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1757, 01, vol. 1-2, 02-03
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Texte
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI .
JANVIER. 1757.
PREMIER VOLUME.
Diverſité, c'est ma deviſe. La Fontaine.
THEQUE
1893-8
Cochin
Filius inv
PupillenSoulp. 1715.
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
PISSOT , quai de Conty.
Chez DUCHESNE , rue Saint Jacques,
CAILLEAU , quai des Auguſtins.
CELLOT , grande Salle du Palais.
Avec Approbation & Privilege du Roi.

AVERTISSEMENT.
LEE Bureau du Mercure est chez M.
LUTTON , Avocat , & Greffier- Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne ,
Buite Saint Roch , entre deux Selliers .
au
C'est à lui que l'on prie d'adreſſer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre ,
quant à la partie littéraire , à M. DE BOISSY,
Auteur du Mercure .
Le prix de chaque volume eſt de 36fols ,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant,
que 24 livres pour ſeize volumes , à raiſon
de 30fols piece.
Les perſonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la poſte , payeront
pourſeize volumes 36 livres d'avance en s'abonnant
, & elles les recevront francs de port.
Celles qui auront des occaſions pour lefaire
venir , ou qui prendront les frais du port fur
leur compte , ne payeront , comme à Paris ,
qu'à raison de 30 fols par volume , c'est-àdire
24 livres d'avance , en s'abonnant pour
16 volumes .
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers, qui voudront faire venir leMercure
, écriront à l'adreſſe ci - deſſus.
Aij
On supplie les personnes des provinces d'envoyer
par la poſte , en payant le droit , le prix
deleurabonnement , ou de donner leurs ordres ,
afin que le paiement en ſoit fait d'avance au
Bureau.
Les paquets qui ne seront pas affranchis ,
reſteront au rebut.
Il y aura toujours quelqu'un en état de
répondre chez le ſieur Lutton ; & il obfervera
de reſter à son Bureau les Mardi ,
Mercredi & Jeudi de chaque ſemaine, aprèsmidi.
On prie les perſonnes qui envoient des Li-
Estampes & Musique à annoncer ,
d'en marquer le prix.
vres ,
On peut se procurer par la voie du Mercure
, les autres Journaux , ainsi que les Livres
, Estampes & Muſique qu'ils annoncent.
On trouvera au Bureau du Mercure les
Gravures de MM. Feſſard & Marcenay.
AVIS.
On trouvera le Mercure dans les Villes
nommées ci-après.
Abbeville , chez L. Voyez , & Devérité .
Amiens , chez François , & Godard.
Angers , chez Jahier .
Arras , chez Nicolas , & Laureau.
Auxerre , chez Fournier.
Bâle en Suiſſe , à la Poſte .
Beauvais , chez Deſaint.
Berlin , chez Jean Neaulme , Libraize François .
Beſançon , chez Briffault.
Blois , chez Maſſon .
Bordeaux , chez Chappuis l'aîné , à la nouvelle
Bourſe , Place royale; les freres Labottiere ,
Place du Palais ; L. G. Labottiere , rue Saint
Pierre , vis-à-vis le puits de la Samaritaine , &
J. P. Labottiere , rue S. James , & à la Poſte.
Breſt , chez Malaffis .
Brie , chez Lefevre.
Bruxelles , chez Pierre Vaſſe , & F. Serſtevens.
Caen , chez Manouri.
Calais , chez Gilles Née , ſur la grande Place.
Châlons en Champagne , chez Bricquet .
Charleville , chez Thezin.
Chartres , chez Goblin , & Feſtil .
Coppenhague , chez Chevalier , Libraire François .
Dijon , à la Poſte , chez Mailly , & Coiguard-de la
Pinelle.
Falaiſe , chez Piſtel- Préfontaine.
Fribourg en Suiffe , chez Charles de Boffe.
Gand, chez P. F. de Goeſin.
A iij
La Rochelle , chez Salvin , Deſbordes fils , & Pavie.
Liege , chez Bourguignon .
Léipſik , chez M. de Mauvillon.
Lille , chez la veuve Pankouke.
Limoges , chez Barbou , Imprimeur du Roi.
Lyon , à la Poſte , chez J. Deville ; & chez Delaroche
, ayant la direction du Bureau d'Avis.
Manheim , chez Charles Fontaine.
Marſeille , chez Sibié , Moſſy , Boyer & Iſnard ,
fur le Port.
Montargis , chez Bobin .
Moulins , chez Faure , & la veuve Vernois .
Nancy , chez Nicolas .
Nantes , chez Joſeph Vatar.
Niſmes , chez Gaude.
Noyon , chez Rochez fils .
Orléans , chez le Pelletier , Aubry , & Roſeau- de
Monteau.
Poitiers , chez Faulcon l'aîné , & Félix Faulcon.
Provins , chez la veuve Michelin .
Rennes , chez Vatar pere , Vatar fils , Julien Vatar
, & Garnier & Compagnie.
Rheims , chez Godard.
Rouen , chez Hérault , & Fouques.
Saint-Malo , chez Hovius.
Saint-Omer , chez Jean Huguet.
Senlis , chez Desroques.
Soiffons , chez Courtois.
Strafbourg , chez Dulſecker , & Pohole.
Toulouſe , chez Robert , & à la Poſte.
Tours , chez Lambert , & Billaut.
Troyes , chez Bouillerot.
Verſailles , chez Fournier.
Vitry-le-François , chez Seneuze.
MERCURE
DE FRANCE.
JANVIER . 1757 .
ARTICLE PREMIER .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
LE JEU D'ÉCHECS.
CERTAINES
FABLE.
CERTAINES Majestés jadis étoient fort vaines ;
Les Majestés d'un jeu d'Echecs.
Les Rois plus reſpectés , plus puiſſans que les
Reines ,
Ne les mettoient qu'au rang de leurs premiers
ſujets.
LYON
A iv
S MERCURE DE FRANCE .
Les Reines à leur tour voyoient au deſſous d'elles
Les Chevaliers , les Fous , & ceux- ci les Pions.
Qui croiroit que les fous ont des prétentions ?
Plus d'une Cour pourroit en dire des nouvelles ;
Plus d'un ſage s'eſt vu par un fou ſupplanté.
Bientôt la fin du jeu rabattant leur fierté ,
Détruifit ces vaines chimeres
De puiſſance & de dignité :
Bientôt avec éclat un dernier coup porté,
Ruina des grandeurs ſi cheres ;
Et le même ſac à la fois
Reçut Reines , Pions , Chevaliers , Fous & Rois.
Contre les bornes de la vie
Qu'un Grand ſe briſe avec fracas ,
Je ne lui porte point envie.
En est -il moins que moi victime du trépas ?
Tout eſt mis au niveau par la parque ennemie ;
Elle frappe & ne choiſit pas.
J. L. AUBERT .
COMPLAINTE A L'AMOUR .
SUR
UR l'heureux printemps de mon âge ,
Amour, tu répandis les fleurs ,
Dont le ſéduisant écalage
Eſt le trône de tes faveurs .
Quand je portois aux pieds d'Iſmene
JANVIER. 1757. 9
Le tribut d'un doux mouvement ,
Ses beaux yeux arrofoient ma chaîne
Des tendres pleurs du ſentiment.
Mais les ans qui coulent trop vite ,
Fanent tes mysthes dans mes mains ;
Hélas ! Lachéſis précipite
Les tours des fuſeaux inhumains.
Les froides leçons du portique ,
Aujourd'hui remplacent tes feux :
Toute la ſageſſe ſtoïque ,
Dieu charmant , vaut-elle tes jeux ?
Par un Officier du Régiment de Br...
LETTRE
Traduite de l'Anglois.
Miſtris Fanni à Milord Charle C... Duc de R...
:
JE vous dois une réponſe , Milord , &
je veux vous la faire. Mais comme j'ai
renoncé à vous , à votre amour , à votre
amitié , à la plus légere marque de votre
ſouvenir , c'eſt dans les papiers publics
que je vous l'adreſſe : vous me reconnoîtrez.
Un ſtyle qui vous fut ſi familier ,
qui flatta tant de fois votre vanité , n'eſt
point encore étranger pour vous : mais
vos yeux ne reverront jamais ces carac
Av
10 MERCURE DE FRANCE.
teres que vous nommiez ſacrés , que vous
baifiez avec tant d'ardeur , que vous conſerviez
avec tant de ſoin , & que vous
m'avez fait remettre avec tant d'exactitude.
Vous dites dans votre dernier billet ,
que vous m'êtes encore attaché par l'amitié
la plus tendre. Mille graces , Milord ,
de cet effort fublime : je dois beaucoup
ſans doute à la généroſité de votre coeur ,
puiſqu'elle à pu vous défendre de la haine
& du mepris pour une femme que vous
avez ſi vivement offenſée.
Vous ne méritez pas , continuez- vous ,
les épithetes que je vous donne , vous ne fûtes
jamais mon ennemi , vous avez l'audace
de répérer que vous ne le fûres jamais , vous
ofez me prier de ne point oublier un homme
qui me fut cher. Non , Milord , non , je
ne l'oublierai point , je ne l'oublierai jamais
: un trait ineffaçable l'a gravé dans
ma mémoire ; mais je ne m'en fouviendrai
que pour déteſter ſes artifices.
Tremblez , ingrat , je vais porter une
main hardie juſqu'au fond de votre coeur ,
en developper les replis ſecrets , la perfidie
, la fauſſeté , & détaillant l'horrible
trahifon. Mais le pourrai-je ! aviliraije
aux yeux de l'Angleterre l'objet qui
ſcut plaire aux miens ? Non , par une touche
délicate ménageant l'expreffion du ta-
...
JANVIER . 17570. 11
:
bleau , en rendant ſes traits ſortans pour
lui même , mettons les dans l'ombre pour
tous les autres.
Deſcendez en vous - même , Milord ,
oſez vous interroger , vous repondre , &
de tant de qualités dont vous vous pariez
, de tant de vertus dont vous vous
décoriez , dites-moi quelle eſt celle dont
vous m'avez donné des preuves ?
Sincere , généreux , ſenſible , compatiffant
, liberal , ami des hommes , rempli
de cette noble fierté qui caractériſe la
véritable grandeur , la bonté , la droiture
, l'honneur & la vérité , ſembloient régler
tous vos fentimens , diriger toutes
vos demarches , guider tous vos mouvemens
: vous le diſiez, Milord , & moi je le
croyois. Eh! pourquoi ne l'aurois-je pas cru ?
Je ne trouvois rien dans mon coeur qui
pût me faire douter du vôtre.
Ne vous applaudiſſez pas de m'avoir
trompée , non , ne vous en applaudiſſez
pas : le fourbe le plus habile doit bien
moins à ſon adreſſe , qu'à la bonne foi
de celui qui en devient la victime .
Mais comment un Pair de la Grande
Bretagne , a-t'il pu s'abaiſſer , ſe degrader
au point de s'impoſer à lui-même
une indigne contrainte de donner ſes ſoins
à qui , quel étoit l'objet de ſa feinte ?
Avj
12 MERCURE DE FRANCE .
Une ſimple habitante de la Cité. Méritois-
je le fatal honneur que vous m'avez
fait ? Par quel malheur ai-je eu de vous
cette odieuſe préférence ? Sans beauté, ſans
éclat , ſans rien qui me diftinguât , comment
ai-je pu vous inſpirer le defir de
me rendre infortunée ? Quel fruit avezvous
recueilli de cette triſte fantaiſie ? les
gémiſſemens de mon coeur étouffés par
la prudence , mes pleurs repandus dans
le ſein d'un ſeul ami , l'altération de ma
ſanté attribuée à ce mal ( 1 ) commun dans
nos climats. Rien n'a ſervi votre vanité :
on ignore encore le ſujet d'une douleur
ſi vive , fi conſtante ; vous n'en avez point
triomphé . Eh ! qui ſçait après tout ce que
vous auriez fait , ſi un intérêt qui ne regardoit
que vous , ne vous eût engagé
au filence ?
Mais à quel titre avez vous pu croire
qu'il vous fût permis de m'affliger , quelle
loi m'aſſujettiſfoit à vos caprices , qui vous
rendoit l'arbitre de mon deſtin :je ne vous
cherchois pas. Tranquille dansmon obſcurité
, j'éloignois de moi tout ce qui pouvoit
troubler une vie , fi non heureuſe ,
au moins paiſible. Pourquoi votre art
perfide ſcut-il me voiler vos deffeins ?
(1) La conſomption.
JANVIER . 1757 . 13
=
3
5
,
τ
?
:
1
,
Choiſie apparemment pour amufer vosdefirs
en attendant que vos chants filent
votre bonheur ( 1 ) , ſi connoiffant vos vues ,
par une baffe condeſcendance jeufſe bien
voulu les remplir , je n'aurois point à me
plaindre de vous : mais feindre une pafſion
ſi tendre , un reſpect ſigrand , des
ſi ſoumis , une flamme ſi pure !
vil adulateur , digne à jamais de mon éternel
mépris , va , mon coeur te dedaigne !
plus noble que le tien , il n'accorde
point ſon amitié à qui n'a pu conſerver
ſon eſtime : une haine immortelle
eſt l'unique ſentiment que ton ingratitude
& ta fauffeté peuvent lui inſpirer.
voeux
Mais , quoi ! tromper une femme , eſtce
donc enfreindre les loix de la probité
? Manque-t'on à l'honneur en trahiffant
une maîtreſſe ? C'eſt un procédé
reçu : tant d'autres l'ont fait , il en eſt
tant qui le font.
Oui , Milord , il en eſt , mais ce ſont
des lâches qui , portés naturellement à
faire le mal , & craignant d'inſulter ceux
qui peuvent les punir , ſe deſtinent &
ſe bornent à déſoler un ſexe que le préjugé
réduit àn'oſer ni ſe plaindre ni ſe vanger .
(1) Vous m'entendez , Milord; cette ariette
tant répetée étoit un véritable oracle , vous feuil
en entendiez le ſens.
14 MERCURE DE FRANCE.
Eh ! qui êtes vous, hommes , d'où tirezvous
le droit de manquer avec une femme
, aux égards que vous vous impoſez
entre vous ? Quel bill du Parlement autoriſa
jamais cette infolente diſtinction ?
Quoi ! votre parole ſimplement donnée
vous engage avec le dernier de vos femblables
, & vos fermens réiterés ne vous
lient point à l'amie que vous vous êtes
choiſie ? Monſtres féroces , qui nous devez
le bonheur & l'agrément de votre
vie! vous qui ne connoiſſez que l'orgueil
& l'amour de vous-même , ſans la douceur
& l'aménité qui furent notre partage
, quel feroit le vôtre ? La ſeule apparence
des vertus que nous poſſédons ,
fait tout le mérite du ſexe inſenſé qui
ſe croit fait pour nous maîtriſer.
Sur quoi fondez-vous la ſupériorité que
vous prétendez ; ſur le droit du plus fort ?
Eh ! que ne le faites-vous donc valoir ,
que n'employez - vous la force , au lieu de
la ſéduction ! Nous ſcaurions nous défendre
: l'habitude de réſiſter nous apprendroità
vaincre. Ne nous élevez- vous dans
la molleſſe , ne nous rendez-vous foibles
& timides , que pour vous réſerver le plaifir
cruel que goutte cet eſpece de chaffeur
, qui tranquillement affis , voit tomber
dans ſes piéges l'innocente proie qu'il
JANVIER. 1757. I15
:
S
S
i-
[-
1-
:
a conduit par la ruſe à s'envelopper dans
ſes rêts.
Mais est- il poſſible que ce ſoit le ſouvenir
de Milord Charle , qui m'engage à
me livrer à des réflexions ſidures ſur ſes
pareils ? Qui m'eût dit que la tendreffe&
l'eſtime que j'avois pour lui me forceroient
un jour à les faire ! Ha ! Sire Charle
, Sire Charle , eſt-ce bien vous , qui
avez détruit par vos actions le reſpect
que javois pour votre caractere ? Hélas !
trop attaché à l'erreur qu'il chériſſoit ,
mon coeur a cherché tous les moyens de la
conſerver : Combien de fois , foumettant
ma raiſon à mon penchant , me fuis- je
efforcé de juſtifier un procédé que rien
ne pouvoit rendre excuſable ! Oui , dans
l'inſtant où je m'arrachois moi-même à la
douceur de vous voir , portée encore à diminuer
vos torts , je me ferois trouvée
heureuſe , de n'accuſer de mes pleurs que
l'excès de ma délicateſſe .
Elle vous étonne peut-être cette délicateffe;
mais ſçachez , Milord , que dans
un coeur bien fait , l'amour un fois bleſſé,
l'eſt pour toujours. Dans l'égarement de
la douleur , dans ces momens affreux , où
l'ame avilie , humiliée , fuccombe & ne
meut preſque plus la machine affaiffée ſous
le poids qui l'accable , on fetourne na16
MERCURE DE FRANCE .
turellement vers la cauſe de ſon mal ;
il ſemble que la main qui vient d'enfoncer
le trait , ait ſeule la puiſſance de l'arracher
; ſituation horrible , inexprimable ,
où detachée de tout , de l'univers , de foi
même , on ne tient plus qu'à l'inhumain ,
qui vous réduit à cet état funeſte : le coeur
ne ſent alors que ſes pertes. Tout entier
au fentiment qu'il ſe cache peut- être , il
ſaiſit avec avidité tout ce qui lui en offre
l'image ; l'eſtime , l'amitié , les moindres
égards lui paroiffent un dédommagement
du bien qu'on lui enleve : il met
un prix immenſe au peu qui lui reſte :
ſemblable au malheureux qui lutte avec
les flots il s'attache à tout ce qui
lui préſente un foible appui.
د
و C'eſt dans cette agitation terrible
dans ce défordre cruel , que je crus pouvoir
vous pardonner , vous aimer , vous
rendre mon eſtime & ma confiance : vos
attentions exciterent ma reconnoiſſance ;
les reproches que vous vous faiſiez , m'engagerent
à ſupprimer ceux que j'aurois dû
vous faire ; vos pleurs me toucherent ;
l'amertume de ma douleur me rendit ſenfible
à la vôtre, je ne pus vous voir gémir
à mes pieds , vous , que j'adorois ,
fans laiſſer éclater cet amour ſi tendre
& fi vrai , dont vous paroiffiez douter ,
JANVIER. 1757. 17
-
,
,
qui vous ſembloit éteint : je vous ferrai
dans mes bras ; des larmes d'attendriffement
& peut-être de joie , ſe mêlerent
à celles que la vanité vous faiſoit
répandre ; je crus pouvoir être heureuſe
encore , mais chaque jour , chaque inftant
m'apprit que s'il eſt poſſible de pardonner
, il ne l'eſt pas d'oublier ; que ſi la
bonté du naturel peut faire qu'on ne
haïſſe pas un perfide , une noble fierté
s'éleve enfin contre notre foiblefle , &
nous fait mépriſer & l'amant qui put nous
trahir , & le penchant qui nous entraîne
encore vers lui. C'eſt dans la vivacité de
ce penchant , c'eſt dans la force de mon
amour , que j'ai eu celle de renoncer à
vous , de vous dire : Vous n'êtes plus celui
que j'aimois : j'ai préféré la douleur
à la honte : j'ai mieux aimé gémir de cet
effort , que de faire dépendre mon bonheur
d'un homme qui n'étoit plus digne
d'en être l'arbitre : je me mépriſois moimême
en fongeant que je vous aimois ; à
préſent c'eſt vous , Milord , vous ſeul, que
je mépriſe , non pour avoir quitté une
femme , non pour avoir changé de ſentimens
, mais parce que vous en avez
feint que vous ne ſentiez pas , parce que
vous avez traité durement votre amie ,
celle qui vous étoit véritablement atta,
18 MERCURE DE FRANCE ..
chée , dont vous aviez déſiré la tendrefſe
, que vous connoiffiez digne de vos
égards , & dont vous aviez juré de ménager
la ſenſibilité : je vous mépriſe ,
parce que vous vous êtes conduit avec
baſſeſſe ; qu'incapable de confiance & d'amitié
, vous avez eu recours au menſonge
, moyen infâme , & dont un homme,
de votre naiſſance devroit rougir de faire
ufage.
Plus ſincere que vous , je ne vous promis
point mon amitié : que ferois-je de
la vôtre ? Mais qu'est- ce donc qu'un homme
qu'on ne voit plus , qu'on ne verra
jamais , entend par cette amitié qu'il oſe
offrir, promettre ? Quelle profanation d'un
nom fi réveré des coeurs vertueux ? Quoi !
ce ſentiment ſi noble , don précieux de
la divinité , qui raſſemble , unit , intéreſſe,
lie les humains , ſe borne donc dans l'idée
de Milord , à ne point nuire à ceux qu'il
honore du nom d'ami ? Que pouvez -vous
pour moi ? Vous ſeriez- vous flatté que je
vouluſſeunjour vous devoir quelque choſe?
Vous avez détruit ma tranquilité , eſt il
en vous de la faire renaître ? Le bien que
vous m'avez oté , ne ſubſiſte plus ; le ciel
même ne peut reparer mes pertes : l'idée
fantaſtique qui faisoit mon bonheur , s'eſt
évanouie pour jamais ; cette idole chérie ,
JANVIER . 1757. 19
!
e
adorée , denuée des ornemens dont mon
imagination ſéduite l'avoit embellie , ne
m'offre plus qu'une eſquiſſe imparfaite ;
je rougis du culte que j'aimois à lui rendre
: ainſi mon coeur trompé par ſes défirs
, éclairé par ſes peines , n'a joui que
d'une vaine erreur , il la regrette peutêtre
, mais il ne peut la recouvrer. Adieu ,
Milord. Pour reconnoître enpartie cette
amitié fi tendre , ſi ſincere que vous me
confervez , je ſouhaite que vous n'en
reſſentiez jamais pour quelqu'un qui
vous reſſemble : ce ſouhait doit vous convaincre
que je ſuis capable de pardonner .
Cette éloquente traduction eſt l'ouvrage
d'une Dame. Nous l'invitons à continuer.
La cauſe de ſon ſexe eſt en bonne
main.
e
il
1S
je
e?
il
e
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Lée
eft
ie ,
J
EPITRE
A Madame D' ....
EUNE beauté pour qui je m'intéreſſe ,
Nonen Amant qui , ſous un faux reſpect ,
Vous conduiroit de foibleſſe en foibleſſe ,
Mais en ami dont la vive tendreſſe
A votre eſprit n'offre rien de ſuſpect :
Son âge eſt mûr : à lui le ſang vous lie.
20 MERCURE DE FRANCE.
Prétendroit- il encenſer vos beaux yeux ?
Dans ſon automne , il voit que c'eſt folie ,
Dans ſon printemps , il en eût fait ſes Dieux.
Mais quand on rend de ſemblables hommages ,
On attend tout de la fragilité :
Mes ſentimens ſont aujourd'hui plus ſages ,
Ils ont pour but votre félicité.
Si vous fermez les yeux à la lumiere ,
Le plus beau jour inutilement luit ;
Aux moindres feux ouvrez votre paupiere ,
Vous verrez clair au milieu de la nuit .
De même un coeur eſt- il dans la fouffrance ,
Il trouve en foi de vrais ſoulagemens ;
Eft- il heureux , il peut par imprudence
De ſes plaiſirs ſe faire des tourmens .
Quand vous étiez auprès d'une marâtre
Qui n'eut pour vous que des yeux menaçans ,
En comprenant que vos attraits naiſſans ,
Eclipſoient ceux qu'elle ſeule idolâtre ,
Je l'avouerai , vous aviez à ſouffrir :
Car il eſt dur de voir une étrangere
Occuper mal la place d'une mere
Qui , vous voyant , n'eût pu que vous chérir.
Que faifiez -vous dans cet affreux orage ?
Votre douceur écartoit le nuage :
Toujours ſoumiſe & prête d'obéir ,
Vous lui faifiez honte de vous haïr.
Dans cet état jamais aucun murmure
N'avoit troublé cette ſérénité,
JANVIER. 1757 . 21
D'une belle ame , agréable parure
Qui relevoit encor votre beauté :
Et maintenant qu'un heureux mariage
Vous donne enfin , après cet eſclavage ,
Un mari tendre , & fuivante & laquais ,
Que vous logez dans un riche palais ,
Que tout vous rit , & que chacun s'empreſſe
A vous ſervir , à vous faire careſſe ,
Vous paroiſſez inſenſible à ce bien ,
Tantôt boudant , & tantôt menaçante ,
Battant par fois& faiſant la méchante ,
N'être jamais ſatisfaite de rien ,
Tant que gloſant ſur cette humeur étrange ,
On dit déja partout votre canton :
«Dans le mal être , elle ſembloit un Ange ,
>> Dans le bonheur , elle eſt pis qu'un démon. >>
Atels propos coupez court , je vous prie ;
Si vous tardiez , votre effort ſeroit vain ;
La renommée une fois établie,
Eſt érigée en monument d'airain.
Ne croyez pas que d'être belle & ſage ,
Cela ſuffiſe au bonheur d'un Epoux.
La beauté n'eſt qu'un oiſeau de paſſage ;
Et la ſageſſe eſt-elle un bien ſi doux ?
Yvoit-on clair ? c'eſt toujours un myſtere
Impénétrable , & qui traîne après ſoi
Tant de dangers , que tout ce qu'on peut faire ,
C'eſt de le voir par les yeux de la foi .
Comptez donc peu ſur ce glorieux titre ;
22 MERCURE DE FRANCE .
Si votre Epoux en paroît aſſuré ,
De ſes bontés c'eſt le premier chapitre ,
Et c'eſt à vous de lui ſçavoir bon gré .
Si vous voulez qu'il vous aime ſans ceſſe ,
Ce qui fera votre commun bonheur ,
Qu'il trouve en vous & douceur & tendreſſe :
Dans aucun temps ne lui montrez d'aigreur .
Que votre eſprit s'étudie à lui plaire :
De votre Epoux faites-vous un ami.
C'eſt mal aimer que d'aimer à demi ;
C'eſt n'aimer point que de craindre en trop
faire.
Quant à vos gens qui vous vendent leurs foins ,
Gardez -vous bien de leur être ſévere.
Lorſque contr'eux vous paroiffez colere ,
C'eſt contre vous acheter des témoins.
Charmant objet ne ſoyez point rebelle
A ce ſermon qu'un vrai zele a dicté.
Il ſe réduit à ce point ſouhaité ,
Que vous soyez auffi bonne que belle.
J'AI reçu , Monfieur , une Epître que
j'ai cru digne d'être inférée dans votre
Mercure : c'eſt une leçon agréable qui
m'a fait faire des réflexions ſur moi- même ,
qui m'a convaincue de mes torts , & qui
m'a fait prendre la réſolution de ne plus
m'écarter de la voie qu'elle m'a tracée.
Je ſouhaite qu'elle faſſe la même imprefſion
ſur toutes les jeunes femmes qui la
JANVIER . 1757 . 23
L
:
liront. Ce ſeroit leur rendre un grand
ſervice , auffi - bien qu'aux perſonnes qui
font auprès d'elles , de les déſabuſer de
l'idée qu'elles ont qu'une jolie femme
doit avoir de l'humeur. Je ne peux mieux
y contribuer qu'en vous mettant à même
de publier la leçon qu'on m'a faite fur ce
ſujet . J'ai l'honneur d'être , &c .
D' ...
Notre éloge ſe partage entre l'Epître
& l'Envoi . On est bien près de ſe corriger
, quand on reçoit ſi bien les conſeils
d'un ami , fait lui - même pour perfuader
par la maniere dont il les donne.
VERS
A M. le Marquis d'Argenson , Ministre
d'Etat.
Του
oujours ennemi des flatteurs ,
De l'artifice & de l'envie ,
D'Argenſon n'eut point la manie
De s'enivrer de vains honneurs.
A la ſaine philoſophie ,
Il doit le bonheur de ſa vie :
Les Muſes , les Arts , les talens
Remplifſſent ſes plus doux momens.
Il paſſe des jours ſans nuage ,
24 MERCURE DE FRANCE.
Dans la paix & la liberté.
Ami de la candeur & de la vérité ,
De ſon coeur la vertu reçoit un pur hommage.
A la Cour peut - on être heureux ?
C'eſt un ſéjour trop orageux ,
Il ne fut point fait pour le ſage.
Par M. de C ***.
FRAGMENT
D'HISTOIRE EGYΡΤΙΕΝΝΕ
Trouvé dans les ruines de Thebes , au commencement
de ce ſiecle , traduit en Italien
par le Marquis *** , & en François par
le Chevalier de L. M. Capitaine d'Infanterie.
MITIS vers
:
AMiris naquit le commencement
du regne de Séſoftris , avec ce génie que
les fiecles médiocres appellent miraculeux ,
& que les fiecles floriſſans nomment ſupérieur.
Elevé dans le Temple d'Oſiris au
culte duquel les Grands d'Egypte conſacroient
leurs enfans par un droit exclufif,
les premices de ſa jeuneſſe furent des
ouvrages qui reſpirent toute l'aménité de
la poéfie & la folidité du ſage. Amitis
fut bientôt dégoûté d'une philoſophie qui
ne
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S
e
S
i
ne ſe repaît que de contemplations ſtériles :
un inſtinct fublime le portoit à cette Philoſophie
active qui vivifie la ſociété en multipliant
les routes du bonheur public. II
fut quelque temps ſuſpendu au milieu des
objets qu'offre le théâtre immenfe de la
nature & de l'humanité ; ſes premiers regards
furent des ſoupirs , parce que les
grandes idées ſuppoſent les grands ſentimens
, & que celui de gémir ſur les hommes
accompagne toujours le talent de les
éclairer. Amitis trembla ; il alloit faire
ce premier pas qu'un génie vulgaire fait
fans danger , parce qu'il le fait fans témoins
, & qu'un grand génie n'oſe ſouvent
hazarder , parce que les ſpectateurs l'examinent
, & qu'il eſt le préjugé de ſa gloire
ou de ſa chûte . Amitis fut préſenté à Séfoftris
comme un homme ſupérieur aux
dignités par ſa modération , & égal aux
plus grandes affaires par ſon génie & fon
zele. Il fut reçu avec cette bonté majef
tueuſe , qui eſt le tribut que les grands
Rois paient aux grands hommes. Séfoftris
l'envoya vers une République de la Grece ,
qui par la ſageſſe d'un gouvernement invariable
, étoit l'école & le modele des Républiques.
Le vulgaire, ce grouppe des grands
&des petits, fut jaloux , étonné que l'effor
d'Amitis fût une dignité qui n'étoit ordi-
I. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
nairement que la derniere récompenſe
d'une politique conſommée. Il ignoroit
que le premier élan des grandes ames eſt
toujours pour les grandes choſes. Amitis
juſtifia bientôt la préférence de fon Roi
en faiſant lesdélices des peuples qui l'avoient
parmi eux. Des ſuccès dignes de
lui commençoient à fixer l'admiration publique
lorſque des troubles inattendus offrirent
dans ſa patrie un champ plus vaſte à
fes talens.
Tyr cette Ifle fameuſe par fon commerce
, malheureuſe par la fougue de ſon
peuple , eſtimable par la fierté noble &
généreuſe des grands , coupable par la
mort de pluſieurs de ſes Rois, célebre par le
progrès des ſciences & desarts , & furtout
par uneconſtitution ébauchée par les chocs
&les ſecouſſes des ſiecles , & perfectionnée
par un grand homme; Tyr vouloit augmenter
ſes richeſſes & ſa puiſſance de
celles des autres Nations : elle regardoit
l'Egypte comme une voiſine incommode ,
dont la rivalité prouvée par les guerres
de dix fiecles ſeroit un obſtacle éternel à
ſes projets . Des victoires remportées par
Séſoftris dans la derniere lui faifoient fouhaiter
encore plus vivement de ſapper le
principe de ſes avantages &de ſes reffources
; la modération généreuſe avec laquelle
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-
ce prince la termina lui parut un indice de
foibleſſe. Tyr aveuglée par les artifices de
fon Roi ( c'étoit Pygmalion II ) , trahie par
la vénalité des grands , étourdie par la fougue
naturelle ou concertée de la partie
ſubalterne du Sénat , oublia que Séſoſtris
commençoit une guerre juſte avec impétuoſité
, & la finiſſoit avec grandeur d'ame.
Cette Nation impérieuſe avoit des colonies
dans la Bétique , l'Egypte y en pofſédoit
auſſi : le commerce des deux peuples
avoit à peu près ſuivi la même gradation .
Une guerre longue , malheureuſe , mais
légitime , foutenue par le biſayeul de Séſoſtris
, dans un âge où la main des plus
grands Rois chancele ſur le timon de l'état
, avoit forcé ce Prince à céder aux Tyriens
quelques colonies limitrophes des
leurs : cette ceſſion en augmentant leur
opulence , augmenta leur cupidité. Tyr
voulut être la dominatrice des mers : fon
ambition ſembloit favoriſée par la foiblefſe
de la marine Egyptienne ; de nouvelles
guerres dans le continent , le malheur
des temps avoient détourné l'attention que
cette partie de l'adminiſtration exige. Dabord
les Tyriens fondés ſur des interprétations
arbitraires , franchirent les limites
que les traités les plus folemnels , les garanties
les plus reſpectables , & la tradition
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
la plus conſtante avoient fixées entre les
poffeffions reſpectives. Iricton qui gouvernoit
les colonies Egyptiennes,guidé par l'efprit
de modération qui animoit Séſoftris ,
envoya un ambaſſadeur aux Tyriens pour
éclaircir des prétentions que nul préalable
n'avoit annoncées , & pour terminer à l'amiable
des différends qu'un terme obfcur
pouvoit occafionner. L'Ambaſſadeur avoit
pour lui la justice de ſa cauſe , la prudence
qui traite avec douceur , un caractere ſacré
formé par le droit des gens , ce droit
qu'une politique humaine & bienfaifante
établit lentement , parce que les biens
qui rendent les hommes heureux en les
rapprochant , dépendent de combinaiſons
que les ſociétés naiſſantes ignorent , que
ledroit rigoureux de la nature contredit ,
&qui ne font que le fruit de la perfection
des ſociétés. Les Tyriens étoient infracteurs
des traités , une férocité échauffée
par une cupidité aveugle les pouſſoit , le
droit des gens les gênoit. Ils maſſacrerent
l'Ambaſſadeur : toute l'Afie apprit ces horreurs
avec indignation. Séſoftris les reçut
avec douleur, mais fans colere ; c'eſt l'écueil
des Rois : fon premier foin fut d'affurer
fes colonies contre de nouveaux attentats
par des fecours ; mais les Tyriens en intercepterent
une partie. L'état de paix qui
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1
devoit être entre les deux nations ayant
fait négliger les précautions qui pouvoient
en procurer la fûreté, des hoftilités commiſes
ſans déclaration ni plainte préliminaire
, des brigandages inouis exercés par
une Nation que toute l'Afie avoit juſquelà
eſtimée , ne purent faire fortir Séfoftris
de la modération qui paroiſſoit incompatible
avec de telles infultes. Séſoſtris
étoit un grand homme : la foif des conquêtes
ne l'inſpira jamais , la néceffité ſeule
de la vengeance le mit à la tête de ſes
armées . Les Hiſtoriens qui l'ont dépeint
comme un conquérant , ont écrit l'hiſtoire
de leurs adulations & l'aveu de leur ignorance
fur la vraie gloire , plutôt qu'ils ne
nous ont donné le caractere de ce Prince.
Il ſçavoit que le coeur des bons Rois eſt
le templede l'humanité ; que cette vertu qui
eſt leur fceptre répugne à la guerre , parce
que ſi d'un côté elle détruit leurs ennemis
qui font des hommes , de l'autre elle
épuiſe leurs ſujets qui font leurs enfans .
Dans ces circonstances , où de jeunes courtiſans
qui ne voyoient dans l'amour de la
patrie que l'amour de la gloire , propoſoient
à Séſoſtris d'aller venger dans le ſein
de Tyr même l'honneur de l'Egypte attaqué
, où d'une autre part de vieux Sénateurs
inſtruits par l'expérience,conſeilloient
Bij
30 MERCURE DE FRANCE.
la modération à Séſoſtris , fondés fur la maxime
ſage qu'une Nation ne doit jamais
s'échauffer que de fang froid. On le fit
reſſouvenir d'Amitis comme d'un homme
dont le beſoin de l'Egypte exigeoit la préfence.
Amitis fut rappellé & parut devant
fon Roi avec la ſatisfaction modeſte d'un
ſage jaloux du bonheur de ſa patrie , &
ſupérieur à la vanité des ſuccès. Séſoſtris
lui dit : Amitis , votre zele & vos talens
me ſont connus , je vous donne une place
parmi les Sagesqui ſoutiennent mon trône :
c'eſt par eux que je regne , je n'ajoute
à leurs conſeils que le poids néceſſaire de
l'autorité ; joignez vos lumieres aux leurs
pour augmenter la félicité de mon peuple.
Amitis ſe proſterna croyant voir Ofiris
apporter ſur la terre la ſageſſe& le bonheur
des immortels. Grand Roi , dit- il , élevé
dans le Temple du Dieu qui veille fur
l'Egypte , j'ai appris à connoître ſon langage,
il eſt dans votre bouche , votre regne
eſt le plus fignalé de ſes bienfaits ; nourri
de ſes préceptes qui font vos ſentimens ,
je me ſuis fait une étude du bonheur
des hommes qui en eſt le centre ; Miniſtre
de votre ſageſſe , c'eſt en communiquant
à vos ſujets celui qu'elle doit répandre ,
que je vais tâcher de mériter d'approcher
du trône. Amitis confirma Séſoftris dans
JANVIER. 1757 . 31
les idées pacifiques dont il s'étoit formé le
plan : plaignez- vous, dit- il, au Roi de Tyr,
faites- lui entendre par vos Ambaſſadeurs
que la reſtitution des vaiſſeaux de vos
ſujets pourra éteindre une étincelle qui
embraferoit peut- être l'Aſie ; les Nations
voiſines , perfuadées de votre amour pour
la paix , perdront les préjugés faux , mais
invétérés de l'ambition de votre Dynaſtie.
Si vos ennemis refuſent un accommodement
, leur mauvaiſe foi répandue dans
tout l'univers , leur attirera la colere des
Dieux vengeurs & les armes des Princes
équitables. Séſoſtris fit des tentatives vaines
auprès de Pygmalion : ce Prince qui
étoit lui-même l'auteur des troubles , &
qui ſacrifioit les Tyriens à un intérêt perſonnel
, ne put conſentir à perdre le fruit
des intrigues de tout un regne .
Amitis livré à l'activité de ſon génie ,
n'avoit ceſſé pendant les négociations de
méditer ſur les moyens de venger l'Egypte
: il avoit jetté les yeux fur l'iſſe de
Crete que Tyr poſſédoit depuis la paix funeſte
qui termina le regne du prédéceſſeur
de Séſoftris . Cette Iſle étoit à l'entrée de
la mer Egée , dont les Tyriens engloutiffoient
le commerce. Il choifit , pour faire
accepter ſon projet , un jour que le Roi
délibéroit avec ſon confeil fur les avan-
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
rages qu'on pourroit tirer d'une victoire
complette que ſes troupes venoient de
remporter ſur les Tyriens dans la Bérique ,
de concert avec les naturels indignés des
perfidies de Tyr. La joie de cet événement
ne pouvoit manquer d'ouvrir les eſprits à
des projets hardis : Amitis au lieu d'objections
ne trouva que des ſuffrages , un inconvénient
ſeul paroifſoit ſe mêler aux
avantages de ſon plan. La marine Egyptienne
n'étoit pas rétablie ; mais Hierax,
chef des Flottes , miniſtre ſupérieur aux
difficultés , étala dans des préparatifs incroyables
tous les miracles de l'habileté :
l'Egypte dont le pavillon étoit preſque
méconnu , vit fortir de ſes ports une flotte
redoutable commandée par Zigis , vieux
Capitaine , dont les connoiſſances rares ,
l'eſprit vaſte , des talens faits pour exciter
& mériter la confiance , réparoient avec
nſure un extérieur maltraité par la nature .
Zigis avoit fur ſa flotte 15000 Egyptiens
fous les ordres d'un Grand de la cour ,
dont la jeuneſſe avoit fait les délices de
l'ifle de Chypre , qui y avoit même été
ſouvent rappellé dans le cours de ſa vie.
Employé enſuite dans les Cours étrangeres ,
où il avoit déployé toutes les fineſſes & les
agrémens de l'urbanité Egyptienne
étoit parvenu aux honneurs fuprêmes de
11
il
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,
Γ
C
LS
,
e

e.
S
les
il
de
la guerre, pour avoir ſauvé une République
alliée , dont l'Impératrice d'Affyrie alloit
ſe rendre maîtreſſe .
Philetos ( c'eſt le nom de ce Grand )
débarqua en Crete ſans réſiſtance : il trouva
les Tyriens retranchés ſur le mont Ida ;
les difficultés de l'Affiete& la valeur des
ennemis déconcerterent les regles & les
rufes de la guerre. Philetos impatienté
ſe reſſouvint qu'il commandoit àdes Egyptiens
à qui il avoit vu faire des prodiges
ſous les yeux de Séſoſtris , dans une bataille
de la derniere guerre très- opiniatrée ,
où les Tyriens , quoique battus , acquirent
beaucoupd'honneur par les manoeuvres rares&
la valeur qu'ils y firent paroître.Philetos
montra aux Egyptiens les dangers &
la gloire , & les Tyriens furent vaincus.
Zigis juſtifia pendant le fiege la confiance
publique , par la défenſe admirable qu'il
oppoſa à un vieux Chef de Flotte Tyrien ,
qui fit par la honte de ſa tentative , le
déſeſpoir de ſa Nation , de fa famille , &
ſa propre perte. Amitis reçut les louanges
ſi méritées d'un plan qui tariſſoit la plus
féconde fource de Tyr : il attribua tout à
la ſageſſe de Séſoftris , & ne répondit que
par de nouveaux projets pour ſa gloire.
La ſuite a été détruite par l'injure des
temps. Bv
34 MERCURE DE FRANCE.
STANCES
AMademoiselle *** , à l'occasion du Pora
trait de l'Auteur peint par elle.
JBUNE Henriette , tes eſſais
Ont ſurpaffé mon eſpérance ;
Puiſſai-je avec même ſuccès
T'exprimer ma reconnoiſſance !
Ta main , en prenant ſon efſſor ,
Déja n'a rien d'une novice ;
Mais ma Muſe , qui l'eſt encor ,
Ne me rend pas le même office.
Sûrs de vivre àjamais par toi ,
Mes traits rappelleront ta gloire ;
Ainſi du moins ton nom , par moi ,
S'inſcrit au temple de mémoire.
De tes couleurs , dans tes Portraits
Par une agréable nuance ,
La laideur reçoit des attraits
En conſervant ſa reſſemblance.
Eleve d'un Maître fameux ,
On te voit marcher ſur ſes traces ;
Il brille au rang des demi-Dieux ,
Et tu brilles parmi les Graces .
JANVIER. 1757 . 35
Sans doute à ſa célébrité
L'eſtime doit un juſte hommage ;
Mais Henriette , en vérité ,
Me ſemble fon plus bel ouvrage.
VERS
A Madame de S. N... Sur ce qu'elle avoit
flatté l'Auteur de lui procurer le plaisir
de voir M. de Fontenelle chez elle.
VOUS
:
ous me l'avez promis , me ſerez -vous fidele ?
Qu'attendez-vous encor pour combler mes deſirs e
Chez l'aimable Clarice admirer Fontenelle ,
N'est- ce pas à la fois goûter tous les plaiſirs ?
Qui peut vous méconnoître au nom que je vous
donne,
Ou plutôt que jadis lui-même vous donna ?
Ce portrait ſi charmant que ſa main crayonna ;
S'il ne l'eſt d'après vous , ne reſſemble à perſonne.
En vain la jeune Hebé révendiquant vos droits ,
Et murmure , & ſe plaint de mon anacronyſme :
Pour triompher ici de votre pyrrhoniſme ,
De la vérité ſeule écoutez donc la voix .
L'Emule d'Uranie avec fon Télescope ,
Voyant de tant d'attraits le germe dans lesCieux,
Bvj
36 MERCURE DE FRANCE .
Prévint votre naiſſance , & traçant à nos yeux
Ce tableau tout divin , tira votre horoscope .
Ainſi juſqu'à vos jours , on le vit accuſé
D'avoir peint pour les coeurs une aimable chimere :
Ce portrait raſſemblant tous les dons qui font
plaire ,
C'eſt par vous ſeulement qu'il eſt réaliſé.
Ah ! puiſſe ſon auteur , des infernales ondes
Ne voir les triftes bords , que lorſque finira
Ce procès ſi flatteur , qui diviſe ſes mondes ,
Pour décider entr'eux qui le poſſédera !
1
SUITE DES PENSÉES
SUR LA CONVERSATION.
XVI . IL faudroit n'avoir d'eſprit dans
la converſation , que lorſque les autres
nous en demandent , & qu'autant qu'ils
veulent que nous en ayons. L'eſprit ainſi
placé , & diſpenſé avec meſure , auroit
toujours le mérite de l'à propos. Il ne ſeroit
qu'une complaiſance pour les autres
& he choqueroit point leur vanité ; il la
flatteroit même. Ils croiroient y avoir
part , & nous l'avoir donné.....
L'homme vraiment aimable dans la conJANVIER
1757. 37
verſation , eſt celui qui ſçait occuper
agréablement les autres, &par ce qu'il leur
dit , & furtout par ce qu'il leur donne
occaſion de dire,
Il y a plus de plaiſir à dire de bonnes
chofes , qu'à en entendre , & à être écouté ,
qu'à écouter. Ainſi la regle générale de
la converſation étant de s'y conduire de
la maniere la plus propre à procurer du
plaiſir aux autres , il faudroit ne leur parler
, que pour leur fournir l'occafion de
nous parler encore mieux eux mêmes.
C'eſt un art , que celui de faire avoir
de l'eſprit aux autres , de les mettre en
valeur , de leur donner lieu de paroître
tout ce qu'ils font , & même plus qu'ils
nefont. :
Il y a des gens avec qui on vaut le
double & le triple de ce qu'on vaut avec
d'autres , & c'eſt l'effet non ſeulement de
leur douceur , de leur bonté , de leur modeſtie
, de leur eftime pour nous , & de
la confiance qu'ils nous inſpirent ; mais
encore d'une certaine adreſſe de leur part ,
à manier les eſprits; adreſſe au moyen
de laquelle ils en tirent toujours tout ce
qu'on en peut tirer. Tous ceux qui ont
de l'eſprit , ne ſçavent pas en donner ,
& c'eſt un talent particulier qu'on peut
n'avoir pas avec beaucoup d'eſprit
38 MERCURE DE FRANCE.
Pour ſçavoir donner de l'eſprit aux autres
, il faut ſçavoir leur en trouver ; car
on ne peut leur faire exercer & montrer,
que la forte d'eſprit qu'ils ont. Il faut donc
la difcerner & la ſentir : mais ce difcernement
fin eſt très- rare.
Feu M. l'Abbé de St. Pierre , naturellement
froid & férieux , n'étoit pas brillant
& amuſant dans la converſation . II
ſe rendoit juſtice , & jamais homme ne
ne fut moins empreſfé de parler. Cependant,
outre ſes connoiſſances politiques
qui étoient fort étendues , il ſçavoit beaucoup
de faits & d'anecdotes , les contoit
bien , & furtout avec la plus exacte vérité.
Mais l'à propos ne lui fuffifoit pas
pour les conter :il avoit beſoin d'être invité
& même preffé. Il craignoit d'ennuyer
, & auroit voulu plaire , non par
vanité , il n'en avoit point , mais par
justice & bienfaisance, deux principes auxquels
il rapportoit tout. Un jour étant
allé voir une femme de beaucoup d'efprit
, il la trouva ſeule : elle ne le connoiſſoit
que depuis quelques mois , & ne
l'avoit même vu qu'en compagnie. Auffi
fut-elle d'abord un peu embarraffée du
rête à tête. L'embarras ceſſa bientôt. Habile
& prompte à demêler les caracteres
& les différens tours d'eſprit , elle avoit
JANVIER . 1757 . 39
deja ſaiſi celui de l'Abbé de St. Pierre ,
&lui parla en conféquence. Mis à fon
aiſe ſur ce qu'il ſçavoit & aimoit ,
il parla fort bien lui-même. Lorſqu'il
fortit , cette Dame le remerciant du plaifir
qu'elle avoit pris à l'entendre , il lui
dit avec ſon ton & fon air fimple : Je
fuis un instrument , & vous en avez bien
joué.
Deux perſonnes parlent dans une compagnie
; l'une brille & vous enchante ;
c'eſt à l'autre que vous en avez la principale
obligation. Souvent dans la converfation
celui qui paroît faire moins , eſt celui
qui faitplus.
Donnez de l'eſprit aux autres , nonſeulement
ils vous en trouveront , quand
même vous n'en auriez pas ; mais ils
vous paſſeront d'en avoir en effet. Ils feront
même bien aiſes que vous en ayez ,
pourvu qu'ils en ayent auſſi , ſurtout s'ils
en ont encore plus. Alors il leur feroit
moins flatteur d'en avoir tout ſeuls.
C'eſt une politefſſe bien sûre de plaire ,
que de ſe laiſſer preſſentir , fuppléer , prévenir
, de ſe faire ſuggérer par les autres
, ce qu'on va dire, enforte qu'ils
croyent l'avoir penſé les premiers , &
nous l'avoir fait penfer.
Hy a des gensdevant qui on ne ſcau
40 MERCURE DE FRANCE.
roit dire une bonne choſe , ſans qu'ils
ajoutent auffitôt : C'est ce que j'allois vous
dire. On les a toujours prévenus .
C'eſt du moins une ſotte vanité d'avertir
qu'on nous a prévenus ; quelquefois
c'eft encore un menfonge ; & qui dit
toujours qu'on l'a prévenu , ment fouvent .
XVII . Ecouter beaucoup & bien , parler
peu & bien ; voilà deux regles générales
de la converſation qui comprennent
toutes les autres.
On apprend à parler en écoutant , comme
à commander en obéiffant .
Il eſt plus important encore de
bien écouter , que de bien parler : je dis
bien écouter ; car, on peut écouter fottement
, comme on peut parler fortement ;
& l'expreffion sçavoir écouter , eft auffi
juſte , que celle de sçavoir parler,
Il ne s'agit donc pas d'écouter avec une
attention imbecille , mais avec un air
d'homme de goût , qui fent , & qui entend.
Il ne s'agit pas non plus de ſe récrier
, encore moins de ſe récrier fur tout ,
&de faire de longs éloges. Un oui , ou
un non prononcés d'un air fin & conzent
, louent plus que toutes les louanges.
Il s'agit de faifir avec vîteſſe ce que
les autres diſent de louable , & de le
relever d'une maniere obligeante , mais
JANVIER . 1757 . 41
ſans affectation & fans fadeur , en forte
que la louange ne paroiffe que l'épanchement
indélibéré de l'eſtime , & l'expreſſion
du plaifir qu'on goûte à entendre
debonnes chofes. C'eſt par la ſurtour , diton,
que M. le Ducde la Rochefoucanit , l'Auteur
des Maximes , plaisoit tantdans la converſation.
On lui trouvoit biende l'efprit
, quoiqu'il n'eût que très-peu parlé.
XVIII . Si j'avois à juger d'un homme
ſur un mot , j'en jugerois plutôt fur
un mot ingénieux qu'il auroit bien entendu
& bien ſenti, que fur un pareil
mot , qu'il auroit dit lui même.
Le haſard fera plutôt bien dire , qu'il
ne fera bien entendre & bien fentir.
Un homme d'eſprit dit une bonne choſe
ſans y penſer , un fot la dir ſans la
penſer.
Le ſot ne ſçait ce qu'il dit , même
lorſqu'il dit bien. ( 1 )
Un bon mot dans la bouche d'un fot
...
(1) « J'ois journellement dire à des fots des
>>mots non fots. Ils diſent une bonne choſe. Sça-
>>chons juſqu'où ils la connoiſſent ; voyons par
où ils la tiennent . Ils l'auront produite à
>>>>l> 'aventure& à tâtons. Nous la leur mettons en
>> crédit & en prix. Vous leur prêtez la main : à
>>quoi faire ? Ils ne vous ſçavent nul gré , & en
>>deviennent plus ineptes. Ne les ſecondez pas ;
>> laiſſez - les aller , &c. Montaigne.
42 MERCURE DE FRANCE.
en devroit être plus agréable par la furpriſe
qu'il cauſe. Non. Quand par haſard
un fot a dit une bonne choſe , j'ai
regret que ce ſoit lui qui l'ait dite. ( 1 )
XIX. Il y ades gens plus inſupportables
encore dans la converſation , que ceux
qui ne parlent que pour montrer de l'efprit
; ce ſont ceux qui n'écoutentque pour
examiner ſi l'on en a.
Il ne faut pas que l'attention ait l'air
de l'examen .
XX. Non feulement il ne faut jamais
interrompre ceux qui parlent , mais fi
l'on eft interrompu , il faut s'arrêter auffitôt
, même ſans trop penſer à reprendre
fon propos , quand l'interrupteur aura
ceffé de parler ; parce que , ſi l'on y penſe
trop, on n'écoute point , & qu'une
des principales fautes qu'on puiffe commettre
dans la conversation , c'eſt de ne
point écouter.
Les eſprits vifs font grands interrupteurs,
ſurtout s'ils font vains & préſomptueux.
(1) N*** , grand Nouvellifte , ne débitoit
guere que de fanſſes nouvelles. Un jour il en dit
une vraie , mais nullement vraiſemblable. Quekqu'un
la rediſant d'après lui , on ne la crut point.
Il cita ſon Auteur , & on crut moins encore. Un
troiſieme ſurvint qui confirma la nouvelle & la
prouva. Mais , reprit vivement un des Incrédules ,
puisque cela est vrai , pourquoi N** l'a- t'il dit ?
JANVIER. 1757. 43
XXI. Parmi ceux qui ne ſont pas de
mon avis dans la converfation , il eft
deux ſortes de perſonnes avec qui je ne
raiſonne & ne diſpute point. Les unes
voient fort bien tout ce que je pourrois
leur dire , & cela ſeroit ſuperflu. Les autres
n'entendroient pas , & ne ſentiroient
pas ce que je pourrois leur dire , & cela
ſeroit inutile.
XXII. Un homme poli , ſage & vertueux
, montrera ſouvent moins d'eſprit
dans la converſation qu'un autre qui en
a beaucoup moins que lui , parce qu'il
ſe refuſera tout ce qui n'eſt pas dans les
regles de la politeſſe , de la décence , dela
prudence , du bon fens , & de la vertu.
Il y a bien des cas où le filence eſt
préférable à tout ce qu'on pourroit dire
de mieux.
La Bruyere a dit : Il y a beaucoup d'efprits
obscenes. Cela étoit- il donc vrai autrefois
, & vrai de la bonne compagnie ?
Il me ſemble du moins que cela ne le
ſeroit pas aujourd'hui. A tout hafard , &
quoiqu'indépendamment de la Religion ,
fi juſtement ſévere fur ce qui concerne
la pureté , il n'y ait qu'un précepte à donner
ſur les paroles libres , & qui eſt de ſe
les interdire abſolument , je dirai néanmoins
que fi l'on fe permet quelquefois
44 MERCURE DE FRANCE.
de badiner fur certaines matieres , il ne
fant jamais parler aux oreilles , ni à l'imagination
, mais ſeulement à l'eſprit.
Tout ce qui pourroit bleſſer les unes &
falir l'autre , eſt une groffiéreté également
indigne d'un homme poli & d'un homme
d'eſprit.
Pour peu qu'un trait ſoit libre , il ne
ſçauroit être excuſé qu'en faveur d'une extrême
fineſſe. Il n'eſt pas affez ingénieux ,
s'il n'eſt que très-plaifant.
N *** diſoit : Quand je dis quelques folies
, les jeunes filles & les fots ne m'entendent
point.
D'après ce mot , on peut établir la
maxime ſuivante : Une obſcénité dite en
compagnie , & que tout le monde a entendue
, ne vaut rien. T
XXIII . Il y a des manieres de plaire
dans la converſation , qui font le moyen
de déplaire dans la ſociété.
Dire de quelqu'un , que c'eſt un homme
agréable , ce n'eſt pas en faire un pur
éloge , un éloge abfolu , & fans reſtriction
, même importante ; cet homme agréable
a peut- être des vices. Il peut donc
plaire & déplaire à la fois , déplaire même
juſqu'à être haï. Au contraire l'expreſſion
d'homme aimable préſente une
idée ſimple , une louange toute pure :
JANVIER. 1757 . 45
quelques légers défauts ne font pas une
reſtriction. L'homme aimable ne peut donc
que plaire , & il plaît à tous. L'Amabilité ,
fi je puis m'exprimer ainſi , n'eſt point
comme l'agrément , une affaire de goût ,
une choſe en partie arbitraire , ou du
moins relative à la différence des caracte
res & des eſprits. C'eſt , je le répete ,
quelque choſe d'abſolu & d'un effet général
. Son impreſſion ſe fait fur le coeur,
& par-là eſt la même ſur tous les coeurs .
L'homme agréable a un eſprit léger &
amuſant ; il donne du plaiſir à ſes connoiffances
. L'homme aimable a une ame
douce & fenfible ; il fait le bonheur , les
délices de ſes amis.
Pour peu qu'un homme aimable ait
d'eſprit , il en a aſſez pour ceux même
qui en ont le plus.
Qu'est- ce dans les femmes qu'une phyfionomie
agréable , piquante même , en comparaiſon
d'une phyſionomie touchante !
Hommes , ayez un caractere & un tour
d'eſprit , tels que la forte de beauté
que vous defirez principalement dans les
femmes , du moins ſi vous avez un coeur.
Ce qu'une femme inſpire , n'eſt point
de l'amour , fi elle n'inſpire en mêmetemps
de l'amitié.
On aime mieux montrer de l'eſprit ,
46 MERCURE DE FRANCE.
que du jugement &de la bonté ; cela eſt
bien for.
Au reſte , le jugement eſt de l'eſprit ,
c'eſt même la meilleure forte d'eſprit ; &
en manquer , c'eſt manquer d'eſprit dans
un ſens très-véritable. On pourroit donc
dire de certaines perſonnes ſi empreſſées
à briller , qu'elles montreroient moins
d'eſprit , ſi elles en avoient plus , & que
par conféquent les connoiſſeurs leur en
trouveroient plus , ſi elles en montroient
moins.
XXIV. Il y a des gens , dont l'eſprit
m'eſt jamais placé. Ce qu'ils diſent , eſt
ingénieux ; mais ce n'étoit point ce qu'il
falloit dire , ou bien il falloit le dire autrement.
Il manquetoujours quelque choſe
à la convenance , à l'apropos , ſoit dans
la choſe même , ſoit dans la maniere de
la dire : ils ont toujours de l'eſprit , &
en manquent toujours.
Après le trait le plus ingénieux , au
lieu d'applaudiſſement , vient quelquefois
un filence général , qui dit au bel eſprit :
Vous êtes un fot ..
Cela est vrai , ſurtout des traits malins
& offenfans . Avoir dit un très-bon
mot , eſt ſouvent avoir fait une trèsgroffe
fottife .
La langue , dit un ancien , eſt la partie
par laquelle les Médecins reconnoif
JANVIER . 1757. 47
ſent les maladies du corps , & les Philoſophes
celles de l'eſprit.
XXV. Il n'y a quelquefois rien de plus
incommode pour un bel eſprit dans une
compagnie , qu'un autre bel eſprit. A la
vérité , celui-ci eſt ſouvent le ſeul dans
cette compagnie , qui puiſſe entendre &
ſentir parfaitement tout ce que le premier
dira de fin , d'ingénieux , de bon ;
mais ſouvent auſſi c'eſt le ſeul qui puiſſe
s'appercevoir de ce qu'il dira de mauvais ,
le relever , & dire mieux. C'eſt en même
temps un juge ſévere , & un rival
redoutable.
Quand on invitedans une partie de plaifir
, dans un repas , deux hommes de
cette eſpece , il eſt rare qu'on jouiſſe des
deux ; ſouvent même on ne jouit ni de
l'un , ni de l'autre. Ils ſe tiennent mutuellement
en échec , & n'ofent prendre
l'effor. Ils ſe reſpectent , & n'oſent prefque
parler. On n'eſt parfaitement à fon
aiſe qu'avec ſes inférieurs. C'eſt avec
eux , que dégagé de toute crainte , on
peut uſer de tout fon eſprit.
La jalouſie qui nous inſpire l'envie de
briller , pour effacer un rival , ou du
moins pour partager ſa gloire , nous en
åte en même temps le pouvoir , par l'état
de contrainte dans lequelelle nous
48 MERCURE DE FRANCE.
met. C'eſt une des raiſons pour leſquelles
, comme l'ad it M. l'Abbé Trublet , la
conversation ne nous plaît jamais davantage
, qu'avec ceux qui ont un peu moins d'efprit
que nous. Ceux qui en ont beaucoup
moins , n'en montrent point ,& ne nous
donnent point d'occaſion d'en montrer ;
double fource d'ennui. Ceux qui en ont
beaucoup plus , non ſeulement en montrent
à proportion , & nous effaçent ,
mais encore ils nous empêchent par la timidité
qu'ils nous inſpirent , d'en montrer
autant que nous en avons. Ils font
un feu ſupérieur , & démontent nos batteries.
Ce n'eſt donc pas toujours un bon
moyen pour juger lequel de deux hommes
l'emporte ſur l'autre dans la converſation
, de les faire trouver dans la même
compagnie , & , comme on dit , de
les mettre aux mains. Le plus ſpirituel
ſera peut-être vaincu , & vaincu fans combat
, par le plus préſomptueux & le plus
confiant. On dit : Nousferons plus en état
de les comparer , en les voyant enſemble
& en les entendant tour à tour. Mais peutêtre
qu'alors vous ne les verrez point tels
qu'ils font , & dans leur naturel .
Deux hommes , qui ne ſe connoiffoient
que de réputation , & qui avoient fort
envie
JANVIER . 1757 . 49
envie de ſe connoître perſonnellement ,
ſe voient pour la premiere fois dans une
compagnie. Ils s'examinent mutuellement ,
ſe tiennent ſur la réſerve , & ne ſe livrent
point. Cependant au fortir de là ,
ils jugent peu avantageuſement l'un de
l'autre. Une réflexion bien ſimple devroit
les arrêter; car on pourroit leur dire :
celui que vous jugez , vous juge de même
, & il n'a pu prendre une meilleure
idée de votre eſprit , que celle que vous
avez priſe du ſien.
Unbel eſprit diſoit d'un autre : Je vaux
mieux que lui , mais c'est en ſon absence.
Un homme d'eſprit n'eſt jamais plus mal
à ſon aiſe , qu'avec un autre homme d'efprit
qu'il n'aime pas .
Quelquefois deux beaux eſprits amuſent
beaucoup ceux qui les ont fait trouver
enſemble , mais c'eſt aux dépens l'un
de l'autre , & à la honte de l'eſprit &
des lettres. Ils ſe lancent des Epigrammes
, ſouvent plus malignes qu'ingénieufes.
Je me trouvai un jour dans une compagnie
affez nombreuſe , où étoient deux
beaux eſprits , & deux hommes très-riches.
Je dis aux premiers : Voyez un peu
comme ces deux Meſſieurs se ménagent , se
flattent , ſe reſpectent l'un l'autre. Bel exem-
I. Vol. C
SO MERCURE DE FRANCE.
ple à suivre! Il we donnent point de ſcene
aux gueux ; n'en donnez point aux fots. ( 1 )
C'eſt une grande marque d'eſprit , que
d'en montrer d'autant plus que ceux avec
qui l'on ſe trouve , en montrentd'avange
; mais , je le repete , ce n'eſt pas toujours
une marque de ſageſſe.
XXVI . Il y a un talent , un don , ou
un art d'impoſer aux autres dans la converſation
, indépendamment de la ſupériorité
de l'eſprit , ou de celle du rang.
C'eſt quelquefois l'effet d'une certaine dignité
naturelle qui inſpire le reſpect ,
d'une grande ſageſſe qui inſpire la retenue.
Souvent auffi ce n'eſt qu'un vice;
la fierté impoſe à la modeſtie ; le fat impoſe
à l'homme d'eſprit même , ſi celuici
n'est qu'homme d'eſprit. Souvent encore
cet aſcendant ſur les autres , n'eſt
que l'effet d'une figure avantageuſe , de
l'air , des manieres , du ton de voix . ( 2)
La naiſſance , le rang , les richeſſes ,
(1) « Il ſemble , dit finement & plaiſamment
»un homme de beaucoup d'esprit , il ſemble qu'on
>>fafſe aujourd'hui précisément le contraire de ce
>>qui ſe pratiquoit lorſqu'on faiſoit combattre
>>des animaux pour amuſer des hommes. » Confidérations
fur les moeurs de ce ſiecle.
(2 ) Il y a encore des Samsons , dit un de nos
vieux Auteurs , qui remportent des victoires avec
une mâchoire d'âne..
JANVIER. 1757 . 51
& autres avantages de cette nature , impoſent
à ceux qui ne les ont point. L'efprit
& le ſçavoir n'impoſent qu'à ceux
qui en ont , du moins en quelque degré.
L'uſage du monde apprend ce qu'on
doit au rang , à la naiſſance , & même
aux grandes richeſſes , preſque auffi conſiderées
que l'un& l'autre. Le mérite ſeul
apprend ce qu'on doit au mérite.
XXVII. Trois hommes de beaucoup
d'eſprit, &que j'ai fort connus, m'ont fourni
l'obſervation ſuivante. L'un périſſoit
d'ennui dans la meilleure compagnie ,
s'il n'y étoit pas le principal acteur. Il
fuffiſoit à l'autre d'entendre dire de bonnes
choſes ; & alors il écoutoit volontiers ;
mais il ne s'ennuyoit guere moins que
le premier , lorſqu'il n'étoit pas avec ſes
pareils. Le troiſieme , avec autant d'eſprit
que les deux autres , ſçavoit tirer parti
des gens les plus médiocres , & ne s'ennuyoit
preſque avec perſonne. Je ne dirai
pas feulement , que celui- ci étoit le
plus heureux des trois ; je dirai qu'il étoit
le plus eſtimable , du moins par le coeur
& par le caractere ; c'étoit feu M. de la
Motte. ( 1 )
(1 ) « Je louerois une ame à divers étages , qui
>>ſcache& ſe tendre & ſe démonter , qui ſoit bien
>>partout où ſa fortune le porte , qui puiſſe déviſer
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
Mais ce bonheur , ou cet art de s'accommoder
de tout le monde dans la converſation
, peuvent- ils s'acquérir , du moins
juſqu'à uncertain point ? Oui , ſans doute
, & ils valent bien la peine qu'on y
travaille. Ecoutons là-deſſus une perſonne
d'eſprit , & du rang le plus élevé. « J'aime
>>le monde , dit Mademoiselle de Mont-
>>penſier , dans ſon portrait fait par elle-mê-
»me , j'aime le monde & la converſation
>> des honnêtes gens , (1 ) & néanmoins ,
>> avec ſon voiſin de ſon bâtiment , de fa chaffe , &
>>de ſa querelle ; entretenir avec plaifir un Char-
>> pentier & un Jardinier : j'envie ceux qui ſçavent
>>s'apprivoiſer au moindre de leur fuite , & dreffer
>>>de l'entretien en leur propre train. » Mont.
1. 3 , ch. 3 .
(1 ) L'honneur & la probité , l'eſprit & une
certaine meſure de connoiſſances , joints à ce
qu'on appelle aujourd'hui le ton de la bonne compagnie
, faifoient ce qu'on appelloit autrefois les
honnêtes gens . C'eſt l'idée que Mademoiselle de
Scudery attache toujours à cette expreſſion dans
ſes Romans. Il en eſt de même de Descartes , com .
me on le verra par le paſſage que je citerai dans
la fuite. Cependant , par le terme d'honnêtes gens ,
on a toujours principalement entendu les gens de
probité & les gens du monde , & d'autant plus
qu'il paroîtroit naturel que ces deux choſes fuflent
toujours réunies, l'honneur étant , au défaut de la
vertu , un principe & un motif de probité : mais
l'expérience a ſouvent contredit cette théorie ,
Delà, équivoque dans le langage ; & d'après l'équi
JANVIER. 1757 . 53
>>je ne m'ennuie pas trop avec ceux qui
>>ne le font pas , parce qu'il faut que les
" gens de ma qualité ſe contraignent , étant
>>plutôt nés pour les autres que pour eux-
>>mêmes ; deſorte que cette néceffité s'eſt
>>ſi bien tournée en habitude en moi ,
>>que je ne m'ennuie de rien , quoique
>>tout ne me divertiſſe pas .
Voilà aſſurément un exemple d'un grand
poids , d'autant plus que Mademoiselle
de Montpensier ajoute , qu'elle auroit aimé
à être ſeule , parce que naturellement
elle n'avoit nulle complaisance.
XXVIII. Il y a des gens , qui ne fongent
pas affez à ce qu'ils diſent dans la
converſation , & d'autres qui y fongent
trop. ( 1 ) Heureux ceux qui n'ont pas beſoin
d'y fonger , & qui doués d'un efprit
également juſte , net & vif, ne peuvent
que bien penſer & bien parler ! Ils
n'ont point d'idées à rejetter & à fupprimer
comme fauſſes , mais ſeulement comvoque
, un jeu de mot qui peut paſſer dans une
Epigramme. Telle eſt celle de Gombaud , intitulée
Contre quelques gens du monde , & qui finit par ces
deux vers :
Et les plus grands marauds du monde
S'appellent les honnêtes gens.
(1 ) C'eſt ce que Montaigne appelle parler tou
jours bandé.
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
me trop communes , trop évidentes ; &
ils les fuppriment , ils gardent le ſilence .
Tel eſt M. de Fontenelle.
Il en eſt d'autres au contraire qui ne
diſent que des chofes triviales , & qui
néanmoins les diſent du ton & de l'air
dont à peine auroit- on droit de dire les
choſes les plus rares & les plus exquiſes
, d'un ton & d'un air qui commandent
l'attention. Cela eſt encore plus ridicule
en préſence d'hommes illuſtres par
leur eſprit & par leurs connoiſſances , furrout
quand c'eſt à eux-mêmes qu'on adrefſe
la parole , comme je l'ai vu adreſſer
un jour à Mr. de Fontenelle. Malgré
toute ſa douceur & toute ſa politeſſe , il
interrompit le diſcoureur. Tout cela est
très- vrai , Monsieur , lui dit-il , très- vrai :
je l'avois même déja entendu dire à d'autres.
Le même orgueil fait quelquefois qu'un
homme médiocre parle trop devant des
gens d'eſprit , & qu'un homme d'eſprit
dédaigne de parler devant des hommes
médiocres. Le premier ne fent point affez
fon infériorité , le ſecond ſe croit
trop de ſupériorité.
XXIX. Il faut cacher quelquefois fon
eſprit & ſon ſçavoir ſous le voile de la
modeſtie & du ſfilence , afin de pouvoir
en d'autres occafions cacher ſous le mê
JANVIER. 1757 . SS
me voile ſon ignorance & ſa ſottiſe.
Comme on ne ſçait jamais tout , celui
qui dit toujours tout ce qu'il ſçait ,
dès que l'occaſion ſe préſente de le dire
montre les bornes de ſon ſçavoir , &découvre
sa mesure ( 1 ) , lorſqu'il ne dit
rien ſur le ſujet actuel de la converſation.
,
N**. joint le don de la parole à un
ſçavoir étendu & bien digéré ; mais il eſt
grand parleur. Il ſçait très-bien tout ce
qu'il dit , & dit très-bien tout ce qu'il
ſçait ; mais il dit tout ce qu'il ſçait.
XXX. Il y a une maniere adroite de
placer des ſincérités contre les autres &
contre ſoi-même , qui donne la double
réputation d'homme vrai & modefte.
XXXI. Une bonne éducation & un
grand uſage du monde , donnent quelquefois
, du moins pour quelques momens
, une apparence d'eſprit à des perſonnes
qui dans le fonds en ont trèspeu.
Elles ſçavent des phraſes ingénieuſes
, des complimens bien tournés , des
lieux communs &c. Mais après toutes ces
belles chofes, que leur fournit leur mémoire
, elles s'aviſent quelquefois de ſe
ſervir de leur eſprit , & elles diſent des
fottiſes. Elles reſſemblent à ces oiſeaux ,
(1 ) Expreſſion deMontaigne.
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
à qui , à force de les fiffler , on a appris
un ou deux airs qu'ils répetent afſez
bien , après quoi ils reviennent à
leur ramage naturel , qui eſt fort déſagréable.
Un homme qui brille également dans
la converſation par fa mémoire & par fon
eſprit , c'eſt un ſerain bien fifflé , & qui
ne plaît pas moins par le chant qu'il
tient de la nature , que par celui que
l'art lui a appris .
Ces fots , dont l'éducation & l'uſage
du monde n'ont pu entiérement corriger ,
ou du moins couvrir la fottife , on pourroit
encore les comparer à ces matieres
qui ne prennent pas bien le vernis. Lorfqu'après
quelques difcours ſenſés , ou même
ingénieux , ils viennent à dire quel.
ques pauvretés , c'eſt le vernis qui s'écaille.
La ſuite au prochain Mercure.
EPITRE A EGLÉ.
AMahon , le 15 Octobre 1756 .
TANDIS qu'au printemps de ma vie ,
Loin des plaiſirs & des amours ,
J'uſe le fil des plus beaux jours
Am'ennuyer pour la Patrie ,
JANVIER. 1757 . 57
Martyr , rebelle au fond du coeur
D'un phantôme appellé la Gloire ,
Stérile enfant de la Victoire ,
Né dans le ſein de la douleur ,
Dis moi , cher objet de mes larmes,
Que fais-tu dans ces lieux ſi beaux ,
Toujours pleins du bruit de tes charmes,
Toujours peuplés de mes Rivaux ?
Vas- tu de quelque jeune Amante
Inquiéter le tendre coeur ?
Vas-tu de l'aigre Céliante
Exercer la jalouſe humeur ?
Ou , dans un fouper délectable ;
Brillant fans art , buvant ſans goût ,
Avec quelque convive aimable ,
Folâtrer & rire de tout ?
Mais le Dieu , dont la main fertile
Couronne & dore nos côteaux ,
Loin du tourbillon de la Ville
T'appelle à des plaiſirs nouveaux :
Déja , ſans le dire à Liſette,
Colin vingt fois s'eſt exercé
A répéter ſur ſa Muſette
L'air que tu chantois l'an paſſé.
Afon tour la jeune Bergere
Quitte ſes Agneaux en ſecret ,
Pour eſſayer ſur la fougere
Un pasplus leſte &plus coquet.
Chanſons , parure , badinage ,
Cv
S MERCURE DE FRANCE.
Tout enfin preſſe ton retour ,
Et chaque habitant du Village ,
En provoquant cet heureux jour ,
Va reconnoître ſi l'aurore
Lui pourra conſerver encore
Aſſez de fleurs dans ce boſquet
Pour t'en compoſer un bouquet ,
Mais peut- être ſur cette image
Crayonnée en mes foibles Vers,
Tu crains que ma Muſe ſauvage
N'aille te prêcher les déſerts :
Tu crains que , profane Stylite ,
Jaloux d'un bien que je n'ai pas ,
Je veuille t'ordonner la fuite
Des coeurs attachés à tes pas.
Non , belle Eglé ; non , ta figure,
Ton eſprit , tes yeux & tes traits ,
Dons enchanteurs de la nature ,
Ne ſont pas faits pour les forêts.
Tel que du Dieu de la lumiere
L'empire n'eſt point limité ,
Tel puiſſe être la terre entiere ,
Le théâtre de la beauté !
Avant que ſon état s'envole ,
Fais- la briller au plus grand jour ;
Du monde ſoit toujours l'Idole ,
Et qu'il ſoit la tienne à ſon tour.
Songe pourtant que la nature
Ne fit pas les foibles mortels ,
Ni pour des chagrins éternels ,
JANVIER . 1757 . 59
Ni pour des plaifirs ſans meſure.
Dans le ſein même du bonheur ,
Il eſt des temps de ſéchereſſe,
D'indifférence & de froideur ,
Où l'ame mourroit de triſteſſe ,
Si l'eſprit n'avoit pas l'adreſſe
De remplir le vuide du coeur.
Et tandis que fur ce rivage ,
L'ennui , mon tyran journalier ,
Dans ce frivole badinage
Me laiſſe un moment reſpirer ,
Peut- être pour toi moins propice
Aumilieu des empreſſemens ,
Ce même Dieu fait ton ſupplice
D'un peuple conjuré d'Amans ,
Et fourdement gliffe en tes veines
Ce poifon d'un coeur inquiet ,
Accablé de dégoûts fans peines ,
Et plein de deſirs ſans objet.
Ainſi la Loire vagabonde ,
Errant ſur un ſable argenté ,
Du doux ſpectacle de ſon onde ,
Eblouit ton oeil enchanté ;
Tandis qu'une pente infidelle
Mine en ſecret ſes foibles bords ,
Et dans l'Océan avec elle ,
Entraîne ſes propres tréfors.
N'attends donc pas que l'habitude
D'un monde futile & bruyant ,
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
Du ſecours de la folitude
Te faſſe un beſoin plus preſſant :
Dans les lieux que la paix babite ,
Va puiſer de nouveaux defirs ,
Et ſauve du moins par la fuite
Ce qui te reſte de plaifirs.
Le plaiſir , champ vaſte &fertile ,
Où tout mortel vient moiffonner ,
N'eſt qu'un terrein foible & mobile ,
Source de trouble & de danger ,
Aqui n'eſt point affez habile
Pour y porter un pied leger.
C'eſt ſur le bord d'une onde claire ,
A l'abri d'un bois écarté ,
Que des Dieux le choix ſalutaire
Aplacé la félicité.
Sous ce pur & fidele hofpice ,
Eft la vertu ſans fauſſeté ,
La franchiſe ſans dureté ,
Les ris ſans art & fans malice ,
Le repos ſans oiſiveté ,
Et la liberté ſans caprice.
Mais quel écart hors de raiſon
Me jette en de vaines maximes ,
Et tourne en aride ſermon
La fertilité de ces rimes ?
Le goût , l'eſprit & la raiſon ,
Sur le tourbillon de la vie
T'ont fait une philoſophie
Audeſſus de toute leçon ;
JANVIER . 1757 . 61
Et mieux encore , j'oſe le dire ,
Le Dieu qui veille à mon bonheur ;
Ce Dieu qui languit & ſoupire
Au fond de ton ſenſible coeur ,
Sçaura du populaire empire
Te dévoiler la folle erreur.
Déja , ſi l'aimable impoſture
D'un ſonge trois fois répeté ,
N'a point par un trop doux augure
Abuſé ma crédulité ,
Je t'ai vu , cédant en filence
Au feu d'une tendre langueur ,
Entretenir ſur mon abſence
Tes ſens , ton eſprit , & ton coeur :
J'ai vu de précieuſes larmes
Couler de tes yeux attendris ;
Ta douleur négligeoit ces charmes
Jadis par tes ſoins embellis ;
Sur ton front couvert d'un nuage ,
Des boucles erroient au hazard ;
Ton ame peignoit ſon image
Dans un deshabillé ſans art ;
Et ſous un voile impénétrable ,
Dédaignant l'oeil le plus flatteur :
Belle Eglé , ton ſein délectable
N'étoit ému que de douleur.
C'eſt dans l'enchantement ſuprême
D'un ſpectacle fi raviſſant ,
Que ton Amant hors de lui-même ,
(1) Ce vers est défectueux. Ilfaut dire : jet'ai vued
62 MERCURE DE FRANCE .
S'écrie encore en ce moment :
Eglé , toi dont le coeur ſincere
Par l'amour ſeul eſt animé ,
Toi , qui jamais n'eûs daigné plaire
Si tu n'euſſes jamais aimé ,
Loin du belliqueux étalage
Et du fanatifme guerrier ,
Viens en ce jour à mon courage
Offrir un paiſible laurier ;
Viens me diſputer la victoire
Dans le ſein des tendres defirs ;
Et que le chemin de la gloire
Nous foit ouvert par les plaiſirs :
L'inſtant d'un fortune filence
De nos coeurs ſera le ſignal ;
Chacun lira ſon efpérance
Dans les yeux d'un ardent Rival :
Nos cris feront des cris de joie ,
Nos plaintes de brûlans foupirs ,
Ta bouche deviendra ma proie;
Ta reſiſtance , mes plaiſirs ,
Juſqu'a ce qu'une heureuſe ivreſſe
Egarant nos ſens éperdus ,
Confonde au ſein de l'alegreſſe ,
Et les vainqueurs & les vaincus.
Du C***.
JANVIER. 1757 . 63
L'AMANT ANONYME ,
NOUVELLE.
MADEADMEOMIOSIESELLLLEE de Vienne venoit de
contracter un engagement qui ne convenoit
ni à ſon caractere , ni à ſes ſentimens.
Elle avoit cédé au cri de ſa maiſon en
épouſant le Comte de Régur , & elle étoit
perfuadée qu'elle ſeroit malheureuſe toute
ſa vie. Elle étoit , depuis huit jours, occupée
à cacher ſes larmes , & à feindre des
plaiſirs dont on exige rigoureuſement l'apparence
dans ce monde brillant & tumultueux
, où il eſt ſi rare de les trouver . Elle
reçut une lettre qui acheva de troubler fon
repos.
LETTRE
«J'aurois ſçu mourir avec mon ſecret ,
>> madame , ſi une innocente témérité ne
>>devoit conſoler que moi. Vous avez des
>>chagrins que l'amour peut adoucir ; pour-
>>rois-je me taire & devenir volontaire-
>>>ment complicede vos peines. Permettez-
>>>moi , madame , de me livrer à mon zele
»& aux conſeils de ma douleur. Je ne
>>puis m'expliquer aujourd'hui , ni me fai-
>>>re connoître ; mais vous ferez demain
64 MERCURE DE FRANCE.
>>parfaitement éclaircie, ſi vous voulez con-
>>ſentir à m'écouter un moment. Ne crai-
>>gnez point de faire une démarche en
>>m'accordant votre confiance ; je vous
>>promets de vous en paroître digne , c'eſt
>>aſſez vous dire que je ne puis avoir qu'un
>>m>otif innocent."
Cette lettre intrigua Madame de Régur.
Il étoit difficile de deviner qui l'avoit
écrite. Elle eût voulu pouvoir en connoître
l'auteur ; mais on mettoit ce plaifir à trop
haut prix : il falloit qu'elle fit une démarche
, &elle n'en vouloit point faire. Cependant
des offres de confolation étoient
bien ſéduiſantes dans l'état où elle ſe trouvoit
: pourquoi lui étoit- il défendu de les
accepter !
Madame de Régur , quoique très-jeune ,
avoit toute la raiſon del'âge mur. A cette
raiſon , il ſe joignoit encore une certaine
force d'eſprit qui la rendoit maîtreffe de
ſes ſentimens . Le coeur étoit tendre & foible
; mais les actions , les plus petits mouvemensdépendoientde
ſa volonté , & malheureuſement
pour elle elle ne vouloit jamais
que ce qu'elle devoit vouloir.
Cette force d'eſprit l'emporta ſur le penchant
d'une douce curiofité. Elle fit dire
au porteur qu'il n'y avoit point de réponſe
, & qu'elle défendoit qu'on lui apportât
à l'avenir de pareilles lettres.
JANVIER. 1757 . 65
Elle s'enferma dans ſon cabinet , après
avoir donné cet ordre rigoureux. Elle
voulur ſe diſtraire& prévenir des réflexions
dangereuſes , elle n'y put réuſſir : elle
n'étoit plus foutenue par le charme ſecret
d'un courage éclatant : elle éprouva que
lavertu eſt preſque ſans pouvoir , lorſqu'elle
eſt ſans témoins.
Elle rêva donc , malgré elle , à cette
lettre finguliere. Elle ne pouvoit ceſſer de
ſe demander qui la lui avoit écrite ; elle
y cherchoit les caracteres d'une main....
Ah ! ſe diſoit elle, ſi c'etoit Durval ! fi la
pitié. . Mais quelle folle illuſion ! la
pitié ni l'amour n'entreront jamais dans
fon coeur.
...
Cette cruelle réflexion la rendit à ellemême.
N'eſpérant plus que ce fût Durval ;
il lui importa peu dedevinerqui ce pouvoit
être. Elle ne voulut plus y penſer , & elle
fortit de ſon cabinet preſque indifférente
à cette aventure,
Elle trouva le Comte de Régur à la
porte de ſon appartement. Je venois vous
parler , lui dit poliment ſon mari , je différerai
fi vous avez affaire. Je ſortois fans
raiſon , répondit-elle , je reſterai avec plaifir.
Ils paſſferent dans le même cabinet
qu'elle venoit dequitter , & là , elle entendit
le plus étonnant diſcours qui foit
1
66 MERCURE DE FRANCE.
jamais forti de la bouche d'un mari.
On nous a unis ſans notre aveu , lui
dit-il ; nous ſommes menacés du plus grand
malheur . Notre deſtinée commence , &elle
eſt déja affreuſe; mais elle dépend encore
de nous. Vous êtes raiſonnable , & je ne
le ſuis pas ; nous ne nous convenons point ,
nous nous haïrons. Si je conçois bien tout
ce que la haine a d'horrible , nous ne ſcaurions
recourir trop promptement au remede.
Ilen eſt undont l'efficacité eſt ſenſible :
il offenſeroit les charmes d'une Coquette ,
& je ferois embarraffé à le lui propoſer ;
mais je n'ai pas la même crainte avec
vous dont la raiſon a formé l'eſprit &
le caractere ; c'eſt de nous rendre toute
notre indépendance par un plan de conduite
mutuellement confenti. Vous avez
votre appartement , j'ai le mien.... ſoyons
libres , foulons un préjugé ennemi. J'ai
rempli auprès de vous ces premiers devoirs
que l'uſage preſcrit , que le reſpect
du nom impoſe ; contentons-nous d'un héritier....
Madame de Régur avoit écouté avec
toute la ſurpriſe de la vertu éclairée. Elle
n'avoit point appris à enviſager les devoirs
de l'hymen du côté ridicule : elle rougit
en entendant une propofition auſſi étrange.
Le Comte ſentant qu'il avoit beſoin de
JANVIER. 1757 . 67
ſe juſtifier , reprit en ces termes : Ne vous
imaginez pas , Madame, que voulant fatisfaire
mes goûts , & me croyant diſpenſé
d'avoir des égards , je vous propoſe votre
appartement comme une folitude. Je n'ai
point des ſentimens auſſi injuftes : je ſçais
ce qu'on doit à vos charmes ; & lorique
je me livrerai àmes plaiſirs , fans doute
il ſera juſte que vous ayez les vôtres . Tout
ce que j'exigerai de vous , c'eſt que vous
faffiez deschoix raiſonnables .
Madame de Régur ne voulut point en
entendre davantage. Feignant de croire
que fon mari avoit tout dit , elle ſe leva ,
& répondit quelques mots qui n'auroient
rien ſignifié ſans le ton dont ils étoient
prononcés. Vous me paroiſſez fâchée , lui
dit- il avec douceur ; vous n'avez pas bien
jugéde mon intention : cela peut être tout
ſimple aujourd'hui; mais un jour vous me
ſçaurez gré de la ſincérité que je vous ai
montrée. Il vient toujours un temps où
l'on est bien aiſe d'avoir un mari qui ſoit
exempt des défauts de ſon état. En attendant
ce temps qui me juſtifiera , je vous
prie de me cacher votre mécontentement ,
&de me garder le ſecret.
Il fortit fans ajouter un ſeul mot. Madame
de Régur reſtée ſeule , ſe livra à ſes
réflexions. On me laiſſe l'uſage de mon
68 MERCURE DE FRANCE .
coeur ! s'écria- t'elle : Ah ! dans quel temps
cette liberté m'eſt- elle accordée ? ... Elle
s'arrêta à ce mot qui pouvoit la féduire.
Non , reprit- elle , je ne ſuis point libre , j'ai
contracté des devoirs éternels ; l'infidélité
d'un mari ne peut donner que le droit de
ſe plaindre.
,
De toutes ſes idées la plus difficile à
écarter , étoit celle qui offroit des plaiſirs
plus éloignés . La jaloufie , la tracafferie
la vengeance ne ſe préſentoient point à
elle pour la tenter ; elle mépriſoit un mari
mépriſable , & elle ne penſoit pas même
qu'il pût y avoir de la douceur à le punir.
Tout ce qu'elle penſoit , tout ce qu'elle
fentoit , naiffoit uniquement de ladifpofition
actuelle de fon coeur . Elle aimoit, elle
brûloit de tous les feux de l'amour ; il lui
cût été bien doux de s'abandonner à une
paffion que l'idée de l'impunité animoit
encore ; mais l'objet de tant d'amour étoit
fans attachement pour elle : fans s'être jamais
expliquée , elle étoit convaincue de
ſon indifférence invincible. A quoi pouvoit
donc fervir cette liberté qu'on lui
laiſſoit ? & puiſqu'il étoit ſi bien décidé
qu'elle feroit toujours inutile au bonheur
deſes ſentimens , pourquoi ſon eſprit vouloit-
il s'y attacher malgré elle ?
Au milieu de ſes réflexions , on lui préJANVIER.
1757 . 69
ſenta une ſeconde lettre qu'elle ne vouloit
point recevoir , & qu'elle reçut pourtant.
On lui dit pour l'y engager tout ce qu'on
pût imaginer de plus preſſant , & elle conſentit
enfin à la lire.
LETTRE.
«Vous êtes trop ſévere , Madame ; vous
>>ne ſçavez pas combien le ſecret que vous
>>refuſez d'apprendre eſt néceſſaire à la
>>tranquillité de votre vie. Je n'inſiſte que
>>parce que j'en ſuis convaincu. Je ſuis
>>inſtruit de tous vos ſentimens , & je
» voudrois .... Enfin , Madame , j'ai des
>> choſes à vous dire qu'il vous importe de
>> ſçavoir. Tant que vous les ignorerez
>> vous ferez malheureuſe , & je dois m'y
>>oppoſer. J'attendrai encore que vous
>>vous déterminiez à un parti raiſonnable .
>>Je ſuis obligé de vous demander une
>> converſation particuliere & dans un
>>lieu abſolument écarté. Si vous refuſez ,
>>je ſerai contraint d'uſer de ſurpriſe . »
Madame de Régur plus ébranlée que la
premiere fois , mais non moins invincible ,
exigea de celle de ſes femmes qui lui avoit
remis cette lettre , qu'elle renvoyât le porteur
en lui diſant que la lettre n'avoit
point éré lue , &qu'elle ne le ſeroit point,
Elle éprouva toute la tyrannie de la vertu :
70 MERCURE DE FRANCE .
toute ſes idées ſe porterent fur Durval;
elle ſe le repréſentoit plein d'amour pour
elle , plein de regret de ne l'avoir pas aimée
plutôt. Inſtruit deſes tourmens , inftruit
d'un amour dont il n'a pas fenti le
prix , & voulant la vanger par le plus tendre
amour d'une indifférence qu'il doit ſe
reprocher. Perfuadée par le charme de ſes
penſées , elle eût voulu rétracter l'ordre
qu'elle venoit de donner : peut- être eûtelle
fuccombé s'il en avoit été encore
temps. Ah ! Durval , s'écria- t'elle dans ſon
agitation , pourquoi avez-vous connu fi
tard votre injustice ! pourquoi vouloir
troubler ma folitude ! Epargnez-moi vos
regrets ; je ne puis plus les voir fans crime :
quandje ne ſuismalheureuſe que par vous ,
faut- il que ce foit moi qui vous plaigne !
votre tendreſſe m'eût été précieuſe , votre
repentir m'eſt affreux. L'outrageant difcoursde
fon mari revenoit dans ſon eſprit :
elle y trouvoit mille raiſons puiſſantes de
ſe livrer à ſon juſte dépit ; mais la vertu
combattoit la nature avec des armes victorieuſes.
,
Cet état , tout violent qu'il étoit , avoit
des charines & peut-être depuis longtemps
n'avoit-elle moins fouffert. Il eſt
moins triſte de réſiſter à ſon Amant que
d'être convaincue de ſon indifférence .
JANVIER . 1757. 71
Mais ces conſolantes ſuppoſitions ne durererent
point. Bientôt elle ſe dit que Durval
n'étoit pas tel qu'elle aimoit à ſe le
repréſenter , il ne l'avoit point vue depuis
fon mariage ; & pendant deux ans de connoiffance
&de ſociété qui avoient précedé
ce fatal engagement , jamais il n'avoit
paru la diftinguer , & toujours il avoit
montré la plus grande légéreté : y avoit- il
moyen de conſerver la moindre illuſion ?
Cette penſée la replongea dans toute fa
douleur. Mais quel ſecret avoit- on à lui
apprendre ? qui pouvoit s'intéreſſer auffi
vivement à ſa deſtinée ? par quelle fatalité
des ſentimens qu'elle avoit toujours fi bien
diſſimulés étoient-ils connus d'un autre
que d'elle ? Elle ſe perdoit dans toutes ces
réflexions , & ne ſçavoit que conclure &
que ſuppoſer.
Une de ſes amies vint la prendre pour
la mener chez la Marquiſe de Saint- Val .
Elle s'y laiſſa conduire , très- indifférente à
tout ce qu'on pouvoit exiger d'elle pour le
plaifir. Elle étoit dans cet état où tous les
plaiſirs ne font que des mouvemens , & où
tous les mouvemens ne peuvent rien prendre
ſur la préoccupation de l'eſprit.
Madame de Saint - Val avoit grand
monde chez elle : on alloit diſtribuer les
parties. Durval parut à la porte. Madame
72 MERCURE DE FRANCE .
de Régur fut prête à ſe trouver mal : il y
avoit long-temps qu'elle ne l'avoit vu , &
jamais il n'avoit autant agité ſon coeur
que depuis qu'il l'avoit privée de ſa vue.
Il entra familiérement en ſaluant tout le
monde d'un air dégagé , excepté Madame
de Régur à qui il fit une inclination meſurée
, qui pouvoit ſignifier des ſentimens.
La Marquiſe en l'appercevant dérangea
les parties , & voulut le faire jouer avec
Madame de Régur , croyant leur faire
>plaifir à tous deux. Ils jouerent enſemble.
Onjuge du trouble de Madame de Régur :
les intéreſſés ſe ſeroient plaints de ſes diftractions
, s'ils n'en avoient pas deviné le
ſujet. Durval ne fut point diſtrait ; il joua
comme tout le monde , diſant une jolie
choſe , faiſant une malice lorſque l'occaſion
s'en préſentoit , regardant Madame
de Régur avec amitié , lorſqu'il ſurprenoit
ſes regards ſur lui , promenant les ſiens
avec coquetterie ſur les jolies femmes
qui tournoient autour de la table , ne paroiffant
point avoir de deſſein , étant enfin
comme un homme qui n'a ni à ſe plaindre
, ni à ſe juftifier ,& qui voit tout avec
cette indifférence qui vient de la légéreté.
Il lui adreſſa deux ou trois fois la parole ;
elle répondit par des monofyllabes& avec
beaucoupde ſérieux. Cependant ce ſérieux
n'avoit
JANVIER . 1757 . 73
n'avoit rien de choquant , & pouvoit pafſer
pour un air de reproche. Durval y fit
attention , & voulut avoir une converfation
avec elle. La partie finie , & tout le
monde ayant paſſé à une autre table , il ſe
hâta de ſuivre ſon projet.
Je ſuis honteux , lui dit-il , d'avoir laiſſe
paffer un temps ſi long ſans vous faire ma
cour ; il ſemble qu'il y ait une fatalité attachée
à l'amitié. L'amitié n'eſt point gênante
, répondit - elle, il ne faut point
qu'elle foit gênée. On s'eſt apperçu de
votre abfence chez M. de Viennes , & l'on
s'en eſt plaint : je m'en ſuis apperçue auſſi ,
& je vous ai ſuppoſé des affaires. C'eſt
me dire poliment , reprit - il , que vous
êtes de toute votre maiſon la perſonne la
plus dégagée à mon ſujet. Si je n'étois pas
coupable , j'oferois vous trouver bien injuſte.
Je ne le fus jamais , répondit- elle ,
je ne ſçaurois l'être ; mais il y a des perſonnes
avec qui Elle fut interrompue
par un laquais qui venoit dire à Durval
qu'un homme à lui , demandoit à lui parler
à l'inſtant même. Il fut obligé d'interrompre
une converſation qui commençoi
à l'intéreſſer beaucoup.
...
Madame de Régur fut fâchée d'avoir
été interrompue. Durval lui avoit dit qu'il
alloit rentrer ; mais il ne lui étoit pas per-
1. Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE .
mis de l'attendre. Elle avoit pu , ſans foibleſſe
, s'expoſer au danger d'une converſation
qu'elle n'avoit point cherché à faire
naître ; mais attendre Durval pour la continuer
, ç'étoit chercher une explication.
Le devoir le défendoit , & il fut écouté.
Durval rentra. Pour la premiere fois
de ſa vie il montra du chagrin & du dépit.
Madame de Régur à qui les illufions
étoient en ce moment ſi néceſſaires , ſe
perfuada avec plaiſir , que cet air piqué
venoit de ce qu'il ne la retrouvoit pas à
ſaplace . Jamais , après avoir tant ſacrifié ,
on ne s'applaudit autant d'avoir bien fair.
Un des amis de Durval , qui s'apperçut
de l'altération de ſes traits , lui en demanda
le ſujet. J'en ai tout le ſujet du
monde , répondit Durval ; c'eſt une lettre
très-obligeante que j'ai écrite à quelqu'un
, & à laquelle on fait la plus indigne
réponſe .... Madame de Régur fentit
palpiter ſon coeur avec violence . C'étoit
d'elle fans doute qu'il vouloit parler
; la vraiſemblance y étoit toute entiere.
Comment ofer le regarder encore ? comment
ſupporter ſes regards terraffans ? comment
lui laiſſer l'erreur de ſa prévention ?
Durval ſe promenoit dans l'appartement
; ſes mouvemens prouvoient ſon déſeſpoir
, ſa rêverie annonçoit des projets de
JANVIER. 1757 . 75
vengeance.Quelle ſituation pour elle ! Il fal.
loit réſiſter à tout cela , & obéir à la vertu
: mais la vertu eft-elle donc impitoyable ?
Elle étoit dans un état violent : jamais
elle n'avoit tant fouffert ,&l'on ne peut répondre
de ce qu'elle eût fait , ſi par un évé
nement plus accablant que ſes douleurs ,
la ſcene n'eût changé pour elle.
Durval s'étoit placé machinalement près
deMadame de Régur. Le même ami ayant
fini fon jeu s'approcha de lui , & voulut
être inſtruit de toute cette aventure . C'eſt
ce fot de Boleard , répondit Durval , que
j'aimois trop , qui alloit ſe perdre dans
un commerce deshonorant , à qui j'ai
écrit pour lui défiller les yeux , & qui me
fait dire qu'il ne me reverra jamais,
Ce fut un coup de foudre pour Madame
de Régur. Il falloit renoncer à des
préventions délicieuſes. Tout ce qu'elle
avoit penſé d'agréable , tout ce qu'elle
avoit ſenti de doux , s'évanouiſſoit fans
retour. Les illuſions de l'amour tiennent
l'un à l'autre néceſſairement ; dès que l'on
en perd une , on les perd toutes.
Les vapeurs de la plus triſte rêverie vinrent
accabler ſon eſprit; elle s'y abandonna
ſans ſcrupule : elle ſe ſentoit fi
malheureuſe , qu'elle ne craignoit point
qu'il y eût du danger à s'attendrir. A
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
force de rêver triſtement , elle ſe mit dans
la néceffité de ſouhaiter de pouvoir être
plus tranquille. Elle n'y vit de moyen ,
que dans la fin même de la cauſe de ſon
agitation : elle forma l'inutile projet de
ne plus aimer. J'y fuis trop condamnée ,
ſe dit- elle : qu'ai -je à attendre de ma paffion
? Je ne puis jamais qu'y trouver
des tourmens ? Et ſuppoſant que je vinſſe
à être aimée , ce ſeroient d'autres ſupplices
que j'imagine également affreux ; incapable
de foibleſſe , mes principes s'armeroient
contre moi , j'aurois toujours à déſeſpérer
un amant adoré , dont la premiere
indifférence m'auroit ſi bien appris
combien les douleursde l'amour font cruelles
: non ; écoutons la raiſon , écoutons la
douleur dont les conſeils ſont ſi ſages.
Helas ! il ne me reſte plus à choiſir qu'entre
des facrifices & des tourmens.
Elle alloit ſe lever & fortir , un regard
lui rendit toute ſa foibleſſe. Durval étoit
affis vis-à-vis d'elle : il avoit en ce moment
les yeux fixés ſur elle , il ſembloit
la regarder avec complaiſance , vouloir
deviner ce qu'elle penſoit , & vouloir exprimer
le trouble d'un coeur qui ſouffre ,
qui rougit , qui ſe plaint , & qui n'ofe
ni ſe livrer à ſa paffion, ni ſe plaindre
de la voir méprifée.
JANVIER. 1757 . 77
Elle ſe ſentit attachée par un lien à
fon fauteuil : elle fit pourtant l'effort de
ſe lever. En quittant ſa place , elle ne
put s'empêcher de regarder Durval. Elle
voulut aller vers la Marquiſe de St. Val
pour prendre congé d'elle. Durval la prévint
: il joignit la Marquiſe avant elle ,
& ne voulant pas ſe trouver ſi près de
lui , dans l'état où elle étoit , elle fut
obligée de s'arrêter. Durval ne dit que
deux mots à Madame de St. Val , qui tout
de ſuite s'approcha d'elle , pour l'engager
à refter à ſouper. Il étoit bien ſimple
d'imaginer que la politeſſe de l'une
étoit l'effet de la ſollicitation de l'autre.
Madame de Régur n'en douta point , &
eut pourtant le courage de refuſer. A fon
refus la Marquife appella Durval. Venez
m'aider , lui dit-elle, à ſéduire Madame
, elle ne veut point reſter avec nous ,
joignez- vous à moi , je vous enprie. Madame
de Régur ne ſe hâta pointde prendre
la parole : elle étoit dans un trouble
qui écarte de l'eſprit tout ce qu'on auroit
à dire. Madame a peut-être un engagement
, dit Durval : il faut la preſſer ,
& la laiſſer libre. Quel froid diſcours
après les regards qu'il lui avoit adreſſés !
Il eſt vrai qu'il avoit l'air piqué : mais
lorſqu'on l'eſt véritablement , on ne dit
i
Diij
7S MERCURE DE FRANCE.
pas des choſes ſi froides : c'étoit donc encore
une illufion qui avoit dû la ſéduire
, & qui s'évanouiſſoit.
La Marquiſe la preſſa ſi fort , qu'il
fallut qu'elle reſtat. Durval fut placé à
côté d'elle . C'étoit une ſituation d'autant
plus particuliere , que pour les ſpectateurs
même les plus pénécrans , il eût été impoſſible
de deviner s'il l'aimoit , ou s'il
ne l'ainmoit pas , s'il étoit auteur des lettres
, ou s'il ne l'étoit point. Madame de
Régur vouloit ne rien approfondir , &
faififfoit tout : elle écartoit la foibleſſe ,
mais elle ne pouvoit éloigner la confiance
, & ce qu'elle en prenoit quelquefois ,
devenoit bientôt un nouveau malheur , &
ne lui laiffoit que le regret de ſe ſentir
fi foible.
Pendant tout le ſoupé , Durval eut des
attentions pour elle. Il lui fit de petites
agaceries qui ſembloient être un reproche
de la ſévérité de ſes principes : mais
à tout ce qu'elle put répondre qui confirmoit
cette ſévérité , jamais elle ne s'apperçut
qu'il lui échappât un ſoupir. Ses
yeux ſe fixerent quelquefois ſur elle , &
ſembloient l'accuſer de ne pas voir ce
qu'ils vouloient dire , ou de le voir avec
indifférence : mais ils ſe fixoient également
fur une femme aimable , qui étoit du fou
JANVIER . 1757. 79
pé ; & quoiqu'ils exprimaſſent tout autre
choſe , il étoit naturel de penſer que
tous ſes regards étoient unjeude ſon imagination.
Lorſqu'on eſt occupé d'une femine
, on ne voit qu'elle , on ne regarde
qu'elle. Madame de Régur penſoit avec
raiſon que , s'il l'avoit aimée , il eût affez
ſouffert , dans la poſition où il ſe trouvoit
, pour mépriſer ce plaifir de la coquetterie
, qui eſt dans l'amuſement des
regards.
:
Ces alternatives continuelles d'eſpérance
&de dépit la mettoient dans un état
qu'il eſt impoſſible de répréſenter. Elle
eût voulu être loin de cette maiſon ; elle
y ſouffroit trop. On fortit de table. Durval
fut le premier à propoſer des parties ,
on y confentit. Madame de St. Val les
arrangea : mais lorſqu'on lui demanda ce
qu'il aimeroit mieux faire , il répondit
qu'il ne joueroit point , & qu'il falloit
qu'il ſe retirât de bonne heure. Il étoit
alors aſſis à côté de madame de P... ( c'étoit
cette jolie femme qu'il avoit agacée) .
Madame de Régur entendit ſon refus , &
en fut conſternée. La Marquiſe fit la même
queſtion à Mad. de P... qui s'en défendit
auſſi ſous prétexte de migraine.
C'étoit Durval qui avoit propoſé le jeu ,
& il ne vouloit pas jouer. Il étoit à
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
côtéd'une femme aimable , il lui parloit ,
'elle l'écoutoit, & elle ne vouloit pas jouer
non plus ! Quel moment pour Madame
de Régur , qui voyoit tout , qui examinoit
tout , qui ne pouvoit plus juger que
fur les apparences ! Durval s'approcha de
Madame de Régur : il lui témoigna un
vif regret de ne pas faire ſa partie ; il
lui dit les chofſes les plus obligeantes ,
& du ton d'un homme qui les penſe ,
qui les ſent. Madame de Régur qui ne
pouvoit lui pardonner de n'avoir pas tout
facrifié au plaifir qu'elle auroit eude jouer
avec lui , répondit avec l'air le plus indifférent
, les choſes les moins indifférentes:
elle vouloit ne rien dire , & tout
ce qu'elle dit fut offenfant pour Durval.
Il ſe retira ſans rien ajouter , en faiſant
une profonde révérence , & alla repren-
✔dre ſa place auprès de mad. de P......
Madame de Régur ſe repentit de l'avoir
fi mal accueilli. Il n'étoit pas décidé qu'il
eût tort , & il étoit viſible qu'elle n'avoit
pas raiſon. Elle ne pouvoit ſe
perfuader que ce ne fût pas lui qui eût écrit
les deux lettres qu'elle avoit reçues ; elle
avoit toutes fortes de raiſons de ne le
pas croire , mais elle n'en vouloit écouter
aucune. Dans ſa prévention , elle ſe
retraçoit toutes les preuves d'indifférence
JANVIER. 1757. 81
L
qu'elle lui avoit données depuis ces lettres
, & en s'applaudiſſant d'avoit fait ſon
devoir , elle ſe diſoit qu'elle le perdroit
ſans retour , fi elle continuoit à le rebuter.
Elle ſe reprocha donc les réponſes
dures qu'elle venoit de lui faire : elle auroit
voulu les lui faire oublier , mais il
n'étoit plus temps : il étoit déja auprès
de Madame de P.... , & la gaieté répandue
ſur ſes traits , n'annonçoit pas un
homme qu'on dût conſoler , & qui eût
beſoin de l'être .
Elle les examinoit tous deux avec une
attention extrême. Leur converſation paroiſſoit
vive : ils avoient l'air de deux perſonnes
qui diſputent ſur le ſentiment avec
toute l'envie de s'accorder. C'étoit un air
noté ſur lequel Madame de Régur mettoit
des paroles : un mot qu'elle entendoit
, ſe plaçoit naturellement dans une
phraſe imaginée. Elle les crut bientôt
épris l'un de l'autre : elle le crut bien
mieux , lorſqu'elle vit Madame de P... ſe
lever & fortir , & Durval lui donner la
main pour la conduire à ſon carroſſe .
Dans ce premier moment de douleur ,
elle ne penſa rien à force de ſouffrir ;
mais bientôt rendue à elle-même , elle
s'accuſa de tout ce qu'elle ſouffroit , &
ſa réſolution fut de faire expliquer Dur
Dv
$2 MERCURE DE FRANCE.
val , & de ſe juftifier , s'il méritoit qu'elle
eût la foibleſſe de s'accufer.
Elle attendoit ſon retour dans l'appartement
pour commencer , par l'expreffion
des yeux , cet éclairciſſement indiſpenſable
; mais ſa ſécurité fut trompée. Durval
ne rentra point : il étoit parti avec
Madame de P.... qui , logeant dans fon
quartier , lui avoit offert de le ramener.
Ce fut alors qu'elle ſentitcombien l'amour
est puiſſant , & combien la vertu
eſt foible. Durval indifférent , pouvoit
en lui cauſant les plus grandes peines , lui
laiſſer toute fa raiſon & tout fon courage;
mais Durval infidele l'aſſerviſſoit en
tyran , & exerçoit ſur tous ſes ſens le pouvoir
des torrens les plus irréſiſtibles. S'il
avoit paru alors , & qu'elle eût été feule,
la moindre excuſe , le moindre éclairciſſement
l'euffent plongée dans ce délire
qui ne laiſſe pas même prévoir le regret .
Elle fouffrit pendant une heure tout
ce qu'on peut imaginer. Délivrée de la
contrainte des bienſéances , elle ſe ſauva
chez elle pour ſe dégager des penfées &
des larmes qui l'étouffoient.
La nuit qu'elle paſſa fut de celles qu'on
peint fi mal,&qu'on conçoit ſi bien. Sa plus
grande peine venoit de ne pouvoit rien
comprendre àce qui lui arrivoit, de ne pou
JANVIER. 1757 . $3
voir prendre aucun parti , & de ſe ſentir
fi foible contre un homme qui peutêtre
ne penſoit point à elle. Elle l'avoit
d'abord cru amoureux d'elle , elle le croyoit
maintenant amoureux d'une autre ; mais
elle n'avoit jamais pu juger que ſur de
très foibles apparences. Cependant elle
fouffroit , elle aimoit , elle gémiſſoit , &
le bonheur de ſa vie dépendoit d'être
mieux éclaircie. Comment s'y prendre ?
que faire pour s'aſſurer d'un ſecret que
tout rendoit plus impénétrable , & que
tantde motifs lui défendoient de pénétrer ?
Plus tranquille le lendemain , parce
qu'elle avoit beaucoup pleuré , elle ſe crut
moins fenfible. Elle voulut ſuivre le projet
qu'elle avoit d'abord formé de ne plus
penſer à Durval , concevant très-bien ,
qu'il régneroit dans ſon coeur , tant qu'elle
fouffriroit qu'il fût préſent à ſa mémoire.
Elle imagina de recourir aux diffipations
eſtimables & utiles , & furtout
elle prit la réſolution de ne plus fortir
de chez elle , afin de ne pas rencontrer
Durval. Une groſſeſſe difficile lui permettoit
de ſe laiſſer oublier dans la folitude
, contre les uſages de fon rang.
Les talens s'offrirent à ſon imagination ,
comme une reſſource certaine ; elle les
avoit tous , elle voulut les perfectionner :
D vj
$4 MERCURE DE FRANCE.
elle peignoit ſurtout très bien en miniature.
Elle alla chez le Peintre à la mode ,
pour prendre de nouvelles leçons & s'y
exciter par la vue des chef- d'oeuvres. Le
Peintre enchanté d'avoir une écoliere aufli
diftinguée & auſſi aimable , s'empreſſa
d'étaler tout fon porte- feuille. Quel objet
frappe les yeux de Madame de Régur
, c'eſt Durval parfaitement repréſenté
: toutes ſes graces font fidélement retracées
; il reſpire , il ſemble foupirer :
il la regarde , il ſemble lui dire , je
vous aime. Elle ſe trouble , elle fent
qu'elle aime , & qu'elle fouffre pour la
premiere fois ; elle veut détourner ſes
yeux trop ſéduits , ſes yeux y reviennent
fans ceffe , & ne peuvent obéir qu'au
charme qui les entraîne. Elle ne put s'empêcher
de louer un chef- d'oeuvre dont
elle jugeoit par ſentiment. Voilà un portrait
bien achevé , dit- elle , il vous fait
un honneur infini. Madame connoît-elle
l'original ? demanda le peintre. Oui , répondit-
elle , je le connois , c'eſt M. Durval
, je le connois beaucoup : l'originał
eſt bien , la copie ne l'eſt pas moins. On
croit lui parler , je n'ai jamais rien vu de
fi frappant. Il n'eſt pas encore bien fini
reprit le Peintre. Vous ne l'avez donc
pas commencé depuis long-temps , deman-
2
JANVIER . 1757 . 85
د
da Madame de Régur ? Non , Madame ,
il n'y a que cinq jours qu'il m'a fait l'honneur
de venir chez moi. Mais ce n'est pas
ce qui retarde mon ouvrage. M. Durval
eſt très- vif : il a quelque choſe qui le
préoccupe apparemment, qui l'agite ; il
ne peut être un moment en place , il
change à chaque inſtant de couleur. Ces
hommes-là font toujours très-difficiles à
finir. Il eſt peut- être amoureux , reprit
Madame de Régur en rougiffant. Je le
croirois aſſez , répondit le Peintre , je crois
même connoître l'objet ... Il avoit les
yeux fur elle en diſant cela , elle s'en
apperçut : & en rougiſſant encore , vous
connoiſſez la perſonne qu'il aime ? Oui
Madame elle eſt ici , & je puis .... :
mais j'ai peur de faire une indiſcrétion ,
je n'ai pas l'honneur d'être connu de
Non , reprit Madame
de Régur avec un ſaiſiſſement égal
à ſa curioſité , vous pouvez pourſuivre
ſans rien craindre , je ſuis diſcrete & je
vous garderai le ſecret. Je crois ne plus
rien riſquer , reprit-il , & je vais vous
fatisfaire . J'ai voulu vous dire , Madame ,
que j'ai ici le portrait de laDame pour
qui je préſume que M. Durval à des
ſentimens. Le voilà , Madame , il m'a été
confié par M. Durval lui-même , pour
vous هد ......
86 MERCURE DE FRANCE.
corriger un défaut : en me le remettant ,
j'ai vu qu'il y prenoit un intérêt très- vif ,
&comme la Dame eſt très-belle... Oui ,
dit Madame Régur , en l'interrompant ,
elle eſt très - belle en effet , & ce que
vous avez penſé , pourroit bien être vrai.
Ce fut tout ce qu'elle fut capable de dire.
Elle avoit eſpéré , ſans ſçavoir pourquoi
, que c'étoit d'elle que le Peintre
vouloit parler , & quoiqu'elle fût accoutumée
à ſe faire des eſpérances chimériques
, elle n'en pouvoit perdre aucuné
ſans éprouver une révolution .
Elle ſe ſeroit néceſſairement trahie devant
le Peintre : heureuſement il entrà
pluſieurs perſonnes , dont la préſence , en
l'obligeant de ſe contraindre , la rendit à
ellemême. Dans le trouble où elle étoit ,
elle remit le portrait à la premiere place
qui s'offrit , & ne ſongea qu'à ſe ſauver.
Elle ſe fit remener chez elle dans le deffein
de n'en pas fortir de long- temps. Son
état demandoit tous ſes momens . On ne
trouve de foulagement que dans les réflexions
: elle en avoit à faire de déſeſpérantes,
&elle ſe trouvoit encore trop loin de fon
hôtel, dans l'impatience de s'y abandonner .
Son fort venoit d'être décidé pour jamais.
Durval aimoit & étoit aimé: il n'avoit
point écrit , il ne penſoit point à elle ;
JANVIER. 1757. 87
l'intérêt qu'il prenoit au fatal portrait
prouvoit autant de conſtance que d'amour ;
le ſoinde ſe faire peindre lui-même confirmoit
toutes les preuves. Il n'y avoit plus
moyen de ſe faire des illufions : elle ne
s'en fit aucune , & ne penſa à chercher
aucune confolation: fa profonde douleur
lui plaiſoit plus que les alternatives d'un
état incertain. Ce repos des paffions qui
l'avoient agitée étoit une agitation violente
: elle pleuroit de n'avoir pu ſe faire
aimer , elle pleuroit d'aimer ſi tendrement.
Il avoit un ame , s'écrioit- elle , & cette
ame n'a pu être pour moi ! Il vivra dans
les plaiſirs d'une tendreſſe mutuelle , il
goûtera tous les jours de nouveaux plaifirs
, & les pleurs feront mon partage. O
Dieux ! quelle ſituation , quand l'austere
vertuy ajoute encore ſes murmures cruels !
Elle s'interrompoit pour prendre un livre
ou un inftrument ; l'un& l'autre fuyoient
de ſes mains : elle retomboit dans ſes
réflexions. Eft-ce une nouvelle paffion ,
continuoit-elle , eſt-ce un ancien engagement
! je l'ignore : mais j'admire combien
on s'abuſe quand on aime. Combien
de fois , depuis huit jours , ne me ſuis je
pas perfuadée qu'il étoit devenu ſenſible
pour moi : c'étoit pourtant dans ce même
temps qu'il s'occupoit le plus de l'objet
SS MERCURE DE FRANCE.
qu'il aime , puiſqu'il ſongeoit à faire réparer
fon portrait & à ſe faire peindre lui
même.... Enfin , pourſuivoit- elle , je ne
m'abuſerai plus ; je verrai mon fort tel
qu'il eſt. Hélas ! c'eſt acheter bien cher
le retour de ſa raiſon. Quelquefois elle
avoit des remords. Quoiqu'elle eût tant
combattu , quoiqu'elle ſe ſentît ſi malheureuſe
, elle ſe croyoit criminelle : elle
ſe reprochoitjuſqu'aux larmes qu'elle donnoit
à fon malheur. Mais , non , reprenoit-
elle enfuite , je ne ſuis point criminelle
: j'ai aimé malgré moi , j'ai fait parler
mes devoirs lorſque j'ai cru leurs droits
expoſés; je me ſuis traitée dans mes plus
douces eſpérances comme l'amour me traite
dans mes affreuſes certitudes.
Elle fut interrompue dans ſes réflexions
par la Comteſſede Saint- Gelin qui , ayant
toute ſon amitié , étoit reçue chez elle
à toutes les heures. La Comteſſe l'aborda
les larmes aux yeux. Madame de Régur
s'empreſſa de lui demander le ſujet de
ſon chagrin. Vous me foulagez en me
le demandant , répondit Madame de Saint-
Gelin ; j'étois venue pour vous l'apprendre,
&je n'en aurois pas eu le courage : apprenez
donc ce qui m'amene. C'eſt une étrange
choſe que notre coeur , poursuivit- elle
triſtement : vous ſçavez combien mon ami
JANVIER. 1757 . 89
tié pour vous fut toujours tendre & délicate;
eh bien ! apprenez que je ſuis à la
veille de vous hair. Vous m'effrayez , lui
dit Madame de Régur : Vous , me haïr !
qu'ai-je donc pu faire ? ..... Ce que font
toutes les femmes par vanité , ou par
imprudence , répondit la Comteſſe ; vous
avez écouté Mérinville , vous l'avez laiffé
foupirer tant qu'il a voulu : il s'eſt enflammé
, il vous adore ; il m'aimoit , & il me
trahit. Madame de Régur fit un cri en
l'entendant parler ainfi . Moi , j'ai écouté
Mérinville ! s'écria-t'elle. Ah ! chere amie ,
rendez plus de juſtice à mon coeur ; je ſçais
mieux reſpecter l'amitié : vous m'accuſez
du plus grand crime qu'on puiſſe commettre.
J'ignore fi Mérinville a pris du goût
pour moi .... Vous l'ignorez , reprit la
Comteſſe , vous l'ignorez? Ah! Madame ,
quel horrible menſonge ! Je ſuis inſtruite ,
vous ne pouvez m'abuſer ;je ſçais tout : je
ſçais qu'il vous aécritdeux lettres, je le ſçais
par celui de ſes gens qui vous les a apportées.
Jugez de ma douleur, jugez de mon état affreux:
Vous m'enlevez mon Amant : il vous
adore,&vous m'en faites myſtere. Ah ! Madame
, qui m'eût dit que vous metraiteriez
fi cruellement !Madame de Régur étoit trop
innocente & trop accablée pour trouver
difficilement l'art de ſe juſtifier. Elle lui
१० MERCURE DE FRANCE .
avoua qu'elle avoit reçu deux lettres ;
elle lui en dit même le contenu : mais
elle proteſta qu'elle en ignoroit également
l'auteur & le porteur. Cet aveu ne détruifoit
pas le fait : il étoit certain qu'un des
gens de Mérinville avoit porté les lettres ;
il étoit donc très-vraiſemblable qu'il les
avoit écrites. Mais comme rien n'y étoit
expliqué , Madame de Régur pouvoit fort
bien n'en pas ſçavoir plus qu'elle n'en
avouoit. Quand aux premiers reproches
que la Comteſſe lui avoit faits , il lui fut
également facile de les détruire. Elle jura
que jamais Mérinville n'avoit ſoupiré
devant elle , & elle le dit d'un ton à imprimer
la plus grande confiance. La Comreſſe
touchée juſqu'aux larmes
braſſa en lui demandant pardon. Je ne
puis pas douter qu'il ne vous aime , lui
dit-elle ; je l'ai trop obſervé , je l'ai trop
furpris les yeux attachés ſur vous. J'ai trop
àme plaindre de fon refroidiſſement pour
douter de fon infidélité : mais du moins
vous ne m'avez point trahie , il me reſte
encore un coeur dans lequel je puis répandre
l'amertume du mien ; c'eſt une
grande conſolation pour moi. Elles ſe
ſéparerent impatientes l'une & l'autre de
rêver ſans témoin à leur cruelle ſituation .
,
l'em-
Les ſoupçons de Madame de Saint-Gelin
JANVIER. 1757. 91
n'étoient pas plus triftes pour elle , que
la cauſe en étoit accablante pour Madame
de Régur. Malgré ce qu'elle avoit appris
chez le peintre , elle n'avoit pas encore
perdu tout eſpoir : ily avoit des momens
où je ne ſçais quelle voix parloit à fon
coeur , & avoit du moins le pouvoir de
flatter ſon imagination. Toute reſſource
lui étoit ravie , ce qu'elle venoit d'apprendre
étoit la derniere preuve de fon
malheur. Elle cherchoit à ſe rappeller tous
les diſcours , tous les regards , tous les
mouvemens de Mérinville ,&dans ſa prévention
, interprétant tout ce qu'elle ſe
rapelloit , elle étoit forcée de conclure
qu'il l'aimoit en ſecret. Durval amoureux
ailleurs , n'avoit pu écrire ; Mérinville
ſecrétement épris avoit donc ſeul écrit ;
cette conclufion , à la vérité , ne portoit
que fur des ſuppoſitions , mais des ſuppoſitions
dont tant de vraiſemblances réu
nies faifoient autantde vérités certaines.
Au milieu de ſes accablantes penſées ,
on lui annonça le Peintre. Elle ne vouloit
voir perſonne , & dans ce moment
la confolation d'être ſeule étoit l'unique
choſe capable de la ſoutenir : mais elle
ne put refuſer un homme qui ſçavoit le
ſecret de Durval , qui lui parleroit de lui ,
qui détruiroit peut- être ce dont elle ne
pouvoit plus douter.
92 MERCURE DE FRANCE.
Je viens , Madame , lui dit cet homme
d'un air pénétré , vous demander la plus
grande preuve de bonté que vous puiſſiez
jamais m'accorder. Madame de Régur lui
dit qu'il n'avoit qu'à parler. Permettezmoi
, Madame , continua-t'il , de vous demander
ſi vous n'auriez pas mis dans votre
poche par mégarde le portrait que je vous
montrai hier ? Je le cherche depuis ce matin
, & ne l'ai pu trouver nulle part. M.
Durval va venit le reclamer , je ne
ſçaurai que lui dire ſi je ne le trouve
pas ; je ſuis le plus malheureux des
hommes.
Madame de Régur l'afſura qu'elle l'avoit
poſé ſur une cheminée au moment qu'il
étoit entré du monde chez lui. Il n'inſiſta
point , & fortit pour aller faire des perquiſitions
, perfuadé avec raiſon qu'il
avoit été pris par une des perſonnes qui
étoient entrées.
Madame de Régur devina qu'il ne le
retrouveroit point , & preſſentit que ce
vol lui cauferoit du chagrin. En effet ,
dans l'après-dînée , elle reçut cette lettre
de Durval :
« Je viens de perdre, Madame, chezmon
>> Peintre un portrait qui m'eſt infiniment
>>précieux ; il m'a dit que vous l'aviez
>>tenu long-temps dans vos mains , & que
JANVIER . 1757 . 93
>>des vôtres il n'avoit plus paffé dans
>> les ſiennes. Au nom de Dieu , Mada-
» me , daignez me tranquilliſer & me le
>>>rendre , quelque motif que vous ayez pu
>>avoir. Vous ſçaurez unjour les raiſons
>> pour leſquelles je vous preſſe ſur cela;vous
>>ſerez obligée de convenir qu'elles étoient
>>très- puiſſantes& très- naturelles , quand
>>même vous les voudriez condamner. »
&
Madame de Régur fut conſternée de
cette lettre. Elle renfermoit des accuſations
qu'elle ne méritoit pas ,
qu'elle ne pourroit peut-être pas détruire.
Durval paroiſſoit s'y expliquer en
termes très-clairs ſur la paſſion dont elle
le ſoupçonnoit : un portrait qui m'est infi.
niment précieux , & toute la fin de la lettre.
C'étoient déja d'aſſez grands ſujets de chagrin;
mais elle y en trouvoit un plus
grand que tous les autres : cette même fin
montroit un homme piqué , & renfermoit
des reproches très-apparens de jaloufie.
Elle n'eut pas beſoin d'y faire une grande
attention pour le prendre dans ce ſens.
Voussçaurez unjour les raiſons pour lesquelles
je vous preffe fur cela ; vous serez obligée
de convenir qu'elles étoient très-puiſſantes &
très- naturelles , quand même vous les voudriez
condamner. C'est- à- dire , ſelon elle ,
vous ſçaurez unjour que l'objet que j'aime
94 MERCURE DE FRANCE.
mérite tout mon amour ; & quoique vous
voyez avec envie , & fes charmes & ma
tendreſſe , vous ferez obligée de convenir
qu'il méritoitde vous être préféré. Quelque
motifque vous ayez pu avoir , la mettoit hors
d'elle-même.
Elle fut ſaiſie de la plus violente douleur.
Quoi ! s'écria-t'elle , j'ai gémi pendant
long-temps dans une contrainte cruelle ;
jeme ſuis refuſé tout ce qui pouvoit adoucir
mon martyre ; jamais je ne me fuis
permis un ſeul mot , un ſeul regard qui
pût me déceler : toute ma peine a été perdue
, il ſçait que je l'aime ; il le ſçait ,
& c'eſt pour m'outrager : il m'accuſe de
baſſe jalousie , il oſe me le dire. Ah !
Durval , Durval , vous ne connoiſſez pas
mon coeur ; je n'ai pu vous aimer qu'avec
tendreſſe , qu'avec délicateſſe ; & dans ce
moment même , dans ce moment où vous
me percez le coeur , où vous m'outragez ,
où je devrois vous hair , vos affreux ſoupçons
ne ſçauroient me rendre injuſte ....
Elle alloit répondre à cette fatale lettre :
on lui annonça Durval.
Laſuite au prochain Mercure.
JANVIER . 1757 . 95
BOUQUET
Donné à la Czarine , à Pétersbourg , le jour
de Sainie Elifabeth , sa fête.
Sur l'Air : L'autre jour étant afſſis ſur le bord
d'une fontaine.
L'AURORE mouilloit de pleurs
Les brillans tapis de Flore ;
Elle émailloit mille fleurs
Que Zéphyr prefſſoit d'éclorre ,
Pour former un Bouquet
Qu'aujour de votre Fête ,
Auguſte Elifabeth ,
Tous les ans Flore apprête.
Un jeune Lys vint s'offrir
A la Déeſſe étonnée :
Daignez , dit-il , me cueillir ,
Vous le pouvez cette année ;
J'ai pris tous mes attraits
Aux yeux de l'Héroïne ,
Par vos mains je voudrois
Parer ſa main divine.
De Louis je ſuis la fleur ,
De la Foi je ſuis le gage :
:
:
:
96 MERCURE DE FRANCE .
On aime en lui ma candeur ,
On aime en moi ſon image :
Le Danube a déja
Banni ſa vieille haine ,
Aujourd'hui la Neva ( 1 )
Prend le cours de la Seine.
J'ai prévu ce temps heureux ,
Dit Flore à cette nouvelle ;
Entre les Rois généreux ,
L'alliance eſt naturelle :
La vertu doit former
Les noeuds qui la raſſemblent :
Le Ciel fit pour s'aimer
Les coeurs qui ſe reſſemblent.
Si dans Louis les François
Chériffent leur tendre Pere ,
Elifabeth , vos fujets
Adorent en vous leur Mere :
De l'univers ſoumis ,
Demi- Dieux tutélaires ,
Sur vos paiſibles fils
Régnez toujours en freres.
Par vous enfin l'âge d'or
Briſe l'airain de la guerre :
(*) Riviere qui paſſe à Pétersbourg.
Malheur
A
JANVIER . 1757.
Malheur à qui veut encor
Troubler la paix de la terre !
Moſcow , Vienne & Paris
Vont les réduire en poudre:
Les Aigles ſont unis ,
Titans , craignez la foudre.
VERS
OTHEQUE
BIBL
LYON
*1893*
A Madame la Vicomteſſe de N ***.
La Beauté vangée.
Pour vanger à jamais ſa chere Vicomteſſe ,
De l'éloge guindé , du portrait peu flatteur
Que d'un jeune & timide Auteur
Avoit ofé tracer l'obfcure maladreſſe ,
Amour lui-même entreprend ce tableau.
Amour est fin ; & dans cette avanture ,
Il ſçait bien que pour peindre en beau ,
Il ne lui faut qu'imiter la nature.
Des plumes d'une fleche il ſe fait un pinceau :
Pour s'aſſurer du degré de lumiere ,
Au Dieu des Arts il remet ſon Aambleau,
Et déchire en ſecret un coin de ſon bandeau.
Minerve , pour raiſon , vint ſe placer derriere :
La Vérité préparoit les couleurs
Qu'Amour broyoit avec ſoin dans les pleurs
Qu'un peu de jalouſie arrachoit à ſa mere.
1. Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE .
Il commence , & déja fous ſes doigts glorieux
La toile s'anime & reſpire :
Belle N ** , déja nous y voyons tes yeux ,
Tantôt fiers , tantôt gracieux ,
Souvent malins, toujours prompts à ſéduire :
Làde ton front ſerein ,Amour peint la candeur ,
Et ta bouche , où jamais ne reſpira la feinte ,
N'attend plus pour parler que l'ordre de ton coeur.
Tes cheveux bruns , aimable labyrinthe ,
Relevent de ta peau l'éclatante blancheur.
L'ouvrage avance encor , Amour est téméraire ;
Il arrondit déja le contours enchanteur
De ces globes jaloux de briller dans leur ſphere ;
Se foulevans toujours , & toujours s'évitans ,
Du plaifir volages enfans ,
Qu'ils ne foient point ingrats envers leur pere.
Qui pourroit peindre ici ſes ſecrets mouvemens !
Nouveau Pigmalion , il aime ſon ouvrage ;
Il s'y plaît , dans ſes yeux ſon ardeur éclata :
Il s'anime , il alloit en peindre davantage ;
Mais la Sageſſe l'arrêta.
Ce 6 Juillet 1756.
M. Poinfinet le jeune , eſt l'Auteur de
cette piece ingénieuſe.
:
JANVIER . 1757 . 99
IMPROMPTU
De M. le Chevalier de *** à Mademoiselle
de *** , qui reprenoit l'Auteur de ce qu'à
la fin d'une journée qu'il avoit paſſee avec
elle , il lui diſoit , en la quittant , bon jour
au lieu de bon foir.
PARDO ARDONNEZ cette erreur ; Iris , je l'ai dû faire :
Cejour , auprès de vous , n'a duré qu'un moment ;
Etde l'aſtre qui fuit remplaçant la lumiere
Vos yeux encor ont trompé votre Amant.
Vienne , ce Novembre 1756 .
LE Le mot de l'Enigme du Mercure de Décembre
eft Dent , & celui du Logogryphe
eſt Aigrette , dans lequel on trouve Art ,
titre , tiare , gaieté , Athé , âge , été , air ,
trait.
ENIGME.
JEfuis aimé des uns , les autres me haïſſent ;
Je fais du bien , je fais du mal ,
Et s'il en eſt à qui mon aſpect ſoit fatal ,
J'en ſçais qui de me voir toujours ſe réjouiffent.
E ij
100 MERCURE DE FRANCE .
Les avares & les ingrats
Avecque moi ne trouvent pas leur compte ;
Ma préſence leur eſt une fecrette honte ,
Quand d'un léger devoir ils ne s'aquittent pas.
:
Avec plaiſir les Amans me reçoivent ;
Il en eſt peu dont je ne fois content ,
Et qui , pour m'honorer , ne ſongent à l'inftant ,
Lorſque j'arrive à faire ce qu'ils doivent.
Si mon regne eſt d'éclat , il eſt prompt à finir ,
Mon cadet le termine; & mourant pour renaître ,
Après qu'on ma vu diſparoître ,
Je ſuis long-temps fans revenir .
Je ſuis vieux; cependant mes heures ſont bornées ;
Et qui prendra le ſoin d'en meſurer le cours ,
Verra que je n'ai pas vécu fix mille jours ,
Quoique je fois chargé près de fix mille années.
"Par BREON , de Rouen.
LOGOGRYPH Ε.
Pou Our habiter la terre , Eve me donna l'être ;
Sans cette Mere , Adam n'auroit pu me connoître.
Par moi tous les mortels connoiſſent leurs be-
A me chercher ſans ceſſe ils mettent tous leurs
foins ;
foins .
Ledéluge penſa terminer ma carriere ;
Mais l'Arche de Noé me remit fur la terre,
JANVIER. 1757. 101
J'ai demeuré depuis avec ſes habitans ,
Ainſi mon existence a ſuivi tous les temps.
Mais pour mieux t'éclairer & mettre au net la
choſe ,
1
Qu'on ſcache que neuf pieds ſont ce qui me
compoſe.
Je ſuis dans le Commerce & dans les Régimens,
J'aſſiſte aux entretiens de deux tendres Amans :
J'aime le tête à tête , & fuis la ſolitude ;
Chacun pour me trouver met toute fon étude.
En moncorps je renferme un habitant des Cieux ;
L'oiſeau dont le brillant forme un arc- en-ciel
d'yeux ;
DeSancho la monture , une Ville ambulante ;
Un oiſeau babillard , &ſa priſon pendante :
En animant ton corps , ce que l'ame lui fait ;
Ce qui te donne droit d'être avant ton cadet :
L'extrémité d'un arbre ou bien d'une montagne,
D'un deſſein inſenſé la méchante compagne :
Ce qui doit ſurpaſſer le galon d'un chapeau ,
Cequ'onnepeut nommer proprement un fourreau :
Ce qui n'eſt pas letien , ce qui te fait connoître :
Le mois le plus gaillard , un habitant de cloître :
Ce qui forme ton poing , ce qui ferme ta main ,
Toujours ce qui ſe trouve au milieu de ton pain :
Cequel'on reconnoît aujourd'hui de plus rare ;
L'inſtant le plus critique où le mortel s'égare ;
Une riviere enfin
Qui ſe perd dans le Rhin,
E iij
102 MERCURE DE FRANCE .
Quelquefois l'on me trouve agréable & badine ;
Mais auſſi d'autres fois ennuyeuſe & chagrine.
C'en eſt aſſez , Lecteur , mets donc les armes bas :
Tant que tu ſeras ſeul , tu ne me tiendras pas .
LE ROI DE LA FEVE ,
CHANSON
Par M. Anselme , Maître de Muſique.
AMIS, ſoyez témoins , & regardez- moi faire ;
Je vais , n'en doutez pas ; ouvrez , ouvrez les
yeux ;
Je vais , que je vais être heureux!
Je vais , ce n'eſt pas un myſtere ;
Je vais , grands Dieux ! je vais , & je l'ai réfolu :
Ne croyez pas que ce ſoitune histoire ;
Dans cet inſtant d'un pouvoir abſolu ,
Je vais , chers amis , je vais boire.
La compagnie chante à grand choeur
leRoi boit.
Le Roi de la Feve
ParM.Anselme Maitre de Musique
W
Amis amis
soyes temoins
et
W
regardes movfaire Jevais n'en doutes
+
pas Ouvrés ouvrés vosyeux Je vais
queje vais être heureux Je vais
ce n'est pas un mistere: re: Je 아
vaisgrands Dieuxje vais,etje lai reso =

+
= lu Necroyés pas que ce soitune histoire;
Ler Voljanvier 1757
C
Dans cet instant d'un pouvoir abso - :
=-lu Je vais sans vous en enfaire accroi-
= -re, Je vaisje vais chers amis
je vais boi................. re ,
La Compagnie chante
àgrand Chooeur,
Le Roi boit .
Grave' par Labassée.
Imprimepar Tournelle
JANVIER. 1757 . 103
ARTICLE II .
NOUVELLES LITTERAIRES.
EXTRAITdu Mémoire de M. l'Abbé Nolet
, lu dans la derniere Aſſemblée publique
del'Académie des Sciences , intitulé : Recherches
ſur les moyens deſuppléer à l'usage
de la Glace , dans les temps & dans
les lieux où elle manque.
" La glace & la neige dont on a pu
>>faire proviſion , dit M. l'Abbé N. eſt ,
>>fans contredit, le moyen le plus fimple
»& le plus commode pour rafraîchir ceux
>>de nos alimens tant ſolides que liquides ,
>> auxquels cette préparation peut conve-
>> nir; c'eſt auſſi celui qui coûteroit le
>>moins , ſi les glacieres étoient toujours
>>affez pleines , & que les Limonadiers
>>ne vendiſſent jamais la glace plus d'un
>> fol , ou fix liards la livre : mais , continue
>>l'Auteur , nos hyvers ſe paſſent quel-
>>quefois ſans gelée aſſez forte , pour don-
⚫ ner lieu d'en ferrer ; le peu qu'il en reſte
>>de l'année précédente , ou ne ſe vend
>> point à qui voudroit en acheter , ou
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
>> ne ſe donne qu'à un prix qui en dé-
>>goûte bien des gens.... D'ailleurs , il
>> y a des pays où l'on ne voit jamais ni
>> glace , ni neige , & dans ceux même
>>où l'on a coutume d'en voir pendant
>> l'hyver , il y a quantité d'endroits où l'on
>> ne peut en faire proviſion pour l'été. »
C'eſt pour ces différens cas que M. l'Abbé
N. a cherché à ſuppléer au défaut de la glace.
Ce qu'il offre, doit être conſidéré comme
un remede contre la difette , & non
pas comme des procédés qu'il préfere à
l'uſage de la glace , fi l'on en peut avoir
à juſte prix.
Quoique le Mémoire dont nous donnons
ici l'extrait , ait pour objet principal
, les refroidiſſemens artificiels , ceux
qui ſe font par certains mêlanges , par
certaines préparations , l'Auteur , pour ne
rien laiffer à deſirer ſur cette matiere , s'eft
auſſi attaché à évaluer les différentes manieres
de rafraîchir , que la nature nous
offre entout temps &en tout lieu , & que
biendesgens mépriſent , parce qu'ils ne
ſçavent point affez ce qu'elles valent , ni
le parti qu'on en pourroit tirer.
Toutes les eaux fouterreines , celles des
puits , des fontaines & même des cîternes ,
quand il y a long-temps qu'il n'a plu ,
&qu'elles font dans des voûtes, & renfer
JANVIER . 1757. 105
mées par d'épailles murailles , ont une fraîcheur
qui nes'éloigne que de 9 à 10degrés
(1) du froidde laglace , & qui eſt preſque
le même en été qu'en hyver. Ce degré
de fraîcheur n'est point à méprifer pour
quelqu'un qui ſouffre une chaleur de
25 ou 26 degrés , comme cela nous arrive
affez communément, pendant les mois
de Juin , Juillet , Août. En tel cas les eaux
fouterreines nous offrent un moyen für d'avoir
notre boiſſon des ou 16 degrés
moins chaude que l'air que nous refpirons;
différence plus ſaine , pour la plûpart
de ceux qui l'éprouvent , que ne le
feroit une plus grande... :
Mais pour jouir de cet avantage , il ne
ſuffit pas de mettre , comme on le fait
ordinairement , trois ou quatre bouteilles
dansun ſceau plein d'eau de puits , nouvellement
tirée , quelques momens avant que
d'en faire uſage. Dans les refroidiſſemens ,
tant naturels qu'artificiels , il faut toujours
avoir en vue ce principe général , ſcavoir ,
que quand une maſſe d'eau (ou de toute
autre matiere) , refroidit une autre matle
en la tou hant , la premiere prend pour
elle la chaleur qu'elle fait perdre à l'au-
(1) Dans tout cet extrait, I faut entendre
les degrés de froid & de chaud , felon le thermometre
de M. de Réaumur ...
/
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
tre: ſi la maſſe refroidiſſante ne ſurpaffe
pasde beaucoup celle qu'il faut refroidir ,
la chaleur qu'elle acquiert elle-même , la
met hors d'état de produire un grand effet :
ainſi l'on a bien raiſon de faire deſcendre
les bouteilles dans le puits , parce que la
quantité d'eau y eſt ſi grande , qu'elle ne
perd rien de ſon froid naturel , & qu'elle
le communique tout entier , pourvu qu'on
lui en donne le temps; il faut un peu
plus d'une demi-heure pour une bouteille
de vin d'une pinte , meſure de Paris ,
quand on l'a laifſfé s'échauffer juſqu'à 24
degrés.
Ongagne du temps , en multipliant les
furfaces : ainſi pluſieurs petites bouteilles
au lieu d'une grande , des bouteilles plates
ou quarrées , au lieu de celles qui ſeroient
arrondies avec la même capacité , ne manqueront
pas d'accélérer le refroidiſſement .
Les caves qui ont 30 ou 40 pieds de
profondeur , & qui font couvertes de bâtimens
, ont à peu près la même fraîcheur
que les puits , & ne varient guere que d'un
degré de l'hyver à l'été ; les plus mauvaiſes ,
celles qui ne font profondes que de 10
à 12 pieds , & dont les ſoupiraux ſont mal
expoſés , ne s'échauffent guere au-delà de
12 ou 13 degrés : par conféquent , partout
où il y aura ſeulement une cave de
JANVIER . 1757. 107
cette derniere eſpece , ou quelque grotte
naturelle , on eſt ſûr de pouvoir tempérer
de 12 ou 14 degrés , toute liqueur à laquelle
on auroit laiſſe prendre 24 ou
26 degrés de chaleur , comme cela
peut arriver dans le fort de l'été : & fi
l'on étoit dans un lieu où il n'y eût point
de cave , les expériences de M. l'Abbé
N. nous apprennent qu'on en peut faire
une ſur le champ , qui aura le même
effet que celle dont nous venons deparler ,
en faiſant dans la terre une tranchée étroite
& profonde ſeulement de 3 ou 4 pieds ,
dont on aura ſoin de bien boucher l'entrée
avec de la paille , ou encore mieux
avec une planche couverte de la terre
nouvellement fouillée.
Mais une pinte d'eau ou de vin qui
auroit le degré de chaud que nous venons
de ſuppoſer , & qu'on porteroit à
la cave pour la refroidir , n'aura acquis
toute la fraîcheur du lieu qu'après 14 ou
15 heures , ſi l'on ſe contente de poſer
la bouteille ſur un tonneau ou par terre ,
parce que l'air qui la touche a fi peu
de denſité , qu'il ne peut produire tout
l'effet dont il eſt capable , qu'après un tel
eſpace de temps : on abrégera beaucoup
le refroidiſſement , ſi l'on enterre la bouteille
dans du ſable mouillé , ou encore
Evj
108 MERCURE DE FRANCE.
mieux , fi on la plonge pendant 30 ou 40
minutes dans un bacquet plein d'eau qui ait
été mis depuis quelques jours dans la cave.
Quant aux refroidiſſemens artificiels ,
M. L. N. fait une heureuſe application de
quelques expériences phyſiques , par lefquelles
on ſçavoit déjá , que certains ſels ,
en ſe diſſolvant dans l'eau , la refroidiffent,
les uns plus , les autres moins. It s'arrête
à ceux dont l'uſage n'eſt point dangereux
&dont les effets peuvent repondre
à ſes vues , ſçavoir , le ſel ammoniac
& le ſalpêtre. Il nous apprend d'abord
que 20 onces du premier dans cinq chơpines
d'eau de puits , nouvellement tirée ,
font un bain froid , capable de tenir la
liqueur du thermometre à 2 degrés atn
deſſous du terme de la congellation , &
que 0 onces 2 grosdu ſecond dans une pareillequantité
de la même eau , approchent
à deux degrés près du froid de la glace.
En ſecond lieu , les expériences de M.
L. N. font voir qu'en faiſant évaporer
l'eau qui tient ces ſels en diſſolutions ,
on retire le ſalpêtre fans déchec & fans
aucune altération ,& le fel ammoniac avec
une diminution de 7 gros ſur 20 onees ,
fans qu'il ait rien perdu de la propriété
qu'il a de refroidir l'eau .
D'où il ſuit que pour quatre ſols ,
JANVIER. 1757. 109
1
,
ſçavoir 2 fols pour 7 gros de ſel ammoniac,
à raiſon de 35 f. la livre ,& autant pour
le charbon qu'on peut uſer , quand on fait
évaporer less chopines d'eau on peut
rafraîchir deux ou trois bouteilles de vin ,
tenant chacune une pinte , meſure de Paris
, à peu près autant qu'elles ont coutume
d'être rafraîchies , dans 4 ou 5 livres de glace
pilée; nous diſons autant qu'elles ont
coutume d'être rafraîchies ,&non pas autant
qu'elles pourroient l'être, parce qu'ordinairement
on ne les tient point à la
glace autant de temps qu'il le faudroit
pour leur en faire prendre tout le froid ;
ce qui ſeroit plus qu'inutile pour ceux
qui ne cherchent qu'une fraîcheur ſalutaire.
Quoique le ſalpêtre ne refroidiſſe
point l'eau autant que le fel ammoniac ,
on peut cependant en tirer preſque le
même avantage , en augmentant la grandeur
du bain : on y gagnera du côté de
la dépenfe , parce qu'il en coûte moins
que le ſel ammoniac ( 1 ) , & qu'on le retire
ſans diminution ; mais ily aura l'inconvénient
d'avoir plus d'eau à faire éva-
(1) Le ſalpêtre le plus affiné coûte aujour.
d'hui à Paris 24 fols la livre. Celui de la
deuxieme cuite , qui n'en coûte que 20 , eſt tour
auſſi bon pour refroidir l'eau , & celui de la troiſieme
cuite , qui ne coûte que 13 ſols , peut être employé
avec preſqu'autant de ſuccès , pourvu qu'on
mette ladoſe un peu plus forte.
110 MERCURE DE FRANCE.
porer. Au défaut de ſalpêtre pur , on peut
employer la plus mauvaiſe poudre àcanon ,
celle qui ſeroit rebutée des artilleurs .
Soit qu'on ſe ſerve de l'un ou de l'autre
fel , voici de quelle maniere il faudra
s'y prendre pour réuſſir : Dans un
ſceau plein d'eau de puits nouvellement
tirée , plongez pendant quelques minutes
un vaiſſeau cylindrique de fayance , ou encore
mieux de fer blanc, qui ait 6 pouces
dediametre ,& autant de hauteur : retirezle
du ſceau en y laiſſants chopines d'eau,
meſure de Paris ; jettez-y 20 onces de fel
ammoniac , ou 10 onces & quelques
gros de ſalpêtre pulvérisé & bien ſec ;
remuez le tout avec une cuiller de bois ,
pour aider la diffolution. Mettez dans ce
bain une bouteille ordinaire , contenant
une pinte de vin , qui ait pris la fraîcheur
d'une cave , ou mieux encore celle
d'unpuits. Au bout d'une demi-heure elle
ſera refroidie à peu près , comme ſi on l'efit
miſe à la glace , ſurtout , ſi vous vous êtes
ſervi de fel ammoniac.
Si vous avez deſſein de refroidir plus
d'une bouteille dans le même bain , il
faut tirer la premiere après dix minutes :
elle ſera moins froide de quelquesdegrés ,
qu'elle ne le deviendroit en reſtant plongée
plus long-temps ; mais le bain en ſera
JANVIER. 1757.
plus propre à refroidir la ſeconde bouteille,
& ainſi d'une troiſſeme.
Pour retirer le fel , vous ferez bouillir
l'eau dans une capsule d'étain , jufqu'à
ce que le mêlange commence às'épaiſſir
& à perdre ſa fluidité; vous acheverez
de le ſécher dans un poelon deterre
cuite & verniſſée , en le remuant ſur le
feu avec une cuiller de bois .
Dans les endroits , où il n'y aura ni
puits ni fontaine , ni cave , où il ne ſera
pas poffible d'avoir de l'eau auſſi fraîche
qu'elle a coutume de l'être en fortantdu
ſein de la terre , ni de faire prendre
ce degré de fraîcheur par formede préparation
aux liqueurs qu'on aura deſſein
de refroidir , comme M. L. N. le recommande
, la diſſolution de ſalpêtre ou de
fel ammoniac fera bien moins froide : mais
on ne laiſſera pas que de s'en aider encore.
Sur mer ou fur terre , quoiqu'il
faſſe une chaleur de 27 ou 28 degrés ,
on trouvera toujours de l'eau qui n'en
aura guere plus de 20, parce que dans
le lit d'une riviere , ou dans celui de la
mer , elle ne s'échauffe jamais dans toute
ſa profondeur , autant que l'air de l'atmoſphere.
Si avec de telle eau on fait une
diſſolution dans la proportion de 24 onces
de fel ammoniac , ou de 13 onces de
112 MERCURE DE FRANCE.
ſalpêtre pours chopines , une bouteille
de vin tenantpinte s'y refroidira dans l'efpace
d'une demi-heure , à peu près comme
ſi elle reſtoit pendant 12 ou 15 heures
dans une cave médiocrement profonde
, ſurtout fi la bouteille , avant que d'être
miſe dans le bain froid , a reçu une
fraîcheur préparatoire dans le réſervoir
d'où l'on tire l'eau. C'est toujours un avantage
conſidérable de pouvoir rendre ſa
boiffon de 15 ou 16 degrés moins chaude
que l'air qu'on reſpire , quand il en a 27
cu 28 .
:
Le moyen de refroidir ainſi les liqueurs ,
par la diffolution du ſalpêtre , ou par celle
du ſel ammoniac , exige qu'on rétabliſſe
ces matieres en faiſant évaporer l'eau , &
M. L. N. ne diffimule point que c'eſt
un afſujettiſſement incommode , & dont
la ſeule penſée pourra rebuter bien du
monde : mais il faut , dit il , peſer les
inconvéniens de part & d'autre , & voir
fi l'on aime mieux ſe paſſer de boire frais,
ou payer cherement cet avantage , que
de s'affujettir à l'évaporation dont il s'agit
, laquelle après tout , exige fi peu d'habileté
& de foin qu'on peut la confier à
un enfant , ou à quelque domeſtique oifif.
Il cite l'exemple d'un Gouverneur d'une
de nos Ifles en pays chaud , qui ſe feli
JANVIER. 1757. 113
citoit à ſon retour d'avoir bu frais pendant
pluſieurs années , au moyen d'une
provifion de ſel ammoniac qu'il avoit emporté
de France , & qui affuroit qu'on
s'étoit accoutumé ſans peine dans ſa maifon
, aux manipulations qu'exige cette
maniere de refroidir les liqueurs.
Au reſte , M. L. N. déclare que ce qu'il
propoſe dans ſon mémoire , ne regarde
point les perſonnes opulentes , qui ne font
jamais en diſette de rien , & chez lefqu'elles
on ſe fait une regle de faire prendre
aux liqueurs un degré de froid , qui
égale celui de la glace même, &qui eft exceffif
pour la plupart des convives. Il s'eſt
occupé principalement du beſoin des particuliers
, qui ſe contenteront du degré de
fraîcheur qu'ils ont coutume d'avoir, avec
4 ou 5 livres de glace pilée , dans laquelle
ils tiennent leur boiſſon pendant
une heure , ou un peu plus , quedure leur
repas.
ALMANACH des Curieux pour l'année
1757. AParis, chez Giſſey, rue de la vieille
Bouclerie , à l'Arbre de Jeſſé.
ETRENNES Hiſtoriques , ou mêlange
curieux contenant pluſieurs remarques de
chronologie & d'hiſtoire ; avec un recueil
de diverſes matieres variées , utiles
114 MERCURE DE FRANCE.
curieuſes & amuſantes. A Paris chez le
même Libraire , 1757 .
On trouve chez Duchesne , Libraire , rue
S. Jacques , au Temple du Goût , les
ALMANACHS ſuivans pour 1757 .
Almanach du Marc d'Or , d'Argent , des
Diamans , ſuivi de perte & gain , & d'un
Agenda ; par M. Pagelle.
Almanachdesplaifirs , utile& agréable.
Almanach chantant , ou les nouvelles
Etrennes magiques ; par M. Nau .
Le Noſtrodamus moderne , où les Oracles
chantans; quartd'heure d'amuſement
pour toutes fortes de compagnies ; par le
même Auteur.
La Bagatelle , Etrennes à tout le monde ;
par M. Coppier.
Almanach danſant , chantant , contenant
pluſieurs rondes &c.
Almanach Lyrico-Miſtique , ou fables
miſes en vaudevilles ſurdes airs connus.
Nouveau Calendrier du Deſtin , précédé
de tous les amuſemens de Paris pendant
l'année.
Nouvelles Tablettes de Thalie , ou les
Promenades de Paris.
Almanach chantant avec un nouvelle
Enthomantie des Dames , ou Divination
de leur caractere .
1
JANVIER. 1757 .
Almanach des Francs- Maçons & des
Franches-Maçonnes , à Londres .
Nouvel Almanach des Francs- Maçons ,
en Ecoffe , l'an de la vérité.
Almanach chantant de Momus , dédié
aux Dames.
Almanach du Sort , ou recueil de nouveaux
Oracles
La Magie blanche , contenant l'oracle
par lequel ondécouvre le caractere diſtinctifdeshommes
& des femmes , le cadran
de combinaiſon , &c. tiré de la cabale ,
& compofé l'an Soo.
LaMagie noire , ou Recueil de différens
ſecrets Phyſiques &Mathématiques.
Etrennes des Amans , chantantes.
Almanach chantant , ou nouvelles allégories
en vaudevilles, &c. avec laMuſique;
par M. Nau.
TABLETTES ou petit Mémorial , avec un
Calendrier pour la préſente année.AParis
chez Cuiſſard, quai de Gêvres. L'Almanach
des Bêtes pour l'inftruction de la jeuneſſe ,
1757 , & le Manuel Géographique , contenant
une connoiſſance détaillée des quatre
parties du monde , des différentes provinces
,de leurs capitales , &de ce qu'elles ont
deplus remarquable; avec un traité de la
ſphere: fe trouvent le chez même Libraire,
1757.
116 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE
A L'AUTEUR DU MERCURE.
MONSIEUR , il paroît depuis quelque
temps un ouvrage en trois volumes
in- 12 , chez Duchesne , Libraire , dont le
titre eſt , Projet des embelliſſemens de la Ville
& fauxbourgs de Paris. L'Auteur eſt M.
Poncet-de la Grave , Avocat au Parlement.
La conformité de ce ſurnom avec le mien,
me fait attribuer tous les jours cet Quvrage
par pluſieurs perſonnes qui connoiffent
mon goût & mon eſtime pour les
riches collections , & les précieux recueils
que M. Dupré Commiſſaire honoraire , a
fait pour la continuation & augmentation
du Traité de la Police (1). M. Dupré , qui
(1) M. le Commiſſaire Delamarre qui en eft
l'Auteur , a auſſi traité , mais bien différemment ,
des embelliſſemens de Paris.
M. Dupré , aidé par M. le Clerc-Dubrillet ,
continuateur du Traité de la Police , par M. le
Commiſſaire Menyer , & par M. Laurent Prevoſt ,
a donné le Recueil des titres & pieces qui établiſfent
le droit de prévention des Officiers du Châ
teletde Paris. Chez J. Chardon , 1740. in-4°.
Il eſt auſſi ſeul Compilateur d'un Recueil unique
en pluſieurs volumes , contenant les chartres ,
droits , privileges , &c. de la Compagnie des ComJANVIER
. 1757. 117
vit l'annonce du 1 vol. de ce Projet d'embelliſſement
dans votre Mercure d'Août, page
159 , m'écrivit auſſi qu'il y avoit bien
de l'apparence que le nom Poncet-de la Grave
n'étoit qu'une faute d'impreſſion , & qu'il
falloit lire Auret- de la Grave. Je lui répondis
, que l'errata de votre Journal ne
ſeroit jamais chargé de cette correction ;
que je n'avois pas l'honneur d'être l'Auteur
de cet Ouvrage , & que je ne l'aurois
certainement pas entrepris ſans le confulter
, comme le ſeul peut- être parfaitement
en état de faire quelque choſe de
bon & de réflechi en ce genre. Je vous
fais ici le même aveu , & vous prie, Monſieur
, de l'inférer dans votre Journal ,
afin que devenant public , on puiſſe rendre
la juſtice qui eſt dûe à M. Poncet- de
la Grave , en le reconnoiſſant pour le véritable
Auteur de cette production .
J'ai l'honneur d'être , &c .
AURET- DELAGRAVE , Commiſſaire au
Châtelet.
Ce 13 Novembre 1756.
miſſaires du Châtelet , qui devroit être imprimé à
préſent , & qui doit paroître dans le cours de
1757.
i.
18 MERCURE DE FRANCE.
HISTOIRE du Théâtre de l'Académie
Royale de Muſique , en France , depuis
ſon établiſſement juſqu'à préſent ; ſeconde
édition , corrigée & augmentée des Pieces
qui ont été repréſentées ſur le Théâtre de
l'Opera , par les Muſiciens Italiens , depuis
le premier Août 1752 , juſqu'à leur
départ en 1754 , avec un extrait de ces
Pieces &des Ecrits qui ont parus à ce ſujet.
Prix 4 livres 4 fols broché. A Paris ,
chez Duchefne , Libraire , rue S. Jacques .
C'eſt un Livre néceſſaire à quelques perſonnes
, & qui peut être agréable à quelques
autres. On y trouve l'origine de l'Opera
en France. La vie de Jean-Baptifte
Lully ; les noms des Directeurs & Infpecteurs
de l'Opera depuis ſon établiſſement ,
& les Réglemens concernant leurs fonctions.
Les Ordonnances , Réglemens & Privileges
concernant l'Opera , depuis l'établiſſement
de l'Académie Royale de Muſique
à Paris. Les Réglemens concernant la
permiffion accordée à l'Académie Royale
de Muſique , de donner des Bals publics
dans la Salle de l'Opera . Le Concert Spirituel
au Château des Tuileries , avec les
noms des Muficiens , & Acteurs qui compoſent
ce Concert , dont le privilege appartient
à l'Opera. La vie des Poëtes &
des Muſiciens qui ont travaillé pour l'AcaJANVIER
. 1757. 119
démie Royale de Muſique , avec le catalogue
de leurs Ouvrages. Des particularités
de la vie de quelques Acteurs ou Actrices
de l'Opera qui font morts. Les noms
des Acteurs ou Actrices de l'Opera , depuis
l'année 1660 , juſques à préſent. Un Catalogue
chronologique des Opera repréſentés
à Paris depuis l'année 1660 , juſqu'à la
fin de l'année 1752. Un Catalogue alphabetique
des Opera & de leurs repriſes depuis
l'année 1645 , juſqu'à préſent.
ORIGINE , progrès & décadence de
l'Idolâtrie. A Paris , chez Paul- Denis Brocas
, rue S. Jacques , au Chef S. Jean. Prix
2 liv.
Le but qu'on s'eſt propoſé dans cet Ouvrage
, eſt de déployer aux chrétiens les
erreurs , les abus , les cruautés , les abfurdités
de l'Idolâtrie , & le triomphe de la
Religion chrétienne , ſur une rivale dont
l'empire , preſque auſſi vaſte que l'univers
, étoit preſque auſſi ancien que le
monde. Dans ce deſſein , on l'a recherchée
dans ſa naiſſance , ſuivie dans ſes progrès ,
conſidérée dans ſa morale , & contemplée
dans ſa décadence. Pour arriver fûrement
à cette fin , il nous a paru qu'on s'étoit attaché
à puiſer dans les ſources mêmes , en
recherchant les monumens les plus antiques.
120 MERCURE DE FRANCE.
LES INTERETS de la France mal- entendus
dans les branches de l'Agriculture ,
de la Population , des Finances , du Commerce
, de la Marine , & de l'induſtrie
par un Citoyen. A Paris , chez Duchesne ,
rue S. Jacques.
C'eſt ici un de ces livres que l'eſprit de
Patriotiſme répand de temps en temps ſur
la ſurface d'un état , &qui malheureuſement
n'y pénétrent preſque jamais affez ,
pour produire les effets précieux qu'un
Citoyen doit s'en promettre. Le nombre
infini des matieres qu'il traite ne nous
permet pas d'en donner un précis , comme
nous le ſouhaiterions. Nous conſeillons à
ceux qui le liront de ne point s'arrêter aux
petites critiques qu'ils trouveront détaillées
dans la Préface du ſecond Tome , ſous
le titre de Déclaration de l'Auteur . Un Négociant
n'eſt pas obligé d'écrire avec cette
pureté de ſtyle, qui caractériſe & diftingue
unbel eſprit ; mais tout le monde est obli.
gé de pardonner à un Négociant des perites
négligences qui conſiſtent en quelques
car , quelques comme de trop , furtout
dans un livre rempli de chofes , &de trèsbonnes
choſes .
LETTRES D'ASPASIE , traduites du Grec .
Chez Duchesne , & chez Paul Brocas , Libraires
, rue S. Jacques .
L'ABEILLE
JANVIER . 1757 . 121
- L'ABEILLE DU PARNASSE , ou nouveau
choix de penſées , réflexions , maximes ,
portraits & caracteres , tirés des meilleurs
Poëtes François modernes. Se trouve chez
Duchesne , 2 vol.
,
,
DISCOURS politique ſur les avantages
que les Portugais pourroient retirer de
leur malheur , & dans lequel on développe
les moyens que l'Angleterre avoit
mis en uſage pour ruiner le Portugal. Ce
diſcours eſt ſuivi d'une relation hiſtorique
du tremblement de terre ſurvenu a
Lisbonne le premier Novembre 1755 ; avec
undétail contenant la perte en hommes
égliſes , palais , couvens , maiſons , meubles
marchandises , diamans : nouvelle
édition , revue , corrigée , augmentée
, qui ſe trouve chez Duchesne , Libraire
, rue S. Jacques , au Temple du goût.
L'objet de ce livre eſt d'inſinuer aux
Portugais de ſe défier des ſecours abondans
des Anglois dans cette révolution
malheureuſe , en leur prouvant que toujours
les ſecours de cette Nation avide &
ambitieuſe ont été des malheurs pour eux.
L'Auteur remonte au commencement de
leurs liaiſons mutuelles depuis la fin du
regne de Pierre II. Il fait voir que le
motif des Anglois fut de s'approprier la
L. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE.
réalité des mines du Bréſil , en engageant
par de fauſſes maximes les Portugais à
acheter d'eux tout ce qui pouvoit fervir
à leurs beſoins quelconques. Si le Portugal
avoit tiré de ſon fonds , tout ce qu'il
pouvoit produire , il eût pu ſe ſuffire à luimême
, & fon or l'eût réellement enrichi
en le fécondant , & en le fortifiant , en lui
donnant une vie , une vigueur que fon
indolence & l'absence des arts lui ont
fait perdre. Les Anglois ayant perfuadé à
cette Nation aveugle , qu'en tirant tout
d'eux , elle auroit tout à meilleur prix ,
que ſi elle le tiroit d'elle- même ; & cette
perfuafion ayant eu tout fon effet , le Portugal
n'a plus eu de manufactures , d'induſtrie
, de fonds de terre en valeur :
ſes mines lui ont coûté beaucoup d'avances
& de frais à faire réaliſer : elle a
payé fort cher , ſans le ſçavoir , les ſecours
que l'Angleterre lui a donné : elle
apayé les frais conſidérables des vaiſſeaux
qui les lui apportoient : fi on ajoute à
ces conſidérations celle qui doit frapper
d'abord , qui eſt que n'ayant plus que de
l'or depuis l'abfence des arts , & donnant
cet or à une Nation qui l'employoit à ſe
faire fur elle une ſupériorité prodigieufe
& tyrannique , on verra combien le Porungal
s'eſt réellement appauvri , affoibli ,
JANVIER. 1757 . 123
en croyant ſe fortifier & s'enrichir. L'Auteur
penſe avec raiſon , que le Portugal
réduit aujourd'hui à ſe regarder comme
au premier momentde ſa naiſſance , peut
réparer tous ſes malheurs en changeant
tout l'ordre de ſon établiſſement , de ſa
conſtitution , de ſa politique : il faut qu'il
reçoive des matériaux de toutes les Nations
pour ſa reconſtruction , & qu'il n'en
adopte aucune ; mais ſurtout qu'il rappelle
tous les arts malheureuſement bannis
de ſon ſein , & toujours follement
exilés de tout Etat policé. Pour faire juger
du ſtyle de l'Auteur , ainſi que de ſa
façon claire & fage de voir & de raifonner
, nous allons rapporter un morceau
qui nous a paru en renfermer les preuves.
"A conſidérer les choſes politiquement ,
>>le Portugal n'a rien perdu dans cette ré-
>>volution. Le renverſement de quelques
>>pierres entaſſées les unes ſur les autres ,
>>l'anéantiſſement des marchandises , qui
>>appartenoient preſque en entier aux
>>étrangers , l'incendie des meubles , & la
>>pertede quelques ſujets oiſifs, qui n'étoient
" ni laboureurs , ni artisans , ne ſçauroient
>>former un vuide dans le ſyſtème géné-
>> ral du Gouvernement. Le phenomene
>>n'a porté que ſur des matériaux qui ,
ود
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
>>bien loin d'être la cauſe de la gran-
>> deur de l'Etat , étoient au contraire la
>>ſource de ſa ruine » ( parce qu'elle les
avoit achetés à uſure des mains avides
qui les lui avoient procurés. ) ... « 11
» y a un phantôme politique en Portugal
» qu'il faut commencer par diſſiper , ( fans
>>quoi toutes les démarches que les Mi-
>>niſtres étrangers pourroient faire en fa-
→ veur de cette Cour , ſeroient aſſez inuti-
>>les ; ) c'est- à-dire qu'il faut perfuader
>>le Ministere Portugais que l'Etat peut
>>exiſter & devenir floriſſant indépendam-
>>ment de fon alliance avec l'Angleter-
>> re..... Lorſque le Portugal ſecoua le
>>joug de l'Eſpagne , il pouvoit avoir alors
>> des raiſons pour ſe mettre ſous la pro-
>>tection de l'Angleterre : mais ces raiſons
>>>n'exiſtent plus aujourd'hui. Tout a
>>changé de face dans notre monde po-
>>litique, L'équilibre de l'Europe a été mis
>> en ſyſteme , & la puiſſance générale a
2 été diſtribuée. La poſition générale de
>>l'Europe affure celle du Portugal. » La
relation hiſtorique est un morceau à part
dans le livre : nous penſons que c'eſt la
plus fidelle qu'on ait encore publiée. Nos limites
ne nous permettentpas d'en donner
le détail , & il faudroit ce détail pour don
ner une idée particuliere de la perte imJANVIER.
1757 . 129
رد
menſe qu'a faite cette Nation infortunée .
Cette relation finit par ce raiſonnement
qui mérite d'être lu. « Il ne reſte plus
>>au Portugal d'autre refſource , pour ré-
>>parer des pertes ſi immenfes , qued'em-
>>ployer l'induſtrie de ſes propres habi-
» tans , & de rejetter les ſecours intéres-
>ſ>es des Nations étrangeres. Tout eſt per-
>>du pour les Portugais , s'ils ont encore
>>recours à l'Angleterre , pour le rétabliſ-
>>ſement de leur Capitale. Les Anglois
>>ſçauront bien alors ſe dédommager avec
>>uſure de la perte qu'ils viennent d'ef-
>> ſuyer. Ce dédommagement ne peut avoir
>> lieu qu'aux depens du Portugal . Avec
>>l'or du Bréfil , les Portugais peuvent fa-
>>cilement remédier à leurs calamités pré-
>>ſentes : mais il faut empêcher que la
>>plus grande partie de cet or ne paſſe
>> dans les coffres des Anglois. Le trem-
>>blement de terre a fait périr pluſieurs
>>milliers d'hommes. Cette perte eſt plus
>>ruineuſe pour l'Etat que toutes les au-
>>tres; je ne la crois cependant pas irré-
>>parable. L'or du Bréſil peut attirer à
>>>Lisbonne quantité d'étrangers qui y por-
>> teroient l'industrie & les Arts : ces étran-
>>gers pourroient ſe fixer dans un pays ,
>>où ils trouveroient de grands avanta-
>>ges. Ce ſeroient autant de ſujets acquis
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
C'eſt
>>pour l'Etat. Le bâtiment de l'Inquifi-
>> tion a été renverſé : il ſeroit à fouhaiter
>> qu'il ne reſtât plus aucun veſtige de
>> cet affreux Tribunal. L'Inquifition a cau-
> ſé plus de dommage au Portugal que
>>> tous les tremblemens de terre.
→ l'Inquiſition qui étouffe l'induſtrie , qui
>>arrête les progrès des ſciences , & qui
>>met obſtacle à la population. Si Philip-
>> pe II étoit venu à bout d'établir en
>Flandre cet odieux tribunal , la Hol-
>>lande qui fleurit par fon commerce &
>>par le nombre de ſes habitans , feroit
>> auffi pauvre & auſſi dépeuplée , que le
>>Portugal & l'Eſpagne , &c. »
FABLES nouvelles , avec un Difcours
fur la maniere de lire les Fables , ou de les
réciter. A Amſterdam , & ſe trouve à Paris
, chez Duchesne , rue S. Jacques , 1756 .
Quelques-unes de ces Fables ont déja
paru ſucceſſivement dans pluſieurs de nos
Mercures : elles font marquées au coin de
T'honnête homme , autant que de l'homme
d'eſprit. M. l'Abbé Aubert en eſt l'Auteur.
Il les a dédiées à Madame Aubert , ſa mere.
On peut dire que le fils , pour lui en
faire hommage , emprunte heureuſement
le langage du Poëte . O vous! dit- il , dans
l'Epître qu'il lui adreſſe :
JANVIER . 1757 . 127
vous ! que je chéris , vous, à qui la nature
Donne tant de droits ſur mon coeur ,
J'ai conçu leſpoir trop flatteur
D'acquitter une ardeur fi pure.
Mes Vers ont ſça vous plaire, acceptez-en le don:
J'y peins quelques vertus que j'appris de vousmême.
1
Cet encens qu'on recueille au pied de l'Hélicon,
On l'offre aux Rois , aux Grands ; je l'offre à ce
que j'aime.
Nous citons ici ces Vers pour le bon
exemple ; l'intérêt ni la flatterie ne les'ont
point inſpirés : ils font l'ouvrage du pur
ſentiment. Voilà les Epîtres Dédicatoires
qu'on doit prendre pour modele , ou du
moins approuver. L'Auteur nous ſemble
réunir tout ce qui forme un bon Fabuliſte.
Il joint au talent de l'invention le ſtyle convenable
au genre qu'il a choiſi . Il eſt clair ,
précis , élegant & naturel. Avec ces qualités
nous penſons qu'il mérite de tenir une
place diftinguée parmi ceux qui ont ofé
marcher ſur les pas de la Fontaine , & nous
l'exhortons à pourſuivre une carriere qu'il
a ſi bien commencée. Nous ſommes intéreſſés
à l'en prier ; il nous enrichit ſouvent
de ſes productions , & la Fable intitulée
le Jeu d'Echecs , qui commence ce volume ,
eſtun de ſes bienfaits : elle n'eſt point dans
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE .
ſon Recueil , quoique faite pour l'embellir
; elle nous a paru une de ſes meilleures.
Le ſeul reproche que nous ayons à lui
faire eſt de négliger un peu trop la rime. Il
eft aiſé de copier en cela la Fontaine ; mais
nous croyons que c'eſt en cela même qu'il
ne doit pas l'être.
: ABREGE' CHRONOLOGIQUE de l'Hiſtoire
Ancienne des Empires & des Républiques
qui ont paru avant Jeſus-Chriſt , avec la
noticedes Sçavans illuftres , & des remarques
hiſtoriques ſur le génie & les moeurs
de ces anciens peuples ; par M. la Combe ,
Avocat. A Paris , chez J. T. Heriſſant , rue
S. Jacques , 1797.
Cet abregé eft dédié à M. le Préfident
Henault , comme au modele du genre. La
mode eſt de le ſuivre , mais la difficulté
eſt de l'imiter : nous ne prétendons pas
déprimer par- là l'ouvrage , ni l'Auteur
qui ne doit pas être confondu parmi la
foule des Copiſtes. Nous penſons au contraire
que ſon Livre peut être très- utile ,
& qu'il mérite d'être acheté.
LA CUISINIERE Bourgeoiſe , ſuivie de
l'Office à l'uſage de tous ceux qui ſe mêlent
de dépenſes de Maiſons; contenant
la maniere de connoître , difféquer & ferJANVIER.
1757. 129
vir toutes fortes de viandes ; des avis intéreſſans
fur leur bonté , & fur le choix
qu'on en doit faire : nouvelle édition
augmentée de pluſieurs menus pour les
quatre faifons , & des ragoûts les plus
nouveaux ; d'une explication des termes
propres , &à l'uſage de la Cuiſine & de
l'Office , & d'une liſte alphabétique des
uſtenſiles qui font néceſſaires. 2 vol. A Paris
, chez Guilyn , Quai des Auguſtins ,
1756.
SUITE du Traité de l'Autorité des Rois ,
touchant l'adminiſtration de l'Eglife , de
M. le Vayer de Boutigni ; contenant un
Supplément de pieces importantes.ALondres
, & fe trouve à Paris , chez Martin ,
rue S. Jacques , 1756.
LETTRE d'un Déiſte ,& Réponſe à cette
Lettre. Se trouvent chez le même Libraire.
MEMOIRES de Mathématique &de Phyfique
, redigés à l'Obſervatoire de Marfeille
, année 1755. 2e. Partie. AAvignon,
chez la Veuve Girard , Imprimeur & Libraire
, à la Place S. Didier , & ſe vendent
àParis , chez Guilyn , qui diſtribue auffi
la premiere Partie, dont nous avons rendu
compte en 1755 .
Ev
130 MERCURE DE FRANCE.
MERCURE de Vittorio Siri , Conſeiller
d'Etat , & Hiftoriographe de Sa Majesté
Très - Chrétienne ; contenant l'hiſtoire générale
de l'Europe , depuis 1640, juſqu'en
1655 , traduit de l'Italien , par M. Requier .
Tome I. A Paris , chez Didot , Quay des
Auguſtins , à la Bible d'Or. 1756.
Nous avons donné dans le ſecond volume
d'Octobre 1756 , un précis du Profpectus
, qui annonce cette traduction .
Nous ne doutons pas que ce premier Tome
n'en faſſe defirer la fuite. Quand elle
paroîtra, nous en rendrons un compte plus
détaillé.
SÉANCE PUBLIQUE
De l'Académie des Sciences , Belles- Lettres
&Arts de Besançon , du 24 Août 1756.
M. DAGAY , Avocat Général , & Procureur
Général en ſurvivance , Préſident de
l'Académie , ouvrit la Séance par une differtation
, dans laquelle il examine ſi le
Comté de Bourgogne a fait partie du
Royaume de la Bourgogne transjurane.
Avant que d'approfondir ce point obfcur
de l'hiſtoire, il retrace les cauſes du démembrement
du vaſte Empire de Charlemagne
3
JANVIER. 1757 . 131
fous ſes foibles Succeſſeurs : " L'ancien
>>Royaume de Bourgogne , réuni à laMo-
>>narchie Françoiſe , ſervit de prétexte à
>>l'ambition de quelques Seigneurs affez
>>puiſſans pour n'avoir à defirer que le titre
>>de Roi. Bofon porta le premier coup
>> à l'autorité des Rois de France dans cette
>>partie de leurs Etats , & le ſuccès de fon
>>entrepriſe fut un ſignal de révolte.
>>Rodolphe , à l'exemple de cet heureux
>>ufurpateur , ne tarda pas d'enlever aux
>>Succeſſeurs de Charlemagne cette autre
>>partie de la Bourgogne , qui eſt ſituée
» entre les Alpes & le Mont Jura. »,
L'Auteur préſente enſuite une vive image
des conjonctures qui favoriſerent l'établiſſement
de ces deux Royaumes . « Tour
>> ſembloit alors faciliter les ufurpations
>>des Grands. La Monarchie Françoiſe ,
>>diviſée entre des Princes ambitieux , qui
>> aimoient mieux agrandir leurs Etats ,
>>que d'affermir leur autorité , ſe dé ruiſoit
» elle-même par des guerres inteſtines ;
>>les Seigneurs , plus attachés à leurs inté-
>> rêts qu'au bien de l'Etat , faiſoient acheter
>>leur fidélité par des graces qui augmen-
>> toient leur puiſſance ; la Majefté du
ود trône ſe perdoit inſenſiblement avec
» ſes plus beaux droits ; l'Aquitaine vou-
>> loit un Prince; la Bretagne jettoit les
Fvj
132 MERCURE DE FRANCE.
>> fondemens de ſon indépendance ; les
>>Vaſſaux parloient encore avec ſoumif
>> fion , mais ils commençoient à faire ſen-
>> tir au foible Monarque que leur obéiffan-
>> ce ſe réduiroit bientôt à de vaines mar-
>> ques de reſpect... "
Telles font les conjonctures dont Rodolphe
ſe prévalut , pour ſe faire reconnoître
Roi de la Bourgogne transjurane dans
l'aſſemblée des Grands & des Evêques ,
qui fut convoquée à Saint Maurice en
Valais. La Bourgogne ſupérieure cisjurane
fut-elle compriſe dans ce nouveau Royaume
? C'eſt un point ſur lequel les Hif
toriens ont ſuivi des ſentimens oppoſés.
L'Auteur des Mémoires hiſtoriques du
Comté de Bourgogne penſe que la plus
grande partie de cette Province fut foumiſe
à la domination de Rodolphe dès le commencement
de ſon regne. L'Hiſtorien du
Duché de Bourgogne prétend au contraire
que la Franche- Comté n'a point reconnu
d'autres Souverains que les Roisde Germanie,
depuis le traité de 870, juſqu'à ſa réu
nion à la Couronne par la mort de Louis
III , Roi de Germanie. M. Dagay croit
trouver le dénouement des difficultés qui
fe préſentent ſur cet objet , dans les révolutions
que cette Province éprouva pendant
un ſecle fi fécond en changemens :
JANVIER. 1757 . 133
il fixe trois époques propres à répandrede
la clarté ſur ces temps obſcurs.
La premiere commence avec le Royaume
de la Bourgogne transjurane en 888 .
Rodolphe I , qui en fut le Fondateur ,
attira dans ſon parti les Peuples du Comté
de Bourgogne : pluſieurs actes d'autorité
qu'il exerçadans cette Province en rendent
témoignage , & le choix qu'il fit de Théodoric
, Archevêque de Besançon , pour
remplir la Place de Chancelier , prouve
que cette Capitale lui étoit foumiſe. Ces
actes s'accordent parfaitement avec le concours
des circonstances les plus propres à
favorifer cette révolution. Eudes , Roi de
France , nouvellement élevé ſur le Thrône
malgré les efforts d'un parti puiſſant ,
étoit aſſez occupé à foutenir fon élection ,
& à garantir ſon Royaume des invaſions
des Normands. Arnoul fils naturel de Carloman
, qui ne régnoit en Germanie qu'avecdes
droits fort incertains , ne pouvoit
empêcher le démembrement de quelques
Provinces éloignées , qui le regardoient
peut-être lui-même comme un ufurpateur,
Le Royaume de Provence , loin d'être
redoutable , paroiſſoit prêt à s'éteindre
par la mort de Boſon , qui ne laiſſoit qu'un
fils encore enfant. Dans de pareilles circonſtances
, quels avantages les Peuples dua
134 MERCURE DE FRANCE.
Comté de Bourgogne ne trouvoient- ils pas
à ſe réunir au Royaume de la Bourgogne
transjurane , dont ils ne furent ſéparés qu'à
la mort de Louis III Roi de Germanie ?
Cet événement ouvre la ſeconde époque
qui rendit cette Province aux Succeffeurs
de Charlemagne , & produifit un changement
qui ſemble preſque ignoré dans
l'hiſtoire.
Louis III , dernier Prince de la branche
de Louis de Baviere , laiſſoit avec la Germanie
des droits incontestables ſur le
Royaume de Lothaire , qui appartenoient
à Charles le Simple : les Germains ſe ſéparerent
impunément de l'Empire François ,
& Giflebert , Duc de Lorraine , qui voulut
s'oppoſer à l'élection de Conrad , ſe
foumit , après avoir tenté une réſiſtance
inutile.
Il paroît que Charles le ſimple , diſſimumulant
alors ſes juſtes prétentions , s'attacha
ſeulement à réunir cette portion du
Royaume de Lothaire , qui avoit reconnu
juſques-là les Rois de la Bourgogne transjurane.
Auſſi ajouta-t'il dans la ſuite ,
à la date de ſon regne , une nouvelle
époque , pour célébrer le ſouvenir de la
riche ſucceſſion qu'il venoit de recueillir .
Le Comté de Bourgogne forma ſans doute
la partie la plus conſidérable des nouveaux
JANVIER. 1757 . 135
Etatsdont il commença àjouir : ladonation :
qu'il fit en 915 de la Ville de Poligny
au Comte Hugues , fournit une double
preuve , & de ſa domination fur cette
Province , & du temps où il l'avoit recouvrée
avec la ſucceſſion qui lui étoit
échue. !
Sous le regne de Raoul , qui détrôna
Charles le Simple , le Comté de Bourgogne
continua de reconnoître le Roi de
France pour Souverain. Ce Prince , dans
une Chartre qu'il donna en faveur du
Monastere de Tulle , joignit au titre de
Roi de France & d'Aquitaine celui de Roi
deBourgogne : le Pape JeanX eut recours
àlui pour faire exécuter des réglemens qui
regardoient cette Province. Louis d'Outremer,
qui remonta, après la mort de Raoul,
fur le trône de ſes peres , jouit quelque
temps du Comté de Bourgogne , & diſpoſa
en 938 des Abbayes de Faverney &
d'Amfonvelle : mais cet acte fut la derniere
trace de l'autorité des Rois de France
fur cette Province. Son retour fous la
dominationdes Rois de Bourgogne eft aufſi
certain, ſuivant tous les monumens , que
l'époque en eſt douteuſe& difficile à fixer.
M. Dagay place cette derniere révolution
en 939 , & par-là il réfout les contradictions
qui s'offrent de toutes parts ; c'eſt la
136 MERCURE DE FRANCE .
troiſieme époque qu'il établit pour éclaircir
l'objet de cette diſſertation.
Les diſgraces qui arriverent à Louis
d'Outremer , lorſqu'il voulut contenir ſes
vaſſaux dans leur devoirs , furent la ſource
du changement qui s'introduiſit de nouveau
dans cette Province. Hugues le Noir ,
qui gouvernoit le Comté de Bourgogne ,
quoique dépouillé par ce Prince d'une
partiede ſon autorité , lui fut fidele , &
ce fut par ſon ſecours que le Roi de France
remporta d'abord de grands avantages fur
Othon , Roi de Germanie , qui favoriſoit
les mécontens : mais de fâcheux revers
faillirent à détrôner Louis. La Bourgogne
fut ravagée , & le Comte Hugues ne conſerva
ſon gouvernement , qu'en renonçant
àla domination du Roi de France.
Cette Province ſe réunit alors à la Bourgogne
transjurane par les victoires du Roi
de Germanie , qui s'étoit emparé de la
perſonne de Conrad , Roi de Bourgogne ,
& qui gouvernoit ſes Etats pendant ſa
minorité. Cette révolution eſt certaine ,
puiſque dès-lors tous les actes furent datés
du regne de Conrad : l'inveſtiture de la
terre de Salins ,& différentes donations faites
à l'Egliſe Métropolitaine de Beſançon ,
en forment les preuves les plus remarquables.
Par cette révolution, M. Dagay expli
JANVIER. 1757 . 137
que comment les chartres du Comté de
Bourgogne , ne fixent le commencement
du regne de Conrad qu'en 939 , quoiqu'il
ait ſuccédé immédiatement à Rodolphe II ,
Roi de Bourgogne , mort en 937. A cette
époque on voit diſparoître tous les actes
de domination exercée précédemment par
les Rois de France.
La mort de Rodolphe le Fainéant , éteignitdans
le ſiecle ſuivant le Royaume de
laBourgogne transjurane , qui ſe confonditdans
la perſonne de l'Empereur Conrad
avec des Etats plus conſidérables. Ses Succeſſeurs
continuerent de prendre le titre
de Roi d'Arles &de Bourgogne pendant
pluſieurs fiecles ; mais leur autorité ſe ré
duiſoit inſenſiblement à la haute ſouveraineté
ſur la plupart des Provinces qui compoſoient
ces deux Royaumes. Elles ont été
réunies en grande partie , &par les titres
les plus légitimes , à la Monarchie françoiſe
, dont elles avoient été démembrées par
ufurpation.
Ladiſſertation de M. Dagay fut ſuivie
de l'éloge hiſtoriquede M. Bietrix de Pelouzey
, Conſeiller au Parlement , fait par M.
- le Préſident de Courbouzon , Secretaire
perpétuel de l'Académie.
La diſtribution des Prix ſuccéda à la
lecture de cet éloge hiſtorique. M. Dagay
138 MERCURE DE FRANCE.
annonça que l'Académie avoit décerné le
prix d'Eloquence à un diſcours qui a pour
deviſe , Plus vident oculi quam oculus , &
qu'elle avoit jugé digne de l'acceffit le Difcours
de M. Bergier , Curé de Flangebouche.
M. Durey- d'Harnoncour , Receveur
général de Franche-Comté , s'eſt déclaré
l'Auteur de l'ouvrage couronné.
L'Académie avoit demandé , pourquoi le
jugement du Public eft ordinairement exempt
d'erreur & d'injustice ?
Après la lecture de ce Difcours , M. Dagay
déclara que l'Académie avoit déféré le
Prix de littérature à une Differtation qui a
pour deviſe , Tu regere imperio Populos ,
Romane, memento ; & qu'elle avoit jugé
dignes de l'acceffit les Differtations de M.
Trouillet , Curé d'Ornans ; de M. Bergier,
Curé de Flangebouche , & de M. Chevalier
, Maître des Comptes à Dole.
Cette Compagnie avoit proposé pour
fajet : Quelles étoient les voies romaines dans
le pays des Séquanois ? L'Auteur de la Differtation
couronnée eſt Dom Jourdain ,
Prieur des Bénédictins d'Aurun .
La lecture de cette diſſertation fut fuivie
de celle du Mémoire de M. Robert ,
Directeur de la forge de Ruffec en Angoumois
, qui a remporté le Prix des Arts .
L'Académie avoit invité les Artiſtes à
JANVIER. 1757 . 139
donner la meilleure maniere de construire
& de gouverner un fourneau àfondre des
mines de fer , relativement à leurs differentes
especes ; de diminuer la consommation du
charbon ; d'accélérer le temps de chaque coulée
, & de donner une meilleure qualité au
fer & à la fonte.
M. Robert , après avoir pris dans fon
ſujet ce qu'il peut y avoir d'hiſtorique
pour en former le préambule de fon Mémoire
, rapporte , ſur les différens objets
indiqués dans le programme , les obſervations
qu'il a faites d'après des expériences
réitérées. Il diftingue d'abord deux
eſpeces de mines qui font varier la méthode
de conftruire & de gouverner in
fourneau. Les mines froides qu'on tire
d'une terre graffe font les plus difficiles à
fondre , parce que la qualité de cette
terre eſt froide , & qu'elle ſe durcit plutôt
qu'elle ne ſe fond ; ce qui cauſe fouvent
des embarras conſidérables , ſi l'intérieur
du fourneau ne préſente pas des
reffources contre cet inconvénient. Les
mines chaudes , que l'on trouve dans des
terreins fablonneux & pierreux , font les
plus faciles à fondre , ſans doute parce
que les ſables & cailloux , dont la nature
eſt diſpoſée à la vitrification , occupent
moins de particules de fer que
140 MERCURE DE FRANCE .
les terres graffes. Toutes les mines participent
plus ou moins du chaud ou du
froid , foit par leur nature , ſoit par le
mêlange que le fondeur en peut faire ;
c'eſt la connoiſſance de ces qualités qui
doit régler les dimenſions de l'intérieur
des fourneaux. L'Auteur en décrit trois
eſpeces différentes ; la premiere pour les
mines les plus froides , la ſeconde pour
les mines les plus chaudes ; & la troifieme
pour fondre des mines chaudes &
froides que l'on a mêlées enſemble. H
ne ſe contente pas de diriger la main dans
la conſtruction de ces trois différens fourneaux
, il éclaire encore l'eſprit , en lui
rendant compre des raiſons qui lui font
adopter en tel cas une dimenſion ou une
forme , plutôt qu'une autre.
Il paſſe enfuite à la maniere de gouverner
un fourneau ; ſes préceptes font
toujours le réſultat de ſes expériences. La
façon de charger , par exemple , lui avoit
paru exiger quelque changement. Ses prédéceſſeurs
dans la forge de Ruffec avoient
coutume de faire fix groſſes charges de
charbon en douze heures ; il imagina
que deux petites charges ſéparées fondroient
plus de mines qu'une groſſe charge
qui les égaleroit , parce que les matériaux
, en rafraîchiſſant plus ſouvent la
JANVIER . 1757. 141
i
partie ſupérieure du fourneau , devoient
concentrer la chaleur dans la cuve où
la mine ſe délie.
La plus importante obſervation de M.
Robert a pour objet d'épurer les mines ,
parce que c'eſt le moyen le plus efficace
de diminuer la conſommation du charbon
, & de donner une meilleure qualité
au fer & à la fonte. On ne peut conteſter
le double avantage qu'on ſe procure
en nettoyant les mines avec le plus grand
ſoin ; chaque eſpece de mine ſe trouve
dans des terres dont la qualité eſt contraire
au diſſolvant qu'elle exige pour ſe
réduire en fuſion. La premiere action du
feu qui ſe porte ſur les matieres étrangeres
dont la mine eſt chargée , eſt en
pure perte , tandis qu'elle pourroit être
uniquement employée à fondre la mine.
L'Auteur décrir trois fortes de lavoirs
qu'il trouva établis en Angoumois , &
dontdeux font connus en Franche-Comté :
mais comme avec leur ſecours il n'atteignoit
pas encore le point de perfection qu'il
s'étoit propoſé , il inventa un autre lavoir
dont il a joint les plans & profils à fon
Mémoire. Pour en concevoir une idée il
ſuffira de ſe repréſenter une cuve quarrée
de quatre pieds , dont le fond eſt compoſé
de madriers garnis de tôle. Ce fond
142 MERCURE DE FRANCE.
eſt percé de pluſieurs trous de telle mefure
, que les grains demine ne puiſſent
s'échapper par ces ouvertures. La cuve eſt
élevée de deux pieds au deſſus du terrein,
pour faciliter l'écoulement de l'eau qui
y eſt introduite par un canal. L'eau fecondée
d'un eſpece de rateau de fer dont
un homme ſe ſert pour remuer la mine ,
détache efficacement les parties hétérogenes
, parce qu'il n'y a point de terre qui
réſiſte au frottement du fer contre le fer.
« Il eſt éprouvé , dit M. Robert , par les
>>procès verbaux du Sénéchal de Ruf-
>>fec , que ceux qui m'ont précédé dans
>>la régie de ces forges conſommoient
>>chaque année 4700 ſacs de charbon au-
>>delà de ce qu'il m'en faut pour la mê-
>>me quantité de fonte; ce qui fait une
>>épargne de 12 à 15 cordes de bois par
>>an ſur le ſeul fourneau. ود
Ce moyen extrêmement ſimple pour
parvenir à cette épargne , contribue encore
à perfectionner la qualité du fer. Si
on ne réuffit pas à purger la mine de ces
matieres étrangeres , elles ſe mêlent avec
elle lors de la fuſion ,& en alterent conſéquemment
la bonté : elles diminuent
d'ailleurs le degré de chaleur qui peut
être néceſſaire pour purifier la fonte. Délà
quel inconvénient enréſulte-t'il , furJANVIER.
1757 . 143
t
2.
=,
Γ.
S
sa

1
5
tout lorſqu'il s'agit de fondre des pieces
d'artillerie ? Il ne faut qu'une parcelle de
mauvaiſe fonte pour les faire éclater , ou
pour y former des chambresqui les font
mettre au rebut. L'Auteur enfin croit également
inutile& dangereux d'accélérer le
temps de chaque coulée: il eſt parvenu
au même but par la méthode qu'il propoſe
, puiſque ſon fourneau lui rend en
24 heures près d'un millier de fonte de
plus qu'il n'en rendoit à ſes devanciers .
La Séance fut terminée par l'annonce
des Sujets propoſés pour les Prix de l'année
1757 ; les deux premiers fondés par
feu M. le Duc de Tallard , & le troiſieme
par la ville de Besançon.
Le Prix d'Eloquence eſt une médaille
d'or de la valeur de 350 livres. Le ſujet
du diſcours , qui doit être d'environ
une demi-heure , ſera : Pourquoi dans la
ſociété a- t'on communément plus d'indulgence
pour les vices , que pour les ridicules ?
Le Prix de Littérature eſt une médaille
d'or de la valeur de 250 livres. Le
ſujet de la diſſertation ſera : Est ce à titre
de conquête , ou à titre d'hospitalité , que
les Bourguignons ſe ſont établis dans les
Gaules ?
Le Prix des Arts eſt une médaille d'or
- de la valeur de 200 livres , deſtinée à ce
144 MERCURE DE FRANCE.
lui qui indiquera la meilleure maniere de
remédier aux engorgemens des moulins dans
les crues d'eau.
Les Auteurs font avertis de ne pas
mettre leurs noms à leurs ouvrages , mais
unemarque ou unparafe avec telle diviſe
ou ſentence qu'il leur plaira. Ils la répéteront
dans un billet cacheté , dans lequel
ils écriront leurs noms & leurs adrefſes.
Les pieces de ceux qui ſe feront connoître
, par eux-mêmes ou par leurs amis ,
ne ſeront pas admiſes au concours.
Ceux qui prétendront aux Prix font
avertis de faire remettre leurs ouvrages
avant le premier du mois de Mai prochain
au Sieur Daclin , Imprimeur de
l'Académie , & d'en affranchir le port ;
précaution fans laquelle ils ne ſeroient
pas retirés.
LETTRE ſur l'Eloquence de la chaire ,
&en particulier ſur celle de Bourdaloue
&de Maſſillon. Cette brochure ſe vend
chez Lottin , rue S. Jacques , au Coq.
:
ARTICLE
JANVIER . 1757 . 145
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES - LETTRES.
GÉOGRAPHIE .
SUITE de la Lettre de Dom Augustin
Calmet , ſur la terre de Geffen & sur le
Royaume de Tanis en Egypte.
LES Paſteurs ou Hyesos , dont parleManethon
, Auteur Egyptien ( 1 ) , qui s'emparerent
de l'Egypte , ſous la conduite de
leurRoi Timaiis , & que Joſephe l'Hiſtorien
, ſuivi de beaucoup d'autres , a cru
être les Hébreux attirés dans ce Pays par
le Patriarche Joſeph ; ces Pasteurs , dit
Manethon , firent irruption dans l'Egypte,
fous la conduite d'un Chef nommé Ti-
- mais , & s'en rendirent maître ſans combat.
Ils établirent Roi un d'entr'eux nommé
Salatis : ils fixerent leur demeure dans
le Nome nommé Saïte , à l'Orient du bras
du Nil , nommé Bubaſte, qui s'appelle Aba-
(1) Joſeph. contrà Appion. 1. 2 .
1. Vol. G
:
:
146 MERCURE DE FRANCE .
ris dans l'ancienne Théologie des Egyptiens.
Ils fortifierent cette place , & y mirent
une garniſon de deux cens quarante
mille hommes : cette garniſon ſi nombreuſe
n'étoit pas ſans doute pour la ſeule
Ville de Bubaste ou d'Abaris , mais pour
tout le Nome habité par les Hycsos ou
Paſteurs. On ſçait que Bubaſte étoit ſituée
dans la baſſe Egypte & dans le Delta , de
même que Tanis. (1 )
Moïſe ayant converti en fang les eaux
du Nil voiſin de la Ville de Tanis , les
Egyptiens furent obligés de creuſer des
folfes ou des puits aux environs , pour y
trouver de l'eau potable , & lorſque le
même Moïſe eût fait venir une infinité de
mouches & de moucherons ſur les terres
du même pays, onn'en vit aucunes dans la
terre de Geffen . ( 2 ) La Ville de Tanis n'étoit
donc pas ſituée dans ce pays.
Péluſe étoit affez éloignée de Tanis. Le
nom de Péluſe n'eſt pas Hébreu ; il vient
du Grec Pelos , de la Boue , comme qui
diroit la Ville Bouense . Dans Ezéchiel (3 )
Péluſe eſt nommée Sin la force de l'Egypte ;
parce qu'en effet elle étoit comme la clef
de ce pays , & la premiere qui ſe rencon-
(1) Plin. 1.5 , c. 9.
(2) Exod. viij , 22 .
(3 ) Ezechiel , xxx, 15-16
JANVIER. 1757. 147
a
troit en venant de la Paleſtine , de l'Arabie
& de la Syrie. Voici l'Hébreu à la
lettre du texte d'Ezechiel : Jeferai ceſſer
les Idoles de Noph & les Princes de la terre
d'Egypte , &je déſolerai Pathron ; j'enverrai
lefeu dans Zohan , &j'exercerai mes jugemens
fur No , &je repandrai ma colere fur
Sin ( ou ) Péluſe , qui est la force de l'Egypte
, & je détruirai la multitude de No ;&
j'envoyerai le feuſur Mizraïm ( l'Egypte ) :
Sin fera dans une douleur extrême , & No
Sin feront accablées de douleur , & le jour
fera changé en ténebres à Taphnis.
Ily a apparence que Noph ſignifie Memphis
, capitale de la haute Egypte , aujourd'hui
tellement détruite , qu'à peine en
découvre- t'on les ruines ; mais on voit au
voifinage le Village de Menfulph , qui
conſerve une partie du nom ancien de
Noph. Memphis ne regarde pas directement
notre ſujet , étant fort éloigné de la
terre de Geffen & de Tanis.
Patro ou Paturis , eſt apparemment
Thebes & la Thébaïde , qui ne font pas
non plus du ſujet que nous traitons. Zoban
eſt Tanis , capitale de la Dynastie Tanitique
, & du Royaume du Roi d'Egypte ,
qui maltraita les Hébreux : nous en avons
traité ci-devant.
No. S. Jerôme a traduit ce terme par
Gij
48 MERCURE DE FRANCE.
Alexandrie , quoiqu'il n'ignorât pas que
cette Ville ne fût beaucoup plus récente
qu'Ezechiel & que le Roi de Babylone ,
dont ce Prophete fait ici mention : les
Septante ont traduit No , par Diofpolis ,
qui étoit à la pointe du Delta vers le midi .
Sin , ſignifie Péluſe ; le Chaldéen , S. Jerôme
& la plupart des Interpretes traduiſent
ainſi l'Hébreu Sin. En Syriaque Sin
fignifie de la Boue ; & cette fignification
auſſi-bien que la ſituation de Péluſe , lui
a fait donner ce dernier nom , qui en
Grec fignifie Boueux : en effet Péluſe eſt
ſituéedans un endroit aquatique , ſale &
boueux ; mais l'Hébreu Sin , n'a été changé
en Péluſe que depuis la domination des
Grecs en Egypte.
Aſſez près de la Ville de Péluſe étoit
celle de Thaphnis, & en Hébreu Tayphenés,
( 1 ) en Latin Daphné ; on voit chez les Anciens
Daphna Pelusia , comme Daphna
Antiochena. Daphné , au voisinage de la
Ville d'Antioche , étoit un lieu délicieux
par ſon bois facré & ſes belles eaux. On
peut croire qu'il en étoit de même de
Daphné près Péluſe. Jérémie parlant de
Thaphnis , dit que Nabuchodonofor y
plaça ſon Trône ; & Ezechiel (2) que le
(1) Jerem. xxxiij , 7 , 8 .
(2) Ezechiel , xxx , 14, 18.
JANVIER . 1757 . 149
jourfera changé en nuit , lorſque Nabuchodonofor
aura briſe les barres & les fortereſſes
de l'Egypte ; c'est- à- dire , Péluſe , qui étoit
comme la clef de ce pays là. Diodore de
Sicile , dit que Séſoftris , Roi d'Egypte , fit
faireune chauffée ou une levée depuis Héliopolis
juſqu'à Péluſe , à la longueur de
quinze cens ſtades , ou de fix à ſept lieues ,
pour garantir l'Egypte des irruptions des
Syriens & des Arabes de ce côté- là .
La Ville de Damiette n'eſt point dénommée
dans l'Ecriture , à moins que ce
ne foit Timaüs , qui eſt le nom que Manethon
donne au Roi des Hycfos ou Pafteurs
, qui s'emparerent de l'Egypte , &
qu'on croît être les mêmes que les Hébreux
, qui vinrent dans ce pays avec leurs
enfans ; ou plutôt Damiette pourroit être
Thaphnés , dont il eſt ſouvent parlé dans
l'ancien Teſtament ; par exemple dans Jérémie
11. 16. Les enfans de Memphis &de
Thapnes vous ont fouillé juſque ſur la tête :
& le même Prophete XLIII . 7 , 8 , 9. dit
que les Ifraélites incrédules à la voix de
Jérémie , s'avancerent juſqu'à Taphnis ,
& il dit aux Hébreux que le Roi de Babylone
y placera ſon Trône ; & encore en
Jérémie XLVI . 14. annonce dans l'Egypte
dans les Villes de Mageddo , de Memphis
Giij
130 MERCURE DE FRANCE .
de Taphnis , que le Seigneur envoyera le
glaivefur toute l'Egypte.
Il eſt certain que Damiette eſt fort différente
de Pélufe. Damiette étoit , dit- on ,
dans le Delta , au lieu que Péluſe étoit
hors du Delta , à 20 milles de la mer , ſelon
Strabon. Un moderne conſulté par la Martiniere
, Dictionnaire Géographique, article
Damiette , aſſure que les ruines de Damiette
font à préſent affez éloignées de la
mer , & qu'on ne ſçauroit douter qu'elle
ne fût bâtie ſur les ruines de l'ancienne
Thamutis , & que Péluſe ne ſoit l'ancienne
Pharma ou Pharama .
:
Damiette eſt environnée de marais , ainfi
que les autres Villes de la baſſe Egypte ,
qui font bâties ſur des chauffées qu'on a
élevées pour les mettre à couvert des inon--
dations. Il pleut à Damiette plus qu'en
aucun autre endroit de l'Egypte ; ce qui
contribue à rendre ſon terrein boueux . On
compte de Damiette à la mer rouge plus
de 25 lieues , & du Caire à Damiette , environ
quarante.
Strabon ( 1) dit que Péluſe eſt éloignée de
vingt ſtades ou cinq lieues de la mer Méditerranée
, environnée de lacs ou de marais
, qu'on appelle Barathra , des gouffres.
(1) Strabon, 1. 17.
JANVIER. 1757 . 191 I
à
Le Voyageur , dont j'ai parlé ci-devant,
dit que le Nil ſe décharge dans la mer ,
deux mille pas au defſſous de Damiette ;
que cette Ville eſt encore grande & importante
à cauſe de ſon port ſur la Méditerranée.
Elle contient environ vingtcinq
mille habitans , ſans compter un Village
qui eſt à l'autre côté du Nil , & qui
peut être regardé comme un Fauxbourg
de Damiette , & qui pourroit être un reſte
de l'ancienne Péluſe. La campagne d'alentour
eſt remplie de jardins & de grands
quarrés pour ſemer du ris. Ces quarrés
font un peu plus bas que le reſte du terrein
, pour y retenir les eaux , où cette
forte de plante aime à ſe baigner preſque
toujours. Ceux qui font éloignés du Nil
en prennent l'eau dans un grand étang
qui eft à une lieue de la Ville , entre l'Orient
& le Midi. Son terroir eſt extrêmement
fertile , & avec le commerce de la
mer , la rend, après la capitale , la plus riche
Ville de l'Egypte. Elle est environnée
de marais ainſi que les autres Villes de la
baffe Egypte , & quand les eaux du Nil
font retirées , il enreſte encore affez pour
faire de ces lieux des marais remplis de
boue.
(1 ) Voyez le Dictionnaire Géographique de la
Martiniere , article DAMIETTE.
Giv
I152 MERCURE DE FRANCE.
Le Roi Pharaon , perfécuteur des Hébreux
, ne régnoit donc pas dans toute
l'Egypte , comme on le ſuppoſe ordinairement
, pas même dans toute la baſſe Egypte
, ni dans tout le Delta , où il y avoit
d'autres Villes que Tanis qui avoient leurs
Rois particuliers. Il régnoit encore beaucoup
moins dans la haute Egypte , où l'on
voyoit les Rois de Thebes , de Memphis ,
de Babylone, ou de l'Etapolis & d'Héliopolis.
La même choſe ſe voyoit dans tous les
pays des environs , du temps des Patriarches
, de Moïse & de Jofué. Ainſi on
trouve dans l'Ecriture, les Rois de Gerare ,
d'Amalec , de Sodome , de Gomorre , de
Moab , d'Ammon , de Tyr , de Sidon , d'Edum
, &c. Par conséquent nous nedifons
rien que de très -certain en avançant que
dans l'Egypte , il y avoit preſqu'autant de
Rois que de Villes confidérables.
Ce Pharaon qui maltraita les Ifraélites ,
avoit fon fiege à Tanis , & dominoit fur
la terre de Geſſen , qu'il avoit cédée aux
enfans de Jacob . Ceux- ci ne partirent pas
de Tanis , qui étoit à 15 milles ou s lieues
d'Héliopolis , mais de Péluſe qui étoit à
25 lieues de la mer rouge, & qui étoit fort
voiſine de Pharama ou de Rameffé ; car
il y a apparence que ces deux noms ne fignifient
que la même Ville.
JANVIER. 1757 . 153
Il eſt remarqué que Pharaon contraignit
les Hébreux à lui bâtir les Villes de Trefors
, Pithom & Rameffé. Les Hébreux nommerent
Tréſors , non ſeulement l'or & l'argent
, mais même les amas de grains , de
vins , d'huiles & d'autres proviſions néceſſaires
à la vie. Ce Roi leur fit donc bâtir
pour fon profit des Villes & des Magafins
, comme il s'en voit aſſez ſouvent dans
les grandes Villes d'Orient où l'on referve
les bleds pour le beſoin public.
Pithom ; on croit que c'eſt Bubaſte ,
Ville fituée dans le Delta. Hérodote ( 1 )
a parlé des grandes digues qui ſe voyoient
à Bubaſte , pour arrêter le débordement du
Nil.
Rameffé étoit une Ville confidérable de
la baſſe Egypte , puiſqu'elle donnoit le
nom à tout ce pays. (2) Je vous établirai
dans le meilleur canton de ce pays , dans la
terre de Rameſſé , dit Pharaon à Jacob .
Rameſſe ſubſiſtoit donc avant l'arrivée
des Hébreux en Egypte ; & quand Moïse
dit que Pharaon obligea les Ifraélites à
lui bâtir la Ville de Rameſſé , il faut entendre
qu'ils l'agrandirent , ou qu'ils la
fortifierent , ou même la rétablirent : &
(1) Hérodote , 1.2 , ch. 37.
(2) Geneſe, xiv , 1 ...
:
GW
154 MERCURE DE FRANCE.
dans l'Exode ( 1 ) il eſt dit que les Ifraélites,
à leur fortie de l'Egypte ( 2) , partirent
(1 ) Exod. xxij , 37 .
(2) Nous avons lu la Diſſertation de M. Boivin
l'aîné , au tome 3 de l'Histoire de l'Académie des
Inſcripcions , page 23 , dans laquelle il prétend
montrer que les Hébreux paſſerent 430 ans en
Egypte , qu'ils y vécurent d'abord pacifiquement
au nombre de 71 perſonnes ; qu'ils y entrerent
enfuite en Conquérans , ſous le nom de Rois Pafteurs
, ayant à leur têre le Patriarche Ephrain ,
nommé Salathis dans Manethon , avec ſes fils
Beria , Baphra , Beſeph , Tahé & Thaan , dénommés
dans les Paralipomenes , 1. par. vij . Ce font
ces Rois Paſteurs qui conquirent l'Egypte , & qui
y régnerent , ſelon Manethon.
Aeux fuccéderent les Hébreux captifs & maltraités
par le Roi Pharaon , qui ne connoifſoit pas
Joſeph , ni les grands ſervices qu'il avoit sendus
àl'Egypte. Ces derniers Hébreux conquérans ,
firent la guerre aux Egyptiens ,&régnerent dans
leurs pays l'eſpace d'environ cent ans , pendant
leſquels ils travaillerent à y établir le culte da
vrai Dieu. Mais étant eux-mêmes tombés dans le
déréglement & dans l'idolâtrie , Dieu les livra au
Roi d'Egypte , qui les persécuta , comme il eſt dit
dans le livre de l'Exode. Ils reconnurent enfin
leur faute : ils recoururent à Dieu qui leur envoya
Moiſe , qui les tira de l'Egypte , comme nous le
lifons dans le livre de l'Exode.
Cette Differtation de M. Boivin l'aîné , fur
attaquée par M. l'Abbé Banier , qui ſuivant pied
à pied fon adverſaire , prétend renverſer tout fon
ſyſtème : on peut voir leurs preuves& leurs raifons
pour & contre , dans les endroits que nous
JANVIER . 1757 . 155
de Rameffé , & dans les Nombres ( 1) que
les Ifraélites fortirent de Rameſſe le second
jour de la Pâque , & vinrent coucher à
Socoth. Socoth étoit donc éloigné du lieu
de leur départde 7 à 8 lieues. Les anciens
Géographes ne parlent point de Rameffé ,
& les modernes la placent au hazard dans
la baffe Egypte & dans la terre de Geffen.
Socoth , ſignifie des tentes , apparemment
parce que les Ifraélites y camperent
à leur fortie de l'Egypte , ou parce que
dans la ſuite on y bâtit une Ville ; comme
dans la Geneſe (2) on remarque que
la Ville de Socoth fut bâtie au lieu où Jacob
, au retour de la Méſopotamie , avoit
dreſſe ſes tentes & avoit campé avec toute
ſa ſuite.
L'Ecriture remarque que les Ifraélites
ſortirent de l'Egypte en ordrede bataille
avons indiqués. Nous ne prétendons pas nous
rendre juges de ce différend, nous nous contentons
de remplir ici notre deſſein , qui eſt de faire
connoître la fituation du pays de Geffen , & celle
du Royaume de Tanis , d'où les Hébreux partirent
au nombre de 60040 mille hommes , pour ſe
rendre fur la Mer-Rouge , où Dieu leur ouvrit
miraculeuſement un paſſage au travers des eaux
de cette mer .
(1 ) Nomb. xxxiij , 17.
(2) Gen. xxxiij , 17.
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE .
expediti( 1 ) ou armati,à la lettre s às comme
des foldats en marche réglée. Nous avons
prouvé dans le Commentaire ſur le Livre
des Nombres , Chap. XIII , v. 18 , que les
anciens Egyptiens, rangeoient ainſi leurs
ſoldats cinq à cinq. Voyez auſſi Homere ,
Iliad. III . On ne doit donc pas ſe figurer
l'armée des Ifraélites comme une troupe
de fugitifs , qui marchent en déſordre&
fans garder aucun rang, Moïſe étoit trop
habile pour expoſer ainſi ſon peuple à une
défaite cerraine , dans un pays ennemi à
la vue d'un puiſſant Roi , toujours prêt à
les pourſuivre & à les attaquer..
Remarquez que dans les Villes que Pharaon
ordonna aux Iſraélites de bâtir, (2) on
n'employa que de la brique mêlée avec la
paille hachée , & cuite feulement au foleil.
Les lignes ou les terraſſes que les anciens
Rois d'Egypte entreprirent pour ga
rantir leurs pays des irruptions des Barbares
&des autres peuples d'Orient , n'étoient
que de terre ou de briques cuites
au foleil , parce que dans la baſſe Egypte
les pierres ſont très-rares. Je ne dirai point,
après pluſieurs anciens & grand nombre
de nouveaux Ecrivains, que le terrein de
la baſſe Egypte n'eſt qu'un préſent du Nil ,
( 1 ) Nomb . xiij , 18 .
(2) Exod. v , 8 , 20.
JANVIER . 1757. 157
qui dans ſes inondations apporte une ſi
grande quantité de limon avec ſes eaux
bourbeuſes , qu'il augmente, après un certain
nombre d'années , le terrein où il ſéjourne
pendant ſes inondations. Ce ſentiment
a été ſi ſolidement réfuté dans l'Académie
des Inſcriptions ( 1 )par M. Freret,
que je ne penſe pas qu'il ſe trouve à préfent
perſonne qui le veuille ou le puiffe
faire revivre..
Moïse comparant les avantages de la
terre de Chanaan qu'il promettoit aux
Ifraélites , avec la terre de Geſſen , qu'ils
quittoient , leur dit que dans la terre promiſe
les pierres y font communes & ont la
duretédu fer : Cujus lapidesferrum funt. (2)
Le même Moiſe relevant encore la terre
de Chanaan ſur cellede la bafle Egypte
, d'où les Ifraélites étoient fortis , dit
qu'ils y trouveront une terre arroſée de
fontaines & de ruiſſeaux , &dont les montagnes
produiſent des rivieres , qui arrofent
les vallons. Vous n'y verrez point ces
ſcorpions & ces bêtes venimeuſes , qui
ſont ſi fréquens en Egypte , & vous ne
ferez point obligés de tirer avec vos pieds
les eaux pour arroſer vos terres. Ceci prou
ve évidemment que les Hébreux ne de
(1) Hiſtoire de l'Acad. des Inſcript, t. 6.
(2): Deuteron. viij .
158 MERCURE DE FRANCE.
meuroient pas dans la haute Egypte , ni
même dans le Delta , où le Nil fournit
en abondance des eaux pour arrofer toute
la campagne. Ceux qui habitoient à Tanis
, à Damiette ou à Péluſe , & fur le
bras Oriental du Nil ne manquoient pas
d'eau ; ils en avoient autant & plus qu'ils
n'en vouloient : on peut ſe ſouvenir de
ces grands lacs qui font près Tanis , Damiette
& Péluſe , d'où l'on tire l'eau pour
arroſer les terres des environs (1) .
Mais ceux qui habitoient dans le pays
des environs de Geſſen , ou de Rameſſé ,
où il n'y a ni rivieres , ni fontaines , ni
fources d'eau potable , étoient obligés d'uſer
d'induſtrie pour arrofer leurs champs,
& de tirer l'eau du Nil , avec beaucoup de
travail , par le moyen de certaines machines
hydrauliques , qu'on faifoit tourner
avec les pieds , par le moyen deſquelles on
élevoit l'eau à certaine hauteur , d'où elle
ſe répandoit enſuite ſur les champs pour
leur donner la fécondité.
Philon , parlant de ces machines , en
fait cette deſcription. C'eſt une roue
qu'un homme fait tourner avec les pieds ,
en montant ſucceſſivement ſur divers de-
(1) Deuter. viij , 7 , 8. Nomb. xj , 9. Philon
de confufione linguar. p. 325. Grotius & le
Clerc , in Numer.
JANVIER . 1757 . 159
grés qui font au-dedans de la roue ;mais
comme en tournant toujours il ne pourroit
pas ſe ſoutenir , il tient de lamain
un appui immobile qui l'arrête , enforte
que dans cet ouvrage , les mains font
l'office des pieds, &les pieds l'ouvrage des
mains.
De Socoth les Hébreux arrivent à Phiahroth
ou au defilé des foffés ou des trous
Le R. P. Sicard dit qu'on en trouve en
core quantité dans le défilé qui conduit
par la montagne à la mer rouge ; mais
quand aujourd'hui on y en verroit plus
ou fort peu , cela ne prouveroit point
qu'il n'y en eût pas au tems de Moïſe : ces
fortes de choſes ſe détruiſent d'elles- mê
mes , & les foſſes ſe comblent naturelle
ment.
On connoît dans la baſſe Egypte la
Ville de Phagrorium (1) qui donne fon
nom au Canton nommé Phagroriopolium ,
qui étoit près le canal (2) que les Rois
d'Egypte avoient tiré de la mer Rouge au
Nil : ce nom de Phagrorium a quelque
conformité à celui de Phiabroth.
Après cela les Ifraelites ſe trouverent
entre Migdol & Beelſephon . Migdol ſigni-
(1 ) Voyez Cellar. Geograph. t. 2 , P.40 ,
(2) Strab. Stephan de urbib. Diod. lib. a
41 , 42.
160 MERCURE DE FRANCE .
fie une tour : l'Ecriture ne nous dit rien
de poſitif ſur cela , ſi c'étoit une ſimple
Tour ou une Bourgade nommée la Tour .
Beelſephon eſt le nom d'une Divinité ;
à la lettre , le Dieu du Nord , apparemment
Adonis , qui avoit été mis à mort
par un ſanglier dans la montagne du Liban,
au Nord de l'Egypte & de la terre
de Promiſſion. On ſçait que les Hébreux
affectoient de ne pas nommer les Dieux
étrangers de leur nom propre ; ils leur
donnoient des noms de dériſion : ainſi ils
nommoient Adonis , le Mort , le Caché ,
Thammus , l'Idole de Jalousie , le Dieu du
Septentrion ; de même ils appellent Beelfehuth
, Belzebuth , le Dieu Manche , ou Balebulle
, le Dieu d'Ordure ; Betavin , la
Maiſon d'iniquité au lieu de Bethel , la
Maiſon de Dieu , où l'on adoroit les Veaux
d'or. Le culte d'Adonis étoit très-ancien
& très- célebre dans toute l'Egypte : c'étoit
l'époux & le bien-aimé d'Iſis , la premiere
Divinité de ce pays .
L'Auteur qui a ſi bien traité le paſſage
de la mer Rouge , ſuppoſe que quand
Moïſe demandoit à Pharaon d'aller à trois
journées de chemin ( 1) dans le déſert ,
pour y facrifier au Seigneur , il entendoit
parler des montagnes de la Thébaïde , qui
(1) Exod, iij , 19,
JANVIER. 1757 .
16
font au long & à l'Orient de la mer Rouge,
au deſſous & à l'Orient de la fameuſe
Ville de Thebes la grande ; ce qui ne paroît
nullement probable. Ces montagnes
de la Thébaïde étoient à plus de 30 ou
35 lieues de la terre de Geffen , & audeſſus
du Caire. Il est vrai que les Anciens
mettoient le paſſage de la mer Rouge
à Colſem , vers le Monastere de Saint
Antoine , fitué dans ces montagnes de la
Thébaïde ; mais les Auteurs modernes ,
dont nous avons fait l'éloge , ont ſi bien
prouvé que ce paſſage s'eſt fait à l'extrêmité
Septentrionale de cette mer , qu'on
ne peut plus ſe refuſer à leur fentiment.
De tout ce que nous venons de dire
il paroît certain que la terre de Geſſen ou
Gozen, ou la terre de Pluye , nommée
auſſi terre de Rameſſé , étoit le pays qui
s'étend de l'Orient au Couchant , depuis
Tanis juſqu'au bras le plus Oriental du
Nil & au-delà vers la Paleſtine & vers le
lac Sirbon & la Ville de Raphia ; Canton
nommé antrefois le Nome Arabique , &
attribué quelquefois à la tribu de Juda :
Que ce Canton avoit environ dix ou
douze lieues du Couchant à l'Orient ,
dont les Hébreux n'habitoient que ce qui
(1) Joſué, x , 41. xj , 16. xv , 51. Gozen.
162 MERCURE DE FRANCE.
produiſoit des pâturages propres à la nourriture
de leurs troupeaux .
Que la Ville de Zoan ou Tanis étoit la
Capitale de la Dynastie Tanitique , où
Moïſe opéra tant de miracles , & fituée
au-delà& au Couchant du bras du Nil ,
qui ſe décharge dans la Méditerranée , à
POccident de Péluſe & à l'Orient de Damiette
; que les Iſraélites partirent apparemment
de Rameſſféqui étoit leur rendezvous
général , pour s'avancer vers la mer
rouge par le défilé de Hirot , & qu'ils
paſſerent la mer rouge à une ou deux
lieues au deſſous de ſa pointe Septentrionale
, près Beelſephon.
Voici comme nous partageons leur
voyage. Nous avons vu que de Tanis à
Héracléopolis , il y a 22 milles , & d'Héracléopolis
à Péluſe 22 milles. Les Ifraélites
partirent du Canton Tanitique , fitué
entre Tanis & Héracléopolis , la nuit
de la Pâque , ou le 14 du mois Nifan , &
arriverent le même jour à Rameſſé où étoit
leur rendez-vous général. ( 1 ) Ils y arriverent
le premier jour de leur marche , ayant fait
environ ſept lieues ou 21 milles . Nous
ſuppoſons que Rameſſé étoit la même que
Pharama ou Paramis , qu'on dit être la
même que Péluſe .
(1 ) Exod. xiij , v. 38.
JANVIER. 1757 . 163
De Rameſſé ils ſe rendirent à Socoth ,
où ils camperent ( 1 ); car cenom fignifieles
Tentes ou le Camp , ayant fait encore
environ fix ou ſept lieues.
De Socoth ils vinrent à Phihairoth après
fixou ſept heures de chemin. Delà ils allerent
à Beelſephon , ſitué ſur la mer Rouge,
après un égal nombre de lieues.
Nous avons vu que de Péluſe on comptoit
juſqu'à la mer Rouge environ vingt
tieues. En donnant aux Ifraélites ſept
lieues par jour , on trouvera de Tanis ou
Héracléopolis à la mer rouge , environ 27
ou 38 lieues ; ce qui eſt un eſpace très
proportionné à leur grand nombre , &
aux femmes & enfans qui les accompa
gnoientdans un chemin plain& uni.
(1 ) Exod. xiv, v. 1 , 2 , 3 , 7 .
CHIRURGIE .
M. le Duc de Biron , fans ceffe occupé
de tout ce qui peut contribuer au bien
& à l'avantagedes troupes , principalement
des foldats du Régiment des Gardes Françoiſes
, convaincu d'ailleurs de l'efficacité
du remede de M. Keyſer , pour les maladies
ſecrettes , par des expériences réitérées &
des ſuccès toujours conftans , vient d'éta164
MERCURE DE FRANCE .
blr un Hôpital pour y faire traiter les
ſoldats du Régiment des Gardes avec le
remede & la méthode de M. Keyfer.
MM. Faget & Dufouard , Chirurgiens
Majors dudit Régiment des Gardes , ont
éé chargés de l'inſpection de cet Hôpital ,
& MM. Morand , Chirurgien- Major des
Invalides , & Guerin , Chirurgien-Major
des Mouſquetaires, ayant été invités de s'y
joindre , ont bien voulu partager cette infpection
; au moyen de quoi ce ſera ſous
les yeux de ces quatre habiles Maîtres de
Art que le remede ſera adminiſtré par le
Sieur Keyfer , & par les Sieurs Bourbelain
* Dieuzayde , Maîtres en Chirurgie , Adoints
de l'Auteur , &devenus poffeffeurs
du remede & de la méthode de M. Keyſer ,
par l'acquiſition qu'ils en ont faite.
Les portes duditHôpital feront ouvertes
à tous les Médecins & Chirurgiens qui
voudront voir & ſuivre les maladies , les
traitemens & les ſuccès , & il ſera exactement
tenu regiſtre & dreſſé des procès- verbaux
de tous les malades qui feront entrés
dans ledit Hôpital , des maladies détaillées ,
&de leurs traitemens , à la fin de chacun
deſquels il fera rendu au Public le compte
le plus exact & le plus fidele.
Suivant les certificats des plus habiles
Médecins & Chirurgiens , le remede de
JANVIER. 1757 . 165
i
!
M. Keyſer a guéri depuis quinze mois une
quantité de maladies les plus graves &
lesplus déſeſpérées, auxquelles les frictions
avoient été inutilement employées juſqu'à
ſept fois. Nous pourrons donner les détails
de ces maladies , & les certificats de guériſon
ſucceſſivement. Ce remede a de plus
la commodité de pouvoir être mis en
uſage , ſans que qui que ce ſoit , pas même
ledomeſtique d'un malade , puiſſe s'en appercevoir
; il ne gêne en aucune façon
& ne peut produire aucun mauvais effet.
Il eſt heureux pour le bien de l'humanité
que M. le Duc de Biron ait procuré
un ſi grand avantage , & l'on ne peut
qu'applaudir à l'établiſſement de cet Hôpital
, qui ne pouvoit être que l'ouvrage
d'un auſſi grand Seigneur , d'un Citoyen
auſſi zélé , & d'un coeur auffi généreux
& populaire.
SUITE DE LA SÉANCE PUBLIQUE
De l'Académie des Sciences, des Belles- Lettres
& des Arts de Rouen . La premiere partie a
parudans leſecond Volume d'Avril 1756 .
M. le Cat lut le réſultat de ſes obſervations
Météorologiques & Nofologiques ,
pour l'année Académique.
166 MERCURE DE FRANCE.
La plus grande hauteur du Barometre a
été le 28 Janvier , à huit heures du matin ,
de 28 pouces ſept lignes.
La plus grande deſcente a été le s Novembre
1755 , à 26 pouces 9 lignes ,
terme auquel M. le Cat ne l'avoit point
vu depuis qu'il obſerve le Barometre. Il
attribue ce grand défaut de denſité dans
l'air aux exhalaiſons ſouterreines dont l'atmoſphere
a été remplie par les foyers des
tremblemens de terre qui ſe ſont fait ſentir
alors dans pluſieurs contrées ; exhalaiſons
que nous apportoit , le 8 Novembre , un
vent Sud ſud-ou-eft ; au lieu que le premier
Novembre , jour de la ruine de Liſbonne ,
il régnoit ici un vent Nord-nord-eſt qui
étoit contraire à ces exhalaiſons. Il attribue
aux mêmes diſpoſitions ſouterreines la féchereſſe
des puits & des ſources , obſervée
à Rouen , & aux mêmes exhalaiſons le peu
d'hyver que nous avons reſſenti.
Car le jour le plus froid de l'année a
été , dans le printemps , le 25 Mars. Le
Thermometre de M. de Réaumur étoit ce
jour là au matin à quatre degrés au deſſous
du terme de la glace. En hyver , il n'y a
eu qu'un jour , qui eſt le 31 Janvier , où il
a été à degré au deſſous du terme de la
glace , malgré des vents conftans Eſt-nordeſt
, qui donnent ordinairement en hyver
des froids cuifans.
JANVIER. 1757. 167
Ces obſervations , dit-il , nous font comprendre
combien la nature & l'état du
ſol intérieur d'un pays contribue à la température
de l'air qulon y reſpire , & que
par- là un climat fort loindu Soleil peut
avoir une température fort douce , tandis
quedes contrées qui en font voiſines , peuvent
reſſentir des froids rigoureux : telles
font les terres auſtrales qu'on a trouvées en
1739 , enſevelies dans les frimats , & couvertes
de glace dans une ſaiſon & à une
latitude où elles auroient dû jouir de l'été
le plus ardent & le plus beau.
Le jour le plus chaud de l'année a été
le 25 Juin , le Thermometre étant monté
cejour- là au vingt-quatrieme degré.
Lejour le plus humide a été le 4 Janvier,
l'Hygrometre à corde étant à 30 degrés
au deſſus de zero.
Le jour le plus ſec a été le 3 Mai ,
l'Hygrometre étant defcendu ce jour-là
à 9 heures du foir , à 47 degrés au deſſous
de zero.
M. le Cat donna enſuite l'obſervation
détaillée de la foudre tombée ſur le magafin
à poudre de Marum près Rouen , les
Novembre , laquelle a fait pluſieurs fracas
dans la charpente du magaſin rempli de
poudre , a fait fauter les cercles de pluheurs
barrils qui la contenoient , en a dé
168 MERCURE DE FRANCE.
foncé pluſieurs qui étoient vuides , le tout
ſans avoir ni mis le feu à ces poudres , ni
laiſſé le moindre veſtige de brûlure aux
bois qu'elle a touchés & briſés. Le même
Secretaire fit la deſcription d'une trombe
de terre obſervée à Bruxelles , laquelle a
enlevé avec beaucoup de violence des
draps roulés en paquets dans une blanchifferie.
Les pluies tombées dans le territoire de
Rouen dans l'année académique , montent
à25 pouces 11 lignes.
La déclinaiſon de l'aiguille aimantée y
étoit le premier Août de dix- ſept degrés à
l'Ouest.
Les maladies des mois d'Août , Septembre
, Octobre 1755 , étoient des fievres
irrégulieres , peu inflammatoires , qui ſe
terminoient par des évacuations critiques.
Lesdélayans purgatifs accéléroient la cure,
EnNovembre & Décembre , les mêmes
maladies étoient plus rebelles ; elles avoient
quelquefois de la malignité. Les ſaignées ,
les purgatifs& les émétiques doux les guériffoient.
En Janvier , Février , Mars 1756 , on
eut des fievres continues , accompagnées
d'éréſipeles , d'eſquinancies&de ſueurs
dont la plupart étoient ſalutaires : on eut
auſſi quelques péripneumonies légeres.
En
,
JANVIER . 1757 . 169
En Avril , Mai , Juin & Juillet ont
régné des rhumes avec fievres , des pleuréfies
, des péripneumonies bilieuſes , des
fevres doubles tierces , continues , quelques
fievres milliaires ; des coliques épidémiques
, avec fievre , nauſées , vomiſſemens
, difficultés d'uriner , conftipations ,
&c.
,
M. le Cat lut enſuite l'éloge de M.
Moyencourt Académicien Botaniſte
Lieutenant de M. le premier Chirurgien
du Roi , l'un des Inſtituteurs de la Société
qui a donné naiſſance à l'Académie , né
le 24 Février 1681 , & mort le 10 Août
1755 .
M. du Boullay , Secretaire pour les Belles-
Lettres , lut enſuite l'Éloge de M. de
Sacy , Conſeiller au Parlement , & Académicien
, mort le 27 Novembre 1755 .
Il expoſa d'abord les raiſons qui ont
fait conſerver la coutume reſpectable d'honorer
la mémoire des Morts par des éloges
publics , aux Académies mêmes qui
ont cru devoir abolir celle des complimens
de réception. « Incapables de blef-
>> fer la modeſtie des morts , dit- il, &
>> d'exciter la jalouſie des vivans , ces élo-
>>ges ne ſont point dictés par l'adulation :
>> ils trouvent dans la variété des connoif-
>> ſances & des caracteres qui diſtinguent
I. Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE.
>>les hommes , une carriere étendue &
>>> intéreſſante , une ſource abondante d'inf-
>> tructions , qui par des portraits peints
>>d'après nature, inſpire l'amour des Scien-
» ces , des Lettres &des Arts , & la pra-
>>tique de la vertu , fans laquelle les con-
>>n>oiſſances & les talens ne méritent ni
>>les reſpects ni les hommages de la ſo-
>>ciété.
M. D. B. après avoir repréſenté M. de
Sacy comme un Magiſtrat integre , & comme
un Académicien éclairé , finit ſon élog,e
par la peinture de ſes vertus privées ;
>> vertus ſolides qui ne doivent point à la
>> vanité & au defir des louanges , une
>>exiſtence paſſagere & momentanée. M.
>>de Sacy n'avoit point lieu de redouter
>>cette épreuve qui , aux yeux du Sage
>>reduit ſi ſouvent à leur juſte valeur ces
>>fuperficies brillantes , dont le vulgaire
>>eft idolâtre. Il gagnoit à être connu...
>>Il épouſa en 1727 Mademoiselle deMor-
> teville d'une famille diſtinguée dans cer-
>>te province par les dignités & par la
>>piété , digne compagne de ſes vertus ,
>>digne témoin de cette humanité bien-
" faiſante , qui lui donnoit pour les mal-
>> heureux des entrailles de pere , de cette
>>application invariable & uniforme à tous
>> fes devoirs , plus difficile peut- être à la
JANVIER . 1757 . 171
>> foibleſſe & à l'inconſtance humaine ,
» que des fingularités éclatantes inſpirées
>>ſouvent par la vanité , & preſque tou-
>>jours déſavouées par la ſageſſe.
M. le Cat lut l'obſervation d'une grofſeſſe
de trois ans moins trois mois , fuivie
d'un accouchement heureux , dont
l'enfant de la taille ordinaire des enfans
nouveaux nés , & bien portant en apparence
, ne voulut néanmoins prendre aucune
nourriture , & mourut au bout de
quatre jours. La même Dame , qui eſtMad.
P *** de Jouarre près de Meaux en Brie ,
eſt redevenue groſſe quatre à cinq mois
après cet accouchement , & voici ( en
Août 1756 ) cinq ans trois mois de cette
ſeconde groſſeſſe plus longue déja de deux
ans & demi que la premiere. M. le Cat
a donné un grand détail de tous les faits
& des procès verbaux qui conſtatent cette
obſervation extraordinaire , après quoi il
tente de l'expliquer.
Dans les premiers jours de la conception,
dit M. le Cat, il n'y a dans l'oeuf d'autre
mouvement propre à l'embrion , que
celui qui trace le plan de ſa ſtructure ,
& dont nous developperons ailleurs le
principe. Les vaiſſeaux & les nerfs de la
mere pouſſent dans ce germe , comme
dans toutes les autres parties qui lui ap
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
partiennent , des ſucs & des eſprits qui
s'y affimilent , l'augmentent &donnent le
branle au mouvement progreſſif & circulaire
qui s'y établit. Tous ces mouvemens
ne font dans l'oeuf qu'une diſtribution
végétale de divers petits fleuves ,
dont les lits ou les enveloppes n'ont encore
ni conſiſtance ni reffort. L'embrion dans
ce premier âge , croît à la façon des plantes:
il ſe trouve proprement dans la claſſe
des végétaux , &ne jouit guere que de cette
eſpece de vie ; j'oſe même croire , ajoute
M. le Cat , qu'il ne parvient au rang d'animal
, qu'après avoir paſſé par la claſſe
intermédiaire de la célebre famille des Polypes
; & c'eſt à ſon ſéjour dans ces deux
états que je rapporte la formation des
enfans monstrueux , foit par la mutilation
, foit par la multiplicité des parties ,
& qui paroiffent réſulter de la confufion
de deux embrions en un ſeul. Car indépendamment
des raiſons priſes de la formation
graduée & ſucceſſive des parties
de l'embrion , obſervées dans celle du poulet
, dans celle de l'homme même que
les avortemens ont fournis à nos examens
, dans quel autre état que celui
d'un végétal ou d'un polype, peut- on concevoir
la poſſibilité de ces confufions &
de ces mutilations d'organes principaux
JANVIER . 1757 . 173
qu'on remarque dans les monftres ? Tout
le monde ne ſçait - il pas que dans un
animal vraiment & uniquement animal ,
elles ſeroient ſuivies d'une mort certaine
& preſque toujours ſubite.
Quoi qu'il en ſoit , continue M. le Cat,
dès que le plan du ſyſtème admirable de
l'embrion , qui n'eſt d'abord qu'une gelée
, a acquis une certaine conſiſtance , &
que les fibres du coeur , par exemple ,
font vraiment des fibres , qu'elles ont du
reffort & un certain degré de ſenſibilité;
dès que les liqueurs amaſſées dans ſon
tiſſu ſont en quantité ſuffiſante , & ont
l'activité ſpiritueuſe néceſſaire , alors elles
s'y exaltent tout-à-coup , & mettent
ces fibres du coeur ſenſibles & élastiques
en contraction. C'eſt là le premier battement
de cet organe & le premier
inſtant de cette circulation , qui ne ceſſe
qu'avec la vie; c'eſt de ce moment que
date cette vie qui eſt attachée au fétus
, mais qui eſt cependant encore dépendante
, à bien des égards , decelle de
la mere : car elle continue à lui fournir
des liqueurs pour ſa nourriture , pour fon
accroiſſement , & elle ſupplée par fa refpiration
à cette fonction eſſentielle qui
lui manque.
Cette reſpiration a deux uſages ; le
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
premier & le plus conſidérable eſt d'introduire
dans les liqueurs le principal
fond du fluide animal , qui doit couler
dans les nerfs , après avoir paffé par le
cerveau. Le ſecond uſage eſt de rafraîchir
, de condenſer le ſang qui ſe trouve
broyé , diſſous , dénué d'eſprits par les
chocs qu'il a eſſuyé dans la circulation ,
& de le rétablir en ce premier état brillant
qu'on lui trouve dans l'artere aorte
&dans ſes branches .
Tant qu'il paffe beaucoup de fang de
la mere dans l'enfant , & que celui-ci a
une circulation peu conſidérable , ce ſang
ſpiritueux & rafraîchi fourni par la mere ,
ſe renouvelle ſouvent dans les organes
du fétus , & celui- ci jouit de tous les
avantages que la reſpiration de cette
mere a procuré à ces liqueurs. C'eſt le
cas de l'enfant dans les premiers mois.
Mais en acquérant de l'âge , les vaiſſeaux
de communication avec la mere ſe rempliffent
peu à peu & ſe ferment. La circulation
propre au fétus devient plus
grande & plus forte à proportion de fon
accroiſſement. Il commence peu à peu à
faire rouler ce commerce de liqueurs
fur fon propre fond. Or à mesure que
ces liqueurs ſe privent de l'aſſociation
avec celles de la mere , elles manquent
JANVIER . 1757 . 175
de ce rafraîchiſſement qu'elles en reçoivent.
La raréfaction qui en réſulte , eſt
d'autant plus conſidérable , que l'enfant
eſt plus âgé , c'est-à- dire , que fa circulation
eſt plus vigoureuſe , plus capable
de broyer le ſang , de le diſſoudre. L'effet
de cette raréfaction du fang portée
à un certain degré , eſt de produire dans
les poumons un ſentiment de fuffocation
très - vif, & dans toutes les parties du
corps une inquiétude analogue à celle des
ébullitions. Cet état du fang de l'enfant
arrive pour l'ordinaire au bout de 9 mois.
Alors il s'agite , l'organe qui le contient ,
ſenſible à ces mouvemens , ſe contracte ,
& du concours de ces mouvemens du fétus
, & de la contraction de ſon enveloppe
, réſulte ſon expulfion ou l'accouchement
: d'où l'on voit que le terme de
ce dénouement dépend premiérement de
la vigueur , tant de l'enfant , que de ſa
circulation ; ſecondement , de la ſenſibilité
de l'organe où il eſt logé. Un excès
dans ces difpofitions fait des accouchemens
précoces. Le défaut contraire y produira
des retardemens plus ou moins conſidérables
, à proportion de ce défaut .
Tel eſt le cas de la Dame dont notre
Anatomiſte Phyſicien explique toutes les
circonſtances par les principes précédens .
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE .
M. du Boullay Secretaire pour les Belles-
Lettres , lut enſuite l'hiſtoire de Jean
Sans Terre , dernier Duc de Normandie
& Roi d'Angleterre. Comme les faits hiftoriques
ne font pas ſuſceptibles d'extrait ,
on ne peut donner une idée de cet Ouvrage
qu'en en rapportant quelques morceaux
détachés , pour faire juger du ſtyle
& de la maniere de l'Auteur.
Voici un tableau des horreurs du mémorable
ſiege du château Gaillard. Les
bouches inutiles que le Gouverneur avoit
miſes dehors la Citadelle , furent repoufſées
par ordre de Philippe-Auguste à coups
de fleches & de pierres , & un grand
nombre de ces malheureux mourut de
faim & de miſere , entre la circonvallation
& le fort.
<<Cependant au retour du printemps
>>Philippe vint viſiter les ouvrages ; & ce
> qui reſtoit de cette troupe infortunée
" l'ayant apperçu , ſe mit à pouſſer des
>>cris lamentables , & tendant les bras vers
>>lui , ils ſe proſternerent le viſage con-
>>tre terre pour lui demander la vie. Ce
" grand Prince ſentit alors le cri de l'hu-
>>manité ſe lever dans ſon coeur. Peut-
>>être déplora-t'il les effets de cette am-
>>bition funeſte , que les hommes ont dé-
>> coré du nom d'héroïſme , & qui ſouvent
JANVIER . 1757 . 177
>>mériteroit mieux celui de barbarie , &
>> il éprouva combien les Rois doivent
>>>être en garde contre les ordres de ri-
>>gueur qu'on leur fait ſigner , lorſqu'ils
>> ſont éloignés , & que leurs yeux ne
>>peuvent être frappés des malheurs dont
>>ces ordres ſont la cauſe. Attendri par
>>un ſi triſte ſpectacle , il commanda qu'on
>>donnât des ſecours à cette troupe mal-
>>heureuſe ; mais ils furent inutiles pour
>>la plupart : le grand nombre n'étant plus
>> en état d'en recevoir , & les autres
>>n'ayant pu modérer la faim qui les
>>preſſoit , périrent par les alimens même
>>que la pitié du Roi leur fit donner. >>
Nous ajouterons à ce morceau les réflexions
ſuivantes ſur la réduction de
la Normandie , & fa réunion à la Couronne
. Cette Ville , dit M. D. B.
>>fiere de la puiſſance de ſes Souverains
>>particuliers , humiliée peut- être dede-
>>venir une ſimple Capitale de provin-
>>ce , ne ſçavoit pas fans doute , lorſqu'elle
>>figna cette fameuſe capitulation qui l'a
>>rendue le patrimoine de la France ,
>>qu'elle fignoit fon bonheur. Le pays
>>riche & fertile auquel elle commande ,
>>ruiné par des guerres continuelles , avoit
>>beſoin d'une paix profonde pour voir
>>ſes Arts , ſes manufactures , ſa fécon-
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
1
4
>> dité , ſon commerce , monter au point
>>de grandeur , où ils font parvenus ſous
>>l'empire des Rois de France. En vain
>>> l'eût- elle eſpéré cette paix ſi néceſſaire ,
>>tant qu'elle auroit été dans leur voifi-
>>nage ſans être ſous leur domination.
>>Devenue partie d'un Royaume florif-
>> fant , entourée des autres côtés par
>> la mer , elle n'entend plus que de loin
>>gronder le tonnerre , & elle cultive en
>> liberté les Arts de la paix. En vain le
>>Lion anglois rugit encore , & ſemble
>>regretter la proie qui lui a été ravie
>>une main puiſſante & chérie nous pro-
>>tége ; rien n'altérera plus notre tran-
>>quillité , tandis que les armées formi-
>>dables qui bordent nos côtes , portent
>> au loin l'épouvante & la terreur. »
Nous finirons cet extrait par le portrait
de Jean- Sans Terre. « Son hiftoire ,
>> dit M. D. B. ſera à jamais un exem-
>>ple terrible pour les Rois , & une leçon
>>frappante pour l'humanité. Il réunit au
>>plus haut degré deux qualités qui pa-
>> roiffent d'abord contraires , & qui ce-
>> pendant ont beaucoup de liaiſon l'une
>>>avec l'autre , la foibleſſe & la cruauté.
>>En faiſant le malheur de ſes peuples ,
>> il fit le ſien. Il eſt difficile d'éprouver de
>>plus dures extrêmités & des traitemens
د
JANVIER. 1757. 179
ود
>> plus ignominieux que ceux où il ſe vit
>>réduit. Il prouva par ſon exemple qu'un
>> tyran eſt lui-même ſon plus cruel enne-
>>mi , & qu'il n'eſt point de rang , point
>>de dignité ſi élevée , qui mette au def-
>>ſus de cette loi irrévocable établie par
>>> l'Auteur de la nature. Nul homme ne
>>peut être heureux qu'en contribuant au
>>bonheur de ſes ſemblables , & il n'en
>>peut jamais devenir le tyran & le fléau
>>qu'aux dépens de ſa propre félicité. »
M. Hoden Directeur-Général des pompes
de la Ville , lut un Mémoire dans
lequel il donne un projet pour perfectionner
les cabeſtans doubles & fimples ,
les virevaux , &c. & les rendre d'un uſage
plus commode ſur mer & ſur terre.
Cer Académicien expoſa d'abord les
défauts auxquels la conſtruction de ces
machines les rend ſujettes. Ces défauts
avoient engagé l'Académie des Sciences
de Paris à faire imprimer en 1745 les
ſçavans Mémoires qui ont remporté le
Prix qu'elle avoit propofé en 1737 , pour
parer ces inconvéniens , mais dont cette
illuſtre Académie me paroît pas entiérement
fatisfaite. Il fit enſuite la deſcription
d'un cabeſtan dont il a rendu le
jeu perpetuel , avec lequel par conféquent
on n'eſt jamais obligé de choquer , de
Hvj
180 MERCURE DE FRANCE .
boſſer , ni de faire aucune repriſe , ſoit
qu'on ſe ſerve de la tourne-vire ou non.
Pendant toute la ſéance les aſſiſtans
eurent ſous les yeux un modele de ce
cabeſtan en petit , qui tenoit ſuſpendu
un poids de 1 à 12 cens livres . Le cable
d'expérience qui avoit trois pouces
de diametre environ , faiſoit à peine le
quart d'une circonvolution ſur le modele
dont le cylindre avoit 4 pouces de rayon .
L'extrêmité du cable oppoſé au fardeau
n'eſt retenu par aucun garant. Elle étoit
au contraire rejettée pardeſſus le cylindre
, & pendoit librement du même côté
que le fardeau.
M. Le Cat lut un mémoire intitulé ,
Remarques & expériences ſur la lumiere &
le feu réflechi par des miroirs. Cet Ouvrage
raſſemble ſous un même coup d'oeil
quelques-uns des progrès les plus frappans
de la catoptrique. On s'y arrête en particulier
ſur les moyens de mettre le feu avec
deux miroirs concaves àdes matieres combuſtibles,
placées au foyer d'un des miroirs,
lequel raſſemble la chaleur de quelques
charbons ardens mis pareillement au foyer
d'un ſecond miroir concave , éloigné du
premier de 20 , 30 , 50 pieds , felon le
diametre & la perfection de ces inftrumens.
JANVIER. 1757. 181
ARTICLE I V.
BEAUX - ARTS.
ARTS AGRÉABLE S.
MUSIQUE.
LETTRE à l'Auteur du Mercure.
MONSIEUR, ONSIEUR , vous avez inféré dans votre
ſecond Volume d'Octobre une Lettre de
M.Rouffier, dans laquelle il paroît fâché que
j'aye fait part au Public de mes nouveaux
fignes pour l'accompagnement du Clavecin ,
ou du moins que je l'aye prévenu. Nous
avons puiſé tous deux dans la même fource
, dans le plan d'une nouvelle Méthode
pour l'accompagnement , que M. Rameau
publia en 1732 , & dont j'ai fait l'analyſe
dans la feconde partie du fentiment d'un
Harmoniphile fur differens ouvrages de mufique
( 1 ) . Les mêmes idées nous font venues
( 1 ) Voyez le dixieme Paragraphe de cet Ouvrage
qui ſe trouve chez Jombert , Lambert &
Duchesne , ainſi qu'aux adreſſes ordinaires pour la
Muſique.
182 MERCURE DE FRANCE .
à quelque différence cependant. Je ſuis
heureux d'être éloigné de cent lieues
de M. Rouffier , car il m'auroit ſans doute
accuſé de plagiat. Ce qui le conſole , c'eſt
qu'il croit appercevoir des fautes dans ma
Méthode ; fautes qui n'exiſtent pourtant
que dans fon imagination , mais auxquelles
il ne voudroit prendre aucune part ; temoin
, dit- il , « l'harmonie des trois der-
>>nieres meſures qui , dans l'Ariette N° 4 ,
>>précedent immédiatement la repriſe.
X667
54 X X
>> On y trouve , La ,fi- , mi , & la Baf-
>> ſe fondamentale y eſt exprimée ainſi par
>>le ſecours des nouveaux ſignes ,
7
7 XX
FX EB E
(La ,ſi-, mi . ) Fax dominante , défi-
7
>> gné par FX , deſcend donc ici d'une ſe-
>> conde ſur mi Tonique , exprimé par E.
>> Or je cherche vainement ce que devient
>> la diſſonance de cette dominante , c'eſt-
» à- dire , mi , ſeptieme de FaX. Il me fem-
» ble que ce mi devroit être ſauvé ſur Ré ,
>> en defcendant diatoniquement , & je ne
>> l'entrevois nullement , ce Ré ſi néceſſaire,
>> dans l'accord parfait de la Tonique mi ,
JANVIER. 1757. 183
>>q>ui ſe préſente àla ſuitede ladominante
>>en queſtion . >>
Si M. Rouffier connoiſſoit mieux la fucceffion
des accords , & la liaiſon harmonique
qui en reſulte , il verroit que ce
mi fait partie de l'accord ſuivant , &
qu'il reſte ſur le même degré pour ſe ſauver
enſuite ſur le Ré du pénultieme accord.
Qu'auroit- ce donc éré , fi après l'accord
de fixte quarte , j'euſſe employé celui
de quarte & quinte , avant l'accord de
ſeptiemedela dominanteTonique, comme
on le fait dans preſque toutes les cadences
parfaites ? M. Rouſſier n'eût pas manqué
de me taxer d'ineptie : c'eſt cependant ce
que l'on trouve dans les compoſitions de
nos meilleurs Auteurs. Mais comme mes
Ouvrages ne font pas d'un affez grand
poids pour perfuader mon Cenſeur , &
lui faire voirque l'harmonie qu'il critique
eſt bonne , & très - bonne , entre cent
exemples de pareille harmonie que je pourrois
lui citer , je me borne aux deux fuivans
: le premier eſt tiré du Ballet de Pigmalion
, à la fin du beau monologue , Fatal
amour , &c . page 7 ;& le ſecond eſt tiré du
fublime morceau Triſtes apprêts , pâlesflambeaux
, de la Tragédie de Caſtor & Pollux
, page 42. Ces deux Opera , connus
de tout le monde pour être les
I1S4 MERCURE DE FRANCE.
chef-d'oeuvres de M. Rameau , feront , je
crois , fuffifans ; & je ne penſe pas que M.
Rouffier ofe porter condamnation ſur les
Ouvrages de ce célebre Muſicien.
Il eſt aisé de voir dans les deux morceaux
que je viens de citer , que la note qui forme
la diſſonance dans l'accord de quinte
& fixte , reſte ſur le même degré pour
former la quarte confonante de l'accord de
fixte quarte qui ſuit ; que dans le premier
exemple , cette même note defcend
enfuite diatoniquement ſur la note ſenſible
, qui eſt la note ſur laquelle elle auroit
deſcendu immédiatement après l'accord de
quinte & fixte , ſi la phrafe muſicale n'eût
pas été alongée par l'accord de fixte quarte
; & que dans le ſecond exemple , cette
même note , après avoir formé la quarte
confonnante de l'accord de ſixte quarte ,
reſte encore fur le même degré pour former
la quarte hétéroclite , & qu'elle defcend
enſuite ſur la note ſenſible comme à
l'ordinaire. M. Rouſſier n'a pas fait attention
que cet accord s'emploie de deux
manieres , ſelon les cas différens où il fe
trouve placé ; ſçavoir , lorſqu'il eſt ſuivi
de l'harmonie d'une dominante tonique ,
ou de celle d'une tonique : que dans le
premier cas , la quinte doit deſcendre
diatoniquement , tandis que le ſon fonJANVIER.
1757. 185
a
damental reſte ſur le même degré , & que
dans le ſecond , c'eſt au contraire la quinte
qui reſte ſur le même degré ; tandis
que la fixte monte diatoniquement ſur la
tierce du ſon fondamental de l'accord qui
ſuit : or c'eſt juſtement le cas dont il eſt
ici queſtion : car que l'on compare les
deux paſſages de ma Baſſe dont on improuve
l'harmonie avec les deux exemples
que je viens de citer , & l'on verra qu'ils
font les mêmes .
Que cet accord de quinte & fixte , qui
précede celui d'une dominante , celui de
fixte quarte , ou celui de quarte hétéroclite
, tire ſon fondement d'un accord de
ſeptieme de dominante ſimple , ou de celui
d'une ſous-dominante auquel on ajoute
la fixte , cela ne fait rien pour la pratique
de l'accompagnement , comme M.
Rameau l'a dit dans le Plan de ſa Méthode
page 31 ; le plus ſimple eſt toujours le
meilleur : or je crois que ma méthode
l'eſt encore plus que celle de M. Rouffier ,
puiſqu'il y fait une diſtinction des dominantes
avec les ſous-dominantes , & que
je n'ai qu'un ſeul figne pour l'une & pour
l'autre. La même idée m'étoit bien venue
, mais j'ai préféré de réduire tout en
accords parfaits & en accords de ſeptiemes.
J'avois même imaginé de marquer
186 MERCURE DE FRANCE.
l'accord de quarte hétéroclite de la lettre
qui déſigne la tonique avec un 2 au deſſus ,
parce qu'en effet il n'y a de différence entre
ces deux accords , que dans la tierce
que l'on change en ſeconde ; mais j'ai
mieux aimé conſerver le 4 , pour les mêmes
raiſons qui ont porté M. Rameau à
s'en fervir , attendu que dans ma méthode
je conſerve ſon doigter.
Ce défaut que M. Rouffier me reproche ,
de marquer par un 7 l'accord de quinte
& fixte , provenant d'une fixte ajoutée à
l'accord parfait de la fous-dominante ; ce
défaut , dis- je , ſi c'en eſt un dans mes
fignes , ſe trouve auſſi dans le Plan de la
Méthode de M. Rameau ; car il chiffre cet
accord de quinte & fixte , par un 2 , pour
déſigner qu'il faut toucher la ſeconde de
la tonique; mais comme cette même tonique
ou du moins la lettre qui déſigne
fon accord, ſe trouve immédiatement après
celui marqué par le chiffre 2 , la note fur
laquelle devroit deſcendre celle qui porte
cet accord de ſeconde , ainſi que la regle
de l'accord de ſeconde le preſcrit , ne fe
trouvant point dans cet accord de la tonique
, la ſeconde monte pour lors diatoniquement
, ainſi que le fait dans mon
accord de ſeptieme le ſon qui ſe trouve
au deſſus : mais ce même ſon , dans la
JANVIER. 1757. 187
Méthode de M. Rameau , ainſi que dans
la mienne , reprend ſon empire dans l'accord
de ſeptieme de la dominante tonique
qui fuit , & force la diſſonance de
ſuivre ſon cours ordinaire. Je ſuis heureux
de me trouver en faute avec un auſſi
grand Maître , & je crois que l'on feroit
mal-fondé à le taxer de ne pas ſçavoir ce
qu'il fait .
Al'égard de l'accord de petite fixte tierce
& quarte que l'on trouve chiffré fur
l'ut dans la premiere des trois dernieres
meſures de mon Ariette , il eſt viſible que
c'eſt une faute du Graveur qui devoit
mettre cet accord entre le fa & l'ut , &
que le nouveau ſigne qui ſe trouve def-
7 7
ſous devoit être un B , & non pas un F.
De plus , il devoit y avoir ſur l'ut un 6 ,
marquant l'accord de ſixte conſonnante
& un A au deſſous ; plus un 4 fur le
dernier mi & un 4 au deſſous , marquant
l'accord de quarte hétéroclite. Je prie les
perſonnes qui en ont des exemplaires de
vouloir bien corriger les fautes que je
viens de citer ; je les prie auſſi de vouloir
bien effacer les chiffres de la dixieme &
de la onzieme meſure , où l'on trouve fur
le la de la Baſſe un 7 ; ſur lefa un & ; &
ſur leſi un 7 ; ainſi que les lettres qui ſe
188 MERCURE DE FRANCE .
trouvent ſous ces mêmes chiffres , & de
les corriger ainſi :
6
3
B. C. la utfi, laſol la , fa sol la , ji , &c.
Nouv. fig. F B
Je ſuis charmé que M. Rouſſier ait eu
la même idée que moi. La conformité de
nos Méthodes en prouve la ſimplicité &
j'oſe dire l'excellence. Je puis cependantl'aſſurer
ici que s'il ne date que de dixhuit
mois , il y a plus de ſix ans que la
mienne étoit en état de paroître , ainſi
que je le pourrois prouver par des perſonnes
dignes de foi. Si je ne l'ai pas
donné plutôt , c'eſt que j'ai cru qu'il valoit
mieux me ſervir de celle de M. Rameau ,
qui étoit déja connue , comme on le peut
voir par pluſieurs de mes Ouvrages auxquels
j'ai aſſocié ſes ſignes.
Au reſte , puiſque notre dispute n'inſtruit
qu'imparfaitement le public de la
différence qui ſe trouve entre nos deux
Méthodes , & de la ſupériorité que l'une
peut avoir ſur l'autre , foumettons les à
fon jugement en les donnant complettes.
J'ai l'honneur d'être , &c .
DE MORAMBERT.
AParis, ce 23 Octobre 1756 .
JANVIER . 1757. 189
Le Sieur Noblet , ordinaire de l'Aca-
,
démie Royale de Muſique , connu par
pluſieurs Pieces de ſa compoſition , vient
de mettre au jour un Livre de Clavecin
& trois Sonates avec accompagnement de
Violon , dédié à Mgr. le Comte de Saint
Florentin , Miniſtre & Secretaire d'Etat.
Il ſe vend à Paris , chez l'Auteur , rue
Fromenteau , vis- à- vis la Place du Louvre
, & aux adreſſes ordinaires : le prix en
blanc eſt de 9 liv.
Nous annonçons en même temps fix
Sonates à quatre , deux Violons Alto &
Baffo , fix Sonates de Violoncelle , du
ſieur Carlo Ferrari , Muſicien de la Chambre
de l'Infant Dom Philippe .
GRAVURE.
NoOuuss annonçons une nouvelle Eſtampedu
Parnaſſe François , gravée par Maifonneuve
, fur le modele de celui que M.
Titon du Tillet a fait exécuter en bronze,
Les Figures principales ſont depuis quinze
juſqu'à dix-huit pouces de proportion , &
placées ſur une montagne hériſſée de rochers
où s'élevent des troncs de lauriers ,
de palmiers & de chêne. Le fonds de
190 MERCURE DE FRANCE .
cette Eſtampe eſt un grand & magnifique
boſquet. On la rouve chez la Veuve Chereau
, rue S. Jacques , aux deux piliers
d'or. Un tel monument ne ſçauroit être
conſacré de trop de manieres.
Le Sieur Duflos , Graveur , connu par
pluſieurs Eſtampes qui ont eu l'approbation
du public , vient d'en mettre au jour
deux nouvelles , qui plairont également
aux Connoiffeurs. Elles ſont d'après deux
Tabeaux de M. Jeaurat , expoſés avec ſuccès
au dernier Sallon du Louvre ; l'un intitulé
, Enlèvement de Police , & l'autre , Déménagement
d'un Peintre. Les deux Eſtampes
portent les mêmes titres , & ſe vendent
chez l'Auteur , rue Galande.
Le Sieur le Rouge , Ingénieur-Géographe
du Roi , rue des Grands Auguſtins ,
reçoit actuellement des ſouſcriptions pour
la Carte de Boheme par Muller , de 25
feuilles , petit papier , qui paroîtra au premier
d'Avril prochain , en 9 feuilles , lefquelles
formeront une ſurface égale à celle
de 25 feuilles , petit papier. On payera
en ſouſcrivant 9 liv. pour les 9 feuilles ,
que ceux qui n'auront pas ſouſcrit payeront
18 liv. Il eſt inutile de faire l'éloge
de ce chef-d'oeuvre dont l'exemplaire coûtoit
so florins en Allemagne .
JANVIER. 1757 . 191
Nouveau Traité d'Ecriture , enrichi de
pluſieurs Pieces gravées d'après le Chefd'oeuvre
de M. Roſſignol , où l'on trouve
ſes démonstrations ſelon les principes de
M. Alais , & dans lequel l'on combat de
nouveaux Principes ſur l'art d'écrire ; dédié
à Monſeigneur le Duc de Chartres ,
par le Sieur Glachant , Expert Ecrivain-
Juré , & Maître à écrire de Monſeigneur
le Duc de Chartre, 1742 : ſeconde édition ,
augmentée de pluſieurs belles pieces de
gravure , entr'autres deux pieces qui
renferment quatre alphabets des Langues
Orientales . Il ſe vend à Paris , chez la
Veuve Feſſard , dans le paſſage de S. Germain
- l'Auxerrois , où se trouvent tous les
Ouvrages gravés d'après M. Roſſignol. Le
prix eſt de 6 liv . & avec l'augmentation
de 8 liv.
Le Sieur Pelletier vient de graver une
nouvelle Eſtampe d'après feu M. le Moyne.
Elle a pour titre Narciffe , & ſe vend
chez l'Auteur à Paris , rue S. Jacques ,
chez un Limonadier , vis-à- vis la rue des
Noyers. Prix 2 liv. 8 fols.
192 MERCURE DE FRANCE.
ARTS UTILES .
ARCHITECTURE .
LETTRE à l'Auteur du Mercure .
MONSIEUR , comme je n'ai point l'honneur
de connoître l'Auteur de la Lettre que
vous avez inférée dans votre Mercure du
mois d'Octobre dernier , ſur les nouveaux
travaux de S. Germain l'Auxerrois , & que
j'ignore également le nom de celui à qui
elle eft adreſſée ; permettez- moi de vous
envoyer ma Réponſe, en vous priant de la
rendre publique.
L'Auteur de la Lettre prétend , Monfieur
, qu'il a fait toutes les perquiſitions néceſſaires
, qu'il s'est informé de tout , qu'il a
écouté le public , qu'il s'est rencontré avec
pluſieurs Membres de la Fabrique de S. Germain-
l'Auxerrois , qu'il a conversé avec les
Amateurs , qu'il a même vu des Académiciens.
Voilà , ce me ſemble , bien des démarches
pour s'inſtruire : c'étoit le but de
l'Auteur. Y est- il parvenu ? J'oſe aſſurer
que non .
Sans attachement aux affaires & aux
déciſions de la Fabrique , dont je ſuis totalcment
JANVIER. 1757 . 193
talement ignoré , ſans prévention pour
l'Artiſte chargé de la conduite de ces travaux
, que je ne connois point , j'ai fait
les mêmes démarches ,je me ſuis informé ,
j'ai écouté , j'ai converſé , j'ai vu. Uniquement
ami de la vérité , je m'intéreſſe trop
à fon triomphe pour ne pas rétablir les
faits tels qu'ils font.
Tout le monde ſçait , Monfieur , quel
étoit l'état du Choeur de la Paroiſſe de
S. Germain , lors de l'union du Chapitre
àcelui de laMétropolitaine ; il y avoit un
Jubé& uneMenuiſerie qui le fermoient de
tous côtés , le Sanctuaire étoit très- reſſerré.
Il parut indiſpenſable de le rendre plus
commode pour les Cérémonies de l'Eglife
, & pour que le public jouît avec
plus d'édification de la célébration de nos
Saints Myſteres : auſſi y a-t'il plus de fix
ans que la Fabrique penſe ſérieuſement
à le décorer.
Les Marguilliers rendirent dès-lors leur
deſſein public; c'eſt ce qui engagea ſans
doure M. Slodez à faire un modele , M.
Meiſſonnier à faire des deſſeins , & M.
Bacarit à donner des deſſeins & à préſenter
un modele en relief.
Le modele de M. Slodtz parut admirable;
il eſt digne en effet de la réputation
de ce célebre Artiſte. Je ſçais que les def-
1.Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
feins de M. Meiſſonnier contenoient de
très belles parties , quoiqu'ils ne fuſſent
pas exempts de défauts. S'ils n'ont pas été
acceptés , ce n'eſt pas , ainſi que l'annonce
l'Auteur de la Lettre , pour préférer le ſeul
& l'unique de M. Bacarit.
Mais le modele de M. Slodız étoit d'un
goût qui ne pouvoit en aucune façon
s'allier avec l'Architecture gothique de
l'Egliſe , & qui auroit jetté la Fabrique
dans une dépenſe trop conſidérable , quand
même il auroit pu être exécuté. Voilà ,
Monfieur , la ſeule raiſon : je crois que
vous conviendrez qu'elle ne deshonore
niM. Slodtz , ni les Marguilliers.
Les deſſeins de M. Meiſſonnier ne furent
préſentés à la Fabrique qu'après fon
décès , & l'on a cru devoir préférer l'Ouvrage
d'un homme vivant , en état par
conféquent de ſuivre lui-même ſon projet.
Lesdeſſeins & le modele de M. Bacarit
préſentés à la Fabrique , ſans apui de perſonne
, & fans autre protection que fon
talent déja connu , ſéduifirent à la vérité
les Marguilliers. Ils ſembloient annoncer
tout à la fois une noble ſimplicité plus
analogue au gothique de l'Eglife , & une
fage économie dans la dépenſe ; objets
qui fixoient l'attention des Marguilliers.
Ils auroient pu , ſans contredit , les agréer
JANVIER. 1757 . 195
alors : cependant craignant de s'abuſer
eux-mêmes , ils ont confulté le public ,
ils s'en font rapportés aux lumieres des
Amateurs & des Connoiffeurs , ils ont
foumis le modele à l'examen & à la déciſion
de l'Académie , & ce n'est qu'après
avoir réuni en faveur de M. Bacarit les
ſuffrages du Public , des Amateurs , des
Connoiffeurs & de l'Académie même ,
que la Fabrique a enfin agréé les plans de
M. Bacarit.
Il n'étoit pas poſſible d'en foumettre
d'autres au jugement de l'Académie ; ceux
de MM. Slodız & Meiſſonnier ne pouvoient
être adoptés; je vous en ai expoſé
les raiſons. Ce font cependant les ſeuls
qui aient été préſentés & montrés à la
Fabrique ; tous les Marguilliers & pluſieurs
Paroiſſiens certifieront ce fait.
Il eſt vrai que trente ou quarante ans
avant le projet de décoration du Choeur ,
feu M. Ballin , Orfevre du Roi , avoit fait
un modele en relief , mais il eſt vrai auſſi
qu'il n'eſt jamais forti de ſon Cabinet ,
qu'il n'a été vu que de peu de perſonnes ,
du nombre deſquelles l'Auteur de la Lettre
étoit fans doute.
Si M. Caqué , Auteur du beau Portail
des Peres de l'Oratoire , a préſenté un
modele à Mrs. les Marguilliers , il faut
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
qu'il l'ait fait bien ſecrétement , & qu'il
l'ait confié à une perſonne bien difcrette ,
puiſqu'aucun des Marguilliers ne l'a vu ;
car c'eſt un faitque je puis encore atteſter
après avoir cherché à me rencontrer avec
pluſieurs des Membres de la Fabrique :
aucun ne m'a parlé du plan de M. Caqué
, aux talens & au mérite duquel je
donnerai toujours de juſtes éloges avoués
du public.
L'on ne peut reprocher ſérieuſement
aux Marguilliers la lenteur de M. Babuty
àproduire ſon projet. Est-ce en effet leur
faute , ſi après fix ans révolus , & au moment
même de la décision , il a voulu
entrer en lice ? S'il eſt venu trop tard à
qui s'en prendre ? D'ailleurs fi d'un côté
il s'eſt trouvé dans ſes deſſeins des parties
qui annoncent des talens qui répondent
au nomqu'il s'eſt déja acquis , d'un autre ,
fon plandans ſa toralité n'étoit pas ſi analogue
au gothique de l'Egliſe , que celui
de M. Bacarit. 1
J'avouerai que j'ignore ſi M. Blondel
a été arrêté dans ſa compoſition& au milieu
d'une très -belle course , par la prompte
déciſion de la Fabrique. Je ſuppoſe l'Auteur
de la Lettre mieux inſtruit de ce fait
que tous Mrs. les Marguilliers & moi ; mais
je n'entirerai pas moins la conféquence
JANVIER. 1757. 197
1
que ſi M. Blondel a été arrêté au milieu
d'une très-belle course , c'eſt qu'il s'y eſt pris
trop tard.
Diſons-le donc avec vérité : Quoiqu'il
foit bien naturel d'être porté pour ſes enfans
, la faveur n'a point eu de part au
choix qu'on a fait de M. Bacarit. Il eſt
en effet enfant de la Paroiſſe , il y a été
baptifé. M. Slodtzavoit , je crois , le même
avantage. Froide ironie , qu'il fied peu
à l'Auteur de la Lettre d'employer ! Eſtce
ainſi qu'il prétend tourner en ridicule
le choix réflechi de gens reſpectables ?
Eſt-ce ainſi qu'il prétend déprimer les
talens de celui ſur lequel ce choix eſt
tombé ? Quels motifs l'ont engagé d'écrire ,
&de rendre ſa lettre publique ? Encore
fi c'étoit quelque concurrent de M. Bacarit
, paffe: je dirois que c'eſt l'envie&la
jaloufie qui ont conduit ſa plume.....
Si c'étoit un homme en place , en droit
dedire tout haut ſon ſentiment , ſoit qu'il
concourût par ſes largeſſes à l'exécution
du projet , foit qu'on fût obligé de déférer
par d'autres raiſons à ſon avis , je
ne ferois point étonné du ton de l'Auteur
de la Lettre. Mais qu'un galant homme
qui paroît avoir de bonnes intentions ,
qui eſt zélé pour la décoration de la paroiffe
, ſe laiſſe tromper par des oui-di
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
re , qu'il les annonce comme des vérités
, qu'il s'échappe en de fades plaifanteries
, & que ſans intérêt il cherche à
faire tort à un Artiſte chez l'étranger
comme dans ſa Patrie , cela eſt-il bien
chrétien a
C'eſt au Public judicieux à prononcer.
J'oſe même d'avance annoncer fon jugement
d'après les Amateurs , avec lesquels
j'ai converse , des Académiciens que j'ai vus ,
d'après le Public lui- même que j'ai écouté.
M. Bacarit répondra dans l'exécution à
ce qu'on doit attendre d'un mérite décidé.
Il méritera les applaudiſſemens qu'il
a déja reçus de MM. de l'Académie d'Architecture
, & du Bernin de nos jours ( 1 ) ;
&la prompte déciſion de la fabrique donnera
à l'Auteur de la Lettre la fatisfac--
tion de voir exécuter de ſon vivant
ce que le public attend depuis ſi longtemps.
J'ai l'honneur d'être , &c.
(1) M. Soufflot.
,
1
JANVIER. 1757. 199
HORLOGERI E.
LETTRE de M. B... à M. J. C. D. fur
des Cadrans de Pendules d'une nouvelle
invention.
Vououss vous intéreſſez , Monfieur , aux
progrès des Arts ; la faveur que vous leur
accordez , & votre amour pour le bien public
m'engagent à vous faire part d'une invention
qui peut contribuer beaucoup à
l'ornement des Pendules. Vous ſçaurez que
l'on cherche depuis long-temps l'art d'en
perfectionner les Cadrans : l'expérience a
convaincu qu'il eſt d'une impoſſibilité prefque
phyſique de donner par le feu à l'émail
une fuſion parfaitement égale ſfur une
ſuperficie de 10 à 12 pouces de diametre.
Cela n'eſt poſſible que ſur les Cadrans de
Montres , dont le diametre eſt tout au
plus d'un pouce & demi .
Le ſieur Julien , Peintre en émail , après
avoir multiplié les travaux& les expériences
, eſt parvenu à faire des Cadrans d'une
matiere de compoſition , qui a tout le mérite
& tout l'éclat de l'émail. La blancheur
& le brillant de ces Cadrans font inaltérables
, l'humidité & la ſéchereſſe n'y
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
peuvent apporter aucun changement ; en
quelque lieu qu'on les place , ils ont
toujours la mêmebeauté. Je ne parle point
de leur netteté& de leur préciſion , l'expérience
& la réputation de l'Artiſte ne
laiſſent rien à déſirer à cet égard : je dirai
ſeulement qu'un des grands avantages
qu'on en peut tirer , c'eſt qu'ils peuvent
être portés à toutes fortes degrandeur ,
ſans rien diminuer de leur perfection , &
qu'ils font d'un prixbien moins conſidérables
que les Cadrans d'émail. Mon approbation
ne feroit peut-être pas capable de
leur faire remporter le prix ſur tout ce qui
a paru juſqu'à préſent dans ce genre ;
mais celle qu'ils ont reçu de Meſſieurs de
l'Académie royale des Sciences leur garantit
d'avance celle des connoiffeurs.
J'ai l'honneur d'être , &c .
La perſonne qui nous a envoyé cette
lettre, nous a informés que le ſieur Julien
demeure à Paris , rue S. Antoine dans une
maifon à porte cochere , vis-à-vis le petit
S. Antoine.
JANVIER. 1757. 201
ARTICLE V.
SPECTACLES.
COMEDIE FRANÇOISE.
L'ÉLOGE
L
'ÉLOGE de Mademoiselle Dangeville
doit décorer cet article : peut-on mieux
le commencér ? "
LE JUGEMENT DE MINERVE ,
AMademoiselle Dangeville.
THALIE & le Dieu de Cythere ,
Un jour à votre occafion
Eurent une altercation .
Devant Minerve on porta la matiere,
Et par le ftyx il fut juré , dit-on ,
Sous la peine la plus févere ,
Qu'on ſouſcriroit à ſa déciſion.
Minerve y confentit: la fille d'Apolloma
:
En ces mots expliqua Paffaire.
Vous connoiſſez l'aimable Dangeville ,
Du Théâtre François l'ornement & l'amour,,
Iw
202 MERCURE DE FRANCE.
Dangeville aujourd'hui le charme de la Cour ,
Et les délices de la Ville ;
Ce cher objet de mes foins affidus ,
Que j'élevai dès ſon enfance ,
Et dont les talens ſoutenus
Ont ſurpaſſé même mon eſpérance.
L'Amour , ce Dieu préſomptueux ,
Ofe me diſputer la gloire & l'avantage
D'avoir ſeule formé , par mon art merveilleux
Des talens qui font mon ouvrage.
N'est-ce pas moi qui regle tous fes pas ,
Ses regards , ſes diſcours , & même ſon ſilence;
Ses geſtes , ſon maintien , cette noble décence
Ce goût que l'art polit , mais qu'il ne donne pas
Tout ce qu'elle eſt , elle l'eſt par Thalie :
Je veux exprès un jour jouer la Comédie ,
Et contraindre par-là tous les Dieux d'avouer
Que Dangeville eſt ma copie ,
,
Et qu'elle ſçait , comme moi , lajouer.
Comme vous ! arrêtez , dit le Dieu de Cythere ;
Je vous croyois modeſte , & furtout plus fincere :
L'éloge eſt très- flatteur , & me paroît bien doux.
Dangeville jouera tout auffi-bien que vous ;
Mais c'eſt par moi qu'elle ſçaura nous plaire.
L'Amour donne aux talens leur véritable prix ;
Ils n'ont , ſans lui , qu'un air rude & fauvage :
Le ſecret , le grand art de les mettre en uſage,
N'eſt réſervé qu'à l'enfant de Cypris :
Vous les formez , & je les embellis.
JANVIER. 1757 . 203
Dangeville me doit ſes charmes ,
Tyrans adorés & vainqueurs ,
Ses attraits font les ſeules armes
Qui lui ſoumettent tous les coeurs.
Les ris & les graces
Volent ſur ſes pas ,
Les jeux délicats
Naiſſent ſous ſes traces.
Sur ſon front gracieux ,
'Avec des traits de flamme ,
J'ai peint l'éclat des Cieux
Je regne ſur ſon ame ,
Et brille dans ſes yeux.
r
Reconnoifſſez ici mon ſouverain empire ,
Que votre art impuiſſant reſpecte mon pouvoir =
Je regle le deſtin de tout ce qui reſpire ;
Pour triompher ſans vous je n'ai qu'à le vou
loir.
,
Doucement , s'il vous plaît ,dit l'auſtere Minerve:
Votre pouvoir eſt grand ; mais chacun a le fien
Et l'on ne me doit pas compter ici pour rien.
Apprenez à parler avec plus de réſerve.
Thalie & ſes leçons forment l'habile Acteur ;
Cupidon ſçait le rendre aimable ,
Minerve le rend eftimable .
Vous parez les dehors , moi , j'enrichis le coeur.
Voilàmon jugement ; s'il n'eſt point trop flatteur,
Du moins il eſt très-équitable.
Vivons en paix , & qu'en cejour
1
Ivj
204 MERCURE DE FRANCE .
Toute diſpute foit finie ;
Applaudiſſons-nous tour àtour.
Dangeville à la fois eſt ma fille chérie ,
Elle est lagloire de l'amour ,
Et le chef-d'oeuvre de Thalie.
:
Par M. GUIS , Aſſocié de l'Académic
royale des Belles- Lettres de Caën.
Le Lundi 29 Novembre , les Comédiens
François ont repris la Coquette corrigée,
Comédie en cinq Actes en vers , de
M. de la Noue. Elle a été encore plus applaudie
& plus goûtée que dans la nouveauté.
Nous ſommes très-flattés que le
jugement plus refléchi du Public ſe trouve
aujourd'hui conforme à celui que nous en
avons d'abord porté. Nous avons donné
l'extrait détaillé de cette piece dans le
Mercure de Juin 1756. L'Auteur nous a
écrit à ce ſujet une Lettre inférée dans le
fecond volume de Juillet de la même
année. Nous y renvoyons le Lecteur. On
ytrouvera auffi notre réponſe.
COMÉDIE ITALIENNE.
La Samedi 11 Décembre , les Comédiens
ont donné l'immortelle Servante
Maîtreffe , qui ſemble ſe renouveller
JANVIER. 1757. 205
chaque fois qu'on la remer. Il est vrai
qu'elle vient d'être rajeunie par Madedemoiſelle
Victoire &par M. Chamville ,
qui a joué le rôle de Pandolfe avec l'applaudiſſement
général. Cette repréſentation
a été d'autant plus brillante , que
leurs A. S. Monſeigneur le Duc d'Orléans
&Monſeigneur le Duc de Chartres l'ont
honorée de leur préſence.
Le Jeudi 16 , les mêmes Comédiens
ont repréſenté pour la premiere fois la
Jeune Grecque , Comédie en trois Actes
en vers. Elle a été bien reçue du Public ,
&nous a paru le mériter par les détails&
par l'eſprit dont elle eſt remplie. S'il y a
même un reproche à faire à l'Auteur , c'eſt
de l'y avoir un peu trop prodigué: Quoi
qu'il en ſoit , nous croyons qu'elle ne peur
que lui faire honneur. Comme cette piece
aura vraiſemblablement pluſieurs repréfentations
, nous en rendrons une autre
fois un compte plus détaillé.
CONCERT SPIRITUEL..
LeE Mardi 8 Décembre , leConcert com
mença par une ſymphonie nouvelle de M.
le Chevalier d'Herbain , ſuivie d'Exaltabo
to , Moret à grand choeur de Lalande.
206 MERCURE DE FRANCE.
Enſuite Mademoiſelle Sixte chanta Quan
dilecta , petit Motet de M. Naudé. M.
Canavas joua un Concerto de violon.
Mademoiſelle Fel chanta Regina cali , petit
Motet de M. Mondonville. M. Balbaſtre
joua fur l'Orgue l'ouverture de Pigmalion,
ſuivie des Sauvages. Le Concert finit par
In exitu , Motet à grand choeur de M.
Mondonville.
JANVIER. 1757. 207
ARTICLE VI.
NOUVELLES ÉTRANGERES.
DU NORD.
:
DE WARSOVIE , le 15 Novembre.
Un grand nombre de Seigneurs ſe ſont empref
fés de venir ici , pour rendre leurs reſpects au Roi.
Sur l'avis que les troupes Ruſſiennes , qui marchent
au ſecoursde l'Impératrice Reine de Hongrie&
de Boheme , paroiſſoient vouloir prendre
leur route par la Pologne , le Roi de Pruſſe a requis
la République de ne point leur accorder le
paſſage. Sa Majesté Pruſſienne , informée qu'on
lui ſuppoſe des vues préjudiciables aux intérêtsdes
habitans de Dantzick , les a fait aſſurer qu'Elle
étoit fort éloignée de penſer à leur donner aucun
fujetd'inquiétude.
Onapprend de Conſtantinople , que cette Ca
pitale de la Turquie eſt preſque entièrement délivrée
de la peſte , mais que le mal contagieux fait
encore beaucoup deravages dans quelques parties
de la Grece. Les mêmes lettres marquent que
dans le mois de Septembre il y a eu pluſieurs ſecouſſes
de tremblement de terre en divers endroits
des Etats duGrand Seigneur.
Les avis recus de Courlande &de Livonie portent
que les troupes Rufſſiennes , deſtinées à agir
contre leRoi de Pruſſe , ont été obligées par la
208 MERCURE DE FRANCE.
rigueurde la ſaiſon , de ſuſpendre leur marche.
Ces avis ajoutent que le7 de ce mois le Feld-
Maréchal Apraxin n'étoit pas encore arrivé àRiga.
DE STOCKOLM , le 17 Novembre .
Par une Ordonnance du 4 de ce mois , il eſt
défendu de faire entrer en Suede toutes marchandiſes
& denrées étrangeres , dont le Royaume
peut abſolument ſepaſſer.
ALLEMAGNE.
DE VIENNE , le 27 Novembre.
Leurs Majestés Impériales ont envoyé au Feld-
Maréchal Comte de Browne leurs portraits enrichis
de diamans , & l'on compte que ce Général
ſera mis au nombre des Chevaliers de l'Ordre de
laToiſon d'Or , qui font en cette Cour.
Le Comte d'Estrées , Miniſtre Plénipotentiaire
du Roi Très - Chrétien , arriva ici le ro de ce
mois. Il eut le 12 ſes audiences de Leurs Majestés
Impériales.
Près de trois cens Saxons qui ont quitté l'armée
du Roi de Pruſſe , ſont arrivés à Ybbi & à Crems.
On apprendde Cracovie que les quatreRégimens
d'Infanterie & les deux de Cavalerie de cette Nation
qui étoient en Pologne , s'avancent du côté
de Bielitz dans la haute Siléſie, pour ſe joindre aux
troupes de l'Impératrice Reine.
DE PRAGUE , le 14 Novembre.
Quatre Compagnies de Grenadiers des Régimens
que l'impératrice Reine a fait venir d'italie
, ont été miſes ici en garnison. On a déposé
JANVIER. 1757. 209
dans l'Arcenal de cette Villetous les pontons de
l'armée commandée par le Feld-Maréchal de
Browne. Il arrive tous les jours un grand nombre
de Déſerteurs Pruffiens. Pluſieurs prennent parti
dans lestroupesde l'ImpératriceReine.
: Depuis quelques jours les troupes qui
étoientdans le camp de Budin, ſe ſont ſéparées.
Le Feld-Maréchal Comte de Browne a établi ſon
quartier généralen cette Ville. Il a donné le commandement
de tous les poſtes au delà del'Elbe au
Comte de Maguire. LeGénéral Haddick commandera
ceux en deçàde cette riviere. LesHufſards&
lesCroates ont formé un cordon le long
des frontieres de la Saxe , & pluſieurs Eſcadrons
deCuiraffiers &de dragons font à portée de foutenirces
troupes irrégulieres.
Ondoit faire à Carlſbadt l'échange des prifonniers.
Il s'y rendra pour cet effet de chaque côté
un Lieutenant Colonel , un Capitaine , un Auditeur&
unCommiſſaire des guerres,
Pendant cet hyver , la Garnison de cette Ville
fera compoſée du Régiment de Jeune Wolfenbutel
, d'un Bataillon de Wallis , & de vingt- deux
Compagnies de Grenadiers.
Du Camp de Budin , le 7 Novembre.
Le 27 du mois dernier , les Prufſiens ayant
abandonné la Ville d'Auſſig ,le Feld-Maréchal
Comte de Browne la fit occuper par un Détachement
de Croates. Il fit paffer en même temps
PElbe à la plupart des troupes de cette Nation ,
pour harceler l'arriere-garde de l'armée ennemie.
Le Général Haddick s'avança le 28 avec ſon détachement
vers Peterwald. Les Pruſſiens s'en retirerent,&
il en prit poffeffion. Le 29 , le Lieutenant-
Colonel Maceligot attaqua un poſte , dans
1
210 MERCURE DE FRANCE.
lequel un corps d'ennemis étoit retranché avee
huit canons. L'action fut très-vive , & les Prufſiens
ſe défendirent long-temps à la faveur de leur
artillerie : mais le Colonel Velha étant venu au
fecours du ſieur Maceligot , le poſte fut emporté.
Les ennemisyont laiſſé près de deux cens morts
ou bleſſés. On eut le 30 des avis certains, que l'ennemi
avoit entiérement évacué la Boheme ; & le
31 , le Feld - Maréchal de Browne rappella les
Détachemens qu'il avoit envoyés dans les Cercles
de Saatz &de Leitmeritz. Sur le bruit qui ſe
répandit le premier de ce mois , que les Pruffiens
faisoientde nouveaux mouvemens du côté de Zitau&
deGabel , ce Général fit avancer le Comte
Laſcy à la tête de quelques Bataillons & d'un
Corps de Huſſards vers Jung-Buntzlau ,& le Lieutenant-
Colonel Louden vers Bambourg, avec huit
cens Croates. Le Baron de Wolferſdorff , Major
Général , fut détaché le 3 avec ſix Bataillons , un
pareil nombre de Compagnies de Grenadiers , fix
cens chevaux , &douze pieces de canon , pour
foutenir le Comte Laſcy. Les , on apprit que les
ennemis avoient pris des cantonnemens ; qu'il n'y
avoit plus que quatre mille hommes de leurs troupes
qui fuffent campés ; & que ce Corps étoit
retranchéderriere Nellendorff.
Du Quartier Général du Prince Piccolomini à
Hollochlau , le 8 Novembre 1756.
Les troupes commandées par le Prince Piccolomini
, ne ſe ſont arrêtées qu'un jour à Jaremitz
, & le 27 du mois dernier elles ſont venues
camper ici. On fut informé le 29 , qu'un Corps
de Pruſſiens qui étoit reſté à Neustadt, s'etoit retiré.
Auffitôt le Prince Piccolomini manda au
Comte Spada , de faire prendre poffeffion de ce
JANVIER. 1757. 211
i
0
Poſte. Sur l'avis qu'on reçut le même jour , que
IeFeld-Maréchal de Schwerin décampoit de Skalitz
, & qu'il paroiſſoit avoir deſſein de ſe replier
vers Lewin ; les Comtes de Spada , Louis de Starhemberg
& de Rodolphede Palfy , eurent ordre
de ſe porter en avant. En même temps, on détacha
le Colonel Mibaliewich , pour inquiéter
les ennemis dans leur retraite. Le 30 ils ſe retirerent
juſqu'à Reinerz dans le Comté de Glatz. Le
ſieur Mibaliewich , après les avoir pourſuivis ,
eſt revenu prendre poſte à Lewin. Le Feld-Maréchal
de Schwerin leva de nouveau ſon camp le
premier de ce mois. Continuant de retourner
enarriere , il alla ſe poſter ſous Glatz , & s'eſt
replié enfuite juſqu'à Warthe : il n'a laiſſé à
Glatz que deux Régimens. Quelques diſpoſitions
dece Général font juger qu'il a même deſſein
d'évacuer entiérement le Comté de Glatz . Les
troupes de l'Impératrice Reine y paient tout argentcomptant
, excepté le pain& les fourrages ,
qu'elles ne prennent même qu'en donnant des reçus.
DeuxDétachemens ſe ſont avancés à Reinerz
&àGofbubel , pour obſerver les mouvemens des
ennemis. Nos Huſſards ſont campés entre Czaſtch
&Slany. Les Régimens de Cuiraſſiers de Schmer
zing , de Kalckreuter & de Gelhay , & les Régimens
de Huſſards de Nadaſti & de Kaluocki ,
font arrivés de Hongrie en Moravie , où ils s'ar
rêteront juſqu'à nouvel ordre.
DE LEITMERITZ , le 2 Novembre.
Quelques jours avant que les Pruſſiens aban
donnaſſent la Boheme , le fieur de Tallange attaqua
Saleſl , où étoient trois cens hommes d'Infanterie&
quatre-vingts Huſſards de leur troupes,
212 MERCURE DE FRANCE .
avec deux pieces de canon. Il tailla en pieces cent
foixante -dix hommes , &il encloua les deux canons
, ne pouvant les enlever parce que fix cen's
Cavaliers ennemis vinrent au ſecours du poſte attaqué.
Le Major Manstein , qui y commandoit ,
aperdu la vie. Il n'y a eu que ſeize hommes tués
&vingt-trois bleſſés du côté des Autrichiens. Le
Général Maguire a fait former , par les troupes
qu'ila fous ſes ordres , un cordon le long de la
frontiere.
DE DRESDE , le 29 Novembre.
NeufRégimens de l'armée de Sa Majesté Pruffiennedevoient
traverſer le Cercle de Buntzlau ,
pour aller joindre l'armée qui eſt aux ordres du
Feld-Maréchal de Schwerin. Ils n'ont pu exécuter
ce projet, les Autrichiens ayant occupé les principaux
poſtes ſitués le long des montagnes de la
Luſace. Des lettres de Léipfick avoient marqué ,
que deux Régimens Saxons avoient trouvé le
moyen de ſe rendre à Prague. Les mêmes lettres
ajoutoient , que cent cinquante Soldats des mêmes
troupes avoient force trois cens Cavaliers
Pruſſiens , qui avoient été envoyés à leur pourfuite
, de mettre les armes bas , & qu'il les
avoient emmenés prifonniers en Boheme. Ces
nouvelles ne fontpas confirmées. Il eſt vrai ſeulement
que le Régiment Saxon de Lubomirsky a
refuſé de marcher ſous les ordres des Officiers
Pruſſiens , qui lui avoient été donnés pour commander
; qu'il en a tué quelques-uns , & qu'il
s'eft enfuite entiérement diſperſé.
Quelques Régimens des troupes Electorales
ayant conftamment refuſé de prêter ferment au
Roi de Pruffe , & un grand nombre de Soldats des
JANVIER. 1757. 213
1
mêmes troupes ayant pris la fuite , le Prince
Maurice d'Anhalt-Deſſau en a porté des plaintes
au Feld-Maréchal Comte de Rutowski , parordre
de Sa Majeſté Pruſſienne. Ce Feld-Maréchal a
fait à la lettre du Prince d'Anhalt une réponſe ,
dont voici l'extrait.
«V. A. S. ſçait mieux que perſonne , que la plu-
>>p>art desOfficiers,après avoirpaflé lePontdeRhu-
>>den,ont été d'abord éloignés de leurs Régimens.
>>C>omment peut-on exiger d'eux qu'ils répon-
>>dent de leur monde ; & de moi , que je répon-
►de pour les Officiers ? En vertu de la Capitulastion
, il étoit libre à ces derniers de refter au ſer-
>>vice de S. M. le Roi de Pologne , ou de demanwder
leur congé. On a convenablement annoncé
vaux Soldats qu'ils ſeroient priſonniers de guer-
»re ; mais on ne leur a dit, ni de ma part , ni
>>de celle de qui que ce ſoit , qu'ils devoient prê-
>>ter ferment au Roi de Pruffe , & qu'ils y feproient
forcés. Je me ſuis expreſſément défendu
dans la Capitulation , je l'ai fait repréſenter à S.
>>M. Pruffienne. Malgré cela , perſonne n'eſt &
>>ne ſe croit autorisé à retenir quelques hommes
>>>de l'Artillerie , de l'Infanterie& de laCavalerie.
»V. A. S. n'a qu'à nommer ceux des Généraux&
>> Officiers , qu'elle accuſe. Notre qualité de priſonniers
de guerre ne nous permet pas de
nous éloigner des lieux de notre réſidence , &
chacunde nous eſt reſponſable de ce qui pourproit
ſe faire contre la Capitulation. Mais V.A. S.
a
me permettra de lui dire que l'éloignement des
>>troupes pour la preſtationde ſerment qu'on éxi-
>>goit d'elles & qu'on leur a fait faire par des
>>m>oyens violens , ne devroit point lui paroître
>>>étrange; &quoi qu'il en ſoit , il n'eſt guere pof-
>able de rendre reſponſables de cet éloignement
214 MERCURE DE FRANCE.
>>leurs Officiers qui ſont ſéparés d'elles..... Sur
>>la Liſte des Grenadiers Gardes du Corps , on a
>>>mis des hommes qui doivent avoir été auprès des
>>équipages des Officiers , & dont une partie s'eſt
>>p>erdue avec les bagages,& l'autre a été ren-
>> voyée de Pirna &de Dreſde . On a d'ailleurs ſpé-
>>cité , comme étant à Dreſde , des malades qui
étoient reſtés à Thurmſdorff &à Naumdorff , &
>>que les troupes Pruſſiennes doivent y avoir trou
>vés. Il y a auſſi beaucoup de Soldats qui étoient
abſens par congé. Les Officiers ne ſçavent où ils
>>font reſtés , ni ce qu'ils font devenus. On a porté
>>pareillement ſur l'état des troupes pluſieurs Ca-
>>dets qui ne ſont encore que des enfans , & qui
>>>ne font jamais venus au Drapeau , quoique la
>>>C>our ait bien voulu leur accorder , commeune
>>g>race , la paie pour leur entretien...... »
On publia le premier de ce mois une Ordonnance
, par laquelle S. M. Pruſſienne preſcrivoit
aux Cercles de cet Electorat , de fournir neuf
mille ſoixante-quinze hommes , pour recruter les
Régimens Saxons qu'elle a pris à ſon ſervice. Par
la répartition qui avoit été faite , ce Prince demandoit
deux mille cent vingt hommes au CercledeMiſnie
, dix-sept cens trente-cinq au Cercle
de Léipſick , deux cens ſoixante-un au Cercle
de Neustadt , quatre cens ſoixante-onze au Cercle
Electoral , ſeize cens ſoixante-cinq au Cercle
des Montagnes , neuf cens cinq au Cercle de
Thuringe, quatre cens ſoixante- fix au Cercle de
Voigtland , fix cens au Marquiſat de la Haute-
Luface, trois cens ſoixante-huit à la Baffe- Lufa-
*ce , deux cens trente- quatre au Chapitre deMerſebourg
, & deux cens trente au Chapitre de
Naumbourg& de Zeiſt. Il étoit recommandé aux
Régences de n'enrôler que des hommes qui euf-
-
JANVIER. 1757 . 215
fent au moins cinq pieds cinq pouces , & qui
n'euſſent pas plus de vingt-huit ans ; & de les
choiſir principalement parmi les Artiſans , particulièrement
parmi les Chartons , Forgerons ,
Charpentiers , Maçons & Serruriers. Toutes ces
recrues devoient être prêtes le 15 , & il avoit été
fignifié à chaque Cercle , que , ſi elles ne ſetrouvoient
pas aſſemblées pour ce temps , ou fi elles
n'étoient pas telles que S. M. Prufſienne les exigoit,
on procéderoit contre les Membres de la Régence
du Cercle par voie d'exécution militaire ;
que même ils ſeroient arrêtés , & que , fans aucunedistinction
de perſonnes , on les condamneroit
aux travaux des fortifications .
Dix Régimens d'Infanterie de l'armée Saxonne
ſont conſervés en entier. S. M. Pruſſienne a incorporé
dans ſes troupes les Grenadiers Gardes du
Corps , le Régiment de la Reine ; celui de la Princeſſe,
épouſe du Prince Electoral; fix Régimens de
Cavalerie , & le Corps d'Artillerie. Elle a envoyé
dans ſes Etats le Régiment de Dragons de Rutowski
, ainſi que les ſoldats qui ont refuſé de prêter
ferment. Pluſieurs Officiers , ſoupçonnés d'avoir
contribué par leurs conſeils à ce refus, ont été mis
aux arrêts .
Quelques Soldats Saxons s'étant évadés en paffant
parDornau , le détachement Pruffien , qui
les conduiſoit , a enlevé les Magiſtrats de ce Bourg,
& les a emmenés prifonniers. On a publié une
Ordonnance du Directoire de Guerre , établi par
leRoi de Pruſſe à Torgau. Elle porte que les ſoldats
qui quitteront les Régimens Saxons que ce
Prince a pris à ſon ſervice , feront traités comme
déſerteurs. Par la même Ordonnance , il eſt enjoint
aux Magiſtrats de faire arrêter ceux qui ſe
trouveront dans leurs districts , & de les faire conduire
à la garniſon la plus prochaine , ſous peine
216 MERCURE DE FRANCE.
d'enrépondre en leur propre & privé nom. Il eſt
expreſſément défendu de faire tenir aux fugitifs
riendece qui peut leur appartenir. Les Magiſtrats
auſſi-tôt qu'ils feront informés de l'évation de
quelqu'un , ſeront obligésde ſaiſir ſes biens meubles
ou immeubles , & ils payeront de leurs propres
fonds les effets qui ſeront détournés. Toutes
perſonnes qui auront contribué à la fuite d'un
foldat, ouqui , aayyaanntt connoiffance de ſafuite,ne
dénonceront pas le fugitif, ſubiront la peine prononcée
contre lui.
Sur les repréſentations des Députés des différens
Cercles de la Saxe , &avec le conſentement
du Roi de Prufſſe , le Major Général Rezow s'eſt
chargé d'acheter la levée des Milices que Sa Majefté
Pruſſienne a demandées à cet Electorat .
Onparlediverſement des cauſes de la détention
du ſieur de Heinecke , Conſeiller privé. Le ſcellé
a été mis ſur tous ſes papiers. Le ſieur Hibler ,
Major d'un Régiment d'Infanterie des troupes
Saxonnes , a été arrêté en même temps que ce
Magiftrat , pour avoir exhorté des ſoldats à paſſer
chez les Autrichiens.
DE LEIPSICK , le 2 Décembre.
Sur la réquisition de nos Magiſtrats&du Corps
de nos Négocians , le Roi de Prufſe a confenti
d'accorder une diminution ſur la contribution de
cinq cens mille écus , qu'il avoit fait demander à
cette Ville. En même temps Sa Majefté Pruffienne
arecommandé aux habitans de n'entretenir aucune
intelligence avec les Autrichiens , & de ne leur
faire aucune livraiſon , de quelque nature que ce
pût être.
Ce Prince arriva le 24du mois dernier encette
Ville, & il prit ſon logement chez le ſieur Heman
,
JANVIER. 1757. 217
man,Conſeiller des Finances. S.M. Prufſſienne viſita
le lendemainmatin, les quartiers qu'une partie de
ſes troupes occupe dans les environs; & le foir
Elle retourna à Dreſde. Elle a témoigné qu'Elle
auroit déſiré de pouvoir accorder une plus grande
diminution ſur la contribution qu'Elle a demandée
; mais que les circonstances ne le lui
avoient pas permis . Il y a actuellement ici quatre
mille hommes en garniſon , ſans y comprendre
les Gardes du Corps & les Gendarmes du Roi de
Pruſſe , qui font logés dans les fauxbourgs. On
comptedans pluſieurs maiſons juſqu'à huit & dix
foldats. La Bourgeoisie eſt obligée de leur céder
les chambres ſur le devant , afin qu'ils foient plus
à portée d'obſerver ce qui ſe paſſe dans les rues
&d'entendre les fignaux que les Officiers peuvent
avoir beſoin de leur donner.
,
Le Roi de Pruffe , en faiſant la viſite des quar
tiers que pluſieurs Corps de ſes troupes occupent
dans les environs de cette Ville , a employé plus
de deux heures à examiner la plaine de Lutzen ,
où Gustave Adolphe , Roi de Suede , perdit la vie ,
& où ſon armée , quoique privée de ce Prince ,
remporta une victoire complette ſur les Impériaux.
On obſerva que S. M. Prufſienne écrivoit
pluſieurs remarques ſur ſes tablettes. Il y a actuellement
ici fix Bataillons en garniſon.
DE BAULZEN , le 22 Novembre .
Depuis quelques jours , le prince de Pruſſe a
établi ici fon quartier. Après avoir fait diftribuer
des logemens à quatre Bataillons qu'il a amenés
avec lui , il a adreflé aux Etats du Cercle l'ordre
ſuivant.
«S. A. R. diſpenſant les habitans de fournir
la nourriture aux troupes, eſpere que les louables
1. Vol. K
218 MERCURE DE FRANCE .
>>Etats , de concert avec le Magistrat & le Cha-
>>>pitre , régleront les choſes entr'eux de façon que
>>chaque foldat reçoive journellement fix deniers ,
>>& le Bas Officier un gros , & qu'il ſoit payé
>>tous les mois dix écus aux Lieutenans , Sous-
>>>Lieutenans & Enſeignes , vingt aux Capitaines ,
>> quarante aux Lieutenans -Colonels , foixante aux
Colonels. S. A. R. ne demande rien pour Elle .
>>A l'égard de ſes Aides de Camp , Elle laiſſe à la
>>diſcrétion des Etats , de décider de quelle maniere
>>>on doit en uſer. Elle ne penſe pas , que ces
>>Etats faſſent la moindre difficulté de remplir fes
>>>intentions fur ces différens articles. Au reſte , Elle
>>promet qu'elle empêchera l'Officier & le ſoldat
>>>d'exiger rien de leurs hôtes au-delà des ſommes
> ſpécifiées ci - deſſus ; bien entendu néanmoins que
>> la lumiere & le bois feront fournis gratuitement ,
» & que l'hôte ſera tenu de cuire & d'apprêter pour
>>le ſoldat la viande que celui - ci aura achetée. De
>> plus , S. A. R. demande qu'on prépare trois cens
>>lits pour établir en cette Ville un Hôpital Mili-
»taire .>>>>
DE BERLIN , le 28 Novembre.
Il paroît une Patente du Roi , pour rappeller
tous les Vaſſaux ou Sujets de Sa Majesté , qui font
au ſervice de l'Impératrice Reine de Hongrie &
de Boheme , ou qui réſident dans les Etats de
cette Princeffe. Le Roi leur ordonne de fe repréſenter
dans le terme de deux mois , à compter
du jour de la publication de la Patente. Les biens
de ceux qui n'obéiront pas , feront confifqués au
profit des Officiers ou ſujets de S. M. qui par
repréſailles pourroient effuyer quelque dommage
de la part de la Cour de Vienne,
JANVIER. 1757. 219
DE FRANCFORT , le 6 Décembre.
On afficha ici le 3 de Novembre dans toutes les
Places publiques le Decret de l'Empereur contre
le Roi de Pruffe ; & les Magiftrats ont défendu
de faire , dans cette Ville , & dans fon territoire ,
aucunes levées de ſoldats pour S. M. Prufſienne.
L'Empereur ayant ordonné la voie d'exécution
contre ce Prince , a déféré cette commiffion au
Duc de Saxe -Gotha en l'absence du Roi de Pologne
, Electeur de Saxe. Le Duc de Saxe-Gotha s'eſt
excuſé de ſe mêler de cette affaire ; mais les raiſons
qu'il allegue pour s'en diſpenſer , n'ort pas
fatisfait Sa Majesté Impériale , & Elle lui a adreſſé
une nouvelle Admonition.
Les lettres de Ratisbonne marquent que le Baron
de Ponickau , Miniſtre du Roi de Pologne
Electeur de Saxe à la Diete de l'Empire , a préfenté
un nouveau Mémoire à cette aſſemblée. La
moitié du Bourg de Kupferberg dans l'Evêché de
Bamberg , vient d'être réduite en cendre. Il y a eu
auſſi ungrand incendie à Wetzlar.
ITALI Ε.
DE NAPLES , le 16 Novembre.
Il y eut ici le 22 du mois dernier , à trois heures
&demie de l'après- midi , une violente ſecouffe
de tremblement de terre , qui dura près de quatre
minutes. Pluſieurs maiſons ont été endommagées ,
&un grand nombre de cheminées ont été abattues.
Les voûtes de quelques Egliſes ont conſidérablement
fouffert .
Le 20 on effuya auſſi un tremblement de terre
des plus violens dans une partie de la Sicile. Les
Kij
220 MERCURE DE FRANCE .
mêmes ſecouſſes ſe ſont fait ſentir dans la Morée ,
ainſi que dans les Golfes de Lépante &de Corinthe,
& elles ont caufé en pluſieurs endroits des dommages
conſidérables. Il eſt ſorti de la mer quelques
nouvelles Iles . Le Roi a donné ordre de mettre
toutes ſes Places maritimes en état d'être reſpectées
par les forces navales des Puiſſances étrangères .
DE LA BASTIE , le 14 Novembre .
La premiere diviſion du convoi , qui a fait
voile d'Antibes pour tranſporter un corps de troupes
Françoiſes dans cette Ifle , arriva le premier de
ce mois à Calvi , ſous l'eſcorte de la Frégate la
Gracieuse. Les Bâtimens de cette diviſion avoient
àbord les deux Bataillons du Régiment de Montmorin
, le ſecond Bataillon du Régiment de Flandre
, & le premier du Régiment Suiffe de Boccard.
Le Marquis de Castries , Maréchal de Camp ,
& Commandant en chefdes troupes Françoiſes ,
débarqua le lendemain au matin. Le même jour ,
les Grenadiers releverent les principaux poſtes ,
qu'occupoient les Gênois. Les quatre Bataillons
furent diftribués le 3 dans la Place&dans le fauxbourg.
Les , le Marquis de Caſtries conduifit
deux compagnies de Suiſſes àl'Algaiola & à l'Ifle
Roffa. On ne rencontra aucun obſtacle de la part
des Corſes rebelles . La ſeconde diviſion duconvoi ,
eſcortée par la Frégate la Topaſe , fit le 3 fon
débarquement à San-Fiorenzo. La navigation de
la troitieme diviſion , qu'eſcortoit la Frégate la
Junon , été traverſée par les vents contraires,
Cette diviſion n'a pu arriver que le 6 à Ajaccio.
Le Comte de Balbi , Brigadier d'Infanterie au
ſervice de Sa Majesté Très-Chrétienne , commande
à San-Fiorenzo , & le Marquis de Ségur à
Ajaccio.
a
JANVIER. 1757. 221
GRANDE BRETAGNE,
DE LONDRES , le 7 Décembre.
Onprépare à Wolwich dix mille bombes , dont
le public ignore la deſtination. Il n'y à en aucun
moyen d'engager les habitans des Provinces de
Kent& de Hampshire , à recevoir dans les Villes
même dans les Villages , les troupes de Hanovre
&de Heffe.
Des dépêches qu'on recut le 20 Novembre
de la Nouvelle Yorck , marquent qu'il regne
beaucoup de maladies parmi les troupes que commande
le Lord Loudon. On a été informé par
les mêmes avis , que ce Lord avoit fait marcher
pluſieurs détachemens , pour tâcher d'arrêter les
courſes des Sauvages , quirépandent la terreur dans
toutes les Colonies Angloiſes de l'Amérique Septentrionale
.
,
Les Vaiſſeaux de guerre le Kennington & le
Sutherland, partirent le 6de Corck pour ces Colonies.
Ils ont fous leur convoi quatorze Bâtimens
de tranſport , à bord deſquels on a fait embarquer
le Régiment d'Offarel , & les détachemens tirés
des Régimens d'Infanterie ſur l'établiſſement d'Irlande.
Quatre Bataillons des troupes Hanoveriennes
s'embarquerent le 24du mois dernier , pour retourner
en Allemagne. On y fera repaſſer fucceffivement
en deux autres diviſions le reſte de ces troupes
, qui eſt encore actuellement campé près de
Maidstone malgré la rigueur de la ſaiſon. Pluſieurs
Frégates croiferont cet hyver dans laManche.L'Amiral
Byng , & le ſieur Shirley , ci-devant Gouverneurde
la Nouvelle Angleterre , ſubiront dans
peu leurs interrogatoires. Il s'eſt tenu ces jours
Kiij
222 MERCURE DE FRANCE .
ci un grand Conſeil à Whitehall , pour délibérer
fur les moyens de faire baiffer le prix du bled.
Conformément aux réſolutions priſes dans ce Confeil
, on publia le 26 une Proclamation , pour
défendre l'exportation des grains. En pluſieursendroits
ils étoient d'une telle rareté , que la populace
, craignant de manquer de pain , s'eſt attroupée
tumultueuſement , & a commis de grands défordres.
On n'eſt parvenu à la calmer , qu'en recherchant
les perſonnes qui avoient fait fécrettement
des magafins , & en les contraignant de vendre
à un prix modique tout le bled qu'elles y
avoient amaffé. Le 27 , le Roi nomma le Général
Blakeney Chevalier de Pordre du Bain. Sa
Majefté le même jour , créa ce Général Pair d'Irlande
, ſous le titre de Vicomte d'Innitkilling.
L'ouverture du Parlement ſe fit le 2 Décembre
avec les cérémonies accoutumées .
,
Le Roi fit ce diſcours: << Milord & Meſſieurs ,
>>je vous ai fait aſſembler dans une conjoncture ,
qui requiert particulièrement les délibérations
>>les avis & le ſecours du Parlement , & je me
>> flatte, moyennant la protection de la divine Pro-
>> vidence , que l'union & la fermeté qui regnent
>>parmi mes fideles Sujets , me feront fortir avec
>>honneur de toutes les difficultés,& feront triom-
>> pher enfin de l'ancien ennemi de ces Royaumes ,
>>la dignité de ma Couronne & fes droits incon-
>>teftables . Un des principaux objets de mon at-
>>tention & de mon inquiétude , eſt la défenſe &
>>la confervation de nos poſleſſions en Amérique.
>>>Le danger éminent , auquel nos Colonies font
>>expoſées , exige des réſolutions auffi promptes
>> que vigoureuſes. Le ſoin de pourvoir à la ſûreté
>>de ces trois Royaumes n'occupe pas moins mon
weſprit. Dans l'occurrence préſente , je n'ai rien
JANVIER. 1757 . 223
tant à coeur que de ne laiffer à mon peuple fur
,
>>cet article aucun ſujet de mécontentement. A
>> cette fin , une Milice nationale , établie propor-
>>>tionnellement aux forces & aux besoins de l'Etat
peut devenir une avantageuſe reſſource
>>dans le péril général. Je recommande l'établiſſe-
>>>ment de cette Milice au zele & à la vigilance de
>>mon Parlement. L'alliance peu naturelle que ,
>>contre toute attente , ont contractée des Puiflan-
>>ces étrangeres; les malheurs qui , en conféquen-
>> ce de cette dangereuſe alliance , peuvent , par
>> l'entrée de troupes étrangeres dans l'Empire ,
>>porter une funeſte atteinte aux conſtitutions du
>>>Corps Germanique , renverſer ſon ſyſteme &
>>entraîner l'oppreſſion du parti Proteftant , font
>>des événemens qui ont fixé les yeux de l'Europe
>>ſur cette nouvelle & dangereuſe crife , & qui
>>>doivent affliger ſenſiblement tous les Ordres de
>> la Nation Britannique. J'ai ordonné au corps de
>>>mes troupes Electorales , que j'avois fait venir
mà la réquisition de mon Parlement , de retourner
>>d>ans mesEtats d'Allemagne , me repoſant avec
>>plaifir fur l'affection de mon peuple , & fur fon
>>zele pour la défenſe de ma perſonne & de mes
>>Royaumes. Meſſieurs de la Chambre des Com-
>>munes : Je ferai remettre devant vous , lorſqu'il
>>en ſera temps , l'état des dépenſes. J'attends de
>>votre ſageſfle que vous préférerez le parti de ne
>>rien épargner pour foutenir la guerre avec vi-
»gueur , au parti de vous expoſer à la rendre plus
>>coûteuſe par la ſuite en employant pour le
wpréſent des efforts moins efficaces. Je vous ai
>>montré les dangers & les beſoins de l'Etat . C'eſt
>> à votre prudence de chercher les moyens de
>>rendre à mon peuple , les moins onéreux qu'il
>>>fera poffible , les fardeaux que vous jugerez
,
Kiv
224 MERCURE DE FRANCE .
indiſpenſables de lui impoſer. Mylords & Mef-
>> ſieurs , Je ne puis négliger de mettre devant
>vos yeux tout ce que les pauvres ſouffrent de la
>>cherté des grains , & les inconvéniens qui en
>peuvent réſulter. Je vous recommande de prendre
les mesures convenables , pour prévenir à
>>cet égard dans la ſuite les mauvaiſes manoeu-
»vres. Mes Sujets , à l'occaſion du malheureux
>>ſuccès de nos armes dans la Méditerranée ,
m'ont donné des preuves éclatantes de l'intérêt
qu'ils prennent à mon honneur & à celui de ma
>>Couronne. Ils éprouveront de ma part un juſte
>>retour par mes ſoins infatiguables & mes efforts
>>>continuels pour la gloire & le bonheur de la
>Nation . »
DE LA HAYE , le 22 Novembre.
Une nouvelle Ordonnance des Etats Généraux
enjoint à tous les Vaiſſeaux de guerre & Armateurs
étrangers , qui relâcheront dans les Ports & Rades
de cette République , d'arborer en s'y préfentant
le Pavillon de la Puiſſance à laquelle ils
appartiennent ; de ne point y entrer ſans une
permiſſion de l'Amirauté du lieu , & de n'y donner
ni aux habitans , ni aux étrangers aucun ſujet
de ſe plaindre. Il eſt défendu par la même Ordonnance
aux Sujets de la République , d'acheter
aucuns effets des priſes qui feront faites par les
Armateurs , & les contrevenans feront condamnés
à mille florins d'amende .
On apprend de Cologne qu'il y eût le 19 de ce
mois , à trois heures du matin , une ſecouffe de
tremblement de terre , qui ne dura qu'environ
trente ſecondes , mais qui fut très-violente. Elle
s'est fait ſentir à Bonn , à Limbourg , à Malmedy,
&dans pluſieurs autres lieux.
JANVIER . 1757. 225
i
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c .
E Le Roi a donné à M. le Marquisde Conflans-
Brienne , Lieutenant-Général de ſes Armées Navales
, la place de Vice- Amiral , vacante par la
mort de M. de Macnemara , le 27 Novembre le
Marquis de Conflans prêta ſerment en cette qualité
entre les mains de Sa Majesté.
Sa Majesté a accordé à M. le Comte de Vaudreuil
, auſſi Lieutenant-Général des Armées Navales
, la Grand'Croix de l'Ordre Royal & Militaire
de Saint Louis , qui vaquoit par la même
mort.
Selon des lettres de Toulon , les Frégates la
Gracieuse&la Topaſe y revinrent le 8 Novembre
de Corſe , & la Frégate la Junon le 13. Elles
ont conduit à cette Iſle les troupes Françoiſes ,
commandées pour y paſſer. Les mêmes lettres
marquent , que le 2 la Gracieuse a fait à Calvi
le débarquement de la partie du Convoi , deſtinée
pour ce Port. La Topaſe fit le 3 à San- Fiorenzo
le débarquement , dont elle étoit chargée , & la
Junon , qui n'a pu arriver que le 6 à Ajaccio
, y a fait ce jour-là & le lendemain , le débarquement
des troupes qui étoient fous fon
convoi.
La Flûte du Roi l'Outarde est arrivé le 15 Novembre
dans le Port de Breſt. Elle avoit été expédiée
de Rochefort au mois d'Avril , pour porjer
des recrues en Canada. Elle est repartie de
de Quebes le 7 Oftobre , & a débarqué à Breft
K
226 MERCURE DE FRANCE.
180 prifonniers Anglois , provenans de la Garniſon
des Forts de Choueguen. On n'apprend point
par les lettres venues par ce Bâtiment , qu'il ſe
Toit paflé rien d'intéreſſant dans ce pays-là depuis
la priſe de ces Forts .
Meffire Didier-François-René Meſnard, Seigneur
de Chouſy , Contrôleur Général de la maiſon du
Roi , procureur Général du Conseil de la Reine ,
en ſurvivance , fils de Meſſire François-Didier
Meſnard , Me des Comptes à Paris , & Procureur
Général du Conſeil de la Reine , & de Dame
Anne-Marie Pean , époufa le 22 du mois de
Novembre , dans la Chapelle de la Bibliotheque
du Roi , Damoiſelle Marie-Roze Vaſlal , fille de
Meffire Jean Vaſſal, Ecuyer, Confeiller, Secretaire
du Roi , Maiſon , Couronne de France, ſucceſſivement
à feu , N.... Vaſſale ſon Pere , & de feue
Dame Julie du Weils .
Le 25 Novembre , les Penſionnaires de l'Abbaye
Royale de Panthemont donnerent une grande
Muſique pour la fête de Madame l'Abbeffe
Catherine de Béthiſy. Mademoiselle Sixte , dont
on connoît le talent , chanta le Motet Usquequò ,
de M. Mouret. M. Balbastre fit exécuter pendant
la Meſſe pluſieurs de ſes Concerto-d'Orgue avec
ſymphonie , que l'on entend toujours avec de
nouveaux ſentimens de plaiſir & d'admiration.
Sa réputation y avoit attiré la compagnie la plus
brillante.
Le Roi a accordé des Lettres de Nobleſſe à
M. Guerin, Chirurgien-Major de la ſeconde Compagnie
des Mouſquetaires.
M. de Saldanha , Principal de la Patriarchale
de Lisbonne , arrivé depuis quelques jours à Paris
, pour réſider auprès du Roi en qualité d'Ambaſſadeur
du Roi de Portugal , eut le 7 Novembre
JANVIER. 1757 . 227
ſa premiere audience particuliere du Roi & de la
Famille royale .
LeRoi a accordé un Brevet de Conſeiller d'Etat
à M. Blondel , ci- devant fon Miniſtre en différentes
Cours.
Le Capitaine Dominique Lauga , commandant
le Corfaire la Junon , de Bayonne , y a fait conduire
le Navire Anglois l'Eſtandre , de Lancaftre ,
dont il s'eft emparé , & qui alloit à la Jamaïque
avec un chargement compoſé de cinquante-cinq
futailles dediverſes marchandiſes , de cent ſoixante
barriques de boeuf , de mille barriques de beurre
& de trois cens quatre-vingt-dix caiffes de chan
delle.
Le Capitaine Jean Mare , commandant le Corfaire
le Levrier , de Dunkerque , y eſt rentré avec
deux rançons montant enſemble à ſept cens livres
ſterlings.
Le Capitaine Pierre le Maître , dit Rondel
qui commande le Corſaire la Nanon , de Calais
y a conduit le Navire Anglois la Providence
de Sunderland, de 120 tonneaux , chargé de charbon
de terre .
Il eſt arrivé dans la Rade de Lomariaquer un
Navire Anglois , appellé le Jofeph , de Cork , de
140 tonneaux , dont la cargaifon est compoſée
de vin , de fel & de citrons; il a été pris par
le Capitaine Moleres , commandant le Corfaire
le Glorieux , de la Rochelle.
M. de la Touraudais , Capitaine du Corſaire
le Port-Mahon , de Saint- Malo , a fait conduire
à Breſt le Navire Anglois la Lady , de 160 tonneaux
, dont il s'eſt rendu maître. Ce Bâtiment
alloit de Londres à Philadelphie , avec un chargement
de marchandises féches . On a trouvé dans
la calle douze canons & des armes blanches ,
Kvj
228 MERCURE DE FRANCE .
deſtinés pour un Corſaire qu'on arme à la Nouvelle
York.
Le Navire Anglois l'Aventure , de 160 tonneaux
, chargé de 47 milliers de merrain , a été
pris par le Corfaire l'Espérance, de Bayonne ,
dont eſt Capitaine M. Souhaignet , & il a été
conduit en ce Port.
M. Fuſtel de la Villehoux , Enſeigne de Vaiſſeau ,
commandant la Corvette du Roi la Mouche, a pris
&a conduit le 2 Novembre , à Breſt,le Corfaire te
Millford , de Garnezey , armé de fix canons , &
de 30 hommes d'équipage.
D'autreslettres écrites du même Port annoncent
qu'il y est arrivé un Navire Anglois , appellé la
Susanne, d'environ trois cens tonneaux , qui revenoit
d'Antigues avec un chargement compoſé
de ſucre , de coton , de taffia & de bois pour
teinture. Cette priſe , qu'on eſtime plus de trois
cens mille livres , a été faite par le Corſaire le
Volcan , de Saint- Malo , dont eſt Capitaine M.
Nicolas Rogerie.
LeCapitaine Peltier , qui commande le Corſaire
le Surprenant , de ce dernier Port , y a conduit
le Navire Anglois la Princeſſe Auguste , de 150
tonneaux , dont il s'eſt emparé , & qui alloitde
Peterſbourg à Cork avec un chargement conſiſtant
en chanvre & en fer.
Le fleur Mathieu Dumont, commandant le Corfaire
le Hardi Mendiant , de Dunkerque , a rançonné
pour huit cens livres ſterlings le Navire
Anglois l'Expédition , de Buravoc , dont il s'étoit
rendu maître.
On mande de Cherbourg , que le Capitaine
de Ferne , qui commande le Corſaire l'Infernal
, du Havre , a fait conduire dans ce premier
Port un Navire Anglois , de 140 tonneaux , dont
JANVIER. 1757 . 229
il s'eſt emparé , & qui eſt chargé de morue ſéche &
d'huile.
Les Navires Anglois , l'Annabelle , de 200 tonneaux
, chargé de pelleteries , de goudron & de
thérébentine , & le Belveder , de 80 tonneaux ,
n'ayant que fon leſt , ont été pris par le Corfaire
le Lys , d'Audierne , & conduits à Morlaix.
Des lettres écrites de Bayonne marquent que
le Navire Anglois , appellé leBeaver , de Londres ,
de 150 tonneaux , chargé de marchandiſes ſéches ,
a été conduit dans ce premier Port , & qu'il
a été pris par le Capitaine de Cock , commandant
le Corfaire le Comte de Maurepas , de Bordeaux.
Nous donnerons dans le Mercure prochain , le
détailde la tenue du Lit de Justice , avec les Edis
Déclarations qui y ont été enregistrés.
MARIAGE ET MORT.
MESSIRE Charles- François-Marie Comte d'Aumale
, Colonel dans le Corps d'Artillerie & du
Génie,fut marié le 23Août 1756, àDame Génévieve
de Caulincourt , veuve de Meſſire Benoît de la
Verde-des Vallons, Colonel d'Infanterie, Directeur
des Fortifications du Cambreſis. L'Abbé d'Aumale
fit la cérémonie du mariage dans la Chapelle
du Château d'Orſay. Leur contrat avoit été figné
le jour précédent par Leurs Majestés. Le Comte
d'Aumale eſt fils de feu Meſſire Charles Comte
d'Aumale , Lieutenant - Général des Armées du
Roi , & Directeur des Fortifications des places
d'Artois , &de Dame Marie- Marguerite-Joſephe
deBlocquet-de Croix.
230 MERCURE DE FRANCE.
Meſſire Alexis - Antoine de Chaftellard , appellé
le Marquis de Salieres , né à Salins en 1687 ,
Lieutenant Général des Armées du Roi , Grand-
Croix de l'Ordre Royal & Militaire de Saint-
Louis , Inſpecteur général de l'Infanterie , Gouverneur
d'Ardres , de Dieppe , & de l'Hôtel de
l'Ecole Royale-Militaire en 1752, place dont il
donna ſa démiſſion en 1754 , mourut à Paris le
29 Février 1756 .
D'Hauterive eſt le premier nom de la maiſon
de Chastellard en Dauphiné , qui a l'avantage
peu commun de justifier une filiation exactement
fuivie depuis cinq fiecles . On trouve une preuve
bien authentique de la haute ancienneté du nom
d'Hauterive dans la vie d'Amédée d'Hauterive,Religieux
de l'Abbaye de Bonnevaux , Ordre de Cîteaux
, diocèse de Vienne , où l'on conſerve en
Original un Manuscrit du treizieme ſiecle,qui contient
cette vie écrite vers l'an 1185 par un Moine
de la même Abbaye. Amédée d'Hauterive, Seigneur
d'Hauterive en Viennois, de Planeſe, de Charmes ,
de Lemps , de Clermont , de Saint- Geoire , & co-
Seigneur de pluſieurs autres Terres , mérita par la
fainteté de ſa vie le furnom de Vénérable. ILavoit
pour oncle maternel Guigues-Dauphin , Comte
d'Albon: Guigo ( 1 ) Delphinus, Comes Albioninſis,
ejus avunculusfuit , & ex illuftri Conradi Imperatoris
proſapia originis propaginem duxit. Le goût
pour la retraite le conduifit à l'Abbaye de Bonnevaux
, où il embraſſa la vie Religeuſe avec ſeize
Chevaliers de diftinction , qui s'étoient joints à lui .
Il quitta depuis ce Monastere pour ſe retirer avec
Amédée fon fils dans la célebre Abbaye de Cluni ,
où les Lettres étoient en honneur & où on les cultivoit
avec ſuccès . Les Religieux de Cluni perfuadés
(1 ) Vie d'Amédée- d'Hauterive , ch. 1 & 7 .
۱
JANVIER. 1757 . 231
que l'inſtruction qu'ils pouvoient donner à un fi
digne éleve ( Amédée le fils ) , quelque bonne
qu'elle pût être en foi , ſeroit bien au deſſous de
celle qui lui convenoit à tous égards , crurent ne
pouvoir faire rien de mieux que de s'en décharger
promptement ſur l'Empereur Conrad fon parent ,
qui en effet ne négligea rien pour l'élever d'une
maniere qui répondît dignement à la nobleſſe de
fon extraction , & qui prit de lui le même ſoin
pendant pluſieurs années , que s'il eût été ſon
propre fils :filium ( 1 ) quoque ( Amedeum ) ipsius
(Amedei ) cum gaudio ſuſcipientes , poft dies aliquot
in Germaniam ad consanguineum fuum Conradum
Imperatorem delegarunt , qui eum gratanterſuſcipiens
, eruditiffimis Doctoribus erudiendum
tradidit, multoque tempore curam illius, ac veluti fi
Specialiter ejus filius effet, ita peregit. Cependant le
Vénérable Amédée ſe reprochant de n'avoir pas
perſévéré constamment dans ſa premiere vocation
, fonda quatre Monafteres qu'il foumit à celui
de Bonnevaux où il étoit retourné , & où il
mourut plein de mérite&de bonnes oeuvres le
14 Janvier , vers l'an 1150. Les Religieux de
l'Ordre de Citeaux le mettent au nombre de leurs
Saints.
Amédée fils du précédent , prit l'habit Religieux
dans l'Abbaye de Clairvaux , & fut enfuite
Abbéde Hautecombe en Savoye , puis Evêque de
Lausanne. Il eſt mis auſſi au nombre des Saints de
l'Ordre de Gîteaux.
Berlion d'Hauterive ou de Chaſtellard, I. du nom
Damoiſeau , eſt celui où commence la filiation
fuivie de cette maiſon de Chaſtellard. Il époufa
d'abord Elifabeth ; & étoit remarié en 1262 avec
Blanchette Gaudin , fille de Guillaume Gaudin,
( 1 ) Ibidem , chap. s.
232 MERCURE DE FRANCE.
Chevalier , & de Dame Girine ; fit ſon testament
danssa maison d'Hauterive , en Viennois , le Vendredi
avant la Fête de Saint- Luc 1295 , & en
nomma éxécuteurs Pons ou Poncet , Seigneur
d'Hauterive, dont il étoit vaſſal, & Aymardde Rovoire,
Chevalier , ſon parent. Du premier lit il eut
Guigonne, qui épouſa en 1279 ,Antelme-Aynier,Damoiſeau
; & de l'un des deux lits , Nicolas qui fuir.
Nicolas d'Hauterive ou de Caſtellard , Damoiſeau
, demanda en mariage le Jeudi après la Fête
de Sainte- Luce 1292 , Guillemette de Givort , fille
Guillaume deGivort, Chevalier; épouſa depuis Catherine
de Clavayſon, fille de Guillaume de Clavayſon
, Chevalier , par contrat du mardi après la Fête
de laMagdeleine 1295 paffé en préſence de Pons
Seigneur d'Hauterive , &vivoit encore en 1335-
Pierre d'Hauterive ou de Chaſtellard ſon fils
Damoiſeau , eut pour femme Agnès Roſtain , &
fit ſon teftament à Hauterive le 23 Mars 1341 ,
c'est- à-dire 1342 , par lequel entr'autres difpofitions
il donna sa maison d'Hauterive , avecce qui
lui appartenoit dans la Seigneurie d'Hauterive ,
à Pierre & à Humbert d'Hauterive-Damoiſeaux .
Il eut entr'autres enfans I. Bertion qui fuit , &
2. Catherine ,femme de Hugues Maugiron , Chevalier.
Berlion d'Hauterive ou de Chaſtellard , deuxieme
du nom , Chevalier, qualifié noble & puiſſant
homme en 1351 , épouſa en 1362 , Françoiſe de
Quincieu , fille de noble Aymaron de Quincieu ,
fit hommage en 1375 à Joachim de Clermont ,
Seigneur d'Hauterive , pour tout ce qu'il poffédoit
dans l'étendue de la Seigneurie d'Hauterive ; vivoit
encore le 15 Août 1395 ; & mourut avant le
9 Décembre 1398. Il eut pour enfans , 1. Pierre
de Chaſtellard, qui épouſa en 1394, Marguerite de
JANVIER. 1757. 233
laBaſtie, fillede noble & puiſſant homme Rolland
de la Baſtie , Chevalier Seigneur de Saint-Roman ,
&qui fit ſon testament en 1398 , par lequel il
voulut être enterré dans le Cimetiere de l'Egliſe de
Saint Martin-d'Auſerin à Hauterive , au tombeau
de ſon pere ; & 2. Guillaume , qui fuit .
Guillaume de Chaftellard , Chevalier , épouſa
en 1395, Béatrix de Murinais, fille de noble Odobertde
Murinais. La qualité de noble & puiſſant
lui eft donnée dans une ſentence rendue à fon profit
en 1439 , contre noble Humbert de Buffevant ,
par le Vice-Juge-Mage des appellations de tout
le Dauphiné ; & on la lui donne encore dans un
acte de l'an 1450 ; mais il ne vivoit plus alors. Il
eut deux enfans, 1. Pierre de Chaſtellard qui épouſaCatherine
d'Urre, ſuivant un mémoire domeſtique
dreſſé récemment, lequel ajoute que ce Pierre
a fait la branche de Saint Lattier qui eſt éteinte ;
& 2. Antoine qui fuit.
Antoine de Chaſtellard , Damoiſeau , donataire
d'Antoine de Clermont , Chevalier , Seigneur
d'Hauterive, pour la troiſieme partie des revenus de
la Châtellenie d'Hauterive , par acte du 9 Août
1442 , épouſa peude temps après Anne Ollanier ,
fille de noble Pons Ollanier ; déclara le 20 Novembre
1450 , qu'il devoit & qu'il vouloit tenir
dorénavant du Dauphin de Viennois tous les biens
qu'il avoit poſſédés juſque-là en franc-aleu dans
le mandement de Moras ; & teſta le 13 ..... de
la même année 1450. On lui connoît un fils qui
fuit& une fille appellée Catherine de Chaſtellard
femme de noble Antoine du Palais,
Claudede Chaſtellard premier du nom Damoifeau
, épouſa par contrat du 8 Fevrier 1472 , c'eſtà-
dire 1473 , Louiſe de Breffieu , fille de puiſſant
homme François de Breſſieu , Chevalier , Seigneur
234 MERCURE DE FRANCE .
'deBeaucroiffant &de Quincenet. Il eut entr'au
tres enfans , 1. Aynard qui fuit ; & 2. Françoise
de Chaſtellard,qui épouſa en 1492, noble Jean Salignon.
Dans le même temps paroiſſent Philippe de
Chaftellard , Abbeſſe de Saint André le haut à
Vienne en 1525 , date d'un acte où pend un ſceau
fur lequel on voit les trois chevrons qui déſignent
les Armes de la maiſon de Chastellard ; & Louise
de Chaftellard, élue Abbeſſe de Sainte Claire d'Annonay
le premier Novembre 1538 .
Aynard de Chaſtellard, Seigneur de Chaſtellard
dans le mandement d'Hauterive , épouſa en 1515
Catherine de Chavanes , fille de noble Jean de
Chavanes , & teſta en 1556. On lui connoît entr'autres
enfans 1. Simon qui fuit, & 2. Antoine de
Chaftellard , Seigneur de Vaux , qui épouſa Fleurie
de Chapponay , & qui ( ſuivant un mémoire
domeſtique dreſſé récemment ) a formé les bran
ches de Vaux , de Levaux & d'Herpieu , qui font
éteintes.
Simon de Chaſtellard , Seigneur de Chaftellardlès-
Hauterive & de Levaux , épouſa Antoinette
Barbier , & teſta en 1588. Ses enfans furent entr'autres
, 1. Claude qui fuit , & 2. Antoinette
de Chaſtellard , veuve en 1588 , de noble Imbaud
duCros.
Claudede Chaſtellard , ſecond du nom , Seigneur
de Chastellard - lès - Hauterive inftitué
héritier univerſel de ſon pere en 1588 , pour tous
les biens qu'il poſſédoit dans le mandement d'Hauterive
& de Moras , épouſa en 1593 , Jeanne Muſy
, foeur de Simon Muſy, Maître & Auditeur en
la Chambre des Comptes de Dauphiné ; & teſta
en 1611. Il eut entr'autres enfans 1. Alexandre
qui fuit ; 2. Melchior de Chaſtellard , Capitaine
d'Infanterie en 1632 ; 3. Henry qui a formé la
,
JANVIER . 1757 . 235
Branche de Chaſtellard- Salieres , rapportée ciaprés
; & 4. Claude de Caftellard , femme de noble
Balthafar de Fotte , Sieur de la Freidiere .
Alexandre de Chaſtellard , Seigneur de Chastellard-
lès-Hauterive , Capitaine dans le Régiment
de Nereſtang , marié en 1624 , avec Catherine
de Legue , ou de Laigue , fille de Noble Claude
de Legue, Seigneur de Legue & de la Sabliere ,
&de Louiſedu Peloux, fit ſon testament en 1659 ,
dans lequel il rappelle tous ſes enfans au nombre
de neuf, qui ſuivent. 1. Christophe de Chaſtellard
Seigneur de Chaſtellard-lès-Hauterive , commanda
le Régiment de Bourbonnois , & mourut ſans
poſtérité ; 2. Georges de Chaſtellard , Sieur de la
Contamine , Capitaine dans le Régiment de Bourbonnois
; 3. François a continué la deſcendance ;
4. Antoine de Chaſtellard, Chanoine de Saint André
le Bas, à Vienne , & Prieur de Saint Pierre- de
Chandieu ; 5. Charles de Chaſtellard , Oratorien ,
6. Mariede Chaſtellard , Abbefle de Notre- Dame
deBons en Bugey ; 7. Reine de Chaſtellard , Urſeline
à Romans , ſous le nom de Soeur de Saint
Joachim; 8. Louise-Magdeleine de Chafteilard, femme
de noble Charles de Gruel, Seigneur de Fonta.
gier ;& 9. Claudine de Chastellard , Abbeffe de
Bons en Bugey , après Marie de Chaſtellard fa
foeur.
François de Chaſtellard, Seigneur de Chaſtellardlès-
Hauterive, épouſa en 1690,Virgine de Virieude
Beauvoir , fille d'Andréde Virieu- de Beauvoir ,
Seigneur & Baron de Faverges , & de Marguerite
de Virieu- de Beauvoir. Il eut quatre enfans , I.
Christophe qui fuit ; 2. 3. &4 Marie de Chastellard
, Marie-Anne de Chaſtellard , Catherine de
Chaſtellard , Religieuſes de la Viſitation à Saint
Marcellin , dont deux font mortes.
236 MERCURE DE FRANCE .
Christophe de Chaſtellard , Seigneur de Chatellard-
lès-Hauterive , de la Maiſonblanche , de Fontagé
, &c. appellé le Comte de Chastellard , a
épousé en 1716 , Marguerite Roux-Deageant , fille
de François Roux-Deageant, Seigneur de Morges,&
de Marguerite de Virieu-de Ponterrey. Ses
enfans font au nombre de trois. 1. François de
Chaſtellard , appellé le Marquis de Chastellard ,
Brigadier des Armées du Roi , Colonel d'Infanterie
, & Lieutenant Colonel du Régiment des
Gardes de Lorraine , a épousé le 18 Décembre
1755 , Marie-Théreſe de la Morte-de Laval, Dame
de la Morte-Chalencon , de Vors , &c. fille de
Jean-Kené de la Morte , Seigneur des mêmes Terres
, & de Marie Louiſe de Manent-de Montaux.
2. Pierre- Jacques de Chaſtellard , appellé le Chevalier
de Chastellard , Major du Régiment des
Gardes de Lorraine. 3. Antoine- Claude de Chaftellard
, Chanoine du Chapitre Noble de Saint
Pierre de Vienne.
Branche des Marquis de Salieres.
Henry de Chaſtellard , appellé le Marquis de
Salieres , Colonel d'Infanterie , Commandant le
Régiment de Carignan en 1664 , commandoit en
1670, ce même Régiment pour le ſervice de S. M.
en Canada. Il étoit auſſi Gentilhomme ordinaire
de la Chambre du Roi ; & il eut pour femme
Honorée de Maty , dont il eut , 1. François- Balthafar
qui fuit , & 2. Claudine de Chaſtellard qui
épouſa en 1670 , Noble Jean de Rignac.
François- Balthasar de Chaſtellard appellé le
Marquis de Salieres , Colonel d'Infanterie , Commandant
des forts & Ville de Salins , marié en
1681 , avec Anne- Louiſe d'Afſigny , fille de Noble
Pierre d'Afſigny, Seigneur de Préaumont,&deJean
JANVIER. 1757 . 237
ne du Coclet , mourut en 1720. Il fut pere d'A
lexis-Antoine, qui a donné lieu à cet article , & de
Louiſe -Henriette de Chaſtellard qui épouſa en
1712 , Claude- Raimond Comte de Narbonne-
Pelet , & mourut en 1751 .
La maison de Chaſtellard porte pour Armes
d'or à trois chevrons d'Azur ; & le détail qu'on
vient d'en donner eſt tiré de ſon Hiſtoire Généalogique
certifiée véritable le 10 Mai 1756 , par
M. d'Hozier -de Sérigny , Juge d'Armes de
France en ſurvivance & imprimée ( in-folio )
avec un corps de preuves ou pieces juſtificatives .
depuis l'an 1262 , ſuivies de la vie en latin du Vénérable
Amédée d'Hauterive dont on a parlé au
commencement de cet article .
,
AVIS.
LECOMTE , Vinaigrier ordinaire du Roi &
de la Reine , des Princes & Princeſſes de la Cour ,
donne avis au Public qu'il a fini , & met en
vente le vinaigre à la tronchin , qui eſt un excellent
préſervatifcontre la petite Vérole , la Rougeole,
& autres maladies peſtilencielles : ſes vertus
font ſi grandes , qu'il eſt utile&même néceſſaire
d'en avoir un flacon ſur ſoi , afin d'être
à portée dans le beſoin de s'en frotter les temples
& mains , & d'en reſpirer : il eſt non ſeulementutile
aux perſonnes qui ſont obligées par
état de traiter & garder les malades , mais encore
à celles qui les viſitent par devoir , ou par
amitié. Il eſt d'une qualité au deſſus du vinaigre
des quatre voleurs ,& eſt approuvé de la Faculté
de la Cour. La maniere de s'en ſervir eſt de
tremper deux bracelets de toile préparée dans
ledit vinaigre , & d'en mettre un ſur chaque
poignet tous les foirs en ſe couchant; on en
238 MERCURE DE FRANCE .
trouve de tout préparé chez ledit Lecomte.
Ledit Lecomte continue toujours avec ſuccès
la vente du vinaigre ſans pareil , qui non ſeulement
blanchit la peau du visage , mais a encore
beaucoup d'autres propriétés.
Et le Radical , dit Turbie, pour la parfaite guérifon
des maux de dents. Le Romain qui les
blanchit & les conferve , ainſi que la bouche ,
& arrête le progrès de la carie. Sa poudre &
tartre de vinaigre préparé qui conſerve l'émail
des dents , détruiſant le limon qui s'y attache ,
& empêche qu'elles ſe déchauffent.
Il vientd'augmenter ſa Moutarde aux capres , &
aux anchois qui eſt d'un goût agréable & gracieux ;
elle ſe conſerve deux ans dans ſa même bonté .
Meſſieurs les Officiers - Généraux & autres, trouveront
toujours chez lui pour les provifions de
l'armée , tous les vinaigres qu'ils defireront ,
auſſi-bien que les moutardes & fruits confits au
vinaigre , étant le mieux afſforti , & en ayant déja
fourni beaucoup pendant les campagnes dernieres .
cer
Il ſe croit indiſpenſablement obligé pour l'intérêt
de l'Etat & pour le bien public , d'annonfon
Vinaigre Royal , qui guérit la gangrene
la plus invétérée & abandonnée , auffi-bien
que les coups de feu , ce qui eft abſolument néceffaire
aux perſonnes qui font dans les armées ;
c'eſt ce que l'expérience prouve tous les jours.
Ledit Lecomte auroit déja fait inférer dans le
Mercure de France ſon Vinaigre nouveau à la
tronchin , s'il n'avoit eu une grande maladie ,
dont il est parfaitement rétabli; quoique quelques-
uns de ſes confreres ayent répandu dans les
provinces , où il continue de faire de confiderables
envois , qu'il étoit mort.
Sa demeure eſt toujours au quai de l'Ecole, près
LePont-neuf, à la Renommée des vinaigres fins..
239
APPROBATION.
J'Ai lu , par ordre de Monseigneur le Chancelier ,
le premier volume du Mercure de Janvier , & je
n'y ai rien trouvé qui puiſſe en empêcher l'impreſſion.
A Paris , ce 28 Décembre 1756 .
GUIROY.
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
LE Jeu d'Echecs , Fable ,
Complainte à l'Amour ,
Lettre traduite de l'Anglois ,
Epître à Madame D' ...
Vers à M. le Marquis d'Argenſon ,
Fragment d'histoire Egyptienne ,
Stances à Mademoiselle ***,
Vers à. Madame de S. N...
Suite des Penſées ſur la Converſation ,
Epître à Eglé ,
L'Amant anonyme , Nouvelle ,
Bouquet à la Czarine ,
Vers à Madame la Vicomteſſe de N ***
Impromptu ,
page 7
8
9
19
23
24
34
35
36
56
63
95
97
99
Explication de l'Enigme & du Logogryphe du
Mercure de Décembre ,
Enigme & Logogryphe ,
Le Roi de la Feve , Chanſon ,
ibid.
ibid.
102
ART. II . NOUVELLES LITTERAIRES.
Extrait du Mémoire de M. l'Abbé Nollet , ſur les
moyens de ſuppléer à l'uſage de la Glace , 103
240
Extraits , Précis ou Indications de livres nouveaux,
113
Séance publique de l'Académie de Besançon , 130
ART. III . SCIENCES ET BELLES LETTRES.
Géographie. Suite de la Lettre de Dom Calmet ,
fur la terre de Geffen , &c. 145
Chirurgie. 163
Suite de la Séance de l'Académie de Rouen , 165
ART. IV. BEAUX - ARTS.
Muſique. Réponſe de M. deMorambert à la Lettre
de M. Rouffier , 181
Gravure. 189
Architecture. Lettre au ſujet du choeur de S. Germain
- Auxerrois , 192
Horlogerie. Lettre ſur des Cadrans d'une nouvelle
invention , 199
ART. V. SPECTACLES .
Comédie Françoiſe. 201
Vers ſur Mademoiselle Dangeville , ibid.
Comédie Italienne. 204
Concert Spirituel , 205
ARTICLE VI.
Nouvelles étrangeres , 207
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c . 225
Mariage & Mort ,
229
LaChanson notée doit regarder la page 102 .
De l'Imprimerie de Ch. Ant. Jombert.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI .
JANVIER. 1757.
SECOND VOLUME.
Diverſité, c'est ma devise. La Fontaine.
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DELA
= LYON =
*1893*
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Chez DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Auguſtins.
CELLOT , grande Salle du Palais .
Avec Approbation & Privilege du Roi.

AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure est chez M.
LUTTON , Avocat , & Greffier- Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne ,
Butte Saint Rock', entre deux Selliers .
C'est à lui que l'on prie d'adreſſer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre ,
quant à lapartie littéraire , à M. DE BOISSY,
Auteur du Mercure .
Le prix de chaque volume eſt de 36 fols ,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant,
que 24 livres pour ſeize volumes , à raiſon
de 30fols piece.
Les personnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la poſte , payeront
pourſeize volumes 36 livres d'avance en s'abonnant
, & elles les recevront francs de port .
Celles qui auront des occaſions pour le faire
venir , ou qui prendront les frais du portfur
leur compte , ne payeront , comme à Paris ,
qu'à raiſon de 30 ſols par volume , c'est- àdire
24 livres d'avance , en s'abonnant pour
16 volumes .
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers, qui voudront faire venir le Mercure
, 'écriront à l'adreſſe ci - deſſus.
Aij
Onsupplie les personnes des provinces d'envoyer
par la poſte , en payant le droit , le prix
deleur abonnement , ou de donner leurs ordres ,
afin que le paiement en ſoit fait d'avance au
Bureau .
Les paquets qui ne feront pas affranchis ,
refteroni au rebut.
Il y aura toujours quelqu'un en état de
répondre chez le ſieur Lutton ; & il obfervera
de rester à son Bureau les Mardi ,
Mercredi & Jeudi de chaque ſemaine, aprèsmidi.
On prie les personnes qui envoient des Li-
Estampes & Muſique à annoncer ,
d'en marquer le prix.
vres ,
cure ,
On peut se procurer par la voie du Merles
autres Journaux , ainſi que les Livres
, Estampes & Muſique qu'ils annoncent.
On trouvera au Bureau du Mercure les
Gravures de MM. Feſſard & Marcenay.
1
MERCURE
DE FRANCE.
JANVIER. 1757 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS
A JEANNETTE .
JEΕAΛΝΝΕΤΤΕ , Jeannette elle-même ,
Enfin m'appelle à ſes genoux.
Je verrai donc celle que j'aime !
Fâcheux parens, éloignez-vous :
N'oppoſez plus vos ſoins jaloux
A ma félicité ſuprême :
Je reverrai tout ce que j'aime :
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
"
Puis- je eſpérer rien de plus doux ?
Des fruits que cueille la conſtance
Mon ame goûte les douceurs ;
Jeannette va fécher les pleurs
Que m'a fait répandre l'abſence.
Doux plaiſirs , je vous tends les bras ;
Venez de myrthe orner ma tête :
Aux pieds de ma jeune conquête ,
Vous , Amours , conduiſez mes pas.
Vous , qui dans le Temple de Gnide
Ne faites point fumer l'encens
Dont une ſageſſe ſtupide
Ferme le coeur aux agrémens ,
Ceffez de vanter aux Amans
Ce repos & cette afſurance ,
Ces biens triſtes & languifſfans,
Qui , ſans vertu , ſans innocence ,
Au ſein d'une froide indolence
Trouvent vos coeurs indifférens :
Votre ſageſſe , c'eſt folie.
Voir deux beaux yeux , ſentir , aimer ,
Toucher un coeur & le charmer ,
C'eſt là que commence la vie.
Heureux qui ſe laiſſe enflammer !
Je vivois ſans ſoins , ſans allarmes ;
Mais je coulois de triſtes jours .
Jamais dans le ſein des Amours
Je n'avois répandu des larmes ;
Mais toujours vuide , mécontent ,
JANVIER. 1757 . 7
...
Mon coeur d'un tendre ſentiment
Ignoroit encore les charmes.
Je vis Jeannette , dans mon coeur
Coula le trouble , la langueur
Et le plaiſir ... mon fang s'enflamme :
Tout me charme , tout prend une ame ,
Et ſous mes pas naiſſent les fleurs ;
Songes riants , tendre délire ,
Vous vîntes tous pour me ſéduire ,
Vous m'offrîtes mille douceurs ;
Enfin j'aimai : j'oſai le dire .
Chere Amie , heureux qui t'admire !
Mais malheureux qui ne peut voir
Ce doux regard & ce ſourire
Dont tu flattas mon tendre eſpoir.
Cependant loin de ta préſence ,
Dans les larmes , dans les ennuis ,
Depuis deux mois ſans eſpérance ,
Et je ſoupire , & je languis :
Vénus témoin de ma tendreſſe ,
Enfin fait ceſſer mon tourment ;
Elle me rend une Maîtreſſe ,
Ette redonne ton Amant
Toujours tendre , toujours conſtant.
Qui , c'eſt toi ſeule que j'adore ;
Ates pieds je vais le jurer :
Heureux , mais plus heureux encore ,
Si dans le feu qui me dévore
Je puis t'entendre ſoupirer !
A
A iv
$ MERCURE DE FRANCE .
MADRIGAL ,
Par M. de la Condamine , le lendemain de
fes noces.
D'AURORE & de Tithon connoiffez- vous l'hiftoire
?
Notre Hymen en rappelle aujourd'hui la mémoire.
Mais de mon fort Tithon ſeroit jaloux :
Que ſes liens font différens des nôtres !
L'Aurore entre ſes bras vit vieillir ſon époux ,
Et je rajeunis dans les vôtres.
SUITE DE L'AMANT ANΟΝΥΜΕ ,
OUVELLE.
MADAME
ADAME de Régur convaincue qu'elle
n'étoit point aimée , & perfuadée que dans
un tête à tête auſſi infructueux pour l'amour
, elle laiſſeroit voir toute ſa foiblefſe
, eut le courage de réſiſter à l'occaſion
fi naturelle de montrer du moins fon dépit.
Elle ſe ſauva dans ſon cabinet , &
fit dire à Durval qu'il lui étoit impoſſible
de lui parler. Durval qui ne lui connoiffoit
point de caprice , crut qu'elle étoit
JANVIER . 1757. 9
i
1
réellement occupée , & dit qu'il reviendroit.
Il ne voulut point paroître affecté
de ce contretemps devant les gens de
Madame de Régur ; il l'étoit pourtant :
l'éclairciſſement qu'il venoit lui demander
, étoit pour lui d'une importance extrême
; mais il craignoit l'interprétation
des valets . L'honnête homme la craint toujours
, & facrifie à la réputation d'une
femme , ſa douleur ou fon plaifir .
Madame de Régur encore tyranniſée
par la violence qu'elle venoit de ſe faire ,
ne put ſe refuſer la confolation d'écrire
à celui qu'elle ne vouloit point voir . Toute
remplie de la lettre qu'elle avoit reçue ,
elle croyoit n'être que piquée. Sa réponſe
ne fut point étudiée : le dépit d'une accuſation
injurieuſe , la jalouſie d'une paffion
déſeſpérante , ſont des ſentimens dont
la rapidité ſe communique aisément à
l'eſprit. Il s'y gliſſa de la hauteur , c'eſt
un droit de la vertu.
Durval reçut cette réponſe & en fut
piqué. Il comprit que Madame de Régur
lui prêtoit des idées indignes d'un galant
homme. Il ne put digérer de ſe voir traiter
injurieuſement par une femme , dont
il avoit mérité toute l'eſtime par une façon
de penſer toujours irreprochable , &
fans chercher à approfondir quelles étoient
Av
10 MERCURE DE FRANCE.
ces idées qu'elle lui prêtoit , il alloit lui
écrire dans le premier mouvement , toujours
perfuadé qu'elle avoit le portrait ,
lorſque le peintre vint lui apprendre qu'il
étoit retrouvé. Cette nouvelle ne diminua
point ſon dépit. Quelle hauteur , s'écria-
t'il ! Je lui demande innocemment un
effet qu'elle a eu dans ſes mains , & qui ne
ſe retrouve plus , elle me connoît , elle
ſçait que je l'eſtime , que je ne peux point
avoir eu deſſein de l'offenſer , & elle m'écrit
comme on écriroit à un infolent : ce
procédé ne ſe peut pardonner. Il traça à la
hâte le billet qui fuit , & le lui envoya.
« Je viens de retrouver , Madame , ce
>> que j'avois perdu ; je me hâte de vous
>>l'apprendre pour vous tranquilliſer. Vous
>>vous êtes trop gendarmée de mes foup-
>>çons; ils étoient faux , mais ils n'étoient
>>point offenfans. Depuis que je ſuis dans le
>>monde , j'ai vu cent fois des plaiſante-
>>ries pareilles à celle dont je vous foup-
>> çonnois , & je n'ai jamais vu qu'on
>>s'offenfat d'une ſimple queſtion fai-
>>te poliment. Quoi qu'il en ſoit , Ma-
>>dame , je veux bien croire que j'ai eu
>>tort ; mais je croirai auffi que vous m'a-
>>vez jugé à la rigueur. Je m'imaginois
>>qu'une longue amitié méritoit plus d'in-
>>dulgence. Votre ſévérité eſt un avis
JANVIER . 1757. II
"pour toujours : je ne m'expoſerai plus
>> à vous déplaire en rien , je me refu-
>>ſerai les chofes les plus innocentes , &
>>comme c'eſt un ſacrifice cruel pour un
>>homme qui ſe croyoit eſtimé , j'aurai
>>ſoin de m'en impoſer la loi , en me
>>rappellant tous les jours la rigueur fin-
>>guliere du traitement que vous m'avez
>>fait éprouver.
Madame de Régur lut ce billet avec
une émotion extrême : il n'y étoit nullement
queſtion d'amour ; cependant elle
ne put ſe refuſer au plaifir de croire que
c'étoit l'amour piqué , qui l'avoit dicté.
Elle n'avoit de ſa vie goûté une joie fi
douce. Durval l'accufant d'indifférence ,
Durval piqué d'une hauteur qu'on n'a
point quand on aime , la dédommageoit
par ſon dépit de tout ce qu'elle avoit
ſouffert elle-même. Elle relut vingt fois
ce billet confolant. Elle le relut trop , le
charme s'évanouit , & la vraiſemblance
ramena l'affreuſe prévention.
Elle penſa bientôt qu'il n'étoit pas pofſible
que Durval eût eu , en écrivant , les
idées qu'elle lui prêtoit. Non, ſe dit- elle ,
Durval n'eſt point amoureux de moi : il
a une paffion dans le coeur , & j'oublie
que tout ce qui pourroit me faire croire
qu'il m'aime , eft parti de la main de Mé
Avj
12 MERCURE DE FRANCE.
rinville. Ce furent les réflexions qu'elle
fit : elle conclut que le billet qu'elle avoit
reçu , étoit le ſimple ouvrage de l'amitié
ulcérée & de l'amour- propre humilić.
Je devine , reprit- elle , & mon coeur tout
foible qu'il eſt , n'oppoſe rien à la vérité
de mes conjectures. Il étoit l'ami
de ma maiſon depuis long-temps , il étoit
le mien , il avoit perdu un portrait qui
lui eſt cher , l'apparence étoit contre moi ,
il m'a écrit en homme que l'on connoît ,
que l'on doit eſtimer , & qui n'eſt pas
obligé de rechercher ſes expreſſions ; ma
lettre trop pleine de mon injuſte vivacité ,
lui a paru telle qu'elle étoit , offenfante
pour l'amitié , choquante pour l'amourpropre
, & il y a répondu avec un reffentiment
très- naturel, que je n'aurois pas pris
pour de l'amour , ſi je m'étois rendu juftice.
Cette conclufion étoit trop triſte pour
que fon imagination y pût rien oppofer.
L'amour malheureux ne varie dans ſes
idées , que juſqu'à ce qu'il ait conçu les
pluscruelles. Toutes les apparences ſe réunirent
bientôt pour combler ſon martyre .
Onlui dit que Mérinville étoit à ſa porte ,
& demandoit abſolument à lui parler .
Mérinville étoit l'ami de Durval : elle avoit
à s'excuſer auprès de ce dernier d'un tort
JANVIER . 1757 . 13
qui étoit régardé comme un mauvais procedé
: l'ami d'un offenſé eſt plus propre
que tout autre , & qu'une lettre même , à
faire paſſer dans ſon coeur l'indulgence &
la perfuafion. Elle ne vit dans Mérinville
qu'un médiateur , & elle ordonna
qu'on le laiſſat entrer.
Elle le reçut avec un air très-embarraffé
. C'étoit un homme dont tout lui
diſoit qu'elle étoit aimée. Si elle avoit
affez d'amour pour ofer , elle avoit aſſez
de vertu pour rougir .
Je ſuis , Madame , très- inquiet d'une
converſation que vient d'avoir avec vous
Madame de S. Gelin , lui dit Mérinville
avec beaucoup de reſpect : elle ne m'en
a
, pas affez avoué pour m'inſtruire
mais elle m'en a affez dit pour m'allarmer.
Je viens à vous , Madame , avec
toute l'impatience d'un homme , qui ne
croit point pouvoir être affez- tôt puni
s'il a eu le malheur de vous déplaire.
.....
Son air tendre & foumis ne laiſſa aucun
doute à Madame de Régur. Difpenfez-
moi d'entrer dans aucun détail , Monſieur
, répondit- elle. Vous me pardonnerez
, Madame ; c'eſt juſtement le détail
que je crois néceſſaire : ce n'eſt peutêtre
que par lui que je peux vous perfuader.
Souvent l'apparence nous condam
12 MERCURE DE FRANCE.
rinville . Ce furent les réflexions qu'elle
fit : elle conclut que le billet qu'elle avoit
reçu , étoit le ſimple ouvrage de l'amitié
ulcérée & de l'amour-propre humilić.
Je devine , reprit- elle , & mon coeur tout
foible qu'il eſt , n'oppoſe rien à la vérité
de mes conjectures. Il étoit l'ami
de ma maiſon depuis long-temps , il étoit
le mien , il avoit perdu un portrait qui
lui eſt cher , l'apparence étoit contre moi ,
il m'a écrit en homme que l'on connoît
que l'on doit eſtimer , & qui n'eſt pas
obligé de rechercher ſes expreſſions ; ma
lettre trop pleine de mon injuſte vivacité ,
lui a paru telle qu'elle étoit , offenſante
pour l'amitié , choquante pour l'amourpropre
, & il y a répondu avec un reſſentiment
très- naturel,que je n'aurois pas pris
pour de l'amour , ſi je m'étois rendu juftice.
د
Cette concluſion étoit trop triſte pour
que ſon imagination y pût rien oppoſer.
L'amour malheureux ne varie dans ſes
idées , que juſqu'à ce qu'il ait conçu les
pluscruelles . Toutes les apparences ſe réunirent
bientôt pour combler ſon martyre .
Onlui dit que Mérinville étoit à ſa porte ,
& demandoit abſolument à lui parler.
Mérinville étoit l'ami de Durval : elle avoit
à s'excuſer auprès de ce dernier d'un tort
JANVIER. 1757 . 13
qui étoit régardé comme un mauvais procedé
: l'ami d'un offenſé eſt plus propre
que tout autre , & qu'une lettre même , à
faire paſſer dans ſon coeur l'indulgence &
la perfuafion. Elle ne vit dans Mérinville
qu'un médiateur , & elle ordonna
qu'on le laiſſat entrer.
Elle le reçut avec un air très-embarraffé.
C'étoit un homme dont tout lui
diſoit qu'elle étoit aimée. Si elle avoit
affez d'amour pour ofer , elle avoit affez
de vertu pour rougir.
,
Je ſuis , Madame , très- inquiet d'une
converſation que vient d'avoir avec vous
Madame de S. Gelin , lui dit Mérinville
avec beaucoup de reſpect : elle ne m'en
a pas affez avoué pour m'inſtruire
mais elle m'en a affez dit pour m'allarmer.
Je viens à vous , Madame , avec
toute l'impatience d'un homme , qui ne
croit point pouvoir être affez-tôt puni
s'il a eu le malheur de vous déplaire.
Son air tendre & foumis ne laiſſa aucun
doute à Madame de Régur. Difpenfez-
moi d'entrer dans aucun détail , Monſieur
, répondit- elle...... Vous me pardonnerez
, Madame ; c'eſt juſtement le détail
que je crois néceſſaire : ce n'eſt peutêtre
que par lui que je peux vous perfuader.
Souvent l'apparence nous condam-
{
14 MERCURE DE FRANCE.
ne , & le détail nous juſtifie ; je vous
conjure de vous faire cette violence en
ma faveur : penfant comme vous faites ,
vous en ferez affez dédommagée , ſi , après
vous avoir parlé , je puis vous paroître
innocent. Je crains bien que vous ne le
puiffiez pas , Monfieur ; mais encore une
fois je vous prie de me diſpenſer......
Non , Madame , je ne ſçaurois vous obéir :
il y va de tout pour moi , de ſçavoir quels
font les torts que Madame de S. Gelin
me reproche. Celui de m'aimer , Monfieur
: elle croit que vous avez de l'amour
pour moi.
Elle a peut-être raiſon de le croire ,
Madame , mais elle a tort de s'en plaindre
: jamais il ne m'eſt rien échappé qui
ait pu dévoiler ce myſtere impénétrable...
Elle vous accuſe de m'avoir écrit deux
lettres que j'ai reçues , & qu'un de vos
gens a apportées ici. J'ai pu les écrire
moi-même , Madame , j'ai pu me prêter
ſimplement aux ſentimens d'un ami ; un
de mes gens a porté les lettres ; ma conduite
n'a rien appris de plus à Madame
de S. Gelin ; j'ai eu les mêmes foins , le
même empreſſement : auſſi attentif devant
vous , qu'auprès d'elle , je ſuis fûr qu'il
ne m'eſt jamais rien échappé , qui m'ait
pu déceler..... C'eſt ce dont elle ne con
JANVIER. 1757 . 15
vient pas , Monfieur : elle ſe plaint même....
Elle ſe plaint ! Eh! de quoi ? je
vous prie. Vous me permettrez de ne rien
expliquer , Monfieur ; ce font de ces confidences
qu'on ne reçoit qu'à regret , &
qu'on oublie. Il n'eſt d'ailleurs ici queftionque
de cequi me regarde , vous m'en
voyez extrêmement occupée. Eh bien ! Madame
, ne parlons que de cela ; c'eſt auffi
ce qui m'intéreſſe le plus moi-même. Mame
de S. Gelin croit que je vous aime ,
apparemment vous n'en doutez pas plus
qu'elle ? Oui , Monfieur , & je vous avoue
que c'eſt avec douleur que je m'en fens
ſi perfuadée. Avec douleur , Madame ?
Eh ! pourquoi vous en affliger ? S'il eſt
vrai que je vous aime , la façon dont
je m'y ſuis pris pour vous l'apprendre
vous repond d'un reſpect éternel : l'amour
doit paroître innocent , quand l'Amant
paroît vouloir toujours l'être. Mais au
furplus je vous promets de ne jamais m'expliquer
: vous devez donc être très-tranquille
; & fi c'eſt l'intérêt que vous prenez
à Madame de S. Gelin qui vous fait
enviſager avec tant de déplaifir la paffion
dont vous me ſoupçonnez pour vous ,
je vous promets encore d'aller même au
devant des torts qu'elle pourroit me fuppoſer.
16 MERCURE DE FRANCE .
Madame de Régur eut beau l'examiner
& le queſtionner , elle ne put jamais
lui arracher un mot qui ſignifiât plus qu'il
n'en vouloit dire. Elle conclut pourtant
qu'il l'aimoit , & en effet rien n'étoit plus
vraiſemblable . Elle avoit trop de raiſons
de ſouhaiter d'être mieux inſtruite pour
ne pas tenter tous les moyens de l'être.
Durval étoit de tout temps l'ami intime
de Mérinville , & l'un des deux avoit écrit
les lettres : celui qui les avoit écrites l'aimoit
certainement. Il y avoit toute apparence
que ce n'étoit pas Durval , mais
les apparences font trompeuſes ; tant que
l'un s'obſtineroit à ſe taire , l'autre ponrroit
toujours être ſoupçonné : il falloit
donc ne rien négliger pour écarter un
voile importun& funefte . Mérinville avoit
l'air le plus aſſure : il ſembloit par ſes
regards vouloir triompher de l'embarras
où il jettoit Madame de Régur. Elle l'examinoit
attentivement , & fon attention
n'étoit pas équivoque. Il me paroît , lui
dit- il , que notre converſation vous occupe
beaucoup , & j'oſerois même croire
qu'elle vous intrigue : penfant comme
vous faites , n'ayant pas la moindre coquetterie
dans l'eſprit , je ne vois pas par
quel motif vous pouvez en être ſi préoccupée.
Cette queſtion la déconcerta. Quel
JANVIER. 1757 . 17
le pouvoit être l'idée de Mérinville en la
queſtionnant ? Préſumoit-il qu'il avoit
touché ſon coeur ? avoit- il pénétré fon
amour pour Durval ? & vouloit-il lui faire
ſentir qu'il devinoit le trouble , où venoit
de la jetter ſon équivoque déclaration
? C'étoit l'un ou l'autre. Il est vrai ,
lui dit- elle , que je vous examine , il eſt
vrai auſſi que je ne vous conçois pas.
Je vous ſoupçonne d'avoir pris de l'amour
pour moi , je vous crois donc l'auteur
des lettres , & en ce cas je dois
m'étonner de l'oppoſition qu'il y a entre
les chofes qu'elles renferment , & vos
diſcours énigmatiques. Dans ces lettres
vous me demandez une converſation particuliere
; vous dites que vous avez des
choſes à m'apprendre qui font pour moi
d'une extrême conféquence , & que ſi je
refuſe de les entendre , vous ferez forcé
d'uſer de ſurpriſe : vous obtenez aujourd'hui
cette converſation que vous avez
ſouhaitée , & tout ce que vous me dites
n'éclaircit rien , ne m'apprend rien : j'en
ſuis ſurpriſe comme je dois l'être , &
je vous examine pour eſſayer de deviner
ce que vous ne voulez pas me dire . Je
conçois en effet , répondit-il , que votre
ſituation eſt ſinguliere , & que mon procédé
doit vous paroître étrange. Mais ,
IS MERCURE DE FRANCE .
Madame , ayez la bonté d'obſerver que
je ne vous ai point avoué que je fuffe
l'Auteur de ces lettres , & que dans ce
cas je dois paroître ignorer même ce
qu'elles renferment. L'entretien que j'obtiens
aujourd'hui n'eſt pas celui que l'on
vous demandoit : ils différent même ababſolument
l'un de l'autre. Dans le premier
on devoit vous apprendre des ſecrets
, dans celui- ci je vous déclare au
contraire que mon intention eſt de ne
vous en apprendre jamais ... Cela eſt vrai ,
poursuivit- elle , mais vous ſçavez bien que
c'eſt vous qui avez écrit , pourquoi différer
plus long-temps ..... Je ſçais , Madame
, que l'on vous a écrit deux lettres ,
& que ces lettres doivent vous intriguer
beaucoup , je ſçais encore que celui qui
en eſt l'Auteur vous adore , & vous refpecte
infiniment , mais je ſçais encore qu'il
ne m'eſt pas permis de vous en dire davantage.
Le ton dont il parloit étoit ſi décidé
qu'il n'y avoit pas moyen d'inſiſter avec
bienſéance. En le preſſant , il pouvoit
croire qu'il étoit aimé. Le dépit ſuccéda
à la curiofité. C'en eſt aſſez , Monfieur ,
lui dit-elle : ces ſecrets impénétrables ne
le font plus pour moi , j'ai voulu vous
cacher mes fentimens dans la crainte qu'ils
JANVIER . 1757. 19
ne fuſſent injustes. Votre obſtination les
établit de reſte. Vous auriez dû reſpecter
un peu mieux l'amitié inviolable que
j'ai vouée à Madame de S. Gelin . Ayez
du moins affez de probité pour vous contraindre
devant elle mieux que vous n'avez
fait devant moi.
Mérinville fut tout-à-fait ſurpris ; il
n'avoit pas dû s'attendre à cette petite incartade.
Vous avez tort de vous fâcher ,
lui dit- il : s'il eſt vrai que j'aie pris de l'amour
pour vous , ma diſcrétion mérite
votre eſtime , & doit vous apprendre que
les intérêts de votre amie ſont parfaitement
en fûreté. Mais encore une fois
je ne vous dis point que je vous aime ,
je ne vous le dirai jamais , & la mauvaiſe
humeurque vous venez de me montrer
, eſt on ne peut pas plus injufte.
د
Je ne vous en ferai pourtant pas de
reproche ; vous avez apparemment des
raiſons de n'être pas contente de ma converſation
: ſoit que je vous en aye trop
dit , ſoit que je ne vous en aye pas dit
aſſez , je dois vous ſuppoſer des motifs
raiſonnables , naturels , & les reſpecter
comme ſi je les avois devinés.
Il voulut ſe retirer en diſant ces derniers
mots. Madame de Régur hors d'elle-
même l'empêcha de fortir. Un moment,
20 MERCURE DE FRANCE.
Monfieur , lui dit- elle , voilà un diſcours
que je n'entends point , je veux abſolument
ſçavoir ce qu'il ſignifie. Vous le
ſçaurez , Madame ; mais ce ne fera pas aujourd'hui.
Des affaires indiſpenſables
m'obligent de me retirer. En attendant
que j'aye l'honneur de vous revoir , perfuadez
- vous , je vous prie , que dans ce
que je viens de vous dire , il n'y a rien
qui doive vous déplaire ; je ne puis jamais
en avoir le deſſein . Mais , Monfieur ,
pourquoi me dire que je ne ſuis pas contente
de votre converfarion , parce que
vous m'en avez trop dit , ou parce que
vous ne m'en avez pas dit afſfez ? Pourquoi
imaginer que ce puiſſe être l'un ou l'autre
? Pourquoi , Madame ! Parce qu'il eſt
très-poſſible que vous ayez des ſentimens,
des idées qui vous faſſent ſouhaiter de
pouvoir approfondir un myſtere.... Je
vous entends , Monfieur : vous vous imaginez
qu'auſſi étourdie que vous , j'ai
pris .... Non , Madame , repondit- il ,
d'un ton piqué , je ne m'imagine rien ;
je devine , je vois , & ce que j'ai voulu
vous faire entendre eſt peut-être tout-à
fait oppofé à ce que vous avez entendu.
Mais je vous vois diſpoſée à me dire des
injures , permettez-moi de les prévenir.
Il fortit fans attendre plus long-temps.
JANVIER . 1757 . 21
T
Il fut à peine parti , que Madame de
Régur fit mille réflexions plus accablantes
les unes que les autres. Elle penſa
queMérinville cachoit beaucoup de fatuité
ſous beaucoup de reſpect ; qu'il lui fuppoſoit
déja autant d'amour pour lui qu'on
en peut prendre dans les premiers momens,
lorſqu'ils décident,& que dans cette
perfuafion il s'empreſſeroit de la repréſenter
à Durval comme une femme très- fufceptible
& très-amoureuſe. Elle penſoit
que la circonſtance aideroit encore beaucoup
aux impreſſions de la confidence.
Durval étoit piqué contre elle ; avec quelle
facilité Mérinville ne lui perfuaderoit- il
pas tout ce qu'il voudroit. Dans le dépit
on croit toujours aiſément , parce qu'on
a toujours un certain deſir de nuire. Elle
ſe voyoit mépriſée de Durval ; cette idée
devenoit ſa plus grande douleur. Quel
moyen de prévenir ce coup affreux ? Il
ne s'en préſentoit qu'un à fon eſprit , c'étoit
de lui écrire : la vertu ne s'y oppoſoit
pas ; elle avoit d'ailleurs à lui faire
une forte d'excuſe de la hauteur qu'elle
lui avoit montrée dans ſa premiere lettre.
Elle ſe laiſſa ſéduire par ce moyen
innocent. Elle écrivit une lettre très - cir..
conſtánciée , dont on devine le contenu.
Elle finiſſoit ainſi : Votre estime , Monfieur ,
1
22 MERCURE DE FRANCE.
m'est précieuse ; la mienne exigeoit de moi
une démarche que je ne pouvois faire que
pour vous. J'espere qu'elle ne vous laissera
aucune incertitude ſur l'intention que j'ai eue
lorſque j'ai fait à M. de Mérinville les
questions dont ſon amour-propre s'est prévalu.
Durval fit cette réponſe.
<<J'étois inſtruit de tout ce qui fait vo-
>>tre inquiétude , Madame , & j'allois vous
>>écrire moi-même pour vous raſſurer.
>> Je vous proteſte que Mérinville n'a eu
>> aucune mauvaiſe intention en vous par-
>>lant comme il a fait. J'ignore le ſecret
>> de ſon coeur , je ne ſuis pas mieux inf--
>> truit des idées qu'il a pu ſe former des
>>ſentimens du vôtre : mais je vous ré-
>>ponds qu'il eſt incapable d'abuſer de
>>l'eſpérance même la mieux établie ;
»& s'il ma confié votre converſation ,
>>c'eſt uniquement dans la douleur de
» l'avoir vu tourner à fon défavantage
>> par vos foupçons précipités. Il étoit chez
>>moi lorſque l'on n'a remis votre lettre ,
>>il venoit me prier de vous écrire & de
>>plaider la cauſe de ſon innocence. Soyez
„ donc abſolument tranquille ſur ſes dif-
>>cours & fur ſes ſentimens , s'il en a ;
>>je réponds de la pureté des uns , & je
>>pourrois répondre de l'innocence des autres....
Vous me parlez de mon eftiJANVIER
. 1757 . 23
» me , Madame , comme ſi elle ne vous
» étoit pas dûe. Vous en faites vous mê-
>>me le prix en daignant y paroître ſenſi-
» ble. Ce qui eſt juſtice n'a aucun mérite
» qui exige des marques de reconnoiſſan-
» се. La vôtre me ſera toujours infini-
>> ment chere; j'ai vo ulu la mériter par
>>des ſentimens qui ne finiront jamais ,
>>& qui vous font inconnus. >>
Il eſt des ſituations où un mot qui
peut être mis ſans deſſein dans une lettre
fait naître mille réflexions qui fixent
l'eſprit ſur ce mot unique , au préjudice
de tout ce qui précede ou fuit. Les deux
tiers de la lettre renfermoient des choſes
qui devoient l'occuper , & la faire
rêver : elle ne fut occupée que de la derniere
phraſe , j'ai voulu la mériter ( votre
eſtime ) par des ſentimens qui ne finiront
jamais , & qui vous font inconnus. En général
cela eſt regardé comme un compliment
, & dans un homme que l'on aime ,
que l'on croit amoureux ailleurs , fur des
faits qui font preſque des preuves , des
phrafes aufli ordinaires ne doivent pas
faire former les moindres conjectures.
Après tout ce qu'elle avoit vu , tout ce
qu'elle avoit éprouvé , cela devoit lui paroître
une galanterie un peu exagérée ,
ou tout au plus l'expreſſion d'une amitié
24 MERCURE DE FRANCE .
qui veut être galante. Elle y vit des ſentimens
mystérieux qui ſe ſont fait une
loi de ſe contraindre , & qui ne peuvent
plus obéir à cette loi. Mais comment accorder
ces ſentimens ſi tendres avec toutes
les choſes obligeantes dites précédem--
ment en faveur d'un ami , qui ne doit
plus être regardé que comme un rival ?
Rien eft- il impoſſible à l'amour ? Elle penſa
que Mérinville , loin d'être un rival ,
n'étoit qu'un ami officieux chargé de faire
des épreuves & des découvertes. Mais
comment imaginer enfin qu'un homme
qui auroit été amoureux , eftimé comme
il étoit , aimé dans toute ſa maiſon ,
libre avec elle , ſe ſeroit tu fi long-temps ?
Pourquoi une contrainte auffi longue ?
Pourquoi ? .... Il y avoit mille objections
àfe faire à foi même ſur cela : mais lotfque
l'on aime , l'eſprit voit- il jamais juſte ,
vent-il jamais voir clair ?
Elle voulut s'abuſer , & dans la douce
agitation qu'elle éprouvoit , croyant qu'il
ſuffifoit de ſauver les apparences pour
fauver les reproches de la vertu , &fouffrant
encore affez pour ſe croire permis
de ſe faire des confolations , elle écrivit
cette ſeconde lettre.
" Je vous ai parlé de votre eſtime
>> comme on doit parler d'une choſe dont
» on
JANVIER. 1757 . 25
>>on fent tout le prix , & que l'on veut
>>s'aſſurer ; malgré votre modeſtre , je ne
>>crois point en avoir trop dit. Si je la
>>poſſede , ſans doute je dois en être
>>très- reconnoiſſante ; mais c'eſt ce dont
>>je ne ſuis pas bien perfuadée : votre let-
>>tre me fait naître fur cela des doutes
>>qui m'affligent. Oui , Monfieur , je
>>m'imagine , & je dois croire que vous
>>me ſoupçonnez en ſecret d'avoir pris
>>des ſentimens pour l'homme que j'ac-
>>cuſe de ſe flatter légérement de m'en
>>avoir inſpiré. Tout ce que vous me
>>dites pour le juſtifier , me paroît ren-
>>fermer une ironie que vous n'avez
>>pas voulu diſfimuler. Il eſt probable
>>que vous croyez que je l'aime , & fi
>> vous le croyez , il eſt certain que vous
» ne m'eſtimez pas. J'ai trop d'intérêt à
>>vous déſabuſer pour ne pas ſentir toute
>>la difficulté d'y réuſſir ; je l'entreprends
>>cependant : il m'eſt affreux que vous
>>ayez une pareille idée de moi. Je vous
>>le répete , Monfieur , votre eſtime m'eſt
>>infiniment précieuſe , & je ne croirai
>>jamais l'avoir perdue ſans m'en fentir
>>déſeſpérée. Tout autre que vous qui
>>m'auroit écrit comme vous avez fait ,
>>m'auroit peu allarmée par ſes ſoupçons :
>> les trois quarts des gens du monde font
Il. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE .
>>ſi peu eſtimables , qu'on ne doit pas
>>s'affecter beaucoup de le leur paroître
>>un peu moins qu'on ne l'eſt. Mais quoi-
>>que l'eſtime ſoit devenue ſi rare , elle
» n'en eſt pas devenue plus indifférente
>>en elle-même ; je le penſe , & le penſe
>>fi bien , que je ne vois rien de préfé-
>>rable à celle d'un ami tel que vous . »
La réponſe de Durval étoit ſi poſitive
&fi flatteuſe , qu'elle fit diſparoître toutes
les allarmes de Madame de Régur ; mais
elle ne diſoitrien d'ailleurs qui dût flatter
ſes ſentimens. Elle étoit engagée ce jourlà
d'aller dîner dans le voiſinage de S.
Cloud. En ſe rendant à cette maiſon il
lui prit envie de traverſer le parc /pour y
promener ſes rêveries. Une allée de charmilles
la tenta : elle s'aſſit au pied d'un
arbre , & fon étonnement fut extrême
d'entendre de l'autre côté de la charmille
la voix de deux hommes aſſis comme
elle ,&dont l'un étoit Durval. Elle comprit
qu'il étoit avec un ami ,& elle eſpéra
d'entendre des ſecrets. En effet , les pre
miers mots qui avoient frappé ſon oreille
étoient prononcés du ton dont un homme
dit ce qu'il fent. Elle écouta avec
attention, & à chaque moment elle ſe ſentit
plus intéreſſée à écouter.
Les hommes de votre âge , continua
JANVIER. 1757 . 27
l'ami , appartiennent à toutes les jolies
femmes qu'ils remarquent dans la foule ,
lorſqu'ils ont autant d'eſprit que vous en
avez &une figure auffi agréable. Il étoit
donc naturel de penſer que cherchant à
plaire à toutes , vous plaifiez à pluſieurs .
Plaire & poſſéder ſont ſynonimes dans
un certain monde. En vous voyant difparoître
& devenir ſolitaire , on crut que
la bonne fortune commençoit à vous importuner
, & que vous aviez formé quelque
engagement ſérieux pour varier vos
plaiſirs. Je ne vous cache pas que je le
crus comme les autres ,&que je le croirai
toujours , tant que vous ne voudrez pas
me déſabuſer. Eh bien ! je vais vous parler
à coeur ouvert , lui dit Durval. Vous
vous êtes tous trompés ; vous n'avez pu
lire dans un coeur à qui l'amour apprenoit
à diſſimuler. Il eſt bien vrai que la
bonne fortune a ceſſé de me tenter depuis
plus d'une année , il eſt très-vrai encore
que l'amour m'a conduit dans la folitude
pour y épuiſer tous ſes traits fur mon
coeur ; mais cette paſſion ſi vive n'eſt un
engagement que parce qu'elle ne finira
jamais : l'objet qui l'a fait naître l'ignore.
Ce n'eſt donc pas pour varier mes
plaiſirs que j'ai aimé : ce n'eſt point par
ſyſtême que j'ai livré mon coeur. Je n'ai
Bij
28 MERCURE DE FRANCE .
pas ſenti qu'il ſe donnoit , peut- être aurois
je fait une longue réſiſtance ſi je m'en
étois apperçu ; j'aurois prévu toutes les
peines qui m'étoient réſervées , & l'amour
de mon repos l'eût emporté ſur le penchant
même de le voir troubler par la
paffion. Lorſque j'ai fenti que j'aimois &
combien j'aimois , je me ſuis retiré d'un
monde où l'amant même le plus heureux
trouve encore des juges ſi ſéveres ; j'ai
voulu que nulle raillerie , nul mauvais
plaifant ne pût jamais altérer le charme
d'une paffion dont je ſuis jaloux , malgré
tout ce qu'elle me fait fouffrir.
Je ne douterai jamais de ce que vous
me direz ſérieuſement , lui dit fon ami ,
en l'interrompant ; mais comment ſe peutil
que vous ayez pu vous taire auffi longtemps
? Votre queſtion eſt naturelle , reprit
Durval : il faut avoir aimé comme
j'aime pour concevoir combien le reſpect
peut donner de courage. Je le conçois
ſans l'avoir éprouvé , mon ami ; mais enfin
ce reſpect qui ne finit jamais eſt une
chimere. J'en conviens , répondit Durval
, lorſqu'il eſt l'ouvrage de la timidité
; mais il peut y avoir des raiſons ſi
puiſſantes , des motifs ſi ſacrés , qu'il ne
ſoit pas même permis de parler , malgré
l'eſpérance de plaire. Je conviens cepenJANVIER.
1757 . 29
dant que je n'ai pas été arrêté par des
obſtacles , en eux-mêmes ſi inſurmontables
; d'autres que moi les auroient furmontés
: mais j'ai voulu me faire des devoirs
de mes motifs , j'ai voulu aimer
extraordinairement , & l'amour m'en a recompenfé
; il ſemble en effet qu'il ait inventé
des plaiſirs exprès pour moi. Me
direz- vous , reprit le confident , quelles
ſont ces raiſons ſi fortes ? ... Vous les refpecteriez
comme moi , répondit- il ; mais
je ne ſçaurois vous les dire ſans vous faire
ſoupçonner un objet dont le nom doit
être à jamais ignoré .
Le confident alloit continuer ; mais
Durval voulut terminer une converſation
qui lui cauſoit déja une trop ſenſible agitation.
Il dit à ſon ami qu'il étoit temps
de ſe retirer , & qu'ils riſquoient de ſe
faire attendre dans la maiſon où ils devoient
dîner. Ils ſe leverent & partirent
tout de ſuite .
Madame de Régur s'éloigna après eux.
Elle eût donné ſa vie pour pouvoir s'entretenir
de tout ce qu'elle venoit d'entendre
; mais l'heure la preſſoit. Elle partit
en ſoupirant.
Elle arriva dans la maiſon où elle étoit
invitée. Elle étoit perfuadée que rien ne
pourroit lui adoucir l'affreuſe contrainte
B iij
30 MERCURE DE FRANCE .
d'y paffer la journée. L'amour l'attendoit
à la porte pour la détromper. Le premier
objet qu'elle apperçut fut Durval. Quel
moment , quel changement de ſcene ! Il
faifit la premiere occaſion de lui parler
en liberté. Je ne m'étois pas flatté du plaifir
de vous trouver ici , lui dit-il , en l'abordant
, j'avois cédé à l'importunité , jamais
la fortune ne m'a ſi agréablement
trompé. Il avoit les yeux baiſſes en lui
parlant ; il paroiſſoit troublé , tout paroiffoit
annoncer en lui les plus tendres
ſentimens. Ce que vous me dites , eſt
précisément ce que je pourrois vous dire ,
répondit- elle en rougiſſant ,j'admire comme
on ſe rencontre. C'eſt bien le mot ,
reprit Durval , car aſſurément nous ne
nous cherchions pas ; je répondrois bien
du moins que vous n'aviez pas ſouhaité
de me trouver ici ? Je ſouhaiterai toujours
de vous voir , dit-elle en rougifſant
encore , & partout où je vous trouverai
ſans vous avoir attendu , j'éprouverai
toujours une ſurpriſe agréable....
mais , pourſuivit-elle , je voudrois bien
que vous m'appriffiez pourquoi vous me
faites ce reproche ; aſſurément ſi quelqu'un
de nous en mérite , ce n'eſt pas
moi : je vous ai montré une amitié toujours
égale , toujours tendre ; j'ai toujours
JANVIER. 1757 . 31
préféré votre ſociété à celle de tout le
monde , vous ne pourriez pas en dire autant
: je ſuis fûre..... Madame , Madame
, vous êtes fûre du contraire de ce que
vous dites . Eh ! comment n'auriez-vous pas
deviné que de toutes les femmes , la plus
chere à mon coeur c'eſt vous ? Non certainement
, je ne l'ai pas deviné , je n'ai
pas même pu le croire ; l'amitié d'un homme
amoureux ailleurs ..... Amoureux ailleurs
, Madame! qui vous a conté cette
fable ? Une fable ! La queſtion eſt ingénue.
Comment voulez-vous qu'on ſe fie
à vous ? vous démentez vos propres confidences.
Mes confidences , Madame ;
mais vous voulez abſolument vous moquer
? .... Ce n'eſt pas à moi que vous
les avez faites; mais le hazard m'a bien
ſervie : je traverſois le parc en venant dans
cette maiſon , j'ai voulu reſpirer le frais ,
je me fuis aſſiſe au pied d'une charmille ,
j'ai entendu..... eſt- ce aſſez m'expliquer,
pourrez vous vous défendre..... Non ,
Madame , je ne me défendrai pas d'aimer
, j'ajouterai même que mon amour
eſt plus tendre , plus vifque vous n'avez
pu le croire& que je n'ai pu le dire ; mais
mes ſentimens pour vous n'en font pas
moins..... Oh ! pour le coup c'eſt un
peu trop vouloir abuſer de ma crédulité.
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
aveu ? ...
Ecoutez , il y a un moyen de me perfuader
; j'ai furpris votre ſecret , que je le
doive à votre confiance. Si vous m'eſtimez
affez pour me nommer l'objet de votre
amour , je croirai alors avoir toute
votre amitié. Eh ! Madame , pourquoi exiger?
... pourquoi vouloir m'arracher un
non , je ne vous dirai jamais
le nom de ce que j'aime ; ce nom facré
doit être à jamais enfeveli dans mon malheureux
coeur. Cette difcrétion eſt admirable
, reprit- elle , mais je devine , je vois
que vous n'êtes ſi diſcret qu'à force d'avoir
de l'indifférence pour moi. Eh bien !
Madame , répondit-il , en la regardant
avec tranſport , connoiffez ce coeur que
vous outragez , apprenez ce ſecret ſi indifférent
pour vous , ſi reſpectable pour
moi. Vous le voulez , vous m'y contraignez
! Il faut vous fatisfaire , & me réfoudre
à mourir à vos genoux , de honte
& de douleur , après vous avoir obéi ....
Il alloit prononcer ce mot qui lui coûtoit
tant , il étoit déja dans ſes yeux. Madame
de Régur devina , & malgré ſon ſaiſiſſement
ne voulut point l'entendre. Non ,
non , dit elle , en fuyant , mais avec douceur
, ne m'obéiſſez pas , je ſuis affez
inſtruite. Non , Madame , dit- il , en l'arrêtant
avec tranſport , vous ne fuirez
JANVIER . 1757 . 33
point , vous ſçaurez que c'eſt vous que
j'aime , que c'eſt vous que j'adore. Vous
avez voulu m'arracher mon ſecret ! il
faut que vous l'écoutiez tout entier. Oui ,
Madame , apprenez que c'eſt moi qui vous
ai écrit ; je vous ai adorée dès le premier
moment que je vous ai vue , mais je
ne pouvois vous offrir des avantages , &
votre nom exigeoit des richeſſes ; je me
tus , j'aimai mieux mourir que de vous
engager dans une paffion ..... Ah ! Monſieur
, arrêtez , je ne puis écouter des difcours....
Au nom des Dieux reſpectez mes
devoirs.... Vos devoirs , Madame , quand
je meurs , quand vous m'avez forcé de
me perdre peut- être auprès de vous ! Je
les ai reſpectés auſſi long-temps que je
l'ai pu ; mais aujourd'hui.... Ah ! Madame
, vous ne connoiffez pas les tourmens
qui me déchirent. Vous me pardonnerez ,
je les connois , je m'en fais une idée
affreuſe , je vous plains , mais enfin fongez
qu'il ne m'eſt pas permis de vous le
dire. ... que voulez - vous que je devienne
? Ah ! Durval , plaignez- moi vousmême
de vous voir ſi malheureux.
...
Elle ne voulut en dire ni en écoute
davantage. Malgré les efforts de Durval ,
malgré le plus tendre amour elle ſe ſauva
avec beaucoup de vivacité. L'état où
By
34 MERCURE DE FRANCE.
elle le laiſſoit lui arracha des larmes. Elle
n'en eut pas moins la force d'obéir à toute
la rigueur de la vertu. Elle évita ſes
regards pendant toute la journée , & revenue
à Paris elle l'évita lui- même avec
un ſoin extrême. Durval refuſé une premiere
fois à ſa porte , n'oſa ni lui écrire ,
ni chercher à la voir ; il s'impoſa toutes
les loix que Madame de Régur eût pu
lui impoſer elle-même. Elle ſcut pourtant
qu'il l'aimoit toujours avec plus de paffion.
Il paſſoit l'été à ſon Régiment , &
l'hyver dans un cercle d'amis reſpectables.
Elle avoit quelquefois de ſes nouvelles
indirectement , & toutes les fois
qu'elle entendoit prononcer ſon nom ,
elle étoit obligée de ſe ſauver chez elle
pour y donner un libre cours aux larmes
qui la ſuffoquoient. Le temps les ſervit
auſſi-bien que l'amour : M. de Régur fut
tué à l'armée , & l'on eſtime aſſez Madame
de Régur, pour penſer qu'elle épouſa
Durval dès qu'elle le put avec décence.
JANVIER. 1757 . 35
ODE
Imitée de la vir Ode du quatrieme Livre
d'Horace.
Le ciel tranquille & fans nuages
A repris fon plus bel azur ,
Et l'onde aux bords de nos rivages
Préſente un cryſtal aufli pur :
Déja le front paré de lierre ,
Les Nymphes danſent en riant ,
Et célebrent le Dieu brillant
Dont la main conduit la lumiere.
Apeine le printemps nous rit ,
Que le brûlant été le chaſſe :
L'automne qui bientôt le ſuit ,
Al'hyver cede auſſi ſa place :
L'hyver atteint ſon dernier jour ,
Quand les Zéphyres reparoiſſent ;
Ainfi les ſaiſons tour à tour
S'évanouiſſent & renaiſſent.
Mais nous , mortels afſujettis ,
Au temps qui nous pourſuit en maître ,
Un jour nous voit anéantis ,
Unjour ne nous voit pas renaître :
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
C'eſt ainſi que prête à périr ,
Une jeune fleur est penchée ,
Etqui , par le vent arrachée ,
Ne pourra jamais refleurir.
,
Ah ! ſi parmi les triſtes ombres
Tous les mortels doivent errer
Si du chemin des rives ſombres
Nul d'eux ne pourra s'égarer ,
Croyez -moi , n'ayez que l'envie
D'épuiſer ſi bien les plaiſirs ,
Que le terme de votre vie
Le ſoit auſſi de vos deſirs .
Songez ſurtout que l'eſpérance
Marche toujours après l'erreur ,
Et que c'eſt dans la jouiſſance
Qu'on peut trouver le vrai bonheur :
Ce jour est le dernier peut-être
De tous les jours qui vous ont lui
Au lendemain pourquoi remettre
Le plaifir qui s'offre avec lui ?
Loin des ombres de la triſteſſe ,
Et près des ris de la gaité ,
Plongez - vous dans l'aimable ivreſſe ,
Qui tient votre coeur enchanté :
Ne ſuivez jamais que la trace
JANVIER . 1757 . 37
Qui mene aux plaiſirs préparés ;
Que l'inſtant où vous deſirez
Soit l'inſtant qui vous fatisfaffe.
Par M. LEVOIR .
LE FLAMBEAU ,
FABLE.
MALGRÉ le voile épais d'une nuit des plus ſom
bres ,
Une torche allumée éclairoit certains lieux ,
D'un éclat radieux.
Que de beautés qui doivent tout aux ombres !
A cet Aſtre de cire , hélas ! à qui mieux mieux ,
Chacun ne dit que trop ... qu'il n'eſt rien ſous
les cieux
Dont la vivacité , le brillant& la flamme ,
Ait jamais plus frappé les yeux ;
L'éloge fait plus d'effet que le blâme.
Notre flambeau flatté pour foi ſe prend d'amour :
A l'inſtant il fe croit le rival du grand jour ,
Et prétend au ſoleil diſputer la victoire.
Des ténebres laffé , curieux de la gloire ,
Il ſe montre à midi dans un beau jour de foire :
Devant Phoebus , ce n'étoit plus fon tour.
Envain il ſe confume , & s'en fait trop accroires
A peine le vit- on , ſolitaire , ignoré ,
Même de ſes efforts on ne lui ſcut pas gré.
38 MERCURE DE FRANCE .
Maint Ecrivain qu'on idolâtre ,
Dans un cercle privé , chez ſa ſociété ,
Ne doit jamais être tenté
De ſe montrer ſur un plus grand théâtre.
SUITE DES PENSÉES
SUR LA CONVERSATION.
ΧΧΧΙΙ .DEVIENS- JE (1) difficile par plus
de délicateſſe , moi , qui autrefois n'étois
peut- être que trop facile , &pour qui tout
étoit bon , excepté le mauvais ; ou ne
deviens - je que chagrin & miſantrope ?
Ai-je plus d'eſprit & de goût que je n'en
avois , ou feulement plus d'impatience &
plus d'humeur ? Enfin , est - ce ma faute
ou celle des autres , ſi je m'ennuie dans la
(1 ) «Ce que les honnêtes hommes profitent au
>>public en ſe faiſant imiter , je le profiterai à
>>>l'aventure , à me faire éviter. Publiant & accu-
>>ſant mes imperfections , quelqu'un apprendra
>>de les craindre. Les parties que j'eſtime le plus
>>en moi , tirent plus d'honneur de m'accuſer que
>de me recommander. Voilà pourquoi j'y re-
>>tombe , & m'y arrête plus ſouvent. Mais quand
>>>tout eft compté , on ne parle jamais de foi fans
>>perte. Les propres condamnations ſont toujours
>>>accrues les louanges mécrues. Montaigne ,
liv. 3 , ch. 8.
,
JANVIER. 1757 . 39
plupart des compagnies ? La Bruyere me
raffure & me flatte. " Si l'on faifoit , dit-
>>il , une ſérieuſe attention à tout ce qui
>> ſe dit de froid , de vain & de puérile
» dans les entretiens ordinaires , l'on au-
>> roit honte de parler ou d'écouter , &
>>l'on ſe condamneroit peut-être à un fi-
>>lence perpétuel.... »
Mais après m'avoir raſſuré , la Bruyere
m'inſtruit. Ce filence perpétuel , ajoutet'il
, « ſeroit une choſe pire dans le com-
» merce que les diſcours inutiles. Il faut
>>donc s'accommoder à tous les eſprits ;
>> permettre , comme un mal néceſſaire , le
→ récit des fauſſes nouvelles , les vagues
>> réflexions ſur le gouvernement préſent
» ou ſur l'intérêt des Princes , le débit des
>>beaux fentimens , & qui reviennent tou-
>> jours les mêmes. Il faut laiſſer Aronce
>> parler proverbe , & Melinde parler de
>>foi , de ſes vapeurs , de ſes migraines &
>> de ſes infomnies .>>>
Oui , je ferai tous mes efforts pour fuivre
un conſeil ſi ſage ( 1) ; mais bien réſolu
(1 ) Montaigne l'avoit donné avant laBruyere.
La ſottiſe , dit-il , eſt une mauvaiſe qualité ;
>>mais ne la pouvoir fupporter , & s'en dépiter &
>>ronger , comme il m'advient , c'eſt une autre
->>forte de maladie qui ne doit guere à la fottiſe ,
>>en importunité... J'accuſemon impatience , &
40 MERCURE DE FRANCE .
à la patience , j'en ſens toute la difficulté .
Qu'on me permette , après la Bruyere , de
la faire fentir par quelques détails. Il me
ſemble que foulagé par mes plaintes , j'en
ſerai moins fenfible à ce qui me bleſſe
dans la plupart des compagnies , ou que je
ſçaurai mieux diſſimuler ma peine. Plus
heureux , fi je corrigeois ceux qui pourront
ſe reconnoître dans ce que je vais
dire!
XXXIII. Le beſoin de compagnie vient
principalement de celui de parler. Les taciturnes
font volontiers ſolitaires , fuſſentils
oififs dans leur folitude .
t
Si le plaifir de la converſation avec
ceux qui y ont le plus d'eſprit , ne venoît
que du prix réel& intrinfeque de ce qu'ils
y diſent , ce plaiſir feroit bien médiocre
&bien inférieur à celui de la lecture. Les
meilleures converſations ne valent pas , à
tout prendre , les livres du ſecond ordre.
1°. Les compagnies les mieux compoſées
tiens qu'elle est également vicieuſe en celui qui
>a droit , comme en celui qui a tort. Il n'eſt
>> point de plus grande fadaiſe , ni plus hétérocli-
>>te , que de s'émouvoir & piquer des fadaiſes du
>>>monde... Cette vicieuſe âpreté eſt plus au juge
...
qu'à la faute... Somme , il faut vivre avec les
>>>vivans , & laiſſer la riviere courre ſous le pont
>>>fans notre foin , ou du moins fans notre altérawtion.
Liv. 3 , ch. 8.
۱
JANVIER. 1757 . 41
font mêlées de gens de peu d'eſprit , qui
ſouvent y parlent autant & plus que ceux
qui en ont beaucoup. Mais la politeffe
oblige de les écouter , ſouvent même défend
de les contredire avec quelque politeſſe
qu'on le faſſe , ſurtout lorſqu'ils font
d'un rang très- ſupérieur au nôtre. Que de
faux jugemens , de mauvais raiſonnemens
faits par des grands , des riches , des femmes
, en préſence de gens de lettres qui
n'oſent les relever , qui ſont même forcés
de paroître les approuver poſitivement !
Quelques uns de ces grands&de ces riches
tranchent & décident avec hauteur , & il
n'y a guere moins à ſouffrir de leur orgueil
&de leur fatuité , que de leur ignorance
& de leur fottife ( 1 ) . Quelques autres
, à la vérité , ſont plus polis & même
plus modeſtes. Ils diront de bonne foi à un
homme de Lettres , à un Sçavant , à un
Artiſte , qu'ils ne diſent ſi librement leur
avis , que parce qu'il eſt ſans conféquence ;
qu'ils ne parlent que pour s'inſtruire , &
qu'ils ne demandent pas mieux que d'être
détrompés , s'ils ſe trompent. Mais après
(1 ) « J'aime à diſputer & à diſcourir ; mais c'eſt
>>avec peu d'hommes , & pour moi ; car de fervir
>>de ſpectacle aux grands , je trouve que c'eſt un
>>> métier très-meſſéant à un homme d'honneur.
Montaigne.
42 MERCURE DE FRANCE.
cette préface viennent mille abſurdités , &
après ces abſurdités revient l'aveu fait
d'un air libre &dégagé , que tout ce qu'on
a dit n'a peut- être pas le ſens commun ;.
ce qui ſouvent n'eſt que trop vrai. Cependant
il a fallu entendre ces miſeres , & les
écouter d'un air , finon d'approbation , du
moins d'intérêt &de plaifir. Mais enfin ,
qu'en pensez-vous ? Car , encore une fois ,
on n'a dit ſon avis que pour avoir le vôtre.
Ne vous y fiez pas. Quelques ménagemens
& quelques égards que vous obferviez ,
quelques louanges que vous donniez à ce
qu'il peut y avoir de bon & de vrai parmi
tant de mauvais & de faux ; ce grand , ce
riche cette femme ſe piqueront , ſi vous
n'êtes pas de leur avis , &vous répondront
du moins avec aigreur : de plus ,als feront
foutenus par les flatteurs de la compagnie ;
car il y en a partout où il y a des gens
bons à flatter. Vous ne pourrez y tenir ,
yous repliquerez avec trop de vivacité ,
&peut- être juſqu'à manquer à ce qui eſt
toujours dû au rang & au ſexe. Vous aurez
un très-grand tort , & ce tort aura des
fuites fâcheuſes , irréparables , &c. ( 1 )
,
(1) « L'orgueil des grands , ou de ceux à qui
>>quelque coup de fortune a fait croire qu'ils font
>>plus que les autres , eſt d'autant plus intolérable
>>dans les conférences ( conversations ) , qu'on
JANVIER . 1757 . 43
2° . Mais je ſuppoſe que la compagnie
foit entiérement compoſée d'hommes de
Lettres , de Sçavans , de gens d'eſprit , ou
de gens du monde qui ſe rendent juſtice ;
pluſieurs de ces hommes de Lettres font
grands parleurs , veulent toujours ſe rendre
maîtres de la converſation , y régenier,
&permettent moins la contradiction que
les grands , les riches , les femmes ( 1 ) .
Dans chaque maiſon où s'aſſemblent des
gens d'eſprit , ily en a preſque toujours
un qui est l'Oracle du maître ou de la
»n'y devroit reconnoître d'autre grandeur que
>> celle que donne l'uſage de la raifon. Cependant
>>l'injustice y regne à tel point , que c'eſt une
>>merveille quand un homme de bon entende-
>>ment s'en retire fans avoir reçu quelque mépris
>>de ceux qui préſument d'être plus que lui. Le
>>proverbe Allemand dit fort bien là deſſus , qu'on
>>ne doit jamais manger de ceriſes avec de tels
>> ſuperbes , parce qu'ils en jettent les noyaux aux
>>yeux de ceux qu'ils regardent comme leurs in-
>> férieurs. » La Mothe le Vayer, Traité de la Converſation
& de la Solitude.
Le même Auteur raconte enſuite que comme
on reprochoit à Nicolas de Damas ( il vivoit ſous
Augufte ) qu'encore qu'il eût entrée chez les premiers
de Rome , il ne hantoit quere que des gens
de petite étoffe ; il répondit qu'il en uſeroit toujours
de même , tandis qu'il les éprouveroit les
plus raisonnables , comme il avoit fait juſqu'alors .
(1) Je hais toute forte de tyrannie , &la parliere
& Péflectuelle. Montaigne.
44 MERCURE DE FRANCE.
maîtreffe , & ce n'eſt pas toujours le plus
digne de l'être. Le contredire ſeroit leur
déplaire , & quelquefois plus qu'à luimême.
Les hommes les plus éclairés ſe trompent
quelquefois. On peut donc n'être pas
toujours de leur avis. Heureuſement ils
entendent mieux raiſon que le reſte de la
compagnie , & pendant que par flatterie
ou par prévention , elle leur donne gain
decauſe , ils fentent qu'ils s'étoient trompés.
Dans ces occafions , j'ai quelquefois
ofé dire : J'en appelle à vous même , Monfieur
; & ma partie devenue fon juge , s'eſt
condamnée de bonne grace.
J'ai connu des hommes d'un grand -
mérite , honteux de l'eſpece de préſidence
qu'on vouloit leur donner dans certaines
maiſons , & affez modeſtes ou affez prudens
pour la refuſer, Mais j'en ai auſſi
connu d'autres à qui il falloit la donner
pour les avoir ; ils ne ſe donnoient euxmêmes
qu'à ce prix- là ; & plutôt , ſelon
la penſée d'un homme de beaucoup d'efprit
, ( 1 ) plutôt que de ſe voir réduits à
l'égalité dans la bonne compagnie , ils
alloient régner dans la plus mauvaiſe .
Mais après avoir quitté la premiere par
(1) M. Moncrif, Eſſais ſur la néceſſité & fur
les moyens de plaire .
JANVIER . 1757 . 45
orgueil , ils quittoient bientôt la ſeconde
par ennui. Quelquefois même elle les
prévenoit & les chaſſoit , plus choquée
de leur tyrannie , que ſenſible à leur mérite
& à l'honneur de poſſéder des hommes de
leur réputation. Exclus ainſi de toute
compagnie & de toute maiſon , ils n'avoient
d'autre reſſource que les Cafés
qu'ils faifoient déferter encore.
Un eſprit ſupérieur n'eſt pas toujours
exempt de la foibleſſe de vouloir être traité
comme tel , & d'exiger trop d'attentions
, trop d'égards , & des préférences
trop marquées. (1 )
On ſçait bien que les plus grands hommes
ont des imperfections , des défauts ,
& qu'il eſt impoſſible qu'ils n'en aient
pas ; mais ils pourroient n'avoir point de
vices , ni de ces petiteſſes quelquefois
plus aviliſſantes que les vices mêmes , ou
du moins plus choquantes , parce qu'elles
paroiſſent plus incompatibles avec la
ſupériorité d'eſprit & de lumieres.
Qu'il me foit permis , pour l'honneur
des Lettres , d'avertir ici quelques- uns
de ceux qui les cultivent avec le plus de
ſuccès & de célébrité , qu'on leur repro-
(1 ) C'eſt pourtant un plaifir bien fade , dit
Montaigne, d'avoir à faire à gens qui nous admi
rent toujours , & faffent place.
46 MERCURE DE FRANCE.
che dans le monde un amour- propre exceffif
, qui , plus encore que l'esprit , leur
fortde tous côtés , ( 1) & perce dans tout
ce qu'ils diſent & dans la maniere de le
dire; un amour-propre qui les rend ombrageux
, défiants , jaloux , ſenſibles à la
critique la plus légere , & inſenſibles à la
louange , fi elle n'eſt en quelque forte
groffiere à force d'être exagérée. Ils y
perdent les louanges les plus précieuſes ,
celles des gens vrais &des eſprits juſtes.
Malgré beaucoup d'eſtime & d'amitié , on
renonce à louer un homme que la flatterie
la plus forte peut ſeule flatter. Mais
revenons aux cercles compoſés en tout
ou en partie de gens de Lettres , Auteurs
ou Amateurs .
J'avoue qu'il échappe toujours aux gens
de beaucoup d'eſprit , aux eſprits penseurs,
même dans leur converſation la plus lâche
& la moins tendue , des choſes d'un
grand prix & auſſi dignes d'être recueillies
qu'agréables à entendre ; mais, par
combien d'autres que tout le monde auroit
dites comme eux , ne ſe font-elles
point acheter ? (2 )
(1) Expreffion de Madame de Sévigné.
(2) Une femme de Province avoit defiré d'être
d'un dîner que M. le Marquis de Laſſay donnoit
à quelques hommes célebres dans les Lettres,
JANVIER. 1757 . 47
Au reſte , je n'ai garde d'exiger que
les penſeurs penſent toujours ,& quand ils
le pourroient , je ne les blâme point de
dire beaucoup de choſes très-ſimples &
très- communes . Je ne les blâmerois pas
même de s'y borner dans la plupart des
compagnies , & d'y éviter tout ce qui eſt
penfé & réfléchi. Je dis ſeulement que fi
l'on veut de ces choses penſées & réfléchies
, c'eſt dans les livres des grands
Auteurs qu'il faut les chercher , & non
pas dans leur converſation . ( 1 )
XXXIV. Un des plus grands eſprits
que je connoiſſe , Ecrivain très- profond ,
très-laconique , cependant très-clair , &
qui de plus parle facilement & bien ( 2 ) ,
Surpriſe de voir le dîner très-avancé , ſans avoir
encore rien entendu de fort merveilleux , elle dit
àMadame de S. Juft : Quand commenceront- ils ?
M. le Marquis de Laſſay , mort en 1738 dans
un âge très-avancé , eſt celui dont on vient de publier
quatre volumes in- 8 ° , intitulés : Recueil de
différentes choses. Il falloit faire un choix parmi
ces différentes choses , & réduire les quatre volumes
àdeux au plus.
(1 ) « La lecture des bons livres, dit Deſcartes ,
>>eſt comme une converſation avec les plus hon-
>>nêtes gens qui en ont été les auteurs , & même
>>une converſation étudiée dans laquelle ils ne
>>nous donnent que les meilleures de leurs pen-
>>ſées. » Discours de la méthode .
(2) M. de Maupertuis,
48 MERCURE DE FRANCE.
s'eſt toujours refuſé aux diſcuſſions dans
leſquelles , pour profiter de ſes lumieres ,
j'ai voulu l'engager en converſation , à
moins que le ſujet ne lui en fût très familier.
Il me diſoit que je lui faifois trop
d'honneur ; qu'il fe fentoit incapable de
me fatisfaire & de ſe ſatisfaire lui même ,
parce qu'il nous falloit à l'un & à l'autre
plus que des mots ; que foit vanité , ſoit
raiſon , il n'aimoit point à parler au hazard
, tout au plus d'après des lueurs , des
demi- vues ; qu'on n'avoit de vraies lumieres
, des idées préciſes , bien démêlées
& bien ordonnées , que par la méditation ;
qu'il ſe défioit fort de toutes ſes penſées ,
mais ſurtout des premieres ; que la difcuffion
avoit pour objet des matieres qui ne
méritoient pas d'être diſcutées , ou bien
qui le méritoient ; que dans le premier
cas, elle étoit ridicule , comme futile ; mais
que dans le ſecond , elle l'étoit encore davantage
, comme impoſſible , parce qu'il
eſt plus ridicule de ne dire que des riens
fur des chofes que de dire des riens
fur des riens ; qu'auſſi la plupart des difcuffions
de la converſation ne lui avoient
paru que des bavarderies ; qu'enfin je
İçavois bien que M. de Fontenelle même
les avoit toujours évitées , ou du moins
bientôt
د
JANVIER. 1757. 49
bientôt terminées , lorſqu'il n'avoit pu les
éviter ( 1 ) .
Quelquefois dans un cercle aſſez nom-
(1) « Voilà , dit un jour M. de Fontenelle , une
>>dispute qui ne finiroit point , fi l'on vouloit ;
>>& c'eſt pour cela qu'il faut qu'elle finiffe tout à
>>>l'heure . >>>
Au refte , quand on reunit, comme M. de Fontenelle
, beaucoup de juſteſſe dans l'eſprit, & beaucoup
de douceur dans le caractere , on ne doit pas
aimer la diſpute; car avec qui diſputer ?
Un des fix Jéſuites qui firent le voyage de Siam
avec l'Abbé de Choify , reſſembloit tout à fait en
ce point à M. de Fontenelle. Voici ce qu'en dit l'agréable
Voyageur :
<<J'aime tous les Jéſuites qui ſont ici ; ils ſont
>>>tous honnêtes gens ; ge mais le Fontenei & le Vifdelou
laiſſent les autres bien loin derrière . Le
Fontenei eſt la douceur même. Il dit fon avis
>> ſimplement ; & s'il eſt contredit , il prend le parti
>>d'un de vos amis , qui aime mieux ſe taire que
>>>de diſputer. >>>
L'Abbé de Choisy revient encore dans la ſuite
au P. de Fontenei : « Je l'aime tout à fait , dit-il :
>> avec beaucoup d'eſprit & de capacité , il ſçait
> avoir tort quand il le faut , & ne ſe pique point,
>>comme beaucoup d'autres , d'avoir toujours rai-
>>ſon ; car il y en a dans notre petite Répub'ique
>>qui ont toujours en main une raiſon dominante.
>>On meurt d'envie de ſe révolter contr'eux , & de
>>leur refuſer même la justice. »
Dans un autre endroit , l'Abbé de Choisy parlant
de lui-même , dit :
<< J'ai une place d'écoutant dans toutes leurs
> aſſemblées , & je me ſers ſouvent de votre mé-
II. Vol. C
So MERCURE DE FRANCE .
breux , il ne ſe trouvera que deux hommes
qu'on puiſſe proprement appeller gens de
Lettres. Si le reſte ne manque pas d'eſprit,
c'eſt de l'eſprit tel que la nature le donne ,
plutôt poli que perfectionné par l'uſage c'u
monde , & cultivé tout au plus par quelques
lectures agréables. Alors, foit par dégoût
pour les entretiens ordinaires , foit
peut- être par vanité & envie de briller
aux yeux des gens du monde , les deux
gens de Lettres cherchent à faire tomber la
converſation fur quelque point de littérature
, d'érudition , de philofophie , &c.
Une queſtion eſt propoſée , long- temps
>>thode ( 1 ) ; une grande modeſtie , point de dé-
>>mangeaifon de parler. Quand la balle me vient
>>>bien naturellement , & que je me ſens inſtruit à
>>fonds de la choſe dont il s'agit , alors je me laiſſe
>>forcer , & je parle à demi-bas , modeſte dans le
>>ton de la voix auffi-bien que dans les paroles.
>>Cela fait un effet admirable ; & ſouvent quand
>>je ne dis mot, on croit que je ne veux pas par-
>>>ler ; au lieu que labonne raiſon de mon filence
weſt une ignorance profonde , qu'il eſt bon de
>>cacher aux yeux des mortels. Encore eft-ce quelque
choſe d'avoir profité de vos leçons. »
Je me flatte que des citations fi propres à inſtruire
avec agrément ſur la matiere que je traite ,
ne paroîtront ni trop longues , ni déplacées.
(1) La relation de ce voyage est adreſſée à M.
l'Abbé de Dangeau , & l'Auteur lui parle comme
dans une lettre .
JANVIER. 1757. 51
débattue , rarement décidée. Chacun des
contendans demeure dans ſon avis. La
compagnie ne ſçait à qui adjuger la victoire.
Elle n'a ni affez de connoiſſance du
ſujet du combat , ni affez d'habitude à la
difcuffion ; mais par cela même elle n'en a
pas été plus amuſée qu'inſtruite.
Une femme d'eſprit ennuiée d'une pareille
diſpute entre deux hommes de Lettres
, leur dit; Eb ! Meſſieurs , convenez
de quelque chose , fût- ce d'une ſottiſe.
Souvent une queſtion ne fait que s'embrouiller
de plus en plus par la diſpute ,
au lieu de s'éclaircir. Un jour des Poëtes
& des Philoſophes examinoient entr'eux
en quoi conſiſtoit ce qu'on appelle harmonie
dans les vers , & en général dans le
ſtyle. Les Poëtes ramenoient tout au jugement
de l'oreille , au ſentiment , à un certain
goût. Les Philoſophes vouloient des
idées , des principes , & prétendoient que
pour expliquer nettement la nature de l'harmonie
, & rendre des raiſons claires du
plaifir qu'elle fait , plaisir de l'eſprit , difoient-
ils , bien plus que de l'oreille , il
falloit remonter à une profonde métaphyſique.
M. Dumas ( 1) qui avoit long-temps
écouté dans un grand filence , le rompit
(1) Auteur du Bureau typographique.
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
enfin , & dit à ſon voiſin : Je vois bien
que je m'en irai fans sçavoir ce que c'est que
T'harmonie.
XXXIV . La plupart des gens du monde
n'entendent rien à la littérature & aux
ſciences ; mais quelques gens de Lettres
n'entendent rien non plus aux choſes du
monde. Delà un mépris réciproque , furtout
de la part des premiers pour les ſeconds
, &ils le pouffent quelquefois jufqu'à
regarder un Auteur , un Sçavant ,
comme un imbécille , hors de ſa ſphere.
Un des plus illuſtres Membres de l'Académie
des Sciences , & d'ailleurs homme de
beaucoup d'eſprit , & d'un eſprit fin &
délié , ſe trouva unjour dans une compagnie
où étoit un homme de robe , & ils
furent d'avis différent ſur quelque choſe
qui n'avoit pas plus de rapport à la Jurifprudence
qu'à la Géométrie. Monfieur ,
dit le Magiftrat , avec un fouris preſque
moqueur , il ne s'agit ici ni d'Euclide , ni
d'Archimede. Ni de Cujas & de Barthole
non plus , reprit vivement l'Académicien.
: XXXV . Les Sçavans & les Artiſtes , au
lieu de chercher à mettre la converſation
fur leur ſcience & fur leur art , devroient
attendre qu'on les interrogeât , & n'en
parler qu'en réponſe.
Mais il y en a pluſieurs qu'il eſt danJANVIER.
1757 . 53
gereux & inutile d'interroger. Dangeleux
; quand ils ont une fois commencé ,
ils ne finiffent point. Inutile ; ils diſent
toute autre choſe que ce qu'on leur demande
, ou du moins ils le noyent en mille
autres chofes où il ſe perd.
Souvent on les a interrogés par politeſſe
plus que par curiofité ; & ils en font
repentir. On dit : De quoi meſuis-je avisé
de le mettreſurſa folie. (1)
D'un autre côté , les gens du monde ,
frivoles lors même qu'ils font curieux ,
parce qu'ils ne le font que par vanité ,
voudroient qu'on leur expliquât tout en
peu de mots & en peu de temps . En peu
de mots ? répondit un jour M. de Fontenelle
; j'y confens : mais en peu de temps ? cela
m'est impoſſib'e : au reſte , que vous importe
de sçavoir ce que vous me demandez ?
XXXVI . Il y a deux fortes d'erreurs ;
les unes viennent de ſottiſe , les autres
d'ignorance ; & malgré beaucoup d'eſprit ,
on peut tomber dans celles-ci , ſi l'on entreprend
de juger de ce qu'on ne ſçait
point. On ne pourroit donc fortir de ces
erreurs qu'en fortant de ſon ignorance :
mais ce n'eſt pas l'affaire d'un moment
de converſation avec un Sçavant ou un
(1 ) Hic non infanit Satis Sponte ſuâ ; inſtiga .
Terent. Andr.
Ciij
34 MERCURE DE FRANCE.
Artiſte , à quelque degré qu'ils poſſedent
le talent de l'inftruction , & qu'on poffede
ſoi-même le don de l'intelligence. ( 1 )
Si toute erreur n'eſt pas une ſottiſe ,
c'en est une & même affez commune , de
ſe croire capable de juger de tout , avec
de l'eſprit ſeul. Ainſi beaucoup d'erreurs
de gens d'eſprit ſont des fottiſes.
Un Sçavant , un Artiſte parlent de leur
ſcience , de leur art , en préſence d'un
Grand , d'un homme de Lettres , l'un &
l'autre gens de beaucoup d'eſprit , mais
très-ignorans dans la ſcience ou dans l'art
dont il eſt queſtion. Cependant ils s'avifent
de contredire ce Sçavant , cet Artiſte .
Ceux-ci expliquent & prouvent ce qu'ils
ont avancé; mais ceux- là qui n'entendent
ni la preuve , ni même l'explication , re-
(1 ) « On ne devient incontinent Muſicien pour
wouir une bonne Chanſon. Ce ſont apprentiſſages
qui ont à être faits avant la main , par lon-
>gue & conſtante inſtitution . Nous devons ce
>>ſoin aux nôtres , & cette affiduité d'inſtruction ;
>>mais d'aller prêcher le premier paffant , & ré-
>>g>enter l'ignorance du premier rencontré , c'eſt
nun uſage auquel je veux grand mal. Rarement
>>le fais-je aux propos même qui ſe paſſent avec
moi , & quitte plutôt tout que d'en venir à ces
>>inſtructions reculées & magiſtrales. Mon hu-
>>meur n'eſt propre , non plus à parler qu'à écrire ,
>>pour les principians. » Montaigne.
JANVIER. 1757 . 55
pliquent & payent d'eſprit. Quelquefois
cet eſprit eſt une forte de raiſon , une
vérité , mais qui iſolée , ne peut mener
qu'à l'erreur. Mais le plus ſouvent ce n'eſt
que badinage , plaiſanterie , ou même raillerie
: au lieu d'une diſcuſſion inutile , il
faudroit , ſi l'on pouvoit , payer auſſi d'efprit
ces gens d'eſprit , badiner , plaifanter
& railler comme eux , à l'exemple de
ces deux Artiſtes de l'antiquité dont Plutarque
nous a conſervé deux mots excellens
, l'un poli & reſpectueux , l'autre
malin& piquant. (1 ) Le premier eſt d'un
Muficien à Philippe de Macedoine , qui
lui conteſtoit quelque choſe ſur laMufique.
« A Dieu ne plaiſe , Seigneur , que
>> vous deveniez jamais affez malheu-
>> reux pour ſçavoir ces chofes-là mieux
>>que moi. >>
Le ſecond bon mot eſt d'Appelles à
Mégabife , Grand Seigneur de Perſe ,
quid'un air ſuffifant & d'un ton déciſif,
raiſonnoit ſur la Peinture dans ſon attelier.
« Ne voyez- vous pas , lui dit- il , que
» mes garçons qui vous reſpectoient pen-
>> dant que vous ne diſiez mot , ſe mo-
(1 ) Quoique ces deux traits ſoient affez connus
, comme ils ne le ſont pourtant pas de tout
le monde , j'ai cru que ceuxqui ne les connoif.
ſent pas , ſeroient bien aiſes de les trouver ici.
Civ
56 MERCURE DE FRANCE .
>> quent de vous depuis que vous par-
» lez. » (1)
Bien loin qu'un homme d'eſprit ſcache
ce qu'il n'a point étudié , il y a beaucoup
de choſes qu'il n'auroit jamais appriſes
, même en les étudiant.
Qu'un Sçavant fot ne connoiſſe point
fa fotrife & faſſe l'homme d'eſprit , cela
eſt tout fimple , & ne vaut guere la peine
qu'on en rie. Mais qu'un homme d'efprit
ignorant ne connoiſſe point fon ignorance
& décide en ſçavant , voilà ce qu'on
peut appeller un ridicule parfait. Je me
trompe , il lui manque d'être rare.
Une diſpute d'un ſimple homme de
Lettres avec unGrand , homme d'eſprit ,
eſt un combat de deux contre un , par
conféquent inégal , & dès lors imprudent.
Si l'homme d'eſprit eſt vaincu , le grand
viendra certainement à ſon ſecours .
Il y a de très beaux eſprits qui font
auffi peu Philofophes que ſcavans , &
auſſi mauvais raiſonneurs qu'ignorans.S'ils
(1) « Il faut employer la malice même à cor-
>> riger cette fiere bêtiſe. Le dogme qu'il ne faut
►point hair , mais inftruire , a de la raiſon ailleurs;
>>mais ici c'eſt injustice de ſecourir & redreſſer
>> celui qui en vaut moins. J'aime à les laiſſer em-
>>bourber & empêtrer encore plus qu'ils ne font ,
>>& fi avant , s'il eſt poſſible , qu'enin ils ſe re-
>> connoiffent. >> Montaigne.
JANVIER. 1757 . 57:
y joignent l'orgueil , tant l'orgueil de vanité
que celui de préſomption , & les beaux
eſprits y font beaucoup plus ſujets que
toutes les autres fortes de gens d'eſprit ,
que de ſottiſes ne doivent point couler de
ces trois ſources réunies !
Si quelque choſe pouvoit fuppléer au
ſçavoir & prévenir les inconvéniens &
les ridicules de l'ignorance , ce ſeroit
l'eſprit philofophique , ( j'entends le véritable
) qui eſt ſage , circonfpect & modeſte
; qui ne juge & ne parle que d'a
près des idées claires & préciſes , &c ;
en un mot celui qu'a fi bien décrit l'ingénieux
& éloquent Pere Guenard. ( 1 )
« Ce qu'on appelle eſprit , dit un hom-
" me qui en a beaucoup , ce qu'on appelle
>> eſprit ( par un grand abus ) tient lieu
>>de tout aujourd'hui , & l'apparence de
>>la philoſophie y adétruit la ſcience » (2)
(1 ) Jéſuite , Auteur du Diſcours couronné par
PAcadémie Françoiſe , en 1755 .
(2) Diſcours ſur les abregés chronologiques ,
lu à la rentrée publique de l'Académie des Belles-
Lettres , le 27 Avril 1756 , par M. le Préſident
Henault.
Comme je ne cite que de mémoire, ce Diſcours
n'étant pas encore imprimé , je ne cite peut être
pas exactement les propres paroles de l'Auteur .
J'invite à relire ſur tout ceci le commencement
du fixieme ſoir des Mondes de M. de Fontenelle .
Cv
58 MERCURE DE FRANCE.
XXXVII. Que réſulte-t'il de la plus
grande partie de ce qu'on vient de lire ?
Le voici :
On rencontre dans le monde tant de
fots & de méchans , que la plupart des
compagnies font ennuyeuſes pour un homd'eſprit
, s'il n'a pas beaucoup d'indulgence
, & périlleuſes s'il n'a pas beaucoup
de prudence.
Il y raconte qu'étant allé un jour chez ſa Marquiſe
, long-temps après les entretiens précédens,
ily entra comme deux hommes d'eſprit en fortoient;
que la converſation s'étant tournée ſur
les Mondes , cette Dame n'avoit pas manqué de
leur dire que toutes les planettes étoient habitées ;
que l'un d'eux qui l'eſtimoit beaucoup , lui avoit
dit qu'il étoit fort perfuadé qu'elle ne croyoit
pas une opinion fi extravagante ; & que pour
l'autre qui ne l'eſtimoit pas tant , il l'avoit crue
ſur ſa parole. M. de Fontenelle continue ainſi ſon
dialogue:
«Pourquoi, dit la Marquiſe , m'avez-vous en-
>têtée d'une choſe que les gens qui m'eſtiment
>>ne peuvent pas croire que je ſoutienne férieuſe-
>>ment ? Mais , Madame , lui répondis-je , pourquoi
la fouteniez - vous ſérieuſement avec des
>>gens que je ſuis sûr qui n'entroient dans aucun
>>raiſonnement qui fut un peu ſérieux ? ... Ne
>>divulguons pas nos myſteres dans le peuple.
>>Comment ! s'écria -t'elle , appellez-vous peuple
>>les deux hommes qui fortent d'ici ? Ils ont bien
de l'eſprit , repliquai-je ; mais ils ne raiſonnent
jamais. Les raiſonneurs qui font gens durs , les
>appellent peuple fans difficulté. »
JANVIER. 1757 . 59
Dela naît quelquefois l'idée de ſe renfermer
dans ſon cabinet avec ſes livres ,
de ne voir plus perſonne , ou du moins
de ſe borner à un petit nombre d'amis .
Mais , comme dit fort bien M. leMarquis
de Laſſay , il nefaut pas se laiſſer attraper à
ces goûts de retraite que donne le dégoût du
monde. L'ennui de la retraite ſeroit plus
grand encore que celui du monde , & furtout
plus dangereux ; il meneroit à des
penſées noires , ou fi on l'évitoit , ce ne
ſeroit qu'à force de travail; ainſi l'on tomberoit
dans la mélancolie ou dans l'épuifement.
D'ailleurs , on parle de ſe borner à un
petit nombre d'amis. Qui eſt- ce qui en a
des amis , de vrais amis , des amis intimes
, des amis dignes de ce cher & beau
nom , pris dans toute ſon étendue ? Que
dis-je , des amis ? Qui eſt-ce qui en a un ,
c'est-à-dire , quelqu'un qui lui convienne
parfaitement & à tous égards ?
Mais quand on l'auroit , il faudroit
bien ſe donner garde de s'y borner ; il ſeroit
bientôt uſé. Ne fût-ce que pour en
mieux ſentir le prix , il faut , avec lui ,
voir encore ſes connoiſſances.On ne ſcauroit
même en avoir trop , ni d'eſpeces
trop différentes ; & voilà l'avantage de
la Capitale , la varieté des choſes&des
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
perſonnes , la variété en tout genre ; la
quantité fournit la qualité ou du moins
y ſupplée. Au moyen d'un grand nombre
de connoiſſances , on verra plus rarement
les mêmes perſonnes , les mêmes ſociétés.
(1 ) On réglera les intervalles ſur le plus
ou le moins de dégoût. Ce dégoût ſe
changera même en goût. Je vois avec
plaiſir une fois par mois des gens que
je ne verrois qu'avec ennui une fois par
ſemaine ; & cela eſt peut- être réciproque.
Un peu d'abſence fait grand bien.
Ceux qui plaifoient , en plaiſent encore
d'avantage ; ceux qui déplaiſoient ,
en déplaiſent moins ; tous y gagnent.
• Comment voir ſouvent ceux qu'on
n'aime guere ? Mais comment aimer
beaucoup ceux qu'on voit ſouvent ? (2)
(1) « Il faut vivre avec beaucoup , afin de pouvoir
changer , dit encore M. le Marquis de
Laflay.
(2) L'Auteur de ces Pensées ſur la Conversation
nous permet de le nommer. C'eſt M. l'Abbé
Trublet.
JANVIER. 1757 . 61
LES SENS ,
EPITRE badine à Sylvanire pour son
Bouquet , adreffée par M. Vaffe à Mademoiselle
H *** de Gany, qui l'appelloit
Son papa.
DE mon boudoir philoſophique ,
,
Qu'il me ſoit permis à mon tour ,
Jeune & trop aimable Angélique ,
De vous célébrer en ce jour.
Mais reprenons la rime en ire ,
C'eſt pour elle que je foupire ,
Et mes foupirs font infinis ;
Je crains qu'une plus douce lire
Ne fixe ſur ſes ſons chéris
Avec un ſi puiſſant empire
L'attention de Silvanire ,
Qu'il n'en reſte plus pour Iris .
Ah ! ſi le plus fincere hommage
Etoit payé par le mépris ,
Que je regretterois cet âge ,
Cet âge où , moderne Pâris ,
Toujours brillant , toujours volage ,
Toujours flatté , jamais épris ,
Je voyois dans plus d'un boccage ,
Maint oiſeau defirant la cage ,
De ma main attendre le prix.
62 MERCURE DE FRANCE.
Mais ce temps du papillonnage
De la fauſſe félicité ,
D'erreur & de frivolité
Eſt paſſé chez Sylvanire ;
Et ce que j'y trouve de pire ,
C'eſt qu'avee lui je vois , hélas !
Je vois envoler ma jeuneſſe.
Quand j'admire en vous mille appas ,
Qu'un certain ſentiment me preſſe ,
La raiſon vient m'arrêter- là ;
Si j'oſe prendre une épithete
Pour faire un rôle dans la fête ,
J'y fuis à titre de Papa.
Papa ſoit , égayons ce titre ;
Et , ſous ce vénérable nom ,
Prouvons qu'on n'eſt pas fi belître ,
Et que l'on ſçait prendre le ton
Du plaifir & du badinage.
Oui , je puis , ſans être Gaſcon ,
Sans effaroucher la plus ſage ,
Vous dire , & jurer ſur ma foi ,
Qu'encore habitant de Cythere ,
J'oſe aſpirer au bien de plaire ,
Et que l'on peut ſuivre la loi
De Cupidon & de ſa mere ,
Quand on s'en fouvient comme moi.
Le vieux fou ! direz -vous fans doute.
Dites à la bonne heure ; mais ,
Vous ne pouvez ſur vos attraits
L
JANVIER. 1757 . 63
Prononcer que je ne vois goutte ;
Et cette vive impreſſion ,
Que me fit l'apparition
De la piquante Silvanire ,
Doit l'empêcher de me le dire :
Bon jour , mon cher Papa , bon jour.
Ah ! lorſque ſa bouche charmante
Diſoit ces mots avec cette mine riante....
Dites ma fille , étois-je ſourd ?
Moi , que jamais la tabatiere
N'a ſçu tenter un ſeul moment ,
Oui , quand cette main qui m'eſt chere
Au moinsautant qu'à la tendre Maman ,
M'en ouvroit une avec empreſſement ,
J'en prenois , mais d'une maniere
Afaire croire au genre humain ,
Que je ferois moins mort de faim
Que privé de cette pouffiére.
Vous souvient- il d'un certain foir ,
On négligeant mon cher potage ,
Je voulois m'en paſſer plutôt que de vous voir.
Vous vîntes à l'inſtant près de moi vous aſſeoir :
Alors des ris , des jeux , le galant aſſemblage
De la manger me firent undevoir :
Qu'elle me ſembla bonne , ah ! grands Dieux !
quand je penſe
Que vous eûtes la complaiſance
De vous tenir à mes côtés.
Tant que dura cette plaiſante Orgie....
64 MERCURE DE FRANCE.
Jamais dans le cours de ma vie
Mes ſens ne furent fi flartés ,
Que mon palais le fut avec cette ambroiſie :
Eſt-ce là tout ? oh ! que nenny :
Vraiment , ma chere Silvanire ,
Ne me reſte-t'il pas à dire
Ce que je vous ferois , ſi j'allois à Gany ?
Chacun a ſon goût dans le monde;
Et de tous les ſens , ſelon moi ,
Le plus joli dont on ſuive la loi ,
(Car ils font Souverains , quoi qu'un Cagot en
dife )
C'eſt de baifer.... eh ! quoi ? la main de ce qu'on
aime.
Je n'avois pas prévu votre frayeur extrême :
D'un papa qu'avez- vous , ma fille , à redouter ?
Si ce papa vous aime , il ſçait vous reſpecter :
De tout cela je conclus , Solvanire ,
Que près de vous j'entends , je vois , je ſens ,
Et qu'enfin je jouis très-bien de tous mes fens ;
Une autre conféquence à la fuite ſe tire ;
C'eſt que par la même raiſon ,
On ne peut me taxer comme hors de ſaiſon
D'antiquité , de penardiſe ,
Et que mon compliment est encore de miſe :
Convenez-en , & daignez , s'il vous plaît ,
Recevoir mon coeur en ôtage ,
De mes ſens agréer l'hommage ,
Et les accepter pour Bouquet.
JANVIER. 1757. 65
A L'AUTEUR DU MERCURE.
Itya Lya , vous le ſçavez , Monfieur, des regles
fixes dans tous les Arts . La Poéfie ,
qui tient un rang diftingué parmi les
plus agréables , doit à ſes Légiflateurs
l'éclat où nous la voyons. Malherbe ofa
lui impoſer des loix , & les obferva luimême
ſcrupuleuſement ; il fut combattu ,
le génie plia avec peine ſous un joug fi
rigoureux , mais la difficulté l'anima , il
la vainquit , & des beautés ſans nombre
en réſulterent. Les Racine , les Boileau ,
& parmi nous cette foule d'hommes illuſtres
parvenus à la célébrité dans différens
genres ; vous même , Monfieur ,
dans ces pieces où l'eſprit s'inſtruit en s'amuſant
, où le ridicule eſt peint avec des
couleurs ſi vives , vous ménagez avec ſoin
l'oreille la plus délicate. Perfuadé de votre
bon goût , ce n'eſt donc qu'à trop d'indulgence
pour fon Auteur que j'attribue
votre complaiſance à inférer dans le Mercure
de Décembre la piece intitulée , Effai
fur l'ame , non qu'elle en ſoit indigne par
le fonds : j'en approuve la contexture , j'y
trouve même des beautés ; j'en citerai
volontiers ces vers pour exemple :
66 MERCURE DE FRANCE.
> Je dois donc en ce cas me ſurvivre à moi même,
>> Et ſous l'extérieur de mon humanité ,
>>Porter le germe heureux de l'immortalité .
Mais je ne puis m'empêcher de blamer
l'extrême négligence qui y regne. Ion
dans affertion , ier dans ouvrier , font employés
pour une ſyllabe , fond y rime avec
lui même , portée avec ignée , rime, pour
me ſervir de vos termes , ( 1 ) à peinefupportable
dans un vaudeville : appréciez ces
deux vers au ſens louche.
Ce n'eſt point par le corps dont l'argile eſt la tra
me,
Qu'on voit naître &mourir. Il faut donc que fon
ame , &c.
Une trame d'argile. L'étrange métaphore!
Je finis en priant M. Ducaſſede pardonner
ces remarques à mon amour pour
la vérité , & d'avoir toujours devant les
yeux cette maxime du judicieux Defpreaux
:
Le vers le mieux rempli , la plus noble penſée
Ne peut plaire à l'eſprit quand l'oreille eſt bleſſée.
J'ai l'honneur d'être , &c .
DE C ***.
A Paris , ce 12 Décembre 1756 .
(1 ) Mercure de Novembre , p. 178 .
JANVIER. 1757 . 67
Que M. Du C. & ceux qui riment
comme lui , liſent cette lettre , &
qu'ils en faſſent leur profit. Nous ne cédons
quelquefois àleurs inſtances importunes
, que pour avoir occafion de relevèr
leurs fautes , ou dans l'eſpérance que
quelqu'un de nos Lecteurs inſtruit & jaloux
des regles , ſera bleſſé de les voir
fi cruellement violées , & nous en marquera
fon reſſentiment. Notre attente eſt
aujourd'hui remplie , nous remercions l'Anonyme
d'avoir ſi bien fait notre charge.
Nous declarons qu'à l'avenir nous ferons
plus féveres , & que nous ne mettrons
plus de vers informes qui bravent la rime
ou la meſure. C'eſt bien aſſez d'être obligé
d'en inférer un ſi grand nombre de mé
diocres , qui n'ont que le mérite d'être
exacts , & qui ne font que la copie un
peu déguiſée de tant d'autres.
VERS.
QUAND Sallé quitta ce baslieu
Pour aller jouir de la gloire
Que diſpenſe Apollon au temple de mémoire ,
Entre les Muſes & ce Dieu
Elle apperçut un intervalle ,
Où l'on voyoit ces mots écrits :
68 MERCURE DE FRANCE.
«La vertu , les talens , les graces & les ris ,
>> De Terpsichore ici placeront la rivale.
Il ne manque-là que mon nom :
Oui , c'eſt moi , dit Sallé , que l'on a déſignée
Pour remplir cette place : non ,
Répond le Dieu des Arts , elle eſt pour Puvignée.
LETTRE
A L'AUTEUR DU MERCURE.
MONSONISEIEUURR ,, vous avez eu la bonté d'inférer
dans le Mercure de Juin un Epitre
adreſſée à un ami , par laquelle je
l'invitois à ne connoître d'autre amour
que celui qu'un goût paſſager inſpire. Le
malheureux venoit d'être abandonné par
une ingratte , dont juſqu'au moment fatal
il avoit cru être aimé. Des préceptes
férieux ne font qu'augmenter la peine
d'un amant méprifé. J'ai tâché de le confoler
par des leçons badines , que mon
coeur né conſtant défapprouvoit , quand
la pitié me les ſuggéroit. Croiriez - vous ,
Monfieur , qu'une action bonne en elle
même dût m'attirer l'inumitié du beau ſexe ?
Je n'ai jamais pu réuſſir à le convaincre
mon innocence. Je ſuis un mifantrope
, un inſenſible , un impoſteur. S'il
de
JANVIER . 1757 . 69
m'arrive de rendre juſtice au mérite d'une
femme , elle ne me croit point. Mes
louanges font des ſatyres. Je me trouvai
il y a quelques jours dans un cercle ,
je complimentai ſincérement une Demoifelle
ſur ſes charmes naturels embellis
par les graces. Ehbien ! je ſuis ſi décrié
que depuis cemoment elle n'oſe pas feulement
ſe croire jolie.
Je vous prie , Monfieur , de faire paroître
inceſſamment l'Epitre ſuivante pour
me juſtifier vis-à-vis du ſexe aimable ,
auquel j'ai eu le malheur de déplaire.
Mon offenſe prétendue a été publique ,
mon excuſe réelle doit l'être aufſi . Mon
coeur eſt dépeint dans ce dernier Ouvrage.
Le premier n'étoit qu'un jeu d'eſprit. Je
fuis, &c.
DeBrie-Comte- Robert .
EPITRE
AM.... pour l'engager à prendre une
Maitreffe. 1
UNE fombre mélancolie
Obſcurcit l'été de tes jours :
Diſſipe ta grave folie
Dans les bras des jeunes Amours,
Ne penſe pas que la ſageſſe
70 MERCURE DE FRANCE.
1
Condamne une tendre langueur :
Aimer n'eſt point une foibleſſe ,
Quand le plaiſir eſt dans le coeur.
Tu connois fans doute Amarante ,
L'adorable objet de mes voeux :
Je ſuis fidele , elle est conftante ,
Et le temps voit croître nos feux.
Oublie une morale auſtere :
Quoi ! ferions-nous nés pour hair a
Les Philoſophes de Cythere
Sont ceux qui ſçavent bien choiſir .
Que l'heureuſe raiſon te guide :
Tu n'as rien à craindre des ſens ;
Les charmes d'un eſprit ſolide
Feront fumer ton pur encens.
Ah ! crains de tomber dans l'ivreſſe ,
Oùjette une avare beauté.
Avoir Laïs pour ſa Maîtreſſe ,
C'eſt exiler la volupté.
Les rigueurs d'un dur eſclavage
Privent de la félicité :
Tâche donc , ſans être volage ,
De conſerver ta liberté.
Un ſexe toujours fûr de plaire ,
Seroit- il fait pour t'égarer ?
D'amour que le feu falutaire
Ne brûle que pour t'éclairer.
Si la fidele ſympathie
Te conſeille de faire un choix ,
JANVIER. 1757. 71
L'enfant gouvernera ta vie
Sans t'aſſujettir à ſes loix.
Une Maîtreſſe , qui nous aime ,
Prévient , devine nos deſirs.
Suivre ſa volonté ſuprême ,
C'eſt travailler à nos plaiſirs.
D'Arpajon.
ADDENET .
Il eſt l'Auteur des Stances à Mademoiſelle
... Mercure de Mai , page 18 ; d'une
Ode ſacrée , page 54 , premier Mercure de
Décembre 1755 .
... Des Vers à Mademoiselle fecond
Mercure de Janvier , page 49 ; des Stances
à Mademoiselle Brohon fecond Mercure
d'Avril , page 51 ; d'une Epître à un
Ami fur l'inconſtance de ſa Maîtreſſe ,
Mercure de Juin , page 57 ; & d'une Ode
ſur le mariage de M. F.... page 54 , ſecond
Mercure d'Octobre 1756 .
J
LETTRE
A L'AUTEUR DU MERCURE.
AI vu , Monfieur , dans le Mercure
de Juillet une réponſe de M. l'Abbé Regley
que je ne connois point , à l'Effay
72 MERCURE DE FRANCE.
:
د
fur le caractere des nations , par M. Hume ,
dont je connois les Ouvrages politiques
traduits par M. l'Abbé le Blanc. Parmi
pluſieurs choſes raiſonnables & bien
exprimées dont cet écrit eſt rempli , j'en
ai cru voir d'autres qui manquent d'exactitude
& même de clarté. Je n'ai pas deſfein
d'en relever toutes les fautes. C'eſt
aux défenſeurs naturels de M. Hume
c'eſt à dire , à ſes traducteurs de faire
voir à M. l'Abbé Regley , qu'il ſe trompe
comme Philofophe , en attribuant à des
cauſes phyſiques des effers purement moraux
, ce que l'illuſtre Auteur de l'Esprit
des Loix n'a pas fait ſans reſtriction , malgré
ſon ſyſtême favori de l'influence du
climat. C'eſt à ces Meſſieurs de dire que
les exemples allégués par le Critique ,
loin de fortifier ſon ſentiment , concluent
ordinairement contre lui ; qu'il auroit dû
exprimer clairement ce qu'il penſe ſur la
nature de l'ame , avant d'en combiner ,
&d'en apprécier les operations , & furtout
que ce n'étoit pas la peine de faire un
écrit polémique pour une queſtion fur
laquelle il prend tantôt un parti , tantôt
un autre , & qu'il laiſſe enfin auſſi indécife
& un peu plus obfcure qu'elle ne l'étoit
auparavant.
Voilà , fi jamais on repond à M. l'Abbé
Regley ,
JANVIER. 1757 . 73
Regley , ce que ſans doute , on lui détaillera
, & on lui prouvera mieux que
je ne le puis faire. Cela ne me regarde
pas . Mais , Monfieur , il y a dans ſon
ouvrage une ſatyre non perſonnelle , mais
nationale , qui me tient au coeur , & dont
je vous demande permiſſion de porter ma
plainte à votre tribunal .
Il s'agit du paralelle infültant que fait
M. l'Abbé Regley entre la Bourgogne &
la Normandie. Si cet Auteur eſt Bourguignon
, il lui eſt ſans doute permis
d'aimer ſa patrie : ne pouvoit- il donc
l'exalter ſans cette comparaiſon injurieuſe ?
Je ſuis Normand , Monfieur , & je ſuis
bien éloigné d'en rougir. J'aime le lieu
de ma naiſſance , & on me pardonnera
fûrement d'en vouloir défendre l'honneur :
mais je ne me pardonnerois pas à moimême
de le défendre avec des armes qui
puſſent bleſſer aucun habitant du Royaume
& même de l'Univers. Plein d'une
juſte vénération pour les illuſtres Bourguignons
, dont M. l'Abbé Regley fait
un éloge mérité , je ne voudrois pas ,
quand même j'y trouverois de l'avantage ,
les faire ſervir à relever le luſtre de mes
compatriotes , dont le tableau brille affez
de fon propre éclat ; pour n'avoir pas be-
II. Vol.
D
74 MERCURE DE FRANCE.
"
ſoin d'ombres. Il n'eſt pas néceſſaire de
faire l'apologie de ma province ; tout le
monde ſçait qu'elle a été le berceau d'une
infinité de grands hommes , Politiques ,
Guerriers , Magiſtrats , Eccléſiaſtiques ,
Gens de Lettres. Ce que j'en dirois n'ajouteroit
rien à leur renommée. Je ne veux
qu'engager M. l'Abbé Regley , par égard
pour la politeſſe & pour la vérité , à rétracter
les odieuſes imputations de rufe,
de fourberie , de pesanteur , d'intérêt, de
triſteſſe dans la ſociété , de diffuſion dans les
idces & dans l'expreſſion , de colere durable
, & d'imagination rêveuſe , dont il accable
indiſtinctement & fans pitié mon
malheureux pays . On montre , dit- il , des
cantons en Normandie , dans lesquels les
Normands font plus Normands qu'ailleurs.
Il met apparemment les habitans de Caen
dans cette claſſe , puiſqu'il les cite pour
n'avoir pas varié un instant depuis Raoul
jusqu'à nos jours. Dans ſa bouche c'eſt là
une ſatyre ; mais à parler exactement c'eſt
une louange. On devine auſſi qu'il veut
lancer un trait à Paul Lucas , ſi la plaiſanterie
du plus mauvais ton peut paffer
pour un trait.
Il n'eſt pas ſurprenant que M. l'Abbé
qui ſe déclare pour la volupté riante , foJANVIER.
1757. 75
R
lâtre & enfantine , pour leſtyle léger&fleuri
, n'ait pas confumé triſtement ſes beaux
jours à lire les faftidieux ouvrages des
Normands; je m'étonne ſeulement qu'avant
que de prendre-la balance ,&de prononcer
ſon arrêt , il ne ſe ſoit pas mis au
faitde la cauſe , en examinant les pieces que
les parties pouvoient produire: alors il n'auroit
pas oublié Bochard , Huet , Malherbe ,
Sarrazin , Segrais , &c. Il auroit fait
mention du reſpectable Neſtor du Parnaffe
, & il auroit été à bon droit difpensé
d'en nommer d'autres : mais ſi le nom
de M. de Fontenelle étoit échappé à M.
l'Abbé Regley , que feroient devenues fes
comparaiſons & ſes railleries ſur la pefanteur
Normande ?
Comme les Auteurs ne font pas dociles,
lorſqu'on leur demande la correction
& même l'aveu de leurs fautes , je
ne compte pas trop ſur la rétractation de
M. l'Abbé Regley. J'appelle ſeulement de
ſon jugement à celui du Public équitable
, & furtout au vôtre , Monfieur , dont
on connoît l'impartialité. On pourroit ,
s'il ne s'y rendoit pas, entrer dans une difcuſſion
plus étendue , qui ne laiſſeroit
peut être pas les rieurs de ſon côté. Nous
en avons en Normandie , malgré la trifteſſe
qu'il nous reproche , & je lui puis
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
!
1
aſſurer que beaucoup de Normands n'ont
fait que rire de ſon Ouvrage. J'ai l'honneur
d'être , &c .
Ce 14 Décembre 1756 .
D'IFS.
LA LANTERNE MERVEILLEUSE ,
Etrennes de la Princeſſe de Talmont , à la
Reine.
Ce vaſe lumineux par Urgande inventé ,
Vous dévoile à nos yeux avec ſévérité.
Reine , que vos regards , par cette pure flamme ;
Cent & cent fois le jour ſe laiſſent attirer.
Lifez dans votre eſprit , connoiſſez dans votre
ame
Tout ce que vos Sujets ne ceſſent d'admirer.
Vous vous ignorez : quel dommage !
A cet enchantement hâtez- vous de céder.
Elle avoit bien prévu cette Urgande ſi ſage ,
Qu'il faudroit tout fon art pour vous perfuader
Combien de rares dons vous avez en partage.
Par M. DE MONCRIF , Lecteur de Sa
Majefté.
:
JANVIER. 1757. 77.
L
E mot de l'Enigme du premier Mercure
de Janvier eſt le premier Jour de l'An.
Celui du Logogryphe eſt Compagnie, dans
lequel on trouve Ange , paon , âne , camp ,
pie , cage , anime , aîné , cime , manie
gance , gaîne , mien nom , Mai , Moine ,
main , poing , mie , ami , agonie , &
Mein .
ENIGME.
J''AALLTTEERREE la délicateſſe
Du lieu dont je ſuis l'ornement ;
Je viens toujours tout doucement ,
Et l'on me chaſſe avec viteſſfe :
On ſeroit bien fâché de ne me point avoir.
Souvent on me deſire avec impatience :
Mais dans le lieu de ma naiffance
On ne sçauroit ſe réſoudre à me voir.
Si j'embellis le brun , j'enlaidis fort la blonde.
L'on m'aime , & l'on me hait :
On me fait , lorſqu'on me défait.
Les gens de piété profonde
Pour me garder ſortent du monde .
Tout le reſte du genre humain
Me fait un traitement ſévere :
Diij
78 MERCURE DE FRANCE .
Mais malgré tout ce qu'on peut faire ,
On me chaſſe aujourd'hui , & je reviens demain.
LOGOGRYPΗ Ε.
J porte en treize pieds le métail précieux ,
Dont l'avare repaît , & fon coeur & ſes yeux ;
Le caſque d'un Viſir ; cette liqueur vermeille ,
Que le Dieu des côteaux fait couler de la treille ;
Cequi fait l'ornement & le prix d'un chapeau ;
Le bruit que le Berger fait rendre à ſon pipeau ;
L'Amant de Talaïre ; un terme de phyſique ;
Un mets dont ſe nourrit le peuple Aſiatique ;
Ce qui fait d'ordinaire un acte d'un repas ;
Un ſage qui de l'or ne faiſoit aucun cas ;
Cequi charme un ſoldat au fort de la défaite ;
L'objet , l'unique objet des deſirs d'un athlete;
Un meuble néceffaire au pieux voyageur ,
Dont Rome ou Compoſtelle admirent la ferveur :
Une Divinité dans Memphis adorée ;
Ce Prince infortune ſi cher à Cythérée :
Une injure groſſiere , un boyau plein de ſang :
Tout homme bourſouflé des honneurs de ſon
rang:
Ce mot que ſur un ton fi doux pour une Actrice ,
Au théâtre prodigue un parterre propice ;
Un oiſeau ſur le Nil redoutable aux ferpens ;
Une fille en amour fidelle à ſes dépens :
JANVIER . 1757 . 79
Cette charmante foeur dont l'humeur trop volage
Dans les murs de Sichem fit porter le ravage :
La mere des épics , la force d'un château ,
- La montagne où Pâris conduiſoit ſon troupeau;
Ce qui chez la Maubois fit entrer la fortune :
Une Nymphe qui dut ſon bonheur à Neptune ;
La mouche de Junon , les Pages de l'Amour ;
Ce qui fait qu'un vieillard à Vulcain fait ſa cour ;
Ce que , même au Couvent , nos jeunes Demoifelles
Rangent avec tant d'art , pour paroître plus belles.
Pour tout dire , en un mot ,je ſuis ce que l'Auteur
Sera toujours en droit d'exiger de ſa ſoeur.
Par Mademoiselle DE SAURET , l'aînée ,
Penſionnaire chez les Dames de la Foi.
A Sainte- Foi , en Agenois.
A L'AUTEUR DU MERCURE.
Moussu , begeri dins MONSIEUR , j'ai vu
lou Mereuro dal més paffat
uno biello Canſon Lan.
gueducienno , tant poulidoq'uen
canto lous Francimans
per la fublimo
naibetar de las pénſados ,
&l'eleguento fimplicitat
d'al langatge. N'aparten
q'uall patois & à lanaturo
de pintra de beſucariés
dans le Mercure du
mois de Mai dernier
une ancienne & jolie
Chanſon Languedocienne,
qui ravit les
Parifiens par la fublime
naïveté des penſées
& l'élégante fimplicité
du langage. II
n'appartient qu'au pa-
Div
80 MERCURE DE FRANCE .
tois ou à la nature de
peindre des bagatelles
avec des couleurs auſſi
expreſſives : c'eſt à
tort qu'on le traite de
jargon.. Les Parifiens
feroient bien plus
charmés d'entendre
chanter dans le pays
même. Les bouches
de nos jeunes filles
font le même effet
que l'arc de l'amour ,
les paroles font autant
de trait de ce Dieu
qui bleſſent les coeurs ,
&la muſique la corde
qui les lance.
La Chanfon que
j'ai l'honneur de vous
envoyer , & que je
vous prie d'inférer
dans un de vos recueils
eft nouvelle : je
ne vous dirai pas ſi
elle eſt jolie ; vous
m'accuſeriez peut- être
de partialité .
On dit que l'Auteur
ne manque pas
d'eſprit. Il la compoſée
pour moi : je ſuis
reconnoiffante , & je
n'oſe pas vous dire ce
que mon coeur pourroit
faire pour lui.
ambé de coulous tant
expreſſibos. Es pla mal
aperpaus que l'ou tratoun
de Baragouen : cé lous
francimans poudion abé
uno aufido de noſtros
canfons , dins l'ou pais ,
ſarion bé may embeli
nats. Figurats bous que
l'as bouquetos de noſtros
filletos fount autant
d'arquets d'al diu
nenet lous mouts autant
de pourchous amourouſés
que trancoun lous
cors , & lairè la cordo
que l'ous lanſço .
La Canfouneto quei
l'ounou de bous manda ,
& que bous pregui de
metre entremiech q'uauque
libret , à l'abantalge
de la noubautat : s'es
poulido
bou ba direi
pas ; m'a cufariats béleu
d'eſtre prebengudo .
,
Diſous que l'ou que
lafaito nou manquo pas
d'eſprit , & la faito per
yeu: foui recougneiffento
, & gauſi pas bous dire
ce que l'on men cor fario
per el. Ai trop parlat. Sabets
q'uauquo coumpla
JANVIER. 1757. SI
ſenço per las joubes & aimablos
Doumaiſelletos
n'ey que doſo ſept ans ;
foni Languedoucienne , &
boſtro ſirbento : adiſiats
mouffu.
FRANCOUNETO .
ANarbounno , lou 25
Julliet 1756 .
CANSON patoise , fus
l'aire de la Roumanco
d'al debignaire del
bilatge.
N'ai-je pas trop parlé
? Adieu , Monfieur.
Si vous avez quelque
complaiſance pour les
jeunes & aimables Demoiſelles
; je n'ai que
dix-sept ans : je ſuis
Languedocienne , &
-votre fervante , :
FANCHONNETTE .
ANarbonne , le 25
Juillet 1756 .
CHANSON Languedocienne
,fur l'air
de la Romance du
devin du village :
Dans ma Cabanne obscure , &c.
TAN
ANT que la margarido
La reino d'as pradets ,
Sara la flou poulido
L'ou luyra d'as bouquets ,
Tu ſaras ma touſtouno ,
Regnaras ſul cor miu ;
Pourtaras la courouno
De ma tendro affectiu .
Lou mati , quand l'albieiro
(1) Fleur printanniere.
TANT que la marguerite
( 1 ) , qui eſt la
reine des prairies, ſera
la jolie fleur , & l'étoile
brillante des bouquets,
tu ſeras ma chere
unique, tu régneras
fur mon coeur t
porteras la couronne
de mon affection la
plustendre.
,
Lorſque la roſée du
matin répandra ſes
Dy
82 MERCURE DE FRANCE.
Perléjara las flous ,
Et que per la carrieiro
Menarei l'ous moutous ,
D'al nounde Françouneto
L'ous ecos rebeillats
Announçaran laubéto
As auſels amatats.
Sus pibouls, la journado,
Per charma mous leſe ,.
Françon ſaras grabado
Pel burin d'al plaſé ;
Sus leſcorço tendreto
Quant toun noun grandira
Mabefiado amoureto
Dins moun cor creifira.
Per tourna de la prado
Lou jouer me paretra
Quela neit retardado
Nou deu pas pus intra ,
Sarei ſul pun de creire
Que charmat de toun el
Lou foulél perte beire
Soublido dins lou cél.
perles fur les fleurs, &
queje conduirai mes
moutons dans les ſentiers
, les échos réveillés
par le nom de Fanchonnette
annonceront
le point du jour
aux petits oiſeaux endormis
ſous les herbes.
Le long du jour pour
charmer mon loiſir ,
j'emprunterai le burin
du plaifir , & je graverai
Fanchon ſur les
peupliers ; à meſure
que ton nomgrandira
fur leur tendre écorce,
je ſentirai mes douces
amours croître dans
mon coeur .
Le ſoir pour revenir
de la prairie , il me
femblera que la nuit
retardée ne doit plus
arriver : je ſerai ſur le
point de croire que le
foleil charmé de tes
yeux, s'oublie dans les
cieux pour te confidérer.
JANVIER. 1757. 83
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
ELEMENS de fortifications , contenant les
principes & la deſcription raiſonnée des
différens ouvrages de la fortification , les
ſyſtèmes des principaux Ingénieurs , la
fortification irréguliere, &c.A Paris, chez
Jombert , rue Dauphine , à l'image Notre
Dame 1756. Prix 3 livres 10 fols relié.
Les différentes éditions de cet ouvrage
confirment de plus en plus le jugement
favorable que la premiere en avoit
fait porter. L'Auteur l'a toujours retouché
& augmenté. Il contient tout ce qu'on
peut deſirer dans un livre élémentaire. Il
y a de plus gros livres ſur cette matiere ,
mais les préceptes & les regles n'y font
point expoſés avec plus d'ordre & d'étendue.
On peut avec cet ouvrage ſe procurer
des connoiſſances juſtes & préciſes
de l'art de fortifier. C'eſt un livre clafſique
d'une école militaire , &c.
Cette nouvelle édition qui eſt très -bien
exécutée , eſt dediée à Monſeigneur le
Duc de Bourgogne , qui à l'âge de cinq
Dvj
$ 4 MERCURE DE FRANCE.
ans commence à s'amuſer à la Géométie.
La plupart des termes de cette Science
lui font déja ſi familiers , qu'il les applique
avec juſteſſe ſans jamais les confondre.
Il ſçait exécuter ſur le papier &
fur le terrein les problêmes les plus utiles
de la Géométrie pratique , & en effet
on l'a vu publiquement à Meudon élever
des perpendiculaires ſur le terrein , mener
des paralleles , décrire des polygones , &c.
Il a auſſi des notions exactes de la ſphere ,
du globe , & ces connoiſſances ſi ſingulieres
à fon âge , lui font enſeignées
par forme d'amuſement & de récréation .
Elles font la récompenſe de ſon attention à
la Religion , à la lecture , & à l'Histoire
Sainte, qui rempliſſent tous ſes momens d'application.
Il y a long-temps qu'on a penſé que
la Géométrie étoit la Science la plus propre
à faciliter le développement des premieres
idées des enfans. Le Pere Mallebranche
, M. De Crouzas , & pluſieurs
autres Auteurs l'ont dit & écrit. Mais
il falloit un exemple tel que celui de Monſeigneur
le Duc de Bourgogne pour en
convaincre le Public. Les Sciences & les
Lettres doivent beaucoup de reconnoiſſance
à Me. la Comteſſe de Marfan , du goût
qu'elle ſçait inſpirer au jeune Prince
JANVIER . 1757: 85
pour leurs nobles amuſemens. Outre les
avantages qui en réſultent pour lui former
& perfectionner le jugement , il acquiert
l'habitude de s'accoutumer aux occupations
réglées ; habitude qu'on ne peut
contracter de trop bonne heure , & qui
affure le ſuccès dans les différens genres
d'étude auxquels on peut s'appliquer.
SECONDE Lettre de M. Fournier l'aîné ,
Graveur & Fondeur de caracteres d'Imprimerie
, à Paris , rue S. Jean de Beauvais;
à l'Auteur du Mercure.
MONSIEUR , ONSIEUR , en publiant la Lettre que
j'ai eu l'honneur de vous adreſſer , &
que vous avez bien voulu inférer dans
votre Mercure du mois de Mai dernier ,
page 121 , je n'ai eu d'autre vue particuliere
, que de faire connoître aux Imprimeurs
& aux perſonnes ſcavantes l'erreur
où les induiſoit une lettre anonyme
inſerée dans le Journal des Sçavans du
mois de Février dernier : erreur qui ne
tendoit à rien moins , qu'à anéantir pour
moi dans l'eſprit du Public les richeſſes
dont je suis en poffeffion , en voulant faire
croire qu'elles ont paffé chez l'Etranger.
L'Auteur de cette Lettre , après avoir
86 MERCURE DE FRANCE.
comblé d'éloges les caracteres de Garamond
& de Le Bé , diſoit page 217, que
Plantin est venu puiſer à cette ſource les
caracteres qui , en prouvant son bon goût ,
ont fixé fa réputation. 11 ajoute que Garamond
& Le Bé lui ontfourni les poinçons
&les frappes avec lesquels il a établi une
fonderie célebre , qui ſubſiſte encore aujourd'hui.
Ce font , continue- t'il , les caracteres
hébreux de ce dernier qui ont ſervi
pour la Bible de 1569 , &c .
Qui ne croiroit , en lifant ces paroles
de l'Auteur anonyme , que les poinçons
& les frappes de Garamond & de Le Bé
ont paffé chez Plantin , & en particulier
les poinçons hébreux qui ont ſervi pour
la Bible de 1569 ? J'ai cru que l'honneur
de la Typographie françoiſe , &mon
état devoient m'engager à détromper le
Public ſur un fait auſſi important , & j'ai
prouvé d'une maniere convaincante que
les poinçons hébreux de Le Bé qui ont
ſervi à imprimer la Bible hébraïque de
Plantin de 1569 , n'ont point été livrés
à Plantin. J'en ai apporté deux raiſons qui
ſont ſans replique. La premiere , c'eſt que je
fuis poffeffeur de ces poinçons qui ont
fervi à l'impreſſion de la Bible hébraïque
de Plantin de 1569 , & que j'offre
de les faire voir aux curieux. La ſeconde ,
1
JANVIER. 1757. 87
c'eſt que ces poinçons ne font jamais
fortis de la fonderie de Guillaume Le Bé ,
comme il eſt conſtaté par l'inventaire de
cette fonderie , dreſſé par ſon fils. Je ſuis
auſſi poſſeſſeur de cet inventaire, & j'offre
de même de le faire voir à ceux qui en
auront la curioſité. Il eſt donc conftant
que les poinçons hébreux qui ont fervi
pour la Bible de Plantin de 1569 , n'ont
point été livrés à Plantin , & qu'il ne
font jamais fortis du Royaume. Ce ſont
les caracteres de ces mêmes poinçons hébreux
qui ont été employés pour la belle
Bible polyglotte de M. Lejay ; ce qui ſe
prouve encore par l'inventaire de la fonderie
de Le Bé , & par la comparaiſon
de ces poinçons avec ladite Bible polyglotte.
Autre preuve convaincante qu'ils
ne font pas fortis de la fonderie de Le Bé .
dont je ſuis poſſeſſeur.
L'Auteur anonyme qui m'a fourni l'occaſion
& non le prétexte de faire connoître
ma fonderie , croit fatisfaire à ma
lettre , par une réponſe qu'il a fait inférer
dans le Journal des Sçavans du mois
de Septembre dernier page 1756. Mais
en comparant cette réponſe avec ma lettre
, il eſt aiſé de voir qu'il s'écarte de
l'objet principal , qui eſt en queſtion , &
qu'il ne détruit point ce quej'ai avancé :
SS MERCURE DE FRANCE.
ſçavoir que je ſuis poſſeſſeur des poirçons
& des matrices que j'ai énoncés dans
ma lettre , & qui faisoient le fonds des
fonderies de Le Bé & de Garamond. Il
s'applaudit néanmoins dans ſes prétendues
découvertes , & s'imagine avoir trouvé
des preuves ſans replique. J'ai preuve en
main , dit- il , & cette preuve est sans replique
, je la tire d'une note écrite de la
propre main de G. Le Bé , qui marque qu'en
1559 il a gravé un hébreux gros double
canon..... J'en ai vendu les poinçons ,
( dit Le Bé dans cette note , ) lafrappe des
matrices & le moule au ſieur Christophe
Plantin à bon marché à cause des troubles
, &c. Enſuite l'Auteur anonyme s'écrie
d'un air fatisfait , voilà done nonſeulement
les poinçons , mais encore le moute
les matrices , c'est-à-dire tout l'objet
en entier vendu à un étranger , ſans qu'il
en foit resté le moindre veſtige en France,
Je ſerois en état d'en fournir d'autres preuves
aussi déciſives ; mais je me contenterai
pour le préſent de celle- ci , à laquelle il n'y
a point de replique.
En vérité , Monfieur , cet Auteur a- t'il
bien penſé que cette preuve d'un anonyme
étoit ſans replique ? Je veux bien
croire qu'il a cette note , & qu'elle eſt
de Le Bé. Que prouve-t'elle ? Que Le Bé
JANVIER. 1757 . 89
a vendu à Plantin un caractere hébreu
gros double canon , avecſon moule ,ſes poinçons,
enfin tout l'objet en entier. Il n'en
eſt pas moins conſtant que les poinçons
hébreux qui ont ſervi pour la Bible de
Plantin de 1569 , font chez moi , & n'ont
jamais été vendus à Plantin. D'ailleurs
qui ne ſçait qu'un caractere hébreuxgros
double canon , tel que celui qui a été vendu
à Plantin par G. Le Bé , n'a jamais pu
ſervir à imprimer une bible , ni aucun
autre livre conſidérable , mais ſeulement
l'alphabet ou quelques titres de livres
hébreux comme tous les graveurs en
caracteres , & tous les Imprimeurs en
conviendront ? Il ne falloit donc pas s'appuyer
ſur un objet fi peu important ,
pour faire croire au Public que les poinçons
hébreux de Le Bé ont paſſé chez l'étranger
, puiſque le contraire eſt évident
par l'inſpection de ces poinçons qui ſe
trouvent dans ma fonderie.
,
Cependant l'Auteur anonyme, pour foutenir
ſa theſe , fait l'hiſtoire des voyages de
Le Bé , & le conduit chez Garamond , qui
le prie de lui graver dans sa maison même
un caractere hébreu , oeil de S. Augustin ;
ce qu'il fit , non comme éleve , mais comme
maître. Les matrices en furent vendues à
Plantin , & les poinçons à Wechel, qui bos
90 MERCURE DE FRANCE.
emporta à Francfort après la mort de Garamond
, ( nouvelle preuve que les poinçons
ont paffé chez l'étranger )... C'est encore Le Bé
qui lui fournit ce détail dans une note qu'il
conferve précieusement avec beaucoup d'antres,
Voilà à la vérité un ſecond exemple
de poinçons hébreux paffés chez l'étranger
, & de poinçons qui ont pu ſervir
à imprimer des livres conſidérables ; mais
en premier lieu , ce ne ſont point ces
poinçons qui ont été employés pour l'impreffion
de la bible hébraïque de Plantin
de 1569 , comme je l'ai prouvé ; en ſecond
lieu ces poinçons vendus à Wechel
ne faifoient pas partie de la fonderie
de Le Bé. Il n'en étoit pas propriéraire
, il les avoit gravés chez Garamond
& pour Garamond , foit que celui-ci ait
été fon maître ou non ; ce qui est trèsindifférent
à la queſtion préſente. En troiſieme
lieu , l'Auteur anonyme ne nous
dit pas ſi ces poinçons vendus à Wechel
exiſtent encore , où s'ils n'exiftent
plus. Il en eſt de même des matrices : il
nous aſſure qu'elles furent vendues à Plantin
, ſans nous dire ſi ces matrices fubſiſtent
encore : mais ce qu'il ne devoit
pas taire , c'eſt que Guillaume Le Bé retint
une frappe de ces poinçons vendus à
JANVIER. 1757. 91
Wechel. Cette circonſtance doit ſe trouver
dans la note que cite l'Anonyme ; elle ſe
trouve auffi dans mes deux inventaires ,
& j'ai encore dans ma fonderie cette frappe
, ou ces matrices des poinçons vendues
à Wechel. Je m'en ſuis ſervi pour
l'édition de la Grammaire hébraïque de
M. l'Abbé l'Advocat , imprimée chez M.
Vincent. J'ai ſeulement gravé de nouveau
les lettres qui ont entr'elles plus de refſemblance
, afin de les faire mieux diftinguer.
Pourquoi l'Auteur anonyme qui
n'ignore pas fans doute tous ces détails ,
renvoie-t'il fans ceſſe chez les étrangers
pour y trouver ce qu'il eſt ſi aiſé de
voir dans ma fonderie ? Enfin toutes
ces notes de la main de Le Bé me font
ſoupçonner que quelqu'un de ceux qui
ont travaillé chez moi , en abuſant de
ma confiance , auroient pu les y enlever
toutes ou en partie , & les auroit fait
paſſer entre les mains de cet Auteur qui
prétend s'en ſervir contre moi.
Quoi qu'il en ſoit , cet Auteur anonyme
ne détruit en aucune forte ce que
j'ai avancé dans la lettre que j'eus l'honneur
de vous écrire au moisdemai dernier.
J'y ai donné mon nom , ma demeure
, & j'ai offert de montrer aux perfonnes
curieuſes mes poinçons & mes ma
92 MERCURE DE FRANCE.
trices. Ainſi tout le monde eſt en étatde
les voir. L'Auteur anonyme me reproche
d'avoir eu en cela des vues particulieres.
Je le repete , je n'en ai point eu
d'autres que de détromper le Public d'un
préjugé général ; car il eſt conſtant , &
l'Auteur anonyme en conviendra , que
les plus belles éditions qui ont paru jufqu'ici
en François , en Latin , en Grec , en
Hébreu , ont été exécutées avec les caracteres
de ces célebres Graveurs , Garamond ,
Granjon & Le Bé. Ce font les caracteres
de ces fameux Artiſtes qui ont fait la baſe
& le fondement de toutes les belles éditions.
Quels que foient le goût, l'habileté
& les talens des plus célebres Imprimeurs ,
ils n'ont jamais pu faire une belle édition
fans avoir de beaux caracteres . C'eſt
donc aux Garamond , aux Granjon &
aux Lebé , que la gloire des belles éditions
doit être principalement attribuée.
Or n'eſt-il pas important de faire connoître
au Public que les caracteres de ces
célebres Graveurs exiſtent encore à Paris
dans ma fonderie , & que les Imprimeurs
peuvent égaler , & même ſurpaffer
toutes les éditions qui ont précédé , puifqu'ils
ont les mêmes ſecours qu'avoient
leurs prédéceſſeurs , & de plus ceux que
l'on y a ajouté dans la ſuite ? Il eſt
JANVIER. 1757. 93
avantageux pour le Public que les Sçavans
ſcachent où ſe trouvent les caracteres de ces
habiles Graveurs , Garamond , Granjon ,
& Le Bé , afin qu'ils puiſſent obliger les
Imprimeurs de s'en ſervir , & puiſque
l'Auteur anonyme me reproche d'avoir
des vues particulieres , je pourrois lui demander
ſi les ſiennes ont été bien louables
, lorſqu'en parlant de ces Graveurs
immortels,Garamond , Granjon & Le Bé ,
il n'a pas dit un ſeul mot de ma fonderie
, où ſe trouvent leurs caracteres , &
qu'il renvoye le Public dans les pays
étrangers pour les chercher ? Quel peut
donc être le motif d'une telle affectation
? Pourquoi encore étant obligé d'avouer
dans ſa derniere lettre que j'ai
fait l'acquiſition de lafonderie de LeBé, peutêtre
la plus complette du Royaume ? Pourquoi
, dis-je , ne me donne-t'il pas la
qualité de Graveur que j'ai priſe dans
ma lettre , mais ſeulement celle d'habile
Fondeur de Paris ? d'où vient la partialité
qu'il fait paroître pour les nouvelles
italiques ? Pourquoi , en renvoyant au ſecond
volume de l'Encyclopédie, page 662 ,
après avoir donné des exemples de tous
les caracteres en uſage , ajoute-t'il que tous
ces caracteres font de l'Imprimerie de M.
Le Breton ? ... excepté la Perle & la Sé
94' MERCURE DE FRANCE .
danoise , qui ne se trouvent qu'à l'Imprimerie
Royale , & que M. Aniffon a bien
voulu communiquer. Il ne pouvoit ignorer
qu'une partie de ces caracteres ne ſe
trouve que chez moi. Il devoit donc
ajouter , excepté auſſi le triple Canon &
la groffe Nompareille , qui ne se trouvent
que chez Fournier l'ainé , qui a bien voulu
auſſi les communiquer. D'où vient un
filence ſi affecté ? Mais quels que foient
les motifs de l'Auteur anonyme , le Public
n'a pas beſoin d'en être informé. Ce
qui lui eſt important de ſçavoir , c'eſt
qu'il n'eſt pas besoin qu'il aille dans les
pays étangers , pour y chercher les magnifiques
caracteres de Garamond , de Granjon
& de Lebé , puiſqu'il les trouvera
dans ma fonderie , & afin de terminer
une bonne fois toute cette difpute , je
mets ici les poinçons , les frappes & matrices
de ces célebres Artiſtes , dont je
fuis poffeffeur , afin que les Imprimeurs
& les Sçavans puiffent y avoir recours ,
lorſqu'animés de zele du bien public ,
ils défireront donner de belles éditions.
De Garamond le Petit Texte , Petit
Romain , Cicero , S. Augustin , Gros Romain
, Petit Parangon & Gros Canon ,
romains , &c .
De Granjon les Italiques de tous ces
JANVIER. 1757 . 95
corps , un gros Cicero romain , un Petit
Canon romain & italique , mais furtout
les caracteres grecs de ce Graveur
& d'autres , j'en ai depuis la Nompareille
juſques & compris le Parangon. J'ai fourni
le caractere grec de S. Auguſtin ſur le
corps de Texte & le grec de Petit Romain
pour le Sophocles qui s'imprime actuellement.
De Guillaume le Bé, la Groſſe Nompareille
, le Triple Canon , le Gros Canon
gras , des notes de plain chant , rouge
& noir , huit hébreux & rabbinique , &
un arabe. De plus il a conduit Jacques
Sanlecque dans la gravure d'un Gros Parangon.
De ce dernier j'ai le beau S. Auguſtin
, le Cicero moyen. Je poſſede encore
nombre de poinçons & matrices de
différens Graveurs , comme Nompareilles à
gros oeil& à petit oeil , ſignes de toutes fortes
, &c. Caractere de civilité , gothique
fur tous les corps. J'ai gravé des notesde
plain - chant , &grave tout ce qui m'eſt néceſſaire
en romain & italique. J'ai fait des
moules à réglets de tous corps &grandeur ,
ſimples , doubles& triples , enfin on trouve
dans ma fonderie tout ce dont on a befoin
. J'ai l'honneur d'être , &c .
FOURNIER , l'aîné .
26 MERCURE DE FRANCE .
REFLEXIONS ſur les cauſesdes tremblemens
de terre ; avec les principes qu'on
doit ſuivre pour diffiper les Orages , tant
ſur terre que ſur mer. Par Madame laMarquiſe
de C... A Paris chez Meunier ,
quai de la Tournelle .
Le précis le plus convenable que nous
puiſſions donner de cette Brochure , eſt
d'inférer l'avis qui eſt à la tête.
Mes réflexions ſont dûes à mes expériences.
Je ne les aurois pas données au
Public , fi je n'avois pas été perfuadée
qu'elles font néceſſaires à la ſûreté générale
& à la mienne. Je n'ai aucun defſein
de m'ériger en Auteur.
Pour ne rien avancer ſans un fondement
folide , je dois avertir que mes expériences
, qui ne manquent jamais de
diffiper les orages , n'ont été faites que
fur la terre , & non fur la mer.
Je ſçais cependant , & je ſuis certaine
qu'elles diffiperont de même les orages
fur la mer , en obfervant une différence
dans la fabrique des inſtrumens , parce
que le point d'appui n'eſt pas auſſi ſolide
que ſur la terre; car il faut découvrir
, viſer les nuages , pour les diffiper .
La dépenſe ſur la mer ſera plus forte .
J'eſtime qu'elle ira environ à ſoixante livres
, monnoie de France , par vaiſſeau .
Sur
JANVIER . 1757. 97
Sur la terre on en ſera quitte pour moins
du quart , pour opérer pendant quelques
années.
Si je ſçais que l'on faſſe de madécouverte
le cas que je crois qu'elle mérite ,
eu égard à l'importance de l'objet , je parlerai
plus ouvertement dans la fuite.
Ce ne ſera ni àun pays , ni à un autre
, que je communiquerai mes connoifſances
ſur ce ſujet ; mais à tous. Mon
expérience eſt ſi ſimple , qu'elle n'eſt pas
d'une eſpece à pouvoir ſervir une Nation
par préférence à une autre : ou je ne
la donnerai pas , ou j'en éclaircirai tout
le monde ; la nature des chofes l'exige
ainfi.
Au ſurplus , la diffipation des orages ne
demandeni place, ni appointemens àquelqu'un
pour l'opérer. Si elle eſt un jour
connue , on peut s'en rapporter aux perſonnes
qui ont le plus de peur du tonterre
, qui ne manqueront pas de le difſiper
par la facilité & le peu de peine
qu'il faut pour faire cette opération , qui
demande ſeulement de la juſteſſe. C'eſt
pourquoi toute perſonne qui aura l'inftrument
& les matieres néceſſaires , eſt
en état d'opérer ſans riſque , même pour
ſon amusement , pourvu qu'elle ait le
coup d'oeil juſte.
II. Vol. E
9S MERCURE DE FRANCE .
Rien n'eſt plus oppoſé à la bonne maniere
d'opérer que l'électricité. L'année
1756 a été une preuve certaine , du moins
à Paris , qu'elle n'empêche pas le tonnerre.
Mon opération repouſſe , écarte. L'électricité
attire , la mienne dilate & diffipe
ce que l'électricité concentre.
Je ne me charge pas de répondre à toutes
les difficultés qu'on pourra me faire.
Pour m'en diſpenſer , je ne me nomme
pas. Il y en a d'ailleurs auxquelles je
ne pourrois fatisfaire fans tout dire; ce
qui n'eſt pas à propos à préſent.
Je verrai avec plaiſir dans lesOuvrages
publics , tels que le Mercure , ce qu'on
penſera de mes découvertes ; & fi je répondois
, ce ſeroit , felon toute apparence
, par la même voie
ETRENNES Militaires tirées du Dictionnaire
militaire , corrigées & augmentées ,
utiles à toutes les perſonnes qui ſe deſtinent
à prendre le parti des armes. A Paris ,
chez Giſſey , rue de la vieille Bouclerie ; la
Veuve Bordelet , rue Saint Jacques ; la
Veuve David , Quai des Auguſtins ; &
Duchesne , rue Saint Jacques , 1757.
Cet Almanach nous paroît devoir être
diftingué de la foule , & remplir fidéleTHEQUE
DB T JANVIER 175748
a fait plufientsON ment ſon titre. L'Auteur y
corrections & augmentations néceflar
qui lui donnent un nouveau prix cette an
née. Il a mis à profit les critiques qui lui
font parvenues , & particulièrement les
obſervations qui nous ont été adreſſées
par un Anonyme de province, dans leMer
cure de Mai 1756 , comme il l'annonce
dans la préface qui eft à la tête de ces
Etrennes. Ce font peut- être les meilleures
qu'un Militaire puiſſe ſe donner , & nous
lui conſeillons de les acheter : elles renferment
en abrégé toute l'érudition de
ſon état , & peuvent par-là même être
agréables & même utiles à tous les gens
du monde. Le grand nombre eſt charmé
d'être préférablement inſtruit de tout ce
qui regarde la guerre ; aujourd'hui ſurtout
qu'elle eſt devenue le ſujet le plus intéseffant
de toutes les converſations.
LES INSTITUTES de l'Empereur Juſtinien
, avec un Commentaire & des Notes
choisies pour faciliter l'intelligence du Texte ;
par M. P. Tancrede , Comte d'Hauteville ,
Docteur-Régent dans les Facultés des Droits
&de Théologie , &c .
L'on propoſe par ſouſcription ce
Livre dont l'utilité n'a beſoin d'aucune
recommandation : c'eſt une chofe
3
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
affez connue de tous les Sçavans que la
ſcience des Inſtitutes Impériales eſt abſolument
néceſſaire à tous ceux qui prétendent
parvenir à une vraie & juſte interprétation
des Loix ; je ne m'arrêterai donc
pas à faire l'éloge de ce Livre ; il ſuffira
de ſçavoir :
1. Qu'il ſe trouvera dans le premier
volume deux Analyſes , dont l'une ſera
fur les Inſtitutes , & l'autre ſur les Pandectes
, par le ſecours deſquelles , pour
me ſervir des expreſſions de Juſtinien ,
l'on pourra d'une maniere auſſi ſimple que
facile , fans beaucoup de travail & en peu
detemps , ſe graver dans la mémoire toutes
les différentes matieres diſperſées , tant
dans les Titres des Inſtitutes , que dans
ceux du Digeſte.
2. Outre des Annotations choiſies des
meilleurs Jurifconfultes , auxquelles l'Auteur
a joint ſes propres remarques , l'on
trouvera encore un Commentaire tout
nouveau tant en Latin qu'en François ,
contenant quelques explications des Loix ,
différentes des interprétations ordinaires.
Il faut ajouter à cela que la traduction
du Texte eſt beaucoup plus fidelle que
celles qui ont paru ci-devant , & que
l'Auteur , ſans s'écarter du génie de la
Langue Françoiſe, a preſque traduit le
JANVIER. 1757. ΙΟΙ
Texte mot pour mot : il en eſt de même
du Commentaire , des Notes & des deux
Analyſes.
Conditions. 1. Cet Ouvrage contiendra
10 volumes in 8º . du plus grand format ,
& chacun ſera au moins de 22 feuilles .
2. Le prix de la ſouſcription eſt fixé à f.
15-15 ſt . d'Hollande. 3. Chaque Souſcripteur
payera en ſouſcrivant moitié de ladite
fomme , & le reſte en recevant le se volume.
4. Dès que les ſouſcriptions feront
remplies , l'Ouvrage ſera mis ſous preſſe ,
enſorte que chaque Souſcripteur pourra
recevoir le premier volume le 1 Avril
1757 , le ſecond le 15 Mai ſuivant , &
ainſi à continuer un volume toutes les fix
ſemaines. 5. Les ſouſcriptions ſont ouvertes
dès-à-préſent juſqu'au premier Février
1757, lequel temps expiré , chaque exemplaire
ſera vendu f. 21. d'Holl.
Ceux qui voudront ſe procurer cet
Ouvrage aux ſuſdites conditions , font
priés de s'adreſſer à Paris , chez Briaſſon ,
&Cavelier.
OEUVRES de M. de Crébillon , de l'Académie
Françoiſe , 2 vol. in-4° . édition
du Louvre , augmentée du Triumvirat ;
propoſée par ſouſcription. AParis , chez
Grangé, Imprimeur, rue de la Parchemine-
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
>
rie,&Charles Hochereau , Quai de Conti ,
à la deſcente du Pont-Neuf , au Phénix.
L'accueil favorable que le Public a fait
à l'édition in- 4 °. des OEuvres de M. de
Crébillon , imprimées au Louvre par ofdre
de Sa Majesté , fait l'éloge de l'excellence
de l'ouvrage & de la beauté de l'édition.
Cependant pluſieurs perſonnes ſe
font plaint de la cherté de ce Livre , quoiqu'il
fût aiſé de leur en préſenter pluſieurs
autres ( qui ne diſputeroient pas à celuici
la fupériorité ) , & qui ſe vendent douze
livres le volume. Mais pour ſe conformer
au defir du Public & à l'intention de l'Auteur
qui , en cédant cette édition de ſes
OEuvres , a exigé qu'elles fuſſent miſes à
un prix convenable à tout le monde , on
annonce par ſouſcription leſdites OEuvres
in- 4° . imprimées au Louvre , augmentées
du Triumvirat , au prix de quinze livrés
en feuilles aux conditions que les Souſcripteurs
retireront leurs exemplaires
depuis le 20 du préſent mois de Décembre
que cette édition ſe diſtribuera , jufqu'au
20 Avril prochain 1757 incluſivement
; paffé ce temps on les payera vingtquatre
livres en feuilles.
i
,
Comme il ne feroit pas juſte de priver
du Triumvirat ceux qui ont les premiers
exemplaires des OEuvres de M. de Crébillon
, on donnera cette Piece revue &
JANVIER. 1757 , 1103
:
corrigée par l'Auteur , imprimée dans le
même format , à 3 liv. en feuilles.
Les Souſcripteurs de l'Hiſtoire Univerſelle
de Puffendorff ſont avertis que l'on
diſtribue actuellement , chez les mêmes
Libraires , le IVe . volume , & que le Ve .
paroîtra en Mars prochain .
TABLEAUX tirés de l'Iliade , de l'Odiſſée
d'Homere , & de l'Enéide de Virgile , avec
des obſervations générales ſur le Costume .
AParis, chez Tilliard , Libraire , Quay
des Auguftins , à S. Benoît , 1757. 1 vol.
in- 8 °. grand papier , de soo pages.
Cet excellent livre eſt de M. le Comte
de Caylus , & nous paroît auffi glorieux
pour la Poéſie qu'utile pour la Peinture .
Homere & Virgile n'ont peut- être jamais
été ſi bien loués. Le nouvel aſpect ſous
lequel leurs Poëmes ſont préſentés relativement
à la Peinture, eſt le plus grand éloge
qu'on en puiffe faire , & peut-être le ſeul
moyen qui pouvoit leur procurer une rentrée
dans le monde. J'emprunte ici les expreſſions
de l'Auteur , perfuadé qu'on ne
peut pas mieux dire. La préférence qu'il
leur a donné fur nos Poëtes modernes',
eſt très-bien justifiée dans ſon Avertiſfement
, par la raison que ces derniers
offrent plus d'images que de tableaux ,
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
,
c'est-à-dire plus de deſcriptions que
d'actions intéreſſantes. Le tableau , dit
M. le C. de C... dans une note que nous
allons tranfcrire , eſt la repréſentation du
moment d'une action... L'image au contraire
n'a ſouvent point aſſez de corps
pour être peinte dans les différens momens
qu'elle préſente , & n'eſt eſſentiellement
qu'une deſcription. Ce mot eſt fouvent
employé ſans beaucoup de préciſion ,
de même que celui de tableau. Ainſi le
tableau ne peint qu'un inſtant , & l'image
pluſieurs inftans ſucceſſifs. Le tableau ,
s'il m'eſt permis de le dire , tient au génie,
&l'image tient à l'eſprit. Ce dernier trait
nous paroît définir les Anciens & les Modernes.
Legénie étoit l'appanage des premiers
, & l'eſprit eſt notre partage : je
doute que nous ſoyons les mieux avantagés.
Ces recherches avec les obſervations
fur le Coſtume qui les précédent , font
précieuſes pour nos jeunes Peintres ; elles
leur ouvrent de nouveaux tréſors , qu'ils
peuvent acquérir ſans beaucoup de travail
, & deviennent pour eux une poétique
propre à former leur goût , à mieux
diriger leur talent , à élever leur génie , &
à étendre le cercle de leur art , trop rétreci
par l'uſage ou par le préjugé. On peut
dire à la louange de cet illuſtre Ecrivain ,
JANVIER. 1757. 1ος
que les Artiſtes modernes ne lui doivent
pasmoins que les Poëtes anciens , & qu'il
travaille au progrès des uns , en travaillant
à la gloire des autres.
Pour mieux faire connoître le prix de
ces tableaux & la beauté de leur coloris ,
nous allons en préſenter ici trois au hazard.
Le premier ſera pris de l'Iliade ; le
troiſieme de l'Odiſlée , & le quatrieme
de l'Eneïde.
Quatrieme Tableau tiré du premier Livre
de l'Iliade.
Les paroles d'Homere donnent une idée
fuffiſante de ce quatrieme tableau , après
avoir dit qu'Apollon , touché de la priere
de Chryfeis , lance ſes fleches ſur le camp
des Grecs , pour les punir du refus qu'ils
lui ont fait de lui rendre ſa fille ; il ajoute
, on ne voyoit partout que des monceaux
de morts fur des buchers qui brûtoient fans
ceffe. Cette ſcene eſt horrible , mais elle
eſt abondante pour la Peinture. Le ſpectateur
frappé de la punition eſt plus aifément
affecté de la cruelle ſituation de
ceux qui ont ſurvécu. Il n'eſt pas douteux
qu'on ne brûlât les corps du temps d'Homere
, & que cet uſage n'eût été interrompu
dans la ſuite; mais il ſe pourroit
qu'Homere , qui ne négligçoit rien de ce
Ev
106 MERCURE DE FRANCE .
que l'on ſçavoit de ſon temps , ait regardé
la purification du feu , comme elle eſt en
effet , c'est- à-dire , comme la meilleure
& la plus aſſurée contre la peſte.
Un des inconvéniens de ce ſujet , eft
la difficulté de placer Apollon dans une
attitude qui le faſſe paroître affez grand
pour un événement qui ſe paſſe dans un
auffi grand eſpace , & dont il eſt la figure
dominante. C'eſt en vain pour la Peinture
qu'Homere l'a fait deſcendre avec beaucoup
d'action du ſommet de l'Olympe ,
&qu'il le place ſur un lieu élevé. Je crois
que l'Artiſte pourroit le repréſenter affis
fur un nuage , & dans l'action d'exercer
ſa vengeance. Cette poſition furnaturelle
répare le défaut de proportion , & fuffit
non ſeulement pour élever l'eſprit du
ſpectateur juſqu'à la divinité , mais pour
autoriſer des actions encore plus grandes :
ſi tant eſtque ce foit une licence , je la
crois pardonnable.
Premier Tableau tiré du ſecond Livre de
l'Odiffée .
Télémaque , ce beau jeune homme
paré d'un baudrier , ou porte-épée , d'où
pend une épée magnifiqué , ſes jambes
ornées de riches brodequins , tenant une
longue pique , & fuivi de deux chiens ,
JANVIER. 1757. 107
placé ſur le trône de fon pere , les vieillards
, par reſpect , éloignés de lui. Ce
Prince parle au peuple aſſemblé ; par conſéquent
la ſcene ſe paſſe dans une place
publique. On voit deux aigles planer dans
les airs , & tous les yeux en paroiſſent
occupés .
Je remarque à l'occaſion de ce tableau ,
& de quelques autres que fourniſſent ces
premiers livres , qu'il eſt plus facile de
réunir pluſieurs inftans dans l'Odyſſée que
dans l'Iliade ; ainſi le jugement que l'on
a porté par d'autres raiſons fur ces deux
Poëmes ,ſe trouveroit confirmé par rapport
à la Peinture , c'est- à -dire , que l'action
de l'un eſt plus ferrée que celle de
l'autre.
A
Second Tableau tiré du premier Livre de
l'Eneide.
$
Eole eſt aſſis dans une caverne ſpacieuſe
qui renferme les vents enchaînés ; ils
font des efforts pour briſer leurs chaînes.
Le génie de l'Artiſte peut donner l'effor
à ſon imagination ſur l'attitude & le
nombre de ces divinités de l'air . On ne
peut nier que cette idée empruntée d'Homere
, ne foit beaucoup mieux rendue par
Virgile de quelque côté qu'on la veuille
2...
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
1
regarder , & qu'elle ne ſoit des plus favorables
à la Peinture.
Quelque parfaite cependant que foit
une copie , elle ne doit jamais avoir ( comme
M. le Comte de Caylus le penſe luimême
) la prééminence ſur l'original qui
lui a ſervi de modele. Nous n'ajouterons
qu'un mot à ce précis. Il ſeroit à ſouhaiter
que l'exemple de M. le Comte de
Caylus fût imité de ſes pareils , & qu'il
les engageât à enrichir eux-mêmes les
Arts qu'ils protegent , & à joindre ,
comme lui , au zele du Citoyen , le talent
de l'Ecrivain. Eh ! qui peut mieux écrire
qu'eux , quand ils font nés avec de l'efprit
& qu'ils veulent s'en donner la peine!
L'uſage du grand monde aidé d'une
éducation plus ſoignée , leur donne un
grand avantage fur les Auteurs de profeflion.
Ils y gagneroient d'autant plus ,
que le mérite de l'eſprit ajouteroit alors
à l'éclat de la naiſſance. L'homme inſtruit
obtient un degré de conſidération , où
P'homme de qualité ne parvient jamais
fans ce titre qui le diftingue.
LES ELEMENS de la langue Allemande ,
contenant en abrégé tout ce qui eſt néceffaire
pour parvenir en peu de temps à
la connoiſſance de cet Idiome , enrichis
JANVIER . 1757 . 109
de dialogues fur différens ſujets , de proverbes
& d'hiſtoriettes , avec un ample
recueil des termes les plus uſités dans le
cours de la vie ; compoſés ci-devant pour
l'uſage de Mrs, les Officiers du Régiment
d'Infanterie du Roi , par le Sieur de la
Pierre , leur Profeſſeur en langue Allemande
& Italienne ; ſeconde édition , retouchée
de main de connoiffeur. Cet ouvrage
imprimé à Strasbourg , chez Jean-
Daniel Dulfecker , ſe vend à Paris , chez
Debure , l'aîné , Libraire , Quay des Auguſtins.
1756. Prix 3 liv. relié.
REFLEXIONS Philofophiques & Littéraires
ſur le Poëme de la Religion naturelle.
A Paris , chez Heriſſant , rue S.
Jacques , à S. Paul & à S. Hilaire. 1756 .
Ces Réflexions , qui contiennent 269
pages , nous ont paru bien écrites , mais
un peu trop poétiquement. Nous croyons
qu'un peu moins de déclamation dans
l'ouvrage , de préciſion dans les chofes ,&
de fimplicité dans le ſtyle eût été plus
convenable au genre. Nous nous tairons
fur la partie Théologique qui n'eſt pas
de notre reffort , & nous ne dirons qu'un
mot de la partie Littéraire. L'analyſe des
Vers qu'elle renferme nous femble faite
par un homme qui s'y connoît & qui en
FIO MERCURE DE FRANCE.
ſçait faire. Chaque Vers y eſt décompofé
avec une rigueur qui ne fait grace à rien ,
mais aufli avec une impartialité qui rend
juſtice àtout ; les beautés y ſont ſaiſies
avec la même exactitude que les défauts.
La balance eſt preſque toujours égale. Si
nous ofions riſquer notre ſentiment , nous
dirions que ces Réflexions venues huit
mois plutôt , & réduites au moins à la
moitié , auroient formé une brochure
qu'on auroit pu lire avec plaiſir & même
avec profit.
LA COLOMBIADE , OU la Foi portée au
nouveau monde , Poëme par Madame du
Bocage. A Paris , chez Defaint & Saillant ,
rue S. Jean de Beauvais , & Durand , rue
du Foin , vis-à- vis les Mathurins . 1756.
Le portrait de l'Auteur eſt à la tête de
l'ouvrage , avec ces mots qui renferment
une double louange également méritée ;
Formâ Venus , arte Minerva. Il eſt gravé
par Tardieu fils , d'après Mlle. Loir.
2.Madame du Bocage , par ce nouveau
Poëme , illuſtre ſon ſexe autant qu'elle
honore ſa patrie. Le Paradis perda fi heureuſement
imité , lui avoit donné un rang
diftingué dans l'empire des Lettres ; la
Colombiade qu'elle vient de créer l'eleve
aujourd'hui à un nouveau degré de gloire
, & la rend la digne émule des plus
JANVIER . 1757. III
grands Poëtes . C'eſt ce que nous avons
tâché d'exprimer par ces Vers que nous
inférons ici , comme un juſte mais foible
hommage , que nous nous empreſſons de
lui rendre.
Qui tira le vieux Univers
Des ombres d'une nuit profonde ,
Pouvoit ſeule peindre en ſes vers
La conquête du nouveau Monde.
Illuſtre du Bocage , après de ſi grands traits ,
Milton à peine obtient ſur toi la préférence.
Calliope a marqué ta place déſormais ,
Entre ( 1 ) l'Homere Portugais
Et le Virgile de la France.
L'Analyſe que nous donnerons le mois
prochain de ſon Poëme , & furtout les
beautés que nous aurons ſoin d'en extraire
, prouveront la vérité de cet éloge.
८ Nous recevons dans ce moment des
Vers de M. Tanévot ſur le même ſujer.
S'ils nous étoient parvenus plutôt , nous
les aurions placés les premiers.
:
( 1) Le Camoens.
AMadame du Bocage , le jour même qu'elle
envoya à l'Auteur la Colombiade.
Je l'attendois , Muſe divine ,
Ce Poëme brillant qui doit vous illuftrer :
112 MERCURE DE FRANCE.
Je vole de ce pas ſur la double colline ,
Pour mieux l'entendre célébrer.
Là couché ſur un lit qu'a parfumé la roſe ,
Et fixé ſur vos vers , je vais les ſavourer ;
Car vous lire & vous admirer ,
Du Bocage , c'eſt même choſe.
Amon retour de l'Hélicon ,
Je vous dirai ſur votre Ouvrage ,
Quel eſt le glorieux fuffrage ,
Et des Muſes & d'Apollon :
Je ne quitterai point leur trône ,
Sans rapporter une des fleurs
Dont la main des ſçavantes Soeurs
Aura tiſſu votre couronne.
TANEVOT.
LA GUERRE des Paraſites de Sarrafin ,
par M. M***. A Paris , chez d'Houry ,
rue de la vieille Bouclerie .
C'eſt la traduction d'une Satyre en
proſe Latine , mêlée de vers contre le
Parafite Montmaur. Elle nous a paru bien
faite , mais par malheur le ſujet n'en eſt
plus intéreſſant. Le Traducteur qui a prévu
cette objection , y a répondu lui-même
à la fin de ſa Préface. Nous allons rapporter
ſes termes. « On dira peut- être que
la Piece que je cherche à rajeunir eft
JANVIER . 1757. 113
>> furannée , qu'elle n'a rien de piquant
» pour le préſent. J'avoue qu'elle flattera
» moins aujourd'hui la malignité du coeur
» humain que dans ſa nouveauté ; mais
>> cela n'empêche pas , qu'ainſi que bien
>>d'autres Satyres dont on ne connoît
>>plus les originaux , elle ne puiſſe encore
>> être lue avec quelque plaiſir. Elle ſera
>> même toujours de ſaiſon , parce qu'il
>>y aura toujours des Parafites. »ود
Nous repliquerons à ce dernier trait
que pour la gloire des gens de Lettres , ce
caractere n'existe plus parmi eux ; ils font .
faits aujourd'hui pour honorer les Tables
les plus diftinguées , & non pas pour les
piquer.
Le Sieur de la Tour , de la Ville de
Montpellier , travaille au Nobiliaire du
Languedoc , depuis pluſieurs années. Il
a raſſemblé deux mille quatre cens Ecuffons
des Armes des Gentilshommes de la
Province ; mais comme ce Nobiliaire n'eſt
pas encore complet , qu'il y manque beaucoup
d'Armoiries , que d'ailleurs il eſt à
propos de les vérifier , il prie Meſſieurs les
Gentilshommes de cette Province d'envoyer
leurs noms de famille , avec les
noms de leurs terres , leurs armes & la
copie de leur Arrêt de Nobleſſe , pour les
inférer dans cet ouvrage.
114 MERCURE DE FRANCE.
Ces Meſſieurs font auſſi priés d'affranchir
le port des Lettres adreſſées audit
Sieur de la Tour. "
Il demeure à Paris , rue des Canettes ,
Fauxbourg Saint Germain , chez un Tapiffier.
:
ALMANACH Hiſtorique & Géographique
de la Picardie , 1757 ; contenant l'état
Eccléſiaſtique , Militaire , Civil & Littéraire
de cette Province , la deſcription
des principales Villes, les Foires & Francs-
Marchés , les événemens remarquables' ,
l'appréciation des grains , l'aunage , les
mefures,&c. augmenté conſidérablement ;
dédié à M. le Duc de Chaulnes. Prix 24
fols broché. A Amiens , chez la Veuve
Godart.
LETTRE à l'Auteur du Mercure , fur
la Traduction du Voyage à la Baie d'Hud-
Son , par Ellis.
Ce n'eſt pas d'aujourd'hui que je ſçais ,
Monfieur , qu'on doit ſe défier du ton
d'aſſurance , avec lequel Mrs. les Traducteurs
proteſtent au public qu'ils ont rendu
leur Auteur avec la plus grande exactitude.
Peu s'en eſt fallu néanmoins que je
JANVIER. 1757 . 115
n'aie été la dupe de M. Sellius , Auteur
de la traduction du Voyage à la Baie
d'Hudſon , par Ellis. Je m'imaginois en
effet qu'on ne pouvoit entreprendre de
traduire un ouvrage dont l'objet eſt ſi important
, les recherches ſi curieuſes & les
expériences ſi intéreſſantes , ſans poſſéder
à fonds la langue originale. Mais je fus
bientôt déſabuſé. En conférant la traduction
à l'original , je vis avec la derniere
furpriſe , que malgré toutes ſes belles proteſtations
, M. S** . avoit oublié la partie
la plus eſſentielle de ſon livre , j'entends
l'Errata. Je m'en charge donc pour lui ,
&je ſuis perfuadé que l'extrait que je vais
vous en communiquer , vous le fera regarder
comme un ſupplément néceſſaire.
: Je ne ſçaurois comprendre par quelle
raiſon le Traducteur a rendu partout le
mot Anglois mile par celui de lieue. Il auroit
dû ſçavoir que la lieue marine d'Angleterre
eſt de 20 au degré , & qu'elle ſe
diviſe en trois milles. Quand il l'auroit
ignoré , un paſſage de fon Auteur , où
cettedifférence eſt très- ſenſible , auroit dû
l'en faire appercevoir. M. Ellis , à l'occafion
d'une ouverture ou riviere découverte
au Nord-Oueſt du Cap Dobbs , dans
le Welcome , dit : " que l'embouchure de
>> cette riviere a 6 ou 8 milles de large pen116
MERCURE DE FRANCE.
ود
» dant 4 ou 5 milles , & que 4 lienes plus
>>haut ſa largeur eſt de 4 à 5 lieues. ( 1 )
>> ( The entrance of this river fix or eight
» miles , wide for four or five miles. Four
» leagues higher , it was four to five lea-
>>gues wide. Vous voyez , Monfieur ,
que l'Auteur Anglois ſe ſert du mot league
pour liene , & de celui de mile pour
mille. Confultons à préſent le Traducteur :
" ( 2) L'embouchure de cette riviere a 6 ou
» 8 lienes de large pendant'4 à 5 lienes, après
» quoi elle ſe rétrecit à quatre ou cinq. "
Que de bévues en une ſeule phraſe ! Le
Traducteur donne libéralement 6 à 8 lienes
de largeur à l'embouchure de cette riviere
, tandis que l'Auteur Anglois ne lui
donne que 6 à 8 miles ; & en ſecond lieu ,
il diminue ſa largeur précisément lorſque
M. Ellis l'augmente. Il faut pourtant rendre
justice à M. S** , il traduit conféquemment
: il ne pouvoit ſe diſpenſer de
rétrecir cette riviere , puiſqu'il l'avoit faite
trop large des deux tiers, en ſubſtituant
le mot de liene à celui de mille.
(3) Pag. 129 , 1. 11 , au lieu de , ayant
(1) Page 86 , 1. 27 , de l'Orig. édit. de Londres
, 1748. in- 8 ° .
(2) Page 121 , 1. 12, premiere partie de laTraduction
.
(3) Premiere partie de la Traduction.
JANVIER. 1757. 117
été entraînés par le reflux à raiſon de s
lieues par heure , liſez , à raiſon des milles.
(1)
Pag. 134,1. 10 , la fonde porta à trois
heures 35 braffes à une lieue de la côte ,
lifez , à un mille de la côte . ( 2)
(3) En parlant du détroit de Wager ,
voici comme M. S** . s'exprime : « Le cou-
>> rant de la marée eſt dans l'endroit le
>plus étroit comme celui des eaux d'une
>>écluſe , & l'on peut dire avec vérité
>>que celui des hautes marées parcourt 8
» ou 9 lieues dans une heure. « Il auroit
parlé avec vérité s'il eût dit 8 à 9 milles
par heure , comme porte l'original. (4)
Pag. 102 , 1. 10 , 20. partie , & quoique
nous fuffions à 150 lieues de l'embou
chure du canal , lifez , à 150 milles. ( 5 )
Pag. 212 , 1. 17, 22. partie , le Traducteur
met que la cataracte de la riviere de
Wager eſt plus avancée à l'Oueſt de 90
lienes , il faut lire , 90 milles . (6)
Je ne finirois pas ſi je voulois rapporter
toutes les fautes que le Traducteur a com
(1) Page 92 , 1. 7 de l'Orig.
(2) Page 95 , 1. 18 de l'Orig.
(3 ) Page 194, 1.2 , ſeconde partic.
(4) Page 249 , lig. derniere.
(5) Page 255 , 1. 15 de l'Orig.
(6) Page 263 , 1.6 de l'Orig.
118 MERCURE DE FRANCE .
miſes à cet égard. Depuis la 28e. page
de la tre. partie juſqu'à la fin de fon Livre
, il n'y a preſque point de page où il
n'ait ſubſtitué le mot de liene à celui de
mille. Il regarde apparemment une erreur
des deux tiers en ſus comme une bagatelle
en fait d'obſervations ou de diſtances
. Les Géographes & les Obfervateurs
n'ont qu'à s'en rapporter à lui ſur la diftance
des lieues , la juſteſſe des obfervations
, le cours des rivieres & la rapidité
des marées , jugez , Monfieur , combien
leurs opérations feront fûres.
Mais il eſt temps de vous faire connoître
dans quel degré de perfection M.
S**. poſſede la langue Angloiſe. On lit
pag. 38 , 1. 21 de la Ire. partie : «Ils
>>trouverent un ruiſſeau ou deux d'eau
>>douce , ils en burent beaucoup , & l'eau
*étoit chaude. » Vous ne vous feriez pas
douté , Monfieur , qu'il y eût tant de
plaiſir à ſe remplir d'eau chaude , & vous
croyez peut- être que c'eſt un ragoût Anglois
? Point du tout : interrogez M. Ellis
, il vous dira " qu'ayant trouvé un ruif-
,, ſeau ou deux d'eau douce , ils en burent
• avec plaifir , parce qu'ilfaisoitfort chaud.
>>And met with aſtream or two of fresh
» water , of which they drank heartily ,
" the weather being hot. » Cette plaiſante
JANVIER. 1757. 119
mépriſe vient de ce que le Traducteur a
pris le mot de weather qui ſignifie le tems ,
pour celui dewater , qui veut dire eau.
Mais , me dira-t'on , une pareille bévue
n'eſt pas concevable , il faut abfolument
que ce ſoit une faute d'impreſſion : je le
voudrois pour le Traducteur ; avançons ,
peut-être la ſuite nous le fera-t'elle voir.
En ouvrant la ſeconde partie, je lis à
la page 13 , 1. 11 , & l'eau étant preſque
toujours froide : mais en même temps je
vois que l'Auteur Anglois parle du tems ,
& dit le tems étant preſque toujours ex-1
trêmement froid. C'eſt pour la feconde
fois que les mots de weather &water fe
trouvent pris l'un pour l'autre : voilà le
procès inſtruit , c'eſt au Lecteur à prononcer
entre l'Imprimeur & le Traducteur.
Le défaut d'attention a fait tomber le
dernier dans un contreſens qui n'eſt pas
plus pardonnable. Il dit pag. 115 , 1. derniere
de la ire, partie : H paroît par
>>>pluſieurs endroits de l'ouvrage du Sieur
>>Arthus Dobbs , que ce particulier s'appli-
» qua le premier aux vrais intérêts de la
>>Compagnie de la Baie d'Hudſon. »
Mais il me paroît à moi que fi le Traducteur
a lu l'ouvrage du Sieur Dobbs ,
il l'a bien mal lu ou bien mal entendu.
Je l'ai eu affez longtems entre les mains
120 MERCURE DE FRANCE.
pour être en état de vous certifier que la
Compagnie de la Baie d'Hudſon n'a jamais
eu d'antagoniſte plus redoutable que
M. Dobbs ; & que bien loin d'être entré
dans ſes intérêts , ce particulier les a toujours
combattus avec la plus grande chaleur
, & qu'il n'a en partie compoſé fon
ouvrage que pour faire ouvrir les yeux
à ſa Nation fur le préjudice que lui porte
le privilege excluſif de cette Compagnie ,
relativement au commerce de la Baie. м.
S**. ne doit s'en prendre qu'à lui-même.
Il auroit évité cette faute s'il avoit ſou la
valeur du verbe Anglois to apply one self
to one , qui ſignifie s'adreſſer à quelqu'un ,
& non pas s'appliquer à quelque chose , comme
il l'a cru. Pour rendre donc ce paffage
tel qu'il doit être , il faut lire : « M. Dobbs
» qui avoit fort à coeur la découverte du
>>paſſage Nord-Oueſt , ( 1 ) s'adreſſa d'a-
> bord à la Compagnie de laBaie d'Hud-
>>fon ; & il paroît que ce fut ſur ſes pref-
ود ſantes follicitations qu'elle ſe détermina
» à envoyer deux bâtimens à la découver-
>>te du paſſage. »
Pag. 46 , 1. 22, 26. partie a nous reçû
>>mes une lettre du Gouverneur par laquel-
>> le il nous invitoit de nous approcher un
(1) Page 83 , 1. 4 de l'Orig.
"peu
JANVIER . 1757 . 121
>>peu plus de la factorie , ſans cependant
>>>nous envoyer pour cet effet quelque or-
" dre du Gouvernement ou de la Com-
» pagnie » &c. En vérité l'inattention du
Traducteur lui joue de bien mauvais tours :
elle le jette ici dans la contradiction la
plus finguliere. Comment peut- il accorder
cette invitation du Gouverneur avec
ce qu'il ajoute plus bas : (1 ) " Le Gouver-
>>neur perſiſta toujours à nous diſſuader
>> d'hyverner auprès de lui. >>>Puiſque le
Gouverneur perſiſtoit à ne pas vouloir
qu'ils hyvernaſſent auprès de lui , il étoit
donc bien éloigné de les inviter à s'approcher
du comptoir , comme le Traducteur
le lui fait dire. Il me ſemble que ce
raiſonnement eſt bien ſimple ; &en effet ,
M. S** n'eſt tombé dans cette contradiction
que parce qu'il n'a pas pris garde à la
particule négative not qui ſe trouve dans le
paſſage Anglois que voici : ( 2) " There we
>>received à letter from the Governor , de-
>>firing us not to come any nearer the fac-
>> tory , without ſending à proper autho-
>> rity trom the Governement , or Hud-
" fon's Bay Company , for ſo doing , or
>> hewould use his utmoſt ſtrength and
>> endeavours to prevent us. Nous reçû-
(1 ) Page 48 , 1.5, de la Trad. ſeconde partie.
(2) Page 150 , 1. 14 & ſuiv. de l'Orig.
II. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE.
>> mes dans cet endroit une lettre du Gou-
>> verneur par laquelle il nous prioit de
" ne pas nous approcher davantage du
>>comptoir , fans produire un ordre du
>>Gouvernement ou de la Compagnie qui
>>>nous y autoriſat , à faute de quoi il
>>employeroit toutes ſes forces pour nous
>> en empêcher. » Au moyen de la reftitution
de ce not , le vrai ſens ſe trouve
rétabli , & le Gouverneur de la Compagnie
d'accord avec lui-même.
Pag. 331 , 1.3 , de l'Orig . M. Ellis , en
réfléchiffant ſur la difficulté de la découverte
du paſſage Nord- Oueſt , à laquelle
il croit avec raiſon qu'on ne pourra parvenir
qu'en faiſant de fréquentes expériences
dans la Baie d'Hudſon , ajoute :
« Or il faut convenir que c'eſt une mé-
> thode pénible , ennuyeuſe & peu fatis-
>>faiſante ; la patience ſeule en viendra
>>quelque jour à bout , ſans le secours des
» talens & des connoiſſances. But this will
>>be both à painful , tedious , and onfatis-
>>factory method in which patience alone ,
>>without any mixture of parts , would
fometime or other do the butineff. »
Remarquez avec quelle élégante clarté le
Traducteur rend cet endroit. (1) « Or il
>> faut convenir que cette méthode de la
(1) Page 309, 1. 14, ſeconde part. de la Trad,
JANVIER. 17570- 123
1
>>chercher ( l'iſſue ) eſt extrêmement pé-
» nible , & où il n'y a qu'une patience
>> infatigable & un zele dépourvu de toute
» partialité qui puiſſent nous faire réuſſir
>> tôt ou tard , ſans que perſonne puiſſe
» dire quand. » Ce zele dépourvu de
toute partialité vous paroît peut- être affez
mal placé ici ? Je ne vois pas beaucoup
mieux que vous ce qu'il y fait , mais je
me doute de ce qui l'a amené. M. S**
qui ne ſçavoit ce que vouloit dire le mot
parts , & qui n'entendoit rien à cette
phraſe , aura deviné qu'il vouloit dire
partialité , & le mot étant à moitié fait ,
il l'aura écrit tout de ſuite ſans ſe donner
la peine de chercher plus loin. Vous voyez,
Monfieur , que notre Traducteur ne ſe
dément point , & qu'il finit comme il a
commencé.
Malgré les fautes nombreuſes & conſidérables
dont cet ouvrage eſt rempli ,
il y a deux ans que je balance à vous
communiquer cette critique. J'aime fi
peu à m'ériger en Cenſeur , que j'ai eu
toutes les peines du monde à vaincre ma
répugnance. Mais enfin j'ai fenti que l'intérêt
des Sciences & l'honneur de la Patrie
exigeoient de moi ce facrifice. Nos
jaloux voiſins ne font déja que trop enclins
à nous déprimer ; faut-il leur four-
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
:
nir encore des armes contre nous ? Ne
ſe croiront- ils pas fondés d'après cette
traduction à nous reprocher cet eſprit fuperficiel
qui croit tout approfondir , & ne
fait qu'effleurer , qui veut tout ſçavoir ,
& ne ſçait rien ou le ſçait mal. Je vous
prie donc , Monfieur , d'inférer ma lettre
dans votre Journal pour la gloire de la
Nation , & pour apprendre à tous ceux
qui ont la fureur de traduire , que la
premiere qualité requiſe dans un Traducteur
est d'être également verſé , &
dans la langue de l'Auteur original , &
dans celle où l'on veut le faire paffer.
J'ai l'honneur d'être , &c.
Paris , ce to Novembre 1756 .
I**.
Essat ſur l'Hiſtoire générale & fur les
Moeurs & l'Eſprit des Nations , depuis
Charlemagne juſqu'à nos jours , 7 volumes.
A Geneve , chez les freres Cramer ,
1756 , & fe trouve à Paris, chez Jombert ,
rueDauphine.
Cet ouvrage n'a beſoin que d'être annoncé:
la ſimple indication d'un Ouvrage
de M. de Voltaire eſt la meilleure façon
de le louer , & le compte le plus
avantageux que nous en puiſſions rendre
, eſt d'inférer ici l'avant-propos qui
JANVIER. 1757. 125
en contient le plan. Un morceau de cer
Ecrivain célebre ne peut paroître en trop
d'endroits : quelque part qu'on le retrouve
, il y fera toujours plaiſir au grand
nombre , parmi leſquels il s'en rencontrera
pluſieurs qui ne l'ont pas encore vu ; avantage
pour notre recueil , que lui offrent
peu d'écrits , & dont nous profitons avec
d'autant plus d'empreſſement, que les occaſions
font rares. Pour rendre plus complet
notre précis , & pour mieux mettre nos
Lecteurs au fait , nous allons joindre à cet
avant- propos l'Avis des Imprimeurs qui
le précede. MM. Cramer méritent. cette
diſtinction . L'amitié dont M. de Voltaire
les honore , eſt une forte recommandation
auprès de nous , & nous croyons qu'elle
doit leur attirer la bienveillance du public,
dont ils ſe rendent d'ailleurs ſi dignes par
les belles éditions qu'ils nous donnent.
Avis des Editeurs .
Nous préſentons enfin au Public cette
Histoire philosophique du monde , qui contient
environ dix fiecles , & qui ſouvent
remonte à des temps antérieurs. On n'en
avoit vu juſqu'à préſent que quelques
fragmens informes &décharnés , auſſi mal
enordreque mal imprimés.
L'Auteur nous a donné ſon manufcrit
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
commencé en 1740 , & fini en 1749. 11
ſe termine à la mort de Louis XIII . Nous
y avons ajouté le ſiecle de Louis XIV, que
l'Auteur a augmenté de plus d'un tiers à
notre priere , & dont il a pouffé la partie
hiſtorique juſqu'au commencement de
l'année 1756. Cet Ouvrage rentre dans le
plan général de l'Histoire des usages & des
moeurs des Nations depuis Charlemagne.
Nous ne pouvons trop regretter la perte
des manufcrits qui contenoient la plus
grande partie de l'hiſtoire des Arts dans
l'Orient. Nous tenons de l'Auteur que
cette partie avoit été fournie par un Grec
de Smyrne , nommé M. Dadiki , Interprete
du Roi d'Angleterre George I. Ces matériaux
furent perdus après la mort d'une
perſonne illuſtre , pour laquelle l'Auteur
avoit compoſé cette Hiſtoire d'un goût
nouveau .
Il ne l'avoit jamais deſtinée à être publique
: nous pouvons nous flatter qu'il ne
l'a donnée qu'à notre priere& à l'emprefſement
de ſes amis , qui ont, comme nous,
été frappés de l'impartialité , de la candeur
, & de l'eſprit également philofophique
& bienfaiſant qui forme le caractere
de l'ouvrage.
Le fiecle paſſé vit avec étonnement un
Orateur fameux appliquer ſon art à l'hif
. 175.7 JA:NVIER
127
toire. Il étoit temps qu'elle fût traitée
par un Philofophe , & embellie par un
Peintre. Nous regardons cet ouvrage comme
un monument d'un fiecle éclairé.
Il eſt flatteur pour nous d'avoir été
choiſis pour le conſacrer , & c'eſt un bonheur
bien p'us ſenſible de devoir ce choix
à l'amitié généreuſe de l'Auteur.
Le prix de ces 7 volumes eſt de 21 liv.
en feuilles , pour ceux qui ont déja les
dixpremiers volumes in- 8 ° . de la Collection
complette des OEuvres de M. de Voltaire ;
les autres perſonnes les payeront 24 livres.
On vendra ſéparément en faveur des
perfonnes qui le defireront , les dix premiers
volumes par ordre de matiere ; c'eſt
à dire , le volume de la Henriade, les quatre
volumes de mêlanges , le volume qui
contient la vie de Charles XII , & les
quatre du Théâtre , à raiſon de 3 livres
10 ſous le volume en feuilles .
Avant- Propos de M. de Voltaire.
Vous voulez enfin ſurmonter le dégoût
que vous cauſe l'hiſtoire moderne depuis
la décadence de l'Empire Romain , &
prendre une idée générale des Nations qui
habitent & qui déſolent la terre. Vous ne
cherchez dans cette immenſité que ce qui
mérite d'être connu de vous ; l'eſprit , les
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
moeurs , les uſages des Nations principales
appuyés des faits qu'il n'eſt pas permis d'ignorer.
Le but de ce travail n'eſt pas de ſçavoir
en quelle année un Prince indigned'êtreconnu,
fuccéda à un Prince barbare chez
une nation groſſiere. Si on pouvoit avoir
le malheur de mettre dans ſa tête la ſuite
chronologique de toutes les Dynasties ,
on ne ſçauroit que des mots. Autant qu'il
faut connoître les grandes actions des Souverains
qui ont rendu leurs peuples meilleurs
& plus heureux , autant on peut
ignorer le vulgaire des Rois qui ne pourroît
que charger la mémoire. De quoi vous
ſerviroient les détails de tant de petits intérêtsqui
ne ſubſiſtent plus aujourd'hui, de
tantde familles éteintes qui ſe ſont diſputé
des provinces englouties enſuite dans de
grands Royaumes ? Preſque chaque Ville
a aujourd'hui ſon hiſtoire vraie ou fauſſe ,
plus ample , plus détaillée que celle d'A
lexandre. Les ſeules Annales d'un ordre
monaftique contiennent plus de volumes
que celles de l'Empire Romain.
Dans tous ces recueils immenfes qu'on
ne peut embraſſer , il faut ſe borner&
choifir. C'eſt un vaſte magaſin , où vous
prendrez ce qui eſt à votre uſage.
L'illuftre Boffuet qui , dans ſon diſcours
fur une partie de l'hiſtoire univerſelle en a
faiſi le véritable eſprit , s'eſt arrêté à Char
JANVIER . 1757. 129
lemagne. C'eſt en commençant à cette époque
que votre deſſein eſt de vous faire un
tableau du monde ; mais il faudra ſouvent
remonter à des temps antérieurs. Ce
grand écrivain , en diſant un mot des Arabes
qui fonderent un ſi puiſſant Empire &
une Religion fi floriſſante , n'en parle que
comme d'un déluge de Barbares. Il s'étend
fur les Egyptiens ; mais il ſupprime les
Indiens & les Chinois , auſſi anciens pour
le moins que les peuples de l'Egypte , &
non moins conſidérables .
Nourris des productions de leur terre ,
vêtus de leurs étoffes , amuſés par les jeux
qu'ils ont inventés , inſtruits même par
leurs anciennes fables morales , pourquoi
négligerions- nous de connoître l'efprit de
cesNations chez qui les commerçans de
notre Europe ont voyagé dès qu'ils ont pu
trouver un chemin juſqu'à elles ?
En vous inſtruiſant en Philoſophe de ce
qui concerne ce globe , vous portez d'abord
votre vue ſur l'Orient , berceau de
tous les Arts , & qui a tout donné à l'Occident.
Les climats orientaux voiſins du midi ,
tiennent tout de la nature ,& nous , dans
notre Occident ſeptentrional, nous devons
tout au temps , au commerce , à une induſtrie
tardive. Des forêts , des pierres ,
Fv
1 130 MERCURE DE FRANCE.
des fruits fauvages ; voilà tout ce qu'a
produit naturellement l'ancien pays des
Celtes , des Allobroges , des Pictes , des
Germains , des Sarmates & des Scythes.
On dit que l'iſſe de Sicile produit d'ellemême
un peu d'avoine ; mais le froment ,
le ris , les fruits délicieux croiſſoient vers
l'Euphrate , à la Chine &dans l'Inde. Les
pays fertiles furent les premiers peuplés ,
les premiers policés. Tout le Levant , depuis
laGrece juſqu'aux extrêmités de notre
hémiſphere , fut long-temps célebre ,
avant même que nous en ſcuſſions affez
pour connoître que nous étions barbares.
Quand on veut ſçavoir quelque choſe des
Celtes nós Ancêtres , il faut avoir recours
aux Grecs & aux Romains , nations encore
très- poſtérieures aux Aſiatiques.
Si , par exemple , des Gaulois voiſins
des Alpes, joints aux habitans de ces montagnes
, s'étant établis ſur les bords de
l'Eridan , vinrent juſqu'à Rome 361 ans
après ſa fondation , s'ils affiégerent le Capitole
, ce font les Romains qui nous l'ont
appris. Si d'autres Gaulois , environ cent
ans après, entrerent dans laTheſſalie , dans
la Macédoine , & pafferent fur le rivage
du Pont- Euxin , ce font les Grecs qui nous
le diſent , fans nous dire quels éroient ces
Gaulois , ni quel chemin ils prirent. Il ne
1
-
JANVIER. 1757. 131
reſte chez nous aucun monument de ces
émigrations qui reſſemblent à celles des
Tartares. Elles prouvent ſeulement que la
nation étoit très nombreuſe , mais non civiliſée.
La colonie de Grecs qui fonda
Marſeille fix cens ans avant notre Ere vulgaire
, ne put polir la Gaule. La langue
Grecque ne s'étendit pas même au-delàde
fon territoire.
Gaulois , Allemands , Eſpagnols , Bretons
, Sarmates , nous ne ſcavons rien de
nous avant dix huit fiecles , finon le peu
que nos vainqueurs ont pu nous en apprendre.
Nous n'avions pas même de fables
; nous n'avions pas oſé imaginer une
origine. Ces vaines idées que tout cet
Occident fut peuplé par Gomer , fils de
Japhet , font des fables orientales.
Si les anciens Toſcans, qui enſeignerent
les premiers Romains , ſçavoient quelque
choſe de plus que les autres peuples occidentaux
, c'eſt que les Grecs avoient envoyé
chez eux des colonies , ou plutôt
c'eſt parce que de tout temps une des propriétés
de cette terre a été de produire des
hommes de génie , comme le territoire
d'Athenes étoit plus propre aux arts que
celui de Thebes & de Lacédémone . Mais
quels monumens avons- nous de l'ancienne
Toſcane? Aucun. Nous nous épuiſons en
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
vaines conjectures ſur quelques infcriptions
inintelligibles , que les injures du
temps ont épargnées. Pour les autres Nations
de notre Europe , il ne nous refte
pas une feule inſcription d'elles dans leur
ancienlangage.
: L'Eſpagne maritime fut découverte par
les Phéniciens , ainſi que depuis les Efpagnols
ont découvert l'Amérique. Les
Tyriens , les Carthaginois , les Romains
y trouverent tour à tour de quoi les enrichir
dans les tréſors que la terre produiſoit
alors. Les Carthaginois y firent
valoir des mines auſſi riches que celles du
Mexique & du Pérou , que le temps a
épuisées , comme il épuiſera celles du
Nouveau Monde. Pline rapporte que les
Romains en tirerent en neuf ans , huit
mille marcs d'or ,& environ vingt-quatre
mille d'argent. Il faut avouer que ces
prétendus deſcendans de Gomer avoient
bien mal profité des préſens que leur faiſoit
la terre entout genre , puiſqu'ils furent
ſubjugés par les Carthaginois , par
les Romains , par les Vandales , par les
Gots , & par les Arabes.
Ce que nous ſçavons des Gaulois par
Jules Céfar & par les autres Auteurs Romains
, nous donne l'idée d'un peuple qui
avoit beſoin d'être foumis par une Nation
JANVIER. 1757. 133
(
éclairée. Les dialectes du langage Celtique
étoient affreuſes. L'Empereur Julien,
fous qui ce langage ſe parloit encore , dit
qu'il reſſembloit au croaſſement des corbeaux.
Les moeurs du temps de Céſar
étoient auſſi barbares que le langage. Les
Druides , impoſteurs groffiers , faits pour
le peuple qu'ils gouvernoient , immoloient
des victimes humaines qu'ils brûloient
dans des grandes & hideuſes ſtatues
d'ofier. Les Druideſſes plongeoient
des couteaux dans le coeur des prifonniers
, & jugeoient de l'avenir à la maniere
dont le ſang couloit. De grandes
pierres un peu creuſées qu'on a trouvées
fur les confins de la Germanie & de la
Gaule , font , dit-on , les Aurels où l'on
faifoit ces facrifices. Voilà tous les monumens
de l'ancienne Gaule. Les habitans
des côtes de la Bifcaye & de la Gafcogne
s'étoient quelquefois nourris de
chair humaine. Il faut détourner les yeux
de ces temps ſauvages qui font la honte
de la nature.
Comptons parmi les folies de l'eſpric
humain , l'idée qu'on a eu de nos jours
de faire deſcendre les Celtes des Hébreux.
Ils ſacrifioient des hommes , dit- on , parce
que Jephté avoit immolé ſa fille. Les
Druides étoient vêtus de blanc comme
134 MERCURE DE FRANCE.
les Prêtres des Juifs; ils avoient comme
eux un grand Pontife. Leurs Druideſſes
font des images de la ſoeur de Moïse &
de Débora. Le pauvre qu'on nourriffoit
à Marseille , & qu'on immoloit couronné
de fleurs , & chargé de malédictions ,
avoit pour origine le bouc émiſſaire. On
va juſqu'à trouver de la reſſemblance entre
trois ou quatre mots Celtiques &Hébraïques
qu'on prononce également mal ;
&on enconclut que les Juifs , & les nations
des Celtes font la même famille.
C'eſt ainſi qu'on infulte à la raiſon dans
des Hiftoires univerſelles ,&qu'on étouffe
ſous un amas de conjectures forcées , le
peu de connoiſſance que nous pourrions
avoir de l'antiquité.
Les Germains avoient à peu près les
mêmes moeurs que les Gaulois , facrifioient
comme eux des victimes humaines , dé
cidoient comme eux leurs petits différens
particuliers par le duel , & avoient ſeulement
plus de fimplicité & moins d'induſtrie.
Leurs familles avoient pour retraite
des cabanes , où d'un côté le pere ,
la mere , les fooeurs , les freres , les enfans
couchoient nus fur la paille , & de l'autre
côté étoient leurs animaux domeftiques
. Ce font-là pourtant ces mêmes peuples
que nous verrons bientôt maîtres de
Rome.
JANVIER . 1757 . 135
Quand César paſſe en Angleterre , il
trouve cette ifle plus fauvage encore que
la Germanie. Les habitans couvroient à
peine leur nudité de quelques peaux de
bêtes. Les femmes d'un canton y appartenoient
indifféremment à tous les hommes
du même canton . Leurs demeures
étoient des cabanes de roſeaux , & leurs
ornemens des figures que les hommes &
les femmes s'imprimoient ſur la peau en
y faiſantdespiquures , eny verſant le fuc
des herbes , ainſi que le pratiquent encore
les ſauvages de l'Amérique.
Que la nature humaine ait été plongée
pendant une longue ſuite de fiecles dans
cet état fi approchant de celui des brutes ,
& inférieur à pluſieurs égards , c'eſt ce
qui n'eſt que trop vrai. La raiſon en eſt ,
qu'il n'eſt pas dans la nature de l'homme
de defirer ce qu'on ne connoît point. Il
a fallu partout non ſeulement un eſpace
de temps prodigieux , mais des circonſtances
heureuſes pour que l'homme s'élevât
au deſſus de la vie animale.
Vous avez donc grande raiſon de vouloir
paſſer tout d'un coup aux Nations
qui ont été civiliſées les premieres . Il ſe
peut que longtemps avant les Empires de
la Chine & des Indes , il y ait eu des
Nations inſtruites , polies , puiſſantes , que
136 MERCURE DE FRANCE.
des déluges de Barbares auront enſuite
replongées dans le premier état d'ignorance
& de groffiéreté , qu'on appelle l'état
de pure nature .
La ſeule priſe de Conftantinople a ſuffi
pour anéantir l'eſprit de l'ancienne Grece.
Le génie des Romains fut détruit par les
Goths. Les côtes de l'Afrique autrefois ſi
floriſſantes , ne ſont preſque plus que des
repaires de brigands. Des changemens encore
plus grands ont dû arriver dans des
climats moins heureux. Les cauſes phyſiques
ont dû ſe joindre aux cauſes morales
; car ſi l'Océan n'a pu changer entiérement
fon lit, du moins il eſt conftant
qu'il a couvert tour à tour , & abandonné
de vaſtes terreins. La nature a dû être expoſée
à un grand nombre de fléaux & de
viciffitudes . Les révolutions ont dû être
fréquentes ; mais nous ne les connoiſſons
point ; le genre humain eſt nouveau pour
nous.
D'ailleurs vous commencez vos recherches
au temps où le cahos de notre Europe
commence à prendre une forme après
la chute de l'Empire Romain. Parcourons
donc enſemble ce globe. Voyons dans
quel état il étoit alors , en l'étudiant de
la même maniere qu'il paroît avoir été
civiliſé , c'est- à-dire,depuis les paysOrien
JANVIER . 1757. 137
taux juſqu'aux nôtres; & portons notre
premiere attention ſur un peuple qui avoit
une hiſtoire ſuivie dans une langue déja
fixée , lorſque nous n'avions pas encore
l'uſage de l'écriture.
DISSERTATIONS fur les derniers tremblemens
de terre , Brochure in- 12 de 48
pages ; ſe trouve à Paris , chez Ravenel ,
rue du Hurepoix , & Duchesne , rue Saint
Jacques.
SÉANCE PUBLIQUE
De la Société Littéraire de Clermont enAuvergne,
tenue le 25 Août dernier, dans la
Sallede l'Hôtel de Ville.
MONSIEUR GUERRIER lut une Differtation
ſur l'origine des appanages des Enfans
de France , relativement au fameux
Arrêt de Parlement de l'année 1283 , qui
adjugea au Roi Philippe les Comtés d'Auvergne
& de Poitou .
M. le Préſident Hénault , avoit oublié
dans fon Abrégé Chronologique de faire
mention de l'Auvergne en parlant de cet
Arrêt . M. Guerrier a rétabli cette omiflion ,
& à ce ſujet a rappellé les principaux faits
qui concernent l'origine des appanages .
i
1
138 MERCURE DE FRANCE.
M. de Féligonde fit enfuire la lecture
de quelques Réflexions ſur le préjugé . 11
diviſa les préjugés en généraux & particuliers.
LAuteur trouve la ſource des préjugés
généraux dans la route que ſuivent
la plupart des hommes pour découvrir la
vérité La raiſon nous doit fervir de guide
, ſon flambeau ſeul nous rendra plus
éclairé que les opérations les plus difficiles.....
Les préjugés particuliers ſont fondés
ſur les caracteres ; cette forte de préjugé
influe ſur les moeurs , il eſt le maître
des actions des hommes , il s'empare
des avenues par où la vérité pourroit
s'introduire dans les coeurs qui lui font
ſoumis..... Ses attributs font la légéreté ,
la variété dans les uſages dont il eſt l'auteur
, la faufferé & l'inconféquence dans
fes principes , & une aveugle opiniâtreté
à ſe foutenir malgré les efforts de la raifon..
Quel ſuccès peut- on attendre d'une
école où le préjugé domine ! Le caprice y
fait naître les opinions , l'autorité les foutient
, la crainte & l'ignorance les font
embraffer ; enfin la timidiré étouffe les
femences d'une contradiction , qui ſeule
peut faire éclorre la vérité... Que ce vice
ſoit détruit , les hommes jouiront de toutes
les douceurs de la ſociété , les Arts
reprendront vigueur , les Sciences fleuri
JANVIER. 1757 . 139
ront , l'amour- propre perdra ſes droits ,
l'imagination donnera des rênes à ſa légéreté
, & l'eſprit deviendra tributaire de
la raiſon .
M. l'Abbé Garınage lut un Mémoire fur
lesdécouvertes qu'il a faites dans une fouille
ſur la Montagne de Gergovia , qu'il a
entrepris ſous les aufpices de la Société ,
&aux frais de M. le Comte de la Tour
d'Auvergne. Il donna la deſcription de
quelques fondemens que ſes ouvriers ont
découvert ; il paſſa en revue les matieres
de toute eſpece qui ſont entrées dans la
construction de l'édifice dont il a trouvé
les reſtes. Quelques uſtenciles de fer , de
cuivre , des fragmens de poterie de diverſe
nature , & quelques médailles remplirent
l'objet de ſa differtation. Il fuf
pendit fon jugement ſur la queſtion qui
l'avoit engagé à entreprendre la fouille de
cette célebre Montagne ; il attend de la
ſuite de ſes travaux quelques preuves
plus authentiques , pour conſtater que la
Montagne de Gergovia a été l'ancienne
Gergovie , dont il eſt fait mention dans
les Commentaires de Céfar.
La Séance fut terminée par un Mémoire
de M. Ozy , ſur un cadavre embaumé
, trouvé aux environs du Bourg des
Martres d'Artiere , près du pont du Châ140
MERCURE DE FRANCE.
teau en Auvergne , ſur la fin du mois de
Février 1756 .
Cette Momie fut trouvée dans un cercueil
de plomb de quatre pieds & demi
de longueur , ſur treize pouces de largeur
, & à peu près autant de hauteur :
le cercueil de plomb étoit enchaſſé dans
un autre de pierre blanche , dont le couvercle
eſt un dos d'âne , ayant une ſurface
applattie par deſſus. Ce qui a attiré
particulièrement l'attention de M. Ozy ,
ce ſont la qualité du baume , la maniere
dont il paroît que l'embaumement a été
pratiqué , les qualités du linge & des
bandelettes dont le corps étoit emmaillotté.
Il remarque avec étonnement que
les os des bras , des jambes & cuiſſes de
ce cadavre ont acquis de l'élaſticité.
On n'a pu rien trouver ni dans le cercueil
, ni au dehors , qui pût indiquer
la qualité de l'enfant qui a été embaumé
avec tant de ſoin , & le temps auquel
il a pû l'être. Cette Momie a été
transférée au Cabinet du Jardin Royal.

5
t
JANVIER . 1757. 141
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES - LETTRES.
PHYSIQUE .
LETTRE de M. Savérien , à un de ses
Amis, contenant des nouvelles vuesfur la
cause de la Pesanteur des corps.
JE vous remercie , Monfieur , de l'avis
que vous me donnez de ne pas me prefſer
de publier les nouvelles vues que
j'ai fur la cauſe de la peſanteur dont
vous avez oui parler. Le conſeil eſt ſage
, & je n'aurai pas grande peine à le
ſuivre ; car je deviens tous lesjours plus
difficile pour mes ouvrages : le ſujet de
celui-ci eſt d'ailleurs fi délicat , que je
ſuis encore plus que vous en défiance contremoi-
même. Vous obſervez , Monfieur,
fort judicieuſement , que les Mathématiciens
qui ont recherché cette cauſe de la
pefanteur , n'ont prouvé par l'inutilité
de leurs efforts que l'extrême difficulté
142 MERCURE DE FRANCE.
de cette matiere. C'eſt une penſée deM.
de Fontenelle ( 1 ) , que je vous ſçais gré
de m'avoir rappellée. Je conviens avec
vous que cette recherche paroît aujourd'hui
plus dangereuſe qu'utile , puiſqu'on
eſt preſque aſſuré de perdre ſon temps ,
qui eſt la perte la plus conſidérable que
nous puiſſions faire. Je vous accorderai
encore que la démonstration la plus rigoureuſe
devient une ſimple preuve , lorfqu'il
s'agit d'une matiere à laquelle l'élite
des Sçavans a renoncé. Et je vous avoueraj
auffi que l'évidence même s'obfcureit
à mes yeux , lorſque je retrace à ma
mémoire les noms des Descartes des Newton
, des Huyghens , des Bernoulli , des Varignon
, & de tant de grands hommes
qui n'ont donné là-deſſus que des ſyfrêmes
ingénieux. Il ſemble après cela ,
comme vous dites fort bien , que la cauſe
de la peſanteur eſt une connoiſſance entiérement
déſeſpérée , ſi on pouvoit déſeſpérer
de rien dans l'étude de la nature
, où une ſimple obſervation produit
quelquefois les découvertes les plus furprenantes.
En effet , Monfieur , il eſt
très- ordinaire de voir , que la derniere
(1) Voyez l'Eloge de M. Varignon , imprimé
parmi ceux des Académiciens publiés par cet
Auteur.
JANVIER. 1757. 143
choſe à laquelle on penſe pour expliquer
un phénomene eſt précisément celle qui
devoit frapper d'abord. La grande fimplicité
d'un objet est même ſouvent un
obſtacle à ſa connoiffance. On croit devoir
faire uſage de ſon imagination , lorfqu'on
ne devroit ſe ſervir que de fon jugement;
je veux dire , s'aſſurer bien
d'un fait , & en examiner fans contenſion
toutes les circonstances.
C'eſt cette précipitation ſi préjudiciable
aux progrès des Sciences , qui a nui ,
ce me ſemble , aux travaux deceux qui
ont voulu tenter la cauſe de la peſanteur.
On a cherché cette cauſe nondans
le corps où elle doit être , mais dans les
fluides qui l'environnent , où elle n'eſt
pas. Les plus fameux ſyſtemes qu'on a
faits à ce ſujet , ceux de Descartes , de
Newton , de Varignon , de Bulfinger , de
Villemot , de Bernoulli , &c. ne font fondés
que ſur l'inégalité des couches de
l'atmoſphere , ou de ſes différentes precifions
ſur les corps (1) ; & je ne connois
qu'un Aureur qui s'en eſt pris au
corps même : c'eſt M. Calvalader Colden ,
Anglois. Il prérend que « la cauſe de la
(1) Voyez l'expoſition de ces ſyſtêmes dans le
Dictionnaire univerſel de Mathématique & de
Physique , tom. II , art. PESANTEUR.
144 MERCURE DE FRANCE.
H
>> peſanteur réſide dans le corps , & qu'il
>>y a une choſe douée d'une certaine force
>>>ou puiſſance , en vertu de laquelle elle
>>>réſifte au changement de ſon état pré-
>> fent , foit de mouvement , ſoit de re-
" pos. » Mais quelle eſt cette choſe ? M.
Colden répond : " C'eſt un agent , une
> ſubſtance active , un être doué d'une cer-
>>taine puiffance ou force , laquelle force
>>il exerce d'une maniere qui lui eſt pro-
>>pre & différente de tous les agens naturels.
( 1 ) Cela n'eſt ni bien clair , ni
bien fatisfaifant. On l'a déja dit à l'Auteur
, & lui même convient , qu'on lui
a demandé l'explication du modus ou maniere
d'agir de la puiſſance réſiſtante ,
queſtion à laquelle il n'a pu répondre.
Ainſi , ſuivant M. Calvalader Colden , la
peſanteur eſt dans le corps une qualité
occulte que nous ne connoiffons , nine
pouvons connoître ; ce qui ne nous inftruit
pas mieux ſur la cauſe de la pefanteur
que les autres ſyſtêmes.
(1 ) Explication des premieres causes de l'action
dans la matiere , & de la cause de la gravitation ,
Pr. p. 11 & 15 .
On trouve dans les Effaiff and Obfervations , de
la Société d'Edimbourg , ann. 1754 , des idées de
MM. Henri Home & Yohn- Stewart , ſemblables à
celle-ci , mais développées avec beaucoup de
fagacité & de lumiere.
JANVIER . 1757 . 145
1. On vous a dit , Monfieur , que mon
idée ſur cette caufe ne reſſembloit nullement
à toutes celles que je viens de
vous expoſer , cela est vrai ; & vous ne
concevez point comment la peſanteur
peut conſiſter dans le mouvement , ainſi
que je le crois. Je vais tâcher de vous
expliquer ma penſée , & de vous mettre
à portée de l'apprécier. Voici donc en
quoi conſiſte , felon moi , la cauſe de la
peſanteur.
2. Les corps n'ont point de gravité
par eux-mêmes : cette force leur est abſolument
étrangere , je veux dire , qu'elle
ne leur eſt point inhérente : elle ne provient
cette gravité , que de l'action des
êtres animés ſur eux.
Pour ſe former de cela une idée auſſi
claire que le ſujet peut le comporter ,
il faut faire attention que nous ne connoiſſons
les corps que dans l'état de mouvement
, & le mouvement leur a été communiqué
par une puiſſance ou un être animé;
car tous les corps que nous voyons
ſont des parties de la terre , qui en ont
été détachées : ils ont donc été mus.
Or cet état de mouvement doit être différent
de celui de repos , cela eſt inconteſtable.
Diftinguons donc ceci ave
foin.
II. Vol. G
146 MERGURE DE FRANCE.
:
1º . Les corps n'ont pu être détachés de
laterre , fans avoir été mus,
2º. Ils n'ont pu être mus fans que le
mouvement ou l'activité de la puiſſance
qui les a détachés , n'ait été répandue
dans toutes leurs parties .
3° . Dans l'inſtant que les corps ont
été détachés de la terre , leurs parties
étoient actives , ou avoient une force
pour ſe mouvoir.
Voilà , Monfieur , trois propoſitions
auſſi évidentes que les premiers axiomes
de la Géométrie.
Ceļa poſé , je dis : Ou cette activité
des parties des corps exiſte , ou elle a été
détruite. Si elle exiſte tous les corps
qui font ſur la furface de la terre ont
une activite. Si elle eſt détruite , elle ne
peut l'avoir été que par une force contraire
; car une force ne peut être contrebalancée
, ou , ſi l'on veut , s'éteindre ,
que par une autre force qui agiſſe dans
un ſens oppofé à celui de ſon activité.
Ainfi , afin que l'activité ou mouvement
des parties du corps ait été détruit , il
faut fuppofer , que cette activité a une
tendance vers un point , afin d'oppofer
à cette tendance une autre force , qui
agiſſe ſuivant une direction qui lui foit
contraire , & ce point ne peut être placé
JANVIER. 1757 . 147
que dans le centre de la terre ; car les
corps en ſeroient fortis , s'ils avoient été
dirigés hors de ce globe.
Mais en admettant cette ſuppoſition ,
l'activité répandue dans toutes les parties
du corps , eſt la cauſe de leur peſanteur
, puiſqu'elle produit une tendance.
Si on la rejette , il faut convenir que
cette activité que les corps ont acquis
lorſqu'ils ont été détachés de la terre ,
eſt indestructible. Et au cas que l'on foutienne
que les corps perdent leur tendance
, en repoſant ſur la terre , qui eſt un
obftacle à cette tendance , on ſera obligé
de conclure qu'un obstacle infurmontable
détruit la force d'un corps en mouvement;
ce qui est très-faux , étant démontré
, que fi une puiſſance preſſe un
obſtacle qui ne ſoit pas mis en mouvement
par cette preffion , la vîteſſe de la
puiſſance ne change pas , & la force qu'elle
a n'éprouve aucune diminution. ( 1 )
د
Je vous avoue , Monfieur , que ce raifonnement
m'a toujours paru invincible
& que les perſonnes à qui je l'ai communiqué
, en ont été auſſi très - embarrafſées.
S'il n'est pas abſolument démontré
que le mouvement des parties d'un corps
(1) Elémens de Phyſique de s'Graveſande , t. I ,
p. 257 , de la traduction Françoiſe , in-4 °.
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
déplacé eſt la cauſe de ſa peſanteur , du
moins Feſt - il que ce mouvement doit
produire un effet. Il s'agit maintenant de
connoître cet effet. Pour parvenir à cette
connoiſſance , je vais faire trois choſes .
1º. Donner une notion exacte & préciſe
du mouvement 2°. Suivre l'action de la
puiſſance lorſqu'elle meut le corps. 3º . Obſerver
ſoigneuſement en quel état eſt le
corps après cette action. J'oſe vous prier
de redoubler ici d'attention , & de me
ſuivre pas à pas dans tous mes détails.
3. On définit le mouvement , le tranfport
d'un être quelconque d'un lieu àun
autre lieu. Les êtres actifs ou animés ont
la faculté de ſe mouvoir d'eux mêmes ,
ou de changer de lieu. Les corps ou
êtres paflifs , ne peuvent être en mouvement
que par l'action d'une puiffſance ;
de forte que le mouvement n'eſt point
en eux une action , mais l'effet d'une action
qui l'imprime.
Pour mettre un corps en mouvement ,
il faut faire deux opérations : Premiérement
imprimer un mouvement dans toutes
les parties du corps , & en fecond
lieu , communiquer un mouvement à la
maſſe totale , c'est-à-dire , lui faire changer
de place. Le premier mouvement , celui
des parties , n'eſt point un mouve
JANVIER . 1757 . 149
ment proprement dit , puiſque ces parties
ne changent point de lieu. C'eſt une
force répandue en elles , une activité qu'a
reçu le corps , lorſqu'il a été détaché de
la terre. Cette activité eſt double dans
un corps double d'un autre , triple dans
un corps triple , &c. Telle eſt à peu près
la définition que donne Newton de ce
mouvement. Motus totius , dit- il , estsumma
motuum in partibusfingulis ; ideòque in
corpore duplo majore equali cum velocitate
duplus est , &dupla cum velocitate quadruplus.
(1 )
Et ce grand homme appelle force , cette
fomme de mmoouuvemens , nom qu'a adopté
M. Defaguliers , perfuadé qu'on ne pouvoit
pas lui en donner d'autre. (2)
Vous voyez par-là , Monfieur , qu'il
y a deux choſes à diſtinguer dans un
corps qui ſemeut , l'activité des parties, ou
le mouvement total du corps , & le mouvement
particulier du corps ou fon changement
de lieu. Le premier eſt produit
par la puiſſance ſans mouvement ou par
un effort continu , & le ſecond par la
puiſſance en mouvement. Plus ce mouvement
de la puiſſance eſt conſidérable ,
(1) Philofophia naturalis principia Mathematica
, lib. 1 , Def. 2. Vid. & Def. 8.
(2) Cours de Physique expérimentale , t. 1 .
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
plus le corps en acquiert , c'est- à-dire,
plus grand eſt ſon tranſport , mais l'acti
vité des parties n'augmente pas.
Faites donc bien attention à ces deux
mouvemens , à l'activité des parties , qui
provient de l'action continue de la puiffance
, & au mouvement du corps , qui
eſt produit par le mouvement même de
la puiſſance. Ainfi rien de plus naturel
& de plus conféquent. L'activité de la
puiſſance donne au corps l'activité qu'elle
a , un ébranlement ; & fon mouvement
lui donne un mouvement. L'activité des
parties du corps eſt déſormais une force
intrinfeque , que la puiſſance leur a communiquée
, & qui par eſſence n'a point
de direction ; parce que le mouvement
ou l'activité de ſes parties étant contraires
, leurs actions font oppoſées & réciproques
, & fe contrebalancent exacte
ment , d'où naît un parfait équilibre entr'elles
; & le mouvement proprement
dit au contraire eſt une force qui a une
direction .
Ces chofes bien diftinguées , mettons
le corps en mouvement , c'est-à-dire ,
tranſportons- le , & fuivons naturellement
& fans contention ce qui doit arriver.
Par lui-même le corps ne peut ſe mouvoir
dans aucun ſens ; je veux dire , que
7
JANVIER . 1757 . 151
l'activité de ſes parties n'a aucune direction.
Cette activité doit donc former une
réſiſtance à une puiſſance , qui agiffant
fur le corps , détruit l'équilibre qui la
compoſe en lui donnant une direction .
Dans cette action de la puiſſance , l'activité
des parties du corps doit par conféquent
ſe déployer , & oppofer une force à fon
effort. Concluons de-là que la puiſſance
éprouvera une réſiſtance de la part de
corps , lorſqu'elle ſe mettra en mouvement
, en l'emportant avec elle.
&
Que la puiffance abandonne le corps ,
ou qu'elle le jette ſuivant une direction
quelconque , ſoit horizontale ou oblique
, cette activité des patties du corps
ſe deployera toujours , puiſqu'elle n'a
par elle - même aucune direction
qu'on a rompu l'équilibre qui ſuſpendoit
ſon action : elle détruira donc le
mouvement imprimé au corps. Et comme
une action libre doit être la plus grande
qu'il eſt poſſible , le mouvement du corps
doit être diminué par l'activité de ſes
parties le plus qu'il eſt poſſible. Celle-là
eſt toujours un maximum , pour parler
le langage des Géometres , & celui-ci un
minimum. Donc de toutes les directions
poſſibles le corps doit ſuivre celle qui eſt
Giv
152 MERCULE DE FRANCE.
plus contraire au mouvement imprimé.
Or la direction verticale eſt celle qui eſt
la plus oppoſée aux directions horizontale
ou oblique : donc le corps doit
ſe mouvoir felon cette direction , & par
conféquent tomber .
Cette activité des parties aura encore
lieu , lorſque le corps ſera appuyé ſur
un obſtacle ; car cet obſtacle ne peut rétablir
l'équilibre des forces ou mouvemens
des parties du corps : en effet il
ſuſpend l'activité des parties qui portent
fur lui , & il interrompt par- là l'oppoſition
de ces forces pour maintenir l'équilibre
:donc cette activité ſe déployera
fur le point de contact du corps avec
l'obstacle : le corps preſſera donc cet obftacle
: il peſera ſur lui , c'eſt toujours
l'équilibre détruit ; & qui dit défaut d'équilibre
, dit mouvement. Ceci va être
plus développé , & mieux éclairci .
5. Mais vous me demanderez peut - être
la-deſſus , Monfieur , comment les activités
diverſes des parties du corps ſe contrebalancent
ainſi pour établir un équilibre
, & j'aurai l'honneur de vous répondre
par le fait même : 1. il eſt impoffible
qu'on puiſſe mouvoir uncorps ſans qu'on
n'ait mis auparavant toutes les parties en
JANVIER. 1757 . 153
mouvement , & M. Defaguliers demontre
( 1 ) aux yeux de quelle maniere s'opere
cette propagation du mouvement
dans les parties du corps. Or dans l'inftant
que toutes les parties du corps font
en mouvement , le corps ſeroit lui-même
en mouvement ſuivant une direction quelconque
, ſi la puiſſance ceſſoit dès le
même inſtant d'agir ſur lui ; ce qui eft
contraire à l'expérience , qui apprend que
la puiſſance ne met les partiesdu corps
en mouvement , que par un effort continu,
& qu'elle ne met le corps en mouvement
que pour le mouvement même , comme
je l'ai déja dit. Donc l'activité qu'acquierent
les parties par l'action de la puifſance
n'a point de direction , & cela ne
peut arriver qu'à moins que les divers
mouvemens ou forces des parties ne ſoient
oppoſées.
2°. Quand une puiſſance veut mouvoir
un corps , elle agit ſuivant une direction
, & fon mouvement ſe tranſmet
dans les parties du corps , ſelon que ces
parties ſont ſituées à l'égard de cette direction
; de forte que le mouvement de
ces parties eſt d'autant moindre , qu'elles
ſont plus éloignées du point où la
(1) Cours de Physique expérimentale , c. 1,
Gv
154 MERCURE DE FRANCE
puiſſance agit actuellement. En voici la
preuve en peu de mots :
Si le corps AB , A - B , dans l'inſtart
qu'il ſe meut , étoit fubitement partagé
en deux parties A & B , il eſt évident
que le point que la puiſſance auroit ſaiſi ,
que je ſuppoſe être le point B , auror
une action égale à la ſomme de toutes
les actions infiniment petites & fuccefſives
que la puiſſance a employées pour
mettre le corps AB en mouvement , &
que l'action du point A feroit égale à cel
le de la puiſſance dans le dernier inſtant ,
diviſée par la ſomme des actions qu'elle
a eu pendant tout le temps qu'elle a agi
fur le corps ( 1) . Or la fomme des actions
de la puiſſance fur le point A eft
d'autant moindre que la ſomme des actions
de la même puiſſance ſur le point
B , qu'il y a plus de parties entre ces
deux points , ou dans le rapport du dernier
inſtant de l'action à la ſomme de
tous les inſtans de l'action totale : donc
le point B a une plus grande quantité
de mouvement que le point A , donc le
mouvement eſt diſtribué inégalement dans
le corps , fuivant une progreſſion arithmétique
décroiſſante.
(1 ) Ceci est démontré dans les Elémens de Phyfique
de s'Gravesande , t. 1 .
7
JANVIER. 1757. 155
Rendons ceci ſenſible par un exemple.
Suppoſons qu'une puiſſance conſume 60
degrés d'actions , repréſentées par 60 inftans
, pour foulever un corps quelconque.
Le corps a perdu terre , ou a été
foulevé dans l'inſtant qu'a été mue la
derniere partie du corps , qui eſt la plus
éloignée du point où la puiſſance agit.
Cette puiſſance a donc agit 59 fois plus
fur le point B que ſur le point A : donc
le point B a une force ou quantité
de mouvement 59 fois plus grande que
le point A; ainſi des autres parties intermédiaires
entre ces deux points en progreffion
décroiffante d'une unité.
Delà il fuit naturellement que l'activité
d'une partie eſt ſuſpendue par celle
de la partie qui lui eſt contigue , & qui
en a moins de l'une à l'autre , juſqu'à la
derniere dont l'activité eſt preſque nulle
ou infiniment petite : donc toutes les activités
ſe contrebalancent exactement & font
dans un parfait équilibre. C'eſt ce que je
voulois démontrer .
6. Maintenant ſi l'on vient agir encore
fur le corps , cette ſuſpenſion n'a plus
lieu , & dès lors l'activité des parties
non ſaiſies ſe développe. Les parties qui
n'avoient que , 2 , 3 , 4 , &c. inftans
d'actions , pour me ſervir de l'exemple
Gvj
136 MERCURE DE FRANCE .
précédent , ces parties , dis-je , étant mues
par la puiſſance , acquierent une nouvelle
activité ; & dès lors elles ne peuvent
ſuſpendre l'activité de celles qui en ont
davantage , comme 10 , 12,50 , &
60 inftans. L'activité de celles-ci ſe manifeſtera
dans ce moment , & s'exercera
contre le mouvement du corps , s'il eſt
dans un mouvement libre , ou contre la
puiſſance , s'il eſt tranſporté par elle. En
un mot on ne ſçauroit enlever un corps
fans communiquer une activité aux parties
qu'on touche , & dès lors ce furcroît
d'activité empêche qu'elles ne ſuſpendent
l'activité des autres parties , & rompent
par conféquent l'équilibre qui étoit
entre ces différentes activités ; & de ce
défaut d'équilibre naît néceſſairement
une action . Quand nous mettons en
mouvement un corps déja mu , nous
éprouvons l'action deployée de ſes forces
, & lorſque nous le détachons d'un
corps en repos , dont il faifoit partie ,
c'eft-à-dire , que nous le mettons en mouvement
pour la premiere fois , nous fommes
obligés de mettre toutes ſes parties
en mouvement ; ce qui confume celui
que nous avons nous-même. On éprouve
dans ces deux cas une réſiſtance , qui eſt
ce qu'on appelle force d'inertie.
JANVIER. 1757. 157
; Tout ceci ſe réduit comme vous.
voyez , Monfieur , à trois principes bien
évidens , d'où dépend la cauſe de la pefanteur.
Premier principe. Une puiſſance ne
peut déplacer un corps , (ou le détacher
de la terre , lorſqu'elle a agi ſur lui pour
la premiere fois ) ſans communiquer une
activité à chacune de ſes parties , de façon
que le corps a d'autant plus d'activité
qu'il a plus de parties.
Second principe. L'activité qu'acquiert
le corps par l'action continuede la puifſance
, eſt ſuſpendue par l'équilibre qu'il
y a entre les activités particulieres de
chaque partie.
Troiſieme principe. Une puiſſance ne
peut agir fur des forces qui ſe contrebalancent
exactement , fans rompre l'équilibre
où elles font , & un équilibre
entre des forces contraires ne peut être
détruit ſans que ces forces ſe manifeſtent.
Et c'eſt précisément le développement de
ces forces ou activités , qui eſt la cauſe
de la peſanteur.
Prononcez maintenant , & voyez fi ce
n'eſt ici qu'une illuſion. Quant à moi ,
je croirois avoir répandu quelque jour
fur la cauſe de la peſanteur , fi la juſte
défiance que je dois avoir de mes foibles
lumieres , me permettoit de porter
118 MERCURE DE FRANCE .
í
un jugement ſur mes propres idées. Ma
fonction actuelle eſt de faire voir que
cette cauſe que j'aſſigne pour celle de la
peſanteur , répond parfaitement aux phenomenes
de cette propriété de corps .
1º . L'activité acquiſe d'un corps eſt proportionnelle
à la quantité de matiere des
corps. 2° . Dans le mouvement ou le
tranſport & le repos du corps ſur un obftacle
, cette activité ſe deploie également
dans chaque inſtant indiviſible ; ce qui
doit produire une accélération dans
la chûte des corps , un retardement dans
leur élévation , & une preſſion contre les
obſtacles animés & paffifs .
7. Reſte encore une queſtion àréfoudre
, que je n'ai garde d'oublier : c'eſt
de ſçavoir fi une puiſſance ne pourroit
mouvoir un corps ſans mettre en jeu l'action
de ſes parties , en rompant l'équilibre.
Non , Monfieur , parce qu'il faudroit
pour cela répandre un mouvement égal
dans toutes les parties du corps , afin que
leur activité fût également ſuſpendue :
mais alors ce corps s'attacheroit à la puiffance
qui l'auroit mis en mouvement ,
puiſqu'il auroit le même mouvement
qu'elle. Le même effet arriveroit fi un
corps repoſoit tellement ſur un obitacle ,
que l'activité de toutes ſes parties fût
fufpendue.
:
JANVIER . 1757. 159 I
Ceci revient à la penſéede Descaries
ſur la cohésion des corps. Car ce lien
qui unit les parties des corps , n'eſt pas
felon ce grand homme une qualité différente
du repos. « Parce qu'il n'y a ,
>>dit- il , aucune qualité plus contraire au
>>mouvement qui pourroit ſéparer fes par-
>>ties , que le repos qui eſt en elles. " (1)
Unir deux corps, c'eſt donc mettre réciproquement
leurs parties en repos .
Delà ſe déduit l'explication de la
cohésion & de la coagulation des corps.
Plus le contact de deux corps eſt intime ,
moins ils ont d'activité , mmiieeux ils font
unis. Ainſi la cohéſion ſera plus grande
dans les petits corps que dans les grands ,
parce que le contact d'un petit corps
ſuſpend preſque toute l'activité de ſes
parties , & dès lors ces parties ſont prefque
en repos , ou , ce qui revient au même
, n'ont point de peſanteur.
En ſuivant cette conféquence , on éclairciroit
bien des myſteres de la Science
des corps : mais ce détail pourroit vous
diſtraire , Monfieur , de l'objet que je me
fuis propofé dans cette Lettre ; & il eſt
important d'y fixer toute votre attention .
Ce fera le ſujet d'une ſeconde Lettre , fi
(1 ) Principes de la Philosophie de Descartes ,
art. ss .
160 MERCURE DE FRANCE.
j'apprends que mes nouvelles vues fur la
cause de la pesanteur , ont mérité votre
fuffrage & furtout celui de mes adverfaires.
Je finis par vous prier de lire
tout ceci plutôt trois fois qu'une ; parce
que le ſujet eſt un peu abſtrait & difficile
à faifir. Il ne s'agit point ici de mefurer
& de calculer , mais de méditer &
de réfléchir ; car la ſcience des cauſes ne
doit être éclairée , ou éclaircie , que par
des principes métaphyſiques : ſans eux on
pourra bien avoir l'hiſtoire des faits ,
mais on ne reconnoîtra point les loix de
la nature , qui réſident hors des effets
& des phénomenes , & par conféquent
on n'aura point de philofophie.
J'ai l'honneur d'être , &c.
SAVERIEN.
AParis , ce 10 Décembre 1756.
P. S. Je préviens une objection contre
ma théorie de la peſanteur , c'eſt
que ſi cette théorie eſt vraie , les corps
ne s'attirent pas , & que deviendra alors
le ſyſtême de Newton ? Ce qu'il deviendra
? Il acquerra un degréde plus de certitude
, & c'eſt ce que je m'engage de
vous faire voir dans la fuite.
}
JANVIER. 1757. 161
GÉOGRAPHIE.
LETTRE à M. le Président de Brefé ,
fur la découverte d'une Terre inconnue ,
récemment apperçue par le vaiſſeau Espagnol
le Léon , Sous le 54° degré 48 minutesde
latitude méridionale.
VouOUS vous intéreſſez , Monfieur , au
progrès général des Sciences , & vorre
goût embraſſe tout ce qui eſt utile &
grand. Vous donnez ſurtout une attention
particuliere aux événemens qui vous
ſemblent propres à étendre nos connoiffances
fur la furface du globe que nous
habitons . Avec quelle fatisfaction n'aurezvous
donc pas appris la découverte d'une
nouvelle terre , qui vient d'être pour la
premiere fois apperçue par les Espagnols !
Eh ! quel eſt l'homme qui ne reſſentiroit
pas en ſecret quelque plaiſir de voir accroître
ſous ſes yeux l'héritage du genre
humain !
Que n'a-t'il été donné à Alexandre le
Grand , de différer de naître juſqu'à nos
jours ! Certes , il ne ſe ſeroit plus trouvé
trop reſſerré dans les limites de l'univers !
162 MERCURE DE FRANCE.
Infelix angusto in limite mundi. L'ancien
monde connu de fon temps , aujourd'hui
agrandi preſque des deux tiers , un fecond
auſſi vaſte que le premier , que Colomb
a tiré de fon néant par rapport à
nous , un troiſieme qui s'annonce de jour
en jour dans les terres Auſtrales , n'eufſent-
ils point ſuffi à fon ambition ?
Mais venons à notre découverte : voici
ce que nous en apprenons. Le Léon , vaifſeau
Eſpagnol parti de Callao, Port du Pérou
, s'en revenoit d'Amérique en Europe
: à 54 degrés 48 minutes de latitude
méridionale , il a découvert une terre
inconnue , il l'a côtoyée environ 25 ou
30 lieues; elle lui a paru d'une hauteur
i prodigieuſe qu'elle peut être apperçue
de 60 lieues en mer par un beau temps :
c'eſt-là tout ce que les Eſpagnols ont jugé
à propos de nous en dire ; ils gardent le
fecret fur le reſte .
N'auroient ils pas dû par exemple ,
nous apprendre ſi c'eſt après avoir dépaffé
la terre Magellanique , ou bien auparavant
, qu'ils ont rencontré cette nouvelle
Région ? L'extrêmité de la terre Magellanique
, y compris la terre de fen &
celle des Etats , s'étend juſqu'à la hauteur
de 55 degrés . Cette latitude eſt preſque
la même ſous laquelle ils ont rencontré ,
JANVIER. 3757. 163
diſent- ils , un pays inconnu , par conféquent
different de la terre Magellanique.
Il doit donc être néceſſairement ſitué à
l'Eſt ou à l'Oueſt des détroits de le Maire
&Magellan , premier point ſur lequel les
Eſpagnols devoient naturellement s'expliquer
: mais on peut y ſuppléer à leur
défaut , comme vous l'allez voir ci -après .
Autre circonſtance à laquelle ils devoient
faire attention . Il falloit nous dire
ſi cette terre , quand ils l'ont rencontrée ,
leur reſtoit à l'Eſt ou à l'Oueſt ? Voulezvous
que je m'exprime plus familiérement?
Il falloit nous obſerver s'ils ont
paffé entre cette terre & l'Amérique , ou
bien s'ils avoient pour lors l'une & l'autre
ſur leur gauche ? Vous ſçavez , Monſieur
, que les Eſpagnols ont été autrefois
de grands Découvreurs : mais les chofes
ont bien changé depuis qu'ils ont laiffé
faire leur commerce par un peuple étranger.
Il y a longtemps qu'ils s'étoient reftraints
à caboter le long de la mer Pacifique
, depuis le Chili juſqu'à la Californie.
Vous jugez bien que leurs connoiffances
en fait de Marine ont dû en devenir
plus bornées , & la découverte qu'ils
viennent de faire , à ce qu'ils penſent , en
eſt peut- être une preuve.
Les Navigateurs qui paſſent pour avoir
164 MERCURE DE FRANCE.
le mieux examiné le Midi de l'Amérique ,
tels que Wood , l'Amiral Anſon , Frezier
& autres , placent entre le so & 52 °
degrésde latitude Méridionale , une grande
Ifle écartée du continent de l'Amérique
, à l'Eſt du détroit de Magellan . Elle
n'a point été juſqu'ici marquée ſur les
Cartes générales , parce que les connoifſances
qu'on en a , n'ont pas encore acquis
un certain degré d'authenticité. Elle
a , comme vous le verrez bientôt 200
lieues de tour , & 40 de longueur. C'eft
fans doute celle que le vaiſſeau le Léon
a rencontré dans ſa route. Mais comment
les Eſpagnols ont-ils pu qualifier de dés
couverte la rencontre fortuite d'un pays
reconnu pour la premiere fois il y a plus
de 1so ans , d'un pays retrouvé depuis
par une foule de Navigateurs célebres ,
par Hawkins en 1594 , par les vaiſſeaux
le S. Louis & le Maurepas en 1706 , par
Wood Rogers en 1708 , par le S. Jean-
Baptiste en 1711 , par les trois vaiſſeaux
Hollandois envoyés aux terres Auſtrales
en 1721 , d'un pays enfin , marqué fur
les Cartes de l'Amiral Anſon , fur celles
de Frezier , & connu par tous les Marins
qui paſſent dans ces parages ?
N'en foyez pas ſurpris , Monfieur ; ce
n'eſt que depuis 1706 que l'exemple des
JANVIER. 1757 . 165
François a enhardi les Eſpagnols juſqu'à
riſquer de doubler le Cap Horn , ou la
pointe Méridionale de l'Amérique : encore
le font- ils rarement aujourd'hui. Un
Auteur illuftre de leur Nation , encore
vivant ( 1 ) , nous garantit le fait. Tout
doit donc leur paroître nouveau dans ces
contrées-là. Ajoutez que les relations Angloiſes
& Hollandoiſes qui décrivent ce
pays avec quelqu'étendue , ſont des livres
compoſés par des Proteſtans. On ne
les ouvre guere en Eſpagne.
D'un autre côté les François qui ont
fait mention de ce même pays , n'ont
point écrit en Eſpagnol : or l'étude des
langues vivantes n'a point encore pris faveur
en Eſpagne. Concluez de tout ceci ,
Monfieur , qu'il eſt poſſible qu'un vaifſeau
Eſpagnol rencontre une terre inconnue
, qui ne foit point inconnue aux peuples
voiſins.
A la vérité les Eſpagnols prétendent
avoir trouvé la leur fous le 54º degré 48
minutes , & celle dont nous parlons ne
s'avance pas au-delà du 52 ; mais cette
(1) Voyage hift . de l'Amériq. Merid. en 1735
juſqu'à 1746 , traduit de l'Eſpagnol de D. Ant.
d'Ulloa , t. 2 , in-4º, p. 89. Le Voyage de Clipperton
autour du monde, en 1720, décrit par Besagh
,dit la même choſe , p. 312 .
166 MERCURE DE FRANCE.
différence de quelques degrés ne doit pas
vous cauſer la moindre inquiétude. Elle
ne peut venir cette différence , que de
l'irrégularité des courans qui , au jugement
des plus grands hommes de mer ,
rendent l'eſtime des Pilotes très-incertaine
, vers le Pole Auſtral .
En voulez vous la preuve ? Ouvrez le
voyage de l'Amiral Anſon , in- 12 , tom. 1 ,
pag. 258 , vous verrez qu'il obſerve relativement
à cet endroit , la violence des
courans & la prodigieuse dérive qu'ilscaufent.
Mais voulez-vous un exemple frappant
de cette vérité ? Ouvrez le voyage
hiſtorique des deux Mathématiciens Efpagnols
, envoyés au Pérou pour déterminer
la figure de la terre , le même que
je viens déja de citer , in- 4°. t . 2 , p. 88 ,
vous vérrez qu'Antoine d'Ulloa trouva ,
en arrivant à l'ifle de Ferdinand de Noronha
, que fon calcul différoit de la véritable
longitude de cette Iſle de 12 degrés
ou 240 lieues. C'eſt ce qui lui fait
dire : « Il faut néceſſairement que les eaux
>> par leur cours inſenſible , joint à l'im-
>>pulfion du vent qui ſouffloit de ce côté-
>> là , nous aient fait dériver de ce même
>> nombre de degrés. » Il en arriva autant
au vaiſſeau de Frezier dans ſon voyage
à la mer du Sud ( 4°, p. 38 ) ; tous les au-
1
JANVIER. 1757 . 167
tres Marins tiennent là-deſſus le même
langage.
1
Nous pouvons donc , même ſans vouloir
ſuſpecter la capacité des Pilotes Efpagnols
, préfumer que leur eſtime n'a
pas été juſte. D'auſſi grands hommes
qu'eux ſe ſont mécomptés précisément en
pareil cas , ſous les mêmes paralleles , &
cela ſans qu'il y eût de leur faute , fans
qu'ils puſſent même y remédier. L'unique
moyen de rectifier en partie ces erreurs ,
eût été de prendre hauteur au foleil ; mais
la longueur des nuits & l'obſcurité des
jours dans ces climats y font un obſtacle
éternel.
Delà vient que ces mêmes terres dont
il eſt queſtion ici , ont été trouvées par
pluſieurs Navigateurs, à des latitudes fouvent
différentes par leur eſtime. Wood
Rogers qui paroît avoir apperçu ce pays
dès le 48 degré so minutes ( voyage de
Rogers , t. 1 , p. 163 , ) convient enſuite
que le milieu en doit être placé ſous le
51 degré. L'Amiral Anſon le ſuit en cela.
Différens Armateurs François , fuivant le
témoignage de Frezier , le placent aufli
an sie degré , les trois vaiſſeaux Hollandois
au 52 ° ; mais Hawkins qui l'a reconnu
le premier , le met au so ; & voici
que nos Eſpagnols les rencontrent au 54°
48 minutes.
:
168 MERCURE DE FRANCE.
A travers ces petites contrariétés j'apperçois
, ce me ſemble , un point fixe qu'il
nous importe de ſaiſir ; c'eſt que les Navigateurs
réputés les plus exacts & d'ailleurs
les plus modernes , Rogers , Frezier
, Anſon , auſſi bien que les trois vaifſeaux
Hollandois s'accordent à placer ces
terres entre le so & le 12 degré. Nous
les laiſſerons donc , s'il vous plaît , à cette
poſition juſqu'à plus ample information.
,
Il eſt à remarquer que ce pays , qui eſt
certainement une Iſle aſſez grande , puifqu'elle
a 200 lieues de circuit ,&de long
40 lieues , ſelon Rogers , ou 60 , ſelon
l'eſtime conjecturale de Hawkins , eſt encore
environné de pluſieurs autres plus
petites. Celles de Sebald de Weert
d'Anican & de Beauchêne , n'en font
éloignées que de quelques lieues. C'eſt
ce qui a donné lieu à ceux qui ont découvert
ces terres en différens temps , de les
appeller tantôt Ifles nouvelles , tantôt Ifles
d'Anican , tantôt Iſles de Falkland , ( mais
improprement , comme vous allez voir ) .
Hawkins les avoit d'abord nommées de
fon nom Hawkins- Maiden-Land ( terre
deVierge de Hawkins). Par ce terme Maiden
, Vierge , Hawkins prétendoit rendre
hommage à la plus douteuſe des qualités
d'Elifabeth alors Reine d'Angleterre. Le
vaiſſeau
JANVIER . 1757 . 169
vaiſſeau le S. Louis nomma ces mêmes
terres Ifles de S. Louis, le vaiſſeau l'Affomp-.
tion , Côte de l'Afſſomption , les Hollandois ,
BelgieAustrale.
Comme ce ſont les Anglois qui ont les
premiers découvert ces terres , & que le
nom d'Iſles de Falkland qu'ils lui donnent
, a prévalu chez eux , quoique pourtant
ſans trop de raiſon , ce me ſemble ,
nous nous en tiendrons à cette derniere
dénomination , & je ne les appellerai plus
qu'lfles & terres de Falkland.
Obſervez ici en paſſant , Monfieur ,
que ce pays ne peut être cenſé faire partie
des terres Auſtrales , mais plutôt du
continent de l'Amérique. En voici la raifon
: on appelle terres Auſtrales celles
qui ſont ſituées au-delà des paralleles qui
terminent l'Amérique au midi. Or nos
Ifles de Falkland ſont moins avancées
vers le Pole du midi , que la pointe la
plus méridionale de l'Amérique. En effet
celle- ci s'étend vers le Sud juſqu'au sse
degré. Mais nos Iſles de Falkland ne doivent
être placées que ſous le sie degré ,
ſi on s'en rapporte aux plus habiles Marins.
Elles appartiennent donc évidemment
à l'Amérique ; ſuivant les Hollandois
, elles ne font qu'à 80 lieues du continent
, c'est- à- dire , de la côte des Pata-
Il. Vol.
H
170 MERCURE DE FRANCE:
gons , à peu près vis-à-vis le Port Saint
Julien.
Peut-être êtes vous impatient de ſçavoir
quel eſt l'état intérieur de ce pays ,
s'il eſt vaſte , riche , fécond ? Pour contenter
là-deſſus votre curioſité , je ne puis
mieux faire que de vous rapporter en
abrégé ce que nous en difent les Navigateurs
qui y ont touché. Hawkins eſt
un de ceux qui nous en a laiſſé une deſcription
plus détaillée. Il ne le vit pourtant
qu'en paſſant ; il ne put y aborder
faute de chaloupe. Cependant il remarqua
que la côte en étoit faine & fans
aucune apparence de danger. Elle offroit
à ſa vue des plaines charmantes & bien
peuplées; ( 1 ) il y vit des feux en pluſieurs
endroits. Il y a auſſi de grandes rivieres
; car elles font , dit- il , changer de
couleur à la mer , comme nous le remarquâmes
en pluſieurs lieux : le pays approche
beaucoup de la difpofition du terrein
& de la température de l'air de l'Angleterre.
Hawkins trouva le long de la côte une
Iſle longue de deux lieues , couverte d'une
verdure riante & fans montuoſités ; il la
nomma Faireiland , l'Isle belle. Trois lieues
(1 ) Voyez le Recueil de Purchaff , tome 4 , P.
1383.
JANVIER . 1757. 171
plus loin il vit une belle ouverture , telle
que pourroit être l'entrée d'un bras de
mer ou d'une grande riviere. C'eſt celle
apparemment qu'on a depuis nommée entrée
de Falkland , parce qu'elle eſt proche
de Faireiland . Le mot Falkland eft
probablement une corruption de celui de
Faireiland. Les abréviations dont on fe
fert pour écrire à la main en Anglois ,
font très-propres à faire naître un pareil
quiproquo . Ce qui fortifie cette préſomption
, c'eſt qu'on ne peut rapporter la dénomination
d'Iſles de Falkland , ni celle
d'entrée de Falkland , à aucun Navigateur
connu , qui ait eu deſſein de l'impofer
de fon chef à ces terres. Elles ſe trouvent
cependant déſignées ſous ce titre
dans la Carte de l'Amiral Anfon. Il eſt
à croire qu'il a copié en cela Wood Rogers
: celui-ci eſt le premier qui en parle
fous ce nom , ſous lequel il les ſuppoſe
déja connues. Mais encore une fois ce doit
être une faute d'écriture ou d'impreſſion ,
commiſe peut-être par ceux qui ont rendu
publique la relation de Wood Rogers.
C'est ainſi que les Ifles de Sebald -
Weert & le Cap Forward , ſitués dans
le même pays, ſe trouvent metamorphoſés
en Iſles Sebales & Cap Froward.
de
Hawkins eut grand regret de n'avoir
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
pu découvrir plus amplement ce pays qui
lui paroiſſoit excellent. Il en ſuivit la
côte, felon ſon eſtime , environ ſoixante
lieues , portant toujours au Nord- Eft .
Wood Rogers qui parcourut , comme
Hawkins , la côte Nord- Eft de ce pays en
1708 , dit qu'il s'étend deux degrés ou
40 lieues en long ; qu'il eſt compoſé de
hauteurs qui deſcendent en pente douce
les unes devant les autres ; que le terrein
en paroît bon , qu'il eſt couvert de bois ,
&qu'on y trouve de bons Ports. ( I )
Trois vaiſſeaux Hollandois chercherent
cette même terre en 1721 , dans le deſſein
d'y faire un établiſſement. L'hiſtorien qui
nous a donné la relation de leur expédition
, a fait de lourdes fautes en cet endroit
, & il importe de les relever. Voici
fon texte : ( 2 ) « Nous arrivames enfin à
» la hauteur de 30 degrés de latitude mé-
>> ridionale , où doit être ſituée l'Iſle d'Au-
» kes- Magde- Land, ainſi appellée du nom
>>de celui qui la découvrit il y a plus de
> 100 ans : on dit que lorſqu'il la décou-
» vrit , il y vit du feu allumé , mais qu'il
>>n'y fit point de deſcente.>>
( 1 ) Voyag. de Wood Rogers autour du monde,
r. 1 , p. 163 . 1
(2) Hiftoire de l'expédition de trois Vaiſſeaux
savoyés aux Terres Auſtrales,en 1721 , p. 67, t. 1.
3
JANVIER. 1757 . 173
Il eſt évident que cet Auteur a voulu
parler ici de la terre découverte par Hawkins
: pluſieurs circonstances le démontrent.
1º . Hawkins est certainement celui
qui a découvert une terre dans ces parages,
& cela plus de too ans avant le
voyage des trois vaiſſeaux Hollandois. Il
eſt même encore vrai qu'il n'y fit point
de defcente. 2° . Ce Voyageur est le ſeul
qui diſe y avoir vu des feux. 3°. Il eſt
auſſi le ſeul qui ait donné à ce pays un
nom tiré de fon nom propre , ſçavoir ,
Hawkins-Maiden- Land , mais non pas
-Aukes-Magde-Land. L'Auteur Hollandois
eſtropie miférablement ce terme ; premiere
faute importante en fait de Géographie.
Autreerreur encore plus grave: il avance
que cette Ifle doit être ſituée ſous le
3 oe degré de latitude.
Puiſqu'il parle de la terre découverte
par Hawkins , comme je viens de vous
le prouver , il devoit dire ſous le soe :
car l'Auteur de l'hiſtoire Navale d'Angleterre
, tom . 1 , & Frezier, p. 265 , atteſtent
que ce fut à cette hauteur que Hawkins
la trouva .
Si pourtant vous vouliez prendre au
pied de la lettre ce que Purchaff nous dit
àce ſujet , il vous ſembleroit que Haw-
Hij
174 MERCURE DE FRANCE.
... Enkins
auroit trouvé ſa terre inconnue au 48e
degré , &non pas au soe degré ; vous allez
en juger par ſes termes. Il fait d'abord
dire à Hawkins , p. 183 , tom. 4. Nous
arrivâmes à 49 degrés 30 minutes . We
came to 49 degrees and 30 minutes .
fuite il lui fait ajouter : We descried land
wich bare South-west ofus.... and coming
neerer and neerer , we could not conjecture
what land it should be... we weere next of
any thing in 48 degrees. C'est-à- dire ,
« nous découvrîmes une terre à notre Sud-
» Oueſt .... & quoique nous en appro-
>>chaſſions de plus en plus , nous ne pû-
>>mes deviner quel pays ce pouvoit être
» ( parce qu'il n'étoit marqué ſur aucune
>>>de leurs Cartes ) : nous étions à peu de
>>choſe près ſous le 48e degré. »
Sans doute , Monfieur , vous appercevez
dans ce recit quelque choſe de confus
& même d'inconféquent. Si Hawkins
arrive à la hauteur de 49 degrés &demi ;
s'il trouve une nouvelle terre avant de
nous avertir qu'il ait reculé depuis ; s'il
en approche de plus en plus , ne doit- il
pas l'avoir trouvée au-delà du 49e degré
30 minutes , & vers le soe ? Auſſi eſt-ce à
cette latitude que Frezier & l'hiſtoire Navale
d'Angleterre lui attribuent de l'avoir
rencontrée . L'Auteur de ce dernier ouvraJANVIER.
1757 . 175
ge , cite pour ſon garant Harris , Auteur
d'une collection de Voyages , qui s'exprime
apparemment plus correctement fur
cet article , en rapportant le Voyage de
Hawkins.
Les trois vaiſſeaux Hollandois , dont
je vous ai déja parlé , trouverent au 52e
degré les Ifles Neuves ainfi nommées par
les François , autrement les Iſles de Saint
Louis , ou bien encore Côte de l'Affomption.
C'étoit la terre même de Hawkins ,
que l'Auteur leur fait précédemment chercher
, mais en vain , vers le 30e degré.
Toute la différence ne confiſtoit que dans
les noms : ce qu'ils avoient cherché ailleurs
fous le nom barbare de Aukes-
Magde- Land , exiſtoit réellement là ſous
le nomd'Iſles Nouvelles , felon les François
, & d'Iſles de Falkland , felon les Anglois.
Les uns& les autres s'accordent à
placer ces terres , auſſi bien que Hawkins
fon Maiden- Land , entre le 50 & 52e degré.
Ce n'eſt donc vraiſemblablement
qu'une ſeule & même terre déſignée par
différens noms.
Les Hollandois s'aſſurerent les premiers
que tout ce pays eſt une grande Iſle de
200 lieues de circuit , & à so lieues du
continent de l'Amérique. Le pays leur
parut très-fertile& très-beau , entrecoupé
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE,
de montagnes & de vallées chargées de
beaux arbres. Je vous ai dit ci-devant
qu'il avoit 40 lieues de long.
L'Amiral Hollandois différa de le faire
reconnoître plus amplement juſqu'à fon
retour des terres Auſtrales , où il alloit.
Il craignoit de laiſſer écouler , s'il s'y fût
arrêté , la ſaiſon propre à paffer les détroits
: mais fon deſſein ne put être exécuté
dans la ſuite ; car ſes vaiſſeaux furent
contraints de prendre la route des Indes
Orientales pour revenir en Europe.
Cette belle Ifle , continue leur Hiſtorien
, reſta donc inconnue ; notre Amiral
ſe repentitdans la ſuite , de ne l'avoir pas
du moins fait parcourir en partie pendant
quelques jours.
Les François ſont ceux qui ont le plus
fréquenté & par conféquent le mieux reconnu
ces terres. Ils y touchoient fouvent
, dans le temps que le Contrat de
l'Affiento leur ouvroit les ports de la mer
du Sud. En 1706 le vaiſſeau le S. Louis
y fit de l'eau dans un étang ſitué près
d'un encrage qui depuis a porté le nom
de Port S. Louis. Le Capitaine Doublet ,
du Havre, eſt un de ceux qui les a côtoyées
de plus près. Montant le S.Jean-Baptifte
en 1711 , il voulut paſſer dans un enfoncement
qu'il voyoit vers le milieu ; mais
JANVIER. 1757. 177
y ayant apperçu des Iſles baſſes à fleur
d'eau , il revira de bord , & fit fans doute
fort ſagement.
Vous , qui ramenez tout à l'utile , vous
n'allez pas manquer , Monfieur , de me
demander d'où vient qu'on n'a jufqu'ici
tiré aucun avantage d'un pays fi
communément connu , & qu'on nous
peint d'ailleurs fi fécond & fi beau ?
Je vous répondrai d'abord là-deſſus ,
que l'Amiral Anfon recommande inſtamment
à ſa Nation , ( ce ſont ſes termes ,
tom. 1 , p. 238. ) de faire de ces Iſles une
relâche pour les vaiſſeaux qu'elle envoie
dans la mer du Sud. Vous venez de voir
que les Hollandois ont eu le même deſſein
:
en 1721 .
On ne peut pas douter qu'un établiſſement
qui y feroit fait par quelque Nation
Commerçante que ce ſoit , ne fût pour
elle d'une commodité infinie. On rencontre
des difficultés incroyables , quand il
s'agit de doubler le Cap Horn pour paffer
dans la mer du Sud. La perte entiere de
l'Eſcadre d'un Sarmiento en 1982 , les
maux inouis qu'y ſouffrit celle des Hollandois
en 1597 , les catastrophes que
viennent d'y eſſuyer tout récemment les
Eſcadres de l'Amiral Anſon & de Pizzaro
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
en 1741 , en font de triſtes & trop fürs
garans,
Il n'eſt pas concevable , dit l'Amiral Anſon
, de quelle utilité pourroit être un
lieu de rafraîchiſſement auſſi avancé vers
le Sud, & auſſi près du CapHorn , ſuppoſé
qu'il ſe trouvât propre à cela , après l'examen
qui en ſeroit fait.
Mais , me direz-vous , l'examen n'eſtil
donc pas déja tout fait ? Hawkins , Rogers
, le vaiſſeau le S. Louis ,& les trois
vaiſſeaux Hollandois n'ont-ils pas trouvé
que le pays abondoit en bois , en grandes
rivieres , en belles prairies & en bons
Ports ? Le S. Louis n'y a-t'il pas encré en
toute fûreté ? A en juger par la latitude ,
le climat ne doit- il pas y être tempéré ?
Le climat qui répond au sredegré eſt le
même que celui d'Abbeville en Picardie
& de Mayence ſur le Rhin. Celui- ci n'ar'il
pas toujours paffé pour l'un des plus
bienfaiſans & des plus favoriſés du ciel ?
D'où vient donc encore une fois qu'on
en a ſi peu tiré d'uſage juſqu'ici ? C'eſt
que chez nos voiſins comme chez nous ,
il n'y a que le Gouvernementqui puiſſe
ordinairement exécuter & foutenir des
entrepriſes auſſi vaſtes que celle d'un établiſſement
dans un autre hémisphere.
ہ ف ح
JANVIER . 1757. 179
Or il arrive ſouvent qu'un Etat a de longues
guerres à foutenir , des dettes immenſes
à liquider , des avances indiſpenſables
à faire pour d'autres objets. Tel eſt
le cas où ſe trouvent aujourd'hui les Anglois.
Quelques convaincus qu'ils ſoient
des avantages d'un tel projet , ils font forcés
de le remettre à un autre temps. 11
eſt encore aujourd'hui libre aux François
de les prévenir.
Nos vaiſſeaux traverſent bien plus fouvent
la mer du Sud que ceux des Anglois.
Un Port vers le détroit de Magellan ,
nous feroit donc d'une utilité encore plus
grande qu'à eux-mêmes. Nos vaiſſeaux
arriveroient- ils trop tard pour doubler le
Cap Horn ? Ils y attendroient en fûreté
le retour de la ſaiſon favorable. S'éleveroit-
il quelqu'une de ces bourraſques ſi
fréquentes dans cette mer orageuſe ? Ils
s'y refugieroient pour en éviter la furie
ou pour y réparer leur déſordre.
La Compagnie des Indes ne verroit
plus le ſcorbut ravager les équipages de
ſes vaiſſeaux , qui vont à la mer du Sud.
Sûrs de trouver un Port au milieu de leur
courſe, ils pourroient y arriver dans toutes
les ſaiſons. Les bâtimens s'y radouberoient
ſans dépenſe ; & les hommes s'y
rafraîchiroient à ſouhait , en reſpirant un
Hvj
180 MERCURE DE FRANCE.
air ſemblable à celui du climat qui les a
vu naître
La pêche auſſi abondante dans ces contrées
qu'aux environs même de Terre-
Neuve , ſuffiroit pour enrichir ſubitement
les nouveaux Colons. Ils en jouiroient
paiſiblement fans craindre la concurrence
d'aucun des peuples Européens. Notre
Colonie de Cayenne reſſentiroit bientôt
d'heureuſes influences de ce voiſinage. Il
s'établiroit entre les deux habitations une
communication réciproque , qui les vivifieroit
toutes deux à la fois ; & les Indes
Eſpagnoles que l'Angleterre dévore en efpérance
, auroient à leur porte des défenſeurs
toujours prêts à leur tendre la main.
Vous voyez , Monfieur , que la découverte
des Eſpagnols , toute chimérique
qu'elle eſt dans ce ſens , peut cependant
avoir fon utilité : tout au moins elle ſervira
à faire mieux examiner & à déterminer plus
fûrement la juſte poſition de la terre de
Falkland. D'ailleurs elle ne va pas manquer
de réveiller l'attention des Nations
qui ont eu des vues fur ce pays. Puiffe
celui des peuples qui a le plus d'intérêt
à s'en aſſurer la propriété , n'être pas le
dernier à s'en appercevoir !
J'ai l'honneur d'être , &c .
L'Abbé HARDY, du College Mazarin.
JANVIER . 1757. 181
:
:
SÉANCE PUBLIQUE
De l'Académie royale des Sciences, des Belles-
Lettres & des Arts de Rouen , 1756 .
M. le Car , Secretaire des Sciences , ouvrit
cette Séance par un Extrait raiſonné
des regiſtres de l'Académie , dans lequel
il rendit compte des travaux de l'année .
Le premier de ces extraits eſt celui d'un
Mémoire de M. Bacheley , Prêtre au Prieuré
de S. Hymer , intitulé , Obſervations Lithologiques
fur la formation des cailloux , où
l'Auteur entreprend de prouver que les
cailloux font formés , comme les pierres
ordinaires , par les coquillages & autres
productions marines que la mer a laiffé
dans les terres qu'elle couvroit jadis , &
qui y ont été enfouies dans du ſable vitrifiable.
Cet Auteur prétend que les cailloux
ne different des autres pierres qu'en ce que
le ſable vitrifiable domine dans les premiers
, tandis que le ſable calcinable ou
la pouſſiere de coquille domine dans la
pierre. Il a accompagné ſon ouvrage d'une
collection très-nombreuſe de cailloux qui
renferment les productions marines citées ,
&qui , ſelon lui , ſont des preuves de fon
opinion. M. le Cat avoit lu dans la Séance
182 MERCURE DE FRANCE .
publique de 1751 , un Mémoire d'hiſtoire
naturelle , où il attribue les lits des cailloux
qu'on trouve entre les bancs des marnes
& des carrieres de Normandie , à des
ſucs lapidifiques entraînés par l'eau des
pluies , filtrés à travers les lits de ces pierres
, & plus ou moins empreints de teintures
métalliques , & ſurtout de teintures
ferrugineuſes . Il a montré à l'Aſſemblée
un caillou où ce méchaniſme ſe démontre
aux yeux mêmes ; car ſa ſubſtance s'eft
prolongée dans l'intérieur de cette pierre
qui étoit creuſe , par un grand nombre de
filets , dont pluſieurs font très- longs , entiérement
iſolés , & reſſemblent parfaitement
à ces filets de glace que l'écoulement
desgouttes d'eau forme en hyver au bas
des toits. M. le Cat a même établi dans cette
Differtation , dans celle ſur le mouvement
mufculaire , qui a été couronnée à Berlin
en 1753 , & dans quelques autres , que ces
fucs lapidifiques dérivent eux-mêmes d'une
eſpece de glue univerſelle qu'on découvre
ſous différentes formes dans les trois
regnes , où elle fait l'aliment & le lien efſentiel
du tiſfu des corps. Le reſtede l'extrait
de ce Mémoire eſt employé à concilier
ce ſyſtême de M. le Cat avec les faits &
l'hypotheſe de M. Bacheley, dont les grandes&
louables recherches ſur cette matiere,
JANVIER. 1757. 183
ditce Secretaire , lui ont fourni de vraies
découvertes , entr'autres celles d'un nouvel
ourfin fort beau & fort fingulier , contenu
dans des cailloux , & dont l'analogue ne ſe
trouve pas dans nos mers .
M. le Cat rapporte enſuite des obſervations
faites au Havre dans le pays de Caux,
parM. du Bocage, &aux environsdeCaën,
fur le tremblement de terre ſenti dans ces
contrées , le premier Novembre 1755 , à
10 h . du matin , & fur un autre apperçu
à Rouen même , le 18 Février 1756 , à 7 h.
37min. du matin .
Il fait mention de deux Differtations de
M. Pinard , Profeſſeur de Botanique ; l'une
fur une nouvelle eſpece de jalap ou belle
de nuit , & l'autre ſur une eſpece de violette
particuliere aux environs de Rouen .
Il rappelle la deſcription de fix enfans
monstrueux , qu'il a lue à l'Académie dans
le cours de l'année, dont l'une de M. Venklinckenbengh,
Médecin de Nimegue , a été
communiquée par M. Beyer , Aſſocié de
l'Académie. Les cinq autres font de M. le
Cat , ainſi que l'hiſtoire d'un hermaphrodite
de 17 ans , qu'il a découvert parmi les
malades de ſon Hôpital. Il étoit habillé en
fille , & il en avoit tout l'extérieur « tant
>>ſupérieurement qu'inférieurement ; mais
>> cet extérieur , dans les organes eſſentiels
184 MERCURE DE FRANCE.
>>aux ſexe feminin , couvroit des parties
>>qui dépoſoient en faveur de l'autre
>>ſexe , & par les détails de cette obfer-
>>vation, qui ne peuvent trouver place ici.
» La nature paroiſſoit s'être fi fort em-
>>brouillée dans le reſte de cette conftruc-
>> tion , qu'en voulant faire les deux ſexes ,
>>elle n'avoit proprement fait ni l'un , ni
>> l'autre . >>
Il parla enſuite d'un mémoire fur la
liquidation des mariages avenants , déterminé
algébriquement par M. le Clontier
, excellent Ingénieur de Dieppe &
du Havre , mort dans le courant de
cette année ; d'un autre de M. Ligot ,
Profeſſeur de Mathématique à Rouen ,
fur quelques propriétés nouvelles des
quadrilateres ; d'une Differtation de M.
Vregeon , ſur le phoſphore tiré de l'urine
; de la Deſcription d'une machine
pneumatique perfectionnée dans fon robinet
&dans ſon piſton , par le même ;
d'une Obſervation de M. le Danois ,
fur un abcès fiſtuleux à la poitrine d'un
enfant d'onze ans , qui depuis quatre
années fournit environ quatre onces de
pus par jour , & qui fait néanmoinstous
les exercices ordinaires à ceux de ſon
âge ; de deux Diſſertations de M. Peyfſonelle
ſur la Lepre africo- américaine, qui
JANVIER. 1757 . 185
:
regne dans les colonies de l'Amérique ;
d'une Préface & de l'Hiſtoire de l'Académie
, qui doivent être à la tête du
premier des volumes que cette ſociété
va donner au Public , par M. le Cat;
d'un Mémoire par M. Brouin , ſur la néceffité
d'établir à Rouen une école d'Hydrographie
; d'une Diſſertation de M. Lucas
, contre les influences attribuées communement
à la lune ; de pluſieurs Odes
d'Horace traduites en vers françois par
M. Fontaines. M. le Cat a dit enſuite ...
Les Mémoires envoyés pour le prix de
Phyſique , dont le ſujet eft.... La cause
du tremblement de terre... étoient au nombre
de dix-huit. Pluſieurs ont mérité des
éloges , & furtout les N°. 12 & 15 ,
dont le premier a pour deviſe , Columna
cali contremifcunt , &c. & le ſecond , Terra
fupernè tremit , &c. Mais en rendant aux
Auteurs la juſtice dûe à leurs talens &
à leurs travaux , l'Académie a cru devoir
réſerver le prix , parce que les uns n'ont
pas encore mis affez d'ordre & de clarté
dans l'expofition de la cauſe demandée ,
aſſez d'harmonie entre les puiſſances qui
la compofent , entre celles - ci & celles
qui leur font analogues , & que les autres',
avecbeaucoup d'ordre &de ſtyle , ſe
ſont égarés dans des digreſſions dépla
186 MERCURE DE FRANCE.
cées , & dans des analogies peu folides.
L'Académie préſumant que ces défauts
viennent principalement du peu de temps
que les Auteurs ont eu à compofer leurs
mémoires , elle annonce le même ſujet
pour le Prix de 1757 , aux conditions
exprimées dans le programme de l'année
précédente. Ce délai procurera encore
aux Auteurs l'avantage de profiter d'un
grand nombre d'obſervations faites depuis
la compoſition des premiers mémoires.
Les diverſes écoles que protege l'Académie
, & dont ſes Membres font les
Profeffeurs , ont tenu leurs concours ordinaires
pour la diſtribution de leurs Prix.
Ceux de l'école d'Anatomie donnés
Le par M. le Cat , ont été remportés...
premier par M. Goucy de Dieppe. Le ſecond
par M. le Cordier de Courſon ,
près Lizieux.
Les Prix de l'école de Botanique donnés
par M. Pinard , ont été remportés ;
le premier , par M. Rouffent de Montreuil
en Picardie; le ſecond , par M. Simon
de la ville d'Eu ; le troiſieme , par M.
Seyer de Verneuil , tous trois éleves en
Chirurgie.
M. du Boullay Secretaire des Belles-
Lettres , annonça les Prix de fondépar
JANVIER. 1757 187
tement & ceux de l'école du deſſein.
L'Académie avoit propoſé pour ſujet
du Prix d'Hiſtoire : l'origine , la forme &
les changemens de l'Echiquier ou Parlement
ambulatoire de Normandie. Elle n'a
reçu ſur ce ſujet aucun mémoire : ainſi
elle a remis ce Prix à l'année prochaine.
Le ſujet ſera les premieres Navigations
des Normands , leurs découvertes
& leurs établiſſemens dans les deux mondes.
Outre ce Prix , l'Académie donnera
auffi à fon aſſemblée publique du mois
d'Août 1757 , un Prix de Poéſie , au plus
beau Poëme de cent vers au moins fur la
conquête de l'Angleterre par Guillaume
Duc de Normandie. Ces Prix font fondés
par M. de Luxembourg , Protecteur
de l'Académie , & Gouverneur de la Province.
Les Ouvrages feront adreſſés francs de
port & ſous la forme ordinaire , à M.
Maillet-du Boullay , Secretaire perpetuel
de l'Académie de Rouen pour les Belles-
Lettres , rue de l'Ecureuil.
Les progrès de l'Ecole publique de defſein
de cette ville , l'émulation des éleves
, le nombre d'Artiſtes diſtingués qu'elle
a déja produits , commencent à remplir
les voeux de l'Académie & l'attente
I188 MERCURE DE FRANCE.
du Public : cependant il manquoit encore
un Prix qui pût exciter dans les jeunes
gens quelques étincelles de ce feu créateur
, de ce génie ſans lequel le deſſinateur
le plus correct ne ſeroit qu'un froid
copiſte.
La libéralité de M. de Adeville , un des
Membres de l'Académie , & Amateur auſſi
éclairé des Arts , que zélé Citoyen , ne nous
laiſſe plus rien àdefirer. Il vient de fonder
un Prix de compofition deſtiné au
meilleur deſſein , ou à la meilleure efquiſſe
faire ſur le ſujet propoſé par le
Profeſſeur. Ce Prix ſera le premier de l'Ecole
, & confiſtera en une médaille d'argent
, double du premier prix d'après nature.
L'Académie eſpere que cette nouvelle
fondation redoublera le zele des jeunes
éleves , & les engagera particulièrement
à s'inſtruire de tout ce qui doit orner
l'eſprit d'un Artiſte digne de ce nom ,
à qui la Mythologie , la Fable , l'Hiſtoire ,
les Moeurs & les Coutumes de tous les
peuples doivent être familieres.
Laſuite au prochain Mercure.
JANVIER. 1757. 189
ARTICLE IV.
BEAUX - ARTS .
:
ARTS AGRÉABLE S.
MUSIQUE.
LETTRE à l'Auteur du Mercure.
UN Ballet d'un acte , Monfieur , que
M. Philidor a bien voulu me mettre en
Muſique , dont la répétition s'eſt faite hier
en préſence de Madame la Comteſſe de la
Marck , de M. le Duc d'Ayen , & de pluſieurs
autres perſonnes de diſtinction ,
chez M. Thirou- d'Eperſenne , Receveur
Général des Finances , & qui ſans doute
ne doit ſon luſtre & l'accueil qu'on a bien
voulu lui faire , qu'à cette même Muſique ,
& furtout qu'au charme ſéduisant de la
voix de Mile. Fel , eft le ſujet qui me
procure aujourd'hui l'honneur de vous
écrire , pour vous prier de vouloir bien
inférer dans le Mercure prochain , ſi cela
ne dérange point vos diſpoſitions , &
190 MERCURE DE FRANCE .
cette Lettre , & l'Epitre ci-jointe adreſſée
à Mlle. Fel ; hommage foible à des talens
ſupérieurs.
Je ſerai , on ne peut pas plus ſenſible ,
Monfieur , à ce que vous voudrez bien
faire pour moi encette occafion : les talens
que vous poffédez vous-même avec
distinction , vous ſont un titre pour chérir
&faire éclater ceux des autres , & je ne
puis mieux m'adreſſer qu'à vous pour
rendre publique ma reconnoiffance particuliere
, & cet hommage que je me fais
un plaifir infini de rendre à ceux de Mlle.
Fel.
J'ai l'honneur d'être , &c.
DEVERGE- DE S. ETIENNE , Gentilhomme
Ordinaire du Roi de Pologne.
Ce 28 Décembre 1756 .
EPITRE à Mlle Fel , en lui envoyant
les paroles du Retour du Printemps ,
Ballet en un acte.
Tor , dont la voix tendre & touchante
Semble être l'organe des Dieux ,
Toi , dont les talens précieux
Te rendent plus intéreſſante
Que la Divinité charmante
Qui jadis brilloit dans les cieux
JANVIER . 1757. 191
Aimable Fel , embellis un Ouvrage
Qui n'a , pour plaire & pour être admiré ,
Que ces talens dont l'unique aſſemblage
Enleve & force le fuffrage
Du Cenfeur le plus éclairé.
D'abord je n'oſois pas t'offrir un foible Ouvrage
Qui me ſembloit trop peu digne de toi ;
J'ai combattu long-temps , & fans l'avis d'un ſage
La timidité ſeule auroit agi ſur moi.
Du bon goût , m'a-t'il dit , ſuivez les ſeuls uſages;
Laifſſez penſer tout ce que l'on voudra :
La Déeſſe de l'Opera
Doit attirer tous les hommages.
Nous annonçons la Muſique de la Bohémienne
, Comédie en deux actes , en vers ,
mêlées d'Ariettes , traduite de la Zingara ,
Intermede Italien , par M. Favart. On la
trouve aux adreſſes ordinaires , & chez la
Veuve de Lormel , rue du Foin , ainſi que
chez Prault , fils , Quay de Conti . Prix
9 liv.
Nous indiquons en même temps pour
les Amateurs , Sei Simfonie à quatro alto
viola e Baſſo , compoſte da Antonio Bailleux
, aux adreſſes ordinaires , 9 liv .
La Volupté , Cantatille Françoiſe , avec
Simphonie , par M. le Jay , Maître de
Muſique , ſe vend chez l'Auteur , rue de
192 MERCURE DE FRANCE.
Guénégaud , aux Bains de la Seine , & aux
adreſſes ordinaires .
Airs choiſis des meilleurs Auteurs modernes
, arrangés par ſuite, mis en Duo
pour deux Violons ou deux pardeſſus de
Viole.
On trouvera à la fin de ce Livre fix
fuites de jolis Airs , qui peuvent ſe jouer
ſeuls ou avec l'accompagnement.
OEuvre premier , gravé par Mlle Vendôme.
Prix 9 liv. aux adreſſes ordinaires.
CetOuvrage est très-accueilli des Amateurs
& des Maîtres.
II Recueil de Pieces Françoises &Ariettes
Italiennes , petits Airs , Brunettes , Menuets
, &c. avec des doubles & variations ,
arrangés en Duo , par M. Taillart , l'ainé.
Le premier Recueil recherché & goûté
des Amateurs , répond de la bonté & du
ſuccès de celui-ci , qui ſe vend 6 liv. &
ſe trouve , comme le premier, à Paris , aux
adreſſes ordinaires , & à Lyon , chez M.
Bretonne , rue Merciere.
SCULPTURE.
JANVIER . 1757 . 193
SCULPTURE.
REPLIQUE à la Réponse d'un Eleve
de l'Académie aux Observations ſur le
Modele duMausolée du Maréchal Comte
de Saxe , exécuté par M. Pigalle.
MONSIEUR, les Peintres& les Sculpteurs
ontla ſagecoutume d'expoſer les modeles
ouleseſquiffesdes grands ouvragesqui leur
font confiés , pour recueillir des applaudiffemens
& pour raſſembler des conſeils.
Chacun juge comme il peut & ſelon fes
lumieres : l'un pâliſſant d'envie à l'aſpect
du beau , s'attache à des détails indifférens
, pour accabler l'Artiſte d'une critique
amere ; l'autre , avec une admiration
ſtupide , s'extaſie ſur des choſes où l'on
n'avoit pas voulu l'intéreſſer , & trouve
des fineſſes où il n'y en a point. Si la fatyre
de l'un révolte , les applaudiſſemens
de l'autre font pitié. Au milieu de la
foule il eſt un petit nombre d'hommes ,
qui pratiquant les Arts , ou s'étant fait
une grande habitude de comparer les Ouvrages
des grands Maîtres avec la nature ,
font en état de prononcer : leurs applau
II.Vol. I
:
194 MERCURE DE FRANCE.
diſſemens ſont précieux , leur critique eſt
utile & néceſſaire. Mais ces Juges intégres
, ſcachant mieux que d'autres combien
il eſt difficile de faire du vrai & par
conféquent du beau , ont autant de modération
quand il faut blâmer , qu'ils ont
de chaleur & d'empreſſement quand ils
peuvent louer. De son côté , l'Artiſte doit
tout entendre , & ne s'offenſer de rien; il
doit profiter des conſeils , s'aſſurer s'ils
font vrais ; & il ne s'irritera point , ſi l'on
condamne des choses qui lui ont coûté
beaucoup de travaux & de temps. Les
Peintres & les Sculpteurs produiſent dans
le deſſein de plaire : n'ont- ils pas réuffi ,
il faut effacer avec l'éponge, ou abattre
avec le marteau. Tel eſt l'état des Arts !
Un homme travaille pendant quarante
ans , pour être jugé dans un inſtant. II
eſt vrai que toute peine veut être recompenſée,
que l'on doit toujours tenir compte
àun homme d'avoir voulu ; mais cette
admiration , cette eftime de la poſtérité
ne s'accordent point aux travaux & à la
longueur du temps , on ne les donne
qu'aux ſuccès.
M. Pigalle connu par des Chef-d'oeuvres
, veut remplir glorieuſement la belle
carriere qu'il a commencée. Il a expofé
le modele qu'il a fait du Mauſolée du
JANVIER . 1757.
195
Maréchal de Saxe , autant pour faire plaifir
au public , que pour en recevoir des
avis , dont il profitera dans l'exécution en
marbre de ce grand monument. Amateur
des Arts , intéreſſé à leurs progrès , curieux
des belles choſes , peut-être capable
de les fentir , j'ai propoſé quelques idées
à M. Pigalle : il me jugera avec le public
éclairé & ſes amis connoiſſeurs ; & il
conviendra en même temps qu'il n'y a
dans mon procédé que de la politeffe ,
du zele & l'amour de la choſe.
Pour vous , Monfieur , qui me jugez
plus rigoureuſement , vous méritez une
réponſe à pluſieurs de vos articles , & je
vais le faire fansaigreur.
Je n'interdis point les qualités de l'efprit
aux Peintres & aux Sculpteurs , &
je ne prétends point que quelqu'un ſe
charge de penſer pour eux : Que ſeroientils
fans ces facultés ! J'ai dit ſeulement ,
que les longues études qu'ils font obligés de
faire des principes de leur Art , qui a pour
objet toute la nature , ne leur permettant
pas de chercher dans le Cabinet la connois-
Sance de l'Histoire & de la Fable , ilferoit
à ſouhaiter qu'il y eût une Société établie
d'hommes qui , réuniſſant la connoiſſance des
Arts à l'étude des Belles-Lettres , fuſſent
chargés de faire devant les jeunes Artistes
I ij
196 MERCURE DE FRANCE .
qui fe deſtinent à la Peinture & à la Sculpture
, des obſervations ſur les compoſitions &
les allégories des meilleurs Ouvrages qui ont
été produits. Je ne veux pas que ces hommes
inſtruits vous dictent vos compoſitions
, mais qu'ils vous faſſent remarquer
les fautes que l'on a faites , afin que vous
les évitiez . Les préceptes qui entrent dans
l'ame par les exemples , frappent & s'arrêtent;
ſeuls , ils s'évanouiffent.
Que vous me faites de plaiſir , Monſieur
, lorſque vous m'apprenez que cet
illuftre Protecteur des Arts , ce confervateur
, ce reſtaurateur des belles choſes ,
vous a donné un Maître pour l'Hiſtoite &
la Fable ! Vous auriez dû , Monfieur ,
confulter ce Maître inſtruit , avant de
rendre votre réponſe publique. Il vous
auroit fait remarquer qu'une Egliſe Luthérienne
étant un Temple de Chrétiens ,
la convenance ne veut point que l'on y
place des allégories fabuleuſes ; & que fi
l'on en voit dans les nôtres , il faut les
mettre au nombre de ces fautes que l'on
doit éviter. Ce font bien des entraves
pour les Artiſtes , je l'avoue ; mais s'il ne
falloit que s'abandonner à la fougue d'une
imagination échauffée , ou aux caprices
d'un eſprit vif & léger , ſans obéir à la
convenance & à la décence , ſans ſe ſou
JANVIER . 1757 . 197
mettre à la vérité , il n'y auroit pas tant
de mérite à réuſſir dans les Arts. Les lauriers
de Raphaël & de Michel-Ange font
arrofés de fueur & couverts de pouffiere.
Vous me faites conſeiller à M. Pigalle
de coucher le Maréchal dans ſon lit ,
attendant l'inſtant de ſa mort. En vérité ,
Monfieur , vous êtes bien injuſte à mon
égard ! J'ai dit que le Héros reposant fur
des lauriers , me paroîtroit encor plus grand ,
torſqu'accablé par une maladie cruelle qui
pourroit lui faire éprouver dans ce moment
terrible quelque foibleſſe de l'humanité , il y
réſiſteroit en Philoſophe & attendroit d'un
air afſuré & tranquille le coup de la mort.
Cela veut- il dire qu'il ſoit dans ſon lit ?
Ne peut- il pas être aſſis ſur un focle ou
un trophée , foutenu par le Génie de la
France ou de la Victoire. Vous prétendez
qu'il eſt bien plus grand de l'avoir repréfenté
prêt à mourir dans l'état de la plus
grande vigueur : outre que c'eſt ſortir ici
du vrai , dont on ne devroit jamais s'écarter
, nous ſçavons tous , Monfieur , qu'un
Héros eſt ſujet , comme un autre homme
, à toutes les loix de la nature ; &
qu'il n'eſt grand , que parce qu'il y réſiſte
davantage.
L'armure du Maréchal de Saxe eſt ,
dites- vous , dans le Coſtume. Il y a long-
II iij
I198 MERCURE DE FRANCE.
temps que les Militaires n'ont plus les
cuiſſes & les jambes armées ; il ne portent
quedes cuiraſſes &des demi- cuiraffes,
excepté ſeulement les Officiers de tranchée
& de ſappe , que l'on eſt forcé de
punir pour les obliger de s'armer de pied
en cap ; précaution dont ils voudroient
bien ſe diſpenſer. Le François craint plus
l'embarras& la fatigue , que le danger.
Il feroit à ſouhaiter que l'on devînt abſolument
exact dans le Coſtume. En apprenant
chez les Ecrivains les révolutions
des chofes & les grands événemens , nous
devrions lire dans les Ouvrages des Peintres
& des Sculpteurs l'hiſtoire des Coutumes
& des Uſages des différentes Nations.
Ces Statues des Grecs & des Romains
font vêtues comme ils l'étoient de
leur temps : on ajuſte nos Héros comme
eux , parce que cela eſt , dit- on , plus noble
; & cependant , voyez en même temps
quelle contradiction ! fur notre Théâtre
on habille Agrippine , Cléopâtre & Zaïre
comme des Françoiſes de nos jours. Il en
faut excepter deux Eleves ( 1 ) de Melpomene
, qui joignant à la nobleſſe & à la
grandeur du jeu , l'expreffion forte & pathétique
des paffions , ont tenté les pre-
(1 ) Mlle Clairon & M. le Kain. Leur exemple
a été ſagement ſuivi par Mlle Huff.
JANVIER. 1797.
THEQUE
VILLE
delAYON
*7893**
miers de reproduire le Coſtume
belle antiquité. Le public a applaudi
les Artiſtes , qui dans cette partie fon
ges , les exhortent vivement à ramener
le vrai au Théâtre : on peut tout ofer
avec le goût ſage & décidé qu'ils font
paroître.
Je n'ai point dit, Monfieur , que M.
Pigalle devoit faire affeoir la France la
balance à la main , ni recevant les hommages
des nations vaincues ; j'ai dit que
dans le cas où M. Pigalle auroit pu , convenablement
au ſujet , la repréſenter affiffe
, il devoit le faire plus décemment
que ſur les degrés d'une pyramide. Mais
le Maréchal defcendant au tombeau , il
faut que la France ſoit entre lui & la
mort : j'en conclus qu'elle doit être debout.
Dans un moment fi vif & fi intéreſſant
, elle n'a pas dû s'aſſeoir. En vain
vous m'alléguez la néceſſité de lier les différens
plans des figures : fi les plans font
faire des fautes de convenance & de décence
, il faut les changer.
J'ai applaudi à l'expreſſion de l'Hercule
, elle eſt rendue : mais je l'aurois
voulu plus forte. Ce n'eſt point une faute,
cela veut dire , que j'en ferois plus affecté.
Mon ſentiment n'eſt point une loi ;
c'eſt une idée propoſée.
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
J'ai répondu à ceux qui prétendoient
que l'enfant qui pleure étoit le génie du
Maréchal , que M. Pigalle ne l'avoit point
caractériſé comme le génie de ce Heros .
Je ſuis bien éloigné de conſeiller l'emploi
d'une allégorie qui feroit inutile.
Mais vous me faites dire cette abſurdité.
Eh ! Monfieur , relifez ma Brochure.
J'ai fait l'explication du Mauſolée dans
l'ordre des impreſſions que j'ai reçues ,
& même à l'avantage de M. Pigalle.
L'inſtant qui précede la mort du Maréchal
, eſt ce que l'Artiſte a voulu repréſenter
; car il frappe au premier afpect.
Tout ce qui eſt dans ſon ſujet doit y
concourir , & par conféquent l'expreſſion
des animaux me paroît contradictoire.
Le jugement que j'ai porté de la figure
de la mort auroit dû vous faire
ſoupçonner , que connoiſſant les loix &
la pratique de la compoſition , je puis
être ou devenir un jour un Artiſte ; que
je n'ai point affecté le ſçavant en relevant
de petits détails que je ſçais que l'on
néglige dans les modeles pour les rendre
dans l'exécution ; & loin de ménager un
homme que vous rencontrerez peut- être
quelque jour dans la carriere où vous
entrez , vous me dites la choſe du monde
la plus déſobligeante. Je n'y répondrai
JANVIER. 1757. 201
rien , Monfieur parce je me fais unfeeret
plaiſir de croire que vous en êtes
fâché.
Vous demandez un Epitaphe pour mettre
fur la pyramide. Il n'y faut qu'une
Inſcription , parce que dans le ſujer de
M. Pigalle , leMaréchal n'eſt point mort ,
&la pyramide eſt cenſée avoir été élevée
de ſon vivant. Mon avis eſt que l'on y
grave ce peu de mots : MAURICE COMTE
DE SAXE , ET MARECHAL DE FRANCE.
Le nom d'un grand homme ſuffit à fon
éloge.
GRAVURE.
DEPUIS EPUIS que nous avons annoncé le
projet de la carte de France , on a vu
paroître tous les mois une nouvelle
feuille. On débite actuellement la quatrieme.
Pluſieurs perſonnes inſtruites
de l'exactitude de cette carte & de la
beauté de la gravure , en ont demandé
de toutes parts à M. Caffini pour les
provinces : c'eſt ce qui l'a engagé à en
envoyer dans toutes les Capitales des
généralités du Royaume. On les trouvera
dans ces Villes , chez Meſſieurs less
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
Directeurs des carroſſes & voitures publiques.
.1
Le ſieur Gaillard vient de mettre au
jour deux eſtampes , l'une gravée par feu
M. Sornique , & qui repréſente une Bergere
chantant des paroles notées ; unjeune
homme l'accompagne de ſa flûte.
L'autre eſtampe eſt de M. Gaillard ,
& l'on y voit un jeune garçon qui ſe
délecte à boire du vin , tandis que derriere
lui une petite fille en marque fon
chagrin , & montre un air jaloux. Ces
deux morceaux, qui ſont parfaitement bien
exécutés , font d'après les tableaux de
M. Jeaurat Peintre de l'Académie Royale.
Ils ſe vendent chez l'Auteur , rue S.
Jacques au deſſus des Jacobins , entre un
Perruquier & une lingere , à Paris.
Le ſieur Feſſard a mis au jour le Portrait
de M. le Cardinal de Luynes ; Archevêque
de Sens , premier Aumonier de
Madame la Dauphine , & l'un des quarante
de l'Académie françoiſe. Il l'a gravé
d'après M. Latinville , & le vend chez
lui, rue S. Thomas du Louvre.
1
JANVIER. 1757. 205
ARTICLE V.
SPECTACLES.
COMEDIE FRANÇOISE.
Le lundi 27 Décembre les Comédiens
François ont remis La Princeſſe d'Elide ,
Comédie en cinq actes , ornée de chants
& de danſes. Quoique les premiers rôles
foient remplis par Mlle. Gauſſin & M.
Grandval ( c'eſt annoncer qu'ils ne peuvent
l'être mieux ) elle n'a fait ſur le
Public qu'une foible impreſſion . L'anor
nyme qui a mis en vers la proſe deMoliere
, n'a pas aidé à la faire briller. Une
pareille broderie n'étoit pas propre à embellir
l'étoffe. A la négligence de ſes rimes,
& aux fréquens hiatus qui s'y trouvent ,
nous foupçonnons que ce rimeur pourroit
bien être un des nôtres , c'est-à-dire ,
un de ceux dont l'abondance ſterile nous
prodigue tous les mois leurs vers plus que
libres , malgré les plaintes réitérées que
nous en avons portédans pluſieurs de nos
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
Mercures. Eft- il permis à des barbouilleurs
de toucher au tableau d'Apelle ?
Le divertiſſement du ſecond acte a fait
plaifir , particuliérement le pas de trois
exécuté par Mlle Alart , les ſieurs la
Riviere & Bouqueton. On a furtout applaudi
la préciſion & la legéreté de
Mlle Alart. Le brillant de ſes pas répond
aux agrémens de ſa figure.
Les Comédiens François qui ont répréſentés
Dimanche 9 de ce mois le Mercure
Galant , & le Lundi 10 Manlius Capitolinus
, Tragédie de M. de la Foffe ,
ſe préparent à donner incefſamment la
Fille d'Ariftide , Comédie en cinq Actes
en proſe , que nous avons déja annoncée ,
&que le Public attend avec une ſi juſte
impatience.
L
COMÉDIE ITALIENNE.
ES Comédiens Italiens ont continué
juſqu'au fix de ce mois la Jeune Grecque ,
que Mlle Catinon a repréſentée avec
autant de décence que de ſentiment &
d'ingénuité. Voici des vers à ce ſujet ,
qui ne font que lui rendre juſtice.
Policrite eſt heureuſe , &mérite de l'être :
Tous les coeurs lui ſont dûs , elle ſçait les gagnera
JANVIER. 1757 205
Sans l'aimer, l'applaudir, on ne peut la connoître;
Une pareille eſclave eſt faite pour régner.
GUERIN- DE FREMICOURT .
Le Lundi 10 , les mêmes Comédiens
ont rejoué cette piece , & doivent au
plutôt en donner une nouvelle en trois
Actes , traduite ou plutôt imitée d'une
Comédie Italienne en trois Actes , par M.
Mailhol , qui a déja enrichi ce théâtre de
pluſieurs Drames.
CONCERT SPIRITUEL.
LeE vendredi 4. Décembre , veille de
Noel , le Concert commença par une Symphonie
de M. Géminiani , ſuivie de Fugit
nox , Moret à grand choeur de Boifmortier.
Enfuite on chanta unpetit Motet
François de M. ***. M. Vachon joua
un Concerto de violon de ſa compofi
tion. Mlle. Fel chanta un petit Moter
Italien nouveau. M. Balbastre joua fur l'orgue
un nouveau Concerto de ſa compofition.
Le Concert finit par Dominus regnavit
, Motet à grand choeur deM.Mondonville.
Le jeudi 25 , jour de Noel , on commença
par la premiere Piece de Clave206
MERCURE DE FRANCE .
cin de M. Mondonville , ſuivie de Cantate
Domino , Motet à grand choeur de
Lalande. Enſuite M. Poirier chanta un
petit Motet François de M.*** . MM. Piffet
& Baron jouerent un Concerto- à deux
Violons. Mlle Fel chanta un petit Motet
Italien nouveau. M. Balbaſtre joua
fur l'orgue un Concerto de ſa compoſition .
Le Concert finit par Venite exultemus ,
Motet à grand choeur de M. Mondonville.
JANVIER. 1757. 207
ARTICLE VI.
NOUVELLES ETRANGERES.
DU NORD.
DE PETERSBOURG , le 24 Novembre.
LE
E temps s'étant remis au beau , on ne doute
pasque les troupes commandées par le Feld-Maréchal
Apraxin , ne continuent inceſſamment leur
marche. Selon les nouvelles qu'on a de ces troupes
, il n'y regne ni maladie , ni déſertion. On a
donné les ordres néceſſaires pour que dans tous les
lieux de leur paſſage , elles trouvaſſent abondamment
des ſubſiſtances. Le dernier convoi des munitions
de guerre , deſtinées pour cette armée ;
eft arrivé àRiga.
S.M. Impériale a envoyé pluſieurs préſens à la
Reinede Pologne, Electrice de Saxe, & a ordonné
qu'on fit à Dreſde une remiſe de cent mille roubles,
pour le ſoulagement des habitans de la campagne
, qui ont le plus fouffert de l'invaſion des
troupes Prufſiennes.
DE WARSOVIE , le 13 Décembre.
Tous les Sénateurs ont reçu du Comte de Bef
tuchef, Grand Chancelier de Ruffie , une Lettre
circulaire , par laquelle ce Miniſtre leur marque
quelefortdéplorable de Sa Majesté , auquel Elle
208 MERCURE DE FRANCE.
n'a pas donné le moindre lieu , mérite une com
paffion égale à la gloire que Sa Majesté s'eft acquife
par fa noble conftance. Qu'il doit en même
remps exciter toutes les Puiſſances , ſurtout les
Puiſſances alliées du Roi & de la République , à
prendre à un événement de cette nature une part
ſenſible. Que les ſuites funeſtes qui pourroient
réſulter de la démarche du Roi de Pruſſe , tant
pour le repos commun de l'Europe , que pour
chaque Puiſſance en particulier , & furtout pour
les pays voiſins des Etats de S. M. Pruffienne, font
évidentes. Que chaque Souverain a intérêt , pour
ſa propre fûreté , en faiſant cauſe commune avec
l'Impératrice Reine de Hongrie & avec le Roi , de
prendre les meſures convenables , non ſeulement
pour procurer à deux Puiffances injuftement attaquées,
la fatisfaction qui leur eſt dûe , mais auſſi
pour preſcrire au pouvoir trop étendu du Roi de
Pruſſe des bornes qui puiſſent à l'avenir ſervir
d'abri contre les inſultes d'un tel voiſin. Le Comte
de Beſtuchef ajoute que l'Impératrice de Ruſſie ,
vivement touchée de l'infortune du Roi , & ne
pouvant voir avec indifférence les entrepriſes de
S. M. Prufſienne , a pris la réſolution d'aſſiſter
efficacement & promptement le Roi , & d'envoyer
un corps conſidérable de ſes troupes au ſecours
de Sa Majeſté. Que ce corps eſt actuelle
ment en marche ſous les ordres du Feld-Maréchal
Apraxin , & qu'une néceſſité indiſpenſable l'obli
gera de traverſer une partie du territoire de la Pologne.
Que toutes les perſonnes qui jugeront fans
prévention , rendront juſtice à un projet qui ne
tend qu'à défendre les Alliés de la Ruffie , & à rétablir
la paix en Allemagne , en y remettant les
choſes dans un juſte équilibre. Que fans doute
Jes Polonois, faciliteront , autant qu'il dépendra
JANVIER. 1757. 209
J'eux, lamarche des troupes Ruſſiennes , & s'empreſſeront
de concourir à venger le Roi leur maf
tre , & à faire échouer les vaſtes deffeins du Roi
de Prufſfe. « Rien , continue le Comte de Beſtu-
>>chef , n'eſt plus propre pour cet effet , que de
>>rétablir en Pologne Pharmonie& la tranquillité
> qui y font troublées depuis ſi long-temps , & de
>>prendre unanimement à coeur les circonstances
>>préſentes. Ma très - gracieuſe Souveraine a déja
>>donné tant de preuves convaincantes de l'amitié
>fincere qu'Elle conferve pour la République , &
>>de l'intérêt ſenſible qu'Elle prend , tant au bien
>>de la Pologne en général , qu'à celui de chaque
>>P>olonois en particulier ,queje ne doute nulleque
>>ment que Votre Excellence ne foit tout-à-fair
>>p>erfuadée des ſentimens de S. M. Impériale. Je
>me flatte pareillement que Votre Excellence ſe
>fera un plaifir d'engager ſes compatriotes ani-
>>>més du point d'honneur & de l'amour qu'ils ont
>>pour leur Roi , à faire prévaloir le malheur de
>>ce Prince ſur des débats domestiques , & fur des
>>haines particulieres.. Lemoyen le plus für
>>de vous attirer l'approbation de S. M. Impériale,
>>eſt de gagner les bonnes graces du Roi votre
>>maître , & dedonner à ce Prince , ainſi qu'à la
>>République , des preuves incontestables de votre
zele & de votre attachement. >>>>
Le bruit court que le Roi & la République , à
l'exemple des autres Puiſſances de l'Europe , accorderont
inceſſamment le titre d'Impératrice à
cette Princeſſfe, à qui la Pologne n'a donné juſqu'à
préſent que celui d'Autocratrice. Alors le fieur
Wolkonskoy prendra le caractere d'Ambaſſadeur.
Ces jours derniers le Poſtillon chargé des lettres
de Cracovie , a été aſſaſſiné entre Rodoſzice &
Konskie. On a retrouvé ſa malle dans un endroit.
tres
qu'elle
contenenin
avoient
été
enlevés.
210
MERCURE
DE
FRANCE
écarté
du
grand
chemin,
mais
les
paquers
de
let-
DE
STOCKOLM
,
te
Is
Décembre
.
La
Suede
étant
garante
de
la
paix
de
Westphalice
,
Miniſtre
Plénipotentiaire
le
Comte
de
Goes
de
la
Saxe,
ont
Extraordinaire
de
celle
Barondackprès
avoir
réclamé
pour
cet
Electe
situation
de
Cou
Jonne.
Sa
Majesté
a
répondu
qu'elle
voyoit
avee
Plaifir
la
confiance
que
pondences
deux
Coue
qu'elle
pas
que
Phalie
qu'on
la
racters
aujours
diſpoſée
à
dre
Suede
avoit
counotoit
pas
les
obligate
Westtemplir
exactement
avant
de
prendre
Par
refolution
definitivais
qu'avanguition
Roi
Impératrice
Reine
fur
la
réquisition
par
le
diſpenſable
de
fe
de
Pologne
Electeur
de
Saxe
,
France
pour
douze
ans,
à
compter
du
12
Juillet
Cette
Cour
a
renouvellé
fon
Traité
avec
la
mees
Commiffaires
établis
par
les
Etats
du
royau
concerter
avec
la
Couronne
de
me
,
pour
inftruire
leétablis
par
les
Feurs
de
la
dere
niere
confpirative
le
procès
des
auteurs
Comte
de
Hardt
&
le
Baron
Eric
de
Wrangel
,
il
étoit
intête.
à
perdre
DE
VIENNE ,
le
18
Décembre.
naiſſance
de
l'Empereur
mois
Fannie
dans
la
qua
On
célébra
le8
de
ce
mois
l'anniverſaire
deua
ALLEMAGNE.
m
Pim
Sa
M
pectue
eng
JANVIER. 1757 . 211
rante-neuvieme année de ſon âge. S. M. Impériale
, après avoir entendu la meſſe à l'égliſe métropolitaine
, alloit ſe mettre à table pour dîner en
public , lorſqu'on annonça que l'Impératrice
Reine reflentoit quelques douleurs. Une heure
après cette Princeffe accoucha d'un cinquieme
Archiduc , qui fut baptifé le même jour à ſept
heures du foir par le ſieur Crivelli , Nonce du
Pape. Le jeune Prince a été tenu ſur les Fonts de
baptême par l'Archiduc Joſeph , & par l'Archiducheffe
Marie-Anne , au nom de l'Electeur & de
l'Electrice de Baviere , & il a été nommé Maximilien-
François -Xavier- Joſeph-Jean-Antoine-Vinceflas.
Il ſe porte , ainſi que l'Impératrice Reine ,
auſſi bienqu'on puiſſe le defirer.
Il ſe tient de fréquentes conférences à la Cour ,
pour régler les opérations de la campagne prochaine.
On prépare à l'arcenal un train confidérable
d'artillerie. Le neuf on fit partir pour la
Moravie un grand nombre de recrues. Les Knès
Galitzin& Perloſeski furent préſentés hier à l'Empereur.
Le Comte d'Aſpremont , Capitaine au
régimheenntt de Linden , aépousé une fille duComte
de Wolkenstein . Cette cérémonie s'est faite au
château de Wahringen , appartenant à la Comteſſe
de Vaſquez , d'où les nouveaux mariés partirent
le lendemain pour aller paſſer quelque temps
à la terre du Comte de Wolkenſtein , dans le
Tirol.. 1
Dès que les Etats de Tranfilvanie ont été informés
des actes d'hoſtilité du Roi de Pruffe contre
l'Impératrice Reine , ils ont réſolu de donner à
Sa Majesté des preuves de leur zele & de leur ref
pectueux attachement. En conséquence ils ſe ſont
engagés à fournir deux mille hommes de recrues
pour compléter les régimens d'infanterie Hon
212 MERCURE DE FRANCE.
groife. La Nobleffe & le Clergé , tant Catholique
que Luthérien , Réformé & Grec de la même
province , ont offert en même temps de lever &
d'entretenir à leurs dépens un régiment de cavalerie
, de quatre cens cinquante maîtres. Les ré
gimens Saxons; qui viennent de Pologne , ont
employé à leur marche toute la diligence poffible.
Celui des Cuiraſſiers du Prince Albert eſt déja entré
en Boheme. Il a pris ſes quartiers entre Hohenmault
& Konigſgratz .
DE GORLITZ , le 12 Décembre.
Sept ou huit cens hommes des troupes irrégus
lieres de l'Impératrice Reine pillerent il y a quel
ques jours pluſieurs villages . Auffitôt que lefieur
de Leſchevitz , qui commande à Zittau , en fut
averti , il fit marcher un détachement pour couper
la retraite aux Autrichiens. Les Pruſſiens ne purenty
réuffir. Les troupes de l'Impératrice Reine
s'étant partagées endeux corps , l'un fit face tandis
que l'autre ſe retira avecle butin. Celui qui foutint
le chocdesPruffiens , ne tint ferme qu'autant
detemps qu'il étoit néceſſaire pour mettre en fûrété
les effets enlevés. Il ſe diſperſa enſuite , & il
reprit par pelotons la route de Boheme .
Un corps de cinq mille Pruſſiens tenta hier de
ſurprendre le Bourg de Paſberg , ſitué à fix lieues
de Leitmeritz. Ils attaquerent avec une vigueur
extraordinaire ce poſte , qui fut défendu de même
par un bataillon du régiment de Harſch. Les Officiers
de ce bataillon ont montré autant d'habileté
que de valeur. L'action a duré ſept heares , & les
ennemis ſe ſont retirés après avoir perdu cinq cens
vingt-huit hommes. On leur a pris quatre canons.
Du côté des troupes de l'Impératrice Reine, il n'y
JANVIER. 1757 . 213
eu que quatre- vingt- trois hommes tués ou bleffés.
DE DRESDE , le 21 Décembre.
Depuis quelques jours le Roi de Prufſe a ordonnéde
prendre une note de tous les habitans de
cette ville , en état de porter les armes. Les artifans,
àl'exception des maçons , ne font pas compris
dans ce dénombrement.
On arrêta derniérement à la porte de cette ville
un courier qui venoit de Warſovie , & on lui ôta
des dépêches qu'il apportoit à la Reine. Sur les
plaintes que cette Princeſſe en a portées, le Baron
de Wyllich a répondu que S. M. Pruſſienne ne
vouloit plus permettre d'autre correſpondance entre
Dreſde & Warſovie , que celle de la poſte ordinaire.
DE FRANCFORT , leis Décembre.
Sur les Monitoires réitérés de l'Empereur , la
Régence s'eſt enfin déterminée à défendre formellement
toutes levées de ſoldats pour le ſervice
du Roi de Pruffe. Cette ville , pour n'avoir pas fatisfait
plutôt ſur cet article à la réquifition de
S. M. Impériale , & pour avoir différé de publier
les Reſcrits à l'occaſion de l'entrée des Pruffiens
dans la Saxe , a été condamnée à une amende .
:
ESPAGNE. 1
DE MADRID , le 21 Décembre.
Selon les avis reçus d'Algezire , l'Amiral Hawke
a fait enlever ſous le canonde cette Place un Bâtiment
Anglois , qu'un Armateur François y avoit
214 MERCURE DE FRANCE.
conduit. L'Officier Eſpagnol, qui commande dans
la ville , s'eſt oppoſé , autant qu'il étoit en fon
pouvoir, à cette violence. Il a fait tirer ſur les
Anglois , & il y en a eu près de cent cinquante
tués ou bleſſfés. Cependant ils n'ont pas laiſſé de
reprendre le Navire dont l'Armateur François s'étoit
rendu maître.
Les ſecouſſes de tremblemens de terre continuent
de ſe faire fentir en divers endroits du Portugal.
Sur la fin du mois dernier elles ont été trèsfréquentes
à Vireu. Ily en eut une violente le 28
àBarcellos. Depuis le 4juſqu'au 9 de ce mois , on
ena eſſuyé pluſieurs àCaſcaës, àCintra, à Colares
&àOcyras. Celle du 8 renverſa pluſieurs maiſons
àSezimbra.
GRANDE BRETAGNE.
DE LONDRES , le 28 Décembre.
Le 1s la Chambre des Communes accorda cinquante-
cinq mille Matelots pour le ſervice de la
Flotte Royale , en y comprenant onze mille quatre
cens dix-neuf Soldats de Marine. Elle réſolut
en même temps qu'il ſeroit alloué quatre livres
ſterlings par mois pour chaque homme, la dépenſe
de l'artillerie étant compriſe dans cet article. Le
17 elle décida qu'une taxe de quatre ſchelings par
livre ſterling , leroit levée ſur les terres.
Les ouvriers des mines de Redbrook , & les
charbonniers de la forêt de Déan , s'attrouperent
tumultueuſement ily a quinzejours ,, & pillerent
pluſieurs navires chargés de grains.
Le Baron Théodore de Neuhoff , qui après
avoir tant fait parler de lui , étoit preſque entiérement
oublié , vient de terminer ſes joursdans la
JANVIER. 1757 . 215
priſondu Fleet , où il a éprouvé , pendant les deux
dernieres années de ſa vie , la plus affreuſe mifere.
LaChambre des Communes accorda le 22 auRoi
douze cens treize mille ſept cens quarante-fix livres
ſterlings pour l'entretien de quarante - neuf mille
ſept cens quarante-neuf hommes de troupes de
terre , en y comprenant quatre mille huit invalides
; quatre cens vingt- trois mille neuf cens
ſoixante-trois livres ſterlings pour les garniſons de
Gibraltar & des Colonies de l'Amérique ; quarante-
ſept mille foixante pour les Officiers Généraux
, & pour l'Etat Major ; vingt-trois mille trois
cens trente - cinq pour les troupes Heſſoiſſes , &
quatre cens trente-trois mille vingt-cinq pour les
troupes Hanovériennes. Les troupes Heſſoiſſes
ont enfin quitté leur camp pour prendre les quartiers
d'hyver que le Parlement leur a aſſigné dans
les villes de Salisbury , de Winchester & de Southampton.
On ſe propoſe de lever inceſſamment
deux nouveaux régimens de Montagnards Ecoffois.
Lesnouvelles de l'Amérique continuentd'être
défagréables. On a appris que les Chiroquois ,
qui venoient de renouveller leur alliance avec les
Anglois , s'étoient ſaiſis par ſurpriſe d'un Fort
qu'ils avoient permis de conſtruire ſur leur terri
toire.
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c .
LE 13 Décembre , le Parlement qui avoit reçu
les ordres du Roi par M. le Marquis de Dreux ,
Grand Maître de Cérémonies , s'aſſembla pour
Je Lit de Justice , que Sa Majesté avoit réſolu
1
216 MERCURE DE FRANCE.
1
de tenir. M. de Lamoignon , Chancelier de France
, accompagné d'un grand nombre de Confeillers
d'Etat & de Maîtres des Requêtes , ſe
rendit au Palais. Les Maréchaux de France , s'y
rendirent en corps avec toute la Connétablie.
Vers les neuf heures & demie du matin , le Roi ,
qui avoit couché à la Meute , partit de ce Château,
ayant dans ſon carroſſe Monſeigneur le Dauphin,
leDuc d'Orléans , le Prince de Condé & le Comte
deClermont. Sa Majesté étoit accompagnée d'un
nombreux détachement de ſes Gardes du Corps ,
d'un détachement de cinquante Gendarmes de ſa
Garde , de pareils Détachemens de la Compagnie
des Chevaux- Legers , & des deux Compagnies
desMouſquetaires. Devant le carroſſe de SaMajeſté
étoitle vol du Cabinet. Le Roi arriva fur les
dix heures & un quart à la Sainte Chapelle ,
où les Maréchaux de France , les Chevaliers des
Ordres , les Gouverneurs & Lieutenans-Généraux
de Provinces , s'étoient aſſemblés pour l'attendre.
Le Prince de Conty & le Comte de la Marche
y avoient auſſi devancé Sa Majeſté. Elle monta
les degrés , précédée de ſa Cour , au fon des
Trompettes , Hautbois , Fifres & Tambours de
la Chambre. Deux Huiſſiers de la Chambre portoient
leurs Maſſes devant le Roi. L'Abbé de
Vichy-Chamron , Tréſorier de la Sainte Chapelle ,
la tête des Chanoines , préſenta au Roi la vraie
Croix à baifer , & le complimenta. Le Roi entendit
la Meffe , qui fut célébrée par l'Abbé
Châtelain , Chapelain de Sa Majesté , & pendant
laquelle on exécuta le Motet , Laudate Dominum
in Sanctis ejus , de la compoſition du ſieur Bréval ,
Maître de Muſique de la Sainte Chapelle. Lorſque
le Roi eut entendu la Meſſe , quatre Préſidens
&fix Conſeillers , députés par le Parlement , vinrent
JANVIER . 1757 . 217
rent recevoir Sa Majesté , & la conduifirent à
la Grand Chambre. Le Roi s'étant affis fur fon
Trône , & toutes les ſéances ayant été priſes en la
maniere accoutumée , dont on peut voir le détail
dans le Mereure du mois d'Octobre de l'année
derniere , Sa Majefté dit : Je viens vous apporter
mes volontés . Mon Chancelier vous les annoncera.
LeChancelier expliqua les intentions du Roi , &
les motifs qui avoient déterminé Sa Majesté à
tenir ſon Lit de Justice. Après que le Chancelier
eut ceſſé de parler , M. de Maupeou , premier
Préſident , parla au nom du Parlement. Le Chanceliermonta
enſuite vers le Roi , pour prendre ſes
ordres , un genou en terre. Remis en ſa place ,
affis& découvert , il fit ouvrir les portes , & il
ordonna au ſieur Dufranc , Secretaire de la Cour ,
faifant les fonctions de Greffier en Chef, de lire
deux Déclarations & un Edit. Cette lecture finie ,
Ies Gens du Roi , M. Joly-de Fleury , Premier
Avocat Général , portant la parole , donnerent
leurs conclufions. Le Chancelier prit les avis ,
& après qu'il en eut rendu compte au Roi , il
prononça l'enregiſtrement. Ce qui ayant été exécuté,
le Roi fortit dans le même ordre qu'il étoit
entré. Sa Majesté trouva , ainſi qu'à ſon arrivée ,
les deux Régimens des Gardes Françoiſes & Suifſes,
qui formoient une double haie dans les
rues, fur le Pont-Neuf, & fur les Quais , depuis
le Palais juſqu'à l'extrémité du Quai des Tuileries.
Partout , ſur le paſſage du Roi , le peuple
eſt accouru en foule, pourjouirde la préſence de
Sa Majeſté .
Les Pairs , qui ont aſſiſté à ce Lit de Juſtice,
ſont l'Evêque Duc de Laon , les Ducs d'Uzés ,
de Luines , deBriffac , Maréchal Ducde Richelieu ,
de la Force , de Rohan , de Luxembourg, de Ville-
II. Vol. K
218 MERCURE DE FRANCE .
roy , de Saint-Aignan , Maréchal Ducde Noailles ,
de Fitz - James , d'Antin , de Chaulnes , de Rohan-
Soubize , de Villars- Brancas , de Lauraguais , de
Biron , de la Valliere , de Fleury , Maréchal
Duc de Belle-Ifle. Les Maréchaux de Coigny ,
deBalincourt & de Clermont-Tonnerre , y ont
eu ſéance , étant entrés avec le Roi.
Voici les deux Déclarations , dont l'enrégiftrement
a été ordonné dans le Lit de Juftice.
Premiere Déclaration .
Louis , par la grace de Dieu , Roi de France &
deNavare: A tous ceux qui ces préſentes lettres
verront , Salut. Nous nous ſommes propoſé dans
tous les temps , de faire ceſſer les troubles qui
ſe ſont élevés dans notre Royaume , à l'occaſion
de la Conſtitution Unigenitus , en employant également
notre autorité à lui faire rendre le ref
pect & la ſoumiſſion qui lui ſont dûs , & à empêcher
l'abus qu'on en voudroit faire , en lui attribuant
un caractere & des effets qu'elle ne peut
avoir par ſa nature. Il nous a paru ſurtout , qu'il
étoit important de preſcrire un filence abfolu fur
des queſtions qui ne peuvent tendre qu'à troubler
la tranquillité publique. Nous avons eu la fatisfaction
de voir Notre Saint Fere le Pape , en rendant
juſtice à notre amour pour la Religion , donner
ſes éloges aux vues qui nous ont conduit pour
faire rendre à l'autorité de l'Egliſe l'obéiſſance
qui lui eſt dûe , entretenir la paix , & réprimer
ceux qui cherchent à la troubler ; & nous avons
reçu avec reconnoiſſance les témoignages que la
bonté paternelle de ce faint Pontife, qui remplit
dignement la chaire de faint Pierre, nous en
a donnés par les lettres qu'il nous a adreflés,
JANVIER. 1757. 219
Animés du même eſprit & du deſir de confommer
un ouvrage fi néceſſaire au bien de notre
Etat, nous avons cru devoir encore, en maintenant
l'exécution des loix précédemment rendues , ſtatuer
ſur différens points qui ont donné lieu à
de nouvelles conteſtations , & abolir en même
temps tout ce qui s'eſt fait de part & d'autre
à l'occaſion de ces diſputes , pour en effacer ,
s'il eſt poſſible , juſqu'au ſouvenir. Aces cauſes ,
&autres à ce nous mouvant,del'avis de notre Conſeil
, de notre certaine ſcience , pleine puiſſance
& autorité royale , Nous avons dit , déclaré &
ordonné , & par ces Préſentes fignées de notre
main , difons , déclarons& ordonnons , voulons&
Nous plaît :
ART. I. Que les Lettres Patentes & Déclarations
données , tant par le feu Roi notre très-honoré
Seigneur &Bifaïeul , que par nous , & régiſtrées
ennos Cours au ſujet de la Conſtitution Unigenisus
, ſoient exécutées ſelon leur forme & teneur ;
&qu'en conféquence , tous nos ſujets ayent pour
laditeConſtitution le reſpect & la ſoumiſſion qui
lui ſont dûs ; ſans néanmoins qu'on puiſſe lui
attribuer la dénomination, le caractere, ni les effets
deReglede Foi.
II . N'entendons que le filence abſolu preſcrit
par nofdites Déclarations , & que nous voulons
être inviolablement obſervé , puiſſe préjudicier
au droit qu'ont les Archevêques & Evêques , d'enſeigner
les Eccléſiaſtiques & les peuples confiés
àleurs foins. Exhortons & néanmoins enjoignons
auxdits Archevêques & Evêques , de ſe renfermer ,
pour l'exercice de leurs fonctions , dans les bornes
de la charité & de la modération chrétienne , &
d'éviter tout ce qui pourroit troubler la tranquillité
publique. :
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
:

III . L'article XXXIV de l'Edit du mois d'Avril
1695 ſera exécuté ſelon ſa forme & teneur ; &
en conféquence , toutes cauſes & actions civiles ,
concernant l'adminiſtration & le refus des Sacremens
, feront portées devant les Juges d'Eglife ,
excluſivement àtous Juges & Tribunaux ſéculiers ,
auxquels nous enjoignons de leur en faire le renvoi,
fauf & fans préjudice de l'appel comme d'abus.
Et à l'égard des plaintes & pourſuites criminelles
en cette matiere , elles ſeront portées , tant devant
nos Juges ayant la connoiffance des cas royaux ,
&par appel en nos Cours , que devant les Juges
d'Eglife , chacun en ce qui les concerne & eft
de leur compétence ; ſçavoir , pardevant nos
Juges pour raiſon du cas privilégié , & pardevant
les Juges d'Egliſe pour le délit commun , le tout
conformément aux Ordonnances ; ſans néanmoins
que nos cours & Juges puiſſent ordonner , en
-quelque maniere & ſous quelque expreſſion que
ce foit, que les Sacremens feront adminiſtres ;
fauf à nofdites Cours & Juges à prononcer telle
peine qu'il appartiendra , contre ceux qui ſe ſeroient
rendus coupables , lors de l'adminiftration
ou du refus des Sacremens.
IV. Ne pourront néanmoins les Curés & autres
Eccléſiaſtiques , chargés de l'adininiſtration des
Sacremens , être pourſuivis pour raiſon des refus
de Sacremens par eux faits à ceux contre lefquels
il ſubſiſteroit des condamnations & cenfures
juridiquement & perſonnellement prononcées
contre eux , & actuellement exécutoires pour
leur déſobéiſſance à l'autorité & aux déciſions
de l'Eglife , & notamment à la Conftitution
Unigenitus ; ou à ceux qui dans le tems même
qu'ils demanderoient à être admis à la participationdes
Sacremens , auroient fait connoître d'eux
JANVIER. 17.57 . 221
mêmes publiquement leur déſobéiſſance à ladite
Conſtitution. Exhortons & néanmoins enjoignons
aux Archevêques & Evêques , de veiller à ce que
leſdits Curés & autres Prêtres ne faſſent à ceux
à qui ils adminiſtreront les Sacremens , aucunes
interrogations indiſcretes qui puiſſent tendre à
troubler la paix..
Et voulons que tout ce qui s'eſt fait à l'occaſion
des derniers troubles, ſoit enſeveli dans l'oubli ;
ordonnons que le tout ſoit réputé & demeure comme
non avenu. Voulons pareillement que toutes
pourſuites , décrets & procédures qui pourroient
avoir été faits , & tous Arrêts , Sentences ou
Jugemens , qui pourroient avoir été rendus au
même ſujet , demeurent ſans aucune ſuite & fans
aucun effet ; & , en conféquence , que ceux contre
leſquels leſdites procédures auroient été faites ,
&leſdits Arrêts , Sentences ou Jugemens rendus ,
rentrent , en vertu des préſentes , en leur état &
fonctions. Si donnons en Mandement à nos amés
&féaux Conſeillers les Gens tenant notre Cour de
Parlement à Paris , que ces préſentes ils ayent à
faire lire, publier & enregistrer , & le contenu
en icelles garder & obſerver de point en point, ſelon
leur forme & teneur : Car tel eſt notre plaifir.
En temoin de quoi nous avons fait mettre notre
ſcel à ceſdites préſentes. Donné à Verſailles le
dixieme jour de Décembre , l'an de grace mil
ſept cent cinquante- fix , &de notre regne le quarante-
deuxieme. Signé Louis . Et plus bas. Par le
Roi . M. P. de Voyer d'Argenſon. Et ſcellé du grand
ſceaude cirejaune.
:
ce,
Lue&publiée , le Roi ſéant enfon Lit de Juſti-
& régistrée , oui , & ce requérantle Procureur
Général du Roi , pour être exécutée selonsa
forme & teneur ; & copies collationnées d'icelle en-
Kiij
222 MERCURE DE FRANCE.
voyées aux Baillages & Sénéchauſſées du réſſort
pour y être pareillement lue , publiée & enregistrée:
Enjoint aux Substituts defon ProcureurGénéral d'y
tenir la main , & d'en certifier la Cour dans un
mois.A Paris , en Parlement , le Roi tenant ſon
Son Lit de Justice , le treize Décembre milfept cent
cinquante-fix. Signé Dufranc.
Seconde Déclaration du Roi , pour la Discipline du
Parlement.
Louis , &c. la réduction que nous avons ordonnée
du nombre des Officiers de notre Parlement
de Paris , en nous procurant l'avantage de
choiſir parmi ceux qui ſe préſenteront pour y entrer
, les Sujets qui nous paroîtront les plus propres
à remplir les fonctions de la Magistrature , ne
fera qu'aſſurer de plus en plus l'adminiſtration la
plus exacte de la Juſtice dans ce Tribunal : mais
ayant reconnu que le défaut de la diſcipline qui
s'obſerve dans l'intérieur de cette Compagnie , en
ce qui concerne fingulièrement les matieres d'ordre
public , nuit le plus ſouvent à l'expédition des
affaires qui y font relatives , ſoit en confondant
les objets qui peuvent ou qui doivent être traités
dans l'affemblée des Chambres , ſoit en multis
pliant ces affemblées , au préjudice de l'expéditiondes
affaires des particuliers ; nous avons en
même temps conſidéré que ſi la nature des affaires
ordinaires a exigé que la décifion n'en fût confiée
qu'à des Magiſtrats d'un expérience reconnue ,
ces mêmes conſidérations devenoient encore plus
effentielles & plus néceſſaires pour les affaires
d'un ordre ſupérieur , qui ne ſe déliberent que
dans les Chambres aſſemblées , & que le poids &
la dignité des délibérations qui doivent s'y prendre
, demandoient que les nouveaux Magistrats ne
1
JANVIER. 1757 . 223
puſſent déſormais y être admis , qu'après s'être
formés par le ſervice d'un certain nombre d'années;
nous avons donc jugé que l'admiffion à l'affemblée
des Chambres , la convocation de ces afſemblées
& la diſcuſſion des matieres qui y font
porrées, doivent être ſoumiſes à des regles ,& nous
ne pouvons mieux veiller à leur obſervation , qu'en
nous repoſant du ſoin d'une partie de ces objets ,
fur lesperſonnes mêmes de notre Parlement , dont
la maturité , la capacité & l'expérience , ſont propres
à leur concilier la vénération de nos peuples ,
&à leur mériter notre confiance & la leur. C'eſt
parune ſuite de cette même confiance , que nous
ferons toujours diſpoſés à écouter favorablement
les remontrances que le zele de notre Parlement
pour le bien de notre Etat pourra lui inſpirer :
mais ſi l'uſagede ces remontrances n'étoit lui-même
réglé par la prudence & le reſpect pour nos
ordres , il dégénéreroit dans un abus contraire à
notre autorité. Le droit législatif qui réſide en notre
Couronne ſeule , ne s'étend pas moins fur les
Magiſtrats que fur les peuples auxquels nous les
avons chargés de rendre la juſtice en notre nom ;
&le premier de leurs devoirs eſt de donner à nos
Sujets l'exemplede la ſoumiſſion & de l'obéifſance.
A ces caufes , & autres à ce nous mouvant , de
l'avis de notre Conſeil , &de notre certaine ſcience
pleine puiſſance & autorité royale , nous
avons dit , déclaré & ordonné , & par ces préſentes
ſignées de notre main , diſons , déclarons &
ordonnons , voulons & nous plaît ce qui fuit :
1
ART. I. Tout ce qui concerne la policegénérale
dans les matieres civiles ou eccléſiaſtiques , ſera&
demeurera ſpécialement attribué àlaGrand Chambre
de notre Parlement , qui ſeule en pourra
connoître , foit par appel ſimple ou comme d'a
Kiv
224 MERCURE DE FRANCE.
bus , ſoit en premiere inſtance , ſans que fous
aucun prétexte , les Officiers des Chambres des
Enquêtes & Requêtesde notredit Parlement puiffent
en prendre connoiſſance , ſi ce n'eſt dans les
cas où l'aſſemblée des Chambres auroit été jugée
néceſſaire , ainſi qu'il fera dit ci-après ; n'entendons
néanmoins empêcher que les appels comme
d'abus incident aux procès qui ſeroient pendans
en l'une des trois Chambres des Enquêtes , ne
puiffent y être jugés en la maniere accoutumée.
II. Pour lejugement des cauſes & matieres énoncées
dans Particle précédent , tous les Préſidens
de notre Parlement , & les Conſeillers ayant ſéance
en la Grand Chambre pourront y aſſiſter , encore
qu'aucuns d'eux fufſent de ſervice en laChambre
de la Tournelle , & généralement tous ceux
qui ont le droit de ſiéger en la Grand Chambre .
III. Les Chambres ne pourront être affemblées
pour le jugement deſdites cauſes & matieres ,
qu'au préalable le Premier Préſident , ou celui
qui, en fon abſence , préſidera la Compagnie ,
n'ait été inſtruit des motifs pour leſquels fera demandée
ladite aſſemblée , & des objets ſur lefquels
on ſe propoſe de délibérer.
IV. Le Premier Préſident , ou celui qui , en fon
abfence , préſidera , communiquera aux Préſidens
du Parlement & à la Grand Chambre aſſemblée ,
la demande qui lui ſera faite de l'aſſemblée des
Chambres & les motifs d'icelle , pour , fur le
tout , être par toute ladite Chambre délibéré s'il,
y a lieu à afſembler les Chambres ; & dans le cas
où à la pluralité des ſuffrages il auroſt été arrêté
d'aſſembler leſdites Chambres , il y fera procédé
en la forme ordinaire & accoutumée.
V. Dans le cas où il auroit été délibéré qu'il n'y a
lieu à affembler les Chambres , défendons à tous
:
JANVIER. 1757 . 225
&chacun des Officiers des Enquêtes & Requêtes ,
de venir prendre place, en la Grand Chambre , &
de troubler & interrompre les audiences & fervices
ordinaires; le tout à peine de deſobéiſſance ,
même de privation d'office .
VI. Ne pourront dans aucun cas être faites aucu
nes dénonciations à notre Parlement que par le
miniſtere de notre Procureur général , ſauf néanmoins
à ceux qui ſeroient inſtruits de quelques
faits qu'ils regarderoient comme ſujets à dénonciation
, d'en informer le Premier Préſident , ou
celui qui , en ſon abſence , préſidera , pour ,
ſur lecomptequ'il en rendra en la Grand Chambre
, être enjoint au Procureur général de faire
laditedénonciation , s'il y a lieu , ſans même que,
fous prétexte d'aſſemblée pour la réception d'aucuns
officiers ayant féance en ladite Cour , il puifſe
en être ufé autrement.
VII. La délibération preſcrite par l'article IV,
de notre préſente déclaration , pour déterminer
par ladite Grand Chambre aſſemblée les cas ef
quels il conviendra d'aſſembler lesChambres, aura
lieu en toute matiere , ſauf néanmoins à l'égard
de nos ordonnances , édits , déclarations ou lettres
patentes concernant l'adminiſtration général
de lajustice , les impoſitions nouvelles , les créa
tions de rentes & d'office , à l'enregiſtrement dcfquelles
il ne pourra être procédé qu'aux Chambres
aſſemblées , comme par le paffé .
,
1
VIII. En procédant à l'enregiſtrement deſdite,s
ordonnances , édits , déclarations ou lettres pas
tentes pourra notredite Cour de Parlement arrêter
qu'il nous ſoit fait telles remontrances& repréſentations
qu'elle eftimera convenables au bien
de notre ſervice & à l'intérêt public.
Kv
1
226 MERCURE DE FRANCE.
IX. Notredite Cour de Parlement fera tenue
de vaquer à la confection deſdites remontrances
ou repréſentations , auffi-tôt qu'elles auront été
arrêtées , en forte qu'elles puiſſent nous être préſentées
dans la quinzaine , au plus tard , du jour
que leſdites ordonnances , édits , déclarations ou
lettres patentes auront été remiſes à ladite Cour
par nos Avocats & Procureur généraux , lequel
delà ne pourra être prorogé ſans notre congé &
permiſſion ſpéciale .
X. Lorſqu'il nous aura plu de répondre auxdites
remontrances ou repréſentations , notre Parlement
ſera tenu d'enregiſtrer dans le lendemain du
jour de notre réponſe leſdites ordonnances ,
édits , déclarations ou lettres patentes , ſaufà notredite
Cour , après ledit enregistrement , à nous
repréſenter ce qu'elle aviſera bon étre ſur l'exécution
d'icelles , pour y être par nous pourvu ainſi
que nous le jugerons à propos , fans néanmoins
que leſdites repréſentations puiſſent ſuſpendre l'éxécution
de noſdites ordonnances , édits , déclarations
ou lettres patentes , juſqu'à ce que nous
ayons de nouveau expliqué nos intentions.
XI . Faute par notre Cour de Parlement de procéder
àl'enregistrement preſcrit par l'article précédent
deſdites ordonnances , édits , déclarations
ou lettres patentes , dans le jour qui ſuivra celui
de la réponſe que nous aurons faite à ces remontrances
ou répréſentations , voulons & ordonnons
que nofdites ordonnances , édits , déclarations
ou lettres patentes forent tenues pour publiées &
enregiſtrées , qu'elles foient gardées & obfervées ,
&qu'elles foient envoyées par notre Procureur
général aux Bailliages , Sénéchauffées & Sieges
du reffort , pour y être pareillement gardées &
obſervées.
JANVIER . 1757. 227
XII . Les Conſeillers en notre Cour de Parlement
, foit clercs ou lais , qui y feront reçus à
Pavenir , à compter du jour de l'enrégiftrementde
notre prétente déclaration , ne pourront
avoir entrée , ſéance & voix délibérative en l'afſemblée
des Chambres dudit Parlement , qu'après
qu'ils auront ſervi dix ans dans ladite Compagnie
à compter du jour de leurs réceptions , dont fera
fait mention expreſſe dans les provifions qu'ils
obtiendront deſdits offices : exceptons néanmoins
les aſſemblées qui fe tiennent pour la lecture des
ordonnances , pour les mercuriales & la réception
des officiers , en ce qui concerne ſeulement
l'objet ordinaire de la lecture deſdites ordonnances
, deſdites mercuriales & réceptions des Officiers
ayant féance audit Parlement.
XIII. Voulons pareillement qu'il ne foit accordé
aucunes lettres de diſpenſe , ſous quelque prétexte
que ce puiſſe être , à l'effet de donner voix
délibérative avant l'âge de vingt- cinq ans ; n'entendons
néanmoins abroger l'uſage dans lequel eft
notredit Parlement de Paris de compter la voix
des Rapporteurs dans les affaires dont ils font le
-rapport , encore qu'ils n'ayent pas l'âge de vingt
cinq ans.
XIV. Faiſons très- expreſſes inhibitions & défentes
à tous & chacun des officiers de notredite
Cour de Parlement de Paris , de ceffer , fufpendre
ou interrompre , pour quelque caufe&fous
quelque prétexte que ce ſoit , leurs fonctions &
le ſervice ordinaire & accoutumé , auquel ils ſont
obligés , tant envers nous qu'envers nos ſujets ,
ni de former ou propoſer ſous aucun prétexte ,
aucune délibération contraire au préſent article
fous peine de deſobéiſſance & de privation de
leurs offices.
,
!
Kvj
228 MERCURE DE FRANCE .
XV. Ordonnons que tout le contenu en la préſente
déclaration , ſoit à toujours gardé & obfervé
dans notredite Cour de Parlement. Défendons
au Premier Préſident & aux autres Préfidens de
notre Parlement , de permettre aucune aſſemblée
ou déliberation à ce ſujet , d'y préſider , même
d'y affifter , à peine de deſobéiffance ; déclarons
nulles toute affemblée & délibération contraires à
la préſente diſpoſition. Si donnons en Mandement
à nos amés & féaux Conſeillers lesGens tenant
notre Cour de Parlement à Paris , que ces
préſentes ils aient à faire lire & régiftrer , & le
contenu en icelles garder & obſerver ſelon leur
forme & teneur : Car tel eſt notreplaiſir. En témoin
de quoi nous avons fait mettre notre ſcel à ceſdites
préſentes. Donné à Verſailles le dixieme jour de
Décembre , l'an de grace mil ſept cent cinquantefix
, & de notre regne le quarante-deuxieme. Signé
Louis. Et plus bas , par le Roi , M. P. de Voyer,
d'Argenſon. Et ſcellé du grandſceau de cirejaune.
Lue & publiée , le Roi ſéant enſon Lit dejustice
, & régistrée , oui , & ce requérant le Procureur
général du Roi , pour être exécutée selonſaforme
teneur. A Paris , en Parlement , le Roi tenant
fon Lit de Justice , le treize Décembre milſept cent
cinquante-fix. Signé Dufranc.
Nous donnerons l'Edit , portant fuppref
fion de deux Chambres des Enquêtes ,
dans le Mercure prochain.
Le premier jour de l'an les Princes & lesPrinceſſes,
ainſi que les Seigneurs & Dames de la
Cour , eurent l'honneur de complimenter le Roi
fur la nouvelle année.
Les Chevaliers , Commandeurs & Officiers de
P'Ordre du Saint Efprit , s'étant aſſemblés, vers
JANVIER 1757 229
les onze heures du matin, dans le cabinet du Roi,
SaMajesté tint un Chapure. Conformément à une
déciſion de Louis XIV , qui a réglé que les preuves
du Chancelier des Ordres ſeroient examinées
pardeux Chevaliers , le Duc de Villeroy &le Marquisde
Beringhen avoient été nommés Commiffaires
pour l'examen de celles du Comte de Saint-
Florentin, qui a été pourvu de cette charge. Elles
furent admiſes. Le Roi nomma Chevaliers de ſes
Ordres le Prince de Beauvau , Maréchal de ſes,
Camps &Armées ; le Marquis de Gontaut , Lieutenant-
Général, le Comte de Maillebois , auffi
Lieutenant-Général ; le Marquis de Bethune ,
Maréchal de Camp , Meftre de Camp Général de
la Cavalerie; le Marquis d'Aubeterre , Maréchal
de Camp , Ambaſſadeur du Roi auprès de SaMajeſté
Catholique; le Marquis d'Oſſun , Brigadier
de Cavalerie , Ambaſſadeur de Sa Majefté auprès
du Roi des deux Siciles , & le Comte de Broglie ,
Brigadier d'Infanterie , Ambaſſadeur auprès du
Roi de Pologne , Electeur de Saxe. Le Comte de
Baſchi , dont les preuves , ainſi que l'information,
des vie & moeurs , & la profeſſion de foi , avoient
été admiſes dans le Chapitre du premier Février de
P'annéederniere , fut introduit, en habit de novice,
dans lecabinet du Roi , & reçu Chevalier de l'Or--
dre de Saint Michel. Le Roi fortit enſuite de fon
appartement pour aller à la chapelle. Sa Majesté,
devant laquelle ſes deux Huiſſiers de la Chambre
portoient leurs maſſes , étoit en manteau , le collier
de l'Ordre par deſſus , ainſi que celui de l'Ordre
de la Toiſon d'Or. Elle étoit précédée de
Monſeigneur le Dauphin , du Duc d'Orléans , dn
Prince de Condé , du Comte de Clermont , da
Prince de Conty , du Comte de la Marche , du
Comte d'Eu , du Duc de Penthievre , & des Che
230 MERCURE DE FRANCE.
valiers , Commandeurs & Officiers de l'Ordre.
Le nouveau Chevalier marchoit entre les Chevahers
& les Officiers. La grand Meſſe ayant été
célébrée par le Prince Conſtantin , Evêque de
Strasbourg , Premier Aumônier du Roi , & Prélat
Commandeur de l'Ordre du Saint Eſprit , le Roi
monta à ſon trône , & revêtit des marques de
l'Ordre le Comte de Baſchi , qui eut pour parreins
le Maréchal de Clermont Tonnerre & le Marquis
de Beringhen. Lorſque cette cérémonie fur'
finie , Sa Majesté fut reconduite à fon appartement
en la maniere accoutumée.
Le Roi a admis dans ſon Conſeil d'Etat M.
l'Abbé Comte de Bernis , nommé Ambaſſadeur
près de Leurs Majeftés Impériales.
Les Janvier , à cinq heures trois quarts du foir,
le Roi fortit de chez Meſdames de France pour
monter dans ſon carroffe , & ſe rendre àTrianon .
Un malheureux trouva alors le moyen d'approcher
Sa Majesté au milieu de ſa garde , fans être apperçu
. Il étoit armé d'un couteau à deux lames
dont l'une étoit une lame ordinaire ; Pautre avoit
la forme d'un canif, & étoit large de cinq à fix
lignes , & longue d'environ quatre pouces. C'eſt
avec la derniere lame que le coup a été porté. Il
est tombé fur la partie latérale inférieure & un peu
poſtérieure de la poitrine ; c'est-à dire , entre la
quatrieme& la cinquieme des côtes inférieures du
côté droit. Le coup a été dirigé de bas en haut ,
&apénétré environ quatre travers de doigt. Le
Roi, en le recevant, crut ſeulement qu'il étoit frappé
d'un coup de poing. Il fentit enſuite un peu de
chaleur , & il ne s'apperçut qu'il étoit bleffe , que
par l'effuſion du ſang. Sa majesté fut faignée à fix
heures un quart ; & quoique cette ſaignée eût
produitun grand foulagement , on la réitéra qua
JANVIER. 1717. 231
tre heures après , pour plus grande fûreté. Sa Majeſté
, quoiqu'Elle ait peu dormi , a paffé la nuit
aflez tranquillement. Il eſt ſurvenu ce matin une
légere moteur , après un ſommeil d'une heure.
On a levé l'appareil à dix heures ; on a trouvé le
gonflement confidérablement diminué ; & au
moment qu'on écrit ce détail , Sa Majesté eſt auſſi
bien qu'Elle puiſſe être dans une telle circonſtance.
Tout juſqu'à preſent paroît indiquer que le coup
n'a pas pénétré dans la poitrine. On a arrêté ſur
le champ l'aſſaſſin , & on travaille à inſtruire ſon
procès.
Le Saint Sacrement a été expoſé dans toutes les
égliſes de Verſailles , & M. le Comte de Saint-
Florentin a écrit , par l'ordre du Roi , à l'Archevêque
de Paris , pour qu'on fit des prieres publiques
, afin d'obtenir de Dieu la prompte guériſon
de Sa Majeſté . ( 1 )
On mande de Dunkerque , que le Corſaire
le Prince de Soubize , commandé par le Capitaine
Canon , eſt rentré en ce Port , & qu'il
s'eft rendu maître des Navires Anglois la Marguerite
, de Leith , & les Deux Freres , de Yarmouth
, de 150 tonneaux chacun chargés , le
premier de plomb en ſaumon ,l'autre de fer &
de planches.
2
Le Capitaine Dumont , commandant le Hardi
Mendiant , autre Corſaire de Dunkerque , y a fait
conduire le Navire Anglois la Marie de Banff
de so tonneaux , dont la cargaiſon confifte en
208 tonnes de ſaumon. Il s'eſt auffi emparé du
Navire Anglois la Sara , de Berwick , de 100
tonneaux armé de 4 canons , & chargé de 560
tonnes de ſaumons.
(1) Elle est heureuſement rétablie , &la joyea
Succédé aux plus vives allarmes.
1
232 MERCURE DE FRANCE.
Le Corfaire la Favorite , du Havre , Capitaine
Mouchel , y a fait conduire le Navire Anglois
le Tobie , chargé de vin de Malaga ; & il eſt
entré à Cherbourg avec un autre Bâtiment Anglais,
de 130 tonneaux , ayant un chargement
compofé de vin , d'huile & de raiſins ſecs.
Un autre Corfaire de Dunkerque , appellé le
Comte de Saint-Germain , y a conduit le Brigantin
Anglois l'Unité, de Yarmouth , de 90 tonneaux
, armé de 4 canons , & dont la cargaifon
conſiſte engrains.
LeCapitaine Dupont , commandant le Corſaire
le Danger , de Boulogne , qui a repris ſur les
Anglois le Corſaire l'Intrépide , de Nantes , a pris ,
& a conduit à Quimper le Paquebot le Dieppe ,
de Londres , chargé d'oranges , de citrons , de
grenades & de limons.
Il eſt arrivé à Bayonne un Brigantin Anglois ,
appellé l'Aventure , de Poole , de 80 tonneaux ,
chargé de morue & d'huile , qui a été pris par
le Corfaite l'Amiral , dont eſt Capitaine M. Jean
Samfon.
Le Corſaire l'Aigle de Marseille , y a fait conduire
les Navires te Dolly , de 120 tonneaux
chargé de raiſins fecs , & le Sally , de Gibraltar
dont la cargaifon confifte en bifcuit , en vin &
autres provicons ; & le Berton & le John ,
autres Bâtimens Anglois chargés de morue & de
fardines , ont été pris & conduits en ce Port
par le Capitaine Louis-Augustin Icard qui commande
le Navire la Marie
Le Corfaire le Duc d'Aumont , de Boulogne ,
dont eſt Capitaine Louis Libert fils , s'eft rendu
maître du Navire Anglois le Saint-Michel , de
300 tonneaux , armé de 16 canons , & charge
de raiſins de Corinthe , & l'a fait conduire à
Dieppe.
-1
JANVIER. 1757. 233
MARIAGE ET MORTS.
L
Louis -Joſeph-Timoléon de Coffe, Comte de
Briffac , épouſa le 30 Août 1756 , Demoiselle
Marie Gabrielle Félicité Molé, fille deMeſſire Marthieu
-François Molé , Préſident du Parlement , &
deDameBonne- Félicité Bernard. La Bénédiction
Nuptiale leur a été donnée dans l'Egliſe Paroiffiale
de S. Sulpice à Paris , par l'Evêque de Condom.
Leur Contrat de Mariage avoit été ſigné le 22,
du même mois par Leurs Majestés. Le Comte
de Briffac eft fils de Jean-Paul- Timoléon de
Coffé , Duc de Briffac, Pair de France, Chevalier
des Ordres du Roi , Lieutenant-Général des
Armées de Sa Majesté , & Grand Panmetier de
France ; & de feue Marie-Joſephe Durey - de
Sauroy.
Meffire Henri-Theodore de la Pierre , Marquis
de Boufies , Pair de Cambreſis , mourut au
Château de Boufies , près Landrecies, le 18 Juillet
1756 , âgé de 70 ans .
Dame Edmée- Charlotte de Brenne-de Bombon
ei-devant Dame du Palais de la Reine , épouſe
de Marie-Thomas-Auguste de Goyon , Marquis
de Matignon , Chevalier des Ordres du Roi , &
Brigadier de Cavalerie , eſt morte à Orly , près
de Choisy le 24 Juillet , âgée de 56 ans.
Marguerite- Pauline Prondre , épouſe de Gafpard,
Comte de Clermont-Tonnerre , Maréchal de
France , Chevalier des Ordres du Roi , mourut
à Paris le 29 Juillet , dans la 60e annéede fon
âge.
Meffire Georges-Albert- François de la Verdure-
de Gavielle, Abbé de l'Abbaye d'Humblières ,
--
!
234 MERCURE DE FRANCE.
Dioceſe de Noyon , & Prévôt honoraire de l'Egliſe
Métropolitaine de Cambray , eſt mort à
Cambray le 29 Juillet .
Dame Charlotte - Anne-Marie de S. Perrier de
Bandeville , Epouſe de Meſſire Henri de Sabrevois
, Maréchal des Camps & Armées du Roi , &
Directeur en Chef du Corps Royal de l'Artillerie&
du Génie , au Département Général d'Alface,
de Bourgogne & de Franche- Comté , eſt
morte le 9 Août à ſa Terre de Corbereuſe , près
de Dourdan en Beauffe , dans ſa s7e. année .
Frere Ange de Ricard , Bailli , Grand-Croix
de l'Ordre de S. Jean de Jerufalem , & Commandeur
de la Commanderie de la Villedieu ,
mourut à Paris le 17 Août, âgé de 86 ans.
Anne-Joſephe de Chabannes , fille de Gilbert
de Chabannes , Comte de Pionzac , Maréchal
des Camps & Armées du Roi , & Gouverneur
d'Oleron , & d'Anne-Françoiſe de Lutzelbourg ,
&veuve du 29 Août 1754 de Claude de la
Quzille , Comte de Ronchevol-Pramenou , mourut
à Clermont en Auvergne le 29 , âgée de 66
ans. Elle ne laiſſe qu'une fille unique Gilberte
de la Queille ; mariée en 1733 à Gilbert-Allire ,
Comte de Langheac , Brigadier des Armées du
Roi .
On écrit de Mahon que Meſſire Hyacinte de
Portalis , ci -devant Capitaine au Regiment de
Ponthieu , Commiſſaire des Guerres , ayant la
Police des quatre Hôpitaux établis à Mahon par
les ordres de M. le Maréchal Duc de Richelieu ,
pour les Officiers & foldats malades & bleffés ,
eſt mort à Mahon au mois d'Août dernier , univerſellement
regretté , âgé de 29 ans . Il étoit fils
de Meffire Hyacinte de Portalis , Chevalier de
l'Ordre de S. Louis , Commiſſaire des Guerres
JANVIER. 1757 . 235
duDépartement de Toulon. Son zele infatigable
pour le foulagement de plus de douze cens
malades & bleſſés ne lui donnoit aucun relâche.
Il étoit aux hôpitaux & aux dépôts des tranchées
à toutes les heures du jour & de la nuit; il
aſſiſtoit aux panfemens & à toutes les diſtributions.
On ajoute qu'il ſe tranſporta partout , ſous
les yeux de M. le Maréchal & de toute l'Armée ,
dans la nuit de l'attaque générale des Forts de
Minorque , pour faire tranſporter aux hôpitaux
tous les Officiers & foldats bleſſés , s'expoſant
généreuſement aux bombes & boulets des affiégés
; & que tant de ſoins &de ſecours efficaces
lui avoient mérité de la part des foldats , leglorieux
titre de leur pere. Ils furent ſi affligés de
ſa mort , qu'ils fortirent en foule des hôpitaux ,
pour honorer ſa ſépulture de leurs regrets &de
leurs larmes.
AVIS.
C'EST ſouvent par les degrés des plus grandes
fautes , que les Inventeurs montent à la plus haute
perfection; car toute leur étude dans la recherche
des fecrets de la nature , leur font connoître
combien l'ignorance naturelle des hommes les
en éloignent , & avec toutes leurs peines &travail
, ils ont cependant beſoin encore de ſçavoir
ce que le publicjuge de leurs premiers ouvrages
, pour y corriger & y perfectionner ce qui
demande de nouveaux ſoins , & par une application
conftante, &une patience laborieuſe , le
Sieur Rochefort , Maître Perruquier , inventeur
des Têtes artificielles , dont il a été fait mention
dans le Mercure du mois d'Octobre 1755
a tellement perfectionné ces Têtes depuis peu
.
236 MERCURE DE FRANCE .
au point de la plus grande juſteſſe , qu'il monté
actuellement toutes fortes de Perruques avec une
préciſion Mathématique , fuivant les différens
goûts particuliers ; enforte qu'elles prennent naturellement
d'elles-mêmes le tour du viſage fans:
avoir beſoin de boucles , de cordons, de refforts ,
ni même de l'accommodage pour être affſujetties
à coller , & les cheveux ſemblent avoir pris racine.
On ne repétera point l'éloge de l'approbation
que lui ont fait les Officiers de ſa Communauté
, dans le Certificat en bonne forme
qu'ils lui ont accordé. Mais on donne avis aux
perſonnes qui demeurent en Province , & même
hors du Royaume , qui voudront avoir des Per-1
ruques de fa façon , de lui écrire , il leur enverra
un modele de meſure très-facile à prendre
tel qu'il le faut pour pouvoir y rapporter exactement
ſes proportions , & avec la facilité du modele
où tout est bien expliqué , les perſonnes
pourront ſe faire prendre la meſure de leur tête
aifément par qui bon leur ſemblera; bien entendu
que les lettres feront affranchies. Le Sieur
✓ Rochefort demeure à Paris , rue de la Verrerie
prèsde la rue des Billettes.
AUTRE..
LE Sieur Chervain , Marchand , donne avis au
Public qu'il vient de mettre au jour de nouvelles
Tabatieres , dont il oſe ſe flatter d'être le
ſeul poffefſeur : elles ſont du vernis du ſieur
Martin , Verniffeur du Roi , & font doublées
de Bergamotte. Il les annonce pour être au deffus
de toutes celles qui ont paru juſqu'à préfent.
Il eſpere que le Public lui rendra juſtice:
en les voyant, tant pour leur folidité , que pours
JANVIER. 1757 . 237
leur beauté & leur goût nouveau. Il vend des
paſtilles de toutes façons. Son adreſſe eſt rue
Montmartre au coin de celle du jour , vis-a-vis
-le Notaire à Paris ,
L
AUTRE.
,
Iz paroît un mémoire concis fur le nouveau Ventilateur
, inventé par M. de Soubeiran de Monteforgues
. On y annonce les effets ſalubres de
cette ingénieuſe machine. Par ſon ſecours on
renouvelle l'air des appartemens , des mines
des hôpitaux , des vaiſſeaux , &c. & après avoir
foulé Pair intérieur , on pompe l'air extérieur ,
qui , paſſant par une piece intermédiaire de
la machine , s'imprégne des parties falubres , balfamiques
, aromatiques , que l'on veut diftribuer
dans les lieux nommés ci-deſſus. L'expérience
qui a été faite aux Invalides dans la ſalle des
ſcorbutiques , a determiné la commiffion deMédecine
à donner les certificats auſſi favorables ,
que juſtement méritées en faveur de cette ma-
'chine , auſſi utile que ſimple. On a enfin trouvé
par le moyen de ce mechaniſme ce que l'on
*cherchoit depuis long-temps , c'eſt à dire , de
corriger l'air , & de le charger des parties telles
que les vues des Médecins & les beſoins des
malades peuvent l'exiger. Au reſte , Monfieur
de Soubeiran ayant trouvé l'art de réunir dans
fon invention l'agréable & l'utile , il n'y a point
à douter que les fuffrages du Public ne le recompenfent
d'avoir travaillé pour le bien de
l'humanité.
On recevra & l'on remettra le linge depuis
9heures du matin juſqu'à midi , & depuis 3 heures
juſqu'à fix : on le rendra exactement 36 heu
res après avoir été apporté,
238 MERCURE DE FRANCE.
Comme nous prenons pour baſe l'utile , fans
cependant perdre de vue l'agréable , nous offrons
de donner , après la ventilation falubre ,
une ventilation qui imprégnera le linge de l'odeur
que chacun aura le ſoin de faire demander
en l'envoyant.
Le bureau eſt rue S. Honoré , à l'Hôtel d'Aligre,
ci-devant le grand Conſeil.Le prix de la ventilation
des pieces eſt indiqué dans un avis particulier.
AUTRE.
0N avertit le Public que MM. Tremolieres
&des Bretonieres , Capitaines de vaiſſeau , ayant
été voir les différentes repréſentations méchaniques
, qui ſe donnent tous les après midi au
Cabinet privilegié du Roi de M. Rabiqueau , rue
S. Jacques , vis-à-vis les filles Sainte Marie. Ils
ont propoſé au ſieur Rabiqueau de trouver une
correction pour les lampes de vaiſſeau , dont la
forme ordinaire & les vacillations , en ſe rétabliſſant
à l'équilibre , produiſent des ombres qui
ne permettent pas de lire &d'écrire tranquillement.
M. Rabiqueau après avoir réflechi & conferé
avec ces deux Amateurs , leur a fait deux
lampes optiques , dont ils ont été fort fatisfaits ,
& avec lesquelles , telle tempête qui arrive , on
ſe flatte , qu'on aura une lumiere plus de dix
fois ſuperieure& ſans ombre , dès qu'on la placera
angulairement ſuivant ſa deſtination. Les curieux
& les marins en pourront voir l'effet , & en
trouveront toujours au cabinet en venant voir
les repréſentations ou les cours. Cette nouvelle
méchanique est préférable aux cercles concentriques
, & pourroit être employée à rendre la bouffoleplus
certaine & immobile à fon horizon.
JANVIER . 1757 . 139
On vend au cabinet ſeize fortes de lampes
optiques qu'on ne trouve chez aucun Marchand
ni Ouvrier , ou elles ſeroient contrefaites , telles
que pluſieurs que j'ai remplacées , même une
tout récemment , chez différens particuliers.
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Monſeigneur le Chancelier,
le ſecond volume du Mercure de Janvier , & je
n'y ai rien trouvé qui puiſſe en empêcher l'ime
preſſion.A Paris , ce 12 Janvier 1757 .
GUIROY.
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
Madrigal , par M. de la Condamine , &c .
V
ERS à Jeannette ,
Suite de l'Amant anonyme , Nouvelle ,
Ode imitée 'd'Horace ,
Le Flambeau , Fable ,
Suite des Penſées ſur laConverſation ,
Les Sens , Epître ,
Lettre à l'Auteur du Mercure ,
Vers ſur Mademoiſelle Puvignée,
Lettre à l'Auteur du Mercure , & Epitre ,
Lettre ſur M. l'Abbé Regley,
page s
8
ibid.
35
37
38
61
65
67
68
71
La Lanterne merveilleuſe , Etrennes à la Reine , 76.
Explication de l'Enigme & du Logogryphe du
1
premier Mercure de Janvier ,
Enigme & Logogryphe ,
Lettre & Chanſon Languedocienne ,
77
ibid.
79
240
T
veaux,
Seconde Lettre de M. Fournier Paîné ,
f
ART. II . NOUVELLES LITTERAIRES.
Extraits , Précis ou Indications de livres nou
83
85
Lettre ſur la traduction du Voyage à la Baye
d'Hudſon , 115
Séance publique de la Société Littéraire de Clermont
, 137
ART. III . SCIENCES ET BELLES LETTRES.
141
Physique, Lettre de M. Savérien , ſur la cauſe de la
Pefanteur des corps ,
Géographie. Lettre à M. le Préſident de Bréfé , fur
ladécouverte d'une Terre inconnue , 161
Séance publique de l'Académie royale des Sciences,
desBelles-Lettres & des Arts de Rouen ,
ART. IV. BEAUX - ARTS.
Musique.
Epître à Mademoiselle Fel ,
181
189
190
Sculpture. Replique à la Réponſe d'un Eleve de
: l'Académie aux Obſervations ſur le Modele du
Mauſolée du Maréchal-Comte de Saxe, 193
ART. V. SPECTACLES.
201
2
Gravure.
Comédie Françoiſe. 1 203
Comédie Italienne. 204
Concert Spirituel , 205
ARTICLE VI 13
Nouvelles étrangeres , 207
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c. 215
Mariage & Morts ,
233
Avis divers. 235
De l'Imprimerie de Ch. Ant. Jombert.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI .
FEVRIER. 1757.
Diverſité, c'est ma devise. La Fontaine
THEQUR OB
LYON
*1853
Cochin
Filius inv.
Perpillen Seulpe
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
PISSOT , quai de Conty.
Chez DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Augustins .
CELLOT , grande Salle du Palais .
Avec Approbation & Privilege du Roi .
<

AVERTISSEMENT.
LE
E Bureau du Mercure est chez M.
LUTTON , Avocat , & Greffier-Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne ,
Butte Saint Roch , entre deux Selliers .
C'est à lui que l'on prie d'adreſſer , francs
deport, les paquets & lettres , pour remettre ,
quant à la partie littéraire, à M. DE BOISSY,
Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eſt de 36 fols ,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant,
que 24 livres pour ſeize volumes , à raiſon
de 30fols piece.
Les perſonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la poſte , payeront
pourſeize volumes 36 livres d'avance en s'abonnant
, & elles les recevront francs de port.
Celles qui auront des occafions pour le faire
venir , ou qui prendront les frais du port fur
leur compte , ne payeront , comme à Paris ,
qu'à raiſon de 30 fols par volume , c'est- àdire
24 livres d'avance , en s'abonnant pour
16 volumes .
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers, qui voudront faire venir le Mer-
'écriront cure , à Padreſſe ci - deſſus.
:
Aij
On supplie les personnes des provinces d'envoyerpar
la poſte , enpayant le droit , le prix
de leur abonnement , ou de donner leurs ordres ,
afin que le paiement en ſoit fait d'avance au
Bureau.
Les paquets qui neferont pas affranchis ,
reſteront au rebut .
Il y aura toujours quelqu'un en état de
répondre chez le ſieur Lutton ; & il obfervera
de rester à son Bureau les Mardi ,
Mercredi & Jeudi de chaque ſemaine, aprèsmidi.
On prie les personnes qui envoient des Li-
Estampes & Musique à annoncer ,
d'en marquer le prix.
vres ,
On peut se procurer par la voie du Mercure
, les autres Journaux , ainsi que les Livres
, Estampes &Muſique qu'ils annoncent.
On trouvera au Bureau du Mercure les
Gravures de MM. Fefſard & Marcenay,
a
MERCURE
DE FRANCE.
FEVRIER . 1757 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS
A Mademoiselle L ***.
TEL qu'on voit après l'orage
Un arbriſſeau languiſſant ,
Aux rayons du jour naiſſant
Epanouir ſon feuillage ,
Sous ſes rameaux ſe gliſſant
Le Zéphyre careſſant
Le ranime , le raſſure ,
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Et Pamoureuſe nature
Sourit en l'embelliſſant ;
A l'envi de Philomele ,
Tous les oiſeaux d'alentour
Applaudiffent tour à tour ,
Et de la voix & de l'aîle ,
A la verdure nouvelle
De l'arbriſſeau , leur amour :
Telle au malheur échappée ,
Le jour ferein qui te luit ,
Chaſſe l'orageuſe nuit
Où tu fus enveloppée.
Tes chagrins évanouis
Font place à la douce joie ;
Ta belle ame s'y déploie :
Tu reſpires , tu jouis
Dela gloire délicate.
Que de l'eſpoir qui te flatte
Tous les coeurs ſont réjouis !
Tous les coeurs ! oui , de tes larmes
Je les vis tous s'attendrir ;
Et tous à les voir tarir
Eprouvent les mêmes charmes.
Quel encens plus précieux !
De tous les préſens des cieux
Par la nature embellie
Avec une ame où s'allie
L'enjouement au férieux ,
Le ſimple à l'ingénieux ,
FEVRIER . 1757. 7
La ſageſſe à la folie ,
Du village l'air joyeux ,
De la cour l'humeur polie ,
Et tous les talens des Dieux
Du Permeffe & d'Idalie ;
Nymphe , Déeſſe , encor mieux ,
Belle à la fois & jolie ,
Des graces partout ſuivie.
Porter l'amour dans tes yeux ;
Nous voir tous, jeunes & vieux ,
A tes pieds , l'ame ravie ,
Et les plus ambitieux
Prêts à te donner leur vie
Pour un fouris gracieux :
Etre fi digne d'envie ,
Et n'avoir point d'envieux !
C'eſt-là , diroit le vulgaire ,
De l'étoile qui t'éclaire
L'aſcendant victorieux .
Mais cet afcendant ſi rare ,
Ne penſe pas le devoir
Aquelque aveugle pouvoir ,
Qui de nos ames s'empare :
C'eſt par ta fimplicité ,
Par ta candeur que tu regnes ;
C'eſt par elle que tu daignes
Confoler la vanité.
Sans artifice éloquente ,
Belle ſans prévention ,
Aiv
8 MERCURE DE FRANCE.
Sage ſans préſomption ,
Vive , légere & piquante ,
Mais fans affectation ;
Cette raiſon lumineuſe
Croît n'être que le bon ſens.
Tes vertus dignes d'encens
N'ont point d'écorce épineufe.
Tu ne mêles point de fard
A cette beauté modeſte ,
Et de ton ame céleste
Les talens brillent ſans art.
Si tu parois trop aimable ,
Ce n'étoit pas ton deſſein:
Des dons verſés dans ton ſein ,
C'eſt l'effet inévitable :
La nature l'a voulu ,
L'Amour l'avoit réſolu ;
Ce n'eſt pas toi qui l'exiges ;
Et ce droit , que tu négliges ,
N'en eft que plus abſolu.
FEVRIER. 1757. 9
CHACUN A SA FOLIE ,
Hiſtoire traduite en partie d'un Manuscrit
Arabe , partie accommodée à nos moeurs .
:
à
POULOTTE jeune , belle , dans l'âge où
l'on plait & où l'on aime à plaire ,
éprouvoit des ſentimens , faisoit des réflexions
, & trouvoit un certain vuide
dans tout ce qui l'avoit occupée juſqu'à
l'âge de quinze ans , où elle venoit d'entrer.
Elle ne connoiffſoit l'amour que par
la lecture des Romans. Une tante ,
qui l'âge ne laiſſoit plus que cet amuſe.
ment , lui avoit procuré l'occaſion d'en
lire. Elle les dévoroit avec ardeur , &
fon coeur novice s'étoit enivré de cette
lecture délicieuſe. Ils rappelloient à la
tante des jours & des plaiſirs paffés ;
ils faifoient entrevoir à la niece je ne
ſçais quoi qu'elle ignoroit encore , &
qu'elle brûloit d'envie de ſçavoir .
Ses réflexions ne l'aidoient point , elles
la rendoient rêveuſe , inquiere , elle
négligeoit juſqu'à ſa parure. Dans une
fille quel excès de diſtraction & d'ennui !
Mais elle ne voyoit que des femmes , &
des gens qui lui déplaifoient autant . Quel
Av
10 MERCURE DE FRANCE.
ques gens de robe d'un âge avancé , de
vieux militaires accablés de rhumatiſmes ,
des abbés furannés , tout dans cette maifon
ne reſſentoit & ne parloit que de
la vieille cour.
Un jeune homme y vint. Ildit à Poulotte
qu'elle étoit belle ; ſes yeux lui en
dirent plus que ſon langage. Elle l'écouta
avec plaiſir , ſe para avec ſoin , & fa
gaieté revint , mais plus vive & plus
animée.
La complaiſance fut réciproque ; il aimoit
à lui dire des douceurs , elle aimoit
à les entendre. Il n'avoit encore ofé lui
faire l'aveu qu'il l'aimoit , & cent fois
le mot avoit penſé échapper à l'aimable
Poulotte. Ses romans lui rappelloient que
le cavalier portoit toujours les premieres
paroles; elle vouloit ſuivre cet arrangement
: il lui en coûta pour s'y tenir. Il
fallut une autorité auffi puiſſante pour
P'arrêter : fans eux elle prévenoit ſon amant.
Qu'on diſe après que leur lecture eft
inutile.
Enfin le mot échappa ; Damon étoit
de bonne foi. Il rougit après l'avoir
prononcé; il craignit la colere de Poulotte;
il n'oſoit lever les yeux; il cherchoitdes
excufes ; il trembloit ; fon coeur
ſe repentoit d'avoir parlé : un regard tenFEVRIER.
1757 . I
1
1
dre qui ſurprit les ſiens , diffipa fes
frayeurs . Il vit que ſon aveu n'avoit point
déplų ; les paroles qui échapperent à Poulotte
l'en affurerent encore mieux. Ils s'aimerent
, ils ſe le dirent. Eh ! quels furent
leurs plaiſirs !
د
Pluſieurs mois s'écoulerent , ils leur
ſembloient des inſtans. Le ton les
airs , l'eſprit même de Poulotte s'étoient
embellis . Quel maître en l'art de plaire
que l'Amour !
Jomſtown parut. C'étoit un jeune étranger
, qui ſervoit dans les troupes de
France , vif , d'une figure intéreſſante ,
d'un teint envié de toutes les femmes ,
pêtri de graces , de fatuité & d'amour
pour lui-même; tout cela ſe peut trouver
enſemble. Il parloit un françois que
fon accent rendoit plus agréable : il avoit,
avec tout le frivole de notre nation , une
certaine profondeur de réflexion propre
à la fienne , & une noirceur qu'il ſçavoit
diffimuler. Il n'en falloit pas tant
pour faire tout craindre à Damon : it
n'avoit pour lui que ſon amour , de la
ſimplicité, des ſentimens ,& un eſprit juſte
fans frivolité .
On n'aime point ſans jaloufie. Il n'avoit
encore point eu occaſion de connoître
ce genre de fupplice , avant que Jomf
|-
Avj
12 MERCURE DE FRANCE.
,
town fût ſon rival ; quelques reproches
lui échapperent. Poulotte ſe défendit ;
mais elle ne ſçut que répondre. Jomſtown
arriva. Il interrompit l'entretien. Damon
vit cet embarras ſe changer en gaieté.
Poulotte devint vive , la converſation s'anima.
Damon n'étoit que ſpectateur , il
fortit de rage. Il étoit déja bien loin
que Poulotte ignoroit qu'il les eût quittés.
La liberté qu'il leur laiſſa ne ſervit
qu'à animer leurs plaiſirs. Jomſtown qui
mépriſoit toute notre nation , fit pleuvoir
fur fon rival mille traits d'une raillerie
cruelle. Il peignoit trop agréablement
pour ne pas perfuader. Il avoit trouvé
un moyen plus fûr pour y réuffir ; il
avoit ſçu plaite.
Les qualités de douceur & de fincérité
de Damon , ſes ſentimens tendres , &
cet eſprit droit qui avoit fait les charmes
de Poulotte ſéduite par les ſaillies de
Jomſtown , devinrent l'objet de fon mépris.
Elle les comparoit à ce feu & à
cette légéreté de fon nouvel amant : fon
ton de malignité lui paroiſſoit charmant.
Elle fe croyoit heureuſe. Elle l'adoroit.
La ſeule vue de Damon troubloit ſes plaifirs
: peut - être étoit - ce cette vue qui
avoit rendu juſque - là Jomſtown conftant
, en lui faiſant goûter la joie cruelle
FEVRIER. 1757 . 13
2
N
1
de triompher d'un amour ſi tendre , &
de rendre Damon malheureux. Son goûr
étoit épuiſé. Poulotte l'ennuyoit déja , &
Damon ennuyoit Poulotte.
:
Ne pouvant plus dévorer ſon chagrin ,
il venoit de lui écrire. Poulotte lut cette
lettre de reproches : elle la donna à Jomftown.
Ils en rirent. Ce dernier ne prenoit
plus d'intérêt au coeur de Poulotte :
il lui avoit communiqué ſes défauts , &
elle n'avoit pu lui faire partager ſa tendreſſe.
Il penſoit à la quitter ; mais auparavant
il voulut jouir de tout fon triomphe.
Il témoigna de la jaloufie , il ſe plaignit.
Il exigea ( Eh ! qu'il lui fut aiſe de
l'obtenir ! ) que Poulotte donnât un congé
éternel à ſon rival. Elle eut la cruauté
d'y confentir.
Elle écrivit , il vint. Jomſtown voulut
être caché dans ſon appartement. Damon
crut que ſa lettre avoit en ſon effet ,
qu'il alloit redevenir heureux , que Poulotte
lui rendoit fon coeur : il étoit plein
d'eſpérance , tout fervoit à le lui perfuader.
Déja on s'appercevoit dans le monde du
changement& des froideurs de Jomftown.
Poulotte elle ſeule l'ignoroit. Dès qu'elle
apperçut Damon , elle lui dit quelques
mots déſagréables . Quelle fut ſa fituation !
14 MERCURE DE FRANCE.
Il voulut parler , elle l'interrompit , ne
lui marqua que de la froideur & du
mépris. Elle le congédia avec des ris , &
un air de gaieté , qu'elle n'avoit jamais
eu dans le temps de leur plus douce
intelligence. Il voulut repliquer ; elle
chanta , tourna le dos , & ne répondit rien
à la différence qu'il voulut lui faire fentir
entre ſa conduite & celle de Jomftown.
Il parla du travers que cela lui
donnoit dans le monde , elle ne répliqua
que par ce mot : Chacun à ſa folie. Pour
comble de déſeſpoir , Damon en fortant
apperçut Jomſtown dans un cabinet , qui
affectoit de ſe montrer. Il frémit d'horreur
, hata ſa fuite , & conçut autant de
mépris pour Poulotte qu'il avoit eu d'amour.
Il l'oublia pour jamais : il ne s'occupa
le reſte de ſes jours qu'à médire
des femmes , & à juger fauſſement que
toutes reffembloient à celle qu'il avoit
quittée. Ce fut ſa folie.
Sa fuite mit Poulotte en liberté. Elle
crut triompher auprès de Jomſtown. II
lui lança des traits cruels ; il n'épargna
ni le ton , ni l'air dont elle avoit parlé.
Il affecta de prendre l'émotion qu'elle
avoit auprès de lui pour des regrets. Il
feignit de douter de ſon coeur. Elle fit
tout pour le perfuader , il échappa à ſes
careſſes , & ne revint plus.
FEVRIER . 1757 . 15
Il courut donner l'air ſuffifant & évaporé
, le ton cruel & fatyrique à une
jeune fille voiſine de la maiſon de Poulotte.
Elle étoit moins aimable qu'elle ,
ſans eſprit ; mais elle étoit fille. Elle en
avoit affez pour profiter de ſes leçons ,
& prendre ſes défauts .
Poulotte crut le rappeller. Elle mit en
uſage tout ce qu'elle put imaginer : elle ne
déſeſpéroit pas encore , que Jomftown
avoit fait une troiſieme maîtreſſe. Elle
vit que c'étoit ſa folie , elle y renonça.
Elle ne ſçavoit quel parti prendre.
Rappeller Damon lui paroiſſoit humiliant ,
je dois ajouter , que c'eût été inutile ;
elle le ſentoit. Rechercher Jomſtown , elle
l'avoit fait & n'y avoit pas réufſſi . Lier
une autre partie , ne lui paroiſſoit pas
convenable ; & des médiſans diſent qu'elle
n'en avoit pas l'occafion. Elle étoit
jeune , belle. Jomſtown à la verité lui
avoit fait prendre une partie de ſes défauts;
mais outre que ce n'étoit que fuperficiellement
, il falloit l'approfondir ,
pour l'en trouver moins aimable : ainſi
elle n'eût pas manqué d'amant. Je penſe
qu'il lui reſtoit une certaine fierté de fentiment
qui fied bien aux femmes . Cette
fierté la détermina à vivre fans intrigue.
Elle s'occupa à lire & à réfléchir. Ce
16 MERCURE DE FRANCE.
temps dura peu : elle trouva que c'étoit
une folie.
Elle penſa en faire une plus grande .
Parmi les Robins qui voyoient ſa tante ,
il en étoit un aſſez jeune , à qui un pere
parvenu venoit d'acheter une charge
pour lui donner un rang. Il étoit gêné
dans ſes manieres , guindé dans ſes propos
, ſuffifant , enflé de fon mérite , &
affectant l'air petit- maître.
1. Du fond du parterre il avoit vu au
théâtre & dans les couliſſes, nos jeunes militaires
étourdis , évaporés , à qui cet air
ne meſſied point juſqu'à un certain âge ,
parce qu'il eſt du goût de quelques femmes
, des petites maîtreſſes &des actrices
: cela fuffit pour le mettre à la mode .
Il avoit étudié le ton , le geſte , la démarche
même de ces gens importans ,
que deux campagnes corrigent bientôt ,
& à qui il ne reſte que de la politeffe
pour tout le monde , & une noble fierté
avec leurs égaux. Il avoit pris leurs défauts
, & les rendoit mal. Il y joignit
quelquefois une contenance grave , qu'il
imitoit plus mal encore , de nos vieux Sénateurs.
Licidas étoit un compofé bifarre
& difficile à peindre. Pour le définir par
une expreffion gauloiſe : Fierenfat n'y
faifoit oeuvre,
FEVRIER . 1757 . 17
Ce fut le ſoupirant qu'écouta Poulotte.
Rendre ſes propos ſeroit choſe impoffible.
Il parloit du ton le plus ennuyeux ,
il faifoit des vers plus ennuyeux encore.
Ne jugeons point du mérite des gens
par l'impreſſion qu'ils font ſur une femme.
Licidas avec tous ſes défauts étoit
goûté. J'aime à juftifier Poulotte ; ce n'étoit
peut- être que le ſouvenir de ſes deux
amans qu'elle aimoit en lui. Elle avoit
de l'eſprit , je l'ai dit : ſes réflexions ne
firent que l'augmenter , & l'accroître . La
grande jeuneſſe qui aveugle quelquefois
en faveur d'un premier penchant , étoit
paffée. Comment accorder tout cela avec
ce goût biſarre ? Il ne fut que paffager.
Il étoit queſtion de mariage , le parti
étoit honorable pour Licidas : cette alliance
l'eût décraffée. Sa famille opulente
mit tout en oeuvre pour le faire réuffir.
Licidas échoua : pouvoit-il manquer de
le faire ?
Il voulut dicter des loix fur le futur
mariage à ſa maîtreſſe , faire des conditions;
il annonça en Juge ſouverain ce
qu'il feroit , ce qu'il vouloit qu'on fit.
Poulotte s'éveilla commed'un ſonge . Elle
ſe trouva étonnée d'avoir écouté Licidas .
Elle en vit tout le ridicule avec ſurpriſe,
rompit bruſquement , & le laiſſa à fon
orgueil & à ſa folie.
18 MERCURE DE FRANCE .
Elle aima mieux vivre ſeule , & dans
le triſte ſouvenir de ſes plaiſirs paffés .
C'étoit en effet une moindre folie.
Il faut aux coeurs tendres des ſentimens
profonds qui les occupent. Le temps
paroît long , l'ennui ſe mêle à tout , on
ne ſçait que devenir , on ſe trouve longtemps
heureux & malheureux d'être guéri
des grandes paffions. Un Auteur l'a dit ,
& je le trouve encore dans mon Manufcrit
Arabe. C'est l'état où se trouvoit
Poulotte. Elle s'ennuyoit.
Elle crut devoir devenir dévote : elle
s'unit à une coterie de femmes qui l'étoient
; parlons en mieux , qui paffoient
pour l'être. La plupart avoient eu le même
fort qu'elle.
La dévotion vient aux femmes , dit
la Bruiere , comme une paffion , comme
le foible d'un certain âge ou comme une
mode qu'il faut ſuivre. Je trouve encore
ceci dans mon Arabe , & peut- être
la Bruiere l'y a- t'il pris. Il ajoute comme
lui : Elles comproient une ſemaine par
les jours de jeu , de ſpectacle , d'affemblée
, &c. Autres temps , autres moeurs. Elles
parlent peu , elles penſent encore , &afſez
bien d'elles- mêmes comme aſſez mal des
autres. Elles ſe perdoient gaiement par
la galanterie , la bonne chere & l'oiſiveté ,
FEVRIER. 1757. 19
A
elles ſe perdent triſtement par la préfomption
& l'envie .
د
Poulotte l'éprouva. On l'initia avec myftere
dans une ſociété de cette eſpece.
Après avoir entendu parler de Dieu &
de dévotion , elle vit qu'on s'entretenoit
avec affez de complaiſance de certains
dévots de la coterie. On avoit pour eux
de petits foins , des attentions exactes
des inquiétudes même , & des jaloufies.
Les femmes ne s'en déchiroient pas moins
les unes&les autres , dès qu'elles étoient
abſentes. Toutes réunies paroiſſoient être
convenues , comme de concert , de n'épargner
qu'elles ſeules , & de déchirer fans
ménagement ce qu'elles appelloient le
monde , & ſes ſectateurs. Ce monde ne
ſe foucioit plus d'elles , à leur grand regret
, & mépriſoit leur fauſſe vertu ainſi
que leurs défauts.
Ce manege déplut à Poulotte. Elle réfléchit
fur la bifarrerie de ſon ſort , elle
ſe tourmenta , elle maudit la liaiſon qu'elle
avoit faite , elle balança long-temps à
rompre , elle craignoit le Public , elle
craignoit plus encore le zele amer & la
langue dangereuſe de celles qu'elle alloit
quitter. Ces réflexions ne l'arrêterent pas :
elle fuit & s'expoſa à tout leur reſſentiment.
Mais ne croyant pas avoir le
20 MERCURE DE FRANCE.
même privilege , elle ſortit d'avec elles
bien réfolue de ne rien dire , & d'épargner
des femmes qu'elle étoit aſſurée
qui alloient la déchirer.
Elle confondit la vraie dévotion qui
va droit à Dieu avec celle dont elle venoit
d'être témoin , qui n'en eſt pas même
l'ombre. Elle s'abuſa ; heureuſe de n'être
plus dans l'âge de certaines folies ! Elle
en fit une grande par le jugement qu'elle
porta ; elle en eût fait de plus grandes
peut- être , qui en euſſent été une ſuite.
L'amitié vint à ſon ſecours , elle en
connut les douceurs. Son coeur né tendre
& toujours ſenſible , ſe borna à s'intéreſſer
à ceux qu'elle ſçavoit lui être attachés.
Elle partageoit leurs fentimens ,
leurs plaifirs , leurs peines ; ils partageoient
fon loiſir , ſes réflexions & quelquefois
ſes momens d'ennui: ces gens lourds &
infipides qui ne ſentent point , qui ne
penſent pas , qui excedent fans s'en appercevoir
, les faifoient naître. Ace défagrément
près, une converſation pleine de
confiance & de liberté , un peu de lectore
, beaucoup de réflexions lui firent
trouver les jours tranquilles , courts, & la
vie heureuſe. Si l'on doit convenir que
eſt folie , c'eſt la plus douce à
Par un Montagnard des Pyrénées.
tout
laquelle l'on puiſſe ſe livrer.
FEVRIER . 1757 . 21
LE FEU ET L'EAU ,
FABLE.
L'ORGUEIL
des Grands aux petits eft funeſte :
Ils ſe brouillent pour rien toujours à nos dépenss
L'union néanmoins les rendroit plus puiſſans.
En faut-il un exemple , il n'en eſt que de reſte.
Le Feu , dit- on , jadis eut diſpute avec l'Eau ,
La choſe a de la vraiſemblance.
Chacun croyoit dans ſon cerveau
Mériter la prééminence.
Le feu plus vif , & partout répandu ,
S'étonnoit qu'on lui pút diſputer l'avantage :
Tout l'Univers ſans moi , diſoit-il , eſt perdu.
Plus d'un animal vit fans eau , ſans ſonuſage ,
Tous les êtres ſont ſous maloi ,
Il n'en eſt point qui ſubſiſte ſans moi ,
Et l'eau , ſans ma chaleur , ne ſeroit qu'uneglace,
Pour prouver que je dois prendre avant elle
place ,
Pour quelque temps ceſſons de remplir mon emploi.
L'Onde tantôt paiſible , & tantôt furieuſe ,
Admiroit que le feu , que l'on ne connoît pas ,
Oſât lui conteſter le pas.
Mais ſans faire la précieuſe ,
Dit-elle , on ſçait ce que je ſuis :
22 MERCURE DE FRANCE .
J'arroſe , j'humecte & nourris
La terre qui , ſans moi , n'auroit point eu de fruits.
Mon ſein plein de tréſors , eſt la ſource commune
Qui répand la ſanté , qui mene à la fortune.
Pour mettre l'Univers entier de mon côté ,
Privons-le pour un jour de mon utilité.
Tous deux avoient raiſon. Enfin cette querelle ,
Sans l'homme qui ſurvint , effrayé du trépas ,
Anotre race auroit été mortelle.
Ils le prirent tous deux pour juge en leurs débats.
Fiers élémens , dit- il , je ne m'attendois pas
A tant d'honneur pour ma cervelle .
Je vais peſer , ſoyez-en lestémoins ,
Vos intérêts , & nos beſoins ;
Chacun de vous nous eſt ſi fort utile ,
Que ſur le plus , ou fur le moins ,
De décider il eſt trop difficile.
Du bonheur général vous êtes le ſoutien.
Le pas , le rang , pour vous ſeroit-il une affaire ?
On l'a toujours quand on eſt néceſſaire.
Votre grandeur dépend de votre ſeul lien ;
Sans lui , ni vous , ni moi , nous ne ſerions plus
rien.
R. C. A. R. de Saintonge.
FEVRIER . 1757 . 23
LETTRE
A Mademoiselle R. D. V. à Q.
Vous m'obligez , Mademoiselle , à me
plaindre de vous au public : c'eſt lui que
je choiſis pour juge. Quoique ce ne ſoit
pas l'uſage de porter à ſon tribunal refpectable
les querelles des Amans , & qu'il
ne ſoit déja que trop chargé des ſottiſes
des Auteurs , je le prie de vouloir bien
me permettre dans cette occaſion de m'adreſſer
à lui. Depuis trois ans j'ai l'honneur
& l'avantage d'être votre ſerviteur ;
ſi j'ai reçu quelques faveurs , j'ai eſſuyé
bien des caprices , des ſcrupules & des
fantaiſies : mais votre dernier procédé eſt
le plus infoutenable. Je ſçais que vous
aimez les Vers : Qui n'en fait pas ? Le
déſir de vous plaire échauffe mon imagi
nation , & j'enfante un Bouquet pluſieurs
ſemaines avant le jour de votre Fête.
Cette précipitation , effet d'un zele empreſſé
,devient le ſujet de mon infortune.
Mademoiselle ſe fâche précisément quelques
jours avant celui que j'attends avec
impatience. Eh ! que deviendra le Bouquet
? Le laiſſferai-je dans mon porte
24 MERCURE DE FRANCF:
feuille , la triſte priſon que ne méritent
pas des Vers innocens ? Les lirai-je à mes
amis ? Ils en dévineroient aiſément l'objet
qu'ils ſoupçonnent déja , & vous m'avez
ordonné de ne montrer à perſonne ,
ici , ce que je fais pour vous. Je veux
donc par difcrétion prendre le public pour
confident , & en même tems pour arbitre
: il nous jugera fans nous connoître.
Je ne puis mieux m'adreſſer qu'au Mercure
: il ne doit pas être fâché de ſe mêler
d'un raccommodement. L'hommage ſolemnel
que je vais vous rendre à la face
de l'univers ( car le Mercure va partout ).
réveillera ſans doute votre tendreſſe , &
diſſipera votre humeur ; j'oſe du moins
l'eſpérer.
Au reſte , Mademoiselle , accommodezvous
avec le public ; la reconnoiſſance
vous oblige peut-être à lire les mauvais
Vers qu'on vous offre. Avec quelque peu
d'eſprit que l'amitié parle , fon langage
doittoujours être précieux au coeur fenfible
qui la chérit. D'ailleurs on aime
>> ordinairement à ſe voir louer , & les
>>Vers les plus plats ne ſont pas toujours
>> ceux où une Maîtreſſe trouve le moins
>> cette forte de plaiſir ; mais la galante-
» rie a , je ne ſçais pourquoi , quelque
> choſe d'aſſez fade pour les lecteurs in-
>> différens. »
FEVRIER . 1757 . 25
>>différens. " Le public n'eſt pas obligé
de s'ennuyer pour vous ; il ſe plaindra
que vous me contraignez à le punir de
vos fautes. « Il eſt vrai qu'il s'eſt habitué
>>à l'indulgence pour les Vers du Mercu-
>> re , & quand il les lit , il ſçait bien à
>>quoi il doit ordinairement s'attendre.
>>Je prie mes chers Confreres les Poëtes
>> du Mercure , d'entendre cette réflexion
» dans un bon fens . ” (1 )
Comme je n'écris pas pour vous ſeule ,
Mademoiselle , vous me permettrez de
vous rappeller , quoique vous le ſçachiez
bien , qu'on vous appelle Reine , & que
vous prenez pour vos Patrons les Rois ,
dont la Fête ſe célebre en hyver , ainſi que
tout le monde ſçait. Cette petite note eſt
néceſſaire, pour bien entendre le commencement
de mes Vers.
VERS à Reine , pour le jour deſa Fête.
Our , Reine , j'y confens , eſt un ſuperbe nom :
Que n'êtes vous pourtant Magdeleine ou Jeannette
!
, (1) Pour éviter ce reproche nous prions nos
Poëtes de les faire meilleurs à l'avenir , & nous exbortons
leur agréable Cenſeur lui-même à négliger
moins les fiens , auxquels il ne manque , pour être
bons, que d'être plus exacts.
B
26 MERCURE DE FRANCE.
Du moins au jour de votre Fête , ( 1 )
On pourroit vous offrir un Bouquet ſans façon,
Lorſque partout les fleurs ſe trouvent à foiſon .
Sans qu'il en coûte rien au Poëte , (2 )
A peu de frais la choſe eſt faite.
Quelle ſotte dévotion
A vos parreins mit dans la tête
D'aller choiſir vos faints Patrons
,
Dans la plus trifte des ſaiſons ?
La modeſte penſée , où l'humble violette
Le plus foible bouquet , la plus ſimple fleurette ,
Offerts par l'amitié , des riens ſont toujours bons.
Mais la nature avare de ſes dons
Nous refuſe en ces temps les plus petits boutons.
Autrefois ſous les pas des belles
Les fleurs naiſſoient à la voix d'Apollon :
Tout eft cueilli dans le ſacré Vallon ;
Et le Parnaſſe en fleurs nouvelles
N'eſt plus aujourd'hui ſi fécond. ( 3 )
Dans le temps qu'Apollon étoit amoureux
de Vénus , quoiqu'il n'ait jamais été
des plus favorisés , il obtint cependant
d'elle un petit jardin à Cythere , & la
(1) Jeannette & Fête, rimes qui ne doivent entrer
que dans les vers dont l'Auteur se moque.
(2) Poëte eft de trois fyllabes , en comptant la
derniere : en conséquence le vers est faux.
(3) Fécond ne rime point , ou rime mal avec
vallon. Le d dans ce mot est malheureusement de
trop.
1
1
FEVRIER. 1757 . 27
mere des Amours lui permettoit quelquefois
d'y venir badiner avec elle. Ce jardin
eſt un parterre , & on n'y voit que des
Aeurs. Il a laiſſe aux Graces le ſoin de la
culture pour les amuſer dans leurs momens
perdus ( 1 ) ; ce qui fait qu'il a quelquefois
l'air un peu négligé , & qu'il ne
produit pas beaucoup de fleurs : mais toutes
celles qui y naiſſent ont une couleur
charmante , & furtout un parfum exquis.
On n'y entre pas aisément , quoique l'entrée
en paroiſſe facile , & que les amis
des Graces y foient introduits ſans peine ;
les autres font de vains efforts qui ne
ſervent même qu'à les éloigner du jardin.
Ils s'amuſent cependant à ſemer à la porte
bien des fleurs bâtardes qui trompent quelquefois
, & ceux qui les cueillent, & celles
àqui on les offre : peut-être mon bouquet
eneſt-il compoſé.
Dans l'empire d'amour ſur tous nos coeurs ſoumis
La Beauté regne en ſouveraine ;
Mais on peut la ſervir ſans travail & fans peine :
D'un eſclavage aiſé le bonheur est le prix.
Les tributs ſont nos coeurs fideles :
L'amour fait ſeul dans ce charmant ſéjour
Le devoir des amans , & le droit de nos belles.
(1) Les versfont , je crois, la derniere occupation
des Graces.
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
:
Les Graces , les Plaiſirs qui compoſent leur cour ;
Forment toutes les loix , & regnent avec elles.
Leur puiſſance s'étend ſur tout cet univers ,
Mais on eſt libre au moins dans le choix de ſes fers,
Mille beautés captivent notre hommage :
On ne ſuit en aimant , que ſon coeur & ſes voeux.
De nos tendres liens plus nous ferrons les noeuds ,
Et plus de notre fort nous goûtons l'avantage :
La liberté vaut-elle un fi doux eſclavage ?
Unir l'eſprit aux agrémens ;
Cultiver les beaux Arts , & chérir les talens ;
Embellir la raiſon par les charmes des Graces ,
Badiner quelquefois , mais penſer plus ſouvent ;
Voir toujours voltiger les amours ſur ſes traces
Mais ne livrer jamais ſon coeur qu'au ſentiment ;
Auxtranſports affectés , aux attraits d'un volage ,
Préférer , ſans rougir , la tendreſſe d'un ſage ,
Et l'hommage naïf du coeur ,
,
Ace frivole encens que prodigue un flatteur ;
Rire des préjugés & condamner les vices ;
N'avoir jamais d'humeur , avoir peu de caprices ;
Etre belle ſans art , plaire ſans vanité ;
Animer la pudeur , & parer la ſageſſe
Des attraits innocens de l'aimable gaîté;
Dans la tendre amitié , dans la délicateſſe ,
En cherchant la vertu trouver la volupté :
Sous les appas d'une jeune mortelle ,
C'eſt le portrait de ma divinité ,
Offert & tracé par lezele
FEVRIER . 1757. 29
Ainſi que par la vérité.
Heureux celui dont l'hommage fidele
Mériteroit d'être accepté par elle !
Si je voulois perdre ma liberté ,
Voilà quelle ſeroit ma chaîne ;
Si je voulois ſervir une beauté ,
Voilà quelle ſeroit ma Reine.
A Quimper , ce 22 Décembre 1756.
LETTRE
A L'AUTEUR DU MERCURE.
En fortant hier de l'Opera , Monfieur , N
je trouvai ſous mes pieds cette Lettre d'un
pere à fon fils , fans adreſſe & fans fignature.
Les excellentes leçons qu'elle renfermem'ont
paru pouvoir être d'une ſi grande
utilité pour le jeune homme digne , par
fon caractere , d'entendre les préceptes de
la raiſon , que je me détermine ſans balancer
à vousdemander pour elle une place
dans votre Livre eſtimable. Cette Lettre
perdue devient un tréſor auquel tout le
monde a droit. J'ai le plaifir de faire un
préſent aux honnêtes gens , & de rendre
un hommage public au plus reſpectable
des peres.
J'ai l'honneur d'être , &c.
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
DEPUIS
LETTRE
D'un Pere à son Fils.
EPUIS que vous êtes au monde , mon
Fils , je n'ai pas à me reprocher d'avoir
manqué un feul moment aux engagemens
d'amitiéque j'avois contractés avec vous en
vous donnant le jour. J'en ai été récompenſé
par un retour fincere , & je le ſuis
encore aujourd'hui par le témoignage glorieux
que je m'en rends , dont je vous ai
l'obligation. Les preuves de tendreſſe que
je vous donnois m'étoient fi naturelles, que
ſouvent , ſans votre façon de les recevoir ,
elles me feroient échappées à moi-même.
Je vous dois donc la ſuprême douceur
d'en pouvoir jouir tous les jours de ma
vie , ſans craindre de m'en glorifier mal- àpropos.
Après ce préambule , qui eſt le
plus bel éloge que je puiſſe faire de votre
coeur , vous ne vous attendez pas que, prenant
un ton triſte , je me plaigne aujourd'hui
de votre conduite & même de votre
amitié ? Oui , mon Fils , j'ai à me plaindre
de vous ; j'y fuis contraint , & je vous demande
pour mes reproches la moitiéde cette
attention qu'autrefois vous n'auriez pas
cru ſuffire pour mes moindres conſeils . Je
FEVRIER. 1757 . 31
commence par vous prier de me pardonner
le ton que je vais prendre , vous verrez
aiſément qu'ilm'en coûte de m'y contraindre.
L'amitié m'a fait un langage ſi différent
, que j'aurai bien de la peine à trouver
des expreſſions. Un Pere qui n'a vécu que
pour aimer fon Fils , qui en l'aimant n'a
jamais vu ſa tendreſſe contrariée par ſa
raiſon , qui s'eſt toujours retrouvé en lui
avec toute cette complaiſance qu'on peut
avoir pour ſoi-même , qui s'eſt vu aimé
chéri , reſpecté avec cette ſincérité , cette
plénitudede ſentiment, que le coeur le plus
tendre peut ſouhaiter & reſſentir : un tel
Pere eft bien malheureux d'être obligé
de demander compte d'une félicité qu'il
avoit cru inaltérable.
Des perſonnes trop bien inſtruites m'écrivent
que depuis mon abfence ; il s'eſt
fait en vous autant de changemens que
vous aviez de vertus. Pout ne me laiſſer
aucun doute , on me détaille votre conduite.
Quel tableau ! & quel prix d'un voyage
que je n'ai entrepris que pour vous , que
pour augmenter votre fortune ! Vous avez
fait de nouveaux amis , qui ne peuvent
jamais être de ceux qui honorent , parce
qu'il faudroit un moindre miracle dans un
fat pour prendre des ſentimens qui demandent
de l'eſtime , que pour vouloir en
,
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
inſpirer à des coeurs eſtimables. Vous ne
les quittez plus,vous êtes leur copie fidelle,
& déja même leur modele en bien des
choſes. Vous paſſez une partie de la nuit
à table dans la fureur des orgies , ſans confidérer
que c'eſt déja avoir perdu toute fa
raiſon que de ſe faire une habitude de la
perdre tous les jours. Vous ne voyez plus
que des filles de Spectacle , peut - être
encore affez délicat pour ne vouloir pas
qu'elles vous inſpirent des ſentimens ; mais
certainement affez ſubjugué pour ne plus
regarder comme un malheur les fantaiſies
qu'elles. veulent toujours inſpirer. Dans
vos converſations vous permettez tout à
votre eſprit , vous plaiſantez ſur ce qu'il
y a de plus conſacré par la raiſon comme
par le préjugé , ſans ſonger que qui ſe permet
de tout dire , ſe permet bientôt de tout
penſer , & ſe prépare autant d'ennemis ſecrets
qu'il y a de principes reſpectables.
Je ſçais que vous n'êtes encore emporté
dans ce tourbillon que par le mouvement
des autres ; je veux même croire que fi
vous ſçaviez où il peut vous entraîner ,
vous vous roidiriez contre un torrent auquel
on n'eſt plus capable de réſiſter lorfqu'on
l'a enviſagé ſans horreur. Mais qui
vous montrera le précipice où vous courez
? quel mortel affez généréux vous aver
FEVRIER. 1757 . 33
tira de votre danger ? Dans le monde ,
chacun a ſon intérêt à la folie des autres ,
fans compter que l'égarement d'un jeune
homme eſt un fonds où mille gens puiſent
de préférence , parce qu'il doit produire
davantage& durer plus long-temps. Il n'y
adonc que votre Pere qui puiſſe vous arrêter
ſur le bord d'un penchant funefte ;
ſa main y eſt toute diſpoſée : mais quel
affreux emploi pour cette main accoutumée
àvous careffer & à s'appuyer ſur vous ?
Ah ! mon Fils , qu'êtes-vous devenu ? que
voulez-vous que je devienne ? Rappellezvous
ces jours heureux que vous rendiez
éternels par le charme de votre ſociété.
Vous confoliez une vieilleſſe qui s'appéſantiſſoit
loin de vous , vous me la faiſiez
oublier : mes yeux affoiblis par les longs
travaux retrouvoient en vous une lumiere
nouvelle , vos lectures variées m'offroient
toute la ſcene des eſprits&des arts. Hélas !
je ne retrouverai plus mon Fils , je ne
jouirai plus de ſes embraſſemens , je ne
partagerai plus ſes plaiſirs , je n'entendrai
plus fon langage , le jour que je rentrerai
dans ma maiſon ſera le dernier de mes
jours. O mon Fils ! avez- vous réſolu de
me voir mourir de douleur ? vous êtes
vous promis de vous repaître de mes lara
mes ? Non ; ce projet affreux n'eſt point
By
34 MERCURE DE FRANCE.
د
entré dans votre eſprit : vous m'aimez
toujours , vous attendez mon retour , &
vous le ſouhaitez . La nouvelle de mon
arrivée vous attendrit vous courez au
devant de moi , vous vous précipitez dans
mes bras. Mais dans quel état vous offrezvous
à mes regards ? quelle parure faſtueuſe
! quel amas de ponpons ! quel air efféminé
! quel teint pâle & livide me dérobent
mon Fils ? Je vous cherche , je cherche
tout ce que j'aime , tout ce que j'eſtimois
, & je recule d'effroi en n'embraſſant
qu'une image méconnoiſſable d'un objet
adoré. Voilà comme je vous trouverai , &
comme vous êtes ſans doute déja ; car les
excès & les travers portent avec eux une
indiſcrétion qui les décele toujours. Qui
vous eût annoncé, il y a un an , cette épouvantable
dégradation , vous l'euffiez accablé
de tout votre mépris. Voilà ce que font
les liaiſons inconfiderées. Plus dangereuſes
àmeſure qu'on a plus à perdre , elles introduiſent
plus aiſément dans un coeur timoré
le vice qui marche à leur fuite , parce
qu'il en connoît moins le danger , & il y
germe plus aiſément auſſi , parce que c'eſt
un terrein tout neufqu'il trouve. Perſuadez-
vous , mon Fils , qu'un jour vous ferez
pour vous-même un ſpectacle odieux &
inconcevable. Vous êtes né avec une rai-
:
FEVRIER . 1757. 35
!
1
fon qui exige des moeurs ; c'eſt un juge au
tribunal duquel vous vous ſentirez entraîné
: vous n'attendrez pas fon jugement
pour être déſeſpéré , il ſera dans le fonds
de votre coeur. Comment pourriez - vous
vous faire la moindre grace ? Le flambeau
qui vous éclairera pénetre par ſes rayons
toute l'étendue d'un égarement qui nous
deshonore & dont nous commençons à
rougir . Oui , mon Fils , vous verrez un
jour avec un ſecret mépris pour vousmême
, combien un fat eſt mépriſable , &
vous ne pourrez ni vous pardonner de l'être
devenu , ni concevoir comment cela a pu
ſe faire . Vous ne verrez dans les moins
coupables que des automates monotones
au deſſous , pour la plupart , de ceux que
l'art des Vaucanſon a produit mille fois ,
&dans les autres , dans ceux qui penſent ,
qui agiſſent , qui ont une ame , & qu'on
eſt malheureuſement obligé de regarder
comme des hommes , vous y appercevrez
une fecrete horreur pour le devoir , une
dureté pour les malheureux , une mauvaiſe
foi dans le commerce , une indiſcrétion
, une impudence , un orgueil , un
libertinage qui vous feront frémir. Vous
ferez pourtant obligé de vous reconnoître
dans ce tableau infoutenable vous ne
ſerez plus étonné d'avoir inſenſiblement
Bvj
36 MERCURE DE FRANCE.
conſommé votre dégradation par bien
d'autres excès : vous trouverez tout ſimple
d'avoir perdu toute honte , après avoir
perdu tout jugement. Mais vous fera-t'il
auſſi facilede vous pardonner vos torts que
de les ſentir ? Ah ! mon Fils , mon cher
Fils , par pitié pour vous-même , ouvrez
les yeux fur vous , tournez- les vers l'avenir
; il n'est pas loin : votre malheureux
pere ſçaura le hâter par ſon déſeſpoir.
N'attendez pas d'avoir à opter entre ma
mort & votre repentir .
STANCES
AMadame Dup... de Grav... jeune veuve
D'UNE conftante indifférence
Mon coeur goûtoit les faux plaiſirs
L'accès d'une froide démence
Y calmoit le feu des defirs.
Quelle erreur ! je tirois ma gloire
De braver les traits de l'amour .
Le Dieu gagne enfin la victoire ,
Mon Maître me brave à ſon tour.
APhilis j'ai rendu les armes.
(Qui peut la voir ſans s'enflammer !)
'FEVRIER. 1757.. 37
Ah ! l'ingrate avec tant de charmes !
Que ne ſçait- elle mieux aimer !
Le vrai triomphe d'une Belle ,
Eſt de terraſſer la fierté.
Si Vénus eût été cruelle ,
On eût moins vanté ſa beauté.
Mais la Déeſſe trop volage
Viola tous les jours fa foi.
Le ſentiment eſt mon hommage.
Chéris une auffi pure loi.
Joignons nos tendres deſtinées :
De l'Hymen goûtons les faveurs.
Qu'une longue chaîne d'années
Refferre celle de nos coeurs .
L'Hymen eſt un dur eſclavage ,.
Quand l'intérêt l'a cimenté:
Mais ſi le penchant nous engage
C'eſt un état de liberté.
Un für eſpoir flatte ma flamme.
Oui , Philis va combler mes voeux !
Si l'amour régnoit dans ſon ame
Il brilleroit dans ſes beaux yeuxs
Cruelle paix ! triſte filence !
Vous m'interprêtez ſonmépris.
3S MERCURE DE FRANCE.
En vain de la perſévérance
Mes foupirs briguent le doux prix.
Cherchons , mon coeur , une mortelle
Qui l'emporte ſur ſes attraits.
Malgré moi tu ſeras fidele :
Où la trouveras tu jamais ?
DE RIS-ADDENET , d'Arpajon.
VERS
Préſentés dans le mois d'Octobre 1756 , à
M. de Caumartin , Intendant de Flandres
& Artois , & à Madame fon Epouse , en
la ville d'Arras , où ils se trouvoient à
P'occaſion de la tenue des Etats de la
Province.
Tout n'est pas Caumartin , dit l'austere Boileau.
(1 )
Cemot auffi vrai qu'il eſt beau ,
Répété par la voix publique ,
A fait un proverbe nouveau.
Que cet éloge eſt magnifique !
Quelle gloire d'être cité ,
(1 ) Chacun de l'équité ne fait pas ſonflambeau :
Tout n'est pas Caumartin , Bignon ni Dagueſſcau.
Sar. XI.
FEVRIER . 1757 . 39
r
Par une plume ſatyrique ,
Pour modele de l'équité !
Aimable Magiftrat , qui dès votre jeuneſſe ,
Prenez pour guide la ſageſſe ,
Si Deſpréaux , évoqué par ma voix ,
Revenoit aujourd'hui du ténébreux rivage ,
Il vous rendroit le juſte hommage
Qu'à votre Oncle immortel il rendit autrefois.
Ah! vous méritiez bien que l'Hébé de notre âge ,
Par un heureux Hymen devînt votre partage.
Chez ces tendres Epoux quel combat enchanteur
!
Ony voit les talens , les vertus & les graces
Achaque inſtant ſe diſputer l'honneur
D'occuper les premieres places.
Couple charmant , couple adoré ,
Vous ferez dans nos murs à jamais célébré.
LA NOUVELLE MERE D'AMOUR ,
Ou l'Amour Raisonnable.
A- T'on raiſon quand onpenſe que l'amour
est toujours frivole ? Non , ce n'eſt
qu'un enfant : cependant je ſuis fûr qu'il
eſt auſſi ſufceptible de raiſon que les plus
vieilles têtes de l'Olympe. Pour convaincre
de la vérité de ce que j'avance , je vais,
enHiſtorien exact , rapporter la derniere
40 MERCURE DE FRANCE.
de ſes actions. Elle fait le bonheur de
l'humanité.
L'Amour étoit l'autrejour dans les bois
d'Idalie . Après s'y être affez long-temps
promené , il ſe repoſa au bord d'un ruifſeau
clair & frais : un vieux ficomore
lui donnoit un ombrage charmant , un
gazon émaillé de fleurs lui formoit un
trône parfumé : la nature s'étoit épuiſée
pour orner cet azyle ; il reçut encore
de nouveaux charmes par la préſence du
Dieu. A fon approche tout s'embellit.
Les bois pour l'ordinaire entraînent à
de tendres rêveries : l'Amour réſiſta à
leurs charmes ſeducteurs. Il ſe livra à
de ſages réflexions. Je ſuis Dieu , ditil
, & je connois la triſteſſe : le chagrin
qui m'accable eſt d'autant plus vif, que
je ſuis déchiré du remords de l'avoir mérité.
Les mortels me craignent , ils connoif
fent la dureté de mon empire : s'ils ſçavoient
quelle eſt ma foibleſſe , ils me
plaindroient au lieu de me fuir , & peutêtre
de me hair. Helas ! ils ſentent
mes coups , mais ils ignorent que ma
main n'eſt que le miniſtre d'une Déeſſe
auſſi cruelle que mon coeur l'eſt peu. La
barbare Vénus exerce ſans réſerve ſa puif
fance & mes armes. Dans le ſein des plai
FEVRIER . 1757 . 4г
}
firs elle ſe fait un jeu du tourment des
mortels aveugles. C'eſt à elle qu'ils offrent
leur encens , & moi , innocent inftrument
de ſes cruautés , je leur fuis en
horreur. C'eſt ſouffrir trop long- temps
de ſes crimes , continua l'Amour ; je mériterois
mes malheurs , ſi je n'avois pas
le courage de m'y ſouſtraire. Je dois faire
le bonheur des mortels mon coeur à
chaque inſtant me retrace ce devoir , j'en
ai trouvé le moyen, Oui , c'en eft fait ,
je quitte pour toujours la cruelle Vénus.
Il eſt une mortelle bien plus digne qu'elle
d'être la mere de l'Amour. Que cet objet
adorable faſſe chérir mes loix. Je renonce
àCythere. Adieu , Vénus.
,
Il dit , agite ſes aîles , fend les airs ,
& vient s'abattre aux pieds de Zirphé.
Belle Zirphé , lui dit-il, ce n'est qu'en
tremblant que j'oſe m'offrir à vous : je
crains que vous ne me regardiez comme
un monftre cruel , qui ne s'occupe qu'à
faire répandre des larmes , & qui ſe plaît
à les voir couler. L'on s'eft , il eſt vrai ,
ſervi de mon nom , on a dérobé mes
fleches pour percer le coeur des mortels :
mais j'en ſuis innocent ; & ma foibleſſe ne
me permettant pas de m'oppoſer au barbare
uſage qu'on faiſoit de mes armes ,
la fuite a été m'a reſſource : je me ſuis
42 MERCURE DE FRANCE.
échappé de l'empire de Vénus , & je viens
me mettre fous votre puiſſance pour changer
en fort heureux , celui dont les mortels
étoient opprimés. Recevez , pourſuivit
l'Amour , un Dieu qui ſe donne à vous.
Prenez mon flambeau ; il vous rend immortelle
: il vous embelliroit , ſi vous
aviez moins d'appas ; mais il ne peut
qu'éternifer les charmes dont vous êtes
pourvue. Daignez , charmante Zirphé, m'adopter
pour votre fils : en me refuſant ,
vous ſépareriez l'Amour & les Graces ;
ils doivent toujours être unis. Pourriezvous
craindre un Jeune Dieu qui poffede
tous les agrémens de l'enfance , &
qui joint la raiſon à ſes charmes , puifqu'il
défire d'être ſous votre empire ?
Soyez ma mere , vous ſeule pouvez l'être
; car le deſtin ordonne que je fois le fils
de la Beauté , & moi j'exige qu'elle foit
unie aux Graces , au Génie , à la Sageffe
, & je trouve en vous tout ce que
j'avois defiré.
Zirphé pouvoit-elle ſe réfufer au bonheur
des mortels ? Non. Elle fourit ,
l'Amour est adopté , la Cour de Vénus
eſt déſerte , la Déeſſe pleure , elle gémit
: mais bientôt dans les bras de quelque
amant frivole & inſenſé , elle oubliera
ſes chagrins & leurs cauſes. Les
FEVRIER . 1757 . 43
mortels cependant jouiſſent du fort le
plus doux : ils ont abandonné Cythere.
L'Amour a des temples partout où eſt
Zirphé. Elle regne fur tous les coeurs en
leur faiſant aimer & ſuivre les loix de
l'Amour raiſonnable .
FRAGMENT D'UNE EPITRE
Adreſſée à Eglé à sa Campagne.
C'EST à L' ... plus qu'à Cythere
Que les plaiſirs ont droit de captiver les ſens :
Il en eſt un pourtant qu'on n'y peut fatisfaire.
Mais , pour dévoiler ce myſtere ,
Eglé , ſoyez ma muſe , & dictez mes accens.
Ainſi j'emprunterai des mains de la décence
Le coloris de mon pinceau :
Tout l'inſpire dans vous juſqu'à votre ſilence ,
Et fans elle à vos yeux rien n'eſt bon , rien n'eſt
beau.
C'eſt à L... plus qu'à Cythere ,
Pour revenir à mon ſujet ,
Que tout nous rit , que tout nous plaît.
Hors l'un des ſens qu'on n'y peut fatisfaire :
Eſt-ce la vue ? Oh non ! la vôtre ſuffiroit
Pour me convaincre d'impoſture ;
Le ſpectacle de l'art , celui de la nature ,
Tout encor me démentiroit .
44 MERCURE DE FRANCE.
Eſt- ce l'ouïe ? Eh mais ! pour qui veut vous ens
tendre ,
Que reſte- t'il à defirer ?
Qui vous écoute doit s'attendre
Au plaifir de vous admirer.
Ce qui flatte nos yeux charme encor nos oreilles ,
Et ſans parler ici de tant d'autres merveilles , ( 1)
Dont chaque jour, le fallon retentit ;
Je penſe , là-deſſus , en avoir aſſez dit.
Eſt-ce le goût que je foupçonne ?
Ah ! gardons-nous d'inſulter à Comus ;
C'eſt lui dont la main aſſaiſonne
Tous ces mets délicats arroſés par Bacchus
Pour l'odorat , j'en atteſterai Flore :
Elle-même ſe plaît ſur ces aimables lieux
A verſer les dons précieux
Qu'elle reçoit des larmes de l'Aurore.
Ainſi donc L' ... ſçait charmer
Tous nos ſens , hors le cinquieme :
Il n'appartient de le nommer
:
:
Qu'à l'Amant qui ſçait plaire à la Beauté qu'il
aime.
(1) Des Concerts.
FEVRIER . 1757 . 45
ESSAI SUR LA POLIGAMIE
ET LE DIVORCE.
Traduit de l'Anglois de M. Hume.
LEE mariage eſt un engagement formé par
un conſentement mutuel : fon objet eſt la
conſervation de l'eſpece. Il doit donc être
fufceptible de toute la variété de conditions
que le conſentement mutuel peut
établir , pourvu que ces conditions ne
foient pas contraires à la fin qu'on ſe
propoſe.
Unhomme , en épouſant une femme , ſe
lie à elle dans toute l'étendue des termes
de ſon engagement. S'il en a des enfans , il
eſt obligé par toutes les loix naturelles &
civiles , de pourvoir à leur ſubſiſtance & à
leur éducation : lorſqu'il aura rempli ces
deux parties de fon devoir , on ne pourra
plus l'accuſer d'injustice. Mais comme les
termes de ſon engagement& les moyens
d'élever ſes enfans , peuvent être infiniment
variés ; il eſt bien ridicule d'imaginer
que le mariage doive être partout le
même , & qu'il ne ſoit ſuſceptible que
d'une feule forme. Si les loix humaines ne
reſtraignoient la liberté naturelle des hom
46 MERCURE DE FRANCE.
mes , chaque mariage particulier feroit
auſſi différent d'un autre , que les contrats
& les marchés de toute autre eſpece le font
entr'eux.
Comme les circonstances changent , &
que les loix ſe propoſent différens avantages
, nous voyons que dans les temps &
les pays différens , on a attaché différentes
conditions à cet engagement important.
Dans le Tonquin, lorſqu'un vaiſſeau
arrive dans un Port , les Matelots ſe marient
pour une ſaiſon ; &dans l'intervalle
de cet engagement précaire , ils trouvent ,
dit- on , l'exactitude la plus ſcrupuleuſe de
la part de leurs épouſes , ſoit pour la fidélité
conjugale , ſoit dans l'arrangement
économique de leurs affaires.
J'ai lu quelque part , que la Republique
d'Athenes , ayant perdu beaucoup de
Citoyens par les ravages de la guerre &
de la peſte , il fut ordonné que chacun
de ceux qui reſtoient épouſeroient deux
femmes , pour remplir plus promptement
le vuide que ces deux fléaux de l'humanité
avoient laiſſé dans la République. Le célebre
Euripide ſe trouva uni à deux femmes
laides & grondeuſes qui le tourmenterent
fi cruellement par leur jaloufie &
leurs querelles , qu'il en conſerva une haine
pour les femmes , qu'il afficha le reſte
FEVRIER. 1757 . 47
de ſa vie : c'eſt le ſeul Auteur Dramatique
, & peut- être le ſeul Poëte qui ait eu
une averfion décidée pour tout le beau
ſexe.
Dans un Roman agréable qui a pour
titre : Histoire des Sevarambes , l'Auteur
ſuppoſe qu'un Vaiſſeau fait naufrage , &
qu'il eſt jetté ſur une côte déferte. Le nombre
des hommes étoit grand , celui des
femmes très- petit. La jalouſie s'en mêla ;
les préférences mirent la diviſion dans la
troupe. Le Capitaine pourvut au défordre
par un arrangement très-bien entendu. II
choiſit d'abord la femme la plus jolie pour
lui ſeul , en affigna une pour chaque couple
de ſes Officiers , & les Matelots en eurent
une en commun pour cinq. Le plus
grand Légifſlateur dans ces circonstances
auroit- il mieux imaginé ?
Les anciens Bretons avoient une ſinguliere
forte de mariage , dont on ne trouve
pas d'exemple chez aucune autre Nation .
Un certain nombre d'entr'eux , comme
dix à douze , s'uniffoient enſemble, & formoient
une ſociété particuliere ; précaution
peut- être néceſſaire dans ces temps
barbares pour leur fûreté mutuelle. Afin
de ferrer plus étroitement les noeuds de
cette ſociété , ils avoient un nombre égal
de femmes en commun , & les enfans qui
4S MERCURE DE FRANCE.
7
en naiſſoient étoient cenſés appartenir à
tous , &étoient conféquemment entretenus
aux frais de toute la communauté.
La nature , ſuprême légiſlateur des êtres
inférieurs à l'homme , dicte elle - même
toutes les loix qu'ils obſervent dans leurs
mariages , & elle varie ces loix conformément
aux circonſtances relatives à ces différens
êtres. Dans les eſpeces d'animaux ,
qui trouvent , même en naiſſant, la facilité
de ſe nourrir & de ſe défendre , les premieres
careſſes terminent le mariage , & le
ſoin des petits eſt entiérement abandonné
à la femelle : dans celles où les petits ont
le plus de difficulté pour ſe nourrir, l'union
dure juſqu'à ce qu'ils puiſſent pourvoir
eux-mêmes à leur ſubſiſtance. Dès-lors les
liens font rompus , & le pere & la mere
reprennent chacun la liberté de former un
nouvel engagement pour la ſaiſon ſuivante.
Mais la nature ayant doué l'homme de
la raiſon , n'a pas réglé avec la même exactitude
les articles qui doivent entrer dans
les mariages de l'eſpece humaine ; elle a
laiſſé le ſoin à la prudence des hommes
de les approprier à la ſituation & aux circonſtances
particulieres. Les loix poſitives
font faites pour ſuppléer à la ſageſſe de
chaque individu , pour restraindre en
même
FEVRIER. 1757 . 49
temps la liberté naturelle de l'homme , &
ſubordonner l'intérêt des particuliers à
l'intérêt du public. Ainfi tous les réglemens
faits fur cet objet ſont également légitimes,
&conformes aux vues de la nature , quoiqu'ils
ne ſoient pas tous également convenables
& utiles à la ſociété. Les loix peuvent
permettre la polygamie , comme chez
lesOrientaux ; le divorce volontaire , comme
chez les Grecs & les Romains , ou borner
chaque homme à une ſeule femme
pendant la vie de l'un& de l'autre , comme
chez les Européens modernes. Il ſera peutêtre
intéreſſantde conſidérer les avantages
& les défavantages de chacune de ces inftitutions.
Les défenſeurs de la Polygamie peuvent
la conſidérer comme le ſeul remede
efficace contre les fureurs & les défordres
de l'amour , & comme l'unique expédient
pourdélivrer leshommesde la tyrannie des
femmes , dont la fougue naturelle de nos
paffions nous rend eſclaves. Par ce moyen
ſeul, nous pouvons rentrer dans notre droit
de ſouveraineté ; la facilité d'appaiſer le
cri des ſens , rétablit l'autorité de la raiſon
dans nos ames , & par conféquent notre
propre autoritédans nos familles. L'homme
doit oppoſer une faction contre l'autre ,
&ſe rendre abſolu par les jalouſies mutuel-
C
So MERCURE DE FRANCE.
les des femmes. Les Turcs & les Perfans ,
dans l'intérieur de leurs maiſons , gouvernent
avec l'autorité la plus abſolue. Un
honnête Turc qui, en fortant de ſon ſérail,
où un troupeau de belles femmes tremble
devant lui & s'honore d'un de ſes regards ,
verroit l'élégante Cidaliſe à ſa toilette
ſervie& encenſée par une troupe de nos
jolis hommes , & de nos petis- maîtres , la
prendroit certainement pour une Reine
puiſſante & abfolue , environnée de ſes
Eſclaves& de ſes Eunuques.
,
D'un autre côté , on peut dire avec bien
plus de raiſon , que cette fouveraineté de
Thomme eſt une véritable ufurpation ,
qui détruit la proximité , pour ne pas dire
l'égalité de rang , que la nature a mis entre
l'un & l'autre ſexe. Elle nous a fait
pour être les amans, les amis, lesdéfenſeursde
ce ſexe aimable , pourquoi changerions-
nous volontairement des titres fi
doux, pour le titre barbare de maître & de
Tyran ? Eh ! que pourrions-nous gagner
à ce procédé injufte & cruel ? Ce n'eſt pas
en qualité d'amans ;l'eſclavage des femmes
anéantit l'amour , & la galanterie , cette
agréable frivolité de la vie humaine , ne
peut plus ſubſiſter , où les femmes ne font
plus libres de diſpoſer d'elles- mêmes , &
s'achetent à prix d'argent comme les plus
FEVRIER. 1757 . SI
vils animaux : les époux n'y trouveront
pas plus d'avantage ; ils ont trouvé le ſecret
merveilleux de détruire tous les ſentimens
de l'amour , hors la jaloufie ; ils ont jetté
la roſe pour ne garder que l'épine.
Je ne tirerai pas avantage en faveur de
nos coutumes Européennes,de l'obſervation
que faifoit Mehemet Effendi , dernier Ambaſſadeur
Turc en France. Nous sommes de
grandes dupes , diſoit- il , en comparaison de
vous autres Chrétiens : nous nous donnons la
peine d'entretenir à grands frais un ſerail
dans nos maisons ; vous êtes diſpenſés de ce
foin , vous avez vos férails dans les maisons
de vos amis. La vertu très-connue de nos
femmes Angloiſes , les met à l'abri d'une
pareille imputation , &le Turc même doit
convenir que rien ne peut embellir , animer
& polir davantage la ſociété , que le
commerce libre que nous avons avec le
beau ſexe.
Mais les moeurs Aſiatiques font auffi
deſtructives de l'amitié que de l'amour ; la
jalouſie ne permet aucune inimitié entre
les hommes mêmes. On ne donne point à
manger à fon ami , parce qu'on craint que
cet ami ne devienne l'amant de quelqu'une
de vos femmes. Auſſi dans tout l'Orient
chaquefamille eſt ſéparée des autres , comme
ſi elles étoient de différentes Nations.
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
Je ne ſuis point du tout furpris que
Salomon vivant , comme tous les Princes
d'Orient , entre les bras de ſept cens femmes
&de trois cens concubines , ſans avoir
un ſeul ami , ait écrit ſi vivement contre
les vanités de ce monde. S'il avoit eſſayé
de vivre avec une femme ou une maîtreffe ,
peu d'amis &beaucoup de gens aimables ,
il auroit trouvé la vie un peu plus piquante
: mais , détruiſez l'amour & l'amitié ,
que reſte-t'il dans le monde qui puiſſe
nous conſoler d'y être ?
Pour rendre la Polygamie plus odieuſe ,
je n'ai pas beſoin de rappeller les effets
horribles de la jaloufie , & la contrainte
barbare dans laquelle elle retient le beau
ſexe dans tout l'Orient. Les hommes n'y
ont aucun commerce avec les femmes , les
Médecins même n'approchent pas de celles
en qui la maladie doit avoir éteint le feu
du tempérament , & qu'elle rend en
même temps des objets peu propres à faire
naître des defirs. Tournefort raconte ,
qu'ayant été appellé , comme Médecin ,
au férail du Grand- Seigneur , il ne fut pas
peu étonné de voir un grand nombre de
bras nuds fortir à travers de la tapiſſferie de
la chambre où on le fit entrer. Il n'imaginoit
pas ce que ce pouvoit être : mais on
lui apprit que ces bras appartenoient aux
FEVRIER . 1757 . 53
}
corps qu'il devoit guérir , & qu'il ne pouvoit
apprendre de leurs maladies que ce
que les bras pourroient lui en dire ; il ne
lui fut pas même permis de faire des queftions
aux malades ni à leurs domeſtiques ,
quoiqu'il trouvât eſſentiel de s'informer
de quelques circonstances que la délicateſſe
du ſérail ne permettoit pas de réveler.
Auſſi les Médecins Orientaux prétendent
connoître toutes les maladies par le poulx ,
comme nos Charlatans les traitent par
l'inſpection ſeule des urines. Si , par exemple
, M. Tournefort avoit été un Empirique
de cette derniere eſpece , la jaloufie
Turque n'auroit pas ſouffert qu'on lui donnât
ce qu'il auroit demandé pour l'exercice
de fonArt.
: Les Chinois chez qui la Polygamie eſt
auſſi établie , ont ſoin d'eſtropier leurs
femmes en leur ferrant & rapetiſſant les
pieds au point qu'elles ne peuvent prefque
en faire aucun uſage : ils ont trouvé
cet expédient pour les obliger à reſter toujours
dans leurs maiſons, Mais je furprendrai
bien le lecteur , en lui apprenant
qu'il y a en Europe un pays où la
Polygamie n'eſt point connue , mais où
la jalouſie eſt pouffée ſi loin , qu'il eſt indécent
de ſuppoſer même qu'une femme
d'un rang élevé ait des jambes & des
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE.
pieds. Un Elvagnol eſt jaloux des penſées
de ceux qui approchent de ſa femme ,&
il voudroit prévenit , s'il étoit poffible ,
que l'on attentat à fon honneur , même
par des defirs. Lorſque la mere du feu Roi
d'Eſpagne alla à Madrid , elle paffa par
une petite Ville renommée pour ſes Manufactures
de bas & de gants. Les Magiftrats
du lieu crurent qu'ils ne pouvoient
mieux témoigner le plaiſir qu'ils reffentoient
à recevoir leur nouvelle Reine ,
qu'en lui faiſant un préſent des marchandiſes
qui rendoient leur Ville remarquable.
Le premier Officier de la Reine reçut
très-gracieusement les gants , mais quand
on lui préſenta les bas , il les rejetta avec
indignation , & réprimanda ſévérement
les Magiftrats pour cette indécence inouie :
Sçachez , leur dit il , qu'une Reine d'Ef
pagne n'a point dejambes. La pauvre jeune
Reine , qui alors n'entendoit qu'imparfaitement
la langue , & qui avoit été fouvent
effrayée des hiſtoires qu'on lui avoit
faites de la jalousie Eſpagnole , imagina
qu'on devoit lui couper les jambes , & làdeſſus
elle ſe mit à pleurer , & à demander
à grands cris qu'on la remenât en Allemagne
, parce qu'elle ne pourroit jamais
endurer cette opération.On eut beaucoup
de peine à la raffurer & àla tranquillifer
FEVRIER. 1757 . 55
& l'on dit que Philippe IV n'a jamais ri
de ſa vie qu'au récit de cette avanture .
Si l'on ne peut pas ſuppoſer qu'une Dame
Eſpagnole ait des jambes , que fera ce
donc d'une femme Turque ? Auſſi eſt- ce
une groſſiéreté &une indécence à Conſtantinople
de faire même mention des
femmes de quelqu'un en ſa préſence ; il
eft vrai qu'en Europe les gens bien élevés,
ſe font auſſi une loi de ne jamais
parler de leurs femmes ; mais il n'y entre
pointdejalouſie.
Le Préſident de Montesquieu donne
une raiſon très-ſenſée de cette maxime de
politeffe. Les François , dit- il , ne parlent
presque jamais de leurs femmes , c'est qu'ils
ont peur d'en parler devant des gens qui
les connoiſſent mieux qu'eux. Lett. Perf.
Lett. LIII .
Si l'on rejette la Polygamie , & que l'on
ſuppoſe l'union d'un homme & d'une femme
fixés l'un à l'autre , il nous reſte à
examiner quelle durée il faudra affigner
à cette union , & fi l'on peut admettre
ces divorces volontaires , en uſage chez
les Grecs& les Romains. Voici les raifons
qui pourroient déterminer en faveur de
cette pratique.
Le dégoût & l'averſion naiſſent ſouvent
après le mariage de mille circonstances
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
communes & de l'incompatibilité d'humeur
: le temps , au lieu de fermer les bleffures
quedes injures réciproques ont faites,
les r'ouvre chaque jour,& les empoiſonne
par de nouvelles querelles & de nouveaux
reproches. Qu'il foit permis de ſéparer
des coeurs qui ne ſont pas faits l'un pour
l'autre; chacun d'eux en trouvera peutêtre
un autre qui lui conviendra mieux ,
du moins rien ne paroît plus cruel que
de vouloir maintenir par force une union ,
formée d'abord par un amour mutuel , &
rompue enfuite réellement par une haine
réciproque.
De plus , la liberté du divorce n'eſt
pas ſeulement le remede des querelles&
des haines domeſtiques , c'eſt encore un
préſervatif admirable contre ces accidens
du mariage ; mais c'eſt encore le ſeul
moyen d'entretenir entre deux époux la
même tendreſſe qui les avoit unis. Le
coeur de l'homme ſe plaît dans la liberté ,
& l'image ſeule de la contrainte eſt une
peine. Lorſque vous l'obligez de faire par
force ce qu'il auroit fait par choix , fon
inclination change , & fon goût ſe tourne
en averſion : ſi l'intérêt public ne nous
permet pas de jouir de la variété que la
Polygamie nous offriroit,& qui eſt ſi agréable
en amour , au moins il ne nous prive
FEVRIER. 1757. 57
pas de la liberté qui lui eſt ſi eſſentielle.
Vous aurez beau me dire que je ſuis le
maître de choiſir la perſonne à qui je m'unirai
: je ſuis le maître , il eſt vrai ,
de choiſir ma priſon ; mais c'eſt une triſte
confolation de n'avoir que le choix d'une
prifon.
Ce font- là les raiſons qui ſe préſentent
en faveur du divorce , mais il eſt aiſé de
les réfuter par trois objections inſolubles .
1 °. Que deviendront les enfans après la
ſéparation du pere &de la mere ? Faudrat'il
les remettre entre les mains d'une marâtre
,& les arracher à la tendreſſe active
& aux foins paſſionnés d'une mere ? Les
abandonnera-t'on à l'indifférence & à la
haine d'un étranger ou d'un ennemi ? Cer
inconvénient ſe fait aſſez ſentir dans ces
divorces naturels , lorſque l'arrêt inévitable
à tous les mortels vient rompre les
liens de deux époux ; ce ſeroit chercher à
multiplier ces inconvéniens , que de multiplier
les divorces ; ce ſeroit laiſſer aux caprices
des parens la liberté de rendre leur
poſtérité malheureuſe. 2°. S'il eſt vrai que
le coeur de l'homme ſe plaît dans la liberté,
&abhorre tout ce dont on lui fait une loi ,
il eſt vrai auſſi qu'il ſçait ſe ſoumettre à
la néceſſité , & renoncer aux goûts qu'il
ſent être dans l'impoſſibilité de fatisfaire.
Cv
58 MERCURE DE FRANCE.
Ces principes , tout contradictoires qu'ils
paroiſſent , font dans la nature de l'eſprit
humain ; l'homme eft- il autre choſe qu'un
amas de contradictions ? Et quoique ces
différens mouvemens foient contraires
dans leurs opérations , ils ne ſe détruifent
pas toujours l'un l'autre ; mais l'un
on l'autre domine ſuivant les différentes
circonſtances. Par exemple , l'amour eft
une paffion inquiéte & impatiente , fujette
aux caprices & aux variations , qu'un
moment voit naître d'un regard , d'un
air , d'un rien , & qui s'éteint de même :
la liberté lui eſt ſurtout eſſentielle , & il y
avoit autant de raifon que de ſentiment
dans le refus que fit la tendre Héloïſe de
devenir l'épouſe de ſon cher Abélard ,
crainte que les noeuds de l'hymen ne
vinſfent à relâcher ceux de l'amour. Mais
l'amitié eſt un ſentiment calme & réfléchi
, guidé par la raifon , & cimenté par
l'habitude , qu'une longue connoiffance
&une convenance mutuelle ont fait naître
, fans jalousie , fans crainte & fans ces
accès fiévreux de chaud & de froid , qui
font le tourment & l'intérêt d'une tendre
paffion. Cependant l'amitié , ce ſentiment
fi modéré , fe fortifie plutôt par la contrainte
, & n'a jamais tant d'activité , que
lorſqu'un intérêt preſſant où la néceffité
FEVRIER. 1717. 59
i
unit deux perſonnes enſemble , & Icur
donne un objet commun de beſoin & de
recherches . Conſidérons maintenant lequel
doit plutôt dominer dans le mariage
, de l'amour ou de l'amitié , & nous
déciderons bientôt ce qui eſt le plus favorable
au mariage , de la liberté ou de
la contrainte. Les plus heureux mariages
font afſurément ceux de deux amans , dont
l'amour ſe change par l'habitude en une
amitié ſolide. Les tranſports & les ravitfemens
de l'amour ne paſſent jamais le premier
mois du mariage , & les faiſeurs de
Romans même , malgré toute la liberté de
fiction qu'ils ſe donnent , font obligés d'abandonner
leurs héros amoureux le premier
jour de la cérémonie : ils trouvent
bien plus aiſé de foutenir une paffion
pendant douze ans par un enchaînement
de froideurs , de dédains & d'obstacles ,
que de la faire durer une ſemaine dans
la fécurité & la poſſeſſion tranquille de
l'hymen. Nous ne devons pas craindre
d'ailleurs de ferrer les noeuds du mariage
trop étroitement : l'amitié , ſi elle est fincere
& ferme entre les deux époux , ne
peut qu'y gagner , & fi elle est encore
foible & chancelante , c'eſt le meilleur
moyen de la fixer. Combien de querelles
minutieuſes &de petits dégoûts , ſur lef
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
quels une prudence ordinaire fait paffer
deux perſonnes qui fentent la néceſſité de
paffer leur vie enſemble , mais qui allu
meroit entr'eux une haine mortelle , &
qu'ils poufferoient à l'extrêmité , s'ils
avoient la reſſource d'une ſéparation
prompte & facile ! 3 *. Nous devons confidérer
encore que rien n'eſt plus dangereux
que d'unir deux perſonnes dont les
affaires & les intérêts font auſſi étroitement
liés que ceux d'un mari & d'une
femme , fans rendre cette union entiere
& indiffoluble. La moindre poſſibilité
d'une ſéparation d'intérêt doit être une
fource de craintes , de jaloufies & de
querelles fans fin. Ce que le Docteur
Parnell appelle l'humeur un peu dérobante
de lafemme , ſera doublement ruineux , &
l'humeur intéreſſée du mari , étant jointe
à l'autorité & à un pouvoir plus grand ,
fera encore plus dangereux.
Si ces raiſons contre le divorce volontaire
paroiſſent inſuffifantes , j'eſpere que
perſonne ne récuſera le témoignage de
l'expérience. Lorſque les divorces furent
les plus fréquens chez les Romains , les
mariages furent plus rares , & Auguſte
fut obligé d'établir des loix pénales , pour
forcer à ſe marier ceux que le bon ton
& la mode retenoient dans le célibat ;
FEVRIER. 1757. 61
1
fingularité qu'il ſeroit difficile de trouver
dans aucune autre nation .
Ainſi les inconvéniens de la Polygamie
&du Divorce font aſſez ſentir l'avantage
de notre pratique Européenne dans ce qui
regarde les mariages.
VERS
AMadame d'Argenville la fille , à l'occaſion
deſa fête ; par M. le Chevalier de
Laurès.
Ce n'est donc qu'à l'Hymen à célébrer ce jour ;
Ses fleurs ſeules ont droit de parer votre tête :
Vous vous irriteriez des myrtes de l'Amour.
Votre Fête eſt pourtant ſa Fête.
Vous êtes de ſes mains l'ouvrage le plus beau,
D'Argenville : avec ſon flambeau
Il alluma vos yeux , il y fixa ſes armes ;
De ſes cheveux d'ébene, il vous prêta les charmes
Il deſſina vos traits , il arrondit vos bras ,
Il forma votre fein , il y perdit ſes aîles ;
Enfin , il vous orna de mille autres appas ,
Dont on ſe doute & qu'on ne connoît pas..
Mais des feux de l'amour craignons les étincelles,
Sa flamme vole autour des Belles .
Fuyons , laiſſons ce Dieu vous préſenter ſes
voeux ,
Vous admirer feroit trop dangereux.
62 MERCURE DE FRANCE .
!
1
1
AM. DE BOISSY.
JE n'ai de ma vie rêvé que je fuſſe Poëre ,
& il y a long- temps, Monfieur, queje ſçais
apprécier ce que vous allez lire. Mais j'aimois
, & l'on vouloit des vers : je fis des
rimes, comme mille honnêtes gens qui n'y
entendent pas fineſſe. Je crois au reſte
que ce n'eſt un ridicule que pour ceux
qui , ayant une haute idée de leurs talens ,
n'en ont aucune ni de la verfification , ni
de la poéfie. Après cette déclaration , que
j'ai cru devoir à un homme de votre rang
dans la république des Lettres , vous pouvez
fupprimer les Loix de l'Amour ; je m'y
attends , parce que je n'ignore pas que les
rimes font très- mal dans la proſe ; & je
n'en ſerai ni avec moins d'eſtime , ni avec
moins de conſidération , Monfieur , votre
très- humble & très- obéiſſant Serviteur ,
Ph. ROMALEI .
A Paris , le 10 Janvier 1757 .
On ne sçauroit rejetter les vers d'un
Aureur qui écrit auſſi modeſtement en proſe,
ſurtout quand il reſpecte les regles , &
qu'il fuit le fentiment.
FEVRIER . 1757 . 63
i
LES LOIX DE L'AMOUR.
DIEUX ! qu'entends-je ? quel doux délyre
Enchaîne & flatte tous mes ſens ?
C'eſt le fils de Vénus ; il accorde ma lyre :
Oui , je le ſens ; mon coeur ſoupire....
Amour , je reconnois tes céleſtes accens.
Vous , qui vivez ſous ſon empire ,
Jeunes beautés , tendres Amans ,
Ecoutez les décrets de ce Dieu qui m'inſpire ;
Et vous , adorable Thémire ,
Daignez me regarder avec vos yeux charmans.
vous! dont la délicateſſe
Connoît le prix d'un ſentiment ,
Recevez un vainqueur des mains de la Sageffe.
Craignez , hélas ! votre tendreſſe :
Le coeur aime , il ne peut ſe choiſir un Amant.
Que l'Amant foit tendre& fincere ,
Qu'il foit délicat & conftant ,
Qu'il ſoit refpectueux : voilà tout l'art de plaire.
De fon fort il ſera content ,
Si de tes biens , Amour , il ſçait ſe ſatisfaire.
Que de plaiſirs , quelles délices
Ce Dieu verſera dans vos coeurs !
Il n'exige de vous que peu de ſacrifices :
*
64 MERCURE DE FRANCE.
Sacrifiez - lui vos caprices :
C'eſt à ce prix , Amans , qu'il offre ſes faveurs.
ENVOI.
vous ! dont l'air touchant & tendre
Sçut forcer mon coeur à ſe rendre ;
Vous , pour qui je brûle d'amour ,
Thémire , recevez monhommage en ce jour
Reſpectueux , tendre & fidele ,
Je ſerai toujours le modele
Des Amans dignes d'être heureux.
Avec un coeur ſi génereux ,
Manquerez-vous long-temps àla reconnoiſſance
Ne doit - on rien à la conſtance ?
VERS
Sur la Mort de M. de Fontenelle.
DESMuſes , des Amours à l'envi regretté ,
Fontenelle eſt enfin ſur les bords du Léthé.
Mais s'il perd la mémoire en traverſant fon onde,
On gardera long-temps la fienne dans ce monde,
Qui jamais eût plus droit à l'immortalité ?
Dans ſes ingénieux & doctes Nécrologes ( 1 )
(1) Livres où l'on écrit la date de la Mort des
Perſonnes Illustres . Ce mot Nécrologes rime tres- richement
avec éloges , mais par malheur il est peu
FEVRIER. 1757 65
Cent noms ſont en chemin pour la poſtérité :.
Nul autre , fans bleſſer l'auguſte vérité ,
N'a peut-être plus fait de différens éloges ,
Et perſonne , avant lui , n'en a tant mérité.
connu dans le monde , &n'a pas toute la douceur
que demande la Poésie.
LA MERE , L'ENFANT ET LE CHAT,
LEÇON EN VERS
A Mademoiselle la Comteſſe d'O ...
BADINEZ , folâtrez , amuſez-vous , ma fille ,
Diſoit au Phénix des enfans
La plus aimable des Mamans.
Dans lemonde ſurtout , encor plus qu'à la grille ,
Entre l'étude & le plaifir ,
Vous n'ignorez pas qu'à votre âge ,
La regle veut qu'on ſe partage ,
Et je ſçais le beſoin d'un innocent loiſir.
Déja dans cette folitude
Jevous vois livrée à l'étude :
Nul reproche de ce côté.
Vous exercez votre mémoire ,
Et dans la fable , & dans l'hiſtoire,
Par goût & par docilité.
Mais puiſqu'il faut ici parler avec franchiſe ,
C'en est beaucoup fans doute , & pourtant pas
affez.
66 MERCURE DE FRANCE.
Ames ordres ſouvent vous déſobéiſſez ,
Sur un point que jamais ma bonté n'autorife.
Raton eſt votre idole ( on ſçaura que Raton
Etoit un Angola gâté dans la maiſon ) ;
Redoutez ſa griffe homicide :
C'eſt le portrait de mille gens
Qui , ſous des dehors ſéduiſans ,
Recelent une ame perfide .
Iſmene à ce diſcours ( c'eſt le nom de l'Enfant )
Promet à l'avenir une extrême prudence :
Oui , vous pouvez compter ſur mon obéiſſance.
Autant de tels projets en emporte le vent.
L'ami Raton , témoin auriculaire
De ces conſeils , & partant bien inſtruit
De tout ce qu'il avoit à faire ,
Pour qu'Iſmene en perdît le fruit ,
N'attend , pour fortir de ſon gîte,
Que l'absence de la Maman.
Reprenant alors ſon élan ,
Auſfi-tôt il paroît pour le coup qu'il médite.
Il rode autour d'Iſmene , il y fait mille tours :
Que von t produire , hélas ! tant de ſages dif
cours ! ).
L'Enfant joue , & de fa promefle
N'ayant nul ſouvenir , recommence toujours :
Le traître , que ſa main careſſe ,
Lui fait ſa patte de velours ,
Si bien qu'Ifmene a l'injuftice
D'attribuer au ſeul caprice
یک
FEVRIER. 1757 . 67
+
Un avis qui , ſelon ſon coeur ,
Lui ſemble trop plein de rigueur.
Mais bientôt de ſes dards cruellement atteinte ,
Elle ſent ſa témérité ,
Et ſur ſes bras meurtris on reconnoît l'empreinte
De ce traitement mérité.
Cet eſſai de ma Muſe eſt bien moins une fable
Qu'un récit aſſez véritable ,
Iſmene , des périls que vous avez courus.
Il me reſte encor à vous peindre
Tous ceux que vous avez à craindre
Pour éviter un jour de rernir vos vertus.
Je vous aime , je ſuis fincere ,
Et veux vous inſtruire & vous plaire :
Si je remplis ces deux objets ,
Mes deſirs feront fatisfaits.
Ainſi donc voici la morale
Qu'il faut tirer de ce récit :
L'obéiſſance filiale.
Malheur à qui déſobéit !
IMPROMPTU
A une Dame qui venoit de chanter :
Regne Amour , &c.
N'INVITEZ plus l'Amour , adorable Climene ,
D'une voix qui l'inſpire à régner dans ces lieux
68 MERCURE DE FRANCE:
Mais ſçachez que ce Dieu ſuit ſa Mere fans peine
Et qu'il regne partout où l'appellent vos yeux.
Par un Soldat du Régiment de Touraine
Infanterie.
LE mot de l'Enigme du ſecond Mercure
de Janvier eſt la Barbe. Celui du Logogryphe
eſt Subordination , dans lequel ontrouve
or , turban , vin , bord , fon , Idas ,
Nadir , ris , rôt , Bias , butin , but , bourdon
, Anubis , Adonis , butor , boudin
vain , bis , ibis , Io , Dina , Dio , bastion ,
Ida , tour , Ino , taôn , ris , tiſon , ruban.
ENIGME.
LA Terre&
leDieu du jour
Enſemble ont formé ma ſtructure ;
Quoique le fruit de leur amour
Je n'en eus jamais la figure :
Autempsj'ai fait donner un nom :
Enfant du plus illuſtre pere ,
Mais plus cruel envers ma mere ,
Sans que j'en ſçache la raiſon ,
Je ſuis le fils le plus rébelle :
J'oſe lui déchirer le ſein ,
Mais c'eſt pour la rendre plus belle
Et plus utile au genre humain :
FEVRIER . 1757: 69
J
Mes freres , l'honneur des familles ,
Trouvent un gardien en moi :
Pardifférens endroits je brille ;
Cher Lecteur , penſe , cherche , voi.
LOGOGRYPHE.
ſuis faite pour être au deſſus du vulgaire ,
Jetiens à la naiſſance , aux talens à l'argent ;
Mais malheur à qui dégénere ,
Je rentre alors dans le néant.
D'onze membres je ſuis , cher Lecteur , compoſée,
Tourne , & retourne-les , combine , & dans mon
fein
Tu trouverás , c'eſt choſe aiſée ,
De mots & de noms un eſſain ;
Le premier d'un état , celui d'une famille ,
Celle qui la premiere induifit l'homme au mala
Un Pape , un oiſeau qui babille ,
Un des fléaux , ſon interval ;
Un légume , un jardin , un mets , une racine }
Une bête féroce , un enfant d'Apollon ,
Un pain de beurre & de farine ;
Une mouche égale au frélon ,
Le premier d'un Chapitre , ou bien d'un Mod
naſtere ;
Un lieu de feu , de peine &du plus doux eſpoir
Un reptile à dent meurtriere ,
Un animal du plus beau noir ,
70 MERCURE DE FRANCE .
Un terrein verd , uni , notre mere nourrice ,
Sa plus belle partie , un Chevalier du Nord ,
Un mal aigu ſuite du vice ,
Un autre pire que la mort ;
D'Alger ou d'Albion , un déteſtable éleve ,
Un vaſe fait d'argille avec ſon ouvrier :
C'eſt aſſez , mon coeuvre j'acheve
Lecteur , pour ne point t'ennuyer.
:
,
Par M. DE S. AMAND , en Berry.
CHANSON.
Air à Boire.
Du Dieu de la treille ,
Je chante les dons :
Que de ma bouteille
Naiffent mes Chanfons.
Rivaux de ſa gloire ,
Aimables Buveurs ,
Chantez ſa victoire ,
Aimez ſes faveurs.
De ce jus qu'on aime
S'enivrent les Dieux :
Ah ! buvons de même !
Nous vivrons comme eux.
La musique est de M. Gelin.
:
Air de Basse - taille .
Du Dieu de la treilleje chante les
dons, Que de ma bouteil-le Naissent
W
mes: chansons: sons:Rivaux de sagloireAi --
=-ma- bles buveurs, Chantes sa victoire Ai
M
+
=-més ses faveurs, Chantés chan =
1
tés sa vic- toire chantés, chan =
= -tés sa vic-toire,chantes sa victoi- re Ai
Fevrier 1757 .
=-més ses faveurs , Rivaux de sa
gloireChantés sa victoi
Fin.
=-re Ai-mes sesfaveurs. De cejus qu'on
ai--me S'enyvrent les Dieux ,
Ah! buvons demême Nous vivrons come
eux . Rivaux de sa gloire aimables.
GravéparLahassée.
ImpriméparTournelle.
FEVRIER . 1757. 71
}
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
M. le Dran , Maître en Chirurgie ,
Membre de l'Académie royale de Chirurgie
, & de la fociété de Londres , ci-devant
Chirurgien en chef de l'Hôpital de
la Charité , ancien Chirurgien-Confultant
des armées du Roi , publia en 1730
un Parallele des différentes manieres de tirer
la pierre hors de la veſſie .
2
Cet ouvrage eut le plus grand ſuccès ; il
a été traduit dans preſque toutes les langues
de l'Europe : mais cette réuffite a éré
empoiſonnée pourM. leDran,Citoyen aufſfi
zélé , qu'Opérateur habile , par la ferveur
dangereuſe qu'elle a produite. Pluſieurs
commençans enChirurgie ſe ſont jettésdans
la lithotomie ; & non contens d'opérer fur
la foi de leur conception , ils ont cru pouvoir
inventer ſur la foi de leur zele encore
foiblement éclairé. Les malades , trop confians
, doivent en être la victime , & c'eſt
pour obvier aux ſuites d'un abus funeſte
que M. le Dran vient de publier une ſuite
du Parallele des différentes manieres de
72 MERCURE DE FRANCE .
i
1
1
1
1
faire l'extraction de la pierre qui eſt dans la
veſſie urinaire. Il examine les méthodes
différentes, de pluſieurs hommes célebres ,
par leſquelles on entre dans la veſſie par
une inciſion faite à ſon corps ; il en montre
les avantages & les inconvéniens , &
dans ſon opinion , il s'en faut bien que les
uns foient équivalens aux autres. Cet ouvrage
eſt terminé par des regles très- réfléchies
ſur les attentions néceſſaires dans la
pratique de la Lithotomie , ſur le choix
de la méthode , ſur l'examen des inftrumens
, fur la décifion , ſur la maniere de
prendre la pierre avec la tenette , ſur la
maniere de faire l'extraction de la pierre ,
fur les attentions qu'on doit avoir pour la
plaie. « Toutes les méthodes ont été pratiquées
, & toutes ont eu du ſuccès , dit
>>M. le Dran : le choix ſeroit- ildonc indif-
>>ferent ? Non , il ne l'eſt pas plus que la
> maniere de les pratiquer ; & quoiqu'une
>>>nature victorieuſe ait ſouvent ſauvé un
>>malade du péril d'une méthode dange-
>>reuſe , pendant que le plus robuſte a ſuc-
>>combé ſous la méthode la meilleure , par
> bien des raiſons dépendantes de la mala-
» die , du manque d'attention en oré-
» rant , du manque de ſoins après l'opé-
>> ration , &c . cela ne conclud rien , & il
>> ſera toujours vrai , que s'agiſſant d'une
>>opération
FEVRIER. 1757 . 73
د
>>opération qui doit décider de la vie des
>>hommes on ne peut trop examiner
» quelle eſt la moins dangereuſe par elle-
» même. » Cette nouvelle partie ſe trouve
à Paris , chez la veuve Delaguette ,
Imprimeur de l'Académie royale de Chirurgie
, rue Saint Jacques , à l'Olivier.
HISTOIRE Civile& politique de la Ville
deRheims, en trois volumes in- 12, parM.
Anquetil , Chanoine Régulier de la Congrégation
de France. ARheims , chez Delaiſtre
Godet , fils , Libraire , rue de l'Ecreviſſe.
L'Hiſtoire de Rheims a été compoſée
fur les monumens les plus authentiques .
On y trouve pluſieurs trais relatifs aux affaires
générales du royaume ; l'origine &
les révolutions du gouvernement municipal;
les ſacres des Rois ; les prérogatives de
la pairie ; les formes uſitées dans la levée
des impôts; les progrès des Arts & des
ſciences ; un détail de faits concernant la
fameuſe Pucelle d'Orléans ; des Anecdotes
remarquables ſur Louis XI ; les démêlés ,
&même les guerres des Archevêques avec
les Rois , les Seigneurs voiſins , le Chapitre&
la Ville ; les principales actions de
ces Prélats; leurs moeurs , leurs talens ,
leur caractere. Peu de Villes particulieres
D
74 MERCURE DE FRANCE.
ont ouvert un champ plus étendu à l'hiſtoire.
En lifant les événemens qui ont rendu
celle- cı célebre dans le royaume, on voit ce
que peut l'ambition de quelques hommes ,
lorſque la fortune les a mis dans une place
où elle puiſſe s'exercer. L'hiſtoire de la
Ville de Rheims eſt diviſée en quatre époques.
Les trois premieres offrent beaucoup
de crimes , d'actions barbares , de révolutions
, de troubles affreux . La premiere finit
à l'année 940 , & comprend tout le
temps qui s'eſt paffé depuis la fin de la République
Romaine, juſqu'au regne deLouis
D'outremer, Roi de France. Juſqu'alors la
ville de Rheims avoit été république. Lors
de l'invaſion des Francs , elle fubit la deftinée
des autres Villes des Gaules : elle devint
enſuite l'objetde l'ambition desRoisde
Soiffons & d'Auſtraſie, enfin des Maires du
Palais . Elle n'offre plus depuis ce moment
&pendant long-temps que des objets finiftres
: un peuple errant , fugitif , accablé
demaux fans ceſſe renaiſſans , les campagnes
en feu , la Ville inondée du fang de
ſes habitans , la perfidie honorée , le ſanctuaire
profané pendant la guerre contre
les Anglois. Philippe Auguſte avoit demandé
un fubfide aux Chanoines de
Rheims. Ceux- ci le refuſerent , l'aſſurant
d'ailleurs qu'ils ne refuſeroient point leurs
FEVRIER. 1757. 75
prieres pour la proſpérité de ſes armes. Le
Roi ne forma aucune plainte , mais il eut
bientôt ſa revanche. Le Comte de Rethel ,
&le Seigneur de Coucy voiſin des terres
du chapitre , y ffrent une incurfion.
Surpris & einbarraſſes , les hanoines eurent
recours au Roi qui leur repondit :
Quand je vous ai demandé du ſecours , vous
vous êtes conteniés de prier Dieu pour moi :
combattez maintenant , & je prierai Dieu
pour vous. Dans la troiſieme époque ,
l'hiſtoire des Rhémois commence à faire
partie de l'hiſtoire générale. Ils avoient été
formés aux combats dans des guerres in- >
teſtines : ils exercent leur courage contre
les Anglois dont toutes les forces
échouent devant leur Ville ; mais par un
retour imprévu , ils deviennent eſclaves de
cesmêmes Anglois qu'ils avoient détestés .
On jura à Rheims , comme dans la plûpart
des autres Villes , la proſcription de
Charles VII , & ce ne fut qu'en trompant
la multitude par une politique adroite, que
les principaux Citoyens parvinrent à la
ſoumettre à la voix du devoir. La quatrieme
époque eſt preſque toute occupée par
les affairesde la ligue. Les Rhémois étoient
entiérement devoués aux Guiſes , mais ils
furent les premiers à ſe repentir ; & depuis
ils refterent conftamment attachés à leurs
د
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
légitimes Souverains. Une grande diverſité
de caracteres , produit une grande variété
dans cette hiſtoire , qui d'ailleurs eſt bien
écrite & doit être diſtinguée parmi le petit
nombre d'hiſtoires particulieres qui
méritent d'intéreſſer un Lecteur curieux.
TRADUCTION des partitions Oratoires
de Ciceron ; accompagnée de notes pour
l'éclairciſſement du texte & des remarques
, ſuivies d'exemples ſur toutes les
parties de la Rhétorique ; avec la harangue
de Ciceron , de la divination contre
Q. Cécilius. AParis , chez Debure , l'aîné ,
Quay des Auguſtins , du côté du Pont
S. Michel , à S. Paul , & chez Denis- Jean
Aumont , Place du College Mazarin , à
SteMonique.
C'eſt un Livre très-utile pour les jeunes
gens dans le cours de leurs claſſes
& que l'homme du monde peut lire avec
avantage & avec plaiſir. Ce font des interlocutions
détaillées ſur toutes les parties
de l'art Oratoire. Ciceron y répond
en maître à toutes les queſtions de fon
fils qu'il fait parler & qu'il ſuppoſe déja
inftruit. En l'écoutant parler& répondre
il ſemble que l'on reçoit une partie de fon
talent. On a diviſé le traité en pluſieurs
chapitres , dont le titre indique les diffé
FEVRIER. 1757 . 77
rentes queſtions qui y font traitées , &
l'on a éclairci par des notes les endroits
du texte qui pourroient avoir quelque
difficulté. On a joint des remarques qui
renferment les exemples fur les regles ,
dans l'ordre que Ciceron les expoſe . On a
recueilli pour les regles , ce que les meilleurs
Maîtres , foit anciens , foit modernes
, ont écrit de plus important & de
plus utile ; & pour les exemples , on a
choiſi les endroits les plus beaux & les
plus inſtructifs des plus célebres Orateurs.
Ces partitions Cratoires font de tous les
traités de Ciceron ſur l'éloquence , le plus
complet & le plus profond. Il y fixe les
talens abſolument néceſſaires dans un
Orateur ; l'invention , car il faut des idées
neuves , des choſes qui n'aient point été
employées ; la diſtribution ou l'arrangement
, car les meilleures raiſons , les plus
ſages maximes , les idées les plus brillantes
, demandent d'être à leur place pour
produire leur effet ; l'élocution enfin , car
les fruits de l'imagination & de l'ordre
font abſolument dépendans de l'art de
dire ; c'eſt à lui qu'il eſt réſervé d'entraîner
l'eſprit. Il paroît que le Traducteur
n'a pas voulu ſe borner à être fidele. L'élégance
de ſa traduction décele un goût &
un talent d'écrire peu communs.
Diij
78 MERCURE DE FRANCE .
MINORQUE conquiſe , Poëme héroïque
en quatre Chants. A Geneve , & ſe trouve
à Paris , chez la veuve Delormel , & fils ,
Imprimeur de l'Académie de Muſique ,
rue du Foin , à l'Image Ste Geneviève .
Prix 30 fols.
Ce petit Poëme eſt dans la forme épique
; la fiction s'y trouve mêlée avec la
vérité. Cet alliage a produit le ſecond
Chant , dont l'idée pourroit plaire dans
un ſujet qui ſeroit moins près de nous.
L'Auteur feint que l'Amour entra dans le
projet des François ,& que pour favoriſer
&laNation& le Maître aimable& chéri
qui la gouverne , il vola à Minorque ſous
l'habit de Berger.
Ce Dieu , depuis long-temps n'habitoit plus Cythere
;
Il fixoit dans Paris ſon ſéjour ordinaire .
C'eſt-là que, prodiguant ſes plus cheres faveurs ,
D'un ſexe né ſenſible il gagnoit tous les coeurs.
Dans ces lieux fortunés qu'enchantoit ſa préſence,
Tout plaiſoit , tout ſuivoit une aimable licence :
Le caprice lui-même avoit ſon agrément ;
La vertu ſe paroit des traits de l'enjoûment.
Comme elle , au goût du temps compoſant fon
viſage ,
La ra iſon ſéduiſoit ſous l'air du badinage.
FEVRIER. 1757 . 79
L'artifice prêtoit à Pinfidélité
Le voile ingénieux de la ſimplicité ,
Er le defir piquant de la froide indolence ,
Pour mieux ſe ſatisfaire , affectoit Papparence.
C'eſt ainſi qu'on voyoit renaître dans Paris
Les beaux jours qu'à ſon peuple avoit donné Cypris.
Libres de préjugés , les Amans & les Belles
Y brûloient , ſans rougir , de mille ardeurs nouvelles.
Fideles au plaiſir , il s'y jouoient d'un coeur ,
Tels que le papillon qui careſſe une fleur.
L'Amour arriva à Minorque au moment
que les Dames étoient raſſemblées ſur le
bord de la mer pour reſpirer le frais.
Bientôt l'eſſain galant vint à s'entretenir
De ſa captivité que rien n'a pu finir .
Un bruit , dit Mezzina , commence à ſe répandre,
Que le Roi des François arme pour nous défendre,
Qu'au pouvoir Britannique il cherche à nous
ravir.
Ah ! répond Amédy , de quoi peut nous ſervir
Que Mahon de Louis devienne le partage ?
Nous ne ferons , hélas! que changer d'eſclavage.
On connoît les François , volages , faſtueux ,
Vains , n'eſtimant qu'eux ſeuls , & nés voluptueux
;
L'uſage & non le coeur les forme aux politeſſes.
Div
So MERCURE DE FRANCE .
Voilà comme on les peint. Sans doute nos richeffes
Vont nous en faire encor de nouveaux ennemis.
Il n'eſt point de bons Rois pour les peuples conquis.
Béralie moins prévenue avoit commencé
à répondre & à faire l'éloge des François.
Quand l'Amour en Berger aſſis ſous un ormeau
Frappa l'air attendri des fons d'un chalumeau .
Charmant ſéjour , mortels favoriſés des cieux ,
Que vous allez jouir d'un bonheur précieux !
Que bientôt votre ſort ſera digne d'envie !
Juſqu'ici mille maux ont troublé votre vie.
Mais un Roi glorieux s'apprête à vous venger :
Hâtez- vous ſous ſes loix de venir vous ranger.
Ne craignez point ce Roi crains de toute la terre :
Un avare defir n'arme point ſon tonnerre.
Non non tous vos tréſors ne sçauroient le
, ,
tenter :
Ce n'eſt que pour vos coeurs qu'il eſt à redouter.
Mais ne vous flattez point de pouvoir les défendre
, :
CeHéros ſçait trop bien comment on doit les
prendre.
Il ceſſa de chanter & les belles coururent
à lui pour le voir de plus près. Ses
FEVRIER. 1757 .
81
fons touchans avoient intéreſſé leur coeur.
En les voyant l'aborder , il mit malignement
à ſa main un bracelet qui repréſentoit
Louis ; ſon image acheva de les
charmer. Bientôt ſon nom glorieux rétentit
dans toute l'Iſle ; les Minorcains fouhaiterent
d'être ſa conquête.
S'il faut dire notre ſentiment à la rigueur,
cette fiction paſtorale qui pourroit décorer
une églogue, nous ſemble déplacée dans un
Poëme héroïque , d'autant plus qu'il s'agit
d'un événement qui eſt encore celui
du jour ou du moins de l'année. Loin de
l'embellir , nous penſons qu'elle l'affoiblit
ou le dégrade , & donne un air de fauffeté
à la vérité hiſtorique , qui auroit plus
de force & de dignité toute ſeule , fi elle
étoit rendue avec la noble ſimplicité qui
forme fon caractere & qui doit être fon
langage. L'Auteur paroît avoir de la facilité
, mais nous croyons qu'il s'y livre
avec trop de confiance , & qu'il ne ſe
donne pas affez la peine de travailler ſes
Vers , qui n'ont pas toute l'énergie, l'élévation&
la correction que le genre demande.
On a imprimé depuis quelque temps ,
les quatre dernieres parties de la Comédienne
Fille & Femme de Qualité , ouvrage
où l'on trouve une affez grande va
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
riété , mais dont les moeurs ne font pas
plus correctes que le ſtyle : il ſe débite
chez Duchefne.
ANALYSE hiſtorique des principes du Droit
François , ( vol. in 12. de 372 pages , ſans
la Table des Chapitres. A Paris , chez
Prault , Pere , Quay de Gèvres , au Paradis
, 1757. Prix 2 liv. 10 fols. )
Ce Livre mérite d'être mis au nombre
des bons ouvrages qui ſervent d'introduction
à l'étude de notre Jurisprudence.
Il eſt écrit avec netteté & avec préciſion.
L'Auteur , fidele à fon titre , n'expoſe que
les principes les plus ſimples , les plus
fürs & par conféquent les plus féconds
de notre Légiſſateur. Il indique en citant
les Auteurs , les divers changemens que
quelques maximes ont juſqu'à préſent
éprouvés. Les unes ne font que l'expreffion
des moeurs de nos Peres , & remontent
juſqu'aux premiers temps de la Monarchie
: les autres également reſpectables
, étoient déja conſignées dans les
Loix Romaines. Les trois Livres de l'Analyſe
ſont précédés d'un Discours de 39
pages, fur l'origine, la ſucceſſion &le progrès
des Loix en général. Tout y est trop ferré ,
pour qu'il foit poſſible d'en donner un
extrait: mais fi l'on jette les yeux fur la
FEVRIER. 1757 . 83
1
page 35 , on verra , malgré l'Auteur , qu'il
eft trop connoiffeur en mérite , pour n'avoir
que celui d'être modeſte.
Le premier Livre qui fuit le Discours ,
traitedes Perſonnes, & le ſecond des Biens :
les Obligations ſont la matiere du dernier.
Les principes y font expoſés dans cette gradation
méthodique, ſi néceſſaire à l'intelligence
des ouvrages de la nature de celuici
; & ce qui n'eſt pas moins utile , l'Auteur
, qui n'eſtime que les connoiffances
exactes & folides , cherche toujours l'origine
de nos uſages & de nos maximes
dans le ſein de l'antiquité .
Puiſque cette Analyse n'est pas ſuſcep-.
tible d'un extrait raiſonné , nos lecteurs
ne nous ſcauront pas mauvais gré de les
mettre à portée de connoître par euxmêmes
la maniere d'écrire & de penfer
d'un Jurifconfulte qui nous laiſſe ignorer
fon nom. Dans le Chapitre concernant
les Qualités & le ( 1 ) Devoir des Juges ,
il leur montre l'étendue de la carriere des
Loix : mais il les avertit que pour la fournir
, ils doivent être guidés par la Philofophie
& par l'Hiſtoire. Voici ſes termes :
" La Philofophie épure les idées , infpi-
>> re la nobleſſe des ſentimens , fait dif-
>> cerner avec plus de préciſion & de
(1 ) Liv. 3 , ch. 14, pag. 337 & 338 .
Dvj
$ 4 MERCURE DE FRANCE.
>>juſteſſe les regles de l'équité. C'eſt elle
>>qui dévoile le coeur humain , ſes pen-
>>chans & les divers reſſorts qui le font
>> mouvoir. Enfin elle donne des connoif
>>ſances utiles ſur la nature des différentes
>>choſes , qui font l'objet des Loix .
>>L'Histoire eſt le dépôt commun des
>> connoiffances de tous les fiecles. C'eſt
>>elle en particulier qui nous mettant
>>ſous les yeux les moeurs des peuples ,
>> l'économie de leur Gouvernement & les
>>différences des temps , nous fait con-
>> noître les motifs des Loix , leur vérita-
>>ble eſprit & l'application que nous de-
>>> vons en faire. ১৯
L'avis qui fuit immédiatement mérite
bien quelque attention , s'il eſt vrai qu'il
y ait tant de Légiftes , qui n'ofent regarder
la Loi qu'à travers les lunettes obfcures
des Commentateurs. Ilfaut principalement
, continue notre Auteur , que l'étude
de la Jurisprudence soit réglée par un
choixjudicieux. Ces immenfes Traités remplis
d'une érudition étrangere au ſujet , ces
Commentaires qui expliquent toute autre choſe
que le Texte , & ces Compilations diftribuées
par ordre alphabétique , ſont des ouvrages
peu propres à donner à l'esprit des
idées'nettes , ſuivies & conséquentes. Le meildeur
moyen defaire des progrès en cette ScienFEVRIER
. 1757. 85
ce est sans douse d'étudier les matieres dans
un ordre naturel , s'attacher au texte ( 1 ) des
Loix , combiner leurs diſpoſitions & les rapprocher
des circonstances qui les ont fair
naître.
Ceux qui acheteront cet Ouvrage pour
le lire , trouveront peut-être qu'il y manque
un Errata.
LES 7e , 8e & ye tomes de l'Hiſtoire du
Dioceſe de Paris , contenant les Paroiſſes
& Terres du Doyenné de Châteaufort ,
&c. par M. l'Abbé Lebeuf, de l'Académie
des Inſcriptions & Belles - Lettres
viennent de paroître & ſe vendent chez
le même Libraire.
L'ASSETTA , Comédie Ruſtique ou
Payſanne , de Bartholomée Maréchal , de
la Société des Champêtres ou Groffiers.
La Congrega de Rozzi , ou la Société
des Champêtres , étoit une Académie à
Sienne , compofée d'hommes de mérite &
de ſçavans qui la nommerent ainfi , parce
>
( 1 ) Un homme , né dans le ſiecle des Juriſconſultes
, nous dit auſſi que fon ami Pierre Pithou
partant d'avec ſon père pour s'en aller aux Univerſités
de Droit , le bon homme lui recommanda
furtout de s'arrêter aux textes , Sans s'amuser aux
Glofes & aux Docteurs . ( Voyez la Vie de P. Pithou
, pag. 225 , dans les Diverſes Opuscules d'An
toine Loiſel. Edit. in-4°. 1655.
:
$ 6 MERCURE DE FRANCE .
qu'ils s'amuſoient à faire des Comédies de
Payſanneries. On peut dire qu'après la
Fiera & la Tancia du fameux Buonarotti
, qui font dans ce goût , l'Affetta
doit tenir le ſecond rang. C'eſt la premiere
fois qu'elle eſt imprimée ; le manufcrit
eſt dans le Cabinet Italien de M..
Floncel.
د
Aſſetta eſt le nom du Maréchal d'un
Village où ſe paſſe l'action de cette Comédie.
Ce nom d'Aſſetta , vient de ce que
ce Maréchal raccommode renoue des
mariages qui ſe ſeroient rompus ſans lui :
ce nom pourroit encore ſe rapporter au
bâton qui paroît être dans cette Piece l'unique
expédient pour ajuſter deux mariages
, & mettre à la raiſon une femme
fantaſque & bifarre. Cette Piece eſt écrite
en tierces rimes ou tercets , dans la langue
des Payſans des environs de Sienne ,
c'est- à- dire , en excellent Toſcan , excepté
quelques mots eftropiés ſuivant leur ufage;
mais cette façon de parler ne laiſſe
pas de renfermer de très jolis Proverbes
&Concetti , qui ſont expliqués en bonne
langue par l'Editeur à la fin de la
Piece , où il y a auffi un petit catalogue
de toutes celles qui ont été compofées par
les Académiciens de Rozzi. On voit parlà
combien le Théâtre Italien abonde en
ce genre.
FEVRIER. 1757 . 87
Cette Comédie ſe vend à Paris , chez
Prault , fils , Quay de Conti & chez Tillard
, Quay des Auguſtins.
A M. DE BOISSY.
MONOSNISEIEUURR , jen'ai pu lire ſans la plus
vive douleur , dans les nouvelles Littéraires
du Mercure de ce mois , l'Extrait que
vous donnez des Mémoires ſur l'art de la
guerre , de M. le Maréchal de Saxe, par M.
de Bonneville , Ingenieur Pruffien : l'article
troiſieme du premier chapitre , eſt celui
qui m'afflige .
Permettez-moi , Monfieur , de rapporter
les raiſons de M. le Maréchal , pour
prouver qu'il faut donner du biſcuit aux
Troupes , au lieu de pain. Les Pourvoyeurs
des vivres , dit ce grand homme
font accroire , tant qu'ils peuvent , que le
pain vaut mieux pour le Soldat ; mais cela
eſt faux , & ce n'eſt que pour avoir occafion
de friponner qu'ils cherchent à le perſuader.
Ils ne cuifent leur pain qu'à moitié
, & mêlent toutes fortes de choſes malſaines
, qui avec la quantité d'eau qu'il
contient, augmentent le poids& le volume
du double... Enfin l'on ne ſçauroit croire les
voleries qui ſe commettent, &c. Une fem
88 MERCURE DE FRANCE .
blable réflexion
au jugement de tout
homme impartial , ne prouve point la préférence
pour le biſcuit ; c'eſt un libelle
contre les Munitionnaires, ſous le nom de
Pourvoyeurs des vivres.
J'ai été chargé ( quoiqu'etranger ) de
travaux des vivres , dans les dernieres
guerres d'Allemagne & de Flandres , & j'ai
remarqué la répugnance des troupes pour
lebifcuit. La ration n'eſt que de 18 onces
au lieu de 24 ; elle reſte très rarement entiere.
Le foldat mange dans les marches
les morceaux qui ſe détachent : il n'a pas
la précaution de les tremper ; il manque
même ſouvent d'eau ou de temps pour le
faire. Le bifcuit mangé ſec , fait l'effet de
l'éponge dans l'eſtomac , & y occafionne
un gonflement preſque toujours funeſte .
Il eſt cependant des circonstances où cet
aliment devient néceſſaire : je ne les indique
pas. Il fuffit de dire que la prudence
exige qu'on en faſſe des proviſions dans
les places frontieres ,& aux armées mêmes,
pour ſeconder les opérations promptes ou
fecretes de la campagne. C'eſt une précaution
à laquelle on n'a jamais manqué.
J'en fuis au pain , dont M. le Maréchal
veut abolir l'uſage. Pour parer , dit- il ,
aux friponneries qui ſe commettent dans
fa fabrication , par les choſes malíaines
FEVRIER . 1757 . 89
qu'on y mêle , & la quantité d'eau qui
s'emploie pour en augmenter le poids & le
volume.
M. le Maréchal auroit bien dû expliquer
ce qu'il entendoit par( choſes malfaines
) ; je ne connois rien qui puiffe produire
dans le pain un effer auſſi contraire
: car en ſuppoſant un mêlange de matieres
peſantes , comme la terre , le fable
, ou la cendre , le poids augmenteroit
ſans doute ; mais le volume diminueroit
conſidérablement : la trop grande quantité
d'eau feroit un auffi grand mal ; une pâte
trop imbibée rend un pain lourd & applati
, & de pareilles galettes , pour me
ſervirdu terme des mitrons , ne font ni de
garde , ni de recette aux diſtributions.
Comment donc accorder M. le Maréchal
avec lui même. J'atteſte au Militaire
François , que tout le pain de munition
qui ſe conſomme tant dans les garnifons
qu'aux armées , eſt fait d'une farine de
deux tiers de bled froment , & d'un tiers
de ſégle bien exactement mêlés avant la
mouture : c'eſt l'engagement du Munitionnaire
envers le Roi ; & je dois dire qu'il le
templit avec la plus fcrupuleuſe fidélité :
les troupes lui ont toujours rendu cettejuftice
, &n'ont jamais ſoupçonné ſa probité.
M. le Maréchal fait de vains efforts pour
t
१० MERCURE DE FRANCE.
y porter atteinte : il n'a jamais connú le
mechaniſme des vivres , & a oublié dans
ſes rêveries le zele , l'activité & la grande
réputation que s'eſt acquiſe le ſage adminiſtrateur
( 1 ) à qui le Roi avoit confié les
ſubſiſtances de ſes armées. Je finis , Monſieur
, pour ne pas prendre trop de place
dans votre premier Mercure. Je vous ſuppliede
vouloir bieny inférer cette Lettre .
Les écrits d'un homme illuſtre ſont d'autant
plus dangereux , qu'on les croit
exempts d'erreurs ; le public ne réfléchit
plus après lui , il prendde fauſſes impreffions
, & n'en revient que difficilement.
J'ai l'honneur d'être , &c.
J. B. B.
Manheim , le 11 Décembre 1756.
(1 ) M. Paris du Verney.
A L'AUTEUR DU MERCURE.
MONSIEUR , la façon d'opérer que M.
la Baffée annonce dans votre Mercure de
Décembre ( page 131), comme plus ſimple
&plus abrégée que par les parties aliquotes
, ne l'eſt qu'autant qu'on ne voit pas
les opérations qu'il eſt néceſſaire de faire
hors la regle , parce que tout le monde
n'a pas tout d'un coup dans la mémoire
FEVRIER. 1757. 91
que so fois 4 deniers valent 320 , &
que 320 den. valent 26 fol. 8 den . , ainſi
que 80 fois 16 fols valent 1280 fols , ce
qui oblige à porter ces produits en dehors
pour entirer la valeur , & fait une multitude
de chiffres qui furpaſſent de beaucoup
ceux des parties aliquotes . Par
exemple , je veux multiplier 8795 par
87 liv. 19 fol. II den. ſi je veux fuivre
le principe de M. la Baffée , il faut que
je faffe mon opération comme ci après.
CBA
8795
Par 8 7 liv. 19 fol. 11 den .
i
439 19 7
791
61597
9
12 6
I 8
13 4
7 1
703966
77 3 9 23
Calculs à faire pour trouver les produits
ci-deſſus.
90 fois i I den. valent 990 den .
qui font 82 f. 6d.
90 fois 19 f. valent 1710 f.
1792
ce qui fait 891.. 12. f.
92 MERCURE DE FRANCE .
B
C
{
{
700 fois 11 d. val. 7700 d .
qui font 641 f. 8 d.
700 fois 19 f. val. 13300 f.
13941
ce qui fait 6971. If.
8000 fois 1 1 d . val . 8800 o den .
qui font 7333
8000 f. 19 f. val. 152000 f.
159333 f..
4d.
ce qui fait 79661. 13 f
Au lieu que par les parties aliquotes ,
jetire tousmes produits les uns des autres,
8795 f. d.
Par 87 19 II
61565
70360
Pour 10 fols
4397
10 f.
Pours 2397 15
Pour 4 1759
Pour 6 den.
219
27 6
Pour
3 109 18 9
Et pour 2 73 510
Somme pareille 673923 7 I
FEVRIER. 1757 . 93
Si on ne regardoit ſimplement que les
deux opérations , on pourroit dire que la
premiere eſt moins nombreuſe en chiffres ;
mais qu'on prenne garde aux calculs que
cette premiere entraîne néceſſairement au
dehors pour abréger le dedans , on avouera
quelle eſt plus difficile à faire , & qu'elle
porte 3/5 de chiffres plus que la derniere
, à laquelle on doit donner la préférence
pour ſa facilité & ſa préciſion.
J'ai l'honneur d'être , &c.
PERNUIT.
A Rouen , ce 16 Décembre 1756 .
Nous avons annoncé dans les Mercures
précédens des feuilles Hiſtoriques élémentaires
& féculaires , &c. qui ſe trouvent
chez les Libraires Piſſot , Quay de
Conti , & Lambert , rue de la Comédie
Françoife , ou chez le ſieur Viard , à l'Académie
des Enfans , rue de Seine Saint
Victor ; nous croyons devoir annoncer
dans celui- ci une autre nouveauté Littéraire
non moins intéreſſante & dans la
même Ecole. C'eſt une Géographie ſéculaire
, au moyen de laquelle ce qui concerne
le local , relativement à la Chronologie
& aux événemens anciens ou modernes
, ſe trouve également à la portée&
ſous les yeux des enfans , par des repré
94 MERCURE DE FRANCE .
ſentations ſenſibles & colorées ſur autant
d'hémiſpheres au nombre de plus de 200 .
Cet Ouvrage eſt ſi ſimple & fi méthodique
, qu'à la ſeule inſpection de chaque
hémiſphere , les enfans font en état de
faire le dépouillement des événemens
hiſtoriques , & d'en ſaiſir les rapports &
les différences par la ſimple lecture des
époques élémentaires & des notices contenues
dans les logettes de la Bibliothé
que hiſtorique. Par-là , l'Hiſtoire , la Géographie
& la Chronologie marchent d'un
pas égal. Les temps , les lieux , les faits
s'offrent enſemble ſur un plan toujours le
même & invariable. Les enfans ont encore
un autre avantage ; un grand tableau
ou planiſphere de dix pieds de long fur
fept de haut , eſt deſtiné à toutes fortes
d'opérations Géographiques. Ces opérations
amuſantes & inſtructives conſiſtent
à couvrir de cartons découpés avec art ,
les différentes diviſions des lieux donnés
à meſure qu'elles font indiquées par l'Hiftoire
& les Cartes féculaires. Il ne s'agit
que d'imiter en grand ce que l'on a vu
en petit , ou à le figurer ſeulement avec
le bout d'une baguette. Une échelle mobile
& deux longs fils de fer mis en croix
l'un ſur l'autre , fervent à marquer les
diſtances itinéraires & les poſitions ſelon
FEVRIER. 1757 . 95
!
les degrés de longitude & de latitude.
D'après cela il n'y a ni voyages par mer
ou par terre qu'un enfant ne puiſſe ſuivre,
ni changemens d'Etats qui lui échappent.
Cet exercice qui ne conſiſte que dans l'arrangement
de différens morceaux fur le
grand tableau ou planiſphere , amufe &
inſtruit les enfans ; & bien loin de les détourner
de leurs études ordinaires , il y
jette plus d'agrément , de lumiere & de
facilité pour l'intelligence des Auteurs &
des Hiſtoriens , des Gazettes , des Traités
de Paix , du Commerce , de la Navigation
, des Théâtres ordinaires de la guerre
, des batailles , campemens , marches
des Armées , &c.
Pour être aſſuré de la vérité de ce qu'on
avance , il n'y a qu'à prendre la peine de
ſe tranſporter rue de Seine , Fauxbourg
S. Victor , à l'Académie des Enfans. On
verra qu'on a enfin trouvé le ſecret tant
deſiré d'inſtruire la jeuneſſe ſans la dégoûter
, & , qui plus eſt , en l'amuſant.
Nous annonçons le premier tome de
l'Histoire générale des Guerres , diviſée en
trois Epoques ; la tre. depuis le déluge
juſqu'à l'Ere chrétienne ; la 2e, depuis
l'Ere chrétienne juſqu'à la chûte de l'Empire
d'Orient ; la 3e. depuis la chûte de
96 MERCURE DE FRANCE .
1
l'Empire d'Orient juſqu'à l'année 1748 ,
avec une differtation ſur chaque peuple ,
contenant ſon origine , la ſituation du
pays qu'il habite , la forme de ſon Gouvernemmeenntt
,, ſa Religion , ſes loix , fes
moeurs , ſes révolutions , &c. A Paris ,
de l'Imprimerie Royale. Ce premier volume
contient l'hiſtoire de la grande Arménie
, celle des deux petites Arménies ,
& celle de la Cappadoce .
Nous devrons un ſi grand Ouvrage à M.
le Chevalier d'Arc , Auteur des Loiſirs , de
la Nobleſſe Militaire , & de pluſieurs autres
Ecrits qui ont tous eu un ſuccès mérité.
Ce dernier qui les couronne , doit
en avoir un plus grand par l'étendue de
la matiere & par l'importance de l'objet.
Nous rendrons le mois prochain un compre
plus circonstancié de ce volume , qui ſe
diftribue chez Lambert , rue de la Comédie
Françoiſe.
EPHEMERIDES Troyennes pour l'an de
Grace 1757 .
Cet Almanach mérite une diſtinction ,
&nous paroît fait par un homme d'efprit
qui ſçait écrire. Pour juftifier notre
opinion , nous croyons qu'il ſuffira de
citer le trait ſuivant : Nous l'avons tiré des
curioſités & fingularités de la Ville de
Troyes ,
FEVRIER. 17,7 . 97
Troyes , contenues dans cet Effai.
La Cathédrale eſt le plus grand morceau
que Troyes ait en ce genre. La France
en a très-peu qui lui foient comparables
par l'étendue du vaiſſeau , par la hardieſſe
des voûtes , par la juſteſſe & le
grand effet des proportions. Il ne manque
à ſa perfection qu'un peu plus de
légéreté dans les piliers qui ſéparent la
nef des bas - côtés. Le Portail & la groffe ,
Tour qui le domine ont une élégance qui ,
dans les bâtimens gothiques , n'accompagne
pas toujours la légéreté.
D'après un préjugé dont j'ignore la fource
, préjugé affez généralement reçu en
France à l'égard des grands morceaux
d'Architecture gothique , le peuple regarde
notre Cathédrale comme l'ouvrage des
Anglois. Pour détruire ce faux préjugé ,
il ſuffit de dire que les premiers fondemens
de cette Egliſe furent jettés en 872
par l'Evêque Othulphe. Ses fucceffeurs
l'ont continué. En 1263 , Urbain IV y
contribua par des Indulgences qui équivaloient
alors à des fonds effectifs ; enfin
en 1506 l'Evêque Jacques Raguer jetta
les fondemens du Portail & de la Tour ,
qui furent élevés ſous la conduite & fur
les deſſeins de Martin Cambicho , natif
de Cambrai , & de Jean de Soiſſons. Rien
E
98 MERCURE DE FRANCE.
de moins opulent que l'ancien Domaine
des Evêques de Troyes. Mais une ſage
économie , une reſpectable frugalité leur
faifoient trouver dans de modiques revenus
un ſuperflu conſidérable , dont ils
ont uſé d'une maniere digne d'eux & de
leur état , en le conſacrant à la Religion
& à la poſtérité.
Ces Ephémérides ſe trouvent à Troyes ;
chez Bouillerot , & à Paris , chez Duchesne,
rue S. Jacques.
(1) ÉDITION corrigée du fameux Poëme
deChapelain, tant imprimé que manufcrit ;
Traduction de la Henriade en vers Latins ,
avec les vers François à côté ; Recueil de
Poéſies diverſes , relatives à la gloire de la
(1) Il ne nous convient pas de décider ſur la
nouveauté de ces deux projets , ni de dire ici notre
ſentiment ſur les louanges exceſſives que l'Auteur
prodigue au plan , aux caracteres , à l'invention
delaPucelle, & à la traduction de la Henriade en
vers Latins. Selon lui laPucelle , à la verſification
& aux longueurs près , eſt le dernier effort
du plus vaſte génie , & la traduction Latine peut
feule affurer a la Henriade une vogue qu'elle
n'eût peut être pas obtenue dans ſa Langue naturelle.
Nous laiſſons à nos Lecteurs le droit de
prononcer fur ces deux points , & nous nous
bornons modeſtement à tranſcrire & à mettre
ſous leurs yeux le Prospectus de l'Auteur , ſans y
rien ajouter , ni retrancher.
THEQUE
FEVRIER. 1757.
France: le tout formant cinq volumes
8 ° . , propoſés par ſouſcription .
in ON
*
1893
Après le projet d'une édition corrigéede
la Pucelle , inféré dans l'Année Littéraire
à la fin du tome V , il eſt inutile de s'étendre
ſur les perfections & les défauts de
Chapelain. Tout le monde convient que
c'étoit un génie mâle & vigoureux , mais
ſans goût , ſans exécution. Les longueurs
faftidieuſes , les inutilités fréquentes , les
détails minutieux qu'il a répandus dans fon
Poëme , en rendront toujours la lecture
infoutenable. Le ſujet vous tente ; vous
prenez l'ouvrage , en le liſant il vous tombedes
mains. Vous penſez voir un Géant
que ſon ardeur emporte dans la carriere ,
mais qui va de chûte en chûte : ſa laffitude
même l'empêche de s'arrêter ; il ne
remplit ſa courſe qu'en ſe précipitant.
Quant au ſtyle , c'eſt un fleuve vaſte & profond
qui ſe déborde également dans les
campagnes riantes & fur les bords les plus
arides : dans ſon ravage il entraîne lesbuiffons&
les fleurs.
A des inconvéniens ſi déſagréables ,
ajoutez l'étendue immenſe des livres de la
Pucelle , qui paſſent de beaucoup les bornes
ordinaires du Poëme Epique. Il eſt tel
livre que Chapelain porte juſqu'à quinze
& même dix-huit cens vers , comme les
E ij
100 MERCURE DE FRANCE .
derniers du manuſcrit . Pour la beauté d'un
Temple , les colonnes doivent avoir des
proportions. Dans un grand Poëme , on
ſçaitbien qu'il faut de grands livres ; mais
il ne les faut pas démeſurés : encore demandent-
ils entr'eux une certaine égalité
qui n'eſt point dans la Pucelle. Scudéri
faifoit dire à Boileau :
Qui ne ſçut ſe borner , ne ſcut jamais écrire.
Mais ſi le ſtyle & les détails vous font
tomber l'ouvrage des mains , la fécondité
du génie , la hardieſſe de l'invention vous
le font reprendre. Vous le trouverez admirable
par la marche d'une action toujours
grande , toujours épique : Chapelain
ſçavoit faire agir ſes perſonnages,
L'immenſité du plan vous étonne ; la
beauté de la perſpective vous enchante.
C'eſt à vos yeux la façade du Louvre ;
vous ne concevez rien au- delà ; votre
imagination touche aux bornes du ſublime.
Quels regrets qu'un ſi grand Architecte
ſoit fi différent de lui- même , quand
il diſpoſe ou qu'il exécute ! Dans le plan ,
Chapelain paroît un Dieu ; dans l'exécution
, c'eſt à peine un homme.
Cettepartie de l'art , ſi néceſſaire dans
l'Epopée , furtout en France , eſt celle
que l'Editeur a cru devoir corriger : la ré
FEVRIER. 1757. 101
forme ne tombe que ſur elle. Le goût demandoit
que le ſtyle fût plus égal , la verfification
plus noble , la marche plus dégagée.
On a réduit les livres à de juſtes
bornes ; mais l'économie de l'ouvrage ne
permettoit pas d'en ſupprimer : ç'eût été
manquer le plan , c'eût été détruire
l'ordonnance. D'ailleurs Saint Pierre de
Rome ne doit pas être un petit Temple ,
un Temple ordinaire. Ila donc fallu ſerabattre
ſur les détails , pour rendre le Poëme
plus court. Malgré les retranchemens
qui vont preſqu'à la moitié de la Pucelle ,
il reſte encore une Iliade. Voilà les ouvrages
qui vivent long-temps : pleins de hardieſſe
& de vigueur , ces enfans du génie
font l'image de la nature ; ils ne connoiffent
point l'affectation ni tous les raffinemens
à la mode. Beaux de leur ſimple parure
, ils ont l'éclat de la ſanté : leur embonpoint
les orne aſſez . En écrivant , c'eſt
moins ſon ſiecle qu'il faut enviſager que
l'avenir : le goût change , l'art s'y conforme;
la nature ne change point.
Unedes qualités qui frappent le plus dans
le Chantre de la Pucelle , eſt d'avoir marché
fidélement ſur les pas de la nature , au
riſque de s'écarter ſouvent de l'art . Trop
fécond pour n'être qu'imitateur , & fe fuffifant
à lui-même , parce qu'il étoit né
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
Poëte , &très-grand Poëte ( fi c'eſt principalement
l'eſprit créateur qui conſtitue ce
phénomene ) , Chapelain n'a ſuivi que
l'impulſion de ſon génie dans la vaſte carriere
qu'il remplit. C'eſt , pour ainfi dire ,
avec ſes propes aîles qu'il a volé juſqu'à la
région du ſablime : en quoi le Connoiffeur
lui trouvera toujours unmérite ſupérieurement
original ; & ce mérite eſt aſſez
rare. Combien peu d'ames créatrices ! On
ne releve point ici labeauté des comparaifons
, la vérité des images , la juſteſſe des
penſées , la nobleffe des ſentimens, ni d'autres
perfections de ce genre. C'eſt dans le
plan, c'eſt dans l'invention que regne le
génie ; dans tout le reſte il partage fon
empire avec l'eſprit. L'un& l'autre contribuent
ſans doute àla noble ſimplicité de ce
début du Poëme , & furtout de l'invocation
faite aux eſprits célestes dans Chapelain.
Je chante l'Héroïſme & l'illuftre Amazone ,
Dont le bras généreux , nouveau ſoutien du trône,
Relevant de fon Roi le courage abattu ,
Sçut délivrer la France & venger la vertu.
Vous , Chantres immortels,Anges de l'harmonie,
Qui de vos feux divins enflammant le génie ,
'Alors de l'Eternel miniſtres & foldats ,
Conduiſiez la victoire en ces fameux combats,
FEVRIER. 1757 . 103
4
C'eſt vous ſeuls que j'implore : ouvrez - moi la
carriere ,
Et faites retentir la trompette guerriere.
L'honneur de la Patrie eſt mon unique objet :
La France triompha , ſagloire eſt mon ſujet...
Après tout , ſi la Pucelle n'eſt pas le plus
beau Poëme qui figure dans le monde littéraire
, ce ſera du moins le plus beau Roman
qui porte ſur un fondsd'hiſtoire ſi glorieux
pour la France. C'eſt un immenſe Théâtre
, élevé par les mains de la fiction ,
mais ſous les yeux de la ſageſſe , où toutes
les paſſions héroïques viennent repréſenter
avec la dignité qui leur convient .
Les héros y paroiſſent auſſi grands que le
ſujet , auſſi ſublimes que l'action même.
Quels caracteresque Dunois & Talbot ! Ils
font frappés dans le vrai goût d'Homere ,
en cette partie bien au deſſus de Virgile &
de tous ſes imitateurs. On croit voir encore
plus que les Grecs & les Troyens ſe difputer
la victoire , ayant plus qu'Achille &
plus qu'Hector à leur tête : vaincus ou
vainqueurs , on les admire toujours.
Quant à l'action , c'eſt un Roi de France
malheureux , fans reſſource & remis
tout à coup fur le thrône de ſes Peres : c'eſt
la France elle-même délivrée du joug de
ſes ufurpateurs, Voilà le prodige éxécuté ,
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
non par un homme ordinaire , mais par
une femme toute divine ; caractere unique
, &d'un fublime ſans exemple. Quand
elle agit , ou qu'elle parle ; c'eſt l'Ange
des combats , c'eſt la Divinité même.
Quelle fource de merveilleux , & d'un
merveilleux tout neuf , qui ne ſe doit
pourtant qu'à l'hiſtoire ! On le trouve chez
nous dans nos Annales ; & la Fable
avec tous ſes prodiges n'a rien qu'on lui
puiffe comparer. Si dans Chapelain ce tableau
doit être par lui-même intéreſſant
furtout pour des François , que feroit- ce
donc s'il avoit le coloris auſſi parfait que
le deſſein , l'exécution auſſi belle que l'ordonnance
?
د
,
Le Poëme de la Pucelle ſe diviſe endeux
parties , dont la premiere contient l'Imprimé
fi connu par les plaifanteries de Boileau
, qui pourroit bien à cet égard ne paroître
qu'un injufte & mordant Satyrique
au tribunal de la poſtérité. Déja même
notre fiecle , en cela plus philofophe que
le fiecle précédent , a profcrit la fatyre ,
& ne prononce que par la bouche de la vérité
, parce qu'il ne voit que par les yeux
de la raiſon. Un Législateur du Parnaffe
devoit , ce ſemble , en relevant les défauts
de Chapelain , relever auſſi ſes perfections :
il ne fuffit pas d'être plaifant , il faut être
FEVRIER. 1757. 105
équitable. En un mot Chapelain avoit
du génie ; il ne manquoit que de goût ,
& Boileau ne pouvoit l'ignorer , comme
perſonne ne l'ignore.
La ſeconde Partie contient le Manufcrit
, c'est- à - dire l'autre moitié de la Pucelle
non imprimée. C'étoit un monument
très- rare , enſeveli dans les tenebres , &
qui n'oſoit paroître ; humilié ſans doute ,
comme un fils malheureux , par les diſgraces
de fon pere. Ce manufcrit ignoré ,
mais précieux , a ſubi la même réforme
que l'Imprimé : il étoit encore plus imparfait.
Le Public aura donc le Poeme entier
avec les éclairciſſemens & les notes néceffaires.
Un pareil ouvrage doit faire plaifir
aux curieux de tous les Pays : peut- être fera-
t'il honneur à la Nation . Nous avons
un Virgile , nous aurons un Homere , &
la France vaudra la Grece & Rome.
Dans les circonstances préſentes de la
guerre avec l'Anglois , & de l'apparition
ſubite d'une Pucelle fi burleſquement décorée
par un homme d'un génie univerſel,
l'Editeur a cru ſervir la patrie & bien mériter
des lettres , que de reftituer un Poëme
admirable à tant d'égards , mais qui
faute d'une exécution plus heureuſe , périffoit
de mépris & d'oubli. C'eſt un mo
nument éternel de la tyrannie Angloife ,
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
combatue &détruite avec les ſeules armes
de l'Héroïſme : c'eſt le plus beau trophée
qu'on puiſſe élever à la valeur Françoiſe ,
animée par l'exemple d'une Femme , ou
plutôtd'unAnge ſous cette figure aimable.
Auſſi l'Editeur , comme bon François ,
adreſſe- t- il dès le début du Poëme les vers
ſuivans aux Dames de la Nation :
:
Ovous ! ſexe charmant , qui né pour la tendreſſe,
Dédaignez quelquefois l'amoureuſe foibleſſe ,
Etrompant les liens d'un indigne repos ,
Joignez l'eſprit du Sage à l'ame du Héros ,
Votre bras conduiſoit le Glaive de la France :
Mes chants ne ſont remplis que de votre vaillance.
Faites briller les fleurs , dont mes mains vont
l'orner ;
Belles , vous ſçavez vaincre ; il faut vous cou
ronner.
Voilà fans doute le beau Sexe intéreſſé
par honneur au ſuccès de la Pucelle : en
la protégant , il protege ſon ouvrage ; il
défend ſa propre gloire. Au reſte , on étoit
las de ne voir jouer les premiers rôles qu'à
des Héros , fur le Théâtre de l'Epopée :
c'eſt Achille , c'eſt Enée , c'eſt Henri IV ,
&ce dernier vaut encore mieux que tous
les autres, Il eſt temps d'y faire paroître
des Héroïnes , comme Actrices principales.
Eh! qui peutmieux repréſenter que laPu
FEVRIER. 1757. 107
celle ? Ce n'eſt pas que dans le Poëme de
Chapelain , Agnès qui fut toute belle , &
Marie de Bourgogne qui fut ſi vertueuſe ,
en variant la ſcene avec art , ne rendent
l'intérêt beaucoup plus vif pour le feu de
de leurs amours héroïques ; ce ſont deux
Aſtres dont la lumiere fait le charme du
ſpectateur. Mais la Pucelle eft le Soleil :
tout s'éclipſe devant elle.
Cette Iliade Françoiſe eſt accompagnée
d'un autre Ouvrage de l'Editeur , achevé
depuis long- temps , mais dont notre Typographie
trop timide n'oſoit entreprendre
l'impreſſion ; la langue des Romains , diton
, étant aujourd'hui fort négligée en
France ; ce qui ne nous feroit pas honneur.
C'eſt une traduction de la Henriade
en vers Latins avec les vers François à
côté ; traduction d'autant plus remarquable
, que partout elle répond à l'Original
pour le ton de poéſie & le nombre des
vers.On penſe que c'eſt multiplier la gloirede
la France que de multiplier celle de
la Henriade ; la langue latine étant partout
repandue , &ne devant point changet
, comme langue morte. Peut- on trop
faire connoître de tels Poëmes ? Peut-on
trop affurer leur durée ? La Henriade eſt le
chef-d'oeuvre du Coloris ; la Pucelle eſt le
chef-d'oeuvre de l'Ordonnance. Les deux
Evj
108 MERCURE DE FRANCE.
Poëmes dans l'edition nouvelle , font dédiés
à leurs Auteurs : on leur doit tous les
hommages littéraires. Pourquoi donc les
Princes du Parnaſſe n'auroient-ils pas les
mêmes droits que les Princes de l'Etat ? Le
grand génie vaut- il moins que la haute
naiſſance ? Celle-ci honore-t-elle plus la
Patrie , l'humanité ?
Le morceau ſuivant de la Henriade ,
chant 4, ſuffira pour donner une idée favorable
du goût de la traduction. Tout l'ottvrage
eſt de la même force & de la même
fidélité ; confervant partout le brillant &
le pittoreſque de l'Original , & peut- être
même enchériſſant fur lui pour l'énergie
épique : avantage qui vient fans doute de
l'idiome Romain , plus varié , plus harmonieux
, plus expreffif.
Près de ce Capitole où regnoient tant d'allarmes ,,
Sur les pompeux débris de Bellone & de Mars ,
Un Pontife eſt affis au trône des Céſars :
Des Prêtres fortunés foulent, d'un pied tranquille,
Les tombeaux des Catons & la cendre d'Emile.
Le trône eſt ſur l'Auter , & l'abſolu pouvoir
Met dans les mêmes mains le ſceptre & l'encenfoir....
Ad Capitoli Arces , loca tot bacchata procellis ,
Disjectas inter , Martis ludibria , pompas
Cesareo affurgit folio Vir Pontificalis =
FEVRIER . 1757. 109
f
Turba Sacerdotum pede fortunata quieto ,
Emilii calcat cineres tumulofque Catonum .
Incubat Altari thronus , & Suprema potestas
Thuribulum Sceptrumque manu fuftentat eadem....
On pourroit faire à l'Editeur le reproche
toujours humiliant de ne travailler que
fur l'ouvrage d'autrui. Sa délicateſſe ſur ce
point croit devoir terminer cette Collection
par un Recueil de quelques Poéfies
qui font à lui , telles que le Triomphe de
la France conſidérée dans tous les genres
degloire qu'elle embraſſe ; Poëme en fix
chants , fuivi d'un autre , intitulé l'Opera
, dans lequel on tâche , en preſcrivant
des regles fûres pour la Muſique , les paroles
& l'exécution , de concilier enſemble
les deux Rivales , la France & l'Italie , en
ce qui regarde le goût de ce ſpectacle ,
quin'eſt pas encore à ſa perfection dans la
forme actuelle. Ce Poëme en trois chants
fera relevé par des morceaux conſidérables
de Poéfie , comme la Bataille de Fontenoi
, le ſiege de Bergopfoom , l'EcoleMilitaire
, la Priſe de Minorque , l'achevement
du Louvre , &c. avec quelques
Odes ſur des ſujets intéreſſans: tous ouvrages
qui ne refpirent que l'amour de la
Patrie , & l'honneur des lettres ; l'ame
ordinaire des écrits vertueux. Puiffe furNO
MERCURE DE FRANCE.
tout la Pucelle ne pas déplaire aux yeux
éclairés du Connoiſſeur ! Chapelain ſeroit
bien vengé : mais la vengeance ſeroit
belle.
Cette édition forme en tout cinq volumes
in- 8 ° . dont trois pour la Pucelle , un
pour la Henriade & l'autre pour le Recueil
; beau papier , beau caractere : prix
15 liv. broché. Ceux qui n'auront point
ſouſcrit payeront 21 liv. mais on ne tirera
qu'un certain nombre d'exemplaires. Le
paiement doit ſe faire en ſouſcrivant , &
les Exemplaires feront fournis vers la fin
del'année.La Souſcription s'ouvriradepuis
le 10 Janvier juſqu'au premier Mai 1757,
à Paris chez Duchesne , Libraire , rue
Saint Jacques , au Temple du Goût.
Preſſés par le temps & par l'abondance
des matieres , nous ſommes obligés de
remettre malgré nous au mois de Mars
l'extrait de la Colombiade , que nous avions
promis pour ce mois-ci ; mais il ne fera
plus retardé , quoi qu'il arrive.
SÉANCE de l'Académie des Belles Lettres
de Montauban , le 25 Août 1756 .
L'ACADÉMIE , après avoir affifté le ma
tin , ſelon ſon uſage , à une Meſſe qui fur
FEVRIER. 1757 . III
ſuivie de l'Exaudiat pour le Roi , & du
Panégyrique de S. Louis , prononcé par
le R. P. Baries , de l'Ordre de S. Dominique
, tint l'après-midi ſon Affemblée
publique dans la Salle de l'Hôtel de Ville .
M. l'Abbé de Verthamon , Directeur de
Quartier , ouvrit la Séance par un Difcours
ſur l'Esprit de nouveauté . Son defſein
avoit été d'abord de montrer quels en
font les dangers dans la Religion , dans
les Sciences & dans la Littérature : mais.
il ſe borna à traiter ce dernier article , en
obſervant que ſi la nouveauté eſt permiſe
quelque part , c'eſt dans la Littérature.
«C'eſt , diſoit- il , le pays des fleurs ; & les
>>plus nouvelles & les plus rares , font les
>>plus recherchées. Cependant un ama-
>> teur de la nouveauté n'acquiert jamais
>> une ſcience ſolide ; & fans ſcience , il
>> ne peut être qu'un Littérateur frivole ...
» Un eſprit vuide de raiſon peut tout au
>>plus cadencer un Vers , arrondir une
>>phrafe , choiſir de bons termes , &dire
>>de grands riens en beau langage... Vou-
>>loir plaire ſans inſtruire , c'eſt ne faire ni
» l'un , ni l'autre .... Jamais , continuaM.
» l'Abbé de Verthamon , jamais il ne parut
>> tant de livres , & l'on ne vit jamais
>>moins d'ouvrages dignes d'être lus....
Combien de gens qui s'imaginent être
112 MERCURE DE FRANCE .
>>de grands Littérateurs , parce qu'ils s'a-
>>muſent à lire les livres nouveaux ; &
>>ces livres ne font qu'un libelle impie
>>qui choque l'évidence ainſi que la Reli-
>>gion , qu'un Roman où les moeurs ont
>>beaucoup à perdre & l'eſprit rien à ga-
>>gner ; qu'un diſcours où la nature eſt dé-
>>figurée , & qui n'eſt propre qu'à gâter le
>>goût ; qu'une proſe verſifiée en dépit du
>>bon fens & des Muſes ; qu'une Comé-
>>die également incapable de corriger &
>>de plaire ; qu'une Tragédie où des poin-
>>tes d'eſprits débitées par la terreur &
>> un dénouement forcé n'excitent des ſen-
>>timens de pitié que pour l'Auteur de la
>>Piece , & c ... L'étude de l'antiquité nous
>>guériroit de l'amour de la nouveauté ,
» & nous apprendroit à imiter les vrais
>>modeles de l'Eloquence & de la Poéfię.
>> Cette étude forma les grands hommes
>> du dernier fiecle. Si ceux qui leur ref-
>> ſemblent , » deviennent chaque jour fi
rares , c'eſt à l'amour de la nouveauté qu'il
faut s'en prendre. Elle ôte à la Littérature
les lumieres ,la force , le gout , c .
M. l'Abbé Beller eſſaya enſuite de réfoudre
quelques objections qui ont été
faites contre l'empire des Lettres. Il commença
par expliquer la cauſe de ce contraffe
de conduite & de langage que nous
FEVRIER . 1757. 113
:
1
offrent ceux qui ſeſont dévoués aux Lettres ,
qui ne laiſſent pas d'en médire .... On a dit
qu'il n'eſt point d'empire plus mal réglé
que celuides Lettres. Mais, felon M. l'Abbé
Bellet , ſi l'on veut dire ſimplement parlà
que les routes du Parnaſſe étant ouvertes
à tout le monde , pluſieurs y jettent le
trouble & la confufion , en s'engageant
indifcrétement dans celles qu'ils auroient
dû s'interdire , « dans quelle République ,
>> dans quel Etat une aveugle ambition ne
>> rend- elle pas communs de pareils exem-
>>ples ? Est- il un Royaume où il foit rare
>> qu'on voie des ames vulgaires envahir ,
>>fi elles le peuvent , des poſtes qui n'étoient
point faits pour elles ?.... Du reſte
>> les Loix ſuppoſent néceſſairement que
>>les hommes font libres. Mais s'ils le
>>font , il faut bien qu'il foit poffible
->qu'ils les violent.... Après tout , les en-
>> trepriſes ou les attaques réciproques des
>>Auteurs ne peuvent dépoſer contre la
>>nature du gouvernement de la républi-
>>que des Lettres , qu'autant que les con-
>>teſtations journalieres des Membres d'un
>> Etat dépoſent à leur tour contre la Po-
>>lice qui y eſt établie .... D'ailleurs , con-
>> cluoit M. L. B. , l'empire des Lettres
>> ſera toujours le mieux réglé , au moins
>>en ce ſens -ci, qu'il n'en eſt aucun où l'on
114 MERCURE DE FRANCE.
>> rende enfin ſi bien juſtice à tout le mon-
>>de , où chacun ſoit tôt ou tard plus exac-
>> tement traité felon ſes oeuvres , &c.... »
Pour répondre à l'objection tirée des défauts
ou des travers qu'on reproche quelquefois
aux Littérateurs , l'Académicien
demanda d'abord fi ces travaux & ces défauts
font toujours auſſi réels qu'on leſuppoſe...
« Il prouva qu'un homme d'eſprit ou de
>>génie , non ſeulement peut , mais doit
>>ſouvent ſe diftinguer par une façon de
>> penſer & d'agir qui contrediſe les vues
>>ordinaires.... Il établit enſuite que les fau-
>> tes des gens de Lettres portent d'ordi-
"naire avec elles-mêmes leur excuſe &
>> leur apologie.... Il démontra enfin que les
>>Lettres n'ont point par elles-mêmes une
>> liaiſon immédiate & néceſſaire avec les
>>>écarts ou les défauts dont on voudroit
>>les rendre reſponſables; &il fit remarquer
» qu'ordinairement & fans y penſer , on
>> confond ici des choſes fort différentes ,
> l'effet naturel des Sciences & des Beaux-
» Arts , & les défauts perſonnels de ceux
» qui les cultivent... >>On nous dit , ajouta
M. L. B. , qu'un pays peuplé d'Orateurs &
de Poëtes , d'Hiſtoriens & de Philoſophes,
deviendroit bientôt une terre en friche ,
&c. Mais « l'empire des Lettres n'admet-il
>>pas la diverſité des profeſſions qui font
FEVRIER . 1757 . 115
deſtinées à l'enrichir ouà le défendre ? ...
>> Quoi donc ! l'ignorance & la barbarie
>>auront le privilege exclufifde ſoutenir
>>les empires &c.? .... Les Lettres ont ſervi
» à perfectionner tous les Arts , &c....
>>En étendant nos vues , en nous inſpirant
>>des ſentimens plus élevés , elles nous
>>prêtent des ſecours pour mieux remplir
>> les devoirs de notre état.
.... Mais,
» continua M. L. B. , on prétend que les
>> livres nous détachent tôt ou tard de la
>> ſociété.... Il eſt vrai que l'on a vu quel-
->> quefois des Littérateurs chercher la re-
>>traite pour s'y enſevelir tout vivans ,à
>>l'exemple de Lycurgue ou de Scipion ....
»Mais on peut avancer que leurs imita-
>>teurs ne renoncerent guere d'eux- mê-
>>mes au foin glorieux de ſervir les hom-
>>mes ; qu'ils y furent communément in-
>>vités par des circonſtances étrangeres aux
>>>Lettres & fatales à leurs concitoyens ;
» qu'ils ne faifoient alors que céder à la
>> triſte néceſſité où ſe trouvent quelque-
>> fois les ſages , de ſe ſouſtraire à la cor-
>> ruption & à l'ingratitude de leur fiecle ;
»&que ſi dans ces circonstances il ſe jet-
>>terent uniquement entre les bras des
>>Muſes , ce fut moins par un fier dédain
>>qu'elles leur euffent inſpiré , que par le
>>déſir innocent de ſe conſoler avec elles
116 MERCURE DE FRANCE.
>> des maux qui affligent l'humanité , &
>>dont ils ne purent plus ſe réſoudre à
>>être les témoins , ſans eſpoir d'y appor-
» ter du remede , &c ....
Ici M. de Befombes de S. Geniés , Confeiller
à la Cour des Aydes , fit la lecture
du VI . Livre de ſa traduction de l'lliade
d'Homere . Cette traduction réunit le double
mérite de la fidélité & de l'élégance ;
deux qualités qu'on trouve affez rarement
enſemble , au moins au même degré , dans
les traductions ordinaires .... M. de Befombes
obſerva , dans un Diſcours préliminaire
, que c'eſt dans Homere que Démosthene
puiſa ſon art ; cet art puiſſant qui
lefit regnerſur les esprits d'un peuple d'autant
plus difficile à captiver qu'iljoignois à la
Supériorité des lumieres , plus d'inconstance
de légéreté. Il ajouta qu'il faut mettre
entre Homere & les Auteurs qui l'ont
ſuivi , cette différence eſſentielle qu'ils
n'ont atteint que la perfection du genre auquel
ilsſeſont conſacrés , au lieu qu' Homere
les a tous réunis. La Tragédie en particulier
lui doit , diſoit-il , ſa naiſſance. « Les
>>premiers Auteurs Tragiques puiferent
>>chez lui , & le genre , & les beautés du
>>genre. En l'imitant , ils n'eurent ſouvent
» qu'à ſubſtituer un récit qui eſt toujours
>> lent , l'action même qui eſt plus vive
FEVRIER. 1757. 117
2
»& plus énergique. En effet la recon-
>>noiffance de deux Héros unis par les
> noeuds de l'hospitalité , au moment d'en
>venir aux mains , & à la vue des deux
>> armées , ce qui est leſujet du Vle. Livre
>>de l'Iliade , forme le Drame le plus na-
» turel & le plus parfait. » Il faudroit ,
conclud M. de Beſombes , connoître bien
peu l'Andromaque des Anciens , pour ne
pas fentir que tous ſes traits furent empruntés
d'Homere , dont ils étoient les
imitateurs. «Nous avons encore ſous les
>> yeux , diſoit cet Académicien , ces heu-
>>reuſes copies & le tableau primitif qui
>> guida leur crayon ; & c'eſt ce tableau
>>dont l'immenfe diſtance des temps n'a
→ pu ternir les couleurs , que je hazarde
>>de vous tracer aujourd'hui dans une
>>verſion qui , par l'exactitude & la fidé-
>>lité réclame du moins votre indulgen-
» се , &c. »
M. Bernoy lut des réflexions ſur le génie
des Poëtes & des Orateurs . On dit.
vulgairement & d'après Ciceron , dans
fon plaidoyer pour le Poëte Archias , que
nous devenons Orateurs&que nous naiffons
Poëtes . M. Bernoy ſe propoſa de
prouver que l'Orateur auſſi bien que le
Poëte , eſt l'ouvrage de la nature , & que
l'art eſt également utile & néceſſaire au
A
IIS MERCURE DE FRANCE.
Poëte & à l'Orateur. En entrant dans le
détail des préſens que la nature fait à un
Poëte , il commença par définir l'enthou
ſiaſme qui le caractériſe ; & il en conclud
que cet enthouſiaſme eſt auſſi néceſſaire
à la gloire de l'Orateur qu'à celle
du Poëte.... « Souffrez que je vous in-
>>terroge , généreux défenſeurs des plus
>>fameuſes Républiques , ajouta M. Ber-
» noy : vos difcours furent-ils moins rem-
>>plis de ce feu céleſte que les Poëmes du
>>Chantre d'Achille ? N'en étiez-vous pas
>> auſſi enflammés , lorſque vous confon-
>>diez Philippe & Catilina , que le fut
>>Homere, quandil décrivoit les malheurs
>>d'Ilion ? .... Le feu de l'imagination ,
>> la nobleſſe des penſées , l'élégance du
>>ſtyle , l'aſſortiment des figures ,le ſubli-
>>me des idées & de l'expreſſion ; » voilà
ce que le ſentiment doit produire dans
l'Orateur comme dans le Poëte.... Croiroit-
on « qu'Anacreon , que Virgile , que
>>Rouſſeau n'ont dû qu'au hazard d'une
>> naiſſance favoriſée des Aſtres la pompe
>>de leurs Vers , l'harmonie de leur dic-
>>tion , la hardieſſe de leurs images , la
» variété de leurs portraits , &c... Les re-
>gles ſeconderent leur génie ; l'art ne
>>ceſſajamais de les guider & de les con-
>>duire. Ils tenoient de lui le choix des terFEVRIER
. 1757. 119
ود
mes la pureté du langage , l'ordre , la
>>conduite , &c.... La majesté de l'Elo-
>> quence & les charmes de la Poéſie ont
» un pouvoir égalfur un coeur tendre , fur
>>une ame héroïque. Mais ſans guide ,
>>ſans modele , fans principe , on ne ſçau-
>>roit parvenir à l'immortalité dans aucun
>>genre.... Il eſt une verve pour l'Elo-
>>quence , ainſi que pour la Poéſie.....
>>L'expérience prouve que le génie perce
debonneheure pour l'un ou pour l'autre
>> de ces Arts divins. Mais c'eſt l'étude &
>> laméditation qui développent , qui épu
>> rent , qui ſoutiennent le génie.... » La
lecture forme le goût.... La marche que
nos Maîtres ont ſuivie, nous fraye à nousmêmes
la route que nous devons tenir : ils
nous conduiſent comme par la main ; ils
nous apprennent àdémêler les fleurs parmi
les épines.... La chaleur de la paſſion
excite la veine poétique : mais une bouche
éloquente n'y puiſe pas moins de quoi exciter
l'amour , la haine , la pitié , la terreur ,
&c. N'est- ce point à ces impreſſions que l'on
reconnoît l'Orateur pathétique , comme le
Poëte inspiré ? .... M. Bernoy , en convenant
que chaque Auteur a un penchant ;
une diſpoſition plus marquée pour un genre
que pour un anire, fit obſerver que quel que
foit le talent , il faut que les préceptes le diri120
MERCURE DE FRANCE.
gent & que l'art le perfectionne.... La conſtruction
réguliere du Vers ne fait pas
feule le Poëte , comme l'attention ſervile
à ſuivre les préceptes de la Rhétorique ne
fait pas ſeule l'Orateur. Ilfaut à l'un & à
Pautre de l'élévation , des idées , du ſentiment
, &c ... M. Bernoy avoua qu'il avoit
de la peine à croire qu'un excellent Orareur
ne fût point capable de faire de bons
Vers , ou qu'un favori des Muſes fût capable
de faire un mauvais Diſcours....
L'art des Poëtes n'est pas moins celui des
Orateurs .... Enfin M. Bernoy ayant fait
un parallele exact des parties néceſſaires
à un grand Poëte ,&de celles qui le font
auſſi à un grand Orateur , en conclud que
fi tous les talens ſont des dons de la nature ,
ils demeurent toujours bruts ou enfouis , à
moins qu'ils ne soient mis en oeuvre ſous la
direction de l'Art , &c.
Pour varier les lectures , M. l'Abbé
Bellet lut une Ode ſous ce titre : l'Homme
inftruit par la révélation. Un ouvrage de
cette nature & fur un tel ſujet ne paroît
guere ſuſceptible d'analyſe , & il ne pour
roit que perdre à être préſenté par extrait.
Cette lecture fut ſuivie de celle d'un
Difcours de M. Carrere fils , ſur l'Hé
roïfme. Cet Académicien ſe propoſa de
montrer que l'Héroïsme par son caractere
effentiel
1
FEVRIER . 1757 . 121
eſſentiel est à la portée de toutes les conditions.
Il écarta d'abord tout ce qui pourroit donner
lieu de penſer que l'Héroïſme eſt le
fruitdu climat, ou que les vices nationaux
ont de quoi l'obſcurcir ou même l'éteindre....
Il convint cependant qu'en général
l'Héroïſme eſt rare , & que cette rareté
en augmente le prix.... " D'une main
>>bienfaiſante la nature a répandu le mê-
>>me éclat ſur toutes les fleurs. Il en eſt
» même de rampantes qui le diſputent
>>quelquefois à celles qui s'élevent le plus
>>majestueuſement. C'eſt un tableau allé-
>> gorique de ce qu'on voit parmi les hom-
» mes. Il y a quelquefois dans la foule, des
>>ſujets admirables auxquels il ne man-
>>que que d'être apperçus & appréciés
>>tout ce qu'ils valent; vérité conſolante ,
» difoit M. Carrere : elle nous laiſſe l'ef-
>>poir de nous aſſocier en quelque forte ,
>> ſi nous le voulons , à la gloire la plus
>> ſolide des Héros. >>Dans les grandes
places l'Héroïſme eſt plus facile ,plus favoriſé....
Ce n'eſt pas qu'il y ait de l'injustice
à célébrer par préférence les actions
utiles à l'Etat , dans un Prince , dans un
grand Capitaine , dans un Miniſtre. Et
c'eſt ici que l'Académicien ſe fit un devoir
de parler de la Conquête importante que
>>>la France doit à l'héritier du nom &
...
F
122 MERCURE DE FRANCE .
>> de la gloire du grand Armand. Que la
>> Province ſurtout dont il eſt l'illuſtre
>> Chef , ajouta M. Carrere , prenne enco-
>> re plus de part que les autres au triom-
>>phe de l'heureux Guerrier , qui le pre-
•mier fait repentir de ſon injuſte condui-
>> te l'infracteur de la paix. Que notre
>>Compagnie ajoute de plus à ces ſenti-
>mens du vif intérêt que doit inſpirer à
>>tous les Gens de Lettres la gloire Mi-
>>litaire d'un ami des Beaux- Arts , pof-
>> ſeſſeur de tous leurs ſecrets, qui par le
>>droit de ſes talens autant qu'à titre d'hé-
>> ritage , occupe ſupérieurement une pla-
>>ce à l'Académie , ainſi qu'au champ de
و د
Mars. La raiſon elle- même ne peut
,, qu'applaudir à de ſi juſtes hommages... ,,
L'Auteur caractériſa enſuite l'Héroïſme ,
& il n'eut garde de le rendre indépendant
des vertus morales & civiles.... Il obſerva
que quelques Poëtes abuſfant de la grande
liberté de leur pinceau , ont dit , les uns
que le crime a ſes Héros , les autres que
ce qui fait le Héros ſouvent dégrade l'homme
: Et il leur oppoſa ce que dit Rouſſeau ,
qu'il n'y a de vrai Héros que celui que l'équitéguide&
dont les vertus font l'appui....
M. leDuc de la Rochefoucauld a dit que
les grandes ames nefont pas celles qui ont le
moins de paſſions & plus de vertus que les
10 FEVRIER. 1737711 123
umes communes , mais celles ſeulement qui
ont de plus grands deffeins . M. Carrere fir
remarquer que dans cette définition on a
confondu le génie avec la grandeur d'ame...
Il conclud enfin que dans tous les fiecles
le véritable Héroïfme n'a jamais eu d'autrebaſe
que celle de la vertu.... La poſtérité
ne connoît d'autres Héros que ceux
qui ſe ſont élevés au deſſus de leurs paf
• fions , & qui ont fait céder leurs intérêts
au bien de la patrie. Le caractere du véritable
Héroïsme le met à la portée de tousles
citoyens d'une même République... Aucune
fuuation n'est incompatible avec les sentimens
& les procédés du grand homme.... Dès que
les fociétés furent établies , la guerre ne
fut plus l'unique chemin de la gloire. La Législation
, la Politique , la Magistrature , les
Arts, la vie privée elle même eut ſes Héros...
L'esprit , la raison , le coeur ne ſont point des
faveurs de la fortune.... La culture de l'ef
prit ouvre , en faveur de tous les Etats ,
des routes faciles pour parvenir à cette
grandeur d'ame qui fait les Héros ... L'efprit
philofophique qui eſt infailliblement
le fruit du ſçavoir , a toujours multiplié
dans tous les genres les Héros &les actions
héroïques.... " Ouvrez-nous vos portes ,
,, refpectable temple de Thémis ! s'écria
ici M.de Carrere ; laiſſez-nous contem-
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
1
pler dans votre ſanctuaire cette troupe
,de Héros , dont le tribunal eſt l'écueil
,, du crime & de l'injuſtice. On a vu plus
,, d'une fois des Magiſtrats braver des
→, dangers qui auroient pu faire pâlir des
,,Guerriers. Vainement la ligue déploye-
,, t'elle à Toulouſe toutes ſes fureurs contre
les Duranti , &c.... ,, La Morale
la Littérature n'auront pas à rougir , quand
elles n'auroient point à produire en leur
faveur des traits auſſi ſublimes. Cependant
la Philofophie & les Sciences ne laiſſent
pas d'avoir d'autres martyrs que Socrate....
Les Héros de la Littératurefont chargés ,
ainſi que le diſoit Pythagores , defaire la
guerre aux maladies du corps , à l'ignorance
de l'esprit , aux paſſions du coeur , auxfédirions
des Villes , & à la diſcorde des familles.
Ce genre de combat exige un mérite
ſupérieur , ſi l'on veut remporter la victoire....
Les citoyens paiſibles qui ne courent
ni les hazards de la guerre , ni les périls des
grands Emplois , ni ceux de la Littérature,
peuvent avoir leur genre d'Héroïsme , s'ils
uſent ſagement de leurs richeſſes , & fuivent
les conſeils du bon goût & de la générosité.
Des établiſſemens utiles peuventles
immortaliſer.... Et dans la prospérité &
dans l'infortune ils peuvent nous montrer encore
les traits particuliers d'un Héroïsme
FEVRIER.1757.123
d'autant plus respectable qu'il ſemble devenir
chaque jour plus rare.
T
Enfin M. de Luſtrac rempli d'une prévention
favorable pour fon fiecle , s'atta
cha à développer dans un Difcours toutes
les reſſources que nous offre celui de
Louis XV , pour garantir les Lettres de
la chûte dont on les menace. Il ſoupçonna
la jaloufie des contemporains de les empêcher
d'apprécier au juſte le mérite de
leurs rivaux. La réputation des Anciens
fournit , ajouta-t'il , abondamment à cette
paſſion de quoi humilier même leurs plus
fideles imitateurs.... Dans les comparaifons
que l'on fait des Modernes avec les
Anciens , il eſt rare , ſelon M. de Luftrac ,
que l'équité tienne la balance. On eſt ſouvent
affez de mauvaiſe foi pour oppofer
les endroits foibles des Modernes aux
beaux endroits des Anciens.... Cet Académicien
traça ici une eſquiſſe du fiecle
de Louis XIV . & du fiecle de Louis XV ;
&pour éviter de tomber dans le défaut
qu'il reprochoit aux autres , il diftingua
dans tous les deux un bon & un mauvais
côté ; & en ſuivant ce parallele impartial ,
il démontra que ſi l'un a eu ſes Auteurs
frivoles , comme ſes Ecrivains célebres ;
l'autre ne laiſſe pas d'avoir de même ſes
Orateurs & ſes Poëtes , véritablement di-
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
gnes de l'eſtime publique , malgré la foule
des Littérateurs ſuperficiels qu'on lui re,
proche... M. de Luſtrac , pour mieux faire
valoir nos avantages , diftingua encore les
Sciences & les Lettres , & il ſoutint que
fi par rapport aux Lettres , nous avons un
peu dégénéré , nous avons fait , en ré
compenſe , des progrès conſidérables dans
la Philofophie, Il ſe fit un plaiſir d'étaler
ici nos richeſſes dans ce genre.... Mais il
mit le comble à ſes preuves , en appuyant
fur l'énorme différence qu'on ne peut s'empêcher
de reconnoître entre les ſucceſſeurs
d'Auguſte & l'héritier du Trône de Louis
XIV. Quel regne que celui de Tibere , de
Caligula , de Claude , de Neron ! &c. A
peine étoit-il alors permis d'être ſçavant :
au lieu que Louis le Bien-Aimé ne ceſſe
de foutenir les Sciences , & les Lettres par
la protection dont il les honore, & par fes
bienfaits , &c.
La Séance fut terminée par la lecture
du Programme dont on a déja fait part
au public. 31
FEVRIER. 1757 . 127
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES - LETTRES.
GÉOGRAPHIE.
LETTRE au R. P. Dom Calmet , contenant
quelques obſervations fur celle qu'il
vient de donner au Public ( 1 ) pour déterminer
la poſition de la Terre de Geffen &
du Royaume de Tanis.
Vous venez , mon Reverend Pere , d'enrichir
la République des Lettres d'un nouveaumonument
de votre érudition. Chargé
d'ans & d'honneurs , vous ne vous
croyez pas encore permis de vous repofer
fur vos lauriers : vous voulez de jour
enjour acquérir de nouveaux droits fur
l'eſtime & la reconnoiſſance du public.
Dans la Lettre fur la terre de Geſſen
que vous venez de rendre publique , vous
portezde mon ouvrage , fur le Paſſage de la
.)
( 1 ) Dans les Mercures de Décembre & de Janvierdernier.
:
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE .
Mer Rouge, ( 1 ) un jugement qui m'eſt trop
honorable , pour ne pas m'inſpirer quelque
confiance. J'eſpere donc que vous
me permettrez de vous faire part de quelques
obſervations , que votre ouvrage m'a
donné occaſionde faire : je les foumets
à vos lumieres avec toute la déférence ,
que mérite une érudition auſſi profonde
& auſſi juſtement reſpectée que la vôtre.
Vous reconnoîtrez aifément que ce n'eſt
point l'eſprit de critique qui me les a
dictées , mais uniquement le defir d'établir
quelque choſe de fixe ſur deux ou
trois points ſur leſquels vous êtes d'un
fentiment différent du mien.
Vous avez très - bien remarqué , M.
R.P. , qu'il manquoit une choſe entr'autres
à l'éclairciſſement parfait de la queftion
que j'ai traitée. C'étoit de fixer la
juſte poſition de la terre de Geffen d'où les
Hébreux partirent pour ſe rendre à la Mer
Rouge. Vous y avez ſuppléé avec tout le
difcernement que les ſçavans vous connoiffent.
Vous penſez que la terre de Gefſen
n'étoit pas ſituée aux environs du
Caire, comme je l'ai cru , mais qu'elle doit
être placée entre Tanis & le bras le plus
oriental du Nil.
(1) Eſſai phyfique fur l'heure des marées dans
laMer-Rouge , &c.
FEVRIER . 1757 . 129
Strabon ( 1 ) & Pline (2) nous apprennent
qu'un des bras du Nil paſſoit à Tanis
, & que l'embouchure Tanitique ,
Oftium Taniticum , étoit la ſeconde qu'on
rencontroit en venant du côté de la Syrie ;
le bras qui paſſoit auprès de Péluſe , étoit
le premier de ce même côté : c'eſt donc
aux environs de ces deux branches & audelà
, en tirant vers la Syrie , que vous
placez le canton Tanitique , la terre de
Geſſen qui en faiſoit partie & le point de
partance des Hébreux , s'il m'eſt permis
de parler ainſi .
Vous ſçavez , M. R. P. que Joſephe
avoit placé ailleurs le lieudu départ des
Hébreux. Il les fait partir , comme vous
l'avez reconnu , des environs de Babyloned'Egypte
, ou du vieux Caire. Qui eût
cru qu'un Ecrivain ſi bien inſtruit de
l'hiſtoire de ſa nation , ſi voiſin de l'Egypte
, ſi voifin même en comparaiſon de
nous , des temps de l'événement , fe fût
trompé ſur un fait qui devoit être ſi
connu ? Le P. Sicard Miſſionnaire , qui
a paſſe ſa vie en Egypte , avoit penſé làdeſſus
comme Joſephe , & je pourrois citer
une foule d'Auteurs graves qui ont été
entraînés par l'autorité de Joſephe. C'étoit
(1 ) Geog. 1. 17 , P.552 .
(2) Hift. nat. 1. 5 , p. 71.
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
le ſentiment commun des ſçavans : je l'avois
ſuivi après eux.
Mais je ne vous diſſimulerai point que
je ſuis porté à croire que votre ſentiment
eſt le mieux fondé. Deux raiſons me paroiſſent
déciſives contre Joſephe.
Il eſt certain , comme vous l'avez remarqué
, que Moïſe a opéré ſes prodiges
aux environs de Tanis : l'Ecriture eſt formelle
là-deſſus. In campo Taneos. Pf. 78.
. 12. Pharaon y demeuroit donc , & la
terre de Geffenne pouvoit en être éloignée;
en voici la preuve : Moïse fut expofé fur
les eaux du Nil par ſa ſoeur , apparemment
auprès du lieu où demeuroient fes
pere & mere. Elle reſta enſuite quelque
temps ſur la place pour voir ce qui en
arriveroit. La fille du Roi apperçut leberceau
flottant , avant que la ſoeur de Moïſe
l'eût perdu de vue. On demande une
nourrice : la ſoeur répond qu'il y en a
une là tout auprès , & elle la fait venir ſur
le champ. La terre de Geffen où les Hébreux
demeuroient , s'étendoit donc jufqu'auprès
de Tanis.
Reſteroit à faire voir , pour convaincre
Jofephe d'erreur , à quelle diſtance
Tanis étoit de l'emplacement où Babylone
a été bâtie après. Je trouve la poſition de
Tanis précisément fixée dans Ptolemée ,
FEVRIER. 1757. 131
& c'eſt un juge ſans appel ſur cette matiere.
Il a vécu dans l'Egypte & c'eſt ſur
les lieux mêmes qu'il a fait ſes obſervations
aſtronomiques : il fixe la latitude de
l'embouchure Tanitique au 31º deg.15 m.
& celle de Tanis au 30º deg. som. ( Prolem.
p. 38 , edit. Magini. )
e
Concluons d'abord delà , que Tanis
étoità 25 minutes ou 8 lieues de diftance
aërienne de la mer ; d'un autre côté il
fixe ( p. 102. ) la latitude de Babylone au
30º degré juſte. Il y a donc so minutes de
différence entre Tanis & Babylone : so
minutes valent 16 lieues . Il y a donc
plus de 16 lieues de diſtance entre Baby-
Jone & la Ville ou Pharaon demeuroit
aux environs de laquelle Moïſe naquit &
opéra ſes prodiges. Joſephe s'eſt donc vraiſemblablement
mécompté en plaçant le
lieu du départ des Hébreux auprès de Babylone.
Peut- être aura-t'il avancé cette
particularité ſur la foi de quelque tradition
Rabinique, dont il eût dû examiner
le fondement .
وا
Je puis abandonner l'autorité de Joſephe
avec d'autant plus d'indifférence , que
la poſition du lieu d'où vous faites partir
les Hébreux , s'accorde également avec le
plan que j'ai ſuivi dans mon ouvrage..
Vous comptez 25 lieues& trois journées
Fvj
132 MERCURE DE FRANCE.
de marche depuis Rameſſe ſitué auprès
de Péluſe , juſqu'à la Mer Rouge. J'avois
prouvé qu'il n'y a pareillement que 25
lieues& trois journées de marche des environs
du vieux Caire à la mer Rouge.
Ainſi le nombre des ſtations & l'ordre des
marches continuera d'être , ſuivant votre
ſyſtême , le même que j'ai adopté.
Ceux qui ont ſuivi Joſephe en faiſant
partir les Hébreux des environs du vieux
Caire , ont dû conféquemment ſuppoſer
que les déſerts où Pharaon entendoit que
les Hébreux vouloient aller ſacrifier ,
étoient les déſerts de la Thébaïde : toute
autre route les eût mis à portée de fortir
des Etats de ce Prince , ce qu'il prétendoit
ſurtout empêcher. Mais en admettant
avec vous , que ce fut du canton Tanitique
qu'ils partirent , il faudroit convenir
que ce fût plutôt vers certaine partie
du déſert qu'on rencontre entre l'Egypte
habitable & la Mer Rouge , que Pharaon
leur preſcrivit d'aller ſacrifier. Je
pourrois produire un grand nombre de
témoignages qui prouveroient que toute
cette partie de l'Egypte , qu'on trouve en
approchant de la Mer Rouge , n'eſt prefqu'autre
choſe qu'un terrein ſablé & infertile
; elle porte à juſte titre le nom de
défert de fable. Des Philoſophes moderFEVRIER.
1757. 133
nes concluroient de cette particularité ,
que la mer a longtemps ſéjourné ſur ces
terreins , ou que du moins la Mer Rouge
& la Méditerranée ont eu autrefois une
communication naturelle qui ſéparoit le
continent de l'Afrique de celui de l'Afie.
Mais cette diſcuſſion n'eſt pas de mon
objet.
De tout ce que je viens de dire jufqu'ici
, il réſulte M. R. P. que les Hébreux
font vraiſemblablement partis , comme
vous le penſez , des environs de Tanis &
non de ceux de Babylone ou du vieux
Caire; enſuite que Pharaon leur préfcrivit
de diriger leur marche , non vers les
déſerts de la Thébaïde , mais plutôt vers
ceux qui approchent de l'extrémité du
golfe Arabique. Ces points de critique
font plus intéreſſans qu'on ne penſe ; ils
ont une liaiſon intime avec les époques
où la Religion écrite ſe trouvoit à fon berceau.
Il ſeroit à ſouhaiter qu'on pût les
éclaircir juſqu'à n'y laiffer aucun doute.
On peut dire la même choſe d'une objection
afſſez grave que les ſcavans Auteurs
du Journal de Trévoux m'ont faite
il y a plus de ſix mois , en donnant l'analyſe
de mon Ouvrage. Je n'aurois pas
manqué d'y fatisfaire dans le temps , fi
je n'euſſe eu pour lors des engagemens
134 MERCURE DE FRANCE.
d'un autre genre à remplir. Je ſaiſis avec
plaiſir la premiere occafion qui ſe préſente
pour m'expliquer ſur ce que j'en penſe.
Voici comment on attaquoit les preuves
que j'ai apportées pour prouver que les
Hébreux ont compté par mois lunaires dès
le temps de Moïfe .
« Si cela eſt , diſoit-on , les Hébreux
>>ont dû connoître la néceſſité d'intercaler
>>( d'ajouter un 1 3e. mois à l'année ) ſept
>> fois durant l'eſpace de 19 ans ; fans quoi
>>>leurs années n'auroient eu aucune ana-
>>logie avec le cours du ſoleil , & leurs
>>fêtes ſe ſeroient bientôt trouvées hors
>>des ſaiſons auxquelles leur inſtitution
>>avoit été fixée ... »
ود
Mais comment accorder cette intercalation
avec l'uſage qui a ſubſiſté ſous les
Rois d'Ifraël ? " On lit , continuent les
>>Auteurs du Journal , au premier Livre
>>des Paralipomenes , c. 27 , que David
>>avoit 12 Officiers ou Chefs de Milice ;
>>& au troiſieme Livre des Rois, c. 4 , que
>>Salomon entretenoit 12 Pourvoyeurs ;
>>les uns & les autres deſtinés à ſervir
>>tour-a- tour chacun pendant un mois.
>O>r dans les années intercalaires qui font
>>de 13 mois , comment ce ſervice auroit-
>>il pu ſe maintenir ? Ne feroit- il pas arri-
>>vé , ou que l'ordre de la fucceffion eût
FEVRIER . 1757. F35
>>été interrompu , ou qu'un de ces Offi-
>>ciers fût demeuré deux mois en exercice,
>>contre le témoignage exprès de l'Ecri-
"ture ?
>>Nous ne ſcavons pas , ajoutoit- on ,
>>quelle doit être la réponſe à ces objec-
>>tions : & c'eſt pour cela que l'opinionde
>>l>'Auteur , fur l'identité du mois Hébreux
>>avec le cours de la lune , ne nous paroît
>>pas encore incontestable. »
Cette difficulté dictée par un goût de
critique judicieuſe & décente , qui diſtingue
depuis longtemps les Auteurs du Journal
de Trévoux , ne manque pas de fondement
, & mérite d'être éclaircie. Voici
ce que je crois pouvoir y répondre .
J'obſerverai d'abord que , ſi l'objection
étoit capable d'infirmer les preuves fur
leſquelles je me fuis fondé , pour avancer
que les Hébreux ſe ſont ſervi de mois
lunaires , il s'enfuivroit ſeulement que cet
uſage n'auroit plus ſubſiſté fous les Rois :
mais on ne pourroit pas à la rigueur en
conclure qu'il n'ait point ſubſiſté près de
1000 ans auparavant , du temps de Moïse ;
( ce qui feroit ſuffifant pour l'objet que je
me ſuis propoſé ). J'ai apporté en preuve
deux textes de Moïſe , dans lesquels il eſt
clair qu'il a compté par mois lunaires.
L'objection , qui ne peut porter que ſur
136 MERCURE DE FRANCE.
le temps des Rois , ne leur donne aucune
atteinte.
Je ne doute cependant pas que les mois
lunaires n'aient été en uſage même ſous
(1 ) les Rois d'Iſraël , auſſi bien que l'intercalation.
Je pense que les Hébreux intercaloient
dès le temps de Moïſe ; s'ils ſe
ſervoient de mois lunaires , ſi leurs fêtes
étoient d'ailleurs fixées à certaines ſaiſons
de l'année , l'intercalation étoit une ſuite
néceſſaire de ces diſpoſitions. J'avoue que
la néceſſité de l'intercalation n'a pu être
reconnue qu'à force d'obſervations , d'attentions
, de sçavoir & d'expérience , comme
le diſent les ſçavans Journaliſtes : mais le
monde étoit aſſez âgé pour avoir fait cette
obſervation ; & même il y a lieu de croire
que l'intercalation a eu lieu dans le monde
long-temps avant Moïſe, comme on va
le voir.
Les connoiſſances Aſtronomiques ont
un rapport néceſſaire & continuel avec
nos beſoins journaliers. Elles ont été probablement
la premiere des ſciences que
l'homme ait acquiſes. Il eſt du moins
(1) J'ai produit pluſieurs textes qui prouvent
que les mois Lunaires étoient en uſage du temps
des Rois. Voyez Eſſai Phyſique ſur l'heure des
marées de la Mer- Rouge , p. 17.
FEVRIER. 1757. 137
certain ( voyez ci-deſſous ( 1 ) pourquoi je
dis il est certain ) que Yao Roi de la Chine,
a donné des préceptes d'Aſtronomie , &
ce qui eſt ſurtout remarquable ici qu'il
aconnu l'uſage de l'intercalation plus de
400 ans avant Moïſe. En voici la preuve :
Yao apprend ( dit ce Prince à ſes. Mathématiciens
, dans un ouvrage compoſé
vraiſemblablement ſous ſon regne ) , « que
» pour déterminer l'année & ſes quatre
>>ſaiſons , il faut ſe ſervir de la lune inter-
>> calaire » (2) . Les connoiſſances de ce
genre ont été de bonne heure cultivées
en Chaldée & en Egypte : pourquoi n'y
auroient-elles pas été pouffées auſſi loin
qu'à la Chine ? Moïſe avoit été , dit l'Ecriture
Act. 7,22 , inſtruit dans toute la
ſageſſe , c'est-à-dire , les ſciences Philo-
(1) Je ne m'appuie point ici ſur les temps
fabuleuxdela chronologie Chinoiſe. Le P. Tournemine
& le P. Duhalde ont prouvé par des raifons
convaincantes , ( voyez la Deſcription de la
Chine , par le P. Du Halde, tom. 1 , p. 264. ) que
l'histoire& la chronologieChinoiſe ſont certaines
&bien ſuivies , à compter du regne d'Yao , le
même dont je parle. Il font régner ce Prince , ſuivant
un calcul rapproché de celui des Septante ,
Pan2357 avant J. C. Moyſe ne ſortit de l'Egypte
que l'an 1930 avant J.C, par conséquent 427 ans
après le regne d'Yao.
(2) Voyez le Traité de l'Aſtronomie Chinoiſe,
par le P. Souciet. Paris , 1729 , in-4°, P. 7.
138 MERCURE DE FRANCE.
fophiques des Egyptiens. Il ne devoit
donc pas ignorer, non plus qu'eux, l'uſage
de l'intercalation . :
Quant aux douze Officiers qui ont
ſervi ſous les Rois , il me ſemble qu'on
peut concilier l'ordre de leurs fonctions
avec l'uſage d'intercaler. Dans l'année intercalée
, ou de 13 mois , celui qui avoit
commencé le premier mois de l'année ,
devoit naturellement remplir le ſervice
du treizieme mois ajouté. Alors celui
qui avoit ſervi pendant le ſecond mois
de la même année , ſe trouvoit par-là
dans le cas de rentrer en fonction le premier
mois de l'année ſuivante. L'Officier
qui avoit rempli le ſervice du treizieme
mois de l'année intercalaire , ne
devoit rentrer en exercice qu'après onze
mois révolus de l'année ſuivante. Ainsi
fur 24 mois fucceffiſs , il ne rempliffoit
effectivement que le ſervice de deux. Tout
l'inconvénient qui pouvoit en réſulter ,
c'eſt que celui qui avoit commencé la premiere
année , ne commençoit pas toujours
la ſuivante. Mais cet inconvénient
en étoit- il un réellement ? perſonne n'y
perdoit rien , chacun étoit également fujet
à ſubir à ſon tour cette viciſſitude.
Le changement d'année la rendoit néceffaire
, & on devoit à peine y faire attention.
FEVRIER 1757 139
1
Mais , dira - t'on , l'Ecriture ſpécific
que chacun ne ſervoit que pendant un
mois. J'en conviens : mais il eſt à préſumer
que l'Ecriture n'a voulu nous mar
quer ici que ce qui ſe ſaiſoit communément.
Or dans la ſuppoſition que j'adopte
, il reſte vrai que communément
chacun ne ſervoit qu'un mois dans l'année.
1º. Parce que l'année n'avoit communément
que douze mois , & l'année
intercalaire de treize mois ne revenoit
que tous les trois ans à peu près. 2° . Parce
que même pendant le cours de l'année
intercalaire , il étoit encore vrai que
communément les Officiers ne ſervoient
que pendant un mois chacun. Sur douze
Officiers il y en avoit onze qui ne faiſoient
à l'ordinaire qu'un mois de fervice.
Un feul d'entr'eux étoit chargé de
deux. L'ordre de ce ſervice pouvoit encore
être réglé de pluſieurs autres manieres
compatibles avec l'uſage de l'intercalation.
Mais celle-ci me paroît la plus
naturelle.
Cette difficulté ainſi diſcutée , il m'en
refte une autre , M. R. P. , qui regarde
certaines expreſſions , dont vous vous êtes
ſervi dans votre lettre ſur la terre de
Geſſen . Vous y dites vers la fin , que
Ies Hébreux partirent des environs ddee Ta
140 MERCURE DE FRANCE.
nis la nuit du 14 au 15 , pour ſe rendre
à Rameffé. Vous ſuppoſez enſuite
qu'étant partis de Rameſfé , ils firent en
trois jours de marche le chemin qui conduit
à la Mer Rouge. Il ſuit delà qu'ils
n'auront gagné la mer qu'après quatre
jours révolus depuis la nuit du quatorze
au quinze. C'eſt un jour plus tard que
je ne l'ai cru : car je me ſuis propofé de
prouver que ce fut à la fin du troiſieme
jour , depuis la nuit du quatorze au
quinze, qu'ils arriverent à la mer, & qu'ils
lapaſſerent pendant la nuit ſuivante. Mais
nos ſentimens ne ſont pas fi oppoſés fur
ce point , qu'on ne puiſſe les concilier
au moyen d'une ſimple explication .
D'abord nous ſommes d'accord fur cette
circonſtance capitale , ſçavoir , qu'il n'y
eut que trois journées de marche depuis
Ramellé juſqu'à la Mer Rouge. Il eſt d'ailleurs
conſtant par le témoignage de l'Ecriture,
que les Hébreux ſe mirent en marchepour
quitter l'Egypte , la nuit du 14
au quinze de la lune. Mais étoit- ce de
Rameſſé qu'ils partirent la nuit du 14 au
Iis , auquel cas ils n'auront eu en tout
que trois journées de marche à faire pour
gagner la mer , ou bien étoit-ce des environs
de Tanis ? au quel cas ils en auront
eu 4 à faire ?
T FEVRIER. 1757. 141
Cette différence ſeroit peu importante
ſi elle n'influoit ſur l'Epoque préciſe du
jour de la lunaiſon , auquel les Hébreux
ont paffé la Mer Rouge. La nuit du 17
au 18 de la lune , le flux ou la haute
mer regne vers le fond de la Mer Rouge ,
depuis minuit juſqu'à 6 heures : le lendemain
18 , il y regne trois quarts d'heure
plus tard , parce que le flux retarde de
trois quarts d'heure par jour. Il importe
donc , ſi on veut s'aſſurer à quelle heure
les Hébreux ont dû trouver le flux ou le
reffux , lorſqu'ils ont paffé la mer , il importe
, dis-je , de fixer le jour de la lune
auquel ils l'ont paffé. Or pour y parvenir
, il faut commencer par déterminer le
jour auquel ils ſe ſont mis en route pour
faire leurs trois journées de marche de
Rameſſé vers la mer. Examinons donc
fi ce fut des environs de Tanis ou immédiatement
de Rameſſé qu'ils ſe mirent
en marche la nuit du 14 au 15 de la
lune de Nifan .
Nous avons un texte dans le livre des
Nombres , qui porte : Profetti de Rameſſe
mense primo , 15 die menſis primi , alterâ
die Phase.... Filii Ifrael.... caftra metati
funt in Socoth. c. 33 , V. 3. « Les en-
>> fans d'Iſraël étant partis de Rameſſé le
» 15 premier mois de leur année , s'arrê
142 MERCURE DE FRANCE .
>>terent à Socoth pour y camper » . Il me
ſemble , M. R. P. , qu'on peut inférer de
ce texte , que les Hébreux partirent immédiatement
de Rameſſé , & non des environs
de Tanis , pour faire la premiere
de leurs marches vers la Mer Rouge la
nuit du 14 aus. Voici pourquoi.
Si les Hebreux étoient partis du voiſinage
de Tanis la nuit du 14 au 15 ,
il s'enfuivroit , que dans l'intervalle du
même jour ils auroient fait tout le chemin
qu'il y a du voisinage de Tanis à
Socoth , c'est- à- dire , ſelon la diſtance par
vous aſſignée , environ 14 lieues . Comment
cela ? Vous allez le concevoir .
Il eſt conſtant d'une part qu'ils arriverent
le 15 à Socoth , éloigné de Tanis
de 14 lieues . Quinta decimâ die castrametati
funt in Socoth. D'un autre côté ,
il n'eſt pas moins évident qu'ils ſeroient
auſſi partis le 15 du voisinage de Tanis.
En effet dans la façon de compter des
Hébreux , la nuit du 14 au 15 , ( pendant
laquelle ils obtinrent la permiſſion
de partir ) appartenoit au jour ſuivant ,
& faifoit par conféquent partie du is .
J'ai appris dans vos écrits , M. R. P. ,
(Differt. fur la Chro. ) que les jours des
Hébreux ſe comptoient depuis un ſoir jufqu'à
l'autre , enforte que la nuit précéFEVRIER.
1757. 143
dente appartenoit toujours au jour prochainement
futur. Les Hébreux s'étant
- donc mis en marche la nuit du 14 au 15 ,
on peut dire exactement , qu'en cette occafion
ils font partis le 1s. Les voilà
donc d'une part arrivés à Socoth le 15 ,
de l'autre partis du voisinage de Tanis
auſſi le quinze. Ils auront donc fait dans
cette ſuppoſition , tout le chemin de Tanis
à Ramellé , ( 14 lieues ) dans l'intervalle
du 15 .
Est- il croyable , qu'un peuple ſi nombreux
, vulgus innumerabile , embarraffé de
ſes troupeaux , ſes bagages , ſes enfans ,
un peuple qui a paſſe la nuit probablement
ſans dormir , mangeant la Pâque
un bâton à la main , dans la poſture de
voyageurs prêts à partir , un peuple qui
n'a reçu l'ordre de partir , qu'après minuit;
eſt- il croyable , qu'un peuple en cet
état ait pu faire une ſi longue traite
dans un jour ? Dira-t'on qu'il a pu arriver
vers la moitié du jour à Rameſſé
éloigné de 7 lieues , & repartir après une
courte halte pour arriver à Socoth éloigné
de 7 autres lieues Ft- il vraiſemblable
que les Hébreux, qui n'ont fait que
7 lieues par jour les deux jours ſuivants ,
en aient fait 14 le jour qu'ils étoient
le plus fatigués ?
;
144 MERCURE DE FRANCE .
Il eſt , ce me ſemble, bien plus croyable
que les Ifraélites étoient déja partis des
environs de Tanis pour ſe raſſembler à
Rameſſé , quelques jours avant la nuit du
14 au 15 , par exemple , vers le dix du
même mois. Moyſe les avoit averti de
tenir prête pour le dix une victime , de
la garder juſqu'au 14, & de l'immoler
tous enſemble. Ad 14 diem immolabitque
eum univerſa multitudo filiorum Ifrael.
Exod. 12. 6. Ils devoient donc être
tous raſſemblés le quatorze pour faire cette
immolation . Peut-être même l'étoient- ils
auparavant : car le Seigneur commanda
à Moyſe d'annoncer cet ordre d'immoler
à tout le peuple aſſemblé. Ad univerſum
catum filiorum Ifrael. Ibid. v. 3 .
Pluſieurs Auteurs penſent que la nation
avoit profité de la circonſtance des ténebres
qui furent répandues ſur toute l'Egypte
immédiatement avant le quatorze ,
pour ſe réunir en corps à Rameſſé.
Joſephe nous apprend que non ſeulement
Moyſe avoit averti les Hébreux
de tenir la victime prête à être immolée
le quatorze , mais encore d'emporter avec
eux tout ce qu'ils avoient de bien , πάντα
επίκομιζομενους. Il ajoute encore quelque
choſe de plus remarquable , c'eſt que
Moyſe tenoit les Hébreux aſſemblés dans
un
FEVRIER . 1757 . 145
un même lieu & tout prêts à partir. Eloi-
μους ἔχων ἤδη τους Εβραίος πρός την εξο
δων ... εν αυτώ συνείχεν. Antiq. l. 2 , c. 5 .
Pendant que les Hébreux étoient ainſi
aſſemblés à Rameſſé , Moyfe & Aaron
étoient apparemment reſtés à Tanis en
qualité de députés de la nation auprès
du Souverain. Celui-ci ne déclara fon conſentement
au départ , qu'après la minuit
du 14 au 15. ( Exod. c. 12 , V. 29 , 30 ,
31. ) Moyfe & Aaron partirent ſur le
champ pour porter cette bonne nouvelle
à Rameſſé éloignée de Tanis de 7 lieues .
Rien de plus commun que de marcher
la nuit dans les pays chauds. Ils purent
arriver à Rameſſé en moins de quatre
heures , portés par un char ou à cheval .
LesEgyptiens y coururent auſſi pour prefſer
le départ des Hébreux. Ils craignoient
que l'Ange exterminateur n'étendît ſes
coups ſur le reſte de leur nation. Ils ne
leur donnerent point de relâche qu'ils
ne les euſſent vu partir. Urgentibus Egyptiis
& nullam facerefinentibus moram. Les
Hébreux étoient prévenus qu'ils devoient
partir cette nuit-là , ils n'attendoient que
le ſignal. Ils purent donc partir un peu
devant le point du jour , la nuit du 14
au 15 pour ſe rendre de Rameſſé à Socoth
le 15 au foir.
G
146 MERCURE DE FRANCE.
L'Ecriture nous marque à la vérité
qu'ils partirent de Rameſſé le lendemain
de la Pâque , Alterâ die Phase ; ce qui
eſt ſujet à équivoque : car le lendemain
de la Pâque étoit proprement le ſeize.
Mais par ces termes le lendemain de la
Pâque , il faut entendre le lendemain du
facrifice folemnel de la Pâque , & non le
lendemain de la Cêne paſchale. Celle- ci ſe
faiſoit la nuit du 14 au 15 , par conféquent
le 15. Mais le ſacrifice ſe faifoit
la veille dans le courant du 14 & vers
le foir. Les Hébreux donnoient à ce terme
foir un ſens plus étendu que nous. Ils entendoient
ſouvent par-là le temps , où
le ſoleil commence à décliner vers fon
couchant. C'étoit à peu près le terme de
trois heures après midi .Auffi Joſephe nous
apprend- il que de ſon temps on faiſoit
cette immolation folemnelle depuis trois
juſqu'à cinq. De bello jud. l. 7 , с. 17 .
Si on vouloit abfolument entendre
par ces mots ( alterâ die Phase ... profectide
Rameſſe , ) le lendemain de la Cêne
pafchale, il s'enfuivroit que les Hébreux
ne feroient partis de Rameſſé que le ſeize.
En effet , puiſque la Cêne ſe faiſoit dans
un temps qui appartenoit à la journée du
quinze , le lendemain de cette Cône ne
pouvoit être autre que le ſeize. Mais
}
FEVRIER . 1757 . 147
une choſe réſiſte à cette ſuppoſition , c'eſt
que l'Ecriture nous marque pofitivement
que les Hébreux partirent le quinze , &
que ce quinze étoit le lendemain de la
Pâque. C'étoit donc le lendemain du facrifice
folemnel de la Pâque , & le quinze
précisément que les Hébreux partirent
de Rameffé , mais avant le jour & pendant
la nuit du quatorze au quinze.
Suivant cette diſpoſition , les Hébreux
partis le quinze avant le jour , n'auront
fait depuis que trois journées de marche
de Rameſſé juſqu'à la mer. C'eſt le plan
le plus conforme à l'expreffion de l'Écriture
, qui les y fait arriver après trois
ſtations ou campemens , & en même temps
aux témoignages réunis d'Artapane , de
la Chronique Juive Seder-Ollam , & de
Joſephe , qui les font arriver à la mer
après trois jours de marche.
Vous voyez , M. R. P. , que pour rapprocher
mon ſentiment du vôtre fur la
date de la premiere marche des Hébreux ,
il ne s'agit que d'un fimple développement
de la queſtion . Ce peuple a fans
doute fait une marche , comme vous le
penfez , pour ſe rendre du canton Tanitique
à Rameſſé : mais on peut la rejetter
indéfiniment à un temps antérieur
au quinze. Il nous eſt d'autant plus libre
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
de le faire , que l'Ecriture n'en a point
déſigné le jour. Mais pour la premiereque
firent Hébreux depuis qu'ils eurent mangé
la Pâque , elle est très- expreſſement attribuée
au quinze. En admettant que le départ
du canton Tanitique a précédé la
nuit du quatorze au quinze , tout fe concilie
, & l'époque du départ des Hébreux ,
ainſi que celle de leur arrivée à la Mer
Rouge , ſe trouvent fixées avec la derniere
précifion. Ce n'eſt pas une médiocre fatisfaction
pour moi , M. R. P. , d'avoir
pu réunir les ſentimens contraires ſur ces
différens points de critique importans par
leurs conféquences. J'ai l'honneur , &c .
HARDI , du College Mazarin.
MEDECINE.
MEMOIRE ſur les Eaux minérales &
médicinales , par M. Juvet , Médecin
de l'Hôpital du Roi à Bourbonne les bains,
& afſocié Correspondant du College royal
des Médecins de Nancy.
I.LES maladies font plus nombreuſes
que les remedes , ſouvent les remedes
font moins forts qu'elles. Que n'a- t'on
pas fait , que ne fait-on pas tous les
FEVRIER. 1757. 149
jours pour en augmenter les claſſes , pour
en trouver de plus fûrs & de moins infideles
que ceux que nos prédeceffeurs
nous ont laiſſés ! On ne s'eſt pas contenté
d'employer des plantes , des viperes , du
mercure , du fer , de l'antimoine & la
plupart des productions de la nature ,
on a encore analyſé les corps ſublunaires
, & l'art s'eſt ſurpaſſé pour en extraire
des agens puiſſans contre les êtres
morbifiques.
On ne s'eſt pas tenu aux remedes ordinaires
& aux reſſources de l'art , lorfqu'il
s'eſt agi de maladies qui leur réſiſtoient
opiniâtrément. On a fait des recherches
ultérieures , & on a principalement
examiné les ſecours qu'on pouvoit
tirer des Eaux minérales chaudes
& froides , que l'on voit fourdre du ſein
de la terre en très grand nombre & en
différens pays . L'Allemagne , l'Angleterre
, la Suiſſe , l'Italie , l'Eſpagne vantent
les leurs . La France n'a rien à leur envier.
Les deux Bourbons , la Bourboule ,
Evos , Balaruc , Barbazan , Bareges , Bagnieres
, Digne , Chaude-ſaigne , le Mont
d'or , Néris , Evahon , Vichy , Sail ,
Encauſe , Premeau , Baſdou , Plombieres ,
Bain Luxeul , Bourbonne & autres
lieux qui fourniſſent des eaux chaudes ,
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
font des tréſors fans ceſſe ouverts & inépuiſables
, qui enrichiroient plus la France
que ſes vins , ſi ces eaux donnoient
comme eux , l'excluſion aux autres. Les
deux Vics , les Martres de Vaire , Jaude
, Capvert , Anaille , Ste. Reine , Paffy ,
Château Gontier , Vaujour , la Rochepoſai
, Pons , Montendre , le Mans ,
Beleſme , Verberie , Forge , Pougue ,
Monbofq , Hebecrevon , Provins , Valhs ,
Chartres , Chatel-Guyon , Jouhe , Buffan
, Attancourt , & quantité d'autres
lieux fourniffent des eaux froides , ſalutaires
& médicinales .
II . Cependant les bons effets des eaux
chaudes & froides , reconnus aujourd'hui
fi univerſellement , ſurtout en Allemagne,
paroiffent avoir été négligés ou ignorés
des Anciens. Hippocrate le pere de laMédecine
n'en fait aucune mention. Les
Grecs & les Arabes n'ont point écrit des
eaux expreſſément pour des uſages médicinaux.
La fignification du mot therma ,
d'où eſt dirivée celle d'Eau thermale ,
qu'on donne à préſent aux eaux chaudes
& médicinales , ne prouve pas qu'elles
ayent été fort connues pour la guérifon
des maladies. Les thermes , les petites
thermes , thermula , n'étoient confidérées
en général , que comme des étu
FEVRIER. 1757 . 151
ves , des bains plus ou moins étendus
pour ſe laver le corps , ou pour ſuer , qui
étoient publics ou domeſtiques , & pour
leſquels ordinairement on faiſoit chauffer
l'eau. Loca habentia aquas calefactas fudandi
lavandive uſibus deputata ( 1 ) .
Le linge n'étoit point en uſage chez
les Romains ; ils avoient beſoin de ſe
baigner ſouvent : auffi les bains étoientils
fort communs à Rome. Le ſeul Agrippa
en fit conftruire cent ſoixante & dix pour
le Public , & fſous les premiers Empereurs
on en comptoit juſqu'à huit cens.
Il y en avoit douze très - magnifiques ,
entre leſquels ondiſtinguoit ſurtout ceux
d'Alexandre Severe , de Tite & de Caracalla.
On a mis parmi les illuftres monumens
de l'anciennne Rome les thermes
de Dioclétien , & on prétend qu'on
voit encore à Paris les thermes de Julien
l'apoſtar.
Les bains étoient communs non ſeulement
chez les Romains , ils le devinrent
dans tous les pays de leur domination ,
& furtout dans ceux où il y avoit
des ſources chaudes , dont on conſtruifoit
des baſſins ou des bains publics. Les
nations imiterent leurs maîtres , & on
ſe baigna familiérement comme à Rome ;
( 1 ) Ambrofii Calepini , Dict. nov. Linguar.
Giv
152 MERCURE DE FRANCE .
plus par propreté ou par volupté , ou même
par Religion , que par remede.
Les gloſes ſur des inſcriptions qu'on
nous donne pour antiques à Bourbonne ,
à Bourbon , à Plombieres , à Luxeul , font
arbitraires & inconféquentes pour la réputation
médicale de leurs bains dans les
temps réculés.
La boiffon des eaux chaudes & des
eaux froides entroit encore moins ſouvent
que les thermes dans la médecine des
Anciens , tout éclairés qu'ils étoient d'ailleurs.
Ce que l'on y trouve là-deſſus en
remontant juſqu'à Hippocrate , dans les
fragmens d'Hérodote , dans Paulus Actuarius
& Rhaſes , eſt tout au moins trèséquivoque
. Avicenne défend les eaux aigrelettes
: elles menent à l'exulcération
de l'eftomac & des inteftins , à l'hydropifie.
Haliabbas défend les eaux ferrées ,
les eaux falines & fulfureuſes. Les premieres
font ennemies de la rate , & les
autres de la tête. Pline eſtimoit ſi peu
les eaux , qu'il ſe moquoit des Médecins
qui y envoyoient leurs malades. Medicina
nunc aquarum perfugio utitur ( 1) .
Cependant Galien obſervé qu'il étoit
d'uſage de boire au printemps & en automne
des eaux chargées de ſoufre , de
(1) Plinius , lib . 31 , cap. 6.
FÉVRIER . 1757 . 153
bitume & de nitre pour ſe purger , &
que ceux qui étoient ſujets à la gravelle
prenoient des eaux minérales par
précaution. (1 )
Alexandre de Tralles , qui vivoit dans
le fixieme fiecle , preſcrit pour la colique
les bains fulfureux & bitumineux , & par
tolerance accordoit aux malades d'en boire
de l'eau pour détruire des glaires tenaces
& collées à l'eſtomac & aux inteftins
, & parvenir par-là à une cure éradicative.
Le filence des Anciens ſur l'uſage interne
des eaux minérales , ou leurs imputations
, l'obſervation de Galien , qui
n'eſt que d'après l'expérience d'autrui ,
l'indéciſion d'Alexandre de Tralles , font
voir que cet uſage n'avoit aucune vogue
, encore bien moins de réputation .
Sur la fin du ſeizieme ſiecle , Albanus ,
Abenquevit , Etſchenreuter , Fliſius , Gentilis
, Guinterus , Rulandus , Sermundus ,
Viottus , Bondis , Baccius , Carnarius ,
Dortomannus , Gæbellius , Fabianus-Summerus
, & au commencement du dixſeptieme
, Fabricius , Aurélius , Palazzoli
, Matthæus , Paver , écrivirent enfin ex
profeſſo ſur les thermes , & les applique-
( 1 ) Galenus de Sanit. tuend. lib. 4 , id. de Ren
affectib , dignofcend. & curand.
Gv
154 MERCURE DE FRANCE .
rent avec ſuccès aux analadies. La réput
tation des thermes étoit formée alors ,
& fe formoit de plus en plus. La boiffon
néanmoins des eaux n'étoit pas en vigueur,
foit que la crainte , ſoit que le préjugé
y miſſent obſtacle , & elle étoit toujours
un problême.
Tabernamontanus qui eſt mort en 1590 ,
eſt un des premiers qui ſoit entré dans
le détail fur la boiſſon des eaux froides .
Geringus en 1592 écrivit fur les eaux
de Spa , Henri de Heer , qui l'a ſuivi
d'aſſez près , donna fon Spadacrene , ou
fon Traité des eaux de Spa , qui eſt ce
qu'on commence à voir de plus précis
fur cette matiere : & quoique Limborth
eût déja écrit en 1559 ſur ces eaux ,
qu'elles fuſſent déja les plus connues ,
quoique fur la frontiere du Royaume
elles étoient ſi peu uſitées en France ,
que le Roi Charles IX y envoya. M.
Miron fon premier Medecin , pour s'informer
de leurs qualités d'où l'on doit
inférer , que l'uſage des caux froides n'étoit
pas fort repandu , & qu'on les employoit
affez rarement.
L'ufage interne des eaux chaudes eſt
encore moins ancien que celui des eaux
froides. Celui des eaux de Bath ſi fameufes
en Angleterre eſt moderne : il ne re
FEVRIER . 1757 . 155
monte pas plus haut qu'à la fin du feizieme
fiecle . Tout ce que Freind , dans
fon hiſtoire de la Médecine , s'efforce de
rapporter pour reculer cette époque , n'eſt
de fon propre aveu que conjectural.
Le Docteur Thibault qui a écrit fur
notre eau en 1608 , dit qu'on a été
fort long-temps ſans boire de cette eau ,
que ce n'eſt que depuis quelques années
qu'on en a mis la boiſſon en pratique.
Berthemin , Médecin du bon DucHenri
II de Lorraine , écrivant en 1615 des
eaux de Plombieres , nous aprend que
ce Prince en voulut boire pour fon eſtomac
en 1614 ; qu'avant ce temps on venoit
à Plombieres , principalement pour
ſe baigner , & qu'on ſe contentoit de
boire quelques verres d'eau chaude , que
la plupart n'en buvoient point du tout.
M. Paſcal qui a écrit des eaux de Bourbon
- l'Archambault en 1699 , infinue
que ce n'eſt que depuis peu qu'on boit
ces eaux , & M. Chomel qui a écrit en
1738 de ces eaux , de celles de Vichy ,
prétend que l'uſage intérieur en eſt nouveau.
: La boiſſon des eaux chaudes & froides
s'acquéroit une eſtime ſi générale ,
qu'en France Louis XIV ordonna à M.
Duclos de l'Académie Royale des Sciences,
Gvj
136 MERCURE DE FRANCE.
d'examiner ces eaux qui faisoient corps
dans la matiere médicale. Il fit un
Traité des eaux minérales du Royaume ,
chaudes & froides , qui fut imprimé à
Paris en 1675 .
د
Tout le monde Médecin s'intéreſſa vivement
à cette partie reconnue univerſellement
par l'expérience , pour eſſentielle
dans la médicine , & il parut quelques
ouvrages fur la boiſſon des eaux. Le célebre
Hoffman , cet ingénieux ſcrutateur
de la nature des eaux minérales a fait
de nos jours des diſſertations exactes fur
celles d'Allemagne. Schaw & Slare en
Angleterre ont pouffé plus loin qu'Hoffman
leurs recherches ſur les eaux minérales.
Ces Auteurs contemporains ont
mieux réuſſi que leurs prédeceſſeurs , &
ont ouvert les chemins qu'il faut fuivre
dans une carriere difficile à parcourrir.
Pluſieurs Médecins ſuivent leurs traces
, & le Public leur eſt redevable de
quelques découvertes que l'on fait de
temps en temps dans ce genre. C'eſt par
eux que nous connoiffons mieux que
ci-devant les eaux de Cauteres , de Jouhe
, de Buffan & d'autres , & nous avons
l'efpérance bien fondéede connoître dans
la fuite les eaux chaudes ou froides ,
que l'on confond très- ſouvent , les chauFEVRIER
. 1757 . 157
des avec les chaudes , les froides avec
les froides , & quelquefois les chaudes
avec les froides , par leurs différences ſpécifiques
que l'analyſe & l'obſervation
détermineront catégoriquement. Ces connoiffances
feront le fruit du travail des
modernes , comme celles que nous avons
déja , & qui ſont fi fort au deſſus de
celles des anciens. Sua veterum , ſua posteriorum
gloria . C'eſt à ce travail que nous
devons les connoiſſances que nous venons
d'acquérir ſur l'eau même de la mer ,
que les anciens croyoienr contenir un
virus qui s'en exhaloit par le repos. Sincera
& fine potabilis aqua mixtione repofita
virus deponit. ( 1 )
III. Malgré les effets des eaux minérales
, qui ſont ſi merveilleux que quelques-
uns ſemblent tenir du prodige, Hoffman
, dans ſa diſſertation ſur les eaux de
Bas-Selter , ſe plaint de ce qu'il y a encore
des Médecins qui , partie par ignorance
& faux préjugé , partie par orgueil ,
mépriſent ces eaux , & en écartent leurs
malades par toutes fortes de doutes ; &
dans ſa differtation fur les eaux & le
ſel de Sedlitz , que l'ignorance & l'envie
ſont ſi grandes chez quelques Médecins
, qu'ils ne diſcontinuent point de
(1 ) Diofcorid. lib.s , cap. 19.
158 MERCURE DE FRANCE.
décrier ces eaux , juſque-là qu'un Médecin
affez connu avoit ofé avancer en
bonne compagnie , que ces eaux contenoient
de l'arfſenic , & que c'étoit de
ce poiſon qu'elles tiroient leur qualité
purgatif.
Hoffman réfute ſi bien cette imputation
odieuſe , que je ne puis céder au
plaiſir que j'ai de placer ici cette réfuration
que l'on doit imiter toutes les
fois qu'il s'agit de combattre une objection
. Objectionibus reſponſione ſolida renitunior
, fi defit , honeſtius tacento.
,
« 1. La terre même ne produit de l'ar-
>>fenic nulle part; mais c'eſt une choſe
>> connue , que ce poiſon eſt une produc-
>> tion de l'art , & qu'on le tire du co-
>> balt ou de la mine de cuivre par la
>> violence du feu , à mesure qu'on fait
>>le bleu.
» 2. C'eſt encore une choſe qu'on ſçait ,
>>que les eaux qui ſe trouvent dans les
>> endroits où le cobalt fort , ne font ai
>>venéneuſes , ni purgatives , & par con-
>>>fequent quand même nos eaux coule-
>>roient par une ſemblable mine , elles
>>n'en ſeroient point pour cela empoi-
>> fonnées , & n'en tireroient point leur
>>vertu purgative.
> 3. On ne trouve pas même dans les
FEVRIER . 1757 . 159
>> environs de Toplitz , ni dans tout le
>>voiſinage de notre ſource amere , la
>>moindre apparence de cobalt.
>>4. L'atſenic étant leplus fortde tous
>>les poiſons & le plus mortel , il fuffi-
>>roit que nos eaux en euffent la plus
>>légere teinture , pour que l'uſage en
>>fût ſuivi de la mort. Mais ſuppoſé
>>qu'on ne ſçût pas en faire l'analyſe ,
>>pour ſçavoir ce qu'elles contiennent ,
»& de quoi elles ſont capables , l'expé-
>>rience journaliere ne prouve-t'elle pas
>> qu'elles ne ſont pas malfaiſantes , mais
>>qu'au contraire elles produiſent des ef-
>> fets falutaires .
>> 5 . Je voudrois donc bien ſçavoir
>>comment & ſur quel fondement on
>>voudroit prouver à priori par des ex-
>>périences faites ſur ces eaux , qu'elles
>>contiennent de l'arfenic , ou feulement
>>tine ſubſtance qui en approche ? car je
>>ſuis pleinement perfuadé , que la choſe
>>n'est pas poſſible. Si l'on prétendoit
>>trouver cette preuve dans leur vertu
>>purgative même, il faudroit dire auſſi
>>par la même raiſon , que les eaux de
>>Carlsbad , le fel d'Ebſom , la magnéſie
>> contiennent auſſi de l'arfenic; ce qui
>>cependant eſt abſurde.>>
Il eſt vrai que rien n'eſt ſi calomnié
160 MERCURE DE FRANCE .
que les eaux minérales : on leur attribue
velontiers toutes les catastrophes malheureuſes
, quoique rares , qui ſuivent leur
uſage. On n'examine pas ſi le malade
s'y eſt bien ou mal conduit , s'il a été
bien ou mal dirigé , s'il y a été envoyé
trop tard , ce qui arrive ſouvent , parce
qu'on regarde ces eaux comme le dernier
aſyle , qui ſouvent devroit être le premier
, ſi ſa maladie étoit fufceptible ou
non de guériſon. Il eſt évident qu'on
leur rend quelquefois bien moins de juftice
qu'aux autres remedes. Qu'un malade
foit attaqué d'une eſquinancie des plus
inflammatoires , il eſt ſaigné & refaigné ,
il meurt. Qu'on ampute unejambe ſphacelée
, on meurt. La ſaignée & l'amputation
auront toujours lieu dans ces cas
elles font & feront toujours une regle ,
que les défauts de ſuccès ne feront jamais
abroger. Dans ces circonstances le
remede n'a jamais tort , & dans des circonſtances
égales , en ſuppoſant , que les
eaux auroient été auſſi bien appliquées
qu'indiquées , elles paſſeroient pour meurtrieres.
Le poft hoc , ergo propter hoc , ne
s'exerça jamais plus malignement qu'après
les eaux ; c'eſt toujours d'après lui ,
que jugent les aveugles & les eſprits
paffionnés , comme ſi les événemens heu
FEVRIER . 1757 . 161
reux ou malheureux ne dépendoient pas
fort ordinairement des circonstances ou
des cauſes particulieres qu'on ne peut
démêler par ces événemens , comme ſi
ce qui arrive dans la cure d'une maladie
, étoit toujours l'effet du procédé ou
du remede qu'on a mis en uſage. Ils
ignorent ou affectent d'ignorer que le
propter hoc & le poft hoc forment ici des
énigmes , que l'obſervateur le plus au
guet n'explique pas toujours , lorſqu'il
ne fuit que par dehors des démarches ,
qui n'inſtruiſent point aſſez de ce qui ſe
paſſe au dedans .
J'ai vu des malades qui n'avoient fait
que le voyage des eaux , qui n'en avoient
point bu , qui ne les avoient pas touché
du bout du doigt , dont la mort ou le
mauvais état étoient rejettés ſur les eaux .
Ces imputations de quelque eſpece qu'elles
foient , prennent bien ſouvent racine
dans la rivalité baſſe des endroits mêmes
qui poſſedent des eaux. J'en pourrois fournir
de grands exemples. Il s'en trouve de
fort comiques dans Deſſault ( 1 ) . D'ailleurs
l'amour de la propriété nous fait fouvent
déraiſonner. Je connois des particuliers
gens d'eſprit & de très-bon ſens ,
(1 ) Differtations ſur la pierre , p. 146. & ſuiv.
&fur la goutte , p . 284 .
162 MERCURE DE FRANCE.
qui font convaincus debonne foi que
le vin de leur crû vaut preſque celui de
Bourgogne ou celui de Champagne , &
qui regardent comme une grande injustice
la diſtinction d'un marchand , qui
à peine leur donne la dixieme partie du
prix qu'il met à ces vins diſtingués .
Ceux qui ont des eaux chaudes ou froides
les élevent juſqu'au ciel : ces eaux
font des miracles & en ont fait avant le
déluge. Elles font toujours lespremieres ,
elles renferment toutes les qualités des
autres , elles conviennent à toutes fortes
de maladies. Que ce langage eſt vain &
téméraire ! Quò circà non benè convenimus
cum illis , qui ad omnes omninò morbos
Spadanam commendant fine delectu , adeòque
eandem in blafphemiam uſque extollunt ,
fcilicet non esse , quòd jam deinceps , nactis
ſpadanis , veterum aquarum miracula ,
vel Siloes piscina , vel Jordanis naamumſo.
nantis ſtupeamus ; cum hic & attonito morbo ,
convulfione , paraliſique laborantes , leproſoſque
curari videamus. Apage ! Miracula
inimitabili conſtant digito ( 1 ).
Vandelmont qui fait ces plaintes écrivoit
en 1661. Les eaux de Spa ſurtout
jouiſſoient alors de la plus brillante ré-
(1) Vandelmont Paradox. quint. de Virib .
Spadan.
FEVRIER . 1757 . 163
putation : elles étoient connues & ufitées
dans toute l'Europe. Les autres eaux
froides la partageoient , & elle étoit telle
&plus étendue que celle qu'elles avoient
du temps de Pline le jeune , qui parle des
eaux froides de France , comme de celles
de Provence , du Languedoc , du Bearn ,
de la Guyenne &de celles de Spa , qui ,
A l'on s'en rapporte à lui , étoient une
panacée.
La réputation des eaux froides s'eſt ſoutenue
juſqu'à préſent. Il paroît néanmoins
que celle des eaux chaudes l'a fait diminuer
; au moins l'uſage interne des eaux
chaudes a prévalu dans quantité d'occafions
, où l'on recouroit aux eaux froides.
Les liqueurs trop fraîches cauſent en
effet de l'enrouement , bleſſent les enfans
& les vieillards qui n'y ſont point accoutumés.
Les phtiſiques , les asthmatiques
, les valetudinaires , les pituiteux
doivent les éviter. Non asthmaticis , non
phtificis , non cauſariis , non pituitofis ....
ſed ſanis ſed biliofis glaciem prafcribimus.
Page fix d'une theſe foutenue aux écoles
de Paris en 1741 : An in biliofis gelida
glaciatique liquores bradypepsiam pracavent?
Amatus Lufitanus (1) , Schenkius ( 2) ,
(1) Cent. 2 , Curati. 62 .
(2) Lib . 3 , Obfervation.
164 MERCURE DE FRANCE.
Marcellus Donatus ( 1 ) citent beaucoup
d'exemples de gens , qui font morts pour
avoir bu de l'eau froide ; & Ettmuller
veut qu'on ſoit circonfpect à l'ordon.
ner , parce que , dit- il , beaucoup de
gens en font morts. Je ne ſçais ſi le
remede à la glace du R. P. Bernard a
fait de grands progrès à Malte & à Naples.
La France ne l'a pas encore adopté ,
foit parce que l'air y'eſt plus tempéré qu'en
Italie , foit parce que les heureux ſuccès
ne compenfent point les mauvais , foit
parce que l'application méthodique du remede
eſt trop incertaine & trop périlleuſe ,
comme le prouve une lettre inférée dans
les Mercures de 1725 , qui , comme ceux
de l'année précedente , publient des lettres
fur le remede à la glace. On y peut
voir entr'autres une lettre par extrait
écrite de Malte le 12 Juillet 1724 .
Elle commence par ces mots : Or écoutez
, Seigneurs petits &grands , l'hiſtoire
del Medico dell aqua freſca , &c . il a
par charité , par vanité , ou par malice
contre la Faculté , entrepris de guérir les
maux inconnus aux Médecins , &c . La
lettre dont il s'agit , eſt du 18 Juin
1725 .
(1 ) Hift. Medic. mirab. lib . 4 , cap. 6.
FEVRIER. 1757 . 165
1
«Le bon Capucin fait tous les jours
>> de nouvelles cures , mais déſabuſez- vous
ود - „ il ne veut pas donner la méthode de
» faire prendre l'eau. Il nous a paru
» qu'il la donnoit différemment à tous.
«Je crois vous avoir écrit qu'on en fait
>>une ici , & qu'on l'a envoyée en France.
- " Je l'ai vue & je la lui montrai dans le
>> deſſein de la traduire en François. Il
>>me dit qu'elle étoit propre à tuer ceux
>>qui en feroient l'épreuve. Vous la ver-
>>rez peut-être à Paris , je ſçais qu'elle
» a été envoyée en Provence.
J
6
La fraîcheur des eaux froides en rend
l'uſage ſuſpect , où les eaux chaudes ne
le feront point. Nihilominus plus damni
ab acidulis , quàm thermis induci & procurari
experientia teftimonio conſtat. Culpam
autem frequentioris hujus noxa , meritò
in frigus , quod nonnullis corporibus
infenſiſſimum & potis iisdem , interioribus
allabicur , rejiciendum eſſe puto. Quantum
enim periculi & nocumenti , & hominibus
& reliquis animantium generibus frigidus
incutiat potus , notiſſimum & quotidianum
eft ( 1) . Il faudroit être en bonne ſanté
pour boire les eaux froides , au moins
avoir un vigoureux tempérament : Op-
( 1 ) F. Hoffman. de element. virib. & ufu Medicator.
font. 5 , 42.
166 MERCURE DE FRANCE .
tima vita stamina , avoir de la jeuneſſe
ou un grand reſte de jeuneſſe. Les valétudinaires
, les gens délicats , les plus infirmes
, tous les âges ſoutiennent beaucoup
mieux les eaux chaudes. Les froides
ne paroiſſent convenir qu'à ceux
qui ont le pouls grand, fort & fréquent ,
qui ont le reffort des vaiſſeaux déployé
& très - ferme , dont les vibrations cauſent
dans les liquides beaucoup d'agitation ,
d'où ces liquides font plus remuans &
plus actifs. La bile & les eſprits , dont
l'activité eſt toujours proportionnée à la
force & à la vîteſſe du jeu des vaiſſeaux ,
s'y forment promptement , & le feu eſt
dominant partout. Il faut réfréner le reffort
des ſolides qui eſt fort & qui a
beaucoup de trait , plutôt que de l'exciter
; il faut calmer l'impétuofité des liquides
qui roulent comme un torrent.
Les eaux froides rempliront ce double
objet , les chaudes n'y pourroient réuffir
qu'avec des précautions multipliées .
Malgré ces indications , qui exigeroient
qu'on bût les eaux froides à la ſource ,
il n'eſt pas toujours aiſé de les remplir
par-là , & l'on eſt ſouvent obligé de faire
tiédir ces eaux , avant que de les faire
avaler. Hoffman veut qu'on uſe toujours
de cette attention : Paulifper tepefacta bi
FEVRIER . 1757 . 167
bantur ( 1 ) , & on peut confulter là-defſus
Mæglingus de inconfiderato acidularum
ufu , differtatio medica oppofita illis , qui
eum omnibus indifferenter , & quidem etiam
frigidum , magnâ item copiâ concedere non
dubitant.
Cependant pour ſe fouſtraire aux inconvéniens
de la fraîcheur de l'eau puiſée
à ſa ſource , on tombe dans un autre
écueil. Le feu en chaſſe aisément le
volatil , & c'eſt lui qui eſt le principal
ingrédient des eaux froides , qui pour la
plupart ne renferment point ou très-peu
de principes fixes. Le repos feul les fait
éventer de façon , que communément elles
ne prennent plus aucune teinture avec la
noix de gale , & preſque toutes les eaux
froides en prennent à la ſource. Ce changement
, ſans doute , les fait dégénérer ,
& les dépouille de ce qu'elles ont de précieux.
Si le ſeul repos opere ce changement
d'une maniere ſi manifefte , que
ne fera pas le feu par ſon action fubit
& rarefcente ? Je ne puis mieux la comparer
qu'à celle du ſouffle , qui dépouilleroit
dans un inſtant une ſurface bien
piléed'une poudre très- fine & très- légere ,
qui la couvriroit dans tous ſes points,
(1 ) Idem , ibid.
:
168 MERCURE DE FRANCE.
Cette privation du volatil des eaux
froides , qui eſt le produit du feu , les
détruit preſque entiérement , ou au moins
les ramene à l'eau commune , dont elles
confervent les vertus.
La fraîcheur des eaux froides , la difficulté
de parer à ſes impreſſions par des
moyens , qui n'en diminuent point le mérite
, ont beaucoup contribué à la ſupériorité
que s'eſt acquiſe la boiſſon des eaux
chaudes , qui d'ailleurs eſt plus délayante
que la boiſſon des eaux froides. Cependant
je crois qu'elle la doit plus encore
à la quantité de principes fixes & fenfibles
par eux-mêmes autant que par leurs
effets , qu'elles renferment plus ou moins
preſque toutes , & qui manquent ordihairement
dans les eaux froides : le principe
aqueux à part , qui leur eſt commun
, eſt l'enveloppe générale de tous
les autres , foit fixes foit volatils , qui
donne fon nom au tout ou au mixte ,
dont l'énergie reſulte eſſentiellement de
la combinaiſon exacte & actuelle de toutes
ſes parties.
IV. Que les eaux minérales foient imprégnées
d'un élément volatil ou fpiritueux
plus que les eaux communes , ou
que l'eſprit de Dieu , qui a pénétré les
unes& les autres , ſelon les zélateurs du
volatil
FEVRIER. 1757 . 169
V

volatil des eaux minérales , lorſqu'il étoit
porté ſur la ſurface des eaux dans le temps
de la création , Spiritus Domini ferebatur
fuper aquas ( 1 ) , ſoit plus animé & plus
vivifiant dans les eaux minérales que
dans les eaux communes ; c'eſt ce que perſonne
ne révoque en doute.
د
Les Bulles que l'on voit s'élever avec
rapidité du fond de ces eaux à leur fuperficie
, & dans les bouteilles qui en
font remplies , le ſifflement qu'elles font
-entendre en débouchant ces bouteilles ,
-que je ſuppoſe avoir été bien ſcellées auparavant,
& expoſées quelque temps dans
un lieu un peu chaud ces bouteilles
qui ne peuvent foutenir la chaleur du
Bain-Marie , qu'elles ne caſſent ſur le
champ , fi on n'a pas eu ſoin de les déboucher
, pour les reboucher négligemment
quand on veut les échauffer
pour s'en ſervir ; cette pente au fommeil
qu'elles procurent quelquefois dans la matinée
& furtout après diné , ſont les prin-
-cipales preuves de ce volatil qui abonde
dans les eaux minérales , parmi lefquelles
celles qui ſont ſuſceptibles des
épreuves avec la noix de gale en poudre
oud'autres épreuves de cette eſpece ,
ne le ſont plus , ſi elles ſont tranſpor-
(1) Genef. cap. 1 .
2
H
170 MERCURE DE FRANCE.
:
tées , & qui toutes perdent par le tranf
port ces odeurs , ces faveurs , quelquefois
cette limpidité naturelle , qui font
le ſceau de la perfection de l'ouvrage ,
tel qu'il eſt ſorti des mains du Createur.
C'eſt lui qui leur a donné ce volatil , qui
les a créé & conftitué chaudes ou froides
, comme c'eſt lui qui a créé & réglé
les ſaiſons , l'Eté , l'Hyver. Ces eaux
portent avec elles l'empreinte de la création
par un caractere d'immutabilité , qui
ſe remarque ſurtout dans les eaux chaudes
en Allemagne , en Italie , en Eſpagne
, dans la Natolie comme en France ;
ces eaux font inaltérables & invariables :
la température de climats ſi différens , la
variété des ſaiſons n'en diminuent ni
n'en augmentent la quantité & la chaleur.
Qui ne croiroit , par exemple , que les
pleurs de terre , après les grandes pluies ,
les dégels ne devroient pas tamifer au
travers des canaux qui conduiſent ces
eaux pour enfin s'y mêler , les altérer plus
ou moins ? C'eſt là ce que la raifon ſuggere
, ce que les faits détruiſent. Ces
eaux ſont des êtres à part , iſolés & faits
pour d'autres ufages que les eaux vulgaires.
Elles ne doivent point avoir de
commerce avec elles , elles ſont deſtinées
à une autre fin. Celles- ci ſont faites pour
FEVRIER. 1757. 171
des beſoins journaliers & ordinaires , celles-
là pour les maladies. Deus creavit medicamenta
( 1 ) .
Cette ſimple croyance qui eſt celle de
Paracelſe & de ſes ſectateurs , va au moins
de pair avec cent ſyſtèmes différens fur
la cauſe de la chaleur , de la formation
des principes & du volatil des eaux , qui
tous font expoſés à des difficultés infolubles
, s'entre-détruiſent , parmi leſquels
le plus fatisfaiſant , & qui eſt celui des
modernes , dont les inventeurs font Lifter
( 1 ) & Bergerus (2) , eſt celui des
Marcaffites ou mines compoſées de fer &
de ſoufre , qui s'échauffent dans les entrailles
de la terre. Je ne m'étendrois
davantage là-deſſus qu'inutilement , étant
arrêté d'ailleurs par les bornes d'un fujet
, que des recherches plus curieuſes
qu'utiles ne rendroient pas plus intéreſfant
: Huc procedes , & non ibis amplius.
La curiofité n'inſtruit guere plus fur
la nature du volatil des eaux , quelque
réel & quelque utile qu'il y ſoit , que
fur ſa formation . On ne connoît aucun
moyen pour en déterminer ou à- peu-près ,
ni la quantité ni la qualité. Cet embar-
(1 ) Ecclefiaftic. cap. 98.
(2) Médecin de la Reine d'Angleterre.
(3 ) Célebre Profeſſeur de Léipfic.
Hij
172 MERCURE DE FRANCE .
:
ras feroit ſouhaiter que des épreuves
chimiques , quelque infideles qu'elles
foient , nous euffent fourni quelques
obſervations là-deſſus; nous aurions au
moins quelque choſe de plauſible , ſi par
ces épreuves l'on eût pu parvenir à donner
du corps & des couleurs à ce volatil
, comme la chimie y a réuſſi dans la
décompoſition des mixtes tirés des trois
regnes. On en eſt encore au premier
pas , & nous ne ſcavons pas ſi les eaux
minérales ont plus ou moins de ce volatil
, que la citrouille qui , foumiſe à
la distillation , n'en fournit pas tant que
la bardane. Par elle nous ſçavons au
moins que l'une & l'autre contiennent
un fel volatil ammoniacal , avec cette
différence , que la citrouille n'en a qu'une
médiocre portion & la bardane beaucoup
plus.
Quoique la Chimie ait répandu par
la combinaiſon ſcrupuleuſe de ſes rapports
, par ſes compofitions & ſes décompofitions
, un grand jour ſur la matiere
medicale , elle eſt toujours ſous le joug
de l'expérience. C'eſt l'expérience qui décide
fouverainement des effets des mixtes
par l'obſervation ; ce n'eſtque par elle
que nous connoiſſons que l'antimoine eft
émétique , le quinquina fébrifuge , l'o-
!
FEVRIER . 1757 . 173
4
pium narcotique, les cantharides corrofives
de la veſſie , l'arſénic un poifon ; que ces
mixtes agiſſent différemment ſur les hommes
ou ſur les animaux. Ainſi le ſublimé
corrofif tue les hommes , & à la même
doſe il n'eſt que vomitifpour les chiens :
le jalap , qui donne des convulfions aux
chiens , n'eſt en même doſe que purgatif
pour les hommes : la noix vomique
qui n'eſt pas funeſte aux hommes , l'eft
aux chiens , quoiqu'à la plus petite doſe :
les amandes amères ne nuifent point aux
hommes , & font pernicieuſes aux animaux
, furtout aux volatiles : le ſafrandes
méraux eſt un puiſſant émétique pour les
hommes , & n'eft qu'un fudorifique pour
les chevaux; l'aconit , qui eſt un purgatif
pour le francolin , & la ciguë la nourriture
des cailles, font l'un & l'autre unpoifon
pour nous. C'eſt l'expérience qui nous
apprend que l'agaric de chêne eſt un
ſpécifique contre les plus énormes hémorragies.
Ces connoiſſances qui font le fruit de
la ſeule expérience , font au deſſus des
loix chimiques; mais les mixtes n'y font
pas moins ſujets , & c'eſt en évaluant
ces loix , en fubjuguant ces mixtes par la
réfolution de leurs parties intégrantes ,
que l'on a trouvé , par exemple , que le
T
2
{
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
quinquina devoit avoir d'autres vertus
que ſa vertu fébrifuge , l'opium d'autres
vertus que ſa vertu afſoupiſſante , & le
réſultat des regles chimiques reduit à de
nouvelles expériences , nous a fait faire
plus de progrès dans la pratique & l'application
de ces remedes dans un fiecle ,
que l'on n'en auroit fait pendant pluſieurs
par des heureux hazards.
Malheureuſement le volatil qui fait
partie des eaux minérales , échappe entierement
au flambeau de la chimie. Il
n'eſt point ſuſceptible d'examen par aucun
rapport viſible , comme les parties
des autres mixtes : il reſte donc à l'eſtimer
au poids de l'expérience.
Cette expérience qui nous a appris
que le quinquina eft fébrifuge , l'opium
fomnifere , ne peut rien nous apprendre
du volatil des eaux individuellement ,
puiſqu'il eſt mêlé intimement à leurs
parties , & n'en peut être ſéparé que par
la ſimple évaporation , ſans qu'il en reſte
plus aucune trace. L'expérience ſeule ne
peut nous inſtruire , que des effets du
tout ou de l'union de toutes ſes parties ;
d'où il paroît que le volatil des eaux
en lui-même & par lui même ſeul , n'eft
pas plus foumis à l'expérience qu'à la
chimie , qui néanmoins confervent l'une
FEVRIER. 1757 . 175
&l'autre leurs droits abfolus & ſéparés
fur le principe aqueux , les ſels & les
différens minéraux qui les compoſent.
4
Si nous comparions ce volatil aux efprits
ardens , aux huiles eſſentielles tirées
des plantes , aux ſels & aux eſprits
volatils tirés des animaux , il y auroit
bien du mécompte. Ces matieres ſpiritueuſes
&volatiles agitent nos corps irrégulièrement
, échauffent , altérent , épuifent,&
on ne peut pas accufer le volatil
des eaux de ces impreſſions tumultueuſes&
incendiaires , quelle que foit fa
qualité & ſa quantité dans ces eaux.
Comme on ne peut rien fixer fur la
nature & les effets de ce volatil , on a
employé l'hypotheſe , on a mis à profit
toutes fes douceurs & ſes facilités , qui
font le dernier refuge de la raifon. Les
uns ont fait de ce volatil un eſprit lumineux
logé dans les eaux minérales d'une
maniere ſi traitable& fi bénigne , ſi proportionnée
à la conſtitution humaine ,
qu'il échauffe ſans brûler , qu'il anime
fans enivrer , & produit une joie fûre
& tranquille , comme feroit celle d'une
bonne nouvelle , fans jetter enfuite dans
cette abattement qui eſt ſouvent la ſuite
des cordiaux. Les autres ont fait de ce volatil
un air léger , uni & halitueux , un zé-
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
phyr complaiſant , qu'ils ont preſque habillé
de velours pour le faire paffer ſans
violence & d'une maniere auſſi pacifique ,
que la circulation dans toutes les parties
du corps , tant pour renouveller le véhicule
des humeurs , que pour rendre aux
nerfs leur molleſſe & cette Hexibilité
élastique qui leur eft propre. D'autres, fans
tant de circonlocutions ſuperflues , en ont
fait des calmans nés .
:
Si l'on s'en fût tenu à ces imaginations
, qui cadrent affez bien avec les
opérations, des eaux , elles ſeroient ſup+:
portables, Les eaux en général font cordiales,
&, rafraîchiſſantes tout à la fois :
cordiales , en ce que levant les obſtacles
qui s'oppoſoient aucours libredes liqueurs,
le coeur & les arteres jouent mieux : rafraîchiſſantes
, en ce que ces obſtacles écartés
, le principe de la vie, vis vita, n'eſt plus
expoſé aux efforts redoublés & continuels,
qu'il fait lui même pour ſe redreſſer;
efforts qui troublent , quoiqu'à une bonne
fin , l'économie animale , y jettent un
déſordre néceſſaire , & la mettent plus
ou moins en combustion.
Mais que l'on ait fait du volatil des
eaux l'agent principal & preſque unique,
de leurs opérations , que l'on en ait fait
une forte de divinité que l'on encenſe à
i
FEVRIER. 1757 . 177
tout propos , que l'on ait preſque oublié
par la force de l'enthouſiaſine les autres
principes des eaux , qui n'ont pas ſeulement
, comme ce volatil , la prérogative
de l'existence & de la réalité , qui frappent
encore nos fens , que nous pouvons
traiter par toutes fortes d'examens utiles
& confequens ; n'est- ce pas s'attacher au
merveilleux en négligeant le ſimple , le
naturel , qui doivent être l'objet de nos
contemplations , qui en ſont les limites ?
La nature ne ſe montre à nous que
par des ſenſations. Les réflexions qu'elles
occaſionnent dans notre eſprit , ne peuvent
nous conduire qu'à la découverte des
rapports. Si nous ne pouvons nous en
convaincre , cédons à l'inſtruction que
nous donnent les livres de tant de Philofophes
que nous reconnoiffons n'être
que de belles tentatives très voiſines de
la chimere .
Dans l'examen des eaux minérales donnons
à notre eſprit toute la liberté que
les ſens lui permettent , n'y cherchons
que ce que les ſenſations nous y découvrent
, ſoyons fobres ſur le reſte ; des
vues ambitieuſes nous jetteroient dans
l'erreur , nous mettroient hors de la voie.
Faiſons , j'y confens , de leur volatil l'efprit
recteur ou l'archée des eaux , qui ac-
C-
;
1
Hv
178 MERCURE DE FRANCE .
compagne partout & ſoutient leursprincipes
aqueux , ſalins & métalliques , comme
ces principes l'accompagnent lui mê.
me , non cependant par cette réciprocité ,
qui ôteroit à ces principes toute action.
par l'absence de cet archée , mais qui
au contraire lui ôteroit toute la ſienne.
par l'absence de ces principes. C'eſt là
tout ce que nous ſçaurons de ce volatil
, en lui donnant un titre plus pompeux
que bien acquis.
Lafuite au prochain Mercure.
CHIRURGIE.
A L'AUTEUR DU MERCURE
MONSIEUR
ONSIEUR, je vous prie de procurer à
Pobſervation qui fuit , une place dans le
Mercure prochain. Je lui trouve tant de
rapport & de conformité avec celle que
M. Bréban y a fait inférer en Octobre',
queje croirois faire un larcin , ſi je paffots
fous filence un fait , à la démonstration.
duquel les conjectures de cet Obſervateur
apportent une nouvelle évidence.
Au mois de Juin 1755 , je fis en la
Paroiffe de Toutainville , en préſence de
Monfieur Pecqueult , Docteur en Méde
* FEVRIER. 1757. 179
!
1
cine au Pontaudemer , l'ouverture du cadavre
de Meſſire Jean-Baptiste Duqueſne ,
Ecuyer , Sieur de la Chevalerie , ancien
I ieutenant au Regiment de Provence. Ce
Gentilhomme , après avoir fouffert aux
poulmons , l'efpace d'environ deux ans ,
mourut phtifique à l'âge de 49 ans. Eti
voulant écarter les côtes gauches , pour
examiner les parties contenues dans la
poitrine , je m'apperçus qu'il y avoit fous
elles , en forme de double rang , un corps
dur qui réſiſtoit à mes efforts. Je gliffai
mon ſcalpel & ma main entre les côtes
&cette eſpece de plaſtron , afin d'en rompre
les attaches; & par ce moyen je débarraſſai
la poitrine , du double rempart:
qui garantiſſoit toute l'étendue de ce côtélà.
La portion placée vis-à- vis du fein &
de ſa circonférence étoit oſſeuſe , ayant
deux à trois lignes d'épaiſſeur. Elle formoit
irrégulièrement un quarré long de
fix pouces , ſur cinq de large , en mefurant
de la clavicule au diaphragme. Sa
furface externe étoit un peu convexe ,
conformément à la courbure des côtes
ſous leſquelles elle étoit. L'on y remar--
quoit des inégalités & des points femblables
à des têtes d'épingles : ſa furface
interne étoit un peu concave & moins
raboteuſe : le reſte de cette plaque étoit
ود
Hvj
180 MERCURE DE FRANCE .
cartilagineux , d'une confiſtance moins
compacte , à proportion qu'elle étoir éloignée
du ſein : les bords & les attaches
n'étoient que ligamenteuſes. Nous trouvâmes
au côté droit une concrétion de
même nature , de la grandeur d'un écu de
trois livres : elle étoit moins dure que la
précédente , & ſa circonférence avoit une
folidité cartilagineuſe , proportionnée au
volume& à la dureté du centre.
Comme je poſſede encore un morceau
de cette piece ofſeuſe , les conjectures de
M. Bréban , m'engagerent à l'examiner
avec plus de fcrupule & d'attention. Les
remarques ſuivantes furent le fruit de ma
cenfure.
1º . Je trouvai que la pleure ou une de
ſes lames ſervoit de périoſte à toute l'étendue
de la furface externe de cette plaque
, & que les premieres couches ofleufes
, quoiqu'incruſtées dans le tiffu de
cette membrane , n'avoient point changé
fa forme ni ſon état naturel. :
2º . La ſurface interne étoit recouverte
dans fa circonférence d'une pellicule plus
mince que la précédente ; pellicule que
j'eſtime, avoir été l'enveloppe propre du
poulmon , d'autant plus que la face convexe
du lobe ſitué ſous cettepiece , y étoit
adhérente d'une union fi ferme , que nous...
:
FEVRIER. 1757 . 181
a
ne pûmes l'en détacher , ſans procurer une
iſſue par cet endroit , à des matieres purulentes
contenues dans ce vifcere.
3 °. Nous n'avons pu découvrir aucune
trame ni réſeau fibrillaire dans la compofition
de cette maſſe , outre les deux
membranes qui en tapiſſent ſimplement
l'extérieur. De ces faits raſſemblés , ne
doit-il pas réſulter que les liquides ont
toute ou du moins la meilleure part à cette
concrétion ; que les fucs qui ſervoient à
lubréfier les parties heurtées dans la refpiration
, ont été la matiere , & le poulmonl'inſtrumentde
cette offification ; que
ce viſcere, en s'appliquant contre la pleure
à chaque inſpiration , a pêtri & collé contre
cette membrane , la craffe des humeurs
diſpoſées à s'épaiffir ; qu'il en a par addition
formé un plaſtron proportionné à la
quantité des matériaux qu'il avoit ; que
cette eſpece de pâte à eu le caractere
offeux plutôt ſous le ſein qu'aux autres
endroits , parce que l'application du poulmon
y eft plus forte & plus intime ; qu'il
eſt à préſumer que ces chocs réitérés contre
un corps devenu dur & étranger , font
la cauſe de l'inflammation furvenue à cet
organe , & que les adhérences entre ces
parties n'en font que la ſuite & l'effet ;
qu'enfin , fi le ſujet avoit affez vécu pour
:
182 MERCURE DE FRANCE.
donner à cet agent le temps de dépouiller
la matiere du peu d'humide qui lui reftoit
, les cartilages ſeroient devenus os ,
&les ligamens cartilages.
Après avoir tiré de nos remarques les
inductions conféquentes , m'accuſeroiton
de préjugé , ſi je me permettois le ton
concluant pour le ſentiment qu'on propoſe.
J'en feroistenté , & je l'aurois peutêtre
déja pris , ſi l'exemple du modeſte
M. Bréban n'efit réprimé ma démangeaifon.
Quoique nous nous efforcions de démontrer
le méchaniſme de l'oſſification
des liquides hors des vaiſſeaux , nous ne
prétendons pas que les parties ſolides ne
puiſſent produire ni contribuer à la production
d'un ſemblable phénomene. M.
Verdier nous a fait voir dans ſes Cours
d'Anatomie une aorte & une dure-mere
offifiées , à l'aſpect deſquelles il paroiſſoit
évident que les parties ſolides & liquides
étoient compriſes dans l'offification. C'eſt
une eſpece différente , dont nous abandonnons
l'expoſition à ceux qui ont des
connoiffances plus étendues.
DE LA CROIX , Chirurgien à Fontan
demer.
Ce 12 Janvier 1577-
FEVRIER. 1757. 183.
SÉANCE PUBLIQUE 1
De l'Académie de Besançon , du Lundi 15
Novembre 1756 , à la rentrée de la Saint
Martin.
M. l'Avocat - Général de Mutigney ,
Préſident de l'Académie , a fait l'ouverture
de cette Séance par un Diſcours dans
lequel il a développé les anciens droits
que les Comtes de Bourgogne avoient fur
la Ville de Beſançon : il a expliqué l'époque
& les motifs qui ont placé cette
Ville ſous la protection de l'Empire : il
a fini ſa piece en rapportant la maniere
dont elle étoit rentrée ſous la domination
de nos Souverains , & finguliérement
l'heureux événement auquel elle eſt
redevable du bonheur de vivre ſous les
loix de l'Empire des François.
M. Dunod de Charnage , Maire de la
Ville & vice-Préſident , a continué par
un autre Difcours dans lequel il a fait
la généalogie des Princes de la Maiſon de
Meranie , qui ont régné pendant longtemps
dans cette Province. L'hiſtoire de
cette Maiſon l'a conduit à des détails ex
trêmement curieux & intéreſſans fur la
1
184 MERCURE DE FRANCE.
:
fucceffion de ces Princes , & fur tous les
événemens qui concernoient leur domination
dans le Comté de Bourgogne ; il
a rendu compte de l'époque & du temps
où ils font devenus nos Maîtres , & quand
ils ont ceffé de l'être .
Enfuite M. l'Abbé Bullet a lu une difſertation
fur les fables qui ſe ſont débitées
au ſujet de la Merlufine ; il a rendu ſenſible
l'illuſion de ces fables ; il a donné la
généalogie de la Maiſon de Luſignan , &
de pluſieurs autres Maiſons qui lui ont
appartenu .
M. de Grand-Fontaine a terminé la
Séance par la lecture d'un eſſai ſur la Modeſtie
, dans lequel , après avoir examiné
ſi elle conſiſte à s'eſtimer autant que l'on
veut , & à ſe donner pour moins par fa
conduite , il ſedétermine à croire que le
caractere eſſentiel de cette vertu eſt de
s'eſtimer peu , quelque mérite que l'on
puiſſe avoir.
A la fin de l'Article des Sciences du
fecond Volume de Janvier , on a fauffement
annoncé la ſuite de la Séance de
l'Académie de Rouen ; elle n'en doit point
avoir , & ſe termine là.
1
- FEVRIER. 1757. 185.
ARTICLE IV.
BEAUX- ARTS.
ARTS AGRÉABLES.
MUSIQUE.
LES Plaintes inutiles , Cantarille à voix
ſeule & accompagnement , par M. C. H.
Blainville. Prix la partition 1 liv. 16 fols ,
&avec les Parties ſéparées 3 liv. A Paris ,
aux adreſſes ordinaires , & chez l'Auteur ,
rue de la Harpe , près la Place S. Michel ,
au Café de Condé.
RECUEIL d'Airs , Ariettes , Duo, &c. de
différens Auteurs ; ſe trouve aux adreſſes.
ordinaires. Prix I liv. 4 ſols.
Le Réveil heureux , Cantatille avec accompagnement,
par Mademoiſelle d'A***.
Prix : liv . 16 ols. A Paris , aux adreſſes
ordinaires.
186 MERCURE DE FRANCE:
GRAVURE.
Nous annonçons une très-belle Eſtampe
que le ſieur L'Empereur vient de mettre
au jour d'après M. Pierre. Elle repréſente
le facrifice d'une jeune beauté nue
au Dieu Pan. La figure ainſi que l'attitude
eſt des plus intéreſſantes; les chairs
ſurtout font d'une vérité qui frappe , &
nous croyons que le Graveur a rendu les
beautés du Peintre. C'eſt le plus grand
trait de louange que nous puiſſions lui
donner.
Cette Eſtampe ſe vend chez l'Auteur ,
rue des Grands Degrés , la ſeconde maiſon
neuve à gauche , en entrant par la Place
Maubert.
On a mis en vente le nouveau Recueil
des Troupes qui forment la Garde & Maifon
du Roi , en 15 Estampes , avec la date
de leur création , le nombre d'hommes
dont chaque Corps eſt compoſé , leur uniforme
& leurs armes ; deſſiné d'après nature
par Eiſen , dédié & préſenté au Roi :
fe vend à Paris , chez la veuve Chereau ,
sue S. Jacques , aux deux Piliers d'or .
FEVRIER. 1757. 187
1
ARTS UTILES.
ARCHITECTURE.
LETTRE à l'Auteur du Mercure.
MONSIEUR, les nouvelles des Arts font
les ſeules qui vous amuſent , & celles auffi
dont je cherche les détails avec le plus
d'attention , pour vous procurer quelque
délaſſement .
Je vous ai fuffiſamment parlédu grand
ouvrage de Sculpture dont M. Pigalle a
expoſé le modele aux yeux du public , qui
lui a donné tant d'éloges. Vous avez lu
cequi a été écrit ſur la Coupole de Saint
Roch , peinte par M. Pierre.
Je ne vous dirai plus rien ſur le Bâtiment
du Louvre ; il vous ſuffira de ſçavoir
qu'on s'en occupe toujours avec la
même ardeur , & qu'au Printemps prochain
on doit travailler à la Sculpturede
toutes les parties de l'Architecture qui
font déja finies. C'eſt vous préparer à la
perfection de ces ornemens que de vous
annoncer qu'on ne s'écartera point des
deſſeins de M. Perrault , & que c'eſt Mo
ISS MERCURE DE FRANCE.
Couſtou qui eft chargé de leur exécution.
Je paſſe à l'objet de ma Lettre , qui vous
paroîtra d'autant plus intéreſſant , qu'il
s'agit d'un ouvrage que fait faire un particulier.
Qu'un Roi bâtiſſe des Palais &
les embelliffe , que même fans une néceffité
ſenſible il entretienne des Atteliers par
des ouvrages en tout genre , nous ne devons
pas en être ſurpris : une partie de ſa
gloire ſe trouve dans le progrès des Arts ,
l'avantage de la nation dans leur ſoutien ,
& les richeſſes d'un grand Prince fourniffent
aisément à ces monumens de fon
goût & de ſa magnificence. Les revenus
bornés de ſes ſujets ne leur permettent
pas de ſuivre de ſi grands exemples. Cependant
ne feroit-ce point l'impuiſſante
ambition de l'imiter qui a produit cet
abus de l'Architecture qu'on prodigue à
des édifices qui n'en méritent point , &
dont les proportions jointes à une économie
forcée , oblige à ne rendre que d'urie
façon meſquine & petite , les beautésd'un
Art qui doit furtout impoſer par ſes proportions
majestueuſes ? n'est- ce point encore
à cette ambitieuſe imitation qu'on
doit cette multitude de vaſes& de petites
ſtatues de terre cuite , plus ridícules encore
par le choix des ſujets que par les défauts
groffiers de leur exécution , dont on
FEVRIER . 1757. 189
-
meuble les jardins avec une profuſion révoltante?
Si l'on ne peut égaler le Prince dans
l'immenſité de ces entrepriſes , s'il eſt
même contraire au bon ſens de ſurcharger
d'ornemens les eſpaces bornés de nos
maiſons & de nos jardins , on peut du
-moins l'imiter en n'y plaçant que des ornemens
dignes de fixer les regards des
gens de goût , & de donner une opinion
avantageuſe de celui qui les a choiſis. "
C'eſt d'après ce principe que j'ai vu
avec une eſpece de tranſport la copie de
Hercule Farnefe , commencée dans le
vieux Louvre : cet ouvrage n'est qu'en
pierre , mais il eſt confié à un jeune homme
qui vient de remporter le Prix de
Sculpture à l'Académie , & l'on ne peut
douter qu'il ne ſoit rendu avec la fidélité
la plus exacte.
Un particulier qui defire un pareil
morceau , doit être non ſeulement ſenſible
au beau , mais au grand , pris au propre
comme au figuré. Cette ſtatue eſt une
des plus ſçavantes qui nous foient reſtées
de la Grece. C'eſt à la vérité un de leurs
moindres coloſſes ; mais c'en eſt un puifqu'il
paſſe de beaucoup la grandeur naturelle
, & qu'elle a près de onze pieds fran
çois de hauteur.
1
190 MERCURE DE FRANCE.
La mode la plus ſuivie n'a pour l'ordinaire
qu'un début fort ſimple , & voici
un exemple à la portéede tous ceux que
leur fortune met en état de décorer leurs
jardins. Qu'il ſeroit heureux pour le goût
&pour les Arts que cet exemple fût fuivi
! on retrouveroit partout les copies
fideles des plus belles ſtatues de l'antiquité;
ces objets de notre admiration plus
répandus , apprendroient à connoître ce
qui est vraiment beau , multiplieroient
les connoiffeurs ,& fortifieroient les connoiſſances
acquiſes : exécutés par les Eléves
les plus avancés de l'Académie , &
ſous les yeux de leurs Maîtres , ils deviendroient
pour eux une nouvelle étude , qui
ne feroit pas tout- à-fait ſans récompenſe.
Pourroit- on refuſer en effet de payer la
reſſemblance parfaite d'une ſtatue célebre ,
dont les plus grands Artiſtes reſpectent
les beautés , du même prix qu'on accorde
à trois ou quatre de ces miférables colifichets
de terre cuite , qu'on prodigue ſans
ménagement , & qui font de l'empire de
Flore une hideuſe & choquante carriere.
C'eſt de cet uſage qui avilitun de nos
plus beaux Arts , qu'on peut dire avec
juſteſſe que l'abondance eſt une véritable
pauvreté. Les ſtatues font un des plus
nobles ornemens des ouvrages de LeNôtre
FEVRIER. 17576 . 191
&de ceux qui ont ſuivi ſes traces ; leur
couleur blanche s'accorde avec douceur
au verd des arbres & des paliſſades ; elles
animent la ſolitude aimable des Parcs &
des Jardins ; mais leur multitude dans une
promenade eſt auſſi importune aux regards
que ſi l'on y trouvoit une foule de
monde , qui arrêteroit à tous momens les
pas
Cette richeſſe doit , comme l'art , n'être
employée qu'avec beaucoup de ſobriété &
toujours avec goût. Les ſtatues ne veulent
être placées que dans des points de vue
heureux ; elles ornent les parties que la
nature a refuſé d'embellir ; on les trouve
quelquefois avec plaiſir dans les lieux les
plus folitaires ; elles dirigent la promenadedans
les plus agréables ſituations. Leur
couleur ſenſible de fort loin attire l'oeil ,
excite la curiofité , invite & encourage à
s'en approcher ; mais du moins doiventelles
être affez belles pour ne pas faire
regretter la peine qu'on a priſe pour les
voir de près. Combien de fois ne s'eſt- on
pas repenti d'avoir parcouru une allée de
trois ou quatre cens toiſes , pour ne trouver
qu'un Vielleux , ou une Savoyarde
montrant la marmotte ?
Je m'arrête , Monfieur , & je ne veux
point prévenir ici quelques réflexions qui
192 MERCURE DE FRANCE.
1
:
m'ont été communiquées ſur l'art des Jardins
& de leurs ornemens , que je dois
vous envoyer inceſſamment ; vous y trouverez
, je crois , des principes dictés par
le goût & la raiſon , ainſi que des critiques
judicieuſes de ce que nous avons aujourd'hui
ſous les yeux dans ce genre. J'ai
prétendu ſeulement vous faire part d'une
petite nouveauté qui peut avoir des fuites
heureuſes ; ce qui ne peut être indifférent
a un homme comme vous , qui a fi bien
mis à profit un long ſéjour dans l'Italie.
Ce n'eſt encore qu'un foible rayon qui
perce la nue ; puiſſe-t'il s'augmenter & la
diffiper !
ARTICLE
FEVRIER. 1757. 193
ARTICLE V.
SPECTACLES.
COMEDIE FRANÇOISE.
Le Lundi 24 Janvier , les Comédiens
François ont donné Sémiramis , Tragédie
de M. de Voltaire. Nous ſommes fondés
à dire qu'elle eſt jouée auſſi parfaitement
qu'elle eſt écrite. Nous croyons que
lepremier Acte eſt un des plus beaux qui
foient au Théâtre , & que la piece entiere
y préſente un genre nouveau , qui joint à
la pompe & au merveilleux de l'Opera
toute la force du plus grand tragique : alliage
qui , malgré la rigueur du Critique ,
nousparoît marqué au coin du talent ſupérieur
, & digne de l'Auteur qui a ofé le
rifquer.
Les mêmes Comédiens ont nouvellement
remis le Galant Coureur , ou l'ouvrage
d'un moment , petite Comédie en un
Acte , en proſe , du ſieur le Grand , pere
de l'Acteur qui porte ce nom .
Ils ſe diſpoſent à donner la Mort d'Here
I
194 MERCURE DE FRANCE.
cule , Tragédie nouvelle. Les rôles font
diſtribués. Elle eft de M. Renout , déja
connu par une petite Féerie en un Acte ,
en vers , intitulée Zélide , repréſentée il y
a deux ans au Théâtre François , & reçue
favorablement du Public. Mlle Gauffin y
jouoit le rôle de Zélide ; elle y étoit charmante
, comme elle eſt dans tous ceux de
ce genre qu'elle a créé.
COMEDIE ITALIENNE.
LES Comédiens Italiens ont repréſenté
Lundi 24 Janvier , Coraline Magicienne ,
Comédie Italienne, remiſe au Théâtre avec
ſpectacle & des divertiſſemens nouveaux .
Ils ont auſſi remis le Baioco , parodie du
Joueur , intermede Italien , dont ils ont
donné quelques repréſentations.
Nous attendons les nouveautés qu'ils
préparent pour en rendre compte au
Public.
FEVRIER. 1757. 195
ARTICLE VI.
NOUVELLES ÉTRANGERES .
DU NORD
:
DE PETERSBOURG , le 20 Décembre.
Le Roi de la Grande- Bretagne ayant demandé
que l'Impératrice employât ſes bons offices pour
ménager un accommodement entre les Cours de
Vienne & de Dreſde , & celle de Berlin , S. M.
Impériale n'a pas cru devoir ſe prêter au defir de
S. M. Britannique. Le Comte de Beſtuchef
Grand Chancelier , a fait remettre au Chevalier
Hambury-Williams , Ambaſſadeur d'Angleterre ,
un Mémoire contenant les motifs du refus de l'Impératrice
: il eſt conçu en ces termes. « Après la
>>premiere Réponſe à S. E. M. l'Ambaſſadeur de
>>la Grande-Bretagne , lorſqu'il demanda il y a
>>deux mois la médiation de S. M. l'Impératrice
>> entre la Cour de Vienne & celle de Berlin , ſça-
>>voir , que S. M. Imperiale ne s'étoit point attenwdue
à une pareille démarche de la part de S. M.
Britannique , M. l'Ambaſladeur comprendra fa-
>>cilement , dans la ſituation où ſont les affaires
>>que le vif empreſſement , avec lequel il vient de
>>réïtérer la même demande au Miniſtere de cette
>>>Cour , a dú étonner d'autant plus S. M. Impé
>>riale , qu'Elle avoit cru pouvoir avec justice at
>>tendre plus d'égard pour ce qui avoit été déja dé
I ij
196 MERCURE DE FRANCE .
>>claré une fois au ſujet de ſes diſpoſitions. L'Im
>>>pératrice ordonne donc de faire connoître àSon
>>Excellence , que les intentions de S. M. Impéwriale,
énoncées dans ſa premiere réponse , demeu-
Drant invariablement les mêmes , elle n'écoutera
plus aucune propoſition ultérieure de médiation,
>Quant aux menaces dont M. l'Ambaſſadeur s'eſt
ſervi , & notamment à celle que le Roi de Pruffe
>attaqueroit bientôt lui- même les troupes de l'Impéwratrice
, elles ne ſervent qu'à diminuer le poids
>>de la demande de M. l'Ambaſſadeur , & à forti-
>>fier S. M. Impériale dans ſes réſolutions. >>
Quoique la guerre dans laquelle l'Impératrice
s'engage , autoriſe laRuffie à ne pointdégarnir
fes magaſins , S. M. Impériale , informée de la
diſettequi régne en Suede , a permis qu'on ytranfportât
de Nerva & de Riga foixante mille muids
debled. En même temps elle a ajouté en pur don
dix mille tonneaux de farine , qui feront fournis
du Port de Wibourg.
DE WARSOVIE , le 20 Décembre.
Il s'eſt répandu dans le public pluſieurs copies
d'une Lettre que le Roi a écrite à l'Empereur ,
&dont voici la ſubſtance.
Votre Majesté s'eſt couverte d'une gloire immortelle
, par les Décrets qu'elle a envoyés à la
>>Dietegénérale de l'Empire , ſur la premiere nou-
>velle que le Roi de Pruſſe avoit envahi nosEtats
>>Héréditaires. Arrivés maintenant ici , & pou-
>>vant reprendre librement nos correſpondances,
nous ne devons point différer de vous témoiwgner
combien nous ſommes ſenſibles au procé-
>>dé généreux de Votre Majefté. Nous ne doutons
wpoint que l'Empire de ſon côté neprenne les
FEVRIER. 1757. 197
1
;
1
P
1
réſolutions les plus vigoureuſes , & ne les exécu
»te , ainſi que l'exige indiſpenſablement la fûreté
>>de chaque Prince & Etat du Corps Germanique.
>>L>es hoftilités des Prufſienscontrenos Sujets s'ac-
>>cumulent de jour en jour , &elles ſont déja par-
>>venues à un tel point , que , ſi l'on ne nous ac-
>>corde au plutôt des ſecours , nous ſommes mé-
>>>nacés de la ruine totale de notre Electorat. Notre
>armée que les ennemis avoient bloquée dans ſon
>>camp de Pirna , forcée par la difette de vivres
>>de quitter ce poſte , s'eſt vue réduite par une
>>>ſuite de circonstances déſaſtreuſes , à ſe rendre
>>prifonniere de guerre. Quelque durs qu'aient
>>été les articles de la Capitulation , on ne les a
>>pas même obſervés. Contre le droit de la guervre
, on a contraint les Soldats par toute ſorte
de mauvais traitemens , d'entrer au ſervice du
>>Roi de Pruſſe. Ce Prince continue de s'appro-
>>prier tous nos revenus. Ilſe fait payer mêmedes
>>ſommes que nous avions remiſes aux Débiteurs ,
>>ou pour l'acquit deſquelles nous leur avions ac-
>> cordé des délais. Les Membres des Etats de nos
>>>Provinces , & les Officiers de nos Bailliages ,
>>>ont eu ordre de fournir un nombre exorbitant de
wrecrues , & d'armer ainſi contre nous-mêmes
>>>nos propres Sujets , ſous peine d'être condamnés
>>à la brouette. Ala vue de tant de calamités , il
>>ne nous reſte qu'à avoir de nouveau recours à
>>Votre Majesté , en ſa qualité de Chef & Juge
>>Suprême de l'Empire , & à la requérir de réité-
>>rer ſes remontrances à nos Co-Etats , afin qu'on
s'oppoſe ſans délai à des violences qui entraî-
>>nent après elles l'anéantiſſement des Conftitu-
>>tions & des Loix les plus ſacrées. Nous nous
>>>promettons de l'amour reconnu de Votre Majef-
>>té pour la justice , qu'elle uſera des moyens les
מ
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
>>plus efficaces , pour que nous ſoyons remis en
>>poffeffion de nos pays Héréditaires , & pour que
>> nous obtenions non ſeulement une ſatisfaction
>>convenable pour le paſſé , mais des ſûretés ſuffi-
>>ſantes pour l'avenir. >>
ALLEMAGNE.
DE VIENNE , le premier Janvier.
Le Comte de Konigsfeld , envoyé de l'Electeur
de Baviere , eut le 27 du mois dernier une audience
publique de l'Empereur , & il notifia à S. M.
Impériale la mort de l'Impératrice Douairiere de
Charles VII, arrivée le 11. Après-demain, la Cour
prendra pourdeux mois le deuil de cette Princeſſe.
L'Empereur a reçu ce matin , à l'occaſion de cette
mort , les complimens des Miniftres Etrangers &
des Seigneurs . Quoique l'Impératrice Reine ſe
porte auffi-bien qu'on puiffe le defirer , Sa Majefté,
àcauſe de la rigueur du froid, ne ſera relevées de
ſes couches que le 19 de ce mois.
On a publié depuis peu une Ordonnance qui
porte que l'invaſion du Roi de Pruſſe en Boheme
, autoriſoit ſuffisamment Impératrice Reine à
rappeller , ſous les menaces uſitées en pareil cas ,
tous ceux de ſes Vaſſaux & Sujets qui pouvoient
ſe trouver au ſervice de S. M. Pruſſienne ; mais
que cette Princeſſe a été retenue , & par ſa modération
ordinaire, & par la conſidération que des
deux côtés on plongeroit dans la miſere quantité
de Sujets innocens : Que cependant le Roi de
Pruffle ayant donné dès le 2 de Novembre des
avocatoires , par leſquels il a rappellé tous ceux
de ſes Sujets , qui étoient au ſervice de l'Impératrice
Reine , & S. M. Pruffienne les ayant mena
FEVRIER . 1757 . 199
1
1
1
1
cé d'encourir ſon indignation & la perte de leurs
biens , l'Impératrice Reine ſe trouve aujourd'hui
dans l'obligation d'en agir de même : Qu'à ces
causes , elle ordonne par la préſente , à tous ceux
des Vaſſaux ou Sujets , qui font actuellement au
ſervice Militaire ou Civil du Roi de Pruſſe , à la
Cour ou dans les Etats de ce Prince , de s'en retirer
dans le terme de deux mois. Qu'elle les aſſure
de fa faveur royale , & que ſelon leur mérite &
felon leur qualité, elle les employera à ſon ſervice.
Que ceux qui n'obéiront pas à ſes ordres , encoureront
fon indignation , & que leurs biens feront
confifqués au profit des autres Sujets de l'Impératrice
Reine , qui pourroient avoir ſouffert quelquedommage
de la part de l'ennemi. Qu'au reſte,
l'Impératrice Reine étant pouffée à cette démarche
par ce qui s'eſt fait à Berlin , ſuivra exactement
, dans l'affaire dont il s'agit , la conduite
que tiendra S. M. Pruffienne.
DE PRAGUE , le 28 Décembre.
Ces jours derniers , le ſieur d'Etvos , Colonel
Commandant du Régiment de Huſſards de Spleni
, s'avança avec un Détachement vers Guntersdorff.
Il tomba dans ſa route ſur un poſte de cent
cinquante Dragons Pruſſiens , qu'il diſperſa. Les
ennemis perdirent un enſeigne& trenteDragons.
Du côté des Autrichiens , il n'y eut que deux
Huſſards tués& un Maréchaldes Logis de bleffé.
DE DRESDE , le 2 Janvier.
Laplupart des Bailliages de l'Electorat n'ayant
pu fournir le nombre de recrues qui leur a été
demandé , le Général Retzow écrivit le 24 du
I iv
200 MERCURE DE FRANCE .
mois dernier , aux Commiſſaires des différens Cercles
la lettre ſuivante : « Sa Majesté Pruſſienne
>voulant abſolument que les Régimens ci-devant
>Saxons ſoient rendus complets pour le premier
>Janvier de l'année prochaine 1757 , attendu que
>le terme qui vous avoit été fixé au 24 Décem-
>>bre 1756 , & auquel toutes les recrues devoient
>> être livrées , eſt expiré ; je vous avertis que fi
>>>les recrues ne ſont pas livrées le premier Janvier
>>juſqu'au dernier homme , les Commiſſaires &
>>>les Baillis ſeront exécutés militairement. Afin de
>>compléter plutôt les Régimens , S. M. Pruffien-
>>ne conſent de recevoir des hommes qui n'aient
>que cinq pieds quatre ponces de haut , pourvu
>>qu'ils foient ſains & robuſtes. Elle acceptera
>même les adolefcens qui n'auront pas cette tail-
>>le , fi l'on a lieu d'eſpérer qu'ils puiffent y par-
>> venir. » Les menaces contenues dans cette lettre,
ont été déja miſes en exécution dans divers endroits.
Pluſieurs Baillis ont été mis en priſon.
Par ordre du Roi de Pruſſe , il doit ſe rendre ici
des Députés de la Nobleſſe & des Villes de chaque
Cercle. On croit que ce Prince ſe propoſe de leur
demander une ſubvention en argent. Il a accordé
aux habitans de Léipſick une diminution de cent
ving- cinq mille écus ſur la ſomme à laquelle il
les a taxés.
DE FRANCFORT , le 10 Janvier.
Voici le Conclufum que le Cercle Electoral du
Rhin a formé , à l'occaſion de la guerre qui s'eſt
allumée dans l'Empire.
« Pour ſe conformer aux ordres du Chef Suprême
de l'Empire , le Cercle ſe mettra en état
>>de défenſe , ainſi que l'exige plus que jamais la
FEVRIER. 1757 . 201
:
5
anéceſſité où l'on ſe trouve aujourd'hui. A cet
veffet , tous les Etats qui font armés porteront
>>ſans délai au triple , & tiendront prêt à marcher
>>l>eur contingent, tel qu'il eſt fixé en temps de
>>paix par la Matricule de 1687. On préparera
>> auſſi avecdiligence l'artillerie , les autres atti-
>>rails militaires & les munitions , comme il s'eſt
>>fait dans de ſemblables circonstances,Pro tuendâ
>Securitate Imperii publica. A l'égard des Etats
>>qui ne ſont pas armés , ils fourniront à la caiſſe
>>commune le double de leur contingent en ar-
>gent. Les Membres pour leſquels les pactes ont
>>ſtatué autrement , feront cependant exceptés.
>>S'il y a encore quelques Etats du Cercle qui
n'aient pas affiché les Avocatoires Impériaux ,
»ilsferont tenus touss,, ſans aucune exception , de
ſatisfaire à ce devoir. De même , tous ſujets du
>>Cercle , qui ſe trouvent au ſervice Electoral de
>>Brandebourg , feront obligés , après la publica-
>>tion des Préſentes , de le quitter ,&de faire cer-
>>tifier authentiquement au Cercle leur retraite.
>>On donnera part à l'Empereur de la diſpoſition
poù eſt le Cercle de déférer entiérement aux intentions
de S. M. Impériiaallee ,, &l'on notifiera pa-
>>reillement la préſente réſolution aux louables
>>Cercles de Baviere , de Franconie , de Souabe
>>& du Haut Rhin , en les requérant d'entretenir
une fidelle correſpondance avec l'Aſſemblée.>>
GRANDE BRETAGNE.
DE LONDRES , le 7 Janvier.
Le ſieur Aelt , Miniſtre de Heſſe-Caffel ayant
informé le Landgrave ſon Maître de tout ce que
les troupes Heſſoiſes ont fouffert , le Landgrave
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
a chargé ce Miniſtre de demander que le Roi renvoyat
inceſſamment ces troupes. On ne compte
pas cependant qu'elles puiſſent repaſſer de tout le
mois prochain en Allemagne , & le Parlement a
pourvu à leur ſubſiſtance juſqu'au 24 Février. Le
Gouvernement fait lever en Irlande fix nouveaux
Régimens. Il y aura au printempsun camp de dix
mille hommes dans cette partie de la Grande Bre
tagne , & l'on prépare déja les magaſins néceſſarres
à cet effet. L'examen de l'Amiral Byng a commencé
le 27 à Porſmouth. Cet Officier allegue
pour ſa défenſe les délais apportés à fon départ
d'Angleterre , la foibleſſe de ſon Efcadre lorfqu'elle
mit à la voile , & l'impoffibilité de trouver
àGibraltar les Matelots , les Soldats & les munitions
, dont elle avoit beſoin. L'opinion générale
eſt que cet Amiral ne fera point jugé à la rigueur.
On a remarqué que dans ſon paſſage de Greenwich
àPortsmouth , il n'a éprouvé aucune inſulté
de la part de la populace ; ce qui donne lieu de
préſumer qu'elle est fort revenue de fa prévention
contre lui.

Par une Proclamation qu'on a publiée ces
jours - ci , le Roi promet une récompenſe aux
perſonnes qui dénonceront des Matelots cachés ,
&Elle accorde une Amniſtie à ceux qui ayant
déſerté , ſe repréſenteront aux Bureaux d'Amirau
sé de leurs Départemens.
PAYS - BAS.
D'AMSTERDAM , le 22 Décembre.
Hier , on reçut avis que le Corfaire le Tigre ,
deBristol , avoit attaque à la hauteur du Cap Finiſterre
le Navire Hollandois la Marie Galley ,
FEVRIER. 1757.... 203
هللا
ا
commandé par le Capitaine Laurens ; qu'il avoit
bleſfé pluſieurs perſonnes de l'équipage ; que te
Capitaine Anglois &ſes gens étoient entrés enſuite
le ſabre à la main dans ce Bâtiment ; qu'ils
avoient ouvert les caiſſes , coffres & tonneaux , &
qu'ils avoient enlevé pluſieurs marchandiſes.
Quelques jours auparavant , on avoit appris que
le Navire du Capitaine Jean de Groot , ayant rencontré
le 6 de ce mois , près de Goerée , deux autres
Corſaires Anglois , en avoit reçu le même
traitement.
DOSTENDE , le s Janvier.
i
Un Armateur François , croiſant le longde cet
te côte , apperçut à quelque diſtance quatre Bâtimens
Anglois. Dans la perfuafion que c'étoient
des Navires Marchands , il s'en approcha , & il
en ataqua un. Il ne tarda pas à reconnoître que
c'étoient des Corfaires. Comme ils ſe préparoient
à l'envelopper , il ſe retira à pleines voiles dans
ce Port. Les Anglois l'y ſuivirent , & l'y canonnerent.
Le Commandant de la Place , les ayant
fait avertir inutilement de ceſſer leur feu , ordonna
de tirer ſur eux , & les obligea ainſi de regagner
le large.
204 MERCURE DE FRANCE.
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
Edit du Roi , portantfuppreſſion de deux Chambres
des Enquêtes , & de plusieurs Offices dans le
Parlement de Paris.
LOUIS , &c. A tous préſens & à venir ; Salut.
Nous avons toujours régardé l'adminiſtration de
la justice comme la fonction la plus auguſte de
notre puiſſance ſouveraine , &la plus importante
pour le bonheur & la tranquillité de nos ſujets.
Nous fentons tout ce qu'elle exige de notre attentiondans
le choix des Magiſtrats auxquels nous
confions le ſoinde la rendre , & qui deviennent
en cette partie , dépositaires de notre autorité.
Rien ne nous a jamais paru plus contraire au bien
de la justice , que le relâchement dans ce choix ,
&riende plus propre à l'introduire , que la multiplicité
desoffices dejudicature : auſſi nous avons
dans tous les temps envisagé la réduction de leur
nombre comme un véritable bien , & comme
unmoyen de conferver l'honneur & la dignité
de la Magiftrature , que nous avons à coeur
de maintenir. Ces mêmes ſentimens ont animé
les Rois nos prédéceſſeurs ; & fi la difficulté
des circonstances les a quelquefois obligés de
multiplier le nombre des offices, les édits mêmes
de leur création ſont autant de monumens qui
conferveront à jamais le regret qu'ils ont eude
faire uſage de ces reſſources , & qui rappelleront
fans ceſſe la néceflité de le réduire. Nous avons
FEVRIER. 1757 . 205
déja , dans cette vue , ſupprimé un grand nombre
de juridictions inférieures; & quoique les circonftances
actuelles euſſent pu nous engager à ſuſpendre
un ouvrage ſi utile , nous n'avons pu nous
refuſer plus long-temps au voeu des anciennes ordonnances
, & au defir que nous avons de procurer
cet avantage à notre Parlement de Paris.
Nous avons été également touché des viciffitudes
qu'ont éprouvé les prix des offices de notredit
Parlement; elles font ſentir la ſageſſe des ordonnances
, qui avoient pourvu à la fixation du prix
de ces offices , & la néceſſité d'en renouveller les
diſpoſitions. Enfin , ayant reconnu que le droit de
préſider appartient detoute anciennetéà nos Préſidens
du Parlement , dans tous les ſervices ou bureaux
denotredit Parlement , & que les offices de
Préſidens aux Enquêtes , qui n'étoient dans leur
origine que des commiſſions , n'ont été crées en
titre d'office que par l'édit du mois de Mai 1704 ,
Nous voulons rétablir nos Préſidens du Parlement
danslaplénitude des fonctions qui appartiennent
à leurs offices , avec d'autant plus de raiſon ,
que leur nombre , tel qu'il eſt fixé actuellement
&qu'il le demeure irrevocablement, nous femble
ſuffifant pour remplir avec exactitude toutes
les fonctions de la préſidence dans les différens fervices
de notredit Parlement. A ces cauſes , & autres
conſidérations à ce nous mouvant, de l'avis de
notre Conſeil, &de notre certaine ſcience , pleine
puiffance & autorité royale , Nous avons ,
par notre préſent édit perpétuel & irrévocable ,
dit, ſtatué & ordonné , diſons , ſtatuons & ordonnons
, voulons & nous plaît ce qui ſuit.
ART. I. Notre Cour de Parlement ſera com
poſée à l'avenir , & à comptes de ce jour , des
Grand-Chambre & Tournelle , de trois Chambres
206 MERCURE DE FRANCE .
des Enquêtes , &de deux Chambres des Requêtes
du Palais . Avons éteint & fupprimé , éteignons
& fupprimons , à compter pareillement de ce
jour , la quatrieme &lacinquieme Chambre des
Enquêtes; en conféquence , défendons à tous les
Prétidens & Confeillers ſervant actuellement dans
lefdites quatrieme & cinquieme Chambres des
Enquêtes , de s'y aſſembler ſous quelque prétexte
que ce puifle être , déclarant nuls toute délibération
, jugemens , arrêts & procédures qui
pourroient y intervenir , comme contraires à la
preſente diſpoſitions ſaufà être par Nous ſtatué
ci-après ſur le ſervice & la diſtribution des Préfidens&
Confeillers deſdites quatrieme & cinquieme
Chambres des Enquêtes.
II. Nous avons pareillement éteint &fupprimé,
éteignons & fupprimons par le préſent édit , à
compter de ce jour , deux offices de Préſidens
aux Enquêtes actuellement vacans par le décès des
titulaires. Eteignons pareillement & fupprimons
par le préſent édit , & fans qu'il en ſoit beſoin
d'autre, le ſurplus des offices de Préſidens aux
Enquêtes , créés par l'édit du mois de Mai 1604 ,
lorſque leſdits offices viendront à vaquer par mort
ou par démiſſion.
III. Nous avons auſſi éteint & fupprimé , éteignons
& fupprimons foixante offices de Confeillers
laïcs ,& quatre offices de Confeillers clercs en
notredit Parlement de Paris , & une Commiflion
aux Requêtes du Palais ; laquelle fuppreffion aura
lieu dès-à-préſent &à compter de ce jour pour
ceux deſdits offices de Conſeillers laïcs & Conſeillers
cleres , & pour ladite Commiffion , qui
vaquent actuellement; & ne fera effectuée pour
leſurplus que dans les cas de vacance deſdits offi
ees, par mortou par démiſſion ; Nous réſervam
FEVRIER. 1757 . 207
!
1
1
:
1
F
néanmoins la liberté de pourvoir alternativement
àun de deux deſdits offices de Conſeillers laïcs ou
clercs qui viendront à vaquer dans la fuite , & ce ,
juſqu'à ce que la ſuppreſſion par Nous ordonnée
ait eu fon plein&entier effet. :
IV. La Grand-Chambre ſera compoſée du Premier
Préſident , des neufPréfidens du Parlement ,
auquel nombre nous avons fixé irrévocablement
leurs offices , ſans que , ſous prétexte des diſpoſitions
du préſent édit , ou de tout autre , le
nombre deſdits offices puiſſe être augmenté: de
vingt-cinq Conſeillers laïcs , &de douze Conſeillers
clercs ; àl'effet de quoi les quatre plus anciensConſeillers
laïcs des Enquêtes , pafferont actuellement
au ſervice de la Grand-Chambre ; &
pourront leſdits quatre Conſeillers rapporter pendant
une année les procès qui leur auroient été
diftribués dans la Chambre où ils étoientde fervice
, conformément à l'uſage obſervé dans notredit
Parlement de Paris , ſi ce n'est qu'ils fortiffent
de la quatrieme ou cinquieme Chambre des Enquêtes
, ſupprimées par notre préſent édit : au
quel cas ils pourront rapporter leſdits procès pendant
ledit temps d'une année dans l'une des trois
Chambres deſdites Enquêtes.
V. Le Premier Préſident & trois des Préſidens
du Parlement feront toujours de ſervice à la
Grand Chambre , trois deſdits Préfidens du Parlement
ſerviront dans laChambre de la Tournelle,
avec douze Conſeillers laïcs de ladite Grand
Chambre, quatre Confeillers auffi laïcs de chacunedes
trois Chambres des Enquêtes qui y feront
le ſervice pendant les temps accoutumés ; & les
trois autres Préſidens du Parlement préſideront
à chacune deſdites trois Chambres des Enquêtes.
Autoriſons à cet effet lefdits neuf Préſidens du Par
208 MERCURE DE FRANCE.
lement à faire entr'eux, de concert avec le premier
Préſident , tous les ans à la Saint-Martin , la diftribution
de leur ſervice dans lesdites Grand-
Chambre , Tournelle & Chambres des Enquêtes ,
*ainſi qu'ils aviſeront bon être ; & néanmoins ,
voulons & ordonnons que , pour le temps ſeulement
qui reſte à expirer de la tenue actuelle de
notredit Parlement , le Premier Préſident , le ſecond,
le ſeptieme & le huitieme deſdits Préſidens
denotre Parlement , en ordre de réception , fervent
en laGrand-Chambre ; que le troiſieme préfide
en la Tournelle , & que les deux derniers ,
aufli en ordre de réception , y faſſent le ſervice ;
que le quatrieme , dans le même ordre , préſide
enlapremiere Chambre des Enquêtes, le cinquie
me en la ſeconde Chambre des Enquêtes , & le
fixieme en la troiſieme Chambre des Enquêtes :
leur enjoignons de ſe conformer à la diſpotion du
préſent article , à compter de ce jour.
: VI. LesConſeillersde la quatrieme &de la cinquieme
Chambre des Enquêtes paſſeront en nombre
égal dans la premiere , deuxieme & troifieme
Chambre des enquêtes , à l'effet d'y continuer
leurs fonctions , d'y prendre ſéance ſuivant
P'ordre de leur réception , d'y avoir voix & opinion
délibérative , même d'y rapporter les procès
qui leur auroient été diſtribuésdans les Chambres
dans leſquelles ils étoient de ſervice , & d'avoir
part à la diſtribution des procès qui feront échus
auxdites Chambres. Voulons que les Doyens des
Conſeillers deſdites quatrieme & cinquieme
Chambres des Enquêtes continuent dejouirchacunde
la penſion de mille livres dont ilsjouiffoient
, juſqu'a ce qu'ils ſoient en tour de monter
en la Grand-Chambre.
VII. Après que la ſuppreſſion ordonnée par no
FEVRIER. 1757. 209
1
f
f
tre préſent édit , de ſoixante offices deConſeillers
laïcs , de quatre de Conſeillers clercs, &d'une
commiſſion aux Requêtes du Palais , aura eu
ſa pleine& entiere exécution , chacune des trois
Chambres des Enquêtes , préſidées par l'un des
Préſidens du Parlement , ainſi qu'il eſt porté par
l'article V du préſent édit , ſera compoſée detrente-
quatre Conſeillers tant laïcs que clercs , & les
deux Chambres des Requêtes du Palais feront
compoſées chacune de trois Préſidens auxdites
Requêtes , & de quatorze Conſeillers-Commiſſaires
aux Requêtes du Palais.
VIII. Voulons , en conféquence de la diſpoſitiondes
articles V & VII du préſent édit , que les
Préſidens de la premiere , ſeconde & troiſieme
Chambre des Enquêtes , ſoient tenus , à compter
de ce jour , de céder la préſidence dans lesdites
Chambres à nos Préſidens de notredit Parlement
, tant aux audiences , qu'aux jugemens des
procès derapport & viſite des procés de petit ou de
grand Commiſſaire , auxquels néanmoins ils
continueront , fi bon leur ſemble , d'aſſiſter ,
ſans toutefois faire partie du nombre deſdits
Commiffaires, lequel ,pour la viſite des procès de
petit Commiſſaire, ſera compoſé de notredit Préfident
du Parlement , & des quatre plus anciens
Conſeillers deſdites trois Chambres des Enquêtes
&pour ceux des procès qui ſe jugent par Commiſſaires
, le nombre deſdits Commiſſaires ſera
rempli par les dix anciens Conſeillers de chacune
deſdites Chambres & notredit Préſident ; en telle
forte que noſdits Préſidens des Enquêtes ne puiſſent
dorénavant qu'aſſiſter & intervenir dans les
-jugemens eſdites Chambres , ſans y exercer aucune
préſidence , mais ſeulement y conſerver la
ſéance qu'ils y ont eue juſqu'à ce jour. Mainte
210 MERCURE DE FRANCE.
nons & gardons au ſurplus noſdits Préſidens des
Enquêtes dans le rang & féance qui leur ont été
attribués par leur édit de création , du mois de
Mai 1704 , tant aux affemblées de Chambres ,
qu'aux cérémonies publiques & accoutumées.
IX. Les Préfidens de la quatrieme & cinquieme
Chambre des Enquêtes , fupprimées par l'article
premier du préſent édit , pourront choiſir celle
defdites Chambres des Enquêtes qui leur agréera
le plus , pour ycontinuer leur ſervice , conformément
à la diſpoſition de l'article précédent : Et
voulant traiter favorablement tous les Préſidens
des Enquêtes , & les dédommager des droits d'affiſtance&
de la viſite des procès de grand & petit
Commiſſaire, attribuons à tous leſdits Préſidens les
mêmes gages qui avoient été fixés par ledit édit du
mois de Mai 1704 , pour le troiſieme Préſident
ſeulement de chacune des Chambres deſdites Enquêtes.
Ordonnons en conféquence qu'ils foient
tous employés pour leſdits gages dans l'état an.
nuel des gages de notredit Parlement de Paris ;
defquels néanmoins feront retranchés dudit état,
avenant le cas de vacance de chacun deſdits offices
par mort ou par démiſſion : confervons pareillement
aux deux anciens Préſidens des Enquêtes ,
leur vie durant , la penſion de quinze cens livres
que nous leur avons ci-devant accordée .
X. Et dans le cas où aucuns deſdits Préſidens
préféreroient de ſe démettre actuellement de leurs
offices , ordonnons qu'ils en ſoient remboursés ,
fuivant qu'il fera dit ci - après ; & dans ledit cas ſeront
expédiées auxdits Préſidens des Lettres d'Honoraires
, encore même qu'ils n'euſſent exercé
leurs offices pendant l'eſpace de vingt années ,
dont nous les difpenfons , pour , en vertu defdites
lettres , jouir pareux , leurs veuves & eй-
FEVRIER. 1757. : 211
1
E
1
1
$
fans des honneurs , féances & privileges y attachés.
XI . Les Conſeillers qui , après avoir ſervi dans la
quatrieme & cinquieme Chambre des Enquêtes ,
auront obtenu des lettres d'Honoraires pour continuer
d'y prendre place , feront tenus d'opter de
la premiere , de la ſeconde ou de la troiſfieme
Chambre des enquêtes , pour continuer leur fervice
dans l'une deſdites trois Chambres , juſqu'à
ce qu'ils foient en tour de monter à la Grand-
Chambre, fans qu'après ladite option ils puiffent
paffer dans une autre deſdites trois Chambres.
XII . Nous avons éteint & fupprimé , éteignons
& fupprimons les offices de Commis aux
greffes & de Buvetiers des quatrieme & cinquteme
Chambres des Enquêtes , enſemble les offices
des huiffiers ſervans près leſdites Chambres ;
maintenons néanmoins leſditsCommis aux greffes ,
Huiffiers & Buvetiers deſdites quatrieme & cinquieme
Chambres des Enquêtes dans tous les
privileges attribués à leurs offices , deſquels privileges
voulons qu'ils jouiffent pendant leur vie :
autoriſons notre Cour de Parlement à faire tel
reglement qu'elle jugera convenable pour la ſûreté
& conſervation des minutes , pieces , effets
ou deniers qui pourroient ſe trouver dans les
greffes deſdites deux Chambres fupprimées.
XIII. Au cas que leſdites quatrieme & cinquieme
Chambres des Enquêtes aient contracté
quelques dettes , par conſtitution de rente ou
autre ſemblable emprunt; deſquelles rentes ou
dettes les créanciers auroient coutume de percevoir
les arrérages ſur les deniers communs appartenans
auxdites Chambres ; nous déclarons que
nous entendons nous charger de l'acquittement
defdites rentes& dettes; à l'effet de quoi ſera par
212 MERCURE DE FRANCE .
l'ancien Préſident actuel deſdites Chambres , &
les Doyens des Conſeillers d'icelles , remis ès
mains du fieur Contrôleur général de nos finances
un état ſigné d'eux , contenant la qualité &
quotité deſdites dettes , & le nom deſdits créanciers
, pour , ſur ledit état ainſi ſigné&certifié
véritable , être fait fonds ès mains du Payeur des
gages de notredit Parlement , du montant annuel
des arrérages deſdites rentes ou dettes , lefquels
feront par ledit payeur délivrés aux créanciers
ſur leurs quittances, en la forme accoutumée,
tant& fi longuement que leſdites rentes auront
cours , &juſqu'à ce qu'il nous ait plu d'en ordonner
le rembourſement : voulons en outreque tous
les Préſidens & Conſeillers deſdites deux Chambres
demeurent déchargés , comme nous les déchargeons
par notre préſent édit , de tout acquittement
deſdites dettes ; faiſons défenſes de faire à ce
ſujet aucune demande & pourſuite contr'eux ,
àpeine nullité.
XIV. Les offices de Préſidens aux Enquêtes actuellement
vacans , enſemble ceux qui vaqueront
foit par mort ou par démiſſion , feront rembourfés
, ledit cas avenant , ſur le pied de deux cens
mille livres pour chacun deſdits offices , conformément
au prix porté par l'édit de création d'iceux
du mois de Mai 1704 , ou ſur le prix porté
par le contrat d'acquifition , pour ceux qui les auront
acquis àun prix inférieur à celui de ladite
fixation& création. Les offices de Conſeillers laïcs
& clercs , & commiſſions aux Requêtes du Palais
qui vaquent actuellement , & qui ſont ſupprimés
par notre préſent édit, feront rembourſés ſur le
pieddu prix du dernier contrat de vente de ſemblables
offices & commiffions ; & pour ceux qui
viendront à vaquer dans la ſuite , juſqu'à ce que
FEVRIER . 1757 . 213
ladite ſuppreſſion ſoit entièrement effectuée ,
-voulons qu'ils foient rembourſés ſur le pied du prix
du contrat d'acquiſition de chacun d'iceux, pourvu
- que ledit prix n'excede pas la ſomme de cinquante
mille livres. Les offices de Commis aux greffes ,
d'Huiſſiers & de Buvetiers deſdites quatrieme, cinquieme
Chambres des Enquêtes , ſupprimés par
notre préſent édit , feront remboursés aux titulaires
ou repréſentans , ſur le pied du prix des con
trats d'acquifition d'iceux ; même leur ferontpa
reillement rembourſés les frais de réception , à
l'effet de quoi les titulaires ou propriétaires defdits
offices ſupprimés feront tenus de remettre
leurs quittances de finance , contrats d'acquiſition
&autres titres de propriété de leurs offices
entre les mains du ſieur Contrôleur général de nos
finances , pour par eux recevoir leur rembourſement
des deniers qui ſeront par nous deſtinés à cet
effet.
Che
تا
de
XV. Ordonnons que les gages , augmenta
tions de gages attachés aux offices , fi aucuny
a, franc- falés& autres droits attribués aux offices
ſupprimés par notre édit , feront rejettés de nos
états à compter de ce jour ; ce qui n'aura lieu
toutefois à l'égard deſdits offices de Préſidens aux
Enquêtes, de Conſeillers laïes & clercs qui ne font
pas actuellement vacans , que lors de la vacance
d'iceux , juſqu'à la réductiondu nombre fixé par
le préſent édit pour leſdits officesde Conſeillers.
XVI. Defirant de fixer le prix des offices de notre
Parlement de Paris , nous avons ordonné &
ordonnons que le prix des offices de Préſidens de
notredit Parlement, demeurera fixé à la ſomme
de cinq cens mille livres , ſans que , ſous quelque
prétexte que ce ſoit , le prix deſdits offices puiffe
tre augmenté ; celui des offices dePréſidens aux
214 MERCURE DE FRANCE.
Requêtes du Palais , à celle de deux cens mille lilivres;
le prix des offices de Conſeillers laïcs , à la
ſomme de cinquante mille livres ; celui des offices
de Confeillers clercs , à la ſomme de quarante
mille livres ; celui des commiſſions aux Requêtes
du Palais , àcellede vingt mille livres; & le prix
des offices de nos Avocats généraux , à la ſomme
detrois cens mille livres ; révoquant à cet effet
les fixations faites deſdits offices , tant par nous
que par les Rois nos prédéceſſeurs .
,
XVII. Ceux qui defireront être pourvus d'offices
de Préfidens du Parlement Préſidens ès
Chambres des Requêtes du Palais , Conſeillers
laïcs ou clercs , de commiſſions aux Requêtes du
Palais , & d'offices d'Avocats généraux en notre
Parlement de Paris , après en avoir de nous obtenu
l'agrément , ſeront tenus , pour obtenir des
proviſions , de remettre ès mains de notre trèscher
& féal Chevalier Chancelier de France , une
copie en forme du contrat d'acquiſition qu'ils auroient
fait deſdits offices , avec une déclaration
également en forme , ſignée tant de l'acquéreur
que du vendeur deſdits offices , contenant que
le prix porté audit contrat eſt ſincere& véritable ,
qu'il n'y a enaucune façon été contrevenu au préſent
édit , & qu'il n'eſt ni excédant ni au deſſous
de celui porté par la préſente fixation , le tout à
peine de nullité des contrats d'acquifition , & d'êtredéchus
de notre agrément pour leſdits offices ;
en conféquence, défendons à tous Notaires & Tabellions
de paſſer aucun contrat deſdits offices , ni
ftipuler aucun autre prix que celui fixé par le préfent
édit, comme auſſi de recevoir aucune déclaration
ou contre- lettre tendante à diminuer ou augmenter
ledit prix , à peine de nullité deſdits actes
, & d'interdictions contre leſdits Notaires&
Tabellions.
FEVRIER . 1757 . 215
!
XVIII . Voulons & ordonnons que les Conſeillers.
Commiſſaires aux Requêtes du Palais , puiffent à
l'avenir , & à compter de ce jour , monter à la
Grand-Chambre , en ſuivant la date de leur réception
, & ce concurremment avec les Confeillers
des trois Chambres des Enquêtes ; à la charge
néanmoins par ceux deſdits Confeillers- Commiffaires
aux Requêtes du Palais qui voudront monter
à la Grand-Chambre , de ſe démettre de leur
commiſſion trois années avant qu'ils puiſſent
monter à ladite Grand-Chambre , & de venir pendant
leſdites trois années ſervir en l'une des
Chambres des Enquêtes , ou ils ſeront diftribués
en la maniere ordinaire ; & au cas que celui des
Conſeillers Commiſſaires aux Requêtes du Palais ,
qui, par ſon rangde réception, ſeroit naturellement
endroitdemonter à la Grand Chambre, ſe trouvât,
avenant la vacance d'une place en ladite Chambre,
poſſéder encore ſa commiſſion aux Requêtes du
Palais , il perdra pour cette fois ſon rang , ſauf
à le reprendre quand il aura ſervi , comme dit eſt ,
trois années en une Chambre des Enquêtes. Si donnons
en Mandement à nos amés & féaux Conſeillers
les Gens tenant notre Cour de Parlement à
Paris ; que notre préſent édit ils aient à faire lire ,
publier & régiſtrer , & le contenu en icelui garder,
obſerver& exécuter ſelon ſa forme&teneur.
Cartel eſt notre plaiſir. Et afin que ce ſoit choſe
ferme & ſtable àtoujours, nousy avons fait mettre
notre ſcel . Donné à Versailles au mois de Décembre
, l'an de grace mil ſept cent cinquante- fix ,
&de notre regne le quarante-deuxieme. Signé
Louis. Et plus bas , par le Roi , M.P. De Voyer
d'Argenſon. Visa Machault. Vu au Conſeil ,
Peirenc de Moras. Et ſcellé du grand ſceau de cise
verte , en lacs de foie rouge & verte .
?
>
216 MERCURE DE FRANCE.
:
Lu & publié , le Roiſéant enſon Lit de Justice,
& registré , oui , & ce requérant le Procureurgénéral
du Roi , pour être exécuté ſelonsa forme&
teneur. A Paris , en Parlement , le Roi tenantfon
Lit de Justice , le treize Décembre mil ſept cent
cinquante-fix. Signé Dufranc.
Dans les premiers momens du trouble & de
la conſternation générale qu'a cauſé le danger où
le Roi s'eſt trouvé , on a publié précipitemment
le procès - verbal dreſſé par MM. Senac , Premier
Médecin , & de la Martiniere , Premier Chirurgien
de Sa Majesté , ſans ſonger même à donner
les ſoins ordinaires au récit de l'événement.
Le Roi étoit revenu de Trianon à Versailles ,
pour voir Madame Victoire qui ſetrouvoit indiſpoſée.
Sa Majesté , après avoir fatisfait ſon inquiétude
paternelle , alloit remonter en carroſſe
pour retourner à Trianon , lorſqu'elle fut frappée
à deux pas de Monſeigneur le Dauphin. Sa
Majeſté eut la force de remonter l'eſcalier , qui
conduit à ſon appartement. Elle demanda ſon
confeſſeur & l'extrême-onction , & elle fut confeſſée
un moment après. Comment retracer ce
moment de ſurpriſe & d'horreur ? Comment ſurtout
repréſenter le profond accablement de la
Reine , celui de Monſeigneur le Dauphin , de
Madame la Dauphine , de Madame & Meſdames
de France ? Toute la cour étoit en pleurs :
le Roi ſeul , ferme , & réſigné , donnoit ſes
penſées à la Religion , conſoloit tendrement
ſa famille , & s'occupoit du ſoin de ſes peuples,
A la nouvelle de la bleſſure du Roi , qui fut
rapidement portée à Paris , & répandue dans la
nuit même , les Princes &les Princeſſes duSang,
les Miniftres , les Grands du Royaume , & un
concours prodigieux de perſonnes de tout état
accoururent
JANVIER . 1757. 217
1
1
&
accoururent à Verſailles. Heureuſement cette blef
fure , dont l'étendue avoit effrayé , étant peu profonde
, n'a eu aucune fuite fâcheuſe , & a été
promptement cicatriſée. Le Roi a envoyé des
lettres d'attribution à la Grand Chambre du Parlement
de Paris , pour inſtruirele procès de ce
ſcélérat. Sa Majeſté a été purgée le 9 , & s'eſt
levée l'après-midi en très bonne ſanté. Le 10
les Députés des Etats de Bretagne eurent audience
du Roi. Ils furent préſentés à Sa Majesté par M.
le Duc de Penthievre , Gouverneur de la Province
, & par M. le Comte de Saint-Florentin ,
Miniftre & Secretaire d'Etat. La Députation étoit
compoſée , pour le Clergé , de l'Evêque de Quimper
, qui porta la parole ; du Comte de Morant ,
Mestre de Camp , Lieutenant du Régiment de
Dragons de la Reine , pour la Nobleffe , &du
ſieur de Prévin , Maire de la ville de Nantes , pour
le Tiers - Etat . Le 11 , le Roi dîna en public
en robe de chambre dans ſon grand Cabiner.
Sur les neuf heures du ſoir , Sa Majefté reçut
les révérences des Dames de la Cour. Hier le
Roi s'eſt habille , & a tenu conſeil d'Etat. La
Famille Royale & la nation ont fait ſuccéder aux
pleurs &aux inquiétudes , les plus vifs tranſporns
de joie; & les Eglifes ne retentiſſent que d'actions
de graces.
: Sa Majesté , la ſurveille de ce déſaftre , avoit
fait lacérémonie de recevoir Chevaliers de l'Ordre
de Saint Louis le Prince de Robecq , Brigadier ,
Colonel du Régiment d'Infanterie de Limofin; le
Marquis de Cambis , Brigadier , Meſtre de Camp
Lieutenant du Régiment de Cavalerie de Bour
bon ; le Prince de Rohan , Colonel d'un Régiment
d'Infanterie , le Comte de Civrac , Colonel
du Régiment Royal des Vaiſſeaux ; le Comte du
K
218 MERCURE DE FRANCE.
4
,
Châtelet- Lomont,Colonel du Régiment de Navarre;
le Comte de Montmorency- Laval , Colonel
duRégiment de Guyenne ; le Comte d'Estaing ,
Colonel du Régiment de Rouergue ; le Marquis
de Chaſtelux , Colonel du Régiment d'Auvergne;
le Comtede la Tour-Dupin , Colonel dans
le Corps des Grenadiers de France ; le Marquis
de Saint - Chamond , Colonel d'un Régiment
d'Infanterie , le Comte d'Uffons-de Bonnac , Réformé
dans le Régimentde Briffac; le ſieur de Laubepine
, Mestre de Camp Réformé à la ſuite du
Régiment de Cavalerie de Bauvillier ; le Comte
de Bethune Meſtre de Camp du Régiment
Royal Pologne , Cavalerie, le Marquis de Clermont-
Tonnerre , Capitaine au Régiment duMeftre
de Camp Général de la Cavalerie , avec rang
de Mestre de Camp; le Compte de Fumel , Meltre
de Camp d'un Régiment de Cavalerie ; le
Marquis de Caraman , Mestre de Camp d'un Régiment
deDragons; le Marquis de Cruffol-d'Amboiſe
, Capitaine-Lieutenantdes Chevaux- Légers
deBerry; le ſieur Farges ; Capitaine dans le Régiment
de Cavalerie de Harcourt , avec rang de
Meſtre de Camp; le Comte de Saint-Chamans
Premier Cornette des Chevaux- Légers de Bourgogne;
le Marquis de Janſon, Enſeigne des Gendarmes
d'Aquitaine ; le ſieur du Hamel de Maifoncelle
, Lieutenant-Colonel du Régiment de
Cavalerie de Montcalm; & le Marquis de Chaftenai
Mouſquetaire , ci-devant Enſeigne des
Gendarmes Anglois. Le 10 , jour de l'audience
des Députés des Etats de Bretagne , le Roi reçut
auffi Chevalier de Saint Louis le Comte deMorant
, Députéde ces Etats pour la Nobleſſe , auquel
Sa Majesté avoit accordé précédemment la
Croix..
,
FEVRIER . 1757 . 219
-
!
!
1
Le Roi a nommé Lieutenant-Général de ſes
Armées le Prince Louis de Wirtemberg , Maréchal
de Camp , Meſtre de Camp d'un Régiment de
Cavalerie Allemande. Sa Majesté a accordé le
grade de Brigadier de Cavalerie au Comte de Lameth,
MeſtredeCamp d'unRegiment de Cavalerie.
Elle a donné la Brigade , vacante dans le Régiment
Royal des Carabiniers par la retraite du
Chevalier de Montmorency , au Vicomte de
Dutfort , Meſtre de Camp Réformé de Cavalerie;
celle qui vaquoit par la retraite du Comte
de Buffy - Lameth , à M. de la Tour , Lieutenant-
Colonel de la Brigade ci-devant Braſſac ;
&celle dont le Marquis de Braſſac s'eſt démis ,
à M. Pinon-de Saint-Georges , Capitaine dans
le Régiment du Colonel Général de la Cavalerie,
avec rangdeMestre de Camp.
Monſeigneur leDauphin prit ſéance le is Jan
vier au Conſeil d'Etat.
-Les Prevôt des Marchands & Echevins terminerent
le 15 la Neuvaine qu'ils ont faite dans l'Egliſe
de Sainte Geneviève , où le concours des
Citoyens de cette Capitale & la ferveur de leurs
prieres ont marqué tout leur amour pour la per-
Tonne du Roi , & le 16 , ils aſſiſterent dans la
même Egliſe à une Meſſe ſolemnelle , ſuivie du
Te Deum , en action de graces de l'heureux &
prompt rétabliſſement de la ſanté de Sa Majesté.
Le Roi étant parfaitement rétabli , entendit
le 16 de ce mois la Meſſe dans la Chapelle. On
y chanta le Te Deum , de la compoſition du
ſieur Rebel , Surintendant de la Muſique de la
Chambre de Sa Majefté. Cette Hymne fut entonnée
par l'Abbé Gergoy , Chapelain ordinaire
de la Chapelle-Muſique , revêtu du Surplis &
de l'Etole.
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
4
Le même jour , le Roi fit l'honneur à la ville
de Rheims de recevoir ſes Députés , qui complimenterent
Sa Majesté ſur l'heureux rétabliſſement
de ſa ſanté. Ils furent préſentés au Roi
par M. le Comte de Clermont , Prince du Sang ,
Gouverneur de la Province de Champagne , &
par M. le Comte de Saint-Florentin , Miniſtre &
Secretaire d'Etat. Les Députés étoient MM. Rogier
, de la Salle -de l'Etang , de Bourgogne , &
Mopinot-de la Chapotte , Capitaine de Cavalerie
au Régiment Dauphin .
Le 19 les Députés des Etats d'Artois eurent
audience du Roi , & furent préſentés à Sa Majefié
par M. le Duc de Chaulnes , Gouverneur de la
Province, & par M. le Comte d'Argenſon , Minif.
tre & Secretaire d'Etat. La Députation étoit compoſée
, pour le Clergé , de l'Evêque de Saint-
Omer , qui porta la parole ; du Marquis de Creny
, pour la Nobleſſe ; & du ſieur De Canchy',
Maire d'Arras , pour le tiers Etat.
Le Roi a accordé au Duc de Bouillon la permiſſion
de lever dans le Duché de Bouillon ,
pour le ſervice de Sa Majesté , un Régiment d'Infanterie
de deux Bataillons , ſur le pied étranger,
dont le Prince de Bouillon , ſon petit fils , a été
nommé Colonel .
Sa Majesté ayant permis au Corps de ſaMuſique-
Chapelle , de célébrer ſa convalefcence par
un Te Deum chanté dans la Chapelle du Château
, ce Corps s'eſt acquitté le vingt de ce devoir.
La Reine & la Famille Royale ont affiſté
à cette cérémonie. L'Abbé Gergoy , Chapelain
ordinaire de la Chapelle-Muſique , a entonné
'Hymne. Le Motet étoit de la compoſition , &
a été exécuté ſous la direction du ſieur Mondonville
, Maître de Muſique de la Chapelle.
FEVRIER. 1757 . 221
i
1

1
2
LeRoi a fait remettre cent mille écus aux Curés
de Paris , pour être diſtribués aux pauvres de leur
Paroiſſes .
La nuit du 17 au 18 Janvier , le ſcélérat ,
qui a oſé attenter à la vie du Roi , fut amené
de Verſailles à Paris. Il a été mis à la Conciergerie
dans la Tour de Montgommery. Cet afſaſſin
a été eſcorté par des Sergens & des Grenadiers
des Gardes Françoiſes , la bayonnette au
bout du fufil , leurs Officiers à cheval , ainſi que
par les Gardes de la Prevôté de l'Hôtel. Il étoit
dans une gondole accompagné d'un Lieutenant ,
d'un Exempt, de deux Gardes&du Chirurgien
de la Prevôté. La gondole étoit ſuivie de deux
caroſſes , dans l'un deſquels étoit un priſonnier
avec deux Gardes.
Pendant le cours de l'année derniere , il eſt
mort à Paris dix- sept mille deux cens trente - fix
perſonnes : il s'y eſt fait quatre mille ſept cens
dix mariages , & vingt mille fix baptêmes : le
nombre des enfans trouvés a été de quatre mille
ſept cens vingt-deux.
On mande de Calais , que les Capitaines Canon
& Bachelier , qui commandent les Corſaires
le Prince de Soubize & le Saint- Louis , de Dunkerque
, ont pris & ont conduit dans ce premier
Port les Navires Anglois le Château d'Edimbourg
, de 160 tonneaux , chargé d'huile , & le
Guillaume , de 100 tonneaux , dont la cargaiſon
eſt compoſée d'oranges , de citrons , de limons
&de raiſins.
Les mêmes Corſaires ont pris , & ont fait comduire
à Fécamp un troiſieme Navire Anglois appellé
le Nansey & Betty , de 150 tonneaux
chargé de farines , de ſucre , de tabac , de draps
&d'autres marchandises.
Kij
222 MERCURE DE FRANCE.
Le Navire Anglois la Concorde , de 250 tonneaux;
chargé de tabac &de fer , a été pris par
leCorfaire le Poftillon , de Morlaix , qui l'a fait
conduire à Cherbourg.
,
Il eſt arrivé à Saint-Valleryen Caux un Senaw
'Anglois , d'environ 100 tonneaux qui a été
pris par le Corfaire le Sainte-Barbe , de Morlaix
, & qui eft chargé de tabac , de brai & de
goudron.
Le Corfaire leMachault, deGranville , commandé
par le Capitaine Magnonnet , y a fait conduire
le Navire Anglois le London , de Poole ,
de 130 tonneaux , chargé de vin , de ſel , d'orange&
de citrons , dont ils'eſt emparé.
On écrit de Morlaix , que le Corfaire la Cigale
, de Saint-Malo , ya fait conduire les NaviresAnglois
le Luk , de 180 tonneaux , chargé de
tabac & de fer , & le Rodalan , de 120 tonneaux ,
chargé de diverſes marchandises .
Le Navire Anglois le Neptune , de Boſton ,
chargé de quatorze cens quintaux de morue , a
été pris par le Capitaine Laurent Hirigoyen ,
commandant leCorſaire le Saint-Jean-Baptiste ,
deBayonne.
Un autre BâtimentAnglois appellé le Friendfip
, de 60 tonneaux , chargé de faumon , ayant
été jetté par le mauvais temps ſur la Barre de
Bayonne , a été conduit en ce Port par le nommé
Sallenave , Pilote Lamaneur.
Le Corfaire l'Aimable Dauphin , de Saint-
Jean- de- Luz , s'eſt emparé d'un Navire Anglois
qui est arrivé au Paſſage , &dont la cargaiſon eſt
compoſée de 180 boucauts de tabac.
On apprend par des lettres écrites de la Ciotat
, qu'il y est arrivé un Navire Anglois , qui
avec la cargaiſon eſt eſtimé environ trois cens
FEVRIER. 1757 . 223
1
mille livres , & qui a été pris par le Corſaire le
Fleuron , de Marseille , dont eſt Capitaine Jean-
André Arnoux.
On apprend par des lettres écrites de Saint-
Malo , que le Corfaire la Vengeance , de ce Port ,
y eſt rentré avec le Navire le Grand Alexandre,
de Nantes , de 350 tonneaux , armé de 14
canons , chargé de ſucre , de café, de coton &
d'indigo , qu'il a enlevé au Corſaire Anglois le
Terrible , de Londres , de 24 canons & de 202
hommes d'équipage , dont il s'eſt auffi rendu
maître , & qui a été conduit à Morlaix. Le ſieur
Bourdas , Capitaine de la Vengeance, ayant été
tuédès lecommencement du combat, le commandement
eſt échu au ſieur de Breville , qui , par
fa bravoure & fa belle manoeuvre , a mis ces
deux bâtimens dans l'impoſſibilité de lui échapper.
On mande de Marseille , que le Capitaine
Pierre-Antoine Martiche , qui commande le Corfaire
le Grand Alexandre , de ce Port, y a conduit
un Navire , dont le Capitaine a déclaré que
le chargement , qui eſt eſtimé plus de quinze
cens mille livres, appartient aux Anglois.
Le 20 Janvier , les Actions de la Compagnie
des Indes étoient à quinze cens deux livres , dix
fols: les Billets de la premiere Loterie Royal , à
neuf cens ſoixante ; ceux de la troiſieme Loterie
àfix cens quatre-vingts. Ceux de la ſeconde Lote
rie n'avoient point de prix fixe.
Kiv
224 MERCURE DE FRANCE.
BÉNÉFICES DONNÉS.
Sa Majesté a donné l'Abbaye d'Humblieres ,
Ordre de Saint Benoît , Diocèse de Noyon , au
Prince Camille de Rohan , & l'Abbaye de la Chalade
, Ordre de Citeaux , Diocèſe de Verdun ,
à M. l'Abbé de Broglie.
Le Roi a donné l'Abbaye Réguliere de Corneux
, Ordre de Prémontré , Diocèſe de Beſançon
, à Dom de Belloy , Religieux du même Ordre
, & Prieur de Belloſane , & celle de Puy
d'Orbe , Ordre de Saint Benoît , Diocèse de Langres
, à la Dame Caillet , Prieure de cette Maifon .
SUPPLEMENT
A L'ARTICLE CHIRURGIE.
1
NOUouSs avons annoncé le mois dernier l'établifſement
de l'hôpital de M. le Duc de Biron , &
promis de rendre au Public le compte le plus
exact & le plus fidele des maladies & traitemens
par les dragées du ſieur Keyfer. En conféquence
voici le compte du premier traitement fait fous
les yeux de MM. Morand , Guerin , Faget , du
Fouard, & autres..
:
EXTRAIT des Regiſtres de l'hôpital de M.
le Duc de Biron.
Le 18 Novembre 1756 , il entra dans ledit hôpital
douze ſoldats du Régiment desGardes. Nous
croyons en devoir rapporter les noms , l'état où
FEVRIER . 1757 . 225
ils étoient lors de leur entrée & leur guérifon
, le tout atteſté par MM. les Chirurgiens
ci-deſſus , ſuivant leurs certificats déposés dans les
archives dudit hôpital.
Premier malade. Le nommé Briſſon avoit une
ch. .... depuis trois mois & pluſieurs ch.....
& un engorgement conſidérable aux glandes inguinales
des deux côtés , eſt ſorti le 28 Décembre
1756 entiérement guéri , & ne reſſent plus
aucune incommodité.
Deuxieme malade. Le nommé Bellerofe avoit
des puſtules répandues ſur toutes les parties du
corps , à la ſuite de pluſieurs accidens vénériens ,
eft forti le même jour entiérement guéri.
Troisieme malade. Le nommé S. Julien avoit
un ch... conſidérable qui rongeoit le filet , eft
forti le même jour entiérement guéri.
Quatrieme malade. Le nommé Piot avoit des
douleurs conſidérables à la tête , un aſſoupiſſement
continuel , des bouffiſſures , une ſurdité furvenue
à la ſuite d'un bubon rentré, eſt ſorti le
même jour entiérement guéri , & a recouvré l'entendement.
Cinquieme malade. Le nommé d'Amour avoit
un phim... & pluſieurs ch... , eſt ſorti le même
jour entiérement guéri.
Sixieme malade. Le nommé Vermenton avoit
deux p... fuppurant , une ch...depuis 4 ans ,& un
engorgementdans le canal de l'uretre , qui empêchoit
la libre iſſue desurines , entiérement guéri de
la maladie vénerienne & des accidens ci-deſſus ;
mais a reſté quelques jours de plus que les autres
, pour prendre encore quelques dragées.
Septieme malade. Le nommé Bavoyau avoit
des ch.... & des pustules ſuppurantes aux cuiffes
& dans diverſes autres parties de ſon corps ,
226 MERCURE DE FRANCE.
eſt ſorti le même jour entiérement gueri.
Huitieme malade. Le nommé Robert avoit
un bubon ou p... chancreux au prépuce , &un
autre plus conſidérable à la racine de la V...
avec des pustules aux parties ſupérieures de la
cuiffe , eſt ſorti le mêmejour entiérement guéri.
Neuvieme malade. Le nommé la Vertu avoit
des ch... repandus en diverſes parties , des porreaux
& des crêtes , eſt ſorti le même jour entierément
guéri.
Dixieme malade. Le nommé Simon avoit des
douleurs vagues par tout le corps , pour leſquelles
il avoit été traité inutilement par les remedes
ordinaires , eſt ſorti le mêmejour , & ne reffent
plus aucune douleur.
Onzieme malade. Le nommé Blondin avoit
des ulceres & des pustules en diverſes parties du
corps , eſt ſorti le même jour entiérement guéri .
Douzieme malade. Le nommé Julien avoit un
phim... & quantité de pustules ſur toutes les parties
, eſt ſorti le même jour entiérement guéri.
Tous les états ci-deſſus ont été vérifiés , les
traitemens ſuivis , & les guériſons conftatées&
certifiées par MM. Faget , du Fouard , Morand,
Guerin& pluſieurs autres Docteurs en Médecine
& Maîtres en Chirurgie , qui ont voulu voir.
Il eſt aiſé d'ailleurs d'examiner les ſoldats qui
ſont ſortis &que l'on nomme, & après des faits
auſſi vrais , auffi authentiquement reconnus , &
expoſés au plus grand jour , il ſeroit bien difficile
, & il y auroit bien de l'entêtement de ſe
refufer à la vérité.
Il faut obſerver auſſi queles foldatsci-deſſusen
trés dans l'hôpital dans laſaiſon laplus rude , n'ont
eu ni bains , ni diette , qu'ilsyont vécu de viande ,
&bu du vin pendant tout le traitement , & qu'ils
FEVRIER. 1757. 227
:
Tont fortis avec l'embonpoint le meilleur , fans
reſſentir aucune eſpece d'incommodité , & ont
pu aller faire leur ſervice le même jour.
Il eſt entré le 28 Décembre 1756 , jour de
lafortie de ces malades , onze autres ſoldats dont
nous rendrons pareillement le mois prochain un
compte auſſi fidele.
MORT S.
DAME Marie-Marthe de Saint-Pierre de Saint.
Julien , Epouſe de Jean- Charles , Marquis de
Sennecterre , Chevalier des Ordres du Roi , &
Lieutenant Général des Armées de Sa Majesté ,
mourut à Paris le 17 Septembre , âgée de 75
ans.
Dame Anne-Victoire de Cambis -de Velleron ,
Epouſe de Meſſire François - Fortuné , Comte
d'Herbouville , Meſtre de Camp de Cavalerie , &
ſous-Lieutenant des Gendarmes d'Aquitaine , eſt
morte à Paris le 22 Septembre , âgée de 31 ans.
Meſſire Joſeph de Guyon de Crochans , Archevêque
d'Avignon , Evêque Aſſiſtant du Trône ,
& Abbé de l'Abbaye de Rocamador en Sicile
eſt mort le même jour à Avignon , dans la 83
année de ſon âge. Il avoit été nommé en 1709
à l'Evêché de Cavaillon , & en 1742 à l'Archevêché
d'Avignon.
,
Meſſire N ... de Geoffreville , Abbé de l'Ab
bayede la Chalade , Ordre de Citeaux , Diocèſe
de Verdun , efſt mort le 24 Septembre , âgé
de 80 ans.
Meſſire Ferdinand Florent , Marquis du Châtelet
, qui avoit dans les dernieres guerres un
Régiment de deux bataillons portant fon nom ,
*
228 MERCURE DE FRANCE .
eſt mort à Besançon le 6 Janvier 1757. Il étoit
l'aîné de la maison du Châtelet , & deſcendoit
en ligne directe de Frederic ou Ferri dit de Bitche
Duc de Lorraine , qui régna en 1205. Thierri
ouThéodoric ſecond fils de ce Prince né en 1175 ,
fit bâtir dans ſon appanage une fortereſſe , que
l'on appella Caftelletum , le Châtelet , & qui donna
ſon nom à la terre ou elle fut bâtie , & à
la pofterité de Thierri , qui fut la tige de la Maiſondu
Châtelet. Cette deſcendance eſt prouvée
par des titres authentiques tirés du tréſor des
Chartres de Lorraine , par les tombeaux , ſceaux ,
monnoies & autres anciens monumens publics ,
dont les témoignages ont été recueillis par le
ſçavant Dom Calmet , dans la généalogie de cette
Maiſon qu'il a compofée en 1741. M. le Marquis
du Châtelet avoit épousé Marie-Emanuelle
de Poitier , iſſue de la Maiſon Souveraine des
Comtes de Valentinois , & morte au mois de Janvier
1756. M. du Châtelet n'en a point eu d'enfans;
il laiſſe pour héritier M. le Marquis du
Châtelet, Lieutenant-Général des Armées du Roi,
Grand Croix de l'Ordre de Saint Louis , ſon frere
unique.
AVIS.
LEE Sieur Cartier , Anglois , donne avis au
Public , qu'il continue à diſtribuer avec ſuccès fon
Remede pour la guériſon de la Pierre &de la
Gravelle , en vertu d'une Permiſſion de M. Senac
Premier Médecin du Roy , & de la Commiffion
Royale de Médecine. Ce Diffolvant qui diſſout
la Pierre dans la veſſie &débarraſſe les reins &
les autres viſceres de tout ſable & gravier , n'eſt
compoſé que de ſeules Simples réduites en poudre
FEVRIER . 1757 . 229
:
100
!
C
fans aucune mixtion chimique , comme M. le
Premier Médecin du Roi eſt en état de le certifier.
Ce Remede eſt agréable au goût & à l'odeur ,
& ne peut faire le moindre préjudice au corps.
Il eſt au contraire ftomachique , & plus les malades
en prennent , mieux ils s'en trouvent pour
la gaieté & pour l'embonpoint. Il ſe conſerve trèslong-
temps , & peut ſe tranſporter partout , même
dans les Pays étrangers. On ne sçauroit fixer
au juſte la quantité qu'il en faut pour l'entiere
diffolution de la pierre , elle doit être proportionnée
à la groſſeur & à la dureté du caillou.
Tout ce qu'on peut aſſurer , c'eſt que vingt à
trente priſes ſuffiſent ordinairement pour guérir
la gravelle. Le prix de chaque priſe qui peſe deux
gros , eſt de trois livres .
L'adreſſe du ſieur Cartier eſt au College de
Narbonne , rue de la Harpe à Paris. On affranchira
les ports de Lettres.
AUTRE.
t
EAU pour les dents , faite par le ſieur Vaccofſain
, Marchand Epicier- Diſtillateur à Paris , rue
& vis-à- vis Saint André des Arts , au Mortierd'or .
Cette Eau a la propriété de conſerver & blanchir
les dents , & de diſſoudre l'humeur glaireuſe
qui s'y attache , ce qui les corrode , mange les
gencives , & rend les dents chancelantes. Le prix
de la bouteille eſt de douze ſols. On distribue
avec , un imprimé , qui apprend toutes les autres
propriétés de cette Eau, &la maniere d'en faire
ufage.
230 MERCURE DE FRANCE.
AVIS.
N prieM. Tribout, Marchand de Draps
près la poſte aux lettres , de faire ſçavoir
à l'adreſſe du Mercure de quel endroit il
eſt , afin de pouvoir lui donner les éclairciſſemens
qu'il a demandés ſur l'envoi du
Mercure par une lettre ſans date , dans
laquelle il a obmis de mettre l'endroit d'où
il l'a écrit , & le lieu où il defire de recevoir
le Mercure , ou le particulier pour lequel
il s'intéreſſe.
APPROBATION.
J'Ai lu , par ordre de Monſeigneur le Chancelier,
le Mercure du mois de Février , & je n'y ai
rien trouvé qui puiſſe en empêcher l'impreſſion.
AParis , ce 27 Janvier 1757.
GUIROY.
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
VERS à Mademoiselle L *** , pages
Chacun a ſa Folie , hiſtoire traduite de l'Arabe ,
Le Feu & l'Eau , Fable , 21
Lettre & Vers à Mademoiselle R. D. V. Q , 23
231
Lettre à l'Auteur du Mercure , en lui envoyant
une Lettre d'un Pere à ſon Fils , 29.
Stances àMadame Dup... de Grav . 36
Vers à M. de Caumartin , 38
La nouvelle Mere d'amour , ou l'Amour raifonnable
, 39
Fragment d'une Epître , 43
Eſſai fur la Polygamie & le Divorce , traduit de
M. Hume , 45
Vers àMadame d'Argenville la fille , 61
Les Loix d'Amour , 63
Vers ſur la Mort de M. de Fontenelle , 64
La Mere , l'Enfant & le Chat , Leçon en Vers à
Mademoiselle la Comteſſe d'o... 65
Impromptu , 67
Explication de l'Enigme & du Logogryphe du
ſecond Mercure de Janvier , 68
Enigme & Logogryphe , 69
Chanſon , 79
ART. II . NOUVELLES LITTERAIRES.
Extraits , Précis ou Indications de livres nou
' veaux, 71
Séance de l'Académie des Belles- Lettres de Montauban
, 110
ART. III . SCIENCES ET BELLES LETTRES.
Géographie. Lettre à Dom Calmet, ſur celle qu'il
vient de donner au ſujet de la Terre de Geffen ,
127
Médecine . Mémoire ſur les Eaux minérales , 148
Chirurgie. 178
Séance de l'Académie de Besançon , 183
ART . IV. BEAUX - ARTS.
Musique. 185
Gravure 185 186
232
Architecture.
187
ART. V. SPECTACLE S.
Comédie Françoiſe. 193
Comédie Italienne. 194
ARTICLE VI.
Nouvelles étrangeres , 195
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c. 204
Edit, ibid.
Bénéfices donnés , 224
Supplément à l'Article de Chirurgie , ibid.
Morts , 227
Avisdivers. 228
La Chanson notéedoit regarder la page 70.
De l'Imprimerie deCh. Ant. Jomberr.
MERCURE
DE FRANCE,
DÉDIÉ AU
RO1008 081
MARS . 1jby.
Diverſité, c'est ma deviſe. La Fontaine.
E
LYON
*
Cochin
Mineinve
Pupil Sculp
A PARIS ,
CHAUBERT, rue du Hurepoixd
PISSOT , quai de Conty.
Chez DUCHESNE , rue Saint Jacques,
CAILLEAU , quai des Auguſtins.
CELLOT , grande Salle du Palais.
Avec Approbation & Privilege du Roi.

AVERTISSEMENT.
LE
E Bureau du Mercure est chez M.
LUTTON , Avocat , & Greffier- Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure , rue SainteAnne,
Butte Saint Roch , entre deux Selliers .
C'est à lui que l'on prie d'adreſſer , francs
deport, les paquets & lettres , pour remettre ,
quant à la partie littéraire , à M. DE BOISSY,
Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eſt de 36fols ,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant,
que 24 livres pour ſeize volumes , à raiſon
de30fols piece.
Les perſonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la poſte , payeront
pourſeize volumes 32 livres d'avance en s'abonnant
, &elles les recevront francs de port.
Celles qui auront des occaſions pour lefaire
venir , ou qui prendront les frais du portfur
leur compte , ne payeront , comme à Paris ,
qu'à raison de 30 fols par volume , c'est-àdire
24 livres d'avance , en s'abonnant pour
16 volumes.
Les Libraires des provinces on des pays
étrangers, qui voudront faire venir le Mercure
, écriront à l'adreſſe ci - deſſus.
Aij
Onsupplie les personnes des provinces d'envoyerpar
la poſte , enpayant le droit , le prix
deleur abonnement , ou de donner leurs ordres,
afin que le paiement en ſoit fait d'avance au
Bureau.
Les paquets qui ne seront pas affranchis ,
reſteroni au rebut .
Il y aura toujours quelqu'un en état de
répondre chez le ſieur Lutton ; & il obſervera
de refter à fon Bureau les Mardi ,
Mercredi & Jeudi de chaque ſemaine, aprèsmidi
.
On prie les personnes qui envoient des Livres
, Estampes & Musique à annoncer ,
d'en marquer le prix.

On peut se procurer par la voie duMereure
, les autres Journaux , ainsi que les Livres
, Estampes & Muſique qu'ils annoncent.
On trouvera au Bureau du Mercure les
Gravures de MM. Feſſard & Marcenay .
La modération accordée par Meſſieurs
Ies Intendans & Fermiers Généraux des
Poſtes , nous facilite le moyen de donner
à 32 liv. les ſeize volumes du Mercure ,
qui coûtoient aux perſonnes de Province
36 liv. pour les recevoir francs de port par
la pofte.
MERCURE
DE FRANCE .
MARS. 1757 .
ARTICLE PREMIER .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS
A MANON.
Jours , Manon , de tes charmes ,
De ton coeur , de nos foupirs ,
Partage d'heureux defirs :
Laiſſe- nous verſer des larmes ;
Laiſſe - nous les allarmes ,
Et ne peins que les plaiſirs .
O Manon ! que le bel âge
S'écoule avec rapidité !
A iif
6 MERCURE DE FRANCE.
Vainement regretté ,
Tout le brillant appanage
D'eſprit , de graces , de beauté ,
N'eſt rien, ſi l'on n'en fait uſage.
N'être plus fans avoir été,
Ce ſeroit bien dommage.
L'Aurore au teint vermeil
Ne brille que pour Céphale ;
Elle attend ſon réveil ,
Et pour lui ſa tendreſſe étale
Des tréſors que rien n'égale,
Et que n'a pas vu le ſoleil.
Flore ſe pare & foupire
Pour un Amant plus leger :
Elle écoute l'heureux Zéphyre ,
Et cede au charme qui l'attire ,
Au riſque de le voir changer.
Vois dans toute la nature
Cette flamme vive & pure ,
Que ton coeur ne connoît pas ;
Vois dans l'Onde qui murmure
Tes inutiles appas .
Manon , tu verras plus encore
Dans les regards de ton Amant !
Tu verras ce ſentiment,
Cet aimable tourment ,
Que ta jeuneffe ignore ,
Et qu'elle devroit partager ,
Qu'il eſt ſi doux de faire éclorre ,
:
:
MARS. 1757 . 7
Et bien plus doux de foulager.
Mais ſi ton ame légere
N'en croit pas mon ardeur fincere ,
Regarde-toi pour t'enflammer.
Doit- on , quand on a l'art de plaire ,
Ne pas ſçavoir qu'il faut aimer ?
Tout me ravit , tout me touche :
C'eſt un bouquet que ta bouche ;
Et tes yeux , Manon , tes beaux yeux !
Ils ne demandent pas mieux ;
Ta ſpirituelle innocence ,
Cette tendre indolence
Qui n'a pas le ton de l'ennui ,
Ni l'air de l'indifférence.
Ah Manon ! l'Amour quand j'y penfe ;
T'a faite comme pour lui.
VERS
De M. de Relongue - de la Louptiere , à
Mademoiselle de *** › pour la remercier
d'une Etrenne Mignone.
BIEN qu'une belle ait certains Almanachs,
En qui par fois j'ai peu de confiance ,
Du vôtre , je ferai grand cas ,
S'il me prédit votre conſtance.
:
Aiv
MERCURE DE FRANCE .
FÉLICIE.
CETTE ingénieuse Féerie miſe en Dialogues
on plutôt en Scenes , tiendra lieu d'hiſtoriette
ce mois-ci : le Lecteury gagnera. Elle est
de M. de Marivaux , & vaut mieux qu'un
Conte. On peut même dire que par le fonds
elle en est un , avec cet avantage que par la
forme , elle est vraiment une Comédie , faits
pour décorer le Théâtre François , & digne
d'y figurer avec ſes aînées.
SCENE PREMIERE.
FÉLICIE , LA FÉE , ſous le nom d'Hortenfe.
Félicie.
Il faut avouer qu'il fait un beau jour.
Hortense.
Aufſi y a- t'il long- temps que nous nous
promenons .
Félicie.
Aufſfi leplaifir d'être avec vous , qui eſt
toujours fi grand pour moi , ne m'a- t'il
jamais été ſi ſenſible.
Hortenfe.
Je crois en effet que vous m'aimez ,
Félicie.
MARS. 1757 .
Félicie.
Vous croyez , Madame ? Quoi ! n'eſt- ce
que d'aujourd'hui que vous êtes bien fûre
de cette vérité-là ; vous , avec qui je ſuis
dès mon enfance , vous , à qui je dois tout
ce que je puis avoir d'eſtimable dans le
coeur&dans l'eſprit !
Hortense.
Il eſt vrai que vous avez toujours été
l'objet de mes complaiſances ; & s'il vous
reſte encore quelque choſe à deſirer de mon
pouvoir&de ma ſcience , vous n'avez qu'à
parler , Félicie ; je ne vous ai aujourd'hui
menée ici que pour vous le dire.
Félicie.
Vos bontés m'ont-elles rien laiſſé à four
haiter ?
Hortense.
N'y a-t'il point quelque vertu , quelque
qualité dont je puiſſe encore vous
douer ?
Félicie.
Il n'y en a point dont vous n'ayez voulu
embellir mon ame.
Hortense.
Vous avez bien de l'eſprit , en deman
dez-vous encore
Av
10 MERCURE DE FRANCE.
Félicie.
Je m'en fie à votre tendreſſe , elle m'en
a ſans doute donné tout ce qu'il m'en faut.
Hortense.
Parcourez tous les avantages poſſibles ,
& voyez celui que je pourrois augmenter
en vous , ou bien ajouter à ceux que vous
avez : rêvez- y.
Félicie.
J'y rêve , puiſque vous me l'ordonnez ,
& juſqu'ici je ne vois rien ; car enfin
que demanderois-je ? Attendez pourtant ,
Madame ; des graces , par exemple , je n'y
fongois point : qu'en dites-vous ? il me
ſemble que je n'en ai pas affez ?
Hortenfe.
Des graces , Félicie ; je m'en garderai
bien : la nature y a ſuffiſamment pourvu ;
& fi je vous en donnois encore , vous en
auriez trop ; je vous nuirois.
Félicie.
Ah ! Madame , ce n'eſt aſſurément que
par bonté que vous le dites ?
Hortense.
Non , je vous parle férieuſement .
MARS. 1757 11
Félicie.
Je penſe pourtant que je n'en ſerois que
mieux , ſi j'en avois un peu plus.
Hortenfe.
L'induſtrie de toutes vos réponſes m'a
fait deviner que vous en viendriez-là .
Félicie.
Hélas ! Madame , c'eſt de bonne foi ;
ſi je ſçavois mieux , je le dirois.
Hortense.
Songez que c'eſt peut être de tous les
dons le plus dangereux que vous choififfez
, Félicie.
Félicie.
Dangereux , Madame. Oh ! que non :
vous m'avez trop bien élevée ; il n'y a
rien à craindre.
Hortenfe.
Vous ne vous y arrêtez pourtant que
par l'envie de plaire.
Félicie.
Mais de plaire : non , ce n'eſt pas pofitivement
cela ; c'eſt qu'on a l'amitié de
tout le monde quand on eſt aimable , &
l'amitié de tout le monde eſt utile &fouhaitable.
Avj
12 MERCURE DE FRANCE .
:
Hortense.
Oui , l'amitié ; mais non pas l'amour de
tout le monde.
Félicie.
Oh ! pour celui-là , je n'y ſonge pas , je
vous affure.
Hortenfe.
Vous n'y fongez pas , Félicie ? Regardezmoi
; vous rougiffez : êtes-vous ſincere !
Félicie.
Peut- être que je ne le ſuis pas autant que
je l'ai cru .
Hortenfe.
N'importe : puiſque vous le voulez ,
ſoyez aimable autant qu'on le peut être.
Hortense la frappe de la main ſur l'épaule.
Félicie treſſaillant de joie.
Ha! ... je vous ſuis bien obligée , Madame..
Hortense.
Vous voilà pourvue de toutes les graces
imaginables ?
Félicie.
J'en ai une reconnoiſſance infinie , &
apparemment qu'il y a bien du changement
en moi , quoique je ne le voie pas. :
MARS. 1757.
Hortense.
C'eſt-à-dire que vous voulez en être
fûre. Elle lui préſente un petit miroir. Tenez,
regardez- vous .
Félicie regarde. Hortenfe continue.
Comment vous trouvez - vous ?
Félicie.
Comblée de vos bontés : vous n'y avez
rien épargné.
Hortense.
Vous vous en rejouiſſez ; je ne ſcais ſi
vous ne devriez pas en être inquiete.
Félicie.
Allez , Madame , vous n'aurez pas licu
de vous en repentir.
Hortenfe.
Je l'eſpere ; mais à ce préſent que je
viens de vous faire , j'y prétends joindre
encore une choſe. Vous allez dans le monde
, je veux vous y rendre heureuſe ; &
il faut pour cela que je connoiſſe parfaitement
vos inclinations , afin de vous aſſurer
le genre de bonheur qui vous fera le
plus convenable. Voyez-vous cet endroit
où nous ſommes ? c'eſt le monde même...
14 MERCURE DE FRANCE.
Félicie.
Le monde , & je croyois être encore
auprès de notre demeure.
Hortense.
Vous n'en êtes pas éloignée non plus ;
mais ne vous embarraſſez de rien: quoiqu'il
en ſoit , votre coeur va trouver ici
tout ce qui peut déterminer ſon goût.
SCENE ΙΙ .
Félicie , Hortenſe , la Modeſtie.
Hortense , àlaModeſtie qui est à quelque pas.
Vous , approchez .
Quand la Modestie est venue.
C'eſt une compagne que je vous laiſſe
Félicie ; elle porte le nom d'une de vos
plus eſtimables qualités , la modeſtie , ou
plutôt la pudeur.
Félicie.
Je ne ſçais tout ce que cela fignifie ;
mais je la trouve charmante , & je ferai
ravie d'être avec elle : nous ne nous quiterons
donc point ?
Hortenfe.
Votre union dépend de vous : gardez
toujours cette qualité dont elle porte le
nom , & vous ferez toujours enſemble.
MARS. 1757 . 15
Félicie s'en allant à elle.
Oh vraiment ! nous ferons donc inféparables
!
Hortense.
Adieu , je vous laiſſe ; mais je ne vous
abandonne point.
Félicie.
Votre retraite m'afflige , que ſçais- je ce
qui peut m'arriver ici , où je ne connois
perſonne ?
Hortense.
N'y craignez rien , vous dis-je ; c'eſt
moi qui vous y protege : adieu.
SCENE III .
Félicie , la Modeſtie .
Félicie.
Sur ce pied- là , foyons donc en repos ,
&parcourons ces lieux : voilà un canton
qui meparoîtbien riant ;ma chere compagne
, allons-y ; voyons ce que c'eſt.
La Modestie.
Non , j'y entends du bruit; tournons
plutôt de l'autre côté , je le crois plus ſur
pour vous.
Félicie.
Qu'appellez -vous plus für
16 MERCURE DE FRANCE.
LaModestie.
Oui , vous êtes extrêmement jolie , &
l'endroit où vous voulez vous engager me
paroît un pays trop galant.
Félicie.
Eh bien ! eft- ce qu'on m'y fera un crime
d'être jolie dans ce pays galant ? Ne fommes-
nous ici que pour y viſiter des déferts
?
LaModestie.
Non ; mais je prévois de l'autre côté les
pieges qu'on y pourra tendre à votre coeur,
&franchement j'ai peur que nous ne nous
yperdions.
Félicie.
Eh ! comment l'entendez - vous donc,
s'il vous plaît, ma chere Compagne ? Quoi !
ſous le prétexte qu'on eſt aimable , on
n'ofera pas ſe montrer ; il ne faudra rien
voir , toujours s'enfuir , & ne s'occuper
qu'à faire la ſauvage ? La condition d'une
jolie perſonne ſeroit donc bien triſte. Oh !
je ne crois point cela du tout. Il vaudroit
mieux être laide : je redemanderois la médiocrité
des agrémens que j'avois , ſi cela
étoit ; & à vous entendre dire , ce feroit
une vraie perte pour une fille que de perdre
ſa laideur , ce ſeroit lui rendre un très
MARS. 1757 . 17
mauvais ſervice que de la rendre aimable ,
& on ne l'a jamais compris de cette maniere-
là.
La Modestie.
Ecoutez , Félicie ; ne vous y trompez
pas , les graces & la ſageſſe ont toujours
eu de la peine à reſter enſemble.
Félicie.
Ala bonne heure : s'il n'y avoit pas un
peu de peine , il n'y auroit pas grand mérite.
A l'égard des pieges dont vous parlez ,
il me ſemble à moi qu'il n'eſt pas queſtion
de les fuir , mais d'apprendre à les méprifer
; & pourquoi ? parce qu'ils font inutiles
pour qui les mépriſe , & qu'en les.
fuyant d'un côté , on peut les trouver d'un
autre : voilà mes idées que je crois bonnes.
LaModestie.
Elles font hardies .
Félicie.
Toutes fimples. Que peut- il m'arriver
dans le canton que vous craignez tant ?
Voyons ; fi je plais , on m'y regardera ,
n'eſt- il pas vrai ? Suppofons même qu'on
m'y parle. Eh bien ! qu'on m'y regarde ,
qu'on m'y parle , qu'on m'y faſſe des complimens
, ſi l'on veut ; quel mal cela me
fera-t'il ? font- ce là ces pieges ſi redoutaIS
MERCURE DE FRANCE .
bles qu'il faille renoncer au jour pour les
éviter ? me prenez-vous pour un enfant ?
La Modestie.
Vous avez trop de confiance , Félicie.
Félicie.
Et vous , bien des terreurs paniques ,
Modeſtie ?
La Modestie.
Je ſuis timide , il est vrai ; c'eſt mon
caractere.
Félicie.
Fort bien ; & moyennant ce caractere ,
nous voilà donc condamnées à reſter- là ;
nos relations feront curieuſes !
La Modestie.
Je ne vous dis pas de reſter-là ; voyons
toujours ce côté , il eſt plus tranquille.
Félicie.
Quelle antipathie avez- vous pour l'autre ?
ci ?
La Modestie.
Quel dégoût vous prend-t'il pour celui-
Félicic.
C'eſt qu'il me réjouit moins la vue.
LaModestie.
Et moi , c'eſt que je fuis le danger que
je ſoupçonne ici.
:
MARS. 1757. 19
1
i
i
Félicie.
Mais pour le fuir , il faut le voir.
LaModestie.
Il n'eſt quelquefois plus temps de le
fuir , quand on l'a vu.
Félicie.
Encore une fois pour fuir, il faut un
objet ; on ne fuit point ſans avoir peur de
quelque choſe , & je ne vois rien qui m'épouvante.
LaModestie.
Diſons mieux , vous avez des charmes ,
& vous voulez qu'on les voie.
Félicie.
Et parce que j'en ai , il faut que je les
cache , il faut que l'obſcurité ſoit mon partage.
Eh ! que ne m'a- t'on dit que c'étoit
leplus grand malheur du monde que d'être
jolie , puiſqu'il faut être eſclave des conſéquences
de fon viſage. Ne voyez- vous
pas bien que la raiſon n'eſt point d'accord
decela.
LaModestie.
Plus que vous ne croyez .
Félicie.
Je me ſuis donc étrangement trompée ;
j'ai ſouhaité d'être aimable , afin qu'on
20 MERCURE DE FRANCE .
m'aimât dès qu'on me verroit , ce qui eſt
affürément très- innocent ; & il ſe trouveroit
que , felon vos chicanes , ce ſeroit
afin qu'on ne me vit jamais : en vérité je
ne ſçaurois goûter ce que vous me dites .
La Modeftie.
Je n'inſiſte plus , il en ſera ce qui vous
plaira.
Félicie.
Il en ſera ce qui me plaira : ce n'eſt pas
là répondre ; je veux que vous ſoyez de
mon avis dès que j'ai raiſon. Puiſque vous
êtes la Modeſtie , on est bien aiſe d'avoir
votre approbation .
La Modeftio.
Je vous ai dit ce que je penſois.
Félicie.
Allons , allons ; je vois bien que vous
vous rendez. Ici on entend une ſymphonic.
Mais me trompais-je ? entendez-vous la
gaieté des ſons qui partent de ce côté-là ?
Nous nous y amuferons affûrément , il
doit y avoir quelque agréable fête : que
cela est vif& touchant !
La Modestie.
Vous ne le ſentez que trop.
MARS. 1757 . 21
Félicie.
Pourquoi trop ? eſt- ce qu'il n'eſt pas
permis d'avoir du goût ? allez- vous encore
trembler là- deſſus ?
LaModestie .
Le goût du plaiſir &de la curiofité me
nent bien loin.
Félicie.
Parlez franchement ; c'eſt qu'on a tort
d'avoir des yeux & des oreilles , n'eſt ce
pas ? Ah ! que vous êtes farouche ? La Symphonie
recommence. Ce que j'entends- là me
fait pourtant grand plaiſir... Prêtons-y un
peu d'attention ... Que cela eſt tendre &
animé tout enſemble!!
La Modestie.
J'entends auſſi du bruit de l'autre côté :
écoutez , je crois qu'on y chante.
On chante.
De la vertu ſuivez les loix ,
Beautés , qui de nos coeurs voulez fixer le choix :
Les attraits qu'elle éclaire en brillent davantage.
Eſt-il rien de plus enchanteur
Que de voir ſur un beau viſage
Et la jeuneſſe & la pudeur ?
La Modestie continue.
Ce que cette voix-là m'inſpire ne m'ef
22 MERCURE DE FRANCE .
fraye point : par exemple , elle a quelque
choſe de noble.
Félicie.
Oui , elle eſt belle ; mais ſérieuſe .
SCENE IV.
Félicie , la Modeſtie , Diane dans l'éloignement.
LaModestie.
C'eſt un charme différent. Mais que
vois-je ? Tenez , Félicie : voyez-vous cette
Dame qui nous regarde d'une façon ſi
riante , & qui ſemble nous inviter à venir
à elle : qu'elle a l'air reſpectable !
Félicie.
Cela eft vrai , je lui trouve de la majeſté.
La Modestic.
Elle fort de chez elle apparemment :
voulez - vous l'aborder , je m'y rends volontiers
?
Félicie.
N'allons pas ſi vîte ; elle a quelque choſe
de grave qui m'arrête .
La Modestie.
Elle vous plaît pourtant.
Félicie.
Oui , je l'avoue.
MARS. 1757 . 23
La Modestie.
Allons donc , je crois qu'elle nous at
tend ; elle paroît faire les avances.
Félicie.
J'aurois bien voulu voir ce qui ſe paſſe
de l'autre côté.
SCENE V.
Félicie , la Modeſtie , Diane , Lucidor au
fond du Théâtre.
Félicie.
Mais voici bien autre choſe : regardez
à votre tour , & voyez à gauche ce beau
jeunehomme qui vient de paroître accompagné
de ces jolis chaſſeurs , &qui nous
ſalue ; il ne nous épargne pas non plus les
avances,
LaModestie.
Ne le regardons point , il m'inquiete ;
allons plutôt à cette Dame.
Attendez.
Elle avance,
Félicie.
LaModestie.
Diane.
Voulez-vous bien que j'approche , món
aimable fille ? peut- être ne connoiſſez- vous
pas ces lieux , & vous voyez l'envie que
24 MERCURE DE FRANCE.
j'ai de vous y ſervir. Ne me refuſez pas
d'entrer chez moi ; je chéris la vertu , &
vous y ferez en fûreté.
Félicie lafaluant.
Je vous rends grace , Madame , & je
verrai.
Diane.
Eh ! pourquoi voir ? Votre jeuneſſe & vos
charmes vous expoſent ici : n'hésitez point ;
croyez-moi , ſuivez le conſeil que je vous
donne.
Ici le jeune homme la regarde , lui sourit &
laſalue , elle lui rend leſalut.
Diane.
Voici un jeune homme qui vous diftrait
, & qui pourtant mérite bien moins
votre attention que moi.
Félicie
J'en fais beaucoup à ce que vous me
dites ; mais cela ne me diſpenſe pas de le
ſaluer , puiſqu'il me ſalue.
Lucidor lui fait encore des révérences ,
elle les rend.
Diane.
Encore des révérences.
Félicie.
Vous voyez bien qu'il continue les
Gennes. La
MARS. 1757. 25
La Modestie , à Diane.
Emmenez - la , Madame , avant qu'il
nous aborde.
Félicie.
Mais vous voulez donc que je fois malhonnête.
Lucidor approchant.
Beauté céleste , je regne dans ces cantons
; j'oſe affûrer qu'ils font les plus rians :
daignez les honorer de votre préſence.
:
Félicie.
Je ſerois volontiers de cet avis-là , l'afpect
m'en plaît beaucoup .
Diane la prenant par la main.
Commencez par les lieux que j'habite ;
plus d'irréſolution : venez..
Lucidor la prenant par l'autre main.
هل
Quoi ! l'on vous entraîne , & vous me
rejettez !
Félicie.
Non , je vous l'avoue , il n'y a rien
d'égal à l'embarras où vous me mettez tous
deux ; car je ne ſçaurois prendre l'un que
je ne laiſſe l'autre , & le moyen d'être partout.
LaModestie.
Trop foible Félicie.
B
26 MERCURE DE FRANCE.
Félicie à la Modeftic.
Oh vraiment ! je ſçais bien que vous
n'y feriez pas tant de façons ; vous en parlez
bien à votre aiſe.
Lucidor.
Vous me haïffez donc ?
Félicic.
Autre injustice.
Diane.
Je ſuis fûre qu'il vous en coûte pourme
réſiſter , & que votre coeur me regrette.
Félicio.
Eh ! mais fans doute ; mais mon coeur
ne ſçait ce qu'il veut : voilà ce que c'eſt , il
ne choiſit point ; tenez , il vous voudroit
tous deux : voyez , n'y auroit- il pas moyen
de vous accorder ?
:
Diane. :
Non , Félicie , cela ne ſe peutpas.
Lucidor.
Pour moi , j'y conſens : que Madame
vous ſuive où je vais vous mener , je ne
l'en empêche pas; ma douceur&ma bon
ne foi me rendent de meilleure compofi
ſition qu'elle.
Félicie.
Eh bien ! voilàun accommodement qui
:
MARS.1757.. 27
me paroît très-raiſonnable , par exemple ;
ne nous quittons point , allons enſemble.
LaModestie , bas àFélicie.
Ah ! le fourbe !
Félicie, àpart les premiers mots.
Vous en jugez mal , il n'a point cet air
là. Allons , Madame , ayez cette complaiſance-
là pour moi , qui vous aime : confiderez
que je ſuis une jeune perſonne à qui
l'âgedonne une petite curioſité pardonnable&
fans conféquence : je vous en prie ,
neme refuſez pas.
Diane.
Non , Félicie , vous ne ſçavez pas ce
que vous demandez ; ſon commerce & le
mien font incompatibles; & quand je vous
ſuivrois , j'aurois beau vous donner mes
conſeils , ils vous feroient inutiles .
Lucidor.
Mille plaiſirs innocens vous attendent
où nous allons.
Félicie.
Pour innocens , j'en ſuis perfuadée ; il
ſeroit inutile de m'en propoſer d'autres.
Diane.
Il vous dit qu'ils font innocens ; mais
ils ceſſent bientôt de l'être .
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
Félicie.
Tantpis pour eux ; ſauf à les laiſſer-là
quand ils ne le feront plus.
Diane
Je vous en promets , moi , de plus fatisfaiſans
, quand vous les aurez un peu goûtés
, des plaiſirs qui vont au profit de la
vertu même.
Félicie.
Je n'en doute pas un inftant , j'en ai la
meilleure opinion du monde aſſurément ,
& je les aime d'avance : je vous le dis de
tout mon coeur. Mais prenons toujours
ceux-ci qui ſe préſentent , & qui font permis;
voyons ce que c'eſt , & puis nous
irons aux vôtres : eſt- ce que j'y renonce ?
Diane.
Ils vous ôteront le goût des miens.
La Modeftie.
Pour moi ,, je ne veux pas des ſiens ;
prenez-y garde.
Félicie.
Oh ! je ſçais toujours votre avis à vous ,
ſans que vous le diſiez.
VOS
Lucidor.
Quel ridicule entêtement ! je n'ai que
bontés pour reffource..
MAR. S. 1757.
Diane.
Pour la derniere fois ; ſuivez-moi , ma
fille.
Félicie.
Tenez , vous parlerai-je franchement ?
cette rigueur-là n'eſt point du tout perfuafive
, point du tout : auſtérité ſuperflue
que tout cela ; l'excès n'eſt point une fageffe
, &je ſçais me conduire.
Diane.
Vous le préferez donc ? Adieu.
Ahi.
Félicie impatiemment.
Lucidor à genoux.
Au nom de tant de charmes , ne vous
rendez point ; fongez qu'il ne s'agit que
d'une bagatelle.
Félicie à Lucidor .
Oui ; mais levez -vous donc , ne faites
rien qui lui donne raiſon.
La Modestie.
Cette Dame s'en va.
Lucidor.
Laiſſez - la aller , vous la rejoindrez.
Diane.
Adieu , trop imprudente Félicie. :
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
Félicie.
Bon , imprudente ! je ne vous dis pas
adieu , moi ; j'irai vous retrouver.
Diane.
Je ne l'eſpere pas.
Félicie.
Et moi , je le ſçais bien ; vous le verrez .
LaModestie.
Que vous m'allarmez ! elle eſt partie ;
il ne vous reſte plus que moi , Félicie , &
peut- être nous ſéparerons-nous auffi.
SCENE VI .
La Modeftie , Félicie , Lucidor.
Félicie.
Aqui en avez-vous , à qui en a-t'elle ?
Dites-moi donc le crime que j'ai fait , car
je l'ignore ? De quoi s'eſt-elle fâchée ? de
quoi l'êtes- vous ? ou cela va-t'il ?
Lucidor.
Si le plaiſir qu'on fent à vous voir la
chagrine , ſa peine eſt ſans remede , Félicie
: mais n'y fongez plus , nous nous pafferons
biend'elle.
Félicie.
Il eſt pourtant vrai que ſans vous , je
l'aurois ſuivie , Seigneur..
MARS. 1757. 31
Lucidor.
Vous repentez-vous déja d'avoir bien
voulu demeurer ? Que nous ſommes différens
l'un de l'autre ! je ferois ma félicité
d'être toujours avec vous : qui , Félicie ,
vous êtes les délices &de mes yeux & de
mon coeur.
Félicie.
Amerveille , voilà un langage qui vient
fort à propos : courage , ſi vous continuez
ſur ce ton-là , je pourrai bien avoir tort
d'être ici .
Lucidor.
Eh ! qui pourroit condamner les ſentimens
quej'exprime? jamais l'amour offritil
d'objet auſſi charmant que vous l'êtes ?
Vos regards me penetrent , ils font des
traits de flamme.
Félicie impatiente.
Je vous dis que ces flammes-làvont encore
effaroucher ma compagne.
La Modestie paroît ſombre.
Lucidor.
Eh ! quel autre difcours voulez-vous
que je vous tienne ? vous ne m'inſpirez
que des tranſports , & je vous en parle ;
vous me raviſſez , &je mécrie ; vousm'embraſez
du plus tendre&du plus invincible
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
de tous les amours , & je ſoupire.
Félicie.
Ha ! que j'ai mal fait de reſter.
Lucidor.
O ciel , quel difcours !
LaModestie.
Vous voyez ce qui en eſt.
Félicie à la Modestie.
Au moins , ne me quittez pas.
LaModestie.
Il eſt encore temps de vous retirer.
Félicie.
:
Oh ! toujours temps ! auſſi n'y manquerai-
je pas , s'il continue : ah !
Lucidor.
De grace , adorable Félicie ; expliquezmoi
ce ſoupir : à qui s'adreſſe-t'il ? que
ſignifie-t'il ?
Félicie.
Il fignifie que je vais m'en retourner , &
que vous n'êtes pas raiſonnable.
La Modestie.
Allons donc , ſauvez-vous.
Lucidor.
Non , vous ne vous en retournerez pas
ſi-tôt ; vous n'aurez pas la cruauté de me
déchirer le coeur.
MARS. 1757 . 33
Félicie.
En un mot , je ne veux pas que vous
m'aimiez.
Lucidor.
Donnez-moi donc la force de faire l'impoſſible.
Félicie.
L'impoffible , &toujours des expreffions
tendres. Eh bien! ſi vous m'aimez , ne me
ledites point.
Lucidor.
En quel endroit de la terre irez- vous
où l'on ne vous le diſe pas ?
Félicie à la Modestie.
Jen'ai point de replique à cela ; mais je
vous défie de me rien reprocher , car je
me defends bien.
Lucidor.
Content de vous voir , de vous aimer ,
je ne vous demande que de ſouffrir mes
reſpects & ma tendreſſe.
Félicie à la Modestie.
Cela ne prend rien fur mon coeur; ainſi
ne vous inquiétez pas , ce ne ſera rien .
LaModestie.
Son reſpect vous trompe & vous féduit.
Bv
34 MERCURE DE FRANCE.
Lucidor à la Modestie.
Vous , qui l'accompagnez , d'où vient
que vous vous déclarez mon ennemie ?
LaModestie.
C'eſt que je ſuis l'amie de la vertu .
Lucidor, en baisant la main de Félicie.
Et moi , je ſuis l'adorateur de la ſienne.
LaModestie à Félicie.
Et vous voyez qu'il l'attaque en l'ado-
Ellefait femblant de partir . rant.
Je n'y tiens point non plus , Félicie.
Félicie courant après elle.
Arrêtez , Modeſtie : Seigneur , je vous
déclare que je ne veux point la perdre.
Lucidor.
Elle devroit avoir nom Férocité , &non
pasModeſtie.
Ilva à elle.
Revenez , Madame , revenez ; je ne
dirai plus rien qui vous déplaiſe , & je
me tairai. Mais pendant mon filence , Félicie
, permettez à ces jeunes Chaffeurs que
vous voyez épars , de vous marquer à leur
tour la joie qu'ils ont de vous avoir rencontrée
; ils me divertiffent quelquefois
moi-même par leurs danſes & par leurs
chants : fouffrez qu'ils eſſayent de vous
MARS. 1757. 35
amuſer. La muſique & la danſe ne doivent
effrayer perſonne.
AFélicie bas.
Qu'elle eſt revêche & bourrue !
Félicie tout bas auſſi.
C'eſt ma Compagne.
Lucidor.
Aſſeyons-nous , & écoutons.
SCENE VII.
Les Acteurs précédens , Troupe de
Chaffeurs.
Les Instrumens préludent : on danſe.
AIR.
Un Chaffeur.
Amis , laiſſons en paix les Hôtes de ces bois :
La Beauté que je vois
Doit nous fixer, ſous cet ombrage.
,
Venez venez , ſuivez mes pas :
Par un juſte & fidele hommage
Méritons le bonheur d'admirer tant d'appass
Lucidor.
Vous intéreſſez tous les coeurs , Félicic.
Félicie..
N'interrompez point.
:
On danse encore.
Bvj
36 MERCURE DE FRANCE.
Lucidor enfuite dit :
Ils n'auront pas ſeuls l'honneur de vous
amuſer , & je prétends y avoir part.
Il chante un Menuet.
De vos beaux yeux le charme inévitable
Me fait brûler de la plus vive ardeur :
Plus que Diane redoutable ,
Sans fleche ni carquois , vous tirez droit au coeur.
Les Chaſſeurs se retirent.
SCENE VIII .
Félicie , Lucidor , la Modeſtie .
Félicie.
Toujours de l'amour , vous ne vous
corrigez point.
Lucidor.
*
Et vous , toujours de nouveaux charmes
; ils ne finiſſent point.
Il lui prend la main.
Félicie.
Laiſſez- là ma main , elle n'eſt pas de la
converfation.
Lucidor.
Mon coeur voudroit pourtant bien en
avoir une avec elle .
Félicie voulant retirersa main.
Et moi , je ne veux point.
MARS. 1757 . 37
Il baise la main.
Eh bien encore ! ne vous l'avois-je pas
défendu ? Cela nous brouillera , vous disje
, cela nous brouillera.
La Modestie.
Vous me donnez mon congé , Félicie.
Félicie.
Vous voyez bien que je me fâche , afin
qu'il n'y revienne plus : qu'avez-vous à
dire ?
Lucidor impatient.
L'inſupportable fille !
Félicie à la Modestie.
Il eſt vrai que vous vous ſcandaliſez de
trop peu de choſe.
Lucidor avec dépit.
Ma tendreſſe ne vous fatigueroit pas
tant fans elle.
Félicie.
Oh ! ſi votre coeur n'a pas beſoin d'elles
le mien n'eſt pas de même , entendezvous.
Lucidor.
Eh ! quel beſoin le vôtre en a-t'il a ditesmoi
le moindre mot confolant ?
Félicie.
Je ſuis bienheureuſe qu'elle me gêne.
38 MERCURE DE FRANCE.
Lucidor..
Achevez .
Félicie à la Modestie , bas.
Si je lui diſois pour m'en défaire que
je ſuis unpeu ſenſible , le trouveriez-vous
mauvais ? il n'en ſera pas plus avancé.
LaModestie.
Gardez- vous en bien ; je ne ſoutiendrai
pas ce diſcours- là.
Félicie à Lucidor.
Paſſez-vous donc de ma réponſe.
Lucidor.
Si elle s'écartoit un moment, comme elle
le pourroit fans s'éloigner , quel inconvénient
y auroit- il ?
Félicie à laModestie.
Ce jeune homme vous impatiente : promenez-
vous un inſtant ſans me quitter , je
tâcherai d'abréger la converſation .
La Modestie.
Hélas ! ſi je m'écarte , je ne reviendrai
peut être plus.
Félicie.
Je ne vous propoſe pas de vous en aller ,
je ne veux pas ſeulement vous perdre de
vue , & ce que j'en dis n'eſt que pour vous
épargner ſon importunité.
MARS. 1757. 39
LaModestie.
Puiſque vous m'y forcez , vous voilà
ſeule. Apart. Je me retire ; mais je ne la
quitte pas.
SCENE ΙΧ.
Lucidor , Félicie.
Lucidor.
Ah! je reſpire.
Félicie.
Et moi , je ſuis honteuſe.
Lucidor.
Non , Félicie , ne troublez point un G
doux moment par de chagrinantes réflexions
; vous voilà libre , & vous m'avez
promis de vous expliquer ; je vous adore ,
commencez par me dire que vous le voulez
bien.
Félicie.
Oh ! pour ce commencement-là , il n'eſt
pas difficile : oui , j'y conſens ; quand je
ne le voudrois pas , il n'en feroit ni plus
ni moins ; ainſi il vaut autant vous le
permettre.
Lucidor.
Ce n'eſt pas encore affez .
Félicie.
Surtout , reglez vos demandes.
40 MERCURE DE FRANCE.
Lucidor.
Je n'en ferai que de légitimes ; je vous
aime , y répondez-vous ? votre compagne
n'y eſt plus.
Félicie.
Oui ; mais j'y fuis , moi.
Lucidor.
Vous avez trop de bonté pour me tenir
ſi long-temps inquiet de mon fort , & vous
ne l'avez éloignée que pour m'en éclaircir.
Félicie.
J'avoue que ſi elle y étoit , je n'oſerois
jamais vous dire le plaiſir que j'ai à vous
voir.
Lucidor..
Je ſuis donc un peu aimé ?
Félicie.
Preſqu'autant qu'aimable.
:
Lucidor charmé.
Vous m'aimez !
Félicie.
Je vous aime , &j'avois grande envie de
vous le dire : rappellons ma compagne.
Pas encore.
Lucidor.
Félicie.
Comment pas encore ! je vous aime ,
mais voilà tout.
MARS. 1757 41
Lucidor.
Attendez ce qui me reſte à vous dire ,
il n'en ſera que ce que vous voudrez .
Félicie.
Oui , oui , que ce que je voudrai :
ej n'ai pourtant fait juſqu'ici que ce que
vous avez voulu .
Lucidor.
Ecoutez - moi charmante Félicie
,
n'est-ce pas toujours à la perſonne qu'on
aime qu'il faut ſe marier ?
Félicie.
Qui eſt- ce qui a jamais douté de cela ?
Lucidor.
Et pour qui ſe marie t'on ?
Pour foi-même aſſurément.
Félicie.
Lucidor.
,
i
On eſt donc à cet égard-là les maîtres de
ſadeſtinée.
Félicie.
Avec l'avisde ſes parens pourtant.
Lucidor.
Souvent ces parens , en diſpoſant de
nous, ne s'embarraſſent guere de nos coeurs.
Félicie.
Vous avez raifon.
42 MERCURE DE FRANCE.
Lucidor.
Trouvez-vous qu'ils ont tort ?
Félicie.
Untrès-grand tort.
Lucidor.
M'en croirez-vous ? prévenons celui
que nos parens pourroient avoir avec nous.
Les miens me chériffent , & feront bientôt
appaiſés : aſſurons - nous d'une union
éternelle autant que légitime. On peut
nous marier ici , & quand nous ferons
époux , il faudra bien qu'ils y confentent.
Félicie.
Ah! vous me faites frémir ; &par bonheur
ma compagne n'eſt qu'à deux pas
d'ici.
Lucidor.
Quoi ! vous frémiſſez de ſonger que je
ferois votre époux !
Félicie.
Mon époux , Lucidor ! voulez-vous que
mon coeur ſoit la dupe de ce mot-là : vous
dévriez craindre vous-même de me perſuader.
N'est- il pas de votre intérêt que je
fois estimable ? & l'eſtime que je mérite
encore , que deviendroit-elle ? Vous permettre
de m'aimer ; vous l'entendre dire ,
vous aimer moi-même : à la bonne heure ,
MARS. 1757. 43
paſſe pour tout cela , s'il y entre de la foibleſſe
, elle eſt excuſable : on peut être
tendre , & pourtant vertueuſe : mais vous
me propoſez d'être inſenſée , d'être extravagante
, d'être mépriſable ; oh ! je ſuis
fâchée contre vous ; je ne vous reconnois
point à ce trait-là.
Lucidor.
Vous parlez de vertu , Félicie , les
Dieux me font témoins que je ſuis auffi
jaloux de la vôtre que vous-même , &
que je ne ſonge qu'à rendre notre ſéparation
impoffible.
Félicie.
Et moi , je vousdis, Lucidor , que c'eſt
la rendre immanquable : non , non , n'en
parlons plus , je ne me rendrai jamais à
cela; tout ce que je puis faire , c'eſt de
vous pardonner de me l'avoir dir.
Lucidor àgenoux.
Félicie , vous défiez-vous de moi ? ma
probité vous eſt-elle ſuſpecte ? ma douleur
&mes larmes n'obtiendront- elles rien ?
Félicie.
Quel malheur que d'aimer ! qu'on me
l'avoit bien dit , & que je mérite bien ce
qui m'arrive !
Lucidor.
Vous me croyez donc un perfide ?
:
44 MERCURE DE FRANCE.
Félicie.
1
Je ne crois rien , je pleure. Adieu trop
imprudente Félicie , me diſoit cette Dame
en partant : oh ! que cela est vrai.
Lucidor.
Pouvez- vous abandonner notre amour
au hazard ?
Félicie.
Se marier de fon chef, ſans conſulter
qui que ce ſoit au monde , ſans témoin de
ma part ; car je ne connois perſonne ici :
quel mariage !
Lucidor.
Les témoins les plus facrés , ne font- ils
pas votre coeur & le mien ?
Félicie.

Oh! pour nos coeurs , ne m'en parlez
pas ; je ne m'y fierai plus , ils m'ont trompéetous
deux.
Lucidor.
Vous ne voulez donc point m'épouſer ?
Félicie.
Dès aujourd'hui , ſi on le veut , & fi on
ne l'approuve pas , je l'approuverai , moi .
Lucidor.
Eh ! penſez-vous qu'on vous en laiſſe
la liberté?
MARS . 1757 . 45
Félicie.
Par pitié pour moi , demeurons raiſonnables.
Lucidor .
Je mourrai donc , puiſque vous me
condamnez à mourir.
Félicie.
Lucidor , ce mariage-là ne réuſſira pas.
Lucidor.
Notre fort n'eſt aſſuré que par-là.
Félicie.
Hélas ! je ſuis donc fans ſecours.
Lucidor.
Qui eſt- ce qui s'intéreſſe à vous plus que
moi ?
Félicie.
Eh bien! puiſqu'il le faut , donnez-moi
degrace un quart-d'heure pour me reſoudre
; mon eſprit eſt tout en déſordre , je
ne ſçais où je ſuis ; laiſſez- moi me reconnoître
, n'arrachez rien au trouble où je
me ſens , & fiez-vous à mon amour ; il
aura plus ſoin de vous , que de moi-même.
Lucidor.
Ah! je ſuis perdu ; votre compagne re
viendra , vous larappellerez .
۱
46 MERCURE DE FRANCE.
Félicie.
Non , cher Lucidor ; je vous promets de
n'avoir à faire qu'à mon coeur , & vous
n'aurez que lui pour juge : laiſſez-moi ,
vous reviendrez me trouver.
Lucidor.
J'obéis ; mais ſauvez-moi la vie , voilà
tout ce que je puis vous dire.
SCENE Χ.
Félicie, laModeſtie qui paroît&ſe tient loin.
Féliciefe croyant ſeule.
Ah ! que ſuis-je devenue !
LaModeſtie de loin.
Me voilà , Félicie.
Félicie la regarde triſtement.
La Modestie continue. -
Nem'appellez-vous pas ?
Jen'en ſçais rien.
Félicie.
LaModestie.
Voulez-vous que je vienne ?
Félicie.
:
Je n'en ſçais rien non plus .
MARS . 1757 . 47
Làmodestie.
Que vous êtes à plaindre !
Infiniment.
Félicie.
La Modeste.
Je vous parlede trop loin: fi jeme rap
prochois , vous feriez plus forte.
Félicie.
Plus forte : je n'ai pas le courage de
vouloir l'être.
La Modestie.
Tâchez d'ouvrir les yeux ſur votre état.
Félicie.
Je ne ſçaurois , je ſoupire de mon état ,
&je l'aime ; de peur d'en fortir , je ne
veux pas le connoître.
LaModestie.
Servez- vous de votre raiſon.
Félicie.
Elle me guériroit de mon amour.
LaModestie.
Ah ! tant mieux , Félicie .
Félicic.
Et mon amour m'eſt cher.
48 MERCURE DE FRANCE.
SCENE ΧΙ .
Diane paroît , la Modeſtie , Félicie.
La Modestie.
Voici cette Dame qui vous follicitoit
tantôt de la ſuivre , & qui paroît : vous
vous détournez pour ne la point voir .
Félicie.
Je l'eſtime ; mais je n'ai rien à lui dire ,
&je crains qu'elle ne me parle.
La Modestie à Diane.
Preſſez - la , Madame ; vos diſcours la
raméneront peut-être.
Diane.
Non , dès qu'elle ne veut pas de vous ,
qui devez être ſa plus intime amie , elle
n'eſt pas en état de m'entendre.
: LaModestie.
Cependant elle nous regrette.
Diane.
L'infortunée n'a pas moins réſolu de ſe
perdre.
Félicie.
Nón , je ne riſque rien : Lucidor eſt
plein d'honneur ; il m'aime , je ſens que
je ne vivrois pas ſans lui : on me le refuferoit
peut-être , je l'épouſe ; il eſt quef
tion
MARS. 1757. 49
tion d'un mariage qu'il me propoſe avec
toute la tendreſſe imaginable , & fans lequel
je ſens que je ne puis être heureuſe :
ai-je tort de vouloir l'être .
Diane toujours de loin.
Fille infortunée , croyez-en nos conſeils
& nos allarmes. Appercevant Lucidor
: Fuyez , le voici qui revient ; mais
rien ne la touche : adieu , encore une
fois , Félicie. Elles se retirent.
Félicie.
Quelle obſtination ! eſt- ce qu'il eſt défendu
dans le monde de faire fon bonheur ?
SCENE ΧΙΙ .
Lucidor , Félicie.
Lucidor.
Je vous revois donc , délices de mon
coeur : eh bien ! le vôtre me rend-til juftice
? en eft- ce fait ? notre union ſera-t'elle
éternelle ? Il lui prend la main qu'il baise.
Vous pleurez , ce me ſemble ; eſt- ce
mon retour qui cauſe vos pleurs ?
Félicie pleurant. /
Hélas ! elles me quittent , elles diſparoiſſent
toujours à votre aſpect , & je ne
ſçais pourquoi.
C
50 MERCURE DE FRANCE.
:
Lucidor.
Qui ! cette fombre compagne , appellée
Modeſtie ; cette autre Dame qui déſaprouve
que vous veniez dans nos cantons ,
quand j'offre d'aller avec vous dans les
fiens ?& ce font deux auſſi revêches , deux
auſſi impraticables perſonnes que celleslà
, deux ſauvages d'une défiance auſſi ridicule
que vous regrettez ; ce font- elles
dont le départ excite vos pleurs , au moment
où j'arrive , pénetré de l'amour le
plus tendre , & le plus inviolable , avec
l'eſpérance de l'hymen le plus fortuné qui
fera jamais ! Ah ciel ! eſt- ce ainſi que vous
traitez , que vous recevez un Amant qui
vous adore , un époux qui va faire ſa félicité
de la vôtre , & qui ne veut reſpirer
que par vous& pour vous ? Allons, Félicie,
n'hésitez plus : venez , tout eſt près pour
nous unir , la chaîne du plaiſir &du bonheur
nous attend.
Une ſymphonie douce commence ici.
Venezme donner une main chérie , que
je ne puis toucher ſans raviſſement,
Félicie.
De grace , Lucidor , du moins rappel
lons- les , & qu'elles nous ſuivent,
MARS. 1757 . SI
:
Lucidor.
Eh ! de qui me parlez-vous encore ?
Félicie.
Hélas ! de ma Compagne , &de l'autre
Dame.
Lucidor.
Elles haïffent notre amour , vous ne lignorez
pas ; venez , vous dis-je , votre injuſte
réſiſtance me déſeſpere : partons.
Il l'entraine un peu.
Félicie.
Oh ciel! vous m'entrainez , où fuisje
, que vais-je devenir ; mon trouble ,
leur abfence , & mon amour m'épouvantent
: rappellons- les , qu'elles reviennent.
Elle crie haut. ১
Ah ! chere Modeſtie ! chere Compagne :
où êtes- vous , où font-elles ?
Alors la Modestie , Diane , & la Fée reparoissent.
5
SCENE XIIITous
les Acteurs précédens.
LaFée.
Amant dangereux & trompeur , ennemi
de la vertu , perfides impreſſions de
l'Amour , effacez -vous de fon coeur , &
diſparoiſſez .
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
Lucidor fuit , la ſymphoniefinit , laModestie
, la Vertu & la Fée vont à Félicie qui
tombe dans leurs bras , &qui à la fin ouvrant
les yeux , embrasse la Fée , careffe la
Modeftie &Diane , & dit à la Fée :
Ah Madame ! ah ma protectrice ! que
je vous ai d'obligation ! vous me pardonnez-
donc ? je vous retrouve ; que je ſuis
heureuſe , & qu'il eſt doux de me revoir
entre vos bras !
LaFée.
Félicie , vous êtes inſtruite : je ne vous
ai pas perdue de vue , & vous avez mérité
notre ſecours , dès que vous avez eu la
force de l'implorer .
VERS
De Madame de la T....
Sans courroux , ſans légéreté ,
J'etouffeune importune flamme ;
Daphnis , l'aimable liberté ,
Reprend tous ſes droits ſur moname,
D'un ſentiment trop délicat
Mon courage s'eſt rendu maître ;
Lafſſede te trouver ingrat ,
Je te force àceſſer de l'ètre ,
MARS. 1757 . 53
Ne crains rien d'un amour ſi long- temps outragé ;
En expirant il s'eſt vangé.
Mon coeur énorgueilli d'avoir brifé ſa chaîne ,
Ne peut plus être tourmenté ,
Ni par le ſentiment du mépris affecté ,
Ni par les fureurs de la haine .
Non , je ne rougis plus d'avoir ſuivi ta loi ,
Mon changement a banni mes fcrupules :
La raiſon me fait voir, en me rendant à moi ,
Que les feux inſenſés dont j'ai brûlé pour toi ,
M'ont ſauvé d'autres ridicules .
Sur ma foibleſſe enfin , ma gloire a prévalu :
Dans le calme qui m'eſt rendu
Je trouve le bonheur ſuprême :
Il eſt plus grand d'avoir vaincu
Mon penchant , que ta froideur même.
VERS
DeM. de Relongue- de la Loupiiere , à M.
Durey d'Harnoncourt , fur le Prix d'Eloquence
qu'il a remporté àBesançon , dont
leſujet étoit : Les Dangers de la louange
prématurée & exceſſive .
D
vange,
ES froideurs de Plutus le Parnaſſe ſe
Encourennant ton goût dans de ſçavans combats ,
Pour avoir ſçu fixer l'écueil de la louange ,
Combien n'en mérites-tu pas !
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE.
LES AMOURS.
L'A'AMMOOUURR eſt le premier des Dieux. Produit
par Zéphyr , mais plus puiſſant que
lui , il dirigea ſa légéreté ; il fertiliſa la
terre dont il avoit reçu l'être , & le cahos
fut anéanti .
Son feu créateur a peuplé le ciel. Divinités
reſpectables , vous fûtes unjeu de
l'Amour , & vous avez augmenté ſon empire
en le partageant avec lui : ſon fouffle
anima l'univers , & les hommes furent
heureux.
Telle eſt , aimable Léontium , l'époque
du fiecle d'or , ſi regretté & fi peu connu .
Les coeurs unis par l'attrait de la vertu
& par les charmes de la tendreſſe , ne ſe
féparoient pas l'un de l'autre : chacun
éprouvoit le plaifir , & il le trouvoit un
bien. L'innocence éloignoit alors la ſatiété
qui eſt compagne du répentir ; c'étoit
l'ouvrage de l'Amour : il embellit tout ce
qui l'environne , & ce preſtige ſéducteur
n'eſt que le premier de ſes bienfaits.
L'orgueil & les querelles des Dieux le
rappellerent dans l'Olympe. La nature
commença de languir , & ce terrible effer
de fon abfence apprit aux hommes qu'ils
MARS. 1757 . 55.
étoient à la veille d'éprouver les plus grands
maux. Bientôt les traits de lumiere qu'il
avoit gravé en eux comme le gage de ſa
protection , s'obcurcirent tout-à-fait : l'efprit
dépravé raffina la volupté , (ce fut cefcer
d'en jouir ) , & l'égarement conduific
au vice par les routes obliques de l'inconſéquence.
L'Amour effrayé de ces déſordres , revint
pour déſabufer le monde , & il y fut
méconnu. Touché de tant d'excès , il s'attendrit
; c'eſt le ſeul ſentiment trifte
dont les Dieux foient fufceptibles : mais
le ſoin preſſant de ſa vangeance étouffa fa
pitié. Race ingrate , dit- il , je t'abandonne
, puiſque tu m'y contrains ; & pour
rendre ton châtiment durable , je te livre
à l'erreur que tu as ofé me préférer.
En achevant ces paroles , il embrafa
avec ſon flambeau l'Autel ſur lequel il recevoit
les offrandes des Bergers , ( chacun
l'étoit alors , ) & d'un vol léger , il diſparut
au milieu d'un nuage qui couvrit ſa
fuite. On n'en fut pas ému , & cette inſenſibilité
devint le plus terrible figne de fa
colere. L'air chargé d'influences malignes
exhala d'abord un venin contagieux , &
les moeurs ſe corrompirent ſans reſſource .
A meſure que lesgénérations ſe ſuccéderent
, cet événement ceſſa d'être auſſi
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
préſent ; mais on ne l'oublia point , & il
en reſta une idée confuſe que la tradition
avoit conſervée d'âge en âge .
Ce fatal ſouvenir a coûté trop de bonheur
pour que je le rappelle ſans effroi.
Les hommes pervertis ſe livrerent à leurs
penchans. Le goût , l'habitude , & furtout
l'exemple plus dangereux que l'un & l'autre,
autoriſoient leurs travers ; mais ils n'étoient
pas encore parvenus à étouffer une
inquiétude ſecrete qui les agitoit vivement.
L'hiſtoire du regne paiſible & fortuné
de l'Amour dont ils avoient été inſtruits
par leurs peres , les éclairoit ſur la félicité
dont ils étoient déchus , & ils comprirent
même à leurs remords que ce Dieu ne
les avoit pas abandonnés ſans retour. Dans
cette perfuafion , ils oferent eſpérer de
fléchir fon courroux, & s'efforcerent de découvrir
le lieu de ſa retraite pour le ramener
parmi eux .
Occupé de ce fouci , leur eſpérance
anima leurs recherches. Ils trouverent enfin
dans les forêts de la profane Idalie ,
un enfant à peu près ſemblable au Dieu
qu'ils vouloient appaiſer. Fruit coupable
de l'adultere de Mars & de Vénus , les
Graces avoient formé ſa perſonne : perfide
& volage comme elles , il paroiſſoit rem
MARS. 1757 . 57
plide candeur & d'ingénuité , vertus aimables
, qui peut-être font moins encore
l'appanage que l'ornement de l'enfance , &
il cachoit ſous les charmes ſéduiſans de la
beauté , les fureurs du Dieu ſanguinaire
qui lui avoit donné la vie.
Des aîles de pourpre& d'azur lui couvroient
les épaules , & il portoit dans les
mains un arc de frêne & des fléches de
cyprès , avec leſquelles il pourſuivoit les
animaux de la contrée , comme pour s'exercer
dans l'art de nuire.
Les hommes , trompés par ſes careſſes
&par ſon dangereux fourire , lui adreſſerent
leurs hommages & dès-lors des
Temples ſans nombre élevés à ſa gloire ,
conſacrerent l'erreur commune.
و
Ennuyé de ſes armes ruſtiques , il leur
ſubſtitua un arc & un carquois d'or garni
de traits empoiſonnes dont les Eumenides
lui firent préſent , & une torche allumée
dans les fournaiſes du Tartare.
C'eſt ſous cet appareil qu'il parcourut
ſucceſſivement le monde , pour en recevoir
les adorations , répandant partout un feu
cruel qui rendoit ſes bleſſures incurables.
Aveugles humains , tant de perverſité
auroit dû vous faire appercevoir de votre
mépriſe ; car les Dieux ne font ni cruels ,
ni biſarres,
Cv
38 MERCURE DE FRANCE.
La puiſſance du fils de Vénus , l'abus
même qu'il en fit , étendirent ſon culte ,
parce qu'on a dans tous les temps idolâtré
le pouvoir , & l'univers étonné ſe ſoumit
à tous ſes caprices. Delà tant d'engagemens
que rien ne peut rompre , tant de
paffions honteufes & infortunées , ivreſſe
funeſte qui tyranniſe tour à tour le coeur
par la volupté qu'elle lui promet , ou par
des plaiſirs qui le fatiguent ; elle le promene
fans ceſſe d'idée en idée pour l'empêcher
d'être heureux.
En vain l'Amour gémit du délyre qui
agitoit le monde ; la folie & la prévention
affurerent le triomphe de fon Rival , & à
peine ſur la terre entiere reſta-t'il quelques
eſprits raiſonnables qui euſſent réſiſté à la
féduction .
L'Amour ſe hâta de récompenfer la fidélitéde
ceux- ci . Il répandit dans leur ſein
ces flammes vives que la ſympathie entretient&
perpétue , & que le dégoût n'étouf
fe jamais : il réſerva pour eux ces tranfports
inconnus au vulgaire , ces égaremens
délicieux où l'ame abſorbée dans la
poffeffion d'elle-même , jouit de fon propre
anéantiſſement , & ne defire rien audelà.
Ainſi des faveurs qui auroient été communes
à l'univers , s'il eût été digned'elles,
MARS. 1757- 59
ſont devenues par l'équité des Dieux le
partage de peu de mortels.

Voilà le prix que l'Amour deſtine à ſes
vraisAdorateurs. Moins empreſſé d'en augmenter
le nombre , que jaloux de les conſerver&
de prévenir leur inconſtance , il a
établi fon fanctuaire dans les coeurs ſenſibles&
vertueux. Il doit être dans le vôtre
aimable Léontium , & vous le trouverez
fûrement dans le mien ; mais ne le cherchez
pas ailleurs : l'Amour ſe dérobe aux
pourſuites , il fuiroit devant vous , & une
légéreté inquiete feroit la peine de votre
curiofité.
:
Chériffons enſemble les bienfaits de la
Divinité qui nous protege : ils font inaltérables
comme elle , & nous les mériterons
toujours fi nous ſçavons en bien uſer.
A. GAMPON , Crieur public de la Ville de
Montelimard ,le 16 Novembre 1756.
LE LIVRE DE LA RAISON ,
FABLE.
LORSQUE le Ciel , prodigue en ſes préfens
Combla de biens tant d'êtres différens ,
Cher entr'eux tous à la bonté ſuprême ,
De Jupiter, l'homme reçut , dit-on
Cvi .1
60 MERCURE DE FRANCE.
Un Livre écrit par Minerve elle-même ,
Ayant pour titre , la Raiſon.
Ce Livre ouvert aux yeux de tous les âges,
Les devoit tous conduire à la vertu.
Mais d'aucun d'eux il ne fut entendu ,
Quoiqu'il contînt les leçons les plus ſages.
L'enfance y vit des mots & rien de plus ;
La jeuneſſe , beaucoup d'abus ,
Des paſſions , des goûts volages ;
L'âge ſuivant , des regrets ſuperflus ,
Et la vieilleſſe en déchira les pages.
J. L. AUBERT.
LETTRE
A L'AUTEUR DU MERCURE .
MONSIEUR , je vous envoie un fatras
de bagatelles poétiques , fruit de quarante
oucinquante demi-heures , priſes à l'avanture
ſur toute une année. De grace , ne les
noyez pas toutes à la fois dans un ſeul Mercure;
vous me ruineriez ici de réputation :
on s'imagineroit que j'aurois perdu la tête ,
&fi notre Prélat ne penſoit auſſi différemment
du vulgaire, qu'il en eſt diſtingué par
l'éminence de ſaplace , je craindrois qu'on
ne lâchât contre moi unbel&bon interdit :
mais heureuſement encore on ne me connoîtpas.
MARS. 1757. 6
Ici , Monfieur , où l'on croit
Qu'un ſage Curé n'a droit
De chanter qu'à la Préface ,
Si l'on ſçavoit qu'au Parnaſſe
Je concerte quelquefois ,
Detous les coins de nos bois ,
On crieroit à l'hérétique :
On veut , je ne ſçais pourquoi ,
Que le jargon poétique
Soit , ainſi que la phyſique ,
L'indice fûr d'une foi
Douteuſe & problématique.
J'ai l'honneur d'être , &c.
AuxAmognes en Nivernois , le 29 Décembre
1756.
:
Nous allons mettre ici deux Pieces de
cet aimable Curé de campagne , qui mérite
par ſon eſprit & par ſon talent d'habiter
la Capitale. La premiere eſt en vers , &
la ſeconde eſt mêlée de vers & de profe.
Nous donnerons les autres ſucceſſivement.
VERS à Lindor.
Au Pinde , cette matinée ,
D'un air inquiet , je rêvois ,
Sage Lindor , aux voeux que je devois
Former pour vous dans la prochaineannée,
62 MERCURE DE FRANCE.
UneMuſe qui , d'un bofquet
D'un oeil attentif remarquoit
Ma contenance embarraſſée ,
S'approche; & tout à coup démêlant ma penſée :
Je n'oſe condamner , dit-elle , ton projet ;
Mais l'exécution m'en paroît mal-aifée :
Car que peut- on aux Dieux demander pour Lindor
?
Des jours longs& fereins ? ſa ſage tempérance
Lui prépare ceux de Neftor ,
Dont il a déja la prudence.
De grands revenus ? belle avance !
-Il auroit le foin du tréſor ,
Et les pauvres la jouiſſance.
Un plus haut rang ? content du ſien ,
Il y goûte une paix profonde :
La plus belle place du monde
Eſt celle où l'on n'aſpire à rien.
Toi donc , qui par amour & par reconnoiſſance
Prends au fort de Lindor un ſi vif intérêt :
De voeux , crois moi , ſupprime la dépenſe ,
S'il eſt au monde un heureux , Lindor l'eſt .
LETTRE en proſe & en vers d'un Curé
de Campagne à un Chanoine.
MONSIEUR , dans la Lettre obligeante
que vous m'avez fait l'honneur de m'écri
MARS. 1757 . 63
re ; j'ai cru démêler à travers toute la poli
teſſe dont elle eſt aſſaiſonnée , qu'intérieu
rement vous n'approuvez pas .
Qu'épris par fois de l'ardeur poétique ,
J'oſe aller au ſacré vallon
Mêler ma voix , foible & ruſtique ,
Aux doux accens des Cignes d'Apollon .
Convenez-en , Monfieur , vous trouvez
fingulier , même un peu ridicule , qu'un
méchant Curé de Campagne , condamné
par état à vieillir dans l'ignorance & la
ruſticité , s'amuſe vainement à rechercher
ſes expreſſions , à cadencer ſes phrafes ;
en un mot à parler , comme on dit , la
langue brillante des Dieux.
Dans un miférable village ,
Où , pour apprivoiſer quatre ou cinq cens Ruf
tauds ,
Hommes par les traits du viſage ,
Mais par l'eſprit vrais animaux :
La ſeule eſpece de langage ,
Dont il faut être inſtruit & ſçavoir faire uſage,
Eft le patois affreux que cette gent ſauvage
Parle à ſes boeufs , à ſes chevaux..
Paſſe encore , direz-vous , pour un Cure
de Ville : c'eſt à lui qu'il ne doit pas être
moins permis de foigner ſon ſtyle que fa
3
1
64 MERCURE DE FRANCE.
figure , & cela pour de bonnes raiſons tirées
de la circonſtance du temps , des lieux
&des perſonnes, Un Curé de Ville poli ,
lefte , brillant , même un peu recherché
dans ſa façon de ſe mettre , comme dans
ſa façon de parler , uſe de ſon privilege ;
il n'y a pas là le petit mot à dire : mais un
Curé de Village élégant , difert , ami des
Muſes , oh ! cela n'eſt pas tolérable ; c'eſt
réaliſer en quelque forte le conte impertinent
d'Apollon , Gardien des troupeaux
d'Admete.
C'eſt tout comme s'il alloit
Accoutré d'une rotonde ( 1)
D'un beau damas violet ,
Avec un petit collet
Du plus joli goût du monde ,
Des cheveux ſentans l'oeillet ;
De quinze pas à la ronde ,
Taillés & rangés , Dieu fçait ,
Viſiter à ſon chevet
Quelque pauvre Moribonde.
(1) Espece de collerette en forme de mantelet ,
àl'usage des jeunes Ecclésiastiques de ville. Cette
commode invention leurfert , diſent- ils , à garantir
le collet de leurſoutanne de l'inondation des graifſſes
odoriférantes , & de la poudre de senteur dont ils
Sont obligés , par état , de parfumer leur chevelure.
C'est pour cela qu'ils n'en portent que de foie ; cette
étoffe, par le moyen des filamens cotonneux , étant
plus propre qu'une autre à retenir le torrent. Note
MARS. 1757 . 65
Vous voyez que jen'en épargne pas le Rimeur
campagnard , & qu'en interprétant
ou devinant votre penſée , il s'en faut
beaucoup que je ne cherche à lui donner
un tour favorable : mais pour entrer tout
de ſuite en matiere , j'ai trop à coeur de
conſerver votre eſtime , & même d'obtenir
votre approbation ſur un léger amuſement,
auquel je ne me prête que par de trèscourts
intervalles , pour ne pas eſſayer ici
de vous en juſtifier , finon l'utilité , du
moins l'innocence. Si vous croyez
Que l'on ne peut avoir quelque goût pour les
vers ,
,
Sans négliger bientôt un travail plus utile;
Que, fans ceſſe égaré dans le vuide des airs
Jouet perpétuel d'un délyre futile ,
Il n'eſt point de devoir preſſant ,
Point d'engagement légitime ,
Qu'un eſprit poſſédé du démon de la rime ,
Ne ſacrifie à ſon penchant ;
Que de Poëte à Satyrique ,
Pour peu qu'on ait l'ame peu pacifique ,
Le trajet eſt court & gliffant ;
Qu'un rimeur , en un mot , pour parler ſans emblême
,
Souvent n'est qu'un fou qui , penſant
Que l'art des vers eſt l'art fuprême ,
un peu longue , mais réceſſaire, pourfauver nosjolis
Confreres du reproche de mondanité.
66 MERCURE DE FRANCE.
Croitque tout l'univers , plein d'un reſpect ex
trême
Pour ſa perſonne & fes talens ,
Doit l'honorer comme l'arbitre même
Et le modele du bon ſens .
Si vous croyez cela , Monfieur , vous
êtes excuſable d'être ſi fort prévenu contre
les vers : mais cette prévention n'eſt que
l'effet d'une erreur , dont il eft facile de
vous détromper. Les excès que vous mettez
fur le compte de la poéſie , ne font proprement
que ceux des perſonnes qui la cultivent
, & dont elle ne peut changer les
mauvaiſes difpofitions. Regardez donc , fi
vous voulez , les Poëtes fainéans , orgueilleux
ou médiſans , avec tout le mépris quí
leur eſt dû . Je ſerai de moitié avec vous ;
mais gardez -vous bien de croire que c'eſt
leur commerce avec les Muſes qui les
rend tels.
Celle dont je ſuis les loix ,
Simple , timide , ingénue ,
Parmi les Nymphes des bois
Vit ifolée , inconnue.
,
Voyez Afſiſe au bord d'un clair ruiſſeau
Une Bergere innocente & craintive ,
Tandis que ſon cher troupeau
Erre le long de la rive ;
:
MARS. 1757 . 67
Tout en tournant ſon fuſeau ,
Elle unit ſa voix naïve
Au doux murmure de l'eau .
Gloire , honneur , rien ne la tente ;
L'unique attrait qui l'enchante ,
Eſt d'égayer ſes travaux ;
Trop fatisfaite & contente ,
Si par hazard les oiſeaux ,
Gafouillant ce qu'elle chante ,
Le vont redire aux échos .
Telle est la Muſe qui m'inſpire :
Loin des humains , dans un antre écarté ,
Sur les arts ſeuls exerçant ſon empire ,
Et fur tout autre objet exacte à s'interdire
Tout eſprit , tout regard de curioſité ,
Elle n'a ni la faculté ,
Ni l'art , ni le goût de médire.
Si quelquefois dans ſon loiſir ,
Elle fait raiſonner une ſimple muſette ,
Libre d'ambition , le but de ſon defir
Eſt d'écarter l'ennui de ſa retraite
Et d'y retenir le plaifir.
,
:
[
A la campagne les jours font ordinairement
de beaucoup plus longs qu'à la ville .
Içi mille bagatelles différentes ſe ſuccedent
pour remplir l'intervalle , ou même quelquefois
dans un beſoin pour tenir la place
des occupations ſérieuſes. Là , ce n'eſt pas
la même choſe , du moins dans une cam68
MERCURE DE FRANCE.
1
pagne comme celle- ci : point , ou preſque
point d'objets de diſtraction , & quoiqu'on
faſſe , il reſte toujours je ne ſçais combien
de moment ſuperflus qu'on ne ſçauroit
remplir. A quoi voulez - vous qu'on les
employe , M. l'anti-Poëte ?
Au jardin ? je m'y donne aſſez ſouvent carriere ;
Je ſçais foncer la bêche & rouler la civiere ;
Mais par des temps contraires & fâcheux ,
Un Jardinier n'a rien à faire.
Aujeu ? mais pour jouer , il faut être au moins
deux ;
Et dans ce lieu fauvage & folitaire ,
Quiconque penſe & trouve ailleurs ſon mieux ;
Ne fait pas long-temps ordinaire :
Ainſi que les oiſeaux de race paſſagere ,
On arrive au printemps , & d'une aîle légere ,
Dès que l'automne approche , on s'enfuit avec
eux.
Ala pêche ? fort bien ; mais pour toute riviere
Nous n'avons qu'un ruiſſeau bourbeux ,
Ou les troupeaux , ſans le ſecours des cieux ,
Boiroient à peine une ſemaine entiere.
Ala chaſſe a les frais en ſont par trop coûteux :
Le matin , avant la lumiere ,
Se lever pour courir au loin ſur la bruiere ,
Surprendre un lievre alerte & cauteleux
Retiré ſous une fougere ;
Sur les pas d'un chien vigoureux ,
MARS. 1757 .
6هو
Galopper tout lejour par des ſentiers ſcabreux ,
Par une chaleur âpre ou des froids rigoureux ;
Pour revenir le ſoir , las , ſanglant & poudreux ,
Rapporter au logis un eſtomac plus creux ,
Que le fond de ſa gibeciere ;
Ce plaiſir , s'il le faut traiter de la maniere ,
M'a l'air un peu laborieux.
Or en fait de plaiſirs , je n'en fais pas myſtere ;
J'ai l'humeur un peu ménagere ,
Et j'incline toujours pour ceux
Qu'on trouve ſous ſa main , & qui ne coûtent
guere.
Vous iriez voir , m'allez vous dire , les
Seigneurs du voiſinage , & là , ne fût- ce
qu'à l'aſpect d'une table abondamment
ſervie , votre ennui trouveroit à qui parler.
Je conviens qu'il eſt plus d'une maiſon
reſpectable autant qu'opulente, ou je pourrois
, ou je devrois même tâcher de m'introduire
, & dans laquelle peut- être , ſans
ſervir d'Agent d'affaires , d'Ecuyer ou de
premier Valet de chambre , ſerois-je accueilli
avec bonté.

Je ſçais qu'il eſt dans ces contrées
Des Chabannes & des Damas ,
Que d'un nom glorieux l'éclat n'éblouit pas ,
Et chez qui l'honnête homme a toutes les entrées
Là ne régna jamais ce principe impoſteur,
Enfanté par l'orgueil , nourri par l'ignorance,
o MERCURE DE FRANCE.
:
:
:
Que fans une haute naiſſance ,
Il n'eſt ni ſentimens , ni vertus , ni grandeur.
Là , les talens & la ſageſſfe ,
Sans ayeux renommés par leurs exploits guerriers,
Donnent droit & rang de nobleſſe ,
(1) Les vices ſeuls ſont roturiers.
Là deux Mortelles adorables ,
Aqui pour leurs vertus dans les temps mémorables
,
La Grece eût donné place aux Temples de ſes
Dieux ,
Par mille talens précieux ,
Par un goût fin , un ſens juſte , admirable ,
Un caractere égal , invariable ,
Une douceur charmante , inimitable ,
Des procédés engageans & flatteurs ,
Reprennent ſur l'eſprit cet aſcendant aimable ,
Que jadis mille attraits leur donnoient fur les
coeurs,
Je ſçais tout cela , Monfieur , & quelque
goût que j'aie pour un genre de vie
libre & uni , je vous aſſure que perſonne
ne ſeroit plus charmé que moi , de fréquenter
les grandes maiſons , où le goût
des villes ſe trouve réuni à la franchiſe de
la campagne : mais il me ſemble que pour
y être à ſon aiſe , il faut bien des talens
(1 ) Ce vers ſe trouve dans la proſe du François
à Londres , le vice ſeul est roturier.
MARS . 1757 . 71
:
que je n'ai pas , & que je déſeſpere d'avoir
jamais.
Dans l'humeur certaine ſoupleſſe ,
De l'aiſance dans le maintien ,
Dans l'eſprit de la gentilleſſe ,
Et des graces dans l'entretien.
Comme tout cela me manque juſqu'à
un certain point , tout mûrement confideré
, je me contente d'offrir ſécrétement au
fond de mon coeur mes hommages &
mon encens à qui je les dois ; ne fortant
preſque jamais de ma caſe que pour viſiter
quelques-uns de mes Confreres : mais on
ne ſçauroit toujours ſe voir dans le beſoin .
Quand donc l'ennui vient m'aſſaillir dans
ma folitude , je ne trouve pas d'expédient
'plus prompt , pour m'en défaire , que de
monter au Parnaffe .
Là , fous un Ciel tranquille , où jamais des hyvers
On n'éprouva la tyrannie ,
Sous un berceau touffu de tilleuls toujours verds ,
Placé par la main d'Uranie ,
J'entends des chaſtes Scoeurs les ſublimes concerts.
Là de mille Chantres divers
La docte troupe réunie ,
De mille oiſeaux les tendres airs ,
Portent dans tous les coeurs la joie & l'harmonie.
72 MERCURE DE FRANCE.
Là , charmé , ſatisfait , oubliant l'univers ;
Je coule , exempt de ſoins , de regrets & d'envie ,
Flatté du ſeul plaifir d'entendre de beaux vers ,
Les plus doux momens de ma vie.
EPITRE
A MONSIEUR DE BOISSY.
VOTRE modestie vous empêchera peut-être
de rendre public l'hommage que je rends à
vos talens , mais vous me mortifieriez beaucoup
; je me retournerois d'un autre côté , &
vous n'y perdriez rien , Monsieur , je vous en
affure.
Cette menace nous a fait violence , &
nous a obligé d'inférer ici , malgré nous ,
cette Epître , que l'encens peu mérité qu'on
nous y prodigue ne nous auroit pas permis
d'employer , ou nous l'aurions du moins
reſtreinte à l'éloge que l'Auteur y fait de
Mlle Allar avec autant d'élégance que de
juſtice; mais lebien qu'on y dit de nous
tient ſi eſſentiellement à celui qu'on y
dit d'elle , qu'il n'étoit pas poſſible de sotrancher
l'un ſans ſupprimer l'autre. Nous
prions nos Lecteurs de regarder les louanges
qui nous font perſonnelles , comme
une fiction que le Poëte a jugé à propos de
mêler
MARS. 1757 . 73
mêter à la vérité de celles qu'il a données à
cetteaimable Danſeuſe pour en faire mieux
ſentir le mérite.

toi ! dont la plume charmante
Brille dans tout ce que tu fais ,
Le coloris de tes portraits
A juſte titre nous enchante.
On reconnoît dans tes écrits
Le ſentiment & la délicateſſe ,
Et tu mêles avec adreſſe
L'éclat des roſes de Cypris
Avec les lauriers du Permeſſe.
Pour te prouver la vérité
De l'éloge le plus fincere ,
J'aurois , je te l'avoue , un reproche à te faire ;
Et tel qu'il eſt , Boiffy , j'eſpere
Que tu le recevras avec quelque bonté.
De l'émule de Terpsichore
Dans ton livre tu dis quelques mots en paſſant ,
Et tu parles légérement
De cet aimable objet que tout Paris adore.
D'où vient ce ſilence étonnant a
Tes crayons ſont faits pour lesgraces :
De les peindre à nos yeux , c'étoit là le moment.
Tu ſçais bien que d'Allar elles ſuivent les traces ;
Pourroient-elle faire autrement !
Dans ce ballet , où vêtue en ſauvage .
Elle ſemble à regret éviter ſon Amant ,
D
74 MERCURE DE FRANCE.
Dans ſes yeux tout Paris a vu le ſentiment ,
Et chacun lui rendoit hommage.
Tout étoit peint dans ſes regards ;
L'intérêt , le mépris , l'amour , l'incertitude ,
La frayeur & l'inquiétude ;
Pour un Amant banni quelques légers égards ,
Sans cependant bleſſer celui qu'elle aime ;
Enfin tout ce que ſent un coeur vraiment épris ,
Voilà ce qu'elle a peint à nos yeux attendris ,
Et ce que tu devois nous retracer toi-même ,
Pour y donner un nouveau prix.
LETTRE
Ecrite de Braine près Soiffons , par M. J.
pour répondre à Madame de .... qui lui
avoit marqué qu'elle vivoit avec une per-
Sonne qui ne connoiſſoit pas la définition de
T'estime , & qui trouvoit ce ſentiment bien
foible.
JEne ſuis point ſurpris , Madame , de
vous voir rencontrer des plaiſirs partout :
vous les ferez naître , & les fixerez toujours
où vous ferez. Onm'a remis votre lettre
en arrivant d'une campagneoù j'ai éré
paffer les fots&ennuyeux premiersjours de
l'an . Je ne vousy voyois pas ; mais comme
vous l'avez embellie autrefois , je me
ſuis imaginé vous y voir encore. Vous êtes
MARS. 1757
75
A
-occupée fort agréablement : je le vois &
vous en félicite. Je voudrois ſeulement
parmi tous vos plaiſirs n'être pas tout à fait
oublié. Mes livres , mes coquilles , mes
médailles : tout cela , quoique plein de
charmes , ne m'empêche pas de fonger
quelquefois à vous , & ſi vous voulez que
je lediſe , affez ſouvent mal à propos : car
il eſt des momens où l'on voudroit ne pas
avoir de diſtractions . Mais cette extravagante
imagination n'eſt pas toujours d'accord
avec les contemplations de l'eſprit ;
&il faut ſe prêter quelquefois à ſes écarts,
furtout lorſqu'elle offre des objets agréables.
Par exemple , je voudrois bien qu'elle
me ſervît dans ce moment pour répondre
à votre question. Vous êtes , me dites-
vous , Madame , avec une perſonne
debeaucoup d'eſprit , qui ne connoît pas la
définition de l'eſtime , & qui trouve ce
ſentiment bien foible. Je ne penſe pas de
même : je le vois dans la nature , & agiffant
avec force chez les hommes , par l'amour
de la gloire , l'éclat d'une action généreuſe
, & par toutes les qualités qui annoncent
une belle ame formée pour toutes
les vertus ; & chez les femmes , par la
douceur & le charme de leur caractere , le
-ſoin de leur réputation , & par, toutes ces
qualités aimables qui ne dépendent point
Dij
76 MERCURE DE FRANCE .
del'ivreſſe des fens. L'eſtime ne naît point
tout d'un coup , c'eſt un ſentiment qui ſe
forme peu à peu par la pratique , & un
long commerce. Il eſt étranger à l'ame , &
s'établit par force dans l'eſprit , ſouvent
même par des choſes qui ne plaiſent pas
d'abord , mais qui deviennent enfuite
d'un prix infini.
L'eſtime eſt toujours réglée par la raiſon,
& juſtifiée par un ſentiment intérieur
qui fixe tous les autres ſur l'objet eſtimé.
Elle n'eſt point ſujette aux déſordres des
fens ni à l'inconſtance des paffions , comme
elle ne peut être non plus enchaînée par
leurs charmes ſéducteurs. Un mouvement
fecret l'annonce au fond de l'ame où elle ſe
cache , & d'où elle commande à l'eſprit.
Le vrai mérite s'attire toujours fon hommage
& ce reſpect de ſentiment qui a tant
d'autorité ſur le coeur qui s'efforce en vain
de lui cacher ſes défauts. Ce n'eſt d'abord
-qu'un goût ſimple,dont les progrès lents ne
ſe montrent à la raiſon que comme une
-lueur foible , & long- temps incertaine. Ce
goût eſt l'ame de la ſociété : il nous unit
les uns aux autres par une approbation
mutuelle , qui cependant doit être toujours
foumiſe à la loi du difcernement.
L'amour de l'eſtime éleve l'homme , le
fait afpirer aux grandes chofes , & l'excite
MARS. 1757. 77
à s'en rendre digne. Ce même amour le
porte auſſi à la pratique des grandes vertus
qui font toujours le principe des grandes
actions .
Mais combien l'eſtime n'augmente-t'elle
pas lesplaiſirs duſentiment entre deux perſonnes
qu'une heureuſe inclination a unies
de ſes plus doux noeuds ? Car qu'est- ce
qu'un commerce où il n'entre que de l'amour
? On ne plaît pas toujours ,& quand
le charme & l'illuſion ſont diffipés , fuccede
un vuide affreux , qu'il eſt bien doux
de pouvoir remplir par un ſentiment qui
porte toujours avec ſoi l'intérêt le plus féduiſant,&
qui remplace tous les autres. Ce
n'eſt pas affez de deſirer & d'obtenir.
Quand cette chaleur, cette effervefcence du
fang ont rempli tous les deſirs , qu'ils font
fatisfaits , que reſte-t'il dans le coeur , fi
l'eſtime ne réchauffe ſes ſentimens ? La ſatisfaction
d'eſtimer ce qu'on aime , eſt de tous
les fentimens le plus délicat , & celui qui
renferme le plus grand bonheur. C'eſt une
joie douce & réglée , une joie de raiſon
qui n'eſt jamais troublée par les emporteimens
de la paſſion. Elle ſe nourrit dans l'ame,&
y répand cette lumiere pure que rien
ne peut altérer. Le goût ne ſçauroit l'uſer ,
&elle eſt à elle-même ſon bonheur & fa
jouiſſance. C'eſt toujours le prix du véri-
,
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
table mérite qui ne tient à aucune grandeur.
Le reſpect froid & ridicule qu'on a
pour celle-ci , eſt bien peu de choſe auprès
de l'eſtime & de la vénération qu'on
a pour ces génies ſupérieurs , ces grands
hommes qui n'ont pour but que l'utilité
générale&particuliere. Oui,tous les jours
on reſpecte beaucoup un grand qu'on n'eftime
point du tout. Ce dernier ſentiment
n'eſt ſoumis à aucune loi : il ne ſe commande
pas comme le premier , & l'autorité
ni la puiſſance ne peuvent l'exiger .
J'ajoute encore que tel ou telle qui vous
hait prodigieuſement , ne pourra s'empêcher
de vous eſtimer , ſi vous êtes eſtimable.
En un mot , l'eſtime n'eſt point un
ſentiment d'opinion , & qui ſe ſatisfaſſe
comme les autres. Elle n'eſt point ſujette
aux faillies d'un premier goût ou d'un premier
penchant. Le temps feul & l'examen ,
fixent ſon choix & déterminent ſes jugemens.
On auroit fans doute pu mieux vous expliquer
, Madame , toutes les différentes
fortes d'eſtime, car il y en a pluſieurs , mais
qui partent toutes d'une même ſource. Je
me contente de les ſentir , & de vous en
faire hommage. Si la perſonne avec laquelle
vous vous trouvez , ne les apperçoit
pas ; c'eſt une erreur de l'eſprit , ou ,
MARS. 1757 . 79
j'oſe le dire , un vice du coeur , prévena
de quelque paffion. Qu'elle s'examine ,
un peu de reflexion , & peut-être même
de ſincérité , diſſipera l'incertitude de ſes
ſentimens, &le nuage qui les couvre : car ,
je le répete , l'eſtime n'eſt point l'ouvrage
des ſens ſubjugués ou éblouis. La naturė
ſeule éclairée par le difcernement , dicte
&conduit ce ſentiment qui ne dépend ni
du préjugé , ni de l'opinion .
Je crois , Madame , qu'en voilà affez ,
&que vous êtes auſſi laſſe de lire , que je
le ſuis d'écrire . Sçachez- moi , s'il vous plaît,
quelque gré de mon obéiſſance , & ne
doutez jamais de mon eſtime ni de mon
reſpectueux attachement.
Qui parle si bien sur l'Estime , en mérite
beaucoup .
VERS
AM. le Comte de Maillebois , ſur ſa réception
dans l'Ordre du Saint- Esprit , par
M. Lemonnier .
COMTE , tu l'as reçu ce prix de ton mérite ,
Ce gage précieux de la faveur des Rois.
Ainſi ce que Louis devoit à tes exploits ,
Sa juſtice aujourd'hui l'acquitte..
Pourſuis ... il eſt encor un titre plus flatteur
Div
SO MERCURE DE FRANCE.
Où doit aſpirer ton courage.
Eh ! qui peut mieux que toi prétendre à cet honneur
,
Si pour jouir d'un ſi rare avantage ,
Il ne faut qu'avoir en partage
Les talens du Héros , l'eſprit & la valeur !
PORTRAIT DE THÉMIRE .
THÉMIRE plaît par ſa figure , par fon
eſprit& fon coeur. Je vais tâcher de la
peindre avec la vérité qu'exigent de beaux
traits qui n'ont beſoin que de la nature.
Thémire eſt jeune , a des yeux vifs &
tendres ; ils inſpirent l'amour , lors même
qu'ils veulent le défendre. Des fourcils
parfaitement deſſinés en arc les couvrent ,
fans trop les ombrer. Son front égal& bien
développé , eſt orné d'une chevelure naturelle
qui accompagne admirablement ſa
tête. Sa bouche eſt agréable , & mille fois
heureux l'Amant à qui ſon ſourire enchanteur
offre l'eſpoir de lui plaire. Sa voix eſt
douce & touchante ; fon air , ſa phyſiononomie
annoncent la décence & la nobleſſe .
Ses couleurs ne doivent rien à l'art ; la
blancheur du lys & le vermeil de la rofe
les embelliffent.
Thémire eſt bien éloignée d'avoir l'ef
MARS. 17570 81
prit d'une petite maîtreſſe. Elle ignore le
manege de la coquetterie , qui fait naître
chez les autres l'eſpoir du bonheur , &
l'étouffe chez foi-même. Son eſprit eſt naturel
& léger , ſérieux ou enjoué , ſolide
ou frivole, ſelon les perſonnes avec qui elle
vit. Sa converſation eſt amusante. Sans
affectation de briller , elle porte ſur la folie
& la raiſon. Thémire méconnoît le plaifir
malin de médire , plus propre à exercer la
ſottiſe que le véritable eſprit.
, Thémire eſt d'un commerce aimable
parce qu'elle a le coeur bon. Il eſt né tendre&
ſenſible , quelque foin qu'elle prenne
pour empêcher qu'il ne le paroiffe . Elle
a beaucoup de délicateſſe & de ſentiment.
Douce , prévenante , incapable de déſobliger
par ces bifarreries qui échappent fouvent
à une jolie femme , elle ne ſe permet
jamais les caprices , la tracaſſerie, & toutes
les fauſſetés qui ſervent aux femmes à
tromper les hommes & à ſe tromper ellesmêmes.
Elle est vraie , excepté peut-être
avec l'Amour qu'elle craint d'avouer , parce
qu'elle foupçonne ſa ſincérité dans les
autres. On obtiendroit d'elle plus aifément
les bienfaits de l'amitié , vertu des coeurs
qui ne font pas nés médiocres . Le goût du
plaifir regne chez Thémire : cependant la
volupté qui lui plaît eſt moins impétueuſe
Dv
82 MERCURE DE FRANCE .
que délicate. L'ame qui la fait ſentir doit
reſſembler à ſes organes. Ici je m'arrête
, le pinceau même d'Apelle ne rendroit
pas fidélement tous ſes traits. Puiffe du
moins Thémire agréer cet eſſai ! Il part
d'une main qui ne peut lui faire un don
plus précieux , que d'offrir en quelque
forte Thémire à elle-même.
RAOULT .
:
:
VERS
A M. Capmartin , en lui envoyant deux
Bouteilles de vin étranger , le 17 Janvier,
jour de sa Fête.
DEPUIS le lever de l'Aurore ,
J'ai parcouru tous les jardins de Flore ;
Je n'ai trouvé ni roſe , ni jaſmin ,
Pour former un bouquet à l'ami Capmartin.
Depuis que le fougueux Borée
En a chaffé les doux Zéphyrs ,
Et que l'enfant de Cythérée
Va pouſſer ailleurs des ſoupirs.
On ne trouve que des épines
Dans ce ſéjour délicieux ,
Où jadis tour à tour les Graces enfantines
Formoient l'amusement des Mortels & des
Dieux,
MARS. 1757 . 83
Je revenois accablé de triſteſſe ,
Lorſque j'ai trouvé ſur mes pas
Un fecours gracieux que je n'attendois pas.
Le Dieu Bacchus , qui croiroit ſon adreſſe!
M'a ſauvé par un de fes traits :
*Si l'Amour ſçait charmer , Bacchus a ſes attraits.
Je viens ſervir l'amitié qui te guide ,
M'a dit le Dieu qui regne ſur le vin ,
Tu cherches un Bouquet de roſe ou de jaſmin ,
Ne ſçais-tu pas qu'un ennemi perfide
Vient tous les ans pour détruire les fleurs ?
Je ſuis le ſeul conſtant dans mes faveurs .
Tiens , reçois de ma main cette liqueur vermeille;
C'eſt le Bouquet qu'il faut à ton ami ,
Et ſouviens-toi que le jus de la treille
Eſt le Bouquet le plus chéri.
ΕΝΝΟΙ.
Ne trouvant pas des fleurs pour le jour de ta Fête,
Aimable ami , d'un tel malheur
Je ſentois mon ame inquiete.
Des mains de l'amitié reçois cette liqueur :
C'eſt un Bouquet qui part du coeur.
BORRELLY , l'aîné.
A Castelnaudarry , ce 17 Janvier 1757.
Dvj
$ 4 MERCURE DE FRANCE.
LEE mot de l'Enigme du Mercure de Février
eſt Fer. Celui du Logogryphe Prérogative
, dans lequel on trouve , Roi , pere ,
Eve, Pie , pie , guerre , treve , poireau , poga
tigre , Poëte و lager , potage , rave ,
reau , guêpe , Prieur , purgatoire , vipere
, taupe , pré , terre , Europe , Roger ,
goutie , rage , pirate , pot , & potier.
ENIGME.
JADIS n'étant connu que des peuples barbares ,
Je ne m'étonnois pas d'en être tourmenté ;
Mais par les plus polis aujourd'hui maltraité ,
•Qui puis- je en accuſer que les deſtins bifarres ?
Vous ne pourriez , cher Lecteur , endurer
Le plus léger de mes ſupplices.
Quel ſujet cependant peut me les attirer ?
Ma bonté ſeule , & nullement mes vices.
D'abord l'on me condamne au feu ,
Sans autre procédure ,
Puis l'on ſe fait un jeu.
De me faire fubir une rude torture :
Enfuite devenu la victime de l'eau ,
De certains corps je ſouffre le mêlange :
Mais ce qui doit paroître fort étrange ,
MARS . 1757 . 85
C'eſt que dans l'homme enfin je trouve mon
tombeau..
J
LOGOGRYPΗ Ε.
s ſuis un compoſé dont toutes les parties
Prennent naiſſance en pays de chaleur ,
Et mieux elles ſont aſſorties ,
Plus grand eſt mon débit , plus grande eſt ma
valeur.
Vous jouiffez de moi , Lecteurs , par préférence
(Au moins ceux d'entre vous qui font de la dépenſe
)
,
Aux fiecles reculés , même les plus vantés ;
Je ſuis un agrément de vos ſociétés ;
Je ſoutiens ou je rends la chaleur naturelle
Et j'entretiens , dit-on , la voix fonore & belle.
Mais pour me deviner encor plus aisément ,
Combinés , s'il vous plaît , mes pieds exactement..
Vous trouverez un lieu que le ſeul crime
A fait autrefois inventer ,
Un minéral en grande eſtime
Chez ceux dont le métier eſt de patienter ;
Certain animal: domeſtique
QueHenri trois avoit en grande horreur :
Un faut qui n'eſt pas trop flatteur
Pour qui voyage en voiture publique :
Un mot qui ſert à calmer un débar ,
86 MERCURE DE FRANCE.
Un circuit d'eau de ſource aſſez conſidérable :
Ce qui fut toujours redoutable
Entre des ennemis qui vont livrer combat :
Une ville en Hainaut , un fleuve de la Chine ;
Un célebre Graveur dans le fiecle paffé ,
Le Juge d'Iſraël par Jaïr remplacé ;
Une Déeſſe enfin filant notre ruine.
ParMlle DE RUSVILLE-DE SERBERNIE ,
Penſionnaire chez les Dames Urſelines de
Pont-l'Evêque , en Normandie.
CHANSON
PAPILLON inconftant ,
Reconnois ta folie ,
4.
La fleur la plus jolie
• Ne peut t'arrêter qu'un inſtant.
Ton vol est amuſant :
Mais que peut-on attendre
D'un amour , quoique tendre ,
Qui s'éteint en naiſſant ?
Le Papillon .
Papil-lon inconstant,Recon-nois tafo__=
live, LaFleur la plus jo
lie Ne
0000
peut t'arrêter qu'un instant: tant: Ton
vo I est a-musant,Maisque peut
W
W
on attendre D'un amour quoi que ten-=
dre, Qui s'éteint en naissant.Maisquepeut
on attendre D'un amour quoi que
tendre,Qui s'éteint en nais - sant .
W
Gravée par Labassée. Imprimépar Tournelle. Mars1757

MARS. 1757 . $7
i
ARTICLE II .
NOUVELLES LITTERAIRES.
EXTRAIT de la Colombiade , ou de la
Foi portée au nouveau monde.
CE Poëme qui eſt dédié au Pape avec
tant de justice , eſt diviſé en dix chants.
Dans le premier , le ſujet eſt d'abord annoncé
par ce début , dont la noble ſimplicité
égale l'heureuſe préciſion .
Je chante ce Génois , conduit par Uranie ,
Combattu par l'enfer , attaqué par l'envie.
Ce nocher , qui du Tage abandonnant les ports;
De l'Inde le premier découvrit les tréſors.
De l'aurore au couchant ſon art vainqueur de
l'onde ,
Pour y porter la Foi , conquit un nouveau monde.
L'Auteur enſuite invoque ainſi Calliope
qui préſide à l'Epopée.
Muſe , viens de ton fexe étendre encor l'empire ,
Ames accords tremblans joints l'éclat de la lyre.
Montre ici qu'au Parnaſſe aufſſi bien qu'à Paphos ,
Nos chants chéris des Dieux illuftrent lesHéros.
88 MERCURE DE FRANCE.
Colombpart des ports d'Eſpagne , aborde
une Iſle déſerte , &parle en ces termes
aux Guerriers qui l'accompagnent :
Argonautes rivaux des vainqueurs du Boſphore ,
Un prix plus noble attend l'ardeur qui vous dévore.
Des maux que nous ſouffrons , la palme eſt dans
lesCieux:
Qui s'endort à l'abri des faits de ſes ayeux ,
Perd dans l'obſcurité l'éclat de ſa naiſſance ..
Nous , dont tantde périls éprouvent la conſtance ,
Sur cette Iſle inconnue offerte à nos regards ,
Du Roi que nous ſervons portons les étendards.
Si d'un peuple inhumain nous éprouvons l'inſulte,
Le Ciel eſt notre appui. Pour étendre fon culte ,
Qu'au nombre de nos ans s'égalent nos exploits.
Les Démons ( r) du nouveau monde ,
allarmés de l'entrepriſe de Colomb , affemblent
leur conſeil. Voici comme l'Auteur
peint& fait haranguer un des plus diſtingués
de leur troupe :
Teule , qui ſur le ſtix d'Eole tient l'empire ,
Porte aux pieds de Satan la haine qui l'infpire.
(1) Ces Démons , selon l'Auteur , font les faux
Dieux adorés dans la Grece. Ce qui nous paroît
heureusement imaginé pour les employer convenablement
dans un Poëme épique , où l'on est accoutumé
à les voir figurer préférablement à tous
autres..
MARS. 1757. 89
Le feu fort de ſes yeux de pleurs enſanglantés ;
La terreur & la mort marchent à ſes côtés .
Pour fceptre dans ſes mains eft la clefdes tempêtes.
D'un nuage de foufre on flottent mille têtes ,
Sort ſon front impofant , & l'enfer agité
Devient calme à ſa voix comme l'eau du Léthé :
Même au ſein de l'ingrat , du traître, du parjure ,
Le remords un moment étouffe le murmure.
Roi de ces bords heureux , dit le Démon des
vents ,
Dans l'Inde , où vos Autels ſont parfumés d'encens
,
Souffrirez-vous qu'en paix regnent les fils du
Tage ?
L'autre moitié du globe a ſes Dieux en partage ,
Notre grand ennemi l'a conquis par ſes dons.
Ah ! s'il creuſa jadis l'abyſme où nous fouffrons ,
Parons du moins le coup que fa main nous
apprête.
Il veut au nouveau monde étendre ſa conquête ,
Ytranſmettre ſes loix , & s'y voir adoré .
Quoi ! nos Temples détruits ſous le ſien révéré
Verroit ſur leurs débris éterniſer ſa gloire ?
Sans défendre vos droits , cedez-vous la victoire ?
Songez qu'un vil mortel , au mepris des enfers ,
Contre notre pouvoir oſe armer l'univers .
Ce Génois éclairé , ferme dans les défaftres ,
Connoît le fonddes mers , ſçait meſurer les aftres ,
Reduire les eſprits , & conquérir les coeurs,
90 MERCURE DE FRANCE.
D'un ſi vaillant Guerrier craignons les traits vain
queurs.
Vanter un ennemi m'eſt un cruel ſupplice ;
Mais l'orgueil allarmé parle ſans artifice .
Vaincu par la terreur , s'il peſe les hazards ,
L'intérêt , le danger fixent ſeuls ſes regards.
La flotte que je crains touche au but de ſa
courſe :
L'enſevelir dans l'Onde est ma ſeule reſſource.
Livre aux vents , dit Satan , ce peuple audacieux
Que tous les élémens ſe déchaînent contr'eux :
Répands dans l'univers la fureur qui t'anime :
La Mer tremble à ces mots , tout frémit dans
l'abyſme , &c.
Tout ce morceau nous a paru de ſa
plus haute poéſie , & nous l'aurions mis
icidans tout ſon entier , ſi les bornes où
nous ſommes reſtreints ne nous avoient
arrêtés . Colomb & les fiens battus de la
tempête , implorent le Ciel qui les exauce ,
&qui ramene le calme. Ils abordent une
Ifle habitée , dont l'Auteur fait cette agréable
deſcription :
Des arbriſſeaux fleuris ombragent cet aſyle :
Sur les côteaux voiſins mille brillans ruiſſeaux ,
De rochers en rochers précipitent leurs eaux.
L'art peint dans nos jardins ces jeux de la nature :
Là , l'Onde par caſcade arroſe la verdure.
MARS. 1757 91
Des torrens , dont le cours creuſe mille vallons ,
Fertiliſent les champs , font germer les moiffons
Quoiqu'au même degré de ceux des Heſpérides ,
L'été de ces climats ne les rend point arides ;
Et des lieux où la Fable a feint tant de beautés ,
Les Iſles que je chante ont les réalités.
:
Un Vieillard vénérable , le chef des
habitans de cette Iſle , s'avance vers Colomb
, & l'invite à venir avec les fiens
ſe repoſer dans ſa demeure qui nous eft
ainſi dépeinte :
A l'infecte importun , cette Grotte inconnue ,
Laiſſe les yeux fans trouble y goûter le ſommeil
:
Par le ſommet ouvert les rayons du ſoleil ,
Sur l'albâtre des murs répandent la lumiere :
La main du temps creuſa cette vaſte carriere :
Sa défenſe eſt la paix , la candeur , l'équité ,
Et ſon ſeul ornement une jeune beauté ,
Aqui l'heureux Vieillard avoit donné naiſſance.
Comme Eve , elle étoit nue ; une égale innocence
L'offre aux regards fans honte ,&voile ſes appas.
Les Graces qu'elle ignore accompagnent ſes pas ;
Et pour tout vêtement , en formant ſa parure ,
D'un plumage afſuré couvrirent fa ceinture.
Mais elle a plus d'attraits que celle de Cypris :
L'objet qu'elle embellit n'en connoît point le
prix.
92 MERCURE DE FRANCE.
Ses longs cheveux flottoient ſur ſon ſein prêt
d'éclorre ,
Que ce climat brûlant n'obſcurcit point encore
, &c.
Zama ( c'eſt le nom de cette jeune Indienne
) fait ſervir un repas ; les Indiens
prennent les Eſpagnols pour des Dieux , &
le Vieillard curieux demande à Colomb
fon origine , & comment il a été conduit
dans ces climats .
Dans le ſecond chant Colomb détrompe
l'Indien. Il lui apprend qu'il eſt un
homme comme lui ; il lui parle de l'Etre
ſuprême , & s'étend enſuite fur l'Afrique ,
l'Afie & fur l'Europe , dont il lui décrit les
moeurs , les loix & l'induſtrie ; il termine
fon récit par ces beaux vers :
Le partage des biens enfanta l'injuſtice :
Le grand nombre forcé de ſervir l'avarice ,
Eut recours au travail pour remplir ſes beſoins.
Cent Tyrans que l'Efclave enrichit par ſes ſoins ,
Prodiguant des tréſors au bonheur inutiles ,
Tranſportent des rochers , y creuſent des aſyles :
Dans un vaſte terrein entouré d'un rempart ,
Les travaux des humains joints aux refforts de
l'art ,
Des marbres entaſſes forment des édifices .
Là le luxe , l'orgueil raffinent tous les vices;
MARS. 1757 . 95
Et l'indigent réduit à bâtir ces Palais ,
Y travaille fans ceſſe & n'en jouit jamais.
Mais pour le conſoler, il voit que la molleſſe
N'a pour ſes Sectateurs qu'une douceur traîtreſſe.
Par les moindres efforts leur courage accablé ,
Sur un lit de duvet goûte un ſommeil troublé.
L'ennui compte leurs jours , & leur peu de durée
Détruit les vains projets de leur ame enivrée.
S'ils cherchent le bonheur dans la variété ,
Bientôt du ſuperflu naît la fatiété :
Ce monſtre dégoûté, qui ſans deſirs ſoupire ,
Change en venin les biens où ſa langueur afpire.
L'art lui fert des feſtins , la faim manque à ſes
voeux :
Pour ranimer les ſens , il cherche envain les jeux.
Qui peut d'un coeur uſé réveiller les caprices ?
La foule des plaiſirs en détruit les délices ;
Et dans l'inaction le corps foible , engourdi ,
Ylaiſſe aux paſſions un eſſor plus hardi .
Le Vieillard fait au diſcours de l'Amiral
cette ſage réponſe , qui renferme un contraſte
, où nos moeurs n'ont pas l'avantage .
Je préfere nos moeurs , dans leur rufticité ,
A l'art qui de vos coeurs corrompt l'humanité.
Sans Maître , fans Eſclave , ennemi de la guerre ,
L'homme en ces lieux jouit des fruits qu'offre la
terre.
Exempt d'ambition, loin de la foif de l'or ,
94 MERCURE DE FRANCE.
Dans ſon peu de beſoin il trouve un vrai tréſor ;
Et nos chefs , ſans orgueil , des loix font peu
d'uſage ;
L'amour de mes ſujets eſt l'heureux avantage ,
Qui m'éleva ſans brigue au pouvoir ſouverain.
Il ne décide ici que du droit incertain ,
De deux rivaux jaloux du prix de la vîteſſe ,
Où des feux d'un objet que chérit leur tendreſſe :
Jamais d'autres débats ne reclament ma voix :
L'eſtime & non la crainte en reſpecte les loix ;
Et dans ces champs ſoumis , fertiles, fans culture ,
Le plus rare préſent que m'ait fait la nature ,
Eft ce gage chéri de mon parfait amour ,
Qui vit périr ſa mere en recevant le jour.
Je retrouve en ſestraits une épouſe chérie :
Cette fleur de ſon ſein dans la vertu nourrie ,
Mérite que mes ſoins en confervent l'éclat ,
Comme on cultive un fruit né d'un heurenx
climat :
Prêt à ſuivre la mort dans ſa ſombre retraite ,
Ce tréſor eſt le ſeul que mon ame regrette.
L'aimable Zama s'attendrit au difcours
de fon pere , & témoigne enſuite une vive
curiofité d'apprendre la ſuite des avantures
de Colomb. Elle prend déja le même goût
aux récits de l'Amiral , que Didon prenoit
à ceux d'Enée. On ne peut pas finir un
chant plus heureuſement , ni préparer l'intérêt
avec plus d'art.
MARS. 1757 . 95
Colomb dans le troiſieme chant continue
le récit de ſes voyages , & fait entendre
à Zama qu'il eſt venu dans ce nouveau
monde pour y porter la foi & le culte du
vrai Dieu. Il l'inſtruit que le ſuprême Ponrife
des lieux de ſa naiſſance a approuvé
fon projet , & qu'Iſabelle , Reine de Caftille
, l'a favoriſé.
Colomb , dit- elle , un Dieu conduit ton entrepriſe
:
Souviens- toi qu'en tes mains ce fer que je remets
,
Doit toujours te défendre & n'attaquer jamais.
Quand de nouveaux climats s'offriront à ta vue ,
Soumets par ta douceur cette terre inconnue.
Sans doute mille écueils arrêteront tes pas :
Tu ſçauras les braver pour ſervir mes Etats ,
Tagloire , l'univers & le Dieu qui t'inſpire.
A l'inſtant du départ déja ta gloire aſpire :
Je le vois qu'en ces lieux rien ne t'arrête plus.
D'armes & de ſoldats tes vaiſſeaux ſont pourvus :
Puiſſe le juſte Ciel répondre à ton attente !
L'Amiral peint enfuite en ces mots les
regrets du peuple au départ de la flotte.
De toutes parts le peuple aſſemblé dans nos ports,
Pour la derniere fois croit nous voir ſur ces bords.
Des peres , des amis , des épouſes en larmes ,
Par leurs embraſſemens expriment leurs allarmes,
96 MERCURE DE FRANCE.
Dans l'effroi des travaux qui charmoient nos
eſprits,
La mere au déſeſpoir diſoit : Hélas ! mon fils ,
Le ſoin de ton enfance occupa ma jeuneſſe :
Veux tu m'abandonner dans ma triſte vieilleſſe
Sur des flots inconnus chercher des maux ſans
fin , :
Et perdre un repos fûr pour un bien incertain ?
Oui , s'écrivit l'épouſe en ſadouleur profonde ,
L'inſenſé qui trouva l'art de voguer ſur l'onde ,
Fut ſans doute un parjure , un fugitif Amant.
Evite , cher Epoux , ce terrible élément ,
Ou partageons du moins la mort qui te menace.
Les Vieillards conſternés condamnoient notre

audace.
L'enfant joignoit ſes cris aux pleurs de ſes ayeux.
Le ſentiment du coeur toujours victorieux ,
Au rivage un moment , malgré nous nous en-
:
chaîne.
Atant d'objets chéris nous échappions à peine ;
Ils courent fur nos pas , les baignent de leurs
: pleurs.
La voile offerte aux vents redouble leurs douleurs
;
Laplainte en retentit ſur le liquide abyſme,
Quand des plus hauts rochers le jour dora la
cime ,
Nous les voyons déja ſe perdre dans les Cieux :
Chaque objet qui nous fuit devient plus précieux ,
Ετ
MARS. 1757 . 97
Et n'en conſervant plus qu'une image funeſte ,
L'immenſe aſpect des eaux eſt le ſeul qui nous
:
refte.
La flotte eſſuie un long calme , la faim ,
la maladie. La révolte ſuccede à ces fléaux :
mais Colomb a la prudence de l'appaiſer.
Après avoir échoué dans une Iſle dangereuſe
, les Eſpagnols abordent une Iſle
plus fertile. Ils yrencontrent un Européen
qu'on y avoit abandonné , & l'emmenent
avec eux. Inſtruitde laLangue desSauvages,
il leur ſert d'interprete. L'Amiral finit là ſa
narration ; il quitte Zama pour rejoindre
ſes vaiſſeaux , & lui laiſſe Cerrano ( c'eſt
le nom de cet Européen ) , qui termine ce
chantpar le récit épiſodique de ſes avantures
particulieres.
Nous voici parvenus au quatrieme chant :
il nous paroît ſi intéreſſant , il nous préſente
des beautés en ſi grand nombre ,
qu'il nous jette dans l'embarras du choix :
ſi nous voulions les offrir toutes aux yeux
de nos Lecteurs , il nous faudroit tranfcrire
ce chant dans ſon entier. Pour tâcher
cependant de leur endonner une idée conforme
aux louanges que nous lui donnons,
nous allons en inférer ici le plus de vers
qu'il nous fera poſſible. C'eſt le meilleur
précis & le plus grand éloge que nous en
E
98 MERCURE DE FRANCE .
puiffions faire. Satan irrité de n'avoir pu
fubmerger la florte Eſpagnole , envoie Zemés
, Divinité Indienne , ſupplier l'Amour
d'enflammer Colomb de tous ſes feux pour
Zama. Zemés vole à Cythere , & parle
ainſi au Dieu qui en eſt le Souverain :
Immortel , dont on craint & chérit les liens ,
Tout confpire à ta gloire : un Dieu des Indiens,
Pour étendre tes droits , vient ſe joindre à tes
armes.
Je regne au nouveau monde où triomphent tes
charmes :
:
N'auras tu des rigueurs que pour l'autre univers ?
En Europe , tes dons ſont ſuivis des revers ;
Plutus qui les obtient en corrompt les délices.
On vit des Rois fameux ſoumis à tes caprices ,
Au gré de tes deſirs prodiguer leurs tréſors.
Dans la guerre & la paix par de ſecrets refforts ,
Des grands événemens toi ſeul es le mobile :
Thémis même à tes pieds voit la vertu fragile.
Chez mon peuple fauvage exempt de tes fureurs,
Par la main des plaiſirs tu verſes tes faveurs ;
Tes feux moins combattus en ont moins de puifſance
,
Nul Amant irrité n'y punit l'inconſtance ;
Et banniſſant des coeurs la jalouſie & l'art ,
Amour ! en ces climats tu marches ſans poignard.
Viens de tes paſſions y répandre l'ivreſſe :
Zama qui du printemps y ſemble la Déeſſe,
MARS . 1757 . TABAAR DE LA VI Peut changer d'un coup d'oeil les projetsd'ON
mortel ,
Qui des Dieux Indiens veut renverſer l'Auten
Jamais Européen n'aborda nos rivages.
Colomb pour les chercher a bravé les orages :
Avant que ces beaux lieux enchantent ſon réveil ,
Viens avec tes ardeurs embraſer ſon ſommeil.
Que dans l'inſtant Zama brûle des mêmes flammes
;
Perce-les de ces dards qui portent dans les ames
La fureur des deſirs & l'oubli du devoir.
L'Amour vole vers l'Amiral , lui peint
en fonge les charmes de la jeune Sauvage ,
& l'embraſe pour elle.
Non , d'un feu modéré qu'approuve la nature ,
Mais de ces feux ardens dont la raiſon murmure","
Que rien ne peut éteindre , & qui font négliger
L'amitié , le devoir , la honte & le danger.
Colomb ſe réveille , & va trouver le
Veillard : il le trouve qui rend hommage
au Dieu du jour , tel , dit l'Auteur :
Tel Milton nous dépeint qu'à l'aurore nouvelle
Adam rendoit hommage à l'eſſence éternelle ,
D'un front noble & ferein , que n'offuſquoit jamais
Ni le feu des liqueurs , ni la vapeur des mets .
Dans ta frugalité , trop fortuné Sauvage,
De l'Auteur de mes jours je retrouve l'image. "
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
Pendant les cent hyvers qu'ont duré vos reſſorts ,
La tranquillité d'ame & le repos du corps
Furent à l'un & l'autre un don de la Sageſſe :
Qu'à votre exemple, ardente à braver la molleſſe ,
J'hérite de vos moeurs !
L'Auteur nous apprend par une note ,
que ſon pere âgé de près de cent ans , vivoit
encore fans aucune infirmité dans le
temps que ce chant a été compofé. L'égalité
de ſon ame , ajoute Madame Dubocage ,
ſa frugalité & ſa raiſon éclairée , le faiſoient
comparer aux plus ſages vieillards
`de l'antiquité. Cette anecdote , & les vers
que nous venons de citer , font trop d'honneur
à ſon coeur & à ſa raiſon , pour les
paſſer ſous filence , & nous nous faifons
un devoir de les publier.
Le Vieillard part avec les ſiens , pour
aller célebrer des jeux en l'honneur du
Dieu du jour qu'il vient de prier. L'Amiral
l'accompagne.
Sans doute un tendre eſpoir l'entraînoit ſous
l'ombrage.
Au jour naiſſant Zama joint la troupe ſauvage.
Ses appas ſont ſans voile ; & dans ſa nudité ,
Comme Diane armée , elle en a la beauté.
Le feu de ſes regards ranime la verdure.
Sescompagnes près d'elle ont la même parure ;
MARS. 1757 . 101
Mais leur éclat s'éclipſe au charme qui la ſuit ,
Comme aux rayons du jour les aftres de la nuit.
D'an pas léger la Nymphe arrive à la montagne.
Aumilieu des forêts le Génois l'accompagne :
Dans un ſentier rapide , il lui ſert de ſupport ,
Des branches qu'elle craint rompt le premier
effort ,
Ycueille des fruits mûrs,&d'une main tremblante
Les choiſit & les offre à l'objet qui l'enchante .
Que cette peinture eſt naïve & touchante
! Il n'appartient qu'aux femmes de
bien peindre tous ces petits détails enchanteurs
de la paffion , fi difficiles à exprimer
pour tout autre , & fi précieux à ceux qui
ſçavent ſentir. Mais Zama paie cher les
plaiſirs d'un moment. :
Sa voix ne ſe joint plus aux chants dont ſes com
pagnes
Font à pas cadencés retentir les montagnes.
Zulma la plus fidelle , eſt moins chere à ſes voeux.
Loinde lui confier le ſoin de ſes cheveux ,
Zama confulte l'onde ; & ſeule ſous l'ombrage,
Apeine des oiſeaux elle entend le ramage:
Son eſprit inquiet ne peut trouver d'appas
Qu'aux lieux où l'Etranger accompagne ſes pas
S'il rencontre ſes yeux , la honte qu'elle ignore
Ne peint point ſur ſes lys le feu qui la dévore :
Le plaiſir ſeul l'anime ; il répand ſur ſes traits
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
Les couleurs dont la roſe embellit ſes attraits ,
Quand un ſouffle enchanteur annonce le zéphyre.
Honte ! qui de nos moeurs es l'ame & le martyre ,
Sur un coeur Indien ta crainte eſt ſans pouvoir.
1
La nuit n'eſt pas moins fâcheuſe pour
Zama. Le fommeil , l'agite de ſonges affreux.
Elle ſe leve en foupirant , & court
dans les bois prier l'aſtre qu'elle adore , de
l'éclairer ſur ſon état , &de lui dévoiler le
ſecret du coeur de l'enchanteurqui la tyrannife.
Cependant Colomb , qu'une flamme
fecrette ne ſubjugue pas moins , la cher
che , la découvre & la joint dans une grorte
charmante .
L'eau du Ciel qu'un rocher y filtroit goutte à
goutte ,
De grouppes de cryſtal avoit orné la voûte.
Zama , qui ſur ces murs mêle l'ambre au corail ,
Du plus beau coquillage aſſortiſſant l'émail ,
Rend des traits dont l'éclat cede à ſon teint de
rofe :
Par' le choix des couleurs ſa main métamorphoſe
L'émeraude & la nacre en guirlandes de fleurs .
Ingénieuſe Amante ! ici le Dieu des coeurs
Vous découvrit aux yeux qui vous cherchoient fans
ceffe :
Loin d'en blâmer l'audace , un ſoupir de teadrefle
MARS. 1757 . 103
Montra dans vos regards votre coeur fatisfait ,
Etde vos foins charmans Colomb qui vous diſtrair,
Pour nourrir votre ardeur , par ſes dons vous enchante.
Une glace où ſe peint l'objet qui s'y préſente ,
Dans ſes mains , de vos traits vous rend le vrai tableau.
La ſurpriſe& la joie , à cet aſpect nouveau
Font tant d'impreſſion ſur la jeune Sauvage ,
Qu'en vain j'entreprendrois d'en peindre davantage.
Quand le crystal des eaux lui rendoit ſes attraits ,
Bientôt leur mouvement en effaçoit les traits :
Ici le portrait fixe attendoit que ſa vue
En contemplât de près la forme & l'étendue :
L'Amour le rend ſi beau , que l'Indienne a peur
Que l'art à ſes appas ne prête un fard trompeur ;
Mais pour la raſſurer , près d'elle , fur la glace
Son amant trait pour trait paroît ſur la ſurface.
Quel prodige , dit- elle , Etre inſpiré des Dieux
Par un autre toi- même , enchante encor mes yeux ?
Pour entendre ces mots , s'il manque d'interpréte ,
Zama, dans vos regards il voit votre défaite.
17
Hélas ! quand für ſon front , bruni par les combats
,
:
Vous arrangiez les fleurs qu'il jettoit ſous vos pas;
Que , de ces ornemens mépriſant la molleſſe ,
Ses levres ſur vos mains exprimoient ſa tendreſſe ,
Le fort cruel voulut que l'Auteur de vos jours ,
E iv
104 MERCURE DE FRANCE .
Voyantde loin vos jeux , découvrît vos amours.
Dans ſes regards furpris la douleur étoit peinte.
Son pere la deſtinoit à un Indien qui lui
avoit ſauvé le jour. Un autre obſtacle
vient encore traverſer l'amour de l'Amiral.
Tous les fiens murmurent contre lui.
Eft-ce ici , diſoient-ils , où s'arrêtent nos pas ?
Quittons-nous nos enfans , changeons-nous de
climats ,
Pour voir , ſous d'autres cieux , languir dans les
délices
>
UnHéros que Zama ſoumet à ſes caprices ?
Qu'à la ſuivre en ces lieux il borne ſon deſtin ,
Ετ nous, cherchons dans l'Inde un plus vaſte terrein.
Marcouſſi , l'ami de Colomb , vient l'avertir
de la réſolution des Caſtillans , &
lui repréſente ſon devoir. Un Ange envoyé,
deſcend de l'Empirée pour joindre ſa
voix puiſſante aux cris preſſansde l'amitié ,
& parle ainfi à l'Amiral .
Le Ciel qui t'éprouva , rend la paix à ton coeur :
Pour y détruire un feu dont l'ardeur te poſſede ,
Il replonge aux enfers l'être impur qui t'obſede.
Songe à porter ſes loix aux plus lointains climats.
Dans le fiecle dernier , pouryguider tes pas,
MARS. 1757 . 105
(1) Un génie inventeur prépara la Boufſſole;
Le ſalpêtre , enflammé par le ſouffle d'Eole ,
T'arma de fon tonnerre ; & pour graver tes faits ,
D'un alphabet d'airain l'Art inventa les traits.
Quand le ſort prévoyant à te ſervir s'apprête ,
Quel charme dangereux borne ici ta conquête ?
Fuis Zama , romps ta chaîne , & ferme en tes defſeins
,
Au gré de l'Eternel accomplis tes deſtins.
Il eſt ſubjugué par cet ordre , & va
joindre ſa troupe fur les pas de ſon ami.
La flotte met la voile aux vents. L'Amante
de Colomb apprend ſon départ : dans fon
déſeſpoir elle entraîne Zulma ſa compagne
avec elle , & prend un canot pour le
fuivre.
Tandis qu'aux flotsZama confioit ſes deſtins ,.
Le plus affreux ſpectacle intimide ſa vue.
A l'inſtant où le jour ſe levoit dans la nue ,
Du ſommet d'un rocher ſon pere arrive au port;
La voit fuir , la rappelle , & déplore ſon ſort.
La mort ,. s'écrioit- il , va finir mes allarmes ;
Reviens du moins jouir de mes dernieres larmes.
(1) Voila laBoufſole, la poudre à canon &l'invention
de l'Imprimerie exprimées en quatre vers
avec autant de poésie que de précision ; & ce qui
ne mérite pas un moindre éloge , elles y font heureuſement
amenées : il semble que c'est - là leur
vraie place.
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
Veux-tu , pour te fauver du péril où tu cours ,
Me voir au fonds des eaux précipiter mes jours ?
A' ces tendres accens qu'elle entendoit à peine ,
Sa fille au deſeſpoir cede au flot qui l'entraîne :
Le jour bleſſe ſes yeux , l'effroi retient ſes cris ;
La pitié , les remords qui glacent ſes efprits ,
Du trépas ſur ſon front imprimerent l'image.
Quand Zama de ſes ſens put reprendre l'uſage ,
Une cruelle épreuve aggrava ſa douleur :
La nature & l'amour combattent dans ſon coeur :
Aux voeux d'un pere en pleurs tout l'excite à ſe
rendre :
L'Argo qu'elle croit voir l'invitoit à l'attendre :
Pour joindre ce vaiſſeau le vent ſert ſon eſpoir :
Le danger du vieillard l'appelle à ſon devoir :
Vers le port , vers Colomb long-tems ſa rame
agile,
Par un contraire effort , la rend preſque immobile.
Zama , ton coeur craintif t'annonce un fort fatal.
Le navire , où de loin tu crus voir l'Amiral ,
Fend les mers , te pourſuit , joint ta barque &
l'enleve.
Dans tes eſprits trompés quel trouble affreux
s'éleve !
Sur l'Orphée , où Fieſqui te conduit für les flots ,
Nuit& jour , mais envain , tu cherches ton Héros.
Quel tableau attendriſſant ! Quelle firuation
déchirante pour l'infortunée Zama
! Suſpendue au milieu des flots , elle fe
:
MARS. 1757 . 107
,
trouve entre le penchant qui l'entraîne
vers un Amant qu'elle va perdre fans retour
& la nature qui l'appelle auprès
d'un pere qu'elle voit ſur le point d'expirer.
Cette poſition auſſi pathétique que
nouvelle par les circonstances , doit intéreffer
vivement tout Lecteur ſenſible .
Mais un trait de louange qui nous reſte à
donner à l'Auteur , c'eſt que ni la longueur
de l'ouvrage , ni la vérité de la paffion
rendue dans toute ſa force, ne l'empêchentpoint
d'être toujours correcte dans ſes
vers : ſes rimes y font partout riches . Quel
exemple pour nous ! Par un contraſte ſingulier
, tandis que Madame Dubocage
ne fepermet aucune licence dans un Poëme
de quatre mille vers la negligence
accompagne aujourd'hui nos Rimeurs dans
leurs moindres productions. Ils ne ſcauroient
mettre au jour un Madrigal , une
Epigramme , ſans y bleſſfer groffiétement
les regles les plus connues. Qu'ils apprennent
d'un ſexe né pour les ignorer l'art de
rimer & d'écrire , ainſi que l'art de plaire
&la délicateſſe de ſentir.
Nous apprenons que Sa Sainteté , qui a
bien voulu prendre lecture de cе Роёте ,
a fait la grace à l'Auteur de lui en témoigner
ſa fatisfaction .
La fuite au prochain Mercure.
E vi
108 MERCURE DE FRANCE.
LE GUIDE des Jeunes Mathématiciens ,
ou abrégé des Mathématiques , à la portée
des commençans , traduit de l'Anglois
de Jean Ward , ſur la huitieme édition :
volume in octavo avec figures ; prix ſept
livres. A Paris , chez Jombert , Imprimeur-
Libraire du Corps Royalde l'Artillerie
& du Génie , rue Dauphine , à l'Image-
Notre-Dame.
PRÉCIS de l'Hiſtoire Générale desGuerres
, par M. le Chevalier d'Arcq. Cette
Hiftoire eſt précédée d'un Diſcours préliminaire
, dans lequel on trouve tout le
plan de fon ouvrage. « La fidelité de
>>>l'hiſtoire , dit- il, porte fur trois points
> principaux qui lui fervent de baſe ; la
>>connoiſſance des temps , celle des lieux ,
>>& ledegré de croyance qu'on peut accor-
>> der aux Auteurs qui rapportent les faits..
>>C'eſt ſur ces trois points principaux que
>>je tâche d'appuyer cet Ouvrage. »
<<Lorſque je l'entrepris , divers obſta-
>> cles , & l'exemple de ceux qui ont
>> échoué avant moi dans l'hiſtoire univer-
>>felle , s'offrirent à mes yeux : mais em
>> porté par la magnificence du ſpectacle ,
>>je les vis fans m'effrayer : je crus apper-
>>cevoir qu'on étoit entré fans guide dans
>>ce labyrinthe immenfe ; je marquai des
MARS. 1757 . 109
>>points dans le temps , pour me recon-
>>noître & retourner ſur mes pas , tou-
>>tes les fois que je craindrois de m'égarer.
» Il eſt un Dieu , continue l'Auteur ,
» Dieu a créé le monde , ſont deux vérités
>>incontestables. Ces deux principes éta-
>>blis comme baſe de toutes les vérités.
>>ſubſéquentes , pour déployer la ſucceſ-
>>>fion des temps , je ferai voirdans l'in-
>> troduction à cet ouvrage , de quelle
>> maniere on peut fixer l'époque du délu-
>>ge, & celle de la diſperſion des enfans de
>>Noé ſur toute la terre. Je laiſſe l'inter-
>>valle écoulé , depuis la création juf-
>>qu'au déluge: ce n'eſtqu'à la reproduction
>>de la nature humaine échappée au nau-
>>frage général dans un petit nombre d'in-
>>dividus , que je commence l'hiſtoire du
>>monde Il me ſemble que perſonne ,
>> avant moi , n'a entrepris d'éclaircir
>>l'hiſtoire par la diſperſion ; mais Bo-
>> chard , le Pere Kircher & quelques au
>>>tres Auteurs , ont fait fur ce point des
>>recherches très-ſçavantes , &qui m'ont
>> été fort utiles dans le ſyſtême que j'ai
>>ſuivi. Cette époquem'aparu être le point
>> duquel un Hiſtorien doit partir pour
>> former un corps d'hiſtoire univerſelle.
>>>En effet , établir la deſcendance des na-
-tions fur celle des Chefs des Tribus de
>>la famille de Noé , eſt à mes yeux une
...
110 MERCURE DE FRANCE.
>> marche fi lumineuſe , elle rend le tra-
>>>vail ſi facile , que je ne puis voir, fans
>> en être étonné , qu'elle ait été négligée
>>juſqu'à préſent. »
Pour procéder fûrement & avec fruit
dans cette nouvelle Méthode , M. le Chevalier
d'Arcq offre aux yeux du Lecteur ,
Noé& fes enfans fortant de l'Arche , ſe
multipliant dans la progreffion la plus poffible
& la plus raisonnable , pendant l'efpacede
cent cinquante ans après le déluge ,
temps qu'il démontre , en deſcendant &
en rétrogradant , être la véritable époque
de leur difperfion. Il établit leur féparation
, leurs tranfmigrations après le parrage
que leur fit Noé dans les jours de
Phaleg , ainſi que l'Ecriture nous l'apprend
, c'est- à-dire , entre la centieme &
cent trentieme année depuis le déluge , &
il diviſe l'hiſtoire univerſelle par les trois
poſtérités de Sem , Cham & Japhet. Japhet
étant l'aîné des enfans de Noé , l'Auteur
a cru devoir commencer par l'hiſtoire de ſa
poſtérité. Il fait voir en quelle proportion
fes deſcendans durent s'étendre , & peupler
la partie de l'Afie qui leur échut en
partage , ainſi que l'Europe qu'ils découvrirent
bientôt après. L'hiſtoire de chacun
des peuples de cette poſtérité , faite féparément
, ſetrouve placée felon la progref-
Gon géographique du lieu , où les defcenMARS.
1757 . 111
dansde Japhet s'établirentd'abord : chaque
hiſtoire eſt précédée d'une diſſertation fur
les temps anciens , le gouvernement , les
loix , l'époque de la célébrité , les progrès
du peuple dont je parle , la durée de fon
empire , ſa chûte & ſa fuſion dans un autre
état , ſoit que ce peuple ait perdu volontairement
fon indépendance , comme
on en voit pluſieurs qui ſe ſont donnés aux
Romains ; foit que ce peuple devenu la
proie des vainqueurs , ait perdu ſes loix ,
ſes préjugés , ſes moeurs , & ſe ſoit perdu
lui-même , pour ainſi dire , en perdant ſa
liberté.
1 La poſtérité de Japhet ſera ſuivie de
celle de Sem , la poſtérité de Sem fera fuiviede
celle de Cham , le dernier des enfans
de Noé , & ces trois poſtérités ſeront
traitées dans le même ordre .
L'hiſtoire de chaque peuple commencera
au temps où il ſe ſera fait connoître par
ſes ſuccès ou par ſes revers , & fera conduite
ſans interruption juſqu'à l'Ere chrétienne
, fi ce peuple a conſervé fon caractere
diſtintif juſqu'à cette époque , & s'il
en ſubſiſte encore par-delà. Lorſque l'Auteur
aura parcouru dans cette premiere partie
toutes les nations ſur lesquelles il aura
pu raſſembler quelques connoiſſances , il
reprendra fon hiſtoire pour la continuer
12 MERCURE DE FRANCE.
juſqu'à la chûte de l'empire d'Orient ; efpace
dans lequel il renferme la ſeconde
partie de cet ouvrage : enfin , ſi après cette
ſeconde époque , il ſubſiſte encore ſous le
même nom , fans avoir été ſubjugué par
une autre puiſſance , il fera partie de la
poſtérité à laquelle il appartient dans cette
troiſieme diviſion , ainſi que dans la ſeconde.
Pour éviter la confufion que les diverſes
manieres de dater font naître preſque
toujours , & pour épargner au Lecteur le
travail & l'ennui de calculer fans ceſſe les
rapports des différentes méthodes decomp
ter , cellede M. le Chevalier d'Arcq ſera
toujours uniforme , c'est- à-dire que dans
la premiere partie , chaque fait ſera précédéde
l'année avant l'Ere chrétienne , à laquelle
il ſe rapporte , &que dans la ſecon
de , comme dans la troifieme , il fera précédé
de l'année depuis l'Ere chrétienne ,
dans laquelle il s'eſt paſſe , ſans que l'on
ait beſoin de chercher ou de ſe rappeller
quel étoit l'uſage de compter , & quelle
étoit la longueur de l'année chez le peuple
dont il parle. De cette maniere, la Chronologie
fait corps avec l'Hiftoire , elle devient
ſimple & facile , puiſqu'elle ſe préfente
toujours ſous la même forme ; & fi
l'onveut parcourir d'un coup d'oeil tout ce
MARS. 1757 . 1
113:
qui s'eſt paſſé dans le monde hiſtorique en
quelque année que ce foit , il eſt aiſé de
raſſembler les événemens , en ouvrant à
cette année l'hiſtoire de chaque peuple.
A l'égard de la vérité des faits qu'il rapporte
, il a eu ſoin de n'en admettre aucun
qui n'ait des garants recevables , & l'on
trouvera toujours à la marge & à côté du
fait les noms des Hiſtoriens deſquels il eſt
tiré.
Le premier volume de cet ouvrage immenſe
nous aparu écrit avec beaucoup de
préciſion , & toute la force que peut permettre
le ſtyle ſimple & fage de l'hiſtoire :
onn'y trouve que des détails néceffaires ,
& ils perdent même leur nom par la façon
dont ils font écrits. Nous ofons dire que
c'eſt en tout un très-grand tableau qui décelede
très-grandes idées& un très grand
talent.
LES LOISIRS de Madame de Maintenon.
Brochure de 350 pages : chez Duchesne ,
Libraire , rue Saint Jacques au Temple
du Goût.
Ce fontdes converfations ſur la ſociété ,
la raiſon , la contrainte , l'amour-propre ,
le boneſprit , la bonne gloire , &c. Rien
ne pourroit être plus utile qu'un pareil Livre
pour toutes les jeunes perſonnes , &
114 MERCURE DE FRANCE..
plus agréable à lire pour tout le monde ,
s'il étoit réellement de Madame de Maintenon.
Mais ne s'eſt-on pas ſervi d'un
nom célebre , à juſte titre , pour accélerer
le débit d'un ouvrage médiocre ? Nous
ne déciderons point , nous nous contenterons
de tranfcrire ici la premiere page
de la premiere converſation. Nous croyons
qu'elle fuffira pour mettre nos Lecteurs en
étatde prononcer eux-mêmes fur ce point.
SUR LA SOCIÉTÉ .
Mademoiselle. Victoire .
Une perſonne , parlant d'une autre
diſoit qu'elle étoit ſociable : je n'entends
pas bien ce que ce mot ſignifie.
Mademoiselle Alexandrine.
J'aimerois mieux dire , propre à la ſociété
, & c'eſt une grande louange.
Mademoiselle Henriette.
Expliquez-nous cette louange , je vous
prie.
Mademoiselle Alexandrine.
Une perſonne aimable dans la ſociété ,
eſt celle qui en fait ſouvent le plaifir , &
qui ne la trouble jamais .
Mademoiselle Victoire .
J'ai beſoin d'être inſtruite en détail :
MARS. 1757. 115
qu'est- ce qui rend aimable dans la fociété ,
&comment est- ce qu'on la trouble ?
Mademoiselle Faustine.
Je crois que ce qui rend aimable dans la
ſociété , & qui en fait le plaifir , c'eſt d'avoir
de l'eſprit.
Mademoiselle Alexandrine .
Il faut plus que de l'eſprit : on pourroit
en avoir , & n'être pas propre au commerce
.
Mademoiselle Victoire.
Comment l'entendez - vous ? Peut- on
plaire ſans eſptit ?
Mademoiselle Alexandrine .
Oui , on pourroit au moins être commode
, & fi on ne fait pas le plaifir de la
compagnie , du moins on n'en feroit pas
lapeine.
Essar ſur une introduction générale &
raiſonnée à l'étude des Langues , & particulièrement
des Françoiſe & Italienne ;
Ouvrage en trois Parties , dédié à Monfeigneur
le Dauphin , pour les Enfans de
France. AParis , chez de Bure , quai des
Augustins ; Briaſſon rue S. Jacques ;
Deffaint & Saillant , rue S. Jean de Beauvais
, & Lambert , près la Comédie Françoiſe
, 1757 .
د
116 MERCURE DE FRANCE.
Cet Ouvrage eſt de M. Barletti de S.
Paul : nous croyons qu'il peut être utile ,
&qu'on doit tenir compte à la jeuneſſe de
l'Auteur , de s'eſſayer dans un genre qui
par ſa ſéchereffe , demande tout le phlegme
& toute la patience de l'âge mûr.
DICTIONAIRE généalogique , héraldique
, chronologique & hiſtorique , contenant
l'origine& l'état actuel des premieres
Maiſons de France, des maifons Souveraines
& principales de l'Europe ; les
noms des Provinces , villes , terres , &c.
érigées en Principautés , Duchés , Marquiſats
, Comités , Vicomtés&Baronnies ;
les maiſons éteintes qui les ont poſſédées ,
celles qui par héritage , alliance , achat ,
ou donation du Souverain , les poffedent
aujourd'hui. Par M. D. L. C. D. B. 3 volumes.
A Paris , chez Duchesne , rue Saint
Jacques 1757 .
Ce titre eſt ſi rempli & fi détaillé , qu'il
nous diſpenſe de donner un précis de l'ouvrage
: il en eſt preſque un lui-même.
Nous nous contenterons de répéter ce que
l'Auteur a dit dans ſa Préface. La plupart
des grandes Maiſons ont leur hiſtoire particuliere.
Le P. Anſelme & fes Continuateurs
ont donné l'hiſtoire généalogique
des grands Officiers de la Couronne ; M.
MARS. 1757 . 117
d'Hozier, ſon Armorial de France , &Moréri
, les familles Nobles du Royaume , &
beaucoup d'étrangeres. Ces grands Ouvrages
non plus que bien d'autres connus des
Sçavans , ne font pas entre les mains de
tout le monde. C'eſt pour y ſuppléer
qu'on donne ce Dictionnaire , qui n'occupant
pas beaucoup de place dans un cabinet
, fatisfera les curieux , en ne laiſſant
rien à deſirer , tant ſur l'origine des principales
Maiſons éteintes , & de celles qui
ſubſiſtent , que ſur les grands hommes que
chacun a produits. Nous ajoutetons ſeulement
que l'Auteur avoue , que M. l'Abbé
d'Eſtrées & feu M. Chazot-de Nantigny
l'ont précedé dans ce plan d'ouvrage ,
mais dans un goût différent. Il prétend
que ces deux écrivains font tombés dans des
répétitions qu'il a évitées par la forme de
Dictionnaire qu'il a donnée à ſon Ouvragé
, & qui eſt d'ailleurs la plus commode
pour le Public.
DICTIONNAIRE Languedocien - François
, ou choix de mots Languedociens les
plus difficiles à rendre en François; contenantun
recueil des principales fautes que
commettent dans la diction & dans la
prononciation Françoiſe , les habitans des
Provinces Méridionales du Royaume ,
IIS MERCURE DE FRANCE .
connus à Paris ſous le nom de Gaſcons ,
avec un petit Traité de prononciation &
de Proſodie Languedocienne : Ouvrage enrichi
dans quelques- uns de ſes articles de
notes hiſtoriques & grammaticales, &d'obſervations
de Phyſique & d'hiſtoire naturelle
, par M. l'Abbé de S * * *. A Nifmes
, chez Michel Gaude , Libraire , &
à Paris , chez Guyllin , quay des Auguftins.
LETTRES fémi- Philofophiques du Chevalier
de ** au Comte de * * , en trois
parties. Chez Merigot pere & fils , quai
des Auguſtins , à Paris .
Il nous feroit difficile de rendre un
compte exact de ces Lettres : la prodigieuſe
variété qui y regne ne permet aucun
détail. Chaque page préſente des ſujets
différens & des idées nouvelles . L'Auteur
paroît n'avoir voulu que s'amuſer en écrivant.
Il y a cependant quelquefois des matieres
un peu plus exactement traitées :
mais jamais on n'apperçoit un ſyſtême fixe.
Preſque tous les objets de la morale , de la
religion , de la ſociété , du monde , y font
effleurés. Les réflexions prodiguées prouvent
un homme qui a penſé , examiné ;
mais le peu de rapport qu'il y a entre ces
réflexions , & en général le peu d'ordre
MARS. 1757 . 119
qui regne dans tout l'ouvrage , prouvent
un homme qui a plus prétendu exercer fon
eſprit , que faire un Livre. Sans des idées
un peu trop hardies , & qui reviennent
ſouvent , nous oferions dire que cette brochure
peut aller à côté des livres d'amuſement
qui renferment de la philoſophie &
de l'efprit.
IDÉES badines , qui renferment la Catégorie
des jeux, lePot pourri ſans pareil, &
les Momens perdus. Brochure en trois parties
, formant en tout 400 pages.
» LES DÉVOTIONS du Jubilé occupoient
>>les trois quarts de Paris : la ferveur des
> gens de bien avoit pris de nouvelles for-
» ces; la tiédeur des demi dévots étoit ré-
>>chauffée ; le bon exemple entraînoit quel-
» ques mondains ; le reſpect humain te-
>> noit lieu de zele à quelques mondaines ;
-pluſieurs jeunes gens avoient fecoué le
» joug du préjugé , & s'étoient donné la
>>peine d'aller viſiter les Eglifes . Le peu-
22 ple , grand ſectateur des dévotions exté-
>>rieures , couroit en foule au devant des
>> indulgences : enfin on ne parloit plus
" que de ſtations , de l'affiduité de tels &
« tels aux fermons de tel & tel Prédicateur:
>>les ſpectacles étoient interdits ; à peine
» étoit- il queſtion du Concert ſpirituel &
>> des promenades. Un Etranger qui ſeroit
120 MERCURE DE FRANCE.
>> venu à Paris dans ce tems d'édification ,
auroit cru qu'il n'étoit habité que par
des ames pieuſes , ou tout au moins ré-
>>gulieres : une pareille erreur n'auroit pu
>>durer long- temps ; beaucoup de vertus
>> ne font qu'apparentes , &perdent tout à
» l'examen.
Cette introduction annonce le ton & le
ſtyle de l'ouvrage , qu'on peut lire dans
lesMomens perdus. Nous oferons pourtant
dire que le titre n'eſt pas abſolument fidele
, & qu'il'y regne un peu de tricherie.
Nous n'avons pas trouvé autant d'idées badinesque
nous l'eſpérions. Les trois parties
ne renferment presque que des Contes ou
Hiſtoriettes , qu'on lit fans ennui , mais
qui ne font pas rire. Quelques converſations
qui ſéparent les récits , décelent un
eſprit enjoué ; mais il nous ſemble que le
** titre d'Idées badines demandoit plus que de
l'enjouement.
HISTOIREde la Révolution du Royaume
deNaples , dans les années 1647 & 1648 ,
par Mademoiselle de Luſſan; en quatre
parties. Chez Piffot , Libraire , Quai de
Conti , à la defcente du Pont-neuf.
Tout le monde connoît l'eſprit & le
gout de Mademoiselle de Luſſan. Ses Ouvrages
ſe feront toujours lire avec plaifir.
Elle
MARS. 1757 . 121
Elle s'eſt diſtinguée par l'Hiſtoire de Louis
XI. Nous croyons que cette nouvelle Hiftoire
ne doit pas lui faire moins d'honneur.
On y voit , comme elle le dit elle-même ,
le détail & toutes les circonstances de la
plus ſurprenante révolution qui ſoit jamais
arrivée en Europe. Cette révolution dura
neuf mois entiers , & finit d'une façon
auſſi étonnante qu'elle avoit commencé :
à la fin de la révolte , tous les eſprits changés
ſubitement , ſe ſignalerent autant par
leur inconſtance , qu'ils s'étoient ſignalés
par leur emportement.
Cette révolution eſt connue de quiconque
lit : pluſieurs Auteurs en ont écrit les
principaux faits ; c'eſt ce qui nous empêchera
d'en donner un détail circonstancié.
Ce détail eſt tout entier & tel qu'on peut
le ſouhaiter dans l'ouvrage de Mademoiſelle
de Luſſan : c'eſt là qu'il faut le chercher
; nous ofons dire qu'on l'y trouvera
avec plaifir . Sa plume facile , en détaillant
exactement , cache le travail , & prévient
l'impatience : tout ce qu'on y lit , devient
nouveau , par le ſoin avec lequel elle
a fondu ce qui nous en étoit connu avec ce
qu'elle nous en apprend.
LES CHOSES comme on doit les voir ,
par M. de Baſtide. A Londres , & fe trou-
F
122 MERCURE DE FRANCE .
vent à Paris , chez Duchesne , rue S. Jacques
1757 .
Cet Ouvrage moral nous a paru écrit
avec agrément , & penſé avec eſprit.
L'Auteur déclare , dans une courte Préface
, que toute fon ambition eſt celle de
plaire : nous la croyons fondée. Il ne ſe
Hatte pas de corriger ; il ſçait que d'excellens
Livres en ce genre n'y ont pas réuſſi :
mais il veut encore moins offenſer. Je
peindrai , dit- il , les hommes tels qu'ils
font : il eſt poſſible d'être ſincere ſans être
méchant. Lorſque Latour offre aux yeux
les traits d'une laide perſonne , eſt - elle en
droit de l'accuſer de méchanceté ? Il eſt
vrai , ajoute-t-il , que l'on demande fon
portrait au Peintre , & que perſonne ne
me demande le ſien : il eſt donc autoriſé ,
&je ne le ſuis pas ? Pour me juſtifier ( car
je veux pouſſer l'honnêteté juſqu'où elle
peut aller ) , je dirai qu'il n'eſt pas plus
mal-honnête de peindre les défauts , que
d'en avoir.
On peut juger , par ce trait , de l'eſprit
de l'Auteur &du ton de l'Ouvrage. Nous
en parlerons plus au long le mois prochain .
MARS . 1757 . 123
REPONSE à la Lettre de M. P. inferée
dans le Mercure de Février 1757 , p.90 .
J'ai avancé , Monfieur , que les parties
aliquotes n'étoient pas toujours le plus
grand abrégé dans les multiplications. Je
le prouve même par l'exemple que vous
me donnez , quoiqu'en bonne regle il eût
été plus à propos de déduire vos raiſons
fur la regle du Mercure de Décembre
1756, p. 131 , où il s'agiſſoit de multiplier
83 chofes
à 1204 liv. 16 fols 4 den .
3614
96385
耿. 100000 liv.
13
6
4
S
52
10 f. 8 d.
Que deviendroient les parties aliquotes
dans cette petite multiplication ? Outre
l'embarras qu'elles cauſent , vous employeriez
beaucoup plus de chiffres que par la
méthode par laquelle je l'ai faite.
Je viens à votre exemple où vous me
propoſez de multiplier 8795 choſes à 87 1.
19 f. 11 den. Je répondrai à vos objections
après que j'aurai fait cette Opération de
différentes manieres , & toujours ſans me
ſervir des parties aliquotes.
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
Premiere maniere .
8795 , choſe
à 87 liv. 19 f. 11 den,
96745 den .
8062
167105
175167 fols .
8758 liv . 7 f.
61565
70360
I
2. 773923 liv. 7 f. 1 den.
Seconde maniere.
$795 , ch . à 87 liv. 19 fol. 11 den,
1759 fols.
21119 den,
8795
2006305
1837353
185741605
9287080 5
. 77392 ; liv. 7 fol. 1 den,
MARS. 1757 . 125
Troisieme maniere.
$795 choſe
87 1.19 6. 11 d. 19
19 3
5
439 19 7 14 2
7919 12 6 19 4
61597 1 8
13 4
703966 13 4
耿.773923 7 I
C'eſt ici que vous vous imaginez , Monfieur
, que je fais des calculs de grande &
très-grande étendue , pour trouver ces différens
produits juſqu'à chercher combien
8000 fois 19 fols font de livres , & ainſi
des autres. Je vous affure dans l'exacte
vérité que vous avez ſous les yeux tous les
chiffres que j'emploie dans ces différentes
opérations . Si votre ſuppoſition étoit vraie,
j'aurois grand tort de donner la préférence
aux manieres que j'emploie ſur les parties
aliquotes qui, toutes longues qu'elles font ,
le feroient beaucoup moins que ces différens
calculs , qui feroient monter l'augmentation
des chiffres dans la proportion
de 3 à 5 , comme vous le remarquez fort
bien vous-même. Ainſi donc , Monfieur ,
pointde calculs en dehors pour débarraffer
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
le dedans . Regardez ſimplement dans ces
différentes manieres d'opérer, combien peu
il y a d'embarras , & vous conviendrez
qu'il y en a beaucoup par les parties aliquotes
: je vais vous en faire remarquer
quelques-uns. Après avoir fait pour 10 f.
& pours fols , vous faites pour les 4 fols
qui reſtent. Ilfaut ſe gêner pour ſe ſouvenit
qu'il faut prendre le cinquieme dans la
quantité , puis pour 6 deniers que c'eſt le
huitieme dans les 4fols; enſuite viennent
les 3 deniers. Mais il n'y a point de peine ,
puiſque c'eſt la moitié de 6 qu'il faut pren.
dre. Enfin pour les 2 autres deniers , il
faut prendre le tiers dans les 6. Dans toutes
ces différentes caſcades , je crois qu'il
eſt très-aiſé de ſe tromper ; au lieu que
par les méthodes que j'emploie , & que
j'avoue n'être pas de moi , j'y vois moins
de poſſibilité. Au reſte , chacun peut faire
comme il lui plaît.
J'ai l'honneur d'être , &c.
LABASSEE .
A Paris , ce 22 Février 1757 .
LETTRE de M. Rabiqueau , à l'Auteur
du Mercure , en réponſe à celle de M. Ferrand
, inférée dans le Mercure de Novembre
1756. Cette Lettre devant s'annexer à
laRelation de M. Rabiqueau , il l'a fait im
MARS. 1757 . 127
primer , & elle ſe vend chez lui , rue S.
Jacques , vis- à - vis les Filles Sainte Marie ,
& chez Jombert & Lambert , Libraires ,
avec ſa Rélation & fon Livre du ſpectacle
du feu.
LE PROJET que la Maiſon de Mailly
avoit formé de faire travailler à l'Hiſtoire
générale de ſa Maiſon , avoit été annoncé
dans le Mercure de Septembre de 1753 .
En conféquence elle avoit invité les maiſons
auxquelles elle a l'honneur d'appartenir
, d'y vouloir bien concourir avec elle ;
mais cet ouvrage n'ayant pu être terminé,&
demandant une ſuite de travail qui ne peut
être rempli qu'en pluſieurs années, il vient
d'être donné , en attendant l'Hiſtoire générale
, un Extrait de la Généalogie de ceste
Maiſon , ſuivi de l'hiſtoire de la Branche des
Comtes de Mailly , Marquis d'Haucourt
& de celle des Marquis du Queſnoy qui en
font iſſus , établi fur les titres originaux ,
par M. de Clairambault , Généalogifte des
ordres du Roi .
On peut dire , à l'avantage de cet Extrait
, qu'il eſt peu d'ouvrage de cette nature
, qui ſoit fait avec autant d'ordre &
de clarté , & qu'il eſt même écrit avec plus
d'élégance , que le genre n'en paroît fufceptible.
C'eſt ce qui doit faire defirer que
Fiv
# 28 MERCURE DE FRANCE.
les autres branches de cette illustre Maiſon
, ainſi que M. de Sérigny l'annonce au
commencement du livre, mettent de même
I'Hiſtorien en état de le porter avec la même
évidence à ſon entiere perfection .
11 eſt d'ailleurs établi ſur les noms les
plus reſpectables en ce genre,& qui portent
par eux- mêmes cette authenticité ſacrée ,
qui fait ſeule le prix de pareils Ouvrages
POÉSIES badines & galantes. Non fine
amore joci. A Londres , & ſe trouvent à
Paris , chez L. Ch. d'Houry , rue vieille
Bouclerie , 1757 .
Les pieces de ce Recueil nous ont paru
répondre parfaitement au titre. Le badinage
& la galanterie les caractériſent. La
premiere que nous allons mettre ici , fuffira
pour juſtifier notre ſentiment :
Sur une pêche.
Entre la pêche & toi , Climene ,
Que je trouve de parités !
Des fruits en elle on voit la Reine ,
En toi la Reine des beautés.
Chez l'un & l'autre une chair ferme
D'une peau fine ſe revêt :
Chez l'une & l'autre , l'épiderme
S'ombrage d'un léger duvet.
MARS. 1757 . 129
Ta douce haleine eſt pareille
A ſon parfum précieux ;
Et ſur ton teint gracieux
Brille ſa couleur vermeille.
Telle eſt , dit - on , ſa froideur
Qu'elle eſt quelquefois mortelle :
N'es-tu pas , pour mon malheur ,
Encore plus froide qu'elle ?
De la dureté du tien
Son coeur dur à peine approche :
Qui , bien plus dur que le ſien ,
Ton coeur eſt un coeur de roche.
Du ſien le fer eſt vainqueur ,
Aifément il y fait breche :
Mais l'Amour n'a point de fleche
Qui puiſſe entamer ton coeur.
De l'obtenir il me tarde :
Hâte ma félicité ;
Et la pêche & ta beauté
Ne font pas des fruits de garde.
Il y a dans ces vers du feu&du naturel.
Il y regne furtout une gaieté facile , qui
pourra faire naître à nos Lecteurs l'envie
de lire les autres pieces , & d'acheter le
Recueil.
Fy
130 MERCURE DE FRANCE.
OBSERVATIONS de chirurgie , où l'on
en trouve de remarquable ſur les effets
de l'agaric de chêne dans les amputations ,
&la compoſition des bougies ſouveraines
dans les maladies de l'uretre , traduites de
l'Anglois de M. Warner , Chirurgien de
l'Hôpital de Guy , &Membre de la Société
royale , auxquelles on a joint deux Lettres
d'un Médecin de Londres , dont la
premiere contient des regles pour conferver
la ſanté juſqu'à un âge fort avancé ,
avec quelques obſervations ſur l'uſage du
tabac ; & la feconde fait connoître l'abus
des remedes empyriques , traduites auffi
de l'Anglois. A Paris , chez Ganeau , rue
S. Severin , 1757 .
L'excellence & l'utilité de ces obfervations
, qui font au nombre de 44 , doivent
faire ſouhaiter que M. Warner continue
à enrichir ſon art , de celles que ſa
célébrité & le poſte qu'il remplit avec
tant de gloire , lui donnent occafion de
faire chaque jour. C'eſt le voeu duTraducteur
, & c'eſt auſſi le nôtre.
EXPOSITION de la Doctrine de l'Eglife
Gallicane , par rapport aux prétentions de
la Cour de Rome , 3 petites parties.A
Geneve , chez les freres Cramer, 1757 fe
trouve à Paris.
MARS. 1757. 131
Cette courte expoſition , eſt un ouvrage
poſthume de M. du Marſais. Suivant l'avertiſſement
, on a eu l'art d'y réduire en
peu de pages l'hiſtoire de nos droits combinés
avec ceux de la Cour de Rome ,
fans affoiblir les nôtres , & fans bleſſer les
fiens ; de diftinguer la Cour de Rome &
le Saint Siege , & de concilier la réſiſtance
ſouvent néceſſaire aux deſſeins de l'une ,
avec le reſpect & l'obéiſſance toujours indiſpenſable
aux déciſions de l'autre. Nous
allons joindre à cette annonce , l'éloge
hiſtorique de M. du Marſais , où ſe trouve
renfermé celui de ſes ouvrages. Nous l'avons
tranfcrit du même Avertiſſement. Le
mérite de cet Ecrivain eſt ſi reconnu dans
la république des Lettres , que nous avons
cru lui devoir cette diftinction .
Cefar - Chefneau , Sieur du Marſais ,
étoit né à Marseille , & y avoit fait ſes
études au College des Peres de l'Oratoire.
Arrivé à Paris à l'âge de 25 ans , fes
premiers eſſais furent pour le Barreau; mais
malgré le ſuccès avec lequel il y traita
quelques affaires importantes , fon goûr
l'attacha tout entier aux Belles- Lettres ; la
Grammaire fut lapartie qu'il choiſit ; mais
il la traita en Philoſophe , & fit voir que
l'homme de génie trouve la raiſon , ou
l'homme borné ne trouve que les mots.
Fvj
132 MERCURE DE FRANCE.
Son Traité des Tropes , ou des différens
ſens , dans leſquels on peut prendre un
même mot dans une même Langue , eſt
un chef-d'oeuvre. Il fut imprimé en 1730 ,
& on lui rend toute la juſtice que mérite
un Ouvrage ſi parfait. On en prépare une
nouvelle édition. Il a laiſſé beaucoup de
cartons qu'il deſtinoit à compofer une
Grammaire Françoiſe , dont la Préface a
même été imprimée il y a quelques années.
Il avoit encore donné au Public une expoſition
d'une nouvelle Méthode pour apprendre
la Langue Latine , & fes manufcrits
que l'on travaille à mettre en ordre ,
contiennent vraiſemblablement des tréſors
très - précieux à la Langue Françoife. Il
étoir ſeul Auteur de tous les articles de
Grammaire , qui ſont dans les fix volumes
de l'Encyclopédie. Il ne faut que les
lire pour en connoître le prix. Nous ne
ſçavons rien de ſa famille , finon qu'il
étoit neveu du célebre Chefneau-du Marfais
, Médecin à Marseille , & Fondateur
de l'Hôpital de Sonperoſe en Gascogne.
C'eſt de cet oncle qu'il tenoit le Fiefdu
Marſais , près du Mont du Marfan. Il eſt
mort en 1756 , âgé de 80 ans.
DICTIONNAIRE Apoftolique , à l'uſage
de MM. les Curés des villes & de la camMARS.
1757 . 133
pagne,&c. par le R. P. Hyacinthe-de Montargon
, Auguſtin de Notre - Dame des
Victoires , à Paris , Prédicateur du Roi ,
&c. tome 11e. Homélies du Carême , vol .
in- 8 ° . , en blanc 4 liv. & 5 liv. relié. A
Paris , chez A. M. Louin , rue S. Jacques
, 1755. Le 12e vol. eſt ſous- preſſe.
Le même Libraire vend tous les livres à
l'uſage du Dioceſe de Paris .
NÉCESSITÉ de penser à la mort , ou
Inſtructions Chrétiennes pour le temps de
la maladie ; Ouvrage non ſeulement utile
à ceux qui adminiſtrent les derniers Sacremens
, & qui ont le ſoin ſpirituel des malades
, mais encore aux malades mêmes ,
& à ceux qui leur donnent les fecours temporels.
On y a joint l'Ordinaire de la Meſſe ,
une courte explication de l'Oraiſon Dominicale,
une paraphrafe ſur les ſept Pſeaumes
de la Pénitence , les prieresde l'adminiſtration
du Saint Viatique en Latin & en
François. A Paris , chez Defaint & Saillant
, rue Saint Jean de Bauvais ; & à
Senlis , chez N. Defroques , Imprimeur-
Libraire , 1757 .
LETTRES ſpirituelles ſur différens ſujets
de piété , par M. l'Abbé d'Olonne , Doc134
MERCURE DE FRANCE.
teur en Théologie , & en Droit Canon
de la Faculté de Paris. AParis , chez Paul-
Denys Brocas , rue Saint Jacques , 1757 .
Ce Livre ſe vend 2 liv. broché , & 2 liv.
10 fols relié.
COMBIEN un empire ſe rend reſpectable
par l'adoption des arts étrangers ; diſcours
prononcé devant la Cour de Danemarck ;
par M. de la B... pour l'ouverture des leçons
publiques de Langues & Belles- Lettres
Françoiſes , compoſé par M. Mehegan .
A Paris , chez le même Libraire , 1754 .
Ce titre annonce un plagiat Littéraire ,
dans lequel il ne nous convient point d'entrer.
Nous nous bornons à la fimple annonce
de cette brochure.
Le ſecond tome de Vittorio Siri , traduit
par M. Requier , vient de paroître
chez Didot , quay des Auguſtins. Nous
croyons que le Public recevra ce volume
avec la même faveur qu'il a reçu le premier.
L'Original nous y paroît réduit avec le même
goût , la même ſageſſe , & rendu avec
le même ſoin &la même élegance.
CAROLI Linnai Flora Suecica , exhibens
plantas per Regnum Suecia crefcentes , Syſtematicè
cum differentiis ſpecierum , Synonymis
MARS. 1757 . 135
Autorum , nominibus incolarum , folo locorum
, uſu æconomorum , officinalibus Pharmacopæorum
: editiofecunda, aucta & emendata.
Stockolmia 1754 .
L'Auteur eſt ſi célebre , que ſon nom
feul fait l'éloge de l'Ouvrage. Nous nous
y renfermons , nous ajouterons ſeulement
que ce Livre eſtimé ſe trouve chez Briafſon ,
rue S. Jacques , ainſi que celui qui a pour
titre :
CAROLI Linnai Amanitates Academica ;
five Differtationes varia , Phyſica , Medica ,
Botanica , antehac feorfim edite , nunc collec
ta & aucta , cum tabulis anais. Volumen ter
tium. Holmia 1756 .
LETTRE à Monsieur S. D. L. A.
MONSIEUR , j'ai lu dans leMercure
d'Octobre 1756 , à la page 118 , l'énoncé
d'un Problême que vous propoſez , concernant
un Contrat maritime appellé
Groſſe Aventure. Ce Problême peut ſe réfoudre
, comme vous le dites fort bien , en
faiſant autant de regles de proportion qu'il
ſe trouvera d'années révolues juſqu'à l'expiration
de ce Contrat : mais vous demandez
s'il n'y a pas une maniere d'opérer plus
fimple&plus facile. Je commence par vous
136 MERCURE DE FRANCE.
affurer , Monfieur , que ce Problême &
tout autre de pareille nature , peut ſe réfoudre
par une ſeule reglede trois , en donnant
aux deux premiers termes de la proportion
, les préparations néceſſaires , lefquelles
je tâcherai de vous expliquer.
Avant que d'entrer en matiere , vous
me permettrez , Monfieur , de relever une
faute d'inadvertence dans l'énoncé de votre
propoſition , qui donne du Contrat
appellé Groffe Aventure , une autre idée
que celle qu'on doit en avoir. Vous dites
" qu'un Particulier a donné à la groſſe
» Aventure , 1000 liv. , &c. » ; & à la fin
de votre propoſition , vous demandez
« quelle ſomme ce Particulier doit payer
» pour le capital & le profit des profits » :
il auroit fallu dire , quelle ſomme il doit
retirer , &c. En effet , ce qu'on appelle
groſſe Aventure eſt un Contrat maritime ,
par lequel un Particulier s'intéreſſe dans le
chargement ou dans l'armement d'un Navire
, en donnant , pour entrer dans les
frais de l'expédition , une ſomme d'argent
dont il court le riſque en entier , ſi le Navire
vient à périr ou à être pris , ſoit par
les Ennemis , ſoit par les Corſaires ; mais
le Navire faiſant ſa courſe , & revenant à
bon port , alors il retire en argent fon capital
joint aux profits ſtipulés par le Con
MARS. 1757 . 137
trat , fans entrer autrement dans le bénéfice
ou dans la perte de cette courſe , qui ne
concernent que les Armateurs , ou ceux
qui ont fait le chargement.
Revenons maintenant à la maniere de
réſoudre , par une ſeule regle de proportion
, le Problême que vous nous propofez
: voici , Monfieur , comme il faut y
procéder. Puiſque le bénéfice ſe compte à
rant pour cent , élevez le nombre cent en
puiſſance ( 1 ) , ſelon la quantité des années
de la durée du Contrat ; dans la queſtion
préſente , ce ſera à la ſeptieme : voilà le
premier terme de votre regle de trois ; enſuite
ajoutez 17 à ce même nombre 100 ,
attendu que le bénéfice eſt ſtipulé à 17
pour cent ; puis élevez cette fomme 117
en puiſſance , autant que le premier terme
, & vous aurez le ſecond ; le troiſieme
terme ſera le capital ou la miſe : faites la
regle , & il viendra au quatrieme terme ,
3001 1. 4 f. 10 d.:c'eſt la
réponſe à votre queſtion .
(1 ) Elever en puiſſance , c'eſt multiplier un
nombre par lui-même , & réitérer ces multiplications
par le même nombre autant de fois qu'il
eſt néceſſaire , ſelon la puiſſance que l'on veut
avoir. La premiere multiplication produit la ſeconde
puiſſance , puiſqu'on y emploie deux fois
lamême racine : la ſeconde multiplication produit
la troiſieme puiſſance , & ainſi de ſuite.
138 MERCURE DE FRANCE.
Vous demanderez peut- être que je donne
la théorie de cette pratique , & les fondemens
de cette regle : ce ſera , ſi vous
l'agréez , la matiere d'une ſeconde Lettre.
Je ſuis , &c.
LETTRE de M. de Lavau , de l'Académie
de la Rochelle , aux Auteurs des Mémoires
de Trévoux. Affuefce dicere verum
& audire . Seneq . A la Rochelle , chez Defbordes
, & fe trouve à Paris , chez Guillyn ,
Quai des Auguſtins , 1757 .
Le ſentiment de l'Auteur nous a paru
fondé ſur la vérité , & fa Lettre dictée par
la raiſon. Nous penſons que M. de Lavau
a même un double avantage : c'eſt qu'il
écrit auffi-bien en françois , qu'il juge bien
du latin moderne. Nous joignons à cette
indication une Lettre qu'il nous a adreſſées,
elle ſervira de précis à celle que nous annonçons
.
MONSIEUR , ſi j'ai foutenu que la langue
Latine d'aujourd'hui eſt un dialecte dérivé
de la Langue Romaine , ç'a été par zele
pour notre Latin , & par eſtime pour nos
bons Auteurs qui l'ont employé. A moins
que de ſuivre le ſyſtême que je propoſe ,
on jette je ne ſçais quel ridicule ſur eux &
fur leurs ouvrages : on veut qu'ils aient
atteint aux graces originales du fiecle
MARS. 1757 . 139
d'Auguſte. Belle chimere ! flateuſe illufion
! Nous ne pouvons apprendre parfaitement
dans notre cabinet une Langue vivante
qui nous eſt étrangere , quoiqu'elle
nous prête ſes Grammaires & ſes Dictionnaires
; comment apprendrons nous une
Langue morte qui nous refuſe ſes ſecours ?
Tant qu'on mettra vis-à- vis des grands
Modeles de Rome nos Ecrivains Latins
modernes , ceux- ci feront toujours humiliés
, toujours ſoupçonnés d'une latinité
vicieuſe : il faut ſervilement copier les Anciens
pour écrire comme eux ; & encore ,
eſt-on toujours sûr de les bien entendre ?
Combien de difputes interminables parmi
leurs Interpretes !
D'ailleurs, pour peu qu'on dérange leurs
termes , & qu'on les affemble autrement
qu'ils n'ont fait , qu'on leur donne une
fignification différente de celle qu'ils y ont
attachée , qu'on en crée de nouveaux pour
exprimer des choſes qui leur ont été inconnues
, quel rapport , je vous en fais juge ,
Monfieur , quel rapport ce latin factice at-
il avec celui des excellens originaux de
l'Antiquité ?
Mais qu'on diſe que c'eſt un nouvel
idiome , qu'il y a un uſage , des regles ,
des élégances qui lui font propres , qu'il a
confacré un nombre infinide nouvelles lo
140 MERCURE DE FRANCE.
cutions , qu'il leur donne un nouveau ſens
un nouveau tour , un arrangement nouveau
dont les Sçavans ſont convenus depuis
la reftauration des Lettres , voilà nos
Orateurs & nos Poëtes à convert de bien
des reproches ; les voilà remis en honneur.
On a cru que je voulois les combattre ,
& je les défends : on a pris pour mes ſentimens
, les conféquences que je tire de l'opinion
de mes Adverfaires. Vous avez déja
commencé , Monfieur , à me rendre juftice
, & j'en ſuis très-reconnoiſſant : j'oſe me
flatter que vous me la rendrez entiérement
en voyant ma Réponſe , & en daignant
l'annoncer dans votre Mercure ( 1 ) . Je l'adreſſe
aux Journaliſtes de Trévoux , parce
que celui qui m'a critiqué avec tant d'égards
& de ménagemens , n'a pas jugé ă
propos de lever le voile dont il ſe couvre.
Pourquoi ne pas ſe découvrir ? Il n'a pu
craindre que mes éloges & les marques de
ma reconnoiſſance. Le fort de fa Critique
tombe uniquement ſur le plan de mon
Diſcours qu'il n'a pas bien ſaiſi : peut- être
eft-ce ma faute.
J'ai l'honneur d'être , &c .
DE LAVAU .
A la Rochelle , le 24 Septembre 1756.
(1) Volume de Mars 1756.
MARS. 1757 . 141
NOMENCLATOR Ciceronianus. Parifiis ,
apud Thibouft , Regis Typographum , in
Platea Cameracenfi. 1757 .
Ce petit Livre ( car il ne contient que
280 pages in- 12 . ) eſt une eſpece de clef
qui fixe aux perſonnes dont Cicéron a parlé
dans ſes Plaidoyers& dans ſes Lettres ,
ou dont il a écrit dans ſes Traités oratoires
& philofophiques , les noms ſimples &
compoſés par leſquels elles y font déſignées.
Il n'eſt pas douteux que ces noms & ces
furnoms n'euffent , au fiecle où il vivoit ,
une application certaine aux individus qui
les portoient ou qui les avoient portés : à
meſure que l'on s'eſt éloigné de cette époque
, le voile qui a couvert ces objets &
leurs acceſſoires , alors également préſens
à lui& à ſes contemporains , s'eſt tellement
épaiffi , qu'une des plus grandes difficultés
que l'on ait à le bien entendre , eſt de les
difcerner.
Il eſt vrai que cette difficulté ne s'étend
qu'aux noms romains , & même à ceux
qui , étant ou communs à plufieurs perſonnes
, demandent que l'on diftingue cellesci
, ou qui paroiſſant propres à une feule ,
ne laiſſent pas d'en cacher pluſieurs : il a
fallu les découvrir pour rendre à chacune
ce qui lui appartient dans le texte Latin , au
142 MERCURE DE FRANCE.
quel le Nomenclateur renvoie par deux
chiffres , l'un romain , qui indique le Livre
ou le Traité; l'autre arabe , qui marque
le paragraphe.
A l'égard des autres noms Romains ou
Grecs qui font univoques , ils ne figurent
dansle Nomenclateur que comme dans une
Table ordinaire , pour l'indication des endroits
où il en eft fait mention.
Comme l'Auteur n'a pas feulement en
vue de ſe rendre utile à ceux qui liſent Cicéron
de ſuite , mais encore à d'autres
qui ne penſent qu'à le confulter ſur quelques
points hiſtoriques , il a ajouté , autant
qu'il a pu , aux noms des principaux Acteurs
, leurs filiations , leurs dignités ou
leurs profeffions , & à peu près l'année où
ils les ont exercées , ou l'équivalent de
tout cela ; à quoi il a joint , ſuivant l'occurrence
, pluſieurs corrections du texte.
Enfin , perfuadé qu'il eſt que le corps
des oeuvres de Cicéron eſt le fonds le plus
riche qui nous ſoit reſtéde toute l'Antiquité,&
où il y a le plus à profiter & à apprendre
pour nous autres modernes , il a dirigé
fon travail à cette fin ; & l'on doit lui en
ſçavoir d'autant plus de gré , que le Nomenclator
ou l'Index qui en eſt le fruit , eſt
le plus métho lique , le plus complet , &..
le plus exact de tous ceux qui ont paru en
MARS. 1757 . 143
ce genre ; qu'il peut ſuppléer à leurs défectuoſités
, & qu'il s'acquiert à moindre
prix.
Il ſe vend quarante ſols , relié , chez
Thibouſt , où l'on trouve auſſi l'Histoire
Françoiſe de Cicéron , deux volumes in-4 ° .
du même Auteur.
DISSERTATION ſur la légitimité des intérêts
d'argent qui ont cours dans le commerce
, à M. ***. Ala Haye. 1756 .
Cette brochure nous eſt parvenue trop
tard ; nous n'avons que le temps de l'annoncer.
Elle mérite que nous en faflions
une mention particuliere & un éloge diftingué
: c'eſt un double devoir dont nous
nous acquitterons inceſſamment.
PROGRAMME.
L'ACADÉMIEde Bordeaux diſtribue toutes
les années un Prix de Phyſique , fondé
par feu M. le Duc de la Force. C'eſt une
Médaille d'or de la valeur de 300 livres .
Elle propoſe pour ſujet du Prix de l'année
1758 , Quelle est la meilleure maniere
de connoître la différente qualité des Terres
pour l'agriculture ? Elle diftribuera la même
année un autre Prix dont elle a déja
propoſé pour ſujet : Quels sont les meilleurs
moyens de faire des Prairies dans les lieux
144 MERCURE DE FRANCE.
1
fecs , & quelles Plantes y sont les plus propres
à y nourrir le gros & le menu Bétail.
Pour ſujet du Prix qu'elle aura à donner
en 1759 , elle demande Quelle est la meilleure
maniere de ſemer , planter , provigner
conferver & réparer les bois de Chêne ?
Comme ce ſujet pourroit paroître trop
étendu pour pouvoir être également bien
rempli , elle avertit qu'elle adjugera volontiers
le Prix à celui qui lui enverra fur
quelqu'une des parties qu'il renferme , des
expériences nouvelles & utiles.
Cette Compagnie diſtribuera deux Prix
en 1757 ; l'un , à celui qui tâchera de
déterminer le Cours & la Tranſpiration de
la Seve , relativement aux différentes qualités
de l'air , & aux differens aspects du Soleil
de la Lune ; l'autre , à celui qui déterminera
les meilleurs principes de la Taille
de la Vigne , par rapport à la difference des
especes de Vignes&à la diverſité des Terroirs.
Les Differtations fur ce dernier ſujet ne
feront reçues que juſqu'au premier Mai
1757. Elles peuvent être en François ou
en Latin. On demande qu'elles foient écrites
en caracteres bien liſibles .
Les Paquets feront affranchis de port , &adreſſés
àM. le Président Barbot , Secretaire de l'Académie
, fur les Fofſfés du Chapeau rouge ; ou à là.
Veuve de P. Brun , Imprimeur rue S. James .
ARTICLE
MARS. 1757 . 145
ARTICLE II I.
SCIENCES ET BELLES - LETTRES.
GEOMETRIE.
A L'AUTEUR DU MERCURE.
J''AAIrlu , Monfieur , dans votre Mercure
de Décembre ( 1 ) la Lettre de M. D * * *.
Il ſe préſente de bonne grace pour m'enlever
l'honneur de la découverte du Théorême
de Géométrie , inféré dans le Mercure
du mois d'Août dernier. Je ſuis très- charmé
d'avoir un adverſaire tel que lui : car
ſi je fuis affez heureux pour le vaincre , il
fera conſtant que le Théorême m'appartiendra
, non ſeulement à titre de découverte ,
mais encore par droit de conquête.
Avant que d'entrer en matiere , l'Auteur
de la Lettre a jugé à propos de donner,
de ſa façon , & en paffant , une nouvelle
démonstration très fimple du Théorême en
queſtion . Mais qu'il me ſoit permis de re-
(1) Page 157.
G
146 MERCURE DE FRANCE.
chercher auffi en paſſant le motif qui l'a
porté à la donner. Si c'eſt pour faire voir
fon habileté , il pouvoit s'en diſpenſer ,
parce qu'on le croit très-capable : fi c'eſt
pour faire voir , par une autre démonftration
, que la vérité que j'ai découverte eſt
à tous égards incontestable , en ce cas je
dois lui ſçavoir gré de la peine qu'il a priſe
, quoiqu'elle ſoit fuperflue , &je l'en
remercie affectueuſement. Si c'eſt ſimplement
par goût pour les nouvelles démonftrations
, je veux le ſervir à ſa façon , &
lui dire à mon tour que la proportion
ydx
eſt encore une autre y dx. x dy :: x ,
démonftration très- ſimple du même Théorême.
Mais ſi , en publiant ſa démonſtration
, il a eu deſſein ( comme je dois le préſumer
) de diminuer le mérite de ma découverte,
il n'a sûrement pas réuffi:car, pour
le dire encore en paſſant , le grand nombre
de démonstrations que les Géometres modernes
ont données de la quarante-ſeptieme
propoſition du premier Livre d'Euclide
, n'a rien diminué de la gloire que Pythagore
s'eſt acquiſe par la découverte de
cette propofition ; & j'ai tout lieu de croiré
qu'on me rendra la même juſtice à l'égard
de mon Théorême.
Après avoir expofé ſa démonstration ,
M. D *** entre tout de bon en matiere , &
MARS. 1757 . 147
۱
m donne hardiment la quantité AP , priſe
dans le Traité des Sections Coniques du Marquis
de l'Hôpital , comme l'expreſſion gé
nérale de la foutangented'une courbe quelconque.
Quoique l'Auteur de cet Ouvrage
ne pût la donner , & ne l'ait effectivement
donnée que comme l'expreffion particuliere
de la ſoutangente de la ſeule famille
des Paraboles , l'Anonyme n'ignore
pourtant pas que mon Théorême s'étend à
toutes les courbes poſſibles , puiſqu'il a eu
ſoin de renfermer le mot quelconque entre
deux parentheſes,en rapportant mon Enoncé
qu'il a copié mot à mot. Il ſemble donc
que M. D *** ait fait exprès ce paralogifme
; ce que je ne pourrois cependant croire
, ſi toute la ſuite de ſa Lettre ne ſervoit
à le prouver. En effet, ce ne peut être qu'afin
de foutenir la fauſſe généralité que ce
parologiſme donne à fon calcul , qu'il a eu
tout le ſoin d'éviter le nom du genre de
courbes , auquel tout fon calcul appartient.
Voilà , Monfieur , les moyens que
l'Anonyme met en uſage pour m'enlever
ce qu'il appelle l'Idée chérie d'une découverte
en Mathématiques. Je laiſſe à préſent au
Public le ſoin de juger s'il a réuſſi , & s'il
a en de bonnes raiſons pour garder l'incognito.
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
,
Ce que vous venez de lire , Monfieur ,
doit vous ſurprendre ; car les Géometres
ont toujours laiſſé aux Sophiſtes la reffource
puérile du parologiſme. Mais M. D ***
vouloit me réfuter à quelque prix que ce
fût . Qu'a - t- il fait ? Il a mis dans un creufet,
ſi je puis m'exprimer ainſi, une propofition
du M. de l'Hôpital , de laquelle ,
malgré fon habileté dans l'Analyſe , il n'a
pu tirer que la partie de mon Theorême
qui a de l'affinité avec cette propoſition :
cependant , comme il a vu que le réſultat
entier de fon opération ne lui donnoit précifément
que cette partie qui concerne la
ſeule famille des Paraboles , il s'est déterminé
à voir s'il ne trouveroit pas dans
quelque Auteur mon Théorême énoncé mot
àmot : ce ſont ſes termes ; ils font affirmatifs
dans ſa Lettre. Enfin , ce qu'il cherchoit
avec tant d'ardeur , il a cru le voir
dans l'Ouvrage d'Abraham de Graaf qu'il
indique. En me renvoyant à cet Auteur ,
M. D *** a eu ſoin de copier ce qu'il y a
trouvé : il déclare en même temps que ce
qu'il en tranfcrit revient à ce qu'il a déja
cité du M. de l'Hôpital. Or , comment accorder
ici mon Adverſaire avec lui -même ?
Son commentaire erroné fur la propofition
du M. de l'Hôpital , prouve clairement ,
comme on l'a vu , que mon Théorême n'y
MARS. 1757 . 149
eſt point contenu : de plus , la torture violente
& inutile qu'il donne à cette propoſition
à l'aide du calcul , pour en exprimer
mon Théorême , démontre qu'il n'y eſt
contenu ni implicitement , ni explicitement.
Ainſi ce Théorême , qui ne ſe trouve
en aucune façon dans la propofition du
Marquis de l'Hôpital , ne sçauroit être
contenu dans le Livre de M. de Graaf: cependant
, ſelon l'Anonyme , il y doit être
énoncé même mot à mot ; aſſertion préciſe
qu'il ne me convient pas de qualifier , &
qui ne pourra jamais ſe trouver que dans
la feule Lettre de mon Adverſaire. Il ſuffit
de dire ici qu'une imprudente citation
faite ſur le même ſujet par M. Lombart ,
devoit ſervir de leçon à M. D *** , pour ne
pas me renvoyer ſi légérement à un énoncé
mot à mot , dont la fauffeté faute aux yeux
de tout Lecteur tant foit peu initié dans les
myſteres de la Géométrie.
Je crois , Monfieur , en avoir aſſez dit ,
pour faire voir avec combien de légéreté
M. D *** a écrit la Lettre qui regarde mon
Théorême. Mais je dois vous dire , avant
que de finir , que la fauſſe généralité qu'il
donne à fon calcul eſt ſi frappante , que la
quadrature du cercle , comme celle des
autres courbes en général , ne ſeroit qu'un
ſimple corollaire de fon calcul ; ce qui af-
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
furément feroit merveilleux. Mais je rends
justice à M. D *** , & je ne le crois pas un
chercheur de la quadrature du cercle : cependant
, ſi par hafard il avoit le temps de
faire des découvertes dans la ſcience dont ,
fur la foi de Platon , il occupe l'Eternel , je
lui promets à mon tour de les tirer de quelquepropoſition
connue depuis long- tems ,
ſans cependant prétendre pour cela lui enlever
l'honneur de la découverte ; fa conduite
à mon égard ne devant point me fervir
de modele .
J'ai l'honneur d'être , &c .
MARSSON.
A Paris , le 8 Février 1757 .
MEDECINE.
SUITE du Mémoireſur les Eaux minérales
& médicinales , par M. Juvet , Médecin
de l'Hôpital du Roi à Bourbonne-les-bains ,
& afſocié Correspondant du College royal
des Médecins de Nancy .
V. S'IL
'IL ne s'agiſſoit pour la guériſon
des maladies , que de matieres volatiliſées
& fpiritualiſées , les guériſons ſeroient
plus fréquentes , & les maladies
MARS. 1757 . ISI
ſeroient plus rares. Tout eſt enclin à la
volatiliſation dans nos corps par le jeu ,
les frottemens & la chaleur perpétuels ,
qui les agitent , qui les détruiroient bientôt
ſans des réparations journalieres , qu'y
font des alimens pleins de parties dures ,
peſantes & maſſives , qui remédient autant
à la trop grande exaltation de nos
liqueurs , qu'elles préviennent les dangers
de la confidence de nos vaiſſeaux.
Toute matiere eſt ſi prodigieuſement diviſible
, qu'elle échappe à l'imagination ,
& peut atteindre à cet alkool qui fait
les eſprits. Les corps odorans en font la
preuve : le caſtoreum mis dans une balance
pendant quatre jours , quoiqu'il rempliſſe
de ſon odeur une atmoſphere conſidérable
, n'y perd rien de ſon poids :
un grain d'extrait de ſafran donne fon
goût & fon odeur à dix onces d'eſprit
de vin , les ſubſtances mêmes qui paroifſent
les plus compactes peuvent ſe divifer
d'une maniere incompréhenſible. Un
grain d'or ſe mêle ſi exactement dans
une livre d'argent en fuſion , qu'il n'y
a pas un grain de cet argent qui n'y
prenne part la même choſe arriveroit
quand on ne mêleroit que la millieme
partie de ce grain d'or avec une livre
d'argent. :
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
Choififfons dans ces matieres qui font
en ſi grand nombre , celles dont les parties
intégrantes ſont ſi atténuées & fi légeres
, que tout y eſt eſprit , & parmi
celles que la médecine nous fournit , prenons
pour modele le camphre & l'eſprit
de vin.
Le camphre eſt une réſine particuliere
fi volatile , qu'étant expoſé à l'air , il ſe
diminue peu à peu , & ſe diſſipe : il s'enflamme
aisément , & ne laiſſe aucune terre
ou charbon après l'inflammation.
L'eſprit de vin eſt ſi volatil , qu'une
cuillerée de cet eſprit bien rectifiée jettée
en l'air , s'y répand & s'y tranſmet
entiérement , ſans qu'il en retombe une
feule goute par terre.
Suppoſons que le camphre ſoit un volatil
froid , puiſque le proverbe veut qu'il
rend les hommes impuiſſans , per nares
castrat mares , & que des Auteurs trèsgraves
, entre leſquels on pourroit compter
le Docteur Groenvelt , F. Hoffman , M.
Geoffroy & beaucoup d'autres , affurent
qu'il eſt un rafraîchiſſant ſpécifique , que
l'on doit même placer dans les temps des
redoublemens des fievres aigues & inflammatoires
, dans les inflammations des parties
nerveuſes & membraneuſes. Sous cet
aſpect le camphre eſt un cordial , anodin ,
MARS. 1757. 153
adouciſſant , antiphlogiſtique & antipofmodique.
L'eſprit de vin , qui eſt la baſe de tant
d'excellentes préparations , tant galéniques
que chimiques , de tant de liqueurs délicieuſes
, auquel , pour le faire d'autant
mieux contraſter avec le camphre , j'appliquerois
volontiers & avec juſtice un
des attributs de la roquette ( 1 ) , eſt un volatil
chaud , un cordial excitatif , animé ,
échauffant , un eſpece de feu liquide , dont
l'action eſt bien différente de celle du
camphre.
Que l'on monte à préſent ſur l'un ou
l'autre de ces modeles les idées qu'on
ſe forme du volatil des eaux , ou bien encore
qu'on en faffe à diſcrétion un volatil
mixte , qui réuniroit tous les avantages
du camphre & de l'eſprit de vin ,
ſans en avoir les inconvéniens , je ne crois
pas , que , quand même il ſeroit poſſible
de réaliſer là-deſſus les plus belles ſpéculations
, on pourroit en inférer que
ce volatil ſeroit l'agent principal des
eaux. Le camphre & l'eſprit de vin , tous
les volatils , quelque éloge qu'on leur
prodigue , n'auront jamais en médecine
une place auffi éminente , que celles qu'y
(1 ) Excitat ad venerem tardos eruca maritos .
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
tiennent la ſaignée entr'autres & l'eau
commune. Ces volatils , quoique plus rares
& plus précieux , ne feront preſque
jamais que leurs aides & leurs fuppôts ,
& on les verra peu jouir excluſivement
des honneurs du triomphe , ſurtout dans
les maladies internes , où leur effet n'eſt
bien ſouvent que palliatif, foit que leur
cauſe ſoit humorale , ſoit qu'elle dépende
des ſolides ou des folides & des
liquides.
د
Nous pourrions nous en convaincre par
ceux de l'opium. La Chimie fait voir dans
l'opium un volatil ſi abondant , qu'il n'eſt
guere de mixte dont on en ait plus tiré.
Il paroît même à M. Hecquet ( 1 ) que l'opium
n'eſt qu'un aſſemblage d'atomes ſpiritueux
& aëriens , qui ſe développent en
vapeurs , qui devient comme une nuée inſenſible
, qui penetre ſoudainement le
fang,&le traverſe promptement, pour,avec
leplus fin de ſa lymphe , s'aller filtrer dans
la ſubſtance corticale du cerveau , & entrer
enſuite dans les nerfs comme un éclair.
On ſçait que les effets de cet éclair font
paffagers , que ſi l'on donne l'opium en
doſe ſfuffiſante , il chaſſe la douleur &
l'infomnie , qui reviennent l'éclair étant
(1 ) Pag, 84 , de ſes Réflexions ſur l'uſage de
l'opium.
MARS. 1757 .. 155
diſſipe. On ſçait que l'opium ſeul , dans
lequel M. Hecquet s'efforce de trouver
cette vertu finguliere & générale , pour
terminer toutes les maladies , que Pitearn
chercha toute ſa vie , ne guérit pas ,
furtout les maladies chroniques ; que fi
on l'y emploie quelquefois , on ne le donne
jamais ſeul , mais on le mêle avec
le fer , le mercure , les plantes , leurs extraits
, les ſels fixes & les autres remedes
, dont les plus ſages & les plus verfés
dans la pratique , comme Freind dans
ſon Emménologie , & tant d'autres ſe ſervent
, en y joignant quelquefois l'opium ,
auquel ils n'ont jamais abandonné toute
la cure , lorſqu'il s'eſt agi de traiter ces
maladies radicalement.
Il ſeroit facile d'adapter ces réflexions
fur l'opium aux manieres d'agir des autres
volatils , dans lesquels on ne trouvera
pas des altérans , des correctifs , des
émolliens , des toniques &des fortifians
( traumatica ) fur leſquels on puiffe compter
dans les maladies chroniques , & établir
toute confiance. Illi robur & as triplex
circa pectus foret , qui ſus ipfiffimis
committeret manes. Le volatil électrique
eſt peut- être privilégié.
VI . La gloire de guérir ſupérieurement
ne lai feroit-elle pas réſervée ? L'électri
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
cité dont les refforts ſurprenans ſont ceux
d'un fluide ſi ſubtil , qu'on l'a comparé
à la lumiere , ou à l'élément du feu , fluide
que fourniffent copieuſement les corps
électriſés & les corps électriques , auquel
M. l'Abbé Nollet a donné le nom de matiere
effluente , fait voir , que les guériſons
ne font pas à beaucoup près la ſuite de
l'application ſeule , &, qui plus eft , immédiate
de matieres volatiles & fpiritueuſes.
Cette matiere effluente , ou la lumiere
électrique pénétre ſi bien nos corps , &
les agite ſi ſoudainement , qu'on ſçait ,
par exemple , qu'un cercle de cent perſonnes
ou beaucoup plus , qui ſe tiennent
toutes par la main , en font ébranlées
pourvu que cette matiere puiſſe ſeulement
s'introduire dans le corps de la premiere
perfonne , & tout de ſuite dans les autres
juſqu'à celui de la derniere ; ce que
l'on a démontré par l'expérience ſuivante.
Qu'on mette horizontalement la baguette
de fer A près d'un globe de verre mis
en mouvement ſur ſon axe , & frotté ſelon
l'Art , qu'on attache perpendiculairement
à cette baguette la baguette de fer
B , dont un bout ſera plongé dans un
vaiſſeau de fayance ou de porcelaine rempli
d'eau , que la premiere perſonne du
cercle tienne ce vaiſſeau dans la main ;
,
MARS. 1757. 157
dès que la derniere perſonne de ce cercle
nombreux touchera la baguette A , ou
feulement en approchera le doigt , on
verra s'élancer alors une étincelle de feu
fur le doigt de cette perſonne , & dans
le même inſtant tout le cercle éprouve
une commotion & furtout des ſecouſſes
dans les bras , fans qu'on puiſſe diftinguer
quelle eſt la perſonne qui a été plutôt
ou plus tard affectée des impreffions &
de l'introduction de la matiere effluente .
Recordemur ... illas partes intromiſſas in
intimam hujus hominis compagem , nonfolùm
evolvere & motu agere plurimas igneas partes
in ipfius compage reconditas , fed etiam
ferri & tranfire in ſecundum hominem , &
ex hoc in alios hujus feriei usque ad ultimum
, fiquidem omnes homines hujus feriei
electricifiant . ( 1 )
La fubtilité de cette matiere effluente
& ſa facilité à ſe glifſfer dans nos corps
par les pores cutanées a fait imaginer
qu'un phenomene auſſi extraordinaire que
l'électricité , qui a été découverte ou miſe
en vigueur de nos jours , produiroit une
médecine admirable & preſque univerſelle.
On a voulu compoſer une médecine électrique
, qui ſeroit au deſſus de la nôtre ,
(1 ) M. Helvetius , pag. 140 , tom. I , Princip .
phifico-med.
ISS MERCURE DE FRANCE.
autant que le volatil électrique a de prééminence
ſur les autres volatils. Les aigrettes
lumineuſes , la ſalive lumineuse , le
ſang lumineux qui ſortent d'une perſonne
actuellement électriſée , la terrible commotion
, la fecouſſe que fait ſentir l'étincelle
foudroyante dans l'expérience de
Leyde que nous venons de rapporter ,
ces faits principaux , fans parler des autres
, firent conclure , que le corps humain
étoit un des plus amples magaſins de
matiere électrique , que cette matiere y
étoit , commedans les autres corps , d'une
mobilité étonnante , qu'elle y étoit capable
d'une inflammation générale ou d'une
forte d'exploſion , qu'étant ainſi miſe en
action , elle parcouroit en un inſtant les
plus petits canaux , qu'elle devoit par conféquent
produire des changemens ſur le
fluide nerveux. On a même ſoupçonné ,
que la matiere de ce fluide eft de nature
électrique. D'ailleurs le fourmillement produit
dans les parties électriſées favoriſoit
encore les projets de cette médecine ; les
paralytiques & les infirmes de toute efpece
furent foumis aux eſſais électriques :
mais les tentatives ont été ſi ingrates , les
fuccès ſi incertains , les progrès , s'il y
en a , ſont ſi lents , qu'on a tout lieu de
craindre , que les promeſſes qu'on nous
MARS. 1757 . 159
a faites ne s'évanouiſſent avec les vapeurs
ou les écoulemens électriques , à moins
qu'on ne réuſſiſſe enfin , en les étayant
d'autres moyens de guériſon , ( ce qui
a déja été tenté par les plus habiles &
les plus clairvoyans ) à les rendre auſſi
falubres & aufli néceſſaires aux maladies ,
qu'ils font à préſent ſpécieux & dignes
de l'attention des plus grands Phyficiens
de l'Europe. On peut voir là-deſſus le
tome cinquieme de l'Encyclopédie , à l'article
de l'électricité médicinale.
Si jamais volatil doit opérer des prodiges
en médecine , c'eſt ſans contredit le
volatil électrique. Il eſt ſi abondant & fi
mobile , comme le prouve l'expérience de
Leyde & quantité d'autres , que M. Wincler
( 1 ) a remarqué qu'il ſe communique
avec une vîteſſe qui furpaffe de beaucoup
la poudre à canon , qui fait parcourir à
unboulet fix cens pieds dans une feconde :
on ne peut le flétrir par aucun de ces
reproches qu'on fait ſouvent aux eſprits
chimiques , quoique néanmoins on ne
puiffe pas aſſurer qu'il foit pur & fans mêlange;
puifque les corps électrifés répandent
quelquefois une odeur deſagréable
comme de ſoufre , d'ail , & que les étincelles
qui en fortent , ne font pas auffe
(1 ) Profeffeur à Léipfic.
160 MERCURE DE FRANCE .
pures que la lumiere ou le feu élémentaire
privé des matieres combustibles &
flamboyantes.
Il y a apparence que ce volatil , dont
les émanations libres & dégagées d'entraves
, ſont ſi propres à traverſer , & à parcourir
les porofités de nos fluides & de nos
ſolides , qui s'y multiplient exceſſivement,
ne peut s'y arrêter affez long- temps que
par cette multiplication même. Il multiplie
auffi les forces mouvantes & expullives
, qui le chaſſent de nos corps peutêtre
avec une portion du fluide nerveux ,
veneris inſtar luxuriantis , terreur qu'ont
eu , & qu'ont encore pluſieurs Phyſiciens .
Il n'y peut produire ſeul & à loiſir , non
plus que le volatil des eaux ou les autres ,
ces changemens durables & permanens ,
qui font les guériſons des maladies chroniques
; changemens , dont il eſt d'autant
moins capable , qu'il n'eſt qu'accidentel
& paſſager lui-même dans la cauſe comme
dans ſon effet , qui ne peuvent ſubſiſter
qu'autant que durent le frottement & la
chaleur qui lui ont fait prendre l'eſſor .
Voici comment s'explique en parlant de
l'électricité M. Vandermonde , dans ſa préface
du Journal de Médecine , mois de
Janvier dernier .
« L'électricité , qui eſt aujourd'hui l'obMARS.
1757 . 161
53 >jet de la curiofité & de la recherche des
» Scavans , fait éclorre tous les jours des
>>obſervations , qui ne peuvent encore
>>donner aux Phyſiciens aucunes vues
>>nouvelles. La fameuſe expérience de
>>Leyde , par laquelle notre corps reſſent
>>des ſecouſſes ſi violentes & fi promp-
» tes , la barre de fer , qui devient élec-
>>trique ſous un nuage orageux , & qui
>>ſemble detourner en filence la matiere
>>de la foudre , font des phenomenes ad-
>>mirables , qui jouent un grand rôle dans
>>la phyſique ; mais ce ſont des faits iſo-
>>lés , qui ne nous ont fait voir juſqu'à
>>preſent aucun attribut nouveau de la
»matiere.
VII. A combien de difficultés , à combien
d'erreurs l'opinion outrée qu'on a du
volatil des eaux , n'expoſe-t'elle pas dans
l'uſage même & l'adminiſtration des eaux
chaudes ? Elle influe trop fur les bains ,
les douches , & même ſur la boiſſon de
ces eaux. Cette opinion fait faire des omifſions
ou des fautes irréparables , ou de
la part du Médecin ou de la part du malade
, ſi l'un ou l'autre en eft obfédé , &
quelquefois tous les deux ne font que
trop d'accord fur des conféquences , qui
ne peuvent qu'être auffi fauſſes & auffi
chancelantes que leur fondement.
162 MERCURE DE FRANCE.
Le Médecin plein de ce volatil en fait
la baſe de toute ſa conduite : il eſt ſa
bouſſole , c'eſt par lui que le malade boira,
baignera , douchera ; tout malade fans diftinction
boira l'eau abſolument & immédiatement
à la ſource. Peu s'en faut qu'il
ne boive à la maniere des ſoldats de Gédeon
au ruiſſeau qui couloit de la fontaine
de Harare , qui linguâ lambuʻrint aquas
ficut folent canes lambere , feparabis eos feorfum
: il la dévorera , dût-il fuffoquer par
une boiffon trop chaude , & que fon palais
ne pût point ſupporter. On oublie
que cette boiffon , dont la chaleur incommode
& nullement homogene à celle des
parties qu'elle traverſe , commence fon
irritation dans la bouche & fur la langue
, dont l'extrême ſenſibilité eſt un frdele
interprete de ce qui ſe paſſera plus
loin. Les papilles ou houpes nerveuſes de
la langue trop remuées par l'action de
cette chaleur , annoncent au genre nerveux
, & furtout à l'eſtomac , le trouble &
le tumulte qu'elle y doit porter. Cette
boiffon arrive & ſe place dans l'eſtomac ,
ce grand fac ou réſervoir où elle doit s'arrêter
& y faire des impreſſions qui ne
feront pas paſſageres , mais ſtables , qui
ſe tranſmettront à la faveur du ſéjour à
toutes les parties qu'il avoiſine , au coeur
MARS. 1757. 163
qui n'en eſt ſéparé que par le diaphragme
, au foie qui le recouvre en partie ,
furtout lorſqu'il eſt rempli. Ces imprefſions
ſeront d'autant plus vives : que l'eftomac
eft très- nerveux , fes tendres &
nombreux ſions de nerfs , par leſquels il
entretient une merveilleuſe correſpondance
& un continuel accord entre lui &
le genre nerveux , qui forme entr'eux
comme un être perpétuel , en feront trop
rudement ébranlés. Ces ébranlemens ſe
communiquant rapidement , & devenant
univerſels , agiteront toute la maſſe du
fang & de la bile , celle du ſang par
l'augmentation de la fiſtole du coeur , qui
en devient impétueuſe , celle de la bile
en lui communiquant un excès de raréfaction
, dont on ſçait que cette humeur
eſt fort fufceptible étant plus qu'aucune
exaltée , légere & diſpoſée à l'acrimonie
alkaline. On ſue , & on s'en applaudit.
Le malade ne s'imagine pas que cette
ſueur n'eſt autre choſe , que la fuite de
la vélocité de la circulation . Il attribue
fa fueur aux eaux mêmes & à leur volatil
pénétrant. Il croit déja les voir ſe
porter à la peau dans le temps même
qu'elles font encore dans fon eſtomac. Il
admire les eaux & leur volatil , & ne
ſçait pas que cette ſueur peut lui-être
164 MERCURE DE FRANCE.
préjudiciable , qu'elle trompera , pour ainſi
dire les eaux , qu'elle empêchera d'agir
à leur façon , doucement , par les voies
qu'elles affectent , comme par les urines ,
par les felles , par la tranſpiration inſenfible
; que ces eaux trouvant des routes
déja frayées , prématurément ouvertes , s'y
porteront à leur tour , &s'échapperont en
partie , quâ datâ portâ par la peau , deviendront
fudorifiques, échauffantes, conftiperont
, peut- être même malgré les lavemens
& les remedes plus ou moins ſtimulans
, qu'on ne manquera pas alors
d'y ajouter.
S'il arrive des accidens , & il faut remarquer
que les tempéramens éminemment
bilieux , doués de fibres très - ſéches
& fort élastiques , y ſeroient plus expofés
que d'autres , tout l'opprobre en réjailliroit
la plupart du temps , non fur
la défectuoſité de la methode , mais fur
le remede même , qui néanmoins feroit
auſſi innocent que l'eau dommune , qui
pourroit par le même abus produire précifément
les mêmes effets .
On baignera le malade , & par économie
du volatil des eaux , dont on ne
veut laiſſer perdre que le moins qu'on
pourra , on ne laiſſera pas à ſon bain le
temps de ſe former : il ſera trop chaud ,
MARS. 1757 . 165
qu'importe ? Il faut qu'il s'y plonge , dûtil
être échaudé : par la même économie
on le brûtera , ſi l'on peut , avec la douche
, qui n'eſt qu'une colonne d'eau , &
dont le malade ſupportera moins impatiemment
la chaleur que celle d'un bain ,
qui ſeroit auffi chaud qu'elle. Heureuſement
pour lui on n'y réuffira pas complétement
, parce qu'il n'y a point d'eau
chaude , au moins en France , qui ait le
degré de chaleur de l'eau bouillante. Notre
eau , qui paſſe pour être des plus chaudes
du Royaume , qui à la ſource déplume
fur le champ la volaille , qui peut
dépiler une tête de veau , qui durcit un
oeuf en vingt-quatre heures , en ſuppoſant
un thermometre , dont le quarantieme degré
eſt celui de l'eau bouillante , ne fait
monter la liqueur qu'au vingt- unieme degré
, qui eft fon degré de chaleur permanent
& invariable.
A voir les épreuves qu'on fait fubir
à un malade par la hardieſſe qu'inſpire
l'aveugle & téméraire prodigalité du volatil
des eaux , on ſeroit tenté au premier
coup d'oeil de croire qu'on voudroit renouveller
celles qu'on pratiquoit autrefois
pour le juſtifier .
Si le Médecin n'enviſage pas le volatil
des eaux comme bénin & ſpécifique ,
166 MERCURE DE FRANCE .
1
que l'on peut manier tout à ſon aiſe avec
la plus parfaite ſécurité , qu'au contraire
il foit pour lui un agent vif& trop animé
, très- fermentatif , un phlogiſtique ,
ce volatil ſe préſente à lui ſous l'aſpect
d'un furet redoutable , qu'il faut careffer
plutôt que de l'exciter , pour le mener
à ſes fins; & c'eſt là le tableau qu'on s'en
fait ſouvent ; l'avarice prend la place de
la prodigalité : il accorde à fon malade
l'eau en petites doſes , on ne lui permet
pas d'en boire : les bains & les douches
ſe montent fur ce fantôme ; tout y eſt ſymmétrifé
& compaffé : l'on ne marche partout
qu'en tremblant d'un pas lent& tardif.
Ce qui eſt tempéré , paroît cauftique
& inflammatoire , la pufillanimité réduit
tout à des infiniment petits riens auſſi diſpendieux
qu'embarraſſans & inutiles pour
le malade.
Si le malade eſt préoccupé du volatil
des eaux , il épouſe toujours l'opinion
qu'on en fait du feu , des fermens. Quelques-
uns avec deux livres de notre eau
dans l'eſtomac , ſe perfuaderoient avoir
avalé une bouteille de vin de champagne.
Le malade trouve toujours ce feu dans
les bains & les douches. Ses inquiétudes
feroient croire qu'il avale en buvant tout
le feu élémentaire qui eſt renfermé dans
MARS. 1757 . 167
les entrailles de la terre , & dont il ſe
figure que les eaux ſont le confident &
le dépoſitaire. Il baigne dans ce feu , on
le lui verfe par la douche ſur ſes membres
affligés. On a beau lui dire que cette
eau ne fait point de mal à la tête , qu'elle
ne cauſe point d'inſomnie , qu'elle n'altere
pas , qu'elle ne donne point la fievre
, ( 1 ) qu'au contraire elle guérit la foif
immodérée , la fiévre; les diſcours & les
exemples qu'on lui met ſous les yeux ,
ébranlent tout au plus ſes préjugés. Les
inquiétudes & la méfiance , qui par elles
mêmes ſont ſi oppoſées à cette tranquillité
de l'ame , qui ſeconde ſi bien les rémedes
dans les maladies chroniques , contrarient
toujours la cure , & il n'eſt pas
poſſible que l'entêtement ne produiſe des
omiffions ou des fautes conſidérables.
(1) Differtation ſur la fievre-quarte & l'eau
thermale de Bourbonne en Champagne
Laſuite au prochain Mercure.
A M. DE BOISSY.
MONSONISEIEUURR , tous vos Lecteurs s'emprefſent
à vous marquer combien ils font fatisfaits
depuis que le Mercure de France
168 MERCURE DE FRANCE .
eſt entre vos mains. Les juſtes éloges que
vous en recevez ne peuvent être trop multipliés.
C'eſt pour entrer dans vos vues de
perfection , que vos Lecteurs attentifs vous
préviennent contre ceux qui ne rougiffent
pas de copier les Ecrivains antérieurs
fans daigner même en faire mention .
- Permettez -moi , Monfieur , de vous découvrir
ce que je viens de reconnoître dans
le Mémoire ſur les Eaux minérales & médicinales
, par M. Juvet , Mercure de Février
1757 , pages 160 & 161 , qui prend
dans Monfieur Queſnay 16 lignes de ſuite
ſans le citer ; & comme ce Médecin nous
promet la continuation de ſon Mémoire ,
je crois qu'il eſt à propos de le prier d'être
plus exact à l'avenir , puiſqu'il cite pluſieurs
autres Auteurs. M. Queſnay n'auroit pu
que bien figurer avec eux. Voici ce que je
trouve dans M. Queſnay , Eſſai Phyſique ,
premiere édition , au Diſcours prononcé à
l'Académie des Sciences & Belles- Lettres
de Lyon , le 15 Février 1735 , page 18.
,
Les événemens heureux ou malheureux
dans les maladies , dépendent ordinairement
de circonſtances ou de cauſes.particulieres
qu'on ne peut diftinguer par les
événemens mêmes : ce qui arrive dans la
cure des maladies , n'eſt pas toujours , il
s'en faut de beaucoup , l'effet du procédé
ou
MARS. 1757 . 169
ou des remedes qu'on a mis en uſage. Le
propter hoc & le poft hoc forment ici des
équivoques continuelles que ne peut débrouiller
l'Obſervateur le plus au guet,qui
n'épie que par dehors des démarches qui
n'inſtruiſent point aſſez de ce qui ſe paſſe
audedans.
Vous pouvez comparer l'article cité ,&
juger ſi je ſuis exact. Je vous aurois une
entiere obligation ſi vous vouliez bien inſérer
ma Lettre dans le prochain Mercure.
J'ai l'honneur d'être , &c .
LEGER , Chirurg. & Candidat de S. Côme.
De Paris , ce 4 Février 1757 .
LETTRE fur une Maladie populatre ;
qui a régné & qui regne encore dans les
Hôpitaux Militaires , & autres de Provence.
:
Vououss me demandez , Monfieur , les obſervations
que j'ai pu faire cette année ſur
les maladies courantes dans nos cantons :
je ne ſçaurois vous mieux ſatisfaire qu'en
vous marquant ce qui s'eſt paſſé dans les
deux Hôpitaux qui ſont commis à mes
ſoins. D'environ deux mille deux cens malades
rant ſoldats que mandians , qui
ſont entrés dans ces Hôpitaux , depuis la
,
H
170 MERCURE DE FRANCE .
fin de Mai juſqu'à la fin de Novembre ,
feize cens , & plus , y font venus étant atraqués
ou de cours de ventre ou de flux de
fang ; & le plus grand nombre n'a eu ni
fievre , ni dégoût , ni nauſée , ni puanteur
de bouche. Les plus robuſtes ont été
attaqués , ſans diſtinction , comme les plus
foibles : ce qui marque affez que la diſpofition
propre des corps n'a point par ellemême
influé dans cette maladie. Mais ce
qui eſt à remarquer , c'eſt que les femmes
y ont été moins ſujettes que les hommes ;
les enfans , moins que les vieillards ; les
perſonnes ſédentaires , moins que les ouvriers
; les riches , moins que les pauvres.
Lorſque ces deux fortes de maladies, qui
ne différoient entr'elles que du plus au
moins , ont été attaquées dans leur commencement
, elles n'ont point eu de mauvaiſes
ſuites : la racine ſeule du Bréfil &
la Rhubarbe ont bientôt rétabli l'action dé.
rangée de l'eſtomac & des inteſtins. Au
contraire tous ceux qui ont négligé ces
fecours , ou qui , voulant pendant quelque
temps ſe conduire eux-mêmes , ont
úfé de certains fruits rafraîchiſſans & aftringens
, comme citrons , coings , forbes
, &c. remedes ordinaires des pauvres ,
tous ceux-là , dis-je , ſont malheureuſement
tombés ou dans un affreux maraſme ,
MARS. 1757 . 171
ou dans une hydropiſie univerſelle.
Cette maladie n'eſt pas venue d'un uſage
immodéré des fruits ; elle a commencé
avant leur ſaiſon : d'ailleurs il n'y en a pas
eu abondance cette année , & les riches en
ontplusmangé que les pauvres. Elle n'eſt
pas venue non plus à la ſuite d'une chaleur
exceſſive durant le printemps & l'été : on
en a ſouvent reſſenti de plus fortes qui
n'ont pas occaſionné de pareils maux. On
pourroit peut- être en chercher la cauſe
dans la longue ſéchereſſe de la ſaiſon , qui
auroit contribué à irriter les parties : mais
j'ai déja fait obſerver que les malades en
queſtion ont été la plupart ſans fievre &
fans altération ſur la langue ; elle paroiffoit
ſeulement à tous chargée & pâreuſe :
à quoi j'ajoute que leur flux diſſentérique
participoit plus de ſéroſité muqueuſe , que
debile acre & piquante.
Ce n'eſt donc ni dans la difpofition
propre des corps , ni dans l'intempérie de
la ſaiſon , ni dans l'uſage immodéré des
fruits , qu'il faut chercher la cauſe de cette
maladie populaire ; mais je la trouve dans
la boiffon de cette année. Le vin de la récolte
de 1755 a été peu naturel dans nos
cantons : à peine les raiſins commençoientils
à entrer en maturité , que la chaleur
manquapar les pluies abondantes qui tom
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
berent fans interruption durant l'automne.
Le fruit ainſi privé de chaleur,& abreuvé
d'uneeau ſuperflue , ne put donner qu'un
fuc , pour ainſi dire , indigeſte , par la
confufion & l'altération des principes qui
le compoſent : la fermentation qu'il eſſuya
pour ſe convertir en vin fut trop foible ;
ſes parties fulfureuſes furent trop peu
développées ; les ſpiritueuſes ardentes trop
affoiblies , &comme noyées : delà vient
que tous les vins de cette récolte ont été
extrêmement clairs & foibles , & qu'on les
a vus bientôt ſe brouiller & s'épaiſſir ,
lorſqu'on les expoſoit durant quelque
temps à un air libre & ouvert. Tant que
le froid de l'hyver a tenu les parties de ce
vin concentrées , le corps , qui s'en eſt
nourri , n'en a reçu aucune altération ſenſible
; mais à meſure que la chaleur de la
ſaiſon en a développé & fait évaporer les
particules intégrantes les plus ſubtiles ,
alors , bienloin de devenir un baume
dans le ſang , il n'a pu s'en former qu'un
vrai levain de maladie , je veux dire un
chyle dépravé , qui à ſon tour a appauvri
&perverti le fang& les fluides qui s'en ſéparent
: ainſi la bile&les fucs digestifs qui
viennent de la même ſource , étant perpétuellement
empreints de cette boiſſon pernicieuſe
, ont dû conféquemment partici
per de ſa mauvaiſe qualité.
MARS. 1757 . 173
Ce qui acheve de le démontrer , c'eſt
que les perſonnes aiſées qui ont uſé du vin
de l'année précédente , n'ont point été fujettes
à cette maladie , non plus que les
enfans& les femmes , leſquelles , foit par
économie , vu la cherté préſente de cette
denrée , foit ( & c'eſt le témoignage qu'on
doit leur rendre ) par leur tempérance généralement
reconnue fur cet article , n'en
ont pas fait un grand uſage ; au lieu que
les ſoldats , les ouvriers , les vieillards &
les mandians qui en boivent avec excès ,
&qui en font le ſoutien principal de leur
vie ou de leur miſere , ont été les ſeuls
maltraités.
Ce n'eſt pas ici le lieu d'examiner ſi la
cauſe immédiate de ces dévoiemens a été
une irritation dans les fibres , plutôt qu'un
relâchement & une véritable atonie : il
n'eſt pas douteux que l'action des ſolides
n'ait été altérée & pervertie ; mais ce n'a
pu être que par ce vin infect dont on s'abreuvoit
chaque jour , & qui ne pouvoit
fournir qu'un très-mauvais chyle indépendamment
de l'action des ſolides : néanmoins
tout me perfuade que l'effet de ce
mauvais chyle a été de relâcher plutôt que
d'irriter , puiſque l'Hypécacuana a fuffi
dans les commencemens pour rétablir le
ton de l'eftomac & des inteftins. Ce re
Hij
174 MERCURE DE FRANCE.
mede merveilleux remplit toutes les indications
qui ſe préſentent. En agiffant fur
les folides , il les irrite d'une part , & leur
fait exprimer les humeurs viciées qui les
furchargent , tandis que d'autre part il les
affermit & les corrobore par ſa vertu aftringente.
Mais ſi tous les fluides participent
depuis quelque temps de la mauvaiſe
qualité du chyle , quel déſordre n'en doitil
pas réſulter dans toute l'économie animale
? Les ſolides partout arrofés de ces
fluides dépravés , éprouveront une altération
manifeſte dans leur action : il en réfultera
un relâchement univerſel dans tou
tes les fibres ; un affaiffement conſtantdans
les voies par où le chyle a contume depaffer
pour réparer le ſang ; une fonte géné
rale dans ce fluide qui , privé de fon reffort
, s'accumule auſſitôt dans les extrêmi
tés artérielles ; delà le cours de ventre
opiniâtre , le dégoût , la bouffiffure ou le
maraſme qui croiſſent à vue d'oeil : c'eſt ce
qu'ont malheureuſement éprouvé tous
ceux qui ont négligé le commencementde
leur maladie , & qui ont continué l'uſage
de ce vin mal élaboré.
Si vous me demandez , Monfieur , quel
remede on peut apporter à ce funeſte état ,
je répondrai qu'il n'en eſt preſque aucun ,
&qu'il faut que le malade périſſe : car les
MARS. 17570- 175
abſorbans ou les afſtringens , dont on voudra
ſe ſervir , accumuleront davantage les
engorgemens qui ſe trouvent déja dans les
routes du chyle; les apéritifs ou les cordiaux
fouetteront encore plus les fluides
diffous ; les uns accéléreront les dévoiemens
; les autres , l'hydropifie : il ne reſte
que les anodins mêlés avec les ſtomachiques
, & de légers purgatifs aftringens réitérés
de temps en temps , qui pourront
prolonger la maladie , & rarement la guérir.
Il importe donc de faire choix de certains
alimens dont on doit ſe nourrir , ou
den'en point abuſer lorſqu'on ne peut s'en
paffer. On voit auſſi de quelle conféquence
il eſt de remédier aux maux dans leur
principe. C'eſt une erreur de croire , comme
la plupart qui ont été les victimes de
leur impéritie & de leur entêtement , que
la limonade ou les aftringens pris dans les
commencemens , puiſſent détruire cette
maladie fort différente de celles où leurs
fecours font ſi bienfaiſans. Il n'eſt point ici
queſtion ni d'irritation dans les folides , ni
d'une bile abondante qui l'ait procurée.
Non , c'eſt un chyle mal digéré , qui ,
formé en partie d'un aliment auſſi mal digéré
que lui , ne peut que rendre un fang
extrêmement maigre & appauvri. Telle est
H iv
176 MERCURE DE FRANCE .
la cauſe , tels doivent en être les effets ......
A Toulon , ce 2 Décembre 1756 .
LA BERTHONYE , Dofteur en Médecine.
PROGRAMMES
De l'Académie royale de Pétersbourg .
Nous l'inferons ici tel qu'il nous a été
envoyé. Le Latin est la Langue des Sçavans,
qui liront ſeuls ce Programme. Il n'est
fait que pour eux ; ce qui nous a diſpenſes de
le traduire en François.
Elisabeta Augusta , Sientiarum atque Artium
promotrix , optima , maxima , in legibus
Academia Imperialis Petropolitana , à
ſe instaurata , clementiſſimè prudentiffimèque
jussit , ut Prases publicari quotannis curet
problema erudito orbi ſolvendum , premio
centum aureorum propoſito illi, quifeliciorem,
pra cateris , folutionem illius argumenti exhibuerit.
Huic munificentia Scientiarum increemento
infigniter profutura ea , quâ folet, fo-
Tertia refponfurus excellentiffimus Academia
Praſes, Prapotens minoris Ruſſie Hermannus
, Augusta Camerarius ordinarius , legionis
Pretoriana Ismailovice Protribunus , Ordinum
Equestrium S. Andrea , Aquila alba ,
S. Alexandri & S. Anna Eques , Cyriltus
MARS. 1757 . 177
Comes à Rafumowski , post adjudicata ſuperiori
anno duo premia, duas iterum quæftiones
curavit proponi , has nempè :
In annum clc loce LVI .
Quænam fit cauſa proxima mutans corpus
foetus , non matris gravida , hujus
mente à caufâ quacunque violentiori commotâ
, & quidem , cur id fiat in eâ parte
corpufculi foetus , ad quam in fuo corpore
mater manum applicuit. Uni illorum
quoque cogitata ad certamen de præmio
admittentur , qui contrariæ fententiæ addicti
argumenta verofimilia in medium
proferent.
In annum clc locc LVII .
Motus diurnos planetarum circum axes
proprios , imprimis veneris vertiginem ,
cujus commodiffimè determinandæ copiam
annus 1756 faciet , accuratius obſervare ,
&inconcuffis obſervationibus , iifque novis
unâ cum pofitione equatorum , demonftrare
atque definire.
Nunc autem ejufdem excellentiſſimi prafidis
auctoritate Academia declarat , quod ex
plurimis de priori queſtione adſe miſſis differtationibus
unam felegit premio ftatuto centum
aureorum condecorandam. Qua cum in
fronte gerat lemma : oſcitante uno , ofcirat
&alter ; auctoris nomen & conditio , post
Hv
178 MERCURE DE FRANCE .
refignatam publicè fchedulam , fub eodem
lemmate differtationi additam , ita patent :
Carolus Chriſtianus Krauſe Phil. & Med.
D. in Acad. Lipsiensi.
Quoniam autem in hac differtatione affirmativa
quaftionis pars , originem mutationum
in fætu ab imaginatione materna repesens
, ſtabilitur : non ingratam eruditis operam
se preftituram Academia arbitratur ,
dum unam quoque ex iis , quæ negativam defendunt
, fibi quidem optimam viſam , fimul
typis curabit exfcribi . Hac lemma adfcriptum
habet : nunquam natura aliud docuit ,
aliud experientia , ejuſque , ut ex addita
fchedula cognofcitur, auctor eft D. Io . Georg.
Ræderer , Med. & Anat Prof. in Acad.
Georgia Augusta.
1 In annum 1758 proponitur quæſtio :
1 °. Qua prærogativa conſtent magnetes
artificiales præ naturalibus ? 2 ° .Quæ fit optima
eos conficiendi methodus ? 3 °. Utrum
phænomena nova per magnetes artificiales
detecta theoriæ magneticæ adhuc propofis
tæ fatisfaciant ? fi minus , ut quis novam
eorum phænomenorum explicationem fup
pediter.
Pro cujus folutione optima premium centum
aureorum promittitur fub iisdem condi
tionibus , quæ adhuc obtinuerunt.
Invitantur ergò omnium gentium viri doc
MARS. 1757 179
ti, ut æquè de hac , ac de propofita in annum
clo loco LVII. queſtione , cogitatafua atque
obfervata ante diem 1. Junii cujufque
anni cum Academia communicare velint.
Publicatum in conventu Academia,Solemni
dievi Septembris clo lacc LVI.
Le peu d'eſpace qui reſtoit à l'article
des Sciences du ſecond volume de Janvier ,
ne nous ayant pas permis de faire entrer
les dernieres lignes de la Séance de l'Académiede
Rouen , nous les inférons ici pour
réparer cette ſuppreſſion forcée.
Le ſujet propoſé cette année étoit un
Deſſein Allégorique , dans lequel la ville
de Rouen perſonnifiée préſente à Minerve
les jeunes éleves de la Province , qui cultivent
les Arts. La Déeſſe les reçoit avec
bonté , & leur montre dans l'éloignement
le Temple de la Gloire , au pied duquel
on apperçoit le temps déſarmé & enchaîné.
Ce Prix a été remporté par M. Jean-
Jacques-François le Barbier , de Rouen ,
qui avoit eu l'an paffé le ſecond Prix
d'après nature. Les deux premiers Prix de la
claſſe du modele ou d'après nature , fondés
-par Madame de Marle, ont été remportés ,
Je premier par M. Nicolas- Marin Jadoulle,
de Rouen , le ſecond par M. Pierre Gonor,
Hvj
180 MERCURE DE FRANCE.
de Rouen , qui l'an paſſe avoit remporté
celui de la Boffe.
Les deux Prix de la Boſſe & du Deſſein,
fondés par Madame le Cat , ont été remportés
, le Prix d'après la Boſſe , par M.
Jean-Jacques le Moyne , de Rouen , celui
d'après le deſſein , par M. Jean - Baptifte
Voyer , de Rouen .
Il eſt échappé dans l'Extrait de la même
Séance une faute d'impreſſion , qui défigure
un nom trop avantageuſement connu
pour ne pas nous empreſſer de la rectifier.
Page 188 , ligne 7 , M. de Adeville , lifez ,
M. de Cideville.
MARS. 1757 181
ARTICLE IV.
BEAUX- ARTS.
ARTS AGRÉABLES.
MUSIQUE.
Douze Recueils des nouveautés ou
avantures de Cythere , à 12 fols piece .
Six Recueils des étrennesd'Apollon , ou
l'élite des nouveaux Airs , à 12 fols piece.
Quatre Recueils de Menuets , en Duo
ſur la ſeconde ligne , à 1 liv. 4 f. piece.
Quatre Recueils de Contredanſes ſur la
ſeconde ligne , à i liv. 4 f. piece.
Deux Cantarilles de Deſſus , & une de
Baſſe-taille ,de feu M. Martin , à 1 liv. 4 f.
..Le ſieur Jean Stamits , Directeur de la
Muſique de l'Electeur Palatin , & dont le
talent eſt ſi célebre , vient de mettre au
jour fix Symphonies nouvelles à quatre
Parties : prix liv. L'acueil favorable que
le Public a bien voulu faire à ſon Livre de
Trio , OEuvre premier , l'a encouragé à
182 MERCURE DE FRANCE.
lui donner un fecond Ouvrage. On trouve
laMuſique ci-deſſus chez le Sr Le Clerc ,
rue du Roule , à la Croix d'or.
SIX Sonates à violon ſeul & baffe continue
, compofées par M. Mathieu le fils ,
Ordinaire de la Muſique du Roi. Dédiées
à Madame. OEuvre premier , gravé par
Mlle Bertin. Prix 9 liv. A Paris , aux
Adreſſes ordinaires , 1756.
SixTrio pour deux violons &la baſſe ,
dédiés à Madame Victoire de France:
compofés par le même , OEuvre ſecond.
Prix 7 liv. 4 fols. A Paris , aux Adreſſes
ordinaires , 1756 .
GRANDES Symphonies en Concerto ,
pour deux violons , alto & violoncelle
obligés , & deux autres violons & baffe ,
que l'on peut fupprimer ; dédiées à S. A.
M. le Prince de Lorraine , Chanoine de
Strasbourg , Abbé de l'Abbaye royale de
Saint Victor-lès-Marſeille ,&c. compoſées
parM. Papavoine. Prix 9 liv. OEuvre quatrieme.
A Paris , aux Adreſſes ordinaires.
MARS . 1757. 83
O
GRAVURE.
In N trouve chez le ſieur le Rouge ,
génieur-Géographe , les Cartes détaillées
des Côtes maritimes de France , fur quatre
lieues de large , en cinquante feuilles ,
avec la Carte générale , tirées des meilleurs
morceaux , grand in -4°. Prix 12 liv.
relié , 9 liv . broché. Nous annonçons
auſſi l'Hiſtoire détaillée des Iſſes de Jerſay
& Guerneſay , traduite de l'Anglois par
le même , in- r2 , avec des Cartes. Prix
2 liv. 10 fols relié. A Paris , chez la veuve
Delaguette , rue S. Jacques , & chez l'Auteur
, rue des Grands Auguftins.
ARTS UTILES.
HORLOGERI Ε.
A L'AUTEUR DU MERCURE
7
1
MONSIEUR, vous me feriez un ſenſible
plaifirde m'apprendre à qui je ſuis redevable
d'avoir été nommé dans le premier
volume du Mercure de France du mois
184 MERCURE DE FRANCE .
d'Octobre , 1756. Comme la reconnoiffance
eſt ma principale vertu , je ſerois faché
d'en manquer à l'égard d'une perfonne
qui paroît avoir de la bonne volonté
pour moi. Je n'aurois jamais cru que d'aufſi
foibles talens que les miens , duſſent intéreſſer
le Public ; & fi j'en ai quelqu'un ,
j'en ſuis redevable à M. le Roi fils aîné ,
dont j'ai l'honneur d'être l'éleve . Je
connois l'indulgence du Public , & la protection
qu'il accorde aux Arts. C'eſt ce qui
m'a déterminé à n'épargner ni peine , ni
ſoins pour réuſſir dans l'exécution d'une
Horloge , fuivant les principes que j'en ai
reçu du plus grand des Artiſtes. Je m'eſtimerai
trop heureux , ſi je puis réuffir &
mériter ſon approbation. Comme dans l'âge
où je ſuis , c'eſt s'égarer que de ne ſuivre
que ſes propres lumieres , je vais faire
l'analyſe de l'Horloge que j'exécute pour la
ville de Monfort ; & fi je me fuis trompé ,
j'aſſure d'avance que j'aurai une fincere
obligation à ceux qui , par des raiſons démonftratives
, voudront m'apprendre les
défauts de mon ouvrage.
L'Horloge que j'exécute eſt des plus fimples
, & voici , je crois , les avantages
qu'elle doit remporter ſur les Horloges les
mieux faites : de marcher autant de temps
que l'on defire ſans être remontée : d'avoir
MARS. 1757 . 185
très-peu de poids au moteur , & beaucoup
aux régulateur : de fonner dans la
vibrationdu pendule , preuve de ſa régularité
: d'avoir des moteurs de fonnerie
très légers , quoique les marteaux ſoient
très peſants , & de n'avoir qu'une roue
pour chaque objet , c'est- à-dire une roue
pour le mouvement , une roue pour la
ſonnerie des quarts , & une pour celles des
heures. J'attends du rigoureux examen que
j'en fais une preuve de ſa perfection , pour
en donner la defcription.
Si fur cette foible analyſe de l'Horloge
que j'exécute , j'ai le bonheur d'avoir le
fuffrage de ceux qui ont la connoiſſance
du mechaniſme , la gloire , je le répete ,
en doit rejaillir ſur M. le Roi fils aîné , à
qui je ſuis redevable de mon peu de talent
,&dontje ne ſuis que l'écho , ne faiſant
qu'exécuter ce qu'il a trouvé avec
tant depeine.
J'ai l'honneur d'être , &c.
MAUROY.
De Montfort-l'Amaury , ce 15 Novembre
1756.
186 MERCURE DE FRANCE.
MECHANIQUE.
ΟNa déja fait part au Public dans le
د
mois de Juillet dernier , du fuccès d'une
Machine que le ſieur Macary , Machiniſte
privilégié du Roi pour la ſûreté de la
Navigation , avoit inventée pour enlever
les fables , vafe cailloutage , &c . du
fond des ports & rivieres , & qui avoit
tiré dans la riviere de Seine en cinq minutes
de temps foixante - douze pieds
cubes de fable & terre glaife , ainſi que le
porte un Certificat que lui en a donné M.
de Bélidor , un des quarante de l'Académie
des Sciences , & Expert dans ces fortes
d'ouvrages : cette Machine en fait plus
des trois-quarts qu'aucune qui ait encore
été inventée.
Ledit ſieur Macary , par ordre deM.
le Maréchal Duc de Bellifle , s'eſt tranfporté
à Dunkerque, pour y exercer ſes talens
: il y a , en conſequence , fait conftruire
une machine en fix ſemaines de
temps , & les épreuves en ont été faites le
premier Novembre dernier avec l'applaudiſſement
de M. le Marquis du Barrail ,
Commandant audit lieu , de M. le Direc
MARS. 1757 . 187
teur de Fortifications , de tous les Ingénieurs
, & du Public en général. Cette
Machine attire à quinze pieds de profondeur
d'eau , en huit , à neuf minutes de
temps , foixante-douze pieds cubes de fable&
vafe , & on a jugé que , quand les
Ouvriers feront plus au faitde ſa manoeuvre,
elle en pourra tirer juſqu'à vingtune
toiſe cubes par jour.
300 ton-
Ledit ſieur Macary ( ainſi qu'il eſt inféré
dans fon privilege ) , eſt auſſi Expert
pour enlever en entier les Vaiſſeaux
échoués , & même fubmergés , & les gros...
poids ; & pendant fon féjour à Dunker+
que , il s'eſt perdu au côté du port ſur l'eftrant
, unVaiſſeau Hollandoisde
neaux , qu'il a offert de remettre à flor
dans le port dans l'eſpace de trois jours ,
quoique la fouille qu'il avoit faite dans
le ſable fût , au bout de huit jours , de fix
pieds plus haute que fon bord: cette opération
n'a pas eu lieu à cauſe de l'abſence
du propriétaire dudit Navire.
L'adreſſe dudit ſieur Macary , eſt tou
jours au Café de Conty , au bout du
Pont-Neuf.
Ala fin de l'article des Arts du Mercure
précédent , au mot Architecture , page
187 , on est tombé dans une erteur qu'il
ISS MERCURE DE FRANCE .
nous eſt effentiel de corriger , au lieu de
(1) Lettre à l'Auteur du Mercure , liſez ,
Lettre à M. ***. Monfieur , dit l'Auteur en
commençant ſa Leure , les nouvelles des
Arts font les ſcules qui vous amusent. Il
ajoute , en la finiſſant : j'ai prétendu ſeulement
vous faire part d'une petite nouveauté
quipent avoir des ſuites heureuſes. Ce qui ne
peut être indifférent à un homme comme vous,
qui asi bien mis àprofit un long sejour en Italie.
Ces deux traits caractériſent particuliérement
un Amateur , & ne peuvent
nous convenir. Notre goût ne ſe renferme
pas uniquement dans la ſphere des Arts , il
s'étend plus ſpécialement ſur la littérature
qui conſtitue notre état , & nous n'avons
jamais fait le voyage d'Italie.
(1 ) Cette lettre attaque avec eſprit le mauvais
goût de plufieurs particuliers qui ont la fureur de
peuplerleurs jardins de vaſes &de petites ſtatues
deterre cuite.
MARS. 1757- 189
ARTICLE V.
SPECTACLES.
COMEDIE FRANÇOISE.
ItL s'eſt gliffe dans cet articledu Volume
de Février une fauted'impreſſion conſidérable
, page 193 , lignes 7 & 8. On a mis , en
parlant de Sémiramis , nous croyons que le
premier Acte est un des plus beaux qui ſoient
au Théâtre. Liſez , nous croyons que le quatrieme
Alle est un des plus beaux, &c. Quoiqu'il
y ait de grandes beautés dans le premier
Acte de cette Tragédie , nous n'avons
pu le citer comme l'Acte de diſtinction.
L'effet ſurprenant que la grande Scene
de la reconnoiſſance du quatrieme Acte
a toujours fait ſur tous les ſpectateurs , &
dont nous avons été nous-mêmes les témoins
, ne nous a pas permis de faire une
pareille mépriſe.
Le Jeudi , 17 Février , les Comédiens
François ont remis le Bourgeois Gentilhomme
, avec tous ſes agrémens , & ce qui en
eſt un grand pour eux , avec un brillant
190 MERCURE DE FRANCE .
concours. M. Préville repréſente M. Jourdain:
il a un plein ſuccès dans ce rôle , &
contribue le plus à celui de la Piece.
On nous a envoyé des vers qui doivent
trouver ici leur place , puiſqu'ils font à la
louange de Mademoiselle Gauffin .
VERS à Mademoiselle Gauſſin .
O Racine , ombre révérée !
De quel raviſſement ne dois-tupas jouir ,
Lorſque tu vois du haut de l'empirée ,
La tendre Gauſſin embellir
Les chef-d'oeuvres de ton génic ;
Répandre ſur tes vers la chaleur& la vie
D'un ſentiment aimable & délicat ,
Et remontrer ſur notre Scene
Berenice avec un éclat
Qu'elle ſeule pouvoit prêter à cette Reine ?
COMEDIE ITALIENNE.
Le lundi 31 Janvier les Comédiens Italiens
donnerent la premiere repréſentation
de Ramir , Comédie héroïque en quatre
Actes , en vers , avec ſpectacle , tirée de
l'Italien , ſuivie de la Chaſſe , divertiſſement
nouveau , dans lequel on aeu le plaifir
de revoir & d'applaudir Mademoiſelle
Riviere. On peut aſſurer , ſans la flatter ,
MARS. 1757 . 191
que ſes talens ſe ſont accrus , ainſi que ſes
charmes . Pour revenir à la Piece nouvelle ,
l'héroïque en eſt égayé par pluſieurs ſcenes
bouffonnes qui ſe paſſent entre Arlequin ,
Scapin & Coraline. M. Mailhol en eſt
l'Auteur.
M. Araignon , Avocat , nous a écrit à
ce ſujet une Lettre , où il a la modeſtie de
révendiquer , moins pour lui que pour
M. Veroneze , une portion de la gloire
queceDrame procure à M.Mailhol . Il nous
prioit de rendre cette Lettre publique ;
mais ce n'eſt pas à nous d'inſtruire un pareil
procès : c'eſt au tribunal du Public qu'il
faut le porter ; lui ſeul a le droit de prononcer
là-deſſus . En attendant qu'il décide
, nous ne reconnoiſſons pour véritable
& ſeul Auteur , que celui qu'il nomme
lui-même.
nous.
S'il étoit permis à quelqu'un de déracher
du front de M. Mailhol une partie du
laurier dont Ramir le couronne
croyons que le Peintre & le Compoſiteur
de Ballet pourroient y prétendre : c'eſt à
eux que nous fommes redevables du ſpectacle
du troificme Acte ; les deux combats
qu'ils ont ſi bien deſſinés , forment un tableau
qui a généralement plu , & qui n'a
pas peu contribué au ſuccès de cet Acte le
plusagréablede la Piece. MademoiselleCa
192 MERCURE DE FRANCE.
tinon , qui paroît avec tant de grace dans
le premier de ces combats , mérite auſſi
une feuille au moins de la même couronne
: on ne peut pas mieux être ſous les
armes.
OPERA COMIQUE.
Le jeudi , 3 Février , ce Spectacle a fait
fon ouverture par les Racoleurs & lesAmans
trompés. Le mardi 8 , il a donné , avec
les deux mêmes Pieces, la premiere repréſentation
de l'Impromptu du Coeur. Cet
Acte eſt bien nommé ; c'eſt le coeur en effet
qui l'a dicté : on peut dire qu'il eſt l'ouvrage
d'un bon François & d'un bon faifeur
en ce genre ; on ne pouvoit pas traiter
ce ſujet avec plus de bonheur &plus d'adreſſe.
M. Vadé , qui en eſt l'Auteur , a eu
l'art de varier les Scenes , & d'y donner
au zele un air de gaieré d'autant plus agréable
, qu'on voit qu'il part du ſentiment
plus que de l'eſprit , quoiqu'il y ait dans
I'ouvrage beaucoup de l'un & de l'autre ;
mais l'eſprit y eſt adroitement caché ſous
une ſimplicité naïve , qui le prouve plus
qu'une Piece à prétention qui l'affiche : il
eſt vrai que l'Auteur n'introduit dans la
ſienne que des perſonnages de la lie du
peuple ;
MARS. 1757. 191
peuple ; mais s'il les fait parler en artiſans
groſſiers , il les fait penſer en honnêtes
gens , & agiren ſujets pleins d'amour pour
leur Roi . Il y a un rôle qui ne laiſſe rien à
defirer , c'eſt celui de Nicaiſe : l'Acteur le
rend , comme l'Auteur l'a fait, c'eſt-à- dire,
parfaitement. Nous croyons que M. Vadé
n'a riendonné qui lui faſſe plus d'honneur
que cet heureux Drame. Ce n'eſt pas, ſelon
nous , un petit mérite que celui de ſçavoir
embellir ainſi , & , qui plus eſt , ennoblir
le genre le plus bas , dans le temps que
nous voyons tant d'Auteurs gâter par leur
maladreſſe , & dégrader le genre le plus
noble. Notre éloge ſera juſtifié par les Vers
ſuivans , qui nous ont été envoyés à ce ſujet
: ils font de M. de Campigneulles ,
Garde-du-corps.
VERS fur l'Impromptu du coeur , Opera
comique de M. Vadé.
Charmant Auteur de nos plaiſirs nouveaux ,
Dans les rians tableaux
Du Suffisant , de Fanchonnette ,
Tu donnes à chacun ſon ton.
Tu divertis par l'Ariette ,
Tu plais par le groſſier jargon.
Dans cette piece ingénieuſe
Que le ſentiment t'a dicté ,
Secondé d'une Muſe heureuſe ,
I
194 MERCURE DE FRANCE.
Tu ſemes partout la gaieté.
Ah ! que je l'aime ce Nicaise ,
Qui ſi naïvement ſourit ,
Et que dans ſon humeur niaiſe
Il nous montre d'eſprit !
En vain une injuſte cenſure
Blâme ta gloire & l'obſcurcit ,
Elle n'en paroît pas moins pure,
Vadé , pour toucher , il ſuffit
D'embellir l'art par la nature.
CONCERT SPIRITUEL.
Le mercredi 2 Février , jour de la Purification
, le Concert fut très-agréable. Il
commença par une ſymphonie ſuivie de
Jubilate Deo , Motet à grand choeur de
M. Mondonville. Enfuite M. Gelin chanta
une Ode de Rouſſeau , miſe en muſique
par M. Blainville. On exécuta une ſymphonie
à deux Cors-de- chaffe. Mademoiſelle
le Miere chanta Regina Cæli , petit
Motet de M. Mondonville. M. Balbâtre
joua un Concerto de ſa compoſition. Le
Concert finit par Cæli enarrant , Moterà
grand choeur , de M. Mondonville
MARS. 1757 . I195
ARTICLE VI.
NOUVELLES ÉTRANGERES.
ALLEMAGNE.
:
DE VIENNE , le 29 Janvier.
UnCourier , arrivé le 13 Janvier de Versailles ,
a apporté l'effrayante nouvelle du danger auquel
a été expoſé le Roi Très-Chrétien. Auffitôt Pimpératrice
Reine manda au Cardinal de Trautſon
Archevêque de cette Ville, d'ordonner des prieres
publiques , pour obtenir du Ciel la conſervation
J'un Prince , dont les jours ſont ſi précieux à l'Europe.
LesEgliſes ſont remplies d'une affluence extraordinaire
de perſonnes de tous les Ordres , qui
demandent à Dieu le rétabliſſement de la ſantéde
ceMonarque.
Notre Cour vientde conclure avec cellede Franceune
convention , par laquelle elles s'engagent à
ſe rendre réciproquement les déſerteurs de leurs
troupes. Cette convention commencera le premier
dumois prochain à avoir fon effet .
DE LEITMERITZ , le 7 Janvier.
Le premier de ce mois , le Général Laſcy fit ata
taquer par cinq cens Croates le poſte d'Oſtritz ,
où il y avoit trois cens Pruffiens. Le Major Blumenthal
, qui y commandoit , fut tué. Les enne
I ij
196 MERCURE DE FRANCE .
mis perdirent deux autres Officiers & trente -huit
Soldats. On fit neufprifonniers. Le reſte futdiſper.
fé. De notre côté , il y eut un Capitaine tué , un
Lieutenant & fix Soldats bleſſés. Le lendemain, les
Pruſſiens reprirent ce poſte. Ils l'ont fait occuper
par mille hommes , & ils y ont mis quatre pieces
de canon.
DE DRESDE , le premier Février.
Le fieur Frege , Directeur de la Monnoie de
Leipfick a eu ordre du Directoire Général de
Guerre du Roi de Prüſſe , de délivrer , ſous peine
d'être mis aux fers , les coins , les inſtrumens néceſſaires
à frapper des eſpeces , & même les matieres
d'or & d'argent qu'il avoit fous ſa garde.
Les exécutions militaires contre les Bailliages
quin'ont pas fourni le nombre de recrues exigé ,
s'effectuent avec rigueur.
Au reſte , le Roi de Pruſſe continue de faire
obſerver par ſes troupes la plus exacte diſcipline.
Divers Bourgeois de cette Capitale s'étant plaints
que quelques Officiers & Soldats Pruſſiens , mécontens
des chambres qu'ils occupoient , en exigeoient
deplus commodes , S. M. Prufſienne a fait
dire à ſes Officiers & à ſes Soldats , qu'Elle ne les
avoit pas menés en Saxe pour garder la chambre ,
qa'il devoit leur Saffire d'avoir aſſez de place pour ſe
coucher, & qu'Elle leur défendoit de fatiguer leurs
Hôtes par des demandes indifcretes .
Pluſieurs remiſes conſidérables , que la Reine a
reçues , ont mis cette Princeſſe en état , non ſeulement
d'acquitter une partie des dettes que de
malheureuſes circonstances l'ont obligée de con
tracter , mais encore de faire ſentir les effets de fa
générofité aux Officiers Saxons , qui ont beſoin
I
MARS. 1757 . 197
de ſecours . On a diftribué ici clandestinement divers
exemplaires d'un Ecrit anonyme , intitulé ,
Démonstration succincte que le Royaume de Boheme
appartient au Roi de Pruffe. L'Auteur , pour établir
le prétendu droit de S. Μ. Pruſſienne , remonte à
Marguerite , Princeſſe de Boheme , qui dans le
quinzieme fiecle fut mariée à Jean III , Margrave
de Brandebourg. Le Roi de Pruſſe , indigné qu'on
lui prêtât des vues contraires à celles qu'il a annoncées
dans ſes Déclarations , a ordonné que
Pouvrage fût brûlé par la main du Bourreau. Ce
Prince fait faire d'exactes perquiſitions , pour découvrir
l'Auteur & l'Imprimeur.
En différens endroits , les Officiers Pruſſiens
ont fait ouvrir les priſons , & ont enrôlé toutes les
perſonnes qu'ils y ont trouvées propres à porter
les armes. Depuis quelque temps ils engagent indiſtinctement
tous les jeunes gens , foit artiſans
foit domeſtiques , ſans avoir égard ni à la profeffion
, ni à la livrée. Le Roi de Prufle a fait publier
une Ordonnance , par laquelle il enjoint à tous les
Saxons qui font à ſon ſervice , & qui poffedent
des biens fonds , de les vendre , & de dépoſer à la
caiffe du Directoire militaire les ſommes qui pro.
viendront de la vente. S'ils ont quelques prétentions
à faire valoir , les Bailliages reſpectifs font
tenus de leur rendre promptejuſtice , & les deniers
provenans de ces prétentions ſeront portés
pareillement à ladite caiffe.
DE RATISBONNE , le 25 Janvier.
On a reçu ici pluſieurs exemplaires d'un Ecrit
que la Cour de Vienne vient de faire publier , &
qui eft intitulé , Remarques ſur les Manifestes , Lettres
Circulaires & autres Mémoires , donnés de la
,
I iij
98 MERCURE DE FRANCE .
part du Roi de Pruffe. Cette Piece contient trenteſept
pages in-4°. Voici quelques-uns des principaux
traits qu'elle renferme. <<<Le Roi de Pruffe
>> prétend avoir ſeul le droit de tenir en tout tems
>> de grandes armées prêtes àmarcher , &d'aug-
>>menter ſucceſſivement , fans aucun danger ap-
>> parent , le nombre de ſes troupes. Il s'arroge
>> même le privilege de faire enlever , tantôt par
>> ruſe, tantôt par violence , les Sujets aux Souve-
>> rains , les Miniſtres aux Egliſes , les enfans aux
>> peres , les peres aux enfans. En même temps , il
>> ne veut pas qu'une Puiſſance voiſine puiſſe le
> ſoupçonner d'un deſſein offenfif , & qu'elle ſe
>> concerte avec d'autres Puiſſances pour le défen-
>> dre en cas d'attaque..... Lorſqu'une Puiſſance
>> ſonge à completter ſes troupes , & à pourvoir
>> d'artillerie & de munitions ſes places frontieres
>> il croit pouvoir lui demander fierement , l'épée
> àla main, le motifde telles précautions. Si elle
>> ne s'explique pas d'abord dans les termes qu'il
>> lui preſcrit , & fi elle ne promet formellement
>> de ſuſpendre les préparatifs qu'elle a commen-
>> cés pour ſa défenſe , il va juſqu'à la menacer
>> de l'attaquer inceſſamment avec une armée for-
>>midable. L'article ſecret du Traité de Pé-
>> terſbourg devoit-il cauſer quelque ombrage au
>>>Roi de Pruffe ? Au devant de cet article, on avoit
>> en ſoin de mettre ces paroles remarquables : ( Si
» contre toute attente , & contre les voeux communs ,
» S. M. Pruffienne est la premiere àse départir de.
» la Paix de Drefde. ) On avoit ajouté , que les
deux Parties Contractantes mettroient tout en
> usagepour prévenir un tel inconvénient. Ces clau-
>> ſes ne prouvoient-elles pas évidemment que , fi
>> l'Impératrice Reine ſe réſervoit le droit de re-
> vendiquer la Siléſie , & d'employer le fecours
MARS. 1757 .
THEQUR DEL
99
>> de ſes Alliés pour la recouvrer , c'étoit feule-ON
> ment dans le cas où , malgré les voeux cong
» muns de l'Impératrice Reine & de l'Impératrice
>> de Ruffie , & malgré toutes les peines qu'Elles
>> emploieroient pour le maintien de la paix , le
>>Roi de Pruſſe tenteroit une nouvelle aggref-
>> fion ? .... Pour ce qui regarde la découverte de
>> cet article , S. M. Pruſſienne pouvoit s'épargner
> un expédient auſſi illicite que celui de forcer un
>>Cabinet Royal dans un pays neutre , puiſque la
► Cour de Vienne n'auroit fait aucune difficulté
>> difficulté d'avouer qu'elle a porté toujours ſa plus
>>grande attention ſur les préparatifs de guerre
>> des Prufſiens & fur leurs vexations , & qu'elle
>> s'eſt ſervie de tous les moyens néceſſaires & ju!-
>> tes , pour donner à l'auteur des troubles , s'il eſt
>>poſſible , lieu de ſe repentir de ſes violences &
>> de ſes injustices. >>>
Le 17 de ce mois , la Diete générale de l'Empire
donna le Conclufum ſuivant. « De la part des
>>Electeurs , Princes & Etats de l'Empire , on dé.
>> clare à M. le Prince de la Tour-Taxis , Princi-
>> pal Commiſſaire de l'Empereur , qu'on a due-
>> ment proposé aux trois Colleges de l'Empire ,
» & mis en délibération les Décrets de Commif-
>> fion Impériale , portés les 20 Septembre & 18
>>>Octobre de l'année derniere , à la Dictature , au
>> ſujet de l'invaſion hostile du Roi de Pruſſe Elec-
>> teur de Brandebourg , dans la Saxe & dans la
>> Boheme ; ainſi que la Lettre de S. M. l'Impéra-
>> trice Reine , du 21 Octobre , & les Mémoires
>> préſentés par les Miniſtres de Saxe & de Brande-
>>bourg les 23 Septembre & 20 Décembre der
>> niers : qu'on a vu , par leur contenu , toutes les
>> circonftances de l'irruption faite par les troupes
>> Prufſiennes dans les Etats de l'Impératrice Rei-
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
> ne & du Roi de Pologne Electeur de Saxe , la
» maniere dont l'Electorat de Saxe & autres Etats
>> ont été ſaiſis &font encore détenus , & enfin les
>> Mandemens émanés du Juge Suprême de l'Em-
>> pire contre ces entrepriſes : qu'après une mûre
> délibération , telle que l'importance de l'affaire
>> l'exigeoit , il a été conclu & arrêté que S. M.
>> Impériale ſeroit très-reſpectueuſement remer-
>> ciée de ſes ſoins paternels pour le rétabliſſement
>> de la tranquillité publique : qu'en même temps
>> Elle feroit très-humblement requiſe de conti-
> nuer d'agir , comme Elle a commencé , ſui-
>> vant les Loix & Conftitutions de la Patrie , ( en
>> particulier ſelon l'ordonnance d'exécution , la
>> paix de Westphalie & la Capitulation Impéria-
>> le ) , afin que par les moyens déja mis en oeuvre
>> & ceux qu'on emploiera , non ſeulement S.M.
>> le Roi de Pologne ſoit remis en poſſeſſion de ſes
>> Etats avec le dédommagement le plus complet ,
>> mais auſſi que S. M. l'Impératrice , comme
>> Reine & Electrice de Boheme , obtienne la fa-
>> tisfaction qui lui eſt dûe : qu'en conféquence
>> des Excicatoires de S. M. Impériale , tous les
>>Co-Etats de l'Empire , qui ont à coeur le main-
>> tien de la Conſtitution fondamentale du Corps
>> Germanique , concourront de tout leur pou-
>> voir aux moyens de parvenir au but propofé par
>> Sadite Majeſté : que pour ſecourir tant les Etats
>> opprimés que ceux qui pourroient dans la ſuite
>> éprouver le même ſort , tous les Cercles porte-
>> ront fans délai leurs contingens au triple , & les
> tiendront prêts à marcher avec tout ce qui eſt
>> néceſſaire au ſervice. On ſe réſerve une expli-
> cation ultérieure ſur les autres points des Dé-
>> crets de Commiſſion . >>
MARS . 1757 . 201
DE LIEGE , le 31 Janvier.
Dès qu'on eut reçu içi la nouvelle de l'attentat
commis contre la Perſonne de Louis XV , on donna
ordre d'arrêter & d'examiner , fans diftinction
de rang, tous les étrangers qui arriveroient en cet
Ville. Les Erats de l'Evêché , étant actuellement
affemblés , députerent à M. Durand d'Aubigny ,
Réſident de France , pour lui témoigner le vif intérêt
qu'ils prennent àla conſervation de Sa Majefté
Très-Chrétienne. Le 14 , les Chanoines de PES
gliſe Collégiale de Saint Martin , dont le Roi de
France eft protecteur , firent chanter une grande
Meſſe en muſique , en action de graces de ce qu'il
aplu àDieu de ſauver les jours de ce Monarque.
Les Chanoines Réguliers de PAbbaye du Val
desEcoliers de cette Ville , coururent ſe profterner
au pied des Autels , pour obtenir du Ciel la
confervation de ce Monarque. Pendant neufjours,
ils ont continué leurs prieres. Lorſqu'ils eurent
appris la guériſon de S. M. Très -Chretienne , ils
réſolurent de rendre de folemnelles actions de
graces au Tout-Puiffant. Le 27 de ce mois , jour
fixé pour cette cérémonie , elle fut annoncée le
matin par une ſalve de boîtes , qui fut répétée à
midi. M. d'Aubigny , Réſident de France , s'étant
rendu à l'Abbaye , l'Abbé à la tête des Chanoines
, & en habits pontificaux , le reçut à la porte
de l'Eglife , & lui adreſſa ce diſcours : «Mon-
»ffileur, effuyons nos larmes , & oublions , s'il
>> ſe peut , les horreurs qui les ont fait couler ,
>> pour ne penſer qu'aux miféricordes de l'Éternel,
qui vient d'arracher à la mort un Prince dont la
perte eût été pour nous le comble des malheurs .
>> Qu'il vive ce grand Roi , la gloire & les délices
»
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
→de la France ! Qu'il vive ce Prince Bien-Aimé !
>>Qu'il jouiſſe longtemps des douceurs d'un nom
>> plus cher pour lui , que ceux qu'il s'eſt acquis
❤par ſes victoires ! C'eſt en ne laiſſant échapper
> aucune occaſion de mériter le nom de Bien-Ai-
» mé, de la part de l'Etranger même , que ce
>> Roi pacifique étend chaque jour les bornesde
• ſon Empire au-delà des pays de ſadomination.
>>Nous en fomines témoins , Monfieur , & nous
>> le publions avec joie. Louis eſt pour ſes Voiſins ,
>>comme pour les François, Louis le Bien-Aimé.
>>C'eſt unhommage & un tribut que la recon-
>> noiſſance ne peut refuſer à lagénéroſité de ce
>> Prince bienfaiſant.Que ne puis-je , Monfieur ,
>> répandre dans le ſein du Miniſtre d'un ſi grand
Koi tous les ſentimens que le devoir & l'amour
>> le plus reſpectueux m'inſpirent ! ... Mais la
>>>Religion nous appelle dans le Sanctuaire. Al-
>> lons , Monfieur , rendre gloire à Dieu du pro-
>> dige éclatant qu'il aopéré pour laconſervation
>> du Fils Aîné de ſon Eglife. Demandons en mê-
>> me temps que fa main bienfaiſante demeure
>> étendue ſur l'homme de ſa droite , pour le pro-
>>téger& pour le défendre . Qu'il ajoute long-
>> temps des jours à des jours ſi précieux ! Le Ciel
>> attend nos voeux , pour les exaucer , & pour
>> nous prouver que Louis eft autant le Bien-Aime
>> de Dieu que des hommes. >>
On conduifit M. d'Aubigny dans le Choeur , &
leTeDeum fut chapté en Muſique. L'Egliſe étoit
ornée avec la plus grande magnificence. Unetenture
, enrichie de fleurs de lys d'or , entouroit le
Choeur , juſqu'à la naiſſance de la voute , & le
Chiffre de Louis XV étoit placé d'eſpace eneſpace
dans des cartouches. Des girandoles chargées de
bougies formoient un triple cordon de lumieres,
MARS. 1757 . 203
Pluſieurs luftres , qui deſcendoient de la voûte
augmentoient le brillant de l'illumination . Vis-àvis
du fauteuil du Célébrant , on avoit élevé un
trône où étoit le Portrait de S. M. Très- Chrétienne
, auquel on a rendu les mêmes honneurs
que ſi Elle avoit été préſente. Le Portrait étoit
couronné de cette Inſcription : Dilectus Deo
hominibus. On liſoit à la droite du trône ces
mots : Obducam cicatricem tibi , & à vulneribus
tuis ſanabo te ; & à la gauche ceux - ci : Sanavi
Ludovicum & reduxi , & reddidi confolationes
lugentibus eum . L'illumination de la Nef répondoit
à celle du Choeur . L'architecture de la tribune
dans laquelle est l'Orgue , étoit deſſinée avec
des pots à feu.. Des deux côtés de l'Orgue s'élevoient
deux pyramides de lampions Un cordon.
de flambeaux de cire blanche régnoit tout le long
de la corniche . Le portail de l'Egliſe & les bâtimens
qui l'environnent , étoient entiérement illuminés.
ESPAGNE
.
DE MADRID , le 25 Janvier.
Les Lettres deBuenos-Ayres marquent que ,
depuis la victoire remportée par les troupes Eſpagnoles
&
de la fur les Indiens voiſins Portugaiſes
riviere d'Urugay , les Vainqueurs ont continué
leur marche ; que malgré tous les obftacles que
leur oppofoit un pays montueux & couvert de
bois , ils ont foumis tous les peuples de ces cantons;
& que ces peuples ſe diſpoſent à paſſer
dans les nouveaux établiſſemens , qui leur ont été
afſignés.
Un Courier étant arrivé le 20 de Versailles ,
avec la nouvelle que le Roi Très-Chrétien étoit
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
parfaitement guéri de ſa bleſſure , le Roi fit chanter
ſur le champ le Te Deum dans ſa Chapelle ,
&ordonna qu'on célébrât cet heureux événement
par trois jours de réjouiſſances & d'illuminations.
DE LISBONNE , le 4 Janvier.
Il a été annoncé dans les lettres datées du
23 du mois dernier , que deux Navires de la flotte
de la Baie de Tous les Saints étoient en grand
danger. Quelque diligence qu'on ait apportée
pour les fecourir , ils ont coulé bas dans la Barre.
Ces Bâtimens ſe nommoient le Gasparino & la
Sanada. Le premier étoit le Navire le plus riche
de la flotte. Outre ſon chargement particulier ,
il avoit une partie de celui du Vaiſſeau de retour
de Goa , qui étant arrivé à la Baie de Tous les
Saints , ne ſe trouva pas en état de continuer ſa
route. Des équipages du Gasparino & de la Sanada
, il n'a péri que deux Matelots . Dans la
même tempête deux Navires Anglois , qui étoient
à l'ancre dans le Tage , ont eu leurs cables briſés.
Un de ces Bâtimens a échoué contre un banc de
fable ; mais on a ſauvé toute la cargaison. Hier ,
le feu du ciel tomba ſur un Vaiſſeau de guerre de
la même Nation , renverſa le grand mất , & tua
quelques perſonnes de l'équipage.
ITALI E.
DE ROME , le 10 Janvier.
Ces jours derniers , la Nation Françoife fit
chanter le Te Deum dans l'Egliſe de Saint Louis,
en action de graces du rétabliſſement de la ſanté
du Saint Pere. M. le Comte de Stainville , Am-
:
MARS. 1757 . 205
baffadeur Extraordinaire du Roi de France auprès
du Saint Siege , ſe trouva à cette cérémonie , ainfi
que l'Abbé de Canillac , Prélat-Commandeur de
POrdre du Saint-Efprit , & Auditeur de Rote.
GRANDE BRETAGNE.
DE LONDRES , le 8 Février.
Le 14 Janvier la Chambre des Communes réſolut
d'accorder deux cens vingt-trois mille neuf
cens trente-neuf livres pour la dépenſe ordinaire
de la Flotte royale pendant cette année ; cent
foixante-deux mille cinq cens cinquante - ſept
pour l'artillerie employée au ſervice de terre ;
dix mille pour l'entretien de l'Hôpital de Greenwich
; une pareille ſomme pour la conſtruction
d'un nouvel Hôpital à Plymouth , & trente mille
pour la Maiſon des Enfans trouvés .
A l'exception du Lord Blackeney & d'un petit
nombre d'Officiers , tous les témoins qui ont été
entendus dans l'affaire de l'Amiral Byng , ont
déposé que la conduite de cet Amiral n'étoit
ſuſceptibled'aucun reproche. Cependant le Conſeil
de guerre aſſemblé à Portsmouth pour juger
cet Amiral , a prononcé que conféquemment à
l'article XII du Code Militaire , il ne pouvoit fe
diſpenſer de condamner cet Amiral à perdre la
vie ; mais qu'en même temps il ſe croyoit obligé
d'implorer la clémence du Roi en faveur de cet
Officier. On affure que le Vice-Amiral Boſcawen
, qui eſt parti en poſte pour Portsmouth , y
porte la grace de l'Amiral Byng , avec des ordres
pour garantir cet Officier dela fureur de la populace
, qui perſiſte àvouloir qu'on en fafle une
victime publique.
206 MERCURE DE FRANCE.
FRANCE.
EXTRAIT d'une Lettre écrite de Montréal
, le 6 Novembre .
PENDANT ENDANT que M. le Marquis de Montcalm faifoit,
avec trois bataillons & 1500 hommes de la
Colonie , le ſiege de Chouagen , M. le Chevalier
de Leris , avec un corps de 3000 hommes , défendoit
la frontiere du Lac S. Sacrement. Une partiede
ſes troupes étoit employée à y conſtruire le
Fort de Carillon , & l'autre occupoit en avant différens
poftes capables d'arrêter l'ennemi , s'il eût
voulu tenter l'exécution de projets annoncés dès la
campagne derniere.
Le 6 Septembre , M. le Marquis de Montcalm
vint prendre le commandement du camp de Carillon
, & y amena deux des bataillons qui avoient
fait le ſiege de Chouagen. Toutes les vues des ennemis
, depuis la perte de cette Place ſurtout ,
étoient dirigées vers cette frontiere. Ils y avoient
porté toutes leurs forces ,&des préparatifs conſidérables
ſembloient annoncer qu'ils vouloient
nous venir attaquer avec un corps de 10 à 12000.
hommes. Quoique nous n'en euſſions pas plus de
4000 , nous étions prêts à les bien recevoir , &
leurs mouvemens ne nous ont jamais fait interrompre
les travaux de Carillon : objet important
pour nous..
Tout s'eſt enfin borné de part& d'autre à la
petite guerre. Nous y avons perdu 30 hommes environ,
prifonniers ou chevelures levées , & nos
MARS. 1757 . 207
Partis en ont pris ou tué près de 300. Un détachement
dans lequel j'avois été envoyé avec les
Sauvages , pour reconnoître le Fort Georges ſitué
au fond du Lac S. Sacrement , a contraint les en-,
nemis d'abandonner des les qu'ils occupoient.
dans ce Lac , & ayant rencontré un parti de 58
hommes à deux lieues du Fort , en a tué ou pris
57.
Lesglaces ne permettent plus detenir la campagne.
Notre arriere-garde , conduite par M. le
Chevalier de Leris , ſe repliera du 10 au 15 : le
Fort de Carillon ſera pour- lors en état de recevoir
&loger ſa garniſon. Il eſt en vérité temps d'entres
en quartier. J'ai fait dans mon particulier près de
soo lieues depuis mon arrivée en Canada.
Du côté de la belle riviere nous avons eu tout
Pavantage. Nos Sauvages ont fait abandonner les
habitationsſemées dans les vallées qui ſéparent les
chaînes des Apalaches , & forcé lesVirginiens à ſe
retirer ſur les bords de la mer. Les Anglois avoient
levées 1000 hommes équipés & matachés en
Sauvages , pour faire des courſes de ce côté. Cette
levée qui leur a coûté beaucoup , a aboutie à un
détachement qui eſt venu mettre le feu à un Village
de Loups , & dont une partie a péri de miſere
dans lesbois ; les autres ont été chaudement pourſuivis
par nos Sauvages , qui , je crois , leur ôterontl'enviede
les contrefaire.
Le corps que nous avions dans l'Acadie , s'eſt
foutenu toute la campagne , & a même pris aux
Anglois unegrande quantité de beftiaux. Le Pere
Germain a raſſemblé ſur la Riviere & dans l'Iſſe
S. Jean, environ 1500 Acadiens, que l'enthouſiaf
medu Miſſionnaire anime. Desvaiffeaux de guerreAnglois
ont deux fois tenté une defcente à là
Baie deGaſpé : ils ont été repouſſés avec perte
208 MERCURE DE FRANCE.
& nous ſommes toujours maîtres de ce pofte important.
Les Sauvages des Pays d'en haut , excités
par la priſe de Chouagen , ont accepté la Hache
contre le Frere Coflar , & viendront nous joindre
ce printemps. On dit même qu'il ſe fait des mouvemens
en notre faveur dans le Conſeil des cinq
Nations.
2
Telle a été la campagne en Amérique. Quoique
partout très - inférieurs en nombre aux ennemis
nous leur avons fermé les Pays d'en haut , en les
chaſſant du Lac Ontario ; nous les avons empêché
d'exécuter leurs projets fur la frontiere du Lac S.
Sacrement , qu'ils menacent depuis trois ans , &
nous leur avons tué ou pris près de 4500 hommes
ſans en perdre 100 .
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c .
I i n'eſt point d'image affez expreſſive , pour
bien peindre la douleur, la conſternation & les
allarmes , que la bleſſure du Roi a cauſées dans
tout le Royaume. Partout , dans les Villes &
dans les campagnes, les habitans ont ſuſpendu
leurs travaux , ont oublié même le ſoin de leurs
maiſons & de leurs enfans , pour courir aux Egliſes
demander la guériſon de Sa Majefté. Les bornes
de cet article ne nous permettent pas d'inférer
les Relations que nous avons reçues à ce ſujet de
divers endroits du Royaume. D'ailleurs , il ſeroit
difficile de faire uſage de ces Relations , fans
ſe répéter. Toutes préſentent le même tableau.
On voit dans toutes , le Clergé , la Nobleſſe , les
Magiftrats les troupes & le peuple , adreſſer
avec la même ferveur lesmêmes voeux au Ciel, &
s'efforcer de le fléchir par les mêmes actes de
MARS. 1757. 209
piété &de charité. La Ville de Saumur s'eſt principalement
diftinguée. Auffitôt après l'horrible
attentat commis contre la Perſonne Sacrée du
Roi , Meſdames de France dépêcherent le ſieur
Primois , Officier de leur Chambre , pour porter
à l'Abbaye de Fontevrault cette fatale nouvelle.
Ces Princeſſes , pendant le ſéjour qu'elles ont fait
dans cette Abbaye où elles ont été élevées , ſe
font concilié généralement le reſpect & l'amour de
toute la Province. C'étoit , pour les peuples qui
Phabitent , un nouveau motif de donner des
preuves éclatantes de leur zele. Outre les prieres
ordonnées par l'Evêque d'Angers dans toute l'étendue
de ſon Dioceſe , le Clergé & les habitans
de la Ville de Saumur & de tous les lieux voiſins
ont fait des proceſſions pendant neufjours confécutifs.
Ils ontterminé la neuvaine par une proceffion
générale , à laquelle la Nobleſſe , la Magiftrature
& le Corps de Villllee , ont aſſiſté. Les aumônes
ont été ſi abondantes , qu'elles ont ſuffi
pour ſecourir cinq cens pauvres familles .
,
Le 16 Janvier , le Régiment de Poitou , qui
eſt en garniſon à Bethune , y fit chanter une
Meſſe ſolemnelle dans l'Egliſe paroiſſiale de
Saint Waſt en action de grace du prompt
rétabliſſement du Roi. M. de Fais , commandant
ce Régiment , donna un magnifique dîner
à toute la Nobleſſe. L'après- midi , le Te Deum
fut chanté en muſique. On alluma enfuiteun bucher
, que le Régiment avoit fait dreſſer ſur la
principale Place , & auquel M. de Grimaldi ,
Lieutenant de Roi , mit le feu. Le Régiment fit
trois ſalves de mouſqueterie , entremêlées de fix
falves de canon. Sur les dix heures du ſoir , commença
un bal , qui dura toute la nuit.
Les Officiers du Régiment du Roi , Cavalerie ,
210 MERCURE DE FRANCE.
célébrerent le 19 à Saint-Dizier , par une fêre magnifique,
la convalescence de Sa Majesté. Ils firent
diftribuer des cocardes à tout le Régiment , &
trente fols à chaque Cavalier. Après le Te Deum ,
qui fut chanté au bruit de pluſieurs falves d'artillerie&
de mouſqueterie , ily eut feu d'artifice
illumination , ſouper & bal. Quatre fontaines de
vin coulerent pour le peuple.
On écrit d'Aveſnes , qu'à la même occaſion le
Régiment de Cavalerie de Beauvillier a fait éclater
ſon zele. M. de Chouppes , Major de ce
Régiment , s'eſt diſtingué en particulier par un repas
ſplendide , qu'il a donné à tous les Militaires
qui ſe ſont trouvés dans la Ville.
Les lettres de la Ville d'Eu marquent que le 30
le Régiment d'Artois y a fait auffi chanter le Te
Deum. Ce Régiment , non content de témoigner
fon attachement à la Perſonne du Roi par des prieres
, a donné des marques de ſa charité , en faifant
diftribuer abondamment du pain à tous les
pauvres de la Ville& des Paroiſſes voiſines. Monſieur
Jourdain , qui commande le Régiment , a
fait inviter au Te Deum toutes les perſonnes de
distinction.
Les Juifs Portugais de Bordeaux & de Bayonne
ſe ſont empreflés à l'envi d'adreſſer des voeux ais
Ciel pour la guériſon du Roi , & de célébrer la
convalefcence de Sa Majesté. Leurs prieres pour
laconſervationdu Monarque & pour la proſpérité
du Royaume font marquées au coin de la fidélité
&de la reconnoiffance. A Bayonne , ainſi qu'à
Bordeaux , les jours de leurs prieres & de leurs
actions de graces , ils ont fermé leurs Comptoirs
& leurs Boutiques , ſe ſont abſtenus de toute
forte d'affaires , ont obſervé un jeûne 24 heures ,
& ont diftribué d'abondantes aumônes.
MARS. 1757 211
Le 3 Février , les Régimens de Royal Ecoſſois
& d'Ogilvy , qui font partie de la Garniſon de
Berg-Saint-Vinox , firent chanter à cinq heures
du foir, dans l'Abbaye de Saint-Vinox, un TeDeum
en muſique , en action de graces de la conſervation
du Roi. L'Abbé de Saint-Vinox y officia en habits
pontificaux . Le Gouverneur & les Magiftrats de la
Ville , ainſi que tous les Officiers du Régiment de
l'Ifle de France & des Dragons de la Reine , y
avoient été invités , &y affifterent. Au fortir de
l'Eglife , la compagnie ſe rendit à l'Hôtel de Ville
, où le bals'ouvrit dans une Salle extrêmement
décorée. Ce bal fut interrompu à neuf heures ,
&l'on paſſadans une autre Salle , où un magnifique
ambigu fut ſervi ſur pluſieurs tables. Après
lerepas , on rentra dans la Salle du bal ; il dura
juſqu'à ſept heures du matin , & l'on ydiſtribua en
abondance toute forte de rafraîchiſflemens . Cette
fête , qui a été complette en tous points , s'eſt
faite aux dépens des Officiers des deux Régimens
Etrangers.
Selon les lettres écrites de Saint- Sauveur-le Vicomte
, le Régiment de Cavalerie de Caraman ,
&en particulier M. du Verger , Lieutenant-Colonel
de ce Corps , ont ſignalé auſſi leur zele par
une fête très - brillante .
Le Régiment des Cuiraffiers & celui de Royal
Rouffillon , à Haguenau ; la ſeconde Brigade du
Corps des Volontaires Etrangers , à Avranches
& les Officiers du Bataillon de Senlis , à Rocroy ,
n'ont pas célébré avec moins d'éclat le rétabliſſe
mentde la ſanté de Sa Majefté.
La nuit du 21 au 22 Janvier , à Provins en
Brie , toute la Ville Baſſe ſe trouva ſubitemens
inondée par la fonte des neiges. En pluſieurs endroits
, il y avoit juſqu'à ſept pieds d'eau. Par
7
212 MERCURE DE FRANCE .
malheur , on avoit amaſſé une grande quantitéde
chaux dans quatre tanneries du quartier des Béné
dictines . L'eau a allumé cette chaux ; & cet accident
a produit un affreux incendie. Il y a eu plufieurs
maiſons de brûlées. Le reſte de la Ville ne
doit ſon ſalut qu'à l'activité des Maire & Echevins
, & au zele avec lequel le Régiment de Vatan
a porté du ſecours partout où il étoit néceffaire.
Diverſes lettres annoncent que le 18 on a
ſenti quelques ſecouſſes de tremblement de terre
enFranche-Comté &dans une partie de l'Alface.
Madame la Ducheffe de Coffé-Briffac fut préſentée
le 30 Janvier à Leurs Majestés , & prit le
tabouret.
Le Roi a mis Madame la Vicomteſſe de Choiſeul
au nombre des Dames nommées pour accompagner
Madame la Dauphine.
Le premier Février , M. le Comte de Saint-Florentin
, Miniſtre & Secrétaire d'Etat , alla de la
part du Roi redemander les Sceaux à M. de Machault
, avec la démiſſion de ſa Charge de Secretaire
d'Etat de la Marine. M. le Comte de Saint-
Florentin a reporté les Sceaux au Roi. M. de M.
de Machault s'eſt retiré à ſa terre d'Arnouville .
Le même jour , M. Rouillé , Miniſtre & Secretaire
d'Etat , alla auſſi de la part du Roi demander
au Comte d'Argenſon , Miniſtre & Secretaire
d'Etat de laGuerre , la démiſſion de ſa charge.
Le Comte d'Argenſon eft parti pour ſa terre des
Ormes- Saint-Martin , ſituée en Touraine.
Le 31 Janvier , le Roi aſſiſta au Service qui fut
célébré dans la Chapelle pour le repos des ames
des Chevaliers de l'Ordre du Saint-Esprit , morts
dans le cours de l'année derniere. L'Evêque de
Strasbourg , Prélat - Commandeur , officia à la
MARS. 1757 . 213
Meſſe , & elle fut chantée par la Muſique.
Le jour de la Purification de la Sainte Vierge ,
les Chevaliers , Commandeurs & Officiers de
l'Ordre du Saint-Esprit , s'étant aſſemblés vers les
onze heures du matin dans le cabinet du Roi , Sa
Majesté tint un Chapitre. La profeſſion de Foi ,
& l'information des vie & moeurs du Prince de
Beauvau , du Marquis de Gontaut , du Comte de
Maillebois , du Marquis de Bethune , du Marquis
d'Aubeterre & du Comte de Broglie , qui avoient
été propoſés le premier Janvier pour être Chevaliers
ayant été admiſes , ils furent introduits dans
le cabinet de Sa Majefté , & reçus Chevaliers de
l'Ordre de Saint Michel. Le Roi ſortit enſuite de
fon appartement pour aller à la Chapelle. Sa Majeſté
devant laquelle les deux Huiſſiers de la
Chambre portoient leurs Maſſes , étoit en manteau
, le collier de l'Ordre pardeſſus , ainſi que
celui de l'Ordre de la Toilon d'or. Elle étoit
précédée de Monſeigneur le Dauphin , du Prince
de Condé , du Comte de Charolois , du Comte
de Clermont', du Prince de Conty , du Comte de
la Marche , du Comte d'Eu , du Duc de Penthievre
, & des Chevaliers , Commandeurs & Officiers
de l'Ordre. Les nouveaux Chevaliers en
habits de Novices , marchoient entre les Chevaliers
& les Officiers. Le Roi aſſiſta à la Bénédic
tion des Cierges & à la Proceſſion qui ſe fit dans
la Chapelle. Après la grand'Meſſe , célébrée par
l'Evêque Duc de Langres , Prélat-Commandeur ,
Sa Majesté monta à fon trône , & revêtit des
marques de l'Ordre du Saint-Efprit les nouveaux
Chevaliers. Le Prince de Beauvau , le Marquisde
Gontaut & le Comte de Maillebois , eurent pour
parreins le Duc d'Ayen & le Maréchal Duc de
Belle-Ifle. Les parreins du Marquis de Béthune ,
214 MERCURE DE FRANCE.
du Marquis d'Aubeterre & du Comte de Broglie ,
furent le Comte de Lautrec & le Marquis de
Montal. Cette cérémonie étant finie , le Roi fut
reconduit à ſon appartement en la maniere accoutumée.
Le 6 , le Roi admit à ſon Conſeil d'Etat , en
qualité de Miniſtres , M. le Marquis de Paulmy ,
Secretaire d'Etat ayant le Département de la
Guerre , & M. de Moras , Contrôleur Général
des Finances.
Sa Majesté a donné à M. le Comte de Saint-
Florentin , Miniſtre & Secretaire d'Etat , le Département
de Paris , dont étoit chargé M. le
Comte d'Argenſon.
,
Elle adiſpoſé de la charge de Secretaire d'Erat
au Département de la Marine en faveur de M.
de Moras , à qui Elle conſerve en même temps la
place de Contrôleur Général des Finances.
Le Roi a conſervé par un brevet à M. de Machault
tous les honneurs attachés à la Dignité de
Garde des Sceaux de France.
On acélébré le 10 Février dans l'Egliſe de la
Paroiſſe du Château , pour le repos de l'ame de
Madame Henriette de France , le Service fondé
par Monſeigneur le Dauphin. Ce Frince , Madame
la Dauphine , Madame , & Mesdames Victoire
, Sophie & Louiſe , y ont afſiſté.
Le 12 , M. le Duc de Duras fut reçu & prit
féance au Parlement , en qualité de Pair de France.
M. le Ducd'Orléans , M. le Prince de Condé,
M. le Comte de Clermont , M. le Prince de
Conty, leComte de la Marche , Prince du Sang ,
& MM. les Ducs d'Uzés , de Luynes , Maréchal
Ducde Richelieu , de la Force , de Luxembourg ,
de Villeroi , de Saint- Aignan , Maréchal Duc de
Noialles , d'Aumont , de Fitz-James , d'Antin ,
MARS. 1757 . 215
de Chaulnes , Prince de Soubize , Duc de Rohan-
Rohan , de Villars- Brancas Lauraguais , Prince
de Monaco , Duc de Valentinois , de Biron , de
la Valliere , de Fleury , Maréchal de Belle- ile-
Duc de Gifors , ſe trouverent à ſa réception .
On a reçu avis que les Vaiſſeaux le Lys & le Neptune
, de la Compagnie des Indes , étoient arrivés
l'un le 7 , l'autre le to de Février , au Port de
Porient ; & que le Vaiſſeau le Duc d'Aquitaine ,
appartenant à la même Compagnie , avoit rélâché
le 10 du mois dernier à Lisbonne. Ainfi la
nouvelle de la priſe de ce dernier Bâtiment par les
Anglois étoit ſans fondement.
On mande de Dunkerque , que le Capitaine
Dhondt , commandant le Corfaire le Comte de
Saint Germain , de ce Port , y a conduit les Navires
Anglois la Penelope , de 180 tonneaux , chargéde
cacao , de bois pour teinture , de vin & de
fruits , & l'Anne- Elisabeth , de 120 tonneaux ,
chargé de beurre & de biere.
Le même Corſaire s'eſt emparé de deux autres
Bâtimens Anglois , appellés Pun le Triton , de
120 tonneaux ; l'autre le Henneſey , de 100 tonneaux
, qui ont été conduits au Havre , & qui
font tous deux chargés de bled , d'orge & d'autres
grains.
Le Corſaire le Duc de Penthievre , de Dunker
que , commandé par le Capitaine de Lifle , s'eſt
rendu maître du Brigantin Anglois le Jean &
Jeanne , de 70 tonneaux , chargé de farine &de
couperoſe , & l'a fait conduire à Calais.
Le Capitaine Louis Bray , commandant le Cor
faire le Marquis de Villequier , de Boulogne , a
auſſi conduit à Calais les Navires Anglois le
Hampfire , de so tonneaux , chargé de vin , &
l'Eléonore , de 120 tonneaux, dont le charges
:
216 MERCURE DE FRANCE.
ment conſiſte en 126 boucauts de tabac.
On apprend encore par des lettres écrites de
Calais , que le Corſaire le Danglemont , de ce
Port, y eft rentré avec le Navire Anglois le Jean &
Anne, de 70 tonneaux , chargé de 252 barrils de
ſaumon falé .
LesNavires Anglois le Mindhede , de 140 tonneaux
, chargé de ſucre , & l'Amitié , de 100 tonneaux
, dont le chargement eſt compoſé de beurre
, de cuirs & de morue ſeche , ont été pris par
le Corſaire le Machault , de Granville , dont eſt
Capitaine le ſieur Magnonnet ; & ils fontarrivés,
le premier à Granville , & l'autre au Havre .
Il eſt arrivé à Dieppe deux Bâtimens Anglois
appellés , l'un le Démontant , de Londres , de 80
tonneaux ; l'autre l'Elisabeth , de so tonneaux ,
ayant chacun un chargement composé de grains .
Ils ont été pris par les Corſaires le Gros Thomas ,
deBoulogne , & le Hardi Mendiant, de Dunkerque
.
Le Capitaine Canon , commandant le Corſaire
LePrince de Soubize , de ce Port , s'est rendu maî.
tre du Navire le Williams de Cork , de 180 tonneaux
, chargé de beurre & de boeuf , qui a été
conduit à Saint-Vallery ſur Somme .
Le Navire Anglois le Prince de Galles , de 200
tonneaux , richement chargé , a fait naufrage à
deux lieues de Boulogne. L'équipage compoſéde
treize hommes a été ſauvé , & l'on eſpere que la
cargaiſon ſera recouvrée en entier.
Le Petit Jean , autre Navire Anglois , chargé
de ſoude , de raiſins , d'anil & d'amandes , a été
conduit à la Rochelle par le Corſaire le Montrofier ,
decePort.
On a été informé que le CapitaineGautier , qui
commande le Corſaire le Furet, de Bordeaux
s'eſt
MARS. 17570 217
s'eſt emparé d'un Navire Anglois de 350 tonneaux,
armé de to canons , chargé d'indigo , de ſucre ,
de bois de campeche & de coton .
BÉNÉFICES DONNÉS.
SaMajesté a donné l'Abbaye Réguliere & Elec
tive de Sainte Elifabeth-du Queſnoy , Ordre de
Saint Augustin , Dioceſe de Cambray , à la Dame
Biache , Religieuſe de cette Abbaye ; l'Abbaye de
Signy , Ordre de Citeaux , Dioceſe de Rheims ,
au Cardinal de Tavannes ; l'Abbaye Réguliere &
Elective de Mareuil , Ordre de Saint Auguftin , à
Dom Blanchart , Religieux de cette Abbaye :
l'Abbaye Réguliere & Elective des Dames Chanoineſſes
d'Ottmarsheim en Alface , Dioceſe de
Baſle , à la Dame Fraxland , Chanoineſſe de ladite
Abbaye ; & l'Abbaye Réguliere & Elective de
Saint Jean des Choux , Diocese de Strasbourg ,
la Dame Bender.
CATALOGUE
D'un Cabinet de Mufique Italienne,àvendre.
Corelli.
LIVRE premier , Sonates a premier & ſecond
3 cahiers in-fol. deſſus , flûtes &baſſes ,
Livre 2 , Sonates à deux flûtes&baſſes , 3 in-fol.
Livre 3 , Sonates à deux flûtes &baſſes , 3 in-fold
Livre 6 , de même , 4in-fol.
Livrepremier , ſuite à un claveſſin , un violon &
baffe, 3 in-fola
K
218 MERCURE DE FRANCF :
Livre 2 , de même , 3 cahiers in-fol.
Opera prima , Sonates à deux violons & baſſe ,
4 in-fol.
Opera 2 , de même , 4 in-fol.
Opera 3 , de même , 4 in-fol.
Opera 4 , de même , 4in-fol.
Operas , id. à un violon & baſſe , avec les agrémens
, in-fol.
Le même à parties ſéparées , 3 in-fol.
Opera 6 , Concerts à quatre violons , une hautecontre
& deux baſſes , 7 in-fol.
Ouvrages pofthumes à deux violons & baffe , 3
in-fol.
Et autres Auteurs , Sonates à un violon & baſſe ,
in-fol.
Et autres Auteurs , fix Sonates à 4 , 5 & 6 parties ,
7in-4°.
Rogs paisible . Corelli.
Huit Sonates àdeux flûtes , 2in-4°.
Albinoni.
Opera prima , Sonates à deux violons &.baſſe ,
4in-fol.
baffe,
Opera 2 , Concert à deux violons h. c. taille &
7 in-fol.
Opera 3 , Ballets à deux violons & baffe , 4 in-fol.
Opera 4 , Sonates à un violon & baſſe , grand
in-4°.
Operas , Concert à deux violons , h. c. taille &
baffe, 7. in-fol.
Opera 6 , Sonates à un violon &baſſe , in-fol.
Opera 7 , Concert à deux violons , haut-bois ,
h. c. & baffe ,
f
7 in-fol.
Albinoni & Tibaldi.
Sonates à un violon & baffe , in-fol.
MARS. 1757 . 219
4 cahiers in-fol.
Vivaldi .
Opera prima , Sonates à deux violons & baſſes,
Opera 2 , Sonates à un violon & baſſe , in-fol.
Opera 3 , Concerts à quatre violons , haute-contre
&baffe
, 8 in-fol.
Opera 4 , id. à trois violons , haute-contre &
baffe, 6 in-fol.
Operas , Sonates à un &deux violons & baſſe ,
2 in-fol.
T
Opera 6 , Concerts à trois violons , haute-contre
& baffe , 6in-fol.
Opera 7 , demême , 6in-fol.
Bitti , Vivaldi & Torelli.
Concerts à cinq , fix , fept inftrumens , dont un
pour la trompette ou le haut-bois.
Veracini , Vivaldi , Alberti , Salvini , Torelli :
Concerts à trois violons , haute-contre &baffe ,
6 in-fol.
Moffi
Opera prima , Sonates à un violon & baſſe ,
grand, in-40.
Opera 2 , Concerts à trois & cinq Inſtrumens ,
6 in-fol.
Opera 3 , id. à quatre violons , haute- contre &
baffe,
,
Moſſi , Valentini & Vivaldi.
Concerts à cinq , à fix Inſtrumens ,
Valentine.
7 in-fol.
7 in fol
Opera prima , Symphonies à deux violons &bafſſe,
4in-fol.
Opera 2 , Bifarreries , id. 4 in-fol .
•Opera 3 , Fantaisies , id. 4 in-fol.
Kij
220 MERCURE DE FRANCE .
Opera 4 , Idées à un violon & baſſe , cah . in-fol.
Opera 5, Sonates à deux violons , ou quatre hautescontre
&deux baffes , 4 in-fol.
Opera 7 , Concerts à deux & quatre violons , h. c.
& deux baſſes , 8 in-fol.
Opera 8 , Sonates à deux violons & baſſe , in-fol.
Albicaftro.
<
Opera prima , Sonates à deux violons & baſſe ,
4 in-fol.
Opera 2 , Sonates àun violon &baſſe , 2in-fol.
Opera 3 , Sonates , id. 3 in -fol.
Opera 4 , id. à deux violons &baffe ,
4in-fol.
Operas , de même , grand in-4°.
Opera 6 , Concerts à deux violons , haute-contre
&baffe, grand in-4°.
Opera 7, Concerts à deux violons , haute- contre
&baffe , sin-fol.
Opera 8 , Sonates à deux violons & baffe ,
4 in-fol.
:
Opera , Sonates à un violon & baſſe , grand
in-4 .
PaiſiblePez.
Sonates à unviolon ou hautbois &baſſe , 4 in-fol.
Varacini.
Opera prima , Sonates à deux violons & baſſe ;
4in-fol.
Opera 2 , Sonates à un violon &baſſe , 2 in-fol.
Operas , Sonates àdeux violons & baſſe , 3 in-fol .
Valentini , Vivaldi , Abinoni-Veracini, S. Martin .
Marcello , Rampin , Prediſi..
Concerts à trois violons , haute- contre & baſſe ,
6 in-fol.
Taglietty.
Opera 2 , Concerts à deux violons &baffe ,
Opera 3 , Airs à un violon & baſſe ,
4
in-4 .
MARS. 1757 . 221
Opera 4 , Concerts à deux violons , haute-contre
&bafle , scahiers infol.
Operas , Sonates à deux violons & baffe , 4 in-fol.
Opera 6 , Concerts à deux & trois violons , hautecontre&
deux baſſes , s in-fol.
Opera 8 , Concerts à quatre violons , haute- contre
&baffe , 7 in-fol.
Opera 11 , demême , 7 in fol.
Balbi.
Opera prima, Sonates àun violon & baſſe, 3 in fol.
Opera 2 , de même , grand in-4°.
Opera 3 , Sonates à deux violons & bafle , 4 in-fol.
Schickardt.
Opera prima , Sonates à une flûte & baſſe , grand
in-4°.
Opera 2 , Sonates à un hautbois , ou violon &
grand in-4 .
2 in-fol.
baffe ,
Opera 3 , Sonates à une flûte & baffe,
Opera 4 , Sonates à deux flûtes & baſſe , 3 in-fol.
Operas , Sonates à une flûte , deux hautbois &
deux baſſes , 5 in-fol.
Opera 6 , Sonates à deux flûtes & baſſe , 3 in-fol.
Opera 7 , Sonates à deux hautbois , ou violon &
baffe , 4in-fol.
Opera 8 , Sonates à un hautbois , ou violon &
Opera 9 , Sonates à deux flûtes &baffe , ou fans
in-fol.
3 infol.
3 in-fol.
Opera 10 , Sonates à deux violons ou hautbois , &
baffe ,
baffe ,
flûte &baſſe , ou fans baffe ,
baffe ,
Airs à deux flûtes ,
Opera 11 , quatre Recueils de Menuets , deſſus &
Opera 12 , Principesde la flûte avec quarante-deux
2 in-40.
2in-4
Kiij
222 MERCURE DE FRANCE.
Opera 13 , Concerts à deux violons , deux hausbois,
ou violons & deux baſſes 6 cahiers in-fol .
Opera 14 , Sonates à une flûte , hautbois , ou violon
& deux baffes , 4in-fol.
Opera 15 , Principes de hautbois avec cinquantetrois
Airs de hautbois , 2in-4°.
Opera 16 , Sonates à deux flûtes& baffe , 4 in-fol.
Opera 17 , Sonates à une flûte & baſſe , grand
in-4°.
Opera 18 , Recueil d'Airs de mouvemens pour la
flûte , in-40.
Opera 19 , Concerts à quatre flûtes & baſſe , 6
in-fol.
Opera 20 , Sonates d'une fûte , hautbois , ou
violon & baſſe , grand in-40.
Opera 21 , Airs à flûte & baſſe , 3 in-fol.
Opera 22 , Sonates à deux flûtes ,un haut-bois&
baffe , 4in-fol.
Gaspardini & Schickardt .
Airs à deux flûtes , 2in-fol.
Torelli.
Opera 2 , Concerts à deux violons & baſſe , 4
Opera 4 , Sonates à un violon & baffe , 2 in-fot.
in-fol.
Operas , Concerts à deux violons ,
Opera 6 , Concerts , id.
sin-fol.
sin-fo .
Opera 7 , Caprices à un violon & baſſe , 2 in-fol.
Torelli & autres Auteurs.
Sonates à un violon & baſſe ,
Bernardi & Torelli .
2 in-4°.
Livre premier , Concert à quatre , cinq & fix parties
,
Albaco.
7 in-fol.
Opera prima , Sonates à un violon &baffe , grand .
in-4 .
MARS. 1757 . 223
Opera 2 , Concerts à deux violons , haute-contre
& bafle , s cahiers in-fol.
Opera 3 , Sonates àdeux violons & baffe , 4in -fol.
Opera 4 , Sonates à un violon & baſſe , in -fol.
Operas, Concerts à quatre violons, haute-contre
& baffe
,
Marini.
8 in-fol.
Opera 3 , Sonates à deux & trois violons , haute-
6 in-fol. contre & baffe ,
Operas , Sonates à deux violons & baſſe , 3 in-4 °.
Opera 6 , Sonates à deux violons , haute-contre
& baffe , s in-fol.
Opera 7 , Sonates à deux violons& baſſe, 4 in-fol.
Opera 8 , Sonates à un violon & baffe , grand
in-4°.
Caldera.
Opera prima , Sonates à deux violons & baffe ,
4in-fol.
Opera 2 , Sonates à trois violons & baſſe , 4 in-fol.
Buonporti.
Opera prima , Sonates à deux violons & baffe ,
4 in-fol.
Opera 2 , de même ,
Opera 4 , de même ,
Opera 6 , de même ,
4in-4°.
4in-4°.
4 in-4 .
Opera 7 , Sonates à un violon & baffe , grand
in-4°.
Opera 8 , Cent Menuets à un violon & baffe ,
2 in-4°.
Opera 9 , Ballets à un violon & baffe ,
Opera 10 , Sonates à un violon & baffe ,
2 in-40.
in-fol.
Pour la flûte , fix Sonates à deux flûtes & baſles ,
4.in fol .
Kiv
224 MERCURE DE FRANCE.
L'Oneillet.
Opera prima , Sonates à une flûte & baſſe , grand
cahiers in-4°.
Opera 2 , de même , grand in-4° .
Opera 3 , de même , grand in- 4°.
Opera 4 , de même , grand in-4°.
Operas , livre premier , Sonates à une flûte-traverſiere
, hautbois ou violon , premier cahier
in-fol. Livre 2 , Sonates à deux flûtes-traverſieres
, hautbois ou violon , 2 in-fol.
Pepusch.
Opera 2 , Sonates à un violon & baffe , grand
in-4°.
Operas , de même , grand in-fol.
Opera 6 , de même grand in-4°.
Opera 7 , Concerts à deux flûtes à bec , deux flûtes-
traverſieres , hautbois , ou violon & baffe ,
6in-fol.
Pez.
Opera prima , Concerts à deux violons &baffe ,
4in-fol.
Operas , Sonates à deux violons & baſſe , 3 in-fol.
Opera 3 , Sonates , id.
Fings.
4in-fot.
Opera prima , Sonates à deux & trois violons &
bafle , 4in-fol.
Operas , Sonates à deux violons & baffe ,
4in-fol.
Opera 4 & 6 , Sonates à deux flûtes & baſſe ,
3 in-fol .
Opera prima , Sonates à deux violons & baſſe ,
4in-fol.
Corbett.
Sonates àune trompette ou hautbois , deux vio
MARS. 1757 . 225
lons & baſſe , avec une ouverture & fuite à
deux trompettes , ou hautbois , deux violons ,
haute- contre & baſſe .
Corbettes Fings.
Sonates à deux flûtes & baſſe , 3 in-fol.
DeFesch.
Opera prima , Sonates à deux violons , zin-fol.
Opera 2, Concerts à quatre violons, haute-contre
&baffe , 7 in fol.
Opera 3 , de même , 7in-fol.
Tibaldi.
Opera prima , Sonates à deux violons & baffe
4in-fol.
Opera 2 , de même ,
Baldaffini.
4in-fol.
Opera prima , Sonates àdeux violons & baffe ,
4in-fol.
Opera 2 , demême ,
Bianchi.
4in-fol.
Opera prima , Sonates à deux violons &baſſe ,
4in-fol.
tre& baſſe ,
Opera 2 , Concerts à deux violons , haute-con-
Ravencroft.
7in-fol.
Opera prima , Sonates à deux violons & baſſe ,
4in-fol.
Opera 2 , de même ,
Scherard.
4in-fol.
Opera prima , Senates à deux violons & baſſe ,
4 in-fol.
Opera 2 , de même ,
Haim.
4in -fot
Opera prima , Sonates à deux violons & baſſe
4.in-4°
Kv
226 MERCURE DE FRANCE.
Opera 2 , de même ,
Matteis.
3 cahiers in-4 .
Trois Livres de Sonates à deux violons& baſſe ,
10 infol.
Palberti.
Opera prima , Sonates à deux violons & baſſe ,
4in-fol.
G. Malberti.
Opera prima , Sonates à trois violons , hautecontre&
baffe ,
Cavellio.
J
6in-fol.
Opera prima , Sonates à deux violons & baſſe,
4in-fol.
Dallabella.
Opera prima , de même ,
Facer.
4in-fol.
contre&baffe , 4in-fol.
Garpardini.
Opera prima , Concerts à trois violons , haute-
1
Opera 2 , Sonates à deux violons & baffe ,
4in-fol.
Reali.
Opera prima , de même , 4in-fol.
Novelli.
Opera prima , de même , 4in-fol.
Motta.
Opera prima , Concerts àdeux violons , hautecontre-
taille & baffe ,
Fiore.
4in-fol.
Opera prima , Sonates à un violon & bafle
2in-fol.
MARS. 1757- 227
Manfredini.
Opera 2, Sonates à deux violons , haute-contre
&baffe ,
Vanturini.
s cahiers in-fol.
Opera prima , Concerts à quatre , cinq , fix ,
ſept , huit , neuf inſtrumens ,
Franco.
10in-fol.
Opera prima , Sonates à deux violons & baſſes ,
4in-fol.
Franchi.
Opera prima, demême ۶۰
Rells.
4in-fol.
A cinq inſtrumens , fix Sonates , dont trois à
trompettes ou hautbois , deux violons , une
haute-contre & baſſe , & à trois flûtes , deux
hautbois ou violon & baſſes ,
Romano.
6in-fol.
Livre premier , & deuxieme Sonate à deux flûtes
&baffe ,
Caftraci.
4in-fol.
Opera prima , Sonates à un violon&baffe , in-fol.
Germiniani.
Opera prima , de même ,
Macharani
Opera prima , de même ,
in-fol.
in-fol.
Marcello.
Opera 2 , Sonates à une flûte &baſſe , in-4 .
Coffini .
Opera prima , Sonates à un violon&baſſe , grand
in-4°.
Opera prima , de même ,
Visconti.
grand in-4°.
Kvj
228 MERCURE DE FRANCE.
D.
Opera prima , de même , grand cahiers in-4°.
Somis.
in-40. Opera prima , de même ,
Vitali.
Opera 9 , Sonates à deux violons & baſſes, grand
in-4°.
Gaillard& S.
3 in-4°. Sonates à une flûte & baffe ,
Bononcini .
'Airs à deux flûtes , ou deux violons & baſſes , 3.
in-40.
Mulc.
Opera prima , Sonates à un hautbois, deux violons,
ouhautbois , haute-contre & baſſes
MUSIQUE.
Baflani.
, 6in-fol.
Motets à voix ſeule, deux violons & baſſe, 4 in-fol.
Opera 11 , id. à une , deux , trois & quatre voix ,
deux violons & baffe , 8 in-fol.
Opera 12 , id. à voix ſeule , deux violons& baſſe ,
4in-fol.
Opera 13 , de même , 4 in-fol.
Opera 20 , Menuets à pluſieurs parties , 14 in-fol.
Opera 24 , Motets à deux & trois voix , deux violons&
baſſes , 7 in-fol.
Opera 26 , Motets à un , deux , trois voix , & à
trois & cinq inſtrumens , 7 in-fol.
Opera 27 , Motets à voix ſeule , deux violons &
baffe , 5. in-fol.
Scarlati .
Opera 2, Moters àune, deux,trois & quatre voix
& in-fot. &Symphonie,
MARS. 1757. 229
Batistini .
Opera 2 , Motets àune , deux & trois voix &Symphonie,
8 cahiers in-fol.
D'Ave.
Opera prima , Motets à deux , trois , quatre& cinq
voix, & Symphonie ,
Fioco.
11 in-fol.
Opera prima , Motets à quatre voix & quatre inftrumens
,
Allegri.
8. in -fol.
Opera prima , Motets à voix ſeule , deux violons
&bafle 2. s in-fol.
Aldovrandini.
Opera prima , Motets à deux & trois voix & Symphonies
,
Cantates de Piſiochi ,
deux violons
7 in-fol.
in-fol.
3 in-4°.
Cantates & Ariettes de Pallakoli , à voix ſeule &
,
Cantates& Ariettes de le Grand , à voix ſeule , &
avec Symphonie &fans Symphonie , in-4°.
Cantatesde Scarlati , à une & deux voix , in-4°.
Cantates deCaldara & autresAuteurs, à une & deux
voix, avec Symphonie & fans Symphonie, in-4° .
Dix Airs Italiens , in-12.
Ces Livres de Muſique ſont très-bien conditionnés
: chaque Oeuvre eſt renfermé dans un carton
de relieure en veau , avec des attaches de rubans
, & les titres ſur les redos.
On s'adreſſera, pour voir cette Collection, chen
M. de laGarde , rue du Chantre Saint Honoré ,
àParis.
On ne vendra ce Cabinet qu'en entier ..
לא
230 MERCURE DE FRANCE.
SUPPLEMENT
A L'ARTICLE CHIRURGIE.
Nous avons rendu compte dans le ſecond Volume
du mois de Février dernier , du premier traitement
fait audit Hôpital par la méthode & avec
les dragées anti-vénériennes de M. Keyſer. Nous
avons promis de continuer ſucceſſivement à fur &
meſure qu'il entreroit des malades auditHôpital.
En conféquence , voici le compte du ſecond traitement
opéré ſous les yeux des Docteurs en Médecine
& Maîtres en Chirurgie , que nous avons
précédemment annoncés.
EXTRAIT des Regiſtres de l'Hôpital , en date
du 30 Décembre 1756..
Le nommé Vermanthon , douzieme malade du
premier traitement , & qui n'eſt point forti avee
les autres , ne fortira point encore , ce foldat
ayant un ulcere au pli de l'aine , occaſionné par
un p .... chancreux , dont la cicatrice eſt d'ordi
naire très-longue & très-difficile ; étant très-bien
guéri d'ailleurs , nefaifant plus ufage de remedes ,
&dans le meilleur embonpoint. Meſſieurs Morand,
Guérin , Faget & du Fouard en ont donné leurs
certificats , & l'on peut aller voir ce malade.
Etat des onze Soldats entrés le 30 Décembre 1756.
Premier malade. Le nommé Dupré qui avoit une
quantité de p .... & autres ſymptomes vénériens
bien caractériſés , eſt ſorti le premier Février entiérement
guéri.
Deuxieme malade. Le nommé Léopold qui avoit
des ch ....& beaucoup de pustules endifférentes
MARS. 1757. 231
parties du corps , eſt également ſorti le premier
Février entiérement guéri.
Troisieme malade. Le nommé l'Evêque eſt tombé
le ſurlendemain de ſon entrée à l'Hôpital malade
d'une fluxion de poitrine : l'on avoit à peine
commencé à lui adminiſtrer le remede pour la maladie
vénérienne , il a fallu le ſuſpendre ; & quoique
cette complication ait fait appréhender beaucoup
pour ſa vie , les ſoins continuels & généreux
de M. Bourbelain , Maître en Chirurgie , ont ſauvé
les jours de ce malheureux : comme ſa convalefcence
ne permet pas encore de lui adminiſtrer
les dragées , il eſt ſorti pour ſe remettre & ſe difpoſer
à rentrer , pour y être traité de fa maladie
vénérienne. Nous rendrons compte en ſon temps
de fa maladie & de ſon traitement.
, Quatrieme malade. Le nommé l'Ami qui
avoit un ch ... conſidérable , un commencement
d'exoſtoſe bien conſtaté au front , & un gonflement
très-douloureux au genouil , eft forti le 8 Février
entiérement guéri.
Cinquieme malade. Le nommé Sourdet , qui
avoit des ch ... des p ... & une dartre conſidérable
à l'anus , & des douleurs très-vives au genouil,
eſt ſorti le mêmejour entiérement guéri.
Sixieme malade. Le nommé Montplaifir , qui
avoit une ch ... depuis quatre mois , & quantité
de ch.... à l'anus & ailleurs , eſt ſorti le même
jour entiérement guéri.
Septieme malade. Le nommé Sans fouci , qui
avoit deux p.... dont un ouvert & l'autre fuppurant
, des pustules , ragattes , & c. , eft forti le mê
mejour entiérement guéri.
Huitieme malade. Le nommé Laplante , qui
avoit un phim .... très - confidérable , occafionné
par des ch.... au couronnement & des pustules
232 MERCURE DE FRANCE.
eſt ſorti le même jour entiérement guéri ſans opération
ni topique quelconque.
Neuviememalade. Le nomméAcoulon,qui avoit
des crêtes très-conſidérables , &des ch... à toute
la circonférence de l'anus , avec un engorgement
dans les glandes inguinales , eſt forti le 15 Février
entiérement guéri.
LenomméDauvain , qui avoit quantité de ch...
une dartre humide à la cuiſſe gauche , un ulcere à
la cloifon & aux amigdales , avec une quantité de
puſtules très-conſidérables ſur toute l'habitude du
corps , eſt forti le même jour 15 Février entiérementguéri.
Onzieme malade. Le nommé Decombe , qui
avoit quatre exoſtoſes , ſçavoir un à la clavicule
droite,un à la partie ſupérieure du ſternum , un
à la partie moyenne &latérale du même os , & un
à laderniere des vraies côtes , large de fix travers
de doigts , des douleurs partout le corps , & une
tumeur à la partie ſupérieure du coronal , qui paroiſſoit
lymphatique , eſt reſté à l'Hôpital , pour
attendre l'exfoliation de l'os malade , M. Bourbelain
ayant apperçu une carie qui pénétroit juſqu'au
diploé. Ce foldat étoit dans un état véritablement
déplorable ; il eſt actuellement dans le meilleur
train de guériſon. Nous annoncerons dans le tems
ſa ſortie , ainſi que l'état où il ſe trouvera ; & il
eſt aiſe de ſentir que les traitemens de maladies
aufli graves demanderont un peu plus de temps &
defoins.
Il eſt inutile de répéter que tous ces malades
ſont ſuivis& éclairés par les yeux les plus habiles,
& qu'il n'en eſt pas un ſeul dont le traitement &&
la guériſon ne ſoit atteſtée par des certificats authentiques
, & couchés ſur les regiſtres de l'Hô
pital.
MARS. 1757 . 233
Il eſt entré dix malades , dont nous rendrons
compte le mois prochain.
M. Keyfer croit devoir avertir le Public qu'il y
a beaucoup de gens qui oſent ſe vanterd'avoir de
ſes dragées , & qui , foit en les imitant , foit en
prétendant en avoir la compoſition , en donnent à
divers malades , ſous ſon nom , & comme venant
de lui : que cependant il n'en donne à qui que ce
foit , finon à ſes Aſſociés : que ſon remede eſt indécompofable
,&que tout autre eſt une impoſture
contre laquelle il prie le Public d'être en garde ,
ne répondant que de celui qu'il adminiſtrera luimême
, ou qui le ſera par ſes Aſſociés.
Comme on lui adreſſe des lettres journellement
à l'Hôpital , & qu'il n'y demeure point , il prie
ceux qui lui feront l'honneur de lui écrire , de
mettre ſon adreſſe , rue & le S. Louis , où il demeure.
MORT.
MONSIEUR Bernard le Bouyer-de Fontenelle ,
Doyen de l'Académie Françoiſe , & des Académies
Royales des Belles-Lettres & des Sciences ,
Membre de la Société de Londres , & de l'Académie
de Berlin , eſt mort le 9 Janvier , âgé de quatre-
vingts-dix- neuf ans , onze mois. Ainſi que le
grand Corneille ſon oncle , il étoit né à Rouen.
L'univerſalité de ſes talens & de ſes connoiflances
, l'étendue & l'agrément de ſon eſprit , l'art
qu'ileut toujours de répandre de la lumiere & des
graces ſur les matieres les plus abſtraites , lui ont
mérité une des premieres places entre les hommes
les plus illuftres que le dernier ſiecle ait produits.
234 MERCURE DE FRANCE.
Il a rempli pendant plus de quarante ans avec le
plus brillant ſuccès l'emploi de Secretaire Perpétuel
de l'Académie des Sciences. Son Hiſtoire de
cette Académie , ſa Pluralité des Mondes , ſes
Dialogues des Morts , ſont des ouvrages , dont
chacun en particulier eſt digne d'immortaliſer ſon
Auteur.
Nous donnerons dans le Mercure d'Avril
l'article de Monfieur de Fontenelle ,
par M. de Voltaire ; nous aurons ſoinde
le tirer du Catalogue des Ecrivains François
du fiecle de Louis XIV , pour en décorer
notre partie fugitive. Il ſera accompagné
de notes par M. l'Abbé Trublet.
Perſonne n'en peut donner de plus fûres
ni de plus dignes du texte. C'eſt l'hommage
le plus convenable que nous puiſſions
rendre à la mémoire de ce grand homme ,
&ce font les plus belles fleurs que nous
puiſſions jetter ſur ſonTombeau.
AVIS INTÉRESSANT ,
A L'AUTEUR DU MERCURE.
ZÉLÉ pour le bien de l'humanité , Monfieur ,
& defirant de faire connoître à ma Patrie un
reniede infaillible pour la plus terribles des maladies
, je vous envoie , le détail des effets prodigieux
de ce remede contre la rage. Je ne doute
pas qu'étant inféré dans votre Ouvrage , il ne
pique la charité de quelque grand , & ne l'engage
MARS. 1757 . 235
à acheter ce ſecret , que le poſſeſſeur ne veut point
découvrir , quelques inſtances qu'on lui fafſe,bien
qu'ildiſtribue ce remedegratis .
Dans la Paroiſſe de Gael , Province de Bretagne
, Diocefe de S. Malo , le Recteur du lieu diftribue
une eau qui prévient & guérit les accès de
rage: le fait eft hors de doute ; & comme cette affreuſe
maladie n'eſt que trop commune à la campagne,
où l'on n'a pas l'attention de tenir les
chiens à la chaîne , les guériſons de cette eſpece ,
opérées par l'eau en queſtion , font ici très-multipliées.
Il n'eſt perſonne à dix lieues à la ronde
de Gaél, qui n'ait vu ou oui parler de ces cures.
M.de la Motte , Comte de Montmurand , de qui
je tiens ce Mémoire , a été témoin oculaire de
celle qui fuit. La nommée Marie Joſſe , femme de
Mathurin Guillemer , âgée de dix- neuf ans , &
enceinte , demeurant pour- lors en la Paroiffe des
Iffs , Diocefe de S. Malo , fut mordue d'un chien
au mois de Décembre 1750 : mais , comme elle
ignoroit que ce chien fût enragé , & que d'ailleurs
la morſure étoit légere , elle n'y fit aucune atten
tion. Peu de jours après paſſant un ruiffeau , elle
crut appercevoir dans l'eau ce même chien qui l'avoit
mordue : la même image ſe retraçoit à ſes
yeux toutes les fois qu'elle regardoit dans l'eau .
Dès le ſeptieme jour de ſa morſure elle reſſentit
un accès de rage , caractérisé par l'écume qui fortoit
de fa bouche par l'augmentation de ſes forces,
par le deſir de mordre , &autres ſymptomes.
Au ſecond accès il fallut l'enfermer dans un de ces
lits clos où elle étoit liée : le troiſieme & le quatrieme
furent ſi violens , qu'elle coupoit les bar--
reaux de bois avec ſes dents. Dans ces intervalles
elle demandoit avec inſtance qu'on allât à Gaél :
mais, comme la diſtance des lieux eſt grande ,
236 MERCURE DE FRANCE .
l'eau n'arriva qu'après le quatrieme accès ; dès le
lendemain qu'elle en eut fait uſage , il ne lui
reſta que la foibleſſe cauſée par ſes convulfions
violentes : cinq cens perſonnes furent témoins de
ce prodige. Cette femme vit , & fon fruit est venu
à bien. Depuis cette cure , cette eau en a opéré
encore nombre d'auſſi merveilleuſes ,& l'effet n'a
jamais trompé l'attente des malades qui y ont eu
recours. Ce Prêtre a toujours ( je le répéte ) refuſé
de divulguer ſon ſecret , quoiqu'il diftribue ce remede
gratuitement.
A M. DE BOISSY.
Le Beaume de vie de M. le Lievre , Diftillateur
ordinaire du Roi , a produit de fi bons effets ſur
moi & fur mes deux jeunes filles , que je ne pourrois
m'en taire ſans ingratitude. Daignez donc ,
Monfieur , m'aider à faire connoître ma vive reconnoiffance
.
Après une couche , j'avois un lait répandu , qui
me cauſoit au bras droit une telle incommodité ,
que je ne pouvois en faire aucun uſage. Au bout
dequatre ans de fouffrances , je pris du Baume
de vie ; & d'abord , comme ſi je venois encore
d'accoucher , il fortit , par la voie ordinaire , une
fi grande quantité d'humeurs laiteuſes , que je me
trouvai entiérement guérie.
En ſecond lieu , une de mes filles , fortant de
nourrice , étoit ſi couverte fur tout le corps de
clous & de boutons , qu'on la jugeoit attaquée
d'une très-dangereuſe galle. Très- affligée de la
voir dans un ſi pitoyable état , je conſultai un ſçavant
Médecin , qui me dit qu'il ne ſçavoit rien
de plus fouverain pour la fecourir , que ce Baume.
MARS. 1757 . 237
,
L'enfant qui ne pouvoit fouffrir aucune médecine,
en prit heureuſement , & dès la premiere bouteille
jetta pluſieurs vers : cela fut fuivi d'un dévoiement
qui ne fourniſſoit que de l'eau claire
mais dont l'odeur étoit inſupportable ; alors , au
lieu de deux cueillerées de baume qu'on lui donnoit
chaque jour , on lui en fit prendre quatre :
par ce puiſſant remede la malade rendit à diverſes
fois juſqu'à ſoixante vers ; les boutons diſparurent ,
&le dévoiement fut arrêté. Il eſt à remarquer que
pendant environ deux mois que dura ce traitement
, l'enfant ne perdit ni ſon ſommeil ni ſon appétit
, & que ſon teint conſerva toujours ſes vives
couleurs.
Troiſiémement , étant ſurvenu à mon aînée un
mal ſous les aiſſelles , & la voyant tourmentée par
de petits boutons , d'où ſortoit une eau rouſſe ,&
qui lui cauſoient une cruelle démangeaiſon , j'eus
recours au Baume de vie ; j'en employai le marc ,
délayé dans de l'huile d'holive , à frotter les parties
malades; je fis boire à cette enfantde cette liqueur,
&dès la deuxieme bouteille elle a joui d'une parfaite
ſanté.
Je crois devoir , pour l'intérêt public , ajouter
que mon époux étant ſujet aux maux de tête les
plus accablans, en a été pluſieurs fois délivré , ſoit
-en reſpirant de ce Baume par le nez , foit en le
-prenant par la bouche.
Je ſuis , Monfieur , &c. Femme Chenu.
M
AVIS.
ADEMOISELLE Collet continue devendrepour
l'utilité du Public une Pommade de ſa compofition,
qui ſoulage dans l'inſtant & guérit radicalement
Leshémorroïdes tant internes qu'externes , fuffent
238 MERCURE DE FRANCE.
elles ulcérés & fiſtuleuſes. Cette Pommade eſt ſi
connue , qu'elle n'a pas beſoin d'autre recommendation
: l'épreuve en a été faite à l'Hôtel royal des
Invalides , par ordre de feu Monſeigneur de Breteuil
; & M. Morand , Chirurgien , lui a délivré
ſon certificat , après avoir vu lesguériſons des perſonnes
qui en étoient affligées; de même que M.
Peirard , Chirurgien & Accoucheur de la Reine ,
&pluſieurs autres Chirurgiens & perſonnes de diftinction.
Cette Pommade ne peut produire aucun
mauvais effet. Ceux qui craignent , par un préjugé
mal fondé , de ſe faire guérir radicalement ,
pourront en afer ſeulement pour ſe ſoulager dans
leurs fouffrances. Nous ne devons pas craindre d'affurer
le Public qu'il n'eſt point de remede plus sûr
&plus efficace pour en opérer la guérifon.
Cette Pommade ſe garde autant de temps que l'on
veut,&ſe peut tranſporter partout , pourvu qu'on
ait ſoinde la garantir de la chaleur& dufeu.
Ily a des pots de 3 livres , de 6 livres , de
to liv. , de 12 liv. , de 18 liv. , de 20 liv. , & de
tous les prix que l'on ſouhaitera. On donnera la
façon de s'en ſervir. Les perſonnes étrangeres qui
voudront en faire uſage , auront la bonté d'affranchir
les ports des Lettres.
Mademoiselle Collet demeure à-préſent rue des
petits champs , vis-à-vis la petite porte S. Honoré
, chez M. Jollivet , Marchand Papetier , à l'enſeigne
de l'Eſpérance.
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Monseigneur le Chancelier,
le Mercure du mois de Mars , & je n'y ai
rien trouvé qui puiſſe en empêcher l'impreſſion..
A Paris , ce 27 Février 1757.
GUIROY,
239
ERRATA
Du Mercure de Février .
PAGE AGE 56 , lig. dern. il ne , liſez , qu'il ne.
Page 63 , lig. 2 , délyre , lifez , délire.
Page 82 , lig. 16 , Législateur , lifez , législation.
Page 85 , lig. pén. à la note , diverſes , lifez , divers.
Page 158 , lig. 5.& 6 , leur qualité purgatif , li
ſez , leur qualité purgative.
Page 161 , qui ne les avoient pas touché , lifez ,
touchées.
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER .
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
page s
Vers de M de Relongue-de la Louptiere , àMade-
VERS à Manon ,
demoiselle *** ,
Félicie , Comédie par M. de Marivaux ,
Vers de Madame de la Tour ,
Durey d'Harnoncourt ,
Les Amours ,
Le Livre de la Raiſon , Fable ,
Epître àM. de Boiffy ,
7
8
52
Vers de M. de Relongue-de la Louptiere , à M.
Lettre & Vers de M. le Curé des Amognes ,
Lettre au ſujet de l'Eſtime ,
Vers à M. le Comte de Maillebois ,
Portraitde Thémire ,
Vers à M. Capmartin ,
53
54
59
60
72
74
79
80
82
Explication de l'Enigme & du Logogryphe du
Mercure de Février , 84
\
240
Enigme & Logogryphe , ibid.
Chanſon , 86
ART . II . NOUVELLES LITTERAIRES.
Extrait de la Colombiade , 87
Précis ou Indications de livres nouveaux , 107
Programme de l'Académie de Bordeaux , 142
ART . IIL SCIENCES ET BELLES LETTRES.
Géométrie. Lettre de M. Marſſon , &c. 145
Médecine . Suite du Mémoire ſur les Eaux minérales
, &c. 150
Lettre au ſujet de ce Mémoire ,
Lettre ſur une maladie populaire ,
Programme de l'Académie de Pétersbourg , 176
ART. IV. BEAUX - ARTS.
167
169
Musique. 182
Gravure. 1.83
Horlogerie, ibid.
Méchanique , 185
ART. V. SPECTACLES,
Comédie Françoiſe. 189
Comédie Italienne. 191
Opera Comique , 192
Concert Spirituel , 194
ARTICLE VI
Nouvelles étrangeres , 195
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c. 208
Bénéfices donnés , 217
Catalogue d'un Cabinet de Muſique , ibid.
Supplément à l'Article de Chirurgie , 230
Mort, 233
Avis divers . 234
La Chanson notée doit regarder la page 86.
De l'Imprimerie de Ch. Ant. Jombert.
Qualité de la reconnaissance optique de caractères
Soumis par lechott le