Je vous ay déja tant parléde Guerre , que je ne vous diray que tres - peu de choſe de la Campagne du Prince d'Oran- ge. Les Troupes des Princes d'Allemagne liguez avec luy ,
paſſent tous les ans fix mois à
fortir de leurs Quartiers d'Hy- ver , à marcher , à s'aſſembler
&employent les autres fix mois
àreprendre leurs Quartiers , &
c'eſt là où elles trouvent des
coups à donner , &le temps de leur veritable Campagne , par- cequ'elles vivent avec tant de diſcipline , qu'il n'y a perſonne qui ne refuſe de les recevoir.
Elles ont fait la meſme choſe
cette année , &elles ont d'autantplus fatigué, qu'ayant pref- quetoûjours marché pourtâter toutes nos Villes de Flandre ,
elles n'enonttrouvéaucune en
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affez méchant état pour leur permettrede s'y repoſer. Ainfi elles arriverent devant Charleroy un peu laffes & encor étourdies d'avoir fi longtemps
tournoyé. Le Siege de cette Place fut formé preſque auſſitoſt. Le Prince d'Orange fit avancer fix mille Chevaux ,
croyant obliger une partie de la Garnison à fortir; mais Monſieur le Comte de Montal plus fin &plus experimenté que luy,
les laiſſa ſe promener, &voulut reſerver ſes Gens pour les rece- voir de meilleure grace. C'é- itoit ſe mal adreſſer. Monfieur
de Montal garde bien ce qu'on
luy confie,&on a lieu d'en étre perfuadé. Il a déja fait lever { deux ou trois Sieges aux Ennemis , & traverſé leur Camp pour ſe jetter dans des Places
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qu'ils affiegeoient. Auſſi ſem- bloit-il ne rien ſouhaiter avec
tant de paffion que d'eſtre at- taqué , pour avoir la gloire de ſebiendéfendre.Dansle temps)
que le Prince d'Orange s'ap-,
prochoit de Charleroy , M² le Marquis de Jauvelle qui estoit dans Oudenarde , eut ordre de
s'y jetter avec cent cinquante,
Mouſquetaires de ceux qu'il commande,& une Compagnie deGrenadiers à cheval. Il fit
une diligence fi extraordinai- re , qu'il y arriva en trente heures,fans avoir fait repaître qu'une feule fois.Rien ne ſcau- roit mieux marquer le plaifir que les Moufquetaires ſe fai- foient de s'enfermer dans une
Ville afſiegée. Les Ennemis ne doutent point qu'il ne ſe hâ- taſt-d'y venir , parce qu'ils ſcai
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a
,
&
voient l'ordre qu'il avoitde ſe tenir preſt d'entrer dans la pre- mierePlacequ'ils afſiegeroient,
crûrent qu'aprés que celle-cy ſeroit inveſtie, ils auroient en- cor le temps de détacher huit cent Chevaux pour aller au devantde luy ; mais ils furent trompez dans ce qu'ils s'é- toient voulu perfuader quand ils envoyerentleurCa- valerie, ils apprirent qu'il étoit entré. Ils ne laifferent pas de ſe montrer refolus à pouffer leur entrepriſe. Ils prirent leurs -Quartiers le 10.de ce mois, ils firent travailler àleurs Lignes,
&le 14. ils décamperent. On ne ſçait que s'imaginer de cet- te Retraite. Si ce Siege n'avoir eſtéqu'une feinte , ils auroient moins avancé leurs Lignes, ou ils auroient entrepris quelque
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autre Siege dans le meſme
temps ; mais ils n'en ont fait
aucun , &tout ce que nous
ſçavons, c'eſt que fi - toft qu'ils apprirent que nos Troupes s'aſſembloient , ils ſongerent à
décamper , firent partir leur Canon&leurBagage pendant deux jours,& fe retirerent ſans falüer MonfieurdeMontal,qui eſtoit bien intentionné pour les recevoir.
Admirez, Madame, comme
tout eſt preveu , &comme en France on ſe tient preparé à
tout. Apeine eut- on appris le departdeMonfieurleMarquis de Louvois , qu'on ſçeur qu'il eſtoit au milieu d'une Armée
de cinquante mille Hommes;
que les Ordres du Roy qu'il portoit,&qu'il fait fi bien exe- cuter,avoient fait aſſembler fi
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GALANT. 193 promptement , qu'on euſt dit qu'un coup de Baguete les avoit fait fortir tout-à coup du
feinde laTerre. Les Ennemis
enfurentdéconcertez,&ils ne
le furent pas moins de la fer- meté avec laquelle nos Trou pes allerent àeux fans s'arrêter. Ce fut fans doute ce qui les empefcha de les attendre.. Ils avoient pris fi mal leurs meſures, qu'en commençantle Siege de Charleroy , ils man- quoient de Vivres &de Four- rages. Leurs Convois devoient - venir de Bruxelles , & ils ne
prenoient pas garde queMon- ſieur leBaron de Quincy étoit entr'eux & certe Ville pour leur difputer le pafſage. Ainfi le Prince d'Orange a efté , ou mal averry de nos forces , ou mal affiſté des Conféderez..
194 LE MERCVRE Monfieurde Louvois entra le
15. dansCharleroy avecMon- ſieur le Marefſchal Ducde Luxembourg. La joye que Mon- fieur de Montal eut de les recevoir , fut mêléed'unpeude chagrinde ce qu'il les recevoit fi-toft.Il auroit bienvoulu que le Prince d'Orange luy euſt fait une plus longue vifite ,&
il ſe fâchoit d'autant plusde la promptitude de ſon départ,
qu'il s'eſtoir fort diſpoſe à ne luy laiſſer pas ramener tous ceux qui l'accompagnoient.
On apprit dés qu'il ſe fut retiré , que les Conféderez apprehendoient tellement les François , qu'aucuns, de leurs Officiers Generaux ne voulurent ſouffrir que les Troupes qu'ils commandoient fuffent à
l'Arrieregarde le jour de leur:
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Décampement. Leurs come- ſtations furent ſi grandes fur ce fujet , qu'ils s'en remirent)
an Sort, qui fe declara contre les Eſpagnols.