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PEINTURE. Réflexions sommaires sur les ouvrages exposés au Louvre cette année.

Titre d'après la table

Peinture. Réflexions sommaires sur les ouvrages exposés au Louvre cette année,

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Incipit

C'est à l'émulation que les artistes doivent leurs succès, mais c'est des

Texte
PEINTURE.
Réflexionsfommaires fur les ouvrages expofes
C
au Louvre cette année.
EST à l'émulation que les artiſtes
doivent leurs fuccès , mais c'eſt des
connoiffeurs qu'ils en attendent la récompenfe.
Peu flattés des éloges que leur prodigue
l'ignorance , parce qu'elle admire
tout fans choix , & qu'elle confond dans
le tribut injurieux qu'elle offre aux talens ,
le beau & le médiocre , peu touchés des
efforts de la malignité & de l'envie , qui
fufcitent contr'eux des écrivains plus indigens
qu'éclairés , ils méprifent également
les louanges immoderées des panégyriſtes ,
& la licence effrénée de leurs Zoïles . Trop
grands pour être agités par ces petites paffions
qui ne caracterifentque les hommes
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
médiocres , ils n'emploient point un tems
entierement dévoué aux arts , à écouter
ces rumeurs inutiles , ou à y répondre le
génie , le gout enfante leurs travaux ; c'eſt
du genie , c'est du gout qu'ils s'efforcent
de mériter l'hommage. L'encens dont ils
les honorent eft précieux , la critique épurée
à ces rayons eft utile à la perfection
de leur art . L'un leur fert à marcher avec
encore plus de fuccès dans la route heureufe
qu'ils fe font tracée , l'autre leur
fait éviter dans la fuite les écueils où ils
font tombés. Ainfi tout jufqu'à leurs fautes
même leur devient utile. C'est dans cette
vue que fe fait l'expofition des peintures ,
fculptures & gravures . Dans les éloges que
l'on donne ici aux chefs -d'oeuvre en tout
genre qui s'y font faits remarquer , on a
le bonheur d'être à la fois l'interprete du
public & l'organe de la verité.
On a vu avec plaifir dans les tableaux de
M. Reftout ce même feu qui diftingue fi
bien tous fes ouvrages ; cette chaleur dans
la compofition digne de l'illuftre Jouvenet
fon oncle , cette grande ordonnance ,
cette belle difpofition fe font admirer dans
un grand tableau de cet auteur , repréfentant
Jesus-Chrift qui lave les pieds aux
Apôtres. Tout y eft digne de la grandeur
du fujer .
NOVEMBRE. 1755. 179
M. Carlo- Vanloo , déja fi connu par la
beauté de fon pinceau , & la vigueur de fon
coloris , eft digne des plus grands éloges.
Qu'on trouve de dignité dans fes deux
grands tableaux , dont l'an repréfente le
Baptême de S. Auguftin , celui d'Alipe
fon ami , & d'Adeodat fon fils ; l'autre le
même Docteur prechant devant Valere ,
Evêque d'Hyppone ! Le caractere de nobletfe
qui paroît fur le front des deux Evêques
qui font dans ce tableau , eft tel qu'on
fe fent pénetré de refpect & de veneration
à leur vue. Dans le premier de ces tableaux
on a reconnu facilement l'auteur
fous la figure d'un Acolyte , tenant un livre
à la main. Le public , quoiqu'accoutumé
depuis long- tems à ne rien voir que
d'admirable fortir des mains de ce maître ,
n'a vu cependant qu'avec furprife un tableau
de chevalet , réprefentant une converſation
. Il n'eft pas poffible de faire un
tableau mieux peint , plus galant & plus
gracieufement traité . Ce tableau auroit
fait honneur à Wandeik pour la couleur ,
& à Netfcher pour le fini. On peut donner
les mêmes éloges à deux deffus de porte
du même auteur , dont l'un reprefente
deux Sultanes travaillant à la tapifferie , &
l'autre une Sultane prenant du caffé.
MM. Collin de Vermont & Natoire fou-
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
tiennent dignement la réputation qu'ils fe
font acquife par la nobleffe de leur compofition
, & par l'élegance & la préciſion
de leur deffein .
On ne peut donner que
des
applaudiffemens
à M. Jeaurat . Semblable aux
grands Poëtes tragiques, qui ne dédaignent
point de prendre le brodequin après avoir
long- tems chauffé le Cothurne , on l'a vu
avec plaifir remporter la palme dans un
genre moins élevé que le fien , mais qui
n'a cependant pas moins de difficultés . Il
a rendu avec verité ces petits évenemens
qui fe multiplient fi fouvent dans la vie
populaire . Dans l'un de fes tableaux on
voit un Commiffaire vengeur de l'honnêteté
publique violée ; dans l'autre , un demenagement
troublé par des créanciers
importuns ; l'attelier du Peintre n'a pas
été moins applaudi.
M. Halle parcourt fa carriere avec
gloire. Il foutient avec fuccès un nom
déja cher aux amateurs . Le tableau de cet
auteur reprefentant les Difciples d'Emmaüs
eft bien compofé , & fait un bel
effet.
Le merite de M. Vien a peut - être été
encore plutôt connu que fa perfonne A
peine fes premiers ouvrages ont-ils paruque
le fuccès les a couronnés ? La repuNOVEMBRE
. 1755. 181
tation de cet artifte eft déja faite dans un
âge , où il eſt beau de l'avoir commencée.
Chacun de ſes tableaux a réuni les fuftrages
. On a rendu juftice à la beauté du
deffein , & à la fageffe de la compofition
dans le tableau repréfentant S. Germain &
S. Vincent. Sa maniere de traiter l'hiftoire
nous paroît la meilleure : elle eft vraie &
fimple .
L'illufion ne fe diffipe qu'à peine en
touchant le tableau de M. Chardin , imitant
un bas- relief de bronze.
Dans la foule des portaits dont le fallon
étoit decoré , celui de M. Elvetius , par M.
Louis- Michel Vanloo , m'a frappé ainfi que
la multitude . Il a le merite de la reffemblance
; on peut dire qu'il eft bien portrait
. On apperçoit d'ailleurs dans le deffein
une jufteffe qui décele aux yeux des
connoiffeurs le peintre d'hiftoire. Le portrait
de feue Madame Henriette de France
eft auffi parfaitement reffemblant , & fait
honneur au pinceau de M. Nattier. M.
Tocqué a foutenu fa grande réputation par
le portrait de M. le Duc de Chartres &
par celui de M. le Marquis de Marigny.
L'un eft d'une verité exacte , & l'autre
d'une force de pinceau finguliere. M. Jelyotte
peint en Apollon , ajoute un nouveau
rayon à la gloire de ce Maître. M.
182 MERCURE DE FRANCE.
de la Tour dans le portrait de Madame de
Pompadour , a montré la fuperiorité de
fes talens déja tant de fois applaudis . Il a
égalé fon fujet par la maniere habile dont
il l'a traité. Plus on a vu ce portrait, plus
on l'a eftimé. Il forme un tableau de la
plus grande beauté , & qui gagne à l'examen.
Tous les détails & les ornemens en
font finis .
M. Aved ne s'eft pas moins diftingué.
On a trouvé l'ordonnance & la compofition
du portrait de M. l'Evêque de Meaux
noble & belle , l'exécution heureufe , le
coloris vigoureux & la reffemblance parfaite.
Les regards du public fe font auth
arrêtés fur fes autres tableaux auxquels on
a rendu la juftice qu'ils meritoient.
Un grand tableau peint en cire , fuivant
la découverte ou procedé de M. Bachelier
, qu'il appelle inuftion , c'eſt-àdire
cire brulée , a recueilli toutes les voix .
Deja connu par des talens précieux , mais
moins grands, moins developpés que ceux
qu'il préfente aujourd'hui , il rend la perte
de M. Oudry moins amere ; & la peinture
defolée d'avoir perdu fou la Fontaine
féche fes pleurs en trouvant fon fucceffeur
dans M. Bachelier. Ce tableau repréſente
la fable du cheval & du loup.
L'oeil s'eft fixé avec bien de la fatisfacNOVEMBRE.
1755. 183
tion fur cinq tableaux de M. Vernet. Deux
d'entr'eux reprefentent deux différentes
vues du port du Marfeille ; le troiſieme
une vue du port neuf , ou de l'arfenal de
Toulon ; le quatrieme une pêche du thon ;
& le dernier une tempête. Que de beautés
dans tous ces tableaux , & qu'ils font ingénieufement
variés ! Ce n'eft point une
peinture , ce n'eft plus une repréfentation
d'objets , c'eft l'exiftence , c'eft la réalité
même. Vous y voyez ces ouvrages admirables
fi utiles au commerce de la nation .
Vous y voyez les habitans des quatre parties
du monde reunis par l'interêt & le
bien public agir , commercer enſemble. Le
deffein de l'auteur eft digne du Pouffin . Le
fpectateur eft effrayé à la vue de la tempê
te & du naufrage . Les vagues irritées engloutiffent
les débris d'un vaiffeau dont
quelques hommes s'échappent à peine. Les
figures de ce tableau paroiffent être de la
main de Salvator Roze.
L'art de la miniature s'embellit , & devient
un grand talent dans celles de M.
Venevault .
M. de La Grenée , jeune peintre d'hiftoire
, expofe dans une âge où l'on ne donne
guere que de grandes efperances , des
ouvrages qui font deja les fruits de la maturité
du genie.
184 MERCURE DE FRANCE.
MM. Roflin & Dronais le fils , tiennerit
un rang dittingué dans leur genre.
Dans fes payfages M. Juliard rend bien
les effets de la nature .
M. Antoine Le Bel a auffi fon merite.
M. de la Rue marche fur les pas du fameux
Parrocel , dont les connoiffeurs regretteront
long- tems la perte. M. Greuze
nourri par l'étude des Peintres Flamans ,
ces hommes fi habiles à faifir la nature ,
& fi propres à arracher de la bouche du
fpectateur ce cri d'admiration , qu'on ne
peut refufer à la verité de l'expreffion &
de l'imitation , n'eft point inférieur à ces
grands Maîtres. Il eft tout-à- la fois imitateur
heureux , & créateur aimable .
La Sculpture n'a montré que peu d'ouvrages.
Le bufte de M. le Marechal de
Coigny nous a paru d'une grande vérité ,
& digne de M. Confton.
Dans le Milon Crotoniate de M.Falconnet
, on a admiré la beauté du deffein , la
jufteffe des contours & la force du cifeau .
Ce morceau de fculpture repréſente un
lion devorant l'athlete . Il remplit à la fois
de terreur & de compaffion . M. Michel-
Ange Slodiz a expofé l'efquiffe d'un grouppe
de la victoire qui ramene la paix ,
d'une très- belle compofition , ainfi que le
projet d'une chaire de Prédicateur pour S.
NOVEMBRE . 1755. 185
Sulpice , qui en fait fouhaiter l'exécution.
Par quelle fatalité les Bouchardons , les
Pigalles fe refufent- ils à nos applaudiffemens
? Faits pour les obtenir tous , nous
priveront- ils encore long- tems des fruits
de leurs cifeaux ? *
* Nous fommes également fondés à former
cette plainte à l'égard de la peinture . M. Boucher
nous a tenu rigueur à ce fallon , de même que M.
Pierre. La plus belle moitié du public a foupiré de
n'y rien voir de ce Peintre aimable , qui eft le fien ,
puifqu'il eft celui des graces & de la beauté. On
foupçonne que ces petits écrits furtifs , que l'envie
ou le befoin produifent contre le talent à chaque
expofition , en font la caufe fecrete . On craint
même que les autres artiftes du premier ordre
comme lui , ne fuivent fon exemple. Tous fe plaignent
, dit- on , que ces fatyres , quelques méprifables
qu'elles foient, font impreffion dans la province
, & y nuifent à leur gloire , comme à leur
intérêt . On voit bien que les Peintres ne font pas
aguerris ainfi que les auteurs. Il est vrai qu'ils
difent pour leurs raifons que les ouvrages de ces
derniers vont partout en même tems que leurs
critiques , & leur fervent de contre-poifon ; au
lieu que leurs tableaux reſtent dans les cabinets
de la capitale , & que les libelles qui les déchirent
, courent feuls la province. La crainte que
j'ai de nous voir privés par là des nouveaux tréfors
dont ces grands Maîtres peuvent nous enrichir
, m'oblige à leur répondre , pour les raffurer,
que la gravure vient à leur fecours . Elle devient
chaque jour fi parfaite , qu'on peut l'appeller une
traduction auffi fidelle qu'élégante de leurs ta
186, MERCURE DE FRANCE.
Le genie de M. Cochin fait pour les délices
de la nation , l'enchante fans l'étonner.
L'imagination & l'agrément animent
à la fois fon crayon & fon burin .
MM. Cars, Surugue , Le Bas , Tardieu ;
Dupuis, & autres artistes anffi diftingués par
leurs talens , ne laiffent rien à defirer
que
de nouvelles productions de leur part. M.
Guay fait revivre le gout antique dont fes
ouvrages ont toute la beauté. Il excelle
dans un art négligé depuis long-tems, mais
cultivé auparavant avec fuccès par ces
bleaux. Elle en rend l'efprit avec les traits ; les
eftampes que fon burin met au jour d'après leur
pinceau , fe répandent dans toute la France , &
font partout leur apologie. Ces Meffieurs m'objecteront
peut-être que leurs grands tableaux ne
font pas traduits , & que d'ailleurs il refte toujours
une partie effentielle fur laquelle ils ne
font pas juftifiés , qui eft la couleur que la gravure
ne peut jamais rendre. Mais pour y fuppléer
les Journaux publics avertiffent les provinces &
même les pays étrangers où ils parviennent , du
mépris qu'on doit faire de ces critiques informes,
& du difcrédit où elles font à Paris . Tous ces petits
faifeurs de brochures peuvent inquietter un
moment nos Appelles françois , ou leur faire
tout au plus une piquure paflagere ; mais ces infectes
n'exiftent qu'un Automne. Le premier
froid de Phyver les tue heureufement & nous en
délivre , tandis que les chefs - d'oeuvres qu'ils attaquent
font confacrés par les années , & durent
éternellement.
NOVEMBRE . 1755. 187
hommes rares qui confacroient leurs travaux
à immortalifer les traits d'un Cefar ,
d'un Trajan . Il en fait un auffi bel ufage
qu'eux. Il les confacre à retracer à la pofterité
ceux d'un Monarque auffi grand que
ces heros. Siecle heureux , où tout concourt
à la gloire des arts , où il fe trouve
des hommes qui les cultivent , des connoiffeurs
qui les aiment , un Mecene qui
les encourage , & un Prince qui les recompenſe
!
Collectivité
Faux
Langue
Vers et prose
Type d'écrit journalistique
Courrier des lecteurs
Faux
Domaine
Résumé
En 1755, le Louvre a accueilli des expositions de peintures, sculptures et gravures, où les artistes cherchaient l'émulation et la reconnaissance des connaisseurs, valorisant les critiques constructives et les éloges mérités. Plusieurs artistes ont été particulièrement remarqués pour leurs œuvres. M. Restout a été loué pour son tableau représentant Jésus-Christ lavant les pieds des Apôtres. M. Carlo Vanloo a été admiré pour ses tableaux du Baptême de Saint Augustin et de Saint Augustin prêchant devant Valère. M. Jeaurat a été apprécié pour ses scènes de la vie populaire. M. Halle a été salué pour son tableau des Disciples d'Emmaüs. M. Vien a été reconnu pour son tableau de Saint Germain et Saint Vincent. M. Chardin a impressionné avec son imitation de bas-relief en bronze. Les portraits de M. Elvetius par Louis-Michel Vanloo, de Madame Henriette de France par Nattier, et de Madame de Pompadour par La Tour ont également été remarqués pour leur ressemblance et leur qualité. M. Bachelier a été félicité pour son tableau en cire représentant la fable du cheval et du loup. M. Vernet a été acclamé pour ses tableaux de vues maritimes et de tempêtes. En sculpture, les œuvres de M. Falconet et de M. Michel-Ange Slodtz ont été admirées. Le texte déplore l'absence de certaines figures emblématiques comme Boucher et Pigalle, attribuant cela à des critiques malveillantes. La gravure a été saluée pour sa capacité à diffuser les œuvres des peintres et à contrer les critiques provinciales. Enfin, le texte célèbre un siècle où les arts sont cultivés, aimés, encouragés et récompensés.
Soumis par kipfmullerl le