Fichier
Nom du fichier
1693, 05 (Lyon)
Taille
7.71 Mo
Format
Nombre de pages
260
Source
Lien vers la source
Année de téléchargement
Texte
807156
MERCURE
GALANT.
DEDIE A MONSEIGNEUR
DE LEVILGE
LE DAUPHIN
ΜΑΥ 169
BLIO
LYON
*
1893*
A LYON,
Chez THOMAS AMAULRY,
ruë Merciere au Mercure Galant.
M. DC. XCIII.
Avec Privilege du Roys.
LE LIBRAIRE
au Lecteur :
La paru pluſieurs Chymies, mais
celle que vous recevrez de Michel
Ettmhuller est raisonnée le
nomde l' Autheur lesçavoir du
Traducteur vous fait affez connoi
tre qu'il n'y a rien eu jusqu'à aujourd'huy
de fi utile au Public,le
mois prochain vous avezles Instituts
traduits..
LIVRES NOUVEAUX
duMois de May 1 693 .
La nouvelle Chimie Medicale &
raiſonnée du Savant Michel Ettmhuller,
indouze 30. fols.
Agrément du chagrin du Mariage
indouze,45. fols..
22
Medecin à la Mode , indouze 30. f.
Traité des moyens de rendre les Rivieres
navigables avec pluſieurs figu
res ,octavo 2. liv. Y
Nouvelles ou Memoires Hiſtoriques
par Madame la Comteffe d'Aunoy autheur
des Memoires d'Eſpagne, 2.vol ..
ind.4. liv.
Voyage d'Italie , ind. 32.f. tome 3 .
du Voyage de l'Europe , les deux premiers
tomes ſe trouvent pour 3. liv.
Methode de lever les Plans & les
Cartes de terre& de mer , ind. avec
des figures , 30. fols.
de Vul- La Comedie de la Baguette
cain avec les Chanſons , ind. 8.fols.
Concorde fur les Propheties de
Nostradamus avec les Explications ,,
ind. 45 .
Le Grandeur Comedie, ind.20.fols..
Le Muer , Comedie ind. 20. fols.
L'impromtu de Garniſon, ind . 20.f.
L'Opera de Village , ind. 15.fols .
Les Bourgeoiſes à la Mode,ind.20.f.
Le Cuiſinier Royal & Bourgeois qui
apprend à ordonner toutes fortes de
repas , indouze 35.fols.
Dialogue contre la Médiſance,ind..
20.fols.
MERCURE
TO THEQUE
DEC
BIBL
GALANT ( YON
ΜΑΥ 1693 .
May 1693 .
E Roy eſt ſi cher à
tous ſes Sujets , & fa
Perſonne ſacrée leur
eſt ſi confiderable, que
fi-toſt qu'ils entendent dire
que ce Prince ſe prépare à faire
quelque voyage, ils en prennent
de l'inquietude , par la
crainte que les fatigues où il
continue à s'expoſer pouc met
LYON
DE
E
*
1893*
2
MERCVRE
tre ſes Peuples à couvert des
menaces de la Ligue , n'alterent
cette ſanté précieuſe , qui
fait la felicité de ſes Etats.C'eſt
par ce motif de crainte,qui eſt
un fentiment general , que fait
naiſtre dans tous les coeurs le
zele reſpectueux que l'on a pour
ce Monarque, que M.Roubin ,
de l'Academie Royale d'Arles ,
a fait le Sonnet que vous allez
lire.
AU ROY.
Donneunpeu de relâche aux Fillesde
Memoire ,
LeParnaſſe pour toy na pas affez
d'Ouvriers ,
Etle nombre étonnant de tant d'exploits
guerriers ,
Laſſe les doctes mains qui tracent
tonHistoire.
GALAN T.
3
泰
Contentd'avoir centfois remporté la
victoire.
Contre tant d'Ennemis ſi puiſſans
三fifiers
Grand Prince , après avoir cueilly
tant de Lauriers ,
Paffe en repos tes jours dans le ſein
de lagloire.
Laiffe agir deſormais la valeur de
tonFils.
Partout ce jeune Marsvaincra comme
tufis ,
Ses fameux coups d'eſſay l'ont déja
fait connoiſire.
Tune dois plus chercher à fignaler
ton bras ,
Tagloire est àsoncomble , &firien
peut l'accroifire ,
- C'est que ce Fils teſuive ,
Surtespas,
marche
1
A2
4
MERCURE
Vous ferez bien aiſe , ſans
doute , d'entendre encore parler
du Roy dans une Epiſtre
en Vers qui a eſté écrite ſur la
mort de M. Peliſſon , dont les
grandes qualitez vous étoient
connuës . Elle eſt de M. Betouland
, qui a eſté approuvé
'de tout le monde dans la juftice
qu'il a renduë à cet illuftreDéfunt.
***********
AMADEMOISELLE
DE SCUDERY.
ve ne puis je au lieu d'ancre
écrire avec des pleurs !
Mes larmes vous peindroient mes
fenfibles douleurs ,
Et vous verriez , SAPHO , ma
trifteffe mortelle
}
GALANT.
S
Meſlée avec le nom de nostre Amy
fidelle.
Helas ! nous leperdons ,&Peliffon
n'estplus.
Vosregrets les miens maintenans
Luverflus
Nesçauroient l'arracheràlaParque
inflexible ,
Et c'est le feul miracle àvos mains
impoßible.
Si la Religion , si l'honneur , fi
Themis ;
Si la rare Vertu qui luy fit tant
d'Amis;
Si la Cour d'Apollon , fil' Esprit,
filaGloire ,
Qui fuit les Favoris des Fillesde
Memoire
Pouvoient sejoindre ànous pourluy
rendre le jour ,
Et d'une Ombrequi fuit procurerle
retour ,
Vainqueurdesfroids Cyprés qui cou-
1
prirentSa bière
A 3
6 MERCURE
Bien-toft ce cher Amy reverroit la
lumiere.
Maisque nous fert l'ardeurde ces
voeux impuifſfans ,
Etqu'avez- vouspour luy qu'un peu
defoible encens ,
Quiſemeſlant au bruit que fait la
Renommée ,
Exhale aprês les Morts un reste de
fumée ?
C'estpar làſeulement que nous pouvonsguerir
La bleſſure du coeur toujours preſte
à s'ouvrir ,
Quand d'un Amy qui fut l'ornement
de nostre âge
Nousnous traçons encor une lugubre
LesMuſes dont ilfut fi tendrement
Image.
chery ,
De leur plus pur Nectar l'avoient
d'abord nourry.
Pindare,Anacreon dansvostre Cour
galante
GALANT .
7
e
Brillerent tour à tourſous l'heureux
nomd Acante.
Homere en safaveur reprenant le
pinceau
Yvint d Eurimedon * acheverle Ta
bleau:
Mais des Cygnes fameux abandonnant
la place ,
Et s'élevant depuis plus haut que le
Parnasse ,
EnAigle qui voloit dans leſein
du Soleil, 1
Et qui s'y rempliſſoit defon feu
fans pareil ,
Il joignoit seulement àfon culte
fidelle
Denosfacrez Autels la défense
immortelle
t Ce n'estoit plus l'Erreurfuccée avec
lelait;
t Cemonstre enfon esprit fincerement
défait ,
* Poëme faitdans laBaſtille.
A 4
8 MERCVRE
Eftoit grace à la Foy,grace ausça
voirfublime ,
DesSaintes Veritezdevenulavicti
me.
Sapho , vous lesçavez, voussçabezencor
,
Vous qui defon eſprit vistes lenoble
effor ;
Qu'après Dieu qu'ilfervoit d'une
ardeurficonstante fi
LOVIS ſeul fut l'objet desa plume
éloquente.
Veiller pour le montrer au siècles à
venir,
Telqu'à peine nosyeux le peuvent
Soutenir ;
Vnirtous les rayons qui compoſent
Sagloire
Pour la mettre endépost au Temple
de Memoire ;
Le peindre environne d'heroïques
vertus ,
D'Ennemisfubjuguez, de Monstres
abbattus
1
1
GALAN T.
9
Et demêler enfin cettefageffe im .
menfe
Qui de tout l'Univers fait triompherla
France,
Furent les dignesfoins de nostre il
lustre Amy ,
Qui pour ce grand Tableau qu'il
n'afait qu'àdemy ,
Et dont laseule ébauche étonnera
l'Envie,
Helas ! devoit encor avoir mille ans
devie.
Maisfon esprit formé de tant d'efpritsdivers
,
Admirable en Histoire,en Eloges,
en Vers,
En Lettres , en Morale épurée
choifie
En foudres pleins d'éclairs qui frapoient
l'Herefe ,
Pouvoit-il égaler fon cooeur fi genereux
;
Si grand pourses Amis heureux ou
malheureux ,
i.
:
AS
JO MERCURE
Si plein de probité , d'égalité con
stante ,
D'équité, de candeur,de bontébienfaisante?
Homme du fiecle d'or qui vivoit
parmy nous ,
On ne voyoit chez luy ny l'indigne
couroux ,
Ny l'attrait des plaisirs,ny l'amour
des richesses,
Ny l'oubly des bienfaits , ny les laches
adresses ,
Ny lasecrete envie à l'oeil plein de
poison
D'un venin dangereux infecterSa
raison.
Il ſembloit que le Ciel, pourformer
Sa belle Ame,
De quelque Aſtre brillant eut em.
pruntéSa flame ;
Mais cet Aftre,Sapho ,s'est éteint à
nos yeux ,
Il s'est perdu pour nous dans l'efface
des Cieux..
GALANT. II
Comme on peut toutefois juſquedans
l'Empyrée ,
Et dans lesvastes champs de la vou
te azurée,
Conſerver de la terre un souvenir
charmant ,
L'Image de LOVISl'y fuit incef-
Samment.
Ils'yretrace encor ce Heros magno
nime
Lecomblant de bontez , luy donnant
Son eſtime ,
Honneur qu'ilpréferoit auxplus riches
trefors
Et qui ſçait le touchermême aufe
jourdesMorts.
Abs'ilpouvoit außi,malgré la loy
preſcrite,
Revenirſur la terre honorer le merite
,
autour de vous
Sapho , bien- toft fon Ombre errante
Revoleroit auxfoins qui luy furent
Lidoux
1
A 6
22 MERCVRE
Il reviendroit bientoſt environné de
gloire
Louer vostre courage à sauver sa
memoire ,
A le défendre encor jusqu'au sein
du tombeau ,
Et de laverité lui prestant leflam.
beau
Diffiper l'imposture ſes noires te
nebres
,,
Qui vouloient offuſquer des vertus
fi celebres.
Illuftres Succeſſeurs * des Scavans
qu'il a peints
Et qui semblent toujours animezpar
Ses mains
د
Vous, genereux Rivaux , dont l'art
noble fublime
Sçait graver en traits d'or vostre éclatante
estime ,
Lui refuſerez vous ces marbres éter
nels,
* Metfieurs de l'Academie Françoiſe ,
GALANT. 13
Où vous fauvez les noms des plus
fameux Mortels ?
Four moi , fi je pouvois avec la main
desGraces
De vostre heureux burin suivre à
mon tour les traces ,
Au lieu de me livrer enproye àmes
douleurs ,
Si je pouvois tarir lesfources de mes
pleurs ,
Vous me verriezbien-toft, dans l'ardeur
de mon zele ,
Essayer d'imiter vostre adresse im
mortelle,
Mais qui pourra, Sapho,vous égaler
jamais ,
Dés que vous fufpendrezle cours de
vos regrets?
Pelliſſon par iſtra vivant &plein
degloire ,
Sous les plus verts lauriers des Fil.
les deMemoire,
Quand vous r -ffemblerezparvostre
art fans pareil
14
MERCURE
Mille rayons plus purs que tous ceux
du Soleil ,
Pour peindre cet Ami, qui brillant
de lumiere
D'une trace d'éclairs a remplifa
carriere.
Comme vous aimez les nouvelles
découvertes,& fur tout
lors qu'elles regardent la ſanté,
je croy que la Lettre qui ſuit
vous fera plaiſir.
A MONSIEUR ...
L'Eau de laRouffelle, dont vous
avez oüi parler , & dont ,
Monfieur, vous me demandez une
Relation particuliere , est une Eau
minerale de Bordeaux , quifut decouverte
ily a quelques années. Il
GALANT.
arriva dans le Siecle paßé l'an
1594.que M.Donſeau ,Lieutenant
Particulierdu Senechalde Guyenne,
fit tirerde la pierre hors de la Ville,
dans un champ qui étoit à luy. Il
ne cherchoit que de la pierre pour
bastir , ses Manoeuvres trouverent
à trois piedsde profondeur trois
grandes Statues de marbre , belles
antiques. L'une de ces troisStatuës
paſſe pour être celle de Meffaline
, Femme de l'Empereur Clau
dius. L'eau mineralede laRouffet
le fut découverte de même , lors
qu'ony pensoit le moins . Ily a de
l'apparence que c'est celle dont parle
Ausone dans la description qu'il a
faite en Vers Latins de la Ville de
Bordeaux , SaPatrie.
Salve urbis Genius , medico
potabilis hauſtu .
Ie vous faluë , Genie falutaire
de la Ville , qui nous donnez
16 MERCVRE
-
à
des remedes dans les eaux que
T'on y prend, rar enfin il n'y a
point dans la Ville d'autre Esu mi -
nerale que celle de laRouffelle.Les
ruines effroyables que l'invasion des
Gots , celle des Sarrafins , cauferent
à la Ville de Bordeaux ,
la campagne , avoient enterré dans
leur chaos les Statues Romaines,
il n'y eut que l'occaſion particuliere
de tirer de la pierre pour bastir, qui
les releva de leur tombeau. Cette
même d'ſolation avoit comblé le lit
les conduits publics de l'Eau minerale
dont je vous écris, & en avoit
fait perdre la communication. L'uſages'en
est recouvré par accident.
Le Sieur Bergeron , Bourgeois
Marchand de Bordeaux, s'ennusant
d'aller toujours demander de leaud
Ses Voisins , forma le deffein d'avoir
un puits dans sa maison , fituée
dans une ruë qui se nomme la
GALANT. 17
Rouffelle. Comme cette maison eft
étroite ,&qu'elle est refferrée dans
un petit terrain , il ne se trouva
point de lieu propre pour faire le
puitsquedans la cave. Il fit tra
vailler , après avoir fait tirer
des terres dans la profondeur d'environ
trois broffes , on rencontra un
rocher durépais , qui arresta
quelques jours les Ouvriers parce
qu'ils ne croyoient pas pouvoir furmonter
cet obstacle, qu'ils n'avoient
fait leur marché que pour
creuser un puits dans un fond tout
de terre. Le Marchand qui vouloit
ſeſatisfaire avoir un nuits cher
- luy à quelque prix que ce fuft, les
paya pour travailler dans le rocher.
Il parut d'abord une choſe ſurprenante.
En coupant le rocher il enfortit
dufeu , Elementfort opposé à celuy
- de l'eau que l'on cherch it . Ce pouvoit
estre du soupbre enflamé qui
t
τ
18 MERCURE
r
cer dans
paſſa au travers des pores du rocher.
Enfin àforce de tailler & d'avance
rocher, on vit après une
ouverture de demi-br ſſe , Sourdre
tout d'un coup une eau claire , vive ,
d'un jetfaillant , gros de dix ou
douze pouces. Cette fource impetueuse
abondante , précedéepar
unphénomene de feu , fit penser
que cette eau étoit extraodinaire ,
donna lieu à obſerver exactement
les terres qu'on avoit oftées , dans
la présomption qu'il s'y pourroit
außi rencontrer quelque chose de
fingulier. En effet , il s'y trouvadu
Nitre en telle quantité , qu'on en
ramaſſa le poids d'environ quatre
livres. Tout cela joint ensemble, le
Nitrede la terre, le feu du rocher,
uneſourceſemblable à un petit
torrent , ne pouvoit que donner de
la réputation à ce puits , pour distinguerfon
eau particuliere de l'eau
GALANT.
F9
J
commune ; & pour la faire reconnoiſtre
une eau minerale , d'autant
plus qu'ellese trouva avoirungoust
piquant ,& d'unfel mineral. Cependant
cela même fut cauſe que
cette eau fut negligée durant un
affez long-temps , d'autant que le
puits n'ayant été entrepris que pour
- avoir de l'eau d'un usage domesti
que , celle-là ne s'y trouvantpas
propre,onla laiſſa ensevelie dansla.
caveSans's'enservir, comme une cau
qui étoit inutile ; mais la fuite a
bienfait changer desentiment . Le
hazard a fait connoistre qu'elle
étoit un doux purgatif , & d'un
usage fort commode avec unegran
de vertu , à peu prés comme dans
le douzième fiecle , l'AbbéBafile
Valentin , qui étoit un Chimiſte ,
e trouvant que l'Antimoine qu'il avoit
jetté à des pourceaux les avoit
purgez, engraissez , fut parlà
J
e
2
e
,
t
-
20
MERCVRE
de fe
inſtruit de la vertu de ce corps mi
neral , dont il publia ensuite le
grand secours que l'on en pouvoit
tirer, en le faisant entrer dans les
remedes. Il arriva de même que
deux Domestiques du Marchand
Bergeron aiant be quelques verres
de cette cu de laRouffelle dansles
chaleurs de 1 Esté , sans autre deffein
que de se rafraîchir
defalterer, en furent copieusement
purger,sans aurre ſuite que celle
d'en avoir une nouvelle vigueur,
une ſanté plus ferme dans lefervicede
leur Maistre. Cette rencontre
Jonna lieu à reconnoistre la proprieté
purgative de cette eau , & à
faire envie à plusieurs perſonnes de
l'effayer, den prendre dans le
besoin. Il n'est pas neceffrire que je
vous diſe , que ceux qui en ont fait
l'épreuves'enfont fort bien trouvez,
puis que je puis vous parler de ma
GALANT. 21
propre experience. I'ay un corps qui
a une furieuse antipathie pour les
remedes composezpar ordonnance de
Medecin ; ils me tourmentent ,نم
me cauſent des ſymptomes étranges.
Pour suppléer à leur défaut , depuis
que j'ay eu connoiſſance de cette
eau , j'en ay pris trois ou quatre
fois, elle m'a toujours faitdu bien,
& nulle peine. L'en bois une bou
teille de cing verres chaque fois. Ie
laiſſe quelque intervalle entre la
prise de chaque verre , pour pouvoir
faire un tourdans la chambre , au
quatrième verre elle commence à
me purger , . yant prisle cin
qui me , l'operation devient fi frequente
, qu'elle me purge jusqu'a
Sept à huit fois . Au bout d'une
heure & demie , à compterdepuis
la prise du premier verre ,tout est
fini.Le fors je vais dans la Ville
ois j'ay occafion d'aller , ayant la
22 MERCVRE
même liberté queſije n'avois rien
pris , car enfin , ce remede n'a point
l'embarras des autres qui se prennent
au lit , qui y font demeurer
toute la matinée, garder la chabre
tout le jour. Cette eau purgative
n'aſſujettit à rien de jemblable ,
on n'en est point retenu prisonnier
dans le lit dans la chambre , on
eft libre de fortir d'agir comme
les autres jours , quoi qu'il ſe ſoit
fait une évacuation confiderable
dans le corps. Eneffet , quelque action
qu'ait cette eau, elle opere d'une
maniere laplus commodedu monde,
sans rien faire souffrir de facheux
. Elle ne fatigue point elle ne
cauſe ni nausée, ni dégoust, ni tranchée
ni echereffe , ni laßitude , ni
foibleffe,ni chaleur dans la tête
dans les reins , ni aucunde ces symptomes
cruels accablans, quifont
ordinaires aux remedes mixtes ,
!
>
23
GALANT.
aux Medecines faites avec lesdroguesfi
ameres & fi dégoutantes du
Levant. Elle a un goust mineral
qui n'est pas agreable , mais cela
n'approche pas du gouft affreux du
Sené. Elle est si legere, qu'on ne la
fent point dans l'estomach. Elle est
-fifixe &fi inherente dans le corps
durantquelques momens poury agir,
le delivrer des humeurs peccantes
qui cauſent l'alteration de la
- Santé , & l'indifpofition de la per
Sonne , qu'elle se rend presque toute
- par lesgroſſes matieres , & fort peu
_ par les urines. Cette eau rafraîchit
en purgeant , au contraire des autres
remedes , qui ne purgent qu'en
échauffant. Elle abat les vapeurs
les dißipe. Elle guerit du mal
de teste , elle ofte les obstructions ,
elle empêche le ferment des fi'vres
intermittentes ; enfin elle détruit
La corruption maligne , & tout cela
24
MERCVRE
finit par une gayeté qu'elle laiffe
dans le corps ,d'avoirfurmonté
chaßé parson moyen tous les enne
mis de la fanté. On a voulu depuis
quelques années abreger la compofition
des Medecines medecinales ,
pour lesquelles tout le monde a une
borrible repugnance. On se contente
quelquefois d'infuser du sel
polycreste dans quelquesverres d'eau.
Cette eau de la Rouffelle est un re
mede encore plus abregé,puis qu'elle
contient en elle-même un fel purgatif,
un Polycreste naturel , où
T'homme n'a point de part ,
point mis la main , & oiù par con-
Sequent il n'y peut avoir de mépriſe,
& comme ondit en termes de
Pharmacie, de qui pro quo. Ilya
Seulement à obferver que chacun
doit sçavoirſa mesure , selon qu'on
est dur , ou qu'on est facile à estre
émů. Aux uns
n'a
comme à moy,
une
GALANT.
25
une bouteille de cingverres suffira
pour avoir tout son effet. Il y en a
àqui il en faudra moins , & d'autres
à qui il en faudra davantage.
Pour trouver la mesure que chacun
doit prendre de cette eau , il faut
ceffer d'en prendre dés qu'elle com.
mence à purger un peu fort , &au
contraire , il faut continuer d'en
prendre jusqu'à ce qu'elle ait une
operation aßezfenſible. Il ne faut
pas omettre que ceite eau est encore
d'une grande commodité pour les
Lavemens, c'estune décoction toute
faite & toûjours prête. Ilfaut la
faire chauffer un peu plus que tiede,
pour mettreſes parties en mouvement
; elle fait après son effer
par une éjection aisée abondan .
te des impuretez großieres. L'ai oüi
dire que feu M. de la Closure, trescelebre
Medecin , & fort connu
dans toute la France , approuvoit
May 1693 .
B
26 MERCURE
dont le
fort l'usage de cette eau , & que se
trouvant à Bordeaux , il conſeilla à
une Dame du Parlement , qui en
fait un usage affez frequent ,
qui en est toujourssoulagée , de continuer
d'en prendre , & d'en faire
fon remede principal. Ie ne doute
point que tous ceux de la même Faculté
qui voudront ſe donner la pei
ne d'examiner cette cau ,
fel est le Nitre , & de la confiderer
dans ses effets merveilleux , n'en
jugent außi avantageusement. S'il
y a quelque chose qui manque à
cette eau pour avoir la vogue des
autres , c'est qu'elle n'est pas encore
affez connue . Elle n'a pas eul'a-
Vantage des autres Eaux minerales
de France , qui ont été obſervées fur
les lieux par des personnes envoyées
exprés dans les Provinces, qui enont
tiré lesfels , & qui en ont rendu
compte dans des Traitez publics ,
GALAN T.
27
S
5
S
t
ร
2
qui font imprimer. Comme l'eau de
laRouffelle n'étoit pas alors découverte
, elle n'est pas encore compriſe
dans les Memoires des Eaux
minerales de ce Royaume.Deplus,
cette eau , quoy qu'un rocher foit
Son urne, a un dehors obscur. Elle
afon fond revêtu de la figure d'un
puits ; elle est enfoncée &cachée
dans une cave , &dans la maison
d'un Bourgeois , qui ne s'est point
mis autrement en peine de la faire
valoir, &quise contente d'enfaire
donnerliberalement à ceux qui en
envoyent chercher. Cette eauferoit
plusde bruit ,fi elle avoit un autre
fortune autre apparence. Qu'on
luy donne au lieu de la figure d'un
puits , le baßin d'une fontaine ;
qu'on la tire du cachot d'une cave ,
qu'on luy fafſfe une place publique
ſpacieuse, dégagée des édi
fices ,&des maisons ; qu'elleSoit
B 2
28 MERCURE
bien bâtie comme la Fontaine
qu'Aufone celebre dansses Vers ;
qu'ony plante de même de beaux
arbres àl'entour ; qu'on luy ofte fon
nom vulgaire de Rouffelle tiré de
cette ruë , étroite , obscure ,&qui
n'eſt habitée par aucune perſonne
4
de condition , & qu'on luy donne
un nom noble apparent , comme
fait Aufone àsa Fontaine , qu'il
appelle Divone en Langue Celti .
que , c'est à dire Divine ; un femblable
exterieur fera un grand relief
à cette Eau minerale , pour la
faire connoistre dans ses qualitez
dans sa vertu , pour répandre le
bruit la réputation desa découverte
& de son origine ,
pourfaire parler des Eaux de Bordeaux,
comme lon parle des Eaux
de Forges , de Bourbon , &c. Pour
moy , dans l'état present où est cette
Eau , dépourvûë de ces choses exGALANT.
29
-
-
terieures qui imposent aux Peuples
par leur éclat ,j'en fais une eftime
extraordinaire , étant penetre de
l'experience defes bons &falutaires
effets. Ie luy applique l'Eloge
qu'Horace donne àſa Fontaine ,
dans ſon Epiſtre à Quintus,
Infirmo capiti fluit utilis ,
utilis alvo.
L'eau de ma Fontaine , dit- il,
eſt admirable pour guerir le
mal de tête , & pour rendre les
entrailles toûjours faines. Ces
deux articles fi confiderables , ſçavoir
la teste & les entrailles ,104-
jours en bon estat , font des fondemens
Solides pour soutenir une
grande santé , & pour faire une
longue vie.
Y
e
Je ſuis prié , Madame , de
vous demander votre ſentiment
& celuy de vos Amies
B 3
30 MERCURE
fur l'embarras où se trouve
une fort aimable Demoiselle ,
dont je vais vous faire le Portrait
fort au naturel. Elle est
paſſablement bien faite , &
quoy qu'elle n'ait rien de laid
dans ſes traits , les avantages
de la beauté l'ont toûjours fi
peu touchée , qu'on peut dire
qu'elle ne s'eſt jamais miſe en
peine de paroiſtre belle. Elle
s'eſt donnée tout à l'eſprit , &
elle en eſt idolatre. Auſſi l'at-
elle extraordinaire , & de la
derniere vivacité .On n'en vit
jamais de plus folide avec autant
de jeuneſſe qu'elle en a ,
ny de plus fecond avec ſi peu
d'étude.Elle ne dit rien quine
ſoit nouveau , tout ce qu'elle
fait eſt diſtingué,& cependant
elle n'affecte , ny de ſe faire
diftinguer par la nouveauté
GALANT.
31
コ
e
t
e
;,
ny de ſe faire admirer par la
distinction que peut luy faire
donner la fuperiorité de ſon
eſprit .Les ſages ſont perfuadez
de ſa ſageſſe . Ceux qui ne le
font point ſouhaiteroient fort
qu'elle voulût bien leur refſembler,
& c'eſt ce qui fait que
quelquefois ils ſe laiſſent furprendre
à l'envie , qui tâche
inutilement de luy porter guelque
atteinte . Sa conduite la
met au deſſus de fa malice , &
tout le monde confefſfe qu'elle
n'en doit rien apprehender.
1
Cette Demoiselle, telle que je
vous la peins , a ſouffert depuis
deux ans les ſoins & l'attachement
d'un Cavalier fort aimable,
& c'eſt affez vous en dire
pour vous marquer qu'ellelaime.
Il eſt d'une douceur &d'une
civilité charmante. Quoy
B 4
32 MERCURE
qu'ilait tout l'eſprit qu'onpeut
avoir , il a encore plus de modeſtie
. Tous ceux qui le connoiſſent
l'eſtiment, chacun demeurant
d'accord de la ſageſſe
qui eſt commenée avec luy, de
la bonté de ſon coeur , & des
avantages qu'une tres - belle
taille,& des traits afſſez regulierement
formez peuvent doner
à un jeune Cavalier. La Belle,
enluy accordant toute ſon eſtime
, fut approuvée des plus
rigides cenſeurs, & de fon cô ,
té, il s'accoûtuma à la voir, ſans
fonger qu'il deût l'aimer. C'étoit
un coeur fort peu ſçavant
en affaires tendres , & quand il
auroit voulu prendre des precautions
contre elle , elles luy
auroient ſervy de peu de choſe
, tant les charmes de ſon efprit
l'attachoient .Il ne pouvoit
GALANT.
33
1
voir venir la tendreſſe , parce
qu'il ne la connoiſſoit pas encore
, quoy que peut- être il la
fentiſt quelquefois , mais elle
n'avoit pour luy que les apparences
de l'eſtime , tout au plus
de l'amitié , & ainſi il la laiſſa
entrer dans ſon coeur fans s'en
défier. Enfin il connut veritablement
qu'il aimoit la Belle
&la Belle en fut ravie. Tous
deux ſe communiquoient leurs
plus ſecrets ſentimens, comme
fans en avoir le deſſein , &
d'une maniere qui ne ſervit
qu'à ferrer leur chaine plus étroitement
. Ce qu'il y a de fort
fingulier , c'eſt que l'amour de
la Demoiselle ſe purifia de jour
en jour,& ſedégageapourainſi
dire de toute matiere , devenant
un amour tout- à-fait ſpi--
ritnel , &fort ſemblable à cc
BS
34
MERCURE
luy des Intelligences. Ellen'aima
le Cavalierque pour la plus
belle partie deluy-même,c'eſtà
dire pour ſon eſprit,&pour
la droiture de ſon coeur. Elle
ne penſa plus du tout à ſa fore
tune , ny à d'autres avantages,
qui avoient contribué à l'engagement
qu'elle avoit été
bien aiſe de prendre pour luy.
Les qualitez admirables qu'il
faifoit paroiſtre par ſes ſentimens
& par la beauté de fon
genie, furent l'unique objet de
Ta paffion. Elle les étudia plus
que jamais , & y fit des découvertes
qui l'ébloüirent , & qui
la charmerent de nouveau .
Dans ces exactes recherches
elle reconnut mille vertus,fans
s'appercevoir d'aucun défaur..
Elle s'interrogea pluſieurs fois
fur l'amour qu'elle fentoit pour
GALANT.
35
4
le Cavalier , & étant convaincuë
de ſa pureté , elle reſolut
de le conſerver toute ſa vie ,
quelque choſe qui pût arriver
du côté du Ciel ou des homes .
Ne l'aimant que pour luy- même,&
luy ne changeantjamais
en luy même,diſoit-elle ,je ſeray
toûjours la même , & je
verray avec joye tout ce qui
pourra contribuer à le rendre
heureux , fuſt ce la ruine de
tous mes interêts , & ma perte
même. Et plût au Ciel que je
puſſe moy même faire fon
bonheur, j'en chercheroistous
lesmoyens que me permettroit
ma gloire , ſans examiner ſi
j'y trouverois le mien , ou au
moins en l'y cherchantje n'aurois
en vûë que ſa ſeule fatisfaction
. Voilà quels étoient les
fentimens de cette aimable Per
/
B 6
36 MERCURE
ſonne,lors qu'un jour dansune
converſation qu'ils eurent enſemble
, elle dit au Cavalier
quelque choſe dont il ſe facha,
quoy que ce fuſt ſans aucune
intention de luy déplaire. Il
faut vous dire ce qui a ſuivice
differend. Le Cavalier,ou pour
ſe vanger, ou pour mieux con
noiſtre les ſentimens de laDemoiſelle,
n'a eu des yeux depuis
quelque temps que pour une
fort jolie perſonne , dont il eſt
connu il y a pluſieurs années ,
& pour laquelle il paroiſt avoir
naturellement quelque panchant,
Elle eſt de bonne maifon
, bien- faite , tres civile ,
douce & engageante , & a
quelques avantages pour les
agrémens du corps , qui ne ſe
rencontrent. point dans celle
quica eu, ſes premiers ſoins..
GALANT.
37
Quant à l'eſprit , elle l'a d'une
maniere à ne déplaire à perſonne
,& de toutes les Filles de la
Ville , c'eſt une de celles que
la Demoiselle dont j'ay l'embarras
à vous expliquer , eſtimele
plus. Cependant on peut
dire qu'elle n'a qu'une douceur
affectée , & qu'une muette civilité.
Le reſte n'a rien de ſolide,
& à tout prendre , ce n'eſt
qu'une Fille d'un genie borné,
& que rien n'éleve au deſſus
des autres . Dans le fond , elle
n'a peut- être envie que de
L'emporter fur ſa Rivale,en luy
dérobant le Cavalier dont la
converſation luy fait paſſer d'agreables
heures , & quand ce
feroit une alliance qui pourroit
l'accommoder,je vous demande
pour cette aimable perſonne
,dont je vous ay peint l'ar
38 MERCVRE
1
mour fi pur &fi defintereſſe ,
ſi voyant une ſi grande inégalité
entre les deux partis ,dont
l'un a beaucoup plus de merite
que l'autre , il ne doit pas luy
être permis de faire tous ſes
efforts pour empêcher que ce
mariage ne ſe faffe . Elle a chagriné
le Cavalier à qui ce nouvel
engagement paroiſt être
cher & agreable . Comme elle
n'a point d'autre plaiſir que le
fien , doit- elle ſouffrir , ſans y
mettre obſtacle, qu'il s'engage
entierement ? Ce que vous
deciderez là-deſſus ſera ſa regle
, puis qu'elle proteſte que
ſi l'on trouve,que pour ne point
dementir ſon caractere , qui eſt
d'aimer ſans aucune vûë pour
elle-même, elle doit ceſſer entierement
de le voir , elle ſe
fent l'eſprit aſſez fort pour s'y
GALANT. 39
reſoudre, voulant Iny prouver
que ſa fatisfaction & ſon interêt
prevaudront toûjours en
elle ſur tout ce qui la pourroit
porter à ſouhaiter de ne le pas
perdre. Lademande qu'elle fait
fur la reſolution qu'elle doit
prendre, eſt fort ſerieufe. Quad
le changementque luy a marqué
le Cavalier, ne ſeroit qu'en
apparence , elle le prend pour
ce qu'il paroift , & ſe croit en
droitde borner ſa penetration,
lors qu'il borne ſa fincerise.
Je vous envoye des Vers,où
quoy qu'il y ait beaucoup d'efprit
, vous connoiſtrez aifément
que l'illustre Madame
des Houlieres qui les a faits ,
n'a écouté que les mouvemens
du coeur. Je vous en laiſſe faire
l'application.
1
40 MERCURE
VERS ALLEGORIQUES..
Dans ces prés fleuris
Quarrofe la Seine ,
Cherchez qui vous mene ,
Mes cheres Brebis.
I'ay fait pour vous rendre
Le deſtin plus doux ,
Cequ'on peut attendre
D'une amitié tendre ,
Mais fon long couronx
Détruit , empoisonne
Tous mes foins pour vous ,
Etvous abandonne
Aux fureurs des Loups..
Seriez-vous leur proye ,
Aimable Troupeau ,
Vousde ce hameau
L'honneur la jove ,
Vous qui gras & beau
Me donniez fans ceffe
Sur l'herbette épaisse
1
GALANT.
41
Vn plaifir nouveau ?
Que je vous regrette !
Mais il faut ceder.
Sans chien ,Sans houlette ,
Puis-je vous garder?
L'injuftefortune
Me les a ravis .
En vain j'importune
Le Ciel parmes cris,
Il rit de mes craintes ,
Etfourd à mes plaintes ,
Houlette, ny chien ,
Il ne me rend rien.
Puißiez-vous contentes ,
Et fans monSecours
Paffer d'heureux jours ,
Brebis innocentes ,
Brebis , mes amours !
Que Pan vous défende ,
Helas ! il le fait.
Ie ne luy demande
Que ce feul bienfait .
Ouy , Brebis cheries,
و
42
MERCVRE
Qu'avec tant deſoin
L'ay toujours nourries ,
Ie prens à témoin
Ces bois, ces prairies ,
Que si les faveurs
Du Dieu des Pasteurs
Vous gardent d'outrages ,
Et vous font avoir
Du matin au ſoir
De gras pasturages ,
L'en conferveray
Tant que je vivray
La d uce mémoire ,
Et que mes Chansons
En mille façons
Porteront fa gloire ,
Du rivage heureux ,
Où vif & pompeux ,
L'Aftre qui mesure
Les nuits , les jours
Commençant ſon cours ,
Rend à la Nature
Toute Sa parure
GALANT.
43
Iusqu'en ces climats ,
Oùfans doute las
D'éclairer le monde
Ilva chez Thetis
Rallumer dans l'onde
Ses feux amortis.
Vous avez peut-être entendu
déja parler d'une choſe fort
extraordinaire qui se trouve
en Pologne , & principalemet
en Ruffie. Ce font des Corps
morts que l'on appelle en latin
Striges , & en langue du Pays
Vpierz , & qui ont une certaine
humeur que le commun peuple
&pluſieurs perſonnes ſçavantes
afſſeurent être du ſang.
On dit que le Demon tire ce
ſang du corps d'une perſonne
vivante , ou de quelques beftiaux,
& qu'il le porte dans un
corps mort , parce qu'on pré-
1
44
MERCURE
tend que le Demon fort de ce
Cadavre en de certains temps,
depuis midy juſques à minuit,
aprés quoy il y retourne & y
met le ſang qu'il a amaffé . Il s'y
trouve avec le temps en telle
abondance , qu'il fort par la
bouche , par le nez , & fur tout
par les oreilles du Mort , en
forte que le Cadavre nage dans
ſon Cercueil. Il y a plus. Ce
même Cadavre reſſent une
faim qui luy fait manger les
linges où il eſt enfevely , &en
effet on lestrouve dans ſa bouche.
Le Demon qui fort du
Cadavre , va troubler la nuit
ceux avec qui le mort a eu le
plus de familiarité pendant ſa
vie , & leur fait beaucoup de
peine dans le temps qu'ils dorment.
II les embraſſe , les ferre ,
en leur reprefentant la figure
GALANT.
45
1
de leur Parent,ou de leur Amy,
&les affoiblit de telle ſorte en
ſuçant leur fang pour le porter
au Cadavre , qu'en s'éveillant
fans connoiſtre ce qu'ils fenrent
, ils appellent au ſecours.
Ils deviennent maigres , & attenuez
, & le Demon ne les
quitte point , que tous ceux de
la Famille ne meurent l'un aprés
l'autre. Il y a de deux fortes
de ces Eſprits ou Demons.
Les uns vont aux hommes , &
d'autres aux Bêtes qu'ils font
mourir de la même ſorte en
ſuçant leur fang. Le ravage ſeroit
grand fans le remede que
l'on y apporte. Il confiſte à
manger du pain fait , petry &
cuit avec le ſang qu'on recuëille
de ces fortes de Cadavres
. On les trouve dans leurs
Cercueils, mols , flexibles , en-
ز
46 MERCURE
flez , & rubiconds , & non pas
fecs & arides comme les autres
Cadavres , quelque temps qui
puiſſe s'être écoulé depuis
qu'ils ont été mis en terre.
Quand on les trouve de cette
forte , ayant la figure de ceux
qui ont apparu en ſonge , on
leur coupe la tête , & on leur
ouvre le coeur , & il en fort
quantité de ſang. On leramaffe
, & on le mêle avec de la
farine pour la pêtrir , & en
faire ce pain , qui eſt un remede
ſeur pour ſe garantir d'une
vexation fi terrible. Aprés
qu'on leur a coupé la tête ,
ceux que l'Eſprit tourmentoit
la nuit,u'en ſont plus troublez ,
& ſe portent bien enfuite.Depuis
peu de temps une jeune
Fille en a fait l'épreuve. La
douleurqu'elle a ſentie endor-
{
4
GALANT.
47
mant l'ayant éveillée pour demander
du ſecours , elle a dit
qu'elle avoit veu la figure de ſa
Mere qui étoit morte il y avoit
déja fort long-temps. Cette
Fille déperiſſoit tous les jours ,
devenant maigre& fans force.
On a deterré le Corps de ſa
Mere qu'on a trouvé mol,enflé
& rubicond. On luy a coupé la
tête& ouvert le coeur , d'où il
eſt ſorty grande abondance de
fang , aprés quoy la langueur
où elle étoit , a ceſſé , & elle
eſt entierement revenuë de ſa
maladie. Des Prêtres dignes
de foy , qui ont veu faire ces
fortes d'executions , atteſtent
la verité de tout ce que je vous
dis,& cela eſt ordinaire dans la
Province de Ruffie .
Tandis que je ſuis fur les
Prodiges , il faut que je vous
48 MERCURE
faſſe part de ce qui a été veu
depuis peu de temps dans le
Cabinet d'un Religieux , qui
entre pluſieurs curiofitez , conſerve
dans une grande Phiole
un petit Chien qui a deux
corps , & n'a qu'une tête. On
luy voit ſept pieds , dont l'un
eſt un pied de Taupe. Il y a
grande apparence que le huitiéme
eſt dans le corps de cet
Animal , car ces deux corps
s'embraſſent . Il a auſſi deux
queuës. On afſſeure que ce
Chien a eu vie quelque tems .
Il eſt d'un beau poil noir &
blanc , & eſt venu d'une fort
belle Chienne, qu'une Dame à
qui elle appartenoit portoit ordinairement
dans ſon manchon
. Ceux qui étudient les
productions bizarres de la nature,
feroient plaiſir à beaucoup
de
GALANT.
49
de Curieux , s'ils leur apprenoient
, pourquoy ce pied de
Taupe ſe rencontre dans un
Chien.
Les Vers du Dialogue qui
fuit,font faits pour être mis en
Muſique. Vousleur trouverez
le tour qu'il faut pour cela.
A
TIRSIS.
H , qu'il
aimer!
m'est doux de vous.
Monfeul bonheur estde vous plaire.
SILVI Ε.
Si cet amour étoit sincere ,
Il auroit de quoy me charmer.
TIRSIS.
Ciel, doutez-vous encor de mon a.
mour extrême ?
N'en croyez-vous pas mesfermens?
SILVIE.
Les Dieux permettent aux Amans
May 1693 . C
MERCVRE
50
D'attester vainement leur puiſſan
ce Suprême.
TIRSIS.
Croyez-en mes Soupirs.
SILVIE.
Ne me trompent-ils pas?
TIRSIS.
Du moins croyez- envos appas.
SILVIE.
Mesyeux n'ont point affezde charmes
Tour captiver vostre coeur.
TIRSIS .
Ils peuvent arracher les armes
Au plus SuperbeVainqueur.
SILVIE.
Ab, pluſt au Ciel que vous fußiez
fidelle!
TIRSIS.
Ie vous fais àjamais maiſtreſſe de
mon coeur.
TOVS DEVX.
Heureux , qui peut jusqu'à la mort
Brûler d'une ardeur mutuelle .
GALAN T.
31
Le Sonnet qui ſuit eſt du
même Auteur qui a fait ce
Dialogue. Il peint le deſeſpoir
d'un Amant qui eſt ſur le point
de ſe ſeparerde ce qu'il aime.
1Lfaut donc marracherde cefe
jour aimable ,
Où mon coeur agoûtétant deplaifirs
charmans ;
Ilfaut que j'abandonne un objet
adorable ,
Qui faisoit que mes jours n'étoient
que des momens.
Après avoir joży d'un destin favorable
,
Qu'il est dur de fortir de ces enchantemens
!
Lesplaisirs que nous offre un bon.
heur peu durable ,
Quand on s'en voit priver , augmentent
nos tourmens.
C2
52
MERCVRE
F
Enfin il faut partir ; un devoir trop
barbare
Detout ceque j'aimois aujourd'huy
me separe.
Que ce cruel départ doit affliger
mon coeur!
Si les maux qui fuivront cette abfence
terrible
Egalent les plaiſirs où je fusfifenfible,
Qui pourra concevoir l'excés de
ma douleur ?
Je vous envoye la copie d'une
Lettre ſur la Baguette. Elle
étoit entre mes mains dés la fin
du dernier mois , ce qui eſt
une preuve que celuy qui l'a
écrite ſçavoit ce qui s'eſt paſſé
chez Monfieur le Prince avant
qu'il fût connudu Public , par
GALANT.
53
toutes les circonstances que je
vous en ay mandées . La mariere
qui avoit été trop long- .
temps uniforme , commençoit
à ennuyer , quoy que merveilleuſe
, mais les conteſtations
vont la rendre plus divertiſfante
, & par ce moyen on
pourra apprendre & déveloper
la verité;étant difficile que l'on
foit bien inſtruit d'une cauſe ,
tant que l'on n'entend parler
qu'un feul Avocat.
M.
A Saumur ,le 13.Avril 1693 .
AMyy lù avecplaisir lelivre de
de Valmont fur la Baguette
Divinatoire. Il est remply d'expe..
riences curieuses & agreablement
raportées , &son Auteur merite
beaucoup de loüanges d'avoir ramaßé
en ſi peu de temps tant de
faits surprenans des Allemans ,
C 3
54
MERCVRE
des Dancis, des Anglois, des Italiens
, & des François. Il peut
paffer pour un scavant Historien
des effets merveilleux de la Nature.
Il luy manque cependant , à
mon avis , quelques degrez d'incredulité.
Il prend aisément pour
vray fur la foy d'un homme , des
faits qui font fi rares , & fi éloignezde
ce que nous avons coûtume
de voir , qu'ils meriteroient
bien d'être rapportezpar un grand
nombre de témoins exacts & judicieux
, car il en faut revenir à
proportionner le nombre & la qualité
des témoignages aux degrez
de furprenant
dont est le fait. Quand on ne s'atd'extraordinaire
tache point à cette proportion, ilne
faut pas s'attendre d'être cru , ny
des bons efprits, ny de ceux qui font
les bons efprits , en affectant de ne
rien croire desurprenant , quelques
GALANT .
55
témoignages qu'on leur apporte
Si le fait étoit de nature que le
Lecteur pust luy-même commodément
s'en convaincre parfon experience
, l'Auteur n'auroit pas be
Soin de témoins pourse faire croire,
mais quand la chose se trouve autrement
, il faut , si l'Auteur a
eude bonnes raisons de croire ,qu'il
Se donne la patience de marquer
par quels degrez il estvenu à croire
,& qu'il n'oublie pas la moindre
des preuves qui l'ont peu àpeu
engagé dans l'opinion qu'ila embraffée.
Orje ne vois pas queM.de
Valmontsefoit attaché à cetteprécaution
,fur tout dans lefait dela
Baguette. Il est persuadé, qu'ayant
pris toutes les mesures qui luy font
venues en l'efprit pour s'affurer de
Laveritédu fait ,il est en état de
Sepresenter comme témoin croyable
Lans nous rendre compte deses me
C4
56 MERCVRE
fures ,&il nesonge pas quefiluymême
n'avoit de preuves que le témoignage
de trois perſonnes comme
luy , qui ne luy diroient point com_
ment ils enont usé pourse garan
tir de l'imposture de Lacques .Aimar
, s'il est vray que ce soit un
Impofteur, il ne croiroit pas lefait,
car enfin il est plus aisé de croire
que trois ou quatre témoins , d'ailleurs
gens d'efprit, ont été trompez,
Seduits par un bruit populaire,
qui fait toûjours impression, même
furles gens les plussensez,parun
jeu de main devenu imperceptible,
par un long usage , par un bazard
favorable qui est en droit de furprendre
quand on devine juſte de
fuitteplusieurs choses ; enfin parun
peu d'art à remarquer à profiter
du foible des gens surpris , qui ne
Scauroient s'empêcher d'aideràdécouvrir
ce qu'ils veulent tenir caGALAN
Τ .
17
ché , foit par des marques d'une
grande crainte, s'ils font coupables,
foit par des marques de joye , s'ils
Souhaitent que le merveilleux qu'ils
commencent à croire avec plaisirse
trouve way, il est plus aisé , dis.je,
de croire que les témoins sefont
eux -mêmes laiße tromper , que non
pas de croire des effets aufi étran
ges que ceux que l'on attribuë au
talent naturel de Iacques Aimar.
S'il est way que M.de Valmont en
aferoit de cette maniere , il ne doit
pas estrefurpris qu'on en use pour
luy , comme il en useroit pour les
autres,&qu'on ne s'embarque pas
à croire des choses qui ont fi peu
du vraisemblance , ſurſon ſeultémoignage
, lors qu'il n'est pas accompagné
de toutes les mesuresqu'il
a priſes pour ne pas croire legere.
ment. Le ne parle point de la miniere
dont il explique les effets de
C
MERCURE
La Baguette. Ie n'aime pas àexaminer
l'explication du Phenomene
avant que d'être seur qu'il foit
way , &non pas supposé , depeur
de tomber dansle ridiculedesPhyficiens
à la dent d'or , dont il rapporte
agreablement l'Histoire au
commencement de ſon Livre, Le ne
diray fur cela qu'une chose , c'est
que fa maniere d'expliquer n'est
point pour moy affeznette , affez
claire , affez convaincante , pour
faire difparoiſtre la difficulté que
jay à croire le fait , car c'est une
preuve qui aide à croire les faits
quand l'explication en estfi claire
fifacile , qu'on commence à
voir qu'il est tres-aisé , ou trespoßible
qu'ils soient arrivezde la
maniere dont on le dit comme
c'en est une que le fait est faux ,
quand plusieurs Phyficiens , aprés
voir pensé ,n'imaginent rien qui
GALANT. 59
-
les contente fur la maniere dont le
fait pourroit être arrivé. Le veux
feulement vous mettre devant les
yeux les raiſons de croire de ne
pas croire le fait , & vous dire
la fituation où je suis fur cela, afin
que fi quelqu'un veut prendre la
peine de lever mes doutes , je me
mette en suite à examiner les rai-
Sonnemens que les Phyficiens font
Sur ce prétendu talent . Il y a plu
fieurs faits dans l'histoire de Lacques
Aimar qui ne font pas également
incroyables , & qui ont
chacun leurs soupçons leurs
preuves de vray & de faux , il est
à propos de les examiner en détail
On dit qu'il devine le chemin des
caux qui coulent fous terre. Ce qui
est pour luy , c'est qu'il a deviné
juste en quelques endroits à Chan.
tilly. Plusieurs personnes diſent en
core qu'ils ont fenti tourner la Ba
C6
60 MERCVRE
guette entre leurs mains, quandil's
se sont trouvezsur la voye des Ca-
плих , que cette Baguette ne
tournoit point & ne faisoit point
d'effort pour tourner , quand ils
étoient hors de lavoye.
Ce qui est contre , c'est que la
Baguette n'a point tourne à Chan
tilly sur des endroits où ily avoit
des Canaux , elle a tourné sur
d'autres où il n'y en avoit point.
De cela on peut conclure que sisa
Baguette tourne fur des canaux
cachez fous terre , c'est ou par la
volonté de Lacques Aimar , oupar
bazard. Si c'est par sa volonté ,
c'est imposture ; si c'est par bazard ,
cela vient autant du reffort de la
Baguette ou de toute autre cause ,
que des eaux coulantes. Ceux qu's
disent qu'ils ont fenti la Baguette
tourner entre leurs mains, nedisent
pas qu'elle ait tournoyé, c'est-à
GALANT . бг
dire , qu'elle ait fait plusieurs
tours comme elle fait entre les
mains d' Aimar, c'est un soupçon
d'adreffe , & d'imposture de
Sa part ,que ceux qui ont le même
talent ne faffent pas comme luy .
D'ailleurs , fa Baguette tournefur
une pierre , Jur un lieu vouté,fur
des offemens , fur du métal außi
bien que sur l'eau , Or il est visible
qu'il est affez difficile que sous
terre à une distance de quinze
pieds il ne se trouve de l'eau , o14
quelqu'une de ces choses.
On dit außi qu' .Aimar a le ta
lent de deviner où l'on a caché de
L'argent , ou de l'or.
Cequi est pour luy, c'est que plu
fieurs personnes rapportent qu'aprés
avoir cachésous du pavé dans
des fentes d'un parquet à Lyon, des
pieces d'or ou d'argent , il a devi
ne en mettant le pied deſſus , qu'el
1
62
MERCVRE
les étoient fous fon pied, c'est une
opinion receuë de plusieurs Phyſiciens
, que la Baguette de Coudrier
tournefur des Mines de metaux .
Ce qui est contre Aimar , c'est
qu'on ne dit point combien de fois
il a réiteré ces experiences ,s'il avoit
les yeux bandez , s'il n'a pas
quelquefois manqué ; car en ce cas
il a pu être aidé de ses yeux ,
favorisé du bazard. D'ailleurs , il
afait une experience dans le jardin
de l'Hostel de Conde , en pre-
Sence de Monsieur le Prince, & de
quantité deperſonnes, où il fit tourner
ſa Baguette fur un trou recom
vert de terre , où ily avoit un fac
de cailloux , & il piſſa fur un autre
trou , où il y avoit un fac d'argent
,fur lequel sa Baguette ne
tourna point , preuve constante qu'il
y a de l'imposture de lapart d'Aimar
, & qu'il fait tourner la Ba-
1
GALANT. 63
guette quand il luy plaift. Il a avoüé
même qu'il n'avoit plus cette
vertu à Paris pour l'or , & pour
'argent, quoy qu'il l'ait euë à Lyon,
qu'il ne sçait pas la raison de
ce changement ; mais la raison la
plus vrai-femblable de cefuccés dif
ferent de la Baguette à Lyon ou à
Paris , c'est que l'on est moins credule
, &qu'on a de meilleurs yeux
àParis qu'à Lyon. On dit encore
qu'il devineſeurement où l'on a vole
,& qu'il fuit le Voleur à la
piſte , même deux ans après le vol
fait.
Ce qui est pour luy , c'est ce que
L'on conte qu'il a fait à Lyon fur
des vols domestiques , & dont on a
imprimé des Relations , & cequ'il
a fait àl'Hostel de Condé , où l'on
avoit volé il y a deux ans , deux
petits flambeaux d'argent de toileite.
Il mena droit ceux qui l'ac64
MERCURE
compagnoient à la maison de l'orphovre
chez qui on avoit porté les
Ambeaux , le Voleur rendit
l'argent àM.le Curé de S. Sulpice ,
qui l'apporta à Madame la Princeffe
deux jours après cette perquifition
d'.Aimar. Il a aussi deviné
chez le Chirurgien de l'Hostel de
Condé, en quel coffre , & en quel
lieu du coffre étoit l'or qu'on luy
avoit dérobé,
On peut répondre aux faits de
Ly'n , que ce qu'il a deviné de
certain , luy a été indiqué par la
frayeur des coupables , & que le
reſte n'a pû être verifié comme certain.
Quant à l'Orphévre , qu'il y
a été conduit par un Homme de
I'Hostel de Condé , qui l'avoit pris
en sa protection , & qui pouvoit
avoir quelque soupçon que les fam.
beaux avoient été portez chez cet
Orphévre , parce qu'il en avoit fait
GALANT.
65
peut-être perquiſition dans le temps
du vol , & que le Voleur intimide
de la perquisition , l'a voulut faire
ceffer en rendant l'argent . Pour ce
qui concerne le Chirurgien , Aimar
pour deviner juste , n'avoit qu'àbien
observer où les yeux du Chirurgien
fe portoient le plus.
Mais ce qui est décisif contre
Aimar , &qui le convainc d'imposture,
c'est que par ordre de Mon-
- fieur le Prince, un Secretaire de la
Maison feignant d'avoir été volé ,
: & qu'on luy avoit pris plusieurs
papiers , pria Lacques Aimar en
Secret de venirpour luy aider à découvrir
la route que le Voleur avoit
priſe. On avoit rompu exprès une ar
moire , &quelques carreaux deverre
d'une croisée. Aimar vient
dit qu'il eſt ſur la piste. Sa Baguette
tournoye , & il marche jusque
bien avant dans la rue , disant
t
66 MERCURE
qu'il étoit feurement fur la voye.
Le Secretaire l'arrêta fur quelque
pretexte , & lui dit qu'il acheveroit
une autrefois . Il alla außi- toft
rapporter le tout à Monsieur le
Prince , qui fit venir Aimar,
aprés l'avoir traité d'impoſteur ,
S.A.S.I'obligea enfin d avouerqu'il
faisoit tourner sa Baguette quand
il lui plaifoit. Aimar dit quefa
Baguette ne tourne plusfur la voye
des Criminels qui ont avoué levol ,
mais cela même est une preuve d'imposture,
puis que tandis que le Voleur
est inconnu , Aimar peut dire
tout cequ'il veut fans pouvoir être
contredit ,& que la raison pourquoi
sa Baguette ne tourne point.
quandle Voleur estconnu, c'est qu'il
craint d'être démenti parleVoleur
mêmefur les circonstances du vol.
Etpuis ,quelrapport de l'aveu dun
criminelqui est à vingt ou trente
GALANT .
67
lieuës , aux causes naturelles , telles
quefont les petits corpuscules qu'on
prétend quifont tranſpirez du Criminel
, &quifont demeurez dans
fur les meubles qu'il a touchez,
comme ſi dans le moment de cet
aveu, tous ces petits corpufcules devoient
être aneantis, ou que leur
mouvement dust être détruit ? Iene
parle ici qu'a M. de Valmont, qui
a le bon efprit , de ne point faire
venir le Diable àfonsecours.
Il est donc certain qu'il y a de
L'imposture. Il reste àsçavoirfitout
est imposture , ce qui est tres-pray.
femblable. Cependant fiM.deValmont
à de nouvelles preuves , & de
nouveaux témoins , qu'illes montre,
on les pefera .
On dit qu'entre plufieurs hom..
mes .Aimardevine lesMeurtriers,
le chemin qu'ont tenu ceux qui
ont commis quelque meurtre , ainſi
68 MERCURE 1
que les meubles qu'ils ont touchez;
fur cela on conte l'histoire des
Affaßins de Lyon de la maniere
que l'ont rapportée M.de Valmont,
deux autres Auteurs de la
même Ville , dans ce qu'ils ont fait
imprimer.
Ce qui est pour Aimar,c'est que
pluſieurs perſonnes de bon efprit de
Lyon , ont creu cette histoire ,
à dire la verité , c'est l'argument
le plus apparent ; mais on peut réfondre
qu Aimar a pû rencontrer
ces Meurtriers fur le chemin , م
ſe douter de quelque chose parleur
air leur maniere ; qu'il afoupçonné
que ces mêmes Meurtriers
auroient été à la Foire de Beaucaire
, pour faire quelque nouveau
vol, &que quelqu'un d'eux ayant
été arrêté , auroit été mis en prifon
, ce qui lui a fait reconnoistre
le jeune Boffu , & faire semblant
GALANT. 69
que la Baguette tournoitfurluy.A
l'égard des chambres & des lits
des Cabarets qu' Aimar a prétendu
reconnoistre , il peut en avoirdeviné
une partie par convenance, l'autre
par bazard, n'avoirpoint rencon
tréde témoins de contradicteurs
en ce qu'il n'apas devinéjuſte ;
même s'il a manqué en quelque
chofe , il peut n'avoirpas été accusépar
ceux qui l'accompagnoient,
qui étant déja féduits par la furpriſe
, n'ont osé rien dire contre l'opinion
qu'ils avoient du talent
d'Aimar. Au reſte , ces témoins
n'étoient que trois , ce me ſemble ,
gens depeu d'esprit sur ces matieres
, &qui n'avoient pas ordre d'examiner
à la rigueur tout ce qu'il
difoit.
Ce qui est pour Aimar, c'est que
dans le lieu de l'aſſaßinat il fuë ,
fon pouls s'éleve. A cela on
70
MERCVRE
peut répondre qu'il est tres-naturel
que certaines perſonnes fuent,changent
de pouls , tombent en défaillance
dans des lieux où ily a
certaines odeurs , &lefang versé
corrompu dans la cave où s'étoit
commis l'aſſaßinat peut avoir
produit ce même effet , &àl'égard
du tournoyement de sa Baguette
, on a vù qu'elle tournoit
quand il vouloit ; ainſi ce tournoyement
ne fait pas de foy. Ce qui
fait encore pour Aimar, c'est que
plufieurs personnes ont eudans la
cave les mêmes ſymptomes qu'Aimar
avoit. A cela, c'est la même
raifon, mais àl'égard du tournoye .
ment de la Baguette qui se fait
entre leurs mains, c'est que la Baguette
ou reffort comme on latient,
tend à en fortir, &pour cela tourne,
afin de se débander un peu ,
maissic'étoit du bois fans reffort ,
GALANT.
71
il n'y a nulle apparence qu'elle tour_
-nast.
repas-
Ce qui est contre Aimar, c'est
l'experience qu'on lui afait faire à
Paris,fur le lieu où ily avoit eu un
meurtre commis . Ilpaſſa
Sapar deſſus ſans s'en appercevoir,
&quand on lui eut dit la chose, il
mena où les Meurtrier's n'avoient
point été, disant pourtant que la
Baguette tournoit , cela,enpre
Sence d'un grand Prince , de plufieurs
Seigneurs , de M. le Procureur
du Roi du Chastelet,
On a dit poursa deffense que le
Meurtre étoit avoüé , mais il est
visibleque cet aveune change rien
àunedemi-lieuë de là , oùcet aven
Sefait. On a encore dit que ce n'è.
toit pas un affaßinat pour voler de
-guet à pens ; mais que c'étoit un
meurtre non un combat . D'ailleurs,
leMeurtri &les Meurtrif
72
MERCURE
feurs n'ont- ils pas toutes les paßione
de la crainte de la colere , comme
les Affaßins & l'Afſſaßiné ,
qu'on tue pour avoir son argent ?
Ainsi la même tranſpiration de
corpuscules ne se fait- ellepas également
? Enfin on a dit pour la deffense
d'Aimar , c'eſtſon dernier
retranchement , qu'il n'étoit
pas toûjours disposéde la même maniere
, & que par consequent les
mémes causes nagiffcient pas fur
lui de la même ſorte. A cela on
peut répondre que c'est une porte
commode pour échaper , car quand
par hazard il devinera , on dira que
cefera par un talent naturel ,
quand il ne devinera point , on dira
qu'il ne se porte pas aujourd'huy
comme hier , àParis comme àLyon.
Enverité, quoi qu'il puiſſe y avoir
duvrai , cela est porté trop loin ,
avec une pareille deffense , il n'est
point
GALANT.
73
point de Charlatan, point d'Imposteur
qu'on ne justifie.
L'oubliois à répondre à un fait
qui est pour lui. C'est celui de la
Serpe meurtriere qui étoit enfanglantée.
M.le Chevalierde Montgivraut
,homme de bon esprit ,
grandPhyficien, la cachatrois fois,
deux autres Serpes , & toutes
les trois fois Aimar devina les
yeux bandez qu'il marchoit fur la
Serpe ensanglantée ,&ce que rapporte
M. le Chevalier de Montgivraut
, n'est pas moins confiderable,
que trois hommes de ſa connoiffance
de Lion avoient devine pareillement
à l'aide de sa Baguette , laquelle
de ces Serpes cachées dans
terre étoit la meurtriere.
On répond que le ſeul bazard
peut avoir cause cet effet ,& qu'il
Y a à parier cent contre un , que
pourveu que l'on prenne bien fes
May 1693 . D
74
MERCURE
mesures on n'yreuffira point dix fois
de fuite , ce qui devroit toujours
reußir si c'étoit une cause natu .
relle.
Voila mes raiſons de douter ,
même de pancher à croire que ceux
qui ont cru à la Baguette , y ont
cru un peu trop legerement parrapport
au fait qui est tour extraordi
naire. Ie nedemande pas mieux que
de croire du merveilleux ; jy ay
duplaifir comme le reste des hom.
mes , mais je ne le veux croire qu'à
bonnes enseignes .
Vous avez toûjours aimé
les Vers de M. de Vin,& vous
ſçavez que lors qu'il veut repreſenter
quelque choſe , il le
peint fort bien. C'eſt ce qui
m'oblige à vous envoyer ce
nouvel Ouvrage de fa façon .
Ileſt fait fur une Theſe qui
GALANT.
75
fut foûtenuë il y a quelques
années dans l'Ecole de Medecine
de Paris , en faveur de
l'Eau contre le Vin.
LE VIN ET L'EAU.
LEVin fier de fon vaste Empire,
Et de la belle humeur qu'en tous
lieux il infpire ,
LeVinquidetous les chagrins
Fait perdre la triſte memoire,
Et qui dans un instant dompte les
plusmutins ;
LeVin, dis-je, enflé de lagloire
Que s'acquit autrefois le Dieu *
Son Protecteur ,
Infultoit l'Eaupar tout en superbe
4: Vainqueur.
* Bacchus.
D2
76
MERCURE
Elle en étoit fimal-traitée,
Qu'ellesevit contrainte àluy faire
Sentir
Ceque peuvent ses coups lors qu'elle
eft irritée.
Defonrepos pouriant elle eutpeine
àfortir,
Et commesa fraîcheur benigne
Salutaire
Nes'accommodepas desfeux de la
colere,
Contre cet Orgueilleux avant que
d'éclater ,
Sa douceur trouva bon de luy repre-
Senter
Quede ce Dieufameux elle éleva*
l'enfance,
Et qu'un peu de reconnoiſſance
L'obligeoit à la mieux traiter;
Qu'ellen'égaloit pas sasuprême
puissance ,
Il est vray , mais qu'enrécompense
* Les Nymphes des Fontaines.
GALANT.
77
Lafeconde Hippocrene excitoit une
ardeur
Qui des plus froids efprits fondoit
toute la glace ;
Quesi chacunvantoitfa divine liqueur
Onse loüoit außi de celle du Farnaffe
,
Et que Barrege avoit des Bains ,
Qui pour beaucoup de maux utiles,
Souverains ,
Offroient aux malheureux leur chaleurefficace.
Cette espece d'égalité
Cùparce peu de mots elleſembloit
prétendre ,
Ne fit qu'aigrir du Vin l'orgucil
lafierté.
Enfin voyant par là qu'elle devoit
s'attendre
Atoutes ses rigueurs , laſſe d'en
Souffrir
Elle s'échauffe ,&plus émûë,
D 3
78 MERCURE
Asa coleresuspenduë
Lâche toute labride,&commence
àblanchir.
Quenefit-ellepointdans l'excésde
Sarage?
Elle confondit tout , elle franchit
Ses bords ;
Tout fut lors Vin pour elle, & l'innocentrivage
En fentit les premiers efforts.
A la voir s'élever jusqu'au plus
haut des nuës ,
Et courir en tous lieux àvagues
épanduës,
Qui n'eust pas dit,pourse vanger
Que trop ſenſible àcette injure,
Dens ſes flots écumeux elle alloit
Submerger
Avec luy toute la Nature.
Cependant elle a beau menacer &
groffir ,
La Seinea beau s'enfler pour lefaixeperir
.
GALANT .
79
UnfeulBateau de vinsouffre desa
colere ,
L'ancrerompt , ilse perd au deſſus
de Paris ,
Et ne pouvant lors faire pis ,
Elleabaiſſa ſes flots, & tranquille
Riviere,
Reprit&fa douceur,&fa routeor
dinaire.
Trop foible pour pouvoirenſeshardis
deffeins
Reuffir par la force ouverte,
Elle n'enfur pasmoins animéeàfa
perse ,
Etgagnant quelques Medecins *
Deceux que l'on nommed'eau douce
Alavanger de luy les excite& les
pouffe.
Les ravages qu'elle avoit faits
N'avoientpoint eu les grandsfuccés
*Acauſe qu'ils enboivent.
D4
80 MERCURE
Qu'ellese promettoit de leur adroit
Suffrage.
Si trompoit-elle ? Non ,ſes partisans
nouveaux
Contre luy déchaînez en blâmerent
l'usage ,
Et le faisant auteur de tant de divers
maux
Quirendent la vie incommode ,
Pew s'en fallut par là que l'Eau
mise à la mode ,
Ne vist au gré de ſes ſouhaits ,
Cet orgueilleux réduit à la laiffer
en paix.
L'un d'eux , homme plein defageffe
,*
Et d'une insigne probité ,
Ne fut pas satisfait de l'ordonner
Sans ceffe
Ilsefervit encor deſon autorité,
Pour obliger l'Amant de sa chars
mante Niece
* M. Perreau..
GALANT. 813
Afoutenir en sa faveur
LaThese qu'on imposeàquisefait
Docteur.
Ce Candidat qui ſcait plus que la
Medecine ,
Vers
Et qui før des ſujets divers ,
Peut,foit en Profe,foit en
Signaler fon esprit, ſon bon goust ,
Sa doctrine;
Tirfis , dis-je , ravy de trouver ce
moyen
Demontrer à la fois &Son ardeur
pour elle, 2
Es ce qu'ilfent pour luy derespect
&de zele ,
Soûtient l'Acte en vainqueur ,&
s'en tire si bien ,
Que des Anis da Vin malgré tou
te l'adreſſe
L'Eau joyeuse en vitlors triompher
Sa foibleffe,
Du plaisir qu'elle en eut les favou
L
reux transports
DS
8′2 MERCURE
Furent d'autant plus douxque contre
leurs efforts 2
Elle avoit craintde voir échoüerſa
vangeance.
Cependant ce plaisir, contreſonefperance,
Commecesfeux de l'air que diffipent
lesvents ,
Ne dura qu'autantdemomens
Que du tendre Tirfis dura la complaisance..
Elle feule l'avoit jetté dans foni
party,
Et du Vin qu'à ses piedsfon bras
venait d'abattre
Onſfait qu'iln'étoit pas àtelpoint
Ennemy
Qu'il voulut en sous lieux, &tou
joursle combattre...
En effet àgrand peine est-il recom
Docteur
Que dans te repas magnifique
Qui suivit cetAlte authentiques
GALANT. 83
Il en devient le protecteur ,
Et de le boire pur luy fait même
l'honneur.
Il cut pourtant d'abord la plaiſante
malice
De nefairefervirà ceux
Qui de le condamner luy faisoient
l'injustice ,
Que de l'Eauzla plus-part d'entre
CHX
lettoient detemps en temps sur elle
De plus tristes regards que n'exigeoit
leur Zele ,
Et quoique prêts en d'autres lieux
D'en louer l'utile recette ,
Ils luy portoient à table une haine
fecretre..
Tirfis du coin de l'oeil les obſervoit.
Meßieurs,
Leurdit-il en riant , cette liqueur
est Saine;
Elle étanche lafoif, elle abbat les
Kapeurs
D6
84 MERCVRE
Etvous enconnoiſſez la vertu fou
veraine.
Ainsi consacrons luy ce jour ,
Par le plaisir d'en boire animons
cette feste.
Ca , Laquais , verſe tour à tour.
Mais quoy , qui vous retient ! non
non ,pourvostre teste
F'en répons,&fans risque on peut
en faire excez ;
2
Non craignez rien , Messieurs
qu'elle est claire ab,jamais
Source de roche , ny fontaine
N'approcha de cette eaude Seine..
Rien de plus raviffant. Depesche
donc, Laquais ,
Et d'un air moins melancolique
Que chacun , trinquant à longs
traits,
Acheve ſon panegyrique.
A ces mots unfriſſon les ſaiſit tous;
enfin
Las de jouër de leur chagrin
GALANT. 85
Illeur fit par pitié paroiſtre vingt
bouteilles
D'an Viu couleur d'oeil de Perdrix,
Et le meilleur quidans Paris
Fast venu des Remoiſes Treilles..
Ce qu'ils avoient desombreauffitoft
disparut ;
Cet agreable aspectdiffipa leur trifreffe
,
Ettous,reprenant lors leurpremiere
allegreffe ,
Se jetterent deſſus,& l'Oncle même
en bût.
L'Eau voulut,mais envain,leurremettre
en memoire
LaTheſe que Tirſis venoit defoutenir;
Loin d'aimer à s'en souvenir
Nul ne s'aviſa plus d'en boire,
Et , tant que dura lefestin ,
Charme de la douceur de cet excellent
Vin
Le plus fage même, àsa gloires
86 MERCVRE
Oublia, le Verre àla main ,
Qu'il estoit sobre&Medecin..
Elle vit bien par là que fi dans
leurEcole
Quelques - uns d'eux pour elle
ofoient se déclarer ,
Elle n'en pouvoit esperer
Qu'un triomphe & court , &
frivole,
Et que le Vin ailleurs parses attraits
puiſſans
Regagnoit fans retour ſes foibles
Partisans.
Il fallut prendre patience ,
Etfur cer Actesans compter's
Se soumettre ,&se contenter
De cette petite vangeance.
Enfin d'une plus grande ellea beau
se flatter,
La Cabale du Vinplusforte &plus
fidelle
L'emportera toûjours fur elle
Et quoy qu'encor lesMedecins
GALANT. 87
L'ordonnent quelquefois àceux qui
font malfains ,
Eux mêmes , dés qu'ils font à
table ,
S'en deffont ,& contens de s'en laver
les mains ,
Jettent sur la Bouteille un regard
favorable..
- Je croy , Madame , vous
avoir marqué dans quelqu'une
de mes Leures , qu'il
s'est fait une Academie de
gens de Lettres dans la Ville
de Toulouſe. Comme M. Peliffon
en étoit le Fondateur ,
ceux qui compofent cette
Academie , ont voulu faire
connoiſtre l'eſtime particuliere
qu'ils avoient pour luý , en luy
rendant aprés la mort tous lesa
honneurs qu'il pouvoit attendre
, & de leur zele ,&de leur
88 MERCURE
reconnoiſſance. Après avoir
choifi pour Interprete de leurs
ſentimens , M. de Rocoles
ancien Chanoine de S. Benoist
deParis , qui eſt de leur Corps,
& fort connu parmy les Sçavans
par ſesOuvrages , ils ſe
trouverent le Icudy 9. du mois
paſſé au lieu de leurs Aſſemblécs
ordinaires , où il prononça
l'Eloge funebre de cet Illuſtre
Défunt , en prefence d'une
infinité de perſonnes diftinguées
,& par leur fçavoir , &
par leurs Charges. Sondifcours
qui fut latin , dura une heure ,
&fut diviſe en trois parties . Il
prit pour texte ces paroles de
l'Eccleſiaſtique. In Thesauris Sapientiæ
intellectus ,
religiofitas. Dans la premiere
partie il parla de ſa naiſſance ,
illuſtre dans la Robe , puis qu'il
scientiæ
GALANT. 89
eſtoit Fils& petit Fils de deux
Conſeillers en la Chambre de
l'Edit , & arriere Fils d'un Premier
Preſident de Chambery .
Il parla auſſi du lieu de ſa naifſance
qui eſtoit la ville de Beziers
, quoy qu'il fuſt censé ef
tre de Caſtres , & de l'année
qu'il vins au monde, ſçavoir
le 30. Octobre 1628. année remarquable
par la priſe de la
Rochelle . Il y appliqua unbon
augure pour ce grand homme ,
&fit fort valoir fon attachement
pour les Lettres
progrez qu'il y fit dés fa premiere
jeuneſſe , ſous la conduite
de Morus , Ecoſſois ſi diſtingué
par ſon crudition . De là
il paffa à Toulouſe , où il fit admirer
la vivacité de ſon eſprit,
en ſurpaſſant tout le reſte des
jeunesgens qui prenoient des
د &le
1
१० , 1
y
MERCURE
Leçons des mêmes Mantres ; &
comme ſi ce n'cuſt pas eſtéatlez
qu'il euſt employé à l'étude le
temps ordinaire que les autres
conſacrent , il les continua
toûjours ſans que cette paffion
que l'âge ralentit ordinairement,
diminua en aucune forte.:
L'Académie qu'il forma àToulouſe
il y a trente cinq ou quarante
ans en eſt une preuve. II.
ditque M. de Malapeire,dont il
loüa la vertu & le merite , ſe
joignit avec cet Illustre Défunt,
& que fon zele à remplir
divers exercices, faiſoit l'admiration
de la Ville , & l'étonnement
de fes Collegues. Dans la
feconde partie , il mit en avant
ſa vie publique , c'eſt à dire le
temps qu'il a vécu à la Cour
&la joye avec laquelle l'Academie
Françoiſe le reçut pour
1
GALANT. 91
unde ſes Membres.Il parla enſuite
de la confiance que feu
M. Fouquet avoit euë en luy ,
des malheurs dans lesquels s'étoittrouvé
ce Miniſtre d'Estat,
de la generofité avec laquelle
M.Pelliffon l'avoit deffendu ,&&&
il particulariſa tout ce qu'il avoit
fait pour fauver la vie &
l'honneur de ce Miniſtre. Il
montra que la Priſon qu'il fouffrit,
malgré l'obſcurité qui l'accompagne
, l'avoit delivré des
- tenebres de l'erreur,en luy infpirant
l'envie de lire les Peres.
- Comme cette lecture l'avoit
- éclaircy entierement des doutes
que les préjugez & la naif-
-ſance , ou une éducation contraire
àcelle de noſtre Religion
avoit pû luy faire fuccer avec
le lait,M. de Rocoles fit valoir
ſon juſte difcernement, d'avoir P
92
MERCURE
connu par des raiſons qui ne
peuvent être conteſtées , que
la Religion Catholique eſt la
veritable. Enfin il parla de la
faveur que le Roy , tout juſte
eſtimateur qu'il eſt du merite ,
ne luy accorda qu'aprés qu'il
cut abjuré l'Erreur , comme ſi
le Fils aîné de l'Egliſe euſt dû
trouver indignes de ſes bienfaits
, tous ceux qui ſont hors
de ſa croyance. Il fit mention
des graces dont Sa Majesté l'avoit
comblé en luy donnant les
Abbayes de Benevent ,de Gimont
, & en le faiſant l'Oeconome
& le diſpenſateur de ſes
faveurs pour les nouveaux Covertis.
Ce fut là , où il marqua
fa prudence & fa fageffe dans
cette diſpenſation. Il dit que ne
ſe contentant pas de leur donner
les alimens temporels , il
GALANT.
93
avoit fourni àpluſieurs la nourriture
ſpirituelle de l'ame , où
en refutant les erreurs de leurs
faux Pasteurs , ou en éclaircif
fant leurs doutes,lors qu'il avoit
connu qu'il leur en reſtoit , ou
en les confolant des Etabliſſemens
confiderables qu'ils avoient
quittez dans les Pays
Etrangers. Il leur remontroit
avec combien d'avantage , l'efperance
& la durée des biens
celeſtes qu'ils ne pouvoient attendre
que dans noſtre Religion,
les indemniferoit à la fin
de leur vie , du mépris qu'ils
en avoient fait,& que la gloire
de vivre ſous l'obeïſſance de
noſtre Auguſte Monarque,furpaſſoit
le plaisir de vivre par
tout ailleurs . Enfin dans la troifiéme
partie de ce diſcours ,M.
de Rocoles fit voir combien M.
94
MERCVRE
Pelliſſon avoit été eſtimé de
preſque toutes les perſonnes de
l'Europe , diftinguées par leur
élevation , par leur merite ,par
leur profonde litterature , &
par leur pieté , & combien il
avoit merité de l'être par les
Trefors de Science & de Sageſſe
qu'il avoit poffedez dans
un degré tres éminent. Ce fut
en cet endroit qu'il fit un dénombrement
de preſque tous
les Sçavans de l'Europe , qui
avoient eu relation avec luy. II
commença par Alexandre- Morus
, qui dans les derniers momens
de ſa vie,& par teſtament,
luy laiſſa un legs.Il parla de l'eftime
qu'en faiſoient le premier
Miniſtre d'Etat de Bradebourg,
Othon de Schvverin , Baron de
l'Empire , Prevoſt de l'Egliſe
Cathedrale de la Ville de BranGALANT.
95
, debourg ; François Curretin
&Eftienne le Moine, premiers
Profeffeurs , de Geneve , &
l'autre de Leide. Ce fut alors
que M. de Rocoles dit fort à
propos , que puis qu'on faiſoit
tant de cas des alliances que la
nailfancedonnoit , on en devoit
encore faire beaucoup plus de
celles que les belles Lettres
procuroient. Il nomma les Alliez
de M. Peliſſon en cette maniere
, c'eſt à dire , ceux des
gens de Lettres,qui avoient eſté
- ſes meilleurs Amis , M. de Malapeire
, Voiture , Vaugelas ,
Brebeuf, Godeau , Chapelain ,
Corneille , Scudery , Conrart ,
Menage , Gombaud , Segrais ,
& autres. Il parla enfuite du R.
Pere de la Chaize avec grand
éloge , de meſme que de M.
Boffuet & Huet , Eveſques de
96 MERCURE
Meaux & d'Avranches. Il n'oublia
pas les conteftations qu'il
avoit euës avec le Miniſtre
Pierre Jurieu , Profeſſeur à Rotterdam
, qu'il particularifa ,&
ce fut fur ce ſujet qu'il dit , que
les debats des Sçavans ne ſervent
bien ſouvent qu'à produire
une eſtime mutuelle , & à
découvrir les erreurs & les beveuës
dans leſquelles l'un d'eux
a donné. Il loüa les Ouvrages
de Controverſe de M. Pelifſon
, & dit que malgré la nature
de ces fortes d'Ouvrages
Polemiques , il les écrivoit
avec autant d'élegance que de
pureté , & que non ſeulement
la charité chreſtienne n'y eſtoit
point offenſée , mais qu'il avoit
ſoin d'y obſerver toutes les regles
de la bien ſeance. Il dit
encore combien dans la diſpenfation
GALANT.
97
fation des Oeconomats il avoit
diftingué ceux qui eſtoient recommandables
par leur érudition
, ou qui avoient quelque
attachement pour les belles
Lettres , ajoûtant que l'eſperance
de ces Sçavans Converzis
, qui ſembloit comme éteinte
par ſa mort , venoit d'eſtre
rallumée par la bonté que le
Roy avoit euë de nommer
pour diſpenſateur de ces mefmes
bienfaits & penſions , M.
Dagueſſeau , Conſeiller d'Eſtat
ordinaire , qui outre une naifſance
diſtinguée dans la Robe ,
commeeſtant Fils d'un premier
Preſident du Parlement de
Guienne , & defcendant des
perſonnes les plus confiderables
, poſſede encore une integritéadmirable
dans ſes jugemens
, beaucoupde politeffe
dans ſon langage , dela delica-
May 1693 .
E
98
MERCVRE
f
燒
teſſe dans ſes expreffions , &
une profonde érudition. Ildit
qu'il parloit dans une Ville limitrophe
de la Guienne , où
fon Pere & luy ſucceſſivement
avoient vêcu , & dont les principaux
Membres pouvoient
porter un fidelle témoignage
de toutes ſes vertus & de fon
éloquence , qu'il avoit ſouvent
fait paroiſtre en l'Aſſemblée
des Etats. Retournant enſuite
à feu M. Peliſſon , il parla de la
gloire que l'Academie de Toulouſe
avoit euë d'avoir un tel
Eleve , qui avoit donné des
idées ſi avantageuſes du reſte
de ſes Membres , & s'étendant
fur les liaiſons étroites que M.
Peliffon avoit euës avec plufieurs
autres perſonnes , il dit
que pour faire voir ſa ſolide
picté , il ſuffiſoit de remarquer
les ſentimens qu'avoient touTHEQUR
20
GALANT.
jours eus pour luy les deuh
mes du Royaume en qui leRoy
a témoigné avoir le plus de confiance,
en leur donnant la con .
duite de ce qu'il a de plus cher
au monde. M.de Rocoles parla
particulierement du R.Pere de
la Chaize, en qui l'on voit également
brillerles avantagesd'uane
naiſſance illuftre , & d'une
pieté ſolide. L'autre Perſonne
dont il fit auſſi l'éloge , fut M.
l'Evêque de Meaux. La part
qu'il a enë à l'éducation de
Monſeigneur le Dauphin , fait
que la France admirera toûjours
en fon digne chef d'oeuvre,
ſes vertus & fon érudition,
dont ſes Ouvrages font les plus
. dignes Panegyriftes. Enfin il
parla du Livre pofthume que
M. Peliſſon a laiſſe ſur l'Euchariftie
, & dont il découvrit des
particularitez , & comme la
E 2
7
1.00 MERCURE
fin de toutes les louanges que
f'on peut attendre ſur la terre ,
eſt empruntée de celles de
noſtre grand Monarque , il parlade
ſon Hiſtoire , dont la com.
poſition luy avoit eſté confiée.
Enfin il finit en diſant qu'il n'y
avoit perſonne qui ne fuſt convaincu
que par toutes ſes actions.
M. Peliſſon avoit entierement
remply le caractere
dont il l'avoit marqué reveſtu
lors qu'il avoit montré dans
fon diſcours qu'il avoit poſſedé
des Trefors de ſageſſe , de difcernement
, & de ſcience , par
leſquels il s'eſtoit rendu recommandable
à la poſterité
miroir de vertu conſommée
aux perſonnes qui frequentent
laCour , un exemple aux Sçavans
qui aſpirent à la plus grande
perfection , & un parfait
modelle aux Membres de l'A-
,
un
GALANT. 101
cademie dont il avoit eſté l'un
desFondateurs .
Les effets produits par la
Baguette de Jacques Aimar ont
fait que ceux qui raiſonnent fur
- cette Baguette , ſe ſont diviſez
en trois partis. Les uns croyent
que ce talent luy eſt naturel , &
que tout ce qu'on en publie eſt
veritable . C'eſt le ſentiment
de pluſieurs Phyficiens. D'autres
croyent que c'eſt un fourbe
; & il y en a d'autres , qui
endemeurant d'accord de tous
les faits , pretendent que le
- Demon y a part. L'Auteur du
Livreintitulé , Lettres qui décou
vrent l'Illusion des Philosophesfur
La Baguette qui détruiſent
leurs Syſtèmes , eſt de ce nombre.
M. de Comiers , Docteur en
Theologie , qu'il attaque dans
ce Livre , luy a répondu par la
Lettre que vous allez lire. Je
د
E 3
102 MERCVRE
د
ne vous l'envoyerois pas , ſi je
croyois que les démeſlez d'efprit
portaffent quelque prėjudiceà
la reputation ; mais ces
fortes d'aigreurs ne regardent
que les Ouvrages , & les opinions
dont chacun s'enteſte
ſouvent ne donnant aucune
atteinte à l'honneur des parties
intereſſées , j'ay crû vousdevoir
faire part de cette Lettre , en
affurant toutefois celuy à qui
M. de Comiers répond , que le
champ fera ouvert pour luy
comme pour fon adverſaire
ainſi je croy rendre également
juſtice à tout le monde , ſans
que perſonne ait lieu de ſo
plaindre .
M
ONSIEUR ,
Ie ſuis bienfâché que mes Re
flexionsfur la Baguette DivinatoiGALANT
.
103
re,qui ont été mises dans leMercure
de Mars , ne vous ayent pas été agréables
. Si j'avois crû qu'elles
m'euffent attiré vôtre mauvaise humeur,
je les aurois fupprimées avec
plaisir. Quoy que je neſcachepas
bienqui vous êtes , je trouve affez
fâcheux que vous me mettiezdans
vôtre Livre au nombre deces grāds
Parleurs , dont la Tête eſt un
Magaſin de pluſieurs choſes mal
digerées , & qu'ils appliquent
ordinairement dettrraavveerrss..*Voi-
La , Monsieur , des termes qui font
fortdes obligeans.Ie nevous ayja
mais faché. Ie ne sçavois pas même
qu'ily eust au monde un homme ,
qui de gayeté de coeur , fuft d'humeur
à me dire une telle dureté. Si
ce que j'ay dit dansla Baguettejuſtifice
,foit ferieusement , foit en
plaisantant,ne vous parciſſoit pas
Solide,il falloit le réfuter&ne me
point faire une infulteperſonnelle,
E 4
104
MERCURE
Cependant,ce qui me conſoleunpeu
* Page 243 .
c'est que vous ne traittezpas moins
indignement plusieurs personnesde
merite , qui n'ont jamais eu aucun
démêlé avec vous.
On dit que voila lapremierefois
que vous êtes Autheur,maisce dé
but vous fera afſfeurément unNom,
vous donnera de la distinction
dans le monde.Commevousy allez?
Du premier coup vous renversez
neuf ou dix Systêmes.
Qui pourroit tenir contre vous ?
Vous attaquez le moindre Systême
ſur la Baguette avec autant de re-
Solution &de vigueur, que sivous
aviez affaire à un Monstre. Dom
Quichote n'alloitpas avec plus d'apareilſe
battre contre un Moulin à
vent, qu'il prenoit pour un Géant.
Tout de bon, ilnefautpas être
fi roide; ilfaut unpeu s'humaniser
avec lesgens. Croyez-moy; ilfaut
GALANT .
105
paſſer quelque chose aux Autheurs.
Leurs Ouvrages se reffentent tous
enbeaucoup de chofes, de l'infirmité
humaine. Vous nesçavezpas encore
cela ,vous qui ne faites que de
naiſtre dans laRepublique Litte
raire ; mais j'efpere , qu'avant que
je finiffe ma Lettre, je vous en auray
pleinement convaincu afin de le
faire d'une maniere,qui vous tienne
attentif; c'est vostre Livre même ,
quejevais un peuvousfaire paffer
en revue. Comme cette voye vous
tiendra en haleine,jen'ay quefaire
de vous demander vôtre attention;je
compteque je l'auray toute entiere.
Vous fied- ilbien, Monsieur , dés
unpremier coup d'effay, d'élever un
petitTribunaldans lehaut devôtre
efprit,&d'y citer , juger , condamnerje
nesçay combien deperfomnes
, qui appellerontfans doute de
vosjugemens, commeétant d'un Iw
ge incompetent ? Croyez-vous que
B
106 MERCVRE
M.Chauvin, M.Garnier , M. Pan
thot, M.l'Abbé de la Garde,l'Alle
theur de la Phyſique Occulte,
les Peres Iefuites,quevous attaquez
s'en tiennent là ? Rien moins. On
vous prend déja pour un Iuge partial
, qui n'est pas même affez
prudent pour cachersa paßion. Vô
tre Lettre ſur le ſentiment de
quelques Jeſuites vous trahit Vôtre
jeu y paroist trop , vous nevous
menigezpas. Ne traitezvous pas
cruellement le celebre Pere Schot
Iefuite, quand vous dites . * Il im
porte peu de ſçavoir de quel
ſentiment a été le Pere Gaf
pard Schot Jeſuite , ſes ouvrages
ne luy ont pas acquis la res
putation d'unhomme, qui euſt
dudifcernement. Les Fables ont
chez luy le même rang que les
faits les plus averez; & il charge
ordinairement ſes Recueils.
de beaucoup de chofes , qu'on
* Pages 293, & 2948
GALANT. 107
peut ignorer,ſans en être moins
habile. Si paſſant quelquefois
les bornes d'un Compilateur,il
ſe rend Juge, on le voit approuver
dans le même endroit le
pour & le contre ſur d'aſſez méchantes
raiſons .On ne doitdoc
plus trouver étrange qu'en un
endroit il condamne l'uſage de
la Baguette , & qu'il paroiffe
porté à l'approuver dans un autre.
On n'écrit point,Monsieur, de
cette maniere parmy les gens , qui
Sçavent un peu le monde ; & cet
endroit - là n'est point de ceux
qui n'ont besoin que d'une explica .
tion un peufavorable. Il est fi viſiblement
injurieux à ce ſouvant Ie-
Suite , qu'il n'y a qu'un Carton qui
puiſſe reparer un sigrand excés de
malhonnêteté par où vous puisfiez
faire une suffisante amande
Honorable à cet illustre Ecrivain.En
effet , cet Auteur nous a donné des
,
E6
108 MERCURE
2
ouvrages excellensfur tous lesbeaux
Arts, presquesur toutes lesſcie.
ces divines & humaines. C'est un
fpectacleplaisant de voirun nouveau
Scribe, comme vous ,fe-mesurer avec
un homme,à la jartiere de qui vous
niriezpas.C'est un Rat qui ſe jouë
àlabarbe d'un Lion mort qu'iln'aureit
pas osé regarder vivant. Latrac
umbris .Doucement ; i'apprens que
le Carton est déjafait , felon l'avis
que des personnes fortfagesvous en
ont donné. Vous avezmême adouci
letitre devôtre Lettre qui portoit
d'abord, Sentimens de quelques
Jeſuites ſur laBaguette.Ce quelques
Jeſuites étoit un peu cru ,
mais cefont de ces chofes mal digerées
, dont votre teſte eſt un
Magaſin. Vous avez bien fait de
faire cettefatisfaction publique au
Pere Schot, de mettre le ſenti-
L
ment des Auteurs Jefuites . Il
eft bon defe corriger ,
*
les Car
GALANT.
109
tonsfont la reffource des Auteurs ,
àquile bonſens a manqué au befoin
de
Le Public même n'apas précha
per àvos mépris.Vous l'accusezsos
vent de trop de credulité ,
peudediscernement , & d'avoir ,
dites yous , un merveilleux fond
decomplaiſance pour tous ceux
qui parlent en faveur de ce qui
le réjoüit. * Avez- vous da chagrin
de ce que les ouvrages , que
vous attaquer ont été lus ,& approuvez
du Public ? Prevo ezvous
qu'il n'en fera pas ainsi de vôtre
Livre ? Il y a parmy le Public ,
d'habiles , d'honneſtes gens ,
dont le difcernement est exact ,
fait honneur àun Autheur. C'est
que vous avezpris le Public ,
le Peuple pour la mesme chose,
Tel est l'effet devostre discernement .
Mais cequ'ily a de fingulier dans
vos manieres dédaigneuses, c'est que
*Page 74-
ΓΙΟ MERCURE
on
pendant que vous méprisez tout le
monde , vous vous representez vous
mesme comme un homme de confequence.
Cela paroist dés l'entrée de
vostre Preface ,où vous dites , pour
justifier l'employ de quatre années ,
que vous avezmises à l'examen de
ce qui concerne la Baguette ,
peut craindre un excés de curioſité,
lors qu'on confume bien
du temps, pour approfondir des
Secretsqui n'ont nul rapport à
nos devoirs . Ilsemble que c'est un
Trélat qui parle ; Nos devoirs.
Quoyque je nevous connoiſſe pas ,
je doute que vos devoirs ayent
grand rapport avec le bien public.
Quant au temps des Auteurs ,
vous le comptez pour rien. En parlant
d'unjeune homme parfaitemet
bien élevé ,& qui a de belles connoiſſances
dansles Mathématiques,
dans la Physique , vous dites en
raillant sur un Systême qu'il a fait
*
GALANT . 211
1
du mouvement de la Baguette; * II
vaut bien mieux que ces jeunes
gens qui ſans ſe nommer , font
voir qu'ils font écoliers , ſe divertiſſent
à faire voltiger des
corpufcules , que s'ils paſſoient
le tems àmêler des Cartes,ou à
rouler des Dez. Vous ne trouvez
done rienàdire qu'unjeune homme,
donnedans cequevous appellez l'Illufion
des Philofophes ,&qu'il
perdefon temps aprés un travailqui
tend,ſelon vous,* à autorifer des
pratiques qui vont à des abus
confiderables ? Qu'est donc devenuvôtre
zele contrel'illufion & les
abus de la Baguette ? Son usage
eft, felon vous, diablerie toute pure ,
c'est de la Magie la plus noire ;
cependant , pourveu que ce jeune
homme ne joue ny aux Dez,ny aux
Cartes,vous luy permettrez de pren
dre party pour la Baguette. Mais
quejugerons-nous de ce que vous di
*Page 243,- * Page 188
6
211 MERCURE
i
tes à la fin devôtre Livre , * Que
l'uſage de la Baguette produit
des abus, qui fontgémir lesgens
de bien en pluſieurs endroits ?
Pourmoy, jeluy interdirois nonſeulement
les jeux de hafard ; mais
je luy deffendrois encore de prouver
que la Baguette tourne naturellement,
fi je croyois comme vous , que
c'est le Diable qui la fait mouvoir.
Ily a tant de recreations honnêtes
pour unjeune homme, où l'on peut
le renvoyer. Ily a la Musique ,le
Chant, les Instruments laPaume le
Billard,les Echets D'oùvous eftdenc
venue l'idée des Dez & des Cartes?
Ilmesemble que vous dites * aprés
lePere Malebranche, que les
eſprits animaux vont d'ordinai
re dans les traces des idées,qui
nous font les plus familieres ;
que la raison pourquoy l'Auteurde
laPhifique Occultea trouve du magnétismedans
l'inclinaisondelaBa-
*Page 1970 *Page 204..
1
GALANT. 113
guette c'estparce qu'il avoit nouvellement
composé un Traité de
l'Aimant de Chartres . Voyer un
peu comment les traces, cui nesont
pes bien efficces, reviennent ? Vous
avez bienjit de nou en avertir le
merange aves vous, pendant que
nôtre jeune homme fait voltigerdes
Corpuscules, plûtôt que de joueraux
Cartes , &aux Dez, je vous écoute
dire;* attendons que de nouvelles
traces effacent une partiede
celles , dont nous ſommes remplis
, & que n'étant plus dominez
par une imagination fra
pée ,nous puiſſions former un
jugement plus libre.
Mais Monsieur , qu'enten.
dez-vous par ces paroles , qui font
àlateste de vostre premiere Lettre.
* Les Phenomenes de la
و
otr Baguette qui font faux
furnaturels ? Que signifie ce mot,
furnaturel ? Fay tort de vous le
*Page 205 . * Page 66.
1
114 MERCUR E
demander, puis que vous l'expliquez
fortſouvent dans vostre Livre. Vous
poulez dire , que ceft le Demon
qui a part à l'uſage de laBaguette
, & que c'eſt cet Eſprit ſeducteur
qui la fait tourner. Cer--
tainement ,je veuxfaire à mon tour,
außi-bien que vous , des Reflexions
critiques ; & vous allez
voir si j'y entens quelque chose. Ie
commence par dire , que le terme de
furnaturel nepeut convenirauxoeuvres
du Diable, qu'ilpourroit bien
estre , que ceux à qui vous reprochez
deneguere lire lesTheologiens, en
ont plus de connoiſſance que vous.
Sçachez donc Monfieur , qu'iln'y a
que l'Estresouverain Auteurde la
Nature , qui puiſſe faire quelque
choſe de ſurnaturel. Lefçavant Toftat
, cap. 17. Exod. quæſt . 10 .
dit fort bien que nous ferions tous ce
que les Demonsfont de plus merveil-
Leux,fi nous connoiſſions außi bien
GALANT. N
qu'eux laproprieté la force des
causes Physiques , & que tout ce
qu'ils operent defurprenant, varien
de furnaturel ,puis qu'ils ne l'exe-
1
cutent qu'en appliquant les choſes
actives aux paffives . Si vous ne
Sçavezpas cela, vousn'eſtespasgrand
Theologien , je crains bien que
vous ne vous acquittiez tres-mal de
la promeſſe dont vous menacez le
Public à lafin de vostre Freface ,où
vous dites que vous donnerez en
casde beſoin , un Traité du dif
cernement des effets naturels ,
d'avec ceux qui ne le font pas.
Ceprojet estdignede vous. Que de
Libraires en campagne , pour avoir
un Ouvragesi digne de la curiosité
de tout leGenre bumain ! Maispar-
Lonsſerieusement ; vous n'y entendez
rien. Ievous dis encore un coup ,que
tout ce que les Demonsfont ,Soitpar
cux mesmes ,foit par le ministere
tous les Magiciens du monde , est
executé par des voyes entierement
de
Pa
116 MERCVRE
naturelles. Il faut mesme que Dieu
prenne des voyes extraordinaires ,
pourfaire quelque chose de furnaturel;
&files operations delaMagie
sont condamnées avec tant de
feverité, ce n'est pas parce qu'elles
font furnaturelles, mais c'est àcau-
Sequ'ellesse font par l'aideduDemon
, avec qui il est défendu aux
hommespar la Loy de Dieu d'avoir
aucun commerce , ce qui fait dire
àM. Gaffendi,que celuy là eſtdi
gnede mort ,qui est convaincu par
LesIuges d'avoir cherché àfaire alliance
avec cet implacable ennemy
de nostre falut . Ainsi , croyezmey
gardez vostre Traité du difcernementdes
effets naturels d'avec
ceux qui ne le font pas. Il
feroit voirquevous avez peu de difcernement
,que vous n'estes ny Thi-
Le ophe nyTheologien , & que vous
eftes de ces grands Parleurs dont
la teſte eſtun magazin de pluheurs
choſes mal digerées , &
1
GALANT.
117
4 qu'ils appliquent ordinairement
de travers. Ie vous renvoye ,
comme vous voyez, ceque vous m'a .
vezadreßé affezmal àpropos ;
cequ'ily a d'admirable , c'est qu'aprés
m'avoir dit une duretépareille ,
vousparlezde Sel attique. De votrevie
vous n'avezsceu ce que c'est
que Sel attique . Ne cherchez point
à en releverle gouft de vos Ecrits ;
tachez plûtoft d'ymettre un peude
Sel de prudence.
Puisque noussommesfurlaTheo .
logie, je voudrois bien ſcavoirfur
quels principes vous reglez vostre
Morale. Elle me parcist un peu cavaliere.
Vous nous apprenez * une
avanture de M. Expieauſujet de la
Baguette , dont ilvousa , dites-vous
fait confidence. Cependant vous la
faites Imprimer, &aprés cela vous
dites ; Je ne voudrois pas pourtant
publier ce fait , fi M. Expié
le trouvoit mauvais. Il m'en
* Page 290.
118 MERCVRE
avoit fait un ſecret , mais
'j'ay ſceu qu'il l'avoit dit à pluſieurs
autres perſonnes . C'eſt
pourquoy , je ne fais pointde
difficulté de vous l'écrire . * En
verité vous eſtes un homme rare en
fait defecret ! Doutezvous que cet
homme ne trouve mauvais que
vous reveliezune chosefur quoy ila
exigé de vous lesecret ? Quelle
Morale vous a appris , que parce
qu'il a confié peut- estre la mesme
àquelques- uns deſes Amis ,
voussoyezen droit de violer la foy
dufecret ,&de luy joüer un tour
qui pourra luyfaire des affaires dans
SonPays?I'ay honte de vous redreſſer
furune conduite , que la Moraledes
Payens laplus corrompuë condamneroit.
Quoy qu'il en arrive à M.
Epiéilestcertainque le mouvement
de la Baguetre eftpurement naturel
Surles eaux ,&für les métaux . La
facultéde s'enfervir , est un don de
*Page 262 .
choſe
GALANT.
119
La natureque les uns ont , &que les
autres n'ont pas. Iusque- la le Demonny
arien àfaire,Peut estreque
ceuxqui dirigent leurintention, afin
que la Baguette tournesur cecy ,
nonpasfur cela,font une chose mauvaiſe,
ouqui du moins neparoistpas
fondéefurceque nousſcavons dela
Physique,mais mille perſonnes s'en
fervent fans ce tourd'imagination;
pour montrerque le mouvement
de la Baguette est un pur ouvrage
d'une cause Physique, c'estque ceux
quisçaventlesecretde la direction
de l'intention,nesçauroient s'enferwir,
s'ilsn'ont pas d'ailleursle mouvement
de la Baguette.Celaestrellementvray,
que jesçay unhommequi
ayantappris cefecret en Italie, & ne
pouvant l'employer, parce que la Ba-
Zuetse ne luy tournoit pas cherchoit
dans les Ecoles publiques des Enfans
qui euſſent ce don de la nature , &
puis il leur apprenoit ce manege de
l'intention. Ecriveztant qu'il vous
120 MERCURE
plaira contre la Baguette , si vous ne
Scavezpas faire cette distinction,
vous ne détruirez pas lesſyſtemes des
Philofophes, mais vous combattrez
vos propres siluſions. L'Auteurde la
Phyſique Occulte a marqué fort
bien qu'ilya unusage de la Baguetrenaturel&
innocent , &qu'ily en
aunautreSuperstitieux&criminel,
&il n'a rien avancéque deparfaisement
conforme ausentiment deM.
l'AbbéPirot , Chancelier de l'Eglife,
&de l'Univerſitéde Paris,quevous
rapportez . * Voicy ſes paroles. Il
pourroit y avoir quelque ſecret
naturel qui feroit qu'une Baguettedécouvriroit
des eaux,ou
des metaux, cõme des Flamands
ont découvert à S. Denis une
ſource cachée ; & il yades gens
quidécouvrentainſi des eaux,de
l'or , & del'argent. L'Auteur de la
Phyſique occulte n'en dis pas davantage.
* Page 59.
Quant
GALANT. 1.21
Quant àla poursuitedu Meurtrier
de Lyon , il n'y a rien là de fi
extraordinaire. Voici comme en
parle l'Auteur de la Phyſique
Occulte . * Ce n'eſt pas une
choſe ſi nouvelle, que certains
hommes ſoient d'un temperament
propre à avoir des ſenſations
plus vives qu'on ne les
a ordinairement . Chacun peut
-voir dans l'hiſtoire des Antilles
, que les Negres ont l'ddorat
ſi ſubtil , qu'ils diſtinguent
les veſtiges d'un Negre , d'un
Eſpagnol , ou d'un François ,
en ſentant ſeulement la place
où ils ont marché ; & M. de la
Mothe-le - Vayer dit que les
Guides dont on ſe ſert pour
paſſer les Mers de fables , & les
deſerts d'Afrique, trouvent les
chemins en flairant le terrain .
* Page 446.
May 1693 . F
122 MERCURE
Voſtre Traité du discernement des
effers naturels d'avec ceux quine
leſont pas , mestra fans doute de
la diablerie là dedans.
Mais à propos de la Phyſique
Occulte , est- ce tout de bon ceque
vous en dites ? Le Public l'a fort
bien receuë , & je ne souhaiterois
pas une meilleure fortune à vos
Reflexions critiques. Ceuxqui
nient tous les faits , ne sont pas
de son fentiment , mais ils nesont
pas non plus du vostre , puis que
vous admettezles mêmes fans,
qu'il regarde comme veritables,&
Supposé la veritédes faits ,fonpartyfera
plus gros que le vostre où il
n'entrera guere que des Viſionnai -
res , & de mauvais Phyſiciens.
Mais pourquoy critiquez-vous fon
Style ? Il écrit mieux que vous ; du
moins les Connoisseurs, qui vous ont
lus tous deux ,y trouvent une difGALANT.
123
ference mortifiante pour vous. Vous
voulez faire l'habile homme ,
vous reprenez le mot d'inclinaifon,
qui est un terme conſacrépour
fignifier le mouvement par lequel
une vergedefer aimantée s'abaiffe
au deſſous de l'horison en deçà ,
au delà de l'Equateur. Vous notez
encore celuy d'infinuation , que
la Mecanique employe pour marquer
la force de ce qu'ony appelle
quer
le principe d'infinuation. Vos
Reflexions critiques font voir
que vous n'entender rien dans les
beaux Arts , & que vous n'êtes
pas propre à éclaircir les difficultez
de la Physique . Est- ce ainſi que
vous vous y prenez, pour détruire
les ſyſtêmes des Philosophes ? Ce
n'est pas vostre talent . Le ne sçay
*s'il vous convient mieux de vouloir
embellir voſtreſtyle des termes des
Précieuses , & d'employer ſouvent
F 2
124
MERCURE
le joly ,le joliment , &ſemblables
termes mignards.
Au reste , quelque mine mépri-
Sante que vous affectiez de prendre,
quand il s'agit de la Phyſique
Occulte , ily a pourtant bien de
l'apparence que vous n'en avez pas
fiméchante opinion que vous dites,
Vous attaquezseul les huit on neuf
autres Systêmes , lorsque vous
venezà celuy de la Phyſique Occulte
, vous n'osez plus combattre
Seul. Onvoit paroiſtreſur le champ
de Bataille * Arifte, Theodule,
& Ménalque qui sont gens d'expedition.
Rien n'est plus terrible ,
fi on vous en croit , que ces illuftres
Affaillans,car vous nous avertiſſez
qu'ils sçavent fort bien l'usage de
la Satyre, & de la Raillerie . *
Voila de braves gens. Vous vous
êtes apparemment choiside telsſe-
Page 17 Page 192 ,
**
GALANT.
125
conds par goust , & par inclina
tion.
د
Cependant je trouve que ces trois
Meßieurs vous ſecondent affezmal.
Ils paroiffent tout d'un coup comme
trois Carabins , qui tirent leur coup
de Pistolet , & puis qui se retirent
fans qu'on puiſſe deviner, ni
d'où ils viennent ni où ils s'envont.
Lappelle un coup de Pistolet les
froides plaifanteries qu'ils fontfur
le titre de Phyſique occulte, comme
s'ils n'avoient pu comprendre
dans la preface, que Phyſique occulte
fignifie les effets merveilleux
que la nature opere par
des eauſes infenfibles & incon
nuës. Ils égratignent encore quelques
endroits du Livre, mais c'estfi
legerement qu'on peut dire qu'ils
enfont demeurez à une simple ef- 1
carmouche. Mais levons le masque
à Ariste , à Theodule , & àMé-
4
F3
126 MERCVRE
nalque , nous trouverons,que c'eſt
vous- même qui vous êtes làtraveſti
pour un moment , afin de dire ſous
ces noms empruntez , ce que vous
n'avez pas voulu dire par vousmême.
C'est une Montre où vous
paffez trois fois en revuë , afin de
großir le nombre de vos Combattans
, à l'imitation de ces Officiers
deguerre , dont les Troupes nefont
point complettes , qui pour pro .
fiter de quelques payes,font paſſer
le même Soldat trois ou quatre fois
en revuë ; mais ſi dans ce bel Epifode,
dont vous avezillustré vostre
Livre , quelqu'un de ces personnages
dit des choses ridicules , cela
ne retombe t-il pas sur l'Auteur
de la Mascarade ?
Pourquoy vostre Ariste fait il
là simalfon rôle ? Il fait pitié, il
paroiſt en matiere de Physique un
Soldat armé à la legere. C'est un
GALAN T.
127
Ignorant qui veut faire le bel efprit
,& qui ritfans sens ,&Sans
raison. Voyons où est le mot pour rire
? Hà Ménalque , dit -il , que
cela eft admirable ! Des corpuf
cules qui viennent dire qu'un
homme eſt aux priſes avec fon
Hôte. * Cela certainement est admirable
; Menalane justement
Surpris de voir Ariste plaisanter
ridiculement là deſſus , a raison de
luy dire , vous en riez Ariſte.
Car enfin en bonne Physique,quand
quelqu'un nous parle, il ne s'appli
que pas immediatement à nostre
oreille, pourse faire entendre,
le sentiment que sa parole forme
dans noſtre oreille , est produit par
l'entremise des corpuscules de l'air,
mis en mouvement par l'air que
pouffent les poumons de celuy qui
parle. Ah , Ariſte , que cela eſt
* Page 190..
F4
128 MERCURE
admirable des corpufculesd'air
qui vont dire à un homme ce
que ditun autre !
Mais , Monfieur , il me prend
envie de vous demanderce que vous
faifiez dans cette belle conversation
avec ces trois Meßicurs. Ap
prenez-moy un peu quel étoit là
vostre personnage; carvous n'y dites
pas unpetit mot. Vous nous avertiſſezseulement
qu'Ariſte vous
mena chez Théodule. La converſation
même s'y échauffa ; il n'y
a que vous , quoy que penetré plus
que personnes des desordres quefait
La Baguette , qui êtes- làfroid com
me un Espagnol. Avous voir remuer
la tête , Sans jamais defferrer
les dents , on vous prendroit pour
une Pagode de la Chine ; car je
tiens pour constant que vous n'avez
rien dit dans cette brillante converſation.
Si vous y aviez parlé ,
GALANT.
129
vous n'auriez pas manqué de nous
repeter les belles choses , qui auroient
été de vostre façon. Vous
n'êtes pas homme à vous oublier.
Vous großiſſez voire Livre des
beaux entretiens que vous avez eus
çà là au sujet de la Baguette.
On vousy voit parler avec des Abbez
, avec des Chanoines, avec des
Officiaux , avec des gens d'esprit ,
avec Mademoiselle Ollivet , avec
la Fille de Martin Marchand ,
avec lefameux Devin Lacques Aimar;
il n'y a qu'avec Ariste,Ménalque
, & Théodule , que vous
ne ditesrien. Apparemment qu'A-
• riſte vous avoit mené chezTheodule,
poury écouterseulement. Le
bon party , Monfieur , qu'il vous
avoit marque ! On nese repentquere
de l'avoir pris ; mais ce party ne
vous plaist pas , c'estsans doute
se qui vousfait dire avec chagrin
FS
1
130
MERCVRE
je fais réſolution de ne me pas
trouver au même rendez - vous..
En effet , Theodule est un homme
qui nesçait pas viwe.Ildevoit faire
les honneurs de sa maison ,
vous donner le bureau , du moins
pourquelques momens. Il est même
Surprenant que ceMonsieur-làn'ait
pas été curieux de voir un plat de
voſtre mêtier. Vous étiez bienbaftant
pour eux. Ménalque même
est un homme qui a beaucoup de
rapport avec vous. Il roule il y a
long-temps après l'examen des effets
de la Baguette. On l'a vû dans
toutes les Bibliotheques de Paris
chercher des memoires sur cesujet...
Il a été même àcelle desPeres Ie
fuites , quoy qu'il y ait apparence
qu'il les regale quelquefois , comme
vous venez de faire le Pere
Schott . Enfin , tout plein des belles
experiences , auſquelles il a été
GALANT.
131
present , il dit , * Jay vû la Baguette
tourner entre les mains
de deux hommes fort gras , &
d'une Fille extrêmement maigre....
Elle tourne à l'âge de dix
ans comme à celuy de ſoixante;
pendant la maladie , comme
dans une parfaite ſanté ; àjeun ,
auffi -bien qu'après avoir mangé.
Il faut que ce Menalque ait
donné , comme vous , du moins quatre
ou cing ans à ces experiences ,
pour en parlerſi poſitivement.Pourquoy
donc gardez- vous le
parmy des gens qui ont tant de
Sympathie avec vous ? Il est vray
que ces trois Meßieursse conten
tent d'examinerles matieresfuperficiellement
, & qu'ils pouvoient
craindre que vous ne leur fißiez
perdre terre, fi vous vous êtiezmis
une fois à philosopher. Iln'y avoit
*Page 185,
tacet
F6
13 2
MERCVRE
rien à apprehender pour eux de ce
coſté-là. Ils n'avoient pas lûvoſtre
Preface , où vous declarez que vous
n'êtes pas dans le deffein d'approfondir
la matiere qui fait la dif
pute, que cette voye eſt longue ,
que vous vous bornez à confiderer
les circonstances des faits ,
par leſquelles on peut juger ,
fans beaucoup philoſopher , fi
l'effet eft naturel' , ou ne l'eft
pas. Franchement vous êtiez l'hom
me qu'il falloit à Arifte , à Ménilque
, à Théodule.Vous étiez
fait pour eux. Mais êtes-vous bienle
fait du public , pour l'informer
à fond de ce qu'ildoit penfer fur
laBaguette ? I'en doute Vousfaites
Sagement de nevous pas engager
à philofopher beaucoup. Ce
n'est pas außi de quoy onseplain .
dra . Mais que voulez- vous dire
par Philofopher ſur les circonGALANT.
133
ſtances des faits ? Ie vous com
prens. C'est que vous ramaſſezdans
voftre Livre dix ou douze Relations
ſur la Baguette, puis ſans beaucoup
philofopher , vous montrez
que ces faits nefont point naturels.
La methode eft admirable. Il
y a dans ces relations des chosesoutrées
; il y en a de fauffes ; il y a
des contradictions manifestes ,
fur tout cela vous prétendez pourtant
décider ce qu'on doit juger de
nos ſyſtemes. Illuſion. Vous pointillez,
je vous l'avonë ,fur les differentes
Relations venuës de Lyon;
mais vous ne philosophezpasfur la
nature des effets conftans de la Baguette.
Il n'est pas difficile de montrer
combien les hommes prennent
aisément des veuës differentes fur
uneméme avanture, Ie ne m'étonne
plus si vous avez compilesans au
cune preference tout ce qu qu'on aécrit
134
MERCURE
de Lyon ausujet de la Baguette..
Vous trouvez vostre compte , ſans
beaucoup philofopher, dans ce
magazin de choſes mal digerées ,
& que vous appliquez de travers
. Les Relations les plus ontrées
vous accommodent méme
mieux , parce qu'elles vous donnent
un plus beau jeu . C'est donc ainsi
que,ſans beaucoup philofopher,
vous découvrez l'illuſion des
Philofophes ? Illusion: C'est donc
par là quevous vous érigez enre.
doutable deſtructeur des ſyſtèmes
furla Baguette ? Illusion , viſion ,
chimere. Il n'y a que des moucherons
qui seprennent dans vos toiles
d'araignées ; & il n'y aura que
des dupes qui donneront dans vos
filets.
Il s'agit ici d'un petit avis,dont
vous ferez tel cas qu'il vous plaira.
Le.voici . Vous ne gardezpas affez
GALANT.
135
La vraysemblancedans vos fictions.
Penfez-vous que ce soit une chose
bien imaginée , que vostre Lettre
écrite de Paris à un Chanoine de
Grenoble, pour l'instruire de ce qui
s'estpaßé dans Grenoble méme ,
de ce qu'il y peut apprendre par
Mademoiselle Dufour , qui fut
preſente à tout, &qui eſtd'une
memoire à qui rien n'échape.
* Vous n'avez pas la memoirefi
bonne. Il échape àla vostre des choſes
qui vous font tomber dans des
contradictions affezgroßieres.Vous
dites * qu'en ſe ſervant de la Ba
guette, on abeau dire alors , je
renonceà tout pacte ; les paro
les ſont démenties par les actions
. Le Demon a fuffifamment
averty qu'il agiſſoit dans
cette pratique ; il n'y faut ja..
*Page 276. *Page 262 .
136 MERCURE
mais recourir ſi on abborte
fon commerce. Vous avancez là
deux choses que vous démenteztoutesdeux
.
Premierement , vous nous affurez
que , quoy qu'on renonceau Demon
ensefervant de la Baguette , cepen
dant le Demon vient lafaire tourner
, parce que les paroles font
démenties par les actions . Tour
moy ,je vous aurois cra fur vostre
parole,si vous ne nous affuriezpas
en d'autres endroits , que Mademoiselle
Ollivet , après avoirrenoncé
au parte , & avoir fait ses devotions
avec vous , * trouva que la
Baguette ne luy tournoit plus
fur des pieces de métal , & n'ap--
perceut plus le moindre ſigne
d'agitation. Que laFille deMar
Page 279
GALANT. 137
tin Marchand * ayant renoncé de
bon coeur au Demon , reconnut
fans s'émouvoir que la Baguette
ne luy tournoit plus.Que M.
lePrieur Barde , M.de Pernan,
Chanoine , auſquels la Baguette
tourncit , * après avoir prié le
Seigneur de faire ceffer ce
mouvement s'il n'eſtoit pas
naturel , virent que la Baguette
ne leur tourna plus. Donc quand
on renonce au pacte ; le Demon ,
Selon ces historiettes
د
د
ne revient
pas. Ilfaudroit bien penserà ce que
l'on écrit , fur tout quand on veut
Sefaire imprimer.
Secondement , vous dites que ,
comme le Demon a ſuffisamment
averti qu'il agiſſoit dans cette
pratique , il n'y faut jamais recourir
, fi on abhorre fon.com-
Inerce. Soit ; mais pourquoy dans
*
*. Page 289 . 2.90.
138
MERCVRE
cette perfuafion où vous eſtes , avez
vous donc recours à cette pratique ?
Pourquoy donc après le manege
qu'ont fait ces Meßieurs & ces
Demoiselles, quand vous les avez
obligezde renoncer à la Baguette ,
la leur avez vous remise vousmesme
entre les mains ? Ils en avoient
abjuré l'usage pour jamais,
N'étoit- ce pasaffez ; certain comme
vous estes que le Diable prefide à
cette operation , & qu'il n'y faut
jamais recourir , fi on abhorre for
commerce ? Qui vous avoit aſſuré
que Iaction ne démentiroit point
alors la parole , & que cet Efprit
Seducteur ne viendroit point mouvoir
la Baguette , vous qu'il a
fuffisamment averty qu'il agiffoit
dans cette pratique ? * Quel
deffein aviez vous Car fi le
renoncement aupacte ne chaffe point
* Page 262 .
GALANT.
139
le Demon , &qu'il suffise ,selon
vous , de prendre la Baguette pour
s'enservir , afin qu'il agiffe dans
cette pratique , vous ne pouviez
rien éclaircirpar là. A quoy bon
donc tous ces exercices fi curieux ,
auſquels il nefaut jamais recourir,
fi on abhorre le commerce
du Diable ?
Mais quand vous auriezpů apprendrepar
ce moyenquelque verité
importante , est-il permis de tenter
Dieu ? Quels principes de Theolo
gievous ont appris qu'onpeut s'af
furerd'uneverité par une voye criminelle
, diabolique ; Car je
Suppose avec vous maintenant que
l'usage de la Baguette est diaboli
que. Cependant l'Auteur de la
Phyſique occulte vous afolidement
prouve qu'on s'en peut fervir
innocemment utilement . Que
d'illuſions dans vos raisonnemens ,
140 MERCUR
dans vostre conduite ! Qui l'auroit
cru, Monsieur, quevous fußiez
homme àtomber dans tant de pauvretez
, vous qui vous donner si
fort la liberté de turlupiner les
gens ? Il vous convient bien vraiment
de prendre ces airs là. Apprenez
que ce n'est point en turlupinant
qu'on détruit des ſyſtèmes,
mais enphilofophant beaucoup ,
quevous pourriezbien employer
mieux vostre temps ailleurs , que
dans une dispute , où vous n'entendez
certainement rien. Iefinis ſans
compliment , car ma Lettre vous a
peut-estre déja paru longue
nuyeufe.
en
L'AVEUGLE COMIERS.
l'ay à vous apprendre une
nouvelle d'Alger, qui eft affez
curieuse. Un Vaiſſeau duRoy
ayant enlevé une Priſe à une
GALANT. 141
{
Barque de cette Republique ,
& le Capitaine de cette Barque
ayant preſſé pluſieurs fois.
M.le Maire ,Conſul de France,
d'aller au Palais du Dey , dans
la reſolution de luy faire une
avanie , ce Conſul s'informa
ſecretement de l'Equipage , de
tout ce qui s'étoit paſſe en cette
occafion , afin d'être éclaircy
de la verité. Il apprit que
ce Capitaine avoit vendu la
Priſe à Tunis , afin de fruſtrer
Ja Republique des droits qu'il
devoit pour la prise de cette
Barque. Deux Turcs &trois
Maures de l'Equipage s'offrirent
de ſoutenir & de prouver
ce qu'ils avançoient. M. le
Maire les mena au Palais du
Dey,devant lequel ils déclarerent
la verité d'une maniere à
l'empêcher d'en douter. Le
142
MERCVRE
Dey envoya ſur l'heure prendre
leCapitaine par unChaoux.
Il fut amené devant luy , &
convaincu par les cinq Témoins
dont je viens de vous
parler , que le Vaiſſeau du Roy
ayant ſecu qu'il étoit Algerien ,
luy avoit auſſi-toſt rendu la
Priſe dont il s'agiſſoit. Ce Capitaine
fut mis entre les mains
de l'Aga de la Milice ,& mené
dans ſa Maiſon , où on luy fic
donner cinq cens coups de bâton.
Il fut auffi-toſt abandonné
de ceux qui étoient dans ſon
party, ce qui fit découvrir qu'il
avoit tramé à Tunis une Conſpiration
avec Kara Mustapha ,
Ennemy de la France . Ce Kara
Mustapha avoit été Amiral
d'Alger , & il l'étoit alors de
Tunis. Il avoit gagné le Capitaine
de la Barque , & luy avoit
GALANT.
143
donné de l'argent, pour s'aſſurer
de quelques Seditieux , &
les engager à tuer Chaban ,
Dey d'Alger , en la place duquel
ils devoient le mettre , ſi ,
toſt que leur entrepriſe auroit
eu l'effet qu'ils en attendoient.
Le Capitaine ayant eu laQueſtion
pendant trois jours , déclara
quelques Complices de la
Conſpiration , aprés quoy ne
pouvant plus reſiſter à la force
des tourmens , il fut étranglé.
On examineſes Complices,qui
ne doivent pas attendre une
autre fin , que celle qui eſt ordinaire
aux Traiſtres , & aux
Vfurpateurs.
La grace que le Roy a faite
aux Chevaliers Hoſpitaliers
du SaintEſprit , en deſuniſſant
leurs biens qui avoient été
unis à l'Ordre de Saint Lazare,
144
MERCVRE
eſt un effet trop éclatant de ſa
juſtice & de ſa bonté , pour ne
les pas engager à rendre publics
les témoignages de leur
reconnoiffance.C'eſt pourquoy
auffi-toſt que M. Grandvoinet
de Salins , Prêtre Religieux
Profez de l'Ordre Hoſpitalier
du Saint Eſprit , Commandeur
de Stephanſpheld en Alface, &
Deputé de ſes Superieurs
pour les affaires de fon Ordre,
eut appris que lEdit de Sa
Majeſté étoit enregiſtré au
Grand Confeil , & qu'il alloit
être publié , il écrivit des Lettres
Circulaires à tous ſes Confreres
dans les Maiſons de fon
Ordre,qui s'étoient ſoûtenuës,
& n'avoient point été unies
à Saint Lazare , tant pour
leur donner avis de cette bonne
nouvelle , que pour les
inviter
GALANT.
145
inviter à remercier Dieu d'une
grace ſi particuliere , & à
faire des Prieres pour la Santé,
& Profperité du Roy ,& de
toute la Famille Royale. Cela
fut executé peu de jours aprés,
avec toute la ſolemnité , &
toute la devotion poſſible, particulierement
à Besançon & à
Dole en Franche-Comté, ainſi
qu'à Stephanſpheld , où l'on
chanta le Te Deum avec une
grande Meffe , & les Prieres
pour le Roy. Depuis ce tempslà
, le même Commandeur deputé,
cut l'honneur de remercier
Sa Majeſté au nomde tout
fon Ordre . Il fut preſenté par
M. le Maréchal Ducde Duras,
Gouverneur de la Franche-
Comté.
Le Vendredy 15.de ce mois,
M.le Maire, Profeſſeur enHu
May 1693 . G
146 MERCVRE
manitez à Saint Germain en
Laye , fit le Panegyrique de
Sa Majesté. C'eſtoit le jour où
Elle entroit dans la cinquante
& uniéme année de ſon Regne
fur quoy l'on peut dire qu'un
Regne fi long , marque une
abondance de Benedictions du
Ciel fur ce Prince. Après avoir
dit qu'on ne devoit pas eſtre
furpris que dans un temps où
il n'y avoit preſque perſonne
qui ne parlaſt de ſes grandes
actions , & qui n'admiraſt ſa
Pieté , ſa Valeur , ſa Sagelſe ,
& fa Juſtice , il fiſt paroiſtre le
zele qui eſt naturel à de fidelles
Sujets , en prenant part à
la joye publique , & à l'hommage
annuel que la Ville &
l'Univerſité de Paris , ne manquoient
pas de luy rendre ce
jour , il fit connoiſtre qu'il n'i
GALAN T.
147
gnoroit pas que le deſſein de
traiter une ſi noble matiere ,
furpaſſoitd'autant plus ſes forces
, queles perſonnes les plus
éloquentes eſtoient incapables
d'y reuſſir , mais qu'au moins
il ſe flattoit qu'on ne condamneroit
point ſes foibles efforts .
à vouloirdonner des marques ,
&de ſa fidelité , & de ſa reconnoiffance.
Le Portrait du
Roy ſuivi cet exorde. Il le
peignit pour le corps Os hume..
rofque Deofimilis , & ditenfuite
que ce Monarque avoit le coeur
noble , l'ame belle &genereuse ,
l'esprit net ,folide
estoit plein
vif , qu'il
d'honneur de probité,
estimant ceux qui en ont ,
haiſſant ceux qui en manquent ,
gardantsa parole avec une fidelité
extrême , reconnoissant , conftant
dans le but qu'il s'est proposé , li
G 2
143 MERCURE
beralpar la seule vuë de faire du
bien ,pieux fans timidité, modefte
Sans affectation ,Sage sans inégalité
, magnifiquesans faste , juste
Sans ſeverité , tendre & bon Sans
foibleffe,fermefans dureté : ayant
toûjours la même conduite, toûjours
la même grandeurd'ame , toûjours
cette douce Majesté qui inſpire également
l'amour & le reſpect ; qu'il
étoit affable aux Etrangers , qu'il
aimoit tendrement ſes Sujets , qui
de leur coſté le regardoient comme
leur veritable Pere ; que lors qu'un
honnête homme, de quelque condition
ou profeßion qu'il fust , étoit
affez heureux pour l'approcher ,fon
merite luy étoit une recommandation
aſſurée pourparvenir àla fortune
, mais qu'il aimoit que l'on
s'attachaſt à son devoir ; qu'on le
trompoit rarement deux fois , &
qu'on pouvoit dire ſans exagerer ,
GALANT .
149
que c'étoit le Prince de l'Univers
quise connoiffoit le mieux en phyfronomie
, & qui penetroit plus
avant dans le coeurde ceux qui luy
parloient qu'il joignoit à cette
grande penetration , un discernement
admirable , une memoireprodigieuse
, qu'ilsçavoit laportée
de l'esprit de ceux qui l'approchoient.
Qu'il étoit outre cela grand
Capitaine , brave , ayant le courage
d'un Soldat l'ame d'un Prince ,
intrepide dans le peril, infatigable
laborieux à tout entreprendre ,
inépuisable dans les reſſources, im
penetrable dansſes deffeins , treselairvoyant
dans ceux d'autruy ,
agiſſant lors qu'il paroiſſoit le plus
en repos , d'une prévoyance incroyable
pour l'avenir qu'il donnoit
les ordres außib-ien dans les Armées
, que dans les Conſeils ; qu'il
diſpoſoit tout , aßistoit àtout , ani
G3
150
MERCVRE
moit tout par son autorité , parses
Soins, parses exemples , & que
fon Genie feul étant capabledefuffire
à tout , laſource defes Confeils
étoit en luy- même ; qu'ilfoutenoit
feul le poids des affaires ;que c'étoit
à fon coeur & àfon esprit que
nous devions tant de grands fuccez,
qu'ayant tout enſemble la gloi
re du deffein , celle de l'execu
tion , ce qu'il penſoit n'avoit pas
moins de grandeur , que ce qu'il
faisoit.
Le 6.de ce mois, les Herauts
& le Roy d'Armes allerent au
Parlement , à la Chambre des
Comptes , & à la Cour des Aides
, avec M. le Marquis de
Blainville , Grand-Maiſtre des
Ceremonies, à la Cour des Mõnoyes,
à l'Election, à l'Univerfite
, au Chaſtelet, & à l'Hoſtel
de Ville , avec M.des Granges,
GALANT. 155
Maistre des Ceremonies , pour
faire faire par les Jurez Crieurs
qui les ſuivoient, les proclamations
de la Pompe funebre de
Mademoiselle d'Orleans . Cette
ceremonie commence toujours
par le Parlement , & fe fait
ainfi . Les Herauts entrent d'abord
dans la Grand Chambre ,
vêtus d'une grande robe de
drap noir avec leur cotte d'armes
, & s'approchent prés du
Barreau , puis ayant fait leurs
reverences accosituinées , ils
paffent au Barreau , où ils ſe
tiennent debout,mais couverts.
Le Grand Maiſtre des Cere .
monies entre , & aprés avoir
rendu la Lettre de Cachet du
Roy , il prend féance avec les
Conſeillers . Un Commiffaire
de la Cour fait lecture de la
Lettre; puis la Cour ayant ré-
G4
156 MERCVRE
priez
pondu,un Heraut dit aux Jurez
Crieurs qui ſuivent, de faire la
proclamation ; & aprés que les
Crieurs ont fonné leurs clo
chettes, l'un d'eux s'avance proche
du Barreau ,& dit, Meßieurs,
priezDieupourl'ame de tres-haute
tres-puiſſante Princeſſe, &c . Il
ditle nom&toutes les qualitez ,
puis il repete encore
Dieu pour l'ame , &c . & ajoûte ,
pour le repos de l'ame de laquelle
le Roy fait faire un Service folemnel
en l'Eglise Royale de Saint
Denis en France , un tel jour
telle heure. Cette proclamation
faite , les Herauts & le Grand
Maistre des Ceremonies ſe retirent
, & en font autant aux
autres Compagnies. Quand
ces proclamations eurent été
faites pourMademoiselle d'Orleans
, les Herauts ſe tranſporà
GALANT.
157
terent à Saint Denis en France
, pour affiſter aux Vêpres
des Morts qui y furent chantées
le même jour fur les quatre
heures aprés midy , par les
Religieux de cette Abbaye.Les
Herauts furent poſez par le
Roy d'Armes aux quatre coins
& au devant du Corps, & tous
les Officiers & toutes les Officieres
de cette Princeſſe af
ſiſterent à ces Vêprès. Le lendemain
matin ,les Herauts ayar
été pofez comme le jour préce
dent, les Officiers & Officieres
de la Maiſon de Mademoiselle
d'Orleans furent placez dans le
Choeur par M.des Granges; &
fur les dix heures du matin,les
Compagnies que le Roy avoid
fait inviter étant arrivées juſques
à onze heures & demie ,
furent auſſi placées par M. le
GS
158
MERCURE
Marquis de Blainville , & M.
desGranges . Puis les Herauts
s'étant levez d'auprés leCorps,
aprés avoir fait leurs reverences
, s'en allerent avec le Roy
d'Armes prendre Monfieur le
Duc de Chartres , & Madame
la Ducheſſe de Chartres,Monfieur
le Duc, & Mademoiselle,
Monfieur le Prince deConty ,
&Madame de Guiſe,dans une
maiſon qui eſt au dehors de
l'Abbaye , où ils trouverent M.
le Marquis de Blainville , M.
des Granges & M. Martinet ,
ce dernier Aide des Ceremo
nies. Ils firent marcher devant
cuxtous les Pauvres mandians.
avec chacun un flambeau de
cireblanche à la main . Enſuite
marcherent les Iurez Crieurs
avec leurs robes de drap noir ,
un Ecuſſon des Armes de la
GALANT.
159
د
Princeſſe Défunte devant &
derriere , puis les Herauts , le
Roy d'Armes , l'Aide , le Maiſtre
, & le Grand Maiſtre des
Ceremonies ; Monfieur le Duc
& Madame la Ducheſſe de
Chartres , Monfieur le Duc &
Mademoiselle , Monfieur le
Prince de Conti , & Madame
de Guiſe. Ils entrerent en cet
ordre par la grande porte de
l'Eglife . Le Choeur eſtoit tendu
juſque aux croisées , & en
quelques endroits juſques aux
voûtes , letout de blanc , à la
reſerve de l'Autel & de la Chairaidu
Prédicateur , qu'on avoit
tendus de velours noir , orné
des Armoiries de la Princeſſe
défunte,brodées d'oreal y avoit
auſſi de grandes crépines d'or .
aux endroits de ces ornemens
où elles estoient peceſſaires ..
G6
160 MERCVRE
La Corniche qui regne au deffus
des ſieges des Religieux
eſtoit ornée de bronze avec
des panneaux de marbre noir ,
ſemez de larmes d'argent , &
l'on voyoit des teſtes de mort
ailées ſur les chapiteaux , qui
eſtoient en cartouche , le tout
de bronze & de relief. Tousles
pilaſtres portoient une cornichede
bronze dorée . La frize
eſtoitde marbre noir , & enrichie
de Fleurs de Lis , entrelaſſées
d'ornemens auſſi de
bronze.
Il y avoit dans les entredeux
des pilaſtres , des panneaux
dont le fond eſtoit blanc ſemé
d'hermine , bordée d'une bande
de ſatin blanc , ſemée de
Fleurs de Lis d'or. Le milicu
des panneaux eſtoit remply
d'une Armoirie de la Princef
GALANT. 16г
fe , fort riche , & d'environ
neuf pieds de haut. Toute cette
architecture avoit juſques à
trente pieds de hauteur. La.
corniche qui la portoit étoit
couronnée d'un fronton de
bronze & de marbre noir,bordée
de deux rangs de lumieres,
& de piedeſtaux , de même
bronze , garnis de vaſes portant
des lumieres. Le bas de
cette même corniche étoit or
née d'un ſecond lé de ſatin
blanc fleurdeliſé d'or,avec une
crépine d'or au bas du ſatin
de quinze pouces de haut. La
Corniche étoit couronnée d'un
rang de lumieres , & faisoit le
tour du Choeur juſques àl'Autel.
On avoit fait un échafaut
de chaque côté du Choeur , au
delà de l'Autel , au deſſus des
Clôtures de la grille , qui é
}
162" MERCURE
-
toient décorez comme le reſte
du Choeur. Ces échafaux contenoient
environ cinq cens
perſonnes . Il y en avoit un pa--
reil à la Tribune, pour la Muſique
du Roy..
La Nefétoit tenduëde blanc
avec un lé de ſatin fleurdelisé
d'or ,& pluſieurs Armoiries de
huit pieds de haut. On voyoit
au deſſus de la porte du Choeur
dans la Nef, trois grands Tableaux
peints en bronze dorée.
Celuy du milieu étoit de quinze
pieds de haut fur dix de large
,& repreſentoit l'Ange tutelaire
de la Princeſſe , qui luy
tendoit la main , pour l'aider à
ſortirdu tombeau,& de l'autre
il luy montroit l'immortalité
dans une Gloire.Une Mort paroiſſoit
au deſſus de cette Princeffe
,&luy arrachoit ſa Cou
GALANT.
163
ronne , & fon Suaire , & ce qui
luy reſtoit du monde. Les Armoiries
de la Princeſſe défunte
faisoient les deux autres Tableaux,
& elles étoient emportées
, & déchirées par des
Morts.
Le Mausolée étoit compoſé
d'une eſtrade avec quatre efcaliers
ornez de lumieres ,& de
Piedeſtaux fur les angles , fur
chacun deſquels étoient des
Anges de bronze dorée , portất
d'une main les rideaux d'un
grand Pavillon detrente pieds
de hauteur ; ils étoient blancs ,
fleurdelisez d'or , & doublez
d'hermine . Ces Anges tenoient
de l'autre main chacun unetorche
ardente. Entre ces Figures
étoient des cafſolettes,qui portoient
pluſieurs lumieres. Les
Piedeſtaux étoient ornez de
164 MER CVRE
bas - reliefs de bronze , repre .
fentant la Charité,la Religion ,
la Pieté , & la Magnanimité.
Le dehors du Cercueil qui renfermoit
le corps de la Princefſe
,étoit de marbre noir , orné
de Conſoles , d'Armoiries , &
de Socles de bronze dorée , &
environné de huit Candelabres.
Tout ce qui regarde cette
Pompe funebre étoit du defſein
de M.Berrin , Deſſinateur
du Cabinet du Roy , qui avoic
pris ſoin de le faire executer
luy-même. Il étoit dificile de
faire quelque choſe qui paruſt
beaucoup avec une Tenture
blanche ; cependant il avoit
trouvé moyen de l'enrichir
d'ornemens , qui faifant un
contraſte avec le blanc , la faifoient
beaucoup paroiſtre.
LesMandians furentrangez
GALANT.
165
des deux côtez de la Nef, juſques
au Choeur , & les Crieurs
étant reſtez dans la Nef , les
Heraults reprirent leurs places.
Les Princes & les Princeſſes
furent conduits aux leurs par
M.le Marquis de Blainville, &
M. l'Archevêque d'Auche qui
officia, étant allé à l'Autel avec
le Clergé , les Religieux commencerent
au Choeur le Libera,
il fut repris par la Muſiquedu
Roy , qui acheva de chanter
pendant la Meſſe. A l'Offerte ,
les Reverences accoûtumées
furent faites par le Roy d'Armes
, les Heraults , l'aide , le
Maiſtre , le grand Maiſtre des
Ceremonies , les Princes & les
Princeſſes ; puis l'Oraiſon Funebre
fut prononcée par M.
l'abbé Anfelme. La Meſſe eftant
achevée , l'afperhon & les
166 MERCURE
encenſemens ſe firent par les
Eveſques & les archevelques ,
aprés quoy le Roy d'Armes ſe
leva de ſa place , & alla audevant
du Corps , où ayant appel
léles Officiers de la Chambre
de feu Mademoiselled'Orleans,
il leur ditde rendre les derniers
devoirs à leur maiſtreſſe . Les
Officiersde la Chambre s'étant
approchez , & ayant monté fur
L'Eſtrade pour prendre leCorps
& le porter au Caveau , reveftus
chacun d'une grande Efcharpe
de Tafetas blanc , qui
paſſoit dela droite à la gauche,
leRoy d'armes appella lesHeraults
d'Armes de France , &
leur dit de venir faire leurs
charges . Les Heraults eſtans
venus à luy , ils s'en allerent
ensemble au Caveau . Le Roy
d'Armes s'eſtantpoſé furlebord
du coſté de l'autel , les Heraults
2
GALANT.
167
le borderent d'un coſté , & M.
l'Archeveſque d'Auche qui avoit
officié , & Mrs les Evefques
qui aſiſtoient, reveſtus de
leurs Chapes & la Mitre en
teſte , le borderent de l'autre...
LeCorps fut apporté & mis au
Caveau , dans lequel entra le
Herault de Xaintonge pour y
faire fa charge. LeRoy d'armes
appella le premier Maiſtre
d'Hôtel , qui eſtant venu à luy
avec ſon Baſton , il le prit , le
brifa, & le donna au Herault de
Xaintonge qui l'alla porter fur
fur le corps. Ilappellaenfuite le
premier Efcuyer , qui eſtant venu
avec le Manteau Royal , il
le receur , le donna au Herault
deXaintonge qui le porta auffi
fur le corps . Il appella enfuite
le Chevalier d'honneur de la
Princeffe deffunte , qui eftant
168 MERCURE
officieres
venu avec la Couronne fur un
Carreau de Satinblanc couverte
d'un creſpe , il la receut & la
donna au Herault de Xaintonge
, qui l'alla porter encore fur
le corps , & le Roy d'Armes
ayant appellé le premier Maiftre
d'Hoſtel , luy fit prononcer
ces paroles ; Officiers
de Mademoiselle. Vostre Maitresfe&
lamienne est morte,sa maifon
est rompuë , pourvoyons nous.
Enfuite le Royd'Armes dit,Tres
baute & tres-puiffante Princeffe,
ajoutant les noms &les qualitez
de Mademoiſelle ) eſt morte . Il
repeta les meſmes chofes encore
une fois & dit , Prions Dieu
pourfon ame. Les Herauts & le
Roy d'Armes quitterent le
Caveau ,& allerent reprendre
les Princes & Princeſſes avec
l'Aide , le Maiſtre , &le Grand
GALANT. 169
* Maiſtre des Ceremonies , & les
remenerent dans l'ordre qu'ils
eſtoient venus au logement
dans le dehors de l'Abbaye où
ilsavoienteſté les prendre .
On a écrit de Honfleur , que
les Echevins y avoient fait ſonner
toutes les Cloches , fi toft
qu'ils eurent appris la mort de
Mademoiselle d'Orleans , qui
eſtoit Dame deleur Ville . Cela
fut continué juſqu'au 6. de ce
Mois qu'ils luy firent faire un
Service folemneldans la principale
Eglife . Elle estoit tenduë
à double rang , ornée d'Ecuffons
, & dans le Choeur un fuperbe
Maufolée . Le Pere Paſcal
Capucin, l'un des plus celebres
Predicateurs de la Province ,
prononça l'Oraiſon Funebre de
cette Princeſſe avec beaucoup
d'applaudiſſement.
170
MERCURE
J'oubliay le mois paſſe à
vous dire que M. le Nonce
portades Brefs du Papeà Mon-
Tieur le Ducdu Mayne , à Madame
la Ducheſſe ſa Femme , &
àMonfieur le Comte de Toulouze
, & qu'il en eut une fort
longue Audience . Il prit beaucoup
de plaifir dans la converſation
de ces deux Princes , &
de cette Princeſſe . Les Princes
luy rendirent ſa vifite , & ce
Miniſtre de ſa Sainteté fut de
plus en plus charmé de leur efprit.
Il eſt rare de trouver un merite
auffi generalement reconnu
, que celuy de M. de Catinat.
Les promptes fortunes attirent
preſque toujours des Jaloux
, bien que ceux à qui elles
arrivent en foient trouvez di.
gnes , mais M. de Catinat à l'aGALANT.
171
vantage d'avoir les fuffrages de
tout le Public , & de voir qu'on
luy rend tout d'une voix la juſtice
que l'on ne rend quelque
fois qu'avec peine à d'autres ,
quoy qu'elle leur foit legitimément
duë . Sa modeſtie eſt ſi
grande , que lors qu'il alla à
Pignerol , aprés avoir eſté honoré
du Baſton de Maréchal
de France , loin de permettre
qu'on luy fiſt une Entrée , il ne
voulut pas meſme fouffrir que
l'on tiraſt le Canon. Je vous envoye
un Sonnet que M. de Launay
, Officier d'Artillerie à
Chambery , a fait à la gloire de
ceGeneral,
Lluftre Catinat, dont la gloire
eſt certaine
Par l'estime d'un Roy'plus grand
que les Cefars ;
172
MERCVRE
Heros , dont on entend dire de toutesparts.
Que Rome n'eut jamais un plus
grand Capitaine.
2
Ton brasqui rendpartout lareſiſtancevaine,
Sur Nice & Montmeillan planta
nos Etendarts.
A Stafarde onte vit dans les plus
grands hazards,
Vaillant comme un Condé,fage comme
un Turenne.
Mais pourquoy m'engager en des
Soinsfuperflus,
En louant dans ces Verstesfublimes
vertus ?
L'équité de LOVIS lefait mieux
que personne.
Pourprouver tes exploits àlaPoſterité
د
Ne
GALANT . 173
Ne teſuffit-il pas que ce grandRoy
tedonne
Un Buston qui te forte à l'immortalité?
Quoy que la médiſance n'epargne
perſonne , il ſera difficile
qu'elle attaque ce General
, du moins n'a-t- on pas vû
que juſques- icy elle ait ofé
l'entreprendre. C'eſt ce qui
doit paroiſtre fort rare , fi on
examine que la médiſance eſt
une peſte qui a de coûtume de
s'attacher au merite. Ceux qui
s'y ſentent portez , & qui fouhaitant
de s'en corriger n'en
ſçauroient venir à bout , auffi
bien que ceux qui craignent de
tomberdansun vice ſi honteux,
doivent lire un Livre nouveau
contre la Médiſance , qui ſe
vend chez le Sr Dhoury , ruc
May 1693 .
H
174
MERCURE
$. Jacques , au Saint Eſprit. Je
croy que pour peu qu'ils y venillent
faire d'attention , ce defaut
leur paroitra fi condamnable
, & fi indigne d'un honneſte
homme , qu'ils en auront
de l'horreur. Ils trouveront à la
fin du meſme Livre une defcription
du Médiſant , felon
l'Ecriture Sainte , qui achevera
de les engager à rendre juſtice
à leur Prochain , & les empêchera
de le déchirer .
Le 2 2. du mois paſſé , l'Académie
de Soiffons , qui eſt en
partie redevable de ſon établiſfement
aux bons offices de feu
M. Peliſſon, voulant témoigner
fa reconnoiſſance envers un
Ami ſi plein de merite & de
generofité, fit faire dans laChapelle
de l'Eveſché un Service
folemnel pour le repos de l'ame
GALANT.
175
de ce grand homme. La Meffe
fut celebrée par M. l'Abbé de
Hericourt , Directeur de la
Compagnie , & chantée par le
Clergé du Seminaire , compoſé
de plus de quarante Ecclefiaques.
Tous les Academiciens
quieſtoient alors à la Villeſe
trouverent à cette lugubre Ceremonie.
S'il n'y eut point d'Oraiſon
funebre , ce que vous
allez lire de M. de Bonnecorfe
en pourra ſervir.
A MADEMOISELLE
DE SCUDERY.
D'Vn heroïque Ami ne plaignezplusdefort
,
Consolezvous , Sapho , la raison le
7 demande.
T
H2
176 MERCURE
Vous perdezTeliſſon, cette perte
eftgrande ;
Mais qui neperdpas enſa mort ?
Le Roy perd un Sujet fidelle ,
La Robe un Magistrat exact,juste,
prudent ,
L'Eglise , un Défenseur ardent,
Rempli de pieté , de doctrine
dezele.
-Pour chanter les fameux Explois
De LOVIS redoutéfurce vaste Hemisphere
,
De-LOVIS le plus grand des
Rois ,
Peliffonvaloit un Homere.
ilfut des doctes soeurs le plus cher
Nourriffon ,
Et la Franceseroitfans ceffe
La Mere du Sçavoiro de la Poli .
teffe ,
Si chaque fiecle avoit un Peliſſon.
Je vous ay déja parlé à fond
GALANT .
177
de la creation & inftitution
de l'Ordre Militaire de Saint
Loüis . Ceux qui le devoient
remplir n'eſtant pas encore
nommez , je ne pûs vous les
faire alors connoiſtre . C'eſt
meſme une choſe aſſez difficile
àfaire aujourd'huy , quoy que
lanomination ſoit faite , & que
Paris ſoit remply des Liſtes des
Officiers qu'il a plû au Roy de
nommer pour eſtre Officiers de
ce nouvel Ordre . Quand il s'agit
de noms propres , une Liſte
n'a pas eſté copiée deux fois ,
qu'elle court défigurée . Cependant
celle que je vous envoye
eſt aſſurément des plus
correctes. Vous n'y trouverez
aucune qualité de Comtes &
de Marquis , quoy que plufieurs
ayent ce titre . J'ay mieux
-aimé mettre ſeulement leurs
€
H 3
178 MERCVRE
noms , que de faire quelques
Marquis ; ou d'en dégrader
quelques autres . Du reſte , des
Grands-Croix, & les Comman
deurs ſont ſi connus par euxmêmes
& par leurs Emplois ,
qu'il eſt impoſſiblequ'on ne ſçache
qui ils font , fi-toſt qu'on
lit leurs noms. Quant aux autres
moins connus , mais pourtant
diftinguez parmy lesTroupes
; il auroit eſté tres - difficile
de marquer tous leurs Emplois.
Ily en a pourtant quelques uns
parce qu'eſtant du même nom,
on croiroit que ce ſeroit la même
perſonne. Pourles Officiers
de Mer , il a esté plus aiſé d'en
tirer les noms ſur l'état de la
Marine , qu'il n'auroit eſté ſur
celuydes Troupes du Roy, qui
monte à prés de cinq cens mille
hommes. Sa Majesté en re-
1
--
:
GALANT.
179
cevant les Grands - Croix ,
Commandeurs , & Chevaliers,
* leur a fait preſent des Croix.
Celle des Chevaliers eſt un
peu plus petite que celle des
Grands. Croix , & des Commandeurs
; il n'y a aucun autre
changement. , Vous en pourrez
voir icy une Eſtampe , que
j'ay fait graver exprés pour
vous l'envoyer. Ces Croix font
d'or , émaillées de blanc , cantonnées
de Fleurs de Lis d'or ,
chargées d'un coſté d'un Saint
Loüis cuiraffé d'or , & couvert
de fon Manteau royal , tenant
de ſa droite une Couronne de
Laurier , & de la gauche la
Couronne d'épines& les cloux
en champde gueules , entouré
d'une bordure d'azur , avec ces
lettres d'or ,
H 4
180 MERCURE
LUDOVICUS MAGNUS
INSTITUIT 1693 .
Et de l'autre coſtépourDeviſe,
une Epée nuë flamboyante , la
pointe paſſée dans une couronne
de laurier , liée de l'écharpeblanche
? auſſi en champ de
gueules,&bordée comme l'autre,
d'azur, avec ces lettres d'or,
BELLICÆVIRTUTIS
PRÆMIUM.
Ces Croix font tres-belles , &&
bien travaillées , & quoy que
chargées de beaucoup d'ouvrage,
& faites avec précipitation,
tout s'y diftingue ; mais il ne
part rien que de parfait de chez
M. de Launay , Orphévre du
Roy.
GRANDS - CROIS
qui ont fix mille livres chacun,
Mrs de Monchevreüil.
Chaſteaurenaud .
La Rabliere
2
GALANT. 181
Rivaro.
Vauban .
La Feüillée .
Rozen.
Polaſtron .
COMMANDEVRS
qui ont 4000.liv, chacun.
Vatteville ..
Saint Silvestre .
Davejan..
Maffot.
LaGrange.
Laubanie.
Panetier , Chef d'Eſcadre.
Chamlay.
COMMANDEVRS
qui ont 3000. liv, chacun.
Caſtelas.
Preſchacq.
Darbon.
La Fouchardiere..
Caſteja..
La Caze..
H
182 MERCVRE
r
رش
Du Luc , Capitaine deGalere.
Bellegarde.
Guillerville.
Fourille.
Dalou .
Daumont .
Des Alleurs.
Des Bordes.
Damblimont.
Bezons.
CHEVALIERS,
qui ont 2000.liv. chacun.
Cougoulin. Chefs d'Escadre.
Bercourt.
De Vienne .
Chevilly.
Harbouville...
La Foreſt .
Machel.
Cadrieux.
LaHaye
GALANT. 183
Bellecroix .
Du Fort .
Luffan.
Valkier .
Vilmondor.
Rigouville.
Romainville.
Bolh .
Du Magnon , Chefd'Eſcadre.
Daugecourt.
Du Puy-Vauban.
Creſpy.
Du Bourg, Maréchal deCamp
Refuge.
CHEVALIERS ,
qui ont 1500. liv, chacun.
De Pontis. | Capitaines de
DeMotheux. Vaiſſeau ..
Saint Alvere.
Damorezan .
Marfilly , Lieut. aux Gardes.
Rozamel ,
Neuville-Beauvais.
H6
184 MERCURE
La Faye .
Mennevillette..
Cornelins..
Monroux.
Boulogne.
Marfilly , M. de C.
Le Chevalier de Saujon ,Capi
taine de Vaiſſeau..
La. France ..
Cheviré.
Chevalier...
Breſſey.
La Trouffe.
Richeran .
DuTerrier.
Renier.
Montbas...
Salerne..
CHEVALIERS ,
qui ont 1000. livres chacun,
De Septeme. Capitaine de
De Saugers.
Bony..
DeLouze..
GALANT. 185
Nonan.
Cantan.
De Bains .
Sanfon.
Saint Amadour..
Lanſac .
La Fitte..
Lurry .
Rey..
Sicart , Capitaine de Fregate..
Boiveau .
Des Regards..
Dargouft .
Montigny
D'hoüy.
Prufy..
Ferrand.
La Motte-Marſé ..
Pradelle.
Ligny .
Deficux.
Des Alleurs , Capitaine de
Bourgogne..
Sainte-Ferc..
186 MERCVR E
Canau.
De la Treille , Capitaine de
Vaiſſeau .
Beauffier Felix , Capitaine de
Vaiſſeau.
La Mote.
Daguela.
Bourtonne.
Molé.
La Chauvigniere.
Ricous.
Garand.
Valcroiffant.
Moiron.
LaGrand' Maiſon.
La Neuville..
Du Bofc.
Lapara.
De France.
S. Amadour.
Daligny .
Du Solier.
De Peruſſis , Lieutenant de
Vaiſſeau.
GALANT.
18.7
CHEVALIERS
qui ont 800.liv.chacun .
Cordes.
Senneville.
Guigueville .
Borelly.
Montenol.
La Roche.
Bondelot.
L'Etoile .
Danjou .
Neuville , Lieutenant de Cavalerie.
DeDais.
De Bar.
Blin Seignelay.
Plaque.
DuHaget.
LaCombe.
Launay , Lieutenant Colonel
de Blaifois.
DuGué.
La Caille .
Champly.
188 MERCVRE
LaPierte.
Martillac.
De Goufoles ..
Beſombes ..
Gregoire.
De grand Fontaine .
De la Beaudiere ..-
De L'ifle..
De Fricambault.
Capitaines
de
Vaiff.
Le Roy a donné les Chargess
de cemême Ordre , ſçavoir.
A M. du Freſnoy , Premier
Commis de feu M. de Louvois,,
&aujourd'huy de de M. de Barbefieux,
la ChargedeTreſorier.
A M. le Fevre , Controleur
des Baſtimens du Roy , celle
deGreffier..
A M. de Lapré, celled'Huif
fier ou Prevoſt.
Nous avons perdu depuis
peu de temps pluſieurs perſonnes
confiderables de l'un&
GALANT. 189
de l'autre ſexe , qui ſont
Claude de S. Simon Duc &
Pair de France , Chevalier des
Ordres du Roy , Gouverneur
des Chaſteau , Ville & Comté
de Blaye , de Senlis , de Pont
Saint Maixance , & du Chaſteau
de Feſcam. Il avoit efté
premier Ecuyer du feu Roy ,
dont il s'eſtoit acquis l'eſtime
&la bien veillance par fes bonnes
qualitésde PremierGentil.
homme de ſa Chambre &
Grand Louvetier
2
Gouverneur
de Meulan , & Capitaine
des Chaſteaux de Saint Germain
en Laye &de Versailles .
Il eſt mort âgé de quatre vingt
ſeptans , & le plus ancien Chevalier
de l'Ordre du Saint Efprit
, qu'il avoit receu dans la
promotion de 1633. Mathieu
Rouvroy Sr du Pleffis & de
190
MERCURE
Raſſe épousa Margueritede S.
Simon , Soeur & Heritiere de
Jacques de S. Simon. De ce
Mariage vint Gilles de Rouvroy
ou de S. Simon , Pere
d'un autre Gilles de S. Simon ,
qui ſe ſignala à la Bataille de
Patay en Beauſſe , à la priſe
de Meaux , & aux Sieges de
Honfleur & de Pontoife . C'eſt
de luy que venoit Loüis de S.
Simon , Sr du Pleſſis &de Rafſe
, qui laiſſa de Deniſe de la
Fontaine ſa Femme , Claude
de S. Simon , dont je vous apprens
la mort . Feu M. le Duc
de S. Simon épouſa en premieres
Noces en 1644. Diane
Henriette de Budos , Marquiſe
de Portes , Fille unique & Heritiere
d'Antoine Hercule de
Budos,Marquis de Portes ,Chevalier
des Ordres du Roy , &
GALANT. 191
Vice- Amiral de France. Elle
mourut à Paris le 2.Novembre
1670. en ſa quarantiéme année
, & le 12. Octobre 1672 ,
il prit une ſeconde alliance
avec Charlotte de Laubeſpine,
Fille aînée de François , Marquis
de Hauterive , Gouver ,
neur de Breda , & d'Eleonor de
Volvire Marquiſe de Ruffec
& il en a eu Loüis Marquis de
S. Simon , Vidame de Chartres ,
à qui Sa Majesté a accordé le
Gouvernement de Senlis , de
Pont Sainte Maixance & de
Fefcamp. Il'avoit eu de fon
premier Mariage un Fils mort
jeune , une Fille Religieuſe, &
Gabrielle Loüiſe de S. Simon ,
Marquiſe de Portes , mariée
en 1663.avec Henri Albert de
Coffé, Duc de Briſſac , Pair de
France , & morte depuis peu
192
MERCURE
d'années,ſans avoir laiſſe d'Enfans.
Dame Yolande de la Tremoille
, Veuve de M.le Marquis de
Royan. Il y avoit dix - huit
mois qu'elle étoit tombée dans
une eſpece de langueur,par une
maladie , qui luy a fait fouffrir
d'extrêmes douleurs . Elle s'eſt
preparée à la mort pardesConfeffions
reiterées , ayant recen
pluſieurs fois la Communion
pendant un mal fi cruel , avec
toute la foumiſſion aux ordres
de Dieu, que l'on pouvoit fouhaiter
d'une bonne & veritable
Chrétienne. Son Corps a été
porté dans l'Egliſe des Celeſtins
où eſtle Tombeau de Mrs
de Noirmontier ,Elle étoit Fille
du feu Duc de ce nom , Pair
de France , & avoit épousé M.
le Marquis de Royan , Frere
GALANT .
193
de M. le Comte d'Olonne , de
la même Maiſon de la Tremoille.
De ce Mariage font
fortis pluſieurs Fils & Filles ,
dont il ne reſte aujourd'huy
que Mademoiselle de Royan ,
qui eſt dans l'Abbaye du Pont
aux Dames , dont Madame fa
Tante eft Abbeffe . Elle est fort
jeune ,& a toûjours été élevée
comme une Fille de fa qualité
dans toute la vertu imaginable.
C'eſt unedes plus riches Heritieres
du Royaume , & on ne
doit point douter qu'elle ne foit
recherchée d'autant plus , que
ſes grands biens font accompagnez
d'une naiſſance tres - Illuftre
, étant de la Maiſon de la
Tremoille du coſté Paternel
& Materael , dans laquelle il
n'y a rien que de grand. Mademoiſelle
de Royan eſt Niece
194
MERCVRE
d'Alexandre François de laTremoille
, Duc de Noirmontier ,
deMarie- Anne de la Tremoille
, qui a épousé M. le Duc de
Bracciano , de l'Illuſtre Maiſon
desUrfins,&de Marie Angeli
que de la Tremoille , mariée à
Romeà M. le Duc de Lentide
la Maifon de la Rovere , qui a
donné pluſieurs Papes & un
grand nombre de Cardinaux.
Madame la Ducheſſe de Bracciano,
quiſe trouve depuis quelques
années à la Cour, donnera
beaucoup de lustre à cette jeu.
ne Heritiere , ayant un merite
fingulier , & reconnu tel dans
toutes les Coursde l'Europe.
Meſſfire Loüis de Rechigne
Voiſinde Guron. IleſtoitElveque
de' Comminge , & avoit
eſtéauparavant Eſparavant de
Tulle.
GALANT.
195
Meſſire Henry Guillaume
le Jay , Eveſque de Cahors. II
avoit eſté Aumonier , & en
fuite Maiſtre de la Chapelle de
Son Alteſſe Royale Monfieur .
Ce Prelat eſtoit Fils de feu M.
le Jay , de la Maiſon rouge ,
Maiſtre des Requeſtes , & petit
Neveu de Nicolas le Jay ,
qui ayant eſté Procureur du
Roy au Chaſtelet , puis Lieutenant
Civil , & Preſident à
Mortier au Parlement de Paris
pendant dix - sept ans , y fut
nommé ' premier Preſident en
1630. aprésla mort de M. de
Champigny.ll mourut en 1640.
fort eſtimé par ſa probité , par
fa prudence , & par fon amour
pour les Lettres & pour les Sça
vans. La Famille des le Jay eſt
une ancienne Famille de Paris ,
qui a eſté feconde en grands
196 MERCVRE
1
hommes. Jean le Jay , Preſident
en 1344. en la Chambre des
Enqueſtes , épouſa la Soeur de
Jean des Dormans , Cardinal ,
Eveſque de Beauvais , Chancelier
de France,&Nicolas le Jay,
Secretaire duRoy & Maître des
Comptes , fut choiſi par le Roy
François I. pour aller avec le
Connetablede Montmorency ,
& quelques autres Seigneurs ,
recevoir l'Empereur Charles-
Quint ſur les Frontieres du
Royaume , & pour l'accompagner
juſque dans ſes Etats de
Flandre .
M. l'Abbé Longuet. Il étoit
Parent de Madame la Chanceliere
le Tellier. M. l'Archevêque
de Reims a donné une de
ſes Abbayes à M. l'Abbé de
Langlée.
Dame Marie Decouleur.Elle
eſtoit
GALANT.
197
eſtoit Veuve de Meſſire Jacques
Charreton , Seigneur de
la Terriere , Maistre des Requeſtes
, & Conſeiller d'Eſtat
Ordinaire , & Fille de Claude
Decouleur , Vicomte d'Arnas ,
Maiſtre d'Hoſtel du Roy , &
de Marie de Noirat de Rouville,
Cette famille eſt fort
diſtinguée. Elle eſt originaire
de la Ville de Lyon , & alliée
àcelles de Befins , de Langallerie
, Palerne , la Tour-Vidaud
, Puſignan , de Brancas ,
de Rouſſelet , Aukreia & plufieurs
autres. Madame de la
Terriereeſtoit une Dame d'une
vertu , & d'une preté exemplaire
, & dost le feul nom
ſuffit pour ſon éloge. Il y a pluſieurs
années qu'elle étoit veuve
de M. de la Terriere , dont
elle avoit cu M. le Marquis
May 1693 . I
198 MERCVRE
&M. l'Abbé de la Terriere ,
M. l'abbé de Marchereux ,
feuë Madame la Marquiſede
Chepy , & trois Files Religieuſes
au Convent de Sainte Marie
de Villefranche en Beaujolois
, dont l'une y eſt morte en
odeur de Sainteté , ayant la
qualité de Superieure. Je ne
vousdis rien de la Famille de
Charre , dont je vous ay pluſieurs
fois entretenue dans mes
Lettres.
Meſſire Nicolas Goureau ,
Seigneur de la Prouſtiere. Il
eſtoit Doyen de la Cour des
Aidés , & recommandable par
ſa grande bonté , par ſon application
à rendre la justice ,
&par ſa capacité. Ce nom eſt
affezconnu , ſans qu'il ſoit beſoin
de vous dire que ſa naiffance
eſtoit auſſi diſtinguée
GALANT.
199
que ſon merite. Cette Famille ,
originairede la Franche Comté
, s'eſtant établie en Bretagne
, & enſuite en Anjou , eſt
une des plus nobles &des plus
anciennes de ces Pays-là. Elle
a produit pluſieurs grands Perſonnages
, qui ſe ſont ſignalez
en divers Emplois d'Epée
ou de Robe. Entre les autres ,
Philippes Gourreau , Seigneur
de la Prouſtiere Baron de
Piédevault & de la Roche-
Poullain , Maiſtre des Requeſtes
& Doyen du Conſeil dans,
ledernier ſiecle , dont tous les
Hiſtoriens François font une
ſi honorable mention , fut employé
dans les Negociations
les plus importantes de l'Etat.
Feu M. Gourreau , Doyen de
la Cour des Aides , eſt mortâgé
de foixante & dix - ſept ans,
,
12
200 MERCVRE
& laiſſe deux Fils ; ſçavoir ,
Meſſire François Gourreau ,
Seigneur de la Prouſtiere ,Conſeiller
en la Grand' Chambre
du Parlement , & ancien Preſident
aux Enqueſtes , & M.
l'Abbé de la Prouſtiere , Prieur
de Vitré en Bretagne.
Meſſire Armand Auguſte
Langlois de Blacfort , Abbé de
S.André de Meimac,& Aumônier
de feuë Madame la Dauphine
, Fils de M. Langlois ,
Maiſtre d'Hoſtel du Roy. II
avoiteſté Abé à l'âge de onze
ans , Chanoine de la Sainte
Chappelle à quatorze ,& aumônier
de Madame la Dauphine
à dix ſept. Il eſt dans ſa
trente - uniéme année , ayant
eſté deputé du Clergé de France
dans les Aſſemblées de 1685
& 1690. où il s'acquit l'eſtime
GALANT. 201
de tous les Prelats & Abbez
dont elles eſtoient compoſées.
M. l'Archeveſque de Paris, qui
connoiſt parfaitement la capacité
de ceux qu'il choiſit le
nomma pour un des Conſeillers
de la Chambre Eccleſiaſtique
, & le chargea de pluſieurs
commiffions , dont il s'acquitta
avec une approbation generale.
Les fonctions de ſes emplois
dans le Clergé n'empêchoient
pas qu'il ne s'appliquaſt à l'étude
& à la Prédication , où il
ſe ſeroit diftingué , s'il n'eſtoit
mortdans un âge , où l'on peut
dire en quelque façon , qu'il
commençoit ſeulement à vivre.
Ileſtoit officieux , Amiauſſi
fidelle que ſeur , & perſonne
n'avoit plus de probité queluy,
plus de droiture de coeur , plus
de fincerité &de politeſſe . Son
I 3
202 MERCURE
میر
Frere ainé. Sous- Lieutenant
aux Gardes , fut tué au Siege
de Maſtric en 1673. Il avoit
eſté bleſſé au Siege de Candie,
àl'âge de dix - sept ans .
M. l'Abbé de Baradas. Il
avoitl'Abbaye de Sillien Bretagne
, qui eſt une tres belle
Abbaye . L'honneur particulier
que M.de Baradas, ſon Pere
, a receu , ayant poſſedé les
bonnes graces du feu Roy , a
fort relevé cette Famille par
les Charges qu'elle a euës dans
Eglife & dans l'Etat. Elle a
donné un Evêque de Noyon ,
& une Abbeſſe du Pont aux
Dames.
Le Jeudy 14. de ce mois ,
Meſſieursde l'Academie Françoiſe
choiſirent M. l'Abbé Bignon,
&M.de la Bruyere, Auteur
du Livre intitulé,Caracteres
GALANT.
203
de Theophrafte , comme de di .
gnes Sujets , pour être propoſez
à Sa Majesté , fi Elle les agréoit
pour remplir les places de M.
le Comte de Buſsi Rabutin , &
de M. l'Abbé de la Chambre .
Le Roy ayant témoigné qu'ils
luy étoient agreables , laCompagnie
paſſa au ſecond ſcrutin
le Samedy 23. & ils furent admis
par tous les fuffrages . Je
vous en parleray plus amplement
le mois prochain , aprés
qu'ils auront été receus . L'Academie
Françoiſe a beaucoup
perdu dans les quatre premiers
mois de cette année . M.l'Abbé
de la Mothe- Fenelon a fuccedé
à M.Peliſſon depuis deux mois,
comme je vous l'ay mandé , &
Outre les deux autres places qui
viennent d'être remplies , il y
en a une quatrième vacante par
)
14
204 MERCURE
la mort de Meſsire François
Tallemant ,Abbé du Val-Chrêtien
, arrivée le 6. de ce mois .
C'eſtoitun homme zelé & officieux
pour ſes Amis , d'un
commerce aifé , & qui joignoit
à une grande Litterature beaucoup
de douceur & de politefſe.
Il avoit été vingt-quatre ans
Aumônier du Roy , & il fut
enſuite premier Aumônier de
Madame. La parfaite connoiſſance
qu'il avoit de la Langue
Grecque luy fit entreprendre
la Traduction des Vies des
Hommes Illuſtres de Plutarque.
Cet Ouvrage a eu l'approbationdetous
les Sçavans,& vous
n'endouterez point quand vous
ſçaurez qu'il s'en eſt fait ſept
Editions . Il a auſsi traduit de
l'Italien l'Hiſtoire de Veniſe du
Procurateur Nani , qui luy en a
GALANT.
205
témoigné beaucoup de fatisfaction
, par des Lettres pleines
d'eſtime & de reconnoiſſance .
Il ſçavoit encore parfaitement
l'Eſpagnol & l'Anglois , & fa
grande érudition attiroit chez
luy toutes les ſemaines à certains
jours quantité de gens de
Lettres , qui apprenoient toûjours
quelque choſe dans ſa
Converſation. Il étoit Frere de
M. Derreaux , qui mourut fur
la fin de l'année derniere, & de
Madame la Comteſſede Ruvigni.
Il étoit auſſi Coufin germain
de feu Madame d'Harambure
, ſi eſtimée , tant qu'elle a
vêcu , de toutes les perſonnes
d'eſprit , Soeur de feu M.Tallemand
Maiſtre des Requêtes ,
qui s'eſt acquité avec tant d'éclat
& de fatisfaction du Roy
&des Peuples,des Intendances
JS
206 MERCVRE
qui luy ont été données . C'étoit
le Pere de M. l'Abbé Tallemant
, Intendant des Deviſes.
& Inſcriptions des Edifices
Royaux , qui remplit fi bien ſa
place dans l'Academie Françoiſe
. Celuy dont je vous parle en
eſt mort le Sous-Doyen. L'Abbaye
du Val Chrêtien , dont il
joüifſoit , étant dans l'appanage
deMonfieur , ce Prince l'adonnée
à M. l'Abbé de Magenville
, Chantre de Saint Honoré ,
Docteur de Sorbonne , & Fils
de M. de Magenville , Treforier
des Baſtimens du Roy , &
de la Maiſon de Son Alteſſe
Royale.
On a cu nouvelle que Meffire
François de Paule le Rebours
, Seigneur de Chauſſi &
de la Fontaine , Prevoſt Royal
&Juge de Police d'Orleans , y
GALANT.
207
eſt mort le 1 5. de ce mois,dans
ſa ſoixante & deuxième année..
Il fut inhumé le 16. dans l'Egliſe
de S. Hilaire de la même
Ville. Le Convoy étoit compoſé
de tout ce qui marque un
grand deüil. Tous les Corpsde
la Juſtice y aſſiſterent , & M.
l'Abbé Gouſſet de S. Meſmin
prononça l'Oraiſon funebre avec
beaucoup d'applaudiſſement.
Il eſt regretté de tout le
Pays. C'étoit un Juge integre ,
incapable de prévention, laborieux
, charitable , deſintereſſé ,
& ennemy des Novations. On
a obſervé que le jour de ſon enterrement
faiſoit datte pour
datte la trente - neuvième année
de ſon inſtallation ; fon
merite luy avoit fait obtenir
diſpenſe d'âge. Ila fait quantité
de legs confiderables. M. de
J6
208 MERCVRE
Coiſlin, Evêque d'Orleans , eft
Executeur de ſon Testament. II
laiſſe de grands biens , & une
Charge confiderable à remplir ;
illa tenoit ſur le pied pied de quarante
trois mille écus . Il avoit
de grandes alliances dans la
Robe , particulierement M. de
Bailleul , Preſident à Mortier.
M. le Rebours ,Maiſtre des Requêtes
, & Prefident au Grand-
Conſeil, étoit ſonBiſayeul.Germain
le Rebours étoit Prevoſt
& Juge de Police d'Orleans il y
a cent vingt- quatre ans. Il portoit
de gueules auxſept Lozanges
d'argent.
M. le Marquis de Bouflers
eſt mort auſſi depuis quelques ,
jours . Il eſt Colonel du Regiment
de Bouflers , & Neveu
du Maréchal de cenom . M. de
Bouflers ſon Pere , qui eſt mort
GALANT .
209
il y a déja pluſieurs années ,
avoit épousé Mademoiselle de
Guenegault , Fiile de M. de
Guenegault , Secretaire d'Etat ,
qui avoitle département de la
Maiſon du Roy , & Niece de
M. de Guenegault , Treforier
de l'Epargne.
M. Teſtu eſt mort encore
depuis quinze jours. Il eſtoit
Contrôleur General de la Maifon
de Monfieur , Frere de M.
Teſtu , cy devant Treſorier
des Parties Caſuelles , & de
M. l'Abbé Teſtu Mauroy , de
l'Academie Françoiſe. Son Alteſſe
Royale , pour marque de
l'eſtame qu'Elle avoit pour luy ,
a donné ſa Chargé de Contrôleur
General à M. Tubeuf ,
fon Gendre.
Vous m'avez marqué que
vous aviez leû avec plaiſir la
210 MERCURE
Traduction en Vers des Satyres
de Juvenal , qui nous a eſté
donnée depuis deux ans avec
des Notes auſſi curieuſes que
ſçavantes. M. de Silvecane ,
Preſidenten la Cour des Monnoyes
, quien eſt l'Auteur , n'a
pas voulu priver le public de
voir les Satyres de Perſe , traduites
auſſi en Vers , & enrichiesde
ſemblables Notes. Certe
fecondité dans un Magiſtrat,
qui au milieu de ſes grandes
occupations , trouve encoredu
temps à donner à la Poëfie ,
faitbien connoiſtre que ce talentluy
eſt naturel , & que ce
qui ſeroit un travail penible
pour un autre , n'eſt qu'un fimple
divertiſſement pour luy.
Cette nouvelle Traduction en
Vers des Satyres de Perſe a eſté
imprimée à Lyon , & ſe vend
GALANT.
chez le S. Michel Brunet , Libraire
au Palais , qui debite
auſſi une Hiſtoriette du temps ,
intitulée la Princeffe Agathonice.
Comme je ſçay que vous
aimez à rencontrer dans mes
Lettres des preuves de l'attachement
fincere , & fi on oſe
dire de la vray paſſion que tous
les Sujets du Roy ont pour ce
Prince, particulierement ceux
d'entre eux qui ont l'honneur
de l'approcher de plus prés , &
de le voir plus ſouvent , j'en
ay une à vous apprendre aujourd'huy
qui eft finguliere.
M. le Noſtre , cet homme connu
de toute la terre pour avoir
paſſé l'antiquité , & pour eſtre
beaucoup au-deſſus de la portée
de ceux qui le ſuivront ,
dans la magnificéce des Jardins
212 MERCURE
&l'embelliſſement des Fontaines
, juſques à avoir paſſé celles
d'Italie , ſi curieux & fi delicat
dans le choix de tout ce
qui partde la main des grands
Hommes , & plus diſtingué
encore par les bontez que Sa
Majesté a toûjours cuës pour
luy , & par la justice qu'elle a
toujours renduë à ſon merite ,
a crû ne pouvoir rien ajoûter
au plaiſir qu'il s'eſt donnétoute
ſa vie d'enrichir un des plus
beaux Cabinets du monde ,
qu'en priant le Roy de vouloir
ſouffrir qu'illuy en fiſt preſent.
SajMajesté a bien voulu l'accepter
ces jours paſſez ,& remercia
M. le Noſtre d'un Preſent
fi magnifique , eſtant également
ſurpriſe qu'un Particulier
euſt pû aſſembler des pieces
ſi rares , & qu'il vouluſt
GALANT.
213
renoncer , pour le luy donner ,
à ce qui a toûjours fait tout ſon
plaifir . Ce Cabinet eſtoit compoſe
d'anciens Originaux des
plus grands Peintres d'Italie ,
parmi leſquels eſt uneCreation
de l'homme , du Dominiquain,
d'un effort de Peinture inimitable
; d'un grand nombre de
Bronzes , Porcelaines , & Figures
de Marbre. Le Roy ,
aprés s'eſtre donné le plaifir
de laiſſer admirer ces pieces à
toute laCour , les a fait placer
dans la petite Galerie de fon
Appartement , où elles n'ont
rien perdu de leur beauté ;
pour ſe trouver mélées avec ce
qu'il y a deplus rare & de plus
achevé dans l'Europe .
L'article que vous allez li-
-re merite auſſi de trouver icy
ſa place , & il m'arrive rare
214 MERCURE
ment de vous entretenir de
pareils. M. le Marquis de Vins
ayanteſté reçu depuis peu Capitaine
Lieutenant de la Com .
pagniedesMouſquetaires, que
commandoit feu M. de lauvelle,
s'eſt anquis un peu avant
que de partir pour l'ouverture
de la Campagne , & l'eſtime
generale ,& l'admiration de
tout ce Corps. Non ſeulement
il fit preſentd'uneTente à chaque
Mouſquetaire , mais il
offritune ſomme d'argent affez
confiderable pour partager entre
ceux qui en pouvoient
manquer , & pria des Moufquetaires
de cette Compagnie
qui en avoient beſoin , de fai .
re écrire leurs noms. Detrois
cens , il s'en preſenta environ
trente ,& ils toucherent l'argent
propoſé. Il n'y a perfonGALANT.
215
ne à qui il ne puiſſe arriverde
ſe trouver dans quelque embarras
faute d'eſtre payé de
ecuxqui luy doivent,& quand
on eſt fort éloigné de chez ſoy,
ou malheureuſement engagé
dansdes procez , ou que les
faiſons derangées ont empê
ché la fertilité de la terre , le
plus honneſte homme , & le
plus de qualité , n'a pas toujours
de l'argent comptant de
refte.
M. le Marquis de Caſtries
vient d'épouſer Mademoiselle
de Mortemar. Il eſt Fils de René
Gaspard de la Croix , Marquisde
Caſtries en Languedoc,
Baron des Etats de cette Province
,Gouverneur de Montpeiller&
de Sommieres , Commandeur
des Ordres du Roy ,
&ſon Lieutenant General au
216 MERCVRE
Gouvernement deLanguedoc ,
&d'Elizabeth de Bonzi , Soeur
de M. le Cardinal de Bonzi
Archeveſque de Narbonne. Ce
jeune Marquis a eſté nommé
dans la derniere Promotion ,
Marechal des Camps & Atmées
du Roy , & avoit eſté
fait Brigadier il y a quelques
années , après une retraite auſſi
prudente que glorieuſe , &
qui ſauva un grand Corps de
Troupesau Roy. Mademoiselle
de Mortemar eſt Fille de feu
M. le Marechal Duc de Vivonne
, Viceroy de Sicile ,
Generaldes Galeres de France
& Niece de Madame de Monteſpan
, Sur- Intendante de la
Maiſon de la feuë Reine. La
Maiſon de Mortemar Rochechoüard
, eſt ſi illuſtre , &jaurois
tant de choſes à vous en
GALANT .
217
dire , que je ne vous repete
point ce queje vousen ay fouvent
écrit. Mademoiselle de
Mortemar a beaucoup de merite
& d'eſprit. La ceremonie de
ce Mariage s'eſt faite dans l'E-
- gliſe des Filles de S.Joſeph
- par M. le Cardinal de Bonzi .
5 Madame de Monteſpan donna .
un Magnifique dîner à tous
ceux qui y furent conviez , &
: le foir , Madame la Duchefſem
de Crequy, Tante maternelle
de la Mariée , donna un tresbeau
ſouper à la mefme Compagnie
.
M. de Moneta y de Chazeron
, Fils de M. de Monetaï
Marquis de Chazeron , Gouverneur
de Brest , Lieutenant
General des Armées du Roy ,
Commandeur de ſes Ordres ,
Lieutenant General en Rouf
218 MERCURE
fillon , & cy- devant Lieutenant
des Gardes du Corps du
Roy , a épousé Mademoiselle
de Barentin , Fille de feu M.
Barentin Preſident au Grand
Conſeil , & M.le Marquis de
Chazeron, s'eſt demis en faveur
de M. de Chazeron ſon Fils ,
du Gouvernement de Breſt ,
avecl'agrément du Roy.
Ceux qui ont expliqué l'Enigme
du mois paſſé fur la
Couverture d'un Livre , qui en
eſtoit le vray ſens, font د
M. Jacques des Rues , Boucher&
Sonnier du College de
Beauvais , Chavance l'ainé de
laruë S. Jacques , Bonnard de
l'Hoſtel du Queſnoy Place
Royale ; Lamy de la plus belle
Veſtale de Brie ; Cariclés de
Verſailles ; le Breton à l'Anagramme
Gé mille Charmes ; le
GALANT .
219
Solitaire caraunien ; De Bigar .
ra ; les Mecontens de la nouvelleſocieté
duJardin de Lyon;
le fidelle amantde la charman - D
te Mariane. P.de Lyon ; le
Bugiſte de la ruë longue de la
mefme Ville ; l'ancienne ſociet
té de Beauregard, ruë d'Enfer,
Meſdemoilles Françoiſe Pichart
d'Orleans ; l'aimable Etiennette
Vautier dela Porte
de Paris , & fon fidelle amant
de la ruë de la vieille Monnoye
; l'aimable Manon de la
ruë aux Ours : & l'infortunée
ſocieté de la Lotterie de la ruë
des Lombards : le Berger Tire
fis à l'Anagramme Siecled'amour;
Diane de la Forest d'Anacleon,
l'aimable Noloiſe à l'Anagramme
le vrai merite Bourgeois : la
Nimphe aimantes : De Chevalier
inviſible de la Bague de Giges;
220 MERCURE
L'Enigme nouvelle que je
vous envoye aura de quoy
exercet l'eſprit de vos Amies ,
quoy qu'apparemment la cho
ſe leur foit connuë.
ENIGME .
DE monpouvoirvoicy degrandes
marques.
L'attaqueSans estre apperceu ;
Iefuis également receu
Par les Sujets , les Monarques
Comme je ne voy point , j'ay besoin
en chemin.
D'estre guidé d'unbaston àlamain,
Maisaussij'ay ce privilege ,
Qu'außi -toſt que j'arrive;on mepre-
Senteunfiege.
BIBLIOT
LYON
E
221
dafenti-
ま2
reintuvent
1052.
Hepro-
*
ble ny
Fommy
Ноих.
vous
Lut ce
ns la
Mufi-
L
*
1893*
conter
22
vou
nscesdesertdecon
ter vosmhe
*a ba
otre
oupde chaseurs dumoiň enlapje
W
Par
ffroyjausis touché le coeurdun
Comn
Desh
Mar
Qu' are me quitteelle devientleger
6
GALANT. 221
On a de moy tres- mauvais sentiment;
Et ce n'estpasfans fondement ,
Carj'excite où jesuis uneguerre intestine
,
Qui d'un bien toutefois eftfouvent
L'origine.
T'aypour domaine unefombreprovince
Dont on ne trouve l'air agreable ny
doux
Mais je puis afſſurer que l'on m'y
traite en Prince ,
Puis que l'on mefert àgenoux.
L'Air nouveau , dont vous
allez lire les paroles , à tout ce
qu'on peut ſouhaiter dans la
belle compoſition de Muſique.
AIR NOUVEAU.
Effez dans ces deferts de conter
yos malheurs ,
May 1693 . K
-
222 MERCVRE
Les miensfont bien plus grands ,
plaintive Tourterelle
C
Si voſtreMoitiémeurtfousles coups
des Cheffeurs,
Aumoins enlaperdant vous laper
dezfidelle.
Au recit de mes maux jesuisfaifi
d'effroy ,
L'avcis touché le coeur d'une jeune
Bergere
Quiparmilleſermensm'avoit don.
nésafoy.
Laperfide me quitte , elle devient
legere;
Non , non, vousn'eſtes point aplaindre
autant que moy.
-
1
Vous aurez ſans doute attendu
unPrintemps de moy , mais
cette agreable faifon à eſte ſi
stardée , qu'il y a grande apparence
que nous aurons l'Eſté
tout d'un coup aprés l'Hiver.
GALANT. 223
C'eſt ce qui a donné licu aux
Vers ſuivans.
Vos concerts autrefois , aimable
Philomele ,
Annonçoient les plaisirs de lafai
fon nouvelle
Etpreparoient nos coeurs au retour
dubeau temps.
Tout est change, les Tambours , les
Trompettes,
Parleurs bruits éclatans
Vousfont taire dans vos retraites,
Et LOVISfeulquipartvous marque
lePrintemps.
e Voicy d'autres Vers fur le
retardement de cette ſaiſon .
Sçavez vous que le Printemps ,
Las desejourner en France ,
Soit chagrin ,foit inconstance ,
Voyage depuis deux ans ?
Ila trouvéque laguerre
Troubloit icy les Amours.
Il cherchequelque autre terre
C
مو
K2
224 MERCVRE
Qui profiue des beauxjours.
Bien que la Muſique ſoit
aujourd'huy fort à la mode ,&
qu'il y ait un tres- grand nombre
de Compoſiteurs , il eſt
certain que les Maiſtres excellens
& originaux ſont rares,
C'eſt ce qui fait croire queles
vrais Connoiffeurs ne feront
pas fachez d'eſtre avertis , que
M. Lorenzani a fait imprimer
depuis peu , à la follicitation
de ſes Amis , par le S. Chriſto
phe Ballard un Recueil de
pluſieurs de ſes Motets à une ,
deux , trois , quatre , cinq , &
fix parties , avec les ſimphonies
, le tout en onze volumes
dediez au Roy M. de Lorenzani
rempliſſoit à Rome avec
éclat la place de Maistre de la
Muſique des Jeſuites , fors
qu'on luy offrit celle de la Ca
GALANT .
225
thedrale de Mefline , bien plus
importante par ſa reputation ,
& par ſes revenus , qu'aucune
autre d'Italie. M. le Maréchal
de Vivonne , auſſi diſtingué
par fon eſprit & par fon bon
gouſt que par ſes grands Emplois
& par ſa naiſfance , qui
commandoit pour lors en Sicile
l'honora bien-toſt de ſon eſtime
& de ſa bienveillance , &
lors que ce Seigneur revinten
France , aprés les revolutions
de Meffine , il engagea M. de
Lorenzani à le ſuivre juſqu'à
Paris , avant que de retourner
à Rome , où la Maiſtriſe de
S. Pierre lay eſtoit offerte. Il
le conduifit à la Cour , & le
• preſenta au Roy , auquel il fie
entendredes Motets &des Airs
Italiens de ſa compoſition,dont
Sa Majeſté parut fi contente ,
Y
226 MERCURE
qu'Elle cut la bonté de luy faire
dire, que s'il vouloit demeurer
en France, Elleauroit ſoin
de ſa fortune. Ces paroles furentbien-
toſt ſuivies d'unPrefent
confiderable , pour luy
faire acheter de M. Boiffet la
Chargede Maistre de la Mufique
de la feuë Reine , qu'il a
exercée juſqu'à la mort de cette
Princeſſe.
Monfieur partit le 28. de ce
mois pour ſe rendre à Vitré en
Bretagne , afin d'eſtre à portée
pourdonner ſesordres fur toutes
les Côtes. Son A. R. alla
coucher le même jour à Breffoles
, le 29. à Alençon , le 30.
àMayenne,& le 31. àVitre.On
"écritde Brest que toutes lesCôtes
voiſines ſont en bon estat ,
&bien garnies de Canons c
de Bombes , avec de bons retranchemens
, ce qui les rend
*
GALANT.
227
hors d'inſulte ,& met les Peuples
dans une fi grande ſeureté
, qu'ils fouhaitent d'eſtre at
taquez; de forte que n'ayant
pointbeſoinde Vaiſſeaux pour
leur défenſe , noftre Arméc
Navale pourra caufer de grandes
inquietudes aux Ennemis,
L'Eſcadre deRochefort , commandée
par M. deGabaret , arrivale
15. de ce mois en rade
à Breft , forte de ving cinq
Voiles. Parmy ces Vaiſſeaux
ily en a feize de Ligne; le furplus,
ce fontBrulots & Fregates.
L'Eole du Havre , & le
Prompt de Dunquerque , eftoient
arrivez deux jours auparavant
, ainſi que le Capitaine
Bart avec l'Alcion. On tira
le coup de partance le 21. &
l'on fit les fignaux ordinaires
pour appareiller , mais le vent
K 4
28 MERCURE
s'eſtant rafraîchi , & ayane
changé tout à coup , on fut
obligé de démeurer. Ainfi on
n'attend que le moment favo
rable pour mettre à la voile,
M. de Chaſteaurenault comcommande
l'Avantgarde . II
porte Pavillon d'Amiral blanc
bleu , & a pour Matelots M.
d'Amblimont , Chefd'Efcadre ,
&M.le Comte de la Galiſfonniere.
M. le Marquis de Némond
eſt Vice. Amiral de la
mefme Divifion ,& M. de Relingue
qui monte Admirable ,
en eſtContre Amirah
M. le Maréchal de Tour
ville commande le Corps de
Bataille. Il eſt Amiral General
à fon ordinaire , ou fi vous
voulez, Amiral blanc . M. le
Chevalierde Coëtlogon , &
M. du Maigniou , tous deux
GALANT.
229
Chefs d'Eſcadre , ſont ſes Matelots.
Ce dernier montel' Am
bitieux, qui a eſté fait à Rochefort.
M.de Villette eſt ſon Vice
Amiral . Ses Matelots font M.
de Larteloir , & M. Belifle
Erard. M. Langeron eſt Contre
Amiral , & a pour Matelots
M. de Combes, & M. du Chalard.
Pour l'Arriere-garde , elle
eſt commandée par M de Gabaret
, qui monte le Victorieux.
Il eſt Amiral bleu . Ses Matelots
fontM. de Machaut , & M.de
Beaujeu. M. Pannetier eſt Vi--
ce-Amiral bleu , & M. leChev.
d'Infreville , Contre Amiral...
Toute l'Armée est composée
de trois Diviſions , que chaque
Amiral commande. Chaque
Diviſion l'eſt de trois Eſcadres,
commandées par les Vice-
KS
230.
MERCURE
Amiraux & par les Contre-
Amiraux , & chaque Eſcadre
de huit Vaiſſeaux , ce qui fait
en tout foixante & onze Navires
deguerre. Chaque Eſcadre
a trois Brulots ,, qui doivent
tonjours ſetenir par ſon travers
à la portée du Canon , afin
d'obſerver quand on leur fait
ſignal d'abordage.
tre cela vingt Baſtimens de
charge , qui fervent d'Hôpitaux
& de Magaſins. Le 24. la
Flotemit à la voile.
yajou-
L'Armée que Mile Maréchal
de Lorge commande en Allemagne
s'eſtant affemblée à la
Petite Hollande , paſſa le Rhin
le 16 & le 17.& ſe trouva forte
de cinquante& un mille trois
cens trente combattans . Le 18 .
elle campa à Hot , d'où elle:
partit le 19. aprés s'eſtre ſepar
GALANT.
231
rée en deux Corps , dontl'un
de trente mille hommes ſous
les ordres de Mrs les Maréchaux
de Lorge & de Choifeuil
a paſſé les Montagnes , &
J'autre de vingt mille artiva le
mêmejourdevantHeidelberg
&l'inveſtit. Mrsde Chamilly
& de Vaubecourt commandent
à ce Siege. La Tranchée
futconverte la nuit du 21. au
22. parle premier & troifiéme
Bataillonde Picardie, commandez
par M. le Prince d'Epinoy,
qui en eſt Colonel. Il y a une
fauſſe attaque , où la Tranchée
fotouverte par le ſecond Bataillon
de Picardie. Les Ennemis
tirerent beaucoup , mais
avec peu d'effet . On croitqu'il
ya environ trois millehommes
dans la Place. Elle ne manque
de rien , eſtant un des Maga-
K6
3232
MERCURE
zins de l'Armée ennemie. Cer
te Place eſt ſituée entre deux
montagnes , l'accés en eſt difficile
, mais elle eſt fort commandée...
Le Traité de M. de Savoye
avec les Princes liguez ,devant
expirer au dernier de Juin,ils le
preſſent de le renouveller en
luy faiſant des inſtances , qui
vont juſques à l'importunité ;
mais ce Prince fçachant par experience
qu'il eſt dangereux
d'aller trop vîte en de certaines
affaires, veut voir quels avantages
les Alliez remporteront fur-
-lesFrançois au commencement
de la Campagne,& ce que pro--
duira la Deſcente dont le Prince
d'Orange l'a fait affurer.
D'ailleurs, loin que l'Empereur
aittenu ſa parole en lui envoyat
un renfort de dix mille Alle--
GALANT.
233
र
mands, il n'a pas ſeulement envoyé
de Recruës pour ceux qui
doivent ſervir cette année en
Piedmont, où le Ducde Savoye
ne veut point qu'elles entrent
avant le 20.de Juin. La Fievre
a repris à ce Prince ſelon les
dernieres nouvelles :
Les Vents contraires ayant
empêché le départ de nosVaifſeaux
& de nos Galeres , je ne
puis rien vous apprendre du
Siege de Rofe.
&
Quoy que je vous aye déja
parle du Siege de Heidelberg ,
je dois ajoûter icy que le quartier
general eſt à Rohrbuen,
que les Troupes s'étendront
depuis VVofsbrun juſques à
VViblingen. Le Pont de communication
au deſſus de la Ville
fut achevé le 21. Le Pont de
Bateaux de la Place a été rom34
MERCURE
pu, ſoit par une de nos Batteries
, qui le voyoient à revers ,
foit que les Affiegez l'ayent
rompu eux- mêmes.M.deMelac
occupe les hauteurs en deçà du
Neker,au deſſus du Chaſteau ,
avec dix neuf Bataillons , cinq
cens Dragons,& quelques pieces
deCanon. Ils'eſt rendu maî--
tred'une Redoute que les Ennemis
n'ont pas défenduë , &
qui voyoit à revers les Ouvrages
de la Place. On a mis auffi
une Batterie de fix pieces de
l'autre côté. M.de Lorge a auſſi
étably un poſte dans l'Abbaye
deNeubourgaudelà duNeker..
La Tranchée a eſté ouverte du
côté du petit front des Ouvragesde
terre du Fauxboug.Nous
avons de ce côté- là une Batte--
rie de dix pieces de Canon ,
quibat la Redoute de l'Etoile ,
1
GALANT. 235
qui eſt ſur la hauteur à mi côte
du coſté de l'attaque.
L'Armée du Roy qui eſtoit
campée ſous Tournay , décam.
pa le 27. Elle eft compofée de
cinquante deux Bataillons , qui
font 31200. Fantaffins , &
de 117. Eſcadrons , qui font
17550.chevaux,le tout,48.750
hommes.Le 26.au matin, M.le
Maréchal de Bouflers avoit or .
donné qu'on priſt du pain pour
cinq jours,& avoit fait dire à la
Cavalerie de ne point s'embaraffer
s'il n'y avoit pas beaucoup
de fourage dans le Camp. On a
fait cuire du pain pour vingt
joursdans toutes les Villes fron
tieres. Pour empécher qu'ilne
ſe gâte,on le laiſſe dans le four
tine heure plus qu'à l'ordinaire,
&afin que la longueur de la
cuiffon n'y cauſe pas dedimi
236 MERCVRE
nution , la ration eft augmen
tée d'une once. Il n'y a point de
Ville ennemie qui ne croyeque
l'orage va fondre ſur elle. Les
Payſans ſe ſont engagez de
fournir au Roy cinq mille deux
censtrente deux chariots . L'Armée
de M. de Luxembourg eſt
de foixante & dix huit Bataillons
, qui font 46800. Fantaſfins
, & de 161. Eſcadrons,qui
font 24150. Chevaux, le tout
70930. hommes. Total desAr
mées 119700. hommes.
Aprés vous avoir fait le détail
du Siege d'Heidelberg , je
croy vous faire plaifir d'ajoûter
icy une ample Relation de la
priſe de cette Place. Les Affiegeans
s'eſtant apperçus que les
Ennemis faifoient beaucoup de
mouvement dans le Fauxbourg
de Spire , parce qu'ils y
GALANT .
237
eſtoient enveloppez , & qu'y
eſtant vus à revers , ils estoient
batus de tous coſtez , reſolurent
de les attaquer . Le deſſein des
Ennemis estoit de ſe retirer
dans la Ville , & d'abandonner
entierement le Faux bourg .
mais ſe voyant attaquez bruf.
quement , & eftant encore trop
éloignez de la Ville pour s'y
pouvoir jetter ſans eſtre ſuivis
de trop prés & deffairs avant
que d'avoir pû gagner la Porte ,
ils vouluret reprendre lesPoftes
qu'ils commençoient à quitter,
mais nos Troupes s'avancerent
avec tant de precipitation &
d'ardeur , qu'ils ne purent executer
leur deffein , de forte
que le defordre ſe mit parmy
ces malheureux , qui voyant
fondre ſureux un fi grand &
fi prompt orage, furent obligez
238 MERCURE
de gagner la Porte de la Ville,
en effuyant le feu & les coups
de nosgens.lt eſt auſe de juger
qu'ils estoient fuivis de fort
prés , & qu'ils perdirent beaucoup
de monde en cette occa
fion.Cependant,comme ils ſças
voientmieux le chemin de la
porte, & qu'ils n'eſtorent occupez
qu'a fuir, au lieu que les
noſtres perdoient quelques
momens à tuer en le pourſui,
vant ,ils eurent le temps d'en,
trer , & de fermer la porte de
la Ville, avant que nos gens y
arrivaffent . Les Grenadiers de
Picardie l'enfoncerent avec
leurs Haches ,& ce qui doit
paroiſtre difficileà croire, elle
fut enfoncée en ſi peu de temps,
que les Ennemis qui n'avoient
encore pû gagner le Château
furent joints par nos Trouppess
ブ
GALANT.
239
elles les ſuivirent en tuant toû
jours juſques à la porte du
Chaſteau. Les premiers entrerent
, mais les Ennemis s'étant
apperçus , que nos Troupes les
fuivolent, fermerent la porte
de peur qu'elles n'entraffent
avecleurs gens ,& en facrificrent
environ fix cens cinquan
ze. Les noſtres en toerent plus
de deux cens,pendant le temps
de cette marche ,& à la porte
m.fme du Chasteau , le reſte
qui montoit à environ quatre
cens quarante, fut enfermé par
nos gens dans une Eglife.Comme
il fallut deſcendre du Chafzeau
àdécouvert ,&que les Ennemis
tirerent beaucoup,nous
perdîmes vingt hommes,parmy
leſquels il y eut un Capitaine
de Picardie tué ,&un Lieutenant
nommé Baffillac , dange240
MERCVRE
reuſement bleffé . Pendant que
ces choſes ſe paſſfoient , les
Troupes qui estoient à la fauffe
attaque , entrerent dans la Ville,
&M. de Melac qui commandoitdu
coſté du Fort de l'Etoile
s'en rendit auffi maiſtre , de
forte que nos Troupes eſtant
entrées par trois endroits dans
la Place, s'y trouverent au nom
brede plus de trente mille hom
mes. La confuſion alla ſi loin ,
qu'il fut impoſſible d'empêcher
le pillage de la Ville.. Les Of--
ficiers Generaux firent neanmoins
tous leurs efforts pour la
ſauver , mais dans un fi grandi
deſordre il s'en fallut beaucoup
qu'ils n'obtinffent tout ce qu'ils
fouhaitoient. Le Gouverneur
du Chaſteau attentifà ce qui ſe
paffoit , & craignant d'avoir,
une deſtinée pareille à celle de
GALANT.
241
la Ville , envoya un Capucin
pour faire des propoſitions à M.
de Lorges. Ce Maréchal qui avoit
fon but , le retint le plus
qu'il luy fut poffible, & le renvoya
fans luy rien accorder. Le
Gouverneur demandoit à écrire
au Prince de Bade l'état oùil
ſe trouvoit,parce que ce Prince
luy avoit ordonné de ſe défendre
juſqu'à la derniere extrêmité
. Le Gouverneur inquiet
de n'avoir rien obtenu,renvoya
leCapucin mais ſa negociation
ne fut pas plus heureuſe que la
précedente . M. de Lorges qui
vouloit gagner du tems,envoya
unOfficier avec ce Religieux ,&
dans l'entretien qu'ils eurent avec
leGouverneurdu Château,
il lui fit preſſétir que s'il renvoyoit
un Offisier avec le Capucin,
les choſes ſe pourroient ac
242
MERCVRE
commoder. Le Gouverneur le
crut , & envoya un Officier general.
Ils furent quelque tems à
trouver M. de Lorges , qui ne
voulant rien conclure ſi-toſt ,
eſtoit allé exprés donner des
ordres dans la Ville. Cette
troifiéme entre -veuë ne réuſſit
pas mieux que les deux premieres
pour le Gouverneur ;
& enfin Mr de Lorges eſtant
venu à bout de ce qu'il avoit
projecté ,& les Mortiers & les
Canons eſtant en eſtat par les
foins de M de la Frezeliere ,
qui avoit fait une diligence
extrême , il dit à M. Deſalleurs
de remener les Deputez , & de
leur faire voir en paſſant les
Batteries de Bombes & de Mortiers
, ce qui eut tout l'effet
que ceMaréchal s'eſtoit propoſe
, car ils n'eurent pas plûtoſt
GALANT .
243
fait leur rapport au Gouverneur
, qu'il accepta la capitulation
que M. de Lorges luy
avoit propoſee , à l'exception
d'une porte qu'il ne voulut pas
livrer le ſoir , craignant que le
Chaſteau ne fuſt pillé , comme
la Ville l'avoit eſté , ainſi la
Garniſon fortit au nombre de
1800. hommes. On peut connouſtre
par là qu'elle devoit
avoir eſté fort nombreuſe, puis
qu'onenavoit tué beaucoup à
l'attaque du Faux-bourg , & à
la pourfute juſques au Chateau
, & qu'il reſtoit encore
environcent quarante Priſonniers
. Ils avoient mis le feu aux
deux Clochers de la grande
Eglife , où ils eſtoient enfer
mez & ce feu s'eſtantcommu-
- niqué à la Vule,ilen conſuma
une partie,malgré tout cequ'on
رک
244
MERCVRE
fit pour l'éteindre. On garanti
deux grands Magaſins de faripes
& on a trouvé sooo.grenades
chargées, 1000. bombes&
40000.milliers de poudre,avec
du plomb à proportion, 12.pieces
deCanon de fonte,& dix de
fer, & un Pont de Bateaux que
l'on a envoyé à Philisbourg .M.
de la Frezeliere dit que c'eſt le
plus bel ouvrage qu'on ait encore
vû de cette nature. Ainfi
Heidelberg , qu'on fortifioit
depuis trois ans , & dont les
Ennemis avoient fait un de
leurs principaux Magaſins , a
eſté pris en vingt heures de
Tranchée , & fans qu'on y ait
perdu plus de vingt hommes ,
quoy quele General Soyer ſe
fuſt jeué dans laPlace pourla
défendre , & que le Prince de
Bade fuſt depuis plus de deux
mois ſur le Rhin à mettre toutes
GALANT. 245
そ
ces choſes en estat , pour ouvrir
la Campagne avant nous , &
avec des Troupes plus nombreuſes.
Mr le Comte d'Eſtrées partit
deToulon le 14.avec 21.Vaifſeaux
de Ligne; il devoit eſtre
ſuivi de quelques autres , & de
trente-cinq Galeres.
Mr de Savoye demande aux
Eſpagnols qu'ils lay remettend
: entre les mains deux des meil.
leures Places du Milanois ,avant
que de renouveller de Traité ,
pour nantiſſement de la promeſſequ'ils
luy font de le rétablir
dans ſes Etats , afin que ces
Places luy demeurent , en cas
qu'ils ne puiſſent tenir leur parole.
Pour rendre la Relation dela
priſe de Heidelberg complete ,
je vous diray que l'on avoic
May 1693.
L
146 MERCURE
pouffé la Tranchée juſqu'a
700. pas ; que Mr le Prince
d'Epinoy , Colonelde Picardie,
eſtoit à la teſte des Bataillons
de ce Regiment , qui l'ouvri
rent; que tien n'égale l'ardeur
des Troupes qui arracherent
les Paliſſades duFaubourg,quoy
que tres bonnes ; que les Gre
nadiers enfoncerent la porte de
la Ville à coup dehaches , parcequ'ils
n'avoient pas laillé le
semps aux Ennemis de lever le
Pont levis , que l'on avoit enfermé
beaucoup de Femmes
dans l'Eglife , pourles ſauver de
la fureur du Soldat qui prend
une Ville d'aſſaut , & qu'on
Capitaine nommé Bois-Robert
fit unetres-belle action , eſtant
entré dans la Ville du coſté du
Fort l'Etoile avec 60. hommes
ſeulement , & ayant pris deux
1
GALANT.
247
Drapeaux à ceux qui la gardoient
de ce coſte-là , après les
avoirbattus.
Je ne vous dis rien du Roy.
Il garde le filence , & je metais
j'auray bien-toft plus de peine
à le ſuivre qu'à me taire. Sa
Majesté eſt partie du Qefnoy ,
pour l'execution de l'entreprife
que perſonne n'a pu encore
deviner.
Ieremets au mois prochain
àvous parler de la mort de Madame
de la Fayette , &de M.
Maulevrier Colbert. Ic fuis ,
Madame , &c.
AParis ce 31. May 1693 .
TABLE.
Rehude.
SonnetauRoy. 2
Epijive en Vers. 4
Lettre surune nouvelledécouverte,
-quiregardelasanté. 14
Embarras d'une Belle , Fragment
d'histoire. 29
Vers allegoriques de Mademoiselle
des Houlieres.
40
Articlefort extraordinaire. 43
Prodige. 47
Dialogue. 49
Sonnet.
SI
LaBaguette.
Lettre écrite de Saumur concernant
Disputesur l'eau sur le vin. 75
Elogefunebre de M. Peliſſon , prononcéàl'
AcademiedeToulouse.87
Réponse au Livreintitulé, Lettres.
53
TABLE.
qui découvrent l'illufion des
Philofophes ſur laBaguette ,&&
qui détruiſent leurs ſyſtemes.
Nouvelles d'Alger.
101
140
Actions de graces rendues à Diew
par les Chevaliers Hofpitaliers
du S. Effprit . 143
Eloge duRoy ,prononcé àS.Germain
en-Laye.
145
Pompe funebre de Mademoiselle
d'Orleans,faite àS. Denis ,avec
L'invitationfaite aux Compagnies
Superieures , autres , & la
description du Mausolée. 150
Service fait à Honfleurpour lame
me Princesse. 169
Sonnet. 170
RemedescontrelaMedisance. 173
Service fait à Soiffons. 174
Article touchant la creation
institution de l'Ordre de S.Lonis.
7
$ 176
TABLE.
Morts. 188
Traduction en vers des Satyres de
Iuvenal, 209
Present fait au RoyparM.leNofctre
2417
Belle action deM. le Marquis de
Vins
213
Mariages, 215
Article des Enigmes.
i
220
Trintemps nouveau. 221
RecueildesMotets deM.de Loren
Zani. 222
Départ de Monfieur. 226
Etat de la Flote duRoy. 228
Siege d'Heidelberg. 230
1
Nouvelles dePiedmont. 232
Détailde cequi s'eſtpafféàla prise
d'Heidelberg. 233
Départ de Mr. le Comte d'Estrées
deToulon.
Nouvelles de divers endroits. 235
Mort deMadame de la Fayette.
THELVE
234
L
de la Table.
*
1893
MERCURE
GALANT.
DEDIE A MONSEIGNEUR
DE LEVILGE
LE DAUPHIN
ΜΑΥ 169
BLIO
LYON
*
1893*
A LYON,
Chez THOMAS AMAULRY,
ruë Merciere au Mercure Galant.
M. DC. XCIII.
Avec Privilege du Roys.
LE LIBRAIRE
au Lecteur :
La paru pluſieurs Chymies, mais
celle que vous recevrez de Michel
Ettmhuller est raisonnée le
nomde l' Autheur lesçavoir du
Traducteur vous fait affez connoi
tre qu'il n'y a rien eu jusqu'à aujourd'huy
de fi utile au Public,le
mois prochain vous avezles Instituts
traduits..
LIVRES NOUVEAUX
duMois de May 1 693 .
La nouvelle Chimie Medicale &
raiſonnée du Savant Michel Ettmhuller,
indouze 30. fols.
Agrément du chagrin du Mariage
indouze,45. fols..
22
Medecin à la Mode , indouze 30. f.
Traité des moyens de rendre les Rivieres
navigables avec pluſieurs figu
res ,octavo 2. liv. Y
Nouvelles ou Memoires Hiſtoriques
par Madame la Comteffe d'Aunoy autheur
des Memoires d'Eſpagne, 2.vol ..
ind.4. liv.
Voyage d'Italie , ind. 32.f. tome 3 .
du Voyage de l'Europe , les deux premiers
tomes ſe trouvent pour 3. liv.
Methode de lever les Plans & les
Cartes de terre& de mer , ind. avec
des figures , 30. fols.
de Vul- La Comedie de la Baguette
cain avec les Chanſons , ind. 8.fols.
Concorde fur les Propheties de
Nostradamus avec les Explications ,,
ind. 45 .
Le Grandeur Comedie, ind.20.fols..
Le Muer , Comedie ind. 20. fols.
L'impromtu de Garniſon, ind . 20.f.
L'Opera de Village , ind. 15.fols .
Les Bourgeoiſes à la Mode,ind.20.f.
Le Cuiſinier Royal & Bourgeois qui
apprend à ordonner toutes fortes de
repas , indouze 35.fols.
Dialogue contre la Médiſance,ind..
20.fols.
MERCURE
TO THEQUE
DEC
BIBL
GALANT ( YON
ΜΑΥ 1693 .
May 1693 .
E Roy eſt ſi cher à
tous ſes Sujets , & fa
Perſonne ſacrée leur
eſt ſi confiderable, que
fi-toſt qu'ils entendent dire
que ce Prince ſe prépare à faire
quelque voyage, ils en prennent
de l'inquietude , par la
crainte que les fatigues où il
continue à s'expoſer pouc met
LYON
DE
E
*
1893*
2
MERCVRE
tre ſes Peuples à couvert des
menaces de la Ligue , n'alterent
cette ſanté précieuſe , qui
fait la felicité de ſes Etats.C'eſt
par ce motif de crainte,qui eſt
un fentiment general , que fait
naiſtre dans tous les coeurs le
zele reſpectueux que l'on a pour
ce Monarque, que M.Roubin ,
de l'Academie Royale d'Arles ,
a fait le Sonnet que vous allez
lire.
AU ROY.
Donneunpeu de relâche aux Fillesde
Memoire ,
LeParnaſſe pour toy na pas affez
d'Ouvriers ,
Etle nombre étonnant de tant d'exploits
guerriers ,
Laſſe les doctes mains qui tracent
tonHistoire.
GALAN T.
3
泰
Contentd'avoir centfois remporté la
victoire.
Contre tant d'Ennemis ſi puiſſans
三fifiers
Grand Prince , après avoir cueilly
tant de Lauriers ,
Paffe en repos tes jours dans le ſein
de lagloire.
Laiffe agir deſormais la valeur de
tonFils.
Partout ce jeune Marsvaincra comme
tufis ,
Ses fameux coups d'eſſay l'ont déja
fait connoiſire.
Tune dois plus chercher à fignaler
ton bras ,
Tagloire est àsoncomble , &firien
peut l'accroifire ,
- C'est que ce Fils teſuive ,
Surtespas,
marche
1
A2
4
MERCURE
Vous ferez bien aiſe , ſans
doute , d'entendre encore parler
du Roy dans une Epiſtre
en Vers qui a eſté écrite ſur la
mort de M. Peliſſon , dont les
grandes qualitez vous étoient
connuës . Elle eſt de M. Betouland
, qui a eſté approuvé
'de tout le monde dans la juftice
qu'il a renduë à cet illuftreDéfunt.
***********
AMADEMOISELLE
DE SCUDERY.
ve ne puis je au lieu d'ancre
écrire avec des pleurs !
Mes larmes vous peindroient mes
fenfibles douleurs ,
Et vous verriez , SAPHO , ma
trifteffe mortelle
}
GALANT.
S
Meſlée avec le nom de nostre Amy
fidelle.
Helas ! nous leperdons ,&Peliffon
n'estplus.
Vosregrets les miens maintenans
Luverflus
Nesçauroient l'arracheràlaParque
inflexible ,
Et c'est le feul miracle àvos mains
impoßible.
Si la Religion , si l'honneur , fi
Themis ;
Si la rare Vertu qui luy fit tant
d'Amis;
Si la Cour d'Apollon , fil' Esprit,
filaGloire ,
Qui fuit les Favoris des Fillesde
Memoire
Pouvoient sejoindre ànous pourluy
rendre le jour ,
Et d'une Ombrequi fuit procurerle
retour ,
Vainqueurdesfroids Cyprés qui cou-
1
prirentSa bière
A 3
6 MERCURE
Bien-toft ce cher Amy reverroit la
lumiere.
Maisque nous fert l'ardeurde ces
voeux impuifſfans ,
Etqu'avez- vouspour luy qu'un peu
defoible encens ,
Quiſemeſlant au bruit que fait la
Renommée ,
Exhale aprês les Morts un reste de
fumée ?
C'estpar làſeulement que nous pouvonsguerir
La bleſſure du coeur toujours preſte
à s'ouvrir ,
Quand d'un Amy qui fut l'ornement
de nostre âge
Nousnous traçons encor une lugubre
LesMuſes dont ilfut fi tendrement
Image.
chery ,
De leur plus pur Nectar l'avoient
d'abord nourry.
Pindare,Anacreon dansvostre Cour
galante
GALANT .
7
e
Brillerent tour à tourſous l'heureux
nomd Acante.
Homere en safaveur reprenant le
pinceau
Yvint d Eurimedon * acheverle Ta
bleau:
Mais des Cygnes fameux abandonnant
la place ,
Et s'élevant depuis plus haut que le
Parnasse ,
EnAigle qui voloit dans leſein
du Soleil, 1
Et qui s'y rempliſſoit defon feu
fans pareil ,
Il joignoit seulement àfon culte
fidelle
Denosfacrez Autels la défense
immortelle
t Ce n'estoit plus l'Erreurfuccée avec
lelait;
t Cemonstre enfon esprit fincerement
défait ,
* Poëme faitdans laBaſtille.
A 4
8 MERCVRE
Eftoit grace à la Foy,grace ausça
voirfublime ,
DesSaintes Veritezdevenulavicti
me.
Sapho , vous lesçavez, voussçabezencor
,
Vous qui defon eſprit vistes lenoble
effor ;
Qu'après Dieu qu'ilfervoit d'une
ardeurficonstante fi
LOVIS ſeul fut l'objet desa plume
éloquente.
Veiller pour le montrer au siècles à
venir,
Telqu'à peine nosyeux le peuvent
Soutenir ;
Vnirtous les rayons qui compoſent
Sagloire
Pour la mettre endépost au Temple
de Memoire ;
Le peindre environne d'heroïques
vertus ,
D'Ennemisfubjuguez, de Monstres
abbattus
1
1
GALAN T.
9
Et demêler enfin cettefageffe im .
menfe
Qui de tout l'Univers fait triompherla
France,
Furent les dignesfoins de nostre il
lustre Amy ,
Qui pour ce grand Tableau qu'il
n'afait qu'àdemy ,
Et dont laseule ébauche étonnera
l'Envie,
Helas ! devoit encor avoir mille ans
devie.
Maisfon esprit formé de tant d'efpritsdivers
,
Admirable en Histoire,en Eloges,
en Vers,
En Lettres , en Morale épurée
choifie
En foudres pleins d'éclairs qui frapoient
l'Herefe ,
Pouvoit-il égaler fon cooeur fi genereux
;
Si grand pourses Amis heureux ou
malheureux ,
i.
:
AS
JO MERCURE
Si plein de probité , d'égalité con
stante ,
D'équité, de candeur,de bontébienfaisante?
Homme du fiecle d'or qui vivoit
parmy nous ,
On ne voyoit chez luy ny l'indigne
couroux ,
Ny l'attrait des plaisirs,ny l'amour
des richesses,
Ny l'oubly des bienfaits , ny les laches
adresses ,
Ny lasecrete envie à l'oeil plein de
poison
D'un venin dangereux infecterSa
raison.
Il ſembloit que le Ciel, pourformer
Sa belle Ame,
De quelque Aſtre brillant eut em.
pruntéSa flame ;
Mais cet Aftre,Sapho ,s'est éteint à
nos yeux ,
Il s'est perdu pour nous dans l'efface
des Cieux..
GALANT. II
Comme on peut toutefois juſquedans
l'Empyrée ,
Et dans lesvastes champs de la vou
te azurée,
Conſerver de la terre un souvenir
charmant ,
L'Image de LOVISl'y fuit incef-
Samment.
Ils'yretrace encor ce Heros magno
nime
Lecomblant de bontez , luy donnant
Son eſtime ,
Honneur qu'ilpréferoit auxplus riches
trefors
Et qui ſçait le touchermême aufe
jourdesMorts.
Abs'ilpouvoit außi,malgré la loy
preſcrite,
Revenirſur la terre honorer le merite
,
autour de vous
Sapho , bien- toft fon Ombre errante
Revoleroit auxfoins qui luy furent
Lidoux
1
A 6
22 MERCVRE
Il reviendroit bientoſt environné de
gloire
Louer vostre courage à sauver sa
memoire ,
A le défendre encor jusqu'au sein
du tombeau ,
Et de laverité lui prestant leflam.
beau
Diffiper l'imposture ſes noires te
nebres
,,
Qui vouloient offuſquer des vertus
fi celebres.
Illuftres Succeſſeurs * des Scavans
qu'il a peints
Et qui semblent toujours animezpar
Ses mains
د
Vous, genereux Rivaux , dont l'art
noble fublime
Sçait graver en traits d'or vostre éclatante
estime ,
Lui refuſerez vous ces marbres éter
nels,
* Metfieurs de l'Academie Françoiſe ,
GALANT. 13
Où vous fauvez les noms des plus
fameux Mortels ?
Four moi , fi je pouvois avec la main
desGraces
De vostre heureux burin suivre à
mon tour les traces ,
Au lieu de me livrer enproye àmes
douleurs ,
Si je pouvois tarir lesfources de mes
pleurs ,
Vous me verriezbien-toft, dans l'ardeur
de mon zele ,
Essayer d'imiter vostre adresse im
mortelle,
Mais qui pourra, Sapho,vous égaler
jamais ,
Dés que vous fufpendrezle cours de
vos regrets?
Pelliſſon par iſtra vivant &plein
degloire ,
Sous les plus verts lauriers des Fil.
les deMemoire,
Quand vous r -ffemblerezparvostre
art fans pareil
14
MERCURE
Mille rayons plus purs que tous ceux
du Soleil ,
Pour peindre cet Ami, qui brillant
de lumiere
D'une trace d'éclairs a remplifa
carriere.
Comme vous aimez les nouvelles
découvertes,& fur tout
lors qu'elles regardent la ſanté,
je croy que la Lettre qui ſuit
vous fera plaiſir.
A MONSIEUR ...
L'Eau de laRouffelle, dont vous
avez oüi parler , & dont ,
Monfieur, vous me demandez une
Relation particuliere , est une Eau
minerale de Bordeaux , quifut decouverte
ily a quelques années. Il
GALANT.
arriva dans le Siecle paßé l'an
1594.que M.Donſeau ,Lieutenant
Particulierdu Senechalde Guyenne,
fit tirerde la pierre hors de la Ville,
dans un champ qui étoit à luy. Il
ne cherchoit que de la pierre pour
bastir , ses Manoeuvres trouverent
à trois piedsde profondeur trois
grandes Statues de marbre , belles
antiques. L'une de ces troisStatuës
paſſe pour être celle de Meffaline
, Femme de l'Empereur Clau
dius. L'eau mineralede laRouffet
le fut découverte de même , lors
qu'ony pensoit le moins . Ily a de
l'apparence que c'est celle dont parle
Ausone dans la description qu'il a
faite en Vers Latins de la Ville de
Bordeaux , SaPatrie.
Salve urbis Genius , medico
potabilis hauſtu .
Ie vous faluë , Genie falutaire
de la Ville , qui nous donnez
16 MERCVRE
-
à
des remedes dans les eaux que
T'on y prend, rar enfin il n'y a
point dans la Ville d'autre Esu mi -
nerale que celle de laRouffelle.Les
ruines effroyables que l'invasion des
Gots , celle des Sarrafins , cauferent
à la Ville de Bordeaux ,
la campagne , avoient enterré dans
leur chaos les Statues Romaines,
il n'y eut que l'occaſion particuliere
de tirer de la pierre pour bastir, qui
les releva de leur tombeau. Cette
même d'ſolation avoit comblé le lit
les conduits publics de l'Eau minerale
dont je vous écris, & en avoit
fait perdre la communication. L'uſages'en
est recouvré par accident.
Le Sieur Bergeron , Bourgeois
Marchand de Bordeaux, s'ennusant
d'aller toujours demander de leaud
Ses Voisins , forma le deffein d'avoir
un puits dans sa maison , fituée
dans une ruë qui se nomme la
GALANT. 17
Rouffelle. Comme cette maison eft
étroite ,&qu'elle est refferrée dans
un petit terrain , il ne se trouva
point de lieu propre pour faire le
puitsquedans la cave. Il fit tra
vailler , après avoir fait tirer
des terres dans la profondeur d'environ
trois broffes , on rencontra un
rocher durépais , qui arresta
quelques jours les Ouvriers parce
qu'ils ne croyoient pas pouvoir furmonter
cet obstacle, qu'ils n'avoient
fait leur marché que pour
creuser un puits dans un fond tout
de terre. Le Marchand qui vouloit
ſeſatisfaire avoir un nuits cher
- luy à quelque prix que ce fuft, les
paya pour travailler dans le rocher.
Il parut d'abord une choſe ſurprenante.
En coupant le rocher il enfortit
dufeu , Elementfort opposé à celuy
- de l'eau que l'on cherch it . Ce pouvoit
estre du soupbre enflamé qui
t
τ
18 MERCURE
r
cer dans
paſſa au travers des pores du rocher.
Enfin àforce de tailler & d'avance
rocher, on vit après une
ouverture de demi-br ſſe , Sourdre
tout d'un coup une eau claire , vive ,
d'un jetfaillant , gros de dix ou
douze pouces. Cette fource impetueuse
abondante , précedéepar
unphénomene de feu , fit penser
que cette eau étoit extraodinaire ,
donna lieu à obſerver exactement
les terres qu'on avoit oftées , dans
la présomption qu'il s'y pourroit
außi rencontrer quelque chose de
fingulier. En effet , il s'y trouvadu
Nitre en telle quantité , qu'on en
ramaſſa le poids d'environ quatre
livres. Tout cela joint ensemble, le
Nitrede la terre, le feu du rocher,
uneſourceſemblable à un petit
torrent , ne pouvoit que donner de
la réputation à ce puits , pour distinguerfon
eau particuliere de l'eau
GALANT.
F9
J
commune ; & pour la faire reconnoiſtre
une eau minerale , d'autant
plus qu'ellese trouva avoirungoust
piquant ,& d'unfel mineral. Cependant
cela même fut cauſe que
cette eau fut negligée durant un
affez long-temps , d'autant que le
puits n'ayant été entrepris que pour
- avoir de l'eau d'un usage domesti
que , celle-là ne s'y trouvantpas
propre,onla laiſſa ensevelie dansla.
caveSans's'enservir, comme une cau
qui étoit inutile ; mais la fuite a
bienfait changer desentiment . Le
hazard a fait connoistre qu'elle
étoit un doux purgatif , & d'un
usage fort commode avec unegran
de vertu , à peu prés comme dans
le douzième fiecle , l'AbbéBafile
Valentin , qui étoit un Chimiſte ,
e trouvant que l'Antimoine qu'il avoit
jetté à des pourceaux les avoit
purgez, engraissez , fut parlà
J
e
2
e
,
t
-
20
MERCVRE
de fe
inſtruit de la vertu de ce corps mi
neral , dont il publia ensuite le
grand secours que l'on en pouvoit
tirer, en le faisant entrer dans les
remedes. Il arriva de même que
deux Domestiques du Marchand
Bergeron aiant be quelques verres
de cette cu de laRouffelle dansles
chaleurs de 1 Esté , sans autre deffein
que de se rafraîchir
defalterer, en furent copieusement
purger,sans aurre ſuite que celle
d'en avoir une nouvelle vigueur,
une ſanté plus ferme dans lefervicede
leur Maistre. Cette rencontre
Jonna lieu à reconnoistre la proprieté
purgative de cette eau , & à
faire envie à plusieurs perſonnes de
l'effayer, den prendre dans le
besoin. Il n'est pas neceffrire que je
vous diſe , que ceux qui en ont fait
l'épreuves'enfont fort bien trouvez,
puis que je puis vous parler de ma
GALANT. 21
propre experience. I'ay un corps qui
a une furieuse antipathie pour les
remedes composezpar ordonnance de
Medecin ; ils me tourmentent ,نم
me cauſent des ſymptomes étranges.
Pour suppléer à leur défaut , depuis
que j'ay eu connoiſſance de cette
eau , j'en ay pris trois ou quatre
fois, elle m'a toujours faitdu bien,
& nulle peine. L'en bois une bou
teille de cing verres chaque fois. Ie
laiſſe quelque intervalle entre la
prise de chaque verre , pour pouvoir
faire un tourdans la chambre , au
quatrième verre elle commence à
me purger , . yant prisle cin
qui me , l'operation devient fi frequente
, qu'elle me purge jusqu'a
Sept à huit fois . Au bout d'une
heure & demie , à compterdepuis
la prise du premier verre ,tout est
fini.Le fors je vais dans la Ville
ois j'ay occafion d'aller , ayant la
22 MERCVRE
même liberté queſije n'avois rien
pris , car enfin , ce remede n'a point
l'embarras des autres qui se prennent
au lit , qui y font demeurer
toute la matinée, garder la chabre
tout le jour. Cette eau purgative
n'aſſujettit à rien de jemblable ,
on n'en est point retenu prisonnier
dans le lit dans la chambre , on
eft libre de fortir d'agir comme
les autres jours , quoi qu'il ſe ſoit
fait une évacuation confiderable
dans le corps. Eneffet , quelque action
qu'ait cette eau, elle opere d'une
maniere laplus commodedu monde,
sans rien faire souffrir de facheux
. Elle ne fatigue point elle ne
cauſe ni nausée, ni dégoust, ni tranchée
ni echereffe , ni laßitude , ni
foibleffe,ni chaleur dans la tête
dans les reins , ni aucunde ces symptomes
cruels accablans, quifont
ordinaires aux remedes mixtes ,
!
>
23
GALANT.
aux Medecines faites avec lesdroguesfi
ameres & fi dégoutantes du
Levant. Elle a un goust mineral
qui n'est pas agreable , mais cela
n'approche pas du gouft affreux du
Sené. Elle est si legere, qu'on ne la
fent point dans l'estomach. Elle est
-fifixe &fi inherente dans le corps
durantquelques momens poury agir,
le delivrer des humeurs peccantes
qui cauſent l'alteration de la
- Santé , & l'indifpofition de la per
Sonne , qu'elle se rend presque toute
- par lesgroſſes matieres , & fort peu
_ par les urines. Cette eau rafraîchit
en purgeant , au contraire des autres
remedes , qui ne purgent qu'en
échauffant. Elle abat les vapeurs
les dißipe. Elle guerit du mal
de teste , elle ofte les obstructions ,
elle empêche le ferment des fi'vres
intermittentes ; enfin elle détruit
La corruption maligne , & tout cela
24
MERCVRE
finit par une gayeté qu'elle laiffe
dans le corps ,d'avoirfurmonté
chaßé parson moyen tous les enne
mis de la fanté. On a voulu depuis
quelques années abreger la compofition
des Medecines medecinales ,
pour lesquelles tout le monde a une
borrible repugnance. On se contente
quelquefois d'infuser du sel
polycreste dans quelquesverres d'eau.
Cette eau de la Rouffelle est un re
mede encore plus abregé,puis qu'elle
contient en elle-même un fel purgatif,
un Polycreste naturel , où
T'homme n'a point de part ,
point mis la main , & oiù par con-
Sequent il n'y peut avoir de mépriſe,
& comme ondit en termes de
Pharmacie, de qui pro quo. Ilya
Seulement à obferver que chacun
doit sçavoirſa mesure , selon qu'on
est dur , ou qu'on est facile à estre
émů. Aux uns
n'a
comme à moy,
une
GALANT.
25
une bouteille de cingverres suffira
pour avoir tout son effet. Il y en a
àqui il en faudra moins , & d'autres
à qui il en faudra davantage.
Pour trouver la mesure que chacun
doit prendre de cette eau , il faut
ceffer d'en prendre dés qu'elle com.
mence à purger un peu fort , &au
contraire , il faut continuer d'en
prendre jusqu'à ce qu'elle ait une
operation aßezfenſible. Il ne faut
pas omettre que ceite eau est encore
d'une grande commodité pour les
Lavemens, c'estune décoction toute
faite & toûjours prête. Ilfaut la
faire chauffer un peu plus que tiede,
pour mettreſes parties en mouvement
; elle fait après son effer
par une éjection aisée abondan .
te des impuretez großieres. L'ai oüi
dire que feu M. de la Closure, trescelebre
Medecin , & fort connu
dans toute la France , approuvoit
May 1693 .
B
26 MERCURE
dont le
fort l'usage de cette eau , & que se
trouvant à Bordeaux , il conſeilla à
une Dame du Parlement , qui en
fait un usage affez frequent ,
qui en est toujourssoulagée , de continuer
d'en prendre , & d'en faire
fon remede principal. Ie ne doute
point que tous ceux de la même Faculté
qui voudront ſe donner la pei
ne d'examiner cette cau ,
fel est le Nitre , & de la confiderer
dans ses effets merveilleux , n'en
jugent außi avantageusement. S'il
y a quelque chose qui manque à
cette eau pour avoir la vogue des
autres , c'est qu'elle n'est pas encore
affez connue . Elle n'a pas eul'a-
Vantage des autres Eaux minerales
de France , qui ont été obſervées fur
les lieux par des personnes envoyées
exprés dans les Provinces, qui enont
tiré lesfels , & qui en ont rendu
compte dans des Traitez publics ,
GALAN T.
27
S
5
S
t
ร
2
qui font imprimer. Comme l'eau de
laRouffelle n'étoit pas alors découverte
, elle n'est pas encore compriſe
dans les Memoires des Eaux
minerales de ce Royaume.Deplus,
cette eau , quoy qu'un rocher foit
Son urne, a un dehors obscur. Elle
afon fond revêtu de la figure d'un
puits ; elle est enfoncée &cachée
dans une cave , &dans la maison
d'un Bourgeois , qui ne s'est point
mis autrement en peine de la faire
valoir, &quise contente d'enfaire
donnerliberalement à ceux qui en
envoyent chercher. Cette eauferoit
plusde bruit ,fi elle avoit un autre
fortune autre apparence. Qu'on
luy donne au lieu de la figure d'un
puits , le baßin d'une fontaine ;
qu'on la tire du cachot d'une cave ,
qu'on luy fafſfe une place publique
ſpacieuse, dégagée des édi
fices ,&des maisons ; qu'elleSoit
B 2
28 MERCURE
bien bâtie comme la Fontaine
qu'Aufone celebre dansses Vers ;
qu'ony plante de même de beaux
arbres àl'entour ; qu'on luy ofte fon
nom vulgaire de Rouffelle tiré de
cette ruë , étroite , obscure ,&qui
n'eſt habitée par aucune perſonne
4
de condition , & qu'on luy donne
un nom noble apparent , comme
fait Aufone àsa Fontaine , qu'il
appelle Divone en Langue Celti .
que , c'est à dire Divine ; un femblable
exterieur fera un grand relief
à cette Eau minerale , pour la
faire connoistre dans ses qualitez
dans sa vertu , pour répandre le
bruit la réputation desa découverte
& de son origine ,
pourfaire parler des Eaux de Bordeaux,
comme lon parle des Eaux
de Forges , de Bourbon , &c. Pour
moy , dans l'état present où est cette
Eau , dépourvûë de ces choses exGALANT.
29
-
-
terieures qui imposent aux Peuples
par leur éclat ,j'en fais une eftime
extraordinaire , étant penetre de
l'experience defes bons &falutaires
effets. Ie luy applique l'Eloge
qu'Horace donne àſa Fontaine ,
dans ſon Epiſtre à Quintus,
Infirmo capiti fluit utilis ,
utilis alvo.
L'eau de ma Fontaine , dit- il,
eſt admirable pour guerir le
mal de tête , & pour rendre les
entrailles toûjours faines. Ces
deux articles fi confiderables , ſçavoir
la teste & les entrailles ,104-
jours en bon estat , font des fondemens
Solides pour soutenir une
grande santé , & pour faire une
longue vie.
Y
e
Je ſuis prié , Madame , de
vous demander votre ſentiment
& celuy de vos Amies
B 3
30 MERCURE
fur l'embarras où se trouve
une fort aimable Demoiselle ,
dont je vais vous faire le Portrait
fort au naturel. Elle est
paſſablement bien faite , &
quoy qu'elle n'ait rien de laid
dans ſes traits , les avantages
de la beauté l'ont toûjours fi
peu touchée , qu'on peut dire
qu'elle ne s'eſt jamais miſe en
peine de paroiſtre belle. Elle
s'eſt donnée tout à l'eſprit , &
elle en eſt idolatre. Auſſi l'at-
elle extraordinaire , & de la
derniere vivacité .On n'en vit
jamais de plus folide avec autant
de jeuneſſe qu'elle en a ,
ny de plus fecond avec ſi peu
d'étude.Elle ne dit rien quine
ſoit nouveau , tout ce qu'elle
fait eſt diſtingué,& cependant
elle n'affecte , ny de ſe faire
diftinguer par la nouveauté
GALANT.
31
コ
e
t
e
;,
ny de ſe faire admirer par la
distinction que peut luy faire
donner la fuperiorité de ſon
eſprit .Les ſages ſont perfuadez
de ſa ſageſſe . Ceux qui ne le
font point ſouhaiteroient fort
qu'elle voulût bien leur refſembler,
& c'eſt ce qui fait que
quelquefois ils ſe laiſſent furprendre
à l'envie , qui tâche
inutilement de luy porter guelque
atteinte . Sa conduite la
met au deſſus de fa malice , &
tout le monde confefſfe qu'elle
n'en doit rien apprehender.
1
Cette Demoiselle, telle que je
vous la peins , a ſouffert depuis
deux ans les ſoins & l'attachement
d'un Cavalier fort aimable,
& c'eſt affez vous en dire
pour vous marquer qu'ellelaime.
Il eſt d'une douceur &d'une
civilité charmante. Quoy
B 4
32 MERCURE
qu'ilait tout l'eſprit qu'onpeut
avoir , il a encore plus de modeſtie
. Tous ceux qui le connoiſſent
l'eſtiment, chacun demeurant
d'accord de la ſageſſe
qui eſt commenée avec luy, de
la bonté de ſon coeur , & des
avantages qu'une tres - belle
taille,& des traits afſſez regulierement
formez peuvent doner
à un jeune Cavalier. La Belle,
enluy accordant toute ſon eſtime
, fut approuvée des plus
rigides cenſeurs, & de fon cô ,
té, il s'accoûtuma à la voir, ſans
fonger qu'il deût l'aimer. C'étoit
un coeur fort peu ſçavant
en affaires tendres , & quand il
auroit voulu prendre des precautions
contre elle , elles luy
auroient ſervy de peu de choſe
, tant les charmes de ſon efprit
l'attachoient .Il ne pouvoit
GALANT.
33
1
voir venir la tendreſſe , parce
qu'il ne la connoiſſoit pas encore
, quoy que peut- être il la
fentiſt quelquefois , mais elle
n'avoit pour luy que les apparences
de l'eſtime , tout au plus
de l'amitié , & ainſi il la laiſſa
entrer dans ſon coeur fans s'en
défier. Enfin il connut veritablement
qu'il aimoit la Belle
&la Belle en fut ravie. Tous
deux ſe communiquoient leurs
plus ſecrets ſentimens, comme
fans en avoir le deſſein , &
d'une maniere qui ne ſervit
qu'à ferrer leur chaine plus étroitement
. Ce qu'il y a de fort
fingulier , c'eſt que l'amour de
la Demoiselle ſe purifia de jour
en jour,& ſedégageapourainſi
dire de toute matiere , devenant
un amour tout- à-fait ſpi--
ritnel , &fort ſemblable à cc
BS
34
MERCURE
luy des Intelligences. Ellen'aima
le Cavalierque pour la plus
belle partie deluy-même,c'eſtà
dire pour ſon eſprit,&pour
la droiture de ſon coeur. Elle
ne penſa plus du tout à ſa fore
tune , ny à d'autres avantages,
qui avoient contribué à l'engagement
qu'elle avoit été
bien aiſe de prendre pour luy.
Les qualitez admirables qu'il
faifoit paroiſtre par ſes ſentimens
& par la beauté de fon
genie, furent l'unique objet de
Ta paffion. Elle les étudia plus
que jamais , & y fit des découvertes
qui l'ébloüirent , & qui
la charmerent de nouveau .
Dans ces exactes recherches
elle reconnut mille vertus,fans
s'appercevoir d'aucun défaur..
Elle s'interrogea pluſieurs fois
fur l'amour qu'elle fentoit pour
GALANT.
35
4
le Cavalier , & étant convaincuë
de ſa pureté , elle reſolut
de le conſerver toute ſa vie ,
quelque choſe qui pût arriver
du côté du Ciel ou des homes .
Ne l'aimant que pour luy- même,&
luy ne changeantjamais
en luy même,diſoit-elle ,je ſeray
toûjours la même , & je
verray avec joye tout ce qui
pourra contribuer à le rendre
heureux , fuſt ce la ruine de
tous mes interêts , & ma perte
même. Et plût au Ciel que je
puſſe moy même faire fon
bonheur, j'en chercheroistous
lesmoyens que me permettroit
ma gloire , ſans examiner ſi
j'y trouverois le mien , ou au
moins en l'y cherchantje n'aurois
en vûë que ſa ſeule fatisfaction
. Voilà quels étoient les
fentimens de cette aimable Per
/
B 6
36 MERCURE
ſonne,lors qu'un jour dansune
converſation qu'ils eurent enſemble
, elle dit au Cavalier
quelque choſe dont il ſe facha,
quoy que ce fuſt ſans aucune
intention de luy déplaire. Il
faut vous dire ce qui a ſuivice
differend. Le Cavalier,ou pour
ſe vanger, ou pour mieux con
noiſtre les ſentimens de laDemoiſelle,
n'a eu des yeux depuis
quelque temps que pour une
fort jolie perſonne , dont il eſt
connu il y a pluſieurs années ,
& pour laquelle il paroiſt avoir
naturellement quelque panchant,
Elle eſt de bonne maifon
, bien- faite , tres civile ,
douce & engageante , & a
quelques avantages pour les
agrémens du corps , qui ne ſe
rencontrent. point dans celle
quica eu, ſes premiers ſoins..
GALANT.
37
Quant à l'eſprit , elle l'a d'une
maniere à ne déplaire à perſonne
,& de toutes les Filles de la
Ville , c'eſt une de celles que
la Demoiselle dont j'ay l'embarras
à vous expliquer , eſtimele
plus. Cependant on peut
dire qu'elle n'a qu'une douceur
affectée , & qu'une muette civilité.
Le reſte n'a rien de ſolide,
& à tout prendre , ce n'eſt
qu'une Fille d'un genie borné,
& que rien n'éleve au deſſus
des autres . Dans le fond , elle
n'a peut- être envie que de
L'emporter fur ſa Rivale,en luy
dérobant le Cavalier dont la
converſation luy fait paſſer d'agreables
heures , & quand ce
feroit une alliance qui pourroit
l'accommoder,je vous demande
pour cette aimable perſonne
,dont je vous ay peint l'ar
38 MERCVRE
1
mour fi pur &fi defintereſſe ,
ſi voyant une ſi grande inégalité
entre les deux partis ,dont
l'un a beaucoup plus de merite
que l'autre , il ne doit pas luy
être permis de faire tous ſes
efforts pour empêcher que ce
mariage ne ſe faffe . Elle a chagriné
le Cavalier à qui ce nouvel
engagement paroiſt être
cher & agreable . Comme elle
n'a point d'autre plaiſir que le
fien , doit- elle ſouffrir , ſans y
mettre obſtacle, qu'il s'engage
entierement ? Ce que vous
deciderez là-deſſus ſera ſa regle
, puis qu'elle proteſte que
ſi l'on trouve,que pour ne point
dementir ſon caractere , qui eſt
d'aimer ſans aucune vûë pour
elle-même, elle doit ceſſer entierement
de le voir , elle ſe
fent l'eſprit aſſez fort pour s'y
GALANT. 39
reſoudre, voulant Iny prouver
que ſa fatisfaction & ſon interêt
prevaudront toûjours en
elle ſur tout ce qui la pourroit
porter à ſouhaiter de ne le pas
perdre. Lademande qu'elle fait
fur la reſolution qu'elle doit
prendre, eſt fort ſerieufe. Quad
le changementque luy a marqué
le Cavalier, ne ſeroit qu'en
apparence , elle le prend pour
ce qu'il paroift , & ſe croit en
droitde borner ſa penetration,
lors qu'il borne ſa fincerise.
Je vous envoye des Vers,où
quoy qu'il y ait beaucoup d'efprit
, vous connoiſtrez aifément
que l'illustre Madame
des Houlieres qui les a faits ,
n'a écouté que les mouvemens
du coeur. Je vous en laiſſe faire
l'application.
1
40 MERCURE
VERS ALLEGORIQUES..
Dans ces prés fleuris
Quarrofe la Seine ,
Cherchez qui vous mene ,
Mes cheres Brebis.
I'ay fait pour vous rendre
Le deſtin plus doux ,
Cequ'on peut attendre
D'une amitié tendre ,
Mais fon long couronx
Détruit , empoisonne
Tous mes foins pour vous ,
Etvous abandonne
Aux fureurs des Loups..
Seriez-vous leur proye ,
Aimable Troupeau ,
Vousde ce hameau
L'honneur la jove ,
Vous qui gras & beau
Me donniez fans ceffe
Sur l'herbette épaisse
1
GALANT.
41
Vn plaifir nouveau ?
Que je vous regrette !
Mais il faut ceder.
Sans chien ,Sans houlette ,
Puis-je vous garder?
L'injuftefortune
Me les a ravis .
En vain j'importune
Le Ciel parmes cris,
Il rit de mes craintes ,
Etfourd à mes plaintes ,
Houlette, ny chien ,
Il ne me rend rien.
Puißiez-vous contentes ,
Et fans monSecours
Paffer d'heureux jours ,
Brebis innocentes ,
Brebis , mes amours !
Que Pan vous défende ,
Helas ! il le fait.
Ie ne luy demande
Que ce feul bienfait .
Ouy , Brebis cheries,
و
42
MERCVRE
Qu'avec tant deſoin
L'ay toujours nourries ,
Ie prens à témoin
Ces bois, ces prairies ,
Que si les faveurs
Du Dieu des Pasteurs
Vous gardent d'outrages ,
Et vous font avoir
Du matin au ſoir
De gras pasturages ,
L'en conferveray
Tant que je vivray
La d uce mémoire ,
Et que mes Chansons
En mille façons
Porteront fa gloire ,
Du rivage heureux ,
Où vif & pompeux ,
L'Aftre qui mesure
Les nuits , les jours
Commençant ſon cours ,
Rend à la Nature
Toute Sa parure
GALANT.
43
Iusqu'en ces climats ,
Oùfans doute las
D'éclairer le monde
Ilva chez Thetis
Rallumer dans l'onde
Ses feux amortis.
Vous avez peut-être entendu
déja parler d'une choſe fort
extraordinaire qui se trouve
en Pologne , & principalemet
en Ruffie. Ce font des Corps
morts que l'on appelle en latin
Striges , & en langue du Pays
Vpierz , & qui ont une certaine
humeur que le commun peuple
&pluſieurs perſonnes ſçavantes
afſſeurent être du ſang.
On dit que le Demon tire ce
ſang du corps d'une perſonne
vivante , ou de quelques beftiaux,
& qu'il le porte dans un
corps mort , parce qu'on pré-
1
44
MERCURE
tend que le Demon fort de ce
Cadavre en de certains temps,
depuis midy juſques à minuit,
aprés quoy il y retourne & y
met le ſang qu'il a amaffé . Il s'y
trouve avec le temps en telle
abondance , qu'il fort par la
bouche , par le nez , & fur tout
par les oreilles du Mort , en
forte que le Cadavre nage dans
ſon Cercueil. Il y a plus. Ce
même Cadavre reſſent une
faim qui luy fait manger les
linges où il eſt enfevely , &en
effet on lestrouve dans ſa bouche.
Le Demon qui fort du
Cadavre , va troubler la nuit
ceux avec qui le mort a eu le
plus de familiarité pendant ſa
vie , & leur fait beaucoup de
peine dans le temps qu'ils dorment.
II les embraſſe , les ferre ,
en leur reprefentant la figure
GALANT.
45
1
de leur Parent,ou de leur Amy,
&les affoiblit de telle ſorte en
ſuçant leur fang pour le porter
au Cadavre , qu'en s'éveillant
fans connoiſtre ce qu'ils fenrent
, ils appellent au ſecours.
Ils deviennent maigres , & attenuez
, & le Demon ne les
quitte point , que tous ceux de
la Famille ne meurent l'un aprés
l'autre. Il y a de deux fortes
de ces Eſprits ou Demons.
Les uns vont aux hommes , &
d'autres aux Bêtes qu'ils font
mourir de la même ſorte en
ſuçant leur fang. Le ravage ſeroit
grand fans le remede que
l'on y apporte. Il confiſte à
manger du pain fait , petry &
cuit avec le ſang qu'on recuëille
de ces fortes de Cadavres
. On les trouve dans leurs
Cercueils, mols , flexibles , en-
ز
46 MERCURE
flez , & rubiconds , & non pas
fecs & arides comme les autres
Cadavres , quelque temps qui
puiſſe s'être écoulé depuis
qu'ils ont été mis en terre.
Quand on les trouve de cette
forte , ayant la figure de ceux
qui ont apparu en ſonge , on
leur coupe la tête , & on leur
ouvre le coeur , & il en fort
quantité de ſang. On leramaffe
, & on le mêle avec de la
farine pour la pêtrir , & en
faire ce pain , qui eſt un remede
ſeur pour ſe garantir d'une
vexation fi terrible. Aprés
qu'on leur a coupé la tête ,
ceux que l'Eſprit tourmentoit
la nuit,u'en ſont plus troublez ,
& ſe portent bien enfuite.Depuis
peu de temps une jeune
Fille en a fait l'épreuve. La
douleurqu'elle a ſentie endor-
{
4
GALANT.
47
mant l'ayant éveillée pour demander
du ſecours , elle a dit
qu'elle avoit veu la figure de ſa
Mere qui étoit morte il y avoit
déja fort long-temps. Cette
Fille déperiſſoit tous les jours ,
devenant maigre& fans force.
On a deterré le Corps de ſa
Mere qu'on a trouvé mol,enflé
& rubicond. On luy a coupé la
tête& ouvert le coeur , d'où il
eſt ſorty grande abondance de
fang , aprés quoy la langueur
où elle étoit , a ceſſé , & elle
eſt entierement revenuë de ſa
maladie. Des Prêtres dignes
de foy , qui ont veu faire ces
fortes d'executions , atteſtent
la verité de tout ce que je vous
dis,& cela eſt ordinaire dans la
Province de Ruffie .
Tandis que je ſuis fur les
Prodiges , il faut que je vous
48 MERCURE
faſſe part de ce qui a été veu
depuis peu de temps dans le
Cabinet d'un Religieux , qui
entre pluſieurs curiofitez , conſerve
dans une grande Phiole
un petit Chien qui a deux
corps , & n'a qu'une tête. On
luy voit ſept pieds , dont l'un
eſt un pied de Taupe. Il y a
grande apparence que le huitiéme
eſt dans le corps de cet
Animal , car ces deux corps
s'embraſſent . Il a auſſi deux
queuës. On afſſeure que ce
Chien a eu vie quelque tems .
Il eſt d'un beau poil noir &
blanc , & eſt venu d'une fort
belle Chienne, qu'une Dame à
qui elle appartenoit portoit ordinairement
dans ſon manchon
. Ceux qui étudient les
productions bizarres de la nature,
feroient plaiſir à beaucoup
de
GALANT.
49
de Curieux , s'ils leur apprenoient
, pourquoy ce pied de
Taupe ſe rencontre dans un
Chien.
Les Vers du Dialogue qui
fuit,font faits pour être mis en
Muſique. Vousleur trouverez
le tour qu'il faut pour cela.
A
TIRSIS.
H , qu'il
aimer!
m'est doux de vous.
Monfeul bonheur estde vous plaire.
SILVI Ε.
Si cet amour étoit sincere ,
Il auroit de quoy me charmer.
TIRSIS.
Ciel, doutez-vous encor de mon a.
mour extrême ?
N'en croyez-vous pas mesfermens?
SILVIE.
Les Dieux permettent aux Amans
May 1693 . C
MERCVRE
50
D'attester vainement leur puiſſan
ce Suprême.
TIRSIS.
Croyez-en mes Soupirs.
SILVIE.
Ne me trompent-ils pas?
TIRSIS.
Du moins croyez- envos appas.
SILVIE.
Mesyeux n'ont point affezde charmes
Tour captiver vostre coeur.
TIRSIS .
Ils peuvent arracher les armes
Au plus SuperbeVainqueur.
SILVIE.
Ab, pluſt au Ciel que vous fußiez
fidelle!
TIRSIS.
Ie vous fais àjamais maiſtreſſe de
mon coeur.
TOVS DEVX.
Heureux , qui peut jusqu'à la mort
Brûler d'une ardeur mutuelle .
GALAN T.
31
Le Sonnet qui ſuit eſt du
même Auteur qui a fait ce
Dialogue. Il peint le deſeſpoir
d'un Amant qui eſt ſur le point
de ſe ſeparerde ce qu'il aime.
1Lfaut donc marracherde cefe
jour aimable ,
Où mon coeur agoûtétant deplaifirs
charmans ;
Ilfaut que j'abandonne un objet
adorable ,
Qui faisoit que mes jours n'étoient
que des momens.
Après avoir joży d'un destin favorable
,
Qu'il est dur de fortir de ces enchantemens
!
Lesplaisirs que nous offre un bon.
heur peu durable ,
Quand on s'en voit priver , augmentent
nos tourmens.
C2
52
MERCVRE
F
Enfin il faut partir ; un devoir trop
barbare
Detout ceque j'aimois aujourd'huy
me separe.
Que ce cruel départ doit affliger
mon coeur!
Si les maux qui fuivront cette abfence
terrible
Egalent les plaiſirs où je fusfifenfible,
Qui pourra concevoir l'excés de
ma douleur ?
Je vous envoye la copie d'une
Lettre ſur la Baguette. Elle
étoit entre mes mains dés la fin
du dernier mois , ce qui eſt
une preuve que celuy qui l'a
écrite ſçavoit ce qui s'eſt paſſé
chez Monfieur le Prince avant
qu'il fût connudu Public , par
GALANT.
53
toutes les circonstances que je
vous en ay mandées . La mariere
qui avoit été trop long- .
temps uniforme , commençoit
à ennuyer , quoy que merveilleuſe
, mais les conteſtations
vont la rendre plus divertiſfante
, & par ce moyen on
pourra apprendre & déveloper
la verité;étant difficile que l'on
foit bien inſtruit d'une cauſe ,
tant que l'on n'entend parler
qu'un feul Avocat.
M.
A Saumur ,le 13.Avril 1693 .
AMyy lù avecplaisir lelivre de
de Valmont fur la Baguette
Divinatoire. Il est remply d'expe..
riences curieuses & agreablement
raportées , &son Auteur merite
beaucoup de loüanges d'avoir ramaßé
en ſi peu de temps tant de
faits surprenans des Allemans ,
C 3
54
MERCVRE
des Dancis, des Anglois, des Italiens
, & des François. Il peut
paffer pour un scavant Historien
des effets merveilleux de la Nature.
Il luy manque cependant , à
mon avis , quelques degrez d'incredulité.
Il prend aisément pour
vray fur la foy d'un homme , des
faits qui font fi rares , & fi éloignezde
ce que nous avons coûtume
de voir , qu'ils meriteroient
bien d'être rapportezpar un grand
nombre de témoins exacts & judicieux
, car il en faut revenir à
proportionner le nombre & la qualité
des témoignages aux degrez
de furprenant
dont est le fait. Quand on ne s'atd'extraordinaire
tache point à cette proportion, ilne
faut pas s'attendre d'être cru , ny
des bons efprits, ny de ceux qui font
les bons efprits , en affectant de ne
rien croire desurprenant , quelques
GALANT .
55
témoignages qu'on leur apporte
Si le fait étoit de nature que le
Lecteur pust luy-même commodément
s'en convaincre parfon experience
, l'Auteur n'auroit pas be
Soin de témoins pourse faire croire,
mais quand la chose se trouve autrement
, il faut , si l'Auteur a
eude bonnes raisons de croire ,qu'il
Se donne la patience de marquer
par quels degrez il estvenu à croire
,& qu'il n'oublie pas la moindre
des preuves qui l'ont peu àpeu
engagé dans l'opinion qu'ila embraffée.
Orje ne vois pas queM.de
Valmontsefoit attaché à cetteprécaution
,fur tout dans lefait dela
Baguette. Il est persuadé, qu'ayant
pris toutes les mesures qui luy font
venues en l'efprit pour s'affurer de
Laveritédu fait ,il est en état de
Sepresenter comme témoin croyable
Lans nous rendre compte deses me
C4
56 MERCVRE
fures ,&il nesonge pas quefiluymême
n'avoit de preuves que le témoignage
de trois perſonnes comme
luy , qui ne luy diroient point com_
ment ils enont usé pourse garan
tir de l'imposture de Lacques .Aimar
, s'il est vray que ce soit un
Impofteur, il ne croiroit pas lefait,
car enfin il est plus aisé de croire
que trois ou quatre témoins , d'ailleurs
gens d'efprit, ont été trompez,
Seduits par un bruit populaire,
qui fait toûjours impression, même
furles gens les plussensez,parun
jeu de main devenu imperceptible,
par un long usage , par un bazard
favorable qui est en droit de furprendre
quand on devine juſte de
fuitteplusieurs choses ; enfin parun
peu d'art à remarquer à profiter
du foible des gens surpris , qui ne
Scauroient s'empêcher d'aideràdécouvrir
ce qu'ils veulent tenir caGALAN
Τ .
17
ché , foit par des marques d'une
grande crainte, s'ils font coupables,
foit par des marques de joye , s'ils
Souhaitent que le merveilleux qu'ils
commencent à croire avec plaisirse
trouve way, il est plus aisé , dis.je,
de croire que les témoins sefont
eux -mêmes laiße tromper , que non
pas de croire des effets aufi étran
ges que ceux que l'on attribuë au
talent naturel de Iacques Aimar.
S'il est way que M.de Valmont en
aferoit de cette maniere , il ne doit
pas estrefurpris qu'on en use pour
luy , comme il en useroit pour les
autres,&qu'on ne s'embarque pas
à croire des choses qui ont fi peu
du vraisemblance , ſurſon ſeultémoignage
, lors qu'il n'est pas accompagné
de toutes les mesuresqu'il
a priſes pour ne pas croire legere.
ment. Le ne parle point de la miniere
dont il explique les effets de
C
MERCURE
La Baguette. Ie n'aime pas àexaminer
l'explication du Phenomene
avant que d'être seur qu'il foit
way , &non pas supposé , depeur
de tomber dansle ridiculedesPhyficiens
à la dent d'or , dont il rapporte
agreablement l'Histoire au
commencement de ſon Livre, Le ne
diray fur cela qu'une chose , c'est
que fa maniere d'expliquer n'est
point pour moy affeznette , affez
claire , affez convaincante , pour
faire difparoiſtre la difficulté que
jay à croire le fait , car c'est une
preuve qui aide à croire les faits
quand l'explication en estfi claire
fifacile , qu'on commence à
voir qu'il est tres-aisé , ou trespoßible
qu'ils soient arrivezde la
maniere dont on le dit comme
c'en est une que le fait est faux ,
quand plusieurs Phyficiens , aprés
voir pensé ,n'imaginent rien qui
GALANT. 59
-
les contente fur la maniere dont le
fait pourroit être arrivé. Le veux
feulement vous mettre devant les
yeux les raiſons de croire de ne
pas croire le fait , & vous dire
la fituation où je suis fur cela, afin
que fi quelqu'un veut prendre la
peine de lever mes doutes , je me
mette en suite à examiner les rai-
Sonnemens que les Phyficiens font
Sur ce prétendu talent . Il y a plu
fieurs faits dans l'histoire de Lacques
Aimar qui ne font pas également
incroyables , & qui ont
chacun leurs soupçons leurs
preuves de vray & de faux , il est
à propos de les examiner en détail
On dit qu'il devine le chemin des
caux qui coulent fous terre. Ce qui
est pour luy , c'est qu'il a deviné
juste en quelques endroits à Chan.
tilly. Plusieurs personnes diſent en
core qu'ils ont fenti tourner la Ba
C6
60 MERCVRE
guette entre leurs mains, quandil's
se sont trouvezsur la voye des Ca-
плих , que cette Baguette ne
tournoit point & ne faisoit point
d'effort pour tourner , quand ils
étoient hors de lavoye.
Ce qui est contre , c'est que la
Baguette n'a point tourne à Chan
tilly sur des endroits où ily avoit
des Canaux , elle a tourné sur
d'autres où il n'y en avoit point.
De cela on peut conclure que sisa
Baguette tourne fur des canaux
cachez fous terre , c'est ou par la
volonté de Lacques Aimar , oupar
bazard. Si c'est par sa volonté ,
c'est imposture ; si c'est par bazard ,
cela vient autant du reffort de la
Baguette ou de toute autre cause ,
que des eaux coulantes. Ceux qu's
disent qu'ils ont fenti la Baguette
tourner entre leurs mains, nedisent
pas qu'elle ait tournoyé, c'est-à
GALANT . бг
dire , qu'elle ait fait plusieurs
tours comme elle fait entre les
mains d' Aimar, c'est un soupçon
d'adreffe , & d'imposture de
Sa part ,que ceux qui ont le même
talent ne faffent pas comme luy .
D'ailleurs , fa Baguette tournefur
une pierre , Jur un lieu vouté,fur
des offemens , fur du métal außi
bien que sur l'eau , Or il est visible
qu'il est affez difficile que sous
terre à une distance de quinze
pieds il ne se trouve de l'eau , o14
quelqu'une de ces choses.
On dit außi qu' .Aimar a le ta
lent de deviner où l'on a caché de
L'argent , ou de l'or.
Cequi est pour luy, c'est que plu
fieurs personnes rapportent qu'aprés
avoir cachésous du pavé dans
des fentes d'un parquet à Lyon, des
pieces d'or ou d'argent , il a devi
ne en mettant le pied deſſus , qu'el
1
62
MERCVRE
les étoient fous fon pied, c'est une
opinion receuë de plusieurs Phyſiciens
, que la Baguette de Coudrier
tournefur des Mines de metaux .
Ce qui est contre Aimar , c'est
qu'on ne dit point combien de fois
il a réiteré ces experiences ,s'il avoit
les yeux bandez , s'il n'a pas
quelquefois manqué ; car en ce cas
il a pu être aidé de ses yeux ,
favorisé du bazard. D'ailleurs , il
afait une experience dans le jardin
de l'Hostel de Conde , en pre-
Sence de Monsieur le Prince, & de
quantité deperſonnes, où il fit tourner
ſa Baguette fur un trou recom
vert de terre , où ily avoit un fac
de cailloux , & il piſſa fur un autre
trou , où il y avoit un fac d'argent
,fur lequel sa Baguette ne
tourna point , preuve constante qu'il
y a de l'imposture de lapart d'Aimar
, & qu'il fait tourner la Ba-
1
GALANT. 63
guette quand il luy plaift. Il a avoüé
même qu'il n'avoit plus cette
vertu à Paris pour l'or , & pour
'argent, quoy qu'il l'ait euë à Lyon,
qu'il ne sçait pas la raison de
ce changement ; mais la raison la
plus vrai-femblable de cefuccés dif
ferent de la Baguette à Lyon ou à
Paris , c'est que l'on est moins credule
, &qu'on a de meilleurs yeux
àParis qu'à Lyon. On dit encore
qu'il devineſeurement où l'on a vole
,& qu'il fuit le Voleur à la
piſte , même deux ans après le vol
fait.
Ce qui est pour luy , c'est ce que
L'on conte qu'il a fait à Lyon fur
des vols domestiques , & dont on a
imprimé des Relations , & cequ'il
a fait àl'Hostel de Condé , où l'on
avoit volé il y a deux ans , deux
petits flambeaux d'argent de toileite.
Il mena droit ceux qui l'ac64
MERCURE
compagnoient à la maison de l'orphovre
chez qui on avoit porté les
Ambeaux , le Voleur rendit
l'argent àM.le Curé de S. Sulpice ,
qui l'apporta à Madame la Princeffe
deux jours après cette perquifition
d'.Aimar. Il a aussi deviné
chez le Chirurgien de l'Hostel de
Condé, en quel coffre , & en quel
lieu du coffre étoit l'or qu'on luy
avoit dérobé,
On peut répondre aux faits de
Ly'n , que ce qu'il a deviné de
certain , luy a été indiqué par la
frayeur des coupables , & que le
reſte n'a pû être verifié comme certain.
Quant à l'Orphévre , qu'il y
a été conduit par un Homme de
I'Hostel de Condé , qui l'avoit pris
en sa protection , & qui pouvoit
avoir quelque soupçon que les fam.
beaux avoient été portez chez cet
Orphévre , parce qu'il en avoit fait
GALANT.
65
peut-être perquiſition dans le temps
du vol , & que le Voleur intimide
de la perquisition , l'a voulut faire
ceffer en rendant l'argent . Pour ce
qui concerne le Chirurgien , Aimar
pour deviner juste , n'avoit qu'àbien
observer où les yeux du Chirurgien
fe portoient le plus.
Mais ce qui est décisif contre
Aimar , &qui le convainc d'imposture,
c'est que par ordre de Mon-
- fieur le Prince, un Secretaire de la
Maison feignant d'avoir été volé ,
: & qu'on luy avoit pris plusieurs
papiers , pria Lacques Aimar en
Secret de venirpour luy aider à découvrir
la route que le Voleur avoit
priſe. On avoit rompu exprès une ar
moire , &quelques carreaux deverre
d'une croisée. Aimar vient
dit qu'il eſt ſur la piste. Sa Baguette
tournoye , & il marche jusque
bien avant dans la rue , disant
t
66 MERCURE
qu'il étoit feurement fur la voye.
Le Secretaire l'arrêta fur quelque
pretexte , & lui dit qu'il acheveroit
une autrefois . Il alla außi- toft
rapporter le tout à Monsieur le
Prince , qui fit venir Aimar,
aprés l'avoir traité d'impoſteur ,
S.A.S.I'obligea enfin d avouerqu'il
faisoit tourner sa Baguette quand
il lui plaifoit. Aimar dit quefa
Baguette ne tourne plusfur la voye
des Criminels qui ont avoué levol ,
mais cela même est une preuve d'imposture,
puis que tandis que le Voleur
est inconnu , Aimar peut dire
tout cequ'il veut fans pouvoir être
contredit ,& que la raison pourquoi
sa Baguette ne tourne point.
quandle Voleur estconnu, c'est qu'il
craint d'être démenti parleVoleur
mêmefur les circonstances du vol.
Etpuis ,quelrapport de l'aveu dun
criminelqui est à vingt ou trente
GALANT .
67
lieuës , aux causes naturelles , telles
quefont les petits corpuscules qu'on
prétend quifont tranſpirez du Criminel
, &quifont demeurez dans
fur les meubles qu'il a touchez,
comme ſi dans le moment de cet
aveu, tous ces petits corpufcules devoient
être aneantis, ou que leur
mouvement dust être détruit ? Iene
parle ici qu'a M. de Valmont, qui
a le bon efprit , de ne point faire
venir le Diable àfonsecours.
Il est donc certain qu'il y a de
L'imposture. Il reste àsçavoirfitout
est imposture , ce qui est tres-pray.
femblable. Cependant fiM.deValmont
à de nouvelles preuves , & de
nouveaux témoins , qu'illes montre,
on les pefera .
On dit qu'entre plufieurs hom..
mes .Aimardevine lesMeurtriers,
le chemin qu'ont tenu ceux qui
ont commis quelque meurtre , ainſi
68 MERCURE 1
que les meubles qu'ils ont touchez;
fur cela on conte l'histoire des
Affaßins de Lyon de la maniere
que l'ont rapportée M.de Valmont,
deux autres Auteurs de la
même Ville , dans ce qu'ils ont fait
imprimer.
Ce qui est pour Aimar,c'est que
pluſieurs perſonnes de bon efprit de
Lyon , ont creu cette histoire ,
à dire la verité , c'est l'argument
le plus apparent ; mais on peut réfondre
qu Aimar a pû rencontrer
ces Meurtriers fur le chemin , م
ſe douter de quelque chose parleur
air leur maniere ; qu'il afoupçonné
que ces mêmes Meurtriers
auroient été à la Foire de Beaucaire
, pour faire quelque nouveau
vol, &que quelqu'un d'eux ayant
été arrêté , auroit été mis en prifon
, ce qui lui a fait reconnoistre
le jeune Boffu , & faire semblant
GALANT. 69
que la Baguette tournoitfurluy.A
l'égard des chambres & des lits
des Cabarets qu' Aimar a prétendu
reconnoistre , il peut en avoirdeviné
une partie par convenance, l'autre
par bazard, n'avoirpoint rencon
tréde témoins de contradicteurs
en ce qu'il n'apas devinéjuſte ;
même s'il a manqué en quelque
chofe , il peut n'avoirpas été accusépar
ceux qui l'accompagnoient,
qui étant déja féduits par la furpriſe
, n'ont osé rien dire contre l'opinion
qu'ils avoient du talent
d'Aimar. Au reſte , ces témoins
n'étoient que trois , ce me ſemble ,
gens depeu d'esprit sur ces matieres
, &qui n'avoient pas ordre d'examiner
à la rigueur tout ce qu'il
difoit.
Ce qui est pour Aimar, c'est que
dans le lieu de l'aſſaßinat il fuë ,
fon pouls s'éleve. A cela on
70
MERCVRE
peut répondre qu'il est tres-naturel
que certaines perſonnes fuent,changent
de pouls , tombent en défaillance
dans des lieux où ily a
certaines odeurs , &lefang versé
corrompu dans la cave où s'étoit
commis l'aſſaßinat peut avoir
produit ce même effet , &àl'égard
du tournoyement de sa Baguette
, on a vù qu'elle tournoit
quand il vouloit ; ainſi ce tournoyement
ne fait pas de foy. Ce qui
fait encore pour Aimar, c'est que
plufieurs personnes ont eudans la
cave les mêmes ſymptomes qu'Aimar
avoit. A cela, c'est la même
raifon, mais àl'égard du tournoye .
ment de la Baguette qui se fait
entre leurs mains, c'est que la Baguette
ou reffort comme on latient,
tend à en fortir, &pour cela tourne,
afin de se débander un peu ,
maissic'étoit du bois fans reffort ,
GALANT.
71
il n'y a nulle apparence qu'elle tour_
-nast.
repas-
Ce qui est contre Aimar, c'est
l'experience qu'on lui afait faire à
Paris,fur le lieu où ily avoit eu un
meurtre commis . Ilpaſſa
Sapar deſſus ſans s'en appercevoir,
&quand on lui eut dit la chose, il
mena où les Meurtrier's n'avoient
point été, disant pourtant que la
Baguette tournoit , cela,enpre
Sence d'un grand Prince , de plufieurs
Seigneurs , de M. le Procureur
du Roi du Chastelet,
On a dit poursa deffense que le
Meurtre étoit avoüé , mais il est
visibleque cet aveune change rien
àunedemi-lieuë de là , oùcet aven
Sefait. On a encore dit que ce n'è.
toit pas un affaßinat pour voler de
-guet à pens ; mais que c'étoit un
meurtre non un combat . D'ailleurs,
leMeurtri &les Meurtrif
72
MERCURE
feurs n'ont- ils pas toutes les paßione
de la crainte de la colere , comme
les Affaßins & l'Afſſaßiné ,
qu'on tue pour avoir son argent ?
Ainsi la même tranſpiration de
corpuscules ne se fait- ellepas également
? Enfin on a dit pour la deffense
d'Aimar , c'eſtſon dernier
retranchement , qu'il n'étoit
pas toûjours disposéde la même maniere
, & que par consequent les
mémes causes nagiffcient pas fur
lui de la même ſorte. A cela on
peut répondre que c'est une porte
commode pour échaper , car quand
par hazard il devinera , on dira que
cefera par un talent naturel ,
quand il ne devinera point , on dira
qu'il ne se porte pas aujourd'huy
comme hier , àParis comme àLyon.
Enverité, quoi qu'il puiſſe y avoir
duvrai , cela est porté trop loin ,
avec une pareille deffense , il n'est
point
GALANT.
73
point de Charlatan, point d'Imposteur
qu'on ne justifie.
L'oubliois à répondre à un fait
qui est pour lui. C'est celui de la
Serpe meurtriere qui étoit enfanglantée.
M.le Chevalierde Montgivraut
,homme de bon esprit ,
grandPhyficien, la cachatrois fois,
deux autres Serpes , & toutes
les trois fois Aimar devina les
yeux bandez qu'il marchoit fur la
Serpe ensanglantée ,&ce que rapporte
M. le Chevalier de Montgivraut
, n'est pas moins confiderable,
que trois hommes de ſa connoiffance
de Lion avoient devine pareillement
à l'aide de sa Baguette , laquelle
de ces Serpes cachées dans
terre étoit la meurtriere.
On répond que le ſeul bazard
peut avoir cause cet effet ,& qu'il
Y a à parier cent contre un , que
pourveu que l'on prenne bien fes
May 1693 . D
74
MERCURE
mesures on n'yreuffira point dix fois
de fuite , ce qui devroit toujours
reußir si c'étoit une cause natu .
relle.
Voila mes raiſons de douter ,
même de pancher à croire que ceux
qui ont cru à la Baguette , y ont
cru un peu trop legerement parrapport
au fait qui est tour extraordi
naire. Ie nedemande pas mieux que
de croire du merveilleux ; jy ay
duplaifir comme le reste des hom.
mes , mais je ne le veux croire qu'à
bonnes enseignes .
Vous avez toûjours aimé
les Vers de M. de Vin,& vous
ſçavez que lors qu'il veut repreſenter
quelque choſe , il le
peint fort bien. C'eſt ce qui
m'oblige à vous envoyer ce
nouvel Ouvrage de fa façon .
Ileſt fait fur une Theſe qui
GALANT.
75
fut foûtenuë il y a quelques
années dans l'Ecole de Medecine
de Paris , en faveur de
l'Eau contre le Vin.
LE VIN ET L'EAU.
LEVin fier de fon vaste Empire,
Et de la belle humeur qu'en tous
lieux il infpire ,
LeVinquidetous les chagrins
Fait perdre la triſte memoire,
Et qui dans un instant dompte les
plusmutins ;
LeVin, dis-je, enflé de lagloire
Que s'acquit autrefois le Dieu *
Son Protecteur ,
Infultoit l'Eaupar tout en superbe
4: Vainqueur.
* Bacchus.
D2
76
MERCURE
Elle en étoit fimal-traitée,
Qu'ellesevit contrainte àluy faire
Sentir
Ceque peuvent ses coups lors qu'elle
eft irritée.
Defonrepos pouriant elle eutpeine
àfortir,
Et commesa fraîcheur benigne
Salutaire
Nes'accommodepas desfeux de la
colere,
Contre cet Orgueilleux avant que
d'éclater ,
Sa douceur trouva bon de luy repre-
Senter
Quede ce Dieufameux elle éleva*
l'enfance,
Et qu'un peu de reconnoiſſance
L'obligeoit à la mieux traiter;
Qu'ellen'égaloit pas sasuprême
puissance ,
Il est vray , mais qu'enrécompense
* Les Nymphes des Fontaines.
GALANT.
77
Lafeconde Hippocrene excitoit une
ardeur
Qui des plus froids efprits fondoit
toute la glace ;
Quesi chacunvantoitfa divine liqueur
Onse loüoit außi de celle du Farnaffe
,
Et que Barrege avoit des Bains ,
Qui pour beaucoup de maux utiles,
Souverains ,
Offroient aux malheureux leur chaleurefficace.
Cette espece d'égalité
Cùparce peu de mots elleſembloit
prétendre ,
Ne fit qu'aigrir du Vin l'orgucil
lafierté.
Enfin voyant par là qu'elle devoit
s'attendre
Atoutes ses rigueurs , laſſe d'en
Souffrir
Elle s'échauffe ,&plus émûë,
D 3
78 MERCURE
Asa coleresuspenduë
Lâche toute labride,&commence
àblanchir.
Quenefit-ellepointdans l'excésde
Sarage?
Elle confondit tout , elle franchit
Ses bords ;
Tout fut lors Vin pour elle, & l'innocentrivage
En fentit les premiers efforts.
A la voir s'élever jusqu'au plus
haut des nuës ,
Et courir en tous lieux àvagues
épanduës,
Qui n'eust pas dit,pourse vanger
Que trop ſenſible àcette injure,
Dens ſes flots écumeux elle alloit
Submerger
Avec luy toute la Nature.
Cependant elle a beau menacer &
groffir ,
La Seinea beau s'enfler pour lefaixeperir
.
GALANT .
79
UnfeulBateau de vinsouffre desa
colere ,
L'ancrerompt , ilse perd au deſſus
de Paris ,
Et ne pouvant lors faire pis ,
Elleabaiſſa ſes flots, & tranquille
Riviere,
Reprit&fa douceur,&fa routeor
dinaire.
Trop foible pour pouvoirenſeshardis
deffeins
Reuffir par la force ouverte,
Elle n'enfur pasmoins animéeàfa
perse ,
Etgagnant quelques Medecins *
Deceux que l'on nommed'eau douce
Alavanger de luy les excite& les
pouffe.
Les ravages qu'elle avoit faits
N'avoientpoint eu les grandsfuccés
*Acauſe qu'ils enboivent.
D4
80 MERCURE
Qu'ellese promettoit de leur adroit
Suffrage.
Si trompoit-elle ? Non ,ſes partisans
nouveaux
Contre luy déchaînez en blâmerent
l'usage ,
Et le faisant auteur de tant de divers
maux
Quirendent la vie incommode ,
Pew s'en fallut par là que l'Eau
mise à la mode ,
Ne vist au gré de ſes ſouhaits ,
Cet orgueilleux réduit à la laiffer
en paix.
L'un d'eux , homme plein defageffe
,*
Et d'une insigne probité ,
Ne fut pas satisfait de l'ordonner
Sans ceffe
Ilsefervit encor deſon autorité,
Pour obliger l'Amant de sa chars
mante Niece
* M. Perreau..
GALANT. 813
Afoutenir en sa faveur
LaThese qu'on imposeàquisefait
Docteur.
Ce Candidat qui ſcait plus que la
Medecine ,
Vers
Et qui før des ſujets divers ,
Peut,foit en Profe,foit en
Signaler fon esprit, ſon bon goust ,
Sa doctrine;
Tirfis , dis-je , ravy de trouver ce
moyen
Demontrer à la fois &Son ardeur
pour elle, 2
Es ce qu'ilfent pour luy derespect
&de zele ,
Soûtient l'Acte en vainqueur ,&
s'en tire si bien ,
Que des Anis da Vin malgré tou
te l'adreſſe
L'Eau joyeuse en vitlors triompher
Sa foibleffe,
Du plaisir qu'elle en eut les favou
L
reux transports
DS
8′2 MERCURE
Furent d'autant plus douxque contre
leurs efforts 2
Elle avoit craintde voir échoüerſa
vangeance.
Cependant ce plaisir, contreſonefperance,
Commecesfeux de l'air que diffipent
lesvents ,
Ne dura qu'autantdemomens
Que du tendre Tirfis dura la complaisance..
Elle feule l'avoit jetté dans foni
party,
Et du Vin qu'à ses piedsfon bras
venait d'abattre
Onſfait qu'iln'étoit pas àtelpoint
Ennemy
Qu'il voulut en sous lieux, &tou
joursle combattre...
En effet àgrand peine est-il recom
Docteur
Que dans te repas magnifique
Qui suivit cetAlte authentiques
GALANT. 83
Il en devient le protecteur ,
Et de le boire pur luy fait même
l'honneur.
Il cut pourtant d'abord la plaiſante
malice
De nefairefervirà ceux
Qui de le condamner luy faisoient
l'injustice ,
Que de l'Eauzla plus-part d'entre
CHX
lettoient detemps en temps sur elle
De plus tristes regards que n'exigeoit
leur Zele ,
Et quoique prêts en d'autres lieux
D'en louer l'utile recette ,
Ils luy portoient à table une haine
fecretre..
Tirfis du coin de l'oeil les obſervoit.
Meßieurs,
Leurdit-il en riant , cette liqueur
est Saine;
Elle étanche lafoif, elle abbat les
Kapeurs
D6
84 MERCVRE
Etvous enconnoiſſez la vertu fou
veraine.
Ainsi consacrons luy ce jour ,
Par le plaisir d'en boire animons
cette feste.
Ca , Laquais , verſe tour à tour.
Mais quoy , qui vous retient ! non
non ,pourvostre teste
F'en répons,&fans risque on peut
en faire excez ;
2
Non craignez rien , Messieurs
qu'elle est claire ab,jamais
Source de roche , ny fontaine
N'approcha de cette eaude Seine..
Rien de plus raviffant. Depesche
donc, Laquais ,
Et d'un air moins melancolique
Que chacun , trinquant à longs
traits,
Acheve ſon panegyrique.
A ces mots unfriſſon les ſaiſit tous;
enfin
Las de jouër de leur chagrin
GALANT. 85
Illeur fit par pitié paroiſtre vingt
bouteilles
D'an Viu couleur d'oeil de Perdrix,
Et le meilleur quidans Paris
Fast venu des Remoiſes Treilles..
Ce qu'ils avoient desombreauffitoft
disparut ;
Cet agreable aspectdiffipa leur trifreffe
,
Ettous,reprenant lors leurpremiere
allegreffe ,
Se jetterent deſſus,& l'Oncle même
en bût.
L'Eau voulut,mais envain,leurremettre
en memoire
LaTheſe que Tirſis venoit defoutenir;
Loin d'aimer à s'en souvenir
Nul ne s'aviſa plus d'en boire,
Et , tant que dura lefestin ,
Charme de la douceur de cet excellent
Vin
Le plus fage même, àsa gloires
86 MERCVRE
Oublia, le Verre àla main ,
Qu'il estoit sobre&Medecin..
Elle vit bien par là que fi dans
leurEcole
Quelques - uns d'eux pour elle
ofoient se déclarer ,
Elle n'en pouvoit esperer
Qu'un triomphe & court , &
frivole,
Et que le Vin ailleurs parses attraits
puiſſans
Regagnoit fans retour ſes foibles
Partisans.
Il fallut prendre patience ,
Etfur cer Actesans compter's
Se soumettre ,&se contenter
De cette petite vangeance.
Enfin d'une plus grande ellea beau
se flatter,
La Cabale du Vinplusforte &plus
fidelle
L'emportera toûjours fur elle
Et quoy qu'encor lesMedecins
GALANT. 87
L'ordonnent quelquefois àceux qui
font malfains ,
Eux mêmes , dés qu'ils font à
table ,
S'en deffont ,& contens de s'en laver
les mains ,
Jettent sur la Bouteille un regard
favorable..
- Je croy , Madame , vous
avoir marqué dans quelqu'une
de mes Leures , qu'il
s'est fait une Academie de
gens de Lettres dans la Ville
de Toulouſe. Comme M. Peliffon
en étoit le Fondateur ,
ceux qui compofent cette
Academie , ont voulu faire
connoiſtre l'eſtime particuliere
qu'ils avoient pour luý , en luy
rendant aprés la mort tous lesa
honneurs qu'il pouvoit attendre
, & de leur zele ,&de leur
88 MERCURE
reconnoiſſance. Après avoir
choifi pour Interprete de leurs
ſentimens , M. de Rocoles
ancien Chanoine de S. Benoist
deParis , qui eſt de leur Corps,
& fort connu parmy les Sçavans
par ſesOuvrages , ils ſe
trouverent le Icudy 9. du mois
paſſé au lieu de leurs Aſſemblécs
ordinaires , où il prononça
l'Eloge funebre de cet Illuſtre
Défunt , en prefence d'une
infinité de perſonnes diftinguées
,& par leur fçavoir , &
par leurs Charges. Sondifcours
qui fut latin , dura une heure ,
&fut diviſe en trois parties . Il
prit pour texte ces paroles de
l'Eccleſiaſtique. In Thesauris Sapientiæ
intellectus ,
religiofitas. Dans la premiere
partie il parla de ſa naiſſance ,
illuſtre dans la Robe , puis qu'il
scientiæ
GALANT. 89
eſtoit Fils& petit Fils de deux
Conſeillers en la Chambre de
l'Edit , & arriere Fils d'un Premier
Preſident de Chambery .
Il parla auſſi du lieu de ſa naifſance
qui eſtoit la ville de Beziers
, quoy qu'il fuſt censé ef
tre de Caſtres , & de l'année
qu'il vins au monde, ſçavoir
le 30. Octobre 1628. année remarquable
par la priſe de la
Rochelle . Il y appliqua unbon
augure pour ce grand homme ,
&fit fort valoir fon attachement
pour les Lettres
progrez qu'il y fit dés fa premiere
jeuneſſe , ſous la conduite
de Morus , Ecoſſois ſi diſtingué
par ſon crudition . De là
il paffa à Toulouſe , où il fit admirer
la vivacité de ſon eſprit,
en ſurpaſſant tout le reſte des
jeunesgens qui prenoient des
د &le
1
१० , 1
y
MERCURE
Leçons des mêmes Mantres ; &
comme ſi ce n'cuſt pas eſtéatlez
qu'il euſt employé à l'étude le
temps ordinaire que les autres
conſacrent , il les continua
toûjours ſans que cette paffion
que l'âge ralentit ordinairement,
diminua en aucune forte.:
L'Académie qu'il forma àToulouſe
il y a trente cinq ou quarante
ans en eſt une preuve. II.
ditque M. de Malapeire,dont il
loüa la vertu & le merite , ſe
joignit avec cet Illustre Défunt,
& que fon zele à remplir
divers exercices, faiſoit l'admiration
de la Ville , & l'étonnement
de fes Collegues. Dans la
feconde partie , il mit en avant
ſa vie publique , c'eſt à dire le
temps qu'il a vécu à la Cour
&la joye avec laquelle l'Academie
Françoiſe le reçut pour
1
GALANT. 91
unde ſes Membres.Il parla enſuite
de la confiance que feu
M. Fouquet avoit euë en luy ,
des malheurs dans lesquels s'étoittrouvé
ce Miniſtre d'Estat,
de la generofité avec laquelle
M.Pelliffon l'avoit deffendu ,&&&
il particulariſa tout ce qu'il avoit
fait pour fauver la vie &
l'honneur de ce Miniſtre. Il
montra que la Priſon qu'il fouffrit,
malgré l'obſcurité qui l'accompagne
, l'avoit delivré des
- tenebres de l'erreur,en luy infpirant
l'envie de lire les Peres.
- Comme cette lecture l'avoit
- éclaircy entierement des doutes
que les préjugez & la naif-
-ſance , ou une éducation contraire
àcelle de noſtre Religion
avoit pû luy faire fuccer avec
le lait,M. de Rocoles fit valoir
ſon juſte difcernement, d'avoir P
92
MERCURE
connu par des raiſons qui ne
peuvent être conteſtées , que
la Religion Catholique eſt la
veritable. Enfin il parla de la
faveur que le Roy , tout juſte
eſtimateur qu'il eſt du merite ,
ne luy accorda qu'aprés qu'il
cut abjuré l'Erreur , comme ſi
le Fils aîné de l'Egliſe euſt dû
trouver indignes de ſes bienfaits
, tous ceux qui ſont hors
de ſa croyance. Il fit mention
des graces dont Sa Majesté l'avoit
comblé en luy donnant les
Abbayes de Benevent ,de Gimont
, & en le faiſant l'Oeconome
& le diſpenſateur de ſes
faveurs pour les nouveaux Covertis.
Ce fut là , où il marqua
fa prudence & fa fageffe dans
cette diſpenſation. Il dit que ne
ſe contentant pas de leur donner
les alimens temporels , il
GALANT.
93
avoit fourni àpluſieurs la nourriture
ſpirituelle de l'ame , où
en refutant les erreurs de leurs
faux Pasteurs , ou en éclaircif
fant leurs doutes,lors qu'il avoit
connu qu'il leur en reſtoit , ou
en les confolant des Etabliſſemens
confiderables qu'ils avoient
quittez dans les Pays
Etrangers. Il leur remontroit
avec combien d'avantage , l'efperance
& la durée des biens
celeſtes qu'ils ne pouvoient attendre
que dans noſtre Religion,
les indemniferoit à la fin
de leur vie , du mépris qu'ils
en avoient fait,& que la gloire
de vivre ſous l'obeïſſance de
noſtre Auguſte Monarque,furpaſſoit
le plaisir de vivre par
tout ailleurs . Enfin dans la troifiéme
partie de ce diſcours ,M.
de Rocoles fit voir combien M.
94
MERCVRE
Pelliſſon avoit été eſtimé de
preſque toutes les perſonnes de
l'Europe , diftinguées par leur
élevation , par leur merite ,par
leur profonde litterature , &
par leur pieté , & combien il
avoit merité de l'être par les
Trefors de Science & de Sageſſe
qu'il avoit poffedez dans
un degré tres éminent. Ce fut
en cet endroit qu'il fit un dénombrement
de preſque tous
les Sçavans de l'Europe , qui
avoient eu relation avec luy. II
commença par Alexandre- Morus
, qui dans les derniers momens
de ſa vie,& par teſtament,
luy laiſſa un legs.Il parla de l'eftime
qu'en faiſoient le premier
Miniſtre d'Etat de Bradebourg,
Othon de Schvverin , Baron de
l'Empire , Prevoſt de l'Egliſe
Cathedrale de la Ville de BranGALANT.
95
, debourg ; François Curretin
&Eftienne le Moine, premiers
Profeffeurs , de Geneve , &
l'autre de Leide. Ce fut alors
que M. de Rocoles dit fort à
propos , que puis qu'on faiſoit
tant de cas des alliances que la
nailfancedonnoit , on en devoit
encore faire beaucoup plus de
celles que les belles Lettres
procuroient. Il nomma les Alliez
de M. Peliſſon en cette maniere
, c'eſt à dire , ceux des
gens de Lettres,qui avoient eſté
- ſes meilleurs Amis , M. de Malapeire
, Voiture , Vaugelas ,
Brebeuf, Godeau , Chapelain ,
Corneille , Scudery , Conrart ,
Menage , Gombaud , Segrais ,
& autres. Il parla enfuite du R.
Pere de la Chaize avec grand
éloge , de meſme que de M.
Boffuet & Huet , Eveſques de
96 MERCURE
Meaux & d'Avranches. Il n'oublia
pas les conteftations qu'il
avoit euës avec le Miniſtre
Pierre Jurieu , Profeſſeur à Rotterdam
, qu'il particularifa ,&
ce fut fur ce ſujet qu'il dit , que
les debats des Sçavans ne ſervent
bien ſouvent qu'à produire
une eſtime mutuelle , & à
découvrir les erreurs & les beveuës
dans leſquelles l'un d'eux
a donné. Il loüa les Ouvrages
de Controverſe de M. Pelifſon
, & dit que malgré la nature
de ces fortes d'Ouvrages
Polemiques , il les écrivoit
avec autant d'élegance que de
pureté , & que non ſeulement
la charité chreſtienne n'y eſtoit
point offenſée , mais qu'il avoit
ſoin d'y obſerver toutes les regles
de la bien ſeance. Il dit
encore combien dans la diſpenfation
GALANT.
97
fation des Oeconomats il avoit
diftingué ceux qui eſtoient recommandables
par leur érudition
, ou qui avoient quelque
attachement pour les belles
Lettres , ajoûtant que l'eſperance
de ces Sçavans Converzis
, qui ſembloit comme éteinte
par ſa mort , venoit d'eſtre
rallumée par la bonté que le
Roy avoit euë de nommer
pour diſpenſateur de ces mefmes
bienfaits & penſions , M.
Dagueſſeau , Conſeiller d'Eſtat
ordinaire , qui outre une naifſance
diſtinguée dans la Robe ,
commeeſtant Fils d'un premier
Preſident du Parlement de
Guienne , & defcendant des
perſonnes les plus confiderables
, poſſede encore une integritéadmirable
dans ſes jugemens
, beaucoupde politeffe
dans ſon langage , dela delica-
May 1693 .
E
98
MERCVRE
f
燒
teſſe dans ſes expreffions , &
une profonde érudition. Ildit
qu'il parloit dans une Ville limitrophe
de la Guienne , où
fon Pere & luy ſucceſſivement
avoient vêcu , & dont les principaux
Membres pouvoient
porter un fidelle témoignage
de toutes ſes vertus & de fon
éloquence , qu'il avoit ſouvent
fait paroiſtre en l'Aſſemblée
des Etats. Retournant enſuite
à feu M. Peliſſon , il parla de la
gloire que l'Academie de Toulouſe
avoit euë d'avoir un tel
Eleve , qui avoit donné des
idées ſi avantageuſes du reſte
de ſes Membres , & s'étendant
fur les liaiſons étroites que M.
Peliffon avoit euës avec plufieurs
autres perſonnes , il dit
que pour faire voir ſa ſolide
picté , il ſuffiſoit de remarquer
les ſentimens qu'avoient touTHEQUR
20
GALANT.
jours eus pour luy les deuh
mes du Royaume en qui leRoy
a témoigné avoir le plus de confiance,
en leur donnant la con .
duite de ce qu'il a de plus cher
au monde. M.de Rocoles parla
particulierement du R.Pere de
la Chaize, en qui l'on voit également
brillerles avantagesd'uane
naiſſance illuftre , & d'une
pieté ſolide. L'autre Perſonne
dont il fit auſſi l'éloge , fut M.
l'Evêque de Meaux. La part
qu'il a enë à l'éducation de
Monſeigneur le Dauphin , fait
que la France admirera toûjours
en fon digne chef d'oeuvre,
ſes vertus & fon érudition,
dont ſes Ouvrages font les plus
. dignes Panegyriftes. Enfin il
parla du Livre pofthume que
M. Peliſſon a laiſſe ſur l'Euchariftie
, & dont il découvrit des
particularitez , & comme la
E 2
7
1.00 MERCURE
fin de toutes les louanges que
f'on peut attendre ſur la terre ,
eſt empruntée de celles de
noſtre grand Monarque , il parlade
ſon Hiſtoire , dont la com.
poſition luy avoit eſté confiée.
Enfin il finit en diſant qu'il n'y
avoit perſonne qui ne fuſt convaincu
que par toutes ſes actions.
M. Peliſſon avoit entierement
remply le caractere
dont il l'avoit marqué reveſtu
lors qu'il avoit montré dans
fon diſcours qu'il avoit poſſedé
des Trefors de ſageſſe , de difcernement
, & de ſcience , par
leſquels il s'eſtoit rendu recommandable
à la poſterité
miroir de vertu conſommée
aux perſonnes qui frequentent
laCour , un exemple aux Sçavans
qui aſpirent à la plus grande
perfection , & un parfait
modelle aux Membres de l'A-
,
un
GALANT. 101
cademie dont il avoit eſté l'un
desFondateurs .
Les effets produits par la
Baguette de Jacques Aimar ont
fait que ceux qui raiſonnent fur
- cette Baguette , ſe ſont diviſez
en trois partis. Les uns croyent
que ce talent luy eſt naturel , &
que tout ce qu'on en publie eſt
veritable . C'eſt le ſentiment
de pluſieurs Phyficiens. D'autres
croyent que c'eſt un fourbe
; & il y en a d'autres , qui
endemeurant d'accord de tous
les faits , pretendent que le
- Demon y a part. L'Auteur du
Livreintitulé , Lettres qui décou
vrent l'Illusion des Philosophesfur
La Baguette qui détruiſent
leurs Syſtèmes , eſt de ce nombre.
M. de Comiers , Docteur en
Theologie , qu'il attaque dans
ce Livre , luy a répondu par la
Lettre que vous allez lire. Je
د
E 3
102 MERCVRE
د
ne vous l'envoyerois pas , ſi je
croyois que les démeſlez d'efprit
portaffent quelque prėjudiceà
la reputation ; mais ces
fortes d'aigreurs ne regardent
que les Ouvrages , & les opinions
dont chacun s'enteſte
ſouvent ne donnant aucune
atteinte à l'honneur des parties
intereſſées , j'ay crû vousdevoir
faire part de cette Lettre , en
affurant toutefois celuy à qui
M. de Comiers répond , que le
champ fera ouvert pour luy
comme pour fon adverſaire
ainſi je croy rendre également
juſtice à tout le monde , ſans
que perſonne ait lieu de ſo
plaindre .
M
ONSIEUR ,
Ie ſuis bienfâché que mes Re
flexionsfur la Baguette DivinatoiGALANT
.
103
re,qui ont été mises dans leMercure
de Mars , ne vous ayent pas été agréables
. Si j'avois crû qu'elles
m'euffent attiré vôtre mauvaise humeur,
je les aurois fupprimées avec
plaisir. Quoy que je neſcachepas
bienqui vous êtes , je trouve affez
fâcheux que vous me mettiezdans
vôtre Livre au nombre deces grāds
Parleurs , dont la Tête eſt un
Magaſin de pluſieurs choſes mal
digerées , & qu'ils appliquent
ordinairement dettrraavveerrss..*Voi-
La , Monsieur , des termes qui font
fortdes obligeans.Ie nevous ayja
mais faché. Ie ne sçavois pas même
qu'ily eust au monde un homme ,
qui de gayeté de coeur , fuft d'humeur
à me dire une telle dureté. Si
ce que j'ay dit dansla Baguettejuſtifice
,foit ferieusement , foit en
plaisantant,ne vous parciſſoit pas
Solide,il falloit le réfuter&ne me
point faire une infulteperſonnelle,
E 4
104
MERCURE
Cependant,ce qui me conſoleunpeu
* Page 243 .
c'est que vous ne traittezpas moins
indignement plusieurs personnesde
merite , qui n'ont jamais eu aucun
démêlé avec vous.
On dit que voila lapremierefois
que vous êtes Autheur,maisce dé
but vous fera afſfeurément unNom,
vous donnera de la distinction
dans le monde.Commevousy allez?
Du premier coup vous renversez
neuf ou dix Systêmes.
Qui pourroit tenir contre vous ?
Vous attaquez le moindre Systême
ſur la Baguette avec autant de re-
Solution &de vigueur, que sivous
aviez affaire à un Monstre. Dom
Quichote n'alloitpas avec plus d'apareilſe
battre contre un Moulin à
vent, qu'il prenoit pour un Géant.
Tout de bon, ilnefautpas être
fi roide; ilfaut unpeu s'humaniser
avec lesgens. Croyez-moy; ilfaut
GALANT .
105
paſſer quelque chose aux Autheurs.
Leurs Ouvrages se reffentent tous
enbeaucoup de chofes, de l'infirmité
humaine. Vous nesçavezpas encore
cela ,vous qui ne faites que de
naiſtre dans laRepublique Litte
raire ; mais j'efpere , qu'avant que
je finiffe ma Lettre, je vous en auray
pleinement convaincu afin de le
faire d'une maniere,qui vous tienne
attentif; c'est vostre Livre même ,
quejevais un peuvousfaire paffer
en revue. Comme cette voye vous
tiendra en haleine,jen'ay quefaire
de vous demander vôtre attention;je
compteque je l'auray toute entiere.
Vous fied- ilbien, Monsieur , dés
unpremier coup d'effay, d'élever un
petitTribunaldans lehaut devôtre
efprit,&d'y citer , juger , condamnerje
nesçay combien deperfomnes
, qui appellerontfans doute de
vosjugemens, commeétant d'un Iw
ge incompetent ? Croyez-vous que
B
106 MERCVRE
M.Chauvin, M.Garnier , M. Pan
thot, M.l'Abbé de la Garde,l'Alle
theur de la Phyſique Occulte,
les Peres Iefuites,quevous attaquez
s'en tiennent là ? Rien moins. On
vous prend déja pour un Iuge partial
, qui n'est pas même affez
prudent pour cachersa paßion. Vô
tre Lettre ſur le ſentiment de
quelques Jeſuites vous trahit Vôtre
jeu y paroist trop , vous nevous
menigezpas. Ne traitezvous pas
cruellement le celebre Pere Schot
Iefuite, quand vous dites . * Il im
porte peu de ſçavoir de quel
ſentiment a été le Pere Gaf
pard Schot Jeſuite , ſes ouvrages
ne luy ont pas acquis la res
putation d'unhomme, qui euſt
dudifcernement. Les Fables ont
chez luy le même rang que les
faits les plus averez; & il charge
ordinairement ſes Recueils.
de beaucoup de chofes , qu'on
* Pages 293, & 2948
GALANT. 107
peut ignorer,ſans en être moins
habile. Si paſſant quelquefois
les bornes d'un Compilateur,il
ſe rend Juge, on le voit approuver
dans le même endroit le
pour & le contre ſur d'aſſez méchantes
raiſons .On ne doitdoc
plus trouver étrange qu'en un
endroit il condamne l'uſage de
la Baguette , & qu'il paroiffe
porté à l'approuver dans un autre.
On n'écrit point,Monsieur, de
cette maniere parmy les gens , qui
Sçavent un peu le monde ; & cet
endroit - là n'est point de ceux
qui n'ont besoin que d'une explica .
tion un peufavorable. Il est fi viſiblement
injurieux à ce ſouvant Ie-
Suite , qu'il n'y a qu'un Carton qui
puiſſe reparer un sigrand excés de
malhonnêteté par où vous puisfiez
faire une suffisante amande
Honorable à cet illustre Ecrivain.En
effet , cet Auteur nous a donné des
,
E6
108 MERCURE
2
ouvrages excellensfur tous lesbeaux
Arts, presquesur toutes lesſcie.
ces divines & humaines. C'est un
fpectacleplaisant de voirun nouveau
Scribe, comme vous ,fe-mesurer avec
un homme,à la jartiere de qui vous
niriezpas.C'est un Rat qui ſe jouë
àlabarbe d'un Lion mort qu'iln'aureit
pas osé regarder vivant. Latrac
umbris .Doucement ; i'apprens que
le Carton est déjafait , felon l'avis
que des personnes fortfagesvous en
ont donné. Vous avezmême adouci
letitre devôtre Lettre qui portoit
d'abord, Sentimens de quelques
Jeſuites ſur laBaguette.Ce quelques
Jeſuites étoit un peu cru ,
mais cefont de ces chofes mal digerées
, dont votre teſte eſt un
Magaſin. Vous avez bien fait de
faire cettefatisfaction publique au
Pere Schot, de mettre le ſenti-
L
ment des Auteurs Jefuites . Il
eft bon defe corriger ,
*
les Car
GALANT.
109
tonsfont la reffource des Auteurs ,
àquile bonſens a manqué au befoin
de
Le Public même n'apas précha
per àvos mépris.Vous l'accusezsos
vent de trop de credulité ,
peudediscernement , & d'avoir ,
dites yous , un merveilleux fond
decomplaiſance pour tous ceux
qui parlent en faveur de ce qui
le réjoüit. * Avez- vous da chagrin
de ce que les ouvrages , que
vous attaquer ont été lus ,& approuvez
du Public ? Prevo ezvous
qu'il n'en fera pas ainsi de vôtre
Livre ? Il y a parmy le Public ,
d'habiles , d'honneſtes gens ,
dont le difcernement est exact ,
fait honneur àun Autheur. C'est
que vous avezpris le Public ,
le Peuple pour la mesme chose,
Tel est l'effet devostre discernement .
Mais cequ'ily a de fingulier dans
vos manieres dédaigneuses, c'est que
*Page 74-
ΓΙΟ MERCURE
on
pendant que vous méprisez tout le
monde , vous vous representez vous
mesme comme un homme de confequence.
Cela paroist dés l'entrée de
vostre Preface ,où vous dites , pour
justifier l'employ de quatre années ,
que vous avezmises à l'examen de
ce qui concerne la Baguette ,
peut craindre un excés de curioſité,
lors qu'on confume bien
du temps, pour approfondir des
Secretsqui n'ont nul rapport à
nos devoirs . Ilsemble que c'est un
Trélat qui parle ; Nos devoirs.
Quoyque je nevous connoiſſe pas ,
je doute que vos devoirs ayent
grand rapport avec le bien public.
Quant au temps des Auteurs ,
vous le comptez pour rien. En parlant
d'unjeune homme parfaitemet
bien élevé ,& qui a de belles connoiſſances
dansles Mathématiques,
dans la Physique , vous dites en
raillant sur un Systême qu'il a fait
*
GALANT . 211
1
du mouvement de la Baguette; * II
vaut bien mieux que ces jeunes
gens qui ſans ſe nommer , font
voir qu'ils font écoliers , ſe divertiſſent
à faire voltiger des
corpufcules , que s'ils paſſoient
le tems àmêler des Cartes,ou à
rouler des Dez. Vous ne trouvez
done rienàdire qu'unjeune homme,
donnedans cequevous appellez l'Illufion
des Philofophes ,&qu'il
perdefon temps aprés un travailqui
tend,ſelon vous,* à autorifer des
pratiques qui vont à des abus
confiderables ? Qu'est donc devenuvôtre
zele contrel'illufion & les
abus de la Baguette ? Son usage
eft, felon vous, diablerie toute pure ,
c'est de la Magie la plus noire ;
cependant , pourveu que ce jeune
homme ne joue ny aux Dez,ny aux
Cartes,vous luy permettrez de pren
dre party pour la Baguette. Mais
quejugerons-nous de ce que vous di
*Page 243,- * Page 188
6
211 MERCURE
i
tes à la fin devôtre Livre , * Que
l'uſage de la Baguette produit
des abus, qui fontgémir lesgens
de bien en pluſieurs endroits ?
Pourmoy, jeluy interdirois nonſeulement
les jeux de hafard ; mais
je luy deffendrois encore de prouver
que la Baguette tourne naturellement,
fi je croyois comme vous , que
c'est le Diable qui la fait mouvoir.
Ily a tant de recreations honnêtes
pour unjeune homme, où l'on peut
le renvoyer. Ily a la Musique ,le
Chant, les Instruments laPaume le
Billard,les Echets D'oùvous eftdenc
venue l'idée des Dez & des Cartes?
Ilmesemble que vous dites * aprés
lePere Malebranche, que les
eſprits animaux vont d'ordinai
re dans les traces des idées,qui
nous font les plus familieres ;
que la raison pourquoy l'Auteurde
laPhifique Occultea trouve du magnétismedans
l'inclinaisondelaBa-
*Page 1970 *Page 204..
1
GALANT. 113
guette c'estparce qu'il avoit nouvellement
composé un Traité de
l'Aimant de Chartres . Voyer un
peu comment les traces, cui nesont
pes bien efficces, reviennent ? Vous
avez bienjit de nou en avertir le
merange aves vous, pendant que
nôtre jeune homme fait voltigerdes
Corpuscules, plûtôt que de joueraux
Cartes , &aux Dez, je vous écoute
dire;* attendons que de nouvelles
traces effacent une partiede
celles , dont nous ſommes remplis
, & que n'étant plus dominez
par une imagination fra
pée ,nous puiſſions former un
jugement plus libre.
Mais Monsieur , qu'enten.
dez-vous par ces paroles , qui font
àlateste de vostre premiere Lettre.
* Les Phenomenes de la
و
otr Baguette qui font faux
furnaturels ? Que signifie ce mot,
furnaturel ? Fay tort de vous le
*Page 205 . * Page 66.
1
114 MERCUR E
demander, puis que vous l'expliquez
fortſouvent dans vostre Livre. Vous
poulez dire , que ceft le Demon
qui a part à l'uſage de laBaguette
, & que c'eſt cet Eſprit ſeducteur
qui la fait tourner. Cer--
tainement ,je veuxfaire à mon tour,
außi-bien que vous , des Reflexions
critiques ; & vous allez
voir si j'y entens quelque chose. Ie
commence par dire , que le terme de
furnaturel nepeut convenirauxoeuvres
du Diable, qu'ilpourroit bien
estre , que ceux à qui vous reprochez
deneguere lire lesTheologiens, en
ont plus de connoiſſance que vous.
Sçachez donc Monfieur , qu'iln'y a
que l'Estresouverain Auteurde la
Nature , qui puiſſe faire quelque
choſe de ſurnaturel. Lefçavant Toftat
, cap. 17. Exod. quæſt . 10 .
dit fort bien que nous ferions tous ce
que les Demonsfont de plus merveil-
Leux,fi nous connoiſſions außi bien
GALANT. N
qu'eux laproprieté la force des
causes Physiques , & que tout ce
qu'ils operent defurprenant, varien
de furnaturel ,puis qu'ils ne l'exe-
1
cutent qu'en appliquant les choſes
actives aux paffives . Si vous ne
Sçavezpas cela, vousn'eſtespasgrand
Theologien , je crains bien que
vous ne vous acquittiez tres-mal de
la promeſſe dont vous menacez le
Public à lafin de vostre Freface ,où
vous dites que vous donnerez en
casde beſoin , un Traité du dif
cernement des effets naturels ,
d'avec ceux qui ne le font pas.
Ceprojet estdignede vous. Que de
Libraires en campagne , pour avoir
un Ouvragesi digne de la curiosité
de tout leGenre bumain ! Maispar-
Lonsſerieusement ; vous n'y entendez
rien. Ievous dis encore un coup ,que
tout ce que les Demonsfont ,Soitpar
cux mesmes ,foit par le ministere
tous les Magiciens du monde , est
executé par des voyes entierement
de
Pa
116 MERCVRE
naturelles. Il faut mesme que Dieu
prenne des voyes extraordinaires ,
pourfaire quelque chose de furnaturel;
&files operations delaMagie
sont condamnées avec tant de
feverité, ce n'est pas parce qu'elles
font furnaturelles, mais c'est àcau-
Sequ'ellesse font par l'aideduDemon
, avec qui il est défendu aux
hommespar la Loy de Dieu d'avoir
aucun commerce , ce qui fait dire
àM. Gaffendi,que celuy là eſtdi
gnede mort ,qui est convaincu par
LesIuges d'avoir cherché àfaire alliance
avec cet implacable ennemy
de nostre falut . Ainsi , croyezmey
gardez vostre Traité du difcernementdes
effets naturels d'avec
ceux qui ne le font pas. Il
feroit voirquevous avez peu de difcernement
,que vous n'estes ny Thi-
Le ophe nyTheologien , & que vous
eftes de ces grands Parleurs dont
la teſte eſtun magazin de pluheurs
choſes mal digerées , &
1
GALANT.
117
4 qu'ils appliquent ordinairement
de travers. Ie vous renvoye ,
comme vous voyez, ceque vous m'a .
vezadreßé affezmal àpropos ;
cequ'ily a d'admirable , c'est qu'aprés
m'avoir dit une duretépareille ,
vousparlezde Sel attique. De votrevie
vous n'avezsceu ce que c'est
que Sel attique . Ne cherchez point
à en releverle gouft de vos Ecrits ;
tachez plûtoft d'ymettre un peude
Sel de prudence.
Puisque noussommesfurlaTheo .
logie, je voudrois bien ſcavoirfur
quels principes vous reglez vostre
Morale. Elle me parcist un peu cavaliere.
Vous nous apprenez * une
avanture de M. Expieauſujet de la
Baguette , dont ilvousa , dites-vous
fait confidence. Cependant vous la
faites Imprimer, &aprés cela vous
dites ; Je ne voudrois pas pourtant
publier ce fait , fi M. Expié
le trouvoit mauvais. Il m'en
* Page 290.
118 MERCVRE
avoit fait un ſecret , mais
'j'ay ſceu qu'il l'avoit dit à pluſieurs
autres perſonnes . C'eſt
pourquoy , je ne fais pointde
difficulté de vous l'écrire . * En
verité vous eſtes un homme rare en
fait defecret ! Doutezvous que cet
homme ne trouve mauvais que
vous reveliezune chosefur quoy ila
exigé de vous lesecret ? Quelle
Morale vous a appris , que parce
qu'il a confié peut- estre la mesme
àquelques- uns deſes Amis ,
voussoyezen droit de violer la foy
dufecret ,&de luy joüer un tour
qui pourra luyfaire des affaires dans
SonPays?I'ay honte de vous redreſſer
furune conduite , que la Moraledes
Payens laplus corrompuë condamneroit.
Quoy qu'il en arrive à M.
Epiéilestcertainque le mouvement
de la Baguetre eftpurement naturel
Surles eaux ,&für les métaux . La
facultéde s'enfervir , est un don de
*Page 262 .
choſe
GALANT.
119
La natureque les uns ont , &que les
autres n'ont pas. Iusque- la le Demonny
arien àfaire,Peut estreque
ceuxqui dirigent leurintention, afin
que la Baguette tournesur cecy ,
nonpasfur cela,font une chose mauvaiſe,
ouqui du moins neparoistpas
fondéefurceque nousſcavons dela
Physique,mais mille perſonnes s'en
fervent fans ce tourd'imagination;
pour montrerque le mouvement
de la Baguette est un pur ouvrage
d'une cause Physique, c'estque ceux
quisçaventlesecretde la direction
de l'intention,nesçauroient s'enferwir,
s'ilsn'ont pas d'ailleursle mouvement
de la Baguette.Celaestrellementvray,
que jesçay unhommequi
ayantappris cefecret en Italie, & ne
pouvant l'employer, parce que la Ba-
Zuetse ne luy tournoit pas cherchoit
dans les Ecoles publiques des Enfans
qui euſſent ce don de la nature , &
puis il leur apprenoit ce manege de
l'intention. Ecriveztant qu'il vous
120 MERCURE
plaira contre la Baguette , si vous ne
Scavezpas faire cette distinction,
vous ne détruirez pas lesſyſtemes des
Philofophes, mais vous combattrez
vos propres siluſions. L'Auteurde la
Phyſique Occulte a marqué fort
bien qu'ilya unusage de la Baguetrenaturel&
innocent , &qu'ily en
aunautreSuperstitieux&criminel,
&il n'a rien avancéque deparfaisement
conforme ausentiment deM.
l'AbbéPirot , Chancelier de l'Eglife,
&de l'Univerſitéde Paris,quevous
rapportez . * Voicy ſes paroles. Il
pourroit y avoir quelque ſecret
naturel qui feroit qu'une Baguettedécouvriroit
des eaux,ou
des metaux, cõme des Flamands
ont découvert à S. Denis une
ſource cachée ; & il yades gens
quidécouvrentainſi des eaux,de
l'or , & del'argent. L'Auteur de la
Phyſique occulte n'en dis pas davantage.
* Page 59.
Quant
GALANT. 1.21
Quant àla poursuitedu Meurtrier
de Lyon , il n'y a rien là de fi
extraordinaire. Voici comme en
parle l'Auteur de la Phyſique
Occulte . * Ce n'eſt pas une
choſe ſi nouvelle, que certains
hommes ſoient d'un temperament
propre à avoir des ſenſations
plus vives qu'on ne les
a ordinairement . Chacun peut
-voir dans l'hiſtoire des Antilles
, que les Negres ont l'ddorat
ſi ſubtil , qu'ils diſtinguent
les veſtiges d'un Negre , d'un
Eſpagnol , ou d'un François ,
en ſentant ſeulement la place
où ils ont marché ; & M. de la
Mothe-le - Vayer dit que les
Guides dont on ſe ſert pour
paſſer les Mers de fables , & les
deſerts d'Afrique, trouvent les
chemins en flairant le terrain .
* Page 446.
May 1693 . F
122 MERCURE
Voſtre Traité du discernement des
effers naturels d'avec ceux quine
leſont pas , mestra fans doute de
la diablerie là dedans.
Mais à propos de la Phyſique
Occulte , est- ce tout de bon ceque
vous en dites ? Le Public l'a fort
bien receuë , & je ne souhaiterois
pas une meilleure fortune à vos
Reflexions critiques. Ceuxqui
nient tous les faits , ne sont pas
de son fentiment , mais ils nesont
pas non plus du vostre , puis que
vous admettezles mêmes fans,
qu'il regarde comme veritables,&
Supposé la veritédes faits ,fonpartyfera
plus gros que le vostre où il
n'entrera guere que des Viſionnai -
res , & de mauvais Phyſiciens.
Mais pourquoy critiquez-vous fon
Style ? Il écrit mieux que vous ; du
moins les Connoisseurs, qui vous ont
lus tous deux ,y trouvent une difGALANT.
123
ference mortifiante pour vous. Vous
voulez faire l'habile homme ,
vous reprenez le mot d'inclinaifon,
qui est un terme conſacrépour
fignifier le mouvement par lequel
une vergedefer aimantée s'abaiffe
au deſſous de l'horison en deçà ,
au delà de l'Equateur. Vous notez
encore celuy d'infinuation , que
la Mecanique employe pour marquer
la force de ce qu'ony appelle
quer
le principe d'infinuation. Vos
Reflexions critiques font voir
que vous n'entender rien dans les
beaux Arts , & que vous n'êtes
pas propre à éclaircir les difficultez
de la Physique . Est- ce ainſi que
vous vous y prenez, pour détruire
les ſyſtêmes des Philosophes ? Ce
n'est pas vostre talent . Le ne sçay
*s'il vous convient mieux de vouloir
embellir voſtreſtyle des termes des
Précieuses , & d'employer ſouvent
F 2
124
MERCURE
le joly ,le joliment , &ſemblables
termes mignards.
Au reste , quelque mine mépri-
Sante que vous affectiez de prendre,
quand il s'agit de la Phyſique
Occulte , ily a pourtant bien de
l'apparence que vous n'en avez pas
fiméchante opinion que vous dites,
Vous attaquezseul les huit on neuf
autres Systêmes , lorsque vous
venezà celuy de la Phyſique Occulte
, vous n'osez plus combattre
Seul. Onvoit paroiſtreſur le champ
de Bataille * Arifte, Theodule,
& Ménalque qui sont gens d'expedition.
Rien n'est plus terrible ,
fi on vous en croit , que ces illuftres
Affaillans,car vous nous avertiſſez
qu'ils sçavent fort bien l'usage de
la Satyre, & de la Raillerie . *
Voila de braves gens. Vous vous
êtes apparemment choiside telsſe-
Page 17 Page 192 ,
**
GALANT.
125
conds par goust , & par inclina
tion.
د
Cependant je trouve que ces trois
Meßieurs vous ſecondent affezmal.
Ils paroiffent tout d'un coup comme
trois Carabins , qui tirent leur coup
de Pistolet , & puis qui se retirent
fans qu'on puiſſe deviner, ni
d'où ils viennent ni où ils s'envont.
Lappelle un coup de Pistolet les
froides plaifanteries qu'ils fontfur
le titre de Phyſique occulte, comme
s'ils n'avoient pu comprendre
dans la preface, que Phyſique occulte
fignifie les effets merveilleux
que la nature opere par
des eauſes infenfibles & incon
nuës. Ils égratignent encore quelques
endroits du Livre, mais c'estfi
legerement qu'on peut dire qu'ils
enfont demeurez à une simple ef- 1
carmouche. Mais levons le masque
à Ariste , à Theodule , & àMé-
4
F3
126 MERCVRE
nalque , nous trouverons,que c'eſt
vous- même qui vous êtes làtraveſti
pour un moment , afin de dire ſous
ces noms empruntez , ce que vous
n'avez pas voulu dire par vousmême.
C'est une Montre où vous
paffez trois fois en revuë , afin de
großir le nombre de vos Combattans
, à l'imitation de ces Officiers
deguerre , dont les Troupes nefont
point complettes , qui pour pro .
fiter de quelques payes,font paſſer
le même Soldat trois ou quatre fois
en revuë ; mais ſi dans ce bel Epifode,
dont vous avezillustré vostre
Livre , quelqu'un de ces personnages
dit des choses ridicules , cela
ne retombe t-il pas sur l'Auteur
de la Mascarade ?
Pourquoy vostre Ariste fait il
là simalfon rôle ? Il fait pitié, il
paroiſt en matiere de Physique un
Soldat armé à la legere. C'est un
GALAN T.
127
Ignorant qui veut faire le bel efprit
,& qui ritfans sens ,&Sans
raison. Voyons où est le mot pour rire
? Hà Ménalque , dit -il , que
cela eft admirable ! Des corpuf
cules qui viennent dire qu'un
homme eſt aux priſes avec fon
Hôte. * Cela certainement est admirable
; Menalane justement
Surpris de voir Ariste plaisanter
ridiculement là deſſus , a raison de
luy dire , vous en riez Ariſte.
Car enfin en bonne Physique,quand
quelqu'un nous parle, il ne s'appli
que pas immediatement à nostre
oreille, pourse faire entendre,
le sentiment que sa parole forme
dans noſtre oreille , est produit par
l'entremise des corpuscules de l'air,
mis en mouvement par l'air que
pouffent les poumons de celuy qui
parle. Ah , Ariſte , que cela eſt
* Page 190..
F4
128 MERCURE
admirable des corpufculesd'air
qui vont dire à un homme ce
que ditun autre !
Mais , Monfieur , il me prend
envie de vous demanderce que vous
faifiez dans cette belle conversation
avec ces trois Meßicurs. Ap
prenez-moy un peu quel étoit là
vostre personnage; carvous n'y dites
pas unpetit mot. Vous nous avertiſſezseulement
qu'Ariſte vous
mena chez Théodule. La converſation
même s'y échauffa ; il n'y
a que vous , quoy que penetré plus
que personnes des desordres quefait
La Baguette , qui êtes- làfroid com
me un Espagnol. Avous voir remuer
la tête , Sans jamais defferrer
les dents , on vous prendroit pour
une Pagode de la Chine ; car je
tiens pour constant que vous n'avez
rien dit dans cette brillante converſation.
Si vous y aviez parlé ,
GALANT.
129
vous n'auriez pas manqué de nous
repeter les belles choses , qui auroient
été de vostre façon. Vous
n'êtes pas homme à vous oublier.
Vous großiſſez voire Livre des
beaux entretiens que vous avez eus
çà là au sujet de la Baguette.
On vousy voit parler avec des Abbez
, avec des Chanoines, avec des
Officiaux , avec des gens d'esprit ,
avec Mademoiselle Ollivet , avec
la Fille de Martin Marchand ,
avec lefameux Devin Lacques Aimar;
il n'y a qu'avec Ariste,Ménalque
, & Théodule , que vous
ne ditesrien. Apparemment qu'A-
• riſte vous avoit mené chezTheodule,
poury écouterseulement. Le
bon party , Monfieur , qu'il vous
avoit marque ! On nese repentquere
de l'avoir pris ; mais ce party ne
vous plaist pas , c'estsans doute
se qui vousfait dire avec chagrin
FS
1
130
MERCVRE
je fais réſolution de ne me pas
trouver au même rendez - vous..
En effet , Theodule est un homme
qui nesçait pas viwe.Ildevoit faire
les honneurs de sa maison ,
vous donner le bureau , du moins
pourquelques momens. Il est même
Surprenant que ceMonsieur-làn'ait
pas été curieux de voir un plat de
voſtre mêtier. Vous étiez bienbaftant
pour eux. Ménalque même
est un homme qui a beaucoup de
rapport avec vous. Il roule il y a
long-temps après l'examen des effets
de la Baguette. On l'a vû dans
toutes les Bibliotheques de Paris
chercher des memoires sur cesujet...
Il a été même àcelle desPeres Ie
fuites , quoy qu'il y ait apparence
qu'il les regale quelquefois , comme
vous venez de faire le Pere
Schott . Enfin , tout plein des belles
experiences , auſquelles il a été
GALANT.
131
present , il dit , * Jay vû la Baguette
tourner entre les mains
de deux hommes fort gras , &
d'une Fille extrêmement maigre....
Elle tourne à l'âge de dix
ans comme à celuy de ſoixante;
pendant la maladie , comme
dans une parfaite ſanté ; àjeun ,
auffi -bien qu'après avoir mangé.
Il faut que ce Menalque ait
donné , comme vous , du moins quatre
ou cing ans à ces experiences ,
pour en parlerſi poſitivement.Pourquoy
donc gardez- vous le
parmy des gens qui ont tant de
Sympathie avec vous ? Il est vray
que ces trois Meßieursse conten
tent d'examinerles matieresfuperficiellement
, & qu'ils pouvoient
craindre que vous ne leur fißiez
perdre terre, fi vous vous êtiezmis
une fois à philosopher. Iln'y avoit
*Page 185,
tacet
F6
13 2
MERCVRE
rien à apprehender pour eux de ce
coſté-là. Ils n'avoient pas lûvoſtre
Preface , où vous declarez que vous
n'êtes pas dans le deffein d'approfondir
la matiere qui fait la dif
pute, que cette voye eſt longue ,
que vous vous bornez à confiderer
les circonstances des faits ,
par leſquelles on peut juger ,
fans beaucoup philoſopher , fi
l'effet eft naturel' , ou ne l'eft
pas. Franchement vous êtiez l'hom
me qu'il falloit à Arifte , à Ménilque
, à Théodule.Vous étiez
fait pour eux. Mais êtes-vous bienle
fait du public , pour l'informer
à fond de ce qu'ildoit penfer fur
laBaguette ? I'en doute Vousfaites
Sagement de nevous pas engager
à philofopher beaucoup. Ce
n'est pas außi de quoy onseplain .
dra . Mais que voulez- vous dire
par Philofopher ſur les circonGALANT.
133
ſtances des faits ? Ie vous com
prens. C'est que vous ramaſſezdans
voftre Livre dix ou douze Relations
ſur la Baguette, puis ſans beaucoup
philofopher , vous montrez
que ces faits nefont point naturels.
La methode eft admirable. Il
y a dans ces relations des chosesoutrées
; il y en a de fauffes ; il y a
des contradictions manifestes ,
fur tout cela vous prétendez pourtant
décider ce qu'on doit juger de
nos ſyſtemes. Illuſion. Vous pointillez,
je vous l'avonë ,fur les differentes
Relations venuës de Lyon;
mais vous ne philosophezpasfur la
nature des effets conftans de la Baguette.
Il n'est pas difficile de montrer
combien les hommes prennent
aisément des veuës differentes fur
uneméme avanture, Ie ne m'étonne
plus si vous avez compilesans au
cune preference tout ce qu qu'on aécrit
134
MERCURE
de Lyon ausujet de la Baguette..
Vous trouvez vostre compte , ſans
beaucoup philofopher, dans ce
magazin de choſes mal digerées ,
& que vous appliquez de travers
. Les Relations les plus ontrées
vous accommodent méme
mieux , parce qu'elles vous donnent
un plus beau jeu . C'est donc ainsi
que,ſans beaucoup philofopher,
vous découvrez l'illuſion des
Philofophes ? Illusion: C'est donc
par là quevous vous érigez enre.
doutable deſtructeur des ſyſtèmes
furla Baguette ? Illusion , viſion ,
chimere. Il n'y a que des moucherons
qui seprennent dans vos toiles
d'araignées ; & il n'y aura que
des dupes qui donneront dans vos
filets.
Il s'agit ici d'un petit avis,dont
vous ferez tel cas qu'il vous plaira.
Le.voici . Vous ne gardezpas affez
GALANT.
135
La vraysemblancedans vos fictions.
Penfez-vous que ce soit une chose
bien imaginée , que vostre Lettre
écrite de Paris à un Chanoine de
Grenoble, pour l'instruire de ce qui
s'estpaßé dans Grenoble méme ,
de ce qu'il y peut apprendre par
Mademoiselle Dufour , qui fut
preſente à tout, &qui eſtd'une
memoire à qui rien n'échape.
* Vous n'avez pas la memoirefi
bonne. Il échape àla vostre des choſes
qui vous font tomber dans des
contradictions affezgroßieres.Vous
dites * qu'en ſe ſervant de la Ba
guette, on abeau dire alors , je
renonceà tout pacte ; les paro
les ſont démenties par les actions
. Le Demon a fuffifamment
averty qu'il agiſſoit dans
cette pratique ; il n'y faut ja..
*Page 276. *Page 262 .
136 MERCURE
mais recourir ſi on abborte
fon commerce. Vous avancez là
deux choses que vous démenteztoutesdeux
.
Premierement , vous nous affurez
que , quoy qu'on renonceau Demon
ensefervant de la Baguette , cepen
dant le Demon vient lafaire tourner
, parce que les paroles font
démenties par les actions . Tour
moy ,je vous aurois cra fur vostre
parole,si vous ne nous affuriezpas
en d'autres endroits , que Mademoiselle
Ollivet , après avoirrenoncé
au parte , & avoir fait ses devotions
avec vous , * trouva que la
Baguette ne luy tournoit plus
fur des pieces de métal , & n'ap--
perceut plus le moindre ſigne
d'agitation. Que laFille deMar
Page 279
GALANT. 137
tin Marchand * ayant renoncé de
bon coeur au Demon , reconnut
fans s'émouvoir que la Baguette
ne luy tournoit plus.Que M.
lePrieur Barde , M.de Pernan,
Chanoine , auſquels la Baguette
tourncit , * après avoir prié le
Seigneur de faire ceffer ce
mouvement s'il n'eſtoit pas
naturel , virent que la Baguette
ne leur tourna plus. Donc quand
on renonce au pacte ; le Demon ,
Selon ces historiettes
د
د
ne revient
pas. Ilfaudroit bien penserà ce que
l'on écrit , fur tout quand on veut
Sefaire imprimer.
Secondement , vous dites que ,
comme le Demon a ſuffisamment
averti qu'il agiſſoit dans cette
pratique , il n'y faut jamais recourir
, fi on abhorre fon.com-
Inerce. Soit ; mais pourquoy dans
*
*. Page 289 . 2.90.
138
MERCVRE
cette perfuafion où vous eſtes , avez
vous donc recours à cette pratique ?
Pourquoy donc après le manege
qu'ont fait ces Meßieurs & ces
Demoiselles, quand vous les avez
obligezde renoncer à la Baguette ,
la leur avez vous remise vousmesme
entre les mains ? Ils en avoient
abjuré l'usage pour jamais,
N'étoit- ce pasaffez ; certain comme
vous estes que le Diable prefide à
cette operation , & qu'il n'y faut
jamais recourir , fi on abhorre for
commerce ? Qui vous avoit aſſuré
que Iaction ne démentiroit point
alors la parole , & que cet Efprit
Seducteur ne viendroit point mouvoir
la Baguette , vous qu'il a
fuffisamment averty qu'il agiffoit
dans cette pratique ? * Quel
deffein aviez vous Car fi le
renoncement aupacte ne chaffe point
* Page 262 .
GALANT.
139
le Demon , &qu'il suffise ,selon
vous , de prendre la Baguette pour
s'enservir , afin qu'il agiffe dans
cette pratique , vous ne pouviez
rien éclaircirpar là. A quoy bon
donc tous ces exercices fi curieux ,
auſquels il nefaut jamais recourir,
fi on abhorre le commerce
du Diable ?
Mais quand vous auriezpů apprendrepar
ce moyenquelque verité
importante , est-il permis de tenter
Dieu ? Quels principes de Theolo
gievous ont appris qu'onpeut s'af
furerd'uneverité par une voye criminelle
, diabolique ; Car je
Suppose avec vous maintenant que
l'usage de la Baguette est diaboli
que. Cependant l'Auteur de la
Phyſique occulte vous afolidement
prouve qu'on s'en peut fervir
innocemment utilement . Que
d'illuſions dans vos raisonnemens ,
140 MERCUR
dans vostre conduite ! Qui l'auroit
cru, Monsieur, quevous fußiez
homme àtomber dans tant de pauvretez
, vous qui vous donner si
fort la liberté de turlupiner les
gens ? Il vous convient bien vraiment
de prendre ces airs là. Apprenez
que ce n'est point en turlupinant
qu'on détruit des ſyſtèmes,
mais enphilofophant beaucoup ,
quevous pourriezbien employer
mieux vostre temps ailleurs , que
dans une dispute , où vous n'entendez
certainement rien. Iefinis ſans
compliment , car ma Lettre vous a
peut-estre déja paru longue
nuyeufe.
en
L'AVEUGLE COMIERS.
l'ay à vous apprendre une
nouvelle d'Alger, qui eft affez
curieuse. Un Vaiſſeau duRoy
ayant enlevé une Priſe à une
GALANT. 141
{
Barque de cette Republique ,
& le Capitaine de cette Barque
ayant preſſé pluſieurs fois.
M.le Maire ,Conſul de France,
d'aller au Palais du Dey , dans
la reſolution de luy faire une
avanie , ce Conſul s'informa
ſecretement de l'Equipage , de
tout ce qui s'étoit paſſe en cette
occafion , afin d'être éclaircy
de la verité. Il apprit que
ce Capitaine avoit vendu la
Priſe à Tunis , afin de fruſtrer
Ja Republique des droits qu'il
devoit pour la prise de cette
Barque. Deux Turcs &trois
Maures de l'Equipage s'offrirent
de ſoutenir & de prouver
ce qu'ils avançoient. M. le
Maire les mena au Palais du
Dey,devant lequel ils déclarerent
la verité d'une maniere à
l'empêcher d'en douter. Le
142
MERCVRE
Dey envoya ſur l'heure prendre
leCapitaine par unChaoux.
Il fut amené devant luy , &
convaincu par les cinq Témoins
dont je viens de vous
parler , que le Vaiſſeau du Roy
ayant ſecu qu'il étoit Algerien ,
luy avoit auſſi-toſt rendu la
Priſe dont il s'agiſſoit. Ce Capitaine
fut mis entre les mains
de l'Aga de la Milice ,& mené
dans ſa Maiſon , où on luy fic
donner cinq cens coups de bâton.
Il fut auffi-toſt abandonné
de ceux qui étoient dans ſon
party, ce qui fit découvrir qu'il
avoit tramé à Tunis une Conſpiration
avec Kara Mustapha ,
Ennemy de la France . Ce Kara
Mustapha avoit été Amiral
d'Alger , & il l'étoit alors de
Tunis. Il avoit gagné le Capitaine
de la Barque , & luy avoit
GALANT.
143
donné de l'argent, pour s'aſſurer
de quelques Seditieux , &
les engager à tuer Chaban ,
Dey d'Alger , en la place duquel
ils devoient le mettre , ſi ,
toſt que leur entrepriſe auroit
eu l'effet qu'ils en attendoient.
Le Capitaine ayant eu laQueſtion
pendant trois jours , déclara
quelques Complices de la
Conſpiration , aprés quoy ne
pouvant plus reſiſter à la force
des tourmens , il fut étranglé.
On examineſes Complices,qui
ne doivent pas attendre une
autre fin , que celle qui eſt ordinaire
aux Traiſtres , & aux
Vfurpateurs.
La grace que le Roy a faite
aux Chevaliers Hoſpitaliers
du SaintEſprit , en deſuniſſant
leurs biens qui avoient été
unis à l'Ordre de Saint Lazare,
144
MERCVRE
eſt un effet trop éclatant de ſa
juſtice & de ſa bonté , pour ne
les pas engager à rendre publics
les témoignages de leur
reconnoiffance.C'eſt pourquoy
auffi-toſt que M. Grandvoinet
de Salins , Prêtre Religieux
Profez de l'Ordre Hoſpitalier
du Saint Eſprit , Commandeur
de Stephanſpheld en Alface, &
Deputé de ſes Superieurs
pour les affaires de fon Ordre,
eut appris que lEdit de Sa
Majeſté étoit enregiſtré au
Grand Confeil , & qu'il alloit
être publié , il écrivit des Lettres
Circulaires à tous ſes Confreres
dans les Maiſons de fon
Ordre,qui s'étoient ſoûtenuës,
& n'avoient point été unies
à Saint Lazare , tant pour
leur donner avis de cette bonne
nouvelle , que pour les
inviter
GALANT.
145
inviter à remercier Dieu d'une
grace ſi particuliere , & à
faire des Prieres pour la Santé,
& Profperité du Roy ,& de
toute la Famille Royale. Cela
fut executé peu de jours aprés,
avec toute la ſolemnité , &
toute la devotion poſſible, particulierement
à Besançon & à
Dole en Franche-Comté, ainſi
qu'à Stephanſpheld , où l'on
chanta le Te Deum avec une
grande Meffe , & les Prieres
pour le Roy. Depuis ce tempslà
, le même Commandeur deputé,
cut l'honneur de remercier
Sa Majeſté au nomde tout
fon Ordre . Il fut preſenté par
M. le Maréchal Ducde Duras,
Gouverneur de la Franche-
Comté.
Le Vendredy 15.de ce mois,
M.le Maire, Profeſſeur enHu
May 1693 . G
146 MERCVRE
manitez à Saint Germain en
Laye , fit le Panegyrique de
Sa Majesté. C'eſtoit le jour où
Elle entroit dans la cinquante
& uniéme année de ſon Regne
fur quoy l'on peut dire qu'un
Regne fi long , marque une
abondance de Benedictions du
Ciel fur ce Prince. Après avoir
dit qu'on ne devoit pas eſtre
furpris que dans un temps où
il n'y avoit preſque perſonne
qui ne parlaſt de ſes grandes
actions , & qui n'admiraſt ſa
Pieté , ſa Valeur , ſa Sagelſe ,
& fa Juſtice , il fiſt paroiſtre le
zele qui eſt naturel à de fidelles
Sujets , en prenant part à
la joye publique , & à l'hommage
annuel que la Ville &
l'Univerſité de Paris , ne manquoient
pas de luy rendre ce
jour , il fit connoiſtre qu'il n'i
GALAN T.
147
gnoroit pas que le deſſein de
traiter une ſi noble matiere ,
furpaſſoitd'autant plus ſes forces
, queles perſonnes les plus
éloquentes eſtoient incapables
d'y reuſſir , mais qu'au moins
il ſe flattoit qu'on ne condamneroit
point ſes foibles efforts .
à vouloirdonner des marques ,
&de ſa fidelité , & de ſa reconnoiffance.
Le Portrait du
Roy ſuivi cet exorde. Il le
peignit pour le corps Os hume..
rofque Deofimilis , & ditenfuite
que ce Monarque avoit le coeur
noble , l'ame belle &genereuse ,
l'esprit net ,folide
estoit plein
vif , qu'il
d'honneur de probité,
estimant ceux qui en ont ,
haiſſant ceux qui en manquent ,
gardantsa parole avec une fidelité
extrême , reconnoissant , conftant
dans le but qu'il s'est proposé , li
G 2
143 MERCURE
beralpar la seule vuë de faire du
bien ,pieux fans timidité, modefte
Sans affectation ,Sage sans inégalité
, magnifiquesans faste , juste
Sans ſeverité , tendre & bon Sans
foibleffe,fermefans dureté : ayant
toûjours la même conduite, toûjours
la même grandeurd'ame , toûjours
cette douce Majesté qui inſpire également
l'amour & le reſpect ; qu'il
étoit affable aux Etrangers , qu'il
aimoit tendrement ſes Sujets , qui
de leur coſté le regardoient comme
leur veritable Pere ; que lors qu'un
honnête homme, de quelque condition
ou profeßion qu'il fust , étoit
affez heureux pour l'approcher ,fon
merite luy étoit une recommandation
aſſurée pourparvenir àla fortune
, mais qu'il aimoit que l'on
s'attachaſt à son devoir ; qu'on le
trompoit rarement deux fois , &
qu'on pouvoit dire ſans exagerer ,
GALANT .
149
que c'étoit le Prince de l'Univers
quise connoiffoit le mieux en phyfronomie
, & qui penetroit plus
avant dans le coeurde ceux qui luy
parloient qu'il joignoit à cette
grande penetration , un discernement
admirable , une memoireprodigieuse
, qu'ilsçavoit laportée
de l'esprit de ceux qui l'approchoient.
Qu'il étoit outre cela grand
Capitaine , brave , ayant le courage
d'un Soldat l'ame d'un Prince ,
intrepide dans le peril, infatigable
laborieux à tout entreprendre ,
inépuisable dans les reſſources, im
penetrable dansſes deffeins , treselairvoyant
dans ceux d'autruy ,
agiſſant lors qu'il paroiſſoit le plus
en repos , d'une prévoyance incroyable
pour l'avenir qu'il donnoit
les ordres außib-ien dans les Armées
, que dans les Conſeils ; qu'il
diſpoſoit tout , aßistoit àtout , ani
G3
150
MERCVRE
moit tout par son autorité , parses
Soins, parses exemples , & que
fon Genie feul étant capabledefuffire
à tout , laſource defes Confeils
étoit en luy- même ; qu'ilfoutenoit
feul le poids des affaires ;que c'étoit
à fon coeur & àfon esprit que
nous devions tant de grands fuccez,
qu'ayant tout enſemble la gloi
re du deffein , celle de l'execu
tion , ce qu'il penſoit n'avoit pas
moins de grandeur , que ce qu'il
faisoit.
Le 6.de ce mois, les Herauts
& le Roy d'Armes allerent au
Parlement , à la Chambre des
Comptes , & à la Cour des Aides
, avec M. le Marquis de
Blainville , Grand-Maiſtre des
Ceremonies, à la Cour des Mõnoyes,
à l'Election, à l'Univerfite
, au Chaſtelet, & à l'Hoſtel
de Ville , avec M.des Granges,
GALANT. 155
Maistre des Ceremonies , pour
faire faire par les Jurez Crieurs
qui les ſuivoient, les proclamations
de la Pompe funebre de
Mademoiselle d'Orleans . Cette
ceremonie commence toujours
par le Parlement , & fe fait
ainfi . Les Herauts entrent d'abord
dans la Grand Chambre ,
vêtus d'une grande robe de
drap noir avec leur cotte d'armes
, & s'approchent prés du
Barreau , puis ayant fait leurs
reverences accosituinées , ils
paffent au Barreau , où ils ſe
tiennent debout,mais couverts.
Le Grand Maiſtre des Cere .
monies entre , & aprés avoir
rendu la Lettre de Cachet du
Roy , il prend féance avec les
Conſeillers . Un Commiffaire
de la Cour fait lecture de la
Lettre; puis la Cour ayant ré-
G4
156 MERCVRE
priez
pondu,un Heraut dit aux Jurez
Crieurs qui ſuivent, de faire la
proclamation ; & aprés que les
Crieurs ont fonné leurs clo
chettes, l'un d'eux s'avance proche
du Barreau ,& dit, Meßieurs,
priezDieupourl'ame de tres-haute
tres-puiſſante Princeſſe, &c . Il
ditle nom&toutes les qualitez ,
puis il repete encore
Dieu pour l'ame , &c . & ajoûte ,
pour le repos de l'ame de laquelle
le Roy fait faire un Service folemnel
en l'Eglise Royale de Saint
Denis en France , un tel jour
telle heure. Cette proclamation
faite , les Herauts & le Grand
Maistre des Ceremonies ſe retirent
, & en font autant aux
autres Compagnies. Quand
ces proclamations eurent été
faites pourMademoiselle d'Orleans
, les Herauts ſe tranſporà
GALANT.
157
terent à Saint Denis en France
, pour affiſter aux Vêpres
des Morts qui y furent chantées
le même jour fur les quatre
heures aprés midy , par les
Religieux de cette Abbaye.Les
Herauts furent poſez par le
Roy d'Armes aux quatre coins
& au devant du Corps, & tous
les Officiers & toutes les Officieres
de cette Princeſſe af
ſiſterent à ces Vêprès. Le lendemain
matin ,les Herauts ayar
été pofez comme le jour préce
dent, les Officiers & Officieres
de la Maiſon de Mademoiselle
d'Orleans furent placez dans le
Choeur par M.des Granges; &
fur les dix heures du matin,les
Compagnies que le Roy avoid
fait inviter étant arrivées juſques
à onze heures & demie ,
furent auſſi placées par M. le
GS
158
MERCURE
Marquis de Blainville , & M.
desGranges . Puis les Herauts
s'étant levez d'auprés leCorps,
aprés avoir fait leurs reverences
, s'en allerent avec le Roy
d'Armes prendre Monfieur le
Duc de Chartres , & Madame
la Ducheſſe de Chartres,Monfieur
le Duc, & Mademoiselle,
Monfieur le Prince deConty ,
&Madame de Guiſe,dans une
maiſon qui eſt au dehors de
l'Abbaye , où ils trouverent M.
le Marquis de Blainville , M.
des Granges & M. Martinet ,
ce dernier Aide des Ceremo
nies. Ils firent marcher devant
cuxtous les Pauvres mandians.
avec chacun un flambeau de
cireblanche à la main . Enſuite
marcherent les Iurez Crieurs
avec leurs robes de drap noir ,
un Ecuſſon des Armes de la
GALANT.
159
د
Princeſſe Défunte devant &
derriere , puis les Herauts , le
Roy d'Armes , l'Aide , le Maiſtre
, & le Grand Maiſtre des
Ceremonies ; Monfieur le Duc
& Madame la Ducheſſe de
Chartres , Monfieur le Duc &
Mademoiselle , Monfieur le
Prince de Conti , & Madame
de Guiſe. Ils entrerent en cet
ordre par la grande porte de
l'Eglife . Le Choeur eſtoit tendu
juſque aux croisées , & en
quelques endroits juſques aux
voûtes , letout de blanc , à la
reſerve de l'Autel & de la Chairaidu
Prédicateur , qu'on avoit
tendus de velours noir , orné
des Armoiries de la Princeſſe
défunte,brodées d'oreal y avoit
auſſi de grandes crépines d'or .
aux endroits de ces ornemens
où elles estoient peceſſaires ..
G6
160 MERCVRE
La Corniche qui regne au deffus
des ſieges des Religieux
eſtoit ornée de bronze avec
des panneaux de marbre noir ,
ſemez de larmes d'argent , &
l'on voyoit des teſtes de mort
ailées ſur les chapiteaux , qui
eſtoient en cartouche , le tout
de bronze & de relief. Tousles
pilaſtres portoient une cornichede
bronze dorée . La frize
eſtoitde marbre noir , & enrichie
de Fleurs de Lis , entrelaſſées
d'ornemens auſſi de
bronze.
Il y avoit dans les entredeux
des pilaſtres , des panneaux
dont le fond eſtoit blanc ſemé
d'hermine , bordée d'une bande
de ſatin blanc , ſemée de
Fleurs de Lis d'or. Le milicu
des panneaux eſtoit remply
d'une Armoirie de la Princef
GALANT. 16г
fe , fort riche , & d'environ
neuf pieds de haut. Toute cette
architecture avoit juſques à
trente pieds de hauteur. La.
corniche qui la portoit étoit
couronnée d'un fronton de
bronze & de marbre noir,bordée
de deux rangs de lumieres,
& de piedeſtaux , de même
bronze , garnis de vaſes portant
des lumieres. Le bas de
cette même corniche étoit or
née d'un ſecond lé de ſatin
blanc fleurdeliſé d'or,avec une
crépine d'or au bas du ſatin
de quinze pouces de haut. La
Corniche étoit couronnée d'un
rang de lumieres , & faisoit le
tour du Choeur juſques àl'Autel.
On avoit fait un échafaut
de chaque côté du Choeur , au
delà de l'Autel , au deſſus des
Clôtures de la grille , qui é
}
162" MERCURE
-
toient décorez comme le reſte
du Choeur. Ces échafaux contenoient
environ cinq cens
perſonnes . Il y en avoit un pa--
reil à la Tribune, pour la Muſique
du Roy..
La Nefétoit tenduëde blanc
avec un lé de ſatin fleurdelisé
d'or ,& pluſieurs Armoiries de
huit pieds de haut. On voyoit
au deſſus de la porte du Choeur
dans la Nef, trois grands Tableaux
peints en bronze dorée.
Celuy du milieu étoit de quinze
pieds de haut fur dix de large
,& repreſentoit l'Ange tutelaire
de la Princeſſe , qui luy
tendoit la main , pour l'aider à
ſortirdu tombeau,& de l'autre
il luy montroit l'immortalité
dans une Gloire.Une Mort paroiſſoit
au deſſus de cette Princeffe
,&luy arrachoit ſa Cou
GALANT.
163
ronne , & fon Suaire , & ce qui
luy reſtoit du monde. Les Armoiries
de la Princeſſe défunte
faisoient les deux autres Tableaux,
& elles étoient emportées
, & déchirées par des
Morts.
Le Mausolée étoit compoſé
d'une eſtrade avec quatre efcaliers
ornez de lumieres ,& de
Piedeſtaux fur les angles , fur
chacun deſquels étoient des
Anges de bronze dorée , portất
d'une main les rideaux d'un
grand Pavillon detrente pieds
de hauteur ; ils étoient blancs ,
fleurdelisez d'or , & doublez
d'hermine . Ces Anges tenoient
de l'autre main chacun unetorche
ardente. Entre ces Figures
étoient des cafſolettes,qui portoient
pluſieurs lumieres. Les
Piedeſtaux étoient ornez de
164 MER CVRE
bas - reliefs de bronze , repre .
fentant la Charité,la Religion ,
la Pieté , & la Magnanimité.
Le dehors du Cercueil qui renfermoit
le corps de la Princefſe
,étoit de marbre noir , orné
de Conſoles , d'Armoiries , &
de Socles de bronze dorée , &
environné de huit Candelabres.
Tout ce qui regarde cette
Pompe funebre étoit du defſein
de M.Berrin , Deſſinateur
du Cabinet du Roy , qui avoic
pris ſoin de le faire executer
luy-même. Il étoit dificile de
faire quelque choſe qui paruſt
beaucoup avec une Tenture
blanche ; cependant il avoit
trouvé moyen de l'enrichir
d'ornemens , qui faifant un
contraſte avec le blanc , la faifoient
beaucoup paroiſtre.
LesMandians furentrangez
GALANT.
165
des deux côtez de la Nef, juſques
au Choeur , & les Crieurs
étant reſtez dans la Nef , les
Heraults reprirent leurs places.
Les Princes & les Princeſſes
furent conduits aux leurs par
M.le Marquis de Blainville, &
M. l'Archevêque d'Auche qui
officia, étant allé à l'Autel avec
le Clergé , les Religieux commencerent
au Choeur le Libera,
il fut repris par la Muſiquedu
Roy , qui acheva de chanter
pendant la Meſſe. A l'Offerte ,
les Reverences accoûtumées
furent faites par le Roy d'Armes
, les Heraults , l'aide , le
Maiſtre , le grand Maiſtre des
Ceremonies , les Princes & les
Princeſſes ; puis l'Oraiſon Funebre
fut prononcée par M.
l'abbé Anfelme. La Meſſe eftant
achevée , l'afperhon & les
166 MERCURE
encenſemens ſe firent par les
Eveſques & les archevelques ,
aprés quoy le Roy d'Armes ſe
leva de ſa place , & alla audevant
du Corps , où ayant appel
léles Officiers de la Chambre
de feu Mademoiselled'Orleans,
il leur ditde rendre les derniers
devoirs à leur maiſtreſſe . Les
Officiersde la Chambre s'étant
approchez , & ayant monté fur
L'Eſtrade pour prendre leCorps
& le porter au Caveau , reveftus
chacun d'une grande Efcharpe
de Tafetas blanc , qui
paſſoit dela droite à la gauche,
leRoy d'armes appella lesHeraults
d'Armes de France , &
leur dit de venir faire leurs
charges . Les Heraults eſtans
venus à luy , ils s'en allerent
ensemble au Caveau . Le Roy
d'Armes s'eſtantpoſé furlebord
du coſté de l'autel , les Heraults
2
GALANT.
167
le borderent d'un coſté , & M.
l'Archeveſque d'Auche qui avoit
officié , & Mrs les Evefques
qui aſiſtoient, reveſtus de
leurs Chapes & la Mitre en
teſte , le borderent de l'autre...
LeCorps fut apporté & mis au
Caveau , dans lequel entra le
Herault de Xaintonge pour y
faire fa charge. LeRoy d'armes
appella le premier Maiſtre
d'Hôtel , qui eſtant venu à luy
avec ſon Baſton , il le prit , le
brifa, & le donna au Herault de
Xaintonge qui l'alla porter fur
fur le corps. Ilappellaenfuite le
premier Efcuyer , qui eſtant venu
avec le Manteau Royal , il
le receur , le donna au Herault
deXaintonge qui le porta auffi
fur le corps . Il appella enfuite
le Chevalier d'honneur de la
Princeffe deffunte , qui eftant
168 MERCURE
officieres
venu avec la Couronne fur un
Carreau de Satinblanc couverte
d'un creſpe , il la receut & la
donna au Herault de Xaintonge
, qui l'alla porter encore fur
le corps , & le Roy d'Armes
ayant appellé le premier Maiftre
d'Hoſtel , luy fit prononcer
ces paroles ; Officiers
de Mademoiselle. Vostre Maitresfe&
lamienne est morte,sa maifon
est rompuë , pourvoyons nous.
Enfuite le Royd'Armes dit,Tres
baute & tres-puiffante Princeffe,
ajoutant les noms &les qualitez
de Mademoiſelle ) eſt morte . Il
repeta les meſmes chofes encore
une fois & dit , Prions Dieu
pourfon ame. Les Herauts & le
Roy d'Armes quitterent le
Caveau ,& allerent reprendre
les Princes & Princeſſes avec
l'Aide , le Maiſtre , &le Grand
GALANT. 169
* Maiſtre des Ceremonies , & les
remenerent dans l'ordre qu'ils
eſtoient venus au logement
dans le dehors de l'Abbaye où
ilsavoienteſté les prendre .
On a écrit de Honfleur , que
les Echevins y avoient fait ſonner
toutes les Cloches , fi toft
qu'ils eurent appris la mort de
Mademoiselle d'Orleans , qui
eſtoit Dame deleur Ville . Cela
fut continué juſqu'au 6. de ce
Mois qu'ils luy firent faire un
Service folemneldans la principale
Eglife . Elle estoit tenduë
à double rang , ornée d'Ecuffons
, & dans le Choeur un fuperbe
Maufolée . Le Pere Paſcal
Capucin, l'un des plus celebres
Predicateurs de la Province ,
prononça l'Oraiſon Funebre de
cette Princeſſe avec beaucoup
d'applaudiſſement.
170
MERCURE
J'oubliay le mois paſſe à
vous dire que M. le Nonce
portades Brefs du Papeà Mon-
Tieur le Ducdu Mayne , à Madame
la Ducheſſe ſa Femme , &
àMonfieur le Comte de Toulouze
, & qu'il en eut une fort
longue Audience . Il prit beaucoup
de plaifir dans la converſation
de ces deux Princes , &
de cette Princeſſe . Les Princes
luy rendirent ſa vifite , & ce
Miniſtre de ſa Sainteté fut de
plus en plus charmé de leur efprit.
Il eſt rare de trouver un merite
auffi generalement reconnu
, que celuy de M. de Catinat.
Les promptes fortunes attirent
preſque toujours des Jaloux
, bien que ceux à qui elles
arrivent en foient trouvez di.
gnes , mais M. de Catinat à l'aGALANT.
171
vantage d'avoir les fuffrages de
tout le Public , & de voir qu'on
luy rend tout d'une voix la juſtice
que l'on ne rend quelque
fois qu'avec peine à d'autres ,
quoy qu'elle leur foit legitimément
duë . Sa modeſtie eſt ſi
grande , que lors qu'il alla à
Pignerol , aprés avoir eſté honoré
du Baſton de Maréchal
de France , loin de permettre
qu'on luy fiſt une Entrée , il ne
voulut pas meſme fouffrir que
l'on tiraſt le Canon. Je vous envoye
un Sonnet que M. de Launay
, Officier d'Artillerie à
Chambery , a fait à la gloire de
ceGeneral,
Lluftre Catinat, dont la gloire
eſt certaine
Par l'estime d'un Roy'plus grand
que les Cefars ;
172
MERCVRE
Heros , dont on entend dire de toutesparts.
Que Rome n'eut jamais un plus
grand Capitaine.
2
Ton brasqui rendpartout lareſiſtancevaine,
Sur Nice & Montmeillan planta
nos Etendarts.
A Stafarde onte vit dans les plus
grands hazards,
Vaillant comme un Condé,fage comme
un Turenne.
Mais pourquoy m'engager en des
Soinsfuperflus,
En louant dans ces Verstesfublimes
vertus ?
L'équité de LOVIS lefait mieux
que personne.
Pourprouver tes exploits àlaPoſterité
د
Ne
GALANT . 173
Ne teſuffit-il pas que ce grandRoy
tedonne
Un Buston qui te forte à l'immortalité?
Quoy que la médiſance n'epargne
perſonne , il ſera difficile
qu'elle attaque ce General
, du moins n'a-t- on pas vû
que juſques- icy elle ait ofé
l'entreprendre. C'eſt ce qui
doit paroiſtre fort rare , fi on
examine que la médiſance eſt
une peſte qui a de coûtume de
s'attacher au merite. Ceux qui
s'y ſentent portez , & qui fouhaitant
de s'en corriger n'en
ſçauroient venir à bout , auffi
bien que ceux qui craignent de
tomberdansun vice ſi honteux,
doivent lire un Livre nouveau
contre la Médiſance , qui ſe
vend chez le Sr Dhoury , ruc
May 1693 .
H
174
MERCURE
$. Jacques , au Saint Eſprit. Je
croy que pour peu qu'ils y venillent
faire d'attention , ce defaut
leur paroitra fi condamnable
, & fi indigne d'un honneſte
homme , qu'ils en auront
de l'horreur. Ils trouveront à la
fin du meſme Livre une defcription
du Médiſant , felon
l'Ecriture Sainte , qui achevera
de les engager à rendre juſtice
à leur Prochain , & les empêchera
de le déchirer .
Le 2 2. du mois paſſé , l'Académie
de Soiffons , qui eſt en
partie redevable de ſon établiſfement
aux bons offices de feu
M. Peliſſon, voulant témoigner
fa reconnoiſſance envers un
Ami ſi plein de merite & de
generofité, fit faire dans laChapelle
de l'Eveſché un Service
folemnel pour le repos de l'ame
GALANT.
175
de ce grand homme. La Meffe
fut celebrée par M. l'Abbé de
Hericourt , Directeur de la
Compagnie , & chantée par le
Clergé du Seminaire , compoſé
de plus de quarante Ecclefiaques.
Tous les Academiciens
quieſtoient alors à la Villeſe
trouverent à cette lugubre Ceremonie.
S'il n'y eut point d'Oraiſon
funebre , ce que vous
allez lire de M. de Bonnecorfe
en pourra ſervir.
A MADEMOISELLE
DE SCUDERY.
D'Vn heroïque Ami ne plaignezplusdefort
,
Consolezvous , Sapho , la raison le
7 demande.
T
H2
176 MERCURE
Vous perdezTeliſſon, cette perte
eftgrande ;
Mais qui neperdpas enſa mort ?
Le Roy perd un Sujet fidelle ,
La Robe un Magistrat exact,juste,
prudent ,
L'Eglise , un Défenseur ardent,
Rempli de pieté , de doctrine
dezele.
-Pour chanter les fameux Explois
De LOVIS redoutéfurce vaste Hemisphere
,
De-LOVIS le plus grand des
Rois ,
Peliffonvaloit un Homere.
ilfut des doctes soeurs le plus cher
Nourriffon ,
Et la Franceseroitfans ceffe
La Mere du Sçavoiro de la Poli .
teffe ,
Si chaque fiecle avoit un Peliſſon.
Je vous ay déja parlé à fond
GALANT .
177
de la creation & inftitution
de l'Ordre Militaire de Saint
Loüis . Ceux qui le devoient
remplir n'eſtant pas encore
nommez , je ne pûs vous les
faire alors connoiſtre . C'eſt
meſme une choſe aſſez difficile
àfaire aujourd'huy , quoy que
lanomination ſoit faite , & que
Paris ſoit remply des Liſtes des
Officiers qu'il a plû au Roy de
nommer pour eſtre Officiers de
ce nouvel Ordre . Quand il s'agit
de noms propres , une Liſte
n'a pas eſté copiée deux fois ,
qu'elle court défigurée . Cependant
celle que je vous envoye
eſt aſſurément des plus
correctes. Vous n'y trouverez
aucune qualité de Comtes &
de Marquis , quoy que plufieurs
ayent ce titre . J'ay mieux
-aimé mettre ſeulement leurs
€
H 3
178 MERCVRE
noms , que de faire quelques
Marquis ; ou d'en dégrader
quelques autres . Du reſte , des
Grands-Croix, & les Comman
deurs ſont ſi connus par euxmêmes
& par leurs Emplois ,
qu'il eſt impoſſiblequ'on ne ſçache
qui ils font , fi-toſt qu'on
lit leurs noms. Quant aux autres
moins connus , mais pourtant
diftinguez parmy lesTroupes
; il auroit eſté tres - difficile
de marquer tous leurs Emplois.
Ily en a pourtant quelques uns
parce qu'eſtant du même nom,
on croiroit que ce ſeroit la même
perſonne. Pourles Officiers
de Mer , il a esté plus aiſé d'en
tirer les noms ſur l'état de la
Marine , qu'il n'auroit eſté ſur
celuydes Troupes du Roy, qui
monte à prés de cinq cens mille
hommes. Sa Majesté en re-
1
--
:
GALANT.
179
cevant les Grands - Croix ,
Commandeurs , & Chevaliers,
* leur a fait preſent des Croix.
Celle des Chevaliers eſt un
peu plus petite que celle des
Grands. Croix , & des Commandeurs
; il n'y a aucun autre
changement. , Vous en pourrez
voir icy une Eſtampe , que
j'ay fait graver exprés pour
vous l'envoyer. Ces Croix font
d'or , émaillées de blanc , cantonnées
de Fleurs de Lis d'or ,
chargées d'un coſté d'un Saint
Loüis cuiraffé d'or , & couvert
de fon Manteau royal , tenant
de ſa droite une Couronne de
Laurier , & de la gauche la
Couronne d'épines& les cloux
en champde gueules , entouré
d'une bordure d'azur , avec ces
lettres d'or ,
H 4
180 MERCURE
LUDOVICUS MAGNUS
INSTITUIT 1693 .
Et de l'autre coſtépourDeviſe,
une Epée nuë flamboyante , la
pointe paſſée dans une couronne
de laurier , liée de l'écharpeblanche
? auſſi en champ de
gueules,&bordée comme l'autre,
d'azur, avec ces lettres d'or,
BELLICÆVIRTUTIS
PRÆMIUM.
Ces Croix font tres-belles , &&
bien travaillées , & quoy que
chargées de beaucoup d'ouvrage,
& faites avec précipitation,
tout s'y diftingue ; mais il ne
part rien que de parfait de chez
M. de Launay , Orphévre du
Roy.
GRANDS - CROIS
qui ont fix mille livres chacun,
Mrs de Monchevreüil.
Chaſteaurenaud .
La Rabliere
2
GALANT. 181
Rivaro.
Vauban .
La Feüillée .
Rozen.
Polaſtron .
COMMANDEVRS
qui ont 4000.liv, chacun.
Vatteville ..
Saint Silvestre .
Davejan..
Maffot.
LaGrange.
Laubanie.
Panetier , Chef d'Eſcadre.
Chamlay.
COMMANDEVRS
qui ont 3000. liv, chacun.
Caſtelas.
Preſchacq.
Darbon.
La Fouchardiere..
Caſteja..
La Caze..
H
182 MERCVRE
r
رش
Du Luc , Capitaine deGalere.
Bellegarde.
Guillerville.
Fourille.
Dalou .
Daumont .
Des Alleurs.
Des Bordes.
Damblimont.
Bezons.
CHEVALIERS,
qui ont 2000.liv. chacun.
Cougoulin. Chefs d'Escadre.
Bercourt.
De Vienne .
Chevilly.
Harbouville...
La Foreſt .
Machel.
Cadrieux.
LaHaye
GALANT. 183
Bellecroix .
Du Fort .
Luffan.
Valkier .
Vilmondor.
Rigouville.
Romainville.
Bolh .
Du Magnon , Chefd'Eſcadre.
Daugecourt.
Du Puy-Vauban.
Creſpy.
Du Bourg, Maréchal deCamp
Refuge.
CHEVALIERS ,
qui ont 1500. liv, chacun.
De Pontis. | Capitaines de
DeMotheux. Vaiſſeau ..
Saint Alvere.
Damorezan .
Marfilly , Lieut. aux Gardes.
Rozamel ,
Neuville-Beauvais.
H6
184 MERCURE
La Faye .
Mennevillette..
Cornelins..
Monroux.
Boulogne.
Marfilly , M. de C.
Le Chevalier de Saujon ,Capi
taine de Vaiſſeau..
La. France ..
Cheviré.
Chevalier...
Breſſey.
La Trouffe.
Richeran .
DuTerrier.
Renier.
Montbas...
Salerne..
CHEVALIERS ,
qui ont 1000. livres chacun,
De Septeme. Capitaine de
De Saugers.
Bony..
DeLouze..
GALANT. 185
Nonan.
Cantan.
De Bains .
Sanfon.
Saint Amadour..
Lanſac .
La Fitte..
Lurry .
Rey..
Sicart , Capitaine de Fregate..
Boiveau .
Des Regards..
Dargouft .
Montigny
D'hoüy.
Prufy..
Ferrand.
La Motte-Marſé ..
Pradelle.
Ligny .
Deficux.
Des Alleurs , Capitaine de
Bourgogne..
Sainte-Ferc..
186 MERCVR E
Canau.
De la Treille , Capitaine de
Vaiſſeau .
Beauffier Felix , Capitaine de
Vaiſſeau.
La Mote.
Daguela.
Bourtonne.
Molé.
La Chauvigniere.
Ricous.
Garand.
Valcroiffant.
Moiron.
LaGrand' Maiſon.
La Neuville..
Du Bofc.
Lapara.
De France.
S. Amadour.
Daligny .
Du Solier.
De Peruſſis , Lieutenant de
Vaiſſeau.
GALANT.
18.7
CHEVALIERS
qui ont 800.liv.chacun .
Cordes.
Senneville.
Guigueville .
Borelly.
Montenol.
La Roche.
Bondelot.
L'Etoile .
Danjou .
Neuville , Lieutenant de Cavalerie.
DeDais.
De Bar.
Blin Seignelay.
Plaque.
DuHaget.
LaCombe.
Launay , Lieutenant Colonel
de Blaifois.
DuGué.
La Caille .
Champly.
188 MERCVRE
LaPierte.
Martillac.
De Goufoles ..
Beſombes ..
Gregoire.
De grand Fontaine .
De la Beaudiere ..-
De L'ifle..
De Fricambault.
Capitaines
de
Vaiff.
Le Roy a donné les Chargess
de cemême Ordre , ſçavoir.
A M. du Freſnoy , Premier
Commis de feu M. de Louvois,,
&aujourd'huy de de M. de Barbefieux,
la ChargedeTreſorier.
A M. le Fevre , Controleur
des Baſtimens du Roy , celle
deGreffier..
A M. de Lapré, celled'Huif
fier ou Prevoſt.
Nous avons perdu depuis
peu de temps pluſieurs perſonnes
confiderables de l'un&
GALANT. 189
de l'autre ſexe , qui ſont
Claude de S. Simon Duc &
Pair de France , Chevalier des
Ordres du Roy , Gouverneur
des Chaſteau , Ville & Comté
de Blaye , de Senlis , de Pont
Saint Maixance , & du Chaſteau
de Feſcam. Il avoit efté
premier Ecuyer du feu Roy ,
dont il s'eſtoit acquis l'eſtime
&la bien veillance par fes bonnes
qualitésde PremierGentil.
homme de ſa Chambre &
Grand Louvetier
2
Gouverneur
de Meulan , & Capitaine
des Chaſteaux de Saint Germain
en Laye &de Versailles .
Il eſt mort âgé de quatre vingt
ſeptans , & le plus ancien Chevalier
de l'Ordre du Saint Efprit
, qu'il avoit receu dans la
promotion de 1633. Mathieu
Rouvroy Sr du Pleffis & de
190
MERCURE
Raſſe épousa Margueritede S.
Simon , Soeur & Heritiere de
Jacques de S. Simon. De ce
Mariage vint Gilles de Rouvroy
ou de S. Simon , Pere
d'un autre Gilles de S. Simon ,
qui ſe ſignala à la Bataille de
Patay en Beauſſe , à la priſe
de Meaux , & aux Sieges de
Honfleur & de Pontoife . C'eſt
de luy que venoit Loüis de S.
Simon , Sr du Pleſſis &de Rafſe
, qui laiſſa de Deniſe de la
Fontaine ſa Femme , Claude
de S. Simon , dont je vous apprens
la mort . Feu M. le Duc
de S. Simon épouſa en premieres
Noces en 1644. Diane
Henriette de Budos , Marquiſe
de Portes , Fille unique & Heritiere
d'Antoine Hercule de
Budos,Marquis de Portes ,Chevalier
des Ordres du Roy , &
GALANT. 191
Vice- Amiral de France. Elle
mourut à Paris le 2.Novembre
1670. en ſa quarantiéme année
, & le 12. Octobre 1672 ,
il prit une ſeconde alliance
avec Charlotte de Laubeſpine,
Fille aînée de François , Marquis
de Hauterive , Gouver ,
neur de Breda , & d'Eleonor de
Volvire Marquiſe de Ruffec
& il en a eu Loüis Marquis de
S. Simon , Vidame de Chartres ,
à qui Sa Majesté a accordé le
Gouvernement de Senlis , de
Pont Sainte Maixance & de
Fefcamp. Il'avoit eu de fon
premier Mariage un Fils mort
jeune , une Fille Religieuſe, &
Gabrielle Loüiſe de S. Simon ,
Marquiſe de Portes , mariée
en 1663.avec Henri Albert de
Coffé, Duc de Briſſac , Pair de
France , & morte depuis peu
192
MERCURE
d'années,ſans avoir laiſſe d'Enfans.
Dame Yolande de la Tremoille
, Veuve de M.le Marquis de
Royan. Il y avoit dix - huit
mois qu'elle étoit tombée dans
une eſpece de langueur,par une
maladie , qui luy a fait fouffrir
d'extrêmes douleurs . Elle s'eſt
preparée à la mort pardesConfeffions
reiterées , ayant recen
pluſieurs fois la Communion
pendant un mal fi cruel , avec
toute la foumiſſion aux ordres
de Dieu, que l'on pouvoit fouhaiter
d'une bonne & veritable
Chrétienne. Son Corps a été
porté dans l'Egliſe des Celeſtins
où eſtle Tombeau de Mrs
de Noirmontier ,Elle étoit Fille
du feu Duc de ce nom , Pair
de France , & avoit épousé M.
le Marquis de Royan , Frere
GALANT .
193
de M. le Comte d'Olonne , de
la même Maiſon de la Tremoille.
De ce Mariage font
fortis pluſieurs Fils & Filles ,
dont il ne reſte aujourd'huy
que Mademoiselle de Royan ,
qui eſt dans l'Abbaye du Pont
aux Dames , dont Madame fa
Tante eft Abbeffe . Elle est fort
jeune ,& a toûjours été élevée
comme une Fille de fa qualité
dans toute la vertu imaginable.
C'eſt unedes plus riches Heritieres
du Royaume , & on ne
doit point douter qu'elle ne foit
recherchée d'autant plus , que
ſes grands biens font accompagnez
d'une naiſſance tres - Illuftre
, étant de la Maiſon de la
Tremoille du coſté Paternel
& Materael , dans laquelle il
n'y a rien que de grand. Mademoiſelle
de Royan eſt Niece
194
MERCVRE
d'Alexandre François de laTremoille
, Duc de Noirmontier ,
deMarie- Anne de la Tremoille
, qui a épousé M. le Duc de
Bracciano , de l'Illuſtre Maiſon
desUrfins,&de Marie Angeli
que de la Tremoille , mariée à
Romeà M. le Duc de Lentide
la Maifon de la Rovere , qui a
donné pluſieurs Papes & un
grand nombre de Cardinaux.
Madame la Ducheſſe de Bracciano,
quiſe trouve depuis quelques
années à la Cour, donnera
beaucoup de lustre à cette jeu.
ne Heritiere , ayant un merite
fingulier , & reconnu tel dans
toutes les Coursde l'Europe.
Meſſfire Loüis de Rechigne
Voiſinde Guron. IleſtoitElveque
de' Comminge , & avoit
eſtéauparavant Eſparavant de
Tulle.
GALANT.
195
Meſſire Henry Guillaume
le Jay , Eveſque de Cahors. II
avoit eſté Aumonier , & en
fuite Maiſtre de la Chapelle de
Son Alteſſe Royale Monfieur .
Ce Prelat eſtoit Fils de feu M.
le Jay , de la Maiſon rouge ,
Maiſtre des Requeſtes , & petit
Neveu de Nicolas le Jay ,
qui ayant eſté Procureur du
Roy au Chaſtelet , puis Lieutenant
Civil , & Preſident à
Mortier au Parlement de Paris
pendant dix - sept ans , y fut
nommé ' premier Preſident en
1630. aprésla mort de M. de
Champigny.ll mourut en 1640.
fort eſtimé par ſa probité , par
fa prudence , & par fon amour
pour les Lettres & pour les Sça
vans. La Famille des le Jay eſt
une ancienne Famille de Paris ,
qui a eſté feconde en grands
196 MERCVRE
1
hommes. Jean le Jay , Preſident
en 1344. en la Chambre des
Enqueſtes , épouſa la Soeur de
Jean des Dormans , Cardinal ,
Eveſque de Beauvais , Chancelier
de France,&Nicolas le Jay,
Secretaire duRoy & Maître des
Comptes , fut choiſi par le Roy
François I. pour aller avec le
Connetablede Montmorency ,
& quelques autres Seigneurs ,
recevoir l'Empereur Charles-
Quint ſur les Frontieres du
Royaume , & pour l'accompagner
juſque dans ſes Etats de
Flandre .
M. l'Abbé Longuet. Il étoit
Parent de Madame la Chanceliere
le Tellier. M. l'Archevêque
de Reims a donné une de
ſes Abbayes à M. l'Abbé de
Langlée.
Dame Marie Decouleur.Elle
eſtoit
GALANT.
197
eſtoit Veuve de Meſſire Jacques
Charreton , Seigneur de
la Terriere , Maistre des Requeſtes
, & Conſeiller d'Eſtat
Ordinaire , & Fille de Claude
Decouleur , Vicomte d'Arnas ,
Maiſtre d'Hoſtel du Roy , &
de Marie de Noirat de Rouville,
Cette famille eſt fort
diſtinguée. Elle eſt originaire
de la Ville de Lyon , & alliée
àcelles de Befins , de Langallerie
, Palerne , la Tour-Vidaud
, Puſignan , de Brancas ,
de Rouſſelet , Aukreia & plufieurs
autres. Madame de la
Terriereeſtoit une Dame d'une
vertu , & d'une preté exemplaire
, & dost le feul nom
ſuffit pour ſon éloge. Il y a pluſieurs
années qu'elle étoit veuve
de M. de la Terriere , dont
elle avoit cu M. le Marquis
May 1693 . I
198 MERCVRE
&M. l'Abbé de la Terriere ,
M. l'abbé de Marchereux ,
feuë Madame la Marquiſede
Chepy , & trois Files Religieuſes
au Convent de Sainte Marie
de Villefranche en Beaujolois
, dont l'une y eſt morte en
odeur de Sainteté , ayant la
qualité de Superieure. Je ne
vousdis rien de la Famille de
Charre , dont je vous ay pluſieurs
fois entretenue dans mes
Lettres.
Meſſire Nicolas Goureau ,
Seigneur de la Prouſtiere. Il
eſtoit Doyen de la Cour des
Aidés , & recommandable par
ſa grande bonté , par ſon application
à rendre la justice ,
&par ſa capacité. Ce nom eſt
affezconnu , ſans qu'il ſoit beſoin
de vous dire que ſa naiffance
eſtoit auſſi diſtinguée
GALANT.
199
que ſon merite. Cette Famille ,
originairede la Franche Comté
, s'eſtant établie en Bretagne
, & enſuite en Anjou , eſt
une des plus nobles &des plus
anciennes de ces Pays-là. Elle
a produit pluſieurs grands Perſonnages
, qui ſe ſont ſignalez
en divers Emplois d'Epée
ou de Robe. Entre les autres ,
Philippes Gourreau , Seigneur
de la Prouſtiere Baron de
Piédevault & de la Roche-
Poullain , Maiſtre des Requeſtes
& Doyen du Conſeil dans,
ledernier ſiecle , dont tous les
Hiſtoriens François font une
ſi honorable mention , fut employé
dans les Negociations
les plus importantes de l'Etat.
Feu M. Gourreau , Doyen de
la Cour des Aides , eſt mortâgé
de foixante & dix - ſept ans,
,
12
200 MERCVRE
& laiſſe deux Fils ; ſçavoir ,
Meſſire François Gourreau ,
Seigneur de la Prouſtiere ,Conſeiller
en la Grand' Chambre
du Parlement , & ancien Preſident
aux Enqueſtes , & M.
l'Abbé de la Prouſtiere , Prieur
de Vitré en Bretagne.
Meſſire Armand Auguſte
Langlois de Blacfort , Abbé de
S.André de Meimac,& Aumônier
de feuë Madame la Dauphine
, Fils de M. Langlois ,
Maiſtre d'Hoſtel du Roy. II
avoiteſté Abé à l'âge de onze
ans , Chanoine de la Sainte
Chappelle à quatorze ,& aumônier
de Madame la Dauphine
à dix ſept. Il eſt dans ſa
trente - uniéme année , ayant
eſté deputé du Clergé de France
dans les Aſſemblées de 1685
& 1690. où il s'acquit l'eſtime
GALANT. 201
de tous les Prelats & Abbez
dont elles eſtoient compoſées.
M. l'Archeveſque de Paris, qui
connoiſt parfaitement la capacité
de ceux qu'il choiſit le
nomma pour un des Conſeillers
de la Chambre Eccleſiaſtique
, & le chargea de pluſieurs
commiffions , dont il s'acquitta
avec une approbation generale.
Les fonctions de ſes emplois
dans le Clergé n'empêchoient
pas qu'il ne s'appliquaſt à l'étude
& à la Prédication , où il
ſe ſeroit diftingué , s'il n'eſtoit
mortdans un âge , où l'on peut
dire en quelque façon , qu'il
commençoit ſeulement à vivre.
Ileſtoit officieux , Amiauſſi
fidelle que ſeur , & perſonne
n'avoit plus de probité queluy,
plus de droiture de coeur , plus
de fincerité &de politeſſe . Son
I 3
202 MERCURE
میر
Frere ainé. Sous- Lieutenant
aux Gardes , fut tué au Siege
de Maſtric en 1673. Il avoit
eſté bleſſé au Siege de Candie,
àl'âge de dix - sept ans .
M. l'Abbé de Baradas. Il
avoitl'Abbaye de Sillien Bretagne
, qui eſt une tres belle
Abbaye . L'honneur particulier
que M.de Baradas, ſon Pere
, a receu , ayant poſſedé les
bonnes graces du feu Roy , a
fort relevé cette Famille par
les Charges qu'elle a euës dans
Eglife & dans l'Etat. Elle a
donné un Evêque de Noyon ,
& une Abbeſſe du Pont aux
Dames.
Le Jeudy 14. de ce mois ,
Meſſieursde l'Academie Françoiſe
choiſirent M. l'Abbé Bignon,
&M.de la Bruyere, Auteur
du Livre intitulé,Caracteres
GALANT.
203
de Theophrafte , comme de di .
gnes Sujets , pour être propoſez
à Sa Majesté , fi Elle les agréoit
pour remplir les places de M.
le Comte de Buſsi Rabutin , &
de M. l'Abbé de la Chambre .
Le Roy ayant témoigné qu'ils
luy étoient agreables , laCompagnie
paſſa au ſecond ſcrutin
le Samedy 23. & ils furent admis
par tous les fuffrages . Je
vous en parleray plus amplement
le mois prochain , aprés
qu'ils auront été receus . L'Academie
Françoiſe a beaucoup
perdu dans les quatre premiers
mois de cette année . M.l'Abbé
de la Mothe- Fenelon a fuccedé
à M.Peliſſon depuis deux mois,
comme je vous l'ay mandé , &
Outre les deux autres places qui
viennent d'être remplies , il y
en a une quatrième vacante par
)
14
204 MERCURE
la mort de Meſsire François
Tallemant ,Abbé du Val-Chrêtien
, arrivée le 6. de ce mois .
C'eſtoitun homme zelé & officieux
pour ſes Amis , d'un
commerce aifé , & qui joignoit
à une grande Litterature beaucoup
de douceur & de politefſe.
Il avoit été vingt-quatre ans
Aumônier du Roy , & il fut
enſuite premier Aumônier de
Madame. La parfaite connoiſſance
qu'il avoit de la Langue
Grecque luy fit entreprendre
la Traduction des Vies des
Hommes Illuſtres de Plutarque.
Cet Ouvrage a eu l'approbationdetous
les Sçavans,& vous
n'endouterez point quand vous
ſçaurez qu'il s'en eſt fait ſept
Editions . Il a auſsi traduit de
l'Italien l'Hiſtoire de Veniſe du
Procurateur Nani , qui luy en a
GALANT.
205
témoigné beaucoup de fatisfaction
, par des Lettres pleines
d'eſtime & de reconnoiſſance .
Il ſçavoit encore parfaitement
l'Eſpagnol & l'Anglois , & fa
grande érudition attiroit chez
luy toutes les ſemaines à certains
jours quantité de gens de
Lettres , qui apprenoient toûjours
quelque choſe dans ſa
Converſation. Il étoit Frere de
M. Derreaux , qui mourut fur
la fin de l'année derniere, & de
Madame la Comteſſede Ruvigni.
Il étoit auſſi Coufin germain
de feu Madame d'Harambure
, ſi eſtimée , tant qu'elle a
vêcu , de toutes les perſonnes
d'eſprit , Soeur de feu M.Tallemand
Maiſtre des Requêtes ,
qui s'eſt acquité avec tant d'éclat
& de fatisfaction du Roy
&des Peuples,des Intendances
JS
206 MERCVRE
qui luy ont été données . C'étoit
le Pere de M. l'Abbé Tallemant
, Intendant des Deviſes.
& Inſcriptions des Edifices
Royaux , qui remplit fi bien ſa
place dans l'Academie Françoiſe
. Celuy dont je vous parle en
eſt mort le Sous-Doyen. L'Abbaye
du Val Chrêtien , dont il
joüifſoit , étant dans l'appanage
deMonfieur , ce Prince l'adonnée
à M. l'Abbé de Magenville
, Chantre de Saint Honoré ,
Docteur de Sorbonne , & Fils
de M. de Magenville , Treforier
des Baſtimens du Roy , &
de la Maiſon de Son Alteſſe
Royale.
On a cu nouvelle que Meffire
François de Paule le Rebours
, Seigneur de Chauſſi &
de la Fontaine , Prevoſt Royal
&Juge de Police d'Orleans , y
GALANT.
207
eſt mort le 1 5. de ce mois,dans
ſa ſoixante & deuxième année..
Il fut inhumé le 16. dans l'Egliſe
de S. Hilaire de la même
Ville. Le Convoy étoit compoſé
de tout ce qui marque un
grand deüil. Tous les Corpsde
la Juſtice y aſſiſterent , & M.
l'Abbé Gouſſet de S. Meſmin
prononça l'Oraiſon funebre avec
beaucoup d'applaudiſſement.
Il eſt regretté de tout le
Pays. C'étoit un Juge integre ,
incapable de prévention, laborieux
, charitable , deſintereſſé ,
& ennemy des Novations. On
a obſervé que le jour de ſon enterrement
faiſoit datte pour
datte la trente - neuvième année
de ſon inſtallation ; fon
merite luy avoit fait obtenir
diſpenſe d'âge. Ila fait quantité
de legs confiderables. M. de
J6
208 MERCVRE
Coiſlin, Evêque d'Orleans , eft
Executeur de ſon Testament. II
laiſſe de grands biens , & une
Charge confiderable à remplir ;
illa tenoit ſur le pied pied de quarante
trois mille écus . Il avoit
de grandes alliances dans la
Robe , particulierement M. de
Bailleul , Preſident à Mortier.
M. le Rebours ,Maiſtre des Requêtes
, & Prefident au Grand-
Conſeil, étoit ſonBiſayeul.Germain
le Rebours étoit Prevoſt
& Juge de Police d'Orleans il y
a cent vingt- quatre ans. Il portoit
de gueules auxſept Lozanges
d'argent.
M. le Marquis de Bouflers
eſt mort auſſi depuis quelques ,
jours . Il eſt Colonel du Regiment
de Bouflers , & Neveu
du Maréchal de cenom . M. de
Bouflers ſon Pere , qui eſt mort
GALANT .
209
il y a déja pluſieurs années ,
avoit épousé Mademoiselle de
Guenegault , Fiile de M. de
Guenegault , Secretaire d'Etat ,
qui avoitle département de la
Maiſon du Roy , & Niece de
M. de Guenegault , Treforier
de l'Epargne.
M. Teſtu eſt mort encore
depuis quinze jours. Il eſtoit
Contrôleur General de la Maifon
de Monfieur , Frere de M.
Teſtu , cy devant Treſorier
des Parties Caſuelles , & de
M. l'Abbé Teſtu Mauroy , de
l'Academie Françoiſe. Son Alteſſe
Royale , pour marque de
l'eſtame qu'Elle avoit pour luy ,
a donné ſa Chargé de Contrôleur
General à M. Tubeuf ,
fon Gendre.
Vous m'avez marqué que
vous aviez leû avec plaiſir la
210 MERCURE
Traduction en Vers des Satyres
de Juvenal , qui nous a eſté
donnée depuis deux ans avec
des Notes auſſi curieuſes que
ſçavantes. M. de Silvecane ,
Preſidenten la Cour des Monnoyes
, quien eſt l'Auteur , n'a
pas voulu priver le public de
voir les Satyres de Perſe , traduites
auſſi en Vers , & enrichiesde
ſemblables Notes. Certe
fecondité dans un Magiſtrat,
qui au milieu de ſes grandes
occupations , trouve encoredu
temps à donner à la Poëfie ,
faitbien connoiſtre que ce talentluy
eſt naturel , & que ce
qui ſeroit un travail penible
pour un autre , n'eſt qu'un fimple
divertiſſement pour luy.
Cette nouvelle Traduction en
Vers des Satyres de Perſe a eſté
imprimée à Lyon , & ſe vend
GALANT.
chez le S. Michel Brunet , Libraire
au Palais , qui debite
auſſi une Hiſtoriette du temps ,
intitulée la Princeffe Agathonice.
Comme je ſçay que vous
aimez à rencontrer dans mes
Lettres des preuves de l'attachement
fincere , & fi on oſe
dire de la vray paſſion que tous
les Sujets du Roy ont pour ce
Prince, particulierement ceux
d'entre eux qui ont l'honneur
de l'approcher de plus prés , &
de le voir plus ſouvent , j'en
ay une à vous apprendre aujourd'huy
qui eft finguliere.
M. le Noſtre , cet homme connu
de toute la terre pour avoir
paſſé l'antiquité , & pour eſtre
beaucoup au-deſſus de la portée
de ceux qui le ſuivront ,
dans la magnificéce des Jardins
212 MERCURE
&l'embelliſſement des Fontaines
, juſques à avoir paſſé celles
d'Italie , ſi curieux & fi delicat
dans le choix de tout ce
qui partde la main des grands
Hommes , & plus diſtingué
encore par les bontez que Sa
Majesté a toûjours cuës pour
luy , & par la justice qu'elle a
toujours renduë à ſon merite ,
a crû ne pouvoir rien ajoûter
au plaiſir qu'il s'eſt donnétoute
ſa vie d'enrichir un des plus
beaux Cabinets du monde ,
qu'en priant le Roy de vouloir
ſouffrir qu'illuy en fiſt preſent.
SajMajesté a bien voulu l'accepter
ces jours paſſez ,& remercia
M. le Noſtre d'un Preſent
fi magnifique , eſtant également
ſurpriſe qu'un Particulier
euſt pû aſſembler des pieces
ſi rares , & qu'il vouluſt
GALANT.
213
renoncer , pour le luy donner ,
à ce qui a toûjours fait tout ſon
plaifir . Ce Cabinet eſtoit compoſe
d'anciens Originaux des
plus grands Peintres d'Italie ,
parmi leſquels eſt uneCreation
de l'homme , du Dominiquain,
d'un effort de Peinture inimitable
; d'un grand nombre de
Bronzes , Porcelaines , & Figures
de Marbre. Le Roy ,
aprés s'eſtre donné le plaifir
de laiſſer admirer ces pieces à
toute laCour , les a fait placer
dans la petite Galerie de fon
Appartement , où elles n'ont
rien perdu de leur beauté ;
pour ſe trouver mélées avec ce
qu'il y a deplus rare & de plus
achevé dans l'Europe .
L'article que vous allez li-
-re merite auſſi de trouver icy
ſa place , & il m'arrive rare
214 MERCURE
ment de vous entretenir de
pareils. M. le Marquis de Vins
ayanteſté reçu depuis peu Capitaine
Lieutenant de la Com .
pagniedesMouſquetaires, que
commandoit feu M. de lauvelle,
s'eſt anquis un peu avant
que de partir pour l'ouverture
de la Campagne , & l'eſtime
generale ,& l'admiration de
tout ce Corps. Non ſeulement
il fit preſentd'uneTente à chaque
Mouſquetaire , mais il
offritune ſomme d'argent affez
confiderable pour partager entre
ceux qui en pouvoient
manquer , & pria des Moufquetaires
de cette Compagnie
qui en avoient beſoin , de fai .
re écrire leurs noms. Detrois
cens , il s'en preſenta environ
trente ,& ils toucherent l'argent
propoſé. Il n'y a perfonGALANT.
215
ne à qui il ne puiſſe arriverde
ſe trouver dans quelque embarras
faute d'eſtre payé de
ecuxqui luy doivent,& quand
on eſt fort éloigné de chez ſoy,
ou malheureuſement engagé
dansdes procez , ou que les
faiſons derangées ont empê
ché la fertilité de la terre , le
plus honneſte homme , & le
plus de qualité , n'a pas toujours
de l'argent comptant de
refte.
M. le Marquis de Caſtries
vient d'épouſer Mademoiselle
de Mortemar. Il eſt Fils de René
Gaspard de la Croix , Marquisde
Caſtries en Languedoc,
Baron des Etats de cette Province
,Gouverneur de Montpeiller&
de Sommieres , Commandeur
des Ordres du Roy ,
&ſon Lieutenant General au
216 MERCVRE
Gouvernement deLanguedoc ,
&d'Elizabeth de Bonzi , Soeur
de M. le Cardinal de Bonzi
Archeveſque de Narbonne. Ce
jeune Marquis a eſté nommé
dans la derniere Promotion ,
Marechal des Camps & Atmées
du Roy , & avoit eſté
fait Brigadier il y a quelques
années , après une retraite auſſi
prudente que glorieuſe , &
qui ſauva un grand Corps de
Troupesau Roy. Mademoiselle
de Mortemar eſt Fille de feu
M. le Marechal Duc de Vivonne
, Viceroy de Sicile ,
Generaldes Galeres de France
& Niece de Madame de Monteſpan
, Sur- Intendante de la
Maiſon de la feuë Reine. La
Maiſon de Mortemar Rochechoüard
, eſt ſi illuſtre , &jaurois
tant de choſes à vous en
GALANT .
217
dire , que je ne vous repete
point ce queje vousen ay fouvent
écrit. Mademoiselle de
Mortemar a beaucoup de merite
& d'eſprit. La ceremonie de
ce Mariage s'eſt faite dans l'E-
- gliſe des Filles de S.Joſeph
- par M. le Cardinal de Bonzi .
5 Madame de Monteſpan donna .
un Magnifique dîner à tous
ceux qui y furent conviez , &
: le foir , Madame la Duchefſem
de Crequy, Tante maternelle
de la Mariée , donna un tresbeau
ſouper à la mefme Compagnie
.
M. de Moneta y de Chazeron
, Fils de M. de Monetaï
Marquis de Chazeron , Gouverneur
de Brest , Lieutenant
General des Armées du Roy ,
Commandeur de ſes Ordres ,
Lieutenant General en Rouf
218 MERCURE
fillon , & cy- devant Lieutenant
des Gardes du Corps du
Roy , a épousé Mademoiselle
de Barentin , Fille de feu M.
Barentin Preſident au Grand
Conſeil , & M.le Marquis de
Chazeron, s'eſt demis en faveur
de M. de Chazeron ſon Fils ,
du Gouvernement de Breſt ,
avecl'agrément du Roy.
Ceux qui ont expliqué l'Enigme
du mois paſſé fur la
Couverture d'un Livre , qui en
eſtoit le vray ſens, font د
M. Jacques des Rues , Boucher&
Sonnier du College de
Beauvais , Chavance l'ainé de
laruë S. Jacques , Bonnard de
l'Hoſtel du Queſnoy Place
Royale ; Lamy de la plus belle
Veſtale de Brie ; Cariclés de
Verſailles ; le Breton à l'Anagramme
Gé mille Charmes ; le
GALANT .
219
Solitaire caraunien ; De Bigar .
ra ; les Mecontens de la nouvelleſocieté
duJardin de Lyon;
le fidelle amantde la charman - D
te Mariane. P.de Lyon ; le
Bugiſte de la ruë longue de la
mefme Ville ; l'ancienne ſociet
té de Beauregard, ruë d'Enfer,
Meſdemoilles Françoiſe Pichart
d'Orleans ; l'aimable Etiennette
Vautier dela Porte
de Paris , & fon fidelle amant
de la ruë de la vieille Monnoye
; l'aimable Manon de la
ruë aux Ours : & l'infortunée
ſocieté de la Lotterie de la ruë
des Lombards : le Berger Tire
fis à l'Anagramme Siecled'amour;
Diane de la Forest d'Anacleon,
l'aimable Noloiſe à l'Anagramme
le vrai merite Bourgeois : la
Nimphe aimantes : De Chevalier
inviſible de la Bague de Giges;
220 MERCURE
L'Enigme nouvelle que je
vous envoye aura de quoy
exercet l'eſprit de vos Amies ,
quoy qu'apparemment la cho
ſe leur foit connuë.
ENIGME .
DE monpouvoirvoicy degrandes
marques.
L'attaqueSans estre apperceu ;
Iefuis également receu
Par les Sujets , les Monarques
Comme je ne voy point , j'ay besoin
en chemin.
D'estre guidé d'unbaston àlamain,
Maisaussij'ay ce privilege ,
Qu'außi -toſt que j'arrive;on mepre-
Senteunfiege.
BIBLIOT
LYON
E
221
dafenti-
ま2
reintuvent
1052.
Hepro-
*
ble ny
Fommy
Ноих.
vous
Lut ce
ns la
Mufi-
L
*
1893*
conter
22
vou
nscesdesertdecon
ter vosmhe
*a ba
otre
oupde chaseurs dumoiň enlapje
W
Par
ffroyjausis touché le coeurdun
Comn
Desh
Mar
Qu' are me quitteelle devientleger
6
GALANT. 221
On a de moy tres- mauvais sentiment;
Et ce n'estpasfans fondement ,
Carj'excite où jesuis uneguerre intestine
,
Qui d'un bien toutefois eftfouvent
L'origine.
T'aypour domaine unefombreprovince
Dont on ne trouve l'air agreable ny
doux
Mais je puis afſſurer que l'on m'y
traite en Prince ,
Puis que l'on mefert àgenoux.
L'Air nouveau , dont vous
allez lire les paroles , à tout ce
qu'on peut ſouhaiter dans la
belle compoſition de Muſique.
AIR NOUVEAU.
Effez dans ces deferts de conter
yos malheurs ,
May 1693 . K
-
222 MERCVRE
Les miensfont bien plus grands ,
plaintive Tourterelle
C
Si voſtreMoitiémeurtfousles coups
des Cheffeurs,
Aumoins enlaperdant vous laper
dezfidelle.
Au recit de mes maux jesuisfaifi
d'effroy ,
L'avcis touché le coeur d'une jeune
Bergere
Quiparmilleſermensm'avoit don.
nésafoy.
Laperfide me quitte , elle devient
legere;
Non , non, vousn'eſtes point aplaindre
autant que moy.
-
1
Vous aurez ſans doute attendu
unPrintemps de moy , mais
cette agreable faifon à eſte ſi
stardée , qu'il y a grande apparence
que nous aurons l'Eſté
tout d'un coup aprés l'Hiver.
GALANT. 223
C'eſt ce qui a donné licu aux
Vers ſuivans.
Vos concerts autrefois , aimable
Philomele ,
Annonçoient les plaisirs de lafai
fon nouvelle
Etpreparoient nos coeurs au retour
dubeau temps.
Tout est change, les Tambours , les
Trompettes,
Parleurs bruits éclatans
Vousfont taire dans vos retraites,
Et LOVISfeulquipartvous marque
lePrintemps.
e Voicy d'autres Vers fur le
retardement de cette ſaiſon .
Sçavez vous que le Printemps ,
Las desejourner en France ,
Soit chagrin ,foit inconstance ,
Voyage depuis deux ans ?
Ila trouvéque laguerre
Troubloit icy les Amours.
Il cherchequelque autre terre
C
مو
K2
224 MERCVRE
Qui profiue des beauxjours.
Bien que la Muſique ſoit
aujourd'huy fort à la mode ,&
qu'il y ait un tres- grand nombre
de Compoſiteurs , il eſt
certain que les Maiſtres excellens
& originaux ſont rares,
C'eſt ce qui fait croire queles
vrais Connoiffeurs ne feront
pas fachez d'eſtre avertis , que
M. Lorenzani a fait imprimer
depuis peu , à la follicitation
de ſes Amis , par le S. Chriſto
phe Ballard un Recueil de
pluſieurs de ſes Motets à une ,
deux , trois , quatre , cinq , &
fix parties , avec les ſimphonies
, le tout en onze volumes
dediez au Roy M. de Lorenzani
rempliſſoit à Rome avec
éclat la place de Maistre de la
Muſique des Jeſuites , fors
qu'on luy offrit celle de la Ca
GALANT .
225
thedrale de Mefline , bien plus
importante par ſa reputation ,
& par ſes revenus , qu'aucune
autre d'Italie. M. le Maréchal
de Vivonne , auſſi diſtingué
par fon eſprit & par fon bon
gouſt que par ſes grands Emplois
& par ſa naiſfance , qui
commandoit pour lors en Sicile
l'honora bien-toſt de ſon eſtime
& de ſa bienveillance , &
lors que ce Seigneur revinten
France , aprés les revolutions
de Meffine , il engagea M. de
Lorenzani à le ſuivre juſqu'à
Paris , avant que de retourner
à Rome , où la Maiſtriſe de
S. Pierre lay eſtoit offerte. Il
le conduifit à la Cour , & le
• preſenta au Roy , auquel il fie
entendredes Motets &des Airs
Italiens de ſa compoſition,dont
Sa Majeſté parut fi contente ,
Y
226 MERCURE
qu'Elle cut la bonté de luy faire
dire, que s'il vouloit demeurer
en France, Elleauroit ſoin
de ſa fortune. Ces paroles furentbien-
toſt ſuivies d'unPrefent
confiderable , pour luy
faire acheter de M. Boiffet la
Chargede Maistre de la Mufique
de la feuë Reine , qu'il a
exercée juſqu'à la mort de cette
Princeſſe.
Monfieur partit le 28. de ce
mois pour ſe rendre à Vitré en
Bretagne , afin d'eſtre à portée
pourdonner ſesordres fur toutes
les Côtes. Son A. R. alla
coucher le même jour à Breffoles
, le 29. à Alençon , le 30.
àMayenne,& le 31. àVitre.On
"écritde Brest que toutes lesCôtes
voiſines ſont en bon estat ,
&bien garnies de Canons c
de Bombes , avec de bons retranchemens
, ce qui les rend
*
GALANT.
227
hors d'inſulte ,& met les Peuples
dans une fi grande ſeureté
, qu'ils fouhaitent d'eſtre at
taquez; de forte que n'ayant
pointbeſoinde Vaiſſeaux pour
leur défenſe , noftre Arméc
Navale pourra caufer de grandes
inquietudes aux Ennemis,
L'Eſcadre deRochefort , commandée
par M. deGabaret , arrivale
15. de ce mois en rade
à Breft , forte de ving cinq
Voiles. Parmy ces Vaiſſeaux
ily en a feize de Ligne; le furplus,
ce fontBrulots & Fregates.
L'Eole du Havre , & le
Prompt de Dunquerque , eftoient
arrivez deux jours auparavant
, ainſi que le Capitaine
Bart avec l'Alcion. On tira
le coup de partance le 21. &
l'on fit les fignaux ordinaires
pour appareiller , mais le vent
K 4
28 MERCURE
s'eſtant rafraîchi , & ayane
changé tout à coup , on fut
obligé de démeurer. Ainfi on
n'attend que le moment favo
rable pour mettre à la voile,
M. de Chaſteaurenault comcommande
l'Avantgarde . II
porte Pavillon d'Amiral blanc
bleu , & a pour Matelots M.
d'Amblimont , Chefd'Efcadre ,
&M.le Comte de la Galiſfonniere.
M. le Marquis de Némond
eſt Vice. Amiral de la
mefme Divifion ,& M. de Relingue
qui monte Admirable ,
en eſtContre Amirah
M. le Maréchal de Tour
ville commande le Corps de
Bataille. Il eſt Amiral General
à fon ordinaire , ou fi vous
voulez, Amiral blanc . M. le
Chevalierde Coëtlogon , &
M. du Maigniou , tous deux
GALANT.
229
Chefs d'Eſcadre , ſont ſes Matelots.
Ce dernier montel' Am
bitieux, qui a eſté fait à Rochefort.
M.de Villette eſt ſon Vice
Amiral . Ses Matelots font M.
de Larteloir , & M. Belifle
Erard. M. Langeron eſt Contre
Amiral , & a pour Matelots
M. de Combes, & M. du Chalard.
Pour l'Arriere-garde , elle
eſt commandée par M de Gabaret
, qui monte le Victorieux.
Il eſt Amiral bleu . Ses Matelots
fontM. de Machaut , & M.de
Beaujeu. M. Pannetier eſt Vi--
ce-Amiral bleu , & M. leChev.
d'Infreville , Contre Amiral...
Toute l'Armée est composée
de trois Diviſions , que chaque
Amiral commande. Chaque
Diviſion l'eſt de trois Eſcadres,
commandées par les Vice-
KS
230.
MERCURE
Amiraux & par les Contre-
Amiraux , & chaque Eſcadre
de huit Vaiſſeaux , ce qui fait
en tout foixante & onze Navires
deguerre. Chaque Eſcadre
a trois Brulots ,, qui doivent
tonjours ſetenir par ſon travers
à la portée du Canon , afin
d'obſerver quand on leur fait
ſignal d'abordage.
tre cela vingt Baſtimens de
charge , qui fervent d'Hôpitaux
& de Magaſins. Le 24. la
Flotemit à la voile.
yajou-
L'Armée que Mile Maréchal
de Lorge commande en Allemagne
s'eſtant affemblée à la
Petite Hollande , paſſa le Rhin
le 16 & le 17.& ſe trouva forte
de cinquante& un mille trois
cens trente combattans . Le 18 .
elle campa à Hot , d'où elle:
partit le 19. aprés s'eſtre ſepar
GALANT.
231
rée en deux Corps , dontl'un
de trente mille hommes ſous
les ordres de Mrs les Maréchaux
de Lorge & de Choifeuil
a paſſé les Montagnes , &
J'autre de vingt mille artiva le
mêmejourdevantHeidelberg
&l'inveſtit. Mrsde Chamilly
& de Vaubecourt commandent
à ce Siege. La Tranchée
futconverte la nuit du 21. au
22. parle premier & troifiéme
Bataillonde Picardie, commandez
par M. le Prince d'Epinoy,
qui en eſt Colonel. Il y a une
fauſſe attaque , où la Tranchée
fotouverte par le ſecond Bataillon
de Picardie. Les Ennemis
tirerent beaucoup , mais
avec peu d'effet . On croitqu'il
ya environ trois millehommes
dans la Place. Elle ne manque
de rien , eſtant un des Maga-
K6
3232
MERCURE
zins de l'Armée ennemie. Cer
te Place eſt ſituée entre deux
montagnes , l'accés en eſt difficile
, mais elle eſt fort commandée...
Le Traité de M. de Savoye
avec les Princes liguez ,devant
expirer au dernier de Juin,ils le
preſſent de le renouveller en
luy faiſant des inſtances , qui
vont juſques à l'importunité ;
mais ce Prince fçachant par experience
qu'il eſt dangereux
d'aller trop vîte en de certaines
affaires, veut voir quels avantages
les Alliez remporteront fur-
-lesFrançois au commencement
de la Campagne,& ce que pro--
duira la Deſcente dont le Prince
d'Orange l'a fait affurer.
D'ailleurs, loin que l'Empereur
aittenu ſa parole en lui envoyat
un renfort de dix mille Alle--
GALANT.
233
र
mands, il n'a pas ſeulement envoyé
de Recruës pour ceux qui
doivent ſervir cette année en
Piedmont, où le Ducde Savoye
ne veut point qu'elles entrent
avant le 20.de Juin. La Fievre
a repris à ce Prince ſelon les
dernieres nouvelles :
Les Vents contraires ayant
empêché le départ de nosVaifſeaux
& de nos Galeres , je ne
puis rien vous apprendre du
Siege de Rofe.
&
Quoy que je vous aye déja
parle du Siege de Heidelberg ,
je dois ajoûter icy que le quartier
general eſt à Rohrbuen,
que les Troupes s'étendront
depuis VVofsbrun juſques à
VViblingen. Le Pont de communication
au deſſus de la Ville
fut achevé le 21. Le Pont de
Bateaux de la Place a été rom34
MERCURE
pu, ſoit par une de nos Batteries
, qui le voyoient à revers ,
foit que les Affiegez l'ayent
rompu eux- mêmes.M.deMelac
occupe les hauteurs en deçà du
Neker,au deſſus du Chaſteau ,
avec dix neuf Bataillons , cinq
cens Dragons,& quelques pieces
deCanon. Ils'eſt rendu maî--
tred'une Redoute que les Ennemis
n'ont pas défenduë , &
qui voyoit à revers les Ouvrages
de la Place. On a mis auffi
une Batterie de fix pieces de
l'autre côté. M.de Lorge a auſſi
étably un poſte dans l'Abbaye
deNeubourgaudelà duNeker..
La Tranchée a eſté ouverte du
côté du petit front des Ouvragesde
terre du Fauxboug.Nous
avons de ce côté- là une Batte--
rie de dix pieces de Canon ,
quibat la Redoute de l'Etoile ,
1
GALANT. 235
qui eſt ſur la hauteur à mi côte
du coſté de l'attaque.
L'Armée du Roy qui eſtoit
campée ſous Tournay , décam.
pa le 27. Elle eft compofée de
cinquante deux Bataillons , qui
font 31200. Fantaffins , &
de 117. Eſcadrons , qui font
17550.chevaux,le tout,48.750
hommes.Le 26.au matin, M.le
Maréchal de Bouflers avoit or .
donné qu'on priſt du pain pour
cinq jours,& avoit fait dire à la
Cavalerie de ne point s'embaraffer
s'il n'y avoit pas beaucoup
de fourage dans le Camp. On a
fait cuire du pain pour vingt
joursdans toutes les Villes fron
tieres. Pour empécher qu'ilne
ſe gâte,on le laiſſe dans le four
tine heure plus qu'à l'ordinaire,
&afin que la longueur de la
cuiffon n'y cauſe pas dedimi
236 MERCVRE
nution , la ration eft augmen
tée d'une once. Il n'y a point de
Ville ennemie qui ne croyeque
l'orage va fondre ſur elle. Les
Payſans ſe ſont engagez de
fournir au Roy cinq mille deux
censtrente deux chariots . L'Armée
de M. de Luxembourg eſt
de foixante & dix huit Bataillons
, qui font 46800. Fantaſfins
, & de 161. Eſcadrons,qui
font 24150. Chevaux, le tout
70930. hommes. Total desAr
mées 119700. hommes.
Aprés vous avoir fait le détail
du Siege d'Heidelberg , je
croy vous faire plaifir d'ajoûter
icy une ample Relation de la
priſe de cette Place. Les Affiegeans
s'eſtant apperçus que les
Ennemis faifoient beaucoup de
mouvement dans le Fauxbourg
de Spire , parce qu'ils y
GALANT .
237
eſtoient enveloppez , & qu'y
eſtant vus à revers , ils estoient
batus de tous coſtez , reſolurent
de les attaquer . Le deſſein des
Ennemis estoit de ſe retirer
dans la Ville , & d'abandonner
entierement le Faux bourg .
mais ſe voyant attaquez bruf.
quement , & eftant encore trop
éloignez de la Ville pour s'y
pouvoir jetter ſans eſtre ſuivis
de trop prés & deffairs avant
que d'avoir pû gagner la Porte ,
ils vouluret reprendre lesPoftes
qu'ils commençoient à quitter,
mais nos Troupes s'avancerent
avec tant de precipitation &
d'ardeur , qu'ils ne purent executer
leur deffein , de forte
que le defordre ſe mit parmy
ces malheureux , qui voyant
fondre ſureux un fi grand &
fi prompt orage, furent obligez
238 MERCURE
de gagner la Porte de la Ville,
en effuyant le feu & les coups
de nosgens.lt eſt auſe de juger
qu'ils estoient fuivis de fort
prés , & qu'ils perdirent beaucoup
de monde en cette occa
fion.Cependant,comme ils ſças
voientmieux le chemin de la
porte, & qu'ils n'eſtorent occupez
qu'a fuir, au lieu que les
noſtres perdoient quelques
momens à tuer en le pourſui,
vant ,ils eurent le temps d'en,
trer , & de fermer la porte de
la Ville, avant que nos gens y
arrivaffent . Les Grenadiers de
Picardie l'enfoncerent avec
leurs Haches ,& ce qui doit
paroiſtre difficileà croire, elle
fut enfoncée en ſi peu de temps,
que les Ennemis qui n'avoient
encore pû gagner le Château
furent joints par nos Trouppess
ブ
GALANT.
239
elles les ſuivirent en tuant toû
jours juſques à la porte du
Chaſteau. Les premiers entrerent
, mais les Ennemis s'étant
apperçus , que nos Troupes les
fuivolent, fermerent la porte
de peur qu'elles n'entraffent
avecleurs gens ,& en facrificrent
environ fix cens cinquan
ze. Les noſtres en toerent plus
de deux cens,pendant le temps
de cette marche ,& à la porte
m.fme du Chasteau , le reſte
qui montoit à environ quatre
cens quarante, fut enfermé par
nos gens dans une Eglife.Comme
il fallut deſcendre du Chafzeau
àdécouvert ,&que les Ennemis
tirerent beaucoup,nous
perdîmes vingt hommes,parmy
leſquels il y eut un Capitaine
de Picardie tué ,&un Lieutenant
nommé Baffillac , dange240
MERCVRE
reuſement bleffé . Pendant que
ces choſes ſe paſſfoient , les
Troupes qui estoient à la fauffe
attaque , entrerent dans la Ville,
&M. de Melac qui commandoitdu
coſté du Fort de l'Etoile
s'en rendit auffi maiſtre , de
forte que nos Troupes eſtant
entrées par trois endroits dans
la Place, s'y trouverent au nom
brede plus de trente mille hom
mes. La confuſion alla ſi loin ,
qu'il fut impoſſible d'empêcher
le pillage de la Ville.. Les Of--
ficiers Generaux firent neanmoins
tous leurs efforts pour la
ſauver , mais dans un fi grandi
deſordre il s'en fallut beaucoup
qu'ils n'obtinffent tout ce qu'ils
fouhaitoient. Le Gouverneur
du Chaſteau attentifà ce qui ſe
paffoit , & craignant d'avoir,
une deſtinée pareille à celle de
GALANT.
241
la Ville , envoya un Capucin
pour faire des propoſitions à M.
de Lorges. Ce Maréchal qui avoit
fon but , le retint le plus
qu'il luy fut poffible, & le renvoya
fans luy rien accorder. Le
Gouverneur demandoit à écrire
au Prince de Bade l'état oùil
ſe trouvoit,parce que ce Prince
luy avoit ordonné de ſe défendre
juſqu'à la derniere extrêmité
. Le Gouverneur inquiet
de n'avoir rien obtenu,renvoya
leCapucin mais ſa negociation
ne fut pas plus heureuſe que la
précedente . M. de Lorges qui
vouloit gagner du tems,envoya
unOfficier avec ce Religieux ,&
dans l'entretien qu'ils eurent avec
leGouverneurdu Château,
il lui fit preſſétir que s'il renvoyoit
un Offisier avec le Capucin,
les choſes ſe pourroient ac
242
MERCVRE
commoder. Le Gouverneur le
crut , & envoya un Officier general.
Ils furent quelque tems à
trouver M. de Lorges , qui ne
voulant rien conclure ſi-toſt ,
eſtoit allé exprés donner des
ordres dans la Ville. Cette
troifiéme entre -veuë ne réuſſit
pas mieux que les deux premieres
pour le Gouverneur ;
& enfin Mr de Lorges eſtant
venu à bout de ce qu'il avoit
projecté ,& les Mortiers & les
Canons eſtant en eſtat par les
foins de M de la Frezeliere ,
qui avoit fait une diligence
extrême , il dit à M. Deſalleurs
de remener les Deputez , & de
leur faire voir en paſſant les
Batteries de Bombes & de Mortiers
, ce qui eut tout l'effet
que ceMaréchal s'eſtoit propoſe
, car ils n'eurent pas plûtoſt
GALANT .
243
fait leur rapport au Gouverneur
, qu'il accepta la capitulation
que M. de Lorges luy
avoit propoſee , à l'exception
d'une porte qu'il ne voulut pas
livrer le ſoir , craignant que le
Chaſteau ne fuſt pillé , comme
la Ville l'avoit eſté , ainſi la
Garniſon fortit au nombre de
1800. hommes. On peut connouſtre
par là qu'elle devoit
avoir eſté fort nombreuſe, puis
qu'onenavoit tué beaucoup à
l'attaque du Faux-bourg , & à
la pourfute juſques au Chateau
, & qu'il reſtoit encore
environcent quarante Priſonniers
. Ils avoient mis le feu aux
deux Clochers de la grande
Eglife , où ils eſtoient enfer
mez & ce feu s'eſtantcommu-
- niqué à la Vule,ilen conſuma
une partie,malgré tout cequ'on
رک
244
MERCVRE
fit pour l'éteindre. On garanti
deux grands Magaſins de faripes
& on a trouvé sooo.grenades
chargées, 1000. bombes&
40000.milliers de poudre,avec
du plomb à proportion, 12.pieces
deCanon de fonte,& dix de
fer, & un Pont de Bateaux que
l'on a envoyé à Philisbourg .M.
de la Frezeliere dit que c'eſt le
plus bel ouvrage qu'on ait encore
vû de cette nature. Ainfi
Heidelberg , qu'on fortifioit
depuis trois ans , & dont les
Ennemis avoient fait un de
leurs principaux Magaſins , a
eſté pris en vingt heures de
Tranchée , & fans qu'on y ait
perdu plus de vingt hommes ,
quoy quele General Soyer ſe
fuſt jeué dans laPlace pourla
défendre , & que le Prince de
Bade fuſt depuis plus de deux
mois ſur le Rhin à mettre toutes
GALANT. 245
そ
ces choſes en estat , pour ouvrir
la Campagne avant nous , &
avec des Troupes plus nombreuſes.
Mr le Comte d'Eſtrées partit
deToulon le 14.avec 21.Vaifſeaux
de Ligne; il devoit eſtre
ſuivi de quelques autres , & de
trente-cinq Galeres.
Mr de Savoye demande aux
Eſpagnols qu'ils lay remettend
: entre les mains deux des meil.
leures Places du Milanois ,avant
que de renouveller de Traité ,
pour nantiſſement de la promeſſequ'ils
luy font de le rétablir
dans ſes Etats , afin que ces
Places luy demeurent , en cas
qu'ils ne puiſſent tenir leur parole.
Pour rendre la Relation dela
priſe de Heidelberg complete ,
je vous diray que l'on avoic
May 1693.
L
146 MERCURE
pouffé la Tranchée juſqu'a
700. pas ; que Mr le Prince
d'Epinoy , Colonelde Picardie,
eſtoit à la teſte des Bataillons
de ce Regiment , qui l'ouvri
rent; que tien n'égale l'ardeur
des Troupes qui arracherent
les Paliſſades duFaubourg,quoy
que tres bonnes ; que les Gre
nadiers enfoncerent la porte de
la Ville à coup dehaches , parcequ'ils
n'avoient pas laillé le
semps aux Ennemis de lever le
Pont levis , que l'on avoit enfermé
beaucoup de Femmes
dans l'Eglife , pourles ſauver de
la fureur du Soldat qui prend
une Ville d'aſſaut , & qu'on
Capitaine nommé Bois-Robert
fit unetres-belle action , eſtant
entré dans la Ville du coſté du
Fort l'Etoile avec 60. hommes
ſeulement , & ayant pris deux
1
GALANT.
247
Drapeaux à ceux qui la gardoient
de ce coſte-là , après les
avoirbattus.
Je ne vous dis rien du Roy.
Il garde le filence , & je metais
j'auray bien-toft plus de peine
à le ſuivre qu'à me taire. Sa
Majesté eſt partie du Qefnoy ,
pour l'execution de l'entreprife
que perſonne n'a pu encore
deviner.
Ieremets au mois prochain
àvous parler de la mort de Madame
de la Fayette , &de M.
Maulevrier Colbert. Ic fuis ,
Madame , &c.
AParis ce 31. May 1693 .
TABLE.
Rehude.
SonnetauRoy. 2
Epijive en Vers. 4
Lettre surune nouvelledécouverte,
-quiregardelasanté. 14
Embarras d'une Belle , Fragment
d'histoire. 29
Vers allegoriques de Mademoiselle
des Houlieres.
40
Articlefort extraordinaire. 43
Prodige. 47
Dialogue. 49
Sonnet.
SI
LaBaguette.
Lettre écrite de Saumur concernant
Disputesur l'eau sur le vin. 75
Elogefunebre de M. Peliſſon , prononcéàl'
AcademiedeToulouse.87
Réponse au Livreintitulé, Lettres.
53
TABLE.
qui découvrent l'illufion des
Philofophes ſur laBaguette ,&&
qui détruiſent leurs ſyſtemes.
Nouvelles d'Alger.
101
140
Actions de graces rendues à Diew
par les Chevaliers Hofpitaliers
du S. Effprit . 143
Eloge duRoy ,prononcé àS.Germain
en-Laye.
145
Pompe funebre de Mademoiselle
d'Orleans,faite àS. Denis ,avec
L'invitationfaite aux Compagnies
Superieures , autres , & la
description du Mausolée. 150
Service fait à Honfleurpour lame
me Princesse. 169
Sonnet. 170
RemedescontrelaMedisance. 173
Service fait à Soiffons. 174
Article touchant la creation
institution de l'Ordre de S.Lonis.
7
$ 176
TABLE.
Morts. 188
Traduction en vers des Satyres de
Iuvenal, 209
Present fait au RoyparM.leNofctre
2417
Belle action deM. le Marquis de
Vins
213
Mariages, 215
Article des Enigmes.
i
220
Trintemps nouveau. 221
RecueildesMotets deM.de Loren
Zani. 222
Départ de Monfieur. 226
Etat de la Flote duRoy. 228
Siege d'Heidelberg. 230
1
Nouvelles dePiedmont. 232
Détailde cequi s'eſtpafféàla prise
d'Heidelberg. 233
Départ de Mr. le Comte d'Estrées
deToulon.
Nouvelles de divers endroits. 235
Mort deMadame de la Fayette.
THELVE
234
L
de la Table.
*
1893
Qualité de la reconnaissance optique de caractères