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1681, 07 (partie 1) (Lyon)
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253
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MERCURE
GALAN Τ807156
DEDIE A MONSEIGNEUR
DE LA
VILLE
DE
LE DAUPHIM.
THEQUE DE
JUILLET
168 *
A LYON ,
Chez THOMAS AMAULRY,
Ruë Merciere.
M. DC. LXXXI...
AVEC PRIVILEGE DUROY.
EXTRAIT DV PRIVILEGE
du Roy.
Ar Grace & Privilege du Roy , donné à
ParGrace 31. Decembre
1677. Signé Par le Roy en ſon Conſeil , JUNQUIERES.
Il eſt permis à J.D. Ecuyer , Sieur de
Vizé, de faire imprimer par Mois un Livre intitulé
MERCURE GALANT , preſenté à
Monſeigneur L & DAUPHIN , & tout ce qui
concerne ledit Mercure , pendant le temps &
efpacede fix années à compter du jour que
chacun deſd. Volumes ſera achevé d'imprimer
pour la premiere fois: Comme auffi defenſes
font faites à tous Libraires , Imprimeurs , Gras
veurs & autres, d'imprimer , graver & debiter
leditLivre ſans le conſentement de l'Expoſant,
ny d'en extraire aucune Piece , ny Planches
ſervant à l'ornement dudit livre , meſme d'en
vendre ſeparément , &de donner à lire ledit
Livre , le tout à peine de fix mille livres d'amende,&
confifcation des Exemplaires contrefaits,
ainſi que plus au long il eſt porté au-
-ditPrivilege.
Regiſtre ſur le Livrede la Communauté le
s. Janvier1678.
Signé E. CouTEROT. Syndic.
Et ledit Sieur D. Ecuyer , Sieur de Vizé a
cedé & tranſporté ſon droit de Privilege à
Thomas Amaulry Libraire de Lyon , pour
en jouir ſuivant l'accord fait entr'eux.
Achové d'imprimer pour la premiere fois le
30. Juillet 1681 .
1
TABLE .
203603690363033803813823803
DES MATIERES
contenuës dans ce Volume.
A
Vant-propos I
Stances fur la Ionction des deux Mers, 9
Sonnet ſur le mesme ſujet, 12
Avanture, 14
Projet peurune nouvelle Secte de Phi'ofophes, en
faveur des Dames, 24
Connestablie.
Instalation de M. le Maréchal d'Estrées à la
Reception deM.de Francini, Seigneur de Grandmaiſon,
en la Charge de Prevost de l'Ifle, 29
M. leClerc, Baron de Sautray, est reçen Lieutenant
Criminel de Robe Courte, 31
Fonctions du Prevoſt de l'Iſle, du Chevalier du
Guet , & du Lieutenant Criminel de Robe-
2.8
Courte,
33
Suite de la Description de la Salle d' Amour de
Cleranton, 37
Mariage de M.le Marquis de Chabans S.Preüil,
avec une Niéce de M. le Maréchal Duc de
Navailles, 54
Hiftoire... 56
M.d' Ormoyfait l'honneuràMeſſieurs de l'Academie
des Sciences , de les visitor. Noms&
Ouvrages de tous ceux qui la composent. 78
Reponſes ſur une Explication demandée dans le
dernier Extraordinaire, 9
Reception faite à la Reyne Mere de Dannemark
àlaCour deHanover, 241098
Lettre en Proverbes, 108
a ij
TABLE.
Mort de Madame l' Abbeſſe de Villers -Caninet,
113
Mort du Frere Beauregard,
Avanture,
Narciffe, Fable,
114
114
117
Lettre touchant les Eeaux minérales de Fourbon-
Lancy. I1
Penſion donnéepar le Roy à M. le Duc de l'edofme,
136
Eveſché de Pamiers donné à M.i Abbéde Bourlemont,
137
Mariage de Mademoiselle ſa Soeur avec le Fils
de M. de Chamarante , 138
M. le Duc de Mortemar oblige les Majorquins à
rendre tout ce qu'ils avoient pris fur les SujetsduRoy.
139
M. de la Rabliere eſt nommé par le Roy pour
commander dansla Ville de Lile , 141
Instalation d'un Docteur Profeſſeur du Droit
Françoisà Cahors , 141
Tout ce quis'eſt paſſé à l'execution du Seigneur
Olivier Plunket , Archevesque d' Armagh,
Primat d'Irlande, 144
Tout ce qui s'estpassé au transport du Corps de
feudeM. le Duc de Leſdiguieres en Dauphiné,
& les Honneursfunebres qui luy ont esté
rendus en cette Province, 175
Abbaye de Val-fecret donnée par le Roy àM.
l'Abbé de Charmont , 188
Le Berger Fleuriste, àla Nymphe des Bruyeres,
190
Explication en Vers des deux Enigmes du dernier
mois ,
197
Noms de ceux qui ont trouvé le vrayſens des
deux, 197
TABLE.
Noms de ceux qui n'ont trouvé que le Motde la
premiere,
Enigme,
Autre Enigme,
Histoire,
Conversions,
198
202
204
205
208
Erection de Croix dans la Miſſion de Troyes , 213
Daumalinde, Princeſſe de Lufitanie, 217
La Cirté, Livre en Dialogues, 217
Declaration de Fits- Harris , 218
Regalfait à la Reyne, par Mde Louvoys, dans
le Chasteau de Meudon, 225
Depart de la Cour pour Fontainebleau , 228
Mariage de M. le Comte du Plessis , & deMademoiselle
de la Valliere, 230
Fin de la Table.
CATALOGUE DES PIECES
qui composent le quatorziéme Extraordinaire
intitulé , Extraordinaire du Mercure Galant,
Quartier d'Avril 1681. donné au Publicle
25. Iuillet .
IL CONTIENT.
Eux Reponſes àlaQueſtion, Lequel doit
Destre leplus malheureux , eu l'Aveugle né
ou celuy qui a perdu la veuë. L'ime en Profe,&
l'autre en Vers .
•UnDifcours ſur la Superstition & les Erreurs
populaires .
Une Reponſe en Vers à la Question , Le
alij he
quel est le plus àplaindre, ou un Mary jaloux,
ou la Femme d'un Mary jaloux.
Une Reponſe en Vers à la Queſtion , Ce
que doitfaire une Belle qui est preſſée deſedeclarerpour
deux Amans , dont l'un a beaucoup
d'amour , & peu de merite , & l'autre beaucoup
de merite , & peu d'amour.
Un Traité des Méteores , & de la Comete
apparuë en l'an 1680.
Pluſieurs Madrigaux ſur les Explications
des Enigmes des trois derniers Mois .
Un Traité de la Chaſſe .
Une Avanture de l'Amour, decrite en Vers
par le Secretaire du Zephire.
Un Diſcours de l'Origine , & des Armes de
trente Familles de France.
Deux Reponſes à la Queſtion , S'il est plas
avantageux à une Femme d'estre aimée dés la
premiere fois qu'on la voit, ou de ne l'estre qu'apres
qu'on a eu le temps d'examinerſon merite.
L'une en Profe, & l'autre en Vers .
UneReponſe en Vers à la Queſtion, Si une
Femme qui aime toûjours un Amant dont elle a
esté trahie , doit écouter sa paſſion ou sa gloire,
quand cet Amant tâche à obtenir le pardon de
Jon infidelité.
UneReponſe enVers à la Queſtion,Comment
l' Ame, estant purement ſpirituelle, est touchée
par la Musique qui est une choſeſenſible.
Deux Difcours, l'un en Vers , & l'autre en
Profe,pour Reponſe à laQueſtion, Si la Santé
peut estre alterée par les Paffions.
Un Difcours en Vers , des Manieres des
plus fameux Peintres .
Une
Une Deſcription du Printemps enVers .
Galanterie en Vers ſur les Aſſemblées des
Tuilleries .
Un Diſcours de l'Origine de la Tragedie,
de la Comedie,des Maſques,& de leur uſage.
Pluſieurs Madrigaux fur la Remiſe que le
Roy a faite du Lotde cent mille francs.
L'Explication de la Lettre en Chifres du
dernier Extraordinaire .
Une nouvelle Lettre en Chifres .
Une Lettre où il eſt propoſé par forme d'Enigme
, le ſecret d'une Ecriture de nouvelle
intention , tres -propre à eſtre renduë univerſelle
avec celuy d'une Langue qui en reſulte;
l'un & l'autre d'un uſage facile pour la communication
des Nations .
Les Explications de l'Enigme en Proſedu
dernier Extraordinaire .
Les Noms de ceux qui ont expliqué les
deux dernieres Enigmes.
Les Queſtions à decider , & autres choſes
demandées par le Public, pour le premier Extraordinaire.
I.
Si un Amant aimé qui a peu de bien, une extreme
ambition , beaucoup de delicateſſe , & un
violent amour, doit épouser une Maistreſſe, peu
favorisée de la Fortune , & qui a comme luy de
L'ambition , & de la delicateſſe.
II.
Si on decide que cet Amant ned it pas époufer
cette Maiſtreſſe , on demandesur quel pied il
doit vivre avec elle s'il peut aimer une autre
Perfonnefans estre inconstant
III .
III.
Si les plaiſirs du Corps,ſont plus ſenſibles que
ceux de l'Esprit.
I V.
Si le Mary doit estre plus grand Maistre que
laFemme.
V.
Lequel est le plus avantageux pour une Veuve
de 25. à 26. ans , ou de ſe remarier , ou de
demeurer days le veuvage, ou d'abandonner entièrement
le monde en ſe retirant dans un Convent.
V I.
Quelle est l'origine de la Medecine.
VII.
On prie d'écrire en quoy conſiſte l'air du monde,
& la veritable politeffe.
VIII.
On demande des Billets Galans , qui ſoint
courts , & qui contiennent des Declarations d'amour.
Ι.Χ....
On demande encor des Discours ſur l'Eloquence
, &ancienne & moderne.
:
MER
I
MERCURE
GALANT.
JUILLET 1681 .
J
'Ay bien de la joye ,
Madame , que quelque
longue que foit la Relation
que je vous ay
envoyée du Canal de Languedoc
, vous l'ayez leuë avec aſſez
de plaiſir , pour me faire un remercîment
particulier du ſoin
que j'ay de vous expliquer une
partie des Travaux qu'il a fallu
faire pour l'achevement de ce
Juillet 1681 . A
LYO
2 MERCURE
grand Ouvrage. Il eſt ſurprenant
de le voir finy en quinze années ,
apres qu'on a crû d'abord qu'à
peine un fiecle y pourroit ſuffire.
Cette eſpece de prodige aura
fans doute exercé long temps
vos reflexions ; mais en les faifantfur
le fuccés de cette entrepriſe
, avez- vous affez examiné
combien le Roy en tire de gloire
? C'eſt peu que les Hommes
cedent à fon Bras . Les Elémens
ne font pas moins prompts à ſuivre
ſes Ordres , & dés qu'il commande
aux Eaux, foit qu'il veüille
qu'elles contribuent à ſes plaiſirs,
qu'il ait deſſein de s'en ſervir
pour faire voir ſa magnificence,
ou pour affurer un commerce
utile à ſes Sujets , il les trouve
preſtes à luy obeïr. Il faut cependant
une grandeurd'ame extraordinaire
pour ne ſe point rebuter
des
GALANT.
3
e
e
Er
>
des impoffibilitez apparentes qui
ſe rencontrent dans un Projet de
cette nature ; fur tout lors que
des affaires qui paroiſſent plus
preſſfantes , ſemblent demander
qu'on change de ſentimens. Mais
c'eſt une choſe dont ce grand
Monarque ſera toûjours incapable.
Il confidere avant que refoudre
, & toutes ſes entrepriſes
ayant pour meſure la grandeur
de ſa puiſſance , la fermeté dont
il ſçait les ſoûtenir , ne luy laiſſe
voir aucun obſtacle dont il ne
foit ſeûr de venir à bout. Avant
la jonction des deux Mers , on
avoit crû qu'un deſſein trouvé
impoſſible par les Romains , ne
pouvoit s'executer ; mais ceux
qui ont eu cette penſée ne devoient
pas oublier quele Roy a
fait des choſes , que malgré tout
leur pouvoirces Maiſtres du
A ij
4 MERCURE
Monde n'ont ofé tenter, ou qu'ils
ont du moins tentees inutilement.
Qu'on jette les yeux ſur leurs
Ouvrages les plus importans. Ce
font des Chemins , & le Rhône
divife . Mais quand on ſe ſouviendra
que ces Ouvrages n'ont eſté
faits qu'à differentes repriſes,
qu'il a fallu des fiecles pour les
achever , & que de nombreuſes
Armées y travailloient , on en ſera
beaucoup moins furpris , que
d'avoir veu depuis peu d'années
des Villes entieres fortifiées , fortir
de terre proſque au ſeul ordre
de Sa Majefté , & d'autrec
qu'ony avoit fait rentrer , paroiſtre
quelque temps apres , plus
fortes qu'auparavant,ſelon la neceffité
des affaires de ce Prince.
Il n'appartenoit qu'à un ſi puiffant
Monarque de joindre les
Mers de l'Orient à celles de l'Occident;
GALAN T.
5
cident ; & quand on s'eſt pû furmonter
foy-meſime en faveur de
ſes ennemis , il n'y a pas lieu de
s'étonner qu'on furmonte la Nature
en faveur de ſes Sujets .
Tous les Peuples qui reconnoifſent
le Roy pour leur Souverain,
doivent bien en meſme temps le
reconnoiſtre pour leur Pere , puis
qu'il leur fait voir de jour en jour
les bontez qu'il a pour eux , &
les foins qu'il prend de ce qui
leur eſt utile. Les dépenſes faiteś
pour le Canal auroient pû luy
eſtre d'un fort grand fecours,
pendant qu'il avoit à foûtenir les
forces de toute l'Europe . Cependant
il n'a point voulu qu'on ait
difcominge ce travail , bien
moins pour Luy , que pour eux,
dont on a veu qu'en toute renk
contre il a preferé les avantages
à ſes propres intereſts. En effet fi
1
Arij
6 MERCURE
on regarde les utilitez qu'ils tireront
de ce merveilleux Ouvrage,
on demeurera d'accord que rien
ne leur pouvoit eſtre ny plus
commode , ny plus important.
Le Languedoc trouvera par ce
moyen le debit aiſe de ſes denrées.
Cette Province , la plus
grande du Royaume en étenduë,
& la plus riche par l'abondance
& la multiplicité des
fruits ,& des autres choſes dont
elle eſt remplie , ne laiſſoit pas
avec tous fes biens de demeurer
dans une eſpece de diſete , parce
qu'elle manquoit des richeſſes
Etrangeres , que le commerce
apporte ordinairement aux lieux
où il peut eſtre exercé. L'ouverture
du Canal qui la traverſe,
luy fait répandre ſes Vins , ſes
Fruits & fes Grains à droit & à
gauche , & diftribuer tout ce
qu'elle
GALAN T. 7
4
4
qu'elle a , non ſeulement au dedans
, mais au dehors du Royaume
par deux iſſuës qui luy donnent
l'entrée libre dans l'Ocean ,
&dans la Mer Méditerranée ; &
en meſme temps ces meſimes
Iſſuës luy font recevoir de toutes
parts tres - facilement les choſes
dont elle a beſoin , & qui ne
croiffent point ſur ſon fond.
Joignez à cela qu'au lieu qu'on a
voituré juſqu'à préſent toutes les
Marchandiſes qui nous viennent
du Levant,à grands frais, & avec
peril , le long des Coſtes d'Eſpagne,
dont on faifſoit le tour, paſſant
par le Détroit de Gilbraltar , on
viendra à l'avenir les rendre à
Bordeaux & aux autres Ports que
nous avons ſur l'Ocean , par un
chemin qui ſera beaucoup plus
feûr. Il doit eſtre doux de s'épargner
mille lieuës pendant ,
A iiij
8 MERCURE
۱
leſquelles le calme eſt preſque
auſſi redoutable que la tempeſte
& les vents contraires. Par là ,
on évite les Pyrates , & tous les
accidens de la Mer ; & ſans s'expoſer
à mille ſoins & à mille peines
, dont il eſtoit impoſſible de
ſe garantir , on a ſeulement ſoixante
lieuës de chemin à faire
fans aucun danger, à l'ombre des
Arbres en beaucoup d'endroits .
D'un autre coſté ce meſme Canal
donne les moyens de faire par
eau le tour entier de la France,
par la plus agreable route, & par
les plus belles Villes du Royaume.
On n'a pour cela que quatre
journées à faire par terre , depuis
Auxerre juſques à Châlons. Je
n'entreray point aujourd'huy
dans ce détail , dont l'occafion
s'offrira peut- eſtre une autrefois.
Elle ne peut eſtre plus favorable
GALAN T. و
ble pour vous faire voir des Stances
irrégulieres qui ont eſté faites
ſur le Canal. Vous y trouverez
une tres - belle peinture de la
puiſſance du Roy , & des grands
Travaux qu'il a fallu entreprendre
pour mettrela choſe en état
de reüffir. Je croy que les beaux
Eſprits ne feront pas épuiſez fitoft
fur cette matiere , & que
leurs Ouvrages m'obligeront à
vous en parler encor pendant
quelquesMois.
SUR LA JONCTION
DES DEUX MERS .
L
AV ROY.
A France est aujourd'huy la
merveille du Monde ,
C'est dans son propre ſein qu'on a
joint les deux Miers ,
A V
JO MERCURE
Elle va poffeder tous les Trésors
divers
Que l'on voit diſperfezfur la Terre
&fur l'onde.
Ce mesme Deffein autrefois
Fut conçeu par diférens Rois ;
Mais nul pour le tenter n'eut aſſez
de courage.
Le plus puiſſant des Rois aujourd'huy
l'entreprend ,
Et le fuccés d'un tel Ouvrage
N'estoit deû qu'à Loüis LE
GRAND .
Ces deux vaſtes Mers opposées,
Qui dans leurs propres bords se retiennent
toûjours ,
Grand Prince,fans voſtreſecours,
Seroient pour jamais diviſées .
Ces deux Mers par vostre Canal,
Commepar un noeud conjugal,
Font une eternelle alliance ,
Etformentpar deux Bras divers ,
Dans
GALANT.
1
Dans le coeurmême de la France,
Le Rendez vous de l'Univers .
Ce grand Chef- d'oeuvre incomparable
Qui nous marquevostre pouvoir,
Dans tous fes Travaux nousfait
voir
Ce qui nous ſembloit incroyable;
De profonds Abiſmes comblez,
De rapides Torrens- dans un Lit
aſſemblez ,
Des Rochers abatus, des Montagnes
percées ,
Des Ponts qui ſoûtiennent des
Eaux ,
Des Fleuvesſuſpendus, des Rivieres
forcées,
Et des Champs entrouverts tots
couverts de Bateaux .
**
Dieu parsa prudence infipie
Conduit vos deſſeins & uos pass
Com
12 MERCURE
Comme tout cede à voſtre Bras ,
Tout cede à vostre grand Génie.
Quoy que vous puissiez projetter,
Grand Roy , vous n'avezqu'à
tenter ,
Lefuccés fuit voſtre entrepriſe;
Etfelen que vous l'ordonnez,
Toute la Nature ſoûmiſe
Suit les Loix que vous luy donnez.
J'ajoûte un Sonnet à l'avantage
de la Nymphe d'Orb. Vous
vous ſouviendrez que c'eſt la
Riviere qui paſſe à Beziers.
B
Ien qu'à peine mon Nom ait
paru dans l'Histoire ,
Que l'on marque mon cours comme
un des plus petits
Qui vont porter leurs eauxjusqu'au
Sein de Thétis ,
A- t - on jamais rien veu de pareil à
ma gloire ?
-
Cent
GALANT .
13
(
**
Cent Miracles divers que l'on n'auroit
pû croire ,
Dont mes bords aujourd'huy se trouvent
embellis,
Occupent les Sçavans de l'Empire
des Lys
A graver le nom d'orb au Temple
de Mémoire.
**
Je fais l'Hymen des Mers , remplif-
Sant ce Canal,
Qui va portersi loin le pouvoirfans
égal
* Du plus grand des Héros qu'on ait
veu dans le Monde.
:
Ce Chef d'oeuvre de l' Art ne feroit
rien fans moy .
Dansſon Litfièrement je fais rouler
mon Onde.
Pour publier par tout la grandeur
de monRoy.
J'ay
14
MERCURE
J'ay veu depuis peu une Lettre
de Marseille du 10. de Juin,
par laquelle on donne avis qu'il
y eſt arrivé une Barque de Salé,
chargée de ſoixante- dix Efclaves
François , parmy leſquels il
s'eſt trouvé un jeune Homme ,
qui a éprouvé la meſme fortune
que Daniel . Çeluy qui écrit a
ſceu de luy -meſme ce que je vay
vous conter. Ce jeune François
eſtoit Eſclave du Roy de Fez , &
en avoit deux autres ſous ſa conduite.
Ces deux Eſclaves eſtant
un jour entrez en querelle , le
Roy paſſa qui les vit aux mains.
Il commanda auſſi toſt qu'on luy
fiſt venir celuy qui devoit répondre
d'eux , & luy demanda pourquoy
il les laiſſoit batre. Le
jeune Eſclave ayant répondu
qu'il eſtoit malade au Lit dans
le temps de leur querelle , le
Roy
GALANT.
15
,
Roy , fans luy rien dire autre
choſe , luy donna un coup d'une
Lance qu'il tenoit & voulut
qu'on le jettaſt dans la Caverne
aux Lions . On executa fon ordre,
& l'Eſclave fut abandonné dans
le meſme temps à cinq de ces
Animaux qui ſe retirerent. On
eut beau les animer. Ils le regarderent
pendant fix heures , comme
fi quelque puiſſance ſecrete
les euſt retenus. Une des Femmes
du Roy , à qui on conta cette
merveille , alla demander ſa grace.
L'ayant obtenuë , elle fit dire
au jeune François , qu'on luy ſauveroit
la vie s'il vouloit ſe faire
Turc. Il rejetta l'offre avec beaucoup
de courage ; & comme il
n'y avoit pas ordre d'infifter fur
cet article , on luy donna une
Echelle , dont il ſe ſervit ſans
qu'aucun des cinq Lions ſe fuft
appro
1
16 MERCURE
approché de luy. Peu de temps
apres on jetta deux Mores dans
le meſme lieu , & ils furent dévorez
en un quart- d'heure. Cejeune
François eſtoit aux Infirmeries
de Marſeille à faire ſa quarantaine
, lors qu'on a écrit ce que je
vous viens d'apprendre.
Vous me demandez ſi je n'ay
plus de nouvelles de Madame de
Saliez , Viguiere d'Alby, dans le
même temps que j'en reçoy.Comme
cette Dame a l'eſprit treséclairé
, elle en employe toûjours
les lumieres à des choſes dignes
d'elle , & je m'aſſure que ſi en plufieurs
occaſions le tour aiſé de
ſes Vers a merité vos loüanges,
vous approuverez d'autant plus
ſa Profe , que ce que je vay vous
en faire voir regarde les avantages
de voſtre beau Sexe , & que
du caractere dont je vous connoy,
GALANT.
17
noy , elle ne propoſe rien que
vous n'ayez étably déja en quelque
façon parmy vos Amis & vos
Amies . C'eſt ce que vous connoiſtrez
en lifant fa Lettre .
09403. Sa03. E0103. Ex-3 80103. F0263 80103. 80103. 5063. 80103. 80103.
PROJET
POUR UNE NOUVELLE
SECTE DE PHILOSOPHES ,
en faveurdes Dames .
A MADAME DE ***
Depuis que j'ay ſcen,Madame, avec combien de galanterie
& d'enjouëment vous avez répondu
àcertains discours ridicules , aufquels
toute autre que vous auroit cu
la fo
la foibleſſe d'eſtre ſenſible,je me confirme
plus que jamais dans l'eſtime
que j'ay toûjours faitede vos maximes.
Je ne doute point qu'elles nefuf-
Sent celles de tout le monde ſpirituel,
نم
18 MERCURE
& raisonnable , si l'ony refléchis-
Soit autant que moy. En verité ,
Madame , si les Gens de bon goût
Se sçavoient un peu entendre , on
paſſeroit la vie tout autrement
qu'on ne fait , & l'on ne se rendroit
pas volontairement l'esclave , &la
victime d'un monde ingrat , & injuste
, qui paye d'ordinaire simal
toutes les violences que nous nous
faisons pour luy plaire. Vous rendriez
un fort grand ſervice à toutes
les Perſonnes de merite , ſi vous
vouliez publier les commodesmaximes
devostre Philosophie. Vous établiriez
par là une nouvelle Seite
mille fois plus agreable &plus utile
que toutes celles que des Hommes
Sçavans & spirituels avoient inventées
pourparvenir au repos de
la vie. le m'offre , Madame , pour
estre voſtre premiere Disciple , &
je le ſouhaite même avec plus d'ardeur
GALANT. 19
د
deur que je n'ay jamais defirė de
me voir belle & charmante ; car
enfin quand on seroit la plus belle
Perſonne du monde on ne se feroit
admirer qu'autant d'années que
cette beauté dureroit ; mais si nous
executons ce que je vous propose ,
nous ferons illuftres pendant plufieurs
fiecles. Ilme ſemble déja que
l'on dit par tout , que nous avons
- étably une Secte qui va rendre tout
le monde heureux , & que je voy
venir des Gens d'esprit de toutes
parts pour nous demander d'estre
#instruits de nos maximes.
La fin de nostre Secte doit estre
de vivre commodement , & de déterminer
toutes les Perſonnes rai
Sonnables , à ſecoüer le joug des
contraintes , que l'erreur & la coûtume
ont établies dans le monde.
Il faudra ensuite faire des Loixfelon
lesquelles l'on devra vivre , &
donner
20 MERCURE .
donner un nom à nostre Secte. C'est
à vous , Madame , à le choiſir. Ie
vous diray ſeulement que vous devez
en trouver un propre à des Per-
Sonnes qui veulent établir les bonnes
&ſolides maximes , qui font trouver
la vie agreable , honneste , &
commode , &qui donne tant de peur
aux Sots , que jamais ils n'ofent
nous approcher . C eſt pourſe défaire
d'eux que des Philoſophes ont pris
autrefois ( quoyque fort ſages ) les
noms d'Humoristes & d'Inſenſez .
Pour les Loix , c'eſt à vous aufi ,
Madame , à les impofer ; mais pour
voſtre ſoulagement , voyez si mes
Sentimens conviennent avec les vô
tres , &fi cela est , je leur donneray
plus d'étenduë.
Voussçavez , Madame , qu'il y
a deux fortes de beaux Esprits.
Ceux qui le font effectivement , &
ceux qui croyent l'estre &ne lefont
Pas.
GALANT. 21
pas. Ilfaudra foigneusement examiner
les esprits de ceux que lon
voudra recevoir , afin d'éviter le
peril des'y méprendre.
Lon fera un Serment Solemnel
de donner l'exclufion à cette forte
de Gens qui pour faire les beaux
Esprits , ne s'approchent jamais
d'une Femme , Sans luy dire des douceurs
. L'on bannira ceux quiparlent
toûjours ou de leur naiſſance , ou
de leur bravoure qui croyent
qu'une visite est incivile , ſi elle
n'est de quatre ou cinq heures , &
qui sont persuadez que pour estre
bien Gentilhomme, ilfaut estre dans
la derniere ignorance . Nous ne devons
auſſi jamais admettre dans
noſtre Seite ces fortes de beaux
Esprits , que Dieu n'a mis au monde
que comme il y envoye la guerre
& la famine , pour en estre les
fleaux ; ces Esprits qui ont des bornes
22 MERCURE
nes fi étroites , que l'on ne les voit
jamais aller au delà de certaines
manieres de parler , de deux ou trois
contes affectez , & de quelques
comparaisons qu'ils sçavent par
coeur.
Il faut sans doute , Madame ,
exclurre les Femmes qui auront les
mêmes défauts en leurs manieres ,
ne point recevoir ces Prudes qui
croyent qu'une amitié tendre &délicate
, est le plus honteux des crimes
; ny celles qui affectent unefeverité
ridicule , qui leur fait condamner
un honneſte enjouëment
qui estpourtant l'ame de la conver -
fation. Il ne faut avoir nul commerce
avec ces Dames qui croyent ,
que parce qu'elles ne font pas Coquetes
, il leur est permis de gronder
, de donner éternellement des
leçons de modestie & de retenuё ,
& qui ne pouvant souffrir qu'on
rie ,
GALANT.
23
rie , se déclarent contre tout ce
qui s'appelle divertiſſement .
Je ferois auſſi d'avis que nous ne
receufſſions point celles qui ne parlent
jamais que d'une Iuppe , ou d'une
Coëfure ; celles qui ne peuvent fouffrir
que les autres liſent des Livres
agreables , & qui s'imaginent que
pour estre honneste Femme , il ne
faut sçavoir qu'aller à l'Église , &
lire des Livres de devotion.
Je crois , Madame , qu'il est bon
- fur tout de bannir entierement l'Amour
de noſtreſocieté , depeur qu'il
ne trouble le repos que nous cherchons
, & de ſubſtitueràſaplace
l'amitié galante & enjoüée.
1
0
Aprés avoir montré ce que nous
devons rejetter , il mesemble que la
premiere Loix de nostre Secte doit
estre de vivre avec beaucoup d'amitié,
& de respect les unspour les autres.
Ie neparlepasde cequ'onappelle
respect
24 MERCURE
respect parmy les Gens que nous voulons
chaffer , qui ne conſiſte qu'en
des cerémonies importunes & embarraſſantes
, car ceux de nostre
Secte doivent sur tout renoncer à
cela ; mais le respect que j'entens ,
conſiſtera à s'estimer beaucoup , à
ne rien dire jamais qui puiſſe déplaire
, & à ne se point trop familiarifer.
Les qualitez abſolument neceffaires
pour estre admis font l'esprit,
& la docilité. Cette docilité demande
deux choses ; la premiere ,
que l'on reçoive avec ſoûmiſſion , &
avec plaisir tout ce qui fera enfeigné;
& la seconde , qu'on quitte
Sans peine &Sans trop raiſonner ,
les mauvaiſes maximes que l'on
pourroit avoir priſes dans des ſocietez
diférentes de la noſtre.
Il faut que l'esprit de ceux que
nous voudrons recevoir , ſoit capable
GALANT.
25
ment ce qu'on
ble cette liberté ſi aimable , qui
fait dire agreablement , & librewon
penſe; de cette raillerie
belle & innocente , qui fait
qu'on tourne les choses d'un biais
tout-à-fait divertiſſant ; de cette
petite malice ingenieuse qui fait
qu'onſurprendles Perſonnes les plus
Spirituelles , dans de certains endroits
de leur conversation qui les
embaraſſent un peu , & dont
elles ne se tirent qu'apres avoir
donné beaucoup de plaiſir. Enfin ,
Madame ,ilfaut que vos Diſciples
ayent la conversation galante , &
tout ce qui rend la ſocieté agreable
- & douce ,sans que pour quelque
raiſon que ce ſoit , vous en receviez
aucun dont le visage&les discours
- Soient armez d'uneſeverité ridicule.
Il doit avoir une fidelité entiere
parmy ceux de nostre Secte , c'est à
dire , qu'on se parlera fincerement
Juillet 1681 . B
26 MERC URE
& tendrement , Sans façon &Sans
grimace , qu'on verra ſouvent ceux
qu'on aimera , & que l'on évitera
ceux qu'on n'aimera pas . On travaillera
de concert &Sans ceſſe ,
pour arracher les mauvaiſes maximes
qui ſe ſont gliſſsées dans le
monde , & l'on fera une guerre continuelle
aux Sots , dont ilfera permis
de ſe divertir , quand par malheur
on se rencontrera avec eux.
Ie croy,Madame, que voila àpeu
pres les Loix qui seront neceſſaires
pour l'établiſſement , & pour le
progrés d'une Secte fi confiderable.
Si vous les approuvez , ilſerafacile
d'y en ajoûter quelques autres .
Vous jugez bien , Madame , que
nous trouverons des contradictions.
Tous les grands deſſeins font difficiles
, la plupart des Gens eftant
ignorans ou foibles , & ne jugeant
des choses que par de certaines
prévenGALANT.
27
préventions , que la politique &la
coûtume ont mises dans l'esprit des
Hommes ; maisj'eſpere pourtant que
nous trouverons affez de Perſonnes
éclairées , qui ne se laiſſent point
Surprendre à ces preventions , &م
qui seront bien aiſes de s'unir avec
nous , pour ne plus s'aſſujetir àtoutes
les contraintes qui ne fervent
qu'àfaire perdre les plus agreables
momens de la vie. Ils neſe perdent
que trop par des raiſons qui ne dépendent
pas de nous.
Si ce Projet vous agrée ,je travailleray
, Madame , de toutes mes
forces àſeconder vos defirs , &je
-croy que Solon , ny aucun
de ces
Philoſophes qui ont travaillé pour
établir le repos des Hommes , n'ont
- jamais este si fameux que nous le
Serons unjour.
LA VIGUIERE D'ALBI.
Bij
28 MERCURE
Le Vendredy onzième de ce
Mois, Monfieur le Maréchal de
Crequy vint à la Connétablie &
Maréchauffée de France , inſtaler
Monfieur le Maréchal d'E
'trées , qui n'avoit point encore
pris ſéance en ce Siege. Ils s'étoient
rendus auparavant à la
Sainte Chapelle , où ils furent
falüez par Monfieur Trabit , ancien
Greffier en Chefde la Connétablie
, qui leur preſenta des
Bouquets ſelon la coûtume. Monſieur
de la Girardiere , premier
& ancien Lieutenant du Prévoſt
General , les accompagna avec..
les Gardes à la Table de Marbre
du Palais , qui eſt le lieu de leur
Jurisdiction . Eftant ſous le Dais
dans leur Siege , avec Monfieur
de Rodarel Lieutenant General ,
& Monfieur de Chone Lieutenant
Particulier , affis à leur gauche
,
GALANT.
29
che , ils furent complimentez par
ce premier , & par Monfieur de
la Fonds Procureur du Roy , qui
eurent tout le fuccés qu'ils pouvoient
attendre. Leur éloquence
trouvoit une ample matiere dans
les actions de ces deux grands
Capitaines , dont l'un ne s'eſt
pas moins acquis de gloire fur
Terre , que l'autre s'eſt rendu
fameux fur Mer. Enſuite Meffieurs
les Maréchaux firent préter'le
Serment à Meffire François
de Francini , Seigneur deGrandmaiſon
, qu'ils reçeurent en la
Charge de leur Prevoſt General,
en la Ville , Gouvernement &
•Generalité de Paris & Ifle de
France , dont il a eſté pourveu
par le Roy , aprés avoir exercé
celle de Lieutenant Criminel de
Robe Courte au Châtelet pendant
vingt- quatre ans , avec une
B. iij
30 MERCURE
integrité & un def- intereſſement
égal au zele qu'il a pour le fervice
de Sa Majeſté . Il eſt le Frere
du Maiſtre-d'Hôtel du Roy
qui porte ſon nom. Le Serment
eſtant rendu , on luy mit en main
Je Baſton de Commandement , &
il prit ſa place à la teſte des Prevoſt
Generaux. Il eſtoit ſuivy deſes
quatre Lieutenans. Monfieur
de Riants Procureur du Roy du
Châtelet , & de la Jurisdiction du
Prevoſt General , aſſiſta à cette
Ceremonie , ainſi que Monfieur
Bachelier Conſeiller à l'ancien
Châtelet , & Contrôleur à faire
les Montres de ſa Compagnie.
Cette action ſe palla avec tout
l'éclat que la prefence de Mefſieurs
les Maréchaux luy pouvoit
donner. Ils furent remenez avec
lesGardes juſqu'à leurs Carroſſes,
parle même Monfieur de la Girardiere.
Meffire
GALANT. 31
2
Meffire Criſante le Clerc , Baron
de Sautray , que nous avons
veu Conſeiller au Châtelet, a eſté
pourveu de la Charge de Lieutenant
Criminel de Robe- Courte ,
par la demiſſion de Monfieur de
Francini . Il eſt d'une des bonnes
Maiſons d'Anjou.
Peut- eſtre , Madame,ſerez - vous
bien aiſe que je vous explique
en peu de mots quelles font les
fonctions de cette Charge de
Prevoſt General , qu'on appell-
Grand Prevoſt dans les Provinces.
Il a droit d'inſpection ſur
tous les Prevoſts Particuliers qui
font dans l'étenduë de la Generalité
de Paris , & eſt le plus ancien
Prevoſt du Royaume. Il donne
ſes ordres pour la ſureté de la
Campagne , & a pour cela des
Brigades à cheval à tousles environs
de la Ville. Il connoît de
B iiij
32
MERCURE
tous les Cas Prevotaux , & avoit
même Jurisdiction dans Paris
avant l'Ordonnance de 1670. Ce
font Meſſieurs les Maréchaux de
France qui le reçoivent. Il a
un Commiſſaire - Contrôleur à
faire les Montres , un Aſſeſſeur ,
un Procureur du Roy , un Lieutenant
à Pontoile , qui y reſide
avec douze Archers , quatre autres
Lieutenans aux Brigades ,
cinq Exempts , & cent Archers .
Il juge les Procés ſans appel , &
les peut juger dans tous les Préfidiaux
de ſon Reffort. Comme il
eſt du Corps de la Gendarmerie,
ſa paye ſe prend ſur le Tréſorier
des Guerres. Ses Archers ont fur
leurs Hoquetons & Bandolieres
Fleurs -de- Lys , Soleils , Epée de
Connétable , & Baſtons de Maréchal.
Quant au Lieutenant Criminel
de
,
GALAN T.
33
de Robe-Courte , qui eſt Lieutenantdu
Prevoſt de Paris , ſes fontions
principales ſe font dans la
Ville , & il eſt receu à la Grand'-
Chambre. Il inftruit les Procés ſans
Affeffeur , &en fon abfence , ce
font les Lieutenans Particuliers du
Châtelet , comme Affeffeurs Criminels
, qui font ſa Charge , oule
plus ancien Conſeiller. C'eſt à
luy à viſiter les Lieux de la Ville
& des Fauxbourgs qui ſont ſujets
au defordre , & où ſe retirent
les Avanturiers & les Vagabonds.
Sa Compagnie doit
préter main- forte à l'execution
des Arreſts de la Cour , & eft
composée de quatre Lieutenans
de ſept Exempts , & de cent
Archers , dont il a la nomination ,
Il peut connoiſtre des Crimes
qui ſe commettent dans la Prevôté
& Vicomté de Paris , dans
Bv
34
MERCURE
le temps qu'il fait ſa Marche. Les
Appellations reſſortiſſent au Parlement
, à l'exception des Cas
Prevõtaux qu'il juge auſſi ſansappel.
Il n'a point d'autre Procureur
du Roy que celuy du Châtelet ,
mais il a Commiſſaire & Contrôleur
à faire les Montres de fa
Compagnie . Il eſt payé par le
Tréſorier des Guerres , ainſi que
le Prevôt General , eſtant comme
luy du Corps de la Gendarmerie
. Ses Archers font Archers-
Sergens au Châtelet , & portent
fur leur Hoquetons & Bandolieres
l'Ecu de France avec
Fleurs - de - Lys , & la Deviſe
du Roy.
Il me reſte à vous apprendre
ce que c'eſt qu'eſtre Chevalier
du Guet , & en quoy conconſiſte
ſa Charge. Il eſt reçeu
devant le Lieutenant Criminel
du
GALANT.
35
1
du Châtelet , & préposé dans la
Ville pour la rendre ſure pendant
la nuit. Il a cent cinquante
Hommes de pied , & quarante
à cheval , quatre Lieutenans ,
un Guidon , huit Exempts , &
pluſieurs Sergens , qui commandent
ſes Eſcoüades Il doit , ou
ſes Officiers pour luy , faire le
rapport ſur le Regiſtre des Raports
, au Greffe Criminel , de
tout ce qui eſt arrivé la nuit , &
peut aſſiſter au Jugement des
- Criminels pris par ſes Archers ,
dans leſquels Procés il a tou-
- jours voix déliberative. L'inſtruction
s'en fait par les Lieutenans
Criminels , qui connoifſent
de ſes Captures . Cette
Charge , ainſi que celle de Lieutenant
Criminel de Robe-Courte
, eſt d'une tres- ancienne inſtitution.
Celuy qui l'exerce , a un
Clerc
36
MERCURE
Clerc du Guet , un Contrôleur
& un Payeur , & fes Archers
portent des Etoiles ſur leurs Hoquetons.
Je croy , Madame , que cét
éclairciſſement vous ſuffira fur
toutes ces Charges. Je finis l'Article
pour venir à nôtre Amy qui
a fait un ſecond Voyage aux.
Bords de la Seine , dans la charmante
Vallée de Cléranton. 11
y a reveu la Salle d'Amour , dont
il m'avoit promis d'ajoûter les
Ornemens qui luy tiennent lieu
de Tapifſerie , à ceux de la Cheminée
, de la Croisée & des Portes
, que je vous marquay fort
au long dans ma Lettre du mois
d'Aouſt dernier. Voicy de quelle
maniere il s'eſt acquité de ſa
parole.
SUITE
GALAN T.
37
SUITE
DELA DESCRIPTION
DE LA SALLE D'AMOUR
U
DE CLERANTON.
Ne Friſe regne tout autour
cette agreable Salle
où ſont des Armes de Famille
entremélées de Couronnes & de
Feſtons , avec la Deviſe Tout bien
avienne. Au deſſous eſt une Corniche
, ſoûtenuë par huit Colomnes
& quatre Termes ; & plus
bas , l'Hiſtoire amoureuſe & galante
de feu Monfieur le Marquis
de Riceys , Oncle à la mode
de Bourgogne de Monfieur de
Bufferolles , avec la Soeur aînée
deMonfieur le Comte de Bregis
: qu'il
38 MERCURE
qu'il épouſa . Cette Hiſtoire eſt
partagée en vingt - deux Tableaux
, de la main d'un habile
Peintre d'Italie . Il y a au deſſous
autant de Cartouches , où l'on
voit diverſes ſortes d'Emblèmes
& de Deviſes , à la gloire de
l'Amour; & au bas ſont de grands
Rouleaux chargez de jolis Vers
qui expliquent les deſſeins de ces
Cartouches .
Je ne diray rien des Tableaux,
finon que l'Amant & la Maîtreſſe
y ſont repréſentez ſous des Habits
de Berger & de Bergere ;
qu'un rival defagreable qui traverſa
leurs amours , y eſt peint
ſous la figure d'un More ; qu'un
autre Rival auſſi mal venu , mais
plus témeraire & plus infolent ,
y paroiſt ſous celle d'un Satyre
; & qu'enfin toutes leurs avantures
y ſont déguisées de la même
GALANT. 39
me forte , avec beaucoup d'art &
d'eſprit.
Les Cartouches dont je vous
rendray un compte plus exact ,
font toutes diférentes dans leur
ſtructure & leurs ornemens. Il y
en a quatre où ſont contenus les
quatre Ages , qui ſuivent le demélement
du Cahos.
La premiere , étale l'Age d'or,
dans ſa pleine liberté , avec ſes
graces , & fes douceurs. Ces mots
font au deſſus , Tout par amour ,
& ces Vers dans le Rouleau
d'enbas .
Lors qu'Amour charme un Esprit
qui l'adore ,
:
Ah qu'il est doux de pouſſer des
Soûpirs !
On diroit que pour luy l'Age d'or
vient d'éclore ,
Ce nesont que beaux jours , ce ne
Sont que plaiſirs.
: Jeunes
40
MERCURE
Ieunes beautez , qui commencez
d'apprendre
Qu'il est trop doux d'aimer pour
s'en pouvoir défendre ,
Aimez , aimez un feu si doux.
Et vous aurez toûjours l'Age d'or
avec vous.
La ſeconde Cartouche repre
ſente l'Age d'Argent , avec la contrainte
& la retenuë qui l'accompagnent.
Cesmots font au deſſus,
Tout par fleuretes , & ces Vers
dans le Rouleau qui eſt au deffous.
Ieunes Beautez , qui paſſez vos
beauxjours
Avousfaire conter l'ardeurde mille
amours,
Que vous perdezde momens agreables!
Laissez- vous toucher comme nous.
Si vous n'aimez , quand vous estes
aimables ,
Dieux
GALAN Τ.
41
Dieux ! en quel temps aimerez
vous?
م
Ceffez , ceſſez d'estre Coquetes ,
Un doux moment d'amour vaut dix
ans defleuretes .
On voit dans la troiſiéme Cartouche
, l'Age d'Airain , avec
l'intéreſt qui y regne. Ces mots
font au deſſus , Tout par prefens ,
& ces Vers dans ſon Rouleau.
Belles , que l'intereſt ne vous dominepas;
Il eſt honteux de vendreſes appas.
La tendre paſſion doit estre genereuse
,
Pourse rendre long-temps heureuſes
,
Suivez donc purement les amoureuſes
Loix ,
1
Vostre gloire est la noſtre ;
Ayez plus d'égard mille fois
Au preſent du coeur , qu'à tout
autre.
On
42
MERCURE
On remarque dans la quatriéme,
l'Age de Fer , avec ſa barbarie
& ſes violences . Ces mots
font au deſſus , Tout par force , &
ces Vers au deſſous .
L'inſolence a passé dans le degré
Supréme ,
D'indignes libertez de l'amour ſont
l'effet,
Etfans presque dire qu'on aime,
Nous n'ofons dire ce qu'on fait.
Belles , n'attendez pas qu'on en
vienne à la force ;
Avecque les froideurs faites plutoft
divorce.
Cedez de bonne grace une place en
vos coeurs ,
Vous en aurez cent fois plus de
douceurs .
Il y a un cinquiéme Rouleau
au bas de la Croiſée, qui contient
ces autres Vers .
Pro
GALANT.
43
Profitez dutemps qui vous preſſe,
Le belAge fuit ſans retour ,
Et qui paſſe un jour fans tendreffe
,
Peut dire avec regret, qu'il a perdu
ce jour.
Aimer enſes beaux ans , c'est prudence
&ſageſſes
Mais quand trop tard on vient à
Sechauffer ,
Au lieu de l'Age d'or qu'on trouve
en sa jeunesse ,
On ne trouve pour lors que le Siecle
de fer.
:Dans cinq autres Cartouches,
on voit parmy de beaux Païfages
l'Amour repreſenté de la maniere
dont les Poëtes le figurent
Il eſt dans la premiere,comme un
Enfants dans la ſeconde , comme
un Chaffeur,ou comme un Guerrier
; dans la troiſieme ; nud avec
un

44
MERCURE
un Flambeau à la main ; dans la
quatrième , ſur un Autel comme
un Dieu ; & dans la derniere , au
milieu de l'air , avec ſon Bandeau
& fes aîles. Voicy les Vers
qui accompagnent
Portraits.
ces cinq
Cedex, jeunes Beautez à ce Dieu
triomphant ,
Et leſuivezfans défiance ;
On ne le répreſente Enfant ,
Que pour en montrer iinnocence.
Rendez- vous àſes doux attraits,
Sans crainte de la médifance ;
Ilne s'arme d'Arc & de Traits,
Que pourprendre vostre defence.
Son procedé charmant & beau
N'a rienqui choque, ny qui bleſſe;
Il est nu , tenant un Flambeau ,
Pourmarquerqu'ilestsansfineſſe.
Ie
GALAN T.
45
Je le vois déja dans vos yeux ,
Laissez-le entrer,prenez courage;
On ne le met au rang des Dieux ,
Quepour enseigner qu'il eſtſage.
**
Ne faites point de luy de mauvaisjugement
Sur fon bandeau, nyfurſes aîles;
Il n'est point leger pour les Belles,
Il les meine au Port Seûrement .
Sans craindre doncle changement
,
Ou de tomber en quelque précipice,
Abandonnez- vous librement
Au doux espoir qu'il vous fera propice.
Ses aîles montrent ſeulement
Qu'il est prompt à rendre fervice
;
Et Son bandeau , qu'il fert aveuglement.
Dans
46 MERCURE
Dans quatre autres Cartouches,
on voit des eſpeces de Deviſes
. L'une repreſente des Salamandres
au milieu des flames,
avec ces mots au deſſus, C'est noſtre
Elément. Ces Vers ſont dans
le Rouleau .
Les doux plaiſirs n'ont point de
Source plus féconde
Que l'ardeur des tendres amours;
Il en naiſt des tranſports les plus
charmans du monde,
Heureux quipeut brûler toûjours!
Il y a dans l'autre , des Aiguilles
frotées d'Ayman , qui s'arreſtent
des qu'elles font tournées
du coſté du Nort. Ces mots font
au deſſus, C'est noſtre repos , avec
ces Vers au deſſous.
Dans l'Objet que l'on aime,on trouve
tout aimable.
On
GALANT .
47
On le regarde , il plaist , on en est
enchanté ;
Ce doux état tient le coeur arreſté.
Que ce repos est agreable !
Comme Dieu l'on est immuable,
Vive cette felicité.
On apperçoit dans la troiſiéme
des Heliotropes qui ſe courbent
du coſté du Soleil ſuivant
leur nature , avec ces mots , C'est
noſtre panchant . Ces Vers ſont
dans le Rouleau.
Iln'est pointſans tendreſſe
D'aimables , ny de doux momens;
Tous les autres plaisirs ſont ſans
délicatesse ,
Apeine frapent- ils lesfens.
Mais fi- toſt que l'on aime,
Le momdre des plaisirs est un plai.
firextréme,
Tout l'amoureux panchant
Est heureux & touchant.
La
48 MERCURE
La quatrième eſt remplie de
Papillons qui ſe vont brûler à la
chandelle. Ces mots ſont au haut ,
C'est noftre plaisir , & ces Vers
au bas .
Si l'ame en ſecret eſt ravie
DeSentir l'engageante envie
Qu'excite l'amoureux defir,
Ah que la ſuivre est bien un plus
charmant plaisir !
Eprouvez- le , chere Sylvie ,
Vous aimerezl'amour centfois plus
que la vie.
Quatre differens Poſtes de
gloire occupez par l'Amour, rempliſſentquatre
autres Cartouches .
L'un eſt un Trophée ; le ſecond,
un Trône ; le troiſieme , le Char
du Soleil ; & le dernier , eſt le
Ciel. Voicy les Vers qui accompagnent
l'Amour confideré
,
com
GALANT.
49
comme Vainqueur ſur le Trophée.
On ne voit rien dans l'Univers
Qui nesoit vaincu parſes armes;
Il met Hommes & Dieux aux
fers.
Qui peut resisteràses charmes?
Voicy ceux qui ſont faits pour
luy , conſideré comme Roy fur
leThrone.
Il est l'unique Roy des Coeurs ,
Ils font ſa gloire & Son partage,
Illes comble deſes faveurs.
Quine luyrendroit pas hommage?
Ceux- cy le regardent comme
Illuminateur fur le Char du
Soleil.
,
Il est le Soleil des Eſprits ,
Il les échauffe & les éclaires
* Juillet 1681 . C
50
MERCURE
:
Son Charme en releve le prix .
A qui pourroit- il ne pas plaire ?
Et ceux- cy', comme un Dieu
dans le Ciel .
N'est- ilpas le Dieu des Plaiſirs ?
Et s'il a tout leſoin poſſible
Defatisfaire les deſirs ,
N'a- t-on pas tort d'estre infenfible?
On le trouve enfin dans cinq
autres Cartouches, adoré de tout
ce qu'il y a de Peuples , de Princes
, de Princeſſes , & de Divini
tez dans le Monde , avec ces
Vers dans les Rouleaux , qui s'adreſſent
aux Belles comme les
autres,
S'il n'eſt Mortelle , ny Mortel ,
Dont il n'ait mis le coeur enflâme,
Pensez- vous qu'ilsoit naturel
icit D'em
GALAN T.
SI
D'empefcher qu'il entre en voſtre
ame ?
Si des Coeurs qui n'ont rien de bas ,
Ont fait gloire de leur tendreſſe,
Connoiſſez que l'on ne doit pas
Leprendre pour une foibleſſe .
:
Si des Ames pleines d'honneur
Paſſent au delà de l'eſtime ,
Et s'échauffent de ſon ardeur ,
Croyez- vous qu'aimer ſoit un
crime?
Si vous le voulez contenter ,
Imitez des Ames ſt belles ;
Vous n'avez rien àredouter ,
Ayant tous les Dieux pour mo
delles .
Vaine Raiſon , petite Liberté,
N'aspirez point à la victoire;
Cij
52 MERCURE
Vous aurez cent fois plus de plaisir
&de gloire
A vous ſoûmettre à la Divinité
Dont la Terre & le Cielſuivent la
volonté.
L' Amour, quand il luy plaiſt , peut
forcer àfe rendre
Le Coeur qui se croit le moins
tendre;
Il n'en est point qui nefoientfaits
pour luy.
* Renoncez donc au ſoin de vous
défendre .
Puis qu'il faut leur ceder , pourquoy
vouloir attendre,
Et remettre à demain, ce qu'on peut
aujourd'huy ?
Tant de jolis Madrigaux employez
par tout dans cette Defcription
, n'empeſcheront point
ſans doute que vous n'en voyiez
encor
GALANT.
53
encor un avec plaiſir. Je vous
l'envoye mis en Air par monſieur
Deleval. Labeauté de cet .
Air , quoy que fait in promptu,
vous doit convaincre de celle
des Pieces auſquelles il donne la
derniere main. Les Paroles font
de monfieur Mallement de Meffange.
AIR NOUVEAU.
Ircis attendant Sa Bergere ,
IDisoit surLa Fougere
Aupres de ſes Moutonspaiſſans, -
Viens donc fur la verdure ;
Ab que le temps me dure !
Ah que les maux que j'endureſont
grands!
Ah qu'ils font grands les tourmensque
je fens !
J'ay à vous apprendre leMa-
Ci
54 MERCURE
riage qui s'est fait en Perigord
le ſeptième de ce mois, de meſſire
Antoine Joumard , Chevalier,
Marquis de Chabans S. Preüil ,
Maréchal des Camps & Armées
du Roy , avec Mademoifelle
Suſanne de Loſſe , Fille
d'une Soeur de monfieur le Maréchal
Duc de Navailles , qui
avoit épousé monfieur le Marquis
de Loffe , & Coufine germaine
de Madame la Preſidente
le Cogneux. La Maiſon de Loſſe
eſt une des anciennes de cette
Province , auſſi bien que celle
de monfieur le Marquis de Chabans
S. Preüil qui eſt l'aîné de
la fienne . Cette derniere tire fon
origine des Comtes de Poitiers .
Un Cadetde S. Guillaume , Duc
d'Aquitaine , ayant vendu tous
ſes Biens pour aller avec S. Loüis
à la Conqueſte de Terre Sainte,
fe
GALANT .
55
ſe maria au retour de ce Voyage
à une Heritiere de Perigord ,
& c'eſt de là qu'eſt venuë la
Maiſon de Chabans. Celuy dont
je parle eſt un Gentil- homme
bien fait , qui a beaucoup d'efprit
& de mérite , & qui s'eſt
* ſignalé en divers Emplois pendant
quinze Campagnes dans
les Armées d'Allemagne , Flandres
, Italie & Catalogne. Il
fut fait Priſonnier de guerre
dans le Royaume de Naples,
avec Henry de Lorraine Duc
de Guiſe , & y demeura vingtdeux
mois avec monfieur de
Fourbin , Commandant de la
Premiere Compagnie des Moufquetaires.
Les Mémoires de
Guiſe en font foy. Il s'eſt trouvé
en pluſieurs Batailles rangées
, & eſtoit à la Priſe de Philisbourg
où Monfieur le Prince
Cij
56 MERCURE
acquit tant de gloire. Cet illuſtre
General luy avoit donné à
cominander cinq cens Hommes
des Enfans perdus , & il fit ſi
bien ſon devoir , qu'il n'en ramena
que douze. Il fut bleſſé en
cette rencontre. Sa Majesté le
fit Maréchal de Camp au mois de
Decembre 165 2. & il a ſervy en
cette qualité dans les derniers
Mouvemens de Guyenne , ſous
monfieur le Comte d'Harcourt,
& fous monfieur le Ducde Candalle.
Il eſt Neveu du Brave
Saint Preüil , qui a eſté Gouverneur
d'Arras .
On m'a conté depuis peu les
circonstances d'un autre Mariage
dont je croy devoir vous faire
part. Un Cavalier fort bien fait,
& de tres bonne Maiſon , apres
avoir employé ſept ou huit ans à
viſiter toutes les Cours de l'Eu- .
rope,
GALANT.
57.
rope , arriva un ſoir à une Ville
éloignée du Lieu de ſa naiſſance
environ de trente lieuës. Une
Fille des plus qualifiées du Païs,
s'eſtoit mariée ce mefme jour.
Il y avoit grande Affemblee chez
ſon Pere , qui eſtant des mieux
alliez de la Province , avoit prie
de la Nôce quantité de Perſonnes
confidérables de l'un & de
l'autre Sexe. Le Bal devoit fuivre
le Soupé ; & comme en ces
fortes d'occaſions il eſt naturel
d'eſtre curieux , le Cavalier à
qui on conta la choſe , refolut
de prendre un maſque , & d'aller
eſtre témoin de la joye des
Mariez . L'heure eſtant venuë,
il ſe déguiſa , & ſe meſla parmy
quelques autres qu'il vit entrer
auffi déguiſez. La Compagnie
luy parut fort belle. Il la trouva
compoſée de pluſieurs Dames
1
Cv
58 MERCURE
qui avoient toutes beaucoup de
brillant. Il examina la Mariée,
qui ayant de grands agrémens
par elle-meſme , en recevoit de
nouveaux de l'ajuſtement où elle
eſtoit ; mais rien ne le ſurprit
tant qu'une jeune Brune d'un
teint admirable. Si - toſt qu'il l'eut
apperçeuë , il n'eut plus d'yeux
que pour elle. Il la regarda longtemps
avec un plaifir inexprimable
; & quand on la fit dancer
, il fut fi charmé de la beauté
de ſa taille qu'il vit alors tou-
✓te entiere , que dans la prevention
où il ſe trouva pour elle ,
quand elle n'euſt eu aucune adreſſe
à la Dance , il luy euſt
donné tout l'avantage du Bal.
Comme on écoute volontiers les
Maſques , il s'approcha de cette
aimable Perſonne , & l'engagea
dans une converſation agreable
GALANT.
59
ble qu'elle ſoûtint avec une fineſſe
d'eſprit qui acheva de le
perdre. Le Bal eſtant tout preſt
de finir , il la quitta pour s'informer
de fon nom. On luy apprit
qu'elle estoit Fille d'un Gentilhomme
qui demeuroit à trois
lieuës de là , que l'occaſion de
cette Noce l'avoit fait venir chez
une Parente qui la devoit garder
quelques jours , & qu'enfuite
elle retourneroit chez fon Pere .
Le Cavalier ſe ſentit frapé de la
plus vive douleur quand on luy
nomma le Gentilhomme. C'eſtoit
l'Ennemy mortel de ſa Maiſon ,
& un de ces intraitables Ennemis
, à qui on parle inutilement
de paix. II poffedoit une Terre
dans le voiſinage du Cavalier , &
c'eſtoit la ſource des longs démeflez
qui avoient broüillé les
deux Familles . La haine , devenuë
1
60 MERCURE
nuë hereditaire dans l'une &
dans l'autre depuis plus de foixante
ans , avoit cauſé de fort
grands malheurs , &jamais divifion
ne s'eſtoit entretenuë avec
tant d'aigreur. Ces raiſons ne
pûrent rien ſur l'amour du Cavalier
La Belle , quoy que Fille
de ſon Ennemy , luy parut toûjours
la plus aimable Perſonne
qu'il euſt jamais veuë , & tous les
efforts qu'il fit pour l'arracher de
fon coeur , ne fervirent qu'à l'y
mettre plus avant. Elle eut toutes
ſes penſées pendant la nuit,
& il ne put ſe reſoudre à quitter
la Ville tant qu'elle auroit à y demeurer.
Le lendemain il l'attendit
dans l'Egliſe où il apprit qu'elle
alloit tous les matins , & en luy
trouvant la meſme beauté , il eur
le plaifir d'admirer la modeſtie
qui tenoit ſes yeux aufſi arreſtez
que
GALANT. 61
que ſon eſprit ſembloit recueilly.
Il la regarda ſans qu'elle y prift
garde , & continua de cette forte
à nourrir ſa paffion , juſqu'à
ce qu'il ſçeut qu'elle eſtoit partie.
Il ſe rendit auffitoft chez luy,
pour donner ordre à ſon Bien
que la mort d'un Frere arrivée
depuis un an , avoit beaucoup
augmenté . C'eſtoit ſon Aîné qui
le laiſſoit unique Heritier de la
Maiſon. Les foins qu'il fut obligé
de prendre pour le reglement de
ſes affaires, n'empeſcherent point
qu'il ne fongeaſt ſans ceſſe à la
Belle . Rien ne le touchoit plus
fortement . Il conta ſon avanture
à un Amy tres- attaché à ſes intereſts
& luy ayant peint la
grandeur de fon amour, il le pria
d'aller faire au Gentilhomme la
propofition de fon Mariage , qui
د
aſſoupiroit tous leurs diférens.
Cet
62 MERCURE
Cet Amy , ravy de contribuer à
un accommodement ſi ſouhaité,
ſe fit un plaiſir de cet employ , &
ſe flata d'autant plus de reüffir,
que le Cavalier reſtant ſeul de ſa
Famille, l'union qu'il recherchoit,
étoufoit entierement la cruelle
haine qui les diviſoit depuis fi
longtemps. Il alla trouver le Gentilhomme
de qui il eſtoit connu ,
paſſa chez luy comme revenant
d'un plus long voyage , & apres
pluſieurs loüanges données à la
Belle qu'il trouva toute charmante
, il demanda ſi on luy vouloit
permettre de luy chercher un
Mary. L'offre n'ayant point déplû
, il fit le portrait d'un Cavalier
, riche , de bonne naiſſance,
ſpirituel , parfaitement honneſte
Homme , & qui ſe contenteroit
de ce qu'on voudroit donner. Une
propoſition ſi avantageuſe fut
re
:
GALANT.. 63
reçeuë de la maniere du monde
la plus agreable. On le pria de
travailler ſérieuſement à cette
affaire ; mais quand il vint à nommer
l'Amant , il trouva le Pere
incapable de raiſon . Il eut beau
luy dire que le Cavalier eſtant
party dés ſes plus jeunes années,
pour de longs voyages qui l'avoient
toûjours tenu hors de
France , il n'avoit aucune part
aux vieilles querelles qui luy faifoient
prendre de l'averſion pour
luy ; qu'il ne s'offriroit jamais une
occaſion ſi favorable de les terminer
glorieuſement ; que les
belles qualitez de celuy qu'il propoſoit
rendoient le party doublément
confiderable , & qu'il
ſeroit condamné de tout le monde
de vouloir rendre éternelle
une inimitié qui n'avoit déja produit
que trop de méchans effets.
Ces
64 MERCURE
Ces raiſons , quoy que tres- fortes
, ne pûrent rien ſur le Gentilhomme.
Il demeura inflexible,
& l'Amy partit ſans avoir rien
obtenu. Ce mauvais ſuccés ne
rebuta point le Cavalier. Il fongea
toûjours à ſe rendre heureux
, &fa paſſion s'augmentant
par les obſtacles, luy fit employer
l'adreſſe pour les furmonter. Le
deſſein qu'il prit fut un peu bizarre
. Il avoit connu à Rome un
Abbé de qualité avec qui on luy
trouvoit beaucoup de raport de
traits . Il refolut d'aller fous fon
nom chez le Pere de la Belle , &
pour le mieux ébloüir , il inſtruifit
deux de ſes Amis de ce qu'ils
auroient à faire pour luy eſtre
utiles dans le perſonnage qu'il
vouloit joüer. La force de ſon
amour ne ſoufrit point de retardement.
Il partit en meſme temps
veſtu
GALANT.. 65
,
veſtu en Abbé , & ne mena avec
luy qu'un Valet de Chambre.
Eſtant arrivé au lieu où le Gentilhomme
avoit ſa Terre , il alla
defcendre à une méchante Hôtellerie
, denuée de tout , & fort
mal- propre à recevoir des Gens
comme luy. Il feignit d'eſtre malade
, & fous pretexte de quelques
beſoins apres qu'on luy eut
nommé le Gentilhomme , il luy .
envoya faire compliment. Le nom
qu'il prenoit eſtant fort connu
par les grandes Charges que
ceux de cette Maiſon avoient
toûjours euës en Cour , le Gentilhomme
ne manqua point à le venir
tirer de l'Hôtellerie , pour le
conduire chez luy,où il luy donna
un Apartement fort agreable. Le
faux Abbé qui vouloit n'eſtre
malade qu'autant qu'il falloit pour
ne pas quitter ſi- toſt un Lieu
tout
66 MERCURE
tout charmant pour luy , affecta
une langueur qui en l'empêchant
de pourſuivre ſon voyage , ne l'obligeoit
pas à garder le Lit. Ainfi
il en eſtoit quitte pour quelques
fauſſes foibleſſes , qu'il feignoit
d'avoir de temps en temps , & on
en uſoit de fi bonne grace ,qu'il
ceda ſans peine aux prieres qu'on
luy fit de demeurer chez le Gentilhomme
, juſqu'à un entier rétabliſſement
de ſa ſanté. On l'y
regardoit comme Fils d'un Homme
tres- confideré du Roy , & fes
manieres honneftes engagoient
d'ailleurs fi fort , qu'en tres peu
de jours il ſe fit aimer de tout le
monde.D'un autre côté ſonValet
de Chambre qu'il avoit inſtruit ,
joüoit admirablement ſon rôle.
Il peignoit ſon Maiſtre le plus accomply
des Hommes , & n'en diſoit
rien d'avantageux que le
faux
GALAN Τ. 67
faux Abbé ne confirmât en faiſant
paroître un fort grand merite.
Vous jugez bien que ſon ſoin le
plus preſſant fut d'entretenir la
Belle. Il n'en perdit point l'occafion
, & comme il avoit beaucoup
d'eſprit , & des complaiſances
dont rien n'approchoit , il eut
bien- toſt gagné ſon eſtime. Cependant
les deux Amis qui avoient
promis de le ſervir , vinrent
chez le Gentilhomme , &
témoignant une fort grande furpriſe
d'y trouver le faux Abbé ,
ils firent entr'eux la Scene , dont
ils estoient demeurez d'accord .
Ils laydemanderent des nouvelles
de ſon voyage de Rome , le mirent
fur les avantages de la Maifon
dont il ſe diſoit , luy parlerent
du revenu de fon Abbaye ,
& il répondit fi juſte à tout ſans
s'embaraſſer un ſeul moment ;
qu'on
68 MERCURE
qu'on eût crû quele hazard avoit
fait la choſe , & qu'il eſtoit veritablement
l'Abbé dont il empruntoit
le nom. Ses Amis partirent
, & deux jours aprés s'étant
trouvé dans un teſte à teſte ,
il dit à la Belle , que quoy
qu'il fût mal- ſeant à un Abbé
de faire une déclaration d'amour ,
ſes deſſeins eſtoient ſi legitimes,
qu'il ne demandoit que ſon agrément
pour luy faire voir juſqu'où
alloit le pouvoir qu'elle avoit
acquis ſur luy ; qu'il eſtoit prêt
à quitter ſes Benefices , & que
peut-eſtre elle trouveroit en l'épouſant
aſſez d'avantages pour
ſe croire heureuſe , ſi elle comptoit
à quelque choſe le plaifir
d'eſtre aimée parfaitement. La
ſurpriſe où ce diſcours mit la
Belle , luy cauſa un ſi grand trouble
, qu'elle ne ſçeut que répondre.
GALANT. 69
dre. Sa rougeur parla pour elle ,
& le faux Abbé qui crûtl'entendre
en tira un bon augure. Comme
elle doutoit qu'il luy parlat
tout de bon , il eut beſoin plu.
ſieurs fois de luy repeter la même
choſe avant qu'il pût l'obliger à
dire , qu'elle ſuivroit le choix de
fon Pere , qui eſtoit le maître de
ſes volontez . Charmé d'un aveu
ſi favorable , il alla trouver le
Gentilhomme , & luy expliquant
le deſſein où il eſtoit , il luy fit
connoître qu'il n'avoit jamais eu
d'inclination pour le party de
l'Egliſe , qu'il ne l'avoit embraſſé
que par complaiſance , n'ayant
osé refuſer deux Benefices qu'on
luy avoit fait donner des ſon plus
bas âge ; que pouvant diſpoſer de
l'un , qui eſtoit de quatre mille
livres de revenu , il alloit le réſigner
à un de ſes Fils ; que quoy
que
70 MERCURE
que le Roy nommât à l'autre , il
ne deſeſperoit pas d'obtenir ſon
agrément pour ce même Fils , ſi
l'on pouvoit ſe reſoudre à tenir
ſon Mariage ſecret juſqu'à la
mort de fon Pere ; qu'il eſtoit fi
vieux , qu'il ne pouvoit pas encore
vivre long- temps , & qu'une
année ou deux de contrainteluy
épargneroient ce qu'il devoit
craindre de ſa colere , s'il ſe déclaroit
imprudemment. Tout cela
fut dit avec tant de marques d'amour
pour la Belle , que le Gentilhomme
ſe laiſſa toucher. Il fut
ébloüy de la qualité du Gendre
qu'il devoſt avoir , & preſſé par
cét Amant dont le merite eſtoit
fort perfuafif , il conclut le Mariage
, apres que le Cavalier eut
fait tout ce qu'il fallut pour la
refignation du Benefice . Le Gentilhomme
le crût tellement de
bonne
{
GALAN T.
bonne-foy , qu'il ne voulut point
attendre à le rendre heuerux ,
qu'on eût receu réponſe deRome .
On obſerva les formalitez effentielles
, mais avec tant de ſecret,
qu'il n'y eut que deux Domeftiques
d'un zele éprouvé , à qui on
donna connoiſſance de l'affaire .
LaBelle qui ayant le goût tresdelicat
, avoit infiniment de l'eſtime
pour celuy qu'on luy faiſoit
épouſer,ſe trouva la plus contente
du monde par ce Mariage. Le
Cavalier l'adoroit,& l'honneſteté
qu'il faiſoit paroître à tous ceux de
ſa Famille , luy en gagna ſi bien
tous les coeurs , que le Gentilhomme
ne pût s'empêcher de
dire ſouvent , que s'il l'avoit bien
connu , il l'auroit choiſi par le
ſeul mérite de ſa Perſonne,quand
il n'auroit eu d'ailleurs aucune
diſtinction qui eût demandé la
préfé72
MERCURE
preference . Le Cavalier vivoit
avec luy d'un air fi reſpectueux
& ſi ſoumis , qu'à force de déferences
il eut tout pouvoir fur fon
eſprit. Les Lettres de Rome qui
arriverent quelque temps aprés ,
ſembloient apporter quelque embarras
; mais le Cavalier ménagea
la choſe avec tant d'adreſſe , que
par les mémes raiſons qui faiſoient
cacher ſon Mariage , il fit reculer
la priſe de Poſſeſſion. Je pourrois
icy embellir l'Histoire , en vous
diſant que pendant l'absence du
Cavalier qui auroit rendu quelques
viſites dans le voiſinage , un
des Parens de l'Abbé , ou l'Abbé
luy-même , à ſon retour d'Italie ,
eût eſté mené chez le Gentil
homme , qui ſe connoiſſantdupé ,
auroit pû craindre de s'eſtre donné
un Gendre indigne de luy ;
mais cela n'arriva point , & le
fait و
4
GALANT.
73
fait dont il s'agit a dans ſes vrayes
circonstances aſſez de choſes extraordinaires
pour n'avoir aucun
beſoin qu'on luy en preſte de
fauſſes . Le Cavalier qui ne cherchoit
qu'à ſe découvrir , redoubla
ſes ſoins pour gagner entierement
l'amitié du Gentilhomme .
Dés qu'il ſe connut aſſez bien
dans ſon eſprit pour ſe hazarder
à luy dire ſon ſecret , il luy parla
d'une grace qu'il le prioit de luy
accorder , comme une choſe qui
pouvoit le rendre beaucoup plus
heureux. Le Gentilhomme luy
ayant promis tout ce qu'il voulut,
il ajoûta qu'il avoit appris l'inimitié
qui regnoit depuis long temps
entre ſa Famille & celle d'un Cavalier
qu'il avoit connu à Rome ,
& avec lequel une affez longue
habitude luy avoit fait faire la
plus tendre liaiſon ; qu'eſtant re-
Iuillet 1681 . D
1
74
MERCURE
venu avec luy en France , il eſtoit
témoin que ſes premiers foins en
arrivant , avoient eſté de chercher
à faire finir leur diviſion ;
que pour cela il avoit voulu épouſer
ſa Fille ; que le refus de
le recevoir dans ſon Alliance ne
l'ayant point rebuté , il l'avoit
prié de venir chez luy fous quelque
pretexte ; que ce voyage fait
à ſa priere , avoit eſté cauſe du
bonheur qu'il poffedoit , & que
le devant en quelque façon à ſon
Amy , il s'accuſeroit d'ingratitude
, s'il s'employoit lâchement à
obtenir pour luy une choſe dont
il eſtoit ſeur qu'il le croiroit digne
quand il luy ſeroit connu . Comme
en ces occafions on peut fe
Joüer fans honte , quoy qu'il parlat
de luy même , il fit un Portrait
du Cavalier qui en donnoit bonne
opinion. Le Gentilhomme luy
... répondit
GALANT.
75
répondit un peu froidement que
c'eſtoit affez qu'il eût promis ,
que l'eſtimant autant qu'il faifoit ,
il ſe réſolvoit à faire pour luy ce
qu'il n'auroit fait pour aucun autre
; mais qu'il le prioit de luy
donner quelques jours pour ſe
préparer à l'accord qu'on ſouhaitoit
. Le Cavalier ne le preſſa
point , & ſe contenta de mériter
parmille devoirs la complaiſance
qu'il luy laiſſoit eſperer. Enfin
l'occaſion s'eſtant preſentée de
propoſer de nouveau l'accommodement
, & le Gentilhomme luy
ayant marqué qu'il avoit vaincu
ſa répugnance , le Cavalier ſe
jetta à ſes genoux , & luy découvrit
la tromperie. Jamais ſurpriſe
ne fut égale à la ſienne. Il regardoit
à ſes pieds un Gendre qu'il
eſtimoit. Son bien , ſa naiſſance ,
& fes belles qualitez , tout par
Dij
76. MERCURE
loitpour luy ; mais le dépit de ſe
voir dupé de ſa bonne- foy , luy
donnoit un air chagrin , qu'il accompagna
d'un long filence. Le
Cavalier prit ce temps pour prévenir
les reproches qu'il pouvoit
luy faire à l'égard du Benefice.
Il luy dit qu'avant que la mort de
ſon Aîné luy eût laiſſe le Bien
qu'il avoit , l'Abbé ſous le nom
duquel il eſtoit entré chez luy ,
l'avoit aſſuré vingt fois qu'il luy
en feroit la demiffion , s'il vouloit
quiter l'Epée , & qu'eſtant Amis
au point qu'ils l'eſtoient , il ne
doutoit point qu'il ne luy tinſt
parole avec joye en faveur de
fon Beaufrere . L'Abbé dont il
luy parloit , eſtant alors à Veniſe ,
devoit revenir en France quelques
mois aprés . Le Gentilhomme
fit dans ce moment les refléxions
qui estoient à faire. Le
Cavalier
GALANT. 77
Cavalier meritoit beaucoup.
L'Affaire estoit terminée. C'étoit
l'Epoux de ſa Fille , & il trouvoit
dans fon Alliance tous les
avantages qu'il auroit pû ſouhaiter.
Il ſe rendit à tant de raiſons ,
& luy témoignant tout de nouveau
beaucoup de joye de fon
Mariage , il le déclara dés le lendemain
par un ſuperbe Regal
donné à tous ſes Amis. Vousjugez
bien quele Cavalier ne manqua
pas de demander à la Belle fi
elle ſe ſouvenoit d'un Maſque qui
l'avoit entretenuë fort longtemps
dans un Bal de Nôces. Cette
Avanture fit fort raiſonner fur le
pouvoir del Amour, qui , quand
il luy plaiſt , ſçait réünir les coeurs
les plus diviſez , & qui vient à
bout de ſes entrepriſes par des
moyens qu'il peut ſeul imaginer.
J'oubliay à vous dire le dernier
Diij
78 MERCURE
mois que Mr d'Ormoy, tres - digne
Fils de Monfieur Colbert , s'eſtoit
rendu à l'aſſemlée de l'Academie
des Sciences qui ſe tient deux
fois toutes les ſemaines , dans une
des Salles de la Bibliotheque du
Roy , ruë Vivienne ; ſçavoir ,
tous les Mercredis , pour y parler
de Phyſique; & les Samedis , pour
y traiter de Mathematique, d'Aftronomie
, &c . Meſſieurs les Mathematiciens
l'entretinrent d'abord
ſur les avantages des principales
découvertes qui ont eſté
faites depuis qu'on a étably cette
illuftre Compagnie , & particulierement
ſur la methode de connoître
la Longitude qu'on a pratiquée
en pluſieurs endroits du
Royaume , à Cayenne en Amerique
, & en Dannemark par
Ordre de Sa Majesté ; & en
pluſieurs autres endroits du mon -
de,
GALANT.
79
de , ſuivant la curiofité des Aſtronômes
. Meſſieurs Picard , Richer
, & de la Hire , qui font de
- ce Corps , ont travaillé à ces obſervations
, & continüent encore
⚫chaque année à y travailler. Pendant
les voyages qui ont eſté faits
pour ce ſujet , Monfieur Caffini
eſt toûjours demeuré à l'Obfervatoire
de Paris , pour faire auffi
des obſervations en même temps
que ceux qui estoient en Campagne.
Elles font toutes ſi juſtes ,
qu'on peut s'aſſurer dans la Longitude
à quelque diſtance que ce
ſoit de cent toiſes ; ce qui n'eſt
rien fur la grandeur du Globe
de la Terre. Il entretint à fon
tour Monfieur d'Ormoy fur la
derniere Comete , dont il a fait
imprimer une Differtation fort
ſçavante , & remplie de toutes
les obſervations que l'on a pu
Diiij
80 MERCURE
faire à l'Obfervatoire . Ce Traité
a eſté tres - favorablement receu
de Sa Majesté & de toute la
Cour. On ne voulut point parler
dans cette Séance ſur les
Sujets que l'on s'eſtoit propoſez ,
qui estoient des plus profondes
Meditations de Geométrie , dont
Meſſieurs Blondel & de la Hire
entretiennent ordinairement la
Compagnie ; & comme il reſtoit
fort peu de temps , Meſſieurs
Perrault , Dodard , & du Verney
, firent voir au même Monſieur
d'Ormoy de nouvelles découvertes
d'anatomie , principalement
ſur l'Oüye , où le dernier
a fort travaillé . Enſuite , Monſieur
Mariotte luy expliqua quelques
particularitez d'un Traité
des Couleurs qu'il fait imprimer ,
& qui eſt un des plus beaux
Ouvrages qui ait paru depuis
pluſieurs
GALAN T. [ 81
pluſieurs Siecles. Il y rend raiſon
d'une infinité d'apparences dans
les Couleurs dont juſqu'à preſent
on n'avoit point ſçeu les cauſes
Aprés cela , Monfieur du Clos
Medecin & Chimiſte , l'entretint
de pluſieurs admirables, experiences
de Chimie , où Meffiturs
Bourdelin & Borelli ont tresbonne
part. Monfieur d'Ormoy
prit d'autant plus de plaifir à
entendre ces Meſſieurs , que
quoy qu'il ſoit encore dans un
âge fort peu avancé , il a des
lumieres ſurprenantes , & fçait
à fond tout ce qui regarde ſa
Charge de Surintendant, & d'Ordonnateur
General des Bâtimens
du Roy , laquelle demande qu'on
ſoit confommé dans beaucoup de
connoiſſances. Voilà , Madame
ce qui ſe paſſa dans cette docte
& celebre Academie le jour
Dw
82 MERCURE
que Monfieur d'Ormoy l'honora
de ſa préſence. Vous ſçavez , je
croy , qu'elle doit ſon établiſſement
& fes progrés à Monfieur
Colbert , à qui l'Etat , les Sciences
, & les beaux Arts , ſont ſi
redevables. Ceux qui la compoſent
font ,
Moderateur.
Monfieur Carcavi .
Mathematiciens , & Astronômes.
Monfieur Huguens.
Monfieur Blondel.
Monfieur Caffini .
Monfieur Picart .
Monfieur de la Hire.
Monfieur Roëmer.
Phyſicomathematicien.
Monfieur Mariotte .
Medecins Chimistes & Phyficiens.
Monfieur du Clos.
Monfieur
GALANT. 83
Monfieur Perrault .
Monfieur Dodart.
Monfieur Borelly .
Monfieur du Verney .
Monfieur Bourdelin.
Secretaires.
Monfieur Galloys .
Monfieur du Hamel .
Vous vous plaindriez fans
doute , fi je vous nommois tant
de Sçavans , ſans vous parler
d'eux en particulier.
Monfieur Carcavi eſt Intendanťde
la Bibliotheque du Roy ,
& ſçait beaucoup de choſes à
fond. Il a eſté dépoſitaire de ce
que les plus Doctes de l'Europe
ont eu de plus rare , ayant fouvent
eſté leur Arbitre. Ainſi ſon
nom fera immortel dans les Lettres
de Meſſieurs Descartes , Paf
chal ,
84. MERCURE
chal , Fermat & autres Sçavans
de nôtre fiecle .
Monfieur Huguens a découvert
l'Anneau de Saturne , & un
de ſes Satellites. Nous avons un
Livre de luy , De Horologio Ofcillatorio
, ou la Pendule , qui eſt un
des plus beaux Ouvrages , & des
plus ſçavans qui ſe trouve parmy
les Geomteres .
Monfieur Blondel eſt Maréchal
des Camps & Armées du
Roy , & a eu l'honneur d'enſeigner
les Mathematiques à Monſeigneur
le Dauphin. Il a donné
au Publicun Cours d'Architecture
avec les Reſolutions des quatre
principaux Problêmes de cette
Science ,& pluſieurs autres Livres.
Monfieur Caſſini eſtant à
Bologne , paffoit déja pour le
premier Aftronome de fon
Gecle. Il ya fait imprimer
pluſieurs
(
GALANT. 85
pluſieurs Traitez , & entre autres
un des Satellites de Jupiter , &
leurs Ephemerides, la Découverte
des deux Satellites de Saturne,
outre celuy de M. Huguens. Il a
depuis donné au Public un Planiſphere,
& un Livre ſur la derniere
Comete de 1680. & 1681 .
Les Tables qu'il a dreſſées du
mouvement des Satellites de Jupiter
, qui font les Lunes de cette
Planete, ſe trouvent ſi juſtes, que
par le moyen de leurs Eclipſes
qui arrivent tres-ſouvent,on peut
trouver la Longitude fur la Mer
en voyageant , pourveu que l'on
ſcache l'heure où l'on obſerve
l'Eclipse.
Monfieur Picard s'occupe ordinairement
aux Obſervations
Aſtronomiques , & a fait imprimer
fon Voyage à Uranesbourg
enDannemarck. Il y a mis toutes
Les
86 MERCURE
les Obſervations celeftes qu'il a
faites au meſme endroit que Ticobrahé.
Il a encor donné au Public
la Mesure de la Terre.
Monfieur de la Hire peut
eſtre appellé Geomettre par excellence
. Il a donné deux Traitez
des Coniques , dans leſquels
ſur ſes nouveaux principes , il a
montré & rendu facile cette Partie
de la Geometrie qui estoit la
plus difficile , ainſi qu'elle eſt la
plus noble , & en 1679. il a enrichy
cette Science par ſon Livre
intitulé , Nouveaux Elémens des
Sections Coniques , les lieux Geométriques,
la Construction, ou Effe-
Etion des Equations.
Monfieur Roëmer a fait conſtruire
deux admirables Machines
à rouës . La premiere fait voir
dans un moment le mouvement
des Planetes & leurs aſpects ,
pour
GALANT. 87
pour les années , & les jours que
l'on ſouhaite. On découvre par
la ſeconde, l'an le jour, & l'heure
que toutes les Eclipſes ſont arrivées
, & celles qui arriveront.
Il a fait paroiſtre une tres-grande
vivacité dans les choſes qu'il
a imaginées , & s'eſt beaucoup
perfectionné dans l'Académie
des Sciences , compoſée de tant
de ſçavans Hommes. Il eſt retourné
au Nort où il eſt né , le
Roy de Dannemark ayant fouhaité
de le revoir .
Monfieur Mariotte a l'eſprit
auffi fecond que penetrant. Il
ſçait ſi bien joindre la Phyſique
aux Mathematiques , que rien ne
luy échape. Il a fait imprimer
trois Livres touchant l'organe de
la Vision , un Traité du Nivellement
, un autre du choc des Corps,
un Effay de Logique , & trois au
tres
88 MERCURE
tres petits Traitez ou Effais de
Physique de la vegetation des
Plantes , de la nature de l'air , du
chaud , & du froid. Il a auſſi compoſé
un Traité des Couleurs, qu'on
acheve d'imprimer .
Monfieur du Clos a fait deux
Traitez ; l'un des Eaux minerales
de France ; & l'autre, des Sels.
Monfieur Perrault eſt un Homme
univerſel. Il a donné le Vitruve
François , avec de tres- ſçavantes
Annotations,& une docte
Explication des termes qui avoient
arreſté tous les Commentateurs
de ce Prince de l'Architecture
Romaine. Il a auſſi fait
imprimer trois Traitez intitulez
Eſſais de Physique ; du Bruit , de la
mécanique des Animaux , & de la
circulation du Sang.
Monfieur Dodard a fait le Projet
des Plantes..
Mon
GALANT. 89
Monfieur Borelly fait de tresbons
Verres objectifs pour les
Télescopes , ou grandes Lunetes
d'approche. Celle qu'on voit à
preſent à l'Obſervatoire , eſt de
ſon travail . Cette Lunette a foixante
& dix- fept pieds de longueur.
Je vous ay déja parlé de monſieur
du Verney &de M. Bourdelin
, en vous diſant que l'un a
fort travaillé aux nouvelles Découvertes
d'Anatomie , & que
l'autre a bonne part aux experiences
de Chimie qui ont eſté
faites.
Monfieur Galloys a l'eſprit
tres vif , & tres net. Il a dit de
tres- belles choſes en peu de
mots,& intelligiblement , dans
les lournaux des Sçavans qu'il a
compoſez depuis le 4. Janvier
1666. juſques au 17. Decembre
1674
Mon
१०
MERCURE
Monfieur du Hamel fit imprimer
l'an 1670. quatre Volumes
qui enrichiſſent la Philoſophie,
& qui valent preſque tout ce que
l'Antiquité a produit fur ce ſujet.
En voicy les noms. De Corporum
affectionibus , en deux Volumes;
De Corpore animato , & De mente
humana. Il nous a donné cette
année cinq Volumes qui ont
pour titre , Philofophia vetus &
nova ad uſum Schola accommodata.
On a imprimé ſous le nom de
toute l'Académie , une partie de
l'Hiſtoire des Animaux. Elle contient
leur anatomie , & c .
Vous voyez , Madame, qu'encor
que je vous écrive depuis
cinq années , j'ay toûjours quelque
choſe de nouveau à vous
mander , non pas à l'égard de ce
qui arrive chaque jour , & qu'on
ap
GALANT. 91
appelle Nouvelles , mais à l'égard
de ce qui estoit déja étably
en France depuis fort longtemps.
Cela doit faire admirer le pouvoir
, les bontez , & la magnificence
du Roy , auffi bien que les
ſoins de ſes vigilans Miniſtres .
Voicy deux Réponſes,l'une en
Profe, & l'autre en Vers, ſur l'explication
qu'une Dame a demandée
de la fin d'une Lettre qu'un
de ſes Amis luy a écrite , où elle a
trouvé ces mots. Adien , Madame
, fi je voulois vous dire la centiéme
partie de ce que je pense,
je n'aurois pas aſſez de papier
dira le reste.
Ce trait vous
A
92
MERCURE
:
A MADAME ***
Vand vous demandez , Mace
que veut dire le
trait dont vous témoignez estre
inquiete , ce n'est point que vostre
coeur empruntant le secours de vo
ſtre esprit, ne vous l'ait déja apris,
mais vostre modestie vous fait
Joupçonner ces deux interpretes, &
vous craignez qu'ils nefoient d'intelligence
à vous abufer. le voudrois
pouvoir difſſiper ce doute &
vous confirmer dans les sentimens
que l'amour vous dost donner , car
je ne puis me taire Sans crime ,
quand vous employez le Dieu Mercure
pour me forcer à parler. Je ne
m'expliqueray cependant que par
une Fable, que vostre coeur, fi je ne
trom
GALANT. 93
trompe , ne manquera pas de s'appliquer.
Elle fervira à vous faire
voir qu'on doit aimer quand on est
aimée.
Le jeune Daphnis avoit de l'amour
pour Euriſtée , la Nymphe en
avoit pour luy , & quoy que tous
deux fort ſpirituels , ils ne sçavoient
point les sentimens l'un de
l'autre. Euristée estoit modeste,
Daphnis timide , & aucun de
deux ne se déclaroit. Daphnis ſe
plaignant un jour de la cruelle contrainte
où le respect l'obligeoit des
vivre , l'Amour s'offrit àses yeux
dans son équipage accoûtumé , &
luy fit quelques reproches de ce que
Son Secours estant neceſſaire à tous
ceux qui aiment , il ne fongeoit
point à l'implorer. Daphnisfemontra
tout preſt àse ranger fousses
Loix, pourveu qu'il luy fournist un
moien defaire connoistre à Euristée
qu'il
94
MERCURE
qu'il l'aimoit ,ſans luy rien dire de
Sa paffion. Hé- bien , dit l'Amour,
prens un Trait dans mon Carquois
, & le fais porter à Euriſtée
par les Vents. Il ſuffit que j'ay
diſpoſe ſon coeur à te trouver à
ſon gré . Elle a de l'eſprit,& comprendra
mieux par ce Trait l'amour
que tu as pour elle , que fi
tu luy en faifois la plus touchante
déclaration. Pour reconnoiffance
de ce bienfait , fois luy fidelle.
Daphnis crut l'Amour. Il envoya
auffi- toft ce Trait à fon aimable
Euristée , & employa ces paroles à
la fin d'un Billet qu'il y joignit.
Adieu , charmante Euriſtée. Si
je voulois vous dire la centiéme
partie de ce que je penſe
n'aurois pas affez de papier,
le reſte.
je
Ce Trait vous dira
700
Si ce Trait , Madame , vous a
fait
GALAN T.
95:
fait entendre ce que represente cette
Fable , ne dedaignezpas de faire
voir que je ne suis pas trompé , &
que vous sçavez que j'aspire au
bonheurde vous prouver que je suis
le plus fidelle , & le plus paſſionné ...
de vos Serviteurs .
A. D. B. D.
Il paroiſt que l'Autheur de
cette Lettre a intereſt que la
Dame demeure perfuadée de
fon Explication. L'autre Réponſe
fur ce meſme Trait eſt d'un
caractere fort different. Vous
la trouverez dans les Vers qui ,
fuivent.
A LA BELLE CLORIS.
Sur la demande que propose
Dame
96 MERCURE
ou Dame de Dame Provinciale
Paris
,
Elle meſemble, adorable Cloris ,
Estre en peine de peu de chofe.
* Da moins , jen'en vois pas le fins
Son. Amise trouvoit au bout de fon
Latin,
Il nesçavoit plus que dire.
Au lieu d'un & catera ,
Il a mis ce trait pour rire ,
Et je pense que voila
Ce que l'on peutfur cela
Le plusjustement écrire.
Ce n'estpas que ce trait ne souffre
un autre tour ,
Et qu'un Faiſeur de Commentaire
Qui chercheroit àplaire,
N'en puiſſe faire un trait ,
prit , ou d'amour ;
oud'ef-
Un trait d'amour pour l'amoureux
filence
Que
GALANT .
97
Que le respect impose à qui ſçait
bien aimer, :
Quand on est prest d'expliquer ce
qu'on pense ;
Un trait d'esprit , qui porte àsu
primer
Ce qu'un autre Ecrivain , de moin
dre intelligence ,
Tout au long voudroit exprimer.
Mais moy qui fuis franc&fincere
,
le dis, & je crois que ce trait
N'enferme pas plus de miſtere
Que l' & catera de Notaire ,
Et finit seulement un peu mieux le
Billet
Que cettefaçon trop vulgaire.
Si pourtant vous voulez luy faire
plus d'honneur,
Ie n'ay garde d'avoir un sentiment
contraire ;
Juillet 1681 . E
98 MERCURE
:
i
le croiray qu'il contient une grande
douceur ,
Et qu'il est plus galant que la fin
ordinaire ,
Où l'on trouve toûjours , Je ſuis de
tout mon coeur .
Voſtre tres - humble
Serviteur .
Le 25. du dernier mois , fur
l'avis qu'on eut que la Reyne
Mere de Dannemark eſtoit partie
de Zell pour venir à la Cour
de Hanover , l'ordre fut donné
à la Milice de prendre les Poſtes
qui luy avoient eſté aſſignez ſur
le paſſage de Sa Majesté , & en
meſme temps on fit dreſſer une
magnifique Tente dans une Prairie
tres -ſpatieuſe ſur le grand
Chemin à une lieuë de la Ville,
où Monfieur le Duc de Hanover,
Frere de cette Princeſſe , avoit
deffein
GALAN T.
NA THEQUE
وو
deſſein de la recevoir. Incontinent
apres le Dîné , la Marche ſo
fit de cette maniere .
Quatre Compagnies d'ordonnance,
& cinq de Cavalerie, fortirent
du Palais en bon ordre,
ayant leurs Trompetes & leurs
Officiers à leur teſte. Tous les
Cavaliers avoient de grands Bufles
neufs chargez de Rubans de
toutes couleurs, & leurs Officiers
eſtoient en Juſte- au corps de
Broderie d'or & d'argent , avec
les Houſſes de leurs Chevaux de
meſme parure.
L'Ecurie de Son Alteſſe Seréniffime
continuoit cette Marche.
Elle estoit de trente Chevaux de
main en Couvertures de Broderie
de differentes façons , mais
toutes également ſuperbes & riches.
Les Chevaux avoient la
teſte ſi couverte de Rubans ,
Eij
100
MERCURE
vaux ,
qu'à peine pouvoient - ils voir
devant eux. Le reſte du corps
en eſtoit chargé à proportion.
Deux Ecuyers marchoient devant
ces Chevaux , & tous les
Palefreniers eſtoient en Livrées
neuves de Drap rouge , ſemé de
Galons d'argent & de Velours
noir entremeflez . Cinquante
Carroffes dorez , tous à fix Cheſuivoient
à la file. Ces
Carroſſes eſtoient remplis des
principaux Cavaliers & des Dames
les plus qualifiées de la
Cour ; les Hommes en Juſte- aucorps
brodez ou galonnez d'or,
& les Dames dans les plus riches
ajuſtemens qu'on euſt pû choifir
, felon la mode de France.
Celle qui ſe fit le plus diſtinguer,
fut Madame la Baronne de Platen.
Elle estoit veſtuë d'une Etofe
à fleurs d'or & d'argent , avec une
Gar
GALANT. 101
t
Garniture de gros Diamans. Cet
ornement produiſoit un effet des
plus brillans ſur une Perſonne
auffi grande , auſſi belle , & auffi
bien faite qu'elle eſt.
A la queuë de ces Carroffes
on en voyoit un tres- magnifique ,
dans lequel eſtoit monfieur le
Baron de Platen Grand Maréchalde
la Cour. Celuy du Lieutenant
General de l'Etat , deux
autres des quatre Genéraux Majors
, & ceux des principaux Miniſtres,
le precedoient.
La Compagnie des Gardes du
Corps en Livrées tres - riches ,
leurs Trompetes & leurs Officiers
à leur teſte , tous en dorure
& fuperbement veſtus , donnoit
un tres - grand éclat à cette
Marche .
Le Carroffe de Meſſieurs les
deux Princes aînez , George-
E iij
102 MERCURE
Loüis, & Frederic-Auguſte , paroiſſoit
un peu ſeparé de cette
file. Quelques Gentilshommes,
& pluſieurs Pages à cheval , l'environnoient
, & quantité de Valets
de pied , eſtoient à la teſte
des Chevaux. Celuy de Madame
la Princeſſe ſuivoit immédiatement
ce dernier . Il n'eſtoit pas
moins pompeux , quoy qu'il ne
fuſt point entouré de tant de
monde . Enfin douze Trompetes
& les Timbales de Son Alteffe
Sereniffime , dans un fort leſte
équipage , annoncerent par leurs
fanfares la venuë de ce Prince,
qui fortit de ſon Palais dans le
plus magnifique Carroſſe qu'on
puiſſe voir. Il eſtoit environné
de quantité de Gentilshommes
, de pluſieurs Pages à cheval
, & d'un grand nombre de
Valets de pied, à la teſte desChevaux.
GALANT . 103
vaux. Six autres Carroſſes fuivoient
, & une Compagnie de
Cavalerie fermoit cette longue
file.
Apres qu'on fut forty de la
Ville dans cet ordre , on ſe rendit
ſous la grande Tente , où la
Reyne de Dannemark arriva
un peu apres. Monfieur le Duc
de Hanover fuivy de cinquante
Gentilshommes , & Madame la
Ducheſſe avec les principales
Dames de ſa Cour , allerent recevoir
Sa Majesté à la deſcente
de fon Carroffe. Son Alteffe Seréniffime
luy donna la main , &
Monfieur le Prince Royal de
Dannemark la donna à Madame
la Ducheffe de Hanover.
Un Gentilhomme de la Cour,
& Lieutenant Colonel d'Infanterie
, porta la queuë de la Reyne .
Meſſieurs les Princes reçeurent
E iiij
104 MERCURE
!
le Prince de Holſtein , & Madame
la Princeſſe reçeut une
jeune Princeſſe de Meklebourg,
de la Branche de Guſtrau. Toute
cette belle Troupe demeura
quelque temps ſous la Tente,
&remonta en ſuite en Carrofſe
. La Reyne fut ſeule dans le
fond de celuy de Son Alteſſe.
Monfieur le Prince Royal , &
Madame la Ducheſſe de Hanover
, ſe mirent fur le dewant
, & Monfieur le Duc à la
Portiere .
Monfieur le Prince de Holſtein
monta dans le Carroſſe de
Meſſieurs les Princes, & la jeune
Princeſſe de Mexlebourg dans
celuy de Madame la Princeſſe.
On paſſa de cette forte à la
Porte de la Ville , laquelle ſalüa
d'abord la Reyne de douze volées
de Canon , qui furent fuivies
GALANT.
105
د
vies de cent autres apres qu'elle
fut paffée car elle marcha
tout droit à une Maiſon de campagne
appellée Hornhans , à la
portée du Canon de Hanover.
Cette Maiſon avoit eſté preparée
pour fon Logement. Deux
Regimens d'Infanterie qui étoient
poſtez ſur le Chemin firent
leurs falves apres que Sa Majefté
en fut un peu éloignée .
Il y eut un magnifique Soupé,
pour lequel on avoit dreſſe ſept
grandes Tables , outre celle de
la Reyne , qui fut ſeulement de
douze Couverts. Quand elle lava
, deux Generaux Majors préſenterent
, l'unl'Eguiere , l'autre
le Baffin ; le Grand Maréchal
de la Cour , la Serviete ; & un
Lieutenant Colonel , une Afliete
pour prendre les Gands de cette
Princeſſe. La meſme Ceré
E V
106 MERCURE
monie fut obſervée en ſortant
de table. Monfieur le Prince
Royal prit place à la droite , &
Madame la Ducheſſe de Hanover
à la gauche , à la diſtance
d'un Couvert de coſté & d'autre
de Sa Majefté . Apres le Prince
Royal, ſuivoient Son Alteſſe Seréniſſime
monfieur le Prince de
Holſtein , Meſſieurs les deux Princes
aînez de Hanover , & le
Grand Ecuyer de la Reyne . Du
coſté gauche eſtoient Madame
la Princeſſe de Mexlebourg, Madame
la Princeſſe de Hanover,
la Dame d'honneur , & le Grand .
Maréchal de la Reyne. Les Violons
François firent des merveilles
à leur ordinaire , & pendant
tout le Soupé le Sieur Farinel fit
valoir les Airs du fameux Lully ,
qui fait admirer par tout les agremens
de fa Symphonie.
Le
GALANT. 107
,
Le lendemain on ſervit les
meſmes Tables avec une égale
magnificence. L'apreſdînée on
fit voir la Grote , la Caſcade , &
les Jets d'eau à Sa Majefté.
Le ſoir il y eut deux Comédies,
l'une férieuſe , & l'autre comique
; & le jour ſuivant , cette
Princeſſe traverſa la Ville pour
aller à Pyrmont , où elle arriva
le 29. de l'autre mois .
On continuë de prendre plaifir
à écrire des Lettres en Proverbes.
En voicy encore une
nouvelle , adreſſée à la ſpirituelle
Perſonne qui en a donné
l'exemple.
A
RE
108 MERCURE
REPONSE
A LA LETTRE
EN PROVERBES
A MADEMOISELLE ***
P
OOuurrvous payer en mesmemonnoye
, & Chou pour Chou , je
fais réponse aujourd'huy , veille de
demain , à voſtre Lettre , laquelle
est fort , Mademoiselle , gentille;
mais n'estant pas aſſez bien ferré
àglace pour y reüſſir, je crains d'oublier
quelque virgule , & qu'on ne
dife demoy , faute d'un point Martin
perdit fon Asne. Mais baste. A
tout perdre , il ne faut qu'un coup .
Quand ma fortune fera faite , je
n'auray que faire d'aller en Hollan-
1
de.
GALANT.
109
de. Le doute que vous avez de mon
affection, me fait ronger des os tou
tes les nuits ; & lors que tous les
jourspendant voſtre absence je mets
vos loüanges ſur le tapis , je croy
toûjours que l'on me va dire,en parlant
du Loup on en voit la queuë.
Il est vray que vous ne pouvezpas
estre en mesme temps au Four & au
Moulin ; mais auſſi en matiere d'amitié,
c'est comme au Moulin,le premier
venu doit estre le premier engrainé.
Si vous me dites que ce
n'estpas pourmoy que le Four chauffe,
je vous répondray auſſi que vous
n'avez qu'à fermer la main, & dire
que vous ne tebezrien . Bien atiaqué,
bien défendu. Avec les Loups il
faut hurler , & aboyer avec les
Chiens. Point de rancune , je vous
prie, autrement je deviendrois muet
comme une Carpepâmée. Si vous me
reprochez que je fais des Coq- àl'
aſne,
110 MERCURE
l'aſne , je vous diray que changement
de discours réjoüit l'esprit ; outreplus
, toûjourspêche qui en prend
un. Pourveu que vous n'aimiez
autant que je vous aime , je m'appelle
la Roche . Vogue la Galere. Je
me moque des Rats , iln'y a point de
Blé dans mon Grenier. Si pourtant
quelque Envieux trouve à redire à
nostre amitié , Mademoiselle , tresinnocente
, & qu'il diſe , luy & elle
ce n'est qu'un , ils s'entendent comme
larrons en Foire ; laiſſez- moy faire ,
jesuis homme pour luy. Ie luy feray
voir qu'à une injure de Trompete il
faut une défense de Tambour. Ce
que j'en dis pourtant , ce n'est pas
que j'en parle ; carje mesoucie aussi
peu de luy que de ma vieille chemiſe
; & puis ſi l'Envie ne meurt
point , les Envieux mourront. Mettezenfaitque
quand je dis la verité
je ne mens point. Ie Souhaite vous
voir
GALANT. III
voir avec autant d'amour & de
paſſion que les Quinze- vingts de
Paris. Les Montagnes ne se rencontrent
point , mais fi font bien
Les Hommes. Ie partiray demain,
mais non pas le prochain , car
l'Hommepropose , & Dieu dispose.
Si j'estois Sorcier comme une Vache
, je vous dirois la chose au
net ; mais je ne devine que ce que
je vois. Peut- estre direz vous , que
mes mépris me fervent de louanges.
Si vous voulez tourner la médaille,
mettre la Charette devant les
Boeufs , vous trouverez que mes
loüanges meſervent de mépris . Ie
ne vous dis aucune nouvelle
vous sçavez tout avec plusieurs
autres choses ; mais je vous diray ,
faites toûjours bien , & j'en prendray
le peché. Ieſuis ravy deſçavoir
que vous aimez bien courte
Meſſe & long Diné , car enfin
finale ,
, car
112 MERCURE
finale , est assezprêché qui veut
bien faire , & on ne perd que sa
leſcive à laver lateſte d'un More.
A propos de bottes , voicy un beau
Baston. le veux finir icy ma Lettre,
Mademoiselle , assezjolie. Si vous
n'en voulez point , couchez- vous
aupres . Si vous n'eſtes pas contente ,
prenez des Cartes . Quand on fait
ce qu'on peut , on n'est point coupable.
Perſonne ne peut donnerce qu'il
n'a pas. Ie vous en ay plus rendu
que vous ne m'en avez donné.
Grand- mercy de vos choux , lafoupe
estoit de nostre pain ; &parce
que la fin couronne l'oeuvre , écoutezmoy
, car à un bon Entendeur
il ne luy faut qu'une demie parole.
Vousſcavezbien ce quejevousfuis,
rien du tout si vous ne voulez . Entrez
dans ma pensée touchant cette
parole , car je la dis de bouche ,
mais le coeur n'y touche. Bon jour
نم
GALAN T. 113
& adieu , c'est bien toft fait. Tirez
le Rideau , la Farce eft joüée.
Ie vous aimeray , malgré vous &
vos dents , jusqu'à la semaine des
trois Lundis , huit jours apres jamais.
LE JEUNE SANS SOUCY ,
de Guiſe.
Madame de Marle , Abbeſſe
de Villers-Caninet, mourut le 28 .
de l'autre mois , fort regretée de
tous ceux à qui ſa vertu eſtoit
connuë. Elle estoit Soeur de M.
de Marle Maître des Requêtes ,
& Intendant en Auvergne , &
avoit quitté l'Ordre de Saint
Dominique , pour prendre celuy
de Ciſteaux , dont l'Abbaye de
Villers fuit la Regle. Il y avoit
quatorze ans qu'elle gouvernoit
cette Maiſon. Le Roy en a fait
Abbeffe
114
MERCURE
Abbeſſe une Parente de Madame
de Louvois , nommée Madame de
Souvré Renoüard , qui estoit Religieuſe
en l'Abbaye de Vignal.
Jay oublié juſqu'icy à vous
apprendre la mort du Frere Beauregard
, fi connu des Gens d'armée
, qui depuis vingt ans s'eſtoit
mis dans l'Ordre des Recolets .
Il avoit eſté Mestre de Campde
Cavalerie , & s'eſtoit trouvé au
Siege de la Rochelle fous Louis
XIII. & à la Bataille de Lerida
en Catalogne , où il donna de
fort grandes marques de valeur
& de courage. Quelque temps
avant ſa mort , qui eſt arrivée
àNiſmes , il dit qu'il y avoit vingt.
cinq ans qu'il y eſtoit entré en
pareil jour à la teſte du Regiment
de Conty.
Le triſte accident dont je vais
vous faire part , a bien fait verſer
des
GALANT.
115
des larmes . Un Gentilhomme
marié dans le Rommois , Dioceſe
de Roüen , ayant une Fille de fon
premier Mariage , épouſa en fecondes
Nôces une Veuve qui de
ſon côté avoit un Fils. La Dame
mourut , & ces deux jeunes Perſonnes
eurent à peine atteint
l'âge de s'engager dans le Sacrement
, que le Cavalier jetta les
yeux ſur la Demoifelle. Elle estoit
belle , avoit de l'eſprit , & un enjoüement
d'humeur qui la faifoit
fouhaiter par tout. Aufſi donnat-
elle tant d'amour au Cavalier ,
qu'il devint jaloux de tous les Rivaux
qu'il crut avoir. Il le fut fur
tout juſques à l'excés d'un Gentilhomme
, à qui la belle ne déplaifoit
pas . Apres deux ou trois viſites
, il le fit prier de ne plus venir
chez elle. Il ajoûta les menaces
aux prieres , & paſſa enfin juſqu'à
la
116 MERCURE
la fureur. Ayant ſçeu un jour que
ce Gentilhomme avoit tenu compagnie
à une Parente chez cette
aimable perſonne , il vint tout à
coup avec un fuſil à la porte de
la Salle , & regardant fon Rival
ſe mit en état de s'en défaire .
La Belle qui craignit quelque
malheur , courut à luy pour le retenir.
Le fufil tira , & elle receut
le coup. Elle en mourut dés le
lendemain 16. du dernier mois ,
à neufheures du matin , fans qu'il
fuſt poſſible de remedier à ſa bleffure.
Les ſentimens de détachement
& de pieté qu'elle fit paroître
dans ce peu de temps ne ſe
peuvent concevoir. Jugez du
deſeſpoir de ſes deux Amans.
Autre accident qui n'eſt pas
commun. Une Belle eſt morte par
excés d'amour. Je ne vous puis
dire fi la langueur qui a terminé
fes
GALANT. 117
ſes jours a eſté causée par l'inſenfibilité
du Cavalier qu'elle aimoit,
ou par les, obſtacles que les Parens
ont apportez à ſa paffion . Je
fçay ſeulement que ſa mort à donné
occaſion à celuy qui prend le
nom du Berger fidelle des Accates
, d'envoyer à cét Amant les
Vers que vous allez voir.
I
NARCISSE.
FABLE.
Adis vivoit au pied du Mont
Parnaſſe
Un Berger plus beau que le jour ,
Qui préferoit le plaisirde la Chaffe
Aux tendres douceurs de l' Amour.
C'estoit en vain que Nymphes &
Bergeres
Aban118
MERCURE
Abandonnoient le ſoin de leurs
affaires .
Pour aller groſſir ſa Cour;
Car plûtôt avec un crible
On eust deſſeché la Mer ,
Queporté sét inſenſible ,
En charmant tout , à se laiſſer
charmer.
C'estoit enfin une choſe impoſſible ,
Témoin l'avanture d'Echo.
Cette Nymphe trop susceptible ,
Avoit de l'embonpoint, lesyeux vifs,
le tein beau ,
L'air enchanté , la taille faite à
peindre,
A la voir on eust aisément
Iuré qu'elle n'auroit jamais lieu de
Se plaindre
De la cruauté d'un Amant.
Cependant deſonfort admirezl'injustice
,
Ellefechafurses pieds de douleur.
De
GALANT .
119
De voir noſtre Berger Narciſſe
Luy refuser l'Empire de ſon coeur.
Auffi ne tarda- t- il guére
D'en payer la folle enchere ;
Car un jour qu'ilrévoit fur les bords
d'un Ruiſſeau
Aux cruels effets deſes charmes,
Qui portant dans les coeurs de charmantes
allarmes ,
Mettoient pourtant les Nymphes
au tombeau ,
Il apperçeut ſafigure dans l'eau.
A cette veuë ilsentit dans fon
ame
Naître des mouvemens de tendreſſe
& de flame.
Il se méconnut & Soudain
De la raiſon ayant perdu l'usage,
Dans les convulsions d'une amoureuse
rage
Il plongea tout vêtu ( Sans doute
dansJon ſein ,
Amour ta mis cefuneste deſſein )
Defirant
120 MERCURE
Defirant de jouir par un prompt
Mariage
Deſa froide & mouvante Image.
C'est ainsi que nostre blondin
Perit à la fleur de ſon âge ,
Pour avoir eu le coeurtrop libertin.
Quiconque l'imite est peuſage,
Et court riſque d'avoir unſemblable
destin.
Puis que vôtre Amie eſt réfoluë
d'aller cette année à Bourbon-
Lancy , je ne doute point
qu'elle ne ſe faſſe un fort grand
plaifir de voir par avance un lieu
où elle a du moins fix ſemaines à
paffer. Elle en trouvera la veuë
dans cette Planche. Les Bains
font au deſſous du Château , dans
le Fauxbourg Saint Leger. Pour
la fatisfaire entierementtouchant
le Païs , & la nature des Eaux qui
le rendent ſi fameux , vous pouvez
21
es
r.
lle
de
15

GALANT . 121
vez luy faire part des circonſtances
qui ſuivent. La Lettre qui les
contient a eſté écrite à une Perſonne
, qui eft refoluë comme elle
d'y aller chercher ſa guerifon.
::
LETTRE
DE Mr COMIERS ,
PREVOST DE TERNANT ,
Touchant les Eaux Minérales de
Bourbon-Lancy.
Lm'est fort aisé , Monfieur , de
vous apprendre ce que vous voulezſçavoir
des Eaux de Bourbon-
Lancy. Noftre Chapitre de Ternant,
qui n'en est éloigné que de trois
lieuës ,me les fait connoître depuis
Iuillet 1681 . F
122 MERCURE
fort long- temps. Ces Eaux font au
pied d'un Rocherſur lequel la Ville
eſt aſſiſe , entre les Confins du Duché
de Bourgogne , & la Province de
Bourbonnois , à un quart de lieuё
de la Riviere de Loire , à quatorze
lieuës de Nevers, àſept de Moulins,
&àdouze d'Autun. L'Airy estfort
pur,le Païsage agreable, les Promenades
tres - belles & on y abonde de
toutes choses. Quelques defordres
que la ſuite des années ait pû apporteraux
Fontaines, &aux Bains,
leur ſtructure , leur aconomie , &
leurs distributions , ne laiſſent pas
de paroiſtre encore merveilleusement
; &fi elles estoient foûtenuës
comme autrefois de la richeſſe de la
matiere , & des ornemens d' Architecture
, elles paſſeroient pour le
plus bel ouvrage de l'Antiquité.
Les Baſſins des Fontaines ſe voyent
encore àpresent composez de gros
quartiers
GALAN T.
123
de Marbre blanc. Leurs Pavez&
celuy des Bains eft de Marbre gris.
Toutes les Statues qui ornoient ces
Bains, estoient aussi de Marbre
blanc. Quant aux Murs , Marches,
Niches, Corniches & autres Ouvrages
d'Architecture,le tout estoit encrouſté
de tables de Marbre de difé.
rentes couleurs appliquées ſur un cimet
rouge & attachécontre les Murs
pardes Clousde Cuivre de Corinthe
de 7.à 8. pouces de lõgueur.LesFragmens
qui en restent en quelques endroits
, font voir la magnificence des
Romains , qui apres la conqueste
des Gaules, reconnoiſſant l'utilité de
ces Bains , & de ces Fontaines , n'é-
Pargnerent rien pour les embellir.
Nos Rois depuis un fiecle ont fait
dégager ce grand Ouvrage des ruines
dans lesquelles il eſtoit enfevely ,
Henry III. y envoya Son Premier
Medecin , le Contrôleur defes Bâ
Fij
124 MERCURE
timens , & du Cerceau son premier
Architecte , qui y firent travailler
pendant quelque temps avec un
grand nombre d'Hommes. Monfieur
Beaulieu Secretaire d'Etat en 1602 .
& Monfieur Defcures en 1608. Sous
Henry IV.continuerët àfaire enlever
une partie des ruines de ces Bains; &
MonfieurMotheau Medecin du Roy,
& Intendant des Eaux Minerales ,
a pris le foir d'y faire employer en
l'année 1680. un fond de douze
cens livres , venant de la liberalité
des Elûs des Etats de Bourgogue.
Des cing Bains qui font preſentement
à Bourbon , on en a déterré
trois depuis peu de temps , & parmy
ces ruines , ainſi que dans celles
qu'on avoit foüillées auparavant ,
on à rencontré plusieurs fragmens
de Baſes , Colomnes . Chapiteaux ,
Architraves , Friſes , Corniches
Pavemens à la Mosaïque , Statuës
,
Partie
GALANT.
125
partie de Marbre de diverſes
couleurs , morceaux de Fafpe , Porphire
, Bronze ; Cuivre & Airain ,
& entre autres une Statue qui a
esté portée au Louvre dans la Sale
des Antiques. On y a auſſi trouvé
diverſes Medailles d'or , d'argent ,
& de bronze , representant les Effigies
de Iules , d'Auguste Cefar , &
d'autres Empereurs avec une infinité
de petites Pierres azurées , pourprées
, & d'autres couleurs les unes
plus transparentes que les autres ,
& diverſement taillées .
Mais si les Eaux de Bourbon-
Lancy ſont confiderables par le
grand nombre de leur fources , elles
ne lefont pas moins par les vertus
admirables qu'elles tirent d'un mélange
de foulfre & de bitume , &
encore de quelque peu de Sel , de
Nitre, d' Alun , & de Vitriol , que la
Nature ſemble n'avoir admis en fo
Fiij
126 MERCURE
cieté avec ses premies Mineraux ,
que pour temperer leurs qualitezqui
yprédominent: Le mélange s'enfait
dans ces Eaux plûtoßen esprit qu'en
Substance ; ce qu'on reconnoiſt en ce
qu'elles font tres- claires , auſſi legeres
que celles des meilleures Fontaiwes
, Sanssaveur , ſans odeur , &
qu'estant reposées , elles ne laiſſent
aucunmarc.Ce quiſurprend davantage,
c'est qu'ellessont actuellement
tres - chaudes , &neantmoins au lieu
d'échaufer le dedans du corps , elles
en temperent les ardeurs par leur
boiſſon , ainsi que fait un Boüillon
dePourpier qu'onprend chaudement.
Elles humectent & defalterent en
un instant , beaucoup mieux que ne
feroit une Tisane rafraîchiſſante.
Cét esprit des Mineraux qui les animent,
les rend amies de l'estomach ,
& de toutes les parties nouriſſieres
qu'elles penetrent , enforte qu'elles
en
GALANT.
127
en enlevent les obstructions . Elles
arrestent toutflux, de quelque nature
qu'ils puiſſent estre ; &comme on
en peutfaire des Bainsproportionnez
au temperament de chaque Malade,
elles affermiſſent les nerfs debilitez ,
ramoliſſent ceux quiſont tendus,queriſſent
les paraliſies,lesſciatiques,les
rhumatismes ,les hydropiſies ,Soulagent
les goutes,& emportent presque
toutes les maladies exterrieures . Les
Bains ne font pas les ſeuls qui produiſent
ces effets , mais encore leurs
boües. Au report du ſcavent Monfieur
du Clos , dans les Obſervations
par luy faites en l' Academie Royale
des Sciences ,fur le fel des Eaux minerales
de France aux années 1670,
& 1671. ce fel extrait des Eaux
de Bourbon a esté reconnu commun
& marin , pareil en tout à celuy des
Eaux de Barrege ; & s'il est vray
que le felfoit l'ame des Mineraux
Fiiij
128 MERCURE
quise communiquent avec les Eaux ,
on peut conclure que celles de Bourbon
&de Barrege ayant toutes deux
le mêmeſel , doivent estre animées
des mêmes Mineraux , &par con--
fequent avoir les mêmes vertus , &
produire les mêmes effets , tant dans
les Bains que parles bouës. Loignez
àcelaque les Eaux de Bourbon - Lancy
peuventfervir de remede à ceux
qui ſe trouveront dans quelque langueur
de poison. l'en parle enſcavant
, l'ayant éprouvé moy-même.
Elles contiennent un fel qui afſſoupit
& mortifie les poiſons lents , &par
une action d'un acideſur un Alkali
détruit leur qualité mortifere. Ie ne
vous dis rien de la vertu qu'elles ont
contre lasterilité. Quantité de Dames
s'en sont aſſez bien trouvées .
pour en rendre témoignage.
Ie viens à la description des Fontaines
& des Bains: Les Fontaines
font
GALANT .
119
font au nombre dedix , Sept d'eaux
chaudes er trois de froides II
LA
VILLA
LYON
*1993
Fv
128 MERCURE
quise communiquent avec les Eaux ,
on peut conclure que celles de Bourbar
d
fi
Pi
Le
à
ہر
q
gi
de
V
CO
m
po
ta
Jont
GALANT . 119
font au nombre de dix , Sept d'eaux
chaudes & trois de froides . Il y a
d'ailleurs cing Bains,
La premiere des ſept Fontaines
d'eau chaude , appellé le Limbe , &
marquée B dans la Planche queje
vous envoye, est la plus confiderable
de toutes . Elles est faite en forme de
puits , qui a onze pieds quatre pou
ces de diametre , trente - quatre de
circonférence, &fept de profondeur.
La marche de ce Puits a un pied de
largeur & de hauteur , & le pavement
en est percé en divers endroits
pour donner paſſage à la Source qui
a cinq ou fix pouces de groſſeur. Elle
s'éleve en pluſieurs boüillons qui ſe
rompent, & enfin s'uniſſent &s'égalent
à lafurface de l'eau . Cette Sourcefort
d'un Rocher eſcarpé d'environ
quarante pieds . L'eau en eftfi chaude,
qu'on n'ensçauroit boire un verre
quà plusieurs repriſes.
Fv
130 MERCURE
i
LaSeconde Fontaine marquée ,R
a trois pieds neufpouces en quarré ,
fix de profondeur & même degréde
chaleur que la premiere .
La troisième marquée S , appellée
de S. Leger , & la 4. & la s.marquées
I &E , ont chacune 4. pieds
d'ouverture en quarré , sur sept &
demy de profondeur , & leurs eaux
Sontbeaucoup plus temperées que celles
des deux premieres
Lafixiéme marquéeM, ale nom
de Fontaine de la Reyne , parce
qu'elleaesté reparéepar les liberalitez
de Loüife de Loraine , Reyne de
France. Son Baffin eſt elevé de deux
Marches par deſſus terre. Elle afix
pieds d'ouverture en quarré,ſept de
profondeur&ſon eau estmoins chaude
que celle du grand Puits , plus
chaude que celle des 3. Fontaines S, I
&E , & a même degré de chaleur
que celle de Bourbon-Larchambaud.
LA
GALANT.
131
Laſeptièmemarquée C, est appellée
Deſcures, à cause de la découverte
qui enfutfaite par un Seigneur de
ce nom en 1609. Elle a s .pieds d'ouverture
en toutfens, 6. de profondeur.
Son cau est un peu moins chaude que
celle de la Fontaine de la Reyne . Ces
Sept Fontaines diſtribuent leurs eaux
dans les Bains par divers Canaux
qui les échaufent , ou qui les temperent
, ſelon le degré de chaleur que
l'on defire.
La 1. des 3. Fontaines d'eaufroide,
marquée O , est faite en demy-rond,
ayant 5. pieds de diametre & deprofondeur.
Elle distribuëfon cau, ainsi
que les autres dans les mêmes Bains.
Les deux Fontainne E, S ,font cachées
sous terre. Quelques Anciens
diſent les avoir veues , & le St Anbery
dans le Traité qu'ila fait des
Eaux minerales,dit avoir ben de celle
de la Fontaine S, qu'il affure estre
tres-bonne- Ces
132 MERCURE
Ces 10. Fontainesſont placéesdans
une Court marquée A , qui a 180.
pieds de longueur. loignant cette
Court , du côté du Septentrion est le
Bain Royal. Il est de figure ronde
ayant 42. pieds de diametre dans
oeuvre , & 14. de profondeur , qui
font employez ,sçavoir en 3. pieds &
demy de hauteur d'eau , Servant à
l'usage du Bain , & le ſurplus en ornemens
d'architecture . Les Mursont
6. pieds d'épaisseur , &font faits de
gros quartiersde pierre qui paroiſſent
avoir esté fondus par le mélangédes
matieres étrangeres qui les copoſent.
A l'entour de ces Murs on voit 12.
Niches espacées de fix en fix pieds ,
en ayant chacun 9. de hauteur, 5. de
Largeur , & 4. de profondeur. Six de
ces Niches font arrondies par deſſus
en cul de Four, & les 6. autres font
couvertes de plates bandes,Au deſſus
des Niches est une Corniche d'ordre
Tofcan, qui fait le contoux des murs.
GALANT.
133
Ces Niches estoient autrefois ornées
de Statuës poſées ſur des Piedeſtaux
qui paroiſſent encor à préſent. Il en,
fort divers Canaux qui portent
l'Eau des Fontaines dans le Bain,
où l'on defcendpar des marches placées
à l'entour des Murs.
A ce Bain Royal eſt joint , du
costé du Septentrion , le Bain marqué
M. Il a foixante pieds de lonqueur
, fur quarante- trois de largeur
, & reçoit les Eaux de la
premiere & de la ſeconde Fontaine
chaude.
Le troisième Bain marqué V,
joint ce Bain M , du coſté d'Orient.
Il a quarante-trois pieds de longueurfur
vingt- fix de largeur , &
reçoit les Eaux des mesmes Fontaines
que le precedent. ३
Sur la mefme ligne , & du costé
d'Occident, est le Bain N, qui joint
auffi le Bain M. Il est de mesme
20 Lon
134
MERCURE
longueur & largeur que le BainV.
Ces deux Bains V & N , font
Separez du Bain M , par un Mur
de pierre de taille de cinq pieds
huit pouces de hauteur , fur cing
d'épaiſſeur. Dans le milieu de leurs
faces qui regardent le Septentrion
& le Midy , l'on voit quatre grandes
Niches qui estoient autrefois
remplies de quatre Statues , l'une
desquelles representoit deux Baigneurs
folâtres. On dit qu'on l'a
transportée dans la Maiſon Royale
de Fontainebleau . Ces trois derniers
Bains ont chacun trois pieds
&demy d'eau , dans laquelle on
deſcend auffi par des marches qui
regnent autour des Murs .
Le cinquiéme Bain appellé des
Pauvres , & marqué B , a vingt- un
pied de longueur fur dix-sept de
largeur , & trois pieds huit pouces
de profondeur d'eau venant des
Fon
GALANT.
135
Fontaines de la Reine & Defcures.
Tous ces Bains & ces Fontaines
Se vuident par le bas & à fleur
d'eau , par des Canaux de bronze,
de plomb , & de pierre , dans des
Aqueducs intermédiaires , & de là
dans le grand Aqueduc qui fert de
Receptaclegeneral à toutes les Eaux .
Ce dernier Aqueduc a environ un
quart de lieuë de longueur , ſurfix
àsept pieds de hauteur , & trois
de largeur.Il est fait de taille cimentée.
On a reconnu qu'ily a cinquante-
trois Canaux qui s'y déchargent,
la plupart desquels yportent
des Eaux froides. Comme ce
nombre de Canaux excede celuy des
Fontaines & des Bains , il eſt aisé
de juger qu'il y a encor plusieurs
Bains & Fontaines que les ruines
empefchent de découvrir. Voila l'éclairciſſement
que vous avezfouhaité
de vostre &c .
Il
136 MERCURE
Il n'y a perſonne qui ne convienne
qu'une Penſion de vingtquatre
mille livres, payée de mois
en mois , eſt un Preſenttres- confidérable
, & digne de la genérofite
& de la magnificence d'un
grand Roy . Cependant, Madame
, quand on reçoit de pareilles
graces ſansles avoir demandées,
& fans s'y attendre, vous demeurerez
d'accord que le prix en redouble
de beaucoup. C'eſt non
ſeulement recevoir deux fois par
la maniere obligeante dont le don
eſt fait , mais celuy qui a pû ſe
l'attirer fans ſollicitations , en a
d'autant plus de gloire , qu'on ne
peut douter qu'il n'ait veritablement
part dans l'eſtime de fon
Souverain . Toute la Cour a fait
compliment à Monfieur le Ducde
Vendoſme ſur la Penſion que
je viens de vous marquer. Sa Ma-
۱
jefté
GALAN T. 137
jeſté qui en a gratifié ce Prince
, n'a eu que ſon ſeul merite à
écouter pour luy accorder les
graces qu'Elle a répanduës fur
luy. Vous ſçavez qu'il eſt d'une
tres - grande bravoure , & qu'il a
toûjours ſervy le Roy avec le zele
le plus affidu.
Monfieur l'Abbé de Bourlemont,
Docteur de Sorbonne, Neveu
de Monfieur l'Archeveſque
de Bordeaux , a eu l'Eveſché de
Pamiers de la meſme forte , c'eſt à
dire,fans avoir fait aucun pas pour
l'Epiſcopat. C'eſt un Homme d'une
pieté fort exemplaire , & dont
on a toûjours eu ſujet d'admirer
la modeſtie . Il a parlé en public
avec ſuccés , & s'applique fortement
à l'étude Eccleſiaſtique.
Comme il reſte ſeul de ſa Maiſon,
il a renoncé à toutes ſucceſſions
échuës ou à échoir , en faveur
de
138 MERCURE
de Madame la Comteſſe de Labadie
ſa Soeur , qui eſt une Per
ſonne bien faite , brune , fort diſtinguée
par les belles qualitez de
fon eſprit. Outre qu'elle aime
tous ceux qui en ont , elle a cultivé
le ſien par quantité d'utiles
lectures , & il eſt fort peu de connoiſſances
propres à ſon Sexe
qu'elle n'ait acquiſes. Monfieur le
Comte de Labadie à qui elle eſt
mariée depuis peu, eſt tres - bien
fait , jeune , ſpirituel , & Fils de
ModeChamarante qui a eſté premier
Valet de Chambre du Roy,
&dõt la nobleſſe eſt tres - connuë.
Sa Majeſté s'eſt trouvé fi contente
de ſes ſervices , que quand on
fit la Maiſon de Madame la Dauphine
, Elle luy donna la Charge
de Premier Maiſtre d'Hôtel de
cette Princeffe ,& la Survivance à
Mr le Comte de Labadie ſon Fils.
Mon
GALANT.
139
Monfieur de la Mouche- Beauregard
, apres avoir exercé quelques
années la Charge de Conſeiller
au Chaſtelet,a eſté receu Conſeiller
au Parlement. Comme il
aime le travail & l'étude , il y a fujet
de croire qu'il remplira dignement
la place qu'il comence d'occuper.
Il eſt de bonne Famille de
Robe,& Fils de Mrde la Mouche-
Beauregard Auditeur des Comptes,
fort eſtimé dansſaCompagnie .
Je vous ay parlé depuis quelque
temps du depart de Monfieur le
Duc de Mortemar. Il a déja fait
un long voyage qui n'a pas eſté
infructueux . Il eſtoit le 23.Juin au
Port de Vendres en Rouſſillon,où
les vent contraires l'arreſtoient. Il
arrivoit de Majorque , apres avoir
obligé les Corſaires de cette Ifle
à rendre tout ce qu'ils avoient
pris fur les Sujets de Sa Majesté,
ſuivant
140 MERCURE
ſuivant l'Etat qu'en avoient drefsé
les Députez de Marſeille. Ces
Corſaires ont donné de l'argent
pour ce qu'on n'a pas trouve en
nature , & cela , avec tant d'empreſſement
de fatisfaire le Roy,
qu'il eſt aisé de juger par là de
l'impreſſion que fait ſur Mer &
fur Terre la terreur des armes de
ce grand Prince. Le reſpect qu'on
a pour luy ſe connoit encor par
les honneurs que l'on a rendus à
Monfieur le Duc de Mortemar
dans toutes les Coſtes d'Eſpagne .
Les Galeres n'ont eu beſoin d'aucun
rafraîchiffement qu'on n'ait
pris ſoin de luy apporter Monfieur
Trobat, Préfident au Conſeil Souverain
de Rouffillon,& chargé de
de l'Intendance , eſt venu le viſi -
ter en allant voir à ſon ordinaireles
Travaux de pluſieurs Places
avec Monfieur de la Mote- Lamire
,
1 Inge
GALANT.
141
Ingénieur , qui dirige ces Travaux.
Cejeune Ducl'a receudans
la Reale , au bruit du Canon , avec
des honneſtetez qui ne pouvoient
mieux marquer l'eſtime qu'il fait
de fon mérite.
Sa Majesté a réſolu qu'il n'y auroit
plus à l'avenir de Lieutenant
de Roy dans Lile , mais un Commandant,
qui feroit un Homme de
confidération .Monfieur de la Rabliere
, qu'Elle a nommé pour ce
Poſte , a tout ce qu'il faut pour
le bien remplir. Il n'y a perſonne
àqui ſes ſervices ne ſoient connus.
Le 17. de Juin , Monfieur Foucaut
Intendant de Montauban
, s'eſtant rendu à Cahors ,
Meſſieurs de l'Univerſité n'eurent
pas plutoſt avis de ſon arrivée,
qu'ils l'allerent voir en Corps.
Apres que le Recteur de la Faculté
luy euſt fait ſon compli-
د
ment,
1
142
MERCURE
ment , il leur dit qu'il eſtoit venu ,
ſuivant l'Arreſt du Conſeil , inſtaler
monſieur Dolive pour Do-
Aeur Profeffeur du Droit François
; & Meſſieurs Roüaldes, Arbelon,
Moſtolac, Berrié, Calmon ,
& Pons , pour les ſix Docteurs
aggregez au Droit. La Cerémonie
s'en fit le lendemain à dix
heures du matin , en préſence de
tous les Corps de la Ville . Monſieur
l'Intendant fut placé dans
un Fauteüil , entre le Banc de
Meſſieurs de l'Univerſité,& Mefſieurs
du Preſidial , ayant à ſa
droite monfieur le Preſident , &
à ſa gauche monfieur le Chancelier
de l'Univerſité. Il fit un
tres-beau Diſcours , dans lequel
A expliqua les intentions duRoy.
Ce ne fut pas ſans faire un portrait
avantageux du Profeſſeur
que Sa Majesté avoit choiſi . En
fuite
GALAN T. 143
ſuite on leut l'Arreſt du Confeil,
& monfieur Dolive ayant preſté
le ferment ainſi que les Docteurs
aggrégez , il monta en Chaire , &
fit un Remercîment François au
Roy , à monfieur le Chancelier,
& à monfieur l'Intendant , avec
toute l'éloquence que peut demander
une Action de cette nature
. Monfieur Parriel Chanoine
en l'Egliſe Cathédrale de Cahors,
& Chancelier en l'Univerſité de
la meſme Ville , parla apres luy ,
avec beaucoup d'aplaudiſſement
de ſes Auditeurs , fur les Reglemens
des Univerſitez ; & enfin
le Recteur qui s'expliqua en Latin
, fit connoiſtre que Sa Majeſté
venoit de faire un tres- digne
choix en la perſonne de monſieur
Dolive, & qu'il eſtoit juſte
qu'apres avoir eſté Conſeiller en
la Cour des Aides de Montauban
pen
144 MERCURE
pendant vingt- deux ans , il euſt
l'avantage d'enſeigner le Droit
François dans la meſme Ecole,
où monfieur Dolive fon Pere,
avant que d'eſtre Avocat General
en la Cour des Aides , avoit fi
bien expliqué les Loix Romaines
en qualité de Profeſſeur. Monſieur
Dolive luy répondit en la
meſme Langue avec beaucoup
de grace & de netteté , & ce fut
par là que ſe termina la Ceremonie
.
L'exécution du Seigneur Olivier
Plunket, Archeveſque d'Armagh
, Primat Titulaire d'Irlande
, & du Sieur Edvvard Fits-
_Harris , faite en Angleterre depuis
quelques jours , a fait trop
de bruit , pour ne vous en pas
apprendre les circonstances. Le
premier fut accuſe d'abord en
Irlande,& ce fut là que l'on commen
GALANT.
145
mença à luy faire fon Procés. Il
fut meſme amené à la Cour pour
eſtre jugé ; mais ceux qui le
pourſuivoient , qui estoient des
Gens d'une vie infame , & pleine
de crimes, s'eſtant apperçeus que
ce Prélat avoit des Témoins &
des Regiſtres qui les convaincroient
de fauſſeté, s'abſenterent
volontairement, & vinrent à Londres
faire des Inſtances , afin qu'il
y fuſt conduit. Quoy que ce
fuſt une procedure fort irreguliere
, de le juger dans un Lieu ,
où les crimes dont il eſtoit accuſé
n'avoient point eſté commis,
& où les Jurez qui ne le connoifſoient
point non plus que la qualité
de ſes Accuſateurs , ne pouvoient
eſtre informez de beaucoup
de circonstances neceſſaires
à éclaircir pour l'inſtruction
de fon Procez , ſes Ennemis ne
Juillet 1681 . G
146 MERCURE
laiſſerent pas de venir à bout de
le faire transferer. Après avoir
eſté reſſerré pendant fix mois
dans une étroite Priſon , il fut
amené le 13. de May dernier à
laBarre du Banc du Roy , & accuſé
des meſimes crimes dont on
Tavoit chargé en Irlande. Comme
ſes. Témoins , & toutes les
Pieces qui pouvoient faire ſa juſtification
, estoient en ce Païs-là,
le Chef de Justice luy accorda
cinq ſemaines afin qu'il les fiſt
venir. Ce temps ne luy put fuffire.
Il falloit tirer de divers Regiſtres
les Copies des Actes qui
prouvoient ſon innocence. Les
Témoins qu'il promettoit de produire
estoient de differentes Provinces
& l'inconſtance des
Vents & de la Mer mettoit de
puiſſans obſtacles à la promptitu .
de qui luy eſtoit neceſſaire. Ainfi
fes
د
GALANT. 147
ſes Témoins ne vinrent point. 11
demanda un delay de douze
jours , & ce delay luy ayant eſté
refuſé par Mylord Chef de Juſtice
, il fut de nouveau amené devant
les Juges, &accuſé.
1. D'avoir écrit par un nommé
Nial , ou Neal , fon Page , à
monfieur Baldeſchi Secretaire du
Pape , & à quelques autres , afin
qu'ils follicitaſſent les Puiſſances
Etrangeres d'envahir l'Irlande.
2. D'avoir employé le Capitaine
Cononeale aupres d'un
Prince Etranger pour en tirer du
fecours .
3. D'avoir levé & exigé de
l'argent du Clergé d'Irlande, pour
y faire entrer des Etrangers , &
entretenir ſoixante - dix mille
Hommes.
4. D'avoir eu ce nombre
d'Hommes tous preſts, d'en avoir
Gij
148 MERCURE
fait des Liſtes , & ordonné à un
nommé Duffy Religieux , d'enroller
deux cens cinquante Hommes
dans la Paroifle de Foghart
au Comté de Loruth.
4
5. D'avoir viſité tous les Forts
& Havres d'Irlande , & choify
celuy de Carlingfort , comme le
plus propre pour y faire débar-
'quer les Etrangers qui devoient
venir.
6. D'avoir tenu pluſieursConſultations
ſecretes ſur les moyens
de fournir l'argent promis à ces
Etrangers.
7. D'avoir enfin dans une
Aſſemblée qui ſe tint il y a dix
ou douze ans , au Comté de
Monaghan , exhorté trois cens
Gentilhommes qui s'y trouverent
de ce Comté , & de ceux
de Cavan, d'Armagh , & à prendre
les armes afin de pou-
د
voir
GALANT. 149
voir recouvrer leurs Biens .
Sur ces Accuſations , il fut
condamné le 18. de Juin , & on
luy prononça ſa Sentence le 29.
du meſme mois. Elle portoit qu'il
ſeroit conduit à Tiburn , que là
il feroit pendu , & qu'eſtant encor
en vie , on luy fendroit le
ventre , qu'on en tireroit ſes entrailles
qui luy ſeroient preſentées
devant les yeux , qu'en fuite
on luy couperoit la teſte , &
que fon Corps ſeroit mis en quatre
quartiers.
Quelques jours auparavant ,
la mefine Sentence fut prononcée
au Sieur Fits- Harris , dont
il faut preſentement que je vous
parle. Vous remarquerez que je
me fers, du ſtile nouveau dans
toutes les dates ſelon le Calendrier
qu'on obſerve en France.
Ce Fits- Harris eſtoit Gentilhom-
Giij
150 MERCURE
me , & né Proteftant , ainſi que
fon Pere, qui eft Chevalier , qualité
fort confiderable en Angleterre.
Tous les deux ayant en
ſuite embraſſe la Religion Romaine
, il y a environ deux ans
que le Fils reprit, de nouveau la
Proteftante. Quoy qu'il euſt
mangé la plus grande partie de
fon Bien en débauches , & peu
au ſervice du Roy , il ne laiſſa
pas de tirer quelque argent de
Sa Majesté , qui le connoiſſant
par quelques Emplois qu'il avoit
eus dans ſes Armées , voulut
luy donner des marques de la
liberalité qui luy eſt ordinaire
pour ceux qui le fervent. Malgré
les bienfaits qu'il en reçeut,
il prit reſolution de faire courir
le Libelle , dont on l'accuſe
d'eſtre l'Autheur , & qui a pour
titre , Lettre d'un Anglois , parlant
GALANT.
ISI
د
lant bon Anglois , à un de ses
Amis. Ce Libelle eſt plein de
Maximes ſi abominables , & de
Propofitions fi injurieuſes au Roy
d'Angleterre à Monfieur le
Duc d'York , & à la mémoire
des deux derniers Roys , que
les deux Chambres du Parlement
tenu à Oxford , jugerent
qu'il fuffiſoit qu'on l'en euſt
trouvé ſaiſy , pour le déclarer
coupable de haute trahifon . Son
deſſein eſtoit de le faire mettre
ſecretement dans la poche
des Presbytériens , contre lefquels
il ſe fuſt rendu dénonciateur
; mais la choſe reüſſit tout
autrement qu'il ne l'avoit creû.
Il ſe découvrit à un Amy dont
il eſperoit quelque ſecours. Cet
Amy feignit d'entrer dans ſes
ſentimens ; & fur ce que l'affaire
méritoit bien qu'on y refle
Giiij
152 MERCURE
chiſt , il l'engagea à revenir chez
luy le lendemain , pour l'examiner
un peu plus à fond. Fits-Har
ris y confentit , & ils ne fe furent
pas plutoſt ſeparez , que ce
pretendu Amy alla avertir le Juge
de Paix de ce qui venait de
luy arriver. Ce Juge, qui eft com
me un Commiſſaire du Chaſte
let de Paris , ou un Enqueſteur
& Examinateur dans les autres
Villes du Royaume , luy dit qu'il
continuaſt de feindre ; & afin
d'avoir des preuves , il fut arreſté
qu'il ſe trouveroit dans la Chambre
de cet Amy , & que s'y cachant
avec quelques autres , il
écouteroit leur entretien . Ce
qu'on avoit reſolu fut executé.
Fits -Harris parla , & la dépoſition
des Témoins cachez le fit
auffitoft conduire à la Tour. La
Tour eſt à Londres ce que la
✓ Baſtil
GALANT.
153
Baſtille eſt à Paris , & l'on n'y
envoye queles Criminels d'Etat .
Il offrit d'abord des Cautions
pour ſe preſenter aux premieres
Aſſiſes , c'eſt à dire , Séances
quand on juge un Accuſé ; mais
il ne pût obtenir de les faire recevoir.
Apres la Caſſation des
deux derniers Parlemens , on
travailla tout-de- bon à inſtruire
ſon Procés. Il avoit eſté déja interrogé
pluſieurs fois au Conſeil
du Roy , Sa Majesté y eſtant
preſente. C'eſt ce qu'on pratique
en Angleterre dans les affaires
des grands Criminels d'Etat .
On les interroge toûjours devant
le Roy , & il ſe trouve à leur Jugement,
quand c'eſt le Parlement
qui les juge.
L'affaire de Fits- Harris-pouvant
cauſer de grands maux , fi
on ne fongeoit à en prevenir les
Gv
154
MERCURE
fuites , Sa Majeſté partir de
Vvindſor , Maiſon de plaiſance
où Elle paſſe l'Eté , pour ſe rendre
à Londres. Elle arriva à Vvitheal,
qui est le Louvre, leMercredy
18. du dernier mois , à ſept
heures du matin , & en meſme
temps fit aſſembler fon Confeil.
Toutes choſes y ayant eſté reſo-
Juës pour le Jugement de Fits-
Harris , Elle nomma les douze
Jurez qui devoient l'examiner,
donna ordre qu'on dreſſaſt la
Commiſſion de leur Charge , la
ſigna , la fitſceller de fon grand
Sceau , & retourna en ſuite à
Vvindſor. Vous obſerverez , Madame
que les Criminels font
jugez en Angleterre par douze
Perſonnes que l'on appelle Jurez
, & qui font nommez exprés
pour chaque Procés que
l'on y juge. On les choiſit de
la
GALANT.
155
la qualité des Accuſez . Ce font
Gens de Robe pour les uns,
& Gens d'Epée pour les autres.
Celuy qui préſide , s'appelle
Chef de Justice , parce
que c'eſt luy qui recueille les
voix & qui prononce. Le
Lieu de leur Aſſemblée eſt pour
L'ordinaire celuy meſme oú ſe
tient le Parlement quand le Roy
l'a convoqué . Apres qu'ils font
aſſemblez , l'Accuſe eſtant venu
, le Meſſager , qui eſt comme
un Huiffier , fait voir ſa Commiffion
au Chef de Justice , qui
la donne au Greffier pour en faire
la lecture , & cependant ce
Chefde Juſtice tientune Baguete
de bois blanc , qui eſt la
marque de leur pouvoir. La leture
de leur Commiffion eſtant
achevéeşil met la Baguete entre
les mains du Meſſager , qui la
a
: doit
156 MERCURE
doit tenir aupres de luy tant que
dure le Procés. En fuite les Jurez
preſtent ferment de proceder das
les formes juridiques à l'examen
de l'Accusé & des Témoins, & de
rendre leur Jugement avec equi
té. Cela fait, ils prennent chacun
leurplace. L'Accusé demeure de
bout en un coin , & les Témoins
viennent les uns apres les autres,
dire ce qu'ils ont à dépoſer contre
luy. Il y répond, fait venirles
ſiens qui parlent en ſa faveur , &
cela ſe fait publiquement en prefence
de tous ceux que quelque
intereſt , ou la curiofité y amene.
LeJeudy 19. fur les ſept heures,
Fits -Harris fut conduit par eau
de la Tour à Vveſtminster , &
comparut aux Affiſes . On examina
pluſieurs Témoins contre
luy , & il ne fournit que de tres
petits
GALAND.
157
petits reproches pour les récuſer,
& de foibles preuves pour renverſer
ce qu'ils dépoſerent.
Tous les Témoins ayant eſté
entendus , les Juges ſe retirerent
enparticulier dans une Chambre ,
&eſtant revenus un quart-d'heureapres
, déclarerent l'Accusé,
Criminel de haute trahiſon. En
fuite la Baguete fut rompuë, pour
faire connoiſtre qu'ils n'avoient
plus de pouvoir ; & parce qu'il
eſtoit déja tard, ils prirent un autre
jour pour faire dreſſer la Sentence,
la figner , & la prononcer à
Fits-Harris.Cela fut faitle Mardy
ſuivant 24.du mois.On le ramena
par eau de la Tour à Vveſtminſter
pour l'entendre lire ; apres quoy
on le remit dansla Tour , juſqu'à
ce qu'il pluſt à Sa Majesté d'en
ordonner l'exécution .C'eſt la coû.
tume de tout le Royaume. On n'y
exécute
158 MERCURE
execute aucun Criminel , fuft- il
des plus miférables , que ſa Sentence
de condamnation ne foit
fignée par le Roy , & qu'il n'ait
marqué le jour du ſuplice. Ainfi il
en eſt beaucoup qu'on garde des
mois entiers, quoy qu'ils ſçachent
leur Sentence. Ils voyent leurs
Amis pendant ce temps,mangent
avec eux, & ſe divertiſſent , comme
ſi de jour en jour ils n'attendoient
pas celuy de leur mort. Le
lieu où les Criminels font exécutez
, s'appelle Tiburn. Il eſt dans
un grand Chemin à un quart de
lieuë de Londres.Ce ſont trois Piliers
, avec trois Baſtons couchez
deſſus , auſquels l'Exécuteur les
attache.
Le Vendredy 11. de ce mois,
jour deftiné pour la funeſte exécutiondõt
je vous parle,les Sieurs
Slingsby Bethel , & Henry Cor
nish,
GALANT.
159
nish , Sherifs de Londres & de
Meddlesex , allerent trouver le
Lieutenant dela Tour à huit heures
du matin,&demanderent que
le Sieur Edvvard Fits- Harris leur
fuſt mis entre les mains pour faire
executer ſa Sentence. Il leur fut
livré , apres qu'ils luy en eurent
figné une Décharge. En meſme
temps on le mit ſur une Claye qui
avoit des ais aux deux coſtez , &
on le traîna par le milieu de la
Ville juſqu'aux Priſons de Neugate.
C'eſt un Lieu ſemblable au
grandChastelet,& où l'on ne met
que des Criminels. A la porte de
cette Priſon eſtoit ſur une autre
Claye , le Seigneur Olivier Plunket
, Archeveſque , Primat Titulaire
de tout le Royaume d'Irlande,
condamné aufſy. On le traîna
devant Fits- Harris , & ils furent
conduits de cette manierejuſques
à
160 MERCURE
2
à Tiburn. Apres qu'ils y furent
arrivez ,on fit mettre une Charette
ſous la Potence , qui eſt diſposée
comme je l'ay dit .Le Seigneur
Plunker monta le premier fur la
Charrete , & en y montant fit le
figne de la Croix. En ſuite il ſalüa
les Sherifs , & les autres Spéctateurs
, avec un viſage gay. Ses
joues eſtoient colorées d'un ver
millon qui luy eſtoit naturel. Pen
de Perſonnes pûrent retenir leurs
larmes . Auſſi eſtoit- ce un Spectacle
bien touchant , de voir dans
cette poſture un venerable Vieillard,
remplyde mérite , & âgé des
plus de 65. ans. L'Exécuteur s'eſtant
approché de luy unmoment
apres , luy mit une corde au col,
qui avoit un noeud coulant. Ce
Prélat que tout le monde plaignoit
oſta ſon Chapeau pour faire paffer
la corde, & retira ſes cheveux
qui
GALANT. 161
qui ſe trouverent engagez defſous.
Il remit en ſuite fon Chapeau
avec autant de tranquillité que
s'il n'euſt eu aucun intéreſt à la
triſte Tragédie dont on le faiſoit
un des principaux Acteurs. Sa
couleur ne changea point. Il regarda
l'Aſſemblée d'une contenance
ferme , & hauſſant la voix
pour ſe faire entendre, il dit , qu'-
ayant à paroistre dans fort peu de
temps devant un Iuge qui ne peut
estre trompé par de faux Témoins,
parcequ'il conoist leſecret des coeurs,
il protestoit qu'il alloit déclarer la
verité avec toute forte de candeur,
Jansſeſervir d'équivoque , ny em.
ployer aucun terme que das fa fignification
ordinaire Apres cette proteſtation
, il fit connoiſtre l'extraordinaire
procédure qui avoit eſté
tenuë cõtreluy,déduiſit les divers
chefs d'accuſation que vousavez
3
veus
162 MERCURE
veus marquez au commancement
de cet Article , & répondit fur
chacun d'une maniere , qui devoit
perfuader qu'on n'avoit fait
contre luy aucune dépofition qui
ne fuſt fauſſe. Il affura par ferment
qu'il n'avoit jamais ſongé
à aucun des crimes qu'on luy imputoit
, n'ayant envoyé d'Agent
ny à Rome , ny à aucune autre
Cour pour affaires temporelles ou.
civiles , ne s'eſtant trouvé à aucune
Affemblée de Gentilshommes
, n'ayant viſité aucun Fort
d'Irlande , ny levé d'argent pour
y faire entrer les Etrangers ; & à
l'égard des ſoixante - dix mille
Hommes qu'on l'accuſoit d'avoir
voulu tenir preſts , il dit , qu'il n'y
auroit aucune Perſonne de bonsens,
qui eust quelque connoiſſance du
Païs , qui le vouluft croire quand il
l'avoüeroit , parce que tous les
Reve
GALAN T. 163
د نم
Revenus d'Irlande tant spirituels
que temporels , poſſedez par tous
les Sujets du Roy , pourroient à
peine suffire pour la levée
pour l'entretien d'un si grand nombre
de Troupes. Il ajoûta , qu'un
grand Seigneur Pair du Royaume,
luy avoit envoyéporter parole qu'on
luy Sauveroit la vie , s'il vouloit
accufer d'autres Perſonnes , & qu'il
avoit répondu que n'ayant jamais
eu connoiſſance d'autres Factieux
ou Conspirateurs , que de
ceux que toute l'Irlande connoiſſoit
Sous le nom de Tores د
il ne
trouvoit point de crime plus noir
que d'ofter la vie à un Innocent ,&
que si ce crime estoit honteux à tous
les Chreftiens , il le feroit beaucoup
davantage à un Homme deſa Profeſſion
, Prestre de l'Eglise Romaine
, &mesme Prélat , comme il l'avoüoit
164 MERCURE
voüoit ouvertement , quoy qu'il s'en
connust indigne ; qu'il ne nioit pas
qu'il n'eust fait les fonctions d'un
Evesque Catholique , tant que l'exercice
de cette Religion avoit esté
Soufferte en Irlande ; qu'il avoit tâché
par toutesfortes d'Instructions,
& de Statuts à faire rentrer le
Clergé dans ſon devoir , que ceux
qui n'avoient pû se résoudre à
changer de vie , estoient devenus
Ses Accusateurs , qu'il vouloit parler
des feuls Eccleſiſtaſtiques ,
n'ayant jamais connu les quatre
autres qui s'estoient portez Témoins
contre luy ; que leurs faux
Sermens qui caufoient ſa mort
toient la reconnoiffance de ses
bons offices ; qu'il prioit Dieu de
ne leur point imputer le crime d'avoir
répandu ſonſang ; qu'il leur
pardonnoit de tout son coeur , aussi
ébien
qu'aux Juges qui luy avoient
refu
GALANT. 165
refusé un temps suffisant pour faire
venir ſes témoins & Ses Papiers;
qu'il pardonnoit de la mesme forte
à tous ceux qui avoient contribué
à le faire venir d'Irlande pour
estre jugé à Londres , où il estoit
moralement impoſſible que son affaire
eust un bon succés ; qu'il
prioit auſſi qu'on luy voulust pardonner
, s'il avoit eu le malheur
d'offenser quelqu'un ; qu'il souhaitoit
au Roy,à la Reyne , àMonfieur
le Duc d'York , & à toute la Famille
Royale une parfaite ſanté , une lonque
vie,toute forte de profperitéſur
la Terre , & une eternelle felicité
dans le Ciel. Il finit par des ſouhaits
de pouvoir ſe juſtifier aupres
de Dieu des grands pechez
qu'il avoit commis contre ſes
Commandemens. Il en témoigna
le plus ſenſible regret , & dit
que s'il luy reſtoit mille année à
:
1
F
vivre,
166 MERCURE
vivre , il les employeroit à y fatisfaire.
د
Apres qu'il eut ceſſé de parler,
il mit entre les mains du Sieur
Bethel l'un des Sherifs , un Papier
qui contenoit le Diſcours
qu'il venoit de faire, & jura tout
de nouveau devant Dieu &
fur l'efperance de ſon ſalut , qu'il
n'avoit rien dit qui ne fuſt la verité
, le tout ſans déguisement,
&fans referve mentale , & que
la fignature qu'on trouveroit au
bas de l'Ecrit eſtoit la fienne.
Cela eſtant fait cet infortuné
Prêlat donna ſon Chapeau à l'Executeur,
tira une Coëffe de nuit
de ſa poche , la mit ſur ſa teſte ,
& répondit à quelques demandes
que luy firent les Sherifs. Un Miniſtre
de la Religion Proteftante
ſe preſenta devant luy ; mais il
luy tourna le dos fans vouloir le
د
regar
GALANT. 167
+ regarder. En ſuite il ſe couvrit
le viſage entier avec la coëfe , &
demeura plus d'une demy- heure
dans tout le recueillement qu'on
ſoit capable d'avoir. Il eſtoit débout
, attaché à la Potence , mais
non pas encor pendu. Durant
tout ce temps on ne le vit point
changer de poſture. Il eut toûjours
les mains libres , & dans une
meſme ſituation , fi ce n'eſt lors
qu'il faiſoit des Signes-de Croix,
ou qu'il frapoit ſa poitrine , ce qui
arrivoit ſouvent .
Dans ce meſme temps on fit
monter Fits- Harris , qui eſtant
dans la Charete , demanda au
Capitaine Richardſon , ſi on n'avoit
point donné quelque ordre
aux Sherifs pour diſpoſer de fon
Corps. Ce Capitaine ayant dit
qu'il ne devoit pas s'en inquiéter,
il pria qu'on fiſt venir le Docteur
Ha
168 MERCURE
J
Havvkins pour l'aſſiſter en mourant
. Les Sherifs firent auſſi- toft
monter ce Docteur. Ils s'embrafferent
, & l'Executeur voulant
luy paſſer la corde au col , le Doteur
prit ſon Chapeau , & Fits-
Harris oſta ſa Perruque. Quand
la corde fut paſſée , il tira un
grand Mouchoir de ſa poche,
&le noüa derriere ſa teſte . En
ſuite l'Exécuteur voulant l'attacher
, il l'arreſta en diſant qu'il
vouloit faire ſes Prieres à genoux ,
ce qu'il fit ſur l'heure avec le
Docteur. Un quart d'heure apres
ils ſe leverent tous deux, &s'embraſferent
encor une fois . Le
Sherif Bethel demanda à Fits-
Harris s'il n'avoit point quelque
choſe à dire,& qu'en l'état où il ſe
trouvoit , il devoit n'avoir aucun
autre ſoin que de décharger ſa
confcience.Il réponditque leDo-
Aeur
GALANT 169
teur de la Tour feroit fçavoir au
public tout ce qu'il avoit à déclarer,
& qu'il l'avoit laiſſé parécrit,
ſigné de ſa main .
Le Docteur Martin Vvoodſtreet
qui estoit preſent aupres
des Sherifs , le preſſa de dire s'il
mouroit Papiſte ou Proteſtant. II
répondit de nouveau que l'écrit
qu'il avoit laiſſe entre les mains
du Docteur Havvkins fatisferoit
tout le monde ; & fur ce que le
même Docteur luy repliqua que
la fatisfaction du public feroit plus
grande , s'il vouloit luy- même faire
cette déclartion , il luy fit encor
la méme réponſe , & dit ce qui
ſuit pendant que l'Executeur attachoit
la corde à la Potence.
Bon Peuple. Ce genre infâme
de mort me paroît plus effroiable
que la mort même, Les pechez
que j'ay commis contre Dieu peu-
Juillet 1681 . H
170 MERCURE
vent bien m'avoir attiré de tels
Iugemens ; mais quant aux crimes
pour lesquels je meurs , je le prens
icy à témoin , quejen'ay eu de part
au Libelle que pour découvrir au
Roy ce qui se paſſoit contre luy .
L'estois employépour cela , bien que
ceux qui m'employent ayent refusé
de me faire justice , quand on m'a
fait mon Procès. Leprens auffi Dieu
àtémoin , si de ma vie j'ay touché
aucun argent que pour de pareils
Services. Quant aux Témoins qui
ont jure contre moy , je déclare folemnellement
à tout le monde , & au
moment de ma mort , que je n'ay
point veu le Ministre du Prince
Etranger avec lequel on m'accuse
d'avoir eu des conferences , depuis
le commencement de la découverte
de la Conspiration; que je ne luy ay
parlé de ma vie , non plus qu'àson
Confeffeur, & que je n'ay eu au- i
cune
GALAN Τ. 17
cune affaire avec eux directement
ny indirectement , quoyque le Chevalier
Guillaume Vualler , & les
autres ayent fauſſement juré le contraire.
Quelle apparence y a-t-il
que ce Ministre m'eût voulu donner
trois mille Ecus pour composer ce
Libelle ? Ie laiſſe aux Gens éclairez
à enjuger. Le Docteur Havukins
a entre ses mains tout ce qui me
reste à déclarer. le pardonne à toutL
le monde , &j'espere que Dieu me
pardonnera. Ie demande les prieres
de tout ce bon Peuple , afin qu'il
m'obtienne un heureux paſſage en
l'autre Monde.
Apres ce diſcours , Fits-Harris
demanda aux Sherifs ſi on ne
laiſſeroit pas ſon Corps à la diſpofition
de ſa femme ; ſur quoy l'un
d'eux luy lût l'ordre , portant qu'il
feroit coupé en quatre quartiers,
les quartiers mis ſur les Portes
Hij
172 MERCURE
dela Ville , & fa teſte ſur le Pont
de Londres . Il ſalua le Docteur
& les Sherifs & abaiſſa le mouchoir
pour ſe couvrir le viſage.
Alors on lia les mains à l'Archevêque
d'Irlande , auſſi - bien qu'à
luy. On fit enſuite marcher le
Cheval par qui la Charette eſtoit
traînée , & l'un & l'autre demeura
perdu . L'Executeur les prit
tous deux par les pieds , & lestira
chacun l'eſpace de trois minutes.
Un peu apres il les dépoüilla tous
nuds , ſans les détacherde la Potence
. Le premier qu'il en tira fut
le Corps de l'Archevêque . Il l'étendit
ſur une petite Table , où
luy ayant fendu l'eſtomach , il
luy arracha le coeur , qu'il fit voir
au peuple , en diſant , Voicy le
coeur du Traitre. En même temps
il le jetta dans le feu , auffibien
que ſes entrailles qu'il luy
GALANT.
173
}
arracha , apres qu'il luy eut fendu
le ventre , comme il luy avoit
fendu l'eſtomach. Enfuite luy
ayant coupé la teſte , il cria tout
haut , Voicy la teſte du Traître.
On ne remarqua aucun changement
dans le viſage. Il remit cette
teſte dans une Corbeille , apres
quoy il coupa les quatre membres
, & les mit avec la teſte.
On a enterré le tout aupres des
Corps des Jeſuites qu'on executa
à Londres il ya deux
ans . C'eſt une grace que ce Prélat
avoit demandée. Le reſte du
Corps fut jetté au feu L'Executeur
fit la même choſe de celuy
de Fits Harris , dont on a auffi
enterré les reſtes .
Ma Lettre du mois de May
vous apprit la mort de Monfieur
leDuc de Leſdiguieres. Son Corps
ayant eſté embaumé fut mis en
Hij
174
MERCURE
dépoſt dans l'Egliſe de S. Germain
en Laye , & y demeura le nombre
des jours qu'on a de coûtume
d'y laiſſer les Perſonnes de ſa
naiſſance. Des Preſtres l'y garderent
nuit & jour , avec douze
grands Flambeaux de cire blanche
toûjours allumez.Cependant,
Madame la Ducheſſe de Leſdiguieres
ſa Veuve , dont la pieté
eſt connuë de tout le monde ,
luy fit faire icy un Service trespompeux
dans l'Egliſe de S. Paul,
Parroiſſe de l'Hôtel de Leſdiguieres.
Il y eut une affluence extraordinaire
de Perſonnes du premier
rang , de l'un & de l'autre
Sexe. L'ordre fut donné en ſuite
pour porter ſon Corps en Dauphiné
, où eſt le Tombeau de
ſes Anceſtres. On le poſa ſur
un Chariot couvert d'un grand
Drap noir , croisé de blanc , &
fr angé
GALANT. 175
frangé d'argent, avec les Armoiries
de Leſdiguieres & de Créquy.
Vous ſçavez , Madame, que
ce Duc eſtoit l'Aîné de l'illuftre
Famille de Créquy. Ce Chariot
eſtoit attelé de fix Chevaux noirs ,
caparaçonnez , & couverts de
noir juſques à terre , & accompagné
de Monfieurde Vaucluſe,ancien
Gentilhomme de la Maiſon,
de Monfieur de Flote , Gentilhomme
de la Maiſon de Madame
la Ducheffe de Leſdiguieres , de
pluſieurs Pages, & autres Domeſtiques,
de quelques Carroffes , &
d'un grand nombre de Chevaux
de main. Il reçeut beaucoup
d'honneur dans toute la route , &
rien n'euft manqué à ceux qu'on
luy euſt rendus dans le Dauphiné
, ff Madame de Leſdiguieres
n'euſt tenu ſecret le départ
Hiij
176 MERCURE
de ce Convoy , afin d'épargner
à cette Province les dépenſes
qu'elle jugeoit bien que l'on voudroit
faire. En cela elle pratiqua
la modeſtie de la grandeur veritable
, & ſuivit l'exemple de
cet illuſtre Défunt , qui par les
meſimes raiſons arrivoit toûjours
à Grenoble , de nuit & en Poſte.
Le Corps repoſoit déja dans
l'Egliſe de Moirene , qui n'eſt
qu'à trois lieuës de cette Capitale
du Dauphine , quand on y apprit
qu'il y paſſeroit le lendemain.
Les Officiers de Milice s'afſemblerent
auſſitoſt chez Monſieur
Baudet , Pere de Monfieur
dela Ronziere Conſeiller au Parlement
, Premier Capitaine , &
allerent recevoir les ordres de
د
Monfieur de S. André Premier
Préſident , Commandant
dans la Province. Le lendemain
GALANT.
177
main au matin , les Confuls de
Grenoble , animez de leur zele
accoûtumé , & voulant marquer
combien ils avoient de reconnoifſance
pour toutes les graces que
la Ville avoit reçeuës de Monſieur
de Leſdiguieres & de ceux
de ſa Maiſon , partirent avec
leurs Robes de ceremonie , accompagnez
de l'Hôtel de Ville,
devancez par les Huiffiers & Valets
en deüil , leurs Chevaux couverts
de Houſſes noires traînantes
; & s'eſtant rendus à Moirene ,
prirent le devant du Chariot, qui
deParoiſſe en Paroiſſe fut precedé
toûjours du Clergé. Les Re
ligieux Prieurs de Saint Robert,
entre Moirene & Grenoble ,
ne voulurent pas s'exempter
de ce devoir , quoy quils ne
faſſent jamais de pareilles fonctions.
Tandis que le Convoy
Hv
178 MERCU RE
approchoit , les onze Compagnies
de Milice , ayant Monfieur Baudet
à leur teſte, ſortirent hors de
Grenoble par la Porte nommée
de France, baſtie par les ſoins du
Conneſtable de Leſdiguieres.Ces
Compagnies aſſemblées en fi peu
d'heures, ne laiſſerent pasdemõter
à prés de quinze cens Hom--
mes , qui , rangez en bataille par
Mrde S.SauveurMajor de laVille,
borderent l'Iſere , &occuperent
une partie du terrain qui eſt depuis
la Porte juſqu'au lieu où ce
terrain eſt coupé par cette même
Riviere. Dés que le Convoy
arriva au Camp , elles commencerent
à prendre leur marche ,
les Capitaines & Lieutenans portant
leurs Piques ſous le bras ,
la pointe en arriere , & preſque
traînante. Les Drapeaux eſtoient
voilez de Crêpe , & portez auſſi
fous
GALANT.
179
1
ſous le bras la pointe baiffee en
avant. Les huit ou dix Sergens
de chaque Compagnie tenoient
leurs Hallebardes la pointe deffous
& pendante , & les Soldats
portoient leurs Mouſquets la crofſe
ſous le bras gauche , avec la
bouche en arriere . Les Tambours
qu'on avoit auſſi voilez de noir,
faiſoient paroiſtre l'Ecuſſon des.
Armes de Leſdiguieres. Leur Baterie
eſtoit celle des Convoisfunebres.
Enfin tous les Officiers ,
Sergens , Caporaux , Tambours ,
&Valets de la ſuire des Officiers,
avoient des Habits de deüil & de
longs Crêpes auffi - bien qu'une
partie des Soldats. Iugez par toutes
ces chofes combien cette
Marche eſtoit lugubre. Le grand
filence qu'on y obferva , joint à
la triſteſſe qu'on voyoit pointe
fur tous les viſages , fit affez connoittre
1
180 MERCURE
noiſtre ce qui ſe paſſoit dans le
coeur des Aſſiſtans . Tous les
Corps Eccleſiaſtiques , non ſeulement
de Grenoble , mais des environs
, vinrent au devant de ce
Convoy juſques à la Porte de la
Ville , avec leurs Banieres noires,
&prirent leur rang accoûtumé
chaque Chanoine , Preſtre , ou
Religieux , ayant
,
un Cierge
à la main. Apres eux marchoit
un nombre de Pauvres veſtus de
de noir , portant chacun un Ecuffon
des Armes de la Ville . La
Compagnie des Gardes prece
doit immediatement le Chariot ,
autour duquel on avoit rangé
douze Sergens de la même Milice
, qui avec leurr Hallebardes
écartoient la grande foule . L'Hôtel
de Ville ſuivoit avec ceux de
la Maiſon de Monfieur de Leſdiguieres
, tant de Paris que de
Grenoble
GALANT. 181
: Grenoble. Le Peuple fermoit la
Marche , & fit paroiſtre une contenance
toute deſolée. Mais rien
ne fut plus touchant que ce que
l'on entendit , quand les Habitans
, accourus dans une multitude
prodigieuſe juſqu'à la Porte
de France , apperçeurent les
triſtes Reliques de leur Gouverneur.
La conſternation qui jufque
là s'eſtoit emparée de tous
les eſprits , ſe changea en des
tranſports dont ils ne pûrent
retenir l'éclat- Ce ne furent que
voix confuſes de gemiſſemens
& de regrets ; & comme s'ils
euſſent voulu eſtre ingenieux
à augmenter leur douleur , chacun
à l'envy marquoit quelque
grace , quelque acte de bonté
ou de juſtice dont il eſtoit
redevable à cette Ame veritable
ment
182 MERCURE
ment magnanime,ne ceffant tous
de pouſſer des voeux pour le repos
de celuy qui avoit contribué
ſi ſouvent au leur , qui en quantité
d'occaſions avoit fait ceder
ſes intereſts à ceux du Public ,&
qui enfin avoit eſté le parfait
Imitateur de Monfieur le Duc
ſon Pere , dans le grand nombre
de pieuſes Penſions qu'il avoit
données à des Particuliers de
Grenoble , par de purs motifs,
qu'on ne ſçauroit mieux nommer
qu'en les nommant de Lefdiguieres
, puis que la generoſité
eſt ſi naturelle à ceux de cette
Maiſon. Ce triſte Convoy arriva
fur les neuf heures du ſoir à l'Egliſe
Cathédrale de Notre-Dame,
au fon de toutes les Cloches
de la Ville. La Milice campa
dans la Place qui eſt au devant
de cette Eglife , & le Corps fut
defcen
GALANT. 183
deſcendu à l'entrée par huit des
Sergens , quatre Gentilshommes
ayant pris les bouts du Drap. Il
repoſa juſqu'au lendemain dans
une Chapelle toute environnée
de grands Flambeaux. Pendant
la nuit , on poſa un Corps-degarde
de dix hommes , & un
Sergent de chaque Compagnie,
avec un Capitaine , un Lieutenant
, & un Enſeigne. Le jour
ſuivant , à cinq heures du matin,
la Meſſe fut celebrée, & le Corps
remis un peu apres ſur le meſime
Chariot, qu'on accompagna dans
le meſine ordre juſques au Convent
des Recolets , hors la Porte
de Bonne. La Milice y tenoit
deux hayes ouvertes , au milieu
deſquelles le Convoy paſſa ; apres
quoy les Soldats firent la Salve de
leur pitoyable adieu. Le Corps repoſa
ce meſme jour à la Mare,
qui
184 MERCURE
qui eſt une de ſes Terres. Les
Preſtres de la Paroiſſe, les Capucins
, les Penitens , & les Principaux
du Lieu , vinrent au devant
juſques à Pierre- Chaſtel , diſtant
d'une lieuë , & l'accompagnerent
le lendemain juſques à Ponthaut,
éloigné d'une autre lieuë , où les
Peuples de tous les environs
eſtant accourus , firent voir par
leurs regrets combien ils ſentoient
ſa perte. Il fut mis ce même
jour au Tombeau de ſes Anceſtres
. C'eſt un Mauſolée , enrichy
de pluſieurs Figures de marbre
blanc & noir, d'une ſculpture
admirable , dans le Chaſteau de
Leſdiguieres, Lieu de la Pairie.
Il me reſte à vous parler du
Service folemnel qui fut faitpour
luy le Vendredy 11. de ce mois
dans la Cathédrale de Grenoble.
Ce jour ayant eſté pris , les Officiers
GALANT.
185
ciers de Milice ſe ſaiſirent dés
cinq heures du matin de toutes
les Portes & Avenuës de l'Eglife,
qu'ils firentgarderparles Sergens
pour empeſcher la confufion.
Elle estoit tenduë de noir , avec
une double Litre de Velours
neuf , chargée de l'Ecu de Lefdiguieres
d'un pied à l'autre . Sept
Litres de meſme , ornées des
meſmes Ecus , couvroient tout le
Grand Autel , ainſi que la Chaire
du Prédicateur. Un nombre
infiny de Cierges allumez par
tout , éclairoit l'Eglife, qui nerecevoit
que cette lumiere , toutes
les fentêres eſtant fermées par de
grands Draps noirs. Au milieu du
Choeur eſtoit le Mausolée ,elevé
fur quatre Marches , couvertes
de fix- vingts Flambeaux d'argent
, garnis de Cierges chacun
d'une livre. Le Parlement
s'y
186 MERCURE
s'y rendit en Corps ſur les neuf
heures , avec la Chambres des
Comptes , & ces Compagnies
prirent leurs places à leur ordinaire
à chaque coſté du Coeur .
M. l'Intendant de la Province
qui y aſſiſta , ſe mit immédiatement
apres les Préſidens à Mortier.
Les Confuls & les Officiers
de Milice furent placez au milieu
du Choeur fur des Sieges
mis en travers , & drapez de
noir. Monfieur Morel Conſeiller
au Parlement , & Chanoine de
cette Eglife , officia en l'abſence
de monsieur l'Evêque deGrenoble
qui estoit allé faire ſa Viſite;
& apres la Meſſe , l'Oraifon Funebre
fut prononcée par le Pere
Brenier Jeſuite , celebre Prédicateur.
Il eut beaucoup de fuccés
, & fit paroître une éloquence
tres- fine dans les trois Parties
de
GALAN T. 187
5
de ſon Diſcours, qui furent,Grandeurà
l'Armée , Grandeur à la
Cour , & Grandeur parmi les
Siens & avecle reste du Monde.
Il prit pour Sujet de la premiere,
ce que ſçait toute l'Europe
de l'illuſtre Duc dont il parloit;
& dans les deux autres , il fit
éclater mille endroits de probité
, de bonté , de cordialité , de
compaſſion , de juſtice, & de generoſité
, autres que ceux qui
étoient publics. Il releva tous
ces endroits de vertu , auſquels
l'oſtentation n'avoit jamais eu de
part , comme partans d'un fond
de bon naturel & de magnanimité
, & finit trop toſt pour la
fatisfaction de ſes Auditeurs. Les
Boutiques de la Ville furent fermées
pendant tout ce jour , & le
Parlement ne donna point d'Audience.
Le
188 MERCURE
Le Roy a donné à Monfieur
Hennequin ſon Procureur General
au Grand Conſeil , l'Abbaye
de Val- Secret , Dioceſe de
Soiffons , pour Monfieur l'Abbé
de Charmont ſon Fils. Quoy qu'il
foit ſeulement âgé de ſeize ans ,
il a déja un merite qui le rend
tres -digne du nom qu'il porte ,
& des graces d'un Prince qui
fait toutes chofes avec le plus
juſte diſcernement. L'excellente
éducation qu'il a receuë , & fon
heureux naturel , font qu'il n'ignore
aucune des choſes qui peuvent
former un galant Homme.
Il a joint à l'étude de l'Hiftoire
&des belles Lettres , celle des
Mathematiques , où il a réüſſy
dans ce qu'elles ont de plus curieux
, avec un fuccés qui eſt peu
commun. Ce font des marques
certaines que l'Egliſe ne trouvera
GALANT. 189

vera pas moins d'appuy en ſa perſonne,
que l'Etat en a trouvé dans
tous ceux de ſa Maiſon. Elle eſt
alliée à quantité de grandes Familles
des plus confiderables du
Royaume , tant de la Robe que
de l'Epée , & elle a donné des
Officiers à toutes les Compagnies
Souveraines de Paris.On y compte
des Maiſtres des Requeſtes ,
des Prefidens aux Enquestes &
Requeſtes du Palais , des Prefidens
à Mortier , & des Evêques
de Rennes , de Troyes , de Senlis
, & de Soiffons. Monfieur
Hennequin , Pere de ce jeune
Abbé, eſt unHomme d'une pieté
exemplaire , capable des plus
grands Emplois , & des plus importantes
Negotiations.
Je vous ay déja parlé bien des
fois du Berger Fleuriſte , & la
delicateſſe de ſon eſprit vous eſt
connue
190 MERCURE
connuë par pluſieurs de ſes Ouvrages
qui ont embelly mes Lettres.
Ainſi je ne sçaurois mieux
vous preparer à une lecture agreable
, qu'en vous diſant que
le Billet que vous allez voir eſt
de ſa façon . Il accompagnoit un
Preſent de Fleurs , envoyé àune
Belle le jour de ſa Feſte.
E996389169 1968 1963 1963 EXO FOTOS EXA SOL03 09769-
***
LE BERGER
FLEURISTE ,
Ala Nymphe des Bruyeres.
N
Evous envoyerpointde Fleurs
le jour de vostre Feste , belle
Nymphe , & vous écrire pour excuſe
que les plus brillantes des Parterres
perdent
GALAN T.
191
perdent leur lustre aupres de celles
de voſtre teint , qu'àvoſtre approche
les plus blanches ſemble devenir
pâles , & les plus vermeilles rougir
de honte , & que deux Soleils feroient
bien- toft mourir ce qu'un seul
faitnaître , (
T Ce feroit faire le Badin ,
Et vous donner d'aſſez mauvaiſe
grace ,
Pour des belles Fleurs de Jardin,
Les plus communes du Parnaffe.
L'amitié tendre , auſſi - bien que
l'amour ,
- Vous en doit , du moins en ce
jour ,
Preſenter de plus maturelles .
Ce tribut appartient au nom que
vos portez;
Et s'il ſe paye aux moindresBelles
,
Vous que l'on voit brillerde cent
rares beautez, Je
192 MERCURE
Je vous laiſſe à penſer , ſi vous le
meritez.
Ne vous en offrir d'ailleurs qu'en
petite quantité ; & vous mander
pour raison de cette épargne,
Vous en auriez eu davantage.
Mais quoy , des le matin
Les Abeilles ont mis le Parterre
au pilliage ,
T
Et s'en vont avec leur butin .
Il leur faut pardonner aujourd'huy
ce ravage ,
Elles l'ont fait à bonne fin .
Les Zephirs mes amis , m'ont dit
que cette Queſte
Eſtoit pour celebrer , par un fameux
Feſtin ,
1
Ce jour de voſtre Feſte .
Je vous connois , belle Nymphe.
Vous feriez d'humeur à ne croire
ny les Zephirs , ny leur Truchement
,& l'on courreroit riſque de ne
paffer
GALANT. 193
paſſer auprés de vous que pour un
Conteur de Nouvellesfaites àplaifir.
L'inconvénient m'a paru fåcheux
, & pour l'éviter , j'ay fait
amaffer des Fleurs , & vous en envoye
trois Corbeilles toutes pleines.
Celadon, de ma part, vous les va
preſenter,
Et j'oſe me flater
Qu'elles vous feront agreables.
Elles parfument l'air d'une charmante
odeur ;
L'innocence & l'amour brillent
dans leur couleur ,
Il n'en eſt point de plus aimablés.
す。
Les Roſes & les Lys n'ont point
tant de beautez ,
Ce font pour les Autels des ornemens
paſſables ,
Mais voicy ce qu'il faut pour les
Divinitez .
Juillet 1681 . I
194
MERCURE
Fleurs d'Orange & de Grenade,
Jasmin de France & d'Espagne, &
Oeüillets de toutes les fortes.Ie n'ay
pas voulu les mettre en Bouquets ,
ç'auroit esté entreprendre mal- àpropos
fur cet esprit de difcernement
& d'invention dont vous eſtes
pleine jusqu'au bout des doigts , &
qui rend tous vos Ouvrages si
beaux , qu'on n'en voit point de
mieux travaillez que ceux qui fortent
de vos mains.
C'eſt donc à voſtre adreſſe
Afaire valloir leur richeſſe ,
Aménager leur rang, leur éclat,
leur douceur ,
Et puis à les placer ſur voſtre
aimable coeur.
C'eſt là que vous allez finir vos
deſtinées ,
Fleurs trois fois fortunées;
Et c'eſt là qu'un Amant mettroit
tout fon bon-heur
Afinir ſes années.
GALANT.
195
Pour moy , belle Nymphe , bien
que je ne fois qu'au nombre de vos
Amis,fans mentir, en cette rencon
tre, ſi je l'ofe dire ,
Je ſuis du ſentiment de vos Adorateurs
.
Je voudrois bien avoir le deſtin
de mes Fleurs .
Tout iroit à me fatisfaire ,
Vous me regarderiez comme un
joly préſent ,
J'aurois le bon-heur de vous
plaire ,
Et je mourrois en vous plaiſant.
Eſt- il rien de plus doux , & de
plus innocent ?
Apres tous les Airs d'amour
que je vous ay envoyez depuis
pluſieurs mois , vous ferez bienaife
d'en voir un à boire. Les pa-'
roles ont eſté notées par un fort
habile Maiſtre .
Iij
196 MERCURE
CHANSON
A BOIRE.
L'Hofte de
ceans
Sa Cour ,
nousfait mal
Ilmérite qu'on le gronde.
Quoy , n'avoir qu'un Valet pour
verſer à la ronde ,
Et ne boire que tour-à- tour ?
Pour nostre foifextréme
Est - il rien de plus importun ?
Croyez- moy , Servons - nous nousmesme
,
Nous boirons quatre coups pour un.
La ſeconde Enigme du dernier
Mois , n'a pas ſeulement
trompé vos Amies,mais pluſieurs
autres Perſonnes , qui ayant trouvé
que le Feu eſtoit le vray Mot
de la premiere,ont crû en devoir
chercher un autre pour cette
ſeconde. Cependant toutes les
deux
GALANT.
197
deux avoient eſté faites ſur le
Feu, & c'eſt ce qui a donné lieu
à ce joly Madrigal de Monfieur
Daubaine.
D
E Mercure à Philis la diference
eft grande .
Si quelqu'un de vous me demande
En quoy, comment,d'où vient qu'ils
s'accordent si peu ,
Ilfaut que je lefatisfaſſe;
C'est que Mercure est tout de Feu,
Et Philis est toute de glace.
Ceux qui ont connu que ces
deux Enigmes avoient eſté faites
fur le meſme Mot, font Meſſieurs
Gardien, Secretaire du Roy : Leger
de Verbiſſonne : l'Abbé du
Vivier, de la ruë de la Truanderie
: Formentin & Caudron , du
College d'Abbeville : de Lépine
de Ploërmel :Rault,de Roüen:Gi-
Liij
198 MERCURE
gés,duHavre, (ces trois derniers
les ont expliquées en Vers ; )
Mademoiselle Jeanneton Goury,
d'Orleans ; L'aimable Toinons
La charmante Magdelon ; La fidelle
Fanchon ; La belle Blampignon,
de Paris ; Le Solitaire de
Rennes; Le folâtre Amant , de
la Ruë Trouſſevache ; L'Amant
de la jeune Liſete , de la meſme
Ruë , & Loyſeau de la Ruë Aubry-
Boucher,de la Ville de Cambray,
ces deux encoren Vers .
Ceux qui n'ont trouvé que le
Mot de la premiere , font Mefſieurs
de la Ville-aux- Butes, de
la Ruë de la Harpe : Guépin, de
Rennes : De Vert , Prevoſt de
Saint Pierre d'Abbeville : Frere
Jean d'Amiene : Saugy, de Nuits
ſous Rennes : Rouſſelet, de l'Hôtel
d'Avaux : Mazan , de Lyon :
Poirier , de Meres: De la Croix
R...Mefde
GALANT. 199
R... Meſdemoiselles la Perouze
de Létang, de Dauphiné : Avare
, du Quartier Saint Victor :
Bourgeois la cadete : De laMare,
de la Ruë Montmartre : Bienfait
la cadete , de l'Hoſtel d'Avaux:
Davilers, de la Ruë Simon
le Franc : Le Clerc , Ruë aux
Ours : Daligre , Ruë au Maire :
D. C. ruë Monconſeil : Sylvie,
du Havre de Grace: Les Prétentions
deſolées : La genereuſe
de Boiffy : L'aimable Dauzay :
L'Amante racommodée , de la
ruë Montmartre : Allard, du Véxin
: Alcidor , du Havre de Grace
: Le Promethée en amour,
de la ruëdes cing Diamans : Le
défunt Voifin des Hoſteffe
agreables : Le Triolet de Bordeaux
, du Quartier S Mederic :
le bon Oncle , du meſme Quar
I ij
200 MERCURE
tier : les Agens Pygmées , de la
ruë S. Martin : le Conſeiller du
Mariage : le libertin ſpirituel :
l'illuſtre Faineant : le jeune Solitaire
de la rue des trois Cheminées,
de Poitiers : le Chevalier
de la Santé : l'Abbé Luyſant , de
la rue des Meneſtriers : le galant
Clerc de la Chambre des Comptes
, de la ruë S. Bon : les illuſtres
Commis de la ruë de Clery :
le Solitaire de l'Hoſtel de Guiſe :
le jeune Agent flaté d'eſpoir :
l'Agent né coifé : les Ouvrages
du hazard : & le mal habilehomme
de Normandie .
J'ajoûte les noms de ceux qui
ont expliqué cette meſme Enigme
en Vers . Meffieurs le Comte
de Montaigu, de la ruë Montmartre
: De l'Ifle d'Origny , de
Troyes : F. Ha... du Meſnil , de
Chambrais en Normandie : Bouret,
GALANT. 201
ret , Preſident en l'Election de
Mante & Meulan : le Blanc , de
Roquemont : Regnier de Saint
Martial : de Plémont,de la Foreſt
de Lyons en Normadie:Droüart
de Roconval : la jeune Epouſe
triomphante, de la ruë Saint Denys
: les belles Gobron : l'aimable
Hubert, de la ruë de la Harpe
; Le Juvenal naiſſant , de la
meſme ruë :l'Amoureux enbourgeoiſé
: le Solitaire Avanturier,
de la ruë Maubué : le Favory
Monicardin : le Bourg, de l'Hôtel
de Soiſſons ; & l'Architecte
reſſuſcité , le Tonnerre , la Plume,
& la Chandelle , font trois autres
Sens que l'on a donnez à la méme
Enigme .
On a expliqué la ſeconde fur
le Vin, l'Eau,le Tonnerre,le Charbode
terre, & la Mine;& ceux qui
t Iv
202 MERCURE
ont connu que c'eſtoit le Feu,
font Mrs Pinchon , de Roüen ;
De Clacy , de Caën , Avocat au
Parlement de Paris ; & le Solitaire
du Parnaſſe de Rheims , ces
deux derniers en Vers .
Le Berger Fleuriſte a fait la
premiere des deux nouvelles
Enigmes que je vous envoye. Le
jeune Solitaire de Poitiers eſt
l'Autheur de la ſeconde.
ENIGME.
deux Soeurs des plus
Voicy deux aimables ,
Dont l'une eftReyne,&l'autreRoy.
Leurs appas font divins , ſi l'an en
croit les Fables ;
Etfans eux , ouſans leursfembles
,
Vous qui pouvez de bonne- foy
Amille Coeurs donner la Loy ,
Leunes Beautez , ( que de deüil &
de larmes ! )
GALANT. 203
زا
Vousn'auriez pas la moitié de voς
charmes.
وو
En faveur de leurs grāds attraits
A
r On les aimepar toute terre.
L'une,fur tout en France , & l'autre
en Angleterre ;
Et ces Etats en ont grand nombre
de Portraits ,
Des plus riches,&des mieuxfaits.
Le Royfefoûtient de luy mesme ,
Il est grand, droit , & vigoureux;
La Reyne est foible & tendre , &
merite qu'on l'aime ,
Aufſiſon air est amoureux.
Mais la Belle à des Gardes
Armez de bonnes Hallebardes ,
Pourla défendre,ou la vanger
De l'Etourdy qui la veut outrager.
AUTRE
204 MERCURE
AUTRE ENIGME .
Viconque s'est fervy de
moy,
Sçait combien à present utile est
mon employ.
Mor corps est simple &froid autant
qu'on le peut estre ;
1 Il est pourveu deplusieurs bras
Dont le nombre ne doitfaire aucun
embarras . J
Qu'ilsuffise au Lecteurqui cherche
à me connoiſtre ,
Quede moifans cela l'on feroit peu
de cas.
Ilnefaut point que l'on s'étonne,
Si ce que je n'aipas, quand on veut,
jeledonne.
Demoi-mesme je ne puis rien,
Par le secours d'autruy je rends le
mien utile ,
Et jenefais ny mal ny bien .
Tandis qu'on me laiſſe inutile...
L'Amour
GALANT.
205
L'Amour est le Dieu des Avantures,&
il en fait naître tous les
jours qui nous convainquent
qu'il n'y a point d'âge qui puiſſe
mettre les coeurs à couvert de
ſon pouvoir. Un galant Homme
ayant épousé une Demoiselle
dont le mariage l'accommodoit ,
logea chez luy avec grande joye
une Soeur cadete,qui n'ayant plus
ny Pere ny Mere,partageoit avec
ſa Femme tout leBiende la maifon.
Il avoitgrand ſoin deſa conduite
, & luy preſchoit ſi ſouvent
l'infidelité des Hommes ,
qu'il luy fut aiſé de voir par quel
motif charitable il luy en vouloit
donner du dégouſt. Sa Succeffion
le regardoit ; & quoy
qu'il n'ofaſt luy conſeiller la
retraite , il n'euſt pas eſté faché
qu'elle euſt pris party dans
le Convent La Belle qui liſoit
dans
1
206 MERCURE
dans ſes penſées, ſe donnoit ſouvent
le plaiſir de les flater. Elle
marquoit du mépris pour tous
les plaiſirs du monde , plaignoit
la folie de celles qui écoutoient
des douceurs ; & à l'entendre ,
le nom d'un Amant luy eſtoit inſuportable.
Rien ne plaiſoit tant
à fon Beaufrere. Il crovoit déja
luy voir une Guimpe, & dans le
détachement qu'elle montroit
tous les jours , il luy donnoit le
nom de Beate , & ne faifoit plus
qu'attendre qu'elle rempliſt ſa
vocation . Il l'attendit inutilement.
Quoy qu'il puſt faire pour
l'y affermir , ſes ſoins n'empefcherent
point qu'elle ne trompaſt
ſes eſperances : & ce qui
luy fut le plus fâcheux, c'eſt que
ce mal- heur luy arriva d'où il
devoit le craindre le moins . Il
avoit encor ſon Pere,qui gardant
chez
GALANT.
207
chez luy un Appartement , contribuoit
aux frais du ménage.
C'eſtoit un homme d'un mérite
diftingué,& à qui un grand Prince
avoit fait l'honeur de le choifir
pour agir dans ſes affaires.
Comme il avoit foixante & douze
ans , ſon fils ne puſt ſoupçonner
qu'il euſt encor l'ame tendre.
Cependant à force de voir laBelle,
il en demeura charmé. Apres
quelque temps perdu à luy dire
engeneral mille choſes obligean.
tes,il luy parla ſerieuſement.Elle
l'écouta malgré ſon âge. Ils convinrent
de leurs faits , & ce fut
par fon avis qu'elle ſe feignitdégoûtée
du monde. Ils ébloüirent
par là les Surveillans qu'ils avoiét
à craindre : & pour ne les pas
chagriner avant le temps , ils ſe
donnerent la foy en fecret ,&le
bon homme ſe rendit heureux
fans
208 MERCURE
ſans que perſonne en puſt rien
connoiſtre. Les meſures qu'on le
pria de garder pendant quelques
mois , demandant de luy de grandes
contraintes , il commençoit
à les trouver importunes , quand
la Belle s'apperçeut qu'il eſtoit
temps de parler . Elle déclara fon
mariage , qui fit d'autant plus de
peine aux Intereſſez, qu'ils la virent
en état d'eſtre bien- toſt me
re. L'Avanture donna ſujet de
parler à toute la Ville , où la Belle
eſt preſentement reconnue pour
Belle -mere de ſa Soeur aînée, &
fon vieil Epoux pour Beau - pere
&Beau- frere de ſa Belle- fille.
Le Pere Alexis du Buc , Religieux
Theatin , continue toûjours
la Controverſe dans l'Egliſe
de ces Peres . Entre pluſieurs
Abjurations , qui font l'heureux
fruit des Veritez qu'il enſeigne,
201 celle
GALANT. 209
celle qu'il reçeut de Mademoiſelle
de Biron le 7. de ce mois eſt
confiderable . Cette Demoiselle
eſt âgée de 25. ans, & d'une des
plus illuſtres Familles d'Angleterre,
où ſes Parens ont toûjours
eſté l'appuy de la Religion Proteſtante
. La Ceremonie s'en fit
dans l'Egliſe des Carmelites du
grandConvent. Les Converſions
continuënt auſſi à ſe faire en tresgrand
nombre dans le Poitou , &
depuis un mois plus de quinze
cens Perſonnes y ont encor abjuré.
Le zele des Magiſtrats à
faire obſerver dans toutes les
Villes les Déclarations de Sa Majeſtétouchant
les Prétendus Reformez
, produit des effets tresavantageux,
& on l'a veu depuis
peu dans la Ville de Lunel en la
perſonne de Mr de Montfagean,
qui avoit vécu 60. ans dans la
Religion
210 L MERCURE
Religion de Calvin. Mrde Froment
Procureur du Roy , l'eſtant
allé voir quand il eutappris qu'il
eſtoit malade, il luy déclara qu'il
youloit ſe convertir, & fit abjuration
entre les mains des Capucins
qui vinrent l'inſtruire.Il vécut
encor dix jours , & employa
tout ce temps à des actes de devotion
& de pieté, qui furprirent
tout le monde. Les Ordres Religieux
accompagnerent fon corps
avec tous les Catholiques , dans
l'Egliſe des Obfervantins , où il
ſouhaita d'eſtre enterré .
Il s'eſt fait une autre Conver
fion dans la meſme Ville , qui a
eu beaucoup d'éclat. Mademoiſelle
Prifille de Roffillon , âgée
d'environ vingt ans, Fille unique
de Mr de Roffillon, l'un des plus
celébres Miniſtres de Lunel,
ayant eu des doutes qui luy ren
dirent
GALANT. 211
dirent ſa Religion ſuſpecte , ſe fit
- inſtruire par les Capucins des
Veritez de la noſtre. Les conferences
qu'elle eut avec eux ne
purent ſe faire avec affez de ſecret
pour eſtre inconnues à ce
Miniſtre. Il les découvrit, & pour
empeſcher le changement qu'il
craignoit, il luy oſta la liberté de
ſortir, juſqu'à ce qu'il puſt la faire
conduire à Orange , ou à Geneve.
Toute obſervée qu'elle étoit,
elle vint à bout de s'évader,& les
Dames Catholiques entre les
mains deſquelles elle ſe remit,
ayant averty les Magiftrats , elle
fut conduite à la grande Eglife,
où elle embraſſa publiquement la
Religion Romaine. On chanta
le Te Deum à la fin d'une grande
Meſſe qu'on celebra : & Monſieur
de Roffillon ſon Pere , qui
fut averty de cette cerémonie,
212 MERCURE
1
nie , y accourut auſſi toſt. Il l'aimoit
tres tendrement , pour ſes
belles qualitez , & luy trouvoit
tant d'eſprit , qu'il avoit bien dit
des fois,qu'il euſt ſouhaité qu'elle
euſt eſté unGarçon , pour en
faire un des plus fameux Miniſtres
de France. Il luy parla fans
emportement, & ayant ſçeu d'elle
qu'elle avoit examiné ce qu'elle
faiſoit , il luy proteſta devant
toute l'aſſemblée,que pour s'eſtre
convertie , il ne l'aimeroit pas
moins , & la priade ne point l'abandonner
, l'aſſurant qu'il la
laiſſeroit aller , quand elle voudroit,
dans un Convent de Religieuſes
, pour achever de ſe faire
inſtruire . Cela ſe fit quelques
jours apres. On la conduiſit à
Montpellier au Convent de S.
Charles , où Madame de Pradel,
Soeur de l'Eveſque de la meſme
Ville ,
GALANT.
213
& Madame de S. André , ontun
ſoin particulier des Nouvelles
Converties. Meſdemoiselles de
Nicol,Filles de Mr de Nicol,dont
je vous appris la converſion par
ma Lettre de Fevrier , ſont auſſi
dans ce Convent,où leur ferveur
eſt d'un grand exemple . 1
Monfieur de Clauſel , un des
plus vieuxConſeillers de la Cour
des Aydes , & fort eſtimé pour
fon eſprit & pour fon mérite , a
fait la meſme abjuration . Madame
de Roux ſa Niéce , l'a imité.
Elle eſt Femme de Mrde Roux,
autre Conſeiller de la meſme
Cour des Aydes , qui s'eſtoit fait
Catholique quelque temps auparavant.
Les grands fruits qu'ont faits
les Capucins Miffionaires que
Mr l'Eveſque de Troyes avoit
fait venir dans cette Capitale
de
214
MERCURE
4
de ſon Dioceſe , ont continué
juſqu'à la fin. Ils ont preſché tous
les jours matin & foir pendant
ſept ſemaines, dans les trois plus
confiderables Egliſes de la Ville,
avec une affluence de monde
qui ne ſe peut concevoir. Cette
Miſſion fut terminée il y a fort
peu par la Benediction des Croix
qui ont été élevées en beaucoup
d'endroits. Monf. l'Eveſque de
Troyes en fit la ceremonie , &
aſſiſta à la Proceſſion generale qui
fut faite ce jour-là. Le zelea eſté
fi grand pour l'érection de ces
Croix , que les Dames meſme
ont travaillé à porter de la terre
fur les éminences où il avoit eſté
refolu qu'on les placeroit.
Encor une fois, Madame, (car
je me ſouviens de vous en avoir
déja priée ) je vous conjure d'obtenir
de vos Amis de ne faire
aucun
GALANT. 215
aucun pary fur mes manieres
d'écrire. Si j'ay mis dans l'Hiſtoire
de l'Avare du dernier Mois,
l'irréguliere ſtructure du Corps de
la Mariée, & non pas laſtructure
irreguliere , ce n'a point eſté ſans
y fonger , mais par la meſme raifon
qui oblige ceux pour qui
vous m'avez écrit , à preferer ce
dernier arrangement à l'autre, je
veux dire, parce que le premier
m'a paru plus doux,& que le redoublement
de la lettre r,m'a fait
quelque peine dans ces deux
mots, la ſtructure irreguliere. Je
n'ay jamais erû qu'on duſt ſe faire
une regle de mettre par tout
ſubſtantifavant l'adjectif.L'un
eſt fort ſouvent préferable à
l'autre , & il me paroiſt qu'il en
faut laiſſer décider l'oreille. Il y
a meſme pluſieurs adjectifs , qui
doivent toûjours préceder le
ſubſtantif.
le
216 MERCURE
ſubſtantif. Petit & grand font du
nombre ; & fi c'eſt fort bien parler
de dire , le juſte dépit qu'il eut
de voir , &c . on parleroit Allemand
, fi on diſoit , le dépit juste
qu'il eut. Vous ajoûterez ce qu'il
vous plaira à la Réponſe que
vous avez ſouhaittée de moy fur
cet Article . Comme les Dames
ont les ſentimens tres- délicats,
elles s'expriment auſſi avec beaucoup
de juſteſſe , & vous n'avez
qu'à vous confulter vous- méme,
pour juger les diférens que vous
voyez naiſtre fur la langue. Vous
eſtes d'un Sexe dont les Ouvrages
font voir , que l'heureux talent
de dire aiſément les choſes
luy a toûjours eſté naturel . Auſſi
font- ils recherchez avec un em-
>
preſſement extraordinaire &
c'eſt ce que nous voyons encor
aujourd'huy par le grand débit
qu'on
GALAN Τ .
217
qu'on fait du Livre intitulé,Daumalinde
, Princeſſe de Lufitanie.
Il eſt tout miſtérieux , & donne
fort à reſver à ceux qui ſe piquent
de ſçavoir la carte de la
Cour. Il eſt fait par Madame de
S. Martin . C'eſt vous dire tout,
que vous la nommer. Il ne faut
rien davantage , pour en donner
une idée parfaite à ceux qui connoiffent
comme vous les Perfonnes
diftinguées .
Le Sieur de Luyne, Libraire au
Palais, débite un autre Livre nouveau,
que vous trouverez tres digne
de l'eſtime qu'on en fait. On
l'appelle la Circé.C'eſt uneTraduction
de l'Italien de Jean- BaptifteGelli
Ce Livre eſt diviſe en
pluſieurs Dialogues tres - curieux ,
qu'on ne peut lire avec application
fans en tirer beaucoup d'avărages,
pour ſe connoître ſoy-même.
Inillet 1681 . K
218 MERCURE
Toutes les Lettres qui ſont
venuës d'Angleterre depuis l'exécution
de l'Archevêque d'Armagh
, nous apprennent qu'on
a tous les jours de nouvelles preuves
de ſon innocence . On le
plaint fort de n'avoir pû obtenir
que ſon Jugement fuſt reculé.
On a imprimé à Londres la Déclaration
que Fits- Harris donna
auDocteurHavvkinsle jour de ſa
mort. Elle a eſté faite en preſence
de trois Témoins qui l'ont ſignée
avec luy; & afin d'en mieux atteſter
la verité, ce Docteur a mis au
bas fon Certificat , par lequel il
déclare en foy de Chrétien , &
ſur la parole d'un Miniſtre de
l'Evangile , qui , avant que Fits-
Harris començat à écrire aucune
choſe , il l'aſſura pluſieurs fois,
que quoy qu'il pût découvrir , il
ne devoit avoir aucune eſpérance.
GALANT. 219
ce de ſauver ſa vie , ny éviter la
damnation éternelle , s'il écrivoit
quelque choſe qui fuſt contraire
à la verité , & que l'ayant exhorté
ſur chaque point important à
examiner avec grand ſoin tout
ce qu'il déclareroit , il s'eſtoit
mis à genoux de temps en
temps , extraordinairement touché
de ſes fautes , & avoit appellé
Dieu & les Anges à témoin,
qu'il n'écrivoit rien que de veritable.
L'eſſentiel de ſa Déclaration
eſt , QueSa Religion engeneral
est celle qui a esté anciennement
reçeuëdans les quatrepremiers Conciles
generaux,& quesa croïance en
particulier est la Foy des Chrêtiens
contenuë dans les trois Symboles,des
Apoftres, de S.Athanase, &deNicée
; Que pour ce qui regarde les
crimes pour lesquels il meurt,lafeule
part qu'il ait eu au Libelle , eſt
Kij
220 MERCURE
d'avoir esté employé pour faireSçavoir
au Roy tout ce qui se faisoit
contre luy ; Que dans cette veuë
il tâcha d'en avoir une Copie , &
l'eut enfin de Monsieur Evverard,
entierement écrite de ſa main; Que
la partie du Libelle qu'il donna au
mesme Monfieur Evverard, comme
un gage ou afſſurance qu'il ne le découvriroit
point , il l'avoit euë de
Mylord Hovvard , & qu'il n'a ja
mais touché d'autre argent du Roy,
que ce qui luy fut donné pour avoir
apporté un Libelle intitulé , Le
Roy dévoilé , & les Articles de
la Ducheſſe de Portmouth. Ildeclare
, Que le Mylord Hovvard
luy apprit un jour qu'on avoit def-
Sein de ſe ſaiſir de la Perſonne du
Roy , & de le garder dans la Ville
jusqu'à ce qu'il eust satisfait aux
Demandes des Autheurs de l'Entrepriſe
; que le nommé Haines
نم
GALANT. 221
& luy entrerent dans ce deſſein, &
qu'ils avoient eu plusieurs conférences
avec ce Mylord, qui pour les
encourager , leur faisoit entendre
qu'on changeroit le Gouvernement
d'Irlande , en oftant les Revenus
additionnels des Eveſques , & autres
droits , qu'on distribuëroit à
ceux du Party ; Que pendant qu'on
le tenoit dans les Priſons de Neugate,
les Sherifs Bethel & Cornish
le vinrent trouver avec un Préfent
de Mylord Houvard, & luy apporterent
des Articles de la part de
Monfieur Evverard , dans lesquels
il l'accuſoit d'estre un Espion de la
Cour,ou de Monsieur le Duc d'York,
employé par le Roy pour répandre
le Libelle dans les Maiſons des
Protestans , afin de les perdre ; ce
qu'il jure fur fa mort n'avoir jamais
eu pensée de faire , & que
personne ne luy a proposé rien de
Kiij
222
MERCURE
femblable. Il ajoûte, Que les mesmes
Sherifs luy dirent qu'ilferoit
jugê dans deux ou trois jours , que
le Peuple vouloit le poursuivre .
que le Parlement Seporteroit Partie
contre luy , qu'ainsi il ne pouvoit
éviter la mort qu'en découvrant
la Conſpiration des Papiſtes;
& que s'il vouloit déclarer qu'elle
Se faisoit pour introduire la Religion
Romaine , ou donner quelqu'un
qui rendiſt la Reyne ou Monfieur
le Duc d'York coupables , ou
enfin inventer quelque Histoire qui
confirmaſt les bruits qui couroient
de la Conſpiration , le Parlement
luy rendroit non ſeulement le Bien
de ſon Pere , mais tous les fruits
depuis le rétabliſſement du Roy. Il
confeffe , Que dans l'état déplorable
où il ſe trouvoit, ſans Amis,
Sans argent , Sa Femme toute preſte
d'acoucher, ſes Enfansfans fubfistance
GALAN T.
223
ſiſtance , &n'ayant d'ailleurs aucun
moyen de ſauver ſavie , qu'en
faisant ce qu'on fouhaitoit de luy,
il y avoit conſenty , non point par
ambition , mais dans la venë de
s'épargner une mort infame ; Que
les Sherifs luy apporterent des Inſtructions
qu'ils diſoient venir des
Seigneurs &des Communes, afſfemblez
ce mesme jour pour préfenter
une Adreſſe au Roy en ſafaveur,
s'il vouloit agir ſuivant ces Instructions
; Qu'il fit d'abord une Hiftoire
fur la Conspiration , qui ne
pouvoit nuire à personne ; Surquoy
le Sherif Cornish luy dit que ces
chofes là avoient este criées dans
les Ruës depuis deux ans , & qu'il
pouvoit dire davantage s'il vouloit
; Qu'en suite il le preſſa de
parler fur pluſieurs Articles , qui
estoient ce que contenoit l'Examen
Suby devant Messieurs Robert
K iiij
224 MERCURE
Clayton , & George Treby , &
d'autres chofes , dont il ne dit rien
alors , concernant la Reyne , Monfieur
le Duc d'York , & le Comte de
Dambys faute de quoy , & de dire
que les Seigneurs Halifax , Hyde ,
Clarendon , Feversham, &c. estoient
Penſionnaires de France ; qu'on devoit
brûler la Flote , & mettre le
Gouvernement des Forts entre les
mains des Catholiques , il eſtoit
impoſſible de le fauver. Il déclare
encore , Que tout ce qu'il a dit du
Bere Patrickn'est pas veritable , &
qu'on l'a tiré de luy par force ;
Qu'on luy a aussi fait dire tout ce
qu'il a déposé contre la Reyne &
contre Monsieur le Duc d'York ; touchant
le meurtre d'Emund Godfrey ,
ở qu'il leur demande pardon de
tout son coeur de l'injure qu'il leur
a faite , ausfi-bien qu'au Comte de
Damby , qu'on vouloit d'autant
plus
GALANT.
225
plus charger de ce meurtre , que le
crime du meurtre n'avoit point efté
inferé dans ſon Pardon.
J'auray ſoin , Madame , de
vous apprendre les ſuites de cette
importante Affaire , ne doutant
point que ceux qui ont pris
la peine de m'en donner des nouvelles
, ne veüillent bien me faire
la grace de continuer.
Vous aurez fans doute apris
que Monfieurde Louvois a acheté
la Terre de Meudon , où il
va paſſer un jour ou deux toutes
les ſemaines, non pour prendre du
relâche apres ſes grandes & longues
occupations , mais pour travailler
en repos , & ne donner
aucune audiance. Ce Château
eſtant dans un tres-bon air , &
ayant la plus belle veuë de l'Europe
, je dis la plus belle , puis
que de ce lieu on peut décou
Kv
226 MERCURE
vrir Paris tout entier , & qu'il n'y
a qu'un Paris au monde , Monfeigneur
le Dauphin a ſouvent fait
l'honneur à Monfieur de Louvois
de l'y aller voir , & a témoigné
depuis en pluſieurs occafions ,
qu'il eſtoit tres- fatisfait , & de la
maniere dont il y avoit eſté receu,
& de la perſonne de ce Miniſtre.
Ainſi la Reyne , à qui on avoit
parlé pluſieurs fois de cette belle
Maiſon , y alla faire une promenade
il y a huit jours. On luy
ſervit une Collation en ambigu ,
auſſi magnifique que bien entenduë.
La Table qui avoitdix- huit
pieds de long , & fix de large ,
eſtoit de dix- neuf Couverts , &
dix- huit Dames de la premiere
qualité eureut l'honneut de manger
avec la Reyne. Le milieu de
cette Table fut couvert de huit
grandes Pyramides de Fruit ,
qui
GALANT. 227
qui y reſterent juſqu'à la fin du
Repas ; & aux deux côtez on
poſa quatre Services , qu'on releva
avec un ordre admirable ,
ſans qu'il y euſt la moindre confuſion.
Le premier eſtoit de ſept
Entrées , accompagnées de deux
doubles files de moyens & petits
Plats , le tout montant à quarante.
Le ſecond fut relevé par le
Roty , & par les Salades , au même
nombre de Plats ; & le troifiéme
, qui eſtoit d'Entremets
chauds & froids , le fut par un
petit Fruit exquis & fort rare. Je
ne l'appelle petit , qu'à cauſe qu'il
n'eſtoit pas de la hauteur des
huit Pyramides , & qu'il ne faiſoit
que leur ſervir d'accompagnement
. Monfieur de Louvois
cut l'honneur de ſervir la Reyne ,
& fit regaler tous ceux qui accompagnoient
cette Princeſſe.Les
Pages
228 MERCURE
Pages & les Gardes du Corps furent
de ce nombre .
Monſeigneur le Dauphin étant
dans une entiere ſanté ,&Madame
la Dauphine preſque tout à
fait remiſe , on a jugé à propos de
luy faire changer d'air , parce que
quelque bon que ſoit celuy qu'on
reſpire dans un Lieu ou l'on eft
tombé malade, il ſemble qu'on ne
ſe puiſſe rétablir parfaitementque
dans un autre. Si ce n'eſt la verité,
du moins eſt- ce la penſée de la
plupart des Malades, & vous ſçavez
que dans ces fortes de choſes
l'opinion fait beaucoup. Toute
la Cour partit de Verſailles le
Lundy 28.de ce Mois,& alla coucher
à Villeroy , & le Mardy à
Fontainebleau . Si la ſanté de Madame
la Dauphine eût eſté plus
forte , on s'y ſeroit rendu en un
jour,ainſi que l'on a accoûtume.ll
y
GALANT .
229
C y eut Comédie Françoiſe dés le
lendemain . Vous jugez bien que
l'on y prendra tous les divertiſſemens
du Lieu & de la Saiſon . La
Cour peut ſe divertir , quand le
Monarque travaille ſans ceſſe.
La précipitation avec laquelle
je vous écris tous les Mois,a cauſé
une mépriſe pour les noms de
Mrs le Camus du Clos , & Beaulieu
, que j'ay employez ſouvent
dans mes Lettres. Quoy que je
vous aye appris la mort du premier
il y a déja quelque temps,je
n'ay pas laiſſé dele reſſuſciterdans
ma derniere, pour tuer M. le Camus
de Beaulieu ſon Frere,qui eſt
en pleine fanté , & qui eſpere le
faire connoître en ſervant le Roy
avec le même zele qui a toûjours
fait agir ceux de fa Famille.
On vient de me dire que M. le
Comte du Pleffis a épousé Mademoi
230
MERCURE
moiſelle de la Valliere , Fille du
feu Marquis de ce nom .C'eſt tout
ce que vous en ſçaurez de moy
aujourd'huy. Il me reſte un Article
tres - curieux , & tres- important;
mais il eſt d'une ſi grande
étenduë , qu'il m'engage à une
ſeconde Lettre que vous recevrez
avec celle- cy. Je ſuis Madame,
voſtre tres , &c.
AParis ce 31. Juillet 1681 .
Avis pour placer les Figures.
AChanſon qui commence par Tircis at-
SaBergere , doit regarder la page
53 .
La Veuë de 'Bourbon , doit regarder la
page 120.
Le Plandes Fontaines , doit regarder la
page 129 .
La Chanſon à boire , qui commence par
L'Hofte de Ceans, doitregarder la page 196 .
LE
LE LIBRAIRE AU
LECTEUR.
Ous devez avoir receu le
du moispassé
ledernier Extraordinaire du Quartier
d'Avril 1681. qui ſe vendra
toûjours aussi bien que les Mercu
res ; sçavoir les Extraordinaires
trente fols chaque Volumes , & les
Mercures vingts ſols aussi le volume
, tantvieux que nouveaux. L'on
continue toûjours à diſtribuer les
Journaux des Sçavans & de Medecine
pourfix fols le Cahier.
LIVRES NOUVEAUX
du mois de Juillet.
Plaidoyer de Monsieur Patru ,
augmenté de ces Oeuvres divers,
Inoct. 2. Vol. 5.1. 10. f.
Les Artifices des Heretiques ,
Indouze, 4 40. f.
Les Comparaiſons ſur Thucidide ,
du Pere Rapin , indouze , 30.1.
Memoires du Chevalier de Terlon ,
indouze , 3. liv.
Le Mariage du Duc de Savoye
avec l'Infante de Portugal , indouze
, 30. fols.
Par l'Auteur du Mercure Galand.
FIN.
LA
FONE
Qualité de la reconnaissance optique de caractères
Soumis par lechott le