Titre
COMEDIE ITALIENNE. / Extrait de la Bohémienne.
Titre d'après la table
Comédie Italienne, / Extrait de la Bohémienne,
Titre simplifié de l'article récurrent
Fait partie d'une livraison
Fait partie d'une section
Page de début
198
Page de début dans la numérisation
453
Page de fin
213
Page de fin dans la numérisation
468
Incipit
LES Comédiens Italiens ont donné neuf représentations du Derviche, / Dans le premier Acte, le théatre représente une place publique. Nise & Brigani
Texte
COMEDIE ITALIENNE.
ES Comédiens Italiens ont donné
LES neuf repréſentations du Derviche
après lefquelles l'Auteur l'a retiré pour le
faire remettre cet hiver. M. Dehelfe y a
parfaitement rendu fon rôle , & nous ne
doutons pas que la piece & l'Acteur ne
reçoivent toujours les mêmes applaudiffemens.
Nous donnerons l'extrait de cette
Comédie , dès qu'elle fera imprimée .
Les mêmes Comédiens ont repris la Bohémienne
qui n'a rien perdu des graces de
la nouveauté ; en voici l'extrait que nous
avions annoncé.
NOVEMBRE. 1755. 199
Extrait de la Bohémienne.
Dans le premier Acte , le théatre repréfente
une place publique. Nife & Brigani
fon frere , ouvrent la premiere fcene gaiement
par ce duo .
Duo. Colla fpe me del goder.
Dans l'espérance
On
peut
Du plaifir ,
d'avance
Se réjouir ;
Mais les foucis de l'avenir
Sont des tourmens qu'il faut bannir.
Brigani ſe plaint que la faim le preffe ,
& qu'on ne vit pas d'efpoir. Sa four le
confole en l'affurant qu'ils vont être inceffamment
riches. Tu connois bien , ditelle
, Calcante , ce gros Marchand que tu
viens de voir à la foire de Bologne , il
fera notre reffource. Je veux quitter l'état
de fourberies : Mais , lui répond Brigani ,
Si nous fommes adroits , nous fommes indigens.
Comment veux-tu changer de vie ?
Avons-nous le moyen d'être d'honnêtes gens.
Nife.
Mon frere , nous l'aurons par un bon mariage ,
Lorfque l'on a des attraits en partage ,
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
Et qu'on a l'art de s'en fervir ,
Tous les coeurs font à nous , on n'a plus qu'à
choifir.
Brigani lui dit que les vieillards ne font
pas foumis à fon pouvoir ; Nife le défabufe
par cette tirade , où il y a une comparaifon
qui paroît hafardée , mais qui eft
excufable dans la bouche d'une Bohémienne.
Quand nous voulons , ils font à nos genoux ,
Et nous fçavons les rendre doux :
Leurs coeurs plus tendres , plus fenfibles ,
Defléchés par les ans , en font plus combuftibles,
Et comme l'amadoue , un feul regard coquet
Leur fait prendre feu crac ; c'eft un coup de
briquet.
Notre homme eft dans le cas , & fitôt qu'il m'a
vue ,
J'ai porté dans fon ame une atteinte imprévue ,
Il avoit fous fon bras un fac rempli d'argent
Qu'il a ferré bien vîte ,
·
Il faut de cet argent que ta main le délivre ..
Calcante vient , ajoute-t-clle , je l'entend's
à fa toux. Songe à jouer ton rôle. Préparons-
nous. Ils fe retirent au fond duthéatre
, où Brigani va ſe déguiſer en ours.
NOVEMBRE. 1755..201
Calcante paroît , & après avoir renvoyé
un valet muet qui le fuit , il dit qu'il
vient chercher la jeune perfonne , dont
la taille & les yeux fripons l'ont frappé.
Nife , qui l'entend , s'approche , fuivie de
fon frere travefti en ours , & démande
à Calcante s'il veut fçavoir fa bonne aventure
, qu'elle la lui dira . Oui - dà , répondt'il
galamment : C'en eft une déja , quand
on vous voit Montrez-moi vos deux mains,
lui réplique-t -elle . Tandis qu'il les préfente
, Brigani s'avance , & tâche de lui
voler fon argent. Le bon homme qui l'apperçoit
, & qui croit voir un ours , fait
un cri de peur. Nife le raffure , en lui
difant que cet ours eft auffi privé que lui ,
qu'il faute , qu'il danfe comme une perfonne.
Calcante redonne les mains à Nife,
qui s'écrie en les examinant ,
Ariete. Ella può credermi.
Ah ! cette ligne
défigne
Longues années ,
Et fortunées ;
Cent ans au-delà` ;
Oui , oui , mon beau Monfieur vivra ,
Calcante.
Oh ! fans grimoire:
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
2º
Couplet.
On peut vous croire :
Cela fera.
Nife.
Certaine fille ,
gentille ,
Pour vous foupire.
De fon
martyre ,
Qui la guérira ?
Hem hem ? Monfieur la guérira.
Calcante.
Oh ! fans grimoire , &c .
3 ° Couplet.
"
Nife.
... Ah ! je vois une .....
fortune .....
Que rien ne borne
Au Capricorne ,
Eft écrit cela !
Oui , oui , Monfieur fe marira.
Calcante.
Oh vraiment voire ,
On ne peut croire
Ce conte - là .
Nife infifte que Calcante deviendra l'époux
d'une jeune beauté , mais il élude le
difcours & dit que l'argent vaut mieux.
NOVEMBRE. 1755. zoz
Nife alors fait fauter fon ours . Il paroît
charmé de fes lazzis , & propofe à la Bohémienne
de s'en défaire en fa faveur :
elle répond qu'elle le donnera pour trente
ducats , & fait danfer l'ours en même
tems qu'elle chante l'Ariete fuivante .
Ariete. Tre giorni.
Examinez fa grace ;
C'est un petit amour ,
Auffi beau que le jour.
(à l'ours. ) Regardez -nous en face ,
Et faites , mon mignon ,
Un pas de Rigodon.
que
Eh ! fautez donc , fautez donc ,
Brunet , fautez pour Javote ,
Tournez pour Charlote ,
Et faites ferviteur ,
Comme un joli Monfieur.
Donnez-moi la menotte ,
La menotte ,
Et faites ferviteur.
Calcante en donne vingt ducats , elle
lui dit que c'eft bien peu. Il lui répond
fon or eft de l'or ; elle lui réplique que
fon ours eft un ours. Il ajoute quatre ducats
à la fomme. Elle les reçoit , en lui
proteftant que fi elle n'étoit pas dans l'indigence
, elle le lui donneroit pour rien ,
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
tant elle a d'attachement pour lui. Il l'af
fure que de fon côté , il l'aime auffi à la
folie , ajoutant qu'elle vienne le voir quel
quefois , & qu'il lui donnera ... des confeils.
Nife après avoir dit tout bas , le
vieux vilain ! chante tout haut cetre
Ariete :
Si caro ben farette.
Oui , vous ferez fans cefle
L'objet de ma tendreffe :
Déja pour vous , mon coeur s'empreffe ;;
Et je le fens fauter ,,
Palpiter.
àpart.. Voyez qu'il eſt aimable ! .
Agréable !
Pour enflâmer mon coeur !
Pour être mon vainqueur !
Elle s'en vas
Pendant l'Ariete , le faux ours vole la
bourfe de Calcante , défait fon collier
s'enfuit , & laiffe fa chaîne dans la main.
du vieux Marchand qui , voulant faire
fauter l'ours , s'apperçoit trop tard de fa
fuite , & court de tous côtés en chantant :
Ariete. Maledetti , quanti fiete..
Ah ! mon ours a pris la fuite !
Courons vite , courons vîte ,
1
NOVEMBRE. 1755. 205
: Miférable !
L'ai - je pu laiffer fauver ?
Mais où diable
Le trouver , & c.
Nife revient , & lui demande ce qui
l'oblige à crier , il répond que c'eft fon
ours qui s'eft échappé. Elle lui dit de ne
fonger qu'à Nife , qu'elle vaut bien un
ours. Il réplique que ce n'eft pas le tems
de rire. Elle dit à part que ce fera bien une
autre crife , quand il s'appercevra qu'on a
volé fa bourfe ; elle ajoute tout haut , em
le regardant tendrement , qu'elle comptoit
fur fon amour. Calcante lui répond
par cette Ariete charmante :
Madam' lafciate mi in liberta.
Oh ! laiffez donc mon coeur par charité ,.
Oh ! laiffez donc mon coeur en liberté .
(à part.) Qu'elle eft pouponne !
Mon coeur fe donne
Malgré ma volonté.
( haut ) Oh ! laiffez donc , & c.
Pefte de mine
Qui me lutine !
Pefte de mine
Qui m'affaffine !!
Fut- on jamais plus tourmenté
Oh ! laiffez donc , &c,
206 MERCURE DE FRANCE.
Quel martyre !
J'expire ,
En vérité .
Oh ! morbleu , c'en eft trop ; prends donc ma
liberté.
Nife s'écrie qu'il a la fienne en échange,
& qu'elle le préfere aux jeunes gens les
plus aimables . Oui , ajoute- elle :
Je les détefte tous. Si vous fçaviez combien
Tous ces Meffieurs m'ont attrapée.
Calcante & Nife terminent le premier
par cet agréable duo . Ace
Nife.
Mon coeur , ô cher Calcante
Dans une forge ardente
Eft battu nuit & jour.
Tous les marteaux d'amour
Le battent nuit & jour.
Calcante.
O Dieux ! qu'elle eſt ma gloire !
En figne de victoire ,
L'Amour bat du tambour.
Mon coeur eft le tambour ,
Eft le tambour d'amour.
NOVEMBRE. 1755. 207
•
Nife.
Tiens , tiens , mets ta main là ;
Sens-tu ? tipeti , tipeta.
Calcante.
Ah ! comme ton coeur va;
Et toi , ma belle enfant ,
Sens-tu ? patapan.
Ensemble.
Tipe , tape ,
Comme il frappe.
Calcante . Dis-moi , pour qui l'amour
Bat-il fur mon coeur le tambour.
Nife. Dis-moi , pour qui l'amour
Bat-il fur mon coeur nuit & jour.
Nife .
Dis toi-même.
Calcante & Nife.
C'est que j'aime.
Qui fans que j'en diſe rien ,
Tu le devines bien.
Dans le fecond Acte le théatre repréfente
des ruines & des mafures abandonnées.
208 MERCURE DE FRANCE.
Nife & Brigani en habit de Bohémien ,
ouvrent cet Acte. Elle chante l'Ariete fuivante
en éclatant de rire fi naturellement ,
que tous les fpectateurs rient avec elle..
Si raviva.
Je n'en puis plus , laiffe- moi rire .....
Rien n'eft égal à fon martyre a
Il vient , il va , depuis une heure
Il jure , il pleure ,
Ib en mourra.
Ah ah ah !
Brigani lui fait entendre que l'argent
eft la feule idole du vieillard , & qu'il va
renoncer à l'amour . Non, lui répond Niſe.
L'avarice a beau fe défendre ,.
L'Amour et le tyran des autres paffions.
Elle le preffe en même tems d'aller changer
de figure pour la feconder avec leurs.
camarades dans le rôle de Magicienne
qu'elle va jouer. Nife refte feule . Calcante
paroît défefpéré & chante l'Ariete fuivante
, fans voir Nife .
Che Orror ! che Spavento !
Je perds fans reffource
Ma bourſe, ma bourſe ;
NOVEMBRE. 1755. 209
Vivrai -je fans elle !
Fortune cruelle !
Eft-ce affez m'accabler ?
Puis- je , cruelle ,
Vivre fans elle ?
Fortune cruelle ,
Je vais m'étrangler.
O perte funefte !
La faim , la foif, & la rage , & la pefte
Ont moins de rigueur que mon fort.
L'espoir qui te reſte ,
Calcante , c'est la mort.
Dès qu'il apperçoit Nife , il l'implore
pour retrouver fa bourfe. Elle lui dit
qu'elle va tâcher de le fervir , mais qu'elle
a befoin de fa préfence , & qu'elle
craint qu'il n'ait peur. Il protefte qu'il af
fronteroit le diable pour r'avoir fon argent.
Nife alors conjure l'enfer & particulierement
Griffifer qui en eft le caiffier.
Brigani paroît en longue robe noire ,
avec une grande perruque armée de cornes
, une barbe touffue , & des griffes aux
pieds & aux mains . Nife lui demande s'il
a la bourſe , il répond qu'oui . Calcante
prie le faux diable de la lui rendre ; celuici
lui réplique que fa bourſe lui appartient,
que c'est un argent mal acquis , & lui
propofe un accommodement , c'eft que
210 MERCURE DE FRANCE.
Calcante époufe Nife , & que fa bourſe
lui fervira de dot. Le vieux Marchand ne
veut pas y conſentir. Griffifer appelle fes
camarades pour punir ce refus. Des Bohémiens
déguiſés en diables , beaux , viennent
épouvanter Calcante , qui exprime
fon effroi mortel par l'Ariete qui fuit :
Perfidi perfidi.
Au fecours ! Ah ! je tremble !
Ici l'enfer s'affemble !
O Dieux ! c'eft fait de moi,
Ah ! je meurs d'effroi
De grace .
Mon fang fe glace.
A l'aide , je trépaffe.
à Nife. Daignez me fecourir
Je me fens mourir.
Au fecours , & c.
Nife lui dit avec douceur , m'époufezvous
? Je goûte affez la chofe , répart le
bonhomme que ces Meffieurs fe retirent ;
fais-moi voir ma bourfe , & tu feras contente.
Elle fait éloigner les Bohémiens
& commande à Griffifer de faire briller à
leurs yeux la bourfe , de Calcante . Il accourt
, & montre la bourſe , en diſant :
Lucifer vous ordonne
NOVEMBRE. 1755. 211
D'être époux , & dans le moment ,
Ou redoutez le plus dur châtiment.
Le Diable faire un mariage , le récrie
Calcante , il devroit l'empêcher. Brigani
répond plaifamment :
Il fçait fes intérêts.
C'eſt lui qui préſide au ménage ,
Et ce n'eſt pas à toi de fonder ſes decrets.
Nife alors joue la tendreffe , en difant
qu'elle ne veut pas que Calcante l'épouſe
malgré lui ; qu'elle l'aime trop pour caufer
fon malheur , & qu'elle va lui rendre
la bourfe. Brigani lui déclare , que fi
elle n'eft épousée , il faut qu'elle périffe ;
qu'elle peut rendre la bourſe à ce prix.
Elle la donne à Calcante , & feint de s'évanouir
entre fes bras. Le barbon attendri
, s'écrie : voilà ma main ! Je ne ſouffrirai
pas que tu perdes le jour. Nife revient
de fa fauffe pâmoifon , & le bonhomme
dit :
Allons , figurons - nous que la bourfe eft fa dot.
On n'a du moins rien ôté de la fomme ?
Ce dernier vers prouve que l'avarice ne
veut rien perdre , & qu'elle est toujours la
paffion dominante . Brigani répond que
212 MERCURE DE FRANCE.
la fomme eft entiere , & qu'il eft un
diable honnête homme . Et l'ours , demande
Calcante ? Vous le voyez en moi , répart
le frere de Nife , en fe démafquant , je
fuis le diable , l'ours & Brigani . Vous
m'avez attrapé , s'écrie le vieillard :
Mais Nife eft fi jolie ,
Qu'en la voyant , il n'eſt rien qu'on n'oublie .
Ils s'embraffent & terminent la piece
par ce joli Tiio.
Calcante.
Toujours prefte ,
Toujours lefte
Près de toi l'on me verra ,
>
La , la , la , mon amour s'augmentera.
Nife à Calcante.
Ma chere ame ,
Je me pâme
Du plaifir d'être ta femme ;
Ah ! que Nife t'aimera ,
La , la , la , la , la..
·Brigani à part.
Le bonhomme je l'admirė ;
Et de rire
J'étouffe , en voyant cela.
La, la , la.
NOVEMBRE. 1755. 213
Nife.
Vive l'allégreffe ,
Tu peux croire que fans ceffe ,
Ma tendreffe
Durera.
Ensemble.
Que l'on chante , que l'on fête
Nife. Les douceurs qu'Hymen apprête.
Le bonhomme que j'ai-là !
Calcante. Quel tréfor je trouve - là !
Le bonhomme que voilà .
>
Brigani.
Ta la , la , la.
Nife.
Ta femme t'adorera ,
à part. T'endormira .
Calcante Ma flame s'augmentera ,
Brigani.
Madame t'adorera ,
Te menera .
Cette fin refpire une joie folle qui fe
communique à tous les fpectateurs. On
ne peut la bien rendre qu'au théatre , ni
la bien fentir qu'à la répréſentation.
ES Comédiens Italiens ont donné
LES neuf repréſentations du Derviche
après lefquelles l'Auteur l'a retiré pour le
faire remettre cet hiver. M. Dehelfe y a
parfaitement rendu fon rôle , & nous ne
doutons pas que la piece & l'Acteur ne
reçoivent toujours les mêmes applaudiffemens.
Nous donnerons l'extrait de cette
Comédie , dès qu'elle fera imprimée .
Les mêmes Comédiens ont repris la Bohémienne
qui n'a rien perdu des graces de
la nouveauté ; en voici l'extrait que nous
avions annoncé.
NOVEMBRE. 1755. 199
Extrait de la Bohémienne.
Dans le premier Acte , le théatre repréfente
une place publique. Nife & Brigani
fon frere , ouvrent la premiere fcene gaiement
par ce duo .
Duo. Colla fpe me del goder.
Dans l'espérance
On
peut
Du plaifir ,
d'avance
Se réjouir ;
Mais les foucis de l'avenir
Sont des tourmens qu'il faut bannir.
Brigani ſe plaint que la faim le preffe ,
& qu'on ne vit pas d'efpoir. Sa four le
confole en l'affurant qu'ils vont être inceffamment
riches. Tu connois bien , ditelle
, Calcante , ce gros Marchand que tu
viens de voir à la foire de Bologne , il
fera notre reffource. Je veux quitter l'état
de fourberies : Mais , lui répond Brigani ,
Si nous fommes adroits , nous fommes indigens.
Comment veux-tu changer de vie ?
Avons-nous le moyen d'être d'honnêtes gens.
Nife.
Mon frere , nous l'aurons par un bon mariage ,
Lorfque l'on a des attraits en partage ,
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
Et qu'on a l'art de s'en fervir ,
Tous les coeurs font à nous , on n'a plus qu'à
choifir.
Brigani lui dit que les vieillards ne font
pas foumis à fon pouvoir ; Nife le défabufe
par cette tirade , où il y a une comparaifon
qui paroît hafardée , mais qui eft
excufable dans la bouche d'une Bohémienne.
Quand nous voulons , ils font à nos genoux ,
Et nous fçavons les rendre doux :
Leurs coeurs plus tendres , plus fenfibles ,
Defléchés par les ans , en font plus combuftibles,
Et comme l'amadoue , un feul regard coquet
Leur fait prendre feu crac ; c'eft un coup de
briquet.
Notre homme eft dans le cas , & fitôt qu'il m'a
vue ,
J'ai porté dans fon ame une atteinte imprévue ,
Il avoit fous fon bras un fac rempli d'argent
Qu'il a ferré bien vîte ,
·
Il faut de cet argent que ta main le délivre ..
Calcante vient , ajoute-t-clle , je l'entend's
à fa toux. Songe à jouer ton rôle. Préparons-
nous. Ils fe retirent au fond duthéatre
, où Brigani va ſe déguiſer en ours.
NOVEMBRE. 1755..201
Calcante paroît , & après avoir renvoyé
un valet muet qui le fuit , il dit qu'il
vient chercher la jeune perfonne , dont
la taille & les yeux fripons l'ont frappé.
Nife , qui l'entend , s'approche , fuivie de
fon frere travefti en ours , & démande
à Calcante s'il veut fçavoir fa bonne aventure
, qu'elle la lui dira . Oui - dà , répondt'il
galamment : C'en eft une déja , quand
on vous voit Montrez-moi vos deux mains,
lui réplique-t -elle . Tandis qu'il les préfente
, Brigani s'avance , & tâche de lui
voler fon argent. Le bon homme qui l'apperçoit
, & qui croit voir un ours , fait
un cri de peur. Nife le raffure , en lui
difant que cet ours eft auffi privé que lui ,
qu'il faute , qu'il danfe comme une perfonne.
Calcante redonne les mains à Nife,
qui s'écrie en les examinant ,
Ariete. Ella può credermi.
Ah ! cette ligne
défigne
Longues années ,
Et fortunées ;
Cent ans au-delà` ;
Oui , oui , mon beau Monfieur vivra ,
Calcante.
Oh ! fans grimoire:
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
2º
Couplet.
On peut vous croire :
Cela fera.
Nife.
Certaine fille ,
gentille ,
Pour vous foupire.
De fon
martyre ,
Qui la guérira ?
Hem hem ? Monfieur la guérira.
Calcante.
Oh ! fans grimoire , &c .
3 ° Couplet.
"
Nife.
... Ah ! je vois une .....
fortune .....
Que rien ne borne
Au Capricorne ,
Eft écrit cela !
Oui , oui , Monfieur fe marira.
Calcante.
Oh vraiment voire ,
On ne peut croire
Ce conte - là .
Nife infifte que Calcante deviendra l'époux
d'une jeune beauté , mais il élude le
difcours & dit que l'argent vaut mieux.
NOVEMBRE. 1755. zoz
Nife alors fait fauter fon ours . Il paroît
charmé de fes lazzis , & propofe à la Bohémienne
de s'en défaire en fa faveur :
elle répond qu'elle le donnera pour trente
ducats , & fait danfer l'ours en même
tems qu'elle chante l'Ariete fuivante .
Ariete. Tre giorni.
Examinez fa grace ;
C'est un petit amour ,
Auffi beau que le jour.
(à l'ours. ) Regardez -nous en face ,
Et faites , mon mignon ,
Un pas de Rigodon.
que
Eh ! fautez donc , fautez donc ,
Brunet , fautez pour Javote ,
Tournez pour Charlote ,
Et faites ferviteur ,
Comme un joli Monfieur.
Donnez-moi la menotte ,
La menotte ,
Et faites ferviteur.
Calcante en donne vingt ducats , elle
lui dit que c'eft bien peu. Il lui répond
fon or eft de l'or ; elle lui réplique que
fon ours eft un ours. Il ajoute quatre ducats
à la fomme. Elle les reçoit , en lui
proteftant que fi elle n'étoit pas dans l'indigence
, elle le lui donneroit pour rien ,
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
tant elle a d'attachement pour lui. Il l'af
fure que de fon côté , il l'aime auffi à la
folie , ajoutant qu'elle vienne le voir quel
quefois , & qu'il lui donnera ... des confeils.
Nife après avoir dit tout bas , le
vieux vilain ! chante tout haut cetre
Ariete :
Si caro ben farette.
Oui , vous ferez fans cefle
L'objet de ma tendreffe :
Déja pour vous , mon coeur s'empreffe ;;
Et je le fens fauter ,,
Palpiter.
àpart.. Voyez qu'il eſt aimable ! .
Agréable !
Pour enflâmer mon coeur !
Pour être mon vainqueur !
Elle s'en vas
Pendant l'Ariete , le faux ours vole la
bourfe de Calcante , défait fon collier
s'enfuit , & laiffe fa chaîne dans la main.
du vieux Marchand qui , voulant faire
fauter l'ours , s'apperçoit trop tard de fa
fuite , & court de tous côtés en chantant :
Ariete. Maledetti , quanti fiete..
Ah ! mon ours a pris la fuite !
Courons vite , courons vîte ,
1
NOVEMBRE. 1755. 205
: Miférable !
L'ai - je pu laiffer fauver ?
Mais où diable
Le trouver , & c.
Nife revient , & lui demande ce qui
l'oblige à crier , il répond que c'eft fon
ours qui s'eft échappé. Elle lui dit de ne
fonger qu'à Nife , qu'elle vaut bien un
ours. Il réplique que ce n'eft pas le tems
de rire. Elle dit à part que ce fera bien une
autre crife , quand il s'appercevra qu'on a
volé fa bourfe ; elle ajoute tout haut , em
le regardant tendrement , qu'elle comptoit
fur fon amour. Calcante lui répond
par cette Ariete charmante :
Madam' lafciate mi in liberta.
Oh ! laiffez donc mon coeur par charité ,.
Oh ! laiffez donc mon coeur en liberté .
(à part.) Qu'elle eft pouponne !
Mon coeur fe donne
Malgré ma volonté.
( haut ) Oh ! laiffez donc , & c.
Pefte de mine
Qui me lutine !
Pefte de mine
Qui m'affaffine !!
Fut- on jamais plus tourmenté
Oh ! laiffez donc , &c,
206 MERCURE DE FRANCE.
Quel martyre !
J'expire ,
En vérité .
Oh ! morbleu , c'en eft trop ; prends donc ma
liberté.
Nife s'écrie qu'il a la fienne en échange,
& qu'elle le préfere aux jeunes gens les
plus aimables . Oui , ajoute- elle :
Je les détefte tous. Si vous fçaviez combien
Tous ces Meffieurs m'ont attrapée.
Calcante & Nife terminent le premier
par cet agréable duo . Ace
Nife.
Mon coeur , ô cher Calcante
Dans une forge ardente
Eft battu nuit & jour.
Tous les marteaux d'amour
Le battent nuit & jour.
Calcante.
O Dieux ! qu'elle eſt ma gloire !
En figne de victoire ,
L'Amour bat du tambour.
Mon coeur eft le tambour ,
Eft le tambour d'amour.
NOVEMBRE. 1755. 207
•
Nife.
Tiens , tiens , mets ta main là ;
Sens-tu ? tipeti , tipeta.
Calcante.
Ah ! comme ton coeur va;
Et toi , ma belle enfant ,
Sens-tu ? patapan.
Ensemble.
Tipe , tape ,
Comme il frappe.
Calcante . Dis-moi , pour qui l'amour
Bat-il fur mon coeur le tambour.
Nife. Dis-moi , pour qui l'amour
Bat-il fur mon coeur nuit & jour.
Nife .
Dis toi-même.
Calcante & Nife.
C'est que j'aime.
Qui fans que j'en diſe rien ,
Tu le devines bien.
Dans le fecond Acte le théatre repréfente
des ruines & des mafures abandonnées.
208 MERCURE DE FRANCE.
Nife & Brigani en habit de Bohémien ,
ouvrent cet Acte. Elle chante l'Ariete fuivante
en éclatant de rire fi naturellement ,
que tous les fpectateurs rient avec elle..
Si raviva.
Je n'en puis plus , laiffe- moi rire .....
Rien n'eft égal à fon martyre a
Il vient , il va , depuis une heure
Il jure , il pleure ,
Ib en mourra.
Ah ah ah !
Brigani lui fait entendre que l'argent
eft la feule idole du vieillard , & qu'il va
renoncer à l'amour . Non, lui répond Niſe.
L'avarice a beau fe défendre ,.
L'Amour et le tyran des autres paffions.
Elle le preffe en même tems d'aller changer
de figure pour la feconder avec leurs.
camarades dans le rôle de Magicienne
qu'elle va jouer. Nife refte feule . Calcante
paroît défefpéré & chante l'Ariete fuivante
, fans voir Nife .
Che Orror ! che Spavento !
Je perds fans reffource
Ma bourſe, ma bourſe ;
NOVEMBRE. 1755. 209
Vivrai -je fans elle !
Fortune cruelle !
Eft-ce affez m'accabler ?
Puis- je , cruelle ,
Vivre fans elle ?
Fortune cruelle ,
Je vais m'étrangler.
O perte funefte !
La faim , la foif, & la rage , & la pefte
Ont moins de rigueur que mon fort.
L'espoir qui te reſte ,
Calcante , c'est la mort.
Dès qu'il apperçoit Nife , il l'implore
pour retrouver fa bourfe. Elle lui dit
qu'elle va tâcher de le fervir , mais qu'elle
a befoin de fa préfence , & qu'elle
craint qu'il n'ait peur. Il protefte qu'il af
fronteroit le diable pour r'avoir fon argent.
Nife alors conjure l'enfer & particulierement
Griffifer qui en eft le caiffier.
Brigani paroît en longue robe noire ,
avec une grande perruque armée de cornes
, une barbe touffue , & des griffes aux
pieds & aux mains . Nife lui demande s'il
a la bourſe , il répond qu'oui . Calcante
prie le faux diable de la lui rendre ; celuici
lui réplique que fa bourſe lui appartient,
que c'est un argent mal acquis , & lui
propofe un accommodement , c'eft que
210 MERCURE DE FRANCE.
Calcante époufe Nife , & que fa bourſe
lui fervira de dot. Le vieux Marchand ne
veut pas y conſentir. Griffifer appelle fes
camarades pour punir ce refus. Des Bohémiens
déguiſés en diables , beaux , viennent
épouvanter Calcante , qui exprime
fon effroi mortel par l'Ariete qui fuit :
Perfidi perfidi.
Au fecours ! Ah ! je tremble !
Ici l'enfer s'affemble !
O Dieux ! c'eft fait de moi,
Ah ! je meurs d'effroi
De grace .
Mon fang fe glace.
A l'aide , je trépaffe.
à Nife. Daignez me fecourir
Je me fens mourir.
Au fecours , & c.
Nife lui dit avec douceur , m'époufezvous
? Je goûte affez la chofe , répart le
bonhomme que ces Meffieurs fe retirent ;
fais-moi voir ma bourfe , & tu feras contente.
Elle fait éloigner les Bohémiens
& commande à Griffifer de faire briller à
leurs yeux la bourfe , de Calcante . Il accourt
, & montre la bourſe , en diſant :
Lucifer vous ordonne
NOVEMBRE. 1755. 211
D'être époux , & dans le moment ,
Ou redoutez le plus dur châtiment.
Le Diable faire un mariage , le récrie
Calcante , il devroit l'empêcher. Brigani
répond plaifamment :
Il fçait fes intérêts.
C'eſt lui qui préſide au ménage ,
Et ce n'eſt pas à toi de fonder ſes decrets.
Nife alors joue la tendreffe , en difant
qu'elle ne veut pas que Calcante l'épouſe
malgré lui ; qu'elle l'aime trop pour caufer
fon malheur , & qu'elle va lui rendre
la bourfe. Brigani lui déclare , que fi
elle n'eft épousée , il faut qu'elle périffe ;
qu'elle peut rendre la bourſe à ce prix.
Elle la donne à Calcante , & feint de s'évanouir
entre fes bras. Le barbon attendri
, s'écrie : voilà ma main ! Je ne ſouffrirai
pas que tu perdes le jour. Nife revient
de fa fauffe pâmoifon , & le bonhomme
dit :
Allons , figurons - nous que la bourfe eft fa dot.
On n'a du moins rien ôté de la fomme ?
Ce dernier vers prouve que l'avarice ne
veut rien perdre , & qu'elle est toujours la
paffion dominante . Brigani répond que
212 MERCURE DE FRANCE.
la fomme eft entiere , & qu'il eft un
diable honnête homme . Et l'ours , demande
Calcante ? Vous le voyez en moi , répart
le frere de Nife , en fe démafquant , je
fuis le diable , l'ours & Brigani . Vous
m'avez attrapé , s'écrie le vieillard :
Mais Nife eft fi jolie ,
Qu'en la voyant , il n'eſt rien qu'on n'oublie .
Ils s'embraffent & terminent la piece
par ce joli Tiio.
Calcante.
Toujours prefte ,
Toujours lefte
Près de toi l'on me verra ,
>
La , la , la , mon amour s'augmentera.
Nife à Calcante.
Ma chere ame ,
Je me pâme
Du plaifir d'être ta femme ;
Ah ! que Nife t'aimera ,
La , la , la , la , la..
·Brigani à part.
Le bonhomme je l'admirė ;
Et de rire
J'étouffe , en voyant cela.
La, la , la.
NOVEMBRE. 1755. 213
Nife.
Vive l'allégreffe ,
Tu peux croire que fans ceffe ,
Ma tendreffe
Durera.
Ensemble.
Que l'on chante , que l'on fête
Nife. Les douceurs qu'Hymen apprête.
Le bonhomme que j'ai-là !
Calcante. Quel tréfor je trouve - là !
Le bonhomme que voilà .
>
Brigani.
Ta la , la , la.
Nife.
Ta femme t'adorera ,
à part. T'endormira .
Calcante Ma flame s'augmentera ,
Brigani.
Madame t'adorera ,
Te menera .
Cette fin refpire une joie folle qui fe
communique à tous les fpectateurs. On
ne peut la bien rendre qu'au théatre , ni
la bien fentir qu'à la répréſentation.
Langue
Vers et prose
Type d'écrit journalistique
Courrier des lecteurs
Faux
Domaine