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1680, 10 (Lyon)
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me.
R.P. Claudius Franciſcus Meneſtrier Societatis
JESU Bibliothecam Collegii
Lugdunenfis SS. Trinitatis pio hoc
munere locupletavit.
807156 T
MERCURE
GALANT
DEDIE' A MONSEIGNEUR
_LE DAUPHIM
Colle.g LLuuggdd.. 11.Trinh
OCTOBRE 1680 .
fociat. Yesu Cal. Inte
A LYON ,
Chez THOMAS AMAULRY,
Ruë Merciere .
M.DC. LXXX.
AVEC PRIVILEGE DU ROY.
LE LIBRAIRE
AU LECTEUR.
J
E vous envoye , cher Le-
Eteur, le RemedeAnglois,
queMonfieur de Blegny a
trouvé , vous en connoifſez
la valeur. C'eſt cette
Année que je vous fourniray de toutes
fortes de grands Almanachs deParis tant
enluminez qu'autrement, ainſi envoyez
debonne heure pour en avoir: ils ſe diſtribuerontdans
la meſme Boutique que
le Mercure , & en ferez aſſortis de tous
les plus beaux ſans en excepter aucun. Je
les recevray aſſurément des premiers à
un prix tres-raiſonnable dont chacun
fera contant. Comme je les ay en échange
contre d'autre marchandise , cela fait
que j'en peux mieux accommoder ceux
qui les acheptent à l'argent.
Je continueray à diſtribuer les Journaux
des Sçavans, mais il faut que ceux
qui les voudront, aſſurent de les prendre
toute l'année en payant d'avance , alla
ij
Le Libraire au Lecteur.
trement l'on n'en vendra point ; ainſy
ceux qui les prennent des Libraires de
Province àqui je les envoye , payeront
leſdits Libraires de leurs villes
d'avance ; & les Marchands des Provinces
m'affureront d'en prendre le nombre
qu'ils voudront ſans pouvoir diminuer;
c'eſt à quoy ils doivent prendre garde,
car autrement l'on n'en donnera point ,
&on les vendratoûjours 6.ſols le cahier.
On continuera auſſi à diſtribuer les
Nouvelles de Medecine de Monfieur de
Blegny pour fix fols le Cahier. Tous les
Mercures tant vieux que nouveaux, ſe
vendront toûjours ſans en rien rabattre,
ſçavoir ceux de 1677. pour 12. ſols le
Tome. Ceux de 1678.1679 . & 1680 .
pour 20. fols auſſi le Tome ; & les Extraordinaires
30. ſols chaque volume .
L'on s'eſt trompé dans les prix du Mercure
de Septembre , on a mis la Vie des
Saints deMonfieur Dandilly 30. fols,
c'eſt 40. que l'on la vend.
Les Livres cy-deſſous ſe vendront ſeparément
des Mercures ; ſçavoir ;
Le Mariage de Monſeigneur le Dauphin
pour 10. fols.
Le Mariage de la Reyne d'Eſpagne
pour 20. fols.
Le Libraire au Lecteur.
Le Mariage de Monſeigneur le Prince
de Conty pour 15. fols.
Le Voyage du Roy fait en Flandre
en 1680. pour 20. fols.
La Devinereſſe ou les faux Enchantemens
avec les figures 35. ſols, & fans
figures 2.5 .
LIVRES NOUVEAU X
du Mois d'Octobre.
de Pieté , ou les Conduites de la
Pratiques Vie Spirituelle ſuivant les maximes de
l'Evangile, divisées en divers Entretiens , qui
peuvent fervir de ſujet de lecture Spirituelle
&de Meditations, pour tous les jours de l'année
par le R. P. B. le Maiſtre , indouze deux
volumes trente ſols . Par modeſtie l'Autheur
n'a pas voulu eftre nommé en tous les Ouvrages
qu'il a fait imprimer durant ſa vie , que
vous avez vûs ſous le nom de Pratique de
Pieté, ou les veritables Devotions , indouze,
& deux autres volumes , Pratique de Pieté,
ou les entretiens pour tous les jours de l'année,
ainſi ce font cinq volumes indouze, & la
vie Chreftienne in 24.& les Devoirs du Chreſtien
auffi in 24, le tout eſt de ce ſçavant &
pieux Homme , que nôtre Seigneur a bien
voulu retirer de ce monde, où ſes ouvrages feront
connoiſtre à ceux qui les liront la perte
que tous les Gens de bien ont fait à la mort
de ce grand Homme ; ce ne font pas de cer
aij
Le Librairean Lecteur.
Ouvrages de devotion que l'on imprime journellement
, ce ſont Livres plein d'erudition,
où vous en trouverez tres-peu qui écrivent
avec un ſtile ſi aisé , où la devotion y eſt enſeignée
à fond. Je les vend à un prix tres-modique
ſuivant la volonté que l'Autheur avoit
durant la vie ; j'ay veu deux Editions de ſes
premiers Ouvrages depuis deux années ſans
eſtreconnu , ainſi à preſent qu'on les connoîtra,
ce ſeraun livre qui ſe vendra comme la Vie
Devote.
Panegyrique du Roy, par Monſeigneur l'Eveſque
d'Amiens, in quarto, 4. livres.
Les Memoires Galands, 12.
La Découverte de l'admirable Remede Anglois
pour la gueriſon des fievres ,par le moyen
de laquelle chacun pourra ſe procurer la facilité
de guerir à tres-peu defrais; par Monfieur
deBlegny Autheur des Nouvelles Découvertes,
indouze, en Papier marbré 10. fols .
Hiſtoiredu Lutheraniſme , indouze, 2. vol .
du Pere Mainbour.
Ordo Ciftercienfis pro anno 1681 .
Revolution de l'Eftat Populaire en Monarchie
par le different de Cefar & de Pompée,
parMonfieurde Martignac, 20. ſols.
CATA
CATALOGUE DES PIECES
qui compoſent l'Onziéme Extraordinaire
du Mercure Galant, donné
au Public le 15. Octobre 1680 .
IL CONTIENT
Eux traitez ſur l'Origine de la
nce .
Une Piece en Vers ſur la Queſtion,
Si un Amant qui a leplaisir de voirfouventsa
Maistreſſe , dont il se connoist
hay, est moins à plaindre que celuy qui
estant éloignésans esperance de la voir
jamais ,a la certitude d'en estre aimé
tendrement.
Une Piece en Vers ſur la Queſtion,
S'il eſt poſſible d'aimer tendrement,sans
qu'on soit aimé.
Une Piece en Vers ſur la Queſtion,
Si l'absence est incapable d'augmente
L'amour.
Une Piece en Proſe ſur la Queſtion,
Lequeldes cing Sens contribue le plus à
lasatisfaction de l'Homme.
Une Lettreen Proſe ,&en Vers, du
Berger Fleurifte.
iiij
La Conclufion de l'Hiſtoire amoureuſe
des Fleurs.
CinqPieces enProſe ſur la Queſtion,
Quel est le plus grand chagrin qu'une
Maîtresse puiſſe donner à son Amant;
uneen Profe , & en Vers , & un Dialoque
en Versfur le meſmeſujet.
Cinq Piecesen Profe,& une en Profe&
en Vers ſur la Queſtion , Si lefouvenir
du plaiſir dont on ne jožit plus,
cauſe du plaisir, ou de la peine.
Cinq Pieces en Profe , & une en
Proſe& en Vers fur la Queſtion, Lequel
touche plus aisément une Belle , ou celuy
qui se declarant d'abord , employe les
termes plus paſſionnez à luy declarerSon
amour ; on celuy qui en luy rendant
beaucoup d'affiduitez , laiſſe agir fes
foinsfansfe declarer.
Cinq Pieces en Proſe ,une en Profe
& en Vers, & une en Vers ſur la Que-
Ition, Si un Amant maltraité de la Per-
Sonne qu'il aime ,peut sans l'offencer,
Souhaiter lamort.
Un Traité de la nature des Eſprits
Folets.
L'agreable Débauche, en Vers.
Deux Traitez fur la Queſtion, S'il eft
nuisible
nuisible de boire à laGlace, &fi l'on en
pent recevoir quelque incommodité dans
le temps, ouplus tard, ou point du tout.
Une Piece galante en Vers intitulée,
Le Cafuite en matiere d' Eau .
Le Voyage de Munic, en Vers .
Deux Veues gravées, de deux Places
publiques de Madrid.
Un Traité de l'Origine de l'Harmonie.
Pluſieurs Explications en Vers de
l'Histoire Enigmatique du dernier Extraordinaire
.
Pluſieurs Sonnets & Madrigaux.
Pluſieurs Madrigaux ſur les fix Enigmes
des trois derniers Mois .
Les Noms de ceux qui ont trouvé
le vray ſens des deux Enigmes du dernier
Mois.
Explication de la derniere Lettre en
Chifre.
Pluſieurs Queſtions proposées à decider.
TABLE
TABLE DES MATIERES
contenues dans ce Volume.
A
Vant-propes. 2 I
Ouvrages commencez par l'ordre du Roy, 6
Le Perroquet , Fable ,
Regal donné à Chastillon ſur Seine ,
13
21
Lettre de Mademoiselle de Scudery .
27
La Temerité punie. 37
Mort de M. le Marquis de Hautefort,
43
Mort deMonfieur de Prélabbé , 44
L'Apparition , Histoire , ibid.
Le Diable de Marseille , Conte ,
65
Avantage remportéSur Mer par M.le Chevalier
de Lhery 71
Theses fur les Fables , 81
Lettre en Profe & en Vers à Madame....
85
Mort de M. le Duc de Ventadour Chanoine de
Notre-Dame ,
97
Mort de M. Riquet, 100
Eveſché de Tulle donné àM.l'Abbé Ancelin, ib.
Proces galant, 107
Declaration d'Amour en Vers , ibid.
Silence expliqué , 108
Mariage de M. Tullon avec Mademoiselle de
Beaumanoir de Lavardin ,
109
Sonnet en Echo
117
Quatrain & Fragment d'une Lettre deM. l'Abbé
de Sainte Croix - Charpy , Sur le difficulté
des Panégyriques , 119
Galanterie ,
121
Magnificencesfaites à la Reception d'un Medecin
de
de Montpellier,
L' Amante Commode ,
132
144
Abbaye de Sainte Croix de Poitiers donnée à une
des Filles de M. le Duc de Navailles , 148
Abbaye de S. Nicolas de Mizeray donnée àM.
l'Abbé de Mosny , Grand Doyen de Nôtre-
Dame , ibid.
Harangue faite à M. Colbert par M. Hebert,
de l'Académie de Soifſſons , ISO
Le Faux Enlevement, Hiſtoire , ISS
Mariage de M. de Novion , & de Mademoiselle
Berthelot , 174
Mariage de M. de Chasteauneuf Conſeiller au
Parlement , 178
Remede Anglois . Pluſieurs guérisons causéespar
ce Remede. Nouvelles de S. Germain . Le tout
dans l' Article qui commence page 180
Entrée de M. Gombaut Envoyé Extraordinaire
du Roy à la Cour de M. le Landgrave de Heffe-
Caffel , 194
Mort deMadame la Ducheſſe d'Elbeuf ,
Mort de Madamela Comteſſe de Parabere ,
207
210
Mort de M. le Comte de Mepieu , 213
Mort deMadame le Roux ,
Leitre galante en Profe & en Vers ,
LaPhilosophie des Gens de Cour.
La Nobleffe dans les Tribunaux,
Tragedie nouvelle ,
Gueriſon de Madame la Princeſſe de Conty, 226
214
215
221
223
225
Lieutenance Generale des Provinces du Maine ,
du Perche, & de Laval, donnée à M.le ComtedeTeſsé,
227
Agrément donné de la Charge de Capitaine aux
Gardes de M. de Bequemare , à M. de Vousy
Frere
Frere de Monsieur Desmaretz , 228
Noms de ceux qui ont expliqué la premiere Enigme
du dernier Mois , 229
Noms de ceux qui ont expliqué la ſeconde , 230
Noms de ceux qui ont trouvé le vray ſens des
deux ,
232
Enigme, 234
Autre Enigme , 235
Noms de ceux qui ont trouvé le Mot de l'Enigme
enfigure , 236
Fin de la Table.
L
Avis pour placer les Figures.
115
AMédaille qui repreſente M. le Chancelier,
doit regarder la page
L'Air qui commence par Confolez - vous,
chers Enfansde Bacchus , doit regarder la page
132
La Veuve de l'Etang du Buen Retiro , doit
regarder la page 179 .
L'Air qui commence par Nefripez poan mon
Bavolet, doit regarder la page 224.
L'Enigme en figure , doit regarder la page
236
MERCU
I
MERCURE
ORGALLANT QUE
OCTOBRE 1680.
A
LYOU &
VOüez , Madame,
que la Seconde
Partie de ma
Lettre du dernier
Mois,n'étant compoſée
que du ſeul Voyage que Sa
Majesté a fait en Flandre , vous
vous eſtiez attendue à la voir
remplie de Feſtes , & de Divertiſſemens,
proportionnez au zele
des Peuples qui ont eu l'honneur
de la recevoir. En effet, s'il
Octobre 1680 . A
2 MERCURE
n'eſt preſque point de Particuliers
, à qui de pareilles promenades
ne faffent de jour en jour
goûter de nouveaux plaiſirs,combien
s'en doit- on imaginer pour
un Souverain à qui rien ne manque
, & qui marchant accompagné
d'une nombreuſe Cour , ne
trouve en tous lieux que des Su
jets empreſſez à luy marquer
par toute forte d'aprêts l'exceffive
joyeque leur cauſe ſa préſence
? Cependant quelques Villes
que le Roy ait viſitées , il a refuſé
par tout la pompe des Receptions
qu'on luy preparoit ; &
s'il a ſouffert dans quelques-unes
le divertiſſement des Feux d'ari
fice , il l'a bien moins fait pour
fa fatisfaction particuliere , que
dans la veuë de gratifier ſes nouveaux
Sujets . Tout fon temps
s'eſt employé en fatigues . Je ne
les
GALANT.
3
les répete point. Vous en avez
veu le détail dans celuy de fon
Voyage. On ne ſçauroit pourtant
dire que ce Prince n'y ait
point eu de plaifir, puis qu'il s'en
faiſoit detoutes fes peines.Quelle
joye n'avoit - il point de voir
des Places en ſi bon état , des
Fortificatiõs ſorties de terre prefque
auſſitoſt apres ſes ordres donnez
, &enfin des Troupes ſi leſtes
, que la deſcription de quelques
Reveuës vous a deû paroiſtre
un enchantement ? Vous en
auriez eu bien plus de ſurpriſe ,
ſi depuis quatre ans que je vous.
écris , les differentes peintures
queje vous ay faites des plus remarquables
de ſes Actions , ne
vous avoient fait conno ſtre que
fon Regne eſt le Regne des miracles
. Si vous les voulez voir
toutes ramaſſées enſemble, vous
A ij
4
MERCURE
n'avez qu'à lire le Panegyrique
qu'a fait Mr l'Evêque d'Amiens,
ſous le titre de LOUIS LE
GRAND. Vous ſçavez , ainſi
que toute la France avec quelle
politefſſe ce Prélat écrit. L'éloquence
luy a toûjours eſté naturelle
; & comme dans un Ouvrage
de cette nature , la mátiere
fournit tout ce qu'on peut
defirer , vous devez eſtre perſuadée
qu'il n'y manque rien de
ce qui estoit capable de le faire
reüſſir. Il commence par les avantages
de l'auguſte Sang dont Sa
• Majesté eſt deſcenduë . Il entre
de là dans beaucoup de particularitez
de ſa naiſſance , de fon
enfance , & de ſon éducation .
Dans l'endroit qui regarde la
Religion & l'Egliſe , il fait voir
que ce Monarque eſt veritablement
Roy Tres - Chreftien , &
que
GALAN T.
5
que dans ſa Majorité ſa prudence
a devancé ſes années. Enfuite,
il fait remarquer fon humilité
dans ſon Sacre , décrit ſon application
aux Affaires , parle de la
reformation des Finances, de celle
de la Juſtice , & de l'établifſement
du Commerce ; & tombant
ſur ce qu'il a fait pendant la
Guerre, il nous peint le tout d'une
maniere ſi vive , que cette
peinture vaut elle ſeule la plus
belle Hiſtoire. Il fait connoiſtre
avec combien de juſtice il s'eſt
acquis l'autorité qu'on luy a veu
prendre de regler la Paix ; &
apres avoir montré que rien ne
l'engageoit à la ſouhaiter , que
ſon ſeul amour pour le bien public
, il finit par le portrait d'une
moderation qui n'a point d'exemple.
Quel plaifir pour vous, Madame
, ſi ce que je vous dis du
A iij
6 MERCURE
Roy dans toutes mes Lettres ,
eſtoit ſoûtenu des nobles exprefſions
qui relevent le Panegyrique
dont je vous parle ! Vous
eſtes trop juſte pour les attendre
de moy , qui n'ay jamais que le
temps de vous écrire les chofes ,
fans avoir celuy de les polir. Ce
qui me conſole , c'eſt que celles
dont ce Grand Prince me donne
lieu de parler , font ſi éclatantes
par elles-mefines , qu'il eſt impoffible
qu'elles ne vous plaiſent
toûjours , quoy que dénnées de
tout ornement .
Vous avez veu dans la Relation
du Voyage , les ordres qu'a
donnez Sa Majesté , pour faire
-mettre le Port de Dunkerque en
bon état. Quoy que les Travaux
qu'Elle y fait faire coûtent des
-ſommes immenfes,le defir qu'Elle
a d'augmenter la Navigation
&
GALANT .
& le Commerce de ſon Royaume
, l'a fait réfoudre à en faire
perfectionner , & commencer
mefme pluſieurs autres . C'eſt
pour cela qu'on travaille à Breſt ,
à Toulon , & dans les Places les
plus importantes.On fait un Port
àVendry dans le Rouffillon pres
de Colioure ,& un autre àAntibe.
Ils doiventtous deux fert
vir deretraite aux Galeres & aux
Vaiffeaux, en cas de beſoin . Celuy
d'Ambletenſe vouseft con
nu. Je vous appris que le Roy
d'avoit vilité à ſon départ de Bologne
, je vous marquay que la
fituationeluyen avoit paru fi
avantageuſe , tant par ſon voiſinage
du Pas deCalais ,& de l'An
gleterre ,&de la fameuſe Rade
de S. Jean que par la bontéde
l'air & desteaux, & par la ferti
lité du Terroir, qu'il fit des Pro
A iiij
8 MERCURE
jets pour divers Ouvrages , qui
le doivent rendre auffi commode
que ſeûr. Depuis fon retour, les
premieres dépenses ont eſté reglées.
On les doit faire pour fonder
le fond qui eſt dans la Mer
fous les fables ( l'execution du
deſſein ſeroit impoſſible fi cefond
eſtoit de roche ) & pour affembler
une partie des Matereaux
neceſſaires , qui ſe trouveront
preſquetous aux environs d'Ambleteufe.
Tous ces Travaux s'el
xecutent ſur les deſſeins & fous
la direction de Mr de Combe , à
qui le Roy pendant ſon Voyage,
a témoigné en plufieurs rencon
tres la fatisfaction qu'il avoit de
ſes ſervices , & l'eſtime qu'il faifoit
de ſon extraordinaire capacité
pour les Ouvrages de Mer.
On peut dire que c'eſt une ſcience
hereditaire à ceux de cette
Famille.
GALAN T.
و
Famille. Mr de Combe ſon Pere
en poſſedoit les plus hautes connoiſſances
. Il avoit meſme commandé
quelques Vaiſſeaux , &
eſtoit connu du fameux Ruiter ,
qui pour luy donner des marques
de ſa bienveillance , demanda
ſon Fils aîné pour l'avoir aupres
de luy. Il en eut beaucoup de
foin , & l'inſtruiſit luy - meſme
dans la Navigation , & dans les
affaires de la Marine. Ce Fils s'y
rendit bientoſt parfait. Il étudia
en meſme temps les Matematiques
& les Fortifications , qu'il
apprit à fond. Si - toſt qu'il fut revenu
en France , Monfieur de
Vivonne le fit Enſeigne de Galere,
&un peu apres Lieutenant
delaReale. Enſuite Mr de Beau-
-fort le fit Capitaine de Vaiſſeau
dans l'Admiral ; & fa reputation
s'augmentant de jour en jour,Mr.
A V
10 MERCURE
de Louvois , qui le connut pour
auffiſcavant Ingenieur qu'il étoit
habile Homme de Mer, luy commit
le ſoin des Fortifications de
Dunkerque. Pendant le ſejour
qu'il fit dans la Place, ayant remarqué
que le Port ſe ruinoit
tous les jours , il chercha les moyens
de le rétablir , & en confera
avec Monfieur Gravier qui y
eſtoit Intendant de la Marine , &
quin'avoit pas moins de capacité
que de zele pour le ſervice da
Roy. Monfieur de Combe en fit
des projets & des Plans , qu'il
expliqua par des memoires tresbien
circonstanciez ; & dans le
premier Voyage que Sa Majesté
fit à Dunkerque pour en viſiter
les Fortifications , & faire applanir
des Dunes , Elle luy fit l'honneur
de l'entretenir fur ce ſujet ,
& trouva ſes deſſeins tres -
heureuſe
GALANT. JI
10
reuſement conceus ; mais lors
que ſe reſolvant à les faire executer,
Elle luy en deſtinoit la direction
, la Guerre de 1667, furvint
, & fut ſuivie de celle que
l'on declara aux Hollandois . Mr
de Combe eut dans l'une & l'autre,
des Emplois auſſi honorables
qu'importans ; & enfin eftant
tombé malade apres avoir fait
fortifier Salins , il mourut en peu
de jours . On n'eut pas fi - toft
conclu la Paix , qu'on remir fur
le Tapis le deſſein de rétablir le
Port de Dunkerque. On jetta
les yeux fur le CCaaddeetr ddeeMonſieur
de Combe , qui n'estoit
qu'Enſeigne de Vaiffeau , & qui
avoit à peu pres les connoiffances
itlsegenic , &la capacite de
fon Eteres principalement pour
les Ouvrages de Mer.. Il l'a fair
C
connoiftre en beaucoup d'occafions
12 MERCURE
fions, & fur tout dans ce qui s'eſt
fait pour le rétabliſſement de ce
Port,dont on luy a donné la conduite
. Il a encor un Frere , qui
ſelon les apparences,ne manquera
pas de profiter de ſes leçons ,&
de ſoûtenir glorieuſement la réputation
de ſes deux Ainez .
Vous avez perdu beaucoup au
peude ſanté qu'a eu depuis quelque
temps Mr Broſſard de Montaney
, Confeiller au Prefidial de
Bourg en Breffe. Il n'eſtoit pas en
état de continuer les galans Ouvrages
que je vous ay envoyez
de luy dans pluſieurs de mes Lettres
, & dont la Fable que vous
allez voir eſt une agreable ſuite.
Vous en trouverez la morale
merveilleuſe , pour ceux qui ont
l'imprudence de ſacrifier ce qui
eſt certain,aux apparences trompeuſes
d'une fortune qui les
ébloüir. LE
GALANT. 13
ANAA AAAA
LE
LE PERROQUET .
FABLE.
UNe Vicereyne Espagnole
Faisoit tout fon plaisir d'inſtruire
un Perroquet.
Les Femmes d'ordinaire ont aſſez
de caquet ;
Ainsi pour tels Oyseaux c'est une
bonneEcole.
Le Perroquet en profitafi bien
Qu'en peu de jours ce fut une
merveille;
Jamais au Païs Indien
Il ne fut bruit d'une chose pareille.
La Dame l'aimoit fort , l'appelloit
fon mignon ,
Lu
14
MERCURE
Luy donnant deſa main Dragée&
Macaron.
De menus fils d'argent paſſez dans
de l'Ebene ,
Elle avoit fait ajustersaMaison.
Enfin l'aimable Vicereyne ,
Pour ses propres Enfans faisoit
moins de façon.
Cependant tant de ſoin , de tendreſſe,
& de peine ,
Ne pûrent l'obliger à chérirſa pri-
Son το
Il devint inquiet , & le petit Volige
,
Ennuyé de ſe voir en cage ,
De grandeur & d'éclat s'enteſta
Sans raison ,
Et crût que s'ilpouvoit, estant hors
d'esclavage , tod
Faire aux jeunes Oyfcaux entendre
ſon langage , :
Ildétrofneroit l'Aigle, &fans difficulté
Parvien
GALANT.
15
6
Parviendroit à la Royauté.
Plein de cette pensée &ridicule &
vaine,
Ilfitfi bien qu'un jour ilſeſauva.
De dire le chagrin qu'en eut la
Vicereyne ,
Etcomment la chose arrivas
C'est un détail inutile à l'histoire.
On en croira ce qu'on en voudra
croire ,
Venons au Fait . L'Oyſeau mal
Engourdy , ne volant qu'à peine,
avisé
Pour le longtemps qu'il s'estoit reposé,
Entra tout éſouflé dans la Forest
prochaine. :
C'estoit le rendez - vous de mille Oy-
Seaux divers.
L'empreffé Fugitif ayant repris
haleine,
Alla d'abordse fourer au travers.
Ilfiffla, gazoüilla, les Oyſeaux l'écouterent
Les
16 MERCURE
Les plus habiles l'admirerent ;
Mais dés qu'ily meslaſon langage
Eſpagnol ,
Les Ecoutans prirent leurvol ,
Et tous ſaiſis d'effroy fur le champ
le quitterent.
Le Perroquetfurpris d'unſiprompt
changement ,
Trouva l'avanture cruelle.
Ces Oyſeaux ont peu de cervelle
,
Ils n'ont pas le gouſt bon, dit- il,
apparemment.
D'où leur viendroit ce bizarre
caprice ?
Pourquoy s'enfuir fi bruſquement?
Je parle juſte , & ne fuis pas novice.
La Faim interrompit ce beau rai-
Sonnement ;
Au lieu qu'il trouvoit reglément
Matin & foir du ſucre dans ſa
Cage ,
GALANT. 17
Il fallut ſe nourrir de quelque fruit
Sauvage ;
Lerepas fut leger. Pour furcroift de
: malheur ,
La nuitſarvient avec la pluye.
En tremblotant ,le Malheureux
s'eſſure ,
Il n'ofe remuer , les Hiboux luy
fontpeur.
Enfin le jour paroist , & termine
Lorage.
Le Perroquetpourſe ſecher ,
Vole au bord de la Mer,flaté de
l'avantage
De pouvoir en repos éplucher Son
:
plumage
Sur une pointe de Rocher.
Un Oyſeau vivant de carnage ,
L'ayant veu par hazard lors qu'il
planoit dans l'air ,
Fondit fur luy comme un éclair.
Dans ce preffant danger il s'arma
de courage ,
Des
18 MERCURE
Des ongles & du bec il fit tant qu'à
la fin ,
Froiffé , plume ,fanglant , un aile
déchirée ,
Tout prest à fervir de curée ,
Ilse gliſſa dans un Buiffon voi-
Sin.
Des Marchands.Africains qu'un
violent orage.
Avoit pouffezfur ce rivage,
Se promenant le foir, virent le
Malheureux ,
Qui nepouvant voler , &preffe de
famine ,
Cherchoit te tong de la Marine
Quelque mangeaille au travers
des Glayeux cau ng
Un Esclave le prit , l'attacha par
la pate ,
Puis leporta dans le Vaiſſeau ,
Où sa pâture délicatemi
Fut du Biscuit trempé dans l'eau.
Ilgémit,foûpira, détesta fa folie ;
Une
GALAN T. 19
Une noire mélancolie
A deux doigts de la mort le reduiſit
cent fois.
On s'accoutume à tout ; enfin an
bout d'un mois ,
L'habitude , le temps , la longueur
du voyage ,
Ayant un peu diffipéſon chagrin,
Il repritdoucement ſa voix &fon
langage.
Ce fut du bas Breton pour l'Esclave
Africain,
Qui l'écoutant fans pouvoir le
comprendre ,
Se plaiſoit pourtant à l'entendre,
Dans le deſſein d'en faire don
Al'affreuſe Moitié d'un Négrefon
Patron .
Il le fit. Quelle chute ! Vne Femme
effroyable ,
Camarde à faire peur , & noire
comme un Diable ,
Quijargonnant toûjours , de fon
bruyant caquet Etour
20 MERCURE
Etourdiſſoit le Perroquet ,
Pour l'obliger à changer de ramage.
En vain il écoutoit , & faisoit de
font mieux ,
Pourplaire au Magot odieux.
Sa langue accoûtumée à ce charmant
langage
Qu'ilparloit depuisfonjeune âge,
Ne pût jamais apprendre un barbare
jargon
Enfin laMeduse Africaine
Ayantprisl'Animalenhaine,
A ses camards d'Enfans le mit à
l'abandon
Cefut de tousses maux le plus in-
Supportable.
Il s'estoit veu dans un Palais
Chéry d'une Maiſtreſſe aimable,
Etſe voyoit alors le joüet déplorable
Et des Enfans & des Valets.
Ceſouvenir cruel , cette idée affligeante,
L'ac
GALAN T. 21
L'accabla de tant de chagrins ,
Que contraint de cederàſa douleur
preſſante ,
Le pauvre Malheureux mourutentre
les mains
De cette engeance de Lutins.
Telfut le châtiment de cet Oyſeau
volage ,
Qui de fon Destin mal content ,
Sous le frivole espoir d'un plus
grand avantage ,
Quita le feur pour l'apparent.
Quiconque l'imite est peu fage.
Ne riſquons rien mal à propos ,
Contre un coeur inquiet la Fortune
s'irrite ;
Quand nous la pouſſons trop ,Souvent
elle nous quite ;
On doit , quand on est bien, demeuver
en repos.
La Galanterie regne par tout ,
& elle n'eſt pas moins en uſage
dans
22 MERCURE
dans les Provinces , que dans la
Capitale du Royaume. Il ſuffit
pour la faire agreablement éelater
en quelque lieu, qu'il ſoit plein
de Gens d'eſprit qui aiment la
joye , que les Dames y foient
bien faites , & que les Hommes
y cherchant à plaire , joignent
à beaucoup de complaifance
, ces manieres de vivre aiſées,
que la connoiſſance du monde
fait acquerir. C'eſt ce qui ſe
trouve depuis fort long - temps
dans une petite Ville de Bourgogne
nommée Chaſtillon ſur Seine.
Mr Soyrot , qui eſt un des
plus confiderables de ceux qui
l'habitent , a une fort belle Maifon
de plaiſance,quin'en eſt éloignée
que de cent pas. Elle eſt au
milieu de la Prairie. Ce ne ſont
de tous coſtez que des chutes
d'eau qui l'environnent.Elle a un
fort
GALANT.
23
fort grand Jardin, coupé d'un
tres beau Canal, remply de toutes
fortes de Poiffons. Il y en a
quatité de monstrueux. Les Terraſſes,
au milieu deſquelles eſt bâtie
cette Maiſon , ſont fortgrandes,
& ont de hauteur quinze ou
ſeize pieds.Les Parterres ſontplacezdans
ces Terraffes. Le Canal
dont je vous viens de parler, coupeen
parties égales huirquarrez,
dont toutes les Platebandes font
d'Arbrifleaux , & de Fleurs fort
rares. En ſuite eſt un jeune Bois
de Charmes , planté par compartimens
. La Riviere qui le
borde auffi -bien que tout le reſte
, a plus de trois cens pas de
longueur , & plus de vingt- cinq
de large dans toute cette étenduë.
Elle eſt profonde de plus de
quinze pieds , & fes bords ſem
blent avoir eſté taillez au niveau
24
MERCURE
veau , tant elle eſt droite. Trois
petits Bateaux ou Gondoles ,
couverts de Toiles peintes , &
environnez de Flames & de Giroüetes
, ſervent tous les jours
pour le divertiſſement des Dames.
Je ne vous parleray point
des Statuës qui ſont ſur le bord
de cette Riviere , de plus de
trente Buſtes rares & antiques,
de la beauté de deux Balcons
l'un ſur l'autre, dont le plus éle
vé eſt couvert de plomb; d'une
infinité de Pots &Quaiffes d'O.
rangers,Jaſmins & autres Fleurs;
d'un tres - agreable Sallon de
Peintures,uy enfin d'une Chambre
ornée de mille curiofitez &
dans un arrangement admirable.
Je vous diray feulement que c'eſt
la promenade ordinaire de tout
ce qu'il y a de beau monde à
Chaftillon , & aux environs ,
qu'il
GALANT.
25
qu'il n'y paſſe point d'Etrangers
qu'elle n'attire , & que Monfieur
Soyrot ayant voulu depuis peu
de temps donner une Feſte aux
Dames, choiſit ce beau lieu pour
les régaler. Le Repas ſe fit ſans
confufion , quoy qu'il euſt invité
cinquante Perſonnes . Les Tables
furent dreſſées dans le Sallon de
Peintures , mais d'une façon extraordinaire,
c'eſt à dire, qu'elles
furent rangées du coſté des Tableaux
, & qu'on n'y laiſſa que
l'eſpace neceſſaire pour chacun
des Conviez. Ainſi elles furent
fervies par le milieu en ambigu,
avec une propreté ſurprenante.
Les Pyramides de Fruits toutes
couvertes de Fleurs , faisoient un
effet charmant. Le Bufet quiavoit
eſte conſtruit de verdure
dans le dehors , eſtoit tout plein
de lumieres , aufſſibien que le Sal-
Octobre 1680. B
1
26
MERCURE
lon. Les Violons & les Hautbois
ſe firent entendre pendant le
Soupé, les derniers ſur la Terrafſe
, & les autres dans un des Balcons
. Au fortir de table , on commença
a dancer , & une heure
apres tout le Jardin ſe trouva illuminé.
La meſme choſe ſur le bord
de la Riviere . A l'endroit où finiſſoit
la Terraſſe,eſtoitun Theatre
, ſur lequel on voyoit un Piedeſtal
haut de quatre pieds, avec
une Pyramide de dix autres pieds
fur ce Piedestal , & tout au haut
un Soleil ſur une Lanterne qui
eſtoit auſſi de quatre pieds . Tout
eſtoit garny de Feu d'Artifice ſur
cette hauteur. Quantité de Vers
galans & de Deviſes , ornoient
cette Pyramide & le Piedeſtal .
On avoit peint grand nombre
d'Emblèmes autour de la friſe du
Theatre. Quatre petites Pieces
६० de
GALAN Τ.
27
de Canon que l'on entendit , firent
connoiſtre qu'on alloit tirer
le Feu . Six Tambours , avec les
Fifres , Hautbois & Trompetes ,
répondirent à ce bruit, & en même
temps ce fut un éclat prodigieux
de plusde quinze cens Petars
, Sauciffons , Serpenteaux ,
Grenades , Lances à feu & Fuſées
volantes , qui firent un effet
d'autant plus beau , que la nuit
ſembloit avoir une obſcurité extraordinaire
. Il y avoit plus de
quatre mille Perſonnes dans le
Jardin , & beaucoup plus au delà
de la Riviere . Apres ce Spectacle
, on recommença la Dance ,
& la Feſte ne finit qu'avec le
jour.
Les Loüanges que vous donnez
aux Entretiensde Mademoifelle
de Scudery , ſont ſi juſtes,
que vous n'avez point de ſenti-
Bij
28 MERCURE
mens là - deſſus , que toute la
France ne partage. Il y a longtemps
que ſes Ouvrages en font
l'admiration ; & comme il ne part
rien de ſa plume qui ne merite
d'eſtre conſervé , je croirois vous
priver d'un fort grand plaifir, ſi je
luprimois une de ſes Lettres qui
m'eſt tombée depuis peu entre les
mains. Si elle n'eſt pas tout à fait
nouvelle , elle doit l'eſtre pour
vous qui n'avez jamais entendu
parler de l'occaſion qu'elle a euë
d'écrire.Un excellent Peintre luy
avoit fait preſent d'un Tableau ,
où eſtoit repreſenté le Retour de
Tobie , emmenant avec luy fa
Femme Sarra , ſous la conduite
de l'Ange Raphaël. On y voyoit
peint ce qui ſe paſſa dans l'inſtant
que par le conſeil de ce meſme
Ange, Tobie laiſia ſa Femme , &
toute ſa Suite , Argent, Beſtiaux,
い
&
GALANT. 29
t
& Bagage , pour prendre ſeul les
devans , afin d'arriver plûtoſt en
la Maiſon de ſon Pere. Cette illuſtre
Fille , qui eſt auſſi gencreuſe
que ſpirituelle, n'eut pas fi- toſt
reçeu ce Tableau , que pour en
marquer ſa reconnoiſſance au
Peintre , elle luy envoya un Baffin
& une Eguiere d'argent, avec
cette Lettre . :
I ce bel Ange que vous avez
SdodmonmneéàTorepour le conduire,
euſt pû l abandonner pourvenirguider
ma plume , vous auriez Sans
doute reçen un compliment plus
digne de vous & de ma reconnoiſſance
, que ne fera celuy que
je vay vous faire ; carveu la maniere
dont il m'apparoit , je ne
doute nullement qu'il ne ſoit des
plus éclairez. Tout - à bon , Monfieur
, cette Figure est si noble , que
Biij
30
MERCURE
j'ay peine à croire que l'Ange effe-
Etif du veritable Tobie ait pû autrefois
se former un corps plus beau
que celuy que vous luy avez donné
, & je pense mesme que fans
profanation on peut dire , qu'il
s'estfi fort affectionné à luy , qu'il
n'a pû Souffrir que vous fiffiez un
Tableau de fon histoire fans vous
conduire la main , comme il le
conduisit luy-mesme dans le voyage
qu'il fit ; & comme c'estoit luy
qui avoit fait son mariage ,
s'est intereſſé en la beauté de Sarra
د
il
& vous a fans doute aidé
à luy donner tous les charmes
qui éclatent sur son visage , &
à reprefenter avec tant d'art cette
agreable confufion de Bagage
& de Troupeaux , qui produit
un effet fi admirable en cette peinture.
Ie doute mesme si l'on ne
pourroit accuser cet Ange d'avoir
entre
GALANT .
31
entrepris quelque chose contre l'autorité
de Dieu ; carde lafaçon que
je voy toutes ces Figures , il y a
lieu de Soupçonner qu'elles font
effectivement ce qu'elles parois-
Sent , & qu'en leur donnant l'estre
, il leur a aussi donné la vie.
Ce Domestique qui écoute ce que
fon Maistre luy crie , écoute fo
bien , qu'il me persuade que j'entens
une partie de ce qu'il tâche
d'oüir. Le Chien de Tobie , marque
dans l'Ecriture en fon action
enjoüée , fait fi bien voir sa fidelité
par le peu de peine qu'il
a de quiter sa nouvelle Maistref-
Se pour suivre son ancien Maitre
, qu'on ne peut affez l'admirer.
Mais sur toutes ces chofes
, la beauté de Sarra paroist
avec tant d'avantage , qu'il feroit
à defiver que le fiel de ce Poif-
Son qui redonna la vevë à son
Bij
32 MERCURE
Beaupere , fust employé à la re
donner encore à tous les Aveugles
qui font au monde , afin que per-
Sonne ne fust privé du plaisir de
La voir ; & quand mesme la veuё
de cette Beauté seroit aussi funeſte
à ceux qui la regarderoient ,
qu'elle le fut à ses premiers Marys
, je trouverois encore que l'on
s'y devroit expoſer. Le vifaze de
Tobie nous fait voir un si agrea
ble combat de l'amourqu'il a pour
Ja Femme ,& de la tendreſſe qu'il
a pour fon Pere , qu'on ne
affez le loüer. On voit queses pas ,
en l'approchant de ce qu'il refpe-
Ete , l'éloignent de ce qu'il aime ,
fil Ange ne le tiroit avec quelque
espece de violence , il auroit
peine à se resoudre à cette sepa
ration. Enfin , ſoit que je confidere
cette fuite de Filles qui accompa
gnent la Mariée , la beauté ou la
docilité
pecut
GALANT.
33
docilité du Cheval qui la porte;
les diverſes actions de ceux qui la
Suivent , la Figure naïve de l'Afne
qui est fi agreablement chargé,
l'Aigle qui tient un Serpent , ou
celle qui vole , ou que je regarde
le Bois , les Rochers , les Herbes ,
& les Cailloux , je voy tant de
choſes ſurprenantes en ce Tableau,
que j'ay bien plus de diſpoſition
àle confiderer comme un Miracle,
qu'à l'admirer ſimplement comme
un Chef- d'oeuvre ; & pour vouS
témoigner que mes soupçons nefont
pas en effet fans fondement , vous
Scaurez , Monsieur , que comme
il avient presque toûjours que l'on
ne démenage point , que dans ce
changement de licux il ne s'égare
quelque chose , il est arrivé que
parmyles Vases prêtieux qui font
une partie des richeſſes de Tobie ,
ceux que je vous envoye se font
B V
34
MERCURE
détachez de deſſous les autres ; &
comme cefont sans doute les moins
confiderables de tout fon Bagage ,
il ne s'en est pas apperçeu , & a
poursuivy fon chemin. C'est pourquoy
, Monsieur , je vous les renvoye
, afin que vous puissiez les
luy rendre , vous qui connoiſſez
Raguel Pere de Sarra , & qui ſça.
vez le chemin de Rages où il demeure
, car pour moy je vous déclare
que je n'en veux point estre
chargée. Vous me direz peut- estre
que je les devois rendre à celuy qui
les avoit perdus ; mais comme vONS
Sçavez , les Chameaux ont les jam .
bes trop longues pour lesſuivre facilement
; & puis , à vous dire la
verité , je trouve encor tant de
richeſſes à Tobie que je ne me
Suis pas beaucoup mise en peine
de luy rendre une choſe de ſipeu
de valeur. Si cet Homme qui porte
,
le
GALANT.
35
A
le Chien de Sarra , & qui mene
ce petit Singe attaché , eust perdu
l'un ou l'autre de ces aimables
Animaux , je n'aurois fans doute
pas manqué de courir apres pour
le rendre ; mais ne s'agiſſant que
d'une chose qui certainement ne
luy est pas fi shere , j'ay crû qu'il
fuffifoit de vous l'envoyer comme je
fais. Cependant, Monsieur , fi par
hazard mon imagination me trompoit
, & que ce que je prens pour
le crime, d'un Ange , fust simplement
un prodige de vostre main ,
faites - moy la grace de m'en avertir
, afin que je puiſſe en quelque
façon proportionner ma reconnoiſſance
& mes loüanges
un Preſent ſi magnifique &fi beau,
Vous me donnerez cet éclaircifſſement
quand il vous plaira , &
me ferez toûjours la grace de
à
croire
36
MERCURE
(
croire que je suis de toute mon
ame ,
MONSIEUR ,
Voſtre tres humble & tresobligée
Servante ,
MAGDELAINE DE SCUDERY .
L'Avanture que vous allez
voir décrite dans les Vers fuivans
, n'eſt point une imagination
de Poëte . Elle est effective ,
& vous apprendrez en la lifant ,
ce qui s'eſt veritablement paſſé
entre un Cavalier que la Paix retient
en Province , & une Dame
auſſi diſtinguée par ſa naiſſance
que par ſon merite. Je ne ſçay ſi
vous trouverez le crime du Cavalier
affez grand pour meriter que
la Dame ſoit toûjours inexorable.
LA
GALANT. 37
١٠
LA TEMERITE
PUNIE.
ASfisfur le gazon dans un lieu Solitaire ,
Où paſſe à petit bruit une eau fort
pure& claire ,
Où le Chesne propice au mistére
d'amour ,
Entretient une nuit qui dure tout
le jour ;
Suivy dans ce Defert du ſeul Dieu
que j'implore ,
Je reſvois triſtement au feu qui me
devore,
Et rappellat d'Iris toute la cruauté,
Je laiſſois àmes pleurs entiere liberté.
Vous seul , Ruiſſeau Sacré que mes
larmes troublerent ,
Pouviez montrer l'état où vos eaux
me laifferent ; Et
38 MERCURE
Et toy , qui repétois ma plainte &
mon tourment ,
Echo,tu n'as jamais parléplus tendrement.
Le nom, le charmant nom de l'objet
qui me touche,
Estoit déja forty mille fois de ma
bouche ,
Lors que dans mes tranſports , d'un
bruit Soudain frapé,
L'euspeurpour leſecret qui m'estoit
échapé.
Mais de quel doux moment ma
craintefutfuivie !
LuySeulvaut tous lesſoins que j'ay
pris en ma vie ;
Cebruit qui me fit naistre un amoureux
effroy ,
Venoit de mon Iris qui s'avançoit
vers moy.
Quel coeur en la voyant n'eust esté
Sa conqueste !
Ses cheveux seuls faisoient l'ornement
defa teste.a
GALANT.
39
Honteuse que l'amourſemblast guiderſes
pas ,
Elle me faisoit voir un aimable embarras
,
Vn trouble dont le charme augmenta
ma tendreſſe.
Sa taille paroiſſoit dans toute fa
Et Son Habit ſi propre à prendre la
fineſſe ,
fraîcheur,
Ne cachoit defon corps que laSeule
blancheur.
Elle ne fut jamais moins parée &
plus belle.
D'abord qu'elle me vit ; Eh bien,
Daphnis, dit- elle ,
Vous plaindrez - vous encore , &
fais-je aſſez pour vous ?
A ces mots je courois embraſſer fes
genoux .
Mais elle m'arrestant avec un air
fevere ;
N'allez pas , poursuit - elle ,attirer
ma colere , Et
40 MERCURE.
Et fortant du reſpect qui marque
un coeur charmé ,
Me montrer un Amant indigne
d'eſtre aimé.
Ie crûs que ce discours , quoy que
plein de menace,
Pouvoit àmes defirspermettre quelque
audace ,
Et qu'enfin mon Iris apres tant de
rigueurs,
Voudroit bien m'accorder de légeres
faveurs.
Le temps, l'occaſion, messoins , ma
patience ,
Tout rendoit pardonnable un peu de
violence.
Ie mejette àses pieds ,j'ofe baifer
Samain.
Estoit- ce- là dequoy mériterfon dédain?
Ce larcin d'un baifer devoit- il luy
L'ingrate , m'accablant de touteJa
déplaire ?
colere , 540000
S'e
A
GALANT.
41
S'éloigne,& me défend de luy parlerjamais.
I'ay beau me fondre en pleurs,je ne
A fais point ma paix.
En vain pour l'arrester , je preſſe,
follicite ,
Mapertefut jurée,& ma disgrace,
écrite ,
le lafuis en tremblant. Eh quoy,
luy-dis - je, Iris,
:
Pour trouver un prétexte à vos
cruels mépris, amalg
Venez vous m'enhardir d'un
J regard moins fevere ,
Ou ne me cherchiez- vous dans
ce Lieu folitaire
Qui laiſſe en liberté les mouvemens
du coeur ,
Que pour mieux me montrer toute
voſtre rigueur ?
Suis - je affez malheureux ? eſtesvous
fatisfaite ?
Bien loin que ma douleur retardaſt
Sa retraite, Ie
42 MERCURE
Ie la vis ſe haster de fortir de ce
Lieu ;
Et ne pûs en tirer qu'un eternel
adieu.
Ciel , je te prens pour Iuge, Ay-je
commis un crime
Qui rende contremoy Son courroux
légitime ? C
Vn regret eternel doit- il me déchirer?
Neferay-jejamais que languir,que
pleurer ? ८
Mais tandis que cecoeuraccabléde
triſteſſe
Conferve ſon ardeur , & toute fa
tendreſſe , f
Et qu'il préfere encor fes plus vives
douleurs
Auxplaisirs les plus doux qu'on
puiſſeprendre ailleurs ,
Tandis qu'on meverra toûjours tendre
& fidelle ,
Iris , ma chere Iris , dy-moy , que
fera-t'elle? Vous
GALANT. 43
Vous aurez déja appris la mort
de Monfieur le Marquis de Hautefort,
arrivée ſur la fin de l'autre
Mois . Il eſtoit Chevalier des Ordres
du Roy , Lieutenant Gene
ral en ſes Armées , Premier &
grand Ecuyer de la Reyne,Comte
deMontignac, & de Beaufort,
Vicomte de Segue , Baron de la
Flete,&c.Ses lõgues années ſemblent
avoir eſté dés ce monde la
récompenſe de ſa charité. Elle
eſtoit grande pour ceux qui avoient
un véritable beſoin d'en
reſſentir les effets; & ce qu'elle avoit
de fort eftimable, c'eſt qu'on
n'en voyoit paroiſtre que ce qu'il
luy eſtoit impoffible de cacher.
Le grand Hôpital qu'il a fait
bâtir , & qu'il a fondé à Hautefort
pour les Pauvres , leur rendra
long-temps ſa memoire prétieuſe.
Monfieur le Comte de
Mor
44 MERCURE
Montignac ſon Frere, exerce préfentement
la Charge de Premier
Ecuyer de la Reyne. Sa Majesté
l'y avoit reçeu en ſurvivance il y
a déja quelques années .
Monfieur Olivier de Prélabbé,
Tréſorier General de l'Argenterie
du Roy, eſt mort peu de jours
apres. ८
J'ay à vous parler d'une autre
Perſonne , dont la perte a cauſé
de vifs regrets .Comme elle a esté
ſuivie d'un Incident qui pourra
trouver des Incrédules,vous vou.
lez bien que je me diſpenſe de
vous la nommer. La choſe eſt
tres - furprenante. Cependant elle
eſt arrivée à une Perſonne fi digne
de foy , qu'on ne la peut mertre
au rang des contes qu'on
fait tous les jours fur les matieres
de meſme nature. Un Cavalier
ayant beaucoup d'acquis
par
GALAN T.
45
par l'étude,vouloit joindre la connoiſſance
du monde aux lumieres
qu'il avoit tirées d'une ſerieuſe
application , àtout ce qui peut
éclairer l'eſprit. Dans ce deſſein,
il quita le lieu de ſa naiſſance , &
vint à Paris , où il trouva aiſement
entrée dans les Compagnies
les plus agreables. Il eſtoit
de qualité , & avoit l'humeur ſi
engageante , qu'en fort peu de
temps il eut d'illuftres Amis . On
le ſouhaitoit par tout. Les Bel .
les , à qui il prit l'habitude d'en
conter l'écoutoient favorablement
, & il n'en voyoit aucune
qui n'euſt fait gloire de l'aſſujetir,
s'il euſt eſté auſſi prompt às'engager
qu'on luy marquoit de panchant
à luy épargner l'ennuy de
foupirer inutilement;mais comme
il étoit delicat en toutes choſes, il
l'eſtoit fur tout en liaiſon de tendreſſe
46 MERCURE
dreſſe , & le Sacrement luy paroiſſoit
demander un ſi grand raport
d'humeurs , qu'eſtant Philoſophe
bien plus qu'il n'eſtoit Galant
, il tenoit toûjours ſon coeur
dépendant de fa raiſon . Ainſi jamais
Homme ne fut moins capable
de ſe laiſſer ébloüir. Il n'eſtoit
aucun mesitedont il n'apperçeuſt
les taches , & ce qu'il voyoit de
foible en examinant l'eſprit , le
defendant des ſurpriſes que luy
faifoit la beauté , il eſtoit honneſte
pour tout le beau Sexe , ſans
qu'aucun attachement ſuivit ſes
honneſtetez. Si l'entretien tomboit
quelquefois ſur le Mariage ,
il témoignoit de ſi bonne foy n'y
vouloir jamais penſer , qu'on fut
convaincu de l'averſion qui l'en
éloignoit. On prit ſes meſures làdeſſus
, & fa complaiſance le faiſant
toûjours aimer , il ſuffiſoit
qu'il
GALANT.
47
qu'il fuſt propre à tout pour luy
faire conſerver ſes plus cheres
connoiſſances . Il mena dix ans ce
genre de vie , & quelque embarras
d'affaires l'ayant enfin rappellé
chez luy , il retourna fort
ſouhaité de ceux qui l'avoient
connu. Quoy qu'il fuſt party tout
plein de merite , on luy en trouva
encor davantage quand on le revit.
Il avoit l'eſprit plus doux,les
manieres plus aiſées , & ce que
l'étude laiſſe ſouvent de ſauvage
avoit eſté corrigé par la politeſſe
que donne l'air du grand
monde. Si - toſt qu'il fut arrivé, il
ſe fit inſtruire de ce qui s'eſtoit
fait de changemens pendant ſon
abſence. On luy nomma de fort
jolies Dames , qu'il ne connoiffoit
que par leurs Familles , &
entr'autres on luy parla d'une
jeune Veuve dont le Mary eſtoit
mort
48 MERCURE
mort depuis deux ans. Elle eſtoit
d'une des meilleures Maiſons de
la Province ; & laCharge que ce
Mary avoit poffedée luy donnant
un rang confiderable,tout ce qu'il
y avoit de Perſonnes de qualité ,
& dans la Ville , & aux environs,
avoient pour elle de grands efgards
. Le Cavalier écouta ce
qu'on luy dit de ſes belles qualitez
, comme une éxageration ordinaire
à ceux qui n'ont pas le
difcernement fort fin. Il ne doutoit
point qu'elle ne fuſt belle ,
bien faite , & fpirituelle comme
on la peignoit.Ces avantages ſont
communs à bien des Dames;mais
quand on vantoit la ſolidité de
ſon eſprit , la juſteſſe de ſon raifonnement
, & cette inebranlable
droiture de ſentimens qui eſt le
vray caractere des belles ames , il
commençoit à eſtre incredule, &
s'imagi
GALANT.
49
s'imaginant ſur ſes épreuves qu'on
en jugeoit trop legerement, il eſtoit
perfuadé qu'un examen un
peu rigoureux luy feroit trouver
en elle , les meſmes défauts qui
l'avoient bleſſé dans les plus aimables.
Ce qu'il eſtima beaucoup
dans cette jeune Perſonne, ce fut
le refus qu'elle avoit fait depuis
fon veuvage de pluſieurs Partis
fort avantageux. Sa conduite qui
avoit eſté toûjours tres - reguliere
du vivant de ſon Mary, & qu'on
luy diſoit ſuivie du deſſein qu'elle
témoignoit avoir de demeurer
toûjours Veuve, luy donna l'idée
d'une fort grande vertu. Dans
cette ſecrete diſpoſition d'eſtime ,
il réſolut de l'étudier. Les premieres
entreveuës ſe firent avec
aſſez d'enjouëment. Ils avoient
tous deux l'humeur agreable , &
laDame n'eſtant pas moins belle
Octobre 1680. C
50
MERCURE
que le Cavalier eſtoit bien fait ,
plus ils ſe voyoient , plus ils paroiffoient
contens l'un de l'autre.
Le Cavalier , qui épioit toûjours
les défauts qu'il préſumoitdans la
Dame , vivoit avec elle ſans aucun
foupçon que ſon coeur le puſt
trahir , mais enfin il fut la dupe
de ſa confiance ; & foit qu'effectivement
la jeune Veuve fuſt auſſi
parfaite qu'on la publioit, ſoit que
l'amour qui ſe rendit maiſtre de
ſa raiſon ſans qu'il y prift garde ,
luy communiquât ſon aveuglement
, il la crut toute accomplie ,
&l'aimant autant qu'elle luy parut
aimable,il ne ſongea plus qu'à
toucher ſon coeur. Ses ſoins redoublerent,
& quand il n'euſt pas
déclaré ſa paſſion , ſes empreſſemens
diſoient tant de choſes, que
la belle Veuve les euſt entendus.
Elle plaignit ſa foibleſſe, & tâcha
4 de
GALANT .
SI
de l'en guerir ; mais il eſtoit de
ſa deſtinée de l'aimer avec excés,
& quoy qu'elle fiſt , elle ne put
le reduire à regler ſes ſentimens.
Si elle luy faiſoit voir qu'il l'avoit
loüée luy meſme d'avoir renoncé
au Mariage , & qu'elle s'eſtoit déclarée
trop hautement pour ſe
pouvoir démentir ſans honte , il
répondoit qu'il ne valoit pasqu'elle
ſe gefnaſt pour le rendre heureux.
Le ſeul plaiſir de la voir de
voit borner ſes pretentions , & il
luy juroit qu'il vivroit content ,
pourveu qu'elle luy permiſt de ne
vivre que pour elle. Son merite
qui estoit extraordinaire joint a
l'avantage qu'il luy donnoit fur
tant de Femmes qui n'avoient pû
réuffiras'en faire aimer , eſtoit
un charme des plus engageans. IH
ne s'agiſſoit que de voir unHomme
aimable, & cet innocent com-
Cij
52
MERCURE
merce ne luy donnant rien à ſe
reprocher , elle crut injufte de
lay refuſer ce qu'il demandoit.
C'eſtoit gain de cauſe pour le Cavalier.
Il connoiſſoit la delicateffe
de fa vertu , & ne doutoit point
que le temps ne fiſt ce qu'il feignoit
de n'attendre pas. En effet
, les longues viſites donnerent
bientoſt lieu à la médiſance.
On murmura deles voir infeparables
, & les contes qu'on en fit
eſtant venus à la Dame , elle ouvrit
les yeux ſur l'engagement
qu'elle s'eſtoit fair. Elle n'eſtoit
point ſi aveugle , qu'elle neconnuſt
qu'on avoit ſujet de la foupçonner
, & fon innocence ne la
juſtifiant point aupres du Public ,
elle ſe vit dans un étrange embarras
. L'intereſt de ſa reputation
luy demandoit un grand facrifice
, & quand elle euft eu la
force
GALANT.
53
force de s'en impoſer la neceſſité,
elle trouvoit dans une rupture
des apparences d'un dépit d'amour
, & c'eſtoit aſſez pour alarmer
ſa vertu. Comme ſes penſées
l'inquieterent , elle ne put ſi
bien cacher ſes chagrins , que le
Cavalier ne s'en apperçeuſt. Il
P'obligea de luy en dire la cauſe,
& prit ce temps pour ſervir ſa
paffion. Apres l'avoir aſſurée que
s'agiffant de ſa gloire, il n'y avoit
rien qu'il ne fuſt preſt de ſacrifier,
il luy dit qu'il conſentoit à s'éloigner
d'elle pour jamais , ſi elle
croyoit que l'arreſt de ſon exil
puſt faire ceſſer ſes inquietudes ;
mais qu'il craignoit bien que les
Médifans , pour l'empêcher de
joüir de ſon malheur , n'imputaſſent
à des motifs deſavantageux,
ce qu'elle feroit par le ſeul
ſcrupule de ſa vertu , &qu'elle
Ciif
54 MERCURE
devoit examiner , fi ayant à ſe
faire violence pour ſoûtenir l'intereſt
qui luy eſtoit le plus cher,
iln'y avoit rien de plus doux pour
elle que la mort d'un Homme
qui l'aimoit avec le plus tendre
attachement. Ces paroles firent
comprendre à la Dame , que le
moyen le plus ſeur de mettre à
couvert fa gloire , eſtoit d'époufer
le Cavalier. Elle ſe l'eſtoit
déja dit elle - meſme ; & fur ce
qu'enfin elle s'échapa à condamner
devant luy l'imprudence
qu'elle avoit euë de s'en faire
une eſpece de neceſſité , il luy
fit voir d'une maniere ſi reſpectueuſe
, & fi paſſionnée tout enſemble
, que leur Mariage devoit
eſtre écrit au Ciel puis
qu'ayant tous deux reſolu de vivre
libres , ils n'avoient pû évi
ter l'engagement où ils ſe trou-
د
voient
GALAN Τ.
55
voient , qu'apres avoir un peu
balancé , elle ſe rendit à ſes prieres.
Elle voulut ſeulement qu'il
s'étudiaſt luy - meſme pendant
un mois , pour mieux connoiſtre
ſi ſa paffion eſtoit fondée ſur
la vraye eſtime , parce qu'elle
avoit une telle délicateſſe d'ame,
que ſi apres la démarche qu'elle
alloit faire pour luy , il eſtoit capable
de changer de ſentimens,
ſa mort , qui ſeroit inevitable ,
luy donneroit lieu de ſe reprocher
éternellement d'en avoir
eſté la cauſe. Vous jugez bien
ce qu'un Homme auſſi paſſionné
que le Cavalier put répondre à
une déclaration ſi obligeante. Il
marqua ſa joye par mille tranſports
, & comme il luy fut permis
d'agir en Amant , il ſe trouva
ſi remply de ſon bonheur, qu'il
n'y avoit aucune fortune, qui luy
Ciiij
56 MERCURE
paruſt égaler la fienne. L'eſprit,
les manieres , certains agrémens
plus touchans que la beauté , tout
le charmoit dans l'aimable Veuve.
Elle n'eſtoit pas moins ſariffaitede
fon coſté du merite qu'elle
découvroit tous les jours dans
ſon Amant;& la réſolution qu'elle
avoit priſe n'ayant pû longtemps
demeurer ſecrete , bien
loin de l'entendre condamner ,
elle eut le plaifir de voir ſon choix
approuvé de tout le monde. Le
mois expira , & on figna les Articles.
Le Cavalier , qui parloit
par tout de ſa belle Veuve ,
voulut faire voir par des appreſts
extraordinaires , combien il ſe
renoit glorieux de la preference
qu'elle luy donnoit. Le jour
eſtoit pris , tous ſes Amis conviez
, & l'heureux moment qu'il
ſouhaitoit avec tant d'ardeur ,
eſtoit
GALAN T.
57
د
eſtoit tout preſt d'arriver , quand
cette aimable Perſonne fut tout
à coup attaquée de fiévre , mais
avec une telle violence que
le tranſport au cerveau ſuivit ,
avant les premiers remedes. On
fit auſſi - toſt aſſembler les Medecins
. Chacun ſe ſervit de ſes
lumieres pour arreſter le cours
de fon mal , mais il fut plus fort
que tous les ſecours qu'on tâcha
de luy donner , &dés le
troiſième jour la Dame mourut,
ſans que la raiſon luy fuſt revenuë.
Je n'entreprens point de
vous dépeindre la douleur du
Cavalier. Apres s'eſtre défendu
dix ans des ſurpriſes de l'amour ,
il s'eſtoit laiſſe charmer d'une des
plus aimables Perſonnes qui fut
jamais , & il eſt croyable qu'en
la perdant , il s'imagina avoir tout
perdu. Aufſi ſon deſeſpoir fut- il
Cv
58 MERCURE
exceffif. Il l'embraſſa plus de mil
le fois toute morte qu'elle eſtoit ,
& il fallut l'arracher de force
d'aupres de ſon corps pour faire
finir ſes cris & ſes plaintes.
Il parut ſtupide pendant quelques
jours , & ouvrit enfin la
bouche , mais il ne l'ouvrit que
pour parler de ſa chere Morte.
Il ſe peignoit à toute heure ce
merite ſurprenant qui l'avoit forcé
d'aimer ; & fi on vouloit adoucir
ſes déplaiſirs , il falloit qu'on
l'entretinſt des aimables qualitez
de cette belle Perſonne. Il
demandoit ſans ceſſe à la voir ,
& luy adreſſoit le plus ſouvent
la parole comme s'il l'euſt veuë,
& qu'elle euſt eſté en état de luy
répondre. Apres quinze jours
paſſez dans cette agitation d'efprit
, un ſoir que s'eſtant couché
fur les onze heures , il reſvoit
▼
profon
GALANT.
59
profondement à ce qui faiſoit ſa
ſeule occupation, il crut entendre
quelqu'un qui frapoit à ſa Feneſtre.
L'Apartement eſtoit bas , &
donnoit ſur un Jardin. Ce bruit
ayant redoublé , il ſauta du Lit,
&voulut ſçavoir ce qui le caufoit.
Quoy que la nuit fuſt ſans
Lune , les Etoiles faifoient affez
de clarté pour luy donner lieu
de diſtinguer les objets. La Feneſtre
ouverte , il regarda dans
tout le Jardin , & ne vit perfonne.
En la refermant , il entendit
comme un remuëment de
Taffetas &alla ſe recoucher
fans y avoir fait de reflexion. Il
s'abandonna tout de nouveau à
ſes premieres idées ; & lors qu'il
eſtoit le plus attaché à ſe faire le
portrait de ſa chere Veuve , une
lueur ſombre qui commença d'éclairer
la Chambre , luy fit ouvrir
,
४० MERCURE
tout -
vrir un Rideau pour voir d'où
elle venoit . Cette lueur augmenta
toûjours , & devint ſi grande
en fort peu d'inſtans , que plufieurs
Flambeaux allumez enſemble
, n'auroient pas fourny plus
de clarté . Le Cavalier embarraflé
de cette lumiere , le fut encor
davantage quand on ouvrit
à - coup les Rideaux du
pied du Lit. En meſme temps
l'aimable Perſonne qu'il demandoit
tous les jours à voir , parut
dans un air modeſte , & ſe tint
debout en le regardant. Elle avoit
le meſme Habit qu'il luy avoit
veu quelques jours avant ſa mort ,
& la pâleur qui eſtoit ſur ſon viſage
n'avoit changé aucun de
fes traits. Quelque frayeur que
luy dust cauſer une apparition
fi peu attenduë , la joye d'eſtre
viſité
GALANT. 61
viſité par une Femme qu'il avoit
cherie uniquement , luy fit foûtenir
ſa veuë avec une fermeté
qu'aucun tremblement ne démentit.
Il la regarda quelque
temps ſans luy rien dire. Elle
fit la meſme choſe , & enfin remuant
les levres fans prononcer
aucune parole , elle fembla
luy faire connoiſtre qu'elle attendoit
qu'il la preſſaſt de parler.
Alors ramaſſant toute l'intrepidité
que beaucoup de force d'efprit
luy avoit acquiſe , il la conjura
de luy apprendre ce qui l'amenoit
avec aſſurance d'obtenir
de luy tout ce qu'il pourroit
pour ſon repos. La Dame parla
dans le meſme temps , & apres
luy avoir fait promettre qu'il feroit
pour elle ce qu'elle avoit à
د
luy demander, ſans vouloir qu'elle
expli
62 MERCURE
expliquaſt le ſujet de ſademan
de , elle le pria de prendre la
Poſte le lendemain, & de ſe rendre
à une Ville des plus conſidérables
de France qu'elle luy nomma
, & dont il eſtoit éloigné de
vingt cinq lieuës . Elle luy marqua
une des Places publiques
dans laquelle il devoit trouver
un Homme dont elle luy fit la
peinture , tant pour l'Habit qu'il
auroit , que pour les traits du viſage.
Elle ajoûta qu'il falloit qu'il
luy miſt vingt Piſtoles entre les
mains , & qu'il le priaſt qu'il ne
fuſt jamais parlé de l'affaire qu'il
fçavoit. Le Cavalier l'aſſura qu'il
feroit de point en point ce qu'elle
venoit de luy ordonner, & voulut
entrer en converſation avec
elle ſur beaucoup de choſes . La
Dame branla la teſte pour toute
réponſe,
GALAN T.
63
a
4
e
es
et
la
aes
ne
"
réponſe , le regarda encor quelque
temps , ferma le Rideau en
fuite comme elle l'avoit ouvert,
& diſparut auffitoſt avec la lumiere.
Vous pouvez vous figurer
dans quelle ſurpriſe il demeura
. Il euſt crû avoir reſvé, s'il
euſt dormy un moment ; & mefme
comme il eſtoit fort perfuadé
que les apparitions d'Eſprits ſont
pour la plupart l'effet d'une imagination
échaufée, il n'euft point
douté que ſa continuelle application
à ſe rappeller l'image de ſa
chere Veuve, n'euſt produit l'aimable
Fantôme qu'il avoit veu, ſi
ce qui ſuivit ne l'euſt convaincu
de la verité. Il prit la Poſte fitoft
qu'il fut jour, arriva au Lieu où il
s'eſtoit obligé d'aller , rencontra
lle
ec
re
L'Homme dont il s'agiſſoit, & luy
fit ſon compliment en luyoffrant
vingt Piſtoles . Cet Homme l'en- fe,
viſagea
64 MERCURE
viſagea fixement avant qu'il les
vouluſt prendre ; & apres avoir
un peu reſvé , il luy dit qu'on
n'euſt plus d'inquiétude , qu'il
conſommeroit l'affaire, & que jamais
on n'en entendroit parler.
Le Cavalier n'a pû revoir depuis
ce temps-là , ' a chere Perſonne
qu'il ne ceſſe point de regreter,
quoyque l'ayant jour& nuitdevant
lesyeux, il ait ſouhaité cent
fois une ſeconde apparition . Ceux
qui le connoiffent doutent d'autant
moins de l'Avanture , que ſa
probité met ſon témoignage hors
de tout ſoupçon. Cependant il ne
faut pas croire trop legérement
aux Eſprits. Il en eſt detoute efpece
, & beaucoup de ceux qui
parlent ne ſont pas fans corps.
Ecoutez celuy que le Solitaire de
Carpiage a introduit dans le plaiſant
Conte que je vous envoye.
Ce
GALANT. 65
Ce Solitaire eſt un Gentilhomme
tres- ſpirituel , dont pluſieurs
galans Ouvrages que vous avez
déja veus de luy, ont eu l'approbation
de tout le monde.
VVVVVVVVVV
LE
DE
DIABLE
MARSEILLE .
CONTE.
U'il m'eſt doux de vous voir
apres dix ans d'abſence,
Avecun teint ſi frais & fi fleury!
Il paroiſt bien qu'à Caillery
Vous ne faiſiez pas penitence,
( Diſoit Sabine àson Mary.)
Le Bon-hommepourtant avoit chagrin
dans l'ame.
Au fortir du Navire il avoit rencontré
Un Parent inconſideré
>
Qui
66 MERCURE
Qui l'avoit trop inſtruit des amours
defa Femme.
Pluſieurs Marquis la trouvoient à
leur gré ,
Quoy qu'ellefut déja dans ſonſeptiéme
lustre ;
Mais parmy ce tas de Galans,
Un Chevalier d'une Maison illu-
Stre
Se faisoit diftinguerparmille beaux
talens
Qu'il avoit en naiſſant reçeus de
la Nature,
Et dont le monde & la lecture
Avoient depuis augmenté les bril
lans.
Jugez s'il fit tout seul les frais de
l'avanture, 1
Apres ce que je viens de vous dire
de luy.
Auſſi c'estoit ce qui cauſoit l'ennuy
De ce Bon -homme involontaire,
Qui ne pouvoit foufrir qu'un autre
eust l'usufruit D'un
GALANT. 67
D'un Champ dont il eſtoit le vray
Proprietaire.
Il crût pourtant qu'il estoit necessaire
,
Avant que de faire du bruit ,
De voirplus clair dans cette affaire.
Je ſçauray tout , difoit - il , cette
nuit.
Allons voir quelque Amy fidelle
Qui veüille me donner en cette
occafion
Des témoignages de fon zele,
Et fur qui mes malheurs faſſent
impreffion ;
Sortons, Dés qu'il est dans la
Ruë ,
Un jeune Homme ſur luyferuë,
- Et luy paſſe les bras au cou,
En luy difant , mon cher Horace,
Quandje devrois estre crû fou,
Ilfaut qu'icy je vous embraſſe.
Ces marques de voſtre amitié
(Dit le Mary disgracié )
Me
68 MERCURE
Me fontd'un grand fecours dans
l'état déplorable
Où l'infidelité de ma Femme m'a
mis .
Je croy qu'eſtant de mes Amis ,
Vous voudrez bien me rendre un
ſervice notable .
Que neferois jepoint pour vous?
Cà , dequoy s'agit - il ? le ſuis de
tout capable. :
Je voudrois que ce ſoir ſous la
forme d'un Diable
Vous cuffiez la bonté de vous
gliſſer chez nous.
Je prétens m'éclaircir de mes foupçons
jaloux
Par un innocent ſtratageme ,
Qui depuis un moment m'eſt venu
dans l'eſprit .
Je vous feray cacher ſous noſtre
Lic,
Mais... Ie me fais un bien ſupréme
De vousservir ; point de mais , s'il
3
vous plaiſt , Vous
GALANT. 69
Vous obliger eft mon ſeulinterest.
Hé bien donc , armez vous de
quelque groſſe Chaîne ,
D'un Saye noir , d'un Maſque
laid ,
Et cette nuit faites l'Eſprit Folet
Ma Femme aſſurément , ſi le remords
la geſne ,
Tremblant d'un Eſprit contrefait
,
M'avoüeratout. Celavaut fait,
Nevous en mettez point en peine.
Lestratageme réüſſit ,
Dés que Sabine fut au Lit ,
Son Mary luy dit, ma Mignonne,
Si tu veux que je te pardonne ,
Confeffe-moy la verité .
N'as tu point par fragilité,
Ou bien par pure incontinence,
Fait quelque brêche àta pudicité,
Pendant le temps de mon abſence
?
da Cả,
70
MERCURE
Cà , la main à la confcience
Parle - moy ſans déguiſement.
Non. Non mais... Non, vous disje.
Ah ! je veux que le Diable
Me vienne prendre en ce mo-
- ment , I
Si du plus foible engagement
Ilpeut me convaincre coupable.
Nostre pretendu Diable alors
Sort de fa niche , & fait un vacarme
effroyable.
Sa mine affreuse , & les remords
Forcent Sabine àse dédire ,
F'avoueray tout , faites qu'ilse retire
Dit- elle en tremblant , quand vous
esticz dehors ,
F'ay... Quoy ? C'est peu de chose.
Acheve , miferable
r
و
Replique de Mary quela douleur
Giaccables ordolid coolerencial
Un Chevalier... Hé bien? Lapitié,
Ses tranſports... od
Ah
GALANT.
71
Ah Coquine ! Pardon , j'en suis
inconfolable ,
Et vous promets qu'à l'avenir...
Ne promets rien , luy dit le
Diable,
Que tu ne fois en état de tenir.
La deſcription que je vous envoyay
la derniere fois du Vaif
ſeau appellé l'Entreprenant, vous
fit admirer ce ſuperbe Baſtiment.
Vous apprendrez aujourd huy
qu'il a glorieuſement ſoûtenu l'avantage
de ſon nom dans un
Combat entrepris contre deux
Vaiſſeaux Portugais,au commencement
de l'autre mois. Si le fuccés
en a eſté grand pour Monſieur
le Chevalier de Lhery dont
il prend les ordres , il n'y a pas
lieu de s'en étonner. Outre qu'il
ne fait que des actions extraordinaires
depuis qu'on le voitdans
le
72 MERCURE
le Service , que n'eſt- on point
capable d'exécuter en commandant
un Vaiſſeau qui a eu l'honneur
de recevoir le plus Grand
Prince qui fut jamais ? Les nouvelles
du Combat dont je vous
parle, furent apportées à la Cour
le Dimanche 13. du mois par
Monfieur le Baron des Adrets ,
qui rendit un compte fort exact
au Roy de la maniere que s'eſt
paſſée l'Action, & de la bravoure
avec laquelle tous les Officiers ſe
font conduits. Vous en trouverez
les circonstances dans la Lettre
que je vous envoye. Elle eſt
d'un Témoin tres-dignede foy.
30
A MONSIEUR ***
Vous trop
Ous prenez trop d'interest àla
Monfieur le Chevalier
deLhery,pourne vouspasfaire
part
GALANT.
73 1
part de celle qu'il a remportée depuis
peu de jours. Je vous en vay
parler comme un Homme qui me
fuis trouve à tout. Le 10. de Septembre
, à quinze lieuës de la Riviere
de Lisbonne , nous découvri
mes à cinq heures du matin deux
Vaiſſeaux qui estoient à fix heures
au vent , &qui avoient mis toutes
leurs Voiles pour venir ſur nous .
Monsieur le Chevalier de Lhery
poursuivit sa route , mais voyant
qu'ils s'obſtinoient à le ſuivre , il
crût que c'estoient Vaiſſcaux de
guerre , & en mesme temps ilcommanda
de revirer vers eux , & de
faireforce voiles afin de lesjoindre.
Le premier,qui estoit de cinquantequatre
Pieces de Canon , nous paſſa
au vent à une portée de Mousquet,
& arbora le Pavillon de Portugal.
Monsieur le Chevalierde Lhery luy
fit voirceluy de France ; & ce Vaif-
Octobre 1680. D
74
MERCURE
Seau paſſant fans rien dire pour
aller à celuy qui avoit la Flame ,
& qui estoit sous le vent de nous
( c'estoit un Vaiſſeau de foixante
Pieces de Canon de fonte ) il nous
entendit en larguant les baſſes Voiles
, & demeura ſous ſes deux Huniers.
L'autre nousſuivit pour se
joindre à ſon Commandant , duquel
nous estant approchez à portée de
Pistolet, & ayant largué comme luy
nos baſſes Voiles , Monfieur le Chevalier
luy cria qu'il eust àfalüer le
Vaiſſeau du Roy de FranceSon Maiſtre.
Le Portugais répondit qu'iln'entendoit
pas ce qu'on luy diſoit ; &
Monfieur le Chevalier luy ayant
encor crié que s'ilvouloit plus longtemps
ne le pas entendre , il feroit
tirer deſſus , & le couleroit àfond ,
le Portugais repartit qu'il alloit nous
envoyer ſa Chaloupe. Il le fit incontinent
, & elle arriva avec un
Capitaine
GALANT..
75
Capitaine & un Lieutenant qui
monterent dans noſtre Bord. Ils di
rent a Monsieur le Chevalier de
- Lhery qu'on les avoit envoyezpour
Sçavoir de luy s'il estoit OfficierGe
- neral , parce que leur Commandant
- n'avoit ordre que de falüer les Ge
- neraux. Mr. le Chevalier répondit
qu'ils devoient bien voir qu'il
ne portoit point de marque d'officier
General , & qu'il comman
- doit un ſimple Vaiſſeau de guerre ,
mais que cependant il prétendoit
qu'ils le falüaffent , & qu'ils pouvoient
aller avertir leur Commandant
, que s'il manquoit à le faire,
-il le couleroit à fond. Ces deux officiers
ayant afſuréMonsieur leChe
valier de Lhery que leur Generalne
Se foûmettroit point à lefalver .
ajoûterent qu'il avoit à prendre
garde à ce qu'il entreprenoit , parce
qu'ils ne crogent pas qu'il luy
Dij
76 MERCURE
L
fuſt aisé de fortir de cette affaire
àfon avantage. Monfieur le Chevalier
repliqua qu'ils effoient bien
temeraires , d'ofer entrer en comparaiſon
avec le Pavillon du plus
Grand Roy de la Terre , & qu'il
n'attendoit que la réponse de leur
Commandant , pour leur faire voir
dequoy il estoit capable , s'ils refusoient
plus longtemps de ſe mettre
à leur devoir. Ils ne furent pas
platoſt retournez à leurs Vaiſſeaux,
que mettant toutes les Voiles dehors
pour s'en aller , ils crierent
qu'ils nefalüeroient pas.Alors Monfieurle
Chevalier de Lhery ne balança
plus. Illesfit charger, estant
toûjours à portée de Pistolet. Le
combat s'échauffa extremement pour
ce qui regarde la Mousqueterie.
Quant au Canon , le feu en estoit
continuel. Il n'y avoit presque point
de vent ,mais la Mer estoit un peu
agitée.
a
GALANT. 77
agitée. C'est ce qui nous empeschoit
de nous fervir de nostre Ba
terie baſſe , à la referve de quatre
Pieces de Canon . D'ailleurs , nostre
Vaisseau estoit si chargépar les
cent Pieces de Canon embarquées
pourle Roussillon , que nous n'oſions
ouvrir nos Sabords , dans la
peur de couler bas . Un'en estoit pas
dem ſme du Portugais , qui se
fervoit de tout fon Canon. Le combat
dura deux heures dans cette fituation
, c'est à dire toûjours à la
portée du Pistolet ; mais comme
Monsieur le Chevalier de Lhery
- s'apperçeut que le Portugais tiroit
un grand avantage de fa Baterie
baſſe , it paſſa un peu devant luy ,
&ſe mit en traversfous fon Beaupré.
Cette Manoeuvre fine &faite
ſi à propos , mitle Portugais en defordre,
Monsieurle Chevalier le
Serra encor de plus pres ,&fit faire
Diij
78 MERCURE
4
un feu épouvantable de Mousqueterie
& de Canon , ſans qu'il nous
puſt tirer unſeul coup ; fi - bien que
pour ne nous point aborder , &se
tirer d'un fi méchant pas , il voulut
prendre vent devant. Ce fut
alors qu'ilse vit desemparé de toutesſes
Voiles, des Manoeuvres,d'une
partie de ſes Vergues , &démasté
de fon grand Maſtde Hune. Onle
chargea de nouveau , & il reçeut
encore plusieurs coups de Canon à
l'eau , & qui commençoient à le
faire couleràfond. Dans cette pref-
Sante extremité , tout prest à pevir
, &n'ayant plus aucune refour.
ce , il envoya sa Chaloupe , avec
les mesmes Officiers,demander quartier
àMr le Chevalier de Lhery .
avec offre de le ſalüer comme il voudroit
. Mr le Chevalier luy fit grace,
& luy ordonna de falüer d'onze
coups de Canon , & l'autre Vaiſſcan
d'autant
GALANT.
79
다
Si
.
d'autant , ce qui fut executé pon-
Etuellement . Mr le Chevalier de
Lhery fit seulement rendre trois
coups de Canon au Commandant,
Les Officiers Portugais qui vinrent
à bord,nous dirent qu'ily avoit cinq
cens Hommes furSon Vaifſſeau. Nous
avons perdu peu de monde dans le
combat . Mrle Chevalier de Lhery
a esté blessé d'un éclat d'un Boulet
àdeux testes , qui coûta la vie à un
Matclot qui estoit aupres de luy Cet
éclat luy donna dans une cuiſſe dont
il eut une partie emportée au Siege
de Candie.Monfieurle Chevalier de
Beaujeu Enseigne, a este arfi bleſſsé.
Il est certain que s'il y euft en guerre
entre la France & le Portugal,
Monsieur le Chevalier de Lheryſe
fcroit rendu maistre de ces deux
Vaisseaux. On ne sçauroit affez
admirer la Manoeuvre glorieuse
avec laquelle il s'est tiré d'embar-
4
Diiii
80 MERCURE
vas , estant extraordinaire qu'un
Seul Vaisseau en ait fait Saluër
deux autres de force apres un com.
bat deplus de quatre heures. Enfin
il faut demeurer d'accord que
la bonne &fine Manoeuvre de ce
Chevalier , jointe à la fermeté
avec laquelle il donna ſes ordres
pendant cette attaque , nous afait
fortir tres avantageusement d'une
affaire que peu de Gens auroient
entreprise. Je suis vostre
tres &c.
Je n'ay rien à ajoûter à cette
Relation . Elle vous fait voir l'intrepidité
& la conduite de Mr le
Chevalier de Lhery. Il me feroit
inutile de vous repeter ce que
je vous ay dit de ſa Maiſon dans
une autre Lettre. Il y a trois cens
cinquante ans qu'elle avoit l'hon -
neur de commander les Armées
du
GALANT. 81
-
e
-
e
e
5
S
du Roy en Champagne. Depuis
que Monfieur le Baron des Adrets
a aporté la nouvelle de ce
Combat , on a eu des Lettres de
laſieurs Particuliers dattées de
Lisbonne . Elles marquent que
ces deux Vaiſſeaux ſe ſont trouvez
en ſi méchant ordre , qu'ils
ont eu beaucoup de peine à gagner
le Port. Il y a eu prés de fix
vingts Morts de leur coſté , &
pour le moins foixante bleſſez .
La connoiſſance des Fables eſt
d'une fi grande utilité pour la
jeuneſſe , qu'on ne doit pas s'étonner
ſi les Jefuites qui n'épargnent
rien pour l'avancement de
leurs Ecoliers , font des Diſpures
publiques fur cette matiere. Elles
ont eſté remarquables à Toulouſe
le premier jour du mois de
Septembre. Un jeune Ecolier
d'environ onze ans , y parut ſur
D V
82 MERCURE
un Theatre , en préſence d'une
illuſtre & nombreuſe Compagnie
composée du Parlement , & de
tout ce qu'il y a de Gens de Lettres
dans cette fameuſe Ville. Il
commença un tres-beau Diſcours
Latin , par lequel il fit connoiſtre
combien la Fable eſtoit neceſſai .
re,& les agréemens qu'on y trouvoit.
Ce Diſcours finy , on diſtribua
des Theſes , qui contenoient
l'origine de tous les Dieux , Cedeſtes
, Terrestres , Maritimes , &
Infernaux, leurs divers noms, les
Païs où ils avoient eſté adorez ,
& leurs principales Actions. Ce
jeune Ecolier offrit de fort bonne
grace de répondre ſur toutes
ces chofes, en Latin ou en Franpois
indiféremment. Un Jeſuite
celebre pour ſon ſçavoir , & fort
diftingué par fon beau genie , fit
Touverture des Théſes,& pouffa
Soû
GALANT.
83
e
2
e
1
S
e
1
1-
e.
&
Z
e
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ユー
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TI
a
le Soûtenant ſur les matieres les
plus difficiles.Il s'en tira avec une
liberté d'eſprit merveilleuſe , &
charma tous ceux qui estoient
venus pour l'écouter. Monfieur
de Fieubet , Fils de Monfieur le
Premier Préſident de Toulouſe,
qui n'eſt guére plus âgé que celuy
dont j'ay commencé de vous parler,
l'attaqua d'une maniere tresfine
, & l'on ne ſçavoit ce qu'on
devoit admirer le plus , ou la fubtilité
de celuy qui interrogeoit,
ou la vivacité d'eſprit & la prodigieuſe
mémoire de celuy qui répondoit.
Ce combat dura deux
heures , ſans que ce dernier ſe
laiſſat embarraſſer par aucune des
Queſtions qui luy furent faites.
Cé qu'ily eut de plus ſurprenant,
c'eſt qu'il cita, mais fort à propos,
plus de deux mille Vers d'Horace,
de Virgile,d'Ovide,& des au
tres
84 MERCURE
tres Poëtes qui onttraitédes faufſes
Divinitez. La grace & labonne
mine du Soûtenant,ne contribuoient
pas peu à luy attirer l'applaudiſſement
de ſes Auditeurs.
Il eſt Fils de Monfieur le Procureur
General du Parlement de
Toulouſe , qui ne cede à feu Mr
le Mazuyer ſon Pere , qui eſt
mort Chef de ce meſme Parlement
, ny en mérite , ny en ſçavoir
, ny en zele pour le ſervice
duRoy, & pour le bien de l'Eglif:.
Toute la Ville parle encor avec
éloge de ce fameux Magiftrat
, qui a rendu de tres- importans
ſervices à ſa Majeſté , eſtant
Maiſtre des Requeſtes , Intendant
en Catalogne, & enfin Premier
Préſident dans la Capitale
du Languedoc. Dans le temps
que la Contagion y faiſoit d'affreux
ravages , il ne ceſſa point
d'en
GALANT. 85
-
-
T
+
e
e
S
コ
d'envoyer ſes ordres pour le ſoulagement
des Malades , de les vifiter
dans leurs Hutes,& de leur
faire donner tous les Remedes
poſſibles , juſqu'a- ce qu'enfin il
fut luy-meſme attaqué du mal
commun , & mourut en ſervant
les autres , comme victime de ſa
charité.
S'il n'eſt pas nouveau qu'en
pratiquant les Malades on ſoit atteint
de leur mal , il l'eſt encor
moins qu'en allant chercher à
guerir le corps , on reçoive des
bleſſures qui penetrent l'ame , &
dont on a longtemps à ſouffrir.
C'eſt la deſtinée de beaucoup de
Buveurs d'eau.Un Cavalier d'autant
de mérite que de naiſſance,
en a fait l'épreuve. Une legere
incommodité l'ayant fait veniren
un Lieu fameux , par le grand
nombre de Perſonnes de qualité
de
86 MERCURE
de l'un & de l'autre Sexe qui s'y
trouvent tous les ans, il y rencontra
unejeuneDame dont la beauté
le charma. Comme il n'eſtoit
pas d'humeur à languir fans s'expliquer.
il luy déclara ſa paſſion.
La Dame tourna galamment la
choſe ,&confentit qu'il l'aimaſt,
pourveu que ce fuſt de bonne
amitié. Cependant un Oncle
critique qui buvoit des eaux
comme elle , luy oppoſant le
Qu'en- dira- on dés les moindres
affiduitez qu'on luy rendoit , le
Cavalier qui ne put la voir autant
qu'il auroit voulu, eut recours
à l'écriture. Voicy la premiere
Lettre qu'il luy fit donner. Elle
eſt mêlée de Profe & de Vers , &
d'une maniere aflez agreable,
pour vous faire confeffer qu'il
doit eſtre amy des Muſes.
:
A
GALANT. 87
人
12
S
a
ر
47738299033-888-896300963892632920637634963363
A MADAME
LA MARQUISE
DE V ***
jevous ay veuë,& c'eſt afIRISTſez
vousdire ,
Quel'Amourveut enfin que pour
vous je ſoûpire.
Les traits que vos beaux yeux
: font par tout redouter,
Ne ſont point de ces traits , que
l'on puiſſe éviter.
En vain ce libre aveu tient vôtre
ame alarmée ,
Jeſuis né pour aimer,& vous pour
eſtre aimée ,
Et par les noeuds fecrets d'un
2 mutuel accord ,
C'eſt à chacun de nous à remplir
noſtre fort .
00
Vos
88 MERCURE
Vos rigueurs contre moy ſeroient
de foibles armes ;
En feriez -vous briller moins d'atraits,
moins de charmes , -
Et pour fuir ces rigueurs , quels
que fuſſent mes ſoins ,
Eſtant belle toûjours , vous aimerois-
jemoins ?
Croyez- moy , la revolte eſt par
tout condamnée,
N'allons ny vous, ny moy, contre
la Deſtinée,
Et tâchons d'éviter ce qu'on
courtde hazard
Arejetter ſon ordre, ou s'y rendre
plus tard .
C'eſt ſans aucun regret, Iris, que
jevous aime,
Faite pour tout charmer , agreez
le de meſme,
Tous deux avec l'Amour tâchons
d'enbien uſer,
Et ne l'obligeons point ànous tyranniſer.
Qui
GALANT. 89
Qui l'eufſt crû,quand j'eſtois maître
encor de mon ame ,
Que le ſejour des eaux m'en ſeroit
un de flame ,
Et qu'ainſi tout d'un coup, par un
charme vainqueur,
Où l'on guérit les corps , on duſt
bleſſer mon coeur ?
C'enest fait, je me rends;mais du
moins,quand je cede,
La cauſe de mon mal peut eſtre
mon remede.
Je l'ay pris à vous voir , & quel
qu'en ſoit le cours,
Je ſeray ſoulagé,ſi je vous voy
toûjours.
Mais n'en confultez point ce doucereux
Critique,
Ce grand Speculatif en fauſſe
politique,
Qui toûjours reſervé , toûjours
myſterieux ,
A
وم
MERCURE
Apeine à vous laiſſer la liberté
des yeux .
Si ſon Qu'en dira t- on empêche
qu on vous aime,
Vous voyant fans Amans , qu'en
direz vous vous-mefme,
Et que vous ſervira d'avoir avec
lejour
Réçeu l'heureux talent de donner
de l'amour ?
De ſes froides leçons fuyant l'indigne
piege,
Joüiffez malgré luy d'un ſi beau
privilege,
Etprenant furmon coeur un pouvoir
abſolu ,
Veüillez ce que de vous le Sort
a refolu.
7.720
Je Sçay bien , Madame , que
c'est prendre quelque ſoin de mon
repos , que vous obstiner comme
vous faites à vouloir que je regle
fur
GALANT .
91
Sur les termes de la bonne amitié,
l'ardente paſſion que vous m'avez
inspirée. Vous estes faite d'unemaniere
à ne laiſſerjamais vos Efclaves
en pouvoir de rompre vos fers,
&je conçois aisément qu'il n'y a
rien de plus dangereux que de vous
abandonner sa liberté fans re-
Serve.
L'amour que j'ay pour vous par
mille inquietudes,
:
M'a déja fait ſentir ce qu'il m'en
doit coûter,
Et ſur un ton bien haut vous me
ferez chanter,
Si je m'en raporte aux pré.
ludes.
Dans la Mer où je vogue il eſt
mille Rochers
Dont pâliroient les plus hardis
Nochers,
Mais
92 MERCURE
Mais la peur d'y perir touche peu
mon courage .
Mon coeur ſous les dangers s'enfle
d'un noble orgueil ,
Et par la beauté de l'écueil
Il fait vanité du naufrage.
Ainsi, Madame , laiſſons , s'il
vous plaiſt , les choses en l'état où
elles font. Simes chaînes font trop
lourdes à porter , vous me les verrez
trainer avec joye , & il n'y a
rien de fi déterminé de ma part
que l'hommage eternel de ma fervitude.
De mes maux je voy le goufre,
Et qu'avant que d'en mourir ,
-Ce qui me reſte à ſouffrir
Paſſera ce que je ſouffre ;
Mais quel que foit le tourment
Qui m'attende en vous aimant,
Il n'a rien que j'apprehende.
Je
GALANT.
93
Je me plais dans mes ennuis ,
Et tout batu que je fuis ,
Je veux bien payer l'amende.
Comme en cela il n'y a des peines
que pour moy , il mesemble que
c'estfans aucunsujet que lefcrupule
vous prend. Ce que vous appellez
amitié qui ne tire point à confequence,
est accompagnéde langueurs
bien incommodes , &je doute fort
que vous les ayez examinées quand
ilvous a pris envie de l'établir entrenous.
Agiſſons de bonne foy
La main ſur la conſcience.
L'amitié ſans conſequence
Eft- elle debonne aloy
Pour qui comme vous & moy
En connoitla nonchalance ?
Si ſous ce terme adouey ,
De quelque amoureux foucy
L'on
1
94
MERCURE
L'on tient l'intrigue ſecrete ,
Le terme vous eſt permis ;
Mais, de grace,eſtes-vous faite
Pour n'avoir que des Amis ?
Non, Madame , vous estes trop
belle & trop aimable , pour con
Sentir àn'estre pas toûjours aimée
de la plus noble maniere dont on
puiſſe aimer;& les charmantesqualitez
qui vous donnent tant d'avantage
parmy celles de vostre sexe ,
me font trop connuës pour me laiſſer
jamais affoiblirle parfait amour ,
dont je vous ay fait connoistre la
violence. D'ailleurs handigA
Apres avoir ſans m'en rien dire
Range mon coeur ſous voſtre
yeuempirey aramos inpaol
Si de ſes ſoins jamais vous vous
laſſez os adolid
Pour m'obliger à le reprendre ,
Croyez
GALANT.
95
Croyez- vous que ce ſoit aſſez ,
Que vous offrir à me le rendre ?
Il est juste que vous le gardiez ,
puis que vous en avez fait vostre
conqueste , & il n'y auroit point de
tyrannie pareille à lavoſtre,ſivous
prétendiez l'aſſujetir àse défaire
dessentimens paſſionnez qui l'attachent
tout à vous. Nefaites point
là-deſſus l'eſſay du pouvoir qu'il
vous a donné fur luy. Aussi - bien
ce seroit un ordre fort inutile que
celuy qu'il en recevroit , & il ne
pourroit produire autre chose qu'un
Secret dépit de l'injuſte contrainte
que vous luy envoudriez impofer.
Quand deux beaux yeux , de
Teur gloire jaloux,
Etalent tout ce qui peut plaire ,
Un pauvre coeur qui les revere
Eſt obligé de filer doux; :
Et
96 MERCURE
Et pour luy , quoy qu'il puiſſe
faire
Pour ſe défendre de leurs
coups ,
L'amour est un mal neceſſaire .
Avoir le vif éclat de vos divins
2010 attraits ,
J'en prens plus qu'on n'en prit
jamais
Chaque fois que je vous regarde.
Comme il naiſt de voſtre
beauté ,
S'il vous déplaiſt que je le
garde,
Oſtez-m'en la neceſſité .
C'est ce que vous ne sçauriez
faire, puis qu'iln'est pas en voſtre
pouvoir de n'estre pas la plus aimablede
toutes les Femmes mais
comme il n'est pas moins hors du
mien de ceffer d'eſtre le plus amonreux
de tous les Hommes ,
Ne
GALANT.
هن
97
Ne corrigeons rien aux Planetes
Parquinos jours ſemblent conduits.
Soyez toûjours ce que vous
eſtes ,
Et moy toûjours ce que je
fuis .
Henry de Levy , Duc de Vantadour
, Pair de France , Prince
de Maubuiſſon,Comte de la Voute,
Tournon & Albon , & Chanoine
de l'Egliſe de Paris,eſt mort
le 14. de ce Mois , âgé de quatrevingts
- quatre ans. Il eſtoit aîné
de l'illuſtre Maiſon de Levy de
Vantadour , & avoit eſté honoré
par le feu Roy de la Charge de
Lieutenant General & Chefde la
Province de Languedoc,pendant
que Monfieur le Duc de Montmorency
fon Oncle , dernier de
Octobre 1680 . E
98. MERCURE
>
cette Famille , en eſtoit le Gouverneur.
Il y parut avec éclat &
une magnificence extraordinaire,
& foûtint d'une maniere tresglorieuſe
pour luy , l'avantage
qu'il avoit d'eſtre Fils d'Anne de
Levy Duc de Vantadour , Gouverneur
des Provinces du Haut
& Bas Limofin ſeul Lieutenant
General pour Sa Majeſté
dans celle de Languedoc , l'un
des premiers Hommes de fon
Siecle pour le courage & pour
le génie , & de Marguerite de
Montmoreney Soeur de feuë Madame
la Princeſſe , & de feuë
Madame la Ducheſſe d'Angouleſme.
Il avoit épousé Lieſſe de
Luxembourg,Tante de Monfieur
le Maréchal de Luxembourg , &
s'eſtant volontairement ſeparez
tous deux , elle entra dans un
Convent ; & luy s'eftant confacré
GALANT .
DE64
DE
cré au ſervice de l'Eglife, où il refuſa
les Dignitez les plusrecher
chées , il reſolut par une moderation
& une pieté qui a peu d'exemples
, de finir ſes jours dans
le Chapitre de l'Egliſe de Paris ,
en qualité de Chanoine. Il a voulu
y étre inhumé, & quoy qu'il eût
demandé que ce fuſt ſans pompe
, Mr le Duc de Ventadour ſon
Neveu, eſtant venu en poſte d'une
de ſes Terres fi-toſt qu'il ſçeut
cette mort , luy a fait rendre des
honneurs dignes de ſa naiſſance
&de fon mérite. Il eſtoit Coufin
- Germain de Monfieur le
- Prince , & une qualité ſi avantageuſe
, vous peut aifément faire
- juger combien de Perſonnes confiderables
ſe ſont trouvées au
Service ſolemnel qui a eſté fait
pour luy dans l'Egliſe de Noftre.
N
Eij
100 MERCURE
Je croy vous avoir amplement
parlé de Mr Riquet en vous expliquant
la premiere Hiſtoire Enigmatique
qui a paru dans mes
Letres Extraordinaires.Il eſt mort
au commencement de ce Mois .
C'eſt celuy qui avoit donné les
deſſeins du Canal de Languedoc
pour la jonction des deux Mers ,
& qui en a toûjours eu la direction
. Ce grand Ouvrage a fait
affez voir dequoy il eſtoit capable
. Des deux Fils qu'il a laiſſez
l'un eſt Maiſtre des Requeſtes ,
& l'autre Capitaine aux Gardes .
L'Eveſché de Tulle a eſté donné
à Mr l'Abbé Ancelin, Aumônier
de la Reyne , & Fils de Madame
la Nourrice du Roy. Il a un
Frere Controlleur General de la
Maiſon de la Reyne , & un autre
Chanoine de l'Egliſe de Paris .
On a commencé àintenter un
Procés
,
GALANT. ΙΟΙ
Procés ſur un cas affez nouveau .
Un Cavalier auſſi enjoüé que ſpirituel
, s'eſtant laiſſe engager à
une Partie de Campagne ,y prit
pendant quinze jours tous les
plaiſirs qu'offroit la ſaiſon , avec
une Compagnie fort agreable.
Parmy les Dames qui la compofoient
, eſtoit une jeune Brune
qui méritoit bien fes complaifances
.Quoy qu'elle fuſtdu nombre
des Belles , l'agréement de fon
humeur l'emportoit ſur ſa beauté .
Elle parloit bien , écrivoit avec
juſtefie ,& faifoit pour fon uſage
de tres jolis Madrigaux . Le Cavalier
s'attacha à luy conter des
douceurs , & fur ce qu'un jour il
luy demanda ſon coeur , elle luy
dic plaiſamment qu'ayant grand
nombre d'Amans, elle l'avoit mis
à prix, & qu'on n'y pouvoit prétendre
fans eſſayer fix mois de
E iij
102 MERCURE
rigueurs. La condition ne l'étonna
point. Il la pria ſeulement de
vouloir écrire , afin qu'apres ſon
temps de ſoufrance , il puſt
en vertu de fa Promeſſe , pourſuivre
les droits qu'il auroit acquis.
La Belle accorda l'Ecrit.On
luy apporta dequoy le faire , &
tandis que les Témoins diſoient
leurs penſées ſur l'engagement,
elle fit un Madrigal pour tenir
lieu de Promeſſe,& figna au bas,
Philis. On revint de la Campagne,
& le Cavalier pour qui l'efprit
de la Belle eſtoit un grand
charme , continua de la voir aux
conditions preſcrites. Le merite
de cette aimable Perſonne luy attirant
une groſſe Cour, tantôt elle
écoutoit les nouveaux venus préferablement
au Cavalier , tantoft
elle affectoit contre luy quelque
autre injustice ; & comme il s'eftoit
GALAN T.
103
toit ſoumis à ſoufrir ſans murmurer
, cela donnoit lieu à de fort
plaiſantes Scenes. Enfin ſon tems
eſtant fait, il a demandé qu'on luy
tinſt parole . Refus de la Belle,&
là-deſſus,Affignation Jay vû l'Exploit.
Tout s'y trouvedans les formes
juſques au Papier Timbré.
Il eſt vray qu'on en a point encor
veu d'un ſemblable Timbre. Il
eſt fait d'un Coeur percé de Fleches
. Des quaire coins de ce
Coeur ſortent deux Carquois , &
deux Flambeaux allumez .Autour
ſe liſent ces mots, Genéralité d'Amour,
& à coſté eſt écrit , Deux
Faveurs la Feüille. La Promeffe
de la Belle eſt au haut de cet
Exploit , le tout conceu en ces
termes.
E iiij
104 MERCURE
M
PROMESSE DE PHILIS,
du premier jour d'engagement.
Ous demandez mon coeur ,
VO j'oſe le refuſer ,
Non qu'à foufrir des ſoins mon
panchant ne me pouffe ;
La choſe me paroiſt ſi douce,
Que je fuis le premier Témoin
à m'accuſer.
Ne deſeſperez point , le temps
fait toute chof ;
Voyons pendant fix mois ſi rigueurs
ny mépris
Nepourront affoiblir l'amour que
je vous cauſe ,
1
Mon coeur eſt à vous à ce prix .
Signé PHILIS.
L
lequin- 'An de Perfeverance ,
ziéme jour d'Affiduité , à la
requeste de Tirfis Paſſionné , Cavalier
GALAN T.
105
1
valier amoureux , demeurant Ruë
de Sacrifice , à l'Enseigne du veritable
Amour , Paroiſſe de Sainte
Sincerité , où il a éleu ſon Domiciles
Je ſouſſigné Aimable de Bonnefoy
Huiffier exploitant dans le Royaume
de Tendre , & Premier Officier
de Cupidow , ay donné aſſignation à
Philis Cruauté , Dame de Tirannie
, demeurant Ruë de Rigueurs ,
à l'Enseigne du Coeur qu'on ne pent
toucher , à comparoir demain deux
heures de relevée par devant Mr
de la Constance , Lieutenant General
de la Fidelité en la chambre
d'Engagement , Seigneur de Soins
doux , Marquis de la grande Complaisance
, & d'entiere Réſignation
, pour ladite Dame se voir
contraindre , & condamner à donnerpreſentement
& fans delay fon
Coeur au Demandeur en vertu de
fa Promeſſe , dont ty - devant eft
E V
106 MERCURE
copie , à faute dequoy , ou de comparition
, ſera ladite Dame reconnuë
atteinte & convaincuë du crime
de leze - Tendreſſe , &ensuite
condamnée parledit LieutenantGeneral
de la Fidelité , à une Inſenſibilité
perpetuelle ,fans appel quelconque
en la Chambre de Flaterie&
de Carreffe. Fait à l'iſle d' Amour le
jour & an que deſſus . Témoins Aime-
Discretion , & lolycoeur - Franchife
, tous deux officiers en ladite
Chambre d'Engagement , qui ont
Signé avec moy. Signé AIMEDISCRETION
, JOLY COEURFRANCHISE
, & de BONNEFOY,
Huiſſier , chacun un paraphe ; &
au deſſous eſt écrit , Controllé, le
jour que deſſus , FRANCOEUR .
Si l'Affaire ſe pourſuit juſqu'à
la fin du Procés , on me promet
dem'en envoyer toutes les Pie
ces.
GALANT.
107
ces. Ce galant commencement
_fait efperer beaucoup de la ſuite.
En l'attendant,je vous fais part de
deux Madrigaux, dont l'Autheur
eſt de Roüen. C'eſt un Lieu où
vous ſçavez que les Muſes ont
_ beaucoup de Favoris. Ainſi tout
ce qui en vient merite affez d'eſtre
leû .
'
1
DECLARATION
D'AMOUR .
Duis - je vous deguiser mon
N'y découvrez - vous pas une tendreſſe
extréme ?
Ces ſoins , ces embarras , cette douce
langueur
Que l'on ne fent que quand on
aime ?
Oûy , belle Iris , oùy , j'aime avec
beaucoup d'ardeur ,
Et
108 MERCURE
Et j'aimeray toûjours de meſme.
Ne me demandez plus avec empres-
Sement
Quelle est cette Beauté qui caufe
mon martyre ;
Vous dire j'aime, je ſouſpire ,
Et le dire auſſi tendrement
Qu'à l'objet de ſes voeux le proteste
un Amant ,
Et se vanter d'estre fidelle ,
En vous montrant un coeurpercé de
ウィ
mille coups ,
Sans dire le nom de la Belle
De qui partent des traitsfi doux,
Nest ce pas dire que c'est vous ?
SILENCE EXPLIQUE'.
L'Espoir
aime,
d'estre aiméfait qu'on
C'est ce qui flate un tendre coeur ,
Et
GALAN T. 109
Et vous me refuſez, belle Iris , la
douceur
D'esperer que peut - estre à ma tendreſſe
extréme
Répondra quelque jour une legere
ardeur ,
Puis-je longtemps aimer de méme?
Quand unefois on connoit bien
Qu'un Amant tout de bon foûpire
,
Eſperez, est ce qu'il faut dire ,
Cependant vous ne dites rien.
Ienesçay d'où vient le miſtére
Qui vous oblige de vous taire ;
Mais si c'estoit du mot , eſperez ,
Seulement ,
Iepourrois bien pouffer ma complai-
Sance
Iusqu'à prendre voſtre filence ,
Iris,pour unconſentement.
J'oubliay à vous manderla der-
2
niere fois le Mariage de Monfieur
de
IIO MERCURE
de Tullon avec Mademoiselle
de Beaumanoir de Lavardin . Les
Nôces ont eſté faites chez Monſieur
le Préſident Charreton,Oncle
du Marié à la mode de Bretagne
, & doublement ſon Parent.
Vous ſçavez combien cet illuftre
Préſident eſt magnifique dans
tout ce qu'il fait. Ainſi il vous
eſt facile de juger avec quel éclat
la Cerémonie s'en eſt pallée . Mr
de Tullon eſt une Perſonne bien
faite,& a toutes les qualitez qui
font un fort honneſte Homme.
On ne peut mieux ſervir qu'il a
fait dans les dernieres guerres de
Flandres,où nous l'avōs veu Premier
Capitaine du Regiment de
Champagne,& enſuite Meſtre de
Campd'un Regiment de Dragōs.
Il tire ſon origine d'une ancienne
Maiſon du Beaujollois. Hugue
de Thibaud, Seigneur de Tullon ,
Pier
GALANT . III
Pierreux,& la Roche,auſſi diſtingué
par les avantages de fa naiffance,
que par mille bonnes qualitez
qui luy acquirent en ſon
temps l'eſtime & l'amitié de tous
ceux de ſa Province , épouſa en
1566. Jacobée Charreton , Fille
aînée de Hugue Charreton , Seigneur
de la Terriere , la Douze ,
Cercié , & c. & de Françoiſe de
Grandys ſa Femme . De ce Mariage
ſortirent pluſieurs Enfans.
Philbert , Seigneur de Tullon,
fut l'ainé ; & Hugue Seigneur de
Pierreux , le ſecond . Ce dernier
a fait la Branche des Seigneurs
de Pierreux , dont le Chef pofſede
aujourd'huy une Charge
confiderable dans le Maiſon de
Son Alteſſe Royale de Savoye.
Philbert Fils aîné de Hugue
Seigneur de Tullon , & de Jacobée
Charreton , fut marić
avec
112 MERCURE
avec Diſpenſe à ſa Couſine Elizabeth
de Noblet , de l'ancienne
Maiſon d'Efprés. Elle eſtoit Fille
de Claude Baron d'Eſprés , Seigneur
de la Tour de Romanef
che , & d'Elizabeth de Rebé,
Soeur de Claude de Rebé Archevêque
de Narbonne,& Com
mandeur des Ordres du Roy , fi
connu par la faveur qu'il s'acquit
aupres de Loüis XIII. Cet Archeveſque
fit de fort grands avantages
à ſa Niéce en faveur de ce
Mariage. Elle recueillit depuis la
Succeſſion deſes Freres,qui moururent
ſans Enfans , apres s'eſtre
veus Colonels , & Maréchaux de
Camp. De ce Philbert , Seign. de
Tullon, & de cette Elizabeth de
Noblet , ſont ſortis cinq Garçons
&deux Filles . L'Aîné , nommé
Claude Baron d'Eſprés, Seigneur
de Tullon, la Tour-Romaneſche,
la
GALANT.
113
la Roche , &c. époula en 1654.
l'Heritiere du Terraux , Petite-
Niéce du Maréchal de S. André
, de la Maiſon d'Albon , dont
il a pluſieurs Enfans. Pierre Seigneur
de Tullon , cy - devant
Meſtre de Camp d'un Regiment
deDragons,Frere puiné de Claude
Baron d'Eſprés, eſt celuy dont
je vous apprens le Mariage. Mademoiselle
de Beaumanoir de
Lavardin , qu'il a épousée , eſt la
Fille aînée de feu Mr le Marquis
de Beaumanoir , Comte de Lavardin,
Lieutenant General pour
Sa Majesté aux Païs du Maine
&du Perche. Cette Maiſon
eſt une des premieres de tout le
Royaume.Elle vient de Philippe
de Beaumanoir , Bailly de Clermont
en Beauvoiſis , & de Senlis,
l'un des plus Grands Homes qui
fut en France. Il vivoit en 1280.
Robert
114
MERCURE
Robert de Beaumanoir ſon Petit-
Fils , fut Maréchal de Bretagne
environ l'an 1350. Et Jean de
Beaumanoir , Arriere- petit -Neveu
de Robert , a eſté fait Maréchal
de France en l'année 1595 .
De ce Jean , dit le Maréchal de
Lavardin , ſont ſortis des Gouverneurs
& des Lieutenans pour
le Royau Païs du Maine, & deux
Eveſques du Mans,l'un deſquels
appellé Philbert Emanuel de
Beaumanoir,Oncle de la Mariée,
eſtoit Commandeur des Ordres
du Roy. Mr le Marquis de Lavardin
, Lieutenant de Roy en Bretagne,
eſt l'Aîné de cette Famille.
Vous vous ſouvenez qu'il a épousé
la Fille de Mr de Luynes,Sooeur
de Mr le Duc de Chevreuſe d'apreſent,
Gendre de Mr Colbert .
Ce n'eſt pas aſſez que la mémoiredes
Grands Hommes,& de
toutes
ود
GALANT. 115
1
toutes les actions qui les rendent
dignes de vivre éternellement,
ſoit conſervée dans l'Hiſtoire. Il
. faut que le Marbre , l'Airain , le
Cuivre , le Bronze , l'Argent , &
l'Or, en laiſſent à la Poſterité des
Monumensoù ils ſoient dépeints.
- C'eſt dans cette veuë qu'on a veu
depuis peu une Médaille de Mr
le Chancelier. Je vous l'envoye
gravée. En jettant les yeux deffus
, vous verrez le Buſte de ce
Chef de la Juſtice , posé ſur la
Caffete où les Sceaux font ren
fermez. Le Revers nous fait en-
_ tendre que la France peut ſe vanter
d'avoir un Caton auffi- bien
_ que l'ancienne Rome.Ce Revers
ne pouvoit rien contenir de plus
_ juſte, Mr le Chancelier eſtant ennemy
du faſte , modeſte dans ſa
grandeur , & zelé pour ſa Patrie.
Ces veritez tres-glorieuſes pour
luy,
!
S
116 MERCURE
luy,font tellement reconnuës,que
Sa Majesté a fait mettre dans ſes
Lettres de Chancelier , Que par
Ses Soins &parsa prudence , il a
beaucoup fervy à pacifier les Troubles
de l'Etat . Quelque modeſte
qu'il ſoit, il ne ſe peut qu'il ne demeure
d'accord avec luy-meſme
qu'il eſt digne de cet éloge , &
qu'il ne poſſede pas l'éminente
Dignité où il ſe voit ſans l'avoir
bien meritée , puis qu'il a etté
choiſy pour la remplir par unRoy
qui a le diſcernement le plusjuſ
te en toutes choſes, &que jamais
aucun faux-Brillat n'a pû ébloüir.
Je m'arreſte icy, ne pouvant trouver
d'expreſſions affez fortes pour
loüer dignement ce Grand Mo.
narque. Le Quatorzain que vous
allez voir , vous fera connoiſtre
quelles Eloges vulgaires luy conviennent
mal. J'appelle ainſi un
Son
GALAN T. 117
1
Sonnet fans rimes. Chaque Vers
aun Echo,dont pourtant une partie
des réponſes entre dans le
ſens de celuy qui interroge.
SONNET EN ECHO,
ſans Rimes .
Q
Vel employ dignement aujourd'buy
vous amuse, Muſe?
Mettez tous ces travaux où Mars
luySeul a part, à part,
Et laiſſez des Combats le tumulte
odieux aux Dieux,
Pour des soins plus charmans vous
estes cette année nee.
6
Pourriez-vous de la Paix leretour .
Salutaire taire ,
Et de fon Sage Autheur ne pas
vanter le nom ? Non,
Sçavez-vous quelHeros fit cetacte
inaity? Ouy.
118 MERCURE
Peut- on bien le loüer en langage
vulgaire ? Guére.
Iamais Prince fut- il genereux à ce
point? Point.
Qu'a- t- ildes Demy - Dieux dont on
entend parler? L'air.
Quijamais mieux que luypaya de
Saperſonne? Perfonne.
Que sont tous les Cesars qu'on met
àfihautprix, au prix,
Les Scipions, Pompée, Annibal, Alexandre?
Cendre.
Qui donc est-ce grand Roy qui les
euſt ébloüis? Louis.
Les quatre Vers que j'adjoûte ,
adreſſez à Monfieur l'Eveſque
d'Amiens , Autheur du Panegyrique
, dont j'ay parlé au
commencement de cette Lettre
, ont une pensée qui a du
raport
GALANT.
119
raport avec celle des trois derniers
Vers de ce Sonnet.Mais qui
ne s'accorderoit pas à dire que le
Roy ſurpaſſe les plus Grands Heros
de l'Antiquité ?
S3 •E43 AM EXOT, BRTS STOREX63 63 463 23
A L'AUTHEUR
DU PANEGYRIQUE
C
DE LOUIS LE GRAND.
Harmant Panegyriste,
gne Historien,
&di
Sur Pline tant vanté tugagnes la
victoire ;
Mais aussi l'on peut dire en faveur
de ſa gloire,
Que ton Heros surpasse infiniment
lefien.
Ce
120 MERCURE
Ce Quatrain eſt de Monfieur
l'Abbé de Sainte Croix- Charpy,
dont je ne puis m'empeſcher de
vous faire voir l'endroit d'une
Lettre qu'il écrit à un de ſes Amis
, ſur la difficulté des Panégyriques
. Ce Fragment ſervira à
vous marquer les avantages de la
Maiſon de Monfieur l'Eveſque
d'Amiens, qui peut eſtre ne vous
eſt pas tout- à- fait connuë. Voicy
ce qu'il en rapporte. Pour réüffir
en cette forte d'Ouvrages , il faut
avoir une grande délicateſſe d'efprit
, avec une profonde érudition,
&fur tout entendre fort bien la
politique & le monde , ce qui neſe
rencontre presque jamais qu'en des
Perſonnes de naiſſance. F'avois ignoré
celle de l' Autheur du Panégyrique
donr jeparle ; mais en lifant
l'Histoire des Chanceliers de France
que Monsieur du Chesne vient de
mettre
GALANT. F21
mettre au jour , jay appris que
Mesfire François Faure , Angoumoisin
, est forty du Sang & de
la Maison de l'illustre & fameux
Jean Faure Chancelier de France ,
celuy que les sçavans Furifconfultes
appellent le Pere du Droit , la
Lumiere des Loix , & l'Oracle de
la Juſtice , qui par lesſeuls degrez
deſa ſcience&deſa vertu estoit
parvenu à cette premiere & Sou
veraine Magistrature. Ce qui m'en
plaiſt le plus , c'est qu'il est avantageux
ànostre Grand Monarque
d'estre loüé par une Perſonne d'une
Race auffi illustre , & par un
Evesque d'une auſſi grande réputation
que l'est nostre Panégyriste.
Je paſſe à une Galanterie qui
vous fera voir combien l'amour
eſt ingenieux. Une Blonde de Paris
, & une Brune de la Campagne,&
toutes deux des plus aima-
-Octobre 1680 . F
122
MERCURE
bles , & Amies depuis longtemps
, eurent enſemble une de
ces petites querelles , qui ne fervent
dans la ſuite qu'à fortifier
l'amitié. Ce qui donna occaſion à
leur démeſlé , fut un jeu d'eſprit
de la belle Blonde, qui ſpirituelle
& enjoiée autant qu'on peut l'étre
, s'aviſa un jour de faire quelques
Couplets de Chanſon ,&des
Contreveritez ſur ſes Cõpagnes .
La Brune y avoit beaucoup de
part , & comme elle estoit d'humeur
à fe piquer de fort peu de
choſe , elle crut avoir ſujet de ſe
plaindre , & marqua de la froideur
à fon Amie. Elle fit plus. La
démarche de luy expliquer ce qui
la choquoit , luy ſemblant indigne
d'elle , elle ceſſa de la voir
pendant quelque temps , & s'en
alla même à la Campagne ſans
luy dire adieu. Un Cavalier,
galant
GALANT.
123
e
G
1
1
galant & amy également en apparence
de ces deux Belles, quoy
que dans le fond un peu Amant
de la Blonde,ayant appris de cette
derniere , apres le depart de
fon Amie , les circonstances de
leur diferend , reſolut d'en profiter.
Ilſçavoit que la Brune peignoit
ſi mal quand elle écrivoit,
qu'il falloit plutoſt deviner que
lire ; & comme tout commerce
de Billets ſe trouvoit rompu par
leur broüillerie, il luy tomba dans
& l'eſpritde faire rendre à la Blon-
I de une Lettre de ſa façon , &
écrite de ſa main , dont il eſtoit
aſſuré qu'elle ne connoifſſoit point
le caractere. Il figna la Let
tre du nom de la Brune , qu'il
imita le mieux qu'il luy fut poſſi
ble , comme fi elle euſt emprun
té une main pour tout le reſte ;
& l'ayant dattée du lieu où el-
I Fij
124 MERCURE
le faiſoit ſon ordinaire ſéjour , il
la fit porter à la belle Blonde par
une perſonne qui en revenoit ,
& qui luy en avoit déja rendu
quelques autres. Voicy ce qu'elle
y trouva.
AAAAFAΛΛA
A MADEMOISELLE
DU C ... DE S...
CSans
-
E caractere vous paroiſtra
doute inconnu , Mademoiselle
, mais n'en Soyez pas furprise.
Fe Sçay que vous vous eſtes
plainte , & avec raiſon , que j'écrivois
d'une maniere peu lisible.
Ainsi pour ne vous pas fatiguer
les yeux à déchifrer cette Lettre ,
& pour vous mieux éclaircir de
mes sentimens , j'ay crû qu'il ne
feroit pas mal-a propos de me fervir
GALANT.
125
1
C
E
vir de la plume & de la main
d'un Amy fincere & officieux , qui
a bien voulu écrire pour moy. Pour
vous rendre justice autant que je
vous la dois , j'avouë , ma Belle ,
que vous meritez beaucoup, & qu'il
est rare de trouver au monde unę
Amie qui ait tous les avantages
dont vous pouvez vous vanter.
Pour bien connoiſtre ce que vous
valez , il a falu que j'aye éprouvẻ
le chagrin d'eſtre privée des
douceurs de vostre aimable converſation
, & de la part mesme
que je poſſedois dans vostre amitié.
Cette privation m'est devenuë
ſi ſenſible , que j'ay résolu de
mettre en usage tous les moyens capables
de vous fiéchir , & de me
faire rendre dans vostre coeur la
place que j'y ay euë. Je veux oublier
les endroits par où je mesuis
attiré voſtre froideur , & j'ay du
Fiij
116 MERCURE
,
dépit dans l'ame, d'avoir voulufacrifier
à un petit point de gloire,
le plaisir de vous revoir , & de me
remettre bien dans vostre efprit.
Cependant quoy que je
n'aye jamais cessé de vous aimer,
la vengeance m'a paru si douce
contre une Ennemie aussi charmante
que vous ; &le defir defatisfaire
mon reſſentiment,m'a tellement
animée,que cette paſſion afait
naître en moy une Muſe qui m'a in-
Spiré dequoy parler à mon tour , &
repondre à celle qui chez vous a été
cause de nostre petite querelle.
C'eſt tout de bon que contre
vous je gronde,
Je ſens mon coeur jaloux de voir
que tout le monde
Vante fi fort par tout vos rares
qualitez.
Pour me vanger, je veux, aimable
Blonde,
Vous
GALANT. 127
Vous apprendre àmon tour vos
contre- veritez .
:
A commencer d'abord par les diformitez
De vôtre taille contrefaite,
Tout y choque , tour y déplaift
.
On ne sçauroit foufrir voſtre humeur
comme elle eſt,
Vous recevez mal la fleurete,
Et cependant je vous croy fort
coquete.
Vous eſtes noire à faire peur,
Et vous n'avez agrément ny douceur
.
Qui diroit, à vous voirdans vos
joursde parure,
:
Que vous avez bon air, vous feroit
une injure .
Vôtre gorge & vos bras tiennent
de la maigreur,
Sur vos levres toûjours domine la
pâleur,
F
128 MERCURE
1 Rien n'eſt ſi laid que voſtre
chevelure ,
Etquand on dit de vous que vous
chantez fort bien ,
Que vous dancez de meſme ,, oo n
n'en doit croire rien ,
C'eſt médiſance toute pure.
Vous haïffez fort la lecture ;
Auſſi pour de l'eſprit , vous n'en
euſtes jamais
Ny pour parler , ny pour écrire.
Vos yeux ſont ſans éclat , vos
regards ſans attraits ...
Vous eſtes toûjours triſte , & rien
ne vous fait rire .
Vous paroiffez mourante , & tout
vous fait pleurer ;
Mais ce qui fait voſtre plus grand
martyre ,
C'eſt de ne voir pour vous nul
Amant ſoûpirer. ر
En verité , ma Muſe eſt laſſe de
médire ,
Et
GALANT.
129
コ
a
S
1
Et je n'aurois pas crû qu'en vous
peignant ſi mal ,
J'euſſe fidellement tiré l'Original.
Vous voyez , ma Belle , combien
il est dangereux de m'attaquer ,
& que les forces ne me manquent
pas , quand j'en ay beſoin pour me
défendre . Mais c'eſt aſſez quevous
= m'ayez éprouvée. J'avoue que nos
armes font inégales. Les chants
de ma Musete ne seront jamais
comparables aux doux ſons de voſtre
Lyre , & je vous cederay toûjours
en toutes chofes , à vous , dis
je , qui ferezun jour la Sapho de
- nostre temps. Les merveilleuses
qualitez de vostre esprit , jointes
aux charmes de vostre corps ,
vous rendent une Perſonne fi accomplie,
que de quelque façon qu'on
vous regarde , vous brillez dans
Fv
130 MERCURE
un âge où d'autres à peine ont commencé
à paroiſtre.
Pour plaire & pour charmer vous
avez ce qu'il faut.
On vous a dit ſouvent que vous
eſtiez parfaite ;
Mais qui voudroit vous parler
d'amourete ,
Découvriroit en vous peut - eſtre
ungrand defaut.
Pour peu que vous confulterez
lesſentimens de vostre coeur , vous
n'aurez aucune peine à deviner en
quoy il consiste.
Quandon peut comme vous engager
tout le monde ,
Quand on a comme vous mille
charmans appas ,
Je vous l'aprens , petite Blonde,
C'eſt un crime de n'aimer pas .
Adieu,
GALANT..
131
1
!
Adieu , ma Belle. Profitez de mon
instruction , & me croyez la meilleure
de vos Amies . M. de B ...
Ce galant Avis , joint au tour
aiſé de toute la Lettre , fit voir
aiſement à la belle Blonde qu'on
s'eſtoit ſervy du nom de la Brune
, pour l'engager à la recevoir.
Elle comprit auffi - toſt que c'eſtoit
une galanterie du Cavalier , &
plaiſanta avec luy fur le talent de
faire des Vers , qui estoit venu
tout d'un coup à fon Amie. Cependant
la Perſonne qui luy avoit
apporté la Lettre, en demandant
la réponſe , elle promit de la faire
àſon veritable Autheur. L'avanture
ne ſçauroit avoir par là,qu'une
ſuite digne d'un commencement
ſi agreable.
L'air de la nouvelle Chanfon
que je vous envoye eſt de MonfieurCharpentier.
AIR
132 MERCURE
1
AIR
C
NOUVEAU.
Onſolez -- vous , chers Enfans
de Bacchus ,
A quoy bon ce chagrin étrange ,
En voyant noſtre Vendange
Couler avec si peu de jus ?
Nous n'en aurons pas en abondance,
:
Mais en recompense
Nostre Vin nouveau
Vendangé fans eau ,
Sera fi fin ,
Si divin ,
Si fort , fi puiſſant ,
Si bon, fi charmant ,
Sibrillant ,
Sipetillant ,?
a
-Qu'un seul Verre dans un Ecot
Fera plus de fracas que n'auroitfait
un Pot.
Il n'y a perſonne qui ne connoif
AIM fe
U
2
133
l'Unispeut
cunde
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cel
Dis Mr
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132
AIR
0
C
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- Enr
Coul
Nousin
Qu'u
Fera
Iln'
GALANT.
133
ſe dans quelle eſtime eſt l'Univerſité
deMontpellier, mais peut
eſtre ignore- t- on, que chacun de
ceux qui s'y font paffer Docteurs
en Medecine ou en Droit, eſtant
obligé de donner une Feſte à ſes
Amis , ſelon la dépenſe qu'il peut
ſoûtenir , ces Feſtes font quelquesfois
d'une magnificence extraordinaire
. Telle a eſté celle
qu'a donnée depuis un mois Mr
Barbairac , à l'occaſion d'un Fils
unique reçeu dans la Faculté.
C'eſt un Medecin qui poſſede
quatre ou cinq cens mille livres
debien,&qui tous les ans en gagne
encor quinze ou vingt. Une
ſi grande richeſſe ne doit pas
vous étonner,la Medecine eſtant
floriſſante à Montpellier,& y attirant
de tous les lieux de l'Europe
un nobre infiny d'Etudians.Quoy
que ce Fils n'ait aucun deſſein
de
134 MERCURE
le
de l'exercer,la complaiſance qu'il
a pour un Pere dont les fatigues
luy ont afſuré une ſi haute fortune
, l'a engagé à demander
Bonnet. Auſſia - t - il pris l'Epée
auſſi - toſt apres ſa reception au
Doctorat. Voicy quelle enfuſt la
Ceremonie. Un jour avant qu'elle
ſe deuſt faire , Mr. Barbairac alla
avec luy chez tout ce qu'il y a de
Perſonnes de qualité dans la Vil-
Je ,'pour les prier de ſe rendre le
lendemain , ſelon la coûtume , à
la Faculté de Medecine , où l'on
devoit recevoir fon Fils Docteur.
Les Dames invitées pour la plûpart
aux Actes publics de cette
nature ne manquerent pas de
s'y trouver. Les Hommes , pour
luy faire plus d'honneur , voulurent
aller chez luy , afin de
l'accompagner au lieu deſtiné
د
pour l'Aſſemblée. C'eſtoit une
grande
GALAN T.
135
Es
コ
grande Salle, tapiffée d'une Hauteliffe
achetée exprés , la plus
magnifique qu'on euſt pû trouver.
Tous les Bancs , auſſi - bien
que la Chaiſe du Docteur,étoient
garnis d'un Drap bleu , avec des
Chifres de ſoye & d'or en plufieurs
endroits. Ces Chifres fervirent
d'abord d'amusement à la
Compagnie , chacun s'attachant
à les expliquer. On en vint à
bout fans beaucoup de peine. Il
recherchoit une Fille de naiſſance,
& cette recherche eſtant approuvée
, on connut bien - toſt
que c'eſtoit ſon Nom entrelaffé
avec celuy de la Belle. Le Pavé
eſtoit parſemé de Laurier !&
d'Herbes , avec force Fleurs. On
obſerva les Ceremonies accoûtumées
à le recevoir Docteur. On
fortit enfuite , & on le remena
chez luy dans l'ordre ſuivant.
Qua
136 MERCURE
Quatorze Violons marchoient les.
premiers , avec fix Hautbois , &
quatreTrompetes. Ils précedoient
le nouveau Docteur , vétu d'une
Robe noire , ayant un Bonnet
carré couvert de foye rouge , une
Chaîne d'or qui luy ſervoit de
Ceinture,& un Diamant au doigt
d'un prix tres- confiderable . On
le voyoit au milieu des Profeſſeurs
de la Faculté , qui portoient leurs
grandes Robes de Brocard rouge
, avec des Bonnets couverts de
foye de meſme couleur. Ils eftoient
ſuivis de plus de deux cens
Docteurs, chacun en Robe noire
& en Bonnet , marchant deux à
deux , & ayant à leur teſte leurs
quatre Bedeaux , en Robe & en
Bonnet ainſiqu'eux. Ces Bedeaux
portoient chacun une longue
Mafle d'argent. Les Parens& les
Amis fermoient cette marche,les
Dames
GALANT .
137
Dames vétuës avec une propreté
admirable , & les Hommes dans
un tres - grand ornement , chacun
ſe piquant de contribuer à
la beauté de la Feſte . Le chemin
depuis le lieu où l'on avoit fait la
Ceremonie juſqu'à la Maiſon du
nouveau Docteur , eſtoit parſemé
d'Herbes & de Fleurs , ainſi
qu'à la Faculté. En arrivant ,
on vit devant le Logis un Arc de
triomphe , fait de branches de
Laurier , & de quantité de Bouquets
de fleurs mélées enſemble,
avec des Tableaux , remplis tous
de Chifres que je vous ay déja
expliquez. Si- toſt qu'on fuſt entré
dans cette Maiſon , qui eſt
une des plus belles & des mieux
meublées de la Ville , chacun
congratula le Docteur , & on le
fit avec des témoignages de joye
d'autant plus finceres, que ſes belles
138 MERCURE
১
les qualitez le font eſtimer de
tous les honneſtes Gens. Il eſt
bien fait , a la taille belle , de l'efprit
infiniment ; & comme il eſt
liberal , & qu'il fait une tres-bel.
le dépenſe , il voit tout ce qu'il
y a de beau Monde à Montpellier
, & eſt bien reçeu par tout.
Les complimens faits on pria
la Compagnie de paſſer dans une
Salle , qu'on avoit ajustée tresproprement.
Elle estoit fort grande,&
tapiffée d'un Brocard couleur
d'or , avec de l'argent mélé.
Les Chaiſes estoient garnies de
meſme , & avoient pour ornement
des Chifres en broderie .
Comme c'eſtoit la Salle du Bal , le
jour qui en avoit eſté chaſſé dés
trois heures apres midy , afin que
la Dance euſt plus de grace, étoit
reparé par douze grands Luftres
qui l'éclairoient,ainſi quedesBras
dorez
GALAN Τ .
139
}
dorez attachez de toutes parts.
Apres que chacun ſe fuſt placé ,
le Docteur parut au milieu de
l'Aſſemblée , mais fort different
de ce qu'il eſtoit un moment auparavant.
Un Habit de Cavalier
rehauſſoit ſa bonne mine , & c'eſtoit
un air galant qui faiſoit bien
voir que la Medecine n'eſtoit
point ſon fait. Il alla prendre Mademoiſelle
de Bompar , Fille d'un
Gentilhomme qualifié de ce méme
nom , & commença le Bal
avec elle. Vous jugez bien qu'il
luy rendit cet honneur'en qualité
d'Amantdéclaré. Cette Belle
eſt grande , fort bien faite , a les
cheveux noirs , les yeux de mefme
, le teint du monde le plus
uny & le plus blanc , la gorge
charmante , l'humeur enjoüée &
une propreté qui fait qu'on l'admire
dans ſes habits les plus négligez.
140
MERCURE
gligez . Elle eſtoit habillée ce
jour- là d'une Gaze couverte de
feu à grades fleurs, avec une Jupe
toute de Point d'Angleterre, coëfée
de ſes ſeuls cheveux, & ayant
une Garniture de petit Ruban
jaune & blanc qui luy donnoit un
fort grand éclat. Auffi n'y eut - il
perfonne qui n'avoüaſt que le
prix de la beauté luy appartenoit.
Le Bal dura juſqu'à huit heures ,
apres quoy la Compagnie ſe difperſa
dans quatre Chambres, preparées
pour le Soupé . Il y avoit
dans chacune une Table de vingt
cing Couverts , avec ſix Luftres
pour l'éclairer.Ces quatre Chambres
eſtoient tapiſſées d'un petit
Brocard , l'un'blanc , & les trois
autres , jaune , vert,& rouge , les
Chaiſes de meſme , & par tout
des Chifres . Rien ne manqua au
Regal , ny pour la magnificence,
ny
GALANT. 141
ny pour le bon ordre. Il y eut fix
Services à chaque Table , &douze
Plats à chacun.Pendant le Sou
pé , un Choeur de Muſique préparé
dans chaque Chambre , fut
un agreable divertiſſement pour
les Conviez . Il eſtoit interrompu
de temps en temps , par les
Violons qui alloient par tout. A
peine eut-on deſſervy , qu'on
vint avertir les Dames que laComedie
les attendoit. On ne fongeoit
à rien moins qu'à ce plaifir.
On l'alla prendre dans une
grande Salle baſſe , où une Troupe
de Comediens avoit fait drefſer
unTheatre fort galant. LaTapiſſeriede
cette Salle eſtoit blanche
, toute enrichie de Ruban
Ponceau , qui faiſoit le plus bel effet
du monde. Les Comediens represēteré
la Devinereffe,avectous
ſes ornemens , & dans cette Repréſen
5
142
MERCURE
préſentation Madame Jobin ſe
mit de ſi belle humeur , qu'elle
réjoüit toute l'Aſſemblée . La Co- 、
medie faite , on repaſſa dans la
meſme Salle où s'eſtoit tenu le
Bal. Il y fut recommencé avec
le meſme. ordre ; & apres qu'on
eut encor dancé environ deux
heures on vit paroiſtre douze
grands Valets habillez fort proprement
, & portant chacun une
Corbeille pleine de Boites de
Confitures , garnies au dehors de
Rubans de differentes couleurs.
La nuit qui eſtoit déja fort avan -
cée , obligeant les Dames à ſe
retirer, on prit congé du Docteur,
& en fortant on fut fort ſurpris
de voir la Ruë auſſi éclairée que
l'eſtoient les Salles de cette Maifon.
On y avoit ſuſpendu des Luſtres
, & vingt Carroſſes , atten
doient les Dames avec cent Valets,
GALANT.
143
lets ,tenant chacun un Flambeau .
Elles furét toutes conduites chez
elles avec cette pompe. On continua
la Feſte pendant les trois
jours ſuivans entre les plus intimes
Amis . On ne manquoit point
d'aller tous les ſoirs donner une
Serenade à la belle Mademoiſelle
de Bompar avec un Choeur
de Musique & les Violons , qui
demeuroient là une partie de la
nuit , éclairez par une ſi grande
quantité de Flambeaux , qu'il
ne s'eſt jamais rien veu de plus
magnifique. Je n'ajoûte rien à ce
Mémoire ; je crains meſme que
le zele de celuy qui l'a dreſſe en
faveur de ſon Amy , ne l'ait emporté
un peu trop loin.
Je vous envoye une Piece d'un
caractere que vous trouverez nou.
veau. Une Belle voyoit partir ſon
Amant , & le connoiffant trop libertin
L
144
MERCURE
bertin pour ſe paſſer de Maiſtreſſe
pendant ſon abſence , elle aima
mieux luy en donner une , que
d'attendre qu'il la choiſiſt malgré
elle.
8:18: 8888888888888888
L'AMANTE
E
COMMODE.
Nvain , en me quitant , vous
jurezqu'à mes Loix
Vostre coeur restera fidelle.
८
Ce coeur se connoist moins queje ne
le connois ,
L'absence le rendra rebelle ,
Et déjaſa conſtance est peut- estre
aux abois.
Vous partez, ilsuffit , & fans inquietude.
Je ne me fieray point à mes foibles
attraits ,
Vostre
GALAN T.
145
Vostre humeur trop volage est un
mal d'habitude
Dont vous ne guérirezjamais .
و و
Malgré tous vos fermens , je ſçay
vostrefoibleſſe ,
Vous changerézen un moment.
Cependant comme en vous encor je
m'intéreſſe, 7:
Pourvous conferver mon Amant,
Ie veux bien vous donner moy méme
une Maiſtreſſe ,
Qui vous ferve d'amusement .
On ne m'en verra point dédire .
Qu' Irisſoit ma Rivale, aimez cette
Beauté;
Mais que ce changement oùje veux
bien ſouſcrire,
Soit la marque de mon empire ,
Non de vostre legereté.
Par mon ordre portant vos voeux A
cette belle ,
Octobre 1680. G
146
MERCURE
Suivezaveuglement mon choix,
Etdumoins la premierefois
Devenezfans crime infidelle.
Iene veuxpoint que vostre coeur
Confulte si l'objet aura dequoy luy
plaire.
Choiſiſſant un autre Vainqueur,
Vous mériteriez ma colere .
62
Sur tout , defense à vos defirs
Deſuivre leur panchant vers le libertinage,
C'est en m'obeïssant qu'ilfaut estre
volage ;
Et s'il me plaiſt ailleurs conduire
vos foûpirs,
Gardez-m'en le plus purhomage.
९६५
Quand mon coeur de ce droitfe déclare
jaloux,
Neditespoint que la contrainte
Ofte à l'Amour ce qu'il a de plus
doux,
Et
GALANT. 147
Et que pourſe vanger d'une odieuse
feinte,
Ce Dieuſouvent nousſoûmetmalgrè
nous.
Iefçay qu'il a ce privilege ;
Mais à ſa violence opposant la
raison
Défendez vous alors du piege,
Et vousfauvez defonpoison.
ع و و و
Luy-mesme m'a donné l'empire de
vostre ame ;
Etfi dans vostre coeur il prétendoit
Allumer malgré vous une nouvelle
unjour
flâme,
Vous pouvez appeller de l' Amourà
l'Amour.
vrage,
622
Qu'il maintienneSon propre ou
Ilfit l'union de nos coeurs
Gij
148
MERCURE
Doit - il les ſéparer,quand je ne vous
engage
Acompter ailleurs des douceurs
Quesur le pied du badinage ?
Vous pouvezm'en faire un larcin,
Sans queje m'en faſſe une injure;
Mais de là fongez- bien qu'il est
plus d'un chemin
Qui peut vous menerau parjure.
Le Roy a donné à une des
Filles de Mr le Duc de Navailles
l'Abbaye de Sainte Croix de Poitiers.
Vous ſçavez que dans nos
dernieres Campagnes , ce Duca
commandé avec beaucoup de
conduite & de ſuccez l'Arméede
Sa Majesté en Catalogne.
Monfieur l'Abbé de Moſny,
Grand Doyen de l'Egliſe de Nôtre
- Dame , & Docteur de la Faculté
de Paris , a eſté gratifié de
Tab
GALANT . 149
l'Abbaye de S. Nicolas de Mizeray.
C'eſtun Homme d'un mérite
& d'une pictés finguliere. Il eſt
Neveu de feu Mr de Contes , auffi
Grand Doyen de Noſtre Dame,
& Confeiller d'Etat ordinaire.
Les grands ſervices que l'oncle
a rendus au Roy, font tout attendre
du zele que le Neveu fait
paroiſtre à ſoûtenir dignement
l'honneur de luy fucceder.
Vous avez pris trop de gouft
à tout ce que je vous ay envoyé
de Mr Hebert, de l'Academie de
Soiffons , pour ne vous pas faire
part d'une Harangue , que vous
trouverez tres digne de luy . Elle
a eſté faite pour Monfieur Colbert
, quand ce Grand Miniſtre
pafla à Soiffons. C'eſt vous dire
- affez , pour vous donner impatience
de lire.
Giij
150 MERCURE
MONSEIGNEUR,
Quand le ſouvenir des graces
que vous avez fi abondamment
verſéesfur cette Compagnie , & le
juste defir de vous en témoigner
nos reſſentimens , ne nous ameneroient
pas icy ; nous ferions toûjours
obligez de venir vous dire que
nous prenons part à la reconnoiſſance
publique. Nous connoiffons,Mon-
Seigneur, leprix des grandes choses
que vous avez glorieusement exécutées
pour le bien de ce Royaume ;
& comme nous nous intéreſsons tres.
fortement à vostre gloire , nous les
avons toûjours remarquées avec
une joye toute particuliere . LOUIS,
l'incomparable LOUIS , entreprend
de conſerver àses Sujets la tranquillité&
l'abondance dans la plus
grande Guerre que nous ayons jamais
euë ; & par vostreſage con-
1 duite
GALANT.
151
د
duite dans l'administration des
Finances,nous avons veu réüſſir cette
haute & difficile Entrepriſe.
Mais combien cette rare conduite
ast-elle encor contribué à l'ouvrage
de la Paix , à ce grand & merveilleux
évenement qui rend la
France außi glorieuse &aussiformidable
que toutes les Victoires quelle
a jamais remportées ? C'estoit
fans doute , Monseigneur ceque
vous aviez dans l'idée , quand
vous travailliez avec tant d'application
& de fuccez à l'entretenement
de ces Forces incroyables avec
lesquelles nous avons combatu
fi longtemps & si heureusement,
contre tant de Nations diférentes.
Nos Ennemis qui ne pouvoient comprendre
comment les Finances d'un
Seul Royaume y pouvoient fuffire,
espéroient de jour enjour d'en voir
tarir la ſource , & cette espérance
Giiij
152 MERCURE
,
les animoit à foûtenir une Guerre
qui leur estoit fi deſavantageuse.
Mais quand ils virent que par
vos foins & par une economie qui
nous a esté inconnuë jusqu'à vous,
cette fource estoit devenuë inépui-
Sable ; quand ils connurent que
voſtre Zele estoit infatigable , &
vos lumieres infinies ils jugerent
que le temps fatal estoit venu
où ils devoient fubir le jong,
& ils perdirent enfin le courage
avec l'esperance. Voila , Mon-
Seigneur, comment vous avez prépare
au Vainqueur de tant de
Peuples , la matiere d'un nouveau
triomphe , mais d'un triomphe admirable
, dans lequel la magnani-
Prince n'éclate pas mité de ce
moins en leur donnant la Paix,
que sa valeur s'est fait admirer
en foudroyant leurs Places les plus
fortes , & en ſe ſoûmettant leurs
meil
GALANT. 153
meilleures Provinces. Voilà ce que
vous doit la France , voila ce que
nous vous devons avec elle . Mais
avec ces obligations genérales, nous
vous en avons en particulier de
tres -fenſibles , &nous pouvons dire
que vos bontez en rempliſſant nos
defirs , ont furpaſſé noſtre attente.
En effet non seulement vous
nous avez establis dans un temps
où nous l'efperions le moins , dans
un temps où vray ſemblablement
vos grandes occupations ne devoient
pas vous permettre de penser à
nous ; mais vous avezdonné enfuite
voſtre approbation ànos Etudes,
vous nous avez honorez des marques
de cette estime qui décide du
mérite , &qui en fait laplusprétieuse
récompense , &fur laquelle
nous ne pouvions avoir de prétentions
legitimes. Ce font là principalement
les obligarions dont nous
G V
154
MERCURE
Souhaiterions ardemment de nous
pouvoiracquiter. Mais , Monfeigneur
, les Gens de Lettres ne
peuventse revancher des faveurs
qu'ils reçoivent , que pardes paroles
;&quand ces faveursfont au
deſſus de toutes les expreßions ;
quand l'Eloge de leur Bienfai-
Eteur est au deſſus de leur portée,
avec une reconnoiſſance infinie , ils
Se voyent malheureusement contraints
àdemeurer dans une ingratitude
apparente. C'eſt , Mon-
Seigneur, l'état oùnous nous trouvons
àvoſtre égard , trop heureux
Sipour les actions de graces que
nous ne pouvons vous rendre ; fi
pour les loüanges que nous ne
pouvons vous donner , vous vouliez
vous Satisfaire des voeux
que nous faisons continuellement
au Ciel , pour la conſervation
d'une Perſonne si importante à
Get
GALANT.
155
cet Etat , &fi chere à cette Compagnie.
Le temps des Vendanges eftant
celuy de toute l'année,pendant
lequel on fait ordinairement
les plus agreables Parties
de Campagne , pluſieurs Perſonnes
confiderables de l'un &
de l'autre Sexe , reſolurent de
l'aller paſſer à une lieuë de Paris .
Deux jeunes Soeurs , Filles de
naiſſance , eſtoient de la Compagnie.
Chacune avoit ſon merite
; & fi mille qualitez faiſoient
eſtimer l'Aînée , la Cadete , âgée
ſeulement de quinze à ſeize ans,
avoit dequoy plaire aux plus difficiles
. Son viſage auſſi brillant
que ſa taille efſtoit bien priſe,
charmoit tous ceux qui la regardoient
; & ſes manieres touses
engageantes méloient de tels
agre
156 MERCURE
agrémens à ſes moindre actions,
que quoy qu'elle fiſt,on avoit ſujet
de l'admirer . La belle éducation
avoit d'ailleurs ſecondé le ſoin
que la Nature avoit pris de la
faire aimable , & on rencontroit
en elle tout ce qu'on peut fouhaiter
de la complaifance d'une
Perſonne tres bien élevée . Il n'y
avoit que fon nom qui répondiſt
mal à ce qu'elle eſtoit. Elle s'apelloit
Agnes , & la vivacité furprenante
de ſon eſprit ne convenoit
en aucune forte à l'innocence
que Moliere a peinte dans
Agnes de fa façon . Comme elle
eſtoit d'une humeur fort enjouée
, & que tous ceux de la
Compagnie avoient réſolu de
ne ſonger qu'aux plaiſirs pendant
qu'ils feroient enſemble,
elle ne contribua pas peu à les
faire naiſtre . Ainfi tout estoit
1
en
GALANT.
157
en joye,& chacun ayant fait proviſion
de gayeté , on n'épargnoit
rien pour l'entretenir. Un feul
Gentilhomme
, paffionnement
amoureux de la belle Agnés, demeura
toûjours reſveur. Son amour
estoit connu , & deux ou
trois Cavaliers qui conterentdes
douceurs à cette aimable Perfonne
, le déconcertoient à tous momens.
Son trouble d'eſprit paroiſſoit
à tout le monde , on
rioit de ſes chagrins ; & la Belle
que divertiſſoit ſa jaloufie , prenoit
plaifir à les augmenter. Elle
écoutoit gracieuſement ce qu'on
luy diſoit de tendre , &quoy que
ce fuſt ſans aucun deſſein, elle affectoit
quelque choſe de malitieux
dans ſes're ponſes qui alarmoit
cejaloux Amant.Apres quelques
jours paffez en divers plaifirs,
un ſoir qu'on avoit fait porter
la
158 MERCURE
la Collation au pied d'une Vigne
que l'on vendangeoit , le
Gentilhomme ayant diſparu dans
le moment qu'on devoit partir,
apres qu'on ſe fut un peu réjoüy
à ſes deſpens , un Cavalier des
plus enjoüez prit ſon ſerieux , &
dità la Belle qu'il ne luy conſeilloit
pas de fortir ſans bonne efcorte
, parce qu'il ſçavoit de bonne
part que fon Amant vouloit rifquer
tout.&que pour ne craindre
plus que ces Rivaux l'emportafſent,
il avoit deſſein de l'enlever.
La Belle, que la repartie n'embarafſoit
pas , dit d'aſſez plaiſantes
choſes ſur la menace de l'enleve .
ment. On ſe partagea en ſuite
dans pluſieurs Carroffes , & le
Gentilhomme rejoignit la Compagnie
au lieu qu'on avoit marqué.
Il y reſva à fon ordinaire. Les
autres prirent employ comme
Ven
GALANT. 159
Vendangeurs . La Collation ſe fit,
&la nuit venant , on s'en retourna
ſouper.Le lendemain, de nouvelles
Dames arriverent de Paris
; & apres qu'on eut dîné, elles
propoſerent la Prairie d'Autoüil
pour faire une Promenade. Cha
cun en convint ,& quand on fut
preſt d'exécuter la Partie,la Belle
pria qu'on ladiſpenſaſt d'en eſtre.
Tout le monde s'étonnant d'une
priere qu'on n'attendoit point,un
des Cavaliers fe pancha vers
elle , & luy demanda d'un ton
affez bas , fi elle craignoit l'enlevement.
Elle répondirtout haut,
qu'une fi forte migraine l'avoit
faifie tout- à-coup, qu'elle n'eſtoit
pas capable de ſuporter le mouvement
du Carroſſe. On prenoit
trop d'intereſt à cette aimable
Perſonne,pour l'expoſer à ſoufrir.
On alla ſe promener , & la Belle
demeu
160 MERCURE
demeura avec ſa Soeur,une Amie,
& un Gentilhomme de ſes Pa
rens . Son Amant vouloit reſter
auſſi avec elle , mais elle voulut
qu'il tinſt compagnie aux Dames .
Elles trouverent la Prairie d'Auteüil
remplie debeau monde , &
eurent à peine employé une heu.
re à la Promenade , qu'une d'entr'elles
ayant avancé la teſte hors
de la Portiere , s'écria fur l'extraordinaire
propreté d'une jeu.
ne Païfane , qu'elle vit de loin arreſtée
à un Carroſſe. Les autres
l'ayant regardée comme elle, eurent
la meſme ſurpriſe. Elle tenoit
une Corbeille de Fruits ,& le plaifir
qu'on ſembloit avoir à luy par.
ler, donnoit lieu de croire que fa
beauté répondoit à ſa parure.
Tous ceux de la Troupe diſpoſée
en trois Carroffes,brûloient d'envie
de s'en éclaireir , & enfin
astneh
s'im
GALANT, 161
s'impatientant de voir qu'on l'ırreſtoit
trop long- temps , ils luy
envoyerent un Laquais pour la
preſſer de leur apporter des .
Fruits. Elle vint à eux, quoy qu'on
l'appellaſt de toutes parts , avec
un reſte de Peſches,& un Panier
de Muſcat qui n'eſtoit plein qu'à
moitié Plus elle approchoit , plus
on la trouvoit charmante.Chacun
attacha ſes yeux fur elle ,& quad
elle fut à la Portiere , ils la reconnurent
pour la belle Agnés.C'eftoit
elle meſme , quipour les fur.
prendre agreablement, avoit ménagé
le temps de ſe déguiſer , en
ſupoſant un grand mal de teſte.
Elle feignit quelque temps de
ne rien comprendre à ce nom.
d'Agnes qu'on luy donnoit , &
compoſa ſi bien ſon viſage , que
changeant ſa voix , & parlant un
jargon de Païfan , elle les mit
tous
162 MERCURE
tous en eſtat de croire qu'ils s'eftoient
mépris. Son jaloux Amant
qui en fut perfuadé plus
que les autres, ne ſe laſſoit point
d'admirer la reſſemblance. Il la
plaignit d'eſtre deſtinée à devenir
le partage de quelque miſérable
Laboureur , & l'entendant
murmurer , de ce qu'on luy faiſoit
perdre le temps d'aller vendre
ailleurs fans que perſonne
achetaſt, il voulut l'en conſoler en
luy donnant un Loüis pour quelques
Peſches. La Belle fit de ſi
grands éclats de rire en le recevant
, qu'il ne luy fut pas poſſible
de ſe cacher davantage. Elle reprit
ſon ton de voix naturel , &
leur ayant dit qu'elle vouloit vuider
ſes Corbeilles , elle les quita
pour aller offrir aux Gens des autres
Carroffes ce qui luy reſtoit
deFruit. Ils la ſuivirent de loin,&
admi
GALANT. 163
admirerent avec combien d'efprit
& d'adreſſe , elle foûtenoit le
rôle qu'elle avoit voulu joüer.
Chacun demandant ſon nom,elle
ſedonna celuyde Margot,& pleût
tellement par ſes petites manieres
, qu'à quelque haut prix qu'el.
le miſt ſon Fruit, on le payoit encor
au dela . La belle Margot faiſoit
tant de bruit dans la Prairie,
que les Acheteurs accouroient de
toutes parts. Ainfi le Fruit luy
manqua bien - toſt,& alors elle rejoignit
ſa Soeur,qui l'attendoit en
Carroffe , avec ſon Amie & leur
Parent. Le reſte de cette galante
Troupe arriva auſſi toſt qu'elle au
lieu où ils devoient tous ſe retrouver
,& tout le ſoir ſe paſſa en
mille plaifanteries , que la belle
Agnés ſoûtint avec un enjoüement
admirable. Elle loüa ſonAmant
de ſon humeur liberale ,
&
164 MERCURE
1
& trouvant que le métier eſtoit
affez bon, elle reſolut d'eſtre encor
Margot le lendemain , pour
amaffer , en vendant des Fruits,
dequoy leur faire un Régal ſplen.
dide . Les Dames qui retour )
noient coucher à Paris , promirent
de luy amener nombre de
Marchands ; & une d'elles qui
l'aimoit fort tendrement , ayant
commencé à luy faire des carrefſes,
elles curent un quart-d'heure
d'entretien particulier. Comme
elles rioient toutes deux en ſe
parlant,on leur fit la guerre de ne
vouloir le plaifir que pour elles
ſeules , & cela les obligea de finir
plutoſt . Le lendemain,la Belle reprit
ſon habit de Païfane , &
ayant eu plus de temps à ſe donner
le bon air dans ce galant
équipage , elle y parut fi charmante
, qu'on luy répondit d'autant
GALANT. 165
tant de conqueſtes qu'elle en voudroit
faire. Les Dames , qui s'eftoient
engagées à un meſlage, afin
qu'elle ne vinſt pas à la Prairie
avant elles , envoyerent l'avertir
qu'elle y trouveroit bonne compagnie
. Toute la Troupe monta
foudain en Carroſſe , & apres avoir
fait defcendre l'aimable Margot
à cent pas du Rendez - vous,on alla
chercher les Dames qui luy
amenoient des Acheteurs. Cette
jonction fut cauſe qu'on mit pied
à terre. Les complimens qui ſe
font toûjours d'abord , eſtoient à
peine finis , qu'on vit arriver l'agreable
Païfane Sa taille aiſée,
le brillant de ſon viſage , & fon
air fin & fpirituel , firent dire à
ceux qui n'eſtoient venus que
pour la voir, qu'elle méritoit toute
forte d'avantages . Elle s'adreſſa
aux Dames avec une grace qu'on
ne
166 MERCURE
ne ſçauroit exprimer. Aucun des
Hommes ne ſe hâtoit d'acheter
ſes Fruits , dans la crainte d'eſtre
trop toſt privez de ſa veuë. Il
fallut pourtant qu'ils en prifſent
de ſa main. VousJugez bien
qu'ils en donnerent ce qu'elle
voulut.Apres avoir fait aſſez bien
fon compte de ce coſté-là , elle
s'avança vers d'autres Carroſſes,
d'où on l'appelloit. Cependant
labelle Troupe, à qui ſon déguiſement
eſtoit connu , s'affit fur
l'herbe pour y prendre le frais;
& une des Dames prenant la
parole , demanda ſi l'on ſçavoit
ce qui eſtoit arrivé à une Perſonne
de marque. Cette Perfonne
faiſant fort grande figure , on
la pria de conter l'hiſtoire. L'attention
qu'on luy preſta quelque
temps , fut interrompuë par un
effroyable cry qui ſe répandit par
tout,
GALAN .
167
tout , & qui fit connoiſtre que la
Païfanne eſtoit enlevée . Les Dames,
les Cavaliers , tout fut en alarmes.
On demanda comment,
& par qui , & de quel coſté
on l'emmenoit. On montra un
Carroſſe à fix Chevaux qui alloient
vers la Ville à toute bride,
& on apperçeut la belle Agnés,
qui s'avançant hors de la Portiere
, faifoit ſes efforts pour ſe ſauver.
Un des Cavaliers que ſa
voix frapa , courut de toute fa
force avec cinq ou fix Laquais.
Le Gentilhomme qui en eſtoit
amoureux , voulut auffi courir
apres le Carroſſe ; mais le Parent
de la Belle , qui avoit entendu
dire le jour précedent qu'il la
vouloit enlever , le crût l'autheur
de cette entrepriſe,& prétendant
le faire répondre du Rapt , il
sobſtina ainſi que les Dames,
à
168 MERCURE
à le faire demeurer. La douleur
qu'il eut de l'enlevement de ſa
Maiſtreſſe , & les menaces d'un
Procés en crime , où l'on fembloit
vouloir l'engager , furent
pour luy un ſi grand ſujet d'accablement,
que tombanté vanoüy, il
cut luy-mefme beſoin de ſecours.
On le porta dans une Maiſon voifine
, où quelques Dames qui
l'accompagnerent , luy firent tirer
du ſang. Apres qu'il fut revenu
de ſa foibleſſe , on le conduifit
où le reſte de la Compagnie
devoit ſe rendre. Il s'y
plaignit de l'injuſtice qu'on luy
faifoit de le croire autheur d'une
lâcheté ; & on le vit fi pénetré
de douleur de l'enlevement
de l'aimable Agnés, qu'il fut aiſé
de connoiſtre qu'il n'y avoit point
de part. En effet , ce qui s'eſtoit
dit depuis deux jours de fon
prétendu
GALANT. 169
prétendu deſſein , n'avoit aucun
fondement. C'eſtoit un conte inventé
pour faire parler la Belle.
Cependant le Cavalier qui ſuivoit
les Raviffeurs , euſt bientoſt manqué
d'haleine. Tout ce qu'il pût
faire, fut d'ordonner aux Laquais
d'avancer toûjours , & de prendre
langue touchant le Carroſſe,
Le hazard voulut que cet accident
eſtant arrivé ſur les fix heures
, qui eſt celle où l'on commence
à faire la Garde en ce
Quartier- là , il trouva un Cavalier
préposé pour cette Garde , à
qui il conta l'affaire, l'aſſurant que
ſa Brigade ſeroit payée largement,
s'ils arreſtoient le carroſſe où
eſtoit la Païſane. Deux coups de
Siflet aſſemblerent vingt- cinq de
ſes Camarades , qui coururent
auſſitoſt à toutes jambes.Le Cavalier
retourna où il venoit de
Octobre 1680 . H
170 .
MERCURE
laiſſer les Dames , & au lieu de
quatre ou cinq Carroſſes qu'il devoit
trouver , il n'en vit que deux
dans lesquels estoient cinq Femmes
& deux Hommes, qui le prirent
avec eux .Il leur fit ſçavoir ce
qu'il avoit fait , & les Dames luy
apprirent l'accident du Gentilhomme.
La Compagnie s'eſtant
raſſemblée , chacun raiſonna fur
l'enlevement.On en craignit d'autant
plus les ſuites , qu'on crût
que de jeunes Gens l'auroient
entrepris , trompez par l'habit de
Païfane. On ne doutoit point que
la belle Agnés ne ſe fiſt connoiſtre
; mais quoy qu'elle diſt , ils
pouvoient d'abord manquer de
reſpect , ou ne la pas croire ſur ſa
qualité. On paſſa deux heures
dans les plus fortes alarmes , & enfin
on vit entrer un des Gardes
qui rendit lajoye à tout le monde.
GALAN T.
171
Il dit qu'on avoit atteint les Raviſſeurs,
qu'on vouloit ſur l'heure
les envoyer prifonniers , mais que
la jeune Perſonne qu'ils enlevoient,
avoit tellement prié qu'on
les amenaſt dans cette Maiſon
qu'on avoit fait marcher le Carroffe
, & qu'il alloit arriver eſcorté
de vingt de ſes Camarades. La
belle Enlevée parut un moment
apres . Chacune des Dames courut
l'embrafler . Elle répondit d'un
air tout charmant à ces marques
d'amitié ; & en ſuite s'adreſlant
aux Cavaliers , elle leur dit que
c'eſtoit à eux à voir ce qu'ils réfoudroientdeſes
Raviſſeurs,qu'elle
prétendoit les remettre entre
leurs mains , & qu'apres les avoir
rendus maiſtres de la fatisfaction
qui luy eſtoit deuë , elle jugeroit
deleur eſtime par la maniere dont
ils vangeroient l'affront qu'on lay
Hij
3172
MERCURE
avoit fait. En meſme temps elle
fit entrer les autres Gardes . Les
Raviffeurs estoient au milieu , &
ce fut en les voyant qu'on pénetra
le miſtere .C'étoient deux Freres
, & un Coufin de la Belle ,
priez par la Dame avec qui elle
avoit tant ry le ſoir précedent, de
venir eſtre ſes feints Raviſſeurs.
Cette Dame qui avoit fait juſquelà
merveilleuſement la deſolée ,
ſe mit à rire de tout ſon coeur des
frayeurs qu'on avoit euës . Chacun
avoüa qu'il avoit eſté la Dupe
de labelle Agnés ; & quoy qu'on
euſt fort fouffert des inquietudes
qu'elle avoit cauſées,on n'eut pas
la force de luy en vouloir du mal..
Comme ſon Amant ne paroiſſoit
point, on luy apprit ce qu'il eſtoir
devenu. La foibleffe le retenoit en
haut fur fon Lit. On luy deputa
deux Dames , qui apres luy avoir
donné
GALANT.
173
د
&
donné la joye d'Agnés retrouvée,
luy dirent que ſes Raviffeurs
eſtoient priſonniers dans la Maiſon,
qu'ils l'accuſoient de les avoir
employez pour l'enlevement , &
qu'il pouvoit venir ſe juſtifier devant
tout le monde. La fureur le
prit à cette accufation. Ildefcendit
tout hors de luy- mefme
fut agreablement ſurpris quand
on luy montra les Autheurs du
coup. On congedia les Gardes ,
que l'on fatisfit fort honneſtement.
Ce fut tout de bon qu'ils
arreſterent d'abord les prétendus
Raviſſeurs ; mais l'aimable Agnés
les ayant inſtruits de la tromperie
, ils avoient en ſuite concerté
enſemble ce qui leur reſtoit à
faire.ls ſeroient venus plutoſt dénoüer
la Piece , ſi la Belle n'eust
pas voulu aller à Paris , où elle
ordonna un tres - beau Deffert .:
Hiij
174 MERCURE
Elle y employa l'argent qu'elle
avoit gagné à vendre des Fruits ,
&cette galanterie finit les plaifirs
d'un jour que tant d'Incidens
rendoient remarquable.
Le Mercredy 9.du mois, Monfieur
de Novion Conſeiller au
Parlement , Fils de feu Monfieurde
Novion Fils aîné de Monſieur
le Premier Préſident , épouſa
Mademoiſelle Berthelot , Fille
aînée de Monfieur Berthelot Tréforier
General des Maiſons & Finances
de Madame la Dauphine.
Ce Mariage s'eſt fait avec l'agrément
du Roy , qui en a ſigné le
Contract , auffi bien que toute
la Maiſon Royale. Le jour que je
viens de vous marquer , il y eut
un Soupé tres- magnifique chez
Monfieur Berthelot , pour la fignature
de ce Contract. La Ceremonie
ſe paſſadans toute l'honneſteté
<
GALANT.
175
neſteré imaginable. Voicy ceux
qui s'y trouverent. Mr le Premier
Préſident, Mr le Duc de Geſvres,
Premier Gentilhome de laChambre;
Mr de Novion, & Mr l'Evêque
de Ciſteron,tous deux Fils de
Mr le Premier Preſident ; Mr &
Madame de Ribere , Mr & Madame
de la Brife ( Vous ſçavez que
Mefdames de Ribere & de laBrife
font toutes deux Filles de Mr
le Premier Préſident;Madame de
Tubeuf, qui eſt une troiſiéme Fille
, ne s'y trouva point à cauſe de
ſon Veuvage ; ) Mr de la Ferriere
Maiſtre des Requeſtes ,& Madame
de la Ferriere fa Femme Soeur
du Marié Mr le Chevalier de
Novion Frere du Marié, Mr Gallard
de Poinville,Frerede Madame
la Premiere Préſidente , Mr
Piques, Mr de Belloy,Mr Berthelot
Oncle de la Mariée, Madame
Hiij
176 MERCURE
ſa Femme , Mr Dalmas , Secretaire
du Roy, & Tréſorier General
des Ecuries de Sa Majesté ,
Madame Dalmas ſa Femme, Soeur
de Mr Berthelot, Monfieur Aimé
Secretaire du Roy , Madame Aimé
ſa Femme autre Soeur de Mr
Berthelot, Mademoiſelle Berthelot
Soeur de la Mariée , Monfieur
l'Abbé Parfait Chanoine de Noftre
-Dame , & Monfieur le Controlleur
Parfait ſon Frere
deux Oncles de Madame Berthelot
, Monfieur Ravot d'Ombreval
, Avocat General de la
Cour des Aydes , Gendre de Mr
Berthelot , & Monfieur de Joüy,
Fils aîné de Mr Berthelot , Ανο-
cat General des Requeſtes de
l'Hôtel. Il y eut deux Tables fomprueuſement
ſervies .A minuit on
alla à S. Eustache , où la Benediction
Nuptiale ſe fit . Monfieur le
Premier
tous
GALANT. 177
Premier Preſident retourna chez
luy apres la Meſſe , auffi - bien
que Monfieur le Duc de Geſvres .
Le reſte de la Famille revint chez
Monfieur Berthelot. Le Marié eſt
jeune, fort bien fait de ſa perſonne
, & reçeu Conſeiller au Parlement
du 6.de Septembre . Mademoiſelle
Berthelot eſt brune,d'une
tres - jolie taille,a l'eſprit doux,
l'humeur agreable , & fait affez
voir par ſes manieres qu'on a pris
de fort grands ſoins de ſon éducation.
Le lendemain , on alla à
Villebon , où Mr le Premier Préſident
donna un fort grand Soupé.
Sa generoſité ordinaire , &
la tendreſſe qu'il a pour Mon.
fieur de Novion ſon Petit Fils ,
luy ont fait prendre chez luy
les Mariez , avec tout leur trains
poury demeurer tant qu'il vivra,
ſans qu'il leur en couſte aucune
choſe. Hv
178 MERCURE
Ce Mariage me fait ſouvenir
d'un autre qui s'eſt fait dés le
Mois d'Aouſt , & dont j'ay toûjours
oublié de vous parler. C'eſt
celuy de Monfieur de Chaſteauneuf
, Conſeiller au Parlement.
Je vous ay déja entretenuë pluſieurs
fois de luy.Il eut l'honneur
d'accompagner la Reyne d'Eſpagne
juſqu'à la Frontiere , & lût
l'Acte de Delivrance , quand on
la remit entre les mains des Envoyez
du Roy catholique. Il étoit
Conſeiller Ecclefiaftique , & il a
changé de Charge pour époufer
Mademoiselle deMouffy laCour-
Reine. Cette jeune Mariée eſt
belle,bien faite,ſpirituelle, & Fille
unique d'un Maiſtre des Comptes
de ce meſme nom. Ainſi le
bien eſt joint au merite , & Mr de
Chaſteauneuf a trouvé dans cette
aimable Perſonne tous les avantages
GALANT. 179
د
tages qu'il avoit lieu d'eſperer.
La Relation du Mariage de la
Reyne d'Espagne , qui explique
ce que c'eſt que l'Acte de Délivrance
dont je viens de vous parler
contient une Planche où
eſt gravée la Maiſon Royale du
Buen- Retiro. Vous vous fouvenez
, Madame , que cette Prin
ceſſe y demeura juſqu'à ſon Entrée
publique . Apres vous avoir
donné la Veuë de ſes Baſtimens,
il faut venir aux Jardins . Ils ont ,
entre autres beautez ,deux Etangs
confiderables . Tout ce qui fert
d'ornement au plus petit, eſt gravé
dans cette Planche.Vous trouverez,
en jettant les yeux deſſus,
qu'il doit eſtre d'un fort agreable
afpect.
Pendant qu'un des plus terribles
Fleaux dont Dieu ſe ſerve
pour punir les Hommes, a fait de
triftes
180 MERCURE
triſtes ravages en Allemagne ,
nous n'avons veu, environ depuis
cinq mois,regner icy que des Fiévres.
Il y en a eu de toutes fortes ,
& en tres - grand nombre , mais
auſſi elles ont eſté gueries fort
promptement , & il en eſt mort
tres- peu de Perſonnes. Vous en
ſçavez la raiſon , & ce qu'on doit
au Remede Anglois . Comme on
en parle aujourd'huy par tout , il
faut vous en dire quelque choſe.
Si le Quinquina n'entre point das
ce Remede , it entre du moins
dans le raifonnement de tous
ceux qui veulent chercher en
quoy il confiſte,& c'eſt par la que
je me croy obligé d'expliquer en
peu de mots ce qui eſt arrivé du
Quinquina depuis qu'on s'en eſt
ſervy. Il y a vingt- deux ans , que
c'eſtoit un nom inconnu en Franse,&
je ne ſçay meſme s'il ne l'eſtoit
GALANT. 181
ſtoit point dans toute l'Europe.
Les Jeſuites en firent la découverte
dans le Pérou , & en ayant
apporté à Rome , ils en donnerét
quinze priſes au Pere Anahalt
qu'ils y trouverent. Ce Pere eftant
icy de retour , en fit l'épreuve
ſur quinze Perſonnes qui avoient
la Fievre quarte. Elles en
furēt toutes guéries,& le prompt
effet de ce Remede fit un éclat
furprenant. Tout le monde s'entretint
du Quinquina. On en fit
venir. Les Medecins l'ordonnerent
,& il devint entierement à la
mode. Vous remarquerez qu'on
ne le prenoit , comme font les Indiens,
qu'apres quelquesaccés de
Fievre , ſans l'avoir fait infuſer, &
cela, pour ne pas arrêter tout d'un
coup les mauvaiſes humeurs qui
la cauſent , & qui ſemblent vouloir
du temps pour ſe diffiper.
Apres
182 MERCURE
Apres qu'o eut employé le Quinquina
pour les Fievres quartes ,
toûjours avec le meſme ſuccés ,
quelques Medecins en firent l'effay
fur les Fiévres tierces.Les Malades
en guerirent,& leur guerifon
les ayant portez à s'en ſervir
pour la Fievre double tierce , l'épreuve
leur reüffit. Il ne reſtoit
plus que la Fievre cõtinuë.Quelques
- uns de ceux qui en furent
attaquez , eurent recours au mefme
Remede ; mais loin qu'ils en
reçeuſſent du foulagement , la
violence de leur Fievre redoubla,
& on reconnut que le Quinquina
ne pouvoit ſervir que pour
les Fievres intermittentes. Cependant
ces guériſons n'eſtoient
pas toûjours fort ſeures , & fi
quelques - uns gueriſſoient entierement
, les autres ſe trouvoient
repris de Fiévre quelque temps
apres.
GALANT. 183
apres .Voila l'état où demeurerent
les choſes. L'uſage du Quinquina
n'eſtoit ny blamé , ny beaucoup
ſuivy ; & comme ceux qui prenoient
ſoin des Malades avoient
leurs raiſons pour ne le pas ordőner,
la memoire s'en perdoit peu à
peu ,la plupart des Gens attaquez
de Fiévre n'en demandant point,
ſoit qu'ils n'euſſent jamais entédu
parler de ce Remede , ſoit qu'ils
oubliaſſent de s'en ſervir. Apres
un nombre d'années pendantlefquelles
on a peu ſongé au Quinquina
, voicy ce que le Medecin
Anglois a fait.Je parle ſelő le raifonnement
de Perſonnes treshabiles,
& d'une profonde penétration.
Il a compoſé un Remede
de ce meſme Quinquina,& a crû
en oſter la connoiſſance,en le faiſant
infuſer ,ce qu'on n'avoit point
encor pratiqué. D'ailleurs ayant
veu que pendant plus de vingt
184 MERCURE
années une priſe ou deux de
Quinquina avoiết guéry pour un
temps , il s'eſt perſuadé avecbeaucoup
de raiſon , que s'il en donnoit
quantité de priſes, il en guériroit
ſes Malades pour toûjours.
L'expérience a fait voir qu'il a
raiſonné fort juſte. C'eſt pour cela
qu'il fait prendrede ſon remede
en quantité dans les premiers
jours de la Fiévre. Quand elle
eft paffée , il oblige encor d'en
prendre , mais beaucoup moins,
afin d'empeſcher qu'elle ne revienne
; & dés le moindre reſſentiment
qu'on en peut avoir , il
veut qu'on en prenne autant qu'-
on a fait d'abord. Tout cela fait
voir, je dirois preſque avec certitude
, que fon Remede n'eſt fait
que de Quinquina. En l'infuſant
dans le Vin ,il peut y meſler quelqu'autre
choſe ; mais comme on
ne connoît rien de plus aſſuré
GALAN T.
185
que le Quinquina pour la guérifon
des Fiévres, il n'eſt pas à croire
que le Medecin Anglois , qui
ne s'eſt jamais piqué d'eſtre tresprofond
en Medecine , ait fait
d'affez heureuſes recherches
pour avoir trouvé un Spécifique
qui ſurpaſſe le Quinquina. Il eſt
bien plus vray -femblable que s'il
mêle quelque choſe dans ſon
Remede , c'eſt ſeulement pour le
déguiſer , ce mélange ne pouvant
produire aucun effet. Les
promptes & ſurprenantes guériſons
qu'il a cauſées , ayant fait
ſouhaiter aux plus habiles Medecins
d'en avoirla connoiffance
autrement que par conjecture .
Le Sieur Philippe qui demeuroit
avec le Medecin Anglois, en
découvrit le Secret il y a plus
d'un an à Monfieur Daquin Premier
Medecin du Roy,& c'eſt de
celuy
186 MERCURE
celuy - là que Monſeigneur le
Dauphin a pris pendant ſa derniere
maladie. Il en a eſté toutà-
fait guéry ; & Sa Majesté ayant
donné auſſitoſt apres une Penfion
au Sieur Philippe , a voulu procurer
à ſes Sujets l'avantage d'avoir
ce Remede pour trois Piſtoles,
MonfieurDaquin , le Medecin
Anglois , & le Sieur Philippe,
ne font pas les ſeuls qui s'en ſer.
vent aujourd'huy pour guérir les
Fiévres intermittentes . Monfieur
Fagon , Premier Medecin de la
Reyne , dont je vous ay pluſieurs
fois parlé , & qui s'eſt acquis une
fi haute réputation dansla Medecine,
le ſçait au ffi préparer . Il en
a fait à la Cour un nombre infiny
d'expériences,& on y eſt demeuré
d'accord qu'il eſt auſſi ſeûr que
celuy des autres. Monfieur le Bel
Premier Medecin de Madame,
a
GALANT.
187
a travaillé à la découverte du
meſme Remede . On affure qu'il
y a reüfly , & qu'il ne difére de
celuy de l'Anglois, de Mr Fagon ,
& du Sr Philippe , qu'en ce qu'il
le prépare avec de l'Eau , & que
les autres ſe ſervent de Vin pour
l'infuſer.Mr de Blégny , Autheur
des Nouvelles Découvertes , croit
auſſi l'avoir trouvé ,& le fait voir
par un petit Livre qu'il a donné
au Public fur ce ſujet. Pluſieurs
Perſonnes croyent lamême choſe
de deux fameux Apoticaires de
Paris qui les ont guériez . Je ne
doute point qu'il ne fuſt facile à
la plus grande partie des Medecins
de le trouver, mais apparemment
ils ont de bonnes raiſons
quiles obligent à croire que les
Malades font mieux guéris,quand
ils obſervent la longueur des formes.
Je vous parlay la derniere
fois
~
188 MERCURE
fois du retour de la ſanté de Son
Alteſſe Seréniſſime Mr le Prince.
Elle ne demeura pas longtemps
parfaite. La Fiévre le reprit bientoſt
apres , mais le Remede Anglois
l'a entierement guéry, auffibien
que S.A.S.Mr le Duc,qui en
a eu quelques accés. Voicy des
Vers qui ont eſté faits par Mr
Louchault , ſur la convalefcence
de Monfieur le Prince .
T
Out le monde est remply de
crainte & de triſteſſe.
Tout tremble pour Condé quand la
Fiévre le preſſe,
Chacun fait mille voeux , chacun
fait millepas ;
Mais au milieu des fureurs de la
Guerre ,
Quand ce Héros dans l'ardeur des
Combats
Affronte les dangers,mépriſe le Tonnerre,
D'où
GALAN T. 189
D'où vient que tout le monde alors
ne tremble pas ?
Pense- t- on que ce Prince,à qui tout
eft poſſible ,
Retenu dans ſon Lit,ne soit pas
auſſi fort ?
Et qu'est- ce que la Fiévre ? Est- ce
un Monstre invincible
Aceluy qui cent fois s'est moqué de
la Mort ?
Le retour de la ſanté de Monſeigneur
le Dauphin,dont Monſieur
Daquin & Monfieur Fagon
ont toûjours eu ſoin , a cauſé une
joye extraordinaire à toute la
Cour.Il n'eſt point de termes qui
puiſſent marquer combien Ma.
dame la Dauphine en reſſentit au
moment qu'on luy apprit qu'il
n'avoit point eu d'accés. Elle fit
tant de careſſes à celuy qui luy
porta le premier cette nouvelles
qu'on
190 MERCURE
qu'on peut dire que tout ſon
coeur ſe montra. La convaleſcence
de ce jeune Prince fait qu'on
prépare à laCour avec plus d'empreſſement
&de plaiſir , un Baler ,
qui doit y eſtre dancé auſſitoſt
apres Noël . Je dis Balet , parce
que ce n'eſt point un Opera. Il
n'y aura point de Comédie. Ce
feront des Entrées mêlées de Recits
, & le tout ſera nommé , Le
Triomphe de l'Amour. On y verra
les Conqueſtes de ce Dieu ſur
tous les coeurs , qui auront paſſé
pour inſenſibles. Monſeigneur le
Dauphin , Madame la Dauphine,
pluſieurs Princes, Princeſſes ,
Grands Seigneurs & Dames de
la Cour danceront dans ce
Balet.
د
Monfieur de Gombaut , Envoyé
Extraordinaire de Sa Majeſté
, a eſté à la Cour de Mr le
Land
GALANT.
191
Landgrave de Heſſe - Caffel , où
la conſidération tres- particuliere
qu'on a par tout pour le Roy , l'a
fait recevoir comme Ambaffadeur
, c'eſt à dire , avec les meſ
mes honneurs que l'on rend à
ceux qui ont cette qualité. Je
vous diray ſur l'origine du mot
de Landgrave, que les Allemans
appellent les Comtes Graven, qui
en vieux langage , ſignifie Juge,
&les Latins les appellent Comites
, parce qu'anciennement la
juſtice eſtoitrenduë à la Cour,&
que ces Juges accompagnoient
toûjours l'Empereur. Phaltzgrave,
Markgrave, & Burgrave, font
d'autres noms compoſez du mot
Graven , ainſi que Landgrave, &
reſtraints par ceux de Phaltz ,
Mark, Land, & Burg,qui veulent
dire,Palais , Frontiere,Païs ,& Fortereſſe
. Ainſi Phaltzgrave, ſignifie
192 MERCURE
fie Chef de la Juſtice du Palais
Impérial ; Markgrave , Juge d'une
Province Frontiere ; Landgrave,
Juge d'une Province mitoyen.
ne ; & Burgrave,Gouverneur de
quelque importante Fortereffe,
ayant droit d'adminiſtrer la Juſtice
dans tout ſon Gouvernement.
Le Phaltzgrave , c'eſt à dire , le
Comte Palatin , eſtoit autrefois
Chef de la Juſtice. Il n'y avot
point d'appel qui ne vinſt à luy,
& il décidoit avec l'Empereur de
toutes les grandes Affaires. Les
abus que commettoient les Landgraves
& les autres , ayant obligé
l'Empereur d'envoyer des Phaltz.
graves en divers endroits , pour
empécher l'injustice , inſenſiblement
ces Comtes Palatins s'apropriérent
les Provinces de Saxe ,
de Baviere , de Franconie , & du
Rhin.Quoy que ces quatre Principautez
GALANT. 193
cipautez ayent eu la qualité de
Palatinat , il n'y a plus que la derniere
qui joüiffe de ce titre . Les
Markgraves & les Landgraves,
qui n'avoient pour but au commencement
que la conſervation
de l'équité entre les Sujets de
l'Empire , prirent ſoin enſuite
d'empécher que l'Ennemy ne fiſt
tort à ceux de leur Jurisdiction ,&
enfin ils éleverent leurs Charges
en un ſi haut point, que la négligence
des Empereurs laiſſant diminuer
leur autorité,au lieu d'Officiers
, ils devinrent Proprietairès
des Provinces qu'ils avoient
en garde. De tous les Landgrail
n'y a plus que la Maiſon
de Heſſe qui en faſſe ſon principal
titre. Le Landgraviat d'Alface
, a eſté tranſporté au Roy de
France par le Traité de Munſter;
celuy de Leuctemberg, à la Mai-
Octobre 1680 .
ves ,
I
194
MERCURE
ſon de Baviere , par le Mariage
du Duc Albert avec Mechtildis ,
Heritiere -de cette Principauté;
celuy de Turinge , apartient aux
Ducs de Saxe ; celuyde Sauſemborg,
à un Marquis de Baden ; &
celuy de Nollembourg,à la Maifon
d'Auſtriche.Outre ces Landgraviats
, les Comtes de Furſtemberg
ſe qualifient Landgraves de
Stillingen , & de Bath;&ceux de
Sultz , ſe diſent Landgraves de
Klegau Cependant, ils préferent
le titre de Comte. La Maiſon de
Heſſe , qui deſcend de Charlemagne,
peut diſputer d'ancienneté
avec tout ce que l'Allemagne
a de plus illuſtre . Henry de Brabant
, qui en eſtoit le premier
Landgrave , mourut en 1308. &
'n'a eu que de grands Hommes
pour Succeff.urs. Cette Maiſon
eſt diviſée en deux Branches ,de
puis
GALANT. 195
puis l'accommodement qui fut
moyenné par Ernest de Saxe en
1647. entre Guillaume V I. &
George , tous deux appellez au
droitde leurs Peres , à la Succefſion
du Landgrave Loüis leur
Grand Oncle , mort ſans Enfans
en 1604. Guillaume , fut Chef
de la Branche de Caſſel qui eſt
l'Aînée , & épouſa une Soeur de
l'Electeur de Brandebourg . Les
deux Princeſſes ſes Soeurs ont été
mariées , l'une à Henry Charles
de la Trimoüille, Duc de Toüars,
Prince de Tarente ; & l'autre , à
Charles - Loüis , Electeur Palatin ,
dernier mort.George, Chefde la
Branche de Darmeſtadt , qui eſt
laCadete , a eſté marié à la Fille
aînée du feu Electeur de Saxe , &
eſt mort en 1661. Son Fils aîné a
épousé une Fille de Frideric,Duc
de Holſtein , & a une Soeur ma
I ij
196 MERCURE
riée à Philippe - Guillaume , Duc
de Neubourg. Vous voyez par là
que chacune de ces Branches a
des Alliances tres- confidérables .
L'une,ſuit la Réforme de Luther,
&l'autre, celle de Calvin .
Je viens aux honneurs rendus
à noſtre Envoyé Extraordinaire.
Vous en trouverez la Relation
dans cette Lettre d'un Allemand
deCaſſel , qu'on a fait traduire. Il
écrit du 24. d'Aouſt à un de ſes
Amisde Paris.
03-303830303
TRADUCTION
D'UNE LETTRE
D'UN ALLEMAND
DE CASSEL . :
TLfaut que je
vous faffe part de
lajoye que Mr le Landgrave a
fait
GALANT. 197
1
:
fait voir de l'arrivée d'un Envoyé
Extraordinaire du Roy de Frante
, & des marques qu'il luy en a
données pendant le ſejour qu'il a
fait icy . On ne peut faire paroître
plus de reconnoiſſance de l'honneur
qu'il a receu d'un si grand
Monarque , ny plus deštime pour
celuy à qui cet Employ a esté
donné. On nous a dit que c'estoit
un Gentilhomme ordinaire de la
Maiſon du Roy , nommé Monfieur
de Gombaut. Il paroist âgé environ
de trente ſept ans , & bien fait
de ſa personne , a l'air noble , نب
paſſe dans cette Cour pour un Homme
univerſel. Il arriva le 8. de ce
Mois en cette Ville, & envoya aussitoft
fon Secretaire au Premier Ministre
de Mr le Landgrave, & au
Maréchal &Grand- Maistre de la
Cour, pour leur en donner avis. Le
mesmejour, Monsieur le Landgrave
I iij
198 MERCURE
L'envoya complimenterfur fon heureuse
arrivée , par un deses Premiers
Gentilhommes , qui luy dit
qu'on le viendroit prendre le lendemainfur
les onze heures , pour
le conduire à l'Audience . Les Carroſſes
arriverent à l'heure marquée.
Il montaſeul dans l'un des
trois que luy envoya le Prince. Ce
Carroſſe estoit des plus magnifiques
, & tiré parfix Chevaux d'une
admirable beauté. Ses Officiers
entrerent dans les deux autres , avec
des Gentilshommes de Monfieur
le Landgrave. Ensuite , marcherent
les Carroſſes de l'Envoyé,
tres - propres , & tirez aussi par
fix Chevaux , & un fort grand
nombre d'autres Carroſſes des Prin-
& Princeßes qui font dans
cette Cour , & des Perſonnes de
qualitéqui la compoſent . Le Train
de cet Envoyé estoit fort lešte.
ces
En
GALANT. 199
En arrivant au chasteau , il y
trouva la Garde du Prince qui eftoit
en haye , Tambour batant , &
Enseignes déployées. Son Carroſſe avança
jusqu'au pied de l Escalier,
où il fut reçeu parle Maréchal &
Grand- Maistre du Prince, accompagnez
de quarante Gentilshommes
. Ils le devancerent tous jusqu'à
la Porte de l'Antichambre , où le
Princese trouva . D'abord qu'ilparut,
tout le monde se rangea pour le
laiſſer avancer vers l'Envoyé.
Apres quelques complimens , ils
entrerent tous deux de front dans
la Chambre du Prince , où ils
- demeurerent affez peu de temps.
Au fortir de là , cet Envoyé alla
Salüer Madame la Landgrave Regente
, avec qui estoient Madame
la Landgrave Douairiere , Madame
l'Electrice Palatine, la Princes-
Se Soeur de Monsieur le Land
I iiij
200 MERCURE
venuë
grave,& la Princeſſe de Curlande,
Soeur de Madame la jeune Landgrave.
Toute cette Cour se trouva
dans l'Antichambre , où elle
s'estoit avancée pour le recevoir.
Il leur fit à toutes des complimens
diférens , mais si justes , qu'-
iln'y en eut aucune qui n'admirast
fon esprit. L'heure du Dîné estant
on ſervit un magnifique
Repas. Les Princeſſes prirent place
, & l'Envoyé fut aussi entre
Monsieurle Landgrave , &le
Prince Philippe fon Frere. Il eut
le Cadenas ainsi que les Princes
, & un Gentilhomme faisoit
l'eſſay avant que de luy donner à
boire. Ce Gentilhomme demeura
toûjours de garde aupres de luy ,
pour prendre soin que rien we luy
pust manquer. Apres le Repas , il
alla rendre viſite au Prince Phitippe
, & à toutes les Princeſſes
fépa
GALANT. 20
Sépavement , &fut charmé de la
beauté , & de l'esprit de la Prin
ceffe de Curlande , qui répondit en
François aux complimens qu'il
luy fit. En fuite on le conduisit
dans un tres fuperbe Apartement
de plein pied , à celuy de Monſieur
le Landgrave , qui luy rendit
ſa viſite dés ce mesme jour. Il a
continue de manger avec le Prince
, & les Princeſſes , & l'on a remarqué
que Madame la Landgrave
Regente , pour luy faire plus
d'honneur , apresque tous les jours
changé d'Habit. Elle en mettoit de
tres magnifiques , que. Madame la
Princeffe de Tarante luy envoye de
France. Mr de Gombaut en a aussi
changéfortſouvent , & on luyen a
veu d'une riche Broderie , que l'on
a trouvez auſſi ſuperbes que bien
entendus. Comme il s'est heureusement
rencontré dans cette Cour le
IV
202 MERCURE
jour de la Naiſſance du Prince , il
luy fit un fort galant Préſent d'Eventails
, de Miniature, de Pomades
, Effences , Parfums , Gands, &
autres curiofitez . Mr le Landgrave
témoigna l'estime qu'il en faisoit ,
en les diftribuant aux Princeſſes qui
enfirent honneurde tres- bonne grace
à cet Envoyé. Tous les jours de
Son Séjour n'ont été que Festes , le
Prince l'ayant toûjours régalésplendidement
avec Symphonie & Mufique
de toutes fortes. Il a eu fouvent
le divertiſſement de la chaſſe,
&fur tout de celle des Cerfs dans
les Toiles, où il a montré ſon adreſſe
en les tuant à coups d'Epée & de Pi-
Stolet. La plus galante & la plus
confiderable des Festes qu'on luy a
données , a esté celle du 14. de ce
mois . Elle commença par un grand
Soupé , Servy dans un Cabinet richement
ornéde Pentures &de Lu-
Stres.
GALANT.
203
fires. Ce Cabinet estfur la Terraſſe
du grand Jardin qui donne fur le
Véſer , au dela duquel, &vis- à- vis
du Cabinet, Mr le Landgrave avoit
fait construire un Fort dans une
grande Prairie. Toute la Garnison
estoit rangée en bataille , entre le
Fort & cette Riviere , & ſous la
Terraſſe du Iardin , on avoit place
un grand nombre de Canons & de
Bombes, qui tirerent toutes aussi bien
que le reste de l' Artillerie , lors que
Mrle Landgrave but à la Santédu
Roy,& que l'Envoyé luy en fit raifon.
Quand on cut Soupé au fon de
toute forte d'Instrumens , placez à
une juste distance pour ne nuire
pas à la conversation ; les Dragons
qui estoient en deça de la Riviere ,
lapafferent fous le feu du Canon, &
vinrent donner avec le reste des
Troupes par trois endroits differens.
De feu fut considerable , tant des
SUNGYE Atta
204 MERCURE
Attaquans que des Attaquez , &
dura une heure.Le Fort ayant enfin
esté pris d'affaut , on y entendit des
grandes Fanfares de Tambours ع&
de Trompetes. Cela fut ſuivy d'un
tres- beau Feu d' Artifice,que l'on avoit
preparé le long du Vefer.Ce Feu
estoit composé d'un nombre presque
infiny de Fuſées volantes,qui firent
un tres - agreable effet; apres quoy on
retourna à la Ville dans des Caleches
richement parées, chacune attelée
de fix Chevaux . La quantité
des Flambeaux qui les éclairoient,
S mbloit avoir ramené le jour , &
il n'y avoit rien de fi beau que ce
Cortege. Je ne puis finir ma Lettre,
Sans vous apprendre lajoye que tous
les Catholiques de Caffel ont euë en
particulier , de l'arrivée de Mr de
Gombaut. Cefera par là que vous
connoistrez les respectueux égards
qu'a nostre Prince , pour le Roy de
France,
GALAN T.
205
France,puis qu'ila accordéàfon Envoyé
la permiſſion de faire celebrer
publiquement la Meße dans Caffel,
ce qui n'avoit esté permis à aucun
depuis plus de trente années , non
pas mesme àfeu Mr le Duc de Longueville
, lors qu'ily paſsa pour le
Traité de Munſter. Mr le Landgrave
luy avoit offert un Lieu particulierdansſon
Palais,pour y entendre
le Mefse , àhuis clos,avec toutefa
Maiſon,mais il aimamieuxlafaire
dire dans le Logis où estoit Son
Train , croyant que cela feroit plus
d'honneur àſa Religion , &feroit
plus utile aux Catholiques Heſſiens,
qui n'auroient ofé venir au Palais
du Prince. Monfieur le Landgrave
a eu beaucoup de regret de
levoir partir fi tost ; & pour l'obliger
àfeſouvenir de ſa Cour, il luy
afait préſent de fix grands Gobelets
, d'ungrand Baffin cizelé , &
d'une
206 MERCURE
d'une Eguiere faite en Autruche
qui estsur une Montagne , avec un
petit Cupidon fur le dos de cette
Autruche , qui tient une Chaîne
pour estre fon Guide.C'est un travail
qu'on peut dire vare,&qui ſurpaſſe
infiniment la matiere. Monfieurde
Gombaut a répondu à cette liberalité
, en donnant quantitéde Medailles
qui contiennent des grandes
Actions du Roy dans ſes dernieres
Campagnes , & faisant d'extraordinaires
largeſſes à une partie des
Officiers de Monsieur le Landgrave
, qui a eu la genérosité de défrayer
tout fon Train , pendant le
temps qu'il a esté à Caffel. Ilest
retournéà Munster , où l'Evesque
de ce nom luy donne des marques de
fon estime , & reconnoist enfa Perfonne
l'honneur qu'il reçoit d'avoir
aupres de luy , de lapart du Roy de
dbag Erance
GALANT. 207
France,un Envoyé dont le mériteſe
fait connoiſtre par tout.
Il faut encor vous entretenir
de Morts. Celle de Madame la
Ducheffe d'Elbeuf , Soeur de
Meſſieurs les Duc & Cardinal
de Boüillon , eſt arrivée le 23 .
de ce mois , apres une longue
maladie , dans laquelle elle a
donné des marques d'une patience
extraordinaire , & d'une
pieté toute Chreſtienne. Elle
s'appelloit Elizabeth de la Tourd'Auvergne
, & eſtoit Fille de
Frederic - Maurice de la Tourd'Auvergne,
Prince de Sedan &
de Rocourt, Vicomte de Turenne,
Pair de France ,&d'Eleonor-
Frebonie de Berg. Elle eſt morte
âgée de 45.ans, & avoit eſté mariée
en May 1656. avec Charles
de Lorraine Duc d'Elbeuf, Pair
de
208 MERCURE
1
de France, Comte de Liflebone,
Marquis de Rochefort, Gouverneur
de Picardie , Païs & Comté
d'Artois , & du Hainaut,
Gouverneur Particulier de la
Ville & Citadelle de Montreüil.
& aujourd'huy Chefde la Maiſon
de Lorraine en France. Ce
Prince néen 1620. eſt le Fils aîné
de Charles de Lorraine Duc
d'Elbeuf, Pair de France, Comte
de Harcourt , de Liflebonne , de
Rieux,& de Bufançois , Seigneur
de Rochefort,Chevalier des Ordres
du Roy, Gouverneur de Picardie,
mort en Novembre 1657.
&de Catherine- Henriete , Legitimée
de France, Fille naturelle
du Roy Henry I V. Il épouſa
en 1641.Anne- Elizabeth de Lannoy
, Veuve de Henry du Pleſſis
Comte de la Rocheguyon , Fille
de Charles Comte de Lannoy,
Che
1
GALANT. 209
Chevalier des Ordres du Roy,
Gouverneur de Montreüil , &
d'Anne d'Aumont. De ce premier
Mariage ſont ſortis Anne-
Elizabeth de Lorraine , née en
Aouſt 1649. quia épousé à Barleduc
en 1669. Charles - Henry
, Legitime de Lorraine, Prince
de Vaudemont , Fils naturel
du Duc Charles de Lorraine ,
&de Beatrix de Cuſance, Comtefle
de Cantecroix;&Charles de
Lorraine Prince d'Elbeuf,Cheva.
lier de Malte , né en Novembre
1650.De ſon ſecod Mariage avec
Elizabeth de la Tour-d'Auvergne,
dont je vous apprens la mort,
il a eu Marie-Eleonor de Lorraine,
née en 1658. Françoiſe-Marie
de Lorraine, née en 1659. toutes
deux Religieuſes aux Filles Sainte
Marie du Fauxbourg S. Jacque
; Henry de Lorraine Prince
d'Elbeuf,
210 MERCURE
d'Elbeuf , Gouverneur de Picar
die en ſurvivance, né en 1661. &
marié en Janvier 1677. à Charlotr
de Rochechoüart de Mortemar,
Fille de Mr le Marechal Duc
de Vivonne ; & Loüis de Lorraine
, Abbé d'Orcamp , né en Septembre
1662 .
Madame la Comteſſe de Parabere
eſt morte auſſi depuis peu de
jours, avec des ſentimens ſi Chreſtiens
qu'on ne peut donner plus
d'edification qu'elle a fait à ceux
qui l'ont veuë dans ſa maladie.
Elle avoit 58. ans , & eſtoit de la
Maiſon de Voiſins, l'une des plus
illuftres & des plus anciennes de
Languedoc , qui avec celle de
Levy , a chaſſe les Sarrazins de
cetteProvince.Du coſté de François
de Voiſins , Baron de Montaut,
ſon Pere , elle deſcendoitde
laMaiſon de Guiſe&de Joyeuſe.
Made
GALANT. 2F1
Mademoiselle d'Orleans , & Mademoiſelle
de Guiſe,luy faisoient
l'honneur de le reconnoiſtre. Elle
avoit celuy d'appartenir à Mr le
Prince , & à Mrs. les Princes de
Conty , eſtant de la Maiſon de
Monmorency du coſté de Madame
ſa Mere. Son Aycule paternelle
s'appelloit Charlote,Fillede
Blaiſe de Monluc Maréchal de
France. En 1643.elle épousa Jean
deBaudean Marquis de Parabere,
Fils de Henry de Baudean Comte
de Parabere,Marquis de laMote-
Sainte Heraye, Chevalier des
Ordres du Roy, & Lieutenantde
Roy du Bas Poitou , & de Catherine
de Pardaillan , Fille de Jean-
Fracois Baron de Pardaillan & de
Pania. Elle a laiſſe tout fon Bien
àMademoiselle de Vaillac ſaNiéce
, qu'elle a toûjours élevée ,
n'ayant point d'Enfans ; & pour
donner
212 MERCURE
donner un témoignage afſuré à
Mr le Comte de Parabere ſon
Mary , de la tendreſſe qu'elle a
toûjours euë pour luy, elle l'a priée
de reſter aupres de luy pour en
prendre ſoin , avec l'agrément de
Mr le Comte de Vaillac ſon Pere,
à qui ellel'a demandé en mourant.
Je ne doute point que vous ne
ſçachiez que ce Comte , qui eſt
Chevalier des Ordres du Roy, &
Chevalier d'Honneur de Mad 1-
me,avoit épousé en premiere Nôces
une Soeur de Madame de Parabere
. Mademoiselle de Vaillac
eſt une Perſonne d'un fort grand
merite, dont je vous ay parlébien
des fois , lors que la Reyne d'Efpagne
eſtoit en France. Sesaimables
qualitez luy avoient acquis
la bienveillance de cette
Princeſſe , qui conſerve encor en
Eſpagne l'eſtime & l'amitié dont
elle
GALANT.
213
elle l'a toûjours honorée. Monfieur
le Comte de Parabere eſt
aîné de ſa Maiſon,Frere de Monſieur
le Marquis de la Mote-
Sainte Heraye , LieutenantGeneral
des Armées du Roy , &
Lieutenant General en Poitou .
Il y a déja quelque temps qu'on
-a eu avis de la mort de Mr le
Comte de Mépieu , Chefde la
Maiſon de Grolay en Dauphiné,
l'une des plus nobles & des plus
anciennes de cette Province. Il
avoit épousé la Veuve de Monſieur
le Marquis de Fours , dont il
laiſſe une Fille , âgée de douze à
treize ans, & unique Heritiere de
cette Maiſon. Je ne vous dis rien
de celle de Fours . Vous ſçavez le
rang qu'elle tient en Normandie,
& qu'il en eſt peu qui ayent paru
avec plus d'éclat , tant pour les
Charges, que pourles Gouvernemens.
214 MERCURE
$
mens. Monfieur de Saint Clair ,
Seigneur de la Sauſſaye , de Guiſigny,
& de la Bucaille , en eſt le
Cadet..
Madame le Roux , Veuve du
Maistre des Requeſtes de ce
nom , eſt morte le 20. de ce mois.
Elle estoit Soeur de Mr le Préſident
le Camus , cy-devant Controlleur
General des Finances, de
Mr le Camus Conſeiller d'Etat,de
feuë Madame d'Emery Femme
du Surintendant ,& de feuë Madame
Pellot, premiere Femme de
Mr Pellot Premier Préſident de
Normandie , & Tante de Mrle
Premier Préſident de la Cour des
Aydes, de Mr le Lieutenant Civil
le Camus , & de Madame de Manevilete
, auſquels elle laiſſe une
grande Succeffion.
J'acheve ce triſte Article par la
mort de Monfieur l'Abbé Revé
rend,
GALANT.
215
rend , qui avoit l'honneur d'eſtre
fort connu du Roy. Il eſtoit Abbé
de Saint Chéron , & avoit eſté
Aumonier ordinaire deMonfieur.
La Lettre qui ſuiteſt d'un Autheur
qui m'eſt inconnu. Je ne
doute point qu'apres l'avoir leuë,
vousn'ayez autant d'envie de ſçavoir
ſon nom , qu'il en témoigne
d'avoir l'éclairciſſement d'une Avanture
qui l'embaraſſe. Quand il
voudra nous apprendrons s'il l'aura
reçeu. Voyez cependant la
Lettre.
18:18: 2813 BMWS.NAME
AU MERCURE
GALAΝΤ.
Umble falut , galant Mer-
1
cure ,
Qui courant par Monts & par
vaux ,
Allez
216 MERCURE
Allez contant les Faits nouveaux
Atoute humaine Creature.
J'ay beſoin de voſtre ſecours
Sur une galante Avanture ,
Qui depuis douze ou quinze
jours
Metmoneſprit àla torture......
Permettez moy de vous la conter
en Profe. Je reprendray peut estre
les Vers dans la ſuite de ma Lettre,
car je Sçay que vous les aimez, &
l'on vous voit paré chaque Mois des
plus jolies Fleurs du Parnaſſe. Vous
Sçaurez donc , naturellement parlant
, que le 9. de ce Mois , jour de
Feste, fur lesſept heures du matin,
je vis entrer dans ma Chambre une
jeune Fille , qui me presenta une
Corbeille , couverte de Brocard à
fleurs d'or , garnie de quantité de
Rubans bleus, & remplie de Jasmin
qui
GALAN T. 217
qui paroiſſoit frais cueilly ,fur lequel
estoit une couronne du mesme
Iasmin ,mélé de Fleurs d' Orange,&
de Tubéreuſe, qui rendoit une odeur
fort agreable.Surpris de la nouveauté
, je demanday à celle qui m'apportoit
ce Présent , de quelle part il
venoit , mais elle me dit en ſe retirant
, qu'une Perſonne qui luy estoit
inconnuë , l'avoit priée de me le remettre
entre les mains. Ce fut inutilement
que je la fis ſuivre. Elle entra
dans une Eglise , & s'y perdant
dans la Foule, trompa ceux que j'avois
chargé de l'obſerver. Ie reſvay
affez longtemps à cette Avanture ,
Songeant à toutes les Belles de m
connoiſſance , & cherchant cellequi
pouvoit si galamment celebrer ma
Feſte ; mais je ne me crus pas affez
bien avec aucune , pour en recevoir
une faveur fi obligeante. Enfinfortant
de ma reſverie , & voulant
Octobre 1680. K
218 MERCURE
manier cette Couronne , je paſſay de
ma premiere ſurpriſe à une feconde
, lors que j'aperçeus dans lefond
de la Corbeille une Lettre cachetée
avec de la foye bleuë . L'ayant ouverte
avec précipitation , j'y trouvay
des Vers , & de la Proſe d'une
écriture de Femme qui ne m'estoit
point connue . L'en leûs la Lettre ,
&n'en fus pas plus inſtruit.
J'ay mes raiſons
Mercure ,
, Seigneur
Pour ne vous la pas faire voir.
C'eſt l'endroit de mon avanture
Que vous ne devez pas ſçavoir.
Je vous diray ſeulement que j'y
trouvay de l'esprit , & de l'imagination
, qu'ony suppose une affemblée
desAmours dans le Palais de
Venus , laquelle deſtine un Prix à
- celuy
GALANT. 219
reluy de tous les Coeurs qu'ils ont
Soûmis , qui fçait aimer avec plus
d'ardeur , & que mon Amour ayant
parlé du mien plus avantageufe-
' ment que les autres , Venus luy donne
le Prix , & c'est cette Couronne
que l'on m'envoye.
Mon Amour tout couvert de
gloire
M'a préſenté le prix qu'il a ſçeu
remporter ;
Mais toute la douceur d'une telle
victoire
N'a pas dequoy me contenter,
Si je ne connois point l'adorable
Merveille
De qui me vient la Lettre &
la corbeille ,
Et je vous jure par ces Vers
Que j'en ay l'eſprit à l'envers.
Vous donc, officieux Mercure,
Qu courant par monts & par
vaux,
K
220 MERCURE
Allez contant les Faits nouveaux
,
Contez par tout mon avanture;
Et fi le hazard vous fait voir
La Belle à la Lettre galante ,
A la Corbeille ſi brillante ,
Parlez- luy de mon deſeſpoir ;
Dites- luy que mon ame eſt fort
impatiente
Dans la cruelle attente
De découvrir à qui je dois
Tantde faveurs tout à la fois,
Qu'enfin elle me fait une mortelle
offence
De ſe ſouſtraire à ma reconnoiſſance
,
Et que mes plus ardents fouhaits
,
Si jamais je la puis connoiſtre ,
Sont de luy faire voir par d'éclatans
effets
L'eſtime qu'en mon coeur fes
bontez ont fait naître .
GALANT. 22 1
L'on auroit eſté fort peu galant
autrefois , fi on euſt parlé de
Philofophie aux Dames. Ce ne
fera plus la meſme choſe , quand
on aura leû le Livre que Mr l'Ab--
bé de Gerard vient de donner au
Public. Il l'intitule , La Philofophie
des Gens de Cour. Quoy qu'il
ſemble par ce Titre qu'il l'ait renduë
autre que ce qu'elle eſt en
effer, elle eſt cependant la meſme
que nous l'avons veuë juſqu'à aujourdhuy,
mais dégagée des rudes
&dégoûtantes expreſſions , qui
ont toûjours eſté cauſe que les
Gens de qualité , à meſure qu'ils
ont pris le bel uſage du monde ,
ont fait gloire , ou de ne l'avoir
jamais appriſe , ou de l'avoir oubliée.
Ainfi la Philofophie ſi néceffaire
pour la conduite de la
vie , eſtoit entierement négligée
des Perſonnes du haut rang,
Kiij
222 MERCURE
&les motifs de l'averſion qu'on
avoit pour elle,venoient des Philoſophes
meſmes , puiſque leurs
incommodes manieres de philofopher'
luy attiroient ce mépris.
Elle paroiſt maintenantcette Philoſophie
, mais la chicane & les
termes barbares de l'Ecole en font
retranchez . On n'y trouve ny
Queſtions inutiles , ny formalitez
embaraſsates. C'eſt une Beauté
qui n'eſt accompagnée que
des Graces , & qui s'eſt defaite
de tout ce que ſa premiere parure
avoit de choquant. Elle fair
voir ce qu'il y a de plus curieux
dans la Phyſique , & de plus ſolide
dans la Morale , & cela dans
un tour aifé & naturel , & du
gouſt meſme des Dames , qui en
peuvent préſentement raiſonner
d'une maniere agreable pour la
converſation.
Autre
GALAN T.
223
Autre chicane débroüillée par
Mr de Malte. Il a fait un Livre
où il s'eſt attaché à tout ce qui
peut intereſſer la Nobleſſe dans
les Tribunaux .Les Queſtions qui
touchent les Nobles , y font agitées
& definies; le tout étably par
de fortes Autoritez , par des Arreſts
autentiques , & par des Déciſions
formelles.On voit dans ce
meſme Livre pluſieurs choſes curieufes
, concernant l'Hiſtoire &
le Blazon. Rien n'eſt traité plus
à fond , ny plus inſtructif. C'eſt
affurement beaucoup , d'avoir ramaffé
dans un ſeul Ouvrage tous
les Privileges de la Nobleffe.
Voicy le . Bavolet de Monfieur
Charpentier , que vous avez tant
d'envie de voir noté , &que la
Troupe de Guen gaud adjoûta
dés l'année derniere à la galante
Piece de l'Inconnu. Comme on en
Kiij
224
MERCURE
doit doner quelques Repreſentations
incontinent apres la Touffaints
, ceux de voſtre Province
qui s'y trouveront , pourront vous
dire combien cette agreable
Chanfon eſt aimée.
LE BAVOLET.
NeFree Porn Dimanche
Efripezpoan mon Bavolet ,
Ievous le dis tout net ,
I'ay des éplingues sur ma manche,
Ma main peze autant qu'al' est
blanche ,
Et vous gagnerezunſouflet ,
Nefripezpoan mon Bavolet ,
C'est aujordy Dimanche.
Attendez à demain que je vaze à
laVille ,
I'auray mes vieux habits ,
Et les Lundis
Ie nesuis passi difficile ;
Mais
GALANT.
225
Mais à present , tout franc ,
Si vous faites l'impartinent ,
Si vous gastez mon linge blanc ,
Ie vous barray comme il faut de la
haste ,
Ievous bateray, pinceray, piqueray,
Ie vous moudray , grugeray, pilleray
Menu, menu , menu comme la chair
en paste ;
Hom ,voyez- vous , j'avon une tar-
Trible taste ,
Queje cachon fous not bonnet.
Ne fripez poan mon Bavolet , &c.
La grande Troupe , qui eſt à
preſent l'unique , a reprefenté
dans ce mois pour Piece nouvelle,
le Solyman de Mr de la Tuilerie,
dont on a fort eſtimé les Vers.
Elle va ſouvent joüer à Verſailles
dans l'Apartement de Monſeigneur
le Dauphin , où elle divertit
ce jeune Prince depuis le
retour de ſa ſanté. Mademoi-
???????????????? K V
226 MERCURE
ſelle de Chammeſlé , qui n'avoit
pointencor eu l'honneur de joüer
devant Madame la Dauphine , y
a paru avec tant d'éclat, que quoy
que cette Princeſſe en euſt entendu
dire beaucoup de bien, elle
en a trouvé encor davantage ,
&eſt demeurée d'accord qu'il n'y
eut jamais une maniere de joüer
plus propre à toucher le coeur.
Madame la Princeſſe de Conty
eſt guerie de ſa Fiévre continuë:
Le Roy avoit marqué beaucoup
de chagrin de famaladie. Iugez
combien cette guériſon a donné
dela joye à Monfieur le Prince
de Conty.
Le Roy a donné laLieutenan
ce Generale des Provinces du
Maine, du Perche , & du Païs de
Laval , àMr le Comte de Teffé ,
Colonel & Brigadier de Dragons,
Elle estoit vacante par la mort de
Monfieur
1
GALANT.
227
Monfieur le Marquis de Beaumanoir
de Lavardin. Apres avoir été
tres - longtemps dans cetre Maiſon
, elle y revient encor aujourd'huy
, Mr le Comte de Teffé eftant
Fils de Magdelaine de Beaumanoir
, Soeur de feu Mr l'Everque
du Mans , Commandeur des
Ordres du Roy, tous deux Petits
Enfansdu Maréchal de Lavardin.
Sa Majeſté qui aime toûjours à
furprendre , ne luy voulut rien
témoigner de ce Préſent , quand
il alla prendre congé d'Elle pour
fe rendre aupres de Madame ſa
Mere, qui eſtoit dangereuſement
malade ; & il ne fut pas fitoſt en
Province , qu'il en eut l'avis. Il
n'eſt Homme en France qui ſoit
plus brave , ny mieux fait que
luy. Auſſi eſt- il eſtimé de tout
le monde. Il a infiniment de l'ef.
prit , &s'eſt acquis beaucoup de
réputa
228 MERCURE
:
réputation dans toutes les occaſions
qu'il a trouvées de paroiſtre.
Vous vous ſouvenez de ce que je
vous en ay dit en vous parlant
du Pont de Rinfeldt . Sa naiſſance
eſt ſi connuë , que je ne pourrois
vous rien dire là-deſſus que
vous ne ſçeuſſiez. Sa Grand-Mere
eſtoit Soeur du Cardinal de Sourdis
; & Mr le Comte de Froulay,
Chevalier des Ordres du Roy ,
Grand Marechal des Logis de la
Maiſon de Sa Majesté , étoit Cadet
de Mr le Comte de Teſſe ſon
Pere. Il a épousé l'Heritiere de la
Maiſon d'Aunay en Normandie ,
& n'a qu'un ſeul Frere , qui eſt
Mr le Chevalier de Teſſe , Major
de ſon Regiment de Dragons ,
& l'un des plus braves & des plus
intrepides Officiers qui ait jamais
embraſſé les armes .
Monfieur de BoquemareGou
verneur
GALANT.
229
verneur de Gravelines , a vendu
ſa Charge de Capitaine aux Gardes
à Monfieur de Vouſy , Frere
de Mr Deſmaretz Intendant des
Finances. Mr de Vouſy eſt tresbien
fait , a l'eſprit aifé & agreable,
& une telle honneſteté dans
ſes manieres, qu'il eſt impoſſible
de le voir ſans l'eſtimer . Son zele
a paru dans ſes ſervices , & ne
laiſſe point douter qu'il ne ſoûtienne
toûjours dignement la
gloire qu'il a d'eſtre Néveu de
Mr Colbert. Il vend ſa charge
d'Ayde- Major dans le Regiment
des Gardes, au ſecond Fils de Mr
de Manevilete , qui a eu l'agrément
du Roy pour l'acheter,
quoy qu'il n'ait pas encor dixhuit
ans .
Je viens à l'Article des Enigmes.
La premiere du Mois paflé
eſtoir le Soulier. Ce Mot a eſté
trouvé
230 MERCURE
trouvé par M. Normant ,Procureur
au Siege Préſidial de Tours;
Le Chevalier Vatan , de la Ruë
Montmartre : B. B. Secretaire des
Belles du Prin- temps, d'Orleans :
Le Solitaire Celeſtin , d'Amiens :
Le Galant Juriſte , de la Ruë du
Platre: Les deux Infeparables,de
la Ruë de la Marche. Mr Bellanger
le jeune , Avocat à Falaize , a
fait là- deſſus ce Madrigal .
M
Ercure apparemmet va
dre nostre mode,
pren-
Ilportoit autrefois des aisles aux
talons;
Mais voyantque l'Hyver changera
nos Valons,
Dansſon Enigme il croit le Soulier
plus commode.
2
Ceux qui l'ont expliquée en
Vers,font Mrs L.Bouchet,ancien
Curé
GALANT.
231
CurédeNogent le Roy:Rault,de
Roüen : Guépin, de Rennes : De
Beaulieu: les quatre Soeurs d'Orleans
: &les Belles du Printemps
du même lieu:Bauge,de Thoüars .
Cette Enigme a eſté expliquée
fur le Bas, le Gand,le Lit , & l'Habit.
Le Mot de la ſeconde Enigme
eſt l'Araignée, lla eſté trouvé par
Mrs Cabut le jeune, de Roüen:&
Tamiriſte , de la Ruë de la Cerifaye.
L'Inconnu de Roüen,l'a expliquée
en Vers par ce Sonnet.
J
Eſtois en mon Printemps
téfansSeconde ;
en beau-
Mon corps le plus charmant qu'eust
jamais vû le jour,
obligeoit les Mortels à me faire la
cour,
Mais maintenant je ſuis la plus
laidedumonde..
Je ne respire rien que le carnage
immonde Ma
232 MERCURE
Ma Maison montre affez que je
n'ay point d'amour';
Tous les Morts entaſſez que l'on
voit à l'entour,
Marquent bien la fureur dont mon
coeur Sale abonde.
دوو
Auſſi penduë au fil qui part de mon
Fuseau,
Comme une Criminelle attachée au
Poteau,
Ie ne vis que duſang dont ma Toille
eft baignée.
6427
D'ArachneSans laplaindre, admire
icy lefort ,
Pallas apres fa mort la change en
Araignée,
Et cette Araignée est Ministre de
: la Mort.
CON
Ceux qui l'ont auſſi expliquée
en Vers , font Meſſieurs Alcidor,
duHavre de Grace : De Tupie
chuomat gny
GALANT.
233
gny de S. François , du meſme
lieu : L'Aimable Solitaire de l'Iſle,
l'Indifferend d'Abbeville : &
Baugé de Thoüars .
La meſme a encor eſté expliquée
ſur Hibou , le Chathuant,
l'oiseau de Proye , le Renard , la
Balle de plomb , le Canon & la
Poudreà Canon.
Ceux qui ont trouvé le vray
ſens des deux, font Mrs Doudon ,
de Tours , Avocat à la Cour : Le
Hot , Avocat au Siege Préſidial
de Caën: Girard,Avocat Le Chevalier
d'Armonville:Grillon,Doteur
en Medecine : De Boiffimon:
Gallas, de la Ruë aux Fers :
De Loſme cy- devant Controlleur
des Muſes de Montaſnel : Les
Gays du Toulon : & la belle
Drillon .
En Vers , Meſſieurs C. L. de
Sturbe , Chanoine de l'Eglife
de
234 MERCURE
deTours : Le Bon Clerc de Châlons
ſur Saône : Le Chevalier
Blondel : L'Heureux Avanturier :
Le Solitaire de la Ruë des Arcis :
La belle Julie : La Bergere des
Rives de Marne,âgée de huit ans :
& Fanchonnete de l'Iſle Noſtre-
Dame.
Je vous envoye, à mon ordinaire,
deux nouvelles Enigmes,dont
vos Amies chercheront le ſens.
La premiere eſt de Monfieur Tavault
, Controlleur des Garniſons
& Morte- payes en Bourgogne
&Breffe.
ENIGME.
Ay de l'eau qui n'est pas bumide
,
Dufeu qui n'a point de chaleur.
Bien que mon corps Soit Sans
couleur,
La
GALANT.
235
La matiere en est bien folide.
Sur les Roses Souvent on me trouve
couché;
Mais par un fort afſſez bizarre,
Ce n'est pas une choſe rare
De me voirſur la Croix fortement
attaché.
Des Dames de la Courje quitte peu
l'oreille,
Et fors tres - rarement des mains des
Courtisans;
Mais par une disgrace à nulle autre
pareille,
On me force à fervir de fimples
Artisans.
AUTRE ENIGME .
E fais honneur,& jefais hõre.
Fay des emplois fort bas, j'en ay de
dignité.
Mon teint est éclatant ; cependant
Sa beauté
A
236 MERCURE
A quelque brillant qu'elle monte ,
Fait peur dans trop de nudité.
Auffibeaucoup trouvent leur copte
A me laiſſfer joüir de ma virginité.
Une étroite Priſon est mon gifte ordinaire
;
Et comme hors de là je n'ay point
de repos,
Souvent je fais oüir de redoutables
mots
A ceux qui m'ont mise en affaire,
Quandj'en rougis mal à propos.
L'Enigme en figure eſtoit un
Navire. Europe qui eſt ſurleTaureau
, en repreſente le Maſt ; fon
Manteau, les Voiles ; la Teſte du
Taureau , la Prouë , ( fur laquelle
les Anciens mettoient la Figure
qui donnoit le nom à leurs Vaifſeaux,
come le Centaure, laChimere
, la Baleine,&c.) la Queue,
la Poupe , ou ſi vous voulez , le
Gou
1
GALAN Τ . 237
7
Gouvernail ; & les Pieds ,les Rames
, car une Galere peut paſſer
icy pour un Navire .Les deux petits
Perſonnages deſeſperez qui
font à terre , font voir la crainte
qu'ils ont du naufrage . Ce Mot a
eſté trouvé par Mr Gardien Secretaire
du Roy , par Mr de Glos
Profeſſeur de Navigation à Honfleur
, par celuy qui ſe cache ſous
le nom du Clocher de S.Severin,
& par Mr Rault de Roüen . Ce
dernier en a donné l'explication
qui fuit.
Vropefur
deMer
lesflots d'une profon-
Ne doit pas craindre le naufrage
;
Jupiter qui l'enleve , & qu'elle a
Sçeu charmer,
D'un Taureau n'a pris que l'image.
De
7
238 MERCURE
627
Les Nymphes qui de loin luy diſent
leurs adieux,
De l'oeil neſuivent cette Belle,
Quepour voir les périls qui s'ofrent
àleursyeux,
Et qui lesfont tremblerpour elle.
62
Mais fi la Fable icy d'un Dieu fait
un Taureau
Pour casherl' Amourqui l'inſpire.
L'Enigme nous fait voir dans le
mesme Tableau
Qu'un Taureau peut estre un
Navire.
Protée eſt la nouvelle Enigme
en figure que je vous propoſe.
Vous ſçavez qu'il avoit le don
de predire l'avenir ; mais qu'-
ayant auſſi le pouvoir de prendre
telles formes qu'il vouloit, il trouvoit
par là le moyen de s'échaper
GALANT. 239
per , & ne donnoit jamais aucune
réponſe , ſi on ne l'y contraignoit
en le liant .
Je ne puis encor fatisfaire vôtre
impatience ſur l'Article des
Modes nouvelles. L'Automne a
eſté ſi beau, qun l'on ne voit encor
que fort peu d'Habits d'Hyver.
Je devrois vous parler auſſi
de quelques Mariages, & des Benéfices
donnez par le Roy ; mais
letemps me preſſe ſi fort , que je
ſuis obligé de remettre ces Articles
juſques au premier Mois.
Adieu,Madame, je ſuis vôtre &c.
A Paris ce 31. Octobre 1680.
-
LYON
EXTRAIT
1
EXTRAIT DV PRIVILEGE
du Roy.
P
Ar Grace & Privilege du Roy , donné à
Saint Germain en Laye le 31. Decembre
1677. Signé Par le Roy en ſon Conſeil, Jun-
QUIERES. Il eſt permis à J.D. Ecuyer, Sieur de
Vizé, de faire imprimer par Mois un Livre intitulé
MERCURE GALANT , preſenté à
Monſeigneur LE DAUPHIN , & tout ce qui
concerne ledit Mercure , pendant le temps &
eſpace de fix années , à compter du jour que
chacun deſd. Volumes ſera achevé d'imprimer
pour la premiere fois : Comme auſſi defenfes
font faites à tous Libraires , Imprimeurs, Graveurs&
autres , d'imprimer , graver & debiter
leditLivre ſans leconſentement de l'Expoſant,
nyd'en extraire aucune Piece , ny Planches
ſervantà l'ornement dudit livre , meſme d'en
vendre ſeparément , & de donner à lire ledit
Livre , le tout à peine de fix mille livres d'amende
, & confiſcation des Exemplaires contrefaits
, ainſi que plus au long il eſt porté auditPrivilege.
Regiſtré ſur le Livrede la Communauté le
Janvier 1678. Signé E. COUTEROT . Syndic.
Et ledit Sieur D. Ecuyer , Sieur de Vizé a
cedé& tranſporté ſon droit de Privilege à
Thomas Amaulry Libraire de Lyon , pour
en joüir ſuivant l'accord fait entr'eux.
Achevé d'imprimer pour la premiere fois le
31. Octobre 1680,
R.P. Claudius Franciſcus Meneſtrier Societatis
JESU Bibliothecam Collegii
Lugdunenfis SS. Trinitatis pio hoc
munere locupletavit.
807156 T
MERCURE
GALANT
DEDIE' A MONSEIGNEUR
_LE DAUPHIM
Colle.g LLuuggdd.. 11.Trinh
OCTOBRE 1680 .
fociat. Yesu Cal. Inte
A LYON ,
Chez THOMAS AMAULRY,
Ruë Merciere .
M.DC. LXXX.
AVEC PRIVILEGE DU ROY.
LE LIBRAIRE
AU LECTEUR.
J
E vous envoye , cher Le-
Eteur, le RemedeAnglois,
queMonfieur de Blegny a
trouvé , vous en connoifſez
la valeur. C'eſt cette
Année que je vous fourniray de toutes
fortes de grands Almanachs deParis tant
enluminez qu'autrement, ainſi envoyez
debonne heure pour en avoir: ils ſe diſtribuerontdans
la meſme Boutique que
le Mercure , & en ferez aſſortis de tous
les plus beaux ſans en excepter aucun. Je
les recevray aſſurément des premiers à
un prix tres-raiſonnable dont chacun
fera contant. Comme je les ay en échange
contre d'autre marchandise , cela fait
que j'en peux mieux accommoder ceux
qui les acheptent à l'argent.
Je continueray à diſtribuer les Journaux
des Sçavans, mais il faut que ceux
qui les voudront, aſſurent de les prendre
toute l'année en payant d'avance , alla
ij
Le Libraire au Lecteur.
trement l'on n'en vendra point ; ainſy
ceux qui les prennent des Libraires de
Province àqui je les envoye , payeront
leſdits Libraires de leurs villes
d'avance ; & les Marchands des Provinces
m'affureront d'en prendre le nombre
qu'ils voudront ſans pouvoir diminuer;
c'eſt à quoy ils doivent prendre garde,
car autrement l'on n'en donnera point ,
&on les vendratoûjours 6.ſols le cahier.
On continuera auſſi à diſtribuer les
Nouvelles de Medecine de Monfieur de
Blegny pour fix fols le Cahier. Tous les
Mercures tant vieux que nouveaux, ſe
vendront toûjours ſans en rien rabattre,
ſçavoir ceux de 1677. pour 12. ſols le
Tome. Ceux de 1678.1679 . & 1680 .
pour 20. fols auſſi le Tome ; & les Extraordinaires
30. ſols chaque volume .
L'on s'eſt trompé dans les prix du Mercure
de Septembre , on a mis la Vie des
Saints deMonfieur Dandilly 30. fols,
c'eſt 40. que l'on la vend.
Les Livres cy-deſſous ſe vendront ſeparément
des Mercures ; ſçavoir ;
Le Mariage de Monſeigneur le Dauphin
pour 10. fols.
Le Mariage de la Reyne d'Eſpagne
pour 20. fols.
Le Libraire au Lecteur.
Le Mariage de Monſeigneur le Prince
de Conty pour 15. fols.
Le Voyage du Roy fait en Flandre
en 1680. pour 20. fols.
La Devinereſſe ou les faux Enchantemens
avec les figures 35. ſols, & fans
figures 2.5 .
LIVRES NOUVEAU X
du Mois d'Octobre.
de Pieté , ou les Conduites de la
Pratiques Vie Spirituelle ſuivant les maximes de
l'Evangile, divisées en divers Entretiens , qui
peuvent fervir de ſujet de lecture Spirituelle
&de Meditations, pour tous les jours de l'année
par le R. P. B. le Maiſtre , indouze deux
volumes trente ſols . Par modeſtie l'Autheur
n'a pas voulu eftre nommé en tous les Ouvrages
qu'il a fait imprimer durant ſa vie , que
vous avez vûs ſous le nom de Pratique de
Pieté, ou les veritables Devotions , indouze,
& deux autres volumes , Pratique de Pieté,
ou les entretiens pour tous les jours de l'année,
ainſi ce font cinq volumes indouze, & la
vie Chreftienne in 24.& les Devoirs du Chreſtien
auffi in 24, le tout eſt de ce ſçavant &
pieux Homme , que nôtre Seigneur a bien
voulu retirer de ce monde, où ſes ouvrages feront
connoiſtre à ceux qui les liront la perte
que tous les Gens de bien ont fait à la mort
de ce grand Homme ; ce ne font pas de cer
aij
Le Librairean Lecteur.
Ouvrages de devotion que l'on imprime journellement
, ce ſont Livres plein d'erudition,
où vous en trouverez tres-peu qui écrivent
avec un ſtile ſi aisé , où la devotion y eſt enſeignée
à fond. Je les vend à un prix tres-modique
ſuivant la volonté que l'Autheur avoit
durant la vie ; j'ay veu deux Editions de ſes
premiers Ouvrages depuis deux années ſans
eſtreconnu , ainſi à preſent qu'on les connoîtra,
ce ſeraun livre qui ſe vendra comme la Vie
Devote.
Panegyrique du Roy, par Monſeigneur l'Eveſque
d'Amiens, in quarto, 4. livres.
Les Memoires Galands, 12.
La Découverte de l'admirable Remede Anglois
pour la gueriſon des fievres ,par le moyen
de laquelle chacun pourra ſe procurer la facilité
de guerir à tres-peu defrais; par Monfieur
deBlegny Autheur des Nouvelles Découvertes,
indouze, en Papier marbré 10. fols .
Hiſtoiredu Lutheraniſme , indouze, 2. vol .
du Pere Mainbour.
Ordo Ciftercienfis pro anno 1681 .
Revolution de l'Eftat Populaire en Monarchie
par le different de Cefar & de Pompée,
parMonfieurde Martignac, 20. ſols.
CATA
CATALOGUE DES PIECES
qui compoſent l'Onziéme Extraordinaire
du Mercure Galant, donné
au Public le 15. Octobre 1680 .
IL CONTIENT
Eux traitez ſur l'Origine de la
nce .
Une Piece en Vers ſur la Queſtion,
Si un Amant qui a leplaisir de voirfouventsa
Maistreſſe , dont il se connoist
hay, est moins à plaindre que celuy qui
estant éloignésans esperance de la voir
jamais ,a la certitude d'en estre aimé
tendrement.
Une Piece en Vers ſur la Queſtion,
S'il eſt poſſible d'aimer tendrement,sans
qu'on soit aimé.
Une Piece en Vers ſur la Queſtion,
Si l'absence est incapable d'augmente
L'amour.
Une Piece en Proſe ſur la Queſtion,
Lequeldes cing Sens contribue le plus à
lasatisfaction de l'Homme.
Une Lettreen Proſe ,&en Vers, du
Berger Fleurifte.
iiij
La Conclufion de l'Hiſtoire amoureuſe
des Fleurs.
CinqPieces enProſe ſur la Queſtion,
Quel est le plus grand chagrin qu'une
Maîtresse puiſſe donner à son Amant;
uneen Profe , & en Vers , & un Dialoque
en Versfur le meſmeſujet.
Cinq Piecesen Profe,& une en Profe&
en Vers ſur la Queſtion , Si lefouvenir
du plaiſir dont on ne jožit plus,
cauſe du plaisir, ou de la peine.
Cinq Pieces en Profe , & une en
Proſe& en Vers fur la Queſtion, Lequel
touche plus aisément une Belle , ou celuy
qui se declarant d'abord , employe les
termes plus paſſionnez à luy declarerSon
amour ; on celuy qui en luy rendant
beaucoup d'affiduitez , laiſſe agir fes
foinsfansfe declarer.
Cinq Pieces en Proſe ,une en Profe
& en Vers, & une en Vers ſur la Que-
Ition, Si un Amant maltraité de la Per-
Sonne qu'il aime ,peut sans l'offencer,
Souhaiter lamort.
Un Traité de la nature des Eſprits
Folets.
L'agreable Débauche, en Vers.
Deux Traitez fur la Queſtion, S'il eft
nuisible
nuisible de boire à laGlace, &fi l'on en
pent recevoir quelque incommodité dans
le temps, ouplus tard, ou point du tout.
Une Piece galante en Vers intitulée,
Le Cafuite en matiere d' Eau .
Le Voyage de Munic, en Vers .
Deux Veues gravées, de deux Places
publiques de Madrid.
Un Traité de l'Origine de l'Harmonie.
Pluſieurs Explications en Vers de
l'Histoire Enigmatique du dernier Extraordinaire
.
Pluſieurs Sonnets & Madrigaux.
Pluſieurs Madrigaux ſur les fix Enigmes
des trois derniers Mois .
Les Noms de ceux qui ont trouvé
le vray ſens des deux Enigmes du dernier
Mois.
Explication de la derniere Lettre en
Chifre.
Pluſieurs Queſtions proposées à decider.
TABLE
TABLE DES MATIERES
contenues dans ce Volume.
A
Vant-propes. 2 I
Ouvrages commencez par l'ordre du Roy, 6
Le Perroquet , Fable ,
Regal donné à Chastillon ſur Seine ,
13
21
Lettre de Mademoiselle de Scudery .
27
La Temerité punie. 37
Mort de M. le Marquis de Hautefort,
43
Mort deMonfieur de Prélabbé , 44
L'Apparition , Histoire , ibid.
Le Diable de Marseille , Conte ,
65
Avantage remportéSur Mer par M.le Chevalier
de Lhery 71
Theses fur les Fables , 81
Lettre en Profe & en Vers à Madame....
85
Mort de M. le Duc de Ventadour Chanoine de
Notre-Dame ,
97
Mort de M. Riquet, 100
Eveſché de Tulle donné àM.l'Abbé Ancelin, ib.
Proces galant, 107
Declaration d'Amour en Vers , ibid.
Silence expliqué , 108
Mariage de M. Tullon avec Mademoiselle de
Beaumanoir de Lavardin ,
109
Sonnet en Echo
117
Quatrain & Fragment d'une Lettre deM. l'Abbé
de Sainte Croix - Charpy , Sur le difficulté
des Panégyriques , 119
Galanterie ,
121
Magnificencesfaites à la Reception d'un Medecin
de
de Montpellier,
L' Amante Commode ,
132
144
Abbaye de Sainte Croix de Poitiers donnée à une
des Filles de M. le Duc de Navailles , 148
Abbaye de S. Nicolas de Mizeray donnée àM.
l'Abbé de Mosny , Grand Doyen de Nôtre-
Dame , ibid.
Harangue faite à M. Colbert par M. Hebert,
de l'Académie de Soifſſons , ISO
Le Faux Enlevement, Hiſtoire , ISS
Mariage de M. de Novion , & de Mademoiselle
Berthelot , 174
Mariage de M. de Chasteauneuf Conſeiller au
Parlement , 178
Remede Anglois . Pluſieurs guérisons causéespar
ce Remede. Nouvelles de S. Germain . Le tout
dans l' Article qui commence page 180
Entrée de M. Gombaut Envoyé Extraordinaire
du Roy à la Cour de M. le Landgrave de Heffe-
Caffel , 194
Mort deMadame la Ducheſſe d'Elbeuf ,
Mort de Madamela Comteſſe de Parabere ,
207
210
Mort de M. le Comte de Mepieu , 213
Mort deMadame le Roux ,
Leitre galante en Profe & en Vers ,
LaPhilosophie des Gens de Cour.
La Nobleffe dans les Tribunaux,
Tragedie nouvelle ,
Gueriſon de Madame la Princeſſe de Conty, 226
214
215
221
223
225
Lieutenance Generale des Provinces du Maine ,
du Perche, & de Laval, donnée à M.le ComtedeTeſsé,
227
Agrément donné de la Charge de Capitaine aux
Gardes de M. de Bequemare , à M. de Vousy
Frere
Frere de Monsieur Desmaretz , 228
Noms de ceux qui ont expliqué la premiere Enigme
du dernier Mois , 229
Noms de ceux qui ont expliqué la ſeconde , 230
Noms de ceux qui ont trouvé le vray ſens des
deux ,
232
Enigme, 234
Autre Enigme , 235
Noms de ceux qui ont trouvé le Mot de l'Enigme
enfigure , 236
Fin de la Table.
L
Avis pour placer les Figures.
115
AMédaille qui repreſente M. le Chancelier,
doit regarder la page
L'Air qui commence par Confolez - vous,
chers Enfansde Bacchus , doit regarder la page
132
La Veuve de l'Etang du Buen Retiro , doit
regarder la page 179 .
L'Air qui commence par Nefripez poan mon
Bavolet, doit regarder la page 224.
L'Enigme en figure , doit regarder la page
236
MERCU
I
MERCURE
ORGALLANT QUE
OCTOBRE 1680.
A
LYOU &
VOüez , Madame,
que la Seconde
Partie de ma
Lettre du dernier
Mois,n'étant compoſée
que du ſeul Voyage que Sa
Majesté a fait en Flandre , vous
vous eſtiez attendue à la voir
remplie de Feſtes , & de Divertiſſemens,
proportionnez au zele
des Peuples qui ont eu l'honneur
de la recevoir. En effet, s'il
Octobre 1680 . A
2 MERCURE
n'eſt preſque point de Particuliers
, à qui de pareilles promenades
ne faffent de jour en jour
goûter de nouveaux plaiſirs,combien
s'en doit- on imaginer pour
un Souverain à qui rien ne manque
, & qui marchant accompagné
d'une nombreuſe Cour , ne
trouve en tous lieux que des Su
jets empreſſez à luy marquer
par toute forte d'aprêts l'exceffive
joyeque leur cauſe ſa préſence
? Cependant quelques Villes
que le Roy ait viſitées , il a refuſé
par tout la pompe des Receptions
qu'on luy preparoit ; &
s'il a ſouffert dans quelques-unes
le divertiſſement des Feux d'ari
fice , il l'a bien moins fait pour
fa fatisfaction particuliere , que
dans la veuë de gratifier ſes nouveaux
Sujets . Tout fon temps
s'eſt employé en fatigues . Je ne
les
GALANT.
3
les répete point. Vous en avez
veu le détail dans celuy de fon
Voyage. On ne ſçauroit pourtant
dire que ce Prince n'y ait
point eu de plaifir, puis qu'il s'en
faiſoit detoutes fes peines.Quelle
joye n'avoit - il point de voir
des Places en ſi bon état , des
Fortificatiõs ſorties de terre prefque
auſſitoſt apres ſes ordres donnez
, &enfin des Troupes ſi leſtes
, que la deſcription de quelques
Reveuës vous a deû paroiſtre
un enchantement ? Vous en
auriez eu bien plus de ſurpriſe ,
ſi depuis quatre ans que je vous.
écris , les differentes peintures
queje vous ay faites des plus remarquables
de ſes Actions , ne
vous avoient fait conno ſtre que
fon Regne eſt le Regne des miracles
. Si vous les voulez voir
toutes ramaſſées enſemble, vous
A ij
4
MERCURE
n'avez qu'à lire le Panegyrique
qu'a fait Mr l'Evêque d'Amiens,
ſous le titre de LOUIS LE
GRAND. Vous ſçavez , ainſi
que toute la France avec quelle
politefſſe ce Prélat écrit. L'éloquence
luy a toûjours eſté naturelle
; & comme dans un Ouvrage
de cette nature , la mátiere
fournit tout ce qu'on peut
defirer , vous devez eſtre perſuadée
qu'il n'y manque rien de
ce qui estoit capable de le faire
reüſſir. Il commence par les avantages
de l'auguſte Sang dont Sa
• Majesté eſt deſcenduë . Il entre
de là dans beaucoup de particularitez
de ſa naiſſance , de fon
enfance , & de ſon éducation .
Dans l'endroit qui regarde la
Religion & l'Egliſe , il fait voir
que ce Monarque eſt veritablement
Roy Tres - Chreftien , &
que
GALAN T.
5
que dans ſa Majorité ſa prudence
a devancé ſes années. Enfuite,
il fait remarquer fon humilité
dans ſon Sacre , décrit ſon application
aux Affaires , parle de la
reformation des Finances, de celle
de la Juſtice , & de l'établifſement
du Commerce ; & tombant
ſur ce qu'il a fait pendant la
Guerre, il nous peint le tout d'une
maniere ſi vive , que cette
peinture vaut elle ſeule la plus
belle Hiſtoire. Il fait connoiſtre
avec combien de juſtice il s'eſt
acquis l'autorité qu'on luy a veu
prendre de regler la Paix ; &
apres avoir montré que rien ne
l'engageoit à la ſouhaiter , que
ſon ſeul amour pour le bien public
, il finit par le portrait d'une
moderation qui n'a point d'exemple.
Quel plaifir pour vous, Madame
, ſi ce que je vous dis du
A iij
6 MERCURE
Roy dans toutes mes Lettres ,
eſtoit ſoûtenu des nobles exprefſions
qui relevent le Panegyrique
dont je vous parle ! Vous
eſtes trop juſte pour les attendre
de moy , qui n'ay jamais que le
temps de vous écrire les chofes ,
fans avoir celuy de les polir. Ce
qui me conſole , c'eſt que celles
dont ce Grand Prince me donne
lieu de parler , font ſi éclatantes
par elles-mefines , qu'il eſt impoffible
qu'elles ne vous plaiſent
toûjours , quoy que dénnées de
tout ornement .
Vous avez veu dans la Relation
du Voyage , les ordres qu'a
donnez Sa Majesté , pour faire
-mettre le Port de Dunkerque en
bon état. Quoy que les Travaux
qu'Elle y fait faire coûtent des
-ſommes immenfes,le defir qu'Elle
a d'augmenter la Navigation
&
GALANT .
& le Commerce de ſon Royaume
, l'a fait réfoudre à en faire
perfectionner , & commencer
mefme pluſieurs autres . C'eſt
pour cela qu'on travaille à Breſt ,
à Toulon , & dans les Places les
plus importantes.On fait un Port
àVendry dans le Rouffillon pres
de Colioure ,& un autre àAntibe.
Ils doiventtous deux fert
vir deretraite aux Galeres & aux
Vaiffeaux, en cas de beſoin . Celuy
d'Ambletenſe vouseft con
nu. Je vous appris que le Roy
d'avoit vilité à ſon départ de Bologne
, je vous marquay que la
fituationeluyen avoit paru fi
avantageuſe , tant par ſon voiſinage
du Pas deCalais ,& de l'An
gleterre ,&de la fameuſe Rade
de S. Jean que par la bontéde
l'air & desteaux, & par la ferti
lité du Terroir, qu'il fit des Pro
A iiij
8 MERCURE
jets pour divers Ouvrages , qui
le doivent rendre auffi commode
que ſeûr. Depuis fon retour, les
premieres dépenses ont eſté reglées.
On les doit faire pour fonder
le fond qui eſt dans la Mer
fous les fables ( l'execution du
deſſein ſeroit impoſſible fi cefond
eſtoit de roche ) & pour affembler
une partie des Matereaux
neceſſaires , qui ſe trouveront
preſquetous aux environs d'Ambleteufe.
Tous ces Travaux s'el
xecutent ſur les deſſeins & fous
la direction de Mr de Combe , à
qui le Roy pendant ſon Voyage,
a témoigné en plufieurs rencon
tres la fatisfaction qu'il avoit de
ſes ſervices , & l'eſtime qu'il faifoit
de ſon extraordinaire capacité
pour les Ouvrages de Mer.
On peut dire que c'eſt une ſcience
hereditaire à ceux de cette
Famille.
GALAN T.
و
Famille. Mr de Combe ſon Pere
en poſſedoit les plus hautes connoiſſances
. Il avoit meſme commandé
quelques Vaiſſeaux , &
eſtoit connu du fameux Ruiter ,
qui pour luy donner des marques
de ſa bienveillance , demanda
ſon Fils aîné pour l'avoir aupres
de luy. Il en eut beaucoup de
foin , & l'inſtruiſit luy - meſme
dans la Navigation , & dans les
affaires de la Marine. Ce Fils s'y
rendit bientoſt parfait. Il étudia
en meſme temps les Matematiques
& les Fortifications , qu'il
apprit à fond. Si - toſt qu'il fut revenu
en France , Monfieur de
Vivonne le fit Enſeigne de Galere,
&un peu apres Lieutenant
delaReale. Enſuite Mr de Beau-
-fort le fit Capitaine de Vaiſſeau
dans l'Admiral ; & fa reputation
s'augmentant de jour en jour,Mr.
A V
10 MERCURE
de Louvois , qui le connut pour
auffiſcavant Ingenieur qu'il étoit
habile Homme de Mer, luy commit
le ſoin des Fortifications de
Dunkerque. Pendant le ſejour
qu'il fit dans la Place, ayant remarqué
que le Port ſe ruinoit
tous les jours , il chercha les moyens
de le rétablir , & en confera
avec Monfieur Gravier qui y
eſtoit Intendant de la Marine , &
quin'avoit pas moins de capacité
que de zele pour le ſervice da
Roy. Monfieur de Combe en fit
des projets & des Plans , qu'il
expliqua par des memoires tresbien
circonstanciez ; & dans le
premier Voyage que Sa Majesté
fit à Dunkerque pour en viſiter
les Fortifications , & faire applanir
des Dunes , Elle luy fit l'honneur
de l'entretenir fur ce ſujet ,
& trouva ſes deſſeins tres -
heureuſe
GALANT. JI
10
reuſement conceus ; mais lors
que ſe reſolvant à les faire executer,
Elle luy en deſtinoit la direction
, la Guerre de 1667, furvint
, & fut ſuivie de celle que
l'on declara aux Hollandois . Mr
de Combe eut dans l'une & l'autre,
des Emplois auſſi honorables
qu'importans ; & enfin eftant
tombé malade apres avoir fait
fortifier Salins , il mourut en peu
de jours . On n'eut pas fi - toft
conclu la Paix , qu'on remir fur
le Tapis le deſſein de rétablir le
Port de Dunkerque. On jetta
les yeux fur le CCaaddeetr ddeeMonſieur
de Combe , qui n'estoit
qu'Enſeigne de Vaiffeau , & qui
avoit à peu pres les connoiffances
itlsegenic , &la capacite de
fon Eteres principalement pour
les Ouvrages de Mer.. Il l'a fair
C
connoiftre en beaucoup d'occafions
12 MERCURE
fions, & fur tout dans ce qui s'eſt
fait pour le rétabliſſement de ce
Port,dont on luy a donné la conduite
. Il a encor un Frere , qui
ſelon les apparences,ne manquera
pas de profiter de ſes leçons ,&
de ſoûtenir glorieuſement la réputation
de ſes deux Ainez .
Vous avez perdu beaucoup au
peude ſanté qu'a eu depuis quelque
temps Mr Broſſard de Montaney
, Confeiller au Prefidial de
Bourg en Breffe. Il n'eſtoit pas en
état de continuer les galans Ouvrages
que je vous ay envoyez
de luy dans pluſieurs de mes Lettres
, & dont la Fable que vous
allez voir eſt une agreable ſuite.
Vous en trouverez la morale
merveilleuſe , pour ceux qui ont
l'imprudence de ſacrifier ce qui
eſt certain,aux apparences trompeuſes
d'une fortune qui les
ébloüir. LE
GALANT. 13
ANAA AAAA
LE
LE PERROQUET .
FABLE.
UNe Vicereyne Espagnole
Faisoit tout fon plaisir d'inſtruire
un Perroquet.
Les Femmes d'ordinaire ont aſſez
de caquet ;
Ainsi pour tels Oyseaux c'est une
bonneEcole.
Le Perroquet en profitafi bien
Qu'en peu de jours ce fut une
merveille;
Jamais au Païs Indien
Il ne fut bruit d'une chose pareille.
La Dame l'aimoit fort , l'appelloit
fon mignon ,
Lu
14
MERCURE
Luy donnant deſa main Dragée&
Macaron.
De menus fils d'argent paſſez dans
de l'Ebene ,
Elle avoit fait ajustersaMaison.
Enfin l'aimable Vicereyne ,
Pour ses propres Enfans faisoit
moins de façon.
Cependant tant de ſoin , de tendreſſe,
& de peine ,
Ne pûrent l'obliger à chérirſa pri-
Son το
Il devint inquiet , & le petit Volige
,
Ennuyé de ſe voir en cage ,
De grandeur & d'éclat s'enteſta
Sans raison ,
Et crût que s'ilpouvoit, estant hors
d'esclavage , tod
Faire aux jeunes Oyfcaux entendre
ſon langage , :
Ildétrofneroit l'Aigle, &fans difficulté
Parvien
GALANT.
15
6
Parviendroit à la Royauté.
Plein de cette pensée &ridicule &
vaine,
Ilfitfi bien qu'un jour ilſeſauva.
De dire le chagrin qu'en eut la
Vicereyne ,
Etcomment la chose arrivas
C'est un détail inutile à l'histoire.
On en croira ce qu'on en voudra
croire ,
Venons au Fait . L'Oyſeau mal
Engourdy , ne volant qu'à peine,
avisé
Pour le longtemps qu'il s'estoit reposé,
Entra tout éſouflé dans la Forest
prochaine. :
C'estoit le rendez - vous de mille Oy-
Seaux divers.
L'empreffé Fugitif ayant repris
haleine,
Alla d'abordse fourer au travers.
Ilfiffla, gazoüilla, les Oyſeaux l'écouterent
Les
16 MERCURE
Les plus habiles l'admirerent ;
Mais dés qu'ily meslaſon langage
Eſpagnol ,
Les Ecoutans prirent leurvol ,
Et tous ſaiſis d'effroy fur le champ
le quitterent.
Le Perroquetfurpris d'unſiprompt
changement ,
Trouva l'avanture cruelle.
Ces Oyſeaux ont peu de cervelle
,
Ils n'ont pas le gouſt bon, dit- il,
apparemment.
D'où leur viendroit ce bizarre
caprice ?
Pourquoy s'enfuir fi bruſquement?
Je parle juſte , & ne fuis pas novice.
La Faim interrompit ce beau rai-
Sonnement ;
Au lieu qu'il trouvoit reglément
Matin & foir du ſucre dans ſa
Cage ,
GALANT. 17
Il fallut ſe nourrir de quelque fruit
Sauvage ;
Lerepas fut leger. Pour furcroift de
: malheur ,
La nuitſarvient avec la pluye.
En tremblotant ,le Malheureux
s'eſſure ,
Il n'ofe remuer , les Hiboux luy
fontpeur.
Enfin le jour paroist , & termine
Lorage.
Le Perroquetpourſe ſecher ,
Vole au bord de la Mer,flaté de
l'avantage
De pouvoir en repos éplucher Son
:
plumage
Sur une pointe de Rocher.
Un Oyſeau vivant de carnage ,
L'ayant veu par hazard lors qu'il
planoit dans l'air ,
Fondit fur luy comme un éclair.
Dans ce preffant danger il s'arma
de courage ,
Des
18 MERCURE
Des ongles & du bec il fit tant qu'à
la fin ,
Froiffé , plume ,fanglant , un aile
déchirée ,
Tout prest à fervir de curée ,
Ilse gliſſa dans un Buiffon voi-
Sin.
Des Marchands.Africains qu'un
violent orage.
Avoit pouffezfur ce rivage,
Se promenant le foir, virent le
Malheureux ,
Qui nepouvant voler , &preffe de
famine ,
Cherchoit te tong de la Marine
Quelque mangeaille au travers
des Glayeux cau ng
Un Esclave le prit , l'attacha par
la pate ,
Puis leporta dans le Vaiſſeau ,
Où sa pâture délicatemi
Fut du Biscuit trempé dans l'eau.
Ilgémit,foûpira, détesta fa folie ;
Une
GALAN T. 19
Une noire mélancolie
A deux doigts de la mort le reduiſit
cent fois.
On s'accoutume à tout ; enfin an
bout d'un mois ,
L'habitude , le temps , la longueur
du voyage ,
Ayant un peu diffipéſon chagrin,
Il repritdoucement ſa voix &fon
langage.
Ce fut du bas Breton pour l'Esclave
Africain,
Qui l'écoutant fans pouvoir le
comprendre ,
Se plaiſoit pourtant à l'entendre,
Dans le deſſein d'en faire don
Al'affreuſe Moitié d'un Négrefon
Patron .
Il le fit. Quelle chute ! Vne Femme
effroyable ,
Camarde à faire peur , & noire
comme un Diable ,
Quijargonnant toûjours , de fon
bruyant caquet Etour
20 MERCURE
Etourdiſſoit le Perroquet ,
Pour l'obliger à changer de ramage.
En vain il écoutoit , & faisoit de
font mieux ,
Pourplaire au Magot odieux.
Sa langue accoûtumée à ce charmant
langage
Qu'ilparloit depuisfonjeune âge,
Ne pût jamais apprendre un barbare
jargon
Enfin laMeduse Africaine
Ayantprisl'Animalenhaine,
A ses camards d'Enfans le mit à
l'abandon
Cefut de tousses maux le plus in-
Supportable.
Il s'estoit veu dans un Palais
Chéry d'une Maiſtreſſe aimable,
Etſe voyoit alors le joüet déplorable
Et des Enfans & des Valets.
Ceſouvenir cruel , cette idée affligeante,
L'ac
GALAN T. 21
L'accabla de tant de chagrins ,
Que contraint de cederàſa douleur
preſſante ,
Le pauvre Malheureux mourutentre
les mains
De cette engeance de Lutins.
Telfut le châtiment de cet Oyſeau
volage ,
Qui de fon Destin mal content ,
Sous le frivole espoir d'un plus
grand avantage ,
Quita le feur pour l'apparent.
Quiconque l'imite est peu fage.
Ne riſquons rien mal à propos ,
Contre un coeur inquiet la Fortune
s'irrite ;
Quand nous la pouſſons trop ,Souvent
elle nous quite ;
On doit , quand on est bien, demeuver
en repos.
La Galanterie regne par tout ,
& elle n'eſt pas moins en uſage
dans
22 MERCURE
dans les Provinces , que dans la
Capitale du Royaume. Il ſuffit
pour la faire agreablement éelater
en quelque lieu, qu'il ſoit plein
de Gens d'eſprit qui aiment la
joye , que les Dames y foient
bien faites , & que les Hommes
y cherchant à plaire , joignent
à beaucoup de complaifance
, ces manieres de vivre aiſées,
que la connoiſſance du monde
fait acquerir. C'eſt ce qui ſe
trouve depuis fort long - temps
dans une petite Ville de Bourgogne
nommée Chaſtillon ſur Seine.
Mr Soyrot , qui eſt un des
plus confiderables de ceux qui
l'habitent , a une fort belle Maifon
de plaiſance,quin'en eſt éloignée
que de cent pas. Elle eſt au
milieu de la Prairie. Ce ne ſont
de tous coſtez que des chutes
d'eau qui l'environnent.Elle a un
fort
GALANT.
23
fort grand Jardin, coupé d'un
tres beau Canal, remply de toutes
fortes de Poiffons. Il y en a
quatité de monstrueux. Les Terraſſes,
au milieu deſquelles eſt bâtie
cette Maiſon , ſont fortgrandes,
& ont de hauteur quinze ou
ſeize pieds.Les Parterres ſontplacezdans
ces Terraffes. Le Canal
dont je vous viens de parler, coupeen
parties égales huirquarrez,
dont toutes les Platebandes font
d'Arbrifleaux , & de Fleurs fort
rares. En ſuite eſt un jeune Bois
de Charmes , planté par compartimens
. La Riviere qui le
borde auffi -bien que tout le reſte
, a plus de trois cens pas de
longueur , & plus de vingt- cinq
de large dans toute cette étenduë.
Elle eſt profonde de plus de
quinze pieds , & fes bords ſem
blent avoir eſté taillez au niveau
24
MERCURE
veau , tant elle eſt droite. Trois
petits Bateaux ou Gondoles ,
couverts de Toiles peintes , &
environnez de Flames & de Giroüetes
, ſervent tous les jours
pour le divertiſſement des Dames.
Je ne vous parleray point
des Statuës qui ſont ſur le bord
de cette Riviere , de plus de
trente Buſtes rares & antiques,
de la beauté de deux Balcons
l'un ſur l'autre, dont le plus éle
vé eſt couvert de plomb; d'une
infinité de Pots &Quaiffes d'O.
rangers,Jaſmins & autres Fleurs;
d'un tres - agreable Sallon de
Peintures,uy enfin d'une Chambre
ornée de mille curiofitez &
dans un arrangement admirable.
Je vous diray feulement que c'eſt
la promenade ordinaire de tout
ce qu'il y a de beau monde à
Chaftillon , & aux environs ,
qu'il
GALANT.
25
qu'il n'y paſſe point d'Etrangers
qu'elle n'attire , & que Monfieur
Soyrot ayant voulu depuis peu
de temps donner une Feſte aux
Dames, choiſit ce beau lieu pour
les régaler. Le Repas ſe fit ſans
confufion , quoy qu'il euſt invité
cinquante Perſonnes . Les Tables
furent dreſſées dans le Sallon de
Peintures , mais d'une façon extraordinaire,
c'eſt à dire, qu'elles
furent rangées du coſté des Tableaux
, & qu'on n'y laiſſa que
l'eſpace neceſſaire pour chacun
des Conviez. Ainſi elles furent
fervies par le milieu en ambigu,
avec une propreté ſurprenante.
Les Pyramides de Fruits toutes
couvertes de Fleurs , faisoient un
effet charmant. Le Bufet quiavoit
eſte conſtruit de verdure
dans le dehors , eſtoit tout plein
de lumieres , aufſſibien que le Sal-
Octobre 1680. B
1
26
MERCURE
lon. Les Violons & les Hautbois
ſe firent entendre pendant le
Soupé, les derniers ſur la Terrafſe
, & les autres dans un des Balcons
. Au fortir de table , on commença
a dancer , & une heure
apres tout le Jardin ſe trouva illuminé.
La meſme choſe ſur le bord
de la Riviere . A l'endroit où finiſſoit
la Terraſſe,eſtoitun Theatre
, ſur lequel on voyoit un Piedeſtal
haut de quatre pieds, avec
une Pyramide de dix autres pieds
fur ce Piedestal , & tout au haut
un Soleil ſur une Lanterne qui
eſtoit auſſi de quatre pieds . Tout
eſtoit garny de Feu d'Artifice ſur
cette hauteur. Quantité de Vers
galans & de Deviſes , ornoient
cette Pyramide & le Piedeſtal .
On avoit peint grand nombre
d'Emblèmes autour de la friſe du
Theatre. Quatre petites Pieces
६० de
GALAN Τ.
27
de Canon que l'on entendit , firent
connoiſtre qu'on alloit tirer
le Feu . Six Tambours , avec les
Fifres , Hautbois & Trompetes ,
répondirent à ce bruit, & en même
temps ce fut un éclat prodigieux
de plusde quinze cens Petars
, Sauciffons , Serpenteaux ,
Grenades , Lances à feu & Fuſées
volantes , qui firent un effet
d'autant plus beau , que la nuit
ſembloit avoir une obſcurité extraordinaire
. Il y avoit plus de
quatre mille Perſonnes dans le
Jardin , & beaucoup plus au delà
de la Riviere . Apres ce Spectacle
, on recommença la Dance ,
& la Feſte ne finit qu'avec le
jour.
Les Loüanges que vous donnez
aux Entretiensde Mademoifelle
de Scudery , ſont ſi juſtes,
que vous n'avez point de ſenti-
Bij
28 MERCURE
mens là - deſſus , que toute la
France ne partage. Il y a longtemps
que ſes Ouvrages en font
l'admiration ; & comme il ne part
rien de ſa plume qui ne merite
d'eſtre conſervé , je croirois vous
priver d'un fort grand plaifir, ſi je
luprimois une de ſes Lettres qui
m'eſt tombée depuis peu entre les
mains. Si elle n'eſt pas tout à fait
nouvelle , elle doit l'eſtre pour
vous qui n'avez jamais entendu
parler de l'occaſion qu'elle a euë
d'écrire.Un excellent Peintre luy
avoit fait preſent d'un Tableau ,
où eſtoit repreſenté le Retour de
Tobie , emmenant avec luy fa
Femme Sarra , ſous la conduite
de l'Ange Raphaël. On y voyoit
peint ce qui ſe paſſa dans l'inſtant
que par le conſeil de ce meſme
Ange, Tobie laiſia ſa Femme , &
toute ſa Suite , Argent, Beſtiaux,
い
&
GALANT. 29
t
& Bagage , pour prendre ſeul les
devans , afin d'arriver plûtoſt en
la Maiſon de ſon Pere. Cette illuſtre
Fille , qui eſt auſſi gencreuſe
que ſpirituelle, n'eut pas fi- toſt
reçeu ce Tableau , que pour en
marquer ſa reconnoiſſance au
Peintre , elle luy envoya un Baffin
& une Eguiere d'argent, avec
cette Lettre . :
I ce bel Ange que vous avez
SdodmonmneéàTorepour le conduire,
euſt pû l abandonner pourvenirguider
ma plume , vous auriez Sans
doute reçen un compliment plus
digne de vous & de ma reconnoiſſance
, que ne fera celuy que
je vay vous faire ; carveu la maniere
dont il m'apparoit , je ne
doute nullement qu'il ne ſoit des
plus éclairez. Tout - à bon , Monfieur
, cette Figure est si noble , que
Biij
30
MERCURE
j'ay peine à croire que l'Ange effe-
Etif du veritable Tobie ait pû autrefois
se former un corps plus beau
que celuy que vous luy avez donné
, & je pense mesme que fans
profanation on peut dire , qu'il
s'estfi fort affectionné à luy , qu'il
n'a pû Souffrir que vous fiffiez un
Tableau de fon histoire fans vous
conduire la main , comme il le
conduisit luy-mesme dans le voyage
qu'il fit ; & comme c'estoit luy
qui avoit fait son mariage ,
s'est intereſſé en la beauté de Sarra
د
il
& vous a fans doute aidé
à luy donner tous les charmes
qui éclatent sur son visage , &
à reprefenter avec tant d'art cette
agreable confufion de Bagage
& de Troupeaux , qui produit
un effet fi admirable en cette peinture.
Ie doute mesme si l'on ne
pourroit accuser cet Ange d'avoir
entre
GALANT .
31
entrepris quelque chose contre l'autorité
de Dieu ; carde lafaçon que
je voy toutes ces Figures , il y a
lieu de Soupçonner qu'elles font
effectivement ce qu'elles parois-
Sent , & qu'en leur donnant l'estre
, il leur a aussi donné la vie.
Ce Domestique qui écoute ce que
fon Maistre luy crie , écoute fo
bien , qu'il me persuade que j'entens
une partie de ce qu'il tâche
d'oüir. Le Chien de Tobie , marque
dans l'Ecriture en fon action
enjoüée , fait fi bien voir sa fidelité
par le peu de peine qu'il
a de quiter sa nouvelle Maistref-
Se pour suivre son ancien Maitre
, qu'on ne peut affez l'admirer.
Mais sur toutes ces chofes
, la beauté de Sarra paroist
avec tant d'avantage , qu'il feroit
à defiver que le fiel de ce Poif-
Son qui redonna la vevë à son
Bij
32 MERCURE
Beaupere , fust employé à la re
donner encore à tous les Aveugles
qui font au monde , afin que per-
Sonne ne fust privé du plaisir de
La voir ; & quand mesme la veuё
de cette Beauté seroit aussi funeſte
à ceux qui la regarderoient ,
qu'elle le fut à ses premiers Marys
, je trouverois encore que l'on
s'y devroit expoſer. Le vifaze de
Tobie nous fait voir un si agrea
ble combat de l'amourqu'il a pour
Ja Femme ,& de la tendreſſe qu'il
a pour fon Pere , qu'on ne
affez le loüer. On voit queses pas ,
en l'approchant de ce qu'il refpe-
Ete , l'éloignent de ce qu'il aime ,
fil Ange ne le tiroit avec quelque
espece de violence , il auroit
peine à se resoudre à cette sepa
ration. Enfin , ſoit que je confidere
cette fuite de Filles qui accompa
gnent la Mariée , la beauté ou la
docilité
pecut
GALANT.
33
docilité du Cheval qui la porte;
les diverſes actions de ceux qui la
Suivent , la Figure naïve de l'Afne
qui est fi agreablement chargé,
l'Aigle qui tient un Serpent , ou
celle qui vole , ou que je regarde
le Bois , les Rochers , les Herbes ,
& les Cailloux , je voy tant de
choſes ſurprenantes en ce Tableau,
que j'ay bien plus de diſpoſition
àle confiderer comme un Miracle,
qu'à l'admirer ſimplement comme
un Chef- d'oeuvre ; & pour vouS
témoigner que mes soupçons nefont
pas en effet fans fondement , vous
Scaurez , Monsieur , que comme
il avient presque toûjours que l'on
ne démenage point , que dans ce
changement de licux il ne s'égare
quelque chose , il est arrivé que
parmyles Vases prêtieux qui font
une partie des richeſſes de Tobie ,
ceux que je vous envoye se font
B V
34
MERCURE
détachez de deſſous les autres ; &
comme cefont sans doute les moins
confiderables de tout fon Bagage ,
il ne s'en est pas apperçeu , & a
poursuivy fon chemin. C'est pourquoy
, Monsieur , je vous les renvoye
, afin que vous puissiez les
luy rendre , vous qui connoiſſez
Raguel Pere de Sarra , & qui ſça.
vez le chemin de Rages où il demeure
, car pour moy je vous déclare
que je n'en veux point estre
chargée. Vous me direz peut- estre
que je les devois rendre à celuy qui
les avoit perdus ; mais comme vONS
Sçavez , les Chameaux ont les jam .
bes trop longues pour lesſuivre facilement
; & puis , à vous dire la
verité , je trouve encor tant de
richeſſes à Tobie que je ne me
Suis pas beaucoup mise en peine
de luy rendre une choſe de ſipeu
de valeur. Si cet Homme qui porte
,
le
GALANT.
35
A
le Chien de Sarra , & qui mene
ce petit Singe attaché , eust perdu
l'un ou l'autre de ces aimables
Animaux , je n'aurois fans doute
pas manqué de courir apres pour
le rendre ; mais ne s'agiſſant que
d'une chose qui certainement ne
luy est pas fi shere , j'ay crû qu'il
fuffifoit de vous l'envoyer comme je
fais. Cependant, Monsieur , fi par
hazard mon imagination me trompoit
, & que ce que je prens pour
le crime, d'un Ange , fust simplement
un prodige de vostre main ,
faites - moy la grace de m'en avertir
, afin que je puiſſe en quelque
façon proportionner ma reconnoiſſance
& mes loüanges
un Preſent ſi magnifique &fi beau,
Vous me donnerez cet éclaircifſſement
quand il vous plaira , &
me ferez toûjours la grace de
à
croire
36
MERCURE
(
croire que je suis de toute mon
ame ,
MONSIEUR ,
Voſtre tres humble & tresobligée
Servante ,
MAGDELAINE DE SCUDERY .
L'Avanture que vous allez
voir décrite dans les Vers fuivans
, n'eſt point une imagination
de Poëte . Elle est effective ,
& vous apprendrez en la lifant ,
ce qui s'eſt veritablement paſſé
entre un Cavalier que la Paix retient
en Province , & une Dame
auſſi diſtinguée par ſa naiſſance
que par ſon merite. Je ne ſçay ſi
vous trouverez le crime du Cavalier
affez grand pour meriter que
la Dame ſoit toûjours inexorable.
LA
GALANT. 37
١٠
LA TEMERITE
PUNIE.
ASfisfur le gazon dans un lieu Solitaire ,
Où paſſe à petit bruit une eau fort
pure& claire ,
Où le Chesne propice au mistére
d'amour ,
Entretient une nuit qui dure tout
le jour ;
Suivy dans ce Defert du ſeul Dieu
que j'implore ,
Je reſvois triſtement au feu qui me
devore,
Et rappellat d'Iris toute la cruauté,
Je laiſſois àmes pleurs entiere liberté.
Vous seul , Ruiſſeau Sacré que mes
larmes troublerent ,
Pouviez montrer l'état où vos eaux
me laifferent ; Et
38 MERCURE
Et toy , qui repétois ma plainte &
mon tourment ,
Echo,tu n'as jamais parléplus tendrement.
Le nom, le charmant nom de l'objet
qui me touche,
Estoit déja forty mille fois de ma
bouche ,
Lors que dans mes tranſports , d'un
bruit Soudain frapé,
L'euspeurpour leſecret qui m'estoit
échapé.
Mais de quel doux moment ma
craintefutfuivie !
LuySeulvaut tous lesſoins que j'ay
pris en ma vie ;
Cebruit qui me fit naistre un amoureux
effroy ,
Venoit de mon Iris qui s'avançoit
vers moy.
Quel coeur en la voyant n'eust esté
Sa conqueste !
Ses cheveux seuls faisoient l'ornement
defa teste.a
GALANT.
39
Honteuse que l'amourſemblast guiderſes
pas ,
Elle me faisoit voir un aimable embarras
,
Vn trouble dont le charme augmenta
ma tendreſſe.
Sa taille paroiſſoit dans toute fa
Et Son Habit ſi propre à prendre la
fineſſe ,
fraîcheur,
Ne cachoit defon corps que laSeule
blancheur.
Elle ne fut jamais moins parée &
plus belle.
D'abord qu'elle me vit ; Eh bien,
Daphnis, dit- elle ,
Vous plaindrez - vous encore , &
fais-je aſſez pour vous ?
A ces mots je courois embraſſer fes
genoux .
Mais elle m'arrestant avec un air
fevere ;
N'allez pas , poursuit - elle ,attirer
ma colere , Et
40 MERCURE.
Et fortant du reſpect qui marque
un coeur charmé ,
Me montrer un Amant indigne
d'eſtre aimé.
Ie crûs que ce discours , quoy que
plein de menace,
Pouvoit àmes defirspermettre quelque
audace ,
Et qu'enfin mon Iris apres tant de
rigueurs,
Voudroit bien m'accorder de légeres
faveurs.
Le temps, l'occaſion, messoins , ma
patience ,
Tout rendoit pardonnable un peu de
violence.
Ie mejette àses pieds ,j'ofe baifer
Samain.
Estoit- ce- là dequoy mériterfon dédain?
Ce larcin d'un baifer devoit- il luy
L'ingrate , m'accablant de touteJa
déplaire ?
colere , 540000
S'e
A
GALANT.
41
S'éloigne,& me défend de luy parlerjamais.
I'ay beau me fondre en pleurs,je ne
A fais point ma paix.
En vain pour l'arrester , je preſſe,
follicite ,
Mapertefut jurée,& ma disgrace,
écrite ,
le lafuis en tremblant. Eh quoy,
luy-dis - je, Iris,
:
Pour trouver un prétexte à vos
cruels mépris, amalg
Venez vous m'enhardir d'un
J regard moins fevere ,
Ou ne me cherchiez- vous dans
ce Lieu folitaire
Qui laiſſe en liberté les mouvemens
du coeur ,
Que pour mieux me montrer toute
voſtre rigueur ?
Suis - je affez malheureux ? eſtesvous
fatisfaite ?
Bien loin que ma douleur retardaſt
Sa retraite, Ie
42 MERCURE
Ie la vis ſe haster de fortir de ce
Lieu ;
Et ne pûs en tirer qu'un eternel
adieu.
Ciel , je te prens pour Iuge, Ay-je
commis un crime
Qui rende contremoy Son courroux
légitime ? C
Vn regret eternel doit- il me déchirer?
Neferay-jejamais que languir,que
pleurer ? ८
Mais tandis que cecoeuraccabléde
triſteſſe
Conferve ſon ardeur , & toute fa
tendreſſe , f
Et qu'il préfere encor fes plus vives
douleurs
Auxplaisirs les plus doux qu'on
puiſſeprendre ailleurs ,
Tandis qu'on meverra toûjours tendre
& fidelle ,
Iris , ma chere Iris , dy-moy , que
fera-t'elle? Vous
GALANT. 43
Vous aurez déja appris la mort
de Monfieur le Marquis de Hautefort,
arrivée ſur la fin de l'autre
Mois . Il eſtoit Chevalier des Ordres
du Roy , Lieutenant Gene
ral en ſes Armées , Premier &
grand Ecuyer de la Reyne,Comte
deMontignac, & de Beaufort,
Vicomte de Segue , Baron de la
Flete,&c.Ses lõgues années ſemblent
avoir eſté dés ce monde la
récompenſe de ſa charité. Elle
eſtoit grande pour ceux qui avoient
un véritable beſoin d'en
reſſentir les effets; & ce qu'elle avoit
de fort eftimable, c'eſt qu'on
n'en voyoit paroiſtre que ce qu'il
luy eſtoit impoffible de cacher.
Le grand Hôpital qu'il a fait
bâtir , & qu'il a fondé à Hautefort
pour les Pauvres , leur rendra
long-temps ſa memoire prétieuſe.
Monfieur le Comte de
Mor
44 MERCURE
Montignac ſon Frere, exerce préfentement
la Charge de Premier
Ecuyer de la Reyne. Sa Majesté
l'y avoit reçeu en ſurvivance il y
a déja quelques années .
Monfieur Olivier de Prélabbé,
Tréſorier General de l'Argenterie
du Roy, eſt mort peu de jours
apres. ८
J'ay à vous parler d'une autre
Perſonne , dont la perte a cauſé
de vifs regrets .Comme elle a esté
ſuivie d'un Incident qui pourra
trouver des Incrédules,vous vou.
lez bien que je me diſpenſe de
vous la nommer. La choſe eſt
tres - furprenante. Cependant elle
eſt arrivée à une Perſonne fi digne
de foy , qu'on ne la peut mertre
au rang des contes qu'on
fait tous les jours fur les matieres
de meſme nature. Un Cavalier
ayant beaucoup d'acquis
par
GALAN T.
45
par l'étude,vouloit joindre la connoiſſance
du monde aux lumieres
qu'il avoit tirées d'une ſerieuſe
application , àtout ce qui peut
éclairer l'eſprit. Dans ce deſſein,
il quita le lieu de ſa naiſſance , &
vint à Paris , où il trouva aiſement
entrée dans les Compagnies
les plus agreables. Il eſtoit
de qualité , & avoit l'humeur ſi
engageante , qu'en fort peu de
temps il eut d'illuftres Amis . On
le ſouhaitoit par tout. Les Bel .
les , à qui il prit l'habitude d'en
conter l'écoutoient favorablement
, & il n'en voyoit aucune
qui n'euſt fait gloire de l'aſſujetir,
s'il euſt eſté auſſi prompt às'engager
qu'on luy marquoit de panchant
à luy épargner l'ennuy de
foupirer inutilement;mais comme
il étoit delicat en toutes choſes, il
l'eſtoit fur tout en liaiſon de tendreſſe
46 MERCURE
dreſſe , & le Sacrement luy paroiſſoit
demander un ſi grand raport
d'humeurs , qu'eſtant Philoſophe
bien plus qu'il n'eſtoit Galant
, il tenoit toûjours ſon coeur
dépendant de fa raiſon . Ainſi jamais
Homme ne fut moins capable
de ſe laiſſer ébloüir. Il n'eſtoit
aucun mesitedont il n'apperçeuſt
les taches , & ce qu'il voyoit de
foible en examinant l'eſprit , le
defendant des ſurpriſes que luy
faifoit la beauté , il eſtoit honneſte
pour tout le beau Sexe , ſans
qu'aucun attachement ſuivit ſes
honneſtetez. Si l'entretien tomboit
quelquefois ſur le Mariage ,
il témoignoit de ſi bonne foy n'y
vouloir jamais penſer , qu'on fut
convaincu de l'averſion qui l'en
éloignoit. On prit ſes meſures làdeſſus
, & fa complaiſance le faiſant
toûjours aimer , il ſuffiſoit
qu'il
GALANT.
47
qu'il fuſt propre à tout pour luy
faire conſerver ſes plus cheres
connoiſſances . Il mena dix ans ce
genre de vie , & quelque embarras
d'affaires l'ayant enfin rappellé
chez luy , il retourna fort
ſouhaité de ceux qui l'avoient
connu. Quoy qu'il fuſt party tout
plein de merite , on luy en trouva
encor davantage quand on le revit.
Il avoit l'eſprit plus doux,les
manieres plus aiſées , & ce que
l'étude laiſſe ſouvent de ſauvage
avoit eſté corrigé par la politeſſe
que donne l'air du grand
monde. Si - toſt qu'il fut arrivé, il
ſe fit inſtruire de ce qui s'eſtoit
fait de changemens pendant ſon
abſence. On luy nomma de fort
jolies Dames , qu'il ne connoiffoit
que par leurs Familles , &
entr'autres on luy parla d'une
jeune Veuve dont le Mary eſtoit
mort
48 MERCURE
mort depuis deux ans. Elle eſtoit
d'une des meilleures Maiſons de
la Province ; & laCharge que ce
Mary avoit poffedée luy donnant
un rang confiderable,tout ce qu'il
y avoit de Perſonnes de qualité ,
& dans la Ville , & aux environs,
avoient pour elle de grands efgards
. Le Cavalier écouta ce
qu'on luy dit de ſes belles qualitez
, comme une éxageration ordinaire
à ceux qui n'ont pas le
difcernement fort fin. Il ne doutoit
point qu'elle ne fuſt belle ,
bien faite , & fpirituelle comme
on la peignoit.Ces avantages ſont
communs à bien des Dames;mais
quand on vantoit la ſolidité de
ſon eſprit , la juſteſſe de ſon raifonnement
, & cette inebranlable
droiture de ſentimens qui eſt le
vray caractere des belles ames , il
commençoit à eſtre incredule, &
s'imagi
GALANT.
49
s'imaginant ſur ſes épreuves qu'on
en jugeoit trop legerement, il eſtoit
perfuadé qu'un examen un
peu rigoureux luy feroit trouver
en elle , les meſmes défauts qui
l'avoient bleſſé dans les plus aimables.
Ce qu'il eſtima beaucoup
dans cette jeune Perſonne, ce fut
le refus qu'elle avoit fait depuis
fon veuvage de pluſieurs Partis
fort avantageux. Sa conduite qui
avoit eſté toûjours tres - reguliere
du vivant de ſon Mary, & qu'on
luy diſoit ſuivie du deſſein qu'elle
témoignoit avoir de demeurer
toûjours Veuve, luy donna l'idée
d'une fort grande vertu. Dans
cette ſecrete diſpoſition d'eſtime ,
il réſolut de l'étudier. Les premieres
entreveuës ſe firent avec
aſſez d'enjouëment. Ils avoient
tous deux l'humeur agreable , &
laDame n'eſtant pas moins belle
Octobre 1680. C
50
MERCURE
que le Cavalier eſtoit bien fait ,
plus ils ſe voyoient , plus ils paroiffoient
contens l'un de l'autre.
Le Cavalier , qui épioit toûjours
les défauts qu'il préſumoitdans la
Dame , vivoit avec elle ſans aucun
foupçon que ſon coeur le puſt
trahir , mais enfin il fut la dupe
de ſa confiance ; & foit qu'effectivement
la jeune Veuve fuſt auſſi
parfaite qu'on la publioit, ſoit que
l'amour qui ſe rendit maiſtre de
ſa raiſon ſans qu'il y prift garde ,
luy communiquât ſon aveuglement
, il la crut toute accomplie ,
&l'aimant autant qu'elle luy parut
aimable,il ne ſongea plus qu'à
toucher ſon coeur. Ses ſoins redoublerent,
& quand il n'euſt pas
déclaré ſa paſſion , ſes empreſſemens
diſoient tant de choſes, que
la belle Veuve les euſt entendus.
Elle plaignit ſa foibleſſe, & tâcha
4 de
GALANT .
SI
de l'en guerir ; mais il eſtoit de
ſa deſtinée de l'aimer avec excés,
& quoy qu'elle fiſt , elle ne put
le reduire à regler ſes ſentimens.
Si elle luy faiſoit voir qu'il l'avoit
loüée luy meſme d'avoir renoncé
au Mariage , & qu'elle s'eſtoit déclarée
trop hautement pour ſe
pouvoir démentir ſans honte , il
répondoit qu'il ne valoit pasqu'elle
ſe gefnaſt pour le rendre heureux.
Le ſeul plaiſir de la voir de
voit borner ſes pretentions , & il
luy juroit qu'il vivroit content ,
pourveu qu'elle luy permiſt de ne
vivre que pour elle. Son merite
qui estoit extraordinaire joint a
l'avantage qu'il luy donnoit fur
tant de Femmes qui n'avoient pû
réuffiras'en faire aimer , eſtoit
un charme des plus engageans. IH
ne s'agiſſoit que de voir unHomme
aimable, & cet innocent com-
Cij
52
MERCURE
merce ne luy donnant rien à ſe
reprocher , elle crut injufte de
lay refuſer ce qu'il demandoit.
C'eſtoit gain de cauſe pour le Cavalier.
Il connoiſſoit la delicateffe
de fa vertu , & ne doutoit point
que le temps ne fiſt ce qu'il feignoit
de n'attendre pas. En effet
, les longues viſites donnerent
bientoſt lieu à la médiſance.
On murmura deles voir infeparables
, & les contes qu'on en fit
eſtant venus à la Dame , elle ouvrit
les yeux ſur l'engagement
qu'elle s'eſtoit fair. Elle n'eſtoit
point ſi aveugle , qu'elle neconnuſt
qu'on avoit ſujet de la foupçonner
, & fon innocence ne la
juſtifiant point aupres du Public ,
elle ſe vit dans un étrange embarras
. L'intereſt de ſa reputation
luy demandoit un grand facrifice
, & quand elle euft eu la
force
GALANT.
53
force de s'en impoſer la neceſſité,
elle trouvoit dans une rupture
des apparences d'un dépit d'amour
, & c'eſtoit aſſez pour alarmer
ſa vertu. Comme ſes penſées
l'inquieterent , elle ne put ſi
bien cacher ſes chagrins , que le
Cavalier ne s'en apperçeuſt. Il
P'obligea de luy en dire la cauſe,
& prit ce temps pour ſervir ſa
paffion. Apres l'avoir aſſurée que
s'agiffant de ſa gloire, il n'y avoit
rien qu'il ne fuſt preſt de ſacrifier,
il luy dit qu'il conſentoit à s'éloigner
d'elle pour jamais , ſi elle
croyoit que l'arreſt de ſon exil
puſt faire ceſſer ſes inquietudes ;
mais qu'il craignoit bien que les
Médifans , pour l'empêcher de
joüir de ſon malheur , n'imputaſſent
à des motifs deſavantageux,
ce qu'elle feroit par le ſeul
ſcrupule de ſa vertu , &qu'elle
Ciif
54 MERCURE
devoit examiner , fi ayant à ſe
faire violence pour ſoûtenir l'intereſt
qui luy eſtoit le plus cher,
iln'y avoit rien de plus doux pour
elle que la mort d'un Homme
qui l'aimoit avec le plus tendre
attachement. Ces paroles firent
comprendre à la Dame , que le
moyen le plus ſeur de mettre à
couvert fa gloire , eſtoit d'époufer
le Cavalier. Elle ſe l'eſtoit
déja dit elle - meſme ; & fur ce
qu'enfin elle s'échapa à condamner
devant luy l'imprudence
qu'elle avoit euë de s'en faire
une eſpece de neceſſité , il luy
fit voir d'une maniere ſi reſpectueuſe
, & fi paſſionnée tout enſemble
, que leur Mariage devoit
eſtre écrit au Ciel puis
qu'ayant tous deux reſolu de vivre
libres , ils n'avoient pû évi
ter l'engagement où ils ſe trou-
د
voient
GALAN Τ.
55
voient , qu'apres avoir un peu
balancé , elle ſe rendit à ſes prieres.
Elle voulut ſeulement qu'il
s'étudiaſt luy - meſme pendant
un mois , pour mieux connoiſtre
ſi ſa paffion eſtoit fondée ſur
la vraye eſtime , parce qu'elle
avoit une telle délicateſſe d'ame,
que ſi apres la démarche qu'elle
alloit faire pour luy , il eſtoit capable
de changer de ſentimens,
ſa mort , qui ſeroit inevitable ,
luy donneroit lieu de ſe reprocher
éternellement d'en avoir
eſté la cauſe. Vous jugez bien
ce qu'un Homme auſſi paſſionné
que le Cavalier put répondre à
une déclaration ſi obligeante. Il
marqua ſa joye par mille tranſports
, & comme il luy fut permis
d'agir en Amant , il ſe trouva
ſi remply de ſon bonheur, qu'il
n'y avoit aucune fortune, qui luy
Ciiij
56 MERCURE
paruſt égaler la fienne. L'eſprit,
les manieres , certains agrémens
plus touchans que la beauté , tout
le charmoit dans l'aimable Veuve.
Elle n'eſtoit pas moins ſariffaitede
fon coſté du merite qu'elle
découvroit tous les jours dans
ſon Amant;& la réſolution qu'elle
avoit priſe n'ayant pû longtemps
demeurer ſecrete , bien
loin de l'entendre condamner ,
elle eut le plaifir de voir ſon choix
approuvé de tout le monde. Le
mois expira , & on figna les Articles.
Le Cavalier , qui parloit
par tout de ſa belle Veuve ,
voulut faire voir par des appreſts
extraordinaires , combien il ſe
renoit glorieux de la preference
qu'elle luy donnoit. Le jour
eſtoit pris , tous ſes Amis conviez
, & l'heureux moment qu'il
ſouhaitoit avec tant d'ardeur ,
eſtoit
GALAN T.
57
د
eſtoit tout preſt d'arriver , quand
cette aimable Perſonne fut tout
à coup attaquée de fiévre , mais
avec une telle violence que
le tranſport au cerveau ſuivit ,
avant les premiers remedes. On
fit auſſi - toſt aſſembler les Medecins
. Chacun ſe ſervit de ſes
lumieres pour arreſter le cours
de fon mal , mais il fut plus fort
que tous les ſecours qu'on tâcha
de luy donner , &dés le
troiſième jour la Dame mourut,
ſans que la raiſon luy fuſt revenuë.
Je n'entreprens point de
vous dépeindre la douleur du
Cavalier. Apres s'eſtre défendu
dix ans des ſurpriſes de l'amour ,
il s'eſtoit laiſſe charmer d'une des
plus aimables Perſonnes qui fut
jamais , & il eſt croyable qu'en
la perdant , il s'imagina avoir tout
perdu. Aufſi ſon deſeſpoir fut- il
Cv
58 MERCURE
exceffif. Il l'embraſſa plus de mil
le fois toute morte qu'elle eſtoit ,
& il fallut l'arracher de force
d'aupres de ſon corps pour faire
finir ſes cris & ſes plaintes.
Il parut ſtupide pendant quelques
jours , & ouvrit enfin la
bouche , mais il ne l'ouvrit que
pour parler de ſa chere Morte.
Il ſe peignoit à toute heure ce
merite ſurprenant qui l'avoit forcé
d'aimer ; & fi on vouloit adoucir
ſes déplaiſirs , il falloit qu'on
l'entretinſt des aimables qualitez
de cette belle Perſonne. Il
demandoit ſans ceſſe à la voir ,
& luy adreſſoit le plus ſouvent
la parole comme s'il l'euſt veuë,
& qu'elle euſt eſté en état de luy
répondre. Apres quinze jours
paſſez dans cette agitation d'efprit
, un ſoir que s'eſtant couché
fur les onze heures , il reſvoit
▼
profon
GALANT.
59
profondement à ce qui faiſoit ſa
ſeule occupation, il crut entendre
quelqu'un qui frapoit à ſa Feneſtre.
L'Apartement eſtoit bas , &
donnoit ſur un Jardin. Ce bruit
ayant redoublé , il ſauta du Lit,
&voulut ſçavoir ce qui le caufoit.
Quoy que la nuit fuſt ſans
Lune , les Etoiles faifoient affez
de clarté pour luy donner lieu
de diſtinguer les objets. La Feneſtre
ouverte , il regarda dans
tout le Jardin , & ne vit perfonne.
En la refermant , il entendit
comme un remuëment de
Taffetas &alla ſe recoucher
fans y avoir fait de reflexion. Il
s'abandonna tout de nouveau à
ſes premieres idées ; & lors qu'il
eſtoit le plus attaché à ſe faire le
portrait de ſa chere Veuve , une
lueur ſombre qui commença d'éclairer
la Chambre , luy fit ouvrir
,
४० MERCURE
tout -
vrir un Rideau pour voir d'où
elle venoit . Cette lueur augmenta
toûjours , & devint ſi grande
en fort peu d'inſtans , que plufieurs
Flambeaux allumez enſemble
, n'auroient pas fourny plus
de clarté . Le Cavalier embarraflé
de cette lumiere , le fut encor
davantage quand on ouvrit
à - coup les Rideaux du
pied du Lit. En meſme temps
l'aimable Perſonne qu'il demandoit
tous les jours à voir , parut
dans un air modeſte , & ſe tint
debout en le regardant. Elle avoit
le meſme Habit qu'il luy avoit
veu quelques jours avant ſa mort ,
& la pâleur qui eſtoit ſur ſon viſage
n'avoit changé aucun de
fes traits. Quelque frayeur que
luy dust cauſer une apparition
fi peu attenduë , la joye d'eſtre
viſité
GALANT. 61
viſité par une Femme qu'il avoit
cherie uniquement , luy fit foûtenir
ſa veuë avec une fermeté
qu'aucun tremblement ne démentit.
Il la regarda quelque
temps ſans luy rien dire. Elle
fit la meſme choſe , & enfin remuant
les levres fans prononcer
aucune parole , elle fembla
luy faire connoiſtre qu'elle attendoit
qu'il la preſſaſt de parler.
Alors ramaſſant toute l'intrepidité
que beaucoup de force d'efprit
luy avoit acquiſe , il la conjura
de luy apprendre ce qui l'amenoit
avec aſſurance d'obtenir
de luy tout ce qu'il pourroit
pour ſon repos. La Dame parla
dans le meſme temps , & apres
luy avoir fait promettre qu'il feroit
pour elle ce qu'elle avoit à
د
luy demander, ſans vouloir qu'elle
expli
62 MERCURE
expliquaſt le ſujet de ſademan
de , elle le pria de prendre la
Poſte le lendemain, & de ſe rendre
à une Ville des plus conſidérables
de France qu'elle luy nomma
, & dont il eſtoit éloigné de
vingt cinq lieuës . Elle luy marqua
une des Places publiques
dans laquelle il devoit trouver
un Homme dont elle luy fit la
peinture , tant pour l'Habit qu'il
auroit , que pour les traits du viſage.
Elle ajoûta qu'il falloit qu'il
luy miſt vingt Piſtoles entre les
mains , & qu'il le priaſt qu'il ne
fuſt jamais parlé de l'affaire qu'il
fçavoit. Le Cavalier l'aſſura qu'il
feroit de point en point ce qu'elle
venoit de luy ordonner, & voulut
entrer en converſation avec
elle ſur beaucoup de choſes . La
Dame branla la teſte pour toute
réponſe,
GALAN T.
63
a
4
e
es
et
la
aes
ne
"
réponſe , le regarda encor quelque
temps , ferma le Rideau en
fuite comme elle l'avoit ouvert,
& diſparut auffitoſt avec la lumiere.
Vous pouvez vous figurer
dans quelle ſurpriſe il demeura
. Il euſt crû avoir reſvé, s'il
euſt dormy un moment ; & mefme
comme il eſtoit fort perfuadé
que les apparitions d'Eſprits ſont
pour la plupart l'effet d'une imagination
échaufée, il n'euft point
douté que ſa continuelle application
à ſe rappeller l'image de ſa
chere Veuve, n'euſt produit l'aimable
Fantôme qu'il avoit veu, ſi
ce qui ſuivit ne l'euſt convaincu
de la verité. Il prit la Poſte fitoft
qu'il fut jour, arriva au Lieu où il
s'eſtoit obligé d'aller , rencontra
lle
ec
re
L'Homme dont il s'agiſſoit, & luy
fit ſon compliment en luyoffrant
vingt Piſtoles . Cet Homme l'en- fe,
viſagea
64 MERCURE
viſagea fixement avant qu'il les
vouluſt prendre ; & apres avoir
un peu reſvé , il luy dit qu'on
n'euſt plus d'inquiétude , qu'il
conſommeroit l'affaire, & que jamais
on n'en entendroit parler.
Le Cavalier n'a pû revoir depuis
ce temps-là , ' a chere Perſonne
qu'il ne ceſſe point de regreter,
quoyque l'ayant jour& nuitdevant
lesyeux, il ait ſouhaité cent
fois une ſeconde apparition . Ceux
qui le connoiffent doutent d'autant
moins de l'Avanture , que ſa
probité met ſon témoignage hors
de tout ſoupçon. Cependant il ne
faut pas croire trop legérement
aux Eſprits. Il en eſt detoute efpece
, & beaucoup de ceux qui
parlent ne ſont pas fans corps.
Ecoutez celuy que le Solitaire de
Carpiage a introduit dans le plaiſant
Conte que je vous envoye.
Ce
GALANT. 65
Ce Solitaire eſt un Gentilhomme
tres- ſpirituel , dont pluſieurs
galans Ouvrages que vous avez
déja veus de luy, ont eu l'approbation
de tout le monde.
VVVVVVVVVV
LE
DE
DIABLE
MARSEILLE .
CONTE.
U'il m'eſt doux de vous voir
apres dix ans d'abſence,
Avecun teint ſi frais & fi fleury!
Il paroiſt bien qu'à Caillery
Vous ne faiſiez pas penitence,
( Diſoit Sabine àson Mary.)
Le Bon-hommepourtant avoit chagrin
dans l'ame.
Au fortir du Navire il avoit rencontré
Un Parent inconſideré
>
Qui
66 MERCURE
Qui l'avoit trop inſtruit des amours
defa Femme.
Pluſieurs Marquis la trouvoient à
leur gré ,
Quoy qu'ellefut déja dans ſonſeptiéme
lustre ;
Mais parmy ce tas de Galans,
Un Chevalier d'une Maison illu-
Stre
Se faisoit diftinguerparmille beaux
talens
Qu'il avoit en naiſſant reçeus de
la Nature,
Et dont le monde & la lecture
Avoient depuis augmenté les bril
lans.
Jugez s'il fit tout seul les frais de
l'avanture, 1
Apres ce que je viens de vous dire
de luy.
Auſſi c'estoit ce qui cauſoit l'ennuy
De ce Bon -homme involontaire,
Qui ne pouvoit foufrir qu'un autre
eust l'usufruit D'un
GALANT. 67
D'un Champ dont il eſtoit le vray
Proprietaire.
Il crût pourtant qu'il estoit necessaire
,
Avant que de faire du bruit ,
De voirplus clair dans cette affaire.
Je ſçauray tout , difoit - il , cette
nuit.
Allons voir quelque Amy fidelle
Qui veüille me donner en cette
occafion
Des témoignages de fon zele,
Et fur qui mes malheurs faſſent
impreffion ;
Sortons, Dés qu'il est dans la
Ruë ,
Un jeune Homme ſur luyferuë,
- Et luy paſſe les bras au cou,
En luy difant , mon cher Horace,
Quandje devrois estre crû fou,
Ilfaut qu'icy je vous embraſſe.
Ces marques de voſtre amitié
(Dit le Mary disgracié )
Me
68 MERCURE
Me fontd'un grand fecours dans
l'état déplorable
Où l'infidelité de ma Femme m'a
mis .
Je croy qu'eſtant de mes Amis ,
Vous voudrez bien me rendre un
ſervice notable .
Que neferois jepoint pour vous?
Cà , dequoy s'agit - il ? le ſuis de
tout capable. :
Je voudrois que ce ſoir ſous la
forme d'un Diable
Vous cuffiez la bonté de vous
gliſſer chez nous.
Je prétens m'éclaircir de mes foupçons
jaloux
Par un innocent ſtratageme ,
Qui depuis un moment m'eſt venu
dans l'eſprit .
Je vous feray cacher ſous noſtre
Lic,
Mais... Ie me fais un bien ſupréme
De vousservir ; point de mais , s'il
3
vous plaiſt , Vous
GALANT. 69
Vous obliger eft mon ſeulinterest.
Hé bien donc , armez vous de
quelque groſſe Chaîne ,
D'un Saye noir , d'un Maſque
laid ,
Et cette nuit faites l'Eſprit Folet
Ma Femme aſſurément , ſi le remords
la geſne ,
Tremblant d'un Eſprit contrefait
,
M'avoüeratout. Celavaut fait,
Nevous en mettez point en peine.
Lestratageme réüſſit ,
Dés que Sabine fut au Lit ,
Son Mary luy dit, ma Mignonne,
Si tu veux que je te pardonne ,
Confeffe-moy la verité .
N'as tu point par fragilité,
Ou bien par pure incontinence,
Fait quelque brêche àta pudicité,
Pendant le temps de mon abſence
?
da Cả,
70
MERCURE
Cà , la main à la confcience
Parle - moy ſans déguiſement.
Non. Non mais... Non, vous disje.
Ah ! je veux que le Diable
Me vienne prendre en ce mo-
- ment , I
Si du plus foible engagement
Ilpeut me convaincre coupable.
Nostre pretendu Diable alors
Sort de fa niche , & fait un vacarme
effroyable.
Sa mine affreuse , & les remords
Forcent Sabine àse dédire ,
F'avoueray tout , faites qu'ilse retire
Dit- elle en tremblant , quand vous
esticz dehors ,
F'ay... Quoy ? C'est peu de chose.
Acheve , miferable
r
و
Replique de Mary quela douleur
Giaccables ordolid coolerencial
Un Chevalier... Hé bien? Lapitié,
Ses tranſports... od
Ah
GALANT.
71
Ah Coquine ! Pardon , j'en suis
inconfolable ,
Et vous promets qu'à l'avenir...
Ne promets rien , luy dit le
Diable,
Que tu ne fois en état de tenir.
La deſcription que je vous envoyay
la derniere fois du Vaif
ſeau appellé l'Entreprenant, vous
fit admirer ce ſuperbe Baſtiment.
Vous apprendrez aujourd huy
qu'il a glorieuſement ſoûtenu l'avantage
de ſon nom dans un
Combat entrepris contre deux
Vaiſſeaux Portugais,au commencement
de l'autre mois. Si le fuccés
en a eſté grand pour Monſieur
le Chevalier de Lhery dont
il prend les ordres , il n'y a pas
lieu de s'en étonner. Outre qu'il
ne fait que des actions extraordinaires
depuis qu'on le voitdans
le
72 MERCURE
le Service , que n'eſt- on point
capable d'exécuter en commandant
un Vaiſſeau qui a eu l'honneur
de recevoir le plus Grand
Prince qui fut jamais ? Les nouvelles
du Combat dont je vous
parle, furent apportées à la Cour
le Dimanche 13. du mois par
Monfieur le Baron des Adrets ,
qui rendit un compte fort exact
au Roy de la maniere que s'eſt
paſſée l'Action, & de la bravoure
avec laquelle tous les Officiers ſe
font conduits. Vous en trouverez
les circonstances dans la Lettre
que je vous envoye. Elle eſt
d'un Témoin tres-dignede foy.
30
A MONSIEUR ***
Vous trop
Ous prenez trop d'interest àla
Monfieur le Chevalier
deLhery,pourne vouspasfaire
part
GALANT.
73 1
part de celle qu'il a remportée depuis
peu de jours. Je vous en vay
parler comme un Homme qui me
fuis trouve à tout. Le 10. de Septembre
, à quinze lieuës de la Riviere
de Lisbonne , nous découvri
mes à cinq heures du matin deux
Vaiſſeaux qui estoient à fix heures
au vent , &qui avoient mis toutes
leurs Voiles pour venir ſur nous .
Monsieur le Chevalier de Lhery
poursuivit sa route , mais voyant
qu'ils s'obſtinoient à le ſuivre , il
crût que c'estoient Vaiſſcaux de
guerre , & en mesme temps ilcommanda
de revirer vers eux , & de
faireforce voiles afin de lesjoindre.
Le premier,qui estoit de cinquantequatre
Pieces de Canon , nous paſſa
au vent à une portée de Mousquet,
& arbora le Pavillon de Portugal.
Monsieur le Chevalierde Lhery luy
fit voirceluy de France ; & ce Vaif-
Octobre 1680. D
74
MERCURE
Seau paſſant fans rien dire pour
aller à celuy qui avoit la Flame ,
& qui estoit sous le vent de nous
( c'estoit un Vaiſſeau de foixante
Pieces de Canon de fonte ) il nous
entendit en larguant les baſſes Voiles
, & demeura ſous ſes deux Huniers.
L'autre nousſuivit pour se
joindre à ſon Commandant , duquel
nous estant approchez à portée de
Pistolet, & ayant largué comme luy
nos baſſes Voiles , Monfieur le Chevalier
luy cria qu'il eust àfalüer le
Vaiſſeau du Roy de FranceSon Maiſtre.
Le Portugais répondit qu'iln'entendoit
pas ce qu'on luy diſoit ; &
Monfieur le Chevalier luy ayant
encor crié que s'ilvouloit plus longtemps
ne le pas entendre , il feroit
tirer deſſus , & le couleroit àfond ,
le Portugais repartit qu'il alloit nous
envoyer ſa Chaloupe. Il le fit incontinent
, & elle arriva avec un
Capitaine
GALANT..
75
Capitaine & un Lieutenant qui
monterent dans noſtre Bord. Ils di
rent a Monsieur le Chevalier de
- Lhery qu'on les avoit envoyezpour
Sçavoir de luy s'il estoit OfficierGe
- neral , parce que leur Commandant
- n'avoit ordre que de falüer les Ge
- neraux. Mr. le Chevalier répondit
qu'ils devoient bien voir qu'il
ne portoit point de marque d'officier
General , & qu'il comman
- doit un ſimple Vaiſſeau de guerre ,
mais que cependant il prétendoit
qu'ils le falüaffent , & qu'ils pouvoient
aller avertir leur Commandant
, que s'il manquoit à le faire,
-il le couleroit à fond. Ces deux officiers
ayant afſuréMonsieur leChe
valier de Lhery que leur Generalne
Se foûmettroit point à lefalver .
ajoûterent qu'il avoit à prendre
garde à ce qu'il entreprenoit , parce
qu'ils ne crogent pas qu'il luy
Dij
76 MERCURE
L
fuſt aisé de fortir de cette affaire
àfon avantage. Monfieur le Chevalier
repliqua qu'ils effoient bien
temeraires , d'ofer entrer en comparaiſon
avec le Pavillon du plus
Grand Roy de la Terre , & qu'il
n'attendoit que la réponse de leur
Commandant , pour leur faire voir
dequoy il estoit capable , s'ils refusoient
plus longtemps de ſe mettre
à leur devoir. Ils ne furent pas
platoſt retournez à leurs Vaiſſeaux,
que mettant toutes les Voiles dehors
pour s'en aller , ils crierent
qu'ils nefalüeroient pas.Alors Monfieurle
Chevalier de Lhery ne balança
plus. Illesfit charger, estant
toûjours à portée de Pistolet. Le
combat s'échauffa extremement pour
ce qui regarde la Mousqueterie.
Quant au Canon , le feu en estoit
continuel. Il n'y avoit presque point
de vent ,mais la Mer estoit un peu
agitée.
a
GALANT. 77
agitée. C'est ce qui nous empeschoit
de nous fervir de nostre Ba
terie baſſe , à la referve de quatre
Pieces de Canon . D'ailleurs , nostre
Vaisseau estoit si chargépar les
cent Pieces de Canon embarquées
pourle Roussillon , que nous n'oſions
ouvrir nos Sabords , dans la
peur de couler bas . Un'en estoit pas
dem ſme du Portugais , qui se
fervoit de tout fon Canon. Le combat
dura deux heures dans cette fituation
, c'est à dire toûjours à la
portée du Pistolet ; mais comme
Monsieur le Chevalier de Lhery
- s'apperçeut que le Portugais tiroit
un grand avantage de fa Baterie
baſſe , it paſſa un peu devant luy ,
&ſe mit en traversfous fon Beaupré.
Cette Manoeuvre fine &faite
ſi à propos , mitle Portugais en defordre,
Monsieurle Chevalier le
Serra encor de plus pres ,&fit faire
Diij
78 MERCURE
4
un feu épouvantable de Mousqueterie
& de Canon , ſans qu'il nous
puſt tirer unſeul coup ; fi - bien que
pour ne nous point aborder , &se
tirer d'un fi méchant pas , il voulut
prendre vent devant. Ce fut
alors qu'ilse vit desemparé de toutesſes
Voiles, des Manoeuvres,d'une
partie de ſes Vergues , &démasté
de fon grand Maſtde Hune. Onle
chargea de nouveau , & il reçeut
encore plusieurs coups de Canon à
l'eau , & qui commençoient à le
faire couleràfond. Dans cette pref-
Sante extremité , tout prest à pevir
, &n'ayant plus aucune refour.
ce , il envoya sa Chaloupe , avec
les mesmes Officiers,demander quartier
àMr le Chevalier de Lhery .
avec offre de le ſalüer comme il voudroit
. Mr le Chevalier luy fit grace,
& luy ordonna de falüer d'onze
coups de Canon , & l'autre Vaiſſcan
d'autant
GALANT.
79
다
Si
.
d'autant , ce qui fut executé pon-
Etuellement . Mr le Chevalier de
Lhery fit seulement rendre trois
coups de Canon au Commandant,
Les Officiers Portugais qui vinrent
à bord,nous dirent qu'ily avoit cinq
cens Hommes furSon Vaifſſeau. Nous
avons perdu peu de monde dans le
combat . Mrle Chevalier de Lhery
a esté blessé d'un éclat d'un Boulet
àdeux testes , qui coûta la vie à un
Matclot qui estoit aupres de luy Cet
éclat luy donna dans une cuiſſe dont
il eut une partie emportée au Siege
de Candie.Monfieurle Chevalier de
Beaujeu Enseigne, a este arfi bleſſsé.
Il est certain que s'il y euft en guerre
entre la France & le Portugal,
Monsieur le Chevalier de Lheryſe
fcroit rendu maistre de ces deux
Vaisseaux. On ne sçauroit affez
admirer la Manoeuvre glorieuse
avec laquelle il s'est tiré d'embar-
4
Diiii
80 MERCURE
vas , estant extraordinaire qu'un
Seul Vaisseau en ait fait Saluër
deux autres de force apres un com.
bat deplus de quatre heures. Enfin
il faut demeurer d'accord que
la bonne &fine Manoeuvre de ce
Chevalier , jointe à la fermeté
avec laquelle il donna ſes ordres
pendant cette attaque , nous afait
fortir tres avantageusement d'une
affaire que peu de Gens auroient
entreprise. Je suis vostre
tres &c.
Je n'ay rien à ajoûter à cette
Relation . Elle vous fait voir l'intrepidité
& la conduite de Mr le
Chevalier de Lhery. Il me feroit
inutile de vous repeter ce que
je vous ay dit de ſa Maiſon dans
une autre Lettre. Il y a trois cens
cinquante ans qu'elle avoit l'hon -
neur de commander les Armées
du
GALANT. 81
-
e
-
e
e
5
S
du Roy en Champagne. Depuis
que Monfieur le Baron des Adrets
a aporté la nouvelle de ce
Combat , on a eu des Lettres de
laſieurs Particuliers dattées de
Lisbonne . Elles marquent que
ces deux Vaiſſeaux ſe ſont trouvez
en ſi méchant ordre , qu'ils
ont eu beaucoup de peine à gagner
le Port. Il y a eu prés de fix
vingts Morts de leur coſté , &
pour le moins foixante bleſſez .
La connoiſſance des Fables eſt
d'une fi grande utilité pour la
jeuneſſe , qu'on ne doit pas s'étonner
ſi les Jefuites qui n'épargnent
rien pour l'avancement de
leurs Ecoliers , font des Diſpures
publiques fur cette matiere. Elles
ont eſté remarquables à Toulouſe
le premier jour du mois de
Septembre. Un jeune Ecolier
d'environ onze ans , y parut ſur
D V
82 MERCURE
un Theatre , en préſence d'une
illuſtre & nombreuſe Compagnie
composée du Parlement , & de
tout ce qu'il y a de Gens de Lettres
dans cette fameuſe Ville. Il
commença un tres-beau Diſcours
Latin , par lequel il fit connoiſtre
combien la Fable eſtoit neceſſai .
re,& les agréemens qu'on y trouvoit.
Ce Diſcours finy , on diſtribua
des Theſes , qui contenoient
l'origine de tous les Dieux , Cedeſtes
, Terrestres , Maritimes , &
Infernaux, leurs divers noms, les
Païs où ils avoient eſté adorez ,
& leurs principales Actions. Ce
jeune Ecolier offrit de fort bonne
grace de répondre ſur toutes
ces chofes, en Latin ou en Franpois
indiféremment. Un Jeſuite
celebre pour ſon ſçavoir , & fort
diftingué par fon beau genie , fit
Touverture des Théſes,& pouffa
Soû
GALANT.
83
e
2
e
1
S
e
1
1-
e.
&
Z
e
-
es
ユー
e
TI
a
le Soûtenant ſur les matieres les
plus difficiles.Il s'en tira avec une
liberté d'eſprit merveilleuſe , &
charma tous ceux qui estoient
venus pour l'écouter. Monfieur
de Fieubet , Fils de Monfieur le
Premier Préſident de Toulouſe,
qui n'eſt guére plus âgé que celuy
dont j'ay commencé de vous parler,
l'attaqua d'une maniere tresfine
, & l'on ne ſçavoit ce qu'on
devoit admirer le plus , ou la fubtilité
de celuy qui interrogeoit,
ou la vivacité d'eſprit & la prodigieuſe
mémoire de celuy qui répondoit.
Ce combat dura deux
heures , ſans que ce dernier ſe
laiſſat embarraſſer par aucune des
Queſtions qui luy furent faites.
Cé qu'ily eut de plus ſurprenant,
c'eſt qu'il cita, mais fort à propos,
plus de deux mille Vers d'Horace,
de Virgile,d'Ovide,& des au
tres
84 MERCURE
tres Poëtes qui onttraitédes faufſes
Divinitez. La grace & labonne
mine du Soûtenant,ne contribuoient
pas peu à luy attirer l'applaudiſſement
de ſes Auditeurs.
Il eſt Fils de Monfieur le Procureur
General du Parlement de
Toulouſe , qui ne cede à feu Mr
le Mazuyer ſon Pere , qui eſt
mort Chef de ce meſme Parlement
, ny en mérite , ny en ſçavoir
, ny en zele pour le ſervice
duRoy, & pour le bien de l'Eglif:.
Toute la Ville parle encor avec
éloge de ce fameux Magiftrat
, qui a rendu de tres- importans
ſervices à ſa Majeſté , eſtant
Maiſtre des Requeſtes , Intendant
en Catalogne, & enfin Premier
Préſident dans la Capitale
du Languedoc. Dans le temps
que la Contagion y faiſoit d'affreux
ravages , il ne ceſſa point
d'en
GALANT. 85
-
-
T
+
e
e
S
コ
d'envoyer ſes ordres pour le ſoulagement
des Malades , de les vifiter
dans leurs Hutes,& de leur
faire donner tous les Remedes
poſſibles , juſqu'a- ce qu'enfin il
fut luy-meſme attaqué du mal
commun , & mourut en ſervant
les autres , comme victime de ſa
charité.
S'il n'eſt pas nouveau qu'en
pratiquant les Malades on ſoit atteint
de leur mal , il l'eſt encor
moins qu'en allant chercher à
guerir le corps , on reçoive des
bleſſures qui penetrent l'ame , &
dont on a longtemps à ſouffrir.
C'eſt la deſtinée de beaucoup de
Buveurs d'eau.Un Cavalier d'autant
de mérite que de naiſſance,
en a fait l'épreuve. Une legere
incommodité l'ayant fait veniren
un Lieu fameux , par le grand
nombre de Perſonnes de qualité
de
86 MERCURE
de l'un & de l'autre Sexe qui s'y
trouvent tous les ans, il y rencontra
unejeuneDame dont la beauté
le charma. Comme il n'eſtoit
pas d'humeur à languir fans s'expliquer.
il luy déclara ſa paſſion.
La Dame tourna galamment la
choſe ,&confentit qu'il l'aimaſt,
pourveu que ce fuſt de bonne
amitié. Cependant un Oncle
critique qui buvoit des eaux
comme elle , luy oppoſant le
Qu'en- dira- on dés les moindres
affiduitez qu'on luy rendoit , le
Cavalier qui ne put la voir autant
qu'il auroit voulu, eut recours
à l'écriture. Voicy la premiere
Lettre qu'il luy fit donner. Elle
eſt mêlée de Profe & de Vers , &
d'une maniere aflez agreable,
pour vous faire confeffer qu'il
doit eſtre amy des Muſes.
:
A
GALANT. 87
人
12
S
a
ر
47738299033-888-896300963892632920637634963363
A MADAME
LA MARQUISE
DE V ***
jevous ay veuë,& c'eſt afIRISTſez
vousdire ,
Quel'Amourveut enfin que pour
vous je ſoûpire.
Les traits que vos beaux yeux
: font par tout redouter,
Ne ſont point de ces traits , que
l'on puiſſe éviter.
En vain ce libre aveu tient vôtre
ame alarmée ,
Jeſuis né pour aimer,& vous pour
eſtre aimée ,
Et par les noeuds fecrets d'un
2 mutuel accord ,
C'eſt à chacun de nous à remplir
noſtre fort .
00
Vos
88 MERCURE
Vos rigueurs contre moy ſeroient
de foibles armes ;
En feriez -vous briller moins d'atraits,
moins de charmes , -
Et pour fuir ces rigueurs , quels
que fuſſent mes ſoins ,
Eſtant belle toûjours , vous aimerois-
jemoins ?
Croyez- moy , la revolte eſt par
tout condamnée,
N'allons ny vous, ny moy, contre
la Deſtinée,
Et tâchons d'éviter ce qu'on
courtde hazard
Arejetter ſon ordre, ou s'y rendre
plus tard .
C'eſt ſans aucun regret, Iris, que
jevous aime,
Faite pour tout charmer , agreez
le de meſme,
Tous deux avec l'Amour tâchons
d'enbien uſer,
Et ne l'obligeons point ànous tyranniſer.
Qui
GALANT. 89
Qui l'eufſt crû,quand j'eſtois maître
encor de mon ame ,
Que le ſejour des eaux m'en ſeroit
un de flame ,
Et qu'ainſi tout d'un coup, par un
charme vainqueur,
Où l'on guérit les corps , on duſt
bleſſer mon coeur ?
C'enest fait, je me rends;mais du
moins,quand je cede,
La cauſe de mon mal peut eſtre
mon remede.
Je l'ay pris à vous voir , & quel
qu'en ſoit le cours,
Je ſeray ſoulagé,ſi je vous voy
toûjours.
Mais n'en confultez point ce doucereux
Critique,
Ce grand Speculatif en fauſſe
politique,
Qui toûjours reſervé , toûjours
myſterieux ,
A
وم
MERCURE
Apeine à vous laiſſer la liberté
des yeux .
Si ſon Qu'en dira t- on empêche
qu on vous aime,
Vous voyant fans Amans , qu'en
direz vous vous-mefme,
Et que vous ſervira d'avoir avec
lejour
Réçeu l'heureux talent de donner
de l'amour ?
De ſes froides leçons fuyant l'indigne
piege,
Joüiffez malgré luy d'un ſi beau
privilege,
Etprenant furmon coeur un pouvoir
abſolu ,
Veüillez ce que de vous le Sort
a refolu.
7.720
Je Sçay bien , Madame , que
c'est prendre quelque ſoin de mon
repos , que vous obstiner comme
vous faites à vouloir que je regle
fur
GALANT .
91
Sur les termes de la bonne amitié,
l'ardente paſſion que vous m'avez
inspirée. Vous estes faite d'unemaniere
à ne laiſſerjamais vos Efclaves
en pouvoir de rompre vos fers,
&je conçois aisément qu'il n'y a
rien de plus dangereux que de vous
abandonner sa liberté fans re-
Serve.
L'amour que j'ay pour vous par
mille inquietudes,
:
M'a déja fait ſentir ce qu'il m'en
doit coûter,
Et ſur un ton bien haut vous me
ferez chanter,
Si je m'en raporte aux pré.
ludes.
Dans la Mer où je vogue il eſt
mille Rochers
Dont pâliroient les plus hardis
Nochers,
Mais
92 MERCURE
Mais la peur d'y perir touche peu
mon courage .
Mon coeur ſous les dangers s'enfle
d'un noble orgueil ,
Et par la beauté de l'écueil
Il fait vanité du naufrage.
Ainsi, Madame , laiſſons , s'il
vous plaiſt , les choses en l'état où
elles font. Simes chaînes font trop
lourdes à porter , vous me les verrez
trainer avec joye , & il n'y a
rien de fi déterminé de ma part
que l'hommage eternel de ma fervitude.
De mes maux je voy le goufre,
Et qu'avant que d'en mourir ,
-Ce qui me reſte à ſouffrir
Paſſera ce que je ſouffre ;
Mais quel que foit le tourment
Qui m'attende en vous aimant,
Il n'a rien que j'apprehende.
Je
GALANT.
93
Je me plais dans mes ennuis ,
Et tout batu que je fuis ,
Je veux bien payer l'amende.
Comme en cela il n'y a des peines
que pour moy , il mesemble que
c'estfans aucunsujet que lefcrupule
vous prend. Ce que vous appellez
amitié qui ne tire point à confequence,
est accompagnéde langueurs
bien incommodes , &je doute fort
que vous les ayez examinées quand
ilvous a pris envie de l'établir entrenous.
Agiſſons de bonne foy
La main ſur la conſcience.
L'amitié ſans conſequence
Eft- elle debonne aloy
Pour qui comme vous & moy
En connoitla nonchalance ?
Si ſous ce terme adouey ,
De quelque amoureux foucy
L'on
1
94
MERCURE
L'on tient l'intrigue ſecrete ,
Le terme vous eſt permis ;
Mais, de grace,eſtes-vous faite
Pour n'avoir que des Amis ?
Non, Madame , vous estes trop
belle & trop aimable , pour con
Sentir àn'estre pas toûjours aimée
de la plus noble maniere dont on
puiſſe aimer;& les charmantesqualitez
qui vous donnent tant d'avantage
parmy celles de vostre sexe ,
me font trop connuës pour me laiſſer
jamais affoiblirle parfait amour ,
dont je vous ay fait connoistre la
violence. D'ailleurs handigA
Apres avoir ſans m'en rien dire
Range mon coeur ſous voſtre
yeuempirey aramos inpaol
Si de ſes ſoins jamais vous vous
laſſez os adolid
Pour m'obliger à le reprendre ,
Croyez
GALANT.
95
Croyez- vous que ce ſoit aſſez ,
Que vous offrir à me le rendre ?
Il est juste que vous le gardiez ,
puis que vous en avez fait vostre
conqueste , & il n'y auroit point de
tyrannie pareille à lavoſtre,ſivous
prétendiez l'aſſujetir àse défaire
dessentimens paſſionnez qui l'attachent
tout à vous. Nefaites point
là-deſſus l'eſſay du pouvoir qu'il
vous a donné fur luy. Aussi - bien
ce seroit un ordre fort inutile que
celuy qu'il en recevroit , & il ne
pourroit produire autre chose qu'un
Secret dépit de l'injuſte contrainte
que vous luy envoudriez impofer.
Quand deux beaux yeux , de
Teur gloire jaloux,
Etalent tout ce qui peut plaire ,
Un pauvre coeur qui les revere
Eſt obligé de filer doux; :
Et
96 MERCURE
Et pour luy , quoy qu'il puiſſe
faire
Pour ſe défendre de leurs
coups ,
L'amour est un mal neceſſaire .
Avoir le vif éclat de vos divins
2010 attraits ,
J'en prens plus qu'on n'en prit
jamais
Chaque fois que je vous regarde.
Comme il naiſt de voſtre
beauté ,
S'il vous déplaiſt que je le
garde,
Oſtez-m'en la neceſſité .
C'est ce que vous ne sçauriez
faire, puis qu'iln'est pas en voſtre
pouvoir de n'estre pas la plus aimablede
toutes les Femmes mais
comme il n'est pas moins hors du
mien de ceffer d'eſtre le plus amonreux
de tous les Hommes ,
Ne
GALANT.
هن
97
Ne corrigeons rien aux Planetes
Parquinos jours ſemblent conduits.
Soyez toûjours ce que vous
eſtes ,
Et moy toûjours ce que je
fuis .
Henry de Levy , Duc de Vantadour
, Pair de France , Prince
de Maubuiſſon,Comte de la Voute,
Tournon & Albon , & Chanoine
de l'Egliſe de Paris,eſt mort
le 14. de ce Mois , âgé de quatrevingts
- quatre ans. Il eſtoit aîné
de l'illuſtre Maiſon de Levy de
Vantadour , & avoit eſté honoré
par le feu Roy de la Charge de
Lieutenant General & Chefde la
Province de Languedoc,pendant
que Monfieur le Duc de Montmorency
fon Oncle , dernier de
Octobre 1680 . E
98. MERCURE
>
cette Famille , en eſtoit le Gouverneur.
Il y parut avec éclat &
une magnificence extraordinaire,
& foûtint d'une maniere tresglorieuſe
pour luy , l'avantage
qu'il avoit d'eſtre Fils d'Anne de
Levy Duc de Vantadour , Gouverneur
des Provinces du Haut
& Bas Limofin ſeul Lieutenant
General pour Sa Majeſté
dans celle de Languedoc , l'un
des premiers Hommes de fon
Siecle pour le courage & pour
le génie , & de Marguerite de
Montmoreney Soeur de feuë Madame
la Princeſſe , & de feuë
Madame la Ducheſſe d'Angouleſme.
Il avoit épousé Lieſſe de
Luxembourg,Tante de Monfieur
le Maréchal de Luxembourg , &
s'eſtant volontairement ſeparez
tous deux , elle entra dans un
Convent ; & luy s'eftant confacré
GALANT .
DE64
DE
cré au ſervice de l'Eglife, où il refuſa
les Dignitez les plusrecher
chées , il reſolut par une moderation
& une pieté qui a peu d'exemples
, de finir ſes jours dans
le Chapitre de l'Egliſe de Paris ,
en qualité de Chanoine. Il a voulu
y étre inhumé, & quoy qu'il eût
demandé que ce fuſt ſans pompe
, Mr le Duc de Ventadour ſon
Neveu, eſtant venu en poſte d'une
de ſes Terres fi-toſt qu'il ſçeut
cette mort , luy a fait rendre des
honneurs dignes de ſa naiſſance
&de fon mérite. Il eſtoit Coufin
- Germain de Monfieur le
- Prince , & une qualité ſi avantageuſe
, vous peut aifément faire
- juger combien de Perſonnes confiderables
ſe ſont trouvées au
Service ſolemnel qui a eſté fait
pour luy dans l'Egliſe de Noftre.
N
Eij
100 MERCURE
Je croy vous avoir amplement
parlé de Mr Riquet en vous expliquant
la premiere Hiſtoire Enigmatique
qui a paru dans mes
Letres Extraordinaires.Il eſt mort
au commencement de ce Mois .
C'eſt celuy qui avoit donné les
deſſeins du Canal de Languedoc
pour la jonction des deux Mers ,
& qui en a toûjours eu la direction
. Ce grand Ouvrage a fait
affez voir dequoy il eſtoit capable
. Des deux Fils qu'il a laiſſez
l'un eſt Maiſtre des Requeſtes ,
& l'autre Capitaine aux Gardes .
L'Eveſché de Tulle a eſté donné
à Mr l'Abbé Ancelin, Aumônier
de la Reyne , & Fils de Madame
la Nourrice du Roy. Il a un
Frere Controlleur General de la
Maiſon de la Reyne , & un autre
Chanoine de l'Egliſe de Paris .
On a commencé àintenter un
Procés
,
GALANT. ΙΟΙ
Procés ſur un cas affez nouveau .
Un Cavalier auſſi enjoüé que ſpirituel
, s'eſtant laiſſe engager à
une Partie de Campagne ,y prit
pendant quinze jours tous les
plaiſirs qu'offroit la ſaiſon , avec
une Compagnie fort agreable.
Parmy les Dames qui la compofoient
, eſtoit une jeune Brune
qui méritoit bien fes complaifances
.Quoy qu'elle fuſtdu nombre
des Belles , l'agréement de fon
humeur l'emportoit ſur ſa beauté .
Elle parloit bien , écrivoit avec
juſtefie ,& faifoit pour fon uſage
de tres jolis Madrigaux . Le Cavalier
s'attacha à luy conter des
douceurs , & fur ce qu'un jour il
luy demanda ſon coeur , elle luy
dic plaiſamment qu'ayant grand
nombre d'Amans, elle l'avoit mis
à prix, & qu'on n'y pouvoit prétendre
fans eſſayer fix mois de
E iij
102 MERCURE
rigueurs. La condition ne l'étonna
point. Il la pria ſeulement de
vouloir écrire , afin qu'apres ſon
temps de ſoufrance , il puſt
en vertu de fa Promeſſe , pourſuivre
les droits qu'il auroit acquis.
La Belle accorda l'Ecrit.On
luy apporta dequoy le faire , &
tandis que les Témoins diſoient
leurs penſées ſur l'engagement,
elle fit un Madrigal pour tenir
lieu de Promeſſe,& figna au bas,
Philis. On revint de la Campagne,
& le Cavalier pour qui l'efprit
de la Belle eſtoit un grand
charme , continua de la voir aux
conditions preſcrites. Le merite
de cette aimable Perſonne luy attirant
une groſſe Cour, tantôt elle
écoutoit les nouveaux venus préferablement
au Cavalier , tantoft
elle affectoit contre luy quelque
autre injustice ; & comme il s'eftoit
GALAN T.
103
toit ſoumis à ſoufrir ſans murmurer
, cela donnoit lieu à de fort
plaiſantes Scenes. Enfin ſon tems
eſtant fait, il a demandé qu'on luy
tinſt parole . Refus de la Belle,&
là-deſſus,Affignation Jay vû l'Exploit.
Tout s'y trouvedans les formes
juſques au Papier Timbré.
Il eſt vray qu'on en a point encor
veu d'un ſemblable Timbre. Il
eſt fait d'un Coeur percé de Fleches
. Des quaire coins de ce
Coeur ſortent deux Carquois , &
deux Flambeaux allumez .Autour
ſe liſent ces mots, Genéralité d'Amour,
& à coſté eſt écrit , Deux
Faveurs la Feüille. La Promeffe
de la Belle eſt au haut de cet
Exploit , le tout conceu en ces
termes.
E iiij
104 MERCURE
M
PROMESSE DE PHILIS,
du premier jour d'engagement.
Ous demandez mon coeur ,
VO j'oſe le refuſer ,
Non qu'à foufrir des ſoins mon
panchant ne me pouffe ;
La choſe me paroiſt ſi douce,
Que je fuis le premier Témoin
à m'accuſer.
Ne deſeſperez point , le temps
fait toute chof ;
Voyons pendant fix mois ſi rigueurs
ny mépris
Nepourront affoiblir l'amour que
je vous cauſe ,
1
Mon coeur eſt à vous à ce prix .
Signé PHILIS.
L
lequin- 'An de Perfeverance ,
ziéme jour d'Affiduité , à la
requeste de Tirfis Paſſionné , Cavalier
GALAN T.
105
1
valier amoureux , demeurant Ruë
de Sacrifice , à l'Enseigne du veritable
Amour , Paroiſſe de Sainte
Sincerité , où il a éleu ſon Domiciles
Je ſouſſigné Aimable de Bonnefoy
Huiffier exploitant dans le Royaume
de Tendre , & Premier Officier
de Cupidow , ay donné aſſignation à
Philis Cruauté , Dame de Tirannie
, demeurant Ruë de Rigueurs ,
à l'Enseigne du Coeur qu'on ne pent
toucher , à comparoir demain deux
heures de relevée par devant Mr
de la Constance , Lieutenant General
de la Fidelité en la chambre
d'Engagement , Seigneur de Soins
doux , Marquis de la grande Complaisance
, & d'entiere Réſignation
, pour ladite Dame se voir
contraindre , & condamner à donnerpreſentement
& fans delay fon
Coeur au Demandeur en vertu de
fa Promeſſe , dont ty - devant eft
E V
106 MERCURE
copie , à faute dequoy , ou de comparition
, ſera ladite Dame reconnuë
atteinte & convaincuë du crime
de leze - Tendreſſe , &ensuite
condamnée parledit LieutenantGeneral
de la Fidelité , à une Inſenſibilité
perpetuelle ,fans appel quelconque
en la Chambre de Flaterie&
de Carreffe. Fait à l'iſle d' Amour le
jour & an que deſſus . Témoins Aime-
Discretion , & lolycoeur - Franchife
, tous deux officiers en ladite
Chambre d'Engagement , qui ont
Signé avec moy. Signé AIMEDISCRETION
, JOLY COEURFRANCHISE
, & de BONNEFOY,
Huiſſier , chacun un paraphe ; &
au deſſous eſt écrit , Controllé, le
jour que deſſus , FRANCOEUR .
Si l'Affaire ſe pourſuit juſqu'à
la fin du Procés , on me promet
dem'en envoyer toutes les Pie
ces.
GALANT.
107
ces. Ce galant commencement
_fait efperer beaucoup de la ſuite.
En l'attendant,je vous fais part de
deux Madrigaux, dont l'Autheur
eſt de Roüen. C'eſt un Lieu où
vous ſçavez que les Muſes ont
_ beaucoup de Favoris. Ainſi tout
ce qui en vient merite affez d'eſtre
leû .
'
1
DECLARATION
D'AMOUR .
Duis - je vous deguiser mon
N'y découvrez - vous pas une tendreſſe
extréme ?
Ces ſoins , ces embarras , cette douce
langueur
Que l'on ne fent que quand on
aime ?
Oûy , belle Iris , oùy , j'aime avec
beaucoup d'ardeur ,
Et
108 MERCURE
Et j'aimeray toûjours de meſme.
Ne me demandez plus avec empres-
Sement
Quelle est cette Beauté qui caufe
mon martyre ;
Vous dire j'aime, je ſouſpire ,
Et le dire auſſi tendrement
Qu'à l'objet de ſes voeux le proteste
un Amant ,
Et se vanter d'estre fidelle ,
En vous montrant un coeurpercé de
ウィ
mille coups ,
Sans dire le nom de la Belle
De qui partent des traitsfi doux,
Nest ce pas dire que c'est vous ?
SILENCE EXPLIQUE'.
L'Espoir
aime,
d'estre aiméfait qu'on
C'est ce qui flate un tendre coeur ,
Et
GALAN T. 109
Et vous me refuſez, belle Iris , la
douceur
D'esperer que peut - estre à ma tendreſſe
extréme
Répondra quelque jour une legere
ardeur ,
Puis-je longtemps aimer de méme?
Quand unefois on connoit bien
Qu'un Amant tout de bon foûpire
,
Eſperez, est ce qu'il faut dire ,
Cependant vous ne dites rien.
Ienesçay d'où vient le miſtére
Qui vous oblige de vous taire ;
Mais si c'estoit du mot , eſperez ,
Seulement ,
Iepourrois bien pouffer ma complai-
Sance
Iusqu'à prendre voſtre filence ,
Iris,pour unconſentement.
J'oubliay à vous manderla der-
2
niere fois le Mariage de Monfieur
de
IIO MERCURE
de Tullon avec Mademoiselle
de Beaumanoir de Lavardin . Les
Nôces ont eſté faites chez Monſieur
le Préſident Charreton,Oncle
du Marié à la mode de Bretagne
, & doublement ſon Parent.
Vous ſçavez combien cet illuftre
Préſident eſt magnifique dans
tout ce qu'il fait. Ainſi il vous
eſt facile de juger avec quel éclat
la Cerémonie s'en eſt pallée . Mr
de Tullon eſt une Perſonne bien
faite,& a toutes les qualitez qui
font un fort honneſte Homme.
On ne peut mieux ſervir qu'il a
fait dans les dernieres guerres de
Flandres,où nous l'avōs veu Premier
Capitaine du Regiment de
Champagne,& enſuite Meſtre de
Campd'un Regiment de Dragōs.
Il tire ſon origine d'une ancienne
Maiſon du Beaujollois. Hugue
de Thibaud, Seigneur de Tullon ,
Pier
GALANT . III
Pierreux,& la Roche,auſſi diſtingué
par les avantages de fa naiffance,
que par mille bonnes qualitez
qui luy acquirent en ſon
temps l'eſtime & l'amitié de tous
ceux de ſa Province , épouſa en
1566. Jacobée Charreton , Fille
aînée de Hugue Charreton , Seigneur
de la Terriere , la Douze ,
Cercié , & c. & de Françoiſe de
Grandys ſa Femme . De ce Mariage
ſortirent pluſieurs Enfans.
Philbert , Seigneur de Tullon,
fut l'ainé ; & Hugue Seigneur de
Pierreux , le ſecond . Ce dernier
a fait la Branche des Seigneurs
de Pierreux , dont le Chef pofſede
aujourd'huy une Charge
confiderable dans le Maiſon de
Son Alteſſe Royale de Savoye.
Philbert Fils aîné de Hugue
Seigneur de Tullon , & de Jacobée
Charreton , fut marić
avec
112 MERCURE
avec Diſpenſe à ſa Couſine Elizabeth
de Noblet , de l'ancienne
Maiſon d'Efprés. Elle eſtoit Fille
de Claude Baron d'Eſprés , Seigneur
de la Tour de Romanef
che , & d'Elizabeth de Rebé,
Soeur de Claude de Rebé Archevêque
de Narbonne,& Com
mandeur des Ordres du Roy , fi
connu par la faveur qu'il s'acquit
aupres de Loüis XIII. Cet Archeveſque
fit de fort grands avantages
à ſa Niéce en faveur de ce
Mariage. Elle recueillit depuis la
Succeſſion deſes Freres,qui moururent
ſans Enfans , apres s'eſtre
veus Colonels , & Maréchaux de
Camp. De ce Philbert , Seign. de
Tullon, & de cette Elizabeth de
Noblet , ſont ſortis cinq Garçons
&deux Filles . L'Aîné , nommé
Claude Baron d'Eſprés, Seigneur
de Tullon, la Tour-Romaneſche,
la
GALANT.
113
la Roche , &c. époula en 1654.
l'Heritiere du Terraux , Petite-
Niéce du Maréchal de S. André
, de la Maiſon d'Albon , dont
il a pluſieurs Enfans. Pierre Seigneur
de Tullon , cy - devant
Meſtre de Camp d'un Regiment
deDragons,Frere puiné de Claude
Baron d'Eſprés, eſt celuy dont
je vous apprens le Mariage. Mademoiselle
de Beaumanoir de
Lavardin , qu'il a épousée , eſt la
Fille aînée de feu Mr le Marquis
de Beaumanoir , Comte de Lavardin,
Lieutenant General pour
Sa Majesté aux Païs du Maine
&du Perche. Cette Maiſon
eſt une des premieres de tout le
Royaume.Elle vient de Philippe
de Beaumanoir , Bailly de Clermont
en Beauvoiſis , & de Senlis,
l'un des plus Grands Homes qui
fut en France. Il vivoit en 1280.
Robert
114
MERCURE
Robert de Beaumanoir ſon Petit-
Fils , fut Maréchal de Bretagne
environ l'an 1350. Et Jean de
Beaumanoir , Arriere- petit -Neveu
de Robert , a eſté fait Maréchal
de France en l'année 1595 .
De ce Jean , dit le Maréchal de
Lavardin , ſont ſortis des Gouverneurs
& des Lieutenans pour
le Royau Païs du Maine, & deux
Eveſques du Mans,l'un deſquels
appellé Philbert Emanuel de
Beaumanoir,Oncle de la Mariée,
eſtoit Commandeur des Ordres
du Roy. Mr le Marquis de Lavardin
, Lieutenant de Roy en Bretagne,
eſt l'Aîné de cette Famille.
Vous vous ſouvenez qu'il a épousé
la Fille de Mr de Luynes,Sooeur
de Mr le Duc de Chevreuſe d'apreſent,
Gendre de Mr Colbert .
Ce n'eſt pas aſſez que la mémoiredes
Grands Hommes,& de
toutes
ود
GALANT. 115
1
toutes les actions qui les rendent
dignes de vivre éternellement,
ſoit conſervée dans l'Hiſtoire. Il
. faut que le Marbre , l'Airain , le
Cuivre , le Bronze , l'Argent , &
l'Or, en laiſſent à la Poſterité des
Monumensoù ils ſoient dépeints.
- C'eſt dans cette veuë qu'on a veu
depuis peu une Médaille de Mr
le Chancelier. Je vous l'envoye
gravée. En jettant les yeux deffus
, vous verrez le Buſte de ce
Chef de la Juſtice , posé ſur la
Caffete où les Sceaux font ren
fermez. Le Revers nous fait en-
_ tendre que la France peut ſe vanter
d'avoir un Caton auffi- bien
_ que l'ancienne Rome.Ce Revers
ne pouvoit rien contenir de plus
_ juſte, Mr le Chancelier eſtant ennemy
du faſte , modeſte dans ſa
grandeur , & zelé pour ſa Patrie.
Ces veritez tres-glorieuſes pour
luy,
!
S
116 MERCURE
luy,font tellement reconnuës,que
Sa Majesté a fait mettre dans ſes
Lettres de Chancelier , Que par
Ses Soins &parsa prudence , il a
beaucoup fervy à pacifier les Troubles
de l'Etat . Quelque modeſte
qu'il ſoit, il ne ſe peut qu'il ne demeure
d'accord avec luy-meſme
qu'il eſt digne de cet éloge , &
qu'il ne poſſede pas l'éminente
Dignité où il ſe voit ſans l'avoir
bien meritée , puis qu'il a etté
choiſy pour la remplir par unRoy
qui a le diſcernement le plusjuſ
te en toutes choſes, &que jamais
aucun faux-Brillat n'a pû ébloüir.
Je m'arreſte icy, ne pouvant trouver
d'expreſſions affez fortes pour
loüer dignement ce Grand Mo.
narque. Le Quatorzain que vous
allez voir , vous fera connoiſtre
quelles Eloges vulgaires luy conviennent
mal. J'appelle ainſi un
Son
GALAN T. 117
1
Sonnet fans rimes. Chaque Vers
aun Echo,dont pourtant une partie
des réponſes entre dans le
ſens de celuy qui interroge.
SONNET EN ECHO,
ſans Rimes .
Q
Vel employ dignement aujourd'buy
vous amuse, Muſe?
Mettez tous ces travaux où Mars
luySeul a part, à part,
Et laiſſez des Combats le tumulte
odieux aux Dieux,
Pour des soins plus charmans vous
estes cette année nee.
6
Pourriez-vous de la Paix leretour .
Salutaire taire ,
Et de fon Sage Autheur ne pas
vanter le nom ? Non,
Sçavez-vous quelHeros fit cetacte
inaity? Ouy.
118 MERCURE
Peut- on bien le loüer en langage
vulgaire ? Guére.
Iamais Prince fut- il genereux à ce
point? Point.
Qu'a- t- ildes Demy - Dieux dont on
entend parler? L'air.
Quijamais mieux que luypaya de
Saperſonne? Perfonne.
Que sont tous les Cesars qu'on met
àfihautprix, au prix,
Les Scipions, Pompée, Annibal, Alexandre?
Cendre.
Qui donc est-ce grand Roy qui les
euſt ébloüis? Louis.
Les quatre Vers que j'adjoûte ,
adreſſez à Monfieur l'Eveſque
d'Amiens , Autheur du Panegyrique
, dont j'ay parlé au
commencement de cette Lettre
, ont une pensée qui a du
raport
GALANT.
119
raport avec celle des trois derniers
Vers de ce Sonnet.Mais qui
ne s'accorderoit pas à dire que le
Roy ſurpaſſe les plus Grands Heros
de l'Antiquité ?
S3 •E43 AM EXOT, BRTS STOREX63 63 463 23
A L'AUTHEUR
DU PANEGYRIQUE
C
DE LOUIS LE GRAND.
Harmant Panegyriste,
gne Historien,
&di
Sur Pline tant vanté tugagnes la
victoire ;
Mais aussi l'on peut dire en faveur
de ſa gloire,
Que ton Heros surpasse infiniment
lefien.
Ce
120 MERCURE
Ce Quatrain eſt de Monfieur
l'Abbé de Sainte Croix- Charpy,
dont je ne puis m'empeſcher de
vous faire voir l'endroit d'une
Lettre qu'il écrit à un de ſes Amis
, ſur la difficulté des Panégyriques
. Ce Fragment ſervira à
vous marquer les avantages de la
Maiſon de Monfieur l'Eveſque
d'Amiens, qui peut eſtre ne vous
eſt pas tout- à- fait connuë. Voicy
ce qu'il en rapporte. Pour réüffir
en cette forte d'Ouvrages , il faut
avoir une grande délicateſſe d'efprit
, avec une profonde érudition,
&fur tout entendre fort bien la
politique & le monde , ce qui neſe
rencontre presque jamais qu'en des
Perſonnes de naiſſance. F'avois ignoré
celle de l' Autheur du Panégyrique
donr jeparle ; mais en lifant
l'Histoire des Chanceliers de France
que Monsieur du Chesne vient de
mettre
GALANT. F21
mettre au jour , jay appris que
Mesfire François Faure , Angoumoisin
, est forty du Sang & de
la Maison de l'illustre & fameux
Jean Faure Chancelier de France ,
celuy que les sçavans Furifconfultes
appellent le Pere du Droit , la
Lumiere des Loix , & l'Oracle de
la Juſtice , qui par lesſeuls degrez
deſa ſcience&deſa vertu estoit
parvenu à cette premiere & Sou
veraine Magistrature. Ce qui m'en
plaiſt le plus , c'est qu'il est avantageux
ànostre Grand Monarque
d'estre loüé par une Perſonne d'une
Race auffi illustre , & par un
Evesque d'une auſſi grande réputation
que l'est nostre Panégyriste.
Je paſſe à une Galanterie qui
vous fera voir combien l'amour
eſt ingenieux. Une Blonde de Paris
, & une Brune de la Campagne,&
toutes deux des plus aima-
-Octobre 1680 . F
122
MERCURE
bles , & Amies depuis longtemps
, eurent enſemble une de
ces petites querelles , qui ne fervent
dans la ſuite qu'à fortifier
l'amitié. Ce qui donna occaſion à
leur démeſlé , fut un jeu d'eſprit
de la belle Blonde, qui ſpirituelle
& enjoiée autant qu'on peut l'étre
, s'aviſa un jour de faire quelques
Couplets de Chanſon ,&des
Contreveritez ſur ſes Cõpagnes .
La Brune y avoit beaucoup de
part , & comme elle estoit d'humeur
à fe piquer de fort peu de
choſe , elle crut avoir ſujet de ſe
plaindre , & marqua de la froideur
à fon Amie. Elle fit plus. La
démarche de luy expliquer ce qui
la choquoit , luy ſemblant indigne
d'elle , elle ceſſa de la voir
pendant quelque temps , & s'en
alla même à la Campagne ſans
luy dire adieu. Un Cavalier,
galant
GALANT.
123
e
G
1
1
galant & amy également en apparence
de ces deux Belles, quoy
que dans le fond un peu Amant
de la Blonde,ayant appris de cette
derniere , apres le depart de
fon Amie , les circonstances de
leur diferend , reſolut d'en profiter.
Ilſçavoit que la Brune peignoit
ſi mal quand elle écrivoit,
qu'il falloit plutoſt deviner que
lire ; & comme tout commerce
de Billets ſe trouvoit rompu par
leur broüillerie, il luy tomba dans
& l'eſpritde faire rendre à la Blon-
I de une Lettre de ſa façon , &
écrite de ſa main , dont il eſtoit
aſſuré qu'elle ne connoifſſoit point
le caractere. Il figna la Let
tre du nom de la Brune , qu'il
imita le mieux qu'il luy fut poſſi
ble , comme fi elle euſt emprun
té une main pour tout le reſte ;
& l'ayant dattée du lieu où el-
I Fij
124 MERCURE
le faiſoit ſon ordinaire ſéjour , il
la fit porter à la belle Blonde par
une perſonne qui en revenoit ,
& qui luy en avoit déja rendu
quelques autres. Voicy ce qu'elle
y trouva.
AAAAFAΛΛA
A MADEMOISELLE
DU C ... DE S...
CSans
-
E caractere vous paroiſtra
doute inconnu , Mademoiselle
, mais n'en Soyez pas furprise.
Fe Sçay que vous vous eſtes
plainte , & avec raiſon , que j'écrivois
d'une maniere peu lisible.
Ainsi pour ne vous pas fatiguer
les yeux à déchifrer cette Lettre ,
& pour vous mieux éclaircir de
mes sentimens , j'ay crû qu'il ne
feroit pas mal-a propos de me fervir
GALANT.
125
1
C
E
vir de la plume & de la main
d'un Amy fincere & officieux , qui
a bien voulu écrire pour moy. Pour
vous rendre justice autant que je
vous la dois , j'avouë , ma Belle ,
que vous meritez beaucoup, & qu'il
est rare de trouver au monde unę
Amie qui ait tous les avantages
dont vous pouvez vous vanter.
Pour bien connoiſtre ce que vous
valez , il a falu que j'aye éprouvẻ
le chagrin d'eſtre privée des
douceurs de vostre aimable converſation
, & de la part mesme
que je poſſedois dans vostre amitié.
Cette privation m'est devenuë
ſi ſenſible , que j'ay résolu de
mettre en usage tous les moyens capables
de vous fiéchir , & de me
faire rendre dans vostre coeur la
place que j'y ay euë. Je veux oublier
les endroits par où je mesuis
attiré voſtre froideur , & j'ay du
Fiij
116 MERCURE
,
dépit dans l'ame, d'avoir voulufacrifier
à un petit point de gloire,
le plaisir de vous revoir , & de me
remettre bien dans vostre efprit.
Cependant quoy que je
n'aye jamais cessé de vous aimer,
la vengeance m'a paru si douce
contre une Ennemie aussi charmante
que vous ; &le defir defatisfaire
mon reſſentiment,m'a tellement
animée,que cette paſſion afait
naître en moy une Muſe qui m'a in-
Spiré dequoy parler à mon tour , &
repondre à celle qui chez vous a été
cause de nostre petite querelle.
C'eſt tout de bon que contre
vous je gronde,
Je ſens mon coeur jaloux de voir
que tout le monde
Vante fi fort par tout vos rares
qualitez.
Pour me vanger, je veux, aimable
Blonde,
Vous
GALANT. 127
Vous apprendre àmon tour vos
contre- veritez .
:
A commencer d'abord par les diformitez
De vôtre taille contrefaite,
Tout y choque , tour y déplaift
.
On ne sçauroit foufrir voſtre humeur
comme elle eſt,
Vous recevez mal la fleurete,
Et cependant je vous croy fort
coquete.
Vous eſtes noire à faire peur,
Et vous n'avez agrément ny douceur
.
Qui diroit, à vous voirdans vos
joursde parure,
:
Que vous avez bon air, vous feroit
une injure .
Vôtre gorge & vos bras tiennent
de la maigreur,
Sur vos levres toûjours domine la
pâleur,
F
128 MERCURE
1 Rien n'eſt ſi laid que voſtre
chevelure ,
Etquand on dit de vous que vous
chantez fort bien ,
Que vous dancez de meſme ,, oo n
n'en doit croire rien ,
C'eſt médiſance toute pure.
Vous haïffez fort la lecture ;
Auſſi pour de l'eſprit , vous n'en
euſtes jamais
Ny pour parler , ny pour écrire.
Vos yeux ſont ſans éclat , vos
regards ſans attraits ...
Vous eſtes toûjours triſte , & rien
ne vous fait rire .
Vous paroiffez mourante , & tout
vous fait pleurer ;
Mais ce qui fait voſtre plus grand
martyre ,
C'eſt de ne voir pour vous nul
Amant ſoûpirer. ر
En verité , ma Muſe eſt laſſe de
médire ,
Et
GALANT.
129
コ
a
S
1
Et je n'aurois pas crû qu'en vous
peignant ſi mal ,
J'euſſe fidellement tiré l'Original.
Vous voyez , ma Belle , combien
il est dangereux de m'attaquer ,
& que les forces ne me manquent
pas , quand j'en ay beſoin pour me
défendre . Mais c'eſt aſſez quevous
= m'ayez éprouvée. J'avoue que nos
armes font inégales. Les chants
de ma Musete ne seront jamais
comparables aux doux ſons de voſtre
Lyre , & je vous cederay toûjours
en toutes chofes , à vous , dis
je , qui ferezun jour la Sapho de
- nostre temps. Les merveilleuses
qualitez de vostre esprit , jointes
aux charmes de vostre corps ,
vous rendent une Perſonne fi accomplie,
que de quelque façon qu'on
vous regarde , vous brillez dans
Fv
130 MERCURE
un âge où d'autres à peine ont commencé
à paroiſtre.
Pour plaire & pour charmer vous
avez ce qu'il faut.
On vous a dit ſouvent que vous
eſtiez parfaite ;
Mais qui voudroit vous parler
d'amourete ,
Découvriroit en vous peut - eſtre
ungrand defaut.
Pour peu que vous confulterez
lesſentimens de vostre coeur , vous
n'aurez aucune peine à deviner en
quoy il consiste.
Quandon peut comme vous engager
tout le monde ,
Quand on a comme vous mille
charmans appas ,
Je vous l'aprens , petite Blonde,
C'eſt un crime de n'aimer pas .
Adieu,
GALANT..
131
1
!
Adieu , ma Belle. Profitez de mon
instruction , & me croyez la meilleure
de vos Amies . M. de B ...
Ce galant Avis , joint au tour
aiſé de toute la Lettre , fit voir
aiſement à la belle Blonde qu'on
s'eſtoit ſervy du nom de la Brune
, pour l'engager à la recevoir.
Elle comprit auffi - toſt que c'eſtoit
une galanterie du Cavalier , &
plaiſanta avec luy fur le talent de
faire des Vers , qui estoit venu
tout d'un coup à fon Amie. Cependant
la Perſonne qui luy avoit
apporté la Lettre, en demandant
la réponſe , elle promit de la faire
àſon veritable Autheur. L'avanture
ne ſçauroit avoir par là,qu'une
ſuite digne d'un commencement
ſi agreable.
L'air de la nouvelle Chanfon
que je vous envoye eſt de MonfieurCharpentier.
AIR
132 MERCURE
1
AIR
C
NOUVEAU.
Onſolez -- vous , chers Enfans
de Bacchus ,
A quoy bon ce chagrin étrange ,
En voyant noſtre Vendange
Couler avec si peu de jus ?
Nous n'en aurons pas en abondance,
:
Mais en recompense
Nostre Vin nouveau
Vendangé fans eau ,
Sera fi fin ,
Si divin ,
Si fort , fi puiſſant ,
Si bon, fi charmant ,
Sibrillant ,
Sipetillant ,?
a
-Qu'un seul Verre dans un Ecot
Fera plus de fracas que n'auroitfait
un Pot.
Il n'y a perſonne qui ne connoif
AIM fe
U
2
133
l'Unispeut
cunde
eurs
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cel
Dis Mr
an Fils
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Quoy
132
AIR
0
C
Aq
- Enr
Coul
Nousin
Qu'u
Fera
Iln'
GALANT.
133
ſe dans quelle eſtime eſt l'Univerſité
deMontpellier, mais peut
eſtre ignore- t- on, que chacun de
ceux qui s'y font paffer Docteurs
en Medecine ou en Droit, eſtant
obligé de donner une Feſte à ſes
Amis , ſelon la dépenſe qu'il peut
ſoûtenir , ces Feſtes font quelquesfois
d'une magnificence extraordinaire
. Telle a eſté celle
qu'a donnée depuis un mois Mr
Barbairac , à l'occaſion d'un Fils
unique reçeu dans la Faculté.
C'eſt un Medecin qui poſſede
quatre ou cinq cens mille livres
debien,&qui tous les ans en gagne
encor quinze ou vingt. Une
ſi grande richeſſe ne doit pas
vous étonner,la Medecine eſtant
floriſſante à Montpellier,& y attirant
de tous les lieux de l'Europe
un nobre infiny d'Etudians.Quoy
que ce Fils n'ait aucun deſſein
de
134 MERCURE
le
de l'exercer,la complaiſance qu'il
a pour un Pere dont les fatigues
luy ont afſuré une ſi haute fortune
, l'a engagé à demander
Bonnet. Auſſia - t - il pris l'Epée
auſſi - toſt apres ſa reception au
Doctorat. Voicy quelle enfuſt la
Ceremonie. Un jour avant qu'elle
ſe deuſt faire , Mr. Barbairac alla
avec luy chez tout ce qu'il y a de
Perſonnes de qualité dans la Vil-
Je ,'pour les prier de ſe rendre le
lendemain , ſelon la coûtume , à
la Faculté de Medecine , où l'on
devoit recevoir fon Fils Docteur.
Les Dames invitées pour la plûpart
aux Actes publics de cette
nature ne manquerent pas de
s'y trouver. Les Hommes , pour
luy faire plus d'honneur , voulurent
aller chez luy , afin de
l'accompagner au lieu deſtiné
د
pour l'Aſſemblée. C'eſtoit une
grande
GALAN T.
135
Es
コ
grande Salle, tapiffée d'une Hauteliffe
achetée exprés , la plus
magnifique qu'on euſt pû trouver.
Tous les Bancs , auſſi - bien
que la Chaiſe du Docteur,étoient
garnis d'un Drap bleu , avec des
Chifres de ſoye & d'or en plufieurs
endroits. Ces Chifres fervirent
d'abord d'amusement à la
Compagnie , chacun s'attachant
à les expliquer. On en vint à
bout fans beaucoup de peine. Il
recherchoit une Fille de naiſſance,
& cette recherche eſtant approuvée
, on connut bien - toſt
que c'eſtoit ſon Nom entrelaffé
avec celuy de la Belle. Le Pavé
eſtoit parſemé de Laurier !&
d'Herbes , avec force Fleurs. On
obſerva les Ceremonies accoûtumées
à le recevoir Docteur. On
fortit enfuite , & on le remena
chez luy dans l'ordre ſuivant.
Qua
136 MERCURE
Quatorze Violons marchoient les.
premiers , avec fix Hautbois , &
quatreTrompetes. Ils précedoient
le nouveau Docteur , vétu d'une
Robe noire , ayant un Bonnet
carré couvert de foye rouge , une
Chaîne d'or qui luy ſervoit de
Ceinture,& un Diamant au doigt
d'un prix tres- confiderable . On
le voyoit au milieu des Profeſſeurs
de la Faculté , qui portoient leurs
grandes Robes de Brocard rouge
, avec des Bonnets couverts de
foye de meſme couleur. Ils eftoient
ſuivis de plus de deux cens
Docteurs, chacun en Robe noire
& en Bonnet , marchant deux à
deux , & ayant à leur teſte leurs
quatre Bedeaux , en Robe & en
Bonnet ainſiqu'eux. Ces Bedeaux
portoient chacun une longue
Mafle d'argent. Les Parens& les
Amis fermoient cette marche,les
Dames
GALANT .
137
Dames vétuës avec une propreté
admirable , & les Hommes dans
un tres - grand ornement , chacun
ſe piquant de contribuer à
la beauté de la Feſte . Le chemin
depuis le lieu où l'on avoit fait la
Ceremonie juſqu'à la Maiſon du
nouveau Docteur , eſtoit parſemé
d'Herbes & de Fleurs , ainſi
qu'à la Faculté. En arrivant ,
on vit devant le Logis un Arc de
triomphe , fait de branches de
Laurier , & de quantité de Bouquets
de fleurs mélées enſemble,
avec des Tableaux , remplis tous
de Chifres que je vous ay déja
expliquez. Si- toſt qu'on fuſt entré
dans cette Maiſon , qui eſt
une des plus belles & des mieux
meublées de la Ville , chacun
congratula le Docteur , & on le
fit avec des témoignages de joye
d'autant plus finceres, que ſes belles
138 MERCURE
১
les qualitez le font eſtimer de
tous les honneſtes Gens. Il eſt
bien fait , a la taille belle , de l'efprit
infiniment ; & comme il eſt
liberal , & qu'il fait une tres-bel.
le dépenſe , il voit tout ce qu'il
y a de beau Monde à Montpellier
, & eſt bien reçeu par tout.
Les complimens faits on pria
la Compagnie de paſſer dans une
Salle , qu'on avoit ajustée tresproprement.
Elle estoit fort grande,&
tapiffée d'un Brocard couleur
d'or , avec de l'argent mélé.
Les Chaiſes estoient garnies de
meſme , & avoient pour ornement
des Chifres en broderie .
Comme c'eſtoit la Salle du Bal , le
jour qui en avoit eſté chaſſé dés
trois heures apres midy , afin que
la Dance euſt plus de grace, étoit
reparé par douze grands Luftres
qui l'éclairoient,ainſi quedesBras
dorez
GALAN Τ .
139
}
dorez attachez de toutes parts.
Apres que chacun ſe fuſt placé ,
le Docteur parut au milieu de
l'Aſſemblée , mais fort different
de ce qu'il eſtoit un moment auparavant.
Un Habit de Cavalier
rehauſſoit ſa bonne mine , & c'eſtoit
un air galant qui faiſoit bien
voir que la Medecine n'eſtoit
point ſon fait. Il alla prendre Mademoiſelle
de Bompar , Fille d'un
Gentilhomme qualifié de ce méme
nom , & commença le Bal
avec elle. Vous jugez bien qu'il
luy rendit cet honneur'en qualité
d'Amantdéclaré. Cette Belle
eſt grande , fort bien faite , a les
cheveux noirs , les yeux de mefme
, le teint du monde le plus
uny & le plus blanc , la gorge
charmante , l'humeur enjoüée &
une propreté qui fait qu'on l'admire
dans ſes habits les plus négligez.
140
MERCURE
gligez . Elle eſtoit habillée ce
jour- là d'une Gaze couverte de
feu à grades fleurs, avec une Jupe
toute de Point d'Angleterre, coëfée
de ſes ſeuls cheveux, & ayant
une Garniture de petit Ruban
jaune & blanc qui luy donnoit un
fort grand éclat. Auffi n'y eut - il
perfonne qui n'avoüaſt que le
prix de la beauté luy appartenoit.
Le Bal dura juſqu'à huit heures ,
apres quoy la Compagnie ſe difperſa
dans quatre Chambres, preparées
pour le Soupé . Il y avoit
dans chacune une Table de vingt
cing Couverts , avec ſix Luftres
pour l'éclairer.Ces quatre Chambres
eſtoient tapiſſées d'un petit
Brocard , l'un'blanc , & les trois
autres , jaune , vert,& rouge , les
Chaiſes de meſme , & par tout
des Chifres . Rien ne manqua au
Regal , ny pour la magnificence,
ny
GALANT. 141
ny pour le bon ordre. Il y eut fix
Services à chaque Table , &douze
Plats à chacun.Pendant le Sou
pé , un Choeur de Muſique préparé
dans chaque Chambre , fut
un agreable divertiſſement pour
les Conviez . Il eſtoit interrompu
de temps en temps , par les
Violons qui alloient par tout. A
peine eut-on deſſervy , qu'on
vint avertir les Dames que laComedie
les attendoit. On ne fongeoit
à rien moins qu'à ce plaifir.
On l'alla prendre dans une
grande Salle baſſe , où une Troupe
de Comediens avoit fait drefſer
unTheatre fort galant. LaTapiſſeriede
cette Salle eſtoit blanche
, toute enrichie de Ruban
Ponceau , qui faiſoit le plus bel effet
du monde. Les Comediens represēteré
la Devinereffe,avectous
ſes ornemens , & dans cette Repréſen
5
142
MERCURE
préſentation Madame Jobin ſe
mit de ſi belle humeur , qu'elle
réjoüit toute l'Aſſemblée . La Co- 、
medie faite , on repaſſa dans la
meſme Salle où s'eſtoit tenu le
Bal. Il y fut recommencé avec
le meſme. ordre ; & apres qu'on
eut encor dancé environ deux
heures on vit paroiſtre douze
grands Valets habillez fort proprement
, & portant chacun une
Corbeille pleine de Boites de
Confitures , garnies au dehors de
Rubans de differentes couleurs.
La nuit qui eſtoit déja fort avan -
cée , obligeant les Dames à ſe
retirer, on prit congé du Docteur,
& en fortant on fut fort ſurpris
de voir la Ruë auſſi éclairée que
l'eſtoient les Salles de cette Maifon.
On y avoit ſuſpendu des Luſtres
, & vingt Carroſſes , atten
doient les Dames avec cent Valets,
GALANT.
143
lets ,tenant chacun un Flambeau .
Elles furét toutes conduites chez
elles avec cette pompe. On continua
la Feſte pendant les trois
jours ſuivans entre les plus intimes
Amis . On ne manquoit point
d'aller tous les ſoirs donner une
Serenade à la belle Mademoiſelle
de Bompar avec un Choeur
de Musique & les Violons , qui
demeuroient là une partie de la
nuit , éclairez par une ſi grande
quantité de Flambeaux , qu'il
ne s'eſt jamais rien veu de plus
magnifique. Je n'ajoûte rien à ce
Mémoire ; je crains meſme que
le zele de celuy qui l'a dreſſe en
faveur de ſon Amy , ne l'ait emporté
un peu trop loin.
Je vous envoye une Piece d'un
caractere que vous trouverez nou.
veau. Une Belle voyoit partir ſon
Amant , & le connoiffant trop libertin
L
144
MERCURE
bertin pour ſe paſſer de Maiſtreſſe
pendant ſon abſence , elle aima
mieux luy en donner une , que
d'attendre qu'il la choiſiſt malgré
elle.
8:18: 8888888888888888
L'AMANTE
E
COMMODE.
Nvain , en me quitant , vous
jurezqu'à mes Loix
Vostre coeur restera fidelle.
८
Ce coeur se connoist moins queje ne
le connois ,
L'absence le rendra rebelle ,
Et déjaſa conſtance est peut- estre
aux abois.
Vous partez, ilsuffit , & fans inquietude.
Je ne me fieray point à mes foibles
attraits ,
Vostre
GALAN T.
145
Vostre humeur trop volage est un
mal d'habitude
Dont vous ne guérirezjamais .
و و
Malgré tous vos fermens , je ſçay
vostrefoibleſſe ,
Vous changerézen un moment.
Cependant comme en vous encor je
m'intéreſſe, 7:
Pourvous conferver mon Amant,
Ie veux bien vous donner moy méme
une Maiſtreſſe ,
Qui vous ferve d'amusement .
On ne m'en verra point dédire .
Qu' Irisſoit ma Rivale, aimez cette
Beauté;
Mais que ce changement oùje veux
bien ſouſcrire,
Soit la marque de mon empire ,
Non de vostre legereté.
Par mon ordre portant vos voeux A
cette belle ,
Octobre 1680. G
146
MERCURE
Suivezaveuglement mon choix,
Etdumoins la premierefois
Devenezfans crime infidelle.
Iene veuxpoint que vostre coeur
Confulte si l'objet aura dequoy luy
plaire.
Choiſiſſant un autre Vainqueur,
Vous mériteriez ma colere .
62
Sur tout , defense à vos defirs
Deſuivre leur panchant vers le libertinage,
C'est en m'obeïssant qu'ilfaut estre
volage ;
Et s'il me plaiſt ailleurs conduire
vos foûpirs,
Gardez-m'en le plus purhomage.
९६५
Quand mon coeur de ce droitfe déclare
jaloux,
Neditespoint que la contrainte
Ofte à l'Amour ce qu'il a de plus
doux,
Et
GALANT. 147
Et que pourſe vanger d'une odieuse
feinte,
Ce Dieuſouvent nousſoûmetmalgrè
nous.
Iefçay qu'il a ce privilege ;
Mais à ſa violence opposant la
raison
Défendez vous alors du piege,
Et vousfauvez defonpoison.
ع و و و
Luy-mesme m'a donné l'empire de
vostre ame ;
Etfi dans vostre coeur il prétendoit
Allumer malgré vous une nouvelle
unjour
flâme,
Vous pouvez appeller de l' Amourà
l'Amour.
vrage,
622
Qu'il maintienneSon propre ou
Ilfit l'union de nos coeurs
Gij
148
MERCURE
Doit - il les ſéparer,quand je ne vous
engage
Acompter ailleurs des douceurs
Quesur le pied du badinage ?
Vous pouvezm'en faire un larcin,
Sans queje m'en faſſe une injure;
Mais de là fongez- bien qu'il est
plus d'un chemin
Qui peut vous menerau parjure.
Le Roy a donné à une des
Filles de Mr le Duc de Navailles
l'Abbaye de Sainte Croix de Poitiers.
Vous ſçavez que dans nos
dernieres Campagnes , ce Duca
commandé avec beaucoup de
conduite & de ſuccez l'Arméede
Sa Majesté en Catalogne.
Monfieur l'Abbé de Moſny,
Grand Doyen de l'Egliſe de Nôtre
- Dame , & Docteur de la Faculté
de Paris , a eſté gratifié de
Tab
GALANT . 149
l'Abbaye de S. Nicolas de Mizeray.
C'eſtun Homme d'un mérite
& d'une pictés finguliere. Il eſt
Neveu de feu Mr de Contes , auffi
Grand Doyen de Noſtre Dame,
& Confeiller d'Etat ordinaire.
Les grands ſervices que l'oncle
a rendus au Roy, font tout attendre
du zele que le Neveu fait
paroiſtre à ſoûtenir dignement
l'honneur de luy fucceder.
Vous avez pris trop de gouft
à tout ce que je vous ay envoyé
de Mr Hebert, de l'Academie de
Soiffons , pour ne vous pas faire
part d'une Harangue , que vous
trouverez tres digne de luy . Elle
a eſté faite pour Monfieur Colbert
, quand ce Grand Miniſtre
pafla à Soiffons. C'eſt vous dire
- affez , pour vous donner impatience
de lire.
Giij
150 MERCURE
MONSEIGNEUR,
Quand le ſouvenir des graces
que vous avez fi abondamment
verſéesfur cette Compagnie , & le
juste defir de vous en témoigner
nos reſſentimens , ne nous ameneroient
pas icy ; nous ferions toûjours
obligez de venir vous dire que
nous prenons part à la reconnoiſſance
publique. Nous connoiffons,Mon-
Seigneur, leprix des grandes choses
que vous avez glorieusement exécutées
pour le bien de ce Royaume ;
& comme nous nous intéreſsons tres.
fortement à vostre gloire , nous les
avons toûjours remarquées avec
une joye toute particuliere . LOUIS,
l'incomparable LOUIS , entreprend
de conſerver àses Sujets la tranquillité&
l'abondance dans la plus
grande Guerre que nous ayons jamais
euë ; & par vostreſage con-
1 duite
GALANT.
151
د
duite dans l'administration des
Finances,nous avons veu réüſſir cette
haute & difficile Entrepriſe.
Mais combien cette rare conduite
ast-elle encor contribué à l'ouvrage
de la Paix , à ce grand & merveilleux
évenement qui rend la
France außi glorieuse &aussiformidable
que toutes les Victoires quelle
a jamais remportées ? C'estoit
fans doute , Monseigneur ceque
vous aviez dans l'idée , quand
vous travailliez avec tant d'application
& de fuccez à l'entretenement
de ces Forces incroyables avec
lesquelles nous avons combatu
fi longtemps & si heureusement,
contre tant de Nations diférentes.
Nos Ennemis qui ne pouvoient comprendre
comment les Finances d'un
Seul Royaume y pouvoient fuffire,
espéroient de jour enjour d'en voir
tarir la ſource , & cette espérance
Giiij
152 MERCURE
,
les animoit à foûtenir une Guerre
qui leur estoit fi deſavantageuse.
Mais quand ils virent que par
vos foins & par une economie qui
nous a esté inconnuë jusqu'à vous,
cette fource estoit devenuë inépui-
Sable ; quand ils connurent que
voſtre Zele estoit infatigable , &
vos lumieres infinies ils jugerent
que le temps fatal estoit venu
où ils devoient fubir le jong,
& ils perdirent enfin le courage
avec l'esperance. Voila , Mon-
Seigneur, comment vous avez prépare
au Vainqueur de tant de
Peuples , la matiere d'un nouveau
triomphe , mais d'un triomphe admirable
, dans lequel la magnani-
Prince n'éclate pas mité de ce
moins en leur donnant la Paix,
que sa valeur s'est fait admirer
en foudroyant leurs Places les plus
fortes , & en ſe ſoûmettant leurs
meil
GALANT. 153
meilleures Provinces. Voilà ce que
vous doit la France , voila ce que
nous vous devons avec elle . Mais
avec ces obligations genérales, nous
vous en avons en particulier de
tres -fenſibles , &nous pouvons dire
que vos bontez en rempliſſant nos
defirs , ont furpaſſé noſtre attente.
En effet non seulement vous
nous avez establis dans un temps
où nous l'efperions le moins , dans
un temps où vray ſemblablement
vos grandes occupations ne devoient
pas vous permettre de penser à
nous ; mais vous avezdonné enfuite
voſtre approbation ànos Etudes,
vous nous avez honorez des marques
de cette estime qui décide du
mérite , &qui en fait laplusprétieuse
récompense , &fur laquelle
nous ne pouvions avoir de prétentions
legitimes. Ce font là principalement
les obligarions dont nous
G V
154
MERCURE
Souhaiterions ardemment de nous
pouvoiracquiter. Mais , Monfeigneur
, les Gens de Lettres ne
peuventse revancher des faveurs
qu'ils reçoivent , que pardes paroles
;&quand ces faveursfont au
deſſus de toutes les expreßions ;
quand l'Eloge de leur Bienfai-
Eteur est au deſſus de leur portée,
avec une reconnoiſſance infinie , ils
Se voyent malheureusement contraints
àdemeurer dans une ingratitude
apparente. C'eſt , Mon-
Seigneur, l'état oùnous nous trouvons
àvoſtre égard , trop heureux
Sipour les actions de graces que
nous ne pouvons vous rendre ; fi
pour les loüanges que nous ne
pouvons vous donner , vous vouliez
vous Satisfaire des voeux
que nous faisons continuellement
au Ciel , pour la conſervation
d'une Perſonne si importante à
Get
GALANT.
155
cet Etat , &fi chere à cette Compagnie.
Le temps des Vendanges eftant
celuy de toute l'année,pendant
lequel on fait ordinairement
les plus agreables Parties
de Campagne , pluſieurs Perſonnes
confiderables de l'un &
de l'autre Sexe , reſolurent de
l'aller paſſer à une lieuë de Paris .
Deux jeunes Soeurs , Filles de
naiſſance , eſtoient de la Compagnie.
Chacune avoit ſon merite
; & fi mille qualitez faiſoient
eſtimer l'Aînée , la Cadete , âgée
ſeulement de quinze à ſeize ans,
avoit dequoy plaire aux plus difficiles
. Son viſage auſſi brillant
que ſa taille efſtoit bien priſe,
charmoit tous ceux qui la regardoient
; & ſes manieres touses
engageantes méloient de tels
agre
156 MERCURE
agrémens à ſes moindre actions,
que quoy qu'elle fiſt,on avoit ſujet
de l'admirer . La belle éducation
avoit d'ailleurs ſecondé le ſoin
que la Nature avoit pris de la
faire aimable , & on rencontroit
en elle tout ce qu'on peut fouhaiter
de la complaifance d'une
Perſonne tres bien élevée . Il n'y
avoit que fon nom qui répondiſt
mal à ce qu'elle eſtoit. Elle s'apelloit
Agnes , & la vivacité furprenante
de ſon eſprit ne convenoit
en aucune forte à l'innocence
que Moliere a peinte dans
Agnes de fa façon . Comme elle
eſtoit d'une humeur fort enjouée
, & que tous ceux de la
Compagnie avoient réſolu de
ne ſonger qu'aux plaiſirs pendant
qu'ils feroient enſemble,
elle ne contribua pas peu à les
faire naiſtre . Ainfi tout estoit
1
en
GALANT.
157
en joye,& chacun ayant fait proviſion
de gayeté , on n'épargnoit
rien pour l'entretenir. Un feul
Gentilhomme
, paffionnement
amoureux de la belle Agnés, demeura
toûjours reſveur. Son amour
estoit connu , & deux ou
trois Cavaliers qui conterentdes
douceurs à cette aimable Perfonne
, le déconcertoient à tous momens.
Son trouble d'eſprit paroiſſoit
à tout le monde , on
rioit de ſes chagrins ; & la Belle
que divertiſſoit ſa jaloufie , prenoit
plaifir à les augmenter. Elle
écoutoit gracieuſement ce qu'on
luy diſoit de tendre , &quoy que
ce fuſt ſans aucun deſſein, elle affectoit
quelque choſe de malitieux
dans ſes're ponſes qui alarmoit
cejaloux Amant.Apres quelques
jours paffez en divers plaifirs,
un ſoir qu'on avoit fait porter
la
158 MERCURE
la Collation au pied d'une Vigne
que l'on vendangeoit , le
Gentilhomme ayant diſparu dans
le moment qu'on devoit partir,
apres qu'on ſe fut un peu réjoüy
à ſes deſpens , un Cavalier des
plus enjoüez prit ſon ſerieux , &
dità la Belle qu'il ne luy conſeilloit
pas de fortir ſans bonne efcorte
, parce qu'il ſçavoit de bonne
part que fon Amant vouloit rifquer
tout.&que pour ne craindre
plus que ces Rivaux l'emportafſent,
il avoit deſſein de l'enlever.
La Belle, que la repartie n'embarafſoit
pas , dit d'aſſez plaiſantes
choſes ſur la menace de l'enleve .
ment. On ſe partagea en ſuite
dans pluſieurs Carroffes , & le
Gentilhomme rejoignit la Compagnie
au lieu qu'on avoit marqué.
Il y reſva à fon ordinaire. Les
autres prirent employ comme
Ven
GALANT. 159
Vendangeurs . La Collation ſe fit,
&la nuit venant , on s'en retourna
ſouper.Le lendemain, de nouvelles
Dames arriverent de Paris
; & apres qu'on eut dîné, elles
propoſerent la Prairie d'Autoüil
pour faire une Promenade. Cha
cun en convint ,& quand on fut
preſt d'exécuter la Partie,la Belle
pria qu'on ladiſpenſaſt d'en eſtre.
Tout le monde s'étonnant d'une
priere qu'on n'attendoit point,un
des Cavaliers fe pancha vers
elle , & luy demanda d'un ton
affez bas , fi elle craignoit l'enlevement.
Elle répondirtout haut,
qu'une fi forte migraine l'avoit
faifie tout- à-coup, qu'elle n'eſtoit
pas capable de ſuporter le mouvement
du Carroſſe. On prenoit
trop d'intereſt à cette aimable
Perſonne,pour l'expoſer à ſoufrir.
On alla ſe promener , & la Belle
demeu
160 MERCURE
demeura avec ſa Soeur,une Amie,
& un Gentilhomme de ſes Pa
rens . Son Amant vouloit reſter
auſſi avec elle , mais elle voulut
qu'il tinſt compagnie aux Dames .
Elles trouverent la Prairie d'Auteüil
remplie debeau monde , &
eurent à peine employé une heu.
re à la Promenade , qu'une d'entr'elles
ayant avancé la teſte hors
de la Portiere , s'écria fur l'extraordinaire
propreté d'une jeu.
ne Païfane , qu'elle vit de loin arreſtée
à un Carroſſe. Les autres
l'ayant regardée comme elle, eurent
la meſme ſurpriſe. Elle tenoit
une Corbeille de Fruits ,& le plaifir
qu'on ſembloit avoir à luy par.
ler, donnoit lieu de croire que fa
beauté répondoit à ſa parure.
Tous ceux de la Troupe diſpoſée
en trois Carroffes,brûloient d'envie
de s'en éclaireir , & enfin
astneh
s'im
GALANT, 161
s'impatientant de voir qu'on l'ırreſtoit
trop long- temps , ils luy
envoyerent un Laquais pour la
preſſer de leur apporter des .
Fruits. Elle vint à eux, quoy qu'on
l'appellaſt de toutes parts , avec
un reſte de Peſches,& un Panier
de Muſcat qui n'eſtoit plein qu'à
moitié Plus elle approchoit , plus
on la trouvoit charmante.Chacun
attacha ſes yeux fur elle ,& quad
elle fut à la Portiere , ils la reconnurent
pour la belle Agnés.C'eftoit
elle meſme , quipour les fur.
prendre agreablement, avoit ménagé
le temps de ſe déguiſer , en
ſupoſant un grand mal de teſte.
Elle feignit quelque temps de
ne rien comprendre à ce nom.
d'Agnes qu'on luy donnoit , &
compoſa ſi bien ſon viſage , que
changeant ſa voix , & parlant un
jargon de Païfan , elle les mit
tous
162 MERCURE
tous en eſtat de croire qu'ils s'eftoient
mépris. Son jaloux Amant
qui en fut perfuadé plus
que les autres, ne ſe laſſoit point
d'admirer la reſſemblance. Il la
plaignit d'eſtre deſtinée à devenir
le partage de quelque miſérable
Laboureur , & l'entendant
murmurer , de ce qu'on luy faiſoit
perdre le temps d'aller vendre
ailleurs fans que perſonne
achetaſt, il voulut l'en conſoler en
luy donnant un Loüis pour quelques
Peſches. La Belle fit de ſi
grands éclats de rire en le recevant
, qu'il ne luy fut pas poſſible
de ſe cacher davantage. Elle reprit
ſon ton de voix naturel , &
leur ayant dit qu'elle vouloit vuider
ſes Corbeilles , elle les quita
pour aller offrir aux Gens des autres
Carroffes ce qui luy reſtoit
deFruit. Ils la ſuivirent de loin,&
admi
GALANT. 163
admirerent avec combien d'efprit
& d'adreſſe , elle foûtenoit le
rôle qu'elle avoit voulu joüer.
Chacun demandant ſon nom,elle
ſedonna celuyde Margot,& pleût
tellement par ſes petites manieres
, qu'à quelque haut prix qu'el.
le miſt ſon Fruit, on le payoit encor
au dela . La belle Margot faiſoit
tant de bruit dans la Prairie,
que les Acheteurs accouroient de
toutes parts. Ainfi le Fruit luy
manqua bien - toſt,& alors elle rejoignit
ſa Soeur,qui l'attendoit en
Carroffe , avec ſon Amie & leur
Parent. Le reſte de cette galante
Troupe arriva auſſi toſt qu'elle au
lieu où ils devoient tous ſe retrouver
,& tout le ſoir ſe paſſa en
mille plaifanteries , que la belle
Agnés ſoûtint avec un enjoüement
admirable. Elle loüa ſonAmant
de ſon humeur liberale ,
&
164 MERCURE
1
& trouvant que le métier eſtoit
affez bon, elle reſolut d'eſtre encor
Margot le lendemain , pour
amaffer , en vendant des Fruits,
dequoy leur faire un Régal ſplen.
dide . Les Dames qui retour )
noient coucher à Paris , promirent
de luy amener nombre de
Marchands ; & une d'elles qui
l'aimoit fort tendrement , ayant
commencé à luy faire des carrefſes,
elles curent un quart-d'heure
d'entretien particulier. Comme
elles rioient toutes deux en ſe
parlant,on leur fit la guerre de ne
vouloir le plaifir que pour elles
ſeules , & cela les obligea de finir
plutoſt . Le lendemain,la Belle reprit
ſon habit de Païfane , &
ayant eu plus de temps à ſe donner
le bon air dans ce galant
équipage , elle y parut fi charmante
, qu'on luy répondit d'autant
GALANT. 165
tant de conqueſtes qu'elle en voudroit
faire. Les Dames , qui s'eftoient
engagées à un meſlage, afin
qu'elle ne vinſt pas à la Prairie
avant elles , envoyerent l'avertir
qu'elle y trouveroit bonne compagnie
. Toute la Troupe monta
foudain en Carroſſe , & apres avoir
fait defcendre l'aimable Margot
à cent pas du Rendez - vous,on alla
chercher les Dames qui luy
amenoient des Acheteurs. Cette
jonction fut cauſe qu'on mit pied
à terre. Les complimens qui ſe
font toûjours d'abord , eſtoient à
peine finis , qu'on vit arriver l'agreable
Païfane Sa taille aiſée,
le brillant de ſon viſage , & fon
air fin & fpirituel , firent dire à
ceux qui n'eſtoient venus que
pour la voir, qu'elle méritoit toute
forte d'avantages . Elle s'adreſſa
aux Dames avec une grace qu'on
ne
166 MERCURE
ne ſçauroit exprimer. Aucun des
Hommes ne ſe hâtoit d'acheter
ſes Fruits , dans la crainte d'eſtre
trop toſt privez de ſa veuë. Il
fallut pourtant qu'ils en prifſent
de ſa main. VousJugez bien
qu'ils en donnerent ce qu'elle
voulut.Apres avoir fait aſſez bien
fon compte de ce coſté-là , elle
s'avança vers d'autres Carroſſes,
d'où on l'appelloit. Cependant
labelle Troupe, à qui ſon déguiſement
eſtoit connu , s'affit fur
l'herbe pour y prendre le frais;
& une des Dames prenant la
parole , demanda ſi l'on ſçavoit
ce qui eſtoit arrivé à une Perſonne
de marque. Cette Perfonne
faiſant fort grande figure , on
la pria de conter l'hiſtoire. L'attention
qu'on luy preſta quelque
temps , fut interrompuë par un
effroyable cry qui ſe répandit par
tout,
GALAN .
167
tout , & qui fit connoiſtre que la
Païfanne eſtoit enlevée . Les Dames,
les Cavaliers , tout fut en alarmes.
On demanda comment,
& par qui , & de quel coſté
on l'emmenoit. On montra un
Carroſſe à fix Chevaux qui alloient
vers la Ville à toute bride,
& on apperçeut la belle Agnés,
qui s'avançant hors de la Portiere
, faifoit ſes efforts pour ſe ſauver.
Un des Cavaliers que ſa
voix frapa , courut de toute fa
force avec cinq ou fix Laquais.
Le Gentilhomme qui en eſtoit
amoureux , voulut auffi courir
apres le Carroſſe ; mais le Parent
de la Belle , qui avoit entendu
dire le jour précedent qu'il la
vouloit enlever , le crût l'autheur
de cette entrepriſe,& prétendant
le faire répondre du Rapt , il
sobſtina ainſi que les Dames,
à
168 MERCURE
à le faire demeurer. La douleur
qu'il eut de l'enlevement de ſa
Maiſtreſſe , & les menaces d'un
Procés en crime , où l'on fembloit
vouloir l'engager , furent
pour luy un ſi grand ſujet d'accablement,
que tombanté vanoüy, il
cut luy-mefme beſoin de ſecours.
On le porta dans une Maiſon voifine
, où quelques Dames qui
l'accompagnerent , luy firent tirer
du ſang. Apres qu'il fut revenu
de ſa foibleſſe , on le conduifit
où le reſte de la Compagnie
devoit ſe rendre. Il s'y
plaignit de l'injuſtice qu'on luy
faifoit de le croire autheur d'une
lâcheté ; & on le vit fi pénetré
de douleur de l'enlevement
de l'aimable Agnés, qu'il fut aiſé
de connoiſtre qu'il n'y avoit point
de part. En effet , ce qui s'eſtoit
dit depuis deux jours de fon
prétendu
GALANT. 169
prétendu deſſein , n'avoit aucun
fondement. C'eſtoit un conte inventé
pour faire parler la Belle.
Cependant le Cavalier qui ſuivoit
les Raviffeurs , euſt bientoſt manqué
d'haleine. Tout ce qu'il pût
faire, fut d'ordonner aux Laquais
d'avancer toûjours , & de prendre
langue touchant le Carroſſe,
Le hazard voulut que cet accident
eſtant arrivé ſur les fix heures
, qui eſt celle où l'on commence
à faire la Garde en ce
Quartier- là , il trouva un Cavalier
préposé pour cette Garde , à
qui il conta l'affaire, l'aſſurant que
ſa Brigade ſeroit payée largement,
s'ils arreſtoient le carroſſe où
eſtoit la Païſane. Deux coups de
Siflet aſſemblerent vingt- cinq de
ſes Camarades , qui coururent
auſſitoſt à toutes jambes.Le Cavalier
retourna où il venoit de
Octobre 1680 . H
170 .
MERCURE
laiſſer les Dames , & au lieu de
quatre ou cinq Carroſſes qu'il devoit
trouver , il n'en vit que deux
dans lesquels estoient cinq Femmes
& deux Hommes, qui le prirent
avec eux .Il leur fit ſçavoir ce
qu'il avoit fait , & les Dames luy
apprirent l'accident du Gentilhomme.
La Compagnie s'eſtant
raſſemblée , chacun raiſonna fur
l'enlevement.On en craignit d'autant
plus les ſuites , qu'on crût
que de jeunes Gens l'auroient
entrepris , trompez par l'habit de
Païfane. On ne doutoit point que
la belle Agnés ne ſe fiſt connoiſtre
; mais quoy qu'elle diſt , ils
pouvoient d'abord manquer de
reſpect , ou ne la pas croire ſur ſa
qualité. On paſſa deux heures
dans les plus fortes alarmes , & enfin
on vit entrer un des Gardes
qui rendit lajoye à tout le monde.
GALAN T.
171
Il dit qu'on avoit atteint les Raviſſeurs,
qu'on vouloit ſur l'heure
les envoyer prifonniers , mais que
la jeune Perſonne qu'ils enlevoient,
avoit tellement prié qu'on
les amenaſt dans cette Maiſon
qu'on avoit fait marcher le Carroffe
, & qu'il alloit arriver eſcorté
de vingt de ſes Camarades. La
belle Enlevée parut un moment
apres . Chacune des Dames courut
l'embrafler . Elle répondit d'un
air tout charmant à ces marques
d'amitié ; & en ſuite s'adreſlant
aux Cavaliers , elle leur dit que
c'eſtoit à eux à voir ce qu'ils réfoudroientdeſes
Raviſſeurs,qu'elle
prétendoit les remettre entre
leurs mains , & qu'apres les avoir
rendus maiſtres de la fatisfaction
qui luy eſtoit deuë , elle jugeroit
deleur eſtime par la maniere dont
ils vangeroient l'affront qu'on lay
Hij
3172
MERCURE
avoit fait. En meſme temps elle
fit entrer les autres Gardes . Les
Raviffeurs estoient au milieu , &
ce fut en les voyant qu'on pénetra
le miſtere .C'étoient deux Freres
, & un Coufin de la Belle ,
priez par la Dame avec qui elle
avoit tant ry le ſoir précedent, de
venir eſtre ſes feints Raviſſeurs.
Cette Dame qui avoit fait juſquelà
merveilleuſement la deſolée ,
ſe mit à rire de tout ſon coeur des
frayeurs qu'on avoit euës . Chacun
avoüa qu'il avoit eſté la Dupe
de labelle Agnés ; & quoy qu'on
euſt fort fouffert des inquietudes
qu'elle avoit cauſées,on n'eut pas
la force de luy en vouloir du mal..
Comme ſon Amant ne paroiſſoit
point, on luy apprit ce qu'il eſtoir
devenu. La foibleffe le retenoit en
haut fur fon Lit. On luy deputa
deux Dames , qui apres luy avoir
donné
GALANT.
173
د
&
donné la joye d'Agnés retrouvée,
luy dirent que ſes Raviffeurs
eſtoient priſonniers dans la Maiſon,
qu'ils l'accuſoient de les avoir
employez pour l'enlevement , &
qu'il pouvoit venir ſe juſtifier devant
tout le monde. La fureur le
prit à cette accufation. Ildefcendit
tout hors de luy- mefme
fut agreablement ſurpris quand
on luy montra les Autheurs du
coup. On congedia les Gardes ,
que l'on fatisfit fort honneſtement.
Ce fut tout de bon qu'ils
arreſterent d'abord les prétendus
Raviſſeurs ; mais l'aimable Agnés
les ayant inſtruits de la tromperie
, ils avoient en ſuite concerté
enſemble ce qui leur reſtoit à
faire.ls ſeroient venus plutoſt dénoüer
la Piece , ſi la Belle n'eust
pas voulu aller à Paris , où elle
ordonna un tres - beau Deffert .:
Hiij
174 MERCURE
Elle y employa l'argent qu'elle
avoit gagné à vendre des Fruits ,
&cette galanterie finit les plaifirs
d'un jour que tant d'Incidens
rendoient remarquable.
Le Mercredy 9.du mois, Monfieur
de Novion Conſeiller au
Parlement , Fils de feu Monfieurde
Novion Fils aîné de Monſieur
le Premier Préſident , épouſa
Mademoiſelle Berthelot , Fille
aînée de Monfieur Berthelot Tréforier
General des Maiſons & Finances
de Madame la Dauphine.
Ce Mariage s'eſt fait avec l'agrément
du Roy , qui en a ſigné le
Contract , auffi bien que toute
la Maiſon Royale. Le jour que je
viens de vous marquer , il y eut
un Soupé tres- magnifique chez
Monfieur Berthelot , pour la fignature
de ce Contract. La Ceremonie
ſe paſſadans toute l'honneſteté
<
GALANT.
175
neſteré imaginable. Voicy ceux
qui s'y trouverent. Mr le Premier
Préſident, Mr le Duc de Geſvres,
Premier Gentilhome de laChambre;
Mr de Novion, & Mr l'Evêque
de Ciſteron,tous deux Fils de
Mr le Premier Preſident ; Mr &
Madame de Ribere , Mr & Madame
de la Brife ( Vous ſçavez que
Mefdames de Ribere & de laBrife
font toutes deux Filles de Mr
le Premier Préſident;Madame de
Tubeuf, qui eſt une troiſiéme Fille
, ne s'y trouva point à cauſe de
ſon Veuvage ; ) Mr de la Ferriere
Maiſtre des Requeſtes ,& Madame
de la Ferriere fa Femme Soeur
du Marié Mr le Chevalier de
Novion Frere du Marié, Mr Gallard
de Poinville,Frerede Madame
la Premiere Préſidente , Mr
Piques, Mr de Belloy,Mr Berthelot
Oncle de la Mariée, Madame
Hiij
176 MERCURE
ſa Femme , Mr Dalmas , Secretaire
du Roy, & Tréſorier General
des Ecuries de Sa Majesté ,
Madame Dalmas ſa Femme, Soeur
de Mr Berthelot, Monfieur Aimé
Secretaire du Roy , Madame Aimé
ſa Femme autre Soeur de Mr
Berthelot, Mademoiſelle Berthelot
Soeur de la Mariée , Monfieur
l'Abbé Parfait Chanoine de Noftre
-Dame , & Monfieur le Controlleur
Parfait ſon Frere
deux Oncles de Madame Berthelot
, Monfieur Ravot d'Ombreval
, Avocat General de la
Cour des Aydes , Gendre de Mr
Berthelot , & Monfieur de Joüy,
Fils aîné de Mr Berthelot , Ανο-
cat General des Requeſtes de
l'Hôtel. Il y eut deux Tables fomprueuſement
ſervies .A minuit on
alla à S. Eustache , où la Benediction
Nuptiale ſe fit . Monfieur le
Premier
tous
GALANT. 177
Premier Preſident retourna chez
luy apres la Meſſe , auffi - bien
que Monfieur le Duc de Geſvres .
Le reſte de la Famille revint chez
Monfieur Berthelot. Le Marié eſt
jeune, fort bien fait de ſa perſonne
, & reçeu Conſeiller au Parlement
du 6.de Septembre . Mademoiſelle
Berthelot eſt brune,d'une
tres - jolie taille,a l'eſprit doux,
l'humeur agreable , & fait affez
voir par ſes manieres qu'on a pris
de fort grands ſoins de ſon éducation.
Le lendemain , on alla à
Villebon , où Mr le Premier Préſident
donna un fort grand Soupé.
Sa generoſité ordinaire , &
la tendreſſe qu'il a pour Mon.
fieur de Novion ſon Petit Fils ,
luy ont fait prendre chez luy
les Mariez , avec tout leur trains
poury demeurer tant qu'il vivra,
ſans qu'il leur en couſte aucune
choſe. Hv
178 MERCURE
Ce Mariage me fait ſouvenir
d'un autre qui s'eſt fait dés le
Mois d'Aouſt , & dont j'ay toûjours
oublié de vous parler. C'eſt
celuy de Monfieur de Chaſteauneuf
, Conſeiller au Parlement.
Je vous ay déja entretenuë pluſieurs
fois de luy.Il eut l'honneur
d'accompagner la Reyne d'Eſpagne
juſqu'à la Frontiere , & lût
l'Acte de Delivrance , quand on
la remit entre les mains des Envoyez
du Roy catholique. Il étoit
Conſeiller Ecclefiaftique , & il a
changé de Charge pour époufer
Mademoiselle deMouffy laCour-
Reine. Cette jeune Mariée eſt
belle,bien faite,ſpirituelle, & Fille
unique d'un Maiſtre des Comptes
de ce meſme nom. Ainſi le
bien eſt joint au merite , & Mr de
Chaſteauneuf a trouvé dans cette
aimable Perſonne tous les avantages
GALANT. 179
د
tages qu'il avoit lieu d'eſperer.
La Relation du Mariage de la
Reyne d'Espagne , qui explique
ce que c'eſt que l'Acte de Délivrance
dont je viens de vous parler
contient une Planche où
eſt gravée la Maiſon Royale du
Buen- Retiro. Vous vous fouvenez
, Madame , que cette Prin
ceſſe y demeura juſqu'à ſon Entrée
publique . Apres vous avoir
donné la Veuë de ſes Baſtimens,
il faut venir aux Jardins . Ils ont ,
entre autres beautez ,deux Etangs
confiderables . Tout ce qui fert
d'ornement au plus petit, eſt gravé
dans cette Planche.Vous trouverez,
en jettant les yeux deſſus,
qu'il doit eſtre d'un fort agreable
afpect.
Pendant qu'un des plus terribles
Fleaux dont Dieu ſe ſerve
pour punir les Hommes, a fait de
triftes
180 MERCURE
triſtes ravages en Allemagne ,
nous n'avons veu, environ depuis
cinq mois,regner icy que des Fiévres.
Il y en a eu de toutes fortes ,
& en tres - grand nombre , mais
auſſi elles ont eſté gueries fort
promptement , & il en eſt mort
tres- peu de Perſonnes. Vous en
ſçavez la raiſon , & ce qu'on doit
au Remede Anglois . Comme on
en parle aujourd'huy par tout , il
faut vous en dire quelque choſe.
Si le Quinquina n'entre point das
ce Remede , it entre du moins
dans le raifonnement de tous
ceux qui veulent chercher en
quoy il confiſte,& c'eſt par la que
je me croy obligé d'expliquer en
peu de mots ce qui eſt arrivé du
Quinquina depuis qu'on s'en eſt
ſervy. Il y a vingt- deux ans , que
c'eſtoit un nom inconnu en Franse,&
je ne ſçay meſme s'il ne l'eſtoit
GALANT. 181
ſtoit point dans toute l'Europe.
Les Jeſuites en firent la découverte
dans le Pérou , & en ayant
apporté à Rome , ils en donnerét
quinze priſes au Pere Anahalt
qu'ils y trouverent. Ce Pere eftant
icy de retour , en fit l'épreuve
ſur quinze Perſonnes qui avoient
la Fievre quarte. Elles en
furēt toutes guéries,& le prompt
effet de ce Remede fit un éclat
furprenant. Tout le monde s'entretint
du Quinquina. On en fit
venir. Les Medecins l'ordonnerent
,& il devint entierement à la
mode. Vous remarquerez qu'on
ne le prenoit , comme font les Indiens,
qu'apres quelquesaccés de
Fievre , ſans l'avoir fait infuſer, &
cela, pour ne pas arrêter tout d'un
coup les mauvaiſes humeurs qui
la cauſent , & qui ſemblent vouloir
du temps pour ſe diffiper.
Apres
182 MERCURE
Apres qu'o eut employé le Quinquina
pour les Fievres quartes ,
toûjours avec le meſme ſuccés ,
quelques Medecins en firent l'effay
fur les Fiévres tierces.Les Malades
en guerirent,& leur guerifon
les ayant portez à s'en ſervir
pour la Fievre double tierce , l'épreuve
leur reüffit. Il ne reſtoit
plus que la Fievre cõtinuë.Quelques
- uns de ceux qui en furent
attaquez , eurent recours au mefme
Remede ; mais loin qu'ils en
reçeuſſent du foulagement , la
violence de leur Fievre redoubla,
& on reconnut que le Quinquina
ne pouvoit ſervir que pour
les Fievres intermittentes. Cependant
ces guériſons n'eſtoient
pas toûjours fort ſeures , & fi
quelques - uns gueriſſoient entierement
, les autres ſe trouvoient
repris de Fiévre quelque temps
apres.
GALANT. 183
apres .Voila l'état où demeurerent
les choſes. L'uſage du Quinquina
n'eſtoit ny blamé , ny beaucoup
ſuivy ; & comme ceux qui prenoient
ſoin des Malades avoient
leurs raiſons pour ne le pas ordőner,
la memoire s'en perdoit peu à
peu ,la plupart des Gens attaquez
de Fiévre n'en demandant point,
ſoit qu'ils n'euſſent jamais entédu
parler de ce Remede , ſoit qu'ils
oubliaſſent de s'en ſervir. Apres
un nombre d'années pendantlefquelles
on a peu ſongé au Quinquina
, voicy ce que le Medecin
Anglois a fait.Je parle ſelő le raifonnement
de Perſonnes treshabiles,
& d'une profonde penétration.
Il a compoſé un Remede
de ce meſme Quinquina,& a crû
en oſter la connoiſſance,en le faiſant
infuſer ,ce qu'on n'avoit point
encor pratiqué. D'ailleurs ayant
veu que pendant plus de vingt
184 MERCURE
années une priſe ou deux de
Quinquina avoiết guéry pour un
temps , il s'eſt perſuadé avecbeaucoup
de raiſon , que s'il en donnoit
quantité de priſes, il en guériroit
ſes Malades pour toûjours.
L'expérience a fait voir qu'il a
raiſonné fort juſte. C'eſt pour cela
qu'il fait prendrede ſon remede
en quantité dans les premiers
jours de la Fiévre. Quand elle
eft paffée , il oblige encor d'en
prendre , mais beaucoup moins,
afin d'empeſcher qu'elle ne revienne
; & dés le moindre reſſentiment
qu'on en peut avoir , il
veut qu'on en prenne autant qu'-
on a fait d'abord. Tout cela fait
voir, je dirois preſque avec certitude
, que fon Remede n'eſt fait
que de Quinquina. En l'infuſant
dans le Vin ,il peut y meſler quelqu'autre
choſe ; mais comme on
ne connoît rien de plus aſſuré
GALAN T.
185
que le Quinquina pour la guérifon
des Fiévres, il n'eſt pas à croire
que le Medecin Anglois , qui
ne s'eſt jamais piqué d'eſtre tresprofond
en Medecine , ait fait
d'affez heureuſes recherches
pour avoir trouvé un Spécifique
qui ſurpaſſe le Quinquina. Il eſt
bien plus vray -femblable que s'il
mêle quelque choſe dans ſon
Remede , c'eſt ſeulement pour le
déguiſer , ce mélange ne pouvant
produire aucun effet. Les
promptes & ſurprenantes guériſons
qu'il a cauſées , ayant fait
ſouhaiter aux plus habiles Medecins
d'en avoirla connoiffance
autrement que par conjecture .
Le Sieur Philippe qui demeuroit
avec le Medecin Anglois, en
découvrit le Secret il y a plus
d'un an à Monfieur Daquin Premier
Medecin du Roy,& c'eſt de
celuy
186 MERCURE
celuy - là que Monſeigneur le
Dauphin a pris pendant ſa derniere
maladie. Il en a eſté toutà-
fait guéry ; & Sa Majesté ayant
donné auſſitoſt apres une Penfion
au Sieur Philippe , a voulu procurer
à ſes Sujets l'avantage d'avoir
ce Remede pour trois Piſtoles,
MonfieurDaquin , le Medecin
Anglois , & le Sieur Philippe,
ne font pas les ſeuls qui s'en ſer.
vent aujourd'huy pour guérir les
Fiévres intermittentes . Monfieur
Fagon , Premier Medecin de la
Reyne , dont je vous ay pluſieurs
fois parlé , & qui s'eſt acquis une
fi haute réputation dansla Medecine,
le ſçait au ffi préparer . Il en
a fait à la Cour un nombre infiny
d'expériences,& on y eſt demeuré
d'accord qu'il eſt auſſi ſeûr que
celuy des autres. Monfieur le Bel
Premier Medecin de Madame,
a
GALANT.
187
a travaillé à la découverte du
meſme Remede . On affure qu'il
y a reüfly , & qu'il ne difére de
celuy de l'Anglois, de Mr Fagon ,
& du Sr Philippe , qu'en ce qu'il
le prépare avec de l'Eau , & que
les autres ſe ſervent de Vin pour
l'infuſer.Mr de Blégny , Autheur
des Nouvelles Découvertes , croit
auſſi l'avoir trouvé ,& le fait voir
par un petit Livre qu'il a donné
au Public fur ce ſujet. Pluſieurs
Perſonnes croyent lamême choſe
de deux fameux Apoticaires de
Paris qui les ont guériez . Je ne
doute point qu'il ne fuſt facile à
la plus grande partie des Medecins
de le trouver, mais apparemment
ils ont de bonnes raiſons
quiles obligent à croire que les
Malades font mieux guéris,quand
ils obſervent la longueur des formes.
Je vous parlay la derniere
fois
~
188 MERCURE
fois du retour de la ſanté de Son
Alteſſe Seréniſſime Mr le Prince.
Elle ne demeura pas longtemps
parfaite. La Fiévre le reprit bientoſt
apres , mais le Remede Anglois
l'a entierement guéry, auffibien
que S.A.S.Mr le Duc,qui en
a eu quelques accés. Voicy des
Vers qui ont eſté faits par Mr
Louchault , ſur la convalefcence
de Monfieur le Prince .
T
Out le monde est remply de
crainte & de triſteſſe.
Tout tremble pour Condé quand la
Fiévre le preſſe,
Chacun fait mille voeux , chacun
fait millepas ;
Mais au milieu des fureurs de la
Guerre ,
Quand ce Héros dans l'ardeur des
Combats
Affronte les dangers,mépriſe le Tonnerre,
D'où
GALAN T. 189
D'où vient que tout le monde alors
ne tremble pas ?
Pense- t- on que ce Prince,à qui tout
eft poſſible ,
Retenu dans ſon Lit,ne soit pas
auſſi fort ?
Et qu'est- ce que la Fiévre ? Est- ce
un Monstre invincible
Aceluy qui cent fois s'est moqué de
la Mort ?
Le retour de la ſanté de Monſeigneur
le Dauphin,dont Monſieur
Daquin & Monfieur Fagon
ont toûjours eu ſoin , a cauſé une
joye extraordinaire à toute la
Cour.Il n'eſt point de termes qui
puiſſent marquer combien Ma.
dame la Dauphine en reſſentit au
moment qu'on luy apprit qu'il
n'avoit point eu d'accés. Elle fit
tant de careſſes à celuy qui luy
porta le premier cette nouvelles
qu'on
190 MERCURE
qu'on peut dire que tout ſon
coeur ſe montra. La convaleſcence
de ce jeune Prince fait qu'on
prépare à laCour avec plus d'empreſſement
&de plaiſir , un Baler ,
qui doit y eſtre dancé auſſitoſt
apres Noël . Je dis Balet , parce
que ce n'eſt point un Opera. Il
n'y aura point de Comédie. Ce
feront des Entrées mêlées de Recits
, & le tout ſera nommé , Le
Triomphe de l'Amour. On y verra
les Conqueſtes de ce Dieu ſur
tous les coeurs , qui auront paſſé
pour inſenſibles. Monſeigneur le
Dauphin , Madame la Dauphine,
pluſieurs Princes, Princeſſes ,
Grands Seigneurs & Dames de
la Cour danceront dans ce
Balet.
د
Monfieur de Gombaut , Envoyé
Extraordinaire de Sa Majeſté
, a eſté à la Cour de Mr le
Land
GALANT.
191
Landgrave de Heſſe - Caffel , où
la conſidération tres- particuliere
qu'on a par tout pour le Roy , l'a
fait recevoir comme Ambaffadeur
, c'eſt à dire , avec les meſ
mes honneurs que l'on rend à
ceux qui ont cette qualité. Je
vous diray ſur l'origine du mot
de Landgrave, que les Allemans
appellent les Comtes Graven, qui
en vieux langage , ſignifie Juge,
&les Latins les appellent Comites
, parce qu'anciennement la
juſtice eſtoitrenduë à la Cour,&
que ces Juges accompagnoient
toûjours l'Empereur. Phaltzgrave,
Markgrave, & Burgrave, font
d'autres noms compoſez du mot
Graven , ainſi que Landgrave, &
reſtraints par ceux de Phaltz ,
Mark, Land, & Burg,qui veulent
dire,Palais , Frontiere,Païs ,& Fortereſſe
. Ainſi Phaltzgrave, ſignifie
192 MERCURE
fie Chef de la Juſtice du Palais
Impérial ; Markgrave , Juge d'une
Province Frontiere ; Landgrave,
Juge d'une Province mitoyen.
ne ; & Burgrave,Gouverneur de
quelque importante Fortereffe,
ayant droit d'adminiſtrer la Juſtice
dans tout ſon Gouvernement.
Le Phaltzgrave , c'eſt à dire , le
Comte Palatin , eſtoit autrefois
Chef de la Juſtice. Il n'y avot
point d'appel qui ne vinſt à luy,
& il décidoit avec l'Empereur de
toutes les grandes Affaires. Les
abus que commettoient les Landgraves
& les autres , ayant obligé
l'Empereur d'envoyer des Phaltz.
graves en divers endroits , pour
empécher l'injustice , inſenſiblement
ces Comtes Palatins s'apropriérent
les Provinces de Saxe ,
de Baviere , de Franconie , & du
Rhin.Quoy que ces quatre Principautez
GALANT. 193
cipautez ayent eu la qualité de
Palatinat , il n'y a plus que la derniere
qui joüiffe de ce titre . Les
Markgraves & les Landgraves,
qui n'avoient pour but au commencement
que la conſervation
de l'équité entre les Sujets de
l'Empire , prirent ſoin enſuite
d'empécher que l'Ennemy ne fiſt
tort à ceux de leur Jurisdiction ,&
enfin ils éleverent leurs Charges
en un ſi haut point, que la négligence
des Empereurs laiſſant diminuer
leur autorité,au lieu d'Officiers
, ils devinrent Proprietairès
des Provinces qu'ils avoient
en garde. De tous les Landgrail
n'y a plus que la Maiſon
de Heſſe qui en faſſe ſon principal
titre. Le Landgraviat d'Alface
, a eſté tranſporté au Roy de
France par le Traité de Munſter;
celuy de Leuctemberg, à la Mai-
Octobre 1680 .
ves ,
I
194
MERCURE
ſon de Baviere , par le Mariage
du Duc Albert avec Mechtildis ,
Heritiere -de cette Principauté;
celuy de Turinge , apartient aux
Ducs de Saxe ; celuyde Sauſemborg,
à un Marquis de Baden ; &
celuy de Nollembourg,à la Maifon
d'Auſtriche.Outre ces Landgraviats
, les Comtes de Furſtemberg
ſe qualifient Landgraves de
Stillingen , & de Bath;&ceux de
Sultz , ſe diſent Landgraves de
Klegau Cependant, ils préferent
le titre de Comte. La Maiſon de
Heſſe , qui deſcend de Charlemagne,
peut diſputer d'ancienneté
avec tout ce que l'Allemagne
a de plus illuſtre . Henry de Brabant
, qui en eſtoit le premier
Landgrave , mourut en 1308. &
'n'a eu que de grands Hommes
pour Succeff.urs. Cette Maiſon
eſt diviſée en deux Branches ,de
puis
GALANT. 195
puis l'accommodement qui fut
moyenné par Ernest de Saxe en
1647. entre Guillaume V I. &
George , tous deux appellez au
droitde leurs Peres , à la Succefſion
du Landgrave Loüis leur
Grand Oncle , mort ſans Enfans
en 1604. Guillaume , fut Chef
de la Branche de Caſſel qui eſt
l'Aînée , & épouſa une Soeur de
l'Electeur de Brandebourg . Les
deux Princeſſes ſes Soeurs ont été
mariées , l'une à Henry Charles
de la Trimoüille, Duc de Toüars,
Prince de Tarente ; & l'autre , à
Charles - Loüis , Electeur Palatin ,
dernier mort.George, Chefde la
Branche de Darmeſtadt , qui eſt
laCadete , a eſté marié à la Fille
aînée du feu Electeur de Saxe , &
eſt mort en 1661. Son Fils aîné a
épousé une Fille de Frideric,Duc
de Holſtein , & a une Soeur ma
I ij
196 MERCURE
riée à Philippe - Guillaume , Duc
de Neubourg. Vous voyez par là
que chacune de ces Branches a
des Alliances tres- confidérables .
L'une,ſuit la Réforme de Luther,
&l'autre, celle de Calvin .
Je viens aux honneurs rendus
à noſtre Envoyé Extraordinaire.
Vous en trouverez la Relation
dans cette Lettre d'un Allemand
deCaſſel , qu'on a fait traduire. Il
écrit du 24. d'Aouſt à un de ſes
Amisde Paris.
03-303830303
TRADUCTION
D'UNE LETTRE
D'UN ALLEMAND
DE CASSEL . :
TLfaut que je
vous faffe part de
lajoye que Mr le Landgrave a
fait
GALANT. 197
1
:
fait voir de l'arrivée d'un Envoyé
Extraordinaire du Roy de Frante
, & des marques qu'il luy en a
données pendant le ſejour qu'il a
fait icy . On ne peut faire paroître
plus de reconnoiſſance de l'honneur
qu'il a receu d'un si grand
Monarque , ny plus deštime pour
celuy à qui cet Employ a esté
donné. On nous a dit que c'estoit
un Gentilhomme ordinaire de la
Maiſon du Roy , nommé Monfieur
de Gombaut. Il paroist âgé environ
de trente ſept ans , & bien fait
de ſa personne , a l'air noble , نب
paſſe dans cette Cour pour un Homme
univerſel. Il arriva le 8. de ce
Mois en cette Ville, & envoya aussitoft
fon Secretaire au Premier Ministre
de Mr le Landgrave, & au
Maréchal &Grand- Maistre de la
Cour, pour leur en donner avis. Le
mesmejour, Monsieur le Landgrave
I iij
198 MERCURE
L'envoya complimenterfur fon heureuse
arrivée , par un deses Premiers
Gentilhommes , qui luy dit
qu'on le viendroit prendre le lendemainfur
les onze heures , pour
le conduire à l'Audience . Les Carroſſes
arriverent à l'heure marquée.
Il montaſeul dans l'un des
trois que luy envoya le Prince. Ce
Carroſſe estoit des plus magnifiques
, & tiré parfix Chevaux d'une
admirable beauté. Ses Officiers
entrerent dans les deux autres , avec
des Gentilshommes de Monfieur
le Landgrave. Ensuite , marcherent
les Carroſſes de l'Envoyé,
tres - propres , & tirez aussi par
fix Chevaux , & un fort grand
nombre d'autres Carroſſes des Prin-
& Princeßes qui font dans
cette Cour , & des Perſonnes de
qualitéqui la compoſent . Le Train
de cet Envoyé estoit fort lešte.
ces
En
GALANT. 199
En arrivant au chasteau , il y
trouva la Garde du Prince qui eftoit
en haye , Tambour batant , &
Enseignes déployées. Son Carroſſe avança
jusqu'au pied de l Escalier,
où il fut reçeu parle Maréchal &
Grand- Maistre du Prince, accompagnez
de quarante Gentilshommes
. Ils le devancerent tous jusqu'à
la Porte de l'Antichambre , où le
Princese trouva . D'abord qu'ilparut,
tout le monde se rangea pour le
laiſſer avancer vers l'Envoyé.
Apres quelques complimens , ils
entrerent tous deux de front dans
la Chambre du Prince , où ils
- demeurerent affez peu de temps.
Au fortir de là , cet Envoyé alla
Salüer Madame la Landgrave Regente
, avec qui estoient Madame
la Landgrave Douairiere , Madame
l'Electrice Palatine, la Princes-
Se Soeur de Monsieur le Land
I iiij
200 MERCURE
venuë
grave,& la Princeſſe de Curlande,
Soeur de Madame la jeune Landgrave.
Toute cette Cour se trouva
dans l'Antichambre , où elle
s'estoit avancée pour le recevoir.
Il leur fit à toutes des complimens
diférens , mais si justes , qu'-
iln'y en eut aucune qui n'admirast
fon esprit. L'heure du Dîné estant
on ſervit un magnifique
Repas. Les Princeſſes prirent place
, & l'Envoyé fut aussi entre
Monsieurle Landgrave , &le
Prince Philippe fon Frere. Il eut
le Cadenas ainsi que les Princes
, & un Gentilhomme faisoit
l'eſſay avant que de luy donner à
boire. Ce Gentilhomme demeura
toûjours de garde aupres de luy ,
pour prendre soin que rien we luy
pust manquer. Apres le Repas , il
alla rendre viſite au Prince Phitippe
, & à toutes les Princeſſes
fépa
GALANT. 20
Sépavement , &fut charmé de la
beauté , & de l'esprit de la Prin
ceffe de Curlande , qui répondit en
François aux complimens qu'il
luy fit. En fuite on le conduisit
dans un tres fuperbe Apartement
de plein pied , à celuy de Monſieur
le Landgrave , qui luy rendit
ſa viſite dés ce mesme jour. Il a
continue de manger avec le Prince
, & les Princeſſes , & l'on a remarqué
que Madame la Landgrave
Regente , pour luy faire plus
d'honneur , apresque tous les jours
changé d'Habit. Elle en mettoit de
tres magnifiques , que. Madame la
Princeffe de Tarante luy envoye de
France. Mr de Gombaut en a aussi
changéfortſouvent , & on luyen a
veu d'une riche Broderie , que l'on
a trouvez auſſi ſuperbes que bien
entendus. Comme il s'est heureusement
rencontré dans cette Cour le
IV
202 MERCURE
jour de la Naiſſance du Prince , il
luy fit un fort galant Préſent d'Eventails
, de Miniature, de Pomades
, Effences , Parfums , Gands, &
autres curiofitez . Mr le Landgrave
témoigna l'estime qu'il en faisoit ,
en les diftribuant aux Princeſſes qui
enfirent honneurde tres- bonne grace
à cet Envoyé. Tous les jours de
Son Séjour n'ont été que Festes , le
Prince l'ayant toûjours régalésplendidement
avec Symphonie & Mufique
de toutes fortes. Il a eu fouvent
le divertiſſement de la chaſſe,
&fur tout de celle des Cerfs dans
les Toiles, où il a montré ſon adreſſe
en les tuant à coups d'Epée & de Pi-
Stolet. La plus galante & la plus
confiderable des Festes qu'on luy a
données , a esté celle du 14. de ce
mois . Elle commença par un grand
Soupé , Servy dans un Cabinet richement
ornéde Pentures &de Lu-
Stres.
GALANT.
203
fires. Ce Cabinet estfur la Terraſſe
du grand Jardin qui donne fur le
Véſer , au dela duquel, &vis- à- vis
du Cabinet, Mr le Landgrave avoit
fait construire un Fort dans une
grande Prairie. Toute la Garnison
estoit rangée en bataille , entre le
Fort & cette Riviere , & ſous la
Terraſſe du Iardin , on avoit place
un grand nombre de Canons & de
Bombes, qui tirerent toutes aussi bien
que le reste de l' Artillerie , lors que
Mrle Landgrave but à la Santédu
Roy,& que l'Envoyé luy en fit raifon.
Quand on cut Soupé au fon de
toute forte d'Instrumens , placez à
une juste distance pour ne nuire
pas à la conversation ; les Dragons
qui estoient en deça de la Riviere ,
lapafferent fous le feu du Canon, &
vinrent donner avec le reste des
Troupes par trois endroits differens.
De feu fut considerable , tant des
SUNGYE Atta
204 MERCURE
Attaquans que des Attaquez , &
dura une heure.Le Fort ayant enfin
esté pris d'affaut , on y entendit des
grandes Fanfares de Tambours ع&
de Trompetes. Cela fut ſuivy d'un
tres- beau Feu d' Artifice,que l'on avoit
preparé le long du Vefer.Ce Feu
estoit composé d'un nombre presque
infiny de Fuſées volantes,qui firent
un tres - agreable effet; apres quoy on
retourna à la Ville dans des Caleches
richement parées, chacune attelée
de fix Chevaux . La quantité
des Flambeaux qui les éclairoient,
S mbloit avoir ramené le jour , &
il n'y avoit rien de fi beau que ce
Cortege. Je ne puis finir ma Lettre,
Sans vous apprendre lajoye que tous
les Catholiques de Caffel ont euë en
particulier , de l'arrivée de Mr de
Gombaut. Cefera par là que vous
connoistrez les respectueux égards
qu'a nostre Prince , pour le Roy de
France,
GALAN T.
205
France,puis qu'ila accordéàfon Envoyé
la permiſſion de faire celebrer
publiquement la Meße dans Caffel,
ce qui n'avoit esté permis à aucun
depuis plus de trente années , non
pas mesme àfeu Mr le Duc de Longueville
, lors qu'ily paſsa pour le
Traité de Munſter. Mr le Landgrave
luy avoit offert un Lieu particulierdansſon
Palais,pour y entendre
le Mefse , àhuis clos,avec toutefa
Maiſon,mais il aimamieuxlafaire
dire dans le Logis où estoit Son
Train , croyant que cela feroit plus
d'honneur àſa Religion , &feroit
plus utile aux Catholiques Heſſiens,
qui n'auroient ofé venir au Palais
du Prince. Monfieur le Landgrave
a eu beaucoup de regret de
levoir partir fi tost ; & pour l'obliger
àfeſouvenir de ſa Cour, il luy
afait préſent de fix grands Gobelets
, d'ungrand Baffin cizelé , &
d'une
206 MERCURE
d'une Eguiere faite en Autruche
qui estsur une Montagne , avec un
petit Cupidon fur le dos de cette
Autruche , qui tient une Chaîne
pour estre fon Guide.C'est un travail
qu'on peut dire vare,&qui ſurpaſſe
infiniment la matiere. Monfieurde
Gombaut a répondu à cette liberalité
, en donnant quantitéde Medailles
qui contiennent des grandes
Actions du Roy dans ſes dernieres
Campagnes , & faisant d'extraordinaires
largeſſes à une partie des
Officiers de Monsieur le Landgrave
, qui a eu la genérosité de défrayer
tout fon Train , pendant le
temps qu'il a esté à Caffel. Ilest
retournéà Munster , où l'Evesque
de ce nom luy donne des marques de
fon estime , & reconnoist enfa Perfonne
l'honneur qu'il reçoit d'avoir
aupres de luy , de lapart du Roy de
dbag Erance
GALANT. 207
France,un Envoyé dont le mériteſe
fait connoiſtre par tout.
Il faut encor vous entretenir
de Morts. Celle de Madame la
Ducheffe d'Elbeuf , Soeur de
Meſſieurs les Duc & Cardinal
de Boüillon , eſt arrivée le 23 .
de ce mois , apres une longue
maladie , dans laquelle elle a
donné des marques d'une patience
extraordinaire , & d'une
pieté toute Chreſtienne. Elle
s'appelloit Elizabeth de la Tourd'Auvergne
, & eſtoit Fille de
Frederic - Maurice de la Tourd'Auvergne,
Prince de Sedan &
de Rocourt, Vicomte de Turenne,
Pair de France ,&d'Eleonor-
Frebonie de Berg. Elle eſt morte
âgée de 45.ans, & avoit eſté mariée
en May 1656. avec Charles
de Lorraine Duc d'Elbeuf, Pair
de
208 MERCURE
1
de France, Comte de Liflebone,
Marquis de Rochefort, Gouverneur
de Picardie , Païs & Comté
d'Artois , & du Hainaut,
Gouverneur Particulier de la
Ville & Citadelle de Montreüil.
& aujourd'huy Chefde la Maiſon
de Lorraine en France. Ce
Prince néen 1620. eſt le Fils aîné
de Charles de Lorraine Duc
d'Elbeuf, Pair de France, Comte
de Harcourt , de Liflebonne , de
Rieux,& de Bufançois , Seigneur
de Rochefort,Chevalier des Ordres
du Roy, Gouverneur de Picardie,
mort en Novembre 1657.
&de Catherine- Henriete , Legitimée
de France, Fille naturelle
du Roy Henry I V. Il épouſa
en 1641.Anne- Elizabeth de Lannoy
, Veuve de Henry du Pleſſis
Comte de la Rocheguyon , Fille
de Charles Comte de Lannoy,
Che
1
GALANT. 209
Chevalier des Ordres du Roy,
Gouverneur de Montreüil , &
d'Anne d'Aumont. De ce premier
Mariage ſont ſortis Anne-
Elizabeth de Lorraine , née en
Aouſt 1649. quia épousé à Barleduc
en 1669. Charles - Henry
, Legitime de Lorraine, Prince
de Vaudemont , Fils naturel
du Duc Charles de Lorraine ,
&de Beatrix de Cuſance, Comtefle
de Cantecroix;&Charles de
Lorraine Prince d'Elbeuf,Cheva.
lier de Malte , né en Novembre
1650.De ſon ſecod Mariage avec
Elizabeth de la Tour-d'Auvergne,
dont je vous apprens la mort,
il a eu Marie-Eleonor de Lorraine,
née en 1658. Françoiſe-Marie
de Lorraine, née en 1659. toutes
deux Religieuſes aux Filles Sainte
Marie du Fauxbourg S. Jacque
; Henry de Lorraine Prince
d'Elbeuf,
210 MERCURE
d'Elbeuf , Gouverneur de Picar
die en ſurvivance, né en 1661. &
marié en Janvier 1677. à Charlotr
de Rochechoüart de Mortemar,
Fille de Mr le Marechal Duc
de Vivonne ; & Loüis de Lorraine
, Abbé d'Orcamp , né en Septembre
1662 .
Madame la Comteſſe de Parabere
eſt morte auſſi depuis peu de
jours, avec des ſentimens ſi Chreſtiens
qu'on ne peut donner plus
d'edification qu'elle a fait à ceux
qui l'ont veuë dans ſa maladie.
Elle avoit 58. ans , & eſtoit de la
Maiſon de Voiſins, l'une des plus
illuftres & des plus anciennes de
Languedoc , qui avec celle de
Levy , a chaſſe les Sarrazins de
cetteProvince.Du coſté de François
de Voiſins , Baron de Montaut,
ſon Pere , elle deſcendoitde
laMaiſon de Guiſe&de Joyeuſe.
Made
GALANT. 2F1
Mademoiselle d'Orleans , & Mademoiſelle
de Guiſe,luy faisoient
l'honneur de le reconnoiſtre. Elle
avoit celuy d'appartenir à Mr le
Prince , & à Mrs. les Princes de
Conty , eſtant de la Maiſon de
Monmorency du coſté de Madame
ſa Mere. Son Aycule paternelle
s'appelloit Charlote,Fillede
Blaiſe de Monluc Maréchal de
France. En 1643.elle épousa Jean
deBaudean Marquis de Parabere,
Fils de Henry de Baudean Comte
de Parabere,Marquis de laMote-
Sainte Heraye, Chevalier des
Ordres du Roy, & Lieutenantde
Roy du Bas Poitou , & de Catherine
de Pardaillan , Fille de Jean-
Fracois Baron de Pardaillan & de
Pania. Elle a laiſſe tout fon Bien
àMademoiselle de Vaillac ſaNiéce
, qu'elle a toûjours élevée ,
n'ayant point d'Enfans ; & pour
donner
212 MERCURE
donner un témoignage afſuré à
Mr le Comte de Parabere ſon
Mary , de la tendreſſe qu'elle a
toûjours euë pour luy, elle l'a priée
de reſter aupres de luy pour en
prendre ſoin , avec l'agrément de
Mr le Comte de Vaillac ſon Pere,
à qui ellel'a demandé en mourant.
Je ne doute point que vous ne
ſçachiez que ce Comte , qui eſt
Chevalier des Ordres du Roy, &
Chevalier d'Honneur de Mad 1-
me,avoit épousé en premiere Nôces
une Soeur de Madame de Parabere
. Mademoiselle de Vaillac
eſt une Perſonne d'un fort grand
merite, dont je vous ay parlébien
des fois , lors que la Reyne d'Efpagne
eſtoit en France. Sesaimables
qualitez luy avoient acquis
la bienveillance de cette
Princeſſe , qui conſerve encor en
Eſpagne l'eſtime & l'amitié dont
elle
GALANT.
213
elle l'a toûjours honorée. Monfieur
le Comte de Parabere eſt
aîné de ſa Maiſon,Frere de Monſieur
le Marquis de la Mote-
Sainte Heraye , LieutenantGeneral
des Armées du Roy , &
Lieutenant General en Poitou .
Il y a déja quelque temps qu'on
-a eu avis de la mort de Mr le
Comte de Mépieu , Chefde la
Maiſon de Grolay en Dauphiné,
l'une des plus nobles & des plus
anciennes de cette Province. Il
avoit épousé la Veuve de Monſieur
le Marquis de Fours , dont il
laiſſe une Fille , âgée de douze à
treize ans, & unique Heritiere de
cette Maiſon. Je ne vous dis rien
de celle de Fours . Vous ſçavez le
rang qu'elle tient en Normandie,
& qu'il en eſt peu qui ayent paru
avec plus d'éclat , tant pour les
Charges, que pourles Gouvernemens.
214 MERCURE
$
mens. Monfieur de Saint Clair ,
Seigneur de la Sauſſaye , de Guiſigny,
& de la Bucaille , en eſt le
Cadet..
Madame le Roux , Veuve du
Maistre des Requeſtes de ce
nom , eſt morte le 20. de ce mois.
Elle estoit Soeur de Mr le Préſident
le Camus , cy-devant Controlleur
General des Finances, de
Mr le Camus Conſeiller d'Etat,de
feuë Madame d'Emery Femme
du Surintendant ,& de feuë Madame
Pellot, premiere Femme de
Mr Pellot Premier Préſident de
Normandie , & Tante de Mrle
Premier Préſident de la Cour des
Aydes, de Mr le Lieutenant Civil
le Camus , & de Madame de Manevilete
, auſquels elle laiſſe une
grande Succeffion.
J'acheve ce triſte Article par la
mort de Monfieur l'Abbé Revé
rend,
GALANT.
215
rend , qui avoit l'honneur d'eſtre
fort connu du Roy. Il eſtoit Abbé
de Saint Chéron , & avoit eſté
Aumonier ordinaire deMonfieur.
La Lettre qui ſuiteſt d'un Autheur
qui m'eſt inconnu. Je ne
doute point qu'apres l'avoir leuë,
vousn'ayez autant d'envie de ſçavoir
ſon nom , qu'il en témoigne
d'avoir l'éclairciſſement d'une Avanture
qui l'embaraſſe. Quand il
voudra nous apprendrons s'il l'aura
reçeu. Voyez cependant la
Lettre.
18:18: 2813 BMWS.NAME
AU MERCURE
GALAΝΤ.
Umble falut , galant Mer-
1
cure ,
Qui courant par Monts & par
vaux ,
Allez
216 MERCURE
Allez contant les Faits nouveaux
Atoute humaine Creature.
J'ay beſoin de voſtre ſecours
Sur une galante Avanture ,
Qui depuis douze ou quinze
jours
Metmoneſprit àla torture......
Permettez moy de vous la conter
en Profe. Je reprendray peut estre
les Vers dans la ſuite de ma Lettre,
car je Sçay que vous les aimez, &
l'on vous voit paré chaque Mois des
plus jolies Fleurs du Parnaſſe. Vous
Sçaurez donc , naturellement parlant
, que le 9. de ce Mois , jour de
Feste, fur lesſept heures du matin,
je vis entrer dans ma Chambre une
jeune Fille , qui me presenta une
Corbeille , couverte de Brocard à
fleurs d'or , garnie de quantité de
Rubans bleus, & remplie de Jasmin
qui
GALAN T. 217
qui paroiſſoit frais cueilly ,fur lequel
estoit une couronne du mesme
Iasmin ,mélé de Fleurs d' Orange,&
de Tubéreuſe, qui rendoit une odeur
fort agreable.Surpris de la nouveauté
, je demanday à celle qui m'apportoit
ce Présent , de quelle part il
venoit , mais elle me dit en ſe retirant
, qu'une Perſonne qui luy estoit
inconnuë , l'avoit priée de me le remettre
entre les mains. Ce fut inutilement
que je la fis ſuivre. Elle entra
dans une Eglise , & s'y perdant
dans la Foule, trompa ceux que j'avois
chargé de l'obſerver. Ie reſvay
affez longtemps à cette Avanture ,
Songeant à toutes les Belles de m
connoiſſance , & cherchant cellequi
pouvoit si galamment celebrer ma
Feſte ; mais je ne me crus pas affez
bien avec aucune , pour en recevoir
une faveur fi obligeante. Enfinfortant
de ma reſverie , & voulant
Octobre 1680. K
218 MERCURE
manier cette Couronne , je paſſay de
ma premiere ſurpriſe à une feconde
, lors que j'aperçeus dans lefond
de la Corbeille une Lettre cachetée
avec de la foye bleuë . L'ayant ouverte
avec précipitation , j'y trouvay
des Vers , & de la Proſe d'une
écriture de Femme qui ne m'estoit
point connue . L'en leûs la Lettre ,
&n'en fus pas plus inſtruit.
J'ay mes raiſons
Mercure ,
, Seigneur
Pour ne vous la pas faire voir.
C'eſt l'endroit de mon avanture
Que vous ne devez pas ſçavoir.
Je vous diray ſeulement que j'y
trouvay de l'esprit , & de l'imagination
, qu'ony suppose une affemblée
desAmours dans le Palais de
Venus , laquelle deſtine un Prix à
- celuy
GALANT. 219
reluy de tous les Coeurs qu'ils ont
Soûmis , qui fçait aimer avec plus
d'ardeur , & que mon Amour ayant
parlé du mien plus avantageufe-
' ment que les autres , Venus luy donne
le Prix , & c'est cette Couronne
que l'on m'envoye.
Mon Amour tout couvert de
gloire
M'a préſenté le prix qu'il a ſçeu
remporter ;
Mais toute la douceur d'une telle
victoire
N'a pas dequoy me contenter,
Si je ne connois point l'adorable
Merveille
De qui me vient la Lettre &
la corbeille ,
Et je vous jure par ces Vers
Que j'en ay l'eſprit à l'envers.
Vous donc, officieux Mercure,
Qu courant par monts & par
vaux,
K
220 MERCURE
Allez contant les Faits nouveaux
,
Contez par tout mon avanture;
Et fi le hazard vous fait voir
La Belle à la Lettre galante ,
A la Corbeille ſi brillante ,
Parlez- luy de mon deſeſpoir ;
Dites- luy que mon ame eſt fort
impatiente
Dans la cruelle attente
De découvrir à qui je dois
Tantde faveurs tout à la fois,
Qu'enfin elle me fait une mortelle
offence
De ſe ſouſtraire à ma reconnoiſſance
,
Et que mes plus ardents fouhaits
,
Si jamais je la puis connoiſtre ,
Sont de luy faire voir par d'éclatans
effets
L'eſtime qu'en mon coeur fes
bontez ont fait naître .
GALANT. 22 1
L'on auroit eſté fort peu galant
autrefois , fi on euſt parlé de
Philofophie aux Dames. Ce ne
fera plus la meſme choſe , quand
on aura leû le Livre que Mr l'Ab--
bé de Gerard vient de donner au
Public. Il l'intitule , La Philofophie
des Gens de Cour. Quoy qu'il
ſemble par ce Titre qu'il l'ait renduë
autre que ce qu'elle eſt en
effer, elle eſt cependant la meſme
que nous l'avons veuë juſqu'à aujourdhuy,
mais dégagée des rudes
&dégoûtantes expreſſions , qui
ont toûjours eſté cauſe que les
Gens de qualité , à meſure qu'ils
ont pris le bel uſage du monde ,
ont fait gloire , ou de ne l'avoir
jamais appriſe , ou de l'avoir oubliée.
Ainfi la Philofophie ſi néceffaire
pour la conduite de la
vie , eſtoit entierement négligée
des Perſonnes du haut rang,
Kiij
222 MERCURE
&les motifs de l'averſion qu'on
avoit pour elle,venoient des Philoſophes
meſmes , puiſque leurs
incommodes manieres de philofopher'
luy attiroient ce mépris.
Elle paroiſt maintenantcette Philoſophie
, mais la chicane & les
termes barbares de l'Ecole en font
retranchez . On n'y trouve ny
Queſtions inutiles , ny formalitez
embaraſsates. C'eſt une Beauté
qui n'eſt accompagnée que
des Graces , & qui s'eſt defaite
de tout ce que ſa premiere parure
avoit de choquant. Elle fair
voir ce qu'il y a de plus curieux
dans la Phyſique , & de plus ſolide
dans la Morale , & cela dans
un tour aifé & naturel , & du
gouſt meſme des Dames , qui en
peuvent préſentement raiſonner
d'une maniere agreable pour la
converſation.
Autre
GALAN T.
223
Autre chicane débroüillée par
Mr de Malte. Il a fait un Livre
où il s'eſt attaché à tout ce qui
peut intereſſer la Nobleſſe dans
les Tribunaux .Les Queſtions qui
touchent les Nobles , y font agitées
& definies; le tout étably par
de fortes Autoritez , par des Arreſts
autentiques , & par des Déciſions
formelles.On voit dans ce
meſme Livre pluſieurs choſes curieufes
, concernant l'Hiſtoire &
le Blazon. Rien n'eſt traité plus
à fond , ny plus inſtructif. C'eſt
affurement beaucoup , d'avoir ramaffé
dans un ſeul Ouvrage tous
les Privileges de la Nobleffe.
Voicy le . Bavolet de Monfieur
Charpentier , que vous avez tant
d'envie de voir noté , &que la
Troupe de Guen gaud adjoûta
dés l'année derniere à la galante
Piece de l'Inconnu. Comme on en
Kiij
224
MERCURE
doit doner quelques Repreſentations
incontinent apres la Touffaints
, ceux de voſtre Province
qui s'y trouveront , pourront vous
dire combien cette agreable
Chanfon eſt aimée.
LE BAVOLET.
NeFree Porn Dimanche
Efripezpoan mon Bavolet ,
Ievous le dis tout net ,
I'ay des éplingues sur ma manche,
Ma main peze autant qu'al' est
blanche ,
Et vous gagnerezunſouflet ,
Nefripezpoan mon Bavolet ,
C'est aujordy Dimanche.
Attendez à demain que je vaze à
laVille ,
I'auray mes vieux habits ,
Et les Lundis
Ie nesuis passi difficile ;
Mais
GALANT.
225
Mais à present , tout franc ,
Si vous faites l'impartinent ,
Si vous gastez mon linge blanc ,
Ie vous barray comme il faut de la
haste ,
Ievous bateray, pinceray, piqueray,
Ie vous moudray , grugeray, pilleray
Menu, menu , menu comme la chair
en paste ;
Hom ,voyez- vous , j'avon une tar-
Trible taste ,
Queje cachon fous not bonnet.
Ne fripez poan mon Bavolet , &c.
La grande Troupe , qui eſt à
preſent l'unique , a reprefenté
dans ce mois pour Piece nouvelle,
le Solyman de Mr de la Tuilerie,
dont on a fort eſtimé les Vers.
Elle va ſouvent joüer à Verſailles
dans l'Apartement de Monſeigneur
le Dauphin , où elle divertit
ce jeune Prince depuis le
retour de ſa ſanté. Mademoi-
???????????????? K V
226 MERCURE
ſelle de Chammeſlé , qui n'avoit
pointencor eu l'honneur de joüer
devant Madame la Dauphine , y
a paru avec tant d'éclat, que quoy
que cette Princeſſe en euſt entendu
dire beaucoup de bien, elle
en a trouvé encor davantage ,
&eſt demeurée d'accord qu'il n'y
eut jamais une maniere de joüer
plus propre à toucher le coeur.
Madame la Princeſſe de Conty
eſt guerie de ſa Fiévre continuë:
Le Roy avoit marqué beaucoup
de chagrin de famaladie. Iugez
combien cette guériſon a donné
dela joye à Monfieur le Prince
de Conty.
Le Roy a donné laLieutenan
ce Generale des Provinces du
Maine, du Perche , & du Païs de
Laval , àMr le Comte de Teffé ,
Colonel & Brigadier de Dragons,
Elle estoit vacante par la mort de
Monfieur
1
GALANT.
227
Monfieur le Marquis de Beaumanoir
de Lavardin. Apres avoir été
tres - longtemps dans cetre Maiſon
, elle y revient encor aujourd'huy
, Mr le Comte de Teffé eftant
Fils de Magdelaine de Beaumanoir
, Soeur de feu Mr l'Everque
du Mans , Commandeur des
Ordres du Roy, tous deux Petits
Enfansdu Maréchal de Lavardin.
Sa Majeſté qui aime toûjours à
furprendre , ne luy voulut rien
témoigner de ce Préſent , quand
il alla prendre congé d'Elle pour
fe rendre aupres de Madame ſa
Mere, qui eſtoit dangereuſement
malade ; & il ne fut pas fitoſt en
Province , qu'il en eut l'avis. Il
n'eſt Homme en France qui ſoit
plus brave , ny mieux fait que
luy. Auſſi eſt- il eſtimé de tout
le monde. Il a infiniment de l'ef.
prit , &s'eſt acquis beaucoup de
réputa
228 MERCURE
:
réputation dans toutes les occaſions
qu'il a trouvées de paroiſtre.
Vous vous ſouvenez de ce que je
vous en ay dit en vous parlant
du Pont de Rinfeldt . Sa naiſſance
eſt ſi connuë , que je ne pourrois
vous rien dire là-deſſus que
vous ne ſçeuſſiez. Sa Grand-Mere
eſtoit Soeur du Cardinal de Sourdis
; & Mr le Comte de Froulay,
Chevalier des Ordres du Roy ,
Grand Marechal des Logis de la
Maiſon de Sa Majesté , étoit Cadet
de Mr le Comte de Teſſe ſon
Pere. Il a épousé l'Heritiere de la
Maiſon d'Aunay en Normandie ,
& n'a qu'un ſeul Frere , qui eſt
Mr le Chevalier de Teſſe , Major
de ſon Regiment de Dragons ,
& l'un des plus braves & des plus
intrepides Officiers qui ait jamais
embraſſé les armes .
Monfieur de BoquemareGou
verneur
GALANT.
229
verneur de Gravelines , a vendu
ſa Charge de Capitaine aux Gardes
à Monfieur de Vouſy , Frere
de Mr Deſmaretz Intendant des
Finances. Mr de Vouſy eſt tresbien
fait , a l'eſprit aifé & agreable,
& une telle honneſteté dans
ſes manieres, qu'il eſt impoſſible
de le voir ſans l'eſtimer . Son zele
a paru dans ſes ſervices , & ne
laiſſe point douter qu'il ne ſoûtienne
toûjours dignement la
gloire qu'il a d'eſtre Néveu de
Mr Colbert. Il vend ſa charge
d'Ayde- Major dans le Regiment
des Gardes, au ſecond Fils de Mr
de Manevilete , qui a eu l'agrément
du Roy pour l'acheter,
quoy qu'il n'ait pas encor dixhuit
ans .
Je viens à l'Article des Enigmes.
La premiere du Mois paflé
eſtoir le Soulier. Ce Mot a eſté
trouvé
230 MERCURE
trouvé par M. Normant ,Procureur
au Siege Préſidial de Tours;
Le Chevalier Vatan , de la Ruë
Montmartre : B. B. Secretaire des
Belles du Prin- temps, d'Orleans :
Le Solitaire Celeſtin , d'Amiens :
Le Galant Juriſte , de la Ruë du
Platre: Les deux Infeparables,de
la Ruë de la Marche. Mr Bellanger
le jeune , Avocat à Falaize , a
fait là- deſſus ce Madrigal .
M
Ercure apparemmet va
dre nostre mode,
pren-
Ilportoit autrefois des aisles aux
talons;
Mais voyantque l'Hyver changera
nos Valons,
Dansſon Enigme il croit le Soulier
plus commode.
2
Ceux qui l'ont expliquée en
Vers,font Mrs L.Bouchet,ancien
Curé
GALANT.
231
CurédeNogent le Roy:Rault,de
Roüen : Guépin, de Rennes : De
Beaulieu: les quatre Soeurs d'Orleans
: &les Belles du Printemps
du même lieu:Bauge,de Thoüars .
Cette Enigme a eſté expliquée
fur le Bas, le Gand,le Lit , & l'Habit.
Le Mot de la ſeconde Enigme
eſt l'Araignée, lla eſté trouvé par
Mrs Cabut le jeune, de Roüen:&
Tamiriſte , de la Ruë de la Cerifaye.
L'Inconnu de Roüen,l'a expliquée
en Vers par ce Sonnet.
J
Eſtois en mon Printemps
téfansSeconde ;
en beau-
Mon corps le plus charmant qu'eust
jamais vû le jour,
obligeoit les Mortels à me faire la
cour,
Mais maintenant je ſuis la plus
laidedumonde..
Je ne respire rien que le carnage
immonde Ma
232 MERCURE
Ma Maison montre affez que je
n'ay point d'amour';
Tous les Morts entaſſez que l'on
voit à l'entour,
Marquent bien la fureur dont mon
coeur Sale abonde.
دوو
Auſſi penduë au fil qui part de mon
Fuseau,
Comme une Criminelle attachée au
Poteau,
Ie ne vis que duſang dont ma Toille
eft baignée.
6427
D'ArachneSans laplaindre, admire
icy lefort ,
Pallas apres fa mort la change en
Araignée,
Et cette Araignée est Ministre de
: la Mort.
CON
Ceux qui l'ont auſſi expliquée
en Vers , font Meſſieurs Alcidor,
duHavre de Grace : De Tupie
chuomat gny
GALANT.
233
gny de S. François , du meſme
lieu : L'Aimable Solitaire de l'Iſle,
l'Indifferend d'Abbeville : &
Baugé de Thoüars .
La meſme a encor eſté expliquée
ſur Hibou , le Chathuant,
l'oiseau de Proye , le Renard , la
Balle de plomb , le Canon & la
Poudreà Canon.
Ceux qui ont trouvé le vray
ſens des deux, font Mrs Doudon ,
de Tours , Avocat à la Cour : Le
Hot , Avocat au Siege Préſidial
de Caën: Girard,Avocat Le Chevalier
d'Armonville:Grillon,Doteur
en Medecine : De Boiffimon:
Gallas, de la Ruë aux Fers :
De Loſme cy- devant Controlleur
des Muſes de Montaſnel : Les
Gays du Toulon : & la belle
Drillon .
En Vers , Meſſieurs C. L. de
Sturbe , Chanoine de l'Eglife
de
234 MERCURE
deTours : Le Bon Clerc de Châlons
ſur Saône : Le Chevalier
Blondel : L'Heureux Avanturier :
Le Solitaire de la Ruë des Arcis :
La belle Julie : La Bergere des
Rives de Marne,âgée de huit ans :
& Fanchonnete de l'Iſle Noſtre-
Dame.
Je vous envoye, à mon ordinaire,
deux nouvelles Enigmes,dont
vos Amies chercheront le ſens.
La premiere eſt de Monfieur Tavault
, Controlleur des Garniſons
& Morte- payes en Bourgogne
&Breffe.
ENIGME.
Ay de l'eau qui n'est pas bumide
,
Dufeu qui n'a point de chaleur.
Bien que mon corps Soit Sans
couleur,
La
GALANT.
235
La matiere en est bien folide.
Sur les Roses Souvent on me trouve
couché;
Mais par un fort afſſez bizarre,
Ce n'est pas une choſe rare
De me voirſur la Croix fortement
attaché.
Des Dames de la Courje quitte peu
l'oreille,
Et fors tres - rarement des mains des
Courtisans;
Mais par une disgrace à nulle autre
pareille,
On me force à fervir de fimples
Artisans.
AUTRE ENIGME .
E fais honneur,& jefais hõre.
Fay des emplois fort bas, j'en ay de
dignité.
Mon teint est éclatant ; cependant
Sa beauté
A
236 MERCURE
A quelque brillant qu'elle monte ,
Fait peur dans trop de nudité.
Auffibeaucoup trouvent leur copte
A me laiſſfer joüir de ma virginité.
Une étroite Priſon est mon gifte ordinaire
;
Et comme hors de là je n'ay point
de repos,
Souvent je fais oüir de redoutables
mots
A ceux qui m'ont mise en affaire,
Quandj'en rougis mal à propos.
L'Enigme en figure eſtoit un
Navire. Europe qui eſt ſurleTaureau
, en repreſente le Maſt ; fon
Manteau, les Voiles ; la Teſte du
Taureau , la Prouë , ( fur laquelle
les Anciens mettoient la Figure
qui donnoit le nom à leurs Vaifſeaux,
come le Centaure, laChimere
, la Baleine,&c.) la Queue,
la Poupe , ou ſi vous voulez , le
Gou
1
GALAN Τ . 237
7
Gouvernail ; & les Pieds ,les Rames
, car une Galere peut paſſer
icy pour un Navire .Les deux petits
Perſonnages deſeſperez qui
font à terre , font voir la crainte
qu'ils ont du naufrage . Ce Mot a
eſté trouvé par Mr Gardien Secretaire
du Roy , par Mr de Glos
Profeſſeur de Navigation à Honfleur
, par celuy qui ſe cache ſous
le nom du Clocher de S.Severin,
& par Mr Rault de Roüen . Ce
dernier en a donné l'explication
qui fuit.
Vropefur
deMer
lesflots d'une profon-
Ne doit pas craindre le naufrage
;
Jupiter qui l'enleve , & qu'elle a
Sçeu charmer,
D'un Taureau n'a pris que l'image.
De
7
238 MERCURE
627
Les Nymphes qui de loin luy diſent
leurs adieux,
De l'oeil neſuivent cette Belle,
Quepour voir les périls qui s'ofrent
àleursyeux,
Et qui lesfont tremblerpour elle.
62
Mais fi la Fable icy d'un Dieu fait
un Taureau
Pour casherl' Amourqui l'inſpire.
L'Enigme nous fait voir dans le
mesme Tableau
Qu'un Taureau peut estre un
Navire.
Protée eſt la nouvelle Enigme
en figure que je vous propoſe.
Vous ſçavez qu'il avoit le don
de predire l'avenir ; mais qu'-
ayant auſſi le pouvoir de prendre
telles formes qu'il vouloit, il trouvoit
par là le moyen de s'échaper
GALANT. 239
per , & ne donnoit jamais aucune
réponſe , ſi on ne l'y contraignoit
en le liant .
Je ne puis encor fatisfaire vôtre
impatience ſur l'Article des
Modes nouvelles. L'Automne a
eſté ſi beau, qun l'on ne voit encor
que fort peu d'Habits d'Hyver.
Je devrois vous parler auſſi
de quelques Mariages, & des Benéfices
donnez par le Roy ; mais
letemps me preſſe ſi fort , que je
ſuis obligé de remettre ces Articles
juſques au premier Mois.
Adieu,Madame, je ſuis vôtre &c.
A Paris ce 31. Octobre 1680.
-
LYON
EXTRAIT
1
EXTRAIT DV PRIVILEGE
du Roy.
P
Ar Grace & Privilege du Roy , donné à
Saint Germain en Laye le 31. Decembre
1677. Signé Par le Roy en ſon Conſeil, Jun-
QUIERES. Il eſt permis à J.D. Ecuyer, Sieur de
Vizé, de faire imprimer par Mois un Livre intitulé
MERCURE GALANT , preſenté à
Monſeigneur LE DAUPHIN , & tout ce qui
concerne ledit Mercure , pendant le temps &
eſpace de fix années , à compter du jour que
chacun deſd. Volumes ſera achevé d'imprimer
pour la premiere fois : Comme auſſi defenfes
font faites à tous Libraires , Imprimeurs, Graveurs&
autres , d'imprimer , graver & debiter
leditLivre ſans leconſentement de l'Expoſant,
nyd'en extraire aucune Piece , ny Planches
ſervantà l'ornement dudit livre , meſme d'en
vendre ſeparément , & de donner à lire ledit
Livre , le tout à peine de fix mille livres d'amende
, & confiſcation des Exemplaires contrefaits
, ainſi que plus au long il eſt porté auditPrivilege.
Regiſtré ſur le Livrede la Communauté le
Janvier 1678. Signé E. COUTEROT . Syndic.
Et ledit Sieur D. Ecuyer , Sieur de Vizé a
cedé& tranſporté ſon droit de Privilege à
Thomas Amaulry Libraire de Lyon , pour
en joüir ſuivant l'accord fait entr'eux.
Achevé d'imprimer pour la premiere fois le
31. Octobre 1680,
Qualité de la reconnaissance optique de caractères