Titre
DIALOGUE entre DÉMOCRITE & MOLIERE.
Titre d'après la table
DIALOGUE entre Démocrite & Moliére.
Fait partie d'une livraison
Fait partie d'une section
Page de début
55
Page de début dans la numérisation
302
Page de fin
63
Page de fin dans la numérisation
310
Incipit
N'EST-CE pas vous que les sottises des hommes faisoient rire ?
Texte
DIALOGUE entre DÉMOCRITE &
N
MOLIERE.
MOLIER É.
' EST - CE pas vous que les fottifes
des hommes faifoient rire ?
DEMOCRITE.
N'eft- ce pas vous qui faifiez rire les
hommes de leurs fottifes ?
MOLIER E.
Qui ; notre emploi fut très- différent ,
comme vous voyez.
DEMOCRIT E.
Je choifis le moins pénible , celui
en même temps , qui me parut le plus
Civ
$6 MERCURE DE FRANCE.
propre à corriger l'efpéce humaine de
fes travers.
MOLIERE.
L'expérience dut bientôt vous détromper.
Loin que ces ris perpétuels
guériffent les Athéniens de leurs folies ,
ils chargerent , dit-on , Hippocrate du
foin de vous guérir de la vôtre.
DEMOCRITE.
J'avoue que j'ai laiffé mes Compatriotes
auffi extravagans qu'ils l'étoient
d'abord. Mais vous-même , qu'euffiezvous
fait à ma place ?
MOLIERE.
Ce que j'ai fait depuis vous . Au lieu
de me livrer à un rire immodéré , &
dès-lors , un peu ridicule , j'aurois tracé
le tableau des travers qui le provoquoient.
DEMOCRITE.
C'eût été vous- même rifquer le fort
de Zeuxis , qui mourut , à force de
rire , en contemplant certain grotesque
portrait qu'il venoit de tracer.
MOLIER E.
Oh , pour moi , je n'ai jamais ri .
AVRIL. 1763. 57
DÉMOCRITE.
Vous euffiez donc pleuré.
MOLIERE.
Ne diroit- on pas , à vous entendre
que vos Athéniens eurent un brévet
exclufif de ridicule ? Nos François ne
pourront - ils , au moins , prétendre au
parallèle ?
DEMOCRITE.
J'en doute. Figurez-vous une Nation
Tégère , capricieufe , inconféquente ; approuvant
aujourd'hui ce qu'elle blâmera
demain ; fans but , fans réflexion , fans
caractére : changeant avec la même facilité
, de fyftême , de ridicules , de mo--
des & d'amis : une Nation , en un mot ,
qui n'a d'uniformité que dans fon inconftance....
Tels furent mes Compatriotes.
Auriez -vous eu de pareils objets
à peindre ?
MOLIERE,
A-peu-près ..
DÉMOCRITE ,
Par exemple , y eut- il jamais parmi
vous d'étourdi auffi effronté que notre
Alcibiade ?
Cv
58 MERCURE DE FRANCE .
MOLIER E.
Alcibiade eût été parmi nous un
homme à citer , une efpéce de Sage.
DÉMOCRIT E. •
Que dirons nous de ce Peuple qui
s'amufoit à plaindre le chien de cet
infenfé , & qui ne plaignoit pas tant
de maris dont il féduifoit , ou enlevoit
la femme ?
MOLIER E.
J'ai connu certaine contrée où les
maris fupportoient plus facilement ces
fortes d'affronts , qu'un coup donné
mégarde à leur chien .
DEMOCRITE.
par
Qui n'eût pas ri , à ma place , de
voir cette multitude orgueilleufe ériger
une foule de ftatutes aux Orateurs qui
fçavoient le mieux louer fes travers &
Les caprices?
MOLIER E.
Chez nous la multitude ne peut
rien ; auffi n'eft - ce pas elle qu'on loue.
Il eft, en même temps , affez rare qu'un
Grand outre la reconnoiffance envers
ceux qui l'ont le plus flatté. Il fe borne
à trouver l'éloge un peu mince , &
AVRIL. 1763. 59
à oublier jufqu'au nom de l'Auteur .
DEMOCRITE.
N'ai-je pas vû ces mêmes Athéniens
traiter plus mal leurs meilleurs Généraux
que leurs plus mauvais Rhéteurs ,
& bannir des Murs de leur Ville
ceux qui les avoient le mieux défendus
?
MOLIERE.
›
Nos François fuivent une autre méthode.
Ils payent fouvent d'un malin
vaudeville les plus grandes actions
comme les plus grandes fautes , &
nulle difgrace ne les afflige , dès qu'il
en peut naître une épigramme.
DEMOCRITE .
A propos d'épigramme , parlons des
Auteurs mes contemporains. Que de
jaloufies , que de petiteffes dans les
plus Grands! Que de prétentions , que
d'orgueil dans les plus Petits ! Je crois les
voir encore s'agiter , cabaler , s'entremordre,
s'entre-détruire, avec autant de
fureur que les Grecs , & les Troyens ,
autre espéce de foux , combattirent
pour une Beauté déja furrannée ..
Oh certainement , vos Auteurs ont
été plus raisonnables !
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
MOLIER E.
Il femble , au contraire , que vous
ayez voulu les peindre . Mais je pour--
rois ajouter plus d'un trait au tableau .,
Si les Ecrivains modernes font infé--
rieurs aux anciens , ce n'eft pas du côté
de la tracafferie .
DÉMOCRITE.
Paffe encore pour certains Auteurs
& furtout pour les Poëtes. Mais que
dire des Philofophes ? Quelle contrariété
dans leurs difcours , dans leur
conduite , dans leurs fyftêmes ! Chacun
d'eux crée un monde à fa manière
& fe perfuade avoir faifi la vraie. J'ai
auffi , moi-même qui vous parle , bâti
mon Univers. Après quoi , j'ai ri de ce
frêle édifice , comme j'avois fait des
tant d'autres.
MOLIERE..
"
Nous ne manquons pas , non plus ,
de ces fortes d'Architectes . Il n'en eft
aucun qui ne croye avoir bâti fur de
meilleurs fondemens que tous fes rivaux
. Mais , au bout d'un quart de fiécle
, on pourroit dire de ces Monumens
, comme de la Ville de Priam ::
c'est ici ou fut Troye
AVRIL. 1763 .
or
DEMOCRITE.
Une telle manie a dû vous fournir
plus d'une fcène vraiment comique.
MOLIER E..
J'ai refpecté le peu que nous fçavions
d'Aftronomie , c'est - à - dire , tout ce
qui m'a paru démontré fur cette matière.
Mais & peut-être j'eus tort ) je.
ridiculifai dans les femmes ces fortes de
recherches.
DÉMOCRITE . {
Quoi ! parmi vous les femmes s'amufent
à mefurer les Cieux ? J'en félicite
leurs époux . Nos Athéniennes
pour la plûpart , facrifioient à d'autres:
genres de curiofité.
MOLIER E.
Oh ! nous avons auffi des curieufes
de plus d'une espéce..
DÉMOCRITE.
Leurs maris font - ils jaloux ? J'ai beau
coup ri des vaines précautions de certains
époux d'Athenes , éviter cer
tain accident qu'on n'évite guères que
par hafard.
pour
MOLIER E.
De mon temps , plus d'un mari eut le
même. foible ; & moi-même je n'en:
62 MERCURE DE FRANCE.
fus pas exempt. Mais j'eus le courage
de fronder & mon ridicule , & celui
des autres : leçon qui fructifia au point
que
mes fucceffeurs font réduits à fronder
un ridicule tout oppofé.
DÉMOCRITE.
Eft- ce la feule de vos leçons qu'on
ait prife trop à la lettre ?
MOLIERE.
J'en puis citer d'autres . Par exemple
, j'ai ridiculifé , & prèfque à tous
propos , le jargon barbare , le craffeux
pédantifme des Médecins de mon fiécle.
Aujourd'hui c'eft l'élégance de
leurs difcours , de leur parure & de leur
équipage , qui fert de matière aux Sarcafmes
de Thalie. Il en eſt ainfi de
quelques autres travers , qui n'ont fait
que fe métamorphofer en travers non
moins bifarres.
DÉMOCRITE.
Avouez donc , entre nous , que votre
méthode pour corriger les hommes
n'eft pas plus éfficace que la mienne.
MOLIER E.
C'eft ce que je n'avouerai pas. Un
ridicule anéanti , fût-il même remplacé
AVRIL. 1763. 63
par un autre , eft toujours un ridicule
de moins.
DEMOCRITE.
Comment cela ?
MOLIER E.
C'eft que tous deux euffent pu exifter
en même tems. Aux Précieufes ridicu
les , ont fuccédé les Petites -Maîtreſſes.
Mais fi je n'euffe réuffi à diffamer les premieres
, on les verroit marcher de frontavec
les fecondes.
DEMOCRITE.
Que conclure , enfin , de tout ceci ?
MOLIERE
.
Que la fource du ridicule eft intariffable
chez les humains ; qu'on peut
en prévenir les débordemens , mais non
en arrêter le cours : en un mot , qu'un
Moliere y trouveroit toujoursà réprendre
, & un Démocrite toujours à rire.
Par M. DE LA DIXMERIE.
N
MOLIERE.
MOLIER É.
' EST - CE pas vous que les fottifes
des hommes faifoient rire ?
DEMOCRITE.
N'eft- ce pas vous qui faifiez rire les
hommes de leurs fottifes ?
MOLIER E.
Qui ; notre emploi fut très- différent ,
comme vous voyez.
DEMOCRIT E.
Je choifis le moins pénible , celui
en même temps , qui me parut le plus
Civ
$6 MERCURE DE FRANCE.
propre à corriger l'efpéce humaine de
fes travers.
MOLIERE.
L'expérience dut bientôt vous détromper.
Loin que ces ris perpétuels
guériffent les Athéniens de leurs folies ,
ils chargerent , dit-on , Hippocrate du
foin de vous guérir de la vôtre.
DEMOCRITE.
J'avoue que j'ai laiffé mes Compatriotes
auffi extravagans qu'ils l'étoient
d'abord. Mais vous-même , qu'euffiezvous
fait à ma place ?
MOLIERE.
Ce que j'ai fait depuis vous . Au lieu
de me livrer à un rire immodéré , &
dès-lors , un peu ridicule , j'aurois tracé
le tableau des travers qui le provoquoient.
DEMOCRITE.
C'eût été vous- même rifquer le fort
de Zeuxis , qui mourut , à force de
rire , en contemplant certain grotesque
portrait qu'il venoit de tracer.
MOLIER E.
Oh , pour moi , je n'ai jamais ri .
AVRIL. 1763. 57
DÉMOCRITE.
Vous euffiez donc pleuré.
MOLIERE.
Ne diroit- on pas , à vous entendre
que vos Athéniens eurent un brévet
exclufif de ridicule ? Nos François ne
pourront - ils , au moins , prétendre au
parallèle ?
DEMOCRITE.
J'en doute. Figurez-vous une Nation
Tégère , capricieufe , inconféquente ; approuvant
aujourd'hui ce qu'elle blâmera
demain ; fans but , fans réflexion , fans
caractére : changeant avec la même facilité
, de fyftême , de ridicules , de mo--
des & d'amis : une Nation , en un mot ,
qui n'a d'uniformité que dans fon inconftance....
Tels furent mes Compatriotes.
Auriez -vous eu de pareils objets
à peindre ?
MOLIERE,
A-peu-près ..
DÉMOCRITE ,
Par exemple , y eut- il jamais parmi
vous d'étourdi auffi effronté que notre
Alcibiade ?
Cv
58 MERCURE DE FRANCE .
MOLIER E.
Alcibiade eût été parmi nous un
homme à citer , une efpéce de Sage.
DÉMOCRIT E. •
Que dirons nous de ce Peuple qui
s'amufoit à plaindre le chien de cet
infenfé , & qui ne plaignoit pas tant
de maris dont il féduifoit , ou enlevoit
la femme ?
MOLIER E.
J'ai connu certaine contrée où les
maris fupportoient plus facilement ces
fortes d'affronts , qu'un coup donné
mégarde à leur chien .
DEMOCRITE.
par
Qui n'eût pas ri , à ma place , de
voir cette multitude orgueilleufe ériger
une foule de ftatutes aux Orateurs qui
fçavoient le mieux louer fes travers &
Les caprices?
MOLIER E.
Chez nous la multitude ne peut
rien ; auffi n'eft - ce pas elle qu'on loue.
Il eft, en même temps , affez rare qu'un
Grand outre la reconnoiffance envers
ceux qui l'ont le plus flatté. Il fe borne
à trouver l'éloge un peu mince , &
AVRIL. 1763. 59
à oublier jufqu'au nom de l'Auteur .
DEMOCRITE.
N'ai-je pas vû ces mêmes Athéniens
traiter plus mal leurs meilleurs Généraux
que leurs plus mauvais Rhéteurs ,
& bannir des Murs de leur Ville
ceux qui les avoient le mieux défendus
?
MOLIERE.
›
Nos François fuivent une autre méthode.
Ils payent fouvent d'un malin
vaudeville les plus grandes actions
comme les plus grandes fautes , &
nulle difgrace ne les afflige , dès qu'il
en peut naître une épigramme.
DEMOCRITE .
A propos d'épigramme , parlons des
Auteurs mes contemporains. Que de
jaloufies , que de petiteffes dans les
plus Grands! Que de prétentions , que
d'orgueil dans les plus Petits ! Je crois les
voir encore s'agiter , cabaler , s'entremordre,
s'entre-détruire, avec autant de
fureur que les Grecs , & les Troyens ,
autre espéce de foux , combattirent
pour une Beauté déja furrannée ..
Oh certainement , vos Auteurs ont
été plus raisonnables !
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
MOLIER E.
Il femble , au contraire , que vous
ayez voulu les peindre . Mais je pour--
rois ajouter plus d'un trait au tableau .,
Si les Ecrivains modernes font infé--
rieurs aux anciens , ce n'eft pas du côté
de la tracafferie .
DÉMOCRITE.
Paffe encore pour certains Auteurs
& furtout pour les Poëtes. Mais que
dire des Philofophes ? Quelle contrariété
dans leurs difcours , dans leur
conduite , dans leurs fyftêmes ! Chacun
d'eux crée un monde à fa manière
& fe perfuade avoir faifi la vraie. J'ai
auffi , moi-même qui vous parle , bâti
mon Univers. Après quoi , j'ai ri de ce
frêle édifice , comme j'avois fait des
tant d'autres.
MOLIERE..
"
Nous ne manquons pas , non plus ,
de ces fortes d'Architectes . Il n'en eft
aucun qui ne croye avoir bâti fur de
meilleurs fondemens que tous fes rivaux
. Mais , au bout d'un quart de fiécle
, on pourroit dire de ces Monumens
, comme de la Ville de Priam ::
c'est ici ou fut Troye
AVRIL. 1763 .
or
DEMOCRITE.
Une telle manie a dû vous fournir
plus d'une fcène vraiment comique.
MOLIER E..
J'ai refpecté le peu que nous fçavions
d'Aftronomie , c'est - à - dire , tout ce
qui m'a paru démontré fur cette matière.
Mais & peut-être j'eus tort ) je.
ridiculifai dans les femmes ces fortes de
recherches.
DÉMOCRITE . {
Quoi ! parmi vous les femmes s'amufent
à mefurer les Cieux ? J'en félicite
leurs époux . Nos Athéniennes
pour la plûpart , facrifioient à d'autres:
genres de curiofité.
MOLIER E.
Oh ! nous avons auffi des curieufes
de plus d'une espéce..
DÉMOCRITE.
Leurs maris font - ils jaloux ? J'ai beau
coup ri des vaines précautions de certains
époux d'Athenes , éviter cer
tain accident qu'on n'évite guères que
par hafard.
pour
MOLIER E.
De mon temps , plus d'un mari eut le
même. foible ; & moi-même je n'en:
62 MERCURE DE FRANCE.
fus pas exempt. Mais j'eus le courage
de fronder & mon ridicule , & celui
des autres : leçon qui fructifia au point
que
mes fucceffeurs font réduits à fronder
un ridicule tout oppofé.
DÉMOCRITE.
Eft- ce la feule de vos leçons qu'on
ait prife trop à la lettre ?
MOLIERE.
J'en puis citer d'autres . Par exemple
, j'ai ridiculifé , & prèfque à tous
propos , le jargon barbare , le craffeux
pédantifme des Médecins de mon fiécle.
Aujourd'hui c'eft l'élégance de
leurs difcours , de leur parure & de leur
équipage , qui fert de matière aux Sarcafmes
de Thalie. Il en eſt ainfi de
quelques autres travers , qui n'ont fait
que fe métamorphofer en travers non
moins bifarres.
DÉMOCRITE.
Avouez donc , entre nous , que votre
méthode pour corriger les hommes
n'eft pas plus éfficace que la mienne.
MOLIER E.
C'eft ce que je n'avouerai pas. Un
ridicule anéanti , fût-il même remplacé
AVRIL. 1763. 63
par un autre , eft toujours un ridicule
de moins.
DEMOCRITE.
Comment cela ?
MOLIER E.
C'eft que tous deux euffent pu exifter
en même tems. Aux Précieufes ridicu
les , ont fuccédé les Petites -Maîtreſſes.
Mais fi je n'euffe réuffi à diffamer les premieres
, on les verroit marcher de frontavec
les fecondes.
DEMOCRITE.
Que conclure , enfin , de tout ceci ?
MOLIERE
.
Que la fource du ridicule eft intariffable
chez les humains ; qu'on peut
en prévenir les débordemens , mais non
en arrêter le cours : en un mot , qu'un
Moliere y trouveroit toujoursà réprendre
, & un Démocrite toujours à rire.
Par M. DE LA DIXMERIE.
Signature
Par M. DE LA DIXMERIE.
Langue
Vers et prose
Type d'écrit journalistique
Courrier des lecteurs
Faux
Domaine
Est rédigé par une personne