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Fait partie d'une section
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120
Page de début dans la numérisation
135
Page de fin
124
Page de fin dans la numérisation
139
Incipit
AH ! QUEL CONTE ! Conte politique & astronomique, qui a pour épigraphe : O
Texte
AH ! QUEL CONTE ! Conte politique &
aftronomique , qui a pour épigraphe : 0
quantum eft in rebus inane ! Perfe. A Bruxelles
, chez les freres l'affe , Libraires. On
le trouve à Paris , chez Lambert.
EXTRAIT OU PRÉCIS.
Il paroît que ce conte eft une fuite
du Sopha ; on y voit un Sultan toujours
bête , interrompre fon Vifir toujours fpirituel.
Ce Miniftre , pour fervir fon Maître
felon fon goût , ou fuivant fa portée , lui
raconte des faits très- abfurdes ; mais pour
plaire au public François , il les accompagne
de réflexions très- ingénieufes , dont
ils ne font que le prétexte : s'il en étoit
fouvent un peu plus fobre , avec moins
d'efprit il amuferoir peut- être davantage .
Schezaddin Telaïfe , Souverain d'Ifma ,
eft le héros du conte dont je vais donner
l'extrait. Ce Prince , quoique fort jeune
& fort aimable ( ce font les expreffions
de l'auteur) , s'obftinoit à vivre dans le célibat
malgré les voeux de fes fujets , &
dans l'indifférence malgré les defirs de fes
fujettes. Soit qu'il eût l'efprit gâté par la
lecture des romans , ou qu'il fût né romanefque
, il croyoit qu'une véritable paffion
eft toujours prédite à notre coeur par
des événemens finguliers ; il étoit perfuadé
qu'on
JANVIER. 1755. 125
qu'on n'aime point , lorfque dès la premiere
vûe on ne fe fent point entraîné par
un penchant irrésistible , & que toutes les
fois qu'on s'engage hors de ce cas , on fe
donne un ridicule d'autant moins pardonnable
, que l'on n'en eft pas dédommagé
par les plaifirs. Une Fée , auffi jolie que
coquette , voulut avoir la gloire de le détromper.
Pour y réuffir plus fûrement , elle
eut recours au miniftere des fonges : ellemême
fe plaça la nuit à côté du Prince
endormi , afin de les mieux diriger , &
d'être mieux à portée de s'affurer & de
jouir de fon triomphe.
Un premier rêve offrit à Schezaddin les
traits d'une nimphe piquante , qui lui fit
des agaceries fi vives que fon ame en fut
échauffée , & que le plaifir la difpofa par
degrés à recevoir l'impreffion de l'amour.
Tout ou rien , ( c'eſt le nom de la Fée )
dans un nouveau fonge , fe préfenta ellemême
dans toute fa beauté à Schezaddin ;
fes charmes le toucherent fi fort qu'il fe
réveilla vraiment amoureux d'elle fans la
connoître. Il découvre fon état à Taciturne
fon confident , homme froid &
cauftique , plus bleffé des travers des femmes
, qu'il n'étoit fenfible à leurs agrémens.
Ce favori combla fon amour , &
l'ofe traiter de vifionnaire ; mais la chi-
F
122 MERCURE DE FRANCE,
mere eft bientôt réalifée. La Fée fait annoncer
fon retour au Roi d'Ifma. Comme
elle avoit un palais voifin des Etats de
ce Prince , il s'y rendit avec une cour
nombreuſe : l'agréable furprife ! il reconnoît
dans la Fée la feconde beauté qu'il
a vûe en fonge , & dont il chérit l'image.
Il prend cette rencontre pour un coup du
deftin , qui le force d'aimer ; fon ardeur en
redouble ; le Roi paffe de l'indifférence à
la paffion la plus violente , & la Fée , du
fein de la coquetterie , à l'amour le plus
vrai. Leur bonheur eft parfait ; mais il eſt
bientôt troublé par l'imprudence de Tour
ou rien. Dans un de ces momens où les
amans fe difent tout , même ce qu'ils ont
le plus d'intérêt à fe cacher , l'indifcrette
Fée avoua à Schezaddin que l'amour qu'il
avoit elle étoit moins l'ouvrage de la
pour
deftinée que celui de fon adreffe , & lui
raconta les moyens qu'elle avoit employés
pour le féduire.
L'amour propre du Prince fut bleffe
de la fupercherie , il la regarda moins
comme l'effet d'une tendreffe ingénieufe
que comme une mauvaiſe plaifanterie
& comme un ridicule qu'elle vouloit lui
donner, Le feu de fon amour s'éteignit
par degrés. Comme il redoutoit le pouvoir
de la Fée , il n'ofa pas la quitter brufJANVIER.
1755. 123
quement ; il prit le parti détourné de l'obliger
elle-même à le congédier à force de
froideurs , de caprices extravagans , & de
jaloufies ridicules il y réuffit à la fin.
Tout ou rien excédée , rompit avec lui
& lui dit en le quittant , d'un ton ironique
, que puifqu'il ne pouvoit aimer fans
ce coup de foudre qui arrive fi rarement ,
elle tâcheroit d'obtenir du deftin qu'il le
lai procurât , & que le choix qu'il lui feroit
faire le couvrît d'autant de gloire
qu'il devoit le combler de plaifir. Schezaddin
alarmé du perfiflage de Tout ou
rien , voulut lui répondre ; mais il fe fentit
enlever du palais de la Fée , & fe
tetrouva en peu d'inftans dans le fien .
Quelques jours après la nuit le furprit
dans une forêt avec Taciturne ; comme ils
étoient embarraffés du chemin qu'ils tiendroient
, ils virent tout à coup fortir du
fein de la terre une prodigieufe quantité
de flambeaux allumés. Malgré leur étonnement
ils fuivirent la route que ces flambeaux
leur traçoient , & qui les conduifit
à une grande falle de verdure ; elle étoit
éclairée par plus de fix mille luftres de
diamant ,, qui pendoient aux branches des
arbres . Une fymphonie raviffante s'y faifoit
entendre ; ils y virent ce qu'ailleurs
ón n'a jamais vû , des grues en habit de
Fij
124 MERCURE DE FRANCE .
bal , des oifeaux qui battoient la meſure ,
& qui chantoient entre leurs dents , une
autruche mâle en perruque quarrée , une
autruche femelle en chauve - fouris , qui
avoit le vifage couvert de mouches & de
rouge ; une jeune oye en domino couleur
de rofe , dont le premier regard fubjugua
le Roi ; un dindon mufqué , frifé ,
qui lui donnoit la main , & qui danfa
un menuet avec elle. Mais le plus furprenant
eft le récit des exploits d'une tête à
perruque , qui conduifoit une armée , dont
elle étoit le Général , & devant qui rien
ne réſiſtoit : étonné de ces merveilles , je
m'arrête là.
On promet la fuite qui eft fous preſſe.
Ce n'eft ici qu'un léger extrait des quatre
premieres parties . Je crois qu'il doit fuffire
pour faire voir que l'auteur de ce
conte en a parfaitement rempli le titre &
l'épigraphe.
aftronomique , qui a pour épigraphe : 0
quantum eft in rebus inane ! Perfe. A Bruxelles
, chez les freres l'affe , Libraires. On
le trouve à Paris , chez Lambert.
EXTRAIT OU PRÉCIS.
Il paroît que ce conte eft une fuite
du Sopha ; on y voit un Sultan toujours
bête , interrompre fon Vifir toujours fpirituel.
Ce Miniftre , pour fervir fon Maître
felon fon goût , ou fuivant fa portée , lui
raconte des faits très- abfurdes ; mais pour
plaire au public François , il les accompagne
de réflexions très- ingénieufes , dont
ils ne font que le prétexte : s'il en étoit
fouvent un peu plus fobre , avec moins
d'efprit il amuferoir peut- être davantage .
Schezaddin Telaïfe , Souverain d'Ifma ,
eft le héros du conte dont je vais donner
l'extrait. Ce Prince , quoique fort jeune
& fort aimable ( ce font les expreffions
de l'auteur) , s'obftinoit à vivre dans le célibat
malgré les voeux de fes fujets , &
dans l'indifférence malgré les defirs de fes
fujettes. Soit qu'il eût l'efprit gâté par la
lecture des romans , ou qu'il fût né romanefque
, il croyoit qu'une véritable paffion
eft toujours prédite à notre coeur par
des événemens finguliers ; il étoit perfuadé
qu'on
JANVIER. 1755. 125
qu'on n'aime point , lorfque dès la premiere
vûe on ne fe fent point entraîné par
un penchant irrésistible , & que toutes les
fois qu'on s'engage hors de ce cas , on fe
donne un ridicule d'autant moins pardonnable
, que l'on n'en eft pas dédommagé
par les plaifirs. Une Fée , auffi jolie que
coquette , voulut avoir la gloire de le détromper.
Pour y réuffir plus fûrement , elle
eut recours au miniftere des fonges : ellemême
fe plaça la nuit à côté du Prince
endormi , afin de les mieux diriger , &
d'être mieux à portée de s'affurer & de
jouir de fon triomphe.
Un premier rêve offrit à Schezaddin les
traits d'une nimphe piquante , qui lui fit
des agaceries fi vives que fon ame en fut
échauffée , & que le plaifir la difpofa par
degrés à recevoir l'impreffion de l'amour.
Tout ou rien , ( c'eſt le nom de la Fée )
dans un nouveau fonge , fe préfenta ellemême
dans toute fa beauté à Schezaddin ;
fes charmes le toucherent fi fort qu'il fe
réveilla vraiment amoureux d'elle fans la
connoître. Il découvre fon état à Taciturne
fon confident , homme froid &
cauftique , plus bleffé des travers des femmes
, qu'il n'étoit fenfible à leurs agrémens.
Ce favori combla fon amour , &
l'ofe traiter de vifionnaire ; mais la chi-
F
122 MERCURE DE FRANCE,
mere eft bientôt réalifée. La Fée fait annoncer
fon retour au Roi d'Ifma. Comme
elle avoit un palais voifin des Etats de
ce Prince , il s'y rendit avec une cour
nombreuſe : l'agréable furprife ! il reconnoît
dans la Fée la feconde beauté qu'il
a vûe en fonge , & dont il chérit l'image.
Il prend cette rencontre pour un coup du
deftin , qui le force d'aimer ; fon ardeur en
redouble ; le Roi paffe de l'indifférence à
la paffion la plus violente , & la Fée , du
fein de la coquetterie , à l'amour le plus
vrai. Leur bonheur eft parfait ; mais il eſt
bientôt troublé par l'imprudence de Tour
ou rien. Dans un de ces momens où les
amans fe difent tout , même ce qu'ils ont
le plus d'intérêt à fe cacher , l'indifcrette
Fée avoua à Schezaddin que l'amour qu'il
avoit elle étoit moins l'ouvrage de la
pour
deftinée que celui de fon adreffe , & lui
raconta les moyens qu'elle avoit employés
pour le féduire.
L'amour propre du Prince fut bleffe
de la fupercherie , il la regarda moins
comme l'effet d'une tendreffe ingénieufe
que comme une mauvaiſe plaifanterie
& comme un ridicule qu'elle vouloit lui
donner, Le feu de fon amour s'éteignit
par degrés. Comme il redoutoit le pouvoir
de la Fée , il n'ofa pas la quitter brufJANVIER.
1755. 123
quement ; il prit le parti détourné de l'obliger
elle-même à le congédier à force de
froideurs , de caprices extravagans , & de
jaloufies ridicules il y réuffit à la fin.
Tout ou rien excédée , rompit avec lui
& lui dit en le quittant , d'un ton ironique
, que puifqu'il ne pouvoit aimer fans
ce coup de foudre qui arrive fi rarement ,
elle tâcheroit d'obtenir du deftin qu'il le
lai procurât , & que le choix qu'il lui feroit
faire le couvrît d'autant de gloire
qu'il devoit le combler de plaifir. Schezaddin
alarmé du perfiflage de Tout ou
rien , voulut lui répondre ; mais il fe fentit
enlever du palais de la Fée , & fe
tetrouva en peu d'inftans dans le fien .
Quelques jours après la nuit le furprit
dans une forêt avec Taciturne ; comme ils
étoient embarraffés du chemin qu'ils tiendroient
, ils virent tout à coup fortir du
fein de la terre une prodigieufe quantité
de flambeaux allumés. Malgré leur étonnement
ils fuivirent la route que ces flambeaux
leur traçoient , & qui les conduifit
à une grande falle de verdure ; elle étoit
éclairée par plus de fix mille luftres de
diamant ,, qui pendoient aux branches des
arbres . Une fymphonie raviffante s'y faifoit
entendre ; ils y virent ce qu'ailleurs
ón n'a jamais vû , des grues en habit de
Fij
124 MERCURE DE FRANCE .
bal , des oifeaux qui battoient la meſure ,
& qui chantoient entre leurs dents , une
autruche mâle en perruque quarrée , une
autruche femelle en chauve - fouris , qui
avoit le vifage couvert de mouches & de
rouge ; une jeune oye en domino couleur
de rofe , dont le premier regard fubjugua
le Roi ; un dindon mufqué , frifé ,
qui lui donnoit la main , & qui danfa
un menuet avec elle. Mais le plus furprenant
eft le récit des exploits d'une tête à
perruque , qui conduifoit une armée , dont
elle étoit le Général , & devant qui rien
ne réſiſtoit : étonné de ces merveilles , je
m'arrête là.
On promet la fuite qui eft fous preſſe.
Ce n'eft ici qu'un léger extrait des quatre
premieres parties . Je crois qu'il doit fuffire
pour faire voir que l'auteur de ce
conte en a parfaitement rempli le titre &
l'épigraphe.
Langue
Vers et prose
Type d'écrit journalistique
Courrier des lecteurs
Faux
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