Titre
LETTRE à l'Auteur du Mercure Sur les ÉNIGMES & les LOGOGRYPHES,
Titre d'après la table
LETTRE à l'Auteur du Mercure, sur les Enigmes & les Logogryphes.
Fait partie d'une livraison
Fait partie d'une section
Page de début
69
Page de début dans la numérisation
318
Page de fin
93
Page de fin dans la numérisation
342
Incipit
Vous ne sçaviez probablement pas Monsieur, que la premiere Enigme du
Texte
réputées les mem→
bres de ce corps : comme dans cet ancien
Logogryphe Latin , dont le mot
eft mufcatum ; & où par la diffection
du mot , on trouve mus
muftum.
mufca &
Sume caput mus ) , curram : ventrem ( ca ) conjunge
, volabo. ( mufca )
Addepedes ( tum ) , comedes , ( muſcatum ) ;
& fine ventre ( ca ) , bibes. ( muftum ).
Le premier Logogryphe François qui
ait paru dans les Mercures , fe trouve à
la fin du 2 volume de Décembre 1727 .
Il est bien fait , & le Mercure du mois
de Février 1728 , pag. 310 , lui donne
pour auteur le Marquis de la Guefnerie
en Anjou. Cependant au mois de Juillet
fuivant, M. le Clouftier d'Andely p. 1612.
prétendit que les deux premiers qui
avoient paru dans le Mercure , & qu'il
ne cite ni n'indique , font de lui.
Mais il s'en faut bien que ces premiers
Logogryphes , introduits dans les MerAVRIL.
1763. 83'
cures de France il y a environ 35 ans ,
foient les plus anciens dans notre Langue.
J'en connois un du célébre Dufrefni
qui doit avoir au moins 50 ou 60
ans. Je ne fçais s'il fut imprimé en fon
temps dans le Mercure galant : encore
moins s'il eft le doyen des Logogryphes
François ; mais au befoin , il pourroit
leur fervir de modéle. Le voici . Le
mot eft Orange.
Sans ufer de pouvoir magique ,
Mon corps entier en France ( Orange ) a deux
tiers en Afrique. ( Oran ) .
Ma tête ( Or ) n'a jamais rien entrepris en vain ;
Sans elle , en moi tout eft divin . ( Ange )
Je fuis affez propre au ruftique , ( Orge )
Quand on me veut ôter le coeur ( An )
Qu'a vu plus d'une fois renaître le Lecteur,
Mon nom bouleverfé , dangereux voisinage ,
Au Gafcon imprudent peut caufer le naufrage.
( Garone. )
D'après ce Logogryphe & quelques
autres qui ont été goûtés , on en peut
établir les régles. La plupart de celles
de l'énigme lui font communes avec le
Logogryphe , mais le Logogryphe en
a de particulières que voici.
Préfenter d'abord une énigme fort
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
courte fur le mot entier du Logogryphe.
Je dis fort courte , parce qu'elle ne doit
fervir que d'introduction aux énigmes
qui doivent fuivre , fur les divifions ou
combinaiſons du même mot.
On pourroit objecter que l'a uteur
du Logogryphe précédent ne s'eft pas
affujetti à cette régle ; & que fon début
, Mon corps entier en France , n'eſt
pas une énigme ; puifqu'on peut dire
également de toutes les villes & de tous
les lieux du Royaume Mon corps entier
en France , comme il le dit de la
ville d'Orange : mais l'auteur y a fuppléé
avantageufement en ajoutant que
ce corps entier en France a deux tiers
en Afrique : ce qui ne peut plus convenir
qu'au mot Orange , & fait deux
énigmes en un ſeul vers .
Če ne feroit pas abfolument un défaut
, que la petite énigme préparatoire
du Logogryphe fur le mot entier convînt
à deux mots différens ; puifque les
énigmes fuivantes ferviroient à reconnoître
lequel eft le véritable. Il eſt cependant
mieux que l'énigme du début
ne puiffe pas recevoir deux différentes
explications.
Après l'énigme fur le mot entier
viennent les énigmes particulières fur
AVRIL 1763. 85
il
les démembremens & les tranfpofitions
de ce mot. Voici en quoi confifte leur
mérite ; 1º. dans la clarté de l'indication
des fyllabes ou lettres qui par leurs divifions
& combinaifonsforment de nouveaux
mots & donnent lieu aux nouvelles
énigmes. Rien n'eft plus clair
que cette indication dans le Logogryphe
que nous venons de citer. Ma
tete n'a jamais rien entrepris en vain
défigne bien la pre miere fyllabe . Sans
elle en moi tout eft divin : otez Or ,
refte Ange. Les autres mots font pareillement
indiqués fans équivoque :
comme Orge en retranchant la fyllabe
du milieu An , qui fait le coeur du
mot. & c. 2°. Dans la jufteffe de ces
énigmes fubalternes , qui ne doivent
être ni trop claires ni trop bbfcures :
j'ajoute , ni trop longues pour ne pas.
fatiguer l'attention du lecteur. Si une
énigme en forme doit être courte , à
plus forte raifon la briéveté convientelle
aux énigmes dont l'affemblage compofe
le Logogryphe . Elles ont ici toutes
les conditions requife's . 3 ° . Dans le nombre
des énigmes que le mot entier renferme
dans fes divifions. Il eft clair que c'eft
un mérite de plus pour un Logogryphe
, le reſte étant égal , de contenir
86 MERCURE DE FRANCE .
un plus grand nombre d'énigmes.
Il y en a fix dans celui d'Orange ,
quoique le mot n'ait que fix lettres .
L'Auteur auroit pu en tirer un plus grand
nombre d'énigmes , puifqu'il a négligé
les mots Orage , Rage , Age , Gare ,
Argo , &c. Il a fans doute craint
de devenir trop long ou trop confus.
4°. Enfin dans l'art de referrer le
tout dans le moins d'espace poffible , en
évitant les inutilités & les longueurs .
Ici l'auteur a renfermé fes fix énigmes
en neuf vers.
Les mots les plus favorables aux Logogryphes
font ceux dans lefquels on
trouve un plus grand nombre de mots
par de fimples divifions , lefquelles font
beaucoup plus faciles à indiquer que les
tranfpofitions de lettres . Tel eft le mot
Courage , dont les fimples divifons ou
retranchemens feront trouver Cou, rage;
Cour , age; Courge , Cage , Orage. &c.
Ainfi les mots les plus longs, quoiqu'ils
fourniffent d'ordinaire un plus grand
nombre de combinaiſons , font les moins
avantageux pour un Logogryphe. Imagineroit-
on que pour en faire un , on
eût choifi un mot tel que Métamorphofe ,
d'où l'on n'en peut guères tirer d'autre
qu'en fe donnant la torture , & où pour
AVRIL. 1763.
87
e
indiquer le mot , phare , par exemple ,
il faut avertir le Lecteur de raffembler
la 8 , la 9 , la 4 , la 7 & la 2º lettre
& qu'alors il trouvera ce qni fait
lefalu des navigateurs , c'eft ce qu'on
exprimera dans le vers fuivant ou dans
quelque autre auffi harmonieux :
Huit , neuf, quatre , fept , deux : je guide le
Nocher.
C'est au choix heureux de mots de
cette espéce qu'on a l'obligation d'avoir
vû longtemps les Mercures remplis de
Logogryphes dans ce ftyle.
On s'eft enfin laffé de ce langage
barbare , & plutôt que d'indiquer les
tranfpofitions de lettres par leur numé
ro , on a pris le parti de ne les point
indiquer du tout , & de faire dire au
mot entier du Logogryphe ; vous trouverez
en moi un adverbe , une Saiſon ,
un Elément , un Saint , un Pape , un
Empereur , un fleuve , une note de mufique
, &c. fans défigner l'ordre des lettres
qui forment ces mots , ce qui eft
auffi vague & auffi confus , que l'autre
expédient étoit uniforme & faftidieux.
Si les mots trop longs font rarement
propres pour un Logogryphe , les mots
les plus courts offrent quelquefois dans
88 MERCURE DE FRANCE.
un très -petit nombre de lettres un affez
grand nombre de combinaiſons , ce
qui leur donne une forte de grace , parce
qu'on ne s'attend pas à cette fécondité.
Par exemple on vous annonce un
mot de trois lettres , dans lequel on trouve
neuf ou dix mots différens , fur lef
quels on fera neuf ou dix petites énigmes
par diverfes combinaiſons bien indiquées
en devinant le mot ail,vous ferez
furpris d'y trouver lia , ali , lai , ai,
ia , al , la , note de mufique , la , article,
là , adverbe , il article ; & li meſure itinéraire
de la Chine.
Il y a des mots tellement compofés,
qu'en retranchant fucceffivement une
deux , trois , quatre lettres , il refte toujours
un mot entier & enfin une lettre ,
lefquels peuvent fournir matière à autant
d'énigmes,& faire de tout un joli Logogryphe.
Par exemple, canon , par le retranchement
fucceffif d'une lettre , devient
anon , non , on , & la lettre n. Silex
, mot latin , eft dans le même cas ;
on y trouve ilex , lex ex & x , fans
compter file & lis. Dans Avoie , nom
d'une Sainte que porte une rue de Paris
, en fuivant la même méthode , vous
trouverez voye , vie , ie , & l'e muet. Ce
mor a cela de particulier encore , que
> >
AVRIL. 1763. 89
les cinq lettres qui le compofent, font
a , i , o , u. Ces deux derniers Logogryphes
ont été faits & donnés au Mercure
il y a quelques années.
Le mot latin adamas fournit un
exemple encore plus fingulier & peutêtre
unique. En le rognant lettre à lettre
( qu'on me permette cette expreffion )
par le commencement , il deviendra
damas , amas , mas , as & s ; & en lė
mutilant à rebours , adama , adam , ada,
( Princeffe connue dans l'hiftoire ) ad
& a ; mais cela feroit un mêlange bizarre
de mots François , Latins & Efpagnols
qu'il faudroit diftinguer , ce qui
feroit difficile & de plus cauferoit des
longueurs & de l'embrouillement.
Un mot qui a plufieurs anagrames,
peut fournir un Logogryphe par de fim
ples tranfpofitions fans retranchement.
Je connois un Logogryphe dans ce cas
dont le mot eft nacre. On y trouve par
fimple tranfpofition de lettres , crane ,
carne , écran , Nerac , Rance , ( carrière
de marbre ) & ancre. 1
Depuis quelque temps , le défaut ordinaire
des Logogryphes du Mercure
eft de n'être Logogryphes que de nom ;
puiſqu'on y dit au Lecteur préciſement
tout ce qu'il faut pour lui faire trouver
90 MERCURE DE FRANCE.
le mot fans avoir rien à deviner , ce
qui provient de ce qu'on péche contre
la feconde des quatres régles que j'ai
données plus haut & qu'au lieu de faire
des énigmes fur les parties féparées du
mot total , on exprime ces parties par
des fynonymes équivalens à leur nom .
Je n'en chercherai point la preuve plus
loin que dans le Mercure de Janvier
où fe trouve l'énigme du Fiacre. Le
mot du fecond Logogryphe eft Soif:
l'énigme fur ce mot par laquelle on
commence le Logogryphe, eft affez bien
faite , mais trop longue , puifque la
préface d'un ouvrage n'en doit pas
faire prés de la moitié. Si la lecture
de cette énigme préliminaire n'a pas
fuffi pour me faire deviner le mot
Soif, le refte va me l'indiquer fi
clairement, qu'il ne me fera pas poffible
de m'y méprendre. Je pourfuis ma lecture
& je vois que l'on m'annonce que
je trouverai dans le mot que je cherche
, 1 ° . l'objet des foins d'Argus. Eftce
là une énigme ? C'eft comine fi l'on
me difoit,vous trouverez Io ; j'écris donc
Io : voilà déja deux lettres . 2° . Certaine
note de Mufique ; rien ne m'indique encore
laquelle c'eft des fept notes ; je
laiffe donc fon nom en blanc , & je conAVRIL
1763. or
,
inue . 3 ° . Un arbriffeau des plus touf
fus , ce pourroit être if ou bien hour.
Je fufpends mon jugement. Je lis juf
qu'au bout , & le dernier vers m'apprend
que le mot entier n'a que quatre
lettres. Or j'en fçais déja deux , i & o :
je reprens où j'en étois , & je vois 4 ° .
qu'il faut trouver dans le mot entier une
vertu théologale. Laquelle des trois ?
Ce ne peut être que foi , puifque le
mot entier n'a que quatre lettres , &
que i & o que j'ai déja font du nombre .
J'écris donc foi. Je conclus auffitôt que
l'arbriffeau dont j'étois en doute ne
peut être qu'if, puifqu'il fe trouve dans
le mot foi. Il ne manque denc plus
qu'une lettre. 5. Ce dont un chien quand
il peut fe régale. Autant vaudroit dire
un os. Or dans le mot os je trouve la
lettre o que j'ai déja , & de plus la lettres
; celle -ci eft donc la quatriéme qui
me manquoit.J'écris donc os.5º.Un terme
enfin de dédain , de mépris. On ne peut
exprimer plus clairement le mot fi, que
je trouve en effet dans les mots que j'ai
déja. Les quatre lettres du mot font
donc i , o , f & f. J'y cherche la note
de mufique que j'ai laiffée en fouffrance
; & je vois que ce ne peut être que
la note fi. Il ne reste plus qu'à faire un
92 MERCURE
DE FRANCE.
mot avec les quatre lettres trouvées ¿
o,f, s. Quatre lettres ne peuvent s'ar- .
ranger que de vingt- quatre façons différentes
, dont la moitié dans le cas préfent
ne pourroit fe prononcer. Dès les
premiers effais de combinaifons , je
m'apperçois que ces quatre lettres i ,
o, f, s , ne peuvent faire que les mots
fois & foif. Ce dernier mot explique
très-bien l'énigme du début : le mot
du Logogryphe eft donc foif.Toutes ces
opérations fe font beaucoup plus promptement
qu'elles ne peuvent fe décrire ;
enforte qu'à la feconde lecture
avoir rien deviné , je reconnois évidemment
que le mot cherché eft foif, &
que tout ce qu'on m'a dit avec apparence
de mystère , fe réduit à cette propofition
, Lecteur , faites un mot françois
de ces quatre lettres , i , o , f , s ;
or je demande fi c'eft- là un Logogryphe.
J'en dirois prèfque autant de l'autre qui
fuit , dont le mot eft mode , ainfi que'
de la plupart de ceux que je vois dans
les Mercures depuis quelques années.
fans
Il est vrai que fouvent le mot a
plus de quatre lettres, & que quoiqu'elles
me foient toutes indiquées auffi clairement
que fi l'on me les eût nommées ,
il feroit long & pénible d'en compofer
AVRIL. 1763. 93
#
an feul mot.Je me contente alors d'avoir
toutes les lettres du mot, & j'abandonne
fans regret une recherche purement ennuyeuſe
, qui n'éxige que la patience de
former 120 arrangemens différens , file
mot a cinq lettres ; 720, s'il en a fix ; ſept
fois 720 ou 5047 , s'il y a fept lettres
& c,ce qui n'eft plus que l'ouvrage d'un
manoeuvre. Il n'y a que l'utilité ou l'im-
-portance de l'objet , cu une raiſon d'interêt
, qui pût faire furmonter un tra
vail auffi rebutant.
J'ai l'honneur d'être , & c.
bres de ce corps : comme dans cet ancien
Logogryphe Latin , dont le mot
eft mufcatum ; & où par la diffection
du mot , on trouve mus
muftum.
mufca &
Sume caput mus ) , curram : ventrem ( ca ) conjunge
, volabo. ( mufca )
Addepedes ( tum ) , comedes , ( muſcatum ) ;
& fine ventre ( ca ) , bibes. ( muftum ).
Le premier Logogryphe François qui
ait paru dans les Mercures , fe trouve à
la fin du 2 volume de Décembre 1727 .
Il est bien fait , & le Mercure du mois
de Février 1728 , pag. 310 , lui donne
pour auteur le Marquis de la Guefnerie
en Anjou. Cependant au mois de Juillet
fuivant, M. le Clouftier d'Andely p. 1612.
prétendit que les deux premiers qui
avoient paru dans le Mercure , & qu'il
ne cite ni n'indique , font de lui.
Mais il s'en faut bien que ces premiers
Logogryphes , introduits dans les MerAVRIL.
1763. 83'
cures de France il y a environ 35 ans ,
foient les plus anciens dans notre Langue.
J'en connois un du célébre Dufrefni
qui doit avoir au moins 50 ou 60
ans. Je ne fçais s'il fut imprimé en fon
temps dans le Mercure galant : encore
moins s'il eft le doyen des Logogryphes
François ; mais au befoin , il pourroit
leur fervir de modéle. Le voici . Le
mot eft Orange.
Sans ufer de pouvoir magique ,
Mon corps entier en France ( Orange ) a deux
tiers en Afrique. ( Oran ) .
Ma tête ( Or ) n'a jamais rien entrepris en vain ;
Sans elle , en moi tout eft divin . ( Ange )
Je fuis affez propre au ruftique , ( Orge )
Quand on me veut ôter le coeur ( An )
Qu'a vu plus d'une fois renaître le Lecteur,
Mon nom bouleverfé , dangereux voisinage ,
Au Gafcon imprudent peut caufer le naufrage.
( Garone. )
D'après ce Logogryphe & quelques
autres qui ont été goûtés , on en peut
établir les régles. La plupart de celles
de l'énigme lui font communes avec le
Logogryphe , mais le Logogryphe en
a de particulières que voici.
Préfenter d'abord une énigme fort
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
courte fur le mot entier du Logogryphe.
Je dis fort courte , parce qu'elle ne doit
fervir que d'introduction aux énigmes
qui doivent fuivre , fur les divifions ou
combinaiſons du même mot.
On pourroit objecter que l'a uteur
du Logogryphe précédent ne s'eft pas
affujetti à cette régle ; & que fon début
, Mon corps entier en France , n'eſt
pas une énigme ; puifqu'on peut dire
également de toutes les villes & de tous
les lieux du Royaume Mon corps entier
en France , comme il le dit de la
ville d'Orange : mais l'auteur y a fuppléé
avantageufement en ajoutant que
ce corps entier en France a deux tiers
en Afrique : ce qui ne peut plus convenir
qu'au mot Orange , & fait deux
énigmes en un ſeul vers .
Če ne feroit pas abfolument un défaut
, que la petite énigme préparatoire
du Logogryphe fur le mot entier convînt
à deux mots différens ; puifque les
énigmes fuivantes ferviroient à reconnoître
lequel eft le véritable. Il eſt cependant
mieux que l'énigme du début
ne puiffe pas recevoir deux différentes
explications.
Après l'énigme fur le mot entier
viennent les énigmes particulières fur
AVRIL 1763. 85
il
les démembremens & les tranfpofitions
de ce mot. Voici en quoi confifte leur
mérite ; 1º. dans la clarté de l'indication
des fyllabes ou lettres qui par leurs divifions
& combinaifonsforment de nouveaux
mots & donnent lieu aux nouvelles
énigmes. Rien n'eft plus clair
que cette indication dans le Logogryphe
que nous venons de citer. Ma
tete n'a jamais rien entrepris en vain
défigne bien la pre miere fyllabe . Sans
elle en moi tout eft divin : otez Or ,
refte Ange. Les autres mots font pareillement
indiqués fans équivoque :
comme Orge en retranchant la fyllabe
du milieu An , qui fait le coeur du
mot. & c. 2°. Dans la jufteffe de ces
énigmes fubalternes , qui ne doivent
être ni trop claires ni trop bbfcures :
j'ajoute , ni trop longues pour ne pas.
fatiguer l'attention du lecteur. Si une
énigme en forme doit être courte , à
plus forte raifon la briéveté convientelle
aux énigmes dont l'affemblage compofe
le Logogryphe . Elles ont ici toutes
les conditions requife's . 3 ° . Dans le nombre
des énigmes que le mot entier renferme
dans fes divifions. Il eft clair que c'eft
un mérite de plus pour un Logogryphe
, le reſte étant égal , de contenir
86 MERCURE DE FRANCE .
un plus grand nombre d'énigmes.
Il y en a fix dans celui d'Orange ,
quoique le mot n'ait que fix lettres .
L'Auteur auroit pu en tirer un plus grand
nombre d'énigmes , puifqu'il a négligé
les mots Orage , Rage , Age , Gare ,
Argo , &c. Il a fans doute craint
de devenir trop long ou trop confus.
4°. Enfin dans l'art de referrer le
tout dans le moins d'espace poffible , en
évitant les inutilités & les longueurs .
Ici l'auteur a renfermé fes fix énigmes
en neuf vers.
Les mots les plus favorables aux Logogryphes
font ceux dans lefquels on
trouve un plus grand nombre de mots
par de fimples divifions , lefquelles font
beaucoup plus faciles à indiquer que les
tranfpofitions de lettres . Tel eft le mot
Courage , dont les fimples divifons ou
retranchemens feront trouver Cou, rage;
Cour , age; Courge , Cage , Orage. &c.
Ainfi les mots les plus longs, quoiqu'ils
fourniffent d'ordinaire un plus grand
nombre de combinaiſons , font les moins
avantageux pour un Logogryphe. Imagineroit-
on que pour en faire un , on
eût choifi un mot tel que Métamorphofe ,
d'où l'on n'en peut guères tirer d'autre
qu'en fe donnant la torture , & où pour
AVRIL. 1763.
87
e
indiquer le mot , phare , par exemple ,
il faut avertir le Lecteur de raffembler
la 8 , la 9 , la 4 , la 7 & la 2º lettre
& qu'alors il trouvera ce qni fait
lefalu des navigateurs , c'eft ce qu'on
exprimera dans le vers fuivant ou dans
quelque autre auffi harmonieux :
Huit , neuf, quatre , fept , deux : je guide le
Nocher.
C'est au choix heureux de mots de
cette espéce qu'on a l'obligation d'avoir
vû longtemps les Mercures remplis de
Logogryphes dans ce ftyle.
On s'eft enfin laffé de ce langage
barbare , & plutôt que d'indiquer les
tranfpofitions de lettres par leur numé
ro , on a pris le parti de ne les point
indiquer du tout , & de faire dire au
mot entier du Logogryphe ; vous trouverez
en moi un adverbe , une Saiſon ,
un Elément , un Saint , un Pape , un
Empereur , un fleuve , une note de mufique
, &c. fans défigner l'ordre des lettres
qui forment ces mots , ce qui eft
auffi vague & auffi confus , que l'autre
expédient étoit uniforme & faftidieux.
Si les mots trop longs font rarement
propres pour un Logogryphe , les mots
les plus courts offrent quelquefois dans
88 MERCURE DE FRANCE.
un très -petit nombre de lettres un affez
grand nombre de combinaiſons , ce
qui leur donne une forte de grace , parce
qu'on ne s'attend pas à cette fécondité.
Par exemple on vous annonce un
mot de trois lettres , dans lequel on trouve
neuf ou dix mots différens , fur lef
quels on fera neuf ou dix petites énigmes
par diverfes combinaiſons bien indiquées
en devinant le mot ail,vous ferez
furpris d'y trouver lia , ali , lai , ai,
ia , al , la , note de mufique , la , article,
là , adverbe , il article ; & li meſure itinéraire
de la Chine.
Il y a des mots tellement compofés,
qu'en retranchant fucceffivement une
deux , trois , quatre lettres , il refte toujours
un mot entier & enfin une lettre ,
lefquels peuvent fournir matière à autant
d'énigmes,& faire de tout un joli Logogryphe.
Par exemple, canon , par le retranchement
fucceffif d'une lettre , devient
anon , non , on , & la lettre n. Silex
, mot latin , eft dans le même cas ;
on y trouve ilex , lex ex & x , fans
compter file & lis. Dans Avoie , nom
d'une Sainte que porte une rue de Paris
, en fuivant la même méthode , vous
trouverez voye , vie , ie , & l'e muet. Ce
mor a cela de particulier encore , que
> >
AVRIL. 1763. 89
les cinq lettres qui le compofent, font
a , i , o , u. Ces deux derniers Logogryphes
ont été faits & donnés au Mercure
il y a quelques années.
Le mot latin adamas fournit un
exemple encore plus fingulier & peutêtre
unique. En le rognant lettre à lettre
( qu'on me permette cette expreffion )
par le commencement , il deviendra
damas , amas , mas , as & s ; & en lė
mutilant à rebours , adama , adam , ada,
( Princeffe connue dans l'hiftoire ) ad
& a ; mais cela feroit un mêlange bizarre
de mots François , Latins & Efpagnols
qu'il faudroit diftinguer , ce qui
feroit difficile & de plus cauferoit des
longueurs & de l'embrouillement.
Un mot qui a plufieurs anagrames,
peut fournir un Logogryphe par de fim
ples tranfpofitions fans retranchement.
Je connois un Logogryphe dans ce cas
dont le mot eft nacre. On y trouve par
fimple tranfpofition de lettres , crane ,
carne , écran , Nerac , Rance , ( carrière
de marbre ) & ancre. 1
Depuis quelque temps , le défaut ordinaire
des Logogryphes du Mercure
eft de n'être Logogryphes que de nom ;
puiſqu'on y dit au Lecteur préciſement
tout ce qu'il faut pour lui faire trouver
90 MERCURE DE FRANCE.
le mot fans avoir rien à deviner , ce
qui provient de ce qu'on péche contre
la feconde des quatres régles que j'ai
données plus haut & qu'au lieu de faire
des énigmes fur les parties féparées du
mot total , on exprime ces parties par
des fynonymes équivalens à leur nom .
Je n'en chercherai point la preuve plus
loin que dans le Mercure de Janvier
où fe trouve l'énigme du Fiacre. Le
mot du fecond Logogryphe eft Soif:
l'énigme fur ce mot par laquelle on
commence le Logogryphe, eft affez bien
faite , mais trop longue , puifque la
préface d'un ouvrage n'en doit pas
faire prés de la moitié. Si la lecture
de cette énigme préliminaire n'a pas
fuffi pour me faire deviner le mot
Soif, le refte va me l'indiquer fi
clairement, qu'il ne me fera pas poffible
de m'y méprendre. Je pourfuis ma lecture
& je vois que l'on m'annonce que
je trouverai dans le mot que je cherche
, 1 ° . l'objet des foins d'Argus. Eftce
là une énigme ? C'eft comine fi l'on
me difoit,vous trouverez Io ; j'écris donc
Io : voilà déja deux lettres . 2° . Certaine
note de Mufique ; rien ne m'indique encore
laquelle c'eft des fept notes ; je
laiffe donc fon nom en blanc , & je conAVRIL
1763. or
,
inue . 3 ° . Un arbriffeau des plus touf
fus , ce pourroit être if ou bien hour.
Je fufpends mon jugement. Je lis juf
qu'au bout , & le dernier vers m'apprend
que le mot entier n'a que quatre
lettres. Or j'en fçais déja deux , i & o :
je reprens où j'en étois , & je vois 4 ° .
qu'il faut trouver dans le mot entier une
vertu théologale. Laquelle des trois ?
Ce ne peut être que foi , puifque le
mot entier n'a que quatre lettres , &
que i & o que j'ai déja font du nombre .
J'écris donc foi. Je conclus auffitôt que
l'arbriffeau dont j'étois en doute ne
peut être qu'if, puifqu'il fe trouve dans
le mot foi. Il ne manque denc plus
qu'une lettre. 5. Ce dont un chien quand
il peut fe régale. Autant vaudroit dire
un os. Or dans le mot os je trouve la
lettre o que j'ai déja , & de plus la lettres
; celle -ci eft donc la quatriéme qui
me manquoit.J'écris donc os.5º.Un terme
enfin de dédain , de mépris. On ne peut
exprimer plus clairement le mot fi, que
je trouve en effet dans les mots que j'ai
déja. Les quatre lettres du mot font
donc i , o , f & f. J'y cherche la note
de mufique que j'ai laiffée en fouffrance
; & je vois que ce ne peut être que
la note fi. Il ne reste plus qu'à faire un
92 MERCURE
DE FRANCE.
mot avec les quatre lettres trouvées ¿
o,f, s. Quatre lettres ne peuvent s'ar- .
ranger que de vingt- quatre façons différentes
, dont la moitié dans le cas préfent
ne pourroit fe prononcer. Dès les
premiers effais de combinaifons , je
m'apperçois que ces quatre lettres i ,
o, f, s , ne peuvent faire que les mots
fois & foif. Ce dernier mot explique
très-bien l'énigme du début : le mot
du Logogryphe eft donc foif.Toutes ces
opérations fe font beaucoup plus promptement
qu'elles ne peuvent fe décrire ;
enforte qu'à la feconde lecture
avoir rien deviné , je reconnois évidemment
que le mot cherché eft foif, &
que tout ce qu'on m'a dit avec apparence
de mystère , fe réduit à cette propofition
, Lecteur , faites un mot françois
de ces quatre lettres , i , o , f , s ;
or je demande fi c'eft- là un Logogryphe.
J'en dirois prèfque autant de l'autre qui
fuit , dont le mot eft mode , ainfi que'
de la plupart de ceux que je vois dans
les Mercures depuis quelques années.
fans
Il est vrai que fouvent le mot a
plus de quatre lettres, & que quoiqu'elles
me foient toutes indiquées auffi clairement
que fi l'on me les eût nommées ,
il feroit long & pénible d'en compofer
AVRIL. 1763. 93
#
an feul mot.Je me contente alors d'avoir
toutes les lettres du mot, & j'abandonne
fans regret une recherche purement ennuyeuſe
, qui n'éxige que la patience de
former 120 arrangemens différens , file
mot a cinq lettres ; 720, s'il en a fix ; ſept
fois 720 ou 5047 , s'il y a fept lettres
& c,ce qui n'eft plus que l'ouvrage d'un
manoeuvre. Il n'y a que l'utilité ou l'im-
-portance de l'objet , cu une raiſon d'interêt
, qui pût faire furmonter un tra
vail auffi rebutant.
J'ai l'honneur d'être , & c.
Langue
Vers et prose
Type d'écrit journalistique
Courrier des lecteurs
Vrai
Mots clefs
Domaine
Constitue la réponse à un autre texte
Est adressé ou dédié à une personne