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1679, 05 (Lyon)
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4
MERCURE
GALANT
DEDIE' A MONSEIGNEUR807156
LE DAUPHIN
May 1679 .
LAVILL
LYON,
Chez THOMAS AMAULRY
ruë Merciere .
M. D C. LXXIX.
AVEC PRIVILEGE DUROY.
TABLE
DES MATIERES
contenuës dans ce Volume.1
VANT- propos touchant la
A
Paix d'Allemagne.
Madrigal aux Plenipoten-
I
tiaires, fur le sujet de la
Paix, 10
Les Fleurs , Fable ,
12
Mort de Madame la Comteſſe d'Arrest
,
17
Aquelque chose le malheur est bon, Hiſtoire
, 20
Feste de la Naiſſance de Madame Royale
,
36
Origine du Vuirtſchaf,
Galanterie d'un Inconnu ,
Description de la Caleche donnée au Roy
par Monsieurle Mareschal Duc de
46
50
Vivonne,
Bouquet ,
54
71
aij
TABLE.
Le Pere Mafcaron eft choiſy Predicateur
ordinaire de Sa Majesté, 72
Monfieur Loiſel Curé de S. Iean en Greve,
ſe démet de fa Cure en faveur d'un
de ſes Neveux , & de sa Dignité de
Notre-Dame , 78
Mort de Monfieur Morel, Doyen de la
Faculté,
Le Mort vivant , Hiftoire,
Madrigal à Iris malade ,
Sonnet contre l'Amour ,
Festes de Pezenas ,
ibid.
74
१०
91
92
Mort de Monsieur le Duc d'Arpajon,
108
Mort de Monfieur le Maçon de Treves,
112
Mort de Monfieur Salo, 114
Chanoinie de Monsieur Salo donnée à
Monfieur l'Abbé Desmaretz , 11
Mortde Monsieur Loire , ibid .
Paroles fur l'ouverture de l'Opera de
Bellerophon ,
116
Arrests donnez à Vincennes contre plu
ſieurs Empoisonneurs , avec plusieurs
Remarques curieusessur ce ſujet, 1 18
Sonnet , 131
Réjouissances faites en Franche-Comté
fur la Paix d' Allemagne , 132
Réjouif
TABLE.
Réjouiſſances faites à Montoire sur le
mesmesujet, 134
Ceremonies obſervées à l'Anniverſaire de
Lovis XIII.
138
Mort de Monsieur le Duc de Vitry,
140
Mort de Madame la Marquise de la
Tremblaye , 142
Mort deMonfieur du Mesnil Docteur
de Sorbonne , 143
Lettre écrite de Suede ſur la maladie de
Sa Majesté Sucdoiſe, 144
Les Oyſeaux , Idille de Madame des
Houlieres, 153
Tout ce qui s'estpassé àl' Academie Françoise
le jourde la Reception de Mon-
Sieur l'Abbéde la Vau , 156
Monfieur le Marquis de Vitry est nommé
à l'Ambaſſade de Pologne, 169
Monfieur le Chevalier de Noailles est
pourveu dela Charge de Lieutenant
General des Galeres , ibid.
Monfieur Robert Intendant en Flandres,
achete la Charge de President des
Comptes qu'avoit Monfieur Perrault,
170
Le Prince Charles Schinski envoye quatre
Tygres à Sa Majesté , ibid.
a iij
TABLE.
Monsieur l'Evesque de Baflefait chanter
leTe- Deum pour la Paix d' Alle-
171 magne,
Le Seigneur Paolo Laurenzani achete la
Charge d'Intendant de la Muſiquede
laReyne , 172
176
Arrivée de l'Ambaſſadeur d'Espagne,
&le Compliment qu'il a fait au Roy
dans l'Audience particuliere qu'il a
a cuë de Sa Majesté ,
Tout ce qui s'est fait àla Revenë des Troupesde
laMaiſondu Roy, & la maniere
dont chaque Corps estoit vétu, 179
Tout ce qui s'estpassé à S. Cloud au RegaldonnéparMonsieur
, où se trouva
Monfieur l'Ambassadeur d'Espagne,
186
Tout ce qui s'est passé au mesme lieu à
l'Audience de Madame l'Ambaſſadriced'Espagne,
189
DepartdeMonsieur l'Evesque de Strafbourg,
193
Monfieur de S. Laurens est choisy pour
estre Precepteur de Monsieur le Duc
C de Chartres, 195
Monsieur l'Abbédes Alleurs preſche devant
le Roy le jour de la Pentecoftes
ibid.
Mor
TABLE.
Mort de Monfieur Loiſel Curé de faint
Iean enGreve, 197
Mort de Monfieur le Comte de Belloy,
ibid .
Regal donnéà Monsieur l'Ambassadeur
d'Espagnepar Monsieur le President
deMesmes, 159
Regal donné par Monsieur le Prince de
Monaco, 200
Complimens faits au Roy ſur le ſujet de
la Paix, 207
Ambassade du Printemps à Sylvie,
210
Rejoiſſances faites à Mets ſur leſujet
de la Paix d'Espagne, 212
215
Explication en Vers de la premiere Enigmedumoispassé,
Noms de ceux qui l'ont expliquée, 216
Explication de laſeconde Enigme , 218
Nomsde ceux qui l'ont expliquée , 219
Noms de ceux qui ont expliqué toutes les
deux
Enigme,
Autre Enigme,
ibid.
220
221
Explication de l'Enigme de Narciffe,
222
Avanture du Jardin du Palais Royal,
223
Arrivée
TABLE.
Arrivée de Monsieur le Mareſchal Duc
de Vivonne à Marseille , 227
Arrivée de Madame de Creil au Puy,
228
Mort de Monsieur l'Abbé Caſſagne,
229
Mort deMonfieur Clement Conſeiller en
la Cour des Aydes , ibid.
Modes nouvelles. ibid.
Fin de la Table,
LE
LE LIBRAIRE
AU LECTEUR.
I
E ne me laſſeray point de
vous donner le prix des Livres
nouveaux, que j'auray
tous les Mois,afin que vous
n'ayez pas la peine de les marchander .
Souvenez vous de payer le port de tout
ce que vous envoyetez pour l'Autheur
du Mercure , ſi vous voulez qu'il ſoit
rendu ſeurement & fans delay.
Ceux qui auront beſoin du Mercure
dans les Païs Etrangers ou Provinces
, où il n'y aura point de Libraire
qui diſtribuent ledit Mercure , ou autrement
, & qui voudront en avoir
tant tous les mois que tous entier, s'adreſſeront
à Lyon , chez ТноMAS
AMAULRY Libraire , ruë Merciere ,
&on les leur fera tenir regulierement
tous les mois par telles voyes que l'on
marquera , & autres Livres que l'on
aura beſoin . L'on aura auſſi le foin
de
de faire payer ſix mois , ou une année
par avance. Il y a dix Volumes de
ceux de 1677. pour douze ſols ; ceux
de 1678. & 1679. pour vingt ſols le
Volume, tant les anciens que les nouveaux
, & les Extraordinaires trente
ſols chacun ſans marchander , ainſi il
eſt inutile de les demander à meilleur
marché ; On ſeparera quel volume que
l'on voudra pour le meſme prix.
LIVRES NOUVEAUX
du Mois de May.
Histoirede Theodofele Grand,par Monfieur
l'Abbé Fléchier de l'Academie
Françoise , in quarto,fixlivres.
Un Voyage nouveau de la Terre-fainte,
avec des Remarques pour l'intelligence
de l'Ecritureſainte, in douze, trois
livres.
Nouveaux Elemens des Sections Comiques
, lieux Geometriques , &c. par
l'Academic Royale des Sciences , in
douze, deux livres , 10.fols.
Traitez de Mechanique , de l'Equilibre ,
des Solides & des Liqueurs , par le
P. Lamy, in douze, 30.fols.
Le
Le troisième & quatriéme Tomes de la
Theologie Morale de Monfieur de
Grenoble, 2. vol. in douze, 4. livres .
La Contrecritique de la Princeſſe de
Cleves, in douze de Paris, 2. livres.
--La mesme de mon Impreſſion,
20. fols .
Le Courrier d' Amour, in douze.
Avis pour placer les Figures.
LEF
E Feu doit regarder la page 8 .
L'Air qui commence par L'Amour
folatrant l'autre jour , doit regarder
la page 72 .
L'Air qui commence par Ala fin
cesDeserts ont repris leur verdure , doit
regarder la page 151 .
LaMedaille qui repreſente le Roy
d'Eſpagne, doit regarder la page 193 .
L'Enigme en figure doit regarder
la page 222 .
EX
EXTRAIT DV PRIVILEGE
PA
du Roy.
Ar Grace & Privilege du Roy , donné à
Saint Germain en Laye le 31. Decembre
1677. Signé Par le Roy en ſon Conſeil, Jun-
QUIERES. Il eſt permis à J.D. Ecuyer, Sieur de
Vizé, de faire imprimer par Mois un Livre intitulé
MERCURE GALANT , preſenté à
Monſeigneur LE DAUPHIN , & tout ce qui
concerne ledit Mercure , pendant le temps &
eſpace de fix années , à compter du jour que
chacun deſd. Volumes ſera achevé d'imprimer
pour la premiere fois : Comme auſſi defenſes
font faites à tous Libraires , Imprimeurs, Graveurs
&autres , d'imprimer , graver& debiter
leditLivre fans leconſentement de l'Expoſant,
ny d'en extraire aucune Piece , ny Planches
ſervant à l'ornement dudit livre , meſine d'en
vendre ſeparément , & de donner à lire ledit
Livre , le tout à peine de fix mille livres d'amende
, & confiſcation des Exemplaires con-*
trefaits , ainſi que plus au long il eſt porté auditPrivilege.
Regiſtre ſur le Livre de la Communauté le
5.Janvier 1678. Signé E. COUTEROT . Syndic.
Et ledit Sieur D. Ecuyer , Sieur de Vizé a
cedé& tranſporté ſon droit de Privilege à
Thomas Amaulry Libraire de Lyon , pour
en joiüir ſuivant l'accord fait entr'eux.
Achevé d'imprimer pour la premiere fois le
6. Iuin 1679.
I
MERCURE
GALANT.
ΜΑΥ 1679.
BIBLIO
LYON
E
*1893
E commence, Mada-
J
me , par où j'ay finy
ma derniere Lettre .
On a publié icy la
Paix, & c'eſt la troiſième dont je
vous auray parlé depuis huit
mois. Je vous ay fait remarquer
combien de gloire noſtre Invincible
Monarque s'eſtoit acquis
par les deux premieres. Ce grand
Prince n'en reçoit pas moins de
A
2 MERCURE
cette troiſième. Si vous voulez
examiner avec qui elle vient
d'eſtre faite, vous trouverez que
⚫ ce n'eſt pas ſeulement avec un
Empereur tres-puiſſant , & maître
de deux Royaumes, la Boheme
& la Hongrie, que les autres
Empereurs n'ont pas toûjours
poffedez , mais encor avec les
Electeurs de l'Empire. Si ces Electeurs
n'ont point le titre de
Roys , ils ne laiſſent pas d'eſtre
redoutables par leurs Forces ; &
comme il n'y a aucun d'eux qui
ne puiffe mettre une Armée ſur
pied , c'eſt la meſme choſe pour
la gloire de Loüis LE GRAND .
La Paix dont je vous apprens
aujourd'huy la Publication , &
qui ne paſſe que pour une ſeule
Paix , a eſté concluë en meſme
temps, avec une multitude, pour
ainſi dire , de Puiſſances Souve
raines
GALAN T.
3
raines d'Allemagne , avec des
Villes libres & liguées , avec des
Eveſques Souverains & tres-riches
, & avec quantité de Princes
qui eftant maiſtres chez eux,
avoient armé,&joint leurs Troupes
enſemble , pour combatre
celles du Roy. Ainſi ce n'eſt pas
avec un Royaume que cette Paix
aeſté ratifiée, mais avec une Nation
entiere, belliqueuſe, aguerrie
de tout temps , & dont tous
les Souverains eſtant unis , comme
nous venons de les voir , auroient
pû attaquer une des Parties
du Monde , & peut- eſtre
meſme le Monde entier. Ce
grand Corps ſi difficile à faire
mouvoir, avoit remué. L'éclat de
la gloire de noſtre AuguſteMonarque,
luy avoit bleſsé les yeux.
Il avoit agy , & s'eſtoit ſervy de
la conjoncture de deux grandes
A ij
4
MERCURE
Puiſſances que ce Prince avoit
en meſme temps ſur les bras .
Nous attaquions la Hollande.
Vous ſçavez que cette Republique
s'eſtoit élevée à un ſi haut
point de Grandeur,qu'avant cette
guerre , elle avoit crû pouvoir
eſtre l'Arbitre des Roys. Ses Richeſſes
, & les Forces qu'elle a
fur Mer , & fur Terre , font affez
connues. L'Eſpagne s'eſtoit prefque
auffi- toſt déclarée pour elle.
Je ne vous dis rien de la vaſte
étenduë de cet Empire. Les divers
Royaumes qui le forment
dans l'un &dans l'autre Monde,
font connoiſtre la puiſſance du
Prince qui les poſſede. Voila
quels Ennemis le Roy avoit à
combatre , lors qu'il fut attaqué
par toute la Nation Allemande,
avec laquelle nous venons d'entendre
publier la Paix ; mais comme
GALANT.
5
me les circonstances rendent
ſouvent les choſes plus glorieuſes
, il eſt bon d'en ajoûter de
nouvelles à ces premieres. On
avoit traversé cette meſme Paix
à Cologne il y a déja quelques
années. Les Conferences en furent
rompues , & on y arreſta
Monfieur le Prince de Furſtemberg.
Tout cela n'a ſervy qu'à
regarder les effets de la generoſité
de Loüis LE GRAND, qu'à
luydonner plus de gloire, & enfin
qu'à luy faire conquerir des
Places en affez grand nombre
pour en accorder quelques- unes
à la tranquillité de l'Europe , &
s'en referver de confiderables .
Les meſmes qui avoient empefché
la Paix de Cologne , & qui
ne la vouloient pas recevoir des
bontez du Roy , avant que de
voir leurs Païs ruinez , n'ont pû
A iij
6 MERCUR
ſe défendre de l'accepter apres
avoir eſté batus en mille rencontres
, & foufert tous les Hyvers
une fâcheuſe guerre chez euxmeſmes,
causée par leurs propres
Troupes qui ſe difputoient des
Quartiers d'hyver. C'eſt une
marque qu'elles n'incommodoient
guere nos Provinces.
Ainſi l'on peut dire que fi ce
grand nombre de Souverains a
reçeu la Paix , c'eſt parce qu'ils
n'eſtoient plus en état de faire
la Guerre. La Publication de cette
Paix a eſté faite en prefence
de Monfieur de la Reynie , qui a
pris le ſoin d'y faire obſerver les
ceremonies accouſtumées. Il a ce
droitcomme Lieutenant de Police
, & c'eſt ainſi qu'il a plû au
Roy de le regler. Je ne vous repete
point ce qui ſe pratique en
ces fortesd'occaſions. Je vous en
ay
GALANT.
7
ay deja fait le détail . Il faut vous
apprendre ſeulement que dans
cette derniere Publication il y
avoit dix Herauts d'Arines , qui
marchoient devant le Sieur le
Lievre, Roy d'Armes de France
du titre de Montjoye Saint Denys.
Ces Hérauts eſtoient les
Sieurs de Chaume du titre de
Normandie ; des Granges , du
titre d'Alençon ; Vernat , du titre
de Picardie ; Billon de Loyes,
du titre d'Angouleſme;le Blanc,
du titre de Xaintonge ; de Selle,
du titre de Dauphiné ; le Roy,
du titre de Rouſſillon ; Lucas, du
titre de Lyonnois ; d'Aubigny,
du titre de Charolois ; & Charpentier
Pourſuivant d'Armes,
faiſant la fonction de Héraut du
titre de Touraine. Ils fortirent
de l'Hôtelde Ville , deux à deux,
&dans l'ordre que je vous viens
A iiij
8 MERCURE
de marquer , precedez de huit
Tambours , & de douze Trompetes
de la grande Ecurie du
Roy. Les Réjoüiffances publiques
éclaterent dés le lendemain.
Le Te Deum fut chanté .
On alluma des Feux dans toutes
les Ruës , & Meſſieurs de Ville
en firent faire un d'Artifice, dont
vous pouvez voir le deſſein en
jettant les yeux fur la Planche
que j'ay fait graver. La principale
Figure élevée au milieu de ce
Feu, fur fon piedeſtal , reprefente
Apollon tenant ſa Lyre d'une
main , & une branche de Laurier
de l'autre. La Paix qui vient
d'eſtre faite eſt repreſentée par
une Figure d'Iris, ou de l'Arc - en
Ciel ; & la troifiéme qui ſemble
ne pouvoir étre ſeparée des deux
autres , fait connoiſtre que rien
rien ne pourra def- unir les Princes
HOTHEADE
S
GALANT. 9
ces qui ont ſigné les derniers
Traitez . J'ay oublié de vous dire
que tandis qu'on travailloit à
cette Paix avec l'Empereur, elle
avoit eſté concluë & ratifiée avec
toute la Maiſon de Brunfvic
, & avec l'Eveſque de Munſter.
Ce font des Princes puiffans
, & capables de fortifier
beaucoup unParty.Ilne reſte plus
que l'Electeur de Brandebourg à
comprendre dans le Traité . Il a
demandé du temps ſur quelques
difficultez qui l'arreſtent, & il y a
grande apparence que ma Lettre
ne partira point avant que je
vous faſſe ſçavoir la reſolution
qu'il aura priſe. C'eſt au nom de
fes Peuples , & de ceux qui ne
joüiffent pas encor de la Paix,que
MMrell'Abbé MallementdeMeſſan.
ge adreſſe la Plainte qui ſuit aux
Plenipotentiaires de Nimegue.
A V
10 MERCURE
4
Ent Peuples comme nous ayant fen-
Centt
y lahaine
Duplus granddetous les Héros,
Joüifſſent déja du repos
Que leurdonneune Paix certaine.
Vous , qui tenezde luy le pouvoir fouverain,
Depuis que vous avez nos interests en
main,
Que n'avez- vous finy l'excés de nostre
peine?
N'avons- nouspas ſujet de nous plaindre
devous ,
Puisque vous nous laissez exposez au
Couroux
D'un Héros devant quitout tremble ?
Quoydonc ,nesçauriez-vous d'une commune
voix
Pacifiertout-à-la-fois
Ceux qu'il avaincustous enſemble ?
La gloire du Roy n'occupe
pas ſeulement les Muſes Françoiſes,
elle fait parler les Italiennes
; & Monfieur Fredino de
Veniſe,dontjeme ſouviens que
je
GALANT. II
je vous ay déja fait voir une Lettre
, a composé en ſa Langue
une Fable fort ingenieuſe qui
vous apprendra l'avantage que
peut pretendre le Lys ſur les autres
Fleurs . Comme il me fait la
grace de me la promettre , vous
l'aurez dans le premier Extraordinaire
. Cependant il m'en en-
-voye la traduction qu'il m'aſſure
avoir eſté faite tres- fidellement.
Je vous en fais part. Elle
eſt de Monfieur l'Abbé Gradenigo
Bibliotequaire de S. Marc
dans la meſme Ville . Vous n'aurez
pas de peine à connoiſtre
que les Aquilons , & les Autans,
repreſentent les Princes du Nort ,
& que le Duc de Lorraine eſt le
Héraut qui flate l'Imperiale.Flore
, dans la pensée de l'Autheur ,
eſt la Reyne Chriſtine de Suede .
LES
12 MERCURE
03-9383030353
LES FLEURS.
L
FABLE.
EPrintemps triomphoit ,&les
phirspaisibles
Trouvoient mille &milleplaisirs
Zé-
Acareffer des Fleurs,à pouſſer desſoûpirs:
Les Fleurs n'étoient pas inſenſibles ,
Etl'Amour favorable à leurs cominuns
defirs,
Faifoit tout le bonheur des Fleurs des
Zephirs,
Quandune Fleur ambitieuse,
(C'estoit l'Imperiale, elle a fait dufracas)
Vint troubler la Paix glorieuse
Qui faisoit estimer les Fleurs , & leurs
Etats.
Elle apprit aux Zephirs qu'un Heros redoutable
Luydiſoitfouvent des douceurs,
Qu'il mépriſoit toutes ses Soeurs,
Et que pour elleſeule il paroiſſoit traitable
Que
GALANT . 13
Que ceHéros charmé deſes vives couleurs,
La vouloit élever à l'Empire des Fleurs.
Etqu'il luy preparoit dans un fejour aimable,
Une Feste nouvelle ,& de nouveaux honneurs.
Les Zephirs qui cherchoient à luy donner
lechange,
L'interrompoient àtout moment ;
Ils entaffoient loüange ſur loüange,
Etcomplimentfur compliment.
L'an, d'une maniere obligeante ,
Diſoit quesa tige éclatante
Avoit dequoy charmer les Coeurs.
L'autre qui s'amuſoit àbadiner , à rire,
Tâchoit pardefeintes langueurs
D'exprimer un amour , que l'on ne peut
décrine.
Ilsyreüssirent tres bien ,
L'Imperiale crût qu'ils estoient fort finceres,
Et fans-doute ils auroient avancé leurs
affaires. L
En recherchant unſecond entretien :
Mais
14 MERCURE
Mais comme ils ſoûpiroient pour des
Fleurs plus aimables,
L'Imperialeapres des vains discours ,
Sevit enfin reduite à chercher du ſecours
Chez des Peuples impitoyables.
LesAquilons&les Autans
Qui cherchoient à troubler les Fleurs &
lePrintemps ,
Entrerent dans la Ligue ; ilsy seroient
encore,
Et l'on verroit la belle Aurore
Languir, &redoublerſes pleurs
PourlaRepublique des Fleurs ,
Si les ſoins genereux de Flore
N'euffent donné remede à de fi grands
malheurs.
Onneparloit donc que de guerre,
Quand les cruels Autans , & les fiers
Aquilons ,
Troublerent les Zephirs au milieu des
Valons ,
Et le riant Printemps qui regnoit sur la
Terre.
L' Imperiale crût accabler de ſes coups
Les Fleurs qui refusoient de luy rendre les
1
armes;
Mais
GALANT. is
Maisfes emportemens ,&ses transports
jaloux,
Firent contre les Fleurs ce qu'avoientfait
Ses charmes :
Les Fleurs triompherent toûjours ,
Elles n'curent que de lagloire ,
Etl'onlesvitpaſſer de victoire en victoire,
Sans que l'Imperiale en arresta le cours.
Vous enfustes témoins , Aquilons indomptables;
Etvous ,Autans audacieux ,
Vous reconnuſtes que les Dieux
Eftoient en tout temps favorables
AuxFleurs que vous tâchiez d'oprimer
en tous lieux.
Mercurevint exprés des Cieux
Pour affembler les Fleurs dans une belle
Salle,
Où tout ce que la Terre étale
Et de rave &depretieux ,
Frapoit heureuſement lesyeux.
Flore, leur aimable Deeffe ,
Parut dans le mesme moment,
Etdit qu'elle quitoit un ſejour fort charmant
Pour
16 MERCURE
7
1
Pour rétablir lapaix, les jeux,&la tendreffe,
Dans l'Empiredes Fleurs qu'elle aimoit
cherement.
400
UnAutan, Favory d' Eole,
Se leva d'un air brusque , & prenant la
parole,
Ils'écria qu'entre mille autres Fleurs
Il admiroit l' Imperiale.
Il dit que cette Fleur n'auroit jamais
d'égale,
Qu'elle enchantoit les yeux parses belles
couleurs,
Queson merite estoit extreme,
Etque tout lepouvoir Supreme
Ne pourroit l'engager à vivre avec ses
Soeurs ,
Siparune conduite auſſi juste quefage
Elles ne luy rendoient hommage.
Un Zephir qui ſçavoit bien mieux faire
Sa cour,
( Pour s'attirer la bienveillance )
ComençaSon difcours par la reconnoiſſance
Que les Fleurs témoignoient àFlore, àſon
amour.
Il conjura Flore àson tour.....
De
GALANT.
17
Devouloirſe donner la peine ,
Avant que de revoir le bienheureux ſejour,
De nommer une Fleur qui dût estre leur
Reyne.
Flore choifit le Lys entre toutes les Fleurs,
Etlesſoûmit àson empire ;
La fiere Imperiale en verſa quelques
pleurs,
Cependant ilfalut obeirſans rien dire,
Et ( de peur de tomber dans de nouveaux
malheurs)
Eviterde deux maux , lepire.
J'oubliay dans ma Lettre du
dernier Mois , à vous apprendre
que Madame la Comtelle d'Arreſt,
Dame d'honneur de Madame
la Ducheſſe de Nemours,
eſtoit morte icy le 25. d'Avril.
L'attachement que ſes Peres , &
ceux de Monfieur le Comte
d'Arreſt ſon Mary , ont toûjours
eu pour la Maiſon de Longueville
, luy avoit acquis la bienveillance
18 MERCURE
veillance particuliere de cette
illuſtre Princeſſe. Elle estoit de
la Maiſon de Sermoiſe , une des
plus confiderables du Vermandois
, & qui demeure aujourd'huy
éteinte en ſa Perſonne, &
en celle de Madame la Marquiſe
de Meux ſa Soeur. Madame
ſa Mere fortoit de la Maiſon de
Foüilleuſe de Flavacourt, & c'eſt
ce quiluy faiſoit avoir l'honneur
d'eſtre Parente du fix au ſeptiéme
degré de Charlote Marguerite
de Montmorency Mere de
Monfieur le Prince , par Robert
de Sarrebruche , Damoiſeau de
Commercy , & Jeanne de Roucy
, Comteſſe de Roucy & de
Braine, ſa Femme, deſquels cette
grande Princeſſe eſtoit defcenduë
directement , auſſi bien
que la Comteſſe dont je vous
parle. Si elle a eu de grands
avanta
GALAN T.
19
avantages du côté de la naiſſance,
elle les a toûjours admirablement
ſoûtenus par ſa conduite.
Il n'y avoit rien de plus fage , ny
de plus chreſtien. Elle estoit
bonne, genereuſe , ſans faſte , &
d'une égalité d'ame fort peu
commune. Aufſi peut - on dire
d'elle avec beaucoup de juſtice,
que les belles qualitez qui l'avoient
renduë digne pendant ſa
vie , de l'eſtime & de l'approbation
de tous ceux qui l'ont connuë,
luy ont fait meriter leurs regrets
apres ſa mort. Monfieur
d'Arreſt ſon mary , deſcend des
anciens Comtes d'Eu. Ses Anceſtres
avoient pris leur nom de
la Chauſsée d'Eu avant l'an
1036. 11 en poſſede encor à prefent
la Terre , & eſt allié des
Maiſons de Marle , de Créquy,
de Balzac , de Luxembourg , de
Roüy,
20 MERCURE
Roüy, de Fontaines, de Dixmude,
de Piquigny , & de pluſieurs
autres.
Comme la mort laiſſe ſouvent
des Procez , on eſt icy ſur le
point d'en intenter un pour le
partage d'une affez grande Succeffion
, que l'imprudente conduite
d'une Mere a mis en état
d'eſtre difputé . Ce qui donne
lieu à cette diſpute , eſt auſſi ſurprenant
qu'extraordinaire. Il faut
vous l'apprendre en peu de
mots.
Un Officier de Cour Souveraine
, mort depuis douze ans,
avoit laiſſéun Fils & deux Filles,
avec plus de cinq cens mille livres
de Bien . C'eſtoit dequoy les
faire élever ſelon leur naiſſance.
Sa Veuve en prit ſoin , & n'oublia
rien de ce qui pouvoit contribuer
à rendre fon Fils hon
neſte
GALANT .
21
neſte Homme. Il achevoit alors
ſes études ; & comme ſon inclination
ſe trouva plus portée
pour les Armes que pour la Robe
, il ſe donna tout entier à apprendre
ſes Exercices , & prit
party dans les Troupes ſi - toſt
que la guerre fut declarée avec
la Hollande . Les Filles estoient
beaucoup moins âgées que luy .
L'Aînée n'avoit que dix ans . Elle
eſtoit blonde , avoit les traits
affez reguliers , & quoy qu'elle
fuſt moins belle que ſa Cadete,
elle ne laiſſoit pas d'avoir ce jene
- ſçay - quoy qui frappe les
yeux. Joignez à cela beaucoup
de douceur dans ſes manieres , &
une vivacité d'eſprit admirable.
Ces avantages eſtoient à confiderer
; mais pour fon malheur,
elle eſtoit boiteufe , & ce defaut
parut fi grand à fa Mere , qu'elle
1 refolut
22 MERCURE
refolut de luy faire naître l'envie
du Convent. C'eſt une injustice
aflez ordinaire.On donne à Dieu
ce qu'on trouve le moins propre
au monde , & peu de Meres
ſe defendent d'en uſer ainfi.Celle
dont je vous parle fit connoître
à ſon Aînée , que pour apprendre
beaucoup de choſes
que les Filles ne doivent point
ignorer , il falloit qu'elle allaſt
paſſer une année auprés d'une
Abbeſſe ſa Parente qui en auroit
ſoin ; que fa Soeur prendroit ſa
place pour le meſme temps apres
qu'elle l'auroit retirée , & que
rien ne pouvoit eſtre plus avantageux
pour l'inſtruction de l'une
& de l'autre , que les exemples
de vertu qu'on leur donneroit.
Cela fut dit d'un ton abſolu. La
Fille n'eſtoit pas d'un âge à refiſter.
Il falut partir , & elle ſe laiffa
GALAN T.
23
-
ſa conduire au Convent où l'on
vouloit qu'elle entraſt , à vingt
ou vingt- cinq lieuës de Paris.
L'Abbeſſe luy fit toutes les careſſes
imaginables. On s'emprefſa
à la divertir, &force Penfionnaires
de fon âge qu'elle trouva,
l'empeſcherent de s'ennuyer.
Mais on eut beau luy fournir
d'agreables amuſemens. Ils ne
purent luy faire oublier qu'on
devoit mettre ſa Scoeur en ſa place;
& fon année de clôture
n'eut pas plutoſt expiré , qu'elle
demanda ſi on ne ſe preparoit
point à l'amener. On difera l'échange
ſur quelque pretexte ,&
on fit fi bien , que trois ans ſe
paſſerent au lieu d'un, ſans qu'on
executât rien de ce qu'on luy
avoit promis. Au contraire , on
commença à luy parler plus ſerieuſement
qu'on n'avoit fait
juſque
24
MERCURE
juſque- là, du peu de folidité des
choſes du monde . C'eſtoit affez
luy en dire. Comme elle avoit
l'eſprit extremement avancé , elle
raifonna fur la morale qu'on
luy debitoit , & comprit qu'on
ne l'avoit enfermée dans un Convent
que pour la facrifier à ſa
Cadete . Elle reſolut des - lors de
n'en eſtre point la dupe , ſe tint
ſur ſes gardes contre tous les
pieges qu'on luy tendoit , &
loüant le bonheur d celles qui
avoient la force de ſe détacher
de tout pour prendre le Voile,
elle prioit toûjours qu'on ne luy
demandaſt rien de poſitif , jufqu'à
ce qu'elle fuſt en âge de ſe
mieux connoiſtre qu'elle ne faifoit.
Cependant plus on luy parloit
des avantages de la clôture,
plus elle en prenoit d'averſion .
Ses Compagnes , & peut eſtre
quel
GALANT.
25
i
quelques Keligieuſes à qui on
avoit fait venir la vocation par remontrances,
l'affermiſſoient dans
le deſſein de lever le maſque , &
elle n'eut pas plutoſt atteint l'âge
de quinze ans , qu'elle declara
non ſeulement qu'on ne la verroit
jamais guimpée , mais qu'on
l'obligeroit tres - fort de la faire
fortir du Convent. L'Abbeffe
qui connoiſſoit l'importance de
la vocation qu'on luy ſouhaitoit,
ſe contenta de luy demander fix
mois, pendant leſquels elle prendroit
ſon entiere reſolution , avec
aſſurance que ſi apres ce temps,
elle avoit encor le meſme dégoût
pour le Convent , elle obligeroit
ſa Mere à la retirer. Les
fix mois paſſerent. La Demoiſelle
demeura inébranlable ,
& l'Abbefle crût ſa conſcience
intereſsée à la retenir dans un
May 1679. B
26 MERCURE
lieu d'où elle témoignoit une extreme
impatience de fortir. La
neceſſité de la reprendre fut un
coup deſeſperant pour la Mere.
Sa Cadete eſtoit devenuë
toute belle . Cette Mere en avoit
fait ſon Idole , & pretendoit la
marier comme Fille unique , fur
ce qu'elle avoit déja publié que
ſon Aînée renonçoit au monde,
& qu'elle eſtoit ſur le point de
prendre l'habit. Elle avoit meſme
des veuës qui alloient plus loin.
On avoit commencé la guerre.
Son Fils eſtoit à l'Armée, &tous
les jours dans l'occaſion d'eftre
tué . Ce malheur dont elle n'auroit
pas eu de peine à ſe conſoler
, rendoit ſa Cadete un Party
tres-confiderable,&elle ne pouvoit
ſoufrit qu'uneBoiteuſe vinſt
renverſer les projets qu'elle fai-.
foit pour l'établiſſementde cette
?
Cadete.
GALANT.
27
Cadete. Cependant l'Abbeſſe ne
voulant plus garder ſon Aînée,
il falut qu'elle fongeât à la mettre
ailleurs , & elle ne pût rien
imaginer de plus favorable à fes
-deſſeins , que de l'envoyer chez
une de ſes Tantes , Soeur de fon
Pere , mariée en Languedoc , à
- qui elle avoit déja écrit pour la
- preparer à la recevoir. C'eſtoit
l'éloigner, & ſe tenir toûjours en
eétat de faire croire d'elle cequ'el.
- le voudroit. La Demoiselle conſentit
volontiers à ce voyage , &
crût trouver plus dedouceur aupres
de ſa Tante , qu'aupres d'u-
- ne Mere qui l'aimoit fi peu. Elle
- y alla ſans avoir veu cette injufte
Mere ; & apres quelques années
qu'elle paſſa affez agreablement
dans cette Province , elle
tomba dans une maladie fi dangereuſe
, qu'on fut obligé d'en
Bij
28 MERCURE
donner avis. La Lettre portoit
que les Medecins deſeſperoient
de ſa guerifon , & que les premieres
nouvelles qu'on en recevroit,
ſeroient apparemment celles
de ſa mort. La mere ne
manqua pas de le publier , & elle
attendoit impatiemment l'arrivée
du premier Courrier,
quand une autre Lettre qu'elle
reçeut , luy apprit que ſon Fils
avoit eſté tué à la Journée de
Caffel . Elle en eut de la douleur
; mais comme c'eſtoit un
mal fans remede , elle feignit
de n'en rien ſçavoir , & dit à
tous ſes Amis qu'on luy venoit
de mander que ſon Aînée
eſtoit morte en Languedoc.
On le crût , & fa Cadete qu'on
vit en deüil dés le lendemain ,
confirma le bruit qu'elle eut l'adreſſe
d'en faire courir. Les Relations
GALAN T. 29
lations de la Bataille qui furent
envoyées quatre jours apres , firent
voir le nom de ſon Fils
dans toutes les Liſtes des Morts .
- Elle trouva des larmes pour le
pleurer , & donna de grandes
marques d'affliction ; mais le
- deüil que fa Fille avoit pris de
bonne- foy , parut eſtre d'abord
pour fon Aînée, & on commença
de la regarder comme l'unique
Heritiere de cette Maiſon.
Elle estoit perfuadée elle - méme
qu'elle n'avoit plus ny Frere
ny Soeur , ſa Mere luy ayant
caché que ſon Aînée avoit eſté
affez heureuſe pour ſe tirer de
la maladie qu'on avoit crû qui
l'emporteroit. Le Bien eſtoit fort
confiderable, la Demoiselle tresbelle
, & vous jugez bien qu'avec
de tels avantages elle ne
manqua pas de Soûpirans. En
Bij
30
MERCURE
fin un Marquis auſſi riche que
bien fait , fut preferé à tous ſes
Rivaux , & il épouſa cette charmante
Perſonne dans les derniers
jours du Carnaval. La Mere
qui n'avoit rien tant ſouhaité
que ce Mariage , en eut une
joye qui ne ſe peut exprimer,
mais elle ne joüit pas longtemps
du plaisir de voir ſa Fille Marquiſe.
Elle fut frapée d'apoplexie
douze jours apres , & mourut
fans pouvoir rien dire de la
tromperie qu'elle avoit faite à
fon Gendre. Le Marquis ne ſe
trouva pas fort malheureux d'avoir
fi toſt une double Succeffion
à recueillir. Il en vantoit l'importance
à un de ſes Amis qui revenoit
de Province , quand cet
Amy luy apprit qu'il n'en devoit
pretendre que la moitié , l'autre
appartenant àune Soeur qui avoit
eſté
GALAN T. 31
eſté envoyée aſſez jeune en Languedoc
, & qui ayant ſçeu la
mort de ſa Mere , ſe preparoit à
luy venir demander le partage
qui luy eſtoit deû. Le Marquis
fort étonné de cette nouvelle,
voulut ſçavoir de ſa Femme ce
qu'il falloit qu'il en cruft . La jeune
Marquiſe l'affura que la Soeur
dont on luy parloit, eſtoit morte,
qu'elle en avoit pris le deüil un
peu avant que ſon Frere euſt
eſté tué ,& qu'il ne devoit pas
apprehender qu'on la fiſt revivre.
L'Amy répondit qu'il ne
pouvoit croire qu'on ſe fuſt fait
unplaifirde letromper ; qu'étant
en Languedoc depuis trois ſemaines
, on l'avoit mené chez la
Tante de la Marquiſe ; qu'il y
avoit entretenu une Demoiselle
fort bien faite , qui ſe diſoit fon
Aînée , & que c'eſtoit là qu'il
a
F
B iiij
32
MERCURE
avoit appris le Mariage dont il
venoit les feliciter. La Marquiſe
luy demanda auſſi toſt ce qu'il
avoit remarqué de la taille de
cette Soeur ; & quand il eut dit
qu'elle estoit des mediocres, mais
fortbien priſe, le Marquis ſe mit
à rire , & luy perfuada qu'on s'étoit
diverty à luy faire piece, parce
que ſa Femme n'avoit jamais
eu qu'une Soeur boiteuſe. Cette
circonstance laiſſa l' Amy ſans replique.
La Demoiſelle qu'il avoit
entretenue comme Soeur de la
Marquiſe , avoit la taille ſi droite
, qu'il ne douta point qu'on ne
l'euſt joué . Il en témoigna beaucoup
de joye, puis que le divertiſſement
qu'on s'eſtoit donné à
ſes dépens, tournoit à l'avantage
du meilleur de ſes Amis. Cependant
la Succeſſion eſtoir aſſez importante
pour attirer la Demoifelle
GALANT.
33
5
5
ſelle à Paris . Elle y arriva avec
ſa Tante , au nom de laquelle on
vint demander ſi la Marquiſe
- pouvoit eſtre veuë. La Marquiſe
qui avoit ſouvent entendu parler
du merite de cette Tante , la
reçeut de la maniere du monde
la plus honneſte ; mais elle fut
fort ſurpriſe , quand apres une
heure de converſation, laDemoi.
ſelle qui l'accompagnoit ſe decla.
ra pour eſtre ſa Scoeur. Le Marquis
étoit preſent.Comme il avoit
obſervé la Demoiselle en entrant
, & qu'elle marchoit fort
droit , la declaration ne l'étonna
point. Il fit une réponſe galante,
& ne commença de prendreſon
ſerieux , que quand elle dit que
pour n'eſtre plus boiteuſe , elle
n'en eſtoit pas moins la Soeur de
fa Femme. La verité eſt , que
dans le dernier Hyver , qui a
: Bv
34
MERCURE
eſtéundes plus rudes que nous
ayons eu depuis fort longtemps,
elle s'eſtoit rompu la jambe en
ſe laiſſant tomber ſur la glace.
On n'en avoit rien écrit à ſaMere
, qui ne s'en ſeroit pas beaucoup
miſe en peine, & qui d'ailleurs
n'avoit voulu détromper
perſonnede ſa fauſſe mort. Cependant
ce malheur luy avoit été
fi avantageux, qu'en remediant à
l'accident de ſa jambe , on estoit
venu àbout de la faire marcher
droit. Cela ſembloit tenir un peu
du prodige ; & les nouveaux
Mariez qui ne croyoient , ny ne
vouloient point avoir de Soeur,
traiterent de conte ce qu'on leur
en dit, & fe montrerent fort difpoſez
à ſe maintenir dans le droit
entier des Succeſſions que laDemoiſelle
demandoit à partager.
La Dame qui l'avoit amenée , ſe
conten
GALANT.
35
contenta de leur dire qu'elle leur
donnoit huit jours pour luy faire
■ ſçavoir ce qu'ils reſoudroient.
Elle ajoûta que ſa Niéce eſtoit
preſte à ſe marier à un Homme
des plus qualifiez & des plus
puiſſans de la Province ; qu'il
l'avoit accompagnée à Paris , &
qu'il ne manquoit pas d'Amis
pour luy faire rendre la juſtice
1 qui luy estoit deuë. Ils ſe ſeparerent
affez froidement , & chacun
prit conſeil de ſon coſté fur
ce qu'il eſtoit à propos de faire.
La nouvelle de cette Fille vivante
s'eſtant répanduë dés le
lendemain dans toute la Parenté
, tout le monde luy rendit vifite.
Quoy qu'on ne l'euſt point
veuë depuis l'âge de dix ans , &
-que ſes traits fuſſent plus formez
, ils ne laiſſoient pas d'eſtre
encor les meſmes. Ainfi perſonne
36 MERCURE
ne n'eut peine à la reconnoître.
Le changement de ſa taille eſtoit
la ſeule choſe qui embaraſſoit ;
mais ce qu'on diſoit de ſa chûte ,
&de l'heureux effet qu'elle avoit
produit, eſtoit facile à juſtifier.
C'eſt ce que la plupart des
Parens firent entendre au Marquis.
Iln'aimoit point le Procés,
& par l'avis de ceux en qui il ſe
confioit le plus, il demanda quelque
temps pour envoyer ſur les
lieux faire les Informations qu'il
jugeroit neceſſaires. Voila l'état
où ſont aujourd'huy les choſes.
Il attend le retour de quelques
Amis intelligens qui font allez
pour luy en Languedoc , & la reſolution
qu'il prendra , dépend
de ce qu'ils auront appris des Perfonnes
def- intereffées .
Les Feſtes publiques ont toûjours
eſté regardées comme de
glorieu
GALANT.
37
glorieuſes marques de la grandeurd'un
Etat. En effet, rien ne
fait fibien connoître la magnificence
& la galanterie d'un Souverain
, le bon ordre de ſes affaires
, & la bonté qu'il a pour ſes
Peuples.Les Empereurs Romains
&ceux qui ont gouverné ce vaſteEmpire
avant eux, n'ont rien
épargné pour la ſomptuoſité des
Spectacles . Il y en a eu fort fouvent
en France; & fans parler de
ces grands & magnifiques Opéra
, qu'on n'appelloit alors que
Balets, l'Histoire eſt pleine d'une
infinité de Carouſels qui ont eſté
faits en diférentes occaſions de
réjoüiſſance , & nous en avons
veu trois ſous le ſeul regne de
LOUIS LE GRAND. Quant aux
ſuperbes Balets dont j'ay commencé
de vous parler , fi on en
veut ſcavoir le nombre , on les
! peut
38 MERCURE
peut preſque compter par les années
de noftre auguſte Monarque.
Mais cequi a dû furprendre
toute l'Europe , ç'a eſté de voir
que ſesmagnificences ayenttoûjours
reçeu quelque éclat nouveau,
ſans que la guerre qui ruine
ordinairement les Etats , ait
apporté le moindre changement
dans les fiens. Au contrai
re, il ſemble qu'à meſure que la
gloire de ce Prince a augmenté,
toutes fortes de bonheurs foient
venus dans ſon Royaume. Ses
grandes Armées pouvoient en
épuiſer les vivres & les Finances.
Cependant l'abondance n'a pas
laiſsé d'y regner toûjours, & l'on
ne s'y eſt apperçeu qu'on eſtoit
en guerre , que par les Réjoüiffances
publiques,par les Feux de
joye , & par les nouvelles conti
nuelles de la priſedes plus fortes
Places
GALANT.
39
Places des Ennemis,dont les plus
confiderables nous font demeurées.
Il eſtoit difficile que toutes
ces choſes n'arrivaſſent , le Roy
eſtant ſervy par des Miniſtres
dont le zele & l'exactitude n'ont
rien d'égal que leur extréme fidelité.
Si les grandes Feſtes ſont ſi
glorieuſes à un Etat, parce qu'elles
font des marques de ſon abondance
, de fa tranquillité , &
du bon & heureux Gouvernement
du Souverain , la Cour de
Savoye peut ſe vanter qu'il ne
luy manque aucun de ces avantages
, eftant certain qu'il y en a
peu dans l'Europe qui puſſent
l'emporter far elle en toute forte
de magnificences. Je vous en
ay entretenuë déja pluſieurs fois,
& le plaifir que vous ont donné
ces Articles , me fait juger de celuy
que vous recevrez en apprenant
40
MERCURE
nant ce qui s'eſt paſsé cette année
à la Feſte de la Naiſſance de
Madame Royale . Vous vous fouvenez
que je vous ay dit qu'elle
arrive toûjours l'onzième d'Avril.
Cette Princeſſe fut éveillée ce
jour- là par les Salves du Regiment
des Gardes , de ceux de
Savoye , & Piémont Ducal , &
de toute l'Artillerie de la Ville
&de la Citadelle. Elle alla enſuite
s'acquiter des devoirs ordinaires
de fa pieté , dans l'Egliſe
de S. Jean où eſt le S. Suaire , &
où elle offrit ſelon ſa coûtume,
autant de Piſtoles qu'elle a d'années
. Les Galeries qui font la
communication du Château au
Palais Royal , & du Palais Royal
à la Tribune de cette Eglife , lui
ſervirent de paſſage ; le tout paré
des Meubles de la Couronne,
qui ſont auſſi riches qu'il y en
ait
GALANT.
41
☐ ait dans l'Europe. Les Regimens
de Savoye , & Piémont Ducal,
eſtoient dés le matin en Bataille
dans la Place du Château , & ce-
- luy des Gardes dans la Place devant
l'Egliſe de S. Jean pendant
la Meſſe. On la chanta en Muſique
, de la compoſition de Monfieur
Lalloüete .C'eſt un Eleve du
fameux Monfieur de Lully. Il eſt
- aisé de connoître par tout ce qu'il
fait,qu'il a pris le bon gouft de ce
grand Homme. Quoy qu'on foit
accoûtumé en Savoye à la douceur
de la Muſique Italienne, &
à cequ'elle a de ſçavant , on ne
laiſſa pas d'admirer celle de ce
jour- là,&d'avoüer qu'on ne pouvoit
rien entendre de plus beau.
Les Arquebufiers eſtoient fort
-propres ,& rangez en deux hayes
dans la Nefde l'Eglife ; les Suifſes
de la Garde en rond au bas
} du
42 MERCURE
dudegré de la Tribune ; une par.
tie des Archers des Gardes du
Corps au bas de l'autre degré, &
l'autre partie autourde Leurs Alteſſes
Royales .Ces Archers compoſent
une Troupe de centGardes,
qui doivent tous eſtre Gentilshommes,&
Savoyars.On n'en
reçoit aucun autre . Au retour,
Madame Royale reçent les complimens
de toute la Cour,& dîna
enpublic avec Son Alteſſe Royale
, Madame la Princeſle Maurice
, Monfieur le Prince de Carignan,
& Monfieur le Chevalier
de Savoye. Le Repas fut magnifique.
Les Violons dans un
bout de la Salle où l'on mangeoit,
& les Hautbois à l'autre bout, répondoient
par Echo aux Trompetes
qui eſtoient dans la Salle
des Gardes , & faisoient le
plus agreable Concert qu'on
puiffe
GALANT.
43
1
1
|
1
|
|
puiſſe entendre.Apres que Leurs
Alteſſes Royales eurent dîné,elles
allerent ſe promener au Va-
| lentin , & rentrerent dans la Ville
ſur les fix heures du foir. La
belle & grande Place de S. Charles
par laquelle on devoit paffer,
eſtoit occupée d'un côté par le
| Regiment de Piemont Ducal.
Le retour de cette charmante
Courreſſembloit àune Entrée de
☑ Triomphe. Le Carroſſe de Leurs
Alteſſes Royales eſtoit precedé
de plus de vingt autres , environné
& fuivy des Princes &
- Seigneurs à cheval , au nombre
de plus de deux cens , tous avanrageuſement
. montez , & dans
une parure tres magnifique.Plus
de cent autres Carroſſes marchoient
apres eux. La nuit vint
quand on fut rentré dans le
Château , & l'obſcurité en fut
bien
44 MERCURE
bien- toſt diffipée par un grand
Feu d'artifice, élevé ſur une Terrafſſe
qui fait une des faces de la
Place de ce Château, & qui luy
donne communication avec le
Palais de Madame la Princeſſe . Il
repreſentoit le Temple de Janus,
qui ayant eſté fermé pour les
Peuples de Savoye, par la fage &
merveilleuſe conduite de Madame
Royale, pendant que toute
l'Europe eſtoit en guerre , paroiſſoit
encor dans le meſme état,
&ſembloit les avertir de l'eternelle
reconnoiſſance qu'ils devoient
avoir de ſes bontez. Le
Bal fucceda au Feu. Les Dames
qui font belles & en fort grand
nombre , s'y trouverent dans un
éclat merveilleux. Leur ajuſtement
eſtoit des plus riches , &
pour couronner la magnificence ,
on fervit une ſuperbe Collation
dans
GALAN Τ.
45
dans vingt - quatre grands Baffins
remplis des raretez les plus
exquiſes . Chaque Baffin avoit
fon deſſein particulier. C'eſtoit
une eſpece de Sculpture & de
Miniature tout enſemble , faite
avec du Sucre & des Fruits.Toutes
ces differentes Pieces of
froient aux yeux quelque choſe
de ſi achevé , qu'on faiſoit ſcrupule
de les rompre pour ſatisfaire
fon gouft , tantelles ſembloient IBLIO
propres à eſtre conſervées pour
la parure d'un Cabinet. Tout ce
la ſe fit par les ordres de Monfieur
le Duc de Savoye , qui regaloit
Madame Royale. Je ne vous dis
rien de ladépenſe des Princes &
des Seigneurs qui ſe trouverent
à cette Feſte. Vous ferez perfuadée
qu'elle alla loin , quand je
vous auray appris qu'ils changerent
trois fois d'Habit , ayant paru
46 MERCURE
ru le matin en Gens de Cour,
l'apreſdînée en Cavaliers qui doivent
monter à cheval ,& le ſoir
au Bal , en Manteau . Tous ces
diferens Habits eſtoient ſi bien
entendus & fi brillans, qu'on auroit
eu peine à dire lequel des
trois faiſoit éclaterplus derichefſe
& plus de galanterie. Jugez
des Dames par là. Monfieur le
Cardinal Portocarrero qui paffoit
àTurin , pour s'en retourner
de Rome en Efpagne, futtémoin
detoutes ces magnificences.. Il
les admira. Mais il fut furpris de
tout ce qu'il vit de pompeux &
de galant. Il ne le fut pas moins
des Preſens que Leurs Alteſſes
Royales luy firent. Il y avoit en
effer dequoy en eſtre étonné,
puiſqu'il ne faiſoit que paſſer par
cette Cour , qu'il y eſtoit incogni
to,& qu'il n'y avoit traité aucunes
GALANT.
47
nes affaires ; mais il avoit vû Madame
Royale , & c'eſtoit affez
pour recevoir des marques de
ſon eſtime . J'aurois encor à vous
entretenirde cette galante Cour,
en vous parlant de la Reception
de Monfieur l'Eveſque de Foſlan
dans l'illustre Academie des
beaux Eſprits , que cette grande
Princefle a établie dans ſon Palais
, mais j'en attens les particularitez
pour vous apprendre ce
qui ſe paſſe dans ces fortes de
Ceremonies , comme j'ay fait à
l'égard de l'Academie Françoiſe
qui ſe tient au Louvre. Cependant
il ne ſera pas hors de propos,
apres unArticle de Feſte publique
, de vous éclaircir touchant
ce que vous ſouhaitez ſça.
voir du Fuirtschaf , dont il eſt
parlé dans la deſcription des divertiſſemens
qui furent donnez
48 MERCURE
àMadame la Princeſſe de Meklebourg
pendant ſon ſejour à la
Cour d'Hannover. La Relation:
que je vous en envoyay dans ma
Lettre du mois de Mars , porte
que c'eſt une maniere de Mafcarade
inpromptu . Le mot eſt
Allemand composé de deux, qui
fignifient en cette Langue Compagnie
de l'Hoste. Ainſi le Vvirtschafdoit
eſtre regardé comme le
divertiſſement d'un apres ſoupé
d'Auberge, & c'eſt de là qu'il ti.
re ſon origine . Tous ceux qui ſe
trouvent logez enſemble , propoſent
tout d'un coup de ſe déguifer.
On fait des Billets dans
leſquels on écrit autant de noms
de Meſtier qu'il y a de Perſonnes
qui doivent eſtre du Vuirtschaf.
On choiſit ordinairement
les Emplois les plus vils & les
plus plaifans. Les Billets ſe mélent
GALANT.
49
S
- lent dans un Chapeau , & chacun
s'habille ſelon le Meſtier
qui luy eſt écheu. Cela fait ordinairement
un mélange fort divertiſſant.
Les Perſonnes du plus
-haut rang ne dédaignent pas cette
forte de Mascarade ; & quand
¡ la Princeſſe de Dannemark fut
- mariée au Duc de Holſtein , il
_ y eut un Voirtschaf, dans laquel
le fort des Billets changea le Roy
en Seigneur Polonois , la Reyne
en Coupeuſe de bourſe, le Prinece
de Dannemark qui regne aujourd'huy
, en Garçon Barbier
qui vouloit raſer tout le monde ,
le Duc de Holſtein en Marchand
de toile , l'Ambaſſadeur
_ de Hollande en Capitaine de
_ Vaiſſeau , & ainſi des autres .
【J'adjoûte à ces Articles de Divertiſſemens
& de Feſtes , la galanterie
d'un Particulier. Une
May1679.
C
50
MERCURE
belle Dame, des plus ſpirituelles
du Royaume , & qui a un talent
admirable pour la Poëſie , reçeut
il y a quelques jours un Paquet,
apporté par un Laquais ſans livrée
, qui feignant d'en attendre
la réponſe, s'échapa, apres l'avoir
donné à un de ſes Gens. La Dame
l'ouvrit, & y trouva unEventail
d'un prix fort confiderable ,
repreſentant le Triomphe de
Bacchus en miniature, avec cette
Lettre en Vers .
A L'AIMABLE
IRIS.
Vand vous paſſezvos jours dans le
Songezvous à ce que vous faites?
Deux Enfans font jaloux du bonheur
d'Apollon.
Lors
GALANT .
SI
S
t
τ
e
ir
a
コー
e
Lors qu'on est ,diſent-ils , faite comme
vous étes ,
Doit-on toûjours faireſa cour
Au brillant Dieu des Chansonnetes ?
Ils s'en plaignirent l'autre jour
Au Destin,qui promit definir leur querelle.
Iris, netraitezpoint cecy de bagatelle,
De ces deux Enfans , l'un s'appelle
Bacchus , & l'autre c'est l'Amour.
Consolez- vous , Divinitez puiſſantes ,
Leur diſoit le Destin tout-bas,
Sila charmante Iris prefere à vos appas
L'honneur d'estre comptée au nombre des
Sçavantes,
C'estqu'elle ne vous connoistpas.
Hé,cominent s'en faire connoistre ,
Répondit Bacchus irrité ?
Je ne puis approcher cettefiereBeauté ;
D'abord qu'elle me voit paroistre ,
Qu'onlejetteparla fenestre ,
Dit- elle , &qu'on ne laiſſe pas
Lamoindre trace deſes pas.
Helas ! mafortune est pareille,
Dit languiſſamment àson tour
L'aimable Enfant qu'on nomme Amour,
Iris me hait autant que le Dieu de la
Treille.
Cij
MERCURE
52
L'Ingrate n'a pour moy qu'un outrageant
mépris ,
L'employé en vain les leux , les Graces,
les Ris,
Pour apprivoiser la Cruelle ;
Nymon Flambeau, ny mes traits d'or,
Aqui , dit-on, rien n'est rebelle,
Malgré mes soins, n'ontpû mefaire encor
Obtenir l'heureux droit d'eſtre reçeu chez
elle.
La Nature qui me doit tout ,
Me faisoit efperer qu'elle en viendroit à
bout ;
Mais bien loin dem'estre fidelle,
Elle ne porte Iris qu'au plaisir de rimer,
Dans le tempsqu'il faudroit aimer.
Ilfaut , dit le Destin , quevôtre douleur
ceffe.
Du bon Phébus neſoyezplus jaloux,
Icunes Dieux, apprenez queceluy de Permeffe
Peut dans unmesme coeur demeurer avec
vous.
Paroiſſez chez Iris ſuivis de tous vos
charmes; [fidus,
Queles profonds refpects,que les ſoins af-
Les timides regards , lessoupirs , & les
larmes,
1
Soient
GALAN T.
53
Soient de l'Amour les ſeules armes;
Que pour accoûtumer Iris avec Bacchus,
Ilſoit accompagné de toutes ses Bacchantes,
Dumoite Element triomphantes.
Mais de peur d'effrayer Iris ,
Qu'il triomphe à ses yeux seulement en
peinture,
Et pour cette galante &fameuse avanture
,
Servez- vous tous deux de Tircis.
Aces mots ilſe tent , &sur notre Hemisphere
1
L'un l'autre Dieu defcendit.
Chacun d'eux chez moyſe rendit,
Et le beau Prince de Cythere
Mepreſſe du ſoir au matin,
D'accomplir l'ordre du Destin.
Mais, adorable Iris , quoy qu'il me puiſſe
dire,
Ien'oſe vous montrerses transports , fon
Tout cequ'en ma faveur le Sort a scen
espoir.
preſcrire ,
Setermine àvous faire voir
Triompher le Dieu de la Tonne,
Cij
54 MERCURE
Dans l' Eventail que je vous donne.
Iris, avec bontédaignez le recevoir.
Quelques recherches que l'on
ait faites , on n'a pû connoiſtre
l'Autheur de la Lettre , ny du
Preſent. Je ne penetre point les
raiſons qui l'obligent à ſe cacher,
mais il ſemble qu'apres avoir fait
triompher Bacchus ſi galamment
en peinture , un Homme qui a
autant d'eſprit qu'on en voit
dans cette Lettre , eſt fort capable
de procurer un veritable
triomphe à l'Amour.
Je vous ay parlé d'une magnifique
Caleche que Monfieur le
Maréchal Duc de Vivonne a
donnée au Roy. Je croyois vous
en pouvoir envoyer le Deſſein
grave ; mais outre qu'il auroit falu
trop de temps pour venir à
bout de cette gravure , elle ne
vous auroit repreſenté que tresimpar
GALANT.
55
imparfaitement les beautez qui
rendent cette Caleche l'admiration
des Curieux. Ainſi il faut
que je me contente de vous en
faire la deſcription . Elle vous fera
demeurer d'accord qu'on ne
ſçauroit trop vanter l'invention ,
& la magnificence de Monfieur
le Duc de Vivonne , qui a ou
vert les premieres idées de ce
Chef- d'oeuvre en le propoſant.
Il s'en eſt entierement reposé
fur les foins de Monfieur Gamare,
Chevalier de l'Ordre de ſaint
Michel , autrefois Capitaine des
Gardes de Monfieur le Duc de
Mortemar Gouverneur de Paris,
& aujourd'huy Lieutenant General
des Chaſſes du Louvre. Il
l'a laiſsé maître de la difpofition
de la Caleche , des matieres qui
la compofent , & du choix des
Ouvriers qui l'ont conſtruite ; &
C iiij :
56 MERCURE
comme Monfieur Gamare a des
lumieres toutes particulieres das
la connoiſſance des beaux Arts, il
n'y a voulu employer aucune des
choſes qui ont accoûtumé de fer.
vir à l'ornement des plus beaux
Carroffes , c'eſt à dire qu'il n'y a
mis ny cuir , ny clous , ny peinture.
Souvenez - vous , s'il vous
plaiſt , que tous les Arts ont leurs
termes propres, & que dans cette
deſcription je ne fais que fuivre
le Memoire que j'ay reçeu.
L'Imperiale eſt de Velours
bleu , parfemé de Fleurs de Lys
brodées d'or tant plein que vuide,
avec une Couronne de Laurier
dans le milieu . Les Bouquets
des quatre encoignures de
cette Imperiale , au deſſus des
chacun de deux petits Amours
coins de la goutiere , ſont ornez
affis ſur le Manteau Royal. Ces
petits
GALANT .
57
S
S
-
S
petits Amours ſerventde ſuports
auxdeux côtez d'un Globe couronné
de la Couronne Royale,
fur lequel font repreſentées les
Armes de Sa Majeſte; le tout
d'une tres - belle Sculpture de
Bronze doré , or moulu. Le haut
de la goutiere où l'on met ordinairement
des clous , eſt tres- richement
orné au pourtour de
Fleurs de Lys & de Coquilles enlainées
de bronze doré , or moulu
, repreſentant les Ordres de
S. Michel & du S. Efprit , dont
SaMajesté eſt le chef. Cette goutiere
eſt brodée d'or fur du Velours
bleu, rempliede tres- beaux
ornemens propres au ſujet; c'eſt
àdire de Couronnes de Laurier
, Sceptre , Fotüilles de Chefnes,
Palmes& Fleurons. La Bordure
qui eſt au deſſous de cette
goutiere n'eſt pas moins riche.
C V
38
MERCURE
Ses Encoignures ſont de Feüilles
d'Acante , avec un Soleil dans
le milieu , les Chifres de Sa Majeſté
& des Lys tous entrelaſſez
de Palmes . La ſculpture en eſt
dorée , & la plus belle Orfevreric
n'a rien de plus delicat . Le haut
des quatreEncoignures des pieds
Cormiers au deſſous de cette
Corniche, eſt un des plus beaux
Ouvrages de Sculpture qu'on ait
jamais vûs. A l'Encoignure de
devant , fur la gauche , eſt la Medaille
du Roy , attachée à une
Maſſue d'Hercule , qui ſoûtient
un Pot de teſte à l'antique, couronné
de la Couronne Royale de
Sa Majeſté , orné de Panaches.
Deux tres - belles Figures de
Femmes ſont les ſuports de cette
Medaille. Les attitudes en ſont
choiſies , & on n'a pas de peine
àles reconnoiſtre pour la Victoire
GALAN T. 19
Z
7
1
S
re & la Renommée. Elles font
ſur des nüages ſoûtenus par un
Palmier qui prend ſa naiſſance
d'une Coquille. Pluſieurs branches
de Laurier environnent ce
Palmier , & cette Maſſuë. Des
Trophées d'armes d'un tres-beau
deſſeiny font attachez. Les Connoiffeurs
nomment une ſemblable
compoſition Groupe, qui veut
dire un aſſemblage de Figures
qui commence , & qui finit agreablement.
Cette compoſit
tion qui ſert d'ornement à ce
Coin , eſt d'une richeſſe ſurprenante
par la beauté de la ſculpture&
de la dorure. L'autre Encoignure
de devant , & celle de
derriere, ſont ſemblables dans ce
qui regarde la Medaille du Roy ,
la Maſſuë d'Hercule , le Pot de
teſte , le Palmier , & les Trophées
d'Armes , mais il y a de la
diference
60 MERCURE
diference dans les Supports.
Cette autre Encoignure repreſente
l'Abondance , & la Paix ;&
les deux de derriere, la Juſtice, la
Force, la Prudence,& la Temperance
. Ces Vertus ſont les caracteres
de toutes les Actions de
nôtre grand & invincible Monarque.
Au lieu de cuir,on le voit
repreſenté à cheval ſur un Piedeſtal
Dorique au derriere de cette
Caleche. Il eſt armé à l'antique .
A côté de luy font des Captifs
enchaînez , des Trophées d'armes
, une Pyramide, & des Lauriers;
le toutdans un Bas relief
ornéd'une tres -belle Bordure de
feüilles de Laurier. De petits Amours
fervent d'ornement aux
deux côtez de cette bordure. Ils
attachent & foûtiennent des Feſtons
d'une ſculpture , & d'une
dorure qui charment........
Le
GALANT. 61
a
-
-
Le Cordon qui regne au Pourtour
d'un Caroffe & qui le ſepare
en deux ſur ſa hauteur , eſt
ordinairement appellé le Cordon
des Accotoirs. Celuy de
cette Caleche eſt tres-bien orné.
La Sculpture commence en
cet endroit à faire voir des ornemens
maritimes. Ils conviennent
à la Charge de General
des Galeres , remplie fi dignement
par Monfieur le Duc de
Vivonne. Ces ornemens ſont
des Coquilles de Fleurs de
Lys , des Fleurons , & lesChifres
de Sa Majeſté. Au deſſous
de ce Cordon , les fix Paneaux
qui achevent le bas de cette Caleche
ſont compoſez de Nacre
de Perles , taillez en écailles de
Poiffon, & revetus de Cuivre doré
or moulu , avec des Fleurs de
Lys. Ils font ornez chacun d'un
Soleil
62 MERCURE
Soleil de Bronze doré or moulu
, dont les rayons ſont brunis,
& fort éclatans , entre leſquels
au fond de derriere on voit d'autres
rayons de Nacre opale , qui
pouſſent des brillans de toutes
les plus vives couleurs de l'Arc
en Ciel. Le grand Panneau de
devant , auſſi bien que celuy de
derriere, eſt orné dans les coins,
de Teſtes aiſlées de Bronze doré
or moulu , qui repreſentent
les trente-deuxVents de la Mer.
Les Sçavans n'ont pû ſe laſſer de
donner des éloges à cet Ouvrage.
Aux Encoignures d'enbas, où
l'on met ordinairement les Conſoles,
on voit quatre Termes maritimes
ſoûs des figures de Sirenes.
Leurs teſtes de Femmes ont
pour coifure des cheveux treffez
& entrelaſſez de Perles. Le
Corps
GALAN T.
63
Corps en eſt reveſtu d'un Cartouche
de peau de Poiſſon à
écailles , qui laiſſe voir en quelque
maniere la forme du Corps
caché deſſous ce Cartouche.
Vers les épaules il y a un Rouleau
environné des queuës de
deux Dauphins , dont les teſtes
tombent & s'entrelaſſent au bas
des hanches de chaque Terme.
Je laiſſe pluſieurs autres ornemens
, comme Roſeaux , Joncs
Marins, & Serpens de Mer , qui
finiſſent en pointe par des Coquilles
d'une ſculpture tresagreable.
Le Cordon d'enbas eft
auſſi composé de Coquilles &
de Fleurons. Joignez à cela une
tres-belle Orfevrerie de cuivre
doré or moulu , appliquée ſur
toutes les plates bandes du dehors
du Corps de cette Caleche.
C'eſt un Ouvrage composé
64 MERCURE
sé de Lires , de Coquilles , de
Fleurs de Lys , de Soleils , de
branches de Cheſne , de Fleurons
& de Lauriers , d'ont l'entrelaſſement
eſt tres digne d'être
conſideré au milieu d'un autre
que l'on nomme Rais de
coeur, dont la ſymetrie eſt d'une
fort grande beauté.
Le dedans de cette Caleche
eſt doublé de Brocard tres - riche
à fond d'or , avec des Colomnes
torſes meſlées degrands fleu .
rons d'or & d'argent , friſez ſur
de petits fonds de Satin bleu , &
dans les intervales , les Chifres
du Roy or & argent friſez pareillement
ſur un fond d'or. Aulicu
de la Campane qu'on y met ordinairement
, on y a appliqué
une fort groſſe Broderie d'or ,
compoſée de Fleurons , Coquilles
, Fleurs de Lys , & Pentes
d'un
GALANT.
65
d'un tres - beau deſſein .
Le Marchepied du Plat- fond
au dedans de cette Caleche, eſt
un des plus beaux Ouvrages de
marqueterie , de cuivre & d'étain
, qui ait jamais eſté fait, ſoit
qu'on s'attache au Deſſein , ſoit
qu'on examine la politeſſe avec
laquelle la Graveure a eſté finie .
Le Train a toutes les Pieces
des autres Caleches legeres aufquelles
on ne met point de Mou
tons ſur le devant. Les branches
qui forte
qui ſortent du deſſus des Arcs,
ſervent à ſoûtenir le Siege du
Cocher. Tout y eſt admirable,
ſculpture, dorure, & fur tout , le
reveſtiſſement de ces Arcs par
des ornemens de feüilles d'eau,
d'une Orfevrerie de bronze doré,
qui entourent & entrelaſſent
de tres -gros morceaux de Nacre
de Perles. C'eſt ce qui a eſté
applau
66 MERCURE
applaudy , comme une tres - belle
& tres- riche invention , auffibien
que celle d'une tortuë dorée
, qui couvre entierement le
Roüage qui tourne au deſſous
des Arcs , & qui ſemble eſtre
accablée de leur peſanteur. Le
Siege du Cocher eſt de Velours
bleu , dont les Patentes ſont or+
nées de Joncs marins , de Feüilles
d'eau , & de Coquilles entrelafſées
d'une Broderie d'or tresparfaites
. La ſculpture, & les or
nemens des Rais & des Jantes
des Rouës, font d'un tres-agreable
deſſein , & il n'y a rien de
plus beau que les quatre Calotes
de bronze doré, qui cachent les
bouts des effieus & des moyeux
des quatre Rouës. Toutes les
mains , tant du Corps de la Caleche
à reffort , que celles du
Train , & les ſept Arcsboutans,
font
GALANT. 67
F
5
-
-
- ſont reveſtus de tres-beaux ornemens
de bonze doré, or mou-
• lu; & pour finir la deſcription de
ce Train , dont le derriere eſt
composé d'une Entretoille & des
deux Moutons , chacun a admiré
un Neptune qui y eft repreſenté
armé de ſon Trident , affis
- dans une grande Coquille foutenuë
fur la Mer , & tiré par des
Chevaux marins. La chute de
cette Mer finit ſur une Teſte de
Monſtre Marin , & les Moutons
de ce derriere reprefentent des
Tritons,dont les queuës font en
trelaffées de Roſeaux. Ces Tritons
ſervent de Termes, avec des
airs de teſtes tres- fieres , ſoûtenant
l'Entretoille en maniere de
Conſoles, enrichies de Feftons de
fleurs, & de deux petits Amours
au milieu d'enhaut, qui ſoûtiennent
les Armes de Sa Majefté.
On
68 MERCURE
On a regardé ce Triomphe de
Neptune come une Piece achevée,
tant par la beauté de la ſculpture
& de la dorure , que par
les admirables proportions des
Figures,& par le juſte raport des
parties au tout.
Il ne me reſte plus qu'à parler
des fix Chevaux qui furent
attelez à cette Caleche. Ils font
de poil tres - noir, d'une belle taille,
ny grands ny petits, Courſiers
de Naples , entiers, & fans encolure,
la jambe ſeche, ſans poil, la
teſte petite,& d'une fierté extraordinaire
. Leurs Harnois font
de Maroquin de Levant , piqué
d'argent à ondes ſur les bords . Le
milieu est reveſtu de travers de
Lames d'argent pareillement à
ondes , tant plein que vuide , enrichis
d'une grande quantité de
Boucles dorées , les unes repreſentant
GALAN T. 69
de
a
コ
ſentant l'Abondance & la Paix,
& les autres la Victoire & la
Renommée. Les brillans de ces
Lames d'argent bruny fur ce rouge
, ſoûtenus ſur le poil noir de
ces Chevaux
د ont paru aux
yeux de toute la Cour d'une
beauté ſurprenante. Les Teſtieres
& les Brides ſont composées
comme les Harnois , à l'exception
que les oeillieres & lesboffetes
des Brides ſont dorées & ornées
de Nacre de Perles, & les
Muſilieres dorées pareillement ,
repreſentant une Teſte de Monſtre
marin , & finiſſant par des
écailles de Poiſſon . Le Fronteau
de chaque Cheval ſoûtient un
Soleil avec des rayons & des
nuages d'argent. Le deſſus des
Teſtieres eſt ornée d'Aigretes
de crin blanc & rouge , & grandes
Boucles par étages , d'une
beauté
70 MERCURE
beauté ſi nouvelle & fi galante,
qu'il ſeroit difficile d'inventer
rien de plus agreable.
Je ne doute point , Madame,
qu'une ſi exacte deſcription ne
vous repreſente parfaitement ce
que tous les Curieux ont veu
icy avec grand plaifir. Elle eſt
de l'Autheur meſme de la Caleche
qui fut preſentée au Roy par
Monfieur le Duc de Vivonne le
15. de l'autre Mois. Sa Majeſté
en parut fort fatisfaite.Lamagnificence
de cet Ouvrage le rendoit
aſſurément tres -digne d'être
offert à un Grand Roy. En
voicy un d'une autre nature.
C'eſt un Madrigal envoyé à une
belle Dame le jour de ſa Feſte
par une de ſes Amies. Monfieur
Galoubie de Clermont en Auvergne,
en a fait les Vers.
BOU
GALANT.
71
12 BOUQUET.
Nos Parter
Os Parterres n'ont rien qui ſoit
digne de vous.
En vain , aimable Iris , je les ay courus
tous,
Les Fleurs à peiney commencent de nai-
Stres
On n'yvoitpoint encorparoiſtre
Flore, nyses vives couleurs ,
Saparesse me desespere.
Recevez cependant le plus conſtant des
:
coeurs;
Une amitié tendre & fincere
Eft bien plus rare que des fleurs.
Le Printemps a eſté pareſſeux
cette année àvenirchaſſer l'Hyver.
Voicy des Paroles qu'un fort
galant Homme a faites ſur ſon
retour. Elles ont eſte miſes en
Air par Monfieur de Montigny
duHavre.
:
AIR
72
MERCURE
AIR NOUVEAU.
'Amour folâtrant l'autre jour
LAvec la Bergere Lyfete,
Chantoitsursa Musete
Du doux Printemps l'agreable retour.
Mais une tendre Chansonnete
N'a rien qui puiſſe l'engager.
Que peut l'Amour avec Lyſete,
Sans un Berger ?
Meſſire Jule Mafcaron Evefque
de Tulle , nommé à l'Evefché
d'Agen , a eu le Brevet de
Predicateur ordinaire de Sa Majeſté
, avec l'applaudiſſement de
toute la Cour. C'eſt un honneur
dont il s'eſt rendu tres -digne,
ayant preſché cinq Careſmes au
Louvre, & autant d'Avents,en y
comprenant celuy de 1679- pour
lequel il a eſté retenu...
Monfieur Loiſel,Curé de Saint
Jean en Greve , & Chancelier
de
GALANT.
73
de l'Egliſe de Paris , s'eſt démis
de ſa Cure en faveur d'un de ſes
Neveux, & de ſa Dignité de N.
Dame , entre les mains de Mr
Coquelin. Ce dernier eſt un
Homme poly, qui a eſté Preceppteur
de Monfieur l'Archevefque
de Rheims , bon Predicateur
, & fort eſtimé parmy les
Docteurs de Sorbonne.
Nous avons perdu Monfieur
Morel , Doyen de la Faculté de
Theologie, qui mourut le 30. de
l'autre Mois. Il eſtoit Chanoine
Theologal de Paris , & l'un des
huit Predicateurs reſervez par
Sa Majesté, avec droit de Committimus
au Grand Sceau , &
douze cens livres d'apointement.
Il a fait place à un Gradué de faveur
, que Mrl'Archeveſque a
choify. C'eſt Mr Courcier,Do-
Eteur de Sorbonne,Homme ſca-
May 1679 . D
74 MERCURE
vant , d'un eſprit fort delicat , &
Superieur de la Maiſon des Nouveaux
Convertis .
Quoy qu'il n'y ait rien de
plus affligeant que de mourir, ce
n'eſt pas toûjours un mal fans
remede , quand on demeure en
état de ne ſe pas laiſſer enterrer.
Vous m'en croirez quand vous
aurez leû ce qui ſuit.
Un Cavalier logé fort cõmodément,
& faiſant une tres belle
depéſe , menoitune vie des plus
agreables avec ſes Amis. Il eſtoit
d'une humeur fort enjoüée , &
n'avoit point de plus grand plaifir
que de faire de ces pieces ingenieuſes
, qui paſſent plutoſt
pourdes traits d'eſprit, que pour
des injures. Quelques - uns le
condamnoient de ſon trop d'attachement
à plaiſanter ; mais il
avoit cela d'eſtimable , que s'il
railloit,
GALANT.
75
1
コ
railloit , il entendoit raillerie , &
qu'il ne ſe fâchoit point qu'on
fit contre luy ce qu'il ſe divertiſſoit
à faire ſouvent contre les
autres. Un de ſes Parens y'avoit
paffé ; & comme l'affaire dont il
s'étoit laiſſe rendre la dupe,avoit
fait éclat , ce Parent luy avoit
hautement declaré qu'il ſe divertiroit
de lui à ſon tour,& qu'il
en entendroit parler avant qu'il
fuſt peu. Le Defy fut accepté.
Le Cavalier ſe tint ſur ſes gardes
, & continuant toûjours à
plaiſanter , il reprocha pluſieurs
fois à ſon Parent, qu'apres l'avoir
menacé , il n'eſtoit guere impatient
dans ſa vengeance. L'occaſion
ne s'en eſtoit pas encor trouvée
favorable. Voicy celle qui
ſe preſenta quelque temps apres.
Le Cavalier ſe plaignit un jour
d'une legere indiſpoſition de-
1
Dij
76 MERCURE
1
د
vant cinq ou fix de ſes Amis.On
luy conſeilla de prévenir un plus
grand mal par quelques Remedes
de précaution. Il crût cet
avis , & reſolut de ne voir perſonne
le lendemain. Son Parent
futun de ceux qui le porterent à
fonger à luy. Ce jour de retraite
facilitoit le ſuccés de ce qu'il
avoit prémedité. Le jour ſuivant
ce Parent alla chez un
Crieur ſur le midy,ſuppoſa que
le Cavalier eſtoit mort le matin
d'apoplexie , & luy donna un
memoire de ſes qualitez , de fa
demeure , & de ſa Paroiſſe , avec
ordre de faire imprimer quatre
cens Billets d'Enterrement qu'il
envoyeroit le ſoir à tous fes Amis,
dõt il luy laiſſa la liſte.Il fortit
en le priant d'avoir ſoin qu'on
vinſt rendre le lendemain le deffous
de la Porte du pretendu
Mort,
GALANT.
77
J
Mort , adjoûtant qu'il ne falloit
point de Tenture dans l'Eglife,
parce qu'on vouloit faire l'Enterrement
ſans aucun éclat. Le
- Crieur qui ſe fit payer comptant,
prit charge de tout. Les Billets
furent portez , & ne ſurprirent
pas moins qu'ils affligerent ceux
qui les reçeurent. Le Cavalier
eſtoit eſtimé , & une ſi prompte
mort dans une aſſez grande jeuneſſe
, toucha les moins ſujets à
ſe chagriner ; mais perſonne ne
le regreta tant qu'un Abbé , qui
depuis longtemps avoit lié avec
luy une amitié tres- étroite. Il l'avoit
veu le jour precedent , luy
avoitconſeillé comme les autres
de ſe précautionner par quelques
Remedes , & tomba le foir
dans un étonnement inconcevable,
quand rentrant chez luy , on
luy denna le Billet d'Enterre-
Diij
78 MERCURE
ment. Il deplora la triſte condition
des Hommes,qui ne ſe peuvent
jamais repondre d'un ſeul
moment ; parla des belles qualitez
du Cavalier,de l'union qu'ls
avoient enſemble,& finit ſes lamentations
, en diſant qu'il ſe
trouv.roit bien embaraflé s'il eftoit
permis aux Morts de revenir
, parce qu'ils s'eſtoient promis
un jour en riant, que le premier
des deux qui mourroit,
donneroit de ſes nouvelles à ſon
Amy. Cependant le Cavalier
avoit paſſe tout le jour chez luy.
Les Remedes l'avoient foulage ,
& comme il s'eſtoit endormy
d'aſſez bonne heure , il ſe leva le
lendemain de fort grand matin .
Son premier ſoin fut d'aller rendre
viſite à ſon cher Abé.Il trouva
la porte de la Ruë ouverte ,&
la familiarité qu'il avoit das cette
Maiſon
GALANT. 79
-
- Maiſon luy donnant droit de
monter ſans eſtre conduit, il entra
dans la chambre où l'Abbé
- couchoit, s'aprocha du Lit, tira le
rideau avec fracas , & cria en le
- tirant qu'il étoit honteux de dor-
= mir ſi tard.Ce bruit éveilla l'Abbé.
Il avoit eu le pretendu Mort
toute la nuit dans la teſte , & le
voyant devant luy à ſon reveil,
il ne douta point que ce ne fuſt
ſon Fantôme qui venoit luy rendre
compte de l'état où il ſe trouvoit.
La frayeur le prit. Il fit pluſieurs
cris ,& perdit l'uſage de la
parole . Le Cavalier qui ne comprenoit
rien à cet accident, courut
au degré, appella ſes Gens,&
fut fort ſurpris de les entendre
crier à leur tour ſi- toſt qu'ils eu.
rent jetté les yeux fur luy , fans
qu'aucun d'eux l'oſaſt aprocher.
Il leur demanda tant de fois ce
Diiij
80 MERCURE
qui les rendoit ainſi interdits,
qu'à la fin il y en eut un qui ſe hazarda
de ſon côté à lui demander
s'il étoit vray qu'il ne fuſt point
mort. Il comprit par là qu'on avoit
ſemé quelque méchante nouvel.
le de luy,mais il ignoroit ſur quel
fondement, & il n'étoit pas tems
de s'en éclaircir. Le mal de l'Abé
preſſoit.On le ſecourut. Il ouvrit
les yeux , & voyant ce qu'il
avoit pris pour un Fantôme,agir
à l'ordinaire , au milieu de tous
ſes Gens, il commença de ſe raffurer.
Il fut queſtion d'aprofondir
l'avanture.On apporta le Billet
d'Enterrement. Le Cavalier
rit de ſe trouver mort dans le
temps qu'il eſtoit le plus diſpoſé
à vivre , & apres avoir inutile.
ment raiſonné ſur ce qu'il voyoit,
il s'imagina qu'on enterroit quelqu'unde
fon nom,qui avoit donné
GALANT. [ 81
né lieu à cette mépriſe. C'eſtoit
pourtant quelque choſe d'affez
difficile àconcevoir,que lesQua.
litez, la Ruë,& la Paroiſſe, ſetrouvaſſent
les meſmes pour deux
Perſonnes ; mais enfin il eſtoit
tres - afſuré qu'il ſe portoit bien,
&cette afſurance lui ſervoit d'une
grande confolation contre le
Billet . Il fortit; & toutes les Perſonnes
de ſa connoiſſance qu'il
rencontroit , venant l'embraſſer,
& luy demandant avec ſurpriſe
qui étoit l'impertinent Mort qui
s'eſtoit aviſé de prendre ſon nom
pour les affliger , il ſe confirma
dans la premiere penſée qu'il
avoit euë. Ce qu'il y eut de plaifant
, c'eſt qu'eſtant chez luy , il
trouva la Servante qui luy ou-'
vrit en grande colere.Un Homme
envoyé par le Crieur , eſtoit
entré en quelque façon malgré
Dv
82 MERCURE
elle. Il avoit planté une Echelle
fous la Porte , & tenant le bout
d'une piece de Drap noir , il
vouloit commencer à tendre
comme il luy avoit eſté ordonné.
La Servante s'y oppoſoit
de toute ſa force , & luy arrachoit
le Drap, en luy demandant
s'il eſtoit fou . L'autre s'eſtoit
contenté de luy jetter un Billet
d'Enterrement , afin qu'elle viſt
pour qui la ceremonie ſe faiſoit.
Ce Billet eſtoit inutile pour la
Servante qui n'avoit jamais apris
à lire. Sur cette conteſtation arriva
le Cavalier. L'Homme du
Crieur s'adreſſa à luy , pour ſe
plaindre qu'on luy faiſoit perdre
du temps,& que l'heure du Convoy
arriveroit tout- à-coup. Le
Cavalier qui vit que c'eſtoit ſa
Porte qu'on envoyoit tendre, comença
à s'appercevoirde la pie
ce.
GALANT.
83
* ce.Il n'en marqua rien à l'Envoyé
du Crieur , luy dit qu'il n'avoit
- qu'atravailler,& le pria ſeulemét
de tenir la Porte fermée, juſqu'à
ce que ſon Maître vinſt luy-même
donner ordreau reſte.Cepen
- dant come il n'avoit point àdouter
qu'il n'euſt quelques Amis af
= ſez charitables pour luy vouloir
= rendre les derniers devoirs, illaifſa
un Portier pour les envoyer
tous dans la Salle ; & afin de les
recevoir en Mort d'importance,
& qui ſçavoit vivre, il y fit porter
un Paſté de Lievre , quelques
Jambons , & force Bouteilles de
Vin. On oſta en meſme temps
le jour des Feneſtres , & la Salle
ne demeura éclairée que par des
Flambleaux. La lueur n'en eſtoit
pas affez forte pour laiſſer voir
tout d'un coup la Table couverte
, ny le viſage du Cavalier
qui
84 MERCURE
qui en pretendoit faire les honneurs
. Ainſi trois des pluszélez
eſtant venus d'abord de compagnie
, entrerent dans cette Salle,
comme dans un lieu lugubre,où
il n'y avoit qu'à ſoûpirer. Jugez
de la ſurpriſe qu'ils eurent, quad
le Cavalier s'avançant vers eux,
leur dit fort piteuſement qu'ils
voyoient un pauvre Mort qui
ne pouvoit ſe reſoudre à s'aller
confiner pour toujours dans l'autre
monde , fans avoir pris congé
d'eux le verre à la main. Ils
reconnurent plutôt ſa voix,qu'ils
ne diftinguerent fon viſage , les
lumieres eſtant toutes ſur la cheminée.
On les en tira auſſi-toſt
pour les mettre ſur la Table , où
ils ne ſçavoient que penſer de
voir un Paſté qui les attendoit.
Ils auroient pris le pretendu
Mort pour un Fantôme , s'ils ne
luy
t
GALAN T. 85
luy euſſent veu faire toutes les
actions d'un Vivant. Il mit le
couteau dans le Paſté, en coupa
des tranches , demanda du Vin,
but à la ſanté de ſes Amis, & les
pria de ſe réjoüir. Ses Amis ſe
regarderent d'abord ſans luy repondre
, mais enfin ils burent &
mangerent comme le Mort. Il
leur dit de la maniere du monde
la plus plaifante , que la ceremonie
de ſon Enterrement ne
preſſoit pas , qu'il en reculeroit
l'heure autant qu'ils voudroient,
& qu'ayant provifion de bon
Vin, il ſeroit ravy qu'ils en vouluſſent
boire juſqu'au foir. Ils luy
demanderent ce que ſignifioient
les Billets diſtribuez , & le deffous
de fa Porte tendu de noir.
Il leur proteſta qu'il n'en ſçavoit
rien, &qu'il attendoit le Crieur
pour s'en éclaircir.Autres Amis,
&
86 MERCURE
& nouvelle Comedie. Le rang
des Perſonnes qui entroient , regloit
le compliment qui leur é--
toit fait par le Cavalier;& la furpriſe
de trouver un Mort de ſi
bonne humeur, ſe terminoit chaque
fois à prendre un verre , &
à rire avec luy de ce qu'on l'enterroit
fans qu'il en ſçeuſt rien.
Enfin on vint dire que le Crieur
arrivoit . On le fit entrer comme
les autres. Il eſtoit en Habit de
fonction ,& ne connoiſſant point
le Cavalier, il ne pouvoit cacher
ſon étonnement de voir tant de
réjoüiſſance chez un Mort.C'eſt
ce qui luy eſtoit nouveau. Il vouloit
fortir , & on avoit peine à
luy faire entendre raiſon ſur
une razade qu'on luy preſentoit,
quand le Cavalier luy dit que la
fatigue d'aider à faire deſcendre
un Corps , demandoit des
forces,
GALANT. 87
-
forces , & qu'il luy conſeilloit
- de ſe ſervir de l'occaſion . Le
- Crieur qu'on mit dans la neceſſité
de demeurer , shumaniſa
, puis qu'on le vouloit , &
- ſurpris de voir tant de gayeté
dans une ſi lugubre rencontre ,
il demanda quel Homme eſtoit
le Défunt , qu'on luy témoignoit
regreter ſi peu. Le Cavalier
fut prompt à repondre ,
& dit que c'eſtoit un bon Vivant
, qui ayant promis à ſes
Amis de les regaler meſme apres
ſa mort s'il le pouvoit , faiſoit
ſes efforts pour ne leur pas
manquer de parole. Cette reponſe
n'éclaircit point le Crieur,
qui preſſé de dire par quel ordre
il avoit fait diſtribuer les
Billets , fit le portrait de celuy
qui luy avoit parlé le jour precedent,
adjoûtant qu'il ne pouvoit
en
88 MERCURE
en dire le nom , mais qu'il luy
eſtoit fort connu de viſage , &
qu'apres luy avoir donné le Memoire
d'un Cavalier mort ſubitement,
il s'eſtoit reposé des Billets&
de la Tenture ſur ſes ſoins.
Ce fut là le dénoüement de la
piece. Le Chevalier reconnut
fon Parent à cette peinture , &
s'eſtant fait apporter du Papier ,
il luy écrivit ce Billet.
Ie mourus hier au matin d'apoplexie
, & on m'enterre aujourd'huy
, comme vous ſçavez . leſerois
fâché de vous en dedire, mais
j'ay une amitiési tendre pour vous,
qu'il m'est impoſſible de confentir
à estre enterré , si je n'ay la joye
de vous embraſſer auparavant. Ie
vous attens leverre à lamain. Venezsur
l'heure si vous nevoulez
chagriner quantité d'honneſtes
Gens qui s'impatientent de voir retarder
l'heure du Convoy . La
GALANT. عو
La lecture qui fut faite de ce
Billet , réjoüit fort toute l'Aſſemblée.
On détrompa le Crieur,
qui avoit déja commencé à ouvrir
les yeux. Quoy qu'on l'euſt
payé , il ſe plaignit de ce qu'on
l'avoit pris pour dupe. Le Cavalier
demanda quelle fatisfaction
il vouloit qu'il luy en fiſt,
& s'il prétendoit qu'il mouruſt
exprés pour luy faire avoir le
plaiſir de l'enterrer. L'Autheur
de la piece ne s'eſtant point trouvé
chez luy, on y laiſſa le Billet,
& le Cavalier paſſa le reſte du
jour à ſe divertir avec ſes Amis.
Je n'ay pointſçeu coment ſon Pa.
rent s'eſtoit tiré d'affaire avec
luy ; mais je ſuis perfuadé que
cette plaifanterie aura de la ſuite,&
que le Mort ne ſera pas refſuſcité
pour luy laiſſer l'avantage
du Défy.
On
१०
MERCURE
On peut dire en quelque forte
d'une fort aimable Perſonne ,
qu'elle eſt auſſfi reſſuſcitée depuis
peu. Sa beauté la rend fort
propre à faire un Heureux ; &
comme on luy a toûjours veu
donner de l'amour ſans qu'elle
ait encor paru en prendre, voicy
ce que Monfieur la Tournelle
de Lyon a fait pour elle,quand
la Fievre qui avoit preſque fait
deſeſperer de ſa vie , a diminué .
A IRIS MALADE .
MADRIGAL .
Ous vous plaignez avecexcés
Vuedan leionedevôtreaccés
Unfeu violent vous confume;
Si vousſentiez pour un moment,
Iris, celuy qu'Amour allume,
Vous-vous plaindriez bien autrement.
L'indiference de la Belle dont
je
GALANT. 91
je vous parle, ne ſera pas condamnée,
ſi nous en voulons croire
ce Sonnet de Monfieur l'Abbé
de Rotrou .
CONTRE L'AMOUR .
SONNET.
SAges, fuyez l'engagement , Les premiers foûpirs de tendreſſe ,
Parun étrange changement,
Sont les derniers de la Sageffe.
ةيرص
Que je plains le fort d'un Amant,
Quiſeflatant dans ſa foibleſſe,
Achete un plaisir d'un moment
Pardes mois entiers de tristeſſe !
Il est vray qu'estant amoureux,
Etpres de l'objet de ſes voeux,
On croit joüir du bien fupréme.
Mais tous les plaisirs de l'Amour,
Quand un coeur revient à ſoy-mesme,
Ont un bien funeste retour.
En vous parlant de la Feſte
qui
92
MERCURE
qui ſe fit à Pezenas , pour la Publication
de la Paix d'Eſpagne,
je vous entretins de la politeffe
&du bon gouſt de ſes Habitans.
Ce que j'ay à vous en dire aujourd'huy
, vous fera connoiſtre
qu'ils font magnifiques en toutes
choſes. L'avis qu'ils eurent que
le R. P. General de l'Ordre de
Saint François devoit paſſer par
leur Ville le Samedy huitieme
d'Avril, fit qu'on ſe prepara à le
recevoir. Outre les riches Tapifſeries
nouvellement venuës de
Paris , qui furent tenduës dans
l'Eglife , on fit des avenuës depuisle
grand Portail juſqu'à l'entrée
du Convent. Ladiſtance en
eſt de douze cens pas. Diverſes
Tapiſſeries formerentdans le mi.
lieu une large Ruë couverte. Un
nombre infiny de Luſtres de criſtal
l'éclairoit, & elle estoit jonchée,
GALANT.
93
chée, ainſi que l'Eglife, de toute
- forte de fleurs. On entroit dans
cette grande Galerie par un Arc
de Triomphe remply de mille
Figures de carton doré, avec des
Deviſes Latines , Françoiſes , &
Eſpagnoles . Toutes les Dames
de la Ville y estoient aſſiſes en attendant
l'arrivée de ce General .
Il vint ſur les cinq heures du ſoir,
& fi - toſt qu'on eut nouvelles
qu'il s'approchoit , toute laCommunauté
qui estoit de ſoixante
& quinze Religieux, alla au devant
de luy juſqu'à l'entrée d'un
Pont qui eſt entre la Ville & le
Convent. Le Provincial l'y reçeut
, & il fut en ſuite conduit
Proceſſionnellement dans l'Egliſe
par cette belle avenuë. Il patla
de là dans une Galerie , parée
& éclairée comme l'autre , qui
le conduifit juſqu'au Dorroir ,
&
94
MERCURE
&de là, dans une Chambre dont
la propreté , ou plûtoſt la ſomptuoſité
, l'étonna. Monfieur le
Chaſtelain ſuivy d'un grand nobrede
Gentilshommes l'y complimenta.
Il avoit eſté reçeu à
l'entrée du Dortoir,par ce General
,qui apresunetres -bellerépő .
ſe pleine de remercîmens , le remena
juſqu'à la porte du Convent.
Les Confuls accompagnez
de quantité de Bourgeois parurent
en ſuite. M. Pons premier
Conful , le harangua en Latin
avec une éloquence merveilleuſe.
Il répondit en la meſme Langue
, & les ayant engagez à un
quart -d'heure de converſation
particuliere , il les pria, comme il
avoit fait le Chaſtelain & la Nobleſſe,
d'eſtre du Soupé qu'il avoit
ſçeu que la Ville luy faiſoit l'hōneur
de luy donner. Il fut ſervy
dans
GALAN Τ.
95
dans une grande Salle auſſi ornée
que la Chambre. Elle estoit
éclairée de ſix Luftres , & de
quantité de Flambeaux ſur les
Buffets. Il y cut une ſi grande
profuſion de Poiſſon au premier
ſervice, qu'il ſembloit ne pouvoir
eſtre ſuivy d'un ſecond. Cependant
il fut relevé par deux autres,
qui contenoient tout ce que la
-Mer peut produire de plus rare
&de plus exquis. Le fruit répondit
à cette magnificence, & rien
ne pouvoit eſtre mieux ordonné.
Le Soupé eſtant finy , on amena
ce General ſur un grand Balcon ,
d'où il pouvoit regarder la Ville.
Il eſtoit tapiffé , & on avoit mis
quantité de grāds Vaſes de fleurs
tout autour . Il n'eut pas plûtoſt
paru ſur ce Balcon , qu'une longue
decharge de Boëtes ſe fit
entendre. Ce bruit fut ſuivy
d'un
96 MERCURE
d'un Feu d'artifice. Un nombre
preſque infiny de Fuſées qui en
fortirent de cent endroits diférens
pendant trois quarts d'heure
, forma un Spectacle tres-divertiſſant.
Le lendemain il partit
de Pezenas au bruit des Boëtes,
& à la veuë de la plus belle Compagnie
de la Ville , apres avoir
écouté les plaintes de pluſieurs
Perſonnes , & rendu juſtice ſur
les choſes dont la connoiſſance
luy apartenoit.
Ce meſme jour, c'eſt à dire, le
jour du départ de ce General,
M.l'Abbé de la Plagne chanta ſa
premiere Meſſe dans l'Egliſe de
Saint Jean . Elle estoit tapiffée
par toutd'une Haute-litle qu'on
ne peut voir ſans en admirer la
beauté & la richeſſe. C'eſt un
preſent que M.l'Eveſque d'Agde
afait aux Peres de l'Oratoire de
Peze
GALANT .
97
Pézenas. Il y avoit pour deux
cens mille Ecus d'argenterie fur
le Maiſtre- Autel , avec une prodigieuſe
quantité de Cierges
d'une grandeur exceſſive;& comme
on avoit fermé toutes les ouvertures
de cette Egliſe , elle eftoit
éclairée par ſfix rangs de Luſtres
, douze à chaque rang , &
par un fort grand nombre de Plaques
à tous les coſtez . On avoit
dreſſédeux Amphithéatres pour
la Muſique , composée des plus
belles voix de la Province qu'on
avoit fait venir exprés , d'un
grand nombre de toute forte
d'Inſtrumens , & de quantité de
Violons. Aprés qu'on eut placé
tous les Conviez, Monfieur l'Abbé
de la Plagne monta à l'Autel,
qui estoit élevé comme un grand
Trône. Il y avoit vingt- quatre
degrez qui alloient en dimi-
May 1679. E
98 MERCURE
nuant , avec une diſtance de dix
pieds de fix en fix , jonchez de
leurs ainſi que l'Eglife , & couverts
d'unetres - belle Tapiſſerie .
Il avoit pour aſſiſtans Meſſieurs
les Abbez le Brun ,de Bancire, &
de Durad. La Meſſe fut celebrée
avec toutes les ſolemnitez imaginables
.La Muſique eſtoit charmante
, & il ne ſe peut rien entendre
de plus juſte. Sur tout , le
Corps qui a accoûtumé de chanter
aux Etats , s'y fit admirer.
Apres l'Evangile , on fit la cerémonie
de l'Offrande. Elle eſt de
l'uſage. La libéralité des Conviez
y parut, Meſſieurs les Abbez de
Guy , Darnaud , de Durlac , de
Saint Michel, & pluſieurs autres
Eccleſiaſtiques , donnerent chacun
une Piece de quatre Piſtoles.
Ils furent ſuivis de Monfieur
Celli Pete de Monfieur le Mar-
LYON quis
GALANT.
quis de Malavielle, fi connu à là LYON
Cour,& parfon merite,& parles 1889
avantages de fa Perſonne. Il tenoit
la Place de Monfieur Vauquet
ſon Beaufrere qui eſtoit le
Parrain , & qu'une fâcheuſe indiſpoſition
retenoit chez luy. Il
donna trois Pieces de quatre Piſtoles
, auſſi bien que Monfieur
de Cochy, Monfieur Degna , &
Monfieur Vaſſal,Baron des Peyrals.
Les Dames ne furent pas
moins libérales. Madame Vauquet
parut la premiere , & apres
elle , Madame Cellier ſa Soeur,
Meſdames de Cochy , Degna,
Vaſſal , de Paulinier, Meſdemoiſelles
de Sors, de Barral, Cellier,
& une infinité d'autres . La Meſſe
finie , Monfieur l'Abbé de la Plagne
monta en Chaiſe , & prêcha
fur l'Evangile du jour. Il en établit
les Veritez avec une élo-
Eij
100 MERCURE
quence & une force d'eſprit admirable
. On ſe rendit delà chez
Mr Vauquet , où un fort grand
Repas eſtoit preparé pour tous
ceux qui avoient eſté priez de
cette Cerémonie. Les Violons
joüerent pendant le Dîner, & on
ne fortit de Table qu'à l'heure
de Veſpres. Chacun s'empreſſa
de s'y trouver pour eſtre à l'arrivéedes
nouveaux Conſuls qu'on
fait toûjours ce jour là. C'eſtoit
le Dimanche de Quasimodo.Voicy
de quelle maniere la marche
ſe fit. Quatre Compagnies à
cheval , & douze de pied de
Bourgeois ou Gens de Métier,
partirent de l'Hôtel de Ville dans
un ordre merveilleux. Leur équi
page eſtoit fort galant . Ils avoient
preſque tous des Plumes & des
Echarpes , avec une infinité
de Rubans de toutes couleurs .
La
GALANT. 101
La Cavalerie en avoit garny les
- oreilles & la queuë des Chevaux.
- Une Compagnie à pied de jeunes
Gens de qualité , marchoit
apres eux. Ils eſtoient tres- propres
, vétus en Bergers , & avec
des couronnes de fleurs fur la
- teſte. On voyoit enſuite Mr le
Chaſtelain à la droite du premier
Conſul , ſuivy de pluſieurs Perſonnes
de marque,& d'une foule
innombrable de Bourgeois &
&de menu Peuple.Douze Tropetes,
douze Tambours,& autant
de Violons &de Hautbois, précedoient
cette Nobleffe . On ne
peutrien entendre de plus charmant
qu'eſtoit leur Concert. On
vintdans cet ordre à la Paroiffe.
Les Vefpres & le Te Deamy furent
chantez par lesdeux grands
Corps de Muſique du matin ;
apres quoy Mr le Procureur du
Eij
102 MERCURE
Roy fit preſter le ſerment de fidelité
aux nouveaux Confuls .
Cela fait , le Concertdes Trompetes,
des Tambours , des Hautbois
, & des Violons recomméça,
& toutes les Compagnies défilerent
vers l'Hôtel de Ville. Dans
cet équipage , qui n'estoit pas
moins galant que cavalier , elles
allerent rendre leurs devoirs à
Mr le Cardinal de Bonzi, arrivé
depuis demy- heure chez Mr le
Préſident Dreulet de Toulouſe,
qui ſe trouvoit depuis quelque
temps à Pézenas avec Madame
la Marquiſe de Montlaur ſa Bellemere.
Mr de Bonzi,avec qui Mr
Dreulet & quatité de Perſonnes
de qualité eſtoient, les vit paffer
en reveuë, fur un Balcon fort paréde
fleurs. Le Chaſtelain y mõta
avec les Conſuls,pour luy faire
compliment. Ce Cardinal les reçeut
GALANT.
103
*
LYON
çeut avec beaucoup de civilité;
& leur ayant témoigné la fatisfa-
■ ction qu'il avoit de la galanterie
- de cette Feſte , ilmontaen Carroſſe
un moment apres pour al-
■ ler coucher à ſon Abbaye de
- Valmagne. Ceux que je viens
de nommer ſe rendirent à l'Hôtel
de Ville. Le reſte des Ceremonies
accoutumées y fut obſerve,
& ils alleretde làtermince
la folemnité du jour par un fom gr
ptueux Repas , que leur donna
Mr Chaffein, Intendant pour Mr
le Prince de Conty dans fon
-Comté de Pézenas . C'eſtoit luy
qui avoit eſté fait premier Conful.
Il ſe trouva une fortgrande .
quantité de Nobleſſe au Régal
qu'il avoit fait préparer , & afin
qu'il ne manquaſt rien à cette
Feſte , toutes les Dames furent
priées de fe rendre le ſoir chez
E. iiij
ج ر خ
104 MERCURE
Madame de Feſquet. C'eſt une
Perſonne tres accoplie, qui a une
Maiſon des plus propres , & des
mieux meublées de la Ville , &
dont la Salle eſt extrémement
commode pour un grand Bal. Elle
avoit bien voulu la preſter à
Mr Chaffein. Les Dames y vinrent
richement parées , & toutes
brillantes de Pierreries.Madame
la Chaſtelaine s'attira l'admiration
de l'Aſſemblée avec ce
grand air qui ſoûtient ſi noblement
ſa beauté. Mesdames de
Saint Martin , Dégraves & de
Fontés , quoy que ſuperbement
habillées
y parurent encor
plus charmantes par elles meſmes
, que par la magnificence de
leurs Habits. Meſdames Cellier
& Vauquet ne ſe firent pas moins
diftinguer , & on ne peut eſtre
dans un équipage plus propre,
,
ny
GALANT.
105
ny plus galant que l'eſtoient
Meſdames de Carlencas,de Vaffal,
de Paulinier, de Feſquer, de
Barres , de Boüet , & plufieurs
autres. La Femme d'un Capitaine
de Picardie nommé Monfieur
Vert , ne fut pas un des moindres
ornemens de cette Aflemblée.
Elle estoit habillée negligemment,
à cauſe de l'inquietude
où elle eſt ſans ceffe pour
l'absence de ſon Mary; mais cette
negligence ajoûtoit quelque
choſe de ſi touchant à fon air
doux & delicat qu'on peut dire
qu'elle ne luy estoit pas deſavantageuſe.
Les Filles faifoient
un Cercle à part,toutes dans une
magnificence admirable, C'eſtoient
Meſdemoiſelles de Pujol,
de Barres , de Saint Ceries , de
Saint Martin, de Vairas, de Sors,
de Cellier, de Juvenel , de Mou-
Ev
106 MERCURE
nié , de Mafre , de Brunel , de
Gua, &de Faurier. Si- toſt que
ces aimables Perſonnes furent
arrivées ,les Violons ſe placerent,
& Monfieur Chaſſein s'adrefſant
à Madame la Chaſtelaine
, la pria de vouloir eftre la
Reyne du Bal: Elle ne put ſe difpenfer
d'en faire & d'en recevoir
les honneurs . On dança, on
dit cent choſes agreables , &
apres quelques heures employées
à ſe divertir , on paſſa dans
une Chambre , où une magnifique
Collation attendoit les Dames.
Le Regal fut un Ambigu
ſervy avec toute la propreté imaginable.
On mangea long- temps,
on rit, on chanta , & quand on
ſe preparoit à ſe ſeparer , on vit
paroiſtre douze petits Bergers ,
aufli galamment vétus qu'on le
puiſſe eſtre. Ils portoient deux à
deux
GALANT. 107
deux une Corbeille remplie de
toute forte de Cofitures . Les Belles
s'en accommoderent tres
bien , & il ne s'en fit jamais une
fi grande profuſion. On n'eut
pas ſi-toſt vuidé les Corbeilles ,
qu'on en vit une autre dans les
mains du petit Chaſtelain , qui
eſtoit l'un des douze Bergers.
Elle eſtoit petite , mais d'un ornement
fingulier. Force rubans
- detoutes couleurs formoientune
agreable varieté pour la veuë,&
laiſſfoient entrevoir des Oranges
feches confites qui remplifloient
cette derniere Corbeille. Il y
avoit une Orange pour chaque
Dame. Le jeune Berger les preſenta
à la Reyne du Bal , qui
ayant pris celle qui estoit au deffus
de la Pyramide , s'aperçeut
qu'il en fortoit le bout d'un Papier
noüé d'un fort beau Ruban
couleur
108 MERCURE
couleur de feu. Son nõ eſtoit écrit
fur ce papier.La même choſe des
autres Oranges. Des Rubans de
diferentes couleurs , tenoient un
Billet attaché à toutes, & le nom
de chaque Belle à qui on deſtinoit
ces Oranges , eſtoit écrit
fur chaque Billet. La Reyne du
Bal les diſtribua ſelon les noms
qu'elle vit écrits. Les Billets
eſtoient de fort galans Madrigaux
, dont la lecture finit les
plaiſirs de cette Feſte .
Ces occafions de joye font
trouver beaucoup de douceur
dans la vie; mais ſi vous me permettez
un peu de moralité , je
vous diray que tout paffe,& qu'o
n'en ſçauroit diſconvenir , puis
qu'apres avoir vécu fort longtemps
, M. le Duc d'Arpajon a
trouvé la fin de ſes années. Il eſt
mort dans ſon Château de Seve
rac.
GALANT. 109
rac. Il avoit eſté fait Chevalier
desOrdres du Roy dés l'an 1635 .
Il eſtoit Fils de Jean Baron d'Arpajon,&
de Severac;& de Jaquete
de Castelnau - Clermont-Lodeve.
L'origine de cette Maiſon
vientd'un autre Jean Baron d'Ar.
pajon en Roüergue , Seigneur
de Severac , qui fut marié avec
Anne de Bourbon de Rouffillon ,
Fille puînée de Loüis Admiral
de France , Favory de Loüis XI .
Il y a eu beaucoup d'Eveſques
qui en ſont ſortis . Le Duc dont
je vous apprens aujourd'huy la
mort, avoit eſté Lieutenant General
au Gouvernement de Languedoc
, Maréchal des Camps
& Armées du Roy , & Ambaffadeur
Extraordinaire en Pologne.
Il s'eſtoit trouvé au Combat
de Feliſſan , aux Sieges de
Montauban , de Tonneins , de
Cazal,
110 MERCURE
Cazal , de la Mothe , de Salces,
& s'y eſtoit acquis beaucoup de
reputation , auffi -bien qu'en plufieurs
autres importantes occa--
fions , où il a ſervy tres - utilement
. Il alla au fecours de l'ine
de Malte menacée par les Turcs
en 1645. Le Grand-Maiſtre de
l'Ordre qui connoiſſoit ſon expérience,
le fit Chefde ſes Conſeils
& General de ſes Armées. Les
Avantages qu'il procura à cette
Ifle par la fortification de toutes
fes Places , obligerent l'Ennemy
à prendre un autre deſſein. La
Religion s'en tint tellement obligée
à ſa conduite , que pour luy
en marquer ſa reconnoiffance,
elle luy accorda ce Privilegetresfingulier,
qu'un de ſes Enfans,&
de tous ceux qui deſcendroient
de ſon ſang, feroit fait Chevalier
dés le berceau , & qu'à l'âge
de
GALAN T. 111
de ſeize ans , diſpensé de toutes
les formalitez , il auroit la dignité
de Grand- Croix. Elle adjoûta
àcet honneur le pouvoir de mefler
les Armes de l'Ordre dans les
ſiennes , afin que la memoire du
ſervice qu'il luy avoit rendu,
fuſt éternellement conſervée. Il
s'eſt marié trois fois ; la premiere
, avec Cloriande de Lauzieres
de Thémines, Fille aînée de
Pont de Lauzieres , Marquis de
Thémines, Marechal de France;
la feconde , avec Marie , Fille
de Bertran de Simian, Comte de
Moncha ; & la troiſième , avec
Catherine- Henriette , Fille de
François d'Harcourt II. du nom,
Marquis de Beuvron , auſſi conſiderable
par ſa vertu & par fes
grandes qualitez , que par ces
charmes pleins de douceur ,
qui l'ont fait pafler pour une
des
112 MERCURE
des plus belles Perſonnes du Royaume.
Sa ſeconde Femme ne
luy a point donné d'Enfans. Il a
eu de la premiere , Jean-François
d'Arpajon Marquis de Severac,
mort vers l'an 1672. Jeanne-
Loüife Abbeſſe de Villemur,
avec une autre Fille qui s'eſt faite
Carmelite ; & de ſon dernier
mariage, eſt ſorti Catherine,Damoiſelle
d'Arpajon , & fon unique
Heritiere .
La mort n'épargne pas plus les
jeunes qu'elle fait les vieux , &
elle vient d'emporter M. le Maçon
de Treves , Capitaine des
Grenadiers dans le Regiment
des Fufiliers . Il avoit eſte bleffé
aux Sieges de Treves , & de S.
Guillain ,& s'eſtoit ſignalé à ceux
de Bouchain & de Cabray, ayant
ſervy continuellement avec vigueur.
Il eſt mort àStockemſur la
Meuſe,
GALAN T. 113
- Meuſe,& eſtoit Cadet de laMaiſon
des le Maçon , anciens Barons
de Treves en Anjou .Robert
leMaçon Chevalier sr. de Treves
, qui fut Maître des Requeſtes
de l'Hôtel du Roy Charles V I.
en 1406.& depuis Chancelier de
la Reyne Iſabeau de Bavieres ,
eſtoit de cette Maiſon. Le Dauphin
Charles , pour lors LieutenantGeneral
du Royaume, s'eftant
ſauvé de Paris, ce Robert fit
la Charge de Chancelier de
France , quoy que ſous un Lieutenant
General,& en cette qualité
ſcella les Lettres données à
Chinon le 30. Octobre 1418. II
cõtinua l'exercice de cette Char.
ge en 14.20.& fut preſent à la donation
que fit le Roy Charles
VII. du Comté d'Evreux à Jean
Stuard Conneſtable de France le
15. Mars 1426. Les Regiſtres de
Poitiers
114 MERCURE
Poitiers en font foy. Il mourut
en 1442. & fut enterré à Treves
en Anjou , où l'on voit ſon Epitaphe.
و
Mr Salo Chanoine de l'Egliſe
de Paris & Confeiller de la
Grand' Chambre a ſuivy ceux
que je viens de vous nommer. Il
eſtoit Frere de ce fameux Mr Salo
, qui a fait le Journal des Sçavans
avant Mr l'Abbé Galois , &
Mr l'Abbé de la Rocque. Un
fort grand merite joint à une
probité generalement reconnuë,
luy avoit acquis l'eſtime de tous
ceux qui le connoiffoient. Mr.
Berrier, Curé de S.Paul,eſt monté
en la Grand' Chambre en ſa
place.lla laiſſe à Mr Salo ſon Neveu,
fa Charge de Conſeiller au
Parlement , une belle Terre, des
Maiſons à Paris , & une Bibliotheque
de dix mille Ecus.Il avoit
le
GALAN T.
115
le Prieuré de la Selle,qui eſt tres .
beau,& qui depend de Mr l'Abbé
de Lyonne.Cet Abbé l'a donné
à Mr le Chevalier de Lyonne
ſon Frere . Quant à ſa Chanoinie
qui estoit à la nomination
de Monfieur de Paris,comme ce
Prelat ne fait que de dignes
choix, il l'a donnée à Mr l'Abbé
Deſmaretz . Je ne vous dis rien
de fon merite, il vous eft connu ,
& j'auray d'ailleurs affez d'autres
occafions de vous en parler.
Nous avons auffi perdu un
Peintre d'une fort grande reputation.
Il eſtoit tres hardy pour
le Deſſein. Vous n'en douterez
pas quand je vous auray dit que
c'eſt Mr Loire . Il eſt beaucoup
regreté des Curieux , & de tout
ce qu'il y a de Connoiffeurs en
Peinture .
Je ſuis ravy qu'on vous ait
fait
116 MERCURE
fait entendre , comme vous le
mandez , l'ouverture de l'Opera
de Bellérophon . Quoy que tous
les Airs que Mr de Lully a faits
dans cet Opéra pour les Violons,
foient admirables , celuy- là eſt
particulierement eſtimé . Comme
apparemment vous l'aurez
retenu pour le chanter , je vous
envoye des Vers qui ont eſté
faits fur cet Air,par une Perſonne
de qualité.
PAROLES SUR
l'Ouverture de l'Opéra de
Bellérophon.
Soûpirez, mais fans efperer,
Mon coeur , c'est à present aſſez de
l'adorer.
Si voſtre amour
Paroist au jour ,
Disposez- vous
Ason couroux.
:
Sa
GALAN Τ. 117
Sa jeune pudeur
Craint voſtre ardeur,
Et frequemment
Luy peint un Ennemy dans un Amant.
Laiſſons couler quelque Printemps ,
Avec le temps
Lefeu cachéqui dansſon ame dort,
Seraplus fort. 2
L'Amour est seûr comme la mort .
Et ne perd point ſes droits
De tout afſfervir àſes Loix.
C'est vainement qu'une Beauté
Affecte la fierté,
Et s'armede ſeverité.
Il Sçait par un
YON
*
1893
Subril poison
Combatre la Raifon,
Et la Nature a des reffors
Quisoumettent l'esprit au Corps.
Sortez, ſoûpirs, maisfans bruit,
Voyons meurir ce beau fruit ,
Et laiſſons venir l'odeur
AcetteFleur.
Ceque nous aurons attendu
Neferapas un temps perdu.
Et lamesure desplaiſirs
Suit les defirs.
:
La nouvelle Chambre établie
118 MERCURE
à Vincennes pour le crime du
Poifon , a commencé à donner
des marques de la promptitude
de ſa juſtice par la punition de
pluſieurs Coupables. La penetration
des Juges à découvrir la
ſource du mal , jointe à la vigilance
qu'ils y apportent , leur
en fera ſans doute couper la racine.
Rien n'égale la ſurpriſe
avec laquelle tout le monde a
vû la conviction d'une partie des
Accuſez par leur ſuplice. C'eſt
une preuve que les Empoifonneurs
ont eſté rares de tout tems
en France , puis qu'on ne s'étonne
point de ce qu'on voit arriver
ordinairement. Cependant
ce n'eſt pas d'aujourd'huy qu'on
parle de Poiſon chez les autres
Nations. On en a vû de triſtes
effets à Rome au commencement
du cinquiéme fiecle de ſa
Fon
GALAN T.
119
Fondation , c'eſt à dire , un peu
apres que Manlius Torquatus
eut fait couper la teſte à fon Fils,
pour avoir combatu contre ſes
ordres . Voicy ce que Tite-live
en ditdans le huitiéme Livre de
ſa premiere Décade,ſelon la Tra.
duction de Monfieur du Ryer.
L'année quiſuivitfut honteuse
&déplorable , ou par l'intemperance
de l'air , ou par la malice
humaine,ſous le Confulat de Mar
cus Claudius Marcellus , & de C.
Valerius , qui est surnommé dans
les Annales , tantoſt Flaccus , &
tantoft Potitus ; mais cela est de
peu de conſequence , &je ſouhaiterois
plutoſt ( comme tous les Autheurs
n'en demeurent pas d'accord)
qu'il fust faux qu'on eust empoisonné
ces Confuls , dont la mort
deshonnora cette année. Il faut
toutefois dire la chose ainsi qu'elle
A
120 MERCURE
a esté rapportée , pour ne pas rendre
suspects les Autheurs qui en
ont parlé, & que mon filence ne
faße pas croire que j'aye méprisé ce
qu'ils ont dit.Comme les plus Grads
de la Ville mouroient de même ma-
Ladie, &presque tous de la mesme
Sorte, une Fille Esclave vint trouver
Q. Fabius Maximus qui estoit
Edile, &luy dit qu'elle luy decouvriroit
la cauſe de ce mal public,à
condition qu'il luy donnaſtſa parole
queſon témoignage ne luynuiroit
point. En mesme temps Fabius
en alla avertir les Confuls , qui en
firent leur raport au Senat ,& d'un
commun conſentement le Senat accorda
à cette Esclave la feûreté
qu'elle demandoit. Alors elle leur
decouvrit que ce qu'on croyoit une
peste , estoit un effet de la malice
des Femmes, que les Dames Romaines
praparoient tous les jours des
Poisons;
GALAN T. 121
- Poisons;& que fi on la vouloit faire
ſuivre, on découvriroit la verité
de ses paroles. On ſuivit donc
cette Esclave. L'on furprit quelques
Femmes qui faisoient cuire des
Poisons, & l'on trouva quantité de
drogues cachées que l'on apporta
dans la Place. Ony fit auſſi amener
vingt Dames Romaines chez "
qui on les avoit trouvées. Il y en
eut deux de Maiſon Patricienne,
l'une appellée Cornelie , & I autre
Sergie, qui voulurent foûtenir que
ces médicamens estoient des remedes
pour laſanté ; mais parce que
la Délatrice leurfoûtenaitle contraire,
on leur ordonna de boire ces
breuvages pour la convaincre d'unefauſſe
accusation. Elles prirent
quelque temps pour en conferer en-
Semble ; &apres avoirfait un peu
éloigner le Peuple, &qu'aux yeux
de tout le monde elles eurent fait
May 1679. F
122 MERCURE
Sçavoir aux autres Femmes la re-
Solution qu'elles avoient priſe , il
n'y en eut pas une qui y reſiſtaſt.
Elles bûrent ces breuvages, & moururent
toutes par leurpropre crime.
Onſeſaiſit enmesme temps de leurs
Complices , qui en découvrirent
quantité d'autres , & l'on en punit
cent soixante & dix . Il ne s'estoit
point parlé jusque - là de poison, ny
d'empoisonnemens dans Rome.Auffi
confiderat-on cela comme une chose
prodigieuse, & qui estoit plûtoſt un
effet de quelque rage , que d'une
malice prémeditée
Ce ne fut qu'en ce temps- là
qu'on commença d'ordonner des
peines contre ceux qui ſe ſervoient
de Poiſon . L'uſage en fut
fi cõmun chez de certains Peuples,
que pluſieurs Femmes ayant
eſté convaincuës d'en avoir donné
à leurs Marys,on y établit une
Loy
GALANT .
123
- Loy parlaquelle toutes celles qui
leur ſurvivoient,étoient obligées
de ſe laiſſer brûler vives dans le
même bucher où l'on confumoit
leurs corps.On prétendoit que la
crainte d'une ſi cruelle mort, les,
engageroit à prendre ſoin de cóſerver
leurs Marys. Cette coûtume
s'obſerve encor aujourd'huy
vers l'Indoſtan ; & le celebre
Monfieur Bernier en rapporte
des exemples fort récens dans
ce qu'il a fait imprimer de ſes
Voyages.
Les peines des Empoifonneurs
ont eſté diverſes ſelon les
Royaumes. Les Perſes leur briſoient
la teſte contre une pierre.
Le témoignage de Plutarque y
eſt exprés. Il rapporte dans la Vie
d'Artaxerxe,que Pariſiatis ſa Mere
ayant fait empoiſonner Statira
ſa Bru , par l'entremiſe d'une
:
Fij
124
MERCURE
de ſes Dames d'honneur nommée
Gigis, ce Prince relegua ſa
Mere à Babylone ; & à l'égard
de Gigis, il voulut qu'on luy fiſt
mettre la teſte ſur une pierre
plate , & qu'on la luy écraſaſt
avec une autre. Ceux de baſſe
condition, au raport du Juriſconſulte
Marcian , eſtoient attachez
en croix , & ce fut ainſi que
l'Empereur Galba fit mourir un
Curateur qui avoit empoiſonné
ſon Pupille afin de s'emparer de
fon bien. On faiſoit perdre la teſte
aux plus notables , & on en
expoſoit quelques-uns aux Beſtes.
Ce crime eſt ſi execrable,
que beaucoup foûtiennent qu'il
ſuffit de la volonté pour eſtre
puny , quoy qu'elle n'ait point
eſté ſuivie de l'effet. Cela doit
s'entendre apparemment, quand
le Poiſon ayant eſté préparé ,
ceux
GALANT. 125
ceux à qui on le deſtinoit ſe ſont
garantis heureuſement de le
prendre.
La Femme qui empoiſonne
fon Mary, eſt puniſſable du feu.
En 1585. une jeune Femme de
Paris nommée Marie le Juge, petite
Fille d'un Marchand , s'êtant
défaite de ſon Mary par poifon
pour un foufflet, fut penduë,
&brûlée en ſuite .
Les Empoiſonneurs ne font
pas ſeulement punis de mort ,
mais encor ceux qui vendent ou
qui diſtribuent des Poifons. On
lit dans le troifiéme Volume
de Monſtrelet , qu'en 1462. Jean
Conſtein Sommelier du Duc
Philippes de Bourgogne , fut
pris & mené à Ripemonde ,
-pour avoir voulu empoifonner le
Comte de Charolois feul Fils legitime
de ſon Maiſtre. Il s'eftoît
Fiij
126 MERCURE
adreſſé à un pauvre Gentilhomme
Bourguignon , nommé Jean
d'Ivy , pour luy acheter du Poifon
en Piémont. La trahiſon fut
connuë, & on leur coupa la teſte
à l'un & à l'autre .
Le venefice peut eſtre divisé
en deux eſpeces. L'uneſt du ſimple
Poiſon employé pour faire
mourir quelqu'un,& l'autre quad
l'invocation du Demon donne
de la force à quelque venin caché.
C'eſt par là que le Parlement
de Paris ne punit pas les
Sorciers comme Sorciers , mais
ſeulement come Empoisonneurs,
parce que tout le mal qu'ils font
n'eſt que l'effet des venins que
leur fournit le Demon pour
exercer leurs méchanceteż . Ainſi
les Sorciers comme Empoifonneurs
font punis de mort, & fur
tout du feu , auffi-bien que ceux
qui
GALANT. 127
qui répandent du venin dans les
Lieux publics. Nous en avons
un exemple dans la quatrième
Partie des Annales d'Aquitaine
de Bouchet. Il dit que du regne
de Philippe le Long, les Lepreux
ayant pris de l'argent des Juifs
qu'on avoit chaſſez de France,
empoiſonnerent les Puits , &
les Fontaines de tout le Royaume.
Quantité de perſonnes en
moururent , & fur les informations
qu'on en fit , pluſieurs Lepreux
pris à Narbonne & ailleurs
furent brûlez ..
Pendant que Philippe II. regnoit
en Eſpagne , il s'y trouva
un Homme qui compoſoit du
Poisõd'une telle force ,que ceux,
fur la langue de qui il en mettoit
un moment, mouroient toûjours
quelques jours apres. Il ſe diſoit
Astrologue,& au lieu que les au
Fiiij
128 MERCURE
tres qui ſe meſlent de prédire
l'avenir regardent les mains , il
vouloit voir & toucher la langue.
Il trempoit un doigt dans ce
Poiſon pour ceux qu'il avoit defſeinde
faire mourir,&ne le trempant
point pour les autres, il leur
prédiſoit plus ou moins de vie,
felon la maniere dont il les touchoit.
La prompte mort des Empoiſonnezjuſtifioit
ſes predictios,
& elles ſe trouvoient ſi juſtes ,
qu'on ne doutoit point qu'il
n'euſt des connoiſſances extraordinaires
. Il ſe ſervit du meſime
poiſon contre un Neveu du premier
Medecin du Roy. C'eſt ce
qui cauſa ſa perte. Le Medecin
qui connoiffoit la bonne conſtitution
de ſon Neveu , ne put
le voir mourir ainſi tout à coup,
fans croire que ce n'eſtoit pas
un accident naturel. On arreſta
le
GALANT. 129
le faux Aftrologue , & l'accufation
fut fivivement pouffée,qu'il
futcontraint d'avoüer ſon crime.
Il l'expia par un fuplice des plus
cruels , l'intereft public demandant
qu'on en fiſt un grand
exemple.
Je finis cet Article par où je
l'ay commencé , c'eſt à dire , en
faifant encor parler Tite- Live.
Voicy ce qu'il dit dans le dixiéme
Livre de ſa quatrième Décade.
Cependant on apporta des
Lettres de la part du Preteur C.
Menius à qui la Sardagne estoit
efcheuë , & à qui l'on avoit
donné la commiſſion d'informer
des empoisonnemens à dix milles
aux dehors , & aux environs de
Rome . Il mandoit qu'il avoit
déja condamné trois mille perfonnes,&
que neaumoins on faisoit
tous les jours de nouvelles déla
Fv
130 MERCURE
tions; que partant ilfalloit qu'on le
déchargeast de cette commiſſion , ou
qu'il renonçaſt au Gouvernement.
On peut voir par là que le Poiſon
a eſté de tout temps enuſage
à Rome. Il eſt certain qu'il n'y
faiſoit pas moins de bruit il y a
fort peu d'années, qu'il fait preſentement
à Paris. Pluſieurs Fem.
mes furent penduës fur la fin du
Pontificat d'Alexandre V II. &
fous celuy de Clement IX. Elles
diſtribuoient un breuvage appellé
Aquetta de Sicilia. Il eſtoit
comme de l'eau la plus claire ,
& ne faifoit aucune impreſſion
fur les corps. Ainſi on avoit beau
les ouvrir apres la mort. On n'y
voyoit rien qui fiſt connoiſtre ce
qu'on foupçonnoit.
Tous lesPoiſons,quoyquedangereux,
ne ſont pastoûjours à évi
ter. Il en eſt d'agreables qu'on
dy
fait
GALANT.
131
fait prendre par les yeux, & c'eſt
de ceux- là que parle Monfieur
Coufinetdans le Sonnet que je
vous envoye. Il eſt Fils du Maiſtre
des Comptes de Paris qui
porte ce nom.
SONNET.
Vous condamnez, Philis, lafureur
De ces Monstres affreux qu'on retient
enprison,
Pour estre convaincus du crime de Poison;
Cependant envers moy vous en estes coupable.
Mais ce crime eft fi beau, qu'il vous eft
pardonnable,
Ie ne vous blâme point de vostre trahison
,
Vous avez unfecret hors de comparai-
Son;
Plus vous m'empoisonnez , plus je vous
trouve aimable.
Ce Poiſon m'eſt ſi doux, que je veuxm'en
Quand nourrir ;
132 MERCURE
Quand on en est atteint , on n'en veus
:
Il se gliffe par tout , il n'épargne per-
:
pointguérir ,
Sonne.
On en prend toſt ou tard , & chacun
Son tour;
Si vous estiez d'humeur d'en prendre
quelque jour,
Souffrez que ce soit moy , Philis , qui
vous en donne.
Il y a tant de gloire à eſtre au
Roy, que les Peuples de la Franche
Comté ſemblent ne pouvoir
trop faire éclater la joye qu'ils
ont d'eſtre demeurez François.
Ainfile 12.de ce Mois,le TeDeum
fut chanté àBesançon en réjoüiffance
de la Paix ratifiée avec
P'Allemagne. Les deux Chambres
du Parlement qui conſiſtent
en quarante Conſeillers & trois
Préſidens , y aſſiſterent en Corps.
Mr de Montauban Lieutenant
:
de
GALANT.
133
de Roy, n'ayant pû s'y trouver à
cauſe de ſa maladie, celuy de la
Ville prit ſa place avec Monfieur
deChavelin Intendant de la Province.
Les Chanoines y estoient
dans leurs Habits de cerémonie
avec leurs Soutanes violetes. Les
Officians eſtoient mitrez. Sur le
Soir la Garniſon dela Ville monta
à la Citadelle. Mr le Chevalier
deMontaut qui en eſt Gouverneur,
fit faire trois Salves Royalesde
ſoixante Pieces de Canon,
&l'Infanterie fit auſſi ſa décharge
dans le meſme temps . Toutes
les Fenestres eſtoient éclairées
d'un flambeau avec de lanternes
où les Armes du Roy paroiffoient.
Les Canons des Baſtions
des dehors firent auffi trois
Salves. Tout le Monde cria
Vive le Roy dans les Montagnes
de Chaudanne qui font à demy
134 MERCURE
my- lieuë de la Ville ; & dans
celle de Brezille , il y eut des
Feux de quarante charetées de
bois. On en fit auſſi dans tous les
Carfours,& les Habitans donnerent
du Vin à tous les Soldats
qui en voulurent.
Les Réjoüiſſances n'ont pas
eſté moindres à Montoire. C'eſt
une petite Ville du bas Vandomois
, ſituée ſur la Riviere du
Loir dans le plus beau lieu du
Païs . Les Garniſons , & les frequens
paſſages des Gés de guerre
l'avoiet ſi fort deſolée,qu'auffi
-toſt que la nouvelle de la Paix
avec l'Empereur y fut reçeuë,on
crut n'avoir plus de malheurs à
redouter. Ce fut une joye univerſelle.
On reſolut de la fignaler
par quelque Feſte extraordinaire.
Elle fut arreſtée au ſeptiéme
de ce Mois'; & comme il n'y
avoit
GALANT.
135
avoit point de deniers publics
pour en faire la depenſe ,Monfieur
Neilz Magiſtrat de la Ville
, & Monfieur Luneau Procureur
du Roy,promirent aux Habitas
qu'ils la feroiét à leurs frais .
On éleut les Officiers neceſſaires
pour mettre fur pied quatre
Compagnies d'Infanterie & une
de Cavalerie , dont le commandement
fut donné à ce dernier.
L'experience que les ſervices
qu'il a rendus au Roy pendant
fa jeuneſſe,luy ont fait acquerir
dans les Armes,juſtifioit le choix
qu'on en fit. Ilyavoit trois Fleurs
de Lys peintes fur le Drapeau
de Cavalerie , avec ces paroles
en lettres d'or , Lilia olivas ferunt.
Sur le midy , les Habitans
fous les armes s'eſtant tous rendus
à leur Drapeau , la moindre
Compagnie ſe trouva de cent
quatre
136 MERCURE
quatre, tous bien faits,fort leſtes,
& la Cavalerie montée avantageuſement.
Ils fortirent dans la
Plaine, ayant leur Colonel à leur
teſte , & eſtant rentrez ſur les
cinq heures , ils ſe rangerent
dans une Place tres belle pour
ſa ſituation,unie,preſque carrée,
environnée de beaux Bâtimens,
& plantée de pluſieurs grands
Ormeaux. Au milieu de cete Placequi
eſt environ de deux arpēs,
étoit un magnifique Bucher,ayat
fur ſon ſommet de dix toiſes de
hauteur un Pavillon ſemé de
Fleurs de Lys, le fond aurore,avec
des paroles Latines qui faifoient
voir que la Paix eftoit l'ouvrage
de Loüis LE GRAND . Devant
'Hôtel du Magiſtrat de la Ville
, il y avoit une Fontaine qui
jettoit du Vin de la hauteur de
neuf pieds dans un grand baſſin
,
garny
GALANT. 137
:
:
garny de lierre. Ce Magiſtrat eſtoit
à ſa porte en Robe , ſous un
tres- beau Portail . Les Troupes
paſſerent en reveuë devant luy
quand elles fortirent dans la Plaine,
& elles firent alte au meſme
lieu en revenant. Le Colonel &
les Capitaines mirent pied à terre
, & s'eſtant approchez de luy
fous fon Portail , Monfieur Prégent
y prononça un fort beau
diſcour ſur la Paix. Le Magiſtrat
luy fit une reponſe tres - éloquente
, & marcha enſuite avec pluſieurs
Gens de Robe qui l'accompagnoient
au milieu des
principaux Officiers , ſuivis des
Troupes, vers la principale Egliſe
où tout le Clergé s'eſtoit rendu
, au ſon des Trompetes , des
Tambours , des Hautbois & des
Violons. Le Te Deum fut chanté
, & au retour de l'Eglife,
on
138 MERCURE
on vint dans la Place où le Bucher
étoit élevé.Monfieur Neilz
y mit le feu,& fut reconduit par
toutes ces Troupes , apres mille
cris de Vive le Roy , fuivy du ſon
des Cloches , du bruit d'une infinité
de Petards & de Fuſées,
& de la decharge de toutes les
Armes.
Larencontre du Dimanche a
fait remettre cette année au
Lundy 15. de ce mois , l'Anniverſaire
du feu Roy Loüis XIII.
qui ſe fait tous les ans le 14. de
May , dans l'Egliſe de l'Abbaye
de S. Denys en France, avec de
fortgrandes ceremonies.La Meſ.
ſe y eſt toûjourscelebrée par un
Eveſque,& elle l'aeſté cette année
par Monfieur l'Abé du Laurens,
nommé à l'Eveſché de Bellay.
C'eſt luy qui a eſté éleu General
de l'Ordre de Cluny,dans
le
GALANT. 139
YUN
le dernier Chapitre General qui
s'eſt tenu il y a quelque temps
au College qui porte ce nom,
Voicy ce qui ſe paſſe dans l'Anniverſaire
dont j'ay à vous entretenir.
L'Egliſe eſt toute tenduë
de deüil , & il yadeux lez de
Velours tour du long du Choeur
où ſont attachées les Armes de
France , avec une fort grande
quantité de lumieres. La Meſſe
eſt chantée par les Religieux
tous en Chapes , & par la Muſique
du Roy. Un grand nonbre
d'Officiers de Sa Majesté,
qui reçoivent tous l'ordre de
Monfieur de Saintot , aſſiſtent à
cette ceremonie , auffi-bien que
les Chanoines & les Récolets de
Saint Denys. On choiſit douze
Pauvres , qui s'y trouvent avec
un Cierge à la main , & on leur
donne à chacun une piece d'Etofe,
140 MERCURE
3
tofe, une paire de Souliers,& un
Ecu, La Meſſe finie , l'Aumônier
du Roy donne l'aumône à
tous ceux qui la veulét recevoir.
Ils s'y rencontrent ce jour-là en
tres- grand nombre.Mrl'Abbé de
S.Vallier, Frere du Capitaine des
Gardes de la Porte , a fait cette
diſtribution cette année .
Monfieur le Duc de Vitry eſt
mort icy le 9. de ce mois, âgé de
59. ans . Il s'appelloit François-
Marie de Lhoſpital. Jene parleray
point icy de l'origine de cette
Maiſon. Je vous diray ſeulement
qu'elle a fait les Branches
• des Marquis de Choiſy , & des
Seigneurs & Comtes de Sainte
Meſmes. François de Lhoſpital,
Seigneur de Vitry , épouſa Anne
de la Chaſtre , Fille de Claude
Baron de Maiſonfort , dont
nâquit Louis de L'hofpital, Marquis
GALANT.
141
→
quis de Vitry,Chevalier des Or
dres du Roy ,Capitaine des Gardes
du Corps,Lieutenant General
des Comtez de Champagne
& de Brie, & Gouverneur de la
Ville de Meaux. Loüis , marié
avec Françoiſe de Brichanteau,
eut cinq Enfans, qui furent Nicolas
& François de Lhoſpital,
Mareſchaux de France, la Comteſſe
de Charlus, la Marquiſe de
Perſan , & Loüiſe de Lhoſpital,
qui eſt morte Abbeſſe de Montivilliers
. François , qui eſtoit le
Cadet , n'a laillé aucuns Enfans .
C'eſtoit feu Monfieur le Marefohal
de Lhoſpital, mort Gouverneur
de Paris . L'Aîné , qui fut
Nicolas Marquis de Lhoſpital,
puis Duc de Vitry , Capitaine
des Gardes du Corps , & Gouverneur
de Provence , épouſa
Lucrece de Bouhier - Beaumachais,
142 MERCURE
chais , Veuve du Marquis de
Noirmoutier , & c'eſt de ce Mariage
qu'eſtoit forty Monfieur le
Duc de Vitry. Il avoit pris alliance
dans la Maiſon Pot de
Rhodes . C'eſtoit un Homme de
tres- grand eſprit , qui avoit eſté
employé par le Roy dans des
Negotiations importantes. Il a
eſté longtemps Ambaſſadeur aupres
du Duc de Bavieres, & s'eſt
acquité de cet employ avec tout
le ſuccés qu'on pouvoit attendre
d'un Homme de ſa naiſſance &
de fon merite. Sa Majesté l'avoit
nommé Plénipotentiaire pour la
Paix ; mais les continuelles maladies
qui l'ont accablé depuis
quatre ans , ne luy pûrent permettre
d'aller à Nimegue.
J'ay auſſi à vous apprendre la
mort de Madame la Marquiſe
de la Tremblaye , arrivée icy
dans
GALANT.
143
dans les derniers jours de l'autre
Mois . C'eſtoit une Dame d'une
fort grande vertu. Sa patience
dans ſa maladie , & fon entiere
refignation aux ordres d'Enhaut,
en ont eſté de ſolides marques.
Elle estoit proche Parente de
Monfieur Lavocat Maiſtre des
Requeſtes ,& alliée de Monfieur
de Pompone. Monfieur le Marquis
de la Tremblaye ſon Mary
eſt de laMaiſon de Beauveau en
Poitou.
Cette mort a eſté ſuivie de
celle de Monfieur du Meſnil
Docteur de Sorbonne.S'il y a de
la grandeur d'ame à faire paroiftre
& de la fermeté dans ce terrible
paſſage,on ne peut trop admirer
celle qu'a fait éclater le
Roy de Suede , dans la maladie
dont il eſt enfin heureuſement
échapé. La neceſſité de mourir
eft
144
MERCURE
eſt aſſurément fâcheuſe pour
tout le monde , mais il ſemble
qu'elle devoit l'eſtre encor davantage
pour ce jeune Prince,
qui eſtant né dans le Trône , ſe
voyoit reduit à quitter la vie, en
commençant à connoiſtre qu'il
en joüiſſoit. Voyez dans la Lettre
que je vous envoye , avec
combien de conſtance il a enviſagé
les approches de ce qui fait
trembler les plus intrépides .
LETTRE
ECRITE DE SUEDE,
Sur la maladie de Sa Majesté
Suédoiſe.
E ne puis laiſſfer paſſer cette occaſion
ſans vous mander l'entier
rétabliſſement de la ſanté du Roy
de Suéde , qui a esté si bas , que
les
GALAN T.
145
-les Medecins en ont deſeſperé. Ie
ne doute point auſſi que je ne vous
faſſe plaisir de vous mander le
cours de fa maladie , & les beaux
Sentimens de ce Prince, lequel tom.
ba malade le 26. de Mars , d'une
févre qui augmenta de jour enjour
jusqu'au 23. Pour cacherſamaladie
, Sa Majesté ſe bottoit , & ne
discontinuoit point d'assister aux
Conſeils ; mais la douleur la pref-
Sant d'une maniere à ne lepouvoir
plus cacher , Elle avoüa qu'ellese
portoit fort mal , &qu'elleſeſentoit
le coeur attaqué. Ce Princese
mit donc au Lit ,& lafiévre venat
à redoubler la nuit , accompagnée
d'une chaleur intolerable,luy cauſa
une grande oppreſſion &battement
de coeur. S'appercevant que fafin
approchoit, ilSongea àſa confcience,&
fatisfit à tous les devoirs de
SaReligion avec une devotionfans
May 1679.
G
146
MERCURE
exemple , car c'est un Prince qui a
toûjours esté vertueux . En fuite il
envoya chercherſon premier Prédicant
, qu'il fit afſfeoirſurſon Lit.
Il luy dit qu'ilvoyoit bien qu'ilfalloit
mourir; qu'avant que de quit.
ter le monde , il avoit voulu le remercier
de tous les soins & peines
qu'il avoit priſes pour luy,& qu'étant
dans l'impuiſſance de les reconoiſtre,
il prioit Dieu qui étoitſijuſte
de le recompenser. Apres cela,il
le chargea de choſes toutes tendres
pour la Reyne de Suede , que je ne
pûs pas bien entendre,à cauſe qu'il
s'expliquoit en Suedois . Comme il
vit tous fes Officiers & Generaux
autour de luy,il les remercia en termes
fort obligeas desſervices qu'ils
luy avoient rendus leur dit qu'ilse
Souvenoit fort bien des dagers qu'ils
avoient courus dans les Batailles,
& qu'apres Dieu il en attribuoit
à
GALAN T.
147
à eux ſeuls les heureuxfuccés. Il
remercia de mesme les Officiers de
Sa Maiſon , s'étendit ſur l'impuis-
Sance où il eſtoit de recompenser
comme ilſouhaitoit,leurs bons fervices
,& leur marqua que c'eſtoit la
choſe qu'il regretoit le plus. Il demanda
pardon s'il avoit chagriné
quelqu'un; pria ceux qui pouvoient
ſe plaindre de luy , d'avoir égard
qu'il estoit Homme comme eux , &
qu'il avoitſes foibleſſes,les aſſurant
que s'il les avoit offencez, il n'en
avoit jamais eu l'intention.Comme
la douleur& le mal redoublerent:
Il faut que j'avouë , dit - il , que
tout ce que j'ay ſouffert en cette
guerre , n'approche en rien de
tout ce que je ſouffrd preſentement,&
que la guerre qui ſe fait
dans mon coeur eſt bien plus rude&
bien plus cruelle que celle
que j'ay faite , & l'Ennemy qui
Gij
148 MERCURE
:
m'attaque, bien plus terrible que
tous mes Ennemis enſemble. Il
pria Dieu d'avoir pitié & mifericorde
de luy , luy recommanda
Son Royaume , repetant plusieurs
fois : Ah , pauvre Suede , que tu
vas eſtre malheureuſe , ſi Dieu
ne te prend en ſa protection ! Il
regreta fort de la laiſſer en guerre,
fit reſſouvenir tous les Aßiſtans
de la maniere qu'il s'estoit attiré
cette guerre,&deſon bas âge; qu'il
n'y avoit pû apporter les remedes
neceſſaires pour faire tourner autrement
les choses . Comme il vit
que tout le monde fondoit en larmes
, il leur dit : Pourquoy vous
affligez - vous ? Je ne ſuis pas
tant à plaindre. Je ſens que je
ſuisun Enfant du Pere Eternel.
Je n'ay jamais voulu du mal à
perſonne. J'ay gardé ma foy à
mes Alliez , & ma parole à mes
Peuples.
GALANT. 149
Peuples. Enfin je n'ay rien à
me reprocher. J'ay aimé tendrement
mes Sujets. Je me fuis
volontiers exposé pour leur falut.
Vous aurez aprés moy un
Roy ſage , mais jamais qui vous
aime comme je vous ay aimez.
Se reſſouvenant que c'estoit l'heure
de la priere , il fit entrer le Predicant
qui la vouloit racourcir ;
mais il luy dit que ce n'estoit pas
le temps , qu'il n'en avoit jamais
eu plus de beſoin , & demanda à
tous les Aſſiſtans de prierDieu qu'il
eust pitié defon ame. Les prieres
finies , il s'entretint de la mort ,
témoignant qu'il ne la craignoit
Pas. Comme tout le monde le vouloit
quitter , à cauſe que l'effort
qu'il faisoit pour parler augmentoit
fon mal , il les rappella , &
leur recommanda de le faire enterrer
fans aucune magnificence ;
Gij
150
MERCURE
que ce n'estoit pas le temps de faire
des dépenses inutiles , qu'il n'avoit
jamais aimé le faſte , & qu'il
defiroit estre enterré comme il avoit
vescu. Apres il donna ſa main à
baifer,& accompagna l'adieu qu'il
nous dit , de termes fort touchans
& fort tendres . Quelque temps
apres il lay prit une ſueur qui dura
bien deux heures . La douleur
qu'il fentoit au coeur diminua . Il
S'endormit , & en paſſa quatorze
dans un sommeil fort tranquille.
Sa fiévre ſe convertit en tierce,
diminua d'accés en accés , & ceſſa
enfin entierement. Ainsi voila la
Suede délivrée d'une grande inquiétude.
Imaginez- vous ſa joye
de voir ce jeune Monarque hors
de danger, apres l'avoir veu agonisant.
Avoüez , Madame , qu'un
Prince
GALAN T.
151
Prince ſi jeune, qui a de fi beaux
ſentimens, qui aime ſon Royaume
& ſes Sujets , qui garde ſa
foy à ſes Alliez , & qui eſt d'ailleurs
tres -brave , méritoit fort
d'eſtre regreté. La matiere eſt
triſte. Je la quitte pour vous faire
part d'une ſeconde Chanſon
ſur le retour du Printemps. Les
Paroles font de Monfieur l'Abbé
Mallement de Meſſange.
AIR NOUVEAU.
Lafin ces
A fines,
Deserts ont repris leur
Et dans nos Bois mille charmans Ruif-
Seaux
Accordent an chant des Oyſeaux
Leur agreable murmure.
Seul accabléd'un ennuy rigoureux
Causépar le mépris d'une Amante par-
1
jure ,
Pendant que tout rit en ces lieux,
L'entretiens ces Forests du tourment que
j'endure.
Giiij
152
MERCURE
Je n'ay pû encor recouvrer les
Versqu'a faits Monfieur de Fontenelle
, ſur ce que Monfieur le
Prince ne vit que de Lait. Ils
méritent fort l'empreſſement que
vous me témoignez de les voir.
On me les promet dans quelques
jours , & vous les aurez
la premiere fois que je vous
écriray. Il en eſt échapé ſi peu
de Copies , que quoy qu'il y
ait déja long-temps qu'ils font
faits , ils pourront eſtre nouveaux
pour la plupart de ceux
qui liſent mes Lettres. Cependant
je vous envoye ce que
vousm'avez ſi expreſſement demandé
pour vos Amies. C'eſt le
dernier Idille de Madame des
Houlieres . Comme vous me fiſtes
ſçavoir que vous l'aviez veu
dés qu'il fut fait , je negligeay
de vous en faire un Article en
ce
GALANT.
153
ce temps là. Liſez de nouveau ,
& admirez. Les Ouvrages de
cette Illuſtre ont des beautez fi
particulieres , qu'ils ne peuvent
eſtre ny leûs trop ſouvent , ny
conſervez avec trop de foin.
*99* EX. OFF9909967 93 EFFERE
LES OISEAUX
IDILLE DE MADAME
des Houlieres .
L'Air n'est plus obscurcy par des
brouillars épais ,
Les Prezfont éclater leurs couleurs les
plus vives ,
Etdans leurshumides Palais
L'Hyver ne retient plus les Nayades captives.
Les Bergers accordant leur Musete à
leur voix,
D'unpied legerfoulent l'herbe naiſſante,
Les troupeaux neſont plus ſous leurs reſtiques
toits ;
Mille&mille Oyseaux àlafois
Ranimant leur voix languiſſante,
G
154 MERCURE
Réveillent les Echos endorinis dans ces
Bois.
Où brillosent les Glaçons, on voit naiſtre
lesRofes.
Quel Dieu chaſſe l'horreur qui regnoit
dans ces lieux ?
Quel Dieu les embellit ? Leplus petit des
Dieux
Fait ſeul tant demétamorphoses ;
Ilfournit au Printemps tout ce qu'il a
d'appas ;
Sii Amourne s'enmeſloit pas,
On verroit perir toutes choses.
Il est l'ame de l'Univers .
Comme il triomphe des Hyvers
Qui deſolent nos Champs par une rude
guerre,
D'un coeur indiferent il bannit les froideurs.
L'indiference est pour les coeurs
Ce que l'Hyver eft pour la terre.
Que nous fervent , belas ! defi douces teçons
?
Tous les ansla Nature en vain les renouvelle
;
Loinde la croire , àpeine nous naiſſons,
Qu'on nous apprendà combatre cotre- elle.
Nous aimons mieux par un bizarre
choix, Ingrats
GALANT.
155
Ingrats Esclaves que noussommes,
Suivre ce qu'inventa le caprice des Hommes
,
Que d'obéir à nos premieres Loix.
Que vostrefort est diferent du nostre,
Petits Oyseaux qui me charmez !
Voulez- vous aimer ? vous aimez ?
Un lieu vous déplaist- il vous pafſfez dans
un autre.
On neconnoit chez vous ny vertus , ny
defauts ,
Vous paroiſſextoûjours ſur lemesme plumage
Et jamais dans les Bois on n'a veu les
Corbeaux
DesRoffignols emprunter le ramage.
Iln'est de fincere langage,
Iln'est de liberté que chez les Animaux.
L'usage, le devoir, l'austere bienfeance, 1
Tout exige de nous des droits dont je
meplains ,
Et tout enfin du coeur des perfides
Humains,
Ne laiſſe voir que l'apparence.
Contre nos trahisons la Nature en couroux
Ne nous donne plus rien ſans peine,
Nous cultivons les Vergers &la Plaine,
Tandis
156
MERCURE
Tandis ,petits Oyſeaux, qu'elle fait tout
pourvous.
Lesfilers qu'on vous tend font la ſeule
infortune
Que vous avez à redouter ;
Cette crainte nous est commune,
Sur nostre liberté chacun veut attenter,
Pardes dehors trompeurs on tache ànous
i
Surprendre.
Helas, pauvrespetits Oyſeaux,
Des ruſes duChaſſeurſongezà vous défendre,
Vivre dans la contrainte est leplus grand
des maux.
Vous ſçavez que Monfieur
de Montmort , Doyen des Maîtres
des Requeſtes , mourut il y
a environ deux Mois.Il eſtoit l'un
des quarante de l'Academie
Françoiſe.Monfieur l'Abbé de la
Vau , Garde de la Bibliotheque
du Cabinet du Roy, Treſorier de
Saint Hilaire le Grandde Poitier
,& Chancelier de l'Univerfi .
te
GALAN T. 157
té de la meſme Ville , remplit
aujourd'huy ſa place dans cette
celebre Compagnie. L'inclination
qu'il a toûjours euë pour
les belles Lettres , luy a fait acquerir
des connoiſſances qui le
rendoient tres -digne du choix
qu'on a fait de luy: Il fut reçeu
dans l'IlluſtreCorps dont je vous
parle , le Jeudy quatrième de ce
Mois , & fit un Diſcours qui luy
attira beaucoup d'applaudiſſemens.
Comme les Portes ſont oun
vertes ces jours de receptio,l'Afſemblée
fut confiderable. Elle
eſtoit composée d'un grand
nombre de Perſonnes de qualité
,& de gens infiniment éclairez
. Monfieur le Duc de la Rochefoucaut
s'y trouva. C'eſt un
Juge cõpetent , dont l'eſprit n'eſt
pas moins élevé que la naiſſance.
Monfieur l'Abbé de la Vau
commen
158 MERCURE
commença par les ſentimens de
reconnoiffance qu'il avoit du
choix que Meſſieurs de l'Academie
avoient fait de fa Perſonne
pour remplir la place d'un Homme
fameux par ſa profonde érudition.
Il leur dit modeſtement,
Qu'ils avoientSuposé en luy quelque
merite,parce qu'ils le voyoient
revestu de la Charge d'un Home de
Lettres.llajotita,QueSçachat qu'il
demeuroit depuis plusieurs années
au Louvre où ils tiennent leurs
Conferences fi utiles au Public, ils
S'eſtorent sans doute imaginez qu'il
y avoit respiré un air qui ouvre
l'esprit , & qui communique une
partie des belles lumieres qu'ils venoient
ſi ſouvent y faire éclater;
Semblable à ceux qui en entrant
autrefois dans le Temple de Dodonne
, joüiſſoient aussi - toft du
,
don de prophetiſer. Il fit enſuite
l'éloge
GALANT.
159
l'éloge de Meſſieurs de l'Academie
, parmy leſquels il ne
voyoit que de grandes qualitez ,
ſoit qu'il les regardaſt en general
, ſoit qu'en les examinant
en particulier , il confideraſt les
uns dans les plus hautes dignitez
de l'Eglife, & les autres dans
les premiersEmplois de l'Epée &
de la Robe. Il dit,Qu'on ne devoit
pas estre Surpris de trouver en eux
un meritesi extraordinaire , puis
que leur établiſſement estoit l'Ouvrage
du grand Cardinal de Richelieu,
qui prévoyant ce que nous
voyons aujourd'huy , penſoit à épurer
& à enrichir une Langue
que le Maiſtre ſous qui nous vivons
, rend si neceſſaire à toutes
les Nations . Ilacheva cet Article
en faiſant connoiſtre qu'il ne faloit
point une autre preuve du
veritable merite de ce Cardinal,
que
160 MERCURE
que de voir qu'il eſtoit impoffi
ble de l'oublier dans un Siecle
qui faiſoit oublier tous les autres
Siecles . Apres avoir paflé legerement
fur Monfieur le Chancelier
Seguier ſecond Protecteur
de l'Académie , il vint au Roy
qui n'avoit pas dédaigné de prédre
cette mefme qualité. Il dit,
Que ce grand Prince qui ne peut
rien faire de mediocre , apres avoir
donné des marques d'une confideration
particuliere à ceux qui compofent
cette Compagnie,avoit vou.
lu que le lieu de leurs Affemblées
fûtdanssonprincipal PalaissQu'il
faisoit encor pour eux ce que luy
Seul estoit capable de faire ; Qu'il
leur donnoit une illustre & vaste
matiere defe fervirde cespretieux
Talens qu'ilsfaisoient tous lesjours
briller dans leurs Conferences , &
qu'en quelque genre qu'ils écriviffent,
GALANT. 161
Sent, ils n'avoient qu'àparler de
leur inimitable Protecteur pour
faire des Ouvrages dont la beauté
Seroit nouvelle & durable comme
les ſujets qu'il leur en donnoit . Il
parla de ce que Ciceron avoit
dit de Scipion , qu'il estoit orné de
plus d'une Majesté , ſans vouloir
pourtant comparer Scipion à
LOUIS LE GRAND, qui avec les
qualitez de ce Romain avoit
toutes celles qui ont fait admirer
les plus ſages Rois , & les Conquerans
les plus illuftres . Il fit
voir que s'il n'eſtoit pas permis
de faire de ces fortes de comparaiſons,
nous pouvions au moins
nous fervir de ce que les plus
beaux Eſprits des Siecles pafſez
avoient dit des plus grands
Hommes de leur temps; Qu'ilferoit
difficile autrement de donner
une veritable idée du Héros de la
France;
162 MERCURE
France ; Qu'il estoit tellement au
deſſus de tout ce qui nous est connu,
qu'on estoit ſouventforcéàparler
des actions des autres, pour difpoſer
lemode à croire ce qu'ilafait,
& nous aprocher inſenſiblement de
luy, Que l'Antiquité n'avoit pû établirſes
Dieux fans les faire paroîtrefous
lafigure des Homes; Que
c'estoitpar cette raison qu'ilfaloit
Souvět parler des Héros qui ont precedé
Louis ,pour tacher de lefaire
comprendre,& que ce qui étoit une
marque de nostre foibleſſe , l'estoit
en mesme temps de l'extreme élevation
de nostre Auguste Monarque.
Apres cela il parla en general
de ce que le Roy faiſoit
tous les jours d'extraordinaire
pour ſuivre la grandeur de fon
génie, juſqu'à entreprendre des
choſes auſquelles la Nature mefme
ſembloit s'oppoſer , comme
la
GALANT. 163
la jonction des deux Mers ; ce
qui avoit pû faire dire avec verité,
Qu'il estoit plus puiſſant que les
Destinées. La Paix étoit trop recente
pour n'en rien dire. Apres
que ce nouvel Academicien eut
fait voir que la prudence & le
courage du Roy , avoient paru
dans les dernieres guerres , pendant
leſquelles il avoit eu à combatre
ſeul toute l'Europe , fans
qu'un ſi grand nombre d'Ennemis
l'euſt pû empefcher de remporter
tous les jours quelque nou.
vel avantage , il dit , Qu'il avoit
arresté l'imperuoſité de ſes Conquestes
au milieu desflateries de la
Fortune , qui n'avoit jamais osé le
trahir,qu'aux dépens deſes propres
Triomphes , il donnoit la Paix au
Monde Chrestien; Qu'il l'avoit luy
Jeul concluë, refoluë,& ensuite imposée,
pour ainſi dire, à toute l'Eu
rope,
164 MERCURE
rope, &qu'elle pouvoit estre regardée
comme un Ouvrage dont perfonne
ne partageoit la gloire avec
luy ; au lieu que dans ces grandes
entrepriſes de guerre qui le fai-
Soient admirer, quoy qu'ily eust eu
la meilleure part,il avoit falu que
laſage conduite deſes Capitaines,
la bravoure deſes Soldats,& le Zele
ardent de ſes Ministres , luy en
euffent afſuré l'execution. Il prit
ici occafion de parlerde MrColbert
ſans le nommer, parce qu'il
eſt de l'Académie;& apres avoir
dit à ces Meſſicurs que leur Copagnie
luy devoit la meilleure
partie de ſes advantages , puis
que c'eſtoit par luy qu'ils recevoient
ſouvent des graces du
Roy , il s'étendit ſur le merite
particulier de ce grand Homme.
Il le loua d'une maniere d'autant
plus glorieuſe pour luy , qu'on
affura
GALANT. 165
aſſura qu'il n'en diſoit rien qui
n'euſt eſté dit par Sa Majeſté.
Jugez ,Madame, fion peut mieux
loüer un Miniſtre qui aime ſon
Maiſtre autant que Mr Colbert
aime le Roy , que par les choſes
que ſon Maître a dites de luy.
Monfieur l'Abbé le Galois ,
Directeur alors de la Compagnie
, répondit à ce Diſcours.
Cet illuſtre Abbé eſt d'une reputation
ſi bien confirmée, qu'il
eſt impoſſible qu'elle ne vous
foit connue. C'eſt un Homme
univerſel , & d'une profonde
erudition . Monfieur Colbert a
beaucoup de confideration pour
luy. Il demeure chez ce grand
Miniſtre , qui ſe plaiſt à s'entretenir
ſouvent avec luy des Sciences
les plus relevées . Il n'eſt pas
beſoin de vous en dire davantage
pour vous faire connoiſtre qu'il
doit avoir infiniment du merite.
166 MERCURE
Je vous en donnerois de preuves
bien convaincantes , ſi je vous
envoyois entierce que je nevous
puis faire voir que fort imparfait,
mais il ne demeure preſque jamais
qu'une idée confuſe de ce
qu'on n'a entendu qu'une ſeule
fois, & le plus fidelle extrait dérobe
toûjours beaucoup de la
grace des pensées , & de la forcede
l'expreſſion .
Monfieur l'Abbé le Gallois
établit la Reponſe qu'il fit àMonfieur
l'Abbé de la Vau , fur ce
qu'ily avoit de lajustice, & de la
prudence à l'avoir afſſocié dans leur
Corps ; de la justice, parce qu'il le
méritoit, comme on pouvoit le connoištre
par le beau Difcours qu'il
venoit de faire , & de la prudence
,parce que les Muſes de l'Academie
estant dans quelque forte
d'obligation de recevoir les Muſes
du
GALANT. 167
du Louvre, la Compagnie avoit dû
chercherà unir les Françoiſes avec
les Grecques & les Latines, dont la
Charge que cet Abbé exerçoit le
rendoit dépositaire. Il adjoûta en
parlant des Langues ; Que la Latine
& la Grecque qui estoient en
guerre depuis long-temps avec la
Françoise , avoient toûjours voulu
faire des Panegyriques des Conquerans;
mais que la Langue Françoi-
Se,Sans ſe piquer d'autant d'orgueil,
pouvoitse vanter d'emporter
aujourdhuy l'avantagesur l'une
&fur l'autre , puis qu'elle estoit
destinée à faire paſſer jusqu'aux
Siecles les plus éloignez les incroyables
merveilles de Loüis LE
GRAND . Il s'étendit fort fur la
diſpute des Langues , dit des
chofes tres - curieuſes ſur ce fujet,&
à l'avantage de la Françoife;
parla des Romains &de leurs
Conque
168 MERCURE
1
1
Conqueſtes , & fit voir que leur
Langue eſtoit comme finie avec
leur Domination,mais que la nôtre
qui alloit publier les ſurprenantes
actions du Roy,regneroit
éternellement. Cela luy donna
occaſion de faire l'éloge de ce
grand Prince en peu de Paroles.
Il finit par la gloire que s'eſtoit
acquis Auguſte en pacifiant toute'la
Terre ; ce qu'il n'avoit pas
fait pour refter oyſif , mais pour
faire fleurir les beaux Arts . Il en
fir une tres-juſte application , en
diſant , Que nous avions un Auguste
& un Mecene , & qu'il y
avoit lieu d'esperer que nous aurions
des Horaces & des Virgiles .
Apres qu'il eut ceſſe de parler,
Monfieur Boyer lût des Stances,
& Monfieur le Clerc , un Sonnet
. Ces deux Pieces eſtoient
fur la Paix . On leur donna les
loüan
:
GALANT. 169
loüanges qui leur eſtoientdeuës,
&la Compagnie ſe ſepara.
Monfieur le Marquis de Vitry ,
Frere du Duc de ce nom , dont
je vous apprens la mort par cette
Lettre , a eſté nommé à l'Ambaſſade
de Pologne. Il a toutes
les lumieres neceſſaires pour un
Employ de cette importance.
Ceux dont il s'est déja ſi dignement
acquité pour le ſervice du
Roy aupres des Couronnes du
Nort, parlent ſi avantageuſement
de ſon merite,qu'il ſeroit inutile
d'y rien ajoûter.
Mr le Chevalier de Noailles a
eſté pourveu depuis quelques
jours de la Charge de Lieutenant
General des Galeres , vacante
depuis pluſieurs années par la
mort de Mr le Marquis de Ternes.
Je ne vous dis rien de ce
Chevalier , vous ayant ſouvent
May 1679.
H
170 MERCURE
entretenuë des occafions dans
leſquelles il s'eſt ſignalé.
On me vient d'apprendre que
Monfieur Philippes, Lieutenant
de Roy de Thionville , s'eſtoit
marié avec Mademoiſelle Pajot,
Fille de Monfieur Pajot Maiſtre
des Courriers de France , & que
Monfieur Robert Intendant de
Flandres , avoit acheté la Charge
de Preſident des Comptes de
Monfieur Perraut. Le poſte que
Monfieur Philippes occupe aujourd'huy
eſt une preuve de ſes
ſervices , & on ne peut douter de
ceux de Monfieur Robert , dont
l'affiduité & le zele ont paru avec
tant de ſuccés en pluſieurs importantes
occaſions.
On a envoyé quatre Tygres à
Sa Majesté. C'eſt un Preſent du
Prince Charles de Schinſki, qui
demeure à dix lieuës de Vien
ne.
GALANT. 171
ne.Ce Prince eſt grand Philofophe
, & paffe pour le plus ſçavant
Homme d'Allemagne. Il
dit qu'il aimera toûjours trois
choſes avec paſſion ; le nom de
Charles qu'il porte , la Chymie,
&lesChevaux. On tient qu'il
enadu moins trois milledans ſes
Ecuries. Il a un Laboratoire trescurieux
, & fait depenſe de fofxante
mille livres tous les ans à
la decouverte des Secretsde la
Nature .
Le premier jour de ce Mois,
l'Eveſque de Bafſle qui fait fa refidence
à Polentruck , fit chanter
le Te Deum pour la Paix concluë
entre la France & l'Empereur.
Il donna enfuite un fort
grand Repas à plus de cinquan-
<te Perſonnes .On y but les Santez
de Sa Majesté , de l'Empereur,
&du Roy d'Eſpagne.Cette Re
Hij
172 MERCURE
jouiſſance finit par le bruit de
l'Artillerie , & par les feux des
Habitans , à qui on diſtribua
quantité de Vin par l'ordre de ce
Prelat .
Au reſte,Madame je croy vous
donner une nouvelle fort agreable
, en vous apprenant que ce
grandMuficien apellé Paolo Lorenzani
,qui fait tantde bruit à la
Cour depuis quelque temps , &
dont je vous ay déja parlé une
fois , s'eſt aſſez bien trouvé de la
France pour s'y arrefter. Il eſtRo
main, & digne Eleve du fameux
Horatio Benevoli , qui fut Maître
de la Muſique de S. Pierre à Rome
, & enſuite de feu S.A.R. de
Savoye Madame Chriſtine de
France . Ce Maître ſi renommé
eſtant mort , celuy dont je vous
parle retourna à Rome. Il y fut
admire,& n'y manqua pas d'employ.
GALAN T. 173
ploy. Il avoit celuy de Maître de
Muſique de l'Egliſe des Jeſuites,
quand la Cathédrale de Meſſine
perdit le ſien. Le Senat envoya à
Rome pour choiſir le plus digne
de lui fucceder.On jetta les yeux
fur Mr Lorenzani qui eſtoit dés
lors dans une tres-grande réputation
. Il vint à Meſſine ,& y prit
poffeffion d'un Poſte qui en ce
temps là eſtoit undes plus confiderables
d'Italie , tant pour la
gloire que pour l'utilité qu'on en
retiroit. Il l'occupa avec un ſuccés
qui luy devoit tout faire at
tendre de la Fortune & de fon
merite. Les troubles de Meſſine
furvinrent,& quoy qu'étant Romain
il n'euſt rien à craindre , il
prit cette occaſion de venir en
Francepour laquelle il avoit toujours
eu une inclination particuliere
, jointe à une extraordi
Hiij
174 MERCURE
naire paffion d'admirer de pres
un Roy , dont il avoit entendu
dire par tout tant de choſes ſi
peu croyables . Son inclination
pour les François, eſtoit accompagnée
d'un genie propre à leur
plaire dans ſes compoſitions de
Muſique. Il plut en effet , & le
premier Ouvrage de ſa façon
qu'il fit chanter à la Cour,ne dementit
point ce qu'on avoit attendu
de luy , & fur ſa reputation,&
fur ce qu'en avoit ditMr
le Maréchal Duc de Vivonne,
dont la delicateſſe du gouſt eſt
connuë. Ce premier Ouvrage fut
unMotet dont je croy vousavoir
déja parlé. Il fatisfit tellement
le Roy , qu'apres ſe l'eſtre fait
chanter fix autres fois , & luy a
voir fait un preſent confiderable
, Sa Majesté luy fit dire par
Monfieur le Duc de Vivonne,
H qu'il
GALANT..
175
qu'il reſtaſt en France , & qu'il
travaillaſt à tout ce qu'il jugeroit
à propos . Il obeït avec joye . Il a
fait depuis ce temps-là quantité
d'Airs qui ont extrémement plû .
Ce beau Menuët qu'on a tant aimé
à la Cour, & qu'on y a dance
pendant tout l'Hyver , eſtoit de
luy. La beauté de ſes Ouvrages
faiſant faire des ſouhaits à tout le
monde pour ſon établiſſement en
France, le Roy luy a fourny une
partie de ce qui lay eſtoit neceffaire
pour acheter de Monfieur
Boiſſet , qui a l'une des quatre
Charges de Sur- Intendantde la
Muſique de la Chambre,celle de
la Muſique de la Reyne . Cette
grande Princeſſe voit avec plaifir
cet Homme excellent attaché
à ſon ſervice . Tous ceux de fa
Maiſon en ont de la joye , & il
n'y a aucun Connoiffeur qui ne
A
Hij
176 MERCURE
ſoit ravy d'apprendre qu'il ne retournera
point en Italie . J'eſpere
vous envoyer de ſes Ouvrages
avant qu'il ſoit peu.
LeRoy d'Eſpagne apres avoir
ratifié la Paix, a nommé un Ambaſſadeur
en France ; & comme
pour ſoûtenir l'éclat de cette
Ambaſſade , il faut un Homme
d'un merite conſommé , & qui
joigne beaucoup de bien à une
haute naiſſance , Sa Majesté Catholique
a choiſi Dom Pablo
Spinola Doria , Marquis de los
Balbaſes, Duc de Seſto, Seigneur
de Ginofa, Caſalnoſetta, & Pontecurone,
Conſeiller de ſon Conſeil
d'Etat , & fon Grand Protonotaire
en fon Conſeil d'Italie. Il
a eſté longtemps General de la
Cavalerie de Milan , deux fois
Gouverneur per interim du meſme
Etar, fix ans & demy Ambaffadeur
GALANT.
177
fadeur aupres de l'Empereur, &
Chefde l'Ambaſſade àNimegue
pour la Paix. Il eſt Fils de Philippes
Spinola , petit - Fils d'Ambroiſe
Spinola , qui fut Gouverneur
& General de la Flandre
cõtre le Prince Maurice de Naffau,&
fort du coſté de ſa Mere de
la fameuſe Maiſon de Doria.Madame
la Marquiſe de los Balbaſes
ſa Femme, eſt Soeur de Mr le
Conneftable Colonne . Il a le titre
de Grand d'Eſpagne . Je croy
vous avoir déja marqué dans
quelqu'une de mes Lettres ,
qu'il y en a de trois fortes . Je
ne vous repete point quelle en
eſt la diférence. Je vous diray
ſeulement que l'Illuſtre Ambaffadeur
dont je vous viens de
marquer les qualitez , eſt de la
premiere Claſſe. C'eſt ce qu'on
appelle chez les Eſpagnols ,
Hv
178 MERCURE
Premiere Grandeffe. Quelques
jours apres qu'il fut arrivé, il eut
une Audience particuliere du
Roy;& dans leComplimentqu'il
fit à Sa Majesté , il parla de ſa
Maiſon , de ſes Dignitez , de la
gloire de ſes Anceſtres , & apres
s'eſtre étendu ſur les importans
Emplois pour lesquels il avoit
eſté ſouvent choiſi, il ajoûta que
tant d'avantages,& les graces les
plus particulieres qu'il euſt jamais
reçeuës du Roy ſon Maître,
le touchoient moins que ce qu'il
luy avoit plen de faire pour luy,
en luy donnant lieu de voir de ſi
pres un fi grand Monarque. Le
meſme jour il eut une pareille
Audience de la Reyne, de Monfeigneur
le Dauphin , de Monſieur
, de Madame , & de Mademoiselle
, qui luy firent tout
l'accueil qu'une Perſonne de fon
cara
GALANT.
179
caractere & de ſon merite en
pouvoit attendre. Le Roy fit
une Reveuë des Troupes de ſa
Maiſon environ dans ce meſme
temps. Vous ne ferez peuteſtre
pas fâchée d'en ſçavoir les
circonftances. Je commence par
les Gardes du Corps. Vous ſçavez
qu'ils font diviſez en quatre
Compagnies , chacune def
quelles a ſa couleur. Celle de
Noailles a la Bandoliere blanche,&
la Houſſe verte ; celle de
Duras porte le vert ; celle de
Luxembourg , le bleu ; & celle
de Lorge , le jaune. Chacune
de ces quatre Compagnies fut
miſe en trois Eſcadrons . Les
Gardes estoient tous veſtus de
neuf. La meſme choſe des au
tres Corps.Leurs Habits eſtoient
de Drap bleu , avec un galon
tout argent , & ondé , large de
deux
180 MERCURE
deux grands doigts. Il n'y en
avoit pas ſur toutes les taillesdes
Habits des Gardes le jour qu'on
fit la Reveuë , mais on y en a
adjoûté depuis. Les revers des
Manches eſtoient doublez de
velours rouge , & couverts de
deux grands galons , l'un moins
large que celuy de l'Habit. Il y
en avoit cinq ſur les Bandolieres
, ſçavoir trois grands ; &
deux petits. Leurs Baudriers &
leurs Gands eſtoient de Buffle,
avec des galons pareils à ceux
de l'Habit ; leurs Echarpes ,
blanches,avec des houpes ; leurs
Sabres , d'argent ; & leurs Chapeaux
bordez. Comme les Officiers
de ce Corps ſont en grand
nombre , & qu'ils eftoient tous
couverts ou de galons , ou de
broderie , on ne peut rien voir
deplus éclatant qu'eſtoient ces
douze
GALANT. 181
douze Eſcadrons. Les Habits
& les Houſſes des Gendarmes
& des Chevaux- Legers,eſtoient
rouges , leurs Chapeaux noirs
& bordez , avec des Plumes &
des Echarpes blanches , leurs
Baudriers de Buffle , & couverts
de galons. Les Habits de ces
deux Corps diferent , en ce que
les galons des Gendarmes ſont
tout or,& les manches de leurs
Juſte àcorps doublées de velours
noir, & que les galons des Chevaux-
Legers ſont meſlez d'or &
d'argent , outre que la doublure
de leurs Manches eſt dela méme
couleur que leurs Juſte-à- corps.
Leurs Houſſes eſtoient rouges &
galonnées . Les Officiers desGendarmes
font Monfieur le Prince
de Soubize Capitaine Lieutenantiles
Sous - Lieutenans, Meffieurs
de Nonan & de Buzanval.
Les
182 MERCURE
1
Les Enſeignes, Meſſieurs de Valencé
& de Roytelin . Les Guidons,
Meffieurs de Poigny & de
Bethune ; deux Mareſchaux des
Logis, huit Brigadiers , huit Sous-
Brigadiers , un Major , & deux
Sous- Majors. Les Officiers des
Chevaux- Legers ſont Monfieur
le Duc de Chevreuſe , Capitaine
- Lieutenant ; Monfieur de la
Salle , Lieutenant ; Monfieur de
Valbelle , Cornete ; deux Ма-
reſchaux des Logis, huit Brigadiers
, huit Sous- Brigadiers . Ces
deux Compagnies formoient
chacune deux Eſcadrons . Je ne
parleray point des Caſaques des
Mouſquetaires.Elles font cõnuës.
La premiere Compagnie appellée
des Mouſquetaires blancs,
avoit des Juſte- à- corps rouges,
enrichis de galons tout or. Leurs
Chapeaux eſtoient bordez , avec
unc
GALANT. 183
une Plume blanche , & un Ruban
bleu au retrouſſis. Ils avoient
des Rubans de pareille couleur
à leur Cravate ; des Baudriers
de Buffle , garnis de galons de
meſme que l'Habit , auffi -bien
que leurs Bandolieres & leurs
Gands. Leur Pulverin eſtoit un
Coeur parſemé de Fleurs de Lys.
Il y avoit ſur le Cartouche un
Coeur enflâmé en broderie d'or.
Ils avoient des flames & des
fleurs d'or fur leurs Houſſes.Tous
les Juſte - à - corps des Officiers
eſtoient à fonds rouges , mais
d'une magnificence admirable,
& plus ou moins riches , ſelon
leur rang , afin de marquer de
la diference entr'eux. Rien n'êtoit
plus beau , ny plus ſuperbement
accommodé, que les Chevaux
de main de Monfieur le
Chevalier de Fourbin, qui commande
CJ
L
184
MERCURE
mande cette premiere Compagnie.
La ſeconde appellée des
Mouſquetaires noirs, parce qu'ils
font montez ſur des Chevaux de
cette couleur , eſtoit auſſi veſtuë
de rouge. Elle avoit des Baudriers
de Buffle, des Bandolieres
rouges , & des Gands bordez de
galon or & argent comme l'Habit,
une Plume blanche , & des
Rubans bleus. Toutes les Houfſes
eſtoient de Drap d'écarlate .
Il y avoit autour une Broderie
haute de trois doigts. Les deux
Compagnies eſtoient jointes
enſemble , & ne firent point
l'Exercice à cheval. Elles défilerent
une fois par Brigade , puis
elles formerent une Ligne treslongue
de la plus belle Infanterie
qu'on puiffe voir , & defilerent
quatre à quatre. Il n'y
avoit à la Revenue que deuxBa
taillons
GALANT. 185
taillons du Regiment des Gardes.
Ils firent leur Exercice ordinaire.
Leurs Grenadiers avoient
des Buffles. Je ne vous dis rien
de la maniere dont ils eſtoient
mis. J'en ay déja parlé dans
ma premiere Lettre de cette
année . Les Grenadiers à cheval
eſtoient veſtus de rouge
fans Galon , avec des Bonnets
rouges en pointes , doublez de
pluche brune.Cette Compagnie
formoit un Eſcadron. Le Roy
veſtu d'un Habit de Droguet à
fonds d'or,avec de grandes Boutonnieres
en broderie d'or,mais
plus paré encor de ſa bõne mine
&de fon air tout martial,que de
ſesHabits, viſita toutes cesTroupes
deux ou trois fois , & apres
leur avoir veu faire l'Exercice, il
les fit toutes defiler devant luy.
Mrl'Ambaſſadeur d'Eſpagne ad.
mira
186 MERCURE
mira labonté de ſes Compagnies,
&la richeſſe de leurs Habits.
Quelques jours apres , le meſme
Ambaſſadeur alla rendre viſite à
Monfieur dans ſa belle Maiſon
de S. Cloud, où Monſeigneur le
Dauphin eſtoit , pour y tenir
avec Mademoiselle , le Fils de
Monfieur le Marquis de Nonan
fur les Fonts . Cette jeune Princeſſe
eſtoit toute couverte de
Diamans , qui n'effoient accompagnez
d'aucune Pierre de couleur.
Elle avoit meſme un Collier
de Diamans. La cerémonie
du Baptefme ſe fit dans la Chapelle
du Chaſteau par Monfieur
l'Eveſque du Mans Premier Aumônier
de Son Alteſſe Royale.
Il y eut Bal auffi- toſt apres dans
la belle & fuperbe Galerie qui
donne tant de gloire au fameux
Monfieur Mignart , & que tous
les
GALANT . 187
les Connoiffeurs regardent avec
admiration come un chef d'oeuvre
de la Peinture. Toutes les
Dames, que Monfieur avoit invitées
pour prendre les plaiſirs
de la Saiſon pendant les huit
jours qu'il devoit demeurer à S.
Cloud , estoient en deshabillé,
mais ſi propres& fi magnifiques,
qu'on ne ſe peut rien figurer de
plus brillant. On n'aura pas de
peine à eſtre perfuadé de ce que
je dis , quand on ſçaura que ces
Dames eſtoient Mesdames les
Ducheſſes de Vantadoor , de
Foix , & de Gramont , Madame
la Princeſſe de Furftemberg ,
Meſdames les Comteſſes de Maré
& de Grancé , & les Filles
d'Honneur de Madame. La plûpart
des Hommes eſtoient en
Juſte- à - corps de Brévet . Je vous
ay déja expliqué ce que c'eſt
: que
188 MERCURE
que ces Juſte-à- corps, mais je ne
vous ay pas dit que les derniers
font d'une beauté ébloüiſſante,
& que la broderie n'en eſt pas
moins admirable que le deſſein.
Monfieur l'Ambaſſadeur d'Eſpagne
prit beaucoup de plaifir à
voirdancertant d'illuftres&belles
Perſonnes. Il eſtoit veſtu de
Drap noir à la Françoiſe , & demeura
preſque toûjour debour
derriere la Chaiſe de Monfeigneur
leDauphin.LeBalfut luivy
d'un grand Ambigu. Il eſtoit
de Poiffon& de Fruit. Toutes les
Dames furent affifes avec Monſeigneur
le Dauphin. On mena
Monfieur l'Ambaſſadeur d'Eſpagne
àune autre Table,où il mangea
avec les Seigneurs. Le Soupé
finy , on paſla dans le Salion
pour entendre la Comedie . On
repreſenta l'Avare , &le Deüil.
Mon
GALANT. 189
Monſeigneur leDauphin retourna
à Saint Germain apres la premiere
Piece & la plus grande
partie de la Compagnie s'eſtant
retirée apres la ſeconde , Monfieur
fit Media- noche avec les
Dames. Deuxjours apres,Madamel'Ambaſſadrice
d'Eſpagne qui
avoit fait demander audience à
Leurs Alteffes Royales , vint à
S.Cloud. Elle y arriva ſur les fix
heures du ſoir, ſuivie de quelques
Cavaliers , & accompagnée de
l'Intendant de Mr le Prince de
Monaco , qui luy devoit ſervir
deTruchement. Elle monta dans
l'Apartementde Madame,où elle
fut reçeuë par Madame la Mareſchaledu
Pleſſis,Dame d'Honneur
de cette Princeſſe , à la teſte
des Filles d'Honneur , & de
- leurGouvernante. Elle fut conduite
dans le Sallon, où Monfieur
la
190
MERCURE
la reçeut , la baiſa, & la préfenta
à Madame qui estoit au Cercle
, composé des meſmes Dames
que je vous ay déja nommées,
& de pluſieurs autres, entre
leſquelles eſtoient Madame
la Ducheſſe de Vivonne, & Madame
la Princeſſe d'Elbeuf fa
Fille. Cette Ambaſſadrice fut affiſe
entre les Ducheſſes de Vantadour
& du Pleſſis. Monfieur
voulut luy ſervir de Truchement
; & comme il parle tresbien
Eſpagnol , il s'entretint
long temps avec elle. Je croy
vous en devoir faire icy le portrait
en peu de paroles. Elle a
beaucoup d'embonpoint. Ses
yeux ſont parfaitement beaux ,
& font voir d'abord l'eſprit de
celle qui les anime. Elle eſt extrémement
blanche , a le teint
*vif , la gorge tres-belle , & tous
les
GALANT.
191
les traits du viſage réguliers.Elle
eſtoit veſtuë de Drap noir, avec
de la Dentelle de ſoye. Son Corps
de Robe eſtoit échancré, de forte
qu'on luy voyoit le haut des
épaules,& de l'une à l'autre, une
Chaîne de Diamans. Elle n'avoit
ny linge ny dentelle autour
de ſa gorge. Ses Manches courtes
& fort larges , eſtoient bordées
avec des Chaînes de Diamans
. Du milieu de ſon ſein pendoit
une Croix de tres- gros Diamans
de fix poulces en quarré,
&dont les branches en avoient
deux de large. Elle paroiſſoit nuë
teſte. Ses cheveux qui font fort
noirs , & qui estoient ſeparez
par le milieu , & attachez pres
de l'oeil avec de beaux Noeuds
de Diamans , luy couvroient tou.
tes les épaules . Les bouts qu'on
ne voyoit point étoiet retrouſſez
par
192 MERCURE
par deſſous. Le bas de ſa Robe
n'alloit qu'à fleur de terre, & ſes
Manches eſtoiet de gazes unies .
Apres qu'elle eut eſté une petite
demy-heure au Cercle , elle
témoigna vouloir rendre viſite
en particulier à Mademoiselle.
Cette Princeſſe paſſa auſſi- toſt
dans la Chambre de Monfieur
avec quantité de Dames. Madame
de los Balbaſes y fut conduite
par Madame la Mareſchale
Ducheſſe du Pleſſis. Mademoiſelle
la baiſa , & la viſite ſe
paſſa debout. Au ſortir de là on
luy fit voir la Galerie & le Jardin
en terraſſe. Elle monta en
ſuite en Carroſſe pour aller voir
le Jardin d'enbas . Elle en admira
les eaux , & s'en retourna fort
ſatisfaite de ſon voyage.
Puis que nous ſommes ſur ce
qui regarde l'Eſpagne , je croy
qu'il
DE
LA
BIBTLRIEONUE
DE
LYON
*
1893*
VILLE
*
BIBLIO
YON
CAROLVS II・D-G-HISPANIARVMETINDIARVM
Koett.
*
FLANDRIA
.
FLANDRIÆ COMES
.
OSTENDE
Nellinofren M. TOLVSoSVIt
GALAN Τ.
193
qu'il ne ſera point hors de propos
de vous faire voir le Portrait
du Prince qui la gouverne.Il eſt
gravé d'apres une Medaille.C'eſt
la ſeule que nous ayons de ce
jeune Roy. Elle a eſté faite à
Londres par Joſeph Rottier, l'un
des meilleurs Ouvriers de toute
l'Europe. On l'a fait venir en
France , où il travaille preſentement
à une Medaille du Roy.
Monfieur le Prince &Evefque
de Strasbourg, apres quelques années
de ſejour à Paris , où vous
ſçavez qu'on l'a vû paroiſtre
avec une magnificence qui ne
laiſſoit point apercevoir que la
guerre fuſt dans ſes Etats,eſt enfin
party pour y retourner, avec
autant de ſatisfaction des bons
traitemens qu'il a reçeus de Sa
Majesté,qu'il avoit eu de confian.
ce à venir chercher aupres d'Elle
May 1679. I
194 MERCURE
les effets glorieux de ſa puiſſante
protection,& de ſa generofité,
pour ceux qui comme ce Prince
s'attachent inviolablement à
ſes intereſts . Quelques - jours
avant ſon départ , il traita Monſieur
l'Ambaſſadeur d'Eſpagne
avec Madame l'Ambaſſadrice.
Mr le Duc de Verneüil , Mr le
Prince de Monaco, & Mr le Duc
de Crufſol,étoient du Regal,ainſi
que Madame la Princeſſe de Fur.
ſtemberg , Monfieur & Madame
la Preſidente de Meſmes ; Monſieur
le Marquis d'Alincourt, Mr
de la Baziniere, Mr le Comte de
Torigny , Madame Tambonneau
, & Madame de la Baziniere.
Il y eut une grande Mufique
, & Bal apres le Soupé. Je
ne vous fay point le détail de ce
Repas. Il eſtoit de Monfieur de
Strasbourg. C'eſt aſſez dire pour
perfua
GALANT.
195
perfuader qu'il eſtoit exquis , fort
magnifique & bien entendu . Ce
Prince a eu le plaiſir de voir donner
le Tabouret à Madame de
Furſtemberg ſa Niéce avant ſon
départ.
Mr de S. Laurens , Introducteur
des Ambaſſadeurs aupres
de Monfieur a eſté choiſy par
ce Prince pour eſtre Precepteur
de Monfieur le Duc de Chartres.
C'eſt un Homme d'un fort
grand mérite , & qui s'eſt toûjours
declaré ennemy du faſte.
Il ſçait pluſieurs Langues, & Sa
Majesté a fortapplaudy au choix
de Son Alteſſe Royale.
Je ne diray rien de nouveau
pour vous , en diſant que Monſieur
l'Abbé des Alleurs paſſe
pour un des plus grands Predicateurs
que nous ayons. La ſatisfaction
qu'en ont reçeuë ce Ca-
I ij
196 MERCURE
refme les nombreuſes Aſſemblées
qui ont eſté l'entendre à Saint
Nicolas du Chardonnet , avoit
fort augmenté la reputation
qu'il s'eſtoit déja acquiſe , & il
l'a entierement confirmée en
prêchant devant Leurs Majeſtez
le jour de la Pentecofte. Ce
Sermon fut extraordinairement
applaudy . Le Roy luy fit l'honneur
de luy dire que c'eſtoit un
des plus beaux qu'il euſt jamais
entendus , &que de long- temps
il n'avoit eſté plus fatisfait. Monſeigneur
le Dauphin , & Monſieur,
luy en parlerent auſſi d'une
maniere tres - obligeante ; &
toute la Cour , qui ne pouvoit
eſtre plus belle qu'elle le fut ce
jour - là , fit connoiſtre par une
approbation generale , qu'elle
l'avoit écouté avec grand plaifir.
Il fit au Roy un Compliment
fur :
GALANT. 197
fur la Paix , qui fut admire ; &
ce qui luy eſt bien glorieux ,
c'eſt qu'en recevant beaucoup
de loüanges , il ne reçeut que
celles qu'il meritoit .
Monfieur Loyfel , Curé de S.
Jean en Greve, a peu ſurveſcu à
la Démiſſion que je vous ay déja
marqué qu'il avoit faite de
ſes Benefices . Il eſt mort tresregreté
, ayant toûjours mené
une vie fort exemplaire. Il prêchoit
ſouvent, entroit dans tout
ce qui pouvoit foulager ſes Paroiffiens
, & eſtoit infatigable
quand il trouvoit occaſion de faire
agir le zele qu'il avoit pour
leur falut .
Mr le Comte de Belloy, Capitaine
des Gardes de feu Mrle
Duc d'Orleans , eſt mort auſſi. U
étoit entré fort jeune dans laMai.
fon de ce Prince , & y avoit eſté
I iij
198 MERCURE
élevé. Sa probité jointe à beaucoup
d'eſprit & de conduite, luy
en avoit acquis la confidence.
Il a toûjours eſté d'une fidelité
inébranlable , & en a donné
des marques juſqu'à la mort de
fon Maiſtre, apres laquelle il fut
choifypour conduire Madame la
Princeſſe de Tofcane à Florence.
Il avoit épousé la Fille de
Mr de Villemontée,qui eſt mort
Eveſque de Saint Malo,vous ſçavez
qu'avant que de ſe donner
à l'Eglife , ce Prélat avoit tresbien
ſervy en diverſes Intendances.
Il prit ce party du vivant
meſme de Madame de Villemontée
ſa Femme , à laquelle
il avoit permis de ſe retirer
dans un Convent. Il ne faut pas
s'étonner apres cela du grand
mérite de Madame de Belloy
leur Fille.Quand on a l'ame bien
faite,
GALAN Τ.
199
faite , & d'auffi beaux exemples
devant les yeux, il eſt malaiſé de
ne ne les pas ſuivre.
J'ay oublié de vous dire qu'un
peu avant que Monfieur l'Evefque
de Strasbourg partiſt , il avoit
eſté , auſſi -bien que Madame de
Furſtemberg, dumagnifique Regal
que Monfieur le Preſident de
Meſmes a donné à Mrl'Ambaſſadeur
, & à Madame l'Ambaſſadrice
d'Eſpagne. Les autres Conviez
eſtoient Madame la Princeſſe
d'Elbeuf , Madame la Ducheſſe
de Vivonne , Monfieur le
Prince de Monaco , Monfieur le
Prince d'Eyſenac , Monfieur le
Baron de Roſvuorm, Monfieur le
Duc de Mortemar , Monfieur le
Chevalier d'Harcour, Monfieur
de Soyecourt , Monfieur Courtin
l'Ambaſſadeur Monfieur
&Madame de Tambonneau , &
و
I iiij
200 MERCURE
Mademoiselle de la Baziniere .
Il y eut trois grands Services
de Roſty , fans compter les Entremets
& le Fruit , Les Services
eſtoient de trois grands Plats,
de fix plus petits , & de huit
Affieres hors d'oeuvre. Trois
Concerts de diferens Inſtrumens
divertirent l'Aſſemblée , & le tout
fut digne de la magnificence de
ce Preſident .
Il y en a eu de fort grandes en
la Feſte que Monfieur le Prince
de Monaco donna le 18. de ce
Mois à Mesdames d'Armagnac,
de Foix,de Vantadour,de la Ferté
ſa Scoeur, de Guiche, de Nangis
, & à Mademoiſelle de Duras .
Elle commença par la repreſentation
de l'Iphigénie. Le Soupé
ſuivit. Rien ne ſçauroit eſtre plus
ſomptueux . Monfieur l'Ambaſſadeur
d'Eſpagne s'y trouva avec
Mon
GALANT. 101
Monfieur le Grand, Monfieur le
Maréchal de Humieres , Meffieurs
les Ducs d'Aumõt, de Villeroy,&
de Foix , Meſſieurs de Soyecourt,
de Tilladet,deThury,&
pluſieurs autres. Apres le Soupé,
on eut de nouveau la Comedie,
& ce fut l'Ecole des Femmes qu'on
joüa. Le Bal fucceda à ce divertiſſement
. Madame la Ducheffe
de Sully y vint, & l'ordre ne fut
pas moins admiré par tout que la
propreté,
Voila , Madame,de quelle maniere
on comence icy de goûter
agreablemet les fruits de laPaix.
Le Roy,dont la modeſtie ne foufre
les loüanges qu'avec peine,
n'ayant point voulu recevoir de
complimens fur chaque Traité
qu'il en a conclu , a conſenty
qu'on luy ait marqué la joye de
ſesPeuples apres la ratificatió de
I V
201 MERCURE
la derniere. Toutes les Compagnies
ſe ſont acquitées de ce devoir,&
Monfieur de Novion,Pre
mier Preſident du Parlement , a
porté la parole au nom de ſa Copagnie.
Vous connoiſſez le rare
talent de ce grand Homme , &
je n'attendois pas moins que ce
que vous m'écrivez du Dilcours
qu'il fit aux dernieres Mercuriales.
Comme vous n'eſtes pas la
ſeule qui l'ayez leû dans ma
Lettre de l'autre Mois , je vous
prie de faire ſçavoir à vos Amis,
que la Perſonne qui me le donna,
l'ayant copié fur diferens morceaux
de papier, fit une tranſpoſition
qui m'a empéché de vous
le faire voirdans ſon ordre.Apres
ces paroles , onse doit connoistre
Soy mesme pour joüir de ces avan
tages comme pour corriger ses défants,
il faut lire ce qui commenGALANT
.
203
ce par Meffieurs , nous ne nous
Sommes point trompez , juſquà la
fin , & reprendre , On ne connoist
ny l'amour propre &c. Cette correction
ne vous ſera pas difficile
à faire. Cependant je vous envoye
le Complimet que ce digne
Chefdu plus Augufte Parlement
de France a fait dans cette derniere
occaſion . Le voicy tel qu'il le
prononça en parlant au Roy.
SIRE ,
Vostre justice a commencé la
guerre, voſtre valeur l'afaite, voſtre
clemence l'a finie.
Iln'a tenu qu'à vostre Majesté
de vaincre d'avantage.
Vous pouviez faire tout ce que
vous auriez voulu, mais vous vou-.
lez toûjours ce qui vous paroit de
plus juste.
Vostre
204 MERCURE
Vostre pouvoir est bien faiſant;
& vous vous estes contenté de
chastier vos Ennemis ſans les détruire.
Le Conquerant borneſa puiſſance
, quand il pouſſe trop loin ceux
qu'il a vaincus. Lors qu'il lesfoûmet
& leur pardonne , il montre
qu'il eſt digne de leur commander.
Ce Prince qui vouloit faire perir
le dernier des Troyens , ne méritoit
d'estre Roy que des Grecs .
La vertu ne veut point détruire
entierement les paſſions que la Nature
a données pour quelque usage;
il lay suffit de les foûmettre à la
raiſon.
Que ces anciens Conquerans
ayent pris tant de fois leſurnom
des Nations qu'ils avoient détruites
, SIRE , vous meritez bien
mieux qu'eux le titre de celles que
vous avezconfervées .
Vostre
GALANT.
205
Voſtre Partage eſt aſſezbeau , il
est temps que vostre valeur faſſe
place àvos autres vertus.
Toutes les belles Actions ne ſe
fontpas les armes à la main.
Si la maniere de finir la guerre
fait juger quelle fera la Paix , SIRE,
vous avezvaincu pour lögteps..
Il n'est plus de Puiſſance qui ofe
la troubler ; vous nous l'avez donnée
par les mains de la Victoire.
Si elle finit vos Conquestes , elle
ne borne pas voſtre Gloire.
La Guerre n'a pû qu'élever Vôtre
Majesté au deſſus des Héros.
La Paix l'approchera de la Divinité.
Vos Trésors croiſtront tous les
jours par d'innocens moyens . Vous
ferez comme le Soleil qui n'attire
les exhalaiſons de la Terre , que
pour les luy rendre par de douces
rofées.
Les
206 MERCURE
Les beaux Artsferont cultivez .
Les Lettres feront favorisées. Vôtre
autorité, SIRE, liberera l'Egliſe
de ſes exemptions chymeriques.
Vous comblerez de graces la
Nobleſſe Françoise , fi vaillante
quand vous la commandez , qu'il
paroist bien que vous avez lavertu
d'inspirer du courage .
Les Loix reprendront leur vigueur,
les Magistrats leur dignité;
& voſtre premier Parlement , dont
nous avons l'honneur de vous porter
les voeux , & qu'on ne vous a
pas toûjours fait voir dans un auſſi
beau jour que fafidelité le merite,
Se conformera , SIRE, dans vostre
estime.
Ce Compliment charma le
Roy & toute la Cour. Il eſt admiré
icy de tout le monde. Chacun
GALANT. 207
cun en prend des Copies , & on
le trouve d'autant plus digne du
grand Homme qui l'a fait , que
faifant entendre beaucoup de
choſes en fort peu de mots , il y
a preſque autant de penſées que
de paroles.
Le meſme jour Monfieur le
Camus , Premier Preſident de la
Cour des Aydes, témoigna à Sa
Majefte , par un Diſcours auffi
agreable que folide , & qu'il accompagna
des graces de la prononciation
; Que ſes Conquestes,
& les Monumens illustres de ſa
valeur & de ſa gloire, qu'il avoit
laiſſez chez toutes les Nations où il
avoit portéſes Victoires , auroient
esté ſuffisans pour rendre fon Auguste
Nom immortel'; mais quefa
bonté ,&fa tendreſſe , qui comme
fes autres vertus n'avoient point
d'exemples comme elles n'avoient
point
208 MERCURE
de bornes', n'auroient pas esté fatisfaites
, ſi ſurpaſſant les ſentimens
de douceur * du plus brave,
& du plus humain des Roys fes
Prédeceffeurs , il n'avoit executé
le deſſein qu'il avoit formé de
donner la Paix à toute l'Europe,
dans un temps meſme où la continuation
de la Guerre, ou fon Courage,
ou la Fortune , luy preparoient
tous les jours de nouveaux Triomphes
; mais que fi Sa Majesté avoit
reduit tant de Princes , &
des Princes fi redoutables à tout
autre qu'à Elle à accepter les Conditions
qu'Elle leur avoit preſcrites
par une autorité digne de la grandeur
de fon Sceptre , ily avoit apporté
des temperamens dignes defa
Clemence , defa moderation , & de
Sajustice ; Qu'ily avoitsans doute
plus d'honneur , &plus de gloi-
* Henry I V. *
re
GALAN Τ . 209
re à donner la Paix à tout le
Monde , qu'on n'en pouvoit trouver
à le conquerir ; & qu'apres
avoir consommé un Ouvrage ſi glorieux
, & fi difficile , il n'avoit
plus qu'à joüir des fruits de cette
Paix , qu'à joüir de la joye que
luy Seul pouvoit bien concevoir
d'avoir fait la felicité de tant
de Peuples , ở quà joüir enfin de
l'empire qu'il s'estoit acquis fur
tant de coeurs,comme du plus doux,
& du plus abſolu de tous les empires
.
Comme la diverſité plaiſt , &
que toutes les Harangues qui ont
eſté faites au Roy , ne l'ont pas
eſté en meſme jour,vous trouverez
bon que je ne vous parle des
autres que dans ma Lettre du
premier Mois. Si voſtre curioſité
en murmure , je vay reparer ce
retardement en vous faiſant part
d'une.
210 MERCURE
d'une fort agreable Ambaſſade.
Elle a eſté faite au nom du Printemps
, qui a deputé des Fleurs
versune Belle . Vous voyez bien ,
Madame , que cela fent un Bouquet.
Il fut envoyé par Mr M. à
Mademoiselle Fumée le jour de
fa Feſte . C'eſt une jeune Perſonne
, belle , ſpirituelle , & de
qualité.
D13603630333603603x3x3
AMBASSADE
DU PRINTEMPS.
FLEURS A SYLVIE .
U Roy Printemps nous sommes de-
Deputées,
Pour venir de ſa part vous donner le bon
jour ,
Et pour vous aſſurer qu'il n'est point en
Sa Cour
De Fleurs, dont les beautez en tous lieux
admirées
Puiffent vous estre comparées.
Pour
GALANT. 211
Bl
Pour confeffer la verité,
Entre les Beautexnaturelles,
Ievous le dis ſans vanité,
Nous penſions estre les plus belles ?
Mais à l'aspect de vos divins apas
Ilnousfaut mettre bas les armes,
Et demeurer d'accord que vous avez des
charmes,
•Dont les nostres n'approchentpas.
Les unes devant vous blanchiſſent,
Les autres de honte rougiſſent,
Et les autres , malgré leur teintfifrais,
fidoux,
Ont la jauniſſe aupresde vous.
CeRoydeplus nous charge de vous dire,
Que chezvous en tout temps il veut tenir
Sa Cour,
Faisant sur vostre teint un eternelſejour,
Où jamais les Hyvers n'étendent leur
empire.
Mais comme un de vos Serviteurs,
Il ajoûte à ces mots un avisſalutaire;
C'est qu'on dit que vosyeux empoisonnent
les coeurs,
Et
212 MERCURE
Et si vous ne prenez , bien garde à cette
affaire,
On vous va voir au premier jour
Entre les mains d'un Commiffaire,
Dansla Bastille de l'Amour.
La Paix ratifiée avec l'Empereur
touche tout le monde, mais
plus particulieremet les Peuples
de Mets,que la fituation du Païs
tenoit expoſez à de grands defordres.
Aufſi la nouvelle de cette
Paix y a t'elle été reçeuë avec
unejoye qui ne ſe peut exprimer.
La Publication s'en fit à Mets le
Jeudy 18. de ce Mois. Voicy l'ordre
de la Cavalcade. Le Prevoſt
Provincial marchoit le premier
avec fa Compagnie d'Archers.
Il eſtoit ſuivy du Prevoſt des
Bandes qui avoit auſſi ſa Compagnie
, & apres eux , on voyoit
Monfieur de Beraut Lieutenant
de Roy de la Citadelle,à la teſte
:
de
GALAN T.
213
de la Nobleſſe , en la place de
Monfieur de Givry Lieutenant
de Roy de la Ville , arreſté au lit
par quelque indiſpoſition. Les
Meſſagers , Bannerors , Sergens
de Ville , & Huiſſiers du Bailliage
, qui marchoient enſuite , precedoient
les Suiſſes Hallebardiers,
& la Compagnie des Gardes
de Mr le Maréchal de la Ferté
Gouverneur. Cette Cavaleade
eſtoit fermée par Monfieur
le Roy Commandant , entre le
Lieutenant General & le Maiſtre
Echevin , ſuivy des deux
Compagnies du Bailliage & de
la Ville . Immediatement devant
eux estoit un Héraut bien monté
& fort richement vétu d'un
Habit à la Romaine , en broderie
de Perles & de Pierreries,
avec un Bonnet de gaze d'argent
couvert de Plumes. Toutes
les
214 MERCURE
les Troupes eſtoient en bataille
dans les Places où cette Publication
ſe fit , &des Fontaines de
Vin coulerent en pluſieurs endroits
pendant tout le jour , la
Calvacade eſtant finie à midy,
cinquante Perſonnes des plus
qualifiées allerent dîner à l'Hôtel
de Ville. Le Feſtin fut d'une
magnificence achevée. Monfieur
de la Grillonniere Maiſtre
Echevin en fit les honneurs au
nom du Public. C'eſt un Gentilhomme
de grande naiſſance,
d'un long ſervice dans les Armées
, d'un excellent merite en
toutes chofes , & qui ſçait parfaitement
accorder le bien du
ſervice de Sa Majesté avec le
foulagement des Peuples. Sur
les cinq heures du foir , on ſe
rendit à la grande Eglife , où
Monfieur le Roy , & tous les
Corps,
GALANT.
215
Corps , aſſiſterent au Te Deum
chanté par la Muſique. Monſieur
l'Archeveſque d'Ambrun,
Evêque de Mets officioit.A neuf
heures , le meſme Monfieur le
Roy, & Monfieur de la Grillonniere
, allumerent le Feu ; ce qui
fut accompagné de Feux d'artifices
, de trois Salves de Canon,
&de la Mouſqueterie des Troupes
en bataille ; & en meſine
temps on alluma d'autres Feux
devant les Portes de toutes les
Maiſons de la Ville,& des Flambeaux
aux Feneſtres .
Les Enigmes divertiſſent toûjours
le Public à l'ordinaire.
Monfieur de Grammarais ; de
Roüen , a expliqué ainſi la premiere
du dernier Mois dans ſon
vray ſens .
Esplus grands ,les plus fiers font
vos loix,
Etpluſieurs, dites-vous , àvoſtre ſeule
voix Doivent
216 MERCURE
Doivent une humble obeiſſance.
Nous n'avonsplus de guerre en Frace,
La Paix que nous devons au plus ſage
desRoys,
Met nos Troupeaux en afſurance.
Nous vous écouterons , Tambour , une
autre fois,
Il est juste que les Hautbois
A leur tour parmy nous obtiennent audiance.
Ce meſme Mot de Tambour
a eſté trouvé par Meſſieurs Regnard
, Lieutenant General à
Tonnerre ; L'Abbé de Sylvecane
, de Lyon ; Bruchet , de
Roüen ; Damiens ; De la Ferté;
Gourdaut , Avocat ; De Barés
, Profeſſeur de Galanterie à
Troyes ; L'Abbé de Rouville;
Goüel , Commiſſaire des Guerres
; De Chaudel , Conſeiller à
Troyes ; Gardien ; De Necoêt-
Coroller,Maire de Morlaix ; De
Bonnecamp , de Quimper ; Hervilſon,
GALAN T.
217
vilſon , S. D. V. de Troyes : La
Liquiere , Avocat d'Allets en
Languedoc : & par Meſdemoiſelles
le Maignen Femme d'un
Officier à la Chancellerie : Le
Vaſſeur : De Courtenay-Mouſelard
, de Montargis : Ouden,
de Troyes : Celimene , de Bourbon
lesBains : Le Conſul de Beziers
: Le Chevalier de la Galanterie
de Tours : L'inconnu
du Mont S. Marc , de Compiegne
: Le Citoyen de Valogues :
L'Ariſte de Troyes : Robin du .
Mercure : & les bonnes Amies
de Dieppe .
Ceux qui l'ont expliquée en
Vers , ſont Meſſieurs Germain,
de Caën : Rault , de Roüen :
Horde, de Senlis : Torneſy,Medecin
de Marseille : Le Chevalier
de Turival : Jarrés : Le Secretaire
fidelle d'Amiens ; Ma-
May 1679. K
218 MERCURE
demoiselle Richard , de Mets;
& Meſdemoiselles Gauvin , de
Châtillon ſur Seine ; Princeſſe
le Febvre , de Mets ; Le Chevalier
errant de Montebourg; Le
Bon Clerc , de Châlons ſur Saone
: L'Amant de la Belle inſenſible
: Le Druide Lyonnois : &
Joubert,de la Doüanne de Lyon,
les deux en Vers. On l'a encor
expliquée ſur une Trompete , une
Cloche, le Canon, & le Ris de joye.
Le vray Mot de la ſeconde eſt
dans ce Madrigal de Monfieur
Germain de Caën .
Voftre Enigme, galant Autantfinequ'elle est obMsecrurceu,re,
N'aſçeu pourtant nous échaper;
: Carune Beste auſſi mignonne
Comme l'est un Chien de Bologne,
Se peut aisément attraper.
:
Meffieurs de Boiſſimon , du
Pierroy,
GALANT .
219
Pierroy,& l'Inconnu de Beziers ,
ont trouvé le meſme Mot . Les
autres ont expliqué cette Enigme
ſur le Miroir, l'Eau,une Enigme
, une Porte, le Sommeil , & un
Enfant à la mammelle .
Toutes les deux ont eſté expliquées
dans leur vray ſens par
Meſſieurs de Langes de Montmiral
: d'Aurillon , de Dieppe :
Le Chevalier de la Porte de
Paris : l'aimable Turlis : l'Ariane
de Sylvie : Bibi : & les Reclus
d'Amiens , les deux derniers en
Vers.
Des deux nouvelles Enigmes
que je vous envoye , la premiere
eſt de la Lorraine Eſpagnolete
: & l'autre, de Monfieur l'Abbé
Sorrin .
Kij
220 MERCURE
ENIGME.
J'Ajudes Freres
enquantité ,
Maisàpasuunnje ne reſſemble;
Etj'ay si peu de vanité,
Que lors que noussommes ensemble
Ie leur cede laprimauté.
Mon Aine vautmoins que lemoindre
Et je vaux encor moins que luy:
Mais lors qu'à luy je veux me joindre,
Leluyſers d'un si bon appuy ,
Quepar cet heureux afſsemblage,
Ilpeut alors plus que celuy
Qui pouvoit huitfois davantage.
Quandje me trouveſeul , je ne fuis bon
àrien;
Mon unique defir, c'est d'estre en compagnie
,
Et l'on me voit toûjours faire beaucoup
de bien
Aceuxà qui l'on m'aſſocie.
L'on dit que mafigure a des perfections
Qui ne se trouvent pas en aucune autre
chofe
Et
GALAN Τ . 22 1
Et que pour faire d'elle une metamorphose,
Biendes Sçavans ont eu de fauſſes vifions.
L'aypeurqu'en me cherchant avec unſoin
extreme
Vous n'en faſſiez de meſme ;
Ou que trouvant le Mot qui se rapporte
aumien,
Vous ne diſiezde moy , que vous ne tenez
rien.
AUTRE ENIGME ..
AVantqu'estre congen, j'ayfait plem
rerma Mere.
Pour mon premier exploit , j'ay terrassé
mon Pere.
Aceux qui m'aiment trop , je suis towjoursfatal;
LesBarbares me traitent mal.
Dés le Berceau jeſuisfi redoutable,
Qu'ilmefaut marierpour me rendre traitable.
Ma Femme&moy nous accordons fore
bien.
Leſuis mutin, elle est affable ;
Kiij,
222 MERCURE
Mais dés queson party l'emporte fur
lemien,
Ievous le dis tout net , je ne suis bon à
rien.
Quant à l'Enigme en figure, le
ſensm'en ſembloit ſi peu caché,
que j'ay eſte ſurpris qu'il n'y ait
eu queMonfieur Langlois dePa.
ris , Monfieur Langeron GentilhommePoitevin,&
le Berger des
Rives de Marne, qui l'ayent expliquée
ſur leMiroir. Il eſt repreſenté
par la Fontaine, qui faiſant
voir àNarciſſe l'image de ſa
beauté , luy donne lieu d'eſtre
charmé de luy-meſme. La même
choſe arrive ordinairement aux
belles Perſonnes,& il y en a peu
qui en ſe regardant dans un Miroir,
ne s'applaudiſſent des avantages
qu'elles ont reçeus de la
Nature. Hyacinthe fi tendrement
aimé d'Apollon,& changé
en
37
HYACINTHE ENIGME .
FABLIC
YU
LYON F
*
GALANT .
223
en une Fleur de fon nom apres
ſa mort , eſt la nouvelle Enigme
en Figure que je vous envoye.
Celle de Narciffe a eſté expliquée
ſur un Parterre de Fleurs
pres d'un fet d'eau, la Jauniſſe , le
Cerf, le Paon , le Soleil paroiſſant
dans une Fontaine, la Magie, l'Amour
propre, l'Inconstance , le Cachet,
le Pinceau, le Parélie, le Jet
d'eau , l'oeil , l'Iris , le Vers François,
& le Songe.
Le Cavalier Philoſophe, dont
vous me demandez des nouvelles,
ſemble avoir envie de changer
d'humeur , & cela par un
commencementd'avanture dont
je ne puis m'empécher de vous
faire part. Vous ſçavez qu'il a
eſté juſqu'icy aſſez peu galant,
& que la paffion qu'il a pour les
Livres ne l'a jamais laiſſe ſenſible
à l'Amour , quoy qu'il ait
K iiij
224
MERCURE
une grande honneſteté , & même
une complaiſance achevée
pour le beau Sexe. Il ſe promenoit
ces jours paffez dansla grande
Allée du Palais Royal avec
un Livre pour compagnie. C'étoit
un Traité de Monfieur de la
Chambre, intitulé , l'Art de connoître
les Hommes. Comme il y
avoit alors fort peu de monde
dans le Jardin , il crut pouvoir
lire ſans diſtraction. En effet il
fit trois ou quatre tours d'Allée
fans que perſonne le vinſt interrompre.
Mais enfin il apperçeut
deux Dames de tres -belle taille
qui venoient à luy. Il y en avoit
une en deüil ſuivie de quantité
de Gens de meſme parure. Il ſe
rangea le plus pres des Buis qu'il
pût pour leur laiſſer plus de liberté
de paſſer. La Dame en
deüil l'aborda pour luy demander
GALANT.
225
der quel Livre il liſoit. La queſtion
le furprit , & pour luy répondre
en ſe taifant , il luy preſenta
le Livre ouvert. La Dame
le prit avec precipitation , & jugeant
que c'eſtoit un Livre Galant,
parce que le Chapitre qu'il
luy faiſoit voir traitoit du mouvement
du Coeur , elle luy dit que
la matiere eſtoit propre à un
Homme comme luy qui apparemment
eſtoit amoureux. 11
foûtint fortement qu'il ne l'étoit
point ,& la Dame luy ayant opposé
qu'on ne cherchoit point
à s'inſtruire des mouvemens du
Coeur fans eftre amoureux , il
répondit qu'il n'auroit pas befoin
de conſulter les Livres
pour ſçavoir les mouvemens
du fien , s'il eſtoit ce que la
Dame pretendoit qu'il fuſt , parce
que l'amour ſe faifoit affez
Kv
226 MERCURE
,
ſentir de luy-meſme ; mais que
le Livre qu'elle voyoit n'eſtoit
autre choſe que l'Art de connoiſtre
les Hommes & qu'il
s'attachoit à acquerir cette connoiffance
pour venir enſuite à
celle des Dames ( ſi par hazard il
devenoit amoureux ) parce qu'il
ne les croyoit pas aiſées à connoiſtre.
La Dame rendit le Livre
avec la meſme precipitation
qu'elle l'avoit pris , & ayant dit
à celle qui l'accompagnoit , Ila
raiſon , il a raiſon , elle s'éloigna
du Cavalier , ſans pouffer la converſation
plus loin. Il fut fort
furpris de voir finir ſitoſt l'avanture.
Je ne ſçay ſi la ſuite luy
en plairoit ; mais il va ſe promener,
au Palais Royal plus ſouvent
qu'il n'avoit accoûtumé .
Il y va meſme quand il croit
qu'il ya le plus de monde , & il
femble
GALAN T. 227
ſemble qu'il ſouhaiteroit eſtre
éclaircy de l'effet que fa reponſe
a produit, ſur l'eſprit de
la Dame qui luy a parlé. J'acheve
mes autres Nouvelles en peu
de mots.
Monfieur le Mareſchal Duc
de Vivonne dont je vous ay apris
le depart , eſt arrivé à Marseille.
Comme il ſe fait aimer par tout,
il feroit difficile d'exprimer avec
quelles marques de joye on
l'a reçeu. Les rejoüiſſances publiques
ont duré deux jours &
deux nuits.Il a trouvé les vingthuit
Galeres du Roy non ſeulement
en fort bon état , mais
d'une magnificence que rien ne
peut égaler. Mr & Madame de
Nevers ſont arrivez au meſme
lieu avec Madame la Ducheffe
Sforce.On leur a fait une Reception
auffi galante que magnifi
que,
228 MERCURE
que , dont on me promet le detail
. Ce ſera un des Articles de
ma Lettre du premier Mois.
- L'effet a fait voir que vous
aviez les yeux bien ouverts, lors
que vous diſiez qu'il eſtoit inutile
à voſtre Amie Madame de
Creil, Religieuſe de Poiffy , de
vouloir s'obſtiner à ſoûtenir les,
droits d'élection de Prieure ,
puis que le Pape avoit accordé
desBulles ſur la Nomination de
Sa Majeſté. Il eſt bon de ſçavoir
ſe ſoûmettre, quand le contraire
ne peut produire aucun
avantage. Je ne vous dis rien de
ſa fortie de Poiſſy.. Vous l'avez
ſceuë auſſfitoſt que moy.. Mais
comme vous m'avez paru inquiete
ſur ſon voyage , je croy
vous faire plaiſir de vous appren.
dre que dés le dixiéme de ce
Mois elle est arrivée au Puy en
fort
GALAN T..
229
fort bonne ſanté , dans un Convent
de ſon Ordre..
Il y a une nouvelle Place vacante
à l'Academie Françoiſe,
par la mort de Mr l'Abbé Cafſagne,
arrivée ces derniers jours .
Nous avons perdu dans le
meſme temps un fort ſçavant
Homme , & qui avoit une connoiſſance
tres - particuliere des
Deviſes . C'eſt Monsieur Clement
Conſeiller de la Cour dess
Aydes de Paris.
Il me reſte à vous entretenir
d'un Article que je ſçay que
vous attendez. C'eſt celuy des
Modes nouvelles.. Je vous en
diray peu de choſe ,,non ſeulement
à cauſe du retardement
des beaux jours , mais parce que
les Marchands ayant eu l'adreſſe
de dire qu'ils n'avoient
rien de nouveau , n'ont vendu
que
230 MERCURE
que de leurs vieilles Etofes jufqu'à
la Pentecofte. Ainſi les Modes
ne font que de commencer.
Les belles Etofes ſont or
& argent ſur des fonds bruns ;
& la plupart des Dames qui
ſont de qualité à en porter , en
ont des Habits. Je vous parlay
l'année derniere d'une Etofe
qu'on nomme Inviſible , & dont
la mode ne commença que fur
la fin de l'Eté. Elle continuë
cette année, & les Habits qu'on
en fait font fort en vogue . On
porte auffi quantité de Taffetas
à fleurs brochez ; mais rien n'eſt
plus à la mode que les Habits
de Tabis piquez , ou de Taffetas
d'Angleterre à groſſe moucheture.
On voit auffi quantité
de Gazes brunes avec des fleurs
or & argent , & des Jupes &
des Manteaux tout couverts de
grandes
GALAN T.
231
grandes fleurs naturelles , avec
de fort grands branchages. On
vient d'achever neuf Habits
pour la Reyne , dont il y en a
quatre or & argent de diverſes
couleurs , un de Droguet or &
argent , & quatre brodez . H
n'eſt pas moins difficile de vous
parler des Habits des Hommes.
Les premiers qu'ils ont portez
eſtoient d'Erofes de l'Eté paſſé.
Quant à la maniere de les faire ,
elle ne difere preſque en rien
de celle de l'année derniere , finon
que l'on continuë à porter
les Juſte- à- corps longs comme
on a fait cet Hyver. Quelques
Perſonnes de la premiere qualité
ont porté des Habits à
pourpoint & à chauſſes larges ,
avec des Baudriers & des Epées
fans Manteau . On doute que
cette Mode revienne. Les Vef
tes
232 MERCURE
tes qu'on porte à la Cour font
plus courtes que les Juſte - àcorps.
Cependant on en porte
de plus longues à la Ville ; ce
qui fait un tres vilain effet , ſur
tout lorrs qu'elles font blanches.
Les Bas de ſoye de toutes couleurs
font à la mode. Les Perſonnes
de qualité en portent
beaucoup de filez d'or aux endroits
où les Bas font ordinairement
façonnez , & ils ont plus
de broderie que jamais aux côtez
de leurs Souliers. Les Cha--
peaux deviennent plus petits de
jour en jour. On ne porte plus
de Noeuds au Retrouſſis. La
plû-part des Garnitures ſe font
de Ruban étroit; ce qui a donné
lieu de porter des Gands garnis,
dont la mode eſt preſque devenuë
generale. Le Ruban étroit
eftanten regne, on a crû devoir
renche
GALANT
233
rencherir , & on en a fait de fi
étroit pour les garnitures de
Gands , que la Nompareille eſt
preſque auſſi large. Les Noeuds
font faits en frange , & de la
mefme hauteur , & l'on y met
un pied pareil à celuy de la
frange. Cependant pour vous
faire voir que ce n'eſt plus à une
ſeule Mode qu'on s'arreſte en
France, c'eſt que dans le meſme
temps que la plusgrande partie
porte du Ruban étroit, il y en a
qui en ont de large , & qui font
coudre des Dentelles de ſoye
aux bouts. Je vous en manderay
davantage la premiere fois , &
vous envoyeray tres aſſurément
de
desFigures
Je ſuis voſtre ,
Modes
&
sgravées.
YON
VILLE
A Paris ce 31. May 1679.
Vous
234
MERCURE
Vous ſçavez , Madame , que
je me ferois une affaire avec vos
Amies, ſi je mettois plus de trois
mots Latins dans mes Lettres.
Ainſi j'employe l'Apoſtille dans
celle- cy pour vous faire part
d'une Piece qui a eſté faite en
cette Langue à l'avantage de
Sa Majeſté. Le nom de l'Autheur
eſt dans la Piece . Il l'a preſentée
à Monfieur Colbert . Elle
renferme beaucoup de choſes
qui n'auroient pû eſtre expliquées
en ſi peu de mots , ſi elle
avoit eſté traduite . Cet Article
n'eſt que pour vous ſeule , & je
vous l'envoye extraordinairement,
parce que je ſçay que rien
ne vous touche tant que ce qui
regarde la gloire du Roy .
LUDO
GALANT .
235
LUDOVICO MAGNO .
Patria Parenti;
Animi immenficateferè divina, Alexandro
Magno, & Henrico Magno
Institia
Instinano , & Ludovico
X111.
Celeritate in fubigendis Provinciis , Populis
strenuiſſimis debellandis , &
Urbibus inexpugnabilibus expugnandis
, Iulio Cafare , & Carolo Ma
gno;
Sapientia, Salomone, & Carolo V. Rege;
Prudentia , Adriano Imperatore, & Ludovico
XI ;
Victoriis, Clodoveo , & Carolo VII.
Foelicitate , Davide , & Philippo Augusto
;
Deliciis orbis, Imperatore Tito, & Francisco
I;
Religione , Henrico II. Imperatore ,
Carolo IX;
Fortitudine, Ludovico VIII. &Henrico
11. Rege;
Constantia, Theodosio Magno , & Philippo
Valefio ;
Clementia,
236 MERCURE
Clementia , Afſfuero Perfarum Rege ,&
Carolo VI;
Humanitate , Antonino Pio Imperatore,
Carolo VIII ;
In tuendâ Religionis integritate , Ludovico
VI. & Carolo Comite Valefio.
Constantinopolitano. Imperatore titulato
;
ود
Pacemagnifica , firma , fælici, boniſque
omnibus circumfluenti , Roberto , &
Philippo 111. Regibus;
Eide perpetua , conftanti & gloriosa
ergà Reges, Principes &Populosfæ-
:deratos , omnibus Roma Regibus ,
- Confulibus;
Semel, iterum , terque , parce orbi , vi
Etoriis ,factis ingentibus , prudentia
magnitudine Animi , & moderatione
parta,& lani Templo ter manuſua
clauſa , Numa Rege , Tito Manlio
Confule, &Augusto Cafare;
Omnibus Imperatoribus & Monarchis,
Nobilitate , Antiquitate, & Dignitatestirpis,
virtutsbus bellicis , potentia,
viribus, Amore Ducum & Militum,
Liberalitate ergà Duces , Milites, do
Etos ,& viros quâ vis Arte infignes ,
confilioque praftantiori ;
Ipfismet:
GALANT.
237
Ipſiſmet hoftibus ftuporem, & admirationemvirtutis
immensa moventi;
Et ſe ipſo majori , pace , gloria fua ,
triumphis Militaribus , regnique gloriosè
dilatandi , heroïca ambitioni, anrepofia,
ſe ipſum invictum omnibus,
vincendo &Superando;
JOSEPHUS DE L'ISLE , excellentiſſimi
Ducis Nivernenſis primus in Camera
ſua ComputorumConfiliarius
,nec non Civitatis Nivernenſis
primarius Ædilis , plurimam
falutem communi totius orbis
voto expofcit.
SHEQUE DELA
LYON
Avis
Avis pour toûjours.
N prie ceux qui envoyeront des
Memoires où il y aura des Noms
propres , d'écrire ces Noms en cara-
Eteres tres-bien formez & qui imitent
l'Impreſſion , s'il ſe peut , afin qu'on
ne ſoit plus fujet à s'y tromper.
On prie auſſi qu'on mette ſur des
papiers diferens toutes les Pieces qu'on
envoyera.
On reçoit tout ce qu'on envoye, &
l'on fait plaifir d'envoyer.
Ceux qui ne trouvent point leurs
Ouvrages dans le Mercure , les doivent
chercher dans l'Extraordinaire;
&s'ils ne ſont dans l'un ny dans l'autre
, ils ne ſe doivent pas croire oubliez
pour cela. Chacun aura ſon
tour , & les premiers envoyez ſeront
les premiers mis, à moins que la nouvelle
matiere qu'on recevra ne ſoit
tellement du temps , qu'on ne puiſſe
differer.
On nefait réponſe àperfonne, fau
te de temps.
n
Onne met point les Pieces trop
difficiles à lire.
On recevra les Ouvrages de tous
les Royaumes Etrangers , & on propoſera
leurs Queſtions .
Si les Errangers envoyent quelques
Relations de Feſtes ou de Galanteries
qui ſe ſeront paſsées chez eux , on les
mettra dans les Extraordinaires .
On ne met point d'Hiſtoires qui
puiſſentbleſſer la modeſtie des Dames ,
ou deſobliger les Particuliers par
quelques traits ſatyriques .
On a beaucoup de Chanſons. Elles
auront toutes leur tour, ſi on apprend
qu'elles n'ayent pas eſté chantées.
C'eſt pourquoy ſi ceux par qui elles
ont eſté faites,veulent qu'on s'en ferve,
ils les doivent garder ſans les chanter
&ſans en donner de copie juſqu'à
ce qu'ils les voyent dans le Mercure .
LAP&urrgcodhruienexepnifficsopus
NCC.dSeoaeSulmfliveliglliulose
STPJoraciEtinreiSttuaaUmttiiss
.at1Tata6entb9ſnru3tiloabiusmietnti
4
MERCURE
GALANT
DEDIE' A MONSEIGNEUR807156
LE DAUPHIN
May 1679 .
LAVILL
LYON,
Chez THOMAS AMAULRY
ruë Merciere .
M. D C. LXXIX.
AVEC PRIVILEGE DUROY.
TABLE
DES MATIERES
contenuës dans ce Volume.1
VANT- propos touchant la
A
Paix d'Allemagne.
Madrigal aux Plenipoten-
I
tiaires, fur le sujet de la
Paix, 10
Les Fleurs , Fable ,
12
Mort de Madame la Comteſſe d'Arrest
,
17
Aquelque chose le malheur est bon, Hiſtoire
, 20
Feste de la Naiſſance de Madame Royale
,
36
Origine du Vuirtſchaf,
Galanterie d'un Inconnu ,
Description de la Caleche donnée au Roy
par Monsieurle Mareschal Duc de
46
50
Vivonne,
Bouquet ,
54
71
aij
TABLE.
Le Pere Mafcaron eft choiſy Predicateur
ordinaire de Sa Majesté, 72
Monfieur Loiſel Curé de S. Iean en Greve,
ſe démet de fa Cure en faveur d'un
de ſes Neveux , & de sa Dignité de
Notre-Dame , 78
Mort de Monfieur Morel, Doyen de la
Faculté,
Le Mort vivant , Hiftoire,
Madrigal à Iris malade ,
Sonnet contre l'Amour ,
Festes de Pezenas ,
ibid.
74
१०
91
92
Mort de Monsieur le Duc d'Arpajon,
108
Mort de Monfieur le Maçon de Treves,
112
Mort de Monfieur Salo, 114
Chanoinie de Monsieur Salo donnée à
Monfieur l'Abbé Desmaretz , 11
Mortde Monsieur Loire , ibid .
Paroles fur l'ouverture de l'Opera de
Bellerophon ,
116
Arrests donnez à Vincennes contre plu
ſieurs Empoisonneurs , avec plusieurs
Remarques curieusessur ce ſujet, 1 18
Sonnet , 131
Réjouissances faites en Franche-Comté
fur la Paix d' Allemagne , 132
Réjouif
TABLE.
Réjouiſſances faites à Montoire sur le
mesmesujet, 134
Ceremonies obſervées à l'Anniverſaire de
Lovis XIII.
138
Mort de Monsieur le Duc de Vitry,
140
Mort de Madame la Marquise de la
Tremblaye , 142
Mort deMonfieur du Mesnil Docteur
de Sorbonne , 143
Lettre écrite de Suede ſur la maladie de
Sa Majesté Sucdoiſe, 144
Les Oyſeaux , Idille de Madame des
Houlieres, 153
Tout ce qui s'estpassé àl' Academie Françoise
le jourde la Reception de Mon-
Sieur l'Abbéde la Vau , 156
Monfieur le Marquis de Vitry est nommé
à l'Ambaſſade de Pologne, 169
Monfieur le Chevalier de Noailles est
pourveu dela Charge de Lieutenant
General des Galeres , ibid.
Monfieur Robert Intendant en Flandres,
achete la Charge de President des
Comptes qu'avoit Monfieur Perrault,
170
Le Prince Charles Schinski envoye quatre
Tygres à Sa Majesté , ibid.
a iij
TABLE.
Monsieur l'Evesque de Baflefait chanter
leTe- Deum pour la Paix d' Alle-
171 magne,
Le Seigneur Paolo Laurenzani achete la
Charge d'Intendant de la Muſiquede
laReyne , 172
176
Arrivée de l'Ambaſſadeur d'Espagne,
&le Compliment qu'il a fait au Roy
dans l'Audience particuliere qu'il a
a cuë de Sa Majesté ,
Tout ce qui s'est fait àla Revenë des Troupesde
laMaiſondu Roy, & la maniere
dont chaque Corps estoit vétu, 179
Tout ce qui s'estpassé à S. Cloud au RegaldonnéparMonsieur
, où se trouva
Monfieur l'Ambassadeur d'Espagne,
186
Tout ce qui s'est passé au mesme lieu à
l'Audience de Madame l'Ambaſſadriced'Espagne,
189
DepartdeMonsieur l'Evesque de Strafbourg,
193
Monfieur de S. Laurens est choisy pour
estre Precepteur de Monsieur le Duc
C de Chartres, 195
Monsieur l'Abbédes Alleurs preſche devant
le Roy le jour de la Pentecoftes
ibid.
Mor
TABLE.
Mort de Monfieur Loiſel Curé de faint
Iean enGreve, 197
Mort de Monfieur le Comte de Belloy,
ibid .
Regal donnéà Monsieur l'Ambassadeur
d'Espagnepar Monsieur le President
deMesmes, 159
Regal donné par Monsieur le Prince de
Monaco, 200
Complimens faits au Roy ſur le ſujet de
la Paix, 207
Ambassade du Printemps à Sylvie,
210
Rejoiſſances faites à Mets ſur leſujet
de la Paix d'Espagne, 212
215
Explication en Vers de la premiere Enigmedumoispassé,
Noms de ceux qui l'ont expliquée, 216
Explication de laſeconde Enigme , 218
Nomsde ceux qui l'ont expliquée , 219
Noms de ceux qui ont expliqué toutes les
deux
Enigme,
Autre Enigme,
ibid.
220
221
Explication de l'Enigme de Narciffe,
222
Avanture du Jardin du Palais Royal,
223
Arrivée
TABLE.
Arrivée de Monsieur le Mareſchal Duc
de Vivonne à Marseille , 227
Arrivée de Madame de Creil au Puy,
228
Mort de Monsieur l'Abbé Caſſagne,
229
Mort deMonfieur Clement Conſeiller en
la Cour des Aydes , ibid.
Modes nouvelles. ibid.
Fin de la Table,
LE
LE LIBRAIRE
AU LECTEUR.
I
E ne me laſſeray point de
vous donner le prix des Livres
nouveaux, que j'auray
tous les Mois,afin que vous
n'ayez pas la peine de les marchander .
Souvenez vous de payer le port de tout
ce que vous envoyetez pour l'Autheur
du Mercure , ſi vous voulez qu'il ſoit
rendu ſeurement & fans delay.
Ceux qui auront beſoin du Mercure
dans les Païs Etrangers ou Provinces
, où il n'y aura point de Libraire
qui diſtribuent ledit Mercure , ou autrement
, & qui voudront en avoir
tant tous les mois que tous entier, s'adreſſeront
à Lyon , chez ТноMAS
AMAULRY Libraire , ruë Merciere ,
&on les leur fera tenir regulierement
tous les mois par telles voyes que l'on
marquera , & autres Livres que l'on
aura beſoin . L'on aura auſſi le foin
de
de faire payer ſix mois , ou une année
par avance. Il y a dix Volumes de
ceux de 1677. pour douze ſols ; ceux
de 1678. & 1679. pour vingt ſols le
Volume, tant les anciens que les nouveaux
, & les Extraordinaires trente
ſols chacun ſans marchander , ainſi il
eſt inutile de les demander à meilleur
marché ; On ſeparera quel volume que
l'on voudra pour le meſme prix.
LIVRES NOUVEAUX
du Mois de May.
Histoirede Theodofele Grand,par Monfieur
l'Abbé Fléchier de l'Academie
Françoise , in quarto,fixlivres.
Un Voyage nouveau de la Terre-fainte,
avec des Remarques pour l'intelligence
de l'Ecritureſainte, in douze, trois
livres.
Nouveaux Elemens des Sections Comiques
, lieux Geometriques , &c. par
l'Academic Royale des Sciences , in
douze, deux livres , 10.fols.
Traitez de Mechanique , de l'Equilibre ,
des Solides & des Liqueurs , par le
P. Lamy, in douze, 30.fols.
Le
Le troisième & quatriéme Tomes de la
Theologie Morale de Monfieur de
Grenoble, 2. vol. in douze, 4. livres .
La Contrecritique de la Princeſſe de
Cleves, in douze de Paris, 2. livres.
--La mesme de mon Impreſſion,
20. fols .
Le Courrier d' Amour, in douze.
Avis pour placer les Figures.
LEF
E Feu doit regarder la page 8 .
L'Air qui commence par L'Amour
folatrant l'autre jour , doit regarder
la page 72 .
L'Air qui commence par Ala fin
cesDeserts ont repris leur verdure , doit
regarder la page 151 .
LaMedaille qui repreſente le Roy
d'Eſpagne, doit regarder la page 193 .
L'Enigme en figure doit regarder
la page 222 .
EX
EXTRAIT DV PRIVILEGE
PA
du Roy.
Ar Grace & Privilege du Roy , donné à
Saint Germain en Laye le 31. Decembre
1677. Signé Par le Roy en ſon Conſeil, Jun-
QUIERES. Il eſt permis à J.D. Ecuyer, Sieur de
Vizé, de faire imprimer par Mois un Livre intitulé
MERCURE GALANT , preſenté à
Monſeigneur LE DAUPHIN , & tout ce qui
concerne ledit Mercure , pendant le temps &
eſpace de fix années , à compter du jour que
chacun deſd. Volumes ſera achevé d'imprimer
pour la premiere fois : Comme auſſi defenſes
font faites à tous Libraires , Imprimeurs, Graveurs
&autres , d'imprimer , graver& debiter
leditLivre fans leconſentement de l'Expoſant,
ny d'en extraire aucune Piece , ny Planches
ſervant à l'ornement dudit livre , meſine d'en
vendre ſeparément , & de donner à lire ledit
Livre , le tout à peine de fix mille livres d'amende
, & confiſcation des Exemplaires con-*
trefaits , ainſi que plus au long il eſt porté auditPrivilege.
Regiſtre ſur le Livre de la Communauté le
5.Janvier 1678. Signé E. COUTEROT . Syndic.
Et ledit Sieur D. Ecuyer , Sieur de Vizé a
cedé& tranſporté ſon droit de Privilege à
Thomas Amaulry Libraire de Lyon , pour
en joiüir ſuivant l'accord fait entr'eux.
Achevé d'imprimer pour la premiere fois le
6. Iuin 1679.
I
MERCURE
GALANT.
ΜΑΥ 1679.
BIBLIO
LYON
E
*1893
E commence, Mada-
J
me , par où j'ay finy
ma derniere Lettre .
On a publié icy la
Paix, & c'eſt la troiſième dont je
vous auray parlé depuis huit
mois. Je vous ay fait remarquer
combien de gloire noſtre Invincible
Monarque s'eſtoit acquis
par les deux premieres. Ce grand
Prince n'en reçoit pas moins de
A
2 MERCURE
cette troiſième. Si vous voulez
examiner avec qui elle vient
d'eſtre faite, vous trouverez que
⚫ ce n'eſt pas ſeulement avec un
Empereur tres-puiſſant , & maître
de deux Royaumes, la Boheme
& la Hongrie, que les autres
Empereurs n'ont pas toûjours
poffedez , mais encor avec les
Electeurs de l'Empire. Si ces Electeurs
n'ont point le titre de
Roys , ils ne laiſſent pas d'eſtre
redoutables par leurs Forces ; &
comme il n'y a aucun d'eux qui
ne puiffe mettre une Armée ſur
pied , c'eſt la meſme choſe pour
la gloire de Loüis LE GRAND .
La Paix dont je vous apprens
aujourd'huy la Publication , &
qui ne paſſe que pour une ſeule
Paix , a eſté concluë en meſme
temps, avec une multitude, pour
ainſi dire , de Puiſſances Souve
raines
GALAN T.
3
raines d'Allemagne , avec des
Villes libres & liguées , avec des
Eveſques Souverains & tres-riches
, & avec quantité de Princes
qui eftant maiſtres chez eux,
avoient armé,&joint leurs Troupes
enſemble , pour combatre
celles du Roy. Ainſi ce n'eſt pas
avec un Royaume que cette Paix
aeſté ratifiée, mais avec une Nation
entiere, belliqueuſe, aguerrie
de tout temps , & dont tous
les Souverains eſtant unis , comme
nous venons de les voir , auroient
pû attaquer une des Parties
du Monde , & peut- eſtre
meſme le Monde entier. Ce
grand Corps ſi difficile à faire
mouvoir, avoit remué. L'éclat de
la gloire de noſtre AuguſteMonarque,
luy avoit bleſsé les yeux.
Il avoit agy , & s'eſtoit ſervy de
la conjoncture de deux grandes
A ij
4
MERCURE
Puiſſances que ce Prince avoit
en meſme temps ſur les bras .
Nous attaquions la Hollande.
Vous ſçavez que cette Republique
s'eſtoit élevée à un ſi haut
point de Grandeur,qu'avant cette
guerre , elle avoit crû pouvoir
eſtre l'Arbitre des Roys. Ses Richeſſes
, & les Forces qu'elle a
fur Mer , & fur Terre , font affez
connues. L'Eſpagne s'eſtoit prefque
auffi- toſt déclarée pour elle.
Je ne vous dis rien de la vaſte
étenduë de cet Empire. Les divers
Royaumes qui le forment
dans l'un &dans l'autre Monde,
font connoiſtre la puiſſance du
Prince qui les poſſede. Voila
quels Ennemis le Roy avoit à
combatre , lors qu'il fut attaqué
par toute la Nation Allemande,
avec laquelle nous venons d'entendre
publier la Paix ; mais comme
GALANT.
5
me les circonstances rendent
ſouvent les choſes plus glorieuſes
, il eſt bon d'en ajoûter de
nouvelles à ces premieres. On
avoit traversé cette meſme Paix
à Cologne il y a déja quelques
années. Les Conferences en furent
rompues , & on y arreſta
Monfieur le Prince de Furſtemberg.
Tout cela n'a ſervy qu'à
regarder les effets de la generoſité
de Loüis LE GRAND, qu'à
luydonner plus de gloire, & enfin
qu'à luy faire conquerir des
Places en affez grand nombre
pour en accorder quelques- unes
à la tranquillité de l'Europe , &
s'en referver de confiderables .
Les meſmes qui avoient empefché
la Paix de Cologne , & qui
ne la vouloient pas recevoir des
bontez du Roy , avant que de
voir leurs Païs ruinez , n'ont pû
A iij
6 MERCUR
ſe défendre de l'accepter apres
avoir eſté batus en mille rencontres
, & foufert tous les Hyvers
une fâcheuſe guerre chez euxmeſmes,
causée par leurs propres
Troupes qui ſe difputoient des
Quartiers d'hyver. C'eſt une
marque qu'elles n'incommodoient
guere nos Provinces.
Ainſi l'on peut dire que fi ce
grand nombre de Souverains a
reçeu la Paix , c'eſt parce qu'ils
n'eſtoient plus en état de faire
la Guerre. La Publication de cette
Paix a eſté faite en prefence
de Monfieur de la Reynie , qui a
pris le ſoin d'y faire obſerver les
ceremonies accouſtumées. Il a ce
droitcomme Lieutenant de Police
, & c'eſt ainſi qu'il a plû au
Roy de le regler. Je ne vous repete
point ce qui ſe pratique en
ces fortesd'occaſions. Je vous en
ay
GALANT.
7
ay deja fait le détail . Il faut vous
apprendre ſeulement que dans
cette derniere Publication il y
avoit dix Herauts d'Arines , qui
marchoient devant le Sieur le
Lievre, Roy d'Armes de France
du titre de Montjoye Saint Denys.
Ces Hérauts eſtoient les
Sieurs de Chaume du titre de
Normandie ; des Granges , du
titre d'Alençon ; Vernat , du titre
de Picardie ; Billon de Loyes,
du titre d'Angouleſme;le Blanc,
du titre de Xaintonge ; de Selle,
du titre de Dauphiné ; le Roy,
du titre de Rouſſillon ; Lucas, du
titre de Lyonnois ; d'Aubigny,
du titre de Charolois ; & Charpentier
Pourſuivant d'Armes,
faiſant la fonction de Héraut du
titre de Touraine. Ils fortirent
de l'Hôtelde Ville , deux à deux,
&dans l'ordre que je vous viens
A iiij
8 MERCURE
de marquer , precedez de huit
Tambours , & de douze Trompetes
de la grande Ecurie du
Roy. Les Réjoüiffances publiques
éclaterent dés le lendemain.
Le Te Deum fut chanté .
On alluma des Feux dans toutes
les Ruës , & Meſſieurs de Ville
en firent faire un d'Artifice, dont
vous pouvez voir le deſſein en
jettant les yeux fur la Planche
que j'ay fait graver. La principale
Figure élevée au milieu de ce
Feu, fur fon piedeſtal , reprefente
Apollon tenant ſa Lyre d'une
main , & une branche de Laurier
de l'autre. La Paix qui vient
d'eſtre faite eſt repreſentée par
une Figure d'Iris, ou de l'Arc - en
Ciel ; & la troifiéme qui ſemble
ne pouvoir étre ſeparée des deux
autres , fait connoiſtre que rien
rien ne pourra def- unir les Princes
HOTHEADE
S
GALANT. 9
ces qui ont ſigné les derniers
Traitez . J'ay oublié de vous dire
que tandis qu'on travailloit à
cette Paix avec l'Empereur, elle
avoit eſté concluë & ratifiée avec
toute la Maiſon de Brunfvic
, & avec l'Eveſque de Munſter.
Ce font des Princes puiffans
, & capables de fortifier
beaucoup unParty.Ilne reſte plus
que l'Electeur de Brandebourg à
comprendre dans le Traité . Il a
demandé du temps ſur quelques
difficultez qui l'arreſtent, & il y a
grande apparence que ma Lettre
ne partira point avant que je
vous faſſe ſçavoir la reſolution
qu'il aura priſe. C'eſt au nom de
fes Peuples , & de ceux qui ne
joüiffent pas encor de la Paix,que
MMrell'Abbé MallementdeMeſſan.
ge adreſſe la Plainte qui ſuit aux
Plenipotentiaires de Nimegue.
A V
10 MERCURE
4
Ent Peuples comme nous ayant fen-
Centt
y lahaine
Duplus granddetous les Héros,
Joüifſſent déja du repos
Que leurdonneune Paix certaine.
Vous , qui tenezde luy le pouvoir fouverain,
Depuis que vous avez nos interests en
main,
Que n'avez- vous finy l'excés de nostre
peine?
N'avons- nouspas ſujet de nous plaindre
devous ,
Puisque vous nous laissez exposez au
Couroux
D'un Héros devant quitout tremble ?
Quoydonc ,nesçauriez-vous d'une commune
voix
Pacifiertout-à-la-fois
Ceux qu'il avaincustous enſemble ?
La gloire du Roy n'occupe
pas ſeulement les Muſes Françoiſes,
elle fait parler les Italiennes
; & Monfieur Fredino de
Veniſe,dontjeme ſouviens que
je
GALANT. II
je vous ay déja fait voir une Lettre
, a composé en ſa Langue
une Fable fort ingenieuſe qui
vous apprendra l'avantage que
peut pretendre le Lys ſur les autres
Fleurs . Comme il me fait la
grace de me la promettre , vous
l'aurez dans le premier Extraordinaire
. Cependant il m'en en-
-voye la traduction qu'il m'aſſure
avoir eſté faite tres- fidellement.
Je vous en fais part. Elle
eſt de Monfieur l'Abbé Gradenigo
Bibliotequaire de S. Marc
dans la meſme Ville . Vous n'aurez
pas de peine à connoiſtre
que les Aquilons , & les Autans,
repreſentent les Princes du Nort ,
& que le Duc de Lorraine eſt le
Héraut qui flate l'Imperiale.Flore
, dans la pensée de l'Autheur ,
eſt la Reyne Chriſtine de Suede .
LES
12 MERCURE
03-9383030353
LES FLEURS.
L
FABLE.
EPrintemps triomphoit ,&les
phirspaisibles
Trouvoient mille &milleplaisirs
Zé-
Acareffer des Fleurs,à pouſſer desſoûpirs:
Les Fleurs n'étoient pas inſenſibles ,
Etl'Amour favorable à leurs cominuns
defirs,
Faifoit tout le bonheur des Fleurs des
Zephirs,
Quandune Fleur ambitieuse,
(C'estoit l'Imperiale, elle a fait dufracas)
Vint troubler la Paix glorieuse
Qui faisoit estimer les Fleurs , & leurs
Etats.
Elle apprit aux Zephirs qu'un Heros redoutable
Luydiſoitfouvent des douceurs,
Qu'il mépriſoit toutes ses Soeurs,
Et que pour elleſeule il paroiſſoit traitable
Que
GALANT . 13
Que ceHéros charmé deſes vives couleurs,
La vouloit élever à l'Empire des Fleurs.
Etqu'il luy preparoit dans un fejour aimable,
Une Feste nouvelle ,& de nouveaux honneurs.
Les Zephirs qui cherchoient à luy donner
lechange,
L'interrompoient àtout moment ;
Ils entaffoient loüange ſur loüange,
Etcomplimentfur compliment.
L'an, d'une maniere obligeante ,
Diſoit quesa tige éclatante
Avoit dequoy charmer les Coeurs.
L'autre qui s'amuſoit àbadiner , à rire,
Tâchoit pardefeintes langueurs
D'exprimer un amour , que l'on ne peut
décrine.
Ilsyreüssirent tres bien ,
L'Imperiale crût qu'ils estoient fort finceres,
Et fans-doute ils auroient avancé leurs
affaires. L
En recherchant unſecond entretien :
Mais
14 MERCURE
Mais comme ils ſoûpiroient pour des
Fleurs plus aimables,
L'Imperialeapres des vains discours ,
Sevit enfin reduite à chercher du ſecours
Chez des Peuples impitoyables.
LesAquilons&les Autans
Qui cherchoient à troubler les Fleurs &
lePrintemps ,
Entrerent dans la Ligue ; ilsy seroient
encore,
Et l'on verroit la belle Aurore
Languir, &redoublerſes pleurs
PourlaRepublique des Fleurs ,
Si les ſoins genereux de Flore
N'euffent donné remede à de fi grands
malheurs.
Onneparloit donc que de guerre,
Quand les cruels Autans , & les fiers
Aquilons ,
Troublerent les Zephirs au milieu des
Valons ,
Et le riant Printemps qui regnoit sur la
Terre.
L' Imperiale crût accabler de ſes coups
Les Fleurs qui refusoient de luy rendre les
1
armes;
Mais
GALANT. is
Maisfes emportemens ,&ses transports
jaloux,
Firent contre les Fleurs ce qu'avoientfait
Ses charmes :
Les Fleurs triompherent toûjours ,
Elles n'curent que de lagloire ,
Etl'onlesvitpaſſer de victoire en victoire,
Sans que l'Imperiale en arresta le cours.
Vous enfustes témoins , Aquilons indomptables;
Etvous ,Autans audacieux ,
Vous reconnuſtes que les Dieux
Eftoient en tout temps favorables
AuxFleurs que vous tâchiez d'oprimer
en tous lieux.
Mercurevint exprés des Cieux
Pour affembler les Fleurs dans une belle
Salle,
Où tout ce que la Terre étale
Et de rave &depretieux ,
Frapoit heureuſement lesyeux.
Flore, leur aimable Deeffe ,
Parut dans le mesme moment,
Etdit qu'elle quitoit un ſejour fort charmant
Pour
16 MERCURE
7
1
Pour rétablir lapaix, les jeux,&la tendreffe,
Dans l'Empiredes Fleurs qu'elle aimoit
cherement.
400
UnAutan, Favory d' Eole,
Se leva d'un air brusque , & prenant la
parole,
Ils'écria qu'entre mille autres Fleurs
Il admiroit l' Imperiale.
Il dit que cette Fleur n'auroit jamais
d'égale,
Qu'elle enchantoit les yeux parses belles
couleurs,
Queson merite estoit extreme,
Etque tout lepouvoir Supreme
Ne pourroit l'engager à vivre avec ses
Soeurs ,
Siparune conduite auſſi juste quefage
Elles ne luy rendoient hommage.
Un Zephir qui ſçavoit bien mieux faire
Sa cour,
( Pour s'attirer la bienveillance )
ComençaSon difcours par la reconnoiſſance
Que les Fleurs témoignoient àFlore, àſon
amour.
Il conjura Flore àson tour.....
De
GALANT.
17
Devouloirſe donner la peine ,
Avant que de revoir le bienheureux ſejour,
De nommer une Fleur qui dût estre leur
Reyne.
Flore choifit le Lys entre toutes les Fleurs,
Etlesſoûmit àson empire ;
La fiere Imperiale en verſa quelques
pleurs,
Cependant ilfalut obeirſans rien dire,
Et ( de peur de tomber dans de nouveaux
malheurs)
Eviterde deux maux , lepire.
J'oubliay dans ma Lettre du
dernier Mois , à vous apprendre
que Madame la Comtelle d'Arreſt,
Dame d'honneur de Madame
la Ducheſſe de Nemours,
eſtoit morte icy le 25. d'Avril.
L'attachement que ſes Peres , &
ceux de Monfieur le Comte
d'Arreſt ſon Mary , ont toûjours
eu pour la Maiſon de Longueville
, luy avoit acquis la bienveillance
18 MERCURE
veillance particuliere de cette
illuſtre Princeſſe. Elle estoit de
la Maiſon de Sermoiſe , une des
plus confiderables du Vermandois
, & qui demeure aujourd'huy
éteinte en ſa Perſonne, &
en celle de Madame la Marquiſe
de Meux ſa Soeur. Madame
ſa Mere fortoit de la Maiſon de
Foüilleuſe de Flavacourt, & c'eſt
ce quiluy faiſoit avoir l'honneur
d'eſtre Parente du fix au ſeptiéme
degré de Charlote Marguerite
de Montmorency Mere de
Monfieur le Prince , par Robert
de Sarrebruche , Damoiſeau de
Commercy , & Jeanne de Roucy
, Comteſſe de Roucy & de
Braine, ſa Femme, deſquels cette
grande Princeſſe eſtoit defcenduë
directement , auſſi bien
que la Comteſſe dont je vous
parle. Si elle a eu de grands
avanta
GALAN T.
19
avantages du côté de la naiſſance,
elle les a toûjours admirablement
ſoûtenus par ſa conduite.
Il n'y avoit rien de plus fage , ny
de plus chreſtien. Elle estoit
bonne, genereuſe , ſans faſte , &
d'une égalité d'ame fort peu
commune. Aufſi peut - on dire
d'elle avec beaucoup de juſtice,
que les belles qualitez qui l'avoient
renduë digne pendant ſa
vie , de l'eſtime & de l'approbation
de tous ceux qui l'ont connuë,
luy ont fait meriter leurs regrets
apres ſa mort. Monfieur
d'Arreſt ſon mary , deſcend des
anciens Comtes d'Eu. Ses Anceſtres
avoient pris leur nom de
la Chauſsée d'Eu avant l'an
1036. 11 en poſſede encor à prefent
la Terre , & eſt allié des
Maiſons de Marle , de Créquy,
de Balzac , de Luxembourg , de
Roüy,
20 MERCURE
Roüy, de Fontaines, de Dixmude,
de Piquigny , & de pluſieurs
autres.
Comme la mort laiſſe ſouvent
des Procez , on eſt icy ſur le
point d'en intenter un pour le
partage d'une affez grande Succeffion
, que l'imprudente conduite
d'une Mere a mis en état
d'eſtre difputé . Ce qui donne
lieu à cette diſpute , eſt auſſi ſurprenant
qu'extraordinaire. Il faut
vous l'apprendre en peu de
mots.
Un Officier de Cour Souveraine
, mort depuis douze ans,
avoit laiſſéun Fils & deux Filles,
avec plus de cinq cens mille livres
de Bien . C'eſtoit dequoy les
faire élever ſelon leur naiſſance.
Sa Veuve en prit ſoin , & n'oublia
rien de ce qui pouvoit contribuer
à rendre fon Fils hon
neſte
GALANT .
21
neſte Homme. Il achevoit alors
ſes études ; & comme ſon inclination
ſe trouva plus portée
pour les Armes que pour la Robe
, il ſe donna tout entier à apprendre
ſes Exercices , & prit
party dans les Troupes ſi - toſt
que la guerre fut declarée avec
la Hollande . Les Filles estoient
beaucoup moins âgées que luy .
L'Aînée n'avoit que dix ans . Elle
eſtoit blonde , avoit les traits
affez reguliers , & quoy qu'elle
fuſt moins belle que ſa Cadete,
elle ne laiſſoit pas d'avoir ce jene
- ſçay - quoy qui frappe les
yeux. Joignez à cela beaucoup
de douceur dans ſes manieres , &
une vivacité d'eſprit admirable.
Ces avantages eſtoient à confiderer
; mais pour fon malheur,
elle eſtoit boiteufe , & ce defaut
parut fi grand à fa Mere , qu'elle
1 refolut
22 MERCURE
refolut de luy faire naître l'envie
du Convent. C'eſt une injustice
aflez ordinaire.On donne à Dieu
ce qu'on trouve le moins propre
au monde , & peu de Meres
ſe defendent d'en uſer ainfi.Celle
dont je vous parle fit connoître
à ſon Aînée , que pour apprendre
beaucoup de choſes
que les Filles ne doivent point
ignorer , il falloit qu'elle allaſt
paſſer une année auprés d'une
Abbeſſe ſa Parente qui en auroit
ſoin ; que fa Soeur prendroit ſa
place pour le meſme temps apres
qu'elle l'auroit retirée , & que
rien ne pouvoit eſtre plus avantageux
pour l'inſtruction de l'une
& de l'autre , que les exemples
de vertu qu'on leur donneroit.
Cela fut dit d'un ton abſolu. La
Fille n'eſtoit pas d'un âge à refiſter.
Il falut partir , & elle ſe laiffa
GALAN T.
23
-
ſa conduire au Convent où l'on
vouloit qu'elle entraſt , à vingt
ou vingt- cinq lieuës de Paris.
L'Abbeſſe luy fit toutes les careſſes
imaginables. On s'emprefſa
à la divertir, &force Penfionnaires
de fon âge qu'elle trouva,
l'empeſcherent de s'ennuyer.
Mais on eut beau luy fournir
d'agreables amuſemens. Ils ne
purent luy faire oublier qu'on
devoit mettre ſa Scoeur en ſa place;
& fon année de clôture
n'eut pas plutoſt expiré , qu'elle
demanda ſi on ne ſe preparoit
point à l'amener. On difera l'échange
ſur quelque pretexte ,&
on fit fi bien , que trois ans ſe
paſſerent au lieu d'un, ſans qu'on
executât rien de ce qu'on luy
avoit promis. Au contraire , on
commença à luy parler plus ſerieuſement
qu'on n'avoit fait
juſque
24
MERCURE
juſque- là, du peu de folidité des
choſes du monde . C'eſtoit affez
luy en dire. Comme elle avoit
l'eſprit extremement avancé , elle
raifonna fur la morale qu'on
luy debitoit , & comprit qu'on
ne l'avoit enfermée dans un Convent
que pour la facrifier à ſa
Cadete . Elle reſolut des - lors de
n'en eſtre point la dupe , ſe tint
ſur ſes gardes contre tous les
pieges qu'on luy tendoit , &
loüant le bonheur d celles qui
avoient la force de ſe détacher
de tout pour prendre le Voile,
elle prioit toûjours qu'on ne luy
demandaſt rien de poſitif , jufqu'à
ce qu'elle fuſt en âge de ſe
mieux connoiſtre qu'elle ne faifoit.
Cependant plus on luy parloit
des avantages de la clôture,
plus elle en prenoit d'averſion .
Ses Compagnes , & peut eſtre
quel
GALANT.
25
i
quelques Keligieuſes à qui on
avoit fait venir la vocation par remontrances,
l'affermiſſoient dans
le deſſein de lever le maſque , &
elle n'eut pas plutoſt atteint l'âge
de quinze ans , qu'elle declara
non ſeulement qu'on ne la verroit
jamais guimpée , mais qu'on
l'obligeroit tres - fort de la faire
fortir du Convent. L'Abbeffe
qui connoiſſoit l'importance de
la vocation qu'on luy ſouhaitoit,
ſe contenta de luy demander fix
mois, pendant leſquels elle prendroit
ſon entiere reſolution , avec
aſſurance que ſi apres ce temps,
elle avoit encor le meſme dégoût
pour le Convent , elle obligeroit
ſa Mere à la retirer. Les
fix mois paſſerent. La Demoiſelle
demeura inébranlable ,
& l'Abbefle crût ſa conſcience
intereſsée à la retenir dans un
May 1679. B
26 MERCURE
lieu d'où elle témoignoit une extreme
impatience de fortir. La
neceſſité de la reprendre fut un
coup deſeſperant pour la Mere.
Sa Cadete eſtoit devenuë
toute belle . Cette Mere en avoit
fait ſon Idole , & pretendoit la
marier comme Fille unique , fur
ce qu'elle avoit déja publié que
ſon Aînée renonçoit au monde,
& qu'elle eſtoit ſur le point de
prendre l'habit. Elle avoit meſme
des veuës qui alloient plus loin.
On avoit commencé la guerre.
Son Fils eſtoit à l'Armée, &tous
les jours dans l'occaſion d'eftre
tué . Ce malheur dont elle n'auroit
pas eu de peine à ſe conſoler
, rendoit ſa Cadete un Party
tres-confiderable,&elle ne pouvoit
ſoufrit qu'uneBoiteuſe vinſt
renverſer les projets qu'elle fai-.
foit pour l'établiſſementde cette
?
Cadete.
GALANT.
27
Cadete. Cependant l'Abbeſſe ne
voulant plus garder ſon Aînée,
il falut qu'elle fongeât à la mettre
ailleurs , & elle ne pût rien
imaginer de plus favorable à fes
-deſſeins , que de l'envoyer chez
une de ſes Tantes , Soeur de fon
Pere , mariée en Languedoc , à
- qui elle avoit déja écrit pour la
- preparer à la recevoir. C'eſtoit
l'éloigner, & ſe tenir toûjours en
eétat de faire croire d'elle cequ'el.
- le voudroit. La Demoiselle conſentit
volontiers à ce voyage , &
crût trouver plus dedouceur aupres
de ſa Tante , qu'aupres d'u-
- ne Mere qui l'aimoit fi peu. Elle
- y alla ſans avoir veu cette injufte
Mere ; & apres quelques années
qu'elle paſſa affez agreablement
dans cette Province , elle
tomba dans une maladie fi dangereuſe
, qu'on fut obligé d'en
Bij
28 MERCURE
donner avis. La Lettre portoit
que les Medecins deſeſperoient
de ſa guerifon , & que les premieres
nouvelles qu'on en recevroit,
ſeroient apparemment celles
de ſa mort. La mere ne
manqua pas de le publier , & elle
attendoit impatiemment l'arrivée
du premier Courrier,
quand une autre Lettre qu'elle
reçeut , luy apprit que ſon Fils
avoit eſté tué à la Journée de
Caffel . Elle en eut de la douleur
; mais comme c'eſtoit un
mal fans remede , elle feignit
de n'en rien ſçavoir , & dit à
tous ſes Amis qu'on luy venoit
de mander que ſon Aînée
eſtoit morte en Languedoc.
On le crût , & fa Cadete qu'on
vit en deüil dés le lendemain ,
confirma le bruit qu'elle eut l'adreſſe
d'en faire courir. Les Relations
GALAN T. 29
lations de la Bataille qui furent
envoyées quatre jours apres , firent
voir le nom de ſon Fils
dans toutes les Liſtes des Morts .
- Elle trouva des larmes pour le
pleurer , & donna de grandes
marques d'affliction ; mais le
- deüil que fa Fille avoit pris de
bonne- foy , parut eſtre d'abord
pour fon Aînée, & on commença
de la regarder comme l'unique
Heritiere de cette Maiſon.
Elle estoit perfuadée elle - méme
qu'elle n'avoit plus ny Frere
ny Soeur , ſa Mere luy ayant
caché que ſon Aînée avoit eſté
affez heureuſe pour ſe tirer de
la maladie qu'on avoit crû qui
l'emporteroit. Le Bien eſtoit fort
confiderable, la Demoiselle tresbelle
, & vous jugez bien qu'avec
de tels avantages elle ne
manqua pas de Soûpirans. En
Bij
30
MERCURE
fin un Marquis auſſi riche que
bien fait , fut preferé à tous ſes
Rivaux , & il épouſa cette charmante
Perſonne dans les derniers
jours du Carnaval. La Mere
qui n'avoit rien tant ſouhaité
que ce Mariage , en eut une
joye qui ne ſe peut exprimer,
mais elle ne joüit pas longtemps
du plaisir de voir ſa Fille Marquiſe.
Elle fut frapée d'apoplexie
douze jours apres , & mourut
fans pouvoir rien dire de la
tromperie qu'elle avoit faite à
fon Gendre. Le Marquis ne ſe
trouva pas fort malheureux d'avoir
fi toſt une double Succeffion
à recueillir. Il en vantoit l'importance
à un de ſes Amis qui revenoit
de Province , quand cet
Amy luy apprit qu'il n'en devoit
pretendre que la moitié , l'autre
appartenant àune Soeur qui avoit
eſté
GALAN T. 31
eſté envoyée aſſez jeune en Languedoc
, & qui ayant ſçeu la
mort de ſa Mere , ſe preparoit à
luy venir demander le partage
qui luy eſtoit deû. Le Marquis
fort étonné de cette nouvelle,
voulut ſçavoir de ſa Femme ce
qu'il falloit qu'il en cruft . La jeune
Marquiſe l'affura que la Soeur
dont on luy parloit, eſtoit morte,
qu'elle en avoit pris le deüil un
peu avant que ſon Frere euſt
eſté tué ,& qu'il ne devoit pas
apprehender qu'on la fiſt revivre.
L'Amy répondit qu'il ne
pouvoit croire qu'on ſe fuſt fait
unplaifirde letromper ; qu'étant
en Languedoc depuis trois ſemaines
, on l'avoit mené chez la
Tante de la Marquiſe ; qu'il y
avoit entretenu une Demoiselle
fort bien faite , qui ſe diſoit fon
Aînée , & que c'eſtoit là qu'il
a
F
B iiij
32
MERCURE
avoit appris le Mariage dont il
venoit les feliciter. La Marquiſe
luy demanda auſſi toſt ce qu'il
avoit remarqué de la taille de
cette Soeur ; & quand il eut dit
qu'elle estoit des mediocres, mais
fortbien priſe, le Marquis ſe mit
à rire , & luy perfuada qu'on s'étoit
diverty à luy faire piece, parce
que ſa Femme n'avoit jamais
eu qu'une Soeur boiteuſe. Cette
circonstance laiſſa l' Amy ſans replique.
La Demoiſelle qu'il avoit
entretenue comme Soeur de la
Marquiſe , avoit la taille ſi droite
, qu'il ne douta point qu'on ne
l'euſt joué . Il en témoigna beaucoup
de joye, puis que le divertiſſement
qu'on s'eſtoit donné à
ſes dépens, tournoit à l'avantage
du meilleur de ſes Amis. Cependant
la Succeſſion eſtoir aſſez importante
pour attirer la Demoifelle
GALANT.
33
5
5
ſelle à Paris . Elle y arriva avec
ſa Tante , au nom de laquelle on
vint demander ſi la Marquiſe
- pouvoit eſtre veuë. La Marquiſe
qui avoit ſouvent entendu parler
du merite de cette Tante , la
reçeut de la maniere du monde
la plus honneſte ; mais elle fut
fort ſurpriſe , quand apres une
heure de converſation, laDemoi.
ſelle qui l'accompagnoit ſe decla.
ra pour eſtre ſa Scoeur. Le Marquis
étoit preſent.Comme il avoit
obſervé la Demoiselle en entrant
, & qu'elle marchoit fort
droit , la declaration ne l'étonna
point. Il fit une réponſe galante,
& ne commença de prendreſon
ſerieux , que quand elle dit que
pour n'eſtre plus boiteuſe , elle
n'en eſtoit pas moins la Soeur de
fa Femme. La verité eſt , que
dans le dernier Hyver , qui a
: Bv
34
MERCURE
eſtéundes plus rudes que nous
ayons eu depuis fort longtemps,
elle s'eſtoit rompu la jambe en
ſe laiſſant tomber ſur la glace.
On n'en avoit rien écrit à ſaMere
, qui ne s'en ſeroit pas beaucoup
miſe en peine, & qui d'ailleurs
n'avoit voulu détromper
perſonnede ſa fauſſe mort. Cependant
ce malheur luy avoit été
fi avantageux, qu'en remediant à
l'accident de ſa jambe , on estoit
venu àbout de la faire marcher
droit. Cela ſembloit tenir un peu
du prodige ; & les nouveaux
Mariez qui ne croyoient , ny ne
vouloient point avoir de Soeur,
traiterent de conte ce qu'on leur
en dit, & fe montrerent fort difpoſez
à ſe maintenir dans le droit
entier des Succeſſions que laDemoiſelle
demandoit à partager.
La Dame qui l'avoit amenée , ſe
conten
GALANT.
35
contenta de leur dire qu'elle leur
donnoit huit jours pour luy faire
■ ſçavoir ce qu'ils reſoudroient.
Elle ajoûta que ſa Niéce eſtoit
preſte à ſe marier à un Homme
des plus qualifiez & des plus
puiſſans de la Province ; qu'il
l'avoit accompagnée à Paris , &
qu'il ne manquoit pas d'Amis
pour luy faire rendre la juſtice
1 qui luy estoit deuë. Ils ſe ſeparerent
affez froidement , & chacun
prit conſeil de ſon coſté fur
ce qu'il eſtoit à propos de faire.
La nouvelle de cette Fille vivante
s'eſtant répanduë dés le
lendemain dans toute la Parenté
, tout le monde luy rendit vifite.
Quoy qu'on ne l'euſt point
veuë depuis l'âge de dix ans , &
-que ſes traits fuſſent plus formez
, ils ne laiſſoient pas d'eſtre
encor les meſmes. Ainfi perſonne
36 MERCURE
ne n'eut peine à la reconnoître.
Le changement de ſa taille eſtoit
la ſeule choſe qui embaraſſoit ;
mais ce qu'on diſoit de ſa chûte ,
&de l'heureux effet qu'elle avoit
produit, eſtoit facile à juſtifier.
C'eſt ce que la plupart des
Parens firent entendre au Marquis.
Iln'aimoit point le Procés,
& par l'avis de ceux en qui il ſe
confioit le plus, il demanda quelque
temps pour envoyer ſur les
lieux faire les Informations qu'il
jugeroit neceſſaires. Voila l'état
où ſont aujourd'huy les choſes.
Il attend le retour de quelques
Amis intelligens qui font allez
pour luy en Languedoc , & la reſolution
qu'il prendra , dépend
de ce qu'ils auront appris des Perfonnes
def- intereffées .
Les Feſtes publiques ont toûjours
eſté regardées comme de
glorieu
GALANT.
37
glorieuſes marques de la grandeurd'un
Etat. En effet, rien ne
fait fibien connoître la magnificence
& la galanterie d'un Souverain
, le bon ordre de ſes affaires
, & la bonté qu'il a pour ſes
Peuples.Les Empereurs Romains
&ceux qui ont gouverné ce vaſteEmpire
avant eux, n'ont rien
épargné pour la ſomptuoſité des
Spectacles . Il y en a eu fort fouvent
en France; & fans parler de
ces grands & magnifiques Opéra
, qu'on n'appelloit alors que
Balets, l'Histoire eſt pleine d'une
infinité de Carouſels qui ont eſté
faits en diférentes occaſions de
réjoüiſſance , & nous en avons
veu trois ſous le ſeul regne de
LOUIS LE GRAND. Quant aux
ſuperbes Balets dont j'ay commencé
de vous parler , fi on en
veut ſcavoir le nombre , on les
! peut
38 MERCURE
peut preſque compter par les années
de noftre auguſte Monarque.
Mais cequi a dû furprendre
toute l'Europe , ç'a eſté de voir
que ſesmagnificences ayenttoûjours
reçeu quelque éclat nouveau,
ſans que la guerre qui ruine
ordinairement les Etats , ait
apporté le moindre changement
dans les fiens. Au contrai
re, il ſemble qu'à meſure que la
gloire de ce Prince a augmenté,
toutes fortes de bonheurs foient
venus dans ſon Royaume. Ses
grandes Armées pouvoient en
épuiſer les vivres & les Finances.
Cependant l'abondance n'a pas
laiſsé d'y regner toûjours, & l'on
ne s'y eſt apperçeu qu'on eſtoit
en guerre , que par les Réjoüiffances
publiques,par les Feux de
joye , & par les nouvelles conti
nuelles de la priſedes plus fortes
Places
GALANT.
39
Places des Ennemis,dont les plus
confiderables nous font demeurées.
Il eſtoit difficile que toutes
ces choſes n'arrivaſſent , le Roy
eſtant ſervy par des Miniſtres
dont le zele & l'exactitude n'ont
rien d'égal que leur extréme fidelité.
Si les grandes Feſtes ſont ſi
glorieuſes à un Etat, parce qu'elles
font des marques de ſon abondance
, de fa tranquillité , &
du bon & heureux Gouvernement
du Souverain , la Cour de
Savoye peut ſe vanter qu'il ne
luy manque aucun de ces avantages
, eftant certain qu'il y en a
peu dans l'Europe qui puſſent
l'emporter far elle en toute forte
de magnificences. Je vous en
ay entretenuë déja pluſieurs fois,
& le plaifir que vous ont donné
ces Articles , me fait juger de celuy
que vous recevrez en apprenant
40
MERCURE
nant ce qui s'eſt paſsé cette année
à la Feſte de la Naiſſance de
Madame Royale . Vous vous fouvenez
que je vous ay dit qu'elle
arrive toûjours l'onzième d'Avril.
Cette Princeſſe fut éveillée ce
jour- là par les Salves du Regiment
des Gardes , de ceux de
Savoye , & Piémont Ducal , &
de toute l'Artillerie de la Ville
&de la Citadelle. Elle alla enſuite
s'acquiter des devoirs ordinaires
de fa pieté , dans l'Egliſe
de S. Jean où eſt le S. Suaire , &
où elle offrit ſelon ſa coûtume,
autant de Piſtoles qu'elle a d'années
. Les Galeries qui font la
communication du Château au
Palais Royal , & du Palais Royal
à la Tribune de cette Eglife , lui
ſervirent de paſſage ; le tout paré
des Meubles de la Couronne,
qui ſont auſſi riches qu'il y en
ait
GALANT.
41
☐ ait dans l'Europe. Les Regimens
de Savoye , & Piémont Ducal,
eſtoient dés le matin en Bataille
dans la Place du Château , & ce-
- luy des Gardes dans la Place devant
l'Egliſe de S. Jean pendant
la Meſſe. On la chanta en Muſique
, de la compoſition de Monfieur
Lalloüete .C'eſt un Eleve du
fameux Monfieur de Lully. Il eſt
- aisé de connoître par tout ce qu'il
fait,qu'il a pris le bon gouft de ce
grand Homme. Quoy qu'on foit
accoûtumé en Savoye à la douceur
de la Muſique Italienne, &
à cequ'elle a de ſçavant , on ne
laiſſa pas d'admirer celle de ce
jour- là,&d'avoüer qu'on ne pouvoit
rien entendre de plus beau.
Les Arquebufiers eſtoient fort
-propres ,& rangez en deux hayes
dans la Nefde l'Eglife ; les Suifſes
de la Garde en rond au bas
} du
42 MERCURE
dudegré de la Tribune ; une par.
tie des Archers des Gardes du
Corps au bas de l'autre degré, &
l'autre partie autourde Leurs Alteſſes
Royales .Ces Archers compoſent
une Troupe de centGardes,
qui doivent tous eſtre Gentilshommes,&
Savoyars.On n'en
reçoit aucun autre . Au retour,
Madame Royale reçent les complimens
de toute la Cour,& dîna
enpublic avec Son Alteſſe Royale
, Madame la Princeſle Maurice
, Monfieur le Prince de Carignan,
& Monfieur le Chevalier
de Savoye. Le Repas fut magnifique.
Les Violons dans un
bout de la Salle où l'on mangeoit,
& les Hautbois à l'autre bout, répondoient
par Echo aux Trompetes
qui eſtoient dans la Salle
des Gardes , & faisoient le
plus agreable Concert qu'on
puiffe
GALANT.
43
1
1
|
1
|
|
puiſſe entendre.Apres que Leurs
Alteſſes Royales eurent dîné,elles
allerent ſe promener au Va-
| lentin , & rentrerent dans la Ville
ſur les fix heures du foir. La
belle & grande Place de S. Charles
par laquelle on devoit paffer,
eſtoit occupée d'un côté par le
| Regiment de Piemont Ducal.
Le retour de cette charmante
Courreſſembloit àune Entrée de
☑ Triomphe. Le Carroſſe de Leurs
Alteſſes Royales eſtoit precedé
de plus de vingt autres , environné
& fuivy des Princes &
- Seigneurs à cheval , au nombre
de plus de deux cens , tous avanrageuſement
. montez , & dans
une parure tres magnifique.Plus
de cent autres Carroſſes marchoient
apres eux. La nuit vint
quand on fut rentré dans le
Château , & l'obſcurité en fut
bien
44 MERCURE
bien- toſt diffipée par un grand
Feu d'artifice, élevé ſur une Terrafſſe
qui fait une des faces de la
Place de ce Château, & qui luy
donne communication avec le
Palais de Madame la Princeſſe . Il
repreſentoit le Temple de Janus,
qui ayant eſté fermé pour les
Peuples de Savoye, par la fage &
merveilleuſe conduite de Madame
Royale, pendant que toute
l'Europe eſtoit en guerre , paroiſſoit
encor dans le meſme état,
&ſembloit les avertir de l'eternelle
reconnoiſſance qu'ils devoient
avoir de ſes bontez. Le
Bal fucceda au Feu. Les Dames
qui font belles & en fort grand
nombre , s'y trouverent dans un
éclat merveilleux. Leur ajuſtement
eſtoit des plus riches , &
pour couronner la magnificence ,
on fervit une ſuperbe Collation
dans
GALAN Τ.
45
dans vingt - quatre grands Baffins
remplis des raretez les plus
exquiſes . Chaque Baffin avoit
fon deſſein particulier. C'eſtoit
une eſpece de Sculpture & de
Miniature tout enſemble , faite
avec du Sucre & des Fruits.Toutes
ces differentes Pieces of
froient aux yeux quelque choſe
de ſi achevé , qu'on faiſoit ſcrupule
de les rompre pour ſatisfaire
fon gouft , tantelles ſembloient IBLIO
propres à eſtre conſervées pour
la parure d'un Cabinet. Tout ce
la ſe fit par les ordres de Monfieur
le Duc de Savoye , qui regaloit
Madame Royale. Je ne vous dis
rien de ladépenſe des Princes &
des Seigneurs qui ſe trouverent
à cette Feſte. Vous ferez perfuadée
qu'elle alla loin , quand je
vous auray appris qu'ils changerent
trois fois d'Habit , ayant paru
46 MERCURE
ru le matin en Gens de Cour,
l'apreſdînée en Cavaliers qui doivent
monter à cheval ,& le ſoir
au Bal , en Manteau . Tous ces
diferens Habits eſtoient ſi bien
entendus & fi brillans, qu'on auroit
eu peine à dire lequel des
trois faiſoit éclaterplus derichefſe
& plus de galanterie. Jugez
des Dames par là. Monfieur le
Cardinal Portocarrero qui paffoit
àTurin , pour s'en retourner
de Rome en Efpagne, futtémoin
detoutes ces magnificences.. Il
les admira. Mais il fut furpris de
tout ce qu'il vit de pompeux &
de galant. Il ne le fut pas moins
des Preſens que Leurs Alteſſes
Royales luy firent. Il y avoit en
effer dequoy en eſtre étonné,
puiſqu'il ne faiſoit que paſſer par
cette Cour , qu'il y eſtoit incogni
to,& qu'il n'y avoit traité aucunes
GALANT.
47
nes affaires ; mais il avoit vû Madame
Royale , & c'eſtoit affez
pour recevoir des marques de
ſon eſtime . J'aurois encor à vous
entretenirde cette galante Cour,
en vous parlant de la Reception
de Monfieur l'Eveſque de Foſlan
dans l'illustre Academie des
beaux Eſprits , que cette grande
Princefle a établie dans ſon Palais
, mais j'en attens les particularitez
pour vous apprendre ce
qui ſe paſſe dans ces fortes de
Ceremonies , comme j'ay fait à
l'égard de l'Academie Françoiſe
qui ſe tient au Louvre. Cependant
il ne ſera pas hors de propos,
apres unArticle de Feſte publique
, de vous éclaircir touchant
ce que vous ſouhaitez ſça.
voir du Fuirtschaf , dont il eſt
parlé dans la deſcription des divertiſſemens
qui furent donnez
48 MERCURE
àMadame la Princeſſe de Meklebourg
pendant ſon ſejour à la
Cour d'Hannover. La Relation:
que je vous en envoyay dans ma
Lettre du mois de Mars , porte
que c'eſt une maniere de Mafcarade
inpromptu . Le mot eſt
Allemand composé de deux, qui
fignifient en cette Langue Compagnie
de l'Hoste. Ainſi le Vvirtschafdoit
eſtre regardé comme le
divertiſſement d'un apres ſoupé
d'Auberge, & c'eſt de là qu'il ti.
re ſon origine . Tous ceux qui ſe
trouvent logez enſemble , propoſent
tout d'un coup de ſe déguifer.
On fait des Billets dans
leſquels on écrit autant de noms
de Meſtier qu'il y a de Perſonnes
qui doivent eſtre du Vuirtschaf.
On choiſit ordinairement
les Emplois les plus vils & les
plus plaifans. Les Billets ſe mélent
GALANT.
49
S
- lent dans un Chapeau , & chacun
s'habille ſelon le Meſtier
qui luy eſt écheu. Cela fait ordinairement
un mélange fort divertiſſant.
Les Perſonnes du plus
-haut rang ne dédaignent pas cette
forte de Mascarade ; & quand
¡ la Princeſſe de Dannemark fut
- mariée au Duc de Holſtein , il
_ y eut un Voirtschaf, dans laquel
le fort des Billets changea le Roy
en Seigneur Polonois , la Reyne
en Coupeuſe de bourſe, le Prinece
de Dannemark qui regne aujourd'huy
, en Garçon Barbier
qui vouloit raſer tout le monde ,
le Duc de Holſtein en Marchand
de toile , l'Ambaſſadeur
_ de Hollande en Capitaine de
_ Vaiſſeau , & ainſi des autres .
【J'adjoûte à ces Articles de Divertiſſemens
& de Feſtes , la galanterie
d'un Particulier. Une
May1679.
C
50
MERCURE
belle Dame, des plus ſpirituelles
du Royaume , & qui a un talent
admirable pour la Poëſie , reçeut
il y a quelques jours un Paquet,
apporté par un Laquais ſans livrée
, qui feignant d'en attendre
la réponſe, s'échapa, apres l'avoir
donné à un de ſes Gens. La Dame
l'ouvrit, & y trouva unEventail
d'un prix fort confiderable ,
repreſentant le Triomphe de
Bacchus en miniature, avec cette
Lettre en Vers .
A L'AIMABLE
IRIS.
Vand vous paſſezvos jours dans le
Songezvous à ce que vous faites?
Deux Enfans font jaloux du bonheur
d'Apollon.
Lors
GALANT .
SI
S
t
τ
e
ir
a
コー
e
Lors qu'on est ,diſent-ils , faite comme
vous étes ,
Doit-on toûjours faireſa cour
Au brillant Dieu des Chansonnetes ?
Ils s'en plaignirent l'autre jour
Au Destin,qui promit definir leur querelle.
Iris, netraitezpoint cecy de bagatelle,
De ces deux Enfans , l'un s'appelle
Bacchus , & l'autre c'est l'Amour.
Consolez- vous , Divinitez puiſſantes ,
Leur diſoit le Destin tout-bas,
Sila charmante Iris prefere à vos appas
L'honneur d'estre comptée au nombre des
Sçavantes,
C'estqu'elle ne vous connoistpas.
Hé,cominent s'en faire connoistre ,
Répondit Bacchus irrité ?
Je ne puis approcher cettefiereBeauté ;
D'abord qu'elle me voit paroistre ,
Qu'onlejetteparla fenestre ,
Dit- elle , &qu'on ne laiſſe pas
Lamoindre trace deſes pas.
Helas ! mafortune est pareille,
Dit languiſſamment àson tour
L'aimable Enfant qu'on nomme Amour,
Iris me hait autant que le Dieu de la
Treille.
Cij
MERCURE
52
L'Ingrate n'a pour moy qu'un outrageant
mépris ,
L'employé en vain les leux , les Graces,
les Ris,
Pour apprivoiser la Cruelle ;
Nymon Flambeau, ny mes traits d'or,
Aqui , dit-on, rien n'est rebelle,
Malgré mes soins, n'ontpû mefaire encor
Obtenir l'heureux droit d'eſtre reçeu chez
elle.
La Nature qui me doit tout ,
Me faisoit efperer qu'elle en viendroit à
bout ;
Mais bien loin dem'estre fidelle,
Elle ne porte Iris qu'au plaisir de rimer,
Dans le tempsqu'il faudroit aimer.
Ilfaut , dit le Destin , quevôtre douleur
ceffe.
Du bon Phébus neſoyezplus jaloux,
Icunes Dieux, apprenez queceluy de Permeffe
Peut dans unmesme coeur demeurer avec
vous.
Paroiſſez chez Iris ſuivis de tous vos
charmes; [fidus,
Queles profonds refpects,que les ſoins af-
Les timides regards , lessoupirs , & les
larmes,
1
Soient
GALAN T.
53
Soient de l'Amour les ſeules armes;
Que pour accoûtumer Iris avec Bacchus,
Ilſoit accompagné de toutes ses Bacchantes,
Dumoite Element triomphantes.
Mais de peur d'effrayer Iris ,
Qu'il triomphe à ses yeux seulement en
peinture,
Et pour cette galante &fameuse avanture
,
Servez- vous tous deux de Tircis.
Aces mots ilſe tent , &sur notre Hemisphere
1
L'un l'autre Dieu defcendit.
Chacun d'eux chez moyſe rendit,
Et le beau Prince de Cythere
Mepreſſe du ſoir au matin,
D'accomplir l'ordre du Destin.
Mais, adorable Iris , quoy qu'il me puiſſe
dire,
Ien'oſe vous montrerses transports , fon
Tout cequ'en ma faveur le Sort a scen
espoir.
preſcrire ,
Setermine àvous faire voir
Triompher le Dieu de la Tonne,
Cij
54 MERCURE
Dans l' Eventail que je vous donne.
Iris, avec bontédaignez le recevoir.
Quelques recherches que l'on
ait faites , on n'a pû connoiſtre
l'Autheur de la Lettre , ny du
Preſent. Je ne penetre point les
raiſons qui l'obligent à ſe cacher,
mais il ſemble qu'apres avoir fait
triompher Bacchus ſi galamment
en peinture , un Homme qui a
autant d'eſprit qu'on en voit
dans cette Lettre , eſt fort capable
de procurer un veritable
triomphe à l'Amour.
Je vous ay parlé d'une magnifique
Caleche que Monfieur le
Maréchal Duc de Vivonne a
donnée au Roy. Je croyois vous
en pouvoir envoyer le Deſſein
grave ; mais outre qu'il auroit falu
trop de temps pour venir à
bout de cette gravure , elle ne
vous auroit repreſenté que tresimpar
GALANT.
55
imparfaitement les beautez qui
rendent cette Caleche l'admiration
des Curieux. Ainſi il faut
que je me contente de vous en
faire la deſcription . Elle vous fera
demeurer d'accord qu'on ne
ſçauroit trop vanter l'invention ,
& la magnificence de Monfieur
le Duc de Vivonne , qui a ou
vert les premieres idées de ce
Chef- d'oeuvre en le propoſant.
Il s'en eſt entierement reposé
fur les foins de Monfieur Gamare,
Chevalier de l'Ordre de ſaint
Michel , autrefois Capitaine des
Gardes de Monfieur le Duc de
Mortemar Gouverneur de Paris,
& aujourd'huy Lieutenant General
des Chaſſes du Louvre. Il
l'a laiſsé maître de la difpofition
de la Caleche , des matieres qui
la compofent , & du choix des
Ouvriers qui l'ont conſtruite ; &
C iiij :
56 MERCURE
comme Monfieur Gamare a des
lumieres toutes particulieres das
la connoiſſance des beaux Arts, il
n'y a voulu employer aucune des
choſes qui ont accoûtumé de fer.
vir à l'ornement des plus beaux
Carroffes , c'eſt à dire qu'il n'y a
mis ny cuir , ny clous , ny peinture.
Souvenez - vous , s'il vous
plaiſt , que tous les Arts ont leurs
termes propres, & que dans cette
deſcription je ne fais que fuivre
le Memoire que j'ay reçeu.
L'Imperiale eſt de Velours
bleu , parfemé de Fleurs de Lys
brodées d'or tant plein que vuide,
avec une Couronne de Laurier
dans le milieu . Les Bouquets
des quatre encoignures de
cette Imperiale , au deſſus des
chacun de deux petits Amours
coins de la goutiere , ſont ornez
affis ſur le Manteau Royal. Ces
petits
GALANT .
57
S
S
-
S
petits Amours ſerventde ſuports
auxdeux côtez d'un Globe couronné
de la Couronne Royale,
fur lequel font repreſentées les
Armes de Sa Majeſte; le tout
d'une tres - belle Sculpture de
Bronze doré , or moulu. Le haut
de la goutiere où l'on met ordinairement
des clous , eſt tres- richement
orné au pourtour de
Fleurs de Lys & de Coquilles enlainées
de bronze doré , or moulu
, repreſentant les Ordres de
S. Michel & du S. Efprit , dont
SaMajesté eſt le chef. Cette goutiere
eſt brodée d'or fur du Velours
bleu, rempliede tres- beaux
ornemens propres au ſujet; c'eſt
àdire de Couronnes de Laurier
, Sceptre , Fotüilles de Chefnes,
Palmes& Fleurons. La Bordure
qui eſt au deſſous de cette
goutiere n'eſt pas moins riche.
C V
38
MERCURE
Ses Encoignures ſont de Feüilles
d'Acante , avec un Soleil dans
le milieu , les Chifres de Sa Majeſté
& des Lys tous entrelaſſez
de Palmes . La ſculpture en eſt
dorée , & la plus belle Orfevreric
n'a rien de plus delicat . Le haut
des quatreEncoignures des pieds
Cormiers au deſſous de cette
Corniche, eſt un des plus beaux
Ouvrages de Sculpture qu'on ait
jamais vûs. A l'Encoignure de
devant , fur la gauche , eſt la Medaille
du Roy , attachée à une
Maſſue d'Hercule , qui ſoûtient
un Pot de teſte à l'antique, couronné
de la Couronne Royale de
Sa Majeſté , orné de Panaches.
Deux tres - belles Figures de
Femmes ſont les ſuports de cette
Medaille. Les attitudes en ſont
choiſies , & on n'a pas de peine
àles reconnoiſtre pour la Victoire
GALAN T. 19
Z
7
1
S
re & la Renommée. Elles font
ſur des nüages ſoûtenus par un
Palmier qui prend ſa naiſſance
d'une Coquille. Pluſieurs branches
de Laurier environnent ce
Palmier , & cette Maſſuë. Des
Trophées d'armes d'un tres-beau
deſſeiny font attachez. Les Connoiffeurs
nomment une ſemblable
compoſition Groupe, qui veut
dire un aſſemblage de Figures
qui commence , & qui finit agreablement.
Cette compoſit
tion qui ſert d'ornement à ce
Coin , eſt d'une richeſſe ſurprenante
par la beauté de la ſculpture&
de la dorure. L'autre Encoignure
de devant , & celle de
derriere, ſont ſemblables dans ce
qui regarde la Medaille du Roy ,
la Maſſuë d'Hercule , le Pot de
teſte , le Palmier , & les Trophées
d'Armes , mais il y a de la
diference
60 MERCURE
diference dans les Supports.
Cette autre Encoignure repreſente
l'Abondance , & la Paix ;&
les deux de derriere, la Juſtice, la
Force, la Prudence,& la Temperance
. Ces Vertus ſont les caracteres
de toutes les Actions de
nôtre grand & invincible Monarque.
Au lieu de cuir,on le voit
repreſenté à cheval ſur un Piedeſtal
Dorique au derriere de cette
Caleche. Il eſt armé à l'antique .
A côté de luy font des Captifs
enchaînez , des Trophées d'armes
, une Pyramide, & des Lauriers;
le toutdans un Bas relief
ornéd'une tres -belle Bordure de
feüilles de Laurier. De petits Amours
fervent d'ornement aux
deux côtez de cette bordure. Ils
attachent & foûtiennent des Feſtons
d'une ſculpture , & d'une
dorure qui charment........
Le
GALANT. 61
a
-
-
Le Cordon qui regne au Pourtour
d'un Caroffe & qui le ſepare
en deux ſur ſa hauteur , eſt
ordinairement appellé le Cordon
des Accotoirs. Celuy de
cette Caleche eſt tres-bien orné.
La Sculpture commence en
cet endroit à faire voir des ornemens
maritimes. Ils conviennent
à la Charge de General
des Galeres , remplie fi dignement
par Monfieur le Duc de
Vivonne. Ces ornemens ſont
des Coquilles de Fleurs de
Lys , des Fleurons , & lesChifres
de Sa Majeſté. Au deſſous
de ce Cordon , les fix Paneaux
qui achevent le bas de cette Caleche
ſont compoſez de Nacre
de Perles , taillez en écailles de
Poiffon, & revetus de Cuivre doré
or moulu , avec des Fleurs de
Lys. Ils font ornez chacun d'un
Soleil
62 MERCURE
Soleil de Bronze doré or moulu
, dont les rayons ſont brunis,
& fort éclatans , entre leſquels
au fond de derriere on voit d'autres
rayons de Nacre opale , qui
pouſſent des brillans de toutes
les plus vives couleurs de l'Arc
en Ciel. Le grand Panneau de
devant , auſſi bien que celuy de
derriere, eſt orné dans les coins,
de Teſtes aiſlées de Bronze doré
or moulu , qui repreſentent
les trente-deuxVents de la Mer.
Les Sçavans n'ont pû ſe laſſer de
donner des éloges à cet Ouvrage.
Aux Encoignures d'enbas, où
l'on met ordinairement les Conſoles,
on voit quatre Termes maritimes
ſoûs des figures de Sirenes.
Leurs teſtes de Femmes ont
pour coifure des cheveux treffez
& entrelaſſez de Perles. Le
Corps
GALAN T.
63
Corps en eſt reveſtu d'un Cartouche
de peau de Poiſſon à
écailles , qui laiſſe voir en quelque
maniere la forme du Corps
caché deſſous ce Cartouche.
Vers les épaules il y a un Rouleau
environné des queuës de
deux Dauphins , dont les teſtes
tombent & s'entrelaſſent au bas
des hanches de chaque Terme.
Je laiſſe pluſieurs autres ornemens
, comme Roſeaux , Joncs
Marins, & Serpens de Mer , qui
finiſſent en pointe par des Coquilles
d'une ſculpture tresagreable.
Le Cordon d'enbas eft
auſſi composé de Coquilles &
de Fleurons. Joignez à cela une
tres-belle Orfevrerie de cuivre
doré or moulu , appliquée ſur
toutes les plates bandes du dehors
du Corps de cette Caleche.
C'eſt un Ouvrage composé
64 MERCURE
sé de Lires , de Coquilles , de
Fleurs de Lys , de Soleils , de
branches de Cheſne , de Fleurons
& de Lauriers , d'ont l'entrelaſſement
eſt tres digne d'être
conſideré au milieu d'un autre
que l'on nomme Rais de
coeur, dont la ſymetrie eſt d'une
fort grande beauté.
Le dedans de cette Caleche
eſt doublé de Brocard tres - riche
à fond d'or , avec des Colomnes
torſes meſlées degrands fleu .
rons d'or & d'argent , friſez ſur
de petits fonds de Satin bleu , &
dans les intervales , les Chifres
du Roy or & argent friſez pareillement
ſur un fond d'or. Aulicu
de la Campane qu'on y met ordinairement
, on y a appliqué
une fort groſſe Broderie d'or ,
compoſée de Fleurons , Coquilles
, Fleurs de Lys , & Pentes
d'un
GALANT.
65
d'un tres - beau deſſein .
Le Marchepied du Plat- fond
au dedans de cette Caleche, eſt
un des plus beaux Ouvrages de
marqueterie , de cuivre & d'étain
, qui ait jamais eſté fait, ſoit
qu'on s'attache au Deſſein , ſoit
qu'on examine la politeſſe avec
laquelle la Graveure a eſté finie .
Le Train a toutes les Pieces
des autres Caleches legeres aufquelles
on ne met point de Mou
tons ſur le devant. Les branches
qui forte
qui ſortent du deſſus des Arcs,
ſervent à ſoûtenir le Siege du
Cocher. Tout y eſt admirable,
ſculpture, dorure, & fur tout , le
reveſtiſſement de ces Arcs par
des ornemens de feüilles d'eau,
d'une Orfevrerie de bronze doré,
qui entourent & entrelaſſent
de tres -gros morceaux de Nacre
de Perles. C'eſt ce qui a eſté
applau
66 MERCURE
applaudy , comme une tres - belle
& tres- riche invention , auffibien
que celle d'une tortuë dorée
, qui couvre entierement le
Roüage qui tourne au deſſous
des Arcs , & qui ſemble eſtre
accablée de leur peſanteur. Le
Siege du Cocher eſt de Velours
bleu , dont les Patentes ſont or+
nées de Joncs marins , de Feüilles
d'eau , & de Coquilles entrelafſées
d'une Broderie d'or tresparfaites
. La ſculpture, & les or
nemens des Rais & des Jantes
des Rouës, font d'un tres-agreable
deſſein , & il n'y a rien de
plus beau que les quatre Calotes
de bronze doré, qui cachent les
bouts des effieus & des moyeux
des quatre Rouës. Toutes les
mains , tant du Corps de la Caleche
à reffort , que celles du
Train , & les ſept Arcsboutans,
font
GALANT. 67
F
5
-
-
- ſont reveſtus de tres-beaux ornemens
de bonze doré, or mou-
• lu; & pour finir la deſcription de
ce Train , dont le derriere eſt
composé d'une Entretoille & des
deux Moutons , chacun a admiré
un Neptune qui y eft repreſenté
armé de ſon Trident , affis
- dans une grande Coquille foutenuë
fur la Mer , & tiré par des
Chevaux marins. La chute de
cette Mer finit ſur une Teſte de
Monſtre Marin , & les Moutons
de ce derriere reprefentent des
Tritons,dont les queuës font en
trelaffées de Roſeaux. Ces Tritons
ſervent de Termes, avec des
airs de teſtes tres- fieres , ſoûtenant
l'Entretoille en maniere de
Conſoles, enrichies de Feftons de
fleurs, & de deux petits Amours
au milieu d'enhaut, qui ſoûtiennent
les Armes de Sa Majefté.
On
68 MERCURE
On a regardé ce Triomphe de
Neptune come une Piece achevée,
tant par la beauté de la ſculpture
& de la dorure , que par
les admirables proportions des
Figures,& par le juſte raport des
parties au tout.
Il ne me reſte plus qu'à parler
des fix Chevaux qui furent
attelez à cette Caleche. Ils font
de poil tres - noir, d'une belle taille,
ny grands ny petits, Courſiers
de Naples , entiers, & fans encolure,
la jambe ſeche, ſans poil, la
teſte petite,& d'une fierté extraordinaire
. Leurs Harnois font
de Maroquin de Levant , piqué
d'argent à ondes ſur les bords . Le
milieu est reveſtu de travers de
Lames d'argent pareillement à
ondes , tant plein que vuide , enrichis
d'une grande quantité de
Boucles dorées , les unes repreſentant
GALAN T. 69
de
a
コ
ſentant l'Abondance & la Paix,
& les autres la Victoire & la
Renommée. Les brillans de ces
Lames d'argent bruny fur ce rouge
, ſoûtenus ſur le poil noir de
ces Chevaux
د ont paru aux
yeux de toute la Cour d'une
beauté ſurprenante. Les Teſtieres
& les Brides ſont composées
comme les Harnois , à l'exception
que les oeillieres & lesboffetes
des Brides ſont dorées & ornées
de Nacre de Perles, & les
Muſilieres dorées pareillement ,
repreſentant une Teſte de Monſtre
marin , & finiſſant par des
écailles de Poiſſon . Le Fronteau
de chaque Cheval ſoûtient un
Soleil avec des rayons & des
nuages d'argent. Le deſſus des
Teſtieres eſt ornée d'Aigretes
de crin blanc & rouge , & grandes
Boucles par étages , d'une
beauté
70 MERCURE
beauté ſi nouvelle & fi galante,
qu'il ſeroit difficile d'inventer
rien de plus agreable.
Je ne doute point , Madame,
qu'une ſi exacte deſcription ne
vous repreſente parfaitement ce
que tous les Curieux ont veu
icy avec grand plaifir. Elle eſt
de l'Autheur meſme de la Caleche
qui fut preſentée au Roy par
Monfieur le Duc de Vivonne le
15. de l'autre Mois. Sa Majeſté
en parut fort fatisfaite.Lamagnificence
de cet Ouvrage le rendoit
aſſurément tres -digne d'être
offert à un Grand Roy. En
voicy un d'une autre nature.
C'eſt un Madrigal envoyé à une
belle Dame le jour de ſa Feſte
par une de ſes Amies. Monfieur
Galoubie de Clermont en Auvergne,
en a fait les Vers.
BOU
GALANT.
71
12 BOUQUET.
Nos Parter
Os Parterres n'ont rien qui ſoit
digne de vous.
En vain , aimable Iris , je les ay courus
tous,
Les Fleurs à peiney commencent de nai-
Stres
On n'yvoitpoint encorparoiſtre
Flore, nyses vives couleurs ,
Saparesse me desespere.
Recevez cependant le plus conſtant des
:
coeurs;
Une amitié tendre & fincere
Eft bien plus rare que des fleurs.
Le Printemps a eſté pareſſeux
cette année àvenirchaſſer l'Hyver.
Voicy des Paroles qu'un fort
galant Homme a faites ſur ſon
retour. Elles ont eſte miſes en
Air par Monfieur de Montigny
duHavre.
:
AIR
72
MERCURE
AIR NOUVEAU.
'Amour folâtrant l'autre jour
LAvec la Bergere Lyfete,
Chantoitsursa Musete
Du doux Printemps l'agreable retour.
Mais une tendre Chansonnete
N'a rien qui puiſſe l'engager.
Que peut l'Amour avec Lyſete,
Sans un Berger ?
Meſſire Jule Mafcaron Evefque
de Tulle , nommé à l'Evefché
d'Agen , a eu le Brevet de
Predicateur ordinaire de Sa Majeſté
, avec l'applaudiſſement de
toute la Cour. C'eſt un honneur
dont il s'eſt rendu tres -digne,
ayant preſché cinq Careſmes au
Louvre, & autant d'Avents,en y
comprenant celuy de 1679- pour
lequel il a eſté retenu...
Monfieur Loiſel,Curé de Saint
Jean en Greve , & Chancelier
de
GALANT.
73
de l'Egliſe de Paris , s'eſt démis
de ſa Cure en faveur d'un de ſes
Neveux, & de ſa Dignité de N.
Dame , entre les mains de Mr
Coquelin. Ce dernier eſt un
Homme poly, qui a eſté Preceppteur
de Monfieur l'Archevefque
de Rheims , bon Predicateur
, & fort eſtimé parmy les
Docteurs de Sorbonne.
Nous avons perdu Monfieur
Morel , Doyen de la Faculté de
Theologie, qui mourut le 30. de
l'autre Mois. Il eſtoit Chanoine
Theologal de Paris , & l'un des
huit Predicateurs reſervez par
Sa Majesté, avec droit de Committimus
au Grand Sceau , &
douze cens livres d'apointement.
Il a fait place à un Gradué de faveur
, que Mrl'Archeveſque a
choify. C'eſt Mr Courcier,Do-
Eteur de Sorbonne,Homme ſca-
May 1679 . D
74 MERCURE
vant , d'un eſprit fort delicat , &
Superieur de la Maiſon des Nouveaux
Convertis .
Quoy qu'il n'y ait rien de
plus affligeant que de mourir, ce
n'eſt pas toûjours un mal fans
remede , quand on demeure en
état de ne ſe pas laiſſer enterrer.
Vous m'en croirez quand vous
aurez leû ce qui ſuit.
Un Cavalier logé fort cõmodément,
& faiſant une tres belle
depéſe , menoitune vie des plus
agreables avec ſes Amis. Il eſtoit
d'une humeur fort enjoüée , &
n'avoit point de plus grand plaifir
que de faire de ces pieces ingenieuſes
, qui paſſent plutoſt
pourdes traits d'eſprit, que pour
des injures. Quelques - uns le
condamnoient de ſon trop d'attachement
à plaiſanter ; mais il
avoit cela d'eſtimable , que s'il
railloit,
GALANT.
75
1
コ
railloit , il entendoit raillerie , &
qu'il ne ſe fâchoit point qu'on
fit contre luy ce qu'il ſe divertiſſoit
à faire ſouvent contre les
autres. Un de ſes Parens y'avoit
paffé ; & comme l'affaire dont il
s'étoit laiſſe rendre la dupe,avoit
fait éclat , ce Parent luy avoit
hautement declaré qu'il ſe divertiroit
de lui à ſon tour,& qu'il
en entendroit parler avant qu'il
fuſt peu. Le Defy fut accepté.
Le Cavalier ſe tint ſur ſes gardes
, & continuant toûjours à
plaiſanter , il reprocha pluſieurs
fois à ſon Parent, qu'apres l'avoir
menacé , il n'eſtoit guere impatient
dans ſa vengeance. L'occaſion
ne s'en eſtoit pas encor trouvée
favorable. Voicy celle qui
ſe preſenta quelque temps apres.
Le Cavalier ſe plaignit un jour
d'une legere indiſpoſition de-
1
Dij
76 MERCURE
1
د
vant cinq ou fix de ſes Amis.On
luy conſeilla de prévenir un plus
grand mal par quelques Remedes
de précaution. Il crût cet
avis , & reſolut de ne voir perſonne
le lendemain. Son Parent
futun de ceux qui le porterent à
fonger à luy. Ce jour de retraite
facilitoit le ſuccés de ce qu'il
avoit prémedité. Le jour ſuivant
ce Parent alla chez un
Crieur ſur le midy,ſuppoſa que
le Cavalier eſtoit mort le matin
d'apoplexie , & luy donna un
memoire de ſes qualitez , de fa
demeure , & de ſa Paroiſſe , avec
ordre de faire imprimer quatre
cens Billets d'Enterrement qu'il
envoyeroit le ſoir à tous fes Amis,
dõt il luy laiſſa la liſte.Il fortit
en le priant d'avoir ſoin qu'on
vinſt rendre le lendemain le deffous
de la Porte du pretendu
Mort,
GALANT.
77
J
Mort , adjoûtant qu'il ne falloit
point de Tenture dans l'Eglife,
parce qu'on vouloit faire l'Enterrement
ſans aucun éclat. Le
- Crieur qui ſe fit payer comptant,
prit charge de tout. Les Billets
furent portez , & ne ſurprirent
pas moins qu'ils affligerent ceux
qui les reçeurent. Le Cavalier
eſtoit eſtimé , & une ſi prompte
mort dans une aſſez grande jeuneſſe
, toucha les moins ſujets à
ſe chagriner ; mais perſonne ne
le regreta tant qu'un Abbé , qui
depuis longtemps avoit lié avec
luy une amitié tres- étroite. Il l'avoit
veu le jour precedent , luy
avoitconſeillé comme les autres
de ſe précautionner par quelques
Remedes , & tomba le foir
dans un étonnement inconcevable,
quand rentrant chez luy , on
luy denna le Billet d'Enterre-
Diij
78 MERCURE
ment. Il deplora la triſte condition
des Hommes,qui ne ſe peuvent
jamais repondre d'un ſeul
moment ; parla des belles qualitez
du Cavalier,de l'union qu'ls
avoient enſemble,& finit ſes lamentations
, en diſant qu'il ſe
trouv.roit bien embaraflé s'il eftoit
permis aux Morts de revenir
, parce qu'ils s'eſtoient promis
un jour en riant, que le premier
des deux qui mourroit,
donneroit de ſes nouvelles à ſon
Amy. Cependant le Cavalier
avoit paſſe tout le jour chez luy.
Les Remedes l'avoient foulage ,
& comme il s'eſtoit endormy
d'aſſez bonne heure , il ſe leva le
lendemain de fort grand matin .
Son premier ſoin fut d'aller rendre
viſite à ſon cher Abé.Il trouva
la porte de la Ruë ouverte ,&
la familiarité qu'il avoit das cette
Maiſon
GALANT. 79
-
- Maiſon luy donnant droit de
monter ſans eſtre conduit, il entra
dans la chambre où l'Abbé
- couchoit, s'aprocha du Lit, tira le
rideau avec fracas , & cria en le
- tirant qu'il étoit honteux de dor-
= mir ſi tard.Ce bruit éveilla l'Abbé.
Il avoit eu le pretendu Mort
toute la nuit dans la teſte , & le
voyant devant luy à ſon reveil,
il ne douta point que ce ne fuſt
ſon Fantôme qui venoit luy rendre
compte de l'état où il ſe trouvoit.
La frayeur le prit. Il fit pluſieurs
cris ,& perdit l'uſage de la
parole . Le Cavalier qui ne comprenoit
rien à cet accident, courut
au degré, appella ſes Gens,&
fut fort ſurpris de les entendre
crier à leur tour ſi- toſt qu'ils eu.
rent jetté les yeux fur luy , fans
qu'aucun d'eux l'oſaſt aprocher.
Il leur demanda tant de fois ce
Diiij
80 MERCURE
qui les rendoit ainſi interdits,
qu'à la fin il y en eut un qui ſe hazarda
de ſon côté à lui demander
s'il étoit vray qu'il ne fuſt point
mort. Il comprit par là qu'on avoit
ſemé quelque méchante nouvel.
le de luy,mais il ignoroit ſur quel
fondement, & il n'étoit pas tems
de s'en éclaircir. Le mal de l'Abé
preſſoit.On le ſecourut. Il ouvrit
les yeux , & voyant ce qu'il
avoit pris pour un Fantôme,agir
à l'ordinaire , au milieu de tous
ſes Gens, il commença de ſe raffurer.
Il fut queſtion d'aprofondir
l'avanture.On apporta le Billet
d'Enterrement. Le Cavalier
rit de ſe trouver mort dans le
temps qu'il eſtoit le plus diſpoſé
à vivre , & apres avoir inutile.
ment raiſonné ſur ce qu'il voyoit,
il s'imagina qu'on enterroit quelqu'unde
fon nom,qui avoit donné
GALANT. [ 81
né lieu à cette mépriſe. C'eſtoit
pourtant quelque choſe d'affez
difficile àconcevoir,que lesQua.
litez, la Ruë,& la Paroiſſe, ſetrouvaſſent
les meſmes pour deux
Perſonnes ; mais enfin il eſtoit
tres - afſuré qu'il ſe portoit bien,
&cette afſurance lui ſervoit d'une
grande confolation contre le
Billet . Il fortit; & toutes les Perſonnes
de ſa connoiſſance qu'il
rencontroit , venant l'embraſſer,
& luy demandant avec ſurpriſe
qui étoit l'impertinent Mort qui
s'eſtoit aviſé de prendre ſon nom
pour les affliger , il ſe confirma
dans la premiere penſée qu'il
avoit euë. Ce qu'il y eut de plaifant
, c'eſt qu'eſtant chez luy , il
trouva la Servante qui luy ou-'
vrit en grande colere.Un Homme
envoyé par le Crieur , eſtoit
entré en quelque façon malgré
Dv
82 MERCURE
elle. Il avoit planté une Echelle
fous la Porte , & tenant le bout
d'une piece de Drap noir , il
vouloit commencer à tendre
comme il luy avoit eſté ordonné.
La Servante s'y oppoſoit
de toute ſa force , & luy arrachoit
le Drap, en luy demandant
s'il eſtoit fou . L'autre s'eſtoit
contenté de luy jetter un Billet
d'Enterrement , afin qu'elle viſt
pour qui la ceremonie ſe faiſoit.
Ce Billet eſtoit inutile pour la
Servante qui n'avoit jamais apris
à lire. Sur cette conteſtation arriva
le Cavalier. L'Homme du
Crieur s'adreſſa à luy , pour ſe
plaindre qu'on luy faiſoit perdre
du temps,& que l'heure du Convoy
arriveroit tout- à-coup. Le
Cavalier qui vit que c'eſtoit ſa
Porte qu'on envoyoit tendre, comença
à s'appercevoirde la pie
ce.
GALANT.
83
* ce.Il n'en marqua rien à l'Envoyé
du Crieur , luy dit qu'il n'avoit
- qu'atravailler,& le pria ſeulemét
de tenir la Porte fermée, juſqu'à
ce que ſon Maître vinſt luy-même
donner ordreau reſte.Cepen
- dant come il n'avoit point àdouter
qu'il n'euſt quelques Amis af
= ſez charitables pour luy vouloir
= rendre les derniers devoirs, illaifſa
un Portier pour les envoyer
tous dans la Salle ; & afin de les
recevoir en Mort d'importance,
& qui ſçavoit vivre, il y fit porter
un Paſté de Lievre , quelques
Jambons , & force Bouteilles de
Vin. On oſta en meſme temps
le jour des Feneſtres , & la Salle
ne demeura éclairée que par des
Flambleaux. La lueur n'en eſtoit
pas affez forte pour laiſſer voir
tout d'un coup la Table couverte
, ny le viſage du Cavalier
qui
84 MERCURE
qui en pretendoit faire les honneurs
. Ainſi trois des pluszélez
eſtant venus d'abord de compagnie
, entrerent dans cette Salle,
comme dans un lieu lugubre,où
il n'y avoit qu'à ſoûpirer. Jugez
de la ſurpriſe qu'ils eurent, quad
le Cavalier s'avançant vers eux,
leur dit fort piteuſement qu'ils
voyoient un pauvre Mort qui
ne pouvoit ſe reſoudre à s'aller
confiner pour toujours dans l'autre
monde , fans avoir pris congé
d'eux le verre à la main. Ils
reconnurent plutôt ſa voix,qu'ils
ne diftinguerent fon viſage , les
lumieres eſtant toutes ſur la cheminée.
On les en tira auſſi-toſt
pour les mettre ſur la Table , où
ils ne ſçavoient que penſer de
voir un Paſté qui les attendoit.
Ils auroient pris le pretendu
Mort pour un Fantôme , s'ils ne
luy
t
GALAN T. 85
luy euſſent veu faire toutes les
actions d'un Vivant. Il mit le
couteau dans le Paſté, en coupa
des tranches , demanda du Vin,
but à la ſanté de ſes Amis, & les
pria de ſe réjoüir. Ses Amis ſe
regarderent d'abord ſans luy repondre
, mais enfin ils burent &
mangerent comme le Mort. Il
leur dit de la maniere du monde
la plus plaifante , que la ceremonie
de ſon Enterrement ne
preſſoit pas , qu'il en reculeroit
l'heure autant qu'ils voudroient,
& qu'ayant provifion de bon
Vin, il ſeroit ravy qu'ils en vouluſſent
boire juſqu'au foir. Ils luy
demanderent ce que ſignifioient
les Billets diſtribuez , & le deffous
de fa Porte tendu de noir.
Il leur proteſta qu'il n'en ſçavoit
rien, &qu'il attendoit le Crieur
pour s'en éclaircir.Autres Amis,
&
86 MERCURE
& nouvelle Comedie. Le rang
des Perſonnes qui entroient , regloit
le compliment qui leur é--
toit fait par le Cavalier;& la furpriſe
de trouver un Mort de ſi
bonne humeur, ſe terminoit chaque
fois à prendre un verre , &
à rire avec luy de ce qu'on l'enterroit
fans qu'il en ſçeuſt rien.
Enfin on vint dire que le Crieur
arrivoit . On le fit entrer comme
les autres. Il eſtoit en Habit de
fonction ,& ne connoiſſant point
le Cavalier, il ne pouvoit cacher
ſon étonnement de voir tant de
réjoüiſſance chez un Mort.C'eſt
ce qui luy eſtoit nouveau. Il vouloit
fortir , & on avoit peine à
luy faire entendre raiſon ſur
une razade qu'on luy preſentoit,
quand le Cavalier luy dit que la
fatigue d'aider à faire deſcendre
un Corps , demandoit des
forces,
GALANT. 87
-
forces , & qu'il luy conſeilloit
- de ſe ſervir de l'occaſion . Le
- Crieur qu'on mit dans la neceſſité
de demeurer , shumaniſa
, puis qu'on le vouloit , &
- ſurpris de voir tant de gayeté
dans une ſi lugubre rencontre ,
il demanda quel Homme eſtoit
le Défunt , qu'on luy témoignoit
regreter ſi peu. Le Cavalier
fut prompt à repondre ,
& dit que c'eſtoit un bon Vivant
, qui ayant promis à ſes
Amis de les regaler meſme apres
ſa mort s'il le pouvoit , faiſoit
ſes efforts pour ne leur pas
manquer de parole. Cette reponſe
n'éclaircit point le Crieur,
qui preſſé de dire par quel ordre
il avoit fait diſtribuer les
Billets , fit le portrait de celuy
qui luy avoit parlé le jour precedent,
adjoûtant qu'il ne pouvoit
en
88 MERCURE
en dire le nom , mais qu'il luy
eſtoit fort connu de viſage , &
qu'apres luy avoir donné le Memoire
d'un Cavalier mort ſubitement,
il s'eſtoit reposé des Billets&
de la Tenture ſur ſes ſoins.
Ce fut là le dénoüement de la
piece. Le Chevalier reconnut
fon Parent à cette peinture , &
s'eſtant fait apporter du Papier ,
il luy écrivit ce Billet.
Ie mourus hier au matin d'apoplexie
, & on m'enterre aujourd'huy
, comme vous ſçavez . leſerois
fâché de vous en dedire, mais
j'ay une amitiési tendre pour vous,
qu'il m'est impoſſible de confentir
à estre enterré , si je n'ay la joye
de vous embraſſer auparavant. Ie
vous attens leverre à lamain. Venezsur
l'heure si vous nevoulez
chagriner quantité d'honneſtes
Gens qui s'impatientent de voir retarder
l'heure du Convoy . La
GALANT. عو
La lecture qui fut faite de ce
Billet , réjoüit fort toute l'Aſſemblée.
On détrompa le Crieur,
qui avoit déja commencé à ouvrir
les yeux. Quoy qu'on l'euſt
payé , il ſe plaignit de ce qu'on
l'avoit pris pour dupe. Le Cavalier
demanda quelle fatisfaction
il vouloit qu'il luy en fiſt,
& s'il prétendoit qu'il mouruſt
exprés pour luy faire avoir le
plaiſir de l'enterrer. L'Autheur
de la piece ne s'eſtant point trouvé
chez luy, on y laiſſa le Billet,
& le Cavalier paſſa le reſte du
jour à ſe divertir avec ſes Amis.
Je n'ay pointſçeu coment ſon Pa.
rent s'eſtoit tiré d'affaire avec
luy ; mais je ſuis perfuadé que
cette plaifanterie aura de la ſuite,&
que le Mort ne ſera pas refſuſcité
pour luy laiſſer l'avantage
du Défy.
On
१०
MERCURE
On peut dire en quelque forte
d'une fort aimable Perſonne ,
qu'elle eſt auſſfi reſſuſcitée depuis
peu. Sa beauté la rend fort
propre à faire un Heureux ; &
comme on luy a toûjours veu
donner de l'amour ſans qu'elle
ait encor paru en prendre, voicy
ce que Monfieur la Tournelle
de Lyon a fait pour elle,quand
la Fievre qui avoit preſque fait
deſeſperer de ſa vie , a diminué .
A IRIS MALADE .
MADRIGAL .
Ous vous plaignez avecexcés
Vuedan leionedevôtreaccés
Unfeu violent vous confume;
Si vousſentiez pour un moment,
Iris, celuy qu'Amour allume,
Vous-vous plaindriez bien autrement.
L'indiference de la Belle dont
je
GALANT. 91
je vous parle, ne ſera pas condamnée,
ſi nous en voulons croire
ce Sonnet de Monfieur l'Abbé
de Rotrou .
CONTRE L'AMOUR .
SONNET.
SAges, fuyez l'engagement , Les premiers foûpirs de tendreſſe ,
Parun étrange changement,
Sont les derniers de la Sageffe.
ةيرص
Que je plains le fort d'un Amant,
Quiſeflatant dans ſa foibleſſe,
Achete un plaisir d'un moment
Pardes mois entiers de tristeſſe !
Il est vray qu'estant amoureux,
Etpres de l'objet de ſes voeux,
On croit joüir du bien fupréme.
Mais tous les plaisirs de l'Amour,
Quand un coeur revient à ſoy-mesme,
Ont un bien funeste retour.
En vous parlant de la Feſte
qui
92
MERCURE
qui ſe fit à Pezenas , pour la Publication
de la Paix d'Eſpagne,
je vous entretins de la politeffe
&du bon gouſt de ſes Habitans.
Ce que j'ay à vous en dire aujourd'huy
, vous fera connoiſtre
qu'ils font magnifiques en toutes
choſes. L'avis qu'ils eurent que
le R. P. General de l'Ordre de
Saint François devoit paſſer par
leur Ville le Samedy huitieme
d'Avril, fit qu'on ſe prepara à le
recevoir. Outre les riches Tapifſeries
nouvellement venuës de
Paris , qui furent tenduës dans
l'Eglife , on fit des avenuës depuisle
grand Portail juſqu'à l'entrée
du Convent. Ladiſtance en
eſt de douze cens pas. Diverſes
Tapiſſeries formerentdans le mi.
lieu une large Ruë couverte. Un
nombre infiny de Luſtres de criſtal
l'éclairoit, & elle estoit jonchée,
GALANT.
93
chée, ainſi que l'Eglife, de toute
- forte de fleurs. On entroit dans
cette grande Galerie par un Arc
de Triomphe remply de mille
Figures de carton doré, avec des
Deviſes Latines , Françoiſes , &
Eſpagnoles . Toutes les Dames
de la Ville y estoient aſſiſes en attendant
l'arrivée de ce General .
Il vint ſur les cinq heures du ſoir,
& fi - toſt qu'on eut nouvelles
qu'il s'approchoit , toute laCommunauté
qui estoit de ſoixante
& quinze Religieux, alla au devant
de luy juſqu'à l'entrée d'un
Pont qui eſt entre la Ville & le
Convent. Le Provincial l'y reçeut
, & il fut en ſuite conduit
Proceſſionnellement dans l'Egliſe
par cette belle avenuë. Il patla
de là dans une Galerie , parée
& éclairée comme l'autre , qui
le conduifit juſqu'au Dorroir ,
&
94
MERCURE
&de là, dans une Chambre dont
la propreté , ou plûtoſt la ſomptuoſité
, l'étonna. Monfieur le
Chaſtelain ſuivy d'un grand nobrede
Gentilshommes l'y complimenta.
Il avoit eſté reçeu à
l'entrée du Dortoir,par ce General
,qui apresunetres -bellerépő .
ſe pleine de remercîmens , le remena
juſqu'à la porte du Convent.
Les Confuls accompagnez
de quantité de Bourgeois parurent
en ſuite. M. Pons premier
Conful , le harangua en Latin
avec une éloquence merveilleuſe.
Il répondit en la meſme Langue
, & les ayant engagez à un
quart -d'heure de converſation
particuliere , il les pria, comme il
avoit fait le Chaſtelain & la Nobleſſe,
d'eſtre du Soupé qu'il avoit
ſçeu que la Ville luy faiſoit l'hōneur
de luy donner. Il fut ſervy
dans
GALAN Τ.
95
dans une grande Salle auſſi ornée
que la Chambre. Elle estoit
éclairée de ſix Luftres , & de
quantité de Flambeaux ſur les
Buffets. Il y cut une ſi grande
profuſion de Poiſſon au premier
ſervice, qu'il ſembloit ne pouvoir
eſtre ſuivy d'un ſecond. Cependant
il fut relevé par deux autres,
qui contenoient tout ce que la
-Mer peut produire de plus rare
&de plus exquis. Le fruit répondit
à cette magnificence, & rien
ne pouvoit eſtre mieux ordonné.
Le Soupé eſtant finy , on amena
ce General ſur un grand Balcon ,
d'où il pouvoit regarder la Ville.
Il eſtoit tapiffé , & on avoit mis
quantité de grāds Vaſes de fleurs
tout autour . Il n'eut pas plûtoſt
paru ſur ce Balcon , qu'une longue
decharge de Boëtes ſe fit
entendre. Ce bruit fut ſuivy
d'un
96 MERCURE
d'un Feu d'artifice. Un nombre
preſque infiny de Fuſées qui en
fortirent de cent endroits diférens
pendant trois quarts d'heure
, forma un Spectacle tres-divertiſſant.
Le lendemain il partit
de Pezenas au bruit des Boëtes,
& à la veuë de la plus belle Compagnie
de la Ville , apres avoir
écouté les plaintes de pluſieurs
Perſonnes , & rendu juſtice ſur
les choſes dont la connoiſſance
luy apartenoit.
Ce meſme jour, c'eſt à dire, le
jour du départ de ce General,
M.l'Abbé de la Plagne chanta ſa
premiere Meſſe dans l'Egliſe de
Saint Jean . Elle estoit tapiffée
par toutd'une Haute-litle qu'on
ne peut voir ſans en admirer la
beauté & la richeſſe. C'eſt un
preſent que M.l'Eveſque d'Agde
afait aux Peres de l'Oratoire de
Peze
GALANT .
97
Pézenas. Il y avoit pour deux
cens mille Ecus d'argenterie fur
le Maiſtre- Autel , avec une prodigieuſe
quantité de Cierges
d'une grandeur exceſſive;& comme
on avoit fermé toutes les ouvertures
de cette Egliſe , elle eftoit
éclairée par ſfix rangs de Luſtres
, douze à chaque rang , &
par un fort grand nombre de Plaques
à tous les coſtez . On avoit
dreſſédeux Amphithéatres pour
la Muſique , composée des plus
belles voix de la Province qu'on
avoit fait venir exprés , d'un
grand nombre de toute forte
d'Inſtrumens , & de quantité de
Violons. Aprés qu'on eut placé
tous les Conviez, Monfieur l'Abbé
de la Plagne monta à l'Autel,
qui estoit élevé comme un grand
Trône. Il y avoit vingt- quatre
degrez qui alloient en dimi-
May 1679. E
98 MERCURE
nuant , avec une diſtance de dix
pieds de fix en fix , jonchez de
leurs ainſi que l'Eglife , & couverts
d'unetres - belle Tapiſſerie .
Il avoit pour aſſiſtans Meſſieurs
les Abbez le Brun ,de Bancire, &
de Durad. La Meſſe fut celebrée
avec toutes les ſolemnitez imaginables
.La Muſique eſtoit charmante
, & il ne ſe peut rien entendre
de plus juſte. Sur tout , le
Corps qui a accoûtumé de chanter
aux Etats , s'y fit admirer.
Apres l'Evangile , on fit la cerémonie
de l'Offrande. Elle eſt de
l'uſage. La libéralité des Conviez
y parut, Meſſieurs les Abbez de
Guy , Darnaud , de Durlac , de
Saint Michel, & pluſieurs autres
Eccleſiaſtiques , donnerent chacun
une Piece de quatre Piſtoles.
Ils furent ſuivis de Monfieur
Celli Pete de Monfieur le Mar-
LYON quis
GALANT.
quis de Malavielle, fi connu à là LYON
Cour,& parfon merite,& parles 1889
avantages de fa Perſonne. Il tenoit
la Place de Monfieur Vauquet
ſon Beaufrere qui eſtoit le
Parrain , & qu'une fâcheuſe indiſpoſition
retenoit chez luy. Il
donna trois Pieces de quatre Piſtoles
, auſſi bien que Monfieur
de Cochy, Monfieur Degna , &
Monfieur Vaſſal,Baron des Peyrals.
Les Dames ne furent pas
moins libérales. Madame Vauquet
parut la premiere , & apres
elle , Madame Cellier ſa Soeur,
Meſdames de Cochy , Degna,
Vaſſal , de Paulinier, Meſdemoiſelles
de Sors, de Barral, Cellier,
& une infinité d'autres . La Meſſe
finie , Monfieur l'Abbé de la Plagne
monta en Chaiſe , & prêcha
fur l'Evangile du jour. Il en établit
les Veritez avec une élo-
Eij
100 MERCURE
quence & une force d'eſprit admirable
. On ſe rendit delà chez
Mr Vauquet , où un fort grand
Repas eſtoit preparé pour tous
ceux qui avoient eſté priez de
cette Cerémonie. Les Violons
joüerent pendant le Dîner, & on
ne fortit de Table qu'à l'heure
de Veſpres. Chacun s'empreſſa
de s'y trouver pour eſtre à l'arrivéedes
nouveaux Conſuls qu'on
fait toûjours ce jour là. C'eſtoit
le Dimanche de Quasimodo.Voicy
de quelle maniere la marche
ſe fit. Quatre Compagnies à
cheval , & douze de pied de
Bourgeois ou Gens de Métier,
partirent de l'Hôtel de Ville dans
un ordre merveilleux. Leur équi
page eſtoit fort galant . Ils avoient
preſque tous des Plumes & des
Echarpes , avec une infinité
de Rubans de toutes couleurs .
La
GALANT. 101
La Cavalerie en avoit garny les
- oreilles & la queuë des Chevaux.
- Une Compagnie à pied de jeunes
Gens de qualité , marchoit
apres eux. Ils eſtoient tres- propres
, vétus en Bergers , & avec
des couronnes de fleurs fur la
- teſte. On voyoit enſuite Mr le
Chaſtelain à la droite du premier
Conſul , ſuivy de pluſieurs Perſonnes
de marque,& d'une foule
innombrable de Bourgeois &
&de menu Peuple.Douze Tropetes,
douze Tambours,& autant
de Violons &de Hautbois, précedoient
cette Nobleffe . On ne
peutrien entendre de plus charmant
qu'eſtoit leur Concert. On
vintdans cet ordre à la Paroiffe.
Les Vefpres & le Te Deamy furent
chantez par lesdeux grands
Corps de Muſique du matin ;
apres quoy Mr le Procureur du
Eij
102 MERCURE
Roy fit preſter le ſerment de fidelité
aux nouveaux Confuls .
Cela fait , le Concertdes Trompetes,
des Tambours , des Hautbois
, & des Violons recomméça,
& toutes les Compagnies défilerent
vers l'Hôtel de Ville. Dans
cet équipage , qui n'estoit pas
moins galant que cavalier , elles
allerent rendre leurs devoirs à
Mr le Cardinal de Bonzi, arrivé
depuis demy- heure chez Mr le
Préſident Dreulet de Toulouſe,
qui ſe trouvoit depuis quelque
temps à Pézenas avec Madame
la Marquiſe de Montlaur ſa Bellemere.
Mr de Bonzi,avec qui Mr
Dreulet & quatité de Perſonnes
de qualité eſtoient, les vit paffer
en reveuë, fur un Balcon fort paréde
fleurs. Le Chaſtelain y mõta
avec les Conſuls,pour luy faire
compliment. Ce Cardinal les reçeut
GALANT.
103
*
LYON
çeut avec beaucoup de civilité;
& leur ayant témoigné la fatisfa-
■ ction qu'il avoit de la galanterie
- de cette Feſte , ilmontaen Carroſſe
un moment apres pour al-
■ ler coucher à ſon Abbaye de
- Valmagne. Ceux que je viens
de nommer ſe rendirent à l'Hôtel
de Ville. Le reſte des Ceremonies
accoutumées y fut obſerve,
& ils alleretde làtermince
la folemnité du jour par un fom gr
ptueux Repas , que leur donna
Mr Chaffein, Intendant pour Mr
le Prince de Conty dans fon
-Comté de Pézenas . C'eſtoit luy
qui avoit eſté fait premier Conful.
Il ſe trouva une fortgrande .
quantité de Nobleſſe au Régal
qu'il avoit fait préparer , & afin
qu'il ne manquaſt rien à cette
Feſte , toutes les Dames furent
priées de fe rendre le ſoir chez
E. iiij
ج ر خ
104 MERCURE
Madame de Feſquet. C'eſt une
Perſonne tres accoplie, qui a une
Maiſon des plus propres , & des
mieux meublées de la Ville , &
dont la Salle eſt extrémement
commode pour un grand Bal. Elle
avoit bien voulu la preſter à
Mr Chaffein. Les Dames y vinrent
richement parées , & toutes
brillantes de Pierreries.Madame
la Chaſtelaine s'attira l'admiration
de l'Aſſemblée avec ce
grand air qui ſoûtient ſi noblement
ſa beauté. Mesdames de
Saint Martin , Dégraves & de
Fontés , quoy que ſuperbement
habillées
y parurent encor
plus charmantes par elles meſmes
, que par la magnificence de
leurs Habits. Meſdames Cellier
& Vauquet ne ſe firent pas moins
diftinguer , & on ne peut eſtre
dans un équipage plus propre,
,
ny
GALANT.
105
ny plus galant que l'eſtoient
Meſdames de Carlencas,de Vaffal,
de Paulinier, de Feſquer, de
Barres , de Boüet , & plufieurs
autres. La Femme d'un Capitaine
de Picardie nommé Monfieur
Vert , ne fut pas un des moindres
ornemens de cette Aflemblée.
Elle estoit habillée negligemment,
à cauſe de l'inquietude
où elle eſt ſans ceffe pour
l'absence de ſon Mary; mais cette
negligence ajoûtoit quelque
choſe de ſi touchant à fon air
doux & delicat qu'on peut dire
qu'elle ne luy estoit pas deſavantageuſe.
Les Filles faifoient
un Cercle à part,toutes dans une
magnificence admirable, C'eſtoient
Meſdemoiſelles de Pujol,
de Barres , de Saint Ceries , de
Saint Martin, de Vairas, de Sors,
de Cellier, de Juvenel , de Mou-
Ev
106 MERCURE
nié , de Mafre , de Brunel , de
Gua, &de Faurier. Si- toſt que
ces aimables Perſonnes furent
arrivées ,les Violons ſe placerent,
& Monfieur Chaſſein s'adrefſant
à Madame la Chaſtelaine
, la pria de vouloir eftre la
Reyne du Bal: Elle ne put ſe difpenfer
d'en faire & d'en recevoir
les honneurs . On dança, on
dit cent choſes agreables , &
apres quelques heures employées
à ſe divertir , on paſſa dans
une Chambre , où une magnifique
Collation attendoit les Dames.
Le Regal fut un Ambigu
ſervy avec toute la propreté imaginable.
On mangea long- temps,
on rit, on chanta , & quand on
ſe preparoit à ſe ſeparer , on vit
paroiſtre douze petits Bergers ,
aufli galamment vétus qu'on le
puiſſe eſtre. Ils portoient deux à
deux
GALANT. 107
deux une Corbeille remplie de
toute forte de Cofitures . Les Belles
s'en accommoderent tres
bien , & il ne s'en fit jamais une
fi grande profuſion. On n'eut
pas ſi-toſt vuidé les Corbeilles ,
qu'on en vit une autre dans les
mains du petit Chaſtelain , qui
eſtoit l'un des douze Bergers.
Elle eſtoit petite , mais d'un ornement
fingulier. Force rubans
- detoutes couleurs formoientune
agreable varieté pour la veuë,&
laiſſfoient entrevoir des Oranges
feches confites qui remplifloient
cette derniere Corbeille. Il y
avoit une Orange pour chaque
Dame. Le jeune Berger les preſenta
à la Reyne du Bal , qui
ayant pris celle qui estoit au deffus
de la Pyramide , s'aperçeut
qu'il en fortoit le bout d'un Papier
noüé d'un fort beau Ruban
couleur
108 MERCURE
couleur de feu. Son nõ eſtoit écrit
fur ce papier.La même choſe des
autres Oranges. Des Rubans de
diferentes couleurs , tenoient un
Billet attaché à toutes, & le nom
de chaque Belle à qui on deſtinoit
ces Oranges , eſtoit écrit
fur chaque Billet. La Reyne du
Bal les diſtribua ſelon les noms
qu'elle vit écrits. Les Billets
eſtoient de fort galans Madrigaux
, dont la lecture finit les
plaiſirs de cette Feſte .
Ces occafions de joye font
trouver beaucoup de douceur
dans la vie; mais ſi vous me permettez
un peu de moralité , je
vous diray que tout paffe,& qu'o
n'en ſçauroit diſconvenir , puis
qu'apres avoir vécu fort longtemps
, M. le Duc d'Arpajon a
trouvé la fin de ſes années. Il eſt
mort dans ſon Château de Seve
rac.
GALANT. 109
rac. Il avoit eſté fait Chevalier
desOrdres du Roy dés l'an 1635 .
Il eſtoit Fils de Jean Baron d'Arpajon,&
de Severac;& de Jaquete
de Castelnau - Clermont-Lodeve.
L'origine de cette Maiſon
vientd'un autre Jean Baron d'Ar.
pajon en Roüergue , Seigneur
de Severac , qui fut marié avec
Anne de Bourbon de Rouffillon ,
Fille puînée de Loüis Admiral
de France , Favory de Loüis XI .
Il y a eu beaucoup d'Eveſques
qui en ſont ſortis . Le Duc dont
je vous apprens aujourd'huy la
mort, avoit eſté Lieutenant General
au Gouvernement de Languedoc
, Maréchal des Camps
& Armées du Roy , & Ambaffadeur
Extraordinaire en Pologne.
Il s'eſtoit trouvé au Combat
de Feliſſan , aux Sieges de
Montauban , de Tonneins , de
Cazal,
110 MERCURE
Cazal , de la Mothe , de Salces,
& s'y eſtoit acquis beaucoup de
reputation , auffi -bien qu'en plufieurs
autres importantes occa--
fions , où il a ſervy tres - utilement
. Il alla au fecours de l'ine
de Malte menacée par les Turcs
en 1645. Le Grand-Maiſtre de
l'Ordre qui connoiſſoit ſon expérience,
le fit Chefde ſes Conſeils
& General de ſes Armées. Les
Avantages qu'il procura à cette
Ifle par la fortification de toutes
fes Places , obligerent l'Ennemy
à prendre un autre deſſein. La
Religion s'en tint tellement obligée
à ſa conduite , que pour luy
en marquer ſa reconnoiffance,
elle luy accorda ce Privilegetresfingulier,
qu'un de ſes Enfans,&
de tous ceux qui deſcendroient
de ſon ſang, feroit fait Chevalier
dés le berceau , & qu'à l'âge
de
GALAN T. 111
de ſeize ans , diſpensé de toutes
les formalitez , il auroit la dignité
de Grand- Croix. Elle adjoûta
àcet honneur le pouvoir de mefler
les Armes de l'Ordre dans les
ſiennes , afin que la memoire du
ſervice qu'il luy avoit rendu,
fuſt éternellement conſervée. Il
s'eſt marié trois fois ; la premiere
, avec Cloriande de Lauzieres
de Thémines, Fille aînée de
Pont de Lauzieres , Marquis de
Thémines, Marechal de France;
la feconde , avec Marie , Fille
de Bertran de Simian, Comte de
Moncha ; & la troiſième , avec
Catherine- Henriette , Fille de
François d'Harcourt II. du nom,
Marquis de Beuvron , auſſi conſiderable
par ſa vertu & par fes
grandes qualitez , que par ces
charmes pleins de douceur ,
qui l'ont fait pafler pour une
des
112 MERCURE
des plus belles Perſonnes du Royaume.
Sa ſeconde Femme ne
luy a point donné d'Enfans. Il a
eu de la premiere , Jean-François
d'Arpajon Marquis de Severac,
mort vers l'an 1672. Jeanne-
Loüife Abbeſſe de Villemur,
avec une autre Fille qui s'eſt faite
Carmelite ; & de ſon dernier
mariage, eſt ſorti Catherine,Damoiſelle
d'Arpajon , & fon unique
Heritiere .
La mort n'épargne pas plus les
jeunes qu'elle fait les vieux , &
elle vient d'emporter M. le Maçon
de Treves , Capitaine des
Grenadiers dans le Regiment
des Fufiliers . Il avoit eſte bleffé
aux Sieges de Treves , & de S.
Guillain ,& s'eſtoit ſignalé à ceux
de Bouchain & de Cabray, ayant
ſervy continuellement avec vigueur.
Il eſt mort àStockemſur la
Meuſe,
GALAN T. 113
- Meuſe,& eſtoit Cadet de laMaiſon
des le Maçon , anciens Barons
de Treves en Anjou .Robert
leMaçon Chevalier sr. de Treves
, qui fut Maître des Requeſtes
de l'Hôtel du Roy Charles V I.
en 1406.& depuis Chancelier de
la Reyne Iſabeau de Bavieres ,
eſtoit de cette Maiſon. Le Dauphin
Charles , pour lors LieutenantGeneral
du Royaume, s'eftant
ſauvé de Paris, ce Robert fit
la Charge de Chancelier de
France , quoy que ſous un Lieutenant
General,& en cette qualité
ſcella les Lettres données à
Chinon le 30. Octobre 1418. II
cõtinua l'exercice de cette Char.
ge en 14.20.& fut preſent à la donation
que fit le Roy Charles
VII. du Comté d'Evreux à Jean
Stuard Conneſtable de France le
15. Mars 1426. Les Regiſtres de
Poitiers
114 MERCURE
Poitiers en font foy. Il mourut
en 1442. & fut enterré à Treves
en Anjou , où l'on voit ſon Epitaphe.
و
Mr Salo Chanoine de l'Egliſe
de Paris & Confeiller de la
Grand' Chambre a ſuivy ceux
que je viens de vous nommer. Il
eſtoit Frere de ce fameux Mr Salo
, qui a fait le Journal des Sçavans
avant Mr l'Abbé Galois , &
Mr l'Abbé de la Rocque. Un
fort grand merite joint à une
probité generalement reconnuë,
luy avoit acquis l'eſtime de tous
ceux qui le connoiffoient. Mr.
Berrier, Curé de S.Paul,eſt monté
en la Grand' Chambre en ſa
place.lla laiſſe à Mr Salo ſon Neveu,
fa Charge de Conſeiller au
Parlement , une belle Terre, des
Maiſons à Paris , & une Bibliotheque
de dix mille Ecus.Il avoit
le
GALAN T.
115
le Prieuré de la Selle,qui eſt tres .
beau,& qui depend de Mr l'Abbé
de Lyonne.Cet Abbé l'a donné
à Mr le Chevalier de Lyonne
ſon Frere . Quant à ſa Chanoinie
qui estoit à la nomination
de Monfieur de Paris,comme ce
Prelat ne fait que de dignes
choix, il l'a donnée à Mr l'Abbé
Deſmaretz . Je ne vous dis rien
de fon merite, il vous eft connu ,
& j'auray d'ailleurs affez d'autres
occafions de vous en parler.
Nous avons auffi perdu un
Peintre d'une fort grande reputation.
Il eſtoit tres hardy pour
le Deſſein. Vous n'en douterez
pas quand je vous auray dit que
c'eſt Mr Loire . Il eſt beaucoup
regreté des Curieux , & de tout
ce qu'il y a de Connoiffeurs en
Peinture .
Je ſuis ravy qu'on vous ait
fait
116 MERCURE
fait entendre , comme vous le
mandez , l'ouverture de l'Opera
de Bellérophon . Quoy que tous
les Airs que Mr de Lully a faits
dans cet Opéra pour les Violons,
foient admirables , celuy- là eſt
particulierement eſtimé . Comme
apparemment vous l'aurez
retenu pour le chanter , je vous
envoye des Vers qui ont eſté
faits fur cet Air,par une Perſonne
de qualité.
PAROLES SUR
l'Ouverture de l'Opéra de
Bellérophon.
Soûpirez, mais fans efperer,
Mon coeur , c'est à present aſſez de
l'adorer.
Si voſtre amour
Paroist au jour ,
Disposez- vous
Ason couroux.
:
Sa
GALAN Τ. 117
Sa jeune pudeur
Craint voſtre ardeur,
Et frequemment
Luy peint un Ennemy dans un Amant.
Laiſſons couler quelque Printemps ,
Avec le temps
Lefeu cachéqui dansſon ame dort,
Seraplus fort. 2
L'Amour est seûr comme la mort .
Et ne perd point ſes droits
De tout afſfervir àſes Loix.
C'est vainement qu'une Beauté
Affecte la fierté,
Et s'armede ſeverité.
Il Sçait par un
YON
*
1893
Subril poison
Combatre la Raifon,
Et la Nature a des reffors
Quisoumettent l'esprit au Corps.
Sortez, ſoûpirs, maisfans bruit,
Voyons meurir ce beau fruit ,
Et laiſſons venir l'odeur
AcetteFleur.
Ceque nous aurons attendu
Neferapas un temps perdu.
Et lamesure desplaiſirs
Suit les defirs.
:
La nouvelle Chambre établie
118 MERCURE
à Vincennes pour le crime du
Poifon , a commencé à donner
des marques de la promptitude
de ſa juſtice par la punition de
pluſieurs Coupables. La penetration
des Juges à découvrir la
ſource du mal , jointe à la vigilance
qu'ils y apportent , leur
en fera ſans doute couper la racine.
Rien n'égale la ſurpriſe
avec laquelle tout le monde a
vû la conviction d'une partie des
Accuſez par leur ſuplice. C'eſt
une preuve que les Empoifonneurs
ont eſté rares de tout tems
en France , puis qu'on ne s'étonne
point de ce qu'on voit arriver
ordinairement. Cependant
ce n'eſt pas d'aujourd'huy qu'on
parle de Poiſon chez les autres
Nations. On en a vû de triſtes
effets à Rome au commencement
du cinquiéme fiecle de ſa
Fon
GALAN T.
119
Fondation , c'eſt à dire , un peu
apres que Manlius Torquatus
eut fait couper la teſte à fon Fils,
pour avoir combatu contre ſes
ordres . Voicy ce que Tite-live
en ditdans le huitiéme Livre de
ſa premiere Décade,ſelon la Tra.
duction de Monfieur du Ryer.
L'année quiſuivitfut honteuse
&déplorable , ou par l'intemperance
de l'air , ou par la malice
humaine,ſous le Confulat de Mar
cus Claudius Marcellus , & de C.
Valerius , qui est surnommé dans
les Annales , tantoſt Flaccus , &
tantoft Potitus ; mais cela est de
peu de conſequence , &je ſouhaiterois
plutoſt ( comme tous les Autheurs
n'en demeurent pas d'accord)
qu'il fust faux qu'on eust empoisonné
ces Confuls , dont la mort
deshonnora cette année. Il faut
toutefois dire la chose ainsi qu'elle
A
120 MERCURE
a esté rapportée , pour ne pas rendre
suspects les Autheurs qui en
ont parlé, & que mon filence ne
faße pas croire que j'aye méprisé ce
qu'ils ont dit.Comme les plus Grads
de la Ville mouroient de même ma-
Ladie, &presque tous de la mesme
Sorte, une Fille Esclave vint trouver
Q. Fabius Maximus qui estoit
Edile, &luy dit qu'elle luy decouvriroit
la cauſe de ce mal public,à
condition qu'il luy donnaſtſa parole
queſon témoignage ne luynuiroit
point. En mesme temps Fabius
en alla avertir les Confuls , qui en
firent leur raport au Senat ,& d'un
commun conſentement le Senat accorda
à cette Esclave la feûreté
qu'elle demandoit. Alors elle leur
decouvrit que ce qu'on croyoit une
peste , estoit un effet de la malice
des Femmes, que les Dames Romaines
praparoient tous les jours des
Poisons;
GALAN T. 121
- Poisons;& que fi on la vouloit faire
ſuivre, on découvriroit la verité
de ses paroles. On ſuivit donc
cette Esclave. L'on furprit quelques
Femmes qui faisoient cuire des
Poisons, & l'on trouva quantité de
drogues cachées que l'on apporta
dans la Place. Ony fit auſſi amener
vingt Dames Romaines chez "
qui on les avoit trouvées. Il y en
eut deux de Maiſon Patricienne,
l'une appellée Cornelie , & I autre
Sergie, qui voulurent foûtenir que
ces médicamens estoient des remedes
pour laſanté ; mais parce que
la Délatrice leurfoûtenaitle contraire,
on leur ordonna de boire ces
breuvages pour la convaincre d'unefauſſe
accusation. Elles prirent
quelque temps pour en conferer en-
Semble ; &apres avoirfait un peu
éloigner le Peuple, &qu'aux yeux
de tout le monde elles eurent fait
May 1679. F
122 MERCURE
Sçavoir aux autres Femmes la re-
Solution qu'elles avoient priſe , il
n'y en eut pas une qui y reſiſtaſt.
Elles bûrent ces breuvages, & moururent
toutes par leurpropre crime.
Onſeſaiſit enmesme temps de leurs
Complices , qui en découvrirent
quantité d'autres , & l'on en punit
cent soixante & dix . Il ne s'estoit
point parlé jusque - là de poison, ny
d'empoisonnemens dans Rome.Auffi
confiderat-on cela comme une chose
prodigieuse, & qui estoit plûtoſt un
effet de quelque rage , que d'une
malice prémeditée
Ce ne fut qu'en ce temps- là
qu'on commença d'ordonner des
peines contre ceux qui ſe ſervoient
de Poiſon . L'uſage en fut
fi cõmun chez de certains Peuples,
que pluſieurs Femmes ayant
eſté convaincuës d'en avoir donné
à leurs Marys,on y établit une
Loy
GALANT .
123
- Loy parlaquelle toutes celles qui
leur ſurvivoient,étoient obligées
de ſe laiſſer brûler vives dans le
même bucher où l'on confumoit
leurs corps.On prétendoit que la
crainte d'une ſi cruelle mort, les,
engageroit à prendre ſoin de cóſerver
leurs Marys. Cette coûtume
s'obſerve encor aujourd'huy
vers l'Indoſtan ; & le celebre
Monfieur Bernier en rapporte
des exemples fort récens dans
ce qu'il a fait imprimer de ſes
Voyages.
Les peines des Empoifonneurs
ont eſté diverſes ſelon les
Royaumes. Les Perſes leur briſoient
la teſte contre une pierre.
Le témoignage de Plutarque y
eſt exprés. Il rapporte dans la Vie
d'Artaxerxe,que Pariſiatis ſa Mere
ayant fait empoiſonner Statira
ſa Bru , par l'entremiſe d'une
:
Fij
124
MERCURE
de ſes Dames d'honneur nommée
Gigis, ce Prince relegua ſa
Mere à Babylone ; & à l'égard
de Gigis, il voulut qu'on luy fiſt
mettre la teſte ſur une pierre
plate , & qu'on la luy écraſaſt
avec une autre. Ceux de baſſe
condition, au raport du Juriſconſulte
Marcian , eſtoient attachez
en croix , & ce fut ainſi que
l'Empereur Galba fit mourir un
Curateur qui avoit empoiſonné
ſon Pupille afin de s'emparer de
fon bien. On faiſoit perdre la teſte
aux plus notables , & on en
expoſoit quelques-uns aux Beſtes.
Ce crime eſt ſi execrable,
que beaucoup foûtiennent qu'il
ſuffit de la volonté pour eſtre
puny , quoy qu'elle n'ait point
eſté ſuivie de l'effet. Cela doit
s'entendre apparemment, quand
le Poiſon ayant eſté préparé ,
ceux
GALANT. 125
ceux à qui on le deſtinoit ſe ſont
garantis heureuſement de le
prendre.
La Femme qui empoiſonne
fon Mary, eſt puniſſable du feu.
En 1585. une jeune Femme de
Paris nommée Marie le Juge, petite
Fille d'un Marchand , s'êtant
défaite de ſon Mary par poifon
pour un foufflet, fut penduë,
&brûlée en ſuite .
Les Empoiſonneurs ne font
pas ſeulement punis de mort ,
mais encor ceux qui vendent ou
qui diſtribuent des Poifons. On
lit dans le troifiéme Volume
de Monſtrelet , qu'en 1462. Jean
Conſtein Sommelier du Duc
Philippes de Bourgogne , fut
pris & mené à Ripemonde ,
-pour avoir voulu empoifonner le
Comte de Charolois feul Fils legitime
de ſon Maiſtre. Il s'eftoît
Fiij
126 MERCURE
adreſſé à un pauvre Gentilhomme
Bourguignon , nommé Jean
d'Ivy , pour luy acheter du Poifon
en Piémont. La trahiſon fut
connuë, & on leur coupa la teſte
à l'un & à l'autre .
Le venefice peut eſtre divisé
en deux eſpeces. L'uneſt du ſimple
Poiſon employé pour faire
mourir quelqu'un,& l'autre quad
l'invocation du Demon donne
de la force à quelque venin caché.
C'eſt par là que le Parlement
de Paris ne punit pas les
Sorciers comme Sorciers , mais
ſeulement come Empoisonneurs,
parce que tout le mal qu'ils font
n'eſt que l'effet des venins que
leur fournit le Demon pour
exercer leurs méchanceteż . Ainſi
les Sorciers comme Empoifonneurs
font punis de mort, & fur
tout du feu , auffi-bien que ceux
qui
GALANT. 127
qui répandent du venin dans les
Lieux publics. Nous en avons
un exemple dans la quatrième
Partie des Annales d'Aquitaine
de Bouchet. Il dit que du regne
de Philippe le Long, les Lepreux
ayant pris de l'argent des Juifs
qu'on avoit chaſſez de France,
empoiſonnerent les Puits , &
les Fontaines de tout le Royaume.
Quantité de perſonnes en
moururent , & fur les informations
qu'on en fit , pluſieurs Lepreux
pris à Narbonne & ailleurs
furent brûlez ..
Pendant que Philippe II. regnoit
en Eſpagne , il s'y trouva
un Homme qui compoſoit du
Poisõd'une telle force ,que ceux,
fur la langue de qui il en mettoit
un moment, mouroient toûjours
quelques jours apres. Il ſe diſoit
Astrologue,& au lieu que les au
Fiiij
128 MERCURE
tres qui ſe meſlent de prédire
l'avenir regardent les mains , il
vouloit voir & toucher la langue.
Il trempoit un doigt dans ce
Poiſon pour ceux qu'il avoit defſeinde
faire mourir,&ne le trempant
point pour les autres, il leur
prédiſoit plus ou moins de vie,
felon la maniere dont il les touchoit.
La prompte mort des Empoiſonnezjuſtifioit
ſes predictios,
& elles ſe trouvoient ſi juſtes ,
qu'on ne doutoit point qu'il
n'euſt des connoiſſances extraordinaires
. Il ſe ſervit du meſime
poiſon contre un Neveu du premier
Medecin du Roy. C'eſt ce
qui cauſa ſa perte. Le Medecin
qui connoiffoit la bonne conſtitution
de ſon Neveu , ne put
le voir mourir ainſi tout à coup,
fans croire que ce n'eſtoit pas
un accident naturel. On arreſta
le
GALANT. 129
le faux Aftrologue , & l'accufation
fut fivivement pouffée,qu'il
futcontraint d'avoüer ſon crime.
Il l'expia par un fuplice des plus
cruels , l'intereft public demandant
qu'on en fiſt un grand
exemple.
Je finis cet Article par où je
l'ay commencé , c'eſt à dire , en
faifant encor parler Tite- Live.
Voicy ce qu'il dit dans le dixiéme
Livre de ſa quatrième Décade.
Cependant on apporta des
Lettres de la part du Preteur C.
Menius à qui la Sardagne estoit
efcheuë , & à qui l'on avoit
donné la commiſſion d'informer
des empoisonnemens à dix milles
aux dehors , & aux environs de
Rome . Il mandoit qu'il avoit
déja condamné trois mille perfonnes,&
que neaumoins on faisoit
tous les jours de nouvelles déla
Fv
130 MERCURE
tions; que partant ilfalloit qu'on le
déchargeast de cette commiſſion , ou
qu'il renonçaſt au Gouvernement.
On peut voir par là que le Poiſon
a eſté de tout temps enuſage
à Rome. Il eſt certain qu'il n'y
faiſoit pas moins de bruit il y a
fort peu d'années, qu'il fait preſentement
à Paris. Pluſieurs Fem.
mes furent penduës fur la fin du
Pontificat d'Alexandre V II. &
fous celuy de Clement IX. Elles
diſtribuoient un breuvage appellé
Aquetta de Sicilia. Il eſtoit
comme de l'eau la plus claire ,
& ne faifoit aucune impreſſion
fur les corps. Ainſi on avoit beau
les ouvrir apres la mort. On n'y
voyoit rien qui fiſt connoiſtre ce
qu'on foupçonnoit.
Tous lesPoiſons,quoyquedangereux,
ne ſont pastoûjours à évi
ter. Il en eſt d'agreables qu'on
dy
fait
GALANT.
131
fait prendre par les yeux, & c'eſt
de ceux- là que parle Monfieur
Coufinetdans le Sonnet que je
vous envoye. Il eſt Fils du Maiſtre
des Comptes de Paris qui
porte ce nom.
SONNET.
Vous condamnez, Philis, lafureur
De ces Monstres affreux qu'on retient
enprison,
Pour estre convaincus du crime de Poison;
Cependant envers moy vous en estes coupable.
Mais ce crime eft fi beau, qu'il vous eft
pardonnable,
Ie ne vous blâme point de vostre trahison
,
Vous avez unfecret hors de comparai-
Son;
Plus vous m'empoisonnez , plus je vous
trouve aimable.
Ce Poiſon m'eſt ſi doux, que je veuxm'en
Quand nourrir ;
132 MERCURE
Quand on en est atteint , on n'en veus
:
Il se gliffe par tout , il n'épargne per-
:
pointguérir ,
Sonne.
On en prend toſt ou tard , & chacun
Son tour;
Si vous estiez d'humeur d'en prendre
quelque jour,
Souffrez que ce soit moy , Philis , qui
vous en donne.
Il y a tant de gloire à eſtre au
Roy, que les Peuples de la Franche
Comté ſemblent ne pouvoir
trop faire éclater la joye qu'ils
ont d'eſtre demeurez François.
Ainfile 12.de ce Mois,le TeDeum
fut chanté àBesançon en réjoüiffance
de la Paix ratifiée avec
P'Allemagne. Les deux Chambres
du Parlement qui conſiſtent
en quarante Conſeillers & trois
Préſidens , y aſſiſterent en Corps.
Mr de Montauban Lieutenant
:
de
GALANT.
133
de Roy, n'ayant pû s'y trouver à
cauſe de ſa maladie, celuy de la
Ville prit ſa place avec Monfieur
deChavelin Intendant de la Province.
Les Chanoines y estoient
dans leurs Habits de cerémonie
avec leurs Soutanes violetes. Les
Officians eſtoient mitrez. Sur le
Soir la Garniſon dela Ville monta
à la Citadelle. Mr le Chevalier
deMontaut qui en eſt Gouverneur,
fit faire trois Salves Royalesde
ſoixante Pieces de Canon,
&l'Infanterie fit auſſi ſa décharge
dans le meſme temps . Toutes
les Fenestres eſtoient éclairées
d'un flambeau avec de lanternes
où les Armes du Roy paroiffoient.
Les Canons des Baſtions
des dehors firent auffi trois
Salves. Tout le Monde cria
Vive le Roy dans les Montagnes
de Chaudanne qui font à demy
134 MERCURE
my- lieuë de la Ville ; & dans
celle de Brezille , il y eut des
Feux de quarante charetées de
bois. On en fit auſſi dans tous les
Carfours,& les Habitans donnerent
du Vin à tous les Soldats
qui en voulurent.
Les Réjoüiſſances n'ont pas
eſté moindres à Montoire. C'eſt
une petite Ville du bas Vandomois
, ſituée ſur la Riviere du
Loir dans le plus beau lieu du
Païs . Les Garniſons , & les frequens
paſſages des Gés de guerre
l'avoiet ſi fort deſolée,qu'auffi
-toſt que la nouvelle de la Paix
avec l'Empereur y fut reçeuë,on
crut n'avoir plus de malheurs à
redouter. Ce fut une joye univerſelle.
On reſolut de la fignaler
par quelque Feſte extraordinaire.
Elle fut arreſtée au ſeptiéme
de ce Mois'; & comme il n'y
avoit
GALANT.
135
avoit point de deniers publics
pour en faire la depenſe ,Monfieur
Neilz Magiſtrat de la Ville
, & Monfieur Luneau Procureur
du Roy,promirent aux Habitas
qu'ils la feroiét à leurs frais .
On éleut les Officiers neceſſaires
pour mettre fur pied quatre
Compagnies d'Infanterie & une
de Cavalerie , dont le commandement
fut donné à ce dernier.
L'experience que les ſervices
qu'il a rendus au Roy pendant
fa jeuneſſe,luy ont fait acquerir
dans les Armes,juſtifioit le choix
qu'on en fit. Ilyavoit trois Fleurs
de Lys peintes fur le Drapeau
de Cavalerie , avec ces paroles
en lettres d'or , Lilia olivas ferunt.
Sur le midy , les Habitans
fous les armes s'eſtant tous rendus
à leur Drapeau , la moindre
Compagnie ſe trouva de cent
quatre
136 MERCURE
quatre, tous bien faits,fort leſtes,
& la Cavalerie montée avantageuſement.
Ils fortirent dans la
Plaine, ayant leur Colonel à leur
teſte , & eſtant rentrez ſur les
cinq heures , ils ſe rangerent
dans une Place tres belle pour
ſa ſituation,unie,preſque carrée,
environnée de beaux Bâtimens,
& plantée de pluſieurs grands
Ormeaux. Au milieu de cete Placequi
eſt environ de deux arpēs,
étoit un magnifique Bucher,ayat
fur ſon ſommet de dix toiſes de
hauteur un Pavillon ſemé de
Fleurs de Lys, le fond aurore,avec
des paroles Latines qui faifoient
voir que la Paix eftoit l'ouvrage
de Loüis LE GRAND . Devant
'Hôtel du Magiſtrat de la Ville
, il y avoit une Fontaine qui
jettoit du Vin de la hauteur de
neuf pieds dans un grand baſſin
,
garny
GALANT. 137
:
:
garny de lierre. Ce Magiſtrat eſtoit
à ſa porte en Robe , ſous un
tres- beau Portail . Les Troupes
paſſerent en reveuë devant luy
quand elles fortirent dans la Plaine,
& elles firent alte au meſme
lieu en revenant. Le Colonel &
les Capitaines mirent pied à terre
, & s'eſtant approchez de luy
fous fon Portail , Monfieur Prégent
y prononça un fort beau
diſcour ſur la Paix. Le Magiſtrat
luy fit une reponſe tres - éloquente
, & marcha enſuite avec pluſieurs
Gens de Robe qui l'accompagnoient
au milieu des
principaux Officiers , ſuivis des
Troupes, vers la principale Egliſe
où tout le Clergé s'eſtoit rendu
, au ſon des Trompetes , des
Tambours , des Hautbois & des
Violons. Le Te Deum fut chanté
, & au retour de l'Eglife,
on
138 MERCURE
on vint dans la Place où le Bucher
étoit élevé.Monfieur Neilz
y mit le feu,& fut reconduit par
toutes ces Troupes , apres mille
cris de Vive le Roy , fuivy du ſon
des Cloches , du bruit d'une infinité
de Petards & de Fuſées,
& de la decharge de toutes les
Armes.
Larencontre du Dimanche a
fait remettre cette année au
Lundy 15. de ce mois , l'Anniverſaire
du feu Roy Loüis XIII.
qui ſe fait tous les ans le 14. de
May , dans l'Egliſe de l'Abbaye
de S. Denys en France, avec de
fortgrandes ceremonies.La Meſ.
ſe y eſt toûjourscelebrée par un
Eveſque,& elle l'aeſté cette année
par Monfieur l'Abé du Laurens,
nommé à l'Eveſché de Bellay.
C'eſt luy qui a eſté éleu General
de l'Ordre de Cluny,dans
le
GALANT. 139
YUN
le dernier Chapitre General qui
s'eſt tenu il y a quelque temps
au College qui porte ce nom,
Voicy ce qui ſe paſſe dans l'Anniverſaire
dont j'ay à vous entretenir.
L'Egliſe eſt toute tenduë
de deüil , & il yadeux lez de
Velours tour du long du Choeur
où ſont attachées les Armes de
France , avec une fort grande
quantité de lumieres. La Meſſe
eſt chantée par les Religieux
tous en Chapes , & par la Muſique
du Roy. Un grand nonbre
d'Officiers de Sa Majesté,
qui reçoivent tous l'ordre de
Monfieur de Saintot , aſſiſtent à
cette ceremonie , auffi-bien que
les Chanoines & les Récolets de
Saint Denys. On choiſit douze
Pauvres , qui s'y trouvent avec
un Cierge à la main , & on leur
donne à chacun une piece d'Etofe,
140 MERCURE
3
tofe, une paire de Souliers,& un
Ecu, La Meſſe finie , l'Aumônier
du Roy donne l'aumône à
tous ceux qui la veulét recevoir.
Ils s'y rencontrent ce jour-là en
tres- grand nombre.Mrl'Abbé de
S.Vallier, Frere du Capitaine des
Gardes de la Porte , a fait cette
diſtribution cette année .
Monfieur le Duc de Vitry eſt
mort icy le 9. de ce mois, âgé de
59. ans . Il s'appelloit François-
Marie de Lhoſpital. Jene parleray
point icy de l'origine de cette
Maiſon. Je vous diray ſeulement
qu'elle a fait les Branches
• des Marquis de Choiſy , & des
Seigneurs & Comtes de Sainte
Meſmes. François de Lhoſpital,
Seigneur de Vitry , épouſa Anne
de la Chaſtre , Fille de Claude
Baron de Maiſonfort , dont
nâquit Louis de L'hofpital, Marquis
GALANT.
141
→
quis de Vitry,Chevalier des Or
dres du Roy ,Capitaine des Gardes
du Corps,Lieutenant General
des Comtez de Champagne
& de Brie, & Gouverneur de la
Ville de Meaux. Loüis , marié
avec Françoiſe de Brichanteau,
eut cinq Enfans, qui furent Nicolas
& François de Lhoſpital,
Mareſchaux de France, la Comteſſe
de Charlus, la Marquiſe de
Perſan , & Loüiſe de Lhoſpital,
qui eſt morte Abbeſſe de Montivilliers
. François , qui eſtoit le
Cadet , n'a laillé aucuns Enfans .
C'eſtoit feu Monfieur le Marefohal
de Lhoſpital, mort Gouverneur
de Paris . L'Aîné , qui fut
Nicolas Marquis de Lhoſpital,
puis Duc de Vitry , Capitaine
des Gardes du Corps , & Gouverneur
de Provence , épouſa
Lucrece de Bouhier - Beaumachais,
142 MERCURE
chais , Veuve du Marquis de
Noirmoutier , & c'eſt de ce Mariage
qu'eſtoit forty Monfieur le
Duc de Vitry. Il avoit pris alliance
dans la Maiſon Pot de
Rhodes . C'eſtoit un Homme de
tres- grand eſprit , qui avoit eſté
employé par le Roy dans des
Negotiations importantes. Il a
eſté longtemps Ambaſſadeur aupres
du Duc de Bavieres, & s'eſt
acquité de cet employ avec tout
le ſuccés qu'on pouvoit attendre
d'un Homme de ſa naiſſance &
de fon merite. Sa Majesté l'avoit
nommé Plénipotentiaire pour la
Paix ; mais les continuelles maladies
qui l'ont accablé depuis
quatre ans , ne luy pûrent permettre
d'aller à Nimegue.
J'ay auſſi à vous apprendre la
mort de Madame la Marquiſe
de la Tremblaye , arrivée icy
dans
GALANT.
143
dans les derniers jours de l'autre
Mois . C'eſtoit une Dame d'une
fort grande vertu. Sa patience
dans ſa maladie , & fon entiere
refignation aux ordres d'Enhaut,
en ont eſté de ſolides marques.
Elle estoit proche Parente de
Monfieur Lavocat Maiſtre des
Requeſtes ,& alliée de Monfieur
de Pompone. Monfieur le Marquis
de la Tremblaye ſon Mary
eſt de laMaiſon de Beauveau en
Poitou.
Cette mort a eſté ſuivie de
celle de Monfieur du Meſnil
Docteur de Sorbonne.S'il y a de
la grandeur d'ame à faire paroiftre
& de la fermeté dans ce terrible
paſſage,on ne peut trop admirer
celle qu'a fait éclater le
Roy de Suede , dans la maladie
dont il eſt enfin heureuſement
échapé. La neceſſité de mourir
eft
144
MERCURE
eſt aſſurément fâcheuſe pour
tout le monde , mais il ſemble
qu'elle devoit l'eſtre encor davantage
pour ce jeune Prince,
qui eſtant né dans le Trône , ſe
voyoit reduit à quitter la vie, en
commençant à connoiſtre qu'il
en joüiſſoit. Voyez dans la Lettre
que je vous envoye , avec
combien de conſtance il a enviſagé
les approches de ce qui fait
trembler les plus intrépides .
LETTRE
ECRITE DE SUEDE,
Sur la maladie de Sa Majesté
Suédoiſe.
E ne puis laiſſfer paſſer cette occaſion
ſans vous mander l'entier
rétabliſſement de la ſanté du Roy
de Suéde , qui a esté si bas , que
les
GALAN T.
145
-les Medecins en ont deſeſperé. Ie
ne doute point auſſi que je ne vous
faſſe plaisir de vous mander le
cours de fa maladie , & les beaux
Sentimens de ce Prince, lequel tom.
ba malade le 26. de Mars , d'une
févre qui augmenta de jour enjour
jusqu'au 23. Pour cacherſamaladie
, Sa Majesté ſe bottoit , & ne
discontinuoit point d'assister aux
Conſeils ; mais la douleur la pref-
Sant d'une maniere à ne lepouvoir
plus cacher , Elle avoüa qu'ellese
portoit fort mal , &qu'elleſeſentoit
le coeur attaqué. Ce Princese
mit donc au Lit ,& lafiévre venat
à redoubler la nuit , accompagnée
d'une chaleur intolerable,luy cauſa
une grande oppreſſion &battement
de coeur. S'appercevant que fafin
approchoit, ilSongea àſa confcience,&
fatisfit à tous les devoirs de
SaReligion avec une devotionfans
May 1679.
G
146
MERCURE
exemple , car c'est un Prince qui a
toûjours esté vertueux . En fuite il
envoya chercherſon premier Prédicant
, qu'il fit afſfeoirſurſon Lit.
Il luy dit qu'ilvoyoit bien qu'ilfalloit
mourir; qu'avant que de quit.
ter le monde , il avoit voulu le remercier
de tous les soins & peines
qu'il avoit priſes pour luy,& qu'étant
dans l'impuiſſance de les reconoiſtre,
il prioit Dieu qui étoitſijuſte
de le recompenser. Apres cela,il
le chargea de choſes toutes tendres
pour la Reyne de Suede , que je ne
pûs pas bien entendre,à cauſe qu'il
s'expliquoit en Suedois . Comme il
vit tous fes Officiers & Generaux
autour de luy,il les remercia en termes
fort obligeas desſervices qu'ils
luy avoient rendus leur dit qu'ilse
Souvenoit fort bien des dagers qu'ils
avoient courus dans les Batailles,
& qu'apres Dieu il en attribuoit
à
GALAN T.
147
à eux ſeuls les heureuxfuccés. Il
remercia de mesme les Officiers de
Sa Maiſon , s'étendit ſur l'impuis-
Sance où il eſtoit de recompenser
comme ilſouhaitoit,leurs bons fervices
,& leur marqua que c'eſtoit la
choſe qu'il regretoit le plus. Il demanda
pardon s'il avoit chagriné
quelqu'un; pria ceux qui pouvoient
ſe plaindre de luy , d'avoir égard
qu'il estoit Homme comme eux , &
qu'il avoitſes foibleſſes,les aſſurant
que s'il les avoit offencez, il n'en
avoit jamais eu l'intention.Comme
la douleur& le mal redoublerent:
Il faut que j'avouë , dit - il , que
tout ce que j'ay ſouffert en cette
guerre , n'approche en rien de
tout ce que je ſouffrd preſentement,&
que la guerre qui ſe fait
dans mon coeur eſt bien plus rude&
bien plus cruelle que celle
que j'ay faite , & l'Ennemy qui
Gij
148 MERCURE
:
m'attaque, bien plus terrible que
tous mes Ennemis enſemble. Il
pria Dieu d'avoir pitié & mifericorde
de luy , luy recommanda
Son Royaume , repetant plusieurs
fois : Ah , pauvre Suede , que tu
vas eſtre malheureuſe , ſi Dieu
ne te prend en ſa protection ! Il
regreta fort de la laiſſer en guerre,
fit reſſouvenir tous les Aßiſtans
de la maniere qu'il s'estoit attiré
cette guerre,&deſon bas âge; qu'il
n'y avoit pû apporter les remedes
neceſſaires pour faire tourner autrement
les choses . Comme il vit
que tout le monde fondoit en larmes
, il leur dit : Pourquoy vous
affligez - vous ? Je ne ſuis pas
tant à plaindre. Je ſens que je
ſuisun Enfant du Pere Eternel.
Je n'ay jamais voulu du mal à
perſonne. J'ay gardé ma foy à
mes Alliez , & ma parole à mes
Peuples.
GALANT. 149
Peuples. Enfin je n'ay rien à
me reprocher. J'ay aimé tendrement
mes Sujets. Je me fuis
volontiers exposé pour leur falut.
Vous aurez aprés moy un
Roy ſage , mais jamais qui vous
aime comme je vous ay aimez.
Se reſſouvenant que c'estoit l'heure
de la priere , il fit entrer le Predicant
qui la vouloit racourcir ;
mais il luy dit que ce n'estoit pas
le temps , qu'il n'en avoit jamais
eu plus de beſoin , & demanda à
tous les Aſſiſtans de prierDieu qu'il
eust pitié defon ame. Les prieres
finies , il s'entretint de la mort ,
témoignant qu'il ne la craignoit
Pas. Comme tout le monde le vouloit
quitter , à cauſe que l'effort
qu'il faisoit pour parler augmentoit
fon mal , il les rappella , &
leur recommanda de le faire enterrer
fans aucune magnificence ;
Gij
150
MERCURE
que ce n'estoit pas le temps de faire
des dépenses inutiles , qu'il n'avoit
jamais aimé le faſte , & qu'il
defiroit estre enterré comme il avoit
vescu. Apres il donna ſa main à
baifer,& accompagna l'adieu qu'il
nous dit , de termes fort touchans
& fort tendres . Quelque temps
apres il lay prit une ſueur qui dura
bien deux heures . La douleur
qu'il fentoit au coeur diminua . Il
S'endormit , & en paſſa quatorze
dans un sommeil fort tranquille.
Sa fiévre ſe convertit en tierce,
diminua d'accés en accés , & ceſſa
enfin entierement. Ainsi voila la
Suede délivrée d'une grande inquiétude.
Imaginez- vous ſa joye
de voir ce jeune Monarque hors
de danger, apres l'avoir veu agonisant.
Avoüez , Madame , qu'un
Prince
GALAN T.
151
Prince ſi jeune, qui a de fi beaux
ſentimens, qui aime ſon Royaume
& ſes Sujets , qui garde ſa
foy à ſes Alliez , & qui eſt d'ailleurs
tres -brave , méritoit fort
d'eſtre regreté. La matiere eſt
triſte. Je la quitte pour vous faire
part d'une ſeconde Chanſon
ſur le retour du Printemps. Les
Paroles font de Monfieur l'Abbé
Mallement de Meſſange.
AIR NOUVEAU.
Lafin ces
A fines,
Deserts ont repris leur
Et dans nos Bois mille charmans Ruif-
Seaux
Accordent an chant des Oyſeaux
Leur agreable murmure.
Seul accabléd'un ennuy rigoureux
Causépar le mépris d'une Amante par-
1
jure ,
Pendant que tout rit en ces lieux,
L'entretiens ces Forests du tourment que
j'endure.
Giiij
152
MERCURE
Je n'ay pû encor recouvrer les
Versqu'a faits Monfieur de Fontenelle
, ſur ce que Monfieur le
Prince ne vit que de Lait. Ils
méritent fort l'empreſſement que
vous me témoignez de les voir.
On me les promet dans quelques
jours , & vous les aurez
la premiere fois que je vous
écriray. Il en eſt échapé ſi peu
de Copies , que quoy qu'il y
ait déja long-temps qu'ils font
faits , ils pourront eſtre nouveaux
pour la plupart de ceux
qui liſent mes Lettres. Cependant
je vous envoye ce que
vousm'avez ſi expreſſement demandé
pour vos Amies. C'eſt le
dernier Idille de Madame des
Houlieres . Comme vous me fiſtes
ſçavoir que vous l'aviez veu
dés qu'il fut fait , je negligeay
de vous en faire un Article en
ce
GALANT.
153
ce temps là. Liſez de nouveau ,
& admirez. Les Ouvrages de
cette Illuſtre ont des beautez fi
particulieres , qu'ils ne peuvent
eſtre ny leûs trop ſouvent , ny
conſervez avec trop de foin.
*99* EX. OFF9909967 93 EFFERE
LES OISEAUX
IDILLE DE MADAME
des Houlieres .
L'Air n'est plus obscurcy par des
brouillars épais ,
Les Prezfont éclater leurs couleurs les
plus vives ,
Etdans leurshumides Palais
L'Hyver ne retient plus les Nayades captives.
Les Bergers accordant leur Musete à
leur voix,
D'unpied legerfoulent l'herbe naiſſante,
Les troupeaux neſont plus ſous leurs reſtiques
toits ;
Mille&mille Oyseaux àlafois
Ranimant leur voix languiſſante,
G
154 MERCURE
Réveillent les Echos endorinis dans ces
Bois.
Où brillosent les Glaçons, on voit naiſtre
lesRofes.
Quel Dieu chaſſe l'horreur qui regnoit
dans ces lieux ?
Quel Dieu les embellit ? Leplus petit des
Dieux
Fait ſeul tant demétamorphoses ;
Ilfournit au Printemps tout ce qu'il a
d'appas ;
Sii Amourne s'enmeſloit pas,
On verroit perir toutes choses.
Il est l'ame de l'Univers .
Comme il triomphe des Hyvers
Qui deſolent nos Champs par une rude
guerre,
D'un coeur indiferent il bannit les froideurs.
L'indiference est pour les coeurs
Ce que l'Hyver eft pour la terre.
Que nous fervent , belas ! defi douces teçons
?
Tous les ansla Nature en vain les renouvelle
;
Loinde la croire , àpeine nous naiſſons,
Qu'on nous apprendà combatre cotre- elle.
Nous aimons mieux par un bizarre
choix, Ingrats
GALANT.
155
Ingrats Esclaves que noussommes,
Suivre ce qu'inventa le caprice des Hommes
,
Que d'obéir à nos premieres Loix.
Que vostrefort est diferent du nostre,
Petits Oyseaux qui me charmez !
Voulez- vous aimer ? vous aimez ?
Un lieu vous déplaist- il vous pafſfez dans
un autre.
On neconnoit chez vous ny vertus , ny
defauts ,
Vous paroiſſextoûjours ſur lemesme plumage
Et jamais dans les Bois on n'a veu les
Corbeaux
DesRoffignols emprunter le ramage.
Iln'est de fincere langage,
Iln'est de liberté que chez les Animaux.
L'usage, le devoir, l'austere bienfeance, 1
Tout exige de nous des droits dont je
meplains ,
Et tout enfin du coeur des perfides
Humains,
Ne laiſſe voir que l'apparence.
Contre nos trahisons la Nature en couroux
Ne nous donne plus rien ſans peine,
Nous cultivons les Vergers &la Plaine,
Tandis
156
MERCURE
Tandis ,petits Oyſeaux, qu'elle fait tout
pourvous.
Lesfilers qu'on vous tend font la ſeule
infortune
Que vous avez à redouter ;
Cette crainte nous est commune,
Sur nostre liberté chacun veut attenter,
Pardes dehors trompeurs on tache ànous
i
Surprendre.
Helas, pauvrespetits Oyſeaux,
Des ruſes duChaſſeurſongezà vous défendre,
Vivre dans la contrainte est leplus grand
des maux.
Vous ſçavez que Monfieur
de Montmort , Doyen des Maîtres
des Requeſtes , mourut il y
a environ deux Mois.Il eſtoit l'un
des quarante de l'Academie
Françoiſe.Monfieur l'Abbé de la
Vau , Garde de la Bibliotheque
du Cabinet du Roy, Treſorier de
Saint Hilaire le Grandde Poitier
,& Chancelier de l'Univerfi .
te
GALAN T. 157
té de la meſme Ville , remplit
aujourd'huy ſa place dans cette
celebre Compagnie. L'inclination
qu'il a toûjours euë pour
les belles Lettres , luy a fait acquerir
des connoiſſances qui le
rendoient tres -digne du choix
qu'on a fait de luy: Il fut reçeu
dans l'IlluſtreCorps dont je vous
parle , le Jeudy quatrième de ce
Mois , & fit un Diſcours qui luy
attira beaucoup d'applaudiſſemens.
Comme les Portes ſont oun
vertes ces jours de receptio,l'Afſemblée
fut confiderable. Elle
eſtoit composée d'un grand
nombre de Perſonnes de qualité
,& de gens infiniment éclairez
. Monfieur le Duc de la Rochefoucaut
s'y trouva. C'eſt un
Juge cõpetent , dont l'eſprit n'eſt
pas moins élevé que la naiſſance.
Monfieur l'Abbé de la Vau
commen
158 MERCURE
commença par les ſentimens de
reconnoiffance qu'il avoit du
choix que Meſſieurs de l'Academie
avoient fait de fa Perſonne
pour remplir la place d'un Homme
fameux par ſa profonde érudition.
Il leur dit modeſtement,
Qu'ils avoientSuposé en luy quelque
merite,parce qu'ils le voyoient
revestu de la Charge d'un Home de
Lettres.llajotita,QueSçachat qu'il
demeuroit depuis plusieurs années
au Louvre où ils tiennent leurs
Conferences fi utiles au Public, ils
S'eſtorent sans doute imaginez qu'il
y avoit respiré un air qui ouvre
l'esprit , & qui communique une
partie des belles lumieres qu'ils venoient
ſi ſouvent y faire éclater;
Semblable à ceux qui en entrant
autrefois dans le Temple de Dodonne
, joüiſſoient aussi - toft du
,
don de prophetiſer. Il fit enſuite
l'éloge
GALANT.
159
l'éloge de Meſſieurs de l'Academie
, parmy leſquels il ne
voyoit que de grandes qualitez ,
ſoit qu'il les regardaſt en general
, ſoit qu'en les examinant
en particulier , il confideraſt les
uns dans les plus hautes dignitez
de l'Eglife, & les autres dans
les premiersEmplois de l'Epée &
de la Robe. Il dit,Qu'on ne devoit
pas estre Surpris de trouver en eux
un meritesi extraordinaire , puis
que leur établiſſement estoit l'Ouvrage
du grand Cardinal de Richelieu,
qui prévoyant ce que nous
voyons aujourd'huy , penſoit à épurer
& à enrichir une Langue
que le Maiſtre ſous qui nous vivons
, rend si neceſſaire à toutes
les Nations . Ilacheva cet Article
en faiſant connoiſtre qu'il ne faloit
point une autre preuve du
veritable merite de ce Cardinal,
que
160 MERCURE
que de voir qu'il eſtoit impoffi
ble de l'oublier dans un Siecle
qui faiſoit oublier tous les autres
Siecles . Apres avoir paflé legerement
fur Monfieur le Chancelier
Seguier ſecond Protecteur
de l'Académie , il vint au Roy
qui n'avoit pas dédaigné de prédre
cette mefme qualité. Il dit,
Que ce grand Prince qui ne peut
rien faire de mediocre , apres avoir
donné des marques d'une confideration
particuliere à ceux qui compofent
cette Compagnie,avoit vou.
lu que le lieu de leurs Affemblées
fûtdanssonprincipal PalaissQu'il
faisoit encor pour eux ce que luy
Seul estoit capable de faire ; Qu'il
leur donnoit une illustre & vaste
matiere defe fervirde cespretieux
Talens qu'ilsfaisoient tous lesjours
briller dans leurs Conferences , &
qu'en quelque genre qu'ils écriviffent,
GALANT. 161
Sent, ils n'avoient qu'àparler de
leur inimitable Protecteur pour
faire des Ouvrages dont la beauté
Seroit nouvelle & durable comme
les ſujets qu'il leur en donnoit . Il
parla de ce que Ciceron avoit
dit de Scipion , qu'il estoit orné de
plus d'une Majesté , ſans vouloir
pourtant comparer Scipion à
LOUIS LE GRAND, qui avec les
qualitez de ce Romain avoit
toutes celles qui ont fait admirer
les plus ſages Rois , & les Conquerans
les plus illuftres . Il fit
voir que s'il n'eſtoit pas permis
de faire de ces fortes de comparaiſons,
nous pouvions au moins
nous fervir de ce que les plus
beaux Eſprits des Siecles pafſez
avoient dit des plus grands
Hommes de leur temps; Qu'ilferoit
difficile autrement de donner
une veritable idée du Héros de la
France;
162 MERCURE
France ; Qu'il estoit tellement au
deſſus de tout ce qui nous est connu,
qu'on estoit ſouventforcéàparler
des actions des autres, pour difpoſer
lemode à croire ce qu'ilafait,
& nous aprocher inſenſiblement de
luy, Que l'Antiquité n'avoit pû établirſes
Dieux fans les faire paroîtrefous
lafigure des Homes; Que
c'estoitpar cette raison qu'ilfaloit
Souvět parler des Héros qui ont precedé
Louis ,pour tacher de lefaire
comprendre,& que ce qui étoit une
marque de nostre foibleſſe , l'estoit
en mesme temps de l'extreme élevation
de nostre Auguste Monarque.
Apres cela il parla en general
de ce que le Roy faiſoit
tous les jours d'extraordinaire
pour ſuivre la grandeur de fon
génie, juſqu'à entreprendre des
choſes auſquelles la Nature mefme
ſembloit s'oppoſer , comme
la
GALANT. 163
la jonction des deux Mers ; ce
qui avoit pû faire dire avec verité,
Qu'il estoit plus puiſſant que les
Destinées. La Paix étoit trop recente
pour n'en rien dire. Apres
que ce nouvel Academicien eut
fait voir que la prudence & le
courage du Roy , avoient paru
dans les dernieres guerres , pendant
leſquelles il avoit eu à combatre
ſeul toute l'Europe , fans
qu'un ſi grand nombre d'Ennemis
l'euſt pû empefcher de remporter
tous les jours quelque nou.
vel avantage , il dit , Qu'il avoit
arresté l'imperuoſité de ſes Conquestes
au milieu desflateries de la
Fortune , qui n'avoit jamais osé le
trahir,qu'aux dépens deſes propres
Triomphes , il donnoit la Paix au
Monde Chrestien; Qu'il l'avoit luy
Jeul concluë, refoluë,& ensuite imposée,
pour ainſi dire, à toute l'Eu
rope,
164 MERCURE
rope, &qu'elle pouvoit estre regardée
comme un Ouvrage dont perfonne
ne partageoit la gloire avec
luy ; au lieu que dans ces grandes
entrepriſes de guerre qui le fai-
Soient admirer, quoy qu'ily eust eu
la meilleure part,il avoit falu que
laſage conduite deſes Capitaines,
la bravoure deſes Soldats,& le Zele
ardent de ſes Ministres , luy en
euffent afſuré l'execution. Il prit
ici occafion de parlerde MrColbert
ſans le nommer, parce qu'il
eſt de l'Académie;& apres avoir
dit à ces Meſſicurs que leur Copagnie
luy devoit la meilleure
partie de ſes advantages , puis
que c'eſtoit par luy qu'ils recevoient
ſouvent des graces du
Roy , il s'étendit ſur le merite
particulier de ce grand Homme.
Il le loua d'une maniere d'autant
plus glorieuſe pour luy , qu'on
affura
GALANT. 165
aſſura qu'il n'en diſoit rien qui
n'euſt eſté dit par Sa Majeſté.
Jugez ,Madame, fion peut mieux
loüer un Miniſtre qui aime ſon
Maiſtre autant que Mr Colbert
aime le Roy , que par les choſes
que ſon Maître a dites de luy.
Monfieur l'Abbé le Galois ,
Directeur alors de la Compagnie
, répondit à ce Diſcours.
Cet illuſtre Abbé eſt d'une reputation
ſi bien confirmée, qu'il
eſt impoſſible qu'elle ne vous
foit connue. C'eſt un Homme
univerſel , & d'une profonde
erudition . Monfieur Colbert a
beaucoup de confideration pour
luy. Il demeure chez ce grand
Miniſtre , qui ſe plaiſt à s'entretenir
ſouvent avec luy des Sciences
les plus relevées . Il n'eſt pas
beſoin de vous en dire davantage
pour vous faire connoiſtre qu'il
doit avoir infiniment du merite.
166 MERCURE
Je vous en donnerois de preuves
bien convaincantes , ſi je vous
envoyois entierce que je nevous
puis faire voir que fort imparfait,
mais il ne demeure preſque jamais
qu'une idée confuſe de ce
qu'on n'a entendu qu'une ſeule
fois, & le plus fidelle extrait dérobe
toûjours beaucoup de la
grace des pensées , & de la forcede
l'expreſſion .
Monfieur l'Abbé le Gallois
établit la Reponſe qu'il fit àMonfieur
l'Abbé de la Vau , fur ce
qu'ily avoit de lajustice, & de la
prudence à l'avoir afſſocié dans leur
Corps ; de la justice, parce qu'il le
méritoit, comme on pouvoit le connoištre
par le beau Difcours qu'il
venoit de faire , & de la prudence
,parce que les Muſes de l'Academie
estant dans quelque forte
d'obligation de recevoir les Muſes
du
GALANT. 167
du Louvre, la Compagnie avoit dû
chercherà unir les Françoiſes avec
les Grecques & les Latines, dont la
Charge que cet Abbé exerçoit le
rendoit dépositaire. Il adjoûta en
parlant des Langues ; Que la Latine
& la Grecque qui estoient en
guerre depuis long-temps avec la
Françoise , avoient toûjours voulu
faire des Panegyriques des Conquerans;
mais que la Langue Françoi-
Se,Sans ſe piquer d'autant d'orgueil,
pouvoitse vanter d'emporter
aujourdhuy l'avantagesur l'une
&fur l'autre , puis qu'elle estoit
destinée à faire paſſer jusqu'aux
Siecles les plus éloignez les incroyables
merveilles de Loüis LE
GRAND . Il s'étendit fort fur la
diſpute des Langues , dit des
chofes tres - curieuſes ſur ce fujet,&
à l'avantage de la Françoife;
parla des Romains &de leurs
Conque
168 MERCURE
1
1
Conqueſtes , & fit voir que leur
Langue eſtoit comme finie avec
leur Domination,mais que la nôtre
qui alloit publier les ſurprenantes
actions du Roy,regneroit
éternellement. Cela luy donna
occaſion de faire l'éloge de ce
grand Prince en peu de Paroles.
Il finit par la gloire que s'eſtoit
acquis Auguſte en pacifiant toute'la
Terre ; ce qu'il n'avoit pas
fait pour refter oyſif , mais pour
faire fleurir les beaux Arts . Il en
fir une tres-juſte application , en
diſant , Que nous avions un Auguste
& un Mecene , & qu'il y
avoit lieu d'esperer que nous aurions
des Horaces & des Virgiles .
Apres qu'il eut ceſſe de parler,
Monfieur Boyer lût des Stances,
& Monfieur le Clerc , un Sonnet
. Ces deux Pieces eſtoient
fur la Paix . On leur donna les
loüan
:
GALANT. 169
loüanges qui leur eſtoientdeuës,
&la Compagnie ſe ſepara.
Monfieur le Marquis de Vitry ,
Frere du Duc de ce nom , dont
je vous apprens la mort par cette
Lettre , a eſté nommé à l'Ambaſſade
de Pologne. Il a toutes
les lumieres neceſſaires pour un
Employ de cette importance.
Ceux dont il s'est déja ſi dignement
acquité pour le ſervice du
Roy aupres des Couronnes du
Nort, parlent ſi avantageuſement
de ſon merite,qu'il ſeroit inutile
d'y rien ajoûter.
Mr le Chevalier de Noailles a
eſté pourveu depuis quelques
jours de la Charge de Lieutenant
General des Galeres , vacante
depuis pluſieurs années par la
mort de Mr le Marquis de Ternes.
Je ne vous dis rien de ce
Chevalier , vous ayant ſouvent
May 1679.
H
170 MERCURE
entretenuë des occafions dans
leſquelles il s'eſt ſignalé.
On me vient d'apprendre que
Monfieur Philippes, Lieutenant
de Roy de Thionville , s'eſtoit
marié avec Mademoiſelle Pajot,
Fille de Monfieur Pajot Maiſtre
des Courriers de France , & que
Monfieur Robert Intendant de
Flandres , avoit acheté la Charge
de Preſident des Comptes de
Monfieur Perraut. Le poſte que
Monfieur Philippes occupe aujourd'huy
eſt une preuve de ſes
ſervices , & on ne peut douter de
ceux de Monfieur Robert , dont
l'affiduité & le zele ont paru avec
tant de ſuccés en pluſieurs importantes
occaſions.
On a envoyé quatre Tygres à
Sa Majesté. C'eſt un Preſent du
Prince Charles de Schinſki, qui
demeure à dix lieuës de Vien
ne.
GALANT. 171
ne.Ce Prince eſt grand Philofophe
, & paffe pour le plus ſçavant
Homme d'Allemagne. Il
dit qu'il aimera toûjours trois
choſes avec paſſion ; le nom de
Charles qu'il porte , la Chymie,
&lesChevaux. On tient qu'il
enadu moins trois milledans ſes
Ecuries. Il a un Laboratoire trescurieux
, & fait depenſe de fofxante
mille livres tous les ans à
la decouverte des Secretsde la
Nature .
Le premier jour de ce Mois,
l'Eveſque de Bafſle qui fait fa refidence
à Polentruck , fit chanter
le Te Deum pour la Paix concluë
entre la France & l'Empereur.
Il donna enfuite un fort
grand Repas à plus de cinquan-
<te Perſonnes .On y but les Santez
de Sa Majesté , de l'Empereur,
&du Roy d'Eſpagne.Cette Re
Hij
172 MERCURE
jouiſſance finit par le bruit de
l'Artillerie , & par les feux des
Habitans , à qui on diſtribua
quantité de Vin par l'ordre de ce
Prelat .
Au reſte,Madame je croy vous
donner une nouvelle fort agreable
, en vous apprenant que ce
grandMuficien apellé Paolo Lorenzani
,qui fait tantde bruit à la
Cour depuis quelque temps , &
dont je vous ay déja parlé une
fois , s'eſt aſſez bien trouvé de la
France pour s'y arrefter. Il eſtRo
main, & digne Eleve du fameux
Horatio Benevoli , qui fut Maître
de la Muſique de S. Pierre à Rome
, & enſuite de feu S.A.R. de
Savoye Madame Chriſtine de
France . Ce Maître ſi renommé
eſtant mort , celuy dont je vous
parle retourna à Rome. Il y fut
admire,& n'y manqua pas d'employ.
GALAN T. 173
ploy. Il avoit celuy de Maître de
Muſique de l'Egliſe des Jeſuites,
quand la Cathédrale de Meſſine
perdit le ſien. Le Senat envoya à
Rome pour choiſir le plus digne
de lui fucceder.On jetta les yeux
fur Mr Lorenzani qui eſtoit dés
lors dans une tres-grande réputation
. Il vint à Meſſine ,& y prit
poffeffion d'un Poſte qui en ce
temps là eſtoit undes plus confiderables
d'Italie , tant pour la
gloire que pour l'utilité qu'on en
retiroit. Il l'occupa avec un ſuccés
qui luy devoit tout faire at
tendre de la Fortune & de fon
merite. Les troubles de Meſſine
furvinrent,& quoy qu'étant Romain
il n'euſt rien à craindre , il
prit cette occaſion de venir en
Francepour laquelle il avoit toujours
eu une inclination particuliere
, jointe à une extraordi
Hiij
174 MERCURE
naire paffion d'admirer de pres
un Roy , dont il avoit entendu
dire par tout tant de choſes ſi
peu croyables . Son inclination
pour les François, eſtoit accompagnée
d'un genie propre à leur
plaire dans ſes compoſitions de
Muſique. Il plut en effet , & le
premier Ouvrage de ſa façon
qu'il fit chanter à la Cour,ne dementit
point ce qu'on avoit attendu
de luy , & fur ſa reputation,&
fur ce qu'en avoit ditMr
le Maréchal Duc de Vivonne,
dont la delicateſſe du gouſt eſt
connuë. Ce premier Ouvrage fut
unMotet dont je croy vousavoir
déja parlé. Il fatisfit tellement
le Roy , qu'apres ſe l'eſtre fait
chanter fix autres fois , & luy a
voir fait un preſent confiderable
, Sa Majesté luy fit dire par
Monfieur le Duc de Vivonne,
H qu'il
GALANT..
175
qu'il reſtaſt en France , & qu'il
travaillaſt à tout ce qu'il jugeroit
à propos . Il obeït avec joye . Il a
fait depuis ce temps-là quantité
d'Airs qui ont extrémement plû .
Ce beau Menuët qu'on a tant aimé
à la Cour, & qu'on y a dance
pendant tout l'Hyver , eſtoit de
luy. La beauté de ſes Ouvrages
faiſant faire des ſouhaits à tout le
monde pour ſon établiſſement en
France, le Roy luy a fourny une
partie de ce qui lay eſtoit neceffaire
pour acheter de Monfieur
Boiſſet , qui a l'une des quatre
Charges de Sur- Intendantde la
Muſique de la Chambre,celle de
la Muſique de la Reyne . Cette
grande Princeſſe voit avec plaifir
cet Homme excellent attaché
à ſon ſervice . Tous ceux de fa
Maiſon en ont de la joye , & il
n'y a aucun Connoiffeur qui ne
A
Hij
176 MERCURE
ſoit ravy d'apprendre qu'il ne retournera
point en Italie . J'eſpere
vous envoyer de ſes Ouvrages
avant qu'il ſoit peu.
LeRoy d'Eſpagne apres avoir
ratifié la Paix, a nommé un Ambaſſadeur
en France ; & comme
pour ſoûtenir l'éclat de cette
Ambaſſade , il faut un Homme
d'un merite conſommé , & qui
joigne beaucoup de bien à une
haute naiſſance , Sa Majesté Catholique
a choiſi Dom Pablo
Spinola Doria , Marquis de los
Balbaſes, Duc de Seſto, Seigneur
de Ginofa, Caſalnoſetta, & Pontecurone,
Conſeiller de ſon Conſeil
d'Etat , & fon Grand Protonotaire
en fon Conſeil d'Italie. Il
a eſté longtemps General de la
Cavalerie de Milan , deux fois
Gouverneur per interim du meſme
Etar, fix ans & demy Ambaffadeur
GALANT.
177
fadeur aupres de l'Empereur, &
Chefde l'Ambaſſade àNimegue
pour la Paix. Il eſt Fils de Philippes
Spinola , petit - Fils d'Ambroiſe
Spinola , qui fut Gouverneur
& General de la Flandre
cõtre le Prince Maurice de Naffau,&
fort du coſté de ſa Mere de
la fameuſe Maiſon de Doria.Madame
la Marquiſe de los Balbaſes
ſa Femme, eſt Soeur de Mr le
Conneftable Colonne . Il a le titre
de Grand d'Eſpagne . Je croy
vous avoir déja marqué dans
quelqu'une de mes Lettres ,
qu'il y en a de trois fortes . Je
ne vous repete point quelle en
eſt la diférence. Je vous diray
ſeulement que l'Illuſtre Ambaffadeur
dont je vous viens de
marquer les qualitez , eſt de la
premiere Claſſe. C'eſt ce qu'on
appelle chez les Eſpagnols ,
Hv
178 MERCURE
Premiere Grandeffe. Quelques
jours apres qu'il fut arrivé, il eut
une Audience particuliere du
Roy;& dans leComplimentqu'il
fit à Sa Majesté , il parla de ſa
Maiſon , de ſes Dignitez , de la
gloire de ſes Anceſtres , & apres
s'eſtre étendu ſur les importans
Emplois pour lesquels il avoit
eſté ſouvent choiſi, il ajoûta que
tant d'avantages,& les graces les
plus particulieres qu'il euſt jamais
reçeuës du Roy ſon Maître,
le touchoient moins que ce qu'il
luy avoit plen de faire pour luy,
en luy donnant lieu de voir de ſi
pres un fi grand Monarque. Le
meſme jour il eut une pareille
Audience de la Reyne, de Monfeigneur
le Dauphin , de Monſieur
, de Madame , & de Mademoiselle
, qui luy firent tout
l'accueil qu'une Perſonne de fon
cara
GALANT.
179
caractere & de ſon merite en
pouvoit attendre. Le Roy fit
une Reveuë des Troupes de ſa
Maiſon environ dans ce meſme
temps. Vous ne ferez peuteſtre
pas fâchée d'en ſçavoir les
circonftances. Je commence par
les Gardes du Corps. Vous ſçavez
qu'ils font diviſez en quatre
Compagnies , chacune def
quelles a ſa couleur. Celle de
Noailles a la Bandoliere blanche,&
la Houſſe verte ; celle de
Duras porte le vert ; celle de
Luxembourg , le bleu ; & celle
de Lorge , le jaune. Chacune
de ces quatre Compagnies fut
miſe en trois Eſcadrons . Les
Gardes estoient tous veſtus de
neuf. La meſme choſe des au
tres Corps.Leurs Habits eſtoient
de Drap bleu , avec un galon
tout argent , & ondé , large de
deux
180 MERCURE
deux grands doigts. Il n'y en
avoit pas ſur toutes les taillesdes
Habits des Gardes le jour qu'on
fit la Reveuë , mais on y en a
adjoûté depuis. Les revers des
Manches eſtoient doublez de
velours rouge , & couverts de
deux grands galons , l'un moins
large que celuy de l'Habit. Il y
en avoit cinq ſur les Bandolieres
, ſçavoir trois grands ; &
deux petits. Leurs Baudriers &
leurs Gands eſtoient de Buffle,
avec des galons pareils à ceux
de l'Habit ; leurs Echarpes ,
blanches,avec des houpes ; leurs
Sabres , d'argent ; & leurs Chapeaux
bordez. Comme les Officiers
de ce Corps ſont en grand
nombre , & qu'ils eftoient tous
couverts ou de galons , ou de
broderie , on ne peut rien voir
deplus éclatant qu'eſtoient ces
douze
GALANT. 181
douze Eſcadrons. Les Habits
& les Houſſes des Gendarmes
& des Chevaux- Legers,eſtoient
rouges , leurs Chapeaux noirs
& bordez , avec des Plumes &
des Echarpes blanches , leurs
Baudriers de Buffle , & couverts
de galons. Les Habits de ces
deux Corps diferent , en ce que
les galons des Gendarmes ſont
tout or,& les manches de leurs
Juſte àcorps doublées de velours
noir, & que les galons des Chevaux-
Legers ſont meſlez d'or &
d'argent , outre que la doublure
de leurs Manches eſt dela méme
couleur que leurs Juſte-à- corps.
Leurs Houſſes eſtoient rouges &
galonnées . Les Officiers desGendarmes
font Monfieur le Prince
de Soubize Capitaine Lieutenantiles
Sous - Lieutenans, Meffieurs
de Nonan & de Buzanval.
Les
182 MERCURE
1
Les Enſeignes, Meſſieurs de Valencé
& de Roytelin . Les Guidons,
Meffieurs de Poigny & de
Bethune ; deux Mareſchaux des
Logis, huit Brigadiers , huit Sous-
Brigadiers , un Major , & deux
Sous- Majors. Les Officiers des
Chevaux- Legers ſont Monfieur
le Duc de Chevreuſe , Capitaine
- Lieutenant ; Monfieur de la
Salle , Lieutenant ; Monfieur de
Valbelle , Cornete ; deux Ма-
reſchaux des Logis, huit Brigadiers
, huit Sous- Brigadiers . Ces
deux Compagnies formoient
chacune deux Eſcadrons . Je ne
parleray point des Caſaques des
Mouſquetaires.Elles font cõnuës.
La premiere Compagnie appellée
des Mouſquetaires blancs,
avoit des Juſte- à- corps rouges,
enrichis de galons tout or. Leurs
Chapeaux eſtoient bordez , avec
unc
GALANT. 183
une Plume blanche , & un Ruban
bleu au retrouſſis. Ils avoient
des Rubans de pareille couleur
à leur Cravate ; des Baudriers
de Buffle , garnis de galons de
meſme que l'Habit , auffi -bien
que leurs Bandolieres & leurs
Gands. Leur Pulverin eſtoit un
Coeur parſemé de Fleurs de Lys.
Il y avoit ſur le Cartouche un
Coeur enflâmé en broderie d'or.
Ils avoient des flames & des
fleurs d'or fur leurs Houſſes.Tous
les Juſte - à - corps des Officiers
eſtoient à fonds rouges , mais
d'une magnificence admirable,
& plus ou moins riches , ſelon
leur rang , afin de marquer de
la diference entr'eux. Rien n'êtoit
plus beau , ny plus ſuperbement
accommodé, que les Chevaux
de main de Monfieur le
Chevalier de Fourbin, qui commande
CJ
L
184
MERCURE
mande cette premiere Compagnie.
La ſeconde appellée des
Mouſquetaires noirs, parce qu'ils
font montez ſur des Chevaux de
cette couleur , eſtoit auſſi veſtuë
de rouge. Elle avoit des Baudriers
de Buffle, des Bandolieres
rouges , & des Gands bordez de
galon or & argent comme l'Habit,
une Plume blanche , & des
Rubans bleus. Toutes les Houfſes
eſtoient de Drap d'écarlate .
Il y avoit autour une Broderie
haute de trois doigts. Les deux
Compagnies eſtoient jointes
enſemble , & ne firent point
l'Exercice à cheval. Elles défilerent
une fois par Brigade , puis
elles formerent une Ligne treslongue
de la plus belle Infanterie
qu'on puiffe voir , & defilerent
quatre à quatre. Il n'y
avoit à la Revenue que deuxBa
taillons
GALANT. 185
taillons du Regiment des Gardes.
Ils firent leur Exercice ordinaire.
Leurs Grenadiers avoient
des Buffles. Je ne vous dis rien
de la maniere dont ils eſtoient
mis. J'en ay déja parlé dans
ma premiere Lettre de cette
année . Les Grenadiers à cheval
eſtoient veſtus de rouge
fans Galon , avec des Bonnets
rouges en pointes , doublez de
pluche brune.Cette Compagnie
formoit un Eſcadron. Le Roy
veſtu d'un Habit de Droguet à
fonds d'or,avec de grandes Boutonnieres
en broderie d'or,mais
plus paré encor de ſa bõne mine
&de fon air tout martial,que de
ſesHabits, viſita toutes cesTroupes
deux ou trois fois , & apres
leur avoir veu faire l'Exercice, il
les fit toutes defiler devant luy.
Mrl'Ambaſſadeur d'Eſpagne ad.
mira
186 MERCURE
mira labonté de ſes Compagnies,
&la richeſſe de leurs Habits.
Quelques jours apres , le meſme
Ambaſſadeur alla rendre viſite à
Monfieur dans ſa belle Maiſon
de S. Cloud, où Monſeigneur le
Dauphin eſtoit , pour y tenir
avec Mademoiselle , le Fils de
Monfieur le Marquis de Nonan
fur les Fonts . Cette jeune Princeſſe
eſtoit toute couverte de
Diamans , qui n'effoient accompagnez
d'aucune Pierre de couleur.
Elle avoit meſme un Collier
de Diamans. La cerémonie
du Baptefme ſe fit dans la Chapelle
du Chaſteau par Monfieur
l'Eveſque du Mans Premier Aumônier
de Son Alteſſe Royale.
Il y eut Bal auffi- toſt apres dans
la belle & fuperbe Galerie qui
donne tant de gloire au fameux
Monfieur Mignart , & que tous
les
GALANT . 187
les Connoiffeurs regardent avec
admiration come un chef d'oeuvre
de la Peinture. Toutes les
Dames, que Monfieur avoit invitées
pour prendre les plaiſirs
de la Saiſon pendant les huit
jours qu'il devoit demeurer à S.
Cloud , estoient en deshabillé,
mais ſi propres& fi magnifiques,
qu'on ne ſe peut rien figurer de
plus brillant. On n'aura pas de
peine à eſtre perfuadé de ce que
je dis , quand on ſçaura que ces
Dames eſtoient Mesdames les
Ducheſſes de Vantadoor , de
Foix , & de Gramont , Madame
la Princeſſe de Furftemberg ,
Meſdames les Comteſſes de Maré
& de Grancé , & les Filles
d'Honneur de Madame. La plûpart
des Hommes eſtoient en
Juſte- à - corps de Brévet . Je vous
ay déja expliqué ce que c'eſt
: que
188 MERCURE
que ces Juſte-à- corps, mais je ne
vous ay pas dit que les derniers
font d'une beauté ébloüiſſante,
& que la broderie n'en eſt pas
moins admirable que le deſſein.
Monfieur l'Ambaſſadeur d'Eſpagne
prit beaucoup de plaifir à
voirdancertant d'illuftres&belles
Perſonnes. Il eſtoit veſtu de
Drap noir à la Françoiſe , & demeura
preſque toûjour debour
derriere la Chaiſe de Monfeigneur
leDauphin.LeBalfut luivy
d'un grand Ambigu. Il eſtoit
de Poiffon& de Fruit. Toutes les
Dames furent affifes avec Monſeigneur
le Dauphin. On mena
Monfieur l'Ambaſſadeur d'Eſpagne
àune autre Table,où il mangea
avec les Seigneurs. Le Soupé
finy , on paſla dans le Salion
pour entendre la Comedie . On
repreſenta l'Avare , &le Deüil.
Mon
GALANT. 189
Monſeigneur leDauphin retourna
à Saint Germain apres la premiere
Piece & la plus grande
partie de la Compagnie s'eſtant
retirée apres la ſeconde , Monfieur
fit Media- noche avec les
Dames. Deuxjours apres,Madamel'Ambaſſadrice
d'Eſpagne qui
avoit fait demander audience à
Leurs Alteffes Royales , vint à
S.Cloud. Elle y arriva ſur les fix
heures du ſoir, ſuivie de quelques
Cavaliers , & accompagnée de
l'Intendant de Mr le Prince de
Monaco , qui luy devoit ſervir
deTruchement. Elle monta dans
l'Apartementde Madame,où elle
fut reçeuë par Madame la Mareſchaledu
Pleſſis,Dame d'Honneur
de cette Princeſſe , à la teſte
des Filles d'Honneur , & de
- leurGouvernante. Elle fut conduite
dans le Sallon, où Monfieur
la
190
MERCURE
la reçeut , la baiſa, & la préfenta
à Madame qui estoit au Cercle
, composé des meſmes Dames
que je vous ay déja nommées,
& de pluſieurs autres, entre
leſquelles eſtoient Madame
la Ducheſſe de Vivonne, & Madame
la Princeſſe d'Elbeuf fa
Fille. Cette Ambaſſadrice fut affiſe
entre les Ducheſſes de Vantadour
& du Pleſſis. Monfieur
voulut luy ſervir de Truchement
; & comme il parle tresbien
Eſpagnol , il s'entretint
long temps avec elle. Je croy
vous en devoir faire icy le portrait
en peu de paroles. Elle a
beaucoup d'embonpoint. Ses
yeux ſont parfaitement beaux ,
& font voir d'abord l'eſprit de
celle qui les anime. Elle eſt extrémement
blanche , a le teint
*vif , la gorge tres-belle , & tous
les
GALANT.
191
les traits du viſage réguliers.Elle
eſtoit veſtuë de Drap noir, avec
de la Dentelle de ſoye. Son Corps
de Robe eſtoit échancré, de forte
qu'on luy voyoit le haut des
épaules,& de l'une à l'autre, une
Chaîne de Diamans. Elle n'avoit
ny linge ny dentelle autour
de ſa gorge. Ses Manches courtes
& fort larges , eſtoient bordées
avec des Chaînes de Diamans
. Du milieu de ſon ſein pendoit
une Croix de tres- gros Diamans
de fix poulces en quarré,
&dont les branches en avoient
deux de large. Elle paroiſſoit nuë
teſte. Ses cheveux qui font fort
noirs , & qui estoient ſeparez
par le milieu , & attachez pres
de l'oeil avec de beaux Noeuds
de Diamans , luy couvroient tou.
tes les épaules . Les bouts qu'on
ne voyoit point étoiet retrouſſez
par
192 MERCURE
par deſſous. Le bas de ſa Robe
n'alloit qu'à fleur de terre, & ſes
Manches eſtoiet de gazes unies .
Apres qu'elle eut eſté une petite
demy-heure au Cercle , elle
témoigna vouloir rendre viſite
en particulier à Mademoiselle.
Cette Princeſſe paſſa auſſi- toſt
dans la Chambre de Monfieur
avec quantité de Dames. Madame
de los Balbaſes y fut conduite
par Madame la Mareſchale
Ducheſſe du Pleſſis. Mademoiſelle
la baiſa , & la viſite ſe
paſſa debout. Au ſortir de là on
luy fit voir la Galerie & le Jardin
en terraſſe. Elle monta en
ſuite en Carroſſe pour aller voir
le Jardin d'enbas . Elle en admira
les eaux , & s'en retourna fort
ſatisfaite de ſon voyage.
Puis que nous ſommes ſur ce
qui regarde l'Eſpagne , je croy
qu'il
DE
LA
BIBTLRIEONUE
DE
LYON
*
1893*
VILLE
*
BIBLIO
YON
CAROLVS II・D-G-HISPANIARVMETINDIARVM
Koett.
*
FLANDRIA
.
FLANDRIÆ COMES
.
OSTENDE
Nellinofren M. TOLVSoSVIt
GALAN Τ.
193
qu'il ne ſera point hors de propos
de vous faire voir le Portrait
du Prince qui la gouverne.Il eſt
gravé d'apres une Medaille.C'eſt
la ſeule que nous ayons de ce
jeune Roy. Elle a eſté faite à
Londres par Joſeph Rottier, l'un
des meilleurs Ouvriers de toute
l'Europe. On l'a fait venir en
France , où il travaille preſentement
à une Medaille du Roy.
Monfieur le Prince &Evefque
de Strasbourg, apres quelques années
de ſejour à Paris , où vous
ſçavez qu'on l'a vû paroiſtre
avec une magnificence qui ne
laiſſoit point apercevoir que la
guerre fuſt dans ſes Etats,eſt enfin
party pour y retourner, avec
autant de ſatisfaction des bons
traitemens qu'il a reçeus de Sa
Majesté,qu'il avoit eu de confian.
ce à venir chercher aupres d'Elle
May 1679. I
194 MERCURE
les effets glorieux de ſa puiſſante
protection,& de ſa generofité,
pour ceux qui comme ce Prince
s'attachent inviolablement à
ſes intereſts . Quelques - jours
avant ſon départ , il traita Monſieur
l'Ambaſſadeur d'Eſpagne
avec Madame l'Ambaſſadrice.
Mr le Duc de Verneüil , Mr le
Prince de Monaco, & Mr le Duc
de Crufſol,étoient du Regal,ainſi
que Madame la Princeſſe de Fur.
ſtemberg , Monfieur & Madame
la Preſidente de Meſmes ; Monſieur
le Marquis d'Alincourt, Mr
de la Baziniere, Mr le Comte de
Torigny , Madame Tambonneau
, & Madame de la Baziniere.
Il y eut une grande Mufique
, & Bal apres le Soupé. Je
ne vous fay point le détail de ce
Repas. Il eſtoit de Monfieur de
Strasbourg. C'eſt aſſez dire pour
perfua
GALANT.
195
perfuader qu'il eſtoit exquis , fort
magnifique & bien entendu . Ce
Prince a eu le plaiſir de voir donner
le Tabouret à Madame de
Furſtemberg ſa Niéce avant ſon
départ.
Mr de S. Laurens , Introducteur
des Ambaſſadeurs aupres
de Monfieur a eſté choiſy par
ce Prince pour eſtre Precepteur
de Monfieur le Duc de Chartres.
C'eſt un Homme d'un fort
grand mérite , & qui s'eſt toûjours
declaré ennemy du faſte.
Il ſçait pluſieurs Langues, & Sa
Majesté a fortapplaudy au choix
de Son Alteſſe Royale.
Je ne diray rien de nouveau
pour vous , en diſant que Monſieur
l'Abbé des Alleurs paſſe
pour un des plus grands Predicateurs
que nous ayons. La ſatisfaction
qu'en ont reçeuë ce Ca-
I ij
196 MERCURE
refme les nombreuſes Aſſemblées
qui ont eſté l'entendre à Saint
Nicolas du Chardonnet , avoit
fort augmenté la reputation
qu'il s'eſtoit déja acquiſe , & il
l'a entierement confirmée en
prêchant devant Leurs Majeſtez
le jour de la Pentecofte. Ce
Sermon fut extraordinairement
applaudy . Le Roy luy fit l'honneur
de luy dire que c'eſtoit un
des plus beaux qu'il euſt jamais
entendus , &que de long- temps
il n'avoit eſté plus fatisfait. Monſeigneur
le Dauphin , & Monſieur,
luy en parlerent auſſi d'une
maniere tres - obligeante ; &
toute la Cour , qui ne pouvoit
eſtre plus belle qu'elle le fut ce
jour - là , fit connoiſtre par une
approbation generale , qu'elle
l'avoit écouté avec grand plaifir.
Il fit au Roy un Compliment
fur :
GALANT. 197
fur la Paix , qui fut admire ; &
ce qui luy eſt bien glorieux ,
c'eſt qu'en recevant beaucoup
de loüanges , il ne reçeut que
celles qu'il meritoit .
Monfieur Loyfel , Curé de S.
Jean en Greve, a peu ſurveſcu à
la Démiſſion que je vous ay déja
marqué qu'il avoit faite de
ſes Benefices . Il eſt mort tresregreté
, ayant toûjours mené
une vie fort exemplaire. Il prêchoit
ſouvent, entroit dans tout
ce qui pouvoit foulager ſes Paroiffiens
, & eſtoit infatigable
quand il trouvoit occaſion de faire
agir le zele qu'il avoit pour
leur falut .
Mr le Comte de Belloy, Capitaine
des Gardes de feu Mrle
Duc d'Orleans , eſt mort auſſi. U
étoit entré fort jeune dans laMai.
fon de ce Prince , & y avoit eſté
I iij
198 MERCURE
élevé. Sa probité jointe à beaucoup
d'eſprit & de conduite, luy
en avoit acquis la confidence.
Il a toûjours eſté d'une fidelité
inébranlable , & en a donné
des marques juſqu'à la mort de
fon Maiſtre, apres laquelle il fut
choifypour conduire Madame la
Princeſſe de Tofcane à Florence.
Il avoit épousé la Fille de
Mr de Villemontée,qui eſt mort
Eveſque de Saint Malo,vous ſçavez
qu'avant que de ſe donner
à l'Eglife , ce Prélat avoit tresbien
ſervy en diverſes Intendances.
Il prit ce party du vivant
meſme de Madame de Villemontée
ſa Femme , à laquelle
il avoit permis de ſe retirer
dans un Convent. Il ne faut pas
s'étonner apres cela du grand
mérite de Madame de Belloy
leur Fille.Quand on a l'ame bien
faite,
GALAN Τ.
199
faite , & d'auffi beaux exemples
devant les yeux, il eſt malaiſé de
ne ne les pas ſuivre.
J'ay oublié de vous dire qu'un
peu avant que Monfieur l'Evefque
de Strasbourg partiſt , il avoit
eſté , auſſi -bien que Madame de
Furſtemberg, dumagnifique Regal
que Monfieur le Preſident de
Meſmes a donné à Mrl'Ambaſſadeur
, & à Madame l'Ambaſſadrice
d'Eſpagne. Les autres Conviez
eſtoient Madame la Princeſſe
d'Elbeuf , Madame la Ducheſſe
de Vivonne , Monfieur le
Prince de Monaco , Monfieur le
Prince d'Eyſenac , Monfieur le
Baron de Roſvuorm, Monfieur le
Duc de Mortemar , Monfieur le
Chevalier d'Harcour, Monfieur
de Soyecourt , Monfieur Courtin
l'Ambaſſadeur Monfieur
&Madame de Tambonneau , &
و
I iiij
200 MERCURE
Mademoiselle de la Baziniere .
Il y eut trois grands Services
de Roſty , fans compter les Entremets
& le Fruit , Les Services
eſtoient de trois grands Plats,
de fix plus petits , & de huit
Affieres hors d'oeuvre. Trois
Concerts de diferens Inſtrumens
divertirent l'Aſſemblée , & le tout
fut digne de la magnificence de
ce Preſident .
Il y en a eu de fort grandes en
la Feſte que Monfieur le Prince
de Monaco donna le 18. de ce
Mois à Mesdames d'Armagnac,
de Foix,de Vantadour,de la Ferté
ſa Scoeur, de Guiche, de Nangis
, & à Mademoiſelle de Duras .
Elle commença par la repreſentation
de l'Iphigénie. Le Soupé
ſuivit. Rien ne ſçauroit eſtre plus
ſomptueux . Monfieur l'Ambaſſadeur
d'Eſpagne s'y trouva avec
Mon
GALANT. 101
Monfieur le Grand, Monfieur le
Maréchal de Humieres , Meffieurs
les Ducs d'Aumõt, de Villeroy,&
de Foix , Meſſieurs de Soyecourt,
de Tilladet,deThury,&
pluſieurs autres. Apres le Soupé,
on eut de nouveau la Comedie,
& ce fut l'Ecole des Femmes qu'on
joüa. Le Bal fucceda à ce divertiſſement
. Madame la Ducheffe
de Sully y vint, & l'ordre ne fut
pas moins admiré par tout que la
propreté,
Voila , Madame,de quelle maniere
on comence icy de goûter
agreablemet les fruits de laPaix.
Le Roy,dont la modeſtie ne foufre
les loüanges qu'avec peine,
n'ayant point voulu recevoir de
complimens fur chaque Traité
qu'il en a conclu , a conſenty
qu'on luy ait marqué la joye de
ſesPeuples apres la ratificatió de
I V
201 MERCURE
la derniere. Toutes les Compagnies
ſe ſont acquitées de ce devoir,&
Monfieur de Novion,Pre
mier Preſident du Parlement , a
porté la parole au nom de ſa Copagnie.
Vous connoiſſez le rare
talent de ce grand Homme , &
je n'attendois pas moins que ce
que vous m'écrivez du Dilcours
qu'il fit aux dernieres Mercuriales.
Comme vous n'eſtes pas la
ſeule qui l'ayez leû dans ma
Lettre de l'autre Mois , je vous
prie de faire ſçavoir à vos Amis,
que la Perſonne qui me le donna,
l'ayant copié fur diferens morceaux
de papier, fit une tranſpoſition
qui m'a empéché de vous
le faire voirdans ſon ordre.Apres
ces paroles , onse doit connoistre
Soy mesme pour joüir de ces avan
tages comme pour corriger ses défants,
il faut lire ce qui commenGALANT
.
203
ce par Meffieurs , nous ne nous
Sommes point trompez , juſquà la
fin , & reprendre , On ne connoist
ny l'amour propre &c. Cette correction
ne vous ſera pas difficile
à faire. Cependant je vous envoye
le Complimet que ce digne
Chefdu plus Augufte Parlement
de France a fait dans cette derniere
occaſion . Le voicy tel qu'il le
prononça en parlant au Roy.
SIRE ,
Vostre justice a commencé la
guerre, voſtre valeur l'afaite, voſtre
clemence l'a finie.
Iln'a tenu qu'à vostre Majesté
de vaincre d'avantage.
Vous pouviez faire tout ce que
vous auriez voulu, mais vous vou-.
lez toûjours ce qui vous paroit de
plus juste.
Vostre
204 MERCURE
Vostre pouvoir est bien faiſant;
& vous vous estes contenté de
chastier vos Ennemis ſans les détruire.
Le Conquerant borneſa puiſſance
, quand il pouſſe trop loin ceux
qu'il a vaincus. Lors qu'il lesfoûmet
& leur pardonne , il montre
qu'il eſt digne de leur commander.
Ce Prince qui vouloit faire perir
le dernier des Troyens , ne méritoit
d'estre Roy que des Grecs .
La vertu ne veut point détruire
entierement les paſſions que la Nature
a données pour quelque usage;
il lay suffit de les foûmettre à la
raiſon.
Que ces anciens Conquerans
ayent pris tant de fois leſurnom
des Nations qu'ils avoient détruites
, SIRE , vous meritez bien
mieux qu'eux le titre de celles que
vous avezconfervées .
Vostre
GALANT.
205
Voſtre Partage eſt aſſezbeau , il
est temps que vostre valeur faſſe
place àvos autres vertus.
Toutes les belles Actions ne ſe
fontpas les armes à la main.
Si la maniere de finir la guerre
fait juger quelle fera la Paix , SIRE,
vous avezvaincu pour lögteps..
Il n'est plus de Puiſſance qui ofe
la troubler ; vous nous l'avez donnée
par les mains de la Victoire.
Si elle finit vos Conquestes , elle
ne borne pas voſtre Gloire.
La Guerre n'a pû qu'élever Vôtre
Majesté au deſſus des Héros.
La Paix l'approchera de la Divinité.
Vos Trésors croiſtront tous les
jours par d'innocens moyens . Vous
ferez comme le Soleil qui n'attire
les exhalaiſons de la Terre , que
pour les luy rendre par de douces
rofées.
Les
206 MERCURE
Les beaux Artsferont cultivez .
Les Lettres feront favorisées. Vôtre
autorité, SIRE, liberera l'Egliſe
de ſes exemptions chymeriques.
Vous comblerez de graces la
Nobleſſe Françoise , fi vaillante
quand vous la commandez , qu'il
paroist bien que vous avez lavertu
d'inspirer du courage .
Les Loix reprendront leur vigueur,
les Magistrats leur dignité;
& voſtre premier Parlement , dont
nous avons l'honneur de vous porter
les voeux , & qu'on ne vous a
pas toûjours fait voir dans un auſſi
beau jour que fafidelité le merite,
Se conformera , SIRE, dans vostre
estime.
Ce Compliment charma le
Roy & toute la Cour. Il eſt admiré
icy de tout le monde. Chacun
GALANT. 207
cun en prend des Copies , & on
le trouve d'autant plus digne du
grand Homme qui l'a fait , que
faifant entendre beaucoup de
choſes en fort peu de mots , il y
a preſque autant de penſées que
de paroles.
Le meſme jour Monfieur le
Camus , Premier Preſident de la
Cour des Aydes, témoigna à Sa
Majefte , par un Diſcours auffi
agreable que folide , & qu'il accompagna
des graces de la prononciation
; Que ſes Conquestes,
& les Monumens illustres de ſa
valeur & de ſa gloire, qu'il avoit
laiſſez chez toutes les Nations où il
avoit portéſes Victoires , auroient
esté ſuffisans pour rendre fon Auguste
Nom immortel'; mais quefa
bonté ,&fa tendreſſe , qui comme
fes autres vertus n'avoient point
d'exemples comme elles n'avoient
point
208 MERCURE
de bornes', n'auroient pas esté fatisfaites
, ſi ſurpaſſant les ſentimens
de douceur * du plus brave,
& du plus humain des Roys fes
Prédeceffeurs , il n'avoit executé
le deſſein qu'il avoit formé de
donner la Paix à toute l'Europe,
dans un temps meſme où la continuation
de la Guerre, ou fon Courage,
ou la Fortune , luy preparoient
tous les jours de nouveaux Triomphes
; mais que fi Sa Majesté avoit
reduit tant de Princes , &
des Princes fi redoutables à tout
autre qu'à Elle à accepter les Conditions
qu'Elle leur avoit preſcrites
par une autorité digne de la grandeur
de fon Sceptre , ily avoit apporté
des temperamens dignes defa
Clemence , defa moderation , & de
Sajustice ; Qu'ily avoitsans doute
plus d'honneur , &plus de gloi-
* Henry I V. *
re
GALAN Τ . 209
re à donner la Paix à tout le
Monde , qu'on n'en pouvoit trouver
à le conquerir ; & qu'apres
avoir consommé un Ouvrage ſi glorieux
, & fi difficile , il n'avoit
plus qu'à joüir des fruits de cette
Paix , qu'à joüir de la joye que
luy Seul pouvoit bien concevoir
d'avoir fait la felicité de tant
de Peuples , ở quà joüir enfin de
l'empire qu'il s'estoit acquis fur
tant de coeurs,comme du plus doux,
& du plus abſolu de tous les empires
.
Comme la diverſité plaiſt , &
que toutes les Harangues qui ont
eſté faites au Roy , ne l'ont pas
eſté en meſme jour,vous trouverez
bon que je ne vous parle des
autres que dans ma Lettre du
premier Mois. Si voſtre curioſité
en murmure , je vay reparer ce
retardement en vous faiſant part
d'une.
210 MERCURE
d'une fort agreable Ambaſſade.
Elle a eſté faite au nom du Printemps
, qui a deputé des Fleurs
versune Belle . Vous voyez bien ,
Madame , que cela fent un Bouquet.
Il fut envoyé par Mr M. à
Mademoiselle Fumée le jour de
fa Feſte . C'eſt une jeune Perſonne
, belle , ſpirituelle , & de
qualité.
D13603630333603603x3x3
AMBASSADE
DU PRINTEMPS.
FLEURS A SYLVIE .
U Roy Printemps nous sommes de-
Deputées,
Pour venir de ſa part vous donner le bon
jour ,
Et pour vous aſſurer qu'il n'est point en
Sa Cour
De Fleurs, dont les beautez en tous lieux
admirées
Puiffent vous estre comparées.
Pour
GALANT. 211
Bl
Pour confeffer la verité,
Entre les Beautexnaturelles,
Ievous le dis ſans vanité,
Nous penſions estre les plus belles ?
Mais à l'aspect de vos divins apas
Ilnousfaut mettre bas les armes,
Et demeurer d'accord que vous avez des
charmes,
•Dont les nostres n'approchentpas.
Les unes devant vous blanchiſſent,
Les autres de honte rougiſſent,
Et les autres , malgré leur teintfifrais,
fidoux,
Ont la jauniſſe aupresde vous.
CeRoydeplus nous charge de vous dire,
Que chezvous en tout temps il veut tenir
Sa Cour,
Faisant sur vostre teint un eternelſejour,
Où jamais les Hyvers n'étendent leur
empire.
Mais comme un de vos Serviteurs,
Il ajoûte à ces mots un avisſalutaire;
C'est qu'on dit que vosyeux empoisonnent
les coeurs,
Et
212 MERCURE
Et si vous ne prenez , bien garde à cette
affaire,
On vous va voir au premier jour
Entre les mains d'un Commiffaire,
Dansla Bastille de l'Amour.
La Paix ratifiée avec l'Empereur
touche tout le monde, mais
plus particulieremet les Peuples
de Mets,que la fituation du Païs
tenoit expoſez à de grands defordres.
Aufſi la nouvelle de cette
Paix y a t'elle été reçeuë avec
unejoye qui ne ſe peut exprimer.
La Publication s'en fit à Mets le
Jeudy 18. de ce Mois. Voicy l'ordre
de la Cavalcade. Le Prevoſt
Provincial marchoit le premier
avec fa Compagnie d'Archers.
Il eſtoit ſuivy du Prevoſt des
Bandes qui avoit auſſi ſa Compagnie
, & apres eux , on voyoit
Monfieur de Beraut Lieutenant
de Roy de la Citadelle,à la teſte
:
de
GALAN T.
213
de la Nobleſſe , en la place de
Monfieur de Givry Lieutenant
de Roy de la Ville , arreſté au lit
par quelque indiſpoſition. Les
Meſſagers , Bannerors , Sergens
de Ville , & Huiſſiers du Bailliage
, qui marchoient enſuite , precedoient
les Suiſſes Hallebardiers,
& la Compagnie des Gardes
de Mr le Maréchal de la Ferté
Gouverneur. Cette Cavaleade
eſtoit fermée par Monfieur
le Roy Commandant , entre le
Lieutenant General & le Maiſtre
Echevin , ſuivy des deux
Compagnies du Bailliage & de
la Ville . Immediatement devant
eux estoit un Héraut bien monté
& fort richement vétu d'un
Habit à la Romaine , en broderie
de Perles & de Pierreries,
avec un Bonnet de gaze d'argent
couvert de Plumes. Toutes
les
214 MERCURE
les Troupes eſtoient en bataille
dans les Places où cette Publication
ſe fit , &des Fontaines de
Vin coulerent en pluſieurs endroits
pendant tout le jour , la
Calvacade eſtant finie à midy,
cinquante Perſonnes des plus
qualifiées allerent dîner à l'Hôtel
de Ville. Le Feſtin fut d'une
magnificence achevée. Monfieur
de la Grillonniere Maiſtre
Echevin en fit les honneurs au
nom du Public. C'eſt un Gentilhomme
de grande naiſſance,
d'un long ſervice dans les Armées
, d'un excellent merite en
toutes chofes , & qui ſçait parfaitement
accorder le bien du
ſervice de Sa Majesté avec le
foulagement des Peuples. Sur
les cinq heures du foir , on ſe
rendit à la grande Eglife , où
Monfieur le Roy , & tous les
Corps,
GALANT.
215
Corps , aſſiſterent au Te Deum
chanté par la Muſique. Monſieur
l'Archeveſque d'Ambrun,
Evêque de Mets officioit.A neuf
heures , le meſme Monfieur le
Roy, & Monfieur de la Grillonniere
, allumerent le Feu ; ce qui
fut accompagné de Feux d'artifices
, de trois Salves de Canon,
&de la Mouſqueterie des Troupes
en bataille ; & en meſine
temps on alluma d'autres Feux
devant les Portes de toutes les
Maiſons de la Ville,& des Flambeaux
aux Feneſtres .
Les Enigmes divertiſſent toûjours
le Public à l'ordinaire.
Monfieur de Grammarais ; de
Roüen , a expliqué ainſi la premiere
du dernier Mois dans ſon
vray ſens .
Esplus grands ,les plus fiers font
vos loix,
Etpluſieurs, dites-vous , àvoſtre ſeule
voix Doivent
216 MERCURE
Doivent une humble obeiſſance.
Nous n'avonsplus de guerre en Frace,
La Paix que nous devons au plus ſage
desRoys,
Met nos Troupeaux en afſurance.
Nous vous écouterons , Tambour , une
autre fois,
Il est juste que les Hautbois
A leur tour parmy nous obtiennent audiance.
Ce meſme Mot de Tambour
a eſté trouvé par Meſſieurs Regnard
, Lieutenant General à
Tonnerre ; L'Abbé de Sylvecane
, de Lyon ; Bruchet , de
Roüen ; Damiens ; De la Ferté;
Gourdaut , Avocat ; De Barés
, Profeſſeur de Galanterie à
Troyes ; L'Abbé de Rouville;
Goüel , Commiſſaire des Guerres
; De Chaudel , Conſeiller à
Troyes ; Gardien ; De Necoêt-
Coroller,Maire de Morlaix ; De
Bonnecamp , de Quimper ; Hervilſon,
GALAN T.
217
vilſon , S. D. V. de Troyes : La
Liquiere , Avocat d'Allets en
Languedoc : & par Meſdemoiſelles
le Maignen Femme d'un
Officier à la Chancellerie : Le
Vaſſeur : De Courtenay-Mouſelard
, de Montargis : Ouden,
de Troyes : Celimene , de Bourbon
lesBains : Le Conſul de Beziers
: Le Chevalier de la Galanterie
de Tours : L'inconnu
du Mont S. Marc , de Compiegne
: Le Citoyen de Valogues :
L'Ariſte de Troyes : Robin du .
Mercure : & les bonnes Amies
de Dieppe .
Ceux qui l'ont expliquée en
Vers , ſont Meſſieurs Germain,
de Caën : Rault , de Roüen :
Horde, de Senlis : Torneſy,Medecin
de Marseille : Le Chevalier
de Turival : Jarrés : Le Secretaire
fidelle d'Amiens ; Ma-
May 1679. K
218 MERCURE
demoiselle Richard , de Mets;
& Meſdemoiselles Gauvin , de
Châtillon ſur Seine ; Princeſſe
le Febvre , de Mets ; Le Chevalier
errant de Montebourg; Le
Bon Clerc , de Châlons ſur Saone
: L'Amant de la Belle inſenſible
: Le Druide Lyonnois : &
Joubert,de la Doüanne de Lyon,
les deux en Vers. On l'a encor
expliquée ſur une Trompete , une
Cloche, le Canon, & le Ris de joye.
Le vray Mot de la ſeconde eſt
dans ce Madrigal de Monfieur
Germain de Caën .
Voftre Enigme, galant Autantfinequ'elle est obMsecrurceu,re,
N'aſçeu pourtant nous échaper;
: Carune Beste auſſi mignonne
Comme l'est un Chien de Bologne,
Se peut aisément attraper.
:
Meffieurs de Boiſſimon , du
Pierroy,
GALANT .
219
Pierroy,& l'Inconnu de Beziers ,
ont trouvé le meſme Mot . Les
autres ont expliqué cette Enigme
ſur le Miroir, l'Eau,une Enigme
, une Porte, le Sommeil , & un
Enfant à la mammelle .
Toutes les deux ont eſté expliquées
dans leur vray ſens par
Meſſieurs de Langes de Montmiral
: d'Aurillon , de Dieppe :
Le Chevalier de la Porte de
Paris : l'aimable Turlis : l'Ariane
de Sylvie : Bibi : & les Reclus
d'Amiens , les deux derniers en
Vers.
Des deux nouvelles Enigmes
que je vous envoye , la premiere
eſt de la Lorraine Eſpagnolete
: & l'autre, de Monfieur l'Abbé
Sorrin .
Kij
220 MERCURE
ENIGME.
J'Ajudes Freres
enquantité ,
Maisàpasuunnje ne reſſemble;
Etj'ay si peu de vanité,
Que lors que noussommes ensemble
Ie leur cede laprimauté.
Mon Aine vautmoins que lemoindre
Et je vaux encor moins que luy:
Mais lors qu'à luy je veux me joindre,
Leluyſers d'un si bon appuy ,
Quepar cet heureux afſsemblage,
Ilpeut alors plus que celuy
Qui pouvoit huitfois davantage.
Quandje me trouveſeul , je ne fuis bon
àrien;
Mon unique defir, c'est d'estre en compagnie
,
Et l'on me voit toûjours faire beaucoup
de bien
Aceuxà qui l'on m'aſſocie.
L'on dit que mafigure a des perfections
Qui ne se trouvent pas en aucune autre
chofe
Et
GALAN Τ . 22 1
Et que pour faire d'elle une metamorphose,
Biendes Sçavans ont eu de fauſſes vifions.
L'aypeurqu'en me cherchant avec unſoin
extreme
Vous n'en faſſiez de meſme ;
Ou que trouvant le Mot qui se rapporte
aumien,
Vous ne diſiezde moy , que vous ne tenez
rien.
AUTRE ENIGME ..
AVantqu'estre congen, j'ayfait plem
rerma Mere.
Pour mon premier exploit , j'ay terrassé
mon Pere.
Aceux qui m'aiment trop , je suis towjoursfatal;
LesBarbares me traitent mal.
Dés le Berceau jeſuisfi redoutable,
Qu'ilmefaut marierpour me rendre traitable.
Ma Femme&moy nous accordons fore
bien.
Leſuis mutin, elle est affable ;
Kiij,
222 MERCURE
Mais dés queson party l'emporte fur
lemien,
Ievous le dis tout net , je ne suis bon à
rien.
Quant à l'Enigme en figure, le
ſensm'en ſembloit ſi peu caché,
que j'ay eſte ſurpris qu'il n'y ait
eu queMonfieur Langlois dePa.
ris , Monfieur Langeron GentilhommePoitevin,&
le Berger des
Rives de Marne, qui l'ayent expliquée
ſur leMiroir. Il eſt repreſenté
par la Fontaine, qui faiſant
voir àNarciſſe l'image de ſa
beauté , luy donne lieu d'eſtre
charmé de luy-meſme. La même
choſe arrive ordinairement aux
belles Perſonnes,& il y en a peu
qui en ſe regardant dans un Miroir,
ne s'applaudiſſent des avantages
qu'elles ont reçeus de la
Nature. Hyacinthe fi tendrement
aimé d'Apollon,& changé
en
37
HYACINTHE ENIGME .
FABLIC
YU
LYON F
*
GALANT .
223
en une Fleur de fon nom apres
ſa mort , eſt la nouvelle Enigme
en Figure que je vous envoye.
Celle de Narciffe a eſté expliquée
ſur un Parterre de Fleurs
pres d'un fet d'eau, la Jauniſſe , le
Cerf, le Paon , le Soleil paroiſſant
dans une Fontaine, la Magie, l'Amour
propre, l'Inconstance , le Cachet,
le Pinceau, le Parélie, le Jet
d'eau , l'oeil , l'Iris , le Vers François,
& le Songe.
Le Cavalier Philoſophe, dont
vous me demandez des nouvelles,
ſemble avoir envie de changer
d'humeur , & cela par un
commencementd'avanture dont
je ne puis m'empécher de vous
faire part. Vous ſçavez qu'il a
eſté juſqu'icy aſſez peu galant,
& que la paffion qu'il a pour les
Livres ne l'a jamais laiſſe ſenſible
à l'Amour , quoy qu'il ait
K iiij
224
MERCURE
une grande honneſteté , & même
une complaiſance achevée
pour le beau Sexe. Il ſe promenoit
ces jours paffez dansla grande
Allée du Palais Royal avec
un Livre pour compagnie. C'étoit
un Traité de Monfieur de la
Chambre, intitulé , l'Art de connoître
les Hommes. Comme il y
avoit alors fort peu de monde
dans le Jardin , il crut pouvoir
lire ſans diſtraction. En effet il
fit trois ou quatre tours d'Allée
fans que perſonne le vinſt interrompre.
Mais enfin il apperçeut
deux Dames de tres -belle taille
qui venoient à luy. Il y en avoit
une en deüil ſuivie de quantité
de Gens de meſme parure. Il ſe
rangea le plus pres des Buis qu'il
pût pour leur laiſſer plus de liberté
de paſſer. La Dame en
deüil l'aborda pour luy demander
GALANT.
225
der quel Livre il liſoit. La queſtion
le furprit , & pour luy répondre
en ſe taifant , il luy preſenta
le Livre ouvert. La Dame
le prit avec precipitation , & jugeant
que c'eſtoit un Livre Galant,
parce que le Chapitre qu'il
luy faiſoit voir traitoit du mouvement
du Coeur , elle luy dit que
la matiere eſtoit propre à un
Homme comme luy qui apparemment
eſtoit amoureux. 11
foûtint fortement qu'il ne l'étoit
point ,& la Dame luy ayant opposé
qu'on ne cherchoit point
à s'inſtruire des mouvemens du
Coeur fans eftre amoureux , il
répondit qu'il n'auroit pas befoin
de conſulter les Livres
pour ſçavoir les mouvemens
du fien , s'il eſtoit ce que la
Dame pretendoit qu'il fuſt , parce
que l'amour ſe faifoit affez
Kv
226 MERCURE
,
ſentir de luy-meſme ; mais que
le Livre qu'elle voyoit n'eſtoit
autre choſe que l'Art de connoiſtre
les Hommes & qu'il
s'attachoit à acquerir cette connoiffance
pour venir enſuite à
celle des Dames ( ſi par hazard il
devenoit amoureux ) parce qu'il
ne les croyoit pas aiſées à connoiſtre.
La Dame rendit le Livre
avec la meſme precipitation
qu'elle l'avoit pris , & ayant dit
à celle qui l'accompagnoit , Ila
raiſon , il a raiſon , elle s'éloigna
du Cavalier , ſans pouffer la converſation
plus loin. Il fut fort
furpris de voir finir ſitoſt l'avanture.
Je ne ſçay ſi la ſuite luy
en plairoit ; mais il va ſe promener,
au Palais Royal plus ſouvent
qu'il n'avoit accoûtumé .
Il y va meſme quand il croit
qu'il ya le plus de monde , & il
femble
GALAN T. 227
ſemble qu'il ſouhaiteroit eſtre
éclaircy de l'effet que fa reponſe
a produit, ſur l'eſprit de
la Dame qui luy a parlé. J'acheve
mes autres Nouvelles en peu
de mots.
Monfieur le Mareſchal Duc
de Vivonne dont je vous ay apris
le depart , eſt arrivé à Marseille.
Comme il ſe fait aimer par tout,
il feroit difficile d'exprimer avec
quelles marques de joye on
l'a reçeu. Les rejoüiſſances publiques
ont duré deux jours &
deux nuits.Il a trouvé les vingthuit
Galeres du Roy non ſeulement
en fort bon état , mais
d'une magnificence que rien ne
peut égaler. Mr & Madame de
Nevers ſont arrivez au meſme
lieu avec Madame la Ducheffe
Sforce.On leur a fait une Reception
auffi galante que magnifi
que,
228 MERCURE
que , dont on me promet le detail
. Ce ſera un des Articles de
ma Lettre du premier Mois.
- L'effet a fait voir que vous
aviez les yeux bien ouverts, lors
que vous diſiez qu'il eſtoit inutile
à voſtre Amie Madame de
Creil, Religieuſe de Poiffy , de
vouloir s'obſtiner à ſoûtenir les,
droits d'élection de Prieure ,
puis que le Pape avoit accordé
desBulles ſur la Nomination de
Sa Majeſté. Il eſt bon de ſçavoir
ſe ſoûmettre, quand le contraire
ne peut produire aucun
avantage. Je ne vous dis rien de
ſa fortie de Poiſſy.. Vous l'avez
ſceuë auſſfitoſt que moy.. Mais
comme vous m'avez paru inquiete
ſur ſon voyage , je croy
vous faire plaiſir de vous appren.
dre que dés le dixiéme de ce
Mois elle est arrivée au Puy en
fort
GALAN T..
229
fort bonne ſanté , dans un Convent
de ſon Ordre..
Il y a une nouvelle Place vacante
à l'Academie Françoiſe,
par la mort de Mr l'Abbé Cafſagne,
arrivée ces derniers jours .
Nous avons perdu dans le
meſme temps un fort ſçavant
Homme , & qui avoit une connoiſſance
tres - particuliere des
Deviſes . C'eſt Monsieur Clement
Conſeiller de la Cour dess
Aydes de Paris.
Il me reſte à vous entretenir
d'un Article que je ſçay que
vous attendez. C'eſt celuy des
Modes nouvelles.. Je vous en
diray peu de choſe ,,non ſeulement
à cauſe du retardement
des beaux jours , mais parce que
les Marchands ayant eu l'adreſſe
de dire qu'ils n'avoient
rien de nouveau , n'ont vendu
que
230 MERCURE
que de leurs vieilles Etofes jufqu'à
la Pentecofte. Ainſi les Modes
ne font que de commencer.
Les belles Etofes ſont or
& argent ſur des fonds bruns ;
& la plupart des Dames qui
ſont de qualité à en porter , en
ont des Habits. Je vous parlay
l'année derniere d'une Etofe
qu'on nomme Inviſible , & dont
la mode ne commença que fur
la fin de l'Eté. Elle continuë
cette année, & les Habits qu'on
en fait font fort en vogue . On
porte auffi quantité de Taffetas
à fleurs brochez ; mais rien n'eſt
plus à la mode que les Habits
de Tabis piquez , ou de Taffetas
d'Angleterre à groſſe moucheture.
On voit auffi quantité
de Gazes brunes avec des fleurs
or & argent , & des Jupes &
des Manteaux tout couverts de
grandes
GALAN T.
231
grandes fleurs naturelles , avec
de fort grands branchages. On
vient d'achever neuf Habits
pour la Reyne , dont il y en a
quatre or & argent de diverſes
couleurs , un de Droguet or &
argent , & quatre brodez . H
n'eſt pas moins difficile de vous
parler des Habits des Hommes.
Les premiers qu'ils ont portez
eſtoient d'Erofes de l'Eté paſſé.
Quant à la maniere de les faire ,
elle ne difere preſque en rien
de celle de l'année derniere , finon
que l'on continuë à porter
les Juſte- à- corps longs comme
on a fait cet Hyver. Quelques
Perſonnes de la premiere qualité
ont porté des Habits à
pourpoint & à chauſſes larges ,
avec des Baudriers & des Epées
fans Manteau . On doute que
cette Mode revienne. Les Vef
tes
232 MERCURE
tes qu'on porte à la Cour font
plus courtes que les Juſte - àcorps.
Cependant on en porte
de plus longues à la Ville ; ce
qui fait un tres vilain effet , ſur
tout lorrs qu'elles font blanches.
Les Bas de ſoye de toutes couleurs
font à la mode. Les Perſonnes
de qualité en portent
beaucoup de filez d'or aux endroits
où les Bas font ordinairement
façonnez , & ils ont plus
de broderie que jamais aux côtez
de leurs Souliers. Les Cha--
peaux deviennent plus petits de
jour en jour. On ne porte plus
de Noeuds au Retrouſſis. La
plû-part des Garnitures ſe font
de Ruban étroit; ce qui a donné
lieu de porter des Gands garnis,
dont la mode eſt preſque devenuë
generale. Le Ruban étroit
eftanten regne, on a crû devoir
renche
GALANT
233
rencherir , & on en a fait de fi
étroit pour les garnitures de
Gands , que la Nompareille eſt
preſque auſſi large. Les Noeuds
font faits en frange , & de la
mefme hauteur , & l'on y met
un pied pareil à celuy de la
frange. Cependant pour vous
faire voir que ce n'eſt plus à une
ſeule Mode qu'on s'arreſte en
France, c'eſt que dans le meſme
temps que la plusgrande partie
porte du Ruban étroit, il y en a
qui en ont de large , & qui font
coudre des Dentelles de ſoye
aux bouts. Je vous en manderay
davantage la premiere fois , &
vous envoyeray tres aſſurément
de
desFigures
Je ſuis voſtre ,
Modes
&
sgravées.
YON
VILLE
A Paris ce 31. May 1679.
Vous
234
MERCURE
Vous ſçavez , Madame , que
je me ferois une affaire avec vos
Amies, ſi je mettois plus de trois
mots Latins dans mes Lettres.
Ainſi j'employe l'Apoſtille dans
celle- cy pour vous faire part
d'une Piece qui a eſté faite en
cette Langue à l'avantage de
Sa Majeſté. Le nom de l'Autheur
eſt dans la Piece . Il l'a preſentée
à Monfieur Colbert . Elle
renferme beaucoup de choſes
qui n'auroient pû eſtre expliquées
en ſi peu de mots , ſi elle
avoit eſté traduite . Cet Article
n'eſt que pour vous ſeule , & je
vous l'envoye extraordinairement,
parce que je ſçay que rien
ne vous touche tant que ce qui
regarde la gloire du Roy .
LUDO
GALANT .
235
LUDOVICO MAGNO .
Patria Parenti;
Animi immenficateferè divina, Alexandro
Magno, & Henrico Magno
Institia
Instinano , & Ludovico
X111.
Celeritate in fubigendis Provinciis , Populis
strenuiſſimis debellandis , &
Urbibus inexpugnabilibus expugnandis
, Iulio Cafare , & Carolo Ma
gno;
Sapientia, Salomone, & Carolo V. Rege;
Prudentia , Adriano Imperatore, & Ludovico
XI ;
Victoriis, Clodoveo , & Carolo VII.
Foelicitate , Davide , & Philippo Augusto
;
Deliciis orbis, Imperatore Tito, & Francisco
I;
Religione , Henrico II. Imperatore ,
Carolo IX;
Fortitudine, Ludovico VIII. &Henrico
11. Rege;
Constantia, Theodosio Magno , & Philippo
Valefio ;
Clementia,
236 MERCURE
Clementia , Afſfuero Perfarum Rege ,&
Carolo VI;
Humanitate , Antonino Pio Imperatore,
Carolo VIII ;
In tuendâ Religionis integritate , Ludovico
VI. & Carolo Comite Valefio.
Constantinopolitano. Imperatore titulato
;
ود
Pacemagnifica , firma , fælici, boniſque
omnibus circumfluenti , Roberto , &
Philippo 111. Regibus;
Eide perpetua , conftanti & gloriosa
ergà Reges, Principes &Populosfæ-
:deratos , omnibus Roma Regibus ,
- Confulibus;
Semel, iterum , terque , parce orbi , vi
Etoriis ,factis ingentibus , prudentia
magnitudine Animi , & moderatione
parta,& lani Templo ter manuſua
clauſa , Numa Rege , Tito Manlio
Confule, &Augusto Cafare;
Omnibus Imperatoribus & Monarchis,
Nobilitate , Antiquitate, & Dignitatestirpis,
virtutsbus bellicis , potentia,
viribus, Amore Ducum & Militum,
Liberalitate ergà Duces , Milites, do
Etos ,& viros quâ vis Arte infignes ,
confilioque praftantiori ;
Ipfismet:
GALANT.
237
Ipſiſmet hoftibus ftuporem, & admirationemvirtutis
immensa moventi;
Et ſe ipſo majori , pace , gloria fua ,
triumphis Militaribus , regnique gloriosè
dilatandi , heroïca ambitioni, anrepofia,
ſe ipſum invictum omnibus,
vincendo &Superando;
JOSEPHUS DE L'ISLE , excellentiſſimi
Ducis Nivernenſis primus in Camera
ſua ComputorumConfiliarius
,nec non Civitatis Nivernenſis
primarius Ædilis , plurimam
falutem communi totius orbis
voto expofcit.
SHEQUE DELA
LYON
Avis
Avis pour toûjours.
N prie ceux qui envoyeront des
Memoires où il y aura des Noms
propres , d'écrire ces Noms en cara-
Eteres tres-bien formez & qui imitent
l'Impreſſion , s'il ſe peut , afin qu'on
ne ſoit plus fujet à s'y tromper.
On prie auſſi qu'on mette ſur des
papiers diferens toutes les Pieces qu'on
envoyera.
On reçoit tout ce qu'on envoye, &
l'on fait plaifir d'envoyer.
Ceux qui ne trouvent point leurs
Ouvrages dans le Mercure , les doivent
chercher dans l'Extraordinaire;
&s'ils ne ſont dans l'un ny dans l'autre
, ils ne ſe doivent pas croire oubliez
pour cela. Chacun aura ſon
tour , & les premiers envoyez ſeront
les premiers mis, à moins que la nouvelle
matiere qu'on recevra ne ſoit
tellement du temps , qu'on ne puiſſe
differer.
On nefait réponſe àperfonne, fau
te de temps.
n
Onne met point les Pieces trop
difficiles à lire.
On recevra les Ouvrages de tous
les Royaumes Etrangers , & on propoſera
leurs Queſtions .
Si les Errangers envoyent quelques
Relations de Feſtes ou de Galanteries
qui ſe ſeront paſsées chez eux , on les
mettra dans les Extraordinaires .
On ne met point d'Hiſtoires qui
puiſſentbleſſer la modeſtie des Dames ,
ou deſobliger les Particuliers par
quelques traits ſatyriques .
On a beaucoup de Chanſons. Elles
auront toutes leur tour, ſi on apprend
qu'elles n'ayent pas eſté chantées.
C'eſt pourquoy ſi ceux par qui elles
ont eſté faites,veulent qu'on s'en ferve,
ils les doivent garder ſans les chanter
&ſans en donner de copie juſqu'à
ce qu'ils les voyent dans le Mercure .
Qualité de la reconnaissance optique de caractères