Titre
LETTRE A L'AUTEUR DU MERCURE, Au sujet du projet d'un nouveau Dictionnaire plus utile que tous les autres, inseré dans le Mercure du mois de Juillet de cette année.
Titre d'après la table
Lettre à l'Auteur du Mercure, au sujet du projet d'un nouveau Dictionnaire, inséré dans le Mercure de Juillet,
Fait partie d'une livraison
Fait partie d'une section
Page de début
49
Page de début dans la numérisation
300
Page de fin
54
Page de fin dans la numérisation
305
Incipit
MONSIEUR, il est bien douloureux pour toute la Nation Françoise qui
Texte
LETTRE
A L'AUTEUR DU MERCURE,
Au fujet du projet d'un nouveau Dictionnaire
plus utile que tous les autres , inforé dans le
Mercure du mois de Juillet de cette année.
M
ONSIEUR , il eft bien douloureux
pour toute la Nation Françoife qui
fait à votre livre l'accueil le plus flatteur ,
de voir que vous y infériez journellement
une critique de fes moeurs , de fes goûts ,
de fes ufages , & de fes plaifirs ; la reconnoiffance
devroit au moins agir autant fur
vous , Monfieur , que l'amour de la patrie
le fait fur moi , je vais donc attaquer fans
ménagement l'homme de Province qui s'avife
de donner des projets de nouveaux
dictionnaires , & de s'ériger en Ariftarque
de ce qu'il y a de plus aimable dans Paris .
L'Auteur de la Lettre devroit être regardé
comme perturbateur des amufemens publics
, & comme contraire à la circulation
générale des efpeces , d'où naît l'abondance
dans un Etat.
Un Etranger , qui n'auroit pas de Paris
une idée jufte , croiroit avec raifon qu'il
n'y a pas deux perfonnes du monde en
état de parler bon fens ; il eft à croire ,
C
so MERCURE DE FRANCE.
Monfieur , que l'Auteur étoit lui - même
un élégant Provincial auquel il ne manquoit
plus que le poli de Paris , & qui étoit
venu pour le prendre dans les cercles des
géns comme il faut, c'est-à- dire , chez ceux ,
qu'il critique avec tant d'animofité .
paru-
Je conviendrai avec lui que notre maniere
de vivre differe en tout de celle de
nos peres , mais j'obferverai que nos peres
vivoient auffi différemment de nos ayeux ;
ces variations font l'ouvrage du tems, les fiécles
à venir en éprouveront de femblables .
Il me paroît tout fimple qu'une jeune
femme s'occupe de fes diamans, de fa
re , d'une partie de campagne , des fpectacles.
Veut- on que depuis 15 jufqu'à25 ans ,
elle foit occupée des affaires de fa maifon
pour fe donner des ridicules , ou qu'elle
paroille aimer fon mari pour le faire montrer
au doigt ? Non ; il faut fuivre le torrent
, l'ufage eft de s'amufer de ponpons ,
il faut le faire ; le bon ton veut qu'elles
aient des amans , elles font très - bien d'en
avoir ; il eft reçu de faire du jour la nuit ,
& de la nuit le jour , en dépit de la fanté ,
il faut encore en paffer par- là .
L'Auteur de la critique veut- il donc
réformer des chofes que l'ufage cimente encore
tous les jours à imagine-t- il qu'après la
lecture de fa lettre , tout va prendre une
NOVEMBRE. 1755. 51
nouvelle forme veut-il , dis-je , qu'un
jeune abbé fe prive des amuſemens d'un
homme de qualité ? croit- il que le jeune
magiftrat réformera une heure de toilette ,
fuira les fpectacles & les promenades ? a-t- il
pu fe perfuader que le jeune feigneur négligera
la tenue de fes chevaux , l'élégance
de fes habits , la gloire d'en avoir un
d'un goût nouveau , & celle d'enlever une
actrice au meilleur de fes amis en apparence?
Non ; c'eft perdre fon tems que de travailler
à la métamorphofe de tous ces Meffieurs.
On pourroit croire que je m'érige moimême
en critique ; il n'en eft rien . Le
goût changeant du François me paroît auffi
naturel que la conftance du Hollandois à
fumer fa pipe & à boire fa bierre . Je ne
trouve pas plus extraordinaire que l'on
coure une parodie , que de voir tout Londres
s'affembler pour un combat de coas ,
ou pour une courfe de chevaux ; j'aime autant
voir un jeune homme , afficher une
femme en la fuivant partout , qu'un Efpa
gnol paffer toutes les nuits , la guittare à la
main , fous les fenêtres de fa maîtreffe , &
je préfere l'humeur docile des maris François
, à la noire jaloufie des Italiens . * Le
goût changeant de la Nation ne trouble en
Les Italiens fe francifent tous les jours fur ce
-point.
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
fien la tranquillité de l'Etat ; on ne voit
pas les partifans des culs de finges s'affembler
& recourir à l'autorité fuprême pour
demander le banniffement des cabriolets ;
chacun fe fait voiturer fuivant fon goût.
Le Philofophe préfére la défobligeante à la
diligence pour n'être pas dans la néceffité
de placer un ennuyeux à fes côtés : l'homme
à bonnes fortunes fait ufage du vis - àvis
, la voiture feule le caractériſe .
Pourquoi donc faire un crime à l'induftrie
des jolis riens qu'elle met au jour , s'il
fe trouve des gens de goût pour les payer ?
Eft - on en droit de trouver mauvais qu'un
homme fenfé faffe mettre fur fa voiture
un vernis de Martin , pendant qu'une fimple
peinture fuffiroit pour le voiturer auffi
commodément.
Je fuis convaincu , Monfieur , que l'Auteur
que je fronde , a été payé par les habitans
du Palais Royal , par le Suiffe ou la
Cafferiere des Tuilleries , pour tourner les
partifans du boulevard en ridicule , N'y at-
il pas de l'équité à laiffer jouir ceux qui
ont des maifons & des jardins fur cette
promenade , d'un avantage auffi inattendu?
cette même inconftance de la Nation
ne leur caufe-t- elle pas les plus vives allarmes,
parla certitude où ils font d'être délaiffés
avant peu, puifque la nouvelle place que
NOVEMBRE. 1755. 55
l'on fait aujourd'hui , affure au Cours un
regne plus brillant qu'aucun qu'il ait
déja eu ?
C'eft à tort que l'Auteur attaque le boulevard
fur fon irrégularité ; il s'enfuivroit
donc de-là qu'on ne devroit jamais quitter
les Tuilleries ; l'on voit cependant tous
les jours préférer une promenade champêtre
, qui doit tous fes agrémens à la feule
nature , aux jardins délicieux de Verſailles .
Je pourrois , Monfieur , entreprendre
Papologie des bourgeoifes du Marais , en
difant que l'Auteur les connoît mal , s'il
attribue le reproche qu'il leur fait de refter
jufqu'à la nuit fermée , à la vanité de ne
vouloir pas paroître s'en retourner à pied :
il n'eft pas du tout ridicule en province ,
d'aller à la promenade de cette maniere ,
& d'en revenir de même ; & ce n'eft pas
une néceffité que les habitans du Marais
fuivent les ufages , & fe modelent fur
Paris.
L'Auteur paroît avoir d'affez heureuſes
difpofitions pour être nommé controlleur
des modes & ufages , des habits & coëffures
tant d'hommes que de femmes , des voitures
grandes , petites , & de toute espece
tombereaux , & c. Les fonctions de cette
place ne font pas plus difficiles à remplir ,
que celle du Fâcheux de Moliere qui folli-
Ciij
34 MERCURE DE FRANCE.
citoit l'infpection de toutes les enfeignes ,
& le projet de fon nouveau dictionnaire ,
équivaut bien à celui de mettre toutes les
côtes du Royaume en ports de mer.
Je ne crains pas , Monfieur , que vous
refufiez d'inférer cette lettre dans votre
Mercure , c'eſt le moyen de vous diſculper
auprès des gens comme il faut , de faire
connoître la pureté de vos intentions , &
de vous attirer les remerciemens du public
élégant.
Quant à moi , dont la modeftie auroit
trop à fouffrir , fi mon nom étoit connu ,
je veux , en le taifant , m'éviter l'importunité
de la reconnoiffance générale.
J'ai l'honneur d'être , &c.
C. D.
A L'AUTEUR DU MERCURE,
Au fujet du projet d'un nouveau Dictionnaire
plus utile que tous les autres , inforé dans le
Mercure du mois de Juillet de cette année.
M
ONSIEUR , il eft bien douloureux
pour toute la Nation Françoife qui
fait à votre livre l'accueil le plus flatteur ,
de voir que vous y infériez journellement
une critique de fes moeurs , de fes goûts ,
de fes ufages , & de fes plaifirs ; la reconnoiffance
devroit au moins agir autant fur
vous , Monfieur , que l'amour de la patrie
le fait fur moi , je vais donc attaquer fans
ménagement l'homme de Province qui s'avife
de donner des projets de nouveaux
dictionnaires , & de s'ériger en Ariftarque
de ce qu'il y a de plus aimable dans Paris .
L'Auteur de la Lettre devroit être regardé
comme perturbateur des amufemens publics
, & comme contraire à la circulation
générale des efpeces , d'où naît l'abondance
dans un Etat.
Un Etranger , qui n'auroit pas de Paris
une idée jufte , croiroit avec raifon qu'il
n'y a pas deux perfonnes du monde en
état de parler bon fens ; il eft à croire ,
C
so MERCURE DE FRANCE.
Monfieur , que l'Auteur étoit lui - même
un élégant Provincial auquel il ne manquoit
plus que le poli de Paris , & qui étoit
venu pour le prendre dans les cercles des
géns comme il faut, c'est-à- dire , chez ceux ,
qu'il critique avec tant d'animofité .
paru-
Je conviendrai avec lui que notre maniere
de vivre differe en tout de celle de
nos peres , mais j'obferverai que nos peres
vivoient auffi différemment de nos ayeux ;
ces variations font l'ouvrage du tems, les fiécles
à venir en éprouveront de femblables .
Il me paroît tout fimple qu'une jeune
femme s'occupe de fes diamans, de fa
re , d'une partie de campagne , des fpectacles.
Veut- on que depuis 15 jufqu'à25 ans ,
elle foit occupée des affaires de fa maifon
pour fe donner des ridicules , ou qu'elle
paroille aimer fon mari pour le faire montrer
au doigt ? Non ; il faut fuivre le torrent
, l'ufage eft de s'amufer de ponpons ,
il faut le faire ; le bon ton veut qu'elles
aient des amans , elles font très - bien d'en
avoir ; il eft reçu de faire du jour la nuit ,
& de la nuit le jour , en dépit de la fanté ,
il faut encore en paffer par- là .
L'Auteur de la critique veut- il donc
réformer des chofes que l'ufage cimente encore
tous les jours à imagine-t- il qu'après la
lecture de fa lettre , tout va prendre une
NOVEMBRE. 1755. 51
nouvelle forme veut-il , dis-je , qu'un
jeune abbé fe prive des amuſemens d'un
homme de qualité ? croit- il que le jeune
magiftrat réformera une heure de toilette ,
fuira les fpectacles & les promenades ? a-t- il
pu fe perfuader que le jeune feigneur négligera
la tenue de fes chevaux , l'élégance
de fes habits , la gloire d'en avoir un
d'un goût nouveau , & celle d'enlever une
actrice au meilleur de fes amis en apparence?
Non ; c'eft perdre fon tems que de travailler
à la métamorphofe de tous ces Meffieurs.
On pourroit croire que je m'érige moimême
en critique ; il n'en eft rien . Le
goût changeant du François me paroît auffi
naturel que la conftance du Hollandois à
fumer fa pipe & à boire fa bierre . Je ne
trouve pas plus extraordinaire que l'on
coure une parodie , que de voir tout Londres
s'affembler pour un combat de coas ,
ou pour une courfe de chevaux ; j'aime autant
voir un jeune homme , afficher une
femme en la fuivant partout , qu'un Efpa
gnol paffer toutes les nuits , la guittare à la
main , fous les fenêtres de fa maîtreffe , &
je préfere l'humeur docile des maris François
, à la noire jaloufie des Italiens . * Le
goût changeant de la Nation ne trouble en
Les Italiens fe francifent tous les jours fur ce
-point.
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
fien la tranquillité de l'Etat ; on ne voit
pas les partifans des culs de finges s'affembler
& recourir à l'autorité fuprême pour
demander le banniffement des cabriolets ;
chacun fe fait voiturer fuivant fon goût.
Le Philofophe préfére la défobligeante à la
diligence pour n'être pas dans la néceffité
de placer un ennuyeux à fes côtés : l'homme
à bonnes fortunes fait ufage du vis - àvis
, la voiture feule le caractériſe .
Pourquoi donc faire un crime à l'induftrie
des jolis riens qu'elle met au jour , s'il
fe trouve des gens de goût pour les payer ?
Eft - on en droit de trouver mauvais qu'un
homme fenfé faffe mettre fur fa voiture
un vernis de Martin , pendant qu'une fimple
peinture fuffiroit pour le voiturer auffi
commodément.
Je fuis convaincu , Monfieur , que l'Auteur
que je fronde , a été payé par les habitans
du Palais Royal , par le Suiffe ou la
Cafferiere des Tuilleries , pour tourner les
partifans du boulevard en ridicule , N'y at-
il pas de l'équité à laiffer jouir ceux qui
ont des maifons & des jardins fur cette
promenade , d'un avantage auffi inattendu?
cette même inconftance de la Nation
ne leur caufe-t- elle pas les plus vives allarmes,
parla certitude où ils font d'être délaiffés
avant peu, puifque la nouvelle place que
NOVEMBRE. 1755. 55
l'on fait aujourd'hui , affure au Cours un
regne plus brillant qu'aucun qu'il ait
déja eu ?
C'eft à tort que l'Auteur attaque le boulevard
fur fon irrégularité ; il s'enfuivroit
donc de-là qu'on ne devroit jamais quitter
les Tuilleries ; l'on voit cependant tous
les jours préférer une promenade champêtre
, qui doit tous fes agrémens à la feule
nature , aux jardins délicieux de Verſailles .
Je pourrois , Monfieur , entreprendre
Papologie des bourgeoifes du Marais , en
difant que l'Auteur les connoît mal , s'il
attribue le reproche qu'il leur fait de refter
jufqu'à la nuit fermée , à la vanité de ne
vouloir pas paroître s'en retourner à pied :
il n'eft pas du tout ridicule en province ,
d'aller à la promenade de cette maniere ,
& d'en revenir de même ; & ce n'eft pas
une néceffité que les habitans du Marais
fuivent les ufages , & fe modelent fur
Paris.
L'Auteur paroît avoir d'affez heureuſes
difpofitions pour être nommé controlleur
des modes & ufages , des habits & coëffures
tant d'hommes que de femmes , des voitures
grandes , petites , & de toute espece
tombereaux , & c. Les fonctions de cette
place ne font pas plus difficiles à remplir ,
que celle du Fâcheux de Moliere qui folli-
Ciij
34 MERCURE DE FRANCE.
citoit l'infpection de toutes les enfeignes ,
& le projet de fon nouveau dictionnaire ,
équivaut bien à celui de mettre toutes les
côtes du Royaume en ports de mer.
Je ne crains pas , Monfieur , que vous
refufiez d'inférer cette lettre dans votre
Mercure , c'eſt le moyen de vous diſculper
auprès des gens comme il faut , de faire
connoître la pureté de vos intentions , &
de vous attirer les remerciemens du public
élégant.
Quant à moi , dont la modeftie auroit
trop à fouffrir , fi mon nom étoit connu ,
je veux , en le taifant , m'éviter l'importunité
de la reconnoiffance générale.
J'ai l'honneur d'être , &c.
C. D.
Signature
C. D.
Langue
Vers et prose
Type d'écrit journalistique
Courrier des lecteurs
Faux
Mots clefs
Résumé
Une lettre critique un projet de nouveau dictionnaire présenté dans le Mercure de juillet. L'auteur de la lettre reproche à ce projet de critiquer les mœurs, goûts, usages et plaisirs de la Nation française, et d'entraver les amusements publics ainsi que la circulation des espèces, cruciale pour l'abondance dans un État. L'auteur de la lettre suggère que le critique pourrait être un élégant provincial installé à Paris pour adopter les manières parisiennes. Il reconnaît l'évolution des modes de vie au fil du temps, mais estime que les jeunes femmes doivent se consacrer à leurs loisirs et suivre les usages en vogue, tels que prendre des amants ou fréquenter les spectacles. Il considère que toute tentative de réformer ces habitudes est vaine, car elles sont solidement ancrées par l'usage. Il compare les goûts changeants des Français à la constance des Hollandais et trouve naturel que chaque nation ait ses propres divertissements. Il défend également l'industrie des 'jolis riens' et l'inconstance de la Nation, affirmant que cela ne perturbe pas la tranquillité de l'État. L'auteur accuse le critique d'avoir été rémunéré par les habitants du Palais Royal ou des Tuileries pour tourner en ridicule les partisans du boulevard. Il espère que sa lettre sera publiée dans le Mercure pour disculper l'auteur du projet et attirer les remerciements du public élégant, tout en restant anonyme pour éviter les importunités liées à la reconnaissance générale.
Constitue la réponse à un autre texte
Est adressé ou dédié à une personne