I'
Ly adans le pays de Morvend , qui
eft du Duché de Bourgogne , un Village
qu'on nomme vulgairement Quarréeles
Tombes , à caufe des Tombeaux de
pierre qui y étoient autrefois , tant fur la
furface de la terre , que renfermez au- dedans
FEVRIER 1725 .
33T
dans , & dont le nombre étoit fi grand , il
y a environ 50. ans , que la tour de l'Eglife
, la voûte du Choeur , & la Sacriftie
en ont été bâties , & l'Eglife pavée .
Il en refte un très - grand nombre dans le
Cimetiere qui environne l'Eglife , & il
y en a encore en terre , non-feulement
aux environs du Cimetiere , & dans une
grande place , mais dans les champs mêmes
des environs , & c.
Ces Tombeaux font tous de la même
figure , de cinq à fix pieds de longueur
chacun. Ils font tous taillez , battus au
marteau à petit grain , felon l'expreffion
de l'Auteur , & fort polis , &c. On n'y
voit aucune marque de Paganifme , ni de
Chriftianifme , excepté cinq ou fix , fur
lefquels il y a une Croix. Dans tous ces
Tombeaux il ne s'eft trouvé ni offemens ,
ni rien qui pût faire foupçonner qu'on y
eut jamais enfermé de corps morts.
A la vûë de tant de Tombeaux , la
curiofité de M. Bocquillot ( comme il le
dit dans fa Differtation ) fut piquée , &
elle le porta à s'informer plus à fond de
ces differens monumens. Ilconfulta pour
cela les perfonnes du Pays qu'il jugea les
plus capables de l'inftruire , & ce qu'il
en pût apprendre , c'eft que la tradition
du pays eft qu'autrefois il s'y eft donné
un grand combat , entre les Chrétiens &
F iij
les
332 MERCURE DE FRANCE.
les Sarrafins , que le champ de bataille
étoit demeuré aux Chrétiens , qu'ils
avoient enterré les Sarrafins dans de grandes
foffes , & les Chrétiens dans des
Tombeaux de pierre. Cette tradition a
paru peu vrai - femblable à l'Auteur , &
il la rejette par plufieurs raifons qu'il
rapporte. Mais voici les conjectures :
Il avoit d'abord crû que Quarrée pouvoit
avoir été le Cimetiere de quelque
Ville qui en étoit proche , & dont on
ignore à prefent le nom. Mais après toutes
les recherches faites pour découvrir
quelques veftiges de cette prétenduë Ville
, on n'a rien trouvé ; ce qui a encore
engagé l'Auteur à abandonner ce fentiment
. Mais enfin voici ce qu'il penfe de
tant de cercueils dont il eft impoffible ,
dit-il , de fçavoir le nombre , tant la
quantité en eft grande .
M. Bocquillot croit que Quarrée étoit
un entrepôt où l'on amenoit des cercüeils
tous faits pour y être achetez , &
de- là tranfportez dans les lieux où l'on
en pouvoit avoir befoin . C'eft donc pour
celà , felon lui , qu'on ne voit fur ces
Tombeaux aucune écriture , ni aucune
marque qui faffe connoître qu'ils ont
fervi . On les envoyoit là , pour ainfi
dire , tout nuds , comme des tables d'attente
, afin que ceux qui les acheteroient
Y
FEVRIER 1725 . 333
у fillent graver ce qu'ils voudroient.
L'Auteur apporte plufieurs raifons qui
lui ont fait embraffer ce fentiment , nous
allons rapporter celle qui lui a paru laplus
forte. J'ai maintenant une preuve
claire & certaine , dit - il , que dès le 13.
fiecle il y avoit dans Quarrée une multitude
de Tombeaux de pierres vuides , qui
n'avoient jamais fervi , & c. c'eft un Poëme
en vieux langage de Roman , dont
Girard de Roffillon eft le Heros , & que
l'Auteur a dédié à Jeanne de Bourgogne ,
époufe du Roi Philippe le Long ; Poëme
qui lui a été communiqué par M.
Bouhier de Savigni , Prefident à Mortier
au Parlement de Dijon . J'apprends ( continue-
t'il ) de ce Poëte , que de fon temps
il y avoit en Bourgogne un Village nommé
Quarrée , & que dans ce Village il y
avoit une Eglife de Saint George , & un
très -grand nombre de Tombeaux de pierres
vuides qui n'avoient jamais fervi ,
&c. M. Bocquillot voudra bien noust
permettre de remarquer en paffant qu'on
n'a jamais douté qu'il y eut en Bourgogne
un Village nommé Quarrée , que
dans ce Village il y eut une Eglife fous
l'invocation de S. George , & un trèsgrand
nombre de Tombeaux de pierre ,
&c. La queftion eft de fçavoir pourquoi
ces Tombeaux font à Quarrée , & c'eſt
Fiiij ce
334 MERCURE DE FRANCE .
ce qui lui refte à prouver , & ce que
l'Auteur du Roman n'a point éclairci.
A l'égard des Croix que l'on a trouvé
fur quelques- uns , M. Bocquillot
croit que ce font des modernes qui fe
font fervis de ces Tombeaux , & qui y
ont fait graver des Croix.
LETTRE en forme de Differtation
pour
fervir de Réponſe aux difficultez qui
ont été faites contre le livre des Obfervations
fur la Saignée du Pied , & fur la
Purgation au commencement de la petite
Verole. A Paris , chez Guillaume
Cavelier , fils , rue Saint Jacques 1725.
in 12 .
On peut voir par la groffeur de cette
Réponse qui eft de 107. pages in 12 .
qu'on a fait beaucoup de difficultez contre
les Obfervations fur la Saignée du
Pied au commencement de la petite Verole.
Nous ne déciderons point fi l'Auteur a
répondu exactement à toutes les objections
qu'on lui a faites , nous dirons feulement
qu'il l'a fait fans paffion & fans
animofité. Nous allons en donner un
exemple. Quelqu'un a trouvé mauvais
que l'Auteur ait employé le mot de Décadence
dans le titre du livre des Obfervations
, &c. parce que cette expreffion paroît
, dit-on , deshonorante à la Medecine
,
FEVRIER 1725. 335
fe , & qu'il ne convient point d'afficher
ainfi les défauts d'une profeffion qu'on
ne fçauroit trop honorer aux yeux du
Public ; c'eft , ajoûte-t'on , la décrier
dans les Carrefours.
Ce reproche , dit l'Auteur de cette Lettre
, feroit raisonnable fi l'accufation étoit
fondée . Car l'inconvenient ne feroit point
de mettre fous les yeux du Public les
dangers d'une Medecine finguliere ; mais
plutôt qu'il fut une forte de Medecins
qui miffent en danger la vie des hommes ,
fans que les hommes fullent avertis de
la fingularité de leur perilleufe methode
de traiter leurs maux . Delà l'Auteur de
la Lettre demande , fi l'on fit jamais un
crime à celui qui reprefenta dans fon
temps au Public la Medecine en deüil ,
ou la Medecine en larmes ? Medicina
ใน gens un autre la dépeint gemiffante ,
Planctus Medicina. Un autre encore a- t'il
été blâmé , pour avoir fait exprès dans
ces derniers temps une Differtation pour
montrer qu'elle eft eftropiée , & mutilée.
De mutilo Medicine corpore .
Nous ajoûterons qu'il y a dans cet in
12. depuis la page 87. jufqu'à la fin une
Analife des Obfervations fur la Saignée
du Pied , & fur la Purgation au commencement
de la petite Verole , &c .
Fy LA
336 MERCURE DE FRANCE.
LA SEMAINE E'DIFIANTE partagée en
fept Entretiens inftructifs fur l'état des
hommes dans ce monde & dans l'autre.
Par le R. P. Angelique Chevalier , Prédicateur
Recollet . A Bordeaux , chez Nicolas
de la Court 1724. in 8º pp . 274.
Pour donner une idée de la bonté de
l'ouvrage que nous annonçons , nous
commencerons de raporter le témoignage
de M. le Moine , Docteur de la Maifon
& Societé de Sorbonne , qui dans
l'approbation qu'il en a donnée , certifie
n'y avoir rien trouvé qui ne réponde parfaitement
au titre , & qui ne foit édifiant
& orthodoxe qu'il est écrit avec autant
de folidité que d'élegance , & que l'impreffion
le rendra très - utile à ceux & celles
qui veulent faire de leur falut leur
affaire principale.
NOUVEAUX MEMOIRES fur l'Etat prefent
de la Grande Ruffie ou Mofcovie ,
où l'on traite du Gouvernement Civil
& Ecclefiaftique de ce Pays , des Troupes
de terre & de mer du Czar , de fes
Finances , & de la maniere dont il les a
reglées ; des divers moyens qu'il a employé
pour civil fer fes peuples & agrandir
fes Etats ; de fes Traitez avec differons
Princes d'Orient , & de tout ce qui
seft paflé de plus remarquable dans fa
Cour
1
FEVRIER 1725. 337
Cour , furtout par raport au feu Prince
Czarien , depuis l'an 1714. juſqu'en
´1720 . Par un Allemand , Réfident en cette
Cour. Avec la Deſcription & le Plan de
Petersbourg & de Cronflot. Le Journal.
du Voyage de Laurent Lange , à la Chine.
La Deſcription des Mours & ufages
des Oftiackes , & le Manifefte du Procès
Criminel du Czare wits Alexis - Petrowits ,
avec une Carte generale des Etats du
Czar , fuivant les dernieres Obfervations
. A Paris , chez N. Piffot , Quay des
Auguſtins 1725. 2. vol. in 12. de 954-
pages , fans la Preface. 5. livres .
Les chofes extraordinaires qu'on a vû
faire au Czar dans ces derniers temps ,
fes entrepriſes , & les établiffemens qu'il
faits dans les Etats , doivent faire life le
Livre avec empreffement . Il nous paroît
curieux , intereffant , & digne d'admiration
à plufieurs égards. Peut - on , en effet,
voir fans étonnement le Czar étendre les
limites de fon Empire , bâtir d'un côté
une Ville entiere , qui contient aujourd'hui
plus de 60. mille maifons , dans
un lieu où il y avoit à peine deux pauvres
Cabanes de Pecheurs , & de l'autre um
Port , dans un endroit qui étoit défert
auparavant , conftruire une flote de 40 .
Vaiffeaux de guerre , & de quelques
centaines de Galeres , & l'équiper d'hom
E vi
mes,
338 MERCURE DE FRANCE .
mes , & de toutes les chofes neceffaires.
HISTOIRE DE LA PRISE D'AUXERRE
par les Huguenots , & de la délivrance
de la même Ville les années 1567. &
1568. avec un recit de ce qui a précedé,
& de ce qui a fuivi ces deux fameux
évenemens , & des ravages commis à la
Charité , Gien , Cône , Donzi , Entrains,
Crevan , Iranci , Colanges - les -Vineufes ,
& autres lieux du Diocèfe d'Auxerre.
Dédiée à Madame l'Abbeffe de Chelles.
Par M. le Boeuf, Chanoine & fous-
Chantre de l'Eglife Cathedrale d'Auxerre.
A Auxerre , chez J. B. Troche 1723 .
in 8°.
HISTOIRE de l'Exil de Ciceron . Par
M. Morabin. A Paris , rue S. Jean de
Beauvais , chez Lambert Coffin 1723.
in 12. de 468. pages .
REFLEXIONS CRITIQUES fur la Medecine
, où l'on examine ce qu'il y a de
vrai ou de faux dans les jugemens que
l'on porte au fujet de cet Art. Par M.
François. A Paris , ruë S. Jacques , chez
G. Cavelier 1723. 2. vol . in 12 .
PROJET de Réformation de la Medeci
me , in 12. 1723. chez le même.
L'ANAFEVRIER
1725. 339
L'ANATOMIE du Corps de l'Homme
en abregé , traduit de l'Anglois de Kell ,
avec des additions très- confiderables
par M. Noguez , in 12. idem.
NOUVELLE MANIERE de faire l'Operation
de la Taille , traduit de l'Anglois
de Dougla. A Paris , ruë Saint Jacques ,
chez G. Cavelier 1724. in 12. avec figures.
HISTOIRE DE LA NAVIGATION , fon
commencement , fes progrès & fes découvertes
jufqu'à prèſent , traduite de
l'Anglois ; le commerce des Indes Orientales
, avec un Catalogue des meilleures
Cartes Geographiques , & des meilleurs
Livres de Voyages , & le Caractere de
feurs Auteurs. A Paris , chez Et. Ganeau
, ruë S. Jacques , 2. vol. in 12 .
ACCURATA INSTITUTIONUM , feu primorum
Juris elementorum D. Juftiniani
explanatio , & c. c'est- à - dire , Explication
exacte des Inftitutions , ou des premiers
Elemens de Droit de Juftinien , avec des
Obfervations fur le Droit François , pour
faire connoître plus facilement la difference
qu'il y a entre le Droit Romain &
le Droit François . A Paris , rue Saint
Jacques , chez Ch . Ofmont 17:24 . 2. vol.
"'
in
340 MERCURE DE FRANCE.
in 12. de 459. pages les deux .
DISSERTATION fur la Contagion de la
Pefte , où l'on prouve que cette maladie
eft veritablement contagieufe , & où l'on
répond aux difficultez qu'on oppofe contre
ce fentiment. A Toulouse , chez J. J.
Defclaffan 1724. in 8 ° de 152. pages ,
fans la Preface .
DISSERTATION du P. le Courayer , fur
la fucceffion des Evêques Anglois , &
fur la validité de leurs ordinations , réfutée
par le P. Hardoin , de la Compagnie
de Jefus , & c. A Paris , Quay des
Auguftins , chez Coutelier 1724. in 12 .
de 2 2 2. pages .
CONDUITE d'une Dame Chrétienne
pour vivre faintement dans le monde. A
Paris , rue Saint Jacques , chez Etienne
1725. in 12 .
TRAITE DE LA CONSCIENCE . A Paris
, rue S. Jacques , chez Fournier 1724.
in 12. de 371. pages .
OEUVRES de M. l'Abbé de S. Real.
Nouvelle Edition , augmentée . A Paris
par la Compagnie des Libraires 1724. 4 .
vol. in 12.

LES
FEVRIER 1725. 34T
LES ANNALES de la Monarchie Françoifes
, depuis Fharamond jufqu'à la majorité
de Louis XV . enrichies des principales
Medailles qui ont été frapées fous
tous les Regnes . Par M. de Limiers ,
Docteur en Droit. A Amfterdam , chez
Honoré & Chatelain , in fol. en trois
parties.
ABREGE' des Controverfes fur la Religion
, ou Methode courte pour difcerner
la veritable Religion Chrétienne
d'avec les fauffes qui prennent ce nom .
A Nanci , chez Barbier 1723. in 16 .
de 283. pages.
BIBLIOTHEQUE GERMANIQUE . Par M.
Lenfant. A Amfterdam 1724. in 8º 7 %
volume .
LA BIBLIOTHEQUE ancienne & moderne
de M. le Clerc , tome 20. 2e partie
& tome 21. complet . 1724. in 12. A
Amſterdam .
KEIL ( Jo . ) Introductiones ad veram
Phyficam & veram Aftronomiam quibus
accedunt trigonometria , ftudio Gravefando
, 4° fig. 1725. Lug. Ba . & fe
vent à Paris , chez Cavelier , rue Saint
Jacques.
VBR$
42 MERCURE DE FRANCE.
VERCELLONI ( Jac. ) de pudendorum
morbis & Lue venerea , 8 ° Lug. Ba.
1722. idem.
BERNET ( Go. ) Exercitatio Phifico-
Medica de efficacia & ufu aëris Mechanicori
in corpore humano , in 8 ° . Amft.
1723. idem.
ALLEN ( Jo. Synopfis univerfa Medicinæ
, in 8° Amft. 1723. idem.
TRAITE' DE LA PESTE , recueilli des
meilleurs Auteurs , par M. Manget 1721 .
A Genéve , & fe vend à Paris , chez le
même.
1
LE NOUVEAU SPECTATEUR FRANçois
, ou Difcours , dans lefquels on
voit un portrait naïf des moeurs de ce
fiecle. Ala Haye , che Jean Neaulme.
Tome I. in 8 .
THE CHISTIAN HERO , &c. C'est-àdire
, le Heros Chrétien : ouvrage où
l'on entreprend de montrer qu'il n'eſt
point de vrai Heroïfme , fans les principes
du Chriftianifme . Par M. Steel. A
Londres , 5 Edition.
DISCOURS prononcez à l'Académie
Françoiſe , à la reception de M. le Premîer
FEVRIER 1725.
343
mier Prefident . A Paris , chez J. B. Coi
gnard , rue S. Jacques , 1725. in 4 .
Ces deux Difcours furent extrêmement
applaudis , comme nous l'avons déja
dit celui de M. le Premier Frefident
eft plein de gravité & de dignité , conforme
à ſon caractere , & à l'éminente place
qu'il remplit dans le Parlement ; ce
qui n'a pas empêché qu'il n'ait marqué
avec beaucoup de politeffe pour les Gens
de Lettres , qu'un Magiftrat fe doit faire
honneur , & faire fon plus grand plaifir
du commerce qu'il a avec eux , & que fa
maifon doit toûjours leur être ouverte .
L'on a été très- content de l'éloge qu'il
a fait de l'Abbé de Choify , & de la maniere
dont il a loué fes Lettres , qui , fans
matiere & fans fujet , intereflent les Lecteurs.
M. le Directeur fait un Eloge de M. le
Premier Preſident , qui a été d'autant
plus approuvé , qu'il n'y a rien qui ne
foit exactement vrai , ce qui ne fe trou
ve pas toûjours dans tous les Eloges , &
c'eft un grand bonheur pour l'Orateur ,
lorfqu'il fe trouve contraint de loüer
de n'avoir à louer qu'une perfonne en effet
très- loüable .
Il a pris dans la fuite de fon Difcours ,
une route qui a paru un peu differente de
celle que fuivent ordinairement ceux qui
en
344 MERCURE DE FRANCE.
en ont de pareils à faire : car il fembloit
jufqu'à prefent , que l'ufage les attraignoit
à ne faire qu'un fimple compliment .
M. de Valincour a crû y devoir joindre
quelque chofe de plus folide , en faiſant
l'Eloge des Lettres , & montrant qu'elles
ne doivent pas être regardées comme un
fimple amuſement , mais comme un fecours
très- utile dans toutes fortes de profeffions
,
, pour ceux qui fçavent bien s'en
fervir ; mais il a fait voir auffi , combien
il eft dangereux d'en abufer , &
dans quel inconvenient fe jettent ceux ,
qui non-feulement en font leur unique
Occupation , mais qui les employent à des
ufages contraires aux bonnes moeurs. Il
eft à fouhaiter que cet exemple puiffe
être fuivi , & que tous les illuftres & excellens
Orateurs , dont l'Académie eft
compofée, veuillent bien ajoûter à l'avenir
quelque point de Morale à des Diſcours.
qui jufqu'à prefent n'avoient fervi qu'à
faire admirer leur éloquence .
Le 21. du mois dernier le P. Porée ,
Jefuite , l'un des Profefleurs de Rethorique
du College de Louis le Grand , prononça
un Difcours Latin , dans lequel
il examina , fi c'est avec justice oufans raifon
, qu'on accufe les François de legereté;
& il traita cette matiere avec beaucoup
d'efprit
FEVRIER 1725. 345
d'efprit & d'éloquence , en prefence du
Cardinal de Bifly , de plufieurs Archevêques
& Evêques , & d'un grand nombre
de perfonnes de confideration . Nous
donnerons un Extrait de ce Difcours.
La Bibliotheque de feu M. de Cifternay
du Fay , ancien Capitaine aux Gardes
Françoiſes , doit être vendue après
Pâques le Catalogue qui en a été dreflé
par Gabriel Martin , Libraire , s'imprime
actuellement Cette Bibliotheque eft
d'une grande reputation pour la fingu
larité & la rareté des Livres qui la compofent
, & pour la magnificence des relieures.
On apprend d'Angleterre , que le
Nouveau Teftament en Arabe , des Membres
de la Societé établie pour la propagation
de l'Evangile , s'imprime actuel-
- lement à Londres. Cette Traduction que
M. Henley eft chargé de corriger , eft
deſtinée pour les Chrétiens de Syrie.
On imprime par foufcription à la Haye,
chez R. C. Alberts , le nouveau Theatre
de Piémont & de Savoye , en forme
d'Atlas en François , Latin & Hollandois
, chaque Langue à part , avec des
planches très - exactes de toutes les Villes
&
346 MERCURE DE FRANCE .
& autres lieux , Eglifes , Palais , &
principaux Edifices ; & une defcription
hiftorique & geographique , nouvelle &
très-exacte.
On apprend d'Allemagne , que M.
d'Harthenfels , fait réimprimer à Lipfik
avec des augmentations , fon Hiftoire naturelle
des Elephans , fous le titre d'Elephantographia.
On dit qu'elle eft or.
née de beaucoup de traits extrêmement
curieux .
Le 27. Decembre dernier, Fête de S.Jean
Evangelifte , les Académiciens de la Ville
de Guimaraens en Portugal , commencerent
leurs Conferences par la lecture
de plufieurs Poëfies à la louange de Sa
Majefté Portugaife. Dom Thadée - Louis-
Antoine-Lopes de Carvalho , chez lequel
ils s'affemblerent , leur donna enfuite
un magnifique repas , à la fin duquel
on diftribua un grand nombre de
Médailles d'argent , ayant d'un côté le
Portrait du Roi , & de l'autre les Armes
de Portugal , avec cette inſcription ,
ACADEMIA VINARENESIS M. DCC .
XXIV .
METHE
NEW YORK
PUBLIC LIBRARY.
ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONG.
ET
HABET
SUA
M.DCCXXIV
CASTRA
LUDOVICUS
XV.
REX
DU
VIVIER
CHRIS
FEVRIER 1725. 347
MEDAILLE DU R Q Y
frappée pour le premier jour de
l'année 1725:
?
E Portrait du Roi avec la Legende
Lordinaire .
Revers. Un Trophée compofé des
principaux inftrumens de chaffe , de la
dépouille de differens animaux ; fommé
du Carquois & du Croiffant de Diane
avec trois ou quatre fortes de chiens en
pied. Pour ame , ces mots imitez d'Ovide
:
ET HABET SUA CASTRA DIANA.
Diane a auffi fes Camps.

La tête du Roi qu'on voit dans cette
Medaille eft très - reffemblante..
SPECTACLES.
A commencement
de ce mois les
Comediens du Roi ont remis au
Theatre laTragedie de Nicomede de Pierre
Corneille , dans laquelle la Dile de Seine
a joué le rôlle de Laodice avec beaucoup
d'intelligence , d'agrément & de
jufteffe,
348 MERCURE DE FRANCE.
jufteffe , dans fes geftes , dans fes tons ,&
dans l'air de fon vilage , qualitez qu'on
n'acquiert gueres que par une longue experience;
cependant cette jeune perfonne
en a fi peu , qu'elle n'a pas joué la Comedie
25 . fois en toute fa vie. Le Public
la goûte fort , & vient la voir avec
empreffement , mais il lui fouhaite un
peu plus de voix.
Le Jeudi 15. de ce mois on donna la
premiere reprefentation de la Tragedie
nouvelle de Marianne . Elle fut jouée le
Samedi fuivant , & le Public parut la
goûter davantage que la premiere fois.
Nous ne manquerons pas d'en rendre un
compte exact & defintereffé .
Les mêmes Comediens repetent la
Belle-mere , Comedie nouvelle en cinq
Actes ; nous en parlerons quand elle aura
paru.
Le 3. de ce mois , l'Opera Comique
ouvrit fon Theatre dans le Preau de la
Foire faint Germain , par une piece intitulé
les Chimeres . Cette piece n'a que
deux Actes , précedez d'un Prologue ;
elle eft ornée de quelques Entrées de Balet
, & l'on n'y a pas épargné la dépenſe
pour les décorations . Le fuccès n'en a paru
jufqu'ici ni bon , ni mauvais , quoique
l'Auteur y ait mis beaucoup d'efprit .
C'est
FEVRIER 1725.
349
C'eft la juftice que tout le monde paroît
lui rendre , fa verfification eft affez correcte
, & le choix des Vaudevilles auffi
varié que ce genre le puiffe permettre.
Comme c'eſt une piece à Scenes détachées
, nous ne pouvons pas en donner
un plan exact ; nous efperons que le Public
fe contentera que nous lui en tra◄
cions une idée telle qu'une premiere reprefentation
nous l'a pû permettre. Voici
fur quoi font fondées toutes les Scenes
qui la compofent. Jupiter commence
l'action principale avec la Verité . Il ordonne
à cette Divinité , de la façon de
l'Auteur , de ne point flatter les hommes
, de quelque rang qu'ils puiffent
être , & de leur montrer leurs défauts
fans déguiſement. Le lieu de l'action n'eft
ni dans les Cieux , ni fur la terre , ni
dans les enfers , mais dans les eſpaces imaginaires
.
Jupiter fe retire , après avoir declaré
à la Verité qu'il veut être obéï ; il a pris
la précaution de s'excepter de la loi generale
. La Verité n'ofe affronter le peril
qu'elle envifage dans fon emploi ; elle
le veut dépofer fur des épaules plus hardies
, Arlequin fe préfente à elle conduit
dans les efpaces imaginaires par fa jalouloufie
; il faut remarquer que l'Auteur
a déja établi , que l'efprit entraîne le
corps
350 MERCURE DE FRANCE .
corps dans ce pays des Chimeres , circonftance
très - neceffaire à fon fyftême.
La Verité choifit Arlequin pour fon Lieutenant
, ou pour fon Subftitut ; il fe refufe
à la commiffion ; mais elle l'y fait
confentir , par l'efperance qu'elle lui
donne , que la Maîtreffe dont il eſt jaloux
, picquée de fon abſence , le viendra
chercher dans les efpaces imaginaires ,
& fera contrainte à lui ouvrir fon coeur,
3
Avant que de quitter Arlequin , elle
lui remet entre les mains un miroir fidele
, qui ne flatte point ceux qui s'y
regardent , & les peint à leurs propres
yeux , tels qu'ils font aux yeux des autres.
Arlequin en fait la premiere épreuve
; il s'y mire , & s'y trouve un fort
vilain noireau , quoiqu'il fe crut un trèsjoli
brunet. Ce miroir n'a prefque point
d'autre ufage dans le refte de la piece ;
il ne fert qu'à defabufer une vieille folle
, qui fe croyoit auffi belle à foixante
ans , qu'elle l'avoit été à quinze.
Les premiers à qui Arlequin dit leurs
veritez , font un homme entêté de nobleffe
, un vifionnaire , qui croit poffeder
tous les trefors du monde dans un
feul livre qu'il tient entre fes mains ; &
une jeune fille qui aime éperduëment
fon Singe & fon Perroquet. Arlequin
leur donne à tous trois des épithetes convenaFEVRIER
1725.
venables à leurs genres de fole ; il en
35I
eft payé fur le champ à coups de bâton
; ce qui le détermine à ne plus exercer
un emploi fi fatal à ſon dos ; mais la
Verité le lui fait continuer , dans l'efperance
de voir fa Maîtreffe ; cela arrive
comme la Verité l'a promis à Arlequin ;
& c'eſt juſtement à la derniere Scene ,
pour fervir de dénouement.
Cette piece eft précedée d'un Prologue
très fimple & très- court. Le Theatre reprefente
le Preau de la Foire , Pierrot appelle
les
Spectateurs en leur difant
qu'on va commencer ; il leur annonce la
Piece ; il declare qu'on leur en donnera
pour leur argent ; il ajoûte , qu'en attendant
la Piece , on va les payer en
gambades ; ce premier Balet a paru le
mieux amené de tous.
Les Comediens Italiens ordinaires du .
Roi , donnerent le 20. du mois dernier
la premiere
repreſentation d'Armide , Parodie
en
Vaudevilles . Cette Piece a fait
plaifir au Public , elle a étébeaucoup plus
fuivie que toutes les nouveautez qui l'ont
précedée depuis le
commencement de
l'hiver. On n'en donnera qu'une idée ,
telle qu'une
reprefentation a pû permettre.
C'eft la Dile Sylvia qui joue le rôlle
d'Armide , & d'une maniere très - fi-
G
ne
352 MERCURE DE FRANCE .
ne & très picquànte. La De Lalande
lui fert de Confidente ; le fond de cette
Scene eft à peu près la même qu'on la
voit à l'Opera , avec ce te difference ,
qu'elle devient Comique , par le contrafte
que le Vaudeville heureuſement
choifi y met . Le Chanteur fait le Perfonnage
d'Hydraot , il parle de Marage
à fa niece , & il appuye furtout trèscomiquement
fur le defir qu'il a d'avoir
de fa progeniture . Les Harangeres celebrent
le triomphe d'Armide , au lieu que
Quinaut le fait celebrer par les Peuples
de Damas ; Aronte maltraité par Renaud
, vient annoncer à Armide que Renaud
lui a enlevé fes prifonniers , & que
fes épaules font toutes meurtries des coups
de gaules qu'il a reçûs dans cette fâcheufe
expedition ; ce qui donne lieu à un
duo de fureur & de vengeance entre Hydraot
& Armide .
Renaud reprefenté par Arlequin , ou
vre la Scene du fecond Acte . Il tombe
dans le piege qu'Armide & Hydraot lui
ont tendu par leurs enchantemens . Il
s'endort à la faveur d'une douce fymphonie
& de quelques chants. La Fête
eft compofée de Bouquetieres . Ce qu'on
a trouvé de plus plaifant dans cette Fête
, c'eſt cet ancien Vaudeville , que la
Chanteufe chante auprès du lit de ga-
701 ,
FEVRIER 1725.
353
zon , fur lequel Renaud eft endorini.
Voici le Vaudeville en queſtion.
Dormez , Roulette .
Et prenez votre repos :
Tantôt , à la réveillette
On vous en dira deux mots .
Ce dernier Vers , accompagné d'un
gefte de la main , qui marque les coups
de poignard qu'on lui referve , excite un
ris general , & voilà le fublime de ces
fortes de Pieces .
Armide prête à poignarder Renaud fe
fent attendrir par la beauté du Cavalier
qu'elle veut immoler à fa rage ; elle exprime
ce qui fe paffe dans fon coeur par
un des refreins de la Comedie de Ba iphegure.
C'eft un certain je ne fçai qu'est - ce.
C'eſt un certain je ne fçai quoi .
Cet heureux refrein eft plus applaudi
que la plus belle Tirade de Comedie ou
de Tragedie. Armide fait enlever Renaud
comme à l'Opera , mais d'une maniere
tout- à-fait burlefque .
L'Auteur a jugé à propos de ne faire
qu'un Acte du troifiéme & du quatrié
me. Il commence cet Acte par l'arrivée
du Chevalier Danois & d'Ubalde , qui
Gij vien
354 MERCURE DE FRANCE.
viennent chercher Renaud , pour l'arra
cher au pouvoir d'Armide . Cette Princeffe
vient avec la Confidente
,
, & fe
plaint de n'être aimée que par fes enchantemens.
La Confidente lui dit pour
la confoler , que pourvû qu'on foit heureux
il n'importe comme on l'eft ; cela
ne contente pas Armide ; elle veut
hair ou du moins oublier Renaud ; au
lieu d'évoquer la haine , elle appelle Bacchus
à fon fecours. Bacchus lui offre fon
divin jus ; mais elle le repouffe en lui
difant :
Je ne veux point boire .
De ces deux Actes reduits à un , on
paffe au cinquième , qui confifte en l'adieu
d'Armide & de Renaud comme à
l'Opera. Cet adieu eft fuivi d'une Fête ,
après laquelle le Chevalier Danois &
Ubalde defenchantent Renaud par le bouclier
& te fceptre d'or , le tout rendu comiquement.
Renaud veut partir ; Armide
furvient & l'arrête ; elle s'évanouit
enfin ; Renaud ne fçauroit s'arracher
d'auprès d'elle. Le Chevalier Danois lui
reproche fon ridicule entêtement pour
une franche Coquette , Renaud lui répond
d'un ton burleſque .
Ubalde , tais - toi ,
A
1
4
.
1
J'en
"
FFVRIER 1723. 355
J'en connoi , j'en connoi ,
J'en connois bien d'autres
Qui font comme moi.
Voilà le fel attique de ces fortes de
Comedie , auffi ce Couplet n'a pas man
qué fon applaudiffement , il a dignement
couronné l'Ouvrage. La Piece a fini com
me à l'Opera , par la deftruction du Palais
enchanté , l'execution en a paru trèsbelle
, furtout on a beaucoup ri de voir
Armide fe fauver dans une brouette ,
traînée par un porteur , & pouffée par un
Savoyard.
Le 6. de ce mois les mêmes Comediens
ont donné la premiere reprefentation
d'une Piece en profe , & en trois
Actes , intitulée le Faucon & les Oyes
de Bocace. L'Auteur de cette Comedie ;
dont les coups d'eflai ont été fi heureux
dans fon Arlequin fauvage , & dans fon
Timon le Milantrope , n'auroit pas moins
de fuccès dans cette derniere Piece , fi
l'on fe contentoit d'un efprit Philofophique
, tél qu'il regne dans tout fon ouvrage.
L'oeconomie en eft très - fage , les Scenes
y naiffent les unes des autres ; enfin
on a trouvé que c'eft un habit parfaitement
bien taillé , auquel il ne manque
que certains ornemens , qui fouvent , tout
étran-
G iij
350 MERCURE DE FRANCE.
étrangers qu'ils font à un ouvrage , nº
laiffent pas d'en faire le plus brillant fuccès
; on rend juftice furtout à l'Art , avec
lequel les deux contes de Bocace font
liez pour ne faire qu'une même action .
En voici le plan.
ACTE PREMIER.
Flaminia dans la premiere Scene remercie
un Berger des devoirs d'hofpitalité
qu'on lui a rendus après le malheur
qui lui eft arrivé. Ce malheur , c'est que
fa chaife s'eft rompue , & l'hofpitalité
confifte dans l'empreffement qu'on a témoigné
à la raccommoder , & à offrir .
un azile dans quelque cabane à Flaminia
& à Colombine , fa confidente , Pierrot ,
c'eſt le nom du Berger dont nous venons
de parler , dit à Flaminia , qu'on pourroit
bien lui offrir une retraite plus commode
; mais que par malheur celui qui
l'habite eft fi fort prévenu contre fon
fexe , qu'il regarde toutes les femmes
comme des monftres. Il ajoûte que ce
Sauvage folitaire n'a auprès de lui qu'un
innocent de Valet , à qui il a toûjours caché
qu'il y eut des femmes dans le monde
de forte que ce Valet , qui s'appelle
Arlequin ,, ayant vû pour la premiere
fois une jeune Bergere , appellée Silvia ,
&
FEVRIER 17251 357
& ayant appris de fon maître que c'étoit
une Oye , a fifflé après elle pour la prendre
, & pour l'apprivoifer comme un oifeau
. Pierrot prend congé de Flaminia ,
& la prie de dire à Sylvia , dont il eſt
amoureux , qu'il a de l'efprit ; ce qu'elle
ne manquera pas de croire , ce témoignage
venant d'une perfonne de la Cour.
Flaminia furprife de ce qu'elle vient
d'entendre , fe propofe de paffer tout le
refte du jour dans cette Foreft pour s'y
donner la Comedie aux dépens du Maître
Sauvage & du Valet innocent. Colombine
lui dit que ce Maître fi ennemi
des femmes pourroit bien avoir eu quelque
Maitreffe auffi cruelle , qu'elle l'a
été envers le pauvre Lelio , qui après
avoir dépensé tout fon bien pour lui
plaire , a difparu pour toûjours à fes yeux,
defefperant de l'attendrir jamais. Flaminia
lui répond qu'elle eftimoit Lelio ,
mais qu'elle aimoit encore plus fa liberté
; & fur les reproches que fa confidente
lui fait d'avoir permis qu'il fe ruinât
pour elle fans en pouvoir recueillir aucun
fruit , elle lui répond que les hommes
ne faifant ces folles dépenfes que
pour tendre un piege à leur liberté , on
ne leur en doit point de reconnoiffance ;
jufqu'ici l'on n'a encore entendu que
l'expoſition neceſſaire à l'intelligence du
G iiij fu
358 MERCURE DE FRANCE .
ce ,
fujet , & quelque morale de convenan
il est temps d'en venir à l'action. Sylvia
vient toute effrayée , & implore le
fecours de Flaminia & de Colombine contre
un homme qui la pourfuit en fifflant
après elle , comme après un oifeau. Arlequin
paroît fifflant & appellant fon prétendu
oifeau , en difant , petit , perit. Cette
Scene a paru très - divertiffante , & toutà
fait dans le goût d'Arlequin balourd.
Flaminia l'interroge fur l'erreur , où ſon
Maître l'a mis ; elle eft très- furpriſe que
ce Maître & Lelio font une même chofe,
ce qui lui fait naître l'envie de fe traveftir
en Berger , & de tâcher de lui remettre
l'esprit.
ACTE II.
Arlequin commence ce fecond Acte. Il
a déja appris dans le premier que ces animaux
que fon Maître lui a voulu faire
prendre pour des oyes font des femmes ;
mais il n'en eft gueres plus avancé ; il ne
fçait à quoi ces femmes peuvent être bonnes
; cependant il fent que rien ne lui a ja
mais fait tant de plaifir à voir que Silvia ,
il veut s'éclaircir de tous fes doutes ,
Pierrot lui paroît venir à propos pour
l'inftruire.
&
Pierrot qui s'eft apperçû que Silvia
panche plus vers Arlequin que vers lui ,
n'ollFEVRIER
1725. 359
n'oublie rien pour lui donner une idée
très -defavantageufe au fujet des femmes ,
& de ce qu'on appelle amour ; mais par
malheur pour lui , Silvia arrive , & par
les foins qu'elle prend de plaire à Arlequin
elle détruit tout ce que fon rival a
voulu lui infinuer . Ces deux Scenes ont
paru bien traitées.
Dans la troifiéme c'eſt Lelio qui vient,
cherchant fon Valet Arlequin , pour
l'empêcher de tomber dans l'abîme où
fon mauvais deftin l'entraîne ; il le trouve
avec Silvia , & dans une ſituation à
lui faire croire que l'Oye eft déja apprivoifée
. Arlequin lui reproche fa mauvaiſe
foi , & lui fait connoître qu'on l'a
tiré d'erreur , en lui apprenant que Silvia
n'eft pas une Oye ; mais une femme.
Lelio s'emporte au nom de femme , il
veut abfolument arracher Arlequin à Silvia
; ces deux Amans appellent du fecours
; Flaminia vient , traveftie en Berger
, & prend le parti d'Arlequin & de
Silvia qui fe fauvent , tandis que Lelio
parle avec chaleur au prétendu Berger.
Dans cette converfation Flaminia fait
connoître à Lelio que leurs avantures
ont été pareilles , && que pour avoir
été maltraités des femmes , qu'ils ont été
réduits tous deux à fe confiner dans un
c'eft
défert ; mais cela n'empêche pas que Fla-
C v minia
360 MERCURE DE FRANCE.
minia ne prenne le parti des femmes , &
ne dife
que telles qu'elles font , elles doivent
toûjours être l'objet du plus tendre
attachement des hommes ; Lelio foutient
au contraire que fi toutes les femmes reffemblent
à celle dont il fe plaint , on ne
fçauroit les voir avec trop d'horreur. Il
la quitte pour courir après Arlequin ,
qu'il croyoit encore auprès de lui . La
haine qu'il vient de faire paroître contre
Flaminia , parlant à elle- même fans le
fçavoir , la détermine à en tirer raiſon ,
fous fes habits naturels ; nous l'allons
voir dans le dernier Acte.
ACTE III.
C'est ici l'Acte qui a fait le plus d'effet ;
dans les deux précedens il ne s'eft agi
que des Oyes de Bocace ; fujet qui a été
traité en diverfes inanieres , & qui a furtout
fait beaucoup de plaifir dans la Piece
qui a pour titre les Amans ignorans. Le
fujet du Faucon n'eft pas à beaucoup près
fi rebatu , & conferve encore toute la
grace de la nouveauté , outre qu'il eft
très-intereffant par lui - même.
,
Lelio qui vers la fin du fecond Acte
eft allé chercher Arlequin , l'a retrouvé
dans l'entracte , & ouvre la Scene du
troifiéme avec fon Valet , ou plutôt fon
cher
' FEVRIER 1725. 361
cher éleve. Il n'oublie rien pour le guerir
de l'amour qu'il a pris pour Silvia ;
mais Arlequin fe refufe à fes confeils ;
Pierrot réüffit mieux que Lelio , par un
menfonge adroit. Il lui fait accroire que
Silvia s'eft mocquée de lui , en lui difant
qu'elle l'aimoit . Il ajoûte qu'elle s'eft
vantée publiquement du tour qu'elle lui
a joué . Arlequin ne le croit pas d'abord ;
mais Pierrot le lui dit fi affirmativement,
qu'il fe laiffe enfin perfuader. Il convient
avec Lelio que rien n'eft plus méchant
qu'une femme. Il veut aller dire
des injures à fon ingrate , & l'allurer
qu'il ne l'a jamais aimée ; Lelio s'y oppofe
, de peur qu'il ne fe rengage dans le
piege , d'où il vient heureufement de
fortir.
Silvia arrive , & s'approche d'Arlequin
avec un air de fincerité & de tendreffe
qui redouble fa colere . Il lui dit
qu'il s'eft mocqué d'elle ; Silvia lui reproche
la trahifon qu'il lui a faite ; fes
injures font tendres & affaifonnées de
quelques larmes , contre lefquelles toute
la colere d'Arlequin ne peut tenir. Lelio
même ne peut s'empêcher d'en être at
tendri , le raccomodement fuit de près la
broüillerie , & Lelio envie leur fort.
Pierrot n'ayant pû réüffir dans le ſtratageme
que la jaloufie lui a infpiré , s'ac
✪ vj quitte
362 MERCURE DE FRANCE.
quitte d'une commiffion dont on l'a chargé
; il dit à Lelio que Mile Flaminia eſt
arrivée dans fon défert , & lui demande
à fouper. Ces paroles font un coup de
foudre pour Leli ; il craint l'approche
d'une fi chere ennemie ; mais fon plus
grand embarras c'eſt de n'avoir rien à lui
fervir à fouper. Il prend enfin fon parti ,
& ordonne à Arlequin d'aller tuer le
Faucon. Arlequin fremit à cette propofition
; il reprefente à fon Maître que cet
Oifeau eft leur pere nourricier , & que
s'il eft une fois mangé , ils mourront de
faim ; Silvia dit à Arlequin qu'elle doit
être de ce repas , & que Flaminia l'en
a priée ; à ces mots Arlequin dit à Lelio
qu'il faut tuer le Faucon , & que cet Oifeau
fera trop heureux d'être croqué par
les dents blanches de Silvia .
Flaminia arrive enfin , elle proteſte à
Lelio qu'elle l'a toûjours eftimé , & lui
offre fon amitié au défaut de fon amour ;
elle le prie de s'en contenter , & ajoûte
une feconde priere à cette premiere , qui
eft de lui procurer le plaifir de voir voler
fon Faucon. Lelio appelle Arlequin ,
pour l'empêcher de tuer ce pauvre animal
; mais il n'en eft plus temps , il eſt
déja mort , au grand regret des fpectateurs
; on l'apporte mort , & on le tient
affez long-temps pour faire autant de
peine
FEVRIER 1725. 363
peine que fi l'on voyoit enfanglanter la
Scene. Flaminia touchée de l'amour de
Lelio qui lui a facrifié tout ce qui lui
reftoit dans fon affreufe mifere ; le confole
de tous fes maux paffez , en lui donnant
fon coeur & fa main ; elle ordonne
aux Bergers & aux Bergeres de celebrer
fon Hymen avec Lelio ; Arlequin épouse
Silvia , à qui Flaminia promet de pren
dre foin de fa fortune. Ce divertiffe
ment a paru très -joli.
1
VAUDEVILLE .
On en trouvera l'air noté , page 319.
I.
Nvain voudroit- on empêcher.
L'amour de nous inftruire ,
La nature a foin de nous dire ,
Tout ce que l'on veut nous cacher :
Pour l'animal le plus fauvage ,
Et pour l'homme le plus parfait ,
L'amour n'a qu'un même langage ,
Dès qu'il parle l'on eft au fait.
I I.
Quand ma mere par fes leçons
Me défend la tendreffe ,
Me
364 MERCURE DE FRANCE.
Je n'entends rien à fa fageſſe ,
Et ne comprend point ſes raiſons :
Mais quand fous un épais feüillage ,
J'écoute l'Amant qui me plaît ,
J'entends clairement fon langage ,
Dès qu'il parle je ſuis au fait.
III.
Je ne connoiffois point l'Amour ,
Mais ce qu'il a de tendre ,
Deux beaux yeux me l'ont fait conprendre ,
Auffi clairement que le jour :
Que leur langage eſt admirable ,
Qu'il eft intelligible & net ,
Il eft auffi précis qu'aimable ,
Un feul clin d'oeil nous met au fa't.
Au Parterre.
I V.
Je voudrois que ce Dieu charmant
Voulut encor m'inftruire ,
Du grand art de vous faire rire ,
Et d'amufer innocemment :
Je ne cherche que la nature ;
Si le parterre eft fatisfait ,
Vos
FEVRIER
1725. 365
Vos mains m'en donneront l'augure ,
Applaudiffez , je fuis au fait.
A l'Opera on ne joue plus Armide que
le Vendredi & le Dimanche ; on donne
l'Europe Galante le Mardi & le Jeudi.
Ce Ballet eft extrêmement goûté. Le fieur
Muraire y chante un air Italien d'une
beauté parfaite , & dont l'execution eſt
tout-à-fait raviffanie. La celebre Mlle Prevost
y danfe plufieurs entrées avec cette
finelle , cette legereté & ces graces qui la
mettent fi fort au- deflus de tout ce qui a
paru jufqu'à prefent dans l'art qu'elle
profefle , avec les applaudiffemens redoubleż
de tout le Public.
Le Jeudi 22. de ce mois on a ajoûté à
ce Ballet , à la place de l'Entrée Espagnole
, l'Acte de la Provençale , qu'on a donné
autrefois à la fuite du Ballet des Fêtes
de Thalie , dont la Mufique eft de M.
Mouret. Le fieur Muraire a chanté un
air Italien nouveau , qui a été fort applaudi
.
On a apris de Naples qu'on y avoit reprefenté
le 17. du mois dernier , fur le
Theatre de S. Barthelemi , l'Opera nouveau
de Sempronius Craffus , qui avoit été
trouvé fort beau.
NOU
366 MERCURE DE FRANCE.
NOUVELLES DU TEMPS.
TURQUIE.
N mande de Conftantinople que le
Grand Vifir y avoit reçû plufieurs
avis réiterez d'un nouveau Traité d'alliance
fait depuis peu entre le jeune Roi
de Perfe & l'Empereur de la Chine , par
lequel ce dernier lui a promis un fecours
confiderable de Troupes & d'argent pour
l'aider à rentrer en poffeffion de toutes
les Provinces qu'il a perdues pendant la
derniere révolution .
RUSSIE.
E froid eft extrême en Mofcovie de-
Lpuis plus de deux mois . Les Tartares
qui n'ont pû y réſiſter ſe ſont retirez
de l'Ukraine.
Le Czar a créé un Confeil de Regence
pour le gouvernement des Provinces
qu'il a conquifes fur la Perfe quatre
Confeillers de la Regence de Mofcou , fe
preparent à partir pour aller faire l'établiffement
de ce nouveau Confeil à Derbent
, auffi tôt que les chemins feront
praticables.
Le
FEVRIER 1725. 367
Le Duc d'Holftein dont on a annoncé
le mariage avec la fille aînée du Czar , a
été nommé par S. M. Czarienne Generaliffime
de les Troupes , & Gouverneur
de toute la Ruffie. La Garde à pied de ce
Frince a été mife fur l'état des dépenfes
extraordinaires de la Guerre , fur le même
pied que le Regiment des Gardes de
Prefbazinski.
Le 17. du mois dernier , Fête de l'Epiphanie
, vieux ftile , le Czar après avoir
entendu le Service , fe rendit avec toute
fa Cour fur la riviere de Neva , à quelque
diftance du rivage , & vis- à - vis l'Eglife
de la Sainte Trinité. Le Regiment
des Gardes & le Regiment de la garnifon
de fetersbourg , s'étant rangez en haye
fur la glace , on dreffa un pavillon fous
lequel on fit un trou , & un Archevêque
affifté du Clergé benit l'eau de la riviere
avec les ceremonies qui s'obfervent tous
les ans à pareil jour.
J
Le Czar a declaré que la celebration du
mariage de la Princeffe , fa fille aînée
avec le Duc d'Holftein fe feroit le 7. du
mois prochain , jour de l'anniverſaire de
la naiffance de ce Prince. Les deux futurs
époux feront revêtus d'une robbe doublée
de la plus riche fourrure de Siberie ,
& faite fur le modele de celle que porterent
le Czar & la Czarine le jour de leur
Couron366
MERCURE DE FRANCE.
NOUVELLES DU TEMPS.
O
TURQUIE.
N mande de Conftantinople que le
Grand Vifir y avoit reçû plufieurs
avis réiterez d'un nouveau Traité d'alliance
fait depuis peu entre le jeune Roi
de Perfe & l'Empereur de la Chine , par
lequel ce dernier lui a promis un fecours
confiderable de Troupes & d'argent pour
l'aider à rentrer en poffeffion de toutes
les Provinces qu'il a perdues pendant la
derniere révolution.
RUSSIE.
E froid eft extrême en Mofcovie deres
qui n'ont pû y réfifter ſe font retirez
de l'Ukraine .
Le Czar a créé un Confeil de Regence
pour le gouvernement des Provinces
qu'il a conquifes fur la Perfe quatre
Confeillers de la Regence de Mofcou , fe
preparent à partir pour aller faire l'établiffement
de ce nouveau Conſeil à Derbent
, auffi tôt que les chemins feront
praticables.
Le
FEVRIER 1725. 367
Le Duc d'Holftein dont on a annoncé
le mariage avec la fille aînée du Czar , a
été nommé par S. M. Czarienne Generaliffime
de les Troupes , & Gouverneur
de toute la Ruffie . La Garde à pied de ce
Frince a été mife fur l'état des dépenfes
extraordinaires de la Guerre , fur le même
pied que le Regiment des Gardes de
Prefbazinski.
Le 17. du mois dernier , Fête de l'Epiphanie
, vieux ftile , le Czar après avoir
entendu le Service , fe rendit avec toute
fa Cour fur la riviere de Neva , à quelquediftance
du rivage , & vis- à- vis l'Eglife
de la Sainte Trinité. Le Regiment
des Gardes & le Regiment de la garnifon
de fetersbourg , s'étant rangez en haye
fur la glace , on dreffa un pavillon fous
lequel on fit un trou , & un Archevêque
affifté du Clergé benit l'eau de la riviere
avec les ceremonies qui s'obfervent tous
les ans à pareil jour.
Le Czar a declaré que la celebration'du
mariage de la Princeffe , fa fille aînée
avec le Duc d'Holftein fe feroit le 7. du
mois prochain , jour de l'anniverſaire de
la naiffance de ce Prince . Les deux futurs
époux feront revêtus d'une robbe doublée
de la plus riche fourrure de Siberie ,
& faite fur le modele de celle que porterent
le Czar & la Czarine le jour de leur
Couron
368 MERCURE DE FRANCE.
Couronnement. La queue de la Robbe du
Duc d'Holftein fera portée par deux Gentilshommes
de fa Chambre , & celle de
la Princeffe , fa future époule , par deux
Dames de la premiere confideration .
L
ALLEMAGNE .
E Confeil de Guerre qui a jugé le
Comte de Bonneval , étoit compoſe
des Comtes de Daun , Veterani , Hamilton
, Traun , Locatelli & de Neuberg.
Les Lettres de Drefde portent que les
Troupes de l'Electorat de Saxe , qui fe
montent à près de 2 2000. hommes , alloient
être confiderablement augmentées .
On a publié à Vienne fur la fin de
l'autre mois , une ordonnance qui défend
les Bals & les mafcarades pendant le Carnaval.
On mande de Berlin que dans les diverfes
parties de chaffe que le Roi de
Pruffe avoit faites , S. M. avoit tué ou vû
tuer 3094. Sangliers. Le Roi a fait renouveller
& amplifier les Ordonnances
cy-devant publiées dans la Pruffe , pour
abolir divers mauvais ufages introduits
par les ouvriers , entr'autres celui de ne
point travailler le Lundi .
Les Divertiffemens du Carnaval ont
été terminez à Drefde par une fête champêtre
, compoſée de cinq bandes : celle de
l'Hôte
FEVRIER 1725. 369
l'Hôte conduite par le Prince Royal &
Electoral , celle des Bergers , par le Roit
& la grande Maréchale Baronne de Leuventhal
, celle des Meuniers , par le Prince
Jean- Adolphe de Weiffenfels & la
Comteffe de Mantenfel , celle des Vignerons
par le Frince de Wirtemberg & la
Princeffe de Tefchen , & celle des Jardiniers
par le Comte de Saxe & Madame
Pocby.
Le premier de ce mois l'Empereur
tint un Confeil d'Etat , dans lequel S.
M. Imperiale donna l'inveftiture de la
Principauté de Montbelliard au Duc de
Wirtemberg Stugart , reprefenté par
Baron de Schutz , & par M. Kleibert ,
fes Plenipotentiaires pour cette ceremonie.
le
Il a paffé à Vienne , & il en eft parti
grand nombre de Pelerins qui vont à
Rome pour gagner les Indulgences du
Jubilé de l'année Sainte de ce nombre
eft un Prêtre de l'Oratoire âgé de 88 .
ans , auquel l'Empereur a bien voulu
donner des Lettres de recommandation.
Le Comte de Daun qui eft parti de
Vienne pour Bruxelles , fuccede nonfeulement
au Marquis de Prié dans le
Gouvernement des Pays- Bas , mais auffi
au Comte de Vehlen dans le commandement
general des troupes.
Le
370 MERCURE DE FRANCE .
Le Nonce du Pape remit ces jours
paffés à l'Empereur le confentement du
Pape pour la levée des Decimes fur les
biens des Ecclefiaftiques des Pays hereditaires
de la Maifon d'Autriche. On
croit que le produit en pourra monter à
deux millions de florins , & qu'il fera
employé aux reparations des fortifications
de la Hongrie & de la Tranfilvanie .
On mande de Berlin que le Roi de
Pruffe a réfolu de faire affembler toutes
fes troupes , que plufieurs Regimens font
déja en marche pour venir de la Curlande
& de la Pomeranie , & qu'on conti
tinuë de faire des levées de foldats dans
les autres Provinces de fa domination.
Les Lettres de Konigsberg portent que
le fameux Gabor , Capitaine de Huflars ,
qui avoit déferté avec toute fa compagnie
, avoit été repris , & qu'il avoit été
condamné par un Confeil de Guerre à
être empalé.
ESPAGNE ET PORTUGAL.
N continue dans les Provinces la
levée des recruës , & l'on compte
que les Regimens de Cavalerie & d'infanterie
feront prêts au premier du mois
de Mai prochain , jour fixé pour la revûë
des Infpecteurs Generaux . Les troupes
qui font actuellement dans ce Royaume ,
&
FEVRIER 1725. 371
& qui confiftent en 12. bataillons du Regiment
des Gardes , 88. bataillons d'Infanterie
ordinaire , trois Compagnies de
Gardes du Corps , 20. Regimens de Cavalerie
& 10. de Dragons , feront complettes
, habillées & armées de neuf en
ce temps -là.
Les Ports d'Espagne font prefentement
garnis d'un nombre fuffifant de Vaiffeaux
pour la fureté des Côtes des Provinces.
Maritimes , & pour celle de la route des
Indes Occidentales : outre les 18. Vaiffeaux
de Guerre , & les 12. Fregates
qui font actuellement en Mer , & les 6,
Vaiffeaux de 70. à 80. pieces de canon
qui font prêts à être lancez à l'eau , on
en vient de mettre en chantier plufieurs
autres qui feront de même force , & qui
pourront être finis ayant la fin de l'année
Courante .
On dit que le Nonce du Pape , à Ma
drid , a reçû la démiffion de l'Evêché de
Malaga , que le Cardinal Alberoni lui a
envoyée , pour le remettre entre les
mains du Roi ,
Les Lettres de Genes portent qu'il y
étoit arrivé un Bâtiment , fur lequel il
y a plufieurs belles Statues & Groupes de
marbre que Sa Majefté Catholique à fair
acheter à Rome pour orner les jardins du
Palais de S. Ildefonſe,
On
372 MERCURE DE FRANCE .
On apprend de Portugal que le 15 .
de ce mois l'Abbé de Livry , Ambaffadeur
de France , à Liſbonne , fit fçavoir à
M. Diego de Mendoça qu'il avoit reçû
ordre de fe retirer fans demander audience
du Roi , fur le refus que ce Prince
avoit fait d'ordonner à ce Secretaire d'Etat
de lui faire la premiere vifite ; ceremonial
qui eft en ufage depuis très - longremps
à la Cour de Portugal , à l'égard
des Ambaffadeurs du Roi très - Chrétien
& qui s'eft auffi pratiqué lors de l'arrivée
de plufieurs autres Miniftres.
On apprend par des Lettres de Saint
Domingue , arrivées à Cadix , que les
deux Vaiſleaux de Guerre Eſpagnols qui
croifoient contre les Forbans le long des
Côtes de l'Ifle , avoient eu le malheur
de perir avec leurs équipages.
ITALIE.
E 6. de l'autre mois M. François Vico
, Evêque d'Eleufa , Secretaire de
la Congregation de la Vifite Apoftolique,
fut nommé Prélat affiftant du Trône , &
prit féance fuivant fon rang.
On apprend de Venife que le Prince
hereditaire de Modene y étoit arrivé le
19. du mois paffé avec la Princelle fon
époufe , pour prendre part aux divertif
femens du Carnaval.
On
FEVRIER 1725.
373
On a déja cblervé qu'il étoit tombé
une très - grande quantité de neige en Piémont
, ce qui a donné lieu au Prince hereditaire
de prendre le divertiffement
d'une courfe de traîneaux , où la plûpart
des Dames de la Cour de Turin fe trouverent
, & elles furent conduites par les
Seigneurs de la Cour du Prince de Piémont.
S. A. R. conduifoit la Princeffe
Ifabelle de Carignan . Les traineaux
étoient précedez des Trompettes & des
Timballes du Palais ; & après qu'on eut
fait plufieurs tours dans la place , les Dames
fe rendirent dans l'appartement de
la Princeffe de Piémont qui leur fit fervir
une magnifique collation : on éprouve
à Turin un froid auffi vif qu'en 1709.
ce qui rend le bois auffi rare que cher.
OnÖn écrit de Genes que la République
a abandonné le projet d'acquifition du
Duché de Maffa , fur le refus que l'Empereur
a fait d'en promettre
l'inveftiture .
On écrit de Naples qu'on y avoit commencé
les encheres de la nouvelle Ferme
du Tabac , & qu'elle a déja été portée à
195000. ducats
par le Marquis Pifcitelli
& fes affociez.
Le Pape a donné au Cardinal Pipia
une Abbaye fituée dans la Calabre de
2500. écus de revenu , qui vaquoit par
la mort du Cardinal Acquaviva,
Sa
374 MERCURE DE FRANCE.
Sa Sainteté a nommé le Chevalier
Olivieri pour porter au Grand- Maître de
Malthe , l'Epée & l'Eftoc qu'elle a benis
le jour de Noël .
Un détachement de la Garnifon de
Ferrare , eft commandé pour aller prendre
poffeffion de la Fortereffe de Commaccio
, dont les Troupes Imperiales ont
ordre de fortir auffi - tôt que le Gouverneur
nommé par le Pape fe prefentera .
Le convoi Espagnol qu'on attendoit à
Porto- Longone , y eft arrivé. Il confifte
en 22. Bâtimens chargez de Soldats de
recruë , de munitions de Guerre & de
provision pour
les magafins de cette place
, dont la garnifon a été confiderablement
augmentée depuis quatre mois .
On affure que l'Empereur a réfolu
d'accorder au Prince Eugene l'inveftiture
de quelque Etat en Italie , afin de donner
plus de relief à la dignité de Vicaire General
, dont ce Prince a été revêtu.
Le Legat de Ferrare ayant été nommé
par le Pape pour recevoir Comaccio
, avec permiffion de fubftituer quelqu'un
en fa place , il a nommé pour cet
effet M. Surbelonie , Vice- Legat , & le
Comte de Pinos , cy - devant Envoyé de
l'Empereur à la Cour de Portugal , a été
choifi par le Comte de Colloredo , Gouverneur
FEVRIER 1725. 375
verneur du Milanois , pour faire la reſtitution
de cette place.
On apprend que la Loterie de Genéve
n'ayant pu être tirée complette le premier
de ce mois , on l'a prorogée jufqu'au
15. du mois de Maiprochain .
Le 21. de l'autre mois le Char de
Triomphe des Boulangers , à Naples ,
fut conduit par la rue de Tolede à la
place du Palais , où il fut abandonné au
peuple , en prefence du Cardinal Viceroi,
& de la principale Nobleffe .
Suivant la lifte qu'on a publiée des
Archevêques & Prélats qui doivent aſfifter
au futur Concile Romain , auquel
le Pape veut donner le nom de Concile
de Latran , il paroît qu'il fera compofé
de fix Cardinaux de l'Ordre des Evêques
, au cas qu'ils puiffent tous s'y trou
ver ; de fept Archevêques ou Evêques
de la campagne de Rome & du patrimoine
de Saint Pierre ; de 12. Evêques de ,
l'Ombrie ; de fept de la Marche d'Ancone
, de 5. du Royaume de Naples , de
60. autres du refte de l'Italie ; des quatre
Archevêques de Sardaigne qui n'ont point
de fuffragans , & de 4. Abbez Italiens ,
indépendans des Evêques , & qui ont Jurifdiction
Epifcopale : le bruit court que
les Generaux des autres Religieux ne fe
ront point admis à ce Concile.
H LG
376 MERCURE DE FRANCE ,
Le 21. du mois dernier le Pape alla
visiter l'Hôpital du S. Efprit in Saffiat
où il donna l'Extrême- Önction à trois
malades agonifans.
?
Le même jour le Cardinal Albani de
Saint Clement , donna dans l'Eglife de
la Conception du Champ de Mars , le
voile de Religion à deux foeurs Jumelles
de la Maifon de Graffis , parentes de ce
Cardinal .
On a publié à Rome une Ordonnance
, par laquelle S. S. défend de donner
l'aumône aux pauvres qui mandient dans
les Eglifes pendant le Service Divin ,
exhortant les particuliers de leur faire
des charitez à la porte des Eglifes.
Le 1. de ce mois le Doge de Veniſe ,
accompagné de la Seigneurie , fe rendit
à l'Eglife de Sainte Marie Formofa ,
pour y acquiter le you de fes prédeceffeurs
fait en 939. à l'occafion d'une victoire
remportée fur les Turcs , & il y
reçût , fuivant l'ufage , le chapeau de
paille , & les deux bouteilles de vin que
les artifans out coutume de lui prefenter .
Le Comte de Gergy , Ambaſſadeur de
France à Venife , donna le 28. du mois
paflé un magnifique repas au Prince Hereditaire
de Modene , à la Princeffe fon
époufe , au Nonce du Pape , à l'Ambaſ
fadeur de l'Empereur , au Receveur de
la
FEVRIER. 1525. 377
Ja Religion de Malthe , au Comte Leopold
de la Tour- Taffis , & à plufieurs autres
perfonnes de la premiere confideration.
On mande de Genes que les frequentes
tempêtes qu'on a effuyées depuis un
mois dans les Mers de la Calabre & de
la Sicile , y ont fait perir plus de 60. bâtimens
de differentes Nations.
GRANDE BRETAGNE
A veuve de l'Avocat Layer , executé

à Tyburn l'année derniere , a époufé
à Londres M. Grahame , Gentilhomme
Ecoffois .
Les Lettres d'Edimbourg portent qu'on
y avoit reçû avis que la Clyde , Riviere
qui paffoit auprès de la Ville de Lancrek,
s'étoit détournée de fon lit , fans qu'on
en ait pû reconnoître la cauſe , & que le
fameux Etang de Coralin , auquel elle
fourniffoit fes eaux , étoit à fec , & que
le peuple y avoit pris avec les mains une
grande quantité de Poiffon,
On mande de Londres que le 26. de
l'autre mois on celebra à la Cour le jour
des Rois : S. M. joua à la Chance Angloiſe
avec plufieurs Seigneurs , felon la
coutume.
On mande auffi de Londres que l'Ambaffadeur
de France a remis à la celebre
Hij Cuz
378 MERCURE DE FRANCE .
Cuzzoni , dont nous avons déja eu occafion
de parler , de la part du Roi fon
Maître , le portrait de S. M. enrichi de
diamans , & un colier de perles , avec
une rofe de diamans , eftimé Iooo . loüis .
Il est arrivé à Londres trois Miffionnaires
que le Roi de Danemark envoye
à la Côte de Malabar , pour y convertir
au Chriftianiſme les naturels du Pays ,
qui ont relation de commerce avec les
Danois établis fur cette côte. Ces trois
particuliers ont été introduits dans l'affemblée
du Clergé d'Angleterre , compofée
de ceux qui ont été choifis pour la
propagation de l'Evangile.
Le 1. de ce mois les Pairs s'étant affemblez
fur quelques accufations portées
contre le Comte de Suffolk , ils le declarerent
coupable d'avoir accordé plufieurs
protections par écrit , ce qui eft
contraire aux privileges de la Chambre
haute , & capable d'interrompre le cours
de la Juftice ordinaire , ils fe déterminerent
à le faire arrêter & conduire à la
Tour , par l'Huiffier de la verge noire ,
pour y demeurer auffi long-temps que la
Chambre le jugera à propos .
On a vendu à Londres depuis peu
pour 16773. livres fterlings de biens confifquez
fur les anciens Directeurs de la
Compagnie de la Mer du Sud,
Le
FEVRIER 1725. 379
Le 10. on y celebra avec les ceremonies
accoutumées , l'anniverſaire du Martyre
du Roi Charles I. L'Evêque de Carlile
prêcha devant les Pairs , le Dr. Lapton
, devant les Communes , & le Docteur
Savage , devant le Lord Maire &
-les Aldermans.
1
On a appris par des Bâtimens arrivez
dernierement de Boſton , dans la nouvelle
Angleterre , que dans la derniere affemblée
generale qui s'y étoit tenuë , il avoit
été réfolu de jetter les fondemens d'une
nouvelle Ville , à laquelle M. Dummer,
Lieutenant Gouverneur & Commandant
du Pays , devoit donner le nom de
Walpool
.
Le 9. de ce mois S. M. Britannique
nomma les 20. jeunes gens qui doivent
être inftruits dans l'Univerfité de Cambridge
, par les Profeffeurs en Hiftoire
& Langues modernes , dont les Chaires
font de nouvelle fondation Royale.
Le Vaiffeau le Roi George , commandé
par le Capitaine Nicholfon , étant parti
du Port Mahon le 14. Decembre dernier ,
a rencontré un Vaiffeau du Port de 600.
tonneaux qu'on fuppofoit François , &
qui étoit chargé de Marchandifes trèsriches
comme il n'y avoit perfonne deffus
, on conjecture qu'ayant chaffé fur ſes
ancres pendant qu'une par ie de l'équi-
H iij page
380 MERCURE DE FRANCE .
page étoit à terre , les Matelots de Garde
l'auront abandonné dans un gros temps ,
de crainte de perir faute de fecours ; le
Capitaine Nicholfon l'a conduit à Pilacaftro
proche de Naples.
HOLLANDE ET PAIS- BAS.
O
N écrit de Bruxelles qu'on a envoyé
à Vienne par ordre de la Cour
Imperiale , une copie tirée dans les archives
de ce pays , du ceremonial obfervé à
l'entrée , & à la reception de l'Infante
Ifabelle , & de l'Archiduc Albert.
On mande auffi que le Prince Alexandre
, fils du Prince de la Tour Taxis,
vient d'être honoré du cordon de l'Ordre
de S. Hubert par fon Alteſſe Electorale
Palatine .
Le 8. de ce mois on celebra à Leyde
avec beaucoup de pompe le troifiéme Jubilé
de cinquante ans de l'établiffement
de l'Univerfité . M. Charles Philippe
Van Dorp , Seigneur de Maafdam &
Mrs Rapelaar , Sautyn & Schagen , Bourgue-
Meftres & Confeillers des Villes de
Dort , d'Amfterdam & d'Alkmaar , s'y
étant rendus pour affifter à cette Fête , le
premier de la part des Nobles d'Hollande
, & les trois autres en qualité de Députez
des Villes de cette Province , furent
complimentez à dix heures du matin
FEVRIER 1725. 38F
tin , dans leur logement , par une dépu
tation du Magiftrat qui les conduifit en
carofle à la Maifon de Ville , où ils furent
reçûs au bas de l'efcalier par les Magiftrats
en Corps . Une Compagnie de la
Milice étoit fous les armes , Enfeignes
déployées , & un détachement de Hallebardiers
accompagnoit le cortege. Une
heure après , les Seigneurs & Députez de
leurs Nobles & Grandes Puiffances , &
Mis les Curateurs & Magiftrats ſe rendirent
proceffionnellement à l'Eglife de
S. Pierre , où ils furent reçûs par le Recteur
magnifique , & les Profeffeurs qui
s'y étoient rendus de l'Académie . Dès
que chacun eut priş fa place , on entendit
un très -beau concert d'inftrumens , qui
fut fuivi d'un Difcours très éloquent prononcé
par M. Fabricius , Profefleur en
Theologie , & dans lequel il traça les
principaux évenemens & progrès de
I'Univerfité de Leyde depuis fon établiffement
. M. Oofterdyk Scacht , Docteur
& Profeffeur en Philofophie & en
Medecine , lût enfuite l'Acte des Etats de
cette Province , confirmant l'Election du
nouveau Recteur magnifique , & Secretaire
de l'Univerfité ; après quoi M. Burmannus
, Profeffeur en Hiftoire & en Rethorique
, monta en Chaire , & recita
un très beau Poëme au fujet de cette
H cere
382 MERCURE DE FRANCE.
ceremonie : il prit en même temps pof
feffion de fa nouvelle Chaire de Profeffeur
en Poëfie. Cette Fête fut terminée
par un fecond concert de Mufique.
Les Députez retournerent enfuite à leur
logement avec les mêmes ceremonies , &
ils y furent regalez magnifiquement à
dîner par le Magiftrat ..
Le Comte de Daun eft arrivé à Bruxelles
le 15. de ce mois pour prendre
poffeffion du Gouvernement des Paysbas
par Interim .
MORTS ET MARIAGES
des Pays Etrangers.
D
Ona Anne Coutinho de Vafconcellos
, fille dé Don Antoine Monteiro
Coutinho , & de Dona Monique de
Vafconcellos , mourut le 5. Novembre
dernier à Outeiro de Cima , Paroiffe de
Sainte Mamcide de Villemarin , Province
de Sobre-Tamaga , Diocèfe de Porto
en Portugal : 23. jours après fon decès
fon corps ayant été trouvé auffi frais , &
auffi flexible que pendant fa vie , le Chapitre
de Porto , le Siege Epifcopal vacant
, manda plufieurs Medecins & Chirurgiens
pour l'examiner ; il fut piqué
, aux
FEVRIER 1725. 383
aux deux bras , & l'on en tira du fang
clair & très - liquide , dans lequel quelques-
uns des affiftans tremperent leurs
mouchoirs , perfuadez que cela ne fe
pouvoit faire fans miracle. Le Curé de
I'Eglife Paroiffiale , où ce corps eft en
dépoft , fit dreffer un procès verbal trèscirconftancié
, il le gna , & le fit figner
par les Medecins & Chirurgiens , & par
le Pere Manuel .Caetano , Docteur en
Theologie , & Qualificateur du S. Office
, qui étoit auffi prefent .
Don Charles Homodey , Marquis d'Almoniacir
& de Caftel - Rodrigo eft mort
à Madrid dans la 72e année de fon âge.
Il avoit été Gentilhomme de la Chambre
du Roi , Grand Ecuyer de la Reine ,
& Confeiller au Confeil d'Etat .
Le Grand Maréchal , Comte de Flemming
, a épouſé à Biali le 9. du mois
paffé , la Princeffe Radzivil.
On a annoncé dans le dernier Mercure
la mort de la Princeffe Dorothée
d'Holſtein Sonderbourg , de la Maifon
Royale de Danemark. Elle étoit veuve
en fecondes nôces du Maréchal , Comte
de Rabutin , Gouverneur de Tranfilvanie
, General des armées de l'Empereur.
Il defcendoit d'une branche cadette de la
Maifon de Rabutin , dont le feu Comte
de Buffi , Meſtre de Camp General de la
Hy Cava384
MERCURE DE FRANCE.
Cavalerie , & Lieutenant General des
Armées du Roi Louis XIV . étoit l'aîné.
Il a laifé plufieurs enfans dont il reſte
encore , l'Evêque de Luçon , la Marquife
de Montataire & deux fours Abbelles.
Jkakakakakakakakakjkjkjkjk *
FRANCE ,
Nouvelles de la Cour , de Paris , & c.
LM
E 1. de ce mois le Roi revint de
Marly coucher au Château de Verfailles
, après avoir chaffé long - temps.
dans le Bois de Boulogne , & avoir pris
quelques rafraichiflemens au Château de
la Meutte.
Le 2. Fête de la Purification de la
Sainte Vierge , les Commandeurs , les
Chevaliers , & les Grands Officiers de
l'Ordre du S. Efprit , fe rendirent vers
les dix heures du matin dans le Cabinet
du Roi , où Sa Majefté tint Chapitre de
l'Ordre . L'Abbé de Pompone , Chanceler
de l'Ordre fit le rapport des preuves
du Duc de S. Pierre , l'un des cinq Seigneurs
Efpagnols qui ont été propofez
pour être Chevaliers dans le Chapitre
du 3. du mois de Juin dernier. Après
Su'lles curent été admifes , le Roi accorda
FEVRIER 1725. 385
corda au Duc de S. Pierre la permiffion
de porter la Croix & le Cordon de l'Ordre
du S. Efprit , jufqu'à Efprit jufqu'à ce qu'il ait
prêté ferment , & reçu le Collier des
mains de S. M. ou de celui qu'elle jupropos
de commettre pour cette
à
gera
ceremonie .
Le Chapitre étant fini le Roi fe rendit
à la Chapelle du Château , étant précedé
du Duc de Bourbon , du Comte de Charolois
, du Comte de Clermont , du Prince
de Conti , du Duc du Maine , du Comte
de Touloufe , & des Commandeurs ,
Chevaliers & Grands Officiers de l'Ordre
. S. M. devant laquelle les deux
Huiffiers de la Chambré portoient leurs
Maffes , étoit en manteau , le Collier de
l'Ordre pardellus , ainfi que les Chevaliers
.
$
Le Roi affifta à la Benediction des
Cierges , à la Proceffion qui fut faite autour
de la Cour du Château , & à la
grande Meffe , celebrée par l'Abbé Tefnieres
, Chapelain ordinaire de la Chapelle
de Mufique. Après la Meffe le Roi
remonta dans fon appartement dans le
même ordre qui avoit été obfervé , lorfque
S. M. en étoit fortie pour fe rendre
à la Chapelle.
L'après - midi le Roi entendit la Prédication
du Pere Quinquet , Theatin , &
H vj
386 MERCURE DE FRANCE:
enfuite les Vêpres chantées par la Mufi
que. Le lendemain 3. S. M. retourna au
Château de Marly.
Le 4. l'Archevêque de Befançon fut
facré dans l'Eglife de la Maiſon Royale
de S. Cyr , par l'ancien Evêque de Frejus
, affifté des Evêques de Séez & de
Soiffons. Le 11. il prêta ferment de fidelité
entre les mains de S. M.
Le 14. jour des Cendres le Roi entendit
la Meffe dans la Chapelle du Château
de Marly , avant laquelle S. M. reçût
les Cendres par les mains du Cardinal
de Rohan , Grand Aumônier de France .
Le 15. jour auquel le Roi entroit dans
fa 16 année , S. M. reçût à cette occafion
les complimens des Princes du fang ,
& des principaux Seigneurs de fa Cour.
Le Pere de Goville , Jefuite , & Miſfionnaire
de la Chine , a eu l'honneur de
prefenter au Roi , au nom des Miffionnaires
, fes Confrerei , differentes curiofiotez
de la Chine , que S. M. a reçû
très-favorablement.
Le 2. de ce mois le Roi figna le contrat
de Mariage du Marquis de Louvois
avec Mile Defmarets , four du Grand
Fauconnier de France.
On mande de la Rochelle que les
tempêtes qui ont regné dans ces derniers
temps , ont caufé quantité de naufrages
fur
FEVRIER 1725. 387
les
violents coups
que
fur cette côte , &
de Mer ont tellement endommagé &
creufé les digues de l'Ile de Ré , qu'elle
feroit en danger d'être fubmergée fi la
Cour n'avoit donné des ordres pour y
faire fans perte de temps
neceffaires .
les
reparations
Pendant le féjour que le Roi a fait à
Marly , S. M. a pris tous les jours le
divertiffement de la Chaffe du Cerf ou du
Sanglier dans la Foreft de S. Germain ,
dans les Bois de Loti auprès de Trielle ,
où le Roi courut le Loup le 15. de ce
mois on prit deux de ces animaux . Le
Duc de Bourbon en avoit pris trois quelques
jours auparavant .
Le Samedi 17. de ce mois le Roi re
vint du Château de Marly à Verfailles ,
après avoir couru le Loup aux Gatines.
Le 18. premier Dimanche de Carême
le Roi entendit dans la Chapelle du
Château de Verſailles , la Meffe chantée
par la Mufique , & l'après - midi S. M.
affifta à la Prédication du Pere Quinquet,
Theatin.
Le 20. le Roi qui joüiffoit d'une parfaite
fanté depuis très-long- temps , s'éveilla
avec de la fiévre ; comme elle
étoit accompagnée de douleur de tête &
d'affoupiffement , on jugea à propos de
faire faigner S. M. vers les quatre heures
$ 88 MERCURE DE FRANCE.
res après - midi . Cette précaution n'ayant
pas empêché la fiévre & l'affoupiffement
d'augmenter vers le foir , on fe détermina
à une feconde faignée qui fut faite au
pied fur les onze heures . Elle fut fuivie
du fuccès qu'on en avoit efperé , & l'on
s'apperçût peu de temps après d'une fenfible
diminution de la fiévre , & des accidens
qui l'accompagnoient.
Le 21. à fix heures du matin le Roi
fe trouva la tête très- libre ; l'alloupiffement
ceffa , & la fiévre diminuant toûjours
de plus en plus dans l'après - midi
S. M. s'endormit le foir d'un fommeil
fort doux qui dura neuf heures fans interruption
.
Le Roi fe réveilla fans fiévre le 22 .
& fe trouva dans fon état naturel . S. M.
fut purgée le z 3. & elle eft parfaitement
rétablie.
Le 1 1. de ce mois , pendant le féjour
de Marly , le Duc d'Antin y donna un
Bal dans fon appartement , où il y eut
une très- magnifique affemblée , & où les
rafraichiffemens les plus exquis furent
fervis en grande abondance. Le Duc d'Epernón
en a donné un auffi à S. Germain
en Laye , où plufieurs Princes , Princeffes
, Seigneurs & Daines de la Cour
fe font trouvez .
On voit cette année à la Foire S. Germain
FEVRIER. 1725. 389
main un ouvrage , executé en papier
blanc découpé , qui peut paffer pour le
triomphe de la patience & de la dexterité
de la main. Ce font 7. Tableaux , d'envi-
Ion 18. pouces fur 12. en quarrée , en
bas relief , où l'on voit à travers une
glace quelques figures , des animaux ,
des arbres , des carroffes , des fontaines
& autres chofes ifolées .
Le 1. reprefente le Château de Loo
en Hollande , où toutes les parties de
l'Architecture , & tous les ornemens font
exactement traitez , & avec une délicateffe
étonnante. On y voit auffi les cours
jardins , parterres , & c .
Le 2. la grande façade du même Château
, avec fes jardins , Boulingrains ,
jets -d'eau , cafcades , & c .
Le 3. le fuperbe Château de Honlaarf
des , en Hollande avec fes jardins , berceaux
, treillages , & c .
Le 4. reprefente une mer agitée par
une violente tempête ; plufieurs Vaiffeaux
, & autres Bâtimens , avec generalement
tous leurs agrès , font prêts à
faire naufrage , & font tous leurs efforts ,
& toutes les manoeuvres pour s'en garantir.
On y remarque fenfiblement la
confternation des matelots , & c.
Le 5. reprefente le port de Mer de
Scheveling , plufieurs Navires , Barques,
Cha
J
390 MERCURE DE FRANCE.
Chaloupes , &c. équipez & armez ; les
uns prêts à partir , mettent à la voile
les autres moüillent l'ancre , & c. Plufieurs
perfonnes à pied , à cheval , & en
carroffe fe promenent fur le rivage .
Les deux derniers Tableaux font les
Portraits en bufte très - reffemblans du feu
Roi Guillaume , & de la Reine Marie ,
fon épeufe , avec tous les ornemens &
les attributs de leur dignité. Le tout a été
executé avec un art , une délicatefle dont
on ne peut fe convaincre que par les
yeux.
La mort de M. le Maréchal , Duc de
la Feuillade ayant donné matiere à divers
difcours touchant fa fucceffion , on a
crû faire plaifir au public de l'inftruire
fur cet article .
Le Maréchal , Duc de la Feüillade , fon
pere , en époufant Charlotte de Gouffier ,
foeur d'Artus de Gouffier , Duc de Rouannois
en 1667. avoit acheté de celui - ci
fon Duché , moyennant la fomme de
400000. livres , & le Roi avoit approuvé
cette vente. Le même Maréchal après
avoir fait ériger la Statue du Roi Louis
XIV. dans la place des Victoires , fit donation
à fon fils , qui vient de mourir
du Comté de la Feuillade , du Vicomté
d'Aubuffon , de deux Baronnies , & de
cinq Châtellenies ; le tout enfemble valant
FEVRIER 1725. 391
lant alors 22000. livres de rente. Cette
donation fut faite fous la condition d'une
fubftitution graduelle & perpetuelle de
mâle en mâle , en gardant l'ordre de pri
mogeniture. Il y ajoûta que fa pofterité
mafculine venant à manquer , ces biens
fubftituez pafferoient avec les mêmes con
ditions aux defcendans en ligne maſcu→
line de Guy d'Aubuffon , dont Jean d'Aubuffon
, Marquis de Mirmont , & Jacques
fon fils étoient les aînez . Ils étoient fepa
rez de la branche des Comtes de la Feuillade
dès l'an 1420.
le
C'est donc Jacques d'Aubuffon , Marquis
de Mirmont , à qui ces terres fub
ftituées font paffées , fon pere étant mort.
Il n'a qu'un fils de fon époufe Françoife
de Chapt-de- Laffion , de la même Maifon
que les Chapt- de - Raftignac , dont eft
M. l'Archevêque de Tours . Ce fils nommé
Hubert d'Aubuffon , eft né le 22 .
'Aouft 1707. & fort des Pages de la
Grande Ecurie du Roi. C'eſt lui
Maréchal de la Feuillade qui vient de
mourir , a inftitué fon legataire univerfel
; ainfi il herite du Duché de Rouannois
, du Marquifat de Boiffy , de quatre
Châtellenies , & de deux autres terres.
Le tout valoit en 1687. 35200. livres
de rente. Si ce jeune Seigneur que l'on
nomme à preſent le Comte de la Feüillaque
de
-
392 MERCURE DE FRANCE.
de, & fon pere venoient à mourir fans erifans
mâles les terres fubftituées palleroient
au Seigneur de Peraut , Georges
d'Aubuffon , coufin iffu de Germain du
pere du nouveau Comte de la Feuillade ;
& comme il n'a point d'enfans ; elles fefoient
après lui pour le Marquis d'Au
buffon , Seigneur de Caftel - nouvel , nommé
André-Jofeph , qui eft Maréchal de
Camp , iffu comme eux de Guy d'Aubuffon.
Il a deux fils de N.... de Vernou ,
Dame de Melziars , fille d'Elifabeth de
Sainte Maure de Jonzac.
Après l'extinction de cette branche ,
faute de mâles , le Maréchal de la Feüillade
, pere , avoit appellé à la fubftitutioni
une autre branche feparée de la fienne
avant l'an 1350. C'eft celle des Seigneurs
de Banfon , mais le feul mâle qui en ref
te , François d'Aubuffon qui vivoit en
1687. lors de la fubftitution , n'a point
d'enfans mâles.
Il eft porté dans le contrat de donation
& de fubftitution , en datte du 29. Juin
1687 confirmé par Lettres Patentes du
Roi du mois de Juillet , regiftrez att
Parlement le 4. du même mois , & partout
ailleurs où befoin étoit , que le pof
feffeur des terres fubftituées , feroit obligé
d'entretenir le monument de la place
des Victoires , & les ornemens qui l'environFÉVRIER
1725. 350
>
ironnoient, d'en faire les reparations , &
autres dépenfes neceffaires , & de faire
redorer la Statue du Roi de 25. en 25
ans , fi les Prevoft & Echevins de la
Ville de Paris le jugeoient neceffaire.
Enfin au défaut de mâles du nom , &
de la Maiſon d'Aubuffon , en ligne mafculine
, ( les filles & leur pofterité étant
exclues , le Maréchal de la Feuillade fit
don des terres fubftituées à la Ville de
Paris , fous la charge exprimée cy- deffus
***
MARIAGES , BAPTES MES
& Morts.
LB
E 29.Janvier Charles- Armand- René,
Duc de la Trimouille & de Thouars ,
Pair de France , Prince de Tarente , Comte
de Laval , & de Montfort , Baron de
Vitré , Marquis d'Attichi , Vicomte de
Berneuil , Premier Gentilhomme de la
Chambre du Roi , Preſident né des États
de Bretagne , fils du feu Duc de la Trimoüille
& de Dame Marie- Magdeline
de la Fayette , âgé de dix -fept ans , a
époufé Marie Victoire Hortenfe de la
Tour d'Auvergne , fille d'Emanuel Theodofe
de la Tour d'Auvergne , Duc de
Bouillon , & c. & de feuë Marie- Victoire-
Ar
194 MERCURE DE FRANCE.
Armande de la Trimouille , âgée de 20
ans la celebration de ce mariage a été
faite par l'Evêque de Soiffons dans la
Chapelie de l'Hôtel de Bouillon .
Le 7. Fevrier 1725. on fit dans l'Egli
fe du College des Quatre Nations la celebration
du mariage de Anne- Pierre de
Harcourt , Marquis de Beuvron , Seigneur
de Tourneville , &c. Lieutenant
General de la Province de Normandie ,
& Gouverneur du Vieux Palais de Rouen,
Meftre de Camp de Cavalerie , fils du
Maréchal Duc de Harcourt , & de Dame
Marie-Anne-Claude Bruflard de Genlis
, Comteffe de Lillebonne , & de Damoiſelle
Therefe-Eulalie de Beaupoil de
S. Aulaire , fille du Marquis de S. Aulaire
, & de Dame Therefe Lambert :
cette celebration a été faite par l'Evêque
n'Auxerre , avec la permiflion de M. le
Cardinal de Noailles , Archevêque de
Paris.
Le 13. du même mois Madame la Comtelle
d'Argenfon accoucha d'un fecond
fils au Palais Royal , lequel a été feulement
ondoyé , Monfeigneur le Duc d'Or
leans , & Madame la Ducheffe d'Orleans,
fon époufe , doivent faire l'honneur à M.
le Comte , & à Madame la Comteffe
d'Argenfon de nommer cet enfant.
Jean de Catelan , Evêque de Valence ,
mouFEVRIER
1725.
395
mourut le mois paffé dans fon Diocèle ,
M. Moyfe -Auguftin de Fontanieu ,
Ecuyer , Secretaire du Roi , Intendant
& Contrôleur General des Meubles de
la Couronne , mort à Paris , âgé de 70.
ans.
François Rafy , Ecuyer , Confeiller &
Secretaire du Roi , mourut le 1. de ce
mois , âgé de 83. ans.
M. Pierre Meliand , Prêtre , Prieur
Commandataire de S. Lommer de Mou,
tiers , & de S. Savinien du Port , le 1 ,
Fevrier, âgé d'environ 65. ans.
Dame Geneviève de Gueribourg , veu
ve de François de Saintauran , Ecuyer ,
ancien Fermier General , mourut le 10 ,
âgée de 78 , ans,
Le 25. de ce mois François de Roye
de la Rochefoucault , Comte de Roye ,
Brigadier des Armées du Roi , Meftre
de Camp d'un Regiment de Cavalerie
eft mort à Paris , âgé de 35. ans.
Marie- Conftance - Adelaïde de Medaillan
de Lefpare de Laffay , veuve d'Alexandre
Gafpard , Comte de Coligni , mort
le 14. Mai 1594. mourut à Paris le 28 ,
du mois , dans la 51e année de fon âge ,
SUR
96 MERGURE DE FRANCE
3
SUPLEMENT.
Extrait d'une Lettre écrite de Malthe , à.
S. E. M. leBailly de Mefmes , en datte
du 17. Decembre 1724.
E Remede de l'Eau vient de faire
LE
>
un nouveau miracle fur le Chevalier
de Levy , fils du Capitaine des Galeres
du Roi il étoit à l'infirmerie accablé
d'une fiévre maligne , muni des Sacremens
, & faifi par les Medecins , dont il
devenoit la victime , fi S. A. E. n'avoit
eu la bonté de leur ordonner de le livrer
au Capucin ou qu'ils répondiffent
de fa vie , fans quoi elle les feroit
fortir de l'Ile : la peur d'être chaf
fez les a fait obéir ; le malade reprit fes
Lens dans deux jours , fes yeux font revenus
, la fiévre prefque ceffée , & je
pourrois affeurer qu'il eft hors de dan
ger. Cette Eau lui fit faire une chrife complette
dans les 24. heures ; il ne prend
encore que des jaunes d'oeufs ; il fera bientôt
aux macarons confromaggio di milan ,
& aux melons d'Eau à la glace. Le Capucin
en entrant dans la chambre du malade , fit
ouvrir fon lit , les fenêtres , & lui fit pren
dre un bonnet fimple. Il faut voir ce que
j'écris
FEVRIER 1725. 397
j'écris pour le croire : je pardonne à ceux
qui me traiteront de vifionnaire ; les Medecins
, Chirurgiens & Apoticaires en ont
la fièvre , & ce n'eft pas fans raiſon ; fi
le remede devient general ils font ruinez,
Autre Lettre , en datte du 22. Decembre,
J'ai eu l'honneur d'écrire à V. E. le 17,
l'état où le trouvoit alors le Chevalier de
Levy , livré trois jours auparavant au
Capucin anti-Medecin , avec les certificats
des Docteurs que leurs remedes ne pouvoient
rien fur la fiévre maligne , le malade
étoit hors de connoiffance depuis le
17. le Capucin le fit peigner & poudrer le
18.on le rafa le 19. il eft fans fièvre , ix fe
meurt d'envie de manger ; il ne prend
encore que fix jaunes d'oeufs par jour, &
de l'Eau fes fenêtres ont toûjours été
ouvertes & fon lit auffi , avec une fimple
couverture & point de bonnet, & une feule
coëffe fur la tête ; il boit & grelotte de froid
dans fon lit , mais fi fort qu'à peine peutil
fe faire entendre. Le Capucin de joyeufe
face en rit , & nous admirons ce que
l'on ne peut comprendre ; j'avoue que
j'ai fouvent envie de croire aux miracles
modernes ; cependant fa maniere de traiter
fes malades n'eft pas uniforme ; il ne
les abandonne ni le jour , ni la nuit , &
;
les
$ 98 MERCURE DE FRANCE.
les obferve long temps , & fouvent au
poulx , aux ongles , aux yeux , & à la
langue , donne de l'Eau à qui n'a pas envie
de boire , en refuſe à qui en ſouhaite ,
& dans d'autres occafions il agit diffe--
remment de tout cela je crois qu'on doit
conclure qu'il y a des regles pour donner
l'Eau , & tous les malades gueris font 2. ~.
4. & 4. mois à l'Eau plus ou moins le
matin & le foir , & regulierement à tous
les repas.
Les Commandeurs Beveren & Guarrena
font gueris à merveille , auffi bien
que tous les autres ; mais pour les fièvres
malignes , & autres , trois jours d'Eau
dans le commencement du mal vous mettent
fur pied.
J'ai éprouvé fouvent après avoir chauffe
le four 24. heures , qu'il n'y paroiffoit
plus 24 heures après, par la vertu de fept
ou huit pintes d'Eau à la glace : indigef
tion , maux de tête tout décampe ; les plus
incredules font forcez d'avouer que
c'eft un grand remede , fi cet homme étoit
à Paris, où il feroit empoisonné , affaffiné
ou le Convent des Capucins feroit dans
un an plus riche que toutes les Chartreufes
de France , furtout s'il fervoit utilement
les Dames dans leur perte , & pour
la petite verole fans marque , il m'a affuré
que fon Eau étoit infaillible,
Le
FEVRIER 1725. 399
Le Chevalier de Levy eſt entierement
gueri , & c.
EXTRAIT d'une Lettre écrite par le
R. P. Caftel , Jefuite , à M. D. L. R.
pour fervir de réponſe à une autre Lettre
fur un effet extraordinaire du Tonnerre¸
inferée dans le Mercure du mois de Janvier
1725.
P
Our la Lettre de Paffi , près d'Evreux
, Monfieur , qui eft dans le
Mercure de Janvier , page 22. je fuis
charmé de l'heureufe fecondité de l'Auteur
anonime , à enfanter de nouvelles
hypothefes que je veux croire propres à
démontrer la poffibilité d'un fait dont j'avois
revoqué , & dont je continuë de revoquer
en doute la realité . Mais j'aimerois
mieux voir proceder cet ingenieux
Auteur par fyftêmes , que par hypothefes.
Les hypothefes ne fixent rien , ou n'établiffent
tout au plus qu'une poffibilité
vague de la chofe . Il faut des faits
pour
établir un fait , ou même une poffibilité
précife & naturelle . Un tourbillon de
l'efprit de vitriol fans aucun 'mêlange de
fouffre , me paroît une de ces chofes fi
nouvelles , que l'Auteur ne peut pas
trouver mauvais qu'on lui en demande
des preuves de fait , foit en general , foit
I dans
400 MERCURE DE FRANCE .
dans le cas en queftion , & puis de quelle
mine le tire- t'il ? dans quelle cornuë le
diftille- t'il ? dans quel recipient le reçoitil
? comment le façonne- t'il en fcie , propre
à fendre l'arbre , & à le fendre en un
inftant. L'Auteur s'écrie : le chêne eft- il
plus difficile à couper que le fer , l'argent
& le cuivre qui pour l'efprit de vitriol ,
lui répondra le moindre Chimifte. Jetteż
dans l'efprit de vitriol du fer , il le coupera
, ou plutôt ( car il faut parler juſle )
il le difloudra ; mais jettez -y du bois &
mille autres fortes de matieres plus molles
que le fer , elles ne recevront aucune
atteinte de ces prétendus rafoirs , ou de
ces fcies. La force d'une chofe en general
ne décide point de fa force en particu
lier. L'efprit de vin eft plus fort que l'eau ,
& ne peut cependant diffoudre la chaux
que l'eau diffout : ce qui diffout le fer ,
le cuivre , l'or , l'argent , ne diffout pas
toûjours le plomb ou l'étain. Le vent coupe
un chêne vigoureux , & ne fait que
gliffer fur un rofeau fouple qui lui obeït .
La foudre confume l'épée , & ne fait
qu'effleurer le foureau . Enfin l'Auteur
de Paffi fait faire tant de mouvemens , &
de mouvemens finguliers au tourbillon
de l'efprit de vitriol , que c'eft merveille
s'il n'en a été témoin oculaire : donneroitil
en ftile d'Hiftorien comme des faits des
chofes
FEVRIER 1725. 401
chofes qu'il n'auroit qu'imaginées dans
fon cabinet . Or dans ce cas je ferois gloire
de me rendre à fon témoignage ; car
je n'ai fait jufqu'ici que fufpendre mon
jugement , de peur qu'on ne me reprochât
d'en avoir fçû plus que la nature , & d'avoir
expliqué en Phificien la generation
de la dent d'or qu'un bon Orfévre n'eut
trouvé que dorée. Je fuis , Monfieur , &c.
A Paris , ce 17. Fevrier 1725.
LETTRE écrite de Gepolis en Pruffe
le 15. Janvier 1725.
E R. P. Caftel , Monfieur , a regalé
Lle public depuis quelque temps d'un
excellent ouvrage fur la Pefanteur univerfelle
des Corps ; il a traité cette matiere
avec une délicateffe de ftile peu
commun le plaifir que j'ai pris à le
lire , a été caufe que j'ai adopté plufieurs
de fes idées fon fyftême ingenieux m'a
fourni des réflexions , fur la maniere dont
nôtre terre fera détruite. Je les réduis à
fix propofitions .
I.
L'univers renferme plufieurs globes
qui pefent tous les uns fur les autres , &
tendent par une force qui leur eft naturelle
à s'approcher du centre.
I ij II.
402 MERCURE DE FRANCE,
I I.
Le centre ne peut être déterminé , parl'on
ne connoît pas exactement
les bornes qui renferment nôtre terre.
ce que
III.
Puifque les corps s'affaiffent tous vers
le centre , l'air qui fe trouve dans le point
qui fait le milieu du centre , contient un
air dont le reffort eft extrêmement bandé .
IV.
Lorfque le reffort de l'air agira tous
les corps feront diffipez par la force élaftique
, & le mouvement caufera un grand
embrafement ; l'équilibre étant rompu
par ce moyen , le monde prendra fa premiere
forme , ou plutôt il n'en ausa
plus.
V.
Nôtre terre a reçû plufieurs chocs confiderables
, ainfi elle eft proche de fa fin.
La Commette qui parut fur la fin du fiecle
paffé étoit fort voifine de nôtre terre
, par confequent les corps ont reçû un
nouveau degré de pefanteur , & ont une
plus grande pente à fe précipiter vers le
centre.
V I.
De tout ceci je conclus que nôtre terre
perira dans peu . Nos ames iront habiter de.
nouveaux Cieux , & de nouvelles terres
apparemment dans quelques Planettes .
Me
FEVRIER 1725. 4.03
> Me voilà , Monfieur , devenu Prophete
fans y penfer , il n'y a pourtant pas
grand'chofe à gagner , fur tout quand
l'on eft Prophete de malheur ; mais , qu'importe
? le peu que je vous en dis ( car ceci
h'eft que l'ébauche d'un fyftême beaucoup
plus fingulier ) vous divertira . Si quelqu'un
eft affez charitable , que de refuter
ces propofitions, il m'obligera.
Mais changeons de propos , & même
de propos bien contraire. Il y a quatre
ou cinq femaines qu'une femme , âgée
environ de 70 ans , qui gagne fa vie à
coudre dans les maiſons , & qui eft originaire
de Vitri en Champagne , a eu fes
regles . Voilà , Monfieur , dequoi ſpeculer
; perfonne n'expliqua un pareil henoméne
, que l'on annonça l'on annonça il y a dix ou
douze ans dans les Memoires de l'Académie
Royale des Sciences, la nature ſemble
prendre plaifir à faire pefter les Fhilofophes
; l'on raiſonne , l'on établit des principes
, des axiomes mêmes , un effet
renverfe tout . Soyez perfuadez , Monfieur
, que
fi les fyftêmes ne donnent pas
des preuves démonſtratives de la validité
de leurs raifons , je fuis prêt à vous prouver
quand il vous plaira , démontrer
même , que je fuis , Monfieur , &c.
C. E. D. C. E. J..
LETI
iij
404 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE en Chanfons de M. Vergier,
à Madame d'H.....
Sur l'Air du Vaudeville : Jean de Vert
C
' Eft à Breft qu'à preſent je fuis ,
Combien loin vous en êtes ;
C'eſt donc à Breft que mes ennuis ,
Je trace en chanfonnettes ;
Les Vers vous en fembleront laids ,
Mais tout eft bon pour des couplets
De Jean de Vert.
Pourquoi ne répondez- vous pas
A ma longue femonce ?
Prétendez- vous que vos appas
Tiennent lieu de réponſe ;
De vos yeux les traits les plus doux
Ne tiennent pas lieu loin de vous
De Jean de Vert.
J'ai fait un fonge plein d'effroi ,
Expliquez- le de grace :
Un enfant, ( c'eft l'Amour , je crois )
Du
FÉVRIER 1725. 405
Du moins c'étoit fa face,
Yous difoit : belle , au fier dedain ,
Il faut que vous brûliez foudain
Pour Jean de Vert.
ces mots un ris gracieux
Eclate en vôtre bouche ,
Et j'ai vû fourire les Cieux ,
Que tant de grace touche
Y penfez- vous ? avez - vous dit :
Quoi ! j'irois brûler à credit
Pour Jean de Vert
Des galans aujourd'hui pour vous
Toute l'ardeur eft vaine ,
Répond cet enfant en courroux ,
Il faut pour vôtre peina
Vous ramener au temps jadis
Et vous aimerez Amadis
Ou Jean de Vert.
M
Undard de feux entortillé ,
Dans vôtre fein il plonge,
I iiij
Alors
406 MERCURE DE FRANCE.
Alors je me fuis éveillé ,
Effrayé par ce fonge ;
J'en fuis encor troublé pour vous ,
Plus que je ne ferois des coups
De Jean de Vert.
Mille beautez d'un doux maintien ,
Ce féjour nous étale ,
Mais on dit , & je n'en fçai rien ,
Que toutes ont la galle ;
Elles peuvent s'aller gratter ,
Je ne m'y veux non plus frotter
Qu'à Jean de Vert.
Qu'un Marquis que vous connoiffez ,
Fait comme un fep de vigne
Aux membres tout entrelaffez
D'elles feroit bien digne !
En fe grattant avec leurs doigts ,
Ils feroient plus de bruit cent fois
Que Jean de Vert . -

Du talon en bas le Marquis ,
Du
FEVRIER 1725. 407
Pour propre je vous donne
Du front en haut tout eft exquis
Et net dans la Bretonne ;
Fi , fi , laiffons-là cette horreur ,
Ils feroient tous manquer le coeur
A Jean de Vert.
Entre vous autres beaux efprits ,
Et Bourgeois du Parnaffe
Pour répondre à mes longs écrits ,
Cottifez-vous , de grace ;
Vous fçavez fi bien plaifanter ,
A mon tour faites - moi chanter
Des Jean de Vert.
>
EXTRAIT d'une Lettre écrite d'Aix,
en Provence le huit Fevrier 1725.
contenant quelques Nouvelles Litteraires.
L
E fieur Jacques Cundier , Graveur
de cette Ville , a gravé une fuite des
Premiers Prefidens en nôtre Parlement
depuis fon érection , qui fut le 4. Juillet
1501. jufqu'à prefent , ce qui fait un
corps de vingt portraits , qui font précedez
d'un frontifpice dédié à M. Lebret ,
I v Les
408 MERCURE DE FRANCE.
Premier Trefident. L'Auteur vend cette
fuite 10. liv .
M. de Haitze que le Journal des Sçavans
du mois de Juin dernier , & le Journal
de Verdun nomment mal - à- propos de
Haitre , & que nous nommons communément
pour adoucir la rudeffe de for
nom d'Hache , fçavant de cette Ville
doit donner au premier jour un Armorial
Confulaire de la Ville d'Aix , qui contiendra
en quatre Tables les Armoiries
des Confuls d'Aix , depuis l'année 1497-
que ces Confuls, qu'on nommoit auparavant
Sindics , furent établis par le Roi
Charles VIII . jufqu'à la prefente année
1725. Il a redreffé en beaucoup d'endroits
les Liftes que nous avions de ces
Confuls , qui étoient imparfaites , & défectueufes.
Cette Charge de Conful eft
fort confiderable chez - nous , parce que
la qualité de Procureur du Païs , qui y
eft attachée , les met à la tête des affaires
de la Province . C'eft un autre Graveur
nommé Coetemans qui y travaille ; nous
avons déja de lui l'Armorial du Parlement,
de la Chambre des Comptes , & des
Tréforiers Generaux de France dans nôtre
Ville.
Ce même M. d'Hache a achevé une
Hiftoire de la Ville d'Aix , à laquelle il
travaille depuis plus de 30. ans . Il a dequoi
1 FEVRIER
1725. 409
quoi en faire deux volumes in fol . de la
feule Hiftoire , fans les preuves qui compoferont
un volume , & même davantage.
L'ouvrage eft rempli de beaucoup de
recherches , qui éclairciront non- feulement
l'Histoire particuliere de cette Ville
que Pitton a traité d'une maniere trèsimparfaite
; mais encore l'Hiftoire generale
de nôtre Province.
Un particulier de Carpentras travaille
à nous donner une Hiftoire Ecclefiaftique
& Civile du Comtat Venaiffin.
Puifque vous agréés mes petites obfervations
, permettez que je vous faſſe remarquer
que la note fur le mot de Palinod
, rapportée dans le Mercure de Septembre
dernier , n'eft pas exacte , & que
l'Auteur quoique du Pays , ne paroît pas
être fort inftruit de fes antiquitez ; le
moyen en effet de comprendre que Palinod
& le Puy fignifient la même chofe ? Il devoit
du moins en expliquer la raifon , &
nous donner l'étimologie de Palinod
comme il a donné celle du Puy. Cependant
s'il eut confulté les Recherches &
Antiquitez de la Province de Neuftrie ,
& des Villes remarquables , & fpecialement
de celle de Caën par le fieur de
Bourgueville , Lieutenant General de
Caen , imprimé dans cette Ville en 1588 .
in 4°. il y auroit vû l'étimologie de Palinod
I vj
410 MERCURE DE FRANCE:
nod , du mot Grec Palinodie , que nous
avons francifé , qui fignifie un chant contraire
à un autre , nom qu'on a donné à
cet établiſſement , parce qu'on y compofe
des chants pour foutenir la Conception
Immaculée , & pour les oppofer à ce que
les Proteftans en ont écrit au contraire.
Le paffage eft très - curieux , au défaut du
Livre qui eſt aſſez rare , vous le trouverez
dans les Memoires Hiftoriques , Politiques
, &c. d'Amelot de la Houſſaye , tome
2. p . 3. à l'art . Caën.
Il vient de s'imprimer un Ouvrage
qui a pour titre le Guidon du Chefd'Oeuvre
de S. Coſme , en 3. vol . in 12 .
qui enfeigne toutes les matieres neceffaires
pour devenir parfait Chirurgien , &
prive les Etudiants en cet Art de faire
une quantité d'écritures inutiles , auffi
bien que tout ce qu'il faut faire , & fçavoir
pour être reçû Maître Chirurgien-
Juré , à Paris , fans être obligé de prendre
certain Guide ou Inftructeur qui ne
donne pas , comme en effet ils n'y font
point obligé, leurs peines pour rien, Cette
ouvrage a été composé par Nicolas de
Janfon , Maître Chirurgien- Juré , à Paris
, rue de la Cordonnerie , quartier des
Halles , qui le fait vendre à fes dépens
par Laurent d'Houry , ruë de la Harpe ,
au
FEVRIER 1725. 411
au S. Efprit , & chez la veuve Horthemels
, rue S. Jacques , au Mecenas.
On imprime chez Piffot Clovis , Poëme
Epique , par M. de S. Difdier , fuivant
l'avis qu'on nous a envoyé. Le fujet
de ce Poëme a été trouvé très- heureux .
Clovis , Fondateur de l'Empire des François
embraffe la Religion Chrétienne , &
l'établit dans fes Etats ; ce fujet eft noble,
interreflant pour la nation , & bien conduit
; les Epiſodes qui fervent à étendre
cette action font très convenables ,
& très- variez , & en s'uniffant parfaitement
au fujet , font connoître également
la juftefle & la fecondité du Poëte. La
verfification en a paru noble , foutenuë &
digne de la majefté du Poëme épique.
>
-
M. du Quet , Ingenieur pour les forces
mouvantes , les hydroliques , les mou
vemens artificiels , & autres fciences concernant
les mécaniques , comme par les
découvertes , dont il eft parlé dans les
Memoires de l'Académie Royale des
Sciences , fur lesquelles le Roi lui a accordé
un Privilege exclufif , pour les
acoustiques qu'il a inventées , au grand
foulagement des perfonnes attaquées de
furdité , vient d'imaginer un Pupitre ,
avec un porte-Plume avec quoi on peut
écrire deux lignes à la fois fur deux feuilles
412 MERCURE DE FRANCE .
les de papiers feparées . En forte qu'on
peut avoir en même temps la copie &
l'original d'un écrit . On montre la poffibilité
de cette nouvelle invention , moyennant
la piece de 13. fols par perfonne
ruë de l'Arbre-fec , au Vafe d'Or.
Les fieurs Lottin , Genneau & Morin ,
rue Saint Jacques , à Saint André , viennent
de donner au public , la Science des
perfonnes de la Cour , de l'Epée & de la
Robbe du fieur de Chevigny, dans laquelle
outre les matieres contenues dans l'édition
précedente , on trouve une Inftruction
beaucoup plus ample fur la Religion
, l'Aftronomie , la Chronologie , la
Geographie , la Guerre , les Fortifications,
le Blazon , & les Fables ; Ouvrage tout
nouveau , enrichi de plufieurs Cartes de
Chronologie , de Genealogie , en taillesdouces
, & augmenté dans cette nouvelle
Edition de divers traitez d'Hiftoire , tant
generales, que particulieres deLogique, de
l'intereft des Princes , du Droit public ,
du Droit Privé , du Manege , des Maxiximes
de Cour ; le tout amené jufqu'à
prefent par M. de Limiers .
L'on peut dire qu'il n'y a gueres de Livre
plus necellaire que celui-ci ; il renferme
dans quatre volumes prefque tout ce qui
eft effentiel de fçavoir dans quelque condition
FEVRIER 1725. 413
dition que l'on fe trouve , & les matieres
y font traitées avec tant de doctrine,
d'agrément & de préciſion , qu'il inftruit
& divertit fans ennuyer. L'on y trouve
dequoi le fatisfaire fur toutes fortes de
fujets. L'Hiftoire ancienne & moderne ,
facrée & profane y eft très-bien enfeignée,
celle de chaque Monarchie , & les differens
interefts des Princes qui les gouvernent
y font parfaitement dévelopés . L'on
y apprend les principes de la Guerre , de
la Marine & du Blazon ; enfin l'on peut
dire que ce Livre eft une Bibliotheque
& qu'il n'y en a point eu jufqu'à prefent
, dont la jeuneffe, furtout, puifle tirer
plus de profit. Voilà l'avis qu'on nous
prie d'inferer ici fur ce Livre.
RECUEIL de Vaudevilles , Madrigaux,
& autres petites Pieces en vers , & en
profe , fervant d'anecdotes à l'Hiftoire de
ee temps , & des derniers Regnes . Avec
des Notes Hiftoriques & des recherches
curieufes.
L'Auteur de ce Recueil nous prie de
le publier avant d'y mettre la derniere
main , & de prier ceux qui ont quelques
morceaux qui pourroient l'enrichir , de
vouloir lui en faire part par le moyen de
l'adreffe du Mercure.
412 MERCURE DE FRANCE.
les de papiers feparées . En forte qu'on
peut avoir en même temps la copie &
l'original d'un écrit . On montre la poffibilité
de cette nouvelle invention , moyennant
la piece de 13. fols par perfonne
rue de l'Arbre -fec , au Vafe d'Or.
Les fieurs Lottin , Genneau & Morin ,
rue Saint Jacques , à Saint André , viennent
de donner au public , la Science des
perfonnes de la Cour , de l'Epée & de la
Robbe du fieur de Chevigny, dans laquelle
outre les matieres contenues dans l'édition
précedente , on trouve une Inftruction
beaucoup plus ample fur la Religion
, l'Aftronomie , la Chronologie , la
Geographie , la Guerre , les Fortifications,
le Blazon , & les Fables ; Ouvrage tout
nouveau , enrichi de plufieurs Cartes de
Chronologie , de Genealogie , en taillesdouces
, & augmenté dans cette nouvelle
Edition de divers traitez d'Hiftoire , tant
generales,que particulieres de Logique , de
l'intereft des Princes , du Droit public
du Droit Privé , du Manege , des Maxiximes
de Cour ; le tout amené juſqu'à
prefent par M. de Limiers.
L'on peut dire qu'il n'y a gueres de Livre
plus neceffaire
que celui-ci ; il renferme
dans quatre volumes
prefque
tout ce qui
eft effentiel de fçavoir dans quelque
condition
FEVRIER 1725. 413
dition que l'on fe trouve , & les matieres
y font traitées avec tant de doctrine ,
d'agrément & de préciſion , qu'il inftruit
& divertit fans ennuyer. L'on y trouve
dequoi le fatisfaire fur toutes fortes de
fujets. L'Hiftoire ancienne & moderne ,
facrée & profane y eft très -bien enfeignée,
celle de chaque Monarchie , & les differens
interefts des Princes qui les gouvernent
y font parfaitement dévelopés . L'on
y apprend les principes de la Guerre , de
Ía Marine & du Blazon ; enfin l'on peut
dire que ce Livre eft une Bibliotheque
& qu'il n'y en a point eu jufqu'à prefent
, dont la jeuneffe, furtout , puifle tirer
plus de profit . Voilà l'avis qu'on nous
prie d'inferer ici fur ce Livre.
RECUEIL de Vaudevilles , Madrigaux,
& autres petites Pieces en vers , & en
profe , fervant d'anecdotes à l'Hiftoire de
ee temps , & des derniers Regnes . Avec
des Notes Hiftoriques & des recherches
curieuſes .
L'Auteur de ce Recueil nous prie de
le publier avant d'y mettre la derniere
main , & de prier ceux qui ont quelques
morceaux qui pourroient l'enrichir , de
vouloir lui en faire part par le moyen de
l'adreffe du Mercure.
414 MERCURE DE FRANCE.
A Madame G. fur la mort de fon fils
unique , qui n'avoit que 4. ans.
V
On fait parler le fils.
Ous par qui j'ai vû la clarté ,
Dont je viens de perdre l'ufage ,
Ceffez de me pleurer ; quand on meurt à mon
âge ,
On doit être peu regretté .
Jugez de la grandeur de ma felicité ,
De vôtre Hymen unique gage ,
Malgré ma fenfibilité ,
Pour tout ce qui pouvoit vous toucher da
vantage ,
Malgré tout le chagrin que je vous ai couté ,
Je me vois loin de vous fans en être attrifté ;
Ne vous étonnez pas de ce nouveau langage ,
J'ai paffé dans les bras de la Divinité ,
Et vous n'en êtes que l'image.
D. S.
PARAFEVRIER
1725. 418
PARODIE , fur l'Air noté de la Mufette
inferé dans le mois de Janvier 1725.
J'Ai perdu mon Afne ,
Difoit la plaintive Jeanne ,
Grands Dieux , quel malheur į
Quand je me retrace ,
Sa force & fa grace ,
J'en meurs de douleur.
Un jour dans un boccage ,
Le traître Amour l'attira ,
Miniftre de carnage ,
Dans fa rage ,
Un Loup le dévora
J'ai perdu , & c.
La mort , le puis - je croire !
A tranché fés jours ,
L'Afne mes amours
Va boire
L'onde noire,
Et mon époux vit toûjours.
J'ai perdu , & c.
On donnera le mois prochain un Extrait
416 MERCURE DE FRANCE.
trait de la Piece qu'on a joué à l'Opera
Comique de la Foire S. Germain , intitu
lée Pierrot , Perrette , & d'une autre en
un Acte , qui vient d'y être reprefentée ,
fous le titre des Quatre Mariamnes. C'eſt
un Vaudeville du temps , qui , à en juger
par la premiere repreſentation, attirera un
grand concours .
Le Public eft averti qu'il y a deux
beaux Buftes de bronze à vendre , l'un
du Roi Louis XIV. & l'autre de la Reine
, fon époufe , avec leurs piedeftaux de
bronze . Ces Buftes ont un peu plus d'un
pied de hauteur , fans le piedeftal , ils
font chez M. Roland , Bourgeois dans la
rue Pavée , Paroiffe S. Euftache ; M. Roland
demeure chez le fieur Duval , Maître
Bourlier , au fecond appartement.
EDITS , ARRESTS , & c.
DIT du Roi , portant création d'un fix ié
me Office d'Intendant des Finances . Donné
à Verfailles au mois de Janvier 1725. regiftré
en la Chambre des Comptes le premier Fevrier
, à la même finance , aux mêmes gages ,
fonctions , droits , honneurs , privileges &
prérogatives , entrées , rangs & féances aux
Confeils d'Etat & Privé , & direction des Finances
, dont jouiffent les cinq Intendans de
Octobre.
FEVRIER 1725. 417,
Finances, créées par Edit de Mars 1722. S. M.
difpenfe le premier pourvû dudit Office d '
payement du droit de furvivance pour cette
premiere fois feulement .
ARREST de la Cour des Aydes du 5. Janvier
1725. qui condamne le nommé Philbert Chapotin
, Cabaretier au Bourg d'Irancy , au
payement du double Droit de Huitiéme &
Détail de quarante- une Feuillettes de Vin ,
levées de chez lui , fans avoir au préalable été
démarquées par les Commis du Fermier.
en-
ARREST du Confeil d'Etat du Roi , le premier
caffe une Sentence des Elûs de S. Jean
d'Angely , confifque les Vins , Eau - de-Vie &
Uftanciles faifis fur le fieur David , Seigneur
d'Annezay , & le condamne en cinq cens livres
d'amende pour avoir fabriqué des Eauxde-
Vie fans declaration. Et le fecond déboute
ledit fieur d'Annezay de fon oppofition audit
Arreft ; & ordonne qu'il payera le Droit
Annuel autant de temps qu'il fera fabriquer
des Eaux -de Vies des Vins provenans de fon
crû. Des 4. Juillet 1724. & 9 Janvier 1725.
ARREST de la Cour de Parlement , du 17.
Janvier 1725. qui fait défenfes aux Procureurs
d'obtenir aucuns Arrefts de défenfes fur des
extraits ou copies de Sentences non expediées
ni fignifiées.
ARREST du 23. Janvier , rendu en faveur
du fieur le Blanc , Grand Audiancier de France.
Par lequel Sa Majefté l'a déchargé & décharge
du payement de la fomme de fept millions
huit cens quatre-vingt-cinq mille trois
cens trente-cinq livres , pour laquelle il a été
des
418 MERCURE DE FRANCE .
émployé dans le Rôle d'Impofition à Titre de
Supplement deCapitation extraordinaire.
ARREST du même jour , qui ordonne à
tous Orfévres , & autres Ouvriers travaillans
les matieres d'Or & d'Argent , d'apporter au
Bureau de Charles Cordier , chargé de la Regie
des Fermes Generales , tous les Ouvrages d'Or
& d'Argent deftinez à être ellayez & marquez
du Poinèon de la Maiſon commune defdits
Orfévres , avant d'être portez audit Bureau de
la Maiſon commune , pour être lesdites Matieres
& Ouvrages marquez du Poinçon de
charge dudit Cordier ; & défend aux Maî res-
Gardes de l'Orfévrerie , de faire aucuns Effais,
qu'ils ne leur ayent parus marquez dudit Poinçon
de charge , à peine de cinq cens livres
d'amende , & c.
CATALOGUE des Mercures imprime
depuis l'année 1720. jusqu'à prefent.
A
Nnée 1720. 12. vol.
Année 1721 . 12. vol.
Janvier & Fevrier 1722. 2. vol.
Mars
1722.
2. vol.
Avril .
1. vol.
Mai. 2. vol.
Juin , Juillet & Aouft.
3. vol.
Septembre. 2. vol.
Octobre.
1. vol.
Novembre.
2. vol.
Decembre.
I. vol.
Année 1723. le mois de Decembre double.
13. vol.
FEVRIER 1725. 4.19
Année 1724. les mois de Juin & Decembre
double.
Janvier & Fevrier 1725 .
14. vol.
2. vol.
69. vol.
On fera une compofition raifonnable
à ceux qui prendront la fuite entiere.
J
APPROBATION.
'Ay lû par ordre de Monfeigneur le Garde
des Sceaux le Mercure de France du mois
de Fevrier , & j'ay crû qu'on pouvoit en
permettre l'impreffion, A Paris , le 6. Mars
1725:
HARDION.
TABLE
Pleces Fugitives , Epître de M. Vergier,
Suite de la nouvelle Portugaife,
La Pareffe , Ode.
Lettre fur la Pucelle d'Orleans.
Paraphrafe fur le Pfeaume 136.
Examen de la Critique de Berenice.
Compliment en vers à M. l'E. d'A.
Lettre du P. Buffier , au ſujet des Premieres
Veritez
209
214
234
24X
250
254
277
172
420
Ode , imitée d'Horace.
290
Remarques fur une Epitaphe de Philippe le
Bon.
Défi , Bouts- rimez.
291
305
Sur la queftion propoſée , qui eſt le plus malheureux
, & c.
Vers à M. de Roc *** & c.
Obfervation Anatomique.
Enigmes. *
306
311
313
316
319 Arieta , Air Italien.
Nouvelles Litteraires , & c. Oraiſon Funebre
du Roi d'Espagne.
Académie univerfelle des Jeux , & c
Ibid.
328
330
Differtation fur les Tombeaux de Quarrée ,
& c.
Lettre fur la Saignée du Pied , & c. 334
Nouveaux Memoires fur l'Etat prefent de la
Ruffie , & c. 336
Difcours prononcez à la reception du Premier
Prefident à l'Académie Françoiſe. 342
Medaille gravée du Roi du premier jour de
l'an. 347
Spectacles , Mariamne , Tragedie nouvelle ,
& c.
Opera Comique , les Chimeres , &c.
Parodie d'Armide aux Italiens .
348.
Ibid.
311
Le Faucon , & les Oyes de Boccace , idem . 355-
Vaudeville , l'air noté page 319 .
L'Opera
363
365
Nouvelles du Temps , de Turquie , Ruffie , & c.
366
Morts & Mariages des Pays Etrangers , &c.
Journal de la Cour , de Paris , &c.
Tableaux de papier découpé.
Succeffion du Maréchal de la Feuillade.
Mariages , Morts , &c,
382
384
388
390
393
Supplement. Lettre de Malthe fur le remede
de l'Eau à la glace.
398
Réponſe fur un effet du Tonnerre , &c. 399
Lettre écrite de Pruffe , & c.
Lettre en Chanſon .
401
404
Extrait de Lettre fur quelques nouvelles Litteraires.
Vers à Mad. fur la mort de fon fils .
407
114
Parodie badine. J'ai perdu mon Afne , &c. 415
Edits ; Arrefts , &c. 417
L
Errata du 1. vol. de Decembre dernier.
Age 2673. ligne 2. Queraud , lifez Que-
PArard .
Ibid . ligne 25. Cuée , lifez Cucé .
Errata de Janvier.
Age 71. ligne 19 diluties , lifez dilutus.
Page 71. figne 2. alto , lifez alta .
Ibid. ligne s . ramelia , lifez ramalia.
Page 80. ligne 11. qu'on puiffe appliquer , lifez
qu'on puiffe même appliquer.
Page 90. ligne 25. primoribufce , lifez primoribus
ex .
Page 91. ligne 8. prennent , lifez prenoient.
Page 92 la citation (a ) doit être placée après .
Le mot Arrianus & la citation (6) après le
mot Pline.
Page 95 ligne 5. fe cacher , lifex fe cache,
Page 97. ligne 11 ne put , lifez ne peut
Ibid. ligne 14. encore , lifez encor,
Page 102. ligne 25. Armez , lifex Armes.
Page 11. ligne 10. & ils ne doit , lifez & on
ne doit.
Page 111. ligne 11. la prendre , Ibid. les pren,
dre.
Page 116. miffionnaire , lifez Miffionnaire.
Page 119 ligne 19. La Roche , lifez la Roche,
Ibid. ligne derniere , Frêtre , lifez Piettre.
Page 121. ligne 3. Carpenteriana , lifez Car,
pentariana.
Page 185. ligne 11. à Pré , lifez à Préy.
Page 187. ligne 1. font cet Empereur , lifez de
cet.
Page 188. ligne 1. effacez fi.
Page 189. ligne 4. Effert , lifex Effert
Page 191. ligne 3. que fimple , lifez qui fimple,
Faures à corriger dans ce Livre.
Age 220. ligne 8. l'arrivée , lifez l'entrée,
Page 2236 ligne 6. du bas fauffes , lifez
mauvaiſes.
Page 227 ligne 18. pefante , lifez ſenſible,
Page 259. ligne 4. contre , lifez conter .
Page 265 ligne 17. Courtifanes , lifiz Cour
tifans .
Page 314 ligne 23. de ôtez ce mot.
Page 323 ligne 24. revelent, lifez reverent.
Page 330 ligne 6. Lifette , lifex Sifette.
319 L'Air noté doit regarder la page
La Medaille du Roi doit regarder la pagé347
MERCURE
DE
FRANCE ,
DEDIE A
ROT
MARS 1725.
QUE COLLIGIT SPARGIT.
A
PARIS ,
( GUILLAUME CAVELIER , au Palais.
GUILLAUME CAVFLIER , fils , rue
Chez S.Jacques , au Lys d'Or.
NOEL PISSOT, Quay des Auguftins , à la
defcente du Pont-neuf, à la Croix d'Or
M DC C. XXV.
Avec Approbation & Privilege du Roi.
Page 102. ligne 25. Armez , lifez Armes .
Page 111. ligne 10. & ils ne doit , lifez & on
ne doit.
Page 111. ligne 11. la prendre , Ibid . les pren,
dre.
Page 116. miffionnaire , lifez Miffionnaire.
Page 119 ligne 19. La Roche , lifez la Roche,
Ibid. ligne derniere , Frêtre , lifez Piettre.
Page 121. ligne 3. Carpenteriana , lifez Car,
pentariana.
Page 185. ligne 11. à Pré , lifez à Préy.
Page 187. ligne 1.font cet Empereur , lifez de
cet.
Page 188. ligne 1. effacez fi.
Page 189. ligne 4. Effert , lifez Effert
Page 191. ligne 3. que fimple , lifez qui fimple,
Faures à corriger dans ce Livre.
Age 220. ligne 8. l'arrivée , lifez l'entrée,
Page 2234 ligne 6. du bas fauffes , lifes
mauvaiſes.
Page 227 ligne 18. pefante , lifez fenfible,
Page 259. ligne 4. contre , lifez conter .
Page 265 ligne 17. Courtifanes , lifiz Cour
tifans.
Page 314 ligne 23. de ôtez ce mot.
Page 323 ligne 24. revelent, lifez reverent,
Page 330 ligne 6. Lifette , lifez Sifette.
319 L'Air noté doit regarder la page
La Medaille du Roi doit regarder la page347
MERCURE
DE
FRANCE ,
DEDIE AU
ROT
MARS 1725.
QUE COLLIGIT SPARGIT.
A PARIS ,
( GUILLAUME CAVELIER , au Palais.
I GUILLAUME CAVFLIER , fils ruë
Chez S. Jacques , au Lys d'Or.
,
NOEL PISSOT, Quay desAuguftins, à la
defcente du Pont-neuf, à la Croix d'Or
M DC C. XXV.
Avec Approbation & Privilege du Roi.
L'AD
A VIS.
' ADRESSE generale pour toutes
chofes eft M. M à M.
MOREAU ;
Commis au Mercure , chez M. le Com
miffaire le Comte , vis - à- vis la Comedie
Françoife , à Paris . Ceux qui pour leur
commodité voudront remettre leurs Paquets
cachetez aux Libraires qui vendent le
Mercure à Paris , peuvent fe fervir de
cette voye pour les faire tenir.
On prie très - inftamment , quand on
adreffe des Lettres ou Paquets par la Pofte,
d'avoir foin d'en affranchir le Port ,
comme cela s'eft toûjours pratiqué , afin
d'épargner , à nous le déplaifir de les
rebuter , & à ceux qui les envoyent ,
celui , non feulement de ne pas voir
paroître leurs Ouvrages , mais même de
Les perdre , s'ils n'en ont pas gardé de
copie.
Les Libraires des Provinces & des Pays
Etrangers , ou les particuliers qui fouhaiteront
avoir le Mercure de France de
la premiere main , & plus promptement ,
n'auront qu'à donner leurs adreffes à M.
Moreau , qui aura foin de faire leurs paquets
fans perte de temps , & de les faire
porter fur l'heure à la Pofte , ou aux Mef
fageries qu'on lui indiquera.
fols
Le prix eft de 30.
421
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU
ROT
MARS 1725 .
XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX
PIECES FUGITIVES ,
en Vers & en Profe.
LA SAGESSE
VICTORIEUSE DE L'AMOUR.
L
Cantate.
'Alcion annonçoit la fuite de l'orage
,
Par des chants que Zephir difperfé
fur les flots ,
Quand la Déeffe de Paphos
A ij Ap422
MERCURE DE FRANCE .
Apperçût Telemaque échappé du naufrage.
Quoi ! verrai - je toûjours , dit- elle , l'oeil en
feu ,
Ce refte d'un fang que j'abhore ›
Ah! les vents déchaînez ne font pour lui
qu'un jeu :
Vangeons-nous autrement , mon fils me refte
encore.
Vole , amour , un audacieux
Veut réfifter à ta puiſſance ;
Fais lui trouver en deux beaux yeux,
L'écüeil de fon indifference.
C'est ainsi que par fes mépris ,
Uliffe excita ma colere ;
Que tes feux vangent fur le fils ,
L'injure que nous fit fon pere.
Elle dit , auffi - tôt par la route des airs
Le Dieu vient fondre fur ces rives
Où le jeune Heros aux Nimphes attentives ,
Racontoit fes malheurs divers.
Ces tranquilles objets , la gloire de Cithere ,
Tout l'excite à feryir le couroux de fa mere ;
Ụn
MARS 1725: 423
Un trait vole , l'air fiffle , & c'est pour Eucharis
Que d'un trouble fubit Telemaque eft furpris.
Tu croyois triompher , implacable Déeffe ;
Déja la tendre Nimphe ébranloit fa fierté ;
Mais bien- tôt ce difcours par Minerve dicté ,
Le fait rougir de ſa foibleſſe.
L'amour vous retient en ces lieux
Dans une lâche moleffe ,
Brifez fes liens odieux ,
Fuyez , fuyez , le temps preffe ,
Le Heros qui veut confulter
Souvent hazarde fa gloire ;
Fuir ce Tiran fans l'écouter ,
C'eft remporter la victoire.
3
Ainfi parle Mentor , Telemaque à l'inftant
Reffent dans fon ame tranquille
Ce courage mâle & conftant ,
>
Qui ſoutient Heros contre l'homme fragile
Partons , dit - il, mais Dieux ! la flâme a
dévoré
A iij
Le
424 MERCURE DE FRANCE.
Le vaiffeau que pour nous on avoit préparé. ·
Amour , ce dernier trait va te couvrir de
honte ;
Celui qui fçût braver la Reine d'Amathonte :
Qui dédaigne l'éclat de l'immortalité ,
Ne craint point les fureurs de Neptune irrité.
A ces mots le Heros ſe jettant à la nage ,
S'éloigne avec Mentor de la funefte plage.
Les traits des foibles amours
Se brifent contre l'Egide ;
Le Triomphe fuit toûjours ,
L'effort d'un coeur dont Minerve eft le guide.
Envain ces Dieux en couroux ,
Se liguent pour le combattre ;
La vertu brave leurs coups ,
On la furprend , mais on ne peut l'abattre.
P. J. M ***** de Blois.
LET.
MARS 1725. 423
LETTRE écrite aux Auteurs du Mercure
de France , par M. de Coutures , Ecuyer,
Confeiller du Roi , Juge Royal , Civil ,
Criminel , & de Police de la Prevôté
Royale de Barfac , près Bordeaux , fur
un tombeau qui y a été découvert au
mois de Decembre dernier.
V
Ous invitez fi obligeamment, Meffleurs
, tous les Curieux de vous
faire de leurs découvertes , que je
part
ne croi pas devoir perdre un moment à
vous informer de celle qui s'eft faite le
mois paffé dans mon voiſinage , à l'une
des extrêmitez du Bourg de Barfac , entre
Bordeaux & Langon , par des Maffons
qui travailloient à creufer un Puits . Comme
la chofe m'a paru finguliere , & que
je pourrois me tromper dans mes conjectures
, je vous ferai infiniment obligé ,
Meffieurs , fi vous voulez bien rendre
ma Lettre publique , afin d'avoir là - deffus
le fentiment des fçavans , & fi vous
voulez bien en particulier prendre la
peine de me marquer ce que vous en
penfez.
Les Ouvriers dont je viens d'avoir
l'honneur de vous parler , ayant tracé
A iiij une
428 MERCURE DE FRANCE .
une affez grande circonference de terrain
pour enlever les premieres terres avec
plus de facilité , découvrirent à fix pieds
ou environ de profondeur des morceaux
de grandes briques , avec quelques offemens
, qui leur donnerent occafion de
travailler avec un peu plus d'attention s
fi bien qu'ayant remué les terres & le
gravier de cet endroit , en gens qui
comptoient trouver quelque tréfor , ils
furent arrêtez à la vûë d'un tombeau de
brique , enchaffé , pour ainfi dire , dans
une veine de fable très - fin . Ayant eu
avis de cette découverte , je me rendis
dans le moment fur le lieu , où je trouvai
une infinité de perfonnes de tout âge &
de tout fexe , qui étoient accourus au
bruit de cette découverte. J'étois accompagné
de M. N. le Doulx , Curé du
lieu , F. Fiffon , Medecin , Benoît, l'un de
nos Chirurgiens , & de plufieurs autres
perfonnes , avec lefquels étant defcendu
dans le creux en queſtion , nous y trouvâmes
une partie d'un tombeau , conſtruit
de grandes briques adoffées fans aucune
apparence de ciment .
Comme ce tombeau m'a paru fingulier
dans fon efpece , & que cela a donné occafion
à difputer fur le temps qu'il pouvoit
y avoir été mis , j'ai pris d'abord le
parti d'en faire la defcription ; & après
avoir
MARS 1725. 429
avoir ramaffé ce qui pouvoit fervir à
mon deflein , j'ai réfolu , Meffieurs , de
vous faire part de cette nouveauté pour
vous prier très - humblement de nous dire
ce que vous pensez à ce fujet , je fuis
perfuadé en même temps que les Curieux
feront bien aifes de trouver la defcription
de ce tombeau dans vôtre Journal ; ainſi
je vous prie de leur en faire part , les
Relations que vous avez par tous les endroits
où il y a des Sçavans & des Curieux
, nous promettent bien des éclairciffemens
qu'on n'oferoit attendre d'ailleurs
, n'étant pas vrai - femblable , qu'il
ne fe foit trouvé jufqu'à prefent quelque
chofe d'approchant , j'ai joint à ma Lettre
un profil du tombeau en queſtion
fuivant ce qui en reftoit lorfque j'arrivai
dans l'endroit où il fut trouvé , afin
que
vous puiffiez le faire graver pour en reprefenter
la figure à ceux qui liront vôtre
Journal , dans lequel vous aurez fait
inferer la deſcription que je vous envoye.
A v J'ai
430 MERCURE DE FRANCE .
B
A Ouverture du Tombeau .
B Briques de la Couverture .
C Corps du Tombeau.
MARS 1725 . 431
J'ai exactement mefuré les briques
dont ce tombeau étoit compofé , & j'ai
trouvé qu'elles ont un pied & quatre
pouces de hauteur , fur un pied ou environ
de largeur , & un pouce & demi d'épaiſſeur
, avec un rebord de chaque côté.
Elles étoient rangées de maniere , que fe
joignant de chaque côté par le haut ,
elles s'écartoient en bas de la largeur des
briques qui fervoient de fondement au
tombeau , fe portant ainfi les unes fur
les autres de haut en bas , au moyen du
rebord dont j'ai parlé qui les empêchoit
de varier , ce qui faifoit à peu près la
figure de deux cartes à jouer qu'on appuiroit
par le haut fur une table , ou
bien celle d'un delta ▲ ou triangle , fi
l'on veut fe reprefenter ce tombeau par
les deux points de vûë du profil , & des
extrêmitez .
Nous avons jugé par la proportion de
ce qui reftoit de ce tombeau , qu'il devoit
avoir cinq pieds & demi ou environ
de longueur , & qu'il étoit conftruit de
vingt- fix briques pour toutes fes dimenfions
; il y en avoit 4. de chaque côté ,
rangées de fuite qui couvroient immediatement
le corps , 4. autres auffi de
chaque côté pardeffus les premieres accrochées
les unes aux autres par le rebord
dont j'ai parlé , 4. qui en couvroient le
faîte
A vj
432 MERCURE DE FRANCE .
fai e , quatre pardeffous qui fervoient de
fondement à cette efpece d'édifice , &
une pour chaque extrêmité .
Quoique ce tombeau parut fermé avec
tant de précaution , nous avons remarqué
neanmoins que les offemens qui y
étoient renfermez étoient entierement
couverts d'une espece de fable fin qui en
occupoit toute la capacité , & qu'il y étoit
aufli preffé , que s'il y eut été mis à
deffein. Cependant il n'y a pas d'apparence
que ce fable eut pû s'introduire
dans ce tombeau , puifque les briques
dont il étoit fait , étoient jointes l'une à
l'autre , & qu'on avoit eu foin de le couvrir
pardellus avec une rangée d'autres
briques qui regnoient le long de l'affemblage
où fe formoit le dos - d'âne. Que de
plus les deux extrêmitez en étoient pareillement
bouchées par une brique mife
à chaque bout ; & que celles de deffous
étant rangées de même , il fembloit que
ce tombeau fut d'une feule piece. On
pourroit donc croire que c'étoit un fable
préparé pour la confervation du corps
qui y avoit été mis , à moins qu'on ne
veülle dire , que les eaux ayant filtré ce
fable par la fucceffion des temps ,
s'y foit ammoncelé peu peu , par des
fentes ou petites feparations impercepti
à
il ne
bles.
Quoi
MARS 1725.
433
Quoiqu'il en foit , tout l'efpace , ou la
cavité de ce tombeau étoit tellement
rempli qu'il ne reftoit pas le moindre
vuide entre les offemens & le fable qui
les couvroit , ce qui ne contribuoit pas
peu à la folidité de ce tombeau , également
ferré de tous côtez , lequel devoit
encore fupporter tout le poids de la terre
dont il étoit couvert.
Tout cela m'a paru fi nouveau , que je
n'ai point d'idée d'avoir vû rien de femblable
dans mes voyages , quoique ma
curiofité m'ait porté dans les endroits
les plus fameux de l'Europe , de l'Afie
, & de l'Afrique . Perfonne n'ignore
que les peuples les plus barbares ont
cherché à s'immortalifer
par les honneurs
funebres qu'ils rendoient à leurs
morts . On ne doit donc pas être furpris
de ce qu'ont fait à cet égard ceux qui
ont eu de la Religion , & par confequent
des ceremonies
dans la maniere d'enterrer
les morts , il en refte une infinité de
marques depuis l'antiquité
la plus reculée
jufqu'à nous , dans le grand nombre
des Pyramides d'Egypte , dans celui des
Urnes & des Maufolées des Fheniciens
,
des Grecs & des Romains .
Parmi une grande diverfité de tombeaux
, je n'en ai poin: vû , Meffieurs ,
de femblable à celui dont je vous envoye
la
434 MERCURE DE FRANCE.
la defcription . Quelques perfonnes dignes
de foi m'ont bien affuré qu'il s'étoit
trouvé des briques à peu près de l'efpece
de celles du tombeau en queftion dans un
champ qui n'eft pas fort éloigné de celui
dont je vous parle , mais je n'ai pas oüi
dire qu'on y ait vû des offemens . On m'a
encore affuré qu'il s'en étoit trouvé de
pareilles , ou du moins à peu près de
femblables dans une plaine voiline de
Sainte Livrade , ce qui prouveroit que
ces fortes de briques ont été autrefois employées
à quelque ufage ; mais la difficulté
reftera toûjours de fçavoir en quel
temps on s'en eft fervi pour conftruire
des tombeaux , dans quel pays on en a
ufé , & s'ils ont été employez indifferemment
pour tous les morts qu'on vouloit
mettre en terre. Je ne fçache point
qu'on en ait découvert de femblable dans
les Cimetieres d'Arles , ni dans celui de
Saint Seurin - les- Bordeaux qui font les
plus renommez du Royaume. On trouva
dans le dernier il y a quelques années
une chofe affez extraordinaire . C'etoit un
grand cercueil de plomb , dans lequel il
y en avoit cinq petits tout autour avec
une bouteille de vin bien confervé auprès
de la tête. Il y a quelque apparence
c'étoit le tombeau de toute la famille.
Au refle , Meffieurs , il paroît qu'on
que
avoit
MARS 1725: 435
avoit pris de grandes précautions pour
cacher les cendres de cet Inconnu , puifqu'il
avoit été mis dans un terrain libre,
& à une profondeur affez confiderable ,
pour devoir croire , qu'on n'iroit jamais
troubler fes manes en violant fon fepulcre.
On a jugé par la figure de la tête ,
& la proportion des offemens , que ce
devoit être ceux d'un jeune homine de
vingt ans , ou environ , on n'a point découvert
d'autres tombeaux dans le terrain
d'alentour , quoiqu'on ait agrandi à deffein
la circonference du trou juſqu'à
cinquante pieds de diametre , & il n'a
paru aucun indice pour tirer des conjectures
raifonnables fur le temps que ce
tombeau a été mis dans cet endroit , n'y
ayant paru d'autre marque qu'une maniere
de chiffre formé fur une des briques
par des traits entrelaffez , qui formoient
dans leurs contours une espece de double
S..
S'il y a eu de l'étonnement , Meffieurs,
fur la forme & fur la matiere du tombeau
, dont j'ai l'honneur de vous parler
, il n'y a pas eu moins de partage dans
les idées qu'on a eu pour la qualification
de celui qu'il enfermoit ; les uns en ont
fait un Martyr , les autres un Idolâtre ;
d'autres enfin un Huguenot , ou un peftiferé
, fi-bien qu'on a trouvé dans le mê
me
436 MERCURE DE FRANCE.
me fujet dequoi raffembler le facré &
le profane , fans ofer toutefois fe déterminer.
pas
Je vous avoue qu'il y auroit effectivement
dequoi s'égarer dans le labyrinte
des doutes , fi on n'avoit pas la facilité ,
Meffieurs , par le moyen de votre Journal
, de confulter ceux qui font en état
de lever nos difficultez ; ainfi il ne me
conviendroit de vouloir mêler quelque
chofe du mien dans un fujet qui n'eſt
point tout- à-fait de mon reffort . Il me
fuffira de dire en paffant que je ne fçaurois
adopter le fentiment de ceux qui canonifent
les morts fans connoiffance de
caufe , & je croirois au contraire m'écarter
infiniment , fi je reconnoiffois pour
Martyr , celui qui n'en porte pas les marques
jufques dans fon tombeau , comme
font les phioles teintes de fang , les infcriptions
, les palmes avec le monogramme
de Jefus Chrift , & les colombes ,
qui font les fignes qui diftinguent dans
les Catacombes les corps des Martyrs
d'avec ceux des autres Fideles , & par
confequent les feuls qui puiffent lever
toute équivoque , ainfi que l'ont expliqué
le profond Boffius dans fa Rome jouterraine
, le fçavant D. Jean Mabillon ,
dans fa Differtation , qui a pour titre ,
Lettre d' Eufebe à Theophile , & l'Auteur
de
MARS 1725. 437
de la réponſe , intitulée Apocrifis in Epif
tolam Eufebii Romani ad Theophilum
Gallum.
و
Je ne voudrois pas dire non plus que
ce fût un Payen puifque ce tombeau
s'eft trouvé dans un pays de tout temps
Catholique , fans mélange d'aucune forte
de fecte , à moins qu'on ne voulut
remonter jufqu'au premier âge de l'Eglife
, auquel toutes ces contrées étoient
encore enfevelies dans les tenebres de
la fuperftition & de l'idolâtrie . On a infifté
, fur ce que le tombeau dont je parle
, étant placé de maniere que la tête du
mort étoit tournée du côté du Couchant ,
& les pieds vers le Levant , cette fituation
fignifioit , qu'il étoit au nombre de
ceux qui adoroient le Soleil , parce qu'il
avoit les yeux tournez vers l'Orient de
cet Aftre. Mais cette conjecture me paroît
encore bien foible , puifqu'elle eft
combattuë par ce qui fe pratique aujourd'hui
dans l'inhumation des Fideles ,
qu'on place de cette maniere dans les
Eglifes , dont le Maître- Autel eſt tourné
vers l'Orient , à la difference des Evêques
& des Prêtres qu'on tourne dans
l'autre fens.
Il n'y a pas d'apparence que cette fepulture
ait été donnée à un Huguenot ,
parce qu'il eft conftant que ce tombeau
qui
438 MERCURE DE FRANCE.
qui a été découvert , a été trouvé auprès
d'une maifon poffedée par d'anciens
Catholiques , & il n'eft pas plus vrai-
'femblable , qu'on fe fût avife de fabriquer
pour un feul corps un tombeau
d'une matiere inufitée , & d'une façon
tout- à- fait inconnue au pays où il a été
trouvé , puifqu'il n'en a pas paru de
femblable dans l'Eglife de Barfac , qui eft
certainement des plus anciennes , ni dans
le Cimetiere qui la joint.
Pour ce qui eft de l'opinion de ceux
qui s'imaginent que c'étoit un peftiferé ,
elle me femble tomber d'elle- même ,
parce qu'on n'a jamais ufé de tant de ceremonies
pour inhumer un cadavre de
cette efpece , qu'on jette plutôt dans un
trou fans autre façon . Il n'y a donc rien
de pofitif , fi ce n'eft que c'étoit un corps
humain , étendu dans un tombeau de brique
, tout- à- fait inufité , & fingulier dans
fon efpece.
Je fuis , Meffieurs , & c.
De Barfac près Bordeaux , ce 4. Janvier
1725.
MARS 1725. 439
洗洗洗浴
LA ROSE.
Fable allegorique ad treffée à une Demoifelle
avec qui l'Auteur avoit été élevé.
J
'Avois vû cette fleur au lever de l'aurore ,
S'épanouir au gré des zephirs careffans ,
Et j'avois bien prévû quand je la vis éclore ,
Qu'elle feroit un jour l'honneur de fon printemps.
Flore à peine la vit paroître ,
Et fous le jour naiffant entrevit fes couleurs ,
Qu'elle la fit Reine des fleurs ,
Avant même qu'elle pût l'être.
Elle-même à la faire croître ,
Voulut employer tous les foins ,
Et n'admit pour fecrets témoins ,
Que deux tendres zephirs qui pour la faire
naître ,
S'étoient ce jour- là même éveillez plus matin.
Ces zephirs à l'envi jaloux de leur deſtin ,
Lui firent une douce guerre ;
Ils quitterent les fleurs du refte du parterre ,
Et devinrent rivaux par un commun accord :
Tous
440 MERCURE DE FRANCE:
Tous deux à l'envi la fervirent ,
De leur fouffle la réjoüirent ;
Et prenant doucement l'effort ,
Egalement s'étudierent ,
A donner fans être apperçûs ,
Mille baifers qu'ils déroberent ,
Et qui fembloient plus doux lorfqu'ils n'étoient
pas vûs.
La fleur s'en trouva mieux fervie ,
Par les baifers frequens qu'en cachette ils
prenoient ,
Bien loin qu'elle fe vit fletrie ,
Ils lui prenoient tous deux moins qu'ils ne
lui donnoient .
Des larmes de l'aurore enfin defalterée ,
Du fouffle des zephirs doucement recréée ,
La belle fleur s'épanoüit :
Si naiffante beauté frappa les yeux de Flore ;
La Déeffe des Prez que l'éclat éblouit ,
Douta voyant alors une fi belle aurore ,
Ou fi c'étoit le jour nouveau ,
Qui lui fit voir la fleur fi belle ,
Ou fi c'étoit la fleur nouvelle ,
Qui lui fit voir le jour fi beau.
AuffiMARS
1725. 441
Auffi tôt des zephirs une troupe volage ,
Environne la fleur par amour , par devoir ;
Ils ne sçauroient trop tôt la voir ,
Ils ne fçauroient trop tôt lui rendre hommage,
Tous en deviennent amoureux ,
Car la voir & l'aimer , c'eft pour eux même
chofe ;
Flore pour prévenir leur amour dangereux
Les rappelle auprés d'elle , & de la fleur dif
pofe.
Je vous permets , tendres zephirs ,
De fervir cette belle rofe ,
Mais lorsqu'à peine elle eſt éclose ,
Vos foins trop empreffez , vos amoureux defirs
,
Terniroient fes couleurs naiffantes ;
Mais fi-tôt que Phoebus fur fes feuilles brillantes
,
Aura fait brr les rayons ,
Doux zephirs , volez autour d'elle ;
D'amour offrez - lui des leçons ,
Mais fi vous la trouvez rebelle ;
Zephirs ne l'importunez plus ,
Tous yos foins feroient fuperflus ,
Un feul d'entre vous tous dont l'haleine
amoureuse ,
Badine
442 MERCURE DE FRANCE.
Badine le plus doucement ,
Pourra voir finir fon tourment ,
Dans le fein délicat de cette amante heureuſe ;
Il pourra la nuit & le jour
L'entretenir de fon amour ,
Soupirer auprès d'elle & lui conter fa peine ,
Sans que les Aquilons ennemis des beaux
jours ,
Puiffent par leur bruyante haleine ,
D'un bonheur fi charmant interrompre le
C cours.
Tous à cet avantage avez droit de prétendre ,
Mais la rofe en décidera ,
Pourvû qu'elle puiffe autant prendre ,
D'amour qu'elle en inſpirera ;
Heureux feront zephirs au fouffle doux &
tendre !
Plus heureux qui la fervira ,
Et plus heureux encor celui qu'elle aimera.
Par M. de Bazincourt de Bettencourt,

DISSERMARS
1725. 443
DISSERTATION du Reverend Pere
Tournemine , Jefuite , dans laquelle il
prouve que l'inclination pour la Chaffe,
eft dans un jeune Prince le préfage d'une
vertu beroïque , lue le quinzième
Fevrier dans la Conference des Sçavans
François & étrangers , qui fe tient dans
la Bibliotheque de Monseigneur le Cardinal
de Rohan.
L
E jour de la naiffance de nôtre aimable
Souverain me paroît demander ,
de cette fçavante affemblée, quelque occupation
qui ait raport au Roi que ce
jour heureux a donné à la France ; c'eft
pourquoi je vais vous communiquer une
penfée que ce jour même a fait naître
dans mon efprit il y a peu d'heures . Je
vais vous prouver par des exemples illuftres
& décififs que l'inclination dominante
pour la Chaffe , eft dans un jeune
Prince le préfage d'une vertu beroique.
Si je voulois établir cette maxime par
le feul raifonnement , je vous ferois remarquer
que la Chaffe eft l'image de la
guerre , que l'une & l'autre a fes
campemens
, fes marches , fes ordres de batailles
, fes combats , fes perils , fes ruſes ;
que
444 MERCURE DE FRANCE .
que
les mêmes arines font communes à
ces deux exercices ; que pour y réülfir il
faut les mêmes difpofitions , de la force ,
de l'adreffe , un courage fuperieur au
danger , & ferme dans les travaux , un
corps endurci aux fatigues , infenfible
aux injures du temps , de l'habileté , &
de la promptitude à prendre fon parti ,
des reffources dans les contre temps , de
la prévoyance & du fang froid , une grande
connoiffance des lieux même les plus
inacceffibles , & des perfonnes qu'on employe
, enfin du fecret & du filence.
Je dirois , & vous en conviendrez
qu'un grand Chaffeur eft un grand Capitaine
, au moins commencé ; car , Meffieurs
, la Chaffe eft l'image de la guerre ,
& plût à Dieu que les hommes n'euffent
point realife cette image .
Plût à Dieu que le genre humain ne
formant qu'une famille , les divers interefts
n'euffent point divifé les hommes ;
qu'ils euffent fait confifter leur gloire à
fe conferver mutuellement la vie , &
non pas à fe l'arracher , à rendre heureux
leurs femblables , & non pas à les
rendre efclaves , qu'ils n'euffent pour
ennemis que les bêtes ennemies de l'homme
, qu'ils ne s'armaffent que pour s'en
défendre , ou pour fe procurer une nourriture
que le Createur leur a deſtinée , &
que
MARS
1725:
que leurs
triomphes ne fiffent jamais cou-
445
ler de
larmes. Vains
fouhaits , les paffions
'des
hommes , & la juſtice de Dieu rendront
la guerre auffi durable que le monde.
Chaque peuple a pour ennemis naturels
fes voifins , il a befoin de Rois guerriers
, c'eft la chaffe qui les forme &
leurs
qualitez
guerrieres fe
manifeſtent
dès leurs enfances , par la
préference
qu'ils donnent au plaifir de la chaffe fur
les autres plaifirs .
Les Poëtes ont
compris cette verité
appliquée à nous peindre les Heros dans
tous les âges de la vie , ils les ont toûjours
peints
chaffeurs dans leur
jeuneſſe.
Hercule & Thefée ont
commencé à
ger la Grece de bêtes
farouches avant que
purde
la purger de Tyrans. Mais rien ne
marque tant les
avantages de la chaffe
que
l'éducation donnée au fameux Achille
par le Centaure Chiron dans cet antre
celebre , dont il avoit fait une Ecole de
la vertu
heroïque. Il ne le
nourriffoit que
de ce qu'il avoit pris à la chaſſe. Le
vieux Henri d'Albret , Roi de
Navarre
forma dans Henri IV. un autre Achille
par la même
éducation .
L'Hiftoire me fournit des
exemples plus
certains. Les
Hiftoires facrées nous peignent
dans David un Heros qui efface
les Heros de la Fable , un Roi felon le
B coeur
446 MERCURE DE FRANCE.
coeur de Dieu ; mais ont- ils omis que déchirer
les Lions , étouffer les Ours étoient
Les jeux dès fon enfance ?
Nous connoiffons par les Livres Saints
le premier de tous les Conquerans Nemrod
, celebré fous le nom de Ninus par
les Hiftoriens , adoré dans l'Egypte fous
le nom d'Ofiris , dans la Phenicie fous
le nom d'Adonis , par les Indiens & les
Romains fous le nom de Bacchus , par
les Grecs , fous le nom de Dionyfios ;
l'Ecriture ne lui donne point d'autre éloge
, que celui de robufte Chaffeur devant
Dien ; c'eft-à -dire , en verité , & d'une
façon finguliere. Il ne yêcut que vingthuit
ans Chaffeur dans fon enfance , Conquerant
dans fa jeuneſſe.
Le Pere du Fondateur de l'Empire
Egyptien du grand Sefoftris voulut en
faire un Conquerant ; voici les mesures
qu'il prit : il raffembla tous les enfans de
l'âge de fon fils , il les éleva d'une maniere
auftere & dure , & furtout il les prépara
aux travaux de la guerre par des
challes fatigantes.
Cyrus dès fa plus tendre jeuneffe forma
dans les mêmes exercices les Perfes
vainqueurs de l'Afie , qui détruifirent
l'Empire des Caldéens , & le Royaume
de Lydie .
Alexandre à peine forti de ſon enfance
dédaiMARS
1725.
447
dédaigna les jeux folemnels de la Grece ,
les courfes de chariots ; il y vouloit des
Rois pour concurrens ; mais il ne dédaignoit
pas d'exercer fur les montagnes de
Macedoine , & dans les Forefts de Theffalie
, ce bras fatal à l'Empire des Perfes.
Romulus allaité par une Louve avoit
fuccé avec ce lait
l'inclination pour la
Chaffe ; c'eft d'une troupe de Chaffeurs
que
les Romains font nez , pour être un
jour les maîtres du monde.
Un Lion tué dans une Chaffe par
Conftantin , fit prévoir & craindre au
politique Diocletien , ce qu'on vit depuis
executer à ce premier Empereur
Chrétien . La Chaffe avoit été
pour lui
l'apprentiffage des victoires qu'il remporta
fur Maxence , fur Maximien , fur
Licine .
pas furpre-
Charlemagne , c'eft le Prince que nôtre
jeune Roi fe propoſe pour modele ,
aimoit la Chaffe , cela n'eft
nant ; il étoit Roi d'une nation paffionnée
pour la Chaffe , mais il l'aimoit en
Roi. Il en fut Legiflateur parmi les François
, & par des fages Ordonnances il
augmenta , il regla une inclination qui
lui parut urile à l'état,
Saint Louis renonçant à tous les plaifirs
, ne renonça point à ce plaifir . Tous
les Hiftoriens obfervent que dans fon en-
Bij fance
448 MERCURE DE FRANCE.
fance on ne remarqua dans lui de penchant
declaré que pour la Chaffe.
Oublierai -je Cingis & Tamerlan , nez
fimples Chaffeurs , & devenus Conquerans
de la plus grande partie de l'Afie.
Peut-être illuftres étrangers vous allar
merez -vous de voir dans nôtre Roi des
penchans qui portent à la guerre : la
Chaffe eft l'Ecole des Guerriers , elle
leur rend la guerre plus facile ; mais elle
ne la rend pas neceffaire. Si les befoins
de l'Etat la demandent , ils paffent de
l'image à la réalité , du divertiffement
au carnage ; mais leur valeur s'amuſe volontiers
dans ce divertiffement , ils exercent
avec joye fur les bêtes farouches des
armes qu'ils employeroient à regret contre
les hommes . Camhi , cet Empereur
de la Chine , fi fage , fi accompli , qu'elle
vient de perdre pendant un regne auffi pacifique
que long , n'a pas trouvé de moyen
plus fur pour empêcher les guerr s civiles
, que de flatter par de grandes Challes
Phumeur belliqueufe des Tartares , il
alloit jufques dans leur pays les confoler
de la paix par les images de la guerre.
IMIMARS
1925. 449
IMITATION de Boëce. Livre fecond ,
de la confolation de la Philofophie.
met. v. Par M. Desforges Maillard.
A. A. P. D. B.
Q
Ue dans les temps du premier âge ,
Les humains étoient fortunez !
Leurs jours aux plaifirs deftinez
S'écouloient toûjours fans nuage.
La fimple mediocrité ,
La modeſte frugalité ,
Des jeux l'innocent badinage ,
Les plaçoient au fommet de la felicité.
Il n'avoient ni Palais , ni pompeux équipage ,
Sans chicane ils fçavoient conferver l'équité.
Du Barreau n'ayant fait aucun apprentiſſage ,
Ils ne connoiffoient pas ces mots dont l'étalage
Embarraffe la verité.
Il n'étoit Charge , honneur , pouvoir , ni Dignité
,
Dans les rangs entre humains , il n'étoit point
d'étage.
Bij
Leurs
450 MERCURE DE FRANCE.
Leurs defirs fe bornoient au terrain dont les
Dieux
Leur faifoient un jufte partage.
Du luxe féduifant l'éclat pernicieux ,
N'avoit pas jufqu'alors pris le coeur par les
yeux.
De tant de mets mal fains le divers affemblage
N'offroit point à leur goût d'homicides appas ;
Des bois voifins le fruit fauvage ,
Du lait pur avec du fromage ,
Compofoient leurs petits repas .
Le miel dont les ruiffeaux ferpentoient à l'ombrage
,
Ne confondoit pas fa douceur
Avec le Bachique breuvage ,
Et des vers artifans l'induftrieux ouvrage ,
N'empruntoit point à Tyr d'étrangere couleur.
La terre offroit au voyageur
Un lit de verdure au paffage ,
Pour y dormir à la fraîcheur.
Pour éteindre la foif, fur fon charmint rivage ;
Un fleuve étaloit fa liqueur ,
Pour
MARS
45t
172
Pour garantir de la chaleur ,
Un arbre étendoit fon feuillage.
Le Nautonnier malgré l'orage ,
Ne fendoit point encor le vafte fein des Mers .
Le Marchand , qu'aujourd'hui le gain fordide
engage
A parcourir tout l'univers ,
Craignant alors les flots amers ,
Ne s'expofoit point au naufrage ,
Les clairons , les Tambours , n'ébranloient
point les airs.
La haine au finiſtre vifage ,
La Fureur à l'oeil irrité ,
La Guerre au bras enfanglanté
Ces cruels Auteurs du carnage ,
N'avoient pas pour nous perdre abandonné
l'Enfer ;
On n'avoit pas encor l'ufage ,
De donner des aîles au fer ›
Il ne fervoit qu'au labourage ;
Et l'homme fociable & fage ,
De la nature alors fentant l'étroit lien ,
Perçant le flanc d'un autre , eut crû percer le
B iiij fren . Au
452 MERCURE DE FRANCE.
Au reste qui d'entre eux , des tranſports de la
rage ,
Soudain fe laiffant animer ,
Eut eu premierement l'audace de s'armer !
Le meurtre & l'infame pillage ,
Etoient en tous lieux en horreur ;
La fincere amitié , la naïve candeur ,
Les vertus feulement étoient dignes d'honneur.
Que nôtre temps n'eſt- il l'image
De ces fiecles premiers, de ce parfait bonheur !
Mais , helas ! l'intereft , pere
, pere du Brigandage ,
Dans les coeurs corrompus a mis un germe
affreux ;
L'ardente foif du gain fait un plus grand
ravage ,
Que l'Etna vomiffant un déluge de feux.
La plupart pour avoir , font de coupables
voeux.
A l'or on rend partout l'hommage.
Enfin les avares mortels ,
A Plutus , dans leurs coeurs ont dreffé des
Autels.
Ah ! qui fut le premier qui pour nôtre dommage
,
BarbaMARS
1725 . 453
Barbarement officieux ,
Creufa la terre avec courage ,
Pour tirer les métaux qui fe cachoient aux
yeux ,
Et tria fur les bords du Tage ,
Les fablons d'or qu'il roule en fon fein radieux!
Ah! qui fut le premier , l'humain ambitieux ,
Celui qui dans nos maux trouvant ſon avantage
,
Découvrit d'un oeil curieux ,
Les perles , les rubis , ces malheurs précieux !
jkjkjkjkjkak kakakakaka
EXTRAITS de quelques Lettres
écrites de Venife fur le Trefor de Saint
Marc , les Sermons du Carême , les
Oratoires , les Proceffions , les Baptêmes,
les Ecoles ou Confreries & fur le
Jeu du Balon , du Calcio , &c.
Es richeffes du Tréfor de S. Marc
font infinies.On en expofe quantité
de pieces fur le Maître- Autel de l'Eglife
Ducale , dans les jours de grandes Fêtes ;
les pieces étant toutes de grand prix , un
Procurateur de Saint Marc fe tient au-
B v près
454 MERCURE DE FRANCE .
près dans un fauteuil , pendant la grande
Meffe , & les fait enfuite reporter au
Tréfor en fa prefence , & il en garde les
clefs . On y voit un devant & un derriere
d'Autel d'or maffif , deux Croix de trois
pieds & demi de haut , de même métal ,
deux grands Encenfoirs , & deux Chandeliers
hauts de trois pieds , auffi dor ; douze
Cercelets , & autant de Couronnes de
même , ornées de beaucoup de pierreries .
II ya encore un grand nombre de Livres
couverts de plaques d'or & d'argent ,
parmi lefquels eft l'Evangile qu'on croit
écrit de la main de Saint Marc , & les
Actes des Apôtres en Lettres d'or , écrits
de la main de S. Jean Chryfoftome .
Les Sermons en Carême fe difent tous
les jours le matin , dans 49. Eglifes , ils
durent une bonne heure , & on n'y fait
qu'une paufe prefque fur la fin . La plûpart
des Prédicateurs gefticulent , marchent
& fe démenent fort , exprimant
autant par leurs actions que par leurs paroles
; leurs Chaires font au moins deux
fois plus larges qu'en France , & il y a
toûjours un Chrift en Croix à un des
côtez dont on fait confiderer à tout moment
les fouffrances .
Les Oratoires font des Recits Italiens
d'Hiftoires Saintes , édifiantes , & qu: 1-
quefois touchantes , qui fe chantent en
MufiMARS
1725. 455
Mufique dans les Eglifes par les plus
belles voix . Ce font proprement des
Spectacles pieux , differens des autres ,
feulement en ce que la Scene ne change
point , & que les perfonnages font cachez
derriere la jaloufie d'une Tribune .
Quand une Eglife où il y a Oratoire eſt
en réputation d'avoir de belles voix , &
un Muficien renommé , il faut s'y prendre
de bonne heure pour avoir place .
Pour répondre à vos queftions fur les
Ecoles , les Proceffions de la Semaine
Sainte , & c. je vous dirai , Monfieur .
que l'on appelle Ecoles , Scole , ce que
l'on nomme en France Confrairies. Il y
en a de Marchands & d'Artifans ; il y en
a auffi de pure devotion . Ce font des
lieux toûjours feparez des Eglifes , où
l'on dit la Meffe , & où tous les Confreres
ne manquent pas de fe trouver les jours
de Fêtes . Il y en a bien près de 300. à
Venife , toutes très - proprement décorées
, & quelques unes enrichies des
plus excellentes peintures , de dorures ,
& de lambris très - riches. Les principales
, au nombre de fept ou huit , qu'on
nomme grandes Ecoles , ont une grande
falle par bas , un étage au- deffus , où eft
la Chapelle & l'Autel , une grande chambre
à côté pour les affemblées , & quelques
cabinets. Celle de Saint Roch eft la
B vj plus
·
456 MERCURE DE FRANCE .
plus fuperbe ; elle eſt fameuſe ſurtout par
les ouvrages du Tintoret , fameux Difciple
du celebre Titien. Celle de S. Marc ,
dont la façade eft toute de marbre , les
dedans font peints par le Georgeon , le
Tintoret , Paris , Bordon , &c. Celle de
la Mifericorde , dont le plat - fond de la
falle du rez -de- chauffée qui eft d'une
grandeur prodigieufe , eft foutenu par
24. colomnes. La quatrième qui eft celle
de la Charité eft très- riche en dorures &
en Peintures du Titien , de Jean Bellin ,
du Palme , &c. Celle de S. Jean eft décorée
de beaucoup de marbres très - rares .
On peut encore mettre au nombre des
plus belles , celles de S. Sauveur, celle de
la Paffion , celle de S. Fautin , & c.
Toutes ces grandes Ecoles font de devotion
; elles font très - riches en argenterie
& en ornemens . Elles marient tous
les ans certain nombre de pauvres filles ,
on les dotent pour entrer dans des Convents.
Ce font des Citadins & des Marchands
qui les adminiftrent . On appelle
les Chefs, Gardiens & fous- Gardiens .
A l'égard des Proceffions du Jeudi
Saint , les huit Ecoles que je viens de
nommer viennent en Proceffion les unes
après les autres dans la place de S. Marc .
Elles en font le tour , entrent dans l'Eglife
, puis s'en retournent dans le même
ordre.
MARS 1725. 457
ordre. Le voici cet ordre . D'abord viennent
environ 400. hommes avec de gros
flambeaux de cire blanche de fix pieds de
long , pefant 12. à 15. livres au moins.
Ils vont deux à deux , avec un pareil
nombre d'autres perfonnes qui portent
chacun une Lanterne ou Phanal , & marchent
entre chaque flambeau de forte
que l'on voit un flambeau & un Phanal
alternativement. Ils font tous vêtus d'une
longue Robbe de Serge , blanche ou
noire , felon les differentes Ecoles , avec
un grand Capuchon pointu de deux pieds
de haut qui leur pend derriere la tête.
Quelques- unes de ces Proceffions ont
une fi grande quantité de Lanternes ,
qu'ils en font un troifiéme rang. Ces Lanternes
font fort grandes , & attachées au
bout d'un bâton. On met plufieurs bougies
dedans qui répandent une très - grande
clarté , au travers du verre blanc dont
elles font conftruites , & comme il y a
quantité de verreries dans Venife & aux
environs , on en voit d'une infinité de
differentes figures fingulieres , dont quelques-
unes font fi grandes & fi lourdes
qu'un feul homme a bien de la peine à
les porter. On en voit en Etoiles & en
Soleils à plufieurs rayons , qui ont jufqu'à
fix pieds de diametre. Les verres
en font façonnez & ajuftez avec du fer &
du
456 MERCURE DE FRANCE .
plus fuperbe ; elle eſt fameuſe ſurtout
par
les ouvrages du Tintoret , fameux Difciple
du celebre Titien. Celle de S. Marc ,
dont la façade eft toute de marbre , les
dedans font peints par le Georgeon , le
Tintoret , Paris , Bordon , & c. Celle de
la Mifericorde , dont le plat fond de la
falle du rez -de- chauffée qui eft d'une
grandeur prodigieufe , eft foutenu par
24. colomnes . La quatrième qui eft celle
de la Charité eft très- riche en dorures &
en Peintures du Titien , de Jean Bellin ,
du Palme , & c. Celle de S. Jean eſt décorée
de beaucoup de marbres très - rares .
On peut encore mettre au nombre des
plus belles, celles de S. Sauveur, celle de
la Paffion , celle de S. Fautin , & c. ›
Toutes ces grandes Ecoles font de devotion
; elles font très - riches en argenterie
& en ornemens . Elles marient tous
les ans certain nombre de pauvres filles ,
on les dotent pour entrer dans des Convents.
Ce font des Citadins & des Marchands
qui les adminiftrent. On appelle
les Chefs, Gardiens & fous- Gardiens .
A l'égard des Proceffions du Jeudi
Saint , les huit Ecoles que je viens de
nommer viennent en Proceffion les unes
après les autres dans la place de S. Marc.
Elles en font le tour , entrent dans l'Eglife
, puis s'en retournent dans le même
ordre.
MARS 1725 . 457
ordre. Le voici cet ordre . D'abord viennent
environ 400. hommes avec de gros
flambeaux de cire blanche de fix pieds de
long , pefant 12. à 15. livres au moins .
Ils vont deux à deux , avec un pareil
nombre d'autres perfonnes qui portent
chacun une Lanterne ou Phanal , & marchent
entre chaque flambeau de forte.
que l'on voit un flambeau & un Phanal
alternativement. Ils font tous vêtus d'une
longue Robbe de Serge , blanche ou
noire , felon les differentes Ecoles , avec
un grand Capuchon pointu de deux pieds
de haut qui leur pend derriere la tête.
Quelques-unes de ces Proceffions ont
une fi grande quantité de Lanternes ,
qu'ils en font un troifiéme rang. Ces Lanternes
font fort grandes , & attachées au
bout d'un bâton. On met plufieurs bougies
dedans qui répandent une très - grande
clarté , au travers du verre blanc dont
elles font conftruites , & comme il y a
quantité de verreries dans Veniſe & aux
environs , on en voit d'une infinité de
differentes figures fingulieres , dont quelques-
unes font fi grandes & fi lourdes
qu'un feul homme a bien de la peine à
les porter. On en voit en Etoiles & en
Soleils à plufieurs rayons , qui ont jufqu'à
fix pieds de diametre. Les verres
en font façonnez & ajuftez avec du fer &
du
458 MERCURE DE FRANCE.
du plomb doré. D'autres font en forme
de rofes , en pleine Lune , en Croiffant ,
en Comettes , en Piramide , en Croix , en
Globes , en Pelican , les aîles éployées ,
& c.
Au milieu de tous ces flambeaux &
Lanternes marche la Banniere , & enfuite
la Croix avec un Crucifix de 4. pieds de
haut , couvert d'un crefpe , & un bouquet
de fleurs aux pieds , auffi large que
le fond d'un demi muid , & c'eft en ceci
que les Confreres fe piquent à l'envi à
qui aura les plus rares & les plus belles
fleurs , & à qui donnera une figure plus
finguliere au bouquet ; j'en ai vû qui reprefentoient
parfaitement une tête de
mort , un Oratoire , une ou plufieurs colonnes
, & c. & qui répandoient une odeur
admirable.
Au-devant de la Croix vont les Battuti
qui le flagellent par repriſes , & marchent
à reculon , ayant toûjours la vûë
attachée fur le Chrift. Il y en a toûjours
deux ou trois à chaque Proceffion , en
habit de Penitent noir & lugubre , les
pieds & les jambes nuës , ayant le dos
découvert depuis les épaules jufqu'à la
ceinture , & tenant avec les deux mains
un gros paquet de longues cordes noüées
par les bouts en forme de difcipline , dont
ils fe frapent de toute leur force continuelle
MARS 1725 . 459
nuellement pendant l'efpace d'environ
60. pas ; après quoi ils fe repofent pour
reprendre haleine , & recommencer enfuite
. Il y a des gens à côté d'eux avec
des pots de vinaigre , dans lefquels ils
trempent leurs difciplines : le bruit des
coups qu'ils fe donnent fe fait entendre
de la moitié de la place . Ce bruit n'eft
point agréable , mais il l'eft infiniment
moins que de voir leur dos rouge écorché
& plein de fang.
Après la Croix fuivent les Reliques
qui font portées fur des brancards tous
couverts de fleurs & de cierges . Il y en
a 405. à chaque Proceffion , & derriere
chacun , on porte un Baldaquin ou Dais ,
dont les bâtons font d'argent. Aux côtez
marchent diverses perfonnes avec de
longs flambeaux , & de grands chandeliers
d'argent à plufieurs tobeches emmanchez
à un long bâton . La Mufique
de voix vient après fans inftrumens , &
le Clergé marche enfuite , puis le Gardien
, le fous - Gardien , & tous les Confreres,
chacun un flambeau à la main. Ils
font tous vêtus avec les Robbes , dont j'ai
parlé , & des ceintures qui ont des houpes
& campanes pendantes jufqu'à terre ,
& des pieces d'étoffe de diverfes couleurs
fur l'eftomach , qui font la diſtinction des
confraternitez . Les Proceffions entrent en
cet
460 MERCURE DE FRANCE .
cet ordre dans l'Eglife de S. Marc , paffent
par une porte & fortent par une autre
, après qu'on s'eft un peu arrêté pour
voir le fang miraculeux de N. S. que le
Primicier montre avec d'autres Reliques
du haut d'une Tribune . C'est dans ce
moment que les Battuti redoublent leurs
coups , & le pleuple qui eft en trèsgrande
foule , fes acclamations. Après
qu'une Proceffion eft fortie , une autre revient.
Elles font environ fix heures à
paffer depuis l'entrée de la nuit jufqu'à
une heure après minuit .
Le Vendredi Saint eft bien plus celebre
que le Jeudi , à caufe du grand nombre
de Proceffions : toutes les Paroiffes qui
font au nombre de 72. en font , & vont
dans les principales rues de leur quartier
, ce qui fait qu'il y a très peu de ruës
où elles ne paffent.
Toutes ces ruës font éclairées de deux
flambeaux de cire blanche à chaque fenêtre
, & il n'y a point de gens fi pauvres
qui n'en mettent au moins un . Outre cela
plufieurs particuliers font encore de petites
illuminations de lampes de verre ,
blanches , jaunes , rouges , vertes , bleues ,
&c. qui forment diverfes figures , même
des Crucifix , des Chapelles , & c.
La place de S. Marc eft ce qu'il y a de
plus beau. Elle eſt preſque auffi grande
que
MARS 461 -
1725.
que la Place Royale à Paris , environnée
de Palais & de grandes maiſons de
trois côtez , & éclairée par deux gros
flambeaux de cite blanche à chaque fenêtre
du premier & du fecond étage ; on en
met auffi à l'Eglife de S. Marc , qui fait
la quatrième face , de même qu'autour de
l'Horloge qui fe voit d'un des coins , ce
qui fait une fimetrie & un coup
admirable .
d'oeil
Ces Proceffions , où le Curé de chaque
Paroiffe porte le S. Sacrement couvert
d'un crefpe noir fous un Dais , font à peu
près de même que celles des Ecoles . On
y voit grand nombre de Paroiffiens , tous
avec un flambeau à la main.
Il est très- vrai , Monfieur , les ceremonies
du Baptême ont à Venife quelque
chofe de plus fingulier qu'ailleurs .
Lorfqu'un pere veut faire baptifer fon
enfant , il va prier les parrains ; les plus
pauvres en prennent au moins trois &
les riches & Gentilhommes en ont au
moins vingt , & quelquefois jufqu'à cent
& plus. Tous ces comperes vont à l'Eglife
, & parmi ce grand nombre le pere
en choifit un qui donne le nom à l'enfant,
& contracte feul l'alliance fpirituelle.
Après la ceremonie on ne donne point
de feftin , comme en beaucoup d'endroits ,
mais on envoye d'ordinaire quatre pains
de
462 MERCURE DE FRANCE .
de fucre à chaque compere .
Tous les comperes fe rangent en demi
cercle depuis la porte de l'Eglife jufqu'aux
Fonts , & à quelques Baptêmes de Marchands
ils fe donnent l'enfant de main
en main. Cet enfant eft emmailloté comme
une poupée dans des langes de ſoye ,
de points & de dentelles.
La maniere dont on porte l'enfant à
l'Eglife , & dont on le raporte, eft encore
particuliere. C'est un homme qui le tient
fur un carreau de velours , emmailloté
proprement , comme je viens de dire ,
mais fans nulle couverture , ayant la tête
nuc & les épaules découvertes.
و
On n'expofe point les enfans à Veniſe
comme on fait à Paris . A l'Hôpital de la
Pitié où on les porte . il y a une pierre
creufe en dehors avec une ouverture
dans laquelle on les met , on tire enfuite
une fonnette pour avertir , & on s'en va
Auffi-tôt on vient prendre l'enfant. On
le marque quelquefois d'un figne à la
cuiffe ou à la jambe , afin de le pouvoir
reconnoître & le retirer.
Quand ces enfans meurent , jufqu'à
l'âge de 7. ans , leur convoy n'a rien de
lugubre. Un homme les porte fur un
carreau de velours , vêtus comme de petits
Anges , avec une robbe de taffetas de
couleur chamarée de paffemens d'or &
d'ar.
MARS 1725.
463
d'argent , & beaucoup de rubans de fleurs,
& autres ornemens , avec une Couronne
de pierreries fur la tête.
Après le Carnaval les principaux Jeux
& Exercices de la Nobleffe font la Baf
fette , le Ballon & le Calcio ; car le temps
du Carnaval fini , on n'entre plus dans les
Ridotti , dont je vous ai déja parlé , &
l'on ne joue la Baffette dans aucun lieu
public.
Le Ballon fe joue à huit , à dix ou douze
perfonnes , moitié de chaque côté. On
fe met en Camifole & en calçon , & on
fe fert de Braffards pour pouiler le Ballon.
Ces Braffards font de bois de la grandeur
d'un petit manchon & fait preſque
de même. On les paffe dans le poignet ,
& on les tient avec la main par un boulon
qui eft en dedans en travers. Ils font
en dehors tout heriffez , avec des pointes
un peu rebrouffées pour empêcher que
le Ballon ne gliffe , & pour le pouffer
avec plus de force. Les regles du Jeu font
à peu près comme celles de la longuepaume
en France .
Il n'y a que les Gentilhommes qui
jouent au Calcio . Ce jeu confifte dans
une espece de petite guerre , dont les rufes
& les détours font affez difficiles à
faire entendre. C'eft prefque le feul divertiffement
de la jeune Nobleffe pendant
le Carême. On
464 MERCURE DE FRANCE.
On plante autour d'une place quarrée
divers pieux de bois à fept ou huit
pieds de diſtance les uns des autres , avec
une groffe corde qui les traverſe , & qui
forme une espece de barriere à hauteur
d'appui. A chacun des deux bouts eft une
grande Arcade ou Portique de bois peint
& doré ,, par où on entre. Ceux qui doivent
être du jeu ; ont une culotte &
une camifole de Bazin ou de Satin , une
écharpe fort large qui ferre le milieu du
corps , un bonnet & des fouliers fort bas.
Ils fe trouvent tous enfemble dans le
champ un peu avant le Soleil couché , &
fe divifent en deux partis de 30. 40. ou
50. chacun , plus ou moins , felon qu'ils
fe trouvent en plus grand ou plus petit
nombre.
Chaque parti a un étendart different ,
& deux Tambours habillez fort proprement
de la même couleur que l'étendart.
Les quatre Tambours fe placent aux qua
tre coins & battent la caiffe tant que dure
cet exercice . Les Acteurs étant arrivez
dans le champ , 40. ou 50. autres Nobles
, avec leurs veftes ordinaires , fe
mettent fur les Portiques ou Arcades de
chaque côté pour empêcher la fortie des
combattans. Les fpectateurs font en dehors
de la barriere , & appuyez delfus.
Chaque parti ayant pris fon pofte , un de
la
MARS 1725. 465
pour
la troupe jette au milieu de la place un
Ballon de cuir , gros comme une Boulle
joüer ou un peu plus . Le premier qui
le peut attraper , le ramaffe , le met fous
la jointure du bras , & le ferre fortement
avec le coude contre le côté , fans
y mettre
les mains , ne lui étant pas permis de
le toucher que pour le ramaffer de terre ,
ou pour le jetter à un autre à la derniere
extrêmité , lorfqu'il eft pourfuivi & trop
preffé par ceux du parti contraire , qui
le pouffent & le repouffent violemment
le faire tomber , ou lui faire quitter
le Ballon , pendant que ceux de fon parti
le favorisent , l'aident & combattent contre
leurs adverfaires pour les empêcher
d'approcher. Il faut que de cette maniere
celui qui a le Ballon , forte hors d'une des
portes de la barriere pour gagner le jeu .
Toutes ces réfiftances & ces combats
ne fe font qu'à coups de coude. Il
Y a de
groffes amendes contre ceux qui fe fervent
de leurs mains. On fe chamaille
avec une telle violence , que bien fou
vent on en voit tomber 15. ou 20. tout
à la fois , fans neanmoins qu'ils fe bleſs
fent , parce que la place n'eft point pavée
, & que la barriere contre laquelle
on peut fe heurter , eft faite exprès de
cordes.
Și par les violentes fecouffes & les
Si
con
466 MERCURE DE FRANCE.
continuelles attaques qu'on donne à celui
qui a le Ballon , on fait fi bien qu'il lui
échape , & qu'il tombe par terre , ce qui
arrive fouvent , un autre s'en faifit , &
chacun d'un parti contraire court après
pour lui donner un pareil affaut .
Celui qui tient le Ballon arrive quelquefois
jufqu'à la fortie , mais il trouvelà
de nouvelles difficultez , à caufe des
autres Nobles qui la défendent , & qui
font une réſiſtance d'autant plus difficile
à furmonter , qu'ils font un très - grand
nombre , unis & ferrez les uns contre
les autres. Il femble même qu'on n'en devroit
jamais venir à bout par la force ,
puifqu'outre l'égalité des combattans qui
font dans le champ , il y a encore les Nobles
furnumeraires à la porte. Auffi n'eftce
prefque jamais que par adreffe , fubtilité
& fineffe qu'on gagne le jeu ; voici
comment : Celui qui tient le Ballon , ſe
voyant accablé , le jette à un autre qu'il
verra éloigné de fes ennemis , & en état
d'être fecouru par ceux de fon parti . Mais
il est fouvent fi preffé qu'il n'a pas la
liberté d'en difpofer comme il veut. Une
autre rufe eft de faire femblant d'aller
d'un côté & le tourner tout d'un coup
d'un autre , pendant qu'une partie des
fiens courent au- devant pour lui faciliter
le paffage , en coupant & s'oppofant à
ceux
MARS 1725. 467
ceux qui veulent l'arrêter . Mais le tour
le plus adroit , & qui donne le plus de
peine , c'eft quand le jeu ne finit pas
ayant la nuit , & que plufieurs fe fervent
de l'avantage de l'obfcurité , en courant
dans la même poſture que celui qui tient
le Ballon , faifant femblant de le tenir
auffi ; ce qui divife les ennemis , qui ne
(çavent auquel ils doivent courir , ne
pouvant diftinguer le vrai d'avec le faux .
Il arrive fouvent qu'on fort du jeu , qui
dure au plus une heure , fans qu'aucun
des deux partis foit victorieux , l'un &
l'autre étant outrez de fatigue & de laffitude.
J'ai vu ce jeu du Calcio fort en
vogue à Venife , mais il ne fubfifte plus
depuis environ 20. ans . Je fuis , &c,
Sur
468 MERCURE DE FRANCE.
XX.XXXXXXXXXXXXX
Sur le Tableau d'Hercules filant auprès
d'Omphale , peint par M. le Moine
de l'Académie Royale de Peinture ,
Sculpture.
Ce Tableau vient d'être placé dans le
Cabinet de M. Berger , Receveur
General des Finances.
UN certain jour de Bacchanales ,
Qu'au fon des Clairons, des Cymbales,
Bacchus payoit fa fête aux Dieux ,
Et qu'il les regaloit de vins délicieux ;
Par la vapeur du petillant breuvage ,
Ils furent bien- tôt excitez ,
A vanter leurs amours , à faire l'étalage ,
Des faits guerriers par eux jadis executez-
Tour à tour chaque Dieu raconta fon Hiſtoire,
Et broda fur le tout maint ornement Gafcon ;
Le rang d'Hercules vint , d'Hercules , que la
gloire ,
Et les vertus eurent pour nourriffon .
La fimple verité lui tint lieu d'éloquence ;
Et ce Heros conta naïvement ,
Les
MARS
469 1725.
Les celebres travaux , qu'avec tant de conſtance
,
Il foutint depuis fon enfance ,
Jufqu'au jour qu'on le vit admis au Firmament.
Dans l'admiration , dans un profond filence ,
On écoutoit ces beaux évenemens ,
Loin que pour s'y prêter on ſe fit violence ,
Le recit en fembloit durer trop peu de temps :
Lorfque Momus , pour fatisfaire
Son efprit railleur & malin ,
Dit , Hercules , pourquoi nous taire
Ce qui fervit le plus à vous rendre divin ?

Nous cachez - vous par modeſtie ,
Vos grands travaux dans la Lydie ;
Et combien chaque jour vous y filiez de Lin ?
Tout le cercle à ces mots fit un éclat de rire .
Hercules fur déconcerté ;
Mais reprenant bien-tôt fon air de fermeté ,
Tu ne m'offenfes point , ce que tu viens de
dire ,
Mauvais bouffon , repliqua -t'il ,
N'eft point reçû de moi comme un trait de
Satyre .
Je pourrois bien par un détour fubtil
C Avan470
MERCURE DE FRANCE .
Avancer ici , que l'Hiftoire ,
N'a point prétendu faire croire ,
Que d'Omphale je pris la quenouille &
l'habit ,
Et que de ma maffue alors s'étant armée ,
Cette Princeffe fe vêtit
De la terrible peau du Lion de Nemée ;
Mais qu'elle n'a voulu , que faire fentir mieux
Par cet emblême ingenieux ,
Qu'un amant fe transforme en la perfonne
aimée ;
Qu'il adopte fes moeurs , fon goût , fon fen-
Et
timent ,
que tâchant d'être femblable
A l'objet qu'il trouve eſtimable ,
Il l'imite infenfiblement .
Mais , non , non , je fuis plus fincere ;
De mes tendres tranfports je ne fais point
miftere ;
Plus mon amour montra d'ardeur ,
Plus je crois qu'il me fait honneur.
Sans lui ma vertu , mon courage
Euffent paru l'effet d'un coeur dur & fauvage :
On m'eut pû croire un monftre encor plus
furieux ,
Que tous ceux que dompta mon bras victo
sieux :
MARS 1725. 471
Il a fur mes exploits fçû mettre une teinture
Qui leur donne un éclat plus doux :
Il montre que j'étois ami de la nature ,
Non l'efclave d'un fier couroux.
L'Amour feul donne un caractere
De bonne- foi , d'humanité :
Vainqueur de plus d'une chimere ,
Il introduit par tout l'heureuſe égalité :
Des paſſions c'eſt la plus genereuſe ;
Il partage toûjours fon bonheur , fon plaifir :
Bien loin qu'enfin ſa flamme ſoit honteuſe ,
Il eft honteux de n'en point reffentir.
Mais pourquoi chercher tant en quoi l'Amour
excelle ?
De mon affection la caufe fut fi belle ,
Qu'elle feule à vos yeux pourroit juſtifier ,
Qu'un Dieu même peut bien fervir une mortelle
,
Sans pour cela s'humilier.
Ah ! fi le Styx impitoyable
N'enfermoit pas Omphale pour jamais ,
Qu'elle vous paroîtroit aimable !
Que vous verriez de charmes & d'attraits.
C ij Toi
472 MERCURE DE FRANCE,
Toi , qui répandant la lumiere ,
As dans ta brillante carriere
Vû mille fois cette beauté ,
Je te prie , Apollon , dis-en la verité .
Je ferai beaucoup plus , afin de te complaire ,
Répond à ce difcours le Dieu qui nous
éclaire :
Il est un illuftre mortet ,
Dont la ſcience, avant l'âge accomplie ,
Fait que la France à l'Italie ,
N'a plus tant de raifon d'envier Raphaël.
Plein d'un genie ardent , fublime ,`
La toile fous fa main s'anime :
S'il ne peut faire voir par fon charmant pinceau
,
Qu'Omphale arrachée au tombeau ,
Ait malgré le deftin repaffé l'onde noire ;
Il peut du moins le faire croire.
J'eus toûjours foin de l'inſpirer
Mes leçons le font admirer ;
Mais dans ce jour je veux qu'il fe furpaffe ,
Pour exprimer la douceur & la grace ,
La Nobleffe & la Majefté
De celle dont tu fus à bon droit enchanté.
MARS 1725. 473
Ainfi parle Apollon : auffi-tôt il t'enflamme ,
Heureux le Moyne , & fon feu le plus beau
Paffe dans tes efprits , excite dans ton ame ,
Un enthouſiaſme nouveau ;
Tu travailles , le Dieu te guide ,
Tu produis l'excellent Tableau
Des Amours d'Omphale & d'Alcide.
Pendant qu'elle vivoit , Omphale eut le bonheur
D'être la maîtreffe du coeur ,
D'un feul Heros , que plus d'une avanture ,
Rendit à jamais glorieux ;
Et fa beauté dans ta peinture ,
Gagna le coeur de tous les Dieux.
Par M. Moraine.
XXX:XXXXXXXXX :XXX
DESCRIPTION de l'Autel principal ,
& de la Coupole fous laquelle il doit
être placé dans la nouvelle Eglife de
S. Sulpice de Paris. "Experience finguliere
faite à cette occafion. Par M. P....
L'Epreuve du feu faite fur des pieces
de Jafpe qui doivent fervir à la décoration
de l'Autel principal de nô
Ciij
474 MERCURE
DE FRANCE
.
nouvelle Eglife , eft , Monfieur , trèsveritable
, & je puis vous en parler exactement
, la chofe s'étant paffée en ma prefence
; mais le fujet demande que je vous
parle auparavant de cet Autel , puifqu'il
a été l'occafion de l'épreuve en queftion .
Je vous dirai auffi quelque chofe de la
Coupole , fous laquelle il doit être élevé.
Par là vôtre curiofité fera encore
plus fatisfaite , & vous me fçaurez bon
gré de mon attention pour tout ce qui
peut vous faire quelque plaifir.
Comme on ne fçauroit aller trop loin
pour tout ce qui regarde la gloire de
Dieu . M. le Curé de S. Su'pice a réfolu
de faire conftruire un Autel d'un goût
fingulier , qui foit tout enfemble fimple
& magnifique , qui réponde à la majefté
du lieu Saint , & à la beauté d'un édifice
qui doit avoir peu de pareils dans le
Royaume.
Čet Autel fera à la Romaine , mais
fans colomnes , ni Baldaquin , & fitué
dans le milieu de l'efpace qui eft entre
les deux pilliers , qui forment l'entrée
du Choeur, enforte qu'étant tout , ifolé ,
il fera vû de toutes les parties du Choeur,
qui fe trouvera derriere, de la croifée &
& de la Nef.
> La forme de l'Autel , dont la matière
doit être d'un marbre bleu Turquin des
plus
MARS 1725 .
475
plus rares , que M. le Curé a fait venir
de Genes , reprefentera une maniere de
tombeau à quatre faces. Sa longueur fera
d'environ 17. pieds , le bas de cet Autel
aura quelque chofe de fingulier & d'unique
dans fon efpece , il fera creux dans
toute fon épaiffeur avec deux ouvertures,
.l'une du côté du Choeur , l'autre du côté
de la Nef: elles feront fermées , chacune
d'une glace , à travers laquelle on verra
une Urne de Porphire qui contiendra
plufieurs Reliques des Martyrs.
Tout le marbre qui formera le corps de
Autel , fera orné de plufieurs ouvrages
de bronze doré d'or moulu , fur les deffeins
de M. Openor , qui a auffi donné
tous les deffeins de cet Autel fur les projets
de M. le Curé .
Le Tabernacle de figure quarrée fera
de bronze doré d'or moulu , enrichi de
pierreries , il reprefentera l'Arche d'Alliance
, caracteriſée par les Anneaux qui
fervoient à la porter , & par une Couronne
d'or , qui regnera tout autour.
Au -deffus de l'Arche fera une Table auffi
de bronze doré , figure du Propitiatoire
foutenuë par deux Anges de bronze doré
, de grandeur humaine , profternez &
en pofture d'adorateurs ; car le S. Sacrement
ſera expoſé deflus , les jours de folemnité
. Dans les jours ordinaires on
C iiij met476
MERCURE DE FRANCE .
mettra à la place une grande Croix de
bronze doré , de même goût , & de même
matiere que fix grands Chandeliers , lefquels
feront en tout temps fur cet Autel,
pofez fur un fimple gradin.
L'Autel & le gradin feront ornez dAgathes
, de Jafpe d'Orient , & d'autres
pareilles pierres de diverfes couleurs , artiftement
diverfifiées , & mifes en oeuvre.
La Coupole dont j'ai auffi à vous parler
, forme la voute du milieu de la croifée
, & fe trouvera au-deffus du Maître-
Autel. Elle est d'un trait hardi & des
mieux executées , ayant environ 46.
pieds de diametre. Outre la belle fculpture
, dont le cordon & les panaches ſeront
ornez , le fieur le Moine , Peintre
de l'Académie , & Penfionnaire du Roi ,
a été choisi pour y peindre l'un des plus
beaux fujets de l'Apocalypfe ; fçavoir, les
24. Vieillards qui chantent le Cantique
autour du Trône , & qui jettent leurs
Couronnes aux pieds de l'Agneau le
fieur le Moine elt déja connu par plufieurs
beaux ouvrages , & il ne fait que
d'arriver d'Italie où il a perfectionné fes
études ; de forte qu'on a tout lieu d'attendre
de lui quelque chofe d'exquis.
On éleve actuellement au- deffus de
cette Coupole une Tour , qui décorera
beaucoup le comble de l'édifice , & fervira
MARS 1725. 477
vira de couronnement à toute l'Eglife.
Cette Tour, de figure octogone , eſt toute
de charpente pour ne pas trop charger les
pilliers de la croifée. Elle a 42. pieds de
diametre fur 66. pieds de hauteur pardeffus
le comble de l'Eglife , c'eft- à- dire,
qu'elle aura près de 200. pieds d'élevation
du rez -de- chauffée. Elle fera percée
à chaque face de trois ouvertures de forme
differente , & fera furmontée d'une
Couronne celefte , dont le cercle fera
orné de flammes , & c. Il y aura au - deffus
de cette Couronne une grande Croix
de 16. pieds de haut . La Tour fera toute
revêtue de plomb . , & fes fculptures &
moulures feront dorées .
M. Openor , qui en a donné les def
feins , nomme cette Tour avec les Italiens
un Campanile , parce qu'elle fervira
à mettre les petites cloches. Les grandes
feront placées dans une grande Tour ,
dont je vous parlerai en fon temps , &
lorfqu'il s'agira du grand Portail & de
la façade de l'Eglife.
Mais venons , Monfieur , à l'épreuve
dont la décoration de nôtre Maître- Autel
a été l'occafion . Rien n'eft plus curieux
en fon genre que tout ce que M.
le Curé a affemblé de pierres rares de
differentes couleurs & efpeces pour enrichir
cet Autel. Ce font pour la plupart.
C v
des
478 MERCURE DE FRANCE.
des pieces d'Agathe , de Jafpe , & c. d'une
grande beauté & varieté : telles font
entr'autres une espece d'Agathe jaſpée de
vert & de violet , d'environ deux pieds
de longueur , infiniment plus fine , plus
dure , & d'un plus beau poli que le marbre
, une Cornaline brute , ronde d'environ
huit pouces de diametre , fur trois
pouces d'épaiffeur , ( on peut dire que
c'eſt un magnifique rocher , & la piece
donnée à M. le Curé
par M. Hogghere.
C'eſt une forte de breche auffi dure que
le jafpe , dont les principales taches font
d'un verd extrêmement beau , & il y a
auffi quelques taches violettes ; mais on
craint qu'on ne puiffe aifément l'employer
, parce que les taches vertes fe
feparent aifément du corps de la pierre ,
qui eft de couleur blanche. Elle eft de
2. pieds de long fur 9. pouces d'épaiffeur.
C'eft fur quelques - unes de ces pierres
qu'a été faite l'épreuve en queftion . M.
le Curé a mis au feu , fur une pelle defer
, quelques fragmens de Jafpes d'Occident
, & de la pierre de M. Hogghere ;
lorfqu'ils ont été échauffez , les fouffres
qui font répandus dans les taches vertes
& violettes fe font enflâmez , & ont
jetté une lumiere des plus brillantes , &
de couleur bleuâtre ; lumiere qui s'eſt
diffipée après un certain temps ; & la
pierreMARS
1725. 479
pierre eft reftée dure comme auparavant ,
mais décolorée , & toûjours tranfparante ,
comme un morceau de criftal . Il a fait la
même experience fur d'autres Jafpes
fort tranfparans , & ils ont jetté une pareille
lumiere étant mis au feu , où ils
petillent comme le fel Marin : auffi ce
font proprement des fels foffiles , mêlez
de foufre , ce qui fait croire que ces fortes
de pierres fe trouvent ordinairement
dans des mines de cuivre . * Multa latent
in majeftate nature. Je fuis , Monfieur ,
& c .
A Paris , ce 23. Fevrier 1725 .
Plin. Hift. nat.
XXXXXXXXXXXXXXX
Aune jeune perfonne curieufe de fçavoir
fa destinée.
Pourquoi chercher vôtre de in a
De vos jours attendez la fin
Sans crainte , & fans inquiétude :
Méprifez la trompeufe étude ,
De ceux qui difent fierement
Qu'ils lifent dans le Firmament,
Une fi vafte connoiffance-
C vj
ER
480 MERCURE
DE FRANCE.
Eft due à la Toute - Puiffance ;
Elle feule a droit de prévoir
Ce que vous voudriez fçavoir..
Mais fuppofons que, plus habille
Que ne fut jamais la Sybille ,
Vous perciez dans tout l'avenir;
Quel bien vous en peut revenir ?
Des Aftres par cette ſcience
Détournerez - vous l'influence ?
Non , Laïs , & par nul effort ,
On ne peut éviter fon fort.
Du deftin l'ordre eft immuable ;
Jupiter , ce Dieu redoutable ,
Maître des hommes & des Dieux ,
Subit fes Arrefts dans les Cieux :
S'il eft dans vôtre deftinée ,
Que vous foyez infortunée ,
Attendez le temps des malheurs
Pour gemir , pour verfer des pleurs .
Vous êtes jeune , riche , aimable ,
Que vôtre fort eſt agréable !
E outez , pour en profiter ,
La leçon que je vais dicter,
Il ne tient qu'à vous de la fuivre;
"
Songez
MARS 1725. 481
Songez uniquement à vivre ,
Pour vous donner toute aux plaifirs
Qui font l'objet de vos defirs.
De vôtre fort foyez contente ,
Profitez de l'heure preſente ,
Qui fuit avec rapidité.
Chaque moment nous eft compté
Avec une rigueur cruelle
En un mot vous êtes mortelle ,
Comptez peu fur le lendemain ,
Car il eft toûjours incertain.
い強い強い!
LETTRE du R. P. Mathieu Texte ,
Dominicain , écrite aux Anteurs du
Mercure , pour fervir de fupplement à
se qui a été dit fur la Maifon des Urfins
dans les précedens Journaux.
'Ai lû , Meffieurs , avec plaifir la Ge➤
Jnealogie de la Maifon des Urfins , ec
&
tout ce que vous avez ajouré dans vos
Journaux , à l'occafion de l'Exaltation du
Cardinal Vincent - Marie Orfino , Dominicain
, au Souverain Pontificat . Ce que
vous en avez dit , m'a fait former le def
fein
482 MERCURE DE FRANCE.
·
fein de remonter plus haut qu'à Jean
Urfin , dit Cajetan , où vous la commencés
avec Imhof , & de rechercher l'origine
d'une Maiſon , qui à cauſe de fa
grande ancienneté ne fera jamais bien
connuë.
Je ne vous dirai pas qu'elle vient de
ce fameux Urfinez , dont parle Q. Curce
, General des Perfans , dans l'armée de
Darius , ni d'Urcifin , dont Urfin eft un
diminutif à la maniere des Italiens , General
de l'armée de l'Empereur Conftance
en 355. Je ne voudrois pas non plus
affurer que le nom des Urfins , & la tige
de cette illuftre Maiſon viennent de Mundilla
Orfo , Gouverneur d'Ancone , du
temps de Belizaire en 565. fils d'Aldouin
, Chef de la Cavalerie des Gots , &
pere d'Aldouin II. dont les defcendans
font Cavis, Urfinus , loüez par Petrarque ,
Tarquin , Conftantin & Raymond qui
combattit fous Charlemagne en 774. contre
Didier , Roi des Lombards , & dont
on ignore la pofterité & le temps du decès.
Le manufcrit de M. le Laboureur ,
qui me fournit ces Memoires , n'en parle
pas . Mais voici ce que je trouve de pofitif,
& qui fait comprendre que cette Maifon
étoit illuftre & crue ancienne dès le
onzième fiecle , c'eft- à- dire , depuis environ
fept cens ans.
San.
MARS 1725. 483
Sanfowin , Hiftorien Italien , dit que
Jourdain Urfin , Grand Capitaine , au fujet
duquel Saint Bernard écrivit fa 290 .
Lettre , créé Cardinal déja fort vieux en
1145. & Legat d'Eugene III . vers l'Empereur
Conrard en 1152. étoit d'une
augufte & ancienne famille di grand familia
era Giordano , Barone honorato ,
Principi di quoi fecoli lebborono enfumma
reverentia. Il étoit à l'élection d'Adrien
IV. en II 54. mais non pas à celle
d'Alexandre III. en 1 159 .
Pierre Urfin créé Cardinal en 1181.
deceda la même année , fi cette mort précipitée
ne prouve pas infailliblement ,,
qu'il étoit né au commencement de fon
fiecle , fa dignité , & celles des Cardi--
naux Bobon , créé en 1182. que Victo
rellus dit être Urfin & Jourdain Urſin ,
créé en 188. neveu du premier publient
, & la puiffance de la Maifon des
Urfins dès ce temps - là , & fon ancienneté
par la diverfité de fes branches , ces trois
Cardinaux n'étant que Coufins felon Ciaconius,
Hift. des Papes , & pas un Hiftorien
ne difant Pierre & Bobon fils , ou
petit- fils de Paul qui fuit.
Paul Urfin que Sanfowin dit pere ,
mais que M. le Laboureur croit être frere
de Jourdain Urfin , Cardinal en 14452
eut trois fils , tous trois fucceffivement
Gene
484 MERCURE DE FRANCE.
Generaux des Guelphes para des Papes
contre les Gibellins parti des Empereurs.
Mathieu Urfin , fon aîné , Prefet de
Rome en 1153. étoit fi vieux , dit Sanfowin
, en 116o. que n'étant plus en érat
de marcher à la tête des armées , il affiftoit
de fes confeils le Pape Alexandre III.
élû en 1159. Le fecond fils de Paul
nommé Neapoleon reprit les places conquifes
fur la République de Florence ,
& la rétablit dans fon premier éclat. Nea
paleono fratello di Matthæo figluio di Polo
, fu notabiliffimo nella militia.
4 .
Herculez , troifiéme fils de Paul , qualifié
du titre de Comte , livra bataille aux
Gibellins au pied de la montagne du Dorc,
& y fut tué après mille belles actions.
Mathieu Urlin , Prefet de Rome eut
fils , Urfus , Comte de Petilliano , Jourdain
créé Cardinal en 1 r88 . & decedé
en 1206. Neapoleon Podeffa de la Ville
d'Orvieto étant encore fort jeune en cara
è barbato. Mathieu II . furnommé le Rouge
, il étoit prefent à un acte paflé en
1227. le nom & le temps , dit le Laboureur
, s'accordent pour juger qu'il
étoit fils du Prefet Mathieu . Urfus , fon
aîné , fut pere de ce Jean Urfin , dit Cajetan
, du nom de ſa mere , au fentiment
d'Imhof, comme vous l'avez marqué ,
Meffieurs , ce qui paroît vifiblement en
ce
MARS 1725. 484
ce que Deodat Frangipanis ceda en 1237.
à Eudes Frangipanis , fon Coufin , ce que
lui devoient Mathieu Urfin & Neapoleon
, fils de Jean Cajetan , qui eft fans
doute celui par qui à peu près en ce tempslà
vous commencez la Genealogie des
Urfins , mais que je trouve deux cens ans
auparavant comme vous venez de le
voir.
La Maifon des Urfins n'eft pas moins
illuftre par fes alliances , que par fes
Charges , fes beaux exploits , & fon ancienneté
, parmi un nombre prefque infini
, voici les trois plus auguftes .
L'occafion de la premiere fut que le
Cardinal Neapoleon Urfin , fils de Neapoleon
, General des Troupes de l'Eglife,
ayant pris le parti du Roi de France , Philippe
le Bel , contre Boniface VIII . fe réfugia
dans fon Royaume , où ce Prince
lui donna mille florins de penfion , à
prendre fur le revenu de la Seigneurie
de Baignols , en Languedoc , dont il favorifa
Renaud & Jourdain Urfin freres ,
fils d'Ourſe II . & fes deux neveux , qu'il
avoit emmené en France . La ceffion faite
avec le bon plaifir du Roi Philippe VI .
dit de Valois eft dattée de 13 30. Ce Prince
voulant les attacher entierement à fes
interefts , leur fit époufer deux Princeffes
du Sang Royal de la Maifon de Bourgogne
486 MERCURE DE FRANCE.
le gne de Montagu , comme il confte par
Teftament de leur frere Henri , defcendu
de mâle en mâle , de Hugues Capet ,
Chef de la troifiéme race des Rois de
France , pere de Robert qui lui fucceda
à la Couronne , & ayeul de Robert , Duc
de Bourgogne , tige de Henri I. Hugues
II . Eudes I. Roger I. Eudes II . Hugues
III . Alexandre , premier Seigneur de
Montagu , Guillaume I. fils d'Elifabeth
de Courtenay , & petit - fils de Pierre de
Courtenay , Empereur de Conftantinople
, Guillaume II . Odart , pere de Hen
ri , & de Jeanne de Montagu , époufe de
Renaud Urfin , Prince d' Aquilla , Comte
de Tugliacozzo , Seigneur d'Eſpolette &
de Viterbe qui vivoit encore en 1389. &
de Marguerite de Montagu , épouse de
Jourdain Urfin , mort fans pofterité. Le
Laboureur croit que Renaud & Jeanne
eurent un fils nommé Jean Urfin , & il
affure que des Lettres du Roi Jean , dattées
de 1353. font foi que Jeanne de Bourgogne
de Montagu revint en France ,
l'air de Rome lui étant contraire , &
qu'elle y laiffa Renaud Urfin , fon époux.
La pofterité du Grand Virginie Urſin ,
Comte d'Albo de Tagliacozzo , & de
Languillaro , Seigneur de Bracciano ,
Connétable du Royaume de Naples , fous
le Roi Ferdinand , fils d'Alfonfe V. vers
1458
MARS 1725. 487
fon 1458. a la gloire de defcendre par
ayeule de N. d'Arragon , de 7. grands
Empereurs , Conrard II . en 1021. Henri
III. Henri IV . Conrard II . fils d'Agnès
, fille de Henri IV. Frederic I. dit
Barberoulle , Henri VI . ( car Henri V ..
ne fut pas de cette branche ) & Frederic
11. pere de Maufroi , Prince de Tarente
qui eut Conftance , époufe de Pierre III .
Roi d'Arragon , duquel font venus Alfonfe
III . Jacques II . Alfonfe IV. Jean I.
Ferdinand 1. Infant de Caftille , & Roi
d'Arragon , par fa mere Eleonore , fille
de Jean I. Roi d'Arragon. Alfonfe V.
dont la Coufine époufa Robert Urſin ,
Prince de Salerne ,Duc d'Amalt , Comte
de Nolo , de Sarno , & de la Tripaldo
& ce fut leur fille , époufe de Neapoleon:
Urfin qui fut mere du grand Virginie
& ayeule de Jean Jourdain Urfin , époux
de Marie d'Arragon , fille de Ferdinand I.
Roi de Naples & de Sicile , & petite - fille
d'Alfonfe V. Roi d'Arragon , de Naples
& de Sicile , Marie mourut fans laiffer
de pofterité , & Jean Jourdain Urfin fet
remaria avec Felice de la Rouvere , dont
il eut des enfans , qui par leur pere avec
toute leur pofterité defcendent des Empereurs
que je viens de nommer.
De Clarice & Alfonfine des Urfins
font venues deux Imperatrices
, & deux
Reines
48 MERCURE DE FRANCE.
Reines de France qui ont élevé le faug
des Urfins fur tous les Trônes de l'Europe
. En voici l'origine.
Jean Urfin , Senateur Romain , Seígneur
de Bracciano qui rétablit la tranquilité
publique dans Rome par la défaite
des Rebelles , & la prife de leur
Chef , eut Charles Urfin , fon fils aîné ,
troifiéme Seigneur de Bracciano , honoré
par le Roi d'Arragon , & de Naples.
Alfonfe , cinquiéme des Comtes d'Albo ,
& de Tagliacozzo , & François Urfin ,
frere de Charles , Senateur Romain , Prefet
de Rome , Comte & Chef de la branche
illuftre de Gravina , par le don que
lui en fit Jeanne Reine de Naples . Il
défendit les interefts de cette Princeffe
avec tant de valeur , qu'elle lui fut redevable
de la confervation de fes Etats.
De lui defcend de peres en fils Vincent-
Marie Urfin XI. Duc de Gravina , Dominicain
, Cardinal , & élû Pape ſous le
nom de Benoît XIII. en 1724.
Latin Urfin , fils de Charles , & neveu
de François de Gravina eut une fille ,
nommé Clarice , qui époula Laurent I.
de la feconde branche de Medicis , Chef
de la République de Florence , né en
1448. oncle du Pape Clement VII . de
ce mariage font fortis Pierre II. Jean
Pape , fous le nom de Leon X. Julien ,
Duc
MARS 1725. 489
Duc de Nemours , Magdelaine , mere du
Cardinal Cibo , Lucrece & Contefine
mere du Cardinal Rodolphe , Pierre II.
eut d'Alfonfine des Urfins , fille de Robert
Urfin , dit fans peur , Connétable du
Royaume de Naples. Laurent II . de Medicis
, Duc d'Urbin , époux de Magde-.
laine de la Tour d'Auvergne , dont il
eut Catherine de Medicis , époufe de
Henri II. & mere de François II. Charles
IX. Henri III . tous quatre Rois de
France de la branche des Valois & de
Eleonore , Reine d'Espagne , de Claude
Ducheffe de Lorraine , & de Marguerite,
Reine de France , premiere femme de
Henri IV.
>
Lucrece de Medicis , fille de Clarice
des Urfins époufa en 1481. Jacques Salviati
, Grand Gonfalonnier de l'Eglife ,
leur fille Marie Salviati , femme de Jean
de Medicis , de la troifiéine branche , fut
mere de Côme de Medicis , créé Grand
Duc de Tofcane par le Pape S. Pie V.
Dominicain. François de Medicis fon fils
eut de Jeanne d'Autriche , fille de l'Empereur
Ferdinand I. du nom Ferdinand I.
de Medicis , pere de Côme II . de Marie
de Medicis , & de Claude de Medicis.
Marie époufa Henri IV. & fut mere de
Louis XIII . ayeule de Louis XIV. dit le
Grand & bifayeule de Louis XV. tous
quatre
490 MERCURE DE FRANCE .
quatre Rois de France , elle eut auffi
Elifabeth , Reine d'Eſpagne , Chriſtine ,
Ducheffe de Savoye , & Henriette épouſe
de Charles I. Roi d'Angleterre .
Côme II. de Medicis fut pere d'Anne,
qui de Charles Archiduc d'Infpruk eut
Claude Felicité , femme de l'Empereur
Leopol - Ignace en 1675. morte fans pofterité
en 1676 .
Claude de Medicis , foeur de Côme &
de Marie, époufa Leopol Archiduc d'Infpruk
& Leopoldine , leur fille , fut femme
de l'Empereur Ferdinand III. du :
nom.Je fuis , Meffieurs , & c.
TRADUCTION du Pfeaume 127.
Beati omnes qui timent Dominum ,
Par M. Moreau de Mautour.
H
STANCE S.
Eureux qui penetré d'une fecrette joye,
Aime , adore & craint le Seigneur ,
Heureux qui marche dans la voye ;
Connuë à l'homme jufte , inconnuë au pecheur.
Les dons de l'Eternel furpaffant fon attente ,
Seront les fruits de fes travaux ;
Son
MARS
1725. 498
Son ame tranquille & contente
6
Goûtera mille biens fans mêlange de maux,
Ainfi que par fes fruits une vigne fertile ,
Remplit nos voeux dans la faifon ;
Une époufe chafte & docile ,
De gloire & de bonheur comblera fa maifon,
Comme on voit fur les bords d'une verte
prairie ,
Croître de jeunes Oliviers ;
Il verra fa race fleurie ,
Croître autour de fa table en nombreux he
ritiers.
Ainfi fera beni le ferviteur fidele ,
Qui foumis au Maître des Cieux ,
Suit la route où fa voix l'appelle ,
Et medite fa loi qu'il a devant les yeux.
Jufte , que de Sion où vôtre efpoir fe fonde ,
Naiffe vôtre felicité !
Puiffiez-vous jouir dès ce monde
Des plaifirs éternels de la Sainte Cité !
Voyez
492 MERCURE DE FRANCE.
Voyez fur ifraël la paix regner fans ceffe ,
Que les en ans de vos enfans ,
Doux objets de vôtre tendreffe ,
De vos fiers ennemis foient toûjours triomphants
?
SECONDE Lettre fur la Pucelle d'Or
leans , écrite par M de Vienne Plancy ,
à M. Vignier de Richelieu.
Quique vôtre témoignage , Monfieur
, n'ait pas befoin de confirmation
, agréés pourtant
une allurance
de ma
part en faveur de la verité , & trouvez
bon que tout le monde fçache avec vous ,
que j'ai oui parler de la Pucelle
d'Orleans
à vôtre illuftre
frere , dans les mêmes
termes
que vous en avez écrit à M. de
Grammont
. J'étois à Paris quelques
mois
avant fa mort , & profitant
de mon féjour
en cette Ville , je lui rendois
toutes les
vifites à quoi m'obligeoient
la parenté
qui eft entre nous , la haute estime que
j'avois
pour fon rare merite , & la part
que je prenois
à l'indifpofition
qu'il fouffroit.
On étoit feur de le trouver
toûjours
à Saint Magloire
, parce que cette indif
pofition
ne lui permettoit
pas de fortir de
ce
MARS 1725 . 493
ce lieu , vous fçavez qu'il l'avoit choili
pour fa réfidence , à caufe du bon air
qu'on y refpire , & du voifinage de M.
de Morangis , fon intime ami. Il s'attachoit
alors par divertiſſement à la lecture
des voyages , & témoignoit en recevoir
beaucoup de plaifir . Ce fut en me racontant
celui qu'il avoit fait en Lorraine ,
avec M. de Ricey , qu'il tomba fur le
Chapitre de la Pucelle , qu'il me parla
du Manufcrit de Mets , fans pourtant me
le montrer , parce qu'il l'avoit prêté à
un Pere de la Maifon , qui l'avoit emporté
à la campagne , & qu'il m'aſſura
avoir tenu le contrat de mariage de Robert
des Armoifes avec cette Heroine.
Jugez , Monfieur , de ma furpriſe à ce
difcours ; elle fut d'autant plus grande ,
que j'avois oui dire deux ou trois fois à
un Gentilhomme de Normandie qui logeoit
avec moi , qu'on voyoit à Rouen la
chaudiere où cette pauvre fille avoit été
mife pour être brûlée vive , comme on
brûloit anciennement les morts chez les
Romains , avec cette merveille , que le
feu n'avoit non plus fait d'impreffion fur
fon coeur , que fur celui du brave Germanicus
, & il n'y avoit pas même longtemps
que j'avois lû cette déplorable Hif
toire dans la Cour Sainte , & l'inftruction
du procès , les condamnations qui l'a-
Ꭰ voient
494 MERCURE
DE FRANCE .
voient fuivies , & cette inhumaine exe-.
cution dans les Recherches de la France
par Pafquier. De forte qu'ayant l'efprit
gagné par ces préjugez , je demandai en
riant à votre illuftre frere , fi le corps de
la Pucelle avoit réfifté au feu comme fon
coeur , ou s'il étoit forti vivant de fes
cendres comme le Phenix . Il entendoit
raillerie , & il me répondit que je lui
demandaffe plutôt , fi Diane n'avoit point
mis une biche en fa place , comme elle
fit en celle d'Iphigenie , pour la garantir.
d'une auffi cruelle mort , & que je ne
in'éloignerois pas fi fort de la verité.
Ces paroles diffiperent ma ſurpriſe ,
en me faifant fouvenir d'une circonstance
qui eft à la fin du procès de nôtre Heroïne
, dans le dernier Auteur que j'ai nommé.
L'avantage que je crus tirer de ce
Livre , n'ayant bien -tôt fait témoigner
la curiofité que j'avois de le revoir , vôtre
illuftre frere , qui m'avoit reçû dans
fa Bibliotheque , l'une des mieux conditionnées
de Paris , me le mit aufli tôt
entre les mains. J'y cherchai l'endroit
dont je me prétendois prévaloir contre
lui , & j'en fis la lecture , & voici ce
qu'il contient , p. 561. » Elle fut de fi:
grande recommandation
entre nous
>> après fa mort ( Pafquier parle de la Pu-.
>> celle morte en 1431. felon lui , & felon
bien
MARS 1725. 495
bien d'autres qu'en l'an 1440. le commun
peuple ſe fit accroire qu'elle vivoit
encore , & qu'elle étoit échapée des mains
des Anglois , qui en avoient fait brûler
une autre en fa place , & parce qu'il en
fut trouvé une dans la Gendarmerie en
habit déguifé , le Parlement fut contraint
de la faire venir , & de la reprefenter au
peuple fur la Pierre de Marbre au Palais,
pour montrer que c'étoit une impoſture .
Ne voudriez -vous pas conclure de là ,
me dit auffi-tôt après M. vôtre frere , que
cette feconde Bellone , qui devoit reffembler
à la premiere , puifqu'on la prenoit
pour elle, fut l'Heroïne du Manufcrit de
Mets ? je lui répondis qu'il penetroit
dans ma penfée , & que j'y voyois bien
des apparences. Je vins à leur détail , &
il eut la patience de m'écouter , puis il
me repliqua , que fi l'on avoit bien fçû
diftinguer à Paris l'une de ces Guerrieres
d'avec l'autre , & confiderer la feconde
comme une ombre feulement de la premiere
, on auroit fait ce difcernement
avec beaucoup plus de facilité & d'affu
rance , aux lieux marquez dans le Manufcrit
, comme étant bien plus proche
du Païs de la Pucelle , pour ne devoir pas
foupçonner qu'on y eut été trompé ; que
fes freres d'ailleurs ne l'auroient pas reconnue
pour leur four fi elle ne l'avoit
Dij pas
496 MERCURE DE FRANCE,
pas été , & qu'enfin les temps ne s'accordoient
pas aflez, bien pour favorifer
ma conjecture ; puifque la Pucelle avoit
été mariée dans l'année de l'Echevinage
de Philippin Marlou en 1436. & que la
feconde Guerriere n'avoit paru que quatre
années après en 1440. Il ajoûta enfuite
à l'égard des autres vrai -femblances
que j'avois avancées contre fon opinion
, que fi le mari de la Pucelle ne l'avoit
pas menée à la Cour , demander au
Roi des récompenfes dignes des fervices
qu'elle lui avoit rendus , il fe put faire
qu'étant devenue groffe auffi- tôt après
fon mariage , & incommodée pendant
tout le cours de fa groffeffe , ce voyage
eut été remis après fes couches , & qu'en
donnant la vie à fon fruit , elle - même
l'eut perduë. Que fi les quatre Commiffiles
faires que le Pape Califte III. délegua en
1455. pour informer de fa vie , n'en divulguerent
pas cet heureux évenement
qui ne vint que trop à leur connoiſſance
après l'audition de 112. témoins . C'eſt
que leur Commiffion n'étoit pas de montrer
qu'elle eut échapé de la mort à
Rouen , mais d'examiner fi l'on avoit eu
raifon de l'y condamner comme heretique
, relapfe , apoftafe & idolâtre. Que
file Chancelier de l'Univerfité de Paris
qui fit fon Apologie en 1456, & tous nos
HiftoMARS
1725. 497
Hiftoriens François n'avoient rien dit de
cette furprenante avanture , c'eft qu'ils
ne l'avoient pas fçûë , ou ne l'avoient pas
voulu croire. Que fi la voix du peuple ,
qui paffe pour celle de Dieu , & de la verité
, étoit devenuë muette fur une fingularité
fi merveilleuse , c'eſt que le peuple
aimoit la nouveauté , & que deux
fecles étoient plus que fuffifans pour lui
faire oublier des chofes encore plus confiderables
que celle là ; & qu'enfin fi ce
M. des Armoifes qui lui avoit confié les
clefs de fon tréfor , n'avoit pas fçû luimême
la defcente de nôtre incomparable
Heroïne , il n'eut pas été le premier qui
eut ignoré ce qu'il devoit le mieux fçavoir
, & que fon engagement dans les
troupes dès le bas- âge , joint à une inclination
naturelle beaucoup plus forte
pour les armes que pour les Lettres , lui
avoit bien donné d'autres chofes à faire ,
qu'à s'amufer à lire de vieux contrats .
M. vôtre frere paffa au fond de la difficulté
après ces repliques , & me remontra
que la Pucelle ayant été expofée le
24. de Mai fur un échaffaut public , en
confequence de l'avis envoyé à Rouen
par l'Univerfité de Paris , qui la jugeoit
digne de mort , on l'avoit feulement admoneſtée
, remiſe en priſon , & condamnée
à y paffer le refte de fa vie ; ce qui
Diij don498
MERCURE DE FRANCE.
étoit
donnoit un jufte fujet de juger que la
condamnation à être brûlée toute vive ,
qui avoit été rendue contre elle à la fin
du même mois de Mai , n'avoit eu pour
but que de dompter par la crainte du plus
terrible des fupplices , l'invincible atta .
chement qu'elle témoignoit avoir à être
habillée en homme ; mais que l'execution
qui avoit fuivi cette Sentence ,
tombée fur une autre perfonne qu'elle ,
perfonne de même fexe , digne de mort ,
& de mort cruelle , qu'on avoit adroitement
fubftituée en fa place comme le
peuple de Paris l'avoit même deviné ,
lorfqu'il avoit pris la feconde Guerriere
pour elle ) & qu'on avoit brûlée toute
vive , pour contenter l'animofité des Anglois
, en même temps qu'on épargnoit
l'innocence de nôtre illuftre Françoife
&
que fi le coeur de cette perfonne fuppofée
avoit échapé des flames , comme
on le difoit , ce n'étoit pas une marque de
Sainteté , puifque celui d'un Payen avoit
bien eu le même avantage.
Il ajoûta que ce procedé étoit d'autant
plus digne de créance , que c'étoit un
Evêque , & un Evêque de nôtre nation ,
qu'on avoit rendu le maître de la vie &
de la mort de la Pucelle que cinq femaines
entieres s'écoulerent entre fa derniere
Sentence , & l'execution comme
on
MARS 1715. 499
"
on le voyoit par la comparaifon des dattes
de Pafquier & de Serres , le premier
mettant cette condamnation au 30. de
Mai , & l'autre cette execution au 6. de
Juillet ; délai extraordinaire en juſtice ,
mais fans doute alors neceffaire , pour
trouver la criminelle dont on avoit befoin
, & pour difpofer toutes chofes à
réüffir ; à quoi n'avoit pas peu contribué
la Mitre qu'on mit fur la tête de cette
malheureufe , en la conduifant au fupplice
, & le tableau plein d'injures qu'on
porta devant elle , puifque c'étoient autant
de moyens d'occuper , & de diftraire
les regards des perfonnes de fin diſcernement
, qui auroient pû découvrir cette
fage feinte. Il me fit remarquer après cela
dans Pafquier la teneur de certaines Lettre
de don , octroyées à Pierre , l'un des
freres de la Pucelle , par le Duc d'Orleans
en 1443. qui portent. Ouie la
fupplication dudit Meffire Pierre , contenant
que pour acquitter la loyauté envers
le Roi nôtre Sire , & Monfieur le Duc
Orleans , il fe partit de fon Pays pour
venir à leur ſervice en la compagnie de
Jeanne la Pucelle , fa four , avec laquelle
, & jufqu'à fon abfentement , & depuis
jufqu'à prefent il a expofé fon corps , &
fes biens audit fervice . Termes qui marquoient
que la Pucelle n'avoit été qu'ab-
D iiij fente,
Joo MERCURE DE FRANCE.
fente , & qu'elle n'étoit pas morte ; ce
que fon frere n'auroit pas manqué de
dire , & de faire exprimer dans ces Lettres
, s'il avoit été veritable , afin de s'attirer
plus de merite auprès de ce Prince.
Il me témoigna enfin qu'il ne doutoit
point que le Roi même n'eut bien fçû
qu'on n'avoit pas fait mourir cette innocente
, puifqu'ayant été prise en guerre
par les Bourguignons , qui la vendirent
aux Anglois , il n'auroit pas manqué de
venger publiquement fur les premiers de
ces ennemis qui feroient tombez fous fa
puiffance , la mort qu'on auroit donnée
contre le droit des armes à cette Heroïne
à qui il devoit la confervation de fa Couronne
, ce qui n'étant pas arrivé , à ce
qu'on fçache , confirmoit l'opinion qu'el
le n'avoit fouffert qu'une prifon de quelques
années ; d'où enfin s'étant échapée
après la mort du redoutable Duc de Bedford,
General des Anglois, avenue à Rouen
en Decembre 1435. il y avoit lieu de
croire encore qu'elle avoit aidé , quoique
fans éclat , à chaffer de Paris les An
glois , qui en fortirent au mois de Fevrier
1436. & qu'ayant entierement fatisfait
à fa miffion , & accompli toutes
fes prédictions , elle étoit retournée en
fon Pays , où elle parut au mois de Mai
fuivant , & où elle finit fes avantures par
fon
MARS 1725. 501
fon mariage avec une perfonne de qualité
, comme on l'apprenoit du Manufcrit
& du Contrat.
Il ajoûta encore que fi les voix celeftes
qu'elle avoit accoutumé d'entendre , &
qui l'avoient avertie de fa prife , ne lui
avoient pas annoncé précisément qu'elle
fortiroit de prifon , elles lui en avoient
affez dit pour lui en faire concevoir l'ef
perance , puifqu'elles lui avoient recommandé
d'avoir bon coeur , & de répondre
hardiment , & que Dieu ne la laifferoit
pas fans aide , & fans confolation. 11
cita enfuite l'Auteur dont il tenoit cette
circonſtance , mais le nom m'en eſt échapé
de la memoire .
Voilà , Monfieur , les raifonnemens de
M. vôtre frere fur ce grand fujet , autant
que j'ai pû m'en fouvenir en lifant vôtre
Lettre , & en relifant le P. Cauffin ,
Pafquier & de Serres ; peut -être y en
ajoûta-t'il d'autres que le temps a encore
effacé de ma memoire . M. de Morangis
le vint voir fur la fin de ces éclairciffemens
; le Manufcrit avoit paffé par les
mains , & il en fçavoit les particularitez.
Il témoigna qu'il auroit fouhaité que le
contrat y eut paffé auffi , & non - feulement
celui de Robert des Armoiſes , mais
encore celui de fon fils , pour voir les
termes & les dattes de l'un & de l'autre..
D v
foz MERCURE DE FRANCE.
Il demanda enfuite fi l'on ne pouvoit
point conteſter la validité du Manufcrit ,
fur ce qu'en faifant mention des freres
de la Pucelle , il donnoit la qualité de
Chevalier au cadet , & n'attribuoit que
celle d'Ecuyer à l'aîné. Surquoi M. vôtre
frere lui répondit , que le cadet accompagnant
fa foeur à la Guerre , comme
le portoient les Lettres de don de 1443 .
s'étoit, fans doute , acquis un merite fingu
lier , d'où lui étoient venues la dignité
& la qualité de Chevalier , lefquelles
n'avoient pas été accordées à fon aîné
pour ne s'être pas fignalé de la même
maniere , & cette réponſe me parut fort
plaufible . Ils fe dirent beaucoup d'autres
chofes fur ce Manufcrit , que je ne comprenois
pas trop , parce qu'elles dépendoient
des circonftances qui m'étoient
inconnues , & fi je l'euffe vu , je ne doute
point que je n'y euffe bien trouvé des
queftions à propofer à nôtre illuftre Tenant.
Par exemple , pourquoi cette Guerriere
parloit par paraboles , difoit qu'elle
n'avoit point de puiflance avant la Saint
Jean- Baptifte , ne s'alla pas faire voir à
Dompré , Domprin , ou Dompremy fa
terre natale , à Vaucouleur fon voifinage,
& à Neufchâtel où elle avoit demeuré
cinq années , & fe laiffa mener à Cologre
MARS 1725 . 503
gne par un jeune Comte d'Allemagne
qui l'aimoit , & qui l'y retint tant qu'il
plût à Dieu , on ne dit pas combien de
temps ; car enfin , Monfieur , vous m'avouerez
qu'on peut bien foupçonner
du myftere en tout cela , & un myftere
peut être plus propre à affoiblir qu'à
fortifier la preuve qu'elle étoit la veritable
Pucelle. De plus , on me vient d'apprendre
que du Haillan , qui a écrit avant
Paſquier , & qui raporte plus au long le
procès de nôtre Heroine , dit qu'elle
avoit fait voeu de virginité , dès le temps
qu'elle commença à ouir les voix celeftes
, ce qui arriva en la quatorziéme année
de la vie ; & que pour cette raiſon
elle refuſa de ſe marier à un jeune homme
à qui fes parens l'avoient promiſe
comme elle l'avoit confeffé à fes Juges.
Et voilà , ce me femble , une affez grande
atteinte à l'opinion de vôtre illuftre
frere. J'y défere pourtant beaucoup , &
je me rendrai toûjours à la vôtre , ayant
ajoûté à l'eftime que j'ai toujours euë
pour vous , celle que j'avois pour lui .
Faites-moi la grace d'en être perfuadé ,
& de me croire , Monfieur , vôtre , & c .
Signé , DE VIENNE PLANCY
D vj
LA
504 MERCURE DE FRANCE.
akak kakakak
L'Apotheofe de la belle * Hollandoife.
ID ILLE.
De M. de la Grange , faite à l'occafion
du 2. mariage de M. de Cruiningens .
Dans ce riche Pays où cent digues fameufes
,
Repouffent les efforts des vagues écumeuſes »
L'infortuné Damon confondoit fes foupirs ,
Au murmure des flots , au fouffle des zephirs,
Et le trépas d'Iris , fa compagne fidelle ,
Dont la perte à fon coeur étoit toûjours nouvelle
,
Lui faifoit à Neptune adreffer ce difcours ,
Dont un ruiffeau de pleurs interrompoit le
cours .
Ne crains plus , Dieu des Mers , que contre
ta furie ,
Mes ordres , ni mes foins défendent ma Patrie..
Comment pourrois - je encor m'acquitter de
l'emploi ,
Feue Madame la Baronne de Cruiningens..
Voyez la Cantate , intitulée la Belle Hollandoife
, dans les Oeuvres mêlées de M. de la
Grange , pag. 1717. & fuiv.
De
MARS 1725.
505
De veiller aux travaux que l'on fait contre
toi?
Iris, la jeune Iris dont la mort me ſepare ,
Etoit de ces climats l'ornement le plus rare ,
Pour défendre fes jours de tes flots ennemis ,
Je gardois ces remparts qui me furent commis
;
Mais puifque je la perds , je voudrois queton
onde
Abîmat avec moi tout le reſte du monde.
A peine fa douleur lui dictoit ce propos
Dans un Char de criftat , élevé fur les flots ,.
Au milieu des Tritons , parmi les Nereïdes ,
On diroit que Venus fort des grotes humides,,
Il voit briller Iris , l'objet de tant de pleurs ,
Dont le front couronné des plus brillantes
fleurs ,
Par l'éclat qu'il répand fur la plaine azurée ,
Obfcurcit Amphitrite , & même Citherée.
Regarde , dit Neptune , à cet époux furpris
Si tu dois t'affliger de la gloire d'Iris .
Nayade des Canaux qui coupent la Contrée
Je veux que fous ce titre elle foit adorée.
* M. de Cruiningens eft Grand - Bailly de
Muiden , Chatellain du Château, & Surin--
tendant de la Digue , & c..
Une
Job MERCURE DE FRANCE.
Cependant de tes cris ne frappe plus les airs ,
Une beauté pareille à celle que tu perds ,
De vertus & d'appas également ornée ,
Va rallumer pour toi les feux de l'Himenée ,
Saifi toi du tréfor que je t'ai deſtiné ,
Des époux par deux fois fois le plus fortuné ,
Et que l'échange heureux qu'avec toi fait
Neptune ,
Rende les Dieux jaloux de ta double fortune.
Ainfi parla le Dieu de l'humide féjour ,
Et l'on vit auffi -tôt l'Himenée & l'Amour ,
Sur les Autels dreffez pour l'époufe immortelle
,
Allumer leurs flambeaux pour l'époufe nouvelle.
* Mademoiſelle de Putzfelt que M. le Baron
de Cruiningens époufe en fecondes nôces,
Elle eft d'une Noble & ancienne Maiſon , originaire
du Pays de Juliers.
www.
LET
MARS 1725 . 307
XX:XXXXXXXXXXX XX
LETTRE écrite par M*** à M.
D. L. R. fur le Poëte Laifnez.
-
J
'Ai connu très particulierement
Monfieur , le Poëte Laifnez , ſur la
vie duquel vous me demandez
quelques
Memoires. Ce Poëte m'a fait le plaifir de
demeurer près de deux ans avec moi ; &
fi j'avois été à Paris , dans le temps de fa
mort , qui arriva en 1710. je ne doute
point qu'il n'eut remis entre mes mains
fes papiers , dont M. C.... Medecin s'empara
, & qu'il a donnez à Jombert , Libraire
de Paris . Je vous reciterai avec
plaifir , lorfque j'aurai l'honneur de vous
voir , quelques- uns de fes ouvrages qui
vous feront connoître fon caractere &
fon inclination .
La vie libre qu'il menoit , & débarraffée
de tous les foins ordinaires , l'a
empêché de donner fes ouvrages au Public
, mais plufieurs amateurs du bel
efprit , qui recherchoient avec empreffement
fa converfation , & les perfonnes
de la premiere diſtinction qui ſe faifoient
un plaifir de l'inviter à leur table , ont
retenu la plûpart de les Poëfies , dont on
pourroit faire un jufte volume.
Je
508 MERCURE DE FRANCE.
Je vous donnerai ici une idée du caractere
, du genie , & de la maniere de
vivre de nôtre Poëte que je tire d'une de
fes Lettres , qu'il m'écrivit d'une campagne
, dans laquelle il avoit paffé quelque
temps . Il me rendoit compte de fes
occupations , & de fes amuſemens dans
cette campagne. Vous voulez fçavoir ,
me difoit-il , ce que fait ici le nouvel
Epicure.
Il fait de fes jardins un aimable réduit ,
Un efprit libre & fage
Mêlé de badinage ,
Ou l'amufe , ou l'inftruit ,
Dans le fond d'un bocage ,
Où tout eft fait pour le bel âge ,
Une Lyre à la main le plaifir le conduit.
S'il va trouver Baccus fous ce charmant ombrage
,
Si Venus l'écarte fans bruit ,
Sous quelqu'heureux feuillage ,
La débauche le fuit ,
La volupté le fuit.
Laifnez partageoit fon temps entre les
plaifirs de la table , & ceux de l'étude des
Sciences & des beaux Arts , dont il avoit
une
4
MARS 125. 5.00
une très- grande connoiffance , ce qui lui
fit dire un jour à feu M. Nolet , Lieute
nant aux Gardes Françoifes , convive aimable
, & buveur très - renommé , avec
lequel il venoit de paffer douze heures
à table , & qui étoit furpris de le voir
entrer à fept heures du matin dans la Bibliotheque
du Roi ; je partage ainfi mon
temps , dit Laifnez , entre Apollon &
Baccus , ce qu'il exprima fur le champ
par ce diftique Latin.
Regnat nocte Calix , volvuntur Biblia manè ,
Cum Phobo Bacchus dividit imperium
Ce qui eft comme vous voyez , Monfieur
, une heureufe imitation de ces
beaux vers que Virgile fit en l'honneur
d'Augufte.
Nocte pluit totâ , &c.
Les voluptueux & les perfonnes qui
recueilloient d'excellens vins , le conful
toient volontiers fur les vandanges , &
ceux qui faifoient conftruire des preffoirs,
avoient recours à lui pour les orner de
quelques Infcriptions , comme on alloit
au fameux Santeuil pour avoir des Infcriptions
pour les Fontaines de Paris. Je
vous envoye celle que nôtre Poëte donna
à feu M. Bachelier pour des preffoirs
qu'il a fait conftruire en Champagne , &
qui
fio MERCURE DE FRANCÉ.
qui lui ont couté beaucoup de dépense ;.
les voici :
La Fable , entre mille plaifirs ,
Et mille flots badins conduits par des zephirs,
Fit naître une Venus de l'écume de l'onde ,
Que la Grece murmure , ou que la Fable
gronde ,
La Champagne le verre en main ,
A l'aſpect des preffoirs que la liqueur inonde
La fait naître aujourd'hui de la mouffe du vin
Ces paroles , Monfieur , ont été mifes
en Mufique par M. Moreau , Penfionnaire
du Roi , Auteur des Choeurs de
Mufique des Tragedies d'Efter & d'Attalie
, & connu par plufieurs autres beaux
ouvrages. On en trouvera l'air noté
avec la Chanfon de ce mois .
Je croi , Monfieur , qu'il eft encore à
propos pour l'honneur de nôtre Poëte
de vous marquer que fon Medaillon fe
trouve fur le fameux Parnaffe François
que M. Titon du Tillet a fait fi heureufement
executer en bronze , & dont il a
été parlé dans deux de vos differens
Mercures. Je fuis , & c.
A Paris , ce 13. Fevrier 1725 .
RONMARS
1725 .
*******************
RONDEAU REDOUBLE .
A
Vec amour , Iris , foyez bien fage ,
C'est un badin dont l'air eft dangereux ;
Sous fes drapeaux doucement il engage ,
Un jeure coeur trop fenfible à fes feux.
Il eft d'abord modefte , gracieux ;
La bonne-foi brille fur fon vifage ;
Mais croyez -moi , c'est pour vous tromper
mieux :
Avec amour , Iris , foyez bien fage.
Le beau Narciffe , affis fur un rivage ,
Trouve fa perte en regardant fes yeux ;
Voilà des tours de cet enfant volage ,
C'eſt un badin dont l'air eft dangereux .
Efperez-vous un fuccès plus heureux ?
C'eſt vous flatter , quel en eft le préfage ›
Ecoutez -vous les difcours captieux ?
Sous fes drapeaux doucement il engage .
Gardez
512 MERCURE DE FRANCE.
Gardez - vous donc de donner quelque gage
A ce trompeur déja tout orgüeilleux ,
Il ne rend point quand il a pour ôtage ,
Un jeune coeur trop fenfible à fes feux.
Que vôtre efprit fagement fcrupuleux ,
Ne donne point dans un vain badinage ;
Une beauté par les ris & les jeux ,
Fait fort fouvent un funefte naufrage.
Avec amour.
EXTRAIT d'une Lettre écrite de Malthe
à M. le Bailly de Mefines , en datte
du 7. Fevrier 1725. fur le remede de
l'Eau glacée.
Q
Ui auroit crû que je fuffe devenu
l'Evangelifte de l'Eau à la glace ,
& qu'on m'eut perfuadé que c'eft un remede
à tous maux ; cependant s'il faut
croire par les fens nous voyons , & nous
palpons des morts redevenus en vie.
Les Chevaliers de Levi & de Revel ,
un Page du Grand - Maître , Efpagnol &
nombre d'autres , ont été livrez au Capucin
de l'Eau , avec des Certificats fignez
des
MARS 1725 .
513
des Medecins , qu'il n'y avoit que Dieu
feul qui pût les retirer des bras de la
mort , ils fe portent tous aujourd'hui
mieux qu'ils n'ont fait de leur vie , &
continuent leurs caravanes fur les Vaiffeaux
& fur les Galeres , le Chevalier de
Levi doit la vie à fon Altefle Eminentif
fime qui fignifia aux Medecins de l'Infir
merie qu'ils feroient chaffez de Malthe ,
s'ils ne le remettoient au Capucin , ou
s'ils ne répondoient de fa vie en continuant
de lui donner leurs remedes . On
le remit à demi mort , en 24. heures il
reprit fes fens , & eft à prefent gras à
pleine peau. Ces M's font des exemples
de la bonté du remede pour la fiévre maligne
dans fon dernier periode , ils avoient
tous reçû les Sacremens , & le Crucifix au
chevet de leur lit , lorsqu'ils ont été mis
à l'Eau . Nous avons 5o . malades gueris
en trois jours de ceux qui n'ont point
pris d'autres remedes que l'Eau. Là fiévre
n'y réfifte pas , on l'inonde , & elle
quitte le malade ; voici un nouveau Phenoméne
pour la petite verole.
Elle eft ici generale , nous avons vingt
Chevaliers qui en font attaquez , le fils
du Comte Pretiofi qui n'a que fix ans , de
très-foible complexion , fut faifi le 30 .
Janvier par une fiévre violente. On appella
le Capucin qui connut dans l'inftant
qu'il
$ 14 MERCURE DE FRANCE.
qu'il avoit tous les fymptômes de la pe
tite verole , & lui donna l'Eau fans hefiter
, mais quelle Eau ce fut , la queſtion
du Châtelet. 30. Onces par repriſe en
trois verres , & quand l'enfant la rejettoit
on en redonnoit trois verres , cette
fcene dura 48. heures fans difcontinuer ,
le Capucin ne le quittant jamais , & le
fecoüant pour l'empêcher de dormir,
L'eau perça par le bas & par le haut , la
fiévre ardente difparut , les boutons ou
grains de la petite verole fe montrerent
fecs & en petite quantité , de la ceinture
en hauts mais depuis les cuiffes jufques
aux pieds ce ne fut qu'une écaille qu'on
enlevoit fans peine , il étoit en état de ſe
promener dans les rues le 2. Fevrier.
Que dira de cet évenement la Faculté de
Paris ? nos Efculapes fubalternes font ici
dans un grand étonnement , ils en ont
tous la fiévre , je ne vous écris rien à ce
fujet que je n'aye vû , & j'étois auprès
de S. A. E. lorfqu'on lui en a fait ce
détail.
A l'égard des maux extraordinaires.
gueris par l'Eau , je vous ai parlé du
Commandeur Beveren qui avoit deux
abſcès dans l'eſtomach , des palpitations
de coeur , un froid continuel , avec des
évanouiffemens , il eft aujourd'hui en
état de faire une courfe fur les glaces de
NorMARS
1725. 515
Norwege , à la tête de fon Regiment.
Le Commandeur Guarrena , Piémon
tois avoit un ſquirre fur l'eftomach trèsdur
, & gros comme un fauciffon de Bologne
, il étoit pâle & extenué , il eſt aujourd'hui
gras comme un moine , & a le
ventre uni & mol.
Le Chevalier de Serincham fe mouroit
de chaleurs de reins & d'entrailles ,
& étoit devenu fec & fans force , l'Eau
l'a remis en fanté , & il fut obligé en la
prenant d'avoir des pots de chambre d'étain
, la chaleur de fes urines calloit tous
de ceux verre.
Și l'on eft furpris à Paris de ce que j'écris
, on ne le fera pas moins dans le refte
de l'Europe . L'Empereur , le Roi de Sardaigne
, M. le Duc de Lorraine en font
informés ces Mis ont envoyé par tout des
relations de leur état , & de la maniere
dont ils ont pris l'Eau , je ne vous nomme
que ceux - là , nous en avons 50. de
l'Ordre qui ont été gueris de toute forte
d'incommoditez , cours de ventre inveterez
, diffenterie , hidropifie , jauniffe ,
& fortes obftructions. Le Capucin m'a
affuré que l'Eau étoit infaillible pour la
fiévre maligne & la petite verole , &
qu'il n'en reftoit jamais aucune marque ,
l'effet de l'Eau eft de faire paffer la malignité
par le bas , ou par des vomiffemens,
je
16 MERCURE DE FRANCE .
je voudrois la voir employer pour la
rage , je la croirois bonne pour guerir de
la pefte.
J'en ufe pour moi affez joliment , & je
uſe
m'en trouve bien , grand mangeur de
choux de Milan , Brocolis , Fenochios &
Craffis , vous connoiffez ces legumes qui
donnent de magnifiques indigeſtions aux
eftomachs imbecilles , 30. ou 40. onces
d'Eau à la glace à jeun , me mettent à
l'abri de tout..
Je joindrai un article qui fera autant
d'honneur à l'Eau que tout ce que je
vous ai écrit . Fra. Ignatio Galea , Prêtre
d'obédience qui a une place de Servant à
'Infirmerie , jeune Celebrant de 25. ans
fut remis le 4. au foir au Capucin , il ne
lui reftoit de vie que le mouvement du
coeur , & les derniers mouvemens de
l'eftomach , une inflammation au gofier ,
& hors d'état de prendre aucun remede ,
ni par haut, ni par bas , fans connoiffance ;
on me dit hier au foir qu'on efperoit
qu'il pourroit prendre l'Eau avec une
machine qu'on lui infinuera dans le gofier
; fi cela peut réüffir , ce fera une réfurrection
, je ne fermerai pas ma lettre qu'il
ne foit où mort ou reffuſcité , le cas eft
trop intereffant.
Le 7. au foir le mort n'eft pas encore
bien mort , ni à demi refſuſcité , le peu
d'Eau
MARS 1725. 517
d'Eau qu'il avale le foutient depuis deux
jours ; fi elle perce , il reprendra vigueur
& connoiffance ; car c'eft à prefent comme
une buche qu'on tourne dans un lit : j'aurai
l'honneur de vous écrire ce qui en
arrivera.
Les Medecins doivent s'affembler la
premiere femaine du Carême , & raiſonner
fur les effets & la vertu de l'Eau :
ce que nous voyons eft au- deffus de tous
les raifonnemens qu'on peut faire.
Le 7. aufoir.
Je r'ouvre ma Lettre pour vous dire
que le Prêtre à qui l'Eau paroiffoit inutile
, ne pouvant la recevoir , a été apoftrophé
par 13. lavemens qui ne difoient
mot , fon corps devenant livide ; le Capucin
fe mit en colere , & le remit ſur
le dos ; il lui appliqua des ferviettes moüillées
à la glace ; la mort fe mocquoit encore
du bon Capucin, & tenoit le patients
enfin d'un ton de colere le Capucin fe
fait donner huit livres de glace en un
feul morceau , & lui en frotte l'eftomach
& le ventre. Ma foi , la mort quitta la partie
, le patient fe déboucha par le haut &
par le bas : il a ouvert les yeux , il reconnoit
tout le monde , & boit de l'Eau fans
façon. On efpere tout de cette operation,
E &
518 MERCURE DE FRANCE.
& l'on peut dire que par le miracle de
l'Eau le Capucin a reilufcité ce corps
mort vous ferez informé de fa parfaite
guerifon .
Autre Lettre de Malthe , en datte du 8.
Fevrier.
S. A. Eminentiffime me fit l'honneur
de me dite hier , qu'on ne pouvoit croire
à Paris ni à la Cour , les merveilleux
effets de l'Eau , je n'en fuis nullement
furpris ; fi nous n'étions forcez de croire
ce que nous voyons , nous n'aurions pas
plus de foi au remede qu'on en a ailleurs ;
cependant fi l'on vouloit des certificats
des intereffez , le Capucin en pourroit
fournir des Medecins de Malthe qui lui
ont remis leurs malades , avoüans, que
Jeurs remedes étoient inutiles ; les malades
y ajoû eroient qu'ils fe portent bien ,
& que l'Eau feule les a gueris . Nous qui
joüiffons d'une parfaite fanté ajoûterions
qu'ils difent vrai , à commencer par le
Grand- Maître , qui dans le commencement
n'y croyoit pas plus que moi , &
bien d'autres . Le Commandeur Dargouges
, chargé des affaires du Roi , dira que
par la vertu de l'Eau les yeux ne fouffrent
plus , & qu'il eft délivré des ferofitez
acres qui les coloient , & les rougiffoient,
M. de Beveren a écrit en Allemagne
,
MARS 1725. 519
magne , en Lorraine & en Hollande où
il a des amis ; Serinchamp à M. le Duc
de Lorraine , Guarrena en Piémont , Vafconcelos
en Portugal , Balbani à Luques
Petruzzi à Sienne , B. Zendrea de Joanne
en Sicile , Frizari à Naples , Ferretti
à Rome , & nombre d'autres Chevaliers
que je ne nomme pas , & qui fans mentir
doivent la vie au remede du Capucin :
voilà tout ce qu'on peut offrir aux incredules
.
Il y a ici un riche Medecin nommé
Dalli ,qui fe fert de l'Eau utilement, & un
Medecin Siennois qui avec l'Eau a gueri
un Prêtre de S. Jean d'une humeur âcre
qui abreuvoit fon goier , & qui avoit
déja rongé l'alluette , & qui fe fentoit
écorché jufques dans la poitrine : il faut
vous dire encore que l'Eau enleve tous
les maux qui ne nous viennent pas en
faifant l'Oraifon mentale , il y en a bien
des exemples ici.
.
Le Prêtre de l'Infirmerie qu'on a donné
au Capucin étant pofitivement à l'agonie
, fans connoiffance ni mouvement ,
& que j'ai nommé un mort à refſuſciter
eft très-mal aujourd'hui 8. Fevrier à 9.
heures du matin ; il ne peut avaler l'Eaus
s'il peut en revenir, ce que je n'ofe croire,
ce fera une vraye réfurrection ; vous en
ferez informé.
E ij EPI520
MERCURE DE FRANCE.
EPITRE de M. Vergier à Mefdemoifelles
de L *** en leur envoyant les
Jarretieres que Mud. la Comteffe de
L **** leur belle-four , avoit portées le
jour de fes nôces.
E ne font point Jartieres ordinaires ,
CE
Que celles qu'ici vous voyez.
Par elles bons maris vous feront envoyez ,
Si bons maris ne font êtres imaginaires :
En un jour folemnel & depuis peu fêté ,
Hymen de fon flambeau les a trois fois touchées
,
Et fait dans leur replis , de cent vertus cachées ,
Un affemblage fouhaité.
Aimables foeurs , ne voulez - vous en croire
Ces vulgaires raiſonnemens ?
De vôtre main , avec ces ornemens ,
Ceignez ces colonnes d'ivoire
Qui fervent de foutiens aux plus beaux mo
numens ,
Qu'Amour jamais éleva pour fa gloire ;
Auffi -tôt vous verrez accourir des époux ,
L'un facile , l'autre jaloux ,
L'un
MARS 17243 511
L'un gracieux , l'autre farouche ,
Vous n'aurez qu'à choifir , un mot de vôtre
bouche ,
Va les lier par d'immuables loix ;
Je dois vous dire toutefois ,
Qu'Amour auffi fut prefent à la fête ,
Que quelques - uns affurent que l'on vit ,
De ces mêmes liens entortiller fa tête ,
Puis fon carquois , qu'enfin il pourſuivit
Le charme , en les paffant au travers de fes
flâmes ;
S'il eft ainfi je tremble pour vos ames ;
Car fa flâme y penetre , & l'on nous en fait
peur ,
Et je craindrois que ce charme trompeur
Ne fit au lieu de l'Hymenée ,
Venir d'amours quelque troupe effrenée ;
Ce feroit un grand mat ; il ne fautpourtant pas
Sur mon avis rejetter ces Jartieres ;
Car je fuis peu fçavant en ces matieres ,
Et vous vous priveriez d'un efpoir plein d'appas
:
D'ailleurs il n'eft pas impoffible
Que l'Hymen & l'Amour marchent de même
pas ;
Vôtre frere en fournit un exemple fenfible.
E iij
LET522
MERCURE DE FRANCE.
aaaaaaak
LETTRE écrite par le R. P. Caftel ,
Jefuite , à M. D. L. R. au ſujet de la
Lettre de Gepolis , fur le Traité de la
pefanteur des Corps , inferée dans Le
Mercure de Fevrier dernier.
Lferée dans le Mercure de France du
A Letrre de Gepolis , Monfieur , inre
,
mois de Fevrier dernier m'a fort réjoui
Je n'avois pas prévû que mes principes
fiffent jamais des Prophetes. J'avoue cependant
qu'un peu d'entouſiaſmne ne laiffe
pas de me plaire dans ceux qui font
l'honneur à mon fyftême de s'en aider
pour en enfanter de nouveaux. Un froid
copifte me plaitoit beaucoup moins. Je
vous annonce un beau Difcours en ce genfait
par un homme qui entend bien
mon fyftême , & qui m'a bien aidé à le
déveloper par fes objections & fes réflexions.
Mais pour revenir à la Lettre de
Gepolis , l'Auteur mne paroît de ces efprits
vifs de qui on peut attendre quelque
chofe d'original ; il a fort piqué ma
curiofité par le fyftême qu'il nous annonce
; car je fuppofe que le ton de Prophere
qu'il prend n'eft que pour égayer
la matiere. L'entoufiafme de la découverte
MARS 1725 . 523
verte doit finir précisément , ou commence
celui de la prédiction. Je ne voudrois
donc pas que cet Auteur parlât
affirmativement du déperiffement futur ,
& même prochain de la terre. Ce déperiffement
n'eft pas un évenement naturel
, ce fera un miracle. Si le feu qui
eſt dans le fein de la terre pouvoit jamais
parvenir naturellement à la confumer
, il y a long - temps que la chofe feroit
faite . Je n'ai jamais approuvé Kircher
lorfqu'il a pouffé l'invention du feu
central jufqu'à la Prophetie de l'embrafement
general de la terre : Dieu pourra
bien fe fervir de ce feu pour executer
cet embraſement , comme il s'eft fervi de
l'eau qui eft dans la terre pour executer
le déluge ; mais il faudra qu'il mette la
main à l'un comme il l'a inconteftablement
mife à l'autre . J'ai , fi je ne me
trompe , affez établi dans mon ouvrage
de la Pefanteur l'équilibre conftant qui fe
trouve entre l'eau & le feu qui font dans
le globe de la terre . Puifque cet Auteur
veut bien faire l'honneur à mon fyftême
de s'y rendre attentif , je le prie de remarquer
ce point particulier , qui eft tout
fondé fur la plus faine mécanique , & fur
l'Hiftoire naturelle des chofes. Je fuis ,
Monfieur , & c.
E iiij PRE$
24 MERCURE DE FRANCE .
J
PREMIERE ENIGME .
E ne fuis foutenu de jambes ni de bras ,
Rien , pourtant , mieux que moi , n'a la
figure humaine ;
Je fçai par le fecret d'un art induſtrieux ,
Et vieillir les enfans , & rajeunir les vieux :
D'abord que je parois je fuis connu fans peine ;
Mais ma difcretion fait fouvent l'embarras ,
De qui veut penetrer jufqu'au fond de mon
ame ;
Par moi l'augufte lieu n'eft jamais prophané ;
Cependant dans le Temple en me traitant d'infame
;
Souvent un Juge exact au feu m'a condamné ;
Si pourtant ma conduite eft digne de cenfure ,
Ce n'eft pas pour avoir trop peu de charité :
Mon principe & ma fin fon tels ,
Que je fuis patient quand on me chante injure
,
Que je couvre la nudité ,
Et que je cache enfin les défauts des mortels.
Par M. R. P. D. P. R.
DEU-
*
MARS 1725.. 525
DEUXIEME ENIG ME.
Dans ma jeuneffe un Lutin invifible ,
En m'agitant , fçait ſe rendre ſenfible
;
Je fuis alors de la fragilité
D'après nature un portrait imité.
De cet état neanmoins de mépris ,
Avec le temps je m'éleve à haur prix.
De l'âge décrepit avec force & courage
Je foutiens tout le poids , j'en repare l'outrage
J'ai deux yeux bien percez , & je n'apperçois
pas ,
Un objet d'ici- là , mieux que de cinq cent pas ,
Je n'ai qu'un pied , mais fa grande foupleffe ,
Du meilleur fantaffin égale la yîteffe .
La chaîne & les liens chez moi pour tout
pouvoir ,
Me font honneur , m'aident à mon devoir.
Si j'ai la taille fine & douce en mignature ,
J'en fuis moins redevable à l'art , qu'à la
nature .
J'ai luftré maint & maint habit ,
Et n'ai fur Mer aucun débit.
- Enfin je parois nuë , & fuis un Androgyne ,
E v Qui
526 MERCURE DE FRANCE.
1
Qui plais aux jeunes gens , en faifant la badine,
De m'en laiffer contêr vous m'allez ſoupçon
ner,
Mais n'apprehendez rien , on a beau raifonner
Je fais la fourde oreille , & je fuis trop polie
Pour faire fur ce point jamais une folie .
L
M. P.
*
TROISIEME ENIGME.
3.
E Latin , ( 1 ) le François me prennent
pour mefure ,
(2) L'un du fçavoir , l'autre du coeur ,
Dans un effort de belle humeur ,
Je fers à figurer un Tréfor de nature , ( 3 )
Dont peut fe parer même un Roi :
Celui des animaux fe reconnoît par moi. (4)
(5 ) Mon aide eft agréable autant que neceffaires
Grands & petits en ent befoin ,
Surtout le pauvre en fa mifere ,
(6) Mais le repentir n'eſt point loin
De l'excès de mon miniſtere :
(7) On met de nôtre nombre au jour une moitié,
Quifait un ornement utile :
(8) Ou cache l'autre , & lorſque par la Ville
(9) Elle fe montre , elle excite à pitié.
EXMARS
1725. 327
EXPLICATION des trois Enigmes
du mois dernier.
Uoi ? Mercure , eft - ce ainfi que tu jon-
Q gles ?
J'entends ton jeu fans me ronger les ongles ,
La Rime eft trop facile , & la fiévre en Sonnet ,
Se fait fentir mieux que poivre en cornet.
NOUVELLES LITTER AIRES
DES BEAUX ARTS , & c.
XAMEN DES PRE'JUGEZ VULGAIRES,
E nouvelle Edition confiderablement
augmentée. A Paris , rue Saint Jacques
chez Giffart , & la veuve Mongé , 1725.
Cet ouvrage parut avec fuccès il y a
plufieurs années ; quoiqu'on y trouvât
de la Philofophie , le ftile dans lequel il
eft écrit , l'avoit fait regarder de quelques
-uns fimplement comme un amuſement
ingenieux. L'Auteur paroît s'en
plaindre en cette nouvelle Edition ; on a
confondu , dit- il , le ftile de ce livre avec
ce qui en fait le fond. L'un peut paſſer
E vj
528 MERCURE DE FRANCE.
pour amusement , l'autre est un vrai exercice
de Logique & de Metaphifique , pour
regarder chaque chofe fous les divers
jours dont elle eft fufceptible , & pour
faire une exacte Analife de nos idées &
de nos jugemens. La maniere facile dont
les chofes font ici expofées , montre comment
des chofes abftraites peuvent être
rendues fenfibles & aifees. C'eſt apparemment
ce qui aura déterminé l'Auteur
à écrire dans le même ftile , les élemens
de Metaphifique , & les Libraires à joindre
ces deux ouvrages dans un même
volume.
Touchant l'Examen des Préjugez vulgaires
, ce font divers fujets expofez , la
plupart en Dialogues , & qui font des
Paradoxes oppofez à autant de Préjugez
vulgaires ; par exemple , que deux partis
Je peuvent contredire , & avoir également
raijon ; que les peuples fauvages font auſſi
heureux que les peuples polis ; que les
diverfes Langues ont en foi une égale beauté
; que nous changeons plufieurs fois de
corps pendant la vie ; que perfonne ne
peut fe répondre à lui-même de n'être pas
ridicule , & d'autres femblables .
Les augmentations faites en cette Edition
font de trois fortes , la premiere eft
une Analife à la fin de chaque fu et ,
pour raprocher la fuite des idées , & l'enchaîneMARS
1925 . 529
chaînement des raifonnemens , d'où réfulte
une verité. La deuxième eft l'application
qu'on peut , ou qu'on doit faire de
chaque fujet par raport à la conduite de
la vie , ou aux principes de la Litterature.
La troifiéme confifte en trois nouveaux
fujets de Paradoxes ; fçavoir , 1 ° qu'on
a tort de fe plaindre de la multitude des
mauvais Livres , 2º qu'il n'eft perſonne
qui n'ait de l'efprit , & perfonne qui ne
manque d'efprit. 3 ° Que la fcience ne confifte
point à fçavoir beaucoup.
Le premier de ces trois fujets ſe prouve
parce que la liberté de faire des mauvais
Livres , d'un côté n'eft point nuifible
, & de l'autre côté eft avantageufe ..
Elle ne nuit point , puifqu'on peut fe
difpenfer de les lire & de les acheter ; de
plus il n'en eft point de fi mauvais qui
ne renferme quelque chofe d'utile ; enfin
les goûts font differens , & un Livre qui
eft mauvais au goût de certains efprits ,
de certains Pays , de certains temps , ou
conjonctures , fe trouve bon au goût d'autres
efprits , d'autres Pays , ou d'autres
temps.
D'ailleurs fi l'on n'admettoit que des
Livres excellens , comment les efprits
pourroient-ils faire des coups d'effai qui
ne font qu'imparfaits , mais qui difpofent
à faire quelque chofe de meilleur.
On
$30 MERCURE DE FRANCE.
On n'auroit jamais eu le grand Corneille,
s'il ne lui eut été permis que de faire
Cinna , Rodogune , &c. Mais il fit Melite
, la Galerie du Palais , & d'autres pieces
mediocres qui le mirent en train de
faire des chefs- d'oeuvres . Il faut femer
des milliers de tulipe , dit- on ici , pour
en faire naître deux ou trois d'une exquife
beauté ; il en eft à peu près de même
des ouvrages d'efprit.
Le Paradoxe que la fcience ne confifte
point à fçavoir beaucoup , n'eft pas en
Dialogue , mais il n'en fait pas moins
d'impreffion. La fcience , dit- on , eft la
nourriture de l'efprit : ce n'eft pas ce qu'on
mange qui nourrit , mais ce qu'on digere.
Un amas de connoiffances dans l'efprit
eft indigefte , quand ces connoiffances ne
font ni claires , ni conformes à nos befoins.
Les détails que l'Auteur en donne ,
& qui rendent la chofe fenfible ne pouvant
entrer dans un Extrait , il les faut
voir dans l'ouvrage pour en fentir l'effet.
.
Le difcours où l'on expofe qu'il n'eft
perfonne qui n'ait de l'efprit , offre une
Anal fe curieufe de ce qu'on appelle ordinairement
avoir de l'efprit ; il commence
par une Fable inftructive . Dans une affemblée
des Dieux on propofa la queftion
en quoi confifte l'efprit , Apollon le met
dans les ouvrages ingenieux , Pallas dans
>
les
MARS 1525. 53r
les fciences , Momus dans la plaifanteric ;
Vulcain dans une vie occupée & tranquille
, Junon dans l'intrigue , & ainſi
des autres Divinitez , chacun parlant felon
fon caractere. Jupiter conclut que ce
font là diverfes fortes d'efprits qui ont
leur merite ; mais que plus eftimable
de tout , eft de fçavoir connoître fon devoir
& de le remplir. On méconnoît
fouvent l'efprit , parce que l'on veut injuftement
préferer la forte d'efprit dont on
eft pourvû , à celles des autres qui valent
bien la nôtre. L'ufage moral que l'Auteur
croit que l'on doit faire de cette verité
, eft d'infpirer de la modeftie aux uns
& du courage aux autres . Avec tout l'efprit
que peut avoir un particulier , il eſt
certaines fortes & certains talens de
l'efprit qui lui manquent , & qu'il doit
eftimer dans les autres . Ceux qui croiroient
avoir le moins d'efprit ne doivent
point fe décourager. Il n'eft perfonne qui
à force d'effayer & d'exercer fes talens ,.
ne puiffe devenir utile à la focieté .
,
Le 21. Janvier le R. P. Porée , Jefuite
, prononça un Difcours Latin fur une
queftion auffi neuve qu'intereffante pour
a nation Françoiſe , fçavoir , fi c'est
avec juftice , ou fans raison qu'on accuſe
Les François de legereté. Ce Difcours qu'on
$32 MERCURE DE FRANCE .
a regardé comme un des plus beaux morceaux
d'éloquence qui foient fortis de la
plume de cet Orateur , fut fort goûté de
M. le Cardinal de Biffi , de M. le Nonce
, & de plufieurs tant Prélats qu'autres
perfonnes de diftinction , foit de la
Robe , foit de l'Epée qui s'y trouverent.
Nous attendions, pour en parler dans nôtre
Journal , qu'il fut imprimé ; il vient
de l'être tout recemment chez les freres
Barbou , rue S. Jacques.
Le P. Porée avant que d'établir fa réponſe
fur la queſtion propofée , commence
par alleguer le proverbe commun ,
qu'il en eft du genie des peuples comme de
la nature des climats. Les Romains & les
Grecs avant eux , l'avoient ainfi penſé ,
eux qui caracterifoient fi bien les nations ,
en attribuant la molleffe aux Syriens , la
mauvaiſe foi à ceux de Tyr , aux Thraces
la ferocité , & ainfi du refte . Sur cet
exemple les Européens fe font eux mêmes
, pour ainfi dire , marquez à des
coins differens , en s'imputant mutuellement
un mêlange de défauts & de bonnes
qualitez , d'où résultent leurs caracteres
vrais ou faux , tels que font , une bravoure
un peu feroce pour les Anglois ,
un je ne fçai quel air de dignité , mais
rodomont pour les Espagnols , une politique
un peu trop rufée pour les Italiens ,
une
MARS 1725.
535
une valeur un peu lente pour les Allemans
; & enfin la candeur jointe à la
Tegereté pour les François. L'Orateur
laiffe à l'éloquent amour propre de cha
cun de nos voifins le foin de fe juftifier .
Il fe borne au reproche qu'on nous fait à
nous autres François , reproche dont nous
paroiffons fi peu touchez , que nous ne
balançons pas d'y foufcrire fans trop examiner
pourquoi . On en apporte des raifons
fines & ingenieufes , mais on les
réfute , ce qui amene infenfiblement l'auditeur
au point de vouloir examiner fi
cet aveu eft bien jufte , & même de fouhaiter
qu'il ne le foit pas.
Deux propofitions font voir qu'en
effet il ne l'eft pas ; la premiere eft , que
les François font conftans quand il faut
l'être , c'eft- à- dire , dans les chofes importantes
; la deuxième, qu'ils ne font inconftans
que quand ils peuvent l'être
c'eſt-à- dire , dans les chofes indifferentes
. Conftantes ubi decet , leves ubi licet.
:
Puifque la vraye conftance confifte
dans la conftante obſervation des devoirs
effentiels voyons , dit d'abord le P. Porée,
quels font ces devoirs par raport à
une nation . Il les réduit à quatre principaux
, fçavoir , à conferver religieufement
la forme du gouvernement reçû
l'amour des armes , la fidelité dans les
trai
$34 MERCURE DE FRANCE.
traitez , & la vraye Religion. Pour commencer
par la forme du gouvernement ,
foit Républicain qu'il compare à l'affemblage
toujours égal des étoiles fixes , ſoit
monarchique , dont il trouve l'idée dans
le Soleil environné de Planettes , il fait
comme un tableau en raccourci de peuples
de tous les temps . Il examine quand,
jufqu'où , & comment ils ont été peu
ftables dans le plan de gouvernement
qu'ils s'étoient d'abord tracé. Il marque
avec beaucoup de préciſion les degrez ,
les differences & la peine de leurs divers
changemens de forte que ces degrez ,
ces differences , & les fuites de leurs viciffitudes
font autant de traits finis qui
peignent le genie , la politique & les
moeurs de toutes les nations connues . Hebreux
, Romains , Venitiens , Anglois ,
Eſpagnols , Allemans , tous les peuples
paffent , pour ainfi parler , en revûe devant
les yeux de l'auditeur avec un air
fi diverfifié & fi reconnoiffable , qu'on
croit entendre leur hiftoire en un infant :
d'où l'on conclut que l'immutabilité détat
appartient veritablement en propre
aux François toûjours libres , & toùjours
foumis à un Roi depuis leur établiffement
, dignes fans doute de furpaff r
en cela les autres peuples , comme ils l'emportent
fur eux par une tendreffe conftante
pour
MARS 1725. 535
pour leurs Souverains chofe d'autant
plus furprenante que la France n'a pas
manqué d'occafions pour changer la face
du gouvernement ; mais rien n'a pû
ébranler la fermeté , ni les ufurpateurs ,
ni les Rois faineans , ni tant de factions ,
dont nôtre hiftoire eft remplie . L'article
même de la Loi Salique , obfervée dans
toute fa rigueur du temps de Charles VII .
entre en preuve de cette conftance ,
produit un morceau brillant fur les troubles
qui auroient livré la France aux Anglois
, fi les François avoient été capables
de fouffrir fur le Trône un Koi
étranger qui n'avoit de droit fondé que
par les femmes.
&
Il faut bien que l'amour des armes
( autre fujet de conftance pour nous , }
ait toûjours perfeveré dans le coeur des
François , puifque nous avons dompté
tant de nations opiniâtrement belliqueufes
, pris tant de places prefqu'imprenables
, foutenu les forces réunies de tant
de voifins jaloux , & puiſqu'enfin nôtre
empire furvit encore à celui de tant de
peuples que les armes ont rendus celebres
; car du moins la longue durée d'un
at eft une preuve indubitable de fa
conftante valeur . C'eft fur cela que P'Orateur
fait une feconde induction non
moins magnifique que la premiere II
foüille
536 MERGURE DE FRANCÉ.
fouille dans les cendres des nations qui
ne font plus : il montre en parcourant
tous les fiecles , la deftinée , l'àge , & la
mort , fi l'on ofe s'exprimer ainfi , de
ees Empires fameux qui fe fuccederent
les uns aux autres , comme les enfans
aux peres , & que le luxe à tous fait perir
, ou plutôt , ou plutard , fuivant que
leur valeur les a plus ou moins foutenus .
On voit les Affyriens remplir à peine
13. fiecles , les Medes trois , les Perfes
deux . On voit les Macedoniens & les au
tres Grecs devenir en peu de temps la
proye des Romains on voit enfin ces
maîtres du monde après avoir égalé la durée
des Affyriens , bouleverfez à leur tour
par les Vandales , les Huns & les Goths ,
noms terribles , qui semblables au Fonmerre
parurent avec le même éclat , s'évanouirent
de même, & ne laifferent d'eux
qu'un vain bruit .
La valeur des François n'eſt point encore
vieillie , quoique leur empire aitplus
de 1300. ans . A la verité , ajoûte
adroitement l'Orateur , nôtre bravoure
n'a peut - être pas la vigueur & le nerf
dont le piquoient ces nations guerrieres ;
mais elle a plus de fineffe & de durée .
L'une fauvage & nerveufe reflemble à
ces vieux arbres qui réfiftent aux tempêtes
jufqu'à ce qu'ils foient brifez ou arrachez
;

537
MARS 1725.
chez ; l'autre fouple & pliante eft femblable
aux arbriffeaux qui cedent a propos
aux vents pour fe relever enfuite
avec plus de force par leur propre reffort,
Le P. Forée pour mettre en fon jour
l'invio'able fidelité des François dans l'obfervation
des traitez , appelle en témoi
gnage P'Angleterre , l'Afrique , l'Italie
la Flandre par rapport à la fidelité religieufe
de Jean II . de S. Louis , de Louis
XII . de François I. enfin tous nos voifins
& tous les temps ; puis par un trait
de maître il prévient les plaintes qu'ils
pourroient faire fur cet article en les atta
quant eux -mêmes . Il les défie de nous
accufer de perfidie , en leur reprochant
des faits où ils ont paru manquer à nôtre
égard de fidelité . Il rappelle les frequentes
ruptures des Anglois , les fouplefles
artificieufes des Italiens , le plaifant aveu
de Ferdinand le Catholique à l'égard de
Louis XII. la politique des Allemanș
puifée à l'école de Charlequint , & l'inconftance
éternelle des Hollandois . Enfin
aux écrivains vendus à ces peuples , il
oppofe Jule Scaliger témoin peu recufable
, qui dit nettement que les François
font de toutes les nations les plus religieux
obfervateurs de leurs paroles . Quand &
comment en effet , avons nous rompu
les traitez par ignorance dans les pre-
>
?
miers
$58 MERCURE DE FRANCE.
miers temps de la Monarchie , par neceffité
quand on nous a donné l'exemple.
De ce trait le P. Porée paffe avec adrelſe
à l'éloge de M. le Duc. C'eft furtout à
prefent , dit-il , que nous sommes incapables
de manquer à l'obfervation des trai
tez fous le miniftere d'un Prince ferme , &
amateur de l'équité , qui pourroit être fùrpris
, c'eft le fort de l'homme ; mais qui ne
peutfurprendre nos alliez , ce qui eft propre
des Condé ; il fçaura maintenir an
dehors , comme au dedans , une paix qui
a déja prefque plus duré fous un jeune Roi,
que celle dont on jouffoit fous le regne de
Saturne , de même que son illuftre bifayeul
a donné à l'Europe armée un modele
de la valeur Françoife , il fera lui- même
aux peuples pacifie un modele de la conftance
des François à obfèrver les traitez.
Delà l'Orateur vient à la Religion ,
quatrième & dernier article. Nous avons
eu à combattre principalement trois erreurs
, l'une étrangere , & c'étoit celle
d'Arius & d'Eutyches. Dans le naufrage
prefqu'univerfel des nations , que n'avions-
nous pas à craindre de ces deux
écüeils ? L'exemple n'eft que trop fouvent
la regle de la foi ainſi que des moeurs.
Clovis fçût neanmoins préferver fes peuples
de cette contagion . L'autre herefie
pour être voifine , n'en étoit que plus
danMARS
1725.
539
dangereuſe , ( ce fut celle des Albigeois , )
nous la chaffâmes de Province en Province
, & de Ville en Ville jufqu'à en
purger nos Etats . Enfin , l'herehe de Calvin
devoit livrer de plus grands combats
à nôtre conftance , herefie qui ſous prétexte
de réforme détruit la Religion , qui
établit un Dieu fans mifericorde , l'homme
fans liberté , des Temples fans Autels , des
Sacremens fans effets , & qui fubftituë à
L'ancienne Eglife une Eglife nouvelle
fans Chef, fans ordre , fans appui . Pour
l'exterminer il nous en a couté du fang ;
il a fallu tourner nos armes contre nousmême
, & nous l'avons fait. Là l'Orateur
pour donner plus de force à la preu
ve, & pour varier . fes peintures plaint
par un grand trait d'éloquence , la trifte
deftinée de l'Allemagne , de la Suede ,
du Dannemark , des Cantons Suiffes
& de l'Angleterre qui ont eu le malheur
d'être moins conftans que nous dans
la vraye Religion. Il y a ici lieu de s'étonner
que le P. Porée ait pû employer
tant de tours variez pour amener le paralelle
continuel qu'il lui a fallu faire de
nôtre nation avec les autres. Enfin après
avoir loué l'Espagne fur fa foi toûjours
égale depuis l'extirpation du Judaifme &
duMahometifme, il fait efperer à la France
qu'elle ne fera pas la victime des erreurs
qui
$40 MERCURE DE FRANCE.
qui ont peine à cacher fous le fard de la
nouveauté les rides du Calvinifne.
Le fujet de la feconde partie étant plus
gay & plus leger , eft auffi plus égayé , &
traité plu , legerement. Il fied bien d'être
inconftant dans les chofes indifferentes ,
ou de peu de confequence , telles font
les inodes dans le langage , les habits ,
les édifices , les jeux , & certains arts :
or c'eſt à ces modes que fe borne l'incon
ftance Françoife. Ce détail eft auffi fin &
auffi enjoué que le premier point eft
grand , ferieux & folide ; mais comme il
feroit difficile , fans fe trop étendre , malgré
qu'on en eut , de fuivre l'Orateur ,
en parcourant le nombre prefqu'infini
d'objets agréables qu'il préfente ; on fe
contente de renvoyer les lecteurs à l'ouvrage
même , & de dire que le P. Porée
en juftifiant nôtre nation du reproche de
legereté , a tellement menagé la délicatelle
des autres nations , par des louanges
adroites qu'il ne fçauroit leur déplaire ,
même quand il eft obligé de les blâmer
en quelque chofe.
, HISTOIRE DES VESTALES avec un
Traité du Luxe des Dames Romaines ,
dédiée à M. le Duc d'Aumont . Par M.
1'Abbé Nadal , de l'Académie Royale des
Belles -Lettres . A Paris , Quai des Angustins
.
MARS 1725.
340
1
guftins , chez la veuve Ribou , 1725. in
12. de 386. pages , fans l'Epître & la
Preface .
Il y a à la fin du Livre quelques Obfervations
fur l'origine de la liberté qu'avoient
les Soldats Romains de dire des
vers fatyriques contre ceux qui triomphoient.
M. de Boze , de l'Académie
Françoife , & Secretaire perpetuel de
celle des Belles - Lettres , qui a approuvé
cet ouvrage , dit que le caractere enjoué
de l'érudition qui y regne , en doit rendre
L'impreffion d'autant plus agréable , que
la lecture de la plupart de ces pieces a
déja reçu des applaudiffemens dans les
féances publiques , & particulieres de l'Académie
des Belles - Lettres.
REMARQUES HISTORIQUES , données
à l'occafion de la Sainte Hoftie miraculeufe
, confervée pendant plus de 400 .
ans , dans l'Eglife Paroiffiale de S. Jean
en Gréve , à Paris , avec les pieces originales
des faits avancez dans cet ouvrage
: par le Pere Theodore de S. René , Carme
des Billettes . A Paris , ruë S. Jacques,
chez Antonin des Hayes , 1725. 2. vol.
in 12 .
TRAITE' DU S. SACRIFICE DE LA
MESSE , avec l'explication des ceremo-
F nies
542 MERCURE DE FRANCE.
nies qui s'y obfervent , & la maniere d'y
affifter devotement , felon l'efprit de la
primitive Eglife , adreflé à une Dame de
qualité nouvellement convertie , imprimé
par ordre du Roi. A Paris , chez
J. B. Coignard , fils 1724. in 12. de
265. pages,
L'OFFICE DE LA SEMAINE SAINTE ,
Latin-François , à l'ufage de Rome &
de Paris , Traduction nouvelle , avec des
Réflexions , dédié à l'Infante - Reine , &
enrichi de figures en taille- douce. A Paris
, ruë neuve Notre- Dame , chez Herif
fant , 1725. in 8 º.
TRAITE' DE L'ETUDE DES CONCILES,
& de leurs collections , divifé en trois
parties , avec un Catalogue des principaux
Auteurs qui en ont traité , & des
éclairciflemens fur les ouvrages qui contiennent
cette matiere , & fur le choix
de leurs Editions . A Paris , Place de
'Sorbonne, chez André Cailleau, 1724, in
4 de 600. pages.
VERITEZ SATYRIQUES , en Dialo
gues. A Paris , rue Saint Jacques , chez
Jacq. Etienne, 1725 in 12. de 341. pag.
TRAITE' de la difference du Temps &
de
MARS
1725.
543
de
l'Eternité ,
compofé en
Espagnol par
Eufebe de
Nierremboerg , & traduit par
le Pere Brignon . A Paris , chez Etienne
Ganeau , ruë S. Jacques , troifiéme Edition
, in 12 .
NOUVEAU VOYAGE au tour du Mon
de. Par M. Gentil , enrichi de plufieurs
Plans , vûës &
perfpectives des principales
Villes & Ports du Perou , Chily ,
Brefil & de la Chine , avec une Def
cription de l'Empire de la Chine , beaucoup
plus ample & plus circonftanciée
que celles qui ont paru jufqu'à preſent ,
où il eft traité des Mours ,
Religion ,
Politique , Education & Commerce des
peuples de cet Empire : Tome premier ,
dédié au Comte de Morville , Miniftre
& Secretaire d'Etat , Chevalier de la Toiſon
d'Or . A Paris , Quay des
Auguſtins ,
chez F. Flahaut , 1725 .
Le Libraire donne avis que pour fatisfaire
à
l'empreffement du Public , il donne
ce premier volume qui fera inceffamment
fuivi des autres. On aura fans doute
de
l'impatience de les voir paroître , par le
plaifir que fait la premiere partie de cet
ouvrage , dont M. de Fontenelle qui l'a
approuvé , croit qu'il est instructif par le
fond des chofes , & agréable par la maiere
dont il eft écrit.
Fij
LE544
MERCURE DE FRANCE .
LEÇONS de Mathematiques , neceflaires
pour l'intelligence des Principes dẹ
Phyfique, qui s'enfeignent actuellement
au College Royal , à Paris , les Lundis ,
Mercredis & Samedis , depuis une heure
jufqu'à deux. Par J. Privat de Molieres,
Prêcre , Profeffeur Royal en Philofophie,
& de l'Académie Royale des Sciences .
Ces Leçons pourront être en même
temps utiles à tous ceux qui defirent
s'appliquer à ces fciences . On les diftribuera
feüille à feuille à mesure qu'elles
feront imprimées . On les trouvera chez
C. L. Thibouft , Place de Cambray , qui
en fournira de nouvelles tous les huit
jours .
STATIONS de la Paffion de N. S. J.
Chrift , contenant l'Hiftoire de la Paffion
de J. C. tirée des quatre Evangeliftes ,
avec des Réflexions morales fur chaque
endroit. A Paris , ruë S. Jacques , chez
N. Lottin 1725.
MICHELOTTI ( Petr . ) de feparatione
fluidorum in corpore animali , acceffit
Bernouilly de motu mufculorum , 4°
Venetiis 1721. & fe vend à Paris , ruë
S. Jacques , chez G. Cavelier.
MORGAGNI ( Jo. Bp. ) adverfaria
Anato
MARS 1725.
545
Anatomica omnia , 6.
1723. Lug. Bat.
idem.
vol. 4° cum fig.
fe vend à Paris ,
SCHURGII ( Mart. ) de Salivâ humanâ
natura & ufus , fimulque morfus Brutorum
& Hominis rabies , &c. 4. Drefda,
172 3. idem.
ARTIS Apelleæ Thefaurus J ou Tréfor
des Arts qui ont raport au Deffein
, à
la Peinture
, Sculpture
, Gravure
, & c.
A Amfterdam
, chez Louis Renard .
HESPERIDUM NORIMBERGENSIUM , five
de malorum Citreorum , Limonum ,
& c. C'est- à -dire , Traité de la Culture &
de l'ufage des Citrons , & des Oranges
divifé en 4. livres , avec un grand nombre
de planches en Taille-douce . On y a
joint une Liſte des Plantes les plus rares
qui fe cultivent aux environs de Nuremberg
, avec la Methode de conftruire
des Cadrans Solaires par l'arrangement
des bouis d'un parterre , la maniere de
tracer fur une Carte , un jardin felon
les regles de l'Optique , & un petit Difcours
fur les divers Obelifques , dont
l'Auteur a orné fes jardins : le tout traduit
de l'Allemand en Latin . A Nurem
berg, 1723 . in fol. de 270. pages .
F iij
Guil345
MERCURE DE FRANCE .
Guillaume. Barents , Libraire à Amfterdam
, imprime actuellement , & donnera
dans peu au public , la vie & Les
vols dufameux Jean Sheppard , avec une
Relation exacte des moyens furprenans
qu'il employa pour le fauver des cachots
de Londres , &c. traduit de l'Anglois en
François , & en Hollandois .
OEUVRES DIVER SES de Phyfique &
de Mécanique de Mrs Claude Perrault ,
de l'Académie Royale des Sciences , &
de Pierre Perrault , fon frere , Receveur
General des Finances de la Generalité de
Paris , divifées en deux volumes . A Leide
, chez Pierre Vander Aa , 1721 .
EXTRAIT d'une Lettre écrite de la Haye
le s . Mars.
I '
paroît ici depuis quelques femaines
deux traductions Françoifes de la fameufe
Hiftoire de feu M. Burnet , imprimée
à Londres en un tome in folio ,
fous le titre de Bishop Burnets Hiftory of
his own times .
La premiere de ces verfions eft en 3 .
vol. in 8 °, & porte le nom de Memoires
pour fervir à l'Histoire de la Grande
Bretagne, fous les Regnes de Charles II.
& de Jacques II. avec une Introduction ,
&c. L'autre
MARS 1725. 547
L'autre eft en un gros volume in 4°
orné de 15. beaux portraits. Elle eſt intitulée
: Hiftoire des dernieres révolutions
d'Angleterre , tome 1. contenant ce qui
s'eft paffé de plus remarquable & de plus
fecret depuis le rétablissement du Roi Charles
II. jufqu'à l'avenement du Roi Guillaume
, & de la Reine Marie à la Couronne .
Avec un Recit préliminaire des principaux
évenemens fous les Regnes de Jacques 1 .
& de Charles 1. & fous l'ufurpation de
Cromwel.
M. de la Pilloniere eft l'Auteur de
cette traduction que l'on préfere de beaucoup
à l'autre , qui eft faite fort à la hâte
& remplie de fautes .
M. de la Motraye vient de faire imprimer
une brochure de 67. pages in 12 .
qui a pour titre : Lettre d'Aubry de la
Motraye à M. le G..... L..... pour fervir
de fupplement au tome 12. de la Bibliotheque
Angloife.
f
C'eft une réfutation affez vive & aflez
bien écrite de ce que M. Armand de la
Chapelle , Miniftre réformé à Londres ,
& Auteur de la Bibliotheque Angioi a
avancé dans le 1. volume du XII . tome
de ce Journal contre les Voyages de M.
de la Motraye , qu'il a tâché de décrier
pour prévenir le public contre l'Edition
Françoife qui s'en fait prefentement.
Fiiij On
548 MERCURE DE FRANCE.
On continue à lire le Mercure de
France avec plaifir , & je puis vous affu
rer , Monfieur , qu'il eft goûté ici de
plus en plus. •
ADDITION à la Lettre concernant
l'Eglife de S. Sulpice , &c.
Depuis
ma Lettre écrite & déja imprimée
, comme vous me le marquez
, Monfieur , on a fait quelque changement
dans l'execution de la Tour octogone
, ou du Campanile dont je vous ai
parlé , & l'exactitude' demande que je
vous en faffe part . Au lieu de la Cou
ronne celefte , & c. qui devoit orner le
fommet de cette Tour , elle fera couronnée
d'un petit Dome , ce qui fera un
plus bel effet , & fur le Dome fera pofée
la Croix de 16. pieds de hauteur , de laquelle
je vous ai auffi parlé dans ma
Lettre.
CHANSON.
Ous me dites qu'en vain le beau Daphnís
Vous vous aime ;
C'eft pour flater l'ardeur de mon amour extrême
:
Il
THE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY.
ASTOR, LENCK AND
MLBE FOUNDATIONS
Fy AC-
1
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR
, LENOX
AND
TILDEN
FOUNDATIONS
.
MARS 1725 .
549
Il vous adore envain ? ah ! que m'importe
helas !
Que vous le haiffiez fi vous ne m'aimez pas.
XX.XXXXXXXXXXXXX
N
SPECTACLES.
Ous avons déja dit dans le précedent
Mercure que le IS.. Fevrier ,
fecond jour du Carême , les Comediens
François , donnerent la premiere reprefentation
d'une nouvelle Tragedie de
Mariamne. Elle n'a pas été plus heureuſe
que celle de l'année derniere. Bien des
gens en imputent le mauvais fuccès au
fujet ; on a beau leur dire que l'ancienne
Mariamne de Triftan l'Hermite a pourtant
réuffi ils répondent à cela , que
peut-être les deux modernes auroient été
applaudies du temps de Triftan , & qu'il
fe pourroit faire que celle de Triftan ne
le fut pas aujourd'hui , fi elle étoit donnée
pour la premiere fois. Quoiqu'il en
foit , nous allons faire un Extrait de la
derniere , & nous laifferons nos Lecteurs
en pleine liberté de juger fi elle a dû
réüffir ou tomber.
Fv
AC550
MERCURE DE FRANCE.
ACTEUR S.
Herode , Roi de Judée. Le fieur Baron-
Mariamne , époufe d'Herode. La Dile
Duclos.
Alexandre , fils d'Herode & de Mariamne.
Le fieur du Frefne.
Salome , foeur d'Herode. La Dile d'Angeville.
Soheme , Regent du Royaume de Judée.
Lefieur Quinault.
Tharès , Confident de Salome. Le fieur
Fontenay.
Une Suivante de Mariamne. La Dile
Jouveneau.
Une Suivante de Salome. La Dile dw
Chemin.
La Scene eft à Jerufalem.
A CTE I.
Mariamne ouvre la Scene avec la Confidente
; elle ſe plaint de la cruauté
qu'Herode a exercée autrefois contre fon
pere Hircan , & contre fon frere Ariftobule
, qu'il a facrifiez à fon ambition ;
dans cette fituation elle confidere fon retour
de Rome comme un nouveau malheur
: fon devoir s'oppofe à ce ſentiment,
mais elle ne laiffe pas de perfifter dans
l'aMARS
1725. 551
l'averfion qu'elle a conçue pour un
époux qui a trempé fa main dans le fang
de fes plus chers parens.
Dans la feconde Scene Soheme vient
annoncer à Mariamne qu'il s'eft répandu
un bruit de la mort d'Herode , & qu'on
dit qu'Augufte l'a condamné , pour avoir
fervi Antoine contre lui . Cette nouvelle
n'afflige que mediocrement Mariamne .
Soheme la ramene bien- tôt toute entiere
à l'inimitié qui l'empêche de plaindre
fon époux , autant que fon devoir l'éxige
, en lui apprenant qu'Herode , en
partant de Jerufalem , lui avoit ordonné
de la faire perir , en cas qu'il perit luimême
par les ordres d'Augufte . L'Auteur
prend foin d'excufer cette indifcretion
de Soheme par la jufte crainte
qu'il a que quelqu'autre n'ait été chargé
d'un pareil ordre , & ne l'execute , faute
de précaution de la part de Mariamne
on a trouvé cette excufe affez fenfée
mais on auroit fouhaité que Soheme ey :
été un peu plus feur de la mort d'Herode
pour reveler un fecret de cette importance
, & qui doit lui coûter la vie , com
me on le verra dans la fuite de la Tragedie.
Alexandre ayant appris , comme Soheme
, la mort de fon pere , en témoigne
un veritable regret à fa mere ; il doit être
F vj bien
552 MERCURE
DE FRANCE.
bien furpris de voir que Mariamne continue
à le plaindre des cruautez d'Herode
, & qu'elle choisit un temps fi peu
convenable pour lui en faire un recit
très-pathetique ; mais il ne feroit pas fr
étonné , s'il fçavoit ce que l'indifcret
Soheme vient de reveler à fa mere.
On vient avertir Mariamne que Sa-
Iome demande à la voir ; Mariamne fe
refuſe à cette importune vifite , & ſe retire
avec fon fils Alexandre.
Salome picquée de la fuite de Mariamne
, fe confirme dans la vengeance qu'elle
veut prendre de cette mortelle ennemie.
Elle fait connoître aux fpectateurs que
c'eft elle qui a répandu le faux bruit de
la mort d'Herode , pour dreffer un piege
à Mariamne & pour la perdre. Tharès
qui eft fon complice , lui promet de fervir
fa haine , excité par le prix qu'elle
lui propofe , c'eft fon Hymen.
ACTE I I..
Mariamne & Alexandre ouvrent la
Scene de ce fecond Acte. On leur vient
annoncer qu'Herode eft déja dans Jerufalem
. Mariamne reçoit cette nouvelle
avec douleur. Elle fe retire. Alexandre
ne fçait quel parti prendre entre un pere
& une mere. Herode arrive , il le refufe
aux
MARS 1725. 553

aux embraffemens de fon fils , & lui reproche
fon peu d'empreffement à aller
au- devant de lui . Alexandre fe juftifie
fur l'ignorance où il étoit de fon retour.
Herode reçoit fon excufe & l'embraffe.
Il lui dit d'aller avertir Mariamne de fon
arrivée , & de la difpofer à le recevoir
dans fon appartement . Il fait fortir tous
les gens de fa fuite , hors Soheme , à qui
il ordonne de garder un fecret inviolable
fur les ordres fanguinaires dont il l'avoit
chargé en partant de Jerufalem. Une
Suivante de Mariamne vient le prier de
ne point aller voir la Reine , qui eft dans
une agitation qui ne lui permet pas de
recevoir fa vifite. Herode attribue cela à
Paverfion invincible qu'elle lui a toûjours
témoignée ; cependant il eft bien
furpris de voir qu'elle vient malgré ce
que la Suivante vient de lui dire . Herode
fait à peu près à Mariamne le même
reproche qu'il a fait à fon fils , & la ré
ponſe de Mariamne eft auffi à peu près eſt
la même . Ils fe feparent affez reconciliez
en apparence . Salome veut donner des
foupçons à Herode comme Mariamne ;
mais il les rejette d'une maniere dont
elle eft peu fatisfaite. Il donne ordre à
Tharès d'affembler le Confeil.
ACTE
554 MERCURE DE FRANCE.
ACTE III.
Dans ce troifiéme Acte Salome difpofe
toutes chofes pour perdre Mariamne.
Elle commence par Soheme , & n'oublie
rien pour le mettre dans fes interefts
, en tâchant de lui donner de la défiance
fur Herode même. Soheme rejette
tout ce qu'elle veut lui infpirer fur tout
contre Mariamne , & lui declare qu'il
porte toute la vertu juſqu'au Conſeil où
fon Maître l'appelle ; Alexandre dans la
troifiéme ou quatriéme Scene , declare
que puifque le Roi & la Reine font heureufement
reconciliez , qu'il ne s'en
prendra qu'à elle , s'ils viennent à fe
defunir. Ĉes menaces ne fervent qu'à
donner à Salome une nouvelle ardeur de
fe venger elle profite de la premiere
occafion que le fort lui en prefente. Herode
fort de l'appartement de Mariamne.
Tranfporté de colere il dit à Solome
que cette fuperbe Reine vient de le traiter
avec le dernier mépris , & de l'accabler
des reproches les plus fanglants . Salone
lui dit que c'eft fon trop d'amour
pour elle qui l'enhardit à l'outrager , &
qu'elle feroit plus humble s'il ofoit lui
parler en Maître. Herode fe livre tout
entier aux impreffions que Salome veut
:
lui
MARS 1725.
555
lui donner ; il lui dit même qu'il fent
bien qu'elle eft affez coupable pour meriter
la mort ; mais qu'il n'ofe la faire
perir de peur qu'Augufte ne la venge .
Salome lui dit qu'elle vient d'imaginer
un moyen de la punir fans rien hazarder
du côté d'Augufte . Vous allez , lui ditelle
, décerner des honneurs immortels à
l'Empereur dans le Temple , ne doutez
point que Mariamne ne traite ces honneurs
de profanations & de facrilege ;
ainfi fous prétexte de venger Augufte ,
vous vous déferez d'une implacable ennemie.
Herode approuve ce confeil , &
lui
promet de le fuivre.
ACTE I V.
Le Theatre reprefente le Temple de
Jerufalem , à la porte duquel on a élevé
les Aigles Romaines. Salome commence
ce quatriéme Acte avec Tharès , qu'elle
acheve de déterminer à une accufation
qu'elle lui a propofée contre Mariamne ;
elle fait briller la Couronne à fes yeux ,
& lui dit qu'on eft parvenu au Trône de
plus loin qu'il n'en eft. Tharès fort pour
s'aller preparer à ce que Salome exige
de lui. Herode vient toûjours plus irrité
contre Mariamne , on vient lui annoncer
le peuple fe fouleve, & qu'il veut s'op
que
pofer
556 MERCURE DE FRANCE .
pofer ouvertement au facrifice qu'on
va offrir en l'honneur d'Augufte ; tout
cela donne de nouvelles forces à la vengeance
qu'il veut prendre de Mariamne ,
& Salome attife ce feu qu'on vient de
rallumer. Enfin Tharès arrive tout confterné
; & demandant la mort à Herode ,
comme étant indigne de vivre après qu'on
l'a crû capable d'un crime auffi noir que
celui qu'on lui a propofé. Ce crime n'eft
pas moins que l'empoifonnement d'Herode
, à la faveur de la coupe que Tharès
doit lui prefenter pendant le Sacrifice.
Il n'en faut pas davantage à Herode
pour le déterminer à faire perir Mariamne.
Cette malheureuſe Reine arrive , &
par l'horreur qu'elle témoigne en voyant
le Temple de Dieu profané , elle confirme
Herode dans la croyance qu'elle a
voulu l'empoifonner pour le punir de
cette impieté. Elle ne daigne pas ſe juftifier.
Alexandre prend hautement les
intereſts de fa mere contre fon pere même.
Herode lui offre de le rendre Juge
entre fa mere & lui dans le Confeil qui
va s'affembler pour la punir de fon crime.
Alexandre ne peut confentir à juger
fa mere & fa Souveraine , & protefte que
les Juges qui oferont prononcer contre
elle , prononceront contre eux- mêmes .
Herode ordonne que le Confeil s'affemble
MARS 1725. 557
ble , & laiffe Mariamne fous la garde de
Soheme , tout fufpect qu'il commence à
lui être. Soheme exhorte Mariamne à la
fuite ; elle n'y veut pas confentir . On
vient l'avertir que le Roi la mande pour
aller répondre devant le Confeil affemblé.
АСТЕ
V.
Avant que de parler de ce dernier
Acte , nous prions le lecteur de nous excufer
, fi nous y inferons quelques Scenes
, qui peut -être ont été dans le quatriéme
le peu de reprefentations que
cette Piece a eues , ne nous a pas permis
de mieux fuivre l'ordre que l'Auteur y
a mis ; cependant nous ne croyons pas
que les tranfpofitions qui peuvent venir
de nous feuls nuifent à l'intelligence que
nous voulons donner du plan de la Tragedie
.
Mariamne condamnée à la mort s'oppofe
au deffein que fon fils forme de la
défendre à force ouverte. Herode vient ,
il veut faire perir en même temps , & le
fils & la mere , l'un pour avoir pris les
armes contre lui , & l'autre pour l'avoir
voulu empoifonner. Mariamne infiniment
plus fenfible au peril de fon fil's
qu'au fien même , dit des chofes fi pathetiques
à Herode qu'il en eft defarmé ;
1
il
558 MERCURE DE FRANCE,
il pardonne à fon fils , il l'embraffe & le
renvoye pour refter feul avec Mariamne.
Il la prie de lui rendre toute fa ten .
dreffe , & lui promet en même temps de
l'aimer toûjours. Mariamne lui répond
que fon amour eft plus à craindre que fa
haine même , & que lorfqu'il partit pour
aller trouver Augufte ...... Herode l´interrompt
en cet endroit , il lui épargne
la moitié de l'indifcretion ; il dit qu'il ne
voit que trop que Soheme l'a trahi ; &
fes foupçons jaloux lui perfuadant qu'il
n'a pû le trahir fans aimer la Reine , &
fans en être aimé , il ordonne qu'on lui
donne la mort , & donne en même temps
des ordres fecrets contre Mariamne qui
ne font pas moins cruels. 11 refte feul
quelque temps tout éperdu , & tout agité
. On vient lui dire que Soheme vient
d'être mis à mort ; mais qu'il a declaré
hautement que Mariamne eft innocente.
Cette dépofition de Soheme commence à
ouvrir les yeux à Herode ; il foupçonne
Tharès de calomnie ; à peine Tharès paroît
, qu'il lui reproche fon impoſture.
Tharès effrayé avoue fon crime , & fe
plonge fon épée dans le corps . Alexandre
tout en pleurs vient annoncer la mort de
Mariamne , & en demande vengeance à
Herode. Herode veut la prendre fur luimême
; fon fils l'empêche de fe tuer & le
prie
MARS 1725.. 559
prie d'immoler Salome aux manes de Matiamne.
Herode eft agité de fureur , &
' c'eſt par cette fureur que la Tragedie finit.
Cette Piece a eu 4. reprefentations .
On a donné le Jeudi 22. Fevrier , fur
le Theatre de l'Opera Comique de la
Foire S. Germain , la premiere reprefentation
de Pierrot- Perrette , Piece en
Vaudevilles de deux Actes , précedée de
l'Audience du Temps , Prologue. La Scene
de l'Audience du Temps fe paffe dans
le Bois de Boulogne , où l'Occafion partage
avec Roger Bontemps , le foin de
répondre à tous ceux qui fe plaignent du
Temps , ou qui viennent lui demander
des graces : l'Occafion eft reprefentée par
la Dlle de Lille , qui en reparoiffant fur
ce Theatre là , lui a raporté des agrémens
qui lui manquoient.
Le premier Client qui ſe preſente à
l'Audience eft un Poëte qui demande un
temps favorable pour une Piece nouvelle
qu'il veut donner au Public. L'Occafion
finit cette Scene par ce confeil qu'elle
lui donne.
Faites de bons ouvrages ,
D'un goût fin & ſenſe ,
Vous aurez les fuffrages
Du Parterre empreffé-
En
560 MERCURE DE FRANCE.
En vain , il pleut , il gêle ,
On court voir le nouveau ,
Et quand la Piece eft belle ,
Le temps eft toûjours beau.
La Foire S. Germain perſonifiée , paroît
enfuite , & fe plaint de la chûte des
Pieces des autres Theatres ; chûte qui
ne lui permet pas d'en faire des Parodies .
Un vieux Solliciteur de Procès fucce
de à la Foire S. Germain , il demande le
veuvage , mécontent d'une jeune brune
qu'il a épousée en troifiémes nôces :
cette Scene eft fort comique , & joüée
d'un goût original par l'Acteur qui en
eft chargé.
Une petite-fille arrive après le départ
du vieux Solliciteur , & dit que fon papa
lui a promis de la marier à quinze ans .
Son impatience lui fait trahir des fentimens
, que la timidité & l'éducation ont
coutume de marquer ; le Prologue finit
par des traits galans femez en faveur des
Dames , qui , dit l'Auteur , font ordinairement
la plus belle décoration des fpectacles.
Pierrot- Perrette eft une Piece intriguée
, dont voici le Plan en abregé.
Leandre , Officier de Marine , eft
amoureux d'Angelique , jeune perfonne
captiMARS
1725 . 561
captive à la campagne , dans un vieux
Château , fous l'autorité d'un Tuteur ,
qui ne veut pas la marier , pour joüir
plus long temps des biens de fa pupille .
Ce vieux oncle & Tuteur , Gentilhomme
Picard , nommé M. de Benaiſcourt , a
pour domestiques Nicaife , niais veritable
, & Nicette qui contrefait l'imbecile
pour ne pas allarmer fon Maître , & pou
voir mieux fervir la jeune Angelique
de qui elle eft Confidente. Il a chaffé
Scaramouche & Diamantine , Italiens
qui commençoient à ſe francifer, Ce mê
me jour on celebra la Fête de fon Village
décorée d'une Foire ruftique cela l'in
quiéte par raport aux vifites qui peuvent
lui furvenir , & qu'il ne veut pas recevoir.
Pendant que ce foin l'occupe , Leandre
arrive fur fon Vaiffeau avec M. Oronte
, autre oncle d'Angelique , qui a promis
de la marier avec fon amant , s'il fe
trouve qu'il en foit aimé. Cet Oronte eft
proprietaire par moitié du Château qu'habite
M. de Benaifcourt , & eft d'un caractere
chancelant , ferme quand il eſt
loin de M. de Benaifcourt , fon beau -frere
, & tremblant dès qu'il l'apperçoit. Il
n'ofe entrer dans un Château où il a droit
de proprieté , en marque fes craintes à
Leandre , qu'il déguiſe fous les apparences
562 MERCURE DE FRANCE .
“-
ces de la circonfpection . Pierre , Valet
de Leandre , inftruit de la peine de fon
Maître , & de la façon de penfer de M.
de Benaifcourt , fe produit à ce bizare
pour Valet & pour fervante fous les
noms de Pierrot & de Perrette. Ce double
perfonnage fonde toute l'intrigue &
le Comique de cette Piece. Leandre entre
dans le Château à la faveur de cette
fourberie , voit Angelique & obtient ſon
aveu , qui eft confirmé par fon bon oncle
M. Qronte .
A la huitiéme reprefentation de cette
Piece , on y a joint un Acte nouveau , intitulé
les quatre Mariamnes , qui a eu
an fuccès éclatant . C'eft un Vaudeville
naifant des conteftations de quelques
Auteurs , au fujet de quelques Tragedies
nouvelles , toutes nommées Mariamnes
, & travaillées fur le même fonds.
Cet Acte eft lié par l'idée avec le Prologue
; la Scene ouvre par l'heure de la
Comedie perfonifiée à qui l'Hiver auſſi
perfonifié annonce qu'il vient d'arriver
des Dames d'importance qui demandent
inftamment audience , & que quoiqu'elle
foit finie, on ne peut refufer de les entendre.
La première qui fe prefente fe
nomme Mariamne l'inconnue , elle eſt
mafquée , & en Cappes de Bretagne ;
elle reprefente une des Mariamnes qu'on
prétend
MARS 1725.
563
prétend avoir été lûë à l'affemblée des
Comédieus , & refufée . Elle fe plaint de
ce refus , & de ce qu'on n'a pas voulu la
loger dans le fuperbe Hôtel de la Comedie
, où, dit- elle, on a hébergé depuis deux
folles Mariamnes ; elle s'éloigne en
voyant arriver la nouvelle Mariamne
avec fon fils Alexandre qui la foutient ;
celle-ci a le front bandé , & des emplâtres
à la tête pour marquer la chûte , elle
elt interrompue dans fes plaintes par
l'arrivée de Mariamne qui a été reprefentée
il y a environ un an , elle a des
béquilles comme une convalefcente qui
a été difloquée ; elle eft fuivie de fon
galant Varus,
Qui vouloit la venger , & non pas la féduire.
Elle le charge d'aller fçavoir fi le
temps eft enfin difpofé à rendre juſtice à
fes charmes ; elle apperçoit la nouvelle
Mariamne , & lie avec elle une conver
fation qui devient la critique reciproque
des deux Tragedies.
Mariamne l'inconnue qui a tout écou
té , les aborde , & leur declare qu'elle a
auffi bien qu'elles des prétentions fur
l'Hôtel de la Comedie. Cette nouvelle
difpute augmente par l'arrivée de la Mariamne
de Tristan l'Hermite , qui fous
la figure d'une vieille , reproche aux autres
564 MERCURE DE FRANCE .
tres ce que le public leur a reprochés ,
& s'en va . Les trois Mariamnes qui reſtent
renouvellent leurs plaidoyers , &
prétendent toutes rentrer avec gloire &
bien & deuëment corrigées , dans l'Hôtel
d'où le bon goût , ou le caprice les a
bannies ; leur bile s'allume , & leur difpute
finit par un combat à l'Italien , où
les emplâtres & les béquilles font furieufement
dérangées ; cette Piece eft ſemée
de traits , qui feparez perdroient de leur
grace , qui confifte dans la liaiſon &
la jufteffe des applications.
Le Mercredi 14. de ce mois ces Pieces
furent reprefentées fur le Theatre du
Palais Royal , par les Acteurs de l'Opera
Comique.
Le 1. de ce mois les Comediens François
reprefenterent devant le Roi , à
Verfailles , la Tragedie de Rhadamiſte &
Zenobie de M. Crebillon . Le fieur du
Breüil & la Dlle de Seine y joüerent les
principaux rôles . On joua pour petite
Piece la Comedie de Crifplu , Rival de
fon Maître, dans laquelle le fieur Poiflon
joua le premier rôle . Cet Acteur a été
reçû depuis peu dans la Troupe du Roi
pour jouer les rôles de fon pere , qui s'eſt
retiré il y a plus d'un an .
Le
MARS
1725. 565
Le 3. les mêmes Comediens remirent
au Theatre la Tragedie d'Inès de Caftro ,
de M. de la Motte , qui fut fort applaudie.
Les Comediens Italiens donnerent le
lendemain leur Agnès de Chaillot , qui
fut auffi applaudie.
Le 6. ils reprefenterent à la Cour
Polyeucte , Tragedie Chrétienne , où le
fieur du Breuil joua le principal rôle. Ce
Comedien vient d'être reçû dans la Troupe
du Roi.
Le 10. ils reprefenterent devant S. M.
la Comedie du Chevalier à la mode ,
dans laquelle la Dlle du Buiffon , nouvelle
Actrice joüa le rôle de Madame
Patin , avec un applaudiffement general
. Cette Piece fit beaucoup de plaiſir à
la Cour.
Le 5. de ce mois les Comediens Italiens
donnerent la premiere reprefentation
de l'Ile des Efclaves , Comedie d'un
Acte , de M. de Marivaux , qui fut generalement
applaudie ; nous ne manquerons
pas d'en donner un Extrait.
Le 15. les mêmes Comediens donnerent
la feconde reprefentation d'Andromaque
. C'eſt une traduction très - litterale
en vers non rimez , de la Tragedie
de M. Racine. Les principaux rôles
d'Andromaque , d'Hermione , de Pyrrhus
, d'Orefte & de Pilade croient rem .
G plis
566 MERCURE DE FRANCE.
plis par les Diles Silvia & Flaminia , &
par les fieurs Mario , Lilio & Dominique
, habillez à la Romaine. I a Piece
fut fort bien reprefentée , & cette nouveauté
finguliere a eté goûtée de plufieurs
perfonnes qui entendent parfaitement la
Poësie Italienne , & qui font à portée
d'en fentir les beautez , Cette Piece vient
d'être imprimée fous ce titre :
L'ANDROMACA Tragedia del fign . Racine
trafportata dal France fe in verfi Italiani.
A Paris , chez J. B. Lamefle , ruë
des Noyers , P. de Lormel , rue du Foin ,
& F. Flahault , Quay des Agustins
1725. pag. 117.
Dans l'Epitre dédicatoire , adreffée à
Mylord Peterborough , on apprend que
plufieurs Académiciens d'Italie ont concouru
à faire cette Traduction , que M.
Fraguier a trouvé digne de l'original ;
c'eft ainfi qu'il en parle dans l'Appro
bation ,
Le 11. M. de Voltaire fit lire dans
l'aflemblée des Comediens François , fa
Tragedie de Marianne , à laquelle il a
beaucoup travaillé , depuis la reprefentation
qui en fut donnée l'année pallée , &
dont nous avons rendu compte au Public
en ce temps - là. Cette Piece a paru fort interellante
à la lecture ; elle a même fait
3
fex
MARS 1725.
567

verfer des larmes. Les Comediens l'ont
reçue pour la jouer après Pâques.
On lût le 14. aux mêmes Comediens
la Tragedie nouvelle de Pyrrhus , Roi des
Epirotes , par M. de Crebillon , qui fut
reçue avec beaucoup d'applaudiffement.
Les mêmes Comediens jouerent ce
jour- là devant le Roi la Comedie de Democrite
amoureux , de M. Renard , dans
laquelle le fieur Durand joiia le rôle de
Thalere , & la D'le de Nefmond celui de
Cleantis . On joua pour petite Piece la Serenade
, dans laquelle la De du Buitlon
joua le rôle de la Suivante avec beaucoup
d'intelligence & de feu.
Les Spectacles ont ceffé le 17. de ce
mois , veille du Dimanche de la Paffion.
L'Opera reprefenta Thetis & Pelée , la
Comedie Françoife , Polyeucte , & les Italiens
, le Prince Travefti & life des
Efclaves.
Cependant l'Opera Comique a continué
fes reprefentations julqu'au Samedi
24. & a donné une Piece nouvelle d'un
Acte , fous le titre du Raviffeur de fa fem
fur le Theatre du Palais Royal,
L'Académie Royale de Mufique donmera
à l'ouverture du Theatre , après la
G J quil
568 MERCURE DE FRANCE .
quinzaine de Pâques , un Opera nouveau
en cinq Actes , avec un Prologue
intitulé la Reine des Peris , Comedie Perfane
. Le Poëme eft de M. Fuzelier & la
Mufique de M. Aubert , Intendant de
la Mufique du Duc de Bourbon.
Nous ne manquerons pas de donner un
Extrait de cette Piece d'abord qu'elle aura
paru . En attendant nous avons recours
à la Bibliotheque Orientale de M. d'Herbelot
, pour donner quelque intelligence
du titre & de l'ouvrage .
» Peri , dit cet Auteur , eft un mot qui
» fignifie en Langue Perfane , la belle
» efpece de ces Creatures qui ne font ni
» Hommes , ni Anges , ni Diables , que
» les Arabes appellent Ginn , & que nous
» nommons ordinairement Lutins & Ef-
» prits follets.
Les Peris font dans les anciens Ro-
>> mans de Perfe ce que nous appellons
» dans les nôtres les Fées , & ont un
» pays particulier où ils habitent , que
» les Orientaux nomment Ginniftan , &
» nous autres , le pays des Fées , ou de
» Féerie , nom qui n'eft pas éloigné de
>> celui de Peri . Ce n'eſt pas qu'il n'y ait
>> plus d'apparence que le mot de Fée.
» vient de Fata ; car les Italiens appellent
» les Fées , le Fate , d'où vient le mot de
» Fatare , qui fignifie chez eux charmer
» & enchanter .
Quel
MARS 1725. 569
сс
Quelques - uns ont crû que ces Peris «<
étoient les femelles des Dives ; car les «<
Perfans appellent Div , ce que les Ara- «<
bes nomment Ginn , qui font les Ef- ce
prits , les Genies & les Geans , & quel- «
quefois même les Démons. Mais il est «
conftant par tous les anciens Romans <<
Perfans & Turcs , qu'il y a des mâles «<
parmi les Peris , auffi bien que des fe- «
melles , de même que parmi les Fées ; «
& nous voyons en particulier dans le «
Thahmurath Nameh , que Dal Peri , «
& Milan Schah Peri , étoient freres de «<
Mergian Peri , qui avoit été enlevé «
par un puiffant Div , ou Geant Fée , «
nommé Turafch Nereh . «<

સ્
Ce qui eft de plus certain , felon la «<
Mythologie des Orientaux , eft que les <<
Peris ne font point de mal , & qu'ils «
furpaffent en beauté toutes les autres
Creatures de leur Efpece , & c'eft de- «
que les Poëtes Perfans appellent or- «
dinairement une belle perfonne , Peri- «
zadeh , c'eſt - à - dire , née d'une Fée , & «
c'eft de ce mot que les Grecs ont formé «<
celui de Parifatis , comme ils ont fait «<
ceux de Statire , & de Roxane , des «<
mots Perfans , Sitarah & Roufchen , «
qui fignifient Aftre & Lumiere . Les «
mêmes Perfans appellent encore Peri «<
Peïgher , une perfonne dont ils veu- «
G iij
lent
570 MERCURE DE FRANCE .
>> lent louer la beauté. Au contraire , les
» Dives , & particulierement ceux qu'ils
>> appellent Div Nerch , les Dives mâles
» fout méchans & fort laids , & font
» ordinairement la guerre aux Peris.
» Dans le Caherman Nameh , les Di-
>> ves ayant pris en guerre quelques-uns
» de ces Peris , les enfermerent dans des
» cages de fer , qu'ils fufpendirent aux
plus hauts arbres qu'ils purent trou-
» ver , où leurs compagnes les venoient
» de temps en temps vifiter avec des
» odeurs les plus précieufes. Ces odeurs
» ou parfums étoient la nourriture or-
>> dinaire des Peris , & leur procuroient
>> encore un autre avantage ; car elles
» empêchoient les Dives de s'approcher
» d'elles , & de les molefter , ces Dives
»> ne pouvant les fouffrir , parce qu'elles
les rendoient mornes & triftes , aufſitôt
qu'ils s'approchoient des arbres &
» des cages où les Peris étoient fuf-
>> penduës.
Les Comediens Italiens promettent
pour l'ouverture du Theatre une Comedie
nouvelle , intitulée l'Arbitre des differens.
Le 6. de l'autre mois on reprefenta
pour la premiere fois à Vienne , en prefence
MARS 1725. 571.
fence de la Cour Imperiale , l'Opera de
Grifelde , qui fut fort applaudi .
XX:XXXXXXXXXXX :XX
NOUVELLES DU TEMPS.
O
TURQUIE.
N apprend de Conftantinople que
le Chiaoux- Bacha , qui étoit en
potieffion de cette Charge depuis près de
fept ans , a obtenu pour récompenſe de
fes fervices , le titre de Bacha à trois
Queues , & le Gouvernement de Zida
en Arabie , que fa Charge de Chiaoux-
Bacha a été donnée au Chambellan du
Grand Vilir , que Celictar- Mehemet-
Bacha avoit été fait Gouverneur de Natolie
, & qu'il avoit reçû ordre de raffembler
un corps de Troupes , tirées de
differens Gouvernemens de l'Afie , pour
fe joindre à l'armée , commandée par
Kuproly- Abdula - Bacha , afin de rendre
plus facile la conquête de la Ville de
Tauris , qui fut affiegée inutilement au
mois d'Octobre dernier.
On affure que l'Ufurpateur Miry- Mamouth
eft encore à Ifpahan , qu'il reçoit
tous les jours divers renforts de Troupes
, fans qu'on puiffe découvrir quels
G iiij font
572 MERCURE
DE FRANCE.
font fes deffeins . Le Grand Seigneur a
dit -on , pris la réfolution d'envoyer des
Ambaffadeurs à l'Empereur de la Chine ,
pour l'engager à abandonner le parti de
cet Ufurpateur.
La Regence d'Alger a envoyé à Conftantinople
des Députez , qui ayant obtenu
une audience du G. S. ont afluré
Sa Hauteffe que la Regence donneroit
inceffamment fatisfaction à l'Empereur
au fujet du Vaiffeau de la Compagnie de
Commerce des Pays - Bas ,,
qui fut pris
l'Eté dernier.
Sur les avis qu'on a reçûs que la contagion
faifoit de grands ravages dans la
Province de Diarbec , & qu'il mouroit
beaucoup de monde à Bagdat de cette maladie
, le Grand Vifir a fait écrire au Bacha
qui commande dans cette Ville , de
faire faire des lignes , & de fermer les
pallages , afin d'empêcher que la maladie
ne fe communique aux Troupes Otthomanes
qui font en Perfe.
On a reçû avis que Miry - Mamouth
avoit fait publier un Manifefte qui lui a
acquis la bienveillance des peuples , &
que fon arinée augmentant de jour en
jour , étoit actuellement de cent mille
hommes . Le bruit court à Conſtantinople
que ce Chef des Rebelles de Ferſe a fait
fçavoir au G. V. que fi on lui faifoit des
conMARS
573 1725 .
conditions avantageufes , il fe joindroit
volontiers aux Troupes du G. S. pour
contraindre le jeune Roi de Perfe à ratifier
le Traité conclu l'année derniere
entre, S. H. & le Czar.
RUSSIE.
E 28. Janvier le Duc d'Holstein fit
a ériger à Petersbourg , à l'honneur
de la Princeffe Czarienne Marie - Anne
fa future époule , un Arc de Triomphe
furmonté de l'Aigle de Ruffie , qui fut
illuminé pendant toute la nuit , ainfi
que le Palais devant lequel il étoit dreffé .
Le bruit court que dans le nombre des
nouveaux titres que le Czar a donnez à
ce Prince dans fon Contrat de mariage ,
on y a inferé celui de Prince Souverain
des Duchez de Livonie & de Curlande.
On a publié une Ordonnance , par
laquelle le Czar accorde à tous fes fujets
le libre exercice de la Religion que cha
cun d'eux profefle , avec défenſe à quelque
perfonne que ce foit de les troubler ,
& aux Prédicateurs de rien prêcher qui
puille choquer les perfonnes d'une Religion
contraire , à peine de punition exem
plaire.
On a eu avis par un Courier arrivé
d'Aftracan , que les Troupes Mofcovites
qui font en Perfe , ont conquis la Pro-
Gy vince
$ 74 MERCURE DE FRANCE.
vince de Tabristan , au -deffus de la Mer
Cafpienne , & pris la Ville d'Aftrabat
qui eft au Sud - Est de cette Mer .
L
MORT DU CZAR.
E Czar , Pierre - Alexiowitz mourut
à Petersbourg le 8. Fevrier dernier
à 5. heures du matin , dans la 53. année
de fon âge , étant né le 11. Juin 1672 .
après avoir été douze jours malade d'une
retention d'urine , caufée par un abſcès
au col de la veffie , que les Medecins &
les Chirurgiens jugerent à propos de
percer
par le moyen de la fonde le 4. du
même mois ; il fortit beaucoup de matiere
, ce qui foulagea confiderablement
S. M. Cz . mais le remede ayant été
appliqué trop tard , & la gangrene s'étant
manifeftée peu de temps après , ce grand
Prince prit fon parti en Heros , & fouffrit
avec une conftance admirable de très - violentes
douleurs juſqu'au moment de fa
mort.
Le Czar ſe ſentant mourir , & ayant
perdu toute efperance , fit venir fes principaux
Miniftres , aufquels il donna differens
ordres fecrets , & recommanda
que l'on protegeat les Etrangers établis
dans fes Etats. Il confola en fuite fa famille
avec beaucoup de fermeté ; & ayant fouhaité
MARS 1725. 575
haité d'être feul , il employa les derniers
momens qui lui reſtoient à divers actes
de la Religion qu'il profeffoit. Il n'a
gardé le lit que trois jours ; la Czarine
ne l'a point quitté les Princefles , le
Duc d'Holftein , le Grand- Chancelier ,
& les principaux Membres du Senat , s'y
rendoient deux fois par jour.
Immediatement après la mort du Czar ,
( le plus grand Prince qui ait jamais regné
en Mofcovie , ) le Grand - Chancelier
& les principaux du Confeil d'Etat , firent
aflembler le Senat , le Sinode & le
Confeil de Guerre , aufquels ils notifierent
les dernieres volontez de ce Prince ,
concernant la fucceffion au Trône. Ces
trois Ordres les approuverent , jurerent
de les faire executer , & en confequence
la Czarine fut declarée & reconnuë legitime
Souveraine de toute la Monarchie
Mofcovite , par les Etats Ecclefiaftiques
& Seculiers qui renouvellerent le ferment
qu'ils avoient prêté lors du Couronnement
de cette Princeffe . Les divers
Colleges , les Generaux , & les Officiers
des Gardes fuivirent leur exemple ; ce
qui fut executé par un Acte datté du
même jour , qui fut imprimé fur le champ,
& publié dans toutes les places de Petersbourg
, dont les portes ont été fermées
pendant deux jours.
G vj On
$76 MERCURE DE FRANCE:
On expedia en même temps plufieurs
Couriers pour notifier aux Gouverneurs
des Provinces , & aux Commandans des
Troupes la mort du Czar , & l'avenement
de la Czarine , fa veuve , à la Couronne
, & pour donner ordre aux Grands
du Royaume de fe rendre à la Cour , afin
d'être prefens à la publication des dernieres
volontez du Czar défunt.
Le 8. au foir le corps du Prince qui
n'a point été ouvert , ni embaumé , fut
expofe fur un lit de parade , le vifage cou-
& tout le monde fut adinis à lui
baifer la main : le fur- lendemain on lui
découvrit le vifage , & on le laiffa voir
pendant quelque temps ; après quoi il
fut mis ans un cerceüil pour être dépofé
dans l'Eglife du Monaftere d'Alexandre
Nefski , jufqu'au jour de fes funerailles.
Le 10. on publia la Declaration fui-
99
vante .
QU'IL SOIT NOTOIRE à tout chacun,
» qu'ayant plû au Tout - Puiffant Dieu de
rappeller de cette vie paffagere à l'éternelle
felicité , après une violente ma-
>> ladie de douze jours , le Très- Sereniffime
, & Très Puiffant Empereur &
» Authocrateur de toutes les Ruffies ,
» Pierre le Grand , pere de la Patrie , Sei-
» gneur & Souverain Très - Clement : &
» comme il a été publié par la Declaration
MARS 577
1725.

tion de S. M. Imp. d'heureufe & tou- o
jours glorieufe memoire , dattée du 5. «
du mois de Fevrier de l'année 1722. «
qu'il dépendoit de fa volonté de laiffer «
à la fucceffion à la Couronne celui «<
qu'elle voudroit y choifir ; ce qui a été «
auffi confirmé par les fermens de tous «
les Etats de la Ruffie. Sa Majefté ayant «<
voulu honorer dans l'année 1724. par «<
le Sacre & Couronnement , fa très- bien s
aimée épouſe , nôtre grande Souveraine <<
Imperatrice , Catherine Alexiowna , en u
reconnoiffance , & en confideration des «
peines heroïques qu'elle s'eft donnée «
pour l'Empire Ruffien , fuivant qu'il ∞
a été amplement publié au peuple dans «
l'année 1723. le 15. Novembre. <
«C'est pourquoi le Regent Senat , & le «
très - Saint Sinode avec la Generalité ont c
ordonné unanimement de publier par «<
les affiches imprimées , pour que tout «
l'Etat Spirituel , Militaire , Civil , & «
toute autre condition de perfonnes en «
foient informées , & ayent à fervir fi- «
delement la très- Sereniffime & très- «
Puiffante grande Souveraine , l'Imperatrice
de toutes les Ruffies , Catherine «
Alexiowna. «
30%
TRA
578 MERCURE DE FRANCE .
TRADUCTION du Serment de fidelité
prêté par tous les Ordres de la Monarchie
Mofcovite , les Senateurs , les Membres
des autres Colleges , les Generaux
>>
39
Amiraux , les autres Officiers de
terre & de mer , les Soldats & Matelots
, & les habitans de Petersbourg ,
&c.
» Quoique j'aye déja prêté ferment ,
» tant au très - Sereniffime , & très - puif-
» fant Monarque de toutes les Ruffies ,
» Pierre le Grand , de glorieufe memoire,
qu'à la très- Sereniffime , & très- puif-
>> fante grande Dame , l'Imperatrice Catherine
Alexiowna , je confirme nean-
>> moins matrès - foumife fidelité envers la
» très Sereniffime , & très puiffante
" grande Dame , l'Imperatrice Catherine
» Alexiowna , Souveraine de toutes les
» Ruffies , &c. conformément au Regle-
» ment & Statut de S. M. Cz . de glo-
» rieufe memoire.
·
» Ainfi , je fouffigné , promets à Dieu
» tout Puiffant , & jure fur fon Saint
» Evangile , que je veux & fuis obli-
» gé de reconnoître S. M. ma legitime
» grande Da ne & Imperatrice , & après
» elle , les hauts fucceffeurs de S. M. qui ,
» fuivant le bon plaifir & la Souveraine
FuifMARS
1725. 579
PuiffanceImperiale que Dieu lui a accor- «
dée , feront établis & jugez dignes d'oc- «<
cuper le Trône de Ruffie ; que je ferai «
un fidele , fincere & foumis ferviteur «<
& fujet de S. M. que j'employerai toutes
mes facultez fpirituelles , mes biens «
& même ma vie , s'il eft neceflaire , «<
pour le maintien & la défenſe des droits «<
& prérogatives de la haute & Souve- «<
raine Puiffance & autorité de S. M. «<
déja ftatuez ou à ftatuer dans la fuite : «
enfin , que j'aiderai de tout mon pou- «
voir à tout ce qui pourra contribuer en «<
toute occafion , au fervice de S. M. & «
au bonheur de l'Empire. Le tout d'une «<
maniere que je puifle en répondre de- «
yant Dieu & fon jugement fevere : ain- <
«fi Dieu me foit en aide , tant pour l'ame «
que pour le corps ; & pour affirmer «
mcn ferment , je baife la parole de Dieu «
& la Croix de mon Redempteur . Amen .'«
S. Petersbourg le 13. Fevrier 1725 .
Les habitans de Fetersbourg donnerent
des marques de la plus vive douleur ,
lorfqu'on leur annonça la mort du Czar ,
qui étoit l'objet de leur amour & de leur
veneration .
La Czarine a fait payer tout ce qui étoit
dû au Regiment des Gardes de Preobafinski
& de Sinianowski , qui lui ont prêté
ferment de fidelité , & elle a envoyé des
ordres
580 MERCURE DE FRANCE.
ordres aux Tréforiers de l'armée pour
faire payer les autres Troupes . M. de
Wiefbach , Lieutenant General , a été
choifi par cette Princeffe pour aller commander
l'armée qui eft dans l'Ukraine ,
à la place du Prince Gallitczin , dont la
prefence à la Cour lui a paru neceffaire .
Les divers Confeils continuent de s'affembler
journellement pour expedier les
affaires comme à l'ordinaire , & executer
les projets du feu Czar.
La Czarine a montré dans cette occafion
beaucoup de grandeur d'ame & de
fermeté , elle a annoncé elle - même à fes
enfans la mort du Czar , leur pere , & a
recommandé le Duc d'Holftein au Senat.
Elle a donné la liberté à un grand nombre
de prifonniers , dont elle a même fait
payer les dettes. Cette Princeffe a encore
fignalé fon avenement au Trône par diverfes
marques de clemence , & par le
rappel de plufieurs exilez ; le Baron de
Schaphiroff , cy - devant Grand - Chancelier
, eft de ce nombre , il a obtenu avec
fon pardon , la reftitution de fes biens.
Cette Princeffe n'a encore fait aucun
changement dans la forme de la Regence
, elle a même donné les ordres neceffaires
pour l'execution des projets & entrepriſes
du Czar .
La Cour a envoyé ordre aux Gouverneurs
MAR 5 17258 581
neurs des Provinces & des Villes de Ruffie
de faire figner à tous les habitans le
nouveau formulaire de ferment dont on
vient de lire la traduction . Les Miniftres
Mofcovites dans les Cours étrangeres
prêteront auffi le même ferment , & le
feront prêter aux fujets de S. M. Cz . qui
font hors des terres de fon obéiffance .
M. Beering , Capitaine de Marine fort.
experimenté , partit le 16. de l'autre
mois de Petersboug pour Kamjatska ,
accompagné de quelques Bateliers , Pilotes
, Matelots & Charpentiers , afin
d'y faire conftruire deux petits Bâtimens ,
avec lefquels il doit aller reconnoître
s'il y a au Septentrion un paffage par
lequel on puifle communiquer avec l'Amerique
, ou fi c'est terre ferme contiguë
à la Tartarie : ce voyage fera de long
cours & fort perilleux ; mais s'il réüffit
il augmentera beaucoup la gloire de S. M.
Cz. & du Capitaine Beering.
Le feu Czar avoit fait tenter deux fois
cette découverte , le premier qu'il y envoya
, ayant été arrêté par les glaces , ne
pût poursuivre fa route , & le fecond n'a
jamais donné de fes nouvelles.
, Le 14. Fevrier les Senateurs les
Membres des differens Colleges , les Generaux
, les Amiraux , les Officiers Militaires
& Civils , les habitans de Peterfbourg
9
582 MERCURE DE FRANCE .
fbourg & les Députez des Villes qui
étoient venus à la Cour pour des affaires
particulieres , prêterent ferment de fidelité
à la Czarine , entre les mains du
Grand Chancelier.
Toute la Cour eft en grand deüil , le
Regiment des Gardes de Preobaſenski ,
Officiers & Soldats , ont été habillez de
noir , & on travaille aux préparatifs pour
porter le corps du feu Czar à Moscou .
On affure que la celebration du mariage
du Duc d'Holftein avec l'aînée des
Princeffes Czariennes , fera differée juf
qu'à la fin du deüil.
Le Czar qui vient de mourir étoit
fils du Czar Alexis-Michaelowitz , mort
le 8. Fevrier 1676. & de Natalie Kiriliowna
Nariskin , fa feconde femme ,
morte le 4. Fevrier 1694. Il avoit époufé
en premieres nôces en 1689. Ottokefa
- Federowna , fille du Boyar Fedor
Abromowitz Lapuchin , dont il fe fepara
en 1692. & en fecondes nôces Catherine-
Alexiowna. Ce mariage ne fut declaré
qu'en 1711. quoique la celebration fut
anterieure de plufieurs années. Il avoit
eu de la premiere le Prince Alexis- Petrowitz
, né le 18 Fevrier 1690. mort le
7. Juillet 17 1 8. nouveau ftile , après s'être
attiré la difgrace du Czar , fon pere ,
par
MARS 1725. 583
par une fuite fecrete dans les Pays étrangers
, & par des deffeins trop
ambitieux
,
pour lefquels le Czar l'avoit fait condamner
à la mort par tous les Ordres de la
Monarchie aflemblez pour le juger . Ce
Prince avoit époufé à Torgaw le 25 .
Octobre 1711. la Princeffe Charlotte-
Chriftine - Sophie , fille du Duc Louis-
Rodolphe de Brunfwick- Wolfembutel ,
focur de l'Imperatrice : elle mourut le
1. Novembre 1715. neuf jours après être
accouchée du Prince Fierre- Alexiowitz ,
(a) dont la foeur aînée , nommée la Prin--
(a) Selon les Memoires de Mofcovie qui
viennent d'être imprimez à Paris chez Pilot ,
ce Prince s'appelle Pierre Petrowitz . Les réjoüiffances
qu'on fit à fa naiffance durerent 8.
jours. Il eut pour Parains les Rois de Danemark
& de Pruffe. Le feftin qui fuivoit la ceremonie
du Baptême fut très magnifique. Ce
qu'il y eut de plus fingulier fut un pâté qu'on
fervid fur la table des Seigneurs , & d'où il
fortit une Naine , bien proportionnée . Elle
étoit nuë , n'ayant qu'une coëffure & quelques
rubans ; elle fit un fort joli compliment
aux convives , & but quelques fantez du vin
qu'elle avoit dans fon pâté. On fervit un femblable
pâté à la table des Dames , dans lequel
on avoit caché un Nain. Les Nains & les Naines
font fort communs en Mofcovie , par le
foin qu'on prend d'en multiplier l'efpece en
les mariant enſemble ; c'eft à l'occafion de ces
fortes de nôces qu'on voit quelquefois des
fêtes très- fingulieres.
ceffe
584 MERCURE DE FRANCE.
celle Natalie , eft née le 23. Juillet 1714
Les enfans que le feu Czar a eu de fa
feconde femme , la Czarine , actuellement
Regnante , font la Princeffe Marie,
née le 20. Mars 1713. & accordée au
Duc d'Holftein le 5. du mois de Decembre
dernier , la Princeffe Anne- Marguerite
née le 19. Septembre 1714. le Prince
Pierre né le 8. Novembre 1715. qui
avoit été declaré Prince hereditaire , &
qui mourut à Peterſbourg le 6. Mai 1719.
le Prince Paul , né à Wefel le 13. Janvier
1717. mort le même jour & la Princeffe
Natalie née le 31. Aouft 1718 .
Le feu Czar avoit fuccedé à ſon frere
aîné , le Czar Theodore , qui mourut le
27. Avril 1682. & qui l'avoit défigné
fon fucceffeur , préferablement au Prince
Jean , quoique l'aîné , parce qu'il croyoit
ce dernier trop valetudinaire pour le
charger du Gouvernement. Il avoit été
proclamé Czar quelques jours après , en
vertu de cette difpofition teftamentaire ,
& n'ayant alors qu'onze ans ou environ .
La Princefle Sophie , fa foeur de pere
mécontente de n'avoir aucune part au
Gouvernement , par l'exclufion de fon
frere le Prince Jean , engagea à la révolte
les Strelitzes , efpece de milice trèspuiflante
alors en Mofcovie : plufieurs
perfonnes du premier rang furent maſſacrées
MARS 1725 . 585
crées dans cette premiere fédition , pendant
laquelle le Prince Jean fut procla
mé Czar , & affocié au Gouvernement.
Le Czar qui vient de mourir auroit
rifqué de perir dans le premier feu de la
révolte , s'il n'avoit été enlevé de fon
appartement par le Prince Boris - Alexiowitz
Gallitzin , qui le conduifit fecretement
au Moniftere de Troiski , place
forte à douze lieues de Mofcow. La Princeffe
Sophie , trop ambitieuse pour fe contenter
de cette premiere reüflite perfuada
au Knes Couvanski , General des Strelitzes
, qu'il pourroit parvenir au Trône
en l'époufant , ils confpirerent enfemble
contre la vie des deux Czars , Jean
& Pierre , freres de cette Princeffe ; leur
deffein fut découvert par deux des complices
qui en eurent horreur : le Knes
Couvanski fut pris dans une embufcade ,
& conduit au Monaftere de Troiski , où
il eut la tête tranchée ; la Princeffe Sophie
fut enfermée dans le Monaftere de
Dewitz près de Moſcow , où elle a été
étroitement gardée jufqu'au mois de Juillet
1704. qu'elle y mourut.
Les deux Czars regnerent enfemble
jufqu'en 1696. que le Czar Jean mou,
rut , laiffant trois Princeffes , de Profcovie
Federowna Soltikow , fa femme : fçavoir,
Catherine, mariée le 19. Avril 1716,
à
586 MERCURE DE FRANCE.
Charles Leopol , Duc de Meckelborg-
Schwerin Anne , mariée le 13. Noveinbre
1710. à Frederic- Guillaume , Duc
de Curlande , dont elle eft veuve depuis
le 21. Janvier 1711. & Profcovie qui n'a
pas encore pris d'alliance.
Le Czar Pierre étant devenu feul poffeffeur
des Etats de fon pere , declara la
guerre aux Turcs , & dans la même année
1696. il s'empara d'Afoph fur la Mer
noire . Au mois de Mai 1697. après avoir
fait punir les Auteurs d'une nouvelle
confpiration qu'il avoit heureufement découverte
, & reglé tout ce qui étoit necellaire
la fureté de fes Etats pendant
fon abfence , il partit pour voyager
incognito dans les Pays étrangers , où il
avoit de fein de s'inftruire parfaitement
dans les Méchaniques qui pouvoient être
utiles au bien general de fes Etats .
pour
11 féjourna d'abord à Amſterdam , d'où
il paffa à Londres , & après y avoir demeuré
trois mois , il fe rendit en 1698.
à la Cour de l'Empereur. Les avis réiterez
qu'il y reçût d'une nouvelle confpiration
formée pour declarer le Trône va
cant par fon abfence , le rappellerent à
Mofcow , où il trouva les Rebelles défaits
par l'Amiral Gordon , Ecoffois : il y
fit punir le refte des Confpirateurs , &
employa l'année 1699. à faire plufieurs
RegleMARS
587 1725 .
Reglemens pour l'adminiftration de fes
Finances , pour l'utilité du Commerce ,
& pour la Police.
En 1700. il fit une Tréve de 25. ans
avec les Turcs , & declara la guerre au
Roi de Suede. Les commencemens de
cette guerre ne lui furent pas avantageux ;
dès la premiere campagne il perdit la moi,
tié de fon armée à la bataille de Narva,
En 1702. la bataille de Stagnitz en Livonie
, dont il fortit victorieux , lui facilita
la prife des Villes de Wolmar , Mariembourg
, Dorpt & Nottembourg. Il
prit Narva en 1704. En 1705. fes trou,
pes entrerent en Lithuanie fous la conduite
du Maréchal Czeremetoff ; mais
elles furent battues près de Warfovie par
le Comte de Lewenhaupt , General Suedois
. Les campagnes de 1706. & 1707.
furent defavantageufes aux Alliez de Sa
Majefté Czarienne ,
En 1708. le Roi de Suede étant entré
en Mofcovie dans le deffein de prendre
Smolensko & Mofcow , fes troupes furent
défaites par l'armée Mofcovite , à la
fameufe bataille de Pultowa , qui ſe donna
pendant la campagne de 1709. En 1710 .
le Czar fit fon entrée triomphante dans
Mofcow , & dans la même année , fes
Generaux firent la conquête d'Elbing , de
Riga , & de prefque toute la Livonie.
En
588
MERCURE DE FRANCE.
par
En 1711. le Grand Seigneur rompit
la Tréve qu'il avoit faite avec S. M. Cz .
Un combat engagé fans décifion , quelques
efcarmouches & plufieurs negocia
tions entre le Grand Vifir & le Maréchal
Czeremetoff, mirent fin à cette nouvelle
guerre , qui fut terminée par le Traité
de Falczin , en execution duquel le Czar
rendit Afoph après l'avoir démoli , & la
Forterefle de Taganroke. Il foumit la
Pomeranie en 1713. En 1714. la Flote
Mofcovite commandée l'Amiral Apraxin
bâtit la Flote Suedoife à Gango
dans le Golfe de Finlande . Le Czar fit à
cette occafion fon entrée publique à Peterfbourg
, à travers un Arc de triomphe
drellé avec la plus grande magnificence.
Cette même année il forma une Compagnie
de so . hommes , indépendans de
ceux des Strelitzes , qu'il fit habiller &
exercer à la maniere des Troupes Allemandes
, mettant à leur tête des O hiciers
étrangers ; & pour encourager davantage
ces nouvelles troupes qu'il avoit grand
intereft de s'affectionner , il voulut y fervir
lui-mêmes premierement en qualité
de Tambour , enfuite de Sergent , & ain
fi de dégré en dégré jufqu'à ce qu'il fut
fait Capitaine , & qu'il parut à leur tête
pour en faire la revûë , & leur faire faire
l'exercice. En 1715. S. M. Cz . établit
une
MARS 1725. 589
une Académie de Marine à Petersbourg ,
Ville qu'il avoit fondée dans le deffein
d'y transporter tout le commerce de fes
Etats , & qu'on regarde aujourd'hui avec
admiration , tant par rapport à la magnificence
de fes bâtimens , & à plus de 60000.
maiſons qu'elle renferme, que par rapport
au peu de temps qu'on a employé à la
bâtir.
Le Patriarche de Mofcovie étant mort
en 1716. le Czar fe fit declarer Chef &
Protecteur de la Religion , & il chargea
le nouveau Metropolitain de Rezan qu'il
venoit de nommer , de l'adminiſtration
des affaires Ecclefiaftiques . Le premier
jour de l'an fuivant , vieux ftile , qui eſt
une des plus grandes Fêtes des Mofcovites .
S. M. Cz. fe rendit à l'Eglife à 4. heures
du matin , & officia lui - même. Il commença
par entonner , & chanta enfuite
l'Epître devant l'Autel , coûtume qu'il
obferva toûjours , après avoir fupprimé
la Dignité de Patriarche .
Au mois a Juillet de cette année on
ouvrit à Petersbourg l'Académie de Marine
, pour laquelle le Czar s'étoit donné
tant de foin , & il n'y eut pas de Famille
Noble dans toute l'étendue des vaſtes
Etats de Mofcovie , qui ne fut obligée
d'y envoyer un ou deux de leurs enfans
ou parens , depuis l'âge de 10. ans juf-
H qu'à
590 MERCURE
DE FRANCE
.
qu'à 18. Cette nombreuſe Ecole renferme
aujourd'hui la fleur de la Nobleffe
Mofcovite , qu'on y inftruit dans tout ce
qui regarde la Navigation , fans compter
les Langues , les Exercices du Corps , & c.
C'eft vers ce temps- là qu'on établit à
une lieuë de Petersbourg une Manufacture
de Toile , où l'on en fabrique avec
un lin de Mofcovie , qui ne le cede pas
en beauté à la meilleure Toile d'Hollande.
Le Chef de la Manufacture eft Hollandois
, il a fous lui plus de 20. ouvriers
Allemans . Le lin fe file dans un endroit
féparé , où un Hollandois eft à la tête de
plus de 80. femmes débauchées , pour leur
apprendre à force de coups , la maniere de
manier le roüet , dont l'ufage étoit entierement
inconnu en Mofcovie.
En 1717. il vint en France. Il arriva
à Dunkerque le 22. du mois d'Avril ,
& à Paris le 9. du mois de Mai ſuivant.
Il y fut reçû avec tous les honneurs dûs
à fon rang; & ayant vifité les principales
Maifons Royales , il partit le 20.
Juin de la même année , pour retourner
à Petersbourg , après avoir honoré de fa
prefence une affemblée de l'Académie
Royale des Sciences , à laquelle il témoigna
le plaifir qu'il auroit de lui être
affocié , & d'avoir avec elle des corref
pondances.
La
MARS 1725. 591
La punition des differentes perfonnes
qui avoient donné au Czarowitz , fon
fils , des confeils de défobéïflance , &
les premieres negociations de l'Ile d'Aland
, l'occuperent pendant l'année 1718 .
On lança pourtant à l'eau au mois de
Juillet , un magnifique Vaiffeau de Guerre
de 90. pieces de canon que le Czar
avoit conftruit lui-même , aidé feulement
des Mofcovites , fans le fecours
d'aucun ouvrier étranger , ni de Charpentier
, & dont l'ouvrage fut generalement
admiré. Il méditoit, de faire une
defcente en Suede en 1719. lorsqu'il
apprit la nouvelle de la mort du Roi
Charles XII. & de la proclamation de la
Reine Ulrique Eleonore , par une Lettre
de cette Princeffe , qui en lui faiſant part
de fon avenement à la Couronne , lui
propofoit de rétablir l'ancienne amitié
entre les deux Nations . Les conferences
de cette paix furent continuées dans l'Ifle
d'Aland ; mais ayant été rompues quelques
mois après , S. M. Cz. fit en Suede
la defcente qu'elle avoit projettée , y
brûla plufieurs Villes , & détruifit quelques
mines de Cuivre.
Le jeune Prince Pierre Petrowitz
qui avoit été declaré heritier préfomptif
de la Couronne , mourut le 6. Mai. Il
étoit prefque du même âge que le jeune
Hij grand
1
592 MERCURE DE FRANCE.
grand Prince , fils du Czarewitz.
Ce fut en cette même année qu'on fit
le projet , & qu'on commença le fameux
Canal de Ladoga , qui eft aujourd'hui
bien près de fa perfection .
En 1720. le Czar & leurs Majeftez
Suedoifes étant convenus des préliminaires
d'un nouveau Traité , il fut figné à
Nidftat en Finlande le 10. Septembre 1721 .
& par ce Traité le Czar demeura poffeffeur
de la Livonie , de l'Eſtonie , de l'Ingermanie
, d'une partie de la Carelie , du
District du Fief de Wibourg , & de prefque
toutes les places qu'il avoit conquifes
pendant la guerre du Nord.
Le 22. Octobre fuivant , jour de la
publication de ce Traité , ce Prince fut
proclamé par le Senat , pere de la Patrie,
& Empereur de toute la Ruffie , titre
qui lui a été accordé depuis par le Roi & !
les Etats de Suede , par le Roi de Prufſe ,
par la République de Hollande , & par
le Grand Seigneur .
En 1722. & en 1723. il porta fes ar
mes du côté de la Mer Cafpienne , où il
prit les Villes de Derbent , de Terki , &
conquit plufieurs Provinces qui étoient
cy-devant fous l'obéiffance du Roi de
Perfe , & dont il s'eft affuré la poffeffion
par le Traité qui fut conclu l'année derniere
à Conftantinople , entre le Miniftre
de
MARS 1725. 593
de S. M. Cz . & les Commiffaires du
Grand Seigneur.
La haute réputation dont ce Prince a
joui pendant fa vie étoit très - juſtement
acquife. Sa valeur & fa conftance dans
les grandes entrepriſes l'égaloient aux
plus grands hommes. L'idée que toute
l'Europe s'étoit fait de fa capacité , de
l'étenduë de fon genie & de fes connoiffances
, étoit entierement conforme à la
verité. On le regardoit comme un Souverain
qui avoit de très -grands fentimens
& de lumieres très- étenduës , comme
le Miniftre le plus judicieux & le
plus capable de former & de conduire de
grands & d'utiles projets. Pour merite de
guerre , fes fujets le regardoient comme
le General le plus experimenté & le
plus fage , comme l'Officier le plus intrépide
, & comme le foldat le plus hardi
de fes Troupes. Ils le regardoient auſſi
comme le plus fçavant de tous les Theologiens
& Philofophes Mofcovites : il
étoit très - verfé dans l'Hiftoire & les Mécaniques
, habile Charpentier , encore
plus habile Matelot ; & quoiqu'il n'ait
eu dans toutes ces fciences que des diſciples
groffiers , retifs & fans efprit , il n'a
pas laiffé de former des armées & des
Flotes très - conſiderables , qui ont porté
la terreur chez tous les voilins . On peut
H iij
juger
$ 94 MERCURE DE FRANCE .
juger par ce qu'il a fait de ce qu'il auroit
pu faire encore s'il avoit vêcu plus longtemps.
Parmi les Edifices publics que le Czar
fit élever dans les principales Villes de
fes Etats , celui de la grande Chancellerie
à Moscou , ou Bureau d'Etat , eft un des
plus confiderables . Les expeditions s'y
font en feize Langues differentes , pour
lefquelles il y a autant d'Interpretes ou
Secretaires ; fçavoir , pour le Mofcovite ,
le Polonois , le Latin , l'Allemand , l'Anglois
, le Flamand , le François , le Danois
, l'Italien , l'Espagnol , le Grec , le
Turc , le Chinois , & pour les Langues
des Tartares , des Calmuques & Mongules
.
Le Château de Peterskoff , fitué à
l'embouchure de la riviere de Neva auprès
de Petersbourg , eft d'une magnificence
furprenante : on y a employé pendant
plus de dix ans les plus habiles Architectes
de l'Europe , & plufieurs milliers
d'ouvriers , qui femblent avoir
forcé la nature.
Le Czar de Mofcovie étoit né avec de
grandes vertus , & des talens extraordinaires
; il avoit fait paroître dès la plus
tendre jeuneſſe un genie penetrant , &
capable d'executer les plus grands projets.
Connoiffant par l'Hiftoire des Regnes
MARS 1725. 595
gnes précedens que la forme du Gouvernement
, telle qu'il la trouva à fon avenement
au Trône , n'étoit pas capable de
rendre les peuples auffi policez , auffi induftrieux
, & auffi fçavans qu'il le defiroit
, il fongea à la perfectionner ; mais
pour ne pas faire de changement dont il
ne pût s'allurer la réiiffite par experience
, il voyagea dans les Etats de l'Europe
les mieux gouvernez , d'où il raporta
quantité de Memoires inftructifs fur tout
ce qui pouvoit être utile à ſes vaſtes prójets
, & ne revint dans fa Ville Capitale
que pour travailler à la gloire & au bonheur
de fa Nation , dont le trop grand attachement
à fuivre d'anciens ufages retarda
l'execution de fes grands deffeins ,
& l'obligea quelquefois d'avoir recours
à la feverité .
La Mofcovie eft redevable au Czar qui
vient de mourir , d'une correſpondance
plus reglée avec les autres Nations , qui
ne peut être que très- utile à fon commerce
; de l'établiffement d'une Marine
floriffante ; de l'introduction des Sciences
& des Arts , dont ces peuples n'avoient
prefque aucune connoiffance ; de la fuppreffion
de plufieurs abus & coutumes
fuperftitieuſes , & d'une difcipline Militaire
, qui d'une Infanterie qui ne fervoit
qu'à la défenſe de l'Etat , en a formé des
Hiiij fol196
MERCURE DE FRANCE.
1
foldats propres à faire des conquêtes. Le
nom de ce grand Prince a été très ref
pecté chez les Orientaux . Le fils du Roi
de Perfe détrôné a imploré fon fecours ,
& s'il n'a pas vêcu allez pour le venger
de la perfidie de fes fujets , il a eu la
gloire de reprimer le Chef de ces Rebelles
, & de prendre fur cet Ufurpateur
les Provinces dont il s'étoit injuſtement
emparé.
DANNEMARK.
E Roi a donné à l'aîné des Princes
de Culmbach qui font à Coppenhague
depuis quelque temps , la Lieutenance
Colonelle du Regiment du Major
General Scholtens , & une Compagnie
d'Infanterie au fecond .
Il a été réfolu dans le Confeil de S. M.de
lever un impôt fur toutes les Villes , tant
de ce Royauine que de celui de Norvege ,
& d'employer les deniers qui en proviendront
à l'établiſſement de la Peſche dans
le Groenland , & à la converfion des
peuples de ces pays Septentrionaux .
On a publié une Ordonnance ,
quelle il paroît que le Roi a envie de
rendre une très - exacte juftice à fes fujets .
S. M. leur permet à tous , fans diftinction,
de lui prefenter leurs Requêtes , promet
de les recevoir elle - même , de les exami
par laner
MARS 1725 .
5 >
ner fans qu'elles paffent par d'autres
mains , & de donner enfuite une réfolu
tion convenable. Le Roi commença le
28. du mois dernier à recevoir ces fortes
de Placets . S. M. a promis de donner
de femblables audiences tous les Mercredis
; & qu'en cas qu'elle en fut détournée
par des affaires particulieres , on
pourroit mettre les Placets dans une boëte
percée en forme de tronc , dont elle les
feroit retirer pour les examiner dans fon
cabinet.
On mande de Stokolm que les Marchands
Turcs qui étoient venus pour folliciter
le payement des fommes qu'ils
avoient prêtées au feu Roi de Suede
Charles XII . pendant fon féjour à Bender
, ayant été fatisfaits , doivent s'en retourner
chez eux .
On mande de Leopold que les Tartares
de Crimée ont député vers le Grand
Seigneur pour lui reprefenter leur mécontentement
de ce que par le dernier
Traité conclu à Conftantinople on étoit
convenu de mettre les Cozaques de Zaporovie
fous la domination du Czar . Ces
Lettres ajoûtent que Driautimir , Chef
de ces Cozaques , leur avoit promis de
s'oppofer jufqu'à la mort à l'execution
de ce deffein , & que bien loin de les laiffer
devenir fujets des Mofcovites , il pré-
Hv
tendoit ,
598 MERCURE DE FRANCE .
tendoit , au contraire , faire revivre l'ancien
tribut de Pelleteries qu'ils en recevoient
autrefois .
L
ALLEMAGNE .
E Confeil Aulique de l'Empire a
donné un Decret en faveur du Prince
de Birkenfeldt , au fujet de la fucceffion
du Duché de Deux Ponts. On apprend
que les Cours Palatine & de
Sultzbach fe donnent de grands mouvemens
pour empêcher la publication de
ce Decret ; mais on ne penfe pas que ces
follicitations ayent aucun effet.
Le 13. de l'autre mois , jour du Mardi
Gras , il y eut au Palais à Vienne une
Fête d'Hôte , autrement dit Noce de Village
, où les Seigneurs & Dames de la
Cour parurent dans les habits qui leur
'étoient échus le fort. Le Bal fut fuivi
par
d'un magnifique feftin . Le Miniftre du
Czar à la Cour Imperiale , a renouvellé
fes inftances pour faire reconnoître ce
Prince en qualité d'Empereur de toute la
Ruffie , & pour le faire agréger au College
des Princes de l'Empire .
Le 2. du mois paffé l'Electeur Palatin
créa à Francfort quatre nouveaux Chevaliers
de l'Ordre de S. Hubert , qui
font les Princes Frederic de Saxe- Hilburgshaufen
,
4
MARS
1725. 599
burgshaufen , de Birkenfeld , de Holftein-
Betk , & de Taxis.
Le Duc Maximilien de Hanover , frere
du Roi d'Angleterre , a declaré depuis ſa
convalefcence , qu'il avoit fait le Prince
de Beveren fon heritier.
Le Duc de Deux- Ponts a declaré par
un écrit figné de fa main , & qui a été
rendu public , que c'étoit à fa follicitation
que les Troupes de l'Electeur Palatin
étoient entrées dans fon Duché.
Le Roi de Pruffe & toute la Cour ont
pris le deuil pour un mois , à l'occaſion
de la mort du Czar.
L'Empereur fatisfait des marques extraordinaires
de zele & de refpect que
lui donna la Ville de Znaïm , lors de
fon dernier voyage à Prague , vient de
rendre à cette Ville la plus grande partie
des privileges qui lui avoient été accordez
par les Rois de Bohéme , fes prédecelleurs
; elle l'a déchargée auffi de plufieurs
impofitions , & de l'entretien des
Troupes qui y étoient en quartier , lefquelles
ont reçû ordre d'en fortir dans
deux mois.
ITALIE.
E 28. Janvier le Pape confacra l'Au-
Ltel de la Chapelle des Officiers du
Palais du Vatican , fous l'invocation de
H vj Saint
600 MERCURE DE FRANCE.
Saint Paul , premier Hermite , & de
Saint Antoine , Abbé .
par
Le 29. S. S. tint un Confiftoire dans
lequel le Cardinal Ottoboni , Protecteur
des affaires de France , après avoir opté
le titre de Cardinal Evêque de Sabine ,
qui vaquoit depuis le 12. Juin dernier ,
la démiffion du Cardinal Pignatelli ,
propofa l'Evêché de Bazas pour l'Abbé
Mongin , cy -devant Précepteur du Duc
de Bourbon & du Comte de Charolois ,
Princes du Sang de France , & la Coadjutorerie
de l'Abbaye de la Luzerne ,
Ordre de Prémontré , Diocèle d'Avranches
, pour le Pere Pelvé , Chanoine Regulier
du même Ordre. Le même Car.
dinal préconifa enfuite l'Abbé de Montefquiou
, pour l'Abbaye de la Faife , Or
dre de Citeaux , Diocèfe de Bordeaux.
Le Comte de Pinos , General de Bataille
du Regiment de Bafchi , cy - devant
Miniftre de l'Empereur en Portugal ,
ayant été nommé par S. M. I. pour être
prefent à l'évacuation de Commaccio, eut
le 30. Janvier une audience du Pape ,
& le 31. il partit pour aller executer fa
commiffion.
Il y eut au commencement du mois
dernier , à Rome , chez le Cardinal Paulucci
une Congregation particuliere fur
les affaires de la Religion dans l'Empire ,
&
MARS 1725 . 601
& en particulier fur celles de la Ville de
Thorn.
Le Pape a envoyé M. Melazza , General
des Armes , à Civita-Vecchia , afin
d'y faire les préparatifs neceffaires pour
faire travailler les Ecclefiaftiques condamnez
aux Galeres , au lieu de les faire
fervir comme les autres forçats .
On a publié à Rome une Ordonnance
de la Congregation de la Réforme , par
laquelle il eft défendu aux Seculiers de
porter des rabats fur le modele des perfonnes
du Clergé , à peine pour la premiere
fois de 25. écus d'amende , & de
prifon en cas de récidive.
On apprend de Venife que
le 3. du
mois dernier le Senat avoit élû pour
Noble de Vaiffeau M. Jerôme Querini ,
& que le Prince hereditaire de Modene
& la Princeffe , fon époufe , en étoient
partis le dix pour Milan.
On mande de Turin que le Roi de Sardaigne
avoit pris poffeffion du Marquifat
de Spigno , & qu'il avoit rappellé à la
Cour le Comte de Provana .
Le 4. du mois dernier les Marchands
de Volaille de Naples , firent conduire
leur Char dans la rue de Tolede , & il
fut abandonné au peuple devant le Palais
du Viceroi.
Le nombre des Pelerins qui font arrivez.
Go2 MERCURE DE FRANCE .
vez à Rome depuis le 24. Decembre
1724. jufqu'au 31. Janvier dernier , à
l'occafion du Jubilé de l'année Sainte ,
monte à 10057.
Le 10. Fevrier le Senat de Venife nomma
à l'Ambalade de Rome M. Barbon
Morofini , actuellement Amballadeur de
la République auprès du Roi très - Chrétien
, & à cette derniere Ambaffade , M.
Pierre Capello , actuellement Ambaſſadeur
à Rome.
M. Marie Vicenti , qui eſt actuellement
à Cambrai , vient d'être nommé
Chancelier de la République , à la place
du Chevalier Angelozon , qui mourut le
15. du mois dernier à Venife.
Le Cardinal Albani a obtenu du Pape
la permiffion d'aller paffer quelque temps
dans ſon Abbaye , fituée dans le Royaume
de Naples , dont le Cardinal a augmenté
les revenus aux dépens de fon patrimoine
. Sa Sainteté a fait prefent au
Cardinal Cifuegos du corps de Saint
Venturin , Martyr , que ce Cardinal doit
envoyer inceffamment à Vienne.
Le 18. de l'autre mois le Pape après
avoir vifité l'Eglife de Sainte Marie Egyp
tienne , & fait fa priere devant l'Autel ,
entra dans la Sacriftie , où quelques Armeniens
, & cinq Evêques de la même
Nation furent admis à lui baifer les pieds.
UR
MARS 1725.
603
Un Courier arrivé de Comachio à
Rome , y a apporté la nouvelle de la reftitution
de cette place au S. Siege , & de
l'évacuation des Troupes Imperiales .
La Congregation de propaganda Fide ,
a reçû la fâcheufe nouvelle que le nouvel
Empereur de la Chine a fait publier
un Edit , par lequel il ordonne à tous les
Chrétiens qui font dans fes Etats d'en
-fortir dans le terme de fix mois .
On mande de Genes que la Princeffe
Pamphile qui étoit venue depuis quelques
mois pour y faire fa réfidence , avoit
eu ordre de fe retirer des terres de la République
pour avoir voulu fe diftinguer
en public par un trop grand train , & par
des marques d'honneur qui ne font per-
-mifes qu'au Doge pendant les deux années
que dure fa Dignité .
J
Ces Lettres ajoûtent qu'un Corfaire
de Tripoli avoit pris depuis peu une Saïque
Maltoife aflez richement chargée
mais que l'équipage & les paffagers qui
étoient fur ce Bâtiment , avoient eu le
bonheur de fe fauver , & que la Renommée
, Vaiffeau Hollandois , chargé à
Amfterdam pour Smyrne , après avoir
échapée à deux Corfaires Algeriens , avoit
été attaquée le lendemain par la Patrone
d'Alger , qui ayant mis le feu à fes poudres
, l'avoit fait fauter en l'air.
Les
604 MERCURE DE FRANCE.
L
Les Lettres de Milan portent que le
Prince hereditaire de Modene & la Princeffe
, fon épouſe , en étoient partis le
1. de ce mois pour retourner à Reggio.
L
ESPAGNE ET PORTUGAL .
' Abbé de Livri , Ambaffadeur de
France à la Cour de Portugal , étoit
parti de Lisbonne le 25. Janvier , accompagné
du Nonce du Pape , de l'Ambaffadeur
d'Efpagne & de l'Envoyé de la Grande
Bretagne , qui le conduifirent à Aldea-
Galega , au- delà du Tage , dans trois
Chaloupes Royales de S. M. P. Son Excellence
en partit le 28. pour ſe rendre à
Madrid , & y arriva le 12. Fevrier .
Le 25. du mois dernier on chanta dans
l'Eglife du Convent Royal de l'Incarnation
, à Madrid , les Vigiles des Morts ,
pour le repos de l'ame du feu Roi Don
Louis , & le lendemain on y celebra le
Service folemnel ordonné par le Roi . Le
Marquis de Villena Majordome - Mayor
de S. M. y avoit fait élever un Catafalque
d'une grande magnificence , autour
duquel les encenfemens furent faits par
le Cardinal de Borgia , affifté des Evêques
d'Avila , de Cuença , de Sion & de Laren ,
& l'Oraifon funebre fut prononcée par le
Pere Jofeph Navajas , Religieux Trinitaire.
On
MARS 1725.
605
On mande de Seville que les Magif
trats avoient fait mettre des Lanternes
dans les rues de la Ville , pour prévenir
les defordres qui arrivent pendant la nuit .
Le 11. & le 12. Fevrier la Flote de
Rio de Janeiro arriva à Lifbonne ; la
Charge en eft infiniment plus riche cette
année que les précedentes ; les Intereffez
en retireront , à ce qu'on affure , un produit
de 400. pour cent.
Le 27. du mois dernier S. M. Catho-.
lique donna le Collier de la Toifon d'Or
au Maréchal de Teffé , chargé des affaires
de France à la Cour de Madrid . Les
Grands du Royaume & les Chevaliers
de l'Ordre , affifterent à la ceremonie ,
ayant été invitez par le Duc de Bejar ,
que ce Maréchal de France avoit choiſi
pour fon parain .
Le même jour on celebra dans l'Eglife
du Monaftere Royal des Religieufes de
I'Incarnation à Madrid , un fecond Service
folemnel que le Roi avoit ordonné
pour le repos de l'ame du feu Roi d'E
pagne Don Louis : les Grands du Royaume
& les principaux Seigneurs de la
Cour avoient été invitez de s'y trouver
par le Duc d'Offone. Le même jour la
Ville de Madrid en fit celebrer un autre
dans l'Eglife du Convent Royal de Saint
Dominique , fous les ordres du Corregidor
606 MERCURE DE FRANCE.
dor D. François - Antoine de Salcedo ,
Marquis de Vadillo : le P. Hyacinthe de
Mendoza , Religieux de l'Ordre de la
Mercy y prononça l'Oraifon Funebre .
Le 2. de ce mois on en celebra un troifiéme
dans l'Eglife du Monaſtere Royal
des Dames Déchauffées , où l'Oraifon
funebre fut prononcée par le P. Pierre
Efpinofa.
On travaille dans les Ports de Bifcaye
à la conftruction de huit nouveaux Vaiffeaux
de
L
guerre.
GRANDE-BRETAGNE.
E 13. de l'autre mois il fe tint au
Palais de S. James , à Londres , un
Chapitre de l'Ordre de S. André , dans
lequel les Comtes d'Effex & de Dalkeith
, furent élûs Chevaliers à la place
du Comte de Tankerville , & du Marquis
de Lothian décedez . Ils reçurent
l'Etoile & le ruban vert des mains du
Roi. La place vacante par la mort du Duc
d'Athol , fut en même temps donnée au
Comte de Marchemont , premier Ambalfadeur-
Plenipotentiaire de S. M. au
Congrès de Cambray.
Depuis peu un Ouvrier de Londres
querellant avec fa femme , qui lui difoit
des injures , & lui reprochoit de ne pas
donner dequoi fournir à l'entretien de
leur
MARS 1725. 607
leur enfant , âgé feulement de 6. mois ,
il prit l'enfant du berceau, & le jetta par
la fenêtre du troifiéme étage.
Le Vaiffeau Locke , allant de Londres
à la Virginie , a été enlevé été enlevé par un Algerien
à 50. lieues de Lisbonne , & conduit
à Alger , faute d'avoir un paffe - post
dans les formes .
M. Cater , Gentilhomme du Comte de
Suffolk , fut mis au Pilori , à Londres , le
22. de l'autre mois , pour avoir vendu
la protection de fon Maître.
Le Comité établi pour dreffer les
divers articles d'accufation que les Com
munes doivent porter à la Chambre Haute
contre le Comte de Maclesfield , cy - devant
Grand Chancelier du Royaume, eft compofé
de vingt Députez de la Chambre
Baffe qui y travaillent fans difcontinuer ,
afin de mettre cette affaire en état d'être
jugée avant le départ du Roi pour fon
Electorat d'Hanover , où il doit fe rendre
à la fin du mois prochain.
-
Le 10. de ce mois on fit à Londres
l'infertion de la petite verole au Marquis
de Dorcheſter , petit fils du Duc de
Ringfton , à la Demoiſelle Charlotte
Pierpont , & aux deux fils aînez du Comte
de Coventry.
La Princeffe de Lyme , Vaiffeau commandé
par le Capitaine Raymond , étant
au
1
608 MERCURE DE FRANCE.
au mois de Decembre dernier dans la Riviere
de Scherborough, fur la côte de Guinée
, dix Negres qui étoient dedans profiterent
de l'inftant que le Capitaine étoit
à terre avec une partie de l'équipage
pour égorger les Matelots de garde , pillerent
le Vaiffeau , & fe fauverent.
L
PAYS- BAS.
E Comte de Daun , Grand Maréchal
des Armées de l'Empereur , Commandant
de la Ville de Vienne , nouveau
Gouverneur des Pays - Bas par interim ,
étant arrivé à Bruxelles le 15. du mois
dernier , avec la Comteffe , fon épouſe ,
il fut complimenté le lendemain par le
Confeil d'Etat , les deux Chambres des
Comptes , de Brabant & de Flandres . Le
Confeil Souverain de Brabant , les Etats
de la Province , les Députez du Confeil
Provincial du Haynault qui réfide à Mons,
les Députez des Etats de la Province de
Flandres , & par la principale Nobleſſe
du Pays. Le 17. les Magiftrats allerent lui
prefenter le Vin de Ville , qui confiftoit
en un gros tonneau de Vin du Rhin , porté
fur un Chariot , attelé de 4 Chevaux
magnifiquement harnachez , précedé des
Trompettes & des Timballes de la Ville,
& fuivi d'une très - lefte cavalcade des
Ecoliers du College des Jefuites , habil-
Jez
MARS 609
1725.
-
lez à la Romaine , & reprefentant les fept
familles Fatriciennes de Bruxelles.
A l'arrivée du Comte de Daun la
Bourgeoisie étoit fous les armes , & formoit
une double haye , depuis la porte de
Louvain jufqu'au Palais , ayant à leur
tête les Officiers & les Drapeaux . Le
Magiftrat s'étoit rendu hors de la porte ,
dans une Loge tenduë de drap rouge ,
qu'on y avoit fait dreffer , où le Comte
étant arrivé vers les trois heures aprèsmidi
, il fut harangué par le Penfionnaire
au nom du Magiftrat , qui lui preſenta
les clefs de la Ville dans un baffin de vermeil
doré. Il fe rendit enfuite à l'Eglife
de Sainte Gudule , où il fut reçû par le
Chapitre , dont le Doyen , qui étoit à la
tête , entonna le Te Deum , & donna après
la benediction du Saint Sacrement , au
fon de la groffe cloche & du carillon .
Le Comte de Daun arriva au Palais ,
au bruit d'une triple falve de l'artillérie
des remparts , & efcorté par deux
Compagnies de la noble garde des Archers
& Hallebardiers.
On écrit de Bruxelles que le Regiment
du Comte de Bonneval fut incorporé à
Mons le 26. du mois dernier , dans quatre
autres Regimens Allemans .
Le Marquis de Fenelon , Brigadier des
Armées du Roi très- Chrétien , Infpecteur
do
610 MERCURE DE FRANCE.
de fon Infanterie , & fon Ambaffadeur
en Hollande , arriva à la Haye le 6. de
ce mois ; il fut complimenté le lendemain
de la part des Etats Generaux , par le
Baron de Welderen , Prefdent de Semaine.
La Ville de Bruxelles a fait prefent de
25000. florins au Comte de Daun qu'il
a acceptez .
On a reçû avis de Munich que l'Electeur
de Cologne avoit reçû l'Ordre
de Prêtrife dans la Chapelle du Château
de Suabe en Baviere , & qu'il fe difpofoit
à celebrer fa premiere Meffe le jour
de Pâques dans l'Eglife des Jefuites de
Munich.
kjkjkakakakakakakakakakak i
MORTS , NAISSANCES
Mariages des Pays Etrangers .
Davoit été Doge de la République
On Dominique - Marie Mari , qui
de Genes , mourut le 18. Janvier , après
une longue maladie.
Le Prince de Cariotti , Dom Charles-
Philippe Spinelli , Confeiller d'Etat de
l'Empereur , eft mort à Naples , âgé de
80. ans.
On mande de Lisbonne que la Comtelle
MARS 1725. 611
teffe de S. Jacques y accoucha au mois
de Janvier dernier de fon 29e enfant.
Le mariage entre le Prince de Naffau
Dillenbourg, & la quatrième Princeffe de
Naflau- Dietz , fut figné à Dietz le 31 .
Janvier dernier.
FRANCE ,
茶湯
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c .
E Roi fortit pour la premiere fois ,
Ldepuis fon indifpofition , le 27. du
mois dernier , & prit le divertiſſement
de la promenade dans les Jardins de
Marly.
On affure que toutes les Maréchauffées
ont ordre de fe mettre en campagne ,
pour arrêter tous les Mandians qu'on
trouvera en contravention aux Ordonnances
du Roi .
Le 5. de ce mois la Tournelle Criminelle
condamna à la roue le nommé
Simon l'Empereur , Vigneron , Soldat
aux Gardes , convaincu d'avoir aflaffiné ,
de deffein prémedité , le nommé Robillard
, Charretier duVillage de la Malemaifon.
Il fut executé le lendemain , préalablement
appliqué à la queftion . On dit
qu'il n'a declaré aucun complice.
Le
612 MERCURE DE FRANCE.
Le Roi a donné le Regiment de Cavalerie
, vacant par la mort du Comte de
Roye , au Marquis du Luc , Brigadier des
Armées du Roi.
S. M. a accordé le Regiment de Cavalerie
, dont le feu Marquis de Charlus
étoit Meftre de Camp , au Marquis de
Levis , fon frere .
Le 11. de ce mois , quatriéme Dimanche
de Carême , le Roi entendit dans la
Chapelle du Château de Verfailles , la
Melle chantée par la Mufique , & l'aprèsmidi
S. M. affifta au Sermon du Pere
Quinquet , Theatin .

Le 15. le Roi après avoir entendu le
Sermon , partit de Verſailles pour aller
paffer quelques jours au Château de
Marly.
L'Abbé Mongin , Evêque de Bazas ,
l'un des Quarante de l'Académie Françoife
, cy -devant Précepteur du Duc de
Bourbon & du Comte de Charolois ,
Princes du Sang , fut facré le 11. de ce
mois , dans l'Eglife de l'Abbaye Royale
du Val de Grace , par l'Archevêque de
Toulouſe , affifté des Evêques de Seez &
de Châlons - fur -Marne .
Le Comte de Cambifes , nommé par
le Roi à l'Ambaffade de Turin , eft parti
pour s'y rendre.
Le 22. de ce mois le Parlement en
Robes
1
MARS 1725.
613
·
Robes rouges , le Corps de Ville , le
Chapitre de Nôtre Dame , & autres
Corps Ecclefiaftiques & Reguliers fe
rendirent à l'Eglife des Grands Auguf
tins , où l'on celebra l'anniverſaire de la
Réduction de Paris , à l'obéïffance du
Roi Henri le Grand.
Le 18. de ce mois , Dimanche de la
Paffion , le Roi entendit dans la Chapelle
du Château de Marly la Prédication du
Pere Quinquet , Theatin.
Le 19. le Duc de Bethune , fils du Duc
de Charoft , cy - devant Gouverneur du
Roi , fut reçû au Parlement en qualité de
Pair de France. Le Duc d'Orleans , le
Prince de Conti , & quantité d'autres
Ducs & Pairs affifterent à fa reception .
Le 21. de ce mois l'affemblée generale
des Actionnaires de la Compagnie des Indes
fe tint dans fon Hôtel , où M. le Contrôleur
General prefida ; & les Syndics
Directeurs rendirent compte à l'Affemblée
de l'état des affaires de la Compagnie.
Par le Bilan general qui fut lû , il paroît
que le fond capital de la Compagnie femonte
à plus de 139. millions de livres
en efpeces à 40. 1.14 . f. le marc, & qu'il y
a tout lieu d'efperer une augmentation de
divident pour l'année prochaine.
M. de Joffaud , Brigadier & Meftre de
Camp réformé d'Infanterie , a été pour-
I VÛ
614 MERCURE DE FRANCE,
vû de la Lieutenance de Roy de 1 andaw,
vacante par la mort de M. de Rambion .
On va voir avec empreffement un
très-beau Tableau , dans un des apparte
mens bas du Château des Thuilleries ,
où le Roi eft repreſenté à cheval de grandeur
naturelle. La tête de S. M. très- reffemblante
, eft peinte par le ficur Vanlo ,
le Cheval & les autres accompagnemens
du Tableau font du fieur Parroffel' , tous
'deux Peintres de l'Académie, d'un merite
diftingué.
L'Opera Comique a donné les deux
derniers jours qu'il a reprefenté fur le
Theatre du Palais Royal , la Critique on
Parodie de Telemaque , de M. le Sage ,
qui eut un fuccès fi prodigieux il y a dix
ans.
NOUVEAU
L
CONCERT
au Château des Thuilleries.
E Roi ayant permis au fieur Philidor
, ordinaire de la Mufique de la
Chapelle de S. M. de donner dans fon
Château des Thuilleries , des Concerts
compofez de Mufique fpirituelles on a
deftiné le grand Salon , ou Salle des Suiffes
( qui eft la premiere piece qu'on trouve
avant que d'entrer dans les appartemens
) pour faire executer ces Concerts ,
lef
MARS 615 1525.
3
lefquels font compofez de Motets à grands
Choeurs , & de Simphonies Françoifes &
Italiennes des meilleurs Auteurs . Ce Salon
a été décoré par les foins du fieur
Philidor d'une maniere très - convenable ;
on a conftruit pour placer les Simphoniftes
, & ceux qui doivent chanter , une
efpece de Tribune en Amphitheatre
,
appuyée contre le mur qui eft du côté
des appartemens
, élevée de fix pieds fur
trente fix de face & neuf de profondeur
.
Cette Tribune où l'on monte par
un petit perron , & qui peut contenir
au moins 60. perfonnes , eft fermée par
une balustrade rehauffée d'or , dont les
baluftres , en forme de Lyre , font poſez
fur un focle peint en marbre. Tout le
mur fur lequel la Tribune et adoffée ,
eft décorée d'une perfpective de très - bon
goût qui reprefente un magnifique Salon ,
& qui offre un point de vûë fort agréable
; cette peinture a été faite fur les deffeins
de M. Berin , Deffinateur ordinaire
du Cabinet du Roi , par le fieur le Maire,
Peintre fort entendu dans ces fortes d'ouvrages
. Ce Salon eft éclairé par 12. luftres
, & par quantité de girandoles garnies
de bougies .
Le Dimanche 18. de ce mois le fieur
Philidor fit executer le premier Concert ,
qui commença à fix heures du foir , &
I ij finit
616 MERCURE DE FRANCE.
!
finit à huit , avec l'applaudiffement de
toute l'Affemblée . Il feroit très-difficile
de trouver ailleurs un plus parfait affemblage
de voix & de joueurs d'inftrumens
puifque les meilleurs fujets de la Mufique
du Roi , de l'Académie Royale de
Mufique , & autres excellens Maîtres ,
au nombre de 60. compofent ce magnifique
Concert , dont l'execution admirable
, & qui attire un fi grand concours
, eft entierement dûe, au fieur Philidor.
Le Concert dont nous parlons eft ordinairement
compofé de deux grands Motets
, & de deux fuites d'airs de violons ,
Concerti & Airs Italiens. Le premier
commença par une fuite d'Airs de violons
de M. de la Lande , d'un caprice du même
Auteur , & de fon Confitebor. On
joua après la nuit de Noël , Concerto de
Correlli , & le Concert finit par le Cantate
Domino. Les autres Motets qui furenț
chantez le refte de la femaine , font , Quarefremuerunt
, Exaltabor te Deus , Exur
gat Deus , le Miferere , Dominus regnavit
, & Dixit Dominus : tous Motets de
M. de la Lande.
Les Recitans du Concert font les fieurs
Francifque , Dominique , le Prince, Granet
, & l'Abbé Ducros , tous de la Muſique
du Roi ; Mlle Antier , les fieurs
Mus
MARS 1725 .
617
Muraire , Cuvillier , Cochereau , Dun ,
le Mire & Dubourg , de l'Academie
Royale de Mufique . Les Chours
font compofez de tout ce qu'il y a de
meilleurs fujets de la Mufique du Roi ,
de l'Academie Royale de Mufique , &
des principales Eglifes de Paris , où il y
a des Choeurs de Mufique ; il en eft de
même de ceux qui compofent la Symphonie.
Il n'y a point eu de Concert le Dimanche
des Rameaux.
Le Lundy & Mardy on a chanté le
Dixit Dominus , Dominus regnavit , &
Deus nofter refugium , motets de M. de
la Lande. On n'a point donné de Concerts
les trois jours des Tenebres , mais
feulement le Samedy veille de Pâques ;
on y a chanté le Regina cali , & Ó Filii
Filia , &c. Le Concert doit continuer
le Lundy de Pâques , & continuer jufqu'au
Samedy fuivant.
M
AVIS.
R Fouquet Capitoul de Toulouse ;
Caiffier du Treforier General de
la Province de Languedoc à Paris , nous
prie d'informer le Public , que le fieur
Jean- Jacques Ramond , de Montpellier ,
I iij Banquier
618 MERCURE DE FRANCE.
Banquier à Paris , a disparu depuis quel
que temps , & lui a emporté autour de
cent mille livres de Lettres de Change qu'il
y avoit confiées , fous promeffe de lui en
porter la valeur dans le jour. Ces Lettres
au nombre de dix font à l'ordre dudit
Ramond , fur le fieur Nicolau Banquier
à Lyon. On croit qu'il a paffe à Amfterdam
, où il a une Banque en focieté avec
le fieur Maret fon beau-frere . Depuis fon
évasion il a fait propofer à M. Fouquet,
par le fieur Lauffel fon parent , que s'il
vouloit relâcher quarante mille livres , il
rendroit le furplus ; mais loin d'aquiefcer
à une pareille propofition M. Fouquet
le pourfuit criminellement au Châtelet , où
il a déja obtenu un Decret de prife de
corps .
********
NAISSANCES
Li

******
MORTS , & c.
Er de ce mois , a été baptifée Marie-
Nicolle , fille d'Henry- François Marquis
de Grave , Meftre de Camp de Cavalerie
, Chevalier de l'Ordre Militaire
de S. Louis , & de Dame Marie - Anne
de Matignon fon époufe , fi le du Marêchal
de Matignon ; le Parein Nicolas de
Grave,
MARS 1725. 619
>
Grave, Abbé Commandataire des Abbaïes
de S. Euverte d'Orléans & de Perignac
grand oncle paternel ; la Mareine Dame
Elizabeth de Matignon , époufe du Marquis
de Balleroy Colonel de Dragons .
e
Les enfans du Marquis de Grave forment
le 15 degré en ligne directe de la
maifon de ce nom , qui eft des plus anciennes
du Languedoc , où il y a plufieurs
branches connues depuis 1150. Elle eft
encore diftinguée par leurs faits d'armes ,
dès le temps du Roi S. Louis , qui font
énoncez dans plufieurs Actes qui fe trouvent
dans les Archives du Roi en Langredoc
, qui font à prefent à Montpellier.
Les armes de cette maifon , font trois
ondes d'argent fur un champ d'azur ,
ayant pour cimier une tête de geant percée
d'une lance. Ils ont écartelé aux deux
& quatrième de la maifon de Marle en
1405. qui eft d'or à cinq merlettes de
fable ; le fuport des armes font deux paons
humanifez par une tête de femme.
Henry Emanuel de Roquette , Docteur
de Sorbonne , Abbé de S. Gildas de Rhuis ,
l'un des 40 de l'Academie Françoife , mourut
le 4. Mars âgé de 69 ans.
Jean - Cretien de Vateville , Marquis
de Conflans , Seigneur de Chargey & de
Dampierre , Lieutenant General des Ar-
I iiij mées
620 MERCURE DE FRANCE.
mées du Roi , Commandeur de l'Ordre
de S. Louis , mourut le 7. âgé d'environ
65. ans.
Charles- Michel Bouvart de Fourqueux,
Confeiller Honoraire au Parlement ,
Procureur General de la Chambre des
Comptes , mourut le 9. du même mois ,
âgé de 67. ans.
Le 2. Mars , Dame Charlotte Legras,
'épouse de M. Vincent Daligé , Chevalier
Seigneur de S. Ciran, &c. ancien Confeiller
au Parlement , mourut à Paris âgée
de 45. ans.
Dame Anne- Marguerite Jolly , veuve
de M. Charles Trudaine Maître des
Comptes , le 7. de ce mois , âgée de 82 .
ans.
Dame Marie Berthelot , veuve de M.
Chriftophe Dalmas , Ecuyer , Seigneur
de Boiffy , & c. morte à Paris le 13 .
de ce
mois , âgée de 88. ans.
M. Thomas d'Acquin , Abbé de S.
Laurens lez- Cofnes , Diocèfè d'Auxerre,
& ancien Doyen de S. Thomas du Louvre
, mourut le 9. âgé de 82. ans .
Louis Jofeph Jean - Baptifte de Sonillac
, Marquis de Chatillon , ci - devant
Colonel d'un Regiment d'Infanterie ,
mourut à Angoulême le f . de ce mois,
dans la 45 année de fon âge .
Dame Catherine Perichon , épouſe de
M.
MARS 1725. 62 1
M. Louis le Boultz , Chevalier , ancien
Maître des Eaux & Forêts de France
morte à Paris le 7. Mars âgée de 46 .
ans .
Le 20. de ce inois , M. de la Font,
mourut âgé de 39. ans , après une longue
maladie. Il étoit recommandable par le
merite de l'efprit & par la bonté du
coeur. Le Theatre perd confiderablement
à fe mort ; il avoit beaucoup de
talent pour le genre Comique , qu'il
traitoit d'une maniere neuve & naturelle.
Il avoit donné auffi divers Balets &
des Tragedies mêmes à l'Opera , qui
avoient réuffi , furtout les Fêtes de Talie
, qui ont attiré un fi prodigieux concours.
Il avoit actuellement un Opera
dont M. Batiſtin a fait la Mufique , fous
le titre d'Orion , qui étoit prêt à être
reprefenté. Nous avons donné un Catalogue
de toutes fes Pieces de Theatre
la derniere fois que nous avons eu occafion
de parler de ce Poëte.
BENEFICES DONNEZ.
LA
'Abbaye Commendataire de S. Michel
en Tierache , Ordre de S. Benoft
, Dioceſe de Laon , vacante par le
I -
drès
622 MERCURE DE FRANCE.
decès de M. de Seve , Evêque d'Arras,
a été donnée à M. Nicolas de Saulx de
Tavannes , Evêque de Châlons fur
Marne.
L'Abbaye Commandataire de S. Gildas
de Rhuis , Ordre de S. Benoift , Diocéfe
de Vannes , vacante par le decès de l'Abbé
Roquette , en faveur de l'Abbé de Villeneuve
, Clerc tonfuré .
>
L'Abbaye Commandataire de Langonnet,
Ordre de Citeaux , Diocéfe de Quimper
vacante par le decès de l'Abbé de
Marboeuf dernier titulaire , en faveur de
René- Augufte de Marboeuf , Prêtre du
Diocéfe de Rennes.
L'Abbaye Commandataire de S. Jacques
de Monfort , Ordre de S. Auguſtin ,
Diocéfe de S. Malo , vacante par la démiffion
de René- Augufte de Marboeuf
dernier titulaire , en faveur de Louis-
Emanuel de Champelais , Clerc tonfuré
du Diocéfe de Vannes.
La Coadjutorerie de l'Abbaye Reguliere
de Faverny , Ordre de S. Benoiſt ,
Diocéfe de Befançon , dont le Pere Dom
François - Theodore eſt Abbé , en faveur
de Dom Jerôme Coquelain , Religieux
du même Ordre .
SUP.
MARS 1725 . 623
SUPLEMENT.
Traduction du Pfeaume 149. Cantate
Domino . Par M, Morean de Mautour.
Q
STANCES.
Ue de nouveaux Concerts nos Temples
retentiffent ?
A louer le Seigneur confacrons ce grand jour :
Redoublons nôtre zele , & que nos voix s'uniffent
,
Aux Cantiques divins de la celeſte Cour.
Qu'Ifraël penetré de joye & de tendreffe ,
Vante le Tout- Puiffant , dont il reçût la Loi ?
Vous , enfans de Sion , montrez vôtre allegreffe
,
Par des voeux folemnels beniffez vôtre Roi.
Celebrez par vos chants fa puiffance infinie ,
Publiez fa grandeur au bruit de vos Concerts ;
Que par les doux accords d'une tendre har
monie
Son nom fe faffe entendre , & penetre les airs ?
A fon peuple cheri , le Seigneur favorable ,
I vj
Fait
624 MERCURE DE FRANCE.
Fait goûter dès ce monde un folide bonheur ;
Il lui prête en tout temps une main ſecourable
,
Il eſt l'appui du juſte & de l'humble de coeur.
Les Saints qui jouiront du prix de leur victoire,
Poffederont en Dieu l'objet de leurs defirs :
Goûtant un doux repos dans le fein de la
gloire ,
Ils feront enivrez d'un torrent de plaifirs
La vertu du très-Haut animera leur zele ,
Du plus ardent amour , ils feront enflammez ;
Et l'on verra perir le pecheur infidele ,
Sous le glaive tranchant dont ils feront armez
C'eſt par eux que le Ciel dans fa jufte colere ,
Soumettra la fierté des peuples orgüeilleux ,
Et que de leurs projets l'audace témeraire ,
Ou fera confonduë , ou tournera contre eux.
Les plus fuperbes Rois des nations perfides
Seront humiliez , malgré leur vain effort ,
Et leurs Chefs obftinez , de fang toûjours avides
,
Dans la captivité termineront leur fort.
C'est
MARS 1724: 625
C'eft ainfi qu'aux élûs la gloire eft réservée ,
D'executer du Ciel les fecrets jugemens ;
Ainfi l'on voit fur nous fa juftice éprouvée ,
Lorfque de fa vengeance ils font les inftrumens
.
CONDITION HEUREUSE .
pour être heureux , fi je puis l'être ,
Je vois enfin ce qu'il me faut
N'aller ni trop bas , ni trop haut ,
Et n'avoir ni yalet ni Maître.
VERS prefentez par le fieur Poiffon , qui
jone les rôles de Crispin , avant qu'il
fut reçû Comedien du Roi .
V
Ous m'avez , augufte Princeffe ,
Donné vôtre protection ,
Cet honneur dont me comble aujourd'hui
Vôtre Alteffe ,
Peut changer d'un feul mot ma fituation ;
Que je tienne par vous la fortune en ma manche
,
Il ne s'agit que d'un ordre nouveau :
Faut-il que Crifpin foit un oiſeau fur la bran
che ,
Lorfqu'on devroit le voir comme un poiffors
dans l'eau.
EPI
626 MERCURE DE FRANCE .
J
EPIGRAMME.
E fais des voeux de devenir l'amour ,
Non pour aimer plus ardemment ma belle ,
Car je l'aime bien plus que la clarté du jour ;
Mais c'eft afin que je fois aimé d'elle.
C
ENIGME A THETIS.
Omme fujet de vôtre Empire ,
Ecoutez- moi , Thetis, fans badiner,
Quoique je femble fait pour rire ,
Pour rire avec raiſon , il faut me deviner.
Je ne fuis pas forti de l'onde ,
Quoiqu'il femble que j'en fois né ,
Je n'ai feuilles , ni fleurs , mais je fuis deftiné ,
Chaque printemps à revenir au mond :.
J'inspire divers mouvemens ,
Dès que je commence à paroître ,
Je fais des gens chagrins , & j'en faits des
contents ,
Ce n'eft plus rien , quand on peut me connoître.
QuelMARS
1725 .
627
Quelquefois au plus indolent ,
Je fais faire une longue courſe ,
Mais quand on ignore ma fource ,
1
L'on fait dans fes projets un inutile plan .
Ennemi de la verité ,
On ne laiffe pas de me croire ,
Et je tire toute ma gloire ,
De mon peu de fincerité.
Je trompe les plus gens de bien ,
Sans crainte que l'on me puniffe ,
Et quand on connoît ma malice ,
L'on eft fot , & l'on ne dit rien .
A
SECOND
DEFI.
Qui ces rimes remplira ,
De fel Attique & non de verbiage ,
Sire Argafile donnera
Un Merle blanc dans une cage.
Lefine
Apollon
Balon
Vaifine.
628 MERCURE DE FRANCE.
Melufine
Moilon
Foulon
Coufine.
Brigantin
1
Satin
Ovale.
Helicon
Rubicon
Rivale.
AR
MARS 1725. 629
************
ARRESTS , & c.
RREST du 16. Janvier , qui confirme la
faifie faite aux Iles Françoifes de l'Amerique
, d'un Batteau Anglois & des Beftiaux ,
& autres Marchandifes de fon chargement
appartenant au fieur Bron , negociant , qui
vouloit les faire entrer dans lefdites Ifles , en
contravention du Reglement du 20. Aouft
1698. qui défend tout Commerce étranger dans
leídites Illes.
ARREST du 23. Janvier , qui ordonne que
l'adjudication de l'Office de Chaftelain de la
Ville d'Aire , faite par le fieur Chauvelain au
profit de Louis Gafpard Imbona demeurera
nulle & comme non faite , & rétablit le fieur
Courtier dans ledit Office.
ARREST du 27. Janvier , qui ordonne que
les Proprietaires des Rentes affignées fur le
Clergé , qui fe payent dans les Hôtels de Ville
de Paris & de Touloufe , & des Offices de
Contrôleurs & Payeurs defdites Rentes , feront
tenus avant le premier Avril prochain ,
pour dernier délai , de reprefenter leurs Titres
, pardevant les Commiffaires du Confeil
pour être procedé à la liquidation defdites.
Rentes & Offices ; finon & à faute de ce faire
dans ledit délai , qu'ils feront déchûs des gages
& arrerages qui leur feront dûs de tout le
paffé , jufqu'au jour qu'ils reprefenteront leurs
Titres.
AR930
MERCURE DE FRANCE .
ARREST du 6. Fevrier , qui ordonne que
tous ceux qui ont obtenu des Penfions ou
augmentations de Penfions pendant la minorité
de Sa Majesté , feront tenus de reprefenter
les motifs fur lefquels ces graces leur ont été
accordées , pardevant les fieurs Secretaires
d'Etat , chacun dans fon Département.
ARREST du même jour , portant défenfes
de poursuivre les Commis au Contrôle des
Actes , pour reprefenter les Regiftres dudit
Controle; leur réitére les défenfes d'en donner
communication ; & ordonne qu'ils feront tenus
de communiquer ceux des Infinuations.
ARREST du même jour , qui declare
exemptes des Droits d'Amortiffenens , les
Rentes fur les Talles créées au profit des Communautez
feculieres & regulieres , des fonds
qui leur ont été rembourfez , ou qui leur ont
été donnez pendant les années 1719. & 1710.
de même que les Rentes fur l'Hôtel de Ville.
ARREST du même jour , qui ordonnie
l'execution de la Declaration du Roi du 8.
Mai 1717. & Arreft du 28 Avril 1722. concernant
les Privileges des Commis & Employez
au recouvrement des Droits réſervez
par l'Edit du mois d'Aout 1716. en confequence
condamne les Confuls de la Ville de
Tarbes en Bigorre , Generalité d'Auch , en
5oo. livres d'amende , pour avoir contre les
difpofitions defdits Reglemens , envoyé des
Gens de Guerre chez le nommé Daverac ,
Receveur des Droits réservez de ladite Ville.
Les condamne en outre aux dommages & interefts
dudit Daverac , & c.
ARMARS
1725. 631
ARREST du 17. Fevrier , qui nomme des
Commiffaires du Confeil pour examiner les
Memoires , Comptes & Etats du fieur Fargez,
fes Commis & Commiffionnaires
, au fujet des
approvifionnemens
de vivres & fourages ,
dont ledit fieur Fargez a été chargé , tant en
qualité d'Entrepreneur que de Regiffeur , à
compter de l'année 1719 jufqu'en 1722 .
ARREST du 20. Fevrier , qui fait défenfes
à tous Teinturiers , Marchands & autres perfonnes
de quelque qualité & condition qu'elles
foient , d'envoyer ou favorifer la fortie
hors du Royaume , des Soyes teintes propres
à fabriquer des Etoffes.
ARREST du 26. Fevrier , qui ordonne que
les Engagiftes des Domaines , qui prétendront
avoir des moyens de s'oppofer à la revente defdits
Domaines , à la charge de rembourfer les
Engagiftes , feront tenus de fournir leurs
moyens d'oppofitions devant Meffieurs les Intendans
des Provinces , avant ou lors des publications
qui fe feront devant eux ; que cepéndant
ceux qui n'auront pas formé le dites oppofitions
dans les Provinces avant les adjudications
, pourront les former en la Ville de
Paris , entre les mains du fieur Lorne Greffier
des Commiffions extraordinaires du Confeil ,
trois jours au plus tard avant le jour qui fera
indiqué pour l'adjudication définitive.
ARREST du 27. Fevrier , qui ordonne que
les Proprietaires d'Offices & Droits fupprimez
avant & depuis le premier Janvier 1722. feront
proceder à leur Liquidation avant le premier
Aouft 1725. exclufivement , & en recevront
lerembourfement
avant le premier Septembre
fuivant
632 MERCURE DE FRANCE.
fuivant; paffé lequel temps ils demeureront déchûs
de toutes prétentions.
ORDONNANCE de Police du même jour,
concernant les Taverniers , Cabaretiers & autres
vendans Vins , par laquelle il leur eſt défendu
de tenir aucunes caves ouvertes , recevoir
ni donner à boire à aucuns particuliers ,
de quelque qualité qu'ils foient , après les
cinq heures du foir , depuis la Touſſaint jufqu'à
Pâques , & depuis Pâques jufqu'à la Touffains
, après neufheures , à peine de confiſcation
, 5oo liv. d'amende.
ARREST du même jour , qui proroge jufqu'au
premier Juin de l'année 1726. la décharge
des Droits des Fermes generales - unies,
fur les Beftiaux venans des Pays étrangers
ou qui pafferont d'une Province dans une autre.
Et renouvelle les défenfes d'en faire fortir
hors du Royaume.
ARREST du même jour , qui condamne
les Habitans de la Paroiffe de Montreuil- le-
Chetif, folidairement & par corps , au payement
de l'Amende de cinq cens livres , prononcée
contre Servais Richard , Syndic de ladite
Paroiffe , pour n'avoir pas fonné le Tocfin
fur des Fauxfauniers , ni donné avis de leur
paffage & féjour , au Receveur du Grenier
à Sel le plus prochain , ou aux Employez
des Fermes .
ARREST de la Cour de Parlement du 7 .
Mars qui maintient les Officiers du Châtelet
de Paris , dans le droit de Prévention dans la
Ville & Fauxbourgs de Paris , & notamment
dans
MARS 1725 .
633
dans l'étenduë de la Juſtice de Sainte Gene-
Viéve au Mont.
ARREST du 20. Mars , par lequel Sa Majefté
permet aux Entrepreneurs de la fourniture
de la viande de l'Hôtel Royal des Invalides
, qui font actuellement fervice audit Hôtel ,
de pouvoir vendre pendant le cours de trois
années dans trois Etaux qui feront établis à
Paris dans les lieux les plus commodes pour le
fervice du Public , & dans un quatrième qui
fera établi à la Boucherie de l'Hôtel Royal
des Invalides , toute forte de viande de Boucherie
, à condition par eux de ne pouvoir pas
la vendre à plus haut prix que fix fols la livre
dans Paris , & cinq fols fix deniers à la Boucherie
de l'Hôtel Royal des Invalides , du
Boeuf, Veau & Mouton en payant feulement
par les acheteurs fix deniers par livre de
droits d'entrée de celle qu'ils acheteront audit
Etal de la Boucherie des Invalides ; & à condition
auffi par lefdits Entrepreneurs , de di
minuer le prix de la viande à proportion que
celui des Beftiaux fera diminué.
,
63-4
J
APPROBATION.
'Ay tû par ordre de Monfeigneur
le Garde
des Sceaux le Mercure
de France du mois
de Mars , & j'ay crû qu'on
pouvoit en
permettre
l'impreffion
. A Paris , le 30. Mars
1725 .
HARDION.
TABLE
LASageffe victorieufe de l'Amour , Can- tate .
421
Lettre fur un Tombeau nouvellement découvert
.
La Rofe , Fable allegorique.
425
439
Differtation pour prouver que l'inclination
pour la Chaffe , eft dans un jeune Prince le
préfage d'une vertu Heroique .
Imitation de Boece , de la confolation , &c.
443
449
Extraits de quelques Lettres de Venife , & c.
453
Vers fur un Tableau d'Hercule filant auprès
d'Omphale , peint par M. le Moine. 468
Defcription de l'Autel principal de Saint Sulpice,
& c
Vers à une jeune perfonne.
cttre fur la Maifon des Urfins.
473
479
181
·
Traduction en Vers du Pleaume 127. 490
Deuxième Lettre fur la Pucelle d'Orleans. 492
Idille de M. de la Grange , la belle Hollandoife.
504
Lettre écrite , & c. fur le Poëte Laifnez , &c.
Rondeau redoublé.
507
SII
Lettre de Malthe fur le remede d'eau à la glace .
Lettre en Vers à Mademoifelle.
Lettre du P. Caftel , réponſe , & c.
Enigmes & explication.
Nouvelies Littéraires , Examen des Préjugez
vulgaires.
Difcours du P. Porée , Extrait , & c,
Hiftoire des Veftales , & c.
Nouveau Voyage autour du Monde .
Extrait d'une Lettre écrite de la Haye.
Chanfon notée.
512
520
522
524
527
531
· 540
543
546
548
549
559
562
567
Spectacles , Extrait de la Tragedie de Mariamne.
Pierrot- Perrette , piece en Vaudevilles .
Les Quatre Mariamnes
La Reine des Peris , opera nouveau.
Nouvelles du Temps , de Turquie , de Ruffie .
Mort du Czar , & c
De Dannemarck
571
574
d'Allemagne , d'Italie ,
d'Efpagne , de Portugal , d'Angleterre &
des Pays-Bas , & c.
596
Morts , Naiffances & Mariages des Pays
Etrangers.
610
France , nouvelles de la Cour , de Paris , & c.
611
Afemblée generale de la Compagnie des Indes
.
Nouveau Concert fpirituel , & c.
613
614
Supplement , Traduction du Pleaume Cantate
Autres Vers.
Enigme.
Second Défi , Bouts -rimez.
Article des Arrefts.
623
615
626
627
629
Errata de Fevrier.
PAge sos ligne se du bas , Medaillant , li « .
Madaillant.
Fautes à corriger dans ce Livre.
Age 454 ligne 9 Cercelets , lifez Corces
lets .
Page 456. ligne 6. Paris , Bourdon , lifez Paris
bourdon.
Page 459. ligne 15 405. lifez 4. ou 5.
Page 484. ligne 21. Podeffa , lifez Podefta
Page 553. ligne 4 du bas comme , lifez contre.
L'Airnoté doit regarder la page
548
Qualité de la reconnaissance optique de caractères
Soumis par lechott le