Ils allerent le même jour
à la grande Ecurie. Mle
Comte de Brionne , receu en
furvivance de la Charge de
Grand Ecuyer , que poffede
Me le Comte d'Armagnanc
fon pere, les y reçut. Il eſtoit
accompagné de ſes Ecuyers,
Sousdes
Amb. de Siam. 49
Sous-Ecuyers , Gouverneurs,
des Pages, de pluſieurs autres
Officiers , de so à 60 Pages&
Valets de pieds ; d'un trésgrand
nombre d'autres gens
de Livrée , ſervant aux Carroffes
& aux Chevaux , &
d'autres qui ont diverſes
fonctions dans les Ecuries.
Ils furent d'autant plus furpris
de voir tant de perſonnes
vêtues de Livrée, qu'-
ils en venoient de voir à la
petite Ecurie , un nombre
qui leur avoit paru infiny.
Cependant ils auroient eſté
moins étonnez , s'ils avoient
E
50 III. P. du Voyage
ſçû que plufieurs Voyageurs
ont remarqué &même fait
imprimer dans les Livres de
Voyage qu'ils ont donnez au
Public, qu'il y a peu de Souverains
en Europe , meſme
parmy les plus puiſſans, dont
laMaiſon ſoit composée d'autant
d'Officiers que le Roy
de France a ſeulement de perfonnes
de Livrée à fon fervice.
Les Ambaſſadeurs remarquerent
d'abord la be auté
du Bâtiment, dont ils s'entre
tinrent avec Mr le Comte
deBrionne. Ils firent le tour
des Ecuries , & virent plus de
:
des Amb. de Siam. 51
deux cens Chevaux de Manege,
attachez aux rateliers avec
des bridons à l'Angloiſe . Ces
Chevaux avoient des rubans
comme ceux de la petite Ecu
rie . Parmy ce nombre il y en
avoit beaucoup des Haras du
Roy d'Eſpagne, d'autres d'Italie
, & des Barbes de different
poil , des plus beaux
qu'il y ait au monde , que Sa
Majesté entretient, tant pour
ſa perſonne dans le temps de
Guerre, que pour faire aprendre
à ſes Pages à monter à
Cheval. Ils virent enſuite
cent trés - beaux Coureurs
E ij
52 III . P. du Voyage
Anglois, que leRoy entretient
pour la Chaſſe ; aprés quoy
M le Comte de Brionne
voulut leur donner le plaifir
de faire monter devant eux
quelques Chevaux de Manege.
Comme ce plaiſir devoit
durer longtemps,on fit affeoir
les Ambaſſadeurs. M du Plef
fis , Ecuyer du Roy , qui eſt
un des plus habiles dont on
ait encore ouy parler ; & M
Denos dont la reputation eſt
auffi beaucoup connue, firent
feller enyiron quarante Chevaux
avec de trés- riches Seltes
. Ils en firent monter cinq
des Amb. de Siam. 53
ou fix par des Pages, qui hors
de la prefence de leursMaîtres
auroient pû paſſfer eux-mefmes
pour de grands Maiſtres .
Les Ambaſſadeurs furent furpris
de voir des Chevaux qui
ſemblét n'avoir d'autrevolonté
que celle d'obeir au Cavalier
qui les monte , & de
plaire à ceux devant qui ils
paroiffent. M du Queſmy &
M Marbeuf, Pages du Roy,
y firent remarquer leur adrefſe
; le premier, ſur un Cheval
de galopade , qui ſembloit
n'eſtre fait que pour le
plaiſir & la feureté del'hom-
E iij
54 III. P. du Voyage
me ; & l'autre ſur un desplus
rudes Sauteurs qui ſe voyent.
Ce dernier par ſes fauts redoublez
, & d'une hauteur prodigieuſe
, ne ſurprit pas feulement
l'attente des Ambaſſadeurs,
mais fit paroiftre prefque
impoffible l'art de fe pouvoir
tenir deſſus , & celuy de
l'avoir pû mettre à un air fi
relevé ; de forte que leur êtonnemét
euſt preſque fait croire
qu'ils penſoient que les hõmes
eſtoient colez aux Chevaux.
Enfin ils plaignirent fort ceux
qui montoient les Sauteurs.
Mª de la Chenaye fils d'un
des Amb. de Siam. 55
des Gouverneurs des Pages
du Roy , & Ecolier de Monſieur
du Pleſſis , fit voir par
deux Chevaux de galopade &
de volte qu'il monta ; que ce
n'eſt pas fans raiſon qu'on
donne tant de loüanges à ſa
juſteſſe & à ſa bonne grace,
& qu'il eſt digne Ecolier d'un
fi grandMaiſtre
Les Ambaſſadeurs furent fi
fatisfaits de ce qu'ils virent ,
qu'ils témoignerent qu'ils auroient
beaucoup de joye fi avant
leur départ , ils pouvoient jouïr
encore une fois du mesme plaisir,
dirent à M's les Ecuyers
Eiiij
56 III. P. du Voyage
qu'ils avoient de bons Diſciples,
& qu'on nese pouvoit mieux
divertir qu'ils venoient de faire.
Ils finirent par lesCoureurs
que commande M. de Boifeuil,
ce qui les ſurprit aprés
la quantité deChevaux qu'ils
avoient déja vûs.
On leur montra auſſi la
Sellerie ; je ne vous en dis
rien , parceque je viens de
vous en décrire deux. Vous
pouvez par là vous reprefenter
cette derniere ; elle eft
au Roy , & toutes les chofes
qui appartiennent à ceMonarque
ſont également belles,
des Amb. de Siam. 57
c'est-à-dire ſelon leur nature.
Je ne vous dis rien non plus
des Infirmeries des Chevaux,
que les Ambaſſadeurs virent.
J'adjoûteray feulement qu'eftant
entrez dans la grande
Ecurie ſur les quatre heures
aprés midy, ils n'en fortirent
qu'à la nuit , dans un temps
que les jours eſtoient encore
affez longs. Ils eftoient ravis
de voir l'adreſſe des hommes,
la docilité des Chevaux les
plus fiers ; & par deffus tout
cela ils eftoient charmez des
honnêtetez de Mle Comte
de Brionne , à qui en fortant
58 III . P. du Voyage
ils firent mille honnêtetez &
mille remercimens .