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1682, 08 (Lyon)
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Eur.
511
m
1682.8
Eur. 511
16828...
Mercure
< 36623710770015
S
< 36623710770015
Bayer. Staatsbibliothek
E
1
1
}
MERCURE
GALANT
DEDIE' A MONSEIGNEUR
LE DAUPHIN.
AOUST 1682 .
A LYON ,
Chez THOMAS AMAULRY,
ruë Merciere, au Mercure Galant.
M. DC. LXXXII.
AVEC PRIVILEGE DU ROY.
Bayerische
Staatsbibliothek
ünchen
AVIS.
Voy que dans toute
cette Relation on ait
mis Monſeigneur
le Duc de Bourgogne
, on avertit qu'il faut
dire , Monſeigneur , Duc de
Bourgogne. On avoit déja
imprimé quelques Feüilles du
Mercure quand on l'a ſçeu , &
on a continué le Volume comme
on l'avoit commencé , pour n'y
point parler de deux façons.
a iij
AVIS.
4
Les Particularitez de la
Naifſfance de ce jeune Prince,
les Réjouiſſances qui l'ontfuivie
à Paris, ont fourny tant de matiere
, qu'il a esté impoſſible d'y
mefler aucune nouvelledu Mois.
On n'a pû mesme parler des Feftes
que cette naiſſance a faitfaire
dans les Provinces, à l'exception
de celles qui ont efté faites
en Bourgogne , & à Strasbourg.
Tout cela est reserve pour le Mois
prochain. Le Mercure ne doit
pas estre regardé comme un Liure
qui apprend une Nouvelle
qu'on ne sçait pas , puis que les
Nouvelles ne sont nouvelles
qu'un jour , mais comme un Re-
1A
cueil
AVIS.
cueil de toutes les circonstances
dont ces Nouvelles font accom
pagnées ,&qui font ſcenes fore
fouventdepeu dePerſonnes,quoy
qu'engeneral le gros de l'Article
foit connu. C'est par ce détail,
par le tour qu'on luy donne, qu'on
croit qu'en quelque temps que ce
foit, les matieres que t'on traiterd
feront rreeççeennëëss comme étant no
velles , atinême que ju
fin du monde, Histoireferanouvelle
pour ceux qui n'aurontpas
commencé à la lire, bien que les
Evenement leur en pient connus
avant qu'ils les ayentdous? Mob
On aentendu dans cette Relation
tous les Articles que le Rublic
jusqu'àla
CVLV
j
AVIS.
ignoroit, ou dont ilsçavoit trespeu
de chose ,&en méme temps
on a abregé ceux qui luy estoient
connus , pour ne le pas ennuyer
par d'inutiles repetitions. Si l'on
aparle des derniers, ç'a esté pour
faire un Corps , & donner une
fuite du tout. On mettra ainſi entiers
à l'avenir tous les Memoires
qui n'auront point esté employezdans
d'autres Relation
- Je n'ay point d'autre livres
nouveaux de ce mois icyà vous.
donner que le Napolitain , ou le
défenseur de sa Maistreffe, in
douze, 20. fols.diptanra
Plus la Ducheffe d'Estramene
impreffion de Lyon 12 .
CATA
CATALOGUE
DES PIECES QVI
composent le XV111. Extraordinaire
du Mercure Galant,
Quartier d'Avril 1682.
donné au Publie le 15. luilles
1682.09
ILCONTIENT Visa
Rois Réponſes en Vers
à la Queſtion, Si l'on peut
estimer une perſonne Jans
qu'on l'aime , ou fi au contraire on
peut aimer une perſonne fans qu'on
Pestime. галодол глотг
Trois Réponſes en Vers a
la Queſtion , Lequel est le plus
honteux à une Femme d'accorder
des favdeeuurrssààun Amant qu'ellea
65
aimé , mais qu'elle n'aime plus,
& dont elle n'est plus armée , ou à
un autre qui l'aime ardemment,
qu'elle n'aime point , & qu'elle
n'ajamais aimé.
Trois Réponſes en Vers à la
Queſtion , Si l'on peut dire je
vous estime à une personne d'un
rang plus élevé que l'on n'est.
Trois Réponſes en Vers à la
Queſtion , Quelles raiſons oonn peut
avoir de mépriser da mort , autres
que celles qu'on pourroit prenare
de ta religion
201 Trois Reponſes en Vers fur
l'Origine & Antiquité des Cous
ronnes
Trois Réponſes en Vers à la
Queſtion , Quelle est la raison
qui peut avoir donné lieu à la frequente
faignée: วัง เล ๕ ระทรวงถว
9 Un Traité de la Pourpre remあ
ply d'érudition , de paſſages , &
de
de Vers , avec trois Figures gravées
ſur ce ſujet.
Un Traité du mépris de la
Mort.
Le Lion amoureux , Fable qui
répond à la Queſtion , A quelles
marques un veritable Amant peut
estre connu.
דעס
Pluſieurs Sonnets .
L'Amant conſtant.
Une Rupture.
3
4
25.793
Un Sonnet contre un fort laid
Homme , preſt à épouſer und
Belle.
Un Sonnet contre les Liber
tins.
Un Sonnet ſur le bon Sujet.
Un Sonnet fur la vie heureuſe.
Undifcours en Profe del'Origine
des Couronnes & de leurs
eſpeces.
Deux Réponſes en Vers à la
Queſtion, si l'usage des masques
doit
doit eſtre permis indiferemment à
toute forte de perfonnes .
Un Diſcours en Proſe ſur la
frequente ſaignée.
Une Lettre de MonfieurdeCo.
miers , contenant toutes les Machines
anciennes & modernes,
pour élever leseaux, & les avantages
que la Machine qu'il appelle
Royale , a par deſſus toutes
les autres qu'on a cy- devant
executé , avec une Figure gravée
de cette Machine.
Un tres - grand nombre de
Sonnets &de Madrigaux , fur
les fix Enigmes des trois derniers
mois.
Les Noms de ceux qui ont deviné
celles du dernier mois .
Une Réponſe à la Queſtion
fur l'Origine des Vapeurs , dont
on croit que les Hommes &
les Femmes n'ont eſté incom
modees
modées que depuis quinze ans.
La peinture d'un parfait Amant.
Les Queſtions à décider pour
ledix- neufviéme Extraordinaire.
Sçavoir ,
I. Quel choix doit faire un
Homme , qui ayant le coeur ſenſible
à l'eſprit & à la beauté,
n'eſt point aſſez riche pour vivre
fans chagrin , avec une perſonne
qui ne luy apporteroit aucun
bien.
On luy propoſe trois partis
pour le mariage , une Fille tresriche
, mais tres- laide , & n'ayant
aucun eſprit ; une autre parfaitement
belle , & d'une ſageſſe
reconnuë , d'une humeur douce,
mais ſans bien ; & enfin une
troiſieme , qui par ſon eſprit ſe
fait admirer de tout le monde,
mais qui n'a ny bienny beauté.
こ。
II.
II. On demande ſi le ſentiment
de Phinée , dans l'Opera
de Persée , eſt d'un veritable Amant
, lors qu'il dit qu'il aime
mieux voir Andromede devorée
par un Monſtre , qu'entre les bras
d'un Rival.
III. Il a paru depuis quin
ze jours un Livre nouveau , intitulé
Académie Galante. Il eſt com
posé de pluſieurs Hiftoires, dans
l'une deſquelles un Cavalier foûtient
, que l'Amour eſtant un tribut
qui eſt dû à la Beauté , celuy
qu'on a pour une jolie Femme,
ne doit point empeſcher qu'on
en prenne pour toutes les belles
Perſonnes que l'on rencontre.Un
autre prétend que quand on ai
me une Femme , l'amour que l'on
a pour elle doit enlaidir tout le
reſte du beau Sexe , à l'égard 1
de celuy qui aime. On demande
de quelle opinion eſt à preferer.
IV. On demande le Portrait
d'un Homme qui vit parfaitement
heureux.
Droit.
-11
V. Quelle est l'Origine du
VI. Quelles font les qualitez
neceſſaires pour la converſation.
VII. On voudroit ſçavoir
quel eſt l'Autheur des Lunettes,
quel progrez elles ont eu,& quelles
enonteſté les diférentes ma
nieres .
10
I stil & seanch ob sa
Avis pourplacerles Figures
L
E Feu ſoûtenu par des Pila-
Ares doit regardes lapa-
L'autre Feu doit regarder la
Page 107
1
T
1
:
EXTRAIT DV PRIVILEGE
du Roy.
i
Ar Grace & Privilege du Roy, donné à
1677. Signé Par le Roy en ſon Conſcil , Jun-
QUIERES. Il eſtpermis à J. D. Ecuyer , Sicur de
Vizé, de faire imprimer par Mois un Livre intitulé
MERCURE GALANT , preſenté à
Monseigneur LE DAUPHIN , & tout ce qui
concerne ledit Mercure , pendant le temps &
eſpacede fix années , à compter du jour que
chacundeſd. Volumes ſera achevé d'imprimer
pour lapremiere fois : Comme auffi defenfes
Lont faites à tous Libraires , Imprimeurs , Gra
veurs&autres , d'imprimer , graver & debiter
leditLivre ſans le conſentement de l'Expoſant,
ny d'en extraire aucune Piece ,ny Planches
fervant à l'ornement dudit livre , meſme d'en
vendre ſeparément , & de donner à lire ledit
Livre, le tour àpeine de fix mille livres d'amende
,&confiſcation des Exemplaires contrefaits
, ainſi que plus au long il eſt porté auditPrivilege.
Regiſtré ſur le Livre de la Communauté le
s.Janvier 1678.
Signé E. COUTEROT , Syndic
Et ledit Sieur D. Ecuyer , Sicur de Vizé a
cedé & tranſporté ſon droit de Privilege à
Thomas Amaulry Libraire de Lyon , pour
en joüir ſuivant l'accord fait entr'eux.
Asbevé d'imprimer pour la premierefois le
31. Aonft 1682 .
MERCURE
GALAN T.
AOUST 1682 .
Uor que depuis
quatre ou cinq an-
H
nées j'aye commencé
toutes mes
Lettres par quelqu'une
des plus éclatantes Actions
du Roy , j'interrompray aujourd'huy
cet ordre , pour venir
d'abord à ce qui regarde l'heureuſe
Naiſſance de Monſeigneur
le Duc de Bourgogne , Si ce
Aoust 1682 .
A
2 MERCURE
n'eſt point vous parler de ceMonarque
, ce ſera du moins vous
entretenir de quelque choſe, qui
vous donnera autant de ſujet
de l'admirer , que tout ce que
je vous en ay dit en pluſieurs occafions.
Le Ciel l'a choiſy pour
le combler de tous les bonheurs
qui puiſſent élever un Souverain
au plus haut degré de felicité &
de gloire ; mais il n'a fait ce
grand choix que parce qu'il a
connu qu'il s'en rendoit digne
de luy- meſme , en ſe ſervant le
plus noblement qu'on ait jamais
fait de la liberté qu'ont tous les
Hommes de ſe porter au bien ou
au mal. En effet, on peut dire que
le Roy feroit violence à ſon panchant
, s'il démentoit en aucune
choſe ce caractere de justice , &
de grandeur qu'il fait éclaterdans
toutes ſes Actions. Il l'a toûjours
pris
GALANT.
3
1
pris pour regle de ſa conduite,
& c'eſt par cette raiſon que
Dieu ſe plaiſt à verſer ſur luy ſes
plus pretieuſes graces. Quoy qu'il
les reçoive de ſa main toute-puifſante
, il ne laiſſe pas de ſe les devoir
en quelque forte à luy même
, puis que ſon merite fert à les
luy attirer , & que ce merite eſt
fon propre ouvrage. Doit- on s'étonner
apres cela, ſi toute la Fran
ce informée de la groſſeſſe de
Madame la Dauphine , & voyant
le Roy le plus accomply de tous
les Hommes , demandoit au Ciel
avec des voeux ſi remplis d'ardeur
, un ſecond Prince du Sang
de cette auguſte Monarque ? Les
Peuples ſe regardoient eux - mêmes
en formant ces voeux. Ils regardoient
le bonheur & la gloire
de la Patrie, qui recevant un nouveléclat
par cette naiſſance, ſera
A ij
4 MERCURE
ſera d'autant plus redoutable à
nos Ennemis , que les grandes &
veritables leçons du difficile Art
de bien Regner , feront impref
ſion ſur plus dedignes Sujets, ſous
la plus heureuſe domination qui
ait eſté veuë depuis le commencement
de la Monarchie. Voila ,
Madame , ce qui a causé la joye
que tous les François viennent
de faire paroiſtre ; & comme les
circonſtances de toutes les choſes
qui touchent le Roy , les rendent
encor plus remarquables , auffibienque
lesmanierestoutes charmantes
dont ce Prince accompagne
tout ce qu'il dit & tout ce
qu'il fait , s'il eſt impoſſible de
trouver des termes qui répondent
dignement à la beauté & à la
grandeur de la Matiere, il faut du
moins eftre bien inſtruit de tout
ce que l'on prétend raconter.
C'eſt
GALANT.
-5
C'eſt à quoy j'ay travaillé avec
tout le ſoin poſſible; mais en vous
rendant compte des paroles qui
ſe ſont dites, je ne vous aſſure pas
de vous rapporter par tout les mêmes
dont on s'eſt ſervy. Je vous
promets ſeulement que quoy que
les termes ſoient diferens, ce ſera
toûjours la même choſe à l'égard
dela pensée. C'eſt tout ce qu'il
eſt poſſible de faire en deſemblables
occaſions , où le tumulte , &
laconfufiode laCour,empéchent
ceux-meſmes qui la compoſent,
devoir&d'entendre cequi s'y fait
&ce qui s'y dit. Mais quand on
ſçauroit parfaitement juſques au
moindredétail, il eſt difficile que
de certaines Feſtes animées par
des mouvemens exterieurs , paroiſſent
ſur le papier ce qu'elles
ont eſté en effet. Quand je diray
qu'on a faitdes Feux & des Illu
A iij
6 MERCURE
minations , & qu'on a vuidé un
grand nombre de Tonneaux,
comme ces chofes fe font par ordre
, on ne pourra découvrir , fi
les témoignages du dehors ont
eſté l'effet du pur mouvement
del'ame. Il y a un certain air de
faire ſon devoir dans la joye , qui
fait connoître qu'on la reſſent
veritablement ; & quiconque ne
-lemarque pas par un je-ne- ſçay
quel épanchement qu'il eſt plus
aisé de ſe figurer que de le décrire
,ne doit pas eſtre mis au
nombre de ceux qui ſe ſont réjoüis
, bien qu'il ſe ſoit acquité
des réjoüiſſances ordõnées.Comme
dans celles que l'on vient de
faire , les François ont marqué
une veritable joye , je me trouve
d'autant plus embaraſfé , que
pour la faire connoiſtre dans tout
ſon excés , il faut , s'il fe peur,
que
GALANT.
7
i
que le recit donne de l'action à
ce qui s'eſt fait. Il faut un portrait
animé , une peinture vive
& parlante des ames comme des
Feſtes , des tranſports qui ont accompagné
les paroles comme des
paroles meſmes. Il faut que le
papier faſſe lire juſqu'au fond
des coeurs , qu'on ſe figure non
ſeulement le Spectacle comme ſi
l'on y estoit preſent , mais tout
ce que reffentent ceux qui le
font; qu'on ſe mette fortement
devant les yeux l'ardente maniere
dont ils agiſſent , & qu'enfin
on ait l'imagination tellement
remplie de ce qu'on lit , qu'on
croye moins lire que voir. Comme
j'ay à vous marquer les plus
grands emportemens de joye
dont on ait jamais entendu parler,
j'ay beſoin des plus vives couleurs
pour vous les peindre. Si je
A iiij
8 MERCURE
ス
n'en trouve pas d'afſez fortes, repreſentez-
vous ce qu'un grand
bonheur tres- ardemment ſouhaité
eſt capable de produire , avec
aſſurance que tout ce que vous
pourrez vous repreſenter ne ſçauroit
aller fi loin , que l'allegreſſe
publique vient d'eſtre pouffée.
Le Mardy quatrième de ce
Mois, apres que Madame la Dauphine
eut ſoupé , elle commença
à ſentir quelques douleurs dans
les reins. Elle le dit à la Reyne,
& la pria de n'en point parler.
Cette Princeſſe eſtant toûjours
du caractere que je vous ay dépeint
dans la Relation de ſonMariage,
avoit trop de fermeté pour
vouloir , fur de legeres douleurs
mettre tout le monde dans cette
eſpece de trouble qu'elle ſçavoit
bien que devoit cauſer la.
premiere connoiſſance que l'on
auroit
GALAN T. 9
auroit de ſon mal. Il eſtoit tard,
&elle aimoit mieux ſoufrir un
peu fans ſe plaindre , que d'expoſer
toute la Cour à paſſer la nuit
fans aucun repos. Cependant ce
mal ayant redoublé à une heure
apres minuit , le bruit en fut répandu
quelque temps apres.Monſeigneurdemeura
toûjours auprés
de Madame la Dauphine , & ne
voulut point fortir de ſa Chama
bre de toute la nuit. Tout Verſailles
apprit ce qui ſe paſſoit. Jugez
de l'agiration qui parut alors
dans une auffi grande Cour que
celle de France. Tout y fut en
mouvement. Les Princes , & les
Princeſſes du Sang qui n'étoient
point encor couchez ſe rendirent
auffi- toft chez Madame la Dauphine.
Les autres ayant eſté éveillez,
y vinrent un peu apres. Des
Courriers partirent en diligence
A
A
1.0 MERCURE
pour avertir ceux qui estoient à
Paris. On envoya des Relais ſur..
le chemin. Il fut éclairé comme
ſi le jour euft déja paru , par la
quantité de Flambeaux que fai-:
foient porter ceux qui alloient &
venoient,& toute la Cour réveillée
à ce grand bruit , accourut
dans lesAntichambres de l'Apartement
de Madame la Dauphine
,& dans la Galerie par où l'on
paſſe pour y aller. Comme il n'y
avoit aucune apparence qu'elle
duft accoucher ſi-toſt , on ne
voulut point aller éveiller le Roy.
Enfin ſur les cing.heures dumatin,
on jugea à propos de luy apprendre
l'état où étoit cette Princeffe.
11 ſe leva auſſi-toſt , & au
lieu d'aller chez elle & de paroî
tre alarmé, il uſa de la prudence,
&de la moderation qui luy font
ordinaires. Il crut que dans une
journée
GALANT. II
journée où les Prieres étoient neceſſaires
pour attirer le ſecours du
Ciel , la premiere choſe qu'il devoit
faire, étoit d'entédre la Meffe.
Il la fit dire , & environ à fix heures
du matin il alla voir en quel
état les choſes étoient. La Cour
groffifloit à tous momens. Les
moins diligens ſe rendoient de
toutes parts aux environs de l'Apartement
de Madame la Dauphine
, & l'on voyoit ſans ceffe
arriver ceux à qui des Courriers
avoient eſté dépeſchez . On euſt
dit que toute la Cour , tout Verfailles,&
toute la Nobleſſe de Frace
, environnoit l'Apartement de
la Princeſſe malade. On n'en pouvoit
approcher, tandis que le reſte
du Château paroiſſoit defert.
Il y eut , & le meſme empreſſement
, & la meſme foule juſqu'à
neuf heures , que le Roy voyant
que
12 MERCURE
que les douleurs de Madame la
Dauphine eſtoient fort diminuées
, fortit de chez cette Princeſſe
pour aller au Conſeil. La
plupart des Princes & des Princefles
qui avoient veillé toute
la nuit , allerent prendre quelques
heures de répos. Madame
de Carignan eſtoit de ce
nombre , ſon âge n'ayant point
eſté une raiſon affez forte pour
la diſpenſer de cette fatigue.
Cependant il arrivoit toûjours
du monde nouveau ; & quoy
qu'un nombre infiny de Perſonnes
de toutes ſortes de qualitez
fe fufſent retirées , l'affluence
paroiſſoit toûjours égale , &
je croy meſme pouvoir affurer
qu'elle estoit plus grande , &
qu'elle augmentoit toujours.
La Reyne pafſa toute cette matinée,
ou en prieres , ou aupres ,
de
GALANT.
13
i
de Madame la Dauphine. Le
Conſeil ne fut pas plutoſt finy,
que le Roy revint chez cette
Princeſſe . Il la trouva dans un
aſſez bon état , & y demeura
quelque temps. Il la fit manger ,
&fortit en ſuite avec la Reyne,
chez laquelle il vint dîner , accompagné
de toute la Maiſon
Royale. Ce Prince ayant ſçeu
ſur la fin de ſon Dîné que Madame
la Dauphine eſtoit en repos,
jugeaque ſa préſence ne luy
eſtoit point encor neceſſaire.
Ainſi apres avoir remené la
Reyne juſqu'en ſon Apartement,
il alla travailler comme de coûtume.
Vous ſçavez , Madame,
que tous les jours au ſortir de
table ce Monarque ſe renferme
dans ſon Cabinet , & qu'il
s'y applique juſques au ſoir à
ce qui regarde le biende l'Etat,
pendant
14
MERCURE
pendant que toute la Cour n'a
point d'autre ſoin que de choiſir
les plaiſirs qu'elle prendra les
apreſdînées. ?
Outre les Courriers dépeſchez
aux Princes , on avoit envoyé
en divers endroits , à
Paris& à Verſailles , pour ordonner
des Prieres. Des ſommes
conſidérables furent délivrées
en meſme temps pour des Amônes.
Le Roy en fait beaucoup
d'inconnuës. Quantité de Malheureux
s'apperçurent dans cette.
rencontre du redoublement de
ſes liberalitez. Sur la fin de l'apreſdînée
, Madame la Dauphine
ſentit des douleurs tres- violentes.
Le Roy n'en eut pas eſté
pluſtoſt averty, qu'il vint aupres
de cette Princeſſe. La plus grande
partie des Ambaſſadeurs, des Envoyez
, & des Réſidens des Princes
$
GALANT . IS
ces Etrangers , ayant appris ce
qui ſe paſſoit, ſe rendirent à Verſailles,
afin de ſçavoir la nouvelle
de l'accouchement dans le mâme
inſtant qu'on la publieroit ,
& d'en faire part ſur l'heure à
leurs Maîtres. Le chemin fut de
plus en plus couvert de ceux qui
alloient de Paris à Verfailles , ou
qui revenoient de Verſailles à
Paris. Ce n'eſtoient que Courtiers
& Carroſſes en relais. La
meſme choſe s'eſt remarquée ſur
ce chemin pluſieurs jours apres la
naiſſance de Monſeigneur le Duc
de Bourgogne , tout ce qu'il y a
de Perſonnes d'une qualité diſtinguée
dans le Royaume en ayant
eſté témoigner leur joye à Leurs
Majeſtez . Celles qui arriverent
le Mecredy au foir , n'avoient
pas encor ſujet d'en faire paroiſtre.
L'abatement & la conſternation
16 MERCURE
ſternation avoient commencé à
prendre la place de la joye que
l'on avoit reſſentie à la premiere
nouvelle que Madame la Dauphine
eſtoit en travail. On l'avoit
d'abord laiſſée échaper, parce
qu'il y avoit longtemps que
l'on attendoit l'heureux moment
où cette Princeſſe accoucheroit,
&qu'on le croyoit tout proche ;
mais les choſes changerent bien,
lors que la longueur du travail
eut fait enviſager le peril. Les
foins & les prieres de la Reyne
redoublerent. La pieté de cette
vertueuſe Princeſſe eſt connue,
& il n'y a perſonne qui ne ſçache
combien elle a toûjours fait pa
roître d'amour aux Princes &
&aux Princeſſes ſes Enfans. Le
Roy tâchoit cependant à donnerde
la conſolation à Madame
la Dauphine. Il ſe ſervoit pour
cela
E
GALAN T.
17
celade cet air tout engageant , &
de ces manieres qui enchantent ,
lors qu'il deſcend de la majesté à
laquelle les Roys ſont aſſujetis,
& qu'ils ne peuvent preſque jamais
ſe diſpenſer de garder. La
Reyne & les Princeſſes du Sang
agiſſoient ſans ceſſe pour rendre
à Madame la Dauphine toutes
les fortes de ſervices que
les Femmes peuvent rendre dans
une occaſion de cette nature.
Le Roy , & Monſeigneur le
Dauphin , n'oublierent rien de
leur côté , & foûtinrent Madame
la Dauphine , qui eut beſoin
de ſe promener dans ſa
Chambre. Comme ſes douleurs
ne ceſſerent point, ils y pafferent
la nuit , ſans que l'un ny l'autre.
vouluſt ſe def- habiller. Pendant
cette ſoirée du Mercredy , la
nuit du Mercredy au Jeudy ,& la
journée
18 MERCURE
journée du Jeudy juſques àl'heure
de l'accouchement de Mada-..
me la Dauphine , il n'y a rien de
ſi tendre que ce qui ſe paſſa entre
le Roy & cette Princeſſe. La
douleur donne de la grace aux
choſes qu'on dit , & fournit des
expreffions vives & naturelles:
Jugez de ce que ſe peuvent dire
des Perſonnes qui ont de l'eſprit
infiniment , & qui fe parlent en
ces temps- là. Pendant que Madame
la Dauphine ſoufroit le
plus , elle dit au Roy , Qu'il estoit
fâcheux d'avoir connu un si bom
Prince,& d'avoir eu un si bon Pere
&un fi bon Mary , pour les quiter
fi toffi. LeRoy , qui de ſon coſté
renchériſſoit fur ces marques de
tendreſſe , luy dit , Qu'il feroit
content qu'elle cuft une Fille , pourveu
qu'elle fouffrist moins , & qu'ellefust
plutost délivrée. Cette Princeffe
GALANT .
19
ceffe dit à Sa Majesté dans un
autre temps , Que fon embarras ne
venoit ny de ſes douleurs , ny de la
crainte de la mort ; qu'elle oubliroit
volontiers fes peines , &
qu'elle estoit preste de mourir, pourveu
qu'en mourant elle laißaft un
Prince qui obligeât le Roy &Mon-
Seigneur le Dauphin àſe ſouvenir
d'elle. Elle dit encor dans ſes
douleurs les plus violentes , Que
ce qui cauſoitsa plus grande peine,
c'eſtoit d'en donner au Roy , & de
voirque la bonté qu'il avoit pour
elle le faisoit ſoufrir luy- mesme , en
lefaisant compâttr trop fortement
àfon mat. Quoy qu'elle ait ſouffert
long- temps , elle a conſervé
le meſme caractere de grandeur
, & fon eſprit a paru toûjours
égal.
:
Le Jeudy matin , le Roy alla
à la Meſſe , & quoy qu'il euft
veillé,
20 MERCURE
"
veillé , il ne laiſſa pas de tenir
Confeil à fon ordinaire . Ainſi ce
Prince a partagé deux jours , &
preſque deux nuits , entre ſes
prieres, les ſoins de l'Etat , & fa
tendreſſe pour Madame la Dauphine.
Je vous ay déja fait remarquer
en pluſieurs occaſions , qu'il
n'yany voyages , ny réjoüiſſances
,qui l'ayent jamais empeſché
de tenir Conſeil. Sa Majeſté
apres avoir remply le devoir d'un
veritable Monarque , retourna
chez Madame la Dauphine,pour
remplir celuy d'un tendre Pere.
On agita ſi l'on ſaigneroit cette
Princefle . Les Medecins furét de
ceſentiment. On le ſuivit, parce
qu'ils en donnerent de bonnes
raiſons , & que c'eſt preſque
un uſage general en de pareilles
occaſions , à moins qu'il n'y ait
des circonstances particulieres
qui
GALANT . 21
qui empéchent qu'on ne faigne la
Malade. Comme le temps de l'accouchement
de Madame la Dauphine
approchoit , ſes douleurs
redoublerent , & l'inquietude de
toute la Cour redoubla auffi. La
triſteſſe augmentoit à tous momens
,& la conſternation devint
enfin generale. Madame donna
des marques extraordinaires de
tendreſſe pour la Princeſſe qu'elle
voyoit tant foufrir ,& ſes foufrances
luy arracherent des larmes.
La Reyne & les Princeſſes
du Sang n'oublierent rien pour
la foulager,& s'abaifferent àtoutes
les fonctions par leſquelles
elles crûrentluy pouvoir rendre
ſervice , & adoucir ſes douleurs.
Mademoiselle d'Orleans agiffoit
avec cet air vif qui luy eſt ſi naturel.
Elle n'avoit preſque point
quité Madame la Dauphine depuis
22 MERCURE
puis les premieres atteintes de
fon mal. Madame de Boüillon ,
qui comme Femme du Grand
Chambellan, étoit dans la Chambre
de cette Princeſſe , la ſervit
tres- utilement , & tres - à- propos,
& Madame la Dauphine luy
donna des marques de la fatisfaction
qu'elle en reçeut. Quoy
que la Chambre fuſt remplie des
Princes & des Princeſſes du
Sang , & d'un affez grand nombre
d'autres Perſonnes dont la
prefence y eſtoit neceſſaire pour
le ſervice , le Roy jugeant que
le moment de l'accouchement
eſtoit proche , & ſe ſervant de
cette prefence d'eſprit qui ne l'abandonne
jamais , reconnut d'un
coup d'oeil , malgré le nombre de
tantde Perſonnes preſsées dans
la Chambre , que Monfieur le
Prince de Conty n'y eſtoit pas.
Il
GALAN Τ. 23
Il ordonna auſſitoſt qu'on l'allaſt
chercher.
Nous approchons du moment
que l'on ſouhaitoit depuis tant
d'heures ; & l'ordre que Sa Majeſté
venoit de donner , faiſoit
voir que ce Monarque l'avoit deviné.
Il eſtoit vray. Ce Prince ne
tire jamais de conjectures faufſes
ſur tout ce qu'il voic. L'air du
viſage de ceux qui avoient plus
de lumieres que luy en ces fortes
de choſes , & les frequentes &
vives douleurs de Madame la
Dauphine luy avoient fait penſer
juſte , ce qui arriva peu de
temps apres. La Chambre estoit
alors' remplie de Leurs Majeſtez
de Monſeigneur leDauphin , de
Monfieur ,de Madame , de Mademoiselle
d'Orleans, & des Prin .
ces&Princeſſes du Sang qu'on
avoit mandez à cet accouche
ment,
24 MERCURE
ment , ſuivant le droit que leur
naiſiance leur donne d'y eſtre
preſens. Il y avoit encor pluſieurs
Dames de la premiere qualité , à
qui leurs Charges acquierent le
privilege d'y demeurer , & dont
le ſervice eſtoit neceſſaire à la
Princeſſe. Quoy qu'on fuſt ſans
mouvement , chacun faiſoit voir
une impatiente attente de ce qui
arriveroit. Un murmure bas &
inquiet eſtoit entendu dans toute
la Chambre. Une triſteſſe mélée
de joye y regnoit. Une attention
curieuſe s'y faiſoit diſtinguer.
On la remarquoit par l'attitude
des Perſonnes , auſſi-bien
que dans leurs yeux , & fur tout
leur viſage . Cependant les preffantes
douleurs de l'accouchement
redoublerent à Madame la
Dauphine. On craint , on a l'efprit
en deſordre. Le St Clement
qui
GALAN Τ.
25
quidevoit accoucher cette Princeſſe
, avoit beaucoup plus de
lieu de ſe troubler que les autres.
Il devoit craindre pour elle &
& pour luy. La prefence de Sa
Majesté le devoit intimider , &
la crainte de mal faire pouvoit
l'empeſcher de réüffir. Aucune
de ces choſes ne luy fit imprefſion
. Il oublia , & le lieu où il
eſtoit , & le rang de la Perſonne
qui attendoit ſon ſecours ; & en
s'acquitant de ce qui le regardoit,
il ſe poſſeda ſi bien , que le
Roy a dit depuis qu'il avoit remarqué
qu'il eſtoit ſage. Chacun
eſtant attentif , comme je viens
de vous le marquer , Madame
la Dauphine accoucha à dix
heures , & un quart cinq à fix
minutes. Le Roy qui eſt prévoyant
& judicieux en toutes
choſes , avoit craint que Mada-
Aoust 1682 . B
26 MERCURE
me la Dauphine accouchantd'un
Prince , l'excés de ſa joye ne fuſt
dangereux pour elle , ſi elle l'apprenoit
dans le meſme inſtant.
Ainſi Sa Majesté eſtoit convenuë
avec le Sieur Clement , de
quelques paroles par leſquelles il
luy feroit entendre d'abord de
quel Enfant cette Princeſſe ſeroit
accouchée. Le Sieur Clement
les prononça , mais le ton
de ſa voix & ſes yeux en dirent
trop. Monfieur comprit le miſtere.
Il dit à demy ce qu'il avoitdécouvert
, & n'acheva point. Sa
Majeſté annonça auffitoft cette
nouvelle , & nomma le Prince,
Duc de Bourgogne. La joye de
Madame éclata par l'oppoſition
de ce qui avoit marqué ſa triſteſſe
.
Tous ce qui ſe paſſa alors dans
la Chambre où ce Prince venoit
de
GALANT.
27
de naiſtre , ne ſçauroit eſtre décrit
,& il feroit impoffible d'en
exprimer tous les mouvemens.
Ceux meſmes qui y eſtoient ignorent
ce qu'ils ont fait ,& ca
qu'ils ont dit , & l'on peut connoître
par là qu'ils ne peuvent
rapporter fidellement ce qu'ont
faitles autres. Ce qui ſuivit eſt
encor plus ſurprenant. Il paſſe
tout ce qu'on s'en peut imaginer,
& l'on ne pourroit en faire une
peinture qui approchaſt de ce
qu'on a vû , quand il feroit poffible
de parler de cent choſes à la
fois. On entr'ouvrit deux Portes
dans le meſme temps pour annoncer
la grande nouvelle , qui n'é
toit encor ſçeuë que de ceux qui
eſtoient dans la Chambre de
Madame la Dauphine. Le Roy
en ouvrit une , & dit aux Princeffes,
aux Ducheſſes , & aux au-
Bij
28 MERCURE
tres Dames du premier rang,
C'est un Prince. La Dame d'Honneur
apprit la meſme choſe aux
Hommes qui estoient dans une
autre Antichambre. L'éclat qui
ſe fit alors eſt inoüy , & le mouvement
preſque incroyable. Ce
fut un flux & un reflux , & un
agreable defordre de joye qui n'a
jamais eu d'exemple. Chacun
agiſſoit par le meſme principe ;
chacun reſſentoit les meſmes
tranſports , chacun avoit le même
but , & cependant chacun
agiſſoit diféremment. Les uns tâchoient
de percer la foule , pour
aller publier par tout l'heureuſe
nouvelle qu'ils venoient d'apprendre
; & les autres , ſans bien
ſçavoir où ils alloient, ny ce qu'ils
faifoient , tant ils eftoient tranfportez
, forcerent la Porte de la
1
Chambre de Madame la Dauphine,
GALANT. 29
phine , ou pour mieux dire , leur
joye la força , car quelque violence
qu'on puſt employer , il
fembloit que cela ſe fift avec circonfpection
, & fans perdre le
reſpect . Chacun embraſſoit ceux
qui estoient les plus proches, ſans
diſtinction de qualité. On ne
voyoit que larmes de joye , &
ceux qui ſe haïfſſoient, oublioient
leurs démeſlez pour ſe réjoüir enſemble
de la naiſſance du Prince.
Pluſieurs Valets ſe trouverent
, ſans ſçavoir où ils eſtoient,
ny comment ils y avoient eſté
portez, dans l'Antichambre avec
les Princes , & les Dames de la
premiere qualité. Le Roy défendit
qu'on chaſſat perſonne , &dit
qu'ils n'avoient pas esté maistres
de leurs joye. On redit cent fois
les meſmes choſes aux meſmes
Perſonnes , le tranſport où l'on
Bij
30
MERCURE
eſtoit faiſant croire que c'eſtoit
toûjours à de nouveaux venus
qu'on parloit. Rien n'égala le zele&
l'activité de Monfieur d'Ormoy.
Il traverſa pluſieurs fois les
Antichambres , deſcendit les Efcaliers
& les remonta , publiant
toûjours qu'on avoit un Prince,
& il s'enroüa tellement , qu'il demeura
longtemps apres cela ſans
qu'on puſt l'entendre parler. Les
Valets qui occupoient les Eſcaliers
ayant appris cette importante
nouvelle , s'écrierent , ſans
l'avoir premedité , & comme ſi le
Ciel les euſt inſpirez , Victoire,
Victoire. Ces cris augmentant ſe
répandirent plus loin ,& ce mot
reïteré parut d'un heureux preſage.
Quoy que toutes ces choſes
demandent du temps pour les
décrire , elles ſe paſſerent pourtant
dans le meſme inſtant ; & ce
qu'on
GALAN T.
31
t
5 .
-
qu'on doit trouver incroyable,
c'eſt que ſi tôtqu'on eut prononcé
le nom du Prince dans la Chambre
de Madame la Dauphine , il
ſembla que l'air euſt porté la
nouvelle de ſa naiſſance dans les
endroits les plus reculez du Château,
& aux deux bouts de Verſailles.
Il n'y avoit qu'un moment
que cette Princeſſe eſtoit délivrée
, & déja les Feux eſtoient
allumez de toutes parts . Ils furent
comme un ſignal pour les Miffionnaires
tirez dela Paroiſſe de
Verſailles , & établis par le Roy
dans le Château. Ces Miffionnaires
ſe rendirent auſſi - toſt dans
la Chapelle , & ils y chanterent
le Te Deum. Voila le fruit de l'établiſſement
dont je vous ay parlé
. Autrefois Dieu n'eſtoit point
remercié à la Cour, par la voix de
ſes Miniſtres , des graces qu'il y
Biiij
32 MERCURE
répandoit. Il l'eſt aujourd'huy
par les ſoins de la pieté du Roy ,
& il eſt meſme avant qu'on ſe
mette en devoir de luy rendre
graces en aucun autre lieu .
Je reviens à la Chambre de
Madame la Dauphine. Monſeigneur
le Duc de Bourgogne y fut
ondoyé par Monfieur le Cardinal
de Boüillon , Grand Aumônier de
France , qui estoit avec l'Etole,
en Camail & en Rochet. La Ceremonie
ſe fit en preſence de
Monfieur le Curé de la Paroiffe
de Versailles ; & fi- toſt qu'elle
fut faite , on alla remuer le Prince
dans le Cabinet de Madame
la Dauphine, d'où on le rapporta
un peu apres , pour le faire voir
à cette Princeſſe. En ſuite , Madame
la Maréchale de la Mote
eſtant entrée dans une Chaiſe à
Porteurs , on le mit ſur ſes genoux,
GALAN T. 33
noux , & il fut ainſi porté juſque
dans l'Appartement qu'on luy
avoit preparé . Monfieur le Marquis
de Seignelay , Secretaire
d'Etat , & Treſorier de l'Ordre,
y vint auſſi- toſt de la part du
Roy , & luy apporta la Croix du
S. Eſprit , parce que les Fils de
France naiſſent avec l'Ordre. J'ay
oublié de vous dire que Sa Majeſté
embraſſa la Reyne & Madame
la Dauphine , dans le premier
mouvement de ſa joye , &
que tous les Princes & toutes les
Princeſſes du Sang qui estoient
dans la Chambre , marquerent la
part qu'ils y prenoient en ſalüant
ce Monarque. Outre ces Princeſſes,&
les autres Dames que je
vous ay déja nommées, voicy les
noms de celles qui estoient auffi
dans cette Chambre ; Madame
de Monteſpan , Sur- Intendante
B V
34 MERCURE
de la Maiſon de la Reyne ; Madame
la Ducheſſe de Créquy,
&Madame la Comteſſe de Béthune
, Dames d'Honneur &
d'Atour de cette Princeſſe; Madame
de Richelieu ,Dame d'Honneur
de Madame la Dauphine ;
Madame la Maréchale de Rochefort
, & Madame la Marquiſe
de Maintenon , Dames d'Atour;
Madame la Ducheſſe d'Ufés ;
Madame la Ducheſſe d'Aumont,
Femme du Premier Gentilhomme
de la Chambre en année ;
Madame la Ducheſſe de Beauvilliers
, Femme d'un Premier
Gentilhomme de la Chambre ;
Madame de Venelle , Premiere
Sous-Gouvernante ; Madame de
Montchevreüil Gouvernante
des Filles d'Honneur de Madame
la Dauphine ; Madame Pe-
,
lard , Premiere Femme de Chambre
GALAN Τ .
35
1
bre du nouveau Prince ; Madame
Moreau , Premiere Femme de
Chambre de Madame la Dauphine
; & les Femmes de Chambre
de cette Princeſſe qui étoient
dejour.
Enfin apres tant de ſoins , d'inquiétudes,
de fatigues , & d'alarmes
pendant deux jours & deux
nuits , il eſtoit temps de laiffer
Madame la Dauphine en repos,
& que le Roy en allaſt prendre.
Il faloit pour cela fortir de la
Chambre de cette Princeſſe , &
eſſuyer des tranſports de joye
dont unPrince moins affable que
le Roy n'auroit pû s'accommoder.
Il faloit paſſer au milieu de
tout ce qui compoſe la Cour de
France , Grands Seigneurs , &
Ces tendres tranſports
dont tout le monde eſtoit poſſeautres.
dé , firent oublier à pluſieurs ce
qu'ils
36 MERCURE
1
1
qu'ils estoient . Chacun ſe jetta
à ſes pieds , & embraſſa ſes genoux,
& tel qui dans un autre
temps n'auroit osé en approcher
de bien loin , animé par l'excés de
ſa joye,ſe méloit parmy les autres,
fans faire reflexion ſur ſa temerité.
L'exemple l'autoriſoit , &
chacun fervoit d'exemple à l'autre.
La foule empeſchoit que l'on
diftinguaſt perſonne . Quelques
incommoditez qu'en reçeuſt le
Roy, il les foufroit d'un air fi engageant,
que la hardieffe de ceux
qui auroient deû eſtreles plus timides
, en prenoit de nouvelles
forces. Imaginez- vous, Madame ,
que depuis l'Apartement où Madame
la Dauphine eſt accouchée,
juſques chez la Reyne , où Leurs
Majeſtez allerent ſouper , il y a
une Antichambre , la Salle des
Gardes de Madame laDauphi
ne,
GALANT.
37
ne , une tres- longue Galerie , le
Palier d'un grand Escalier , avec
des Retours , diverſes Salles , la
Salle des Gardes de la Reyne à
traverſer , & que tous ces lieux
eſtoient tellement remplis de
monde , qu'on peut dire que ce
Prince fut porté à table depuis la
Chambre de Madame la Dauphine
, juſqu'au lieu où il ſoupa.
Pour Monſeigneur le Dauphin,
ce qu'il avoit vû foufrir à Madame
la Dauphine , & les chofes
tendres qu'elle luy avoit dites,
l'avoient penetré d'une douleur
qui le tint long- temps tout abatu .
Joignez à cela l'accablement où
ſes veilles l'avoient mis. Aufſfi
quand d'un excés de triſteſſe il
falut paſſer à la grande joye , il
eut de la peine à la foûtenir . Ce
fut pour luy un ſi vif ſaiſiſſement
qu'il ne pût d'abord bien reconnoître
4
38
MERCURE
noître l'état où il ſe trouvoit. II
baiſa toutes les Femmes qui étoient
dans la Chambre de Madame
la Dauphine. Le Roy ordonna
de grandes ſommes pour
délivrer des Priſonniers, & quelques-
uns ayant voulu ſe ſervir de
l'occaſion pour luy demanderdes
Graces , voicy ce qu'il répondit.
Jeſuis égal dans la joye&dans le
malheur. Ilne faut pointſe ſervir
de ce temps pour me faire des demandes.
Je sçais faire les Graces
en tout temps quand il lesfautfaire.
On peut connoître par là que
ſi en de certaines occaſions on
tire de ſes bontez ce que l'on
ſouhaite , il n'eſt point de temps
ì l'on en puiſſe rien obtenir
ontre la justice ,& que ce Moarque
, le plus moderé de tous
sHommes , n'ayant imité Ale-
Andre que dans ſes vertus , na
jamais
GALAN T.
39
jamais rien fait dont il ait eu lieu
de ſe repentir ; ce qu'on ne peut
dire de ce Conquerant. Il ne
prononce aucune parole , qui ne
ſoit accompagnée d'équité & de
prudence , & qui ne duſt eſtre
écrite pour ſervir d'inſtruction
& de regle à la Poſterité . Il eſt
certain que ſi on les ramaſſoit
toutes , on y verroit plus de bon
ſens , que dans tout ce qu'on a
recueilly des anciens Philoſophes
, qui ont affecté dans tout
ce qu'ils ont écrit , plus de dureté
que d'humanité. Auſſi ce Monarque
tout aimable , & qui a
paru tel depuis peu aux yeux des
Ambaſſadeurs venus de Barbarie
, n'eſt- il pas regardé par l'éelat
du Trône où il eſt aſſis, mais
par ſa propre Perſonne ; & fi tant
d'Etrangers s'empreſſent tous les
jours pour le voir , ce n'eſt point
leRoy qu'ils cherchent à voir en
40 MERCURE
Luy ; cette qualité n'ajoûte rien
à l'Homme , mais ils veulent fe
donner le plaifir de le confidcrer
, parce qu'il eſt tout brillant
de gloire , & que jamais aucun
Prince n'a remply la Terre d'une
ſi juſte admiration .
Si toſt que Madame la Dauphine
fut accouchée , Meſſieurs
les Secretaires d'Etat firent faire
un tres- grand nombre de Copies
d'une Lettre du Roy , pour les
envoyer à tous les Gouverneurs
des Villes de France. Voicy се
que cette Lettre contenoit .
Onfieur de . Les heureux
Mon
....
mes justes deſſeins
ont toûjours cu , ſoit dans la Paix,
foit dans la Guerre , depuis mon
Avenement à cette Couronne , &
les progrés avantageux que mes
Armes ont fait sur mes Ennemis,
qui
GALANT.
41
qui ont rendu la Paix à l'Europe,
mis mes Etats à couvert des entrepriſes
des Envieux du bonheur dont
ils jouiffent , & rétably mes Alliez
dans ceux dont ont les avoit dépoüillez,
ont fait connoître affez
clairement à tout le monde la puif-
Sante protection de Dieu pour cette
Couronne ; mais elle n'a jamais paru
ſi viſiblement , ny fait naiſtre
tant d'esperance pour lafelicitéfuture
de mes Peuples , & l'affermisfement
de leur repos, quepar legage
pretieux qu'il vient d'en donner
à la France en la Naiſſance d'un
Prince , que j'ay nommé Duc de
Bourgogne , dont ma tres chere &
tres- amée Fille la Dauphine a esté
heureusement délivrée. Ce dernier
témoignage que je reçois de la Bonté
Divine , & qui met le comble à
tant de profperitez dont elle a fa
vorisé mon Regne , me donne des
rejfenti
42 MERCURE
reſſentimens ſi vifs de reconnoiffance
envers Sa Divine Majesté , que
je me trouve dans l'impuiſſance de
la pouvoir dignement remercier ;
& comme je ne sçaurois mieux y
fatisfaire qu'en obligeant tous mes
Sujets qui participent à tant de
bien-faits , d'en rendre avec moy
les Actions de grace qui luy enfont
deuës , je mande aux Archevesques
& Evesques de mon Royaume , de
faire chanter le Te Deum dans
leurs Eglises Cathedrales, &autres
de leurs Dioceses ; & je vous fais
cette Lettre pour vous donner part
de cette agreable Nouvelle, & vous
dire en mesme temps quemon intention
est que vous aſſiſtiez au Te
Deum , qui fera chanté dans la
Ville où vous vous trouverez lors
de la reception de la Preſente ; que
vous teniezla main à ce que les
Officiers de Iustice , & du Corps
Commun
GALANT. 43
Commun des Villes , y aſſiſtent ;
que vous faſſiez tirer le Canon dans
ma Ville de ... & autres Places de
l'étenduë de vôtre Charge , faire
des Feux de joye , &donner au furplus
toutes les marques de réjoüif-
Sances publiques qu'un évenement
ſiavantageux merite ; & la Pre-
Sente n'estant pour autre fin, je prie
Dieu qu'il vous ait Monfieur de....
enſaſainte garde, Ecrit à Versail- -
Les le 6. jour d' Aoust 1682.
Il faut maintenant vous dire ce
qui ſe paſſa dans les Courts &
dans la Place du Chaſteau , ainſi
que dans tout Verſailles. Un
Garde du Roy dormoit ſur une
Paillaffe , dans le moment que
Madame la Dauphine accoucha
. Il entendit l'extraordinaire
éclat que l'épanoüiſſement de la
joye fit faire , & que je ne vous
ay décrit qu'imparfaitement. Il
44 MERCURE
ſe réveilla en ſurſaut à ce grand
bruit , & ayant compris , quoy
que dormant encore à demy ,
qu'il venoit de naître un Prince,..
il mit ſa Paillaſſe ſur ſon dos , &
ſans rien dire à perſonne , courut
le plus viſte qu'il luy fut poffible
juſqu'à la premiere Court. Là il
mit le feu à cette Paillaffe,& prefque
au meſme moment un nombre
infiny d'autres Feux furent
allumez , ſans qu'on en euſt preparé
aucun. On voyoit chacun
voler. Les uns s'empreffoient à
chercher du bois ; & les autres
dans l'ardente paffion d'eſtre des
premiers à marquer leur zele ,
prirent tout ce qu'ils trouverent, "
brûlerent des Bancs & des Tables
, & mirent au feu pluſieurs
autres Meubles combustibles .
Ceux qui estoient couchez ſe releverent
& il y eut pluſieurs
د
Dances
GALANT.
45
Dances où des Perſonnes de
qualité ſe meſlerent avec les bas
Officiers , & le Peuple. Ces réjoüiſſances
eurent à peine commencé,
qu'on vit couler des Fontaines
de Vin aux deux côtez de
la premiere Grille du Chaſteau.
Toutes celles des Courts jetterent
auffi du Vin au lieu d'Eau.
On en envoya pluſieurs Muids
à la Geole, & aux Atteliers , afin
que le grand nombre d'Ouvriers
qui font à Versailles , ne
fiſt point de confufion , en ſe
meſlant avec les Soldats de la
Garde Françoiſe & de la Garde
Suiffe, qui celebrerent cette Naiffance
avec des emportemens de
joye qui paſſent tout ce qu'on
s'en peut imaginer. Ils firent du
fen de tout , & brûlerent même
quantité de choſes dont on
ne deur auroit pas permis de
diſpoſer
1
46 MERCURE
diſpoſer dans un autre temps. Le
Roy vit en paſſant tout cet
agreable defordre , & dit , Il les
faut laiſſfer faire , pourveu qu'ils
ne nous brûlent pas. Un des Domeſtiques
de MonfieurBontemps
voyant éclater la joye de tout le
monde , & principalement celle
de ſon Maiſtre , qui eſt un des
plus ardens & des plus zelez Serviteurs
du Roy, en fut penetré ſi
vivement , que s'eſtant des-habillé,
il jetta tous ſes Habits dans
lefeu. Il ne s'en repentit point, &
loin d'avoir du chagrin de les
voir brûler , ſa joye fut toûjours
également forte. Sa Majesté
ſçeut ce qu'il avoit fait , &
luy fit donner un tres-bel Habit
, avec cinquante Loüis. On
fit auſſi des Feux, & l'on défonça
quantité de Tonneaux devant
les Hoſtels de Meſſieurs les Miniſtres;
GALANT.
47
コ
i
✓ niſtres ; & Monfieur de Montaufier
fit connoître ſa joye par les
plus éclatantes marques qu'il luy
fut poſſible d'en donner en ſi
peu de temps. Ces réjouiſſances
ont duré pluſieurs jours , &
ont toûjours augmenté. Il y a eu
des illuminations de toutes fortes
de manieres , & l'on n'a point
épargné l'Artifice. La Pompe a
eſté illuminée autant de fois que
cette Feſte a recommencé ; &
tous les Feux de Verſailles donnant
un novel éclat à l'or dont
le Château eſt couvert , il ne
s'eſt peut- eſtre jamais rien veu
de fi brillant. Mais Madame , je
ne puis me refoudre à quitter ce
Lieu , fans vous parler encor du
Grand Roy à qui il doit toutes
ſes beautez. On ne peut
qu'à peine concevoir les manieres
de ce Prince , qui juſque
dans
48 MERCURE
les moindres choſes fait paroître
enſemble toutes les vertus qui
ſont ſeparées dans les plus parfaits
La grande joye , comme la
grande douleur, étant une eſpece
de defaut , lors qu'on veut montrer
qu'on la reſſent dans toute
ſon étenduë , parce qu'elle fait
fortir de la moderation , & que
tout excés eſt condamnable, fuftil
meſme de vertu , le Roy a fait
voir qu'il eſtoit maître de l'une
& de l'autre , puis que ſa bonté,
ſa tendreſſe , ſa retenuë , ſa juſtice,
ſa pieté, ſa prudence , ſa grandeur
, ſa charité , & beaucoup
d'autres vertus , ont paru dans
tout ce qu'on luy a veu faire &
entendu diredans les divers mouvemens
que luy ont causé le mal
&l'accouchement de Madame la
Dauphine. Sa conduite, ſa juſtice
, ſon eſprit , & fa prudence,
ont
GALANT 49
ont éclaté dans les reparties qu'il
a faites à ceux qui ont pris ce
temps pour luy demander des
Graces , fa charité ,& ſa libéralitédans
ſes aumônes ; ſa bonté
dans les témoignages de ſa joye ;
ſa pieté dans fes prieres; fa tendreſſe
pour Madame la Dauphi
ne , dans ſon affiduité ,& dans
tout ce qu'il a dit en voyant foufrir
cette Princeſſe ; ſa modéral
tion , dans ſa maniere de recevoir
la nouvelle d'un bonheur qu'il
ſouhaitoit ;& enfin , la grandeur
de fon ame dans chacune de ces
choſes.Ainsi Pon peut dire qu'il
a paru Pere Homme , & Roy
tout- à-la- fois ; que quoy qu'il ait
ſenty vivement la joye , il n'en a
fait voir que ce qu'il en falloit
laiſſer échaper ; & que comme ſa
douleur avoit eſté ſans foibleffe ,
les tranſports qu'il a ſentis n'ont
Aoust 1682 G
६९
MERCURE
point eu d'emportement. Si tant
de vertus ont brillé dans ce qui
n'auroit cauſe à un autre qu'un
excés de joye , qui l'auroit tiré
de la modération , où les Grands
Hommes doivent toûjours demeurer
, ne doit -on pas tomber
d'accord qu'il n'y a perſonne fus
la terre qui puiſſe eſtre comparé
à cet auguſte Monarque ? Vous
jugez bien qu'il n'a pas laiſſé le
Sieur Clement ſans récompenfe.
Il luy a donné dix mille francs i
& quand le Sieur Clement alla le
remercier, il luy dit fort obli
geamment qu'il étoit tres- fatisfait
du ſervice qu'il luy avoit rendu ,
& que ce qu'il luy donnoit , n'étoit
qu'un commencement de ce
qu'il feroit pourdeyempiov
Il eſt temps que nous fortions
de Verſailles. Le chemin qui
conduit de ce Lieu à Paris , n'a
peut eſtre jamais eſté ſi remply,
GALANT. SI
ny ſi brillant. Quantité de Gens
d'un rang diſtingué , croyoient
eſtre les premiers qui y porteroient
cette Nouvelle , parce
qu'ils estoient partis auſſitoſt
apres l'accouchement de Madamela
Dauphine ; mais ils furent
bienfurpris, lors qu'ils virent de
grands Feux allumez à Chaliot,
&qu'on les y arreſta pour boire
àla ſanté de Monſeigneur leDuc
de Bourgogne. Voicy comment
la choſe y avoit eſté ſçeuë entrespeu
de temps. Monfieurle Maréchal
Duc de Vivonne eſtant indiſpoſé,
y estoit allé prendre l'air.
Il faifoit tenir un Courrier à Verſailles,
tout preſt à partir au premier
ordre que Madame de
Monteſpan ſa Soeur luy donneroit.
Ce Courrier fut dépeſché
dans le moment de la Naiſſance
du Prince ; & Monfieur de Vi
Cij
52
MERCURE
vonne qui estoit au Lit , s'eſtant
relevé à ſon arrivée , fit allumer
pluſieurs Feux,& donner du Vin
à tous les Paffans. Ainſi l'on peut
aſſurer qu'il entra fi fortement
dans la joye de ſon Maiſtre, pour
qui vous ſçavez qu'il eſt tout- àfait
fenfible , qu'il en oublia ſon
mal. La meſme Nouvelle fut
apportée auſſi promptement à
l'Hôtel de Villeroy , où dés
minuit on fit dés réjoüiffances.
Les Voiſins de cet Hôtel firent
auſſi toſt des Feux dans la Ruë
de Richelieu. On affure que
Meſſieurs de Torigny . Lambert
&duTillet , en firent dans leurs
Quartiers preſque à la meſme
heure. Mais ce qui ſurprit beau+
coup ceux qui croyoient eſtre
partis de Verſailles les premiers,
& qui pafferent par deſſus le
Pont Saint Michel , c'eſt qu'ils y
trouve
GALANT. 53
trouverent le charbon de plus de
deux Voyes de Bois qu'on venoit
d'y conſommer. Tous ceux qui
eſtoient revenus de la Cour , envoyerent
dire à leurs Amis que
Madame la Dauphine eſtoit accouchée.
Quelques- uns avoient
des Courriers exprés pour en
eſtre plus promptement avertis ,
&d'autres croyant leur faire plaifir,
envoyerent encor chez eux de
leur propre mouvemét, pour leur
apprendre ce qui venoit d'arriver;
de fortequ'ily eut desGens qu'on
vint éveiller de quart -d'heure
en quart-d'heure,pendant tout le
reſte de la nuit , pour leur faire
part de ce qu'ils īçavoient déja.
Cette Nouvelle ayant eſté répanduë
parmy le Peuple, dés que le
jour eut paru , chacun courut en
inſtruire fon Voiſin. On s'arrétoit
dans les Ruës fans ſe -con
Çiij
54
MERCURE
noître , pour ſe dire que la France
avoit un nouveau Prince , &
tout le monde formoit des defſeins
de ſe bien divertir , & de
faire meſme de la dépenſe au delàde
ſon pouvoir. C'eſt une choſe
preſque inconcevable que ce
qui ſe fitdés ce jour- là, fans qu'on
cuſt eu que peu d'heures pour le
preparer.m
Monfieur de Pomereu , Prevoſt
des Marchands , avoit reçeu
à une heure apres minuit par
Monfieur de Curly , Exempt des
Gardes du Corps, une Lettre de
Cachetdu Royqui luy apprenoit
cette Nouvelle. Il en fit avertir
les Echevins , & les Officiers de
la Ville , & donna les ordres pour
faire executer tout ce qui ſe pratique
dans une Réjouiſſance ſolemnelle.
On conduifit pluſieurs
Pieces de Vin aux endroits par
leſquels.
GALANT
55
leſquels il falloit neceffairement
paſſer en arrivant de Verſailles,
afin que ceux quſen viendroient,
puſſent boire à la ſanté du Roy,
& du Prince qui venoit de náî
e
- Monfieurde Bonneüil , Introducteur
des Ambaſſadeurs , alla
par ordre de Sa Majesté donner
avis de cette Naiſſance aux Miniltresi
reconnus en cette Cour,
& invita ceux de Chapelle de ſe
trouverau Te Deum qu'on devoit
chanter le lendemain. Le mot de
Chapelle est la distinction des
Catholiqties & des Proteſtans.
La Fontaine de la Place de Greve
jetta du Vin toute la journée.
On en donna encore le ſoir avec
du Pain devant la grande Porte
de Hostelde Ville. Hy eut un
Feu,& l'on y tira des Boëtes &
du Canon. Les Réjouiſſances
Cinj
56 MERCURE
commencerent ce foir-là ; & dés
L'apreſdinée , oploſieurs avoient
farme deurs Boutiques quoy
qu'on n'yeuſt obligé perfonne.
On alluma des Feux dans toutes
les Ruës , on mit des Lumieres
aux fenestres, & ily cut des Tables
dreffées devant pluſieurs
Hôtels & Maiſons de Perfonnes
deiqualitén a sochaiva
Ce mefme joung ſur les huit
heures du foir, la Premiere Compagnie
des Mouſquetaires , avec
tous fes Officiers,marcha Tamabbur
battant; mêche alluméesdepuis
fon Hoſtel juſqu'à celuy de
-Monfieur le Commandeur de
Fourbin fon Commandant ikatdalay
meſme au devant vers le
Pont-rouge,fe mit à leur teſte,
& les conduifit fur le Quay , le
Jong du Parapet , qu'ils borderent
avec toutes les formalitez
qu'ils
GALANT.
57
qu'ils pratiquent dans les Attaques.
Ils ne furent pas plutoſt
rangez , que les Tambours ceſſerent;
pour donner aux Hautbois
le temps de joüer quelques Fan
tares pendant que le Peuple ſe
rangeoit.On ne donna qu'un ordre
general aux Mouſquetaires
pour toutes les Décharges qu'ils
devoient faire. Un Tambour faiſoit
enſuite tous les Commandemens
particuliers , & unfenl
coup de Baguete les avertiſſoit
du temps qu'il falloir prendre
pour les diferentes chofes qu'on
lemandoir d'eux. On ſçait quel
cetoilluſtre Corps eft composér
de toute la Jeuneſſe de la premie
re qualité du Royaume , & qu'il
n'eſt pas moins diftingué par l'adreſſe
dans l'Exercice,que par la
valeur dans leCombaterio
-Cette adreſſe parut bien dans
3.404 Cv
58 MERCURE
cette occafion. Le Tambour ne
les eut pas plutoſt avertis de ſe
tenir preſts , qu'apres les coups de
Baguete ils commencerent une
Decharge , qui par des repriſes
qui n'avoient rien d'interrompu,
firent entendre environ mille
coupsdeMouſquet. Les interva
les en eſtoient auſſi juſtes , & les
temps auffi comptez que ceux de
la Muſique la mieux cadancée.
Le premier qui avoit tiré , eſtoir
toûjours en état de recommen
cer des que le dernier avoit fait
ſa décharge. On donna toûjours
le ſignal ſi à propos , & tous les
mouvemens furent fi reguliers,
qu'on en euſt eſté ſurpris , fi on
n'eſtoit pas accoûtumé à les admirer
dans leur juſteſſe. C'eſt un
plaifir, qu'on ſçait que leRoy ſe
donne tous les Mardis .........
Ces premieres décharges n'eu
rent
GALANT .
59
rent pas plutoſt finy ,qu'ils en re
prirent d'autres, toutes diferen
tes.Le Tambour avertitiles deux
Aîles de commencer en mefme
temps , pour finir au milieu , ſans
intervale d'un coup àl'autre. Ce
la fit un effet qu'on auroit peine
à expliquer. Ils continuerent jufis
qu'à dix ou douze Décharges,
&toûjours diféremment. L'Echo
leur répondoitdans les Galeries
du Louvre, & les temps envef- [
toient auffi marquez , que ceux
des Moufquetaires. Gela eftant
fait , ils fe remirent en marche
ainſi qu'ils estoient Menus Juf
ques-laritsn'avoient eſté éclairezi
que du feu continuel qu'ils a
voient faiteux-ineſmes,maisleur
Cominandant , qui ne manquei à
rien, & qui en toutes choses efth
d'une prudence reconnue quiluy
fait toujours bien prendre fon
temps,
MERCURE
temps , avoitdéja fait difpoferun
grand Feu qui s'alluma à propos
pour éclairercette Marche.Mon
fieur de Fourbin fit abandonner:
au Peuple quelques Muids de
Vin , &donna chez luy un mag
nifique:Repas àune Compagnie
agreable , illuftre , & tres-bien
choifie . Pendant ce temps , la
Compagnie des Mouſquetaires,
commandée par Monfieur de!
Jauvelle , faiſoit de pareilles Déni
charges fur le Rempart de la
Porte S.Antoine
Samedy huitiéme du mois , les
Canons de la Ville , de la Baſtille
,& de l'Arsenal , annoncerent
dés le matin la Ceremonie ,&cles
Réjouïfances qui devoient eſtre
faites ce jour- là. Les Boutiques
furent fermées par ArreſtduParlement
,&les Colleges par un
Mandement ſpecial du Recteur.
Monfieur
GALANT 61
Monfieur de Saintot , Maistre
des Cerémonies , alla le matin
porter l'ordre au Parlement, àla
ChambredesComptes, àla Coury
des Aides , & au Corps de Ville
pour aſſiſter au Te Deum. Toutes
ces Compagnies ſe trouverent à
Nôtre-Dame ſur les quatre heu
res ; le Parlement en Robes rouges,&
les autres Corps avec leurs
Robes de ceremonie. Monfieur
le Chancelier s'y rendit à la teſte
du Conſeil. Les Miniſtres Etrangers
y vinrent dans le plus leſte
appareil qu'il leur fut poffible
pour honorer cette Feſte. Ces
Miniſtres furent Monfieur Fofcarini
, Ambaſſadeur de Veniſe;
Monfieur le Marquis Ferreiro,
Ambaſſadeur de Savoye, Monſieur
le Bailly de Hautefeüille,
Ambaſſadeur de Malte ; Dom
Salvador Taborda , Envoyé de
25 %
e
Portu
G MERCURE ج
Portugal ; & Monfieur le Comtei
Bagliani , Envoyé du Duc de
Mantovë. Plufieurs autre Envo
yez y affifterent incognito.addO
Monfieur l'Archevefque , re
vétu de ſes Habits Pontificaux ,
commençale Te Deum, & la Muſique
le continua. Elle avoit eſté
faite exprés. La nouvelle grofle
Cloche fonna pour la premiere
fois. On eut beaucoup de peine
afla mettre en brantes parce
qu'on n'avoit pris des imeſures
que pour la faire fonner le jour
de l'Affomption. A la fin du Te
Deum, leCanontira dans tous les
lieux dont je vous ay déja parlé.
Toutes les Cloches de la Ville
carillonnoient ainsi que des
Horloges publiques, qui dans
les Feſtes folemnelles ne diſconie
tinuent point pendant quarantes
heures shout having C
Apres
GALANT.4
630
7 Apres que le Te Deum euteſte
chanté , toute la Ville fe rendit
en ſon Hôtel , où se trouva Mon-q
ſieur le Ducde Crequy, Premier
Gentilhomme de la Chambre du
Roy , & Gouverneur de Paris,
accompagné de Monfieur leMarquis
de la Fuente , Ambaſſadeur
d'Eſpagne , & de pluſieurs autres )
Perſonnnes du premier rang.
On leur preſenta une Collation
tres-magnifique,&l'on en ſervit
pluſieurs autres dans les Apartemens
de Mefſieurs Vinx , Roberge,
Heliflan, &Baglan, Echevins
; de MonfieurTruc, Procus)
reur du Roy , & des autres Offi
ciers de la Ville. On fit enſuite.
joüer untres -beau Feu d'artifice.
On avoit élevé un Theatre quarré
fus neuf Pilliers , ayant quatre-
vings ſeize pieds de tour , &
faiſant de tous côtez une face des
vingt
64 MERCURE
vingt-quatre pieds. Ce Theatre
eſtoit enrichy d'une Corniche
peinte en Marbre , regnant tour
au tour avec ſa Friſe chargée de
Dauphins entrelaſſez les uns dans
les autres. Il eſtoit fermé de Baluftres
, & fervoit de Baze à un
grand Pied- d'eſtal de huit pieds
dehaut , & de ſept de large à
chaque face. Le haut de ce Piedd'eſtal
eſtoit bordé d'uneCornichede
Marbre , avec de riches >
Panneaux de Lapis, dans leſquel's
on voyoit de petits Amours qui
badinoient avec des Dauphins.
Sur ce Pied- d'eſtal il y en avoit
un autre petit , de trois pieds de
haut , fur deux & demy de large.
Ce dernier foûtenoit une Figure.
de l'Efperance couronnées de
Fleurs , tenant un Amour entre
fes bras. On liſoit ces quatre Vers
au deſſous de laFigure.c
JAV Déja
5
64 MERCURE
vingt- quatre pieds. Ce Theatre
eſtoit enrichy d'une Corniche
peinte en Marbre , regnant tour
au tour avec ſa Friſe chargée de
Dauphins entrelaſſez les uns dans
les autres . Il eſtoit fermé de Baluftres
, & fervoit de Baze à un
grand Pied-d'eſtal de huit pieds
de haut , & de ſept de large à
chaque face. Le haut de ce Piedd'eſtal
eſtoitbordé d'une Corniche
de Marbre , avec de riches
Panneaux de Lapis , dans lesquels
on voyoit de petits Amours qui
badinoient avec des Dauphins.
Sur ce Pied- d'eſtal il y en avoit
un autre petit , de trois pieds der
haut , fur deux &demy de large.
Ce dernier foûtenoit une Figure
de l'Efperance couronnées de
Fleurs , tenant un Amour entrer
sbras.On liſoit ces quatre Vers
s dela Figure. S
Déja
5
1
64 MERCURE
vingt-quatre pieds . Ce Theatre
eſtoit enrichy d'une Corniche
peinte en Marbre , regnant tour
au tour avec ſa Frife chargée de
Dauphins entrelaſſez les uns dans
les autres. Il eſtoit fermé de Baluftres
, & fervoit de Baze à un
grand Pied- d'eſtal de huit pieds
de haut , & de ſept de large à
chaque face. Le haut de ce Piedd'eſtal
eſtoit bordé d'une Cornichede
Marbre , avec de riches
Panneaux de Lapis, dans lesquels
on voyoit de perits Amours qui
badinoient avec des Dauphins.
Sur ce Pied d'eftal il y en avoit
un autre petit , de trois pieds de
haut , fur deux &demy de large.
Cedernier foûtenoit une Figure
de l'Efperance couronnées de
Fleurs , tenant un Amour entrer
ſes bras. On liſoit ces quatre Vers
au deſſous de laFigure.o
Déja
1
5
645 MERCURE
vingt- quatre pieds. Ce Theatre
eſtoit enrichy d'une Corniche:
peinte en Marbre , regnant tour
au tour avec ſa Frife chargée de
Dauphins entrelaſſez les uns dans
les autres. Il eſtoit fermé de Baluftres
, & fervoit de Baze à un
grand Pied-d'eſtal de huit pieds
de haut , & de ſept de large à
chaque face. Le haut de ce Piedd'eſtal
eſtoit bordé d'une Cornichede
Marbre , avec de riches
Panneaux de Lapis, dans lesquels
on voyoit de perits Amours qui
badinoient avec des Dauphins.
Sur ce Pied d'eftal il y en avoit
un autre petit , de trois pieds de
haut , fur deux &demy de large .
Ce dernier ſoſûtenoit une Figure
de l'Efperance couronnées de
Fleurs , tenant un Amour entret
ſes bras. On liſoit ces quatre Vers
au deſſous de laFigure.
30 Déja
5
64 MERCURE
vingt- quatre pieds. Ce Theatre
eftoit enrichy d'une Corniche
peinte en Marbre , regnant tour
au tour avec ſa Frife chargée de
Dauphins entrelaſſez les uns dans
les autres . Il eſtoit fermé de Baluftres
, & fervoit de Baze à un
grand Pied-d'eſtal de huit pieds
de haut , & de ſept de large à
chaque face. Le haut de ce Piedd'eſtal
eſtoit bordé d'une Cornichede
Marbre , avec de riches
Panneaux de Lapis, dans lesquels
on voyoit de perits Amours qui
badinoient avec des Dauphins.
Sur ce Pied- d'eſtal il y en avoit
un autre petit , de trois pieds de
haut , fur deux & demy de large .
Cedernier ſoſûtenoit une Figure
de l'Efperance couronnées de
Fleurs , tenant un Amour entrer
ſes bras. On liſoit ces quatre Vers 5
an deſſous de laFigure.
JAV Déja
64
vit
eft
pe
211
D
les
lin
gr
de
ch
d
ch
Pa
of
ba
S
ha
C
de
Fl
fo
21
GALANT.
65
Déja depuis longtemps , par cent
Jucces heureux 2011
La Fortune répond aux projets de
la France ;
Mais aujourd'huy lapropice Efperance
101
D'un bonheur eternel vient aſſurer
nos voeux .
La Planche que je vous envoye
gravée , vous mettra devant
les yeux ce que je ne vous explique
qu'imparfaitement. Le Bal
fucceda au Feu , & dura la plus
grande partie de la nuit. Monſieur
de Pommereu , Prevoſt des
Marchands , voulant que la réjouiſſance
ne ceflaſt point ,avoit
fait conduire pluſieurs muids de
Vin dans toutes les Places publiques,
& diftribuer des Aumônes.
Il fut imité dans ces diſtributions
par les Echevins , qui
ژ
firent
66 MERCURE
1
i
1
:
1
&
firentauſſi donner du Pain & du
Vin devant leurs Maiſons. Plufieurs
autres Pieces de Vin furent
conduites aux Portes de la Ville,
par les ordres des Fermiers generaux
des Aydes,qui en regalerent
tous ceux qui voulurent boire .
Mademoiselle d'Orleans ,
Madame de Guife ayant choiſy
chacune leur jour pour faire
éclater leur joyeen donnerent
des marques au Palais d'Orleans
par des Illuminations au Dôme,
& aux Fenestres de ce grand
Palais par des grands Repas
donnez aux Dames , par des
Concerts d'Inftrumens , & par
du Pain & du Vin diſtribué à
tous ceux qui ſe preſenterent
pour en recevoir V
Monfieurle Marquis de Ferreiro
, Ambaffadeur de Savoye,
fit faire devant la Porte, Ruë des
Saints
GALANTA 67
Saints Peres , une Illumination
des plus éclatantes, qui continua
encor trois ou quatre jours apres.
Tout le monde ſçait que Madame
la Dauphine n'eſt pas plus
éloignée de Henry I V. queMonſeigneur
, & on n'ignore pas
que c'eſt une avantage qu'elle
doit à la Savoye , qui avoit donné
feuë Madame l'Electrice à la
Baviere , Monfieur l'Ambaſfadeur
de Savoye avoit expliqué
tout cela dans cette Illumination .
On y voyoit ſept grands Ecus
d'Armes , portez par une maniere
d'Arbre Genealogique. Les
Armes de Henry IV. en faifoient
le Tronc , les deux Branches
eſtoient chargées ſur la
droite des Armes de Loürs le Juſte
, de Loürs LE GRAND, & de
Monseigneur , & fur la gauche,
deMadame Chriſtienne de Fran
ce,
68 MERCURE
1
!
ce, Ducheſſe de Savoye, de Madame
Adelaïde,Electrice de Baviere,
& de Madame la Dauphine.
Get Arbre Genealogique
étoit terminé par deux grandes
Tiges de Lys. Ces Tiges s'uniffoient
dans le milieu , & produifoient
unBouton,qui en's'ouvrant
jettoit un éclat extraordinaire .
Une Couronne Royale finiſſoit
Fillumination , & la Couronne
eſtoit fibien illuminée elle-même,
qu'elle imitoit de bien prés le
feu dont les Pierreries les plus
vives brillent en plein jour. Tout
le dehors eſtoit encor éclairé par
quantité de Flambeaux de cire
blanche , & un grand Bucher
occupoit une partie de la Ruë.
Pendant troisou quatre nuits, cet
Ambaffadeur fit tirer un nombre
incroyable de Fusées volantes
, dont il y en avoit toûjours
pluſieurs
GALANT. 69
a
+
e
pluſieurs qui partoient en meſme
temps. Ces quatre Vers qu'on
lifoit fans peine , expliquoient le
ſecret de l'Illumination,& le defſein
de toute la Feſte.
Dans le commus excés dejoye
Où les Françoisſont aujourd'huya
Le Thrônevoit que la Savoye TE
Luy rend le Sang qu'elle a receu de
Luy.
Monfieur le Duc de Créquy
s'eſt fort diftingué. Il y avoit un
grand nombre de Flambeaux de
cire blanche entremêlez de Lan
ternes, fur la Terraſſe de ſon Hô
tel. On y diſtribua quantité de
Vin, L'Hoſtel de Monfieur le
Maréchal de Créquy eſtoit auſſi
tout brillant de Lumieres. On y
compta plus de cinq cens Lan
ternes ; car outre celles qui
eſtoient fur le Portail , les Toits
qui font aux deux coſtez , & qui
font
70
MERCURE
ſont plus bas que ceux du Logis,
& generalement tous ceux de
l'Hoſtel, en estoient couverts.On
y diſtribua aufli beaucoup de
Vin.
Monfieur le Duc de S. Simon
n'a rien oublié pour donner des
marques du zele qu'il a toûjours
fait paroiſtre pour la Maiſon
Royale. Son Hoſtel brilloit par
tout de Lumieres. On l'avoit illuminé
juſqu'au haut desCheminées
, où les mots de Vive le
Roy estoient écrits en lettres de
feu. L'Artifice n'y diſcontinua
point pendant plus de ſix heures,
&il en fut beaucoup plus conſumédevant
cet Hoſtel , qu'il n'en
euſt fallu pour faire deux grand
Feux dans les formes. Tandis que
:
l'Artifice joüoit , on fit de grandes
liberalitez au Peuple , & ce Duc
diſtribua chaque foir à ſes Doi
meſtiques
GALANTA 71T
meſtiques dequoy faire des réjoüyflances
à leur maniere.
Madame la Comteffe de Vé
ruë , Belle Scoeur de Monfieur
F'Abbé de Veruë, que nous avons
veu icy Ambaſſadeur avantMonfieur
le Marquis Ferreiro , s'eſt
auſſi fort diftinguée dans la Ruë
deTournon. Il ne faut pas s'ét
tonner ſi elle a un coeur François.
Elle est née en France , & le rang
qu'elle tient en Savoye , l'obli
geoit bien de s'intéreſſer dans ce
qui regarde la gloire de ces deux
Couronnes. Auffia- t-elle marqué
ſa joye d'une maniere qui n'eſt
pas commune. On aveu pendant
trois nuits une façon de Dôme
élevé devant ſa Porte. Ce Dôme
eſtoit fort Aluminé , & faifoit
briller de toutes parts les Armes
de France, de Baviere , & de Savoye.
Un grand nombre de Flam
beaux
72
MERCURE
beaux' ornoit tout le devant de
ſon Hoſtel; & un grand Bucher
que l'on alluma devant la Porte,
fut entretenu toutes ces trois
nuits , depuis huit heures du ſoir
juſques à trois heures du matin."
Ce mefme jour huitieme , qui
eſtoit celuy du Te Deum , & du
Feu de la Greve , les Comédiens
François donnerent la Comédie
gratis;& pour faire voirquedans
un temps où tout le monde eſtoſt
dans la joye , ils ne vouloient pas
épargner la dépenſe , ils choiſirent
le Gentilhomme Bourgeois, à
cauſe que cette Piece eſt remplie
d'Entrées de Balet & de Chanfons.
Le ſoin qu'ils prirent de la
bien repreſenter , fut une choſe
fi agreableau Public, qu'au commencement
, & à la fin de laComedie,
il fit auſſi des Concerts de
fon coſté, & remercia les Comé
diens
GALANT
73
diens par des Coeurs de Vive le
Röy , qui durerent prés d'un
quart-d'heure chaque fois. On
avoit lieu d'eſtre fatisfait , puis
que malgré la prodigieuſe quantité
de monde qui ſe trouva à cette
Repreſentation , tout ſe paſſa
fort tranquilement,&fans aucun
embarras , par le bon ordre qui
fut apporté.
ま
Les Comédiens Italiens donnerent
auſſi le meſme jour une
deleurs plus bellesComédiesgrato
au Public. L'affluence du menu
Peuple y fut foft grande, parce
que le Quartier en eſt tresrémply.
Cependant il y eut un fi
bon ordre , que malgré la foule,
chacun entra librement , & fans
eſtre incommode
Ce jour- là , & les deux fuivans,
leCanon de l'Arfenal , &
de la Baſtille, ſe fit entendre. On
Aoust 1682. D
74
MERCURE
le tire trois fois à trois diférens
temps dans les jours choiſis pour
chanter le Te Deum , & les Réjouiſſances
ne vont pas plus loin;
mais dans cette occafion , le Dimanche
9. & le Lundy 10. furent
cel brez de la meſme forte que
le Samedy , & on tira le Canon à
la pointe du jour , à midy , & fur
le foir. Monfieur de Beſmaux,
Gouverneurde la Baſtille,fit dreffer
un grand Bucher devant la
Porte de cette Fortereffe. Monſieur
le Marquis de Beſmaux ſon
Fils , y mit le feu. Il y eut du Pain
& du Vin diſtribué , & l'on donna
le divertiſſement d'un Feu
d'artifice d'une grandeur extraordinaire
. Je puis parler ainſi de ce
Feu , puis que le Corps de la Baſtille
luy fervit , pour ainſi dire ,
de Machine & de Corps , l'Artifice
eſtant attaché tout autour
3 modes α
GADAN
75
1
C
des Tours & des Murs de ce
Chaſteau. Ainfi jamais il n'y en
eut de fi grand, ny qui rempliſt
und fi vaſte étendue dura du
moins une heure , pendant laquelle
le bruit des Boëtes , &dela
Mouſqueterie de la Garniſon , ſe
fie entendre de loin. Tout cela
enſemble faifoit croire que la Baſtille
estoit en feu ,& avoit affez
del'air d'une Place que l'on prend
d'affalute T ob quooured mojbe
Les Marchands qui occupent
le Pont Noſtre Dame firent à
Fenvy éclater leur joye par unc
magnificence que tout lemonde
allaadmirer. Chacun s'étoit ſervy
de cequ'il vendde brillant pour
l'expoſer en dehors , & ſembloît
avoir voulu faire de cePont autant
d'Appartemens ſomptueux
qu'ily avoit de Boutiques .On l'avoitilluminé
par pluſieurs luftres
அடம் Dij
MERCURE
"
garnis de Bougies , & rangez par
tout dans une égale diſtance.
Toutes les feneſtres étoient éclai
rées d'un nombre pteſque infiny
de Lumieres depuis le haut juf
qu'au bas, Cen'eſtoient par tout
que Girandoles & Plaques dos
rées,& l'on distinguoit comme en
pleinjour les Portraits des Roys
de France ,& les autres Figures
quiornent ce Pont. On yavoit
adjoûté beaucoup de Tableaux
Les Miroirs de toutes fortes , à
bordures de cryſtal & à bordures
dorées, estoient juſqu'aux toits.
Ainfiles Lustres que l'on avoit
ſuſpendus où l'on place les Lanternes,
faifoient paroiſtre lesfeux
plus de cent fois redoublez dans
chaque Boutique. Les Chambres
eſtoientdemeſmeparure,& comme
elles font fort baſſes , il eſtoit
aiſe de voir tout ce qui estoit de-
μα dans,
GAUDAN TI 37
dans,par cette longue perspective
de Lumieres qui éclairoient tout
lePont. On alluma un grand Feu
à l'un des bouts ,& l'on choifit
une des Boutiques les plus ſpatieuſes,
pouren faire la Salle du
Bal. Elle estoittendue d'une trest
belle Tapiſſerie,& avoit pour or
nement pluſieurs Miroirs d'une
bordure admirable. On y dança
juſques a cing dieuresdu matin au
fon des Hautbois & des Violons,
& les Liqueurs n'y furent pas
épargnées . On beuvoit auſſi dans
la plupart des autres Boutiques,
- dans les Chambres , & fur le Pont
mefme. Chacun ſe répondoit l'on
àl'autre; & les Paſſans que l'on
faifoit boire,formoient à tousmol
mens de nouveaux conectts de
Vive le Roy , & Monseigneur le
Dut de Bourgogne.or
noComme Monfieur le Duc de
slost
Diij
78 MERACILARODE
Montauſier eſt Gouverneur de
MonseigneurleDauphin, il ſem
ble qu'il avoit undouble ſujer de
ſe réjouir. Auſſi peutJon diteque
le coeur du Maiſtre avoit pafle
dans ſes Domeſtiques , qu'ils
étoient tous animez de fon eſprit,
&que jamais les vifsmouvemens
d'une veritable joye n'ont a bien
paru que fur leurs viſages.A voir
la maniere dontils s'y abandonnoient
, on connoiſſoit aiſement
qu'ils ne marquoient rien qu'ils
ne ſentiſſent Quelque éclat qu'ait
eula dépenſe qu'ona faite,il n'égaloit
point celuy des agreables
Franſports que l'allegrefle a produits
pendant pluſieursjours dans
tout cet Hoſtel. Il eſtoit éclairé
d'un grand nombre de flambeaux
de poing de cire blanche ,& paroiſſoit
le Palais de l'Abondance
&de laJoyeidel'Abondance,non
ſeule
GALAN TA 79
ſeulement parce qu'il n'étoit permis
à perſonne de paffer devant
la porte , fans s'y arrefter pour
boire , mais encor parce que l'on
rempliffoit des Cruches de Vinà
tous ceux du menu peuple qui ve
noient en demander , & qu'il y
avoit des Tables dreſſées en pluſieurs
endroits ; & de la Joye, parce
que dans la court , dans les
chambres , & dans toute la Maifon,
on ne voyoit que des empor
temens de plaiſir , & des Dances
au fon de toute forte d'Inſtrumens.
Le Vendredy 7. de ce mois,
premier jour des Réjoüiſſances,
Milord Preston, Envoyé Extraordinaire
d'Angleterre, n'ayant pas
eu le tempsde faire des préparatifs,
ordonna qu'on fiſt un grand
feu,& que l'on diſtribuaft du Vin
à tous ceux qui pafferoient de
Diij
80 MERCURE
vant fon Hoſtel. Cela fut execu
té , & pendant que le Feu brû
loit , on tira beaucoup de Fuſées
volantes. Des Trompetes ſonnerent
plufieurs Fanfares juſqu'à
minuit, & il ſe trouva dans l'Hô
tel une fort grande aſſemblée de
Gentilshommes Anglois , & autres
, qui pendant tout ce temps
furent regalez de Vins de liqueur
qu'on y donna en profufion.Toutes
les feneſtres , depuis le haut
juſqu'au bas , estoient illuminées
de Flambeaux & de Lanternes ,&
l'on fit dés ce jour-là tout ce que
la précipitation put permettre.
Le lendemain Samedy, on mit
aux quatre principales Croiſées
du devant de l'Hoſtel , quatre
grands Chaſſis de Peinturetranfparente
, qui faisoient une tres
belle Illumination au dehors .
Dans l'un de ces Chaſſis , au
premier
GALAIN T. 81
5
2
premier Apartement , on voyoit
unHercule affis furdesTrophées
d'armes , repreſentantla France,
dontles Armes étoient audeſſus.
Dans l'autre Chaſſis de ce mefime
Apartement, ily avoitun Neptune
affis fummune Conque marine,
avec ſon Trident àla main ,repreſentant
l'Angleterre , & leš
Armes de Sa Majefté Britannique
audeſſushubicahanan
An fecondiApartement) , on
voyoit dans le Chaffis , au deffus
de celuy oùétoit repreſentéHercule,
les Armesde Monseigneur
ale Dauphin && de Madame la
Dauphine ,dans un mesme Ecuffon
, au bas duquel il y avoit deux
grands Dauphins.Dans le Chaffis
au deffus de celuyqui reprefentoit
Neptune on voyoit les
-Armes des troisRoyaumes d'Angleterre,
Ecoffe,& Irlande,avec la
GARRRRRRRRRRAR8xsadloDe about ack
MERCUAROE
Devife du Roy d'Angleterre,
Dieu est mon droit.
Ces Illuminations faifoient un
tres bel effet Auſfi peut- on dire
que les plus habiles Peintres de
Paris en ces fortes d'Ouvrages , y
avoient mis la main. Tout cela
fut fait en un joubia Dove
Toutes les autres Feneſtres du
devant de l'Hôtel juſqu'au toit,
furent éclairées de Flambeaux&
ade Lanternes peintes. On fit un
grand Feu,pendant lequel on tira
untres-grand nombre de Fufées.
volantes,& autres Artifices. On
continua les Réjoüiſſances dans
'Hoſtel où il y avoit quantité de
Perſonnes de qualité , & une
Troupe de Hautbois qui joüa
juſqu'à minuit.
Le troiſième jour,qui fut le Di-
-manche, on vitles meſmes Illuminations,
mais le feu fut plus grad,
les Fuſées volantes &Artifices en
GALANT. 83
plus grand nombre. Ily avoit des
Trompetes & des Timbales qui
ſervoient admirablement à finir
l'agreable ſolemnité de cette Réjouiſſance.
Il y eut des Tables dreſſées
pendant trois jours devant l'Hôtel
de Mr Fofcarini,Ambaſſadeur
de Venife. Rien n'eſtoit plus beau
à voir que cet Hôtel , qui eſtant
tres ſuperbe de luy meſime, ſembloit
recevoir un nouvel éclat de
la ſurprenante quantité de Flambeaux
de cire blanche dont il
eſtoit éclairé. Les autres Ambaffadeurs
& Miniſtres des Princes
Etrangers qui ſonticy ,ont auſſi
marqué leur joye, chacun en particulier
, avec beaucoup de magnificence,
par des Feux,des Illuminations,
de l'Artifice , &des li
beralitez au Peuple.
Male Tellier , Chancelier de
France,a fait voir àtout lemonde
84 MERCURE
combien il eſtoit fenfible au nou
veaubonheur dont elle joüit. Si fa
modeſtie m'empeſche d'entrer
dans aucun détail de ce qu'il a
fait,il eſt aifé de le concevoir par
la connoiſſance qu'on a de ſon zele
pour le Roy,&de la fidelité qui
l'a rendu digne du rang où il eſt.
: Tous les Miniſtres & Secretairesd'Etat,
fe font ſignalez dans la
meſime occaſion. Il y avoit une fi
grande quantité de Lumieresdas
leurs Hôtels , qu'on les euſt pris
pour des Palais enflâmez . Auffi
les voyoit-on éclater par deſſus
tous les autres Feux voiſins..
M₁ le Prince Adolphe a témoigné
par de tres-grandes réjoüil
fances la part qu'il prenoit à l'allegreſſe
publique. Il eſt Oncledu
Roy de Suede , & logé à Ramboüillet,
Maiſon de plaiſance aux
environs de Paris , hors la Porte
Saint Antoine. Un nombre
4
GALANT. 85
preſque infiny de Lumieres éclairoit
cette Maiſon dedans & dehors.
Outre un fort grand Feu
qui fut allumé devant la Porte, il
yen eut un d'artifice , auquel ce
Prince,& le Prince ſon Fils ,mi
rent le feu chacun avec un
Flambeau de cire blanche. Quatre
Tables furent ſervies avec
beaucoup de magnificence, pour
un fortgrand nombre de Perſonnes
de qualité. Preſque tous les
Miniſtres des Princes Etrangers
avoient eſté invitez à ce Régale.
Tout ce que l'on deffervit fut
donné au Peuple. Les Hautbois
&les Violons ſe firent entendre
pendant le Repas , & la réjoüifſance
finit par le bruit des Boëtes,
&le divertiſſement des Fusées
volantes.
Milord Stafford s'est fait auffi
remarquer dans ſonQuartier par
quanti
86 MERCURE
quantité d'artifice , & par toutes
les autres choses qui font connoître
qu'on ſe réjoüit d'un grand
bonheur.
Madame la Princeſſe Mariane
de Wirtemberg n'a pas laiffé
échaper cette occaſion de donner
des marques de l'attache
ment qu'elle a pour la France.
Vous ſçavez , Madame , qu'il y a
pluſieurs années qu'elle eft à Paris
ſous la protection de Sa Majeſté
. Son Hôtel , qui eſt un des
plus agreables de toute la Ville,
eſtoit éclairé par une infinité de
Bougies qu'on avoit placées le
long d'une Galerie & d'une Baluſtrade
qui regne au deſſus de
la Porte Des Flambeaux de cire
blanche eſtoient allumez au
deſſus , & tout autour de la Ba-
Juſtrade. Il y avoit devant cette
mefme Porte un Feu d'artifice
; des
GALANT. 87
des mieux entendus. Il dura longtemps
, & fut' tiré au bruit des
Tromperes 280des Timbales .
Vous jugez bien qu'il y accourut
grand monde. Ceux qui eurent
ſoif, pûrent ſe deſalterer par
une Fontaine de Vin qui couta
en abondancel.co
La meſme Princeſſe de Wirtemberg
a eſté témoin des marques
de joye que l'on a données
dansl'Académie Royale de Monfieur
Coulon pour la Naiſſance
deMonfeigneur leDuc de Bourgogne.
On y fit une eſpece de
Caroufel ,& l'on y courut la Bague
& les Teſtes. L'Aſſemblée
--querce Spectacle attira fut fi
nombreuſe , que quoy que tous
les Maneges , & les autres lieux
où les Exercices ſe font ordinairement
, ſoient tres-ſpatieux,
on cût de la peine à y donner
place
-88 MERCURE
place à toutes les Perſonnes de
qualité qui ſe preſenterent. Cependant
Meſſieurs les Ecuyers
du Queſnay , du Guard & Rochefort
, affociez avec Monfieur
Coulon , reglerent les chofes
d'une maniere qui empécha de
deſordre. Tous les Spectateurs
furent contens , & eurent ſujet
de ſe loüer des honneſtetez qui
leur furent faites. Monfieur le
Prince d'Ooftfriſe , qui apprend
fes Exercices dans cette fameuſe
Académie , fit prodiguer toute
forte de Liqueurs , de Fruits ,&
de Confitures , & pour rendre
cette Feſte plus remarquable , il
priaMadame la Princeſſe Mariane
de Wirtemberg ſa Tante, de
diſtribuër deux Prix qu'il avoit
deſtinez pour les Vainquers. Le
premiereſtoit une riche Epée ,
pour celuy de la Courſe de Bague
GALANT. 89
gue ;&l'autre une Montre d'or
d'une façon finguliere, pour ceb
le des Teſtes. Les Gentilhommes
qui les devoient diſputer , firent
paroître à l'envy leur magnificence
dans la beauté de leurs
Plumes , & dans la richeſſes de
leurs Habits. Ce n'eſtoit qu'or
& argent,& des Rubans en profufion.
Les Harnois de leurs
Chevaux en estoient tout parfemez
, & à chaque changement
qu'ils en faifoient , ils chan
geoient de Garniture. Les Dames
qui estoient le plus bel ornement
de l'Aſſemblée , leurs inſpiroient
une ardeur qui augmenta
leur adreſſe. On n'a pu me
dire les noms de tous ces Mefſieurs.
Je n'en ay appris que quelques-
uns que vous trouverez icy.
Je ne leur donne aucun rang.
Monfieur le Prince d'Ooſtfrife .
Monfieur
1
१० MERCURE
Monfieur le Comte de Montarnal
. "
Monfieur le Marquis de Pu
tanges. JA 2
Milord de Mandeville deMon
waiguch matalab
Monfieur le Marquis de Marignane.
laux, fon Frere 00
Monfieur le Chevalier de Ve-
4
-Monfieur le Comte de Mé-
:rode.
Monfieur le Marquis de Do-
-guepine..
Monfieur des Bois.
Monsieur le Conte Diaulet.:
Monfieur le Comte Philippes
de Konigſmarck.
Monfieur Coulon , qui a cſté
Page de la Chambre.
Monfieur de Vilquenie... :
Pluſieurs Trompetes firent
Rouverture de ce Carrousel , &
conti
GALANT १४
continuerent leurs Fanfaresjur
quies àla tin. Monfieur le Prince
d'Ooſtfriſe remporta le Prix de
laBague avec une grace & une
adreſſe , qui luy attirerent l'ad
mitation de tout le mondebEng
fuitecon fit la Courſe desTeftes.
Monfieur le Marquis de Marig
nane ,&Monfieur le Chevalier
deVelaux fon Frere, eurent l'al
vantage fur tous les autres. Ils
enleverent chacun huit Teſtes
en trois Courfes. Cette égalite
ayant rendu la Victoire incer
taine entr'eux , il fut reſolu que
le Prix feroit donné à celuy qui
feroit le plus de Teſtes dans une
feule Course. Quoy qu'ils cou-
Truffent tous deux avec toute l'adreſſe
poſſible , l'Aîné fut le plus
heureux. Il enleva les quatreTêtes
, avec une juſteſſe qui luy fit
donner beaucoup de louanges.
Le
92 MERCURE
Le Cadet n'en fic que trois. Ces
deux Freres font d'une des plus
confiderables Maiſons de Pro
vence ,&Moufquetaires dans la
Compagnie de Monfieur le Com
mandeur de Fourbin. Comme ils
font encor fort jeunds ,tilsache
vent leurs Exercices , en attehdant
qu'ils foient en état de fe
ſignaler dans le ſervice du Roy.
Monfieur leMarquisde Marignane
eut l'honneur de recevoir
le Prix de la main de Madame la
Princeſſe de Wirtemberg , qui le
Juydonna de la maniere du monde
la plus obligeante. La Feſte
finit par le Manege que chaque
Gentilhomme fit faire au Cheval
, qui luy eſtoit écheu par
droit d'ancienneté. Tout le monde
ſçait que l'Académie de Monfieur
Coulon , paffe pour l'une
des mieux montées qui foient
dans
GALANTM
93
dans Paris , foit pour le grand
nombte de bons Chevaux , foit
pour leur gentilleſſe. Ainſi l'on
peut croite que rien ne manqua
dece qui pouvoit contribuer à la
fatisfactionde l'Aſſemblée.
1.Je pouſſerois trop loing cet Articles
fibje vous nommois tous
ceux dont le zele a éclaté par les
marques de leur joye. Je ne puis
pourtant m'empeſcher de vous
dire en peu de mots , de quelle
maniete Monfieur de Saint Vall
lier a fait paroître la fienne. Sa
Maiſon brilloit entierement de
Lumieres depuis le haut juſqu'au
bas ,& comme elle eſt au bout
du Pont- rouge , & au paffagede
tout ce qui entre& fort du Fauxbourg
S. Germain, il avoit fair
mettre tous fes Gens de Livrée
aux trois avenuës , & lors qu'il
paſſoit quelqu'un, ils luy faifotent
6 boire
A
940 MERCURE
boire la fanté du Roy ,deMonſeigneur
le Dauphin ,& de Mon-1
ſeigneur le Duc de Bourgogne.
Cette fonte de regalea duré trois
jours,pendant leſquels on a toû
jours bû & dancé à la clarté de
deux grands Feux , auſquels on
ajoûtoit à toute heure de nou
veau bois , afin qu'ils duraſſent
juſqu'à ce que tout le Peuple ſe
fuſt retiré.
Monfieur le Duc de S. Aignan
eftant dans le Château d'Alin
court , que Monfieur le Maréchal
de Villeroy luy avoit prê
té pour prendre des Eaux de Forges
,y reçeut aviso par unCour
rier exprés , de l'accouchement
de Madame la Dauphine. Il envoya
auſſi- toſt in Gentilhomme
en Cour , pour y témoigner fa
joye, & fit fur le champ une Ballade
fort galante , qu'il adreſſa
criod
GALANTA 93 :
àMadame la Ducheſſe de Richelieu.
A fon retour il fit faire
un Feu devant ſon Hoſtel ,& tirerun
fort grand nombre de Boë
tes. Un de ſes Amis luy ayant
fait compliment ſur la quantité
de ces Boëtes , il luy répondit
agreablement , que s'il en avoit
pû trouver davantage , il y auroit
fait mettre le feu , & meſme
à celle de Pandore , fi elle luy
fuſt tombée entre les mains , ne
pouvant ſe perfuader que dans
le bonheur dont la France joüif
foit , il euſt pû fortir de cette
Boëte aucun des malheurs dont
on dit qu'elle a eſte autrefois
remplie.
2
Le Recteur , & tous ceux qui
compoſent l'Univerſité , n'ont
pas eſté des derniers à prendre
part à l'allegreſſe commune. Ainſi
on a veu la Sorbonne toute illuminée,
96 MERCURE
luminée , &l'on a fait de grands
Feux dans la Court & devant la
Porte de cette magnifique Maifon.
Le College Royal de Navarre,
ceux du Pleſſis, de Bourgogne,
d'Harcourt,& de Beauvais , ont
fait auſſi paroître leur joye ; &
les Ecoliers de tous ces Colleges
ayant jetté beaucoup d'artifice,
&fait diverſes réjoüiſſances aux
cris de Vive le Roy , &Monfeigneur
le Duc de Bourgogne , on ne
peut douter que ces Concerts
ne fuſſent tres- éclatans , eſtant
compoſez d'un nombre infiny
deVoix qui n'avoient pointd'autres
meſures que l'emportement
de leur zele..
Chacun faiſant paroître la joye
qu'il avoit de la Naiſſance du
nouveau Prince , & ſe ſervant
pour cela des chofes qui regardoient
ſon employ , Monfieur de
Lully,
GALAN T 97
Lully a crû devoir donner l'Opera
au Public. On y entroit par
un Arc de triomphe , & c'eſtoit
veritablement triompher, que de
pouvoir paſſer par deſſous , tant
il y avoit de perils à eſſuyer pour
y parvenir . On pourroit dire
qu'il y vint un Monde entier,
La diférence de ce qui s'eſt preſenté
de Peuple à la Comedie &
à l'Opera , quand on luy a donné
gratis l'un & l'autre , fait connoiſtre
la grande fortune que le
merite des Ouvrages de Mon
ſieur de Lully luy fait faire. Comme
il eſt le plus habile qui ait jamais
paru en ſon genre , il eſt
bien juſte que le Public le diftingue
par l'empreſſement qu'il a
de voir ce qu'il fait. Apres la
repreſentation de Persée, le grand
Portique par deſſous lequel on
eſtoit entré , & deux Obeliſques
Aonst 1682 .
2
E
98 MERGURE
quil eſtoient aux deux coſtez!
parurent tout en feu , & un Soy
leil s'éleva peu à peu au deſſus
Ge Soleil eſtoit composé de plus
demille Lumieres vives , c'eſt à
dire fans eftre couvertes. On tira
en fuite plus de ſoixante Fufées
d'honneur lesunes apresles au
tres, &Pon fit coulerjuſqu'ami
nuit une Fontaine de Vin , qui
contola pluſieurs Perſonnes de
n'avoir pu entrer àl'opera
Dans toutes les occafions , où
il a eſté queſtion de marquer ſa
joye pour tout ce qui al regardé
la gloire du Roy , Monfieur-le
Brun n'a jamais manqué de ſe
diftinguer. Vous vous ſouvenez
du Feu d' Artifice, qu'il fit faire,
&dont je vous envoyay le Defſein
grave , quand Sa Majefté
donna la Paix . Pay à vous parler
aujourd huy d'un autre que
vous
GALANT
vous trouverez beaucoup plus
confiderable . La nouvelle de la
Naiffance de Monſeigneur le
Dic de Bourgogne , ne fut pas
plutoſt venue aux Gobelins , que
tous ceux de cet Hoſtel Royal,
&fur tout Monfieur le Brun ,
qui en eſt le Directeur , voulurent
faire connoiſtre au Public la
joye qu'ils en reſſentoient , par
une Pyramide de feu de quinze
pieds de haut , qu'ils allumerent
le foir dans la Ruë. On fit couler
une Fontaine de Vin juſqu'à
minuit . On eut ſoin de régaler
tous ceux qui ſe preſenterent ,
& on n'yépargna épargna rien de ce qui
pouvoit entretenir la réjoüiſſance
. Le lendemain on alluma un
autre Feu pareil au premier , &
l'on fit les meſmes Regales à tout
le monde. Comme cette Feſte
devoit eſtre continuée trois jours,
:
Eij
100 MERCURE
1
on eut le temps d'élever pour le
troiſieme une magnifique Décoration
devant la Porte de l'Hoſtel
des Gobelins , pour ſervir à un
Feu d'artifice . Cette Décoration,
qui estoit de cinquante pieds de
haut , & de quarante-deux de
large, repreſentoit la Façade , ou
le Portail du Temple de l'Immortalité.
Ce Temple,de figure octogone
, eſtoit orné de deux Ordres
d'Architecture l'un ſur l'au-
2
tre , le ſecond Corinthien &
,
avoit trois Portes dans trois diferens
pans de l'Octogone . Au
deſſus de celle du milieu , plus
élevée que les autres, eſtoient les
Armes de France dans un Globe
foûtenu de Dauphins , accompagné
de Trophées , avec des
Eſclaves. Audeſſous étoit le Buſte
deMonſeigneur le Dauphin , &
plus bas , les Armes de Monfei-
:
gneur
:
GALANT. JOI
gneur le Duc de Bourgogne.
Les deux Portes des coſtez
eſtoient occupées , l'une par la
Statuë d'Hercule, l'autre parcelle
de Minerve , les Pied-d'eſtaux
de marbre , & les Statues d'or.
-Ces deux Divinitez eſtoient miſes
là comme pour défendre l'entrée
du Temple , & ne la laiſſer
libre qu'à ceux qui par leurs ver-
-tus ſe ſeroient rendus dignes d'y
avoir place. C'eſt ce qui avoit
donné licu d'écrire ſur le Piedd'eſtal
en lettres d'or , du coſté
d'Hercule , Porta patent virtuti,
& du coſté de Minerve , Procul
binc profani .
Entre les Pilaſtres , en quatre
endroits diférens , eſtoient des
Ovales ou Cartouches , dans lefquelles
il y avoit des Deviſes faites
par Monfieur l'Abbé Tallement
le jeune,Intendant desDe-
E iij
002 MERCURE
viſes & Inforiptions des Edifices .
Royaux
La premiere eſtoit un jeune
Lyon, avec ces paroles d'Ovide,
Nominibus generofusavitis Cejeune
Lyon eft fier des ſa naiſſance,
&ne ſe promet pas moins de force
& de generoſité qu'ont ceux
dont il fort ; ce qui convient affez
-bien à Monſeigneurole Duc de
Bourgogne, qui ſuivra glorieuſement
les traces de ſes Ayeux , &
fur tout du Roy , dont il recevra
fon illustre éducation .
Une Fufée volante faifoit le
Corps de la ſeconde Deviſe .Elle
avoit ces mots pour Ame , Quo
non accepto ardore feretur ? Pour
dire que de mefme que cette Fuſée
qui a en ſoy une matiere combuſtible
, brillera dans l'air dés
qu'on yaura mis le feu. Monfeigneur
le Duc de Bourgogne, qui
a
GALANITA 103
-9
adans les veines de Sang illustre
de LOUIS LE GRAND;fera briller
fon nom &fesivertus, quand Sa
Majeſtey aura adjoûté fes leçons
&ſes exemples.Col mengistuotA
-Lanroifiéme eſtoiutinLysavес
unaunel perioLys/flinery dorgania
de la tigeAcodes mots d'Ovide,
Patrij candoris Imago Ge jeunel
LysebilamrayeImage de lablan
clocurida Lysdontibjentu formyb
Monſeigneur le Duc de Bourgo
gnadera alili dedoinayPortrait de
lakoarideuti, corſtàdiredes vertus
de Morifeigneurle Dauphin fon
Barel 2914 A xarabo ?
Dans la dernière Deviſelon
voyoitain Aigle montrantileSol
leilafon AigloCes pianotestirées
d'Horace duy fervoientd'Ame,
Dos magnaparentis,pour faireicon -l
noitrenqué comme cerAiglelne
peut donneninplus grandretail
105 Eij
104 MERCURE
tage à fon Aiglon,quedeluyfaire
contempler de Soleil z dontdalus
miede huy communique la force
qui le rend le Roy des Oyſeaux,
Monſeigneur le Dauphin ne peut
donner duPrinceſon Filsunhe-
Fitage plus riche,quėdę luydone
ner à contempler fon Ayeul,don't
le ſimboleeſtole Soleil ,d'où il pui
fera toutes les vertus qui le rend
dront un jour digne d'eſtre ſon
Petit-Fils . beslisan M
Sur la Corniche du premier
Ordre, regnoit une Baluſtrade!
d'or & aux deux extrémitez eftoient
poſées deux figures , l'une
de la Justice,& l'autre de la Piété.
Le milieu plus élevé, portoitune
haute Piramide ornée de Palmes,
qui renfermoiét pluſieurs actions
heroïquesde Sa Majeſté.Au haut
dela Pyramide eſtoit l'Immorta
lité, tenant en ſamain un Cercle
d'or
GALANT.
1ος
I
1
13
d'or étoilé pour en couronner le
Roy , dont le Buſte eſtoit placé au
bas fur le devant du Pied d'eſtal.
On avoit environné ce Pied- d'eſtal
de Trophées,& l'on y voyoit
deux Statuës aux deux coſtez, l'une
de la Gloire , & l'autre de la
Valeur. Le reſte de la Balustrade
eſtoit couvert de Trophées, avec
deux grands Ovales qui contenoient
deux bas reliefs ; dans l'un
deſquels on avoit repreſente Hercule
ſe repoſant de ſes travaux.&
faiſant voir ſous ſes pieds quantité
de monſtres défaits . Dans l'autre
étoit Minerve , triomphante
des vices. Ces deux Divinitez qui
défendoient en bas l'entrée du
Temple,donnoient à entendre en
ce lieu- là ,que ceux qui par leur
vertu avoiet merité d'y avoir place,
jouiſſoient enſuite d'une parfaite
tranquilité; & c'eſt ce qui
2 E
13
t
1
106 MERCURE
avoitdonnélieu d'écrire en lettres
d'or ſous le bas - reliefd'Hercule,
cesmots tirez de Virgile & misen
contreſens, Tandem dat cura quietem,
pour dire qu'apres beaucoup
de travaux, enfin les Heros trouvent
de la tranquilité.Sous le basreliefde
Minerve,on avoit mis ces
mots auſſi de Virgile, Placidâpace
quiefcit,pour montrer que laVertu,
apres avoir eſté bien exercée,
trouve enfin le reposoù elleafpire
.Derriere cettePyramide&ces
Trophées, Figures &Bas- reliefs,
on voyoit briller le ſecond ordre
de ce Temple, Il eſtoit Corinthie,
les Pilaſtres de Marbre , avec les
Bafes &les Chapiteaux d'or.Dans
le milieu une grande ouverture
en arcade eſtoit preſque cachée
par la Pyramide , & ce qui l'accompagnoit.
Il y avoit deux grads
Tableaux dans les deux autres
Pans
C
si
a
t13
؟
4
د
G
14
eri
GALANTM 1871
Pans qui étoientplusen veue Le
premier de ces Tableaux tepre-)
LentdioJafon,quitenleveplaToiſon
diorg & l'autre faiſoitvoir The
fee,VainqueurduMinotaure.
Legrand Edifice finiſfoit par
une Balustrade joaveq depperiss
Piedid'eſtaux,d'espace enefpace. I
Sur des Pied- d'eſtaux q estoient
desiMaſesàl'antique, dioù il for
teit des flames.Tous lesenvirons !
eſtoientcomezordehTapiſſebie &
de Tableaux , Frepréſentantd'un
coſtélés Actions Heroiques du
Ray, & de L'autre coſté celles
diAlexandre of zuoloivasba
Commeje vousenvoye le Deſ
ſein grave de cette,repreſentationje
nermiattacheray point davantage
à le décrive. Pour peu ,
quevous avez d'applicationa l'e- .
xaminer ,vous découvrirez fort
aiſement le foimparticulier que ,
10000 Mon
108 MERCURE
1
Monfieur le Brun a pris de tout
cer Edifice. 1 200 об топти
Quoy que ceTemple de l'Im
mortalité paruit tres beau pen
dant le jour , & que l'on ne puſt
s'imaginer qu'il y manquaſt rien
de ce qui pouvoit luy donner des
l'agrément ; le foir, lors quel'Artifice
fit paroiſtre un Soleil qui
s'éleva peu àpeu juſques aulieu
le plus éminent, & dont les rayons,
étendus de toutes parts , al
lumerent le Feu d'artifice , qui
fut precedé du bruit des Boëtes,
du ſon des Trompetes,& du concert
des Violons , le tout reprit un
nouvel éclat . Les Illuminations,
,& les Fuſées , avoient eſtédiſpoſées
d'une maniere qui les empé-1
choit de cauſer aucun defordre
dans l'economie de cette repreſentation;
& outre les effets que :
cet Artifice fit en l'air, il ſervic..
encor
L
GALANT 109
(
encor à rendre l'ordonnance de
ce Temple plus grand , & plus
magnifique qu'elle n'avoit paru
tout le jour.Ayoob asar
-L'on termina cette Feſte par
un autre Feu de bois en Pyramide
pareil aux premiers. Il fut
auſſi allumé au bruit des Boëtes,
& au fon des Violons & des
Trompetes , & entretenu longtemps
pour éclairer une ſi belle
nuit.On tint table ouverte,& l'on
fit couler ,comme aux deux jours
precedens, une Fontaine de Vin,
qui ne ceſſa point juſqu'au lendemain.
Apres un ſi long Article des
Réjoüiſſances de Paris, il ſemble
que je n'aye plus rien à vous en
mander , cependant je n'aurois
encor fait que commencer , ſi je
ſuivois l'ordre de quelques Rélation
qui ont parlé des Mar-
7.7
chez,
010 ERACUARE
!
1
chez,des Ponts , desPlacespa
bliques, des Quais, des Rmës, 30
des Particuliers. Comme la finde
chacun de ces Articles quil par
leroient tous de Boëtes d'Artifi
ces , d'Illuminations,&deVin
diftribué , ſeroit plus ample quo
le corps, qui ne contiendroit que
le nom du lieu ( ce qui feroit re
peter cent fois la meſme choſe )
je croy devoir prendre te partyo
de vous faireune peinturegene
rale de la joye qu'on a fait paroî
tre icy, & de ce qui s'y eſt fait
d'extraordinaire.Je commence
par les Illuminations. Elles n'ont
pa's eſté ſeulement de Lanternes,
& de Chandelles fur les Fene
ſtresinaisdeFlambeaux depoing
de cireblanche , deFalots,80 de
Lampes de diverſes ſomes. Ces
Lumiéres estoient employéesde
deux façons Lezaunes estoiend
sodo
vives,
GALANT.
vives , c'eſt àdire , qu'elles n'étoient
enfermées dans aucunes
Machines.Celles-làrempliffoient
des pans de Murailles, des Terraffes
, des Corniches ,& toutce
qui les pouvoit recevoir. Onvo
voit des Flambeaux de poing fail
lir des Feneſtres dans de riches
Bras,ou dans des Machines faites
exprés , peu de Bras eftans propres
à contenir des Flambeaux
de poing. LesFalots paroiſſoient
juſques ſur les Cheminées , &
les Lampes eſtoient attachées
contre lesmurailles. Les Machines
qui couvroient ces Lumieres en
beaucoupd'endroits(car end'au
tres on avoit meflé les Lumieres
vives avec les Machines ) repre
ſentoient desFigures qui remplif
foient des Croiſées entieres ,des
Obeliſques,des Allegories,des Pyramides,
des Deviſes, des Armes,
des
1121 MERCURE
F
des Inſcriptios à la gloire du Roy,
&de toute la Maiſon Royale.On
voyoit outre cela des Groupes de
Lanternes , & des Machines,
mouvantes, roulantes & tournantes
, des Lanternes ſuſpenduës,
au milieu des Rues beaucoup,
plus haut que les toits , avec des
lettres de feu , où l'on diftinguoit
Vive le Roy , comme ſi l'on euſt
voulu porter la gloire de Sa Majeſté
juſques dans lesCieux. Enfin
il n'y a forte deMachine propre
à illuminer que l'on n'ait imaginée
, & pluſieurs en ont même
changé trois ou quatre fois . Tel
qui n'avoit jamais fait de Deviſes
en inventoit , & les Femmes
mêmes cherchoient des ſujets
pour donner aux Peintres , qui
regardaſſent la Naiſſance qu'on
celebroit On voyoit avec cela,
les Terraſſes de plufieurs Hôtels
rem
GALANT 113
2
remplies d'Orangers entourez de
Flambleaux d'argent garnis de
Lumieres, & des Luftres auffi
d'argent ſuſpendus au deſſus des
Balcons pareillementpornez de
verdure , ce qui produiſoit un ef
fer très- agreable , rien n'eſtant
plus beau que les Lumieres avec
la Verdure. Auſſi des Particuliers
avoienthils fait des Feüillées
avec des branches qu'ils avoient
envoyé couper à la Campagne,
&l'on a veu pluſieurs Bateaux
fur l'eau garnis de Verdure , de
Lumiere, &d'Artifice. Iln'y avoit
d'ailleurs preſque point de Ruës,
où quelque Lustre de cristal ne
fuſt ſuſpendu. La plupart des
Courts que les Paſſans pouvoient
voir , eſtoient auſſi fort illuminées.
Joignez à toutes ces choſes
la clarté des Feux,& celle que
produit l'Artifice . Comme chacun
14 MERCURE
cun en avoit allume deviant fa
• Porte avec une tres grande ret
igularité, on en voyoit deux rangs
dans toutes les Rues Ges Felix
eſtoient coupez d'eſpaceren lefl
Pace par ceux d'artifice qu'on
Failon jouer devant des Hoſtels
des grands Seigneurs, dar de qui
auroit elte autrefois un Feudarrifice
public ,en estoit un d'une
graindMaiſon particulieres Plas
heurs Bourgeois avoient mélé de
Artifice parmyales Feux com
poſez de Bóis, &i l'on wentent
doit de tous côtez que bavit de
Petards & deFusées.Outre cel
les que jettoient les Gens du
commun , les Apprentifsde toutes
fortes de Meſtiers ,& les Do
meſtiques des Perſonnesde quadité
( ce qui produifait une
pluyellde feu s'il eſt permis de
parler ainfi ) on faifoit àtrous
1.00
momens
GALANT.
momens des décharges d'Armes;
-& les Femmes , apres avoiriap-
-pris à tirendes Fusées, ſe hazar-
-doient à tirer desiPiſtolets. Des
-Particuliers avoient fait dreffer
Jon quelques endroits des Cordes
quil traverſoient la Riviere. On
mettoit le Feu à des Fuſées volantes
, quieſtant attachées à ces
-Cordes , coroient deſſus avec
lamefine rapidité que frellas eufſent
eſté en l'air ,& comme elles
allumoient d'autres Fusées placées
au bout de la Corde,& que
les dernieres alloient du côté
dont les premierespeſtoient par-
-ties, on croyoit que les meſimes
retournoient , ce qui a fait faire
pluſieurs gageures. Voilade
quelle maniere Paris eſtoit au dedans.
On voyoit dans chaque
Ruë, tant en l'air qu'à terre, cinq
Perſpectives de Lumieres toutà
116 MERCURE
L
2
à- la - fois ; ſçavoir, deux des Feux
-qui estoient des deux côtez de-
-vant les Maiſons , deux des Illuminations
qui éclairoient les Feneſtres
, & une autre des Laneternés
& Machines que l'on avoit
fuſpendues. Quant au dehors ,
cette Ville , quoy que la plus
grande du Monde , ne paroiffoit
oque la Machine d'un Feu d'artifice;
les Fusées volantes qu'on
tiroit de tous les Hoſtels , & que
des Particuliers meſmes faifoient
tirer , pouvant eſtre priſes pour
les Fuſées de ce Feu. Ceux qui
-eſtoient à quelque diſtance de
Paris , en voyoient à chaque inſtant
voler en l'air des centaines .
Les Villages des environs étoient
auſſi tout en feu , les Païfans en
ayant allumé d'eux meſmes , dés
qu'ils avoient ſçeu laNaiſſance de
Monſeig. le Duc de Bourgogne,
Les
GALANT 117
Les Réjoüiſſances de Paris
n'ont pas eſté bornées aux Feux.
Les Timbales , les Trompetes, les
Violons , les Hautbois , s'y ſont
fait entendre de toutes parts ; &
leur bruit meſlé à celuy des Fusées
, des Armes à feu , des Boё-
tes , des Acclamations publiques,
& des cris de Vive le Roy, & tou
te laMaiſon Royale , formoit en-...
ſemble un concert qui ne peut
eſtre entendu dans aucune autre
Ville du monde. Le nombre des
Tables qui estoient dreſſées de
vant les Maiſons, & dansles Bou- )
tiques , eſt une choſe qui paſſe
toute croyance Il y en avoit qui
occupoient preſque la longueur
des Rues. On ſe répondoit des
Feneſtres le Verre à la main. Onj
arrêtoit les Carroffes qui paſſoient
pour faire boire toutes les Perſonnes
qui étoient dedans, Hommes
:
1181 MERCURE
}
mes &Femmes , de quelque qualité
qu'elles fuffent ; & quand il
n'y avoit plus rien dans les Tonneaux
, on y mettoit auſſi toſt le
fen-dans le lieu mefme où l'on
avoit beû , pour faire-voir qu'ils
venoient d'eſtre vuidez . On s'étoitſervy
en beaucoup d'endroits
decent manieres ingenieuſes,
pour y faire des Fontaines d'où
couloit le Vin. Il ſembloit que
cate Liqueur , qui d'ordinaire
cauſe des querelles , n'avoit plus
que les qualitez neceſſaires pour
exciter ſeulement la joye , puis
que pendant ces Réjoüiſſances
publiques pluſieurs ſe ſont émbraffez
,& ont mis fin àleurs diferens.
Il y eut des Maſques en
beaucoup de lieux ,des Bals pref
que par tout , & l'on pourroit
mefme dire que tout Paris eſtoit
comme une Salle de Bal La plû
part
GALANTM 1491
partde ceux qui font Enſeignes
de la Compagnie de leur Quar
tier, avoient mis leur Drapeau à
leurs Fenestres , & donnoient à
boire deſſous Pluſieurs jeunes
Bourgeois s'eſtant aſſemblez ,
compoferent une Compagnie de
Moufquetaires,& comme ils ſca-i
voient quebles Rubans grisdelin
plaiſentà Madame la Dauphine,
ils en mirent à leurs Chapeaux,
as leurs Cravates , & à leurs
Noonds d'épaule , & fe prome
nerent ainſi par la Ville Tambour
batant , &leMoufquet fur
l'épaule. Les Réjouillances n'él
clatoient gueres moins pendant
lejour. Il y avoit des Bals ouverts
dés l'apreſdînée ,& chacun fai
foit fervir laCollation àſes Amis
Il ſembloitque les Divertiſſemens
augmentaflent chaque jour. Les
Peresdonnoient à leurs Enfans
dequoy
sap
Σ
1201 MERCURE
dequoy ſe réjouir , les Maiſtres à
leurs Domeſtiques , & les Artifans
à leurs Garçons , & à leurs
Aprentifs . Pluſieurs ont fait con
noître leur joye ,&beny le Ciel
par des manieres opposées. Ils
ont donné des Aumônes , & fait)
habiller des Pauvresis & cer
taines Gens qui dans une
autre ſaiſon auroient fouffert
qu'on les aſſiſtat , faisoient des
liberalitez pour rendre gracesi àś
Dieu de la Naiſſance du Prince
Outre les grandes largeſſes que
le Roy a faites aux Priſonniersde
la Conciergerie , ils en ont auffi
reçeu beaucoup des Particuliers,
ce qui leur a donné lieu de faire
de grandes Réjoüiſſances, demaniere
qu'on euſt pris ce Lieu , où
la triſteſſe a coûtume de regner,
pour le ſejour des Plaiſirs. Ainſi
l'on peut dire que les Pauvres,
que
GALANT 12
que les Prifonniers , que le Peuple
,&les Perſonnes de qualité,
onttousmarqué les meſmes empreſſemens
pour ſe réjouir.
Les tranſportsde joye que ceux
de la Place Royale ont fair écla
ter, ne peuvent eſtre décrits, non
plus que l'éclat de ſes Lumieres.
La ſimétrie des Maiſons donnoit
de la regularité à ce Spectacle de
feu , &rien n'eſtoit plus agreable
à la veuë. Outre la clarté qui
partoit des Hôtels éclairez depuis
le! haut juſqu'au bas , le Parapet
que l'on a fait depuis peu autour
de cette Place, paroiffoit tout lu-'
mineux. Il y avoit de petits Canons
à l'Hôtel de Richelieu , qui
n'ont point ceffé de fe faire entendre
tant qu'ont duré ces Réjoüiffances.
Vous ſçavez qu'il eſt
fituédans cette Place , auffi-bien
que les Hôtels de Chaunes , de
Aoust 1682 . F
122 MERCURE
Duras ,& de Dangeau , où l'on a
fait des choſes extraordinaires.
On ne s'eſt pas moins diftingué
àl'Hôtel dela Feuillade , & l'on
défonça juſques à ſept ou huit
muids de Vin à l'Hôtel de Villes
roy.Les Feſtes furent preſque égales
chez toutes les Perſonnes de
qualité. Les Violons que Monſieur
le Prevoſt des Marchands
avoit envoyez dans le Jardin des
Tuilleries , à la Place Royale , &
en pluſieurs autres endroits de la
Ville, n'avoient pas peu contribué
àmettre le Peuple en joye ;& ce
qui eſt aſſez ſurprenant, c'eſt que
dés les trois premiers jours , des
Particuliers firent de tres-beaux
Feux d'artifice malgré le peu de
remps qu'ils avoient pour les faire
preparer . Si l'on confidere l'amour
que tous les Peuples de
France ont pour leur Roy, l'on ne
seton
GALANT.
123
s'étonnera point de toutes ces
Réjouiſſances , & l'on ſera aisément
perfuadé qu'on les verra
toûjours redoubler , pour toutes
les choſes quidonneront quelque
forte de fatisfaction à LoüiS LE
GRAND.Tout ce que je vous puis
dire, Madame , c'eſt que les bons
François n'ont pû voir tous ces
tranſports qui partoient du fonds
de l'ame , ſans que la joye leur
ait fait verſer des larmes. Je ne
vous dis rien dont je n'aye eſté
témoin.
Pendant les deux ou trois premiers
jours qui ſuivirent celuy de
la Naiſſance de Monfeig, le Duc
de Bourgogne , tout le Chemin
de Verſailles fut couvert du Peuple
qui vouloit aller témoigner
ſa joye en ce lieu-là par ſes acclamations.
On y entendoit les cris
de Vive le Roy réïterez par autant
Fij
124 MERCURE
de voix que fi laCoureuſt eſté au
milieu de Paris. Ceux qui firent
ce voyage, apresavoir vûSa Majeſté,
chercherent à voir le nouveau
Prince. Quelques - uns fe
rencontrerent dansdes heures afſez
favorables pour jouïr de ce
bonheur , & les autres ne laiffe
rent pas d'avoir quelque forte de
fatisfaction à voir ſeulement fon
Apartement. Madame la Maré
chale de la Motte voulut bien fe
donner la peine de montrer ce
Prince à tout le monde , quand
elle crut le pouvoir faire , ſans
qu'il en reçeût aucune incommodité.
Elle s'attira par làbeaucoup
de'loüanges. Cette Naiſſance a
fait faire quantité deVers. Jevous
en envoye quelques- ns. En voicy
del'illuſtre Mademoiselle de Scudery.
A
GALANT.
1251
A MONSEIGNEUR
LE DUC
DE BOURGOGNE .
V
Enez heurex Enfant ,
àla lamiere ,
venez
Vous allez commencer une illustre
carriere , 1
Et le Soleil qui n'aist aux bords de
L'Orient;
N'a pas àsa naiſſance un éclat fi
riant. 4
Tout brille autour de vous ; lesfeux,
les Ris , la Gloire ,
Parent vôtre. Berceau comme un
Char de Victoire.
Mais , ô divin Enfant , quand on
fort de Heros,
On ne vit pas longtemps dans les
bras du Repos.
Hâtez vous ; que le corps , l'esprit,
&le courage ,
2
Fij
126 MERCURE
Forcent les Loix du temps , & les
Regles de l'âge;
Paſſezrapidement lesfrivolesplaifirs
,
Et concevez bientoſt d'héroïques
defirs.
Vous pourrezfurpaſſer tous les Prin
ces dis Monde ,
De vospremiers Exploits remplir la
terre& l'onde ,
Digne de vôtre Nom estre adoré de
tous ,
Etvoir toûjours LOUIS , bien au:
deſſus de vous ,
Eclairer tous vos pas , vous servir
deModele ,
Eſtre du Roy des Roys une Image
fidelle,
Le bonheur des François , l'ame de
fes Etats ,
Et l'exemple eternel de tous les Po
tentats.
Les.
GALANT. 127
Les deux Sonnets que vous allez
voir , font de deux Autheurs,
à qui leurs Ouvrages ont acquis
beaucoup de gloire. Le premier
eſt de Monfieur Boyer , & le fecond
de Monfieur le Clerc , tous
deux de l'Academie Françoiſe.
SUR LA NAISSANCE
DEMONSEIGNEUR
LE DUC
DE BOURGOGNE.
SONNET ม
Vel éclat Surprenant , quelle
Quelclarténouvelle
Se répand aujourd'huyſur l'Empire
François singl
UnSecond Rejetton d'une Race immortelle
Promet à l'Univers mille biens
la fois.
2
Fiiij
128 MERCURE
Quelle fclicitéplus parfaite &plus
belle
700
PouvoitpayerLOVIS defes fameux
Exploits
Fortune, tafaveur, pour tout autre
r
infidelle T
Comble enfin le bonheur du plus
grand de nos Roys.
n
C'estoit peupour LOVIS de vivre
dans l'Histoire
D'éterniferſon Nom , de transmettresa
gloire
Aux Siecles à venir dans toutefa
*
Ilvoit plus d'un appuy deson pouvoir
fupreme
Il voit dés ce moment audela de lug
Au dela de fon Fils étendre sa
mesme ,
grandeur.
A
GALANT. 129
A MONSEIGNEUR
ET A MADAME
:
LA DAUPHINE.
SONNET.
RINCE chery du Ciel, Fils du
plusgranddes Roys,
Qui ne voit que par Luy Sa puis-
Sance bornée;
Et Vous , de tous les deux le juste
& digne choix ,
PRINCESSE , en qui l'on voit
la Vertu couronnée ;
Glorieux Ornemens de l'Empire
François,
Fouiffezpleinement de vôtre desti
née ;
Tout vous rit , tout vous lovë , &
benit mille fois
F
130 MERCURE
Le jour qui vous ſoûmit aux Loix
de l'Hymenée.
Cet objet de nos Voeux , ce Filsfi
Souhaité,
Sembloit encor manquer à la felicité
D'un Roy pour qui le Ciel tous ſes:
trefors d'éploye ?
**
Mais luy donnant cefruit devostre
heureux lien ,
Vousvenez de le mettre au comble .
delajoye
Ilfit voſtre bonheur , Vous achevez
lefien.
Monfieur Salbray , Valet de
Chambre du Roy , a tiré d'heureux
préſages de ce que le Prince
eſt né le Jeudy , & dans le
mois d'Aouſt , appellé Auguſte
par les Latins. Voicy comment il
explipue ſa penſée.
Ce
3 GALANT. 131
E nouveau Prince est nélejour
de Jupiter ,
C'est leplus beau deſtin qu'on puiſſe
Souhaiters
Le Sort, au choix de l'Aftre, eft favorable&
juste ,
Puis qu'il doit heriter du Pouvoir
Souverain.
Pour comble de bonheur , c'est dans
le mois d'Auguste
D'une heureuse Grandeur lepréfa
ge est certain
J'adjoûte un Madrigal dont
l'Autheur m'eſt inconnu .
Un Empire puiſſant faire
tous les foubaits
Fort long-temps avant que de
haistre
Em naissant affurer le bonheur de
la Paixing
Se faire aimer en Roy , Se faire
craindre en Maistre ,
Dis
132 MERCURE
Dés le Berceau montrer un air de
Conquerant ,
Promettre un longreposfur la terre
&fur l'onde,
C'est imiter LoürS LE GRAND
Du premier pas qu'on fait au
Monde
Monfieur Caffini , de l'Obfervatoire,
a fait de tres- beaux Vers
Latins fur cette meſme matiere .
Ils font connoiſtre l'heureuſedifpoſition
où eſtoient les Aſtres
dans le temps de la Naiſſance de
Monſeigneur le Duc de Bourgogne
, & les grands biens que la
France en doit attendre. MonfieurDelenglet,
Profeſſeur Royal
de l'Eloquence Latine , en a fair
auſſi dans la meſme Langue,qu'il
adreſſe au jeune Prince. Ils font
tournez d'une maniere tresagreable
,& fort eſtimez de tous
ceux
GALANT. 133
ceux qui les ont veus.
Vous voyez , Madame , qu'il
n'y a perſonne qui ne contribuë
à folemnifer une Naiſſance , qui
a donné la joye la plus generale
qu'on ait jamais reffentie. Madame
la Ducheſſe de Richelieu a
marqué la ſienne par une magnificence
digne du rang qu'elle
tient. Ce n'eſt pas une choſe extraordinaire
pour elle , cette Ducheſſe
eſtant auffi connuë par la
grandeur de ſon ame , que par la
beauté de ſon eſprit. Quelques
jours apres l'accouchement de
Madame la Dauphine , elle donnaun
tres- ſomptueux Repas , &
y convia pluſieurs Dames , qui
ont l'honneur comme elle de fervir
cette Princeſſe. On apporta
au deſſert un Baffin dans lequel
il y avoit douze Cornets de papier
, faits à la maniere de ceux
ou
T
134 MERCURE
où l'onmet aujourd'huy desCom
fitures. Cela fit croire qu'on les
en avoit remplis. Le Baffin fut
preſenté à Madame la Maréchale
de Rochefort , à Madame de
Monchevreüil ,& enſuite à toutes
les Filles d'honneur de Madame
la Dauphine , & à leur Sous-
Gouvernante. Elles trouverent
dans chaque Cornet des Galen-
, comme des teries magniques
Coupes d'or entourées de Dia--
mans , des Eventails avec des
Boutons de meſme , des Tabletes
& des Boëtes , le tout d'or,
&avec des Cercles de Diamans.
Une autre Galanterie termina
la Feſte. Quand Madame la Maréchale
de Rochefort voulut fortir
, elle demanda fon Eventail,
dont les Domeſtiques de Madame
de Richelieu s'eſtoient char
gez, quand on s'eſtoit mis àtable.
On
GALANT
135
On luy en apporta un autre , où
il y avoit des Boutons de tresbeaux
Diamans. Elle dit que ce
n'eſtoit point le fien, &le refufa
pluſieurs fois ; mais enfin Madame
de Richelieu luy ayant dit,
Madame, ceseralevostre, s'il vous
plaift , elle l'accepta . De pareilles
Galanteries ſont ſi brillantess
d'elles - meſines, qu'elles n'ont pas
beſoin qu'on les louë pour les
faire remarquer.
On a chanté pluſieurs fois à
Verſailles le Te Deum en Mufi
que. La pluspart des Maiſtres en
ont compoſé, &ont ſuplié le Roy
de leur faire la grace de les en
tendre , ce qu'il a eu la bontéde
leur accorder. Ce Monarque n'a
point voulu que les Corps luy
vinſſent faire Compliment ſur la
Naiſſance de Monſeigneur le
Duc de Bourgogne. Ainfi tous
les
1
136 MERCURE
les Chefs , & pluſieurs autres,
luy en ont fait chacun en particulier.
Quant aux Ambaſſadeurs,.
& autres Miniftres des Princes
Etrangers , Sa Majeſté n'a pû
leur refuſer l'Audience qu'ils luy
ont fait demander. Ils l'ont euë
dans le grand Apartement de
Verſailles , avec les Cerémonies
accoûtumées , c'eſt à dire , que
tous les Corps qui fervent de
Garde au Roy, eſtoient en haye,
Ces Miniſtres paſſerent par le
magnifique Eſcalier , qui doit
toutes ſes beautez à Monfieur le
Brun , & dont je vous envoyay
une Deſcription fi- toſt qu'il fur
achevé. Le Roy eſtoit aſſis dans
ſon Trône d'argent. Ceux qui
occupoient les premieres Places
aupres de ce Prince, eſtoient d'un
coſté,Monfieur le Duc de Boüillon
, Grand Chambellan , Mon-
Geur
GALANT.
137
ſieur le Duc de Créquy,& Monfieur
le Prince de Marfillac; &
de l'autre , Monfieur le Duc
d'Aumont , Monfieur le Duc de
Saint Aignan , & Monfieur le
Marquis de Geſvres. Une grande
foule de Courtiſans les environnoit.
Monfieur le Duc de Luxembourg
, Capitaines des Gardes
de quartier , alloit recevoir
les ſeuls Ambaſſadeurs à la Por
te de la Salle des Gardes. Ils
eſtoient conduits par Monfieur
de Bonneüil Introducteurs des
Ambaſſadeurs , qui eſtoit allé les
prendre chez Monfieur Colbert
de Croiſſy. Les Miniſtres des
Princes Catholiques furent les
ſeuls qui eurent Audience се
jour - là , & elle leur fut donnée
fans rang. Voicy leurs noms .
Monfieur le Marquis de Marini,
Envoyé de Gennes ; Monfieur
Fofca
138
MERCURE
Foscarini , Ambaſſadeur de Veniſe
; Monfieur l'Abbé Réſini,
Envoyé de Modene ; Monfieur
le Marquis Ferreiro , Ambaſſa
deur de Savoye ; Monfieur le
Commandeur de Hautefeüille,
Ambaſſadeur de Malte ; Mon
fieur Taborda, Envoyé de Portugal;
& Monfieur Bagliani , Envoyé
de Mantouë. Ils avoient
tous une fuite fort nombreuſe:
Leurs Complimens ne furentque
fur la Naiſſance de Monſeigneur
le Duc de Bourgogne. Le Roy
les écouta avec l'air grave que
fon rang demande ; mais il leur
répondit avec une majeſté pleine
de cette douceur qui luy gagne
tous les coeurs. Ils allerent
enfuite à l'Audience de Monſei
gneur le Dauphin , de Monſei
gneur le Duc de Bourgogne , &
de Monfieur. Ils leur firent des
Com
GALANT.
139
&
Complimens fur le meſime ſujer,
& en reçeurent des Réponſes
tres obligeantes .Madame la Maréchale
de la Mote parla pour le
petit Prince. Toutes ces Audiences
durerent cinq heures , apres..
leſquelles ces Meſſieurs furent
reconduits au Lieu d'ou ils
avoient eſté amenez. Ils n'eurent
Audience de la Reyne
de Madame , que l'apreſdînée ,
parce qu'elles n'en donnent ja
mais le matin. Ils y furent con-
•duits avec de pareilles cerémonies.
Les meſmes choſes ſe pafferent
le lendemain à l'égard des
Ambaſſadeurs , & Miniftres des.
Princes Proteftans. En voicy les
noms. Milord Preſton , Envoyé
Extraordinaire d'Angleterre ; Mr
Lilierot, Envoyé de Suéde ; Monfieur
Meyercron , Envoyé de
Dannemark ; Monfieur Spanheim,
140
MERCURE
heim, Envoyé Extraordinaire de
Monfieur l'Electeur de Brandebourg
; & l'Envoyé de Monfieur
le Duc de Hoſtein. Monfieur
Spanheim ayant parlé un peu
plus haut que les autres , fon difcours
fut entendu de tous ceux
qui estoient dans la Chambre de
l'Audience, & applaudy enbeaucoupd'endroits.
Monſeigneur le Dauphin, qui
ne s'eftoit preſque point éloigné
deMadame la Dauphine, depuis
fon accouchement, voulut prendre
le divertiſſement de la Chafſe
le Lundy 17. de ce mois. Ce
Prince arriva dés fix heures du
matin au bout du Faux- bourg
S.Antoine. Il y monta à cheval,
&fit en ſuite le tour du Parc de
S.Mandé , où il tua fix ou ſept
Levraux , & plus de quarante
Perdreaux. Il ſe rendit de là à
Vin
GALANT.
141
Vincennes ,&dîna dans la grande
Salle. Quinze ou vingt Perſonnes
du premier rang , eurent
l'honneur de dîner avec luy.
Monfieur le Prince de Conty,
Monfieur le Grand , Monfieur le
Prince de Conigſmark,Meſſieurs)
les Maréchaux de Schomberg &!
deBelfond,& Monfieur le Comte
de Lauſun , eftoient de ce nombre.
Apres te dîné , ce Princel
alla à la Ménagerie de Vincennes
, &y vit combatre pluſieurs
Animaux les uns contre les autres.
Des Chiens combatirent)
d'abord contre un Ours ,
fuite contre un Taureau.Ce combat
fut ſuivyde celuy d'une Vache
, contre la Tygreſſe donnée
à Sa Majesté par les Ambaſſadeurs
du Roy de Maroc. La Vache
vainquit , & eut le meſme
&en
avantage contre une Lionne , &
puis
142 MERCURE
puis contre un Tygre. Apres cela,
on la fit combatre contre un
Lyon . Elle l'attaqua , & quoy
qu'il luy euſt dépoüillé la hanche,
& qu'elle en fuſt demeurée boiteuſe,
elle ne laifſa pas de le vaincre,
auſſi-bien qu'un Loup,qu'elle
combatit encor. On la fit retirer,
& l'on amena un Levrier de
Monfieur le Grand Louvetiers...
pour combatre contre le Loup.Le
Levrier fit merveilles. Il mordoit
ſans ceſſe les jarets du Loup ,&
le couleta à vingt repriſes.Le lendemain
, Monſeigneur vingt à la
Foire de S.Laurens,& alla en fuite
voir la Repreſentation de l'Andromede
de MonfieurdeCorneil.
le l'aîné. Je vous ay parlé de cette
Piece, dont lesbeautez attirent
toûjours grand monde. Lesmouvemens
desMachines qui en font
les ornemens , ſont d'une entiere
juſteſſe,
GALAN T.
1431
juſteſſe, & Monſeigneur le Dauphin
en parut tres- fatisfait..
Pendant qu'on faifoit au Roy
des Complimens à Verſailles , de
la part des Princes de toute l'Europe,
on remercioit Dieu dans les
Egliſes de Paris , des profperitez
continuelles dont il luy plaiſt de
combler la France . Ce fut un der
fir ſi empreſſé de luy rendre graces,
qu'on prévint dans quelquesunes
le Mandement de Monfieur
l'Archevêque , en chantant leTe
Deum ſans en avoir receu l'ordre.
Comme il devoit eſtre ſolemnel ,,
ceux qui l'avoient déja chanté, le
recommencerent , apres que le
Mandement eut eſté donné . Le
jour que l'Egliſe de Paris s'acquita
de ce devoir , Monfieur l'Archevêque
qui avoit déja fait
pluſieurs liberalitez , les redou
bla. Le devant de ſon Palais fut
tout
Y
144 MERCURE
tout couvert de Lumieres, & l'on
y tira un Feu, dont on admirales"
Fufces volantes. Huit Muidsde
Vin furent defoncez , & l'on en
donna à tout le monde. Ce Prélat
avoit ordonné à ſes Officiers
de diſtribuer en meſme temps
une ſomme d'argent au Peuple.
Toutes les Paroiſſes de Paris ſe
ſont diftinguées à l'envy le jour
qu'elles ont chanté le TeDeum.
La plupart en avoient fait compoſer
un en Muſique , & preſque
dans toutes on a entendu retentir
le bruit de diférens Inſtrumens.
Le 15. & le 16. de ce mois,
furent choiſis pour cette Cerc
monie. On illumina le Portail&
les Clochers. On fitdes Feuxdevant
la Porte de chaque Paroiffe,
&l'on tirades Fuſées volantesen
beaucoup d'endroits.
こ
こ
Les
GALANT. 145
Les Communautez Religieuſes
n'ont pas oublié de marquer
leur zele. Voicy ce qu'un Particulier
a écrit à ſon Amy ſur le Te
Deum de S. Victor.
I
A MONSIEUR DE ***
Lfaut , Monsieur , que je vous
entretienne de ce qui s'est passé
à S. Victor pour la Naiſſance de
Monseigneur le Duc de Bourgogne
le 10. de ceMois ,fur lesfix heures
&demiedufoir.
Meſſieursles Chanoines de cette
Abbaye Royale , voulant à l'envy
témoigner leur Zele & leur joyefur
la Naiſſance de ce Prince , firent
chanter dans leur Choeur un Te
Deum en Musique par quatrevingts
Voix, accompagnées deClaweſſins,
Theorbes , Baſſes des Violes,
Aouſt 1682 . : G
146 MERCURE
1
1
Violons , &Baſſon. Il fut entonné
par Monsieur de la Lane , Grand
Prieur de cette Abbaye ; & Mon.-
Sieur Minoret Maistre de la Musique
de S. Germain l' Auxerrois, dont
lemerite est connu de tous ceux qui
ontle goust fin pour la belle Mufique,
les conduiſoit. Il s'y trouva un
fi grand nombre de Perſonnes de
qualité, qu'on eut bien de la peine
à trouver place pour les joüeurs
d'instrumens , & pourles Musiciens.
:
Tantdebeautez, tant de merveilles
Que l'on voyoit dans ces beaux
lieux ,
D'un côté, charmoient par les
yeux ,
Et de l'autre, par les oreilles.
Avant ,& apres le Te Deum.
On
GALANT.M
147
on fit plusieurs Décharges d'une
centaine de Boëtes , qui estoient
rangées derriere l'Eglife , tandis
que devant la Porte vingt quatre
Tambours & des Fiffres , conduits
par le Tambour Major , batoient
continuellement , & que les deux
Compagnies des Gardes du Fauxbourg
, d'un autre côté , faisoient
Sans ceſſe des décharges de Moufquet.
Le Carillon des Cloches répondoit
à tout cela.
?
し
Ce bruit tonnant de tous
coftez ,
Accompagné de cris de joye,
Dans des Lieux les plus écartez
Témoignoit que le Ciel envoye
Un Petit-Fils.
Au Grand LOUIS .
Ce qui ne contribua pas peu à
Gij
148 , MERCURE
1
animer les Soldats à tant de joye,
c'est que comme ils formoient une
haye dans lagrande Court de l'Abbaye,
on eut Soin d'en former une
autre derriere eux , avec quantité
de Sceaux pleins de vin.
03
1
Ils en bûrent abondamment,ND
1
er
Et la plupart en ayant dans la
reſte ,
Firent voirque Bacchus ſe mettant
d'une Feſtes a sicksof
En rend le plaifir plus charmant.
S
La Ceremonie estant faite , &
leurs mousquets ne pouvant plus
tirer , on leur fit porter à souper
dans lemesme Lieu, & ils y furent
Si bien regalez,
Que chacun de Vin enteſté,
Avec la rouge trogne ,
D'avoir tû trop à la ſanté
De
GALANT. 149
7
De Monfieur leDuc de Bourgogne
,
S'en retournoit en chancelant,
Comme fait un Yvrogne ,
Toûjours dançant ,
Toûjours chantant ,
Quand quitteray - je ma be
fogne ,
Monseigneur le Dauphin , pour
en refaire autant
Le jour estant finy , pendant lequel
on avoit fait à la Porte de
Abbaye une aumône de Pain&
de Vin à tous ceux qui s'estoient
preſentez pour la recevoir , on mit
des Lanternes allumées aux Fenestres
de deſſus la Ruë , & on fit
allumer devant la Porte un grand
Feu qui dura jusqu'au lendemain.
La Jeuneffe du Fauxbourg y vint
faire des décharges de Pistolet
& de Fuzil; & comme Bacchus
Güj
150 MERCURE
avoit esté de la Feste , pour larendre
plus belle , il ſembla que l'Amour
s'y voulut aussi méler. Tout
le monde du voisinagese mitfur sa
Porte , & témoigna par deſenſibles
effets , qu'il prenoit beaucoup de
Part àla joye publique. D
Une Nymphe dont la beauté
Ravit des coeurs la liberté ,
D'une grace ſi naturelle
Diſtribua par tout des rafraîchiſſemens,
Que chacuns reſſentit pour
fon elleup
D'un amoureux tranſport les premiers
mouvemens. 200
Voila , Monfieur , ce que j'ay
ven , comme étant voisin de cette
Abbaye. Ie vous en envoye la Relation
, à laquelle vous voudrez
bien que j'adjoûte ce Madrigal
HD pour
GALANT.
151
pour Monseigneur leDuc de Bourgogne..
Toy , qui nais aujourd'huy pour
lebien de la France ,
Toy ,qui cauſes par tout tant de
réjoüillance ,
Des Lys aimable Rejetton ,
Que le Ciel , qui ſçait tout bien
faire,
Te donne la vertu de ton Papa
mignon ,
Et la valeurde ton Grand Pere .
Iefuis , Monfieur, voſtre , &c .
,
Les Peres Carmes , appellez
Billettes ayant appris cette
Naiſſance par la nouvelle qui
s'en répandit dans tout Paris,
pendant qu'ils eſtoient à Matines
le jour de la Feſte de S. Albert
, Patron de cet Ordre , le
Giiij
152 MERCURE
1
Pere Prieur ordonna au meſme
inſtant qu'on en rendiſt graces
à Dieu , & obligea les Religieux
à redoubler leurs Prieres. Les
jours ſuivans il fit diſtribuer des
Aumônes extraordinaires , alluqmer
des Feux le ſoir , & éclairer
toutes les Feneſtres du Convent
par des Lanternes aux Armes
du Roy , de la Reyne , de
Monſeigneur le Dauphin , de
Madame la Dauphine , & de
•Monfeigneur le Duc de Bourgogne.
Lors qu'il eut reçeu le
Mandement pour chanter le Te
Deum, il prépara ſa Communauté
àdes Prieres deQuarante-heures,
dont l'ouverture fut faite au
fon des Cloches & des Orgues,
le lendemain , Feſte de l'Aſſomption
de Nôtre Dame. On fit
chaque jour la Proceffion apres
Veſpres , &le TeDeum fut chanté
GALANT . 153
té avec toute la devotion poffible
en prefence d'un nombre infiny
de Peuple. L'Egliſe eſtoit
parée de tres- riches ornemens,
& de pluſieurs Luſtres remplis
de Bougies. Il y avoit de grands
Luminaires fur tous les Autels,
& tant de clartez enſemble faifoient
un tres bel effet. Ces Peres
chanterent pluſieurs fois le
Pleaume Domine in virtute tua
latabitur Rex , parce qu'il renferme
toutes les grandes Benedictions
, que Dieu répand fur
les Roys
Les Carmes du grand Convent
ont auſſi fait voir la part qu'ils
prenoient au bonheur public,
par le Te Deum qu'ils ont chanté
de la maniere la plus folemnelle.
Les Orgues & les Trompetes
eſtoient meſlez à leur Chant,
& ce mélange le rendoit tres-
}
G V
154 MERCURE
agreable. Le ſoir ils firent dans
leur Court un Feu d'artifice , qui
fur allumé en Cerémonie. Il y
avoit des Lumieres à toutes les
Feneſtres de leurs Chambres , &
ſeptTrompetes ne ceſſerent point
de ſe faire entendre pendant
qu'on tira le Feu. Ce qu'il y a de
plus remarquable dans ce que firent
ces Religieux, c'eſt qu'ils furent
les premiers qui donnerent
ces témoignages publics de leur
joye.
Les Theatins n'ont pas eſté
des derniers à marquer celle qu'ils
ont reffentie. Outre les raiſons
generales qui les y portoient , ils
en ont eu de particulieres. Mon
ſeigneur le Duc de Bourgogne
eſt venu au monde la veille de
la Feſte de S. Gaëtan leur Fondateur
, pour qui Madame la
Dauphine a une devotion particuliere,
GALANT.
155
culiere , qu'on peut dire qu'elle a
fucée avec le lait , puis qu'elle
luya eſté inſpirée par feuë Madame
la Ducheſſe de Baviere ſa
Mere , Fondatrice du magnifique
Convent qu'ils ont à Munic,
dont l'Egliſe porte le nom de ce
Saint . Cette Ducheſſe regardoit
la Princeſſe ſa Fille , comme un
don que le Ciel luy avoit fait par
les Prieres de Saint Gaëtan. Aufſi
pendant fa groſſeſſe el'e envoya
des Statuës d'argent par tous les
Convents des Théatins. Ces Peres
n'eurent pas plûtoſt appris
Theureux accouchement de Madame
la Dauphine , qu'ils chanterent
en action de graces une
grande Meſſe folemnelle , avec
les fuperbes Ornemens que leur
a donnez cette Princeffe. Toutes
les Feneſtres de leur Maiſon
furent éclairées pendant quatre
jours
156 MERCURE {
jours d'une infinité de Lumieres.
Au milieu de leur Balcon
qui en eſtoit tout remply , on
voyoit les Armes de Monfeigneur
, & de Madame la Dauphine
, qui ſervoient d'appuy à
un Soleil , avec cette Infcription,
Magnus fæcunditatis Pater. Ils.
firent allumer des Feux devant
leur Porte , & tirer en l'air des
Fuſées volantes. Le Dimanche
feizième de ce mois , le Pere Aléxis
du Buc , dont je vous ay parlé
tant de fois , reçeut l'abjuration
d'un Gentilhomme Allemand.
A l'iſſuë de ſa Controverſe
, il exhorta tous ſes Auditeurs
qui estoient en tres-grand nombre
, à demander à Dieu pour
Monſeigneur le Duc de Bourgogne
, une longue vie , la pieté
de Saint Loüis , toutes les vertus
de ſes auguſtes Ayeux , &le zele
pour
GALANT.
157
pour l'extirpation de l'Hereſie,
qui fait le caractere particulier
de LOUIS LE GRAND. En fuite
il entonna le Te Deum ſuivant les
ordres de Monfieur l'Archevefque.
Les Chanoines Réguliers de
S. Auguſtin de l'Ordre de Saint
Antoine , dont le Supérieur de
Paris eſt Frere de Monfieur l'Abbé
de Maulevrier Langeron,Aumônier
de Madame la Dauphine
, firent la meſme ceremonie
du Te Deum le Mardy 11. de ce
mois. Il fut chanté avec une tresbelle
Symphonie , & fuivy de la
décharge d'un fort grand nombre
de Boëtes , de plufieurs Fuſées,
& Lances à feu , des Fanfares
de pluſieurs Trompetes , &
de l'Illumination du Clocher ,
qui demeura éclairé toute la nuit.
On y voyoit les Etendards de
France,
158 MERCURE
France , de Dauphiné, de Baviere,
& de Bourgogne. Le Balcon
de la Ruë Saint Antoine fut auffi
éclairé ; & tout le Quartier
prenantpart à cette Feſte , toutes
les Feneſtres du voiſinage furent
remplies de Lumieres. Le lendemain
12. il y eut une Meſſe ſolemnelte
, qui fut celebrée par le Seigneur
de S. Mandez , Oncle de
Monfieur le Preſident de l'Arche,
âgé de quatre- vingt dix ans,
à qui la joye de la Naiſſance du
Prince avoitdonné de nouvelles
forces. Enfuite on entendit la
décharge de deux douzaines de
Boëtes , & l'on vit couler une
Fontaine de Vin , qui fit boire
tout le Peuple à la ſanté du Roy ,
& de Monseigneur le Duc de
Bourgogne , pendant que les
Trompetes continuoient leurs
Fanfares.
Les
GALAN Τ.
159
Les Peres de la Mercy prés
I'Hoſtel de Guiſe , ſe diftingue .
rent le Dimanche 23. de ce mois
par trois décharges de Boëtes ,&
par des Feux d'Artifice d'une invention
particuliere ; mais fur
tout par le Te Deum, que la Mufique
du Roy chanta dans leur
Eglife. Mademoiſelle de Guiſe
y aſſiſta , avec un tres-grand
nombre de Perſonnes de la premiere
qualité .
Je vous donne les détails entiers
de ces fix Communautez ,
parce que les Relations publiques
n'ont rien dit de quelquesunes,&
qu'elles ont oublié beaucoup
de circonſtances des autres.
Je ne vous diray qu'un mot des
autres Convents dont elles ont
parlé amplement.
Ceux qui ont chanté le Te
Deum en Muſique, & qui ont fait
des
160 MERCURE
des Illuminations & des Feux,
font les Jefuitesde la Maiſon Profeſſe
de la Ruë S.Antoine, les Re
- ligieuſes de l'Aſſomption, & cel
les de la Conception , de la Ruë
S.Honoré . Ces dernieres avoient
fait des Prieres pour Madame la
Dauphine, plus d'un mois avant
fes Couches.
Les Convents qui ont adjoûté
aux Illuminations & aux Feux,
les Trompetes, les Timbales , les
Fuſées volantes , & autre Artifi
ce, font les Maiſons de l'Oratoire,
les Auguſtins Déchauſſez, les
Jacobins du Faubourg S. Ger
main , les Jacobins de la Ruë
S. Jacques , & les Grands Auguftins.
Les Jacobins de la Ruë
S.Honoré , outre l'Artifice , firent
entendrele bruitde quelques petites
Pieces de Canon. Il ne ſe
peut rien de plus devot,ny de plus
éclatant
GALAN T. 161
eclatant pour l'Artifice , que ce
que firent lesCapucins de la même
Ruë S. Honoré. Ces Peres
ont auſſi chanté un Te Deum dans
la court des Capucines , apres y
avoir allumé un Feu au fon des
Trõpetes & des Timbales.Quelques
jours apres , on vit briller
quantité d'Artifice dans la Court
&dans le Jardin des Freres de ce
meſine Monastere. Il y eut une
Simphonie de toutes fortes d'Inſtrumens
fur la Porte de l'Eglife.
Des Pyramides de Lampes mêlées
avec des Lanternes,ornoient
celle de la Ruë ; & de pareilles
Lumieres éclairoient toutes les feneſtres
du Convent. Le Frere
Louis du Mans avoit voulu témoigner
par là combien il a de reconnoiffance
de tous les bienfaits
qu'il reçoit de la Cour.
Les Peres Feüillans , les Religieux
162 MERCURE
:
gieux de S.Germain des Prez , &
les Mathurins, outre l'Artifice &
les Illuminations , diſtribuerent
du Pain& du Vin , & à l'Abbaye
de Sainte Geneviefve du Mont,
on fit des aumônes à tous les
Pauvres qui ſe preſenterent. Ils
vinrent au nombre de plus de
huit cens.. 1
Tous les Religieux des Convents
dont je viens de vous pat-
-ler, ont chanté le Te Deum , chacun
unCierge à la main ,&y ont
-adjoûté l'Exaudiat. On a fait la
mefme choſe dans tous les autres
Convents. Il me feroit inutile de
-vous les nommer.
: Pluſieurs Corps ont fait auſſi
chanter le Te Deum ; les Secretaires
du Roy, aux Celestins ; les
Avocats aux Conſeils de Sa Majeſté,
aux Grands Auguſtins , ( la
Muſique eſtoit de Monfieur Mi
noret,
GALANT.
163
noret , Maiſtre de Muſique de
S. Germain l'Auxerrois; ) & les
Conſeillers du Roy Notaires au
Chaſtelet de Paris, en leur Chapelle
, dans la Salle du Préſidial
du Nouveau Chaſteler. Ce Te
Deum estoit aufli en Maique.
Meſſieurs les Lieutenans Criminel,
Civil, & Particulier,y aſſiſterent.
Les Syndios Generauxdes
Marchands Privilegiez de la Maifon
du Roy , firent celebrer une
= -grande Meſſe avec beaucoup de
folemnité le 25. de ce mois , jour
de la Feſte de S. Louis. Ils choifirent
pour cela l'Egliſe des Filles
Penitentes. Apres la Meſſe , on
chanta le Te Deum , dont la Mufique
eſtoit admirable. Monfieur
le Lieutenant General, Monfieur
- le Procureur du Roy, & pluſieurs
Officiers de la Prevoſté, de l'Hôtel
du Roy, s'y trouverent. Le Te
Deum
164
MERCURE
f
1
Deum fut fuivy d'un Concert de
Trompetes , de Timbales,de Violons,
de Hautbois, & de pluſieurs
autres Inſtrumens.
Le Public , apres avoir rendu
folemnellement graces à Dieu de
Ja Naiſſance de Monſeigneur le
Duc de Bourgogne , a crû devoir
en montrer ſa joye par des réjouiſſances
d'éclat ; & de ſimples
-Bourgeois ſe ſont affociez pour
faire des Feux d'artifice dans les
formes , c'eſt à dire ſur des mamieresiode
Theatres élevez; &
avecdes Figures ,des Inſcriptions,
&& toute forte d'autres ornemens .
Ilyen eut pluſieurs à Paris le
1
Lundy: 24. veille de la Feſte de
S.Louis. Ceux qui ont parų les
plus beaux, furent tirez à la Croix
duTiroir , & au Quartier de la
Ruë neuve Sainte Anne. Cedernier
eſtoit veu de trois Ruës , &
D
quoy
f
GALANT.
165
quoy que dans un lieu fort ferré
, le zele de ceux qui occupoient
les Maiſons voiſines , les
fit paſſer par deſſus tous les accidens
qu'ils pouvoient craindre
du feu. La figure de celuy dont
je vous parle , eſtoit quarrée. On
n'y voyoit ny Piliers ny ouver
tures, &les quatre Faces eſtoient
bouchées par quatre Paneaux de
marbre. Il y avoit des Figures de
reliefaux quatre coins . Ces Figures
repreſentoient l'Abondan
ce, laGloire , la Victoire , & la
Renommée. Le milieu estoit
remply par un grand Obeliſque,
au haut duquel eſtoit un Soleil.
Quatre Deviſes faifoient l'ornement
des quatre coſtez de cet
Obeliſque. La premiere eſtoit
un Aigle avec un Aiglon , qui
regardoient le Soleil. Ces paro-
८
les luy fervoient d'ame , Latatur:
genuiffe
166 MERCURE
genuiffe pares. Un Soleil qui ſe
montroit à demy au deſſus d'un
Globe aux Armes de Bourgogne,
foûtenu par des Dauphins , fai
ſoit le ſujet de la ſeconde. Ces
mots eſtoient au deſſous , Ingens
visus ab Aurora. La troifiéme
eſtoit un Globe aux Armes du
Roy, éclairé d'un Soleil , avec ces
deux mots , Patet omnibus ; & la
derniere , un Alcion faiſant fon
nid ſur la Mer , avec ces paroles,
Foecunditas ejus caufa quietis est.
On tira beaucoup de Fuſéesvo
lantes , qui firent en l'air leur
éclat accoûtumé , mais la pluye.
qui ne ceſſa point tout ce foir-là,
empeſcha une partie de l'effet du
Feu. Il finit par l'agreable Spectacle
d'une Machine tournante
qui eſtoit au haut de l'Obeliſque,
& qui fit voir un Soleil tout lumineuxde
rayons . :
1
On
GALAN T. 167
7
On n'en eſt pas demeuré aux
Prieres & aux Feux. On a faitdes
Societez pour de ſomptueux Repas
, auſquels chacun a contribué
tres - largement. Il ya eu des
Illuminations particulieres dans
des Jardins de Campagne. Enfin
on peut dire que la joye a eſté.
generale , & que tout Paris y a
pris part , puis que toute la Ville,
s'eſt divertie enſemble , que les
Corps & les Communautez ont
fait des Feſtes , que des Particu
liers ſe ſont affociez pour en
faire , & que d'autres en ont fait
feuls.
2000
Quoy que les grandes Nou
velles ſoient ſçeuës par tout en
fort peu de temps , il ſemble que
les Intereſſez les apprennent toû
jours plûtoſt que les autres.Ainſi
l'on ne doit pas s'étonner ſi celle
de la Naiſſance de Monfei-
10 gneur
i
168 MERCURE
gneur le Duc de Bourgogne a été
portée à Dijon avec toute la vîteffe
poffible.On doit encore eſtre
moins furpris de l'empreſſement
que cette Ville a montré , pour
faire éclater ſa joye par toutes les
marques que ſes Habitans en
pouvoient donner. L'honneur
que toute la Province reçoit de
ce qu'un ſi grand Prince porte
fon nom, luy eſt trop cher , pour
nele pas reſſentir tres- vivement .
Auſſi me crois-je obligé de vous
parler d'elle dés aujourd'huy ,
préferablement à toutes les autres
Provinces. Si- toſt qu'on y
eut appris que Madame la Dauphine
eſtoit accouchée d'un
Prince que le Roy avoit nommé
Duc de Bourgogne, le Maire, ou
Vicomte Majeur de Dijon, fit publier
que chaque Habitant euſt à
faire des Feux devant ſa porte.Ses
ordres
e
GALANT. 169
ordres furent executez bien au
delà de ce qu'ils portoient. Outre
les Feux ordinaires, on en fit plufieurs
d'artifice. On mit des Bougies
& des Chandelles ſur toutes
les Feneſtres ,des Chandeliers de
Salle à l'entrée des Maiſons', des
Flambeaux ardens juſqu'au faiſte
des Clochers, des Tours , & des
Terraffes , de maniere que toute
la Ville ſembloit eſtre en feu , &
faiſoit voir un jour éclatant aux
plus fombres heures de la nuit.
Le lendemain , toutes les Compagnies
de Judicature & de Finances
, affifterent en Corps au
Te Deum, qui fut chanté en Mufique
à la Sainte Chapelle du
-Roy ,avec un appareil & une folemnité
digne du Sujet. Pendant
la ceremonie , les Canons du
Chaſteau , qui s'eſtoient déja
fait entendre le jour précedent,
Aoust 1682 .
シ
H
170 MERCURE)
ſe melerent encor avec l'harmonie
des Cloches de la SainteChapelle
, qui font l'un des plus
agreables Carrillons de tout le
Royaume. Le Te Deum eftant
achevé , on s'abandonna tout de
nouveau à la joye . Toutes les
Cloches fonnerent. On fit des
Feux par tout dans la Ville &
dans les Fauxbourgs. On dreſſa
des Tables dans les rues , & l'on
y bût la ſanté du Roy, dela Reine,
de Monſeigneur le Dauphin,
de Madame la Dauphine , & de
Monſeigneur le Duc de Bourgogne.
Pluſieurs dixaines de chaque
Quartier marcherent en armes
au fon des Tambours, des Fifres,
&des Hautbois, & firent de fréquentes
décharges. Un grand
nombre d'hommes &de femmes,
dont quelques-uns eſtoient déguiſez
d'une maniere groteſque
en
GALANT.
171
en formedeMaſcaradedançoient
au milieu des ruës,& faiſoient autour
des feux cent figures agrea.
bles. Des Fontaines de Vin couloient
en pluſieurs endroits, & fur
tout auprés de l'Hoſtel de Ville.'
Ondiſtribuoit dans les Places pur
bliques, toutes fortesde Liqueurs;
&les plus auſteres quittoient leur
ſeverité , pour prendre part aux
plaiſirs publics. Le troiſième jour,
on rencherit fur ce qui avoitdéja
eſté fait , & la Compagnie des
Chevaliers du Jeu de l'Harquebuſe
s'en mêla. Elle alla en armes
juſqu'au deſſus de la Terraſſe du
Logis du Roy, mit le feu à quantité
de fuſées volantes , & donna
ledivertiſſement de pluſieursautres
feux d'Artifice , avec une décharge
redoublée qu'elle fit du
haut dece ſuperbe Chaſteau, qui
paſſe en élevation les plus hauts
Hij
172 MERCURE
Clochers.Quelques Habitans repreſenterent
les Armes de Monſeigneur
le Dauphin en caracteres
lumineux. On trouvoit en
vingt ou trente endroits de la Ville
divers échafauts , où les uns
bûvoient , & les autres faisoient
retentir toutes ſortes d'Inſtrumés.
UnBacchus affis ſur un tonneau,
tenant une Bouteille d'une main,
&de l'autre,un Verre,eftoit porté
furles épaules de quatre Hommes
,& ſuivy d'une infinité de
Gens de tout fexe & de toute
condition , qui entonnant des
Chanſons à boire , renouveloient
agreablement les anciennes feſtes
de ce Dieu. Parmy ceux qui donnerent
de plus grandes marques
deleur joye&de leur zele,Monſieur
du Guay,Premier Préfident
de la Chambre des Comptes de
Bourgogne &de Breſſe , ſe diſtingua
.
GALANT. 173
ſtingua. Il y eut un Feu tresélevé
devant ſa Porte des Illuminations
à toutes ſes Feneſtres ,&
des décharges continuelles d'Armes
à feu pendant cinq ou fix
heures, le Lundy 10. du mois , &
les deux jours ſuivans. Il fit auſſi
diſtribuer durant ces trois foirs
pluſieurs Muids de Vir au Peuple.
La joye que reſſent toute la
Bourgogne, a paru dins seignelay.
Monfieur de Motheux qui
en eſt le Gouvernor , n'eus pas
plutoſt ſceu l'hereuſe nouvelle
de la Naiſſance u Prince , qu'ayant
fait mette la Bourgeoifie
fous les armest la fit marcher en
ordre juſque dans la grande
court du Chateau. Cette Milice
y fit troidécharges , pendant
leſquellesin vit paroître dans
le Jardin feu d'artifice des plus
Hiij
! 174 MERCURE
beaux que l'on ait veus de longtemps
en ce païs - là. Huit coups
de Canon furent le fignal pour
faire partir les premieres Fuſées.
L'air parut en feu preſque au
mesme inftant , & ce Spectacle
dura trois quart d'heures. Lors
qu'il fut finy , Monfieur deMotheux
fit entrer dansla Salle du
Chaſteau ousles Officiers de Juſtice
& de Milice, avec quelques
Gentilhomnes des plus ſignalez
de la Provine. Il leur donna un
magnifique Roas, qui fut commencé
par la înté du Roy , &
continué par cde de la Reyne,
deMonſeigneur 1Dauphin, de
Madamela Dauphie&deMonſeigneur
le Duc deBourgogne.
A chacune de ces fatez , il fut
tiré huit coups de Cann.
J'avois refolu de nevous parlerdans
cette Lettre qe dePa
ris
GALANT.
175
ris,&dela Province de Bourgo
gne, dont le Prince nouvellement
né porte le nom ; mais il y a quel
que choſe de ſi nouveau dans ce
qui s'eſt paffé à Strasbourg , que
je nepuis diférer àvous l'apprendren
Le zele de ſes Habitansn'a
pasfeulement paru dans la prom
pritude qu'ils ont apportée à
montrer leur joye , mais encor
danslamaniere dont ils ont mar
quelqu'ils la veflentoient. Quoy!
qu'ils foient fort éloignez , leurs
réjoiffances ont eſté faitesauſſitoſt
que celles de beaucoup de
Villes, qui font en deça ,& il a
eſté aiſe de voir parl'éclat qu'ellesont
eu , qu'ils ne ſe repentent
point des foûmiffions qu'ils ont
renduës au Roy comme à leur
Maiſtre. Leur repos n'eſt plus
troublé , & comme c'eſt vivre
heureux queode n'avoir point
よ
3
Hij
176 MERCURE
d'inquietude , ils ont lieu de fe
vanter d'un parfait bonheur. Le
Jeudy 13. des fix heures duma
tin, le Magiſtrat fit fonner toures
les Cloches de la Ville , pour fai
re connoiftre sau Peuple qu'il
eſtoit né un Prince à la France.
Une heure apres on rendit gra
ces à Dieu folemnellement dans
la Cathedrale ,& dans toutes les
Egliſes Proteftantes , apres quoy
les:Trompetes , les Hautbois
& les Timbales , ſe firent en
tendre du haut de la Tour de la
grandeEglife. Ily eüt devant la
Maiſon de Ville pluſieurs, Fon
taines de Vin. On tira au Blanc
& à l'Oyfeau , & un fort grand
nombre de Perſonnes de qualité
diſputa les Prix Monfieur de
Chamilly Gouverneur de la Ville
, gagna le premier. Le Magiſtrat,
apres avoirdonné le Jeu de!
M l'Oyſeau,
GALANT.
177
lOyſeau , régala les Dames d'un
tres-beau Concert de toute forte
d'Inftrumens. Il fut ſuivy d'une
magnifique Collation , à laquelle
fucceda un Feu d'artifice qui du .
ra deux heures. Tout le Canon
de la Ville , de laCitadelle, & du
Fort de Kell tira , pendant qu'on
faifoit joüer ce feu. Plus de cinq
cens gros Flambeaux avoienteſto
allumez au tour de la Corniche
de la grandeEglife, Joignez à cela
des Feux devant toutes les
Maiſons, avec des Lanternes aux
feneftres , & vous n'aurez pas de
peine à vous figurer combien la
Ville eſtoit éclairée. Le zele
du Magiſtrat ne ſe borna pas à
ces témoignages exterieurs. Il
avoit fait imprimer dés le matin
une Oraiſon enlangue Alleman
de , pour remercier Dieu d'avoir
donné un Prince à la France ,&
H V
178 MERCURE
luy demander la continuation de
ſes graces pour Sa Majesté , &
pour toute la Famille Royale.
Cette Oraiſon fut recitée publiquement
par ſon ordre. On l'a
traduite ; & comme les copies
qui courent de cette Traduction
pourroient ne pas aller juſqu'à
vous , en voicy une que je vous
envoye.
Dieu tout-puiſſant & éternel,
qui non seulement élevezles Roys
fur le Trône, & établiſſez les Princes
& les Seigneurs dans leur puis.
fance, mais qui par vostre Benedi-
Etion , appuyez& confervez leurs
Familles ; Vous qui avez promis à
David voſtre Serviteur , que voUS
établiriez fa Maiſon , nous vous
rendons graces , Seigneur , ( Selon
que vous nous avez commandé
par vostre Apoftre , de faire des
Prieres
4
GALANTA
179
Prieres & des Actions de graces
réïterées , principalement pour les
Roys,&pour tous les Souverains )
de ce que vous avezdéja étably&
affermy la Maison de nostre Roy,
pourfa Royale Lignée,&particulierement
de ce que vous l'avez augmentée
par l'heureuse Naissance
d'un Royal Prince, que la Serenif
fime Dauphine a mis au monde,
l'ayant ainfi étendue jusqu'à la
troisième generation. Nous vous
rendons graces , Seigneur, pour ces
Benedictions, dont vous avezcomblé
la tres-haute Maison Royale,
&vous vous prions avec une profonde
humilité de donner à nostre
Roy , à toute sa Maiſon Rogale,
particulierement aux Princes
fes Enfans , une longue&heureuse
vie. Accordez- nous vostre grace
&vostre benediction , afin quefous
le juste gouvernement, &fousila
puiffante
180 MERCURE
puiſſante protection de nostre Roy
&Souverain Seigneur , & de toute
sa Maiſon Royale , nous puisfions
jouir d'une vie tranquille..
dans l'exercice de toute les vertus
Chrestiennes.
م ی
Monfieur Louvart , de Roye
en Picardie, a faitune Anagram
me fort particuliere fur le Nom
deMonſeigneurle Dauphin.
Loüis Dauphin de Viennois , Fils
de Loüis quatorziéme, Roy de Frans
ce& de Navance.
En changeant deux lettres , il
y a trouvé ces mots.
Prince qui as lafoy,Dieu te donnera
un Fils le fixième d'Aoust à
onze heures da foir
Monfieur Bourfault a fait le
premier des deux Sonnets que
je vous envoye encor fur cette
Naiffan
L
GALANT. 181
Naiffance. Le ſecond eſt deMon
ſieur Richebourg.
ENTERT 8993-80976989296389760380905 89805769163 69790997
AU ROΥ ,
SUR LA NAISSANCE
20DE MONSEIGNEUR
LE DUC
DE BOURGOGNE
G
SONNET.
RAND ROY, fur qui le
répand graceSurgrace,
Ciel
Il nemanque plus rien àtafelicité;
Pour affurer le monde à ta Poste
rité ,
A
i
D'un nouveau Conquérant il aug
mente ta Race
Ilest néceHéros , qui doit vanger
LaThrace
D
182: MERCURE
Du plusfuperbe joug qu'elle ait jo
mais porté ;
Terraſſer l'Héresie, &l'Infidelite
Etfuivre le Sentier que ta Valeur
luy trace.
Quel Princefur la Terre eft plus
heureux que Toy !
L'Europe avec respect obeit à ta
Loy
Etpartout àtagloire on éleve des
Temples. DAIVNS
Si les Siecles futurs doutent de tes
hauts Faits , 3 ?
Tes auguſtes Enfans , instruits par
tes exemples ,
Pour les defabuser,feront ce que to
fais.
A
GALANT.. 183
A MADAME
LA DAUPHINE.
M
SONNET.
Erveille de nos jours , adorable
VICTOIRE ,
Dont lafecondité fait l'espoir des
François;
D'un MonarqueSans pair, illustre,
&digne choix;
Que ce jour apour vous de char-
:
mes, & de gloire !!
Qu'il va donner de lustre à l'éclatanteHistoire
Qui vousappellera laMerede cent
i Roys!
Pour chanter vos grandeurs , que
nous allons defois
Implorer le fecours des Filles de
Memoire!
200
184
MERCURE
Un Frince , un. Heritier du Pouvoir
Souverain ,
Heureusement conceu dans vostre
auguste Sein
Aux yeux de l'Univers vient de
- prendre naiſſance. *
Que d'Exploits Surprenans , que de
Faits inouis ,
Quand unemesme ardeurfera voir
à la France,
Et le Fils , & le Pere , aux costex
de LOVIS !
Jereferve pour une autre fois
un fort grand nombre de Vers
qui m'ont eſté envoyez fur le
meſme ſujet ,& vous n'aurez plus
que ce Madrigal dans cette Re
lation.
144
SUR
GALANT. 185
SUR L'HEUREUX
ACCOUCHEMENT
A
LA
DE MADAME
DAUPHINE.
ME Prince plus beau que lejour,
naître,
Sur fon frontfait déja parêtre
Que nous le verrons tour- à-tour,
Suivant les nobles pas de ceux dont
il tient Festre 3.0b
Et le Dieu de la Guerre , & le Dieu.
deel Amouk. Taor
"
:
Enfin , Madame , il faut vous
parler de ce qui ſe paſſa icy lel
Mardy 25. de ce moisjour de la
Feſte de S. Loüis. Depuis quatre
heures de l'apreſdinée de ce jour
juſqu'àminuit ,le Peupledevoit
avoir
186 MERCURE
avoir trois Divertiſſemens ; fcavoir
, des Joûtes ſur l'eau , avec
le Jeu de l'Oyſon , un Feu d'artifice
auſſi ſur l'eau , & une Illumination
aux Galeries du Louvre.
Monfieur le Prevoſt des Marchands
voyant dans tous les Habitans
de Paris une impatiente
ardeur de faire connoître leur
joye , avoit conſenty que les
Officiers de Police de la Ville
fiſſentun Feu. Il en avoit pris le
foin, & pour divertir le Peuple
qui devoit s'affembler pour ce
Spectacle, il avoit ordonné aux
Maîtres Paſſeurs du Port S. Nicolas
du Louvre, & de la Grenoüillere,
de tirer l'Oyfon . Quant à
l'illumination des Galeries dy
Louvre , ceux qui ont l'honneuri
d'y demeurer ſe l'eſtoient impo-i
sée volontairement ,&l'ont euxmeſmes
fait executer , la Galerie
eftant
GALANT. 187
eſtant remplie de tout ce qu'il y
a en France de plus habilesGens
pour les Arts. Je feray trois Articles
de ces Divertiſſemens,quandi
j'auray décrit le Lieu qui leur a
fervy de Scene. On doit demeu-.
rer d'accord qu'il ſeroit fort malaisé
d'en trouver un dans au-v
cune autre Ville du Monde qui
euſt les, meſmes beautez , ſi l'on
fait reflexion fur ces quatre faces.
La premiere repreſente le
Palais des Tuilleries , les Galeries
du Louvre , haute de trois
étages , toute la face d'une Aîle
de ceChâteau ,& un Quay avec
une belle fuite de Maiſons. On)
découvredela feconde , un tres-3
belHôtel qui est celuydeConty,
la face de l'Egliſe du Collegedes
Quatre - Nations , & pluſieurs
grands Hôtels. La troiſiéme fait
voir un Pont de Pietre d'une fort
grande
188 MERCURE
grande largeur. Un Cheval de
Bronze élevé ſur un Pied'eſtal
entouré de quatre Eſclaves , fur
lequel eſt la Statue du Roy Henry
IV. deux grandes Aîles de
Maiſons bâties de Brique dans
une Ifle , au milieu deſquelles on
voit une Place publique , une
des grandes Portes du Palais,
une Eglife élevée avec un riche
Clocher , & les deux Tours de
l'Egliſe Cathedrale de la premie ,
re villedu Monde; quatre grands
Quays; ſçavoir, de la Megiflerie.
des Morfondus , desOrphevres,
&des Auguftins ,& en perſpe
Aive deux Ponts , dont l'un eſt
appellé Pont au Change , & l'au-
Pont S. Michel. Laderniere face
offre un Pont de bois , qui fem
ble n'eſtre plus à jour que celuy
de pierre , qu'afin quel'oeil y découvremieux
une longue perſpe
Ctive
GALANT. 189
tive d'Eau , de Païſages , & de
Maiſons de plaiſances. Peuteſtre
que ceux qui dés le berceau
font accoûtumez à voir ces diferentes
beautez , ne les ont jamais
affez connuës , l'habitude
leur ayant fait eſtimer commun
le plus bel aſpect qu'il y ait au
monde. Ce fut au milieu de la
Riviere qui coule entre les deux
Ponts ,que parurent les deux
premiers Spectacles qui devoient
ſervir de Divertiſſement l'apref
dinée du jourqueje viensdevous
marquer.Monfieur le Prevoſtdes
Marchands avoit donné un or
dre , pour faire deſcendre lesBâteaux
qui couvrent la Riviere entre
les deux Ponts ,aux environs
du Pont Rouge , & ils la fermerent
entierement en cet endroit,
de maniere qu'il n'y demeura que
huit ou dix petites Fletes pour la
traver
190 MERCURE
traverſer , afin que ceux qui al
loient prendre des places chez
leurs Amis, ou fur des Echafauts ,
puſſent accourcir leur chemin
en paſſant l'eau . Ces petis Bâteaux
allant & venant ſans ceffe,
produifurent un Spectacle fort
divertiſſant. Ils eſtoient tellement
chargez de monde , que beaucoup
de ceux qui les regardoient,
croyoient à chaque moment les
voir abîmer. Pluſieurs de ces petites
Naceles firent le tour de la
Machine qui compoſoit le Feu
d'artifice. Comme on a beſoin
de beaucoup d'eau pour les plongeons
qu'on fait faire à ceux qui
tirent l'Oyfon , on avoit placé
deux Bateaux remplis de Charbon
de terre aux deux côtez de
laRiviere , àl'endroit où elle a le
plus de profondeur. Au milieu de
ces Bateaux qui étant ainſichar
gez,
GALANT .
191
gez, font plus fermes, & vacilent
moins fur l'eau , il y avoit deux
manieres de Mats auſquels une
groffe Corde eſtoit attachée. Elle
traverſoit l'eſpace qu'ily avoit
d'un de ces Bateaux à l'autre , &
l'Oyfon eſtoit fortement lié au
milieu avec des fils de Léton,
Ceue Corde ſe trouva heureuſement
devant l'Hôtel de Créquy,
parce que l'eau y eſt plus profon
de que dans les autres endroits.
Toute la longueurdu devant de
laTermſſe de cet Hôtel eſtoit tapiſséede
Velours rouge cramoiſy,
avec les Armes de M² le Duc de
Créquy. Elles étoient or & argent,&
toutes relevées enboſſe,
Il y avoit un Tapis de Velours
bleu au milieu de la Terraſſe,avec
une Franche d'or tout autour. Un
Dais de Velours rouge-cramoify,
couvert d'eſpace en eſpace
d'un
192 MERCURE
d'un large Galon d'or, eſtoit attaché
au deſſus. Ce Dais étoit préparé
pour Monſeigneur le Dauphin
, qui devoit le ſoir venir de
Verſailles pour le Spectacle du
Feu. Les Feneſtres des Galeries
du Louvre oppoſées à cet Hôtel,
étoient toutes ornées deTapis.Un
grad Echafaut regnoit tout le log
de ces Galeries. Il eſtoit de trois
pieds plus bas que les Feneftres,&
éloignéd'autant de la Muraille. Il
y avoit d'autres Echafauts deſſus
&devant la Terraſſe du Louvre.
Il y en avoit dans la Place du
Cheval de Bronze. Le devant du
College des Quatre - Nations en
étoit tout plein , & il y en avoit
dans la Ruë ,& fur les Toits tout
le long des Maiſons qui rempliſſent
le reſte de cette face , de
forte que le monde paroiſſoit élevé
par étage depuis le bas du
Quay
GALAN T.
193
Quay juſqu'aux haut des Toits.
Les Bateaux qu'on avoit fait retirer
en eſtoient couverts. Le Pont-
Rouge , & le Pont - Neuf ne
l'eſtoient pas moins, & la longue
&large Place qui occupe la diſtance
qui eſt depuis le Pont-
Rougejuſqu'à la Porte de la Conférence
, en eſtoit toute remplie.
Figurez-vous enfin que tout le
tourdu Lieu que je vous ay depein
au commencement de cet
Article , en estoit tellement couvert.
, que ceux qui bordoient la
Riviere furent contraints d'y
mettre les pieds. Il y en euſtmême
beaucoup qu'on y renverſa.
Si je m'en rapporte aux Connoifſeurs
, il y avoit plus de quatre
cens mille Perſonnes. Sur les quatre
heures apres midy , pendant
que le Peuple s'affembloit encor,
& que venant à grands flots,
Aoust 1682 . I
194
MERCURE
comme les Torrens les plus étendus
par les plus larges Avenuës,
il ſe répandoit dans tous les endroits
où il pouvoit trouver place
, Les Maîtres Paſſeurs du Port
S.Nicolas , & de la Grenoüillere,
accompagnez de quelques Débardeurs
, le tout au nombre de
trente , arriverent au ſon des
Tambours &des Trompetes, fur
le bord de l'eau qui regarde le
petit Guichet des Galeries du
Louvre. Ils eſtoient vétus fort
proprement. Quelques - uns avoientdes
Habits brodez. Leur
Drapeau eſtoit blanc , & ils
eſtoient tous armez d'une eſpece
de Gaule,qu'ils appellent Lance
, au bout de laquelle estoit attaché
un morceau de bois rond,
& auffi large que la forme d'un
Chapeau. C'eſt avec cela qu'ils
luitent. Huits petits Bateaux
peints
GALANT
195
peints de blanc , avec des ornemens
rouges , les vinrent prendre
, & les conduifirent juſqu'à
un autre Bateau de moyenne
grandeur, ſur lequel un Echafaut
eſtoit élevé. Celuy qui portoit
le Drapeau monta fur cet Echafaut.
Le tout estoit peintde blanc,
& orné de Fleurs-de-Lys , &de
Dauphins. Apres quelques Fanfares
, ceux qui devoient luïter
changerent d'Habit , & en pri
rentde blancs avec des Cales rou
ges. La Machine fur laquelle ils
eſtoient, s'avança enfuite,& s'ar
reſta à quelques diſtance de la
Corde où l'on avoit ſuſpendu
l'Oyfon. Les huit petits Bateaux
s'en aprocherent. Ceux qui des
voient luïter entrerent dedans,
apres quoy les Bateaux ſe ſeparerent.
Quatre pafferent de l'autre
coſté dela Corde. Les quatre au
I ij
196 MERCURE
!
tres demeurerent en deça , & les
Joûtes commencerent. Les Luïteurs
montoient tour à tour fur le
bout de leurs Bateaux , & tenoient
leurs Lances droites au
devant de leurs eſtomac. Les Bateaux
paſſoient avec rapidité les
uns devant les autres , & chacun
tâchantde toucher ſon Averſaire
avec le bout de ſa Lancepar le côté
de l'eftomac qu'il luy voyoit
découvert , c'eſtoit preſque un
coup für de voir tomber l'un ou
l'autrequand ils ſe touchoiét,parcequ'il
eſtoit comme impoſſible
quele plus foible ne cedaſtpas au
plus fort , & qu'on peut dificilement
ſe retenir , pour peu qu'on
ait chancelé.Auſſi cela arrivoit-il
rarement , & l'on en voyoit plus
ſouvent tomber deux enſemble
quand ils s'étoient touchez,qu'on
ne voyoitle plus foible refifter, &
s'em
GALANT. 197
s'empeſcher d'eſtre renversé dans
l'eau. Ce Divertiſſemet avoit déja
duré environ une heure, lors que
Monſeigneur le Dauphin arriva.
Il fut reçeu à la defcente de fon
Carroffe par Mr le Duc de Crequy,&
il entra dans l'Hôtel de ce
Duc au bruit de vingt-quatre
Violons,& de pluſieurs autres Inſtrumens
qui estoient ſur un
Echafaut à coſté de la grande
Porte de l'Hôtel de Créquy , &
qui pouvoient eſtre entendus de
laRuë,& de la Terraſſeoù la Place
de ce Prince eſtoit preparée,
parce qu'ils eſtoient au deſſous.
Monfieur eſtoit placé ſur leBalconduCabinetdu
grandApartementbas
du Louvre . Ce Cabinet
eſtorné deGlaces , de tres-belles
Peintures,& l'ory éclate de toutes
parts.Le Balcon s'ouvre par deux
grandes Portes vitrées. Ainſi l'on
I iij
198 MERCURE
peut voir du Cabinet , comme fi
l'on estoitdans le Balcon. Monfieur
le Prevoſt des Marchands
avoit fait mettre des Violons fur
unEchafaut dreſſé au deſſous. Il
yen avoit encor par fon ordre en
pluſieurs autres endroits , auſſibien
que des Flûtes , des Hautbois,
des Timbales , & des Trompetes.
Quand Monſeigneur le
Dauphin ſe fuſt aſſis ſous le Dais,
où l'on avoit placé ſon Fauteüil,
on luy donna le divertiſſement
des Joûtes pendant une demieheure.
Le Jeu de l'Oyfon commença
enſuite. Tous les Préten-4
dans à la victoire monterent fur
l'Echafaut dont je vous ay parlé,
&cet Echafaut voguant aubruit
des Timbales & des Trompetes,
paſſant & repaffant à force de
rames ſous la Corde où l'on avoit
attaché l'Oyſon , ceux qui vouloient
GALANT.
199
loient avoir la gloire d'en arracher
quelque piece,demeuroient
fuſpendus à cette Corde, pendant
que l'Echafaut continuoit de voguer.
On lâchoit auffi-toft une
eſpece de Moulinet , qui les faifant
tomber rudementdans l'eau,
les obligeoit fort ſouvent à lâcher
prife , parce que par le moyen de
ce Moulinet , on les relevoit avec
une viteſſe qui leur faifoit perdre
leurs meſures , ce qui eſtoit
toûjours cõtinué juſqu'à ce qu'ils
euffent abandonné la Corde.
Tant de ſauts , joints à l'eau qui
les aveugloit , les empefchoit de
ſe bien tenir à la Corde , & à
l'Oyfon. Quelquesfois ils s'y attachoient
deux enſemble , & ils
donnoient alors bien plus de plaifir
aux Spectateurs. La préſence
de Monſeigneur le Dauphin les
excita tellement, que ce Jeu dura
I iiij
200 MERCURE
1
beaucoup moins que de coûtume.
Deux emporterent des pieces
de l'Oye , & le troifiéme eut le
Corps;& comme c'eſt le morceau.
auquel le triomphe eſt attaché,le
combat ceffa , & tous ceux qui
eſtoient ſur l'Echafaut ſe jetteret
dans l'eau la teſte la premiere,
comme s'ils euſſent voulu ſe cacher
de honte. Monſeigneur le
Dauphin fortit alors de deſſus la
Terraffe , & alla dans les Apartemens
de l'Hôtel de Créquy. Ils
eſtoient tres - magnifiquement
meublez ,& l'ony voyoit par tout
que Tables,& Luſtres d'argent. II
y eut Bal,& apres le Bal une Collationmagnifique.
Ceux qui mãgerent
à la Table de Monſeigneur
le Dauphin , furent Monfieur &
Madame la Princeſſe de Conty,
Monfieur le Prince de la Rochefur-
Yon , les fix Filles d'Honneur
de
GALANT. 201
deMadame la Dauphine,&deux
de Madame. Ceux qui estoient
placez de toutes parts ſur lesEchafauts,&
dans les Chambres,ſe fervirent
de ce teps pour faire lamême
choſe en attendant l'heuredu
Feu.Ilfaut vous en faire la defcription.
Sa figure eftoit quarée, &
paroiſſoit ſuportée par une Baleine.
Tout le Corps eſtoit compoſé
d'un ordre Jonique , & Dorique.
Dans les deux Portiques qui regardoient
le Louvre , & dans les
deux autres qui regardoietleCollege
des Quatre-Nations,étoient
quatre grandes Figures qui repreſentoiét
la Terre,l'Eau, l'Air,& le
Feu.On voyoitdas lesdeux autres
Faces,la Verité, l'Amour divin,la
Peinture,&le Bō Augure.Toutes
ces Figures parurent tranſparates,
quand la nuit eut commencé...
Das les quatre Faces de l'Attique
Iv
202 MERCURE
on avoit repréſenté les Rivieres
de Seine, deMarne, d'Oife, & de
l'Aube. On voyoit aux deux côtez
ungrand Dauphin, ſurlequel
eftoit le Génie de la France, portant
les Armes du Roy , & ayant
unTriton aupres de luy. Quatre
Figures de relief rempliffoient
les quatre coins de l'Attique , &
faifoient voir la Vertu héroïque,
l'Aurore,l'Abondance,& l'Amour
de la Patrie. On avoit poſé un
grand Globe terrestre au deſſus
de l'Attique , & fur ce Globe
eftoit affiſe une grande Figure
repréſentant la Richeffe de la
France, qui tenoit ſur ſes genoux
le Géniedes François. Ily avoit
à ſes pieds pluſieurs Couronnes.
La Frife de toute la Machine
eſtoit ornée de Soleils , de Fleursde-
Lys , & de Dauphins rehaufſez
d'or , & l'on avoit peint en
marbre !
GALANT.
203
marbre tout ce qui marquoit le
Corps de l'Architecture .Les quatre
coinsde la Balustrade estoient
ornez de quatre Obéliſques enrichis
de Fleurs-de- Lys d'or ; &
quatre Vazes enflâmez eſtoient
au milieudu Theatre , ſur lequel
toute la Machine eſtoit poſée. II
eſt juſte de vous nommer ceux
qui ont contribué à la dépenſe de
ce Feu , afin que tout le monde
connoiſſe la part qu'ils prennent
à ce qui regarde le bien de la
France. Ce font les Jurez Vendeurs,
lesJurez Crieurs, les Jurez
Courtiers de Vins, lesJurez Jaugeurs
de Vins,les Jurez Mouleurs
de Bois,les Aides aux Jurez Mouleurs,
les Jurez Controlleurs de la
Buche , les lurez Meſureurs de
Charbon , les Jurez Porteurs de
Charbon , les Jurez Meſureurs de
Bled , & les Jurez Porteurs de
Grains. Le
204 MERCURE
Lejour ne fut pas plutoſt finy,
que l'Illumination ſi attenduë
ſembla le faire renaître. Tout le
Peuple dõt je vous ay décrit l'ondoyante
foule , commençoit à
s'impatienter , parce qu'il yavoit
déja quelque temps que les Divertiſſemens
estoient ceſſez . Cependant
Meſſieurs de la Galerie
du Louvre avoient pris de ſi juſtes
meſures , que pour ne point
faire attendre ce qu'ils vouloient
donner au Public , comme il arrive
ordinairement en ces fortes
d'occaſions , tout estoit en eſtat
Avant que l'heure de s'en ſervir
fuſt venuë. Ainſi la nuit n'eſtoit
pas encor tout-à-fait fermée lors
qu'on alluma. On s'eſtoit beaucoup
promis d'un Corps auſſi diſtingué
par fon merite dans tous.
les Arts,mais àpeine eut-on commencéàregarder
les premiersen
droits
GALANT.
205
droits qui furent illuminez , que
l'éclat&le bon gouſt ayant frapé
les yeux & l'eſprit de ce qu'il y
avoit de Connoiffeurs parmy cette
innõbrable multitude de Peuple,
ceuxqui estoient déja ébloüis
de ce qu'ils voyoient , mêlerent
leurs acclamations aux applaudiffemens
des premiers,& 1 on n'entendit
que des éclats d'admiration
, qui ne ceſſerent preſque
point de tout le foir ;& ce qu'il y
eutde ſurprenant , c'eſt que l'on
vit plusdedeux cens mille Perſonnes
qui regardoient du coſté
del'eau, ou qui avoient les yeux
attachez ſur le Feu , tourner , &
lever la teſte tous àla fois, de fortequ'il
ſembloit que la terre euſt
englouty tous ceux qui estoient
au meſme endroit un moment
auparavant, & qu'elle euſt reproduit
d'autres Spectateurs dans
le
206 MERCURE
le meſme inſtant. L'éclat des Lumieres,
& le bruit du Peuple,pafferent
juſques à l'Hoſtel de Créquy
; & Monſeigneur le Dauphin,
qui estoit encor à table , fit
ouvrir les Fenestres du Lieu où
ilmangeoit, pour voir l'Illumination
avant qu'elle fuſt encor dans
tout ſon éclat.
Le Peuple agreablement appliqué
à examiner tout ce qui compoſoit
cette Illumination,n'avoit
plus tant d'impatience de voir le
Feu. La promptitude avec laquelle
le nombre des Lumieres
augmentoit à chaque inſtant,luy
fourniſſant dequoy l'occuper toûjours
de plus en plus , luy donnoit
de continuels ſujets d'admiration.
Pendant que l'on allumoit
tout ce qui devoit fervir
d'ornement à la grande Corniche
, & éclairer les Obéliſques &
les
GALANT. 207
les Frontons qui la rempliſſoient,
on travailloit également en bas;
& le Corps d'Architecture,où eft
le petit Coridor ou la Galerie
bafle , parut en peu de temps illuminé
par plus de dix mille
Lampes qui defſignoient l'Architecture
du premierOrdre du Bâtiment
qui eſt Dorique,&diſtribué
par 56. Pilafſtres accouplez,
ayant leurs Bafes , & leurs Chapiteaux
deſſignez par ces Lumieres
, auffi-bien que la Corniche
& l'Architecture , qui font du
mefme Ordre. On ne s'eſtoit
point encor avisé de deffigner &
former en France un grand
Corps d'Architecture avec des
Lumieres vives. Il n'en eſt de la
mefme forte à Rome,où elles font
aſſez ordinaires , & fur tout au
prodigieux Corps de Baſtiment
de l'Egliſe de Saint Pierre , dont
toute
3
1
208 MERCURE
toute l'Architecture eſt illuminée
ſouvent par dehors,mais avec cette
diference,que quelques-uns de
ces Meſſieurs de la Galerie du
Louvre qui lesont veuës dans le
Païs , ont fait marquer les montans
des Corps de cette Architecture
avec les meſmes Lumieres;
ce qui ne ſe fait point à Saint
Pierre , & c'eſt par cette raiſon
qu'on a lieu de dire que l'Illumination
de la Galerie a paru plus
complete que celle de ce grand
Edifice de S.Pierre , parce que les
parties eſtant plus preffées , &
l'Architecture plus defſignée &
plusmarquée dans toutes ſes parties
, le morceau de la Galerie
qu'on avoit illuminé , paroifſſoit
tellement brillant,que fil'on vouloit
repreſenter un Palaisdu Soleil,
on ne pourroit rien faire qui
en approchat davantage. Quoy
qu'on
GALANT. 209
qu'on ne ſe laſſaſt point d'examiner
cette Architecture de Feu,
l'éclat qui redoubloit plus haut,
fit lever les yeux fur les Obelifques
& fur les Timpans. De nouvelles
Lumieresyparurent.Outre
les dix mille Lampes qui formoiết
le Corps d'Architecture de la
Galerie baſſe , la Corniche de la
Galerie haute , appellée grande
Galerie , eſtoit bordée d'un rang
de Godets,& ily avoit des Terrines
remplies de groſſes Lumieres
derriere les Frontons & les
Obeliſques ; & pour ſurcroiſt de
clarté , les deux coſtez des Frontons
eſtoient remplis de Lumieres
vives , qui en marquoient le
contour. Tandis que le Peuple
s'attachoit à confiderer les
Peintures des Frontons & des
Obeliſques , on plaça vingt-huit
Tableaux illuminez das les C roisées
2
210 MERCURE
sées de la Galerie baffe , & l'on
remarqua qu'ils eſtoient enrichis
de Feftons dorez , & éclairez de
lumieres vives. Cette augmentation
de beautez fit donner de
nouveaux applaudiſſemens ; &
la diligence avec laquelle ces Tableaux
furent placez , fit croire
qu'il n'avoit falu pour cela qu'un
coup de Siflet, comme pour faire
changer des Décorations desPieces
de Machines. Tant d'habiles
Gens unis enſemble,n'avoient
pas manqué de pourvoir à tout
ce qui avoit pû eſtre neceſſaire
pour l'exécution de leur entrepriſe
, & ils y donnoient euxmefmes
leurs foins. Ils avoient
déja fait des illuminations affez
conſidérables dans les cinq premiers
jours de réjoüiſſance qui
ſuivirent l'accouchementde Madame
laDauphine. On avoit veu
à
GALANT. 211
aleurs Feneftres des Allégories,
desDeviſes , des Obéliſques , &
des Lampes de Lumieres vives;
mais chacun ayant alors ſuivy
ſon idée , il n'y avoit euny régularité
ny fimétrie, ce qui fut cauſe
qu'on propoſa de faire quelque
choſe de grand à frais communs.
C'eſt ce qui a donné lieu à l'Illumination
dont je vous parle , &
qui a fait tant de bruit .
On eut à peine ouvert cette
propofition , qu'il parut que la
propoſition, le travail,&l'exécution
, n'estoient qu'une meſme
choſe. Quand un veritable zele
anime,ſoins,peine,argent,rien ne
coûte , & tout ce qu'on fait tient
du miracle. C'eſt ce qu'on a veu
dans l'occaſion de cette Fefte .Les
Femmes & les Enfans ont travaillé
; & les Ouvriers , dont le
talent n'eſt point de peindre , &
qui
212 MERCURE
し
qui ſçavent ſeulement deſſiner,
parce que leur employ l'exige,
ont pris les Paletes & les Pinceaux
, & ont paru habiles en ce
qu'ils n'avoient jamais pratiqué.
Enfin tout s'eſt fait avec cet empreſſement
qui ſert à marquer
I amour que le Roy imprime à
tout le monde. Ce qu'un zele ſi
ardent a de merite, rejalit ſur Mr
Colbert, & augmenteroit la gloire
de ce grand Miniſtre, fi elle pouvoit
recevoir quelque accroiffement
, puis que comme Sur-Intendant
des Bâtimens du Roy ,
& des Arts & Manufactures de
France , il propoſe ceux qu'il
croit capables d'occuper les Logemésdes
Galeries, & d'y rendre
ſervice à ſa Majesté,n'y en ayant
aucunparty parmi eux qui n'ait
cet honneur. Leurdeſſein avoit
eſté de joindre un Feu d'artifice
GALAN T.
213
ce à l'Illumination. La conſtruction
en auroit eſté extraordinaire.
Il y auroit en quelque façon
paru des Machines ; & ceux
qui exercent tant de beaux Arts,
ayant reüny enſemble leurs pensées,
executé eux-meſmes,&donné
les moyens d'executer , il eſt
à croire que nous aurions veu
quelque choſe de tres-beau , &
de tres-nouveau ; mais ces Melſieurs
ſe trouverent obligez d'abandonner
leurs deſſein , lors
qu'ils eurent appris celuy de
Monfieur le Prevoſt des Marchands.
Ainſi ils en demeurerent
à la ſeule Illumination. Les vingt
huit Tableaux qui occupoient
les Feneſtres de la Galerie baffe ,
repreſentoient la Peinture la
Sculpture,l'Architecture, la Graveûre
en Estampes & en Medailles
, l'Orfevrerie , la Joüaillerie,
l'Armu
214 MERCURE
l'Armurerie , l'Horlogerie , l'Hiſtoire
, les Mathématiques , la
Géographie , la Broderie , & la
Marqueterie. Ily avoit autantde
Tableaux de Deviſes pour chacun
des Arts que je viens de vous
nommer. Toutes les Illuminations
de Tableaux eſtant faites
ordinairement pour paroître dans
la nuit la plus obfcure , & les dix
mille Lampes dont j'ay parlé
ayant rappellé le jour , les Tableauxqui
estoient dans lesCroisées
devoient ne point paroître
du tout , ou du moins paroître
peu tranſparens , puis que l'obſcurité
ne régnoit point en dehors.
Cependant comme cesMefſieurs
n'avoient point épargné la
dépenſe , & qu'ils avoient mis
derriere tous ces Tableaux trois
fois plus de Lumiere qu'il n'auroit
falu en mettre , s'il n'y en
avoit A 1
GALANT.
215
avoit point eu en dehors , les Tableaux
estoient aufli tranſparens
que dans la nuit la plus noire, &
l'on peut dire que c'eſt la premiere
fois qu'on a veu deux Lumieres
diférentes , dont l'une devoit
détruire l'autre, faire toutes deux
leur effet. Je paſſe aux Peintures
qui estoient poſées le long de la
grande Corniche. Il y avoit quatorze
Obeliſques , & quatorze
Frontons , ſçavoir , un Fronton
entre deux Obéliſques. Il faut
obſerver que les Frontons étoient
juſtement au deſſus des Fenêtres
, ce qui en faifoit comme le
couronnement.Ils repréſentoient
alternativement des Chifres du
Roy , & des Soleils, Quant aux
Obéliques , ils eſtoientde neufà
dix pieds de haut. Voicy ce qui
eſtoit peint ſur chacun. UnTrophée
d'Armes , avec une Infcription
216 MERCURE
ption qui marquoit que ce Trophée
eſtoit à la gloire du Roy,
pour avoir pris cent Villes ; des
Dépoüilles de pluſieurs Provinces
adjoûtées à ſon Royaume; des
Inſtrumens de Riviere , avec un
Fleuve captif, qui marquoient le
Paſſage du Rhin ; un Trophée
maritime de Prouës , de Vaifſeaux
, & de Tridens , pour marquer
les Victoires navales du
Roy ; les Dépoüilles des Barbares
du Canada , & du Païs des
Iroquois,pour marquer les triomphesde
la Majefté ſur les Nations
barbares ; des Armes , pour
marquer que ce Prince a heureuſement
achevé trente Guerres
; les Armes des Turcs briſées,
pour avoir conſervé la Hongrie.
On avoit joint ſept Trophées de
Paix à ces ſept Trophées de
Guerre; ſçavoir, des Inftrumens
des
GALANT. 217
des Arts , pour les avoir rétablis ;
des Tables des Loix , des Livres,
des Balances, des Epées de Juſtice
, & des Faifceaux , pour avoir
étably les Loix ; les Temples des
Herétiques abatus , pour avoir
détruit l'Heréſie ; des Monſtres
enchaînez , & des Epées rompuës
, pour avoir fait ceſſer les
Crimes , comme les Duels & les
Blasphemes; des Armes rompuës,
attachées à un Olivier,pour avoir
donné la Paix au Monde ; des
Places fortifiées, avec des Inftrumens
propres à les fortifier , &
meflez de Canons , pour avoir
muny des Places. On y avoit adjoûté
les Armoiries des Villes des
deux Bourgognes , parce que le
Roy les a réünies, &que le jeune
Prince en porte le Nom.
Tous ces Trophées regardant
le Roy , il n'y avoit rien le long
Aoust 1682 . K
218 MERCURE
1
}
1
i
de la grande Corniche , qui ne
fuſt à ſa gloire ſeule. Quant à
I'lllumination d'en bas , le jeune
Prince y avoit plus de part. Vous
le verrez par cette Inſcription,
qui eſtoit en mots Latins à la tê
te des Tableaux.
:
Les Arts qui habitent dans la
Galerie du Louvre , offrent & confacrent
leur fervice aujeane Prince
nouvellement né , Monseigneur le
Duc de Bourgogne.
Rien ne pouvoit eſtre mieux
imaginé, parce que l'on ſuppoſoit
que tous les Arts repreſentez dans
les Tableaux qui rempliſſoient
les Croiſées de la Galerie baſſe ,
travailloient à la gloire de cePrince.
Au milieu de cette Galerie il y
a une eſpece de Portail. Il eſt en
faillie ,& quatre Colomnes avancées
GALANT .
219
cées ſoûtiennent une Terraſſe ,
avec une Balustrade . Ces quatre
Colomnes estoient entourées de
Lampes d'une maniere qui ne
rompoit point l'ordre de l'Architecture
. Le Buſte de Monſeigneur
le Dauphin eſtoit fur
le milieu de la Porte , avec les
Armoiries de Monſeigneur le
Duc de Bourgogne . On liſoit fur
la Friſe d'enbas une Inſcription
Latine , tireé du Prophete Iſaïe.
Elle estoit miſe là comme un
Augure de la grandeur du jeune
Prince . Voicy ce qu'elle marquoit.
2
Les Peuples marcheront à lafaveur
de vos Lumieres , & les Roys
à l'éclat de vostre naissance. Levezles
yeux , & regardez de tous
costez. Tous ces Gens ne font icy
que pour vous , & ne travaillent
quepourvous.
Kij
220 MERCURE
Tout le reſte de cette Façade
eſtoit hiſtorié juſques ſur la
Terraſſe qui donne dans la Galerie
haute. Pluſieurs Figures faifoient
connoiſtre la gloire que
le Roy avoit acquiſe dans la
Guerre & dans la Paix ; & le
Buſte de ſa Majesté eſtoit élevé
ſur la Terraſſe. Une grande
Figure repreſentant la Gloire ,
tenoit une couronne fur la teſte
de cet auguſte Monarque . La
Balustrade estoit ornée d'un Tapis
, enrichy de ſes Chiffres , &
environnée de pluſieurs rangs de
Lampes . Les Boëtes & les Canons
qu'on avoit placez ſur le
Terrain qui eſt au bas du Cheval
de Bronze , tirerent le Peuple
de l'attention avec laquelle
il examinoit toutes ces chofes , &
luy apprirent que le ſpectacle
du Feu estoit preſt de commencer.
GALAN T. 221
,
cer. On tira d'abord trois ou quatre
douzaines de Fuſées d'honneur
, parmy leſquelles il y en
avoit de ſi belles que peuteſtre
n'en a-t-on jamais veu de
pareilles en France. On mit en
fuite le feu à la Machine dont
je vous ay fait la deſcription.
L'Artifice d'eau y parut beaucoup.
Des manieres de Sauciffions
apres y avoir demeuré quelque
temps plongez , & s'eſtre
promenez fur la Riviere , jettoient
des Bouquets de Fuſées,
qui eſtant retombées dans l'eau,
en reſſortoient un moment aprés,
s'y promenoient encor quelque
temps , puis crévoient avec éclat.
Le Feu eſtant finy , Monfe
gneur le Dauphin monta en Carroffe
pour retourner à Verſailles
, fort content du Peuple , qui
par des acclamations continuel-
Kii
222 MERCURE
4
les avoit témoigné la joye que
luy cauſoit ſa prefence. La Compagnie
des Maiſtres Paffeurs , &
des Débardeurs , qui avoient diverty
ce Prince par leurs Joûtes
& par le jeu de l'Oyfon , &
qui avoient repris leurs Habits,
pour l'aller falüer dans la Court
de l'Hoſtel de Crequy , en fut
auſſi fort contente , puis qu'il
leur donna des marques de ſa
liberalité. Le Peuple qui ne ſe
pouvoit laſfer d'admirer l'illumination
de la Galerie , paffa le
refte du ſoir à confiderer toutes
ſes beautez. Il ſembloit que
la Lumiere en frapant les yeux,
rempliſſoit l'eſprit de joye. Le
nombre infiny de Gens qui s'étoient
placez dans le bas des
Quays , s'eſtant retirez , cette
Lumiere refléchie dans l'eau , y
fit paroître un Palais de feu ; &
comme
GALAN T.
223
comme toutes les Lampes deffignoient
l'Architecture , ainſi que
je vous l'ay dit , & que dansl'éloignement
les lumieres paroifſent
plus approchées , ceux qui
voyoient de loin cette Illumination
, la prenoient pour un Palais
compoſé plûtoſt d'un morceau
de Feu ( fi ce terme m'eſt
permis ) que de Lumieres diférentes.
Quantité de Gens de
qualité qui occupoient les quarante-
deux Croiſees de la Galerie
haute , n'ayant pû voir cette
Illumination parce qu'elle
eſtoit au deſſous d'eux , ils pafferent
en Carroſſe le long de la
Galerie. Il en vint d'autres de
divers endroits ; & plufieurs qui
s'en eſtoient retournez , en ayant
fait le recit à leurs Amis qui n'avoient
rien veu , ils y accoururent.
Ainſi l'on s'y promena tou-
:
K iiij
224
MERCURE
:
te la nuit , comme on avoit fait
au Cours, pluſieurs Lampes étant -
encore allumées à huit heures du
matin. Ces Meſſieurs qui ont
joint la dépenſe à l'eſprit , pour
faire cette Illumination , en font
graver une Planche. Ils me l'ont
promiſe. En vous l'envoyant , je
vous parleray des divers talens où
excelle chacun d'eux
Les Jefuites du College de
Clermont , qui en toute forte
d'occaſions font leur plus ſenſible
joye de marquer le zele qu'ils
ont pour Sa Majesté , ont fait
voir dans celle- cy la part qu'ils
prenoient aux Réjoüiſſances pu
bliques , par une folemnité des
plus éclatantes. Une Harangue
Latine que le Pere Jouveney,
l'un des Profeſſeurs de la Réthorique
, prononça le 24. de ce
mois ſur la Naiſſance de Monſeigneur
GALANT.
225
:
ſeigneur le Duc de Bourgogne,
en fut comme l'ouverture. Il s'en
acquita avec l'applaudiſſement
d'une tres illuftre & grande Af
femblée. Monfieur l'Archeveſ
que y vint en ceremonie , avec
ſa Croix portée devant luy , ce
qui obligea quantité d'Eveſques
qui s'y trouverent , de ſe mettre
en Camail & en Rochet. Il y
avoit beaucoup de Perſonnes de
qualité , & un fort grand nombre
de Religieux & d'Eccleſiaſtiques.
Ces Peres ayant préveu que
le Spectacle de l'eau dont je
viens de vous parler , attireroit
tout Paris le lendemain , choifirent
le Mecredy 26. pour la grande
Feſte qu'ils avoient fait preparer.
La Court eſtoit remplie
d'Ornemens dans ſes quatre faces.
Au milieu de celle qui eſt
Kv
226 MERCURE
oppoſée à la Porte de la Ruë ,
il y avoit un fort grand Portrait
du Roy fur une maniere d'Eſtrade
. Seize grands Drapeaux
dans lesquels on avoit peints les
fix- vingts & huit Quartiers de
la Deſcendance du petit Prince
, estoient placez au haut de
la meſme face. Les Images de
la Reyne , de Monſeigneur , de
Madame la Dauphine , & des
Princes & Princeſſes de la Maifon
Royale , faifoient une partie
de la Decoration de cette Court .
On y voyoit les Medailles de
64. Roys de France , & chaque
Medaille avoit fon infcription.
Toutes les Sciences que l'on enſeigne
dans ce College , eſtoient
repreſentées par autant de Termes
avec une Inſcription generale
, qui faifoit connoiſtre que
cette Réjoüiſſance ſe faifoit pour
la
GALANT.
227
la Naiſſance de Monſeigneur le
Duc de Bourgogne. Les plus
celebres Hiſtoriens du Royaume
repreſentez aufſi en Termes , por
toient la grande Corniche , où
l'on voyoit les Medailles de nos
Roys. Vingt - deux Deviſes , &
autant d'Inſcriptions tirées des
anciens Poëtes , eſtoient dans
desBordures dorées. Toutes ces
diverſitez occuperent agreablement
les Curieux, pendant deux
jours qu'elles furent expoſées.
Le bas de la Court eſtoit orné
de Tapifleries , & dans le milieu
paroiſſoit un Temple auquel on
avoit donné une figure quarrée.
Il eſtoit placé fur une Montagne
, & repreſentoit celuy
qu'Apollon avoit autrefois ſur le
Mont Claros , & que tant d'Oracles
ont rendu celebre, L'allufion
du Mont Claros au College
de
228 MERCURE
deClermont , faiſoit voir ledefſein
qu'on avoit eu , en mettant
ces quatre mots ſur les quatre
faces de ce Temple , Horoscopus
RegiusDucis Burgundia. La figure
d'Apolon tenant ſa Lire en ſa
main , eſtoit au plus haut du
Temple. Les Buſtes du Roy , de
Monſeigneur le Dauphin , de
Loüis XIII . & de Henry IV. ornoient
les quatre Frontons .Dans
les Tympans des Frontons eftoient
des Inſcriptions Latines,
qui faifoient connoiſtre les avantages
que l'on préſageoit pour
Monſeigneur le Duc de Bourgogne
, ſur l'aſpect de ces quatre
Princes . Sous le Buſte de Monſeigneur
le Dauphin , on liſoit
en mots Latins , Heureux parfon
Pere; ſous celuy du Roy , Grand
par son Ayeul ; ſous celuy de
Loüis XIII. Iufte parfon Byfayeuls
&
GALAN Τ. 229
&ſous celuyd'Henry IV.Vaillant
parfon Trifayeul. Les Pilaftres
des deux faces où eſtoient les
Buſtes de Monſeigneur le Dauphin
, & de Loüis XIII . eſtoient
de Porphire veiné de blanc , &
les deux autres de Lapis veiné
d'or . Les Chapiteaux des Pilaſtres
dans la face du Buſte de
Monſeigneur, eſtoient compoſez
de la Lyre d'Apollon , jointe à
deux Dauphins ; dans celle du
Buſte du Roy , d'un Globe remply
de trois Fleurs de Lys , & d'un
Trophée de deux Canons couchez,
&de fix Drapeaux élevez;
dans celledu Buſte de Loüis XIII.
d'une Peau de Lyon, & de deux
Maſſuës paſſées en Sautoir ; &
dans celle du Buſte d'Henry IV.
de pluſieurs H , accompagnées
de Palmes , d'une Epée nuë , &
d'une Couronne de Laurier.Huit
Médail
230 MERCURE
Médailles à la maniere antique,
ſervcient d'ornement aux entré
deux des Pi aſtres. Dans la premiere
, on voyoit un jeune Enfant
relevant une Femme couronnée
de Pampres de Vigne , &
appuyée ſur un Ecuffon écartelé
de Bourgogne ancien , & de
Bourgogne moderne , avec ces
mots, Burgundia renascens. Dans
la feconde , paroiffoit une Vertu
tenant d'une main une Ancre
double fur laquelle elle s'appuyoit
, & de l'autre , deuxDauphins
entrelaſſez avec deux jeunes
Lys ,& ces mots Spes augufta.
La troiſieme , repreſentoit laPaix
brûlant des Armes , &tenant de
fa main gauche une Corne d'Abondance,
dont fort un jeune
Prince , avec ces mots , Fructus
pacis. La quatriéme , eſtoit la fi
gure du Feudejoye dela Greve,
avec
GALANT. 231
avec des Fontaines de Vin. On
y liſoit ces mots, Hilaritas populi.
Des Soldats qui élevoient un
Enfant fur un Bouclier , faisoient
le ſujet de la cinquiéme. Ces
mots y eſtoient écrits, Letitia Caftrorum.
La fixieme, faiſoit voir le
Temple de la Juſtice , & fur fon
Trône le Berceau d'un Enfant,
devant lequel deux Magiftrats
eſtoient proſternez . La Legende
y estoit Grecque , & fignifioit
lefacré Serat. Dans la ſeptième,
eftoit un Vaiſſeau avec le Roy
au Timon,un Dauphin à la Prouë,
& l'Image d'un Enfant dans la
Voile au deſſus du Mats. Ces paroles
s'y liſoient , Felicitas Regni.
La derniere , eſtoit le Temple
meſme du MontClaros, avec une
InſcriptionGrecque , qui vouloit
dire , la Communautéde Claros.
La couro eſtant preſque toute
remplie
232 MERCURE
remplis de Spectateurs , & le
jour commençant à s'abaiſſer, les
Trompetes& les Timbales firent
connoiſtre qu'on alloit chanter
le Te Deum , les Muſiciens eftoient
fur un Theatre dreſſé au
milieu de la face où eſt l'Eglife.
Il eſtoit orné de Tapiſſeries , &
éclairé par pluſieurs Luftres de
Criſtal que l'on avoit ſuſpendus.
CeTe Deum fut chanté à divers
Choeurs de Muſique , & meſlé
d'une Symphonie tres-agreable
de Violons , de Hautbois , & de
pluſieurs autres Inftrumens. On
yajoûta le DomineSalvumfac Regem
, auffi en Muſique. Tandis
qu'une tres grande Aſſemblée
donnoit ſon attention aux Muficiens,
toute la court fut illuminée.
Trois Lanternes peintes de So
leils , de Dauphins , &d'Armoiries
eſtoient à chaque Feneſtre,
&
GALAN T.
233
&dans chaque face, on vit prefque
en un moment trois étages
éclairez. Quantité de Pots- à- feu
eſtoient placez fur les Cheminées
, & la flame qu'ils jettoient
pouvoit eſtre veuë de loin. Apres
que la Muſique eut finy , des
Trompetes qui ſe répondoient
du haut de deux Pavillons oppoſez
, divertirent fort tous
ceux qui estoient venus pour
ce Spectacle. Ples de trente
Boëtes furent tirées dans une
autre court , pendant que les
Trompetes joüoient , & l'on fit
fucceder à cette décharge l'éclat
lumineux d'un fort grand nombre
de Fuſées volantes. Enfin il y
en eut une qui partit d'un rayon
d'un grand Soleil , poſé où eftoit
le portrait du Roy , & cette
Fuſée alla mettre le feu à la
Machine. Figurez- vous- en l'effet
par
234 MERCURE
par tout ce que l'Artifice produit
de divertiſſant , & d'agreable.
Ce Feu dura prés d'une heure,
&tout le monde ſortit fort content
de ce qu'il avoit veu & entendu.
Meſſieurs de la Faculté de
Droit, qui avoient témoigné leur
joye pour la Naiſſance du Prince,
par des Feux & des Illuminations
le foir des 7.8. & 9. de ce
mois , ont ce que pendant que
tous les Corps tâchoient à l'envy
de faire éclater leur zele, il eſtoit
de leur devoir de donner des
marques particulieres de leur reconnoiffance,
pourles graces que
leRoy leur a faites depuis peu, par
le Rétabliſſement de la Profeffion
du DroitCivil dans leur Ecole.
Ainſi le 27. les Docteurs Régens
, en leur Habit de Ceré
monie , & les Docteurs Aggregez,
GALANT.
235
L
gez , s'eſtant rendus le ſoir dans
le Choeur de l'Egliſe de Saint
Jean de Latran , lieu que leurs
Predeceſſeurs ont choiſy pour
les Feſtes de Religion , y firent
chanterun Te Deum en Muſique.
Il fut ſuivy d'une diſtribution de
Pain & de Vin , & d'aumônes à
tous les Pauvres qui ſe preſenterent.
Il y avoit un Theatre dreſſé
pour un Feu de joye devant la
Maiſon de la Faculté . Ce Theatre
foûtenoit un Obeliſque , fur le
haut duquel il y avoit un Soleil
ſuporté d'un Croiſſant , avec ces
mots du Pſeaume 71. Permanebit
cum Sole & ante Lunam. Pour
montrer que la gloire future du
jeune Prince,prenant ſon éclatde
celle du Roy, durera toûjours, &
obſcurcira celle de l'Empire Ot
toman. Aux trois faces de l'Obelifque,
236 MERCURE
beliſque , eſtoit peint un Aiglon
ſoûtenu par un Aigle , & regardant
le Soleil , avec ces paroles,
Viam nascens affectat Olimpo. Au
deffous eſtoient repreſentées en
chacune des faces de l'Obelifque
, la Prudence , la Juſtice , &
la Valeur. Aux quatre côtez du
Pied-d'eſtal, on voyoitles quatre
principales Planetes , qui par les
fignes,& par les maiſon où elles ſe
trouvoient àl'heure de la naiſſance
du jeune Prince préſagent fes
futures grandeurs. Sur le front
du Pied- d'eſtal eſtoit le Soleil
dans le Signe du Lion , avec ces
mots , Aufpiciis ortus majoribus,
pour marquer en general ces
Preſages extraordinaires
donne le Soleil logé dans la
Conſtellation , où il a le plus
de force. Sur le coſté droit , eſtoit
Saturne dans le meſme Signe ,
, que
avec
GALANT.
237
avec ces paroles qui n'ont pas
beſoin d'eſtre interpretées ,Anrea
reddatfacula Avofimilis. Jupiter
dans le meſme Signe du
Lion,eſtoit ſur le côté gauche.On
y liſoit ces paroles , Populis erit
omnibus idem , pour faire connoître
par l'Etoile de Jupiter, qui déſigne
les grands & bons Princes,
que la bonté & la grandeur de
Monſeigneur le Duc de Bourgogne
luy attireront la veneration
de tous les Peuples. Sur la
derniere face du Pied-d'eſtal , on
voyoit la Lune ſous le Signe de
la Balance. Ces mots Verfa lance
cadet , marquoient que ce Prince
marchant un jour ſur les traces
de ſon auguſte Ayeul , & de fon
glorieux Pere , achevera d'abaiffer
l'Empire du Turc. Surle devant,
& fur le derriere de la Friſe
, eſtoient des Inſcriptions Latines,
238 MERCURE
N
tines , pleines des ſouhaits que
fait l'Ecole de Droit pour Sa Majeſté
, & pour toute la Famille
Royale. Sur les deux côtez de
la meſme Friſe à droit & à gauche
, une grande clarté s'élevant
& ſe fendant en deux , dans les
ombres d'une nuit obfcure , ſans
Lune & fans Etoile , reprefentoit
celle qui fut veuë effectivement
en divers endroits par plufieurs
Perſonnes , la veille de la
Naiſſance du Prince. Ce Vers
Latin eſt au deſſous.
Regno quantus erit qui noctem
illuminat ortu !
La plupart de ſes Deviſes ſont
de Monfieur Doujat , Premier
Docteur Regent en Droit , &
Doyen des Profeſſeurs du Roy
au College Royal .
Quoy
GALAN Τ.
239
Quoy que le Theatre preparé
pour ce Feu de joye fuften
état dés le matin du 27. le mauvais
temps en fit remettre le Spetacle
au lendemain. Ainſi le 28
fur les huit heures du ſoir , tout
le devant des Ecoles , qui avec
l'autre coſté de la Ruë avoit eſté
tapiſſe deux jours , parut éclairé
de cinq cens Lampes , dont l'effet
fut admirable , & auffi- toſt la
Machine du Theatre illuminée
de la meſme ſorte , fit voir dans
leur jour toutes les Figures qui
y eſtoient peintes , avec les Inſcriptions
& les demy Vers qui
en donnoient l'explication. Les
Trompettes & les Timbales accompagnerent
enſuite le bruit &
l'éclat des Fuſées volantes , & des
autres Feux d'artifice qui ſe firent
voir & entendre , partie dans la
Ruë , pattie dans la Court de la
Comman
240 MERCURE
Commanderie de S. Jean de Latran
, où l'on fut contraint de tirer
les plus beaux & les plus gros,
pour éviter le peril de quelque
incendie qu'ils euſſent pû cauſer
, dans une Ruë auſſi étroite
que celle de S. Jean de Beauvais.
En meſme temps on alluma
quantité de Lanternes de
diférentes inventions , qui repreſentoient
les auguſtes noms de
la Famille Royale ; mais fur tout
le Buſte du Roy qui eſt ſur la
grande Porte des Ecoles , eſtant
environné de Feſtons tout brillant
d'or & d'argent , & de grandes
Illuminations , fit naître des
cris redoublez de Vive le Roy ,
qui marquant la joye du Peuple
, la répandirent dans tout le
Quartier.
Aujourd'huy , Lundy dernier
des
jour du mois , la Communauté
GALAN T. 241
des Procureurs doit faire tirer un
Feu d'artifice . Je vous en refer
ve la deſcription pour le mois
prochain , auffi - bien que celle
des Réjoüiffances qui ont efte
faites dans les Provinces , pour
la Naiſſance de Monſeigneur le
Duc de Bourgogne. Les Particularitez
de toutes les Feſtes que
cette Naiſſance a fait faire icy,
rempliſſant toute ma Lettre , je
ſuis contraint de remettre à une
autre fois diverſes Nouvelles que
j'avois à vous apprendre. Je remets
auffi l'Explication des deux
derniers Enigmes , & les noms
de ceux qui en ont trouve le
fens. Tout cela ſera dans ma Lettre
de Septembre. Quant aux
noms de ceux qui expliqueront
les deux nouvelles que je vous
envoye preſentement , ils feront
mis dans la dix- neufiéme Lettre
Aoust 1682 L
242 MERCURE
Extraordinaire , qui paroîtra Ic
15. Octobre. La premiere de
ces deux Enigmes eſt de Mademoiſelle
de Boifangers. Monfieur
Raul de Rouan a fait la
feconde.
ENIGME .
E fuis un Composé de beaucoup
departies,
Fort également afforties
Chacun déféremment trouve en moy
des attraits
Mais quoy qu'en mon employ, leabut
i
qu'on se propofe
Soit toûjours mesme chofe,
Mafin produit ſouvent de diférens
effets.
Je cauſe en mesme temps la triſteſſe
(
IX
:
Je fâche , ou réjoüis celug -là que
la joye
m'employe's
Disn
GALANTIA 243
D'unmesme coup je fais & du mal,
Il est vray qu'en revanshe on me
e
Et que ſouvent on me bat bien ;
Mais pour moy ce n'est pas unsujet
J
de tristes
Car plus on me bat , plus j'envintag
AUTRES ENIGME.
33 197 5 ???????????
Efuis Fille d'un Pere élevé dans
Maisjamais je n'en nais,qu'iln'ait
perdu la vie.
sons id long eforwwage où je fuis
Obeïr seulement est tout ce que je
***
on ditque fans égardeni distinguer
..personne .
Lij
244 MERCURE
A tout venant je m'abandonne,.
Jusqu'à soufrir qu'on touche dans
monfeina a Po It
Lors que je tends les bras ,je fais ce
qu'oonnm'ordonne
Sans penfer à mauvais deffein.
Il est encor certain mystere,
Qu'Efculape m'oblige à taire.
Et qui demande du Sacrets
Auſſi ne dis-je rien de ce que l'on y
Parce que j'ysuis neceſſaire.
Mais quel est mon bizarrefort !
Chezles Grands jeſuis belle, & l'on
me cherit fort ;
Et quand je ſuis chez la Cam
naille ,
L'on m'y reduit jusqu'à la paille.
6
Adieu
GALANT.
245
Adieu , Madame. Je vous envoye
le Napolitain , que le Sieur
Blageart debite depuis quelques
jours ,& fuis voſtre, &c.
AParis, ce 31. Aoust 1682.
ججع
ТИАЈAD
-coenovo amabMusihA
4
-223 33v- 23 32m
1
Y
XX VII1.89
511
m
1682.8
Eur. 511
16828...
Mercure
< 36623710770015
S
< 36623710770015
Bayer. Staatsbibliothek
E
1
1
}
MERCURE
GALANT
DEDIE' A MONSEIGNEUR
LE DAUPHIN.
AOUST 1682 .
A LYON ,
Chez THOMAS AMAULRY,
ruë Merciere, au Mercure Galant.
M. DC. LXXXII.
AVEC PRIVILEGE DU ROY.
Bayerische
Staatsbibliothek
ünchen
AVIS.
Voy que dans toute
cette Relation on ait
mis Monſeigneur
le Duc de Bourgogne
, on avertit qu'il faut
dire , Monſeigneur , Duc de
Bourgogne. On avoit déja
imprimé quelques Feüilles du
Mercure quand on l'a ſçeu , &
on a continué le Volume comme
on l'avoit commencé , pour n'y
point parler de deux façons.
a iij
AVIS.
4
Les Particularitez de la
Naifſfance de ce jeune Prince,
les Réjouiſſances qui l'ontfuivie
à Paris, ont fourny tant de matiere
, qu'il a esté impoſſible d'y
mefler aucune nouvelledu Mois.
On n'a pû mesme parler des Feftes
que cette naiſſance a faitfaire
dans les Provinces, à l'exception
de celles qui ont efté faites
en Bourgogne , & à Strasbourg.
Tout cela est reserve pour le Mois
prochain. Le Mercure ne doit
pas estre regardé comme un Liure
qui apprend une Nouvelle
qu'on ne sçait pas , puis que les
Nouvelles ne sont nouvelles
qu'un jour , mais comme un Re-
1A
cueil
AVIS.
cueil de toutes les circonstances
dont ces Nouvelles font accom
pagnées ,&qui font ſcenes fore
fouventdepeu dePerſonnes,quoy
qu'engeneral le gros de l'Article
foit connu. C'est par ce détail,
par le tour qu'on luy donne, qu'on
croit qu'en quelque temps que ce
foit, les matieres que t'on traiterd
feront rreeççeennëëss comme étant no
velles , atinême que ju
fin du monde, Histoireferanouvelle
pour ceux qui n'aurontpas
commencé à la lire, bien que les
Evenement leur en pient connus
avant qu'ils les ayentdous? Mob
On aentendu dans cette Relation
tous les Articles que le Rublic
jusqu'àla
CVLV
j
AVIS.
ignoroit, ou dont ilsçavoit trespeu
de chose ,&en méme temps
on a abregé ceux qui luy estoient
connus , pour ne le pas ennuyer
par d'inutiles repetitions. Si l'on
aparle des derniers, ç'a esté pour
faire un Corps , & donner une
fuite du tout. On mettra ainſi entiers
à l'avenir tous les Memoires
qui n'auront point esté employezdans
d'autres Relation
- Je n'ay point d'autre livres
nouveaux de ce mois icyà vous.
donner que le Napolitain , ou le
défenseur de sa Maistreffe, in
douze, 20. fols.diptanra
Plus la Ducheffe d'Estramene
impreffion de Lyon 12 .
CATA
CATALOGUE
DES PIECES QVI
composent le XV111. Extraordinaire
du Mercure Galant,
Quartier d'Avril 1682.
donné au Publie le 15. luilles
1682.09
ILCONTIENT Visa
Rois Réponſes en Vers
à la Queſtion, Si l'on peut
estimer une perſonne Jans
qu'on l'aime , ou fi au contraire on
peut aimer une perſonne fans qu'on
Pestime. галодол глотг
Trois Réponſes en Vers a
la Queſtion , Lequel est le plus
honteux à une Femme d'accorder
des favdeeuurrssààun Amant qu'ellea
65
aimé , mais qu'elle n'aime plus,
& dont elle n'est plus armée , ou à
un autre qui l'aime ardemment,
qu'elle n'aime point , & qu'elle
n'ajamais aimé.
Trois Réponſes en Vers à la
Queſtion , Si l'on peut dire je
vous estime à une personne d'un
rang plus élevé que l'on n'est.
Trois Réponſes en Vers à la
Queſtion , Quelles raiſons oonn peut
avoir de mépriser da mort , autres
que celles qu'on pourroit prenare
de ta religion
201 Trois Reponſes en Vers fur
l'Origine & Antiquité des Cous
ronnes
Trois Réponſes en Vers à la
Queſtion , Quelle est la raison
qui peut avoir donné lieu à la frequente
faignée: วัง เล ๕ ระทรวงถว
9 Un Traité de la Pourpre remあ
ply d'érudition , de paſſages , &
de
de Vers , avec trois Figures gravées
ſur ce ſujet.
Un Traité du mépris de la
Mort.
Le Lion amoureux , Fable qui
répond à la Queſtion , A quelles
marques un veritable Amant peut
estre connu.
דעס
Pluſieurs Sonnets .
L'Amant conſtant.
Une Rupture.
3
4
25.793
Un Sonnet contre un fort laid
Homme , preſt à épouſer und
Belle.
Un Sonnet contre les Liber
tins.
Un Sonnet ſur le bon Sujet.
Un Sonnet fur la vie heureuſe.
Undifcours en Profe del'Origine
des Couronnes & de leurs
eſpeces.
Deux Réponſes en Vers à la
Queſtion, si l'usage des masques
doit
doit eſtre permis indiferemment à
toute forte de perfonnes .
Un Diſcours en Proſe ſur la
frequente ſaignée.
Une Lettre de MonfieurdeCo.
miers , contenant toutes les Machines
anciennes & modernes,
pour élever leseaux, & les avantages
que la Machine qu'il appelle
Royale , a par deſſus toutes
les autres qu'on a cy- devant
executé , avec une Figure gravée
de cette Machine.
Un tres - grand nombre de
Sonnets &de Madrigaux , fur
les fix Enigmes des trois derniers
mois.
Les Noms de ceux qui ont deviné
celles du dernier mois .
Une Réponſe à la Queſtion
fur l'Origine des Vapeurs , dont
on croit que les Hommes &
les Femmes n'ont eſté incom
modees
modées que depuis quinze ans.
La peinture d'un parfait Amant.
Les Queſtions à décider pour
ledix- neufviéme Extraordinaire.
Sçavoir ,
I. Quel choix doit faire un
Homme , qui ayant le coeur ſenſible
à l'eſprit & à la beauté,
n'eſt point aſſez riche pour vivre
fans chagrin , avec une perſonne
qui ne luy apporteroit aucun
bien.
On luy propoſe trois partis
pour le mariage , une Fille tresriche
, mais tres- laide , & n'ayant
aucun eſprit ; une autre parfaitement
belle , & d'une ſageſſe
reconnuë , d'une humeur douce,
mais ſans bien ; & enfin une
troiſieme , qui par ſon eſprit ſe
fait admirer de tout le monde,
mais qui n'a ny bienny beauté.
こ。
II.
II. On demande ſi le ſentiment
de Phinée , dans l'Opera
de Persée , eſt d'un veritable Amant
, lors qu'il dit qu'il aime
mieux voir Andromede devorée
par un Monſtre , qu'entre les bras
d'un Rival.
III. Il a paru depuis quin
ze jours un Livre nouveau , intitulé
Académie Galante. Il eſt com
posé de pluſieurs Hiftoires, dans
l'une deſquelles un Cavalier foûtient
, que l'Amour eſtant un tribut
qui eſt dû à la Beauté , celuy
qu'on a pour une jolie Femme,
ne doit point empeſcher qu'on
en prenne pour toutes les belles
Perſonnes que l'on rencontre.Un
autre prétend que quand on ai
me une Femme , l'amour que l'on
a pour elle doit enlaidir tout le
reſte du beau Sexe , à l'égard 1
de celuy qui aime. On demande
de quelle opinion eſt à preferer.
IV. On demande le Portrait
d'un Homme qui vit parfaitement
heureux.
Droit.
-11
V. Quelle est l'Origine du
VI. Quelles font les qualitez
neceſſaires pour la converſation.
VII. On voudroit ſçavoir
quel eſt l'Autheur des Lunettes,
quel progrez elles ont eu,& quelles
enonteſté les diférentes ma
nieres .
10
I stil & seanch ob sa
Avis pourplacerles Figures
L
E Feu ſoûtenu par des Pila-
Ares doit regardes lapa-
L'autre Feu doit regarder la
Page 107
1
T
1
:
EXTRAIT DV PRIVILEGE
du Roy.
i
Ar Grace & Privilege du Roy, donné à
1677. Signé Par le Roy en ſon Conſcil , Jun-
QUIERES. Il eſtpermis à J. D. Ecuyer , Sicur de
Vizé, de faire imprimer par Mois un Livre intitulé
MERCURE GALANT , preſenté à
Monseigneur LE DAUPHIN , & tout ce qui
concerne ledit Mercure , pendant le temps &
eſpacede fix années , à compter du jour que
chacundeſd. Volumes ſera achevé d'imprimer
pour lapremiere fois : Comme auffi defenfes
Lont faites à tous Libraires , Imprimeurs , Gra
veurs&autres , d'imprimer , graver & debiter
leditLivre ſans le conſentement de l'Expoſant,
ny d'en extraire aucune Piece ,ny Planches
fervant à l'ornement dudit livre , meſme d'en
vendre ſeparément , & de donner à lire ledit
Livre, le tour àpeine de fix mille livres d'amende
,&confiſcation des Exemplaires contrefaits
, ainſi que plus au long il eſt porté auditPrivilege.
Regiſtré ſur le Livre de la Communauté le
s.Janvier 1678.
Signé E. COUTEROT , Syndic
Et ledit Sieur D. Ecuyer , Sicur de Vizé a
cedé & tranſporté ſon droit de Privilege à
Thomas Amaulry Libraire de Lyon , pour
en joüir ſuivant l'accord fait entr'eux.
Asbevé d'imprimer pour la premierefois le
31. Aonft 1682 .
MERCURE
GALAN T.
AOUST 1682 .
Uor que depuis
quatre ou cinq an-
H
nées j'aye commencé
toutes mes
Lettres par quelqu'une
des plus éclatantes Actions
du Roy , j'interrompray aujourd'huy
cet ordre , pour venir
d'abord à ce qui regarde l'heureuſe
Naiſſance de Monſeigneur
le Duc de Bourgogne , Si ce
Aoust 1682 .
A
2 MERCURE
n'eſt point vous parler de ceMonarque
, ce ſera du moins vous
entretenir de quelque choſe, qui
vous donnera autant de ſujet
de l'admirer , que tout ce que
je vous en ay dit en pluſieurs occafions.
Le Ciel l'a choiſy pour
le combler de tous les bonheurs
qui puiſſent élever un Souverain
au plus haut degré de felicité &
de gloire ; mais il n'a fait ce
grand choix que parce qu'il a
connu qu'il s'en rendoit digne
de luy- meſme , en ſe ſervant le
plus noblement qu'on ait jamais
fait de la liberté qu'ont tous les
Hommes de ſe porter au bien ou
au mal. En effet, on peut dire que
le Roy feroit violence à ſon panchant
, s'il démentoit en aucune
choſe ce caractere de justice , &
de grandeur qu'il fait éclaterdans
toutes ſes Actions. Il l'a toûjours
pris
GALANT.
3
1
pris pour regle de ſa conduite,
& c'eſt par cette raiſon que
Dieu ſe plaiſt à verſer ſur luy ſes
plus pretieuſes graces. Quoy qu'il
les reçoive de ſa main toute-puifſante
, il ne laiſſe pas de ſe les devoir
en quelque forte à luy même
, puis que ſon merite fert à les
luy attirer , & que ce merite eſt
fon propre ouvrage. Doit- on s'étonner
apres cela, ſi toute la Fran
ce informée de la groſſeſſe de
Madame la Dauphine , & voyant
le Roy le plus accomply de tous
les Hommes , demandoit au Ciel
avec des voeux ſi remplis d'ardeur
, un ſecond Prince du Sang
de cette auguſte Monarque ? Les
Peuples ſe regardoient eux - mêmes
en formant ces voeux. Ils regardoient
le bonheur & la gloire
de la Patrie, qui recevant un nouveléclat
par cette naiſſance, ſera
A ij
4 MERCURE
ſera d'autant plus redoutable à
nos Ennemis , que les grandes &
veritables leçons du difficile Art
de bien Regner , feront impref
ſion ſur plus dedignes Sujets, ſous
la plus heureuſe domination qui
ait eſté veuë depuis le commencement
de la Monarchie. Voila ,
Madame , ce qui a causé la joye
que tous les François viennent
de faire paroiſtre ; & comme les
circonſtances de toutes les choſes
qui touchent le Roy , les rendent
encor plus remarquables , auffibienque
lesmanierestoutes charmantes
dont ce Prince accompagne
tout ce qu'il dit & tout ce
qu'il fait , s'il eſt impoſſible de
trouver des termes qui répondent
dignement à la beauté & à la
grandeur de la Matiere, il faut du
moins eftre bien inſtruit de tout
ce que l'on prétend raconter.
C'eſt
GALANT.
-5
C'eſt à quoy j'ay travaillé avec
tout le ſoin poſſible; mais en vous
rendant compte des paroles qui
ſe ſont dites, je ne vous aſſure pas
de vous rapporter par tout les mêmes
dont on s'eſt ſervy. Je vous
promets ſeulement que quoy que
les termes ſoient diferens, ce ſera
toûjours la même choſe à l'égard
dela pensée. C'eſt tout ce qu'il
eſt poſſible de faire en deſemblables
occaſions , où le tumulte , &
laconfufiode laCour,empéchent
ceux-meſmes qui la compoſent,
devoir&d'entendre cequi s'y fait
&ce qui s'y dit. Mais quand on
ſçauroit parfaitement juſques au
moindredétail, il eſt difficile que
de certaines Feſtes animées par
des mouvemens exterieurs , paroiſſent
ſur le papier ce qu'elles
ont eſté en effet. Quand je diray
qu'on a faitdes Feux & des Illu
A iij
6 MERCURE
minations , & qu'on a vuidé un
grand nombre de Tonneaux,
comme ces chofes fe font par ordre
, on ne pourra découvrir , fi
les témoignages du dehors ont
eſté l'effet du pur mouvement
del'ame. Il y a un certain air de
faire ſon devoir dans la joye , qui
fait connoître qu'on la reſſent
veritablement ; & quiconque ne
-lemarque pas par un je-ne- ſçay
quel épanchement qu'il eſt plus
aisé de ſe figurer que de le décrire
,ne doit pas eſtre mis au
nombre de ceux qui ſe ſont réjoüis
, bien qu'il ſe ſoit acquité
des réjoüiſſances ordõnées.Comme
dans celles que l'on vient de
faire , les François ont marqué
une veritable joye , je me trouve
d'autant plus embaraſfé , que
pour la faire connoiſtre dans tout
ſon excés , il faut , s'il fe peur,
que
GALANT.
7
i
que le recit donne de l'action à
ce qui s'eſt fait. Il faut un portrait
animé , une peinture vive
& parlante des ames comme des
Feſtes , des tranſports qui ont accompagné
les paroles comme des
paroles meſmes. Il faut que le
papier faſſe lire juſqu'au fond
des coeurs , qu'on ſe figure non
ſeulement le Spectacle comme ſi
l'on y estoit preſent , mais tout
ce que reffentent ceux qui le
font; qu'on ſe mette fortement
devant les yeux l'ardente maniere
dont ils agiſſent , & qu'enfin
on ait l'imagination tellement
remplie de ce qu'on lit , qu'on
croye moins lire que voir. Comme
j'ay à vous marquer les plus
grands emportemens de joye
dont on ait jamais entendu parler,
j'ay beſoin des plus vives couleurs
pour vous les peindre. Si je
A iiij
8 MERCURE
ス
n'en trouve pas d'afſez fortes, repreſentez-
vous ce qu'un grand
bonheur tres- ardemment ſouhaité
eſt capable de produire , avec
aſſurance que tout ce que vous
pourrez vous repreſenter ne ſçauroit
aller fi loin , que l'allegreſſe
publique vient d'eſtre pouffée.
Le Mardy quatrième de ce
Mois, apres que Madame la Dauphine
eut ſoupé , elle commença
à ſentir quelques douleurs dans
les reins. Elle le dit à la Reyne,
& la pria de n'en point parler.
Cette Princeſſe eſtant toûjours
du caractere que je vous ay dépeint
dans la Relation de ſonMariage,
avoit trop de fermeté pour
vouloir , fur de legeres douleurs
mettre tout le monde dans cette
eſpece de trouble qu'elle ſçavoit
bien que devoit cauſer la.
premiere connoiſſance que l'on
auroit
GALAN T. 9
auroit de ſon mal. Il eſtoit tard,
&elle aimoit mieux ſoufrir un
peu fans ſe plaindre , que d'expoſer
toute la Cour à paſſer la nuit
fans aucun repos. Cependant ce
mal ayant redoublé à une heure
apres minuit , le bruit en fut répandu
quelque temps apres.Monſeigneurdemeura
toûjours auprés
de Madame la Dauphine , & ne
voulut point fortir de ſa Chama
bre de toute la nuit. Tout Verſailles
apprit ce qui ſe paſſoit. Jugez
de l'agiration qui parut alors
dans une auffi grande Cour que
celle de France. Tout y fut en
mouvement. Les Princes , & les
Princeſſes du Sang qui n'étoient
point encor couchez ſe rendirent
auffi- toft chez Madame la Dauphine.
Les autres ayant eſté éveillez,
y vinrent un peu apres. Des
Courriers partirent en diligence
A
A
1.0 MERCURE
pour avertir ceux qui estoient à
Paris. On envoya des Relais ſur..
le chemin. Il fut éclairé comme
ſi le jour euft déja paru , par la
quantité de Flambeaux que fai-:
foient porter ceux qui alloient &
venoient,& toute la Cour réveillée
à ce grand bruit , accourut
dans lesAntichambres de l'Apartement
de Madame la Dauphine
,& dans la Galerie par où l'on
paſſe pour y aller. Comme il n'y
avoit aucune apparence qu'elle
duft accoucher ſi-toſt , on ne
voulut point aller éveiller le Roy.
Enfin ſur les cing.heures dumatin,
on jugea à propos de luy apprendre
l'état où étoit cette Princeffe.
11 ſe leva auſſi-toſt , & au
lieu d'aller chez elle & de paroî
tre alarmé, il uſa de la prudence,
&de la moderation qui luy font
ordinaires. Il crut que dans une
journée
GALANT. II
journée où les Prieres étoient neceſſaires
pour attirer le ſecours du
Ciel , la premiere choſe qu'il devoit
faire, étoit d'entédre la Meffe.
Il la fit dire , & environ à fix heures
du matin il alla voir en quel
état les choſes étoient. La Cour
groffifloit à tous momens. Les
moins diligens ſe rendoient de
toutes parts aux environs de l'Apartement
de Madame la Dauphine
, & l'on voyoit ſans ceffe
arriver ceux à qui des Courriers
avoient eſté dépeſchez . On euſt
dit que toute la Cour , tout Verfailles,&
toute la Nobleſſe de Frace
, environnoit l'Apartement de
la Princeſſe malade. On n'en pouvoit
approcher, tandis que le reſte
du Château paroiſſoit defert.
Il y eut , & le meſme empreſſement
, & la meſme foule juſqu'à
neuf heures , que le Roy voyant
que
12 MERCURE
que les douleurs de Madame la
Dauphine eſtoient fort diminuées
, fortit de chez cette Princeſſe
pour aller au Conſeil. La
plupart des Princes & des Princefles
qui avoient veillé toute
la nuit , allerent prendre quelques
heures de répos. Madame
de Carignan eſtoit de ce
nombre , ſon âge n'ayant point
eſté une raiſon affez forte pour
la diſpenſer de cette fatigue.
Cependant il arrivoit toûjours
du monde nouveau ; & quoy
qu'un nombre infiny de Perſonnes
de toutes ſortes de qualitez
fe fufſent retirées , l'affluence
paroiſſoit toûjours égale , &
je croy meſme pouvoir affurer
qu'elle estoit plus grande , &
qu'elle augmentoit toujours.
La Reyne pafſa toute cette matinée,
ou en prieres , ou aupres ,
de
GALANT.
13
i
de Madame la Dauphine. Le
Conſeil ne fut pas plutoſt finy,
que le Roy revint chez cette
Princeſſe . Il la trouva dans un
aſſez bon état , & y demeura
quelque temps. Il la fit manger ,
&fortit en ſuite avec la Reyne,
chez laquelle il vint dîner , accompagné
de toute la Maiſon
Royale. Ce Prince ayant ſçeu
ſur la fin de ſon Dîné que Madame
la Dauphine eſtoit en repos,
jugeaque ſa préſence ne luy
eſtoit point encor neceſſaire.
Ainſi apres avoir remené la
Reyne juſqu'en ſon Apartement,
il alla travailler comme de coûtume.
Vous ſçavez , Madame,
que tous les jours au ſortir de
table ce Monarque ſe renferme
dans ſon Cabinet , & qu'il
s'y applique juſques au ſoir à
ce qui regarde le biende l'Etat,
pendant
14
MERCURE
pendant que toute la Cour n'a
point d'autre ſoin que de choiſir
les plaiſirs qu'elle prendra les
apreſdînées. ?
Outre les Courriers dépeſchez
aux Princes , on avoit envoyé
en divers endroits , à
Paris& à Verſailles , pour ordonner
des Prieres. Des ſommes
conſidérables furent délivrées
en meſme temps pour des Amônes.
Le Roy en fait beaucoup
d'inconnuës. Quantité de Malheureux
s'apperçurent dans cette.
rencontre du redoublement de
ſes liberalitez. Sur la fin de l'apreſdînée
, Madame la Dauphine
ſentit des douleurs tres- violentes.
Le Roy n'en eut pas eſté
pluſtoſt averty, qu'il vint aupres
de cette Princeſſe. La plus grande
partie des Ambaſſadeurs, des Envoyez
, & des Réſidens des Princes
$
GALANT . IS
ces Etrangers , ayant appris ce
qui ſe paſſoit, ſe rendirent à Verſailles,
afin de ſçavoir la nouvelle
de l'accouchement dans le mâme
inſtant qu'on la publieroit ,
& d'en faire part ſur l'heure à
leurs Maîtres. Le chemin fut de
plus en plus couvert de ceux qui
alloient de Paris à Verfailles , ou
qui revenoient de Verſailles à
Paris. Ce n'eſtoient que Courtiers
& Carroſſes en relais. La
meſme choſe s'eſt remarquée ſur
ce chemin pluſieurs jours apres la
naiſſance de Monſeigneur le Duc
de Bourgogne , tout ce qu'il y a
de Perſonnes d'une qualité diſtinguée
dans le Royaume en ayant
eſté témoigner leur joye à Leurs
Majeſtez . Celles qui arriverent
le Mecredy au foir , n'avoient
pas encor ſujet d'en faire paroiſtre.
L'abatement & la conſternation
16 MERCURE
ſternation avoient commencé à
prendre la place de la joye que
l'on avoit reſſentie à la premiere
nouvelle que Madame la Dauphine
eſtoit en travail. On l'avoit
d'abord laiſſée échaper, parce
qu'il y avoit longtemps que
l'on attendoit l'heureux moment
où cette Princeſſe accoucheroit,
&qu'on le croyoit tout proche ;
mais les choſes changerent bien,
lors que la longueur du travail
eut fait enviſager le peril. Les
foins & les prieres de la Reyne
redoublerent. La pieté de cette
vertueuſe Princeſſe eſt connue,
& il n'y a perſonne qui ne ſçache
combien elle a toûjours fait pa
roître d'amour aux Princes &
&aux Princeſſes ſes Enfans. Le
Roy tâchoit cependant à donnerde
la conſolation à Madame
la Dauphine. Il ſe ſervoit pour
cela
E
GALAN T.
17
celade cet air tout engageant , &
de ces manieres qui enchantent ,
lors qu'il deſcend de la majesté à
laquelle les Roys ſont aſſujetis,
& qu'ils ne peuvent preſque jamais
ſe diſpenſer de garder. La
Reyne & les Princeſſes du Sang
agiſſoient ſans ceſſe pour rendre
à Madame la Dauphine toutes
les fortes de ſervices que
les Femmes peuvent rendre dans
une occaſion de cette nature.
Le Roy , & Monſeigneur le
Dauphin , n'oublierent rien de
leur côté , & foûtinrent Madame
la Dauphine , qui eut beſoin
de ſe promener dans ſa
Chambre. Comme ſes douleurs
ne ceſſerent point, ils y pafferent
la nuit , ſans que l'un ny l'autre.
vouluſt ſe def- habiller. Pendant
cette ſoirée du Mercredy , la
nuit du Mercredy au Jeudy ,& la
journée
18 MERCURE
journée du Jeudy juſques àl'heure
de l'accouchement de Mada-..
me la Dauphine , il n'y a rien de
ſi tendre que ce qui ſe paſſa entre
le Roy & cette Princeſſe. La
douleur donne de la grace aux
choſes qu'on dit , & fournit des
expreffions vives & naturelles:
Jugez de ce que ſe peuvent dire
des Perſonnes qui ont de l'eſprit
infiniment , & qui fe parlent en
ces temps- là. Pendant que Madame
la Dauphine ſoufroit le
plus , elle dit au Roy , Qu'il estoit
fâcheux d'avoir connu un si bom
Prince,& d'avoir eu un si bon Pere
&un fi bon Mary , pour les quiter
fi toffi. LeRoy , qui de ſon coſté
renchériſſoit fur ces marques de
tendreſſe , luy dit , Qu'il feroit
content qu'elle cuft une Fille , pourveu
qu'elle fouffrist moins , & qu'ellefust
plutost délivrée. Cette Princeffe
GALANT .
19
ceffe dit à Sa Majesté dans un
autre temps , Que fon embarras ne
venoit ny de ſes douleurs , ny de la
crainte de la mort ; qu'elle oubliroit
volontiers fes peines , &
qu'elle estoit preste de mourir, pourveu
qu'en mourant elle laißaft un
Prince qui obligeât le Roy &Mon-
Seigneur le Dauphin àſe ſouvenir
d'elle. Elle dit encor dans ſes
douleurs les plus violentes , Que
ce qui cauſoitsa plus grande peine,
c'eſtoit d'en donner au Roy , & de
voirque la bonté qu'il avoit pour
elle le faisoit ſoufrir luy- mesme , en
lefaisant compâttr trop fortement
àfon mat. Quoy qu'elle ait ſouffert
long- temps , elle a conſervé
le meſme caractere de grandeur
, & fon eſprit a paru toûjours
égal.
:
Le Jeudy matin , le Roy alla
à la Meſſe , & quoy qu'il euft
veillé,
20 MERCURE
"
veillé , il ne laiſſa pas de tenir
Confeil à fon ordinaire . Ainſi ce
Prince a partagé deux jours , &
preſque deux nuits , entre ſes
prieres, les ſoins de l'Etat , & fa
tendreſſe pour Madame la Dauphine.
Je vous ay déja fait remarquer
en pluſieurs occaſions , qu'il
n'yany voyages , ny réjoüiſſances
,qui l'ayent jamais empeſché
de tenir Conſeil. Sa Majeſté
apres avoir remply le devoir d'un
veritable Monarque , retourna
chez Madame la Dauphine,pour
remplir celuy d'un tendre Pere.
On agita ſi l'on ſaigneroit cette
Princefle . Les Medecins furét de
ceſentiment. On le ſuivit, parce
qu'ils en donnerent de bonnes
raiſons , & que c'eſt preſque
un uſage general en de pareilles
occaſions , à moins qu'il n'y ait
des circonstances particulieres
qui
GALANT . 21
qui empéchent qu'on ne faigne la
Malade. Comme le temps de l'accouchement
de Madame la Dauphine
approchoit , ſes douleurs
redoublerent , & l'inquietude de
toute la Cour redoubla auffi. La
triſteſſe augmentoit à tous momens
,& la conſternation devint
enfin generale. Madame donna
des marques extraordinaires de
tendreſſe pour la Princeſſe qu'elle
voyoit tant foufrir ,& ſes foufrances
luy arracherent des larmes.
La Reyne & les Princeſſes
du Sang n'oublierent rien pour
la foulager,& s'abaifferent àtoutes
les fonctions par leſquelles
elles crûrentluy pouvoir rendre
ſervice , & adoucir ſes douleurs.
Mademoiselle d'Orleans agiffoit
avec cet air vif qui luy eſt ſi naturel.
Elle n'avoit preſque point
quité Madame la Dauphine depuis
22 MERCURE
puis les premieres atteintes de
fon mal. Madame de Boüillon ,
qui comme Femme du Grand
Chambellan, étoit dans la Chambre
de cette Princeſſe , la ſervit
tres- utilement , & tres - à- propos,
& Madame la Dauphine luy
donna des marques de la fatisfaction
qu'elle en reçeut. Quoy
que la Chambre fuſt remplie des
Princes & des Princeſſes du
Sang , & d'un affez grand nombre
d'autres Perſonnes dont la
prefence y eſtoit neceſſaire pour
le ſervice , le Roy jugeant que
le moment de l'accouchement
eſtoit proche , & ſe ſervant de
cette prefence d'eſprit qui ne l'abandonne
jamais , reconnut d'un
coup d'oeil , malgré le nombre de
tantde Perſonnes preſsées dans
la Chambre , que Monfieur le
Prince de Conty n'y eſtoit pas.
Il
GALAN Τ. 23
Il ordonna auſſitoſt qu'on l'allaſt
chercher.
Nous approchons du moment
que l'on ſouhaitoit depuis tant
d'heures ; & l'ordre que Sa Majeſté
venoit de donner , faiſoit
voir que ce Monarque l'avoit deviné.
Il eſtoit vray. Ce Prince ne
tire jamais de conjectures faufſes
ſur tout ce qu'il voic. L'air du
viſage de ceux qui avoient plus
de lumieres que luy en ces fortes
de choſes , & les frequentes &
vives douleurs de Madame la
Dauphine luy avoient fait penſer
juſte , ce qui arriva peu de
temps apres. La Chambre estoit
alors' remplie de Leurs Majeſtez
de Monſeigneur leDauphin , de
Monfieur ,de Madame , de Mademoiselle
d'Orleans, & des Prin .
ces&Princeſſes du Sang qu'on
avoit mandez à cet accouche
ment,
24 MERCURE
ment , ſuivant le droit que leur
naiſiance leur donne d'y eſtre
preſens. Il y avoit encor pluſieurs
Dames de la premiere qualité , à
qui leurs Charges acquierent le
privilege d'y demeurer , & dont
le ſervice eſtoit neceſſaire à la
Princeſſe. Quoy qu'on fuſt ſans
mouvement , chacun faiſoit voir
une impatiente attente de ce qui
arriveroit. Un murmure bas &
inquiet eſtoit entendu dans toute
la Chambre. Une triſteſſe mélée
de joye y regnoit. Une attention
curieuſe s'y faiſoit diſtinguer.
On la remarquoit par l'attitude
des Perſonnes , auſſi-bien
que dans leurs yeux , & fur tout
leur viſage . Cependant les preffantes
douleurs de l'accouchement
redoublerent à Madame la
Dauphine. On craint , on a l'efprit
en deſordre. Le St Clement
qui
GALAN Τ.
25
quidevoit accoucher cette Princeſſe
, avoit beaucoup plus de
lieu de ſe troubler que les autres.
Il devoit craindre pour elle &
& pour luy. La prefence de Sa
Majesté le devoit intimider , &
la crainte de mal faire pouvoit
l'empeſcher de réüffir. Aucune
de ces choſes ne luy fit imprefſion
. Il oublia , & le lieu où il
eſtoit , & le rang de la Perſonne
qui attendoit ſon ſecours ; & en
s'acquitant de ce qui le regardoit,
il ſe poſſeda ſi bien , que le
Roy a dit depuis qu'il avoit remarqué
qu'il eſtoit ſage. Chacun
eſtant attentif , comme je viens
de vous le marquer , Madame
la Dauphine accoucha à dix
heures , & un quart cinq à fix
minutes. Le Roy qui eſt prévoyant
& judicieux en toutes
choſes , avoit craint que Mada-
Aoust 1682 . B
26 MERCURE
me la Dauphine accouchantd'un
Prince , l'excés de ſa joye ne fuſt
dangereux pour elle , ſi elle l'apprenoit
dans le meſme inſtant.
Ainſi Sa Majesté eſtoit convenuë
avec le Sieur Clement , de
quelques paroles par leſquelles il
luy feroit entendre d'abord de
quel Enfant cette Princeſſe ſeroit
accouchée. Le Sieur Clement
les prononça , mais le ton
de ſa voix & ſes yeux en dirent
trop. Monfieur comprit le miſtere.
Il dit à demy ce qu'il avoitdécouvert
, & n'acheva point. Sa
Majeſté annonça auffitoft cette
nouvelle , & nomma le Prince,
Duc de Bourgogne. La joye de
Madame éclata par l'oppoſition
de ce qui avoit marqué ſa triſteſſe
.
Tous ce qui ſe paſſa alors dans
la Chambre où ce Prince venoit
de
GALANT.
27
de naiſtre , ne ſçauroit eſtre décrit
,& il feroit impoffible d'en
exprimer tous les mouvemens.
Ceux meſmes qui y eſtoient ignorent
ce qu'ils ont fait ,& ca
qu'ils ont dit , & l'on peut connoître
par là qu'ils ne peuvent
rapporter fidellement ce qu'ont
faitles autres. Ce qui ſuivit eſt
encor plus ſurprenant. Il paſſe
tout ce qu'on s'en peut imaginer,
& l'on ne pourroit en faire une
peinture qui approchaſt de ce
qu'on a vû , quand il feroit poffible
de parler de cent choſes à la
fois. On entr'ouvrit deux Portes
dans le meſme temps pour annoncer
la grande nouvelle , qui n'é
toit encor ſçeuë que de ceux qui
eſtoient dans la Chambre de
Madame la Dauphine. Le Roy
en ouvrit une , & dit aux Princeffes,
aux Ducheſſes , & aux au-
Bij
28 MERCURE
tres Dames du premier rang,
C'est un Prince. La Dame d'Honneur
apprit la meſme choſe aux
Hommes qui estoient dans une
autre Antichambre. L'éclat qui
ſe fit alors eſt inoüy , & le mouvement
preſque incroyable. Ce
fut un flux & un reflux , & un
agreable defordre de joye qui n'a
jamais eu d'exemple. Chacun
agiſſoit par le meſme principe ;
chacun reſſentoit les meſmes
tranſports , chacun avoit le même
but , & cependant chacun
agiſſoit diféremment. Les uns tâchoient
de percer la foule , pour
aller publier par tout l'heureuſe
nouvelle qu'ils venoient d'apprendre
; & les autres , ſans bien
ſçavoir où ils alloient, ny ce qu'ils
faifoient , tant ils eftoient tranfportez
, forcerent la Porte de la
1
Chambre de Madame la Dauphine,
GALANT. 29
phine , ou pour mieux dire , leur
joye la força , car quelque violence
qu'on puſt employer , il
fembloit que cela ſe fift avec circonfpection
, & fans perdre le
reſpect . Chacun embraſſoit ceux
qui estoient les plus proches, ſans
diſtinction de qualité. On ne
voyoit que larmes de joye , &
ceux qui ſe haïfſſoient, oublioient
leurs démeſlez pour ſe réjoüir enſemble
de la naiſſance du Prince.
Pluſieurs Valets ſe trouverent
, ſans ſçavoir où ils eſtoient,
ny comment ils y avoient eſté
portez, dans l'Antichambre avec
les Princes , & les Dames de la
premiere qualité. Le Roy défendit
qu'on chaſſat perſonne , &dit
qu'ils n'avoient pas esté maistres
de leurs joye. On redit cent fois
les meſmes choſes aux meſmes
Perſonnes , le tranſport où l'on
Bij
30
MERCURE
eſtoit faiſant croire que c'eſtoit
toûjours à de nouveaux venus
qu'on parloit. Rien n'égala le zele&
l'activité de Monfieur d'Ormoy.
Il traverſa pluſieurs fois les
Antichambres , deſcendit les Efcaliers
& les remonta , publiant
toûjours qu'on avoit un Prince,
& il s'enroüa tellement , qu'il demeura
longtemps apres cela ſans
qu'on puſt l'entendre parler. Les
Valets qui occupoient les Eſcaliers
ayant appris cette importante
nouvelle , s'écrierent , ſans
l'avoir premedité , & comme ſi le
Ciel les euſt inſpirez , Victoire,
Victoire. Ces cris augmentant ſe
répandirent plus loin ,& ce mot
reïteré parut d'un heureux preſage.
Quoy que toutes ces choſes
demandent du temps pour les
décrire , elles ſe paſſerent pourtant
dans le meſme inſtant ; & ce
qu'on
GALAN T.
31
t
5 .
-
qu'on doit trouver incroyable,
c'eſt que ſi tôtqu'on eut prononcé
le nom du Prince dans la Chambre
de Madame la Dauphine , il
ſembla que l'air euſt porté la
nouvelle de ſa naiſſance dans les
endroits les plus reculez du Château,
& aux deux bouts de Verſailles.
Il n'y avoit qu'un moment
que cette Princeſſe eſtoit délivrée
, & déja les Feux eſtoient
allumez de toutes parts . Ils furent
comme un ſignal pour les Miffionnaires
tirez dela Paroiſſe de
Verſailles , & établis par le Roy
dans le Château. Ces Miffionnaires
ſe rendirent auſſi - toſt dans
la Chapelle , & ils y chanterent
le Te Deum. Voila le fruit de l'établiſſement
dont je vous ay parlé
. Autrefois Dieu n'eſtoit point
remercié à la Cour, par la voix de
ſes Miniſtres , des graces qu'il y
Biiij
32 MERCURE
répandoit. Il l'eſt aujourd'huy
par les ſoins de la pieté du Roy ,
& il eſt meſme avant qu'on ſe
mette en devoir de luy rendre
graces en aucun autre lieu .
Je reviens à la Chambre de
Madame la Dauphine. Monſeigneur
le Duc de Bourgogne y fut
ondoyé par Monfieur le Cardinal
de Boüillon , Grand Aumônier de
France , qui estoit avec l'Etole,
en Camail & en Rochet. La Ceremonie
ſe fit en preſence de
Monfieur le Curé de la Paroiffe
de Versailles ; & fi- toſt qu'elle
fut faite , on alla remuer le Prince
dans le Cabinet de Madame
la Dauphine, d'où on le rapporta
un peu apres , pour le faire voir
à cette Princeſſe. En ſuite , Madame
la Maréchale de la Mote
eſtant entrée dans une Chaiſe à
Porteurs , on le mit ſur ſes genoux,
GALAN T. 33
noux , & il fut ainſi porté juſque
dans l'Appartement qu'on luy
avoit preparé . Monfieur le Marquis
de Seignelay , Secretaire
d'Etat , & Treſorier de l'Ordre,
y vint auſſi- toſt de la part du
Roy , & luy apporta la Croix du
S. Eſprit , parce que les Fils de
France naiſſent avec l'Ordre. J'ay
oublié de vous dire que Sa Majeſté
embraſſa la Reyne & Madame
la Dauphine , dans le premier
mouvement de ſa joye , &
que tous les Princes & toutes les
Princeſſes du Sang qui estoient
dans la Chambre , marquerent la
part qu'ils y prenoient en ſalüant
ce Monarque. Outre ces Princeſſes,&
les autres Dames que je
vous ay déja nommées, voicy les
noms de celles qui estoient auffi
dans cette Chambre ; Madame
de Monteſpan , Sur- Intendante
B V
34 MERCURE
de la Maiſon de la Reyne ; Madame
la Ducheſſe de Créquy,
&Madame la Comteſſe de Béthune
, Dames d'Honneur &
d'Atour de cette Princeſſe; Madame
de Richelieu ,Dame d'Honneur
de Madame la Dauphine ;
Madame la Maréchale de Rochefort
, & Madame la Marquiſe
de Maintenon , Dames d'Atour;
Madame la Ducheſſe d'Ufés ;
Madame la Ducheſſe d'Aumont,
Femme du Premier Gentilhomme
de la Chambre en année ;
Madame la Ducheſſe de Beauvilliers
, Femme d'un Premier
Gentilhomme de la Chambre ;
Madame de Venelle , Premiere
Sous-Gouvernante ; Madame de
Montchevreüil Gouvernante
des Filles d'Honneur de Madame
la Dauphine ; Madame Pe-
,
lard , Premiere Femme de Chambre
GALAN Τ .
35
1
bre du nouveau Prince ; Madame
Moreau , Premiere Femme de
Chambre de Madame la Dauphine
; & les Femmes de Chambre
de cette Princeſſe qui étoient
dejour.
Enfin apres tant de ſoins , d'inquiétudes,
de fatigues , & d'alarmes
pendant deux jours & deux
nuits , il eſtoit temps de laiffer
Madame la Dauphine en repos,
& que le Roy en allaſt prendre.
Il faloit pour cela fortir de la
Chambre de cette Princeſſe , &
eſſuyer des tranſports de joye
dont unPrince moins affable que
le Roy n'auroit pû s'accommoder.
Il faloit paſſer au milieu de
tout ce qui compoſe la Cour de
France , Grands Seigneurs , &
Ces tendres tranſports
dont tout le monde eſtoit poſſeautres.
dé , firent oublier à pluſieurs ce
qu'ils
36 MERCURE
1
1
qu'ils estoient . Chacun ſe jetta
à ſes pieds , & embraſſa ſes genoux,
& tel qui dans un autre
temps n'auroit osé en approcher
de bien loin , animé par l'excés de
ſa joye,ſe méloit parmy les autres,
fans faire reflexion ſur ſa temerité.
L'exemple l'autoriſoit , &
chacun fervoit d'exemple à l'autre.
La foule empeſchoit que l'on
diftinguaſt perſonne . Quelques
incommoditez qu'en reçeuſt le
Roy, il les foufroit d'un air fi engageant,
que la hardieffe de ceux
qui auroient deû eſtreles plus timides
, en prenoit de nouvelles
forces. Imaginez- vous, Madame ,
que depuis l'Apartement où Madame
la Dauphine eſt accouchée,
juſques chez la Reyne , où Leurs
Majeſtez allerent ſouper , il y a
une Antichambre , la Salle des
Gardes de Madame laDauphi
ne,
GALANT.
37
ne , une tres- longue Galerie , le
Palier d'un grand Escalier , avec
des Retours , diverſes Salles , la
Salle des Gardes de la Reyne à
traverſer , & que tous ces lieux
eſtoient tellement remplis de
monde , qu'on peut dire que ce
Prince fut porté à table depuis la
Chambre de Madame la Dauphine
, juſqu'au lieu où il ſoupa.
Pour Monſeigneur le Dauphin,
ce qu'il avoit vû foufrir à Madame
la Dauphine , & les chofes
tendres qu'elle luy avoit dites,
l'avoient penetré d'une douleur
qui le tint long- temps tout abatu .
Joignez à cela l'accablement où
ſes veilles l'avoient mis. Aufſfi
quand d'un excés de triſteſſe il
falut paſſer à la grande joye , il
eut de la peine à la foûtenir . Ce
fut pour luy un ſi vif ſaiſiſſement
qu'il ne pût d'abord bien reconnoître
4
38
MERCURE
noître l'état où il ſe trouvoit. II
baiſa toutes les Femmes qui étoient
dans la Chambre de Madame
la Dauphine. Le Roy ordonna
de grandes ſommes pour
délivrer des Priſonniers, & quelques-
uns ayant voulu ſe ſervir de
l'occaſion pour luy demanderdes
Graces , voicy ce qu'il répondit.
Jeſuis égal dans la joye&dans le
malheur. Ilne faut pointſe ſervir
de ce temps pour me faire des demandes.
Je sçais faire les Graces
en tout temps quand il lesfautfaire.
On peut connoître par là que
ſi en de certaines occaſions on
tire de ſes bontez ce que l'on
ſouhaite , il n'eſt point de temps
ì l'on en puiſſe rien obtenir
ontre la justice ,& que ce Moarque
, le plus moderé de tous
sHommes , n'ayant imité Ale-
Andre que dans ſes vertus , na
jamais
GALAN T.
39
jamais rien fait dont il ait eu lieu
de ſe repentir ; ce qu'on ne peut
dire de ce Conquerant. Il ne
prononce aucune parole , qui ne
ſoit accompagnée d'équité & de
prudence , & qui ne duſt eſtre
écrite pour ſervir d'inſtruction
& de regle à la Poſterité . Il eſt
certain que ſi on les ramaſſoit
toutes , on y verroit plus de bon
ſens , que dans tout ce qu'on a
recueilly des anciens Philoſophes
, qui ont affecté dans tout
ce qu'ils ont écrit , plus de dureté
que d'humanité. Auſſi ce Monarque
tout aimable , & qui a
paru tel depuis peu aux yeux des
Ambaſſadeurs venus de Barbarie
, n'eſt- il pas regardé par l'éelat
du Trône où il eſt aſſis, mais
par ſa propre Perſonne ; & fi tant
d'Etrangers s'empreſſent tous les
jours pour le voir , ce n'eſt point
leRoy qu'ils cherchent à voir en
40 MERCURE
Luy ; cette qualité n'ajoûte rien
à l'Homme , mais ils veulent fe
donner le plaifir de le confidcrer
, parce qu'il eſt tout brillant
de gloire , & que jamais aucun
Prince n'a remply la Terre d'une
ſi juſte admiration .
Si toſt que Madame la Dauphine
fut accouchée , Meſſieurs
les Secretaires d'Etat firent faire
un tres- grand nombre de Copies
d'une Lettre du Roy , pour les
envoyer à tous les Gouverneurs
des Villes de France. Voicy се
que cette Lettre contenoit .
Onfieur de . Les heureux
Mon
....
mes justes deſſeins
ont toûjours cu , ſoit dans la Paix,
foit dans la Guerre , depuis mon
Avenement à cette Couronne , &
les progrés avantageux que mes
Armes ont fait sur mes Ennemis,
qui
GALANT.
41
qui ont rendu la Paix à l'Europe,
mis mes Etats à couvert des entrepriſes
des Envieux du bonheur dont
ils jouiffent , & rétably mes Alliez
dans ceux dont ont les avoit dépoüillez,
ont fait connoître affez
clairement à tout le monde la puif-
Sante protection de Dieu pour cette
Couronne ; mais elle n'a jamais paru
ſi viſiblement , ny fait naiſtre
tant d'esperance pour lafelicitéfuture
de mes Peuples , & l'affermisfement
de leur repos, quepar legage
pretieux qu'il vient d'en donner
à la France en la Naiſſance d'un
Prince , que j'ay nommé Duc de
Bourgogne , dont ma tres chere &
tres- amée Fille la Dauphine a esté
heureusement délivrée. Ce dernier
témoignage que je reçois de la Bonté
Divine , & qui met le comble à
tant de profperitez dont elle a fa
vorisé mon Regne , me donne des
rejfenti
42 MERCURE
reſſentimens ſi vifs de reconnoiffance
envers Sa Divine Majesté , que
je me trouve dans l'impuiſſance de
la pouvoir dignement remercier ;
& comme je ne sçaurois mieux y
fatisfaire qu'en obligeant tous mes
Sujets qui participent à tant de
bien-faits , d'en rendre avec moy
les Actions de grace qui luy enfont
deuës , je mande aux Archevesques
& Evesques de mon Royaume , de
faire chanter le Te Deum dans
leurs Eglises Cathedrales, &autres
de leurs Dioceses ; & je vous fais
cette Lettre pour vous donner part
de cette agreable Nouvelle, & vous
dire en mesme temps quemon intention
est que vous aſſiſtiez au Te
Deum , qui fera chanté dans la
Ville où vous vous trouverez lors
de la reception de la Preſente ; que
vous teniezla main à ce que les
Officiers de Iustice , & du Corps
Commun
GALANT. 43
Commun des Villes , y aſſiſtent ;
que vous faſſiez tirer le Canon dans
ma Ville de ... & autres Places de
l'étenduë de vôtre Charge , faire
des Feux de joye , &donner au furplus
toutes les marques de réjoüif-
Sances publiques qu'un évenement
ſiavantageux merite ; & la Pre-
Sente n'estant pour autre fin, je prie
Dieu qu'il vous ait Monfieur de....
enſaſainte garde, Ecrit à Versail- -
Les le 6. jour d' Aoust 1682.
Il faut maintenant vous dire ce
qui ſe paſſa dans les Courts &
dans la Place du Chaſteau , ainſi
que dans tout Verſailles. Un
Garde du Roy dormoit ſur une
Paillaffe , dans le moment que
Madame la Dauphine accoucha
. Il entendit l'extraordinaire
éclat que l'épanoüiſſement de la
joye fit faire , & que je ne vous
ay décrit qu'imparfaitement. Il
44 MERCURE
ſe réveilla en ſurſaut à ce grand
bruit , & ayant compris , quoy
que dormant encore à demy ,
qu'il venoit de naître un Prince,..
il mit ſa Paillaſſe ſur ſon dos , &
ſans rien dire à perſonne , courut
le plus viſte qu'il luy fut poffible
juſqu'à la premiere Court. Là il
mit le feu à cette Paillaffe,& prefque
au meſme moment un nombre
infiny d'autres Feux furent
allumez , ſans qu'on en euſt preparé
aucun. On voyoit chacun
voler. Les uns s'empreffoient à
chercher du bois ; & les autres
dans l'ardente paffion d'eſtre des
premiers à marquer leur zele ,
prirent tout ce qu'ils trouverent, "
brûlerent des Bancs & des Tables
, & mirent au feu pluſieurs
autres Meubles combustibles .
Ceux qui estoient couchez ſe releverent
& il y eut pluſieurs
د
Dances
GALANT.
45
Dances où des Perſonnes de
qualité ſe meſlerent avec les bas
Officiers , & le Peuple. Ces réjoüiſſances
eurent à peine commencé,
qu'on vit couler des Fontaines
de Vin aux deux côtez de
la premiere Grille du Chaſteau.
Toutes celles des Courts jetterent
auffi du Vin au lieu d'Eau.
On en envoya pluſieurs Muids
à la Geole, & aux Atteliers , afin
que le grand nombre d'Ouvriers
qui font à Versailles , ne
fiſt point de confufion , en ſe
meſlant avec les Soldats de la
Garde Françoiſe & de la Garde
Suiffe, qui celebrerent cette Naiffance
avec des emportemens de
joye qui paſſent tout ce qu'on
s'en peut imaginer. Ils firent du
fen de tout , & brûlerent même
quantité de choſes dont on
ne deur auroit pas permis de
diſpoſer
1
46 MERCURE
diſpoſer dans un autre temps. Le
Roy vit en paſſant tout cet
agreable defordre , & dit , Il les
faut laiſſfer faire , pourveu qu'ils
ne nous brûlent pas. Un des Domeſtiques
de MonfieurBontemps
voyant éclater la joye de tout le
monde , & principalement celle
de ſon Maiſtre , qui eſt un des
plus ardens & des plus zelez Serviteurs
du Roy, en fut penetré ſi
vivement , que s'eſtant des-habillé,
il jetta tous ſes Habits dans
lefeu. Il ne s'en repentit point, &
loin d'avoir du chagrin de les
voir brûler , ſa joye fut toûjours
également forte. Sa Majesté
ſçeut ce qu'il avoit fait , &
luy fit donner un tres-bel Habit
, avec cinquante Loüis. On
fit auſſi des Feux, & l'on défonça
quantité de Tonneaux devant
les Hoſtels de Meſſieurs les Miniſtres;
GALANT.
47
コ
i
✓ niſtres ; & Monfieur de Montaufier
fit connoître ſa joye par les
plus éclatantes marques qu'il luy
fut poſſible d'en donner en ſi
peu de temps. Ces réjouiſſances
ont duré pluſieurs jours , &
ont toûjours augmenté. Il y a eu
des illuminations de toutes fortes
de manieres , & l'on n'a point
épargné l'Artifice. La Pompe a
eſté illuminée autant de fois que
cette Feſte a recommencé ; &
tous les Feux de Verſailles donnant
un novel éclat à l'or dont
le Château eſt couvert , il ne
s'eſt peut- eſtre jamais rien veu
de fi brillant. Mais Madame , je
ne puis me refoudre à quitter ce
Lieu , fans vous parler encor du
Grand Roy à qui il doit toutes
ſes beautez. On ne peut
qu'à peine concevoir les manieres
de ce Prince , qui juſque
dans
48 MERCURE
les moindres choſes fait paroître
enſemble toutes les vertus qui
ſont ſeparées dans les plus parfaits
La grande joye , comme la
grande douleur, étant une eſpece
de defaut , lors qu'on veut montrer
qu'on la reſſent dans toute
ſon étenduë , parce qu'elle fait
fortir de la moderation , & que
tout excés eſt condamnable, fuftil
meſme de vertu , le Roy a fait
voir qu'il eſtoit maître de l'une
& de l'autre , puis que ſa bonté,
ſa tendreſſe , ſa retenuë , ſa juſtice,
ſa pieté, ſa prudence , ſa grandeur
, ſa charité , & beaucoup
d'autres vertus , ont paru dans
tout ce qu'on luy a veu faire &
entendu diredans les divers mouvemens
que luy ont causé le mal
&l'accouchement de Madame la
Dauphine. Sa conduite, ſa juſtice
, ſon eſprit , & fa prudence,
ont
GALANT 49
ont éclaté dans les reparties qu'il
a faites à ceux qui ont pris ce
temps pour luy demander des
Graces , fa charité ,& ſa libéralitédans
ſes aumônes ; ſa bonté
dans les témoignages de ſa joye ;
ſa pieté dans fes prieres; fa tendreſſe
pour Madame la Dauphi
ne , dans ſon affiduité ,& dans
tout ce qu'il a dit en voyant foufrir
cette Princeſſe ; ſa modéral
tion , dans ſa maniere de recevoir
la nouvelle d'un bonheur qu'il
ſouhaitoit ;& enfin , la grandeur
de fon ame dans chacune de ces
choſes.Ainsi Pon peut dire qu'il
a paru Pere Homme , & Roy
tout- à-la- fois ; que quoy qu'il ait
ſenty vivement la joye , il n'en a
fait voir que ce qu'il en falloit
laiſſer échaper ; & que comme ſa
douleur avoit eſté ſans foibleffe ,
les tranſports qu'il a ſentis n'ont
Aoust 1682 G
६९
MERCURE
point eu d'emportement. Si tant
de vertus ont brillé dans ce qui
n'auroit cauſe à un autre qu'un
excés de joye , qui l'auroit tiré
de la modération , où les Grands
Hommes doivent toûjours demeurer
, ne doit -on pas tomber
d'accord qu'il n'y a perſonne fus
la terre qui puiſſe eſtre comparé
à cet auguſte Monarque ? Vous
jugez bien qu'il n'a pas laiſſé le
Sieur Clement ſans récompenfe.
Il luy a donné dix mille francs i
& quand le Sieur Clement alla le
remercier, il luy dit fort obli
geamment qu'il étoit tres- fatisfait
du ſervice qu'il luy avoit rendu ,
& que ce qu'il luy donnoit , n'étoit
qu'un commencement de ce
qu'il feroit pourdeyempiov
Il eſt temps que nous fortions
de Verſailles. Le chemin qui
conduit de ce Lieu à Paris , n'a
peut eſtre jamais eſté ſi remply,
GALANT. SI
ny ſi brillant. Quantité de Gens
d'un rang diſtingué , croyoient
eſtre les premiers qui y porteroient
cette Nouvelle , parce
qu'ils estoient partis auſſitoſt
apres l'accouchement de Madamela
Dauphine ; mais ils furent
bienfurpris, lors qu'ils virent de
grands Feux allumez à Chaliot,
&qu'on les y arreſta pour boire
àla ſanté de Monſeigneur leDuc
de Bourgogne. Voicy comment
la choſe y avoit eſté ſçeuë entrespeu
de temps. Monfieurle Maréchal
Duc de Vivonne eſtant indiſpoſé,
y estoit allé prendre l'air.
Il faifoit tenir un Courrier à Verſailles,
tout preſt à partir au premier
ordre que Madame de
Monteſpan ſa Soeur luy donneroit.
Ce Courrier fut dépeſché
dans le moment de la Naiſſance
du Prince ; & Monfieur de Vi
Cij
52
MERCURE
vonne qui estoit au Lit , s'eſtant
relevé à ſon arrivée , fit allumer
pluſieurs Feux,& donner du Vin
à tous les Paffans. Ainſi l'on peut
aſſurer qu'il entra fi fortement
dans la joye de ſon Maiſtre, pour
qui vous ſçavez qu'il eſt tout- àfait
fenfible , qu'il en oublia ſon
mal. La meſme Nouvelle fut
apportée auſſi promptement à
l'Hôtel de Villeroy , où dés
minuit on fit dés réjoüiffances.
Les Voiſins de cet Hôtel firent
auſſi toſt des Feux dans la Ruë
de Richelieu. On affure que
Meſſieurs de Torigny . Lambert
&duTillet , en firent dans leurs
Quartiers preſque à la meſme
heure. Mais ce qui ſurprit beau+
coup ceux qui croyoient eſtre
partis de Verſailles les premiers,
& qui pafferent par deſſus le
Pont Saint Michel , c'eſt qu'ils y
trouve
GALANT. 53
trouverent le charbon de plus de
deux Voyes de Bois qu'on venoit
d'y conſommer. Tous ceux qui
eſtoient revenus de la Cour , envoyerent
dire à leurs Amis que
Madame la Dauphine eſtoit accouchée.
Quelques- uns avoient
des Courriers exprés pour en
eſtre plus promptement avertis ,
&d'autres croyant leur faire plaifir,
envoyerent encor chez eux de
leur propre mouvemét, pour leur
apprendre ce qui venoit d'arriver;
de fortequ'ily eut desGens qu'on
vint éveiller de quart -d'heure
en quart-d'heure,pendant tout le
reſte de la nuit , pour leur faire
part de ce qu'ils īçavoient déja.
Cette Nouvelle ayant eſté répanduë
parmy le Peuple, dés que le
jour eut paru , chacun courut en
inſtruire fon Voiſin. On s'arrétoit
dans les Ruës fans ſe -con
Çiij
54
MERCURE
noître , pour ſe dire que la France
avoit un nouveau Prince , &
tout le monde formoit des defſeins
de ſe bien divertir , & de
faire meſme de la dépenſe au delàde
ſon pouvoir. C'eſt une choſe
preſque inconcevable que ce
qui ſe fitdés ce jour- là, fans qu'on
cuſt eu que peu d'heures pour le
preparer.m
Monfieur de Pomereu , Prevoſt
des Marchands , avoit reçeu
à une heure apres minuit par
Monfieur de Curly , Exempt des
Gardes du Corps, une Lettre de
Cachetdu Royqui luy apprenoit
cette Nouvelle. Il en fit avertir
les Echevins , & les Officiers de
la Ville , & donna les ordres pour
faire executer tout ce qui ſe pratique
dans une Réjouiſſance ſolemnelle.
On conduifit pluſieurs
Pieces de Vin aux endroits par
leſquels.
GALANT
55
leſquels il falloit neceffairement
paſſer en arrivant de Verſailles,
afin que ceux quſen viendroient,
puſſent boire à la ſanté du Roy,
& du Prince qui venoit de náî
e
- Monfieurde Bonneüil , Introducteur
des Ambaſſadeurs , alla
par ordre de Sa Majesté donner
avis de cette Naiſſance aux Miniltresi
reconnus en cette Cour,
& invita ceux de Chapelle de ſe
trouverau Te Deum qu'on devoit
chanter le lendemain. Le mot de
Chapelle est la distinction des
Catholiqties & des Proteſtans.
La Fontaine de la Place de Greve
jetta du Vin toute la journée.
On en donna encore le ſoir avec
du Pain devant la grande Porte
de Hostelde Ville. Hy eut un
Feu,& l'on y tira des Boëtes &
du Canon. Les Réjouiſſances
Cinj
56 MERCURE
commencerent ce foir-là ; & dés
L'apreſdinée , oploſieurs avoient
farme deurs Boutiques quoy
qu'on n'yeuſt obligé perfonne.
On alluma des Feux dans toutes
les Ruës , on mit des Lumieres
aux fenestres, & ily cut des Tables
dreffées devant pluſieurs
Hôtels & Maiſons de Perfonnes
deiqualitén a sochaiva
Ce mefme joung ſur les huit
heures du foir, la Premiere Compagnie
des Mouſquetaires , avec
tous fes Officiers,marcha Tamabbur
battant; mêche alluméesdepuis
fon Hoſtel juſqu'à celuy de
-Monfieur le Commandeur de
Fourbin fon Commandant ikatdalay
meſme au devant vers le
Pont-rouge,fe mit à leur teſte,
& les conduifit fur le Quay , le
Jong du Parapet , qu'ils borderent
avec toutes les formalitez
qu'ils
GALANT.
57
qu'ils pratiquent dans les Attaques.
Ils ne furent pas plutoſt
rangez , que les Tambours ceſſerent;
pour donner aux Hautbois
le temps de joüer quelques Fan
tares pendant que le Peuple ſe
rangeoit.On ne donna qu'un ordre
general aux Mouſquetaires
pour toutes les Décharges qu'ils
devoient faire. Un Tambour faiſoit
enſuite tous les Commandemens
particuliers , & unfenl
coup de Baguete les avertiſſoit
du temps qu'il falloir prendre
pour les diferentes chofes qu'on
lemandoir d'eux. On ſçait quel
cetoilluſtre Corps eft composér
de toute la Jeuneſſe de la premie
re qualité du Royaume , & qu'il
n'eſt pas moins diftingué par l'adreſſe
dans l'Exercice,que par la
valeur dans leCombaterio
-Cette adreſſe parut bien dans
3.404 Cv
58 MERCURE
cette occafion. Le Tambour ne
les eut pas plutoſt avertis de ſe
tenir preſts , qu'apres les coups de
Baguete ils commencerent une
Decharge , qui par des repriſes
qui n'avoient rien d'interrompu,
firent entendre environ mille
coupsdeMouſquet. Les interva
les en eſtoient auſſi juſtes , & les
temps auffi comptez que ceux de
la Muſique la mieux cadancée.
Le premier qui avoit tiré , eſtoir
toûjours en état de recommen
cer des que le dernier avoit fait
ſa décharge. On donna toûjours
le ſignal ſi à propos , & tous les
mouvemens furent fi reguliers,
qu'on en euſt eſté ſurpris , fi on
n'eſtoit pas accoûtumé à les admirer
dans leur juſteſſe. C'eſt un
plaifir, qu'on ſçait que leRoy ſe
donne tous les Mardis .........
Ces premieres décharges n'eu
rent
GALANT .
59
rent pas plutoſt finy ,qu'ils en re
prirent d'autres, toutes diferen
tes.Le Tambour avertitiles deux
Aîles de commencer en mefme
temps , pour finir au milieu , ſans
intervale d'un coup àl'autre. Ce
la fit un effet qu'on auroit peine
à expliquer. Ils continuerent jufis
qu'à dix ou douze Décharges,
&toûjours diféremment. L'Echo
leur répondoitdans les Galeries
du Louvre, & les temps envef- [
toient auffi marquez , que ceux
des Moufquetaires. Gela eftant
fait , ils fe remirent en marche
ainſi qu'ils estoient Menus Juf
ques-laritsn'avoient eſté éclairezi
que du feu continuel qu'ils a
voient faiteux-ineſmes,maisleur
Cominandant , qui ne manquei à
rien, & qui en toutes choses efth
d'une prudence reconnue quiluy
fait toujours bien prendre fon
temps,
MERCURE
temps , avoitdéja fait difpoferun
grand Feu qui s'alluma à propos
pour éclairercette Marche.Mon
fieur de Fourbin fit abandonner:
au Peuple quelques Muids de
Vin , &donna chez luy un mag
nifique:Repas àune Compagnie
agreable , illuftre , & tres-bien
choifie . Pendant ce temps , la
Compagnie des Mouſquetaires,
commandée par Monfieur de!
Jauvelle , faiſoit de pareilles Déni
charges fur le Rempart de la
Porte S.Antoine
Samedy huitiéme du mois , les
Canons de la Ville , de la Baſtille
,& de l'Arsenal , annoncerent
dés le matin la Ceremonie ,&cles
Réjouïfances qui devoient eſtre
faites ce jour- là. Les Boutiques
furent fermées par ArreſtduParlement
,&les Colleges par un
Mandement ſpecial du Recteur.
Monfieur
GALANT 61
Monfieur de Saintot , Maistre
des Cerémonies , alla le matin
porter l'ordre au Parlement, àla
ChambredesComptes, àla Coury
des Aides , & au Corps de Ville
pour aſſiſter au Te Deum. Toutes
ces Compagnies ſe trouverent à
Nôtre-Dame ſur les quatre heu
res ; le Parlement en Robes rouges,&
les autres Corps avec leurs
Robes de ceremonie. Monfieur
le Chancelier s'y rendit à la teſte
du Conſeil. Les Miniſtres Etrangers
y vinrent dans le plus leſte
appareil qu'il leur fut poffible
pour honorer cette Feſte. Ces
Miniſtres furent Monfieur Fofcarini
, Ambaſſadeur de Veniſe;
Monfieur le Marquis Ferreiro,
Ambaſſadeur de Savoye, Monſieur
le Bailly de Hautefeüille,
Ambaſſadeur de Malte ; Dom
Salvador Taborda , Envoyé de
25 %
e
Portu
G MERCURE ج
Portugal ; & Monfieur le Comtei
Bagliani , Envoyé du Duc de
Mantovë. Plufieurs autre Envo
yez y affifterent incognito.addO
Monfieur l'Archevefque , re
vétu de ſes Habits Pontificaux ,
commençale Te Deum, & la Muſique
le continua. Elle avoit eſté
faite exprés. La nouvelle grofle
Cloche fonna pour la premiere
fois. On eut beaucoup de peine
afla mettre en brantes parce
qu'on n'avoit pris des imeſures
que pour la faire fonner le jour
de l'Affomption. A la fin du Te
Deum, leCanontira dans tous les
lieux dont je vous ay déja parlé.
Toutes les Cloches de la Ville
carillonnoient ainsi que des
Horloges publiques, qui dans
les Feſtes folemnelles ne diſconie
tinuent point pendant quarantes
heures shout having C
Apres
GALANT.4
630
7 Apres que le Te Deum euteſte
chanté , toute la Ville fe rendit
en ſon Hôtel , où se trouva Mon-q
ſieur le Ducde Crequy, Premier
Gentilhomme de la Chambre du
Roy , & Gouverneur de Paris,
accompagné de Monfieur leMarquis
de la Fuente , Ambaſſadeur
d'Eſpagne , & de pluſieurs autres )
Perſonnnes du premier rang.
On leur preſenta une Collation
tres-magnifique,&l'on en ſervit
pluſieurs autres dans les Apartemens
de Mefſieurs Vinx , Roberge,
Heliflan, &Baglan, Echevins
; de MonfieurTruc, Procus)
reur du Roy , & des autres Offi
ciers de la Ville. On fit enſuite.
joüer untres -beau Feu d'artifice.
On avoit élevé un Theatre quarré
fus neuf Pilliers , ayant quatre-
vings ſeize pieds de tour , &
faiſant de tous côtez une face des
vingt
64 MERCURE
vingt-quatre pieds. Ce Theatre
eſtoit enrichy d'une Corniche
peinte en Marbre , regnant tour
au tour avec ſa Friſe chargée de
Dauphins entrelaſſez les uns dans
les autres. Il eſtoit fermé de Baluftres
, & fervoit de Baze à un
grand Pied- d'eſtal de huit pieds
dehaut , & de ſept de large à
chaque face. Le haut de ce Piedd'eſtal
eſtoit bordé d'uneCornichede
Marbre , avec de riches >
Panneaux de Lapis, dans leſquel's
on voyoit de petits Amours qui
badinoient avec des Dauphins.
Sur ce Pied- d'eſtal il y en avoit
un autre petit , de trois pieds de
haut , fur deux & demy de large.
Ce dernier foûtenoit une Figure.
de l'Efperance couronnées de
Fleurs , tenant un Amour entre
fes bras. On liſoit ces quatre Vers
au deſſous de laFigure.c
JAV Déja
5
64 MERCURE
vingt- quatre pieds. Ce Theatre
eſtoit enrichy d'une Corniche
peinte en Marbre , regnant tour
au tour avec ſa Friſe chargée de
Dauphins entrelaſſez les uns dans
les autres . Il eſtoit fermé de Baluftres
, & fervoit de Baze à un
grand Pied-d'eſtal de huit pieds
de haut , & de ſept de large à
chaque face. Le haut de ce Piedd'eſtal
eſtoitbordé d'une Corniche
de Marbre , avec de riches
Panneaux de Lapis , dans lesquels
on voyoit de petits Amours qui
badinoient avec des Dauphins.
Sur ce Pied- d'eſtal il y en avoit
un autre petit , de trois pieds der
haut , fur deux &demy de large.
Ce dernier foûtenoit une Figure
de l'Efperance couronnées de
Fleurs , tenant un Amour entrer
sbras.On liſoit ces quatre Vers
s dela Figure. S
Déja
5
1
64 MERCURE
vingt-quatre pieds . Ce Theatre
eſtoit enrichy d'une Corniche
peinte en Marbre , regnant tour
au tour avec ſa Frife chargée de
Dauphins entrelaſſez les uns dans
les autres. Il eſtoit fermé de Baluftres
, & fervoit de Baze à un
grand Pied- d'eſtal de huit pieds
de haut , & de ſept de large à
chaque face. Le haut de ce Piedd'eſtal
eſtoit bordé d'une Cornichede
Marbre , avec de riches
Panneaux de Lapis, dans lesquels
on voyoit de perits Amours qui
badinoient avec des Dauphins.
Sur ce Pied d'eftal il y en avoit
un autre petit , de trois pieds de
haut , fur deux &demy de large.
Cedernier foûtenoit une Figure
de l'Efperance couronnées de
Fleurs , tenant un Amour entrer
ſes bras. On liſoit ces quatre Vers
au deſſous de laFigure.o
Déja
1
5
645 MERCURE
vingt- quatre pieds. Ce Theatre
eſtoit enrichy d'une Corniche:
peinte en Marbre , regnant tour
au tour avec ſa Frife chargée de
Dauphins entrelaſſez les uns dans
les autres. Il eſtoit fermé de Baluftres
, & fervoit de Baze à un
grand Pied-d'eſtal de huit pieds
de haut , & de ſept de large à
chaque face. Le haut de ce Piedd'eſtal
eſtoit bordé d'une Cornichede
Marbre , avec de riches
Panneaux de Lapis, dans lesquels
on voyoit de perits Amours qui
badinoient avec des Dauphins.
Sur ce Pied d'eftal il y en avoit
un autre petit , de trois pieds de
haut , fur deux &demy de large .
Ce dernier ſoſûtenoit une Figure
de l'Efperance couronnées de
Fleurs , tenant un Amour entret
ſes bras. On liſoit ces quatre Vers
au deſſous de laFigure.
30 Déja
5
64 MERCURE
vingt- quatre pieds. Ce Theatre
eftoit enrichy d'une Corniche
peinte en Marbre , regnant tour
au tour avec ſa Frife chargée de
Dauphins entrelaſſez les uns dans
les autres . Il eſtoit fermé de Baluftres
, & fervoit de Baze à un
grand Pied-d'eſtal de huit pieds
de haut , & de ſept de large à
chaque face. Le haut de ce Piedd'eſtal
eſtoit bordé d'une Cornichede
Marbre , avec de riches
Panneaux de Lapis, dans lesquels
on voyoit de perits Amours qui
badinoient avec des Dauphins.
Sur ce Pied- d'eſtal il y en avoit
un autre petit , de trois pieds de
haut , fur deux & demy de large .
Cedernier ſoſûtenoit une Figure
de l'Efperance couronnées de
Fleurs , tenant un Amour entrer
ſes bras. On liſoit ces quatre Vers 5
an deſſous de laFigure.
JAV Déja
64
vit
eft
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211
D
les
lin
gr
de
ch
d
ch
Pa
of
ba
S
ha
C
de
Fl
fo
21
GALANT.
65
Déja depuis longtemps , par cent
Jucces heureux 2011
La Fortune répond aux projets de
la France ;
Mais aujourd'huy lapropice Efperance
101
D'un bonheur eternel vient aſſurer
nos voeux .
La Planche que je vous envoye
gravée , vous mettra devant
les yeux ce que je ne vous explique
qu'imparfaitement. Le Bal
fucceda au Feu , & dura la plus
grande partie de la nuit. Monſieur
de Pommereu , Prevoſt des
Marchands , voulant que la réjouiſſance
ne ceflaſt point ,avoit
fait conduire pluſieurs muids de
Vin dans toutes les Places publiques,
& diftribuer des Aumônes.
Il fut imité dans ces diſtributions
par les Echevins , qui
ژ
firent
66 MERCURE
1
i
1
:
1
&
firentauſſi donner du Pain & du
Vin devant leurs Maiſons. Plufieurs
autres Pieces de Vin furent
conduites aux Portes de la Ville,
par les ordres des Fermiers generaux
des Aydes,qui en regalerent
tous ceux qui voulurent boire .
Mademoiselle d'Orleans ,
Madame de Guife ayant choiſy
chacune leur jour pour faire
éclater leur joyeen donnerent
des marques au Palais d'Orleans
par des Illuminations au Dôme,
& aux Fenestres de ce grand
Palais par des grands Repas
donnez aux Dames , par des
Concerts d'Inftrumens , & par
du Pain & du Vin diſtribué à
tous ceux qui ſe preſenterent
pour en recevoir V
Monfieurle Marquis de Ferreiro
, Ambaffadeur de Savoye,
fit faire devant la Porte, Ruë des
Saints
GALANTA 67
Saints Peres , une Illumination
des plus éclatantes, qui continua
encor trois ou quatre jours apres.
Tout le monde ſçait que Madame
la Dauphine n'eſt pas plus
éloignée de Henry I V. queMonſeigneur
, & on n'ignore pas
que c'eſt une avantage qu'elle
doit à la Savoye , qui avoit donné
feuë Madame l'Electrice à la
Baviere , Monfieur l'Ambaſfadeur
de Savoye avoit expliqué
tout cela dans cette Illumination .
On y voyoit ſept grands Ecus
d'Armes , portez par une maniere
d'Arbre Genealogique. Les
Armes de Henry IV. en faifoient
le Tronc , les deux Branches
eſtoient chargées ſur la
droite des Armes de Loürs le Juſte
, de Loürs LE GRAND, & de
Monseigneur , & fur la gauche,
deMadame Chriſtienne de Fran
ce,
68 MERCURE
1
!
ce, Ducheſſe de Savoye, de Madame
Adelaïde,Electrice de Baviere,
& de Madame la Dauphine.
Get Arbre Genealogique
étoit terminé par deux grandes
Tiges de Lys. Ces Tiges s'uniffoient
dans le milieu , & produifoient
unBouton,qui en's'ouvrant
jettoit un éclat extraordinaire .
Une Couronne Royale finiſſoit
Fillumination , & la Couronne
eſtoit fibien illuminée elle-même,
qu'elle imitoit de bien prés le
feu dont les Pierreries les plus
vives brillent en plein jour. Tout
le dehors eſtoit encor éclairé par
quantité de Flambeaux de cire
blanche , & un grand Bucher
occupoit une partie de la Ruë.
Pendant troisou quatre nuits, cet
Ambaffadeur fit tirer un nombre
incroyable de Fusées volantes
, dont il y en avoit toûjours
pluſieurs
GALANT. 69
a
+
e
pluſieurs qui partoient en meſme
temps. Ces quatre Vers qu'on
lifoit fans peine , expliquoient le
ſecret de l'Illumination,& le defſein
de toute la Feſte.
Dans le commus excés dejoye
Où les Françoisſont aujourd'huya
Le Thrônevoit que la Savoye TE
Luy rend le Sang qu'elle a receu de
Luy.
Monfieur le Duc de Créquy
s'eſt fort diftingué. Il y avoit un
grand nombre de Flambeaux de
cire blanche entremêlez de Lan
ternes, fur la Terraſſe de ſon Hô
tel. On y diſtribua quantité de
Vin, L'Hoſtel de Monfieur le
Maréchal de Créquy eſtoit auſſi
tout brillant de Lumieres. On y
compta plus de cinq cens Lan
ternes ; car outre celles qui
eſtoient fur le Portail , les Toits
qui font aux deux coſtez , & qui
font
70
MERCURE
ſont plus bas que ceux du Logis,
& generalement tous ceux de
l'Hoſtel, en estoient couverts.On
y diſtribua aufli beaucoup de
Vin.
Monfieur le Duc de S. Simon
n'a rien oublié pour donner des
marques du zele qu'il a toûjours
fait paroiſtre pour la Maiſon
Royale. Son Hoſtel brilloit par
tout de Lumieres. On l'avoit illuminé
juſqu'au haut desCheminées
, où les mots de Vive le
Roy estoient écrits en lettres de
feu. L'Artifice n'y diſcontinua
point pendant plus de ſix heures,
&il en fut beaucoup plus conſumédevant
cet Hoſtel , qu'il n'en
euſt fallu pour faire deux grand
Feux dans les formes. Tandis que
:
l'Artifice joüoit , on fit de grandes
liberalitez au Peuple , & ce Duc
diſtribua chaque foir à ſes Doi
meſtiques
GALANTA 71T
meſtiques dequoy faire des réjoüyflances
à leur maniere.
Madame la Comteffe de Vé
ruë , Belle Scoeur de Monfieur
F'Abbé de Veruë, que nous avons
veu icy Ambaſſadeur avantMonfieur
le Marquis Ferreiro , s'eſt
auſſi fort diftinguée dans la Ruë
deTournon. Il ne faut pas s'ét
tonner ſi elle a un coeur François.
Elle est née en France , & le rang
qu'elle tient en Savoye , l'obli
geoit bien de s'intéreſſer dans ce
qui regarde la gloire de ces deux
Couronnes. Auffia- t-elle marqué
ſa joye d'une maniere qui n'eſt
pas commune. On aveu pendant
trois nuits une façon de Dôme
élevé devant ſa Porte. Ce Dôme
eſtoit fort Aluminé , & faifoit
briller de toutes parts les Armes
de France, de Baviere , & de Savoye.
Un grand nombre de Flam
beaux
72
MERCURE
beaux' ornoit tout le devant de
ſon Hoſtel; & un grand Bucher
que l'on alluma devant la Porte,
fut entretenu toutes ces trois
nuits , depuis huit heures du ſoir
juſques à trois heures du matin."
Ce mefme jour huitieme , qui
eſtoit celuy du Te Deum , & du
Feu de la Greve , les Comédiens
François donnerent la Comédie
gratis;& pour faire voirquedans
un temps où tout le monde eſtoſt
dans la joye , ils ne vouloient pas
épargner la dépenſe , ils choiſirent
le Gentilhomme Bourgeois, à
cauſe que cette Piece eſt remplie
d'Entrées de Balet & de Chanfons.
Le ſoin qu'ils prirent de la
bien repreſenter , fut une choſe
fi agreableau Public, qu'au commencement
, & à la fin de laComedie,
il fit auſſi des Concerts de
fon coſté, & remercia les Comé
diens
GALANT
73
diens par des Coeurs de Vive le
Röy , qui durerent prés d'un
quart-d'heure chaque fois. On
avoit lieu d'eſtre fatisfait , puis
que malgré la prodigieuſe quantité
de monde qui ſe trouva à cette
Repreſentation , tout ſe paſſa
fort tranquilement,&fans aucun
embarras , par le bon ordre qui
fut apporté.
ま
Les Comédiens Italiens donnerent
auſſi le meſme jour une
deleurs plus bellesComédiesgrato
au Public. L'affluence du menu
Peuple y fut foft grande, parce
que le Quartier en eſt tresrémply.
Cependant il y eut un fi
bon ordre , que malgré la foule,
chacun entra librement , & fans
eſtre incommode
Ce jour- là , & les deux fuivans,
leCanon de l'Arfenal , &
de la Baſtille, ſe fit entendre. On
Aoust 1682. D
74
MERCURE
le tire trois fois à trois diférens
temps dans les jours choiſis pour
chanter le Te Deum , & les Réjouiſſances
ne vont pas plus loin;
mais dans cette occafion , le Dimanche
9. & le Lundy 10. furent
cel brez de la meſme forte que
le Samedy , & on tira le Canon à
la pointe du jour , à midy , & fur
le foir. Monfieur de Beſmaux,
Gouverneurde la Baſtille,fit dreffer
un grand Bucher devant la
Porte de cette Fortereffe. Monſieur
le Marquis de Beſmaux ſon
Fils , y mit le feu. Il y eut du Pain
& du Vin diſtribué , & l'on donna
le divertiſſement d'un Feu
d'artifice d'une grandeur extraordinaire
. Je puis parler ainſi de ce
Feu , puis que le Corps de la Baſtille
luy fervit , pour ainſi dire ,
de Machine & de Corps , l'Artifice
eſtant attaché tout autour
3 modes α
GADAN
75
1
C
des Tours & des Murs de ce
Chaſteau. Ainfi jamais il n'y en
eut de fi grand, ny qui rempliſt
und fi vaſte étendue dura du
moins une heure , pendant laquelle
le bruit des Boëtes , &dela
Mouſqueterie de la Garniſon , ſe
fie entendre de loin. Tout cela
enſemble faifoit croire que la Baſtille
estoit en feu ,& avoit affez
del'air d'une Place que l'on prend
d'affalute T ob quooured mojbe
Les Marchands qui occupent
le Pont Noſtre Dame firent à
Fenvy éclater leur joye par unc
magnificence que tout lemonde
allaadmirer. Chacun s'étoit ſervy
de cequ'il vendde brillant pour
l'expoſer en dehors , & ſembloît
avoir voulu faire de cePont autant
d'Appartemens ſomptueux
qu'ily avoit de Boutiques .On l'avoitilluminé
par pluſieurs luftres
அடம் Dij
MERCURE
"
garnis de Bougies , & rangez par
tout dans une égale diſtance.
Toutes les feneſtres étoient éclai
rées d'un nombre pteſque infiny
de Lumieres depuis le haut juf
qu'au bas, Cen'eſtoient par tout
que Girandoles & Plaques dos
rées,& l'on distinguoit comme en
pleinjour les Portraits des Roys
de France ,& les autres Figures
quiornent ce Pont. On yavoit
adjoûté beaucoup de Tableaux
Les Miroirs de toutes fortes , à
bordures de cryſtal & à bordures
dorées, estoient juſqu'aux toits.
Ainfiles Lustres que l'on avoit
ſuſpendus où l'on place les Lanternes,
faifoient paroiſtre lesfeux
plus de cent fois redoublez dans
chaque Boutique. Les Chambres
eſtoientdemeſmeparure,& comme
elles font fort baſſes , il eſtoit
aiſe de voir tout ce qui estoit de-
μα dans,
GAUDAN TI 37
dans,par cette longue perspective
de Lumieres qui éclairoient tout
lePont. On alluma un grand Feu
à l'un des bouts ,& l'on choifit
une des Boutiques les plus ſpatieuſes,
pouren faire la Salle du
Bal. Elle estoittendue d'une trest
belle Tapiſſerie,& avoit pour or
nement pluſieurs Miroirs d'une
bordure admirable. On y dança
juſques a cing dieuresdu matin au
fon des Hautbois & des Violons,
& les Liqueurs n'y furent pas
épargnées . On beuvoit auſſi dans
la plupart des autres Boutiques,
- dans les Chambres , & fur le Pont
mefme. Chacun ſe répondoit l'on
àl'autre; & les Paſſans que l'on
faifoit boire,formoient à tousmol
mens de nouveaux conectts de
Vive le Roy , & Monseigneur le
Dut de Bourgogne.or
noComme Monfieur le Duc de
slost
Diij
78 MERACILARODE
Montauſier eſt Gouverneur de
MonseigneurleDauphin, il ſem
ble qu'il avoit undouble ſujer de
ſe réjouir. Auſſi peutJon diteque
le coeur du Maiſtre avoit pafle
dans ſes Domeſtiques , qu'ils
étoient tous animez de fon eſprit,
&que jamais les vifsmouvemens
d'une veritable joye n'ont a bien
paru que fur leurs viſages.A voir
la maniere dontils s'y abandonnoient
, on connoiſſoit aiſement
qu'ils ne marquoient rien qu'ils
ne ſentiſſent Quelque éclat qu'ait
eula dépenſe qu'ona faite,il n'égaloit
point celuy des agreables
Franſports que l'allegrefle a produits
pendant pluſieursjours dans
tout cet Hoſtel. Il eſtoit éclairé
d'un grand nombre de flambeaux
de poing de cire blanche ,& paroiſſoit
le Palais de l'Abondance
&de laJoyeidel'Abondance,non
ſeule
GALAN TA 79
ſeulement parce qu'il n'étoit permis
à perſonne de paffer devant
la porte , fans s'y arrefter pour
boire , mais encor parce que l'on
rempliffoit des Cruches de Vinà
tous ceux du menu peuple qui ve
noient en demander , & qu'il y
avoit des Tables dreſſées en pluſieurs
endroits ; & de la Joye, parce
que dans la court , dans les
chambres , & dans toute la Maifon,
on ne voyoit que des empor
temens de plaiſir , & des Dances
au fon de toute forte d'Inſtrumens.
Le Vendredy 7. de ce mois,
premier jour des Réjoüiſſances,
Milord Preston, Envoyé Extraordinaire
d'Angleterre, n'ayant pas
eu le tempsde faire des préparatifs,
ordonna qu'on fiſt un grand
feu,& que l'on diſtribuaft du Vin
à tous ceux qui pafferoient de
Diij
80 MERCURE
vant fon Hoſtel. Cela fut execu
té , & pendant que le Feu brû
loit , on tira beaucoup de Fuſées
volantes. Des Trompetes ſonnerent
plufieurs Fanfares juſqu'à
minuit, & il ſe trouva dans l'Hô
tel une fort grande aſſemblée de
Gentilshommes Anglois , & autres
, qui pendant tout ce temps
furent regalez de Vins de liqueur
qu'on y donna en profufion.Toutes
les feneſtres , depuis le haut
juſqu'au bas , estoient illuminées
de Flambeaux & de Lanternes ,&
l'on fit dés ce jour-là tout ce que
la précipitation put permettre.
Le lendemain Samedy, on mit
aux quatre principales Croiſées
du devant de l'Hoſtel , quatre
grands Chaſſis de Peinturetranfparente
, qui faisoient une tres
belle Illumination au dehors .
Dans l'un de ces Chaſſis , au
premier
GALAIN T. 81
5
2
premier Apartement , on voyoit
unHercule affis furdesTrophées
d'armes , repreſentantla France,
dontles Armes étoient audeſſus.
Dans l'autre Chaſſis de ce mefime
Apartement, ily avoitun Neptune
affis fummune Conque marine,
avec ſon Trident àla main ,repreſentant
l'Angleterre , & leš
Armes de Sa Majefté Britannique
audeſſushubicahanan
An fecondiApartement) , on
voyoit dans le Chaffis , au deffus
de celuy oùétoit repreſentéHercule,
les Armesde Monseigneur
ale Dauphin && de Madame la
Dauphine ,dans un mesme Ecuffon
, au bas duquel il y avoit deux
grands Dauphins.Dans le Chaffis
au deffus de celuyqui reprefentoit
Neptune on voyoit les
-Armes des troisRoyaumes d'Angleterre,
Ecoffe,& Irlande,avec la
GARRRRRRRRRRAR8xsadloDe about ack
MERCUAROE
Devife du Roy d'Angleterre,
Dieu est mon droit.
Ces Illuminations faifoient un
tres bel effet Auſfi peut- on dire
que les plus habiles Peintres de
Paris en ces fortes d'Ouvrages , y
avoient mis la main. Tout cela
fut fait en un joubia Dove
Toutes les autres Feneſtres du
devant de l'Hôtel juſqu'au toit,
furent éclairées de Flambeaux&
ade Lanternes peintes. On fit un
grand Feu,pendant lequel on tira
untres-grand nombre de Fufées.
volantes,& autres Artifices. On
continua les Réjoüiſſances dans
'Hoſtel où il y avoit quantité de
Perſonnes de qualité , & une
Troupe de Hautbois qui joüa
juſqu'à minuit.
Le troiſième jour,qui fut le Di-
-manche, on vitles meſmes Illuminations,
mais le feu fut plus grad,
les Fuſées volantes &Artifices en
GALANT. 83
plus grand nombre. Ily avoit des
Trompetes & des Timbales qui
ſervoient admirablement à finir
l'agreable ſolemnité de cette Réjouiſſance.
Il y eut des Tables dreſſées
pendant trois jours devant l'Hôtel
de Mr Fofcarini,Ambaſſadeur
de Venife. Rien n'eſtoit plus beau
à voir que cet Hôtel , qui eſtant
tres ſuperbe de luy meſime, ſembloit
recevoir un nouvel éclat de
la ſurprenante quantité de Flambeaux
de cire blanche dont il
eſtoit éclairé. Les autres Ambaffadeurs
& Miniſtres des Princes
Etrangers qui ſonticy ,ont auſſi
marqué leur joye, chacun en particulier
, avec beaucoup de magnificence,
par des Feux,des Illuminations,
de l'Artifice , &des li
beralitez au Peuple.
Male Tellier , Chancelier de
France,a fait voir àtout lemonde
84 MERCURE
combien il eſtoit fenfible au nou
veaubonheur dont elle joüit. Si fa
modeſtie m'empeſche d'entrer
dans aucun détail de ce qu'il a
fait,il eſt aifé de le concevoir par
la connoiſſance qu'on a de ſon zele
pour le Roy,&de la fidelité qui
l'a rendu digne du rang où il eſt.
: Tous les Miniſtres & Secretairesd'Etat,
fe font ſignalez dans la
meſime occaſion. Il y avoit une fi
grande quantité de Lumieresdas
leurs Hôtels , qu'on les euſt pris
pour des Palais enflâmez . Auffi
les voyoit-on éclater par deſſus
tous les autres Feux voiſins..
M₁ le Prince Adolphe a témoigné
par de tres-grandes réjoüil
fances la part qu'il prenoit à l'allegreſſe
publique. Il eſt Oncledu
Roy de Suede , & logé à Ramboüillet,
Maiſon de plaiſance aux
environs de Paris , hors la Porte
Saint Antoine. Un nombre
4
GALANT. 85
preſque infiny de Lumieres éclairoit
cette Maiſon dedans & dehors.
Outre un fort grand Feu
qui fut allumé devant la Porte, il
yen eut un d'artifice , auquel ce
Prince,& le Prince ſon Fils ,mi
rent le feu chacun avec un
Flambeau de cire blanche. Quatre
Tables furent ſervies avec
beaucoup de magnificence, pour
un fortgrand nombre de Perſonnes
de qualité. Preſque tous les
Miniſtres des Princes Etrangers
avoient eſté invitez à ce Régale.
Tout ce que l'on deffervit fut
donné au Peuple. Les Hautbois
&les Violons ſe firent entendre
pendant le Repas , & la réjoüifſance
finit par le bruit des Boëtes,
&le divertiſſement des Fusées
volantes.
Milord Stafford s'est fait auffi
remarquer dans ſonQuartier par
quanti
86 MERCURE
quantité d'artifice , & par toutes
les autres choses qui font connoître
qu'on ſe réjoüit d'un grand
bonheur.
Madame la Princeſſe Mariane
de Wirtemberg n'a pas laiffé
échaper cette occaſion de donner
des marques de l'attache
ment qu'elle a pour la France.
Vous ſçavez , Madame , qu'il y a
pluſieurs années qu'elle eft à Paris
ſous la protection de Sa Majeſté
. Son Hôtel , qui eſt un des
plus agreables de toute la Ville,
eſtoit éclairé par une infinité de
Bougies qu'on avoit placées le
long d'une Galerie & d'une Baluſtrade
qui regne au deſſus de
la Porte Des Flambeaux de cire
blanche eſtoient allumez au
deſſus , & tout autour de la Ba-
Juſtrade. Il y avoit devant cette
mefme Porte un Feu d'artifice
; des
GALANT. 87
des mieux entendus. Il dura longtemps
, & fut' tiré au bruit des
Tromperes 280des Timbales .
Vous jugez bien qu'il y accourut
grand monde. Ceux qui eurent
ſoif, pûrent ſe deſalterer par
une Fontaine de Vin qui couta
en abondancel.co
La meſme Princeſſe de Wirtemberg
a eſté témoin des marques
de joye que l'on a données
dansl'Académie Royale de Monfieur
Coulon pour la Naiſſance
deMonfeigneur leDuc de Bourgogne.
On y fit une eſpece de
Caroufel ,& l'on y courut la Bague
& les Teſtes. L'Aſſemblée
--querce Spectacle attira fut fi
nombreuſe , que quoy que tous
les Maneges , & les autres lieux
où les Exercices ſe font ordinairement
, ſoient tres-ſpatieux,
on cût de la peine à y donner
place
-88 MERCURE
place à toutes les Perſonnes de
qualité qui ſe preſenterent. Cependant
Meſſieurs les Ecuyers
du Queſnay , du Guard & Rochefort
, affociez avec Monfieur
Coulon , reglerent les chofes
d'une maniere qui empécha de
deſordre. Tous les Spectateurs
furent contens , & eurent ſujet
de ſe loüer des honneſtetez qui
leur furent faites. Monfieur le
Prince d'Ooftfriſe , qui apprend
fes Exercices dans cette fameuſe
Académie , fit prodiguer toute
forte de Liqueurs , de Fruits ,&
de Confitures , & pour rendre
cette Feſte plus remarquable , il
priaMadame la Princeſſe Mariane
de Wirtemberg ſa Tante, de
diſtribuër deux Prix qu'il avoit
deſtinez pour les Vainquers. Le
premiereſtoit une riche Epée ,
pour celuy de la Courſe de Bague
GALANT. 89
gue ;&l'autre une Montre d'or
d'une façon finguliere, pour ceb
le des Teſtes. Les Gentilhommes
qui les devoient diſputer , firent
paroître à l'envy leur magnificence
dans la beauté de leurs
Plumes , & dans la richeſſes de
leurs Habits. Ce n'eſtoit qu'or
& argent,& des Rubans en profufion.
Les Harnois de leurs
Chevaux en estoient tout parfemez
, & à chaque changement
qu'ils en faifoient , ils chan
geoient de Garniture. Les Dames
qui estoient le plus bel ornement
de l'Aſſemblée , leurs inſpiroient
une ardeur qui augmenta
leur adreſſe. On n'a pu me
dire les noms de tous ces Mefſieurs.
Je n'en ay appris que quelques-
uns que vous trouverez icy.
Je ne leur donne aucun rang.
Monfieur le Prince d'Ooſtfrife .
Monfieur
1
१० MERCURE
Monfieur le Comte de Montarnal
. "
Monfieur le Marquis de Pu
tanges. JA 2
Milord de Mandeville deMon
waiguch matalab
Monfieur le Marquis de Marignane.
laux, fon Frere 00
Monfieur le Chevalier de Ve-
4
-Monfieur le Comte de Mé-
:rode.
Monfieur le Marquis de Do-
-guepine..
Monfieur des Bois.
Monsieur le Conte Diaulet.:
Monfieur le Comte Philippes
de Konigſmarck.
Monfieur Coulon , qui a cſté
Page de la Chambre.
Monfieur de Vilquenie... :
Pluſieurs Trompetes firent
Rouverture de ce Carrousel , &
conti
GALANT १४
continuerent leurs Fanfaresjur
quies àla tin. Monfieur le Prince
d'Ooſtfriſe remporta le Prix de
laBague avec une grace & une
adreſſe , qui luy attirerent l'ad
mitation de tout le mondebEng
fuitecon fit la Courſe desTeftes.
Monfieur le Marquis de Marig
nane ,&Monfieur le Chevalier
deVelaux fon Frere, eurent l'al
vantage fur tous les autres. Ils
enleverent chacun huit Teſtes
en trois Courfes. Cette égalite
ayant rendu la Victoire incer
taine entr'eux , il fut reſolu que
le Prix feroit donné à celuy qui
feroit le plus de Teſtes dans une
feule Course. Quoy qu'ils cou-
Truffent tous deux avec toute l'adreſſe
poſſible , l'Aîné fut le plus
heureux. Il enleva les quatreTêtes
, avec une juſteſſe qui luy fit
donner beaucoup de louanges.
Le
92 MERCURE
Le Cadet n'en fic que trois. Ces
deux Freres font d'une des plus
confiderables Maiſons de Pro
vence ,&Moufquetaires dans la
Compagnie de Monfieur le Com
mandeur de Fourbin. Comme ils
font encor fort jeunds ,tilsache
vent leurs Exercices , en attehdant
qu'ils foient en état de fe
ſignaler dans le ſervice du Roy.
Monfieur leMarquisde Marignane
eut l'honneur de recevoir
le Prix de la main de Madame la
Princeſſe de Wirtemberg , qui le
Juydonna de la maniere du monde
la plus obligeante. La Feſte
finit par le Manege que chaque
Gentilhomme fit faire au Cheval
, qui luy eſtoit écheu par
droit d'ancienneté. Tout le monde
ſçait que l'Académie de Monfieur
Coulon , paffe pour l'une
des mieux montées qui foient
dans
GALANTM
93
dans Paris , foit pour le grand
nombte de bons Chevaux , foit
pour leur gentilleſſe. Ainſi l'on
peut croite que rien ne manqua
dece qui pouvoit contribuer à la
fatisfactionde l'Aſſemblée.
1.Je pouſſerois trop loing cet Articles
fibje vous nommois tous
ceux dont le zele a éclaté par les
marques de leur joye. Je ne puis
pourtant m'empeſcher de vous
dire en peu de mots , de quelle
maniete Monfieur de Saint Vall
lier a fait paroître la fienne. Sa
Maiſon brilloit entierement de
Lumieres depuis le haut juſqu'au
bas ,& comme elle eſt au bout
du Pont- rouge , & au paffagede
tout ce qui entre& fort du Fauxbourg
S. Germain, il avoit fair
mettre tous fes Gens de Livrée
aux trois avenuës , & lors qu'il
paſſoit quelqu'un, ils luy faifotent
6 boire
A
940 MERCURE
boire la fanté du Roy ,deMonſeigneur
le Dauphin ,& de Mon-1
ſeigneur le Duc de Bourgogne.
Cette fonte de regalea duré trois
jours,pendant leſquels on a toû
jours bû & dancé à la clarté de
deux grands Feux , auſquels on
ajoûtoit à toute heure de nou
veau bois , afin qu'ils duraſſent
juſqu'à ce que tout le Peuple ſe
fuſt retiré.
Monfieur le Duc de S. Aignan
eftant dans le Château d'Alin
court , que Monfieur le Maréchal
de Villeroy luy avoit prê
té pour prendre des Eaux de Forges
,y reçeut aviso par unCour
rier exprés , de l'accouchement
de Madame la Dauphine. Il envoya
auſſi- toſt in Gentilhomme
en Cour , pour y témoigner fa
joye, & fit fur le champ une Ballade
fort galante , qu'il adreſſa
criod
GALANTA 93 :
àMadame la Ducheſſe de Richelieu.
A fon retour il fit faire
un Feu devant ſon Hoſtel ,& tirerun
fort grand nombre de Boë
tes. Un de ſes Amis luy ayant
fait compliment ſur la quantité
de ces Boëtes , il luy répondit
agreablement , que s'il en avoit
pû trouver davantage , il y auroit
fait mettre le feu , & meſme
à celle de Pandore , fi elle luy
fuſt tombée entre les mains , ne
pouvant ſe perfuader que dans
le bonheur dont la France joüif
foit , il euſt pû fortir de cette
Boëte aucun des malheurs dont
on dit qu'elle a eſte autrefois
remplie.
2
Le Recteur , & tous ceux qui
compoſent l'Univerſité , n'ont
pas eſté des derniers à prendre
part à l'allegreſſe commune. Ainſi
on a veu la Sorbonne toute illuminée,
96 MERCURE
luminée , &l'on a fait de grands
Feux dans la Court & devant la
Porte de cette magnifique Maifon.
Le College Royal de Navarre,
ceux du Pleſſis, de Bourgogne,
d'Harcourt,& de Beauvais , ont
fait auſſi paroître leur joye ; &
les Ecoliers de tous ces Colleges
ayant jetté beaucoup d'artifice,
&fait diverſes réjoüiſſances aux
cris de Vive le Roy , &Monfeigneur
le Duc de Bourgogne , on ne
peut douter que ces Concerts
ne fuſſent tres- éclatans , eſtant
compoſez d'un nombre infiny
deVoix qui n'avoient pointd'autres
meſures que l'emportement
de leur zele..
Chacun faiſant paroître la joye
qu'il avoit de la Naiſſance du
nouveau Prince , & ſe ſervant
pour cela des chofes qui regardoient
ſon employ , Monfieur de
Lully,
GALAN T 97
Lully a crû devoir donner l'Opera
au Public. On y entroit par
un Arc de triomphe , & c'eſtoit
veritablement triompher, que de
pouvoir paſſer par deſſous , tant
il y avoit de perils à eſſuyer pour
y parvenir . On pourroit dire
qu'il y vint un Monde entier,
La diférence de ce qui s'eſt preſenté
de Peuple à la Comedie &
à l'Opera , quand on luy a donné
gratis l'un & l'autre , fait connoiſtre
la grande fortune que le
merite des Ouvrages de Mon
ſieur de Lully luy fait faire. Comme
il eſt le plus habile qui ait jamais
paru en ſon genre , il eſt
bien juſte que le Public le diftingue
par l'empreſſement qu'il a
de voir ce qu'il fait. Apres la
repreſentation de Persée, le grand
Portique par deſſous lequel on
eſtoit entré , & deux Obeliſques
Aonst 1682 .
2
E
98 MERGURE
quil eſtoient aux deux coſtez!
parurent tout en feu , & un Soy
leil s'éleva peu à peu au deſſus
Ge Soleil eſtoit composé de plus
demille Lumieres vives , c'eſt à
dire fans eftre couvertes. On tira
en fuite plus de ſoixante Fufées
d'honneur lesunes apresles au
tres, &Pon fit coulerjuſqu'ami
nuit une Fontaine de Vin , qui
contola pluſieurs Perſonnes de
n'avoir pu entrer àl'opera
Dans toutes les occafions , où
il a eſté queſtion de marquer ſa
joye pour tout ce qui al regardé
la gloire du Roy , Monfieur-le
Brun n'a jamais manqué de ſe
diftinguer. Vous vous ſouvenez
du Feu d' Artifice, qu'il fit faire,
&dont je vous envoyay le Defſein
grave , quand Sa Majefté
donna la Paix . Pay à vous parler
aujourd huy d'un autre que
vous
GALANT
vous trouverez beaucoup plus
confiderable . La nouvelle de la
Naiffance de Monſeigneur le
Dic de Bourgogne , ne fut pas
plutoſt venue aux Gobelins , que
tous ceux de cet Hoſtel Royal,
&fur tout Monfieur le Brun ,
qui en eſt le Directeur , voulurent
faire connoiſtre au Public la
joye qu'ils en reſſentoient , par
une Pyramide de feu de quinze
pieds de haut , qu'ils allumerent
le foir dans la Ruë. On fit couler
une Fontaine de Vin juſqu'à
minuit . On eut ſoin de régaler
tous ceux qui ſe preſenterent ,
& on n'yépargna épargna rien de ce qui
pouvoit entretenir la réjoüiſſance
. Le lendemain on alluma un
autre Feu pareil au premier , &
l'on fit les meſmes Regales à tout
le monde. Comme cette Feſte
devoit eſtre continuée trois jours,
:
Eij
100 MERCURE
1
on eut le temps d'élever pour le
troiſieme une magnifique Décoration
devant la Porte de l'Hoſtel
des Gobelins , pour ſervir à un
Feu d'artifice . Cette Décoration,
qui estoit de cinquante pieds de
haut , & de quarante-deux de
large, repreſentoit la Façade , ou
le Portail du Temple de l'Immortalité.
Ce Temple,de figure octogone
, eſtoit orné de deux Ordres
d'Architecture l'un ſur l'au-
2
tre , le ſecond Corinthien &
,
avoit trois Portes dans trois diferens
pans de l'Octogone . Au
deſſus de celle du milieu , plus
élevée que les autres, eſtoient les
Armes de France dans un Globe
foûtenu de Dauphins , accompagné
de Trophées , avec des
Eſclaves. Audeſſous étoit le Buſte
deMonſeigneur le Dauphin , &
plus bas , les Armes de Monfei-
:
gneur
:
GALANT. JOI
gneur le Duc de Bourgogne.
Les deux Portes des coſtez
eſtoient occupées , l'une par la
Statuë d'Hercule, l'autre parcelle
de Minerve , les Pied-d'eſtaux
de marbre , & les Statues d'or.
-Ces deux Divinitez eſtoient miſes
là comme pour défendre l'entrée
du Temple , & ne la laiſſer
libre qu'à ceux qui par leurs ver-
-tus ſe ſeroient rendus dignes d'y
avoir place. C'eſt ce qui avoit
donné licu d'écrire ſur le Piedd'eſtal
en lettres d'or , du coſté
d'Hercule , Porta patent virtuti,
& du coſté de Minerve , Procul
binc profani .
Entre les Pilaſtres , en quatre
endroits diférens , eſtoient des
Ovales ou Cartouches , dans lefquelles
il y avoit des Deviſes faites
par Monfieur l'Abbé Tallement
le jeune,Intendant desDe-
E iij
002 MERCURE
viſes & Inforiptions des Edifices .
Royaux
La premiere eſtoit un jeune
Lyon, avec ces paroles d'Ovide,
Nominibus generofusavitis Cejeune
Lyon eft fier des ſa naiſſance,
&ne ſe promet pas moins de force
& de generoſité qu'ont ceux
dont il fort ; ce qui convient affez
-bien à Monſeigneurole Duc de
Bourgogne, qui ſuivra glorieuſement
les traces de ſes Ayeux , &
fur tout du Roy , dont il recevra
fon illustre éducation .
Une Fufée volante faifoit le
Corps de la ſeconde Deviſe .Elle
avoit ces mots pour Ame , Quo
non accepto ardore feretur ? Pour
dire que de mefme que cette Fuſée
qui a en ſoy une matiere combuſtible
, brillera dans l'air dés
qu'on yaura mis le feu. Monfeigneur
le Duc de Bourgogne, qui
a
GALANITA 103
-9
adans les veines de Sang illustre
de LOUIS LE GRAND;fera briller
fon nom &fesivertus, quand Sa
Majeſtey aura adjoûté fes leçons
&ſes exemples.Col mengistuotA
-Lanroifiéme eſtoiutinLysavес
unaunel perioLys/flinery dorgania
de la tigeAcodes mots d'Ovide,
Patrij candoris Imago Ge jeunel
LysebilamrayeImage de lablan
clocurida Lysdontibjentu formyb
Monſeigneur le Duc de Bourgo
gnadera alili dedoinayPortrait de
lakoarideuti, corſtàdiredes vertus
de Morifeigneurle Dauphin fon
Barel 2914 A xarabo ?
Dans la dernière Deviſelon
voyoitain Aigle montrantileSol
leilafon AigloCes pianotestirées
d'Horace duy fervoientd'Ame,
Dos magnaparentis,pour faireicon -l
noitrenqué comme cerAiglelne
peut donneninplus grandretail
105 Eij
104 MERCURE
tage à fon Aiglon,quedeluyfaire
contempler de Soleil z dontdalus
miede huy communique la force
qui le rend le Roy des Oyſeaux,
Monſeigneur le Dauphin ne peut
donner duPrinceſon Filsunhe-
Fitage plus riche,quėdę luydone
ner à contempler fon Ayeul,don't
le ſimboleeſtole Soleil ,d'où il pui
fera toutes les vertus qui le rend
dront un jour digne d'eſtre ſon
Petit-Fils . beslisan M
Sur la Corniche du premier
Ordre, regnoit une Baluſtrade!
d'or & aux deux extrémitez eftoient
poſées deux figures , l'une
de la Justice,& l'autre de la Piété.
Le milieu plus élevé, portoitune
haute Piramide ornée de Palmes,
qui renfermoiét pluſieurs actions
heroïquesde Sa Majeſté.Au haut
dela Pyramide eſtoit l'Immorta
lité, tenant en ſamain un Cercle
d'or
GALANT.
1ος
I
1
13
d'or étoilé pour en couronner le
Roy , dont le Buſte eſtoit placé au
bas fur le devant du Pied d'eſtal.
On avoit environné ce Pied- d'eſtal
de Trophées,& l'on y voyoit
deux Statuës aux deux coſtez, l'une
de la Gloire , & l'autre de la
Valeur. Le reſte de la Balustrade
eſtoit couvert de Trophées, avec
deux grands Ovales qui contenoient
deux bas reliefs ; dans l'un
deſquels on avoit repreſente Hercule
ſe repoſant de ſes travaux.&
faiſant voir ſous ſes pieds quantité
de monſtres défaits . Dans l'autre
étoit Minerve , triomphante
des vices. Ces deux Divinitez qui
défendoient en bas l'entrée du
Temple,donnoient à entendre en
ce lieu- là ,que ceux qui par leur
vertu avoiet merité d'y avoir place,
jouiſſoient enſuite d'une parfaite
tranquilité; & c'eſt ce qui
2 E
13
t
1
106 MERCURE
avoitdonnélieu d'écrire en lettres
d'or ſous le bas - reliefd'Hercule,
cesmots tirez de Virgile & misen
contreſens, Tandem dat cura quietem,
pour dire qu'apres beaucoup
de travaux, enfin les Heros trouvent
de la tranquilité.Sous le basreliefde
Minerve,on avoit mis ces
mots auſſi de Virgile, Placidâpace
quiefcit,pour montrer que laVertu,
apres avoir eſté bien exercée,
trouve enfin le reposoù elleafpire
.Derriere cettePyramide&ces
Trophées, Figures &Bas- reliefs,
on voyoit briller le ſecond ordre
de ce Temple, Il eſtoit Corinthie,
les Pilaſtres de Marbre , avec les
Bafes &les Chapiteaux d'or.Dans
le milieu une grande ouverture
en arcade eſtoit preſque cachée
par la Pyramide , & ce qui l'accompagnoit.
Il y avoit deux grads
Tableaux dans les deux autres
Pans
C
si
a
t13
؟
4
د
G
14
eri
GALANTM 1871
Pans qui étoientplusen veue Le
premier de ces Tableaux tepre-)
LentdioJafon,quitenleveplaToiſon
diorg & l'autre faiſoitvoir The
fee,VainqueurduMinotaure.
Legrand Edifice finiſfoit par
une Balustrade joaveq depperiss
Piedid'eſtaux,d'espace enefpace. I
Sur des Pied- d'eſtaux q estoient
desiMaſesàl'antique, dioù il for
teit des flames.Tous lesenvirons !
eſtoientcomezordehTapiſſebie &
de Tableaux , Frepréſentantd'un
coſtélés Actions Heroiques du
Ray, & de L'autre coſté celles
diAlexandre of zuoloivasba
Commeje vousenvoye le Deſ
ſein grave de cette,repreſentationje
nermiattacheray point davantage
à le décrive. Pour peu ,
quevous avez d'applicationa l'e- .
xaminer ,vous découvrirez fort
aiſement le foimparticulier que ,
10000 Mon
108 MERCURE
1
Monfieur le Brun a pris de tout
cer Edifice. 1 200 об топти
Quoy que ceTemple de l'Im
mortalité paruit tres beau pen
dant le jour , & que l'on ne puſt
s'imaginer qu'il y manquaſt rien
de ce qui pouvoit luy donner des
l'agrément ; le foir, lors quel'Artifice
fit paroiſtre un Soleil qui
s'éleva peu àpeu juſques aulieu
le plus éminent, & dont les rayons,
étendus de toutes parts , al
lumerent le Feu d'artifice , qui
fut precedé du bruit des Boëtes,
du ſon des Trompetes,& du concert
des Violons , le tout reprit un
nouvel éclat . Les Illuminations,
,& les Fuſées , avoient eſtédiſpoſées
d'une maniere qui les empé-1
choit de cauſer aucun defordre
dans l'economie de cette repreſentation;
& outre les effets que :
cet Artifice fit en l'air, il ſervic..
encor
L
GALANT 109
(
encor à rendre l'ordonnance de
ce Temple plus grand , & plus
magnifique qu'elle n'avoit paru
tout le jour.Ayoob asar
-L'on termina cette Feſte par
un autre Feu de bois en Pyramide
pareil aux premiers. Il fut
auſſi allumé au bruit des Boëtes,
& au fon des Violons & des
Trompetes , & entretenu longtemps
pour éclairer une ſi belle
nuit.On tint table ouverte,& l'on
fit couler ,comme aux deux jours
precedens, une Fontaine de Vin,
qui ne ceſſa point juſqu'au lendemain.
Apres un ſi long Article des
Réjoüiſſances de Paris, il ſemble
que je n'aye plus rien à vous en
mander , cependant je n'aurois
encor fait que commencer , ſi je
ſuivois l'ordre de quelques Rélation
qui ont parlé des Mar-
7.7
chez,
010 ERACUARE
!
1
chez,des Ponts , desPlacespa
bliques, des Quais, des Rmës, 30
des Particuliers. Comme la finde
chacun de ces Articles quil par
leroient tous de Boëtes d'Artifi
ces , d'Illuminations,&deVin
diftribué , ſeroit plus ample quo
le corps, qui ne contiendroit que
le nom du lieu ( ce qui feroit re
peter cent fois la meſme choſe )
je croy devoir prendre te partyo
de vous faireune peinturegene
rale de la joye qu'on a fait paroî
tre icy, & de ce qui s'y eſt fait
d'extraordinaire.Je commence
par les Illuminations. Elles n'ont
pa's eſté ſeulement de Lanternes,
& de Chandelles fur les Fene
ſtresinaisdeFlambeaux depoing
de cireblanche , deFalots,80 de
Lampes de diverſes ſomes. Ces
Lumiéres estoient employéesde
deux façons Lezaunes estoiend
sodo
vives,
GALANT.
vives , c'eſt àdire , qu'elles n'étoient
enfermées dans aucunes
Machines.Celles-làrempliffoient
des pans de Murailles, des Terraffes
, des Corniches ,& toutce
qui les pouvoit recevoir. Onvo
voit des Flambeaux de poing fail
lir des Feneſtres dans de riches
Bras,ou dans des Machines faites
exprés , peu de Bras eftans propres
à contenir des Flambeaux
de poing. LesFalots paroiſſoient
juſques ſur les Cheminées , &
les Lampes eſtoient attachées
contre lesmurailles. Les Machines
qui couvroient ces Lumieres en
beaucoupd'endroits(car end'au
tres on avoit meflé les Lumieres
vives avec les Machines ) repre
ſentoient desFigures qui remplif
foient des Croiſées entieres ,des
Obeliſques,des Allegories,des Pyramides,
des Deviſes, des Armes,
des
1121 MERCURE
F
des Inſcriptios à la gloire du Roy,
&de toute la Maiſon Royale.On
voyoit outre cela des Groupes de
Lanternes , & des Machines,
mouvantes, roulantes & tournantes
, des Lanternes ſuſpenduës,
au milieu des Rues beaucoup,
plus haut que les toits , avec des
lettres de feu , où l'on diftinguoit
Vive le Roy , comme ſi l'on euſt
voulu porter la gloire de Sa Majeſté
juſques dans lesCieux. Enfin
il n'y a forte deMachine propre
à illuminer que l'on n'ait imaginée
, & pluſieurs en ont même
changé trois ou quatre fois . Tel
qui n'avoit jamais fait de Deviſes
en inventoit , & les Femmes
mêmes cherchoient des ſujets
pour donner aux Peintres , qui
regardaſſent la Naiſſance qu'on
celebroit On voyoit avec cela,
les Terraſſes de plufieurs Hôtels
rem
GALANT 113
2
remplies d'Orangers entourez de
Flambleaux d'argent garnis de
Lumieres, & des Luftres auffi
d'argent ſuſpendus au deſſus des
Balcons pareillementpornez de
verdure , ce qui produiſoit un ef
fer très- agreable , rien n'eſtant
plus beau que les Lumieres avec
la Verdure. Auſſi des Particuliers
avoienthils fait des Feüillées
avec des branches qu'ils avoient
envoyé couper à la Campagne,
&l'on a veu pluſieurs Bateaux
fur l'eau garnis de Verdure , de
Lumiere, &d'Artifice. Iln'y avoit
d'ailleurs preſque point de Ruës,
où quelque Lustre de cristal ne
fuſt ſuſpendu. La plupart des
Courts que les Paſſans pouvoient
voir , eſtoient auſſi fort illuminées.
Joignez à toutes ces choſes
la clarté des Feux,& celle que
produit l'Artifice . Comme chacun
14 MERCURE
cun en avoit allume deviant fa
• Porte avec une tres grande ret
igularité, on en voyoit deux rangs
dans toutes les Rues Ges Felix
eſtoient coupez d'eſpaceren lefl
Pace par ceux d'artifice qu'on
Failon jouer devant des Hoſtels
des grands Seigneurs, dar de qui
auroit elte autrefois un Feudarrifice
public ,en estoit un d'une
graindMaiſon particulieres Plas
heurs Bourgeois avoient mélé de
Artifice parmyales Feux com
poſez de Bóis, &i l'on wentent
doit de tous côtez que bavit de
Petards & deFusées.Outre cel
les que jettoient les Gens du
commun , les Apprentifsde toutes
fortes de Meſtiers ,& les Do
meſtiques des Perſonnesde quadité
( ce qui produifait une
pluyellde feu s'il eſt permis de
parler ainfi ) on faifoit àtrous
1.00
momens
GALANT.
momens des décharges d'Armes;
-& les Femmes , apres avoiriap-
-pris à tirendes Fusées, ſe hazar-
-doient à tirer desiPiſtolets. Des
-Particuliers avoient fait dreffer
Jon quelques endroits des Cordes
quil traverſoient la Riviere. On
mettoit le Feu à des Fuſées volantes
, quieſtant attachées à ces
-Cordes , coroient deſſus avec
lamefine rapidité que frellas eufſent
eſté en l'air ,& comme elles
allumoient d'autres Fusées placées
au bout de la Corde,& que
les dernieres alloient du côté
dont les premierespeſtoient par-
-ties, on croyoit que les meſimes
retournoient , ce qui a fait faire
pluſieurs gageures. Voilade
quelle maniere Paris eſtoit au dedans.
On voyoit dans chaque
Ruë, tant en l'air qu'à terre, cinq
Perſpectives de Lumieres toutà
116 MERCURE
L
2
à- la - fois ; ſçavoir, deux des Feux
-qui estoient des deux côtez de-
-vant les Maiſons , deux des Illuminations
qui éclairoient les Feneſtres
, & une autre des Laneternés
& Machines que l'on avoit
fuſpendues. Quant au dehors ,
cette Ville , quoy que la plus
grande du Monde , ne paroiffoit
oque la Machine d'un Feu d'artifice;
les Fusées volantes qu'on
tiroit de tous les Hoſtels , & que
des Particuliers meſmes faifoient
tirer , pouvant eſtre priſes pour
les Fuſées de ce Feu. Ceux qui
-eſtoient à quelque diſtance de
Paris , en voyoient à chaque inſtant
voler en l'air des centaines .
Les Villages des environs étoient
auſſi tout en feu , les Païfans en
ayant allumé d'eux meſmes , dés
qu'ils avoient ſçeu laNaiſſance de
Monſeig. le Duc de Bourgogne,
Les
GALANT 117
Les Réjoüiſſances de Paris
n'ont pas eſté bornées aux Feux.
Les Timbales , les Trompetes, les
Violons , les Hautbois , s'y ſont
fait entendre de toutes parts ; &
leur bruit meſlé à celuy des Fusées
, des Armes à feu , des Boё-
tes , des Acclamations publiques,
& des cris de Vive le Roy, & tou
te laMaiſon Royale , formoit en-...
ſemble un concert qui ne peut
eſtre entendu dans aucune autre
Ville du monde. Le nombre des
Tables qui estoient dreſſées de
vant les Maiſons, & dansles Bou- )
tiques , eſt une choſe qui paſſe
toute croyance Il y en avoit qui
occupoient preſque la longueur
des Rues. On ſe répondoit des
Feneſtres le Verre à la main. Onj
arrêtoit les Carroffes qui paſſoient
pour faire boire toutes les Perſonnes
qui étoient dedans, Hommes
:
1181 MERCURE
}
mes &Femmes , de quelque qualité
qu'elles fuffent ; & quand il
n'y avoit plus rien dans les Tonneaux
, on y mettoit auſſi toſt le
fen-dans le lieu mefme où l'on
avoit beû , pour faire-voir qu'ils
venoient d'eſtre vuidez . On s'étoitſervy
en beaucoup d'endroits
decent manieres ingenieuſes,
pour y faire des Fontaines d'où
couloit le Vin. Il ſembloit que
cate Liqueur , qui d'ordinaire
cauſe des querelles , n'avoit plus
que les qualitez neceſſaires pour
exciter ſeulement la joye , puis
que pendant ces Réjoüiſſances
publiques pluſieurs ſe ſont émbraffez
,& ont mis fin àleurs diferens.
Il y eut des Maſques en
beaucoup de lieux ,des Bals pref
que par tout , & l'on pourroit
mefme dire que tout Paris eſtoit
comme une Salle de Bal La plû
part
GALANTM 1491
partde ceux qui font Enſeignes
de la Compagnie de leur Quar
tier, avoient mis leur Drapeau à
leurs Fenestres , & donnoient à
boire deſſous Pluſieurs jeunes
Bourgeois s'eſtant aſſemblez ,
compoferent une Compagnie de
Moufquetaires,& comme ils ſca-i
voient quebles Rubans grisdelin
plaiſentà Madame la Dauphine,
ils en mirent à leurs Chapeaux,
as leurs Cravates , & à leurs
Noonds d'épaule , & fe prome
nerent ainſi par la Ville Tambour
batant , &leMoufquet fur
l'épaule. Les Réjouillances n'él
clatoient gueres moins pendant
lejour. Il y avoit des Bals ouverts
dés l'apreſdînée ,& chacun fai
foit fervir laCollation àſes Amis
Il ſembloitque les Divertiſſemens
augmentaflent chaque jour. Les
Peresdonnoient à leurs Enfans
dequoy
sap
Σ
1201 MERCURE
dequoy ſe réjouir , les Maiſtres à
leurs Domeſtiques , & les Artifans
à leurs Garçons , & à leurs
Aprentifs . Pluſieurs ont fait con
noître leur joye ,&beny le Ciel
par des manieres opposées. Ils
ont donné des Aumônes , & fait)
habiller des Pauvresis & cer
taines Gens qui dans une
autre ſaiſon auroient fouffert
qu'on les aſſiſtat , faisoient des
liberalitez pour rendre gracesi àś
Dieu de la Naiſſance du Prince
Outre les grandes largeſſes que
le Roy a faites aux Priſonniersde
la Conciergerie , ils en ont auffi
reçeu beaucoup des Particuliers,
ce qui leur a donné lieu de faire
de grandes Réjoüiſſances, demaniere
qu'on euſt pris ce Lieu , où
la triſteſſe a coûtume de regner,
pour le ſejour des Plaiſirs. Ainſi
l'on peut dire que les Pauvres,
que
GALANT 12
que les Prifonniers , que le Peuple
,&les Perſonnes de qualité,
onttousmarqué les meſmes empreſſemens
pour ſe réjouir.
Les tranſportsde joye que ceux
de la Place Royale ont fair écla
ter, ne peuvent eſtre décrits, non
plus que l'éclat de ſes Lumieres.
La ſimétrie des Maiſons donnoit
de la regularité à ce Spectacle de
feu , &rien n'eſtoit plus agreable
à la veuë. Outre la clarté qui
partoit des Hôtels éclairez depuis
le! haut juſqu'au bas , le Parapet
que l'on a fait depuis peu autour
de cette Place, paroiffoit tout lu-'
mineux. Il y avoit de petits Canons
à l'Hôtel de Richelieu , qui
n'ont point ceffé de fe faire entendre
tant qu'ont duré ces Réjoüiffances.
Vous ſçavez qu'il eſt
fituédans cette Place , auffi-bien
que les Hôtels de Chaunes , de
Aoust 1682 . F
122 MERCURE
Duras ,& de Dangeau , où l'on a
fait des choſes extraordinaires.
On ne s'eſt pas moins diftingué
àl'Hôtel dela Feuillade , & l'on
défonça juſques à ſept ou huit
muids de Vin à l'Hôtel de Villes
roy.Les Feſtes furent preſque égales
chez toutes les Perſonnes de
qualité. Les Violons que Monſieur
le Prevoſt des Marchands
avoit envoyez dans le Jardin des
Tuilleries , à la Place Royale , &
en pluſieurs autres endroits de la
Ville, n'avoient pas peu contribué
àmettre le Peuple en joye ;& ce
qui eſt aſſez ſurprenant, c'eſt que
dés les trois premiers jours , des
Particuliers firent de tres-beaux
Feux d'artifice malgré le peu de
remps qu'ils avoient pour les faire
preparer . Si l'on confidere l'amour
que tous les Peuples de
France ont pour leur Roy, l'on ne
seton
GALANT.
123
s'étonnera point de toutes ces
Réjouiſſances , & l'on ſera aisément
perfuadé qu'on les verra
toûjours redoubler , pour toutes
les choſes quidonneront quelque
forte de fatisfaction à LoüiS LE
GRAND.Tout ce que je vous puis
dire, Madame , c'eſt que les bons
François n'ont pû voir tous ces
tranſports qui partoient du fonds
de l'ame , ſans que la joye leur
ait fait verſer des larmes. Je ne
vous dis rien dont je n'aye eſté
témoin.
Pendant les deux ou trois premiers
jours qui ſuivirent celuy de
la Naiſſance de Monfeig, le Duc
de Bourgogne , tout le Chemin
de Verſailles fut couvert du Peuple
qui vouloit aller témoigner
ſa joye en ce lieu-là par ſes acclamations.
On y entendoit les cris
de Vive le Roy réïterez par autant
Fij
124 MERCURE
de voix que fi laCoureuſt eſté au
milieu de Paris. Ceux qui firent
ce voyage, apresavoir vûSa Majeſté,
chercherent à voir le nouveau
Prince. Quelques - uns fe
rencontrerent dansdes heures afſez
favorables pour jouïr de ce
bonheur , & les autres ne laiffe
rent pas d'avoir quelque forte de
fatisfaction à voir ſeulement fon
Apartement. Madame la Maré
chale de la Motte voulut bien fe
donner la peine de montrer ce
Prince à tout le monde , quand
elle crut le pouvoir faire , ſans
qu'il en reçeût aucune incommodité.
Elle s'attira par làbeaucoup
de'loüanges. Cette Naiſſance a
fait faire quantité deVers. Jevous
en envoye quelques- ns. En voicy
del'illuſtre Mademoiselle de Scudery.
A
GALANT.
1251
A MONSEIGNEUR
LE DUC
DE BOURGOGNE .
V
Enez heurex Enfant ,
àla lamiere ,
venez
Vous allez commencer une illustre
carriere , 1
Et le Soleil qui n'aist aux bords de
L'Orient;
N'a pas àsa naiſſance un éclat fi
riant. 4
Tout brille autour de vous ; lesfeux,
les Ris , la Gloire ,
Parent vôtre. Berceau comme un
Char de Victoire.
Mais , ô divin Enfant , quand on
fort de Heros,
On ne vit pas longtemps dans les
bras du Repos.
Hâtez vous ; que le corps , l'esprit,
&le courage ,
2
Fij
126 MERCURE
Forcent les Loix du temps , & les
Regles de l'âge;
Paſſezrapidement lesfrivolesplaifirs
,
Et concevez bientoſt d'héroïques
defirs.
Vous pourrezfurpaſſer tous les Prin
ces dis Monde ,
De vospremiers Exploits remplir la
terre& l'onde ,
Digne de vôtre Nom estre adoré de
tous ,
Etvoir toûjours LOUIS , bien au:
deſſus de vous ,
Eclairer tous vos pas , vous servir
deModele ,
Eſtre du Roy des Roys une Image
fidelle,
Le bonheur des François , l'ame de
fes Etats ,
Et l'exemple eternel de tous les Po
tentats.
Les.
GALANT. 127
Les deux Sonnets que vous allez
voir , font de deux Autheurs,
à qui leurs Ouvrages ont acquis
beaucoup de gloire. Le premier
eſt de Monfieur Boyer , & le fecond
de Monfieur le Clerc , tous
deux de l'Academie Françoiſe.
SUR LA NAISSANCE
DEMONSEIGNEUR
LE DUC
DE BOURGOGNE.
SONNET ม
Vel éclat Surprenant , quelle
Quelclarténouvelle
Se répand aujourd'huyſur l'Empire
François singl
UnSecond Rejetton d'une Race immortelle
Promet à l'Univers mille biens
la fois.
2
Fiiij
128 MERCURE
Quelle fclicitéplus parfaite &plus
belle
700
PouvoitpayerLOVIS defes fameux
Exploits
Fortune, tafaveur, pour tout autre
r
infidelle T
Comble enfin le bonheur du plus
grand de nos Roys.
n
C'estoit peupour LOVIS de vivre
dans l'Histoire
D'éterniferſon Nom , de transmettresa
gloire
Aux Siecles à venir dans toutefa
*
Ilvoit plus d'un appuy deson pouvoir
fupreme
Il voit dés ce moment audela de lug
Au dela de fon Fils étendre sa
mesme ,
grandeur.
A
GALANT. 129
A MONSEIGNEUR
ET A MADAME
:
LA DAUPHINE.
SONNET.
RINCE chery du Ciel, Fils du
plusgranddes Roys,
Qui ne voit que par Luy Sa puis-
Sance bornée;
Et Vous , de tous les deux le juste
& digne choix ,
PRINCESSE , en qui l'on voit
la Vertu couronnée ;
Glorieux Ornemens de l'Empire
François,
Fouiffezpleinement de vôtre desti
née ;
Tout vous rit , tout vous lovë , &
benit mille fois
F
130 MERCURE
Le jour qui vous ſoûmit aux Loix
de l'Hymenée.
Cet objet de nos Voeux , ce Filsfi
Souhaité,
Sembloit encor manquer à la felicité
D'un Roy pour qui le Ciel tous ſes:
trefors d'éploye ?
**
Mais luy donnant cefruit devostre
heureux lien ,
Vousvenez de le mettre au comble .
delajoye
Ilfit voſtre bonheur , Vous achevez
lefien.
Monfieur Salbray , Valet de
Chambre du Roy , a tiré d'heureux
préſages de ce que le Prince
eſt né le Jeudy , & dans le
mois d'Aouſt , appellé Auguſte
par les Latins. Voicy comment il
explipue ſa penſée.
Ce
3 GALANT. 131
E nouveau Prince est nélejour
de Jupiter ,
C'est leplus beau deſtin qu'on puiſſe
Souhaiters
Le Sort, au choix de l'Aftre, eft favorable&
juste ,
Puis qu'il doit heriter du Pouvoir
Souverain.
Pour comble de bonheur , c'est dans
le mois d'Auguste
D'une heureuse Grandeur lepréfa
ge est certain
J'adjoûte un Madrigal dont
l'Autheur m'eſt inconnu .
Un Empire puiſſant faire
tous les foubaits
Fort long-temps avant que de
haistre
Em naissant affurer le bonheur de
la Paixing
Se faire aimer en Roy , Se faire
craindre en Maistre ,
Dis
132 MERCURE
Dés le Berceau montrer un air de
Conquerant ,
Promettre un longreposfur la terre
&fur l'onde,
C'est imiter LoürS LE GRAND
Du premier pas qu'on fait au
Monde
Monfieur Caffini , de l'Obfervatoire,
a fait de tres- beaux Vers
Latins fur cette meſme matiere .
Ils font connoiſtre l'heureuſedifpoſition
où eſtoient les Aſtres
dans le temps de la Naiſſance de
Monſeigneur le Duc de Bourgogne
, & les grands biens que la
France en doit attendre. MonfieurDelenglet,
Profeſſeur Royal
de l'Eloquence Latine , en a fair
auſſi dans la meſme Langue,qu'il
adreſſe au jeune Prince. Ils font
tournez d'une maniere tresagreable
,& fort eſtimez de tous
ceux
GALANT. 133
ceux qui les ont veus.
Vous voyez , Madame , qu'il
n'y a perſonne qui ne contribuë
à folemnifer une Naiſſance , qui
a donné la joye la plus generale
qu'on ait jamais reffentie. Madame
la Ducheſſe de Richelieu a
marqué la ſienne par une magnificence
digne du rang qu'elle
tient. Ce n'eſt pas une choſe extraordinaire
pour elle , cette Ducheſſe
eſtant auffi connuë par la
grandeur de ſon ame , que par la
beauté de ſon eſprit. Quelques
jours apres l'accouchement de
Madame la Dauphine , elle donnaun
tres- ſomptueux Repas , &
y convia pluſieurs Dames , qui
ont l'honneur comme elle de fervir
cette Princeſſe. On apporta
au deſſert un Baffin dans lequel
il y avoit douze Cornets de papier
, faits à la maniere de ceux
ou
T
134 MERCURE
où l'onmet aujourd'huy desCom
fitures. Cela fit croire qu'on les
en avoit remplis. Le Baffin fut
preſenté à Madame la Maréchale
de Rochefort , à Madame de
Monchevreüil ,& enſuite à toutes
les Filles d'honneur de Madame
la Dauphine , & à leur Sous-
Gouvernante. Elles trouverent
dans chaque Cornet des Galen-
, comme des teries magniques
Coupes d'or entourées de Dia--
mans , des Eventails avec des
Boutons de meſme , des Tabletes
& des Boëtes , le tout d'or,
&avec des Cercles de Diamans.
Une autre Galanterie termina
la Feſte. Quand Madame la Maréchale
de Rochefort voulut fortir
, elle demanda fon Eventail,
dont les Domeſtiques de Madame
de Richelieu s'eſtoient char
gez, quand on s'eſtoit mis àtable.
On
GALANT
135
On luy en apporta un autre , où
il y avoit des Boutons de tresbeaux
Diamans. Elle dit que ce
n'eſtoit point le fien, &le refufa
pluſieurs fois ; mais enfin Madame
de Richelieu luy ayant dit,
Madame, ceseralevostre, s'il vous
plaift , elle l'accepta . De pareilles
Galanteries ſont ſi brillantess
d'elles - meſines, qu'elles n'ont pas
beſoin qu'on les louë pour les
faire remarquer.
On a chanté pluſieurs fois à
Verſailles le Te Deum en Mufi
que. La pluspart des Maiſtres en
ont compoſé, &ont ſuplié le Roy
de leur faire la grace de les en
tendre , ce qu'il a eu la bontéde
leur accorder. Ce Monarque n'a
point voulu que les Corps luy
vinſſent faire Compliment ſur la
Naiſſance de Monſeigneur le
Duc de Bourgogne. Ainfi tous
les
1
136 MERCURE
les Chefs , & pluſieurs autres,
luy en ont fait chacun en particulier.
Quant aux Ambaſſadeurs,.
& autres Miniftres des Princes
Etrangers , Sa Majeſté n'a pû
leur refuſer l'Audience qu'ils luy
ont fait demander. Ils l'ont euë
dans le grand Apartement de
Verſailles , avec les Cerémonies
accoûtumées , c'eſt à dire , que
tous les Corps qui fervent de
Garde au Roy, eſtoient en haye,
Ces Miniſtres paſſerent par le
magnifique Eſcalier , qui doit
toutes ſes beautez à Monfieur le
Brun , & dont je vous envoyay
une Deſcription fi- toſt qu'il fur
achevé. Le Roy eſtoit aſſis dans
ſon Trône d'argent. Ceux qui
occupoient les premieres Places
aupres de ce Prince, eſtoient d'un
coſté,Monfieur le Duc de Boüillon
, Grand Chambellan , Mon-
Geur
GALANT.
137
ſieur le Duc de Créquy,& Monfieur
le Prince de Marfillac; &
de l'autre , Monfieur le Duc
d'Aumont , Monfieur le Duc de
Saint Aignan , & Monfieur le
Marquis de Geſvres. Une grande
foule de Courtiſans les environnoit.
Monfieur le Duc de Luxembourg
, Capitaines des Gardes
de quartier , alloit recevoir
les ſeuls Ambaſſadeurs à la Por
te de la Salle des Gardes. Ils
eſtoient conduits par Monfieur
de Bonneüil Introducteurs des
Ambaſſadeurs , qui eſtoit allé les
prendre chez Monfieur Colbert
de Croiſſy. Les Miniſtres des
Princes Catholiques furent les
ſeuls qui eurent Audience се
jour - là , & elle leur fut donnée
fans rang. Voicy leurs noms .
Monfieur le Marquis de Marini,
Envoyé de Gennes ; Monfieur
Fofca
138
MERCURE
Foscarini , Ambaſſadeur de Veniſe
; Monfieur l'Abbé Réſini,
Envoyé de Modene ; Monfieur
le Marquis Ferreiro , Ambaſſa
deur de Savoye ; Monfieur le
Commandeur de Hautefeüille,
Ambaſſadeur de Malte ; Mon
fieur Taborda, Envoyé de Portugal;
& Monfieur Bagliani , Envoyé
de Mantouë. Ils avoient
tous une fuite fort nombreuſe:
Leurs Complimens ne furentque
fur la Naiſſance de Monſeigneur
le Duc de Bourgogne. Le Roy
les écouta avec l'air grave que
fon rang demande ; mais il leur
répondit avec une majeſté pleine
de cette douceur qui luy gagne
tous les coeurs. Ils allerent
enfuite à l'Audience de Monſei
gneur le Dauphin , de Monſei
gneur le Duc de Bourgogne , &
de Monfieur. Ils leur firent des
Com
GALANT.
139
&
Complimens fur le meſime ſujer,
& en reçeurent des Réponſes
tres obligeantes .Madame la Maréchale
de la Mote parla pour le
petit Prince. Toutes ces Audiences
durerent cinq heures , apres..
leſquelles ces Meſſieurs furent
reconduits au Lieu d'ou ils
avoient eſté amenez. Ils n'eurent
Audience de la Reyne
de Madame , que l'apreſdînée ,
parce qu'elles n'en donnent ja
mais le matin. Ils y furent con-
•duits avec de pareilles cerémonies.
Les meſmes choſes ſe pafferent
le lendemain à l'égard des
Ambaſſadeurs , & Miniftres des.
Princes Proteftans. En voicy les
noms. Milord Preſton , Envoyé
Extraordinaire d'Angleterre ; Mr
Lilierot, Envoyé de Suéde ; Monfieur
Meyercron , Envoyé de
Dannemark ; Monfieur Spanheim,
140
MERCURE
heim, Envoyé Extraordinaire de
Monfieur l'Electeur de Brandebourg
; & l'Envoyé de Monfieur
le Duc de Hoſtein. Monfieur
Spanheim ayant parlé un peu
plus haut que les autres , fon difcours
fut entendu de tous ceux
qui estoient dans la Chambre de
l'Audience, & applaudy enbeaucoupd'endroits.
Monſeigneur le Dauphin, qui
ne s'eftoit preſque point éloigné
deMadame la Dauphine, depuis
fon accouchement, voulut prendre
le divertiſſement de la Chafſe
le Lundy 17. de ce mois. Ce
Prince arriva dés fix heures du
matin au bout du Faux- bourg
S.Antoine. Il y monta à cheval,
&fit en ſuite le tour du Parc de
S.Mandé , où il tua fix ou ſept
Levraux , & plus de quarante
Perdreaux. Il ſe rendit de là à
Vin
GALANT.
141
Vincennes ,&dîna dans la grande
Salle. Quinze ou vingt Perſonnes
du premier rang , eurent
l'honneur de dîner avec luy.
Monfieur le Prince de Conty,
Monfieur le Grand , Monfieur le
Prince de Conigſmark,Meſſieurs)
les Maréchaux de Schomberg &!
deBelfond,& Monfieur le Comte
de Lauſun , eftoient de ce nombre.
Apres te dîné , ce Princel
alla à la Ménagerie de Vincennes
, &y vit combatre pluſieurs
Animaux les uns contre les autres.
Des Chiens combatirent)
d'abord contre un Ours ,
fuite contre un Taureau.Ce combat
fut ſuivyde celuy d'une Vache
, contre la Tygreſſe donnée
à Sa Majesté par les Ambaſſadeurs
du Roy de Maroc. La Vache
vainquit , & eut le meſme
&en
avantage contre une Lionne , &
puis
142 MERCURE
puis contre un Tygre. Apres cela,
on la fit combatre contre un
Lyon . Elle l'attaqua , & quoy
qu'il luy euſt dépoüillé la hanche,
& qu'elle en fuſt demeurée boiteuſe,
elle ne laifſa pas de le vaincre,
auſſi-bien qu'un Loup,qu'elle
combatit encor. On la fit retirer,
& l'on amena un Levrier de
Monfieur le Grand Louvetiers...
pour combatre contre le Loup.Le
Levrier fit merveilles. Il mordoit
ſans ceſſe les jarets du Loup ,&
le couleta à vingt repriſes.Le lendemain
, Monſeigneur vingt à la
Foire de S.Laurens,& alla en fuite
voir la Repreſentation de l'Andromede
de MonfieurdeCorneil.
le l'aîné. Je vous ay parlé de cette
Piece, dont lesbeautez attirent
toûjours grand monde. Lesmouvemens
desMachines qui en font
les ornemens , ſont d'une entiere
juſteſſe,
GALAN T.
1431
juſteſſe, & Monſeigneur le Dauphin
en parut tres- fatisfait..
Pendant qu'on faifoit au Roy
des Complimens à Verſailles , de
la part des Princes de toute l'Europe,
on remercioit Dieu dans les
Egliſes de Paris , des profperitez
continuelles dont il luy plaiſt de
combler la France . Ce fut un der
fir ſi empreſſé de luy rendre graces,
qu'on prévint dans quelquesunes
le Mandement de Monfieur
l'Archevêque , en chantant leTe
Deum ſans en avoir receu l'ordre.
Comme il devoit eſtre ſolemnel ,,
ceux qui l'avoient déja chanté, le
recommencerent , apres que le
Mandement eut eſté donné . Le
jour que l'Egliſe de Paris s'acquita
de ce devoir , Monfieur l'Archevêque
qui avoit déja fait
pluſieurs liberalitez , les redou
bla. Le devant de ſon Palais fut
tout
Y
144 MERCURE
tout couvert de Lumieres, & l'on
y tira un Feu, dont on admirales"
Fufces volantes. Huit Muidsde
Vin furent defoncez , & l'on en
donna à tout le monde. Ce Prélat
avoit ordonné à ſes Officiers
de diſtribuer en meſme temps
une ſomme d'argent au Peuple.
Toutes les Paroiſſes de Paris ſe
ſont diftinguées à l'envy le jour
qu'elles ont chanté le TeDeum.
La plupart en avoient fait compoſer
un en Muſique , & preſque
dans toutes on a entendu retentir
le bruit de diférens Inſtrumens.
Le 15. & le 16. de ce mois,
furent choiſis pour cette Cerc
monie. On illumina le Portail&
les Clochers. On fitdes Feuxdevant
la Porte de chaque Paroiffe,
&l'on tirades Fuſées volantesen
beaucoup d'endroits.
こ
こ
Les
GALANT. 145
Les Communautez Religieuſes
n'ont pas oublié de marquer
leur zele. Voicy ce qu'un Particulier
a écrit à ſon Amy ſur le Te
Deum de S. Victor.
I
A MONSIEUR DE ***
Lfaut , Monsieur , que je vous
entretienne de ce qui s'est passé
à S. Victor pour la Naiſſance de
Monseigneur le Duc de Bourgogne
le 10. de ceMois ,fur lesfix heures
&demiedufoir.
Meſſieursles Chanoines de cette
Abbaye Royale , voulant à l'envy
témoigner leur Zele & leur joyefur
la Naiſſance de ce Prince , firent
chanter dans leur Choeur un Te
Deum en Musique par quatrevingts
Voix, accompagnées deClaweſſins,
Theorbes , Baſſes des Violes,
Aouſt 1682 . : G
146 MERCURE
1
1
Violons , &Baſſon. Il fut entonné
par Monsieur de la Lane , Grand
Prieur de cette Abbaye ; & Mon.-
Sieur Minoret Maistre de la Musique
de S. Germain l' Auxerrois, dont
lemerite est connu de tous ceux qui
ontle goust fin pour la belle Mufique,
les conduiſoit. Il s'y trouva un
fi grand nombre de Perſonnes de
qualité, qu'on eut bien de la peine
à trouver place pour les joüeurs
d'instrumens , & pourles Musiciens.
:
Tantdebeautez, tant de merveilles
Que l'on voyoit dans ces beaux
lieux ,
D'un côté, charmoient par les
yeux ,
Et de l'autre, par les oreilles.
Avant ,& apres le Te Deum.
On
GALANT.M
147
on fit plusieurs Décharges d'une
centaine de Boëtes , qui estoient
rangées derriere l'Eglife , tandis
que devant la Porte vingt quatre
Tambours & des Fiffres , conduits
par le Tambour Major , batoient
continuellement , & que les deux
Compagnies des Gardes du Fauxbourg
, d'un autre côté , faisoient
Sans ceſſe des décharges de Moufquet.
Le Carillon des Cloches répondoit
à tout cela.
?
し
Ce bruit tonnant de tous
coftez ,
Accompagné de cris de joye,
Dans des Lieux les plus écartez
Témoignoit que le Ciel envoye
Un Petit-Fils.
Au Grand LOUIS .
Ce qui ne contribua pas peu à
Gij
148 , MERCURE
1
animer les Soldats à tant de joye,
c'est que comme ils formoient une
haye dans lagrande Court de l'Abbaye,
on eut Soin d'en former une
autre derriere eux , avec quantité
de Sceaux pleins de vin.
03
1
Ils en bûrent abondamment,ND
1
er
Et la plupart en ayant dans la
reſte ,
Firent voirque Bacchus ſe mettant
d'une Feſtes a sicksof
En rend le plaifir plus charmant.
S
La Ceremonie estant faite , &
leurs mousquets ne pouvant plus
tirer , on leur fit porter à souper
dans lemesme Lieu, & ils y furent
Si bien regalez,
Que chacun de Vin enteſté,
Avec la rouge trogne ,
D'avoir tû trop à la ſanté
De
GALANT. 149
7
De Monfieur leDuc de Bourgogne
,
S'en retournoit en chancelant,
Comme fait un Yvrogne ,
Toûjours dançant ,
Toûjours chantant ,
Quand quitteray - je ma be
fogne ,
Monseigneur le Dauphin , pour
en refaire autant
Le jour estant finy , pendant lequel
on avoit fait à la Porte de
Abbaye une aumône de Pain&
de Vin à tous ceux qui s'estoient
preſentez pour la recevoir , on mit
des Lanternes allumées aux Fenestres
de deſſus la Ruë , & on fit
allumer devant la Porte un grand
Feu qui dura jusqu'au lendemain.
La Jeuneffe du Fauxbourg y vint
faire des décharges de Pistolet
& de Fuzil; & comme Bacchus
Güj
150 MERCURE
avoit esté de la Feste , pour larendre
plus belle , il ſembla que l'Amour
s'y voulut aussi méler. Tout
le monde du voisinagese mitfur sa
Porte , & témoigna par deſenſibles
effets , qu'il prenoit beaucoup de
Part àla joye publique. D
Une Nymphe dont la beauté
Ravit des coeurs la liberté ,
D'une grace ſi naturelle
Diſtribua par tout des rafraîchiſſemens,
Que chacuns reſſentit pour
fon elleup
D'un amoureux tranſport les premiers
mouvemens. 200
Voila , Monfieur , ce que j'ay
ven , comme étant voisin de cette
Abbaye. Ie vous en envoye la Relation
, à laquelle vous voudrez
bien que j'adjoûte ce Madrigal
HD pour
GALANT.
151
pour Monseigneur leDuc de Bourgogne..
Toy , qui nais aujourd'huy pour
lebien de la France ,
Toy ,qui cauſes par tout tant de
réjoüillance ,
Des Lys aimable Rejetton ,
Que le Ciel , qui ſçait tout bien
faire,
Te donne la vertu de ton Papa
mignon ,
Et la valeurde ton Grand Pere .
Iefuis , Monfieur, voſtre , &c .
,
Les Peres Carmes , appellez
Billettes ayant appris cette
Naiſſance par la nouvelle qui
s'en répandit dans tout Paris,
pendant qu'ils eſtoient à Matines
le jour de la Feſte de S. Albert
, Patron de cet Ordre , le
Giiij
152 MERCURE
1
Pere Prieur ordonna au meſme
inſtant qu'on en rendiſt graces
à Dieu , & obligea les Religieux
à redoubler leurs Prieres. Les
jours ſuivans il fit diſtribuer des
Aumônes extraordinaires , alluqmer
des Feux le ſoir , & éclairer
toutes les Feneſtres du Convent
par des Lanternes aux Armes
du Roy , de la Reyne , de
Monſeigneur le Dauphin , de
Madame la Dauphine , & de
•Monfeigneur le Duc de Bourgogne.
Lors qu'il eut reçeu le
Mandement pour chanter le Te
Deum, il prépara ſa Communauté
àdes Prieres deQuarante-heures,
dont l'ouverture fut faite au
fon des Cloches & des Orgues,
le lendemain , Feſte de l'Aſſomption
de Nôtre Dame. On fit
chaque jour la Proceffion apres
Veſpres , &le TeDeum fut chanté
GALANT . 153
té avec toute la devotion poffible
en prefence d'un nombre infiny
de Peuple. L'Egliſe eſtoit
parée de tres- riches ornemens,
& de pluſieurs Luſtres remplis
de Bougies. Il y avoit de grands
Luminaires fur tous les Autels,
& tant de clartez enſemble faifoient
un tres bel effet. Ces Peres
chanterent pluſieurs fois le
Pleaume Domine in virtute tua
latabitur Rex , parce qu'il renferme
toutes les grandes Benedictions
, que Dieu répand fur
les Roys
Les Carmes du grand Convent
ont auſſi fait voir la part qu'ils
prenoient au bonheur public,
par le Te Deum qu'ils ont chanté
de la maniere la plus folemnelle.
Les Orgues & les Trompetes
eſtoient meſlez à leur Chant,
& ce mélange le rendoit tres-
}
G V
154 MERCURE
agreable. Le ſoir ils firent dans
leur Court un Feu d'artifice , qui
fur allumé en Cerémonie. Il y
avoit des Lumieres à toutes les
Feneſtres de leurs Chambres , &
ſeptTrompetes ne ceſſerent point
de ſe faire entendre pendant
qu'on tira le Feu. Ce qu'il y a de
plus remarquable dans ce que firent
ces Religieux, c'eſt qu'ils furent
les premiers qui donnerent
ces témoignages publics de leur
joye.
Les Theatins n'ont pas eſté
des derniers à marquer celle qu'ils
ont reffentie. Outre les raiſons
generales qui les y portoient , ils
en ont eu de particulieres. Mon
ſeigneur le Duc de Bourgogne
eſt venu au monde la veille de
la Feſte de S. Gaëtan leur Fondateur
, pour qui Madame la
Dauphine a une devotion particuliere,
GALANT.
155
culiere , qu'on peut dire qu'elle a
fucée avec le lait , puis qu'elle
luya eſté inſpirée par feuë Madame
la Ducheſſe de Baviere ſa
Mere , Fondatrice du magnifique
Convent qu'ils ont à Munic,
dont l'Egliſe porte le nom de ce
Saint . Cette Ducheſſe regardoit
la Princeſſe ſa Fille , comme un
don que le Ciel luy avoit fait par
les Prieres de Saint Gaëtan. Aufſi
pendant fa groſſeſſe el'e envoya
des Statuës d'argent par tous les
Convents des Théatins. Ces Peres
n'eurent pas plûtoſt appris
Theureux accouchement de Madame
la Dauphine , qu'ils chanterent
en action de graces une
grande Meſſe folemnelle , avec
les fuperbes Ornemens que leur
a donnez cette Princeffe. Toutes
les Feneſtres de leur Maiſon
furent éclairées pendant quatre
jours
156 MERCURE {
jours d'une infinité de Lumieres.
Au milieu de leur Balcon
qui en eſtoit tout remply , on
voyoit les Armes de Monfeigneur
, & de Madame la Dauphine
, qui ſervoient d'appuy à
un Soleil , avec cette Infcription,
Magnus fæcunditatis Pater. Ils.
firent allumer des Feux devant
leur Porte , & tirer en l'air des
Fuſées volantes. Le Dimanche
feizième de ce mois , le Pere Aléxis
du Buc , dont je vous ay parlé
tant de fois , reçeut l'abjuration
d'un Gentilhomme Allemand.
A l'iſſuë de ſa Controverſe
, il exhorta tous ſes Auditeurs
qui estoient en tres-grand nombre
, à demander à Dieu pour
Monſeigneur le Duc de Bourgogne
, une longue vie , la pieté
de Saint Loüis , toutes les vertus
de ſes auguſtes Ayeux , &le zele
pour
GALANT.
157
pour l'extirpation de l'Hereſie,
qui fait le caractere particulier
de LOUIS LE GRAND. En fuite
il entonna le Te Deum ſuivant les
ordres de Monfieur l'Archevefque.
Les Chanoines Réguliers de
S. Auguſtin de l'Ordre de Saint
Antoine , dont le Supérieur de
Paris eſt Frere de Monfieur l'Abbé
de Maulevrier Langeron,Aumônier
de Madame la Dauphine
, firent la meſme ceremonie
du Te Deum le Mardy 11. de ce
mois. Il fut chanté avec une tresbelle
Symphonie , & fuivy de la
décharge d'un fort grand nombre
de Boëtes , de plufieurs Fuſées,
& Lances à feu , des Fanfares
de pluſieurs Trompetes , &
de l'Illumination du Clocher ,
qui demeura éclairé toute la nuit.
On y voyoit les Etendards de
France,
158 MERCURE
France , de Dauphiné, de Baviere,
& de Bourgogne. Le Balcon
de la Ruë Saint Antoine fut auffi
éclairé ; & tout le Quartier
prenantpart à cette Feſte , toutes
les Feneſtres du voiſinage furent
remplies de Lumieres. Le lendemain
12. il y eut une Meſſe ſolemnelte
, qui fut celebrée par le Seigneur
de S. Mandez , Oncle de
Monfieur le Preſident de l'Arche,
âgé de quatre- vingt dix ans,
à qui la joye de la Naiſſance du
Prince avoitdonné de nouvelles
forces. Enfuite on entendit la
décharge de deux douzaines de
Boëtes , & l'on vit couler une
Fontaine de Vin , qui fit boire
tout le Peuple à la ſanté du Roy ,
& de Monseigneur le Duc de
Bourgogne , pendant que les
Trompetes continuoient leurs
Fanfares.
Les
GALAN Τ.
159
Les Peres de la Mercy prés
I'Hoſtel de Guiſe , ſe diftingue .
rent le Dimanche 23. de ce mois
par trois décharges de Boëtes ,&
par des Feux d'Artifice d'une invention
particuliere ; mais fur
tout par le Te Deum, que la Mufique
du Roy chanta dans leur
Eglife. Mademoiſelle de Guiſe
y aſſiſta , avec un tres-grand
nombre de Perſonnes de la premiere
qualité .
Je vous donne les détails entiers
de ces fix Communautez ,
parce que les Relations publiques
n'ont rien dit de quelquesunes,&
qu'elles ont oublié beaucoup
de circonſtances des autres.
Je ne vous diray qu'un mot des
autres Convents dont elles ont
parlé amplement.
Ceux qui ont chanté le Te
Deum en Muſique, & qui ont fait
des
160 MERCURE
des Illuminations & des Feux,
font les Jefuitesde la Maiſon Profeſſe
de la Ruë S.Antoine, les Re
- ligieuſes de l'Aſſomption, & cel
les de la Conception , de la Ruë
S.Honoré . Ces dernieres avoient
fait des Prieres pour Madame la
Dauphine, plus d'un mois avant
fes Couches.
Les Convents qui ont adjoûté
aux Illuminations & aux Feux,
les Trompetes, les Timbales , les
Fuſées volantes , & autre Artifi
ce, font les Maiſons de l'Oratoire,
les Auguſtins Déchauſſez, les
Jacobins du Faubourg S. Ger
main , les Jacobins de la Ruë
S. Jacques , & les Grands Auguftins.
Les Jacobins de la Ruë
S.Honoré , outre l'Artifice , firent
entendrele bruitde quelques petites
Pieces de Canon. Il ne ſe
peut rien de plus devot,ny de plus
éclatant
GALAN T. 161
eclatant pour l'Artifice , que ce
que firent lesCapucins de la même
Ruë S. Honoré. Ces Peres
ont auſſi chanté un Te Deum dans
la court des Capucines , apres y
avoir allumé un Feu au fon des
Trõpetes & des Timbales.Quelques
jours apres , on vit briller
quantité d'Artifice dans la Court
&dans le Jardin des Freres de ce
meſine Monastere. Il y eut une
Simphonie de toutes fortes d'Inſtrumens
fur la Porte de l'Eglife.
Des Pyramides de Lampes mêlées
avec des Lanternes,ornoient
celle de la Ruë ; & de pareilles
Lumieres éclairoient toutes les feneſtres
du Convent. Le Frere
Louis du Mans avoit voulu témoigner
par là combien il a de reconnoiffance
de tous les bienfaits
qu'il reçoit de la Cour.
Les Peres Feüillans , les Religieux
162 MERCURE
:
gieux de S.Germain des Prez , &
les Mathurins, outre l'Artifice &
les Illuminations , diſtribuerent
du Pain& du Vin , & à l'Abbaye
de Sainte Geneviefve du Mont,
on fit des aumônes à tous les
Pauvres qui ſe preſenterent. Ils
vinrent au nombre de plus de
huit cens.. 1
Tous les Religieux des Convents
dont je viens de vous pat-
-ler, ont chanté le Te Deum , chacun
unCierge à la main ,&y ont
-adjoûté l'Exaudiat. On a fait la
mefme choſe dans tous les autres
Convents. Il me feroit inutile de
-vous les nommer.
: Pluſieurs Corps ont fait auſſi
chanter le Te Deum ; les Secretaires
du Roy, aux Celestins ; les
Avocats aux Conſeils de Sa Majeſté,
aux Grands Auguſtins , ( la
Muſique eſtoit de Monfieur Mi
noret,
GALANT.
163
noret , Maiſtre de Muſique de
S. Germain l'Auxerrois; ) & les
Conſeillers du Roy Notaires au
Chaſtelet de Paris, en leur Chapelle
, dans la Salle du Préſidial
du Nouveau Chaſteler. Ce Te
Deum estoit aufli en Maique.
Meſſieurs les Lieutenans Criminel,
Civil, & Particulier,y aſſiſterent.
Les Syndios Generauxdes
Marchands Privilegiez de la Maifon
du Roy , firent celebrer une
= -grande Meſſe avec beaucoup de
folemnité le 25. de ce mois , jour
de la Feſte de S. Louis. Ils choifirent
pour cela l'Egliſe des Filles
Penitentes. Apres la Meſſe , on
chanta le Te Deum , dont la Mufique
eſtoit admirable. Monfieur
le Lieutenant General, Monfieur
- le Procureur du Roy, & pluſieurs
Officiers de la Prevoſté, de l'Hôtel
du Roy, s'y trouverent. Le Te
Deum
164
MERCURE
f
1
Deum fut fuivy d'un Concert de
Trompetes , de Timbales,de Violons,
de Hautbois, & de pluſieurs
autres Inſtrumens.
Le Public , apres avoir rendu
folemnellement graces à Dieu de
Ja Naiſſance de Monſeigneur le
Duc de Bourgogne , a crû devoir
en montrer ſa joye par des réjouiſſances
d'éclat ; & de ſimples
-Bourgeois ſe ſont affociez pour
faire des Feux d'artifice dans les
formes , c'eſt à dire ſur des mamieresiode
Theatres élevez; &
avecdes Figures ,des Inſcriptions,
&& toute forte d'autres ornemens .
Ilyen eut pluſieurs à Paris le
1
Lundy: 24. veille de la Feſte de
S.Louis. Ceux qui ont parų les
plus beaux, furent tirez à la Croix
duTiroir , & au Quartier de la
Ruë neuve Sainte Anne. Cedernier
eſtoit veu de trois Ruës , &
D
quoy
f
GALANT.
165
quoy que dans un lieu fort ferré
, le zele de ceux qui occupoient
les Maiſons voiſines , les
fit paſſer par deſſus tous les accidens
qu'ils pouvoient craindre
du feu. La figure de celuy dont
je vous parle , eſtoit quarrée. On
n'y voyoit ny Piliers ny ouver
tures, &les quatre Faces eſtoient
bouchées par quatre Paneaux de
marbre. Il y avoit des Figures de
reliefaux quatre coins . Ces Figures
repreſentoient l'Abondan
ce, laGloire , la Victoire , & la
Renommée. Le milieu estoit
remply par un grand Obeliſque,
au haut duquel eſtoit un Soleil.
Quatre Deviſes faifoient l'ornement
des quatre coſtez de cet
Obeliſque. La premiere eſtoit
un Aigle avec un Aiglon , qui
regardoient le Soleil. Ces paro-
८
les luy fervoient d'ame , Latatur:
genuiffe
166 MERCURE
genuiffe pares. Un Soleil qui ſe
montroit à demy au deſſus d'un
Globe aux Armes de Bourgogne,
foûtenu par des Dauphins , fai
ſoit le ſujet de la ſeconde. Ces
mots eſtoient au deſſous , Ingens
visus ab Aurora. La troifiéme
eſtoit un Globe aux Armes du
Roy, éclairé d'un Soleil , avec ces
deux mots , Patet omnibus ; & la
derniere , un Alcion faiſant fon
nid ſur la Mer , avec ces paroles,
Foecunditas ejus caufa quietis est.
On tira beaucoup de Fuſéesvo
lantes , qui firent en l'air leur
éclat accoûtumé , mais la pluye.
qui ne ceſſa point tout ce foir-là,
empeſcha une partie de l'effet du
Feu. Il finit par l'agreable Spectacle
d'une Machine tournante
qui eſtoit au haut de l'Obeliſque,
& qui fit voir un Soleil tout lumineuxde
rayons . :
1
On
GALAN T. 167
7
On n'en eſt pas demeuré aux
Prieres & aux Feux. On a faitdes
Societez pour de ſomptueux Repas
, auſquels chacun a contribué
tres - largement. Il ya eu des
Illuminations particulieres dans
des Jardins de Campagne. Enfin
on peut dire que la joye a eſté.
generale , & que tout Paris y a
pris part , puis que toute la Ville,
s'eſt divertie enſemble , que les
Corps & les Communautez ont
fait des Feſtes , que des Particu
liers ſe ſont affociez pour en
faire , & que d'autres en ont fait
feuls.
2000
Quoy que les grandes Nou
velles ſoient ſçeuës par tout en
fort peu de temps , il ſemble que
les Intereſſez les apprennent toû
jours plûtoſt que les autres.Ainſi
l'on ne doit pas s'étonner ſi celle
de la Naiſſance de Monfei-
10 gneur
i
168 MERCURE
gneur le Duc de Bourgogne a été
portée à Dijon avec toute la vîteffe
poffible.On doit encore eſtre
moins furpris de l'empreſſement
que cette Ville a montré , pour
faire éclater ſa joye par toutes les
marques que ſes Habitans en
pouvoient donner. L'honneur
que toute la Province reçoit de
ce qu'un ſi grand Prince porte
fon nom, luy eſt trop cher , pour
nele pas reſſentir tres- vivement .
Auſſi me crois-je obligé de vous
parler d'elle dés aujourd'huy ,
préferablement à toutes les autres
Provinces. Si- toſt qu'on y
eut appris que Madame la Dauphine
eſtoit accouchée d'un
Prince que le Roy avoit nommé
Duc de Bourgogne, le Maire, ou
Vicomte Majeur de Dijon, fit publier
que chaque Habitant euſt à
faire des Feux devant ſa porte.Ses
ordres
e
GALANT. 169
ordres furent executez bien au
delà de ce qu'ils portoient. Outre
les Feux ordinaires, on en fit plufieurs
d'artifice. On mit des Bougies
& des Chandelles ſur toutes
les Feneſtres ,des Chandeliers de
Salle à l'entrée des Maiſons', des
Flambeaux ardens juſqu'au faiſte
des Clochers, des Tours , & des
Terraffes , de maniere que toute
la Ville ſembloit eſtre en feu , &
faiſoit voir un jour éclatant aux
plus fombres heures de la nuit.
Le lendemain , toutes les Compagnies
de Judicature & de Finances
, affifterent en Corps au
Te Deum, qui fut chanté en Mufique
à la Sainte Chapelle du
-Roy ,avec un appareil & une folemnité
digne du Sujet. Pendant
la ceremonie , les Canons du
Chaſteau , qui s'eſtoient déja
fait entendre le jour précedent,
Aoust 1682 .
シ
H
170 MERCURE)
ſe melerent encor avec l'harmonie
des Cloches de la SainteChapelle
, qui font l'un des plus
agreables Carrillons de tout le
Royaume. Le Te Deum eftant
achevé , on s'abandonna tout de
nouveau à la joye . Toutes les
Cloches fonnerent. On fit des
Feux par tout dans la Ville &
dans les Fauxbourgs. On dreſſa
des Tables dans les rues , & l'on
y bût la ſanté du Roy, dela Reine,
de Monſeigneur le Dauphin,
de Madame la Dauphine , & de
Monſeigneur le Duc de Bourgogne.
Pluſieurs dixaines de chaque
Quartier marcherent en armes
au fon des Tambours, des Fifres,
&des Hautbois, & firent de fréquentes
décharges. Un grand
nombre d'hommes &de femmes,
dont quelques-uns eſtoient déguiſez
d'une maniere groteſque
en
GALANT.
171
en formedeMaſcaradedançoient
au milieu des ruës,& faiſoient autour
des feux cent figures agrea.
bles. Des Fontaines de Vin couloient
en pluſieurs endroits, & fur
tout auprés de l'Hoſtel de Ville.'
Ondiſtribuoit dans les Places pur
bliques, toutes fortesde Liqueurs;
&les plus auſteres quittoient leur
ſeverité , pour prendre part aux
plaiſirs publics. Le troiſième jour,
on rencherit fur ce qui avoitdéja
eſté fait , & la Compagnie des
Chevaliers du Jeu de l'Harquebuſe
s'en mêla. Elle alla en armes
juſqu'au deſſus de la Terraſſe du
Logis du Roy, mit le feu à quantité
de fuſées volantes , & donna
ledivertiſſement de pluſieursautres
feux d'Artifice , avec une décharge
redoublée qu'elle fit du
haut dece ſuperbe Chaſteau, qui
paſſe en élevation les plus hauts
Hij
172 MERCURE
Clochers.Quelques Habitans repreſenterent
les Armes de Monſeigneur
le Dauphin en caracteres
lumineux. On trouvoit en
vingt ou trente endroits de la Ville
divers échafauts , où les uns
bûvoient , & les autres faisoient
retentir toutes ſortes d'Inſtrumés.
UnBacchus affis ſur un tonneau,
tenant une Bouteille d'une main,
&de l'autre,un Verre,eftoit porté
furles épaules de quatre Hommes
,& ſuivy d'une infinité de
Gens de tout fexe & de toute
condition , qui entonnant des
Chanſons à boire , renouveloient
agreablement les anciennes feſtes
de ce Dieu. Parmy ceux qui donnerent
de plus grandes marques
deleur joye&de leur zele,Monſieur
du Guay,Premier Préfident
de la Chambre des Comptes de
Bourgogne &de Breſſe , ſe diſtingua
.
GALANT. 173
ſtingua. Il y eut un Feu tresélevé
devant ſa Porte des Illuminations
à toutes ſes Feneſtres ,&
des décharges continuelles d'Armes
à feu pendant cinq ou fix
heures, le Lundy 10. du mois , &
les deux jours ſuivans. Il fit auſſi
diſtribuer durant ces trois foirs
pluſieurs Muids de Vir au Peuple.
La joye que reſſent toute la
Bourgogne, a paru dins seignelay.
Monfieur de Motheux qui
en eſt le Gouvernor , n'eus pas
plutoſt ſceu l'hereuſe nouvelle
de la Naiſſance u Prince , qu'ayant
fait mette la Bourgeoifie
fous les armest la fit marcher en
ordre juſque dans la grande
court du Chateau. Cette Milice
y fit troidécharges , pendant
leſquellesin vit paroître dans
le Jardin feu d'artifice des plus
Hiij
! 174 MERCURE
beaux que l'on ait veus de longtemps
en ce païs - là. Huit coups
de Canon furent le fignal pour
faire partir les premieres Fuſées.
L'air parut en feu preſque au
mesme inftant , & ce Spectacle
dura trois quart d'heures. Lors
qu'il fut finy , Monfieur deMotheux
fit entrer dansla Salle du
Chaſteau ousles Officiers de Juſtice
& de Milice, avec quelques
Gentilhomnes des plus ſignalez
de la Provine. Il leur donna un
magnifique Roas, qui fut commencé
par la înté du Roy , &
continué par cde de la Reyne,
deMonſeigneur 1Dauphin, de
Madamela Dauphie&deMonſeigneur
le Duc deBourgogne.
A chacune de ces fatez , il fut
tiré huit coups de Cann.
J'avois refolu de nevous parlerdans
cette Lettre qe dePa
ris
GALANT.
175
ris,&dela Province de Bourgo
gne, dont le Prince nouvellement
né porte le nom ; mais il y a quel
que choſe de ſi nouveau dans ce
qui s'eſt paffé à Strasbourg , que
je nepuis diférer àvous l'apprendren
Le zele de ſes Habitansn'a
pasfeulement paru dans la prom
pritude qu'ils ont apportée à
montrer leur joye , mais encor
danslamaniere dont ils ont mar
quelqu'ils la veflentoient. Quoy!
qu'ils foient fort éloignez , leurs
réjoiffances ont eſté faitesauſſitoſt
que celles de beaucoup de
Villes, qui font en deça ,& il a
eſté aiſe de voir parl'éclat qu'ellesont
eu , qu'ils ne ſe repentent
point des foûmiffions qu'ils ont
renduës au Roy comme à leur
Maiſtre. Leur repos n'eſt plus
troublé , & comme c'eſt vivre
heureux queode n'avoir point
よ
3
Hij
176 MERCURE
d'inquietude , ils ont lieu de fe
vanter d'un parfait bonheur. Le
Jeudy 13. des fix heures duma
tin, le Magiſtrat fit fonner toures
les Cloches de la Ville , pour fai
re connoiftre sau Peuple qu'il
eſtoit né un Prince à la France.
Une heure apres on rendit gra
ces à Dieu folemnellement dans
la Cathedrale ,& dans toutes les
Egliſes Proteftantes , apres quoy
les:Trompetes , les Hautbois
& les Timbales , ſe firent en
tendre du haut de la Tour de la
grandeEglife. Ily eüt devant la
Maiſon de Ville pluſieurs, Fon
taines de Vin. On tira au Blanc
& à l'Oyfeau , & un fort grand
nombre de Perſonnes de qualité
diſputa les Prix Monfieur de
Chamilly Gouverneur de la Ville
, gagna le premier. Le Magiſtrat,
apres avoirdonné le Jeu de!
M l'Oyſeau,
GALANT.
177
lOyſeau , régala les Dames d'un
tres-beau Concert de toute forte
d'Inftrumens. Il fut ſuivy d'une
magnifique Collation , à laquelle
fucceda un Feu d'artifice qui du .
ra deux heures. Tout le Canon
de la Ville , de laCitadelle, & du
Fort de Kell tira , pendant qu'on
faifoit joüer ce feu. Plus de cinq
cens gros Flambeaux avoienteſto
allumez au tour de la Corniche
de la grandeEglife, Joignez à cela
des Feux devant toutes les
Maiſons, avec des Lanternes aux
feneftres , & vous n'aurez pas de
peine à vous figurer combien la
Ville eſtoit éclairée. Le zele
du Magiſtrat ne ſe borna pas à
ces témoignages exterieurs. Il
avoit fait imprimer dés le matin
une Oraiſon enlangue Alleman
de , pour remercier Dieu d'avoir
donné un Prince à la France ,&
H V
178 MERCURE
luy demander la continuation de
ſes graces pour Sa Majesté , &
pour toute la Famille Royale.
Cette Oraiſon fut recitée publiquement
par ſon ordre. On l'a
traduite ; & comme les copies
qui courent de cette Traduction
pourroient ne pas aller juſqu'à
vous , en voicy une que je vous
envoye.
Dieu tout-puiſſant & éternel,
qui non seulement élevezles Roys
fur le Trône, & établiſſez les Princes
& les Seigneurs dans leur puis.
fance, mais qui par vostre Benedi-
Etion , appuyez& confervez leurs
Familles ; Vous qui avez promis à
David voſtre Serviteur , que voUS
établiriez fa Maiſon , nous vous
rendons graces , Seigneur , ( Selon
que vous nous avez commandé
par vostre Apoftre , de faire des
Prieres
4
GALANTA
179
Prieres & des Actions de graces
réïterées , principalement pour les
Roys,&pour tous les Souverains )
de ce que vous avezdéja étably&
affermy la Maison de nostre Roy,
pourfa Royale Lignée,&particulierement
de ce que vous l'avez augmentée
par l'heureuse Naissance
d'un Royal Prince, que la Serenif
fime Dauphine a mis au monde,
l'ayant ainfi étendue jusqu'à la
troisième generation. Nous vous
rendons graces , Seigneur, pour ces
Benedictions, dont vous avezcomblé
la tres-haute Maison Royale,
&vous vous prions avec une profonde
humilité de donner à nostre
Roy , à toute sa Maiſon Rogale,
particulierement aux Princes
fes Enfans , une longue&heureuse
vie. Accordez- nous vostre grace
&vostre benediction , afin quefous
le juste gouvernement, &fousila
puiffante
180 MERCURE
puiſſante protection de nostre Roy
&Souverain Seigneur , & de toute
sa Maiſon Royale , nous puisfions
jouir d'une vie tranquille..
dans l'exercice de toute les vertus
Chrestiennes.
م ی
Monfieur Louvart , de Roye
en Picardie, a faitune Anagram
me fort particuliere fur le Nom
deMonſeigneurle Dauphin.
Loüis Dauphin de Viennois , Fils
de Loüis quatorziéme, Roy de Frans
ce& de Navance.
En changeant deux lettres , il
y a trouvé ces mots.
Prince qui as lafoy,Dieu te donnera
un Fils le fixième d'Aoust à
onze heures da foir
Monfieur Bourfault a fait le
premier des deux Sonnets que
je vous envoye encor fur cette
Naiffan
L
GALANT. 181
Naiffance. Le ſecond eſt deMon
ſieur Richebourg.
ENTERT 8993-80976989296389760380905 89805769163 69790997
AU ROΥ ,
SUR LA NAISSANCE
20DE MONSEIGNEUR
LE DUC
DE BOURGOGNE
G
SONNET.
RAND ROY, fur qui le
répand graceSurgrace,
Ciel
Il nemanque plus rien àtafelicité;
Pour affurer le monde à ta Poste
rité ,
A
i
D'un nouveau Conquérant il aug
mente ta Race
Ilest néceHéros , qui doit vanger
LaThrace
D
182: MERCURE
Du plusfuperbe joug qu'elle ait jo
mais porté ;
Terraſſer l'Héresie, &l'Infidelite
Etfuivre le Sentier que ta Valeur
luy trace.
Quel Princefur la Terre eft plus
heureux que Toy !
L'Europe avec respect obeit à ta
Loy
Etpartout àtagloire on éleve des
Temples. DAIVNS
Si les Siecles futurs doutent de tes
hauts Faits , 3 ?
Tes auguſtes Enfans , instruits par
tes exemples ,
Pour les defabuser,feront ce que to
fais.
A
GALANT.. 183
A MADAME
LA DAUPHINE.
M
SONNET.
Erveille de nos jours , adorable
VICTOIRE ,
Dont lafecondité fait l'espoir des
François;
D'un MonarqueSans pair, illustre,
&digne choix;
Que ce jour apour vous de char-
:
mes, & de gloire !!
Qu'il va donner de lustre à l'éclatanteHistoire
Qui vousappellera laMerede cent
i Roys!
Pour chanter vos grandeurs , que
nous allons defois
Implorer le fecours des Filles de
Memoire!
200
184
MERCURE
Un Frince , un. Heritier du Pouvoir
Souverain ,
Heureusement conceu dans vostre
auguste Sein
Aux yeux de l'Univers vient de
- prendre naiſſance. *
Que d'Exploits Surprenans , que de
Faits inouis ,
Quand unemesme ardeurfera voir
à la France,
Et le Fils , & le Pere , aux costex
de LOVIS !
Jereferve pour une autre fois
un fort grand nombre de Vers
qui m'ont eſté envoyez fur le
meſme ſujet ,& vous n'aurez plus
que ce Madrigal dans cette Re
lation.
144
SUR
GALANT. 185
SUR L'HEUREUX
ACCOUCHEMENT
A
LA
DE MADAME
DAUPHINE.
ME Prince plus beau que lejour,
naître,
Sur fon frontfait déja parêtre
Que nous le verrons tour- à-tour,
Suivant les nobles pas de ceux dont
il tient Festre 3.0b
Et le Dieu de la Guerre , & le Dieu.
deel Amouk. Taor
"
:
Enfin , Madame , il faut vous
parler de ce qui ſe paſſa icy lel
Mardy 25. de ce moisjour de la
Feſte de S. Loüis. Depuis quatre
heures de l'apreſdinée de ce jour
juſqu'àminuit ,le Peupledevoit
avoir
186 MERCURE
avoir trois Divertiſſemens ; fcavoir
, des Joûtes ſur l'eau , avec
le Jeu de l'Oyſon , un Feu d'artifice
auſſi ſur l'eau , & une Illumination
aux Galeries du Louvre.
Monfieur le Prevoſt des Marchands
voyant dans tous les Habitans
de Paris une impatiente
ardeur de faire connoître leur
joye , avoit conſenty que les
Officiers de Police de la Ville
fiſſentun Feu. Il en avoit pris le
foin, & pour divertir le Peuple
qui devoit s'affembler pour ce
Spectacle, il avoit ordonné aux
Maîtres Paſſeurs du Port S. Nicolas
du Louvre, & de la Grenoüillere,
de tirer l'Oyfon . Quant à
l'illumination des Galeries dy
Louvre , ceux qui ont l'honneuri
d'y demeurer ſe l'eſtoient impo-i
sée volontairement ,&l'ont euxmeſmes
fait executer , la Galerie
eftant
GALANT. 187
eſtant remplie de tout ce qu'il y
a en France de plus habilesGens
pour les Arts. Je feray trois Articles
de ces Divertiſſemens,quandi
j'auray décrit le Lieu qui leur a
fervy de Scene. On doit demeu-.
rer d'accord qu'il ſeroit fort malaisé
d'en trouver un dans au-v
cune autre Ville du Monde qui
euſt les, meſmes beautez , ſi l'on
fait reflexion fur ces quatre faces.
La premiere repreſente le
Palais des Tuilleries , les Galeries
du Louvre , haute de trois
étages , toute la face d'une Aîle
de ceChâteau ,& un Quay avec
une belle fuite de Maiſons. On)
découvredela feconde , un tres-3
belHôtel qui est celuydeConty,
la face de l'Egliſe du Collegedes
Quatre - Nations , & pluſieurs
grands Hôtels. La troiſiéme fait
voir un Pont de Pietre d'une fort
grande
188 MERCURE
grande largeur. Un Cheval de
Bronze élevé ſur un Pied'eſtal
entouré de quatre Eſclaves , fur
lequel eſt la Statue du Roy Henry
IV. deux grandes Aîles de
Maiſons bâties de Brique dans
une Ifle , au milieu deſquelles on
voit une Place publique , une
des grandes Portes du Palais,
une Eglife élevée avec un riche
Clocher , & les deux Tours de
l'Egliſe Cathedrale de la premie ,
re villedu Monde; quatre grands
Quays; ſçavoir, de la Megiflerie.
des Morfondus , desOrphevres,
&des Auguftins ,& en perſpe
Aive deux Ponts , dont l'un eſt
appellé Pont au Change , & l'au-
Pont S. Michel. Laderniere face
offre un Pont de bois , qui fem
ble n'eſtre plus à jour que celuy
de pierre , qu'afin quel'oeil y découvremieux
une longue perſpe
Ctive
GALANT. 189
tive d'Eau , de Païſages , & de
Maiſons de plaiſances. Peuteſtre
que ceux qui dés le berceau
font accoûtumez à voir ces diferentes
beautez , ne les ont jamais
affez connuës , l'habitude
leur ayant fait eſtimer commun
le plus bel aſpect qu'il y ait au
monde. Ce fut au milieu de la
Riviere qui coule entre les deux
Ponts ,que parurent les deux
premiers Spectacles qui devoient
ſervir de Divertiſſement l'apref
dinée du jourqueje viensdevous
marquer.Monfieur le Prevoſtdes
Marchands avoit donné un or
dre , pour faire deſcendre lesBâteaux
qui couvrent la Riviere entre
les deux Ponts ,aux environs
du Pont Rouge , & ils la fermerent
entierement en cet endroit,
de maniere qu'il n'y demeura que
huit ou dix petites Fletes pour la
traver
190 MERCURE
traverſer , afin que ceux qui al
loient prendre des places chez
leurs Amis, ou fur des Echafauts ,
puſſent accourcir leur chemin
en paſſant l'eau . Ces petis Bâteaux
allant & venant ſans ceffe,
produifurent un Spectacle fort
divertiſſant. Ils eſtoient tellement
chargez de monde , que beaucoup
de ceux qui les regardoient,
croyoient à chaque moment les
voir abîmer. Pluſieurs de ces petites
Naceles firent le tour de la
Machine qui compoſoit le Feu
d'artifice. Comme on a beſoin
de beaucoup d'eau pour les plongeons
qu'on fait faire à ceux qui
tirent l'Oyfon , on avoit placé
deux Bateaux remplis de Charbon
de terre aux deux côtez de
laRiviere , àl'endroit où elle a le
plus de profondeur. Au milieu de
ces Bateaux qui étant ainſichar
gez,
GALANT .
191
gez, font plus fermes, & vacilent
moins fur l'eau , il y avoit deux
manieres de Mats auſquels une
groffe Corde eſtoit attachée. Elle
traverſoit l'eſpace qu'ily avoit
d'un de ces Bateaux à l'autre , &
l'Oyfon eſtoit fortement lié au
milieu avec des fils de Léton,
Ceue Corde ſe trouva heureuſement
devant l'Hôtel de Créquy,
parce que l'eau y eſt plus profon
de que dans les autres endroits.
Toute la longueurdu devant de
laTermſſe de cet Hôtel eſtoit tapiſséede
Velours rouge cramoiſy,
avec les Armes de M² le Duc de
Créquy. Elles étoient or & argent,&
toutes relevées enboſſe,
Il y avoit un Tapis de Velours
bleu au milieu de la Terraſſe,avec
une Franche d'or tout autour. Un
Dais de Velours rouge-cramoify,
couvert d'eſpace en eſpace
d'un
192 MERCURE
d'un large Galon d'or, eſtoit attaché
au deſſus. Ce Dais étoit préparé
pour Monſeigneur le Dauphin
, qui devoit le ſoir venir de
Verſailles pour le Spectacle du
Feu. Les Feneſtres des Galeries
du Louvre oppoſées à cet Hôtel,
étoient toutes ornées deTapis.Un
grad Echafaut regnoit tout le log
de ces Galeries. Il eſtoit de trois
pieds plus bas que les Feneftres,&
éloignéd'autant de la Muraille. Il
y avoit d'autres Echafauts deſſus
&devant la Terraſſe du Louvre.
Il y en avoit dans la Place du
Cheval de Bronze. Le devant du
College des Quatre - Nations en
étoit tout plein , & il y en avoit
dans la Ruë ,& fur les Toits tout
le long des Maiſons qui rempliſſent
le reſte de cette face , de
forte que le monde paroiſſoit élevé
par étage depuis le bas du
Quay
GALAN T.
193
Quay juſqu'aux haut des Toits.
Les Bateaux qu'on avoit fait retirer
en eſtoient couverts. Le Pont-
Rouge , & le Pont - Neuf ne
l'eſtoient pas moins, & la longue
&large Place qui occupe la diſtance
qui eſt depuis le Pont-
Rougejuſqu'à la Porte de la Conférence
, en eſtoit toute remplie.
Figurez-vous enfin que tout le
tourdu Lieu que je vous ay depein
au commencement de cet
Article , en estoit tellement couvert.
, que ceux qui bordoient la
Riviere furent contraints d'y
mettre les pieds. Il y en euſtmême
beaucoup qu'on y renverſa.
Si je m'en rapporte aux Connoifſeurs
, il y avoit plus de quatre
cens mille Perſonnes. Sur les quatre
heures apres midy , pendant
que le Peuple s'affembloit encor,
& que venant à grands flots,
Aoust 1682 . I
194
MERCURE
comme les Torrens les plus étendus
par les plus larges Avenuës,
il ſe répandoit dans tous les endroits
où il pouvoit trouver place
, Les Maîtres Paſſeurs du Port
S.Nicolas , & de la Grenoüillere,
accompagnez de quelques Débardeurs
, le tout au nombre de
trente , arriverent au ſon des
Tambours &des Trompetes, fur
le bord de l'eau qui regarde le
petit Guichet des Galeries du
Louvre. Ils eſtoient vétus fort
proprement. Quelques - uns avoientdes
Habits brodez. Leur
Drapeau eſtoit blanc , & ils
eſtoient tous armez d'une eſpece
de Gaule,qu'ils appellent Lance
, au bout de laquelle estoit attaché
un morceau de bois rond,
& auffi large que la forme d'un
Chapeau. C'eſt avec cela qu'ils
luitent. Huits petits Bateaux
peints
GALANT
195
peints de blanc , avec des ornemens
rouges , les vinrent prendre
, & les conduifirent juſqu'à
un autre Bateau de moyenne
grandeur, ſur lequel un Echafaut
eſtoit élevé. Celuy qui portoit
le Drapeau monta fur cet Echafaut.
Le tout estoit peintde blanc,
& orné de Fleurs-de-Lys , &de
Dauphins. Apres quelques Fanfares
, ceux qui devoient luïter
changerent d'Habit , & en pri
rentde blancs avec des Cales rou
ges. La Machine fur laquelle ils
eſtoient, s'avança enfuite,& s'ar
reſta à quelques diſtance de la
Corde où l'on avoit ſuſpendu
l'Oyfon. Les huit petits Bateaux
s'en aprocherent. Ceux qui des
voient luïter entrerent dedans,
apres quoy les Bateaux ſe ſeparerent.
Quatre pafferent de l'autre
coſté dela Corde. Les quatre au
I ij
196 MERCURE
!
tres demeurerent en deça , & les
Joûtes commencerent. Les Luïteurs
montoient tour à tour fur le
bout de leurs Bateaux , & tenoient
leurs Lances droites au
devant de leurs eſtomac. Les Bateaux
paſſoient avec rapidité les
uns devant les autres , & chacun
tâchantde toucher ſon Averſaire
avec le bout de ſa Lancepar le côté
de l'eftomac qu'il luy voyoit
découvert , c'eſtoit preſque un
coup für de voir tomber l'un ou
l'autrequand ils ſe touchoiét,parcequ'il
eſtoit comme impoſſible
quele plus foible ne cedaſtpas au
plus fort , & qu'on peut dificilement
ſe retenir , pour peu qu'on
ait chancelé.Auſſi cela arrivoit-il
rarement , & l'on en voyoit plus
ſouvent tomber deux enſemble
quand ils s'étoient touchez,qu'on
ne voyoitle plus foible refifter, &
s'em
GALANT. 197
s'empeſcher d'eſtre renversé dans
l'eau. Ce Divertiſſemet avoit déja
duré environ une heure, lors que
Monſeigneur le Dauphin arriva.
Il fut reçeu à la defcente de fon
Carroffe par Mr le Duc de Crequy,&
il entra dans l'Hôtel de ce
Duc au bruit de vingt-quatre
Violons,& de pluſieurs autres Inſtrumens
qui estoient ſur un
Echafaut à coſté de la grande
Porte de l'Hôtel de Créquy , &
qui pouvoient eſtre entendus de
laRuë,& de la Terraſſeoù la Place
de ce Prince eſtoit preparée,
parce qu'ils eſtoient au deſſous.
Monfieur eſtoit placé ſur leBalconduCabinetdu
grandApartementbas
du Louvre . Ce Cabinet
eſtorné deGlaces , de tres-belles
Peintures,& l'ory éclate de toutes
parts.Le Balcon s'ouvre par deux
grandes Portes vitrées. Ainſi l'on
I iij
198 MERCURE
peut voir du Cabinet , comme fi
l'on estoitdans le Balcon. Monfieur
le Prevoſt des Marchands
avoit fait mettre des Violons fur
unEchafaut dreſſé au deſſous. Il
yen avoit encor par fon ordre en
pluſieurs autres endroits , auſſibien
que des Flûtes , des Hautbois,
des Timbales , & des Trompetes.
Quand Monſeigneur le
Dauphin ſe fuſt aſſis ſous le Dais,
où l'on avoit placé ſon Fauteüil,
on luy donna le divertiſſement
des Joûtes pendant une demieheure.
Le Jeu de l'Oyfon commença
enſuite. Tous les Préten-4
dans à la victoire monterent fur
l'Echafaut dont je vous ay parlé,
&cet Echafaut voguant aubruit
des Timbales & des Trompetes,
paſſant & repaffant à force de
rames ſous la Corde où l'on avoit
attaché l'Oyſon , ceux qui vouloient
GALANT.
199
loient avoir la gloire d'en arracher
quelque piece,demeuroient
fuſpendus à cette Corde, pendant
que l'Echafaut continuoit de voguer.
On lâchoit auffi-toft une
eſpece de Moulinet , qui les faifant
tomber rudementdans l'eau,
les obligeoit fort ſouvent à lâcher
prife , parce que par le moyen de
ce Moulinet , on les relevoit avec
une viteſſe qui leur faifoit perdre
leurs meſures , ce qui eſtoit
toûjours cõtinué juſqu'à ce qu'ils
euffent abandonné la Corde.
Tant de ſauts , joints à l'eau qui
les aveugloit , les empefchoit de
ſe bien tenir à la Corde , & à
l'Oyfon. Quelquesfois ils s'y attachoient
deux enſemble , & ils
donnoient alors bien plus de plaifir
aux Spectateurs. La préſence
de Monſeigneur le Dauphin les
excita tellement, que ce Jeu dura
I iiij
200 MERCURE
1
beaucoup moins que de coûtume.
Deux emporterent des pieces
de l'Oye , & le troifiéme eut le
Corps;& comme c'eſt le morceau.
auquel le triomphe eſt attaché,le
combat ceffa , & tous ceux qui
eſtoient ſur l'Echafaut ſe jetteret
dans l'eau la teſte la premiere,
comme s'ils euſſent voulu ſe cacher
de honte. Monſeigneur le
Dauphin fortit alors de deſſus la
Terraffe , & alla dans les Apartemens
de l'Hôtel de Créquy. Ils
eſtoient tres - magnifiquement
meublez ,& l'ony voyoit par tout
que Tables,& Luſtres d'argent. II
y eut Bal,& apres le Bal une Collationmagnifique.
Ceux qui mãgerent
à la Table de Monſeigneur
le Dauphin , furent Monfieur &
Madame la Princeſſe de Conty,
Monfieur le Prince de la Rochefur-
Yon , les fix Filles d'Honneur
de
GALANT. 201
deMadame la Dauphine,&deux
de Madame. Ceux qui estoient
placez de toutes parts ſur lesEchafauts,&
dans les Chambres,ſe fervirent
de ce teps pour faire lamême
choſe en attendant l'heuredu
Feu.Ilfaut vous en faire la defcription.
Sa figure eftoit quarée, &
paroiſſoit ſuportée par une Baleine.
Tout le Corps eſtoit compoſé
d'un ordre Jonique , & Dorique.
Dans les deux Portiques qui regardoient
le Louvre , & dans les
deux autres qui regardoietleCollege
des Quatre-Nations,étoient
quatre grandes Figures qui repreſentoiét
la Terre,l'Eau, l'Air,& le
Feu.On voyoitdas lesdeux autres
Faces,la Verité, l'Amour divin,la
Peinture,&le Bō Augure.Toutes
ces Figures parurent tranſparates,
quand la nuit eut commencé...
Das les quatre Faces de l'Attique
Iv
202 MERCURE
on avoit repréſenté les Rivieres
de Seine, deMarne, d'Oife, & de
l'Aube. On voyoit aux deux côtez
ungrand Dauphin, ſurlequel
eftoit le Génie de la France, portant
les Armes du Roy , & ayant
unTriton aupres de luy. Quatre
Figures de relief rempliffoient
les quatre coins de l'Attique , &
faifoient voir la Vertu héroïque,
l'Aurore,l'Abondance,& l'Amour
de la Patrie. On avoit poſé un
grand Globe terrestre au deſſus
de l'Attique , & fur ce Globe
eftoit affiſe une grande Figure
repréſentant la Richeffe de la
France, qui tenoit ſur ſes genoux
le Géniedes François. Ily avoit
à ſes pieds pluſieurs Couronnes.
La Frife de toute la Machine
eſtoit ornée de Soleils , de Fleursde-
Lys , & de Dauphins rehaufſez
d'or , & l'on avoit peint en
marbre !
GALANT.
203
marbre tout ce qui marquoit le
Corps de l'Architecture .Les quatre
coinsde la Balustrade estoient
ornez de quatre Obéliſques enrichis
de Fleurs-de- Lys d'or ; &
quatre Vazes enflâmez eſtoient
au milieudu Theatre , ſur lequel
toute la Machine eſtoit poſée. II
eſt juſte de vous nommer ceux
qui ont contribué à la dépenſe de
ce Feu , afin que tout le monde
connoiſſe la part qu'ils prennent
à ce qui regarde le bien de la
France. Ce font les Jurez Vendeurs,
lesJurez Crieurs, les Jurez
Courtiers de Vins, lesJurez Jaugeurs
de Vins,les Jurez Mouleurs
de Bois,les Aides aux Jurez Mouleurs,
les Jurez Controlleurs de la
Buche , les lurez Meſureurs de
Charbon , les Jurez Porteurs de
Charbon , les Jurez Meſureurs de
Bled , & les Jurez Porteurs de
Grains. Le
204 MERCURE
Lejour ne fut pas plutoſt finy,
que l'Illumination ſi attenduë
ſembla le faire renaître. Tout le
Peuple dõt je vous ay décrit l'ondoyante
foule , commençoit à
s'impatienter , parce qu'il yavoit
déja quelque temps que les Divertiſſemens
estoient ceſſez . Cependant
Meſſieurs de la Galerie
du Louvre avoient pris de ſi juſtes
meſures , que pour ne point
faire attendre ce qu'ils vouloient
donner au Public , comme il arrive
ordinairement en ces fortes
d'occaſions , tout estoit en eſtat
Avant que l'heure de s'en ſervir
fuſt venuë. Ainſi la nuit n'eſtoit
pas encor tout-à-fait fermée lors
qu'on alluma. On s'eſtoit beaucoup
promis d'un Corps auſſi diſtingué
par fon merite dans tous.
les Arts,mais àpeine eut-on commencéàregarder
les premiersen
droits
GALANT.
205
droits qui furent illuminez , que
l'éclat&le bon gouſt ayant frapé
les yeux & l'eſprit de ce qu'il y
avoit de Connoiffeurs parmy cette
innõbrable multitude de Peuple,
ceuxqui estoient déja ébloüis
de ce qu'ils voyoient , mêlerent
leurs acclamations aux applaudiffemens
des premiers,& 1 on n'entendit
que des éclats d'admiration
, qui ne ceſſerent preſque
point de tout le foir ;& ce qu'il y
eutde ſurprenant , c'eſt que l'on
vit plusdedeux cens mille Perſonnes
qui regardoient du coſté
del'eau, ou qui avoient les yeux
attachez ſur le Feu , tourner , &
lever la teſte tous àla fois, de fortequ'il
ſembloit que la terre euſt
englouty tous ceux qui estoient
au meſme endroit un moment
auparavant, & qu'elle euſt reproduit
d'autres Spectateurs dans
le
206 MERCURE
le meſme inſtant. L'éclat des Lumieres,
& le bruit du Peuple,pafferent
juſques à l'Hoſtel de Créquy
; & Monſeigneur le Dauphin,
qui estoit encor à table , fit
ouvrir les Fenestres du Lieu où
ilmangeoit, pour voir l'Illumination
avant qu'elle fuſt encor dans
tout ſon éclat.
Le Peuple agreablement appliqué
à examiner tout ce qui compoſoit
cette Illumination,n'avoit
plus tant d'impatience de voir le
Feu. La promptitude avec laquelle
le nombre des Lumieres
augmentoit à chaque inſtant,luy
fourniſſant dequoy l'occuper toûjours
de plus en plus , luy donnoit
de continuels ſujets d'admiration.
Pendant que l'on allumoit
tout ce qui devoit fervir
d'ornement à la grande Corniche
, & éclairer les Obéliſques &
les
GALANT. 207
les Frontons qui la rempliſſoient,
on travailloit également en bas;
& le Corps d'Architecture,où eft
le petit Coridor ou la Galerie
bafle , parut en peu de temps illuminé
par plus de dix mille
Lampes qui defſignoient l'Architecture
du premierOrdre du Bâtiment
qui eſt Dorique,&diſtribué
par 56. Pilafſtres accouplez,
ayant leurs Bafes , & leurs Chapiteaux
deſſignez par ces Lumieres
, auffi-bien que la Corniche
& l'Architecture , qui font du
mefme Ordre. On ne s'eſtoit
point encor avisé de deffigner &
former en France un grand
Corps d'Architecture avec des
Lumieres vives. Il n'en eſt de la
mefme forte à Rome,où elles font
aſſez ordinaires , & fur tout au
prodigieux Corps de Baſtiment
de l'Egliſe de Saint Pierre , dont
toute
3
1
208 MERCURE
toute l'Architecture eſt illuminée
ſouvent par dehors,mais avec cette
diference,que quelques-uns de
ces Meſſieurs de la Galerie du
Louvre qui lesont veuës dans le
Païs , ont fait marquer les montans
des Corps de cette Architecture
avec les meſmes Lumieres;
ce qui ne ſe fait point à Saint
Pierre , & c'eſt par cette raiſon
qu'on a lieu de dire que l'Illumination
de la Galerie a paru plus
complete que celle de ce grand
Edifice de S.Pierre , parce que les
parties eſtant plus preffées , &
l'Architecture plus defſignée &
plusmarquée dans toutes ſes parties
, le morceau de la Galerie
qu'on avoit illuminé , paroifſſoit
tellement brillant,que fil'on vouloit
repreſenter un Palaisdu Soleil,
on ne pourroit rien faire qui
en approchat davantage. Quoy
qu'on
GALANT. 209
qu'on ne ſe laſſaſt point d'examiner
cette Architecture de Feu,
l'éclat qui redoubloit plus haut,
fit lever les yeux fur les Obelifques
& fur les Timpans. De nouvelles
Lumieresyparurent.Outre
les dix mille Lampes qui formoiết
le Corps d'Architecture de la
Galerie baſſe , la Corniche de la
Galerie haute , appellée grande
Galerie , eſtoit bordée d'un rang
de Godets,& ily avoit des Terrines
remplies de groſſes Lumieres
derriere les Frontons & les
Obeliſques ; & pour ſurcroiſt de
clarté , les deux coſtez des Frontons
eſtoient remplis de Lumieres
vives , qui en marquoient le
contour. Tandis que le Peuple
s'attachoit à confiderer les
Peintures des Frontons & des
Obeliſques , on plaça vingt-huit
Tableaux illuminez das les C roisées
2
210 MERCURE
sées de la Galerie baffe , & l'on
remarqua qu'ils eſtoient enrichis
de Feftons dorez , & éclairez de
lumieres vives. Cette augmentation
de beautez fit donner de
nouveaux applaudiſſemens ; &
la diligence avec laquelle ces Tableaux
furent placez , fit croire
qu'il n'avoit falu pour cela qu'un
coup de Siflet, comme pour faire
changer des Décorations desPieces
de Machines. Tant d'habiles
Gens unis enſemble,n'avoient
pas manqué de pourvoir à tout
ce qui avoit pû eſtre neceſſaire
pour l'exécution de leur entrepriſe
, & ils y donnoient euxmefmes
leurs foins. Ils avoient
déja fait des illuminations affez
conſidérables dans les cinq premiers
jours de réjoüiſſance qui
ſuivirent l'accouchementde Madame
laDauphine. On avoit veu
à
GALANT. 211
aleurs Feneftres des Allégories,
desDeviſes , des Obéliſques , &
des Lampes de Lumieres vives;
mais chacun ayant alors ſuivy
ſon idée , il n'y avoit euny régularité
ny fimétrie, ce qui fut cauſe
qu'on propoſa de faire quelque
choſe de grand à frais communs.
C'eſt ce qui a donné lieu à l'Illumination
dont je vous parle , &
qui a fait tant de bruit .
On eut à peine ouvert cette
propofition , qu'il parut que la
propoſition, le travail,&l'exécution
, n'estoient qu'une meſme
choſe. Quand un veritable zele
anime,ſoins,peine,argent,rien ne
coûte , & tout ce qu'on fait tient
du miracle. C'eſt ce qu'on a veu
dans l'occaſion de cette Fefte .Les
Femmes & les Enfans ont travaillé
; & les Ouvriers , dont le
talent n'eſt point de peindre , &
qui
212 MERCURE
し
qui ſçavent ſeulement deſſiner,
parce que leur employ l'exige,
ont pris les Paletes & les Pinceaux
, & ont paru habiles en ce
qu'ils n'avoient jamais pratiqué.
Enfin tout s'eſt fait avec cet empreſſement
qui ſert à marquer
I amour que le Roy imprime à
tout le monde. Ce qu'un zele ſi
ardent a de merite, rejalit ſur Mr
Colbert, & augmenteroit la gloire
de ce grand Miniſtre, fi elle pouvoit
recevoir quelque accroiffement
, puis que comme Sur-Intendant
des Bâtimens du Roy ,
& des Arts & Manufactures de
France , il propoſe ceux qu'il
croit capables d'occuper les Logemésdes
Galeries, & d'y rendre
ſervice à ſa Majesté,n'y en ayant
aucunparty parmi eux qui n'ait
cet honneur. Leurdeſſein avoit
eſté de joindre un Feu d'artifice
GALAN T.
213
ce à l'Illumination. La conſtruction
en auroit eſté extraordinaire.
Il y auroit en quelque façon
paru des Machines ; & ceux
qui exercent tant de beaux Arts,
ayant reüny enſemble leurs pensées,
executé eux-meſmes,&donné
les moyens d'executer , il eſt
à croire que nous aurions veu
quelque choſe de tres-beau , &
de tres-nouveau ; mais ces Melſieurs
ſe trouverent obligez d'abandonner
leurs deſſein , lors
qu'ils eurent appris celuy de
Monfieur le Prevoſt des Marchands.
Ainſi ils en demeurerent
à la ſeule Illumination. Les vingt
huit Tableaux qui occupoient
les Feneſtres de la Galerie baffe ,
repreſentoient la Peinture la
Sculpture,l'Architecture, la Graveûre
en Estampes & en Medailles
, l'Orfevrerie , la Joüaillerie,
l'Armu
214 MERCURE
l'Armurerie , l'Horlogerie , l'Hiſtoire
, les Mathématiques , la
Géographie , la Broderie , & la
Marqueterie. Ily avoit autantde
Tableaux de Deviſes pour chacun
des Arts que je viens de vous
nommer. Toutes les Illuminations
de Tableaux eſtant faites
ordinairement pour paroître dans
la nuit la plus obfcure , & les dix
mille Lampes dont j'ay parlé
ayant rappellé le jour , les Tableauxqui
estoient dans lesCroisées
devoient ne point paroître
du tout , ou du moins paroître
peu tranſparens , puis que l'obſcurité
ne régnoit point en dehors.
Cependant comme cesMefſieurs
n'avoient point épargné la
dépenſe , & qu'ils avoient mis
derriere tous ces Tableaux trois
fois plus de Lumiere qu'il n'auroit
falu en mettre , s'il n'y en
avoit A 1
GALANT.
215
avoit point eu en dehors , les Tableaux
estoient aufli tranſparens
que dans la nuit la plus noire, &
l'on peut dire que c'eſt la premiere
fois qu'on a veu deux Lumieres
diférentes , dont l'une devoit
détruire l'autre, faire toutes deux
leur effet. Je paſſe aux Peintures
qui estoient poſées le long de la
grande Corniche. Il y avoit quatorze
Obeliſques , & quatorze
Frontons , ſçavoir , un Fronton
entre deux Obéliſques. Il faut
obſerver que les Frontons étoient
juſtement au deſſus des Fenêtres
, ce qui en faifoit comme le
couronnement.Ils repréſentoient
alternativement des Chifres du
Roy , & des Soleils, Quant aux
Obéliques , ils eſtoientde neufà
dix pieds de haut. Voicy ce qui
eſtoit peint ſur chacun. UnTrophée
d'Armes , avec une Infcription
216 MERCURE
ption qui marquoit que ce Trophée
eſtoit à la gloire du Roy,
pour avoir pris cent Villes ; des
Dépoüilles de pluſieurs Provinces
adjoûtées à ſon Royaume; des
Inſtrumens de Riviere , avec un
Fleuve captif, qui marquoient le
Paſſage du Rhin ; un Trophée
maritime de Prouës , de Vaifſeaux
, & de Tridens , pour marquer
les Victoires navales du
Roy ; les Dépoüilles des Barbares
du Canada , & du Païs des
Iroquois,pour marquer les triomphesde
la Majefté ſur les Nations
barbares ; des Armes , pour
marquer que ce Prince a heureuſement
achevé trente Guerres
; les Armes des Turcs briſées,
pour avoir conſervé la Hongrie.
On avoit joint ſept Trophées de
Paix à ces ſept Trophées de
Guerre; ſçavoir, des Inftrumens
des
GALANT. 217
des Arts , pour les avoir rétablis ;
des Tables des Loix , des Livres,
des Balances, des Epées de Juſtice
, & des Faifceaux , pour avoir
étably les Loix ; les Temples des
Herétiques abatus , pour avoir
détruit l'Heréſie ; des Monſtres
enchaînez , & des Epées rompuës
, pour avoir fait ceſſer les
Crimes , comme les Duels & les
Blasphemes; des Armes rompuës,
attachées à un Olivier,pour avoir
donné la Paix au Monde ; des
Places fortifiées, avec des Inftrumens
propres à les fortifier , &
meflez de Canons , pour avoir
muny des Places. On y avoit adjoûté
les Armoiries des Villes des
deux Bourgognes , parce que le
Roy les a réünies, &que le jeune
Prince en porte le Nom.
Tous ces Trophées regardant
le Roy , il n'y avoit rien le long
Aoust 1682 . K
218 MERCURE
1
}
1
i
de la grande Corniche , qui ne
fuſt à ſa gloire ſeule. Quant à
I'lllumination d'en bas , le jeune
Prince y avoit plus de part. Vous
le verrez par cette Inſcription,
qui eſtoit en mots Latins à la tê
te des Tableaux.
:
Les Arts qui habitent dans la
Galerie du Louvre , offrent & confacrent
leur fervice aujeane Prince
nouvellement né , Monseigneur le
Duc de Bourgogne.
Rien ne pouvoit eſtre mieux
imaginé, parce que l'on ſuppoſoit
que tous les Arts repreſentez dans
les Tableaux qui rempliſſoient
les Croiſées de la Galerie baſſe ,
travailloient à la gloire de cePrince.
Au milieu de cette Galerie il y
a une eſpece de Portail. Il eſt en
faillie ,& quatre Colomnes avancées
GALANT .
219
cées ſoûtiennent une Terraſſe ,
avec une Balustrade . Ces quatre
Colomnes estoient entourées de
Lampes d'une maniere qui ne
rompoit point l'ordre de l'Architecture
. Le Buſte de Monſeigneur
le Dauphin eſtoit fur
le milieu de la Porte , avec les
Armoiries de Monſeigneur le
Duc de Bourgogne . On liſoit fur
la Friſe d'enbas une Inſcription
Latine , tireé du Prophete Iſaïe.
Elle estoit miſe là comme un
Augure de la grandeur du jeune
Prince . Voicy ce qu'elle marquoit.
2
Les Peuples marcheront à lafaveur
de vos Lumieres , & les Roys
à l'éclat de vostre naissance. Levezles
yeux , & regardez de tous
costez. Tous ces Gens ne font icy
que pour vous , & ne travaillent
quepourvous.
Kij
220 MERCURE
Tout le reſte de cette Façade
eſtoit hiſtorié juſques ſur la
Terraſſe qui donne dans la Galerie
haute. Pluſieurs Figures faifoient
connoiſtre la gloire que
le Roy avoit acquiſe dans la
Guerre & dans la Paix ; & le
Buſte de ſa Majesté eſtoit élevé
ſur la Terraſſe. Une grande
Figure repreſentant la Gloire ,
tenoit une couronne fur la teſte
de cet auguſte Monarque . La
Balustrade estoit ornée d'un Tapis
, enrichy de ſes Chiffres , &
environnée de pluſieurs rangs de
Lampes . Les Boëtes & les Canons
qu'on avoit placez ſur le
Terrain qui eſt au bas du Cheval
de Bronze , tirerent le Peuple
de l'attention avec laquelle
il examinoit toutes ces chofes , &
luy apprirent que le ſpectacle
du Feu estoit preſt de commencer.
GALAN T. 221
,
cer. On tira d'abord trois ou quatre
douzaines de Fuſées d'honneur
, parmy leſquelles il y en
avoit de ſi belles que peuteſtre
n'en a-t-on jamais veu de
pareilles en France. On mit en
fuite le feu à la Machine dont
je vous ay fait la deſcription.
L'Artifice d'eau y parut beaucoup.
Des manieres de Sauciffions
apres y avoir demeuré quelque
temps plongez , & s'eſtre
promenez fur la Riviere , jettoient
des Bouquets de Fuſées,
qui eſtant retombées dans l'eau,
en reſſortoient un moment aprés,
s'y promenoient encor quelque
temps , puis crévoient avec éclat.
Le Feu eſtant finy , Monfe
gneur le Dauphin monta en Carroffe
pour retourner à Verſailles
, fort content du Peuple , qui
par des acclamations continuel-
Kii
222 MERCURE
4
les avoit témoigné la joye que
luy cauſoit ſa prefence. La Compagnie
des Maiſtres Paffeurs , &
des Débardeurs , qui avoient diverty
ce Prince par leurs Joûtes
& par le jeu de l'Oyfon , &
qui avoient repris leurs Habits,
pour l'aller falüer dans la Court
de l'Hoſtel de Crequy , en fut
auſſi fort contente , puis qu'il
leur donna des marques de ſa
liberalité. Le Peuple qui ne ſe
pouvoit laſfer d'admirer l'illumination
de la Galerie , paffa le
refte du ſoir à confiderer toutes
ſes beautez. Il ſembloit que
la Lumiere en frapant les yeux,
rempliſſoit l'eſprit de joye. Le
nombre infiny de Gens qui s'étoient
placez dans le bas des
Quays , s'eſtant retirez , cette
Lumiere refléchie dans l'eau , y
fit paroître un Palais de feu ; &
comme
GALAN T.
223
comme toutes les Lampes deffignoient
l'Architecture , ainſi que
je vous l'ay dit , & que dansl'éloignement
les lumieres paroifſent
plus approchées , ceux qui
voyoient de loin cette Illumination
, la prenoient pour un Palais
compoſé plûtoſt d'un morceau
de Feu ( fi ce terme m'eſt
permis ) que de Lumieres diférentes.
Quantité de Gens de
qualité qui occupoient les quarante-
deux Croiſees de la Galerie
haute , n'ayant pû voir cette
Illumination parce qu'elle
eſtoit au deſſous d'eux , ils pafferent
en Carroſſe le long de la
Galerie. Il en vint d'autres de
divers endroits ; & plufieurs qui
s'en eſtoient retournez , en ayant
fait le recit à leurs Amis qui n'avoient
rien veu , ils y accoururent.
Ainſi l'on s'y promena tou-
:
K iiij
224
MERCURE
:
te la nuit , comme on avoit fait
au Cours, pluſieurs Lampes étant -
encore allumées à huit heures du
matin. Ces Meſſieurs qui ont
joint la dépenſe à l'eſprit , pour
faire cette Illumination , en font
graver une Planche. Ils me l'ont
promiſe. En vous l'envoyant , je
vous parleray des divers talens où
excelle chacun d'eux
Les Jefuites du College de
Clermont , qui en toute forte
d'occaſions font leur plus ſenſible
joye de marquer le zele qu'ils
ont pour Sa Majesté , ont fait
voir dans celle- cy la part qu'ils
prenoient aux Réjoüiſſances pu
bliques , par une folemnité des
plus éclatantes. Une Harangue
Latine que le Pere Jouveney,
l'un des Profeſſeurs de la Réthorique
, prononça le 24. de ce
mois ſur la Naiſſance de Monſeigneur
GALANT.
225
:
ſeigneur le Duc de Bourgogne,
en fut comme l'ouverture. Il s'en
acquita avec l'applaudiſſement
d'une tres illuftre & grande Af
femblée. Monfieur l'Archeveſ
que y vint en ceremonie , avec
ſa Croix portée devant luy , ce
qui obligea quantité d'Eveſques
qui s'y trouverent , de ſe mettre
en Camail & en Rochet. Il y
avoit beaucoup de Perſonnes de
qualité , & un fort grand nombre
de Religieux & d'Eccleſiaſtiques.
Ces Peres ayant préveu que
le Spectacle de l'eau dont je
viens de vous parler , attireroit
tout Paris le lendemain , choifirent
le Mecredy 26. pour la grande
Feſte qu'ils avoient fait preparer.
La Court eſtoit remplie
d'Ornemens dans ſes quatre faces.
Au milieu de celle qui eſt
Kv
226 MERCURE
oppoſée à la Porte de la Ruë ,
il y avoit un fort grand Portrait
du Roy fur une maniere d'Eſtrade
. Seize grands Drapeaux
dans lesquels on avoit peints les
fix- vingts & huit Quartiers de
la Deſcendance du petit Prince
, estoient placez au haut de
la meſme face. Les Images de
la Reyne , de Monſeigneur , de
Madame la Dauphine , & des
Princes & Princeſſes de la Maifon
Royale , faifoient une partie
de la Decoration de cette Court .
On y voyoit les Medailles de
64. Roys de France , & chaque
Medaille avoit fon infcription.
Toutes les Sciences que l'on enſeigne
dans ce College , eſtoient
repreſentées par autant de Termes
avec une Inſcription generale
, qui faifoit connoiſtre que
cette Réjoüiſſance ſe faifoit pour
la
GALANT.
227
la Naiſſance de Monſeigneur le
Duc de Bourgogne. Les plus
celebres Hiſtoriens du Royaume
repreſentez aufſi en Termes , por
toient la grande Corniche , où
l'on voyoit les Medailles de nos
Roys. Vingt - deux Deviſes , &
autant d'Inſcriptions tirées des
anciens Poëtes , eſtoient dans
desBordures dorées. Toutes ces
diverſitez occuperent agreablement
les Curieux, pendant deux
jours qu'elles furent expoſées.
Le bas de la Court eſtoit orné
de Tapifleries , & dans le milieu
paroiſſoit un Temple auquel on
avoit donné une figure quarrée.
Il eſtoit placé fur une Montagne
, & repreſentoit celuy
qu'Apollon avoit autrefois ſur le
Mont Claros , & que tant d'Oracles
ont rendu celebre, L'allufion
du Mont Claros au College
de
228 MERCURE
deClermont , faiſoit voir ledefſein
qu'on avoit eu , en mettant
ces quatre mots ſur les quatre
faces de ce Temple , Horoscopus
RegiusDucis Burgundia. La figure
d'Apolon tenant ſa Lire en ſa
main , eſtoit au plus haut du
Temple. Les Buſtes du Roy , de
Monſeigneur le Dauphin , de
Loüis XIII . & de Henry IV. ornoient
les quatre Frontons .Dans
les Tympans des Frontons eftoient
des Inſcriptions Latines,
qui faifoient connoiſtre les avantages
que l'on préſageoit pour
Monſeigneur le Duc de Bourgogne
, ſur l'aſpect de ces quatre
Princes . Sous le Buſte de Monſeigneur
le Dauphin , on liſoit
en mots Latins , Heureux parfon
Pere; ſous celuy du Roy , Grand
par son Ayeul ; ſous celuy de
Loüis XIII. Iufte parfon Byfayeuls
&
GALAN Τ. 229
&ſous celuyd'Henry IV.Vaillant
parfon Trifayeul. Les Pilaftres
des deux faces où eſtoient les
Buſtes de Monſeigneur le Dauphin
, & de Loüis XIII . eſtoient
de Porphire veiné de blanc , &
les deux autres de Lapis veiné
d'or . Les Chapiteaux des Pilaſtres
dans la face du Buſte de
Monſeigneur, eſtoient compoſez
de la Lyre d'Apollon , jointe à
deux Dauphins ; dans celle du
Buſte du Roy , d'un Globe remply
de trois Fleurs de Lys , & d'un
Trophée de deux Canons couchez,
&de fix Drapeaux élevez;
dans celledu Buſte de Loüis XIII.
d'une Peau de Lyon, & de deux
Maſſuës paſſées en Sautoir ; &
dans celle du Buſte d'Henry IV.
de pluſieurs H , accompagnées
de Palmes , d'une Epée nuë , &
d'une Couronne de Laurier.Huit
Médail
230 MERCURE
Médailles à la maniere antique,
ſervcient d'ornement aux entré
deux des Pi aſtres. Dans la premiere
, on voyoit un jeune Enfant
relevant une Femme couronnée
de Pampres de Vigne , &
appuyée ſur un Ecuffon écartelé
de Bourgogne ancien , & de
Bourgogne moderne , avec ces
mots, Burgundia renascens. Dans
la feconde , paroiffoit une Vertu
tenant d'une main une Ancre
double fur laquelle elle s'appuyoit
, & de l'autre , deuxDauphins
entrelaſſez avec deux jeunes
Lys ,& ces mots Spes augufta.
La troiſieme , repreſentoit laPaix
brûlant des Armes , &tenant de
fa main gauche une Corne d'Abondance,
dont fort un jeune
Prince , avec ces mots , Fructus
pacis. La quatriéme , eſtoit la fi
gure du Feudejoye dela Greve,
avec
GALANT. 231
avec des Fontaines de Vin. On
y liſoit ces mots, Hilaritas populi.
Des Soldats qui élevoient un
Enfant fur un Bouclier , faisoient
le ſujet de la cinquiéme. Ces
mots y eſtoient écrits, Letitia Caftrorum.
La fixieme, faiſoit voir le
Temple de la Juſtice , & fur fon
Trône le Berceau d'un Enfant,
devant lequel deux Magiftrats
eſtoient proſternez . La Legende
y estoit Grecque , & fignifioit
lefacré Serat. Dans la ſeptième,
eftoit un Vaiſſeau avec le Roy
au Timon,un Dauphin à la Prouë,
& l'Image d'un Enfant dans la
Voile au deſſus du Mats. Ces paroles
s'y liſoient , Felicitas Regni.
La derniere , eſtoit le Temple
meſme du MontClaros, avec une
InſcriptionGrecque , qui vouloit
dire , la Communautéde Claros.
La couro eſtant preſque toute
remplie
232 MERCURE
remplis de Spectateurs , & le
jour commençant à s'abaiſſer, les
Trompetes& les Timbales firent
connoiſtre qu'on alloit chanter
le Te Deum , les Muſiciens eftoient
fur un Theatre dreſſé au
milieu de la face où eſt l'Eglife.
Il eſtoit orné de Tapiſſeries , &
éclairé par pluſieurs Luftres de
Criſtal que l'on avoit ſuſpendus.
CeTe Deum fut chanté à divers
Choeurs de Muſique , & meſlé
d'une Symphonie tres-agreable
de Violons , de Hautbois , & de
pluſieurs autres Inftrumens. On
yajoûta le DomineSalvumfac Regem
, auffi en Muſique. Tandis
qu'une tres grande Aſſemblée
donnoit ſon attention aux Muficiens,
toute la court fut illuminée.
Trois Lanternes peintes de So
leils , de Dauphins , &d'Armoiries
eſtoient à chaque Feneſtre,
&
GALAN T.
233
&dans chaque face, on vit prefque
en un moment trois étages
éclairez. Quantité de Pots- à- feu
eſtoient placez fur les Cheminées
, & la flame qu'ils jettoient
pouvoit eſtre veuë de loin. Apres
que la Muſique eut finy , des
Trompetes qui ſe répondoient
du haut de deux Pavillons oppoſez
, divertirent fort tous
ceux qui estoient venus pour
ce Spectacle. Ples de trente
Boëtes furent tirées dans une
autre court , pendant que les
Trompetes joüoient , & l'on fit
fucceder à cette décharge l'éclat
lumineux d'un fort grand nombre
de Fuſées volantes. Enfin il y
en eut une qui partit d'un rayon
d'un grand Soleil , poſé où eftoit
le portrait du Roy , & cette
Fuſée alla mettre le feu à la
Machine. Figurez- vous- en l'effet
par
234 MERCURE
par tout ce que l'Artifice produit
de divertiſſant , & d'agreable.
Ce Feu dura prés d'une heure,
&tout le monde ſortit fort content
de ce qu'il avoit veu & entendu.
Meſſieurs de la Faculté de
Droit, qui avoient témoigné leur
joye pour la Naiſſance du Prince,
par des Feux & des Illuminations
le foir des 7.8. & 9. de ce
mois , ont ce que pendant que
tous les Corps tâchoient à l'envy
de faire éclater leur zele, il eſtoit
de leur devoir de donner des
marques particulieres de leur reconnoiffance,
pourles graces que
leRoy leur a faites depuis peu, par
le Rétabliſſement de la Profeffion
du DroitCivil dans leur Ecole.
Ainſi le 27. les Docteurs Régens
, en leur Habit de Ceré
monie , & les Docteurs Aggregez,
GALANT.
235
L
gez , s'eſtant rendus le ſoir dans
le Choeur de l'Egliſe de Saint
Jean de Latran , lieu que leurs
Predeceſſeurs ont choiſy pour
les Feſtes de Religion , y firent
chanterun Te Deum en Muſique.
Il fut ſuivy d'une diſtribution de
Pain & de Vin , & d'aumônes à
tous les Pauvres qui ſe preſenterent.
Il y avoit un Theatre dreſſé
pour un Feu de joye devant la
Maiſon de la Faculté . Ce Theatre
foûtenoit un Obeliſque , fur le
haut duquel il y avoit un Soleil
ſuporté d'un Croiſſant , avec ces
mots du Pſeaume 71. Permanebit
cum Sole & ante Lunam. Pour
montrer que la gloire future du
jeune Prince,prenant ſon éclatde
celle du Roy, durera toûjours, &
obſcurcira celle de l'Empire Ot
toman. Aux trois faces de l'Obelifque,
236 MERCURE
beliſque , eſtoit peint un Aiglon
ſoûtenu par un Aigle , & regardant
le Soleil , avec ces paroles,
Viam nascens affectat Olimpo. Au
deffous eſtoient repreſentées en
chacune des faces de l'Obelifque
, la Prudence , la Juſtice , &
la Valeur. Aux quatre côtez du
Pied-d'eſtal, on voyoitles quatre
principales Planetes , qui par les
fignes,& par les maiſon où elles ſe
trouvoient àl'heure de la naiſſance
du jeune Prince préſagent fes
futures grandeurs. Sur le front
du Pied- d'eſtal eſtoit le Soleil
dans le Signe du Lion , avec ces
mots , Aufpiciis ortus majoribus,
pour marquer en general ces
Preſages extraordinaires
donne le Soleil logé dans la
Conſtellation , où il a le plus
de force. Sur le coſté droit , eſtoit
Saturne dans le meſme Signe ,
, que
avec
GALANT.
237
avec ces paroles qui n'ont pas
beſoin d'eſtre interpretées ,Anrea
reddatfacula Avofimilis. Jupiter
dans le meſme Signe du
Lion,eſtoit ſur le côté gauche.On
y liſoit ces paroles , Populis erit
omnibus idem , pour faire connoître
par l'Etoile de Jupiter, qui déſigne
les grands & bons Princes,
que la bonté & la grandeur de
Monſeigneur le Duc de Bourgogne
luy attireront la veneration
de tous les Peuples. Sur la
derniere face du Pied-d'eſtal , on
voyoit la Lune ſous le Signe de
la Balance. Ces mots Verfa lance
cadet , marquoient que ce Prince
marchant un jour ſur les traces
de ſon auguſte Ayeul , & de fon
glorieux Pere , achevera d'abaiffer
l'Empire du Turc. Surle devant,
& fur le derriere de la Friſe
, eſtoient des Inſcriptions Latines,
238 MERCURE
N
tines , pleines des ſouhaits que
fait l'Ecole de Droit pour Sa Majeſté
, & pour toute la Famille
Royale. Sur les deux côtez de
la meſme Friſe à droit & à gauche
, une grande clarté s'élevant
& ſe fendant en deux , dans les
ombres d'une nuit obfcure , ſans
Lune & fans Etoile , reprefentoit
celle qui fut veuë effectivement
en divers endroits par plufieurs
Perſonnes , la veille de la
Naiſſance du Prince. Ce Vers
Latin eſt au deſſous.
Regno quantus erit qui noctem
illuminat ortu !
La plupart de ſes Deviſes ſont
de Monfieur Doujat , Premier
Docteur Regent en Droit , &
Doyen des Profeſſeurs du Roy
au College Royal .
Quoy
GALAN Τ.
239
Quoy que le Theatre preparé
pour ce Feu de joye fuften
état dés le matin du 27. le mauvais
temps en fit remettre le Spetacle
au lendemain. Ainſi le 28
fur les huit heures du ſoir , tout
le devant des Ecoles , qui avec
l'autre coſté de la Ruë avoit eſté
tapiſſe deux jours , parut éclairé
de cinq cens Lampes , dont l'effet
fut admirable , & auffi- toſt la
Machine du Theatre illuminée
de la meſme ſorte , fit voir dans
leur jour toutes les Figures qui
y eſtoient peintes , avec les Inſcriptions
& les demy Vers qui
en donnoient l'explication. Les
Trompettes & les Timbales accompagnerent
enſuite le bruit &
l'éclat des Fuſées volantes , & des
autres Feux d'artifice qui ſe firent
voir & entendre , partie dans la
Ruë , pattie dans la Court de la
Comman
240 MERCURE
Commanderie de S. Jean de Latran
, où l'on fut contraint de tirer
les plus beaux & les plus gros,
pour éviter le peril de quelque
incendie qu'ils euſſent pû cauſer
, dans une Ruë auſſi étroite
que celle de S. Jean de Beauvais.
En meſme temps on alluma
quantité de Lanternes de
diférentes inventions , qui repreſentoient
les auguſtes noms de
la Famille Royale ; mais fur tout
le Buſte du Roy qui eſt ſur la
grande Porte des Ecoles , eſtant
environné de Feſtons tout brillant
d'or & d'argent , & de grandes
Illuminations , fit naître des
cris redoublez de Vive le Roy ,
qui marquant la joye du Peuple
, la répandirent dans tout le
Quartier.
Aujourd'huy , Lundy dernier
des
jour du mois , la Communauté
GALAN T. 241
des Procureurs doit faire tirer un
Feu d'artifice . Je vous en refer
ve la deſcription pour le mois
prochain , auffi - bien que celle
des Réjoüiffances qui ont efte
faites dans les Provinces , pour
la Naiſſance de Monſeigneur le
Duc de Bourgogne. Les Particularitez
de toutes les Feſtes que
cette Naiſſance a fait faire icy,
rempliſſant toute ma Lettre , je
ſuis contraint de remettre à une
autre fois diverſes Nouvelles que
j'avois à vous apprendre. Je remets
auffi l'Explication des deux
derniers Enigmes , & les noms
de ceux qui en ont trouve le
fens. Tout cela ſera dans ma Lettre
de Septembre. Quant aux
noms de ceux qui expliqueront
les deux nouvelles que je vous
envoye preſentement , ils feront
mis dans la dix- neufiéme Lettre
Aoust 1682 L
242 MERCURE
Extraordinaire , qui paroîtra Ic
15. Octobre. La premiere de
ces deux Enigmes eſt de Mademoiſelle
de Boifangers. Monfieur
Raul de Rouan a fait la
feconde.
ENIGME .
E fuis un Composé de beaucoup
departies,
Fort également afforties
Chacun déféremment trouve en moy
des attraits
Mais quoy qu'en mon employ, leabut
i
qu'on se propofe
Soit toûjours mesme chofe,
Mafin produit ſouvent de diférens
effets.
Je cauſe en mesme temps la triſteſſe
(
IX
:
Je fâche , ou réjoüis celug -là que
la joye
m'employe's
Disn
GALANTIA 243
D'unmesme coup je fais & du mal,
Il est vray qu'en revanshe on me
e
Et que ſouvent on me bat bien ;
Mais pour moy ce n'est pas unsujet
J
de tristes
Car plus on me bat , plus j'envintag
AUTRES ENIGME.
33 197 5 ???????????
Efuis Fille d'un Pere élevé dans
Maisjamais je n'en nais,qu'iln'ait
perdu la vie.
sons id long eforwwage où je fuis
Obeïr seulement est tout ce que je
***
on ditque fans égardeni distinguer
..personne .
Lij
244 MERCURE
A tout venant je m'abandonne,.
Jusqu'à soufrir qu'on touche dans
monfeina a Po It
Lors que je tends les bras ,je fais ce
qu'oonnm'ordonne
Sans penfer à mauvais deffein.
Il est encor certain mystere,
Qu'Efculape m'oblige à taire.
Et qui demande du Sacrets
Auſſi ne dis-je rien de ce que l'on y
Parce que j'ysuis neceſſaire.
Mais quel est mon bizarrefort !
Chezles Grands jeſuis belle, & l'on
me cherit fort ;
Et quand je ſuis chez la Cam
naille ,
L'on m'y reduit jusqu'à la paille.
6
Adieu
GALANT.
245
Adieu , Madame. Je vous envoye
le Napolitain , que le Sieur
Blageart debite depuis quelques
jours ,& fuis voſtre, &c.
AParis, ce 31. Aoust 1682.
ججع
ТИАЈAD
-coenovo amabMusihA
4
-223 33v- 23 32m
1
Y
XX VII1.89
Qualité de la reconnaissance optique de caractères