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1682, 11 (Lyon)
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Eur.
511
m
1682,11
Eur. 511m
1682,91
Mercur.e.
< 36613527700010
< 36613527700010
Bayer. Staatsbibliothek

MERCURE
GALANT
DEDIE' A MONSEIGNEUR
LE DAUPHIN.
NOVEMBRE 1682 ,
A LYON ,
Chez THOMAS AMAULRY,
ruë Merciere, au Mercure Galant,
M. DC. LXXXII.
AVEC PRIVILEGE DU ROY.
Beyerische
Set.biothek
LLL L LL L
CATALOGUE DES PIECES
contenuës dans leXIX. Extraordinaire
du Mercure Galant,Quartier
de Juillet 1682. donné au Public
le 15. Octobreſuivant.
IL CONTIENT
'N Traité de l'Origine de la
Pourpre de l'uſage qu'en د
ont faitles Anciens, &de la diference
avec l'Ecarlate . A
Une Traduction de Bucanan ,
Une Réponſe à la Queſtion , Si
l'on peut dire Je vous estime ,à une
Perſonne d'un rang plus élevé que
l'on est.
UnDiſcours remply d'êrudition,
dans lequel on peut connoiſtre
quelle eſt la marque la plus eſſentielle
dela veritable amitié.
Un Traité des Lunetes, contea
ij
nant la ſcience de la Veuë , l'ancienneté
des Lunetes , leurs diférences
, leur conſtruction , leurs
effets, les découvertes qu'on a far
tes dans le Ciel par le Teleſcope,
& fur la Terre par le Microſcope,&
enfin les noms de leurs veritables
Inventeurs .
Trois Réponſes en Vers à la
Queſtion , Quel choix doit faire
un Homme , qui ayant le coeurſenſible
à l'esprit ,&à la beauté, n'est
point affez riche pour vivre Sans
chagrins avec une Perſonne qui ne
luy apporteroit aucun Bien. On luy
propoſe trois Partis pourle Mariage;
une Fille tres- riche , mais treslaide&
fans esprit, une autre belle,
douce , tres-fage , mais fans Bien;
enfin une troisième , qui parſon efpritfe
fait admirer de tout le mon-
Je, mais qui n'any Bien, ny Beauté.
Trois Réponſes en Vers à la
Queſtion
Queſtion , Si lesentiment de Phinée
dans l'Opera de Persée estd'un
veritable Amant, lors qu'il dit qu'il
aime mieux voir Andromede devorée
par un Monstre , qu'entre les
bras deſon Rival. 4
Trois Réponſes en Vers à la
Queſtion , ſçavoir , Si l'Amour
estant un tribut qui est dû à la
Beauté, celuy qu'on apourune jolie
Femme , ne doit point empefcher
qu'on n'en prenne encor pour toutes
les Belles qu'on rencontre ; &fi
quand on aime une Femme , l'amour
que l'on a pour elle , doit entaidir
tout le refte dubeau Sexe à l'égard
de celuy qui aime.
Trois Portraits en Vers , d'un
Homme qui vit parfaitement
heureux.
Trois Réponſes enVers àlademade,
Quelle est l'origine du Droit.
TroisRéponſes enVers à laQue-
J
aij
ftion, ſçavoir, Quelles sontles quxlitez
neceſſaires pour la Converſation.
Divers ouvrages de galanterie,
comme Rondeaux , Sonnets , &
Madrigaux.
Le Roſſignol & l'Hirondelle,
Fable.
La continuation de l'ouverture
de l'Ecriture& de la Langue
univerſelle.
Une Enigme en Proſe, avec une
Lettre ſur le meſme ſujet.
Pluſieurs Sonnets, Madrigaux,
&Rondeaux, fur les fix Enigmes.
des trois derniers Mois.
Questions à decider.
* 1.
Lequel eft leplus à eſtimer de
ou de celuy de Cabinet.
Si
II.
Si la vengeance produit de plus
dangereux effets dans le coeur
d'une femme irritée , que dans
celuy d'un Homme offencé.
LIF
S'il eſt mieux ſeant àun Chrêtien
de ſe marier , que de ſe tenir
dans un Convent ; & fi un Homme
eſtant marié , peut auſſi bien
fervir Dieu , qu'un Homme qui
eſt retiré dans un Monastere.
IV.
Quel eſt le lien qui unit le
Corps à l'Ame
V.
Si l'uſage de la Perruque eſt
plus commode ,& plus utile pour
la ſanté, que les cheveux naturels.
TABLE DES MATIERES
contenuës en ce Volume.
Prélude,
Sonnet,
Autre Sonnet,
1
2
4
Ce qui s'est paſſe à lAcadémie Royale de
Peinture , & de Sculpture, le jour de la
diftribution des Prix, S
Soleûre, I5
Sonnet, 35. Autre Sonnet, 37
Dialogue en Langage Périgordin , 39
Histoire du Vésuve, 48
L'Amateur de l'Antiquité, 56
Rondeau en vieux Langage, 58
La Nymphe de Bourbon , à Madame la
Ducheffe de Nevers, 60
Madrigal , 63 . Amiens, 64
Péronne, 66. Corbie, 69
Versà la France, 71
Autrefur le mesmeſujet , 73
Traduction d'une Epigramme de Martial
74
Harangue deM. Amelot , Ambassadeur
de France à Venise, 75
Mariage de M. le Duc de Vuirtemberg,
83 Ceré
TABLE .
Cerémonie faite en l'Abbaye de S. Mefmin
proche Orleans,
Ags, 90.
85
Chauny, 91
Sonnet fur une Haye d'Epine, 99
Poiſſon extraordinaire vû à Dantzic, 101
Monstre né à Naples, 102
Monstre néà Gramat en Quercy , 104
109
Madame la Ducheſſe de Bracciane est
mise en poſſeſſion du Pour ,
Mariage de Mademoiselle de la Tremoüille
, 110
LesArbres choisis par les Dieux. Fable,
III
Mort de M. de Voyer de Paulmy , Evéque
&Seigneur de Rhodez , 116
Départ deMeſſieurs de Pain, & du Cornet
, pour aller chercher des Chevaux
dans l'Amerique, 125
Berlin , 128
Morlaix
135
Cherbourg , 135
Nouveltes du Vaiſſeau nommé le Soleil
d'Orient , ſur lequel les Ambaſſadeurs
de Siamfont embarquez 141
Voyage de Monsieur le Duc de Noailles
en Languedoc , avec tout ce qui s'est
paffé aux Etats de cette Province, 147
Reception
TABLE.
Receptionde l'Abbeffe de Montivilier, 163
Dieppe , 172 . Argentan , 176
Falaise , 178. Саёп, 182
Alençon, 187
Padonës 191
Mort de M.l' Evesque de Babylone, 192
Mort deM. de S. Legers 192
Mort de M. Chopin , 193
Mort de Madame la Marquise d'Estra
des, 19+
M. d'Hernoton est recen Maistre des
Requestes , 195
M.de Caumartin eft receu dans une même
Charge , 195
M. Loiseau est recen Conſeiller au Parlement
196
CourdesAydes ,
M.le Vaffeur est receu Conseiller en la
196
MariagedeMadem. Varoquier , 196
Conversions , 199
Reception faite à M. & àMadame la
Princeffe de Montauban à Nogent-le-
Roy, 200
Arles, 202
Oeuvresde Meſſieursde Corneille. 204
Ouverture , &Harangues duParlement ,
209
Fameux Medecin , 227
Diver
TABLE
Divertiſſemens de Chambord , Fontainebleau
, & Versailles , avec tout ce qui
s'est passé dans ces trois Maiſons de
Plaiſance pendant leſejour de la Cour,
332
Lettre àMadamela Marquise de Maintenon
, 251
Versfurla beautédes Apartemens du Roy
àVersailles ,&fur les Divertiſſemens
que leRoyy donne à toutela Cour, 253
Modes nouvelles ,
Enigme ,
Autre Enigme ,
L
Fin de la Table,
261
264
265
Avis pour placer les Figures.
AFigureduPoiſſon , doit regarder la Page
101 .
LaChanſon qui commence par On peut
encor dans la Prairie, doit regarder la page 171
LeChat , doit regarder la page 198 .
La Chanſon qui commence par Vous ne
voulez donc plus me voir ,doit regarder la page
231.
EX
EXTRAIT DV PRIVILEGE
P
du Roy.
Ar Grace & Privilege du Roy , donnéà
Saint Germain en Laye le 31. Decembre
1677. Signé Par le Roy en ſon Conſeil , JUNQUIERES.
Il eſt permis à J. D. Ecuyer , Sieur de
Vizé , de faire imprimer par Mois un Livre intitulé
MERCURE GALANT , preſenté à
Monſeigneur LE DAUPHIN , &tout ce qui
concerne ledit Mercure , pendant le temps &
eſpace de fix années , à compter du jour que
chacundeſd. Volumes ſera achevé d'imprimer
pour la premiere fois : Comme auſſi defenſes
font faitesà tous Libraires , Imprimeurs , Graveurs&
autres , d'imprimer , graver & debiter
ledit Livre ſans le conſentement de l'Expoſant,
ny d'en extraire aucune Piece , ny Planches
fervant à l'ornement dudit livre , meſme d'en
vendre ſeparément , & de donner à lire ledit
Livre , le tout à peine de ſix mille livres d'amende
, & confifcation des Exemplaires contrefaits,
ainſi que plus au long il eſt portć au
ditPrivilege.
Regiſtré ſur le Livrede la Communauté le
s. Janvier 1678.
Signé E. CourTEROT , Syndic
Et ledit Sieur D. Ecuyer , Sieur de Vizé a
cedé & tranſporté ſon droit de Privilege à
Thomas Amaulry Libraire de Lyon , pour
en joüir ſuivant l'accord fait entr'eux.
Achevé d'imprimer pour la premierefois le
31. Novembre 1682 .
MERCURE
GALANT.
NOVEMBRE 1682 .
I je ne commence
point aujourd' huy
ma Lettre par un
Eloge du Roy , je
croy , Madame , que vous ferez
aiſément perfuadée que ce n'eſt
point la matiere qui me manque.
Je ne vous écris que tous les
mois ; & ce que ce grand Monarque
fait chaque jour , donne
de nouveaux ſujets de le louer ;
Novembre 1682 . A
2 MERCURE
mais le moyen d'ofer l'entreprendre
, quand on a l'eſprit remply
du Sonnet que vous allez lire ?
Il eſt de Monfieur Magnin,Con
feiller au Bailliage& Siege Préfidial
de Mâcon .
SONNET
Sur ce qu'on ne peut loüer
dignement le Roy.
Pourchantes
Our chanter dignement le plus
grand des Humains,
Ceffez d'importuner les Filles de
Mémoire.
Beaux & rares Esprits , tous vos
efforts font vains,
Vous n'arriverez point à ce degré
degloire.

Brûlez sur fes Autels l'Encens
pleines mains,
Affem
GALAN T.
3
Aſſemblez tous les traits les plus
beaux de l'Histoire,
Epuisez les Trésors de la Grece &
des Romains,
Mais avec ces Secours ne chantez
Pas Victoire.
Vous n'éleverez point vos regards
ébloüis
Jusques à la hauteur du Thrône de
LOVIS ,
Le Soleil fon ſymbole est moins inacceffible.
Tout élevé qu'il eſt , on le sçait
mesurer ;
Mais prés de ce Héros c'eſt tenter
l'impoffible,
Ilfaut,fans ofer plus, voir,ſe taire,
admirer.
A ij
4
MERCURE
Monfieur Dierville du Pontleveſque,
animé du meſme zele,
a fait cet autre Sonnet.
L me faudroit la voix de toutes
IL me faudraits, les Neuf Soeurs,
Pour chanter de LOUIS la valeur
Sansfeconde.
Une si belle vie en prodiges féconde,
Epuise les esprits des plus fameux
Autheurs.
Aprés s'êtrefait voir le plus grand
des Vainqueurs ,
Triomphant tour- à- tourſur la Terre
&fur l'Onde,
Il fait changer la Guerre en une
Paix profonde,
Dont le vaſte Univers reſpire les
douceurs.
Quel
GALAN T.
5
QuelSiecle fut jamais plus heureux
que le nostre ?
Du Sangde ce Héros le Ciel en forme
un autre,
Dont le brillant éclat ébloüit en
naissant.
Tremblez , fier Ottoman , craignez
vos deſtinées ;
C'eſt luy que nous verrons dans ſes
belles Années ,
D'un ſeul de ses regards obfcurcir
le Croiſſant.
La gloire du Roy n'a beſoin
ny de Panégyriques, ny de Vers,
pour eſtre connuë. Il ne faut que
raconter les chofes les plus remarquables
qui ſe paſſent dans
fon Royaume. Comme elles font
preſque toutes des effets de ſa
magnificence , de ſa bonté pour
A iij
6 MERCURE
fes Sujets , ou du pieux zele dont
il a toûjours donné des marques,
elles font ſon Eloge beaucoup
mieux que ne le feroit le plus
grand amas des paroles recherchées.
Vous ſçavez combien
l'Etabliſſement de l'Academie
Royale de Peinture & de Sculpture
eſt utile pour l'avancement
& la perfection des beaux Arts.
On n'oublie rien pour la mettre
dans tout l'éclat qu'elle peut
avoir; & le Samedy 10. du dernier
mois , Monfieur Colbert fit
l'honneur à cette Compagnie ,
dont il eſt le Protecteur, de venir
y préſider pour la diſtribution
des quatre Prix que Sa Majeſté
accorde tous les ans à ceux d'entre
les jeunes Etudians qui ont le
plus profité dans l'étude du Modelle
, & fur les Leçons du Def-
Sein , Geometrie , Perspective , &
Anato
GALANT.
7
Anatomie , qui ſe donnent tous
les jours dans cette Academie,
& dont les Ouvrages qu'on leur
fait faire pour ce ſujet ſont eſtimez
les plus beaux. Le Chancelier
& les Officiers en exercice,
accompagnez des autres Officiers
& Academiciens , vinrent le recevoir
au bas de l'Escalier , & le
conduifirent en ſuite dans tous
les Apartemens, qu'il voulut bien
ſe donner la peine de voir. Il entra
d'abord dans la Salle deſtinée
pour les Leçons d'Anatomie,
Geometrie , & Perspective , &
pour l'étude de ceux qui commencent
à deſſiner d'aprés les
Deſſeins des Profeſſeurs , Rondes
- boffes , & Bas- reliefs anti-
-ques qui y font expoſez. Cette
Salle , ainſi que tous les Paſſages,
eſtoit remplie des Tableaux de
ceux qui ont déja remporté des
A iiij
8 MERCURE
Prix. Il vint de là dans la Salle où
font rangez par ordre les Portraits
des Officiers decedez , qui
ſe ſont acquitez dignement de
leurs Emplois , & les Tableaux
des Peintres qui ont des talens
particuliers , c'eſt à dire , qui ne
profeffent pas la Peinture dans
toutes ſes parties . Il paiſa de cette
Salle dans une autre , où il
trouva les deux Modelles en attitude,
& formant une Groupe, &
tous les Etudians, plus avancez
& capables de cette étude , qui
deffignoient fous la conduite du
Profeſſeur. Cette Salle étoit pleine
des Deſſeins & Bas - reliefs
que font les Profeſſeurs dans le
temps de leur exercice, pour fervir
d'exemple à la Jeuneſſe. En
fuite ce Miniſtre entra dans la
grande Salle des Aſſemblées , ornée
des Tableaux,Buftes , & Basreliefs
T
7
GALANT.
reliefs de Marbre , que font les
Peintres & les Sculpteurs à leur
reception en l'Academie , pour
donner des preuves de leur ca
pacité. La plupart de ces Tableaux
reprefentent les Actions
héroïques de Sa Majesté ſous
des Figures allégoriques ; & comme
l'Academie en a un tresgrand
nombre , tout en eſtoit
remply depuis le haut juſqu'au
bas , ce qui faiſoit une agreable
varieté de diférens Ouvrages,&
de diférentes manieres. Auſſi- tôt
que Monfieur Colbert fut entré
dans cette Salle , il examina les
Tableaux & Bas- reliefs des Concurrens
pour les Prix. En ſuite
s'étant mis dans le Fauteüil qu'on
luy avoit preparé , le Chancelier
de l'Academie à ſa droite , & le
Recteur & Profeſſeur en exercice
à ſa gauche , & tous les Offi-
Av
10 MERCURE
ciers & Academiciens ayant pris
leurs places felon leurs rangs , il
écouta la lecture d'une Diſſertation
que l'Hiſtoriographe de l'Academie
avoit tirée d'une Conference
tenuë ſur un Difcours
prononcé autrefois par un des
Profeſſeurs , touchant un excellent
Tableau de Monfieur Pouffin.
Le ſujet du Tableau & dut
Diſcours avoit eſté pris de l'Hiftoire
de Rébecca , & du Serviteur
d'Abraham , rapportée dans
le 24.Chap . de la Geneſe . L'Hiſtoriographe
marqua d'abord que
l'Academie voulant reconnoître
felon fes forces les bienfaits qu'elle
a reçeus du Roy depuis le
temps qu'il l'a fondée, & fe conformant
aux intentions de Monfieur
Colbert , alloit s'appliquer
avec une nouvelle ardeur aux
Conferences & aux Differtations
qui
GALANT. fr
qui ont eſté interrompues . II
rapporta diverſes raiſons de cette
diſcontinuation ,& dit qu'elle venoit
particulierement de ce que
les Academiciens avoient fait
pluſieurs Diſcours de vive voix,
qui n'ont eſté ny recueillis , ny
examinez , & qu'on s'eſtoit contenté
de faire ſur les autres des
Queſtions indeciſes , & des Reflexions
generales fans aucunReſultat;
mais il adjoûta qu'à l'ave
nir les Conferences auroient un
grand avantage fur celles qui
avoient eſté déja faites , parce
que l'Academie pretendoit tirer
de chaque Matiere qui y ſeroit
agitée , des Preceptes pofitifs ,&
des Maximes eſſentielles pour
l'inſtruction & la conduite de ſes
Ecoliers . Comme ce nouveau
travail ne pouvoit jamais eſtre
commencé ſous de plus heureux
aufpices
12 MERCURE
aufpices qu'en la prefence de
Monfieur Colbert , l'on n'eut pas
fi -toſt achevé la lecture du Difcours
& de la Differtation faite
fur le Tableau de Rebecca , que
l'Academie agita une Queſtion
tirée effentiellement de cette
Matiere. Elle mit donc en déliberation
, Si un Peintre peut fuprimer
dans les Sujets qu'il traite,
les circonstances bizarres & embaraſſantes,
que l'Histoire ou la Fable
luy fournissent , en forte toutefois
qu'en retranchant ces circonstances ,
la Matiere principale ne perde rien
defa force &deses agrémens ,&م
nesoit pas moins intelligible. Aprés
cette Critique, ſur laquelle Monfieur
Colbert voulut bien dire
ſon ſentiment , le Secretaire de
l'Academie luy expoſa ceux de la
Compagnie pour le jugement des
Prix. Il le trouva juſte , & en fit
en
My
GALAN T.
13
en fuire la diſtribution aux Etudians
qui les avoient meritez .
Avant que de fortir , il exhorta
les Academiciens à continuer
leurs foins pour la perfection de
leurs Ouvrages , afinde les rendre
dignes de celebrer la grandeur
du Roy , & la fplendeur de
la France. Les Prix conſiſtoient
en quatre Medailles d'or , deux
pour la Peinture, & deux pour la
Sculpture ;mais ces Medailles ne
ſont pas le ſeul avantage que
remportent ceux qui ont le mieux
réüſſi. Sa Majesté leur fait encor
la grace de les envoyer à Rome
dans l'Academie qu'Elle y a établie
pour l'avancement des jeunes
Gens ſur l'étude de l'Antique.
Cette Academie de Rome
eſt regie par un des Officiers de '
celle de France , choiſi pour cela,
& à qui le Roy donne une Penfion
14
MERCURE
fion confiderable auſſi - bien ,
qu'aux Etudians , qui en ont une
pour leur entretien outre leur
nourriture pendant deux ou trois
années , & leurs voyages payez
pour aller & revenir .
Rien n'eſt ſans- doute ſi avantageux
à la France , & fi glorieux
pour noftre auguſte Monarque,
que le ſoin qu'il prend de faire
fleurir les beaux Arts. C'eſt ce
qui a rendu autrefois l'Italie ſi
celebre , & ce ſont les Ouvrages
qui luy reſtent des grands
Hommes qu'elle a poſſedez , qui
excitent encore aujourd'huy la
curioſité des Voyageurs de toutes
les Nations , & qui font une
partie de la richeſſe de ce beau
Païs. Vous ne doutez pas , Madame
, que les loüanges de Sa
Majesté n'y retentiſſent par l'Etabliſſement
qu'Elle a fait de
l'Aca
GALAN T.
IS
l'Academie de Rome. Il faut
encore vous les faire entendre
ailleurs. La Suiſſe m'en fournit
l'occaſion . L'eſprit y regne
auffi-bien que la valeur , & je
puis dire que Monfieur l'Avoyer
Vvagner eſt un de ceux qui a
le mieux fait l'Eloge du Roy.
Vous le pouvez voir dans le détail
des Réjoüiſſances faites à Soleurre
pour la Naiſſance de Monſeigneur
le. Duc de Bourgogne,
que je vous envoye , & dont je
ne pûs vous faire part le mois
paffé , parce que le temps &
la place me manquoient. Vous
trouverez dans cette Relation
beaucoup de choſes particulieres
, qui ne ſont point dans celles
qui ont couru de cette grande
Feſte.
Monfieur de Gravel ,Ambaſſa
deur de France auprés des Cantons
16 MERCURE
tons Suiffes , ayant marqué autant
de joye pour le nouveau
bonheur du Roy , & d'habileté à
bien conduire une Feſte , qu'il
marque depuis cinq ou fix ans
d'intelligence & de zele dans ſon
Ambaſſade , j'ay crû vous devoir
faire part de ce qui ſuit. Vous
ſçavez , Madame , quelle eſt l'importance
de l'Employ de cet Ambaſſadeur.
Quoy que les Treize
Cantons s'appellent le Corps Helvétique
, il y a pourtant dans
chaque Canton des Regles &
des Maximes particulieres , qui
rendent les affaires plus difficiles
à traiter . C'eſt en quoy ра-
roît plus avantageuſement le génie
de Monfieur de Gravel pour
les grandes Négotiations. Si- toſt
qu'il ſçeut la Naiſſance de Monſeigneur
le Duc de Bourgogne,
il en donna avis aux Magnifiques
Seigneurs
GALANT.
17
,
Seigneurs des Cantons ; mais
comme il fait ſon ſejour ordinaire
à Soleurre , il commença par
celuy qui porte le nom de cette
Ville. Le 29. Aouſt vers le
ſoir , Soleurre fit tirer pluſieurs
volées de tout fon Canon pour
le prelude de la Feſte. Le lendemain
30. à, huit heures du
matin , Leurs Excellences de Soleurre
députerent à Monfieur
l'Ambaſſadeur deux des principaux
Conſeillers d'Etat, pour ſçavoir
de luy l'heure où il voudroit
recevoir une Audience de
cerémonie. Il leur répondit , qu'il
eſtoit preſt de ſe rendre à la
Maiſon de Ville , fi- toſt qu'on
lavertiroit ; & fur cette réponſe
, Leurs Excellences luy députerent
une ſeconde fois les Seigneurs
Banneret & Bourfier , &
fix autres du Confeil d'Etat, pour
le
18 MERCURE
le venir prendre dans ſon Hôtel
, & pour l'accompagner dans
la Maiſon de Ville , où il fut reçeu
dans la Chambre des Audiences
par Monfieur l'Avoyer
Vvanger,accompagné de tous les
autres Seigneurs . Monfieur de
Gravel ayant pris ſa place accoûtumée
ſur un Fauteüd , dit , Que
quoy qu'en ſuivant les ordres exprés
du Roy fon Maître , il euſt déja
donné avis par ſes Lettres au Loüable
Corps Helvétique de l'heureuse
Naiſſance de Monseigneurle Duc
de Bourgogne , & que mesme il eust
esté prévenu par la voix publique,
qui avoit répandu cette grande
& importante Nouvelle , avant
que la Dépeſche du Roy lay eust
esté apportée , Sa Majesté luy avoit
encore envoyé des Ordres précis
d'en donner part de vive voix aux
Magnifiques Seigneurs de Soleurre,
comme
GALANT.
19
7
comme à ses meilleurs Amis , Voisins
, & Alliez , ne doutant pas
qu'ils ne mêlaſſent leur joye avec
celle qu'on faisoit paroître dans
toute la France par des Réjoüiſſances
extraordinaires ; Qu'il pouvoit
les aſſurer que Sa Majesté auroit
grand foin de faire élever ce Princedans
les mesmes sentimens d'affection.&
de bienveillance qu'Elle
avoit témoignez jusqu'alors pour les
Louables Cantons , afin de maintewir
la bonne intelligence qui dure
depuis si long- temps entre la Couronne
de France & le Corps Helvétique
; Que pour luy , il seroit toûjours
tres aise de profiter des occafions
de leur rendre ſes fervices à
tous en general,& à chacun en particulier.
MedeGravel s'étant levé,
ajoûta, Qu'il les afſuroit plûtoſt en
Amy qu'en Ministre,que leur Canon
feroit tant d'effet , que le bruit en
iroit
20 MERCURE
iroit juſqu'aux oreilles du Roy , qui .
l'entendroit avec plaisir. Ce Difcours
finy , Monfieur l'Avoyer
Wagner alla reconduire Monfieur
de Gravel juſques à la Porte du
Confeil; & Meffieurs les Huit
Deputez le reconduifirentjuſque
dans la grande Salle de fon Hôtel
, où Monfieur l'Ambaffadeur
les ayant remerciez de leur civilité
, ils retournerent à la Maiſon
de Ville.
Quelque temps apres , Meffieurs
du Conſeil Privé , l'Avoyer
en teſte, precedez des Tambours
& des Trompetes , vinrent prendreMonfieur
deGravel pour l'ac.
compagner à l'Eglife Cathedrale.
Lors qu'ils furent entrez dans
la Salle, Monfieur Wagner le compplliimmenta
, &dit, Que tout lemonde
estoit fuffisamment informé des
benedictions qu'il avoit plû à Dieu
de
GALANT. 21
deverſerſur Sa Majesté Tres- Chrêtienne
de France & de Navarre
LOUIS XIV. de ce nom , leur
Allié & Confederè , depuis le commencement
de fon Regne , par les
Victoires continuelles remportéesſur
Jes Ennemis , lesquelles avoient
poussé ſa renommée non seulement
dans toute l'Europe, mais jusqu'aux
Païs les plus éloignez, & dans les
autres Parties du Monde , par l'angmentation
considerable de ſon
Royaume & de fes Etats , par la
gloire qu'il avoit euë dans la der.
niere Guerre d'obliger ſes Ennemis
d'accepter les conditions qu'il leur
avoit preſcrites à ſon bon plaisir,
& d'estre l' Arbitre de la Paix ,
enfin par l'heureux Accouchement
de Madame la Dauphine , en donnant
à la France un Duc de Bourgogne
, dont ſes Seigneurs & Superieurs
avoient une tres grandejoye,
Luy
22 MERCURE
luy Souhaitant de tres bon coeur
une parfaite & longue ſanté , &
toutes sortes de prosperitez, esperant
que ce Prince futuroit les traces
de fes glorieux Ancestres , qu'il
heriteroit de la grandeur de Henry
IV. Son Triſayeul , de la justice
de Loüis XI I I. fon Bifayeur, de la
victorieuse & invincible de Loüis
XIV. Son Ayeul , & de la félicité
de Monseigneur le Dauphin fon
Pere ; Qu'ils remercioient Son Excellence
de la peine qu'elle avoit
voulu prendre d'aller dans leur
Conſeil , pour leur donner part de
vive voix de cette grande Nouvelle,
laſupliant de vouloir les recommander
de plus en plus à la bienveillance
de Sa Majesté, & de l'af-
Surer en leur nom de la conftante
obſervation de leurs obligations conféderates
: Qu'ils remercioient auffi
Son Excellence de l'affection
qu'elle
GALAN T.
23
qu'elle leur avoit toûjours témoignée
, & qu'ils luy en demandoient
la continuation.Monfieur l'Avoyer
finit, en diſant , Que Meffiears les
Conseillers prefens , & luy , estoient
venus pour avoir l'honneur de l'accompagner
à l'Eglife. Sur quoy
Monfieur de Gravel répondit ,
Qu'il les remercioit des nouvelles
marques de leur affection , leur
estant obligé de la civilité qu'ils
luy rendoient ; Qu'au reſte il les af-
Suroit qu'il informeroit tres fidellement
le Roy des demonstrations de
joye publique qu'ils faisoient paroître
dans cette rencontre , ce qui
feroit agreablement receu de fa
Majesté. Le Diſcours que venoit
de faire Monfieur l'Avoyer , répondoit
à l'opinion que l'on a de
ſa capacité , & c'eſt dire beaucoup
; car il faut que vous ſçachiez
, Madame , que Monfieur
Wagner
24 MERCURE
Y
Wagner eſt un des Hommes de
la Republique qui s'eſt attiré le
plus de conſideration par ſon merite.
De la Charge de Secretaire
d'Etat , il monta d'abord à celle
de Bourfier , qui eſt la troiſiéme
de Soleurre; & delà on l'a élevé
à celle d'Avoyer , qui eſt la premiere.
Monfieur fon Fils , qui luy
a fuccedé dans la Charge de Secretaire
d'Etat , donne beaucoup
de ſujet d'eſpérer , qu'en montant
par les meſmes degrez , il
arrivera au meſme point de gloire.
Monfieur l'Ambaſſadeur , &
Monfieur l'Avoyer , ayant pris le
chemin de la grande Eglife , accompagnez
des Seigneurs du
Confeil, & fuivis d'un tres- grand
nombre de Perſonnes confiderables
, trouverent les Ruës bordées
d'Habitans de Soleurre ſous
les armes. Monfieur Sury , autre
fois
GALANT.
25
fois Capitaine aux Ga des Suifſes
, à preſent Conſeilici d'Etat,
& Major à Soleurre , à la teſte de
ſa Milice, ſalüa de la Pique Monfieur
l'Ambaſſadeur ,& Monfieur
ſon Frere le ſalüa du Drapeau,
ayant bien voulu en cette Solemnité
faire la fonction d'Enſeigne,
quoy qu'il ſe ſoit fort bien acquité
en France de celle de Lieutenant.
La Maiſon de Sury eſt une
des plus conſiderables du Canton
de Soleurre. En approchant
de l'Eglife , Monfieur l'Ambaſſadeur
s'arreſta un moment pour
jetter la veuë fur des Inſcriptions
&des Deviſes Latines, que Monſieur
Gochart Chanoine , ſçavant&
habile Predicateur , avoit
faites pour le Roy , pour la Maifon
Royale, & meſme pour Monſieur
de Gravel. Monfieur le Prevoſt
, à la teſte de Meſſieurs les
Novembre 1682 . B
:
26 MERCURE
Chanoines , receut cet Ambaſfadeur
à la Porte de l'Eglife. On
chanta un Te Deum & une Meſſe
folemnelle , où il y eut de tresbeaux
Motets en Muſique , de la
compoſition de Monfieur Michel
, Chantre à Soleurre . Apres
que Monfieur l'Ambaſſadeur fut
retourné à ſon Hoſtel, Meſſieurs
du Chapitre y allerent en Corps
le complimenter par la bouche de
Monfieur le Prevoſt. Entre beaucoup
de choſes fort juſtes & toutes
pleines de zele pour le Roy,
il dit , Que ceux de Son Chapitre,
luy , adreſſeroient tant devoeux
àDieu pour Sa Majesté , qu'ils meriteroient
de paſſer pour estre ſes
Cappelains. Monfieur de Gravel
pria tous ces Meſſieurs d'un grād
Repas qu'il donnoit dans l'Hoſtel
-de Ville à Meſſieurs du Grand &
du Petit Confeil , & il demanda Ky
à
GALANT.
27
àMonfieur Gochart en particulier
ſes Vers & ſes Deviſes, pour
les envoyer à la Cour , & felicita
Monfieur Michel ſur la beauté
deſa Muſique. Les meſmes Seigneurs
du Conſeil d'Etat qui
avoient conduit Monfieur l'Ambaſſadeur
à l'Audience, l'allerent
prendre pour l'accompagner à la
Maiſon de Ville. Rien ne peut
eſtreny plus magnifique , ny plus
propre que le fut ce Dîné. Il y
avoit meſme des Vins de S. Laurens
& de Gréce , qu'on ne voit
preſque jamais en Suiſſe.Le Lundy
31. on traita tous les Officiers
&Valets de Ville, à la Confréric
des Arquebuſiers. Peut eſtre,
Madame , ne ſera t- il pas inutile
de vous dire ce que c'eſt qu'une
Confrerie chez les Suiſſes . Comme
leur Gouvernement eſt purement
Populaire, chaque Corps
Bij
28 MERCURE
d'Artiſans a dans toutes les Villes
Capitales des Cantons , une
Maiſon commune , où l'on s'afſemble
pour traiter des Affaires
, ce qui ne ſe fait jamais ſans
de grands Repas. Ces Maiſons
s'appellent dans quelques Villes
, Abbayes , & dans d'autres,
Confreries , & l'on ne peut arriver
à aucune Charge de l'Etat,
qu'on ne ſoit auparavant receu
dans quelqu'une ou de ces Confreries
, ou de ces Abbayes. Le
premier de Septembre , Monfieur
deGravel alla chez Madame la
Colonelle de Roll , dont il avoit
emprunté la Maiſon, parce qu'étant
ſituée dans une grande Place
où il y avoit une belle Fontaine
, elle estoit propre aux defſeins
qu'il vouloit executer. Madame
de Roll eſt venuë d'un
Homme qui s'eſtoit acquis beaucoup
GALAN T. 29
coup d'eſtime & de confideration
dans la Charge de Colonel
en France. Elle a deux Fils tresrecommandables
par leur merite
& par leurs emplois. L'un eſt
Monfieur de Roll , qui eſt un des
principaux Conſeillers d'Etat de
Soleurre ; l'autre , Monfieur le
Chevalier de Roll , de l'Ordre
de Malthe , Commandeur de
Bafle & de Reinfelden. Ces
deux Meſſieurs aiderent à Madame
leur Mere à faire les honneurs
de ſa Maiſon. Il s'y trouva
les plus confiderables Perſonnes
de la Ville , Monfieurl'Avoyer
Wagner, Monfieur le Ban
neret Beſenval , qui occupe ſi
dignement une des premieres
Charges de l'Etat , & Monfieur
le Bourfier Sury , qu'on a fi fouvent
député à des Ambaſſades
importantes , & dont le nom eſt
Biij
30
MERCURE
fi connu à la Cour par luy-même
,& par Monfieur ſon Frere,
qui eſtant Capitaine aux Gardes
, fut tué à Doëſbourg pour
le ſervice du Roy. Dés queMonfieur
l'Ambaſſadeur fut entré
chez Madame la Colonelle , cette
Fontaine qui eſt dans la Place
, commença à jetter du Vin
blanc & rouge. Elle avoit changé
de figure par les foins & les
ordres de Monfieur de Gravel .
C'eſtoient deux Dauphins , au
deſſus deſquels on voyoit un Soleil
&une Couronne fermée. Le
Vin coula en abondance depuis
une heure apres midy , juſqu'à
dix heures du foir. Monfieur
l'Avoyer parut à la Feneſtre, bûvant
dans un grand Verre fort
profond à la ſanté du Roy , & la
portant au Peuple , & auffitoft
il y eut preſſe àqui luy en feroit
mieux
GALANT.
31
mieux raiſon. Cependant Monfieur
l'Ambaſſadeur fit diverſion
à l'empreſſement que le Peuple
avoit de boire , lors qu'il jetta ,
& pria Meſſieurs l'Avoyer &
Bourſier , & les Dames, de jetter
auſſi bien que luy , quantité de
Medailles d'or & d'argent d'un
bon poids. Elles repreſentoient
des Dauphins , avec ces mots,
Hoc fidere firmant. On liſoit fur
le Revers , Lud. Mag.glor:
Proli Duci Burg. 1682. & autour
du meſme Revers , Sparsa publice
P.D. R. de Gravel. p. t. Leg.
Solod. Concevez bien , Madame,
quelle fut la joye de Madame
de Roll , en voyant Monfieur
de Gravel faire pour la Naiſſance
de Monſeigneur le Duc de
Bourgogne ces liberalitez au
Peuple de Soleurre , du meſme.
lieu & des mêmes Feneſtres d'où
Biiij
30
MERCURE
fi connu à la Cour par luy-même
,& par Monfieur ſon Frere,
qui eſtant Capitaine aux Gardes
, fut tué à Doëſbourg pour
le ſervice du Roy. Dés queMonfieur
l'Ambaſſadeur fut entré
chez Madame la Colonelle , cette
Fontaine qui eſt dans la Place
, commença à jetter du Vin
blanc & rouge. Elle avoit changé
de figure par les foins & les
ordres de Monfieur de Gravel.
C'eſtoient deux Dauphins , au
deſſus deſquels on voyoit un Soleil
&une Couronne fermée. Le
Vin coula en abondance depuis
une heure apres midy , juſqu'à
dix heures du ſoir. Monfieur
l'Avoyer parut à la Fenestre, bûvant
dans un grand Verre fort
profond à la ſanté du Roy , & la
portant au Peuple , & auffitoft
il y eut preſſe àqui luy en feroit
mieux
GALAN Τ .
31
mieux raiſon. Cependant Monfieur
l'Ambaſſadeur fit diverſion
à l'empreſſement que le Peuple
avoit de boire , lors qu'il jetta ,
& pria Meſſieurs l'Avoyer &
Bourſier , & les Dames, de jetter
auſſi bien que luy , quantité de
Medailles d'or & d'argent d'un
bon poids. Elles repreſentoient
des Dauphins , avec ces mots,
Hocfidere firmant. On liſoit fur
le Revers , Lud. Mag.glor:
Proli Duci Burg. 1682. & autour
du meſme Revers , Sparſa publice
P.D. R. de Gravel. p. t. Leg.
Solod. Concevez bien , Madame,
quelle fut la joye de Madame
de Roll , en voyant Monfieur
de Gravel faire pour la Naiſſance
de Monſeigneur le Duc de
Bourgogne ces liberalitez au
Peuple de Soleurre , du meſme.
lieu & des mêmes Feneſtres d'où
Biiij
32
MERCURE
Monfieur de la Barde alors Ambaſſadeur
en Suiffe , en avoit fait
auffi pour la Naiſſance de Monſeigneur
le Dauphin. Avant que
Monfieur l'Ambaſſadeur ſe retiraft
, Madame la Colonelle luy
preſenta un Ambigu fort proprement
ſervy. Les Dames qui furent
de cette Feſte , regreterent
fort Madame l'Ambaſſadrice, que
fon indiſpoſition en avoit éloignée.
Ce fut à cauſe de ſa maladie
que Monfieur de Gravel
ne donna pas chez luy ce Repas
qu'il donna dans l'Hoſtel de Ville.
Il fit encore ce meſme foir,
au fortir de chez Madame Roll,
un grand Regale au Jeu de l'Arquebufe
; & fur les huit heures,
au ſignal de deux coups de Canon
, il fit tirer deux Feux d'artifice
, que Monfieur le Capitaine
Villading de Berne, avoit compoſez.
3
GALANT. 33.
poſez. Ils eſtoient placez aux
deux bords de la Riviere d'Are,
qui baigne une partie des Murailles
de la Ville; & quoy qu'el
le ſoit auffi large que la Seine
l'eſt à Paris , on liſoit facilement
d'un bord à l'autre les Deviſes
dont les Feux eſtoient embellis.
Comme des Réjoüiſſances ſi magnifiques
avoient attiré à Soleurre
nn grand nombre d'Etrangers,
Leurs Excellences de Soleurre
les regalerent le 2. de Septembre
à trois grandes Tables , où parut
toute l'abondance & toute la de
licateſſe poſſible. Le 3. Monfieur
l'Ambaſſadeur fit publier partou
te la Ville que tous les Bourgeois
allaſſent ſe réjoüir dans leurs
Confreries , & qu'ils ne ſe miffent
pas en peine de la dépenſe.
L'ordre fut ſuivy avec joye . Ces
Bourgeois n'ayant pas de Canon,
Bv
34 MERCURE
ils tirerent en bûvant les Santez
du Roy & de la Maiſon Royale,
quantité de coups de gros moufquets
, qui ne faifoient guére
moins de bruit que des Pieces de
Campagne ; &Monfieur de Gravel
crût ne pouvoir mieux finir
ſes Réjoüiſſances que par ce Fe--
ſtin qu'il fit à tout Soleurre .
Des deux Sonnets que j'ajoûte
à cette Relation , Monfieur
Vignier de Richelieu a fait le fecond
ſur des Bouts- rimez qu'on
luy donna ſi tốt qu'on ſçeut que
Madame la Dauphine eſtoit ac--
couchée d'un Prince.
SUR
GALANT.
35
SUR LA LUMIERE QUI
parut en l'air la nuit que Monſeigneur
le Duc de Bourgogne
vint au monde.
SONNET.
Q
Vand le Ciel veut donner un
Héros à la Terre ,
Souvent il le prédit par des Signes
divers.
Alcide fut couçeu dans le bruit du
Tonnerre ,
Et lejuſte ( 1 ) nâquit au milieu des
Eclairs.
Nostre auguste Monarque entrant
dans l'Univers,
Yvint parmy les feux(2 )& le bruit
de la Guerre ;
Etice Thébain ( 3 ) qui mit ſes Tyrans
dans les fers ,
Apporta
36 MERCURE
Apporta fur ſa cuiſſe un brillant
Cimeterre.
Quand Tullus ( 4 ) vint au monde,
un Prodige fameux
Préſagea sa grandeur par les celeftes
feux
Dontſa teste en naiſſant parut environnée;
:
Etfi l'on voit au Ciel briller unfeu
nouveau
Au moment que ce Prince entre dans
leBerceau,
Cefeu marque déja sa grande deftinée.
* Loüis le Juſte. 2. Tout eftoit
alors en guerre. 3. Pelopidas.
4. Servius.
:
:
HORO
GALANT.
37-
HOROSCOPE
DE MONSEIGNEUR
T
le Duc de Bourgogne.
Seras plus aimé que l'on
n'aima Titus,
Tes Vertus prévaudront fur celles
de Socrate ;
Tu convaincras l'erreur comme fit
Avitus ,
EtSeras plus heureux cent fois que
Policrate.
1
Nulne craindra chez toy le deštin
deClitus,
اد
Tu feras mieux des Vers que le
Poëte Epicrate;
Plus vaillant que César, Alexandre,
Aratus, e
Ton Scavoir confondra l'éloquent
Mocrate.
Diew
38 MERCURE
Dieu le Pere , le Fils , & Sanctus
Spiritus,
Seront tes Conſeillers jusqu'à ton
Obitus ;
Tu les confulteras tous les jours à
laMeſſe..
Peuples , Princes , &Roys, en dépit
duDemon,
Venant pour admirer ta profonde
Sageſſe,
Prendront tes Jugemens pour ceux
de Salomon..
Chacun tâche d'épurer fon
ſtile , & d'élever ſes penſées , en
parlant du Roy & de la Maiſon
Royale. Cependant il y a des
manieres de loüer en langage du
Païs , qui ne manquent pas de
graces , & on trouve quelquefois
autant d agrément à ce ſtile
naturel,
GALANT.
39
naturel , qu'aux expreſſions les
plus relevées. Voicy un Dialogue
Périgordin , qui a donné
beaucoup de plaisir à une fort
grande Compagnie. Il fut recité
dans la Tragedie que les Ecoliers
du College des Jeſuites de Périgueux
repreſenterent dans le
temps qu'on y celebra la Naif
fance du jeune Prince.
DIA
40 MERCURE
DIALOGUE'
DE TREI BARGIE
PERIGOURDI,
Nomna FRANCEY,GUILLAUME'
& FRONTOύ.
Sur la Coucha de Madamo lo Daufino,
d'un Fir que s'apello Monſeignour
lou Du de Bourgoüigno.
GUILLAUME' .
Autrey , V qué dizé- vou ?
dizey- tu, Frontou,
que
Del Efan deou Daufi qué Pey de lo
Franfou,
Diffé hyer à mon Pay qu'ero naqu
en Franſo,
QuésaMay en layan agué grando
Souffranso ?
Granda
GALAN T.
41
Granda chauza toujour donen peno
d'avey.
FRONTOU.
Eou n'ey plo quaquaré d'aquo qué
tu dizey ;
You trezy quaqu'ey vray,pey que di
Lou Riaumé,
Tou tan gran quépeti ,ſeyjauviſſen,
Guillaumé.
Sabey- tu coumo que appellen quel
Efan?
GUILLAUME'.
You ley avey nomna Mouffur... nou...
ma pertan
You m'ensouvené auro , aqu'ey Du
de Bourgoüigno.
FRONTOU.
Aquo fero donqua un Gran- taillo--
bezoüigno,
Sembaro Son Grand-Pay , ou you ferey
trompa ;
De la Guerro ou la Pax feroMeytré
achaba,
Auro
40 MERCURE
DIALOGUE'
DE TREI BARGIE
PERIGOURDI ,
Nomna FRANÇEY,GUILLAUME'
& FRONTOU.
Sur la Coucha de Madamo lo Daufino,
d'un Fir que s'apello Monſeignour
lou Du de Bourgoüigno.
V
GUILLAUME' .
Autrey , qué dizé- vou ? que
dizey- tu, Frentou,
Del Efan deou Daufi qué Pey de lo
Franfou,
Diffé hyer à mon Pay qu'ero naqu
en Franſo,
QuésaMay en layan agué grando
Souffranso ?
Granda
GALAN T. 41
Granda chauza toujour donen peno
d'avey.
FRONTOU.
Eou n'ey plo quaquaré d'aquo qué
tu dizey ;
You trezy quaqu'ey vray,pey que di
lou Riaumé,
Tou tan gran qué peti,ſeyjauviſſen,
Guillaume.
Sabey - tu coumo que appellen quel -
Efan?
GUILLAUME'.
You ley avey nomna Mouffur...nou...
ma pertan
You m'en souvené auro , aqu'ey Du
de Bourgoüigno.
FRONTOU .
Aquo fero donqua un Gran- taillobezoüigno,
Sembaro ſon Grand- Pay , ou you ferey
trompa ;
De la Guerro oula PaxferoMeytré
achaba,
Auro
42
MERCURE
Auro quanfero gran , &Tambour,
&Trompetta,
Etjouſſi ſou fougiésfiran toujour
Fêta.
GUILLAUME' .
You crezi coumo tu que coumo fon
Grand Pay ,
Quan cou firo monta deſſur ſon
Chavau bay ,
Eoufaro bien deo bru quan coufaro
la guerro ;
Eou n'iauro de Mouffur , ny de Rey
Sou vezis ,
Qu'eou nou bato tonjour , fi né fon
fou Amis.
FRONTOU.
You pregi Dioeu, Efan, que nou zou
pechan veyré ,
Guillaumé, mon amy,nou zou deven
plo creiré;
I dizen que déija ey tan brave&
Plazen ,
De
GALANT.
43
De maFrondo ànau cro l'y voudrioy
faprezen,
Baleytoen
dounado.
Mo Baleyto en fon tra lySerio plo
GUILLAUME'.
Ma Baudufo * ey tabéfacho au tour
*Toupie.
E, ma Deſſubré tou , ſo que yaime
&courdado,
lou may ,
Ey mon bravé Fleijeou, que toûjour
tamay vay,
Me ferper fa danſa la Filla deow
Village ,
Et las accoutuma à notrébadinagé.
FRONTOU.
Li dario per mingea deou Perou
Fargouneou ,
La Pruna Secouden , & de fi Eyf-
Sarneou;
Maſi di notro Vigno couyaviode la
Douffo,
Aubé deou Sauvignon madur, prendrioy
la courſo
Perw
44
MERCURE
Perlou vité pourta à daqueou bravé
Efan.
GUILLIAUME .
You n'aubludario pa de notrégrand
Châtan ,
Denotre Camberou la meillour Camberouna
,
Un plé sa de bon cor, touta fina &
bouna,
De la Figea tabe de notre bon Figié,
Et d'aqui gro Proucé quéfon di lou
Vergie.
4
FRONTOU.
:
Hafi ma May auzavo à la Dam
Acouchado , A
Elle ly pourtario notro Poulo tuffado,
Un parey de Pouley , & dedi un
Panié
&
Dougé Froumagey gras quello gardo
au Granie.
FRAN
GALANT.
45
FRANCEY. Il fort le
dernier.
Guillaumé , &tu Frontou , vautrey
mavé lo mino
Deparla delEfan de lo Dame Daufino.
Hiermon Pay quan vengué qu'ero
tar d'au Marcha ,
Yer'anaachata de Sau un ple Biſſa,
Diſſé qué di lou Bourg cou menaven
1 grand-joyo ,
Parſo qu'à quelEfan que lou Ceou
nous envoyo ,
S'en faro cragnié un jour , &nou
rendro conten ,
Jouſſy ne parlaran jamay de bon
tem.
Méſenté, Dioeu zoufay pouſſa d'un
couragé, :
Per mitta mouMouton amay notre
Villagé ,
Per na entay naqu aqueou tan brave
Efan.
Mon
46 MERCURE
Monjoly Pafſferau querévé envoulan
,
You ly voudrio pourta qu'auquaré
may enquero ,
In Eychirpeon * tout niau qu'ay fa
de Nouzilliero.
Aperpau d'Eychirpeou , diſen que
nôtre Rey ,
LouGran Pay del Efan , que Dioeu
donné bon ſey ,
Lou So tendré per tou , & que s'ey
grando peno ,
Eou pren tou ſo qucou vaou, ſey jamay
perdré haleno.
Anen vité parten,beleou di cauquey
٤
jour
Nou forian fou Valey , au lio d'estre
Pastour.
GUILLAUME
Effan , aquo- ey trop loin per poudey
Si conduiré ; い
*C'eſt une Invention dont les Bergers
ſe ſervent pour prendre les petits
Oyſeaux . Difen
GALANT.
47
Diſen queou yo d'aumen, lou quefaben
eycriré ,
Bien cen legua deycy ; ma coumo bon
Francey ,
Gardan notrey Mouton lou maty &
loufey ,
Soubaiten ly qu'unjou l'un lou pecho
bienveyré
A tou fou Ennemy enSanta s'en fa
1
creiré ;
N'aublidenfabrétoutson Gran- Pay.
ny fon Pay ,
Ny may Sa Grando- May, ny maysa
bravo May,
Qu'yvivan tou conten enSanta dy
lo Franfo,
Et nous autrey anen commenſan notro
Danfo.
Frontou chanta ces Paroles en
Perigordin , fur l'air , Neferonsnous
pas en repos , Amy, à cette Table
?& tous trois commencerent
leur Dance par une Gavote.
Qué
48 MERCURE
Qué chacun de noufio biengay
En daqueſto Nayfſenſo ;
Fazen tratou à qui miey may
Per la rejauviſſenſo.
Ahplet à Dioeu qucoufugué vray,
Coumo yey lefperanſo ,
Quaqueou Firſembléſon Gran-Pay,
Per l'aunourde la Franſo.
Il ſemble que les Feux de joye
ne foient deſtinez que pour la
France. La Guerre , ou d'autres
Fleaux , regnent chez les autres
Nations ; & s'il y paroît des Feux,
ils ne jettent que de la terreur
dans les eſprits , & la déſolation
⚫qu'ils cauſent, en fait long-temps
garder la mémoire. On vous a
ſouvent parlé du Véſuve , Madame
, & vous ſçavez que de temps
en temps cette Montagne du
Royaume de Naples jette des
feux , & cauſe des ravages terribles,
GALAN Τ.
49
{
bles dans les environs . J'ay à vous
entretenir de ceux qu'elle a faits
depuis peu . Comme ils font remarquables
& tres funeſtes à tout
le Païs , on en tient un compte
exact. On ſçait qu'avant l'Empire
d'Auguſte il y a eu cinq de ces
Débordemens de flames , & depuis
ce temps - là on en a veu
quinze. Le premier en l'an 81. de
l'Ere Chreftienne ,le ſecond en
-243. le troiſième en 421. le qua-
⚫triéme en 685. le cinquième en
983. le fixieme en 99 3.le ſeptiéme
en 1036. le huitieme en 1038. le
neuvième en 1138. le dixième en
1139. Tonziéme en 1430. le douziéme
en 1500. le treiziéme en
1631. le quatorziéme en 1660. Le
quinziéme & le dernier , eſt celuy
de cette année 1682. En parcourant
toutes ces dattes , on
trouve que les débordemens du
Novembre 1682 . 1 C
So
MERCURE
Véſuve ſont fort irreguliers. Les
uns ſont éloignez de trois cens
ans.Les autres ne le font que d'un
an. La Phyſique ne peut rendre
aucune raifon de cette inégalité.
Elle n'en rend que de l'effet general
, par les Cavernes de Soulfre
& de Bitumes qui font dans
la terre. Ce font des Mines naturelles
, toutes ſemblables à celles
que l'on fait tous les jours par
Art. Lesexhalaiſons qui ſortent
de ce Bitume & de ce Soulfre,
prennent feu , ou par la violence
de l'agitation qu'elles ont d'elles
mefmes, ou par celles qu'elles reçoivent
des exhalaiſons qui peuvent
venir de plus bas , ou par les
étincelles qu'auront fait naître
deux pierres de ces Cavernes,
dont l'une fera tombée ſur l'autre .
Alors il faut que la Mine faffe
fonffet. Plus elle eſt refferrée
dans
GALANT.
4
dans un lieu étroit, plus il eſt violent.
De là viennent les tremblemens
de terre. Lors qu'ils font
tres forts , comme le dernier du
Canada, la terre vomit des feux,
parce que les exhalaiſons ont pû
l'entrouvrir ; mais ce qui fait
qu'il n'y a pas des feux à tous les
tremblemens , c'eſt que les exhalaiſons
ont bien la force de foûlever
la terre qui eſt au deſſus
d'elles , mais non pas de l'entrouvrir
; de forte qu'elles ſe font des
chemins à côté par où elles s'échapent
, & àla fin ſe perdent. Si
Lelles ont des ouvertures toutes faites
, elles fortent toûjours par là,
& c'eſt là la cauſe des flames du
Véſuve , & de toutes les autres
Montagnes quien jettent; car outre
le Veſuve , il y a encore dans
le même Canton de l'Italie , le
Mont Etna , ſi fameux dans l'An-
-
Cij
52
MERCURE
tiquité,& une Montagne de l'Iſle
de Strongoli , qui eſt une de ces
Ifles Vulcaniennes , où les Fables
avoient placé la Forge de
Vulcain & des Cicloples. Ainſi
on a fujet de croire que tout ce
terroir eſt de la meſme nature,
j'entens le Royaume de Naples,
la Sicile , & les petites Iſles voiſines
,& que ces trois Montagnes
ardentes y font bien neceſſaires ,
puis que ſans ces ſoupiraux il y a
peut- eſtre déja longtemps que les
tremblemens de terre auroient
abîmé de ſi beaux Païs , ou y auroient
au moins causé de tresgrands
dégaſts.Croiriez- vous que
ces exhalaiſons de Soulfre ont
tant de force , qu'elles ont quelquefois
produit de nouvelles Iſles?
Telle eſt l'Iſle de Santerini dans
l'Archipel. Elle n'y eſt que depuis
peu de fiecles. Un jour on
vit
GALANT.
$3
vit la Mer étrangement agitée .
Elle jettoit de gros Rochers du
fond de fes eaux , & elle en jetta
ane ſi prodigieuſe quantité, qu'el
le ſe combla elle même en cet endroit-
là , & forma cette Ifle de
Santerini . C'eſtoient ces exhalaifons
qui ſecoüoient avec tant de
violence la terre qui étoit ſous les
eaux. On a eſté ſurpris de trouver
des Montagnes ardentes dans
un Païs auſſi froid que l'Iſlande ,
qui eſt ſous le Cercle Solaire. Cependant
le Mont Hecla y jette
autant de feux que le Véſuve , &
ces feux fortent du milieu de la
neige & des glaces dont tout ce
Païs là eſt preſque toûjours couvert.
Mais il ne faut compter pour
rien cette froideur exterieure qui
eft ſur la ſurface de la terre . Elle
a des ſources de flâme dans ſes
entrailles. Pardonnez - moy ces
Cij
54
MERCURE
digreſſions , Madame . Je reviens
au Véſuve . Ses débordemens de
feu commencerent le 4.d'Aouſt .
Tout le Païs de Maſſe fut couvert
de cendres d'une tres- mauvaiſe
odeur , & les flames ſe jetterent
juſque dans le Bois d'Ottajano,
où elles firent bien du ravage.
Le 16. il y eut de grandes
pluyes . Le 20. la terre trembla
pendant trois heures entieres, &
le tremblement alla juſqu'à Naples,
qui eſt à huit milles du Véſuve.
Les Habitans de tous les environs
de cette Montagne, pourſuivis
par un deluge de feu , &
craignant d'eſtre enfevclis ſous
les cendres , ſe retirerent dans
Naples, où ils trouverent la conſternation
preſque auſſi grande
qu'elle eſtoit dans les Lieux qu'ils
venoient d'abandonner . On ne
pût avoir recours qu'aux larmes
GALANT.
55
mes & aux prieres. Le 22. Vers
yles fix heures du ſoir , la Montagne
jetta vers Madaloni une horrible
quantité de cendres & de
fumée ; & quand la nuit commença
, ce fut une pluye comme
de charbons broyez fort menti.
Cependant toute la terre trembloit.
On entendoit le bruit affreux
que le Véſuve faiſoit en vomiſſant
des flames qui paroiffoient
de couleur de ſang; & le
Ciel qui ſembloit vouloir redoubler
l'horreur de cette nuit- là , y
ajoûtoit les éclats de ſon tonnerre
, & la funeſte lueur de ſes
éclairs. Le matin du 25. il tomba
une telle abondance de pluyes,
qu'on crût qu'elles éteindroient
les flâmes du Veſuve , mais il ne
laiſſa pas d'en fortir encore des
orages de cendres. Il y en eut de
griſes, qui volerent fi loin, que la
C iiij
56 MERCURE
Ville de Naples en fut pleine;
& enfin le 24 la Montagne envoya
ſur la cime des cendres blanches
, par où ſe termina l'embrazement.
On vient de me donner un
Rondeau , dont je vous fais part
dans le moſme inſtant. Il eſt d'un
Autheur qui a eu raiſon de le
faire en vieux langage , par complaiſance
pour un vieux Parent.
Ce Parent eſtoit un Homme d'un
caractere auſſi extraordinaire
qu'on en puiſſe voir. L'antiquité
luy plaiſoit en toutes chofes , jufques
- là qu'il ne s'aima jamais
tant que lors qu'il ſe vit la barbe
griſe. Ses Habits , fes Meubles ,
tout ſentoit le temps de François
I. Il ſe méloit de rimer, & les
Poësies de Baïf estoient ſon modele.
Sa Bibliotheque auſſi ſinguliere
que ſon eſprit, eſtoit composee
GALANT.
57
1
sée de tout ce qu'il avoit pûtrouver
de vieux Romanciers. Il avoit
Marot & du Bartas , quoy qu'il
les trouvaſt un peu modernes,
ſans oublier Ronſard , qu'il réveroit
particulierement comme le
Prince des Poëtes François. Il
avoit auſſi les Oeuvres de Sarazin
& de Voiture ; mais il ne les
eſtimoit qu'à cauſe des Rondeaux
&des Ballades qu'ils avoientmélez
parmy leurs Ouvrages. Il
traitoit les belles Lettres du dernier
de bagatelles , propres ſeulement
pour amufer les jeunes
Eſprits ; mais il admiroit les Lettres
Gauloiſes que le meſme Au
theur a écrites au Comte Guicheüs
, au Chevalier de l'Iſle inviſible
. Le bon Homme qui n'a
point démenty cette belle inclis
nation tant qu'il a vécu , l'a confervée
encor en mourant , puis
C V
58 MERCURE
qu'il a legué par ſon Teftament
une fomme conſiderable à l'Autheur
du Rondeau que je vous
envoye , à la charge qu'il en feroit
un certain nombre en ſtile
Gaulois, ou de Ballades. Si les Bal
lades eſtoient de ſon gouft , il ſeroit
blamable , ſi étant ſon Legataire,
il negligeoit d'accomplir ſes
dernieres volontez .
RONDEAU
L
en vieux Langage.
E voudrois moult que ma mignarde
Ocelle
Fouluſt s'ébatre és Behours,és Tournois
;
Ores voiroit comment je combatrois ,
Ores voiroit qu'auſſitoſt pour icelle
Maint Chevalier à la mort epvoyrois.
:
Que
GALANT.
59
Quen'avient- il que quelques Dif
courtois
Dire me vinst, Ocelle n'est pas belle,
Fust- il Roland,ou Perceval Gaulois,
Le voudrois moult.
Comme un Lyon contre luy quer
rorois ,
Pour l'envoyer dans la triste Nacelle,
cruelle
Pourveu qu'apres , cette Dame
Me dist , je t'aime , ô Chevalier
courtois ;
Oyant cela , d'abord je répondrois,
Levoudrois moult..
Voicy d'autres Vers que vous
trouverez fort agreables . Vous
ſçavez , Madame , que ſelon les
Poëtes , chaque Fontaine a fa
Nymphe .
60 MERCURE
Nymphe. Vous ferez peut-eſtre
bien- aiſe d'en entendre parler
une, à une Perſonne auſſi diſtinguée
par fon mérite que par ſa
naiſſance.
LA NYMPHE
DE BOURBON ,
AMadame la Ducheſſe de
Nevers. t
Depuis que je fournis du secours Humains,
Et que je verſe àpleines mains
Sur leurs maux envteitis ma liqueur
pure &Saine ,
Mille Beautez deſſus mes bords
Etalant à l'envy leurs plus riche
tréfors ,
Ontſouvent embelly mes Eaux &
ma Fontaine..
Fen
7
GALAN T.. 6г
F'en ay veuſouvent das ces Lieux
Faire toutle plaisir des yeux,
Et de tous les endroits du monde
Fayveu venir & Brune & Blode ,
Avec un attirail de charmes prétieux;
Mais, o Duchefſfe incomparable,
Dont l'air estsi charmant ,si modeste
&fi doux,
Que tout ce que j'ay veu de rare &
d'admirable ,
Eſt au deſſous de vous !
La raiſon , la ſageſſe , & l'extréme
prudence ,
Toûjours dans vostre coeur font en
intelligence,
Tandis que les douceurs , les ris ,&
les appas,
De moment en moment naiſſent def-
Sous vos pas.
Auſſi vous voyant fans pareille,
Mon unique foucy ,
- Depuis que vous eſtes icy ,
Est
62 MERCURE
Eft quefoigneusement je veille
Avous donner des Eaux qui vous
faffent du bien,
Sans quoyje compteray pour rien
Tous mes autresfuccés dont on chante
merveille ;
Et si je reüſſis àremplir ce devoir,
J'enSeray trop recompensée
Par un accroiſſement de ma gloire
passée,
Que tout l'Univers va sçavoir,
Et parce que j'auray toûjours dans
la pensée
Le plaisir que je ſens àpreſent de
vous voir.
Le nom de Mademoiselle de
Caſtille vous eſt connu par beaucoup
de jolis Vers que je vous ay
envoyez de fa façon dans pluſieurs
de mes Lettres. Elle revenoit
il y a quelque temps d'Arnouville
GALANT.
63
nouville à Paris en fort bonne
compagnie , & fut priée de donner
un Inpromptu fur deux Papillons
qui ſe pourſuivoient dans
la Campagne , en tournant l'un
fur l'autre. Voicy le Madrigal
qu'elle fit .
MADRIGAL
A LYSETE.
Voy ces deux Papillons ſe fuïr
&se poursuivre,
Et l'un & l'autre en l'air faisant
mille retours,
Donner un doux exemple à
Suivre
Dans leurs innocentes amours.
C'est ainsi, charmante Lifete,
Que dans une tendre amourete
Il faut paſſerle printemps de ses
jours.
A
64 MERCURE
>
A s'entrecareffer , Lyſete , qu'ils se
plaisent!
Comme ils se baiſent & rebai.
Sent!
On ne s'eſt pas montré moins
zelé en Picardie que dans les autres
Provinces. Amiens donna
l'exemple dés le Samedy 15.
d'Aouſt , & par les décharges du
Canon de la Citadelle , les Feux,
les Illuminations,& les Fontaines
de Vin Cette Ville fit connoître
l'attachement qu'elle a pour le
Roy , & pour toute la Famille
Royale, ſelon ſaDeviſe,qui porte,
Liliis tenaci vimine jungor.
La Ville de Laon a partagé ſes
Réjoüiſſances en trois jours. Le
Public prit le premier jour pour
marquer ſa joye , par des décharges
de l'Artillerie , par des
Feux, &des Illuminations. Le fecond
GALANT.
65
cond jour appartient au Corps
de Ville , qui fit couler des Fontaines
de Vin en pluſieurs endroits
, mit les Bourgeois ſous les
Armes,& donna un grand Repas ,
&le divertiſſement du Feu d'artifice
à Monfieur l'Evêque Duc
de Laon,qui ce meſme jour avoit
fait chanter le Te Deum,& y avoit
aſſiſté en Habits pontificaux. Le
troiſième jour fut celuy de ce
Prelat. Il avoit fait mettre au milieu
de la Court de l'Eveſche, un
Dauphin qui jettoit du Vin excellent.
Toutes les Feneſtres de
ſon Palais furent éclairées de
groſſes Bougies . Il régala magnifiquement
les plus confiderables
Perſonnes du Clergé & de
tous les autres Corps , & pour
rendre la joye univerſelle , il jetta
quantité d'argent à tout le
Peuple.
Le
66 MERCURE
Le Te Deum fut chanté en
Muſique à Péronne , dans l'Egliſe
Royale & Collegiale de Saint
Furfy , en prefence des Corps de
Juttice & de Ville , & des Offcies
de l'Election & du Grenier
à Sel. Au fortir de là , Monfieur
Aubert , Ecuyer , Preſident au
Grenier à Sel , & Majeur , Commandant
en l'absence de Mr le
Marquis d'Hocquincour Gouverneur
, & de Me de la Brouë,
Lieutenant de Roy,ſe rendit dans
la Place publique avec Me Boitel,
Eleu & Lieutenant du Majeur. Ils
étoient precedez de tous les Gardes
de Monfieur le Gouverneur,
& accompagnez de la Nobleffe ,
& des Officiers de la Garnifon.
Ils allumerent le Feu l'un & l'autre
, chacun avec un Flambeau,
qu'ils prirent des mains d'un des
Gardes & d'un Sergent de Ville.
Les
GALANT. 67
Les décharges de toute la Bourgeoiſie,
de la Jeuneſſe & de la Cavalerie
qui estoient rangées en
bataille fur la Place , ſe firent entendre
dans le meſme temps , &
furent fuivies du bruit du Canon ,
& des falves de l'Artillerie. Il y
eutle foir à l'Hôtel de Ville deux
Tables , chacune de vingt Cous
vert magnifiquement ſervies ; &
Monfieur Aubert Majeur, envoya
du Vin à tous les Convents. On
ne vit par tout que Feſtins publics,&
le lendemain on continua
les Réjoüiffances.
La Ville de Corbie a marqué
avec beaucoup d'éclat ſa joye
pour la meſme Naiſſance. Tous
les ordres furent donnez par le
Prieur de l'Abbaye , en qualité
de Grand Vicaire de Monfieur
le Chevalier de Savoye , qui en
eſt Abbé & Comte de Corbie ..
Le
68 MERCURE
Le jour de S. Loüis , qu'on avoit
deſtiné pour folemnifer la Naiffance
du jeune Prince , l'eglife
de l'Abbaye fut magnifiquement
parée , & la Porte ornée de mille
Deviſes. On chanta une grande
Meſſe le matin , & lapreſaînée
des Veſpres , où se trouverent
les Corps de Juſtice & de Ville,
precedez de leurs Officiers & de
leurs Maffiers. Les Veſpres fu
rent ſuivies d'une Proceffion generale
, & au retour on chanta
le Te Deum ; aprés quoy le Héraut
d'Armes qui estoit placé fur
les degrez de la Chaiſe Abbatiale
, ayant crié Vive le Roy , Vive
Monseigneurle Dauphin ,
Vive
Monseigneur le Duc de Bourgogne
, tout le Peuple répondit
avec mille acclamations . Au fortir
de l'Egliſe on entra dans l'Abbaye
, où le Prieur donna une
:
Colla
GALAN T. 69
Collation magnifique aux Magiſtrats
, & tout le Peuple meſme y
eut bonne part. Pendant tout ce
temps; une Fontaine de Vin couloit
du premier étage de l'Abbaye.
En ſuite le Prevoſt fitbattre
la Genérale , & tous les Bourgeois
s'étant trouvez ſous les armes
, ils ſe rendirent en bel ordre
au grand Marché , où ils furent
rangez en bataille autour d'un
Feu de joye qu'on avoit préparé .
Le Prieur de l'Abbaye , ſuivy de
la plupart de ſes Religieux , vint
l'allumer , & auſſi - toſt les Bourgeois
firent leurs décharges avec
tant d'ordre , qu'on avoua qu'ils
n'avoient pas encore oublié le
métier de la Guerre. Les Capitaines
régalerent leurs Soldats
d'une grande profuſion de Vin
&Monfieur le Prevoſt donna un
Repas magnifique à tous les Officiers
70
MERCURE
:
ciers de Juſtice , tandis que tous
les Quartiers faiſoient leurs afſemblées
particulieres , avec une
joye ſi entiere & fi parfaite , que
le lendemain ſans ordre on continua
la Feſte .
Rien ne peut mieux ſuivre ces
Rejoüiſſances , que les Vers que
vous allez lire. Ils ont eſté faits
par Monfieur Rault de Roüen,
dont vous eſtimez les Ouvrages .
SUR LA NAISSANCE
DE MONSEIGNEUR
i
LE DUC DE BOURGOGNE.
Ab Jove Principium .
Rance , cet heureux jour , qui
doit marquer ta joye, F
Eft celuy du bonheur qu'un Aftre
heureux t'envoye ,
Quand
GALANT .
71
Quand ce Prince qui naiſt , ſi longtempssouhaité
,
Te comble d'allegreffe,& de felicité.
Ce n'estoit pas affez au plus grand
Roy duMonde,
Quefavaleurparûtſur la terre &
fur l'onde ,
Qu'il fist trembler l'Europe auſeul
bruit de fes Faits,
Qu'au plusfortde la Guerre il fift
naître la Paix ,
Qu'il vistson Peuple heureux , &
Ses Provinces calmes ,
Qu'il cultivaſtſes Lys à l'ombre de
fes Palmes,
Pour aſſurerfon Trône il falloit un
appuy ,
Et le Prince naiſſant le devient aujourd'huy.
Ilferavoir unjourpar centfameux
prodiges ,
Qu'ilfuit de fes Ayeux les éclatans
vestiges.ed
Jupiter
72
MERCURE
Jupiter le promet ,le Ciel l'a destiné,
Puis qu'enſonjour heureux ce Royal
Prince est né.
Cet Aftre tout de feu,ſipropice aux
Monarques ,
DeSa gloire à venir fit briller mille
-
marques ,
Quand pour la découvrir aux yeux
de l'Univers ,
D'une nouvelleflâme ilpenétra les
1 airs.
De ce Prince en ce point ilmarquoit
la Carriere,
Et luy vint preparer un Trône de
lumiere.
Tout l'Univers Surpris de la voir
éclater,
Par mille rayons d'or reconnut Juwww.
piter
:
Ce qui fuit eſt encorde Monfieur
Rault .
SUR
GALAN T.
73
SUR LA MESΜΕ
NAISSANCE .
Principe jam nato jacket ſe Gallia;
nam ſe
Hic Patre Delphino , Regéque
jactat avo.
Q
De la France en tous Lieux
celebre la Naiſſance
De ce Prince qui fort du sang des
Demy-Dieux ;
Ne doit il pas un jour égaler en
puiſſance ,
Et le DauphinSon Pere, & nos Roys
fes Ayeux ? 1
Voicy des Vers d'une autre
nature . C'eſt une Traduction de
la troifiéme Epigramme du premier
Livre de Martial , qui commence
par Nullus in urbe fuit,
&c.
Novembre 1682. D
MERCURE
74
Q
Vand de concert avec ta Femme
Tu permettois aux Damoiſeaux
Dedonner Régals & Cadeaux,
Et de voir en fecret la Dame ,
Jamais Logis ne fut moins peuple
que le tien ;
Mais depuis que ceffant d'étre Mary
commode ,
Aumoinsfaiſantſemblant de changerde
méthode ,
D'un jaloux Surveillant tu portes le
maintien ,
Ta Maiſon de Galants eftfans cef.
Se occupée.
L'on y voit à l'envy Gens de Robe
& d'Epée ,
A ta Femme chacun aujourd'huy
fait la Cours
Elle qui ne voyoitperſonne,
Nesçauroit plusfuffire aux Galant
tout lejour.
Mafoy , l'invention est bonne..
Pour
GALANT .
75
Pour paſſer d'une matiere un
peu galante à quelque choſe de
plus ſerieux , je vous envoye une
Harangue que Monfieur Amelot
Ambaſſadeur de France à Venife,
a faite au Senatde cette Republique.
Je vous en parlay le dernier
mois dans la Deſcription de ſon
Entrée ; & fi la galanterie & la
magnificence de cetAmbaſſadeur
ont paru en cette occafion , ſon
eſprit ne paroiſt pas moins dans
cette Harangue. Il adreſſe d'abord
la parole au Doge , & enfuite
à tout le Senat .
SERENISSIME PRINCE ;
TRES - ILLUSTRES , & TRES.
EXCELLENS SEIGNEURS ,
Si leſujet qui m'amene aujourd'huy
dans cette auguste Assemblée
be luy devoit pas estre infiniment
Dij
76
MERCURE
agreable , je me trouverois dansun
juste étonnement , ayant à parler
devant Vôtre Serenité , & Vos Excellences,
c'est à dire devant le Trône
de la Sereniffime Republique,
queje regarde comme celuy de la
plus profonde Sageffe ; mais quelque
défiance que j'aye justement de
moy-même , tout est fi grand & fi
admirable dans le Prince qui m'envoye
, sa puiſſance ſi connuë de tous
& fi redoutée de fes Ennemis , ſes
vertusfi éclatantes & dans un degréfi
heroïque,ſon amitiéfi glorieu-
Se, fi utile , & tant de fois éprouvée
par ſes Alliez , que je trouve
avec raiſon toutessortes d'aſſurances
dans l'honneur que j'ay d'estre
chargé de fes ordres .
Je viens , Sereniffime Prince,
Tres - Illustres & Tres - Excellens
Seigneurs , renouveler à Vôtre Serenité
& à vos Excellences, les af
i Suran
GALANT.
77
1
furances de l'affection du Roy mon
Maistre , & vous proteſter de fa
part , qu'Elle fera toûjours tres- ardente
& tres forte , qu'il est plus
que jamais dans les diſpoſitions d'en
donner à cet illustre Senat les mêmes
marques qu'il en a reçeuës en
tant d'occaſions ; qu'il s'intereſſe
comme aux chofes du monde qui luy
font les plus cheres, aux avantages
& à la gloire de cette Republique;
qu'il voit avec un plaisir extrême
l'état floriſſant où elle se trouve,
& qu'il ne Jouhaite rien plus ardemment
que la durée &laugmentation
d'une union que les Roys ſes
Predeceffeurs ont entretenue aver
tant de foins .
Ce Monarque auſſi glorieux dans
la Paix que dans la Guerre, triomphant
dans l'une & dans l'autre,
puis qu'il n'a ceſſé de vaincre fes
Ennemis que pour se vaincre Soy
Diij,
78 MERCURE
mesme , a fait par sa moderation
ce que n'ont pû faire toutes les
Puiſſances de l'Europe jointes enfemble.
Arrester le rapide cours de fes
Victoires , estoit un Ouvrage refervé
à luy feul. Ila voulu par là
Se faire des degrez de gloire inconnus
aux Siecles paſſez , & je
puis dire avec verité qu'il a esté
beaucoup plus fenfible au repos qu'il
a donné à l'Europe par le Traité
de Niméque , qu'aux grandes &
continuelles prosperitezdeſes Armes.
C'est ce mesme Esprit qui le fait
encore aujourd'huy donner tous fes
Soins pour la manutention de la
Paix. Je ne puis douter que les
Propoſitions qu'il a fait faire tant
dans l'Europe qu'ailleurs , nefoient
bientoſt acceptées , puis qu'outre
qu'elles sont tres- raisonnables , Sa
Majesté
GALANT . 79
Majesté est plus que jamais en
état de faire valoir ſes justes pretentions
, & de leur donner avec
justice une bien plus grande étenduë
que les bornes que fa moderation
s'est elle- mefme preſcrite par ses
offres. L'on doit donc espererqu'elles
feront bientoft fuivies d'une
confirmation de Paix qui fera joüir
l'Allemagne & les Païs- Bas pour
long-temps d'une parfaite tranquilité.
Sa Majesté la prefera toûjours
aux nouveaux sujets de gloire
queſes Armes luy pourroient acquerir
, & se trouvera par ce
moyen d'autant plus en état d'employerfes
forces , quand ilfera neceffaire
, pour le secours de ses
Amis , entre lesquels la Sereniffime
Republique tiendra toûjours le premier
rang.
Cefont, Serenißime Prince, Tres-
Illustres & Tres - Excellens Sei-
Diiij
80 MERCURE
-
gneurs , les veritables sentimens du
Roy mon Maistre ; & comme il con
Serve avec beaucoup d'estime une.
fincere amitié pour Voštre Serenité
& Vos Excellences , il prend
aussi une entiere confiance en la
vôtre & il est bien persuadé
qu'en toutes les occaſions il en recevra
les marques qu'il en doit attendre.
2.
Elle est si ancienne , cette illuſtre
amitié , qui lie depuis tant de
Siecles la Couronne de France avec
cet Etat , elle a esté reſſerrée par
tant de noeuds ; fortifiez par tant
de grands ſervices reciproquement.
rendus , que la durée en doit estre
égale a celle de ces deux Empires,
c'est à dire à celle du Monde.
Cette étroite liaison n'est pas
moins juſte que ſolide , puis que fi
la France eſtſans contredit la premiere
Monarchie de l'Univers, Ve- L
nife
GALANT. 81
wise est également au deſſus de
toutes les Republiques qui ont esté
& qui font aujourd'huy illustres
par la ſplendeur & l'ancienneté
de fon origine , fameuse par de
grandes conquestes , recommandableparsa
pureté constante dans la
Religion , &par son attachement
aux interests de l'Eglise. Elle a
Servy d'azile aux Souverains Pontifes
opprimez ; elle a cent fois reprimé
l'audace du plus redoutable
Ennemy de la Chrestienté ; & cent
fois dans deſanglans Combats , elle
a fait rougir les Mers dufang des
Infidelles.
Si les Republiques de Sparte
d'Athenes ont eu tant de reputation
dans l'Antiquité , avec
combien plus de justice Venise merite
- t - elle l'admiration de tous:
les Peuples , feconde en grands
Hommes , puiſſante en même temps;
Dv
82 MERCURE
&fur Mer &fur Terre , accoûtumée
depuis tant d'années à estre
I'Arbitre des Diférens des plus
grands Roys ? Douze Siecles nous
font voir qu'elle aplus de conduite
&de prudence dans ſon Gouvernement,
que Solon &que Licurge, ces
fameux Legislateurs , n'en ont ja
mais fait paroître dans l'Adminiſtration
de leur Patrie.
La Grece a fait gloire d'avoir
produit ſept Hommes fages. Venise
fe peut vanter d'avoir un Peuple
de Sages , fi neantmoins on peut
appeller de ce nom de Peuples la
nobleſſe la plus ancienne & la plus
illustre.
Voilà, Sereniffime Prince , Tres-
Illustres & Tres - Excellens Scigneurs
, l'idée que je m'estois faite
de cette floriſſante République ;
mais j'avoüe que mes expreſſions
font trop foibles pour un fi grand
Sujets
GALAN T. 83
Sujet ; & ne pouvant m'en expliquer
aſſez dignement par mes paroles
, je m'efforceray pendant le
cours de mon Employ , de bien marquer
à Vostre Serenité , & à Vos
Excellences ,parmes actions &par
ma conduite , le respect & la veneration
que j'ay pour la Sereniffime
Republique &pour vos Perfonnes ;
mais ce qui donnera le prix à une
choſe qui vous est deuë de tous ceux
qui vous approchent, c'est qu'en suivant
en cela mon inclination ,j'executeray
fidellement les ordres que
j'ay reçens du Roy mon Maître, &
vous donneray par là tous les jours
de nouveaux témoignages de fon
estime &de fon affection .
Monfieur le Duc de Vvirtemberg
a épousé depuis peu la Prin-
* ceſſe d'Anſpach, appellée Julienne-
Eleonore d'Anſpach. Elle est
âgée de 18. à 19. ans , & Soeur
de
84 MERCURE
de Monfieur le Marquis d'Anf
pach , qui eſt auſſi marié depuis -
peu de temps avec la belle Princeffe
d'Eyfenach , dont les Nouvelles
publiques ont tant parlé..
M le Duc de Vvirtemberg , âgé
d'environ trente ans , eſtrallié de
la Maiſon de Baviere, & fe nomme
Charles Frederic. Il fit de fort
grands preparatifs pour recevoir
luy-mefme Madame là Dauphine,
quand elle paſſa ſur ſes Terres
pour venir en France. Ileſt tresbien
fait de ſa perſonne , d'un
eſprit tout de feu comme ſon
courage , & l'un des plus vigoureux
& robuſtes Princes d'Allemagne
; & fur tout à la Chaſſe,où
l'Epée à la main , & à pied , il attend
& terraſſe les plus énormes.
Sangliers.Quand Strasbourg rendit
ſes ſoûmiſſions au Roy , il y
vint falüer Sa Majesté , qui le.
reçeut
GALANT..
85
reçeut en Prince Souverain' , &.
luy fit preſent d'une Epée garnie.
de Diamans, d'un prix tres- con--
fiderable .
Si les Cerémonies du Maria---
ge ont des charmes pour quelques-
uns,il en eſt d'autres qui en
ontbeaucoup plus pour les Ame's
devotes. Telle eſt celle qui s'eſt
faite proche Orleans dans l'Abbaye
de S.Meſmin, de l'Ordre de
S. Bernard , pour la. Tranflation
des Reliques des Saints Martyrs
Faufte & Liberat , & des Saintes
Illuminée & Victoire, Vierges
& Martyres , que Meſſire Nicolas
Gedoin , Abbé Commandataire
de cette Abbaye , avoit obtenuës
à Rome. L'Egliſe eſtoit
ornée des plus belles Tapiſſeries
du Païs , les Corniches chargées
de Bouquets & de Chandeliers ,
& le Grand Autel paré de Châffes
86 MERCURE .
ſes d'ébeine , avec leur bronze
doré , de Caffoletes d'argent, de
Chandeliers en grand nombre,
de Bouquets , de Pantes , avec
les Rideaux relevez en broderie
, de Tapis de Turquie , & de
plufieurs autres Ornemens convenables
à la Feſte. Quoy que
cette Egliſe ſoit fort ſpacieuſe,
elle ne pût contenir que la moindre
partie de ceux qui y estoient
accourus de toutes parts. La Proceffion
en fortit fur les dix heures
pour aller à la Paroiffe prendre
les Reliques qu'on y avoit
mifes en dépost. Les Paroiſſes qui
dépendent de l'Abbaye , marchoient
les premieres avec leurs
Bannières & leurs Croix , &
étoient ſuivies de la Simphonie,
compoſée de Violons avec leurs
Baffes,&de toutes fortes d'autres
Inftrumens. Les Religieux de
l'Ab
GALANT. 87
l'Abbaye paroiſſoient en fuite revêtus
de Chapes. Le Diacre &
le Souſdiacre qui devoient ſervir
à la grande Meſſe , alloient l'un
aprés l'autre en Dalmatiques ,
l'un portant la Mître , & l'autre
la Croſſe. Monfieurl'Abbé marchoit
le dernier, ayant à ſes deux
coftez les Prieurs des Abbayes
des Feüillans de Celles & de
S. Meſmin . Monfieur Larcher ,
Abbé Commandataire de S. Vicerte
d'Orleans , Homme d'un
fort grand merite , & Monfieur
de Boisfranc , Abbé de Coulon,
Dioceſe de Chartres, Fils de Monſieur
de Boisfranc Sur- Intendant
de la Maiſon de Monfieur , fermoient
cette marche. Aprés les
Encenfemens faits , & les Antiennes
chantées dans la Paroifſe
, la Proceffion revint dans le
même ordre .Deux Diacres revêtus
88 MERCURE
4
tus de tres riches Dalmatiques,
portoient les Reliques , autour
deſquelles les Gens de Livrée de
Meſſieurs les Abbez furent placez
à droite & à gauche avec des
Flambeaux de Cire blanche , &
deux autres foûtenoient un Daiz!
magnifique. Lors qu'on fut rentré
dans l'Egliſe de l'Abbaye , Meffieurs
les Abbez de S. Vicerte&
de Coulon ſe placerent fur des
Fauteüils du côté de l'Evangile ;
& les Religieux & autres Eccleſiaſtiques,
remplirent les Chaires
du Choeur. Monfieur l'Abbé de
Saint Meſmin celebra la Meſſe;
&dans les endroits où le Choeur
ſe repoſoit , la Simphonie ſe fais
foit entendre. Les Veſpres furent
chantées avec la meſme ſolemnité
, & on termina la Cerer
monie par de nouvelles actions
degrace que les Religieux Feüil--
lans,
{
GALAN T. 89
lans rendirent à Dieu de la Naifſance
de Monſeigneur le Duc de
Bourgogne . Quoy qu'ils en eufſent
déja marqué leur joye le jour
de la Feſte de S. Bernard, ils prirent
avec plaifir une occafion fi
favorable de la faire encor paroître
en chantant le Te Deum &
l'Exaudiat. Monfieur l'Abbé de
S.Mefimin, Beaufrere de Monfieur
de Boisfranc, eſt un Homme d'une
pieté tres - exemplaire. Les di
verſes Miffions qu'il a entrepriſes
, & qu'il continue toûjours
d'entreprendre au dehors comme
au dėdans du Royaume , font.
mieux ſon éloge que tout ce que
je pourrois vous dire à fon avan--
tage. Son zele pour la converſion
des Heretiques , ne s'eſt point.
borné à ceux, de France. Il l'a
poufflé juſqu'aux Heretiques de
Genéve,de Chablais,& des Montagne
s
१०
MERCURE
tagnes des Suifles, qui ont reffenty
les effets de ſes Controverfes ,
de ſes pieuſes exhortations, & de
fes Aumônes.
Vous allez trouver une Fefte
d'une autre nature , & affez particuliere
, dans les Réjoüiffances
qui ſe font faites dans la Ville
d'Aqs pour la Naiſſancsde Monfeigneur
le Duc de Bourgogne.
Me le Marquis de Poyanne,
Gouverneur d'Aqs , a bien répondu
dans cette heureuſe ocea
fion de la Naiſſance du nouveau
Prince , à ce que demandoient
de luy ſon zele pour le Roy , ſa
naiſſance , & la fidelité que fon
illuſtre Maiſon a toûjours euë
pour le ſervice de nos Monarques.
Elle a eſté ſi grande , & accompagnée
de ſi grands effets,
que trois Rois confecutifs ,Henry
IV . Loüis XIII.& Louis XIV.ont
honoré
GALANT.
91
honorédu Collier de l'Ordre trois
Meſſieurs de Poyanne de Pere en
Fils , le Bis-Ayeul , l'Ayeul , & le
Pere de Monfieur le Gouverneur
d'Aqs ; ce qui eſt un honneur
qui ne ſe trouve que dans quatre
Familles du Royaume. Le 30.
d'Aouſt , Monfieur le Marquis de
Poyanne, ſuivy de toutes les Copagnies
de la Ville , aſſiſta au Te
Deum qui fut chanté folemnellement
dans l'Egliſe Cathédrale.
Le foir , les Habitans ſous les armes
, ayant à leur teſte Monfieur
de Saint Pée, Lieutenant de Roy
de la Place , allerent prendre au
Chaſteau Monfieur le Gouverneur
; & en ſuite marcherent vers
le lieu où l'on avoit préparé le
Feu , qui fut allumé au bruit des
Tambours, des Trompetes, & de
toute l'Artillerie. Pendant toute
la nuit , la Ville fut auſſi éclairée
qu'en
92
MERCURE
qu'en plein jour.Monfieur leMarquis
de Poyanne fit mettre des
Feux fur tous les Créneaux du
Château, qui paroiſſoit couronné
de Lumieres ; & toutes les Feneftres
qui regardent la Riviere ,
avoient des Illuminations quifaifoient
un fort bel effet. Sur la
Porte de l'Hoſtel de Ville , il y
cut un Emblême affez ingénieux
& affez particulier. C'eſtoit un
Tableau où l'on voyoit tous les
Dieux aſſis dans leurs Trônes , à
la reſerve de Mars , qui paroiſſoit
en avoir eſt échaſſé par Loürs LE
GRAND . Mercure mettoit d'une
main une Couronne d'Olivier fur
la teſte d'un jeune Enfant & de
l'autre luy montroit la place de
Mars vuide , avec ces mots ,
manet. Le 31. Monfieur le Gouverneur
fit dreſſer des Tables das
la Place de Poyanne , y fit couler
Te
une
GALAN Τ.
93
une Fontaine de Vin pendat tour
le jour, & donna au Public le Jeu
des Pots caffez . Ce Jeu qui n'eſt
guére connu en France , & qui
eſt pourtant un des plus anciens
qui s'y pratiquent, ſe fait en cette
maniere . On a bâty ſur les bords
de l'Adour , qui baigne les Murailles
d'Aqs, une eſpece de Tour
de bois àdeux étages , qu'on appelle
le Châtelet . Sur l'étage le
plus élevé , il y a deux Hommes
armez d'une Cuiraſſe , d'un Cafque
, & d'une Rondache de Fer,
qui ſont comme les Tenans du
Combat. Sur la Riviere il y a ſept
Hommes dans un Bateau, revétus
de Camiſoles blanches , ayans des
Bonnets à leurs teſtes tout charchez
de Rubans bleus , & leurs
bras noüez avec des Rubans de
meſme couleur. Ils partent d'environ
mille pas de la Tour , en
dançant
94
MERCURE
dançant dans leur Bateau au fon
des Violons & des Fifres, juſqu'à
ce qu'eſtant à deux cens pas du
Chaſtelet , ils ſe mettent en état
d'attaquer & de ſe défendre. Ils
prennent de grands Pavois pour
ſoûtenir l'effort des Cruches , &
de toutes fortes de Potteries que
ceux d'enhaut leur jettent ; & ils
pouffent contre leurs Ennemis
des Boules de terre cuite. Il eſt
aſſez plaiſant d'entendre le bruit
des Cruches qui tombent ſur les
Pavois, & des Boulets qui donnent
contre les Caſques & les
Cuiraffes; & de voir quelquefois
ces meſmes Boulets caffer
de la Potterie dans les airs. Cependant
les Combatans font
animez par les Inſtrumens qui
joüent ſur le bord de la Riviere,
& par la veuë des Spectateurs,
qui rempliſſent d'ordinaire plus
de
GALAN T.
95
de deux cens Bateaux , qui font
une eſpece de petite armée Navale.
S'il y a quelques Bleſſez, les
playes ne ſont jamais dangereules;&
apres le Combat , qui dure
prés d'une heure , les Ennemis ſe
réconcilient dans un bon Repas;
mais avant que l'attaque commence,
ceux d'enhaut tirent pour
ſignal quatre petites Pieces de
Campagne, qui ſont placées pour
cet effet au premier étage de la
Tour ; & le jour que Monfieur le
Gouverneur donna ce plaiſir au
Public , ceux du Bateau répondirent
par la Mouſqueterie de
toute la Ville , qu'on avoit mife
dans d'autres Bateaux. Jamais il
n'y eut plus de Spectateurs que
ce jour- làsjamais plus de vigueur
dans les Combatans ; jamais un
plus agreable mélange d'Inſtrumens
& de Voix.Ce Jeu fut ſuivy
d'un
96 MERCURE
d'un magnifique Repas que Monſieur
le Gouverneur donna aux
Dames, qui furent ſervies à table,
chacune par un Gentilhomme ;
apres quoy on commença le Bal,
qui dura juſqu'au jour. Parmy
tant de Dames , & bien - faires &
fort parées, qui y attiroient les regards
de tout le monde. Mademoiſelle
de Poyanne , Soeur de
Monfieur le Gouverneur , ſe diftingua
, & par ſa beauté & par
ſon air , & par la maniere dont
elle fit les honneurs du Bal. Ces
divertiſſemens ont duré quatre
jours , toûjours avec le meſme
éclat& la mefme magnificence.
On en a veu beaucoup àChauny
, où Monfieur Vaillant Maire
de la Ville , a remply tres dignement
les fonctions de ſa Charge,
par les divers ordres qu'il y donna
pour la Feſte . On la publia par le
fon
GALAN T.
97
۱
{
fon des Cloches & des Tambours
, qui de concert avec sel
Canons & les Boëtes , formerent
une harmonie que l'on entendit
de loin. La Bourgeoifie fous les
armes compoſa une Milice nombreuſe
tres -bien ordonnée ,& des
plus leſtes. Leurs décharges continuelles
ne contribuërent pas
peu au plaifir qu'on eut d'un Feu
d'artifice qui fut auffi bien executé
qu'il eſtoit entendu. On l'avoit
orné d'Inſcriptions , parmy
leſquelles eſtoient ces quatre De
vifes.
UnDauphin naiſſant ,
Jam ludit in igne natus aquis .
Un Fufil,tiré de l'ancien Collier
de la Toiſon d'or de Bour
gogne,
Fulmen, lumenque feret.
2.Un Parélie refléchy d'un au
tre Parélie ,
Novembre 1682 .
98. MERCURE
Solis avi ſpecimen.
Un Croiſſant oppofé au Soleil
,
Crefcet ut afpiciet.
Toute la Ville fut illuminée,
juſques aux Maiſons Religieuſes.
Les Chanoines Reguliers de
Sainte Croix , éclairerent leur
Quartier de tant d'artifice , que
la Croix , Etendart de leur Compagnie
, ybrilloit comme un Oriflâme.
Les Fontainesjetterent du
Vin par ordre des Magiſtrats, II
y eut des Combats ſur la Riviere
, où des Nayades firent un ſpectacle
tres divertiſſant Des Tritons
y diſputerent le Prix par mille
tours de ſoupleſſes qu'ils firent
en l'air & fur des Bateaux. La
Feſte finit apres huit jours , mais
non paslezele des Habitans, qui
la continuerent encor dans leurs
coeurs.
Voicy
GALANT .
99
}
Voicy un Sonnet que j'ay receu
ſur le ſujet de la Haye d'Epines
que je propoſay il y a quelques
mois dans une de mes Lettres.
Je n'ay pû vous l'envoyer
plutôt , à cauſe d'un grand nombre
d'Articles auſquels il m'a falu
donner place .
: SONNET
Sur une Haye d'Epines .
Rop injuste Chaſſeur , où vous
Trop
emportez- vous ?
Je garantis mon Champ, mes Moutons
, &mes Pailles ;
Si j'ay dans mon Enclos des Perdrix,
& des Cailles ,
Je tâche de les mettre à l'abry de
vos coups.
Et vous, d'un Fertranchant vous y
faites destrous ,
Eij
100 MERCURE
Vous renverſez ainsi d'innocentes
Murailles,
Et venezdevorer juſque dans mes
entrailles
Ce que je fauve bien de la fureur
des Loups.
Mes branches , il est vray , font
étroitement jointes ;
Mais aux feuls Raviffeurs je pre-
Sentemes pointes ,
Lors quepour mes Voisinsjen'ay que
des bouquets.
:
Portez,portezailleurs vos pas , &
vôtre Chaſſe,
Etlaiſſezàmon Maistre une petite
place
AgardersaMaiſon,ſes Vergers,fes
Guérets.
Quoy que rien ne paroiffe
plus fterile que les Epines , il faut
demeu
GALANT.
103
L
7
را
quitté le bord de cette Riviere
, elle révoit aux Poiffons , &
s'imaginoit toûjours les voir , de
forte qu'eſtant devenuë groſſe
dans ce temps- là , elle accoucha
d'un Enfant qui nâquit le
crane écaillé , & dont le cerveau
n'eut point d'imaginative.
Cet Enfant a le viſage affez beau ,
les cheveux blonds. La coutemode
fon corps eft noire dedu
Petrol juſqu'au bas du ven-
On le vit un peu velu , grélé ,
qu'il n'eſtoit q
bleu , & meflé
fons. J'en ay recem cailles. 11
avec la figure d'un des cortans
, que j'ay fait graver. Vous
la pouvez voir dans la Planche
que je vous en envoye. Je croy
que vous n'avez jamais oüy parler
d'un pareil Poiſſon. Il ſe batit
fort longtemps contre un autre
de fon efpece ; & ils ſe ſervirent
V1
E iij
100 MERCURE
Vous renverſez ainsi d'innocentes
Murailles,
Et venezdevorer juſque dans mes
entrailles
Ce quejeſauve bien de la fureur
des Loups.
Mes branches , il est vray , font
étroitement jointes ;
Mais aux feuls Raviſſeurs je pre-
Sente mes pointes ,
Lors que pour mes Voisinsje n'ay que
des bouquets.
**
Portez,portezailleurs vos pas , &
vôtre Chaſſe,
EtlaiſſezàmonMaistre une petite
place
AgardersaMaiſon,ſes Vergers ,fes
Guérets.
Quoy que rien ne paroiffe
plus fterile que les Epines , il faut
demeu
2
GALANT.
103
L
7
quitté le bord de cette Riviere
, elle révoit aux Poiffons , &
s'imaginoit toûjours les voir , de
forte qu'eſtant devenuë groſſe
dans ce temps- là , elle accoucha
d'un Enfant qui nâquit le
crane écaillé , & dont le cerveau
n'eut point d'imaginative.
Cet Enfant a le viſage affez beau ,
zles cheveux blonds. La coutem
de fon corps eſt noire dedu
Peucol juſqu'au bas du ven-
On le vit un peu velu grélé,
qu'il n'eſtoit y bleu , & meſlé
fons. J'en ay recen cailles. 11
avec la figure d'un des себя-
tans , que j'ay fait graver. Vous
la pouvez voir dans la Planche
queje vous en envoye. Je croy
que vous n'avez jamais oüy parler
d'un pareil Poiffon. Il ſe batit
fort longtemps contre un autre
de fon eſpece ; & ils ſe ſervirent
V1
د
E iij
100 MERCURE
Vous renverſez ainsi d'innocentes
Murailles,
Et venezdevorer juſque dans mes
entrailles
Ce que je ſauve bien de la fureur
des Loups.
Mes branches , il est vray , font
étroitement jointes ;
Mais aux feuls Raviſſeurs je pre-
Sente mes pointes ,
Lors que pour mes Voiſins je n'ay
des bouquets.
que
Portez,portezailleurs vos pas ,&
vôtre Chaſſe,
Et laiſſez àmon Maistre une petite
place
AgardersaMaiſon,ſes Vergers ,fes
Guérets.
Quoy que rien ne paroiffe
plus fterile que les Epines , il faut
demeu
GALANT.
103
L
7
quitté le bord de cette Riviere,
elle révoit aux Poiffons , &
s'imaginoit toûjours les voir , de
forte qu'eſtant devenuë groſſe
dans ce temps-là , elle accoucha
d'un Enfant qui nâquit le
crane écaillé , & dont le cerveau
n'eut point d'imaginative.
Cet Enfant a le viſage affez beau,
z les cheveux blonds. La coutem
de fon corps eſt noire dedu
Peucol juſqu'au bas du ven-
On le vi un peu velu , grélé,
qu'il n'eſtoit q
fons . J'en ay recem cailles. 11
avec la figure d'un des cowtans
, que j'ay fait graver. Vous
la pouvez voir dans la Planche
que je vous en envoye. Je croy
que vous n'avez jamais oüy parler
d'un pareil Poiſſon. Il ſe batit
fort longtemps contre un autre
de fon efpece ; & ils ſe ſervirent
0 blen, & meflé
E iij
100 MERCURE
1
Vous renverſez ainsi d'innocentes
Murailles,
Et venezdevorer juſque dans mes
entrailles
Ce que je ſauve bien de la fureur
des Loups.
Mes branches , il est vray , font
étroitement jointes ;
Mais aux feuls Raviſſeurs je pre-
Sente mes pointes ,
Lors quepour mes Voisinsje n'ay que
des bouquets.
**
Portez,portezailleurs vos pas,&
vôtre Chaffe,
Et laiſſez àmon Maistre une petite
place
AgardersaMaiſon,ſes Vergers ,fes
Guérets.
Quoy que rien ne paroiffe
plus fterile que les Epines , il faut
demeu
GALANT.
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L
7
quitté le bord de cette Riviere
, elle révoit aux Poiffons , &
s'imaginoit toûjours les voir , de
forte qu'eſtant devenuë groſſe
dans ce temps-là , elle accoucha
d'un Enfant qui nâquit le
crane écaillé , & dont le cerveau
n'eut point d'imaginative.
Cet Enfant a le viſage affez beau ,
z les cheveux blonds . La coutem
de fon corps eſt noire dedu
Peucol juſqu'au bas du ven-
On le vitun peu velu grélé,
qu'il n'eſtoit bleu , & meflé
fons . J'en ay recem cailles. 11
avec la figure d'un desconhtans
, que j'ay fait graver. Vous
la pouvez voir dans la Planche
que je vous en envoye. Je croy
que vous n'avez jamais oüy parler
d'un pareil Poiffon. Il ſe batit
fort longtemps contre un autre
de fon efpece ; & ils ſe ſervirent

د
E iij
100 MERCURE
Vous renverſez ainsi d'innocentes
Murailles,
Et venezdevorer juſque dans mes
entrailles
Ce quejeſauve bien de la fureur
des Loups.
Mes branches , il est vray , font
étroitement jointes ;
Mais aux feuls Raviſſeurs je pre-
Sentemes pointes ,
Lors que pour mes Voisins je n'ay que
des bouquets.
Portez,portezailleurs vos pas, &
vôtre Chaſſe,
Et laiſſezàmon Maistre une petite
place
AgardersaMaiſon,ſes Vergers,fes
Guérets.
Quoy que rien ne paroiffe
plus fterile que les Epines , il faut
demeu
L
7
tem
dụ Pec
On le vi
qu'il n'eſtoit q
fons . J'en ay recen
avec la figure d'un des
tans , que j'ay fait graver. Vous
la pouvez voir dans la Planche
que je vous en envoye. Je croy
que vous n'avez jamais oüy parler
d'un pareil Poiſſon. Il ſe batit
fort longtemps contre un autre
de fon efpece ; & ils ſe ſervirent
E iij
ne
esavec
quelle eſt
qu'on y a vu
voicy à quoy l'on
ſa naiſſance. Elizabeth
Rifina , Femme de Pierre-Antoine
Configlio , Habitant de la
Ville de Biſeiglia dans la Poüille,
allant ſouvent laver desDraps das
une Riviere abondante en Poifſons
Marins & écaillez , les regardoit
toûjours avec grande
attention ; & lors qu'elle avoit
quitté
GALANT.
103
quitté le bord de cette Riviere
, elle révoit aux Poiffons , &
s'imaginoit toûjours les voir , de
forte qu'eſtant devenuë groffe
dans ce temps- là , elle accoucha
d'un Enfant qui nâquit le
crane écaillé , & dont le cerveau
n'eut point d'imaginative.
Cet Enfant a le viſage affez beau ,
&les cheveux blonds. La couleur
de fon corps eſt noire depuis
le col juſqu'au bas du ventre.
Il eſt un peu velu , grélé,
moucheté dé bleu , & meſlé
comme un Poiſſon à écailles . 11
a les pieds & les mains blanches
, d'une forme humaine , &
mouchetez de diverſes couleurs
comme une Tortuë Marine.
Quand ces écailles tombent , il
en renaît d'autres , ce qui est déja
arrivé pluſieurs fois ; cet Enfant
eſtant âgé de neuf ans. Son incli
E iiij
104
MERCURE
tion le porte à s'aller jetter dans
la Mer , ce qu'il auroit déja fait fr
l'on n'avoit ſoin de le retenir. On
en a toûjours pris beaucoup à le
cacher , & il n'a eſté découvert
que cette année.
Il eſt auſſi né à Gramat en
Quercy , un Enfant dont tous les
Sçavans , & particulierement les
Medecins,ne trouvent point d'exemples
dans tous les Autheurs .
Il n'a pas vécu long- temps. Sa
longueur eſtoit de deux pieds. Il
avoit deux teſtes bien formées ,
deux cols , deux clavicules, quatre
bras , quatre jambes , quatre
pieds avec leurs doigts , & tout
ce qui peut rendre deux Hommes
parfaits , ſans qu'il y manque
aucune choſe. Les deux bras de
chaque côté eſtoient ſcituez naturellement
, & les viſages bien
faits , avec les parties des deux
teftes.
GALAN T.
105
teftes. Monfieur de Peyrot , fameux
Chirurgien , qui en a fait
l'ouverture , n'y trouva qu'une
poitrine , avec un mamelon de
chaque côté, comme on l'a ordinairement
, mais pourtant deux
épines de dos. Ayant viſité les
parties cõtenuës dans la capacité
du Thorax,il cõnut qu'il n'y avoit
qu'un mediaſtin ,qu'un pericarde,
& qu'un ſeul coeur , qui avoit à
chaque côté unpetit lobedepoulmon.
La figure de ce coeur n'étoir
point du tout naturelle , eſtant
tout à fait applaty comme un rein ,
&n'ayant point la forme ronde
&piramidale. On remarqua en
fon milieu une ligne droite , comme
s'il euſt eſté ſeparé en deux ;
mais on ne put le divifer par cet
endroit ſans le déchirer , parce
que ce n'étoitqu'une meſme fubſtance,
ſervant deſeptum medium,
1
1
EV
106 MERCURE
pour la diviſion des deux ventricules.
Il n'avoit à ſon côté droit
qu'une vaine cave & une veine
arterieuſe , & au gauche que la
grande artere, & l'artere veineuſe
; ce qui fait aſſez voir que ce
n'eſtoit pas un double coeur.Tou.
tes les parties naturelles eſtoient
contenuës dans un ſeul ventre
inferieur,& un ſeul péritoine , &
ſéparées des virales par un ſeul
diaphragme. Il y avoit deux eſtomachs
, deux rattes , deux reins
de chaque côté bien prés l'un de
l'autre , une veſſie auffi de chaque
coſté , & ce qui eſt ſurprenant
un ſeul foye de figure longue
, & un peu quarrée. C'eſtoit
une maſſe d'aſſez belle couleur,
fans eſtre divisée en aucun lobe,
fituée tranſverſalement entre les
deux eſtomachs. Les deux cerveaux
étoient fort naturels , avec
leurs ventricules,& les autres parGALANT.
107
ties de deux teſtes. Apres que
l'on eut examiné les parties qui
compofoient ce Prodige, on entra
dans le doute s'il y avoit plus
d'une ame dans ce corps , & fi
ayant remarqué la vie à un pied
de cet Enfant , ſans pourtant l'avoir
reconnuë aux autres , le tout
pour lors eſtoit vivant , puiſqu'il
n'y avoit qu'un nombril par lequel
il recevoit ſa nourriture, un
feul diaphragme, un ſeul foye, &
un ſeul coeur , qui font au moins
dans le ſentiment des Anciens, le
principe du ſang & de la vie; autrement
on pourroit dire qu'un
corps pourroit vivre ſans ces
parties , ce qui ne s'eſt jamais
vû , la plupart étant des parties
nobles , & fi neceſſaire àla vie,
que leurs fonctions venant à
manquer , la mort eſt inévitable.
C'eſt le ſentiment d'Ariſtote au
Livre
108 MERCURE
:
Livre quatrième , Chapitre quatriéme
de la generation des
Animaux , qui dit , que où il n'y
a qu'un coeur , il n'y a auſſi qu'une
ame. Ceux qui rapportent aux
Aſtres la plupart des effets de
la Nature , auront lieu de faire
de belles reflexions , apres qu'ils
auront remarqué que quelques
mois auparavant , quatre Femmes
accoucherent dans la même
Ville , & preſque dans le même
temps , de Gemeaux , & une
autre de trois Enfans. Deux moururent
quelques heures apres ,&
le troifiéme eſt encore en vie . La
Mere de cet Enfant eſt dans un
auffi bon état qu'elle a eſté dans
trois diverſes couches d'Enfans
maſles , qui font en bonne ſanté,
& dans lesquels on voit la plûr
part des traits ſemblables aux
deux viſages de celuidont je vous.
viens
GALANT.
109
viens de faire la deſcription.Meffieurs
de Pelaprat & Caille , Decteurs
en Medecine, qui ont eſté
preſens à l'ouverture de cet Enfant
faite par Monfieur Peyrot,
• ont ſigné cette Relation. L'Enfant
ſe voit à Paris . ১
Le Roy a donné à Madame la
Duchefſe de Bracciane des marques
particulieres de ſon eſtime ,
en la mettant à Fontainebleau en
poffeffion du Pour, qui eſt le trai
tement que l'on fait en France
aux Princes Souverains & Etrangers
, & qui avoit eſté promis à
Monfieur le Duc de Bracciane,
en confiderationde ſa haute naif-'
fance. Cette demonſtration de Sa
Majesté a eſté applaudie de toute
la Cour , & de ceux qui connoiſſent
le merite de la Maiſon
des Urſins , & l'attachement que
les Princes qui en font , ont de
puis
110 MERCURE
puis pluſieurs fiecles pour cerre
Couronne,dont ils ont donné des
preuves en une infinité de rencontres
, particulierement dans
les Guerres que la Maiſon d'Anjou,
les Rois Loüis XII. & Charles
VIII . ont euës au Royaume
de Naples , dont les fuccés peu
favorables ont coûté à cette illuſtre
Maiſon beaucoup de ſang, &
la perte de tant d'Etats , qu'ils
compofent preſque le tiers du
Royaume de Naples.
2 Monfieur le Duc de la Trémoüille
époufa l'onzième de ce
mois à Chantilly,au nom deMonfieur
le Prince de Belmont , Fils
aîné du Duc Lenty , Romain,
Mademoiselle de la Trémoüille-
Noirmonſtier. Monfieur le Prince
a bien voulu que le Mariage
fe fift chez luy , pour marquer la
confideration qu'il a pour laMaifon
GALANT.
fon de la Trémoüille,qui a l'honneur
de luy eſtre alliée. Le Roy a
approuvé le Mariage , & a pris
la Maiſon Lanty ſous ſa protetion.
Voicy une Fable nouvelle.Elle
eſt de Monfieur du Ruiſſeau.
Vous n'avez point encor oüy
parler de cet Autheur , mais fon
eſprit vous le fera bientoſt connoître.
LES ARBRES
CHOISIS
PAR LES DIEUX.
L
FABLE..
EsArbres autrefois des Hommesſe
plaignirent ,
Ce
12 MERCURE
Ce fut à Jupiter ; & voicy ce qu'ils
dirent.
Grand Dieu , les Humains ſont
: jaloux
Des bontez que le Ciel veut bien
avoir pour nous ;
1
Ils ne sçauroient voir ſans envie,
Qu'en des Siecles divers nous
roulions nôtre vie,
Et que chez eux à cinquante ans
Les uns foient morts , & les autres
mourans .
Croyant par là que la Nature
Leur fait une fort grande injure,
Ils pretendent pour s'en vanger,
Qu'ils peuvent nous détruire ,
abatre, facager.
Soufrirez-vous que noſtre deſtinée
Dépende de leur volonté 2
Parmy
GALANT . 113
Parmy nous le Tonnerre eft bien
moins redouté,
Que n'eſt aujourd'huy la Cognée.
****
Par le Stix ils n'ont pas raifon
,
RépondJupin , touché de la Comparaifon,
Sur les Loix du Deſtin ofer trouver
à mordre !
Allons ; que fur le champ le Mefſager
des Cieux
-Aſſemble tous les Dieux.
Je veux les confulter ſur un fi
grand defordre.
Apeine la Commiſſion
Au Dieu Mercure fut donnée,
Que par les Carrefours une Cloche
Sonnée,
De Jupiter aux Dieux apprit l'intention.
1ls
114
MERCURE
Ils vinrent tous,& l'Assemblée
Fut auſſi toſt dans les formes reglée.
Jupin touſſa , cracha , puis exposa
leCas,
Prononça ſon discours fans galimatias,
Et le finit en disant sa pensée.
On la trouva bonne &tres-bien
Sensée.
Quel Dieu pourroit estre imprudent,
Jusqu'à contrarier l'avis du Prefident?
Il fut donc reſolu , pour terminer
l'affaire,
Que chaque Dieu prendroit
Sous ſa protection tel Arbre qu'il
voudroit;
Et commeſon Dieu tutelaire,
Jamais nesouffriroit
Qu'au
GALANT.
115
Qu'aucunMortel luy portaft prejudice.
Celapaſſant tout d'une voix,
Il ne s'agiſſoit plus que d'en venir
au choix.
Jupiter, qui jamais ne fit rien par
caprice,
Après avoir un peu reſvé,
Dit qu'ilprotègeroit le chefne.
Le tour de Venus arrivé,
Elle choisit le Mirthe , &jura que
fahaine
Eftoit hoc à quiconque au plus beau
deſesjours,
N'en feroit passes plus cheres
amours.
Lesçavant Apollonmenaça d'ignorance.
Celuy qui n'auroit pas un respect
tout entier
Pour le Laurier,
Dont il dit qu'il vouloit veiller à
Ladéfense.
Dame
116 MERCURE
Dame Cibelle dit qu'elle prenoit le
Pin,
Et que qui l'aimeroit , auroit des
joursfansfin.
Moy, fur le Peuplier je veux avoir
la veuë,
Dit le fameux Hercule ; & fi quelque
Mortel
Oſe eſtre à ſon égard tant-ſoitpeu
criminel,
Je l'affomme d'abord d'un feul
coup de Mafluë.
**
Minerve en rang ; Pourquoy , ditelle
àJupiter,
Ne veut - on proteger que des
Arbres fteriles ?
' Les Fruitiers, dit Jupin , ſont beaucoup
plus utiles ;
Mais , ma Fille , eſt ce là ce qui
doit nous tenter ?
Lors qu'un Dieu bien- faiſant accorde
quelque grace ,
Et
GALANT. 117
Et veut des Oprimez eſtre le
Protecteur ,
Il n'enviſage que l'honneur ,
Dans nos coeurs l'intereſt ne doit
point prendre place.
Cela , répond Minerve, eſt parfaitement
beau ,
Et ne pouvoit ſortir que de vôtre
cerveau .
Cependant quelques Loix qu'icy
l'on nous preſcrive,
Cherchant à contenter la gloire
& l'appetit,
Je choiſis l'Olivier à cauſe de
l'Olive.
Afon choix chacun aplaudit,
Chacunſoûtient qu'on doit mêler le
profitable,
Autant qu'on peut, à l'honorable;
Et payé de raisons ,Jupin luy-même
dit;
Ah , combien ma Fille a d'ef- )
prit!
Oüy,
118 MERCURE
7
Ouy , Meffieurs , comme vous je
commence de croire,
Qu'en tout ce que l'on fait,il faut
avec la gloire
Tâcher de joindre le profit .
L'accablement des matieres ne
me permit point le mois paſſé de
vous parler de la mort de Meſſire
Gabriel de Voyerde Paulmy,
Evefque & Seigneur de Rhodez,
arrivée dans ſon Palais Epiſ
copal l'onziéme Octobre. Il étoit
âgé de foizante & treize ans ,
& confiderable par ſon merite
& par ſa naiſſance. Au fortir de
ſes Etudes de Theologie , il pafſa
ſes premieres années auprés
de feu Monfieur le Cardinal de
Richelieu , par l'ordre duquel il
fit le Mariage de Monfieur le
Comte de Paulmy , fon Frere
aîné , avec la Dame Françoiſe de
Beau
GALANT.
119
Beauveau ſa Parente. Ce grand
Miniſtre eſtant mort, il s'appliqua
fi uniquement aux exercices de
ſa Profeffion , qu'il eut l'honneur
de preſcher diverſes fois
en preſence de la Reyne Mere
du Roy , & s'en acquita tresdignement
; ce qu'il fit auſſi avec
beaucoup de ſuccez dans les
premieres Chaires de Paris , où il
donna lieu d'admirer ſon éloquence.
Sa Majesté le gratifia
enfuite de l'Eveſché de Rhodez .
Il y a fait une reſidence ſi exacte
,& foûtenu avec tant de gloire
les ſoins affidus d'un bon Pafteur
, parmy les Viſites des Montagnes
, & des Lieux difficiles
qui ſe rencontrent dans tout ce
grand Dioceſe , qu'on peut dire
qu'il a confumé ſa vie dans les
devoirs de ſa Charge , & en fervahe
l'Etat dans la Profeffion que
Dieu
120 MERCURE
Dieu luy avoit fait embraffer , de
même que ſes Anceſtres ont pour
la plupart ſacrifié leurs vies dans
celle des armes pour les intereſts
de la Religion , & pour le ſervice
de nos Roys. C'eſt ce qui adonné
l'avantage à ceux de cette
Maiſon , parmy les troubles qui
ont ſi ſouvent agité ce grand
Royaume , d'avoir toûjours eſté
tres-Catholiques , & tres-fidelles
& inviolables Serviteurs de
leurs Souverains. Nos Hiſtoriens
en parlent en divers endroits ; &
dans tout ce qu'ils en diſent , on
n'en voit aucun qui ait eſté engagé
dans des Partys contraires
à ſes devoirs. Ils font d'une Nobleſſe
ſi ancienne , qu'on n'en
ſçauroit découvrir le commencement.
L'Hiſtoire leur donne le
titre de Chevaliers il y a pres de
huit cens ans , fous Charles II.
fur
GALANT. 121
-
furnommé le Chauve. Ce Prince
ayant attiré pluſieurs Etrangers à
ſon ſervice, Bazile de Voyer, Chevalier
Grec , eut l'avantage de ſe
ſignaler par ſes Exploits , & celuy
de poſſeder les bonnes graces
de Charles,qui pour recompenſe
de ſes ſervices , luy donna une
Contrée dans la Touraine , où il
fit baſtir ſon Chaſteau de Paulmy.
Belleforeſt dans ſon Hiſtoire
fous Charles le Chauve , & dans
ſa Cofmographie , remarque que
ce Château fut ainſi nommé , à
cauſe des Palmes & des Victoires
de Bazile. Il eut deux Enfans,
Conrard , & Othon de Voyer,
dignes Succeſſeurs de ſes vertus;
mais comme je ſerois trop long,
ſi je m'étendois icy fur leurs
actions , & fur celles de quantité
de leurs Deſcendans , qui ont
donné du luſtre à leur nom , ſoit
Novembre 1682 . F
122 MERCURE
pareux-mefmes, foit par la grandeur
de leurs Alliances, je paſſe à
Jean de Voyer, Vicomte de Paulmy
, Chevalier de l'Ordre du
Roy , & Grand Bailly de Touraine
, Biſayeul de Monfieur l'Evefque
de Rhodez. Il ſervit ſous
quatre Roys , ayant commencé
ſous François I. qu'il n'abandonna
dans aucune occafion , quelque
perilleuſe qu'il l'a viſt. Il ſe
trouva à la Bataille de Pavie , où
deux de ſes Freres furent tuez .
Aprés le malheur qui arriva à la
France, il aſſiſta au Traité de Madrid;
& avant cela , il eut l'honneur
de travailler pluſieurs fois
pour la liberté du Roy. Il ne rendit
pas de moindres ſervices ſous
> Henry II . dans les occaſions de
Metz , de Thionville , de Calais ,
& de Guyenne ; ce qu'il continua
fous François II . & fous Charles
GALANT.
123
les IX. quoy que dans des temps
tres- difficiles , & déja reduit à
une extrême vieilleſſe . L'amour
des Sciences , & les belles connoiſſances
qu'il joignoit à ſes
grandes qualitez , luy acquirent
pendant qu'il vivoit l'amitié des
beaux Efprits &des Gens de Lettres.
Ainſi on ne doit pas s'étonner
ſi aprés ſa mort , pluſieurs à
l'envy voulurent éterniſer ſa memoire
par leurs Ouvrages, & par
pluſieurs Epitaphes dont les Livres
de ce temps - là font remplis.
En voicy une qui contient
toute la vie en deux Vers Latins .
C'eſt ſi peu de choſe , que vos
Amie voudront bien leur faire
grace.
Dux, Legatus, Eques, fudit ,fociavit
, adauxit ,
Hostes, Hispanos , titulos , vi,fædere
, famâ.
Fij
124 MERCURE
De Jean de Voyer font fortis
René de Voyer,Seigneurde Paulmy
; & Pierre de Voyer , Grand
Bailly de Touraine , Seigneur
d'Argenſon , qui ont eu pluſieurs
Defcendans, entre leſquels Loüis
de Voyer, Baron de Boëzé, Lieutenant
de l'Artillerie , mourut de
ſes bleſſures à la levée du Siege
de Cazal par les Eſpagnols ; &
depuis René de Voyer , Comte
d'Argenſon , aprés pluſieurs Emplois
& Negotiations confiderables
en Allemagne , Italie, &Catalogne
, finit glorieuſement ſa
vie dans l'Ambaſſade de Veniſe
; & dans ces derniers jours,
Armand de Voyer , Marquis de
Paulmy ; & Joſeph de Voyer ,
Comte de Dorcé , ſon Coufin
germain , & fils de Madame la.
ComteffedeDorcé , dont le merite
eſt connu à la Cour , furent
tuez
GALANT. 125
tuez à la Bataille de Senef ; le
premier eſtant Mestre de Camp
d'un Regiment de Cavalerie ; &
le ſecond , qui eſtoit fort jeune,
pourveu d'une Enſeigne au Regiment
des Gardes.
La jeune Nobleſſe qui aime
tant à ſe ſignaler, doit avoir beau
coup de joye d'une Entrepriſe
faite dans l'Amerique , à laquelle
juſqu'icy perſonne n'avoit penfé
, & qui pourra dans la ſuite
cauſer à la France de grands
avantages. Elle eſt de Monfieur
Coulon , & paroît digne de cet
illuſtre Ecuyer. Il a toûjours eu
une paſſion ſi forte pour ce qui
regarde la Cavalerie , & en mefme
temps un foin ſi particulier
-de l'éducation des Gentilshommes
qu'on luy donne à élever
dans fon Academie, qu'ayant appris
qu'il y avoit des Chevaux
L
: Fiij
126 MERCURE
extraordinairement bons & bien
faits dans les Antilles , il a fait
partir exprés depuis quelques
jours Meſſieurs de Pain & du
Cornet ſes Parens, & Ecuyers de
Sa Majesté , pour aller dans les
Ifles de Bonnaire , Corroſſole , &
Roubbe , d'où ils en devoient
amener en France un nombre
confiderable.On dit que lesChevaux
de ces Ifles ſont d'une admirable
beauté , que la vîteſſe en
eſt ſurprenante , & qu'ils ont des
agrémens qui paſſent tout ce
qu'on peut s'en imaginer. Comme
Meſſieurs de Pain &du Cornet
ont travaillé fort long- temps
ſous Monfieur Coulon, on a ſujet
d'eſperer un heureux fuccez de
cette Entrepriſe , puis qu'on demeure
d'accord qu'il eſt l'un des
Hommes du monde qui a le plus
d'experience,& qui ſe connoît le
mieux
GALAN T. 127
mieux à tout ce qui eſt du fait
de la Cavalerie. Il y a prés de foixante
ans qu'il s'en mêle , ce qui
le rend le plus ancien Ecuyer du
Royaume , & peut- eſtre de toute
l'Europe. Son Academie a toûjours
paſſé pour tres- bien montée
& tres-bien reglée. On n'y
prend pas moins de ſoin de former
l'Eſprit , que le Corps des
Gentilshommes que l'on y met .
Outre qu'on y apprend à monter
à Cheval , à faire des Armes ,
à Voltiger , à Dancer , on y enſeigne
les Mathematiques , & fur
tout les Fortifications, qui en ſont
une des parties les plus utiles
pour ceux qui font nez pour le
-Métier de la Guerre , les Evo -
lutions Militaires , l'Exercice du
Mouſquet , de la Pique , & du
Drapeau , l'Hiſtoire , la Geographie
,& la Politique. Il n'y a pas
1
Fiiij
128 MERCURE
:
bien long - temps qu'on voyoit
dans l'Academie de Monfieur
Coulon cinq Princes Souverains ,
deux Fils naturels de Roy , fix
ou ſept Fils de Ducs & Pairs ; &
maintenant elle eſt remplie d'une
Nobleſſe fort nombreuſe & fort
illuſtre ,tant de ce Royanme que
des Païs Etrangers.
Les Réjoüiſſances qui ont eſté
faites pour la Naiſſance de Monſeigneur
le Duc de Bourgogne ,
ont continué juſqu'au mois dernier
, & Monfieur le Comte de
Rebenac en a fait une Feſte publique
à Berlin les 6. & 7. Octobre.
Il attendoit pour cela le retour
de Monfieur l'Electeur &de
Madame l'Electrice de Brandebourg
, qui vouloient honorer
cette Feſte de leurs preſences.
Leurs Alteſſes Electorales , accompagnées
de Meſſieurs leurs
Enfans,
GALAN Τ.
129
Enfans , des Princes & Princefſes
, des Dames , & des Gentilshommes
de leur Cour, des Miniftres
Etrangers , & de tour ce
qu'il y avoit de Perſonnes confiderables
dans la Ville , ſe rendirent
dans la Maiſon deſtinée à les
recevoir , avec un concours incroyable
de Gens de qualité de
l'un & de l'autre Sexe , non feulement
de la Province, mais auſſi
des environs. Au devant de la
Maiſon , ſur de grands Piédeftaux
, eſtoient élevées des Pyramides
mêlées de pieds de verdure,
qui foûtenoient pluſieurs Pots
de Fleurs. Parmy ces Ornemens,
de chaque côté du Frontifpice, il
( y avoit une Fontaine de relief
dreſſée dans une Grote,d'où huit
Dauphins jetterent au Peuple
pendant tout le jour une tresgrande
abondance de Vin. Les
Fv
130
MERCURE
Feneſtres estoient entourées de
Feſtons remplis de Fleurs & de
Fruits , & tous les eſpaces d'une
Fentêre à une autre étoient ornez
de Tableaux ovales , remarquables
par quantité de Deviſes, qui
convenoient au ſujet,le tout avec
lamême Bordure , & la même regularité.
Sur la Corniche de la
Porte étoit appuyé un grand Tableau
qui repreſentoit le Triophe
des Argonautes, apréslaConquête
de laToifon d'or. Au deffus
étoit attaché le Collier de l'Ordre,
qui renfermoit les Armes de
France & de Navarre, couvertes
d'une grande Courõne en relief,
au haut de laquelle on voyoitun
Soleil avec la Deviſe de Sa Majeſté.
La Compagnie étant entrée
fur le midy,on ſervit cinq Tables
de trente Couverts chacune. La
premiere fut remplie de Leurs
Alteſſes
GALANT .
131
Alteſſes Electorales , des Princes
& Princeſſes,des Miniſtres Etrangers
, & des Officiers Generaux.
Les autres le furent des Dames
de la Cour & de la Ville,des Officiers
, & de ce qui s'y trouva de
plus confiderable. Ce fut une magnificence
achevée, ſoit pour l'abondance
des Mets , foit pour la
delicateſſe. Pendant ce Repas,
un grand nombre de Hautbois,
de Violons , & de Flûtes douces,
formerent un agreable Concert,
qui fut tres- ſouvent interrompu
par le bruit des Trompetes , des
Timbales , & d'une infinité de
coups de Canon , qui furent tirez
lors que l'on bût les Santez
de la Maiſon Royale de France
, & celles de la Maiſon Electorale
de Brandebourg. Aprés le
Dîné , la Compagnie ſe rendit
dans une grande Salle , où l'on
dança
132
MERCURE
dança un Balet dont elle fut extrémement
fatisfaite . On acheva
la Journée en Dances , & en
autres Divertiſſemens , pendant
leſquels on apporta du Sorbet, &
des Liqueurs de toutes les ſortes.
Le jour commençoit à peine
à finir , qu'il en parut un nouveau
, formé d'une Illuminatiom
qui ſe fit dans toute la Ruë. Des
Luftres chargez de Bougies fortoient
des Feneſtres. Toutes les
Pyramides , les Colomnes , les
Fontaines , & la Façade entiere
, parurent en feu par plus de
fix mille Lampes qu'on y avoit
attachées . Quantité de Fleurs
de Lys , de Dauphins , de Pyramides
, & autres Figures illumi
nées , bordoient les Feneſtres..
Les Corniches eſtoient couvertes
de Feux,& enfin des deux côtez
de la Ruë on ne voyoit rien qui
ne
GALANT.
133
ne brillaſt de lumieres.. Cependant
on ſervit le meſme nombre
de Tablesau Soupé, qui ne ceda
en rien à la propreté & à la magnificence
du premier Repas. On
commença en ſuite le Bal, qui dura
bien avant dans la nuit , &
chacun ſe ſepara fort content. Le
lendemain on fut occupé à ſe
maſquer , dans le deſſein qu'on
prit de faire un Vvirtschaff. Le
foir venu , tous ceux qui y devoient
faire quelque Perſonnage,
s'aſſemblerent chez Monfieur le
Prince & Madame la Princeſſe
Electorale qui avoient bien vou
lu en eſtre , & qui précedez des
Hautbois & des Violons , paſſerent
dans l'Apartement de Madame
l'Electrice , où Monfieur
l'Electeur ſe trouva , apres avoir
paru devant eux dans une grande
Salle bien éclairée , où l'on
pou
134
MERCURE
pouvoit remarquer la richeſſe &
la galanterie des Habits. Toute
la Maſcarade ſe rendit au meſme
Lieu où elle s'eſtoit trouvée le
jour precedent, accompagnée de
quantité de Flambeaux , & éclairée
d'une Illumination encor plus
grande qu'on ne l'avoit déja faite.
Quelque temps apres qu'elle
fut entrée dans un Apartement
tout éclatant de Lumieres , on la
pria de vouloir paſſer dans une
grande Salle, où eſtoit une Table
en demy- cercle de quatre - vingts
Couverts, Elle n'eſtoit que pour
les Perſonnes maſquées. En mefme
temps d'autresTables furent
ſervies pour ceux qui n'eſtoient
point du Vvirtschaff. La profufion
& le choix des Viandes,tout
fut admirable. Mille nouveaux
ſujets de plaiſirs qui furent ſuivis
duBal , ayant terminé la Feſte , la
Com
GALANT.
135.
:
Compagnie ſe retira , en témoignant
qu'elle estoit fort fatisfaite
du deſir que ſon Hoſte avoit eu
de luy plaire , & des ſoins qu'il
avoit pris pour y réüffir .
Le Jeudy 17. Septembre, on fit
joüer à Morlaix , Ville partagée
en deux Eveſchez , un tres beau
Feu d'artifice. On l'avoit dreſſé
fur leQuay de Léon , qui a l'oppoſite
àla Bource des Marchands
fur le Quay de Trêguier , ſeparé
par la Riviere , & au bout dans
une petite Ifle qui eſt au Midy,
l'aſpect & le Frontiſpice de l'Hoſtel
de Ville , remarquable tant
pour ſon agreable ſituation , qui
le fait arroſer de deux Rivieres
nommées Larleau , & Quevalet,
que pour ſa riche ſtructure. Au
milieu d'un grand Theatre de fix
pieds de haut,& de quinze pieds
en quarré, eſtoit une Tour,ayant
dix
136 MERCURE
dix pieds en quarré , & dix de
hauteur. Il y avoit un Platfond
fur cette Tour , & aux quatre
coins de ce Platfond , quatre autres
Tours de quatre pieds de
hauteur & de largeur. Elles eftoient
ornées de Créneaux , entre
leſquels il y avoit des Murailles
d'une afſfez juſte hauteur , &
au milieu de tout un Piédeſtal ,
fur lequel eſtoit posée une Pyramide,
large de ſept pieds en quar+
ré, & haute de ſept & demy. Le
haut avoit un pied de diametre,
& fur la pointe de la Pyramide
eſtoit un Globe marbré , de plus
de treize pieds de circonference.
Au deſſus il y avoit une Girandole
, ou Rouë à feu , fize à plat,
fur laquelle estoit poséeune Lance
à feu de la groſſeur de la jam
be.deplus de deux pieds de haut,
avecun Sauciffon au haut , ac-
ر com
GALANT.
137
*
compagné de quatre autres Lances
à feu plus petites , qui formoient
une eſpece de Vaze brûlant.
Tout ce Bâtiment , depuis le
bas juſqu'au haut , eſtoit fait en
forme de Murailles de brique, les
quatreTours &les Cattieres toutes
garnies par dedans de Fusées
volantes de diférentes groſſeurs,
& des plus belles qu'on ait jamais
tirées en Province. Au haut
de la Pyramidė,aux quatre coins,
eſtoient quatre Figures qui repréſentoient
les Quatre Vents.
Une groſſe Lance à feu fortoit
de la bouche de chacun. La premiere
Face regardant l'Hoſtel de
- Ville , eſtoit ornée d'une grande
Roüe à feu , repreſentantun Soleil
, avec ces mots tout autour,
Oriente Sole Gallus cantat. La Face
opposée avoit fur une autre
Rouë à feu,une Lune qui s'êclip-
L
foit
138 MERCURE
foit à la veue du Soleil. Aux deux
autres Faces eſtoient l'Etoile du
Nort , & une Comete. Au dehors
des Tours & des Murailles,
il y avoit un bout de Platfond
d'un pied & demy , qui faiſoit
comme un petit Dehors , garny
de demy-pied en demy-pied de
Lanternes ornées de Fleurs de
Ly's , & de bandes rouges, bleuës,
& blanches. Elles furent allumées
bien long- temps avant le
Feu,& fervirent à en faire voir la
ſtructure. Quatre grands Ecuffons,
garnis de Feſtons & de Lauriers
, où l'on voyoitles Armes du
Roy , eſtoient au dehors de la
Tour; & au bas , il y avoit des
Cartouches couronnez de Fleurs
& de Fruits de toutes fortes. Une
Compagnie de Mouſquetaires fit
ſes décharges pendant le Feu ,
qui fut allumé au bruitdes Tambours
GALAN T.
139
-
bours , des Violons,& des Trompetes
Marines. Jugez , Madame,
quelles furent les Réjoüiſſances
de toute la Ville , puis que ce
que je vous dis n'eſt que la dépenſe
d'un Particulier , qui termina
ce Régale en faifant lancer
une cinquantaine de Fuſées de
plus de deux livres chacune.L'effet
en fut merveilleux ; & les Païſans
qui les virent du côté des
Montagnes , ſe perfuadant que
c'étoient des Cometes qui tomboient
, en firent des Pronoſtics à
- la mode de leur Village.
Le Mardy 8. du dernier mois,
■ le bruit du Canon & de la Moufqueterie
, commença les Réjoüifſances
à Cherbourg. Le Peuple
y fut regalé par deux Fontaines
de Vin qui coulerent dans la
Place publique ; & toute la Nobleſſe
du Païs s'eſtant renduë
auprés
140 MERCURE
auprés de Monfieur de Fontenay
, Gouverneur de cette Place,
il la traita magnifiquement. Le
foir , la meſme Nobleffe l'ayant
accompagné fur le principal Baftion
de la Ville , qui eſt celuy de
Matignon , on y alluma un grand
Feu au bruit du Canon , des
Trompetes , Tambours , & Hautbois.
Ce Feu fut ſuivy de deux
fuperbes Collations ,l'une pour les
Dames , & l'autre pour la Nobleffe
, les Officiers , & les plus
confiderables Bourgeois , qui bûrent
la Santé du Roy , & de la
Maiſon Royale , aux décharges
du Canon , & des acclamations
generales. Les Habitans pafferent
la nuit à viſiter tous les
Feux avec un Concert de Violons
, de Hautbois , & d'autres
Inſtrumens , qui firent faire des
Dances par tout.
Vous
GALAN T.
141
Vous m'avez ſouvent demandé
des nouvelles des Ambaſſadeurs
que le Roy de Siam envoye en
France. Je croy vous avoir déja
marqué dans quelqu'une de mes
Lettres qu'ils s'eſtoient embarquez
à Bantam le ſixième de Septembre
de l'année derniere, dans
le Navire du Soleil d'Orient , qui
appartient à laCompagnie Royales
des François. Ce Navire eſtoit
attendu au Port Loüis , où il devoit
arriver ; & comme on n'en
avoit eu aucunesnouvelles depuis
- ce temps-là , il y avoit lieu de
craindre qu'il n'euſt fait naufrage
, n'y ayant que pour fix mois
de route , de ce lieu- là juſques à
celuy que je viens de vous nommer.
En effet pluſieurs autres Baſtimens
partis de la meſme Coſte
des Indes plus de fix mois apres
le Soleil d'Orient ſont tous arrivez
142
MERCURE
1
vez heureuſement en Europe.
Ainſi on eſtoit fort en peine de
ce qu'il pouvoit eſtre devenu , à
cauſe des Ambaſſladeurs de Siam,
& du Vaiſſeau meſme , qui eſt
beau , grand & tres richement
charge ; mais enfin le Capitaine
Gomet a mis les intereſſez hors
d'inquietude . Ce Capitaine qui
eſt rentré au Port Loüis le premier
jour de ce mois , revenant
des Ifles Açores, a dit qu'eſtant à
la Rade du Fayal , l'une de ces
Ifles,le trentiéme Septembre dernier
, un Anglois de ſes Amis y
eſtoit arrivé lors qu'il eſtoit preſt
de mettre à la voile;Que cet Anglois
avoit rapporté qu'eſtant à
Fernambouc au Bréſil , d'où il
eſtoit party le 28. Aouſt. Ily eftoit
entréle precedent un Navire
Hollandois , qui venoit du Cap
de Bonne Efperance ; & que le
Capi
GALANT.
143
Capitaine de ce Navire , qui en
avoit fait voile ſur la fin de Juillet,
diſoit y avoir laiſſé un grand Navire
François appellé le Soleil
d'Orient , qui y eſtoit de relâche,
avec fix autres Navires Hollandois
, qui comme luy revenoient
des Indes. Cette nouvelle a paru
d'abord mal inventée , n'y ayant
aucune apparence qu'un Hollandois,
que l'on en faiſoit le premier
Autheur , euſt osé partir ſeul du
Cap de Bonne Eſperance , dans
- la plus fâcheuſe ſaiſon de toute
- l'année , ſans attendre la Compagnie
d'un Eſcadre de ſa Nation
, qui estoit en route comme
luy pour revenir en Europe ; car
de prétendre qu'il fuſt volontairement
venu au Bréfil , c'eſt ce
qu'on n'avoit aucun lieu de croire
, puis qu'on ſçait qu'il n'y eut
jamais de commerce à faire du
Cap
144
MERCURE
Cap de Bonne Eſperance auBré.
fil, & bien moins encor pour les
Hollandois, que pour aucune autre
Nation . Les Hollandois n'y
peuvent eſtre receus qu'avec de
tres-grandes précautions . On envoye
des Gardes à leur Bord , &
on ne leur permet la defcente à
terre que pour trois Perſonnes au
plus de chaque Navire , depuis
que les Portugais qui ſe ſont rendus
maiſtres du Bréfil fur les Hollandois
, ont connu que ces derniers
feroient fort aiſes de trouver
l'occaſion de le reprendre.
Ainſi l'on avoit peine à juſtifier
l'endroit de cette nouvelle . Cependant
apres tant de circonſtances
rapportées par le Capitaine
Gomet arrivé au Port Loüis , il y
avoit apparence que ny luy , ny
l'Anglois , ny meſme le Hollandois
, qui ne ſçavent point qu'il
nous
GALANT.
145
nous manque des Navires , n'avoient
pas fongé à l'inventer.
Dans cet embarras , quelques
Perſonnes entenduës en ces routes
, ſe ſont appliquées à examiner
exactement , de quelle maniere
on pourroit juſtifier la Nouvelle.
Voicy leur raiſonnement.
Le Soleil d'Orient partit de Bantam
le 6. de Septembre 168 1. fix
ſemaines plûtoſt qu'il ne falloir,
pour doubler le Cap de Bonne
- Eſperance. Son deſſein eſtoit de
- s'arreſter à l'Iſle Bourbon ouMafcareigne
, au moins pendant un
= grand mois ; & ayant manqué
cette Ifle , comme il arrive ſouvent
à la Mer , il s'eſt trouve trop
toſt pour venir au Cap, & a rela-
' ché aux Indes , d'où il venoit. Il
en eſt party tout de nouveau , &
s'eſt rencontré au Cap avec les fix
Hollandois , qui apparemment
Novembre 1682 . G
146 MERCURE
ont dépeſché un Navire , pour
donner avis en Hollande à leurs
Superieurs de leur relâchement
au Cap de Bonne Eſperance, afin
qu'ils puiffent prendre des meſures
juſtes pour la vente des Marchandiſes
arrivées pour eux dans
les premiers Vaiſſeaux qui leur
font venus des Indes , & encore
auſſi pour avertir ces meſmes
Superieurs d'envoyer au devant
d'eux des Vaiſſcaux d'eſcorte ,
ce que les Hollandois font d'ordinaire
juſques à Bergues en
Norvege ; car ils ne permettent
point que leurs Navires qui viennent
des Indes non plus que
ceux qui y vont , paſſent par la
Manche, dans la crainte de s'expoſer
à en perdre quelques - uns ,
à cauſe de la prétention qu'a la
Compagnie d'Angleterre ſur les
,
Effets de celle de Hollande.
Le
GALANT. 147
Le Navire dépeſché du Cap
par les Hollandois , ſera venu au
Bréſil malgré luy , ou par gros
temps , ou pour éviter des Courans,
qui dans cette faifon- la entraînent
à la Cofte d'Afrique.De
cette façon la Nouvelle est vraye,
& on peut inceſſamment eſperer
la venuë du Navire qui amene
les Ambaſſadeurs du Roy de
Siam.
On a tenu les Etats en Languedoc
, & j'en ay eu des Nouvelles
, dont je vay vous faire
part. L'Article doit vous plaire
d'autant plus , que vous aimez
fort qu'un grand Seigneur ré-
- ponde par un vray merite aux
avantages de ſa naiſſance ; &
que lors qu'il trouve les occafions
de ſe diſtinguer , il ſoit
magnifique , & foûtienne avec
éclat les grands Emplois , dont
1
3
Gij
148 2 MERCURE
ſon Souverain l'a jugé digne.
Vous trouverez tout cela dans
ce que j'ay à vous raconter de
Monfieur le Duc de Noailles ,
Commandant pour le Roy en
Languedoc. Comme Sa Majesté
luy a depuis peu fait l'honneur de
l'élever à la Dignité que je vous
marque , il n'avoit point encor
eſté en cette Province. Je ne
vous diray rien de ce qui s'eſt
Bpaſſe dans fon Voyage ,
depuis
Paris juſques en Languedoc. Il
fit ce chemin avec beaucoup de
diligence , pour fatisfaire plus
promptement aux ordres du Roy.
Il dina le 14. Octobre à Bourg
chez Monfieur l'Eveſque de Viviers
, Doyen des Eveſques de
Languedoc. Il fut nommé à cet
Eveſché pendant la Régence de
Marie de Médicis. Ce Prelat eſt
magnifique , & fait fort bien
J les
GALAN T.
149
les honneurs de ſa Maiſon. De
Bourg,Monfieur de Noailles alla
au Pont Saint- Eſprit. C'eſt l'entrée
du Languedoc. Il fut receu
au delà du Pont avec le Daiz ,
& harangué par les Confuls , qui
luy preſenterent les Clefs de la
Ville. Il ſe rendit en ſuite à l'Eglife
, où aprés que le Curé l'eut
complimenté , on chanta le Te
Deum. Des qu'il fut finy , ce
Duc alla dans la Maiſon qui luy
avoit eſté preparée. Il y entendit
les Harangues de pluſieurs
Députez de quelques Villes de
Languedoc,& de quelques Compagnies
, & partit en ſuite pour
aller coucher à Bagnols , qui ap-
-partient à Monfieur le Prince de
Conty. On l'y reçeut avee les
mêmes ceremonies qu'on avoit
fait au lieu qu'il venoit de quitter.
Le 15 il alla dîner à Rémoulin,où
Giij.
150
MERCURE
Monfieur le Marquis de Monta
negre , l'un des Lieutenans Generaux
de Languedoc , ſe trouva
à ſon paſſage.De Rémoulin il alla
coucher à Niſmes. Les Bourgeois
y eſtoient ſous les armes , depuis
la Porte du Fauxbourg, juſqu'à
l'Eveſché où il logea. Pluſieurs
Compagnies avoient des Habits
neufs d'écarlate,avec de laDentelle
or & argent. Monfieur de
Noailles y receut la Deputation
de la Chambre des Comptes de
Montpelier, & les Complimens de
tous les Corps de la Ville de Nifmes.
Celuy qui le harangua au
nom de l'Academie,que le Roy y
a nouvellement établie, luy donna
le nomde Fondateur,parce qu'elledoitſon
établiſſement à ſes bons
offices & à ſa protection. Monſieur
Seguier,Evêque de Niſmes,
le régala magnifiquement. La
Cham
GALAN T.
Chambre étoit fi remplie du beau
Monde de la Ville, qu'il étoit prefque
impoſſible de ſervir. Le Fruit
futdiſtribué aux Dames.
Le 16. Monfieur de Noailles
dîna à Lunel,où Monfieur le Marquis
de Caſtries, Gouverneur de
Montpelier,le vint voir. Il s'en retourna
peu de temps aprés , pour
s'aller mettre à la teſte de la Cavalerie
, qui devoit venir au devant
de lay. Il entra dans la Vil
le de Montpelier au bruit de la
Mouſqueterie des Milices , & du
Canon de la Citadelle . Les Confuls
luy preſenterent le Daiz à la
Porte,&le conduiſirent dans l'EgliſeCathedrale,
où Monfieurl'Eveſque
de Montpelier le harangua.
On chanta les Prieres ordinaires
. Ce Duc ſe rendit en ſuite
dans une Maiſon tres-belle &
tres - commode , qui ſert de Loge-
اد Gij
152 MERCURE
ment au Gouverneur , & qui
appartient à Monfieur Neſplans,
l'un des Prefidens de la Chambre
des Comptes. Il y receut un grand
nombre de Harangues , que la
Compagnie prit grand plaifir à
entendre. La Faculté leharangua
en Latin ſelon ſa coûtume. Le
nom & les vertus des Anceſtres
de Monfieur de Noailles y furent
fort élevées , & particulierement
deMeſſieurs d'Aqs. Je vous en ay
parlé plus au long dans une de
mes Lettres. LesDeputez de tou
tes les Villes de la Province qui
n'avoient pas eſté au delà de
Montpellier , s'y rendirent ; de
maniere que les Harangues durerent
deux ou trois jours. Tous
ceux qui porterent la parole , eurent
l'avantage de voir leurs Difcours
ſuivis de grands applaudiſſemens.
Monfieur de Noailles
foupa
GALANT. 153

foupa le premier jour chez Monſieur
le Marquis de Caſtries ,
qui le traita avec beaucoup de
-magnificence & de délicateſſe .
Il dîna le lendemain chez Monfieur
Bon , Premier Preſident de
laChambre des Comptes & Cour
des Aydes , car ces deux Corps
fontunis. Il ſe rendit le 20. dans
la Chambre des Comptes , pour
y prendre ſéance de Premier
Prefident né . Il fit un Difcours
à cette Chambre , & parla avec
l'éloquence & la dignité conve-
-nables au caractere qu'il avoit
à foûtenir. Monfieur le Premier
Preſident duy répondit au
nom du Corps , pour le remercier
de l'honneur qu'il leur faifoit,&
il s'en acquitta avec
fuccésposidrasalanah

Au fortir de la Chambre , il
alla entendre la Meſſe dans la
find Gv
154
MERCURE
1-
Chapelle du Palais , & aſſiſta à
la Proceſſion qui ſe fait tous les
ans à pareil jour , en memoire de
la reduction de la Ville de Montpelier
ſous l'obeïſſance du Roy..
Me l'Eveſque de Montpelier faifoit
l'Office. Les Confuls portoient
le Daiz . Mr le Duc de
Noailles eſtoit à la teſte de la
Chambre des Comptes , ayant le
Premier Preſident à ſa gauche,&
étoit précedé d'un grand nombre
de Gentishommes de ſa Suite...
Le 22. jour de l'ouverture des
Etats,Monfieurle Comte du Roure
, Lieutenant General de tour,.
Monfieur Dagueſſeau Intendant
de la Province , & deux Treforiers
de France de Toulouſe &
de Montpelier , Commiſſaires du
Roy dans l'Aſſemblée des Etats,
i ſe rendirent chez Mr le Duc de
Noailles entre neuf& dix heures
১ du
GALAN T.
155
du matin , & l'accompagnerent
dans ſon Carroſſe à l'Hoſtel de
Ville. Les Syndics de toute la
Province le reçeurent à la Porte
de la Rue , & tous les Barons en
Corps au bas du Degré. Accompagné
de cette Suite , il entra
dans la Salle des Etats ,où il trouva
un Fauteüil doré preparé
pour luy. Il étoit de Velours bleu,
couvert de Fleurs-de-Lys d'or,
& élevé de trois marches. Il y
avoit un Daiz au deſſus de ce
Fauteüil , avec un Carreau au bas
pour mettre les pieds. Les Barons
étoient à ſa droite , precedez de
Meſſieurs les Commiſſaires du
Roy, & les Evêques à ſa gauche.
On commença par la lecture de la
Lettre de Sa Majesté aux Etats,
des Commiſſions, & des Preliminaires
accoûtumez. Monfieur le
-Duc de Noailles fit un Diſcours
par
136
MERCURE
1
parfaitement beau , & il charma
autant par l'air noble & aiſe dont
il le prononça ,que par l'éloquence
dont il le remplit. Monfieur
Dagueſſeau parla aprés luy.Monſieur
l'Archevêque de Toulouſe,
Preſident des Erats , répondit , &
n'adreſſa ſon Diſcours qu'à Monfleur
de Noailles ; aprés quoy la
Séance finir . Cette Aſſemblée eft
la plus belle du Royaume. Elle
eft compoſée de vingt- deux Archeveſques
, ou Evefques , &
d'un pareil nombre de Barons ..
Monfieur de Noailles donna le
meſme jour à dîner à tant d'il-
Juſtres Perfonnes . C'eſt ce qu'on
appelle le Festin des Etats . Il y
avoit deux Tables , l'une de trenre
Couverts , & l'autre de dixhuit.
Le Gouverneur dela Province
a un Fauteüil à ce Dîné..Le
milieu de la grande Table eftoit
remply
GALANT.
157
Γ
remply d'un Oranger environné
de Vazes de Fleurs . Il couvroit
l'eſpace auquelon ne peut atteindre
, quand les Tables font grandes.
Il ne ſe peut rien adjoûter à
l'abondance des Mets,à la delicateffe,
à la propreté, & à la magnificence
de ce Repas. La Santé du
Roy y fut buë d'abord ſuivant la
coutume . Monfieur le Cardinal
de Bonzi , Archeveſque de Narbonne
, arriva le foir de fon Abbaye
de Valmagne , ſituée à cinq
lieuës de Montpelier, & alla voir
Monfieur le Duc de Noailles . 6
Les Etats s'aſſemblerent le 23.
Monfieurle Cardinal de Bonzi
qui en eſt Préſident , y aſſiſta.
१ Meffieurs les Commiſſaires du
Roy s'aſſemblent trois fois la ſemaine
chez leGouverneur, qui eft
le Commiſſaire principal , pour
travailler aux Affaires de Sa Ma-
1
jeſté,
F58 MERCURE
jeſté , ſuivant leur inſtruction.
Quand ils entrent dans l'Aſſemblée
des Etats , Monfieur le Cardinal
de Bonzi ne s'y trouve point,
&laiſſe la place à Monfieur l'Archeveſque
de Toulouſe.
Le 24. les Etats deputérent
vers Meffieurs les Commiſſaires
du Roy , pour leur faire les honneſtetez
accoûtumées. Monfieur
le Duc de Noailles fut falüé par
quatre Eveſques , quatre Barons,
& huit Députez du Tiers Etat.
Les quatre Barons , eſtoientMefſieurs
de Polignac,de Villeneuve ,
de Castries, & de Canillac. Monſieurl'Archeveſque
deToulouſe
portoit la parole.
Le 25. ont dit la Meſſe du faint
Eſprit. Monfieur l'Eveſque de
Mirpoix précha. On fit enfuite
la Proceſſion des Etats, à laquelle
aſſiſterent tous les Eveſques , &
Mon
GALANT.
159
Monfieur le Duc de Noailles àla
teſte de tous les Barons.
LeMardy 27.MonfieurleDuc
de Noailles entra dans l'Aſſemblée
des Etats avec les autres
Commiſſaires du Roy, poury faire
les Demandes de la part de Sa
Majefté. Ce Duc y fit un autre
-Diſcours , apres lequel Monfieur
Dagueſſeau expoſant plus particulieremet
les intentions du Roy,
demanda à la Province deux millions
quatre cens mille livres. Il
parla avec beaucoup d'éloquence
& de politeffe . Monfieurl'Archeveſque
de Toulouſe répondit
aux Demandes avec beaucoup
de reſpect & de ſoûmiſſion aux
volontez de Sa Majesté , & parla
auſſi en faveur de la Province.
Monfieur le Duc de Noailles, accompagné
des autres Commiſſaires
duRoy , employa le reſte de
la
>
160 MERCURE
L
4
la journée , & le lendemain , à
une Cerémonie pratiquéede tout
temps par tous les Gouverneurs
de cette Province. C'eſt de vifiter
tous les Eveſques & tous les
Barons , fur le ſujet des Demandes
. Il envoya chercher les 'Députez
du Tiers Etat , pour leur
recommander de faire leur dé-
-voir envers Sa Majefté.
Le 29. les Etats ſe raſſemble-
-rent ,& accorderent tout d'une
voix , & avec beaucoup de fou-
-miffion & de zele , le Don gra-
-tuit de deux millions quatre cens
mille livres qui avoient eſté demandez
. Hs dépaterent auffi - tôt
apres vers Monfieur le Duc de
Noailles , Monfieur l'Archevéque
de Toulouſe , Monfieur l'E-
-véque de S. Papoul , & Meffieurs
-les Barons de Villeneuve & de
Rebé , pour luy porter leur Délibera
GALANT. 161
beration ; & lemeſme jour Monſieur
de Noailles dépeſcha un
Gentilhomme au Roy pour luy
en donner la nouvelle. : {
Ce n'eſt point une exageration
de dire qu'on a eſté charmé
de la beauté des Harangues de
ce Duc , & de l'air noble dont il
les a prononcées. Il a toûjours tenu
deux Tables deux fois cha
que jour , & quelquefois meſme
le nombre de ces Tables a augmenté.
La propreté , la délica
teffe , & l'abondance , ont également
eſté admirées dans tous les
Repas . Sa Muſique s'eſt tous les
jours fait entendre à la Meſſe &
au Salut , où il a toûjours aſſiſté ;
de maniere que ſa pieté a ſervy
d'un grand exemple , & a fort
édifié. Toute ſa Maiſon , qui eſt
fort nombreuſe , a paru avec
beaucoup d'éclat. L'on peut affurer
162 MERCURE
rer que par ſa perſonne & par fa
naiſſance , il ſoutient tres dignement
ce Poſte , qui eſt un des
plus grands du Royaume . Il n'y
a perſonne dans toute la Province,
qui ne ſoit charmé de ſes honneſtetez.
Loin d'avoir trouvé des
difficultez "fur les honneurs qui
eſtoient dûs à ſa Dignité , il a cu
le ſoin de les moderer , parce
qu'on vouloit luy en rendre qu'il
ne croyoit pas luy eſtre dûs. On
a peu veu de grands Seigneurs
remplirdes Poſtes fi glorieux à
l'âge de 31. an , mais auſſi en est- il
peu à cer âge-là qui ayent autant
de ſageſſe qu'en fait paroître
Monfieur de Noailles . La Cour
eſt bien redevable à ſes Pareils,
quand elle en trouve , puis qu'ils
ſervent d'exemple aux autres , &
que cet exemple y eſt extremement
neceffaire. Outre le plaifir
que
GALAN T.
163
que tout honneſte Homme doit
fentir en ſoy- mefme lors qu'il a
fujet de croire qu'il s'eſt rendu
digne de ce nom , l'avantage eſt
grand pour les Perſonnesdu premier
rang , qui ont un veritable
merite , puis que le Roy le
ſçait déméler d'avec le faux , &
ne le laiſſe jamais fans recompenfe.
On en voitla preuve dans la
Perſonne de Monfieur le Duc de
Noailles...
Le Roy recompenſe non ſeulement
la vertu qu'il voit briller à
fes yeux,mais encor celle desPerſonnes
de merite , dont la profeffion
ne leur permet pas de demeurer
à la Cour. Ainſi la vertu
&la pieté de Madame Magdelaine-
Laurence de Cadob de Sep-
- ville, luy ont fait mériter le choix
de ce grand Monarque pour l'Ab.
J baye de Montivillier , vacante
par
164 MERCURE
par la mort de Madame de Bellefond
, Tante de Monſicur leMaréchal
de Bellefond ,& Soeur de
l'illustre Madame de Bellefond.
Abbeſſe des Religieuſes Benedi-
Aines de Roüen, fi generalement
admiré pour ſon eſprit & pour
ſa vertu. Ce Maréchal , qui eft
Coufin germain de cette nouvelle
Abbeffe , & qui ayant demandé
au Roy l'Abbaye pour elle
, avoit aisément perfuadé par
la pieté exemplairedont il donne
tous les jours de ſi nobles marques,
qu'il la demandoit pour une
Perſonne que ſes grandes quali-
-tez en rendoient tresdigne , étant
arrivé à Montivilier le Lundy 9 .
de ce mois avec toute ſa Famille,
Madame de Sepville ne voulut
point diferer la Ceremonie de ſa
Priſe de poffeffion. Elle fut faite
par Monfieur l'Official de cette
Exem
GALANT. 165
Exemption 2 en prefence des
plus confiderables & des plus illuſtres
du Païs. Il fit un tres- beau
Diſcours dans le Chapitre ſur les
merites & fur les vertus de laDéfuncte
, & de la nouvelle Abbefſe.
Enſuite il fit faire la lecture des
Bulles de la derniere ; & tous les
Auditeurs s'eſtant retirez , à l'exception
des Religieuſes , il prit
la voix de chacune. Elles donnerent
toutes leur confentement
avec plaifir pour Madame de Sepville,
qu'il plaça dans la Chaire!
Abbatiale , apres quoy , il la
conduifit du Chapitre dans l'Egliſe
de S. Sauveur , & dans la
Chapelle de l'Abbaye, où lors que
leTe Deum eut eſté chanté , elle
prit poffeffion par le toucher des
Autels. Monfieur le Maréchal,&
Monfieur le Marquis de Bellefond,
luy donnoient la main. Elle
5 eſtoit
166 MERCURE
eſtoit ſuivie de trois Religieuſes
forties avec elle. Quatre Officiers
de cette Abbaye portoient un
Daiz ſous lequel elle marchoit.
Elle rentra dans le Monaftere
avec les meſmes ceremonies ;&
apres qu'elle eut pris poffeffion
dans le Choeur, elle ſe plaça dans
la Chaire Abbatiale , où toutes
les Religieuſes vinrent ſe mettre
à genoux devant elle , chacune
felon fon rang, & luy baiferent la
main' , la, prenant entre les leurs.
Cette Ceremonie eſtant faite, elle
alla viſiter l'Apartement du
dehors de la Maiſon. Le Corps
de Juſtice la vint haranguer dans
la grande Salle.Monfieur de Cantelou
, Lieutenant Civil & Criminel
au Bailliage de Montivillier
, porta la parole , & luy fit ce
Compliment.
C'est
GALANT. 167
'Est affez , Madame , deSçavoir
que vous avez esté nommée
Abbeſſe de ce celebre Monastere
par le plus grand Roy de lunivers
, pour nous tenir afſurez que
vous vous acquiterez avec tout le
Soin& tout le zele poſſible , du gouvernement
des Ames qui vous sont
commiſes. Cette glorieuse marque
deson estime estoit deuë à vosgrandes
qualitez ; mais quand il vous a
choisie entre toutes les Perſonnes
confiderables de ſon Royaume, pour
remplir la place que vous occupez
préſentement , ilnous a fait voir
en mesme temps qu'ilse connoist en
vertu , en mérite, &en pieté,auſſibien
qu'envaleur , en victoires , یم
en conquestes. En effet , Madame,
pouvoit il trouver ailleurs un Sujet
plus propre à bien Soûtenir une Di.
gnité si éminente , que dans vostre
illustre Famille, qui a déja donné à
la
168 MERCURE
.
3
la France un ſi grand nombre de
de vertueuses Abbesses, & de Supérieurs
de Maiſons Religieuses , qu'il
femble qu'elle foit une Sourceféconde
de dévotion, de virginité, & de
purete ? Ce grand Roy pouvoit-il
jetter les yeux furune Perſonneplus
digne que vous de fucceder à feuë
Madame de Bellefond voftre Tante,
qui estoit un MiroirdeSainteté,
& un exemple achevé de vertu ?
Vous n'avez pas seulement hérité
de cette vertu qui la rendoit fi recommandable
mais encor deſes plus
tendres fentimens pour ces cheres &
tres - religieuses Filles. Oüy, Madame
, vous avez ſçeu si bien profiter
deſes ſaintes leçons , &imiterSa
charité , ſon humilité , ſa grande
douceur, qu'outre l'approbation & le
respect de toute vostre Communauté,
vous vous eſtes acquis l'estime de
tous ceux qui ont l'honneur de vous
con
GALANT. 169
connoistre. Ainsi , Madame , je ne
doute point que lesfoûpirs , lesjeûnes
,&les prieres de l'une , & tes
voeux & les souhaits des autres ,
n'ayent obtenu du Ciel qu'il confentit
au bienheureux choix qui a esté
fait de vostre Perfonne. Rien ne
pouvoit mieuxfoulager nostre douleur
, apres une perte auſſi ſenſible
& aussi touchante que celle que
nous avions faite. Elle est reparéc
par ce digne choix , & c'est dequoy
nous nous trouvons obligez de
rendre graces à Dieu
nuant nos prieres & nos adorations
pour la confervation de ce prétieux
Gage, l'objet de nos voeux
lesujet de nostre plus douce confolation.
Plaiſe donc au Ciel remplir
de ſes Benedictions , & con-
Server longuement une si parfaite
&fi rara Abbeffe.C'est avec cesjuſtes
defirs & ces refpectueux ſenti-
Novembre 1682. H
د
en conti-
& د
170
MERCURE
mens , bien mieux gravez dans nos
coeurs , qu'exprimez par ma bouche
, que nostre Corps vient vous
rendre ſes devoirs, & vous aſſurer,
Madame, &c .
Voicy une Chanſon dont les
paroles ne vous ſont pas inconnuës.
Je vous les envoyay au
commencement de l'Hyver dernier
, notées par un habille Maître.
Elles ont paru ſi belles au
fameux Monfieur d'Ambrüis,qu'il
les a miſes auſſi en Air depuis peu
de jours. Comme il eſt difficile
•de mieux réüffir que luy pour les
choſes dont il ſe mefle , je croy
que vous me ferez obligée du
ſoin que je prens de vous faire
- part de ſon Ouvrage.
3
CHAN
Hi
H
est
GALANT. , 171r
CHANSON.
Npeut encor dans la Prairie
Mener quelquefois fon Troupeau,
Et cependant la volage Sylvie
Neveut plus fortir du Hameau ;
Lefroid n'est pas ce qui l'arreſte,
Je ne l'ay que trop reconnu.
Aſuivre mon Rival on la voit toûjourspreste,
C'est pour moyſeulement que l'Hyver
est venu.
Les cinq Volumes que je vous
ay déja envoyez , preſque entierement
remplis des Rejoüiſſances
faites pour la Naiſſance de
Monſeigneur le Duc de Bourgogne
, n'ayant pû épuiſer cette
matiere , je ſuis obligé de rendre
la juſtice qui eſt deuë à pluſieurs
! Hij
172
MERCURE
1
Villes dont je ne vous ay point
encor parlé,
Le Jeudy dixiéme du meſime
mois , Monfieur de la Boiffiere,
Major de Dieppe , reçeut l'ordre
de la Fefte, en l'absence de Monſieur
de Tierceville - Mahaut ,
Commandant de la Place , qui
preſidoit alors à un Synode de
Meſſieurs de la Religion Pretenduë
Reformée , qui ſe tenoit auprés
de Roüen. Il avoit eſté choiſi
pour cet Employ par Sa Majesté,
qui étant informée du merite de
tous ſes Sujets,ſçait queMonfieur
de Tierceville joint la capacité
d'un Homme de Lettres avec la
valeur d'un Homme d'Epée. La
Harangue qu'il fit à ce Synode,&
qui paroît bien eſtre de la même
main qu'une infinité de jolies
choſes qui ont couru de luy , eſt
une marque de la maniere dont il
s'acquita
GALAN T.
173
s'acquita de ſa Commiſſion. Le
Samedy au matin , tous les Vaiffeaux
qui estoient au Port de
Dieppe, ayant arboré leurs Etendards
& leurs Flames , & les Capitaines
ayant fait la reveuë de
leurs Equipages , tout fut preſt à
executer les ordres qu'on avoit
reçeus de faire joüer le Canon
& la Moufqueterie , dés qu'on
auroit entendu la premiere décharge
du Château & du Pollet,
&d'allumer des Feux pendant
trois nuits au haut des Mats des
Navires. A midy , toutes les Boutiques
de la Ville furent fer--
mées , & les Tambours des douze
Compagnies des Bourgeois
publierent qu'on fe mettroit le
lendemain ſous les armes. Le
foir , Monfieur de la Boiffiere
ayant fait tirer cinq coups de
Canon du Château , où il rega-
Hii
174
MERCURE
loit ſes Amis , les Vaiſſeaux luy
répondirent , & en meſme temps
on ne vit que Lumieres ſur la
Mer. Le lendemain , les douze
Compagnies fe trouverent fous
les armes , & menerent à l'Eglife
de S. Remy Monfieur le Major,
accompagné des Corps de Juſtice
& de Ville , & de Meſſieurs
Coquet , de Joux , & de Pautre
, Capitaines au Regiment de
Champagne , de la Garniſon du
Château. Le Te Deum fut chanté
en Muſique. En ſuite on alla à
l'Hoſtel de Ville, où Monfieur le
Major mit le feu à trois Buchers
dreſſez dans la Place . Il y couloir
trois Fontaines de Vin de la bouche
de trois Dauphins, au milieu
deſquels on avoit mis une Statuë
de l'Eſperance , couronnée de
Laurier. On entendit auffi- toſt le
bruit de toute l'Artillerie des Forts
&
GALAN T.
175
& des Navires. Ce n'eſtoient que
Feux & que Repas aux Portes
des Maiſons particulieres , où
l'on tâchoit à ſuivre l'exemplede
Monfieur de Radiolle , Lieutenant
General du Bailliage de
Caux , qui donnoit ce ſoir - là un
grand Soupé aux plus confiderables
Perſonnes de Dieppe. Le
Lundy ſe paſſa en de ſemblables
divertiſſemens. Il y eut des Illuminations
fort agreables chez les
Jeſuites , chez les Peres de l'Oratoire
,& chez Monfieur Croiſé,
Procureur du Roy en l'Amirauté.
Ce dernier avoit repreſenté les
Armes de France , écartelées de
Bourgogne, à la Couronne Royale
Dauphine , avec ces paroles,A
majoribus maximus , pour exprimer
que le jeune Prince des ſa
naiffance eftoit déja tres- grand
par ſes illuftres Anceſtres. Mon-
Hij
176 MERCURE
1
fieur Charpentier , Commiſſaire
des Guerres au Département de
toute la Normandie, fit une Fête
fort galante , & tout le Peuple
joüit de la veuë d'une infinité de
Fuſées que l'on tira du haut du
Château pendant deux heures,&
d'un beau Feud'artifice,qui avoit
eſté preparé fur le Port.
Monfieur le Comte de Grancé
, Gouverneur d'Argentan , y
fit faire les Réjoüiſſances publiques
le Dimanche 23. d'Aouft.
Toute la Bourgeoiſie ſous les armes
alla le prendre au Château,
où s'eſtoit rendu tout le Corps de
la Juſtice, & quantité de Nobleffe
, & le conduifit en l'Egliſe de
S.Germain. Le Te Deum y fut folemnellement
chanté en Mufique
, avec diférens Motets. Au
fortir de là , ce Comte alluma le
Feu de joye preparé dans la Place
d'armes.
4
GALANT. 177
d'armes. Le bruit de toute l'Artillerie
de la Ville , & du Canon
du Château, ſe mêla aux déchar
ges que firent trois fois lesMouſ
quetaires ; ils remenerent Monfieur
le Gouverneur dans le mê
me ordre juſques au Château,qui
fut éclairé le ſoir dedans & dehors
d'une infinité de Lumieres
fur les Balcons & fur les Fenêtres.
Il donna un magnifique Repas
dans la grande Salle à quantité
de Perſonnes confiderables ,
Gentilshommes, Magiſtrats,Offi
ciers de la Ville, & du Voiſinage;
& aprés qu'on eut ſoupé , il fit
joüer un Feu d'artifice , dreſſé
fur une Terraſſe qui donne fur le
Cours , & composé de Boëtes ,
Rouës à feu , Lances , & Fufees
volantes. Les Capitaines de la
Milice Bourgeoiſe s'étant retirez
dans leurQuartier, y tinrentTa-
:
Hv
178 MERCURE
ble ouverte devantleurs Maifons;
&à leur exemple , les principaux
Habitans firent des Feſtins publics.
La Feſte fut continuée le
lendemain au Chaſteau, où Monfieur
le Gouverneur , en preſence
des Dames , & de toutes les
Perſonnes diftinguées , fit faire
la Curée d'un gros Cerf qu'il
avoit pris . C'eſtoit un plaiſir de
voir cent des meilleurs Chiens
qu'il y ait en France , dont fa
Meute eft compoſée, démembrer
& manger ce Cerf au fon de
vingt Cors de Chaſſe.
A Falaiſe , qui eſt à ſept lieuës
de Caën, Monfieur de Morangis,
Intendant de la Generalité d'Alençon
, accompagné de tous les
Officiers de Juſtice , &Monfieur
de Querville- Vicomte , à la teſte
de plus de deux mille Habitans
ſous les armes , allerent à l'Eglife:
de
GALAN T.
179
de la Trinité , où s'eſtoient rendus
tous les Preſtres des Paroifſes
de la Ville , avec toutes les
Communautez Religieuſes . Cetre
Egliſe eſtoit tenduë depuis le
haut juſqu'au bas , des plus riches
Tapiſſeries , & ornée de la
plus belle Argenterie de Madame
la Marquife de Putange , qui
fe diſtingua fort dans cette rencontre
par les témoignages de ſa
joye& de fon zele. On avoit mis
fur de grands Cartouches les
Portraits du Roy,& de la Famille
Royale,au devant&en pluſieurs
endroits de l'Eglife. Si- toſt qu'on
eut commencé le Te Deum , on
entendit le bruit du Canon &
desBoëtes du Chaſteau ; & Monſieur
leChevalier de Corde,Lieutenant
de Roy , qui donnoit les
ordres neceſſaires à la Milice, luy
fit faire dix ou douze fois des
déchar
180 MERCURE
décharges , qui furent tres-bien
executées ; aprés quoy les Marchands
de la Foire, qui commence
le 16. d'Aouſt ,& qui ſe tient
dans un Fauxbourg de la Ville
appellé Guibray , prierent Mefficurs
de Ville de ſouffrir qu'ils
fiſſent éclater leur joye avec eux..
On fit faire un Echafaut tres-élevédans
le milieu de la Foire, avec
un autre au deſſus,ſur lequel étoit
une fort belle Figure,qui represetoit
la Victoire, ſoutenuë de deux
Dauphins,& ayant pour Piédeſtal
un Soleil , dont les rayons étoient
autant de Fuſées diférentes , ce
qui produiſit un tres - bel effer. 11
y avoit un autre Theatre, où des
Fontaines de Vin coulerent pen-.
dant quatre heures. Pluſieurs
Chariots remplis de Joüeurs de
diférens Inſtrumens , tout couverts
de Fleurs & de Feüillées,
mar
رت
GALANT. 181
marchoient avant la Milice. Un
autre fermoit la marche , & dans
ce dernier eſtoit un Bacchus fur
unTonneau,tenant des Bouteilles
dont il verſoit ſans ceſſe à tous
les Paffans , & portant un Etendard
de Satin garny de Frange
d'or , où l'on avoit peint les Armes
'du jeune Prince.. Toute la
Milice dans cet équipage, fit plufleurs
tours dans la Foire ,& enfuite
dans la Ville , où l'on ne
voyoit que Feux & qu'Illumina.
tions. Ily eut pluſieursTablesdevant
la Maiſon de Monfieur l'Intendant
, ſomptueuſement fervies
, pour tous ceux qui voulu
renty prendre place . Madame la
Marquiſe de Purange, en l'abfence
de Monfieur le Marquis fon
Fils ,Gouverneur du Château &
Ville de Falaiſe , & de Mortagne
au Perche, en fit mettre auffi plufieurs
182 MERCURE
fieurs bien garnies devant la Porte
du Château , avec pluſieurs
Muids de Vin, envoya à ſouper à
tous les Religieux Mandians, aux
Hoſpitaux, & aux Priſons, & délivra
pluſieurs Malheureux déte
nus pour debtes , que ſa charité
luy fit acquiter. Le Canon tira
toute la nuit , & elle tint table
ouverte pendant huit jours. Les
Marchands de Guibray firent
fufpendre le foir de grands Luftres
dans un Chariot orné de Miroirs
, & le firent traîner par la
Foire , avec des profuſions de
Confitures , &des cris continuels
de Vive le Roy....
Monfieur de Meliand , Intendant
de Caën , estoit à la Campagne
à deux licuës de la Ville,
lors qu'il reçeut la Nouvelle de
l'heureux Accouchement de Madame
la Dauphine. Auffi- toſt il
marqua
GALANT. 183
"
il marqua ſa joye par des Repas
magnifiques qu'il donna à tout
ce qu'il pût affembler de Perfonnes
conſidérables. Il voulut
mefine que ſa Maiſon fuſt ouverte
aux Païfans du Lieu. Ils y
vinrent en foule , & il les fit dancer
dans un grand Bois , Hommes
, Fenimes , & Filles. Cette
Dance champêtre ne laiſſoit pas
d'eſtre agreable. Monfieur l'intendant
faiſoit fournir du Vin en
abondance aux Danceurs , afin
que les forces ne leur manquaffent
pas ; & Madame l'Intendante
diſtribuoit aux jolies Paї-
fannes des Preſens qui leur convenoient
, comme des Noeuds de
Rubans , & des Miroirs. Ce ne
fut là que le Prélude des Réjoiſſances
de Caën. Monfieur
de Meliand y retourna ,& afſiſta
le 27. d'Aouſt au Te Deum qui'
を:. fut
184 MERCURE
chante folemnellement dans l'Eglife
de S. Pierre. On alluma en-
1 ſuite un grand Feu de joye , au
bruit de tout le Canon , & de la
Mouſqueterie de quatre à cinq
mille Bourgeois , que leurs Capitaines
avoient fait mettre ſous
les armes. Dés le commencement
de la nuit ce ne furent
que Feux par toutes les Tours,
dans toutes les Ruës , & à toutes
les Fenestres ,à la lueur def-
,
quels le Peuple foupa hors des
Maiſons fous des Berceaux qu'on
avoit dreſſez exprés. L'Hôtel de
Ville , d'où coulerent tout le
foir des Fontaines de Vin, eſtoit
orné d'une grande quantité d'Ar
moiries , d'Emblémes , & de De
viſes. L'une entr'autres reprefentoit
un Lys à trois fleurs , done
celle du milieu eſtoit la plus élevée
, avec ces mots de Virgile .
Seris
GALAN T. 185
Seris factura Nepotibus umbram.
Elle estoit de l'invention de Monfieur
du Mouſtier , Lieutenant
General, fi connu pour un Homme
qui a beaucoup d'efprit & de
belles Lettres. Il ne s'eft pas
contenté de témoigner ſa joye
par des Deviſes;il l'a encore marquée
par un Repas magnifique
qu'il donna ce meſme ſoir du 27.
Au fortir de chez luy , on alla
dans une grande Prairie , où l'on
troun Feu d'artifice élevé
fur Theatre de treize à ſeize
pieds de haut , avec des Obelifques
aux coins , & un Neptune
au milieu , tenant un Dauphin.
Tout ce Theatre eſtoit éclairé
par des Feux que portoient quarante
Colomnes. Le Feu réüffit
fort bien, & donna de la ſurpriſe
à tout le monde. Monfieur l'Evéque
de Bayeux ayant mandé
qu'on
186 MERCURE
qu'on chantaſt le Te Deum dans
toutes les Parroiſſes , les Réjoüiffances
fe renouvelerent. Chaque
Paroiſſe fit les fiennes en particulier,
où elle mettoit ſes Bourgeois
ſous les armes , & inventoit
des Illuminations pour fon
Clocher. Celuy de S. Pierre entr'autres
a eu juſqu'à ſept ou
huit cens Lampes & Flambeaux,
dont toutes ſes Pyramides étoient
couvertes. Les Peres Cordeliers
firent une Feſte qui dura rois
jours. Le dernier jour , le petit
Marquis de Franquetot , Fils de
Monfieur le Comte de Coicgny,
Gouverneur de la Ville , aſſiſta
à une Proceffion & à une grande
Meſſe ſolemnelle , où il portoit
unCierge chargé de Fleurs
de Lys d'or , & de Rubans, avec
lequel il alla à l'offrandre. La
Porte
GALANT. 187
Porte de l'Egliſe eſtoit toute or
née de Deviſes fort juſtes. On y
voyoit celles- cy entr'autres. Un
Soleil naiffant , Sol novus in orbe.
Un Hercule écraſant deux
Serpens dans ſon Berceau , In
cunis triumphat. Un Aiglon qui
ſuivoit de toutes fes forces de
grandes Aigles , Nec erit majoribus
impar. Un jeune Lys , Surget
adhuc. Les foirs , le Clocher étoit
éclairé d'une infinité de Lumieres
, & l'on tira meſme des Feux
d'artifide.
Alençon a fait éclater ſa joye ,
comme une Ville qui prend un
intereſt particulier à la fecondité -
dela Maiſon Royale , puis qu'elle
a l'honneur d'eſtre l'Apannage
du quatriéme Fils de France,
lors qu'il y en a un. Monfieur de
Matignon , Lieutenant General
de la Province de Normandie,
faifoit
188 MERCURE
faifoit fon ſejour à fon Chaſteaur
de Lonray , qui eſt à une lieuë
d'Alençon , lors qu'il apprit que
Monſeigneur le Duc de Bourgogne
eſtoit né. Aufſitoſt il envoya
fes ordres à la Ville. Trois
jours apres , les Habitans s'eſtant
mis ſous les armes, allerent au devant
de luy jufqu'à un quart de
lieuë,&le conduiſirent àl'Eglife
de Noftre-Dame , où il entendit
leTe Deum, qui fut chanté folemnellement.
Enſuite il alluma le
Feu de joye avec Monfieur de
Tiville - Boullemer , Lieutenant
General du Bailliage d'Alençon,
Maire de la Ville, & Monfieur de
la Normanderie, Vicomte & Premier
Echevin ; apres quoy il ſe
rendit chez Monfieurde Tiville,
qui avoit fait préparer une Collation
magnifique pour Meſdames.
deMatignon&de Thorigny,fui-
:
vies
GALANT, 189
vies d'un grand nombre d'autres
Dames des plus confiderables du
Païs. Le foir, Monfieur deMatignon
mena à ſon Chasteau de
Lonray toute cette grande Compagnie.
La plupart de la Nobleſſe
des environs s'y trouva. Le Régale
fut fuperbe. La Santé du
jeune Prince y fut bûë au bruit
de vingt- quatre Pieces deCanon
qui font fur le lieu. Un grand Bal
fuivit le Repas , mais on le quitta
pour voir un Feu d'artifice qui
avoit eſté composé par des Ingénieurs
que Monfieur de Matignon
avoit fait venir exprés deParis.
Jamais rien ne réüffit mieux.
La nuit fut la plus belle & la plus
agreable du monde à Lonray.
Pendant ce temp-là , Alençon .
imitoit ces Réjoüiſſances ſelon
ſon pouvoir. Tous les Particuliers
faifoient des Repas publics devant
190 MERCURE
vant leurs Portes , diſtribuoient
du Vin à tous les Paſſans , & inventoientdes
Illuminations à l'envy
les unsdes autres .
Jadjoûte à ces Réjoüiſſances
ce qu'on m'en écrit de particulier
de Padoüe, Le Pere Maiſtre Loüis
de Molinot , Cordelier du Grand
-Convent de Bourg en Breſſe, étably
Confeſſeur des François par
Monfieur le Comte d'Avauxdans
le Convent de S.Antoine de Padoüe,
ayat appris l'heureuſe Nou
velle de l'Accouchement de Madame
la Dauphine , fit chanter
dans la meſme Egliſe une grande
Meſſe , avec un Te Deum , à quatre
Orgues , & quatre Choeursde
Muſique. On fit trois décharges
d'un tres-grand nombre de Boëtes
au bruit des Tambours & des
Trompetes. Ce Pere traita la
Communautédeuxjoursde ſuite.
1
le
GALAN T. 191
F
le premier jour en Poiſſon , & le
ſecond en Viande , & la pria de
remercier Dieu dans ſes Sacrifices,
des graces qu'il luy avoit plû
de faire à la France. Cette Communauté
eſt de cent Religieux.
Tous ceux qui ont veu commencer
ces Réjoüiſſances,qui durétencor
enbeaucoupd'endroits,
ne les ont pas peu finir. Monfieur
Duchemin,Evefque de Babylone ,
eſt de ce nombre. Son Eveſché
estoit in partibus Infidelium, c'eſt
àdire qu'il eſt ſitué dans des Païs
qui ſont ſous la domination des
Infideles , & dans leſquels il y a
encor quelques Chreftiens. Le
Pape nomme à tous ces Eveſchez
qui nefont que Titulaires. Il fournit
à la ſubſiſtance d'une partie
de ces Evefques ; & quelques
Ames charitables ont étably des
Fonds pour faire ſubſiſter les autres.
192 MERCURE
tres. La mort de cet Evefque a
eſté ſuivie de celle de Monfieur.
de Ligny, Chevalier, Seigneur de
Grognévil , S. Piac, Chartanvillier,
Boigneville, &d'Yermenonville.
Il eſtoit Neveu de feu Monſieur
le Chancelier Seguier, dont
Madamede Ligny eſt Soeur. M
l'Evêque de Meaux,dernier mort,
eſtoit fon Frere. Monfieur de
Ligny eſt mort âgé de 64. ans.
Madame de Furſtemberg,Femme
de Monfieur le Prince de Fuftembert,
Neveu de feu Monfieur
l'Eveſque de Strasbourg , eſt fa
Fille.
Monfieur Malaisé , Eſcuyer,
S de S. Léger , Cornere de la
Premiere Compagnie desMoufquetaires
à cheval de la Garde
du Roy ; eft mort dans le meſme
temps. Il a paflé par tous lesdegrez
de fimple Soldat, & eft par
こいい
venu
GALANT . 193
venu par ſes belles actions à la
Charge de Cornete. Le Roy l'avoit
gratifié de la Charge d'Enſeigne
, dont il le remercia. Sa
Majesté luy fit donner trente mille
Ecus. Il s'eſt beaucoup fignalé
dans les Campagnes de Flandre,
où les Mouſquetaires animez par
la préſence de ce grand Monarque
, ont fait des actions qui ont
remply toute l'Europe d'étonnement
.
MonfieurChopin , Chevalier,
Seigneurd'Arnouville , Herbille,
Chaffoy , &Gouzangrez , a fuivy
ceux dont je viens de vous
parler.Il a eſté inhumé en ſa Chapelle
dans l'Egliſe S. Benoiſt . II
eſtoit Petit fils de René Chopin ,
mort en 1586. celébre Juriſconſulte,
& ancien Avocat au Parlement,
qui a composé divers Ouvrages
conſidérables ſur la Ju-
Novembre 1682. I
194
MERCURE
rifprudence , & le Domaine. Il a
laillé deux Fils. L'aîné eſt René
Chopin d'Arnouville , reçeu en
1675. Conſeiller au Nouveau
Châtelet, & cette année Lieutenant
Criminel au meſme Châtelet.
Son fecond Fils eſt Auguſtin.
Jean Baptiste Chopin , Subſtitut
de Monfieur le Procureur General
. Il porte d'azur au Cerf- volant
d'or, lancé sur unePique , avec sa
Hampe d'argent .
Il me reſte à vous apprendre
la mort de Madame de Rune,
Marquiſe de Fourqueſolles &
d'Odran , Dame de Beaucamp,
Bourceville , & Montmarqué .
Elle estoit Femme de Monfieur le
Marquis d'Eſtrade , Fils du Maréchal
de ce nom, Gouverneur
en ſurvivance de la Ville & Citadelle
de Dunkelque , & Maire
perpetuel de la Ville de Bordeaux.
Apres
GALAN T. 195
Apres vous avoir parlé des
Morts , je viens à ceux qui ſont
entrez dans les Charges .
Monfieur d'Hernoton, cy-devant
Conſeiller au Châtelet , &
enfuite au Parlement , a eſté reçeuMaiſtre
des Requeſtes.
Monfieur le Fevre de Caumartin
, Conſeiller au Parlement,
a eſté auſſi reçeu Maiſtre des Requeſtes.
Il eſt Fils de Menſieur
de Caumartin , Conſeiller d'Etat.
Son Biſayeul eſtoit Garde des
Sceaux de France .
Monfieur Loiſeau s'eſt fait
Conſeiller'au Parlement , & eft
entré dans la Cinquiéme Chambre
des Enqueſtes. Il eſt Fils de
Charles Loiſeau , reçeu Conſeiller
enlaCourdes Aydes l'an 1638 .
qui s'eſt continuellement occupé
auxemplois de pieté, & à la direction
des Hoſpitaux , au grand
I ij
196 MERCURE
avantage des Pauvres , & Petit-
Fils de Charles Loiſeau celébre
Avocat, qui a beaucoup écrit fur
le Droit François , & composé le
Traité des Offices , ſi eſtimé pour
un grand nombre de Recherches
&Remarques conſiderables.
Monfieur le Vafleur , Fils de
Monfieur S. Urain , Conſeiller en
la Grand Chambre , a eſte pourveu
d'une Charge de Conſeiller
en la Cour des Aydes.
Pendant que les uns fongent
d'une maniere à leur établiſſement,
les autres y penſent d'un
autre. Monfieur Tréton,Conſeiller
en la meſme Cour des Aydes,
Fils de Monfieur Tréton , Secretaire
du Roy , a épousé Mademoiſelle
de Varoquier , Fille de
Monfieur de Varoquier , Chevalier
, de l'un des Ordres du
Roy , & Premier Preſident au
Bureau
GALANT.
197
Bureau des Finances, & de Dame
Marie Phelippe de Billy , Soeur
deMonfieur de Billy , Conſeiller
au Parlement , d'une réputation
univerſelle. MonfieurTréton eſt
bien fait de ſa perſonne , & d'un
merite connu . La Mariée a la
plus jolie taille du monde , & les
cheveux d'un noir qui combat
agreablement avec la blancheur
de ſon teint. Elle a auſſi les yeux
noirs, vifs , & tres perçans. Peu
de Perfonnes dancent auffi bien
qu'elle fait , & elle chante & touche
le Claveffin comme elle dance.
Elle est connuë à Paris pour
une Perfonne tres- vertueuse , &
d'une conduite finguliere , quoy
qu'ayant perdu Madame ſa Mere
en bas âge , elle n'ait eu que l'éducation
que luy a donnée Monſieur
fon Pere . Sa naiſſance eſt
des plus nobles , Monfieur de Va
I ij
198 MERCURE
roquier eſtant des plus anciennes
Maiſons du Païs Bas ; & celle de
Billy , dont Madame ſa Mere eftoit
deſcenduë , appartenant aux
principales & plus conſidérables
deParis.
Comme la Province de Bourgogne
a le glorieux avantage de
voir porter ſon NomauPetit- Fils
de LOUIS LE GRAND , il eſt juſte
de vous envoyer les Deffeins gravez
de ſes Réjoüiſſances , préfe- رب
rablement à ceux des autres Provinces.
Je m'y ſuis engagé , & je
voustiens parole,par cette repréſentation
du Char dont je vous
ay déja parlé dans la Deſcription
d'uue de ſes Feſtes. Cette Planche
vous fait voir la France qui
tient Monſeigneur le Duc de
Bourgogne. Elle eft accompagnée
de quatre Ducs de la der
niere Race ; & le Génie de la
Pro
GALANT 199
*
Province conduit le Char .
Quand tout le Royaume eſt
ramply de joye , l'Egliſe n'en
doit pas moins reſſentir , puis
que les Converfions y continuent
, & que ceux qui quitent
le Party de Calvin , n'y font forcez
que par les lumieres de la
raifon . Monfieur Guillemot , Parifien
, qui a toûjours eſté reconnu
, & meſime de ceux de
la Re'igion Prétenduë Reformée
pour un Homme d'érudition &
d'eſprit , après avoir eu quel
ques conferences avec le Miniſtre
Claude , a abjuré l'Herefie
en préſence de pluſieurs Peronne
de qualité , dans l'Eglife
e Sainte Anne la Royale des
heatins,entre les mains du Pere
Alexis du Buc , qui a utilement
travaillé à le convertir. 'Monfleur
l'Archeveſque de Paris a
I iiij
200 MERCURE
auſſi reçeu depuis peu de temps
l'Abjuration de Monfieur Gautereau
, Député de Poitou pour les
affaires de la Religion Pretenduë
Reformée. Comme tous les Deputez
doivent eſtre fort intelligens
dans les Affaires qu'on leur
confie , & fortement attachez au
Party dont on leur donne les
droits à maintenir , on doit préfumer
que celuy dont je vous parle
, eſtoit inſtruit à fonds de tout
ce qui peut ſervir de défenſe à ſa
Religion , & que puis que malgré
toutes les lumieres qu'il avoit
pour la défendre , il en a découvert
la faufleté , ce n'eſt pas celle
que doit ſuivre un Homme veritablement
éclairé .
Monfieur le Prince de Montauban,
Fils de Monfieur le Prince
de Guimené , ayant épousé la
Veuve de Monfieur le Marquis
de
3
GALANT. 201
de Rannes, Fille de feu Monfieur
de Bautru , Comte de Nogent,
Capitaine des Gardes de la Porte
, a eſté voir à Nogent le Roy
Madame la Comteſſe de Nogent,
Belleſoeur de la Dame ſon Epouſe
, qui l'accompagna dans ce
Voyage. Ils furent complimentez
au nom de la Ville par MonſieurGraffard
, Bailly de ce Lieu.
Monfieur Bouchet , ancien Curé
, felicita la Princeſſe au nom
du Clergé ſur ſon heureux Mariage,
&fur le nouvel éclat qu'elle
donne à ſa Famille. Il luy preſenta
quelques Ouvrages que
l'on applaudit. Toute la Nobleſſe
des environs leur a eſté faire compliment
2017
Quoy qu'on euſt déja celebré
dans la Ville d'Arles la Naiſſan--
ce de Monſeigneur le Duc de
Bourgogne par des Feux d'arti-
L V
202 MERCURE
fice,des Illuminations,&des Fon
raines de Vin , on ya fait encor
pour ce grand Sujet une Feſte
bien finguliere. Ceux qui compoſent
l'Académie Royale que Sa
Majesté y a établie, y firent ſur la
findu mois paſsé une Aſſemblée
publique. Monfieur de Grignan
Archeveſque, Monfieur leCoadjuteur
fon Frere , Meſſieurs du
Chapitre , & Meſſieurs les Confuls
Gouverneurs de la Ville , y
aſſiſterent , avec un grand nombredePerſonnes
dequalité. Monfieur
de Sabatier , Directeur , fic
l'ouverture de cette Aſſemblée.
Monfieur d'Ubaye de Vacheres,
recita un Panegyrique du Roys
&tous les autres Académiciens
montrerent divers Ouvrages en
Vers& en Proſe ſur l'heureuſe
Naiſſancedu jeune Prince. On y
semarqua beaucoup d'eſprit&de
J I
politeffe.
GALANT.
203
politeffe. Ces belles Productions
furent deux fois interrompuës
par des Concerts de Mufique
, où l'on chanta les Loüanges
de Leurs Majeſtez , de Monſeigneur
le Dauphin , de Mada-j
me la Dauphine , & de Monfeigneur
le Duc de Bourgogne.
L'Aſſemblée finit par unDiſcours
que fit encor le Directeur. Toute
la Compagnie paſſa deux heures
avec beaucoup de plaifir à
écouter tant de belles choses ,&
l'on demeura d'accord que s'il y
avoit eu dans le Royaume des
Feſtes plus magnifiques, iln'y en
avoit point eu de plus agreables.
J'en attens un Memoire plus ample
, avec les Diſcours qui ont
eſté prononcez dans cette docte
Aſſemblée. Vous ſçavez qu'elle
ſe tient dans l'Hôtel de Ville . En
vous apprenant dans l'une de
mes
MERCURE
:
104 mes Lettres les noms de tous
ceux qui la compoſent , je vous
ayparlé des talens de chacun , &
des Ouvrages par leſquels ils ſe
font rendus illuſtres dans l'Empire
des belles Lettres.
Le Sieur de Luyne , Libraire
au Palais , a fait une nouvelle-
Edition des Oeuvres de Meſſieursde
Corneille , beaucoup plus correcte
que les precedentes. Elles
ſont divisées en neuf Volumes ,
qui contiennent ſoixante &deux
Pieces de Theatre. Il y en a trentedeux
de Monfieur de Corneil--
le l'aîné. Ne vous imaginez pas,
Madame , que ceux qui auront
ces neuf Volumes , ayent ſeulement
des Pieces de Theatre, puis
qu'elles font accompagnées de
Traitez dont la lecture ne peut
eſtre que fort utile, Ce fameux
Autheur rend raiſon dans le pre
mier
GALANT.
201
mier des Innovations qu'il a faites
en l'Ortographe , pour faciliter
aux Etrangers la prononciation
de noſtre Langue. On trouve
dans le meſime Volume , un
Diſcours de l'Utilité & des Parties
des Poëmes Dragmatiques,
& l'Examen de huit Pieces de
Theatre , qui dans leur temps
ont eu des ſuccés fort avantageux.
Ce font Melite , Clitandre
, la Veuve , la Galerie du Palais,
la Suivante, la Place Royale,
Medée, & l'Illusion.
Le ſecond Volume renferme
un Diſcours de la Tragedie , &
des moyens de la traiter , ſelon le
vray- ſemblable , ou le neceſſaire ,
avec l'Examen du Cid , d'Horace,
de Cinna , de Polieucte , de Pompée,
du Menteur , dela Suite du Menteur,
& de Theodore.
Il y a dans le troifiéme un Dif
cours
206 MERCURE
cours des trois Unitez ,de l'action ,
du jour , & du lieu , avec l'Examen
de Rodogune , d'Heraclius,
d'Andromede, de Dom Sanche d' Arragon,
de Nicomede, de Pertharite,
d'Oedipe, & de la Toiſon d'or.
On voit à la teſte du quatriéme
Volume, des Prefaces pleines
d'érudition fur Sertorius , Sophonisbe
, Othon , Agefilas, & Attila,
La derniere eſt une Réponſe à
des Invectives qu'on avoit publiées
en ce temps-là contre la
Comédie. Tite & Berenice , Pulcherie&
Suréna, font dans ce même
Volume..
On peut juger par le nombre
de Pieces de Theatre que Monfieur
de Corneille l'aîné a fait, &
parle ſuccés extraordinaire qu'elles
ont eu , qu'il entend parfaite
ment la Poëtique;& comme ceux
qui ont la pratique d'une choſe,
1
:
cn
GALAN T.
207
en donnent des regles beaucoup
plus certaines que les autres qui
en raiſonnent fans experience,
on ne peut douter que ce qu'il
en a écrit ne ſoit plus juſte que
tout ce que nous en avons. L'Examen
qu'il a fait de la plupart de
ſes Pieces , n'eſt pas pour ſe donners
de loüanges. Il fait luy-méme
la Critique des endroits qu'il
croit condamnables, ce qui donne
une parfaite intelligence du
Poëme Dragmatique,parce qu'en
meſme temps qu'on en voit les
regles , on voit des Ouvrages de
Theatre, & ce qu'ils ont de beau
&de défectueux , par l'Examen
que l'on en peut lire.Je ne vous dis
rien de la grandeur des ſentimens
dont cesPieces font remplies.On
les admire tous les jours , & fur
tout cette Politique admirable qui
a la ſouvent fait dire à Monfieur
evorm
le
208 MERCURE
le Maréchal de Gramont ,Que
les Ouvrages de Monsieur de Corneille
meritoient d'estre conſervez
dans le Cabinet des Roys.
Les cinq derniers Volumes de
cette nouvelle Edition, contiennent
trente Pieces du Frere de
ce grand Autheur , connu depuis
fi long - temps ſous le nom
de Monfieur de Corneille le Jeune.
Les ſuccés de D.Bertrant , du
Feint Astrologue , du Géolier de
Soy - mesme , & du Baron d'Albri-
Voac , pour le Comique ; De Timocrate
, de la Mort de Commode ,
de Camma , de Stilicon , d'Ariane
, & du Comte d'Effex , pour
le Tragique ; & de Circé & de
l'Inconnu , pour le Spectacle , &
pour le Galant , me donneroient
Heu de vous en vanter les diférentes
beautez , fi par le pouvoir
que l'amitié luy donne fur
moy,
GALAN T. 209
moy , il ne me forçoit pas à
me taire ſur les choſes qui le
touchent.
Comme depuis fix années je
vous ay fait un ample detail des
Ceremonies que l'on obſerve à
Fouverture du Parlement, & que
je vous ay mefime parlé de l'origine
de pluſieurs choſes qui les
regardent , je ne vous entretiendray
aujourd'huy que des
Harangues qu'on fait au Palais,
parce que les Ceremonies ſont
toûjours les meſmes , & que les
fujets des Harangues changent
fort ſouvent. La premiere ouverture
du Parlement ſe fait toûjours
le lendemain de la Saint
Martin , & l'on chante ce jourlà
une Meſſe ſolemnelle dans la
grande Salle du Palais , où ce
grand & auguſte Corps ſe trouve
en Robes rouges. C'eſt toûjours
210 MERCURE
jours un Eveſque qui dit cette
celebre Meffe , & ce font Meffieurs
du Parlement qui l'invitent.
Celuy qui a fait cette fonction
cette année , eſt Monfieur
l'Eveſque Comte de Noyon , Pair
de France, de la Maiſon de Clermont.
Ce Prelat eſtant d'un tresgrand
merite ,&d'une naiſſance
fort diftinguée , a eu le Daiz en
cette qua'ité. Il eſtoit droflé à
côté de l'Autel. C'eſt la premiere
fois qu'on en a veu en de pareilles
ceremonies. La Meffe eftant
achevée, ce Prelat quitta ſes Habits
Pontificaux ,prit ceux de Pair
de France,& alla entre Monfieur
lePremier Preſident,& Monfieur
le Preſident le Bailleul en la
Grand' Chambre , où M' de Novion
luy ayant témoigné par un
Compliment fort obligeant , qu'il
euſt eſté difficile de trouver ailleurs
1
GALANT. 211
leurs tant de merite réüny dans
un même ſujet; M² de Noyon repliqua
par un Difcours plus long
qu'un Compliment, & plus court
- qu'une Harangue ; mais avec tant
d'éloquence & d'érudition , que
tout l'Auditoire en auroit eſté
furpris , fi un autre que ce Prelat
euſt parlé. Comme les Copies qui
en ont eſté faites par ceux qui
écrivoient en même temps qu'il
parloit , ne me ſemblent pas exaêtes
, je vous envoye ſeulement
la Péroraiſon qui me paroît plus
correcte, & qui ſelon que j'ay pû
la recüeillir , eſtoit à peu prés en
ces termes.
Il me semble , Meſſieurs , que
tout leſujet de ce Discours eft entierement
épuisé , &que j'ay fidelement
executé ma parole , puis
queje vous ayfait voir les éclatantes
&folides preuves de l'alliance
&
212 MERCURE
&de la paix des Puiſſances fpirituelles
& temporelles , dans l'oeconomie
de la Nature , qui unit l'ame
& le corps dans la Lettre de la
Loy , qui joint le Sacerdoce à l'Empire;
dans la Foy de l'Evangile, qui
aſſocie Dieu à l'Homme , dans le
Mystere de la Grace , qui conſerve
Sa force avec la delicateſſe de la
liberté , dans l'esprit de l'Eglife,
qui triomphe dans le Ciel , apres
avoir combatu fur la Terre ; dans
l'exemple du Prince , dont le regne
est également religieux & glorieux;
dans laregle de l'Empire , qui demeure
foûmis à la Primauté Apo-
Stolique au milieu de ſes franchiſes,
dans la Feste du Sénat, quiſoûtient
La Religion par la Justice ; &dans
La dignité de mon Siege , qui me
Partage entre l'Eglise & l'Etat.
Cependant, Meffieurs , mon deſſein
demeureroit imparfait ,fi jene demandois
GALANT.
213
mandois à Dieu , avant que definir
cette auguste Cerémonie, ſonſecours
pour la Nature, l'execution pourfa
Loy, la foy pourſon Evangile, la fidelité
pourſa Grace , la communion
pourson Eglise le falut pour le Prince,
ladurée pour l'Empire, la prospe
ritépour le Sénat,& la benediction
pourmon Siege.
:
Preſque tout le Parlement affiſta
à cette Ceremonie , Préfidens,
Confiliers ,& Gens du Roy.
L'Aſſemblée eſtoit d'ailleurs tres
nombreuſe, la réputation de l'Orateur
ayant attiré une infinité
d'autres Perſonnes de toutes fortes
de qualitez .
Cette cerémonie ſe paſſa le Jeudy
12. de ce mois, & la premiere
Séance du Parlement fut remife
au Lundy 23. Ce jour là eſt appellé
jour des Harangues. On
choiſit ordinairement le premier
Lundy
214
MERCURE
Lundy d'aprés la premiere ſemaine
qui ſe rencontre ſans Feſte.
Monfieur le Premier Préſident
peut l'avancer ou reculer ;
mais comme Monfieur de Novion
qui poffede aujourd'huy cette
grande Charge, n'oublie rien pour
empeſcher la longueur des Procés
,il recule le moins qu'il peut ce
jour qui eſt ſouhaité par un grand
nombre de Parties. Apres les remerciemens
de Monfieur le premier
Préſidét au nom de la Compagnie&
du Prélat Officiant, qui
ſefont le lendemain de la S.Martin
, Monfieur le Premier Préſident
donne unmagnifique Repas
au Prelat, & à tous ceux du Corps
du Parlement , qui veulent aller
manger chez luy.
Ce meſme jour on fait à la
Cour des Aydes, ce qui ne ſe fait
au Parlement que quinze jours
ou
GALANT.
215
ou trois ſemaines apres , c'eſt à
dire les Harangues. Monfieurde
Monchal,premier Avocat General,
eſt celuy qui a parlé cette année.
Le ſujet de ſon Diſcours
étoit qu'un Juge doit avoir trois
qualitez, sçavoir , la crainte de
Dieu , la verité en ſoy , & estre
exempt d'avarice. Il appuya tout
cela par des exemples de l'Ecriture,&
par des paſſages de l'Hiftoire.
Je ne vous dis rien de ce qui
regarde la crainte de Dieu. Il eſt
aisé de s'imaginer que qui ne
rend pas ce qu'il doit à Dieu,
oublie aisément ce qu'il doit aux
Hommes. Quant à l'amour de la
verité , que tout le monde doit
avoir en ſoy , il fit voir la grande
diférence qu'il y avoit d'aimer
la verité & de la pratiquers
qu'on pouvoit l'aimer fans la pratiquer
, & que la pratiquer ,
c'eſtoit
216 MERCURE
c'eſtoit l'avoir en ſoy , & en eſtre
tout remply . Il peignit l'avarice
avec toutes ſes couleurs , & fit
voir le peu de ſûreté qu'il y avoit
pour la Juſtice , qui dépendoit
d'un Homme capable de recevoir
des preſens. Il n'oublia rien des
traits qu'on peut ſouhaiter dans
le Portrait d'un vray Juge. Il dit,
qu'il ne devoit avoir n'y confideration
pour ſes Amis , ny tendreſſe
pourses Parens , que les Juges qui
avoient le moindre défaut , quoy
qu'ils euffent mille autres qualitez
recommandables , reſſembloient à
Achille , qui n'estant vulnerable
qu'au talon , fut attaqué& perit
par cet endroit ; & qu'enfin laJu-
Stice devoit estre comme Lucreſſe,
qui croyoit que la moindre tache
estoit capable de luy faire tort. II
finit par un Eloge des Juges,
en diſant , qu'il n'y avoit point de
plus
GALANT. 217
plus grande qualité ; que Dieu
avoit pris celle de Juge des Nations
, & n'avoit pas dédaigné de
répondre à un Juge Payen. Il eſt
impoſſible d'exprimer les applaudiſſemens
qui furent donnez à
ce Difcours. Il fit connoiſtre la
force & la delicateſſe de l'eſprit
de Monfieur de Monchal ; & voicy
dequoy vous faire connoiſtre
ſa Maiſon.
Elle eſt originaire du Viva
rets. Arthaud de Monchal , qui
vivoit en 1170.eut deux Fils, Hugon
de Monchal Chevalier , qui
continua la poſterité , & le Bienheureux
Humbert de Montchal,
qui de Chartreux fut fait Archeveſque
de Vienne , & mourut en
odeur de Sainteté l'an 1215. En
1359. Jean de Monchal, Chevalier
, qualifié Noble & puiſſant
Seigneur , eſtoit Maiſtre des Re-
Novembre 1682. K
218 MERCURE
queſtes & Bailly de Vivarets. M.
avoit épousé la Niéce des Cardinaux
Bertrand.
Jean de Montchal , Chevalier
de ſaint Jean de Jerufalem,
fut tué au Siege d'Alexandrie
l'an 1366.
En 1372. Humbert de Montchal
, ſecond du nom , eſtoit Archeveſque
de Vienne ; & Barthelemy
de Montchal ſon Frere,
eſtoit Archeveſque de Bourges
en 1381. Je paſſe pluſieurs de cette
Maiſon qui ſe ſont ſignalez
dans la Guerre , pour venir au
fameux Ennemond de Montchal,
Chevalier de Saint Michel , &
Maiſtre d'Hoſtel du Roy Henry
I I. furnommé par les Hiſtoriens
le Capitaine Montchal. Il ſe rendit
ſi celebre par pluſieurs belles
actions qu'il fit en Piemont , dans
les Troupes que commandoit le
Maré
4
GALANT.
219
Maréchal de Briſſac , qu'il fut
choiſi en 1555.pár Jacques de Savoye
Duc de Nemours , pourluy
fervir de Second dans le Combat
fingulier qu'il fit en Piemont
contre leMarquis de Peſcaire, un
des Commandans des Troupes
de l'Empereur. Dans ce Combat
le Capitaine Montchal eut pour
Adverſaire le Comte Caraffe, Neveu
du Pape Paul I V. qu'il tua
d'un coup de Lance , dont il luy
perça le bras , le corps , & le
cloua à la Scelle.
Cet Ennemond de Montchal
fut Pere d'Antoine de Montchal,
auſſi Chevalierdel'un des Ordres
du Roy, &Gentilhomme ordinaire
de ſa Chambre, qui ſuivit com-
- me fon Pere & ſes Anceſtres la
profeſſion des Armes , où il acquit
beaucoup de gloire. Il épouſa
een premieres nôces Anne de
Kij
220 MERCURE
Guillon, & en ſecondes Catherine
de Torveon , Fille de Nery de
Torveon , Lieutenant pour le
Roy auGouvernement de Lionnois
, Forests , & Beaujollois. Il
eut deux Enfans. L'aîné eſtoit
Charles de Monchal , Archevéque
de Toulouſe , qui eſt mort
en 1651. avec la reputation d'un
des plus ſçavans & des plus vertueux
Prelats de l'Europe , apres
avoir prefide pluſieurs fois aux
Etats de Languedoc , & aux Afſemblées
generales du Clergé. Il
a gouverné fon Dioceſe pendant
24. ans,& l'on y reſpecte aujourd'huy
ſa mémoire comme celle
d'un Saint . Le ſecond fut Jean
Pierre de Montchal , Maistre des
Requeſtes , qui eſtoit un parfai.
tement bon Juge , & qui avoit
auſſi bien que Monfieur l'Ar
cheveſque de Thoulouſe ſon
Frere,
GALANT. 221
Frere , un zele ardent pour le fervice
du Roy . Il avoit épousé Elizabeth
Dupré , Fille de Mr Dupré
, Maiſtre des Requeſtes , qui
s'eſt acquis tant de reputation
dans le Confeil , & qui a fi bien
ſervy dans les Intendances de
Poitou , de Bourbonnois , & de
Languedoc. Il n'eſt reſté de ce
Mariage que Charles -Louis de
Montchal , Avocat General de la
Cour des Aydes ; & Jean- Pierre
de Montchal , Conſeiller du Parlement
en la Troifiéme Chambre
des Enquestes.
Meſſieurs de Montchal portent
, de gueulles au chef d'or,
chargé de trois molletes d'eperon
d'azur , & pour tenans deux
Sauvages de carnation , & pour
cimier un Sauuage de meſme, te
nant en ſa main une Lance buzellée
d'argent & de gueulles , avec
Kiij
222 MERCURE
1
une Couronne de Laurier , & ces
mots , je Lay gagnée. Ils portent
cette Deviſe depuis le Combat
du Capitaine Montchal contre
le Comte Caraffe. Leur Maiſon
eſt alliée à celles de Bellecombe,
Latour, Rouffillon, Beauvoir, Al-
Iemand,Chaponnay,Roche,Broé,
Torveon , Alleſſo , Dargouges ,
Rafuës, Clermont- Geiſſans,Murviel,
Foix , & à plufieurs autres
Familles conſidérables par leur
nobleſſe& par leur vertu.
Monfieur le Camus Premier
Preſident de la meſme Cour des
Aydes , dont je vous ay entretenuë
pluſieurs fois, fit paroiſtre le
mefme jour la beauté de ſon Génie
, par un Diſcours qu'il fit fur
l'Amour de la Verité.
Le Lundy 23. dumois, jour deſtiné
pour les Harangues & pour
l'ouverture des Cauſes , parce
que
GALANT. 223
que l'on commence ce jour là à
en appeller , & que l'on continuë
les jours ſuivans à entrer.
Monfieur l'Avocat General Talon
fit un Diſcours plein d'érution
ſur les qualitez de l'Ame
& dit aux Avocats , qu'ils ne
devoient point employer leurs
beaux talens à défendre les mauvaiſes
Causes ; & qu'une de
leurs plus étroites obligations eftoit
d'appliquer tout leur eſprit
à la recherche de la Verité ,
afin d'empeſcher les Parties de
plaider , lors qu'ils eſtoient perfuadez
qu'elles n'avoient pas bon
droit.
Monfieur le Premier Préſident
parla peu , & parla bien. Ce qu'il
dit fut brillant & juſte , & il fit à
fon ordinaire comprendre beaucoup
de choſes en peu de paroles.
Il parla aux Avocats & aux
Kiiij
224
MERCURE
Procureurs , & prit pour ſujet de
ſa Remontrance , qui fut auſſi
vive , que peu étenduë , l'envie
que les Procureurs portent à
leurs Confreres , lors que la fortune
en favoriſe quelques-uns
plus que les autres. Il parla furla
meſme envie des Avocats , qui
regardent toûjours avec jalouſie
ceux de leur profeſſion qui s'élevent
davantage , & qui par merite
ou autrement , acquerent de
plus grands biens. Cet illuſtre
Magiſtrat leur dit , que les plus
foibles d'entre eux, au lieu d'examiner
en quoy 'ceux qui avoient
le plus de fuccés meritoient d'étre
imitez s'appliquoient à
rechercher juſqu'à leurs moindres
défauts, pour les condamner;
& qu'en cela ils reſſembloient à
Momus , qui voyant la Statuë de
Vénus , & n'y découvrant aucun
défaut ,
2 225
GALANT.
défaut, s'aviſa de dire que le Soulier
en eſtoit mal fait , afin de
n'avoüer pas qu'elle fut parfaite.
Il ajoûta que ce n'eſtoit pas de
cette forte d'envie qu'il faloit
avoir,que l'envie de la gloire étoit
la ſeule qui les devoit animer ; &
que par une noble émulation , il
y alloit de leurs avantages d'employer
leurs beaux talens à ſe ſurpaffer
les uns les autres. Aprés
qu'il ſe fut fervy de l'exemple de
Cefar,que la ſeule veuë de la Statuëd'Alexadre,
portoit à ſe ſignaler
conime avoit fait ce grand
Homme.Il finit en diſant aux Procureurs
qu'ils devoient ſacrifier
l'Envie ſur le bel Autel qu'ils
venoient de faire élever. Je ne
fçay , Madame , ſi vous ſçavez
que ce font les Procureurs qui
ont ſoin de la Chapelle de la
Grand' Salle du Palais , & qu'ils
Kv
226 MERCURE
en ont fait conſtruire une neuve
cette année , à laquelle on
peut donner le nom de Magnifique.
Le Diſcours qu'on appelle
Mercuriale , ſe fait ordinairement
le premier Mercredy qui
ſuit le jour des Harangues. Ce
Mercredy sest trouvé remply
cette année par la Feſte de ſainte
Catherine ; & comme cette
Feſte eſt de Palais, & qu'elle empeſche
d'entrer , la Mercuriale a
eſté remiſe au Vendredy. Monſieur
l'Avocat General Talon,
continua ce jour - là le Difcours
qu'il avoit commencé
fur les qualitez de l'Ame
fit connoiſtre que pour eſtre
bon Juge il faut du des- intéreſſement
, & de la pureté d'ame.
&
Je n'ay rien à vous dire de la
Chambre des Comptes , on n'y
fait
GALANT.
227
fait point de Harangues , & l'on
y lit ſeulement les Reglemens au
commencement de chaque Semeſtre.
Apres vous avoir parlé des Juges
qui font lesConſervateurs de
nos Biens , je croy que vous ne
ſerez pas fâchée que je vous par.
le de ceux qui font les Confervateurs
de la Santé . Les grands
Biens ſans la Santé , ne font pas
goûter la vie , & la Santé en fait
joüir agreablement ſans beaucoup
de Bien. Depuis ſix années
que je vous adreſſe mes Lettres
hiſtoriques , il ne s'eſt preſque
point paſſé demois sãs qu'on m'ait
preſſépour employer desMémoires
de certains Sçavans univerſels
qui ont des Secrets pour tous les
maux , & qui n'en gueriffent aucun.
On a raiſon de douter de
leur ſcience , puis que les vrays
Mede
128 MERCURE
Medecins qui ont paſsé toute leur
vie dans l'étude,& dans la prati
que ,n'oſent s'aſſurer de guerit
aucun Malade par des Remedes
ſpecifiques. Ainfi je n'ay jamais
voulu vous rien dire de ces do
tes Ignorans , qui ſans avoir rien
appris , ſe vantent de ſçavoir
tout; ou fi je vous ay parlé de
quelqu'un d'eux , il eſtoit veritablement
Medecin , & meſme je
P'ay fait tres rarement,parce qu'on
eſt peu perfuadé du ſçavoir de
tous les Gens à Secrets. Il n'en
eſt pas de meſme de celuy dont
jay aujourd'huy à vous parler.
C'eſt un Homme ſçavant , & qui
eſt connu pour tel , & par les experiences
qu'on fçait qu'il a faites
,&par les choſes qu'on luy
a entendu dire. Il eſt Medecin,
mais Medecin remply d'érudition.
Aufſi ſur quelquemal qu'on
le
GALANT. 129
le puiſſe conſulter , il en raiſonne
fi juſte , qu'il en fait connoiſtre
la nature , les progrés ,& par où
on le peut guérir , ſupposé qu'il
ne foit pas incurable. Jamais
Homme n'eut une ſi belle memoire.
Il n'y a point de Paſſage qu'il
ne cité ſur le champ ſur la plûpart
des maladies qui arrivent
aux Hommes. On dira que ce
n'est qu'un effet de memoire , &
que les autres peuvent faire la
mefme choſe . Je l'avoie , mais
peu le font , & tous les Malades
font ravis d'entendre d'habiles
Gens raiſonner à fonds fur leurs
maux , & répondre à toutes les
Queſtions qu'on leur fait. La
plupart de ceux qui ſe vantent
d'avoir des Secrets , font igno
rans, & diſent ſeulement que leur
Remede guérit. Ce feroit affez
s'ils diſoient vray. Celuy dont je
vous
230 MERCURE
vous parle eſt de la Ville d'Ar
les. Il a fait pluſieurs Livres de
Medecine . C'eſt un homme âgé,
venerable , & dont la fortune eſt
établie. Celle des Charlatans
l'eſt rarement ; auſſi reſſemblentils
à ces Gens qui promettent
aux autres des millions d'or , &
qui ont ſouvent beſoin d'un Ecu .
Celuy cy n'eſt pas de ce nombre.
H logé en cette Ville dans la Ruë
des deux Ecus, proche l'Hoſtel
de Soiſſons , à la Fleur de Lys
d'or. Il ſe nonne Monfieur Serrier
. On ſçaura de luy toutes les
Perſonnes de qualité qu'il a gueries
de pluſieurs maux. La Liſte
en ſeroit troplongue à mettre icy.
Je vous diray ſeulement que pour
la Nephrétique , & la Pierre
qu'il fait diſſoudre & vuider , il y
en a parmy ſes Cures des exemples
éclatans à la Cour. Quand ſa
ſcience
251
oin, c'eſt
degrands
; maisde
luy ,
opre exble
d'au-
Chanfon.
es parun
Doir , &
maniere
Air eft
L
Lonc plus
fuis au
pendre.
ndu.
'ue celuy
our
230
vous p
les. Il
Mede
venera
établidar de sespoir je
l'eſt raaux
ab
qui or trop atten du maisceivntri
Celuy
H log
des d
*
de Scdome noy- er cest vn
d'or.
Perfo
ries dua je puis me noyer
en fe 99111
Je vor
me nov
la N
qu'il Avaut mi
en a
ple
GALANT. 251
ſcience n'iroit pas plus loin , c'eſt
toûjours dequoy rendre de grands
ſervices aux Hommes ; mais
ceux qui auront beſoin de luy,
connoîtront par leur propre experience
, qu'il eſt capable d'autres
choſes.
Voicy une ſeconde Chanſon.
Les Paroles ont eſté faites par un
Amant reduit au deſeſpoir , &
qui veut mourir d'une maniere
aſſez extraordinaire. L'Air eſt
d'un habile Maiſtre.
V
CHANSON.
Ous ne voulez donc plus
me voir,
L
Ingrate ? C'en est fait , jesuis au
defeſpoir,
Je vay me noyer, ou me pendre.
Ah ! j'ay déja trop attendu.
Mais c'est un triste fort que celuy
d'un Pendu,
7
Pour
232
MERCURE
Pourun Amant , des Amans leplus
tendre.
Il vaut mieux me noyer , c'est un
plus doux deſtin,
Je puis me noyer dans le Vin .
Il y a long- temps que je ne
vous ay parlé de Chaffes . Ce que
je vay vous en dire , vous fera
connoître que l'on ne manque
pas à la Cour de la vigueur qui
eft neceffaire pour cet Exercice.
Le Roy a eſté à Chambord neuf
fois à la Chaſſe au Cerf, & en a
quelquefois pris deux en un jour.
Dans ceux d'intervale , Sa Majeſté
alloit tirer aux Faifans &
aux Perdreaux. On a pris auſſi
neuf Cerfs à Fontainebleau en
neuf fois que l'on a eſté à cette
Chaffe. Monſcigneur le Dauphin
alloit à celle du Loup les
jours qu'on ne couroit point le
Cerf,
GALANT.
233
Cerf, & il n'en eſt jamais revenu
ſans des marques de vittoire .
Un jour que le Roy devoit à l'iffuë
de fon Dîner donner aux Dames
le plaiſir de courre le Cerf
aux environs du Château , avec
une nouvelle Meute de petits
Chiens que Monfieur le Duc de
la Rochefoucaut a fait dreſſer par
Monfieur de la Rochette, ſecond
Lieutenant de la Venerie. Monfeigneur
mena Madame la Dau
phine dans ſon Carroffe à demy
lieuë de là , où il ſçavoit que l'on
trouveroit un Loup. Si- toſt qu'il
fut arrivé , Monfieur le Marquis
d'Eudicourt , Grand Louvetier
de France , attaché par l'ordre
duRoy aux plaiſirs de ce Prince,
plaça ſes Acours ( c'eſt à dire, ſes
leſſes de Levriers ) dans des lieux
propres à donner de la fatisfaction
à Madame la Dauphine,
&
234
MERCURE
& à vingt pas du Carroſſe de certe
Princeſſe. Cela eſtant fait, les
Gentilshommes de cette Equipages
allerent à la ſuite de leur Chef
fouler le Buifſom, où l'on croyoit
que devoit eſtre le Loup. A peine
y fut- on entré , qu'il débucha
dans l'A cour qu'on luy avoit tendu.
Il donna dans le Levriers,
& ſe défendit juſqu'à la Portiere
du Carroſſe de Madame la Dauphine
, où il fut contraint de ceder
à la force. On luy coupa le
pied;& on le donna à cette Princeffe
, qui le preſenta au Roy à
fon retour , ce qui fut trouvé fort
galant.
J'ay àvous parler d'une autre
Chaſſe, où la vigueur & l'adreſſe
du Roy,de Monſeigneurle Dauphin
, & de quelques Princes &
grands Seigneurs de la Cour, ont
fort éclaté. Le Roy ayant eſté
averty
GALAN T.
235
averty par Me de Guevillié,Capitaine
de l'Equipage du Rautret,
qu'il avoit mis pluſieurs Sangliers
dans les Toiles , parmy leſquels il
y en avoit d'extraordinaires , Sa
Majeſté y mena la Reyne,avec les
Dames. Les Toiles étoient tenduës
au Bois de Boiffiere, qui eſt à
deux lieuës de Fontainebleau,ſur
le chemin de Paris. L'Acour,oule
lieu où l'on force d'ordinaire ces
Animaux-là, étoit fort petit. Ainſi
le Carroſſe de la Reyne y entra
ſeul. Les autres voyoient par deffusles
murailles des Toiles. Auffitoſt
que le Roy fut entré dans cet
Acour, les Picqueurs de cetEquipage
allerent fouler le Buiffon,où
l'on tenoit les Sangliers détournez.
Ils fortirent les un aprés les
autres pour donner plus de plaiſir.
On en prit onze, entre leſquels on
en trouva cinq fort grands , &
parmy
236 MERCURE
parmy ces cinq il y en avoit deux
qui estoient dans leur Cartan , &
deux autres dans leur Tyran . Ces
quatre , fur tous les autres, ſe défendirent
long- temps ; & le premier
que Monſeigneur le Dauphin
attaqua , ſauta à ſon Cheval,
&luy porta un coup de défence
qui le mit en peril. C'eſt un Cheval
de tres - grand prix. On l'a laiffé
àFontainebleau jufqu'à ce qu'il
foit guery, s'il le peut être . Le Roy
qui avoit abandonné à ſa Cour le
plaifir de cette Chaffe , n'en vouloit
être que Spectateur. Il étoit à
cheval , en Soulier , & envelopé
dans ſon Manteau ; mais Sa Majeſté
voyant que ces Animaux ſe
défendoient avec une vigueur
extraordinaire , ſe fit donner un
Dard , & fans ôter ſon Manteau
de deſſus ſon viſage , Elle le darda
ſur le plus fier fi adroitement,
qu'Elle
GALAN Τ.
237
qu'Elle luy perça le col d'outre en
outre Le Dard ne put être retiré
qu'aprés la mort de cet Animal.
On n'a jamais vû d'adreſſe pareille.
Le Roy en darda un autre au
travers du corpsd'un ſecond Sanglier
, qui demeura ſur la place.
Comme Sa Majeſté n'ôta point
fon Manteau, Elle devoit avoir &
moins de force,& moins de facilité
à darder. Cependant Elle ne
réüffit pas moins bien ; mais qui
pourroit ſe ſauver des coups de
ce grandMonarque Monſeigneur
leDauphin parut fort intrepide à
fon ordinaire , & tua de ſa main
avec ſon Dard, &avec ſon Epée,
la plus grande partie de ces Animaux.
Meſſieurs les Princes de
Conty , & de la Roche- fur- Yon ,
ſe diftinguerent beaucoup en ce
rencontre . Ils y eurent chacun
deux Chevaux dangereuſement
bleffez.
238 MERCURE
bleſſez . Me le Prince de Commercy,
Fils de M. de Liflebonne,combatit
l'Epée à la main & à pied,
avec une intrepidité qui merite
d'eſtre admirée. Son Epée plia
juſqu'à la garde, en voulant percer
l'un des Sangliers qui alla à luy,&
qu'il évita avec grande adreſſe.Ce
Prince ſe retira de la mêlée pour
aller chercher une autre Epée,&
revint dans le même moment .
iMonfieur le Grand Amiral fit
auſſi des merveilles à cheval. Il y
monte fort ſouvent devant Monſeigneur
leDauphin,& fait eſperer
qu'il ſera un jour un tres-bel
Homme de cheval. Mª du Pleſſis.
qui en a le ſoin , en eſt tres-contant
, & en parle d'une maniere
tres avantageuſe.
Monfieur le Comte de Brione
, qui fait la Charge de Grand
Ecuyer auprés de Monſeigneur le
Dau
4
GALAN T.
239
Dauphin, ſe diſtingua auſſi beaucoup
dans cette Chaſſe.Ileſt plein
de feu & d'adreſſe , & l'on ne
ſçauroit dire trop de choſes à ſon
avantage touchant ſes Exercices.
Les autres Divertiſſemens de
Fontainebleau ont eſté des Cavalcades,
où les Dames ont paru
en Amazones, la Comedie Francoiſe&
Italienne,mêlée de Mufique
, le Bal , & les Media noche.
Rien n'eſtoit plus ſomptueux que
ces Repas, dont toutes les Dames
eſtoient. Les Controlleurs de la :
Maiſon de Sa Majesté ſervoient
fur Table. C'eſt un uſage, quand
la dépenſe des Repas excede le
fonds ordinaire,& qu'ils font ſur
l'Etat de la Maiſon ,
traordinaires .
comme ex-
Tous ces Divertiſſemens ont
êté ſuivis d'un autre,dont laCour
n'aeule plaiſir que quelques jours
avant
240
MERCURE
avant ſon départ de Fontainebleau.
Le Roy paſſant dans l'Antichambrede
Madame de Thiange
pour aller au Billard , apperçeut
un Theatre dont la Toile ſe
leva dés qu'il eut paru. On y repreſenta
une Serenade en forme
d'Opera, mêlée deMuſique Françoiſe,
& de Comedie & de Mufique
Italienne . Diane parut d'a--
bord ſeule dans ſon Jardin , appuyée
contre un Oranger , affligée
du prompt depart du Roy, &
jalouſe de ce qu'il quittoit Fontainebleau
, pour aller à Verſailles
goûter les plaiſirs qu'il y faiſoit
preparer pour ſa Cour. Aprés
qu'elle eut fait entendre ſes plaintes,
les Nymphes,& les Dieux des
Eaux & des Bois de Fontainebleau
, accoururent pour ſçavoir
le ſujet de ſon affliction , & voir
s'ils ne pourroient point y donner
remede.
GALANT.
241
remede. La Déeſſe leur fit connoître
la cauſe de ſa douleur. Les
Divinitez entrerent dans ſes ſen
cimens,& l'affurerent qu'elles partageroient
ſa peine; mais ellesluy
dirent auſſi qu'il valoit mieux y .
chercher du ſoulagement,que de
s'en laiſſer ainſi accabler. Diane
en tomba d'accord; & fes Nymphes,
avec les Dieux Champêtres,
propoſerent d'inventer quelques
divertiſſemens qui puſſent arrêter
le Roy , & offrirent de faire
tout ce qui ſe pourroit imaginer
dans un deſlein, où les ſentimens
qu'elles avoient pour ce grand
Monarque, leur faiſoit prendre le
même intereſt qu'elle y prenoit ;
mais la Déeſſe leur répondit ,
qu'elle ne pouvoit ſe perfuader
-que les Divinitez de ce Païs- là,
qui faisoient leur ordinaire ſejour
dans de ſi ſauvages Lieux,puſſent
3 Novembre 1682 .
L
1
242
MERCURE
20
fournir dequoy faire une Fête qui
pluſt au Roy , dont le goût étoit
fi fin & fi delicat. Elle conſentit
pourtant que l'on en fiſt une
épreuve. En même temps cesDivinitez
commencerent des Concerts
de Voix , & d'Inſtrumens,
pour luy faire voir par cet eſſay,
ce qu'elles pourroient faire par
quelque choſe que l'on euſt premedité.
Ces Concerts étant finis,
Apollon& l'Amour attirez par les
charmes de cette Muſique , vin
rent pour ſçavoir qui la donnoit.
Ils ſe rencontrerent l'un & l'autre
fans ſe reconnoiſtre d'abord , &
aprés quelque converſation avec
Diane , ils entrerent de part dans
les Divertiſſemens que l'on vou.
loit preparer pour ce Monarque,
&propoſerent ſur le champ pluſieurs
ſujets d'Opera;mais ne.jugeant
pas que des Impromptu fuf-
... fent
GALANT .
243
fent capables de fatisfaire le goût
d'un Prince , qui a un difcernement
ſi juſte pour toutes chofes ,
& d'eſtre comparez à ceux qu'il
ordonne luy-même. Apollon propoſa
un Opera du Chevalier du
Soleil ſon Frere, qu'une Muſe,qui
l'avoit compoſé pour Veniſe , luy
avoit donné à examiner. C'eſtoit
laGuerre que ce Frere eut contre
les Geans, qui vouloient s'oppoſer
à ſes Conquêtes,& particulierement
pour l'amour de la Princeſſe
Claridiane, où les Geans ne
doutant point que le Chevalier
n'euſt pour luy tout le Ciel,à cauſe
de ſon Frere le Soleil , eurent
recours à un Fameux Magicien ,
pour attirer toutes les Puiſſances
Infernales dans leur party.
Dans le Prologue qu'Apollon
fit chanter par Diane , par les
Nymphes , & par les Divinitez
21 Lij
244 MERCURE
~
Champestres , un Magicien évoqua
les Furies & les Ombres de
l'Enfer, qui conjurerent avec luy
la perte de l'innemy des Geans.
Les Heures du point du jour les
furprirent. Il ſe fit avec elles une
longue difpute , &le tout enſemble
fit voir le deſſein de l'Opera;
mais la nuit eſtant trop avancée
pour le pouvoir repeter , ils convinrent
tous enſemble aprés cer
eſſay , qu'il n'y avoit rien qui puſt
égaler les Divertiſſemens que le
Roy ordonne , & demeurerent
d'accord qu'ils feroient mieux
d'aller à Verſailles prendre leur
part de ces Feſtes , que d'avoir la
préſomptionde croire que toutes
cellesqu'on luypourroit preparer,
fuſſent capables de le divertir.
Quelques Comediens Italiens
furent melez dans ce Divertiffement,&
ils executerent tres- bien
les L
;
GALANT.
245
les Scenes dont on leur avoitdonné
le ſujet, & la plupart des penfées.
La Muſique Françoiſe avoit
eſté faite par M de la Lande,qui
montre à joüer du Claveffin à
Mademoiselle de Nantes.M'Geneſt,
dont la reputation eſt établie
à bon titre , avoit fait les Vers
François. M Laurenzani eſtoit
Autheur de la Muſique Italienne.
Il n'a plus beſoin de loüanges,puis
qu'il n'y a que les Envieux du
vray merite qui puiſſent ſe declarer
contre luy. Il a fait depuis
peu quatre Motets qui ont extré
mement réüffi . Le Roy en a redemandé
un. Tout ce divertiffement
avoit êté preparéſans qu'on
en ſçeuſt rien. Il s'eſtoit trouvé
preſt en cinq ou fix jours , & des
Gens d'un tres - bon gouft s'en
eſtoient meſlez. Pendant que le
Roy eſtoit à Fontainebleau , ila
Liij
246 MERCURE
fait du bien à quantité de Perſonnes,
mais ce n'eſt que ſon ordinaire.
Sa Majesté a mis en Regimens
pluſieurs Compagnies qu'on
avoit levées,& qui estoient ſeparées
dans des Quartiers. Elle a
nommé pour les commander M
le Marquis de Florenſac , Mr le
Marquis d'Eudicour,Monfieur le
Comte de Talard, & Monfieur le
Marquis de Varennes .
Le Roy ayant à donner l'agrément
de la Charge de Premier
Chirurgien de la Reyne, a crû la
devoir faire remplir par l'un de
-fesChirurgiens de Quartier,parcequ'ils
font tres-habiles , &que
MonfieurDaquin , Premier Medecin
de Sa Majesté, a ſoin qu'il
n'y en ait point d'autres. Monſieur
Gervais a eſté choisi pour
cela , il s'eſt rendu fameux par
quantité d'éclatantes Cures.
La
L
GALANT. 247
La Cour ayant paſſe la Fête de
tous les Saints à Fontainebleau ,
Sa Majesté qui fait plus d'actions
de pieté qu'elle n'en laiſſe voir, fit
ſes devotions,& toucha un grand
nombredeMalades; & l'apreſdînée
Elle entendir le Sermon de
Monfieur l'Abbé Flechier , Aumônier
ordinaire de Madame la
Dauphine. Cet illuſtre Abbé prefcha
ſur l'Evangile du jour , & fit
voirquedequelque qualité qu'on
fuſt ,quelque employ qu'on exerçaſt
,& en quelque lieu que l'on
demeuraſt,on pouvoit également
faire ſon ſalut par tout ,&meſme
àla Cour , puis que plus il y avoit
de difficultez à ſurmonter ,plus il
y avoit de merite ; que les paſſions
nous attaquoient par tout,& que
partout on pouvoit s'étudier à les
vaincre. Comme ce raiſonnement
eſt tres-ſenſible,& que les eſprits
: L
248 MERCURE
les moins penetrans y entrent ſans
peine , rien ne ſçauroit eſtre plus
urile qu'un Sermon de cette nature.
Monfieur l'Abbé Flechier le
finit en s'adreſſant au Roy. Il fit
voir à ce Monarque, que ne pouvant
plus rien ajoûter à la gloire,
dont la Guerre & la Paix l'avoient
couvert , il ne luy reſtoit
qu'àbien travailler à fon falut.On
fçait que ce Prince s'y applique
avec un zele d'autant plus ſincere,
qu'il tâche de le cacher ; mais
il eft difficile que les actions des
Roys ſoient long- temps ignorées .
Ainſi quand Monfieur l'Abbé
Flecher parloit à ce Monarquede
fonger ferieufement à fon falut,il
étoitbien informé qu'il le faifoits
mais en luy parlant ainſi avec la
ſainte hardieſſe que donne la
Chaire de Verité, il faisoit entendre
à tous les Courtisans , qu'ils
devoient
GALAN T. 249
devoient en tout ſuivre l'exemple .
qu'ils recevoient de leur Maître,
& faire des retraites au milieu de
la Cour , afin de penſer au peu de
ftabilité des choſes du monde. Sa
Majeſte dit tout haut au fortir de
ce Sermon, que Monfieur l'Abbé
Flechier avoit fait connoître de
folides veritez . Il faut avoüer ,
Madame , que ſes Predications
ſont bien Chrétiennes. Il prefche
noblement , il ne flate point ,ſes
expreffions font juſtes, & tout ce
qu'il dit eſt du grand gouft,
1 La Cour aprés avoir joüy d'un
beau temps à Fontainebleau , eft
retournée à Verſailles. On a eu
ſoin de le rendre logeable pour
Hyver , & de mettre de doubles
Chafſis dans tout ce vaſte Chateau.
On l'a eu auſſi de rendre la
Ville nette , & de l'éclairer. L'accablement
des Affaires de l'Etat
Lv
250
MERCURE
n'a point empeſché le Roy de
donner ſes ordres pour la commodité
de ſa Cour. Il a fait plus. Il a
pourveu à ſes plaiſirs , & les a reglez
pour chaque jour. On y jouë
trois fois la ſemaine dans le grand
appartement de Sa Majeſté. J'avois
commencé la defeription de
ces brillantes Soirées , & je deſeſperois
d'en bien faire la peinture
, lors qu'il m'eſt tombé entre
les mains des Vers de Monſieur
le Duc de Saint Aignan
ſur ce ſujet.J'en ay eſté tellement
frapé , que je n'ay pas crû que ma
Profe puſt avoir auprés de ces
Vers , d'autre agrément que celuyde
la matiere. Ainſi je refervepour
le mois prochain , la defcription
que j'avois réſolu d'en
donner à ma maniere. Comme
Monfieur de S. Aignan envoya
fesvers àMadame de Maintenon ,
auffi
GALANT. 25Г
f
e
auſſi- toſt qu'il les eut faits, jene
doute point que vous ne ſoyez
bien aiſe de voir la Lettre dont
il les accompagna .
あかちゃん: hshshshshshshsh
A MADAME
LA MARQUISE
DE MAIΝΤΕΝΟΝ.
MADAME,
Quoy que vous soyez fort genereuſe
je ne laiſſe pas d'avoir lieu de
craindre que vous n'approuviezpas
la liberté queje prens aujourd'huy ;
&je n'ay pus moins de ſujet d'apprehender
la delicateſſe de vostre
esprit pour ce que j'oſe vous envoyer.
Ainsi vous voyez, MADAME, que
I ay
252
MERCURE
A
j'ay beſoin de vostre indulgence em
plus d'une maniere...Je n'ay pû me
refoudre à donner au Roy les Vers
que je viens de faire fur ce que je
vis hyer avec admiration. Je ne
crains pourtant pas,Madame, qu'ils
puiffent faire tort à ma gloire, puis
que leur but est celle de SaMajesté..
Ménagez,s'il vous plaît la premiere
en faveur de l'autre ; &foyez
perfuadée que j'en trouveray toujours
beaucoup à vous témoigner en
toutes occafions , que je suis avec
une parfaite estime & un veritable:
respect,
MADAME,
Voſtre tres-humble,& tresobeïſſant
Serviteur,
LE DUC DE SAIGNAN
AParis le 24.Nov. 1682
GALAN T..
253
SUR LA BEAUTE' DES
Apartemens du Roy à Verfailles
, & fur les Divertiſſemens
que Sa Majeſté y donne à toute
fa Cour.
Nous sçavions que LOVIS s'estoit couvert de gloire
Par millegrands Exploits d'éternelle mémoire,
Et quepar ses vertus cet invincible Roy
Eftoit du monde entier & l'amour & l'effroy,
Qu'il fuyoit le repos, qu'il förçoit des Murailles,
Que fur Terre &Sur Mer il gagnoit des
Batailles,
Que rien ne s'oppoſoit à l'effort de fon
Bras,
Que l'Hyver, ny-les Eaux , ne le retardoientpas,
Que pour nostre bonheur ce Monarque
indomptable
Par tant de Véritez faiſoit taire la Fable,
Etque les Demy-Dieux qu'on vantoit antrefois
En

254
MERCURE
En commandant à tout ,auroient reçenfes
Loix
Nous estions convaincus qu'avec tant de
puiſſance
Rien n'estoit impoſſible àſa magnificence;
Mais nous nesçavions pas que ce Prince
charinant
Pust porter ſes deffeins jusqu'à l'Enchantement,
Ny que dans son Palais on vist tant de
merveilles,
Que jamais l'Universn'en a veu de pareilles.
Versailles, dont l'Europe admire la gran
deur,
Etale de LOVIS la pompe , &la ſplen.
deur;
Mille feux allumez qui par tout refléchif
Sent, L
-Par cent rares Objets nous charment nous
raviſſent ;
Mais quoy qui se préſente à nos yeux
éblouis,
On les verroit fans ceffe attache fur
4 LOVIS
Quoy
GALANT. 255
(Quoyqu'en ce bean Palais toutparoiſſe&
tout brille.)
S'il n'avoit pres de Luy Sa Royale Famille,
En qui tout est auguste , &fur qui nous
voyons
Defagloirefupréme éclater les rayons.
Là lesplus belles Voix sçavent mettre en
pratique
Ce que de plus touchant peut offrir la Mufique,
Pendant qu'un doux Concert de divers In-
Strumens
Fait qu'on nepeutpaffer de plus heureux
momens.
Là cent fieres Beautez deſſus l'or & la
3
Voyant tout à leurs pieds , font aux fiens
Soye,
avec joye,
Et malgré leurſageſſe , aupres de ce Vainqueur,
Penſent fairebeaucoup de défendre leur
coeur.
Par la refléxion d'un grand nombre de
glaces,
Qui
296
MERCURE
Qui font voir ces Beautez en diférentes
places,
Le feu des Diamans dontſe pare la Cour,
Au milieu de la nuit ,fait naître un nouveaujour
Tous les yeux font fürpris de tant de belles
choses.
Que d'agreables traits, que de Lys,que de
Rofes!
Mais toûjours par l'éclat , autant que par
leSang,
La FamilleRoyaley tient le premier rang.
On voit un peu plus loin , ſuperbement
parées,
Pour diférens Foüeurs , vingt Tables préparées,
Où laſeule Fortune à toûjours décidé,
Sans qu'on ait lieu de craindre ou la Carte ,,
ou leDé.
Des Survenans fâcheux n'y font point de
tumulte,
Le respect nous y tient à couvert de l'in
Sulte;
Le plus intéreſſé, par un nouveauſecret,
Y regarde faperte avec moins de regreti
Sansmurmure &fans bruit , il pense à la
retraite
6
Et
GALANT. 257
Et le Champ du Combat honorant ſa défaite,
Il laiſſe le Vainqueur doublement fatisfait,
Mais plus charmé du Lieu , que du gain
qu'il afait.
Une magnificence à nulle autre pareille ,
Peut lors charmerle goust, apres l'oeil ,
l'oreilles
Et cent Mersdélicars , par leurprofusion,
Font remarquer de l'ordre en leur confu-
L'Or,l'Argent, &l'Azur, le laſpe,&le
fion's
Porphire,
Fontvoir mille beautez que tout le monde
admire.
6422
1
LàceRoy tout charmant nous montre une
bonté
Qui fait un doux mélange avec Sa Majesté
On obſerve partout, au momentqu'il s'avance
Qu'un timide respect impose le filence,
Et chacun toutefois marque àſon action,
Encor moins de reſpect , que d'admirations
Et
258
MERCURE
Et dit , en conformans ſes ſentimens aux
noftres,
Qu'obéir à LOVIS, c'est commander aux
:
autres.
Puis regardant le Trône àmon Roy def
tiné,
7
De Meubles précieux par tout environné,
Je dis dans le plaifir dont mon ame eft
Saifie,
Nous leverrons afſis fur celuy de l'Asie,
Et je croy Sans flater te Prince que je
fers,
Qu'il ne tiendroit qu'à Luy de régir l'Univers;
Maisil veut fur ce point que l'onfoit plus
modeste,
On peut facilement s'imaginer le reſte.
Toute la Terre alloit luy donner un Tribut,
Maisſe vaincre ſoy- meſme eſt ſon unique
but.
Enfindans cesbeaux Lieux oùsa Courfe
raſſemble,
Onvoit tant de richeſſe, & de beautez enfemble,
Qu'on trouveroit moins rare, &moins délicieux,
Ce
GALANT .
259
:
Ce que la Fable a dit du Palais de fes
Dieux.
Dechanterſes Grandeurs ma Muse n'est
point lafſſe;
Mais comment dire tout dans un petit
espace,
Puis qu'on les croit à peine , & que leur
Souvenir
Surprendra comme nous les Siecles à venir
?
Ces Vers tout heroïques & remplis
de grandes& brillantes penſées , font du
nombre de ces Pieces qui demandent
beaucoup de temps à les faire.Cependant
ce Duc y en a fi peu employé, qu'il ſemble
que ſon zele pour le Roy luy ait di-
Eté cequ'il aécrit. Ilcroîtque ſe ſeront
les derniers qu'on verra de luy;mais dans
l'admiration qu'il a pour ſon Prince,comme
il trouvera toûjours de nouveaux fujetsde
le loüer, il ſeerraa biendifficile qu'ayant
un ſi beau talent, il ne continue à
s'en ſervir pour le plus grand Monarque
duMonde..
Je paſſe àl'Articledes Modes que vos
Belles
260 MERCURE
:
Belles de Province demandent avec tant
d'empreſſement. Voicy ce que j'en ay
apris. L'or & l'argent plaiſt toûjours
aux Dames ; & quand il n'eſt pas travaillé
avec l'Etofe de leurs Habits , elles
en portent des Jupes toutes brodées,
oudans les découpures qui ſont fort à la
mode. Vous ſçavez que ce font des Etofes
d'or ou d'argent , dont l'on découpe
les Fleurs que l'on applique furdes fonds
de couleur. Chacun choiſit celle qu'il
trouve le plus a fon gré.On lizere le contourde
ces Fleurs avec un Cordonet d'or
ou d'argent. On croit que fi l'Hyver eſt
froid, on reprendra les dou blures de Pluche
, plufieurs Femmes de qualité en
ayant déja fait doubler des Robes. On
porte en ſoye beaucoup de Satins forts,
qui font rayez derayez larges d'un pouce.
Ceux d'entre ces Satins qui ont le plus
de cours, & meſme parmy les Dames du
meilleur gouft , font cramoiſy & blanc.
On metdes Franges campanées ſur les
Jupes de ces fortes d'Etofes. On a commencé
l'Automne dernier , à porter des
Jupons piquez à careaux, avec de l'or, de
l'argent ou de la ſoye ,& cette Mode
continue
GALANT. 261
continuë cet Hyver.On en fait beaucoup
de Satin de la Chine. On voit beaucoup
depetits Manchons blancs friſez ..Je pafſe
à ce qui regarde les Hommes. On porte
toûjours des Juſte-au-Corps & des
Culotes , & la taille eſt toûjours de mefme.
Les bouts des Manches ne tombent
plus, mais le renvers eſt relevé fort hant,
&fait une forme de Raquete.Les Habits
font tout unis ,& font ou tout gris brun,
ou tout gris blanc. Les Culotes ſont de
Velours, & les Veſtesd'un petit Velours
à fleurs en forme de Brocard. La plûpart
des fonds de ces Velours font blancs,
avec des fleurs de couleur de feu, de cramoiſy,
ou de muſc. Les revers des Manches
de ces Veſtes font fort beaux. On
porte des Bas mêlez de ſoye , de poil de
Chevre,& des Baudriers du meſme Drap
que l'Habit. Le bord de ces Baudriers
- eſt àjour,& le fond d'une autre couleur
que le Baudrier. Les Noeuds d'épaule font
dedeux fortes de Rubans ; ils font larges
de deux doigts ; l'un eſt uny ,& l'autre
rebrodé. Les Noeuds d'Epée font of &
- argent de meſme couleur que le Noeud
d'épaule. Les Brandebourg font toûjours
de
262 MERCURE
de Camelot de Bruxelles avec des Boutonnieres
brodées, ou du Point d'Eſpagne
Elle ſont doublées de Panne verte , vio
lete , ou de couleur de feu . On porte des
Gands blancs à Frange d'or. Les Juſteau-
Corps bleus ſont toûjours chamarez
de trois ou quatre petits galons étroits &
à fleurs d'or. On ne porte plus que des
Chapeaux noirs.
Ma derniere Lettre ayant eſté veuë
bien plus tard qu'à l'ordinaire , les Noms
de ceux qui ont expliqué les Enigmes,
n'ont encor pû venir des Provinces. Ainſi
je les remets juſqu'à l'autre mois. Cependant
je vous en envoye deux nouvelles
, dont les explications ſeront dans
l'Extraordinaire du 15. de Janvier. La
premiere de ces nouvelles Enigmes eſt de
Monfieur de Corday prés Falaiſe,& l'autre
de Monfieur le P. Pelegrin.
ENIGME.
11..
Ans mon eſtre on ne connoift rien,
Je produis des effets de contraire D
nature.
Ic
GALAN T. 263
Je fais en mesme temps , &le mal , &le
bien ,
Jeflate&donne la torture.
Lefuis cruel , j'ay des appas
Qui charment ,&qui font envie.
Ceux qui cherchent en moy le ſecours de
lavie ,
:
N'y rencontrent que le trépas.
Cependant , ô disgrace extréme!
Le croirez-vous ? Celuy là mesme
Quejefers,&pour qui mon zele estsans
egal ,
Me pend,&pour ſurcroiſt de peine,
Mefait entrer dans la bedaine
De quelque chétif Animal.
AUTRE ENIGME.
JEfuis lafigure du Monde,
Comme le Monde auſſi je n'ay que du dehors.
Qui voudroit fonder dans mon Corps,
Ne rencontreroit rien pour arreſter ſa
Sonde.
D'abord qu'on mefrape , je gronde,
Ie ſuis inconstant &léger ,
le
264 MERCURE
Ie rampe à terre, &vole en l'air,
Et fuis dans mon employ plus agité que
l'onde. 2
Malheureux qui ſur moyse fonde,
Car bien souvent
Ie paye envent.
Je vous entretiendray la premiere
fois du Voyage que Madame
la Dauphine a fait à Paris.
Adieu , Madame. Je ſuis voſtre,
&
७.
AParis ce 30. Νου. 1682-
Qualité de la reconnaissance optique de caractères
Soumis par lechott le