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Ex the Trauthfon
Po de Falckensto
Br. B. Zz . 2.
1
MENTEM ALIT ET EXCOLIT
0 000 000 0
K.K. HOFBIBLIOTHEK
ÖSTERR. NATIONALBIBLIOTHEK
BE. 6.Zz.2
MERCURE
GALANT
DEDIE A MONSEIGNEUR
LE DAUPHIN.
MARS 168 3.
A PARIS ,
AV PALAIS.
N donnera toujours unVolume
nouveau du Mercure Galant le
premier jour de chaque Mois , & on
le vendra , aufli -bien que l'Extraordinaire
, Trente ſols relié en Veau,
&Vingt-cinq fols en Parchemin.
A PARIS ,
Chez 6. DE LUYNE, au Palais , dans la
Salledes Merciers, à la Juſtice,
Chez C. BLAGEART, Ruc S Jacques,
àl'entrée de la Ruëdu Plâtre,
EtenlaBoutique Court-Neuve du Palais,
AU DAUPHIN.
ET. GIRARD, au Palais, dans laGrande
Salle, à l'Envie.
M. DC. LXXXIII.
AVEC PRIVILEGE DV ROL,
25525-52255-525222
TABLE DES MATIERES
contenuës dans ce Volume.
P
Rélude,
Discours de M. l' Intendant de
Montauban , aux Prétendus Réfor
mez, 7.
10
34
Discours fait aux mesmes parM.leBret,
Official de la mesme Ville,
M. l'Abbé de Maurepas est query par
les Remedes que le Roy sedonne la
peine defaire luy -mesme, 20
Sonnet de M. l'Abbé Tallemant de
l'Académie Françoise, 24
Penſion donnéepar le Roy à Mademo
felle de Scudery,
26
PlusieursMadrigaux envoyez à Mademoiselle
de Scudery, fur le mesmesujet,
28
Dimurede Mademoiselle de Scudery, 33
Entréede
7-11 Jame La
LeursAlteffes de Cik ...
Cour deHanover , & leur reception
dans cette mesme Cour,
35
Lettre contenantpluſieurs particularitez
a ij
TABLE.
confidérables de Milan, Parme, Ve
ronne, Padonë , Venise , & autres
Lieux, 153
Nouveaux Intendans de Province, 87
Addition à l' Article de la mort de Madame
le Coigneux , qui estoit dans le
dernierMercure, 89
Agrément donné par le Roy à M. le
Marquis de Mirepoix, de la Charge
deCornete de la Premiere Compagnie
desMousquetaires,
Confolation,
Histoire,
92
94
११
M. le Marquis de Pomereu est pourven
duGouvernement de la Ville&Citadellede
Douay, 155
Mort de M. Desparbes de Luffan, Comte
d'Aubeterre, 118
Mort deMadamede Céfan, 161
MortdeM. l'AbbédeGraves, 162
L'Homme Artificiel Anemoscope , ou
1
$
...sogne aes changemensdiu
ProphetePhai ...
temps,
Courses deChevaux, & àpied,
deM. de Mémont,
164
214
22
Course de Bague faite dans l'Académic
TABLE.
L
Discours deM. l'Evesque de S. Omer,
fait au Roy au nom de la Province
d'Artois,
LettredeVenise,
222
230
Relation des Opéra représentezà Venge
pendant le Carnaval de l'année 1683-
envoyée à Madame Chaſſebras du
Breau, par M. Chaſſebras de Cramailles,
232
Description du Théatre de S.Jean Chri-
Softome, 251
OpéraduRoy Infant, 256
Opéra des deux Césars, 272
Opéra du Grand Othon 280
OpéradeCoriolan, 281
OpéradeVirgilia, 283
Opéra deSilla, 285
Opéra deThemistocle 289
Opéra de l'Innocencejustifiée 291
OpéradeCidin-
295
nacninesajoutéesà l'Opéra duRoy Infant,
297
Opéra intituléOrontea, 300
Opérade Justin, 302.
Description de tous les Divertiſſemens
de la Courpendant le Carnaval, 309,
4
TABLE .
Mariages quisesontfaits ce Carnaval,
342.
Abjuration, 350
Ceremonie faite aux Capucins de Ver-
Now,
350
Pluſieurs Benefices donnezpar leRoy,352
Charges, 356
PrésensfaitsparleRoy, 356
Livres, 357
Enigme, 360
Autre Enigme, 361
Conclusion contenant pluſieurs Articles,
862
Finde la Table.
L
Avis pour placer les Figures.
'Air qui commence par Quelchangement
dans la Nature, doit regarder
la page 93.
L'Homme Artificiel Anemoſcope,
doit regarder la page 164 .
La Planche du Bal doit regarder la
Page 323 .
MERCVRE
GALANT
MARS 1683.
E ne puis mieux commencer
ma Lettre dans
la ſaiſon où nous fommes
, que par des Nouvelles
qui regardent la Religion &
la Pieté. Ce que fait le Roy
de jour en jour , en fournit
Mars 1683 . A
2
MERCURE
un ſi grand nombre de cette
nature, que ne pouvant vous
parler de toutes , à cauſe des
bornes que je fuis contraint
deme prefcrire, je me trouve
chaque mois plus embaraſſé
à les choiſir , qu'à les chercher.
Rien ne vous eſt plus
connu que le zele ardent de
Sa Majefté à voir rentrer au
ſein de l'Egliſe ceux de ſes
Sujets qui en ſont ſortis . Ce
zele ne s'étend pas ſeulement
fur eux ; il va juſqu'à ouvrir
des voyes de ſalut aux Mahometans
& aux Idolâtres.
La France eſt l'abord de tou
GALANT.
3
1
tes les Nations. Ily vient des
Gens de beaucoup de Lieux ,
où l'on ne ſçait ce que c'eſt
que l'Evangile ; & comme
il
il y en a eu quelques-uns,
qui voulant embraſſer le
Chriſtianiſme , ſe ſont malheureuſement
adreſſez à
ceux de la Religion Prétenduë
Reformée , dont ils ont
pris les erreurs , Sa Majesté
avertie de ce défordre, a crû
y devoir pourvoir ; & pour
empeſcher qu'à l'avenir on
n'abuſe de leur ignorance,
Elle a fait publier depuis un
mois une Déclaration qui
A ij
4 MERCURE
porte , que les Mahometans
& Idolâtres qui voudront ſe
faire Chreftiens , ne pourront
eſtre inſtruits que dans la
Religion Catholique. La
meſme Déclaration défend
aux Miniſtres de la Religion
Prétenduë Reformée , de
foufrir dans leurs Temples
ou Aſſemblées, les Perfonnes
de la qualité que je viens de
vous marquer , fous peine,
outre l'amende arbitraire, qui
ſera au moins de cinq cens
livres, d'eſtre privez pour toûjours
de faire aucune fon-
Aion de leur Miniſtere dans
GALANT. 5
le Royaume . On ajoûte à
cette peine l'interdiction entiere
de la meſme Religion,
dans les Temples ou autres
Lieux, où ces fortes de Perſonnes
auront eſté reçeuës,
ou ſoufertes. Voyez , Madame
, ſi l'on peut travailler
plus fortement à ce qui regarde
la gloire de Dieu , &
Pintéreſt de l'Eglife. Dans
la derniere Affemblée gené.
rale que Meſſieurs duClergé
de France ont tenuë icy , ils
firent dreffer un Avertiſſement
Paftoral pour ceux de
la Religion Prétenduë Re
A iij
6 MERCURE
formée ; & par le meſme
principe de zele & de pieté,
Sa Majesté a voulu que la
lecture leur en ait eſté faite
dans tous les Lieux où ils
ont des Temples . C'eſt pour
cela que M' Foucault, Intendant
de Montauban, y fit afſembler
le Confiftoire, dans
le mois de Fevrier. Tout le
monde ſçait avec combien
d'aprobation il s'acquite depuis
longtemps de cette Intendance
. Voicy dans quels
termes il expliqua les intentions
du Roy aux Miniſtres,
&à tous les Prétendus ReforGALANT.
7
1
mez qui s'eſtoient rendus au
Temple.
MESSIEURS,
LeRoy continuant de donner
à ſes Sujets de vostre Religion
des marques de la forte paſſion
qu'il a de les voir tous rentrez
dans le ſein de l'Eglife Romaine,
Sa Majefte m'a ordonné de vous
faire affembler icy , pour vous
dire que ſa volonté est que vous
écoutiez la lecture de l'Avertiſſement
Pastoral de Meffieurs
de l' Affemblée generale du Clergé
de France ; que vous en receviez
lafignification, &que vous en-
A iiij
8 MERCURE
tendiez ce que M³ le Bret vous
dira fur ceſujet. A quoy je dois
ajoûter, qu'apres que le Roy
vous a ordonné ces chofes comme
voſtre Souverain , ce Grand
Prince, comme Fils aîné de l'Eglife,
vous exhorte , vousfolli
cite, vous preſſe, de vous laiſſer
toucher aux plaintes de cette
Mere affligée , qui vous tend
les bras inceſſamment, & dont
Sa Majesté est obligée de pren
dre la protection. Je souhaite
tres- ardemment en mon particulier,
que les Lumieres Evangéliques
qui font répanduës dans
cette Monition que vous font les
GALANT. و9
Succeffeurs des Apoftres , ayent
affez de force pour diffiper les
nuages qui nous cachent les uns
aux autres , & que nous trouvant
tous dans une uniformité
de sentimens de respect, & do
venération pour les vertus de
noſtre incomparable Monarque,
nous puiſſions auffi nous réünir
dans les mesmes sentimens pour
la Religion qu'il profeffe , &
qu'ont profeffée nos Ayeux , &
les vostres.
Toute l'Affſemblée mar
qua beaucoup de ſoûmiffion,
&ſe montra preſte d'écouter;
apres quoy, M² le Bret, Offi10
MERCURE
cial de Montauban, fit la le-
Eture de l'Avertiſſement Paftoral.
C'eſt un Ouvrage digne
de la charité de ceux qui
l'ont fait , & plein de raiſons
tres- fortes , pour obliger les
Prétendus Reformez à reconnoiſtre
leur Schifme,
s'ils veulent agir de bonnefoy.
M'le Bret ajoûta à cette
lecture un tres-beau Diſcours
qui termina l'Aſſemblée. Il
eſtoit conçeu dans ces termes.
MESSIEURS,
Le ſejour que je fais en cette
GALANT II
de
Ville depuis tant d'années ,
m'ayant uny d'amitié avecplufieurs
d'entre vous , m'a auffi
donné lieu de connoistre
plaindre voſtre état ; ce qui m'a
fait souvent defirer l'occaſion de
vous y estre utile, &de pouvoir
■ contribuer à voſtre réünion avec
- l'Eglise nostre commune Mere,
de laquelle vous vous eftesféparez
depuis plus d'un Siecle . Ce
defir toutefois ne m'a pas esté
particulier. La charité Chreftienne
l'a inspiré à beaucoup
d'autres , & principalement au
Clergé de France de la part de
qui je vous parle; car quoy qu'il
12 MERCURE
ſefuſt aſſemblé l'année derniere
à Paris pour d'autres Affaires , il
ne laiſſa pas de s'appliquer fortement
à celle. là, comme la plus
importante de toutes, parce qu'elle
regarde vostrefalut , qui est cette
affaire que Nostre- Seigneur nous
a fifi particulierement recommandée,
Porro unum eft neceffarium.
Noftre Grand Monarque,
dont la pietérépond fi dignement
au Titre de Tres -Chreftien que
l'Eglise luy a donné , a trouvé
cela si juste , qu'il a bien voulu
charger M² l'Intendant, comme
le Dépositaire de fon autorité
dans cette Province , de vous
८
GALANT. 13
T
L
faire connoiſtre là-deſſus ſes in
tentions ; de forte que comme ce
qu'il vous en a dit ne peut estre
plus précis, je me contenteray d'y
ajouſter que l'Eglise eftant cette
Arche veritable , hors laquelle il
n'y apoint deſalut, vous n'avez
pû ny dû vous en ſéparer, quel-
- que couleur qu'on ait prétendu
donner à cette séparation . Je ne
doute point que vous ne difiez que
l'Egliſe eſtant tombée en ruine,
il eftoit neceſſaire de la reparer.
Cefut le discours , comme le prétexte
, dont ſe prétendirent couvrir
les Autheurs de ce Schifme;
mais , Meffieurs , foufrez que je
1
14 MERCURE
ril
vous réponde avec S. Augustin,
parlant aux Donatistes, que pour
reparer dans l'ordre cette prétenduë
ruine de l'Eglife , bien loin
de la quiter, il falloit au contraire
y demeurer plus intimement unis ,
& n'y employer que la charité,
le bon exemple , & la patience.
Ce sont les regles que nous prefcrit
l'Evangile, & celles que les
Apostres & leurs Succeffeurs ob-
Serverent dans l'établiſſement du
Chriftianisme. Je diray encor,
que pourse croire veritablement
capable d'une telle entrepriſe , il
falloit en avoir la miſſion , puis
que felon S. Paul, Nemo fibi
GALANT. 15
fumit honorem, fed qui vocatur
à Deo tanquamAaron,
fic Chriftus non femetipfum
clarificavit , ce grand Apoſtre
n'ayant parlé de laforte que pour
nous apprendre l'abſoluë neceſſité
d'une Mission, & mesme l'obli
gation oùl'on estde ne pas écouter
ceux qui n'en ont point. Nous
fçavons tous qu'il n'y en a que
de deux fortes , l'ordinaire ,
l'extraordinaire ; que la premiere
ne vient que des Eveſques, à qui
la conduite de l'Eglife a de tout
temps appartenu, Quos Spiritus
Sanctus pofuit Epifcopos regere
Ecclefiam. Vos Autheurs
16 MERCURE
n'oferent ſe l'attribuer , parce
qu'ils appréhenderentavec raiſon
que ſes Evesques ne les defavoüaffent;
fi- bien que dans la
necefſſivé où ils ſe crûrent de perfuader
qu'ils ne venoient pas
d'eux- meſmes , ils ſe vanterent
d'avoir l'extraordinaire ; mais
comme cette Miſſion neſeprouve
que par des miracles , il est aisé.
de connoiſtre que ce n'estoit qu'une
fupoſition, parce qu'outre qu'ils ne
firent point de miracles , & que
l'esprit de Dieu ne sçauroit ja
mais estre qu'uniforme, ils furent
toûjours ſi peu d'accord entr'eux,
qu'apres une infinité de contestaGALANT.
17
tions, &de querelles ſanglantes,
ils prirent enfin le party d'établir
toutes les Sectes diverſes quiſe
voyent en Allemagne , en Hollande
, en Angleterre , & en
France. De forte qu'une cauſe ſi
vitiée ſi erronée, influant neceſſairement
la mesme défectuosité
dansſes effets, il en faut conclure
que vostre état ne sçauroit estre
meilleur que son principe , &
qu'en un mot tout ce grand mal
ne se peut jamais guérir que par
fon contraire , c'est à dire que par
voſtre retour à l'Eglise que vous
avezquittée, d'autantplus qu'elle
est la veritable Eglife, qu'en effet
Mars 1683. B
18 MERCURE
vous y avez esté unis pendant
plus de quinze cens ans , quenfin
elle est auſſi viſiblement,
qu'incontestablement, cette Eglife
contre laquelle le Sauveur du
Monde a promis que les Portes
de l'Enfer ne prévaudront jamais
. Nous en avons pluſieurs
preuvesfans contredit, mais entre
autres,le gloricux triomphequ'elle
a remporté de tant de diférentes
Sectes, qui l'ayant fi violemment
attaquée dans tous les Siecles,
n'ontſervy qu'àſignaler davantage
leur confusion , & qu'à ren
dre plus remarquable l'effet de
cette grande promeffe de I. C. à
GALANT. 19
-fon Epouse. Aquoy, Meſſieurs,
- pour ménager le temps qui nous
refte, j'ajouteray cette miraculeuse
@conftanteſucceſſion deſesEvefques
, laquelle felon Tertullien,
S S. Augustin, &les autres Peres ,
n'est pas moins une marque autentique
deſa verité , que le defaut
de cette fucceffion a toûjours
efté dansſes Rivales une preuve
convainquante de leur fauffeté.
Je ne m'étendray done pas davantage,
Meſſieurs, furces gran..
des veritez, puis que je ne doute
point que vous n'en conceviez
l'énergie , &que cela estant , it
ne me reſte plus qu'à vous fou-
S
Bij
20 MERCURE
haiter, comme je fais de tout mon
ccoeur , la grace d'y eſtreſenſibles,
ainſi qu'à ce qui est contenu plus
au long dans l'Avis Pastoral que
l'Eglife Gallicane vous adreffe,
&dont je viens de vous faire la
lecture.
-Le Roy ne prend pas feulement
ſoin du falut des ames
de ſes Sujets, mais il enprend
auffi de leur vie , & de leur
ſanté. Alexandre, apres ſes
conqueſtes, s'eſtant attaché
à la pratique de la Medecine,
compoſa pluſieurs Remedes.
Noftre Grand Monarque en
uſe de meſme , & fes mains
GALANT 21
e
1
Royales qui portent fi dignement
le Sceptre, s'employent
de temps en temps à la compoſition
de quelques Reme
des particuliers , dont il a
4 huy ſeul la connoiſſance. M
l'Abbé de Maurepas eſt un
témoin de la vertu de ces
Remedes , puis qu'ils ont
deſte ſeuls capables de le guérrir
d'une maladie de plufieurs
s années , qui l'avoit détourné
de fon exercice ordinaire de
la Prédication , dont il s'ac
quite à préſent avec autant
de force que s'il avoit toû
jours eu une parfaite ſanté.
es
22 MERCURE
Ainſi l'on peut dire que les
Remedes que Sa Majesté
veut bien prendre la peine
de faire , & qu'Elle donne li
béralement au Public , font
cauſe que cet Abbé publie
les loüanges de Dieu dans
la Chaire de Verité , où ſon
mal l'empefchoit de monter.
Ce n'eſt pas ſans ſujet que
je vous parle de cette guérifon,
puis qu'ayant beaucoup
éclaté par deſſus un grand
nombre d'autres , elle fert à
convaincre quelques Incré
dules qui n'ont pas juſqu'icy
voulu eſtre perfuadez que la
GALANT. 23
guérifon de ceux qui ſe ſervent
de ces Remedes, eft infaillible.
Vous vous fouve
Inez ſans doute , de ce que
je vous ay dit de leur vertu
dans une autre Lettre ; ainſi
je ne vous le répeteray
point
-
Comme le Roy a ſoin de
t l'agreable auffi-bien que de
l'utile , les ſuperbes Apartemens
de fon Palais de Verfailles
, où toutes les Perſonnes
d'une qualité diftinguée
- font bien reçeuës pour joüer,
ont. efté ouverts juſqu'à fon
depart pour Compiegne.
24 MERCURE
Leur magnificence a donné
lieu à M l'Abbé Tallemant,
de l'Académie Françoiſe , &
Premier Aumônier de Madame,
de faire le Sonnet que
vous allez lire .
SUR LES SUPERBES
Apartemens deVerſailles.
D
Ans ce riche Palais, dont la
magnificence
De tous les Curieux tient les yeux
arreftez,
Dans cesApartemens qui semblent
enchantez,
Se trouvent la grandeur, l'éclat, &
l'abondance.
!
;
Là
GALANT. 25
Là,les Ris &lesfeux, la Musique,
laDance,
Enfin tous les Plaisirs, viennentde
tom coftez;
Onyvoit centHéros,onyswoit cent
Beautez,
Qui duplus grand des Roys revérent
lapréſence.
Se
Et cependant,malgré laſurpriſedes
fens,
fi charmans,
Dans ces Lieuxque LOVIS a rendus
Je reffens en mon ame une peine
importune.
S&
Je me vois accablé par un mortel
ennuy,
Nonpourn'avoir rienfait encorpour
mafortune, ھک
Mars 1683 . C
26 MERCURE
Mais pourn'avoir rien fait quifoit
digne de luy, anh ta ndo
Il eſt aſſez difficile de fairedes
Ouvrages dignes d'un Prince
fi éclairé , mais on en peut
faire qui luy foient agreables;
& c'eſt dequoy Mademoifelle
de Scudéry a ſujet de ſe
flater , puis que le Royvient
de luy donner une Penfion
de deux mille livres, ſans qu'-
elle euſt rien demandé. Cette
circonftance luy doit rendre
ce bienfait d'un prix infiny,
& fait éclater en mefme
temps , la bonté, & la juſtice
de ce grand Monarque , au
GALANT 27
pres duquel , les Perſonnes
d'un eſprit du premier ordre,
n'ont beſoin que de faire parler
leur mérite , pour en avoir
des gratifications. Sa Majeſté
a eſté fort applaudie d'avoir
donnécette Penſion , tout le
monde ayant une eſtime
particuliere pour Mlle de Scudery
, qui nous a donné tant
de beaux Ouvrages. Un peu
avant que la Cour partiſt
pour Compiegne , cette illluuffttrree
Fille alla à Versailles
faire fes remercimens au
Roy , qui la reçeut , avec l'agrément
dont il reçoit toutes
Cij
28 MERCURE
les Perſonnes d'un merite
diftingué. On ne s'eſt pas
tû dans une fi belle occafion
de patler , & les Madrigaux
ſuivans vous le font con
noiftre.
SUR LA PENSION
donnée par le Roy à Made-
-moiſelle de Scudery.
1
queLOVIS Apho, ceux que
defagloire L
Favorifedeses regards,
4
du coble
Sans la faveur du Sort,ſansles travaux
de Mars,
Auront un rangillustre au Temple de
Mémoire:
GALANT. 29
Tout l'avenir dira de vous,
Contre elle le Deſtin déployoit
fon couroux,
Mais LOUIS corrigea fon Etoile
cruelle.
Plus grand que la grandeur dont
il fut reveſtu,
Il écoutoit toûjours la Verité
fidelle
Qui luy parloit pour laVertu .
::
I I.
V'on 'on est heureux de voir cou
ronner tes Ecrits!
Tout le monde, Sapho, te va rendre
visite,
Depuis que d'un Grand Roy l'eftime
en estle prix.
LOVIS qu'en tafaveur la gloirefollicites
Ciij
30 MERCURE
Ex récompenfant ton mérite,
A charmétous les beaux Esprits.
L
III .
A Fortune aujourd'huyse
en crédit,
On en avoit toûjours médit,
Souvent auvray
outrage;
remet
Mérite ellefaisoit
Mais enfin ils ont fait une étroite
union.
D'illustres mains devoient accomplir
cet Ouvrage,
LOVIS en estl'Autheur; Sapho, l'occafion.
IV.
SApho, cing on fix beaux Ef- prits
Disputoient l'autrejour du prix
GALANT. 31
De tout ce qu'a produit ton excellent
génie;
Puis ayant balancé meûrement les
avis,
Ils prononcerent tous en faveur de
Clélie.
J'écoutayleur Arrest; apres quoy, je
leur dis
Sur tout ce qu'on a fait elle a de
l'avantage;
De Sapho cependant le plus
heureux Ouvrage,
. C'eſt d'avoir ſçeugagner l'eſtime
de LOUIS.
V.
LA Poftérité curieuse
Apprenant de LOVIS les Exploite
lesplus grands,
Trop incrédule&soupçonneuse,
Cij
32 MERCURE
N'ydonnerade foy quefur de bons
garands.
LaDivine Sapho, témoin irréprochable,
Dont l'esprit brille moins que lafincérité,
Fera direà laVerité
Ce quiparoiftra faux, ou du moins
incroyable.
LOVIS, tout grand qu'il eſt, aura
beſoind'appuy,
Sapho de tous les temps connoist l'efprit
rebelle;
Etfidanslepréſent elle a besoin de
luy,
Dans l'aveniril aura besoin d'elle.
GALANT. 33
,
S
ef-
REPONSE DE SAPHO .
LA Poftérité curieuse
Nepourra pas douterdes Conquestes
du Roy;
Etle Rhin, que Strasbourgafoûmis
afa Loy, :
Inſtruira cette Soupçonneuse.
Tant de Combats fameux , tant de
Faits éclatans,
Tant d' Ennemis vaincus,font d'affiz
bons garands,
Leur témoignage enfin doit estre
irréprochable.
On nedouterapoint de leur fincerité,
Etcettegrande Verité
Aufenlnom du Hérosfera toûjours
croyable.
Comme il est des Autels leplusfolide
appuy,
34 MERCURE
LvDéeffe aux centvoix neſerapas
rebelle;
Saphodans tous les temps aurabesoin
de lay,
Et LOVIS est tropgrand pour avoir
besoin d'ellc
Le premier de ces Madrieſt
de M' de la Loubere , Réfident
pour Sa Majesté à Straſbourg
, avant que cette Ville
euſt reconnu leRoy pour fon
Souverain . Le ſecond eſt de
M² de S. Clair Turgot ; le
troiſieme , de Mademoiselle
Bernard, (c'eſt la jeune Iris du
Commerce Galant , ſi eſtimée
par les jolies Lettres qui font
GALANT. 35
d'elle dans ce Livre ; ) le quatriéme
, de M² Petit , de
Roüen ; & le cinquiéme de
M de Montfort , Autheur
des Conversations Galantes,
qui ont eu un grand fuccés
, & d'un autre Livre
qui va paroiſtre , intitulé,
La Politique des Amans. M
de Montfort eft tres-agreable
par ſa perſonne , & par
fon eſprit , & fort eſtimé dans
le beaumonde.
Depuis que vous avez fouhaité
que je vous rendiſſe un
compte exact de ce qui ſe
paſſe de plus éclatant dans
36 MERCURE
toute l'Europe, je vous ay envoyé
desRelations affez régulieres
de beaucoup de Feſtes
de la Cour de Hanover ; &
vous en avez veu de ſi gran,
des & de fi galantes , lors
que la Reyne Mere de Dannemarck
y arriva , que vous
eſtes demeurée d'accord qu'il
eft difficile de poufler plus
loin la magnificence , & la
galanterie , fil'on en excepte
ce qui ſe fait à la Cour de
France , dans laquelle , fans
qu'il ſoit unjour de Feſte , les
Courtiſans aſſemblez autour
de leur Prince au milieu de
GALANT. 37
fes fuperbes Apartemens ,
font un plus brillant ſpéctacle,
que toutes les autres
Cours ne le ſçauroient faire
dans leurs jours choiſis de
cerémonie. On peut dire que
dans ce que j'ay décrit endiférentes
occafions , la Cour
de Hanover fuivoit de bien )
prés ce qu'on voit icy de furprenant
pour les Ballets , &
pour les Feux d'artifice. M
de la Barre Matei , qui contribuoit
beaucoup à ces Spétacles
, qui faifoit les Vers
de ces Ballets , & qui avoit
ſoin de m'envoyer les Mé38
MERCURE
moires de cette Cour-là , ef
tant mort , j'ay eſté longtemps
ſans en apprendre aucunes
nouvelles. C'eſt ce qui
eft cauſe que je n'ay rien ſçeu
de particulier du Mariage de
Monfieur le Prince George-
Loüis , Fils aîné de Monficur
le Duc de Hanover, avec Madame
la Princeſſe Sophie
Dorothée de Brunfvic & Lunebourg
, Fille vnique de M'
le Duc de Zell. La Cerémonie
s'en eſtant faire dans la
Ville de ce nom , ſur la fin de
l'année derniere , cette illuftre
Princeſſe , qui par l'ar
1
GALANT. 39
vantage de ſa beauté , de fon
- eſprit , & de ſa vertu , aufli-
- bien que par celuy de ſes
grands Biens , s'eſt toûjours
fait diftinguer parmy les Perſonnes
de fon rang , fit ſon
Entrée publique dans la Ville
de Hanover , le 19. Decem
bre 1682. Voicy dans quel
ordre elley fut reçeuë. Toute
la Cour s'eſtant affemblée
dans le Palais à dix heures
du matin ,ydîna au bruit que
faiſoient, tant au dehors que
dans les trois Courts du Châ
teau , les Tambours & les
-Hautbois , meſlez avec les
40 MERCURE
Trompetes , & les Timbales
des Regimens des Gardes à
pied & à cheval. Si - toſt
qu'on fut hors de table , on
partit pour aller à la rencontre
de Leurs Alteſſes Serenif
ſimes de Zell , qui s'avançoient
avec grandnombre de
Carroſſes , de Cavalerie , &
d'autre ſuite. On mit pied à
terre à l'approche des uns des
autres , & apres s'eſtre ſalüez
aux fanfares des Trompetes
des deux Cours , tous enfemble
reprirent le chemin de la
Ville.
Le General Offen , à la
GALANT 41
2
es
à
{t
1-
11
de
&
es
1
teſte d'un Regiment de Cavalerie,
commença la Marche
, &fut fuivy du Premier
Fourrier de la Cour , qui devançoit
ungrand nombre de
Palfreniers, menant desChevaux
de Selle des Gentilshommes
, & des Miniftres de
M² leDuc de Hanover , tresbien
ajuſtez. Cette grande
Troupe eftant paffée , on vit
paroiftre M Vitrac , Premier
Ecuyer, &un Piqueur, avec
trente Chevaux de main de
la Petite Ecurie , richement
enharnachez. Ils eftoient fui
vis de vingt-quatre Pages à
Mars 1683.
D
42 MERCURE
cheval, couverts d'une Livrée
magnifique d'Ecarlate chamarée
d'argent , & ayant leur
Gouverneur à leur tefte. Apres
eux eftoient les Pages de
la Cour de Zell , précedant
vingt- deux Carroſſes à fix
Chevaux des Premiers Miniftres
& Gentilshommes de
M le Duc de Hanover , dont
voicy les noms.
M²Klenck , Premier Gentilhomme
de la Chambre , &
Droſſard.baon =
M Floramonti , Conſeiller,
&Droſſard.blender
Male Baron de Reeke,Confeiller.
GALANT. 43
=
M² Molck , Grand Véneur
au Duché de Grubenhagen .
M Wangenheimb , Grand
- Véneur au Duché de Hanover.
Me de la Chevallerie, Grand
Echanfon
M'le Colonel de Bouſch,
Colonel des Gardes de Cavalerie.
كا
M le Colonel Ohr.
M leColonel Bernholtz .
M'de Palland, Colonel des
Gardes d'Infanterie
f : M² Sandis , Grand Ecuyer
de Madame laDuchefſe .
M² Harling , Grand Ecuyer
de M le Duc.
44 MERCURE
M de Rechau , Maréchal
de la Vieille-Cour.
M' le Rauchgrafe , Confeiller
de Guerre , &Colonel.
M² le General Major du
Mont.
M' Hugo , Conſeiller au
Conſeil Privé , & Vicechancelier.
I
М² Molске , Conſeiller au
Conſeil Privé , & de laChambre
des Finances ...
M' Bouſche , Conſeiller au
Conſeil Privé,&de la Chambre
des Finances .
M'leGeneral Major Offen.
M'le General Major Ofener.
GALANT. 45
1-
el
M' le Baron de Platen, PremierMiniſtre
d'Etat,&Grand
Maréchal de la Cour.
M² de Podevils, Lieutenant
du General.
all
ل ا
m
가
Ces Carroffes eſtoient fuivis
de feize autres de M² le
Duc de Hanover , dans lefquels
on avoit reçeu les Gentilshommes
de la Suite de
Leurs Alteſſes Sereniffimes
de Zell. Celuy de Meſſieurs
les Princes Maximilien &
Charles , paroiſſoit enſuite.
Ils avoient fait placer avec
eux M² Chauvet , Lieutenant
General des Troupes de Zell,
:
46 MERCURE
&M de laTanne , Maréchal
de la Cour de Zell. Le Carroffe
de Monfieur le Prince
Frideric-Auguſte ſuivoit
ceux-cy. M'leMarquis d'Arcy
, Envoyé Extraordinaire
de France , y eut place avec
ce Prince. Vingt- quatre
Trompetes de M'le Duc de
Zell, & de M le Duc de
Hanover, avec les Timbales
de ces Princes , précedoient
le magnifique Carroſſe deM
leDuc de Hanover , dans lequel
eſtoient S. A. S. de Zell,
avecMadame la Ducheſſe ſa
Femme, S. A. S. de Hanover,
GALANT. 47
al
-
コー
it
۲-
re
el
re
de
es
avec Madame la Ducheſſe fa
Femme , & S. A. S. le Prince
aîné , avec Madame fa nouvelle
Epouſe. Des deux cotez
, marchoient à chevalM
Harling , GrandEcuyer ; M
de Sandis , Grand Ecuyer de
Madame la Ducheffe deHar
de nover; M'deLongueïl,Grand
Ecuyer de la Vieille-Cour,
M'le Baron de Reeke ; M²
le Baron de Klenck ,Premier
Gentilhomme & Droffard;
M' Saſctoft , Gentilhomme
de la Chambre de M' le Prince
aîné, Les Valets-de-pied
alloient tefte nuë , & M'le
f
:
48 MERCURE
Colonel Bouſch , précedoit
les Gardes du Corps de M² le
Duc de Hanover. Le Carroffe
de Madame la Princeffe
Sophie-Charlote , qui eftoit
accompagnée de Madame la
Comteffe de Reis , & de fa
Gouvernante, paroiſſoit apres
tous ceux que je viens de
vous marquer. Il eſtoit ſuivy
de trois autres dans lequel
eſtoient placées les Demoifelles
de la Cour. Ceux de
Madame laMaréchale dePlaten
, de Madame Offen , &
de plufieurs Perſonnes diftinguées
, fermerent laMarche,
chacun
1
GALANT. 49
chacun dans ſon rang.
La nuit commençoit lors
qu'on entra dans la Ville. On
y fut reçeu au bruit du Canon
de ſes Ramparts, qui ne
ceſſa point , juſqu'à ce que
LeursAlteſſes paſſant au travers
des Ruës bordées de
Cavalerie, mirent pied à terre
dans la ſeconde Court du
Chaſteau, ſalüées de laMoufqueterie,
qui ſe tenoit diſtribuée
en divers Corps autour
du Palais . On ſe rendit d'abord
aux Apartemens des
Mariez,qui brilloientde toutes
parts, enrichis de Luftres
Mars1683. E
5 › MERCURE
&de Dorures. Tout ce qu'on
y pouvoit trouver à redire,
c'eſt qu'ils n'eſtoient pas affez
vaſtes pour de ſi grands Princes.
Comme on rebaſtit ce
Palais à la moderne, on y en
fait d'autres qui ſeront bientoſt
achevez. Par cette raiſon,
les deux Cours s'eſtant trouvées
fort nombreuſes, y cauferent
de la foule. Le temps
de ſouper eſtant arrivé , on
monta dans la grande Salle
des Feſtins , extrémement
éclatante par ſes beaux Meubles,
& par la richeſſe du Bufet;
la quantité des Vaſes &
GALANT.
-
de laVaiſſelle de vermeil doré
&d'argent, répondant parfaitement
bien aux riches Tapiſſeries
& aux Tapis de pied
dont le pavé eſtoit tout couvert
, juſqu'au bout où l'on
trouva la Table dreſſée ſous
le grand Daiz de parade. Je
ne vous parleray point de l'abondance
des Viandes qu'on
y ſervit , ny de la délicateſſe
des Vins, puis qu'il n'y a perſonne
qui ne ſçache combien
ces Princes, magnifiques en
toutes chofes, le font en cecy,
au dela meſme de la coûtume
de leur Nation, qui l'em
E ij
52 MERCURE
porte fur beaucoup d'autres
dans ces fortes de Régales.
Le Feſtin fut ſuivy d'un Bal
ſuperbe, qui termina la journée.
Le lendemain , on prit
le divertiſſement de la Comédie
, qui fut repréſentée
avec grand fuccés, meſlée de
Machines, d'Entrées de Ballet
, & de Choeurs d'Inſtrumens
& de Muſique. Les
jours ſuivans il y eut d'autres
Bals, d'autres Concerts d'Inftrumens
& de Voix, d'autres
Comédies , & divers Feux
d'artifice d'une invention admirable.
Apres toutes ces
GALANT. 53
tres
ales
ourréjoüiſſances,
dans leſquelles
la magnificence éclata toûjours,
cette illuftre Compa
gnie ſe ſépara, mais ce ne fut
qu'apres avoir rendu des graces
publiques & folemnelles
dans la grande Chapelle de
16 la Court, pour l'heureux fuccés
du Mariage de M le
B Prince de Hanover,& de Madame
la Princeſſe de Zell.
pri
Co
ede
Le
Nous avons tant de diférens
Livres de Voyages, qu'il
ſemble qu'on ne puiffe plus
rien apprendre de nouveau
des Païs Etrangers. Cependant
chaque Relation qu'on
E iij
54. MERCURE
en fait , a quelque choſe de
fingulier , ce qui ne ſçauroit
venir que des changemens
qui feſe font dans chaque Lieu,
de l'exactitude des Voyageurs
à y remarquer jufqu'aux
moindres circonftances
de ce qu'ils voyent, & de
l'étenduë de leur eſprit. Les
uns n'oſent écrire de certaines
choſes qu'ils ne connoifſent
point, de peur de ne les
écrire pas avec aſſez de jufteſſe
; & d'autres qui ſe mêlent
d'en parler , n'ont pas
toûjours ſoin de les mettre
dans leur jour. Ainſi chacun
GALANT. 55
trouve à faire ſes remarques
dans les Villes où il paſſe
apres ceux qui l'ont devancé.
C'eſt ce qui me fait croire
que ce ne ſera pas fans plaifir
que vous lirez la Lettre qui
fuit. Elle est d'un Voyageur
plein d'eſprit , & contient
tout ce qu'il a veu de confidérable
à S. Michel en Savoye
, à Milan , à Parme , à
Veronne, à Padouë, & à Venife.
E iiij
56 MERCURE
22522522222255252
LETTRE
DE ME DE CHASSEBRAS
DE CRAMAILLES,
AMadame de Chaſſebras du
Breau, fa Belleſoeur. 4
EEplaisir que vous me témoignezavoir
pris à ce que
je vous ay déja écrit de mon
Voyage , m'oblige, Madame, à
continuer. Trois jours avantque
d'arriver à Turin, nous paſſames
par une Ville ou Village de Savoye
, que l'on nomme S. Mi
GALANT. 57
chel, où nous eûmes lieu de nous
conſoler des fatigues du chemin
par la veuë d'un auſſi plaiſant
Spéctacle qu'il s'en ſoit jamais
trouvé. C'estoit le jour d'un
Marché des plus celebres, &qui
avoit attiré douze à quinze cens
Perſonnes des environs , veftuës
d'une façon fi peu ordinaire , que
je ne puis m'empesſcher de vous
enfaire la description. Les Femmes
y portent pour Coifure une
petite Piece de Velours ou de
Drap noir, qui defcend jufqu'au
bas des jouësfans faire aucun
ply, &se tient ouvert par
les costez, pour ne point cacher
58 MERCURE
leurs oreilles & leurs cheveux,
qu'elles ontſoin d'entretenir dans
une mal-propreté admirable. Le
derriere de cette Coifure est d'une
Etofe d'une autre couleur,&plat
comme un Chaperon de Vieille,
ou plutoſt comme un Couvercle
de nos plus grandes Boëtes de
Confitures . Ce derriere , ou cul
de Chaperon , eft bordé tout autour
d'un Bourrelet, grosde quatre
doigts, qui leurfaitparoiſtre la
teſte dans une maniere de Cercle.
LeCorpsd-e-Jupe,&les Manches,
font auſſi de deux couleurs
diférentes , & ces Manches paffentpardeſſus
leCorps, n'yayant
GALANT. 59
que cinq doigts à dire qu'elles ne
Se joignent parderriere. Lafupe
qui estfortpliffée, vient jusqu'au
deſſous du ſein , remontant encor
parderriere , en forte qu'entre le
deſſous du bras &la ceinture, il
n'y a que l'espace juste pour mettre
une Chaine de cuiore jaune;
&& ce qu'ily a de plus plaiſant,
c'est que le haut de cetteJupe est
pour la plupart d'une couleur, &
le bas d'une autre . Pour rendre
leurs Habits encor plus extravagans
, elles ont un Tablier pliſſé
deferge,encor d'une autre couleur,
- qui monte plus haut que leur
Ceinture, &couvre la moitié de
-
60 MERCURE
leur gorge. Je ne vous dis rien
de leurs Souliers , qu'on croiroit
eſtre de gros Sabots de cuir noir.
Leursperſonnes neſontpas moins
extraordinaires . Elles font laides
àfaire peur, presque toutes, bofſuës
& boiteuses , le menton
chargé d'une Loupe groffe comme
la teſte , qui descend fur leurs
Tabliers, avec un teint de couleur
de ſuye de cheminée , détrempée
dans de l'eau de fafran. Leur
derriere est d'une groſſeur qui fait
Fort lever leursJupes . Ainsifi on
ve prenoit garde à leur viſage, on
roiroit que ce ſont des Femmes
troffes qui marchent à reculons.
GALANT. 61
Les Habits des Hommes nefont
pas tout-à-faitsi bigearres , mais
leursfigures approchent encorplus
des Monstres . Les groffes Loupes
qu'ils ont toûjoursſous le menton
& autour du col ,ſont fort ordinaires
dans le fond de la Savoye,
où l'eau des Montagnes cause
cesfortes d'imperfections .
Mais pour venir à quelque
choſe de plusſolide, je vous diray
que toute lapeine de noftreVoyage
s'eſt terminée , pour ainſi dire ,
Turin; &que depuis, nous n'avons
guére ende mauvais chemin
àefſuyer. Nous primes un Carroſſe
jusqu'à Milan , qui en eft
62 MERCURE
éloignéde 32 ou 34 lieuës. Iln'y
en aguére davantage de Milan
jusqu'à Padouë, ce qui fait environ
70 lieuës Françoises . Nous
avons presque toûjours esté en
Chaise roulante par un chemin
fort plat & uny , qu'on pourroit
nommer un Cours, ou un Lieu de
promenade. Des deux coſtez il
est bordé d'Oliviers , &d'autres
gros Arbres toufus , & l'on n'y
découvre par tout que des Plaines
Spatieuses. On est fort commodement
dans ces Chaises roulantes .
Ellesfont à deux Chevaux, &
iln'y a place que pour deux Per-
Sonnes. Celles qu'on nomme Com
GALANT. 63
biatures , dont nous noussommes
Servis le plus souvent, courent la
pofte. On en change de quatre
lieuës en quatre lieuës , t) on
avance bien du chemin. L'usage
en eft fréquent en ce Païs, à cause
qu'il estfort marécageux enquel
ques endroits , & que les autres
Voitures font fortſujetes à estre
embourbées.
Les principales Villes où nous
avons passé depuis Turin , ſont
Milan,Pavie,Plaifance,Parme,
Guastala , Mantole, Veronne,
Vicenze, &Padouë. Le peu d'étenduë
d'une Lettre m'oblige àne
vous entretenir que de ce que j'ay
1
64 MERCURE
veu de plus fingulier.
L'Eglife Capitale de Milan
est,je croy,une des plus belles choſes
qu'on puiſſe voir. Figurezvous,
s'il vous plaift, une Eglife
auffi grande que Noftre-Dame
de Paris, pavée, & toute revêtuë
de marbre blanc juſque ſur les
Voûtes,ornée de Bas-reliefs, avec
plus de trois cens Figures tant en
dedans qu'en dehors , grandes
comme le naturel, qui ont la mefme
beauté des Antiques , outre
quarantt àinquante Pyramides,
ou pour mieuxdire,Aiguilles,qui
font en dehors, toutes à jour ,
travaillées avec la derniere déi
GALANT. 65
licateſſe , estant finies & terminées
par autant de Figures, le tout
de marbre blanc. Cette Eglise
n'est pas encore achevée , & on
doit ofter le peu de Tableaux qu'il
ya , pour n'y laiſſer que des Figures
de marbre. Il'y ena de fort
grandes , &j'en vis deux àune
Chapelle de la Croisée , qui repréfentent
deux Prophetes ,
ont environ dix - huit pieds de
hauteur. Cette Eglise est bastie
à la Gothique ; ce qui est cauſe
qu'elle ne donne pas d'abord dans
la veuë. C'eſt dommage qu'elle
n'est pas affez éclairée. Fy remarquay
l'Epitaphe d'un Jean-
Mars 1683.
F
66 MERCURE
Pierre Carcano Marchand, qui
estoitfi riche, qu'il laiſſa en mourant
deux cens trente mille écus
d'orpour continuer ce Baſtiment,
ayant fait bastir de ſon vivant
en 1624. le nouvel Hôpital de la
mesme Ville , qui est un des plus
beaux Edifices que l'on puiſſe
voir. On nous montra dans cette
Cathédrale leCorps de S.Charles
Borromée, qui attire en devotion
un concours de monde extraordinaire.
La fameuse Bibliotheque
Ambrofiane de Milan , a esté
fondéepar le Neveu de ce Saint,
pour eftre tous les jours ouverte à
à ceux qui veulenty étudier, ſoit
GALANT. 67
dans les Lettres , foit dans la
Peinture, ou la Sculpture. Ily a
une grande Salle toute de Livres
imprimez, au nombre de quarante
ou cinquante mille Volumes ; une
autre petite Chambre de Manufcrits
, avec deux autres grandes
Salles , dont l'une est remplie de
Pieces de Sculpture, tirées des plus
beaux Originauxde Rome ,
l'autre de Tableaux originaux
des meilleurs Maistres d'Italic.
On met encor entre les Raretez
de cette Ville, les Ouvriers de
Cristal de roche ; & parmy un
grand nombre d'Ouvrages tresdélicats
,j'y admiray deux grands
Fij
68 MERCURE
Chandeliers ou Luftres de cristal,
dont l'un avoit douze pieds, ou
deux toiſes de hauteur, furfix
pieds de diametre. C'estoit un
grand Aigle de Pieces de cristal
qui en terminoit le haut ; &des
Oyſeaux de toutes especes enfermoient
les branches. La grandeur
la beauté de cet Ouvrage eft
quelque chose de fortſurprenant.
LaChartreusede Milan est auffi
une Eglise d'une tres - grande
beauté. Le Portail en eſt de marbre
, tout chargé de Figures
de Bas- Reliefs; & les Autels
des Chapelles font de Pieces
de marbre, de jaspe de raport,de
GALANT. 69
!
diférentes couleurs . Cette Chartreuſe
eſt à une demy-journée de
Milan. Quantité de grandsFardins
en rendent la folitude tresagreable
à foixante Religieux,
qui y font chacun tres- commodement
logez.
Jeferois trop long,sije voulois
vous parler de toutes les belles
Eglises, Cabinets,&Palais . Je
vous diray ſeulement en peu de
mots , qu'à Parme nous admirames
le grand Theatre du Palais,
où l'on repréſente les Comedies
& les Opéra dans des Réjouisfances
extraordinaires , comme
aux Mariages aux NaifΤο
MERCURE
fances des Princes. Il estplus
large, & aussi long que celuy
des Tuilleries ; & ce qu'ily a de
mrveilleux , quelque bas qu'on
parle fur ce Theatre, on entend
distinctement ce que l'on y dit ,
des Loges les plus éloignées de la
Salle. F'en fis moy-mesme l'épreuve,&
fans celaje ne l'aurois
jamais cru. On montre encor les
Carroffes du Prince, commequelquc
choſe de fort curieux. Ily
en a neuf de Broderie d'or
d'argent, mais d'une matiere pefante&
maſſive,ſuivant l'usage
de ce Pais. Vous en concevrez
facilement la grandeur, quand je
GALANT. 71
vous diray que l'on met dans la
plupart quatre petits Fauteüils
au milieu, outre les places des
deuxfonds. Ily a un de ces neuf
Carroffes que l'on remarque parmy
tous les autres. Il a le Train
& les Roues couvertes d'argent
cizelé, en ſorte qu'il paroist tout
d'argent maſſif.
AVeronne , on va voir les
Jardins du Comte Muto, principalement
àcause des grandesAllées
de Cypre
Cyprés, dont ily en a de
vingt toiſes de hauteur.
Padonë, qui est la derniere
Ville ou nous avons passé, a cela
de particulier, qu'on peut aller
72 MERCURE
une
ans toutes les Ruës à couvert, de
mesme que ſous les Piliers des
Halles à Paris. L'Eglise de
S. Antoine de Pade est la plus
fréquentée, àcause des prétieuſes
Reliques de ce Saint , dont le
Corps rend continuellement
odeur douce & fort agreable. Ce
ſontdes profuſions de richeffes que
les préſens qu'onyfait. Aufficest
la plus grande devotion de tout le
Pais. Les Pauvres n'y demandent
point l'aumône pour l'amour
de Dieu , mais pour l'amour de
S. Antoine de Pade. Il y a dans
cette Ville une Académie celebre,
où l'on enſeigne toutes fortes de
Lettres,
GALANT. 73
Lettres,Humanitez, Philofophie,
Mathématiques,Medecine, &c.
LesEcoliersyfont en grand nombre
, &portent l'Epée. Comme
ils entretiennent presque tous des
Femmes de mauvaiſe vie, ils ſe
rendent maistres de la Villepe.n.
dant lanuit. Ils marchent armez
de Pistolets ; s'ils rencontrentquelque
Particulier dont ils
craignent d'estre veus , ilsſe cachent
derriere un Pilier, &tirentfurluy.
Ils s'attendent mefme
pourse batre , quand ils font
jaloux les uns des autres. Cela
fait que perſonne n'oſefortir, lors
que la nuit est venuë. Il s'en paſſe
Mars 1683.
G
74 MERCURE
peu,fansqu'ily ait quelqu'unde
tué. Ce defordre rend la Ville
presque deferte, peu de Perſonnes
voulant l'habiter , par le péril
qu'ony court.
PourVenise où jesuis présentement,
je vous diray que c'est la
Villedu monde où l'on peut vivre
enplus grande liberté. On n'est
point obligé de faire de dépense
fi l'on ne veut, parce que les viuresysont
àfort grand marché.
Ils y abondent de tous les coftez.
Le Poiffon s'y donne quafi pour
rien, toutes les autres denrées
à proportion. Il n'y a que la
Viande de Boucherie quiſoit un
GALANT. 75
:
peu shere. On nese rendpoint de
viſites , &jamais on ne mene
d'Estafiers ny de Valets apres
foy. On va par eau dans toute
la Ville ; &pour aller par tout
en Gondole , il n'en coûtepas la
moitié de ce qu'il coûte àParis
pour des Carroffes. Ces Gondoles
4 font de petits Bateaux couverts
de ferge noire , tres-propres , on
l'on peut estre quatrefort àl'aise.
On y reçoit quelquefois jusqu'à
fix Perſonnes. Ily en a toûjours
de preſtes, qu'onfait marcher autant
de temps que l'on veut. On
peut auffi aller à pied, par le
moyen de quantité de Ruës fort
Gij
76 MERCURE
:
la
étroites , qui ſe joignent l'une à
l'autre parplusieurs petits Ponts,
qui paſſentpardeſſus les Canaux,
qui n'ont point de Parapets
Ppoourlaplupart, ccee qui est tresdangereux
la nuit. Le grand
Canal traverſe toute la Ville en
Serpentant, & est bordédesplus
beaux Palais de Venise. C'est là
que sefont toutes les Promenades
dans les Gondoles. Auffi lesMai-
Sonsyfont fort cheres. L'Eglife
Catholique Romaine eſt celle du
Païs. On y foufre encore une
Eglise publique des Grecs , &
une des Arméniens. Les fuifsy
font au nombre de trois mille. Ils
GALANT 77
logent dans un Quartierſeparé,
portent tous un Chapeau rouge,
font fori puiffans en cette
Ville. Tous les Nobles, les Citadins,
lesAvocats, les Medecins,
les Notaires,ysont vestus de
la mesmeforte , &n'ont jamais
perſonneàleurfuite. Ilfautexcepter
les premiers Magiftrats, qui
ontquelque diférence eenntleerursHabits.
Ils portent de grandesManches,
qui vontquaſijusqu'à terre,
&peuvent avoir avec eux deux
ValetsdeChambre. L'Habit des
Nobles eft de Drap noir, long
comme nos Robes du Palais, avec
lesManchesàpeu pres de lama-
Gij
78 MERCURE
niere de nos Robes de Chambre
d'Oüate, le tout bordé de Fourvure.
Ils portent un petit Bonnet
de laine noire fort fimple. Foubliois
à vous dire que les Citadins
font les naturels Venitiens, habituez
à Venise , & qui vivent
noblement. Remarquez, s'il vous
plaift, que je ne parle qu'en genéral,
car ily a encor d'autres
Citadins qui peuvent exercer certaines
marchandises , & ne portent
pas l'Habit , mais j'aurois
beſoin de plus de temps pour vous
en marquer la diférence. Iln'y a
chezles Venitiens que troisfortes
de Charges àvie ; le Doge, qui
GALANT. 79
est le Chef; le Chancelier, qui
est un Citadin , & qui n'est jamais
tiré du Corps des Nobles;
les Procurateurs de S. Marc,
dont la principale fonction est
d'avoir foin des grands Revenus
de cette Eglise, & de prendre la
protectiondes Veuves, des Orphelins,
& des Pauvres. Toutes les
autres Charges neſe donnentque
pourun an , ou tout au plus pour
feize ou dix-huit mois , ordinairement
ilfaut beaucoupde mé
rite poury parvenir. L'élection
s'en fait par balotations , & la
plupart des grandes Causes fe
jugent de mesme. Ainsi les Offi-
Giiij
80 MERCURE
ciers ne sçavent jamais les avis
les uns des autres . Les Habits de
cerémonie des Sénateursfont magnifiques
. Ce font des Robes fort
amples , avec de grandes Manches
qui pendent à terre , & qui
ont autant de tour qu'en a le bas
de la Robe. Elles sont de Damas
rouge à grandes fleurs , toutes bordées
doublées de poilde Marte,
dont on fait les plus beaux Manchons
de nos Dames de Paris . Ils
ont la Stolefur l'épaule, en ma.
niere de Chaperon . C'est un morceau
de Velours rouge, large d'un
quartier, & long environ d'une
aune. Elle eft de Velours violet
GALANT. 81
à ceux qui font en deüil ; &
quand on a eſté dans les Ambaf-
Sades, on laporte toute d'or. Cela
n'empeſche pas que les Reglemens
contre le Luxe ne foient fi beaux
àVenise, que, commeje vous l'ay
déja dit , à l'exception des Perfonnes
quifontdans les premieres
Dignitez,&qui peuvent avoir
un ou deux Valets de Chambre
avec Manteau à leurſuite, tous
les autres Nobles nepeuvent mener
aucun Domestique. Ceux
meſme qui conduisent les Gon
doles ( ce font les Carroffes de
Venise) nesçauroient estre veſtus
de Livrées. C'est un privilege
1
82 MERCURE
qui n'est que pour les nouveaux
Mariez durant les deux premieres
années de leur mariage,
encor commence - t - on à perdre
cette coûtume. Les Courtiſannes
ne pratiquent jamais avec les
Gentilles -Donnes , qui font les
Femmes des Nobles , fi ce n'est
dans le temps que l'on peut aller
masqué. Il leur est alors permis
de prendre un Maſque, & de fe
trouver dans les meſmes Compagnies.
Les Gentilles - Donnes
vont toujours accompagnées de
quelques Femmes , & tâchent
d'imiter les manieres Françoiſes
dans leurs vestemens. Les Filles
GALANT. 83
des Nobles & des plus riches
Marchands, ne paroiffent point
en public, & neſont d'aucun divertiſſement.
Ainsi depuis fept
ſemainesquejefuis icy, je n'en
ayveu qu'unepar hazard , quoy
quejefréquente affezles Eglifes.
La raiſon eft, qu'on les metprefque
toutes dans des Convents,
d'où elles nefortent que pour eftre
mariées. Leurs Amans ne les
voyent ordinairement que le jour
qu'ils les épousent , & ils ſe
prennent l'un l'autre au hazard.
Les autres Filles qui nefontpoint
dans les Convents , font enferméesfort
étroitement,& vont à
84 MERCURE
la Meffe dés le point - du -jour,
avec un grand Voile qui les coùvre,
JuneVieille qui les conduit.
Pour les Femmes d'Artisans,
ou de Marchands peu confiderables,
elles menent leurs Filles par
toutdans les Ruës avecdesVoiles
dont ellesse cachent autant qu'elelles
veulent. Les Meres & les
Filles ont leſein tout découvert,
les Meres ne trouvent pas
mauvais que ceux qui paſſent regardent
leurs Fillesſous le nez.
Aucontraire, toutes cellesquifont
jolies, ne manquent guére de lever
un peu leur Voile, afin de se
faire voir. Ceux qui vendent les
১
GALANT. 85
Fruits,lesHerbages, &lePoiffon
,font obligez deſe tenir debout
toute la journée, &ne peuvent
avoir de Siege àcoſté d'eux,
ou dans leurs Boutiques . On a
étably cela pour rabatre l'arrogance
qui nese trouve que trop
fouvent dans cesfortes de petites
Gens . L'Hyver n'a pas esté incommode
en cette Ville. A la
verité il n'yfait pas moins froid
qu'à Paris , & jy ay veu les
bords de quelques Canaux gelez,
mais cela n'empeſche pas que le
Soleil ne paroiſſe tout le jour.
Cela radoucit le temps, &laiſſe
la liberté deſe promenerſoir &
86 MERCURE
matin dans la Place de S. Marc,
&ſur le bord de la Mer, où il
ſe trouve toûjours un auffigrand
nombre de Perſonnes, qu'on y en
voit ordinairement dans les belles
ſoirées de l'Eté. La diférence est
que ce ne font que des Hommes.
Les Jeux de Baffete ont commencé
d'estre ouverts dés le len.
demain de Noël. C'est quelque
choſe deſurprenant de voir dans
un mesme temps & dans une
Seule Maiſon , qui est destinée
pour cela, cinquante ou ſoixante
Tables , toutes remplies de monceaux
d'or & d'argent. Depuis
qu'on est entré dans le Carnaval,
GALANT. 87
pluſieurs ne ſortent qu'en maſque
matin foir, excepté en allant
à la Messe. C'est presque une
neceſſité d'en ufer ainsi,pour ceux
qui veulent goûter la liberté de
cette saison. Autrement on est
exposé à bien des infultes , ce qui
n'arrive jamais aux Masques.
qui ſontſous laprotection du Public,&
pour lesquels on a beau
coup de respect.Jesuis,&c.
J'ay diféré juſqu'icy à vous
parler du changement qui
s'eſt fait dans les Intendan.
ces, parce que je n'en eftois
pas aſſez bien inftruit. Les
N
88 MERCURE
trois Generalitez de Normandie
ont eſté remplies
par de nouveaux Intendans;
celle de Roien , par M de
Méliand , qui estoit à Caën;
celle de Caën , par M de
Morangis , qui estoit à Alençon
; & celle d'Alençon, par
Mª de Bouville , qui eſtoit à
Moulins. M' de Bercy a efté
pourveu de l'Intendance
d'Auvergne ; M'Poncet, qui
eſtoit à Bourges , de celle de
Limoges ; M'de Seraucourt,
de celle de Bourges ; M'le
Bret, qui eftoit à Limoges, de
celle de Dauphiné ; & M² le
GALANT. 89
Goulx de la Berchere , de
celle deMoulins. Ces fortes
d'Emplois demandant beaucoup
de prudence , de ſçavoir,
& de conduite, le Roy
ne les confie qu'à des Gens,
qui ont de tres-grandes qualitez.
En vous apprenant la mort
de Madame le Coigneux,
Veuve de M'le Coigneux,
Seigneur de Bezonville , je
vous marquay il yaun mois
que de deux Filles qu'elle
avoit laiſlées, l'une eſtoit en
core à marier. J'ay ſçeu depuis
cetemps-là, que le Mé
Mars 1683. H
१० MERCURE
qui
qu
moire qu'on m'avoit donné
de cet Article n'eſtoit pas
exact , & que cette ſeconde
Fille a épousé un Gentilhomme
de Normandie,nommé
M'de Brilly, de la Maiſon
de Gouſtimeſnil-Martel ,
ſans contredit eſt une des plus
anciennes qu'on puiffe trouver.
La Terre de ce nom-là
eſt dans cette Famille il y a
plus de cinq cens ans , avec
la qualité de Chaſtellenie.
Ceux qui la poſſedoient dés
ce temps - là , prenoient le
titre de Chevalier, ce qui eſt
juftifié par des Chartes incon
GALANT: 91
teſtables dans les Archives
de l'Abbaye de Valmont. Ses
Armes font trois Marteaux.
Elle ne s'eſt jamais mef-alliée,
& pluſieurs de ceux qui en
font fortis ont eſté fort confidérez
des Roys Charles IX.
Henry III.& Henry IV. come
il paroiſt par les Lettres que
ces Princes leur ont écrites ,
& par quantité d'Emplois qui
leur ont eſté donnez. M' de
Brilly-Martel , qui a épousé
Mademoiselle le Coigneux,
eft digne de ſes Anceſtres.
Il eſt Neveu de Mademoiſelle
de Scudery , & a l'avantage
Hij
92 MERCURE
de prouver dix-ſept Filiations
dans ſa Race.
M² le Marquis de Mirepoix
a eu l'agrément du Roy
pour la Charge de Cornete
de la Premiere Compagnie
des Mouſquetaires. Il eſt Fils
de M'le Marquis de Mirepoix
, Aîné de l'illuftre Maiſon
de Lévy , & Gouverneur
de Foix ; & de Dame Marie
de Piédufou , de la Maiſon
des Marquis de Piédufou,
iffus des anciens Comtes de
Champagne. Ce jeune Seigneur
foûtient avantageuſement
la gloire de ſes Ancef
tres .
Jouffre pro danston Empr .
- Que le cruel Hyver exercefes
gueurs.
GALANT. 23
Je vous envoye un Air
nouveau , qui ne vous plaira
pas moins que le dernier,
puis qu'il eſt d'un auſſi habile
Maiſtre.
2
AIR NOUVEAU.
Ovel changement dans la
Ouy, mes yeux neſe trompentpas,
Jevoy dans l' Hyverla verdure,
Et dans le coeurd' Iris je trouve les
frimas.
Amour, helas, Amour,foulage mon
martire;
Toyqui regnes danstous les coeurs,
Nefouffre pas dans ton Empire
Quele cruelHyver exerceses vigueurs.
94 MERCURE
)
Les Vers que j'ajoûte à
ceux de cette Chanſon , doivent
eſtre d'un grand poids
pour ceux qui voudront faire
une ſérieuſe reflexion ſur le
peu de certitude des chofes
du monde. Ils ont eſté en
voyez àune Dame , qui avoit
fait une perte tres-confidé..
rable.
25525-52255-525222
CONSOLATION.
N
E regretez point, Vranie,
L'état où vous avez esté...
Cen'estpas laprosperité
Qui fait toûjours icy le bonheur de
lavies
GALANT. 95
Et biensouvent l'adverſité
Donttoft ou tard elle eſtſuivie,
N'enleve au Malheureux qu'elle a
persécuté,
Que ce qui fourniſſoit de matiere à
l'envie,
Etmet le reſte enfeûreré.
25
La Fortuneànosvoeux àlafin éxorable,
Au rangdeses Mignonsàpeine nous
amis,
Qu'un traitementsifavorable,
Durefte desMortels nous fait des
Ennemis.
Chacund'eux contre nous s'irrite,
Et cette fouledeFaloux
Nesongequ'àvangerfurnous
L'affrontque cetteAveugle a faità
leur mérite.
Ainsiloin de now réjoüir
P
96 MERCURE
Desfaveurs quefurnous il luy plaiſt
de répandre,
Nous començons lors à comprendre,
Que la peine de les défendre
Paffe leplaisir d'enjoüir.
Se
Ilfautdu Biendans la Feunesse,
Pourfournirà toussesplaiſirs;
Mais l'âge qui lafuit, &fait nostre
Sageffe,
Fait aussi qu'onse paſſe aisément de
richeffe,
En affoibliſſant nos defirs.
52
Peude choſe fait l'opulence
Decette tranquilleſaiſon.
Quand la Nature &la Raison
Réglentſeules noftre dépense,
On ne voitjamais l'indigence
Troubler lapaix de la Maison.
Oubliez
GALANT97
Sa
Oubliez pour toûjours voſtre triſte
avanture;
Au lieude tous ces Biensqu'onvient
devous ofter,
Faites-vous deformais une richeſſe
Seûre,
Envous accoutumant à ne vienfouhaiter.
Sz
Vous croiriez, dites-vous, voſtre ſort
Suportable,
Sivosfeuls intéreſtsfaiſcientvoſtre
douleur;
Etvous n'eſtes inconsolable,
Qu'à cause quevostre malheur
Faitperdre àvos Enfans un destin
agreable.
Nepermettezjamaisque cette illufion
D'un nouveau chagrin vous accable;
Mars 1683.
I
98 MERCURE
Cette innocente affection
N'est rien qu'un prétextehono.
rable
1
Dont pour vous tourmenterfefert
l'ambition .
52
Donnezàvos Enfans cequ'uneMere
Sage
Peut encorleur donnerquand elle a
tout perdu,
Enleurlaiſſantpourhéritage
L'exemplede vostre vertu .
Apprenez- leur qu'ungros partage
N'estpas ce quifournit lesfolides
plaisirs;
Il estfimal-aiséd'enfaire un bon
usage,
Qu'unsi dangereux avantage
Nedoit eftrejamais l'objet de leurs
defirs.
GALANT 99
را
Quelques fermens qu'on
puiſſe avoir faits d'aimer conſtamment,
on a beſoin d'uſer
de précaution pour tenir parole.
Il faut éviter les belles
Perſonnes ; leur veuë eſt toûjours
tres-dangercuſe ,& une
Coquete meſine , quand elle
a de l'agrément , &un eſprit
un peu délicat , mettra en
péril la fidelité la mieux
éprouvée. L'Avanture dont
je vay vous faire part , nous
le fait connoiftre. Elle a esté
écrite par une Perſonne d'efprit
, dont le ſtile vous plaira.
Je n'y change rien ; & ce que
I ij
100 MERCURE
vous allez lire,eft le Mémoire
que j'en ay reçeu. Un jeune
Comte , d'une des meilleures
Maiſons du Royaume,
s'eſtant nouvellement étably
dans un Quartier , où le Jeu
& la Galanterie regnoient
également , fut obligé d'y
prendre party comme les
autres ; &parce que fon coeur
avoit des engagemens ailleurs
, il ſe déclara pour le Jeu ,
comme pour ſa paffion dominante
; mais le peu d'empreſſement
qu'ily avoit , faifoit
aſſez voir qu'il fe contraignoit
, & l'on jug ea que c'ef
GALANT. Iol
,
toit unHomme quine s'attachoit
à rien , & qui dans la
neceſſité de choiſir , avoit
encormieux aimé cet amuſement
, que de dire à quelque
Belle ce qu'il ne fentoit pas.
Unjour une troupe de jeunes
Dames qui ne joüoiét point,
l'entreprit ſur ſon humeur indiferente.
Il s'en défendit le
mieux qu'il put, alléguantfon
peude mérite , &le peu d'ef
pérance qu'il auroit deftre
heureux en amour ; mais
on luy dit que quand il ſe
connoiſtroit affez mal pour
avoir une ſi méchante opi-
1
)
I iij
102 MERCURE
nion de luy - meſime , cette
raiſon ſeroit foible contre la
veuë d'une belle Perſonne;
&là-deſſus on le menaça des
charmes d'une jeune Marquife,
qui demeuroit dans le
voiſinage , & qu'on attendoit.
Il ne manqua pas de
leur repartir qu'elles-mefmes
ne ſe connoiſſoient point afſez
, & que s'il pouvoit échaper
au péril où il ſe trouvoit
alors , il ne devoit plus rien
craindre pour ſon coeur. Pour
réponſe à ſa galanterie , elles
luy montrerent la Dame
dont il eſtoit queſtion , qui
GALANT. 103
entroit dans ce moment.
!
Nous parlions de vous , Madame
, luy dirent- elles en l'apercevant.
Voicy un Indiférent
que nous vous donnons
à convertir. Vous y eſtes engagée
d'honneur , car il ſemble
vous défier aufli-bien que
nous. La Dame & le jeune
Comte ſe reconnurent , pour
s'eſtre veus quelquefois à la
Campagne chez une de leurs
Amies. Elle estoit fort convaincuë
qu'il ne méritoit rien
moins que le reproche qu'on
luy faifoit, & il n'eſtoit que
trop ſenſible à ſon gré; mais
104 MERCURE
1
elle avoit ſes raiſons pour
feindre de croire ce qu'on
luy diſoit. C'eſtoit une occafion
de commerce avec un
Homme, ſur lequel depuis
longtemps elle avoit fait des
deſſeins qu'elle n'avoit pû
executer. Elle luy trouvoit
de l'eſprit , & de l'enjouëment
, & elle avoit hazardé
des complaiſances pourbeaucoup
de Gens , qui afſurémentne
le valoientpas; mais
ſon plus grand mérite eſtoit
l'opinion qu'elle avoit qu'il
fuſt aimé d'une jeune Demoiſelle
qu'elle haïffoit , &
i
GALANT. 105
dont elle vouloit ſe vanger.
Elle prit donc fans balancer,
leparty qu'on luy offroit,&
apres luy avoir dit qu'il falloit
qu'on ne le crût pas bien endurcy
, puis qu'on s'adreſſoit
à elle pour le toucher , elle
entreprit de faire un Infidelle
fous prétexte de convertir
un Indiférent. Le Comte
aimoit paſſionnément la
Demoiselle dont on le croyoit
aimé ,& il tenoit à elle par
des engagemens ſi puiſſans,
qu'il ne craignoit pas que
rien l'en puſt détacher. Sur
tout il ſe croyoit fort enfûreté
106 MERCURE
contre les charmes de la Marquiſe.
Il la connoiſſoit pour
une de ces Coquetes de profeffion
, qui veulent à quelque
prix que ce ſoit engager
tout le monde , & qui ne
trouvent rien de plus honteux
que de manquer une
Conqueſte. Il ſçavoit encore
que depuis peu elle avoit un
Amant , dont la nouveauté
faiſoit le plus grand mérite, &
pour qui elle avoit rompu
avec un autre qu'elle aimoit
depuis longtemps , & à qui
elle avoit des obligations efſentielles
. Ces connoiſſances
GALANT 107-
luy ſembloient un remede af
furé contre les tentations les
plus preſſantes. La Damel'avoit
affez veu pour connoître
quel eſtoit ſon éloignement
pour des Femmes de fon caractere
; mais cela ne fit que
flater ſa vanité. Elle trouva
plus de gloire à triompher
d'un coeur qui devoit eſtre ſi
bien défendu. Elle luy fit d'abord
des reproches de ne
l'eſtre pas venu voir depuis
qu'il eſtoit dans le quartier,
&l'engagea à reparer ſa faute
dés le lendemain. Il alla
chez elle , &s'y fit introduire
108 MERCURE
parunConſeillerde ſes Amis,
avec qui il logeoit , & qui
avoit des liaiſons étroites avec
le Mary de la Marquiſe. Les
honneſtetez qu'elle luy fit,
l'obligerent enſuite d'y aller
pluſieurs fois ſans Introduc.
teur , & à chaque viſite , la
Dame mit en uſage tout ce
qu'elle crut de plus propre à
l'engager. Elletrouva d'abord
toute la réſiſtance qu'elle a.
voit attenduë . Ses ſoins , loin
de faire effet , ne luy attire.
rent pas ſeulement une parole
qui tendiſt à une déclaration;
mais elle ne deſeſpéra point
GALANT. 109
pour cela du pouvoir de ſes
charmes . Ils l'avoient ſervie
trop fidellement en d'autres
occafions , pour ne luy donner
pas lieu de ſe flater d'un
pareilſuccés en celle-cy.Elle
cruttmeſme remarquer bientoft
qu'elle ne s'eſtoit pas
trompée. Les viſites du Comte
furent plus fréquentes,
Elle luy trouvoit un enjouëment
que l'on n'a point
quand on n'a aucun deſſein
de plaire. Mille railleries divertiſſantes
qu'il faifoit fur fon
nouvel Amant ; le chagrin
qu'il témoignoit quand il
110 MERCURE
ne pouvoit eſtre ſeul avec
elle , l'attention qu'il preſtoit
aux moindres choſes qu'il luy
voyoit faire , tout cela luy parut
d'un augure merveilleux,
& il eſt certain que fis elle
n'avoit pas encor le coeur de
ce prétendu Indiférent , elle
occupoit du moins ſon ef
prit. Il alloit plus rarement
chez la Demoiselle qu'il aimoit
, & quand il eſtoit avec
elle , il n'avoit point d'autre
ſoin , que de faire tomber le
difcours fur la Marquife. Il
aimoit mieux railler d'elle
que de n'en rien dire . Enfin
GALANT. III
ſoit qu'il fuſt ſeul, ou en compagnie
, ſon idée ne l'abandonnoit
jamais . Quel dommage
, diſoit-il quelquefois ,
que le Ciel ait répandu tant
de graces dans une Coquete?
Faut-il que lavoyant ſi aimable
, on ait tant de raiſon de
ne point l'aimer ? Il ne pouvoit
luy pardonner tous ſes
charmes ; & plus il luy en
trouvoit , plus il croyoit la
haïr. Il s'oublia meſme un
foir juſques à luy reprocher ſa
conduite , mais avec une aigreur
qu'elle n'auroit pas ofé
efperer fi-toſt. A quoy bon,
112 MERCURE
luy ddiitt--iill,,MMaadame , toutes
ces oeillades , &ces manieres
étudiées que chacun remarque
,&dont tant de Gens ſe
donnent le droit de parler?
Ces ſoins de chercherà plaire
à tout le monde , nefontpardonnables
qu'à celles à qui
ils tiennent lieu de beauté.
Croyez-moy,Madame, quittez
des affectations qui font
indignes de vous. C'eſtoit où
on l'attendoit. La Dame ef
toit trop habile pour ne dif
tinguerpas les conſeilsdel'amitié,
des reproches de la jaloufie.
Elle luy en marqua
GALANT. 113
de la reconnoiſſance , & tâ
cha enfuite de luy perfuader
que ce qui paroiſſoit coqueterie
, n'eftoit en elle que la
crainte d'un veritable attachement
; que du naturel
dont elle ſe connoiſſoit , elle
ne pourroit eſtre heureuſe
dans un engagement , parce
qu'elle ne ſe verroitjamais aimée,
ny avec la meſme fincerité,
ny avec la meſme déli
cateſſe dont elle ſouhaiteroit
de l'eftre , & dont elle fçavoit
bien qu'elle aimeroit.
Enfin elle luy fit un faux
Portrait de fon coeur , qui fut
Mars1683. K
114 MERCURE
pour luy un veritable poifon.
Il ne pouvoit croire tout-àfait
qu'elle fuſt ſincere , mais
il ne pouvoit s'empeſcher de
le ſouhaiter. Il cherchoit des
apparences à ce qu'elle luy
difoit , & il luy rappelloit
milles actions qu'il luy avoit
veu faire afin qu'elle lesjuſtifiaft
; & en effet, ſe ſervant du
pouvoir qu'elle commençoit
àprendre ſur luy , elle y donna
des couleurs qui diffiperent
une partie de ſes ſoupçons
,mais qui pourtantn'auroient
pas trompeun Homme
, qui euſt moins ſouhaité
a
GALANT. I
1 de l'eſtre. Cependant,ajoûta-
-t- elle d'un air enjoüé , je ne
veux pas tout- à-fait diſconvenir
d'un défaut , qui peut
me donner lieu de vous avoir
quelque obligation. Vous
ſçavez ce que j'ay entrepris
pour vous corriger de celuy
qu'on vous reprochoit. Le
peu de ſuccés que j'ay eu , ne
-vous diſpenſe pas de reconnoiſtre
mes bonnes intentions
, &vous me devez les
melines foins.Voyons ſi vous
ne ferez pas plus heureux
à fixerune Inconſtante , que
je l'ay eſté à toucher un In
Kij
116 MERCURE
ſenſible. Cette propofition,
quoyque faite en riant, le fit
rentrer en luy-mefme , &alarma
d'abord ſa fidelité. Il vit
qu'elle n'avoit peut- eftre que
trop réüſſy dans fon entrepriſe
, & il reconnut le danger
où il eſtoit ; mais fon panchant
commençant àluy ren
dre ces reflexions facheuſes,
il tâcha bientoſt à s'en délic
vrer. Il penſa avec plaifir, que
ſa crainte eſtoit indigne de
luy , & de la Perſonne qu'il
aimoit depuis fi longtemps.19
Sadélicateſſe alla meſme fuf
qu'à ſe la reprocher comme
1
GALANT. 117
une infidelité , &apres s'eſtre
dit à ſoy-meſme,que c'eſtoit
déja eſtre Inconſtant que de
craindre de changer , il embraſſa
avec joye le party qu'-
on luy offroit. Cefut un commerce
fort agreable de part
& d'autre. Le prétexte qu'ils
prenoient rendant leur empreflement
un jeu , ils goû
toient des plaiſirs qui n'eftoient
trouble z d'aucuns ſcrupules.
L'Italien qu'ils ſçavoient
tous deux, eftoit l'interprete
de leurs tendres ſentimens.
Ils ne ſe voyoientjamais
qu'ils n'euſſent à ſe don
118 MERCURE
ner un Billet en cette Langue;
car pour plus grande
lûreté, ils eſtoient convenus
qu'ils ne s'envoyeroient jamais
leurs Lettres. Sur tout
elle luy avoit défendu de parlerde
leur commerce au Conſeiller
, avec qui il logeoit,
parce qu'il eſtoit beaucoup
plus des Amis de fon Mary,
que des fiens ; &qu'autrefois
fur de moindres apparences,
il luy avoit donné des foup.
çons d'elle fort deſavantageux.
Elle luy marqua mef
me des heures où il pouvoit
le moins craindre de les ren-
;
-
す
GALANT. 119
contrer chez elle l'un ou l'au
tre , & ils convinrent de certains
fignes d'intelligence
pour les temps qu'ils y feroient.
Ce miſtere eftoit un
nouveau charme pour le jeune
Comte. La Marquiſe prit
enſuite des manieres ſi éloignées
d'une Coquete, qu'elle
acheva bien- toſt de le perdre.
Juſque-là elle avoit eu un de
ces caracteres enjoüez , qui
reviennent quaſi à tout le
monde , mais qui defefperent
un Amant ; & elle le quita
pour en prendre un tout oppofé,
ſans le luy faire valoir
120 MERCURE
comme un ſacrifice. Elle
écarta ſon nouvel Amant, qui
eſtoit un Cavalier fort bien
fait. Enfin loin d'aimer l'éclat
, toute fon application
eftoit d'empeſcher qu'on ne
s'apperçeût de l'attachement
que le Comte avoit pour elle ;
mais malgré tous ſes ſoins, il
tomba un jour de fes poches
une Lettre que fon Mary ramaſſa
, ſans qu'elle y prift
garde. Il n'en connut point
le caractere , & n'en entendit
pas le langage , mais ne dou
tant pas que ce ne fuſt de l'Italien
, ilcourut chez leCon
feiller
GALANT. 121
feiller qu'il ſçavoit bien n'eftre
pas chez luy , feignant de
luy vouloir communiquer
quelque affaire. C'eſtoit afin
d'avoir occafion de parler au
Comte , qu'il ne ſoupçonnoit
point d'eſtre l'Autheur
Lettre , parce qu'elle eſtoit
d'une autre main. Pour prévenir
les malheurs qui arrivent
quelquefois des Lettres
perduës , le Comte faiſoit écrire
toutes celles qu'il donnoit
à la Marquiſe , par une
Perſonne dont le caractere
eſtoit inconnu. Il luy avoit
porté le jour précedentle Bil-
Mars1683. L
122 MERCURE
let Italien dont il s'agiſſoit. Il
eſtoit écrit fur ce qu'elle avoit
engagé le Conſeiller à luy
donner à ſouper ce meſme
jour-là ; & parce qu'elle avoit
ſçeu qu'il devoit aller avec fon
Mary à deux lieuës de Paris
l'apreſdînée, &qu'ils n'en reviendroient
que fort tard,elle
eſtoit convenue avec ſonA
mant,qu'elle ſe rendroit chez
luy avant leur retour. La Lettre
du Comte eſtoit pour l'en
faire ſouvenir, & comme un
avantgouſt de la fatisfaction
qu'ils ſe promettoient cette
foirée. LeMary n'ayant point
GALANT. 123
1
trouvéle Conſeiller,demanda
le Comte. Dés qu'il le vit, il
tira de fa poche d'un air emprefféquátitédePapiers,&
le
priade les luyremettre quand
il ſeroit revenu. Parmy ces
Papiers eſtoit celuy qui luy
donnoit tant d'agitation. En
voicy un, luy dit-il feignant
de s'eſtre mépris , qui n'en
eſt pas. Je ne ſçay ce que
c'eſt. Voyez ſi vous l'entendrez
mieux que moy , &
l'ayant ouvert , ilen lût luy-
μ
méme les premieres lignes,
de peurque le Comtejettant
les yeux ſur la ſuite , ne con-
Lij
124 MERCURE
nuſt la part que la Marquiſe
y pouvoit avoir , & que la
crainte de luy appreennddrree de
facheuſes nouvelles , ne l'obligeaſt
à luy déguiſer la verité.
Le Comte fut fort furpris
quand il reconnut ſa Lettre.
Un trouble ſoudain s'empara
de ſon eſprit ; & il eut
beſoin que le Mary fuft occupé
de ſa lecture , pour luy
donner le temps de ſe remettre.
Apres en avoir entendu
commencement ; Voila ,
dit-il contrefaiſant l'étonné,
ce que je cherche depuis
longtemps. C'eſt le rôle d'ule
GALANT. 125
ne Fille qui ne ſçait que l'Italien
, & qui parle à fon Amant
qui ne l'entend pas.
Vous aurez veu cela dans une
Comédie Françoiſe , qui a
paru cet Hyver. Mille Gens
me l'ont demandé , & il faut
que vous me faſliez le plaifir
de me le laiffer. J'y conſens,
luy répondit le Mary , pourveu
que vous le rendiez à ma
Femme, car je croy qu'il eſt
à elle. Quand le jeune Comte
crut avoir porté aſſez loin
la credulité du Mary , il n'y
eut pas un mot dans ce prétendu
rôle Italien , dont il
Lij
126. MERCURE
ne luy vouluſt faire entendre
l'explication ; mais le Mary
ayant ce qu'il ſouhaitoit,
benît le Ciel en luy-meſme
de s'eſtre trompé ſi heureuſement
, & s'en alla où l'appelloient
ſes affaires. Auffitoſt
qu'il fur forty , le Comte
courut à l'Eglife , où il eſtoit
für de trouver la Dame, qu'il
avertit par unBillet qu'il luy
donna fecretement, de ce qui
venoit de ſe paſſer, & de l'artifice
dont il s'eſtoit ſervy
pour retirer ſa Lettre. Elle ne
fut pas fitoft rétrée chez elle,
qu'elle mit tous ſes Domefti
GALANT. 127.
ques à la queſte du Papier, &
tonMaryeftat de retour, elle
le luy demanda. Il luy avoüa
qu'il l'avoit trouvé , & que le
Comte en ayantbeſoin, il l'avoit
laiſſé entre les mains. Me
voyez-vous des curiofitez
ſemblables pour les Lettres
que vous recevez, luy répondit-
elle , d'un ton qui faifoit
paroiſtre un peu de colere? Si
c'eſtoit un Billet tendre , ſi
c'eſtoit un rendez-vous que
l'on me donnât , ſeroit-il agreable
que vous nous vinf
fiez troubler ? Son Mary luy
dit enl'embraſſant, qu'il ſça-
1
Lij
128 MERCURE
voit fort bien ce que c'eſtoit;
& pour l'empefcherde croire
qu'il l'euſt ſoupçonnée soil
l'aſſura qu'il avoit crû ce Pa
pier à luy, lors qu'il l'avoit ra
maffé. La Dame ne borna
pas fon reſſentiment à une
raillerie de certe nature. Elle
ſe rendit chez le Comte de
meilleure heure qu'elle n'auroit
fait. La commodité d'un
Jardin dans cette Maiſon ,
eſtoit un prétexte pour y al
ler avant le temps du Soupé.
La jalouſie dans un Mary eft
un défaut ſi blamable, quand
elle n'est pas bien fondée
GALANT. 129
qu'elle ſe fit undevoir de juf
tifier ce que le ſien luyen
avoit fait paroiſtre. Tout favorifoit
un fr beau deſſein.
Toutes fortes de témoins eftoient
éloignez, & le Comte
& la Marquife pouvoient ſe
parler en liberté. Ce n'eſtoit
plus par des Lettres,& pardes
fignes,qu'ils exprimoientleur
_tendreffe. Loin d'avoir recours
àune langue étrangere,
à peine trouvoient-ils qu'ils
ſçeuſſent aſſez bien le Fran.
çois,pour ſe dire tout ce qu'ils
fentoient ; & la défiance du
Mary leur rendant tout legi130
MERCURE
Confeiller
time, la Dame eut des complaiſances
pour le jeuneComte,
qu'il n'auroit pas ofé eſperer.
Le Mary & le Conſeiller
eſtant arrivez fort tard , leur
firent de grandes excuſes de
les avoir fait ſi longtemps attendre.
On n'eut pas de peine
à les recevoir , parce que
jamais on ne s'eſtoit moins
impatienté. Pendant le Soupé,
leurs yeux firent leur devoir
admirablement'; & la
contrainte où ils ſe trouvoient
par la préſence de deux Témoins
incommodes , preftoit
àleurs regardsune éloquen.
GALANT. 131
ce qui les conſoloit de ne
pouvoir s'expliquer avec plus
de liberté. Le Mary ayant
quelque choſe à dire au Comte
, l'engagea à venir faire
avec luy un tour de Jardin.
Le Comte en marqua par un
coup d'oeil ſon dépiaiſir à la
Dame, &la Dame luy fit connoiſtre
par un autre ſigne
combien l'entretien du Confeiller
alloit la faire fouffrir.
On ſe ſépara. Jamais le Comte
n'avoit trouvé de ſi doux
momens que ceux qu'il paſſa
dans ſon tefte-à-tefte avec la
Marquiſe. Il la quita fatisfait
132 MERCURE
au dernier point ; mais dés
qu'il fut ſeul, il ne pût s'abandonner
à luy-mefme ſans reffentir
les plus cruelles agitations.
Que n'eut-il point à ſe
dire ſur l'état où il ſurprenoit
fon coeur ! Iln'en eſtoit pas à
connoiftre que ſon trop de
confiance luy avoit fait faire
plus de chemin qu'il ne luy
eſtoit permis ; mais il s'eſtoit
imaginé juſque-là qu'un amuſement
avecune Coquete
ne pouvoit bleſſer en rien la
fidelité qu'il devoit à ſa Maîtreſſe.
Il s'eſtoit toûjours repoſeſur
ce qu'une Femme qui
GALANT. 133
ne pourroit luy donner qu'un
coeur partagé, ne ſeroit jamais
capable d'inſpirer au fien un
vray amour, & alors il com.
mença à voir que ce qu'il avoit
traité d'amusement , ef
toit devenu une paffion, dont
il n'eſtoit plus le maiſtre. Apres
ce qui s'eſtoit paſſé avec
laMarquiſe, il ſe fuſt flatéinutilement
de l'eſpéráce de n'en
eftre point aiméuniquement,
& de bonne foy. Peut- eftre
meſme que des doutes làdeſſus
auroient eſté d'un foible
ſecours. Il fongeoit ſans
ceſſe à tout ce qu'il luy avoit
134 MERCURE
trouvé de paffion , à cet air
vif & touchant qu'elle donnoit
à toutes ſes actions;& ces
reflexions enfin jointes au
peu de fuccés qu'il avoit eu
dans l'attachement qu'il avoit
pris pour ſa premiere Maîtrefle
, mirent ſa raiſon dans
le party de ſon coeur , & difliperent
tous ſes remords .Ainfi
il s'abandóna ſans ſcrupule à
ſon pachant,& ne ſongea plus
qu'àſe ménager mille nouvelles
douceurs avec la Marquife
; mais la jalouſie les vint
troubler lors qu'il s'y eſtoitle
moins attendu. Un jour il la
GALANT. 135
}
furprit ſeule avec l'Amát qu'il
croyoitqu'elle euſt banny; &
le Cavalier ne l'eut pas fitoft
quitée , qu'il luy en fit des reproches,
come d'un outrage
qui ne pouvoit eſtre pardóné.
Vous n'avez pû longtemps
vous démentir, luydit- il,Madame.
Lors que vous m'avez
crû affez engagé, vous avez
ceffé de vous faire violence.
J'avoue que j'applaudiſſois à
ma paffion , d'avoir pû cháger
voſtre naturel ; mais des Femmes
comme vous ne chan_
gent jamais. J'avois tort d'efpérerun
miracle en ma fa-
2
136 MERCURE
veur. Il la pria enſuite de ne
ſe plus contraindre pour luy,
& l'aſſura qu'il la laiſſeroit en
liberté de recevoir toutes les
viſites qu'il luy plairoit. La
Dame ſe connoiffoit trop
bien en dépit, pour rien appréhender
de celuy là.Elle en
tira de nouvelles aſſurances
de fon pouvoir ſur le jeune
Comte , & affectant une co
lere qu'elle n'avoit pas , elle
luy fit comprendre qu'elle ne
daignoit pas ſe juftifier, quoy
qu'elle euſt de bonnes raifons
qu'elle luy cachoit pour
le punir. Elle luy fit meſme 1
GALANT. 137
L
L
1
1
promettre plus poſitivement
qu'il n'avoit fait, de ne plus
revenir chez elle. Ce fut là
où il put s'appercevoir combien
il eſtoit peu maiſtre de
fſaapaffion. Dans unmoment
il ſe trouva le ſeul criminel;
& plus affligé de l'avoir irritée
par ſes reproches , que de
la trahilon qu'il penſoit luy
eftre faite , il ſe jetra à ſes genoux,
trop heureux de pouvoir
efperer le pardon, qu'il
croyoit auparavant qu'on luy
devoit demander. Par quel
les foûmiſſions ne tâcha-t-il
pointde le mériter ! Bien loin
Mars 1683.
2
M
128 MERCURE
de luy remettre devát lesyeux
les marques de paffion qu'il
avoit reçeues d'elle , & qui
ſembloient luy donner le
droit de ſe plaindre, il paroiffoit
les avoir oubliées, ou s'il
s'en refſouvenoit, ce n'eſtoit
que pour ſe trouver cent fois
plus coupable. Il n'alléguoit
que l'excés de fon amour qui
le faifoit ceder àſa jalouſie,&
quien de pareilles occaſions
ne s'explique jamais mieux
que par la colere. Quand elle
crût avoir pouſſe ſon triomphe
affez loin , elle luy jetta
un regard plein de douceur
GALANT 139
qui en un moment rendit à
ſon ame toute ſa tranquillité.
C'eſt affez me contraindre,
luydit- elle; auſſibien majoye
&mon amour commencent
à me trahir. Non , mon cher
Comte , ne craignez point
que je me plaigne de voſtre
colere. Je me plaindroisbien
plûtoſt ſi vous n'en aviez
point eu. Vosreproches, il eft
vray,bleſſent ma fidelité,mais
je leur pardonne ce qu'ils ont
d'injurieux, en faveur de ce
qu'ils ont de paflionné.Ces
affurances de voſtre tendref
ſe m'eſtoient ſi cheres, qu'el
Mij
140 د MERCURE
les ont arreſté juſqu'icy l'im
patience que j'avois de me
justifier. La deſſus elle luy fit
connoiſtre combien ſesſoupçons
eſtoient indignes d'elle
& de luy; que n'ayant point
défendu au Cavalier de venir
chez elle , elle n'avoit pû re
fufer de le voir ; qu'un telrefus
auroit eſté une faveur
pour luy ; que s'il le ſouhai
toit pourtant, elle luy défen
droit ſa maiſon pour jamais;
mais qu'il conſiderât com
bien il feroit peu agreable
pour elle, qu'un Homme de
cette forte s'allât vanter dans
GALANT. 141
le monde qu'elle cuſt rompu
avec luy, & laiſſaft croire qu'il
y euſt des Gens à qui il donnoit
de l'ombrage. L'amoureux
Comte eſtoit fi touché
des marques de tendreſſe
qu'on venoit de luy donner,
qu'il ſe ſeroit volontiers payé
d'une plus méchante raiſon .
Il cuthonte de ſes ſoupçons,
& la pria luy-meſme de ne
point changer de conduite.
. Il paſſa ainſi quelques jours à
recevoir fans ceffe de nouvel
les affurances qu'il eſtoit aimé
, & il mérita dans peu
qu'on luy accordât une en
142 MERCURE
treveuë ſecrete la nuit. Le
Mary eſtoit à la campagne
pour quelque temps ; & la
Marquife , maiſtreſſe alors
d'elle-méme , ne voulut pas
perdre une occaſion ſi favorable
de voir ſon Amant avec
liberté. Le jour que le Comte
eſtoit attendu chez elle
fur les neufheures du foir , le
Conſeiller ſoupant avec luy
( ce qu'il faifoit fort ſouvent)
voulut lemener à une Affemblée
de Femmes du voiſinage
qu'on régaloit d'un Concert
de Voix & d'Inſtrumens, Le
Comte s'en excufa , & ayant
GALANT. 143
laiffé fortir le Conſeiller, qui
le preſſa inutilement de venir
joüir de ce régale, il fe rendit
chez la Dame qui'le reçeut
avec beaucoup de marques
d'amour. Apres quatre
heures d'une converſation
tres -tendre,il fallut ſe ſéparer.
Le Comte eut fait à peine dix
pas dans la Ruë, qu'il ſe vit
ſuivy d'un Homme qui avoit
le viſage envelopé d'un Manteau.
Il marcha toûjours , &
s'il le regarda comme unEfpion,
il eut du moins le plaifir
de remarquer qu'il eſtoit
trop grand pour eftre le Mary
1
144 MERCURE
de la Marquiſe. En rentrant
chez luy, il trouva encore le
prétendu Eſpion qu'il reconnut
enfin pour le Conſeiller.
Les refus du jeune Comte
touchant le Concert deVoix,
luy avoit fait croire qu'il avoit
un rendez-vous. Il le ſoupçonnoit
déja d'aimer la Marquiſe,
&fur ce ſoupçon il eftoit
venu l'attendre à quelques
pas de ſaporte,& l'avoit
veu ſe couler chez elle. Il y
avoit frapé auſſitoft, & la Suivante
luy eſtoit venuë dire de
la part de ſa Maiſtreſſe, qu'un
g.and mal de teſte l'obligeoit
à fe
GALANT. 145
à ſe coucher, & qu'il luy eftoit
impoffible de le recevoir.
Par cette réponſe il avoitcompris
tout le miftere. Il ſuivit
pr
le Comte dans ſa Chambre,
& luy ayant déclaré ce qu'il
'avoit fait depuis qu'ils s'eftoient
quitez ; Vous avez
pris , luy dit-il , de l'engagement
pour la Marquiſe; il faut
qu'en fincere Amy, je vous
lafaſſe connoiſtre. J'ay com-
- mencé à l'aimer avant que
vous vinſſiez loger avec moy,
&quand elle a ſceu noftre
liaiſon ,elle m'a fait promettre
par tant de ſermens, que je
Mars 1683. N
146 MERCURE
yous ferois un ſecret de cet
amour , que je n'ay ofé vous
en parler. Vous ſçavez , me
diſoit-elle. , qu'il aime une
Perſonne qui me haït mortellement.
Il ne manquera
jamais de luy apprendre combien
mon coeur eft foible
pour vous. La difcrétion
qu'on doit à un Amy, ne tient
guére contre la joye que l'on
a, quand on croit pouvoir divertir
une Maîtreſſe . La Perfide
vouloit meſime que je luy
fuffe obligé , de ce qu'elle
conſentoit à recevoir vos viſites.
Elle me recommandoit
GALANT. 147
:
fans ceſſe de n'aller jamais la
voir avec vous ; & quand
vous arriviez , elle affectoit
un air chagrin dont je me
plaignois quelquefois à elle,
&qu'apparemment elle vous
laiſſoit expliquer favorablement
pourvous.Mille ſignes,
& mille geſtes qu'elle faifoit
dans ces temps- là , nous eftoient
fans-doute communs.
Je rappelle préſentementune
infinité de choſes que je
croyois alors indiférentes , &
je ne doute point qu'elle ne
ſe ſoit fait un mérite aupres
de vous , de la partie qu'elle
Nij
148 MERCURE
fit il y a quelque temps de
foupericy. Cependantquand
elle vous vit engagé dans le
Jardin avec ſon Mary , quels
tendres reproches ne me fitelle
point d'eſtre revenu ſi
tard de la Campagne , & de
l'avoir laiſſée fi longtemps
avec unHomme qu'elle n'aimoit
pas! Hier mefme encor
qu'elle me préparoit avec
vous une trahiſon ſi noire,
elle eut le frontde vous faire
porteur d'une Lettre , par laquelle
elle me donnoit un
rendez-vous pour ce matin,
vous diſant que c'eſtoit un
GALANT. 149
Papier que fon Mary l'avoit
chargée en partant de me remettre.
Le Comte estoit fi
troublé de tout ce que le
Conſeiller luy diſoit , qu'il
n'eut pas la force de l'interrompre.
Dés qu'il fut remis,
il luy apprit comme ſon amour
au commencement
n'eſtoit qu'un jeu ,&comme
dés lors la Marquiſe luy avoit
JaMa
fait les meſmes loix de difcrétionqu'à
luy. Ils firent enſuire
d'autres éclairciſſemens qui
découvrirent au Comte, qu'il
ne devoit qu'à la coqueterie
de la Dame, ce qu'il croyoit
Niij
150 MERCURE
devoir à ſa paſſion ; car c'ef
toit le Conſeiller qui avoit
exigé d'elle qu'elle ne viſt
plus tant de monde , & fur
tout qu'elle éloignaſt ſon troifiéme
Amant , & ils trouverent
que quand elle l'eut rappellé
, elle avoit allegué le
meſime prétexte au Conſeiller
qu'au Comte, pour continuer
de le voir. Il n'y a guére d'amour
à l'épreuve d'une telle
perfidie; auſſi ne ſe piquerentils
pas de conſtance pour une
Femme quile méritoit ſi peu.
Le Comte honteux de la trahiſon
qu'il avoit faite à fa
GALANT. 151
premiere Maîtreſſe, réſolutde
n'avoir plus d'affiduitez que
pour elle feule,& le Confeiller
futbientoſt déterminé ſur les
meſures qu'il avoit àprendre;
mais quelque promeſſe qu'ils
ſe fiſſet l'un àl'autre de ne plus
voir laMarquife,ils ne pûrent
ſe refuſer le foulagement de
luy faire des reproches. Dés
qu'il leur parut qu'ils la
veroient levée , ils ſe rendi.
rent chez elle. Le Comteluy
dit d'abord, que le Conſeiller
eſtant ſon Amy, l'avoit voulu
faire profiter du rendez -vous
qu'elle luy avoit donné , &
trou-
Niiij
152 MERCURE
qu'ainſi elle ne devoit pas s'é--
tonner s'ils venoient enſemble.
LeConſeiller prit auſſitôt
la parole , & n'oublia rien de
tout ce qu'il crut capable de
faire honte à laDame,& dele
vanger de fon infidelité.Il luy
remit devant lesyeux l'ardeur
fincere avec laquelle il l'avoit
aimée, les marques de paffion
qu'il avoit reçeuës d'elle , &
les ſermens qu'elle luy avoit
tant de fois reïterez , de n'aimer
jamais que luy. Elle l'é
couta fans l'interrompre , &
ayant pris fon party pendant
qu'il parloit ; Il eſt vray , luy
GALANT. 153
1
répondit- elle d'un air moins
embarafféque jamais ,je vous
avois promis de n'aimer que
vous ; mais vous avez attiré
M' le Comte dans ce quartier
; vous l'avez amené chez
moy , &il eſtvenu àm'aimer.
D'ailleurs, dequoy pouvezvous
vousplaindre ? Tout ce
qui a dépendu de moy pour
vous rendre heureux , je l'ay
fait. Vous ſçavez vous-mef
me quelles précautions j'ay
priſes , pour vous fairecacher
P'unà l'autre voſtre paffion. Si
vous l'aviez ſceuë,voſtre amitié
vous auroit couſté des vio
154 MERCURE
lences ou des remords , que
ma bonté & ma prudence
vous ont épargnez. N'eſt-il
pas vray qu'avant cette nuit,
que vous avez épić M' le
Comte, vous eſtiez tous deux
les Amans du monde les plus
contens? Suis-ie coupable de
voſtre indifcrétion ? Pourquoy
me venir chercher le
foir ? Ne vous avois-je pas
averty par une Lettre que je
donnay à M² le Comte , de ne
venir que ce matin ? Tout
cela fut dit d'une maniere ſi
libre , & fi peu déconcertée,
que ce trait leur fit connoître
GALANT. 155
la Dame encor mieux qu'ils
n'avoient fait. Ils admirerent
un caractere ſi particulier , &
laiſſerent à qui le voulut la
liberté d'en eſtre la Dupe. La
Marquiſe ſe conſola de leur
perte, en faiſant croire au troifiéme
Amant nouvellement
rappellé, qu'elle les avoitbannis
pour luy ; & comme elle
ne pouvoit vivre ſans intrigue
, elle en fit bien-toft une
nouvelle.
M le Marquis de Pomereu
, Capitaine aux Gardes,
a preſté ferment entre les
mains du Roy , pour leGou
156 MERCURE
vernement de la Ville &Citadelle
de Doüay. Sa Majefté
en luy accordant fon
agrément en conſidération
de ſes longs ſervices , luy accorda
ce Gouvernement à
vie , quoy qu'elle ne faffe ordinairement
des Gouver
neurs que pour trois ans.
Ce Poſte eſt d'une tres-grande
importance , & on n'en
ſçauroit douter , puis qu'il a
eſté remply auparavant par
M de Vauban , qui eſt un
Homme fingulier pour la
guerre. Vous avez veu dans
la Relation que je vous ay
GALANT. 157
- envoyée du Combat qui s'eſt
donné prés de Mons , de
quelle maniere M' de Pomereu
ſe diftingua à la teſte de
- fon Bataillon , dont il ſauva
ce qui reſtoit. Auſſi eſtoit- il
-entré dans les Gardes par un
-endroit fort avantageux , puis
qu'au Siege de Gravelines,
M le Maréchal de la Ferté
demanda pour luy au RRooyy,,
qui venoit viſiter le Camp, la
- Lieutenance de Mº de Brécourt
qui avoit eſté tué le ſoir
precédent. Me de Pomereu
eſtoit alors Capitaine dans un
Vieux Corps , & venoit de
158 MERCURE
paffer , comme Volontaire,
un grand Foſſe plein d'eau,
pour voir ſi on pouvoit attacher
le Mineur au Baſtion ; ce
qui s'eſtant trouvé facile à
executer , avança fort la reddition
de la Place,
/
M' Deſparbez de Luſſan,
Comte d'Aubeterre , Lieutenant
General des Armées du
Roy , eſt mort depuis quelques
jours , âgé de ſoixante
& quinze ans. Dés l'année
1549. il y avoit des Chevaliers
&des Commandeurs de l'Or.
dre de Malte dans cette Maiſon,
qui eſt une des plus no
GALANT. 159
bles & des plus anciennes du
Royaume. Jean-PaulDeſparbez,
S de Luſſan, de la Serre,
de la Garde , de S. Savin , de
Vitrieffe,&de Chadenac,Capitaine
des Gardes du Corps,
Gouverneur de Blaye , & Senéchal
d'Agénois , & de Condomois
, fervit glorieuſement
les Roys Charles IX. Henry
III. & Henry IV. dans leurs
guerres , & mourut fort âgé
le 15. Novembre 1616. Il épouſa
Catherine de Montagu,
Dame de la Serre , de laquelle
il eut François Deſparbez , S
deLuſſan, Maréchal de Fran
160 MERCURE
ce , marié avecHipolite Bouchard
, Vicomteſſe d'Aubeterre
, Fille unique de David
Bouchard , Vicomte d'Aubeterre
, Chevalier des Ordres
du Roy , & Gouverneur
dePérigord. De ce Mariage
font fortis cinq Fils , & cinq
Filles. M le Comte d'Aubeterre
, dont je vous apprens
la mort , eſtoit le fecond. Il
avoit épousé Marie de Pompadour,
Fille de Philbert, Vicomte
de Pompadour , Chevalier
des Ordres de Sa Majeſté
, & Lieutenant General
enLimoſin .
GALANT. 161
}
Madame de Céſan , Femme
de M² Gellas , Marquis de
Céfan , Maréchal des Camps
& Armées du Roy , & Gouverneur
des Ville & Citadelle
de Cambray , Païs & Comté
de Cambreſis , eft morte auffi
dans ce mois. Le nom de ſa
Famille eſt Foulé. Elle estoit
Veuve de M' Gaulmin , Seigneurdu
Mats , Conſeiller au
Parlement de Mets ; Soeur de
Madame la Préſidente Larcher
, &de Madame de Prunevaut,
Veuve de Mª de Prunevaut
, Maiſtre des Requeſtes
; & Tante de M
Mars1683. 0
162 MERCURE
de Martangis , Ambaſſadeur
pour le Roy en Dannemarck
. :
Ces morts ont eſté ſuivivies
de celle de M de Graves,
Docteur de Sorbonne , Abbé
de Noftre - Dame de Pérignac
,&Chanoine de l'Eglife
de Paris . Il eſtoit Frere de
M² de Graves , Sous-Gouverneur
, & Maiſtre de la Garderobe
de Monfieur, au Fils
duquel il avoitréſignéſes Benéfices
quelque temps avant
ſamort. Il a laiſſé beaucoup
à l'Hôtel-Dieu.
Il m'eſt tombé entre les
GALANT. 163
mains un Ouvrage deM² Comiers
d'Ambrum , Profeſſeur
des Mathématiques à Paris.
L'eſtime que vous m'avez témoigné
avoir pour tout ce
qui vient de luy , m'oblige à
vous l'envoyer. Vous en ferez
part à vos Amis , & aux Sçavans
de voſtre Province.
5
O ij
164 MERCURE
52252-5525522-2555
L'HOMME
ARTIFICIEL
ANEMOSCOPE,
Ou Prophete Phyſique des
changemens du Temps.
Bconsiderablus's parce qu'on
Ien des choses deviennent
&
د
eſtime ordinairement ce qu'on ne
poſſede pas , qu'on admire
toûjours les effets dont on ignore
les causes; c'est pourquoy le petit
Homme de bois que M² Otto
Guericke , Bourguemestre deد
0
1
A
GALANT. 165
Magdebourg , a enfermé dans
un tuyau célindrique de verre,
fait grandbruit parmy les Curieux
, & paffe pour une merveille
entre les demy- Sçavans.
Ils ne trouvent rien de plus
digne de leurs admirations , que
cette petite Statuë, qui en montant
plus haut à mesure que l'air
devient plus pesant ,&defcen
cendant plus bas dans ce tuyau
àproportionque l'airſe décharge,
&qu'il devient , comme ils di.
fent, plus leger, indique tresfeûrement
&par avance, non
feulement les pluyes, les fechereffes,&
los tempeftes quisefont
166 MERCURE
nous ,
à cent && à deux cens licuës de
lors que tout- à-coup elle
s'abaiſſe fort notablement , mais
prédit encore la formation des
horribles Cometes dans le Ciel,
pluſieurs jours avant qu'elles y
paroiſſent , fi nous en voulons
croireMeſſieurs Guerickes .
Le Fils affure que son Pere
avoit prédit huitſemaines auparavant,
l'aparition de la Comete
du mois deJanvier 1664. & le
Pere proteste dans sa Lettre du
26. Mars 1656. que le 12. Fevrier
de la mefme année , l'air
estant devenu beaucoup moins
pesant que lors mesme qu'il doit
GALANT. 167
faire de grands vents , ce petit
HHoonmmeſeprécipita tout-à-coup,
& que de là il prédit dans le
mesme temps l'aparition d'une
feconde Comete.
Ces Meffieurs me permettront
de proteſter à mon tour , que la
chûte ou defcente précipitée de ce
petit Homme dansſon tuyau de
verre, nepeut donner aucun indice
de la formation , ny de l'apparition
des Cometes , puis qu'elles
font des corps auffi anciens que la
Terre &les autres Planetes qui
roulent autourdu Soleil, ainſi que
j'ay démontré en l'année 1665.
dans mon Livre de la nouvelle
168 MERCURE
Science de la nature & des
préſages des Cometes.
Voicy neantmoins furquoy cet
illuſtre Curieux fonde son rai-
Sonnement. Il dit que lepoids de
la ſphére de l'air, n'est pas toûjours
le mesme , qu'il changefacilement,
que l'air devient moins
pesant lors qu'il pleut,&qu'alors
le petit Homme s'abaiffe , mais
qu'au contraire l'air devient
plus pefant quand il imbibe
absorbe la pluye , &qu'alors le
petit Homme remonte&s'éleve
davantage dans ſon tuyau.
Il croit que les vents ſe for
ment, parce que l'air se raréfie
en-haut,
GALANT. 169
en-haut , où il laiſſe les parties
aqueufes qu'il contenoit, lesquelles
feréüniffant forment les nuées.
Que les tempestes qui fortent
fans-doute, dit-il, des Cavernes
des Montagnes, &montent enbaut,
attirent&emportentquel
que partie de l'air ; c'est pourquoy
Lepoidsde la maſſe incumbante de
l'air diminuë de beaucoup fur cet
endroit de la terre , augmentant
ailleurs,ily caufe des grandes tempeſtes,
dont le rapide cours va au
bazard dequelque coſté, & fouvent
meſme la tempeste tombe à
plomb, &arrache les plus gros
Arbres avec leurs racines.
Mars 1683. P
170 MERCURE
Il ajoûte, que les Cometes ne
font qu'une partie de l'air arra
chée, & emportée par les tempestes
au deſſus de la ſuperficie
convexe de la maſſe de l'Atmo
Sphère de l'air, où cet air vaporeux
n'estant plus preffé, s'étend
parsa vertu élastique, ou du reffort
deſes parties , de mesme que
les veſſies desPoiſſons s'enflentdas
le hautdes tuyaux deverredeplus
de trente pouces, que la chûte du
Mercure a laiſſé vuide de l'air
groffier : De là il conclut que les
Cometes font toûjours ſublunai
res , & qu'elles ne sont qu'une
nuée arrondie &éclairée du SoGALANT.
171
leil. Cesfortes d'opinionsſont de
la nature des Heréfies qu'ilsuffit
de montrerpour les détruire, comme
dit Tertullien , Quas oftendere
refutare erat.
Voicy un Fait incontestable.
En l'année 1660. la pesanteurde
l'air diminua fi fort àMagdebourg
, que tout- à-coup cepetit
Homme de bois s'abîma entierement
dans son tuyau pendant
deux ou trois heures ; M² Guericke
dit à l'Assemblée que tresafſurément
ilsefaisoit enquelque
part une tres-grande &furieuse
tempefte. L'évenement prouva
Saprédiction , car deux heures
Pij
172 MERCURE
apres ce vent vint juſques à
Magdebourg, mais non pas fi
furieux qu'il avoit eftéſurl'Oc
cean.
Voila les raiſons qui nous obligent
à nommer cette petite Statuë
Anemoſcope, Indice desVents,
l'Homme artificiel, Prophete des
mutations de l'air: & voicy ce
qu'en a dit M'de Monconis dans
Son Voyage d'Allemagne en la
232page.
Le 22. Octobre 1663. eftant
à Magdebourg , je fus voir
M' Otho Guericke. Il a un
Thermometre particulier ,
d'un petit Homme de bois,
GALANT. 173
dans un tuyau de verre vuide,
dontpartie eft enfermée dans
une Boëte, qui empeſche de
voir s'il y a quelque liqueur
dedans. Il m'a dit pourtant
qu'il n'y en avoit aucune, &
tout confifte en la matiere
qui ſoûtient cette Figure de
bois, laquelle gliſſe librement
dans le tuyau, & fait hauffer
cette Figure par deſſus un
5
Cercle peint au dehors, lors
qu'il doit faire beau temps;
& quand il doit pleuvoir,
comme faifoit ce jour-là, la
Figure ( ou ſa main qui fert
d'indice ) deſcend au deſſons
Piij
174 MERCURE
t
au bas du Cercle , où il y a
pluſieurs points marquez ; &
lors qu'il doit faire de grands
vents , elle deſcend juſques
aux plus bas points. Je tiray à
force de l'examiner, que fon
petit Homme eſtoit dans un
tuyau d'où l'air eſtoit ofté, &
qu'il eſtoit ſur une eſpece de
Piſton , qui joignoit ſi bien,
qu'il n'y entroit aucun air ;
mais que quand celuy de
deſſous s'épaifiſſoit , il faifoit
monter la Figure , & quand
il s'y raréfioit, il la faiſoit defcendre.
Puis que ce petit Homme ne
GALANT. 175
monte & ne defcend que par le
plus ou le moins de pesanteur de
T'air, de mesme que le Barometre,
je m'éronne queM² de Monconis
luy ait donné le nom de Thermometre
, qui n'a que le froid & le
chaud pour principes de fon mouvement.
M'Guenicke luy meſme
nous affure que c'est un Barometre.
Movetur folum ad mutationem
auræ in tota longé
latéque circumfufâ regione.
Non eft Thermoſcopium
quod calore ac frigore alte
retur. Ceſont ſes propres termes
tirez de la 100page de ſon Livre
tres- curieux De Vacuo ſpatio,
Piij
176 MERCURE
imprimé à Amſterdam en l'année
1672.
Il a donné dans la mesme
feüille de ce Livre la Figure I.
qui ne montre que l'extérieur de
ce Barometre . Artificium autem
quod in inferiore parte
vitri eſt, non apparet, ne fpetatores
in fecreti cognitio
nem deveniant; depeur, dit-il,
qu'on en découvre leſecret.
M² Guericke , Bourguemeftre
de Magdebourg, veut, par intéreft,
laiſſfer périr le Secret de ce
petit Homme artificiel ; il s'en
eft ouvertement expliqué dans la
196 page deſon Livre De VaGALANT.
177
cuo fpatio , par les termes suivans;
Quid mihi inde gratiæ,
ſi ego arcanum illud, cujus
experimenta magno meo
ſumptu feci , cuivis gratis
communicarem ?
M Guericke le Fils, réfidant
à Hambourg , dans une de ſes
Lettres qu'on trouve dans la 250
page du 2. Tome Theatri Cometici,
de M Lubienietz, imprimé
à Amſterdam en l'année
1668. affure que le Secret de la
construction de cette petite Statuë
Anemoſcope , Prophete des
Vents , des Pluyes , des Orages,
des Cometes , n'a esté décou
178 MERCURE
vert qu'à M² l'Electeur de
Brandebourg, qui en a une dans
SaBibliotheque. Ilfinitfa Lettre
par ceDéfy.Quod is qui dixit,
ſe potuiffe , imo & poffe adhuc
ejufmodi Statuam ambulantem
invenire. Quare
vero id non fecit ? & quare
etiamnum non facit?
C'est pourquoy je me crois
obligéde découvrir la conſtruction
de cette Statue ou Homme Anemoſcope
, puis mesme qu'ily a
quelques Curieux qui en font
plus d'état que du Barometre ordinaire
queM'Hubin Emailleur
du Roy,fait dans la derniereperfection,
comme en la Figure 8.
GALANT. 179
r
sa-
Bien que cette Machine ne foit
qu'us Barometre fimple, dans lequel
le petit Homme s'éleve davantage
à mesure que la pesanteur
de l'air augmente
baiffe, à proportion que lapesanteur
de l'airdiminuë; neantmoins
M² Guericke le Fils l'a bien
nommé Anemoſcope, puis que
par ses diférentes hauteurs on
peut connoistre quel vent regne
dans l'air, d'autant que les vents
font la cauſe des plus ſubits &
extraordinaires changemens de la
pesanteur de l'air ; que par
la nature des vents quiſoufflent,
on peut prédire le temps quifera
180 MERCURE
pendant les deux ou trois jours
Suivans.
ر ا و ل
Nous démontrons par cent expériences,
que tout ce qui eft matériel
eft pesant , & qu'il n'y a
point de legereté abſoluë , mais
Seulement respective àla pesanteur
des corps , qui estant d'un
mesme volume , ont plus de pe-
Santeur dans le mesme milieu,
c'est àdire dans le meſme liquide
de l'air, ou de l'eau, &c.
Le Livrefacré de la Sapience
nous affure au Chap. 11. 21. que
Dieu a diſpoſé toutes chofes
en Poids, Nombre, & Mefure
, qui font les trois parties des
GALANT. 181
Sciences pures Mathématiques.
Longtemps avant Salomon, le
veritable pauvre Homme Job ,
au Chap. 28. 25. avoit enseigné,
que Dieu a donné de la pefanteur
aux vents, & que les
eaux font ſuſpenduës dans
P'air, la chaleur les ayant raréfiées
en nuées d'égale peſanteur à un
femblable volume d'air, dans
lequel elles ſe balancent en équilibre
, comme ces petites Statues
d'émail au milieu de l'eau, enfermée
dans un tuyau de verre
hermétiquement ſcellé, les unes
s'élevant quand l'eau est plus
froide,& les autres s'abaiſſant
182 MERCURE
lors que l'eau est plus raréfiée par
la chaleur, &c. En effet, la pe.
Santeur est la cauſe physique de
l'union of de l'arrangement de
toutes les parties qui composent
l'Univers , & de tous les mouvemensque
nousy admirons...
On démontre, par laſuſpenſion
de l'eau à 32 pieds de hauteur,
dans un cube encore plus long,
par la fufpenfion duMercure
à 28 pouces de hauteur dans un
tuyau de verre , que tout le poids
de la colomne d'air est égal au
poids d'une colomne d'eau de
mesme diametre , & de 32 pieds
de hauteur, ou à une colomne de
GALANT. 183
Mercure auffide mesmediametre,
O de 28 pouces de hauteur, car
le poids de l'eau est au poids du
duMercure à peu pres commeun
à14 , d'autant qu'un pouce de
Mercure peſe presque autantque
quatorze pouces d'eau , parce que
lepied cube de Mercure revivifié
de Cinabre, peſe 947 livres ,
Le pied cube d'eau de Seine ne
peſeque 70 livres.
Les vents ſontformezdes ex:
balaiſons chaudes &feches qui
fortent de la Terre par la chaleur
du Soleil , & du fonds mesme
Mer par le moyen dufeu
central. La raréfaction les rend
184 MERCURE
de
moins pefantes que tes vapeurs,
c'est pourquoy ellesfont auſſi chaf
Séesplus haut parla pesanteur
l'air, & montent mesme fur la
Suprême région de nostre Atmosphere.
Si tout-à-coup le froid les
ycondenſe tellement qu'elles puis
Sent par leur pesanteur vaincre
tout-à-coup la réſiſtance de l'air,
elles ſe précipitent à plomb & en
tourbillons , & excitent les plus
dangereuses les plus cruelles
tempeftes fur la Terre fur la
Mer, où elles forment les Trompes
qui font périr les Vaiſſeaux
qui ſont directement au dessous.
Les Grecs nomment ce vent
GALANT. 185
qui tombe à plomb, Ecnephias,
afſfurent avec raiſon , que de
tous les vents orageux , Ecnephias
, Typhon, & Preſter,
font les plus à craindre ; car,
comme dit Virgile , Venti , velut
agmine facto , Qua data
porta ruunt , & terras Turbine
perflant.
Lors que les exhalaiſons ne
peuvent estre suffisamment condenſées&
renduës affezpesantes
pour vaincre directement la réſiſtance
de l'air, elles descendent
& coulent obliquement comme
fait une feüille de papier. C'est
pourquoy lors que les Matelots
Mars 1683.
186 MERCURE
voyent quelque nuée touteseule
dans l'air , ils l'examinent ; &
de ſa couleur livide , de fa diftance
, &deſon mouvement , ils
prédiſentſansſe tromper, Qu'elle
va décharger un
orage,
ou un
coup de vent , qui fondraſur leur
Vaiſſeau, & qu'on ne reffentira
plus lors que le Vaiſſeaufera directement
au deſſous de la nuée.
Enfin lors que les exhalaiſons
condensées , & les vents qu'elles
forment , n'ont pas affez deforce
de pesanteur pour vaincre la
réſiſtance de la plus baſſe région
de l'air, qui eſt toûjoursplus groffier&
plus condenséparle poids
GALANT. 187
de l'airſupérieur, ces vents coulent
obliquementdans la moyenne
région de l'air, & nesefont ref-
Sentir qu'aux nuées aux giroüettes
des plus hautes Tours;
auſſi voyons-nous souvent deux
êtages ou lits de nuées , que deux
vents inégalement élevez pouffent
en mesme temps de diférens
coftez ; on voit auſſi tourner les
giroüettes lors que le vent ne defcend
pas sur terre, &c. car il eft
bien à remarquer que dans la
moyenne région de l'air il s'y
formepreſque toûjours des vents
Sans nuées, &qu'il ne s'yforme
jamais des nuéesſans vent, puis
Qij
188 MERCURE
que les ventsfont le véhicule des
vapeurs, &qu'ils les raffemblent
&ferrent en des tas ounuées.
En l'année 1652. m'estant
trouvéfur la Montagne dite le
grand Credo , pour descendre
au Fort de l'Ecluſeſur le Rhône,
j'obfervay avec plaisir qu'un
vent ſupérieur tranchoit les vapeurs
, à mesure qu'en s'élevant
elles entroient dans le lit canal
ou courant du vent , & qu'en
refferrant ces tranches de vapeurs
par pelotons comme toiſons de
laine , il en parfema en tres-peu
de temps tout le Ciel , ce qu'on
appelleCiel pommelé, qui n'est
GALANT. 189
pasde durée,fi on en croit le commun
Proverbe.
Les vents ne font donc pas
fimplement des ondes de l'air,
comme l'ont crú Vitruve & Seneque
; cela est vray à l'Aura
qu'on reffentfouffler d'Orient en
Occidentſous la Ligne Equino-
Etiale & ailleurs , à cause du
mouvementde la terrefurſon axe
d'Occident en Orient. Je conclus
que les exhalaiſons chaudes
&feches estant condensées.par
lefroid,font la matiere des vents;
c'est pourquoy ordinairement les
vents ſechent & échaufent , &
s'ils nous refroidiffent, c'estpar le
190 MERCURE
moyen de l'air & des vapeurs
froides & humides qu'ils charrient,
les ayant rencontré à leur
paſſage; c'est pourquoy le vent
eſtant finy, noussentons que l'air
devient tout- à-coupsec
&les grands ventsfont ceffer la
pluye ; mais quand il pleut de
bize, ilpleut àſa guife , dit un
Proverbe , & que petite pluye
abat grand vent.
chaud,
Je démontre encor que les vents
fontformezpar la chute ou roulement
des exhalaiſons chaudes
&ſeches condensées par la pri
vation de la chaleur , parce que
lors que les exhalaiſonsſont éleGALANT.
191
i vées en quantité, fi le Ciel eft
parſeméde nuées, elles paroiffent
rougeâtres ; & par la mesme
raiſon,fi le Soleilfe couche entre
des nuées , il paroist rougeâtre,
&la Lune auſſi , qui ſont trois
fignes des vents à venir, que les
Latins énoncent en ces Vers.
Sero rubens cælum cras indicat
efſe ſerenum, 1
Pallida Luna pluit , Rubicunda
flat, Alba ſerenat.
Nous avons neantmoins déja
reconnu qu'ily a pluſieurs vents
froids humides, parce que les
exhalaiſons ſe ſont mêlées avec
les vapeurs quifontfroides
192 MERCURE
humides ; c'est pourquoy les vents
duMidy prenant les qualitezdes
lieux où ils paffent , font plus
chauds &humides, &font malfains,
eftant les autheurs de l'humidité
chaude, & par conséquent
de la corruption ; c'est pourquoy
on doit leur fermer les feneftres
& les portes des caves des Bibliotheques
& des Greniers ; au contraire
, les vents Septentrionaux
fontfecs&froids. Pour cette raifon
Hypocrate Lib. de Aëre,
Aq.& Loc. diviſa les vents en
chauds & froids , & Aristote
Metheor.2. cap.6.en Méridionaux
& Septentrionaux .
Les
GALANT. 193
Les vents d'Orientfont chauds
&fecs; & le vent d'Ooft, ou de
l'Orientd'Equinoxe, eſt tempere,
doux, pur, fubtil & ſain , principalement
le matin ; &fec,parce
qu'il ne paffe pas fur des Mers
pour charrier vers nous les va
peurs de l'eau froides & bumides.
The
Le vent Oost-ZudODoosftt, qui
fouffle de l'Orient d'Hyver , eft
plus humide & nubileux, parce
qu'il est moins éloigné du Midy,
qu'ilpaffefurdes Mers avant
que venirà nous.
&
Le vent Ooft- Nord- Ooft, qui
Souffle de l'Orient d'Eté, eft in-
Mars 1683. R
194 MERCURE
constant & un peufroid, parce
qu'il est moins éloigné du Septentrion,&
il attire les nuéesplutoſt
que de les chaffer, ce qui a donné
lieu àceProverbe chezlesGrecs,
Il attire le mal à ſoy, comme
levent Cacias attire les nuées.
Au contraire, le vent Weft de
l'Occident d'Equinoxe eſt médiocrement
chaud &humide, c'eft
pourquoy il fait promptement
fondre les neiges.
Le vent Weft- Zud-Weft, qui
Souffle de l'Occidentd'Hyver, eft
froid,humide, pluvieux, &orageux.
Le vent West-Nord-West, qui
GALANT. 195
Souffle de l'Occident d'Eté , eſt
ordinairement ſuivy de neiges,
de grefles, & de tempestes.
Le vent d'Aquilon, dit Nord-
Ooſt , & le vent Boreal qui est
entre le Septentrion & l'Orient
d'Eté, comme auffi le vent qui
vient d'entre le Septentrion &
l'Occident d'Eté, font froids &
Secs, &purgent l'air.
Jeſçay par expérience que deux
vents diametralement oppoſez,
cauſent les plus rudes tempeftes,
que le vent duMidy est plus
violent fur la Mer que sur la
Terre , & la nuit que le jour,
parce quefur laMer&pendant
:
Rij
196 MERCURE
a
lejour, il est plus pesant, àcauſe
d'une plus grande quantité de
vapeurs qu'il contient.
Et au contraire , le vent d'Aquilon
est plus fort fur la Terre
que sur la Mer , & pendant la
nuit que pendant lejour.
La Sience des vents est tresneceſſaire
, puis que noſtre ſanté
dépend en partie des vents. Ainfi
dans la Ville de Metiline, Métropolitaine
de l'Iſle du mesme
nom, dite autrefois Leſbos, dans
la MerEgée , à présent l'Ar.
chypel, les Habitans ont toujours
eſté infirmes, parce que leur Ville
eftoit exposée aux vents du Midy
GALANT. 197
&de Corus . Vitruve décrit au
Chap. 6. de fon premier Livre
d'Architecture , les maladies
presque incurables , comme la
Toux , la Patiſe , maladie des
Poulmons , douleur de nerf aux
jointures, &c. que ces vents caufoient
aux Habitansde cette belle
Ville de Metiline,&quiſeſentoient
foulagez dés que le vent
Tramontanfouffloit.
Hypocrate dit au s. Aphoriſme
du3. Livre, que les vents
du Midy cauſent de maux de
teste, gastent la venë, &c. &
que les vents Septentrionaux caufent
laToux, mal de costé , &c ..
Riij
198 MERCURE
dequoy Galien donne les raiſons
physiques .
Les mesmes vents n'ont pas la
mefme force dans tous les lieux.
FeSçay par expérience que le vent
du Nord qui fouffle doucement
dans les Plaines de Paris, est tresviolent
dans le Danphiné , dans
la Provence, & dans le Bas-
Languedoc , parce que s'estant
engouffré dans les Montagnes, il
y roule avec plus de violence,
mefme que l'eau coule avec plus
de rapidité ſous les Ponts qui retraiffiffent
le lit & le canal d'une
Riviere. J'ajoûte que le vent
du Nord est dans ces Provinces- là
de
GALANT. 199
plus pesant, estantplus condenſé,
à cauſe qu'il paſſeſur les neiges
perpétuelles de nos Alpes , qui y
rendent l'air tres froid, &refléchiſſant
la lumiere du Soleil , au
lieu de l'imbiber comme font les
corps noirs ; c'est pourquoy le vent
duNord y rend tout-à coup l'air
tres-froid ferain , lors mesme
des chaleurs les plus exceſſives de
l'Eté, ayant chaffé du coſté du
Midy, ou fait monter en haut
parsa pesanteur tout l'air chaud
raréfié.
La durée &laforce des vents
font incertaines ; les uns soufflent
Sans relâche &aplein canal ; les
Riiij
200 MERCURE
autres ne foufflent que parreprifes
, parce qu'ils tombent feule
ment de temps à autre par pieces
détachées , ou pelotons auffi gros
que des Montagnes.
Le mesme vent fait en diférentes
Contrées diferens changemens
de temps. Le vent du Nord
procede des exhalaiſons de la
Zone Torride. Elles s'y élevent
deffus & Atmosphere de l'air, qui
yestant plus rarefié, forme leplus
grand diametre defon ovale, &
roulent avec rapidité le long du
plan de lafuperficie ſupérieure de
l' Atmosphere juſques vers noſtre
Pôle, ou estant, enfinfort condenGALANT.
201
?
Sées , elles forment les vents du
Nord, qui nettoyent leCiel, le
rendentferain, & l'air plus pefant
; c'est pourquoyparsapefanteur
ſur le Mercure extérieur, il
force l'intérieur du Barometre à
monterplus hautdans le tuyau,
juſques à ce qu'il y ait équilibre
avec le poids de la hauteur du
Mercure suspendu , & le poids
de la Colomne d'air externe.
Ainfi leMercure estantplus élevé
par le vet duNord : duNord-Eft,
ou par l'Est- Nord-Est , est prefque
toûjours un figne infaillible
de beautemps , &ferain ; &au
contraire , le vent d'Est est ordi202
MERCURE
nairement ſuivy de broüillards,
principalement en Hyver.
Le vent du Nord qui rend le
temps ferain en Dauphiné, en -
Provence , en Languedoc,
formedes nuées &des pluyes en
Affrique, parce qu'il y pouffe&
ferre les vapeursqui s'élevent de
la Mediterranée , & qu'il rencontre
en fon paſſage; au con.
traire , les vents du Sud du
Sud- Oüest pouſſent vers nous des
vapeurs qu'ils rencontrentfur la
Mer,lesquelles se réſolvent en
pluyes abondantes.
Aucun vent ne peut parcourir
une Hemisphere , parce qu'estant
GALANT. 203
arrivéàfaire une tangente avec
la Terre, il faudroit que nonob-
Stant ſa pesanteur il remontast
dans laſupréme région de noftre
Atmosphere. Le vent Est-Nord-
Eft amene en France le beau
temps.
Le vent duMidy &du Sud-
Oüest , ſoufflent ordinairement
apres que le vent d'Est a ceſſé;
& celuy- cy court apres que les
vents du Nord & du Nord-Est
ont finy.
Les vents du Midy , ou du
Sud-Oüeft, ayant regné pendant
quelques jours, onfentfouffler un
vent opposé , c'est à dire , Nord,
ou Nord-Eft.
204MERCURE
Le vent du Nord pesant davantage
fur le Mercure externe,
Soûtient le Mercure interne du
Barometreſept ou huit lignes plus
haut , juſques à 28 pouces ;
indice afſuréd'une ſuite de beaux
jours, car il a chaffé les vapeurs.
Les vents du Midy ayant
pouffé vers nous grande quantité
de vapeurs , ſi un vent du Septentrion
vientàſouffler, il repouffe
&refferrefifort ces vapeurs, que
la pluye continuëquelquefois pendant
deux jours entiers.
Lors que le vent d'Eft, ou d'Eft
Nord- Est, eſtſuivy d'un ventde
Midy, ou de Sud-Oüeft, le Mer
GALANT. 205
cure s'abaiſſe au deſſous de la ,
n'ayant que 27 pouces dehauteur,
prédit des pluyes extraordinaires.
Il est érably par les expériences,
que dans le Baromete ſimple,
Figure 9 , le Mercure demeure
ordinairement suspendu à Paris
àla , bauteur de 27 pouces &
demy, ou de 27 pouces & & lignes,
& que cette hauteur diminuë à
proportion que l'air qui s'appuye
Sur le Mercure externe du Vase,
dervient moins peſant ; c'est pourquoy
quelquefois le Mercure n'y
paroiſt élevé que de 26pouces 10
lignes dans le tuyau de verre du
206 MERCURE
Barometre : il s'y éleve auſſi à
mesure que l'air devient pluspe-
Sant, juſques à la hauteurde 28
pouces & 4 lignes , qui est 16
lignes plus haut que la
Ces diférentes hauteurs du
Mercure dans leBarometre,proviennent
de la diférente pesanteur
de l'air, qui peſe davantage lors
qu'il ne fait point de vent; c'est
une tres-ancienne connoiſſance au
Sentimentde Vitruve, au Livre 1.
chap. 6. L'air , dit- il , eſt plus
denſe quand il n'eſt point
agité des vents. Il faut pourtant
faire exception des vents du
Nord & du Nord- Est, quifont
و
GALANT. 207
froids &fecs, lesquelsse précipi
tant du haut en-bas, preffentdavantage
l'air , & mesme en le
condenfant davantage par leur
froideur, le rendent plus peſant;
c'est pourquoy le Mercure s'éleve
davantage dans le Barometre ;
ce qui est unsigne afſuré de beau
temps.
La plus celebre expérience de
la diférente peſanteur de l'air en
un mesme temps,ſuivantſesſeules
diférentes hauteurs, futfaite par
M Perrier , qui porta un Barometreſimplefur
le Puy deDomme
pres de Clermont en Auvergne,
Montagne de soo toifes , ou 3000
208 MERCURE
3 lipieds
de hauteur perpendiculaire.
Le Barometre estant au pied de
laMontagne, avoitfon Mercure
fuſpendudans le tuyau de verre,
àlahauteurde 26pouces
gnes &demiepardeffus leMercure
du Vafe . Eftant arrivé au
deffus de la Montagne,leMercure
n'estoitſuſpenduqu'à 23 pouces
a lignes .La diférence des hauteurs
du Mercure futde 37 lignes
demie fur la diférente hauteur
de 3000 pieds d'air.
La Figure 9 montre le Barometre
ſimple ; & la Figure & la
construction du Barometre double,
- dont l'effet est tres -ſenſible, par le
GALANT. 209
moyen de l'eauſeconde qu'on met
à l'autre branche ; car lors que le
Mercure de la branche du Barometre
fimple baiſſe d'un pouce,
l'eau ſeconde s'éleve de 13 pouces.
dansſon tuyau ouſeconde branche
de ce Barometre double .
Il eſtmaintenant bien facile de
comprendre par ma Figure 3 la
construction de ce petit Homme
qui
qui monte plus haut quand l'air
devient plus pefant, & s'abaiffe
defcend quand il pleut ,
mesme avant que la pluye commence,
parce que les vapeurs diminuënt
la peſanteur de l'air en
descendant. F'ay ajoûté de l'eau
Mars 1683. S
210 MERCURE
4
1
)
SecondefurleMercure, de mesme
qu'au Barometre double , Fig. 8 .
afin que le hauffement l'abaisſement
du petit Homme futplus
Senfible, de 30pouces,ou environ.
Si on n'employe que du Mercure,
la diférence des hauteurs du
petit Homme ne pourra estre que
de deux ou trois ponces auplus.
Ceux neantmoins qui souhaiteront
au moindre changement de
la pesanteur de l'air, voirfenfiblement
monter ou defcendre le
petit Homme , employeront la
construction que je donne dans la
Figure 4. car ce petit Homme
eftant tiré en-bas par le contreGALAANNTT..
211
poids de ferfolide P, lequel nageant
fur le Mercure de la Caffete
, s'éleve à mesure que l'air
eſtant devenu moins pesant , le
Mercure du tuyau descend&se
dégorge dans la Caffete de fer, ce
petit Homme s'abaiſſera de mefme
que celuy de M² Guericke , à
proportion que l'air deviendra
moins pesant , & se précipitera
pourse cacher entierement ,ſi tout
àcoup l'air perd notablement de
ſagravité ou poids ordinaire.
Onpeut faire paroiſtre ce petit
Homme toûjours fufpendu en
l'air. L'artifice en est tres -facile,
&les Figures 6 &7 Suffifens
Sij
212 MERCURE
1 pour le bien comprendre ; il ne
confifte qu'à une Poulie double,
qui doit estre cachéeſur le plancher
d'une Calotte de fer bien cimentée
avec le haut de la Colomne
creuſe de verre, &le tout
couvert d'une Couronne Royale,
comme en la Figure 2. Il est à
remarquerque dans ces deux conftructions
le petit Hommefera un
effet tout contraire à celuy des
Figures 1. 2. 3. 4. car lors que
l'Atmosphere deviendra moins
pefante par les ventsqui ſoûtien-
1 dront l'air, le Mercureſuſpendu
dans le tuyau deſcendra davan.
tage , &le contrepoids ou maſſe
GALANT. 213
defer qui portefur le Mercure, en
defcendant élevera lespetitsHommes
dans les Figures 6 & 7. La
raiſon eſt auſſi viſible pourquoy
dans la Figure s. le petit Homme
s'éleve à proportion que l'air devenant
moins pesant, le Mercure
intérieur du tuyau s'abaiffe , &
qu'au contraire dans la Figure 4
le petit Homme s'abaiffera notablement,
comme de 13 pouces, lors
que le Mercure en s'abaiſſant&
Se dégorgeant dans la Caffete de
fer, élevera d'un pouce le contrepoids;
ce qui arrive de la double
Poulie. La Figure 10 est un
Thermometre,&c. Pour servir
214 MERCURE
de replique àM² Otto Guericke,
Réſidant àHambourg.
1 COMIERS, Prevost deTernant.
Toutes les Nations ont
des Divertiſſemens qui leur
ſont particuliers. LesCourſes
de Bagues , de Faquin & de
Teſtes , font ordinaires en
France ; & celles où lesChevaux
diſputent ſeulement de
viteſſe , font fort en uſage en
Angleterre ; mais comme la
France fait aujourd'huy tout
ce qu'elle veut , tout doit fervir
à la gloire , & au divertif
ſement de fon Prince. Il a pris
GALANT. 215
ce Carnaval celuy d'une
Courſe à la maniere d'Angleterre
. Elle s'eſt faite dans la
Plaine d'Achere , prés de
Saint Germain en Laye. Il y
avoit un Amphithéatre pour
le Roy au milieu de cette
Plaine , & des Poteaux drefſez
d'eſpace en eſpace , pour
marquer le circuit de la Courſe.
Ainſi le Roy,ſans changer
de place , n'avoit ſeulement
qu'à ſe tourner pour eſtre toûjours
témoin de ce qui ſepaſſoit.
On avoit plantéun Drapeau
ſur le Poteau où il faloit
arriver le premier pour ga
216 MERCURE
:
gner le Prix. La Courſe fut
faite par ſept Chevaux Anglois
; ſçavoir , deux à M le
Duc de Montmouth , un à
M le Grand Prieur de Fran
ce , un à M Hovvard , SeigneurAnglois
, un à Mª Feil
leton , aufli Anglois , & le
ſeptiéme à un Cabaretier de
la meſme Nation. Comme le
champ eftoit ouvert pour y
difputer le Prix , il eſtoit permis
à tout le monde d'entrer
en lice. Les Juges du Combat
estoient Mrs les Ducs de
Luxembourg , d'Aumont , &
de Gramont. Il y eut trois
Courſes,
GALANT. 217
Courſes, &chaque fois qu'on
devoit partir , on levoit un
Drapeau pour ſignal. Il fut
arreſtéqu'on feroit courir d'abord
les ſept Chevaux tous
enſemble , & que les quatre
qui arriveroient les derniers
au but , laiſſeroient difputer
le Prix aux trois autres. Les
trois Victorieux coururent
enfuite dans le meſme temps ,
&celuy qui demeura le dernier
, fut obligéde prendre le
party de ſe repoſer avec les
quatre premiers ; de maniere
que la derniere Courſe qui
décida de tout , ſe fit entre
Mars1683. T
218 MERCURE
les deux qui reſtoient. L'avantage
demeura à l'un des
Gentilshommes de Mle
Duc de Monmouth , qui
montoit un Cheval noir , &
dans le moment qu'il arriva
au but , on planta un Drapeau
devant luy pour marque
deſa Victoire. Elle luy fut difputée
parun autre Cheval,qui
l'avoit fuivy de fi prés,que dás
la premiere Courſe il n'eſtoit
refté derriere que de fix pas.
Dans la ſeconde,il l'atteignità
la longueur d'un Cheval prés,
&dans la troiſiéme ,il ne s'en
falut que la longueur du col
GALANT. 219
qu'il n'arrivaſt au but auflitoſt
que luy. Le circuit de la
Courſe eſtoit d'une lieuë &
demie. Vous voyez par là
que les deux Chevaux qui
coururent les derniers , eurent
chacun quatre lieues &
demie à faire. On prétend
qu'ils ayent fait la premiere
Courſe en dix minutes , la ſeconde
en douze , & la troiſieme
en quatorze. C'eſt dequoy
tous ceux qui estoient
préſens ne conviennent pas;
mais il y
a ſi peu à dire , que
ce qu'on y pourroit ajoûter
n'oſteroit rien de l'extréme
Ti
220 MERCURE
viteſſe de ces deux Chevaux.
Le Prix eſtoit de mille Loüis
d'or. Il y avoit un grandnombre
de Parys. Le Roy a donné
à M² Hovvard Seigneur
Anglois , qui estoit venu exprés
en France pour cette
Courſe , une Table de Bracelets
de dix mille livres. Sa
Majefté devoit dîner en pleineCampagne,
avec ungrand
nombre de Dames qui eftoient
venuës voir laCourſe,
&l'on avoit préparé un magnifique
Repas , mais il s'éleva
un vent fi grand , qu'on
fut obligé de manger à cou
vert.
GALANT. 221
Quelques-jours apres, il ſe
fit une Courſe à pied , d'un
Anglois & d'un Piemontois,
Ils partirent de la Court de
Verſailles , allerent juſques
aux Invalides , & revinrent
au Lieud'où ils eſtoient partis
en moins de deux heures &
demie . L'avantage demeura
à l'Anglois. Le Roy récompenſa
leur vigueur. Beaucoup
de Gens estoient intéreſſez
dans cette Courſe , par divers
Parys qu'ils avoient faits.
Pendant que ces Courſes
ſe faifoient à Verſailles & à
S. Germain , on s'eft exercé
{
Tiij
222 MERCURE
à courir la Bague dans les
Académies de Paris . Celle de
Mª de Mémont ſemble l'a
voir emporté ſur toutes les
autres. Quarante-cinqGentilshommes
y parurent divifez
en cinqQuadrilles. M'le
Chevalier de Gaux , & M' le
Baron d'Hauricour , Fils de
M le Baron des Haubois,
Gentilhomme de la Province
d'Artois , ſe diſputerent longtemps
le Prix , qui fut enfin
remporté par le dernier.
Les Députez decette Province
, ( j'entens l'Artois que
je viens de vous nommer )
GALANT. 223
eurent Audience du Roy, un
peu avant ſon départ pour
Compiegne. Ils furent préſentez
par M' d'Elbeuf qui en
eſtle Gouverneur , & par M
le Marquis de Louvois, qui a
ce Département. M'l'Evef
que de S. Omer porta la parole.
Il loüa Sa Majesté d'une
maniere tres-noble & tresingénieuſe
, & luy marqua
agreablement que l'Artois
avoit eu autrefois des Fils de
Roys pour ſes Comtes. Illa
pria d'avoir la bonté de s'en
ſouvenir , lors que l'heureuſe
féconditéde Madame la Dau-
T iiij
224 MERCURE
phine donneroit encor des
Princes à la France. Sa Harangue
fut un enchaînement de
traits d'eſprit tout particuliers
, quoy que tres-naturels;
fes expreffions admirables,
enfin tout y fut brillant &
riche , & meſme juſqu'à l'expofition
des beſoins de la
Province. Aufli fut-il generalement
aplaudy de lanombreuſe
Aſſemblée quifetrouva
à cette action. C'eſt pour
la troiſième fois que M² l'E
veſque de S. Omer rend ce
bon office aux Etats. Ce Prélatvous
eſt connu. Vous ſçaGALANT.
225.
vez , Madame , qu'il eſt de
l'illuftre Maiſon des Comtes
de Suze-la-Baume , &qu'aux
avantages de ſa nauſance le
Ciel en a joint de tres-rares
du coſté de la Nature. Il a un
agrément univerſel en toute
ſa perfonne , un génie profond,
une adreſſe merveil
leuſe pour les affaires , avec
une facilité extraordinaire à
parler ſur le champ , & à parler
juſte. M le Comte de
Bucquoy eſt le Député pour
la Nobleſſe . Le nom de la
Maiſon de Longueval- Bucquoy,
l'une des plus illuſtres
い
226 MERCURE
des Païs-Bas , fait ſeul un tresgrand
éloge. L'on ſçait que
les Seigneurs qui en font fortis
, ont toûjours eſté fort au
deſſus du commun par leur
vertu , & par leur valeur. Ce
font des avantages que celuy
dont j'ay commencé à vous
parler , poſſede au plus haut
degré. Il a de plus un eſprit ſi
penetrant, & ſi éclairé, une
paſſion ſi forte pour la droiture
, & tant d'autres grandes
qualitez , que je ne pourrois
finir de longtemps pour peu
que jevouluſſe entrer dans le
détail . Pour le Tiers Ordre,
GALANT. 227
M' Palifot Seigneur d'Incourt
, en eſt pour la cinquiéme
fois Député prés la Perſonne
du Roy, & il eſt actuel
lement l'un des Députez generaux
ordinaires des Etats.
C'eſt un Gentilhomme d'un
mérite fingulier. La ſageſſe
& la capacité ont devancé en
luy les années , & il luy a falu
tres- peu de temps pour le
rendre conſommé dans les
Emplois. Avec la ſcience &
l'érudition qui donnent ſujet
de l'admirer , il a quantité de
vertus chrêtiennes & morales
; & fur tout il eſt extré
228 MERCURE
mement bien- faiſant. Sa Ma
jeſté les reçeur , & les entendit
avec cette bonté qui luy
gagne ſi bien les coeurs , &
leur dit qu'Elle aimoit tendrement
tous ſes Sujets , mais
qu'Elle avoit encor pour ceux
d'Artois une conſidération
particuliere , dont elle leur
donneroit des marques en
toutes occafions. Elle les
chargea d'en aſſurer les Etats.
L'excellent Diſcours de
Mª de S. Evremont , que je
vous envoyay le dernier
Mois , fur les Opéra François
& Italiens , vous en doit avoir
r
GALANT. 229
appris la diférence. S'il vous
refte encor quelque choſe
à ſouhaiter fur cette matiere,
la Deſcription de ceux qui
ont occupé ce Carnaval les
Théatres de Veniſe, pourra fatisfaire
pleinement voſtre curioſité.
Elle eſt du meſme
M' de Chaſſebras , dont vous
avez trouvé une Lettre au
commencement de celle- cy ,
& adreſſée encor à la meſme
Perſonne .
230 MERCURE
22522522222255252
AVeniſe , ce 20. Fevrier 1683.0
TE vous promis en
3
partant, de
vous écrire avec grande exactitude
les particularitez des Opéra
que l'on repréſente icy. Je vous
tiens parole ,&vay vous faire
un abregé des Sujets , parce que
cet abregé peut fervir beaucoup
à l'intelligence des Machines.
Vous remarquerez dans toutes ces
Pieces beaucoup de fautes contre
l'Histoire , & vous aurez peine
à concevoir comment Anne de
Bretagne, que vous ne connoiffez
GALANT. 231
que comme Femme de Charles
VIII.&enfuite de Loüis XII.
peut épouser Flavius Roy d'Italie.
C'est l'usage des Poëtes Italiens.
Ils peuventfalsifier ce qui
est le plus connu , pour imaginer
des évenemens felon leur génie.
Si dans l'Opéra, intitulé , Il Ré
Infante , je traduis Le Roy Infant
, & non pas , Le Jeune
Roy, c'est parce que tous les
François qui font icy en ufent de
mesme. Ainsi , nous diſons le
Théatre de S. Salvator, & non
pas de S. Sauveur ; celuy de
S.Angelo , &nonpasde S. Ange.
Cefontdes manieres de parler
2321MERCURE A
fe
introduites par l'usage , & qui
les voudroit changer neseferoit
pas entendre.Vous voussouviendrez,
s'il vous plaiſt , que quand
je mefers du nom de Noble, j'entens
toûjours un Noble Venitien.
&, estwo
RELATION DES OPERA ,
repréſentez à Veniſe pendantle
Carnaval de l'année 1683 .
L
E Carnaval de Veniſe,
dont on parle tant à Paris
, & dans toutes les autres
Villes de l'Europe , eft pro
prement un aſſemblage de
pluſieurs fortes de Divertiſſemens
, qui ne ſe permettent
GALANT. 233
publiquement que dans ce
temps-là , à moins de quel
que Réjoüiffance extraor
dinaire . Ces Divertiſſe
mens confiftent en Comé
dies , Opéra , Réduits , Bals,
Feſtins , Courſes , &Combats
de Taureaux , Danceurs de
Cordes, Marionnetes ,Bateleurs
& Farceurs ; liberté à
tout le monde d'aller maſqué
enpleinjour , &encor dans
la Cerémonie qui ſe fait le
Jeudy- gras en préſence du
Doge. シ
Autrefois le Carnaval commençoit
dés le lendemain de
Mars1683. V
234 MERCURE
Noël , & il eſt encor ainfi
marqué dans la plupart des
Calendriers nouveaux ; mais
eſtant arrivé pluſieurs fois
quequelques Perſonnesmaf
quées ſe ſervoient des privileges
de cette faifon , pour ſe
vanger de leurs Ennemis fans
qu'on les connuſt , les Chefs
du Confeil des Dix , qui font
trois des premiers Magiftrats
prépoſez entr'autres chofes
pour les Feſtes & Divertiſſemens,
ont crû qu'il eſtoit de
l'intereſt& de la fûreté publi
que , de le commencer plus
tard ; ce qui fait qu'à préſent
یگ
GALANT. 235
ils n'accordent la permiffion
de ſe maſquer que bienlongtempsapres,
quoyqu'ilIss fouffrent
les Réduits des le lendemain
de Noël, ſuivantl'ancien
uſage ,& qu'ils tolerent
quelques mois auparavant les
Comédies & Opéra , où ce
déſordre n'eſt pas à craindre.
Les Comédies ayant commencé
cette année dés le
mois de Novembre , & les
Opéra vers le milieu de Denbre
, cc''eeſſtt ppaarr ooùù je dois
commencer auſſi àvous faire
part de ces Réjoüiſſances.
Il y a dans Veniſe huit
Vij
236 MERCURE
Théatres publics , qui prennent
le nom de l'Eglife la plus
proche du lieu où ils font
dreſſez. Ils appartiennent
preſque tous à des Nobles,
qui les ont fait bâtir, ouà qui
ils font écheus par Succeffion.
Les petits ſe loüent à
des Troupes de Comédiens,
qui ſe rendent àVeniſe ordinairement
dés le mois de Novembre
, & les grands font
deftinez pour les Opéra que
ces Nobles , ou d'autres font
faire&compofer àleurs frais,
plûteſt pour leur divertiſſe
ment particulier , que pour le
GALANT. 237
profit qu'ils en retirent , qui
ne fournit pas d'ordinaire à la
moitié de la dépenſe. Ces
Theatres font la plupart
beaucoup plus grands & élevez
que ceux de Paris , ayans
cinq ou fix rangs de Loges
ou Pales , comme on les appelle
icy, les uns fur les au
tres , & 30. ou 35. à chaque
rang. Ily peut tenir trois Perſonnes
de front dans chacun.
Les Pales du premier rang
qui ſe trouventde plein-pied
au Theatre des Acteurs , ne
font pas les plus eſtimez , à
cauſe (dit-on ) qu'on est trop
238 MERCURE
prés des Perſonnes du Parterre
, & que le Manche des
Theorbes de l'Orcheſtre cache
toûjours quelque choſe
de la veuë ; c'eſt pourquoy
on les fait plus bas , en maniere
d'Entre-foles. Ceux du
ſecond rang font les plus recherchez
, & entre ceux- cy,
on préfere ceux du fond qui
regardent le Théatre en face,
où ſont ordinairement les
Loges des Ambaſſadeurs.
Comme beaucoup de Perſonnes
les loüentpour le Carnaval
entier , il y en a quantité
qui les font peindre &
GALANT. 239
tapiſſer en dedans , ce qui ne
fert pas d'un médiocre ornement.
Le Parterre auffi a cela
de commode , qu'il eft quaſi
tout remply de Sieges plians
avec des bras & des dos en
maniere de Fauteüils , où l'on
eftfortà fon aiſe ſans s'incommoder
l'un l'autre.
Avantque d'entrer dans
le détaildes Comédies & des
Opéra de cette année , je
croy qu'il eſt àpropos devous
donner une idée generale de
ces Pieces. Les Comédies ne
diferent pas beaucoup des Italiennes
qui ſe joüét àParis,les
240 MERCURE
Perſonnages eftant toûjours
un Arlequin , un Docteur, un
Pantalon & autres ; & les
Pieces, des Farces & Boufonneries
ſans ordre ny fuite. Ils
font neantmoins bien plus
libres en paroles que l'on
n'eſt en France.
32 Vous remarquerez qu'il
eſtpermis en tout temps aux
Hommes&Femmes , d'aller.
maſquez aux Comédies,Opéra
, & Réduits , quine commencent
qu'à la nuit , quoy
qu'on n'oſe paroiſtre ainſi de
jour avant le temps de la licence.
Iln'envapas de mef
me
a
GALANT. 241
me des Opéra , où la plus
grande partie des Pales font
remplis de Gentilsdonnes , &
de Perſonnes de qualité , eftant
pour l'ordinaire des Pieces
férieuſes qui ne bleſſent
point la pudeur. Les Décorations
, que l'on nomme Scenes
, y font nobles , belles &
debon gouft, ayant toûjours
quelque choſe de grand , &
de magnifique.
Tous les changemens ſe
font chaque fois également
au haut du Théatre , & aux
coſtez , enſorte que l'on ne
voit jamais une Chambre
Mars 1683. X
7
242 MERCURE
ſans eſtre platfonnée. Toutes
les Galleries & grandes Salles
y font voûtées , & les moin
dres Cabinets y paroiſſent
lambriſſez .
Lors qu'un Empereur ou
unRoy entre ſur unTheatre,
il eſt toûjours accompagné de
30. 40. ou 50. Gardes qui font
autour de luy , & qui fe rendent
maîtres des Portes , &
desAvenuës de fon Palais . De
meſme les Reynes , & les
Princeſſes , ont à leur ſuite
quantitéde Dames ,Officiers ,
Pages , & autres Domeftiques,
felon leur qualité.
GALANT. 243
Les Chanteurs font appellez
par honneur Virtuofi. Les
Italiens aiment extrémement
les Voix de deſſus ,& ne goûtent
pas tant les baſſes.
Les Vénitiens ſont curieux
pour ce ſujet , de faire chercher
en Italie & ailleurs , les
meilleures Voix d'Hommes
&de Femmes qu'ils peuvent
trouver , priant meſme les
Princes à qui appartiennent
* ces Muſiciens , de les laiſſer
venir , & ne plaignant point
la dépenſe en cette occafion,
quelque forte qu'elle puiſſe
eſtre. Il y en a préſentement
X ij
244MERCURE
un , à qui on donne quatre
cens Pistoles d'Eſpagne,
ſans les frais de fon voyage
, & pluſieurs autres à qui
on en a promis trois cens.
Les Voix ſont claires, nettes,
fermes & aſſurées , n'y ayant
rien de gêné, ny de contraint.
Les Femmes y entendent la
Muſique en perfection , ménagent
admirablement bien
leurs Voix , & ont une certaine
maniere de tremblement
, de roulemens , de cadences
& d'échos,qu'elles varient
& conduiſent comme
elles veulent. C'eſt une choſe
GALANT. 245
aſſez plaiſante , que du moment
qu'elles ont finy quelque
grand Air , ou qu'elles
fortent du Théatre , les Baracols
( ce font ceux qui
conduiſent les Gondoles ) &
mefme quantité de Perſonnes
plus conſidérables , s'écrient
de toutes leurs forces,
Viva Bella , viva , ah Cara!fia
benedetta. D'autres leur donnent
d'autres loüanges. La
Simphonie eft compoſée de
pluſieurs Claveſſins , Epinettes
, Theorbes & Violons, qui
accompagnent les Voix avec
une juſteſſe merveilleuſe.
Xinj
246 MERCURE
J'ajoûteray que l'on ne
voit point de Choeurs de
Voix dans les Opéra , & que
les Entrées de Ballet , non
ſculement y font rares , mais
qu'elles n'y ſont pas executéesaveclameſme
délicateffe
qu'en France. Cela n'eſt pas
fans fondement ; car à l'égard
des Choeurs de Voix , il eſt
fort inutile d'en remplir icy
les Opéra , puis que nous
ſommes accoûtumez d'en
avoir preſque tous les jours
dans quelqu'une de nos Egliſes.
Toutes les Feſtes & Dimanches
de l'année, on chan
GALANT. 247
te Veſpres en Muſique dans
quatre Communautez avec
de grands Choeurs de Voix,
Theorbes , Violons , petites
Orgues & Claveſſins , & ces
Muſiques ſont conduites par
quatre des meilleurs Maîtres
de la Ville. Pour les Ballets,
les Vénitiens n'y prennent
aucun plaifir , & ne les mettent
dans les Opéra que pour
remplir quelque Entre-acte.
Les Femmes & Filles n'ap.
prennent point icyà dancer,
& on ne fait pour l'ordinaire
que ſe promener & marcher
dans les Bals.
X iij
248 MERCURE
Pour revenir au particulier,
je vous diray que ces huit
Théatres ont eſté tous remplis
cette année en meſme
temps ; ſçavoir, deux de Comédiens
, & fix d'Opéra , &
que ceux d'Opéra doivent
donner deux diférentes Pieces
chacun avat la fin du Car
naval. Les deux Theatres qui
ont ſervy à la Comédie , font
celuy de S. Moïfe, & celuy de
S. Samüel. Le premier n'eſt
pas fort grand , & ne contient
que deux rangs de
Pales; mais le ſecond en a
fix , & trente -cinq à chaque
GALANT. 249
rang , & appartient à Meffieurs
Grimani Freres , dont
l'un eſt Abbé, & l'autre Séculier
Ces Theatres font tous
peints , & les Comédiens qui
les occupent, changent tous
les jours de Comédies. Les
jeunes Comédiennes y font
des contes affez gaillards , &
les Arlequins & Pantalons,
ne s'épargnent point en tours
de foupleſſes.
Des fix autres Théatres qui
ont fervy aux Opéra , je com.
menceray par celuy de S. Jean
Chriſeſtome. C'eſt celuy dont
on parle le plus , & que l'on peut
250 MERCURE
dire un Theatre Royal pour la
magnificence. Il appartient aux
deux mefmes Freres , Meffieurs
deGrimani, qui le firent faire en
1677. avec une promptitude mer.
veilleufe , trois ou quatre mois
ayant eſté ſeulement employez à
le baſtir.
Cette Famille eſt originaire
de Lombardie , & vint s'établir
de Vicenze à Veniſe à la fin du
huitieme Siecle. Elle a donné
deux Doges à la République,
ſçavoir , Antoine en 1521. &Marin
en 1595. Il y a eu trois Cardinaux
; Dominique , ſous Aléxandre
VI . qui laiſſa ſa Bibliotheque
à la République ; Marin,
fous Clément VII . & Jean , fous
Pie IV . comme auffi trois Patriarches
d'Aquilée , & pluſieurs
GALANT. 251 !
7
1
grands Officiers , y ayant encor
à preſent deux Procurateurs de
S. Marc , Antoine & François,
qui font des premieres Dignitez
de Veniſe , & qui leur ont eſté
dõnées par mérite. Ils font diftin.
guez par là de ceux qui poſſedent
de pareilles Charges , à cauſe de
l'argent qu'ils ont donné dans
des temps de guerre , qu'on appelle
Per Soldi. Quoy que les derniers
tiennent le mefmerang , &
ayent le meſme pouvoir , la difé .
rence en eft fi grande, que quand
unProcurateur par mérite meurt,
on en élit un autre auſſi- toſt , &
,
fa quand un Per Soldi meurt
Charge meurt avec luy. De
vingt- cinq Procurateurs , il n'y
en a que neuf par mérite.
CeThéatre de S.Jean Chrifo-
S
4
252 MERCURE
ſtome eft le plus grand , le plus
beau,&le plus riche de la ville.La
Salle où font les Spéctateurs , eſt
environnée de cinq rangs dePales
les uns- fur les autres , trente & un
àchaque rang. Ils font enrichis
d'Ornemens de Sculpture en
boffe & en relief, tous dorez, repréſentans
diferentes fortes de
Vafes antiques , Coquillages ,
Muffles , Rofes , Roſettes , Fleurons
, Feüillages & autres enrichiſſemens.
Au deſſous & entre
chacun de ces Pales , font autant
de Figures humaines peintes en
Marbre blanc , auſſi en relief , &
grandes comme le naturel , foû.
tenant les Piliers qui en font la
féparation . Ce font des Hommes
avec des Maſſuës , des Efclaves
, des Termes de l'un & de
GALANT. 253
l'autre Sexe , & des Grouppes de
petits Enfans , le tout diſpoſé de
maniere que les plus peſantes &
maſſives font au deſſous , & les
plus legeres au deſſus.
Le haut , &le Platfonds de la
Salle eſt peint d'une feinte Architecture
en forme de Gallerie ,
à l'un des bouts de laquelle& du
coſté du Théatre, font les Armes
de Grimani , & au deſſus une
Gloire de quelque Divinité de la
Fable , avec quantité de petits
Enfans aiflez , qui accommodent
des Guirlandes de Fleurs .
Le Theatre des Acteurs a
treize toiſes & trois pieds de longueur
, ſur dix toifes & deux pieds
de largear , eftant élevé à proportion.
Il eſt ouvert par un
grand Portique de la hauteur de
254 MERCURE
la Salle , dans l'épailleur duquel
font encor quatre Pales de chaque
coſté de la meſme fimétrie
que les autres , mais beaucoup
plus ornez & enrichis ; &dans
la Voûte ou Arcade , deux Renommées
avec leurs Trompetes
paroiſſent ſuſpenduës en l'air , &
une Vénus au milieu , qu'un petit
Amour careſſe .
Une heure avant l'ouverture
du Théatre , le Tableau de cette
Vénus ſe retire , & donne jourà
une grande ouverture , d'où defcend
une maniere de Lustre à
quatre branches d'étofe d'or &
d'argent , de douze à quatorze
pieds de hauteur , dont le corps
eft un grand Cartouche des Armes
de Meffieurs Grimani , avec
une Couronne deFleur-de-Lys,&
L
1
GALANT. 255
১
2
de rayons ſurmontez de Perles au
deffus . Ce Chandelier porte quatre
grands Flambeaux de poing
de Čire blanche , qui éclairent la
Salle , & demeurent allumez jufqu'à
ce qu'on leve la Toile , &
alors le tout s'évanoüit ,& revient
à ſon premier état. Dés que la
Piece eſt finie cette Machine
paroiſt de nouveau pour éclairer
les Spectateurs , & leur donner
lieu de fortir à leuraiſe , ſans con.
fufion. Les Armes ſont pallé
d'argent & de gueules de huit
pieces , le troifiéme Pal chargé
en chef d'une Croiſette à deux
travers de gueules. Cette Croi .
ſette diftingue une des Branches
de la Famille. Elle fut donnée à
leurs Anceſtres , qui firent paroiſtre
des preuves de leur valeur
256 MERCURE
auxGuerres faintes du temps de
Godefroy de Boüillon .
Ce font Meffieurs Grimani , qui
ont pris le foin eux- mefines de la
Piece que l'on jouë préſente .
ment. Ils font fort riches ,& ont
l'ame grande & genéreuse. Ils y
ont fait une dépenſe conſidérable
; & come cette Piece eft remplie
d'un grand nombre d'Incidens
& d'Intrigues , & qu'elle
paſſe pourune des plus belles &
des mieux conduites , je ne puis
m'empeſcher devous en faireune
deſcription un peu plus étenduë
queje ne vous la feraydes autres,
afin que vous puiſfiez juger de la
maniere dont on traite icy les
Opéra. Elle eſt intitulée Le Roy
Infant. En voicy le Sujet.
Flavius Infant , Roy d'Italie,
GALANT. 257
eftant ſous la Tutelle de Rodoalde
fon Oncle , qui gouver.
noit le Royaume à cauſe de ſon
bas âge , ſe laiſſa charmer des
beautez de la jeune Princeſſe
Anne de Bretagne , qui par la
mort du Duc fon Pere eſtoit
auffi tombee ſous la conduite de
Rodoalde . Ce Gouverneur la
voulant éloigner du Royaume,
& ſe ſervant de l'autorité qu'il
avoit fur elle , luy ordonna de
faire choix d'un Epoux parmy
les Princes Etrangers Quoy que
la petite Princeſſe brulaſt dans
ſon coeur pour Flavius , elle fei
gnit quelque temps de correfpondre
à la volonté de ce cruel
Conducteur , & offrit de donner
la main à Henry Prince François
, pour ſe vanger de Flavius
Mars 1683. Y
258 MERCURE
qu'on luy avoit dépeint Infidelle.
Neantmoins s'eſtant trouvée un
jour ſeul à ſeul avec Flavius , elle
eut lieu de s'éclaircir de la verité,
Ils reconnurent enſemble les
faux raports qu'on leur avoit
faits , & fe jurerent une amitié
éternelle. Rodoalde fut obligé
à la fin de ſe laiſſer fléchir , & de
ſe rendre à un fi bel exemplede
conſtance. Ainſi on conclut le
Mariage où ils aſpiroient depuis
longtemps, quoy quedans un âge
ſipeu avancé.
D'un autre coſté Rodoalde,
ayant envoyé ſon Fils Ergiſte
hors de Rome pour faire fes
Etudes , s'eſtoit remarié en fecondes
Nôces à Seſtilia . Cette
Femme s'enflama d'un amour
criminel pour Ergiſte ſon BeauGALANT.
259
Fils , qu'elle n'avoit jamais vû ;
& deſeſperé de ce qu'il s'eſtoit
déclaré pour une autre Perfonne,
qu'il ne connoiffoit auſſi que par
le récit avantageux qu'on luy en
avoit fait , elle mit toutes fortes .
de moyens en uſage , pour faire
naître de la jaloufie entre eux.
Ergiſte eſtant revenu à Rome
par le commandement de fon
Pere , fut perfécuté par cette
impudique , qui ne pût jamais
ébranler ſa fidelité. Cela fit que
ſe réſolvant à le perdre , elle dé.
clara à fon Mary qu'il l'avoit vou.
lu forcer , Rodoalde ajoûta aifément
foy à cette faufſe accuſation
, parce qu'Ergiſte , qui eftoit
fort verſe dans l'Aftrologie
& la Magie , feignoit d'avoir
perdu la parole , & crovoit eftre
*
Yij
260 MERCURE
*
obligé de garder le filence pen.
dant quelque temps , pour ſe ſau
ver du péril dont un méchant
Aſtre le menaçoit ; mais le temps
preſcrit par fon Horoscope eftant
paſſe , il eut lieu de juftifier
fon innocence ; & Seſtilia repafſant
en ſa mémoire ſes impudiques
amours , alla les éteindre
dans les eaux du Tibre où elle ſe
précipita.
Il y a douze changemens de
Décorations preſque toutes d'une
égalebeauté . La premiere qui
fait l'Ouverture du Théatre, eft
une grande Salle , Ecole ou Etu.
de, où font plufieurs Ecoliers affis
devant des Tables ſéparées ,
qui étudient chacun diférentes
Sciences , comme , Philofophie,
Geographie , Mathématiques ,
GALANT. 261
Astrologie , Art Militaire , Chimie
, & Magie. On y voit quan.
tité de Livres , Cartes Geogra .
phiques , Spheres, Regles, Compas
, Cercles , Astrolabes , Machines
de guerre , Fourneaux,
Copelles , Alambics , Baguettes
Magiques & Grimoires , avec
pluſieurs Figures de Vieillars &
autres affis , repréſentant ceux
qui ont excellé en ces fortes de
Sciences , le tout remplyde Deviſes
, d'Emblémes , & de Sentences
propres au Sujet. Au fond
de la Salle , paront un grand
Globe terreftre , monté ſur une
Baſe fort élevée.
Ergiſte, le premier & le chef
de ces Ecoliers , ſe promene avec
Ariftene fon Maiſtre ; & pour
luy faire voir le profit qu'il a fait
262 MERCURE
dans l'etude de la Magie où il
s'eſt adonné , il prononce quelques
paroles dans un Livre. Auffi.
toſt le Globe ſe briſe en deux,
& fe change en un grand Efcalier
ou Perron de pluſieurs degrez,
qui occupe toute la largeur
du Théatre , & conduit dans un
grand Palais doré , tout brillant
de lumiere , d'où l'on voit accourir
toutes les Nations de la Terre,
au nombre de 40. ou so. quidefcendent
& viennent environner
Ergiſte , comme pour luy faire
connoiſtre que rien n'eſt caché à
fa connoiſſance , & a fon profond
ſçavoir. Peu de temps apres
elles s'évanoüiffent , & s'envolent
de tous les coſtez du Théa .
tre, au commandement qu'il leur
fait ; leGlobe retournant en fon
GALANT. 263
)
1
entier , & la Salle ſe trouvant
comme elle estoit auparavant,
d'où il prend occafion de faire
voir que toutes les grandeurs de
la Terre ne font que de vains
fantômes , pour ceux qui s'en
laiſſent ébloüir. Celuy qui fait le
Perſonnage d'Ergiſte , eſt l'Abbé
Siface , qu'on appelle com.
munement Siphax , Italien , qui
eſt de la Muſique de M² le Duc
de Mantouë .
La ſeconde Décoration eſt la
Chambre de Seſtilia , qui eſt
feinte de Tapiflerie de Velours
couleur de feu , avec des Franges
&des Galons d'or , & des Portieres
de Tafetas rehauſſe d'or.
C'eſt où paroiſt pour la premiere
fois la Margarita , qui repréſente
Seſtilia. Elle paſſe pour une des
264 MERCURE
plus belles Voix d'Italie , & dez
meure actuellement à Bologne,
Elle eft bionde , de taille médiocre
, a le teint fort blanc,
beaucoup de brillant , une ma
niere libre & aifée , l'air de qualité
, & est bonne Comédienne..
La troiſième , une grande Salle
ou longue Gallerie , qui s'étend
juſqu'au bout du Théatre. L'Architecture
eſt compoſée de pluſieurs
Eſclaves Maures , qui ont
chacun fur leurs épaules un Aigle
Impérial , & au deſlus pluſieurs
Figures dorées , habillées à
la Romaine , qui ſoutiennent la
Corniche de la Salle , le tout accompagné
de Faifceaux de Verges
, Haches , Guidons , Enfei
gnes , Trompetes , Tambours, &
autres Inftrumens de guerre . La
Voûte
GALANT. 265
Voûte eſt toute dorée, &taillée
en pointes de Diamant & culs
de Lampes
Al'entrée eſt le Trône Royal,
élevéſous unDais fort riche, où
l'on voit le petit Roy Flavius
avec fon Oncle Rodoalde. Ce
premier eſt fort jeune , & le ſecond
ſe nomme Ballarin, un des
premiers de la Muſique de M¹ le
Duc de Modene,
La quatrième , une Treille de
Limons& Citronniers, ſoûtenuë
fur pluſieurs Colomnes de marbre
, qui font une Allée à perte
de veuë, avec pluſieurs Caſcades
d'eau.
La cinquiéme , la Chambre
de la Princeſſe Anne de Breta
gne , feinte de Tapiſſerie de Velours
vert, avec Paſſemens, cam
Mars1683. Z
266 MERCURE
panée&galonéed'or. Al'un des
coftez eftun Baldaquin , ou Dais
deBrocard d'or àgrandes fleurs,
&au defſous un Fauteüil, &le
Portrait du jeune Flavius. Celle
qui repréſente cette Princeſſe,
eft Venitienne , & ne paroiſt pas
âgée de plus de dix à douze ans,
Elle est accompagnée de douze
petites Demoifelles , & d'autant
de Pages de meſme grandeur,
C'eſt quelque choſe de joly , de
voir une petite Fille faire un des
principaux Perſonnages de la
Piece. Il falloit qu'elle fuſt de la
forte pour eſtre proportionnée
au jeune Roy. Quoy que dans
un âge fi tendre , avec un petit
air& des manieres belles & fines,
elle s'eft fait admirer de tout le
monde. Elle chante un Air FranGALANT:
267
çois au Prince Henry , dans le
temps qu'elle feint de répondre
à fon amour, & il luy en chante
un autre en la meſme Langue,
Les douze Pages ontdes Habits
de toille d'or & d'argent, garnis
de Rubans en confufion , avec
des Plumes blanches & rouges
auChapeau. Ils font une Entrée
de Ballet , tenant chacun deux
Flambeaux de cire blanche , &
fur la fin de la Piece , ils dancent
un Bal à la Françoiſe avec les
douze petites Filles, qui font tou.
tes veſtuës diféremment de Man.
teaux à la Françoiſe. Leurs Coëfures
ſontde Fleurs.
La fixiéme Décoration eſt la
Bibliotheque du Maiſtre d'Ergifte,
compoſée de pluſieursTa
bletes de Livres , Cartes , & Eftampes.
268 MERCURE
La ſeptième , diverſes Allées
de Colomnes de Marbre & de
Jaſpe de toutes couleurs , avec
Chapiteaux & Bafes d'or, luta
Lahuitiéme, le Port & la Rive
du Tibre , au bord duquel font
pluſieurs Chaſteaux , Tours , &
Palais, avec des Tapis ſur les Bal-.
cons , & quantité de Perſonnes
qui attendent l'arrivée d'Ergiſte
que fon Pere a rappellé à Rome.
Il vient dans un Bucentaure tout
doré , conduit par pluſieurs Rameurs
, & precedé de fix autres
Barques fort galamment & di .
féremment équipées , dont l'une
eſt conduite par des Maures, une
autre par des Turcs , une autre
par des Eſpagnols, une autre par
des Holandois , & les deux dernieres
par d'autres Nations , au
GALANT. 269
nombre de huit ou dix dans chaque
Barque.
La neufieme, eſt l'entrée & veftibule
d'un grand Hoſtel.
La dixième , le Cabinet de
Seſtilia, lambriſſé, peint, doré,
& garny de grands Vaſes de
Fleurs tutuas T
b
L'onzième , divers Portiques
de Colomnes , faiſant l'avenue
du Palais du Prince . En cet endroit,
la Margarita, ſous le nom
de Seſtilia , jouë un Rôle d'une
force & d'une beauté inconcevable.
C'eſt dans le temps qu'elle
paroiſt furieuse , & entre dans
une eſpece de délire . Elle croit
voir la Terre abîmer ſous fes
pieds , l'Enfer qui s'ouvre pour
l'engloutir , toute la Ville de
Rome en armes pour la punir.
Z iij
270 MERCURE
Les Demons l'épouvantent par
leurs cris; elle entend des Trompetes,
des Timbales,&desTam
bours dans les airs , & exprime
par fon chant toutes ces diféren
tes manieres dont ſon eſprit eft
agité, mais principalement lefon
de ces Trompetes , qu'elle imite
fibienpar ſa voix, que l'on s'imagine
entendre veritablement ces
Inftrumens de guerre.
La douziéme & derniere , eft
une grande Salle de Portiques,
avec un Coridor tout autour, où
eſt une infinité de Peuples, & au
bout, l'Apartement duRoy.s
Il y a encor la Florentine, qui
eſt une des bonnes Chanteuſes.
On la connoiſt ſous ce nom , à
cauſe qu'elle eft de Florence.
Celuy qui a compofé la MufrGALANT.
271
que , ſe nomme Carlo Palavicino
, Maistre de Muſique de la
Communauté des Filles des Incurables
de Venise ; & Matteo
Noris, qui demeure en cetteVille,
en a fait les Vers .
4 L'Opéra qui a fait le plus de
bruit apres le Roy Infant , s'eft
joué au Théatre de S. Luc , atutrement
de S. Salvator. C'eſt
encor un Theatre fort grand,
fort beau, tout peiut & doré de
neuf , & des plus conſidérables
deVenife. Il contient cinq rangs
de Pales, trente-trois à chaque
rang , & il appartient à un Sei
gneur de la Maiſon de Vendramin
, établie depuis fort long.
temps à Veniſe , & qui a donné
un Doge en 1476. André Vendramin.
Ses Armes font au def
Z iiij
272 MERCURE
fus du Théatre des Acteurs en
cette forte , facé de trois pieces
d'azur, d'or, & de gueules brous
Voicy le Sujet de la Piece, qui
eſt intitulée les deux Céfars.. Septimius
Roy des Romains , laiffa
Baffian & Geta ſes deux Fils,
Heritiers de fon Royaume.
L'Aîné , d'humeur ſuperbe &
altiere , ne pouvant fouffrir de
Compagnon fur le Trône, fit arrefter
prifonnier fon Frere Geta,
fous le faux prétexte qu'il avoit
voulu violer Leucippe, Princefle
Angloife. Geta trouva moyen
de ſe ſauver ,&un jour de Feſte
publique , que Baſſian faisoit un
Feftin Royal à pluſieurs Dames
de la Cour, il ſe noircit la peau,
ſe déguiſa en Egyptien , & s'introduifit
dans l'Aſſemblée. Leu-
こ
GALANT. 273
1
cippe qui avoit reconnu fon innocence
, & à laquelle il eſtoit
accordé depuis longtemps , feignit
de vouloir céder à la paſſion
deBaffian qui commençoit àl'ai.
mer. Elle propoſa un Jeu dont
Baſſian luy avoit laiſſe le choix.
Chacun devoit feindre tour d
tour d'eſtre Monarque , pour
avoir lieu de faire connoiſtre la
fubtilité de fon eſprit par les
feintes Loix qu'il impoſeroit aux
autres. L'Egyptien, dont les manieres
galantes avoient plû à
toute Aflemblée , fut jugé le
plus propre pour commencer ce
jeu; & Baffian luy ayant mis fa
Couronne fur la teſte , fon Sce
ptre en main, & fon Manteau
Royal ſur les épaules , il monta
fur le Trône , leva ſon Maſque,
274 MERCURE
fit connoiſtre qu'il eſtoit Gera,
&qu'il occupoit la place qui luy
appartenoit légitimement , &
dont fon Frere s'eſtoit rendu indigne
par la tirannie. Iln'y eut
perſonne qui ne luy applaudift.
Tout le Peuple l'ayant reconnu
pour fon veritable Roy, Baffian
n'eſtoit plus regardé que comme
un Ufurpateur , & on luy avoit
déja mis les fers aux pieds , lots
que Gera defcendit du Trône,
ſe jetta aux pieds de ſon Frere,
l'embrafla,& par une generofiré
digne du ſang Romain dont il
fortoit, il luy fit part de fon Sceptre,
& ils regnerent depuis enfemble
dans une parfaite union.
Il y a encor pluſieurs autres in.
cidens au fujet d'Honoria Fille
d'Evader, Bibliotequaire Royal,
GALANT. 275
qui apres avoir donné pluſieurs
rendez - vous à Fabius & à Lentulus
, & s'eftre raillée de leur
amour, vint à bout d'épouſer le
Roy Baffian par ſes adreſſes , &
par le ſecours de Leucippe.
Si cette Piece n'a pas eſté ſi
juſte dans la régularité & dans la
conduite, que celle du Roy Infant,
felon le fentiment de quelques-
uns elle a eſté affez ré,
compenfée par le grand nombre
des plus belles Voix dont elle eft
remplie. Il y a dix Décorations
des plus pompeuſes & des mieux
entenduës .
Dans la premiere, Geta vient
donner une Serenade à ſa Maî
treffe, dans un grand Bucentaure
remply d'un grand nombre de
Muficiens , dont lehaut eft d'E
276 MERCURE
toffe de groffe Broderie d'or relevé,
foûtenu de pluſieurs Figures
humaines , habillées en Statuës
d'or, tenant des Flambeaux
allumezang рискя 194
Lors que Baffian donne le Régale
aux Dames , le Theatre eſt
de Colomnes de Porphyre & de
Lapis , orné de quantité de Tableaux
dans des Quadres dorez.
Un grand nombre de fuperbes
Guéridons, avec de gros Flam.
beauxde cire blanche, ſert à l'éclairer.
L'on voit du fonds du
Théatre un grandGeant s'avancer
, qui porte fur fa teſte une
Table remplie de Pyramides de
Viandes, & s'abîme dansla terre
en l'expoſant au milieu duThéatre.
Pluſieurs autres Tables font
autour de laSalle. L'on y jouë à
GALANT. 277
toutes fortes de Jeux ; & à la fin
du Repas , une douzaine de Pa .
rafites viennent devorer les reſtes
du Feſtin, & font une Entrée de
Ballet. Rien n'eſt plus divertiſ
fant que l'embarras où ſe trouve
Honoria , qui court de Feneſtre
en Feneſtre pour amuſer ſes deux
Amans , qui ſe rencontrent en
meſme temps à deux Portes di.
férentes de ſa Maiſon . L'endroit
où Baffian chante un Air pour
s'endurcir dans ſa cruauté, & défier
les Foudres de Jupitermeſme,
eſt quelque choſe qui paſſe l'imagination,
& qui ne ſe peut comprendre
qu'avec peine. Sa voix
(qui fans difficulté eſt une des
plus belles que nous ayons icy )
eft accompagnée & foûtenuë de
Trompetes & de Symphonies
278 MERCURE
par repriſes ; & ces Trompetes
s'uniffent fi bien à fon chant ,
qu'elles en laiſſent admirer toute
la douceur , & ne perdent rien
de leur force.otal iobipon st
" Il y a encor un beau Spectacle
d'une Feſte de Gladiateurs , qui
paroiffent dans un Cercle de
nuées , & defcendent en fe ba.
tant pour donner le divertiſfe.
ment au Peuple Romain. Celuy
qui a compofé la Muſique de la
Piece , eſt Don Giovani Le
grenzi , Preſtre , Maistre de la
Muſique des Filles de S. Lazare,
dites communément les Médicantes
, & Sous -Maistre de la
Mufique de la Chapelle du Se
réniſſime Doge. Ilpaſſe pour un
des plus habiles de Venife. Ceux
qui chantent eftant toutes PerGALANT:
279
ſonnes choiſies , comme je l'ay
déja dit, voicy les noms des prin
Clement Hader , connu ſous
le nom de Clementin, repréſente
Baffian. Il eſt natif de Hadersberg,
Muſicien de la Chambre
de l'Empereur , & une des plus
belles voix d'Hommes qui ſoit
dans tous les Opéга , оло
Jean- Baptifte Spéroni, Muſicien
de la Chambre de l'ImpératriceEleonore.
Ferdinand Chiaravelle, Muſi .
cien de M le Duc de Mantouë.
atPour les Femmes , Anne. Marie
Manarini repréſente Honoria.
Elle demeure ordinairement à
Mantouë, eſt tres- belle, de grande
taille, la gorge fort blanche,&
encor une des plus belles Voix
d'Italie,
280 MERCURE
Le Théatre de S.Jean & Paul
eſt encor un des plus beaux de
cette Ville. Il eſt extrémement
profond,&cõtient cinq rangs de
Pales, trente&un à chaque rang.
Il eſt peint & doré comme les
autres , & appartient encor à
Meſſieurs Grimani Freres . On
y a joué deux Opéra, Il y a dix
changemens de Theatre dans le
premier, qui eſt intitulé le Grand
Othon,& dontje vous vay expliquer
le ſujet en peu de mots. Bérengarius
Roy d'Italie, pour s'afermir
plus fortement dans le
Royaume, veut marier Adalberr
fon Fils à Adélaïde , Veuve du
défunt Roy. L'Empereur Othon
aimant cette belle Veuve
rend dans la Cour de ce Roy, &
s'y tient longtemps caché ſous le
ſe
GALANT. 281
nom d'Alceste , juſqu'à ce qu'
ayant trouvé le temps de fe faire
connoiſtre, il vainc Bérengarius,
&époute Adélaïde.
Coriolan eſt le titre du ſecond
Opéra que l'on a repréſenté ſur
ce Theatre . Ce jeune Romain
eſtant exilé de ſa Patrie , pour
avoir offencé les Tribuns du
Peuple , ſe retira vers les Volfques
, Ennemis de Rome , où
Tullus qui en estoit le Souverain,
luy donna le Commandement
defon Armée. Il remporta la vitoire
fur les Romains , aidé de
l'adreſſe de Volumia ſa Femme,
&du courage de Flavia qui l'avoit
fuivy dans toutes ses conqueſtes,
&qui comme une Amazone
avoit combatu genéreusement
pour luy , & apres s'eſtse
Mars1683. Aa
282 MERCURE
rendu maiſtre de Seſtus Furius,
&de Spurius , les deux Confols,
il leur donna la liberté voulut
qu'ils commandaflent comme
auparavant , & obligea Tullus à
Te contenter de ſon Royaume,
& à vivre en paix avecRome.
Il fit encor époufer Flavia an
Conful Seſtus , à cauſe de l'amitié
qu'il avoit remarquée entr'eux,
cette Héroïne s'eſtant détachée
de l'amour qu'elle avoit pour
Coriolan, & ne l'ayant ſuivy que
parce qu'elle le croyoit Veuf.
Il y a onze diferentes Décora
tions dans cer Opéra . Celuy qui
en a fait la Muſique , ſe nomme
Jacques-Antoine Perri , de Bo-
Le Theatre de S. Angelo n'eſt
pas fi grand que les autres, quoy
GALANT. 283
qu'il foit auffi peint, doré, & fort
propre. Il contient cinq rangs
de Pales vingt-neuf à chaque
rangoLa fituation n'en ſcauroit
eftre plus avantageufe, puis qu'il
eft aubord du grand Canal. Oi
y a joué deux Pieces qui ont eu
toutes deux beaucoup d'approbation;
a wond
La premiere eſt dédiée à M
Amelot , Marquis de Gournay,
Ambaſſadeur de France dans
cette fameuse. République. II
faut vous en dire le Sujen
Virginiuson'ayant que deux
Filles, accorda Virgilia ſon aînée
àIcilius , & deſtina Celſa ſa Cadete,
à ſervir la Déelle Veſta.
Cette Cadete avoit deux Amans,
Licinius & Seſtus , Nobles de
Race, Perſonnes de crédit , &
Aaij
284 MERCURE
d'égal mérite. Dans l'envie qu'
elle avoitd'eſtre mariée, ne pouvant
fléchir la dureré de fon Pere
qui ne vouloit point eſtre contredit,
elle les recevoit tous deux
à la fois, leur donnoit des rendezvous
en meſmetemps ,& fouffroit
qu'ils ſe trouvallent chez elleenſemble
déquifez en Femmes , afin
qu'ils ne ſe connuſſent point l'un
l'autre , & que fon Pere les prift
pour deux Filles qu'elle ménageoit
pour leur faire prendre le
Voile avec elle. Ces deux Rivaux
s'eſtant découverts par la
fuite, Seſtus l'abandonna com me
une Inconſtante ; & Licinius attribuant
fa legereté à la cõtrainte
où ſon Pere l'avoit réduite , ne
pût s'empeſcher de l'épouser.
Dans ce temps les Décemvirs
GALANT. 285
triomphoient àRome, &Appius
Claudiusun des principaux,
eftantopaffionné pour Virgilia,
gagna le coeur de cette Belle, en
fu faifant paffer pour Icilus qu'-
elle ne connoiffoit point,&que
fon Pere luy avoit ordonné de
recevoir commelfon Mary. L'amitié
s'eftant renduë réciproque
entre l'un & l'autre , Virginius
fut obligé d'y apporter auffi fon
confentement. Ily a huit chan-
Ogentens derScenes dans cert
Opéra, qui eſt fort galant& fort
مالس
La ſeconde Piece eſt intitulée
Silla Lucius- Cornelius- Silla eftant
parvenu à l'Empire de Rome
par la violence, fit mourir tous
JesChefs de Party qui luy avoient
ſervy d'obstacle, & pour mettre
286 MERCURE
le Grand Pompée dans ſes inté.
reſts , il lay fit époufer fa Fille
Emilie , & maria encor Lepidus .
Emilius fon Favory à Valeria
Veuve de Sulpitius ( qu'il avoit
auſſi fait mourir ) afin qu'elle
éteigniſt la vangeance qu'elle
méditoit dans ſon coeur, à cauſe
de la mort de fon Mary. Silla
gouverna quelque temps de cette
forte avec une autorité abfolue
& tirannique ; & ayant enfin découvert
que la plupart des Def
cendans de ceux qui avoient eſté
profcrits , machinoient ſecretement
fa ruine , il renonça volontairement
à l'Empire qu'il remit
entre les mains de Lepidus, aimé
& chery de tout le Peuple Romain
. Il y a neuf changemens de
Théatre dans cette Piece, & l'on
GALANT. 287
y voit entr'autres deux beaux
mouvemens de Machines.
Le premier eft le Trône où
eſt aflis l'Empereur , d'environ
dix pieds en quarré , qui petit à
petit ſe dilate, s'élargir, & forme
une nouvelle Décoration de
toute la grandeur du Théatre.
Le ſecond eſt dans le temps
que Silla veut faire ruiner les
Tombeaux des Profcrits, afin que
leur memoire reſte dans un eternel
oubly. L'ame de Sulpitius
fort d'un de ces Sepulchres , &
ſe fait voir de la hauteur de tout
le Théatre en la forme d'un
Homme affreux & épouvantable
, ayant le manîment des bras
& des mains comme une Perfonne
vivante. Ce Fantôme reproche
à l'Empereur ſa cruauté
288 MERCURE
& fa tirannie , & en ſuite ſeracourcit
, ſe replie , ſe rétreffit en
l'air,& ſe met en un petit peloton
de quatre à cinq pieds, qui ſe va
perdre dans les nuës, & le tout fe
fait avec un mouvement fi fubit
& fi précipité , qu'il paroiſt s'a .
neantir entierement .
Dans ces deux Pieces , Filanin ,
un des principaux Chanteurs, fe
faitdiftinguer, accordant & mariant
admirablement bien ſa voix
avec les fanfares des Trompetes.
Le Théatre de S. Caffian eft
auſſi peint &doré comme les autres,
àcinq rangs de Pales, & 31 .
à chaque rang. Il appartient à
un Noble de la Famille de Tron,
fort ancienne en cette Ville, originaire
de Mantouë , & qui a
donné
GALANT. 289
donnéunDoge en 1471. Nicolas
Tron. Il porte pour Armes, bandé
de gueules & d'or de fix pieces,
au chefd'or, chargé de trois
Fleurs-de- Lys de gueules , montée
chacune fur un Gradin de
deux degrez en forme de baſe,
pareillement de gueules.
On y a joué deux Pieces. Themistocle
eſt le titre de la premiere.
Ce grand Homme ayant eſté
exilé d'Athenes , ſe ſauve dans
Abidos avec Sibaris ſa Fille, feignant
de venir d'Egypte. Xerxés
Roy de Perſe , & ennemy des
Grecs , y demeuroit. Il gouste
tellement l'eſpritde ceCapitaine,
qu'il luydonne leſouverain commandement
de ſes Armées, qu'il
oſte à Artaban , & veut époufer
ſa Fille Sibaris , au préjudice de
Mars1683. Bb {
290 MERCURE
l'amitié qu'il avoit toujours fait
paroiſtre pour Erfilla. Themiftocle
ne pouvant ſe réfoudre à
porter les armes contre ſa Patrie,
veut ſe faire mourir par le poifon;
&Sibaris, quoy que touchée de
l'amour de Nicomede , ne laiſſe
pas de regarder avec envie le
Poſte avantageux où Xerxés
veut l'élever. Cependant Ar
taban & Erfilla ne ſongeant qu'à
la vangeance , veulent obliger
Cléophant à faire mourir ces
Etrangers. Cléophant n'ofoit
rien refuſer à Erſilla qu'il aimoit.
Il ne pouvoit contredire àArta.
ban , à qui il eſtoir redevable de
la vie, & il eſtoit ſur le point d'éxécuter
ce cruel deſſein , lors
qu'ayant reconnu que Themif
tocle eſt ſon Pere , & Sibaris fa
GALANT 291
Soeur, ſon entrepriſe ne ſert qu'à
Ieur ſauver à tous deux la vie, en
forte que Xerxés éclaircy de la
verité , ofte à Themistocle ce
commandement pour lequel il
avoit tant de répugnance , luy
donne ſa protection, & rend Si
baris à Nicomede. Il y a neuf
Décorations diférentes dans cet
Opéra.
Le ſecond que l'on a repréſenté
ſur le meſme Theatre de
S. Caffian, eft intitulé l'Innocence
justifiée. Maxime , Favory de
Valentinian III . ne pût voir ſans
jalouſie les marques d'honneur
dont cet Empereur combla Æ
tius Capitaine Romain , qui venoit
de remporter dans la France
la fameuſe Victoire contre Attila
Roy des Huns. Il luy dreſſa plu-
L
Bb ij
292 MERCURE
ſieurs embuches pour le perdre ,
fit croire qu'il machinoit ſecrerement
contre l'Empire , & le
Conquérant cut le malheur de
voir encor Sabina déchaînée
contre luy, quoy qu'elle luy euſt
témoigné de l'amitié juſqu'alors,
& qu'il euſt obtenu la grace pour
fon Pere qui estoit referré dans
lesCachots. Mais toutes ces fourberies
eſtant découvertes , l'Empereur
en redoubla l'eſtime qu'il
avoit pour Ætius , pardonna à
Sabina pour l'amour de luy , c
quoy qu'il ſoeuſt que Maxime
avoit voulu violer l'Impératrice,
il ſe contenta de l'exiler , aila
priere de Flavia ſa Femme, que
cet Empereur avoit aufli beaucoup
aimée . Voila le Sujet de
cette Piece , dont l'Abbé Ziani
GALANT 293
a fait la Muſique , & dans la
quelle il y a onze changemens
deSceperqm41 סונמסכ
Le Théatre du Canareggio,
ou du Canal Royal , eſt fort petit
, mais bien peint. Il eſt ainfi
nommé ( contre la regle des au.
tres qui tirent leur nom de l'Eglife
la plus proche ) à cauſe qu'il
eft ſitué ſur un Canal de ce nom,
qui eft le plus large apres le
grand Canal. Il contient trois
rangs de Pales, avec 23. à chaque
rang, & appartient à un Noble
de la Famille de Michiele , l'une
des plus anciennes de Veniſe,
dont il y a eu trois Doges, Vital
Den 106. Dominique en 1120. &
encor un autre Vital en 1173 , un
Cardinal fous Paul IV. Jean Michiele,
qui fut auſſi Patriarche de
1
Bb iij
294 MERCURE
Conftantinople , neuf Capitaines
genéraux de Mer , onze Procurateurs
de S. Marc , & autres
Officiers . Leurs Armes font, facé
d'argent & d'azur de fix pieces ,
avec 21. Monnoyes d'or difpo.
fées fur chacune des fix faces en
cette forte, fix, cinq,quatre,trois,
deux,&une. Les Monnoyes forment
des Armes à enquerre , &
ont eſté miſes pour marque d'ho.
neur dans leurs Armes du temps
du Doge Dominique Michiele,
lors qu'eſtant General des Ar.
mées des Venitiens , il fut au ſe.
cours de Baudoüin Patriarche
deJérufalem, où dans le Siege de
la Ville de Suro , ou Tiro , qu'il
remporta , il fut obligé de faire
empreindre quelques Figures fur
du cuir, pour ſervir deMonnoye,
GALANT. 295
&contenter les Soldats qui eftoient
preſts de déſerter faure
d'argent.
Ce Theatre du Canareggio
n'a eſté baſty que pour des Comédies
. On y a joüć neantmoins
cette année deux Opéra. Cidippe
eft le titre du premier. Voicy de
quelle maniere on a traité ce
Sujet. Les Perſes eſtant preſts de
ravager le Païs des Cyclades,
Acontius commandant pour les
Grecs , enferma la Princeſſe Cidippe
dans le Temple de Diane
qui estoit à Délos , la principale
de ces Ifles . L'Armée des Grecs
ayant eſté miſe en déroute , les
Vainqueurs obligerent Acontius
de ſe retirer, ſe rendirent maîtres
de ces Ifles , & toutefois n'ofe.
rent entrer dans celle de Délos,
Bb ij
296 MERCURE
1
pour le reſpect qu'ils portoiene.
àDiane , Scoeur du Soleil , qu'ils
adoroient. Acontius , & Cidippe
qui avoit eſté ſauvée par fon
moyen, prirentdés ce tempsune
forte paffion l'un pour l'autre,
quoy qu'ils ne ſe fuffent veus
qu'une fois. Ils déſeſpéroient de
ſe pouvoir jamais rencontrer,
parce qu'ils fe croyoient tous
deux péris. Cidippe refuſoit tous
lesPartis que ſonTuteur luy vou
loit donner. Acontius ſe voyant
fans biens, & fugitif, n'oſoit re.
tourner en fon Païs , neantmoins
Diane le regarda d'un oeil favo
rable. Il ſe hazarda un jourd'entrer
dans ſon Temple. Il y fit um
ferment par un Ecrit figné de fa
main , qu'il aimeroit Cidippe
toute ſa vie; & laDéeffe permit
GALANT. 297
qu'ils ſe rencontraffent , & couronnaſſent
leur amour par un
heureux mariage. Cet Opéra a
huit changemens deThéatre. Je
vousparleray au premier jour du
ſecond, qui ne ſe joue que depuis
pens_????????? ?????????????????????????
L'Opéra du Roy Infant, dont
jevous ay fait la deſcription , a
eſté trouvé fi beau, que Meffieurs
Grimani n'ont pas jugé à propos
d'en donner un ſecond , comme
il s'eſt pratiqué dans tous les autresTheatres.
Ilsy ont fait ſeule
ment un Aggiunta , c'eſt à dire,
uneaugmentation, où, fans changer
le Sujet de la Piece , ils ont
mis quelques Scenes les unes de.
vant les autres, &ont ajoûté des
Airs&desMachines, dont voicy
les principales air at va
298 MERCURE
Dans la troifiéme Scene , le
Trône où eſt Flavius avec Rodoalde,
qui estoit à coſté& audevant
duThéatre,paroiſt à préſent
tout au fond , dans une grande
élevation , accompagné de 70. ou
80. Perſonnes , qui repréſentent
toutes les Nations tributaires de
Rome. Six Elephans foutiennent
ſur leur dos cette prodi .
gieuſe Machine , où eft une fi
grande abondance de monde,
l'apportent juſqu'au milieu du
Théatre , & là s'enfoncent inſenſiblement
, juſqu'à ce que le
marchepied du Trône égale le
plancher du Theatre: 500
Dans la huitiéme Scene , où
Ergiſte arrive à Rome dans un
Bucentaure , en réjoüiſſance de
fa venue, 80. ou90. Perſonnes en
GALANT. 299
Camifolle & Bonnet , forment
un combat de coups de poings
fur un grand Pont ſans parapets,
qui traverſe la largeur duTibre,
où dans l'animoſité & la chaleur
du combat, ils ſe renverſent les
uns les autres dans ce Fleuve, la
teſte en bas , fur le coſté , & de
toutes fortes de manieres. Il ya
bien 40. Perſonnes ſur la Rive à
les regarder,&Rodoalde eft encor
au devant avec toute ſa Suite
, ce qui fait plus de 140. Perfonnes
tout- à- la-fois.
Sur la fin de la Piece , apres la
conclufion du Mariage de Flavius,
une grande Tortüe marche
fur le Théatre, & le Génie militaire
de Rome eſt au deſſus , qui
commande à pluſieurs Guerriers
de paroître pour former l'ame du
300 MERCURE
jeune Roy dans la Profeſtion de
Mars. Cet Animal ſe briſe auffitoſt
en 60. ou 70. pieces, qui font
autant de Soldats armezçà squi
chaque écaille de la Torttie fert
deBouclier. Incontinent Vénus
paroiſt dans le Ciel, qui les em
peſche de fe chamailler , & re
montre au Génie qu'il n'eſt pas
encor temps, &que dans un jour
deNoces il ne faut fonger qu'à
lajoye. C'eſt ce qui donne occafion
aux petits Garçons& aux
petites Filles de former le Bal
dontj'ayparlé, on se
On a joué un troifiémeOpéra
au Théatre de S. Jean & Paul,
intitulé Oromeas Voicy ce que
c'eſt. Floridanus , Fils de Sidonius
, Roy des Phéniciens , fut
pris fort jeune par un Corfaire,
GALANT. 301
&élevé comme ſon Fils . Orontea
, Reyne d'Egypte , qui avoit
toûjours conſervé ſon cooeurdans
une entiere liberté, luy trouva
rant de mérite , qu'elle ne pût
s'empefcher de l'aimer . Neant.
moins elle commençoit à ſe détacher
de l'amour qu'elle avoit
pour luy, conſidérant le tort qu
elle faifoit à ſes Parens & à fon
Royaume , en mettant fur le
Trône une Perſonne de fi baſſe
naiſſance , lors qu'il fut reconnu
pour cequ'il eſtoit , ce qui engagea
cette Reyne à l'époufer. On
voit dans cet Opéra huit Décorations
diférentes, bi
Depuis huitjours on en a auſſi
jotieobſecondſurleTheatre de
S. Luc, ou S. Salvator. Ileſt tout
remply de Spectacles & de Ma
302 MERCURE
chines. Il faut retenir les Chaifes
du Parterre deux jours aupara
vant , à cauſe de la grande af
fluence de monde qui s'y trouve,
& comme il paffe de beaucoup
celuy des deux Céſars qui y a eſté
joüé le premier , il faut vous en
dire quelque chose. On l'intitule
Justin. Ariane, Veuve de l'Empereur
Zénon, épousa Anaſtaſe,
& le fit monter ſur le Trône des
Céſars. Vitellian jalouxde la for
tunede cet Empereur, arma toute
l'Afie Mineure contre luy , &
dans un Combat fit prifonniere
Ariane , qui s'eſtoit déguisée en
Guerrier pour ſuivre la fortune
de ſon Mary . C'eſtoit le ſeul but
de ce Tyran , que de poſſeder
cette jeune Veuve , & il tâcha
par toutes fortes de moyens de
GALANT. 303
s'en faire aimer ; mais voyant
qu'elle ne répondoit à ſes complaiſances
que par des oprobres ,
il changea fon amour en rage , &
la fit attacher à un Rocher, pour
eſtre devorée par un Monftre
prodigieux, comme une ſeconde
Andromede . Elle attendoit avec
une conſtance merveilleuſe l'infſtant
de ſa mort, lors qu'un nommé
Juſtin quitta la Charuë qu'il
avoit menée toute ſa vie, vint au
fecours de l'Impératrice , tua le
Monſtre , pourſuivit Vitellian,
défit ſon Armée , le fit prifonnier
de guerre , ſauva encor la vie à
Eufemia Soeur de l'Empereur,
qui alloit eſtre terraſſée par une
Beſte ſauvage dans un Bois où
elle chaſſoit , & arreſta auſſi prifonnier
Andronicus Frere de Vi
2
304MERCURE
1
tellian, qui venoit d'enlever cette
Princeſſe. On avoit peine àcom
prendre qu'une ame fi grande pût
logerdans lecorps d'un Pailan ;
auffi le Ciel par une eſpecedemiracle
fit découvrir ſa naiſſance,
qui avoit eſté cachéejuſqu'alors,
&il ſe trouva eſtre un des Freres
de Vitellius , qui eſtant Enfant,
avoit eſté enlevédu Berceau par
unTigre, & trouvé par un La.
boureur qui l'avoit élevé à la
Campagne comme ſon Fils. Toutes
ces Conqueſtes luy firent
donner le nom de Reſtaurateur
de l'Empire Romain. Anaſtaſe
l'aſſocia à l'Empire , & luy fit
épouſer ſa Soeur Eufemia.
Onze Décorations ſervent
d'ornement à cet Opéra. Dans
le temps du Couronnement d'A.
GALANT. 305
naftaſe, Atlas, ſous la figured'un
grand Géant, portant le Globe
du Monde ſur ſa teſte , s'appro
che du Trône, vient rendre hom
mage à l'Empereur au nom de
toute laTerre quiluy eſt ſoûmiſe,
& en s'en allant , le Globe fe
change en nuages,&fe va perdre
dans le Ciel qui s'ouvre. Vénus
y paroiſt dans ſon Palais , accompagnée
des Ris, des Chants, des
Jeux,&des Plaiſirs. Cetre Déefle
commande à l' Hymenée de def.
cendre , & envoye quatre petits
Amours qui le vont perdre , &
s'envolent tous enſemble dans le
moment qu'ila enflâmé les cooeurs
de ces nouveaux Eprax.
Lors queJuſtin paroiſt la per.
miere fois , il mene la Charuë
dans des terres toutes remplies
Mars 1683. Cc
306 MERCURE
de Treilles & de Raiſins, qui forment
diverſes Allées & Berceaux
aux coſtez & au milieu du Théatre;
& s'eftant endormy dans
cette Campagne , la Fortune
montée ſur ſa Rouë qui tourne,
le vient trouver dans ſes rêveries,
& luy apparoiſt en fonge, luy
perfuade de quitter une Profeffion
fi vile, pour ſuivre celle des
Armes ; & alors toutes les pieces
qui compoſent cette Décoration,
ne font que ſe tourner & fe
déplier, & le tout ſe change en
un Palaisfomptueux, & remply
dOr, de Pierreries, de Perles, de
Couronnes, de Sceptres, deTréfors
, & deticheſſes , ce qui luy
marque la récompenfe qu'il en
doit attendre , & en s'éveillant
il ſe trouve au milieu des champs
GALANT. 307
où il eſtoit ; la Scene retournant
en fon premier état.
Le: Trône de Vitellian eſt
porté fur un Eléphant avec une
vingtaine de Perſonnes qui font
montées tout autour .
26
Dans le temps qu'Eufemia,
Soeur de l'Empereur , déclare à
Juſtin qu'elle l'aime, l'Allegreſſe
paroiftdans une grandeMachine,
accompagnée de Dames & de
Cavaliers , qui viennent dancer
un Bal enſemble.
Dans le Combat Naval qui ſe
donne entre les Armées de l'Empereur
& de Vitellius , on voit
plufieurs Vaiſſeaux , dont l'un
entr'autres ſe vabrifer contre un
Ecüeil, qui le met en pieces.....*
Dans une autre Bataille fur
terre, Vitellius vient montédans
Ccij
308 MERCURE
un Char tiré par deux Chevaux
veritables, accompagné & rem
ply d'un grand nombre de Gens
de guerre qui ſe combatent fur
leTheatregas em 2030
Dans une autre Scene paroiſt
une Caverne éclairée d'un grand
nombre de Lampes à l'antique,
avec pluſieurs Tombeaux, de Pun
desquels on voit forrir l'ame du
Pere de Vitellius , qui vient dé
couvrir la naiſſance de Justin, &
luy fait entendre qu'il eſt unde
fes Fils. 25 , वही
Ala fin de la Piece, leTempler
de l'Eternité s'ouvre, & s'avance
au milieu du Théatre. La Déeffe
qui y préſide eſt au milieu , & la
Gloire au deffus dans un Ciel de
nuages ; & ces deux Divinitez
promettent à Juſtin de rendre
GALANT 309
fon nom immortel. La richeffe
des Habits répond à la ſomptuo.
fité desMachines.bang outb
Je ne manqueray pas, Madame,
de vous envoyer au premier jour la
Suite des Réjouiſſances du Carnaval.
Jefuis vostre casos nova )
DE CHASSEBRAS, DE GRAMAILLES
Je viens aux Divertiſſemens
qu'a pris dans ce mefme temps
du Carnaval , la plus grande &
la plus brillante Cour de l'Europe.
Quand le Prince travaille
ſans relâche , les Courtiſans &c
tous les Sujets , peuvents'occu.
perfans ceffe à fe divertir. C'eſt
ceque l'on a fait tour Hyver
Verſailles des plaiſirs diférens
ayant eſté marquez pour chaque
foirée de la ſemaine. Commeje
vous en ay déja parlé je ne les
310 MERCURE
répete point. Je vous diray ſeulement
, qu'encor que le Bal fuſt de
ce nombre , & qu'il y en ait eu à
la Cour pendant tout l'Hyver,
on ena donné cinq extraordinai
res dans cinq Apartemens diférens
de Verſailles , tous fi grands,
& fi beaux , qu'il n'y a que cette
ſeule Maiſon Royale au Monde,
qui en puſt fournir en fi grand
nombre d'une fi vaſte étendue.
L'entrée n'en estoit ouverte
qu'aux Maſques , & peu de Perfonnes
oſoient s'y préſenter fans
eſtre déguisées , à moins qu'elles
ne fuflent d'un rang tres diftin
gué. Comme ces déguiſemens ſe
font plûtoft faits pour prendre&
donner du divertiſſement , que
pour affecter de paroiftre magni
fique , & qu'on eſt ſi bien mis à
GALANT. 311
la Cour , que la plupart n'au
roient eu beſoin que de leurs Habits
ordinaires, & d'un Maſque,
pour paroiſtre dans le plus fuperbe
ajustement , on a crû que
pour ſe mieux divertir , il faloit
maſquer cette année avec des
Habits plaiſans, & qui fiffentpa
roiſtre l'invention , le génie , &
l'efprit de ceux qui les porte.
roient, auffibien que l'adreſſedes
Ouvriers . On a fait plus. Autrefois
quand ceux qui ſe déguiſoient
alloient au Bal , ils
n'en fortoient que pour n'y plus
retourner , & pluſieurs en font
fortis cette année juſques à huit
&dix fois , pour aller changer
d'Habits . On en a veu de groteſques
, qu'on ne sçavoit comment
appeller , parce qu'ilsn'ef
312 MERCURE
toient qu'un pur effet de l'imagi
nation des Inventeurs. En renouvellant
les vieilles modes, on
a choiſy les plus ridicules , ſur lefquelles
on a encor renchery pour
rendre ces fortes d'Habits tout- àfait
plaifans . Il y a eu des Fi
gures d'une nouveauté ſi ſurprenante
, qu'un Homme feul en re
préſentoir juſques à quatre tout
àla fois. Enfin l'on a veu juſques
à des Garnitures de Porcelaines
mouvantes & chantantes. Je di.
ray un mot de quelques-uns de
ces déguiſemens , en parlant des
Lieux où ils ont paru . Monfei
gneur le Dauphin ayant changé
huit ou dix fois d'Habit chaque
foir , M' Berrin a cu beſoin de
rout ſon génie pour luy en fournir,&
de toute la vigilance pour
Ies
GALANT. 313
les faire faire , à cauſe du peu de
temps qu'ily avoit depuis un Bal
juſqu'à l'autre. Comme ce Prince
ne vouloit pas eſtre reconnu,il n'y
a forte de Perſonnage extraordinaire
qu'on n'ait inventé pour le
déguiſer ; & bien ſouvent ſous les
Figures qu'il repréſentoit , on ne
pouvoit deviner fi celuy qu'on
voyoit avec un Maſque , eſtoit
grand ou petit , gros ou menu , il
avoit meſme quelquefois desMafques
doubles ,&des Maſques de
Cire ſi bien faits fousun premier
Maſque,que lors qu'il s'eſt dema
qué , on a crû voir quelquefois
un viſage naturel qui a trompé
toutlemonde. Comme ces fortes
d'Habits font plus propres à réjoüir
la veuë qu'à eſtre décrits,
je ne m'étendray pas davantage
Mars 1683.
Dd
314 MERCURE
fur des chimeres , dont le Pin
ceau meſme auroit de la peine à
faire remarquer toute la bizarrerie.
On ne peut paroiſtre d'un
air plus deliberé , ny avec plus
d'enjouëment , qu'a fait Monfeigneur
le Dauphin dans tous ces
Divertiſſemens. La promptitude
avec laquelle il changeoitd'Habit
, n'a rien qui l'égale. Il laffoit
tous fes Officiers , ſans eftre
fatigué , quoy qu'il agiſt plus
qu'eux' en s'habillant & fe def
habillant , & qu'il dançaſt beaucoup.
Ce Prince fait connoiſtre
par les moindres chofes , par la
maniere dont il fait ſes Exercices
de Cheval , & par l'ardeur avec
laquelle il foûtient le long travail
de la Chaffle , combien il prendroit
de plaifir à commander des
GALANT. 315
Armées , & que celuy que les
Beſtes les plus feroces n'étonnent
point, ſentiroit renouveller ſa vi
gueurà la veuë des plus redoutables
Ennemis. Aufſi que nedoits
on point attendre d'un Fils de
LOUIS LE GRAND?
Monfieur , qui eſt toujours
mis d'un fi bon gouft , a ſouvent
paru au Bal avec des Habits ordinaires
, mais fi magnifiques , &
fi bien entendus , qu'on n'euft
pû rien ajoûter à leur beauté & à
leur richeſſe. Ce Prince s'eſt auffi
quelquefois déguisé d'une manie.
re plaiſante , & qui a 'furpris par
fa nouveauté tous ceux qui ont
veu ces déguiſemens. Vous re
marquerez , Madame , que dans
ces diverſes Feſtes , le Roy a toujours
eſté ſans Maſque , qu'il a
Ddij
316 MERCURE
donné pendant tout le Carnaval,
les meſmes heures qu'il donne
ordinairement aux affaires de l'E.
tat; qu'il ne s'eſt pas levé un
moment plus tard que de coûtume
, & qu'il a pris part aux Divertiſſemens
pour honorer par
ſa préſence ceux qui les donnoient
,&pour obliger ſa Cour à
goufter l'heureux repos que luy
procurent ſes veilles.
Le premier des cinq Bals, dont
il fautqueje vous parle , fut donné
par M le Grand , dans ſon
Apartementde la Gallerie baſſe
de l'Allée neuve deVerſailles. Ce
Bal s'ouvrit par une Mascarade
deMademoiselle de Nantes . On
yjoüoit alternativement un Menüet
, & une Gigue , mais il n'y
avoit qué Mademoiſelle deNan
GALANT. 317
tes qui dançaſt la Gigue. LeMenüet
fut dancé parMademoiſelle
d'Armagnac , &par Meſdemoifelles
d'Ufés & de Grignan; quel.
quefois elles le dançoient à quatre
, quelquefois à trois , & en
ſuite à deux. Mademoiselle de
Nantes s'eſt fait admirer par tout
où elle a dancé. L'empreſſement
de la voit eſtoit fi grand, que chacun
montoit fur ſa Chaiſe pour
la mieux confiderer. Monfeigneur
le Dauphin fit ce jour- là
une Mafcarade avec Monfieur
le Prince de la Roche-fur-Yon,
&plufieurs autres Seigneurs de
laCour. Il eſtoit porté dans une
Chaiſe , accompagné d'un nombre
de Polichinelles à manteau,
& de pluſieurs Nains. Il ſe déguiſa
encor quatre on cinq fois
4
Dd iij
318 MERCURE
pendant ce Bal , qui dura juſques
à quatre heures du matin, M
l'Admiral , & M² le Duc de Vendoſme,
furentde cesMaſcarades.
Vous ne pouvez rien vous imaginer
de trop , touchant la magnificence
de M² le Grand. Tout
alla chez luy juſqu'à la profufion.
Quelques jours enſuite ,Monſeigneur
le Dauphin donna le
Bal dans la Salle desGardes , qui
fert d'entrée à fon Apartement.
C'eſt un Lieu fpatieux & beau,
&tout environné de Colomnes.
Il y avoitdans cette meſme Salle
unThéatre pour les Marionnetes
qui joüerent avant le Soupé,
apres lequel le Bal commença
avec une affluence extraordinaire
de Maſques , tous bizarrement
GALANT. 319
veſtus. Ce Prince y parut fous
divers Habits , & il en prit un
entre autreess,, qui n'eſtoit compoſé
que d'un Haut-de- chauffe
de Suiffe , qui luy prenoit au col,
& defcendoit juſque ſur ſes fouliers.
Il avoit auffi un Chapeau
de Suiffe , au deſſous duquel on
voyoit quatre viſages de diféren
tes couleurs , & repréſentans di
férens âges. Ils eftoient accompagnez
de quatre Perruques auſſi
de diverſes couleurs de cheveux,
de forte qu'on ne pouvoit connoiſtre
de quel coſté eſtoit le vray
viſage , non plus que le devant,
le derriere , ny les coſtez de la
Perſonne , quatre fois maſquée
dans lemeſme temps. Comme la
Salle des Gardes de Monfieur
joint celle où ſedonnoit ce Bal,
D d iiij
320 MERCURE
د
&qu'il y a une porte de communication
on y avoit dreffé fur
pluſieurs Tables une fuperbe
Collation , où chacun s'alla ra
fraîchir à ſav olonté , pendant
tout le temps du Bal ,
Son Alteffe Sereniffime Monfieur
leDuc , fit enfuite paroiſtre
la galanterie , & la magnificence
qui luy font ordinaires, en rece
vant à fon tour dans fon Apartement
toute la Cour déguiſée. Η
y avoit trois Salles de Bal , or
nées tres fuperbement. On n'en
ouvrit d'abord que deux ,& l'on
ne donna pas meſmeà connoiftre
qu'ilyen euſtune troifiéme , qui
duft ſervir pour le Divertiſfement
de la foirée. Apres qu'on
eut dancé quelque temps dans les
deux premieres , Monfieurote
GALANT. 321
Duc pria le Roy d'entrer dans,
cette troifiéme . Elle estoitmeublée
d'une Tapiflerie de Velours
cramoify , fur laquelle estoient
brodées d'eſpace en eſpace des
Colomnes d'or trait , qui compofoient
un ordre d'Architectu
re , rehauffé de Perles en beaucoup
d'endroits . Dans cette Salle
vis- à-vis des Fenestres , il y avoir
un Amphithéatre orné de riches
Tapis , & tout couvert de Careaux
a fonds d'or. Sa Majeſté
trouva en entrant , un chemin en
maniere de Gallerie , & retranché
de la meſme Salle par une
Balustrade de hauteur d'apuy,
couverte de tres- beaux Tapis or
& argent. Ce chemin eſtoit pour
conduire le Roy plus commodement
à l'Amphithéatre , où Sa
322 MERCURE
Majefté fut placée. Dans lemef
me temps que Monfieur le Duc
fitentrer le Roy dans cette troi.
fiéme Salle , il y fit paſſer par un
chemin dérobé , tout ce qu'il y
avoit de Perſonnes conſidérables
maſquées & autres , & les fit placer
ſur l'Amphithéatre , de maniere
que Sa Majeſté fut ſurpriſe
de trouver en cet endroit les mef
mes Perſonnes qu'Elle venoitde
quiter. Le milieu de la Salle ef
toit vuide pour ceux qui vouloient
eſtre du Bal , & pour les
Divertiſſemens qui devoient furprendre
l'Aſſemblée. Vis-à-vis du
Roy, on remarquoit unTrône de
pluſieurs degrez , fur lequelMa
dame la Princeſſe deConty efton
aſſiſe , veſtuë en Reyned'Egipte,
On voyoit à ſes pieds fur desTa
mel .
Dur
ar
101
able
ma
n
mel
201
e
04-
quej'en ay fait graver , qui
repréſentant qu'une moitić ,
Hiſe , veſtuë en Reyne d'Egipte.
On voyoit à ſes pieds fur desTaGALANT:
323
pis à fonds d'or , des Eſclaves
Maures, dont l'attitude marquoit
le reſpect & la ſoûmiſſion qu'ils .
avoient pour elle. Ce Maures
portoiet de groſſes Chaînes d'argent.
Pluſieurs Perſonnes vétuës
en Egiptiens & Egiptiennes
compoſoient la Cour de cette
charmante Reyne , & environnoient
fon Trône. Aux deux
coſtez , dans l'enfoncement de
deux Croiſées , eſtoient les Petits
Violons du Roy , habillez auffi
en Egiptiens , & M² de Lully vé
tu de meſme , mais tres- magnifi
quement , qui batoit la meſure.
Cette Salle eſtoit toute brillaute
de Lumieres , d'Argenterie , &
de Luftres. Je vous envoye ce
quej'en ay fait graver , qui n'en
repréſentant qu'une moitié , ne
324 MERCURE!
peut ſervir qu'à vous faire prendre
quelque Idée de ce magnifique
Lieu. Vous obferverez que
les Colomnes que l'on voit dans
cette Planche , ne ſont point du
Bâtiment , mais qu'elles repréſentent
les Colomnes d'or trait , qui
ſervent d'enrichiſſement à laTapiſſeriedeVelours
cramoiſy,dont
je viens de vous parler. Ainfice
qui vous paroiſt uny derriere les
Colomnes , & que la gravûre ne
peut faire reconnoiſtre, eſt le Ve.
lours. Les Divertiſſemens qui
furprirent pendant le Bal , commencerent
par une Mafcarade
de pluſieurs Entrées. La premie.
re fut dancée par deux Biſcains,
&deux Bifcaines ,& par une ve.
ritable Bohemienne ; la ſeconde,
par deux Bifcains avec des Tam-
3
GALANT.
P 325
bours de Baſque , dont deux dan.
cerent un Branle Baſque à la
mode du Païs , & les deux autres
dancerent des Canaries, Enfuite
Madame la Princeſſe de Conty
dança une Chaconne faite parM
deLully.Mademoiselle de Laval
figura avec elle ; mais la Princeſſe
dança ſouvent ſeule . Cette Entrée
eſtoit de quatre ; les Sieurs
Pecourt , & Letang le Cadet,
Danceurs du Roy , eurent l'honneur
d'y eſtre employez . Ils eftoient
habillez en Egiptiens & en
Egiptiennes. Les Bifcaines des
Entrées eftoient Meſdemoiselles
de la Fontaine , & Pezan ; les
quatre Biſcains , les Sieurs Pe
court, Bouteville , Letang le Cadet
, &Dumirail. Le Sieur Pe.
court avoit fait les Entrées. Le
326 MERCURE
premier Habit avec lequel Monſeigneur
le Dauphin ſe fit voir
dans l'Affemblee , fut un Habit
de Medecin. Il eſtoit monté fur
une Mule , & pluſieurs Seigneurs
l'accompagnoient, vétus &montez
de meſme. Il parut encor
dans le meſme Bal avec fix ou
ſept autres Habits. Comme on
attend toûjours quelque choſe
de galant , &de magnifique, des
Feſtes que donne Monfieur le
Duc, le defir de voir celle dont
je vous parle , y avoit attiré un
tres -grand nombre de Maſques.
Douze Officiers du Roy', vétus
enMaures , y ſervirent une Col-*
lation. Ces Maures contrefaits,
eſtoient meflez avec de veritables
, qui paroſſoient traveſtis
fous toutes fortes d'Habits , a
GALANT. 327
la maniere Françoiſe. Il eſt
impoſſible de rien imaginer de
plus divertiſſant. Chaque Figure
eſtoit capablede faire éclater de,
rire l'Homme le plus ſérieux.Je
ne dis rien de cette Collation.
S'il euſt eſté poſſible d'en donner
une plus belle , Monfieur le Duc
n'auroit rien épargné pour cela.
Elle fut ſervie dans pluſieursCor.
beilles , repréſentant toutes des
Figures diférentes , comme des
Demy- lunes , des Triangles, des
Octogones , des Tours , & peut
paſſer pour un Spectacle aufli
nouveau , qu'il fut furprenant &
agreable. C'eſt rencherir ſur les
Divertiſſemens , que d'en faire
und'une choſe , qui dans l'ordi-.
naire ne ſert qu'à flater le gouſt.
Le Bufet donna encor occafion à
328 MERCURE
1
un autre Divertiſſement. On fer-
Diverti
vit des Liqueurs portées par des
Satyres , & par des Bachantes,
déguiſez de pluſieurs fortes , ce
qui faiſoit paroiſtre des Figures
auffi plaiſantes que les Maures
traveſtis. Lors que l'Aſſemblée
ſe fut rafraîchie avec ces Liqueurs
, on vit entrer Bacchus &
Silene , & le Bouc de la ſuite de
Bacchus . Arlequin faifoit Silene.
Il entra monté ſur une Bourique
caparaçonnée de Pampres,
& de Raiſins ; & Bacchus repréſenté
par Spezzaferre, eſtoit tout
couvert de Jambons , Cervelats,
Bouteilles , & c . & porté fur un
Tonneau par deux Satyres . Bacchus&
Silene firent une Scene
fort plaifante , en faiſant connoiſtre
pourquoy l'on ne préſen
GALANT. 329
2
toit pointdeVin dans cette Feſte.
Il s'émût à la fin de la Scene
une querelle entre Bacchus , Silene
, l'Afne , &le Bouc , qui
commencerent entre eux un
combat , dont l'Affemblée fut
fort divertie. Le combat finy, le
St Pecourt dança une Entrée
d'Arlequin . Le Bal recommen.
ça enfuite , &une heure apres on
fervit une ſeconde Colllation,
auffi magnifique que la premiere,
portée par les meſmes Officiers
en Habit de Ville, Le Bal con.
tinua, & fur les deux heures apres
minuit , on trouva une troiſieme
Collation dans une autre Salle.
Les divers Plaiſirs qui compoſe.
rent la Feſte ſe ſuivoient en fi
grand nombre , qu'il eſt impoſſibleque
je n'en aye oublié beau-
Mars1683.
Ec
330 MERCURE
coup. Quant aux Ornemens de
l'Apartement où elle ſe donna, je
ne vous en ſçaurois affez dire,
non plus que de la profufion de
toutes choſes. Outre les Feſtons,
Dorures , Lumieres , & autres
Embelliſſemens qui ornoient
tous les paſſages , tout l'Apartement
eſtoit tellement remply de
Bufets , qu'on ne pouvoit aller
en aucun lieu ſans en trouver. La
dépense que fit Monfieur le Duc
pour ce Divertiſſement , quoy
que fort grande , n'en fut cependant
que lamoindre choſe.Beaucoup
prodiguent l'argent , mais
peu , en le prodiguant , ſçavent
donner d'agreables Feſtes. La
nouveauté,la ſurpriſe , &l'agrément
, c'eſt ce qu'on eſtime le
plus dans ces rencontres.On peut
GALANT. 331
dire de ces fortes de Feſtes , ce
qu'on dit des beautez piquantes,
qu'elles ont le je-ne- fçay-quoy.
On ne peut l'avoir fans eſtre af
furé de plaire. Quand Monfieur
le Duc donne uue Feſte , il invente
tout luy- meſme , & un
Prince n'imagine rien que de
grand. Il prend ſoin de l'exécu
tion , il ordonne , & fait preſque
tout faire en ſa préſence. Ilemploye
les plus habiles Hommes
de chaque Art , & la reconnoiffance
qu'ils reçoivent de leurs
peines , va meſime au de la de
leurs fouhaits. Doit- on s'éton- '
ner apres cela , ſitout ce que fait
ce Prince eſt galant , magnifique,
&d'un bon gouft ; fil'exécution
en eftauffi heureuſe que promp
te , & s'il eſt toûjours fort bien
Ecij
332 MERCURE
Mervy ? Donner le Bal, n'eſt rien
autre choſe que recevoir chez foy
ceux que la Dance y attire ; avoir
debonsViolons,& faire fervir de
quoy rafraîchir la Compagnie. II
ne paront point d'abord chez
Monfieur le Duc que l'on ait
d'autre deſſcin. Cependant les
Divertiſſemens y naiffentlesuns
des autres . Un grand Spectacle
fatigueroit , cent petits ſurpren.
nent , & raviffent. Le bon or
dre fait qu'on s'y divertit , & que
l'onn'en fort point fatigué, comme
on l'eft des grandes Feſtes .
Quand on reüffit de cette forte
pour le ſeul plaifir , dequoy n'eſton
point capable pourdes chofes
plus férieuſes ,& qui regardent la
folide gloire ? Tous ceux qui ont
veucette Feſte , en ont parléavec
GALANT. 333
tant d'admiratio'n , que bien loin
d'avoir rien exageré , je puis dire
que la peinture que j'en viens de
faire eft fort imparfaite. Quine
cire que des faits , ne ditjamais
trop , & c'eſt à quoy je me fuis
borné.
Quelques jours apres, laCour
ſe rendit chez M'le Cardinal de
Boüillon. Elle fut receuë dans
plufieurs Salles magnifiquement
parées,& remplies d'une infinité
de lumieres. Ily avoit dans toutes
des Gentilshommes de cette
Eminence, pour en faire les hon
neurs. L'abondancedesMaſques
y fut grande , & la Collation
abandonnée à tous ceux qui en
voulurent emporter. Monfeigneur
le Dauphin y parut avec
unHabit magnifique , tout cou334
MERCURE
vert d'agrémens d'or.. Il repréfentoit
un Gentilhomme Gaulois.
Sa Caſaque, ou Balandran,
eſtoit de couleur de feu, doublé
de toille d'or ; ſes Chauſſes, longues
& étroites ; ſes Botines,
blanches ; &fon Linge, de Dentelle
àdent. Apres qu'il eut quitté
cet Habit , il en prit un de
Femme , de Tafetas cramoiſy &
argent , & repréſenta la Femme
hydropique de la Comédie de
la Devincreffe. Ce Prince ſe déguiſa
encor de fept ou huit manieres
diférentes . Me le Duc
avoit un Habit de Chauve-fouris
tres fuperbe ; & M² le Prince de
la Roche. fur. Yon repréſentoit
une Dame Chinoiſe , dans une
parure des plus ſomptueuſes &
des plus brillantes.
:
ار
GALANT. 335
Le dernier jour du Carnaval,
le cinquiéme &dernier Bal ex
traordinaire fut donné chez
Madame de Thiange. Tout y
eſtoit galant, magnifique, &bien
entendu, & le Roy fut agreablement
ferpris par pluſieurs divertiſſemens
, ainſi qu'il l'avoit eſté
chez M'le Duc. Je croy qu'en
lifant le nom de Madame de
Thiange , &ſcachant dequelle
maniere elle s'acquite de toutes
les chofes dontelle ſe meſle, vous
vous attendez à une Feſte de bon
gouft. Monseigneur le Dauphin
avoit concerté une grande Mafcarade
pour y venir. Il la fit faire,
&on la trouva tress-belle .. Elle
repréſentoit une Noce de Vil
lage. Voicy les noms de ceux
qui la compoſoient, les Perfon
336 MERCURE
nages qu'ils repréfentoient , &
dans quel ordre ils entrerent...
Madame la Dauphine , Socur
de la Mariée , eſtoit menée par
Me le Grand, Parent duMarić.
Madame, Mére de la Mariée,
par M l'Admiral, Pere duMarić.
Mademoiselle, Sooeur du Marić,
par Mile Duc de Villeroy , Parentde
la Mariée.
Madame la Princeffe de Con.
ty , qui repréſentoit la Mariée,
parMele Comte de Brionne, qui
eſtoit le Marié.
Mademoiselle de Nantes , &
Mademoiselle d'Armagnac, Filles
de la Nôce,
Mademoiselle de Tonnerre,
auſſi Fille de la Noce , menée
par Monseigneur le Dauphin,
Bailly du Village.
Mademoiselle
GALANT. 337
Mademoiselle de Laval, Par
rente de la Mariée, par Mº d'A
lincourt, Frerede la Mariće.
Madame la Maréchale de Rochefort,
Mere de la Mariée, par
Male Prince de la Roche-fur-
Yon, Pere de la Mariée.
Mademoiselle de Jarnac, Paï.
fanne du Village,parM'le Prince
de Commercy , Garçon du Village,
veſtu enAlain.
- Madame de Nangis, Païſanne,
par Male Vidame, Berger.
Mademoiselle de Biron , Parenre
du Procureur Fifcal , par
MedeGuéry.
Mademoiſfelle de Gontaut,
Coufine du Marié , par Mele
Comte de Rouffy , Procureur .
-Fifcal.
Madame la Ducheſſe de Mor-
Mars 1683. Ff
338 MERCURE
temar, Païfanne,par M'lePrince
de Conty , veſtu auſſi en Alain.
Son Habit eſtoit de Velours &
deSatin.
Cette Mascarade fut exécu
tée avec toute la juſteſſe & rout
l'agrément poſſible. Chacun
s'habilla ſelon le caractere du
Perſonnage qu'il repreſentoit.
Madame la Dauphine avoit un
Corſet de Païſanne à petitesBaf
ques. Il eſtoit de Brocard couleur
de feu , or & argent , avec
toutes les Tailles marquées d'un
velouté noir, fur lequel on avoit
poſédes Diamans. Le Lacet du
Corps eſtoit de Diamans , & le
reſte de l'Habit eſtoit de Satin
&deVelours, avec des agrémens
or & argent. Madame la Princeffe
de Conty avoit un Habit
GALANT. 339
t d'une Toille à fonds de Lame
d'argent , avec des Fleurs incar
nates;&fon Corfet, tout lace de
Diamans. L'Habit de Madame
convenoit à l'âge de la Perſonne
qu'elle repréſentoit. Il paroiffoie
magnifique , ſans or ny argent,
&n'eſtoit que de Velours & de
Satin , avec des agrémens velou.
tez. Elle avoit une maniere de
Chaperon de Velours, un Coler
monté, & un Demy- ceint. M
Berrin avoit inventé & fait faire
ces Habits. Je les ay donnez à
graver pour le mois prochain.
Monfieur le Duc qui s'eſt toῦ.
jours diftingué par la maniere
dont il ſe déguiſe , vint à ce Bal,
•veſtu en Dame Hollandoife .
Cene futpas le ſeul divertiſfement
qu'eut l'Aſſemblée. Il fut
Ff ij
340 MERCURE
ſuivy de quelques Scenes de Comédie
qu'on repréſenta dans
l'une des Salles du Bal. Le Théa.
tre eſtoit une Eſtrade élevée de
deux pieds, ayant pour Décoration
deux Amphithéatres des
deux coſtez. Ces Amphithéatres
eſtoient remplis de Muſiciens, &
de Joüeurs d'Inſtrumens déguiſez.
Les Acteurs fortoient par
deux Portes qu'on voyoit au
fonds de ce Theatre . Des Feftons
, & de riches Tapiſſeries,
Jeur ſervoient d'ornement. Au
deſſus de ces Portes avançoient
deux manieres de Balcons, dans
leſquels eftoient pluſieurs Perſonnes
magnifiquement déguiſées..
Le tout formoit un Theatre
d'une maniere auſſi galante qu'extraordinaire.
Sur les deux heures
GALANT 341
apresminuit, on vit entreruneſe.
code Mascarade qui donna beaucoup
de plaifir. Elle repréſentoit
une Garniture de Cheminée, de
7 Pieces dePorcelaines. Il y avoit
une Urme, des Rouleaux, & des
Pagots ou Figures de la Chine.
Ces Porcelaines estoient rem
plies par des Perſonnes de la pre.
miere qualité , qui les repréſen
toient. Il y avoit auffi deux Muficiens.
M'le Duc de S. Aignan
parut aux deux derniers Bals,
veſtu enRoy&en Courrier. Il1
mitcommeRoy, fon Sceptre aux
pieds de Sa Majesté, & luy préfenta
quelques Vers. Il luy en
donna auffi comme Courrier, &
cette galanterie reçeut de grands
applaudiſſemens. Il faut eſtre
M'le Duc de S. Aignan , pour
Ffüj
342 MERCURE
marquer fon zele au Roy avec
tant d'efprit , dans un divertiffe.
ment qui ſemble n'en pas fournir
l'occaſion .
Le Lundy premier de ce mois,
M' leMarquis de Razilly, Lieutenant
de Roy dans la Province
de Touraine , épouſa Mademoifelle
Ferrand , Fille unique de
M' Ferrand, Capitaine aux Gardes
, & de Dame Colombe de
Périgny, Soeur de feuM' le Préfident
de Périgny. Ce Marquis
a cu un Frere aîné, à qui un coup
de Sabre ayant abatu le bras, à
lapeau pres , au deſſus du poi.
gnet, dans les dernieres Campagnes,
il acheva luy-meſme de ſe
le couper,& ſe l'eſtant fait plon.
ger dans du ſable pour en étan.
cher le fang, il remonta à cheval,
GALANT. 343
& marcha aux Ennemis comme
s'il n'euſt reçeu aucune bleſſure.
Il mourut quelque temps apres.
LaMaiſon de Razilly eſt unedes
plus anciennes de Touraine. Ses
Titres fontfoy que de temps immémorial,
ceux qui en font, portentpour
Armes, de gueules à trois
Fleurs -de- Lys d'argent. Ils ont
rendu d'importans ſervices fur
Mer& furTerre, & on les a veus
ſe diftinguer dans les Ambaſſades,
&dans les Charges de Lieutenans
Genéraux des Armées, &
de Gouverneurs. Feu Mr de Razilly,
Pere de celuy dont je vous
parle , a exercé avec grande
gloire celle de Vice- Admiral,
apres s'eſtre ſignalé en pluſieurs
occafions avec feu M le Commandeur
de Razilly ſon Frere,
Ff inj
344 MERCURE
mais fur toutdans le Secours qu'il
entreprit de faire paſſer dans
l'Iſle de Réce que l'Hiſtoire
n'a pas oublié , remarquant ex- A
preſſément qu'il alla brûler l'Admiral
de la Rochelle avec une
intrépidité ſurprenante .
Meſſieurs Ferrand ſont ſortis
de Gentilshommes de Poitou,
& exercent icy depuis un longtemps
les premieres Charges du
Parlement avec beaucoup de capacité&
de ſuccés. Celuy qui eſt
Capitaine aux Gardes , a fi glorieuſement
uny les avantages que
donne l'Epée, avec la dignité de
la Robe , que poffedent tous les
Siens, qu'on ne peut avoir plus
de réputation qu'il s'en eſt ac
quis dans cette Charge.
Le mefme jour , c'eſt à dire la
GALANT. 345
nuit du Dimanche gras auLundy,
le Mariage de Ma le Marquis de
Montpipeau,&de Mademoiselle
Aubry , Fille de Me Aubry , Receveur
General des Finances de
la Generalité de Roüen, fut ce.
lébré dans l'Egliſe de S. Sauveur ,
Avant la Ceremonie, il y eut un
magnifique Soupé, où se trouve .
rent Madame la Ducheſſe de Vivonne
, Madame de Monteſpan,
Madame la Princeſſe d'Elbeuf,
Madame deMortemar, Madame
de Nevers , Madame la Maréchale
deClerambault, Madame
la Marquiſe de Bron, M² le Duc
de Mortemar, M' le Marquis de
Bron , Premier Ecuyer de Madame
, &M² de la Ferriere , Se.
cretaire des Commandemens de
la Reyne. La Mariée eſt une fort
346 MERCURE
belle Brune, qui a le teint blanc
& fort uny , les traits du viſage
réguliers , la bouche belle & tres.
bien bordée , les yeux vifs &
pleins de feu , & l'humeur fort
enjouée. Elle n'eſt nytrop grande,
ny trop petite, maisbien priſe
dans ſa taille. Elle chante &
dance bien , & a d'ailleurs mille
bonnes qualitez. M'le Marquis
de Monpipeau eſt de la Maiſon
de Rochechoüart. Il fut envoyé
icy fort jeune par M' ſon Pere,
dans le deſſein de le faire entrer
à l'Académie , mais il s'échapa
, & alla au Siege de Maftric
, où il ſervit Volontaire . Il
paſſa le Rhin à la nage avec M
de Rochechoüart fon Frere,qu'il
avoit joint. Dans la Campagne
fuivante , ils fe trouverent tous
GALANT- 347
deux au Siege de Fauconnier en
Franche-Comté, & monterent
à l'aſſaut ; apres quoy ils ſe ren.
dirent en Flandre, oùM² de Rochechoüart
fut tué à la Bataille
de Senef, d'un coup de Moufquet
qu'il y reçeut. M'le Marquis
deMonpipeau, qu'on nommoit
alors M'le Chevalier, y reçeut
auffi un coup de Moufquet
dans la cuiſſe, &un autre dans le
poignet , ce qui ne l'empefcha
point de continuer juſqu'à la fin
duCombat. Depuis ce temps , il
s'eſt trouvé dans toutes les Campagnes
qui ſe ſont faites , & à
ſervy d'Ayde de Camp à M'le .
Maréchal de Rochefort. Il fut
fait Exempt des Gardes ; & au
mois de Septembre, avant le départdu
Roy pourGand, SaMa348
MERCURE
jeſté le fit Enſeigne des meſmes
Gardes dans la Compagnie de
Lorge.
Le lendemain de ce Mariage,
une des meilleures Amies de la
Mariée , ne pouvant luy rendre
viſite à cauſe d'une indiſpoſition
qui la retenoit au Lit , luy fit con.
noiſtre par ce Madrigal , la part
qu'elle prenoit à ſa joye.
Ors que l' Hymen par desa-
Lorscrez liens
Vous unit à l'Epoux que vostre
coeurdefire,
Jenepartagepointles tendres entre--
tiens
Qu'un amourcontent vous infpire.
Vous nefongez qu'à ces plaisirs
charmans
GALANT. 349
Quecause en vostre coeur unefibelle
chaine;
Et moy, malade au Lit, belle&jeune
Climene,
Pourprendre part à vos contentemens,
Jeſuis inſenſible àmapeine.
CeMadrigal fut fort approuvé
d'une belle & nombreuſe Compagnie,
à qui la Mariée le fit voir .
Il eſt de M Diéreville , dont
vous avez déja veu de fort jolis
Vers , & par qui la Dame malade
l'avoit fait faire.
Il me reſte encore à vous apprendre
que le Fils deM'le Marquis
du Queſne , Lieutenant General
des Armées du Roy , a
* épousé une Demoiſelle de Montauban,
dont le Bien eſt fort confidérable
.
350 MERCURE
Les deux Filles de feu M'le
Marquis d'Ardenay, qui ont eſté
élevez dans noſtre Religion par
les foins de Mr le Marquis de
Cognée leur Oncle , ayant eſté
amenées au Chaſteau - du - Loir
chez Madame le Maçon deTré.
ves , l'Aînée abjura l'Héreſie de
Calvin le 10. de ce mois entre les
mains de Mel'Eveſque du Mans,
qui a pris des foins extraordinaires
pour ſon inſtruction ; & la
Cadete réçeut du meſme Prélat
la cerémonie du Bapteſime , en
attendant un âge plus avancé
pour ſon abjuration
Les Capucins tenant un des
premiers rangs parmy les Ordres
qu'on aime le plus , il ne faut pas
s'étonner ſi l'affluence de monde
eft grande dans toutes les Ceré
GALANT. 351
monies qui les regardent. C'eſt
ce qui vientd'arriver à leur Convent
de Vernon, où tout le Clergé
de la Ville , toute la Nobleſſe
des environs , & preſque
tout le Peuple avec les Officiers
, ont aſſiſté à la Poſition de
la premiere Pierre de leur Cloître
, qui fut poſée par Me le Marquis
de Blaru , Gouverneur de
Vernon . La Benédiction de cette
Pierre , fur laquelle on avoit fait
graver les Armes de ce Gouverneur
, avec pluſieurs Deviſes &
Inſcriptions , fut faite par Mefſieurs
du Chapitre en Corps, Un
Te Deum folemnel termina la Cerémonie
, qui avoit eſté commen.
cée par le veni Creator ,&le tout
fut ſuivy de deux Collations magnifiques
, l'une pour les Hom352
MERCURE
+
mes , & l'autre pour les Dames .
Les Convents des Religieuſes des
environs , & quelques Particu.
liers , ſcachant que les Capucins
ne peuvent rien donner fi on ne
leur donne , avoient non ſeule.
ment fignalé leurs libéralitez ,
mais encor leur adreſſe par la
conftruction des Maſſepains, Pates
, & Confitures ſeches , dont
elles avoient fait préſent à ces
bons Peres , qui firent tout ſervir
aux Principaux de cette nombreuſe
Affemblée.
L'Abbaye de S. Vincent de
Metz, qui vacquoit par la mort
de M l'Abbé de Beliévre, a
eſté donnée à M l'Abbé Ancelin
, Chanoine de Noſtre-Dame,
Fils de Madame Ancelin , Nourrice
de Sa Majeſté.
L
GALANT. 353
M'Chéron , Official de Paris,
a auſſi eſté pourveu par Sa Ma
jeſté de l'Abbaye de la Chalade,
Dioceſe de Verdun. C'eſt un
Homme d'une profonde érudi
tion , &que ſon ſeul mérite a faio
appeller à l'employ qu'il poffede.
Je vous ay déja parlé de luy plu
fieurs fois ,
M'l'Abbé de Jonquieres, Fils
deM' deJonquieres, Controlleur
General en la Grande Chancele.
rie,& Secretaire du Roy, a obetnu
dans le meſme temps l'Abaye
de S.Savin,D'oceſe deTarbes.M
deJonquieres eſt auſſi Secretaire
deM'le Chancelier , & fort con
nu par ſa grande probité , & par
l'eſtime de ce Miniſtre , qui ne
s'eſt jamais laiſſe ébloüir par le
faux mérite.ch
Mars 1683. Gg
354 MERCURE
:
Sa Majesté ayant auffi pourveu
aux Abbayes de Filles , a
nommé Madame d'Harcour
Scoeur du Prince de ce nom, à
l'Abbaye de Montmartre , ou
elle estoit Religieuſe. Le Roy
ſcachant qu'elle estoit ſouhaitée
de toute la Communauté , a bien
voulu remplir les voeux de tant
de bonnes Ames , auffi-bien que
ceux de toute la Maiſonde Lorraine.
L'Abbaye du Tréſor, Dioceſe
de Roüen , a eſté donnée à Ma
dame Beraut, Religieuſe de l'Abbaye-
aux-Bois , & Belle - Soeur
de M de Croiſſy , Miniſtre &
Secretaire d'Etat.
Madame de la Mothe- Houdancour,
Soeur du féuMaréchal
de ce nom , Supérieure perpéGALANT.
355
1.
tuelle du Monastere d'Ouchy,
de l'Ordre de S. Benoiſt proche
Soiffons , eſtant morte , Madame,
Charpentier , Religieuſe
du mefine Monastere , a eſté éluë
en ſa place. De quelque naiſſance
que l'on foit , il faut avoir beaucoup
de mérite perſonnel pour
remplir les dignitez d'élection .
L'Ayeulde cette nouvelle Supérieure
, eſt Fondateur des Cordeliers
de Soiffons . On a veu
dans cette Maiſon des Préſidens ,
&des Avocats Generaux au Par
lement de Paris , des Prevoſts
des Marchands , des Grands
Maiſtres des Eaux & Forests;
des Maiſtres des Comptes , &
autres Perfonnes conſidérables
dans la Robe , &dans l'Epée. Il
y en abeaucoup préſentement de
Gg ij
356 MERCURE
1
i
}
1
cette mefme Maifon, qui poffe
dent des Dignitez dans l'Eglife.
J'oubliay àvous mander l'autre
mois ce que vous avez déja ſçeu
par la voix publique, &que cette
Lettre ne fera que vous confir
mer ; c'eſt la création que le Roy
a faite de deux nouvelles Charges
dans ſes Gendarmes ; l'une
d'Enſeigne , l'autre de Guidon.
Sa Majesté en a fait préſent
à M le Prince de Soubize, qui
a vendu le Guidon au ſecond
Fils de M le Marquis de Sommery,
quia depuis peu épousé une
riche Heritiere. Ainſi il ſe voit
en meſme temps pourveu d'une
Charge , & d'une Femme.
Le Medecin de M'l'Electeur
de Brandebourg ayant dedié un
Livre au Roy , Sa Majesté luy
GALANT. 357
a fait un fort beau Préfent , ainfi
que d'une Paire de Pendans d'oreille
de Diamans d'un prix confidérable
, à Mademoiselle de
l'Ifle , en conſidération du Mariage
qu'elle a contracté depuis
peu avec le Fils de Me Daquin,
Premier Medecin de Sa Majesté,
dontje vous ay déja entretenuë.
On ne sçauroit dire trop de bien
des qualitez du corps,& de l'ef
prit de cette jeune & nouvelle
Mariée.
Je ne puis mieux vous faire
connoiſtre combien l'Autheur
des Dialogues des Morts fe tient
obligé de voſtre Critique, qu'en
vous renvoyant ce meſme Ou
vrage , purgé des legers défauts
dontvous l'avez averty. La
premiere Edition a eſté fi viſte,
358 MERCURE
1
qu'il y a déja plus de quinze jours '
qu'on débite la ſeconde. Vous
apprendrez ſans doute avecjoye,
qu'il revoit préſentement dixhuit
autres Dialogues , faits en
meſme temps que ceux qu'il a
déja donnez au Public. Pluſieurs
Perſonnes d'eſprit qui en ont veu
la plupart , y trouvent la mefime
fineffe de Satire & de Morale,
que vous avez admirée dans les
premiers. Cette fuite paroiftra
dans peu de temps.
On a enfin imprimé la Comé .
die du Festin de Pierre ,& elle ſe
vend fur le Quay des Auguſtins
à l'Image S. Loüis , & chez le
S' Blageart. C'eſt celle que le
celébre Moliere fit joüer en
Proſe quelque temps avant fa
mort. Elle a eſté mise en Vers,
GALANT. 359
/
& le grand nombre de Repréſentations
qu'on en donne tous
les ans , fait affez connoiſftre
qu'elle n'a rien perdu par ce
changement. Il n'y avoit point
de Femmes dans le troifiéme
Acte de cet excellent Original ,
non plus quedans le cinquième.
On y en a ajoûté , & par tout
ailleurs on s'eſt attaché à ſuivre
la Proſe , ſi ce n'eſt quand il a
fallu adoucir quelques endroits,
qui avoient fait peine aux Scrupuleux.
De cinq ou fix Pieces
qui ont eu ce meſme titre du
Feftin de Pierre , c'eſt la ſeule qui
reſte préſentement au Théatre.
Vous aurez l'explication des
deux Enigmes du dernier Mois,
&les noms de ceux qui en ont
trouvéle vray ſens dans ma XXI.
360 MERCURE
1
Lettre Extraordinaire , qui pa.
roiſtra le 15. d'Avril. Voicy cependant
deux nouvelles Enigmes
que je vous envoye. La premiere
eft de Me Grammont de Richelieu.
:
ENIGME.
PAAYrtoutje trouvedel'employ,
Iefuis utile&furMer&fur Terres
On nepentsepaffer de moy,
Soit que l'on soit en paix, soit qu'on
faffe la guerre.
I'embraffe leMéchant auffi bien que
le Saint,
Ie leurfuis àtous deuxfeveres
Le dernier pourtant me révere ,
Mais l'autre mefuit& me craint.
Apres avoirjetré mon corps dans la
Riviere
:
Par
GALANT. 361
Par un rude &barbare forr
On le tire avecſoin defon bumide
bierc,
Pourle rouer apresſa mort.
Auſſi voir- on mon pauvre Pere
Reculer toûjours pour mefaire.
Quoy qu'il trouve en moyson
profit,
Ilnem'apas plûtoſt venduë,
Quesi chez quelques-unsje trouve
du crédit,
Plusieurs autres voudroientnem'a-
* voirjamais veuë.
J
AUTRE ENIGME.
م
Efüis au milieu du Monde,
A quatre pieds dans un Tonneau .
toûjours deſſus l'Onde, Jeſuis touj
Etjamais je ne ſuis dans l' Eau.
Mars 1683. Hh
362 MERCURE
:
La fin du mois m'oblige à finir
ma Letrre , qui eſt déja plus lon
gue qu'à l'ordinaire. Cependant
ilme refte encor affez de matiere
pour en faire une ſeconde,& vous
en ſerez perfuadée quand je vous
diray queje réſervele Voyage de
Mª Gabaret dans la Martinique,
dont j'ay des Relations tresamples
&tres curieuſes ; la mort
de M de Roquelaure ; celle de
M' Hotman , & de Madame de.
Rambure ; la Nomination deM
le Cardinal de Boüillon à l'Abbaye
de Cluny ; ce qui s'eſt paſſe
pendant le ſejour du Roy à Com
piegne , & à Villers - Correts , &
pluſieurs autres Articles , fans
compter beaucoup d'Ouvrages
galans & d'érudition . Quoy que
vous ſoyez déja informée de touGALANT.
363
tes ces chofes par la voix publique
,j'efpere vous en apprendre
le Mois prochain des circonſtances
que vous ignorez. Si je remets
ces Articles qui doivent tenir
le premier rang dans mes
Lettres , je dois avec beaucoup
plus de raiſon diférer à vous en
tretenir d'une Piece de Théatre,
intitulée La Comédiefans Titre, &
dont les Repréſentations ont
commencé ce Careſme. D'ailleurs
comme cet Ouvrage me regarde
en quelque forte , je n'en
dois parler que lors queje n'auray
rien à dire fur des matieres plus
generales , & plus dignes d'exci.
ter voſtre curiofité .
J'apprens en fermant ma Lettre
, que Madame de S. Geran
vient d'eſtre nommée Dame du
Hhij
364 MERCURE
Palais , & que M'le Marquis de
Villarceaux s'eſt marié avec Mademoiselle
Brunet ; & M² Molé,
Confeiller au Parlement de Paris
, avec Mademoiselle de Luynes
, Fille de M² de Luynes, Préfident
à Mortierau Parlementde
Matz . Je reçoisen meſme temps
la Rélation du Carnaval de Venife.
C'eſt la plus exacte Defcription
que j'aye encor veuë
des Réjoüiſſances qui s'y font
pendant ce temps. Vous enjuge.
rez le Mois prochain. Jeſuis , Ma.
dame, voſtre, & c..
AParis, ce31. Mars 1683.
Österreichis bibliothek
+
604
Po de Falckensto
Br. B. Zz . 2.
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MERCURE
GALANT
DEDIE A MONSEIGNEUR
LE DAUPHIN.
MARS 168 3.
A PARIS ,
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N donnera toujours unVolume
nouveau du Mercure Galant le
premier jour de chaque Mois , & on
le vendra , aufli -bien que l'Extraordinaire
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&Vingt-cinq fols en Parchemin.
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AU DAUPHIN.
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M. DC. LXXXIII.
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TABLE DES MATIERES
contenuës dans ce Volume.
P
Rélude,
Discours de M. l' Intendant de
Montauban , aux Prétendus Réfor
mez, 7.
10
34
Discours fait aux mesmes parM.leBret,
Official de la mesme Ville,
M. l'Abbé de Maurepas est query par
les Remedes que le Roy sedonne la
peine defaire luy -mesme, 20
Sonnet de M. l'Abbé Tallemant de
l'Académie Françoise, 24
Penſion donnéepar le Roy à Mademo
felle de Scudery,
26
PlusieursMadrigaux envoyez à Mademoiselle
de Scudery, fur le mesmesujet,
28
Dimurede Mademoiselle de Scudery, 33
Entréede
7-11 Jame La
LeursAlteffes de Cik ...
Cour deHanover , & leur reception
dans cette mesme Cour,
35
Lettre contenantpluſieurs particularitez
a ij
TABLE.
confidérables de Milan, Parme, Ve
ronne, Padonë , Venise , & autres
Lieux, 153
Nouveaux Intendans de Province, 87
Addition à l' Article de la mort de Madame
le Coigneux , qui estoit dans le
dernierMercure, 89
Agrément donné par le Roy à M. le
Marquis de Mirepoix, de la Charge
deCornete de la Premiere Compagnie
desMousquetaires,
Confolation,
Histoire,
92
94
११
M. le Marquis de Pomereu est pourven
duGouvernement de la Ville&Citadellede
Douay, 155
Mort de M. Desparbes de Luffan, Comte
d'Aubeterre, 118
Mort deMadamede Céfan, 161
MortdeM. l'AbbédeGraves, 162
L'Homme Artificiel Anemoscope , ou
1
$
...sogne aes changemensdiu
ProphetePhai ...
temps,
Courses deChevaux, & àpied,
deM. de Mémont,
164
214
22
Course de Bague faite dans l'Académic
TABLE.
L
Discours deM. l'Evesque de S. Omer,
fait au Roy au nom de la Province
d'Artois,
LettredeVenise,
222
230
Relation des Opéra représentezà Venge
pendant le Carnaval de l'année 1683-
envoyée à Madame Chaſſebras du
Breau, par M. Chaſſebras de Cramailles,
232
Description du Théatre de S.Jean Chri-
Softome, 251
OpéraduRoy Infant, 256
Opéra des deux Césars, 272
Opéra du Grand Othon 280
OpéradeCoriolan, 281
OpéradeVirgilia, 283
Opéra deSilla, 285
Opéra deThemistocle 289
Opéra de l'Innocencejustifiée 291
OpéradeCidin-
295
nacninesajoutéesà l'Opéra duRoy Infant,
297
Opéra intituléOrontea, 300
Opérade Justin, 302.
Description de tous les Divertiſſemens
de la Courpendant le Carnaval, 309,
4
TABLE .
Mariages quisesontfaits ce Carnaval,
342.
Abjuration, 350
Ceremonie faite aux Capucins de Ver-
Now,
350
Pluſieurs Benefices donnezpar leRoy,352
Charges, 356
PrésensfaitsparleRoy, 356
Livres, 357
Enigme, 360
Autre Enigme, 361
Conclusion contenant pluſieurs Articles,
862
Finde la Table.
L
Avis pour placer les Figures.
'Air qui commence par Quelchangement
dans la Nature, doit regarder
la page 93.
L'Homme Artificiel Anemoſcope,
doit regarder la page 164 .
La Planche du Bal doit regarder la
Page 323 .
MERCVRE
GALANT
MARS 1683.
E ne puis mieux commencer
ma Lettre dans
la ſaiſon où nous fommes
, que par des Nouvelles
qui regardent la Religion &
la Pieté. Ce que fait le Roy
de jour en jour , en fournit
Mars 1683 . A
2
MERCURE
un ſi grand nombre de cette
nature, que ne pouvant vous
parler de toutes , à cauſe des
bornes que je fuis contraint
deme prefcrire, je me trouve
chaque mois plus embaraſſé
à les choiſir , qu'à les chercher.
Rien ne vous eſt plus
connu que le zele ardent de
Sa Majefté à voir rentrer au
ſein de l'Egliſe ceux de ſes
Sujets qui en ſont ſortis . Ce
zele ne s'étend pas ſeulement
fur eux ; il va juſqu'à ouvrir
des voyes de ſalut aux Mahometans
& aux Idolâtres.
La France eſt l'abord de tou
GALANT.
3
1
tes les Nations. Ily vient des
Gens de beaucoup de Lieux ,
où l'on ne ſçait ce que c'eſt
que l'Evangile ; & comme
il
il y en a eu quelques-uns,
qui voulant embraſſer le
Chriſtianiſme , ſe ſont malheureuſement
adreſſez à
ceux de la Religion Prétenduë
Reformée , dont ils ont
pris les erreurs , Sa Majesté
avertie de ce défordre, a crû
y devoir pourvoir ; & pour
empeſcher qu'à l'avenir on
n'abuſe de leur ignorance,
Elle a fait publier depuis un
mois une Déclaration qui
A ij
4 MERCURE
porte , que les Mahometans
& Idolâtres qui voudront ſe
faire Chreftiens , ne pourront
eſtre inſtruits que dans la
Religion Catholique. La
meſme Déclaration défend
aux Miniſtres de la Religion
Prétenduë Reformée , de
foufrir dans leurs Temples
ou Aſſemblées, les Perfonnes
de la qualité que je viens de
vous marquer , fous peine,
outre l'amende arbitraire, qui
ſera au moins de cinq cens
livres, d'eſtre privez pour toûjours
de faire aucune fon-
Aion de leur Miniſtere dans
GALANT. 5
le Royaume . On ajoûte à
cette peine l'interdiction entiere
de la meſme Religion,
dans les Temples ou autres
Lieux, où ces fortes de Perſonnes
auront eſté reçeuës,
ou ſoufertes. Voyez , Madame
, ſi l'on peut travailler
plus fortement à ce qui regarde
la gloire de Dieu , &
Pintéreſt de l'Eglife. Dans
la derniere Affemblée gené.
rale que Meſſieurs duClergé
de France ont tenuë icy , ils
firent dreffer un Avertiſſement
Paftoral pour ceux de
la Religion Prétenduë Re
A iij
6 MERCURE
formée ; & par le meſme
principe de zele & de pieté,
Sa Majesté a voulu que la
lecture leur en ait eſté faite
dans tous les Lieux où ils
ont des Temples . C'eſt pour
cela que M' Foucault, Intendant
de Montauban, y fit afſembler
le Confiftoire, dans
le mois de Fevrier. Tout le
monde ſçait avec combien
d'aprobation il s'acquite depuis
longtemps de cette Intendance
. Voicy dans quels
termes il expliqua les intentions
du Roy aux Miniſtres,
&à tous les Prétendus ReforGALANT.
7
1
mez qui s'eſtoient rendus au
Temple.
MESSIEURS,
LeRoy continuant de donner
à ſes Sujets de vostre Religion
des marques de la forte paſſion
qu'il a de les voir tous rentrez
dans le ſein de l'Eglife Romaine,
Sa Majefte m'a ordonné de vous
faire affembler icy , pour vous
dire que ſa volonté est que vous
écoutiez la lecture de l'Avertiſſement
Pastoral de Meffieurs
de l' Affemblée generale du Clergé
de France ; que vous en receviez
lafignification, &que vous en-
A iiij
8 MERCURE
tendiez ce que M³ le Bret vous
dira fur ceſujet. A quoy je dois
ajoûter, qu'apres que le Roy
vous a ordonné ces chofes comme
voſtre Souverain , ce Grand
Prince, comme Fils aîné de l'Eglife,
vous exhorte , vousfolli
cite, vous preſſe, de vous laiſſer
toucher aux plaintes de cette
Mere affligée , qui vous tend
les bras inceſſamment, & dont
Sa Majesté est obligée de pren
dre la protection. Je souhaite
tres- ardemment en mon particulier,
que les Lumieres Evangéliques
qui font répanduës dans
cette Monition que vous font les
GALANT. و9
Succeffeurs des Apoftres , ayent
affez de force pour diffiper les
nuages qui nous cachent les uns
aux autres , & que nous trouvant
tous dans une uniformité
de sentimens de respect, & do
venération pour les vertus de
noſtre incomparable Monarque,
nous puiſſions auffi nous réünir
dans les mesmes sentimens pour
la Religion qu'il profeffe , &
qu'ont profeffée nos Ayeux , &
les vostres.
Toute l'Affſemblée mar
qua beaucoup de ſoûmiffion,
&ſe montra preſte d'écouter;
apres quoy, M² le Bret, Offi10
MERCURE
cial de Montauban, fit la le-
Eture de l'Avertiſſement Paftoral.
C'eſt un Ouvrage digne
de la charité de ceux qui
l'ont fait , & plein de raiſons
tres- fortes , pour obliger les
Prétendus Reformez à reconnoiſtre
leur Schifme,
s'ils veulent agir de bonnefoy.
M'le Bret ajoûta à cette
lecture un tres-beau Diſcours
qui termina l'Aſſemblée. Il
eſtoit conçeu dans ces termes.
MESSIEURS,
Le ſejour que je fais en cette
GALANT II
de
Ville depuis tant d'années ,
m'ayant uny d'amitié avecplufieurs
d'entre vous , m'a auffi
donné lieu de connoistre
plaindre voſtre état ; ce qui m'a
fait souvent defirer l'occaſion de
vous y estre utile, &de pouvoir
■ contribuer à voſtre réünion avec
- l'Eglise nostre commune Mere,
de laquelle vous vous eftesféparez
depuis plus d'un Siecle . Ce
defir toutefois ne m'a pas esté
particulier. La charité Chreftienne
l'a inspiré à beaucoup
d'autres , & principalement au
Clergé de France de la part de
qui je vous parle; car quoy qu'il
12 MERCURE
ſefuſt aſſemblé l'année derniere
à Paris pour d'autres Affaires , il
ne laiſſa pas de s'appliquer fortement
à celle. là, comme la plus
importante de toutes, parce qu'elle
regarde vostrefalut , qui est cette
affaire que Nostre- Seigneur nous
a fifi particulierement recommandée,
Porro unum eft neceffarium.
Noftre Grand Monarque,
dont la pietérépond fi dignement
au Titre de Tres -Chreftien que
l'Eglise luy a donné , a trouvé
cela si juste , qu'il a bien voulu
charger M² l'Intendant, comme
le Dépositaire de fon autorité
dans cette Province , de vous
८
GALANT. 13
T
L
faire connoiſtre là-deſſus ſes in
tentions ; de forte que comme ce
qu'il vous en a dit ne peut estre
plus précis, je me contenteray d'y
ajouſter que l'Eglise eftant cette
Arche veritable , hors laquelle il
n'y apoint deſalut, vous n'avez
pû ny dû vous en ſéparer, quel-
- que couleur qu'on ait prétendu
donner à cette séparation . Je ne
doute point que vous ne difiez que
l'Egliſe eſtant tombée en ruine,
il eftoit neceſſaire de la reparer.
Cefut le discours , comme le prétexte
, dont ſe prétendirent couvrir
les Autheurs de ce Schifme;
mais , Meffieurs , foufrez que je
1
14 MERCURE
ril
vous réponde avec S. Augustin,
parlant aux Donatistes, que pour
reparer dans l'ordre cette prétenduë
ruine de l'Eglife , bien loin
de la quiter, il falloit au contraire
y demeurer plus intimement unis ,
& n'y employer que la charité,
le bon exemple , & la patience.
Ce sont les regles que nous prefcrit
l'Evangile, & celles que les
Apostres & leurs Succeffeurs ob-
Serverent dans l'établiſſement du
Chriftianisme. Je diray encor,
que pourse croire veritablement
capable d'une telle entrepriſe , il
falloit en avoir la miſſion , puis
que felon S. Paul, Nemo fibi
GALANT. 15
fumit honorem, fed qui vocatur
à Deo tanquamAaron,
fic Chriftus non femetipfum
clarificavit , ce grand Apoſtre
n'ayant parlé de laforte que pour
nous apprendre l'abſoluë neceſſité
d'une Mission, & mesme l'obli
gation oùl'on estde ne pas écouter
ceux qui n'en ont point. Nous
fçavons tous qu'il n'y en a que
de deux fortes , l'ordinaire ,
l'extraordinaire ; que la premiere
ne vient que des Eveſques, à qui
la conduite de l'Eglife a de tout
temps appartenu, Quos Spiritus
Sanctus pofuit Epifcopos regere
Ecclefiam. Vos Autheurs
16 MERCURE
n'oferent ſe l'attribuer , parce
qu'ils appréhenderentavec raiſon
que ſes Evesques ne les defavoüaffent;
fi- bien que dans la
necefſſivé où ils ſe crûrent de perfuader
qu'ils ne venoient pas
d'eux- meſmes , ils ſe vanterent
d'avoir l'extraordinaire ; mais
comme cette Miſſion neſeprouve
que par des miracles , il est aisé.
de connoiſtre que ce n'estoit qu'une
fupoſition, parce qu'outre qu'ils ne
firent point de miracles , & que
l'esprit de Dieu ne sçauroit ja
mais estre qu'uniforme, ils furent
toûjours ſi peu d'accord entr'eux,
qu'apres une infinité de contestaGALANT.
17
tions, &de querelles ſanglantes,
ils prirent enfin le party d'établir
toutes les Sectes diverſes quiſe
voyent en Allemagne , en Hollande
, en Angleterre , & en
France. De forte qu'une cauſe ſi
vitiée ſi erronée, influant neceſſairement
la mesme défectuosité
dansſes effets, il en faut conclure
que vostre état ne sçauroit estre
meilleur que son principe , &
qu'en un mot tout ce grand mal
ne se peut jamais guérir que par
fon contraire , c'est à dire que par
voſtre retour à l'Eglise que vous
avezquittée, d'autantplus qu'elle
est la veritable Eglife, qu'en effet
Mars 1683. B
18 MERCURE
vous y avez esté unis pendant
plus de quinze cens ans , quenfin
elle est auſſi viſiblement,
qu'incontestablement, cette Eglife
contre laquelle le Sauveur du
Monde a promis que les Portes
de l'Enfer ne prévaudront jamais
. Nous en avons pluſieurs
preuvesfans contredit, mais entre
autres,le gloricux triomphequ'elle
a remporté de tant de diférentes
Sectes, qui l'ayant fi violemment
attaquée dans tous les Siecles,
n'ontſervy qu'àſignaler davantage
leur confusion , & qu'à ren
dre plus remarquable l'effet de
cette grande promeffe de I. C. à
GALANT. 19
-fon Epouse. Aquoy, Meſſieurs,
- pour ménager le temps qui nous
refte, j'ajouteray cette miraculeuse
@conftanteſucceſſion deſesEvefques
, laquelle felon Tertullien,
S S. Augustin, &les autres Peres ,
n'est pas moins une marque autentique
deſa verité , que le defaut
de cette fucceffion a toûjours
efté dansſes Rivales une preuve
convainquante de leur fauffeté.
Je ne m'étendray done pas davantage,
Meſſieurs, furces gran..
des veritez, puis que je ne doute
point que vous n'en conceviez
l'énergie , &que cela estant , it
ne me reſte plus qu'à vous fou-
S
Bij
20 MERCURE
haiter, comme je fais de tout mon
ccoeur , la grace d'y eſtreſenſibles,
ainſi qu'à ce qui est contenu plus
au long dans l'Avis Pastoral que
l'Eglife Gallicane vous adreffe,
&dont je viens de vous faire la
lecture.
-Le Roy ne prend pas feulement
ſoin du falut des ames
de ſes Sujets, mais il enprend
auffi de leur vie , & de leur
ſanté. Alexandre, apres ſes
conqueſtes, s'eſtant attaché
à la pratique de la Medecine,
compoſa pluſieurs Remedes.
Noftre Grand Monarque en
uſe de meſme , & fes mains
GALANT 21
e
1
Royales qui portent fi dignement
le Sceptre, s'employent
de temps en temps à la compoſition
de quelques Reme
des particuliers , dont il a
4 huy ſeul la connoiſſance. M
l'Abbé de Maurepas eſt un
témoin de la vertu de ces
Remedes , puis qu'ils ont
deſte ſeuls capables de le guérrir
d'une maladie de plufieurs
s années , qui l'avoit détourné
de fon exercice ordinaire de
la Prédication , dont il s'ac
quite à préſent avec autant
de force que s'il avoit toû
jours eu une parfaite ſanté.
es
22 MERCURE
Ainſi l'on peut dire que les
Remedes que Sa Majesté
veut bien prendre la peine
de faire , & qu'Elle donne li
béralement au Public , font
cauſe que cet Abbé publie
les loüanges de Dieu dans
la Chaire de Verité , où ſon
mal l'empefchoit de monter.
Ce n'eſt pas ſans ſujet que
je vous parle de cette guérifon,
puis qu'ayant beaucoup
éclaté par deſſus un grand
nombre d'autres , elle fert à
convaincre quelques Incré
dules qui n'ont pas juſqu'icy
voulu eſtre perfuadez que la
GALANT. 23
guérifon de ceux qui ſe ſervent
de ces Remedes, eft infaillible.
Vous vous fouve
Inez ſans doute , de ce que
je vous ay dit de leur vertu
dans une autre Lettre ; ainſi
je ne vous le répeteray
point
-
Comme le Roy a ſoin de
t l'agreable auffi-bien que de
l'utile , les ſuperbes Apartemens
de fon Palais de Verfailles
, où toutes les Perſonnes
d'une qualité diftinguée
- font bien reçeuës pour joüer,
ont. efté ouverts juſqu'à fon
depart pour Compiegne.
24 MERCURE
Leur magnificence a donné
lieu à M l'Abbé Tallemant,
de l'Académie Françoiſe , &
Premier Aumônier de Madame,
de faire le Sonnet que
vous allez lire .
SUR LES SUPERBES
Apartemens deVerſailles.
D
Ans ce riche Palais, dont la
magnificence
De tous les Curieux tient les yeux
arreftez,
Dans cesApartemens qui semblent
enchantez,
Se trouvent la grandeur, l'éclat, &
l'abondance.
!
;
Là
GALANT. 25
Là,les Ris &lesfeux, la Musique,
laDance,
Enfin tous les Plaisirs, viennentde
tom coftez;
Onyvoit centHéros,onyswoit cent
Beautez,
Qui duplus grand des Roys revérent
lapréſence.
Se
Et cependant,malgré laſurpriſedes
fens,
fi charmans,
Dans ces Lieuxque LOVIS a rendus
Je reffens en mon ame une peine
importune.
S&
Je me vois accablé par un mortel
ennuy,
Nonpourn'avoir rienfait encorpour
mafortune, ھک
Mars 1683 . C
26 MERCURE
Mais pourn'avoir rien fait quifoit
digne de luy, anh ta ndo
Il eſt aſſez difficile de fairedes
Ouvrages dignes d'un Prince
fi éclairé , mais on en peut
faire qui luy foient agreables;
& c'eſt dequoy Mademoifelle
de Scudéry a ſujet de ſe
flater , puis que le Royvient
de luy donner une Penfion
de deux mille livres, ſans qu'-
elle euſt rien demandé. Cette
circonftance luy doit rendre
ce bienfait d'un prix infiny,
& fait éclater en mefme
temps , la bonté, & la juſtice
de ce grand Monarque , au
GALANT 27
pres duquel , les Perſonnes
d'un eſprit du premier ordre,
n'ont beſoin que de faire parler
leur mérite , pour en avoir
des gratifications. Sa Majeſté
a eſté fort applaudie d'avoir
donnécette Penſion , tout le
monde ayant une eſtime
particuliere pour Mlle de Scudery
, qui nous a donné tant
de beaux Ouvrages. Un peu
avant que la Cour partiſt
pour Compiegne , cette illluuffttrree
Fille alla à Versailles
faire fes remercimens au
Roy , qui la reçeut , avec l'agrément
dont il reçoit toutes
Cij
28 MERCURE
les Perſonnes d'un merite
diftingué. On ne s'eſt pas
tû dans une fi belle occafion
de patler , & les Madrigaux
ſuivans vous le font con
noiftre.
SUR LA PENSION
donnée par le Roy à Made-
-moiſelle de Scudery.
1
queLOVIS Apho, ceux que
defagloire L
Favorifedeses regards,
4
du coble
Sans la faveur du Sort,ſansles travaux
de Mars,
Auront un rangillustre au Temple de
Mémoire:
GALANT. 29
Tout l'avenir dira de vous,
Contre elle le Deſtin déployoit
fon couroux,
Mais LOUIS corrigea fon Etoile
cruelle.
Plus grand que la grandeur dont
il fut reveſtu,
Il écoutoit toûjours la Verité
fidelle
Qui luy parloit pour laVertu .
::
I I.
V'on 'on est heureux de voir cou
ronner tes Ecrits!
Tout le monde, Sapho, te va rendre
visite,
Depuis que d'un Grand Roy l'eftime
en estle prix.
LOVIS qu'en tafaveur la gloirefollicites
Ciij
30 MERCURE
Ex récompenfant ton mérite,
A charmétous les beaux Esprits.
L
III .
A Fortune aujourd'huyse
en crédit,
On en avoit toûjours médit,
Souvent auvray
outrage;
remet
Mérite ellefaisoit
Mais enfin ils ont fait une étroite
union.
D'illustres mains devoient accomplir
cet Ouvrage,
LOVIS en estl'Autheur; Sapho, l'occafion.
IV.
SApho, cing on fix beaux Ef- prits
Disputoient l'autrejour du prix
GALANT. 31
De tout ce qu'a produit ton excellent
génie;
Puis ayant balancé meûrement les
avis,
Ils prononcerent tous en faveur de
Clélie.
J'écoutayleur Arrest; apres quoy, je
leur dis
Sur tout ce qu'on a fait elle a de
l'avantage;
De Sapho cependant le plus
heureux Ouvrage,
. C'eſt d'avoir ſçeugagner l'eſtime
de LOUIS.
V.
LA Poftérité curieuse
Apprenant de LOVIS les Exploite
lesplus grands,
Trop incrédule&soupçonneuse,
Cij
32 MERCURE
N'ydonnerade foy quefur de bons
garands.
LaDivine Sapho, témoin irréprochable,
Dont l'esprit brille moins que lafincérité,
Fera direà laVerité
Ce quiparoiftra faux, ou du moins
incroyable.
LOVIS, tout grand qu'il eſt, aura
beſoind'appuy,
Sapho de tous les temps connoist l'efprit
rebelle;
Etfidanslepréſent elle a besoin de
luy,
Dans l'aveniril aura besoin d'elle.
GALANT. 33
,
S
ef-
REPONSE DE SAPHO .
LA Poftérité curieuse
Nepourra pas douterdes Conquestes
du Roy;
Etle Rhin, que Strasbourgafoûmis
afa Loy, :
Inſtruira cette Soupçonneuse.
Tant de Combats fameux , tant de
Faits éclatans,
Tant d' Ennemis vaincus,font d'affiz
bons garands,
Leur témoignage enfin doit estre
irréprochable.
On nedouterapoint de leur fincerité,
Etcettegrande Verité
Aufenlnom du Hérosfera toûjours
croyable.
Comme il est des Autels leplusfolide
appuy,
34 MERCURE
LvDéeffe aux centvoix neſerapas
rebelle;
Saphodans tous les temps aurabesoin
de lay,
Et LOVIS est tropgrand pour avoir
besoin d'ellc
Le premier de ces Madrieſt
de M' de la Loubere , Réfident
pour Sa Majesté à Straſbourg
, avant que cette Ville
euſt reconnu leRoy pour fon
Souverain . Le ſecond eſt de
M² de S. Clair Turgot ; le
troiſieme , de Mademoiselle
Bernard, (c'eſt la jeune Iris du
Commerce Galant , ſi eſtimée
par les jolies Lettres qui font
GALANT. 35
d'elle dans ce Livre ; ) le quatriéme
, de M² Petit , de
Roüen ; & le cinquiéme de
M de Montfort , Autheur
des Conversations Galantes,
qui ont eu un grand fuccés
, & d'un autre Livre
qui va paroiſtre , intitulé,
La Politique des Amans. M
de Montfort eft tres-agreable
par ſa perſonne , & par
fon eſprit , & fort eſtimé dans
le beaumonde.
Depuis que vous avez fouhaité
que je vous rendiſſe un
compte exact de ce qui ſe
paſſe de plus éclatant dans
36 MERCURE
toute l'Europe, je vous ay envoyé
desRelations affez régulieres
de beaucoup de Feſtes
de la Cour de Hanover ; &
vous en avez veu de ſi gran,
des & de fi galantes , lors
que la Reyne Mere de Dannemarck
y arriva , que vous
eſtes demeurée d'accord qu'il
eft difficile de poufler plus
loin la magnificence , & la
galanterie , fil'on en excepte
ce qui ſe fait à la Cour de
France , dans laquelle , fans
qu'il ſoit unjour de Feſte , les
Courtiſans aſſemblez autour
de leur Prince au milieu de
GALANT. 37
fes fuperbes Apartemens ,
font un plus brillant ſpéctacle,
que toutes les autres
Cours ne le ſçauroient faire
dans leurs jours choiſis de
cerémonie. On peut dire que
dans ce que j'ay décrit endiférentes
occafions , la Cour
de Hanover fuivoit de bien )
prés ce qu'on voit icy de furprenant
pour les Ballets , &
pour les Feux d'artifice. M
de la Barre Matei , qui contribuoit
beaucoup à ces Spétacles
, qui faifoit les Vers
de ces Ballets , & qui avoit
ſoin de m'envoyer les Mé38
MERCURE
moires de cette Cour-là , ef
tant mort , j'ay eſté longtemps
ſans en apprendre aucunes
nouvelles. C'eſt ce qui
eft cauſe que je n'ay rien ſçeu
de particulier du Mariage de
Monfieur le Prince George-
Loüis , Fils aîné de Monficur
le Duc de Hanover, avec Madame
la Princeſſe Sophie
Dorothée de Brunfvic & Lunebourg
, Fille vnique de M'
le Duc de Zell. La Cerémonie
s'en eſtant faire dans la
Ville de ce nom , ſur la fin de
l'année derniere , cette illuftre
Princeſſe , qui par l'ar
1
GALANT. 39
vantage de ſa beauté , de fon
- eſprit , & de ſa vertu , aufli-
- bien que par celuy de ſes
grands Biens , s'eſt toûjours
fait diftinguer parmy les Perſonnes
de fon rang , fit ſon
Entrée publique dans la Ville
de Hanover , le 19. Decem
bre 1682. Voicy dans quel
ordre elley fut reçeuë. Toute
la Cour s'eſtant affemblée
dans le Palais à dix heures
du matin ,ydîna au bruit que
faiſoient, tant au dehors que
dans les trois Courts du Châ
teau , les Tambours & les
-Hautbois , meſlez avec les
40 MERCURE
Trompetes , & les Timbales
des Regimens des Gardes à
pied & à cheval. Si - toſt
qu'on fut hors de table , on
partit pour aller à la rencontre
de Leurs Alteſſes Serenif
ſimes de Zell , qui s'avançoient
avec grandnombre de
Carroſſes , de Cavalerie , &
d'autre ſuite. On mit pied à
terre à l'approche des uns des
autres , & apres s'eſtre ſalüez
aux fanfares des Trompetes
des deux Cours , tous enfemble
reprirent le chemin de la
Ville.
Le General Offen , à la
GALANT 41
2
es
à
{t
1-
11
de
&
es
1
teſte d'un Regiment de Cavalerie,
commença la Marche
, &fut fuivy du Premier
Fourrier de la Cour , qui devançoit
ungrand nombre de
Palfreniers, menant desChevaux
de Selle des Gentilshommes
, & des Miniftres de
M² leDuc de Hanover , tresbien
ajuſtez. Cette grande
Troupe eftant paffée , on vit
paroiftre M Vitrac , Premier
Ecuyer, &un Piqueur, avec
trente Chevaux de main de
la Petite Ecurie , richement
enharnachez. Ils eftoient fui
vis de vingt-quatre Pages à
Mars 1683.
D
42 MERCURE
cheval, couverts d'une Livrée
magnifique d'Ecarlate chamarée
d'argent , & ayant leur
Gouverneur à leur tefte. Apres
eux eftoient les Pages de
la Cour de Zell , précedant
vingt- deux Carroſſes à fix
Chevaux des Premiers Miniftres
& Gentilshommes de
M le Duc de Hanover , dont
voicy les noms.
M²Klenck , Premier Gentilhomme
de la Chambre , &
Droſſard.baon =
M Floramonti , Conſeiller,
&Droſſard.blender
Male Baron de Reeke,Confeiller.
GALANT. 43
=
M² Molck , Grand Véneur
au Duché de Grubenhagen .
M Wangenheimb , Grand
- Véneur au Duché de Hanover.
Me de la Chevallerie, Grand
Echanfon
M'le Colonel de Bouſch,
Colonel des Gardes de Cavalerie.
كا
M le Colonel Ohr.
M leColonel Bernholtz .
M'de Palland, Colonel des
Gardes d'Infanterie
f : M² Sandis , Grand Ecuyer
de Madame laDuchefſe .
M² Harling , Grand Ecuyer
de M le Duc.
44 MERCURE
M de Rechau , Maréchal
de la Vieille-Cour.
M' le Rauchgrafe , Confeiller
de Guerre , &Colonel.
M² le General Major du
Mont.
M' Hugo , Conſeiller au
Conſeil Privé , & Vicechancelier.
I
М² Molске , Conſeiller au
Conſeil Privé , & de laChambre
des Finances ...
M' Bouſche , Conſeiller au
Conſeil Privé,&de la Chambre
des Finances .
M'leGeneral Major Offen.
M'le General Major Ofener.
GALANT. 45
1-
el
M' le Baron de Platen, PremierMiniſtre
d'Etat,&Grand
Maréchal de la Cour.
M² de Podevils, Lieutenant
du General.
all
ل ا
m
가
Ces Carroffes eſtoient fuivis
de feize autres de M² le
Duc de Hanover , dans lefquels
on avoit reçeu les Gentilshommes
de la Suite de
Leurs Alteſſes Sereniffimes
de Zell. Celuy de Meſſieurs
les Princes Maximilien &
Charles , paroiſſoit enſuite.
Ils avoient fait placer avec
eux M² Chauvet , Lieutenant
General des Troupes de Zell,
:
46 MERCURE
&M de laTanne , Maréchal
de la Cour de Zell. Le Carroffe
de Monfieur le Prince
Frideric-Auguſte ſuivoit
ceux-cy. M'leMarquis d'Arcy
, Envoyé Extraordinaire
de France , y eut place avec
ce Prince. Vingt- quatre
Trompetes de M'le Duc de
Zell, & de M le Duc de
Hanover, avec les Timbales
de ces Princes , précedoient
le magnifique Carroſſe deM
leDuc de Hanover , dans lequel
eſtoient S. A. S. de Zell,
avecMadame la Ducheſſe ſa
Femme, S. A. S. de Hanover,
GALANT. 47
al
-
コー
it
۲-
re
el
re
de
es
avec Madame la Ducheſſe fa
Femme , & S. A. S. le Prince
aîné , avec Madame fa nouvelle
Epouſe. Des deux cotez
, marchoient à chevalM
Harling , GrandEcuyer ; M
de Sandis , Grand Ecuyer de
Madame la Ducheffe deHar
de nover; M'deLongueïl,Grand
Ecuyer de la Vieille-Cour,
M'le Baron de Reeke ; M²
le Baron de Klenck ,Premier
Gentilhomme & Droffard;
M' Saſctoft , Gentilhomme
de la Chambre de M' le Prince
aîné, Les Valets-de-pied
alloient tefte nuë , & M'le
f
:
48 MERCURE
Colonel Bouſch , précedoit
les Gardes du Corps de M² le
Duc de Hanover. Le Carroffe
de Madame la Princeffe
Sophie-Charlote , qui eftoit
accompagnée de Madame la
Comteffe de Reis , & de fa
Gouvernante, paroiſſoit apres
tous ceux que je viens de
vous marquer. Il eſtoit ſuivy
de trois autres dans lequel
eſtoient placées les Demoifelles
de la Cour. Ceux de
Madame laMaréchale dePlaten
, de Madame Offen , &
de plufieurs Perſonnes diftinguées
, fermerent laMarche,
chacun
1
GALANT. 49
chacun dans ſon rang.
La nuit commençoit lors
qu'on entra dans la Ville. On
y fut reçeu au bruit du Canon
de ſes Ramparts, qui ne
ceſſa point , juſqu'à ce que
LeursAlteſſes paſſant au travers
des Ruës bordées de
Cavalerie, mirent pied à terre
dans la ſeconde Court du
Chaſteau, ſalüées de laMoufqueterie,
qui ſe tenoit diſtribuée
en divers Corps autour
du Palais . On ſe rendit d'abord
aux Apartemens des
Mariez,qui brilloientde toutes
parts, enrichis de Luftres
Mars1683. E
5 › MERCURE
&de Dorures. Tout ce qu'on
y pouvoit trouver à redire,
c'eſt qu'ils n'eſtoient pas affez
vaſtes pour de ſi grands Princes.
Comme on rebaſtit ce
Palais à la moderne, on y en
fait d'autres qui ſeront bientoſt
achevez. Par cette raiſon,
les deux Cours s'eſtant trouvées
fort nombreuſes, y cauferent
de la foule. Le temps
de ſouper eſtant arrivé , on
monta dans la grande Salle
des Feſtins , extrémement
éclatante par ſes beaux Meubles,
& par la richeſſe du Bufet;
la quantité des Vaſes &
GALANT.
-
de laVaiſſelle de vermeil doré
&d'argent, répondant parfaitement
bien aux riches Tapiſſeries
& aux Tapis de pied
dont le pavé eſtoit tout couvert
, juſqu'au bout où l'on
trouva la Table dreſſée ſous
le grand Daiz de parade. Je
ne vous parleray point de l'abondance
des Viandes qu'on
y ſervit , ny de la délicateſſe
des Vins, puis qu'il n'y a perſonne
qui ne ſçache combien
ces Princes, magnifiques en
toutes chofes, le font en cecy,
au dela meſme de la coûtume
de leur Nation, qui l'em
E ij
52 MERCURE
porte fur beaucoup d'autres
dans ces fortes de Régales.
Le Feſtin fut ſuivy d'un Bal
ſuperbe, qui termina la journée.
Le lendemain , on prit
le divertiſſement de la Comédie
, qui fut repréſentée
avec grand fuccés, meſlée de
Machines, d'Entrées de Ballet
, & de Choeurs d'Inſtrumens
& de Muſique. Les
jours ſuivans il y eut d'autres
Bals, d'autres Concerts d'Inftrumens
& de Voix, d'autres
Comédies , & divers Feux
d'artifice d'une invention admirable.
Apres toutes ces
GALANT. 53
tres
ales
ourréjoüiſſances,
dans leſquelles
la magnificence éclata toûjours,
cette illuftre Compa
gnie ſe ſépara, mais ce ne fut
qu'apres avoir rendu des graces
publiques & folemnelles
dans la grande Chapelle de
16 la Court, pour l'heureux fuccés
du Mariage de M le
B Prince de Hanover,& de Madame
la Princeſſe de Zell.
pri
Co
ede
Le
Nous avons tant de diférens
Livres de Voyages, qu'il
ſemble qu'on ne puiffe plus
rien apprendre de nouveau
des Païs Etrangers. Cependant
chaque Relation qu'on
E iij
54. MERCURE
en fait , a quelque choſe de
fingulier , ce qui ne ſçauroit
venir que des changemens
qui feſe font dans chaque Lieu,
de l'exactitude des Voyageurs
à y remarquer jufqu'aux
moindres circonftances
de ce qu'ils voyent, & de
l'étenduë de leur eſprit. Les
uns n'oſent écrire de certaines
choſes qu'ils ne connoifſent
point, de peur de ne les
écrire pas avec aſſez de jufteſſe
; & d'autres qui ſe mêlent
d'en parler , n'ont pas
toûjours ſoin de les mettre
dans leur jour. Ainſi chacun
GALANT. 55
trouve à faire ſes remarques
dans les Villes où il paſſe
apres ceux qui l'ont devancé.
C'eſt ce qui me fait croire
que ce ne ſera pas fans plaifir
que vous lirez la Lettre qui
fuit. Elle est d'un Voyageur
plein d'eſprit , & contient
tout ce qu'il a veu de confidérable
à S. Michel en Savoye
, à Milan , à Parme , à
Veronne, à Padouë, & à Venife.
E iiij
56 MERCURE
22522522222255252
LETTRE
DE ME DE CHASSEBRAS
DE CRAMAILLES,
AMadame de Chaſſebras du
Breau, fa Belleſoeur. 4
EEplaisir que vous me témoignezavoir
pris à ce que
je vous ay déja écrit de mon
Voyage , m'oblige, Madame, à
continuer. Trois jours avantque
d'arriver à Turin, nous paſſames
par une Ville ou Village de Savoye
, que l'on nomme S. Mi
GALANT. 57
chel, où nous eûmes lieu de nous
conſoler des fatigues du chemin
par la veuë d'un auſſi plaiſant
Spéctacle qu'il s'en ſoit jamais
trouvé. C'estoit le jour d'un
Marché des plus celebres, &qui
avoit attiré douze à quinze cens
Perſonnes des environs , veftuës
d'une façon fi peu ordinaire , que
je ne puis m'empesſcher de vous
enfaire la description. Les Femmes
y portent pour Coifure une
petite Piece de Velours ou de
Drap noir, qui defcend jufqu'au
bas des jouësfans faire aucun
ply, &se tient ouvert par
les costez, pour ne point cacher
58 MERCURE
leurs oreilles & leurs cheveux,
qu'elles ontſoin d'entretenir dans
une mal-propreté admirable. Le
derriere de cette Coifure est d'une
Etofe d'une autre couleur,&plat
comme un Chaperon de Vieille,
ou plutoſt comme un Couvercle
de nos plus grandes Boëtes de
Confitures . Ce derriere , ou cul
de Chaperon , eft bordé tout autour
d'un Bourrelet, grosde quatre
doigts, qui leurfaitparoiſtre la
teſte dans une maniere de Cercle.
LeCorpsd-e-Jupe,&les Manches,
font auſſi de deux couleurs
diférentes , & ces Manches paffentpardeſſus
leCorps, n'yayant
GALANT. 59
que cinq doigts à dire qu'elles ne
Se joignent parderriere. Lafupe
qui estfortpliffée, vient jusqu'au
deſſous du ſein , remontant encor
parderriere , en forte qu'entre le
deſſous du bras &la ceinture, il
n'y a que l'espace juste pour mettre
une Chaine de cuiore jaune;
&& ce qu'ily a de plus plaiſant,
c'est que le haut de cetteJupe est
pour la plupart d'une couleur, &
le bas d'une autre . Pour rendre
leurs Habits encor plus extravagans
, elles ont un Tablier pliſſé
deferge,encor d'une autre couleur,
- qui monte plus haut que leur
Ceinture, &couvre la moitié de
-
60 MERCURE
leur gorge. Je ne vous dis rien
de leurs Souliers , qu'on croiroit
eſtre de gros Sabots de cuir noir.
Leursperſonnes neſontpas moins
extraordinaires . Elles font laides
àfaire peur, presque toutes, bofſuës
& boiteuses , le menton
chargé d'une Loupe groffe comme
la teſte , qui descend fur leurs
Tabliers, avec un teint de couleur
de ſuye de cheminée , détrempée
dans de l'eau de fafran. Leur
derriere est d'une groſſeur qui fait
Fort lever leursJupes . Ainsifi on
ve prenoit garde à leur viſage, on
roiroit que ce ſont des Femmes
troffes qui marchent à reculons.
GALANT. 61
Les Habits des Hommes nefont
pas tout-à-faitsi bigearres , mais
leursfigures approchent encorplus
des Monstres . Les groffes Loupes
qu'ils ont toûjoursſous le menton
& autour du col ,ſont fort ordinaires
dans le fond de la Savoye,
où l'eau des Montagnes cause
cesfortes d'imperfections .
Mais pour venir à quelque
choſe de plusſolide, je vous diray
que toute lapeine de noftreVoyage
s'eſt terminée , pour ainſi dire ,
Turin; &que depuis, nous n'avons
guére ende mauvais chemin
àefſuyer. Nous primes un Carroſſe
jusqu'à Milan , qui en eft
62 MERCURE
éloignéde 32 ou 34 lieuës. Iln'y
en aguére davantage de Milan
jusqu'à Padouë, ce qui fait environ
70 lieuës Françoises . Nous
avons presque toûjours esté en
Chaise roulante par un chemin
fort plat & uny , qu'on pourroit
nommer un Cours, ou un Lieu de
promenade. Des deux coſtez il
est bordé d'Oliviers , &d'autres
gros Arbres toufus , & l'on n'y
découvre par tout que des Plaines
Spatieuses. On est fort commodement
dans ces Chaises roulantes .
Ellesfont à deux Chevaux, &
iln'y a place que pour deux Per-
Sonnes. Celles qu'on nomme Com
GALANT. 63
biatures , dont nous noussommes
Servis le plus souvent, courent la
pofte. On en change de quatre
lieuës en quatre lieuës , t) on
avance bien du chemin. L'usage
en eft fréquent en ce Païs, à cause
qu'il estfort marécageux enquel
ques endroits , & que les autres
Voitures font fortſujetes à estre
embourbées.
Les principales Villes où nous
avons passé depuis Turin , ſont
Milan,Pavie,Plaifance,Parme,
Guastala , Mantole, Veronne,
Vicenze, &Padouë. Le peu d'étenduë
d'une Lettre m'oblige àne
vous entretenir que de ce que j'ay
1
64 MERCURE
veu de plus fingulier.
L'Eglife Capitale de Milan
est,je croy,une des plus belles choſes
qu'on puiſſe voir. Figurezvous,
s'il vous plaift, une Eglife
auffi grande que Noftre-Dame
de Paris, pavée, & toute revêtuë
de marbre blanc juſque ſur les
Voûtes,ornée de Bas-reliefs, avec
plus de trois cens Figures tant en
dedans qu'en dehors , grandes
comme le naturel, qui ont la mefme
beauté des Antiques , outre
quarantt àinquante Pyramides,
ou pour mieuxdire,Aiguilles,qui
font en dehors, toutes à jour ,
travaillées avec la derniere déi
GALANT. 65
licateſſe , estant finies & terminées
par autant de Figures, le tout
de marbre blanc. Cette Eglise
n'est pas encore achevée , & on
doit ofter le peu de Tableaux qu'il
ya , pour n'y laiſſer que des Figures
de marbre. Il'y ena de fort
grandes , &j'en vis deux àune
Chapelle de la Croisée , qui repréfentent
deux Prophetes ,
ont environ dix - huit pieds de
hauteur. Cette Eglise est bastie
à la Gothique ; ce qui est cauſe
qu'elle ne donne pas d'abord dans
la veuë. C'eſt dommage qu'elle
n'est pas affez éclairée. Fy remarquay
l'Epitaphe d'un Jean-
Mars 1683.
F
66 MERCURE
Pierre Carcano Marchand, qui
estoitfi riche, qu'il laiſſa en mourant
deux cens trente mille écus
d'orpour continuer ce Baſtiment,
ayant fait bastir de ſon vivant
en 1624. le nouvel Hôpital de la
mesme Ville , qui est un des plus
beaux Edifices que l'on puiſſe
voir. On nous montra dans cette
Cathédrale leCorps de S.Charles
Borromée, qui attire en devotion
un concours de monde extraordinaire.
La fameuse Bibliotheque
Ambrofiane de Milan , a esté
fondéepar le Neveu de ce Saint,
pour eftre tous les jours ouverte à
à ceux qui veulenty étudier, ſoit
GALANT. 67
dans les Lettres , foit dans la
Peinture, ou la Sculpture. Ily a
une grande Salle toute de Livres
imprimez, au nombre de quarante
ou cinquante mille Volumes ; une
autre petite Chambre de Manufcrits
, avec deux autres grandes
Salles , dont l'une est remplie de
Pieces de Sculpture, tirées des plus
beaux Originauxde Rome ,
l'autre de Tableaux originaux
des meilleurs Maistres d'Italic.
On met encor entre les Raretez
de cette Ville, les Ouvriers de
Cristal de roche ; & parmy un
grand nombre d'Ouvrages tresdélicats
,j'y admiray deux grands
Fij
68 MERCURE
Chandeliers ou Luftres de cristal,
dont l'un avoit douze pieds, ou
deux toiſes de hauteur, furfix
pieds de diametre. C'estoit un
grand Aigle de Pieces de cristal
qui en terminoit le haut ; &des
Oyſeaux de toutes especes enfermoient
les branches. La grandeur
la beauté de cet Ouvrage eft
quelque chose de fortſurprenant.
LaChartreusede Milan est auffi
une Eglise d'une tres - grande
beauté. Le Portail en eſt de marbre
, tout chargé de Figures
de Bas- Reliefs; & les Autels
des Chapelles font de Pieces
de marbre, de jaspe de raport,de
GALANT. 69
!
diférentes couleurs . Cette Chartreuſe
eſt à une demy-journée de
Milan. Quantité de grandsFardins
en rendent la folitude tresagreable
à foixante Religieux,
qui y font chacun tres- commodement
logez.
Jeferois trop long,sije voulois
vous parler de toutes les belles
Eglises, Cabinets,&Palais . Je
vous diray ſeulement en peu de
mots , qu'à Parme nous admirames
le grand Theatre du Palais,
où l'on repréſente les Comedies
& les Opéra dans des Réjouisfances
extraordinaires , comme
aux Mariages aux NaifΤο
MERCURE
fances des Princes. Il estplus
large, & aussi long que celuy
des Tuilleries ; & ce qu'ily a de
mrveilleux , quelque bas qu'on
parle fur ce Theatre, on entend
distinctement ce que l'on y dit ,
des Loges les plus éloignées de la
Salle. F'en fis moy-mesme l'épreuve,&
fans celaje ne l'aurois
jamais cru. On montre encor les
Carroffes du Prince, commequelquc
choſe de fort curieux. Ily
en a neuf de Broderie d'or
d'argent, mais d'une matiere pefante&
maſſive,ſuivant l'usage
de ce Pais. Vous en concevrez
facilement la grandeur, quand je
GALANT. 71
vous diray que l'on met dans la
plupart quatre petits Fauteüils
au milieu, outre les places des
deuxfonds. Ily a un de ces neuf
Carroffes que l'on remarque parmy
tous les autres. Il a le Train
& les Roues couvertes d'argent
cizelé, en ſorte qu'il paroist tout
d'argent maſſif.
AVeronne , on va voir les
Jardins du Comte Muto, principalement
àcause des grandesAllées
de Cypre
Cyprés, dont ily en a de
vingt toiſes de hauteur.
Padonë, qui est la derniere
Ville ou nous avons passé, a cela
de particulier, qu'on peut aller
72 MERCURE
une
ans toutes les Ruës à couvert, de
mesme que ſous les Piliers des
Halles à Paris. L'Eglise de
S. Antoine de Pade est la plus
fréquentée, àcause des prétieuſes
Reliques de ce Saint , dont le
Corps rend continuellement
odeur douce & fort agreable. Ce
ſontdes profuſions de richeffes que
les préſens qu'onyfait. Aufficest
la plus grande devotion de tout le
Pais. Les Pauvres n'y demandent
point l'aumône pour l'amour
de Dieu , mais pour l'amour de
S. Antoine de Pade. Il y a dans
cette Ville une Académie celebre,
où l'on enſeigne toutes fortes de
Lettres,
GALANT. 73
Lettres,Humanitez, Philofophie,
Mathématiques,Medecine, &c.
LesEcoliersyfont en grand nombre
, &portent l'Epée. Comme
ils entretiennent presque tous des
Femmes de mauvaiſe vie, ils ſe
rendent maistres de la Villepe.n.
dant lanuit. Ils marchent armez
de Pistolets ; s'ils rencontrentquelque
Particulier dont ils
craignent d'estre veus , ilsſe cachent
derriere un Pilier, &tirentfurluy.
Ils s'attendent mefme
pourse batre , quand ils font
jaloux les uns des autres. Cela
fait que perſonne n'oſefortir, lors
que la nuit est venuë. Il s'en paſſe
Mars 1683.
G
74 MERCURE
peu,fansqu'ily ait quelqu'unde
tué. Ce defordre rend la Ville
presque deferte, peu de Perſonnes
voulant l'habiter , par le péril
qu'ony court.
PourVenise où jesuis présentement,
je vous diray que c'est la
Villedu monde où l'on peut vivre
enplus grande liberté. On n'est
point obligé de faire de dépense
fi l'on ne veut, parce que les viuresysont
àfort grand marché.
Ils y abondent de tous les coftez.
Le Poiffon s'y donne quafi pour
rien, toutes les autres denrées
à proportion. Il n'y a que la
Viande de Boucherie quiſoit un
GALANT. 75
:
peu shere. On nese rendpoint de
viſites , &jamais on ne mene
d'Estafiers ny de Valets apres
foy. On va par eau dans toute
la Ville ; &pour aller par tout
en Gondole , il n'en coûtepas la
moitié de ce qu'il coûte àParis
pour des Carroffes. Ces Gondoles
4 font de petits Bateaux couverts
de ferge noire , tres-propres , on
l'on peut estre quatrefort àl'aise.
On y reçoit quelquefois jusqu'à
fix Perſonnes. Ily en a toûjours
de preſtes, qu'onfait marcher autant
de temps que l'on veut. On
peut auffi aller à pied, par le
moyen de quantité de Ruës fort
Gij
76 MERCURE
:
la
étroites , qui ſe joignent l'une à
l'autre parplusieurs petits Ponts,
qui paſſentpardeſſus les Canaux,
qui n'ont point de Parapets
Ppoourlaplupart, ccee qui est tresdangereux
la nuit. Le grand
Canal traverſe toute la Ville en
Serpentant, & est bordédesplus
beaux Palais de Venise. C'est là
que sefont toutes les Promenades
dans les Gondoles. Auffi lesMai-
Sonsyfont fort cheres. L'Eglife
Catholique Romaine eſt celle du
Païs. On y foufre encore une
Eglise publique des Grecs , &
une des Arméniens. Les fuifsy
font au nombre de trois mille. Ils
GALANT 77
logent dans un Quartierſeparé,
portent tous un Chapeau rouge,
font fori puiffans en cette
Ville. Tous les Nobles, les Citadins,
lesAvocats, les Medecins,
les Notaires,ysont vestus de
la mesmeforte , &n'ont jamais
perſonneàleurfuite. Ilfautexcepter
les premiers Magiftrats, qui
ontquelque diférence eenntleerursHabits.
Ils portent de grandesManches,
qui vontquaſijusqu'à terre,
&peuvent avoir avec eux deux
ValetsdeChambre. L'Habit des
Nobles eft de Drap noir, long
comme nos Robes du Palais, avec
lesManchesàpeu pres de lama-
Gij
78 MERCURE
niere de nos Robes de Chambre
d'Oüate, le tout bordé de Fourvure.
Ils portent un petit Bonnet
de laine noire fort fimple. Foubliois
à vous dire que les Citadins
font les naturels Venitiens, habituez
à Venise , & qui vivent
noblement. Remarquez, s'il vous
plaift, que je ne parle qu'en genéral,
car ily a encor d'autres
Citadins qui peuvent exercer certaines
marchandises , & ne portent
pas l'Habit , mais j'aurois
beſoin de plus de temps pour vous
en marquer la diférence. Iln'y a
chezles Venitiens que troisfortes
de Charges àvie ; le Doge, qui
GALANT. 79
est le Chef; le Chancelier, qui
est un Citadin , & qui n'est jamais
tiré du Corps des Nobles;
les Procurateurs de S. Marc,
dont la principale fonction est
d'avoir foin des grands Revenus
de cette Eglise, & de prendre la
protectiondes Veuves, des Orphelins,
& des Pauvres. Toutes les
autres Charges neſe donnentque
pourun an , ou tout au plus pour
feize ou dix-huit mois , ordinairement
ilfaut beaucoupde mé
rite poury parvenir. L'élection
s'en fait par balotations , & la
plupart des grandes Causes fe
jugent de mesme. Ainsi les Offi-
Giiij
80 MERCURE
ciers ne sçavent jamais les avis
les uns des autres . Les Habits de
cerémonie des Sénateursfont magnifiques
. Ce font des Robes fort
amples , avec de grandes Manches
qui pendent à terre , & qui
ont autant de tour qu'en a le bas
de la Robe. Elles sont de Damas
rouge à grandes fleurs , toutes bordées
doublées de poilde Marte,
dont on fait les plus beaux Manchons
de nos Dames de Paris . Ils
ont la Stolefur l'épaule, en ma.
niere de Chaperon . C'est un morceau
de Velours rouge, large d'un
quartier, & long environ d'une
aune. Elle eft de Velours violet
GALANT. 81
à ceux qui font en deüil ; &
quand on a eſté dans les Ambaf-
Sades, on laporte toute d'or. Cela
n'empeſche pas que les Reglemens
contre le Luxe ne foient fi beaux
àVenise, que, commeje vous l'ay
déja dit , à l'exception des Perfonnes
quifontdans les premieres
Dignitez,&qui peuvent avoir
un ou deux Valets de Chambre
avec Manteau à leurſuite, tous
les autres Nobles nepeuvent mener
aucun Domestique. Ceux
meſme qui conduisent les Gon
doles ( ce font les Carroffes de
Venise) nesçauroient estre veſtus
de Livrées. C'est un privilege
1
82 MERCURE
qui n'est que pour les nouveaux
Mariez durant les deux premieres
années de leur mariage,
encor commence - t - on à perdre
cette coûtume. Les Courtiſannes
ne pratiquent jamais avec les
Gentilles -Donnes , qui font les
Femmes des Nobles , fi ce n'est
dans le temps que l'on peut aller
masqué. Il leur est alors permis
de prendre un Maſque, & de fe
trouver dans les meſmes Compagnies.
Les Gentilles - Donnes
vont toujours accompagnées de
quelques Femmes , & tâchent
d'imiter les manieres Françoiſes
dans leurs vestemens. Les Filles
GALANT. 83
des Nobles & des plus riches
Marchands, ne paroiffent point
en public, & neſont d'aucun divertiſſement.
Ainsi depuis fept
ſemainesquejefuis icy, je n'en
ayveu qu'unepar hazard , quoy
quejefréquente affezles Eglifes.
La raiſon eft, qu'on les metprefque
toutes dans des Convents,
d'où elles nefortent que pour eftre
mariées. Leurs Amans ne les
voyent ordinairement que le jour
qu'ils les épousent , & ils ſe
prennent l'un l'autre au hazard.
Les autres Filles qui nefontpoint
dans les Convents , font enferméesfort
étroitement,& vont à
84 MERCURE
la Meffe dés le point - du -jour,
avec un grand Voile qui les coùvre,
JuneVieille qui les conduit.
Pour les Femmes d'Artisans,
ou de Marchands peu confiderables,
elles menent leurs Filles par
toutdans les Ruës avecdesVoiles
dont ellesse cachent autant qu'elelles
veulent. Les Meres & les
Filles ont leſein tout découvert,
les Meres ne trouvent pas
mauvais que ceux qui paſſent regardent
leurs Fillesſous le nez.
Aucontraire, toutes cellesquifont
jolies, ne manquent guére de lever
un peu leur Voile, afin de se
faire voir. Ceux qui vendent les
১
GALANT. 85
Fruits,lesHerbages, &lePoiffon
,font obligez deſe tenir debout
toute la journée, &ne peuvent
avoir de Siege àcoſté d'eux,
ou dans leurs Boutiques . On a
étably cela pour rabatre l'arrogance
qui nese trouve que trop
fouvent dans cesfortes de petites
Gens . L'Hyver n'a pas esté incommode
en cette Ville. A la
verité il n'yfait pas moins froid
qu'à Paris , & jy ay veu les
bords de quelques Canaux gelez,
mais cela n'empeſche pas que le
Soleil ne paroiſſe tout le jour.
Cela radoucit le temps, &laiſſe
la liberté deſe promenerſoir &
86 MERCURE
matin dans la Place de S. Marc,
&ſur le bord de la Mer, où il
ſe trouve toûjours un auffigrand
nombre de Perſonnes, qu'on y en
voit ordinairement dans les belles
ſoirées de l'Eté. La diférence est
que ce ne font que des Hommes.
Les Jeux de Baffete ont commencé
d'estre ouverts dés le len.
demain de Noël. C'est quelque
choſe deſurprenant de voir dans
un mesme temps & dans une
Seule Maiſon , qui est destinée
pour cela, cinquante ou ſoixante
Tables , toutes remplies de monceaux
d'or & d'argent. Depuis
qu'on est entré dans le Carnaval,
GALANT. 87
pluſieurs ne ſortent qu'en maſque
matin foir, excepté en allant
à la Messe. C'est presque une
neceſſité d'en ufer ainsi,pour ceux
qui veulent goûter la liberté de
cette saison. Autrement on est
exposé à bien des infultes , ce qui
n'arrive jamais aux Masques.
qui ſontſous laprotection du Public,&
pour lesquels on a beau
coup de respect.Jesuis,&c.
J'ay diféré juſqu'icy à vous
parler du changement qui
s'eſt fait dans les Intendan.
ces, parce que je n'en eftois
pas aſſez bien inftruit. Les
N
88 MERCURE
trois Generalitez de Normandie
ont eſté remplies
par de nouveaux Intendans;
celle de Roien , par M de
Méliand , qui estoit à Caën;
celle de Caën , par M de
Morangis , qui estoit à Alençon
; & celle d'Alençon, par
Mª de Bouville , qui eſtoit à
Moulins. M' de Bercy a efté
pourveu de l'Intendance
d'Auvergne ; M'Poncet, qui
eſtoit à Bourges , de celle de
Limoges ; M'de Seraucourt,
de celle de Bourges ; M'le
Bret, qui eftoit à Limoges, de
celle de Dauphiné ; & M² le
GALANT. 89
Goulx de la Berchere , de
celle deMoulins. Ces fortes
d'Emplois demandant beaucoup
de prudence , de ſçavoir,
& de conduite, le Roy
ne les confie qu'à des Gens,
qui ont de tres-grandes qualitez.
En vous apprenant la mort
de Madame le Coigneux,
Veuve de M'le Coigneux,
Seigneur de Bezonville , je
vous marquay il yaun mois
que de deux Filles qu'elle
avoit laiſlées, l'une eſtoit en
core à marier. J'ay ſçeu depuis
cetemps-là, que le Mé
Mars 1683. H
१० MERCURE
qui
qu
moire qu'on m'avoit donné
de cet Article n'eſtoit pas
exact , & que cette ſeconde
Fille a épousé un Gentilhomme
de Normandie,nommé
M'de Brilly, de la Maiſon
de Gouſtimeſnil-Martel ,
ſans contredit eſt une des plus
anciennes qu'on puiffe trouver.
La Terre de ce nom-là
eſt dans cette Famille il y a
plus de cinq cens ans , avec
la qualité de Chaſtellenie.
Ceux qui la poſſedoient dés
ce temps - là , prenoient le
titre de Chevalier, ce qui eſt
juftifié par des Chartes incon
GALANT: 91
teſtables dans les Archives
de l'Abbaye de Valmont. Ses
Armes font trois Marteaux.
Elle ne s'eſt jamais mef-alliée,
& pluſieurs de ceux qui en
font fortis ont eſté fort confidérez
des Roys Charles IX.
Henry III.& Henry IV. come
il paroiſt par les Lettres que
ces Princes leur ont écrites ,
& par quantité d'Emplois qui
leur ont eſté donnez. M' de
Brilly-Martel , qui a épousé
Mademoiselle le Coigneux,
eft digne de ſes Anceſtres.
Il eſt Neveu de Mademoiſelle
de Scudery , & a l'avantage
Hij
92 MERCURE
de prouver dix-ſept Filiations
dans ſa Race.
M² le Marquis de Mirepoix
a eu l'agrément du Roy
pour la Charge de Cornete
de la Premiere Compagnie
des Mouſquetaires. Il eſt Fils
de M'le Marquis de Mirepoix
, Aîné de l'illuftre Maiſon
de Lévy , & Gouverneur
de Foix ; & de Dame Marie
de Piédufou , de la Maiſon
des Marquis de Piédufou,
iffus des anciens Comtes de
Champagne. Ce jeune Seigneur
foûtient avantageuſement
la gloire de ſes Ancef
tres .
Jouffre pro danston Empr .
- Que le cruel Hyver exercefes
gueurs.
GALANT. 23
Je vous envoye un Air
nouveau , qui ne vous plaira
pas moins que le dernier,
puis qu'il eſt d'un auſſi habile
Maiſtre.
2
AIR NOUVEAU.
Ovel changement dans la
Ouy, mes yeux neſe trompentpas,
Jevoy dans l' Hyverla verdure,
Et dans le coeurd' Iris je trouve les
frimas.
Amour, helas, Amour,foulage mon
martire;
Toyqui regnes danstous les coeurs,
Nefouffre pas dans ton Empire
Quele cruelHyver exerceses vigueurs.
94 MERCURE
)
Les Vers que j'ajoûte à
ceux de cette Chanſon , doivent
eſtre d'un grand poids
pour ceux qui voudront faire
une ſérieuſe reflexion ſur le
peu de certitude des chofes
du monde. Ils ont eſté en
voyez àune Dame , qui avoit
fait une perte tres-confidé..
rable.
25525-52255-525222
CONSOLATION.
N
E regretez point, Vranie,
L'état où vous avez esté...
Cen'estpas laprosperité
Qui fait toûjours icy le bonheur de
lavies
GALANT. 95
Et biensouvent l'adverſité
Donttoft ou tard elle eſtſuivie,
N'enleve au Malheureux qu'elle a
persécuté,
Que ce qui fourniſſoit de matiere à
l'envie,
Etmet le reſte enfeûreré.
25
La Fortuneànosvoeux àlafin éxorable,
Au rangdeses Mignonsàpeine nous
amis,
Qu'un traitementsifavorable,
Durefte desMortels nous fait des
Ennemis.
Chacund'eux contre nous s'irrite,
Et cette fouledeFaloux
Nesongequ'àvangerfurnous
L'affrontque cetteAveugle a faità
leur mérite.
Ainsiloin de now réjoüir
P
96 MERCURE
Desfaveurs quefurnous il luy plaiſt
de répandre,
Nous començons lors à comprendre,
Que la peine de les défendre
Paffe leplaisir d'enjoüir.
Se
Ilfautdu Biendans la Feunesse,
Pourfournirà toussesplaiſirs;
Mais l'âge qui lafuit, &fait nostre
Sageffe,
Fait aussi qu'onse paſſe aisément de
richeffe,
En affoibliſſant nos defirs.
52
Peude choſe fait l'opulence
Decette tranquilleſaiſon.
Quand la Nature &la Raison
Réglentſeules noftre dépense,
On ne voitjamais l'indigence
Troubler lapaix de la Maison.
Oubliez
GALANT97
Sa
Oubliez pour toûjours voſtre triſte
avanture;
Au lieude tous ces Biensqu'onvient
devous ofter,
Faites-vous deformais une richeſſe
Seûre,
Envous accoutumant à ne vienfouhaiter.
Sz
Vous croiriez, dites-vous, voſtre ſort
Suportable,
Sivosfeuls intéreſtsfaiſcientvoſtre
douleur;
Etvous n'eſtes inconsolable,
Qu'à cause quevostre malheur
Faitperdre àvos Enfans un destin
agreable.
Nepermettezjamaisque cette illufion
D'un nouveau chagrin vous accable;
Mars 1683.
I
98 MERCURE
Cette innocente affection
N'est rien qu'un prétextehono.
rable
1
Dont pour vous tourmenterfefert
l'ambition .
52
Donnezàvos Enfans cequ'uneMere
Sage
Peut encorleur donnerquand elle a
tout perdu,
Enleurlaiſſantpourhéritage
L'exemplede vostre vertu .
Apprenez- leur qu'ungros partage
N'estpas ce quifournit lesfolides
plaisirs;
Il estfimal-aiséd'enfaire un bon
usage,
Qu'unsi dangereux avantage
Nedoit eftrejamais l'objet de leurs
defirs.
GALANT 99
را
Quelques fermens qu'on
puiſſe avoir faits d'aimer conſtamment,
on a beſoin d'uſer
de précaution pour tenir parole.
Il faut éviter les belles
Perſonnes ; leur veuë eſt toûjours
tres-dangercuſe ,& une
Coquete meſine , quand elle
a de l'agrément , &un eſprit
un peu délicat , mettra en
péril la fidelité la mieux
éprouvée. L'Avanture dont
je vay vous faire part , nous
le fait connoiftre. Elle a esté
écrite par une Perſonne d'efprit
, dont le ſtile vous plaira.
Je n'y change rien ; & ce que
I ij
100 MERCURE
vous allez lire,eft le Mémoire
que j'en ay reçeu. Un jeune
Comte , d'une des meilleures
Maiſons du Royaume,
s'eſtant nouvellement étably
dans un Quartier , où le Jeu
& la Galanterie regnoient
également , fut obligé d'y
prendre party comme les
autres ; &parce que fon coeur
avoit des engagemens ailleurs
, il ſe déclara pour le Jeu ,
comme pour ſa paffion dominante
; mais le peu d'empreſſement
qu'ily avoit , faifoit
aſſez voir qu'il fe contraignoit
, & l'on jug ea que c'ef
GALANT. Iol
,
toit unHomme quine s'attachoit
à rien , & qui dans la
neceſſité de choiſir , avoit
encormieux aimé cet amuſement
, que de dire à quelque
Belle ce qu'il ne fentoit pas.
Unjour une troupe de jeunes
Dames qui ne joüoiét point,
l'entreprit ſur ſon humeur indiferente.
Il s'en défendit le
mieux qu'il put, alléguantfon
peude mérite , &le peu d'ef
pérance qu'il auroit deftre
heureux en amour ; mais
on luy dit que quand il ſe
connoiſtroit affez mal pour
avoir une ſi méchante opi-
1
)
I iij
102 MERCURE
nion de luy - meſime , cette
raiſon ſeroit foible contre la
veuë d'une belle Perſonne;
&là-deſſus on le menaça des
charmes d'une jeune Marquife,
qui demeuroit dans le
voiſinage , & qu'on attendoit.
Il ne manqua pas de
leur repartir qu'elles-mefmes
ne ſe connoiſſoient point afſez
, & que s'il pouvoit échaper
au péril où il ſe trouvoit
alors , il ne devoit plus rien
craindre pour ſon coeur. Pour
réponſe à ſa galanterie , elles
luy montrerent la Dame
dont il eſtoit queſtion , qui
GALANT. 103
entroit dans ce moment.
!
Nous parlions de vous , Madame
, luy dirent- elles en l'apercevant.
Voicy un Indiférent
que nous vous donnons
à convertir. Vous y eſtes engagée
d'honneur , car il ſemble
vous défier aufli-bien que
nous. La Dame & le jeune
Comte ſe reconnurent , pour
s'eſtre veus quelquefois à la
Campagne chez une de leurs
Amies. Elle estoit fort convaincuë
qu'il ne méritoit rien
moins que le reproche qu'on
luy faifoit, & il n'eſtoit que
trop ſenſible à ſon gré; mais
104 MERCURE
1
elle avoit ſes raiſons pour
feindre de croire ce qu'on
luy diſoit. C'eſtoit une occafion
de commerce avec un
Homme, ſur lequel depuis
longtemps elle avoit fait des
deſſeins qu'elle n'avoit pû
executer. Elle luy trouvoit
de l'eſprit , & de l'enjouëment
, & elle avoit hazardé
des complaiſances pourbeaucoup
de Gens , qui afſurémentne
le valoientpas; mais
ſon plus grand mérite eſtoit
l'opinion qu'elle avoit qu'il
fuſt aimé d'une jeune Demoiſelle
qu'elle haïffoit , &
i
GALANT. 105
dont elle vouloit ſe vanger.
Elle prit donc fans balancer,
leparty qu'on luy offroit,&
apres luy avoir dit qu'il falloit
qu'on ne le crût pas bien endurcy
, puis qu'on s'adreſſoit
à elle pour le toucher , elle
entreprit de faire un Infidelle
fous prétexte de convertir
un Indiférent. Le Comte
aimoit paſſionnément la
Demoiselle dont on le croyoit
aimé ,& il tenoit à elle par
des engagemens ſi puiſſans,
qu'il ne craignoit pas que
rien l'en puſt détacher. Sur
tout il ſe croyoit fort enfûreté
106 MERCURE
contre les charmes de la Marquiſe.
Il la connoiſſoit pour
une de ces Coquetes de profeffion
, qui veulent à quelque
prix que ce ſoit engager
tout le monde , & qui ne
trouvent rien de plus honteux
que de manquer une
Conqueſte. Il ſçavoit encore
que depuis peu elle avoit un
Amant , dont la nouveauté
faiſoit le plus grand mérite, &
pour qui elle avoit rompu
avec un autre qu'elle aimoit
depuis longtemps , & à qui
elle avoit des obligations efſentielles
. Ces connoiſſances
GALANT 107-
luy ſembloient un remede af
furé contre les tentations les
plus preſſantes. La Damel'avoit
affez veu pour connoître
quel eſtoit ſon éloignement
pour des Femmes de fon caractere
; mais cela ne fit que
flater ſa vanité. Elle trouva
plus de gloire à triompher
d'un coeur qui devoit eſtre ſi
bien défendu. Elle luy fit d'abord
des reproches de ne
l'eſtre pas venu voir depuis
qu'il eſtoit dans le quartier,
&l'engagea à reparer ſa faute
dés le lendemain. Il alla
chez elle , &s'y fit introduire
108 MERCURE
parunConſeillerde ſes Amis,
avec qui il logeoit , & qui
avoit des liaiſons étroites avec
le Mary de la Marquiſe. Les
honneſtetez qu'elle luy fit,
l'obligerent enſuite d'y aller
pluſieurs fois ſans Introduc.
teur , & à chaque viſite , la
Dame mit en uſage tout ce
qu'elle crut de plus propre à
l'engager. Elletrouva d'abord
toute la réſiſtance qu'elle a.
voit attenduë . Ses ſoins , loin
de faire effet , ne luy attire.
rent pas ſeulement une parole
qui tendiſt à une déclaration;
mais elle ne deſeſpéra point
GALANT. 109
pour cela du pouvoir de ſes
charmes . Ils l'avoient ſervie
trop fidellement en d'autres
occafions , pour ne luy donner
pas lieu de ſe flater d'un
pareilſuccés en celle-cy.Elle
cruttmeſme remarquer bientoft
qu'elle ne s'eſtoit pas
trompée. Les viſites du Comte
furent plus fréquentes,
Elle luy trouvoit un enjouëment
que l'on n'a point
quand on n'a aucun deſſein
de plaire. Mille railleries divertiſſantes
qu'il faifoit fur fon
nouvel Amant ; le chagrin
qu'il témoignoit quand il
110 MERCURE
ne pouvoit eſtre ſeul avec
elle , l'attention qu'il preſtoit
aux moindres choſes qu'il luy
voyoit faire , tout cela luy parut
d'un augure merveilleux,
& il eſt certain que fis elle
n'avoit pas encor le coeur de
ce prétendu Indiférent , elle
occupoit du moins ſon ef
prit. Il alloit plus rarement
chez la Demoiselle qu'il aimoit
, & quand il eſtoit avec
elle , il n'avoit point d'autre
ſoin , que de faire tomber le
difcours fur la Marquife. Il
aimoit mieux railler d'elle
que de n'en rien dire . Enfin
GALANT. III
ſoit qu'il fuſt ſeul, ou en compagnie
, ſon idée ne l'abandonnoit
jamais . Quel dommage
, diſoit-il quelquefois ,
que le Ciel ait répandu tant
de graces dans une Coquete?
Faut-il que lavoyant ſi aimable
, on ait tant de raiſon de
ne point l'aimer ? Il ne pouvoit
luy pardonner tous ſes
charmes ; & plus il luy en
trouvoit , plus il croyoit la
haïr. Il s'oublia meſme un
foir juſques à luy reprocher ſa
conduite , mais avec une aigreur
qu'elle n'auroit pas ofé
efperer fi-toſt. A quoy bon,
112 MERCURE
luy ddiitt--iill,,MMaadame , toutes
ces oeillades , &ces manieres
étudiées que chacun remarque
,&dont tant de Gens ſe
donnent le droit de parler?
Ces ſoins de chercherà plaire
à tout le monde , nefontpardonnables
qu'à celles à qui
ils tiennent lieu de beauté.
Croyez-moy,Madame, quittez
des affectations qui font
indignes de vous. C'eſtoit où
on l'attendoit. La Dame ef
toit trop habile pour ne dif
tinguerpas les conſeilsdel'amitié,
des reproches de la jaloufie.
Elle luy en marqua
GALANT. 113
de la reconnoiſſance , & tâ
cha enfuite de luy perfuader
que ce qui paroiſſoit coqueterie
, n'eftoit en elle que la
crainte d'un veritable attachement
; que du naturel
dont elle ſe connoiſſoit , elle
ne pourroit eſtre heureuſe
dans un engagement , parce
qu'elle ne ſe verroitjamais aimée,
ny avec la meſme fincerité,
ny avec la meſme déli
cateſſe dont elle ſouhaiteroit
de l'eftre , & dont elle fçavoit
bien qu'elle aimeroit.
Enfin elle luy fit un faux
Portrait de fon coeur , qui fut
Mars1683. K
114 MERCURE
pour luy un veritable poifon.
Il ne pouvoit croire tout-àfait
qu'elle fuſt ſincere , mais
il ne pouvoit s'empeſcher de
le ſouhaiter. Il cherchoit des
apparences à ce qu'elle luy
difoit , & il luy rappelloit
milles actions qu'il luy avoit
veu faire afin qu'elle lesjuſtifiaft
; & en effet, ſe ſervant du
pouvoir qu'elle commençoit
àprendre ſur luy , elle y donna
des couleurs qui diffiperent
une partie de ſes ſoupçons
,mais qui pourtantn'auroient
pas trompeun Homme
, qui euſt moins ſouhaité
a
GALANT. I
1 de l'eſtre. Cependant,ajoûta-
-t- elle d'un air enjoüé , je ne
veux pas tout- à-fait diſconvenir
d'un défaut , qui peut
me donner lieu de vous avoir
quelque obligation. Vous
ſçavez ce que j'ay entrepris
pour vous corriger de celuy
qu'on vous reprochoit. Le
peu de ſuccés que j'ay eu , ne
-vous diſpenſe pas de reconnoiſtre
mes bonnes intentions
, &vous me devez les
melines foins.Voyons ſi vous
ne ferez pas plus heureux
à fixerune Inconſtante , que
je l'ay eſté à toucher un In
Kij
116 MERCURE
ſenſible. Cette propofition,
quoyque faite en riant, le fit
rentrer en luy-mefme , &alarma
d'abord ſa fidelité. Il vit
qu'elle n'avoit peut- eftre que
trop réüſſy dans fon entrepriſe
, & il reconnut le danger
où il eſtoit ; mais fon panchant
commençant àluy ren
dre ces reflexions facheuſes,
il tâcha bientoſt à s'en délic
vrer. Il penſa avec plaifir, que
ſa crainte eſtoit indigne de
luy , & de la Perſonne qu'il
aimoit depuis fi longtemps.19
Sadélicateſſe alla meſme fuf
qu'à ſe la reprocher comme
1
GALANT. 117
une infidelité , &apres s'eſtre
dit à ſoy-meſme,que c'eſtoit
déja eſtre Inconſtant que de
craindre de changer , il embraſſa
avec joye le party qu'-
on luy offroit. Cefut un commerce
fort agreable de part
& d'autre. Le prétexte qu'ils
prenoient rendant leur empreflement
un jeu , ils goû
toient des plaiſirs qui n'eftoient
trouble z d'aucuns ſcrupules.
L'Italien qu'ils ſçavoient
tous deux, eftoit l'interprete
de leurs tendres ſentimens.
Ils ne ſe voyoientjamais
qu'ils n'euſſent à ſe don
118 MERCURE
ner un Billet en cette Langue;
car pour plus grande
lûreté, ils eſtoient convenus
qu'ils ne s'envoyeroient jamais
leurs Lettres. Sur tout
elle luy avoit défendu de parlerde
leur commerce au Conſeiller
, avec qui il logeoit,
parce qu'il eſtoit beaucoup
plus des Amis de fon Mary,
que des fiens ; &qu'autrefois
fur de moindres apparences,
il luy avoit donné des foup.
çons d'elle fort deſavantageux.
Elle luy marqua mef
me des heures où il pouvoit
le moins craindre de les ren-
;
-
す
GALANT. 119
contrer chez elle l'un ou l'au
tre , & ils convinrent de certains
fignes d'intelligence
pour les temps qu'ils y feroient.
Ce miſtere eftoit un
nouveau charme pour le jeune
Comte. La Marquiſe prit
enſuite des manieres ſi éloignées
d'une Coquete, qu'elle
acheva bien- toſt de le perdre.
Juſque-là elle avoit eu un de
ces caracteres enjoüez , qui
reviennent quaſi à tout le
monde , mais qui defefperent
un Amant ; & elle le quita
pour en prendre un tout oppofé,
ſans le luy faire valoir
120 MERCURE
comme un ſacrifice. Elle
écarta ſon nouvel Amant, qui
eſtoit un Cavalier fort bien
fait. Enfin loin d'aimer l'éclat
, toute fon application
eftoit d'empeſcher qu'on ne
s'apperçeût de l'attachement
que le Comte avoit pour elle ;
mais malgré tous ſes ſoins, il
tomba un jour de fes poches
une Lettre que fon Mary ramaſſa
, ſans qu'elle y prift
garde. Il n'en connut point
le caractere , & n'en entendit
pas le langage , mais ne dou
tant pas que ce ne fuſt de l'Italien
, ilcourut chez leCon
feiller
GALANT. 121
feiller qu'il ſçavoit bien n'eftre
pas chez luy , feignant de
luy vouloir communiquer
quelque affaire. C'eſtoit afin
d'avoir occafion de parler au
Comte , qu'il ne ſoupçonnoit
point d'eſtre l'Autheur
Lettre , parce qu'elle eſtoit
d'une autre main. Pour prévenir
les malheurs qui arrivent
quelquefois des Lettres
perduës , le Comte faiſoit écrire
toutes celles qu'il donnoit
à la Marquiſe , par une
Perſonne dont le caractere
eſtoit inconnu. Il luy avoit
porté le jour précedentle Bil-
Mars1683. L
122 MERCURE
let Italien dont il s'agiſſoit. Il
eſtoit écrit fur ce qu'elle avoit
engagé le Conſeiller à luy
donner à ſouper ce meſme
jour-là ; & parce qu'elle avoit
ſçeu qu'il devoit aller avec fon
Mary à deux lieuës de Paris
l'apreſdînée, &qu'ils n'en reviendroient
que fort tard,elle
eſtoit convenue avec ſonA
mant,qu'elle ſe rendroit chez
luy avant leur retour. La Lettre
du Comte eſtoit pour l'en
faire ſouvenir, & comme un
avantgouſt de la fatisfaction
qu'ils ſe promettoient cette
foirée. LeMary n'ayant point
GALANT. 123
1
trouvéle Conſeiller,demanda
le Comte. Dés qu'il le vit, il
tira de fa poche d'un air emprefféquátitédePapiers,&
le
priade les luyremettre quand
il ſeroit revenu. Parmy ces
Papiers eſtoit celuy qui luy
donnoit tant d'agitation. En
voicy un, luy dit-il feignant
de s'eſtre mépris , qui n'en
eſt pas. Je ne ſçay ce que
c'eſt. Voyez ſi vous l'entendrez
mieux que moy , &
l'ayant ouvert , ilen lût luy-
μ
méme les premieres lignes,
de peurque le Comtejettant
les yeux ſur la ſuite , ne con-
Lij
124 MERCURE
nuſt la part que la Marquiſe
y pouvoit avoir , & que la
crainte de luy appreennddrree de
facheuſes nouvelles , ne l'obligeaſt
à luy déguiſer la verité.
Le Comte fut fort furpris
quand il reconnut ſa Lettre.
Un trouble ſoudain s'empara
de ſon eſprit ; & il eut
beſoin que le Mary fuft occupé
de ſa lecture , pour luy
donner le temps de ſe remettre.
Apres en avoir entendu
commencement ; Voila ,
dit-il contrefaiſant l'étonné,
ce que je cherche depuis
longtemps. C'eſt le rôle d'ule
GALANT. 125
ne Fille qui ne ſçait que l'Italien
, & qui parle à fon Amant
qui ne l'entend pas.
Vous aurez veu cela dans une
Comédie Françoiſe , qui a
paru cet Hyver. Mille Gens
me l'ont demandé , & il faut
que vous me faſliez le plaifir
de me le laiffer. J'y conſens,
luy répondit le Mary , pourveu
que vous le rendiez à ma
Femme, car je croy qu'il eſt
à elle. Quand le jeune Comte
crut avoir porté aſſez loin
la credulité du Mary , il n'y
eut pas un mot dans ce prétendu
rôle Italien , dont il
Lij
126. MERCURE
ne luy vouluſt faire entendre
l'explication ; mais le Mary
ayant ce qu'il ſouhaitoit,
benît le Ciel en luy-meſme
de s'eſtre trompé ſi heureuſement
, & s'en alla où l'appelloient
ſes affaires. Auffitoſt
qu'il fur forty , le Comte
courut à l'Eglife , où il eſtoit
für de trouver la Dame, qu'il
avertit par unBillet qu'il luy
donna fecretement, de ce qui
venoit de ſe paſſer, & de l'artifice
dont il s'eſtoit ſervy
pour retirer ſa Lettre. Elle ne
fut pas fitoft rétrée chez elle,
qu'elle mit tous ſes Domefti
GALANT. 127.
ques à la queſte du Papier, &
tonMaryeftat de retour, elle
le luy demanda. Il luy avoüa
qu'il l'avoit trouvé , & que le
Comte en ayantbeſoin, il l'avoit
laiſſé entre les mains. Me
voyez-vous des curiofitez
ſemblables pour les Lettres
que vous recevez, luy répondit-
elle , d'un ton qui faifoit
paroiſtre un peu de colere? Si
c'eſtoit un Billet tendre , ſi
c'eſtoit un rendez-vous que
l'on me donnât , ſeroit-il agreable
que vous nous vinf
fiez troubler ? Son Mary luy
dit enl'embraſſant, qu'il ſça-
1
Lij
128 MERCURE
voit fort bien ce que c'eſtoit;
& pour l'empefcherde croire
qu'il l'euſt ſoupçonnée soil
l'aſſura qu'il avoit crû ce Pa
pier à luy, lors qu'il l'avoit ra
maffé. La Dame ne borna
pas fon reſſentiment à une
raillerie de certe nature. Elle
ſe rendit chez le Comte de
meilleure heure qu'elle n'auroit
fait. La commodité d'un
Jardin dans cette Maiſon ,
eſtoit un prétexte pour y al
ler avant le temps du Soupé.
La jalouſie dans un Mary eft
un défaut ſi blamable, quand
elle n'est pas bien fondée
GALANT. 129
qu'elle ſe fit undevoir de juf
tifier ce que le ſien luyen
avoit fait paroiſtre. Tout favorifoit
un fr beau deſſein.
Toutes fortes de témoins eftoient
éloignez, & le Comte
& la Marquife pouvoient ſe
parler en liberté. Ce n'eſtoit
plus par des Lettres,& pardes
fignes,qu'ils exprimoientleur
_tendreffe. Loin d'avoir recours
àune langue étrangere,
à peine trouvoient-ils qu'ils
ſçeuſſent aſſez bien le Fran.
çois,pour ſe dire tout ce qu'ils
fentoient ; & la défiance du
Mary leur rendant tout legi130
MERCURE
Confeiller
time, la Dame eut des complaiſances
pour le jeuneComte,
qu'il n'auroit pas ofé eſperer.
Le Mary & le Conſeiller
eſtant arrivez fort tard , leur
firent de grandes excuſes de
les avoir fait ſi longtemps attendre.
On n'eut pas de peine
à les recevoir , parce que
jamais on ne s'eſtoit moins
impatienté. Pendant le Soupé,
leurs yeux firent leur devoir
admirablement'; & la
contrainte où ils ſe trouvoient
par la préſence de deux Témoins
incommodes , preftoit
àleurs regardsune éloquen.
GALANT. 131
ce qui les conſoloit de ne
pouvoir s'expliquer avec plus
de liberté. Le Mary ayant
quelque choſe à dire au Comte
, l'engagea à venir faire
avec luy un tour de Jardin.
Le Comte en marqua par un
coup d'oeil ſon dépiaiſir à la
Dame, &la Dame luy fit connoiſtre
par un autre ſigne
combien l'entretien du Confeiller
alloit la faire fouffrir.
On ſe ſépara. Jamais le Comte
n'avoit trouvé de ſi doux
momens que ceux qu'il paſſa
dans ſon tefte-à-tefte avec la
Marquiſe. Il la quita fatisfait
132 MERCURE
au dernier point ; mais dés
qu'il fut ſeul, il ne pût s'abandonner
à luy-mefme ſans reffentir
les plus cruelles agitations.
Que n'eut-il point à ſe
dire ſur l'état où il ſurprenoit
fon coeur ! Iln'en eſtoit pas à
connoiftre que ſon trop de
confiance luy avoit fait faire
plus de chemin qu'il ne luy
eſtoit permis ; mais il s'eſtoit
imaginé juſque-là qu'un amuſement
avecune Coquete
ne pouvoit bleſſer en rien la
fidelité qu'il devoit à ſa Maîtreſſe.
Il s'eſtoit toûjours repoſeſur
ce qu'une Femme qui
GALANT. 133
ne pourroit luy donner qu'un
coeur partagé, ne ſeroit jamais
capable d'inſpirer au fien un
vray amour, & alors il com.
mença à voir que ce qu'il avoit
traité d'amusement , ef
toit devenu une paffion, dont
il n'eſtoit plus le maiſtre. Apres
ce qui s'eſtoit paſſé avec
laMarquiſe, il ſe fuſt flatéinutilement
de l'eſpéráce de n'en
eftre point aiméuniquement,
& de bonne foy. Peut- eftre
meſme que des doutes làdeſſus
auroient eſté d'un foible
ſecours. Il fongeoit ſans
ceſſe à tout ce qu'il luy avoit
134 MERCURE
trouvé de paffion , à cet air
vif & touchant qu'elle donnoit
à toutes ſes actions;& ces
reflexions enfin jointes au
peu de fuccés qu'il avoit eu
dans l'attachement qu'il avoit
pris pour ſa premiere Maîtrefle
, mirent ſa raiſon dans
le party de ſon coeur , & difliperent
tous ſes remords .Ainfi
il s'abandóna ſans ſcrupule à
ſon pachant,& ne ſongea plus
qu'àſe ménager mille nouvelles
douceurs avec la Marquife
; mais la jalouſie les vint
troubler lors qu'il s'y eſtoitle
moins attendu. Un jour il la
GALANT. 135
}
furprit ſeule avec l'Amát qu'il
croyoitqu'elle euſt banny; &
le Cavalier ne l'eut pas fitoft
quitée , qu'il luy en fit des reproches,
come d'un outrage
qui ne pouvoit eſtre pardóné.
Vous n'avez pû longtemps
vous démentir, luydit- il,Madame.
Lors que vous m'avez
crû affez engagé, vous avez
ceffé de vous faire violence.
J'avoue que j'applaudiſſois à
ma paffion , d'avoir pû cháger
voſtre naturel ; mais des Femmes
comme vous ne chan_
gent jamais. J'avois tort d'efpérerun
miracle en ma fa-
2
136 MERCURE
veur. Il la pria enſuite de ne
ſe plus contraindre pour luy,
& l'aſſura qu'il la laiſſeroit en
liberté de recevoir toutes les
viſites qu'il luy plairoit. La
Dame ſe connoiffoit trop
bien en dépit, pour rien appréhender
de celuy là.Elle en
tira de nouvelles aſſurances
de fon pouvoir ſur le jeune
Comte , & affectant une co
lere qu'elle n'avoit pas , elle
luy fit comprendre qu'elle ne
daignoit pas ſe juftifier, quoy
qu'elle euſt de bonnes raifons
qu'elle luy cachoit pour
le punir. Elle luy fit meſme 1
GALANT. 137
L
L
1
1
promettre plus poſitivement
qu'il n'avoit fait, de ne plus
revenir chez elle. Ce fut là
où il put s'appercevoir combien
il eſtoit peu maiſtre de
fſaapaffion. Dans unmoment
il ſe trouva le ſeul criminel;
& plus affligé de l'avoir irritée
par ſes reproches , que de
la trahilon qu'il penſoit luy
eftre faite , il ſe jetra à ſes genoux,
trop heureux de pouvoir
efperer le pardon, qu'il
croyoit auparavant qu'on luy
devoit demander. Par quel
les foûmiſſions ne tâcha-t-il
pointde le mériter ! Bien loin
Mars 1683.
2
M
128 MERCURE
de luy remettre devát lesyeux
les marques de paffion qu'il
avoit reçeues d'elle , & qui
ſembloient luy donner le
droit de ſe plaindre, il paroiffoit
les avoir oubliées, ou s'il
s'en refſouvenoit, ce n'eſtoit
que pour ſe trouver cent fois
plus coupable. Il n'alléguoit
que l'excés de fon amour qui
le faifoit ceder àſa jalouſie,&
quien de pareilles occaſions
ne s'explique jamais mieux
que par la colere. Quand elle
crût avoir pouſſe ſon triomphe
affez loin , elle luy jetta
un regard plein de douceur
GALANT 139
qui en un moment rendit à
ſon ame toute ſa tranquillité.
C'eſt affez me contraindre,
luydit- elle; auſſibien majoye
&mon amour commencent
à me trahir. Non , mon cher
Comte , ne craignez point
que je me plaigne de voſtre
colere. Je me plaindroisbien
plûtoſt ſi vous n'en aviez
point eu. Vosreproches, il eft
vray,bleſſent ma fidelité,mais
je leur pardonne ce qu'ils ont
d'injurieux, en faveur de ce
qu'ils ont de paflionné.Ces
affurances de voſtre tendref
ſe m'eſtoient ſi cheres, qu'el
Mij
140 د MERCURE
les ont arreſté juſqu'icy l'im
patience que j'avois de me
justifier. La deſſus elle luy fit
connoiſtre combien ſesſoupçons
eſtoient indignes d'elle
& de luy; que n'ayant point
défendu au Cavalier de venir
chez elle , elle n'avoit pû re
fufer de le voir ; qu'un telrefus
auroit eſté une faveur
pour luy ; que s'il le ſouhai
toit pourtant, elle luy défen
droit ſa maiſon pour jamais;
mais qu'il conſiderât com
bien il feroit peu agreable
pour elle, qu'un Homme de
cette forte s'allât vanter dans
GALANT. 141
le monde qu'elle cuſt rompu
avec luy, & laiſſaft croire qu'il
y euſt des Gens à qui il donnoit
de l'ombrage. L'amoureux
Comte eſtoit fi touché
des marques de tendreſſe
qu'on venoit de luy donner,
qu'il ſe ſeroit volontiers payé
d'une plus méchante raiſon .
Il cuthonte de ſes ſoupçons,
& la pria luy-meſme de ne
point changer de conduite.
. Il paſſa ainſi quelques jours à
recevoir fans ceffe de nouvel
les affurances qu'il eſtoit aimé
, & il mérita dans peu
qu'on luy accordât une en
142 MERCURE
treveuë ſecrete la nuit. Le
Mary eſtoit à la campagne
pour quelque temps ; & la
Marquife , maiſtreſſe alors
d'elle-méme , ne voulut pas
perdre une occaſion ſi favorable
de voir ſon Amant avec
liberté. Le jour que le Comte
eſtoit attendu chez elle
fur les neufheures du foir , le
Conſeiller ſoupant avec luy
( ce qu'il faifoit fort ſouvent)
voulut lemener à une Affemblée
de Femmes du voiſinage
qu'on régaloit d'un Concert
de Voix & d'Inſtrumens, Le
Comte s'en excufa , & ayant
GALANT. 143
laiffé fortir le Conſeiller, qui
le preſſa inutilement de venir
joüir de ce régale, il fe rendit
chez la Dame qui'le reçeut
avec beaucoup de marques
d'amour. Apres quatre
heures d'une converſation
tres -tendre,il fallut ſe ſéparer.
Le Comte eut fait à peine dix
pas dans la Ruë, qu'il ſe vit
ſuivy d'un Homme qui avoit
le viſage envelopé d'un Manteau.
Il marcha toûjours , &
s'il le regarda comme unEfpion,
il eut du moins le plaifir
de remarquer qu'il eſtoit
trop grand pour eftre le Mary
1
144 MERCURE
de la Marquiſe. En rentrant
chez luy, il trouva encore le
prétendu Eſpion qu'il reconnut
enfin pour le Conſeiller.
Les refus du jeune Comte
touchant le Concert deVoix,
luy avoit fait croire qu'il avoit
un rendez-vous. Il le ſoupçonnoit
déja d'aimer la Marquiſe,
&fur ce ſoupçon il eftoit
venu l'attendre à quelques
pas de ſaporte,& l'avoit
veu ſe couler chez elle. Il y
avoit frapé auſſitoft, & la Suivante
luy eſtoit venuë dire de
la part de ſa Maiſtreſſe, qu'un
g.and mal de teſte l'obligeoit
à fe
GALANT. 145
à ſe coucher, & qu'il luy eftoit
impoffible de le recevoir.
Par cette réponſe il avoitcompris
tout le miftere. Il ſuivit
pr
le Comte dans ſa Chambre,
& luy ayant déclaré ce qu'il
'avoit fait depuis qu'ils s'eftoient
quitez ; Vous avez
pris , luy dit-il , de l'engagement
pour la Marquiſe; il faut
qu'en fincere Amy, je vous
lafaſſe connoiſtre. J'ay com-
- mencé à l'aimer avant que
vous vinſſiez loger avec moy,
&quand elle a ſceu noftre
liaiſon ,elle m'a fait promettre
par tant de ſermens, que je
Mars 1683. N
146 MERCURE
yous ferois un ſecret de cet
amour , que je n'ay ofé vous
en parler. Vous ſçavez , me
diſoit-elle. , qu'il aime une
Perſonne qui me haït mortellement.
Il ne manquera
jamais de luy apprendre combien
mon coeur eft foible
pour vous. La difcrétion
qu'on doit à un Amy, ne tient
guére contre la joye que l'on
a, quand on croit pouvoir divertir
une Maîtreſſe . La Perfide
vouloit meſime que je luy
fuffe obligé , de ce qu'elle
conſentoit à recevoir vos viſites.
Elle me recommandoit
GALANT. 147
:
fans ceſſe de n'aller jamais la
voir avec vous ; & quand
vous arriviez , elle affectoit
un air chagrin dont je me
plaignois quelquefois à elle,
&qu'apparemment elle vous
laiſſoit expliquer favorablement
pourvous.Mille ſignes,
& mille geſtes qu'elle faifoit
dans ces temps- là , nous eftoient
fans-doute communs.
Je rappelle préſentementune
infinité de choſes que je
croyois alors indiférentes , &
je ne doute point qu'elle ne
ſe ſoit fait un mérite aupres
de vous , de la partie qu'elle
Nij
148 MERCURE
fit il y a quelque temps de
foupericy. Cependantquand
elle vous vit engagé dans le
Jardin avec ſon Mary , quels
tendres reproches ne me fitelle
point d'eſtre revenu ſi
tard de la Campagne , & de
l'avoir laiſſée fi longtemps
avec unHomme qu'elle n'aimoit
pas! Hier mefme encor
qu'elle me préparoit avec
vous une trahiſon ſi noire,
elle eut le frontde vous faire
porteur d'une Lettre , par laquelle
elle me donnoit un
rendez-vous pour ce matin,
vous diſant que c'eſtoit un
GALANT. 149
Papier que fon Mary l'avoit
chargée en partant de me remettre.
Le Comte estoit fi
troublé de tout ce que le
Conſeiller luy diſoit , qu'il
n'eut pas la force de l'interrompre.
Dés qu'il fut remis,
il luy apprit comme ſon amour
au commencement
n'eſtoit qu'un jeu ,&comme
dés lors la Marquiſe luy avoit
JaMa
fait les meſmes loix de difcrétionqu'à
luy. Ils firent enſuire
d'autres éclairciſſemens qui
découvrirent au Comte, qu'il
ne devoit qu'à la coqueterie
de la Dame, ce qu'il croyoit
Niij
150 MERCURE
devoir à ſa paſſion ; car c'ef
toit le Conſeiller qui avoit
exigé d'elle qu'elle ne viſt
plus tant de monde , & fur
tout qu'elle éloignaſt ſon troifiéme
Amant , & ils trouverent
que quand elle l'eut rappellé
, elle avoit allegué le
meſime prétexte au Conſeiller
qu'au Comte, pour continuer
de le voir. Il n'y a guére d'amour
à l'épreuve d'une telle
perfidie; auſſi ne ſe piquerentils
pas de conſtance pour une
Femme quile méritoit ſi peu.
Le Comte honteux de la trahiſon
qu'il avoit faite à fa
GALANT. 151
premiere Maîtreſſe, réſolutde
n'avoir plus d'affiduitez que
pour elle feule,& le Confeiller
futbientoſt déterminé ſur les
meſures qu'il avoit àprendre;
mais quelque promeſſe qu'ils
ſe fiſſet l'un àl'autre de ne plus
voir laMarquife,ils ne pûrent
ſe refuſer le foulagement de
luy faire des reproches. Dés
qu'il leur parut qu'ils la
veroient levée , ils ſe rendi.
rent chez elle. Le Comteluy
dit d'abord, que le Conſeiller
eſtant ſon Amy, l'avoit voulu
faire profiter du rendez -vous
qu'elle luy avoit donné , &
trou-
Niiij
152 MERCURE
qu'ainſi elle ne devoit pas s'é--
tonner s'ils venoient enſemble.
LeConſeiller prit auſſitôt
la parole , & n'oublia rien de
tout ce qu'il crut capable de
faire honte à laDame,& dele
vanger de fon infidelité.Il luy
remit devant lesyeux l'ardeur
fincere avec laquelle il l'avoit
aimée, les marques de paffion
qu'il avoit reçeuës d'elle , &
les ſermens qu'elle luy avoit
tant de fois reïterez , de n'aimer
jamais que luy. Elle l'é
couta fans l'interrompre , &
ayant pris fon party pendant
qu'il parloit ; Il eſt vray , luy
GALANT. 153
1
répondit- elle d'un air moins
embarafféque jamais ,je vous
avois promis de n'aimer que
vous ; mais vous avez attiré
M' le Comte dans ce quartier
; vous l'avez amené chez
moy , &il eſtvenu àm'aimer.
D'ailleurs, dequoy pouvezvous
vousplaindre ? Tout ce
qui a dépendu de moy pour
vous rendre heureux , je l'ay
fait. Vous ſçavez vous-mef
me quelles précautions j'ay
priſes , pour vous fairecacher
P'unà l'autre voſtre paffion. Si
vous l'aviez ſceuë,voſtre amitié
vous auroit couſté des vio
154 MERCURE
lences ou des remords , que
ma bonté & ma prudence
vous ont épargnez. N'eſt-il
pas vray qu'avant cette nuit,
que vous avez épić M' le
Comte, vous eſtiez tous deux
les Amans du monde les plus
contens? Suis-ie coupable de
voſtre indifcrétion ? Pourquoy
me venir chercher le
foir ? Ne vous avois-je pas
averty par une Lettre que je
donnay à M² le Comte , de ne
venir que ce matin ? Tout
cela fut dit d'une maniere ſi
libre , & fi peu déconcertée,
que ce trait leur fit connoître
GALANT. 155
la Dame encor mieux qu'ils
n'avoient fait. Ils admirerent
un caractere ſi particulier , &
laiſſerent à qui le voulut la
liberté d'en eſtre la Dupe. La
Marquiſe ſe conſola de leur
perte, en faiſant croire au troifiéme
Amant nouvellement
rappellé, qu'elle les avoitbannis
pour luy ; & comme elle
ne pouvoit vivre ſans intrigue
, elle en fit bien-toft une
nouvelle.
M le Marquis de Pomereu
, Capitaine aux Gardes,
a preſté ferment entre les
mains du Roy , pour leGou
156 MERCURE
vernement de la Ville &Citadelle
de Doüay. Sa Majefté
en luy accordant fon
agrément en conſidération
de ſes longs ſervices , luy accorda
ce Gouvernement à
vie , quoy qu'elle ne faffe ordinairement
des Gouver
neurs que pour trois ans.
Ce Poſte eſt d'une tres-grande
importance , & on n'en
ſçauroit douter , puis qu'il a
eſté remply auparavant par
M de Vauban , qui eſt un
Homme fingulier pour la
guerre. Vous avez veu dans
la Relation que je vous ay
GALANT. 157
- envoyée du Combat qui s'eſt
donné prés de Mons , de
quelle maniere M' de Pomereu
ſe diftingua à la teſte de
- fon Bataillon , dont il ſauva
ce qui reſtoit. Auſſi eſtoit- il
-entré dans les Gardes par un
-endroit fort avantageux , puis
qu'au Siege de Gravelines,
M le Maréchal de la Ferté
demanda pour luy au RRooyy,,
qui venoit viſiter le Camp, la
- Lieutenance de Mº de Brécourt
qui avoit eſté tué le ſoir
precédent. Me de Pomereu
eſtoit alors Capitaine dans un
Vieux Corps , & venoit de
158 MERCURE
paffer , comme Volontaire,
un grand Foſſe plein d'eau,
pour voir ſi on pouvoit attacher
le Mineur au Baſtion ; ce
qui s'eſtant trouvé facile à
executer , avança fort la reddition
de la Place,
/
M' Deſparbez de Luſſan,
Comte d'Aubeterre , Lieutenant
General des Armées du
Roy , eſt mort depuis quelques
jours , âgé de ſoixante
& quinze ans. Dés l'année
1549. il y avoit des Chevaliers
&des Commandeurs de l'Or.
dre de Malte dans cette Maiſon,
qui eſt une des plus no
GALANT. 159
bles & des plus anciennes du
Royaume. Jean-PaulDeſparbez,
S de Luſſan, de la Serre,
de la Garde , de S. Savin , de
Vitrieffe,&de Chadenac,Capitaine
des Gardes du Corps,
Gouverneur de Blaye , & Senéchal
d'Agénois , & de Condomois
, fervit glorieuſement
les Roys Charles IX. Henry
III. & Henry IV. dans leurs
guerres , & mourut fort âgé
le 15. Novembre 1616. Il épouſa
Catherine de Montagu,
Dame de la Serre , de laquelle
il eut François Deſparbez , S
deLuſſan, Maréchal de Fran
160 MERCURE
ce , marié avecHipolite Bouchard
, Vicomteſſe d'Aubeterre
, Fille unique de David
Bouchard , Vicomte d'Aubeterre
, Chevalier des Ordres
du Roy , & Gouverneur
dePérigord. De ce Mariage
font fortis cinq Fils , & cinq
Filles. M le Comte d'Aubeterre
, dont je vous apprens
la mort , eſtoit le fecond. Il
avoit épousé Marie de Pompadour,
Fille de Philbert, Vicomte
de Pompadour , Chevalier
des Ordres de Sa Majeſté
, & Lieutenant General
enLimoſin .
GALANT. 161
}
Madame de Céſan , Femme
de M² Gellas , Marquis de
Céfan , Maréchal des Camps
& Armées du Roy , & Gouverneur
des Ville & Citadelle
de Cambray , Païs & Comté
de Cambreſis , eft morte auffi
dans ce mois. Le nom de ſa
Famille eſt Foulé. Elle estoit
Veuve de M' Gaulmin , Seigneurdu
Mats , Conſeiller au
Parlement de Mets ; Soeur de
Madame la Préſidente Larcher
, &de Madame de Prunevaut,
Veuve de Mª de Prunevaut
, Maiſtre des Requeſtes
; & Tante de M
Mars1683. 0
162 MERCURE
de Martangis , Ambaſſadeur
pour le Roy en Dannemarck
. :
Ces morts ont eſté ſuivivies
de celle de M de Graves,
Docteur de Sorbonne , Abbé
de Noftre - Dame de Pérignac
,&Chanoine de l'Eglife
de Paris . Il eſtoit Frere de
M² de Graves , Sous-Gouverneur
, & Maiſtre de la Garderobe
de Monfieur, au Fils
duquel il avoitréſignéſes Benéfices
quelque temps avant
ſamort. Il a laiſſé beaucoup
à l'Hôtel-Dieu.
Il m'eſt tombé entre les
GALANT. 163
mains un Ouvrage deM² Comiers
d'Ambrum , Profeſſeur
des Mathématiques à Paris.
L'eſtime que vous m'avez témoigné
avoir pour tout ce
qui vient de luy , m'oblige à
vous l'envoyer. Vous en ferez
part à vos Amis , & aux Sçavans
de voſtre Province.
5
O ij
164 MERCURE
52252-5525522-2555
L'HOMME
ARTIFICIEL
ANEMOSCOPE,
Ou Prophete Phyſique des
changemens du Temps.
Bconsiderablus's parce qu'on
Ien des choses deviennent
&
د
eſtime ordinairement ce qu'on ne
poſſede pas , qu'on admire
toûjours les effets dont on ignore
les causes; c'est pourquoy le petit
Homme de bois que M² Otto
Guericke , Bourguemestre deد
0
1
A
GALANT. 165
Magdebourg , a enfermé dans
un tuyau célindrique de verre,
fait grandbruit parmy les Curieux
, & paffe pour une merveille
entre les demy- Sçavans.
Ils ne trouvent rien de plus
digne de leurs admirations , que
cette petite Statuë, qui en montant
plus haut à mesure que l'air
devient plus pesant ,&defcen
cendant plus bas dans ce tuyau
àproportionque l'airſe décharge,
&qu'il devient , comme ils di.
fent, plus leger, indique tresfeûrement
&par avance, non
feulement les pluyes, les fechereffes,&
los tempeftes quisefont
166 MERCURE
nous ,
à cent && à deux cens licuës de
lors que tout- à-coup elle
s'abaiſſe fort notablement , mais
prédit encore la formation des
horribles Cometes dans le Ciel,
pluſieurs jours avant qu'elles y
paroiſſent , fi nous en voulons
croireMeſſieurs Guerickes .
Le Fils affure que son Pere
avoit prédit huitſemaines auparavant,
l'aparition de la Comete
du mois deJanvier 1664. & le
Pere proteste dans sa Lettre du
26. Mars 1656. que le 12. Fevrier
de la mefme année , l'air
estant devenu beaucoup moins
pesant que lors mesme qu'il doit
GALANT. 167
faire de grands vents , ce petit
HHoonmmeſeprécipita tout-à-coup,
& que de là il prédit dans le
mesme temps l'aparition d'une
feconde Comete.
Ces Meffieurs me permettront
de proteſter à mon tour , que la
chûte ou defcente précipitée de ce
petit Homme dansſon tuyau de
verre, nepeut donner aucun indice
de la formation , ny de l'apparition
des Cometes , puis qu'elles
font des corps auffi anciens que la
Terre &les autres Planetes qui
roulent autourdu Soleil, ainſi que
j'ay démontré en l'année 1665.
dans mon Livre de la nouvelle
168 MERCURE
Science de la nature & des
préſages des Cometes.
Voicy neantmoins furquoy cet
illuſtre Curieux fonde son rai-
Sonnement. Il dit que lepoids de
la ſphére de l'air, n'est pas toûjours
le mesme , qu'il changefacilement,
que l'air devient moins
pesant lors qu'il pleut,&qu'alors
le petit Homme s'abaiffe , mais
qu'au contraire l'air devient
plus pefant quand il imbibe
absorbe la pluye , &qu'alors le
petit Homme remonte&s'éleve
davantage dans ſon tuyau.
Il croit que les vents ſe for
ment, parce que l'air se raréfie
en-haut,
GALANT. 169
en-haut , où il laiſſe les parties
aqueufes qu'il contenoit, lesquelles
feréüniffant forment les nuées.
Que les tempestes qui fortent
fans-doute, dit-il, des Cavernes
des Montagnes, &montent enbaut,
attirent&emportentquel
que partie de l'air ; c'est pourquoy
Lepoidsde la maſſe incumbante de
l'air diminuë de beaucoup fur cet
endroit de la terre , augmentant
ailleurs,ily caufe des grandes tempeſtes,
dont le rapide cours va au
bazard dequelque coſté, & fouvent
meſme la tempeste tombe à
plomb, &arrache les plus gros
Arbres avec leurs racines.
Mars 1683. P
170 MERCURE
Il ajoûte, que les Cometes ne
font qu'une partie de l'air arra
chée, & emportée par les tempestes
au deſſus de la ſuperficie
convexe de la maſſe de l'Atmo
Sphère de l'air, où cet air vaporeux
n'estant plus preffé, s'étend
parsa vertu élastique, ou du reffort
deſes parties , de mesme que
les veſſies desPoiſſons s'enflentdas
le hautdes tuyaux deverredeplus
de trente pouces, que la chûte du
Mercure a laiſſé vuide de l'air
groffier : De là il conclut que les
Cometes font toûjours ſublunai
res , & qu'elles ne sont qu'une
nuée arrondie &éclairée du SoGALANT.
171
leil. Cesfortes d'opinionsſont de
la nature des Heréfies qu'ilsuffit
de montrerpour les détruire, comme
dit Tertullien , Quas oftendere
refutare erat.
Voicy un Fait incontestable.
En l'année 1660. la pesanteurde
l'air diminua fi fort àMagdebourg
, que tout- à-coup cepetit
Homme de bois s'abîma entierement
dans son tuyau pendant
deux ou trois heures ; M² Guericke
dit à l'Assemblée que tresafſurément
ilsefaisoit enquelque
part une tres-grande &furieuse
tempefte. L'évenement prouva
Saprédiction , car deux heures
Pij
172 MERCURE
apres ce vent vint juſques à
Magdebourg, mais non pas fi
furieux qu'il avoit eftéſurl'Oc
cean.
Voila les raiſons qui nous obligent
à nommer cette petite Statuë
Anemoſcope, Indice desVents,
l'Homme artificiel, Prophete des
mutations de l'air: & voicy ce
qu'en a dit M'de Monconis dans
Son Voyage d'Allemagne en la
232page.
Le 22. Octobre 1663. eftant
à Magdebourg , je fus voir
M' Otho Guericke. Il a un
Thermometre particulier ,
d'un petit Homme de bois,
GALANT. 173
dans un tuyau de verre vuide,
dontpartie eft enfermée dans
une Boëte, qui empeſche de
voir s'il y a quelque liqueur
dedans. Il m'a dit pourtant
qu'il n'y en avoit aucune, &
tout confifte en la matiere
qui ſoûtient cette Figure de
bois, laquelle gliſſe librement
dans le tuyau, & fait hauffer
cette Figure par deſſus un
5
Cercle peint au dehors, lors
qu'il doit faire beau temps;
& quand il doit pleuvoir,
comme faifoit ce jour-là, la
Figure ( ou ſa main qui fert
d'indice ) deſcend au deſſons
Piij
174 MERCURE
t
au bas du Cercle , où il y a
pluſieurs points marquez ; &
lors qu'il doit faire de grands
vents , elle deſcend juſques
aux plus bas points. Je tiray à
force de l'examiner, que fon
petit Homme eſtoit dans un
tuyau d'où l'air eſtoit ofté, &
qu'il eſtoit ſur une eſpece de
Piſton , qui joignoit ſi bien,
qu'il n'y entroit aucun air ;
mais que quand celuy de
deſſous s'épaifiſſoit , il faifoit
monter la Figure , & quand
il s'y raréfioit, il la faiſoit defcendre.
Puis que ce petit Homme ne
GALANT. 175
monte & ne defcend que par le
plus ou le moins de pesanteur de
T'air, de mesme que le Barometre,
je m'éronne queM² de Monconis
luy ait donné le nom de Thermometre
, qui n'a que le froid & le
chaud pour principes de fon mouvement.
M'Guenicke luy meſme
nous affure que c'est un Barometre.
Movetur folum ad mutationem
auræ in tota longé
latéque circumfufâ regione.
Non eft Thermoſcopium
quod calore ac frigore alte
retur. Ceſont ſes propres termes
tirez de la 100page de ſon Livre
tres- curieux De Vacuo ſpatio,
Piij
176 MERCURE
imprimé à Amſterdam en l'année
1672.
Il a donné dans la mesme
feüille de ce Livre la Figure I.
qui ne montre que l'extérieur de
ce Barometre . Artificium autem
quod in inferiore parte
vitri eſt, non apparet, ne fpetatores
in fecreti cognitio
nem deveniant; depeur, dit-il,
qu'on en découvre leſecret.
M² Guericke , Bourguemeftre
de Magdebourg, veut, par intéreft,
laiſſfer périr le Secret de ce
petit Homme artificiel ; il s'en
eft ouvertement expliqué dans la
196 page deſon Livre De VaGALANT.
177
cuo fpatio , par les termes suivans;
Quid mihi inde gratiæ,
ſi ego arcanum illud, cujus
experimenta magno meo
ſumptu feci , cuivis gratis
communicarem ?
M Guericke le Fils, réfidant
à Hambourg , dans une de ſes
Lettres qu'on trouve dans la 250
page du 2. Tome Theatri Cometici,
de M Lubienietz, imprimé
à Amſterdam en l'année
1668. affure que le Secret de la
construction de cette petite Statuë
Anemoſcope , Prophete des
Vents , des Pluyes , des Orages,
des Cometes , n'a esté décou
178 MERCURE
vert qu'à M² l'Electeur de
Brandebourg, qui en a une dans
SaBibliotheque. Ilfinitfa Lettre
par ceDéfy.Quod is qui dixit,
ſe potuiffe , imo & poffe adhuc
ejufmodi Statuam ambulantem
invenire. Quare
vero id non fecit ? & quare
etiamnum non facit?
C'est pourquoy je me crois
obligéde découvrir la conſtruction
de cette Statue ou Homme Anemoſcope
, puis mesme qu'ily a
quelques Curieux qui en font
plus d'état que du Barometre ordinaire
queM'Hubin Emailleur
du Roy,fait dans la derniereperfection,
comme en la Figure 8.
GALANT. 179
r
sa-
Bien que cette Machine ne foit
qu'us Barometre fimple, dans lequel
le petit Homme s'éleve davantage
à mesure que la pesanteur
de l'air augmente
baiffe, à proportion que lapesanteur
de l'airdiminuë; neantmoins
M² Guericke le Fils l'a bien
nommé Anemoſcope, puis que
par ses diférentes hauteurs on
peut connoistre quel vent regne
dans l'air, d'autant que les vents
font la cauſe des plus ſubits &
extraordinaires changemens de la
pesanteur de l'air ; que par
la nature des vents quiſoufflent,
on peut prédire le temps quifera
180 MERCURE
pendant les deux ou trois jours
Suivans.
ر ا و ل
Nous démontrons par cent expériences,
que tout ce qui eft matériel
eft pesant , & qu'il n'y a
point de legereté abſoluë , mais
Seulement respective àla pesanteur
des corps , qui estant d'un
mesme volume , ont plus de pe-
Santeur dans le mesme milieu,
c'est àdire dans le meſme liquide
de l'air, ou de l'eau, &c.
Le Livrefacré de la Sapience
nous affure au Chap. 11. 21. que
Dieu a diſpoſé toutes chofes
en Poids, Nombre, & Mefure
, qui font les trois parties des
GALANT. 181
Sciences pures Mathématiques.
Longtemps avant Salomon, le
veritable pauvre Homme Job ,
au Chap. 28. 25. avoit enseigné,
que Dieu a donné de la pefanteur
aux vents, & que les
eaux font ſuſpenduës dans
P'air, la chaleur les ayant raréfiées
en nuées d'égale peſanteur à un
femblable volume d'air, dans
lequel elles ſe balancent en équilibre
, comme ces petites Statues
d'émail au milieu de l'eau, enfermée
dans un tuyau de verre
hermétiquement ſcellé, les unes
s'élevant quand l'eau est plus
froide,& les autres s'abaiſſant
182 MERCURE
lors que l'eau est plus raréfiée par
la chaleur, &c. En effet, la pe.
Santeur est la cauſe physique de
l'union of de l'arrangement de
toutes les parties qui composent
l'Univers , & de tous les mouvemensque
nousy admirons...
On démontre, par laſuſpenſion
de l'eau à 32 pieds de hauteur,
dans un cube encore plus long,
par la fufpenfion duMercure
à 28 pouces de hauteur dans un
tuyau de verre , que tout le poids
de la colomne d'air est égal au
poids d'une colomne d'eau de
mesme diametre , & de 32 pieds
de hauteur, ou à une colomne de
GALANT. 183
Mercure auffide mesmediametre,
O de 28 pouces de hauteur, car
le poids de l'eau est au poids du
duMercure à peu pres commeun
à14 , d'autant qu'un pouce de
Mercure peſe presque autantque
quatorze pouces d'eau , parce que
lepied cube de Mercure revivifié
de Cinabre, peſe 947 livres ,
Le pied cube d'eau de Seine ne
peſeque 70 livres.
Les vents ſontformezdes ex:
balaiſons chaudes &feches qui
fortent de la Terre par la chaleur
du Soleil , & du fonds mesme
Mer par le moyen dufeu
central. La raréfaction les rend
184 MERCURE
de
moins pefantes que tes vapeurs,
c'est pourquoy ellesfont auſſi chaf
Séesplus haut parla pesanteur
l'air, & montent mesme fur la
Suprême région de nostre Atmosphere.
Si tout-à-coup le froid les
ycondenſe tellement qu'elles puis
Sent par leur pesanteur vaincre
tout-à-coup la réſiſtance de l'air,
elles ſe précipitent à plomb & en
tourbillons , & excitent les plus
dangereuses les plus cruelles
tempeftes fur la Terre fur la
Mer, où elles forment les Trompes
qui font périr les Vaiſſeaux
qui ſont directement au dessous.
Les Grecs nomment ce vent
GALANT. 185
qui tombe à plomb, Ecnephias,
afſfurent avec raiſon , que de
tous les vents orageux , Ecnephias
, Typhon, & Preſter,
font les plus à craindre ; car,
comme dit Virgile , Venti , velut
agmine facto , Qua data
porta ruunt , & terras Turbine
perflant.
Lors que les exhalaiſons ne
peuvent estre suffisamment condenſées&
renduës affezpesantes
pour vaincre directement la réſiſtance
de l'air, elles descendent
& coulent obliquement comme
fait une feüille de papier. C'est
pourquoy lors que les Matelots
Mars 1683.
186 MERCURE
voyent quelque nuée touteseule
dans l'air , ils l'examinent ; &
de ſa couleur livide , de fa diftance
, &deſon mouvement , ils
prédiſentſansſe tromper, Qu'elle
va décharger un
orage,
ou un
coup de vent , qui fondraſur leur
Vaiſſeau, & qu'on ne reffentira
plus lors que le Vaiſſeaufera directement
au deſſous de la nuée.
Enfin lors que les exhalaiſons
condensées , & les vents qu'elles
forment , n'ont pas affez deforce
de pesanteur pour vaincre la
réſiſtance de la plus baſſe région
de l'air, qui eſt toûjoursplus groffier&
plus condenséparle poids
GALANT. 187
de l'airſupérieur, ces vents coulent
obliquementdans la moyenne
région de l'air, & nesefont ref-
Sentir qu'aux nuées aux giroüettes
des plus hautes Tours;
auſſi voyons-nous souvent deux
êtages ou lits de nuées , que deux
vents inégalement élevez pouffent
en mesme temps de diférens
coftez ; on voit auſſi tourner les
giroüettes lors que le vent ne defcend
pas sur terre, &c. car il eft
bien à remarquer que dans la
moyenne région de l'air il s'y
formepreſque toûjours des vents
Sans nuées, &qu'il ne s'yforme
jamais des nuéesſans vent, puis
Qij
188 MERCURE
que les ventsfont le véhicule des
vapeurs, &qu'ils les raffemblent
&ferrent en des tas ounuées.
En l'année 1652. m'estant
trouvéfur la Montagne dite le
grand Credo , pour descendre
au Fort de l'Ecluſeſur le Rhône,
j'obfervay avec plaisir qu'un
vent ſupérieur tranchoit les vapeurs
, à mesure qu'en s'élevant
elles entroient dans le lit canal
ou courant du vent , & qu'en
refferrant ces tranches de vapeurs
par pelotons comme toiſons de
laine , il en parfema en tres-peu
de temps tout le Ciel , ce qu'on
appelleCiel pommelé, qui n'est
GALANT. 189
pasde durée,fi on en croit le commun
Proverbe.
Les vents ne font donc pas
fimplement des ondes de l'air,
comme l'ont crú Vitruve & Seneque
; cela est vray à l'Aura
qu'on reffentfouffler d'Orient en
Occidentſous la Ligne Equino-
Etiale & ailleurs , à cause du
mouvementde la terrefurſon axe
d'Occident en Orient. Je conclus
que les exhalaiſons chaudes
&feches estant condensées.par
lefroid,font la matiere des vents;
c'est pourquoy ordinairement les
vents ſechent & échaufent , &
s'ils nous refroidiffent, c'estpar le
190 MERCURE
moyen de l'air & des vapeurs
froides & humides qu'ils charrient,
les ayant rencontré à leur
paſſage; c'est pourquoy le vent
eſtant finy, noussentons que l'air
devient tout- à-coupsec
&les grands ventsfont ceffer la
pluye ; mais quand il pleut de
bize, ilpleut àſa guife , dit un
Proverbe , & que petite pluye
abat grand vent.
chaud,
Je démontre encor que les vents
fontformezpar la chute ou roulement
des exhalaiſons chaudes
&ſeches condensées par la pri
vation de la chaleur , parce que
lors que les exhalaiſonsſont éleGALANT.
191
i vées en quantité, fi le Ciel eft
parſeméde nuées, elles paroiffent
rougeâtres ; & par la mesme
raiſon,fi le Soleilfe couche entre
des nuées , il paroist rougeâtre,
&la Lune auſſi , qui ſont trois
fignes des vents à venir, que les
Latins énoncent en ces Vers.
Sero rubens cælum cras indicat
efſe ſerenum, 1
Pallida Luna pluit , Rubicunda
flat, Alba ſerenat.
Nous avons neantmoins déja
reconnu qu'ily a pluſieurs vents
froids humides, parce que les
exhalaiſons ſe ſont mêlées avec
les vapeurs quifontfroides
192 MERCURE
humides ; c'est pourquoy les vents
duMidy prenant les qualitezdes
lieux où ils paffent , font plus
chauds &humides, &font malfains,
eftant les autheurs de l'humidité
chaude, & par conséquent
de la corruption ; c'est pourquoy
on doit leur fermer les feneftres
& les portes des caves des Bibliotheques
& des Greniers ; au contraire
, les vents Septentrionaux
fontfecs&froids. Pour cette raifon
Hypocrate Lib. de Aëre,
Aq.& Loc. diviſa les vents en
chauds & froids , & Aristote
Metheor.2. cap.6.en Méridionaux
& Septentrionaux .
Les
GALANT. 193
Les vents d'Orientfont chauds
&fecs; & le vent d'Ooft, ou de
l'Orientd'Equinoxe, eſt tempere,
doux, pur, fubtil & ſain , principalement
le matin ; &fec,parce
qu'il ne paffe pas fur des Mers
pour charrier vers nous les va
peurs de l'eau froides & bumides.
The
Le vent Oost-ZudODoosftt, qui
fouffle de l'Orient d'Hyver , eft
plus humide & nubileux, parce
qu'il est moins éloigné du Midy,
qu'ilpaffefurdes Mers avant
que venirà nous.
&
Le vent Ooft- Nord- Ooft, qui
Souffle de l'Orient d'Eté, eft in-
Mars 1683. R
194 MERCURE
constant & un peufroid, parce
qu'il est moins éloigné du Septentrion,&
il attire les nuéesplutoſt
que de les chaffer, ce qui a donné
lieu àceProverbe chezlesGrecs,
Il attire le mal à ſoy, comme
levent Cacias attire les nuées.
Au contraire, le vent Weft de
l'Occident d'Equinoxe eſt médiocrement
chaud &humide, c'eft
pourquoy il fait promptement
fondre les neiges.
Le vent Weft- Zud-Weft, qui
Souffle de l'Occidentd'Hyver, eft
froid,humide, pluvieux, &orageux.
Le vent West-Nord-West, qui
GALANT. 195
Souffle de l'Occident d'Eté , eſt
ordinairement ſuivy de neiges,
de grefles, & de tempestes.
Le vent d'Aquilon, dit Nord-
Ooſt , & le vent Boreal qui est
entre le Septentrion & l'Orient
d'Eté, comme auffi le vent qui
vient d'entre le Septentrion &
l'Occident d'Eté, font froids &
Secs, &purgent l'air.
Jeſçay par expérience que deux
vents diametralement oppoſez,
cauſent les plus rudes tempeftes,
que le vent duMidy est plus
violent fur la Mer que sur la
Terre , & la nuit que le jour,
parce quefur laMer&pendant
:
Rij
196 MERCURE
a
lejour, il est plus pesant, àcauſe
d'une plus grande quantité de
vapeurs qu'il contient.
Et au contraire , le vent d'Aquilon
est plus fort fur la Terre
que sur la Mer , & pendant la
nuit que pendant lejour.
La Sience des vents est tresneceſſaire
, puis que noſtre ſanté
dépend en partie des vents. Ainfi
dans la Ville de Metiline, Métropolitaine
de l'Iſle du mesme
nom, dite autrefois Leſbos, dans
la MerEgée , à présent l'Ar.
chypel, les Habitans ont toujours
eſté infirmes, parce que leur Ville
eftoit exposée aux vents du Midy
GALANT. 197
&de Corus . Vitruve décrit au
Chap. 6. de fon premier Livre
d'Architecture , les maladies
presque incurables , comme la
Toux , la Patiſe , maladie des
Poulmons , douleur de nerf aux
jointures, &c. que ces vents caufoient
aux Habitansde cette belle
Ville de Metiline,&quiſeſentoient
foulagez dés que le vent
Tramontanfouffloit.
Hypocrate dit au s. Aphoriſme
du3. Livre, que les vents
du Midy cauſent de maux de
teste, gastent la venë, &c. &
que les vents Septentrionaux caufent
laToux, mal de costé , &c ..
Riij
198 MERCURE
dequoy Galien donne les raiſons
physiques .
Les mesmes vents n'ont pas la
mefme force dans tous les lieux.
FeSçay par expérience que le vent
du Nord qui fouffle doucement
dans les Plaines de Paris, est tresviolent
dans le Danphiné , dans
la Provence, & dans le Bas-
Languedoc , parce que s'estant
engouffré dans les Montagnes, il
y roule avec plus de violence,
mefme que l'eau coule avec plus
de rapidité ſous les Ponts qui retraiffiffent
le lit & le canal d'une
Riviere. J'ajoûte que le vent
du Nord est dans ces Provinces- là
de
GALANT. 199
plus pesant, estantplus condenſé,
à cauſe qu'il paſſeſur les neiges
perpétuelles de nos Alpes , qui y
rendent l'air tres froid, &refléchiſſant
la lumiere du Soleil , au
lieu de l'imbiber comme font les
corps noirs ; c'est pourquoy le vent
duNord y rend tout-à coup l'air
tres-froid ferain , lors mesme
des chaleurs les plus exceſſives de
l'Eté, ayant chaffé du coſté du
Midy, ou fait monter en haut
parsa pesanteur tout l'air chaud
raréfié.
La durée &laforce des vents
font incertaines ; les uns soufflent
Sans relâche &aplein canal ; les
Riiij
200 MERCURE
autres ne foufflent que parreprifes
, parce qu'ils tombent feule
ment de temps à autre par pieces
détachées , ou pelotons auffi gros
que des Montagnes.
Le mesme vent fait en diférentes
Contrées diferens changemens
de temps. Le vent du Nord
procede des exhalaiſons de la
Zone Torride. Elles s'y élevent
deffus & Atmosphere de l'air, qui
yestant plus rarefié, forme leplus
grand diametre defon ovale, &
roulent avec rapidité le long du
plan de lafuperficie ſupérieure de
l' Atmosphere juſques vers noſtre
Pôle, ou estant, enfinfort condenGALANT.
201
?
Sées , elles forment les vents du
Nord, qui nettoyent leCiel, le
rendentferain, & l'air plus pefant
; c'est pourquoyparsapefanteur
ſur le Mercure extérieur, il
force l'intérieur du Barometre à
monterplus hautdans le tuyau,
juſques à ce qu'il y ait équilibre
avec le poids de la hauteur du
Mercure suspendu , & le poids
de la Colomne d'air externe.
Ainfi leMercure estantplus élevé
par le vet duNord : duNord-Eft,
ou par l'Est- Nord-Est , est prefque
toûjours un figne infaillible
de beautemps , &ferain ; &au
contraire , le vent d'Est est ordi202
MERCURE
nairement ſuivy de broüillards,
principalement en Hyver.
Le vent du Nord qui rend le
temps ferain en Dauphiné, en -
Provence , en Languedoc,
formedes nuées &des pluyes en
Affrique, parce qu'il y pouffe&
ferre les vapeursqui s'élevent de
la Mediterranée , & qu'il rencontre
en fon paſſage; au con.
traire , les vents du Sud du
Sud- Oüest pouſſent vers nous des
vapeurs qu'ils rencontrentfur la
Mer,lesquelles se réſolvent en
pluyes abondantes.
Aucun vent ne peut parcourir
une Hemisphere , parce qu'estant
GALANT. 203
arrivéàfaire une tangente avec
la Terre, il faudroit que nonob-
Stant ſa pesanteur il remontast
dans laſupréme région de noftre
Atmosphere. Le vent Est-Nord-
Eft amene en France le beau
temps.
Le vent duMidy &du Sud-
Oüest , ſoufflent ordinairement
apres que le vent d'Est a ceſſé;
& celuy- cy court apres que les
vents du Nord & du Nord-Est
ont finy.
Les vents du Midy , ou du
Sud-Oüeft, ayant regné pendant
quelques jours, onfentfouffler un
vent opposé , c'est à dire , Nord,
ou Nord-Eft.
204MERCURE
Le vent du Nord pesant davantage
fur le Mercure externe,
Soûtient le Mercure interne du
Barometreſept ou huit lignes plus
haut , juſques à 28 pouces ;
indice afſuréd'une ſuite de beaux
jours, car il a chaffé les vapeurs.
Les vents du Midy ayant
pouffé vers nous grande quantité
de vapeurs , ſi un vent du Septentrion
vientàſouffler, il repouffe
&refferrefifort ces vapeurs, que
la pluye continuëquelquefois pendant
deux jours entiers.
Lors que le vent d'Eft, ou d'Eft
Nord- Est, eſtſuivy d'un ventde
Midy, ou de Sud-Oüeft, le Mer
GALANT. 205
cure s'abaiſſe au deſſous de la ,
n'ayant que 27 pouces dehauteur,
prédit des pluyes extraordinaires.
Il est érably par les expériences,
que dans le Baromete ſimple,
Figure 9 , le Mercure demeure
ordinairement suspendu à Paris
àla , bauteur de 27 pouces &
demy, ou de 27 pouces & & lignes,
& que cette hauteur diminuë à
proportion que l'air qui s'appuye
Sur le Mercure externe du Vase,
dervient moins peſant ; c'est pourquoy
quelquefois le Mercure n'y
paroiſt élevé que de 26pouces 10
lignes dans le tuyau de verre du
206 MERCURE
Barometre : il s'y éleve auſſi à
mesure que l'air devient pluspe-
Sant, juſques à la hauteurde 28
pouces & 4 lignes , qui est 16
lignes plus haut que la
Ces diférentes hauteurs du
Mercure dans leBarometre,proviennent
de la diférente pesanteur
de l'air, qui peſe davantage lors
qu'il ne fait point de vent; c'est
une tres-ancienne connoiſſance au
Sentimentde Vitruve, au Livre 1.
chap. 6. L'air , dit- il , eſt plus
denſe quand il n'eſt point
agité des vents. Il faut pourtant
faire exception des vents du
Nord & du Nord- Est, quifont
و
GALANT. 207
froids &fecs, lesquelsse précipi
tant du haut en-bas, preffentdavantage
l'air , & mesme en le
condenfant davantage par leur
froideur, le rendent plus peſant;
c'est pourquoy le Mercure s'éleve
davantage dans le Barometre ;
ce qui est unsigne afſuré de beau
temps.
La plus celebre expérience de
la diférente peſanteur de l'air en
un mesme temps,ſuivantſesſeules
diférentes hauteurs, futfaite par
M Perrier , qui porta un Barometreſimplefur
le Puy deDomme
pres de Clermont en Auvergne,
Montagne de soo toifes , ou 3000
208 MERCURE
3 lipieds
de hauteur perpendiculaire.
Le Barometre estant au pied de
laMontagne, avoitfon Mercure
fuſpendudans le tuyau de verre,
àlahauteurde 26pouces
gnes &demiepardeffus leMercure
du Vafe . Eftant arrivé au
deffus de la Montagne,leMercure
n'estoitſuſpenduqu'à 23 pouces
a lignes .La diférence des hauteurs
du Mercure futde 37 lignes
demie fur la diférente hauteur
de 3000 pieds d'air.
La Figure 9 montre le Barometre
ſimple ; & la Figure & la
construction du Barometre double,
- dont l'effet est tres -ſenſible, par le
GALANT. 209
moyen de l'eauſeconde qu'on met
à l'autre branche ; car lors que le
Mercure de la branche du Barometre
fimple baiſſe d'un pouce,
l'eau ſeconde s'éleve de 13 pouces.
dansſon tuyau ouſeconde branche
de ce Barometre double .
Il eſtmaintenant bien facile de
comprendre par ma Figure 3 la
construction de ce petit Homme
qui
qui monte plus haut quand l'air
devient plus pefant, & s'abaiffe
defcend quand il pleut ,
mesme avant que la pluye commence,
parce que les vapeurs diminuënt
la peſanteur de l'air en
descendant. F'ay ajoûté de l'eau
Mars 1683. S
210 MERCURE
4
1
)
SecondefurleMercure, de mesme
qu'au Barometre double , Fig. 8 .
afin que le hauffement l'abaisſement
du petit Homme futplus
Senfible, de 30pouces,ou environ.
Si on n'employe que du Mercure,
la diférence des hauteurs du
petit Homme ne pourra estre que
de deux ou trois ponces auplus.
Ceux neantmoins qui souhaiteront
au moindre changement de
la pesanteur de l'air, voirfenfiblement
monter ou defcendre le
petit Homme , employeront la
construction que je donne dans la
Figure 4. car ce petit Homme
eftant tiré en-bas par le contreGALAANNTT..
211
poids de ferfolide P, lequel nageant
fur le Mercure de la Caffete
, s'éleve à mesure que l'air
eſtant devenu moins pesant , le
Mercure du tuyau descend&se
dégorge dans la Caffete de fer, ce
petit Homme s'abaiſſera de mefme
que celuy de M² Guericke , à
proportion que l'air deviendra
moins pesant , & se précipitera
pourse cacher entierement ,ſi tout
àcoup l'air perd notablement de
ſagravité ou poids ordinaire.
Onpeut faire paroiſtre ce petit
Homme toûjours fufpendu en
l'air. L'artifice en est tres -facile,
&les Figures 6 &7 Suffifens
Sij
212 MERCURE
1 pour le bien comprendre ; il ne
confifte qu'à une Poulie double,
qui doit estre cachéeſur le plancher
d'une Calotte de fer bien cimentée
avec le haut de la Colomne
creuſe de verre, &le tout
couvert d'une Couronne Royale,
comme en la Figure 2. Il est à
remarquerque dans ces deux conftructions
le petit Hommefera un
effet tout contraire à celuy des
Figures 1. 2. 3. 4. car lors que
l'Atmosphere deviendra moins
pefante par les ventsqui ſoûtien-
1 dront l'air, le Mercureſuſpendu
dans le tuyau deſcendra davan.
tage , &le contrepoids ou maſſe
GALANT. 213
defer qui portefur le Mercure, en
defcendant élevera lespetitsHommes
dans les Figures 6 & 7. La
raiſon eſt auſſi viſible pourquoy
dans la Figure s. le petit Homme
s'éleve à proportion que l'air devenant
moins pesant, le Mercure
intérieur du tuyau s'abaiffe , &
qu'au contraire dans la Figure 4
le petit Homme s'abaiffera notablement,
comme de 13 pouces, lors
que le Mercure en s'abaiſſant&
Se dégorgeant dans la Caffete de
fer, élevera d'un pouce le contrepoids;
ce qui arrive de la double
Poulie. La Figure 10 est un
Thermometre,&c. Pour servir
214 MERCURE
de replique àM² Otto Guericke,
Réſidant àHambourg.
1 COMIERS, Prevost deTernant.
Toutes les Nations ont
des Divertiſſemens qui leur
ſont particuliers. LesCourſes
de Bagues , de Faquin & de
Teſtes , font ordinaires en
France ; & celles où lesChevaux
diſputent ſeulement de
viteſſe , font fort en uſage en
Angleterre ; mais comme la
France fait aujourd'huy tout
ce qu'elle veut , tout doit fervir
à la gloire , & au divertif
ſement de fon Prince. Il a pris
GALANT. 215
ce Carnaval celuy d'une
Courſe à la maniere d'Angleterre
. Elle s'eſt faite dans la
Plaine d'Achere , prés de
Saint Germain en Laye. Il y
avoit un Amphithéatre pour
le Roy au milieu de cette
Plaine , & des Poteaux drefſez
d'eſpace en eſpace , pour
marquer le circuit de la Courſe.
Ainſi le Roy,ſans changer
de place , n'avoit ſeulement
qu'à ſe tourner pour eſtre toûjours
témoin de ce qui ſepaſſoit.
On avoit plantéun Drapeau
ſur le Poteau où il faloit
arriver le premier pour ga
216 MERCURE
:
gner le Prix. La Courſe fut
faite par ſept Chevaux Anglois
; ſçavoir , deux à M le
Duc de Montmouth , un à
M le Grand Prieur de Fran
ce , un à M Hovvard , SeigneurAnglois
, un à Mª Feil
leton , aufli Anglois , & le
ſeptiéme à un Cabaretier de
la meſme Nation. Comme le
champ eftoit ouvert pour y
difputer le Prix , il eſtoit permis
à tout le monde d'entrer
en lice. Les Juges du Combat
estoient Mrs les Ducs de
Luxembourg , d'Aumont , &
de Gramont. Il y eut trois
Courſes,
GALANT. 217
Courſes, &chaque fois qu'on
devoit partir , on levoit un
Drapeau pour ſignal. Il fut
arreſtéqu'on feroit courir d'abord
les ſept Chevaux tous
enſemble , & que les quatre
qui arriveroient les derniers
au but , laiſſeroient difputer
le Prix aux trois autres. Les
trois Victorieux coururent
enfuite dans le meſme temps ,
&celuy qui demeura le dernier
, fut obligéde prendre le
party de ſe repoſer avec les
quatre premiers ; de maniere
que la derniere Courſe qui
décida de tout , ſe fit entre
Mars1683. T
218 MERCURE
les deux qui reſtoient. L'avantage
demeura à l'un des
Gentilshommes de Mle
Duc de Monmouth , qui
montoit un Cheval noir , &
dans le moment qu'il arriva
au but , on planta un Drapeau
devant luy pour marque
deſa Victoire. Elle luy fut difputée
parun autre Cheval,qui
l'avoit fuivy de fi prés,que dás
la premiere Courſe il n'eſtoit
refté derriere que de fix pas.
Dans la ſeconde,il l'atteignità
la longueur d'un Cheval prés,
&dans la troiſiéme ,il ne s'en
falut que la longueur du col
GALANT. 219
qu'il n'arrivaſt au but auflitoſt
que luy. Le circuit de la
Courſe eſtoit d'une lieuë &
demie. Vous voyez par là
que les deux Chevaux qui
coururent les derniers , eurent
chacun quatre lieues &
demie à faire. On prétend
qu'ils ayent fait la premiere
Courſe en dix minutes , la ſeconde
en douze , & la troiſieme
en quatorze. C'eſt dequoy
tous ceux qui estoient
préſens ne conviennent pas;
mais il y
a ſi peu à dire , que
ce qu'on y pourroit ajoûter
n'oſteroit rien de l'extréme
Ti
220 MERCURE
viteſſe de ces deux Chevaux.
Le Prix eſtoit de mille Loüis
d'or. Il y avoit un grandnombre
de Parys. Le Roy a donné
à M² Hovvard Seigneur
Anglois , qui estoit venu exprés
en France pour cette
Courſe , une Table de Bracelets
de dix mille livres. Sa
Majefté devoit dîner en pleineCampagne,
avec ungrand
nombre de Dames qui eftoient
venuës voir laCourſe,
&l'on avoit préparé un magnifique
Repas , mais il s'éleva
un vent fi grand , qu'on
fut obligé de manger à cou
vert.
GALANT. 221
Quelques-jours apres, il ſe
fit une Courſe à pied , d'un
Anglois & d'un Piemontois,
Ils partirent de la Court de
Verſailles , allerent juſques
aux Invalides , & revinrent
au Lieud'où ils eſtoient partis
en moins de deux heures &
demie . L'avantage demeura
à l'Anglois. Le Roy récompenſa
leur vigueur. Beaucoup
de Gens estoient intéreſſez
dans cette Courſe , par divers
Parys qu'ils avoient faits.
Pendant que ces Courſes
ſe faifoient à Verſailles & à
S. Germain , on s'eft exercé
{
Tiij
222 MERCURE
à courir la Bague dans les
Académies de Paris . Celle de
Mª de Mémont ſemble l'a
voir emporté ſur toutes les
autres. Quarante-cinqGentilshommes
y parurent divifez
en cinqQuadrilles. M'le
Chevalier de Gaux , & M' le
Baron d'Hauricour , Fils de
M le Baron des Haubois,
Gentilhomme de la Province
d'Artois , ſe diſputerent longtemps
le Prix , qui fut enfin
remporté par le dernier.
Les Députez decette Province
, ( j'entens l'Artois que
je viens de vous nommer )
GALANT. 223
eurent Audience du Roy, un
peu avant ſon départ pour
Compiegne. Ils furent préſentez
par M' d'Elbeuf qui en
eſtle Gouverneur , & par M
le Marquis de Louvois, qui a
ce Département. M'l'Evef
que de S. Omer porta la parole.
Il loüa Sa Majesté d'une
maniere tres-noble & tresingénieuſe
, & luy marqua
agreablement que l'Artois
avoit eu autrefois des Fils de
Roys pour ſes Comtes. Illa
pria d'avoir la bonté de s'en
ſouvenir , lors que l'heureuſe
féconditéde Madame la Dau-
T iiij
224 MERCURE
phine donneroit encor des
Princes à la France. Sa Harangue
fut un enchaînement de
traits d'eſprit tout particuliers
, quoy que tres-naturels;
fes expreffions admirables,
enfin tout y fut brillant &
riche , & meſme juſqu'à l'expofition
des beſoins de la
Province. Aufli fut-il generalement
aplaudy de lanombreuſe
Aſſemblée quifetrouva
à cette action. C'eſt pour
la troiſième fois que M² l'E
veſque de S. Omer rend ce
bon office aux Etats. Ce Prélatvous
eſt connu. Vous ſçaGALANT.
225.
vez , Madame , qu'il eſt de
l'illuftre Maiſon des Comtes
de Suze-la-Baume , &qu'aux
avantages de ſa nauſance le
Ciel en a joint de tres-rares
du coſté de la Nature. Il a un
agrément univerſel en toute
ſa perfonne , un génie profond,
une adreſſe merveil
leuſe pour les affaires , avec
une facilité extraordinaire à
parler ſur le champ , & à parler
juſte. M le Comte de
Bucquoy eſt le Député pour
la Nobleſſe . Le nom de la
Maiſon de Longueval- Bucquoy,
l'une des plus illuſtres
い
226 MERCURE
des Païs-Bas , fait ſeul un tresgrand
éloge. L'on ſçait que
les Seigneurs qui en font fortis
, ont toûjours eſté fort au
deſſus du commun par leur
vertu , & par leur valeur. Ce
font des avantages que celuy
dont j'ay commencé à vous
parler , poſſede au plus haut
degré. Il a de plus un eſprit ſi
penetrant, & ſi éclairé, une
paſſion ſi forte pour la droiture
, & tant d'autres grandes
qualitez , que je ne pourrois
finir de longtemps pour peu
que jevouluſſe entrer dans le
détail . Pour le Tiers Ordre,
GALANT. 227
M' Palifot Seigneur d'Incourt
, en eſt pour la cinquiéme
fois Député prés la Perſonne
du Roy, & il eſt actuel
lement l'un des Députez generaux
ordinaires des Etats.
C'eſt un Gentilhomme d'un
mérite fingulier. La ſageſſe
& la capacité ont devancé en
luy les années , & il luy a falu
tres- peu de temps pour le
rendre conſommé dans les
Emplois. Avec la ſcience &
l'érudition qui donnent ſujet
de l'admirer , il a quantité de
vertus chrêtiennes & morales
; & fur tout il eſt extré
228 MERCURE
mement bien- faiſant. Sa Ma
jeſté les reçeur , & les entendit
avec cette bonté qui luy
gagne ſi bien les coeurs , &
leur dit qu'Elle aimoit tendrement
tous ſes Sujets , mais
qu'Elle avoit encor pour ceux
d'Artois une conſidération
particuliere , dont elle leur
donneroit des marques en
toutes occafions. Elle les
chargea d'en aſſurer les Etats.
L'excellent Diſcours de
Mª de S. Evremont , que je
vous envoyay le dernier
Mois , fur les Opéra François
& Italiens , vous en doit avoir
r
GALANT. 229
appris la diférence. S'il vous
refte encor quelque choſe
à ſouhaiter fur cette matiere,
la Deſcription de ceux qui
ont occupé ce Carnaval les
Théatres de Veniſe, pourra fatisfaire
pleinement voſtre curioſité.
Elle eſt du meſme
M' de Chaſſebras , dont vous
avez trouvé une Lettre au
commencement de celle- cy ,
& adreſſée encor à la meſme
Perſonne .
230 MERCURE
22522522222255252
AVeniſe , ce 20. Fevrier 1683.0
TE vous promis en
3
partant, de
vous écrire avec grande exactitude
les particularitez des Opéra
que l'on repréſente icy. Je vous
tiens parole ,&vay vous faire
un abregé des Sujets , parce que
cet abregé peut fervir beaucoup
à l'intelligence des Machines.
Vous remarquerez dans toutes ces
Pieces beaucoup de fautes contre
l'Histoire , & vous aurez peine
à concevoir comment Anne de
Bretagne, que vous ne connoiffez
GALANT. 231
que comme Femme de Charles
VIII.&enfuite de Loüis XII.
peut épouser Flavius Roy d'Italie.
C'est l'usage des Poëtes Italiens.
Ils peuventfalsifier ce qui
est le plus connu , pour imaginer
des évenemens felon leur génie.
Si dans l'Opéra, intitulé , Il Ré
Infante , je traduis Le Roy Infant
, & non pas , Le Jeune
Roy, c'est parce que tous les
François qui font icy en ufent de
mesme. Ainsi , nous diſons le
Théatre de S. Salvator, & non
pas de S. Sauveur ; celuy de
S.Angelo , &nonpasde S. Ange.
Cefontdes manieres de parler
2321MERCURE A
fe
introduites par l'usage , & qui
les voudroit changer neseferoit
pas entendre.Vous voussouviendrez,
s'il vous plaiſt , que quand
je mefers du nom de Noble, j'entens
toûjours un Noble Venitien.
&, estwo
RELATION DES OPERA ,
repréſentez à Veniſe pendantle
Carnaval de l'année 1683 .
L
E Carnaval de Veniſe,
dont on parle tant à Paris
, & dans toutes les autres
Villes de l'Europe , eft pro
prement un aſſemblage de
pluſieurs fortes de Divertiſſemens
, qui ne ſe permettent
GALANT. 233
publiquement que dans ce
temps-là , à moins de quel
que Réjoüiffance extraor
dinaire . Ces Divertiſſe
mens confiftent en Comé
dies , Opéra , Réduits , Bals,
Feſtins , Courſes , &Combats
de Taureaux , Danceurs de
Cordes, Marionnetes ,Bateleurs
& Farceurs ; liberté à
tout le monde d'aller maſqué
enpleinjour , &encor dans
la Cerémonie qui ſe fait le
Jeudy- gras en préſence du
Doge. シ
Autrefois le Carnaval commençoit
dés le lendemain de
Mars1683. V
234 MERCURE
Noël , & il eſt encor ainfi
marqué dans la plupart des
Calendriers nouveaux ; mais
eſtant arrivé pluſieurs fois
quequelques Perſonnesmaf
quées ſe ſervoient des privileges
de cette faifon , pour ſe
vanger de leurs Ennemis fans
qu'on les connuſt , les Chefs
du Confeil des Dix , qui font
trois des premiers Magiftrats
prépoſez entr'autres chofes
pour les Feſtes & Divertiſſemens,
ont crû qu'il eſtoit de
l'intereſt& de la fûreté publi
que , de le commencer plus
tard ; ce qui fait qu'à préſent
یگ
GALANT. 235
ils n'accordent la permiffion
de ſe maſquer que bienlongtempsapres,
quoyqu'ilIss fouffrent
les Réduits des le lendemain
de Noël, ſuivantl'ancien
uſage ,& qu'ils tolerent
quelques mois auparavant les
Comédies & Opéra , où ce
déſordre n'eſt pas à craindre.
Les Comédies ayant commencé
cette année dés le
mois de Novembre , & les
Opéra vers le milieu de Denbre
, cc''eeſſtt ppaarr ooùù je dois
commencer auſſi àvous faire
part de ces Réjoüiſſances.
Il y a dans Veniſe huit
Vij
236 MERCURE
Théatres publics , qui prennent
le nom de l'Eglife la plus
proche du lieu où ils font
dreſſez. Ils appartiennent
preſque tous à des Nobles,
qui les ont fait bâtir, ouà qui
ils font écheus par Succeffion.
Les petits ſe loüent à
des Troupes de Comédiens,
qui ſe rendent àVeniſe ordinairement
dés le mois de Novembre
, & les grands font
deftinez pour les Opéra que
ces Nobles , ou d'autres font
faire&compofer àleurs frais,
plûteſt pour leur divertiſſe
ment particulier , que pour le
GALANT. 237
profit qu'ils en retirent , qui
ne fournit pas d'ordinaire à la
moitié de la dépenſe. Ces
Theatres font la plupart
beaucoup plus grands & élevez
que ceux de Paris , ayans
cinq ou fix rangs de Loges
ou Pales , comme on les appelle
icy, les uns fur les au
tres , & 30. ou 35. à chaque
rang. Ily peut tenir trois Perſonnes
de front dans chacun.
Les Pales du premier rang
qui ſe trouventde plein-pied
au Theatre des Acteurs , ne
font pas les plus eſtimez , à
cauſe (dit-on ) qu'on est trop
238 MERCURE
prés des Perſonnes du Parterre
, & que le Manche des
Theorbes de l'Orcheſtre cache
toûjours quelque choſe
de la veuë ; c'eſt pourquoy
on les fait plus bas , en maniere
d'Entre-foles. Ceux du
ſecond rang font les plus recherchez
, & entre ceux- cy,
on préfere ceux du fond qui
regardent le Théatre en face,
où ſont ordinairement les
Loges des Ambaſſadeurs.
Comme beaucoup de Perſonnes
les loüentpour le Carnaval
entier , il y en a quantité
qui les font peindre &
GALANT. 239
tapiſſer en dedans , ce qui ne
fert pas d'un médiocre ornement.
Le Parterre auffi a cela
de commode , qu'il eft quaſi
tout remply de Sieges plians
avec des bras & des dos en
maniere de Fauteüils , où l'on
eftfortà fon aiſe ſans s'incommoder
l'un l'autre.
Avantque d'entrer dans
le détaildes Comédies & des
Opéra de cette année , je
croy qu'il eſt àpropos devous
donner une idée generale de
ces Pieces. Les Comédies ne
diferent pas beaucoup des Italiennes
qui ſe joüét àParis,les
240 MERCURE
Perſonnages eftant toûjours
un Arlequin , un Docteur, un
Pantalon & autres ; & les
Pieces, des Farces & Boufonneries
ſans ordre ny fuite. Ils
font neantmoins bien plus
libres en paroles que l'on
n'eſt en France.
32 Vous remarquerez qu'il
eſtpermis en tout temps aux
Hommes&Femmes , d'aller.
maſquez aux Comédies,Opéra
, & Réduits , quine commencent
qu'à la nuit , quoy
qu'on n'oſe paroiſtre ainſi de
jour avant le temps de la licence.
Iln'envapas de mef
me
a
GALANT. 241
me des Opéra , où la plus
grande partie des Pales font
remplis de Gentilsdonnes , &
de Perſonnes de qualité , eftant
pour l'ordinaire des Pieces
férieuſes qui ne bleſſent
point la pudeur. Les Décorations
, que l'on nomme Scenes
, y font nobles , belles &
debon gouft, ayant toûjours
quelque choſe de grand , &
de magnifique.
Tous les changemens ſe
font chaque fois également
au haut du Théatre , & aux
coſtez , enſorte que l'on ne
voit jamais une Chambre
Mars 1683. X
7
242 MERCURE
ſans eſtre platfonnée. Toutes
les Galleries & grandes Salles
y font voûtées , & les moin
dres Cabinets y paroiſſent
lambriſſez .
Lors qu'un Empereur ou
unRoy entre ſur unTheatre,
il eſt toûjours accompagné de
30. 40. ou 50. Gardes qui font
autour de luy , & qui fe rendent
maîtres des Portes , &
desAvenuës de fon Palais . De
meſme les Reynes , & les
Princeſſes , ont à leur ſuite
quantitéde Dames ,Officiers ,
Pages , & autres Domeftiques,
felon leur qualité.
GALANT. 243
Les Chanteurs font appellez
par honneur Virtuofi. Les
Italiens aiment extrémement
les Voix de deſſus ,& ne goûtent
pas tant les baſſes.
Les Vénitiens ſont curieux
pour ce ſujet , de faire chercher
en Italie & ailleurs , les
meilleures Voix d'Hommes
&de Femmes qu'ils peuvent
trouver , priant meſme les
Princes à qui appartiennent
* ces Muſiciens , de les laiſſer
venir , & ne plaignant point
la dépenſe en cette occafion,
quelque forte qu'elle puiſſe
eſtre. Il y en a préſentement
X ij
244MERCURE
un , à qui on donne quatre
cens Pistoles d'Eſpagne,
ſans les frais de fon voyage
, & pluſieurs autres à qui
on en a promis trois cens.
Les Voix ſont claires, nettes,
fermes & aſſurées , n'y ayant
rien de gêné, ny de contraint.
Les Femmes y entendent la
Muſique en perfection , ménagent
admirablement bien
leurs Voix , & ont une certaine
maniere de tremblement
, de roulemens , de cadences
& d'échos,qu'elles varient
& conduiſent comme
elles veulent. C'eſt une choſe
GALANT. 245
aſſez plaiſante , que du moment
qu'elles ont finy quelque
grand Air , ou qu'elles
fortent du Théatre , les Baracols
( ce font ceux qui
conduiſent les Gondoles ) &
mefme quantité de Perſonnes
plus conſidérables , s'écrient
de toutes leurs forces,
Viva Bella , viva , ah Cara!fia
benedetta. D'autres leur donnent
d'autres loüanges. La
Simphonie eft compoſée de
pluſieurs Claveſſins , Epinettes
, Theorbes & Violons, qui
accompagnent les Voix avec
une juſteſſe merveilleuſe.
Xinj
246 MERCURE
J'ajoûteray que l'on ne
voit point de Choeurs de
Voix dans les Opéra , & que
les Entrées de Ballet , non
ſculement y font rares , mais
qu'elles n'y ſont pas executéesaveclameſme
délicateffe
qu'en France. Cela n'eſt pas
fans fondement ; car à l'égard
des Choeurs de Voix , il eſt
fort inutile d'en remplir icy
les Opéra , puis que nous
ſommes accoûtumez d'en
avoir preſque tous les jours
dans quelqu'une de nos Egliſes.
Toutes les Feſtes & Dimanches
de l'année, on chan
GALANT. 247
te Veſpres en Muſique dans
quatre Communautez avec
de grands Choeurs de Voix,
Theorbes , Violons , petites
Orgues & Claveſſins , & ces
Muſiques ſont conduites par
quatre des meilleurs Maîtres
de la Ville. Pour les Ballets,
les Vénitiens n'y prennent
aucun plaifir , & ne les mettent
dans les Opéra que pour
remplir quelque Entre-acte.
Les Femmes & Filles n'ap.
prennent point icyà dancer,
& on ne fait pour l'ordinaire
que ſe promener & marcher
dans les Bals.
X iij
248 MERCURE
Pour revenir au particulier,
je vous diray que ces huit
Théatres ont eſté tous remplis
cette année en meſme
temps ; ſçavoir, deux de Comédiens
, & fix d'Opéra , &
que ceux d'Opéra doivent
donner deux diférentes Pieces
chacun avat la fin du Car
naval. Les deux Theatres qui
ont ſervy à la Comédie , font
celuy de S. Moïfe, & celuy de
S. Samüel. Le premier n'eſt
pas fort grand , & ne contient
que deux rangs de
Pales; mais le ſecond en a
fix , & trente -cinq à chaque
GALANT. 249
rang , & appartient à Meffieurs
Grimani Freres , dont
l'un eſt Abbé, & l'autre Séculier
Ces Theatres font tous
peints , & les Comédiens qui
les occupent, changent tous
les jours de Comédies. Les
jeunes Comédiennes y font
des contes affez gaillards , &
les Arlequins & Pantalons,
ne s'épargnent point en tours
de foupleſſes.
Des fix autres Théatres qui
ont fervy aux Opéra , je com.
menceray par celuy de S. Jean
Chriſeſtome. C'eſt celuy dont
on parle le plus , & que l'on peut
250 MERCURE
dire un Theatre Royal pour la
magnificence. Il appartient aux
deux mefmes Freres , Meffieurs
deGrimani, qui le firent faire en
1677. avec une promptitude mer.
veilleufe , trois ou quatre mois
ayant eſté ſeulement employez à
le baſtir.
Cette Famille eſt originaire
de Lombardie , & vint s'établir
de Vicenze à Veniſe à la fin du
huitieme Siecle. Elle a donné
deux Doges à la République,
ſçavoir , Antoine en 1521. &Marin
en 1595. Il y a eu trois Cardinaux
; Dominique , ſous Aléxandre
VI . qui laiſſa ſa Bibliotheque
à la République ; Marin,
fous Clément VII . & Jean , fous
Pie IV . comme auffi trois Patriarches
d'Aquilée , & pluſieurs
GALANT. 251 !
7
1
grands Officiers , y ayant encor
à preſent deux Procurateurs de
S. Marc , Antoine & François,
qui font des premieres Dignitez
de Veniſe , & qui leur ont eſté
dõnées par mérite. Ils font diftin.
guez par là de ceux qui poſſedent
de pareilles Charges , à cauſe de
l'argent qu'ils ont donné dans
des temps de guerre , qu'on appelle
Per Soldi. Quoy que les derniers
tiennent le mefmerang , &
ayent le meſme pouvoir , la difé .
rence en eft fi grande, que quand
unProcurateur par mérite meurt,
on en élit un autre auſſi- toſt , &
,
fa quand un Per Soldi meurt
Charge meurt avec luy. De
vingt- cinq Procurateurs , il n'y
en a que neuf par mérite.
CeThéatre de S.Jean Chrifo-
S
4
252 MERCURE
ſtome eft le plus grand , le plus
beau,&le plus riche de la ville.La
Salle où font les Spéctateurs , eſt
environnée de cinq rangs dePales
les uns- fur les autres , trente & un
àchaque rang. Ils font enrichis
d'Ornemens de Sculpture en
boffe & en relief, tous dorez, repréſentans
diferentes fortes de
Vafes antiques , Coquillages ,
Muffles , Rofes , Roſettes , Fleurons
, Feüillages & autres enrichiſſemens.
Au deſſous & entre
chacun de ces Pales , font autant
de Figures humaines peintes en
Marbre blanc , auſſi en relief , &
grandes comme le naturel , foû.
tenant les Piliers qui en font la
féparation . Ce font des Hommes
avec des Maſſuës , des Efclaves
, des Termes de l'un & de
GALANT. 253
l'autre Sexe , & des Grouppes de
petits Enfans , le tout diſpoſé de
maniere que les plus peſantes &
maſſives font au deſſous , & les
plus legeres au deſſus.
Le haut , &le Platfonds de la
Salle eſt peint d'une feinte Architecture
en forme de Gallerie ,
à l'un des bouts de laquelle& du
coſté du Théatre, font les Armes
de Grimani , & au deſſus une
Gloire de quelque Divinité de la
Fable , avec quantité de petits
Enfans aiflez , qui accommodent
des Guirlandes de Fleurs .
Le Theatre des Acteurs a
treize toiſes & trois pieds de longueur
, ſur dix toifes & deux pieds
de largear , eftant élevé à proportion.
Il eſt ouvert par un
grand Portique de la hauteur de
254 MERCURE
la Salle , dans l'épailleur duquel
font encor quatre Pales de chaque
coſté de la meſme fimétrie
que les autres , mais beaucoup
plus ornez & enrichis ; &dans
la Voûte ou Arcade , deux Renommées
avec leurs Trompetes
paroiſſent ſuſpenduës en l'air , &
une Vénus au milieu , qu'un petit
Amour careſſe .
Une heure avant l'ouverture
du Théatre , le Tableau de cette
Vénus ſe retire , & donne jourà
une grande ouverture , d'où defcend
une maniere de Lustre à
quatre branches d'étofe d'or &
d'argent , de douze à quatorze
pieds de hauteur , dont le corps
eft un grand Cartouche des Armes
de Meffieurs Grimani , avec
une Couronne deFleur-de-Lys,&
L
1
GALANT. 255
১
2
de rayons ſurmontez de Perles au
deffus . Ce Chandelier porte quatre
grands Flambeaux de poing
de Čire blanche , qui éclairent la
Salle , & demeurent allumez jufqu'à
ce qu'on leve la Toile , &
alors le tout s'évanoüit ,& revient
à ſon premier état. Dés que la
Piece eſt finie cette Machine
paroiſt de nouveau pour éclairer
les Spectateurs , & leur donner
lieu de fortir à leuraiſe , ſans con.
fufion. Les Armes ſont pallé
d'argent & de gueules de huit
pieces , le troifiéme Pal chargé
en chef d'une Croiſette à deux
travers de gueules. Cette Croi .
ſette diftingue une des Branches
de la Famille. Elle fut donnée à
leurs Anceſtres , qui firent paroiſtre
des preuves de leur valeur
256 MERCURE
auxGuerres faintes du temps de
Godefroy de Boüillon .
Ce font Meffieurs Grimani , qui
ont pris le foin eux- mefines de la
Piece que l'on jouë préſente .
ment. Ils font fort riches ,& ont
l'ame grande & genéreuse. Ils y
ont fait une dépenſe conſidérable
; & come cette Piece eft remplie
d'un grand nombre d'Incidens
& d'Intrigues , & qu'elle
paſſe pourune des plus belles &
des mieux conduites , je ne puis
m'empeſcher devous en faireune
deſcription un peu plus étenduë
queje ne vous la feraydes autres,
afin que vous puiſfiez juger de la
maniere dont on traite icy les
Opéra. Elle eſt intitulée Le Roy
Infant. En voicy le Sujet.
Flavius Infant , Roy d'Italie,
GALANT. 257
eftant ſous la Tutelle de Rodoalde
fon Oncle , qui gouver.
noit le Royaume à cauſe de ſon
bas âge , ſe laiſſa charmer des
beautez de la jeune Princeſſe
Anne de Bretagne , qui par la
mort du Duc fon Pere eſtoit
auffi tombee ſous la conduite de
Rodoalde . Ce Gouverneur la
voulant éloigner du Royaume,
& ſe ſervant de l'autorité qu'il
avoit fur elle , luy ordonna de
faire choix d'un Epoux parmy
les Princes Etrangers Quoy que
la petite Princeſſe brulaſt dans
ſon coeur pour Flavius , elle fei
gnit quelque temps de correfpondre
à la volonté de ce cruel
Conducteur , & offrit de donner
la main à Henry Prince François
, pour ſe vanger de Flavius
Mars 1683. Y
258 MERCURE
qu'on luy avoit dépeint Infidelle.
Neantmoins s'eſtant trouvée un
jour ſeul à ſeul avec Flavius , elle
eut lieu de s'éclaircir de la verité,
Ils reconnurent enſemble les
faux raports qu'on leur avoit
faits , & fe jurerent une amitié
éternelle. Rodoalde fut obligé
à la fin de ſe laiſſer fléchir , & de
ſe rendre à un fi bel exemplede
conſtance. Ainſi on conclut le
Mariage où ils aſpiroient depuis
longtemps, quoy quedans un âge
ſipeu avancé.
D'un autre coſté Rodoalde,
ayant envoyé ſon Fils Ergiſte
hors de Rome pour faire fes
Etudes , s'eſtoit remarié en fecondes
Nôces à Seſtilia . Cette
Femme s'enflama d'un amour
criminel pour Ergiſte ſon BeauGALANT.
259
Fils , qu'elle n'avoit jamais vû ;
& deſeſperé de ce qu'il s'eſtoit
déclaré pour une autre Perfonne,
qu'il ne connoiffoit auſſi que par
le récit avantageux qu'on luy en
avoit fait , elle mit toutes fortes .
de moyens en uſage , pour faire
naître de la jaloufie entre eux.
Ergiſte eſtant revenu à Rome
par le commandement de fon
Pere , fut perfécuté par cette
impudique , qui ne pût jamais
ébranler ſa fidelité. Cela fit que
ſe réſolvant à le perdre , elle dé.
clara à fon Mary qu'il l'avoit vou.
lu forcer , Rodoalde ajoûta aifément
foy à cette faufſe accuſation
, parce qu'Ergiſte , qui eftoit
fort verſe dans l'Aftrologie
& la Magie , feignoit d'avoir
perdu la parole , & crovoit eftre
*
Yij
260 MERCURE
*
obligé de garder le filence pen.
dant quelque temps , pour ſe ſau
ver du péril dont un méchant
Aſtre le menaçoit ; mais le temps
preſcrit par fon Horoscope eftant
paſſe , il eut lieu de juftifier
fon innocence ; & Seſtilia repafſant
en ſa mémoire ſes impudiques
amours , alla les éteindre
dans les eaux du Tibre où elle ſe
précipita.
Il y a douze changemens de
Décorations preſque toutes d'une
égalebeauté . La premiere qui
fait l'Ouverture du Théatre, eft
une grande Salle , Ecole ou Etu.
de, où font plufieurs Ecoliers affis
devant des Tables ſéparées ,
qui étudient chacun diférentes
Sciences , comme , Philofophie,
Geographie , Mathématiques ,
GALANT. 261
Astrologie , Art Militaire , Chimie
, & Magie. On y voit quan.
tité de Livres , Cartes Geogra .
phiques , Spheres, Regles, Compas
, Cercles , Astrolabes , Machines
de guerre , Fourneaux,
Copelles , Alambics , Baguettes
Magiques & Grimoires , avec
pluſieurs Figures de Vieillars &
autres affis , repréſentant ceux
qui ont excellé en ces fortes de
Sciences , le tout remplyde Deviſes
, d'Emblémes , & de Sentences
propres au Sujet. Au fond
de la Salle , paront un grand
Globe terreftre , monté ſur une
Baſe fort élevée.
Ergiſte, le premier & le chef
de ces Ecoliers , ſe promene avec
Ariftene fon Maiſtre ; & pour
luy faire voir le profit qu'il a fait
262 MERCURE
dans l'etude de la Magie où il
s'eſt adonné , il prononce quelques
paroles dans un Livre. Auffi.
toſt le Globe ſe briſe en deux,
& fe change en un grand Efcalier
ou Perron de pluſieurs degrez,
qui occupe toute la largeur
du Théatre , & conduit dans un
grand Palais doré , tout brillant
de lumiere , d'où l'on voit accourir
toutes les Nations de la Terre,
au nombre de 40. ou so. quidefcendent
& viennent environner
Ergiſte , comme pour luy faire
connoiſtre que rien n'eſt caché à
fa connoiſſance , & a fon profond
ſçavoir. Peu de temps apres
elles s'évanoüiffent , & s'envolent
de tous les coſtez du Théa .
tre, au commandement qu'il leur
fait ; leGlobe retournant en fon
GALANT. 263
)
1
entier , & la Salle ſe trouvant
comme elle estoit auparavant,
d'où il prend occafion de faire
voir que toutes les grandeurs de
la Terre ne font que de vains
fantômes , pour ceux qui s'en
laiſſent ébloüir. Celuy qui fait le
Perſonnage d'Ergiſte , eſt l'Abbé
Siface , qu'on appelle com.
munement Siphax , Italien , qui
eſt de la Muſique de M² le Duc
de Mantouë .
La ſeconde Décoration eſt la
Chambre de Seſtilia , qui eſt
feinte de Tapiflerie de Velours
couleur de feu , avec des Franges
&des Galons d'or , & des Portieres
de Tafetas rehauſſe d'or.
C'eſt où paroiſt pour la premiere
fois la Margarita , qui repréſente
Seſtilia. Elle paſſe pour une des
264 MERCURE
plus belles Voix d'Italie , & dez
meure actuellement à Bologne,
Elle eft bionde , de taille médiocre
, a le teint fort blanc,
beaucoup de brillant , une ma
niere libre & aifée , l'air de qualité
, & est bonne Comédienne..
La troiſième , une grande Salle
ou longue Gallerie , qui s'étend
juſqu'au bout du Théatre. L'Architecture
eſt compoſée de pluſieurs
Eſclaves Maures , qui ont
chacun fur leurs épaules un Aigle
Impérial , & au deſlus pluſieurs
Figures dorées , habillées à
la Romaine , qui ſoutiennent la
Corniche de la Salle , le tout accompagné
de Faifceaux de Verges
, Haches , Guidons , Enfei
gnes , Trompetes , Tambours, &
autres Inftrumens de guerre . La
Voûte
GALANT. 265
Voûte eſt toute dorée, &taillée
en pointes de Diamant & culs
de Lampes
Al'entrée eſt le Trône Royal,
élevéſous unDais fort riche, où
l'on voit le petit Roy Flavius
avec fon Oncle Rodoalde. Ce
premier eſt fort jeune , & le ſecond
ſe nomme Ballarin, un des
premiers de la Muſique de M¹ le
Duc de Modene,
La quatrième , une Treille de
Limons& Citronniers, ſoûtenuë
fur pluſieurs Colomnes de marbre
, qui font une Allée à perte
de veuë, avec pluſieurs Caſcades
d'eau.
La cinquiéme , la Chambre
de la Princeſſe Anne de Breta
gne , feinte de Tapiſſerie de Velours
vert, avec Paſſemens, cam
Mars1683. Z
266 MERCURE
panée&galonéed'or. Al'un des
coftez eftun Baldaquin , ou Dais
deBrocard d'or àgrandes fleurs,
&au defſous un Fauteüil, &le
Portrait du jeune Flavius. Celle
qui repréſente cette Princeſſe,
eft Venitienne , & ne paroiſt pas
âgée de plus de dix à douze ans,
Elle est accompagnée de douze
petites Demoifelles , & d'autant
de Pages de meſme grandeur,
C'eſt quelque choſe de joly , de
voir une petite Fille faire un des
principaux Perſonnages de la
Piece. Il falloit qu'elle fuſt de la
forte pour eſtre proportionnée
au jeune Roy. Quoy que dans
un âge fi tendre , avec un petit
air& des manieres belles & fines,
elle s'eft fait admirer de tout le
monde. Elle chante un Air FranGALANT:
267
çois au Prince Henry , dans le
temps qu'elle feint de répondre
à fon amour, & il luy en chante
un autre en la meſme Langue,
Les douze Pages ontdes Habits
de toille d'or & d'argent, garnis
de Rubans en confufion , avec
des Plumes blanches & rouges
auChapeau. Ils font une Entrée
de Ballet , tenant chacun deux
Flambeaux de cire blanche , &
fur la fin de la Piece , ils dancent
un Bal à la Françoiſe avec les
douze petites Filles, qui font tou.
tes veſtuës diféremment de Man.
teaux à la Françoiſe. Leurs Coëfures
ſontde Fleurs.
La fixiéme Décoration eſt la
Bibliotheque du Maiſtre d'Ergifte,
compoſée de pluſieursTa
bletes de Livres , Cartes , & Eftampes.
268 MERCURE
La ſeptième , diverſes Allées
de Colomnes de Marbre & de
Jaſpe de toutes couleurs , avec
Chapiteaux & Bafes d'or, luta
Lahuitiéme, le Port & la Rive
du Tibre , au bord duquel font
pluſieurs Chaſteaux , Tours , &
Palais, avec des Tapis ſur les Bal-.
cons , & quantité de Perſonnes
qui attendent l'arrivée d'Ergiſte
que fon Pere a rappellé à Rome.
Il vient dans un Bucentaure tout
doré , conduit par pluſieurs Rameurs
, & precedé de fix autres
Barques fort galamment & di .
féremment équipées , dont l'une
eſt conduite par des Maures, une
autre par des Turcs , une autre
par des Eſpagnols, une autre par
des Holandois , & les deux dernieres
par d'autres Nations , au
GALANT. 269
nombre de huit ou dix dans chaque
Barque.
La neufieme, eſt l'entrée & veftibule
d'un grand Hoſtel.
La dixième , le Cabinet de
Seſtilia, lambriſſé, peint, doré,
& garny de grands Vaſes de
Fleurs tutuas T
b
L'onzième , divers Portiques
de Colomnes , faiſant l'avenue
du Palais du Prince . En cet endroit,
la Margarita, ſous le nom
de Seſtilia , jouë un Rôle d'une
force & d'une beauté inconcevable.
C'eſt dans le temps qu'elle
paroiſt furieuse , & entre dans
une eſpece de délire . Elle croit
voir la Terre abîmer ſous fes
pieds , l'Enfer qui s'ouvre pour
l'engloutir , toute la Ville de
Rome en armes pour la punir.
Z iij
270 MERCURE
Les Demons l'épouvantent par
leurs cris; elle entend des Trompetes,
des Timbales,&desTam
bours dans les airs , & exprime
par fon chant toutes ces diféren
tes manieres dont ſon eſprit eft
agité, mais principalement lefon
de ces Trompetes , qu'elle imite
fibienpar ſa voix, que l'on s'imagine
entendre veritablement ces
Inftrumens de guerre.
La douziéme & derniere , eft
une grande Salle de Portiques,
avec un Coridor tout autour, où
eſt une infinité de Peuples, & au
bout, l'Apartement duRoy.s
Il y a encor la Florentine, qui
eſt une des bonnes Chanteuſes.
On la connoiſt ſous ce nom , à
cauſe qu'elle eft de Florence.
Celuy qui a compofé la MufrGALANT.
271
que , ſe nomme Carlo Palavicino
, Maistre de Muſique de la
Communauté des Filles des Incurables
de Venise ; & Matteo
Noris, qui demeure en cetteVille,
en a fait les Vers .
4 L'Opéra qui a fait le plus de
bruit apres le Roy Infant , s'eft
joué au Théatre de S. Luc , atutrement
de S. Salvator. C'eſt
encor un Theatre fort grand,
fort beau, tout peiut & doré de
neuf , & des plus conſidérables
deVenife. Il contient cinq rangs
de Pales, trente-trois à chaque
rang , & il appartient à un Sei
gneur de la Maiſon de Vendramin
, établie depuis fort long.
temps à Veniſe , & qui a donné
un Doge en 1476. André Vendramin.
Ses Armes font au def
Z iiij
272 MERCURE
fus du Théatre des Acteurs en
cette forte , facé de trois pieces
d'azur, d'or, & de gueules brous
Voicy le Sujet de la Piece, qui
eſt intitulée les deux Céfars.. Septimius
Roy des Romains , laiffa
Baffian & Geta ſes deux Fils,
Heritiers de fon Royaume.
L'Aîné , d'humeur ſuperbe &
altiere , ne pouvant fouffrir de
Compagnon fur le Trône, fit arrefter
prifonnier fon Frere Geta,
fous le faux prétexte qu'il avoit
voulu violer Leucippe, Princefle
Angloife. Geta trouva moyen
de ſe ſauver ,&un jour de Feſte
publique , que Baſſian faisoit un
Feftin Royal à pluſieurs Dames
de la Cour, il ſe noircit la peau,
ſe déguiſa en Egyptien , & s'introduifit
dans l'Aſſemblée. Leu-
こ
GALANT. 273
1
cippe qui avoit reconnu fon innocence
, & à laquelle il eſtoit
accordé depuis longtemps , feignit
de vouloir céder à la paſſion
deBaffian qui commençoit àl'ai.
mer. Elle propoſa un Jeu dont
Baſſian luy avoit laiſſe le choix.
Chacun devoit feindre tour d
tour d'eſtre Monarque , pour
avoir lieu de faire connoiſtre la
fubtilité de fon eſprit par les
feintes Loix qu'il impoſeroit aux
autres. L'Egyptien, dont les manieres
galantes avoient plû à
toute Aflemblée , fut jugé le
plus propre pour commencer ce
jeu; & Baffian luy ayant mis fa
Couronne fur la teſte , fon Sce
ptre en main, & fon Manteau
Royal ſur les épaules , il monta
fur le Trône , leva ſon Maſque,
274 MERCURE
fit connoiſtre qu'il eſtoit Gera,
&qu'il occupoit la place qui luy
appartenoit légitimement , &
dont fon Frere s'eſtoit rendu indigne
par la tirannie. Iln'y eut
perſonne qui ne luy applaudift.
Tout le Peuple l'ayant reconnu
pour fon veritable Roy, Baffian
n'eſtoit plus regardé que comme
un Ufurpateur , & on luy avoit
déja mis les fers aux pieds , lots
que Gera defcendit du Trône,
ſe jetta aux pieds de ſon Frere,
l'embrafla,& par une generofiré
digne du ſang Romain dont il
fortoit, il luy fit part de fon Sceptre,
& ils regnerent depuis enfemble
dans une parfaite union.
Il y a encor pluſieurs autres in.
cidens au fujet d'Honoria Fille
d'Evader, Bibliotequaire Royal,
GALANT. 275
qui apres avoir donné pluſieurs
rendez - vous à Fabius & à Lentulus
, & s'eftre raillée de leur
amour, vint à bout d'épouſer le
Roy Baffian par ſes adreſſes , &
par le ſecours de Leucippe.
Si cette Piece n'a pas eſté ſi
juſte dans la régularité & dans la
conduite, que celle du Roy Infant,
felon le fentiment de quelques-
uns elle a eſté affez ré,
compenfée par le grand nombre
des plus belles Voix dont elle eft
remplie. Il y a dix Décorations
des plus pompeuſes & des mieux
entenduës .
Dans la premiere, Geta vient
donner une Serenade à ſa Maî
treffe, dans un grand Bucentaure
remply d'un grand nombre de
Muficiens , dont lehaut eft d'E
276 MERCURE
toffe de groffe Broderie d'or relevé,
foûtenu de pluſieurs Figures
humaines , habillées en Statuës
d'or, tenant des Flambeaux
allumezang рискя 194
Lors que Baffian donne le Régale
aux Dames , le Theatre eſt
de Colomnes de Porphyre & de
Lapis , orné de quantité de Tableaux
dans des Quadres dorez.
Un grand nombre de fuperbes
Guéridons, avec de gros Flam.
beauxde cire blanche, ſert à l'éclairer.
L'on voit du fonds du
Théatre un grandGeant s'avancer
, qui porte fur fa teſte une
Table remplie de Pyramides de
Viandes, & s'abîme dansla terre
en l'expoſant au milieu duThéatre.
Pluſieurs autres Tables font
autour de laSalle. L'on y jouë à
GALANT. 277
toutes fortes de Jeux ; & à la fin
du Repas , une douzaine de Pa .
rafites viennent devorer les reſtes
du Feſtin, & font une Entrée de
Ballet. Rien n'eſt plus divertiſ
fant que l'embarras où ſe trouve
Honoria , qui court de Feneſtre
en Feneſtre pour amuſer ſes deux
Amans , qui ſe rencontrent en
meſme temps à deux Portes di.
férentes de ſa Maiſon . L'endroit
où Baffian chante un Air pour
s'endurcir dans ſa cruauté, & défier
les Foudres de Jupitermeſme,
eſt quelque choſe qui paſſe l'imagination,
& qui ne ſe peut comprendre
qu'avec peine. Sa voix
(qui fans difficulté eſt une des
plus belles que nous ayons icy )
eft accompagnée & foûtenuë de
Trompetes & de Symphonies
278 MERCURE
par repriſes ; & ces Trompetes
s'uniffent fi bien à fon chant ,
qu'elles en laiſſent admirer toute
la douceur , & ne perdent rien
de leur force.otal iobipon st
" Il y a encor un beau Spectacle
d'une Feſte de Gladiateurs , qui
paroiffent dans un Cercle de
nuées , & defcendent en fe ba.
tant pour donner le divertiſfe.
ment au Peuple Romain. Celuy
qui a compofé la Muſique de la
Piece , eſt Don Giovani Le
grenzi , Preſtre , Maistre de la
Muſique des Filles de S. Lazare,
dites communément les Médicantes
, & Sous -Maistre de la
Mufique de la Chapelle du Se
réniſſime Doge. Ilpaſſe pour un
des plus habiles de Venife. Ceux
qui chantent eftant toutes PerGALANT:
279
ſonnes choiſies , comme je l'ay
déja dit, voicy les noms des prin
Clement Hader , connu ſous
le nom de Clementin, repréſente
Baffian. Il eſt natif de Hadersberg,
Muſicien de la Chambre
de l'Empereur , & une des plus
belles voix d'Hommes qui ſoit
dans tous les Opéга , оло
Jean- Baptifte Spéroni, Muſicien
de la Chambre de l'ImpératriceEleonore.
Ferdinand Chiaravelle, Muſi .
cien de M le Duc de Mantouë.
atPour les Femmes , Anne. Marie
Manarini repréſente Honoria.
Elle demeure ordinairement à
Mantouë, eſt tres- belle, de grande
taille, la gorge fort blanche,&
encor une des plus belles Voix
d'Italie,
280 MERCURE
Le Théatre de S.Jean & Paul
eſt encor un des plus beaux de
cette Ville. Il eſt extrémement
profond,&cõtient cinq rangs de
Pales, trente&un à chaque rang.
Il eſt peint & doré comme les
autres , & appartient encor à
Meſſieurs Grimani Freres . On
y a joué deux Opéra, Il y a dix
changemens de Theatre dans le
premier, qui eſt intitulé le Grand
Othon,& dontje vous vay expliquer
le ſujet en peu de mots. Bérengarius
Roy d'Italie, pour s'afermir
plus fortement dans le
Royaume, veut marier Adalberr
fon Fils à Adélaïde , Veuve du
défunt Roy. L'Empereur Othon
aimant cette belle Veuve
rend dans la Cour de ce Roy, &
s'y tient longtemps caché ſous le
ſe
GALANT. 281
nom d'Alceste , juſqu'à ce qu'
ayant trouvé le temps de fe faire
connoiſtre, il vainc Bérengarius,
&époute Adélaïde.
Coriolan eſt le titre du ſecond
Opéra que l'on a repréſenté ſur
ce Theatre . Ce jeune Romain
eſtant exilé de ſa Patrie , pour
avoir offencé les Tribuns du
Peuple , ſe retira vers les Volfques
, Ennemis de Rome , où
Tullus qui en estoit le Souverain,
luy donna le Commandement
defon Armée. Il remporta la vitoire
fur les Romains , aidé de
l'adreſſe de Volumia ſa Femme,
&du courage de Flavia qui l'avoit
fuivy dans toutes ses conqueſtes,
&qui comme une Amazone
avoit combatu genéreusement
pour luy , & apres s'eſtse
Mars1683. Aa
282 MERCURE
rendu maiſtre de Seſtus Furius,
&de Spurius , les deux Confols,
il leur donna la liberté voulut
qu'ils commandaflent comme
auparavant , & obligea Tullus à
Te contenter de ſon Royaume,
& à vivre en paix avecRome.
Il fit encor époufer Flavia an
Conful Seſtus , à cauſe de l'amitié
qu'il avoit remarquée entr'eux,
cette Héroïne s'eſtant détachée
de l'amour qu'elle avoit pour
Coriolan, & ne l'ayant ſuivy que
parce qu'elle le croyoit Veuf.
Il y a onze diferentes Décora
tions dans cer Opéra . Celuy qui
en a fait la Muſique , ſe nomme
Jacques-Antoine Perri , de Bo-
Le Theatre de S. Angelo n'eſt
pas fi grand que les autres, quoy
GALANT. 283
qu'il foit auffi peint, doré, & fort
propre. Il contient cinq rangs
de Pales vingt-neuf à chaque
rangoLa fituation n'en ſcauroit
eftre plus avantageufe, puis qu'il
eft aubord du grand Canal. Oi
y a joué deux Pieces qui ont eu
toutes deux beaucoup d'approbation;
a wond
La premiere eſt dédiée à M
Amelot , Marquis de Gournay,
Ambaſſadeur de France dans
cette fameuse. République. II
faut vous en dire le Sujen
Virginiuson'ayant que deux
Filles, accorda Virgilia ſon aînée
àIcilius , & deſtina Celſa ſa Cadete,
à ſervir la Déelle Veſta.
Cette Cadete avoit deux Amans,
Licinius & Seſtus , Nobles de
Race, Perſonnes de crédit , &
Aaij
284 MERCURE
d'égal mérite. Dans l'envie qu'
elle avoitd'eſtre mariée, ne pouvant
fléchir la dureré de fon Pere
qui ne vouloit point eſtre contredit,
elle les recevoit tous deux
à la fois, leur donnoit des rendezvous
en meſmetemps ,& fouffroit
qu'ils ſe trouvallent chez elleenſemble
déquifez en Femmes , afin
qu'ils ne ſe connuſſent point l'un
l'autre , & que fon Pere les prift
pour deux Filles qu'elle ménageoit
pour leur faire prendre le
Voile avec elle. Ces deux Rivaux
s'eſtant découverts par la
fuite, Seſtus l'abandonna com me
une Inconſtante ; & Licinius attribuant
fa legereté à la cõtrainte
où ſon Pere l'avoit réduite , ne
pût s'empeſcher de l'épouser.
Dans ce temps les Décemvirs
GALANT. 285
triomphoient àRome, &Appius
Claudiusun des principaux,
eftantopaffionné pour Virgilia,
gagna le coeur de cette Belle, en
fu faifant paffer pour Icilus qu'-
elle ne connoiffoit point,&que
fon Pere luy avoit ordonné de
recevoir commelfon Mary. L'amitié
s'eftant renduë réciproque
entre l'un & l'autre , Virginius
fut obligé d'y apporter auffi fon
confentement. Ily a huit chan-
Ogentens derScenes dans cert
Opéra, qui eſt fort galant& fort
مالس
La ſeconde Piece eſt intitulée
Silla Lucius- Cornelius- Silla eftant
parvenu à l'Empire de Rome
par la violence, fit mourir tous
JesChefs de Party qui luy avoient
ſervy d'obstacle, & pour mettre
286 MERCURE
le Grand Pompée dans ſes inté.
reſts , il lay fit époufer fa Fille
Emilie , & maria encor Lepidus .
Emilius fon Favory à Valeria
Veuve de Sulpitius ( qu'il avoit
auſſi fait mourir ) afin qu'elle
éteigniſt la vangeance qu'elle
méditoit dans ſon coeur, à cauſe
de la mort de fon Mary. Silla
gouverna quelque temps de cette
forte avec une autorité abfolue
& tirannique ; & ayant enfin découvert
que la plupart des Def
cendans de ceux qui avoient eſté
profcrits , machinoient ſecretement
fa ruine , il renonça volontairement
à l'Empire qu'il remit
entre les mains de Lepidus, aimé
& chery de tout le Peuple Romain
. Il y a neuf changemens de
Théatre dans cette Piece, & l'on
GALANT. 287
y voit entr'autres deux beaux
mouvemens de Machines.
Le premier eft le Trône où
eſt aflis l'Empereur , d'environ
dix pieds en quarré , qui petit à
petit ſe dilate, s'élargir, & forme
une nouvelle Décoration de
toute la grandeur du Théatre.
Le ſecond eſt dans le temps
que Silla veut faire ruiner les
Tombeaux des Profcrits, afin que
leur memoire reſte dans un eternel
oubly. L'ame de Sulpitius
fort d'un de ces Sepulchres , &
ſe fait voir de la hauteur de tout
le Théatre en la forme d'un
Homme affreux & épouvantable
, ayant le manîment des bras
& des mains comme une Perfonne
vivante. Ce Fantôme reproche
à l'Empereur ſa cruauté
288 MERCURE
& fa tirannie , & en ſuite ſeracourcit
, ſe replie , ſe rétreffit en
l'air,& ſe met en un petit peloton
de quatre à cinq pieds, qui ſe va
perdre dans les nuës, & le tout fe
fait avec un mouvement fi fubit
& fi précipité , qu'il paroiſt s'a .
neantir entierement .
Dans ces deux Pieces , Filanin ,
un des principaux Chanteurs, fe
faitdiftinguer, accordant & mariant
admirablement bien ſa voix
avec les fanfares des Trompetes.
Le Théatre de S. Caffian eft
auſſi peint &doré comme les autres,
àcinq rangs de Pales, & 31 .
à chaque rang. Il appartient à
un Noble de la Famille de Tron,
fort ancienne en cette Ville, originaire
de Mantouë , & qui a
donné
GALANT. 289
donnéunDoge en 1471. Nicolas
Tron. Il porte pour Armes, bandé
de gueules & d'or de fix pieces,
au chefd'or, chargé de trois
Fleurs-de- Lys de gueules , montée
chacune fur un Gradin de
deux degrez en forme de baſe,
pareillement de gueules.
On y a joué deux Pieces. Themistocle
eſt le titre de la premiere.
Ce grand Homme ayant eſté
exilé d'Athenes , ſe ſauve dans
Abidos avec Sibaris ſa Fille, feignant
de venir d'Egypte. Xerxés
Roy de Perſe , & ennemy des
Grecs , y demeuroit. Il gouste
tellement l'eſpritde ceCapitaine,
qu'il luydonne leſouverain commandement
de ſes Armées, qu'il
oſte à Artaban , & veut époufer
ſa Fille Sibaris , au préjudice de
Mars1683. Bb {
290 MERCURE
l'amitié qu'il avoit toujours fait
paroiſtre pour Erfilla. Themiftocle
ne pouvant ſe réfoudre à
porter les armes contre ſa Patrie,
veut ſe faire mourir par le poifon;
&Sibaris, quoy que touchée de
l'amour de Nicomede , ne laiſſe
pas de regarder avec envie le
Poſte avantageux où Xerxés
veut l'élever. Cependant Ar
taban & Erfilla ne ſongeant qu'à
la vangeance , veulent obliger
Cléophant à faire mourir ces
Etrangers. Cléophant n'ofoit
rien refuſer à Erſilla qu'il aimoit.
Il ne pouvoit contredire àArta.
ban , à qui il eſtoir redevable de
la vie, & il eſtoit ſur le point d'éxécuter
ce cruel deſſein , lors
qu'ayant reconnu que Themif
tocle eſt ſon Pere , & Sibaris fa
GALANT 291
Soeur, ſon entrepriſe ne ſert qu'à
Ieur ſauver à tous deux la vie, en
forte que Xerxés éclaircy de la
verité , ofte à Themistocle ce
commandement pour lequel il
avoit tant de répugnance , luy
donne ſa protection, & rend Si
baris à Nicomede. Il y a neuf
Décorations diférentes dans cet
Opéra.
Le ſecond que l'on a repréſenté
ſur le meſme Theatre de
S. Caffian, eft intitulé l'Innocence
justifiée. Maxime , Favory de
Valentinian III . ne pût voir ſans
jalouſie les marques d'honneur
dont cet Empereur combla Æ
tius Capitaine Romain , qui venoit
de remporter dans la France
la fameuſe Victoire contre Attila
Roy des Huns. Il luy dreſſa plu-
L
Bb ij
292 MERCURE
ſieurs embuches pour le perdre ,
fit croire qu'il machinoit ſecrerement
contre l'Empire , & le
Conquérant cut le malheur de
voir encor Sabina déchaînée
contre luy, quoy qu'elle luy euſt
témoigné de l'amitié juſqu'alors,
& qu'il euſt obtenu la grace pour
fon Pere qui estoit referré dans
lesCachots. Mais toutes ces fourberies
eſtant découvertes , l'Empereur
en redoubla l'eſtime qu'il
avoit pour Ætius , pardonna à
Sabina pour l'amour de luy , c
quoy qu'il ſoeuſt que Maxime
avoit voulu violer l'Impératrice,
il ſe contenta de l'exiler , aila
priere de Flavia ſa Femme, que
cet Empereur avoit aufli beaucoup
aimée . Voila le Sujet de
cette Piece , dont l'Abbé Ziani
GALANT 293
a fait la Muſique , & dans la
quelle il y a onze changemens
deSceperqm41 סונמסכ
Le Théatre du Canareggio,
ou du Canal Royal , eſt fort petit
, mais bien peint. Il eſt ainfi
nommé ( contre la regle des au.
tres qui tirent leur nom de l'Eglife
la plus proche ) à cauſe qu'il
eft ſitué ſur un Canal de ce nom,
qui eft le plus large apres le
grand Canal. Il contient trois
rangs de Pales, avec 23. à chaque
rang, & appartient à un Noble
de la Famille de Michiele , l'une
des plus anciennes de Veniſe,
dont il y a eu trois Doges, Vital
Den 106. Dominique en 1120. &
encor un autre Vital en 1173 , un
Cardinal fous Paul IV. Jean Michiele,
qui fut auſſi Patriarche de
1
Bb iij
294 MERCURE
Conftantinople , neuf Capitaines
genéraux de Mer , onze Procurateurs
de S. Marc , & autres
Officiers . Leurs Armes font, facé
d'argent & d'azur de fix pieces ,
avec 21. Monnoyes d'or difpo.
fées fur chacune des fix faces en
cette forte, fix, cinq,quatre,trois,
deux,&une. Les Monnoyes forment
des Armes à enquerre , &
ont eſté miſes pour marque d'ho.
neur dans leurs Armes du temps
du Doge Dominique Michiele,
lors qu'eſtant General des Ar.
mées des Venitiens , il fut au ſe.
cours de Baudoüin Patriarche
deJérufalem, où dans le Siege de
la Ville de Suro , ou Tiro , qu'il
remporta , il fut obligé de faire
empreindre quelques Figures fur
du cuir, pour ſervir deMonnoye,
GALANT. 295
&contenter les Soldats qui eftoient
preſts de déſerter faure
d'argent.
Ce Theatre du Canareggio
n'a eſté baſty que pour des Comédies
. On y a joüć neantmoins
cette année deux Opéra. Cidippe
eft le titre du premier. Voicy de
quelle maniere on a traité ce
Sujet. Les Perſes eſtant preſts de
ravager le Païs des Cyclades,
Acontius commandant pour les
Grecs , enferma la Princeſſe Cidippe
dans le Temple de Diane
qui estoit à Délos , la principale
de ces Ifles . L'Armée des Grecs
ayant eſté miſe en déroute , les
Vainqueurs obligerent Acontius
de ſe retirer, ſe rendirent maîtres
de ces Ifles , & toutefois n'ofe.
rent entrer dans celle de Délos,
Bb ij
296 MERCURE
1
pour le reſpect qu'ils portoiene.
àDiane , Scoeur du Soleil , qu'ils
adoroient. Acontius , & Cidippe
qui avoit eſté ſauvée par fon
moyen, prirentdés ce tempsune
forte paffion l'un pour l'autre,
quoy qu'ils ne ſe fuffent veus
qu'une fois. Ils déſeſpéroient de
ſe pouvoir jamais rencontrer,
parce qu'ils fe croyoient tous
deux péris. Cidippe refuſoit tous
lesPartis que ſonTuteur luy vou
loit donner. Acontius ſe voyant
fans biens, & fugitif, n'oſoit re.
tourner en fon Païs , neantmoins
Diane le regarda d'un oeil favo
rable. Il ſe hazarda un jourd'entrer
dans ſon Temple. Il y fit um
ferment par un Ecrit figné de fa
main , qu'il aimeroit Cidippe
toute ſa vie; & laDéeffe permit
GALANT. 297
qu'ils ſe rencontraffent , & couronnaſſent
leur amour par un
heureux mariage. Cet Opéra a
huit changemens deThéatre. Je
vousparleray au premier jour du
ſecond, qui ne ſe joue que depuis
pens_????????? ?????????????????????????
L'Opéra du Roy Infant, dont
jevous ay fait la deſcription , a
eſté trouvé fi beau, que Meffieurs
Grimani n'ont pas jugé à propos
d'en donner un ſecond , comme
il s'eſt pratiqué dans tous les autresTheatres.
Ilsy ont fait ſeule
ment un Aggiunta , c'eſt à dire,
uneaugmentation, où, fans changer
le Sujet de la Piece , ils ont
mis quelques Scenes les unes de.
vant les autres, &ont ajoûté des
Airs&desMachines, dont voicy
les principales air at va
298 MERCURE
Dans la troifiéme Scene , le
Trône où eſt Flavius avec Rodoalde,
qui estoit à coſté& audevant
duThéatre,paroiſt à préſent
tout au fond , dans une grande
élevation , accompagné de 70. ou
80. Perſonnes , qui repréſentent
toutes les Nations tributaires de
Rome. Six Elephans foutiennent
ſur leur dos cette prodi .
gieuſe Machine , où eft une fi
grande abondance de monde,
l'apportent juſqu'au milieu du
Théatre , & là s'enfoncent inſenſiblement
, juſqu'à ce que le
marchepied du Trône égale le
plancher du Theatre: 500
Dans la huitiéme Scene , où
Ergiſte arrive à Rome dans un
Bucentaure , en réjoüiſſance de
fa venue, 80. ou90. Perſonnes en
GALANT. 299
Camifolle & Bonnet , forment
un combat de coups de poings
fur un grand Pont ſans parapets,
qui traverſe la largeur duTibre,
où dans l'animoſité & la chaleur
du combat, ils ſe renverſent les
uns les autres dans ce Fleuve, la
teſte en bas , fur le coſté , & de
toutes fortes de manieres. Il ya
bien 40. Perſonnes ſur la Rive à
les regarder,&Rodoalde eft encor
au devant avec toute ſa Suite
, ce qui fait plus de 140. Perfonnes
tout- à- la-fois.
Sur la fin de la Piece , apres la
conclufion du Mariage de Flavius,
une grande Tortüe marche
fur le Théatre, & le Génie militaire
de Rome eſt au deſſus , qui
commande à pluſieurs Guerriers
de paroître pour former l'ame du
300 MERCURE
jeune Roy dans la Profeſtion de
Mars. Cet Animal ſe briſe auffitoſt
en 60. ou 70. pieces, qui font
autant de Soldats armezçà squi
chaque écaille de la Torttie fert
deBouclier. Incontinent Vénus
paroiſt dans le Ciel, qui les em
peſche de fe chamailler , & re
montre au Génie qu'il n'eſt pas
encor temps, &que dans un jour
deNoces il ne faut fonger qu'à
lajoye. C'eſt ce qui donne occafion
aux petits Garçons& aux
petites Filles de former le Bal
dontj'ayparlé, on se
On a joué un troifiémeOpéra
au Théatre de S. Jean & Paul,
intitulé Oromeas Voicy ce que
c'eſt. Floridanus , Fils de Sidonius
, Roy des Phéniciens , fut
pris fort jeune par un Corfaire,
GALANT. 301
&élevé comme ſon Fils . Orontea
, Reyne d'Egypte , qui avoit
toûjours conſervé ſon cooeurdans
une entiere liberté, luy trouva
rant de mérite , qu'elle ne pût
s'empefcher de l'aimer . Neant.
moins elle commençoit à ſe détacher
de l'amour qu'elle avoit
pour luy, conſidérant le tort qu
elle faifoit à ſes Parens & à fon
Royaume , en mettant fur le
Trône une Perſonne de fi baſſe
naiſſance , lors qu'il fut reconnu
pour cequ'il eſtoit , ce qui engagea
cette Reyne à l'époufer. On
voit dans cet Opéra huit Décorations
diférentes, bi
Depuis huitjours on en a auſſi
jotieobſecondſurleTheatre de
S. Luc, ou S. Salvator. Ileſt tout
remply de Spectacles & de Ma
302 MERCURE
chines. Il faut retenir les Chaifes
du Parterre deux jours aupara
vant , à cauſe de la grande af
fluence de monde qui s'y trouve,
& comme il paffe de beaucoup
celuy des deux Céſars qui y a eſté
joüé le premier , il faut vous en
dire quelque chose. On l'intitule
Justin. Ariane, Veuve de l'Empereur
Zénon, épousa Anaſtaſe,
& le fit monter ſur le Trône des
Céſars. Vitellian jalouxde la for
tunede cet Empereur, arma toute
l'Afie Mineure contre luy , &
dans un Combat fit prifonniere
Ariane , qui s'eſtoit déguisée en
Guerrier pour ſuivre la fortune
de ſon Mary . C'eſtoit le ſeul but
de ce Tyran , que de poſſeder
cette jeune Veuve , & il tâcha
par toutes fortes de moyens de
GALANT. 303
s'en faire aimer ; mais voyant
qu'elle ne répondoit à ſes complaiſances
que par des oprobres ,
il changea fon amour en rage , &
la fit attacher à un Rocher, pour
eſtre devorée par un Monftre
prodigieux, comme une ſeconde
Andromede . Elle attendoit avec
une conſtance merveilleuſe l'infſtant
de ſa mort, lors qu'un nommé
Juſtin quitta la Charuë qu'il
avoit menée toute ſa vie, vint au
fecours de l'Impératrice , tua le
Monſtre , pourſuivit Vitellian,
défit ſon Armée , le fit prifonnier
de guerre , ſauva encor la vie à
Eufemia Soeur de l'Empereur,
qui alloit eſtre terraſſée par une
Beſte ſauvage dans un Bois où
elle chaſſoit , & arreſta auſſi prifonnier
Andronicus Frere de Vi
2
304MERCURE
1
tellian, qui venoit d'enlever cette
Princeſſe. On avoit peine àcom
prendre qu'une ame fi grande pût
logerdans lecorps d'un Pailan ;
auffi le Ciel par une eſpecedemiracle
fit découvrir ſa naiſſance,
qui avoit eſté cachéejuſqu'alors,
&il ſe trouva eſtre un des Freres
de Vitellius , qui eſtant Enfant,
avoit eſté enlevédu Berceau par
unTigre, & trouvé par un La.
boureur qui l'avoit élevé à la
Campagne comme ſon Fils. Toutes
ces Conqueſtes luy firent
donner le nom de Reſtaurateur
de l'Empire Romain. Anaſtaſe
l'aſſocia à l'Empire , & luy fit
épouſer ſa Soeur Eufemia.
Onze Décorations ſervent
d'ornement à cet Opéra. Dans
le temps du Couronnement d'A.
GALANT. 305
naftaſe, Atlas, ſous la figured'un
grand Géant, portant le Globe
du Monde ſur ſa teſte , s'appro
che du Trône, vient rendre hom
mage à l'Empereur au nom de
toute laTerre quiluy eſt ſoûmiſe,
& en s'en allant , le Globe fe
change en nuages,&fe va perdre
dans le Ciel qui s'ouvre. Vénus
y paroiſt dans ſon Palais , accompagnée
des Ris, des Chants, des
Jeux,&des Plaiſirs. Cetre Déefle
commande à l' Hymenée de def.
cendre , & envoye quatre petits
Amours qui le vont perdre , &
s'envolent tous enſemble dans le
moment qu'ila enflâmé les cooeurs
de ces nouveaux Eprax.
Lors queJuſtin paroiſt la per.
miere fois , il mene la Charuë
dans des terres toutes remplies
Mars 1683. Cc
306 MERCURE
de Treilles & de Raiſins, qui forment
diverſes Allées & Berceaux
aux coſtez & au milieu du Théatre;
& s'eftant endormy dans
cette Campagne , la Fortune
montée ſur ſa Rouë qui tourne,
le vient trouver dans ſes rêveries,
& luy apparoiſt en fonge, luy
perfuade de quitter une Profeffion
fi vile, pour ſuivre celle des
Armes ; & alors toutes les pieces
qui compoſent cette Décoration,
ne font que ſe tourner & fe
déplier, & le tout ſe change en
un Palaisfomptueux, & remply
dOr, de Pierreries, de Perles, de
Couronnes, de Sceptres, deTréfors
, & deticheſſes , ce qui luy
marque la récompenfe qu'il en
doit attendre , & en s'éveillant
il ſe trouve au milieu des champs
GALANT. 307
où il eſtoit ; la Scene retournant
en fon premier état.
Le: Trône de Vitellian eſt
porté fur un Eléphant avec une
vingtaine de Perſonnes qui font
montées tout autour .
26
Dans le temps qu'Eufemia,
Soeur de l'Empereur , déclare à
Juſtin qu'elle l'aime, l'Allegreſſe
paroiftdans une grandeMachine,
accompagnée de Dames & de
Cavaliers , qui viennent dancer
un Bal enſemble.
Dans le Combat Naval qui ſe
donne entre les Armées de l'Empereur
& de Vitellius , on voit
plufieurs Vaiſſeaux , dont l'un
entr'autres ſe vabrifer contre un
Ecüeil, qui le met en pieces.....*
Dans une autre Bataille fur
terre, Vitellius vient montédans
Ccij
308 MERCURE
un Char tiré par deux Chevaux
veritables, accompagné & rem
ply d'un grand nombre de Gens
de guerre qui ſe combatent fur
leTheatregas em 2030
Dans une autre Scene paroiſt
une Caverne éclairée d'un grand
nombre de Lampes à l'antique,
avec pluſieurs Tombeaux, de Pun
desquels on voit forrir l'ame du
Pere de Vitellius , qui vient dé
couvrir la naiſſance de Justin, &
luy fait entendre qu'il eſt unde
fes Fils. 25 , वही
Ala fin de la Piece, leTempler
de l'Eternité s'ouvre, & s'avance
au milieu du Théatre. La Déeffe
qui y préſide eſt au milieu , & la
Gloire au deffus dans un Ciel de
nuages ; & ces deux Divinitez
promettent à Juſtin de rendre
GALANT 309
fon nom immortel. La richeffe
des Habits répond à la ſomptuo.
fité desMachines.bang outb
Je ne manqueray pas, Madame,
de vous envoyer au premier jour la
Suite des Réjouiſſances du Carnaval.
Jefuis vostre casos nova )
DE CHASSEBRAS, DE GRAMAILLES
Je viens aux Divertiſſemens
qu'a pris dans ce mefme temps
du Carnaval , la plus grande &
la plus brillante Cour de l'Europe.
Quand le Prince travaille
ſans relâche , les Courtiſans &c
tous les Sujets , peuvents'occu.
perfans ceffe à fe divertir. C'eſt
ceque l'on a fait tour Hyver
Verſailles des plaiſirs diférens
ayant eſté marquez pour chaque
foirée de la ſemaine. Commeje
vous en ay déja parlé je ne les
310 MERCURE
répete point. Je vous diray ſeulement
, qu'encor que le Bal fuſt de
ce nombre , & qu'il y en ait eu à
la Cour pendant tout l'Hyver,
on ena donné cinq extraordinai
res dans cinq Apartemens diférens
de Verſailles , tous fi grands,
& fi beaux , qu'il n'y a que cette
ſeule Maiſon Royale au Monde,
qui en puſt fournir en fi grand
nombre d'une fi vaſte étendue.
L'entrée n'en estoit ouverte
qu'aux Maſques , & peu de Perfonnes
oſoient s'y préſenter fans
eſtre déguisées , à moins qu'elles
ne fuflent d'un rang tres diftin
gué. Comme ces déguiſemens ſe
font plûtoft faits pour prendre&
donner du divertiſſement , que
pour affecter de paroiftre magni
fique , & qu'on eſt ſi bien mis à
GALANT. 311
la Cour , que la plupart n'au
roient eu beſoin que de leurs Habits
ordinaires, & d'un Maſque,
pour paroiſtre dans le plus fuperbe
ajustement , on a crû que
pour ſe mieux divertir , il faloit
maſquer cette année avec des
Habits plaiſans, & qui fiffentpa
roiſtre l'invention , le génie , &
l'efprit de ceux qui les porte.
roient, auffibien que l'adreſſedes
Ouvriers . On a fait plus. Autrefois
quand ceux qui ſe déguiſoient
alloient au Bal , ils
n'en fortoient que pour n'y plus
retourner , & pluſieurs en font
fortis cette année juſques à huit
&dix fois , pour aller changer
d'Habits . On en a veu de groteſques
, qu'on ne sçavoit comment
appeller , parce qu'ilsn'ef
312 MERCURE
toient qu'un pur effet de l'imagi
nation des Inventeurs. En renouvellant
les vieilles modes, on
a choiſy les plus ridicules , ſur lefquelles
on a encor renchery pour
rendre ces fortes d'Habits tout- àfait
plaifans . Il y a eu des Fi
gures d'une nouveauté ſi ſurprenante
, qu'un Homme feul en re
préſentoir juſques à quatre tout
àla fois. Enfin l'on a veu juſques
à des Garnitures de Porcelaines
mouvantes & chantantes. Je di.
ray un mot de quelques-uns de
ces déguiſemens , en parlant des
Lieux où ils ont paru . Monfei
gneur le Dauphin ayant changé
huit ou dix fois d'Habit chaque
foir , M' Berrin a cu beſoin de
rout ſon génie pour luy en fournir,&
de toute la vigilance pour
Ies
GALANT. 313
les faire faire , à cauſe du peu de
temps qu'ily avoit depuis un Bal
juſqu'à l'autre. Comme ce Prince
ne vouloit pas eſtre reconnu,il n'y
a forte de Perſonnage extraordinaire
qu'on n'ait inventé pour le
déguiſer ; & bien ſouvent ſous les
Figures qu'il repréſentoit , on ne
pouvoit deviner fi celuy qu'on
voyoit avec un Maſque , eſtoit
grand ou petit , gros ou menu , il
avoit meſme quelquefois desMafques
doubles ,&des Maſques de
Cire ſi bien faits fousun premier
Maſque,que lors qu'il s'eſt dema
qué , on a crû voir quelquefois
un viſage naturel qui a trompé
toutlemonde. Comme ces fortes
d'Habits font plus propres à réjoüir
la veuë qu'à eſtre décrits,
je ne m'étendray pas davantage
Mars 1683.
Dd
314 MERCURE
fur des chimeres , dont le Pin
ceau meſme auroit de la peine à
faire remarquer toute la bizarrerie.
On ne peut paroiſtre d'un
air plus deliberé , ny avec plus
d'enjouëment , qu'a fait Monfeigneur
le Dauphin dans tous ces
Divertiſſemens. La promptitude
avec laquelle il changeoitd'Habit
, n'a rien qui l'égale. Il laffoit
tous fes Officiers , ſans eftre
fatigué , quoy qu'il agiſt plus
qu'eux' en s'habillant & fe def
habillant , & qu'il dançaſt beaucoup.
Ce Prince fait connoiſtre
par les moindres chofes , par la
maniere dont il fait ſes Exercices
de Cheval , & par l'ardeur avec
laquelle il foûtient le long travail
de la Chaffle , combien il prendroit
de plaifir à commander des
GALANT. 315
Armées , & que celuy que les
Beſtes les plus feroces n'étonnent
point, ſentiroit renouveller ſa vi
gueurà la veuë des plus redoutables
Ennemis. Aufſi que nedoits
on point attendre d'un Fils de
LOUIS LE GRAND?
Monfieur , qui eſt toujours
mis d'un fi bon gouft , a ſouvent
paru au Bal avec des Habits ordinaires
, mais fi magnifiques , &
fi bien entendus , qu'on n'euft
pû rien ajoûter à leur beauté & à
leur richeſſe. Ce Prince s'eſt auffi
quelquefois déguisé d'une manie.
re plaiſante , & qui a 'furpris par
fa nouveauté tous ceux qui ont
veu ces déguiſemens. Vous re
marquerez , Madame , que dans
ces diverſes Feſtes , le Roy a toujours
eſté ſans Maſque , qu'il a
Ddij
316 MERCURE
donné pendant tout le Carnaval,
les meſmes heures qu'il donne
ordinairement aux affaires de l'E.
tat; qu'il ne s'eſt pas levé un
moment plus tard que de coûtume
, & qu'il a pris part aux Divertiſſemens
pour honorer par
ſa préſence ceux qui les donnoient
,&pour obliger ſa Cour à
goufter l'heureux repos que luy
procurent ſes veilles.
Le premier des cinq Bals, dont
il fautqueje vous parle , fut donné
par M le Grand , dans ſon
Apartementde la Gallerie baſſe
de l'Allée neuve deVerſailles. Ce
Bal s'ouvrit par une Mascarade
deMademoiselle de Nantes . On
yjoüoit alternativement un Menüet
, & une Gigue , mais il n'y
avoit qué Mademoiſelle deNan
GALANT. 317
tes qui dançaſt la Gigue. LeMenüet
fut dancé parMademoiſelle
d'Armagnac , &par Meſdemoifelles
d'Ufés & de Grignan; quel.
quefois elles le dançoient à quatre
, quelquefois à trois , & en
ſuite à deux. Mademoiselle de
Nantes s'eſt fait admirer par tout
où elle a dancé. L'empreſſement
de la voit eſtoit fi grand, que chacun
montoit fur ſa Chaiſe pour
la mieux confiderer. Monfeigneur
le Dauphin fit ce jour- là
une Mafcarade avec Monfieur
le Prince de la Roche-fur-Yon,
&plufieurs autres Seigneurs de
laCour. Il eſtoit porté dans une
Chaiſe , accompagné d'un nombre
de Polichinelles à manteau,
& de pluſieurs Nains. Il ſe déguiſa
encor quatre on cinq fois
4
Dd iij
318 MERCURE
pendant ce Bal , qui dura juſques
à quatre heures du matin, M
l'Admiral , & M² le Duc de Vendoſme,
furentde cesMaſcarades.
Vous ne pouvez rien vous imaginer
de trop , touchant la magnificence
de M² le Grand. Tout
alla chez luy juſqu'à la profufion.
Quelques jours enſuite ,Monſeigneur
le Dauphin donna le
Bal dans la Salle desGardes , qui
fert d'entrée à fon Apartement.
C'eſt un Lieu fpatieux & beau,
&tout environné de Colomnes.
Il y avoitdans cette meſme Salle
unThéatre pour les Marionnetes
qui joüerent avant le Soupé,
apres lequel le Bal commença
avec une affluence extraordinaire
de Maſques , tous bizarrement
GALANT. 319
veſtus. Ce Prince y parut fous
divers Habits , & il en prit un
entre autreess,, qui n'eſtoit compoſé
que d'un Haut-de- chauffe
de Suiffe , qui luy prenoit au col,
& defcendoit juſque ſur ſes fouliers.
Il avoit auffi un Chapeau
de Suiffe , au deſſous duquel on
voyoit quatre viſages de diféren
tes couleurs , & repréſentans di
férens âges. Ils eftoient accompagnez
de quatre Perruques auſſi
de diverſes couleurs de cheveux,
de forte qu'on ne pouvoit connoiſtre
de quel coſté eſtoit le vray
viſage , non plus que le devant,
le derriere , ny les coſtez de la
Perſonne , quatre fois maſquée
dans lemeſme temps. Comme la
Salle des Gardes de Monfieur
joint celle où ſedonnoit ce Bal,
D d iiij
320 MERCURE
د
&qu'il y a une porte de communication
on y avoit dreffé fur
pluſieurs Tables une fuperbe
Collation , où chacun s'alla ra
fraîchir à ſav olonté , pendant
tout le temps du Bal ,
Son Alteffe Sereniffime Monfieur
leDuc , fit enfuite paroiſtre
la galanterie , & la magnificence
qui luy font ordinaires, en rece
vant à fon tour dans fon Apartement
toute la Cour déguiſée. Η
y avoit trois Salles de Bal , or
nées tres fuperbement. On n'en
ouvrit d'abord que deux ,& l'on
ne donna pas meſmeà connoiftre
qu'ilyen euſtune troifiéme , qui
duft ſervir pour le Divertiſfement
de la foirée. Apres qu'on
eut dancé quelque temps dans les
deux premieres , Monfieurote
GALANT. 321
Duc pria le Roy d'entrer dans,
cette troifiéme . Elle estoitmeublée
d'une Tapiflerie de Velours
cramoify , fur laquelle estoient
brodées d'eſpace en eſpace des
Colomnes d'or trait , qui compofoient
un ordre d'Architectu
re , rehauffé de Perles en beaucoup
d'endroits . Dans cette Salle
vis- à-vis des Fenestres , il y avoir
un Amphithéatre orné de riches
Tapis , & tout couvert de Careaux
a fonds d'or. Sa Majeſté
trouva en entrant , un chemin en
maniere de Gallerie , & retranché
de la meſme Salle par une
Balustrade de hauteur d'apuy,
couverte de tres- beaux Tapis or
& argent. Ce chemin eſtoit pour
conduire le Roy plus commodement
à l'Amphithéatre , où Sa
322 MERCURE
Majefté fut placée. Dans lemef
me temps que Monfieur le Duc
fitentrer le Roy dans cette troi.
fiéme Salle , il y fit paſſer par un
chemin dérobé , tout ce qu'il y
avoit de Perſonnes conſidérables
maſquées & autres , & les fit placer
ſur l'Amphithéatre , de maniere
que Sa Majeſté fut ſurpriſe
de trouver en cet endroit les mef
mes Perſonnes qu'Elle venoitde
quiter. Le milieu de la Salle ef
toit vuide pour ceux qui vouloient
eſtre du Bal , & pour les
Divertiſſemens qui devoient furprendre
l'Aſſemblée. Vis-à-vis du
Roy, on remarquoit unTrône de
pluſieurs degrez , fur lequelMa
dame la Princeſſe deConty efton
aſſiſe , veſtuë en Reyned'Egipte,
On voyoit à ſes pieds fur desTa
mel .
Dur
ar
101
able
ma
n
mel
201
e
04-
quej'en ay fait graver , qui
repréſentant qu'une moitić ,
Hiſe , veſtuë en Reyne d'Egipte.
On voyoit à ſes pieds fur desTaGALANT:
323
pis à fonds d'or , des Eſclaves
Maures, dont l'attitude marquoit
le reſpect & la ſoûmiſſion qu'ils .
avoient pour elle. Ce Maures
portoiet de groſſes Chaînes d'argent.
Pluſieurs Perſonnes vétuës
en Egiptiens & Egiptiennes
compoſoient la Cour de cette
charmante Reyne , & environnoient
fon Trône. Aux deux
coſtez , dans l'enfoncement de
deux Croiſées , eſtoient les Petits
Violons du Roy , habillez auffi
en Egiptiens , & M² de Lully vé
tu de meſme , mais tres- magnifi
quement , qui batoit la meſure.
Cette Salle eſtoit toute brillaute
de Lumieres , d'Argenterie , &
de Luftres. Je vous envoye ce
quej'en ay fait graver , qui n'en
repréſentant qu'une moitié , ne
324 MERCURE!
peut ſervir qu'à vous faire prendre
quelque Idée de ce magnifique
Lieu. Vous obferverez que
les Colomnes que l'on voit dans
cette Planche , ne ſont point du
Bâtiment , mais qu'elles repréſentent
les Colomnes d'or trait , qui
ſervent d'enrichiſſement à laTapiſſeriedeVelours
cramoiſy,dont
je viens de vous parler. Ainfice
qui vous paroiſt uny derriere les
Colomnes , & que la gravûre ne
peut faire reconnoiſtre, eſt le Ve.
lours. Les Divertiſſemens qui
furprirent pendant le Bal , commencerent
par une Mafcarade
de pluſieurs Entrées. La premie.
re fut dancée par deux Biſcains,
&deux Bifcaines ,& par une ve.
ritable Bohemienne ; la ſeconde,
par deux Bifcains avec des Tam-
3
GALANT.
P 325
bours de Baſque , dont deux dan.
cerent un Branle Baſque à la
mode du Païs , & les deux autres
dancerent des Canaries, Enfuite
Madame la Princeſſe de Conty
dança une Chaconne faite parM
deLully.Mademoiselle de Laval
figura avec elle ; mais la Princeſſe
dança ſouvent ſeule . Cette Entrée
eſtoit de quatre ; les Sieurs
Pecourt , & Letang le Cadet,
Danceurs du Roy , eurent l'honneur
d'y eſtre employez . Ils eftoient
habillez en Egiptiens & en
Egiptiennes. Les Bifcaines des
Entrées eftoient Meſdemoiselles
de la Fontaine , & Pezan ; les
quatre Biſcains , les Sieurs Pe
court, Bouteville , Letang le Cadet
, &Dumirail. Le Sieur Pe.
court avoit fait les Entrées. Le
326 MERCURE
premier Habit avec lequel Monſeigneur
le Dauphin ſe fit voir
dans l'Affemblee , fut un Habit
de Medecin. Il eſtoit monté fur
une Mule , & pluſieurs Seigneurs
l'accompagnoient, vétus &montez
de meſme. Il parut encor
dans le meſme Bal avec fix ou
ſept autres Habits. Comme on
attend toûjours quelque choſe
de galant , &de magnifique, des
Feſtes que donne Monfieur le
Duc, le defir de voir celle dont
je vous parle , y avoit attiré un
tres -grand nombre de Maſques.
Douze Officiers du Roy', vétus
enMaures , y ſervirent une Col-*
lation. Ces Maures contrefaits,
eſtoient meflez avec de veritables
, qui paroſſoient traveſtis
fous toutes fortes d'Habits , a
GALANT. 327
la maniere Françoiſe. Il eſt
impoſſible de rien imaginer de
plus divertiſſant. Chaque Figure
eſtoit capablede faire éclater de,
rire l'Homme le plus ſérieux.Je
ne dis rien de cette Collation.
S'il euſt eſté poſſible d'en donner
une plus belle , Monfieur le Duc
n'auroit rien épargné pour cela.
Elle fut ſervie dans pluſieursCor.
beilles , repréſentant toutes des
Figures diférentes , comme des
Demy- lunes , des Triangles, des
Octogones , des Tours , & peut
paſſer pour un Spectacle aufli
nouveau , qu'il fut furprenant &
agreable. C'eſt rencherir ſur les
Divertiſſemens , que d'en faire
und'une choſe , qui dans l'ordi-.
naire ne ſert qu'à flater le gouſt.
Le Bufet donna encor occafion à
328 MERCURE
1
un autre Divertiſſement. On fer-
Diverti
vit des Liqueurs portées par des
Satyres , & par des Bachantes,
déguiſez de pluſieurs fortes , ce
qui faiſoit paroiſtre des Figures
auffi plaiſantes que les Maures
traveſtis. Lors que l'Aſſemblée
ſe fut rafraîchie avec ces Liqueurs
, on vit entrer Bacchus &
Silene , & le Bouc de la ſuite de
Bacchus . Arlequin faifoit Silene.
Il entra monté ſur une Bourique
caparaçonnée de Pampres,
& de Raiſins ; & Bacchus repréſenté
par Spezzaferre, eſtoit tout
couvert de Jambons , Cervelats,
Bouteilles , & c . & porté fur un
Tonneau par deux Satyres . Bacchus&
Silene firent une Scene
fort plaifante , en faiſant connoiſtre
pourquoy l'on ne préſen
GALANT. 329
2
toit pointdeVin dans cette Feſte.
Il s'émût à la fin de la Scene
une querelle entre Bacchus , Silene
, l'Afne , &le Bouc , qui
commencerent entre eux un
combat , dont l'Affemblée fut
fort divertie. Le combat finy, le
St Pecourt dança une Entrée
d'Arlequin . Le Bal recommen.
ça enfuite , &une heure apres on
fervit une ſeconde Colllation,
auffi magnifique que la premiere,
portée par les meſmes Officiers
en Habit de Ville, Le Bal con.
tinua, & fur les deux heures apres
minuit , on trouva une troiſieme
Collation dans une autre Salle.
Les divers Plaiſirs qui compoſe.
rent la Feſte ſe ſuivoient en fi
grand nombre , qu'il eſt impoſſibleque
je n'en aye oublié beau-
Mars1683.
Ec
330 MERCURE
coup. Quant aux Ornemens de
l'Apartement où elle ſe donna, je
ne vous en ſçaurois affez dire,
non plus que de la profufion de
toutes choſes. Outre les Feſtons,
Dorures , Lumieres , & autres
Embelliſſemens qui ornoient
tous les paſſages , tout l'Apartement
eſtoit tellement remply de
Bufets , qu'on ne pouvoit aller
en aucun lieu ſans en trouver. La
dépense que fit Monfieur le Duc
pour ce Divertiſſement , quoy
que fort grande , n'en fut cependant
que lamoindre choſe.Beaucoup
prodiguent l'argent , mais
peu , en le prodiguant , ſçavent
donner d'agreables Feſtes. La
nouveauté,la ſurpriſe , &l'agrément
, c'eſt ce qu'on eſtime le
plus dans ces rencontres.On peut
GALANT. 331
dire de ces fortes de Feſtes , ce
qu'on dit des beautez piquantes,
qu'elles ont le je-ne- fçay-quoy.
On ne peut l'avoir fans eſtre af
furé de plaire. Quand Monfieur
le Duc donne uue Feſte , il invente
tout luy- meſme , & un
Prince n'imagine rien que de
grand. Il prend ſoin de l'exécu
tion , il ordonne , & fait preſque
tout faire en ſa préſence. Ilemploye
les plus habiles Hommes
de chaque Art , & la reconnoiffance
qu'ils reçoivent de leurs
peines , va meſime au de la de
leurs fouhaits. Doit- on s'éton- '
ner apres cela , ſitout ce que fait
ce Prince eſt galant , magnifique,
&d'un bon gouft ; fil'exécution
en eftauffi heureuſe que promp
te , & s'il eſt toûjours fort bien
Ecij
332 MERCURE
Mervy ? Donner le Bal, n'eſt rien
autre choſe que recevoir chez foy
ceux que la Dance y attire ; avoir
debonsViolons,& faire fervir de
quoy rafraîchir la Compagnie. II
ne paront point d'abord chez
Monfieur le Duc que l'on ait
d'autre deſſcin. Cependant les
Divertiſſemens y naiffentlesuns
des autres . Un grand Spectacle
fatigueroit , cent petits ſurpren.
nent , & raviffent. Le bon or
dre fait qu'on s'y divertit , & que
l'onn'en fort point fatigué, comme
on l'eft des grandes Feſtes .
Quand on reüffit de cette forte
pour le ſeul plaifir , dequoy n'eſton
point capable pourdes chofes
plus férieuſes ,& qui regardent la
folide gloire ? Tous ceux qui ont
veucette Feſte , en ont parléavec
GALANT. 333
tant d'admiratio'n , que bien loin
d'avoir rien exageré , je puis dire
que la peinture que j'en viens de
faire eft fort imparfaite. Quine
cire que des faits , ne ditjamais
trop , & c'eſt à quoy je me fuis
borné.
Quelques jours apres, laCour
ſe rendit chez M'le Cardinal de
Boüillon. Elle fut receuë dans
plufieurs Salles magnifiquement
parées,& remplies d'une infinité
de lumieres. Ily avoit dans toutes
des Gentilshommes de cette
Eminence, pour en faire les hon
neurs. L'abondancedesMaſques
y fut grande , & la Collation
abandonnée à tous ceux qui en
voulurent emporter. Monfeigneur
le Dauphin y parut avec
unHabit magnifique , tout cou334
MERCURE
vert d'agrémens d'or.. Il repréfentoit
un Gentilhomme Gaulois.
Sa Caſaque, ou Balandran,
eſtoit de couleur de feu, doublé
de toille d'or ; ſes Chauſſes, longues
& étroites ; ſes Botines,
blanches ; &fon Linge, de Dentelle
àdent. Apres qu'il eut quitté
cet Habit , il en prit un de
Femme , de Tafetas cramoiſy &
argent , & repréſenta la Femme
hydropique de la Comédie de
la Devincreffe. Ce Prince ſe déguiſa
encor de fept ou huit manieres
diférentes . Me le Duc
avoit un Habit de Chauve-fouris
tres fuperbe ; & M² le Prince de
la Roche. fur. Yon repréſentoit
une Dame Chinoiſe , dans une
parure des plus ſomptueuſes &
des plus brillantes.
:
ار
GALANT. 335
Le dernier jour du Carnaval,
le cinquiéme &dernier Bal ex
traordinaire fut donné chez
Madame de Thiange. Tout y
eſtoit galant, magnifique, &bien
entendu, & le Roy fut agreablement
ferpris par pluſieurs divertiſſemens
, ainſi qu'il l'avoit eſté
chez M'le Duc. Je croy qu'en
lifant le nom de Madame de
Thiange , &ſcachant dequelle
maniere elle s'acquite de toutes
les chofes dontelle ſe meſle, vous
vous attendez à une Feſte de bon
gouft. Monseigneur le Dauphin
avoit concerté une grande Mafcarade
pour y venir. Il la fit faire,
&on la trouva tress-belle .. Elle
repréſentoit une Noce de Vil
lage. Voicy les noms de ceux
qui la compoſoient, les Perfon
336 MERCURE
nages qu'ils repréfentoient , &
dans quel ordre ils entrerent...
Madame la Dauphine , Socur
de la Mariée , eſtoit menée par
Me le Grand, Parent duMarić.
Madame, Mére de la Mariée,
par M l'Admiral, Pere duMarić.
Mademoiselle, Sooeur du Marić,
par Mile Duc de Villeroy , Parentde
la Mariée.
Madame la Princeffe de Con.
ty , qui repréſentoit la Mariée,
parMele Comte de Brionne, qui
eſtoit le Marié.
Mademoiselle de Nantes , &
Mademoiselle d'Armagnac, Filles
de la Nôce,
Mademoiselle de Tonnerre,
auſſi Fille de la Noce , menée
par Monseigneur le Dauphin,
Bailly du Village.
Mademoiselle
GALANT. 337
Mademoiselle de Laval, Par
rente de la Mariée, par Mº d'A
lincourt, Frerede la Mariće.
Madame la Maréchale de Rochefort,
Mere de la Mariée, par
Male Prince de la Roche-fur-
Yon, Pere de la Mariée.
Mademoiselle de Jarnac, Paï.
fanne du Village,parM'le Prince
de Commercy , Garçon du Village,
veſtu enAlain.
- Madame de Nangis, Païſanne,
par Male Vidame, Berger.
Mademoiselle de Biron , Parenre
du Procureur Fifcal , par
MedeGuéry.
Mademoiſfelle de Gontaut,
Coufine du Marié , par Mele
Comte de Rouffy , Procureur .
-Fifcal.
Madame la Ducheſſe de Mor-
Mars 1683. Ff
338 MERCURE
temar, Païfanne,par M'lePrince
de Conty , veſtu auſſi en Alain.
Son Habit eſtoit de Velours &
deSatin.
Cette Mascarade fut exécu
tée avec toute la juſteſſe & rout
l'agrément poſſible. Chacun
s'habilla ſelon le caractere du
Perſonnage qu'il repreſentoit.
Madame la Dauphine avoit un
Corſet de Païſanne à petitesBaf
ques. Il eſtoit de Brocard couleur
de feu , or & argent , avec
toutes les Tailles marquées d'un
velouté noir, fur lequel on avoit
poſédes Diamans. Le Lacet du
Corps eſtoit de Diamans , & le
reſte de l'Habit eſtoit de Satin
&deVelours, avec des agrémens
or & argent. Madame la Princeffe
de Conty avoit un Habit
GALANT. 339
t d'une Toille à fonds de Lame
d'argent , avec des Fleurs incar
nates;&fon Corfet, tout lace de
Diamans. L'Habit de Madame
convenoit à l'âge de la Perſonne
qu'elle repréſentoit. Il paroiffoie
magnifique , ſans or ny argent,
&n'eſtoit que de Velours & de
Satin , avec des agrémens velou.
tez. Elle avoit une maniere de
Chaperon de Velours, un Coler
monté, & un Demy- ceint. M
Berrin avoit inventé & fait faire
ces Habits. Je les ay donnez à
graver pour le mois prochain.
Monfieur le Duc qui s'eſt toῦ.
jours diftingué par la maniere
dont il ſe déguiſe , vint à ce Bal,
•veſtu en Dame Hollandoife .
Cene futpas le ſeul divertiſfement
qu'eut l'Aſſemblée. Il fut
Ff ij
340 MERCURE
ſuivy de quelques Scenes de Comédie
qu'on repréſenta dans
l'une des Salles du Bal. Le Théa.
tre eſtoit une Eſtrade élevée de
deux pieds, ayant pour Décoration
deux Amphithéatres des
deux coſtez. Ces Amphithéatres
eſtoient remplis de Muſiciens, &
de Joüeurs d'Inſtrumens déguiſez.
Les Acteurs fortoient par
deux Portes qu'on voyoit au
fonds de ce Theatre . Des Feftons
, & de riches Tapiſſeries,
Jeur ſervoient d'ornement. Au
deſſus de ces Portes avançoient
deux manieres de Balcons, dans
leſquels eftoient pluſieurs Perſonnes
magnifiquement déguiſées..
Le tout formoit un Theatre
d'une maniere auſſi galante qu'extraordinaire.
Sur les deux heures
GALANT 341
apresminuit, on vit entreruneſe.
code Mascarade qui donna beaucoup
de plaifir. Elle repréſentoit
une Garniture de Cheminée, de
7 Pieces dePorcelaines. Il y avoit
une Urme, des Rouleaux, & des
Pagots ou Figures de la Chine.
Ces Porcelaines estoient rem
plies par des Perſonnes de la pre.
miere qualité , qui les repréſen
toient. Il y avoit auffi deux Muficiens.
M'le Duc de S. Aignan
parut aux deux derniers Bals,
veſtu enRoy&en Courrier. Il1
mitcommeRoy, fon Sceptre aux
pieds de Sa Majesté, & luy préfenta
quelques Vers. Il luy en
donna auffi comme Courrier, &
cette galanterie reçeut de grands
applaudiſſemens. Il faut eſtre
M'le Duc de S. Aignan , pour
Ffüj
342 MERCURE
marquer fon zele au Roy avec
tant d'efprit , dans un divertiffe.
ment qui ſemble n'en pas fournir
l'occaſion .
Le Lundy premier de ce mois,
M' leMarquis de Razilly, Lieutenant
de Roy dans la Province
de Touraine , épouſa Mademoifelle
Ferrand , Fille unique de
M' Ferrand, Capitaine aux Gardes
, & de Dame Colombe de
Périgny, Soeur de feuM' le Préfident
de Périgny. Ce Marquis
a cu un Frere aîné, à qui un coup
de Sabre ayant abatu le bras, à
lapeau pres , au deſſus du poi.
gnet, dans les dernieres Campagnes,
il acheva luy-meſme de ſe
le couper,& ſe l'eſtant fait plon.
ger dans du ſable pour en étan.
cher le fang, il remonta à cheval,
GALANT. 343
& marcha aux Ennemis comme
s'il n'euſt reçeu aucune bleſſure.
Il mourut quelque temps apres.
LaMaiſon de Razilly eſt unedes
plus anciennes de Touraine. Ses
Titres fontfoy que de temps immémorial,
ceux qui en font, portentpour
Armes, de gueules à trois
Fleurs -de- Lys d'argent. Ils ont
rendu d'importans ſervices fur
Mer& furTerre, & on les a veus
ſe diftinguer dans les Ambaſſades,
&dans les Charges de Lieutenans
Genéraux des Armées, &
de Gouverneurs. Feu Mr de Razilly,
Pere de celuy dont je vous
parle , a exercé avec grande
gloire celle de Vice- Admiral,
apres s'eſtre ſignalé en pluſieurs
occafions avec feu M le Commandeur
de Razilly ſon Frere,
Ff inj
344 MERCURE
mais fur toutdans le Secours qu'il
entreprit de faire paſſer dans
l'Iſle de Réce que l'Hiſtoire
n'a pas oublié , remarquant ex- A
preſſément qu'il alla brûler l'Admiral
de la Rochelle avec une
intrépidité ſurprenante .
Meſſieurs Ferrand ſont ſortis
de Gentilshommes de Poitou,
& exercent icy depuis un longtemps
les premieres Charges du
Parlement avec beaucoup de capacité&
de ſuccés. Celuy qui eſt
Capitaine aux Gardes , a fi glorieuſement
uny les avantages que
donne l'Epée, avec la dignité de
la Robe , que poffedent tous les
Siens, qu'on ne peut avoir plus
de réputation qu'il s'en eſt ac
quis dans cette Charge.
Le mefme jour , c'eſt à dire la
GALANT. 345
nuit du Dimanche gras auLundy,
le Mariage de Ma le Marquis de
Montpipeau,&de Mademoiselle
Aubry , Fille de Me Aubry , Receveur
General des Finances de
la Generalité de Roüen, fut ce.
lébré dans l'Egliſe de S. Sauveur ,
Avant la Ceremonie, il y eut un
magnifique Soupé, où se trouve .
rent Madame la Ducheſſe de Vivonne
, Madame de Monteſpan,
Madame la Princeſſe d'Elbeuf,
Madame deMortemar, Madame
de Nevers , Madame la Maréchale
deClerambault, Madame
la Marquiſe de Bron, M² le Duc
de Mortemar, M' le Marquis de
Bron , Premier Ecuyer de Madame
, &M² de la Ferriere , Se.
cretaire des Commandemens de
la Reyne. La Mariée eſt une fort
346 MERCURE
belle Brune, qui a le teint blanc
& fort uny , les traits du viſage
réguliers , la bouche belle & tres.
bien bordée , les yeux vifs &
pleins de feu , & l'humeur fort
enjouée. Elle n'eſt nytrop grande,
ny trop petite, maisbien priſe
dans ſa taille. Elle chante &
dance bien , & a d'ailleurs mille
bonnes qualitez. M'le Marquis
de Monpipeau eſt de la Maiſon
de Rochechoüart. Il fut envoyé
icy fort jeune par M' ſon Pere,
dans le deſſein de le faire entrer
à l'Académie , mais il s'échapa
, & alla au Siege de Maftric
, où il ſervit Volontaire . Il
paſſa le Rhin à la nage avec M
de Rochechoüart fon Frere,qu'il
avoit joint. Dans la Campagne
fuivante , ils fe trouverent tous
GALANT- 347
deux au Siege de Fauconnier en
Franche-Comté, & monterent
à l'aſſaut ; apres quoy ils ſe ren.
dirent en Flandre, oùM² de Rochechoüart
fut tué à la Bataille
de Senef, d'un coup de Moufquet
qu'il y reçeut. M'le Marquis
deMonpipeau, qu'on nommoit
alors M'le Chevalier, y reçeut
auffi un coup de Moufquet
dans la cuiſſe, &un autre dans le
poignet , ce qui ne l'empefcha
point de continuer juſqu'à la fin
duCombat. Depuis ce temps , il
s'eſt trouvé dans toutes les Campagnes
qui ſe ſont faites , & à
ſervy d'Ayde de Camp à M'le .
Maréchal de Rochefort. Il fut
fait Exempt des Gardes ; & au
mois de Septembre, avant le départdu
Roy pourGand, SaMa348
MERCURE
jeſté le fit Enſeigne des meſmes
Gardes dans la Compagnie de
Lorge.
Le lendemain de ce Mariage,
une des meilleures Amies de la
Mariée , ne pouvant luy rendre
viſite à cauſe d'une indiſpoſition
qui la retenoit au Lit , luy fit con.
noiſtre par ce Madrigal , la part
qu'elle prenoit à ſa joye.
Ors que l' Hymen par desa-
Lorscrez liens
Vous unit à l'Epoux que vostre
coeurdefire,
Jenepartagepointles tendres entre--
tiens
Qu'un amourcontent vous infpire.
Vous nefongez qu'à ces plaisirs
charmans
GALANT. 349
Quecause en vostre coeur unefibelle
chaine;
Et moy, malade au Lit, belle&jeune
Climene,
Pourprendre part à vos contentemens,
Jeſuis inſenſible àmapeine.
CeMadrigal fut fort approuvé
d'une belle & nombreuſe Compagnie,
à qui la Mariée le fit voir .
Il eſt de M Diéreville , dont
vous avez déja veu de fort jolis
Vers , & par qui la Dame malade
l'avoit fait faire.
Il me reſte encore à vous apprendre
que le Fils deM'le Marquis
du Queſne , Lieutenant General
des Armées du Roy , a
* épousé une Demoiſelle de Montauban,
dont le Bien eſt fort confidérable
.
350 MERCURE
Les deux Filles de feu M'le
Marquis d'Ardenay, qui ont eſté
élevez dans noſtre Religion par
les foins de Mr le Marquis de
Cognée leur Oncle , ayant eſté
amenées au Chaſteau - du - Loir
chez Madame le Maçon deTré.
ves , l'Aînée abjura l'Héreſie de
Calvin le 10. de ce mois entre les
mains de Mel'Eveſque du Mans,
qui a pris des foins extraordinaires
pour ſon inſtruction ; & la
Cadete réçeut du meſme Prélat
la cerémonie du Bapteſime , en
attendant un âge plus avancé
pour ſon abjuration
Les Capucins tenant un des
premiers rangs parmy les Ordres
qu'on aime le plus , il ne faut pas
s'étonner ſi l'affluence de monde
eft grande dans toutes les Ceré
GALANT. 351
monies qui les regardent. C'eſt
ce qui vientd'arriver à leur Convent
de Vernon, où tout le Clergé
de la Ville , toute la Nobleſſe
des environs , & preſque
tout le Peuple avec les Officiers
, ont aſſiſté à la Poſition de
la premiere Pierre de leur Cloître
, qui fut poſée par Me le Marquis
de Blaru , Gouverneur de
Vernon . La Benédiction de cette
Pierre , fur laquelle on avoit fait
graver les Armes de ce Gouverneur
, avec pluſieurs Deviſes &
Inſcriptions , fut faite par Mefſieurs
du Chapitre en Corps, Un
Te Deum folemnel termina la Cerémonie
, qui avoit eſté commen.
cée par le veni Creator ,&le tout
fut ſuivy de deux Collations magnifiques
, l'une pour les Hom352
MERCURE
+
mes , & l'autre pour les Dames .
Les Convents des Religieuſes des
environs , & quelques Particu.
liers , ſcachant que les Capucins
ne peuvent rien donner fi on ne
leur donne , avoient non ſeule.
ment fignalé leurs libéralitez ,
mais encor leur adreſſe par la
conftruction des Maſſepains, Pates
, & Confitures ſeches , dont
elles avoient fait préſent à ces
bons Peres , qui firent tout ſervir
aux Principaux de cette nombreuſe
Affemblée.
L'Abbaye de S. Vincent de
Metz, qui vacquoit par la mort
de M l'Abbé de Beliévre, a
eſté donnée à M l'Abbé Ancelin
, Chanoine de Noſtre-Dame,
Fils de Madame Ancelin , Nourrice
de Sa Majeſté.
L
GALANT. 353
M'Chéron , Official de Paris,
a auſſi eſté pourveu par Sa Ma
jeſté de l'Abbaye de la Chalade,
Dioceſe de Verdun. C'eſt un
Homme d'une profonde érudi
tion , &que ſon ſeul mérite a faio
appeller à l'employ qu'il poffede.
Je vous ay déja parlé de luy plu
fieurs fois ,
M'l'Abbé de Jonquieres, Fils
deM' deJonquieres, Controlleur
General en la Grande Chancele.
rie,& Secretaire du Roy, a obetnu
dans le meſme temps l'Abaye
de S.Savin,D'oceſe deTarbes.M
deJonquieres eſt auſſi Secretaire
deM'le Chancelier , & fort con
nu par ſa grande probité , & par
l'eſtime de ce Miniſtre , qui ne
s'eſt jamais laiſſe ébloüir par le
faux mérite.ch
Mars 1683. Gg
354 MERCURE
:
Sa Majesté ayant auffi pourveu
aux Abbayes de Filles , a
nommé Madame d'Harcour
Scoeur du Prince de ce nom, à
l'Abbaye de Montmartre , ou
elle estoit Religieuſe. Le Roy
ſcachant qu'elle estoit ſouhaitée
de toute la Communauté , a bien
voulu remplir les voeux de tant
de bonnes Ames , auffi-bien que
ceux de toute la Maiſonde Lorraine.
L'Abbaye du Tréſor, Dioceſe
de Roüen , a eſté donnée à Ma
dame Beraut, Religieuſe de l'Abbaye-
aux-Bois , & Belle - Soeur
de M de Croiſſy , Miniſtre &
Secretaire d'Etat.
Madame de la Mothe- Houdancour,
Soeur du féuMaréchal
de ce nom , Supérieure perpéGALANT.
355
1.
tuelle du Monastere d'Ouchy,
de l'Ordre de S. Benoiſt proche
Soiffons , eſtant morte , Madame,
Charpentier , Religieuſe
du mefine Monastere , a eſté éluë
en ſa place. De quelque naiſſance
que l'on foit , il faut avoir beaucoup
de mérite perſonnel pour
remplir les dignitez d'élection .
L'Ayeulde cette nouvelle Supérieure
, eſt Fondateur des Cordeliers
de Soiffons . On a veu
dans cette Maiſon des Préſidens ,
&des Avocats Generaux au Par
lement de Paris , des Prevoſts
des Marchands , des Grands
Maiſtres des Eaux & Forests;
des Maiſtres des Comptes , &
autres Perfonnes conſidérables
dans la Robe , &dans l'Epée. Il
y en abeaucoup préſentement de
Gg ij
356 MERCURE
1
i
}
1
cette mefme Maifon, qui poffe
dent des Dignitez dans l'Eglife.
J'oubliay àvous mander l'autre
mois ce que vous avez déja ſçeu
par la voix publique, &que cette
Lettre ne fera que vous confir
mer ; c'eſt la création que le Roy
a faite de deux nouvelles Charges
dans ſes Gendarmes ; l'une
d'Enſeigne , l'autre de Guidon.
Sa Majesté en a fait préſent
à M le Prince de Soubize, qui
a vendu le Guidon au ſecond
Fils de M le Marquis de Sommery,
quia depuis peu épousé une
riche Heritiere. Ainſi il ſe voit
en meſme temps pourveu d'une
Charge , & d'une Femme.
Le Medecin de M'l'Electeur
de Brandebourg ayant dedié un
Livre au Roy , Sa Majesté luy
GALANT. 357
a fait un fort beau Préfent , ainfi
que d'une Paire de Pendans d'oreille
de Diamans d'un prix confidérable
, à Mademoiselle de
l'Ifle , en conſidération du Mariage
qu'elle a contracté depuis
peu avec le Fils de Me Daquin,
Premier Medecin de Sa Majesté,
dontje vous ay déja entretenuë.
On ne sçauroit dire trop de bien
des qualitez du corps,& de l'ef
prit de cette jeune & nouvelle
Mariée.
Je ne puis mieux vous faire
connoiſtre combien l'Autheur
des Dialogues des Morts fe tient
obligé de voſtre Critique, qu'en
vous renvoyant ce meſme Ou
vrage , purgé des legers défauts
dontvous l'avez averty. La
premiere Edition a eſté fi viſte,
358 MERCURE
1
qu'il y a déja plus de quinze jours '
qu'on débite la ſeconde. Vous
apprendrez ſans doute avecjoye,
qu'il revoit préſentement dixhuit
autres Dialogues , faits en
meſme temps que ceux qu'il a
déja donnez au Public. Pluſieurs
Perſonnes d'eſprit qui en ont veu
la plupart , y trouvent la mefime
fineffe de Satire & de Morale,
que vous avez admirée dans les
premiers. Cette fuite paroiftra
dans peu de temps.
On a enfin imprimé la Comé .
die du Festin de Pierre ,& elle ſe
vend fur le Quay des Auguſtins
à l'Image S. Loüis , & chez le
S' Blageart. C'eſt celle que le
celébre Moliere fit joüer en
Proſe quelque temps avant fa
mort. Elle a eſté mise en Vers,
GALANT. 359
/
& le grand nombre de Repréſentations
qu'on en donne tous
les ans , fait affez connoiſftre
qu'elle n'a rien perdu par ce
changement. Il n'y avoit point
de Femmes dans le troifiéme
Acte de cet excellent Original ,
non plus quedans le cinquième.
On y en a ajoûté , & par tout
ailleurs on s'eſt attaché à ſuivre
la Proſe , ſi ce n'eſt quand il a
fallu adoucir quelques endroits,
qui avoient fait peine aux Scrupuleux.
De cinq ou fix Pieces
qui ont eu ce meſme titre du
Feftin de Pierre , c'eſt la ſeule qui
reſte préſentement au Théatre.
Vous aurez l'explication des
deux Enigmes du dernier Mois,
&les noms de ceux qui en ont
trouvéle vray ſens dans ma XXI.
360 MERCURE
1
Lettre Extraordinaire , qui pa.
roiſtra le 15. d'Avril. Voicy cependant
deux nouvelles Enigmes
que je vous envoye. La premiere
eft de Me Grammont de Richelieu.
:
ENIGME.
PAAYrtoutje trouvedel'employ,
Iefuis utile&furMer&fur Terres
On nepentsepaffer de moy,
Soit que l'on soit en paix, soit qu'on
faffe la guerre.
I'embraffe leMéchant auffi bien que
le Saint,
Ie leurfuis àtous deuxfeveres
Le dernier pourtant me révere ,
Mais l'autre mefuit& me craint.
Apres avoirjetré mon corps dans la
Riviere
:
Par
GALANT. 361
Par un rude &barbare forr
On le tire avecſoin defon bumide
bierc,
Pourle rouer apresſa mort.
Auſſi voir- on mon pauvre Pere
Reculer toûjours pour mefaire.
Quoy qu'il trouve en moyson
profit,
Ilnem'apas plûtoſt venduë,
Quesi chez quelques-unsje trouve
du crédit,
Plusieurs autres voudroientnem'a-
* voirjamais veuë.
J
AUTRE ENIGME.
م
Efüis au milieu du Monde,
A quatre pieds dans un Tonneau .
toûjours deſſus l'Onde, Jeſuis touj
Etjamais je ne ſuis dans l' Eau.
Mars 1683. Hh
362 MERCURE
:
La fin du mois m'oblige à finir
ma Letrre , qui eſt déja plus lon
gue qu'à l'ordinaire. Cependant
ilme refte encor affez de matiere
pour en faire une ſeconde,& vous
en ſerez perfuadée quand je vous
diray queje réſervele Voyage de
Mª Gabaret dans la Martinique,
dont j'ay des Relations tresamples
&tres curieuſes ; la mort
de M de Roquelaure ; celle de
M' Hotman , & de Madame de.
Rambure ; la Nomination deM
le Cardinal de Boüillon à l'Abbaye
de Cluny ; ce qui s'eſt paſſe
pendant le ſejour du Roy à Com
piegne , & à Villers - Correts , &
pluſieurs autres Articles , fans
compter beaucoup d'Ouvrages
galans & d'érudition . Quoy que
vous ſoyez déja informée de touGALANT.
363
tes ces chofes par la voix publique
,j'efpere vous en apprendre
le Mois prochain des circonſtances
que vous ignorez. Si je remets
ces Articles qui doivent tenir
le premier rang dans mes
Lettres , je dois avec beaucoup
plus de raiſon diférer à vous en
tretenir d'une Piece de Théatre,
intitulée La Comédiefans Titre, &
dont les Repréſentations ont
commencé ce Careſme. D'ailleurs
comme cet Ouvrage me regarde
en quelque forte , je n'en
dois parler que lors queje n'auray
rien à dire fur des matieres plus
generales , & plus dignes d'exci.
ter voſtre curiofité .
J'apprens en fermant ma Lettre
, que Madame de S. Geran
vient d'eſtre nommée Dame du
Hhij
364 MERCURE
Palais , & que M'le Marquis de
Villarceaux s'eſt marié avec Mademoiselle
Brunet ; & M² Molé,
Confeiller au Parlement de Paris
, avec Mademoiselle de Luynes
, Fille de M² de Luynes, Préfident
à Mortierau Parlementde
Matz . Je reçoisen meſme temps
la Rélation du Carnaval de Venife.
C'eſt la plus exacte Defcription
que j'aye encor veuë
des Réjoüiſſances qui s'y font
pendant ce temps. Vous enjuge.
rez le Mois prochain. Jeſuis , Ma.
dame, voſtre, & c..
AParis, ce31. Mars 1683.
Österreichis bibliothek
+
604
Qualité de la reconnaissance optique de caractères