Titre
LETTRE d'un Habitant du Palais Royal, à M. DE LA PLACE.
Titre d'après la table
LETTRE d'un Habitant du Palais Royal, à M. De la Place.
Fait partie d'une livraison
Fait partie d'une section
Page de début
135
Page de début dans la numérisation
600
Page de fin
140
Page de fin dans la numérisation
605
Incipit
MONSIEUR Comme ce qui concerne le bien Public est une des parties éssentielles de
Texte
SUPPLÉMENT aux Piéces Fugitives..
LETTRE d'un Habitant du Palais.
Royal, à M. DE LA PLACE.
MONSIEUR ,9 .
Comme ce qui concerne le bien Public
eft une des parties éffentielles de
votre Journal , on voit avec plaifir votreattention
à ne rien négliger de tout
ce qui peut y contribuer ; l'incendie
136 MERCURE DE FRANCE.
terrible qui vient de reduire en cendres
un des plus beaux Spectacles de
l'Europe , occupe aujourd'hui bien douloureuſement
les efprits de tous les
Citoyens.
J'ai été témoin de ce funefte événement
& j'ai vu dans une heure de
temps la Salle de l'Opéra confumée
par les flammes & tout le Palais Royal
dans le danger le plus éminent ( a ) .
> C'est le Mercredi 6 de ce mois
qu'entre onze heures & onze heures
& un quart un tourbillon de fumée
épouvantable annonça le feu qui embrâfoit
la Salle , & qui menaçoit d'un
côté le Palais du Prince & de l'autre
la rue S. Honoré par les maiſons du
cul - de - fac de l'Opéra. La quantité
de bois & d'autres matières combuftibles
, qui abondent dans un Spectacle
qui confifte principalement en décorations
& en machines , donnoient
au feu une telle activité , qu'à midi &
(a ) Quelle perte c'eût été & pour la Capitale
& pour tout le Royaume , que cette fuperbe Collection
de Tableaux , que l'on peut regarder comme
une des richeffes de l'Etat , & qui ne contribue
pas peu à attirer tant d'Etrangers à Paris !
On peut rebâtir des Palais , mais de pareilles pertes
font irréparables.
AVRIL. 1763: 137
demi cette Salle n'étoit déja plus que
la plus vafte & la plus horrible de toutes
les fournaifes .
Dans un embrâfement auffi violent ,
il étoit difficile que les fecours arrivalfent
auffi promptement qu'il étoit naturel
de le defirer. Il eft vrai que la
peine que l'on eut d'abord à avoir
de l'eau en quantité fuffifante , a bien
démontré toute l'utilité du Projet de
M. Deparcieux , dont vous avez donné
, Monfieur , l'extrait dans votre Mercure.
On peut foupçonner auffi que
la Police de Paris , fi admirable à tant
d'égards , pourroit être fufceptible encore
d'une plus grande perfection fur
le fervices des Pompes il doit être
d'autant plus permis de le dire, qu'aujourd'hui
la fageffe du Miniftère ne
demande qu'à connoître les abus pour
les réformer , & que l'on doit tout
attendre de ce Magiftrat auffi éclairé
que vigilant , que le Roi a élevé à une
place où le Peuple l'auroit nommé , &
qui a fi bien prouvé combien il en étoit
digne , en maintenant la fureté de Paris
dans des temps fi difficiles . (b)
(b ) Le Lecteur apprendra fans doute avec plai
fir une fage précaution déja priſe il y a longtems
par M. le Lieutenant Général de Police. Les Maî
138 MERCURE DE FRANCE..
Par toutes ces raiſons je me crois at
torifé à vous expofer ici , Monfieur , ce
qui fe pratique à Strasbourg , au fujet
des incendies. Nuit & jour un homme
gagé par la Ville fait la fentinelle au
clocher de la Cathédrale dont l'élévation
prodigieufe domine la Ville de
route part. Si le feu prend en quelque
endroit le furveillant fonne le tocfin
& par la direction , le jour , d'un drapeau
blanc , & la nuit d'une lanterne
indique le Quartier de la Ville où eft le
feu . Toutes les Pompes y accourent
fans qu'il foit befoin de les aller cher--
cher. La premiere arrivée eſt récompenſée
par une fomme qu'eft obligée de
payer par forme d'amande celle qui n'arrive
que la dernière : ainfi la même
ardeur anime tous les Pompiers , les.
uns pour gagner le prix , les autres pour
ne pas le payer. Il n'eft pas poffible de
fe refufer au fentiment d'admiration
qu'infpire une police fi merveillėuſe.
Il fe peut que l'étendue immenfe de la
Ville de Paris y rendit un pareil établiffement
impraticable. Si ce n'eft pas
tres des Voitures qui fourniffent de l'eau aux quartiers
éloignés de la Ville & des Fauxbourgs , ont
ordre de ne rentrer chez eux , que leurs tonneaux
pleins , pour fervir en cas de beſoin..
AVRIL. 1763: 139
·
un éxemple à fuivre , on peut du moins.
en profiter pour faire mieux ce qui fe
fait communément. Cette réfléxion n'eft
pas d'un cenfeur , caractère communément
odieux & dont je fuis très-éloigné ;
je ne parle qu'en fimple Citoyen , dont
l'unique but eft d'avertir ceux qui font
plus au fait que je ne le fuis de tout ce
qui regarde un objet fi important , de
propofer les réformes dont notre Police
pourroit avoir befoin à cet égard .
C'est toujours beaucoup pour quiconque
tient au bien de l'humanité , que de
Poccafionner de quelque manière que
ce foit. Toute fimple qu'eft cette Lettre
, j'en ferois gloire fi elle donnoit
lieu au génie patriotique , qui fait de fi
heureux progrès parmi nous d'enfanter
quelque projet qui pût garantir nos
Neveux de ces terribles défaftres dont
nous n'avons été que trop fouvent témoins.
Un Philofophe & peut- être le
plus grand de tous , Socrate lui - même ,
ne fe glorifioit de rien tant que de favoir
faire accoucher les efprits .
Avant que de finir , je ne puis me
refufer la fatisfaction de vous faire part
d'un autre Spectacle dont j'ai eté témoin
, fpectacle toujours trifte à la
vérité , mais intéreffant & qui fait trop
140 MERCURE DE FRANCE .
d'honneur â nos Concitoyens pour le
paffer fous filence.
Au Jardin du Palais Royal , qui étoit
encore ouvert à l'ordinaire , on voioir
deux chaînes différentes compofées de
perfonnes de tout état , fans diftinction
de rang , de dignité , de fexe même ,
l'une formée pour fauver les Archives
du Palais , l'autre pour fournir plus
promptement l'eau aux Pompes qui
pouvoient feules en arrêter l'incendie.
Le zéle dont chacun est animé dans
ces terribles événemens redoubloit
fenfiblement encore , ainfi l'a remarqué
un fage Magiftrat , par le
refpect & l'amour dont tous les Citoyens
font pénétrés pour M. le Duc
d'Orléans & pour le Prince fon fils ,
dont la préſence les affectoit fi vivement.
Que ce Public dont tant de faux Philofopes
affectent de mal parler , devient
alors refpectable & intéreſſant !
Que ce spectacle fait honneur à l'humanité
! Mais puiffe le Jardin du Palais
Royal n'en offrir jamais de pareil.
J'ai l'honneur d'être , & c.
que
*
L * A* L * B *.
* M. le Procureur du Roi.
LETTRE d'un Habitant du Palais.
Royal, à M. DE LA PLACE.
MONSIEUR ,9 .
Comme ce qui concerne le bien Public
eft une des parties éffentielles de
votre Journal , on voit avec plaifir votreattention
à ne rien négliger de tout
ce qui peut y contribuer ; l'incendie
136 MERCURE DE FRANCE.
terrible qui vient de reduire en cendres
un des plus beaux Spectacles de
l'Europe , occupe aujourd'hui bien douloureuſement
les efprits de tous les
Citoyens.
J'ai été témoin de ce funefte événement
& j'ai vu dans une heure de
temps la Salle de l'Opéra confumée
par les flammes & tout le Palais Royal
dans le danger le plus éminent ( a ) .
> C'est le Mercredi 6 de ce mois
qu'entre onze heures & onze heures
& un quart un tourbillon de fumée
épouvantable annonça le feu qui embrâfoit
la Salle , & qui menaçoit d'un
côté le Palais du Prince & de l'autre
la rue S. Honoré par les maiſons du
cul - de - fac de l'Opéra. La quantité
de bois & d'autres matières combuftibles
, qui abondent dans un Spectacle
qui confifte principalement en décorations
& en machines , donnoient
au feu une telle activité , qu'à midi &
(a ) Quelle perte c'eût été & pour la Capitale
& pour tout le Royaume , que cette fuperbe Collection
de Tableaux , que l'on peut regarder comme
une des richeffes de l'Etat , & qui ne contribue
pas peu à attirer tant d'Etrangers à Paris !
On peut rebâtir des Palais , mais de pareilles pertes
font irréparables.
AVRIL. 1763: 137
demi cette Salle n'étoit déja plus que
la plus vafte & la plus horrible de toutes
les fournaifes .
Dans un embrâfement auffi violent ,
il étoit difficile que les fecours arrivalfent
auffi promptement qu'il étoit naturel
de le defirer. Il eft vrai que la
peine que l'on eut d'abord à avoir
de l'eau en quantité fuffifante , a bien
démontré toute l'utilité du Projet de
M. Deparcieux , dont vous avez donné
, Monfieur , l'extrait dans votre Mercure.
On peut foupçonner auffi que
la Police de Paris , fi admirable à tant
d'égards , pourroit être fufceptible encore
d'une plus grande perfection fur
le fervices des Pompes il doit être
d'autant plus permis de le dire, qu'aujourd'hui
la fageffe du Miniftère ne
demande qu'à connoître les abus pour
les réformer , & que l'on doit tout
attendre de ce Magiftrat auffi éclairé
que vigilant , que le Roi a élevé à une
place où le Peuple l'auroit nommé , &
qui a fi bien prouvé combien il en étoit
digne , en maintenant la fureté de Paris
dans des temps fi difficiles . (b)
(b ) Le Lecteur apprendra fans doute avec plai
fir une fage précaution déja priſe il y a longtems
par M. le Lieutenant Général de Police. Les Maî
138 MERCURE DE FRANCE..
Par toutes ces raiſons je me crois at
torifé à vous expofer ici , Monfieur , ce
qui fe pratique à Strasbourg , au fujet
des incendies. Nuit & jour un homme
gagé par la Ville fait la fentinelle au
clocher de la Cathédrale dont l'élévation
prodigieufe domine la Ville de
route part. Si le feu prend en quelque
endroit le furveillant fonne le tocfin
& par la direction , le jour , d'un drapeau
blanc , & la nuit d'une lanterne
indique le Quartier de la Ville où eft le
feu . Toutes les Pompes y accourent
fans qu'il foit befoin de les aller cher--
cher. La premiere arrivée eſt récompenſée
par une fomme qu'eft obligée de
payer par forme d'amande celle qui n'arrive
que la dernière : ainfi la même
ardeur anime tous les Pompiers , les.
uns pour gagner le prix , les autres pour
ne pas le payer. Il n'eft pas poffible de
fe refufer au fentiment d'admiration
qu'infpire une police fi merveillėuſe.
Il fe peut que l'étendue immenfe de la
Ville de Paris y rendit un pareil établiffement
impraticable. Si ce n'eft pas
tres des Voitures qui fourniffent de l'eau aux quartiers
éloignés de la Ville & des Fauxbourgs , ont
ordre de ne rentrer chez eux , que leurs tonneaux
pleins , pour fervir en cas de beſoin..
AVRIL. 1763: 139
·
un éxemple à fuivre , on peut du moins.
en profiter pour faire mieux ce qui fe
fait communément. Cette réfléxion n'eft
pas d'un cenfeur , caractère communément
odieux & dont je fuis très-éloigné ;
je ne parle qu'en fimple Citoyen , dont
l'unique but eft d'avertir ceux qui font
plus au fait que je ne le fuis de tout ce
qui regarde un objet fi important , de
propofer les réformes dont notre Police
pourroit avoir befoin à cet égard .
C'est toujours beaucoup pour quiconque
tient au bien de l'humanité , que de
Poccafionner de quelque manière que
ce foit. Toute fimple qu'eft cette Lettre
, j'en ferois gloire fi elle donnoit
lieu au génie patriotique , qui fait de fi
heureux progrès parmi nous d'enfanter
quelque projet qui pût garantir nos
Neveux de ces terribles défaftres dont
nous n'avons été que trop fouvent témoins.
Un Philofophe & peut- être le
plus grand de tous , Socrate lui - même ,
ne fe glorifioit de rien tant que de favoir
faire accoucher les efprits .
Avant que de finir , je ne puis me
refufer la fatisfaction de vous faire part
d'un autre Spectacle dont j'ai eté témoin
, fpectacle toujours trifte à la
vérité , mais intéreffant & qui fait trop
140 MERCURE DE FRANCE .
d'honneur â nos Concitoyens pour le
paffer fous filence.
Au Jardin du Palais Royal , qui étoit
encore ouvert à l'ordinaire , on voioir
deux chaînes différentes compofées de
perfonnes de tout état , fans diftinction
de rang , de dignité , de fexe même ,
l'une formée pour fauver les Archives
du Palais , l'autre pour fournir plus
promptement l'eau aux Pompes qui
pouvoient feules en arrêter l'incendie.
Le zéle dont chacun est animé dans
ces terribles événemens redoubloit
fenfiblement encore , ainfi l'a remarqué
un fage Magiftrat , par le
refpect & l'amour dont tous les Citoyens
font pénétrés pour M. le Duc
d'Orléans & pour le Prince fon fils ,
dont la préſence les affectoit fi vivement.
Que ce Public dont tant de faux Philofopes
affectent de mal parler , devient
alors refpectable & intéreſſant !
Que ce spectacle fait honneur à l'humanité
! Mais puiffe le Jardin du Palais
Royal n'en offrir jamais de pareil.
J'ai l'honneur d'être , & c.
que
*
L * A* L * B *.
* M. le Procureur du Roi.
Signature
L * A * L * B *.
Lieu
Langue
Vers et prose
Type d'écrit journalistique
Courrier des lecteurs
Faux
Est adressé ou dédié à une personne
Provient d'un lieu