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1677, 10, t. 8 (Lyon)
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7.35 Mo
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249
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Texte
Trinitatis Patrum Societatis JESU
Teſtamenti tabulis attribuit anno 1693.


807155
LE NOUVEAU
MERCURE
GALANT.
CONTENANT LES NOUVELLES
du Mois d'Octobre 1677
& pluſieurs autres.
TOME
A LYON ,
Chez THOMAS AMAULRY,
Libraire, ruë Merciere, à la Victoire.
M. DC . LXXVII .
AVEC PRIVILEGE DU ROY.

I
NOUVEAU
MERCVRE
GALANT
AYON
TOME VIII.
#
1893
Ous le Voyez , Madame
, qui devine une
fois , ne devine pas toûjours.
Vos Amies que vous m'avez
mandé avoir eu fi de peine
à penétrer les obſcuritez de l'Enigme
de la Lettre R , n'ont pû
déveloper celles de la derniere
que je vous ay envoyée , & elles
vous obligent à m'en demander
l'explication . Vous dites
que ce qui les a empefchées d'en
Tome VIII. A
12
LE MERCVRE
venir à bout , a efté cette querelle
finie par la culebute des
refſtes d'un Squelete qui fortent
bruſquement de leurs creux.
Elles ne font pas les ſeules à qui
cet endroit ait paru difficile à
débroüiller ; mais à cela pres,
vous m'auriez fait plaifir de me
mander ce qu'elles ont entendu
par les premiers Vers , & quel
ſens elles ont crû pouvoirdõner
à ce fombre & double Parterre ,
éclairé de rayons diferens , où
la guerre eſt allumée entre deux
Amis, & foûtenuë à grand bruit
par une troupe de Demoifelles .
Puis que vous m'affurez qu'elles
ſe rendent , il ne faut plus
leur cacherque le mot qu'elles
ont inntilement cherché , eſt le
Trictrac. Il fournit ce double
Parzerre diverfifié de rayons ,
&un affez bon nombre de DaGALAN
T.
mes qui ne ſe peuvent remüer
fans bruit. Quant aux reſtes du
Squelete, il n'est pas beſoin de
vous dire que ce font les Dez,
qui eſtans faits d'os, font pouſſez
aſſez bruſquement du fond des
Cornets.Quoyque les Enigmes
ne foient que des Jeux d'eſprit,
elles ne laiſſent pas de faire refver
ſouvent les plus habiles , &
il en eſt dont le ſens à trouver
cauſeroit de longs embarras , fi
on estoit auſſi obſtiné à le chercher,
qu'un Amant l'eſtquelquefois
à vouloir découvrir quels
favorables ſentimens ſa paſſion
a pû faire naiſtre au coeur d'une
Belle. Si pourtant M' de Fontenelle
en eſt crû , il y a une voye
auſſi prompte qu'infaillible pour
réüffir en amour. Voyez s'il a
penſé iuſte quand il s'en eſt expliqué
par ces Vers.
Aij
4
LE MERCVRE
LES FLEC HES
D'AMOUR.
L
Amour n'avoit jadis que des Fléches
d' Acier ,
Ce n'estoit pas faire grande dépense ,
Mais celafuffifoit pour un Siecle groffier
,
Ou tous les coeursse rendoient fans defence.
Le temps changea ; plus de fimplicité,
Les traits d'Acier devinrent inutiles
Et l' Amour ent àfaire àdes Gens plus
habiles s
Qui de les repousfer prenoient la liberté.
S'ils bleffoient , la bleſſure estoit bientoft
querie ,
Perſonne ne s'en trouvoit mal.
Quel remede ? Il falut changer de baterie
,
GALAN T..
5
Il les fit d'un autre Metal ,
Ce fut d'Or , à l' Amour la victoire estoit
Seure.
Quels Ennemis , Grands Dieux , n'auroit-
il pas défaits ?
Auſſi, quoy qu ilparust d'abordse mettre
en frais ,
Ilregagnaſesfrais avec ufure.
Achaque Fleche qui voloit
Une foule de Coeurs couroit au devant,
d'elle.
Quoyque laplaye en fuſt mortelle ,
N'estoit pas bleſſe qui vouloit.
L'Amour ne lançoit plus ſes Fleches
quepargrace ,
Heureux les Coeurs ſur qui tomboient
des traits fi doux ,
Souvent de les percer sa main ſe trouvoit
laſſe ,
Lors qu'ils ne l'estoient pas de recevoir
fescoups.
Chacun d'eux eust reçeu vingt Fleches
au lieu d'une ,
Chacun eust volontiers épuisé le Carquois
;
Se faire bleſſfer plusieurs fois ,
C'estoit affez pour faire fa fortune.
A iij
6 LE MERCVRE
Cettemode n'apoint changés
Les Fleckes d'or font toûjours en usage ,
Et pour peu qu'on s'enferve ,il n'est
CoeursiSauvage ,
Quiſous les Loixd'Amour nefoit bientoft
rangé.
Puis que l'Amour a efté de
tous les Siecles , on ne peutdif
convenir qu'il n'y ait de grandes
douceurs à ſe voir aimé ; mais il
ne faut pas quelquefois l'eftre
avec excés pour vivre heureux,
& fur tout en Mariage. Ce qui
eſt arrivé depuis quelquesjours
en eſt une preuve. Voicy l'Hiſtoire
en peu de mots. Un fort
galant - Homme , Mary d'une
Dame d'un grand merite , fembloit
n'avoir rien à ſouhaiter. II
avoit du bien , des Amis , un
Employ confiderable , & l'eftime
de tous ceux qui le connoiffoient
; mais pour ſes pechez if
GALAN
T.
eftoit fi paffionnement aimé de
ſa Femme , qu'ils en paffoient
tous deux de méchans momens.
Une bagatelle luy faifoit ombrage.
Il ne luy fuffifoit point de
connoistre fon Mary incapable
d'aucun attachement préjudiciable
à la tendreffe qui luy devoit,
trois Vifites àune meſme
Perſonne bleffoient fa délicateffe
; ce n'estoit pas la trahir ,
mais c'eſtoit ſe plaire ailleurs
qu'avec elle ,&ne luy pas donner
tout fon coeur. Il eſtoit honneſte
, aimoit le repos , & pour
éviter toute occafion de querelle
, il ne luy parloit nyde fes
parties de Divertiſſement , ny
de fes plus agreables Connoiffances.
Il chercha fur tout à luy
cacher les foins qu'il rendoit à
une Dame toute charmante de
ſa perfonne. Il n'y avoit rien de
Aiiij
8 LE MERCVRE
plus touchant. Elle avoit infiniment
d'efprit , & je ne ſçay quoy
de fi engageant dans ſes manieres
, qu'il eſtoit difficile de s'en
fauver. Cela estoit dangereux
pour un Homme qui avoit le
gouft fin , & elle estoit propre à
luy faire des affaires de plus d'une
façon , mais à quelques périls
qu'il s'exposât aupres d'elle , il
craignoit moins l'embarras de
fon coeur en la voyant , que celuy
de fon Domeſtique , ſi ſes
Viſites eſtoient découvertes. Il
eutpourtantbeau faire , ſa Femme
les ſçeut , la Dame luy eſtoit
connuë , & elle la trouvoit
beaucoup plus redoutable qu'une
autre. Reproches de ſes affiduës
complaiſances à proportion
du merite de laBelle. Grandes
juftifications pour avoir la
paix. On gronde pendant quelGALANT.
9
ques jours. On promet de ne
plus voir , & enfin on ſe racommode.
Le Mary tient parole en
apparence . Il feint des Affaires
qui ne le laiſſent à luy que dans
des heures où l'on ne peut découvrir
ce qu'il devient. Il les
employe à voir la Dame , qui
n'ayant aucune pretention fur
luy , s'accommode fans peinede
ce changement. Il avoit la converſation
agreable , & c'eſtoit
tout ce qu'elle cherchoit. Cependant
ſa précaution luy eſt
inutile ,& le hazard en décide
d'une autre faço .Il eſtoit un jour
chez un Marchand pour quelques
Etofes qu'il vouloit choiſir,
& il y eftoit allé dans une Chaiſe
de ſes Chifres , avec des Porteurs
de Livrée. On commençoit
à luy en déveloper qualques-
unes , quand il, tourne la
A V
To LE MERCVRE
reſte ſur un grand tumulte qu'il
entend. Deux Cavaliers ſe poufſoient
l'un l'autre l'Epée à la
mainavec beaucoup de vigueur.
Il enreconnoît l'un qui estoit de
fes plus particuliers Amis. Ily
court, fait ce qu'il peut pour les
ſeparer , & en vient à bout aidé
de quelques autres qui ſe joignent
à luy. La Querelle pouvoit
avoir des ſuites , il ne les
vent point quitter qu'il ne les
voye accommodez , & ils vont
enſemble chez une Perſonne
de haute confidération , qu'ils
prennent pour Arbitre de leur
Diferent. Pendant ce temps-là
il s'eftoit paffé bien des choſes
qu'il ne sçavoit pas. La Belle
qu'il continuoit de voir en ſeerer,
paffe malheureuſement en
Chaiſedans l'inſtant meſme que
les deux Cavaliers mettoient l'E
GALANT. II
pée à lamain. La viſion d'une
Epée nuë fait de grands effets
fur la Populace. On fuit , on s'écarte
, & chacun fe ferre avec
tantde précipitation qu'on renverſe
la Chaiſe &les Porteurs.
La Dame s'écrie . Les Combatans
eſtoient déja dans une autre
Ruë. On vient à elle. Quel
ques goutes de fang font dire
qu'elle est fort bleflee. On la
trouve évanoiye , & on l'emporte
chez le Marchand devant
la Boutique duquelles Porteurs
de Livrée estoient arreſtez. Autre
incident qu'il euſt eſté difficile
de prévoir. Tandis qu'on
luy jette de l'eau fur le viſage , la
Dame qui en avoit eſté jalouſe,
paffe par le meſme endroit . Les
Femmes font curieuſes. Elle
voit du monde amaffé , elle en
demande la cauſe. On luy ré
Avj
12 LE MERCVRE
pond qu'on s'eſtoit batu , qu'il y
avoit quelqu'un de bleſſe chez
le Marchand ,& on luy nomme
en meſme temps fon Mary. Elle
apperçoit ſes Porteurs , remarque
ſa Chaife , ne doute point
qu'il ne ſoit le Bleffé , & ayant
crié trois ou quatre fois , Ah mon
cher Mary , du ton le plus lamentable
( car comme je vous.
ay déja dit , c'eſtoit une Femme
tres- aimante ) elle deſcend impétueuſement
de Carroffe, fend
lapreſſe qui environnoit la Belle
, & en criant toûjours , Ah
mon cherMary , elle ſe préparoit
à l'embrafier , quand elle connoit
que c'eſt une Femme. Quel
contre-temps ! Elle croit venir
au fecours de fon Mary , & c'eſt
fa Rivale qu'elle rencontre. Elle
la reconnoît , pouffe un cry nouveau
, mais ce n'eſt plus fur le
GALANT.
13
i
mefme ton. Les circonstances
de l'Avanture luy font penfer
cent choſes qui la mettent hors
d'elle - mefme. Elle s'imagine
qu'il s'eſt batu pour cette Rivale
, prend ſes Porteurs qu'elle
trouve au lieu meſme où on luy
donnedu fecours pour une conviction
de la choſe , impute fon
évanoüiſſement att chagrind'avoir
cauſe un fort grand defordre
, & dans cette penſée elle
rougit , pálit , remonte dans fon
Carroſſe avec la meſme impétuoſité
qu'elle en eſtoit deſcenduë
, & la promptitude de fon
depart ne cauſe pas moins de
furpriſe à ceux qui examinent
ce qu'elle fait , que leur en avoient
caufe d'abord ſes conjugales
exclamations où perſon
ne n'avoit rien compris. Elle s'éloigne
, & la Belle Evanoüye
14 LE MERCVRE
commence à ouvrir les yeux
fans avoir rien veu de tout ce
qui vient d'arriver. Elle valoit
bien qu'on s'intéreſſaſt pour
elle. Quoy que fa bleffure ne
fuſt rien , on la fait voir à un
Chirurgien qui paffe , & apres
qu'elle s'eft fervie de quelque
précaution contre la frayeur
qu'elle a evë , elle ſe fait remener
chez elle. La Dame Jaloufe
n'en eſt pas quite à fi bon marché.
Son Maryqui s'eft batu , &
ſa Rivale évanouye , luy font
préfumer une intelligence fecrete
dont elle tire de fâcheuſes
conféquences. Elle en est dans
une colere inconcevable. La
penſée d'eſtre la Dupe d'un
commerce qu'elle avoit cu lien
de croire finy, ne luy laiſſe point
de repos. Elle foûpire , ſe plaint
de la perfidie des Hommes ; &
GALAN T. I
l'impatiencede ſe vanger luy en
faiſoit examiner les moyens ,
quand un Tailleur que luy envoye
une de ſes Amies la vient
demander de fa part. Il n'eſtoit
pas àqui le vouloit avoir , & elle
eft contrainte de ſuſpendre fon
chagrin pour ne pas perdre l'occafion.
Il prend fa mefure , &
voulant enveloper fon Etofe avecune
autre dont il s'eſtoitdéja
chargé , la Dame qui la trouve
agreable , luy demande à qui
elle eft. Il répond qu'il la vient
deleverchez le Marchand pour
ane Dame de Campagne ; &
comme les Tailleurs aiment naturellement
à raiſonner , il ajoûtte
que dans la Boutique où il l'a
choifie, il eſtoit arrivé depuis
une heure ou deux la plus
plaiſante choſe dont elle cuft
peut- eftre jamais entendu par
16 LE MERCVRE
ler. Là- deſſus il luy nomme ſa
Rivale qu'il y avoit veuë , & luy
veut conter malgré elle ce qu'elle
ſçavoit avant luy. Il n'en falloit
pas davantage pour la mettre
aux champs. Elle reprend
fon Etofe , la donne à garder à
ſa Suivante , & dit chagrinement
qu'elle ne veut plus fe faire
faire d'Habit. Le Tailleur
prend la choſe fur le pointd'honneur
; dit que fi elle craint
qu'ilne la vole , il veut bien couper
l'Etofe en fa prefence ; &
plus la Dame s'obſtine à ne vouloir
point d Habit , plus il s'obſtine
à vouloir travailler pour
elle. Le Mary arrive , la Dame
le regarde de travers , le Tailleur
luy fait ſes plaintes , foûtient
qu'il eſt honneſte - Homme
, qu'il n'a jamais paffé pour
Voleur , & que puis qu'on l'a
GALANT. 17
appellé pour faire un Habit, il
ne foufrira point qu'un autre le
faffe. C'eſtoit un grand Procés
à vuider pour le Mary. Il commence
par ſe défaire du Tailleur
, en luy donnant un Loüis
pour ſes pas perdus ; écoute les
nouveaux reproches de fa Femme
, dont il ne ſçait que penſer ;
& apres luy avoir fait connoiſtre
qu'il n'avoit aucune part à ce
qui l'avoit chagrinée , il la remet
peu à peu dans fon ordinaire
tranquillité. Voila , Madame ,
comme les choſes les plus loiables
produiſent quelquefois de
méchant effets ; & la-deſſus,
Dieu garde tout honneſte Mary
d'eſtre trop aimé de fa Femme.
A dire le vray , Madame ,
c'eſt une terrible affaire que de
s'obliger d'aimer par Contract.
Le coeur qui veut eſtre toûjours
18 LE MERCVRE
libre dans fon choix ,& qui fe
plaiſt quelquefois à choiſir fouvent,
n'a pas de legeres contraintes
à ſouffrir , quand le devoir
luy rend l'amour neceffaire. Il
faut ſe faire de grands efforts
pour ſe ſoſûmettre de bonne grace
à ſa tyrannie , & c'eſt une violence
dont je doute que celuy
qui a fait les Vers que je vous
envoye s'accommodat aiſement.
Vous le connoiſſez . Il a plus
d'eſprit qu'il ne veut laiffer croi--
re qu'il en a , & ce que vous
allez lire vous perfuadera ſans
peine qu'il tourne les chofes finement.
C'eſt tout ce que vous
ſçaurez de luy. Il a tellement
peur que cette petite Piece ne
vous le faffe croire trop libertin
en amour , qu'il ne me l'a donnée
qu'en me faiſant promettre
que je vous cachetois fon nom.
GALANT.
19
わわわわわわ
RVPTVRE.
Voy qu'on ait dit jusqu'à ce
jour,
Le changement , Iris , n'est pas un si
grand crime;
On paffe fort fouvent de l'estime àl'ay
mour,
Paſſonsde l'amour à l'eſtime.
Comme ilcommence ànous laffer
Rompons les noeuds ſecrets de notre ins
telligence
Aquoybonnous picquer d'unefote con-
Stance,
Qui ne fert plus qu'à nous emba
raffer ?
Quand le Coeur que charmoit un panchant
agreable ,
N'enfaitplusſafelicité ,
Doit-an le croirefi coupable
20 LE MERCVRE
Pour le voir s'affranchir du dégoust qui
l'accable
Enmanquant de fidelité ?
C'est une vertu chimérique
Dont il faut reformer l'erreur ;
L'usage en paroit tyrannique ,
Etpourentretenir une amoureuse ardeur
Ilfaut je-ne-fçay-quoy qui pique.
C'est là ce qui cauſe aux Amans
Ce que pour la Perſonne aimée
Ils ont dedoux empreſſemens ;
Et pour une Ame bien charmée,
Que l'amour a d'appas dans les commencemens
!
Comme il ne fait que naiſtre , il est ardent
, fidelle ,
Tous luy plaiſt dans l'Objet qui cauſe
ſesdefirs ,
Et le premier éclat d'une ardeur mutuelle
Rempliſſant ſes ſouhaits ,le comble de
plaisirs.

GALANT. 21
Mais on languit , Iris , fans cette donce
amorce
Que nous preste la nouveauté ;
Et de la paſſion le temps détruit la
force,
Sansqu'on sefoit fait mesme une infidelité.
Ne souhaitant plus rien , on ne sçait ou
Se prendre , L
La ſympathie alors est d'un foible fe-
L'Amour nefefait plus entendre ,
Et par un changement difficile à comprendre
,
On ceffe d'eftre heureux parce qu'on l'est
toûjours.
Oùsont ces doux tranſports où j'estois fi
* fenfible ?
Vous les partagiez avec moy ,
Rien ne vous estoit impoſſible
Quand vous croyiez devoir reconnoistre
ma foy.
22 LE MERCVRE
Nous avions chaque jour cent choses à
nous dire
Nous confondions tous nos defirs ;
S'il falloit nos quiter , Dieux , le cruel
martyre ,
Et qu'il nous coûtoit de foûpirs!
Mais l'absence pournous ceſſe d'eftre une
peine ,
Jene suis plus reſveur éloigné de vos
yeux ,
Vous écoutez Damon , j'en conte à Celimene
;
Et comme enfin l'amour l'un pourl'autre
nous geſne ,
Nous quiter cefera le mieux.
L'inconstance apres tout est unvice commode.
De quelque bel Obiet qu'on puiſſe estre
charmé,
Il est bon de ſuivre la mode ,
Qui ſoufrepeu de temps que le coeurs'aca
commode
GALAN T.
23
De l'habitude d'estre aimé.
Aforce de foins , l'Amour s'use ,
On n'y sçauroit trouver toniours le mesme
appas ,
Et l'Etoile au beſoin nous pentfervir
d'excufe ,
S'il est encor des délicats
Que cette vieille erreur abuse ,
Qu'on doit aimer jusqu'au trépas.
Naffectons paint , Iris , d'avoir l'ame
heroïque ,
Un peu de foibleſſe fied bien ,
Ceft de tres-bonne foy qu'avec vous je
m'explique ,
Reprenez vostre coeur , je reprendray le
mien.
Vous avez mille Amans, j'ay plus d'une
Maistreffe,
Un commerce nouveau nous doit paroiſtredoux.
Croyez-moy , quelque Objet où nostre
choix s'adreffe
24 LE MERCVRE
Nous le verrons tous deux sans en estre
jaloux.
Si noftre Amy dont vous me
demandés des nouvelles ne s'eſtoit
pas fait une Vertu d'aimer
conftamment , il ſe ſeroit épar--
gné bien des chagrins , dontenfin
il a eſté récompenfé . C'eſt
une nouvelle à vous apprendre .
La Belle qui ſembloit avoir pour
luy les froideurs dont il ſe plaignoit
, n'affectoit cette fauſſe
inſenſibilité, que pour l'engager
à plus d'amour. Cela me fait fouvenir
de la Galatée de Virgile
dont je croy vous avoir parlé.
Elle fuyoit apres avoir jetté
une Pomme à un Berger dont
elle ſe connoiſſoit aymé , & fe
laiſſoit voir en fuyant pour le
faire courir apres elle. Cette
penſée a eſté renduë fort agreablement
GALANT.
25
blement par ces Vers -dont on
ne m'a point fait connoiſtre
l'Autheur.
IMITATION DE LA GALATEE
de Virgile.
M
On Troupeau quelquefois ,
paiſſant , me conduit
en
Sur les bordsd'un Torrent dont la vague
irritée ,
Du frein qu'elle s'est fait d'une Roche
emportée ,
Vient d'unflot bondiſſant l'affaillir, mais
fansfruit.
Laragede ſe voir domptée
La ramene cent fois , & cent fois ne
produit
d'écume&plusdebruit.
Queplus
Lareſvant l'ame triste , & la veue
arrestée ;
د
Ainsi,diſois-je un jour ,ma flame rebutée
En vain jusqu'icy ma rédnit
Tome IV. B
26 LE MERCVRE
A des ſoins obſtinez deplaire à Ga
latée ,
Quandfortant àpas lents d'une Rdche
écartée
Cette Belle me jette une Pomme ,
s'enfuit
D'une courſe précipitée.
Ie me détourne , &vois qu'elle se laiſſe
choir
Sous un Saule où d'abord fa fuite l'a
portée
Ah ! dis-jeeny courantreprenons quel
que espoir
Maflame en peut estre flatée,
Puisque pour me faire sçavoir
Que c'est elle par qui la Pomine m'est
jettée,
La Follette en tombant veut bien se
laiffervoir.
Apres vous avoir entretenuë
de tant de choſes où l'Amour a
part , trouvez bon que je vous
parle un moment de cequi regarde
la Guerre. En vous mandant
la derniere fois la vigou
GALANT.
27
- reuſe Actionde M de Roſamel
Lieutenant des Gendarmes de
Flandre , j'oubliay de vous mar-
= quer que Monfieur le Duc de
Luxembourg qui estoit venu
camper à Veſer ſur le grand
Eſcaut entre Gand & Dendermonde,
avoit fait partir en meſme
temps trois Détachemens,
l'un ſous les ordres de M de la
Cardonniere Lieutenant General
, pour aller aux Portes de
cette derniere Ville ; & les deux
autres ſous ceux de M Dau--
ger Brigadier de Cavalerie , &
de M' le Marquis d'Uxel Brigadier
d'Infanterie. Celuy de M
de la Cardonniere n'avoit rien
à executer. Il eſtoit fait feulement
pour couvrir les deux der
niers .
M' le Marquis d'Uxel alla jufqu'au
Village de S. Jean Stien ,
Bij
28 LE MERCVRE
aux Portes de Hulſt , où il brûla
quelques lieuës de Païs , & emmena
quantité de Chevaux &
de Beſtiaux , les Habitans s'eſtans
retirez .
Je n'ajoûteray rien à ce que je
vous ay déja dit deM de Rofamel
, qui fut détaché par M
Dauger , & qui s'eſtant fait ouvrir
la Barriere du Pont d'Anvers
, s'en rendit maiſtre avec
une bravoure qu'on ne ſçauroit
aſſez eſtimer .
M' le Duc de Luxembourg
ne s'eſtoit avancé ſur le Canal
de Bruxelles que pour faire
quiter la Sambre aux Ennemis;
ce qu'ils firent , dés qu'ils eurent
appris qu'il eſtoit ſi proche
d'eux. Leur Campagne n'a pas
eſté fort glorieuſe. Voyez-en la
peinture dans ce Sonnet.
GALANT. 1 29
P
ややややややややややややや
SUR LA CAMPAGNE
des Ennemis en Flandre .
SONNET IRREGULIER.
Enter au mois d'Avril lefecours
d'une Place
Etne pouvoir lafecourir ;
Chercher une Bataille , ardammens
,
Ets'y voir bien batus pour prix deleur
audace.
1
S'aviſer quatre mois apres cette difgrace,
Pour essayer de s'aguerrir ,
Deformer ungrand Siege, & craignant
d'y périr.
Lelever auſſitost,&fuirde bonne grace.
Faire avorter parlàtous les vaſtes projets
Qu'apres de longs Conſeils vingts Ministres
ontfaits ;
Biij
30 LE MERCVRE '
Pour les en confoter , conquérir deuse
Chaumieres.
Ceder par tout l'avantage aux Prançois
;
C'est ainsi qu'on aveu réüſſir les affaires
Et des fiers Espagnols,&des bons Hol
landois.
Onne peutpas direqu'ils n'ayent
point réüſſy dans leurs entrepriſes
, ſi en venant affieger
Charleroy , ils n'ont eu deſſein
que de chagriner Me de Monral
, quicomme je vous ay deja
dit , euſt eſté bien- aiſe qu'ils luy
cuſſent laiſſe l'occaſion de les
viſiter. Voicy une Lettrede confolation
que luy en a écrite une
Perſonne fort ſpirituelle. Elle
merite bien que vous la voyiez..
GALANT.
31
ل
CONSOLATION
AM DE MONTAL ,
Sur la Levée du Siege de Charleroy:
E croy que mon devoir m'oblige
JDen'attendre pasplus long-temps
A vous faire sçavoir l'interest que je
prens
A laperte qui vous afflige.
Je viens d'aprendre avec douleur
Que des conféderezla premiere chaleur
S'est bientoft convertie en glace ,
Et que vous peſtezfort contre vostre
malheur,
Deles voirdécamper d'autour de vostre
Place.
Laperte est grande afſſurément ,
Et plus grande qu'on ne peut croire,
Puis qu'enfin vous perdez dans ce dé
campement
L'occaſion d'augmenter vostre gloire.
Sans examiner les motifs
(
Biiij
32 LE MERCVRE
Que l'on eut pour ofer un tel Siege en
treprendre ,
Vit- on jamaisplus belle Armée en Flandre,
Etdeplus grands préparatifs ?
Quelle nobleCavalerie! ۲
Cent cinquante Escadrons , vingt mille
Pionniers ,
Cinquante Bataillons aumoins d'Infan
terie ,
Trois Lignes qui par tout couvroient
tous les Quartiers ,
Cent gros Canons & vingt Mortiers
Tous prests à mettre en baterie ;
Tout cela promettoit matiere
ploits,
avos Ex-
Et flatoit Vostre Seigneurie ,
Que c'estoit tout de bon , & non par
raillerie 4
Ainsi que la premiere fois.
L'ayfçeu quefans pouſſer trop avant les
affaires,
Ilsse tenoient fort loin , craignant les
vilains tours 4
Qui voussont affez ordinaires ,
Et ces diables de Mousquetaires
GALAN T.
33 .
Qui frapent plus fort que des fourds;
Que dés le premier jour ils manquoient
deFarine ;
Que voyant déjala Famine ,
Qui d'une grande Armée est le plus
grand des maux ,
Quoy que mal àleur aise , ils faisoient
bonnemine,
Et continuoient leurs Travaux ;
Mais qu'auſſitost qu'ils aperçeurent
Le brave Luxembourg marcher le long
desBois
Lesplus hardis d'entre euxſe teurent.
Et bienplus encor,quand ilsſceurent
Nos Soldats animez par l'Illustre
Louvois.
Alors leurs Generauxs'entr'envoyant la
Plote,
(Au moins, à ce qu'on dit car on peut
bienpenser
Que ce Secours les dût embaraſſer )
Hermosa dit au Prince , & viſte , qu'on
Se bote
Les laiſſerez- vous avancer ?
Pour moy, je cours occuper cette mote
De peur que l'Ennemy ne s'y vienne
placer
: Bv
34. LE MERGVRE
L'honneur,luy dit lePrince ,apartient
àl'Eglife ,
Que Monsieur d'Osnabruk entame
l'action.
Si jy vay , répond- il , que l'on me dé
baptife,
Dois-je aller le premieràla Proceſſion??
Cherchezde grace une autre dupe..
Pendant leur contestation
Le Vaillant Luxembourg occupe
Quelques Postes avantageux.
Ainsi vuider le Camp , repaſſer la Ri
viere ,
Fut lemeilleurparty pour eux
Qui ne laiſſerent rien derriere.
Ocomme en jurant ferme alors
Vous avanciez de vos Dehors
Pour denner ſur l'Arrieregarde !!
Jem'en raporte bien àvous,
Sans un Ruiſſeau qui vous retarde
Ils euffent comme il faut fenty vostre?
couroux,
Vin de leurs Officiers paya pour tous les
autres ,
Etde cequede loin onſe tira de coups,,
Vn Chien , dit -on , y demeura dess
Nostres..
GALAN T.
35
Si vous m'en demandez la raiſon aujourd'huy
,
Les Chienssefont la guerre entre toutes
lesBestes ,
De la Triple Union le Cerbere à trois
testes
Déchargesafureurfur un Chien comme
luy.
C'est pour ce digne Exploit qu'il venoient
fi grande erre ,
Pauvres Flamans, gardez- vous bien
Deleurplus reprocher qu'ilsfont payez
pourrien.
CesTronpes quifaisoient trembler toute
la Terre ,
Tout ce grand apareil de guerre ,
Et vostre argent enfin on fait mourir
ے ھ ج م
un Chien.
Comme on doit des Heros conferver la
memoire,
Ce Chien merite affez qu'on luy dreſſe
unTombeau ,
Et qu'un bel Epitaphe éternise sa
gloire.
Voyez si celuy - cy vous paroist affez
beau.
Bvj
36 LE MERCVRE
ΕΡΙΤΑΡΗΕ.
CYgele
Y gît le grand Citron ,
Chien d'un gentil courage
,
Qui d'un coup de Mouſquet en
la fleurde fon âge ,
Proche de Charleroy mourut
au Lit d'honneur ,
Aboyant avec trop d'ardeur
Apres les Alliez lors qu'ils
plioient bagage.
Jamais Chien n'eut ſur terre un
plus glorieux Sort ,
Unmonde d'Ennemis s'eſt armé
pour ſa mort.
L'avoir tué, c'eſt plus qu'abatre
cent murailles ;
Trois Peuples aſſemblez on fait
ce grand effort ,
Que l'on doit mettre au rang
des celebres Batailles ,
Et les Estats de Flandre encor
GALANT.
37
A
Par avance ont payé deux cens
mille eſcus d'or f
Pour les frais de ſes funerailles.
LeurArmée en fortit quite à trop bom
marché,
Et vous parustes bien fâché
D'avoirfaitsi peu de carnage ;
Mais quelque Perſonne foûtient
Que vous lefustes davantage ,
Parce qu'ils vous voloient , outre leur
équipage ,
Un Baston qui vous appartient.
Car ainsi que chacun le conte ,
Il est tres-aſſuréque le vaillantMontal,
Par leur évasion trop prompte ...
Perd un Baston de Marefchal.
Vous en eftiez inconfolable ,
Vous juriez, vouspeſtiez en diable ,
Et l'on vous entendoit crier du mesme
ton
Qu'un Aveugle en colere , & qui perd
Son Baston..
Que pourtant ce chagrin n'ait rien qui
vous tourmente ,.
Vous verrez quelque jour tous vos defirs
contens2
38 LE MERCVRE
Ce Baston viendra dans son temps
Etvous n'y perdrez que l'attente..
Nevous suffit-il pas que le plus grand
des Rois
Vous a veu triompher déja plus d'une
fois,
Et que d'aucun ſervice il ne perd la memoire
?
S'il vous donne plus tard ce prix de vos
Exploits ,
Vous le poffederez avecque plus de
gloires
Gest ce queje soubaite , &fuis de tout
mon coeur,
Vostre tres-humble Serviteur.
Il eſt certain queM' deMontal
n'a pas eſté le feul qui aitveu
avec chagrin la prompte Retraite
de l'Armée du Prince
d'Orange.Tous ceux qui étoient
enfermez avec luy dans Charleroy,
brûloient d'envie de ſe ſignaler.
C'eſt ce que nos Ennemis
meſmes croiront aisément
L
GALANT.
39
apres les marques de courage
qu'ils voyent tous les jours que
donnent les Noſtres en toute
forte de rencontres. Ils font afſez
convaincus de la justice
qu'ils leur doivent rendre , par
les continuels avantages que
nous avons remportez ſur eux ;
mais quoy que la valeur ſemble
avoir eſté de tout temps une
-vertu particuliere aux François,
on peut dire qu'elle n'a jamais
tant paru que ſous le Regne de
LOUIS LE GRAND . On ne s'en
étonne pas. Son exemple, &les
promptes récompenſes qu'il done
au veritables Braves , ſontde
puiſſans motifs pour leur faire
tout entreprendre , dans l'empreſſement
de ſe diftinguer.Come
ce Grand Prince ſe plaiſt
toûjours à chercher quelques
nouveaux moyens de reconnoî
40
LE MERCVRE
tre les ſervices qu'on luy rend,
il a augmenté ſes quatre Compagnies
des Gardes du Corps ,
d'un Lieutenant,d'un Enſeigne ,
& de quelques Gardes. Meffieurs
de Saint Ruth, Marin , Lignery,
du Mefnil,Saint Germain
d'Achon,& du Repaire, ont eſté
faits Lieutenans ; & Meffieurs
de Reneville , de Gaſſion , de
Vignau, de la Grange, de Quiery
, de Vilemon , de Monpipaux,
de Bagé, de la Cafe,& de Leffay,
font en meſme temps devenus
Enſeignes . Meſſieurs de Serignan
& de Vandeüil en auront
les Brevets , le rang , & le commandement,
& ne laifferont pas
de faire toûjours leurs fonctions
d'Aydes - Majors. Je ne doute
point , Madame , que je ne vous
fiffe un fortgrand plaiſir de vous
-parler ſeparément de tous ceux
GALAN T.
41
que je viens de vous nommer ;
mais outre que j'attens des Memoires
de leurs Amis pour ce
qui les regarde chacun en particulier
,j'ay tant de choſes à
vous dire dans cette Lettre , que
pour ne me laiſſer point accabler
de la matiere , tout ce que
j'ajoûteray'aujourd'huy à cet
Article, c'eſt qu'on n'entre point
dans le Corps où ils ont l'avantage
d'eſtre reçeus , qu'on ne ſe
ſoit fait remarquer dans les plus
importantes occafions , & qu'il
n'y a point de commandement
dont tous ceux qui en ſont Officiers
ne foient eſtimez capables.
Ils ont l'honneur d'eſtre
toûjours aupres de la Perſonne
du Roy , on leur en confie la
garde ,&vous pouvez bien juger
qu'un ſi glorieux employ
demande des Gens dontle cou
42 LE MERCVRE
rage ſoit auffi connu que le mes
rite. On ſe faitune fi haute felicité
d'avoir part à la moindre
choſe qui touche l'incomparable
Loürs , qu'on pretend que
la lettre L. s'attribuë de grands
privileges fur toutes les autres,
parce qu'elle commence fon
Nom. Il eſt vray qu'on la fait
déja un peu enflée de ce qu'elle
commençoit ceux du Louvre &
de Lutece, qui comme vous ſçavez
eſt l'ancien nom de Paris.
Voyez ce qu'en dit cette Epigramme.
PREROGATIVES
de la Lettre L.
D.Arceque la Lettre L'est la premie
GALAN T.
43
e
S
0
S
e
5
De Lutece , du Louvre ,& du nom de
Loüis ,
Elle s'enfte d'orgueil , elle leve la
crefte
Et demande à fes Soeurs des respects
inoüis.
En vain vous pretendez garder vostre
arrogance ,
C'estàvous à fléchir ſous mon obeif
Sance,
Leurdit- elle,&j'ay droit de vousfaire
la loy ,
Cartout ce que le Monde a de plus admirable
Commençant par mon nom , le rend ing
comparable ,
Et nulle parmy vous n'a tantd'honneurs
quemoy..
LYON
Vous avez veu le Louvre,vous
en avez admiré la magnificence,
mais vous n'avez peut-eſtre jamais
veu une Maiſon qui quoy
qu'elle ne ſoit que le logement
d'un Particulier , merite bien
que je vous en parle. C'eſt celle
44 LE MERCVRE
de M' du Brouffin, ſi entendu en
toutes chofes , & qui a trouvé
l'art d'y renfermer non ſeulement
toutes les commoditez ,
mais les agrémens qui ſemblent
ne devoir eftre que dans les
Palais. Ce qu'on dit de la beauté
de cette Maiſon ayant fait
naître à Monfieur quelque curioſité
de la voir, ce Grand Prince
luy fit l'honneur ces jours
paſſez d'aller chez luy ,& dene
deſapprouver pas la liberté qu'il
prit de luy donner à manger. Il
n'y eut rien de ſi propre que ce
Repas , rien de fi exquis que
tout ce qu'on y fervit,& S. Alteſſe
Royale s'en montra ſi ſatisfaite
, qu'on avoia ,que la réputation
qu'à M² du Broufſfin de
ſe connoiſtre ſi bien à tout , ne
s'eſt pas répanduë fans fondement.
Je ne vous diray rien de
GALANT. 45
1
a
-
,
-
ſa Perſonne, ny de ſa Famille. Il
s'appelle Brulart, & mes dernieres
Lettres vous ont appris aſſez
de choſes du fameux Chancelier
de Sillery qui portoit ceméme
Nom , pour vous faire connoiſtre
le ſang dont il eſt forty .
C'eſt unHomme des plus éclairez
que nous ayons , & on ne ſe
raporte pas moins à luy de ce
qui regarde les productions de
l'Eſprit, que des Ouvrages où la
ſeule induſtrie ſe trouve à conſiderer.
Il ſeroit à ſouhaiter que
tous ceux qui ont comme luy
quelques talens extraordinaires,
fuſſent exempts de mourir , ou
du moins qu'ils vécuſſent auſſi
long-temps qu'a fait M Charpentier
Doyen du Grand Confeil
, qui mourut ſur la fin de
l'autre mois âgé de quatre-vingt
46 LE MERCVRE
dix-huit ans. Il en avoit paſſé
foixante& treize dans les Charges,&
on le pouvoit dire le plus
encien Magiſtrat de France.Les
divers Emplois qu'il a eus dans
la fonction de celle de Conſeiller
au Grand Conſeil , l'on rendu
recommandable. Il fut envoyé
par le Roy en la Ville de
Villeneuve lez Avignon , pour
regler la Jurisdiction & les
Droits de Sa Majesté avec le
Vice-Legat , & il s'acquitta de
cette Commiſſion avec autant
de fidelité & d'exactitude , qu'il
a toûjours fait paroiſtre de probité
en exerçant ſa Charge avec
une affiduité exemplaire , jufqu'à
ſon extréme caducité. Il
eftoit de bonne & tres- ancienne
Famille ; & comme il avoit
vécu avec beaucoup d'honneur,
GALANT .
47
il a finy avec une fort grande
pieté.
Quand on dit adieu au monde
par la mort , c'eſt ſans reſource.
Iln'en est pas de meſme
du ſpirituel Inconnu qui prétend
l'avoir dit aux Muſes. Il a
un ſi beau talent pour la Poëfie,
qu'il ſe réfoudra difficilement à
tenir parole. Voyez ſi j'ay raiſon
dele croire.
A
L'ADIEU
AVX MVSES.
DISCOURS.
MUses, c'esttrop rever, an
bordde
Pour un foible plaisir vous caufez mil
tepeines :
48 LE MERCVRE
Vous n'avez plus pour moy vos premieres
beautez ,
Et je renonce aux biens que vous me
prometez .
Iadis avec honneur vos charmantes retraites
Retentiſſoient du bruit des tranquiles
Poëtes ,
Quand les Maistres du Monde apres
de grands exploits
Concertoient avec eux à l'ombre de vos
Bois ,
Et qu'un mesme Laurier cueilly sur le
Parnaffe
Couronnoit tout ensemble Auguste
SonHorace.
Mais belas , dans ce Siecle un iniuste
mépris
Estde nos tristes Vers & le fruit & le
prix !
Quoy,lors quefans rien faire il m'est
permis de vivre ,
Dois-je mal- à-propos fecher à faire un
Livre,
Quand je n'auray pourfruit de mes tra
vaux ingrats
:
Que
GALANT.
49
Que le mépris du Peuple , &la haine
des Fats ?
Maisquand de vos attraits on a l'ame
ravie ,
Qui vousfuit une fois , vousfait toute
Sa vie.
On a beau remontrer au Poëte Damon
Qu'on n'entendit jamais son barbare
jargon ;
En vain pour le guerir de ſa fureurd'écrire.
Onmépriſeſes Vers que luy ſeul il ad
mire,
Ases propres dépens il se fait imprimer,
Et toûjours malgré vous il s'obſtine à
rimer.
Moy-mesme mille fois à vos ardeurs rebelle
,
I'ay tenté vainement de vous eſtre infidelle.
Tous les jours , dés que l'Aube anonce
le Soleil,
Apollon par ces mots interrompt mon
Sommeil.
Quitte, quitte du Litles delices vulgai
res ,
Tom. VIII. C
50
LE MERCVRE
Cen'estpas en dormant que se font les
Homeres,
Debout. Il n'estpas jour , que faire fi
matin ?
Va d' Horace & de Perſe éclaircir le
Latin ,
Lis
gile,
relis encore & Terence & Vir-
Etfur leurstyle heureux tâche àformer
-toa style.
lesçay tous ces Auteurs. Les peut- on
trop sçavoir?
Il i'y faut appliquer du matin jusqu'au
foir,
Tefeurer des plaisirs où l'âge te convie ,
Et me facrifier les beaux jours de ta
vie.
C'est ainsi,doctes Soeurs , que vos chers
Nourriffons
Aleur tranquilité préferent vos Chanfons,
On pourroitde vostre Artſoufrir l'in
quiétude ,
Sile gain balançoit l'ennuy de fon étu
des
Mais entretous les Arts qui demandens
nosfoins,
GALAN T.
SI

ش
Vostre Art couste le plus ,& profite le
moins.
Nocard qui tuë un Homme avec une
Ordonnance ,
Deſon afſaffinat reçoit la récompense,
Et toy qui t'enrichis d'un argent fi mal
du ,
Paulin , je t'ay payé pour un Procés
perdu.
Cependant qui ne sçait la réponse barbare
Que fit à l' Arioste un Mecenas avare ,
Quand cet Auteur Comique autant
qu'ingénieux ,
Allaluy preſenter ſon Roland Furieux?
La Gloire , direz-vous , qui vous fuit
d'ordinaire,
Doit àvos Favoris tenir lieu de ſalaire.
Oledigne loyer d'un pénible Métier ,
Oûfans compter letemps , on perdjus
qu'au papier!
CetteGloire qui dupe &le Sot & l'Ha
bite ,
Qwest elle que du vent quand elle est infertile?
Etpuis lors qu'apres elle on court en infenfé
Cij
52
LE MERCVRE
Eft-on feur de l'atteindre apres s'estre
lassé?
Licidas quife tuë à grimper au Parnaſſe,
Et d'un tas de Laquais fiflé de place en
C place;
Et combien voyons-nous d'Auteurs in
fortunez ,
Qu'àd'eternels affrons vous avez condamnez!
Dans un Siecle où fleurit la pureté parfaite,
Ilfaut de grands talens pour former un
Poëte ;
Il faut qu'au Berceau mesme Apollon
nous ait ry ,
Que des meilleurs Auteurs wostre esprit
foit nourry ,
Et que par le travail d'une longue !e-
Eture,
2
L'Art acheve les traits qu'ébaucha la
Nature.
Aujourd'huy que l'on voit d'aſſez fameux
Auteurs
Apauvrir le Libraire, & manquer d'Acheteurs
,
Iray-je follemeipourprix de mon étude,
Des Livresinconus groffir la multitude?
GALANT:
53
En vain vous me flatez qu'un fuccés
plus heureux
Diſſiperoit ma crainte ,& rempliroit
mes VOEUХ ,
Et que Paris un jour à mes Ocuvres
propice
Forceroit la Province à me rendre justi
ce
Quandles fons de mon Lut presque usé
fous mes doigts ,
D'un Cygne agoniſant furpaſſeroient la
voix
د
Et que mes Chants polispar de laſſantes
veilles
Auroient d'Apollon mesme enchanté les
oreilles,
Pourroit-je m'aſſurer que le tour de mes
Vers
Sçent plaire également àmille Esprits
divers ?
Mais sifermant les yeux aux périls on
s'expose
La gloire on
pofe
lerepos de quiconque com-
Ie ſuivois pour rimer un aveugle defir ,
Quel genre de Poëme oftroit-je choi
fir ?
Cij
34 LE MERCVRE
Faut-il ,Auteur nouveau d'une Piece
tragique ,
Faireplaindre un Hérosfur un ton magnifique,
Ettouchant lefuccés reſveur , triſte inquict
,
D'un chagrin incertain m'affliger en ef
fet?
Non, mon ame au repos constamment
attachée,
D'unSentimentpareil ne peut estre tou
chée.
Dois-je en ſtyle amoureux ,pleurant ,
horsdeſaiſon ,
ou de Me plaindre ddeessrriigguueeuurrssd'Iris ,ou
Lifon
Helas ! lesplus beaux Vers d'un coeur
tendre&fidelle
Sont un foible Secours pour vaincre une
Cruelle.
Si dans une Satire abondante en bons
mot's
-Jeberne plaiſamment une foule de Sots,
Toute la Ville en cris contre moy dechai
née
Traite mes jeux d'esprit de licence effren
née.
GALANT.
1
Mes Amis lesplus chers n'ofent qu'avec
terreur
D'un torrent fi rapide arreſter la fureur,
Etfurle bruit qui court mes Parens en
alarmes
Amafuture mort donnent déja des larmes.
Ces Parens ennemis de vos vieilles Chanfons
Me font à tout moment d'importunes
Leçons.
Quite , me diſent-ils, une étude inutile,
Et va faire au Palais une moiſſon fertile.
Vital,tu le connois, chacun parle de luys
Voy ce qu'il fut jadis , ce qu'il est aujourd'huy.
Tuſçais le peu de bien qu'il eut pourſon
partage,
Ses debtes de beaucoup paſſoient fon heritage.
Cependant qui l'a mis au rang où tu le
vois !
C'estle Barreau.Voilal'utilité des Loix.
Mets-toy devant les yeux un ſemblable
modelle ,
Cij
$6 LE MERCVRE
Des Vers qui te font tort débroüille ta
cervelle ;
Qusi pour t'attirer, le Droit manque
d'apas
Quite-le , maisdu moins dors , & ne
rime pas.
C'est ainsi qu'oposez au panchant qui
m'entraîne ,
De mon coeur contre vous ils foûlevent
Lahaine;
Ilfaut leur plaire enfin , & faire un
nouveau choix.
Adieu , Muses , adieu pour la derniere
fois.
pas ,
La reſolution ne tiendra
Madame , & je croy que vous
n'en eſtes pas moins perfuadée
que je le fuis. Tant de Gens qui
ne font nullement nez Poëtes ,
s'obſtinent tous les jours à fatiguer
leurs amis par de méchans
Vers ; comment un Homme qui
en fait de fi bons,& quiles tour--
ne d'une maniere ſi agreable ,
GALANT.
57
voudroit- il enfevelir un talent
qui ne luy peut acquerir que de
la gloire ? Si vous avez eſte ſatiſfaite
, comme je n'en doute pas,
de cette ingénieuſe Satire,vous
ne la ferez pas moins d'une Lettre
qui m'eſt tombée depuis
trois jours entre les mains.On
ne me l'a donnée que pour m'y
faire lire une Avanture de Vendanges
qu'on me permettoit
d'embellir, & j'en trouve le ſtile
fi pur , que je croirois ladéfigurer
, fi j'entreprenois d'y changer
la moindre choſe. Voyez-la
telle qu'elle a eſté écrite par un
fort galant Homme qui a bien
vouluquefon Amy men ait fair QUE
Part.
C
१५
58 LE MERCVRE
:
LETTRE DEM LE***
Sijen
A Mrs de ***
Ijene ſçavoisque vous avez de l'amour
, &que la belle Perſonne qui
vous attache ne sçauroit quiter Paris, je
ne vouspardonnerois pas de ne pointvenirgoûter
avec nous lesplaiſirs de la
Campagne,dans une Saiſon ou il y a de
longues annéesque nous n'avons eu de fi
beaux jours. Il semble que le Soleil ſe
leve expréspourfaire fa Cour à quanti--
téde Gens choisis de l'un &de l'autre
Sexequi se trouvent presque dans tous:
nos Villages.Chacun rencontre ce qui luy
est propre , &à la Houlete prés dont
on ne s'estpas encor avisé deſeſervir,la
viequ'on mene icy me paroist fi libre
fi agreable,que je m'imagine voirquel
quefois ce que Monsieur d'Urfe nous a
point des Bergeres de Ligno. Ons'aſſembledans
les Prairies , on s'entretient au
borddes Ruiffeaux,& quand le temps
GALAN T. 59
de la Promenade eſt passé,les plus graxdes
Villes n'ont point de Divertiſſemens
que nous ayonsſujet de regreter. Le croirez-
vous ? Le Bal , maisle Bal en forme
,ſe donne par tout aux environs ;
comme cen'estque beau Monde , on le
court de Village en Village , comme on
fait de Quartier en Quartier à Paris
dans le Carnaval. Qu'auroit-on àne ſe
pas réjouir ? Les Pendanges n'ont peutestre
jamais esté si belles la France
triomphe de toutes parts ; &file Ciel
nousfavorise d'un Automne tout charmant
,le Roy &ſes Miniſtres travail
lent à nous faire trouver agreables les
plusvilains jours de laplus rudeSaiſon,
parles soins qu'ils prennent ou de nous
procurer la Paix, ou de nous mettre en
état de ne pointsentir les incommoditez
de la Guerre. Parmy les Bals de nostre
Canton ily en eut un dernierement dont
In nouveauté ne vous surprendra peutestrepas
moins qu'elle nous surprit. Ie
Soupois chez Mr de***. Ie nesçay fu
vous leconnoiffez- C'est un petit Homme
qui aime fort àvoir fes Amis, & dont
laMaiſon est un veritable Bijou. On la
Cvj
60 LE MERCVRE
vient voirde tous les costez. Le Lardin
en est fort proprement entretenu. Outre
leMuscat qui couvre un Berceau, il y a
des Espaliers qui raportent lesplus excellens
Fruits qu'on puiſſe manger , & je
croy que lepetit Homme en feroit part
affez libéralement à ceux qui en admirent
la beauté , ſiſa Femme qui est un
peu la Maistreffe , ne trouvoit qu'il est
plus judicieux d'en accommoder certai
nes Femmes de la Halle qui la viſitent
de temps en temps. Apres que nous eûimesfoupé
, on appreſtoit des Cartes pour
une Partie d'Hombre , quand le Maiftre
de la Maisõqui s'estoit approchédes
Fenestres , nous appella pour nous faire.
obſerver plusieurs flambeaux qui paroiffoient
dans La Campagne , & que nous
viſmes s'avancerpeu àpeu vers le Villa
ge. Ilsy entrerent , & un peu apres nous
entendiſmes grand bruit à la Porte , ой
trois Carroſſes c'étoiet arreſtez. Ilsavoiet
pour accõpagnement,fix Hommes à cheval
veſtus en Paifans, anſſi-bien que les
Cocbers & les Laquais.Ceux qui defcendirent
du premier Carroffe, aveient des
Habits un peu plus propres , mais pourGALANT.
6-r
zans de Paifans comme les autres. 'eſtoient
des Violons , qui d'abord qu'ils
furent entrez dans la Court , firent connoiſtre
en joüant qu'on ne venoit là que
pour d'enfer . La Compagnie ſuivit. Elle
confiftoit en fix Hommes &quatre Femmes
veſtus en Vendangeurs & Vendangeuses.
Leurs labits estoient de Satin
de Gaze d'argent. Les Hommes
avoient de petites Hotes argentées , les
Femmes des Paniers de mesme , & les
unes & les autres des Serpetes de Vendangeurs.
On ouvrit une grande Salle,
Six Flambeaux portez par lesfix Hommes
qui estoient venus à cheval , prêcederent
les Violons qui furent ſuivis de
cette galante Troupe de Vendangeurs
Les Laquais tirerent aufſfitoft des Carroffes
dequoy éclairer la Salle ; &comme
ils ne manquoient de rien , & qu'ils
estoient en affezgrand nombre pourdanfer,
on nedemeurapas long-temps à ne
rien faire. Le Maistre & la Maiſtreſſe
du Logis furent pris d'abord. Ilsne sça
voient quepenſer de cette imprévene galanterie.
Ils examinoient comme moy qui
pouvoient estre les Gens qui ſe donnoient
62 LE MERCVRE
un ſemblable divertiſſement , & ilne
nousfut pas possible de le deviner. Tout
ce que nous fçeûmes par quelques mots
qui leur échaperent , &qu'ils croyoient
Se dire bas ,c'est qu'il y avoit un Duc
parmyeux. On leur entendit meſme appeller
un Page , & à l'air de leur danse
&à toutes leursmanieres , il parût que
c'eſtoiet Perſonnes de la plus haute Qualité.
Le bruit des Violons attiraincontinent
dans cette Salle tout ce qu'ily avoit
de Gens raisonnables dansle Village.
Lesplus joties Paiſannesy vinrent. Eiles
eſtoiet déja accoûtumées àſemeſterparmy
les Dames quand il ſe donnoit quelque
Feste. Des Bourgeois curieux ſe
maſquerent le mieux qu'ils pûrent ,&
on peut dire que ce fut un Bal régulier ,
puis que les Masques en furent ,&qu'il
y avoitdu Monde de toute efpece. Apres
qu'on eut dansé quelque temps , ceux qui
avoient amenéles Violons demanderêt à
entrer dans le Iardin,& dirent que puis
qu'ils estoient venus pour vendanger , ils
neprétendoietpas qu'õ les renvoyaſtſans
les avoirmis en beſogne. La Maiſtreſſe de
lamaison tremblapourſes Fruits,&vou
GALANT. 63
lut trouver l'heure induë ;mais le petit
Homme qui estoit galant , s'ofrit à estre
teur Conducteur ,& dit en riant , Que
tout ce qu'il craignoit , c'eſtoit que des
Vendangeuſes d'un ſigrand merite ne
vouluſſent vendre cherement leur
temps ,& qu'il ne fuſt difficile de les
payer. Le Jardin fut ouvert , toute la
Troupeyentras,le Muſcat fut vendangé,&
onn'épargna point les Eſpaliers .
LesHores,les Paniers , tout fut remply
de ce qu'ily avoit de plus beau Fruit,&
on ne laiſſapresque rien. Le Ieu parut
violent , les discours galans cefferent,le
petit Homme devintfroid , så Femme
encor davantage. Ils vouloient se plaindre
, &se retenoient'; on nesçait à qui
on parle quand on parle àdes Gens masquez
. Ils avoientoicy les noms de Duc
&de Page , & en ne voulant pas foufrirqu'on
continuact la vendange , ils
craignoient de n'estre pas Maistres chez
eux. Les faux Vendangeurs s'empeschoient
de rire autant qu'ils pouvoient ,
&en laiſſoient échaper quelques éclats
qu'il leur estoit impoſſible de retenir. Les
Intereffez rivient du bout des dents. Le
64 LE MERCVRE
Iardinier la Jardiniere , avec les Do
mestiques les plus groſſiers , querelloient
ceux qui dépoüilloient les Arbresfi har
diment , &alloient jusqu'à les accuferde
vol. C'eſtoit affez foiblement que leurs
Maîtres leur ordonnoient deſe taire.Les
faux , mais pourtant trop veritables
Vendangeurs , redoublerent leurs éclats.
de rire à mesure qu'ils voyoient quelque
Espalier d'échargé.
Apres qu'ils eurent cueilly tout ce
qu'ils rencontrerent de plus beau,le Mary
voyantque c'estoit un malfans reme
de , voulut faire de neceſſité vertu ; &
afin qu'on ne l'accusat pas d'avoirfouffert
une Galanterie de mauvaiſe grace,
il les mena dans un endroit où ily avoit
encor quelques Arbres à dépouiller. On
luydit que ceferoit pour une autrefois ,
parce que des Vendangeurs de leur importance
n'estoient pas accoustumez à
travaillerfi long- temps; & tandis qu'un
d'entr'eux l'afſfura en termes fort éten
dus, qu'il n'auroit pas lieu deſe repentir
de l'honneſteté qu'il avoit eue les autres
monterent en Carroffe. Celuy- cy prit
congé dupetitHomme rejoignit sa Com-
A
GALANT. 65
-
- pagnie , & tout disparut en mesmetemps.
Le trouvay l'Avanture auffi bizarre
qu'il en fut jamais arrivé à per-
Sonne. Le Mary qui faisoit le Rieur en
enrageant, me demanda ce que je pensois
des Vendangeurs ,sa Femme le querella
d'avoir conſenty à eſtre la Dupe de leur
Mommerie,& ne sçachat tous trois quel
jugement faire de leurprocedé,nous rentrames
dans la Salle , où nous eûmes un
autreſujet de ſurpriſe. Elle estoit encor
toute éclairée d'un afſfez grand nombre
de Bougies qu'ils y avoient fait mettre
pour le Bal, & cette lumiere nous fit appercevoir
d'abord ſur la Table une par
tie des Fruits que nous croyions emportez
, & qu'ils y avoient fait laiſſer par
leurs Gens. La Maîtreſſe du Logis n'en
fut que mediocrement confolée. Ils
avoient esté cücillis hors de ſaiſon , &
comme ils ne tuy ſembloient pas propres
à ce qu'elle avoit reſołu d'en faire , elle
n'auroit de long-temps cessé de gronder,
fans une Montre de Diamans qui luy
faura aux yeux le plus àpropos du monde.
Elle estoit fur cette mesme Table,avec
deriches Tablettes que nous ouvrimes,
66 LE MERCVRE
où nous trouvâmes ces mots écrits.
D'aſſez illuftres Vendangeuſes , qu'on
ne dédaigne pas quelquefois de recevoir
à la Cour, ayant eu envie de vos
Muſcats, ont crû qu'elles pouvoient ſe
donner le plaifir d'exercer voſtre patience
en les vendangeant. N'en murmurez
pas . Il y a peut-eſtre des Gens
du plus haut rang qui ſouhaiteroient
qu'elles ne les miflent pas àde plus facheuſes
épreuves.Quelque rude que
vous ait pû eſtre celle cy , elles vous
priënt de ne l'oublier jamais ; & afin
de vous y engager , elles vous laiſſent
cetteMontre qui vous fera ſouvenis
d'elles toutes les fois que vous y regarderez
à l'heure qu'elles ont fait le
dégaſt de vos plusbeaux Fruits. Lepetit
Hommetrouva les Vendangeuſes fort
honnestes , & cette Galanterie plût fi
fort à ſa Femme , qu'elleſoubaita qu'on
revinst le lendemain vendanger aux
meſmesconditions ce qui leur estoit demeuré
de Fruits.
Iene vousparleray point ,mon Cher,
de tous les autres Bals qui ſeſont don.
nez dans le voisinage. Ie vous marque
GALAN T. 67
F
-
feulement celny- cyàcause de l'Avanture.
Elle réjouira ſans doute l'aimable
Perſonnequi vous empeſche de nous venir
voir. Tachez à l'en divertir ,& fi
vous jugez qu'elle merite une place dans
te MercureGalant faites la conter à
F. Autheur , afin qu'il luy donne les em.
belliſſemens dont elle a besoin. Cependant
envoyez-moy fix Exemplaires du Vo.
tume du dernier Mois , on me te deman
depar tout oùje vay,&ce n'est pas estre
galant que de le refufer aux Belles.C'est
par le Mercure qu'on apprend toutes les
Nouvelles agreables ; & ji Monsieur
Miton a crûle pouvoir nommer la Confolationdes
Provinces , on peut adjou
ter qu'il est le Plaiſir des Compagnies
à qui les Vendanges font quiter Paris.
Ienevoyperfonne qui ne s'en faſſe un
fortgrand defa lecture. Tout le monde
en est avide,&pendant que les Hommes
s'attachent aux Articles ferieux,les
Damesrient des Historiettes , &s'em
preſſent à chercher le sens des Enigmes.
Ce 7. d'Octobre 1677 .
Voyez ,Madame , ſi je n'ay pas eu
68 LEMERCVRE
raiſon de ne vouloir rien changer à la
Lettre qui vous apprend l'Avanture
des Vendangeurs. Mais à propos dEnigmes
, vous ne ſçauriez croire combien
j'ay reçeu de Billets ſur celle du
Trictrac , depuis que j'ay commencé
à vous écrire. Les uns y ont fait venir
un ſens forcé je ne ſçay comment ; les
autres m'ont demandé fi ce n'eſtoit
pointunplaiſir que je me donnois ſans
avoir deſſein de rien éclaircir , & voicy
ce que m'écrivent preſentement
des Dames qui me feront l'honneur
de ſe nommer quand il leur plaira,
La Suſcription eſt obligeante,ne l'attribuez
pas à ma vanité.
POUR 1
LE GALANT AUTHEUR .
DU
MERCURE GALANT.
ILfaut avoirautant d'esprit que
VOUS
en avez , Monsieur, pour tourner les
GALANT. 69
Eniges aussi bien que vous avez fait
celle que nous avons veue dans vostre
Lettre du Mois paffé. Quoy que tout y
foitjuste , il faut l'avouer de bonne foy,
nous avons reſvé inutilement pour en
découvrir le ſens , & apres nous eftre
adreſſées à plusieurs Perſonnesfort ſpirituelles
quin'y ont pas mieux rénſſy que
nous , nous avons enfin trouvé un jeune
Architecte, qui a devinez que vos Vers
wous défignoient le Trictrac. Cette marque
deſon esprit merite bien, Monsieur,
que vous en veüilliez rendre témoignagedans
vostre premiere Lettre : Il n'est
pas d'ailleurs indigne d'y avoirplace. Il
s'appelle M. Dury de Chantdoré ,
c'est particulierement fous ce dernier
nom qu'on parle de luy. Il est Archite-
Etedes Bastimens du Roy , fort connu ,
quoy que peu avancé en age, mais d'un
grand merite , déja tres- consommé
dans les Matématiques ,dont l'étude fait
une deses principales occupations. Il en
tend parfaitement l'Architecture,&fes
Avisfont recherchezdans les deſſeins
les plus importans. S'il va chez-vous
comine il le doitfaire , pour sçavoir de

70 LE MERCVRE
vous-mesme s'il a heureuſement devinė,
ne luy dites point , s'il vous plaiſt , que
vousayezreçeu cette Lettre. Ilsera plus
agreablement Surpris deſe trouver dans
la voſtre , quand il ne s'attendra point
à la grace que nous vous demandons
pourluy. Nous l'eſperons de vostre honnesteté
, &nesouhaitons d'eſtre promprement
de retour de la Campagne, que
pour vous aller affurerde boucheque nous
fommesvos tres-humbles Servantes.
4
On me fait bien de l'honneur,
Madame, comme vous le voyez
par le commencement de ce
Billet , & cela , grace à un Inconnu
qui ne s'eſt point encor
voulu declarer Autheur de l'Enigme
, car je me ſens obligé de
vous dire qu'elle n'est pas de
moy ,& de refuſer une gloire
qui nem'eſt point deuë. le croy
qu'apres la fincerité de cet
aveu , vous ne douterez pas que
je n'aye toûjours beaucoup de
GALANT.
71
joye à rendrejustice aux Gens
d'eſprit, &que je ne me fafle un
fort grand plaifir de les nommer
quand je les connoy. l'ay enfin
découvert que celuy qui a fait
le Panegyrique des Alliez que
vous avez tant eſtimé, s'appelloit
M de Maſſeville. Il eſt de
Normandie , & voicy un Sonnet
de fa ne VOUS pafaçon
qui
roiſtra pas indigne de ce que
vous avez déja veu de luy. Il a
efté faitpourun Philoſophe qui
n'a ſceu ſi bien raiſonner , qu'il
n'ait ſenty que l'Amour eſtoit
plus puiſſant que la Raifon.
LE PHILOSOPHE
AMANT.
SONNET.
Dourquoyfuis -je ronge de cette ine
quietude ? .......
72 LE MERCVRE
D'où vient qu'elle m'accable mesuit
en tous lieux ?
D'où vient cette langneur qui paroist
dans mes yeux?
Etpourquoy me voit- on chercher la Solitude
?
Ie mesens dégousté des Jeux & de l'Etude
,
Ie méprise &je hay ce que j'aimois le
mieux.
Pour un rien quelquefois je deviensfurieux
,
Enfin tout me paroît insuportable &
rude.
Qui cause, juste Ciel, un fi grand changement?
Cedéplorable état viendroit-il du то-
ment
Oùmalgré ma raiſon j'allay voir Ifa.
belle?
Ie nesçay ; mais belas ! à mon cruet
tourment
GALANT . 73
Pay beau chercherpar tout quelquefoulagement
,
Je ne puis l'adoucir qu'en voyant cette
Belle.
Encor un Sonnet , Madame .
Il m'a eſté envoyé de Poitou , &
vous n'avez jamais rien veu de
plus fingulier. Il roule ſur deux
ſeules rimes, & vous ne le trouverez
pas favorable à vos bons
Amis les faux Devots.
L
L'HYPOCRITES
SONNET.
HEQUE DE
BIBLIO
LYON
EBigot en ce temps, pour bien faire
Son compte,
Compte iusqu'à ses pas , & mesure le
temps;
Mais à le voir long-temps on n'en fait
point de conte ,
Tome VIII . D
74 LE MERCVRE
Et l'on compte pour rien tout l'employ
defon temps.
Cen'est pas pour ce temps , nous dit- il,
que je compte ,
Mon compteferoit faux, & bien à con.
tre-temps;
Mais le temps à venir est le ſeul que je
compte,
Et vivant bien, jefais mon comptepour
cetemps.
7
Jegarde tous les temps que l'Egliſe now
- compte ,
Iecompte un Chapelet àtoute heure , en
: tout temps ,
Et nul temps ne m'en peut faire oublier
Lecompte.
Hypocrite , tupers & ton corfte & ton
temps,
Dieu connoît qu'en tout temps tu ne vas
qu'àton compte ,
Et que c'est pour tromperque tu comptes
Letemps,
GALANT.
75
Vous avez veu des Bouts- rimez.
On les borne ordinaire..
ment aux quatorze Vers d'un
Sonnet . En voicy de plus étendus
, ils ſont ſur tous ceux du
charmant Idylle que Madame
Deshoulieres nous a donné contre
la Raiſon . Vous les trouverez
dans un ſens tout oppoſé.
Je n'en connois point l'Autheur.
On m'a feulement aſſuré qu'ils
avoient eſté faits parun Homme
de qualité de Lyon , & vous
ſerez aiſément perſuadée en les
liſant , qu'il n'a pas moins d'efprit
que de naiſſance.
VERS IRREGULIERS
fur les meſmes Rimes de l'Idylle
des Moutons .
H
Elas,petits
Moutons
Seriez heureux,
que vous
Dij
76 LE MERCVRE
Si paiſſant dans nos Champs ,Sanssoucis,
fans alarmes ,
Aufſi-toft aimez qu'amoureux ,
Sans qu'il vous en coufta des larmes,
Vôtre coeur reffentoit la pointe des defirs,
Etfi des mouvemens que donne la Na
ture
Aſſaiſonnant les maux avecque les
plaisirs ,
Vous pouviez pénetrer cette heureuse
imposture
Qui fait de ce mélange un grand bien
parmy nous ,
Et ne se trouve point chez vous !
Il vous faudroit un peu de raiſon pour
partage,
Vous en feriezSans doute un tres-utile
usage.
Innocens Animaux , vous en estes ja
loux ,
Et vous nous
tage;
enviez cet heureux avan-
Maissi vous m'en croyez , n'en faites
point de bruit ,
Ce mal pour vous eſt ſans remede ,
Tout vous trompe &tont vousséduit
GALANT.
77
Onant vous appellez à vôtre aide
L'aveugle instinct qui vous conduit.
La Nature pour vous fevere
Ne vous comptant presque pour rien,
Vous abandonne à voſtre Chien ,
Pour vous garder de la colere
Des Loups cruels & raviſſans ,
Etpour touteraiſon vous donne une chimere
Qui fuit l'appétit de vosſens.
Si vous sçaviez ce que vousfaites
Dans cette indigne oiſiveté ,
Si voussçaviez ce que vous estes
Dans cette triste obfcurité ,
Vous maudiriez cent fois cette tranquillité
,
Et les defauts de la naiſſance
Qui vous a refusé l'esprit & la
beauté ,
Et ne feriez pas vanité
De vôtre funeste indolence.
Si par elle affranchis des foucis criminels
,
Vous n'avez point de remords qui vous
ronge ,
Vous perdez les biens éternels ,
Et paffez icy comme un Songe..
Düj
78 LE MERCVRE
Tout est dans cevaste Unviers
De la fainte Sagesse un ouvrage fo
lide.
Defon deftin elle décide
Selonfelonſes jugemens divers.
Al'Homme elle a donné l'esprit & la
prudence,
Pour éviter du Sort le capicre & les
coups;
Et vous,petits Moutons , qui vivez
Sansfcience ,
D'une informe raiſon , vous avez l'ap-
Parence,
Mais vous estes ſoûmis ànoftre dépen-
-dance,
Etvous ne vivez que pour nous.
Ces Vers ont paru fort nets
& fort aiſez à tous ceux quiles
ont veus , & c'eſt une loüange
où la flaterie n'a point de part.
Elle ena beaucoup à celles qui
ſe donnent ordinairement aux
Grands. Les diferentes manieres
dont ils peuvent faire du
bien, ſont cauſe qu'on les enGALAN
T.
79
cenſe de toutes parts. Il ſuffit
qu'on ait des prétentions pour
trouver matiere de loüer ; &
pour venir à fon bur, il eſt des
vertus generales qui s'accommodent
ſans peine à toute forte
de ſujets. A dire vray , ces
éloges vagues qui ne marquent
rien de poſitif , devroient eſtre
un peu ſuſpects à ceux qui ſe
font honneur de les recevoir ;
mais lors qu'en loüant des chofes
de fait , on s'attache plus à
rendre juſtice à l'honeſte .Homme
, qu'à ſe ſoûmettre ſervilement
à la faveur , il n'y a point
d'envie aſſez noire pour ofer
blâmer ce qui ſe dit à l'avantage
de ceux qui pouvant donner
à leurs plaiſirs les heures où les
foins de l'Etat leur permettent
de ſe relâcher , prennent une
conduite toute oppoſée , & ne
Diiij
80 LE MERCVRE
ſe ſervent du pouvoir qu'ils ont
de faire tout ce qui leur plaiſt ,
que pour ſe rendre encor plus
dignes de l'élevation où le veritable
merite les a mis. C'eſt par
là qu'on a beau donner des
loüanges à M' Colbert , elles ne
feront jamais éclater qu'imparfaitement
les rares qualitez qui
les luy attirent. Tout le monde
ſçait que les grandes Affaires
l'occupent jour & nuit; & fon
délaſſement eſtant dans l'Etude,
on peut dire qu'il fait ſon plaifir
, de ce qui feroit le travail
des autres . Il aime tellement les
Gens de Lettres , qu'il ne ſe dérobe
aux foucis de ſon Miniſtere
, que pour s'entretenir avec
eux. Jugez par là , Madame , fi
ce n'eſt pas à ſon Eſprit , plûtôt
qu'à la conſideration de ſon
Rang , qu'il doit la Place que
;
GALAN T. 81
Meſſieurs de l'Académie Françoiſe
le prierent il y a quelques
années de vouloir accepter dans
leur Corps. Il a pour eux une
eſtime ſi particuliere , que leur
en voulantdonner d'autres marques
que celles qu'ils en reçoivet
lorſqu'il peut aſſiſter à leurs
Séances, il leur fit dernierement
l'honneur à tous de les regaler
dans ſa belle Maiſon de Sceaux .
Il les avoit conviez le jour précedét
par un Billet qu'ils trouverent
chacun chez eux . M. l'Archevêque
de Paris,qui cófidere
infiniment cette Illuſtre Compagnie
dont il eſt , ne manqua
pas à s'y rendre , & il faudroit
amaffer bien du monde pour
fournir autant d'Eſprit qu'il s'en
trouva en peu de temps chez
l'Illuſtre Miniſtre qui les attendoit.
Me l'Abbé Regnier luy
Dv
82 LE MERCVRE
preſenta en arrivant, un tresbeau
Livre qu'il a compofé de
la Perfection du Chreftien. On
ſe mit à table . Il y en eut deux
fervies en meſme temps , & le
Repas fut digne de celuy qui le
donnoit. Il ſe dit mille choſe
agreables pendant le Diſner,qui
ne finit que pour mettre ces
Meſſieurs dans une liberté plus
entiere de faire paroiſtre qu'ils
n'eſtoientqu'Eſprit. Au fortirde
table , toute la Compagnie fut
dans une autre Salle , où il ſe fit:
une agreable Converſation. Mr
Quinauty lût un fort beau Sonnet
qu'il avoit fait en venant à
Sceaux , &M Colbertdemanda
àM l'Abbé Furetiere s'il n'avoit
rien faitde nouveau . Ilſe trouva
qu'il avoit ſur luy quelques
Vers fur les derniers Exploits
duRoy. C'eſt un Fragment d'uGALANT.
83
4
ne Deſcription de l'Arc de
Triomphe,dans laquelle il parle
des plus remarquables Actions
que ce Prince a faites pendant la
Paix & depuis la Guerre , fuivant
qu'elles pouront eſtre placées
dans les Quadres de ce
magnifique Edifice. Cer Illuſtre
Abbé ayant eſté invité de
les lire, il commença de la forte..
LA PRISE
DE VALENCIENNES..
D
Ans un autre Quadre est tracé
Le Siege de Valencienne ;
C'est à ce coup qu'est effacé
Tout le miraculeux de l'Histoire an
cienne.
Iamaisne fut chargé par Cizeau , ny
Burin .
D'un plus digne Sujet , le Marbre ,
ny l'Airin ;
L'impetueux Vainqueur hait ces lonqueurs
énormes
Dvj
84 LE MERCVRE
Qu'ontſous les autres Chefs les Sieges
dans lesformes ,
Il veut mesme à la Guerre eftre au deffusdes
Loix ,
Qu'àdes Horosfuturs ilſerve de Modelle
,
Etpourvarierſes Exploits ,
Il invente un Afſaut d'une façon nowvelle
.
On voit encor debout les Tours & les
Remparts ?
Les Ravelins,les Forts, les Diguesſont
entieres ;
Par des Foffez profonds , des Canaux ,
desRivieres ,
Les Cheminsfont encor coupez de toutes.
parts;
Et cependantpourprendre une Ville imprénable
,
Vn Guichet àpeine s'ouvrant
Et une Bréche raisonnable
Qui fuffit à ce Conquérant ;
Latrahison , ny lafurprise ,
N'ont point de part à l'entrepri.
fe
Ny tout le guerrier appareil,
Ny les troubles de la Nature ,
GALANT. 85
Lafaveur d'un orage, ou d'une nuit ob
Scure ,
Toutsepafſſe auxyeux du Soleil ;
Maisle plusfurprenant & leplus heroïque
,
C'est qu'ony voit entrer Loüisen pa
cifique
Et la Victoire àses costez
Avec éclat a beau paroistre
Aces Peuples épouvantez,
Apeine pas-un d'eux lapeut -il recon.
noistre,
Elle esttrop déguisée,&n'a point dans
lesyeux
Larage & la fureur qu'elle porte en
tous lieux ;
Elle ne traîne point ſon funeste équipage;
Le calme & la douceur qui regne fur
Sonfront ,
Interdisent le feu,le meurtre, le pillage,
EtSauvant la Pudeur du plus cruel affront
,
Ilsfont furpris de voir en leur fier Adversaire
,
Que le Ciel leur envoye unAnge tutelaire
,
86 LE MERCVRE
Qui leur donne un Secours plus prompt
&plus certain
Que ceux qu'ils attendoient de Mons
de Louvain..
LE SIEGE
DE CAMBRAY.
DLus haut on voit Cambray
dont renom
Sembloit braver l'effort du Fer & du
Canon.
On croit en admirant ſa forte Citadelle,
Qu'une Semiramis nouvelle
En éleva les Murs si larges & fi
haut's ,
Pour lamettre au deſſus des plus ardans
Aflauts..
En vain par des Foffezquiſemblent des
Vallées,
Sont de ces Corps puiſſansles forces raf-
Semblées;
C'est affez que Loüis foit campéde--
vant eux ,
Son bras en peude tempsrend leur churc
commune,
GALAN T.
87
Etle Cielfit fans - doute une Place des
deux , t
Pour luyfaireobtenirdeux Victoires en
une.
Envain les Aquillons pour nuireà ses
travaux ,
Redoublent le venin de leurs froidesha
laines ,
Et l'Hyverſur un Trône enrichy de
Cristaux
I pense encor joüir de l'Empire des
Plaines ;
Noftre infatigable Loüis ,
Autheur de Campemens jusqu'alors
inoüis,
Renvenſetous les privileges
Des Vents des Broillars , de la
Pluye &des Neiges ;
Ses Guerriers ſurſespas , &Suivant
fes Leçons ,
Font àl'Affaut couverts de feux & de
glaçons,
Etmalgré les Frimats , les Neiges
lesGlaces
و
Ils domtent les Saiſons auſſi-bien que les
Blaces..
2
88 LE MERCVRE
S. OMER ,
ET LA
BATAILLE DE CASSEL .
D
Autre- part Saint Omer au milieu
de fes Eaux,
Des plus nombreux Guerriers ne craint
point les approches ,
Ses Palliffades de Roſeaux
La defendent bien mieux que les plus
dures Roches.
Eust- on jamaispensé qu'au centre d'un
Marais ,
Où le terrain n'est pointſolide ,
Où l'eau mesme n'est pas liquide ,
On pust la ferrer d'affezpres ?
Et cependant PHILIPPE en obtient la
Victoire ,
PHILIPPE , que Loüis afſocie à fa
gloire ,
Qui partagefon Sang ,ſeconde sa Valeur
,
Qui d'un double Laurier la Teste Conronnée
Par une Ville priſe avec tantde chaleur
,
GALANT . 89
Et pour une Bataille à meſme- tempsgagnée,
Montre à tout l'Univers combien de
grandsfuccés
Doit attendre Loüis de ces heureux
eſſais ;
Des Montagnes de Morts fur des Plainessanglantes
Paroiffent en lointain encor toutes fumantes
,
Veritables témoins des genéreux Exploits
Qu'il fit pres de Caffel contre un Prince
Hollandois
Ardant à fecourir l'agoniſante Ville ,
Qui luy-mesme est contraint dechercher
un azile
En ce point malheureux qu'il eust pio
lafauver ,
S'il euſt auſſi- bien ſçeu dans sa boüillante
audace
L'Artde faire lever le Siege d'une Place
Qu'il sçait parfaitement celuy de le lever.
Apres la lecture
ces Vers
LYON
90 LE MERCVRE
Fon paſſa de la Salle où l'on
eſtoitdans un lieu apellé le Cabinet
de l'Aurore . Ce fut là que
Monfieur Quinaut recita cinq
ou fix cens Vers ſur les Peintures
de cette charmante Maiſon .
M. l'Abbé Tallemant le jeune
en loüa les Eaux par un Poëme
dont il fit part à l'Aſſemblée. II
eſt fort à la gloire deM. leJongleur,
qui a trouvé le ſecretd'en
faire venir où il n'y en a point ,
& où il n'y a pas meſime d'apparence
qu'il y ait moyen de les
conduire. M. Perraut Intendant
des Baſtimens , parla le dernier.
Il ne dit que peu de Stances ,
mais qui réveillerent les attentions.
Les fréquens applaudiffemens
qu'elles reçeurent, font une
preuve incontestable de leur
beauté. Il n'y a point lieu d'enétre
furpris..M² Perraut eſt ce qui
GALANT. 91
.
s'appelle un Eſprit de bon gouft,
qui ne donne jamais dans le
faux brillant. Il écrit , & ſçait
comme on doit écrire. Il poſſede
toutes les belles Connoiſſances
, & fes Ouvrages ont toûjours
eu un fort grand fuccés.
Il ſeroit àſouhaiter que nous en
cuſſions davantage, mais ſes occupations
ne luy permettent
pas de travailler. Au fortir du
Cabinet , on alla voir les Appartemens,&
on ſe promena enfuite
de tous côtez dans le Jardin.
Ces Meſſicurs eurent par
tout ſujet d'admirer ; mais quelques
beautez qu'il découvriffent
, rien ne leur parut fi digne
de leurs éloges , que celuy qui
les avoit reçeus fi obligeamment
. Avoüez -le, Madame.Pour
aimer ainſi les Gens d'eſprit , il
faut eſtre parfaitement honne
92 LE MERCVRE
ſte Homme. Il faut ſe détacher
de la grandeur &du bien , pour
fe regarder en Philofophe , &
chercher la veritable ſolidité
dans les Sciences . Il eſt certain
qu'on ne peut les aimer davantages
que fait Me Colbert. Hne
ſe contente pas d'eſtre de l'Académie
Françoiſe , il y a un
nombre de ces Meſſieurs qui
compoſe une autre perite Académie
qui s'aſſemble toutes les
Semaines fous ſon Nom. C'eſt
avec eux qu'il s'entretient fort
fouvent fur les plus hautes matieres..
On aveu de tout temps
la plupart de ceux qui ont fait
une figure conſidérable dans le
monde , avoir de grandes Biblioteques,
& donner même des
Penſions à pluſieurs Perſonnes
d'eſprit , mais c'eſtoient d'igno-
Fans Ambitieux qui ne fai
GALANT.
93
foient l'un & l'autre que par
oftentation , & qui ſe mettoient
peu en peine de voir les Livres
&les Sçavans. M' Colbert n'en
uſe pas de cette forte. Il ne dédaigne
point de ſe familiarifer
avec les Gens de Lettres , de
s'abaiſſer juſqu'à ceux qui ſont
fort éloignez de fon Rang, & de
ſe dépoüiller de la Grandeur
qui l'environne , pour ſe rendre
en quelque façon leur égal.
Comme il a toutes les lumieres
qui peuvent luy en faire aimer
l'entretien , doit on s'étonner fi
ſe rendant le Pere & le Protecteur
des Sciences &des beaux
Arts , il ſeconde ſi bien le Roy
qui les fait fleurir, & qui n'a pas
merité le Nom de LoürsLE
GRAND par ſa ſeule valeur ,
mais encore par toutes les
actions de ſa vie ? Me Boyer don94
LE MERCVRE
na en fortant cet Inpromptu à
Monfieur Colbert.
MADRIGAL.
IC tout plaiſt,icy tout est charmant,
La Sagesse par tout ,&la magnificence
,
Par tout lapompe& l'agrément ,
Par tout le choix & l'abondance.
Maisn'en déplaiſe à ces beautez ,
Dont le plus curieux ſe peuvent fatisfaire,
Leplaifir le plus granddont nousſoyons
tentez ,
Eſt d'avoir le bonheur de plaire
Au Maistre glorieux de ces Lieux
enchantez.
Le nom de M Boyer qui
nous a donné tant de belles
Tragédies , me fait ſouvenir que
le Theatre eſt menacé d'une
grande perte. On tient ( & c'eſt
un bruit qui ſe confirme de
toutes parts ) qu'un de nos plus
GALANT.
95
Illuftres Autheurs y renonce ,
pour s'appliquer entierement à
travailler à l'Hiſtoire. Il ſemble
qu'il ne ſe ſoit attaché quelque
temps à faire les Portraits de
quelques Héros de l'Antiquité
, que pour eſſayer ſon Pinceau
, & préparer ſes couleurs,
dans le deſſein de peindre
ceux d'aujourd'huy avec une
plus vive reffemblance. Lagloire
qu'ils ont de paſſer déja les
Alexandres & les Achilles , répond
del admiration qui redoublera
pour eux quand le temps
aura fait vieillir leurs actions .
Elles font comme ces Tableaux
des grands Maiſtres , qui deviennent
plus confiderables
apres que de longues années en
ont conſacré le nom. On met
parmy les Grads Hommes quatité
de Princes, dont àles regar96
LE MERCVRE
der de pres , on n'a ſujet de parler
que parce qu'ils ont veſcu
avant nous. Il n'en ſera pas de
meſme de noſtre incomparable
Monarque. Comme il merite les
plus fortes loüanges de ſon vivant,
laplus éloignée Pofterité
le regardera comme un Modele
parfait de ſageſſe , de valeur ,&
de vertu. Iamais Regne n'ofrit
ny de fi grandes choſes , ny en
fi grand nombre. Celuy qui en
va écrire l'Hiſtoire , eft capable
d'en foûtenir le merite . La matiere
ne peut eſtre plus belle, ny
le Conducteur plus éclairé , &
ona tout ſujet de n'en rien attendre
que de merveilleux.
Heureux celuy qui doit y travailler
avec luy ! & heureux en
meſme temps les froids Ecrivains
, les méchans Poëtes , &
les ridicules , dont ce redoutable
GALAN T.
97
ble& fameux Autheur n'aura
plus le temps d'attaquer les defauts
dans ſes charmantes Sati .
res !
l'apprens dans cet endroitde
ma Lettre , qu'on vient de ſe
batre vigoureuſement en Allemagne
, que la Maiſon duRoy y
a glorieuſement foûtenu la réputation
où elle eſtde ne pouvoir
faire que des miracles , &
que Monfieur le Mareſchal de
Créquy a fait paroiſtre dans
cette occafion , comme il a déja
fait enpluſieurs autres , toute la
prudence d'un General conſommé.
Je ne fermeray point
mon Paquet ſans vous en écrire
le détail ; mais en attendant que
j'en aye appris les particularitez
,je ne puis m'empefcher de
vous dire qu'on ne peut affez
admirer la France qui abonde
Tome VIII. E
98 LE MERCVRE
tellement en Braves , que comme
elle en a toûjours de reſte,les
Mouſquetaires arrivoient à Paris
dans le temps meſme qu'on
eſtoit aux mains avec les plus
fortes Troupes de l'Empereur.
Qu'euffent fait les Ennemis , fi
outre les Gardes du Corps &
les Gens d'armes qui les ontbatus
, ils euffent eu en teſte ces
Preneurs de Villes & ces Gagneurs
de Batailles, qui ſont entrez
par affaut dans Valenciennes
,& qui ont tant contribué à
la fameufe Victoire que Son Alteſſe
Royale a remportée à Caffel
? Vous vous en ſouvenez ,
Madame , mes Lettres vous en
ont inſtruite,& je croy que vous
avez leu avec plaifir les marques
d'intrépidité qu'ils y ont
données. Il n'y avoit autrefois
que le temps qui puſt faire de
GALANT.
99
veritables Guerriers, les premieres
occaſions ne ſervoient en
quelque façon que d'eſſay à l'adreſſe
&à la valeur , & il eſtoit
rare qu'on montraſt tout d'un
coup ce qu'on eſtoit. On prévient
aujourd'huy les années;&
la maniere dont les Gentilshommes
ſont élevez dans les Académies
, a quelque choſe de ſi
martial , qu'on peut dire qu'ils y
font leurs premieres Campagnes.
Du moins ils en ſortent
tellement aguerris , que dés
qu'ils paroiffent à l'Armée, tous
jeunes qu'ils font,on diroit qu'ils
n'ont fait toute leur vie autre
choſe que de combatre. Il eſt
vray que l'exactitude avec laquelle
M.de Bernardy leurdonne
ſes ſoins , contribuë beaucoup
aux avantages qu'ils en reçoivent.
On ne luy en peut don
Eij
100 LE MERCVRE
ner trop de loüanges. Il ne ſe
contente pas de leur enſeigner
leurs Exercices; il leur fait prendre
dans tout ce qu'ils font un
air noble,qui perfuade aiſément
de leur naiſſance, & c'eſt ce qui
luy attire non ſeulement tout ce
qu'il y a de grand & d'illuſtre en
France , mais auſſi quantité de
jeunes Seigneurs qui luy font
envoyez des Royaumes étrangers.
La maniere d'attaquer &
de défendre les Places , eſt une
Leçon qu'il n'oublie point à leur
donner. C'eſt pour cela qu'il fit
bâtiril y a quelques années un
Fort au bout du Palais de Luxembourg.
Les Academiſtes s'y
vont exercer tous les Samedis ;&
le bruit de leur adreſſe qui a
ſouvent pour témoin un grand
nombre de Perſonnes de qualité
, s'eſt tellement répandu, que
GALANT . ΙΟΙ
Madame n'a pas dédaigné de
les honorer de ſa preſence. Elle
avoit choiſy un jour extraordinaire
pour leur venir voir faire
l'attaque du Fort. Ils s'y préparerent
avec joye. Monfieur le
Duc de Valentinois , Fils de
Monfieur le Prince de Monaco,
l'attaqua avec beaucoup de vi
gueur; & la maniere dont il fut
ſecondé,eut un je-ne-ſçay quel
air de bravoure qui plut fi fort
à Son Alteſſe Royale, qu'elle en
congratula Monfieur de Bernardy
,& luy ditobligeamment,
qu'elle viendroit admirerplus d'u
ne fois les jeunes Guerriers qu'il
avoit faits. Elle estoit ſuivie d'une
partie de ſa Cour ;& leur
bonne mine jointe à l'air relevé
qui accompagna tout ce qu'ils
firent , leur ayant acquis des
Maiſtreſſes , donna lieu à quel
E iij
102 LE MERCVRE
ques Avantures galantes dont
je vous entretiendray le Mois
prochain. Je tâcheray de me
trouver moy - meſme à l'attaque
de leur Fort , afin de
vous en mander quelque choſe
de plus particulier , & je
vous feray ſçavoir en meſme
temps les Noms de ces Braves
Fortunez, qui ſçaventde ſibonne
heure conquérir des Places
& gagner des Coeurs. Il faut
choifir bien heureuſement,pour
ſe pouvoir affurer du dernier ,
car le coeur des Belles eft quelquefois
un peu fugitif , & telle
qui affure un Amantde ſa tendreſſe
quand elle n'a que luy à
qui parler, ne s'en ſouvientguére
dans le temps qu'elle voit
groffir ſa Cour. Jugez - en par
la Plainte qui a eſté faite làdeffus.
GALANT.
103
REPROСНЕ
AMOUREUX .
Lorsque
nousSommesſeuls, quelque.
fois maſouffrance
Rappelle dans ton coeur ta tendreſſe
tafoy ;
Mais apres cela j'apperçoy ,
Infidelle, que mapréſence
Fait le mesme effet que l'absence
Quand lafoule est aupres de toy.
Cette conduire deſeſpere
ſouvent les Bergers fidelles , &
c'eſt ce qui a fait dire à l'Autheur
de ces premiers Vers.
RESOLVTION
DE NE PLUS AIMER .
ILfaut il dégage
1
faut enfin que mon coeurse
د
Puis que tant de Bergers peuvent prétendre
au tien .
Ton amourfaisoit tout mon bien ;
E iiij
104 LE 2
1
MERCVRE
Mais dans un ſi cher avantage ,
On ne foufre point de partage ;
Quand on n'apas tout , on n'a rien.
Je ne doute point , Madame,
que je ne vous oblige en vous
envoyant ces Madrigaux. Ils
marquent une vaine aiſée ; &
quand j'en recevray de pareils,
j'auray ſoin de vous en faire part.
Le dernier nous fait connoiſtre
qu'il n'y a qu'à ſe faire violence
pour venir à bout de l'Amour.
Il eſt certain qu'on en guérit en
ceſſant de voir; mais contre la
mort , point de remede. Elle
nous a enlevé depuis peu M' de
Boiſvin -de-Vauroüy , Conſeiller
au Parlement. Il eſtoit de la
Quatrième des Enqueſtes , fort
confideré dans fa Chambre ,
plein de feu & de capacité , &
auffi bon Juge qu'experimenté
dans les Affaires . Madame de
GALANT.
JOS
Longueville avoit en luy une
entiere confiance , & fon zele
pour cette Princeſſe luy avoit
fait recevoir avec plaifir la propoſition
de ſe faire Chefde fon
Conſeil. C'eſt une perte pour
le Public , pour ſes Amis , &
pour toute fa Famille , qui eſt
une des plus conſidérables de
Normandie ..
M le Maye de la Couraudiere
, Conſeiller de la Courdes
Aydes , eſt mort auffy. Il avoit
de l'eſprit , & eſtoit tres -digne
de ſa Charge.
-Comme mes Lettres que vous
avez bien voulu laifferdevenir
publiques , ont donné cours au
Mercure , je croy vous devoir
rendre compte d'un commencement
d'Avanture qu'il a caus
ſé dans les premiers jours de
ee Mois. Ils ont eſte ſi beaux,
i
Ev
106 LE MERCVRE
que jamais on n'a veu tant de
monde aux Thuilleries. Un
Gentil - homme s'y promenoit
ſeul un foir , reſvant peut- eſtre
à quelque affaire de coeur,
quand il apperçeut ce quieſtoit
fort capable de luy en faire une.
C'eſtoit une jeune Perſonne d'une
beauté ſurprenante. Elle
eſtoit avec un Homme de Robe
qu'il luy entendit nommer
fon Coufin , en la ſuivant d'affez
prés, comme il fit tant qu'el---
le marcha. Apres quelques
tours d'Allée , elle alla s'aſſeoir
fur un Banc ; & le Gentilhomme
impatient de ſçavoir fi elle
eſtoit auſſi ſpirituelle que belle,
ſe coula le plus promptement
qu'il pût derriere une Paliſſade,
qui luy donna moyen d'écouter
fans eſtre apperçeu. Je vous l'a-e
voue , diſait-elle quand il s'ap
GALANT. 107
procha , la lecture a tant de
charmes pour moy , qu'on ne
me ſçauroit obliger plus ſenſi
blement, que de me fournir dequoy
lire. J'y paſſe trois &quatre
heures , de ſuite ſans m'ennuyer
, & les Livres ſont mon
entretien ordinaire au defaut
de la Converſation . Et quels
Livres , luy dit le Parent , vous
divertiſſent le plus?Tout m'eft
propre , reprit elle. Hiſtoires ,
Voyages , Romans , Comédies ,
je lis tout;&je vous diray même,
au hazard de paffer pour ridicule
aupres de vous, qu'ilm'a
pris fantaiſie depuis peu de
parcourir cette Philofophie nouvelle
qui fait tant de bruit dans
le monde. Je ſuis Femme , &
par conſequent curieuſe. Dés
qu'on me parle d'une nouveauté,
je brûle d'envie de la voir ,
Evj
108 LEMERCVRE
& tandis que mon Pere & ma
Mere iront ſolliciter leur Procés,
je prétens bien me fatisfaire
l'eſprit ſur toutes les agreables
Bagatelles qui s'impriment tous
les jours à Paris, car je ne croy
pas que nous retournions en
Bretagne avant le Careſme. Je
m'imagine ma belle Parente, luy
dit le Coufin, que vous ne manquerez
pas à commencer par le
Mercure Galant. Il n'y a point
de Livre qui ſoit plus en vogue,
& il feroit honteux qu'il vous
échapaſt , puis que vous faites
profeffion de rout lire. Et dequoy
traite ce Mercure , luy demanda
- t- elle avec précipitation
?De toute forte de matieres
, répondit- il. Il parle de la
Guerre , & il ne ſe paſſe rien en
France , & particulierement à
Paris, qui ſoit un peu remarqua
GALANT. Log
ble, dont il n'informe le Public .
L'Autheur y meſle ce qu'il apprend
de petites Avantures
cauſées par l'Amour ; le tout eft
diverſifié par des Pieces galantes
de Vers & de Profe , & ce
mélange a quelque choſe d'agreable
qui fait que ceux qui
approuvent le moins fon Livre,
ont toûjours la curiofité de le
voir. Pour moy ,j'en fuis fi fatisfait
, que je ferois tres-faché,
qu'il ne le continuaſt pas ; ce.
qui divertit, l'emporte de beaucoup
fur ce qui feroit capable
d'ennuyer, & fi j'y trouve quelque
choſe à redire , c'eſt qu'il
louë avec profuſion, &qu'il s'étend
un peu trop fur les Articles
de Guerre , car il perd plus de
temps à décrire la priſe des Villes
, que le Roy n'en a employé
à les conquérir. Vous allez,
IIO LE MERCVRE
loin , répondit l'aimable Coufine
, & je ne ſçay ce que vous
entendez par ce terme de profuſion.
Eft - ce qu'en loiiant les
Gens ,l'Autheur du Mercure
ne particulariſe rien ,& que fondant
le bien qu'il en dit fur des
expreſſions generales , il affure
feulement qu'ils font tous d'un
merite achevé , qu'aucune belle
qualité ne leur manque , &
qu'il s'y trouve un affemblage
de vertus ſi parfait , qu'il eſt impoſſible
d'aller au dela ? Voila ,
ce me ſemble, ce qui s'appelleroit
loüer avec profufion , quoy
qu'en effet ce ne fuſt point du
tout louer. Je ne ſuis point affez
injuſte , repliqua- t - il , pour accuſer
l'Autheur dont je vous
parle de loüer indiféremment
tout le monde. Il éleve plus ou
moins ceux qu'il a occaſion de
GALANT. III
nommer ſelon les choſes par
leſquelles ils meritent d'eſtre
loüez ; il cite leurs Actions , fait
connoiſtre les Emplois qui leur
ont donné lieu de ſe rendre confiderables
: mais comme je n'ay
aucu interêt à ce qui les touche,
j'aimerois mieux qu'il m'apprift
quelque nouvelle agreable ,
que de me dire ce qu'il ne m'importe
point de ſçavoir. C'eſt à
dire , mon cher Cousin , reprit
la Belle en fiant , que ſi vous ou
vos Amis vous aviez de longs
Articles dans le Mercure , vous
ne trouveriez point qu'il louaſt
exceſſivement. Voila l'injustice
de beaucoup de Gens. Ils voudroient
qu'il ne ſe fift rien que
pour eux , & ils ne confidérent
pas , quand on donne quelque
ehoſe au Public ,que ce Public
eftantun Tout composé de di
112 LE MERCVRE
ferentes parties , il faut s'il ſe
peut , trouver le moyen de contenter
toutes fortes d'Eſprits . Je
ne ſçay ce que c'eſt quele Mercure
, mais peut-eſtre n'a- t- il
aucun Article qui ne rencontre
ſes Partiſans , quand il auroit
meſme quelque chose d'effectivement
ennuyeux. Les tins s'attacheront
aux Nouvelles ſerieuſes
, les autres aux Avantures
d'amour ; ceux cy chercheront
les Vers ,ceux - là quelqu'autre
Galanterie ; & comme
yous m'avez dit que c'eſt
un Livre où tout cela eſt
ramaffé , j'ay peine à croire
qu'on puſt former un deſſein
plus capable de réüiffir. Quant
aux loüanges , vous pouvez paffer
par deſſus ſi vous enſoufrez;
mais mille & mille honneſtes
Gens qui font en France >
-
r
4 113
GALANT.
ne meritent- ils pas qu'on parle
d'eux ? & le defir de ſe rendre
digne d'eſtre loüé, ſervant quel.-
quefois d'aiguillon à la Vertu ,
doit-on envier à tant de Braves
qui hazardent tous les jours
leur vie pour ſervir l'Etat , une
récompenſe ſi legitimement
deuë à leurs grandes actions ?
La Juſtice qu'aparemment leur
rend le Mercure , redouble la
curioſité que j'ay de le voir, &
je ne crains point que le trop de
Guerre m'importune. La prife
de Valenciennes a couſté ſi peu
de temps , que je ne m'étonne
pas qu'il en faille employer davantage
à la décrire ; mais outre
que dans les Caffandres & les
Cyrus j'ay tout lû juſqu'aux
plus longues deſcriptions des
Barailles , je ſuis perfuadée que
nous ne pouvons ſçavoir trop
114 LE MERCVRE
exactement ce qui ſe faitde nos
jours. Les Relations les plus fidelles
oublient toûjours quelques
circonstances,&nousn'en
voyons aucune qui n'ait ſa nouveauté
, du moins par quelque
endroit particulier qui n'a
point eſté touché dans les autres.
La nuit s'avançoit , la Belle
ſe retira , & le Gentilhomme
que fon eſprit n'avoit pas moins
furpris que fa beauté , la fit fuivre
par un Laquais. Il luy envoya
des le lendemain les ſept premiers
Tomes du Mercure Galant
, avec ces Vers.
GALANT. 115
1
LE
MERCVRE GALANT ,
A LA BELLE INCONNUE
qui a de la curioſité pour luy.
AMy de Cupidon , Galant de Rea1.
Je parle également & d'Amour &
d'Armée,
Etviens,mais en tremblant vous conter
en ce jour
Des Nouvelles d'amour.
Si vous me recevezſans vous mettre en
couroux ,

Si jeſuis par hazard le bien venu chez
vous,
Rienne peut égaler le bonheur & la
joye
Deceluyqui m'envoye.
Vous l'avez avoñé ,vous aimez la le-
Eture
116 LE MERCVRE
Vous vous divertiſſez à lire une Avanture;
Mesme dans les Romans , je ſçay que
les Combats
Ne vous déplaiſentpas .
Pourquoy vous déplairoy-je en ma fincerité
?
Ie ne dis jamais rien contre la verité ;
Mais sur tout aujourd'huy , sans que
l'on me renvoye ,
Ieprétens qu'on le croye.
Cette impréveuë Galanterie
embaraſſa un moment la Belle .
Elle vit bien que la converſation
qu'elle avoit euë le ſoir précedent
aux Thuilleries , eſtoit
cauſe du Préſent qu'on luy faifoit.
Il ne luy déplaiſoit pas,puis
qu'il fatisfaifoit l'impatience où
elle eftoit de voir le Mercure. Je
ne vous puis dire ce qu'elle penſa
, ny par quel motif de curiofité
ou d'intrigue elle fit la Ré
E 117
GALANT.
ponſe que yous allez voir , car
je n'ay point ſceu quelle ſuite a
eul'Avanture , mais il eſt certain
qu'elle ne reçeut point le
Meſſage en Provinciale façonniere
, & qu'eſtant entrée dans
#fon Cabinet , elle écrivit ces
deux Vers qu'elle revint donner
au Porteur.
Les Nouvelles d'amour de celuy qui t'envoye
Ne medéplairont pas,jeprétens qu'il le
croye.
Si j'apprens à quoy auront
abouty ces premieres diſpoſitions
à faire une agreable connoiſſance
, je vous le feray ſçavoir.
Cependant , Madame,vous
voyez qu'on me fait un crime
des loüanges que je ne croyjamais
donnerque fort juſtement;
&comme dans voſtre Campagne
il ſe peut trover des Cen118
LE MERCVRE
ſeurs auffi -bien qu'icy , je vous
prie de vouloir prendre mon
party contre eux , & d'ajoûter
aux raiſons de l'aimable Perfenne
qui a défendu le Mercure
ſans l'avoir veu , qu'il ne faut
pas s'étonner ſi la France qui eſt
fi peuplée , fournit tous les
Mois quinze ou vingt Sujets
loüables , fur tout dans un temps
où par la force de ſes Armes elle
triomphe de la plus grande partie
de l'Europe liguée contre elle
; que fila Cour & la moitié
de Paris connoît ceux dont je
vous marque les Actions & les
Familles , ily a une infinité de
Perſonnes dans les Provinces
qui n'en ont jamais connu que
le Nom , & qui me ſçavent bon
gré du ſoin queje prens de leur
apprendre ce qu'ils auroient
peut-eſtre toûjours ignoré . Je
E
119
GALANT .
T
je
F
ſçay qu'il en eſt qui condamnent
toutes les loüanges qui ne
les regardent pas ; mais ce n'eſt
pas un ſentiment qui ſoit genéralement
ſuivy ; & pour en eſtre
perfuadée , voyez je vous prie,
ce commencement d'une Lettre
qui m'a eſté écrite de Saint Maixent
par un Inconnu. Elle eſt
de celuy qui a fait le Sonnet
contre l'Hypocrite , que je vous
ay dit qui m'avoit eſté envoyé
de Poitou .
Ie fais ma demeure dans une
Province où l'on Sçait rarement
des nouvelles du grand monde , &
ily a longtemps que je vis dans une
espece de folitude , mais je n'aypû
m'empeſcher de sçavoir qu'il y
avoit un Mercure Galant.I'ay bien
voulule lire , &je ne me repens
point de l'avoir lú.l'ay toûjours ai
120 LE MERCVRE
mé la maniere aisée & naturelle
dont il est écrit , &jesuis bien aise,
Monfieur , de vous voir dire du
bien des Gens dont vous parlez ,
contre l'ordinaire de ceux quifont
imprimer. Cette honneſteté marque
un bon coeur , & toſt ou tard .
&c.
Je ſuprime le reſte,parce qu'il
eſt trop à mon avantage , mais
enfin , Madame , vous voyez
par là que tout le monde ne
ſe chagrine pas de ce que je
rens juſtice au merite. Si ce
qu'il y a de plus honneſtes Gens
dans les Provinces , ſe fait un
plaifir d'apprendre les Nouvelles
du Mercure, je dois eſtre ſatisfait
du ſoin qu'on prend de
l'y envoyer. Une belle Dame à
qui un Homme de qualité &
d'un grand merite a donné le
nom
GALANT. 121
-
nom de Princeſſe , en fait tous
les Mois un de ſes divertiſſe
mens dans une Maiſon deCampagne
où elle s'eſt retirée. Il eſt
régulier à luy en faire tenir tous
les Volumes à meſure qu'ils paroiſſent
; & comme il a eſtéun
des Hommes de France le
mieux fait ,&que ſa bonne mine
rend encor témoignage de
ce qu'il eſtoit dans ſa jeuneffe ,
l'habitude qu'il a priſe à eſtre
galant ne s'eſt pû perdre,& vous
Pallez voir par ce Quatrain qu'il
écrivit dans la premiere page
du dernier Tome qu'il luy envoya.
Princeſſe , du Galant Mercure
Vous pouvez prendre la lecture ;
Ieneforois pas malheureux ,
S'ilparloitun jour de nou's deux
Ces quatre Vers d'un Homme
Tome VIII. F
122 LE MERCVRE
conſidérable , qui ne ſe pique
point d'en faire, ont je-ne-ſçayquoy
d'aifé & de fin qui vaut
mieux que de longues Pieces où
la Nature n'a point depart. Le
merite en a eu beaucoup au
choix que le Roy a fait deMonfieur
de Faucon de Ris , Mai-
Aredes Requeſtes,pour l'Intendance
du Bourbonnois à laquelle
il a eſté nommé. Il eſt tresentendu
dans les Affaires ,&
Fon ne douta point qu'on ne le
deſtinaſt aux grands Emplois ,
quand le Roy diferant à faire
un Garde des Sceaux apres la
mort de M' le Chancelier , il fur
un des Six que Sa Majeſté voulut
qui affiſtaſſent au Sceau. Sa
capacité eſt accompagnée d'une
probi
probite fort reconnue ,,
& il y
joint une honneſteté qui ne
pent eftre affez eſtimée, Je ne
GALANT. 123
vous dis rien de ſon Eſprit, il l'a
tres - éclairé & tres- agreable ,
mais on n'en doit pas eſtre ſurpris
, puis qu'il fortd'une Familpris,
P
le qui est tout Eſprit. Mª de
Charleval, & M² l'Abbé de Mareüil
, ſes Oncles , qui en ont
infiniment , ſont affez connus
pour juſtifier ce que je dis . Il eſt
Fils de feu M² de Ris , quieſt
mort Premier Preſident du Parlement
de Normandie , & dont
l'oncle & le Pere avoient pofſedé
avant luy cette grande
Charge avec autant de gloire
qu'il a fait. Cettegloire dont nos
- Deſcendans heritent , eſt la plus
forte conſolation qui puiſſe les
ſoulager dans de grandes pertes .
Cellede Madame de Montauglan
a eſté fort ſenſible à ſes
Amis. Elle eſt morte depuis peu
de jours , & n'a laiſſe qu'une
Fij
124 LE MERCVRE
Fille âgée de fix ans , qu'on tient
qui ſera un Party de plus de
huit censmille livres. Elle eſtoit
Fille de Monfieur de la Barde
qui a eſté Ambaſſadeur en Suiffe
, & Soeur de M l'Abbé de la
Barde Conſeiller en la Cour , &
de Madame de Brion , dont le
Mary eſt auſſi Confeiller. Feu
M. le Comte fon Mary , vivant
Conſeiller du Parlement , eſtoit
Fils de M'le Comte Seigneur de
Montauglan & de Germonville
, qui eft mort Conſeiller de
laGrandChambre, apres s'eſtre
allié dans la Maiſon de M. Boulanger
, ancienne Famille de la
Robe , Mrs le Comte ont auſſi eu
alliance dans la Maiſon de Longueval
, tres-ancienne & confidérable
en Picardie, & dans cel
le deRupierre , qui ne l'eſt pas
moins en Normandie.
GALANT.
125
Enfin , Madame , je paſſe à
tin Article dont je n'aurois pas
manqué à vous entretenir dés
l'autre Mois , fi le Roy n'euft
paffé que quinze jours à Fontainebleau
, comme on l'avoit
crû d'abord. Vous ſçavez qu'il
n'en eſt party que le dernier de
Septembre,& il ne faut pass'étonner
s'il n'a pû quitter ſi toſt
un ſi agreable ſejour. Ce fuperbe
& fpacieux Chaſteau qui
en pourroit compoſer pluſieurs,
eſt une Maiſon vrayment Roya
le. On ſe perd dans le grand
nombre de Courts , d'Apartes
mens , de Galeries , & de Jardins
qui s'y rencontrent de tous
coſtez ; & comme on y trouve
par tout ſujet d'admirer , on a
dequoy exercer long-temps l'admiration
. Ce fut dans ce magnifique
Lieu , où le Chaſteau
!
2
Fiij
126 LE MERCVRE
ſeul pourroit eſtre pris pour une
Ville ,qu'il plûr au Roy d'aller
paffer quelques - uns des derniers
beaux jours de l'Eté . Il
avoit fait de grandes Conqueſtes
pendant l'Hyver. Sa prudence
aidée de ſon Conſeil , à
qui nous n'avons jamais veu
predre de fauſſes meſures, avoir
diffipé les defſeins de toute l'Europe
, fait lever le Siege de
Charleroy , & obligé les Impériaux
à retourner ſur les bords.
du Rhin.. Il eſtoit bien juſte
qu'apres des ſoins de cette im.
portance, cegrand Prince cherchaſt
à ſe delaffer , & il auroit
eu peine à le faire plus agreablement
qu'à Fontainebleau.
Tout le temps qu'il réſolut d'y
demeurer, fut deſtiné aux Plaifirs.
On en prépara de toutes
les fortes , & on ne chercha à
GALANT..
127
- fenvy qu'à paroiſtre magnifique
dans une Cour que la magnifi
cence ne quite jamais.Monfieur
le Prince de Marfillac Grand
Maiſtre de la Garderobe , ſça
chant qu'on devoit changer de
Divertiſſemens chaque jour,&
quetoutle monde ſongeoit à ſe
mettre en étatde ſe faire remarquer
, fit faire fans en rien dire
au Roy , une douzaine d'Habits
extraordinaires , outre ceux qui
avoient eſté ordonnez . Sa Majeſté
ayant veu le premier , les
voulut voir tous , & les trouva
_auſſi beaux que galamment imaginez.
Le Roy en eut encor
d'autres qui auroient peur- eftre
contribué quelque choſe à la
bonne mine de l'Homme du
monde le mieux fait , mais qui
ne pûrent augmenter l'admira-.
tion qu'on a pour un Monarque
Fij
128 LE MERCVRE
7
qui tire de luy-meſme tout fon
eclat. Je croy , Madame , que
vous n'attendez rien de moy fur
ce qui regarde M' le Prince de
Marfillac , & que n'ignorant pas
qu'il eſt Fils de Male Duc de la
Rochefoucaut vous fçavez
qu'une fi glorieuſe naifſance ne
luy a pû inſpirer que des ſentimens
dignes de luy . On ne peut
la mieux foûtenir qu'il a toûjours
fait. Il n'a point eu d'occafion
de fignaler ſon courage &
de faire paroiſtre ſon eſprit, qu'il
n'ait donné d'avantageuſes marques
de l'un &de l'autre,& il n'y
a guére de Dames qui ne l'ayết
trouvé auffi Galant que nos Ennemis
l'ont connu Brave. Jugez
combien d'Avantures agreables
nous ſçaurions de luy , s'il eſtoit
auſſi peu difcret qu'il eſt favorablement
reçeu du beau Sexe .
GALANT. 129
Ses Amis ne l'employentjamais ,
qu'il ne leur donne ſujer de ſe
loüer de ſes ſoins ;& toutes ſes
belles qualitez ſont devenuës
publiques & incontestables par
l'eſtime qu'en fait un Roy , qui
ne voyant rien dans toute la
Terre que la naiſſance puiſſe
mettre au deſſus de luy , trouve
tout au deſſous de la penetration
de fon eſprit &de la force
de fon difcernement. Le premier
des Divertiſſemens que Sa
Majesté a voulu ſe donner à
Fontainebleau , fut celuy de la
Comédie. Elle y fut jouée tous
les jours alternativement avec
l'Opéra . Voicy les Pieces qu'y
reprefenta l'Hoſtel de Bourgogne.
Iphigénie , avec Criſpin Me-..
decin.
Le Menteur.
Ev
230 LE MERCVRE
Mariane , avec l'Apres-Sonpé
des Auberges.
L'Avare..
Pompée ,avec les Nicandres.
Mitridate..
Le Miſantrope..
Horace , avec le Deüil .
Bajazer , avec les Fragmens
deMoliere.. 2
Phedre & Hippolyte..
Oedipe, avec les Plaideurs..
Jodelet Maiſtre ..
Venceflas , avec le Baron de
laCraffe.
1
Cinna , avec l'Ombre de Moliere.
L'Ecole des Femmes ..
Nicomede , avec le Soupé
mal-apprefté.
Parmy tant de Comédies , on
n'a repreſenté que trois Opéra,
à ſçavoir, Alceste , Thesée &
GALANT. 131
Athis. Ils ont eſté chantez par
la ſeule Muſique du Roy , augmentée
exprés de plufieurs Perfonnes
,& entr'autres de Mademoiſelle
de la Garde & de Ma..
demoiselle Ferdinand . Elles ont
fait connoiſtre en peu dejours,
qu'on leur avoit rendu juſtice
en les choiſiſſant pour en eſtre,
& on peut dire à leur avantage
que c'eſt de plus d'une maniere
qu'elles ont plû. On.ne peut
rien ajoûter aux applaudiffemens
qu'a reçeuş M. de Saint
Chriftophle , non ſeulement
pour avoir bien chanté , mais
pour eſtre entrée dans la paffion
rantoſt de la plus forte maniere,
&tantoft de la plus totichante,
felon que la diverfité du ſujet
le demandoit. Le reſte de la
Muſique du Roy a fait à fon ordinaire.
Il eſt impoſſible qu'el
Fvj
13.2 LE MERCVRE
le faſſe mal. Elle eft compoſée
des meilleures Voix de France,
& fous un Maiſtre tel que Mr
de Lully , les moins habiles le
deviennent en peu de temps..
Les Danfeurs qui s'y font fait
admirer , ont extraordinairement
fatisfait dans leurs Entrees
; & ce qui n'en laiſſe pas
douter , c'eſt que les Sieurs Favier
, Letang, Faure, Magny , &
cinq autres , ont eu de grandes.
gratifications , outre leurs penfions
ordinaires . De pareils Eco--
liers à qui de Beauchamp a
donné & donne encor tous les
jours des Leçons , quoy qu'ils
foient déja grands Maiſtres,font
voir qu'il eſt dans ſon Art un
des plus habiles Hommes du
monde. Aufſi a -t- il eu l'honneur
de montrer autrefois à Sa
Majeſté. Les trois Maſcarades
GALANT.
133
remplies d'Entrées croteſques
qui ont paru parmy ces Divertiſſemens
, estoient de fon invention.
Elles furent ajoûtées
pour nouveau Plaifir aux Repréſentations
des dernieres Comédies
qu'on joua ;& ceux qui
en furent , ayant eu l'avantage
de divertir le Royd'une maniere
auffi plaiſante qu'agreable,
reçeurent. beaucoup de louanges.
M. Philibertdans le Recit
d'un Suiffe qui veurparler Fraçois
ſans le ſçavoir , fitfort rire
les plus ſérieux & par ces poſtures
, & par ſon langage Suifſe
Franciſé. Les Plaiſirs n'ont
pas eſté bornez à tout ce que
je viens de vous dire. Il y a eu
deux Bals où toute la Cour a
paru dans unéclat merveilleux.
LesPierreries ont brille de tou
134 LE MERCVRE
ves parts , & jamais on n'en a
tant ver..
Le Roy s'y fir voir avec un
Habitde lames d'or , fur lequel
il y avoit une broderie or & argent,
l'arrangement de ſes Pierreries
eſtoit enboucles de Baudrier.
Vous aurez de la peine à
bien concevoir les brillans effets
qu'elles produiſent ainſi arrangées.
La beauté en redouble
d'autant plus , que cette maniere
donne lieu de les meſſer ſelon
lesgroffeurs;& quelque prix
qu'ayent les choſes d'elles -mefmes
, vous ſçavez que l'induſtrie
desHommes ne laiffe pas quel
quesfois d'y contribuer. Outre
toutes ces Pierreries , le Roy
portoitune Epée ſur laquelle il
y en avoit pour plus de quinze
cens mille livres..
GALANT. 135
La Reyne en ſembloit eſtre
toute couverte. Elle en avoit
d'une groffeur extraordinaire.
Son Habit eſtoit noir , & fon
Etofe ne ſervantqu'à enrelever
Héclat , on peut dire qu'elle
ébloüiffoit..
L'ajustementde Monſeigneur
le Dauphin eſtoit d'une grande
magnificence. Rien ne pouvoit
eftre mieux imaginé ; & ce qu'il
y avoitd'avantageux pour luy ,
e'eſt qu'il'en effaçoit l'éclat par
la vivacité de ſon teint , & par
les autres charmes de fa Per--
fonne..
Monfieur , qui réüffit en toutes
choſes ,& àqui la galanterie
eſt naturelle , ſe met toûjours
d'un fi bon air , qu'il ne faut
pas eſtre ſurpris s'il ſe fit admi
rerde tout le monde. Son Habit
eftoit tout couvert de Pier
136 LE MERCVRE
reries arrangées , comme le font
les longues Boutonnieres des
Caſaques à la Brandebourg.
r. On ne peut eftre mieuxqu'eſtoient
Madame & Mademoifelle.
Tout brilloit en elles , tout
y eſtoit riche & bien enten.
du.
Je me fuis fervy juſqu'icy des
termes de magnifique , de brillant
,&d'éclatant, & j'en cherche
inutilement quelqu'un qui
fignifie plus que tout cela pour
exprimer cequ'eſtoit Mademoifelle
de Blois dans l'ün & dans
l'autre Bal. Jamais parure ne fit
de fi grands effets. Vous n'en
douterez point , quand vous
ſçaurez que cette jeune Princeffe,
quoy qu'elle foit une des
plus belles Perſonnes du monde
, laiſſa perdre des regards
qu'attiroient de temps en temp's
GALANT.
137
la richeffe de ſon Habillement,
& l'air tout particulier dont elle
eftoit miſe . Ce fut un amas de
Pierreries le premier jour , qui
ne ſe peut concevoir qu'en le
voyant ;& elle en eſtoit fi cou
verte , que le bas de ſa Robe en
eſtoit chargé tout autour. Elle
parut en gris de lin dans le ſecond
Bal , & toûjours avec
avantage.
Vous pouvez juger que les
Dames en general n'avoient
rien épargné pourparoiftre magnifiques.
Elles eſtoient toutes
coifées avec une groſſe nate fort
large , ou avec une corde, ayant
les cheveux friſez juſqu'au milieu
de la teſte , qui paroiffoit
toute en boucles. Elles en
avoient deux ou trois grandes
inégales qui leur pendoient de
chaque coſté avec une autre ex
138 LE MERCVRE
trémement longue. Toute la
coifure eſtoit accompagnée de
Poinçons de Pierreries , & d'autres
faits de Perles . Des noeuds
de toutes fortes de Pierreries &
de Perles qui tenoient lieu de
Rubans , en garnifſfoient les coſtez
. D'autres y faifoient des
Bouquets , & le Rond de quelques-
unes eſtoit garny comme
le devant. Celles dont les cheveux
pouvoient s'accommoder
de la poudre , en avoient beaucoup.
Pour leurs Habits , comme
en Campagne elles en peuvent
porter de couleur à la
Cour ,elles en avoient preſque
toutes de gris , qui ne laiſſoient
-pourtant pas d'eſtre diferens.Les
uns eſtoient d'un gris perlé , &
les autres d'un gris cendré , avec
de petites Broderies fines & des
plus belles , ou de petits Bou
GALAN T.
139
quets de broderie appliquez par
leBrodeur , ou brodez ſur l'E
tofe mefme .Ces Habits estoient
tous chamarrez de Pierreries fur
- les Echarpes ou Tailles , & elles
en avoient de gros noeuds devant.
Des Attaches de Pierre
ries , des Chatons , & des Boutons
, ornoient leurs manches
de diférentes manieres. Tout le
devant de leurs Jupes eſtoit auſſi
chamarré , & de groſſes Attaches
de Diamans les retrouf
foient en quelques endroits.Plufieurs
Pierreries formoient le
noeud de derriere , & il y avoit
quelques Robes quien estoient
chamarrées par demy lez Les
manches de deſſous eſtoient de
Point de France , tailladées en
long , & relevées par le basavec
un Point de France godronné.
Ily avoit des Pierreries entre les
140 LEMERCVRE
godrons ,&des nooeuds de Pierreries
deſſous les mancheres. La
plûpart en avoient des Bracelets
tout autour ,& toutes des Co
lerêtes comme on en met quand
on eſt en Habit gris. Si ce mot
de Colerete n'eſt pas remis en
vſage , corrigez-moy je vous
prie. Je traite une matiere où
vous devez eſtre plus ſçavante
que je ne fuis , & je ne répons
pas que ce ſoit le ſeul terme que
jaye mal appliqué. LesDames
n'ont pas eſte ſeulement ainfi
parées pour les deux grands
Bals , qui ont fait paroiſtre avec
tant d'éclat la magnificence &
la galanterie de la premiere
Cour du monde; elles ſe ſont
trouvées tous les ſoirs à la Comédie
, ou à l'Opéra , dans le
meſme ajustement où je viens
de vous les dépeindre , & il
GALAN T.
141
1
1
redoubla dans les jours de la
Naiſſance duRoy & de la Rey-
: ne , qui ſe rencontrerent le
( meſme Mois , ſur tout à l'égard
des Pierreries. Le nombre en
eſtoitpreſque infiny ;& comme
il n'y en avoit que de fines , on
peut juger du merveilleux effet
qu'elles firent toutes enſemble,
quand tous ceux qui s'eſtoient
parez pour danſer furent aſſemblez
; car vous remarquerez ,
Madame , que chez le Roy il
n'y a perſonne de nommé pour
le Bal , & qu'il ſuffit d'eſtre
d'une Qualité conſidérable
pour avoir la liberté d'y danſer.
Le Roy mena la Reyne ; monſeigneur
le Dauphin , мадетоі-
felle ; Monfieur , мадате ; м. le
Prince de Conty , Mademoiselle
de Blois ; M. de мопmouth, ма-
dame la Comteſſe de Gramont ;
142 LE MERCVRE
M. le Comte d'Armagnac , ма-
dame la Princeſſe d'Elbeuf; м.
le Comte de Brionne , madame
la marquiſe de la Ferté ; M. de
Tilladet, Madame de Soubiſe'; м.
le Comte de Louvigny,Madame
de Louvois ; M' de Beaumont,
Madame de Ventadour ; м² le
Chevalier de Chaſtillon , Madame
de S. Valier; & M. le
Comte de Fieſque , Mademoiſelle
de Grance. Il ſeroit difficile
de ſçavoir les noms de tous
ceux qui furent de ces deux
Bals , & le rang qu'ils eurent à
danſer. Les uns ſe trouverent
au premier,les autres au ſecond,
&beaucoup à tous les deux.On
y vit Madame la Ducheſſe de
Chevreuſe , Mademoiselle de
Thiange , Mademoiſelle des
Adrets , & Mademoiselle de
Beauvais . Ces deux dernieres
{ 143
GALANT.
ſont Filles d'Honneur de Madame.
On yvit encor M. le Duc
de Vermandois , Monfieur le
Chevalier de Lorraine M.
de Vendoſme , M. le marquis de
мігероїх, м.Ле marquis de Rhodes
, & quelques autres. Vous
ſerez aiſément perfuadée que
le Roy s'y fit diftinguer. Son
grand air ,& la grace qui l'accompagne
en toutes chofes, font
des avantages qui ne ſont communs
à perſonne; & quand il
ne ſeroit point ce qu'il eſt , je
vous jure , madame , que je ne
m'empeſcherois point de vous
dire qu'il donna ſujet de l'admirer
au deſſus de tous les autres.
La Colation du premier Bal fut
fuperbe , la France augmente
tous les jours en magnificence,
&peut - eſtre ne s'eſt-il jamais
tien veu de pareil. Comme je
144 LE MERCVRE
ſçay que vous aimez tout ce
qui marque de la grandeur, j'ay
crû que vous me ſçauriez bon
gré du Plan que je vous ay fait
graver de cette Royale Cola-.
tion . Prenez la peine de jetter
les yeux deſſus , le voicy ; vous
comprendrez plus aisément en
le regardant, ce que j'ay à vous
en dire. Les grands Quarrez
qui font marquez Gradins, portoient
par le bas huit grandes
Corbeilles de Fruit cru. Il y
avoit de petits Ronds de Confitures
ſeches dans les encognures.
Le ſecond rang portoit encor
quatre Corbeilles , & les
encognures eſtoient remplies
comme celles du premier. Un
grand Quarré de Fruit portant
deux pieds de hauteur , faiſoit
le deffus . Tous les Ronds &
Ovales marquez estoient de
Fruit
GALANT. 145
Fruit cru , & des Confitures ſeches
rempliſſoient tous les
Quarrez qui font le tour de la
Table. Par tout où vous voyez
de petits & de grāds Ronds noirs
( c ) maginez - vous des Flambeaux
dans les premiers , & des
Girandoles dans les autres . La
meſime choſe des petits & des
grands Ronds qui font blancs,
( OO ) Des Soucoupes de criſtal
garnies de quantité de Gobelets
pleins d'Eaux glacées,tenoient
la place des grands ; &
les petits que vous remarquez
dans tout le tour de la Table ,
eſtoient des Porcelaines fines
en hors d'oeuvre , remplies de
toutes fortes de Compotes. Je
puis abufer de quelques termes,
pardonnez- le moy. Une Baluſtrade
un peu éloignée de la
Table , la tenoit comme enfer-
Tome VIII. G
146 LE MERCVRE
mée , & il y avoit des Bufets au
delà. Je voudrois bien ſçavoir
ce que voſtre imagination vous
repreſente de toutes ces choſes.
Les yeux en devoient eſtre
charmez , & je ne ſçay s'ils les
pouvoient long-temps ſuporter.
Peignez-vous bien cet ébloüiffant
amas de Lumieres qui s'aidoient
les unes les autres,quand
celles des Flambeaux donnant
fur le criftal des Girandoles, &
celles des Girandoles fur l'or des
Flambeaux, elles trouvoient encor
à s'augmenter par ce qui
réjallifſoit d'éclat des Caramels
déja brillans d'eux-meſmes , &
du candy des Confitures perlées
. Adjoûtez - y ce que les
Fruits diverſement colorez , les
Rubans des Corbeilles , & le
Criftal des Soucoupes , en pouvoient
avoir , & à tout cela joi
GALANT. 147
gnez l'effet que produiſoient
les Pierreries de Leurs Majeſtez
, & celles de quarante Dames
qui estoient à table , &
qu'on en voyoit toutes couvertes
, il eſt impoſſible que vous
ne conceviez quelque choſe au
delà de tout ce qu'on a jamais
veu de plus éclatant. LesHommes
qui s'eſtoient mis tous en
Juft-au-corps , ne brilloient pas
moins de leur coſté. On n'en
pouvoit aſſez admirer la broderie
, qui paroiſſoit d'autant plus,
que ce n'eſtoit que lumiere par
tout. Ils eſtoient derriere les
Dames , & elles leur faifoient
partde tout ce qu'il y avoit fur
laTable. Il faut rendre juſtice
àM' Bigot Controlleur ordinaire
de la Maiſon du Roy. Il n'y
a point d'Homme plus ineelligent,
ny qui ſçache mieux re
Gij
148 LE MERCVRE
gler ces fortes de choſes. Tout
le temps qu'on a paffé à Fontainebleau,
a tellement eſté donné
aux Plaiſirs , que les jour de
Media noche , quand l'Opéra ou
la Comédie finiſſoit trop toſt , il
y avoit de petits Bals particuliers
juſqu'à minuit. Vous ſcavez
, madame , ce que veut dire
Medianoche,& que c'eſtune modequi
nous eſt venuë d'Eſpagne,
où l'on attend à Souper en viande
, que le Samedy ou un au -
tre jour d'abſtinence , s'il ſe rencontre
das quelque Semaine, ſoit
expiré. Parmy tant de Divertifſemens
, la Chaſſe n'a pas eſté
oubliée. Il y en a eu tour à tour
de pluſieurs fortes. Un jour
apres que le Roy fut arrivé à
Fontainebleau , il les commença
par celle du Lievre avec la
Meute deMonſeigneur leDauGALANT.
149
phin , commandée par M. de
Selincourt . Sa Majeſté témoigna
eſtre fort fatisfaite de l'équipage.
Le lendemain Elle courut
le Cerf avec une Meute nouvelle
qu'Elle avoit faite Ellemeſme
des trois meilleures
qu'on luy avoit pû choiſir. La
Chaffe du Sanglier ſuivit. Le
Roy en tua trois à coups d'Epée;
&ces diferentes Chaſſes ſuccederent
pendant quelques jours .
lune à l'autre , tantoſt avec les
Chiens de Monfeigneur le Dauphin
, tantoſt avec les Chiens
de Monfieur , & quelquefois ;
avec ceux de M. l'Abbé de
Sainte -Croix . En ſuite il ne fe
paſſa point de jour où l'on ne
couruft le Cerf. Le's Chiens de
Sa majeſté on eu l'avantage. Ils
en ont pris quinze ; les Chiens
de Monfieur , neuf; ceux de M.
Giij
IJO LE MERCVRE
de Vendoſme , neuf; & ceux de
M. l'Abbé de Sainte-Croix,dix.
Le Roy a eſté tirerdes Faifans,
&couru une fois le Chevreüil.
Il arriva un jour aux Toiles dans
le temps qu'un Cerf que les
Chiens de M. de Sainte-Croix
couroient fort loin de là , vint
s'y mettre , comme s'il euſt eu
deſſeindedonner le plaifir de ſa
fin à Sa Majefté. C'eſtoitle plus
grand qui euſt eſté pris à Fonminebleau.
La teſte en a eſté
trouvée ſi belle , que le Roy l'a
fait mettre dans la Galerie des
Cerfs . Je vous ay trop de fois
nommé M. l'Abbé de Sainte-
Croix , pour ne vous le faire pas
connoiftre. Il eſt Fils de feu M.
le Premier Prefident molé ,Garde
des Sceaux , Frere de M. le
Prefident de Champlaſtreux ,
& maiſtre des Requeſtes. On ne
GALAN Τ. 151I
R
peut voir un plus honneſte-
Homme , ny un meilleur Amy .
Toutes ſes manieres font engageantes
, & ſes dépenſes d'un
grand Seigneur. Dans la derniere
Chaſſe le Roy laiſſa courre
un Cerf à ſa troiſiéme teſte ,
qui dura preſque tout le jour. Il
y en a eu detres-méchans & qui
ont tué bien des Chiens. Il s'eſt
fait encor une Chafſe extraordinaire
à l'occafion de Monfieur
de Verneüil , qui eſtant venu au
Lever du Roy, eut l'honneurde
luy donner ſa Chemiſe. Sa Majeſté
s'eſtant divertie à luy parler
de pluſieurs choſes , tomba
fur la Chaffe , & luy dit qu'Elle
luy en vouloit donner le plaifir
le lendemain. Monfieur de Soyecour
Grand-Veneurde France,
reçeut l'ordre , & fit préparer
deux Cerfs au lieu d'un. La
Giiij
152 LE MERCVRE
Reyne a veu une fois la Chafſe
en Carroffe , & Monſeigneur
leDauphin les a fait toutes avec
le Roy. Il n'y a rien de ſi ſurprenant
que l'adreſſe & la vigueur
qu'a fait paroiſtre ce jeune Princeau
delà de ce que ſon âge
luy devroit permettre . Madame
s'est fait admirer à ſon ordinaire
. C'eſt un Charme que
de la voir à cheval. Rien ne
l'étonne , elle fait ſon plaifirde
la fatigue ; & fon Sexe ne luy
permettant pas d'aller à laGuerre
, elle en va voir les Images ,
comme je l'ay déja marqué. Ce
n'eſt pas ſeulement par làqu'elle
merite d'eſtre estimée Tous
les Ouvrages d'eſprit la touchent.
Elle carreſſe les Autheurs,
& juge mieux que perfonne
de tout ce qu'on voit de
beau au Theatre. Madame la
GALANT.
153
Ducheffe de Toſcane s'eſt auſſi
trouvée à ces Parties. On ne
peutmontrer plus d'eſprit qu'elle
en fait paroiſtre . Elle fait tout
avec grace , eft bonne , genéreuſe
, & fidelle Amie , & n'oublie
jamais dans l'éloignement
ceux qu'elle hon ore de ſa bienveillance.
Il n'est pas beſoin de
vous dire qu'elle eft.Fille de feu
M. le Duc d'Orleans , Oncle du
Roy. Monfieur le Prince de
Conty , quoy que jeune encor ,
n'a pas eſté un des moins ardens
pour cet Exercice.J'aurois peine
à vous exprimer combien M.
le Duede Monmouth y a montré
de vigueur. C'eſtoit quelque
choſe de fi bouillant , qu'on l'en
a veu quelquefois emporté jufque
parmy les Rochers. Il a
beaucoup paru au Bal , & on
lny a trouvé un air tout-à-fair-
G
154 LE MERCVRE
digne de ce qu'il eſt. Vous pouvez
croire que Madame la Ducheſſe
de Boüillon aimant autant
laChaffe qu'elle fait ,laiſſa
échaper peu d'occaſionsd'y fuivre
le Roy. Elle a une adreſſe
merveilleuſe en tout ce qu'elle
veut faire , & jamais on n'a
mieux tiré en volant. Vous avez
eſté charmée des agrémens de
ſa Perſonne , & de la vivacité
de ſon teint ; mais vous la ſeriez
encor davantage , fi vous connoiſliez
parfaitement la force &
la délicateſſe de ſon Eſprit. Elle
l'a penetrant ; & comme il eſt
capable de toutes les belles connoiffances
, elle a un attachement
inconcevable pour les Livres
,& va juſqu'à ce qui s'appelle
ſçavoir les chofes profondement.
Mademoiſelle de Grancé
a eſtédu nombre de ces IlGALANT.
155
:
:
Huſtres Chaſſereſſes. Elle eſt belle
, a de la bonté , & un Efprit
qui répond à ſa Naiſſance. Mademoiſelle
des Adrets a fait auſſi
voir que la fatigue qui fuit ces
fortes de Plaiſirs , ne l'étonne
pas. Je n'ay point ſçeu le nom
des autres. J'ay apris feulement
que les Dames ont eſté à la
Chaſſe en Jupes , Juſt-au-corps
de broderie , & Coifures de Plumes.
Jene puis m'empeſcherde
vous dire encor que Mademoifelle
dança tres -bien , & fe fir
admirer au Bal. Quelques autres
, tant Hommes que Femmes
, s'y firent auſſi diſtinguer.
Mais ma Lettre eſt déja ſi longue
, que je paſſe au Te-Deum
de M. Lully , qui peut eſtre
compté parmy les Plaiſirs de
Fontainebleau. Ille fit chanter
devant le Roy le jour que Sa
Gvj
136 LE MERCVRE
Majesté luy fit l'honneur de
nommer fon Fils. Toutes fortes
d'Inftrumens l'acompagnerent ;
les Tymbales & les Trompetes
n'y furent point oubliez . Il eſtoit
de Monfieur Luvy, c'eſt tout di--
re . Ce qu'on y admira particulierement
, c'eſt que chaque
Couplet eſtoit de diferente Mufique.
Le Roy le trouva fi beau,
qu'il voulut l'entendre plus d'u--
ne fois.
Avant qu'on quitaſt Fontai
nebleau , Monfieur l'Evefque
de Marſeille qui arrivoit de Pologne,
y vint ſalüer Sa Majesté ,
& en fut reçeu avec des témoignages
d'eftime & de fatisfadion
, dignes des importans fervices
qu'il luy a rendus dans cette
Cour. Il y avoit eſté envo
ye Ambaſfadeur Extraordinaire
pour affilter à la Diete qui ſete
GALANT.
157
noit à Varſovie pour l'Election
de celuy qui devoit remplir la
place du Roy Michel , mort
en 1673. & il tourna fi bien les
Eſprits par ſa prudence & par
fon habileté , que malgré les
engagemens que toute la. Nobleffe
du Grand Duché de Lithuanie
, & la plus grande partie
de celle de Pologne, avoient
pris avec la Maiſon d'Autriche ,
le Grand Mareſchal Sobieski
fut proclamé Roy d'un confentement
unanime, ſous le nom de
Jean III . Comme on ne peutdouter
que le merite de ce nouveau
Prince n'ait contribué à le
faire élever au Trône , on ne
peut douter auffi que la confidération
du plus Grand Mo->
narque du monde qui luy donnoit
fa protection , & la fage &
vigilante conduite de fon Mini
158 LE MERCVRE
ſtre , n'ayent eu la plus grande
part en cette Election fi glorieuſe
à la France , fi neceſſaire àla
Pologne , & fi avantageuſe à
toute la Chrétienté. C'eſt une
verité dont ce nouveau Roy,
incontinent apres qu'il fut éleu,
fit gloire de demeurer d'accord
luy-meſme, en donnant à M' de
Marſeille ſa Nomination au Cardinalat
, comme une premiere
marque de ſa reconnoiffance
envers le Roy , & de ſon eſtime
envers fon Miniſtre. Ce n'eſt
pas le ſeul ſervice que cet Illuſtre
Prélat ait rendu alors à Sa
Majesté. Le Roy qu'on venoit
d'élire avoit une cruelle Guerre
fur les bras. Toutes les forces
de l'Empire Otoman eſtoient
jointes contre luy à celles des
Tartares , & la Paix ne devenoit
pas ſeulement neceſſaire à
GALANT.
159
la Pologne , elle ne pouvoit
qu'eſtre avantageuſe à la France
& à ſes Alliez . M de Marfeille
y donna toute fon application
pendant trois ans,& le fuccés
fit connoiftre qu'il ne l'avoit
pas inutilement donnée. Il eſt
difficile de ne pas réüffir quand
on a autant d'intelligence & de
penétration qu'il en a dans les
Affaires. Il foûtient fon rang
& les Emplois qu'on luy donne,
par une magnificence qui en eft
digne ; & ce qui eft remarquable
, il apporte par ſes ſoins autant
d'ordre dans ſon Dioceſe
pendant ſon abſence , que s'il
demeuroit toûjours préſent. Je
ne vous parle point de fa Maifon
, qui eft grande , illuftre , &
fort ancienne , & dont il y a des
choſes tres-glorieuſes à dire. Le
temps me preſſe ,& le merite de
TON
160 LE MERCVRE
M. de Marseille me donnera fi
fouvent occaſion de vous entretenir
de tout ce qui le regarde ,
que ie ne vous en laiſſeray rien
ignorer. Je vous diray ſeulement
aujourd'huy qu'il eſt de la Mai--
fon de Fourbin , & de la Branche
des marquis de Janſon .
Enfin le Mois de Septembre
s'écoula , & apres avoir gouſté
tant de diférens Plaiſirs , &joüy
de la Promenade dans quelques
Maiſons de plaisance des environs
de Fontainebleau , la
Cour en partitauffi groſſe que fi
le Roy n'euſt pas eu quatre Armees
fur terre , & une cinquiéme
fur mer. Mile Duc de Ver
mandois , & Mademoiſelle de
Blois , qui retournoient à Verfailles
, s'arreſterent à Effone,&
difnerent dans la Maiſon de M
du Pin. C'eſt cette belle Maifon
GALANT. 161

qui estoit à feu Mr.Heſſelin , &
dont on ne peut trop admirer
les Avenuës , les Caſcades , &
les Jets d'eau quiy font preſque
infinis . Les Dames que les Vendanges
y avoient attirées , fe
rendirent dans le Jardin , où el
les falüerent ces deux jeunes &
Illuftres Perſonnes , qui furent
reçeuës par Me du Pin à la def
cente du Carroſſe. Il avoit eu
l'ordre de M Colbert , & il l'e
xecuta avec tout l'empreſſement
& toute la joye que luy
devoit cauſer un honneur auffi
grand que celuy qu'il recevoit.
On diſna dans la Salle Italienne
. Le Prince & la Princeſſe ſe
mirent à table avec Madame
Colbert; & pendant le Repas,
les Violons & les Hautbois de
Paris joüerent les plus beaux
Airs de l'Opéra.Apres qu'on cut
161 LE MERCVRE
diſne , les Divertiſſemens ne
manquerent pas . Le jeune Prince
voulut prendre celuy d'aller
à l'Eſcarpolete ſur l'eau,& il en
obtint la permiffion de Me Gédoüin
ſon Gouverneur , qui
connoiffant fon adreſſe , fut afſuré
qu'il n'avoit aucun péril à
courir. Tout le monde fut charmé
de ſa hardieſſe , & de la graçe
avec laquelle il ſoûtint l'ébranlement
de l'Eſcarpolete.
D'autres qui crûrent la choſe
aiſée , s'y hazarderent apres luy,
& divertirent la Compagnie en
tombant dans l'eau. L'heure du
depart approchoit, & pour dernier
Divertiſſement , M. le Duc
de Vermandois , & Mademoiſelle
de Blois', allerent voir la
Court des Machines , d'où ils
furent enlevez dans un Apartement
ſurprenant. Ils n'en fortiE
1 GALANT.
163
7
rent que pour ſe remettre en
Carroffe, apres que M. du Pin
leur eut preſenté de tres -beaux
Fruits pourla Colation pendant
( le chemin.
Vous ſçavez ſans-doute,Madame
, que M. Courtin eſt de
retour de fon Ambaſſade d'Anterre.
Sa Majesté Britannique
ne s'eſt pas contentée de luy
marquer l'estime qu'elle faifoit
de luy , il en a reçeuun Préſent
beaucoup plus confidérable que
ceux que l'on donne ordinairement
aux Ambaſſadeurs apres
leur Audiance deCongé.
: Ceux qui font choiſis pour
ces grands Emplois , comme ils
le font par un Roy qui connoît
parfaitement le vray mérite
ont bien dequoy s'applaudir de
cet avantage, & c'eſt ce qui redouble
la gloire de M. le Cardi-
2
164 LE MERCVRE
nal d'Eſtrées , qu'on envoye
Ambaſſadeur Extraordinaire à
Rome. Il a l'eſprit profond ,
beaucoup de doctrine , & tout
ce qui eft neceffaire aux Grands
Hommes pour bien conduire
les plus importantes Affaires. II
fortd'une Maiſon fr conſidéra
ble , que pour vous en marquer
la grandeur , il ſuffir de vous
dire qu'il eſt allié de deux Souveraines
moins illuftres encor
par le haut Rang qu'elles tiennent
, que par leur merite &
par leur efprit .
2
Je quite la Cour pour la Cour..
En effet , Madame , je croy ne
m'en éloigner pas , en vous parlant
d'un Mariage qui a donné
lieu icy depuis peu à une Feſte
tres- magnifique. M. le Marquis
de Beringhen a épousé Mademoifelle
d'Aumont. Je croy,Ma
GALANT. 165
dame , que vous ne demanderez
pas d'autres preuves de ſa Nobleſſe
, que celles qu'il a données
en ſe faiſant recevoir Chevalier
de Malte ; elles font affez
rigoureuſes pour tenir lieu de
Titre de Nobleſſe. Peut- eftre
ferez-vous ſurpriſe qu'un Chevalier
de Malte ſe marie ; mais
les Chevaliers de cet Ordre ne
font leurs Voeux qu'à vingtcinq
ans , & il ne les avoit pas.
Ce Marquis eſt d'une des plus
anciennes Familles des Païs- Bas .
Son Grand-Pere eſtoit fort conſideré
de Henry I V. qui l'em-
-ploya en pluſieurs Négotiations
.importantes aupres des Princes
d'Allemagne. M. le Comte de
Beringhen ſon Pere eſt Premier
Ecuyer du Roy ( dont ilala furvivance)
Gouverneur des Citadelles
de Marseille, & Chevalier
166 LE MERCVRE
د
une
des Ordres du Roy. C'eſt un
parfaitement honneſte - Homme
, à qui une grande modeſtie
en toutes chofes , une fidelité
éprouvée , une exactitude de
probité qui ne ſe rencontre
pas en tout le monde
prudence reconnuë , & une fageſſe
qu'on admire , ont acquis
l'eſtime de toute la Cour. Madame
de Beringhen ſa Femme
eſtoit Fille de feu Monfieur
le marquis d'Uxelles , Gouverneur
de Châlons. Cette Famille
originaire de Bourgogne , eſt
affez connuë par ſes ſervices &
fon ancienneté. Le nom d'Uxelles
a fait bruit dans les Armées .
Pluſieurs qui le portoient , en
ont commandé , & pluſieurs y
font morts l'Epée à la main pour
le ſervice de leur Prince. Le
Marié eſt bien fait , de belle
GALAN T. 167
taille , il a de l'eſprit & du merite
;& dans pluſieurs rencon--
tres qui ont fait paroiſtre ſon
courage , il s'eſt montré digne
Heritier de celuy de feu M. le
Marquis de Beringhen fon Frere
, qui fut tué devant Beſançon.
Comme il eſt demeuré
Chefde ſa Famille , le Roy qui
le confidere , luy a défendu de
s'expoſer davantage ,& par cette
marque d'eſtime il a voulu
faire connoiſtre à Monfieur le
Premier la bienveillance particuliere
dont il l'honore. La Mariée
eſt Fille de M. le Duc d'Aumont
, Premier Gentilhomme
de la Chambre , Gouverneur
de Boulogne & du Païs Boulonois.
Il avoit épousé en premieres
Nopces une Fille de Monfieur
le Tellier , Chevalier &
Tréſorier des Ordres du Roy,
168 LE MERCVRE
Marquis de Louvois , Seigneur
de Chaville , Miniſtre & Secretaire
d'Etat ; & c'eſt de ce Mariage
qu'eſt mademoiselled'Aumont
dont je vous parle. Elle
eſt bien faite , a une fort grande
jeuneſſe , & c'eſt un Charme
qu'elle ſoûtient par beaucoup
d'autres qui la rendent toute aimable.
J'aurois beaucoup à vous
dire , madame , fur ce qui regarde
la Maiſon d'Aumont. Elle eſt
remplie d'un nombre infiny de
grands Perſonnages , Chevaliers
des Ordres , mareſchaux
de France , Gouverneurs de
Provinces , & autres qui ont
*poffedé les plus belles Charges
del'Etat. Avant l'an 1381.Pierre
d'Aumont fut Chambellan
des Roys Jean & Charles V. Et
Pierre II. fi renommé dans l'Hiſtoire
, le fut de Charles VI . &
Garde
GALANT. 169
Garde de l'Oriflame de France.
Jean Sire d'Aumont , qui vivoit
- avant l'an 1595. reçeut le Baſton
de Mareſchal , qu'il merita
par quantité degrandes Actions
qu'il fit à une infinité de Sieges
&de Batailles. Je ne vous diray
rien de celles de feu M. le Ма-
_reſchal d'Aumont , Pere du
Duc qui porte aujourd'huy ce
nom. Comme ila veſcu de nos
jours , il n'y a perſonne qui ne
les ſcache. Il eſt mort Gouver
neur de Paris , & l'eſtoit encor
de Boulogne & du Païs Boulonois.
C'eſt un Gouvernement
attaché des lõgtemps à leur Famille
, qui eſt entrée dans les
plus grandes Alliaces.Vous n'en
douterez pas , quand je vous
✓ auray dit que Jean VI. d'Aumont
avoit épousé Antoinette
Chabot ſeconde Fille de Philip-
Tome VIII. H
170 LE MERCVRE
pe Chabot Comte de Garny &
de Buzançois , Sieur de Brion ,
Admiral de France , & Gouverneur
de Bourgogne , & de
Françoiſe Longuy Dame de Paigny
, Soeur aifnée de Jaqueline
de Longuy Ducheſſe de Montpenfier
, Trifayeule maternelle
d'Anne Marie Loüiſe d'Orleans,
Souveraine de Dombes , Princeffe
de la Roche-fur-Yon , &
Ducheſſe de Montpenfier. Le
jour du mariage eſtant arreſté ,
on prit les ordres de Monfieur le
Duc d'Aumont. Comme il s'entend
admirablement à tout, c'eſt
un des premiers Hommes du
monde à n'en donner que de juſtes
ſur les grandes choſes. Sa
prévoyance en facilite l'execution
, & il explique toûjours ſi.
bien ce qu'il penſe , qu'on entre
ans peine dans tout ce qu'il s'eſt
GALAN T. 171
imaginé. La Nopce ſe fit dans
fon Hoſtel . Il eſt d'une beauté
ſurprenante ; rien n'égale celle
des Apartemens , ils font &diféremment
conſtruits , & diféremment
ornez . Tout y eſt d'une
magnificence achevée ; la
propreté ſemble y difputer de
prix avec la ſomptuoſité des
Meubles ; Raretez par tout , par
tout Tableaux admirables&des
plus grands maiſtres ; & ce qui
frape fur toutes choſes , ce font
pluſieurs Portraits antiques des
Deſcendans de cette maiſon,qui
marquent je ne-ſçay-quoy de fi
noble & de fi grand , qu'il fuffiroient
preſque pour en perfuader
l'ancienneté.Vous vous imaginez
aſſez la joye qui éclata fur
le viſage de tous les Intereſſez
ſans que je m'arreſte à vous la
dépeindre. Le marié parut l'air
د
Hij
172 LE MERCVRE
content , d'une parure magnifique
, propre & bien entenduë ,
&foûtint cettegrade feſte avec
un agrément tout particulier.La
Mariée qui demeuroit chez M
le Tellier depuis qu'elle eſt fortiedu
Convent , & qui a beaucoup
profité de l'exemple de
Madame le Tellier,dont chacun
connoiſt le bon ſens & la piete,
arriva ſur les huit heures du
foir. Quoy qu'elle brillaſt d'une
infinité de Pierreries, ſa Perſonne
la paroit encor plus que toute
autre chofe. Elle vint avec un
petit air ſérieux & nonchalant,
qui luy donnoitune grace merveilleufe
, & jamais à quatorze
ans on ne s'eſt mieux tiré d'une
illuftre & grande Compagnie
affemblée pour elle feule, & das
unjour où les Filles font le plus
ſeverement critiquées. La Salle
2
GALAN T.
173
du Souper eſtoit éclairée d'un
nombre infiny de Luftres. Il y
en avoit ſur la Table de toutes
fortes de manieres, c'eſtoit comme
un Theatre qui regnoit dans
le milieu, mais dont la longueur
ne caufoit aucun embarras .Tout
futfervy avec une propreté &
aune magnificence inconcevable
.De chaque coſté de la Table
il y avoit deux rangs de
vingt - cinq Plats chacun , qui
faiſoiet centPlats en tout,& ces
cent Plats furent relevez quatre
fois . Le Fruit , & tout ce qu'il
y a de plus delicat &de plus délicieux
pour compoſer le plus
ſuperbe Deſſert , eſtoit ſervy
au milieu de toute la longueur
de la Table , dans des Baffins
de vermeil cizelé de diferentes
formes , &garnis en Pyramides
tres -hautes de tout ce qu'on ſe
Hiij
174 LE MERCVRE
peut imaginer de propre à ſatiſfaire
le gouft ; le tout dans des
Porcelaines fines qui estoient là
de toutes les fortes . Cette efpece
de Montagne que formoit ce
magnifique Deſſert , & qui fut
trouvée ſur la Table en s'y mettant
, ne fatisfaifoit pas moins
les yeux. Quoyqu'il euſt de la
fimetrie , il y avoit des endroits
irréguliers , la juſteſſe ſe trouvoitdans
leur inégalité , & on
voyoit par tout une agreablediverſité
de couleurs. A chaque
coſté du Fruit il y avoit des
Flambeaux de vermeil du haut
de la Table juſqu'au bas,& comme
il eſtoit difficile qu'on pût
ſervirfans confufion les quatre
cens Plats qui furent mis à double
rang des deux coſtez en
quatre diférens Services , le
Maistre - d'Hoſtel ſe ſervit de
GALANT. 175
aquelqu'un AUE DELVAILL
1893
précaution . Il ranga tous ceux
qui portoient leurs Plats, vis- àvis
des endroits où ils devoient
eſtre placez , de forte qu'en paffant
entre leurs rangs , il les pofoit
en un moment ſur la Table
fans aucun deſordre . Cela fit diz
re agreablement
cauſe des rangs , qu'il croyoit voin N
un Exercice de Gens de Guerre . Si
la ſuite n'en eſtoit pas plus dan
gereuſe , les Recruës ſe feroient
facilement. La richeſſe du Buffet
ſurpaſſe l'imagination ; il
eſtoit toutde vermeil , & on ne
vitjamais une ſi grande quantitéde
Vaſes cizelez . Pendant le
Souper,les Violons du Roy joüerent
dans un grand Sallon qui
répondoit à la Salle. Les Dames
qui en furent eſtoient ( ſouvenez
- vous je vous prie que je ne
leur donne aucun rang )Mefda
Hiiij
176 LE MERCVRE
mes le Tellier , d'Aumont , de
Louvois , de Flez , de la Mote ,
dUxelles, de Frontenac,de Soubiſe
, de Foix , de Coaquin , de
Chaſteauneuf , de la Ferté , &
Mademoiselle d'Aumont , Fille
du feu Marquis de ce nom. Ces
dernieres eſtoient magnifiquement
parées. Au fortir de laTable
, on monta dans des Apartemens
enchantez . Les belles
Voix de l'Opéra s'y trouverents
Ia Symphonie les ſeconda , & à
minuit le Mariage fut celebré .
Je ne vous parle pointdes riches
& brillans Préfens qui ont eſté
faits à la Mariće par Monfieur le
Tellier & Mr le Premier, je vous
diray ſeulement que ceux de
M'le Marquis de Louvois , & de
M. l'Archeveſque de Rheims ,
fes Oncles, ont fort paru. Jugez
ſi luy ayant donné un Ameuble
GALANT.
177
ment de Chambre d'argent , &
tout ce qui peut ſervir à l'orner,
il peut y avoir eu rien de plus
magnifique.Je tiens ces Particularitez
d'une belle Dame qui a
plus de part que moy à cette
Deſcription. Comme elle a infiniment
de l'eſprit , je n'ay fait
que ſuivre fidellement ſes idées.
J'en aurois de grades pour m'étendre
ſur la Campagne de M.
le Baron de Monclar , fi l'accablement
de la matiere qui m'a
fait attendre juſqu'à aujourd'huy
à vous en parler , nem'obligeoit
à la reſſerrer en peu de
mots. Vous ſcavez que l'Armée
qu'il commande eſtoit oppoſée
à celle Cercles , compoſée des
Troupes de tant d'Etats , qu'elle
pourroit ſeule tenir teſte à un
Roy moins puiſſant que celuy
deFrance. Il y a plufieurs Cer-
-
Hv
178 LE MERCVRE
cles , comme ceux de la Baffe
Saxe , de Franconie , de Suabe,
de Baviere , juſqu'au nombre de
dix, & pluſieurs Provinces font
ſous chaque Cercle. Le Prince
de Bade-Dourlach fut leur dernier
General. Apres ſa mort il
en falut nommer un nouveau.
L'Affaire fut miſe en déliberation
à la Diete de Ratiſbonne..
Pluſieurs grands Generaux des
plus Illuftres Maiſons d'Allemagne
y pretendoient ; mais
enfin le choix tomba fur le
Prince de Saxe-Eyfenach, de la
Maiſon de Saxe. Le voilà donc
ſaiſi du Commandement de
cette Armée. Le ſeul Nom en
prometbeaucoup. Les uns l'appellent
l'Armée des Cercles de
'Empire ,les autres l'Armée de
l'Empire , & la plupart l'Armée
des Cercles du Haut Rhin.Pl
Y
GALANT. 179
fieurs Officiers Generaux , en
grande confideration chez les
Allemands , font nommez pour
y fervir. Le Comte de Dunevald
, Officier d'un fort grand
merite , eſt du nombre . On deſtine
fon Regiment pour groffir
les Troupes de cette Armée ,
auſquelles pour reconnoiſſance
du Generalat , le Prince d'Eyſenach
en joint beaucoup , auffi
bien que les Ducs de Saxe-
Gotha, & de Vveïmar. Toutes
ces Troupes ſe mettent en marche
vers Strasbourg. A leur
approche le Magiſtrat proteſte
qu'il ne les laiſſera point paſſer
fur fon Pont ; mais on reconnoît
l'intelligence fi -toſt qu'elles
font en veuë , il feint qu'il
ne peut refifter , & leur permet
le paſſage. Cette Armée étant
au delà du Rhin , & ayant eu
Hvj
180 LE MERCVRE
grande peine à y ſubſiſter quelque
temps , elle prend du Pain
pour dix jours , s'avance vers les
Montagnes , vient juſqu'à une
lieuë de Scheleftat ; & apprenant
qu'il eſt fortifié , qu'il y a
onze Redoutes de pierre,& que
M le Baron de Monclareft derriere
avec des Troupes , elle
noſe prendre la réſolution de
l'attaquer. Dans cet embarras,
le Prince d'Eyfenach marche
vers Colmar , où le bon ordre
que les François mettent par
tout à leurs affaires le réduit à
faire demander une ſomme aux
Etats de Suabe pour la fubfiſtance
de ſes Troupes. Il eſt
contraint de tirer des Munitions
de Philifbourg que le Magiſtrat
de Strasbourg luienvoye
querir avec une Eſcorte.Pendat
se temps Mr de Monclar couvre
GALANT. 181
fi bien toutes ſes Places , qu'à
peine les Ennemis voyent - ils
jour à ſurprendre le moindre
Chaſteau . Ils veulent prendre
celuy de Sainte Croix auprés de
Colmar. M' du Fay Commandantde
Briſac y envoye quatrevingt-
hommes. Ils le font ſommer
, le Gouverneur ne veut
point ſe rendre. M de Vifſac
Lieutenant de Roy de Briſac ,
trouve moyen de ſe jetter dedans
avec quatre cens hommes,
malgré toute l'Armée ennemie ,
& ce Chaſteau n'eſt point pris .
Enfin le Prince d'Eyſenach
voyant qu'il n'avoit encor pû
réüffir de ce coſté , fait venir de
Fribourg dequoy faire un Pont
de Bateaux vers Bafle. M. de
Monclar paſſe dans le Briſgau
pour obſerver ſes mouvemens,
& apprend qu'il s'eſt allé cam
182 LE MERCVRE
per pres de Bafle , apres avoir
fait ravager les Bleds des environs
de Colmar, contre ce qu'il
avoit promis aux Habitans qui
luy avoient donné de l'argent
pour s'en garantir. C'eſt le ſeul
Exploit de ſa Campagne , encor
ne l'auroit-il pas fait s'il n'euſt
manqué de parole. Il campe
ſous Bafle à Hunninguen , fait
achever fon Pont de Bateaux ,
& ſe retire à Bafle ſurpris d'une
Fiévre-tierce que ſes mauvais
fuccés ont pûluy cauſer. M.de
Monclar reçoit un renfort qui
luy eſt envoyé par M. le marefchal
de Créquy , & fait repentir
ceux qui ont fourny quelque
ſubſiſtance aux Ennemis . Ils
font travailler à des Retranchemens
aux deux coſtez de leur
Pont . Les Noſtres favoriſent
un Convoy d'argent qui va à
GALANT.
183
Brifac, fans qu'un Détachement
du Prince d'Eyſenach entreprenne
de s'y oppoſer. CePrince
fait baſtir une Redoute dans
une Iſle pour maintenir ſon
Pont,& perſonne n'oſe ſortirde
fon Camp, On leur rend dans
le Briſgau les violences qu'ils
ont exercé autour de Ruffac.
M. de monclar avance à trois
lieuës d'eux; ils ſont venus nous
chercher , & on les cherche.
Les Païfans ſont employez àdes
Redoutes pour couvrir leur
Pont. On voit par là qu'ils fuyent
le Combat. On ſe retranche
auſſi . Cependant les Generaux
& les Offciers ſe traitent
les uns les autres à Bafle . меб-
ſieurs les marquis de Lambert,
de Nefle & de Feuquiere, y régalent
le Baron de Noſtits-
Schirein , & d'autres Officiers
184 LE MERCVRE
Allemans . En ſortant de la
Ville les Partis s'entrechargent
les uns les autres. Pendant
qu'on a ainſi occafion de ſe voir
àBafle, le Comte de Dunevald
pratique un Officier François
nommé M de la Madelaine ,
Major du Chaſteau de Lanfcron,
qui luy doit livrer la Place
moyennant dix mille eſcus. Ce
Major en avertit M. de Siffredy
qui y commandoit. Le Comte
de Dunevald vient à l'heure
marquée avec le Neveu du
Prince de Saxe,le Colonel Rofe,&
des Troupes. Il s'apperçoit
qu'il eſt découvert , prend
la fuite , & reçoit un coup de
Mouſquet qui luy emporte fon
Chapeau & fa Perruque. Pluſieurs
y perdent la vie.Ceux qui
ont paffe la Herſe ſont faits Prifonniers
, & il en couſte dix
GALANT. 185
mille eſcus aux Allemans. Le
Prince d'Eyſenach comméçant
à ſe mieux porter, & les Troupes
des Cercles & celles que
j'ay marquées ne luy fuffiſant
pas , trois nouveaux Regimens
le viennent joindre . Il eſt harcelé
de la Garniſon de Brifac .
Apres une marche de huit heures
Me de Monclar ſurprend un
des Quartiers des Ennemis ,
fait quatre cens Priſonniers ,
prend cinq cens Chevaux , fe
rend maiſtre du Chaſteau de
Plotzeim , ſe poſte avantageuſement
pour obſerver les Ennemis,
ſe ſaiſit d'une Hauteur, fait
travailler à une Redoute qui
voit dans leur Camp & y met
du Canon. Monfieur le Comte
de la Mote- Moudancourt Meftre
de Camp de Cavalerie ,Neveu
du Marefchal de ce nom,
186 LE MERCVRE
ayant l'avantgarde compoſée
de quatre cens Chevaux , rencontre
un pareil nombre des
Ennemis qui en couvroient un
fort grand de Fourrageurs fans
avoir eſté avertis de fa marche .
Il les défait, & prend ſept à huit
cens Fourrageurs ou Cavaliers.
Le reſte fuit. On leur envoye
huit cens Chevaux pour les foûtenir.
M. le Comte de la Mote
avec une vigueur incroyable ,
pouffe & défait encor ces huit
cens Chevaux, & demeure ferme
fur le champ de Bataille ,
éloigné feulement d'une demy
lieuë du Camp des Ennemisfans
qu'il en forte depuis aucun ſecours
, c'eſt à dire qu'avec quatre
cens Chevaux ilen renverſe
douze cens , ſans compter les
Fourrageurs. Ce font d'illuftres
commencemens , & ce jeune
GALAN T. 187
Comte ne ſçauroit marcher
plus dignement ſur les pas du
fameux Mareſchal dont il eſt
Neveu . Depuis cette Action
on a toûjours coupé tous les
Fourrages aux Ennemis , pour
les obliger à repaffer tout - à-fait
le Rhin, ou à ſe battre. On leur
attaque en ſuite une Redoute
paliſſadée & un Logement dont
on ſe rend maiſtre , & on les
oblige à fe refferrer dans leur
Camp. M. le Marquis de
Noailles Colonel de Cavalerie
défait leur grande Garde . II
fait conftruire une Redoute
pour les incommoder , & foûtient
les Travailleurs . M. de
Monclar en fait élever deux autres.
M. de Caumont major
de Cavalerie bat deux de leurs
Eſcadrons aux enviros de Bafle.
Les Ennemis commencent à
188 LE MERCVRE
fonger à leur Retraite. Noftre
Armée eſt à la portée du Canon
de la leur. On voit tout ce qui
ſe paſſe dans leur Camp , fans
qu ils puiffent voir ce qui ſe
fait dans le noftre. On les
oblige de tirer du Fourrage par
leur Pont, noftre Canon les defole.
On pouſſe leur Garde , on
leur tuë beaucoup de monde ,
&on fait quartier au Baron de
Noſtits. Ils prennent toutes les
précautions imaginables pour
nous cacher leur Retraite. Ils
font d'abord repaſſer leur gros
Bagage,& repaffent eux-mémes
quelque temps apres à la faveur
d'un grand Brouillard qui les
empeſche d'eſtre apperceus.
On découvre le matin qu'ils ont
abandonné leur Redoute ; &
comme on les voit qui ſe retirent
encor , favoriſez d'un Ca
GALAN T. 189
non qu'ils ont poſté de l'autre
coſte du Rhin , M² de Monclar
en fait poſter du fien ,& les
oblige par là à ſe retirer avec
une précipitation qui eſt cauſe
que beaucoup d'entr'eux ſont
noyez. Ils nous laiſſent tout les
Bateaux du gros bras du Rhin ,
&s'échapent apres avoir brûlé
tous ceux qui estoient par delà-
1 Ifle , auffi-bien que quelques
piles de Foin , mais nous profitons
du Fourrage qui eſt dans
leur Champ. Les Ennemis ne
repaſſent chez eux que pour y
eſtre battus , & c'eſt par ce
Combat que finit la Campagne
de l'Armée des Cercles , avant
que d'eſtre incorporée à celle
du Prince Charles. Le Pont
qu'avoit fait conſtruire le Princed'Eyfenach
ne luy ayant fervy
qu'aſe retirer apres en avoir
190 LE MERCVRE
perdu la moitié , Monfieur de
Monclar paſſe ſur celuy de Brifac
, & entre dans le Briſgau.
M. le Marquis de la Valette le
joint auſſi-toſt apres avec ſa Brigade.
le General ennemy en eſt
• furpris ,& plus encor d'aprendre
queM' le Mareſchal deCréquy
fait conſtruire un Pont à
Rhenau pour paſſer le Rhin. II
réſout de s'y oppoſer. M. de
Monclar qui obferve ſes mouvemens,
envoye M.de Caumont,
Capitaine & major du Regi..
ment de Belport , avec deux Efcadrons
, pour ſe ſaiſir d'un Pafſage.
Ils font pouſſez par ſept
des Ennemis , & ſe tirent pourtant
d'affaires ſans perdre qu'un
ſeul Capitaine. Le Prince d'Eyfenach
veut gagner le Poſte de
Capel qui eſt vis-à- vis de Rhenau
,mais il eſt embaraſſé par
GALANT.
191
L
un nouveau General. Il croit
que M. de monclar fonge à ſe
faifir d'Offembourg. Cette penſée
luy fait diviſer ſes forces. Il y
envoye du monde , & à Fribourg
; & pendant ce temps ,
Monfieur de Créquy ſe rend
maiſtre du Poſte que le Prince
d'Eyſenach avoit eu deſſein
d'occuper. C'eſt ce que beaucoup
de Relations n'ont pas
aſſez ny marqué , ny éclaircy.
M. de Créquy voulant donner
de l'inquietude au Ennemis ,
- laiſſe ſes Ordres à Monfieur le
Comte de Maulevrier - Colbert
- Lieutenant General , pour faire
paffer l'Armée ſur le Pont du
Rhin ,&fait marcher les Briga-
- des de la Valete & de Dugas ,
avec les Regimens de Dragons
de Liſtenay & de Theſſe, entre
Strafbourg & Offembourg. Il
192 LE MERCVRE
s'avance pres de Vilſtet. Il apprend
que les Ennemis y viennent
camper , & juge à propos
d'y attendre un plus grand
Corpsde Troupes pour paſſer la
Riviere devant eux. Il n'a pas
le temps de le faire. Un Party
lui rapporte que le Prince d'Eyfenach
veut gagner le Fort de
Kill , ce qui luy eſt bien-toſt
apres confirmé par une grande
pouffiere. Il croit qu'il faut tenter
le Paſſage par des guez ,quoy
que difficiles, m' le marquis de
Genlis fait les Détachemens de
la premiere Colomne , Monfieur
le Comte de Roye ceux de la
ſeconde ,& M. de monclar ſoûtient
ces deux Lignes. м. lе маг-
quis de Riverolles ſe met à la
teſte des Gens detachez , paffe
l'eau , & tâche d'ébranler les
Ennemis. Ils font grand feu fur
luy ,
Y
GALANT. 193
193
4
luy , il retourne à la charge , il
eſt bleſſé ,& M. de Monteſquiou
Capitaine dans ſon Regiment ,
tué. Les Dragons de Liſtenay
s'aprochent des hayes , mettent
pied à terre , & rendent les
abords de la Riviere plus faciles.
M'les marquis de Ranes
de Lambert , & de Bouflairs ,
pouffent quelques Troupes , &
apres les premieres eſcarmouches
, ébranlent les Ennemis ,
qui à la faveurd'une Digue ſe
placent aſſez prés des Noſtres .
Monfieur le mareſchal de Créquy
fait auſſitôt avancerlesRegimens
de la Valete, de Cayeux,
& de Villars. Le marquis de ce
nom , qui en eſt Colonel , ſe
met à la teſte des premiers Eſcadrons
, montre une vigueur extraordinaire
, & les anime par
ſon exemple. Il défait unegran-
Tome VIII. I
194 LE MERCVRE
de Garde des Ennemis , & poufſe
pluſieurs Efcadrons deCuiraffiers.
M les marquis de Ranes
, de Lambert , & de Bouflairs
, placent les Dragons de
Theſſe & de Liſtenay le long
de la Digue. Ils font voir une
activité ſurprenante , & chargent
les Enriemis avec tant de
vigueur & de courage , que les
ayant mis en deſordre , ils les
auroient entierement défaits ,
ſans l'arrivée de la nuit qui favoriſa
leur Retraite. Pluſieurs
de leurs Officies furent tuez , &
ils laiſſferent plus de fix cens
Hommes ſur la place , ſans plus
de fix - vingt Chariots qu'ils
abandonnerent. Cette occafion
ne nous couſta pas vingt Hommes
. M. de Roquefeüille Cornete
des Gardes de M. le marefchal
deCréquy , & M. de Briail
GALANT.
195
le l'un de ſes Pages , y furent
bleſſez , le dernier à la jambe ,
&l'autre au bras d'un coup de
Piſtolet qu'il y reçeut. Avant
le Combat , M. de Gaſſion cherchant
à reconnoiſtre les Ennemis
, tomba dans la Colomne de
leur premiere Ligne , & foûtint
toute leur Cavalerie qui le
pouſſa.Il ne perditque fixHommes
, & s'en eſtant glorieuſement
retiré , on peut dire que
c'eſt preſque contre toute une
Armée qu'il a combatu. On n'a
peut- eſtre pas reflechy ſur une
choſe qui fait en deux mots
I'Eloge de M. le Mareſchal de
Créquy. L'Armée de l'Empereur
eftant venuë juſqu'àMouzon
,a eſté obligée de s'en retourner
ſans avoir rien fait ; &
M. de Créquy fait une fi extraordinaire
diligence , qu'il eſt
I ij
196 LE MERCVRE
dans les Terres de l'Empire
plûtoſt qu'elle , & bat l'Armée
des Cercles avant qu'aucune de
ſes Troupes ſoit arrivée. C'eſt
tout ce que peut faire & la plus
ſage conduite ,& la plus exacte
prévoyance. Cette déroute fut
doublement ſenſible au Prince
de Saxe-Eyfenach. Meſſieurs de
Strasbourg qui craignent &
cherchent à ménager les Vainqueurs
qui ne font pas éloinez
n'oferent recevoir des
Troupes batuës,& celles - cy furent
contraintes de ſe refugier
dans une Iſle appellée l'Iſle du
Pont de Strasbourg. Elles s'y
trouverent fort incommodées.
Elles ne pouvoient aller au fourage,
& elles eſtoient encor ſi
épouvantées de la maniere dont
elles avoient veu combatre les
François , qu'elles ne vouloient
,
GALANT. 197
point fortir de cette Ifle ſans
Sauf - conduit. Le ſeul expedient
que le Prince d'Eyſenach
trouva pour ſe dégager , fut de
prier M'de Strasbourg d'aller
en Corps chez le Refident du
Roy ,& de l'engager à joindre K
-ſes prieres aux leurs pour obte
-nir un Paſſeport de Monfieur le
Mareſchal de Créquy. L'expedient
eft nouveau , & ne paroiſtroit
pas croyable dans un
Roman . Monfieur du Pré Réſident
de France écrivit. La Lettre
fut envoyée par un Trompete
au nom de la Republique
de Strasbourg , & ce qu'on demandoit
fut accordé. Les François
ſont auffi honneſtes que
braves , & ne refuſent rien
quand on ſe ſoûmet. Vous avez
veu lePaſſeport , il eſt imprimé
dans la Gazete. Le lendemain
4
I iij
198 LE MERCVRE
du Combat , Monfieur de Créquy
ſçachant que les Ennemis
ayoient fait un grand amas de
Fourrages dans Vilſtet , crût
qu'il eſtoit de conſequence
d'envoyer brûler les Magaſins
& toutes les Maiſons dans lefquelles
il y en avoir. M le
Comte de la mothe fut détaché
avec trois cens Chevaux
pour faire cette Expédition.
Apres avoir pouffé quelques
Troupes qu'il rencontra en
chemin , il ſe rendit à Vilſtet
& fut fupris de trouver Garniſon
dans le Chafteau. C'eſt
une Tour de grandes pierres
quarrés , & environnées d'un
bon Foffe. Il envoya un Trompete
fommer la Garniſon de ſe
rendre , & fur le refus qu'elle
en fit, il donna ordre qu'on diſt
au Commandant , que s'il ſe
6
GALANT . 199
défendoit , il le feroit pendre à
la Porte , fans aucun quartier
pour les Soldats. Ils voulurent
compofer , & ayant inutilement
demandé à fortir avec armes &
bagages, ils ne furét reçeus qu'à
difcretion. Il avoit fait mettre
pied à terre à ſes Cavaliers , &
quand ils le virent en reſolution
de les attaquer , ils ſe rendirent.
Il envoya la Garniſon à M. de
Créquy , fit mettre le feu au
Chaſteau , & àtoutes les maі-
ſons où il y avoit du Fourrage ,
& enſuite aux magaſins de Foin
qui estoient fort conſidérables.
C'eſt l'uſage de la Guerre , &
il n'y a point de voye plus
prompte pour chaffer un Ennemy
, que de luy oſterles moyens
de fubfifter. Cette raiſon a
obligé Monfieur le mareſchal
de Créquy à faire brûler beau
I iij
200 LE MERCVRE
coup de Fourrages & de moulinsen
deçadu Rhin , & M. de
Monclar a fait la meſme choſe
dans le marquiſat de Bade ,
dans les Bourgs du Briſgau, &
dans tous les Lieux où les Ennemis
pouvoient prendre des
Quartiers d'Hyver. C'eſt par
où il a finy la Campagne , l'Armée
qu'il commandoit en Chef
ayant eu ordre de ſe joindre à
celle de M. de Créquy , pour
n'en plus compoſer qu'une fous
le Commandement de се ма
refchal. Je la quite pour vous
entretenir de ce qui s'eſt paffe
dans celle de Flandre depuis
ma derniere Lettre. Les Ennemis
n'ont fongé qu'à s'y étaplir
une communication libre
entre Bruxelles & Mons , & à
faire des Redoutes. Il ne nous
faudra qu'un moment pour deGALANT.
201
truire leurs Ouvrages. Qui
prend Valenciennes d'affaut ,
& force Cambray à ſe rendre ,
forcera des Redoutes quand il
voudra . Aufſi les avons - nous
laiſſe faire. Puis qu'ils fongent
à ſe defendre , ils ne ſe croyent
plus en état de nous attaquer.
Cependant toutes leurs précautions
ne les peuvent mettre
à couvert de nos entrepriſes.
On a étably des Contributions
; & comme la Guerre a
ſes Loix pour faire payer ceux
qui ont trop de lenteur à y fatisfaire
, Monfieur le mareſchal
de Humieres a puny ce retardement
par quelques vifites un
peu chagrinantes pour les négligens
. Outre le Camp volant
de Monfieur le Baron de Quincy
il eſtoit accompagné de
Meſſieurs de Joyeufe & d'Al
i i
202 LE MERCVRE
bret , qui commandoient de
grands Détachemens. Ils ont
eſté ſur le bord du Canal de
Bruges, où la Chaſtellenie d'Ypres
les envoya prier d'attendre
trois jours . M. le marefchal de
Humieres paſſa le Canal , affura
les Contributions , s'approcha
de, Gand , & revint joindre
Monfieur le Duc de Luxembourg.
Le Prince d'Orange
quita l'Armée , & en laiſſa le
Commandement au Comte de
Valdec , qui craignant la famine
, ou du moins voulant
faire meilleure chere que les
autres , envoya auffitoftdemander
des Paſſeports à Monfieur
de Luxembourg pour fes Pourvoyeurs.
Il ne me reſte plus à
vous parlerque de deux Actions
particulieres trop remarquables
pour me difpenfer de leur
GALANT. 203
donner les loñanges qui leur
font deües . Elles ſont de deux
Parens du meſine nom. La premiere
eſt de Monfieur le Comte
de Longueval qui commande
les Dragons Dauphins. Il fut
détaché pour aller dans l'Iſle
de Bierutick , à deux lieuës de
Fleſſingue , & ayant paffé à la
faveur d'une marée baffe , &
fous la Mouſqueterie d'une Redoute
d'un Fort&d'un longParapet
qui estoit garny d'Infanterie,
ily mit le feu en plein midy
, & ſe retira avec plus de
foixante Priſonniers . Quelque
hardieque foit cette Action, on
pouvoit tout attendre d'un
Homme qui a pris le Fort aux
Vaches. Ce qui fuit ne vous
paroiſtra pas moins digne d'eftre
admire , & vous y verrez de
la preſence d'efprit meſlée avec
(
I vj
204 LE MERCVRE
beaucoup de courage. M² de
Longueval Capitaine de Cavalerie
, ayant eſté détaché
avec cinquante Maiſtres pour
quelque Expédition , prit un
Guide qui connoiſſoit fi mal
les lieux , que s'eſtant égarez ,
ils ſe trouverent au milieu du
Campdes Ennemis,à trente pas
de la Tente du Prince de Naffau.
M de Longuéval ayant
adroitement découvert qu'il
n'y eſtoit pas , entra dans la
Tente , le demanda, & dit qu'il
luy venoit rendre compte d'une
Commiſſion dont il l'avoit chargé.
Il ajoûta qu'il avoit eu
beaucoup de fatigue , & pria
qu'on luy fiſt donner quelques
rafraichiſſemens. On luy apporta
des Eaux glacées de toures
fortes ,& pendant le repos
qu'il feignoit de prendre, il exaGALANT.
205
mina tous ceux qui estoient das
la Tente , & les ayant jugez incapables
de luy refifter , il s'en
faiſit , fit prendre tout ce qu'il
rencontra de meilleur , & traverſa
le Camp Ennemy avec
fon butin , & fes Priſonniers.
Cette vigoureuſe Action y mit
Falarme , & il s'en apperçeut
lors qu'il en fortoit.
que
Avoüez , Madame , qu'il ne
fe peut rien voir de plus hardy;
mais qui n'entreprendroit pas
de grandes choſes ſur l'exemple
d'un Roy qui n'en fait jamais
d'extraordinaires ? Si vous
voulez voir ſes Conqueſtes en
racourcy ( car on en parle de
toutes manieres ) lifez ce Couplet
qui a efté fait fur l'Ait d'une
Danſe nouvelle dediée à
Madame la Grand Ducheffe
de Florence. On la nomme la
206 LE MERCVRE
Desforges , du nom de celuy
qui l'a inventée. Toutes les
Perſonnes de qualité qui l'ont
veuë dancer en ont eſté fatisfaites.
Elles a trois mouvemens
diférens, eftant compoſée de la
Courante , du Paffepied , &de
la Bourée.
POVR LE ROY.
COURANTE.
CRand Roy , quels rapides Exploits
De jour en jour augmentent veftre
gloire?
LaVictoire
Obeït à vos Loix..
PASSE-PIED.
Dans le temps des Glaces ,
Conquerir trois Places!
Cefont descoups
Quin'estoient dens qu'à vous .
bis
7
bist

GALANT. 207
BOUREE .
Et tout l'Univers
A les yeux ouverts
Surun Conquérant
Si grand.
Al'ombre de vos Palmes
Tous vosEtatsfont calmes,
Et jamais
La Paix
Ne peut plus à propos
Couronner un Héros.
bis
bis.
Il ne faut pas que le plaifir
de la Danſe nous faffle renoncer
à la Guerre. Retournons
aux bords du Rhin . Nous y
avons laiſſe Mr le Mareſchalde
Créquy vainqueur du Prince
d'Eyſenach , qui ne peut trou
ver moyen de fortir de l'Iſle où
it s'eft caché apres avoir efté
batu , qu'en faiſant demander
un Paffeport. Il luy eſtaccordé
, mais il a honte de s'en fervir,
& cependant il en tire fa
108 LE MERCVRE
ſeûreté malgré luy , puis qu'il
eft cauſe qu'on s'éloigne fans
l'attaquer , & qu'il a le temps
d'attendre l'Armée du Prince
Charles pour le dégager. Ce
Prince paſſe enfin à Philifbourg,
& vient ouvrir un paffage
au reſte des Troupes tremblantes
du Prince de Saxe , qui
croyent toûjours voir des François.
Ils ſe joignent. Ce n'eſt
pas tout ,& ce que je vay vous
dire vous ſurprendra. On ne
l'a point ſçeu , ou du moins on
n'en a point parlé. L'Empire
& l'Eſpagne au deſeſpoir de
voir toute une Campagne perduë
,& que tant de Troupes
ayent péry fans avoir ofé tenter
aucune entrepriſe,prennent de
grandesmeſures pour en rendre
La fin glorieuſe , & furprendre
les François , comme fi leRoy,
GALANT.
209
ſes Miniftres, & ſes Generaux,
eſtoient capables de manquer
de prévoyance , & ne penétroient
pas leurs deſſeins. Le
Miniſtre d'Eſpagne qui eſt dans
l'Armée du PrinceCharles pour
luy ſervir de Conſeil , & répondre
de ſa conduite , uſe de toutes
les précautions poffibles
pour fournir ou faire fournir à
ſes beſoins. Il luy fait tirer de
Vienne , de Ratisbonne , & de
toute l'Allemagne , des ſecours
d'argent , de proviſions , & de
monde. Il groffit ſon Armée
des Garniſons & des Milices de
l'Alface , du Briſgau , du Palatinat,&
de Philifbourg. Vorms,
Spire , & Treves , le ſecourent
auffi de leur coſté.Ainfi fortifié
de Troupes , appuyé de Confeil,
rafraiſchy,& ne manquant
point d'argent , il affure la Mai
210 LE MERCVRE
fon d'Auſtriche qu'il prendra
Scheleftat cette Campagne ,
batra les François , & fera le
Blocus de Brifac. Avectous ces
avantages diférens ', il a encor
la liberté de paſſer ſur le Pont
de Strasbourg. Il y paſſe.Monſieur
de Créquy plus diligent
que ce Prince , ſe trouve de
l'autre coſté avant luy , fortifié
des ſeules Troupes que
commandoit Mr de Monclar.
Il en envoye quelques - unes
pour ſe ſaiſir du Chaſteau de
Kokberg , qui eſt une vieille
Mafure,maisun tres-bon Poſte.
Ces Troupes occuperent en
meſme temps les autres Poſtes
des environs . Elles y arriverent
quelques heures avant les Ennemis
qui marchoient dans le
mefme deffein. Ils avoient envoyé
leurs meilleures Troupes
GALAN T. 211
de Cavalerie , qui eftoient des
vieux Regimens de l'Empire &
des Creates.Cinquante Gardes
du Roy qui s'eſtoient avancez
pour tâcher à découvrir leur
marche, furent rencontrez d'un
fort gros Eſcadron , qu'il chargerent
avec autant de réſolution
que fi leurs forces avoient
efté égales. L'Exempt qui les
commandoit fut tué. Les Gardes
s'opiniâtrerent à le retirer ,
& le remporterent apres avoir
vange ſa mort fur un grand
nombre d'Ennemis qui leur laifferent
quelques Cuiraffes &des
Sacs de Grain. Les Ennemis
firentenfuite quelques mouvemens
pour ſurprendre M. de
Créquy. Il penetra leur deſſein,
& ne les voulant point laiffer
paſſer du coſté de Saverne , il
eut la prévoyance d'aller choi
212 LE MERCVRE
il eut la prévoyance d'aller
choiſir un terrain propre pour
mettre ſon Armée en bataille;
& apres avoir laiſſé dans le Village
qui estoit à la gauché de
noftre Camp , trois Bataillons
commandez par M. de Feuquieres,
& trois cens Hommes commandez
par Monfieur deRefnel,
il fit décamper , rangea luymeſme
fon Armée en bataille
àmeſure qu'elle avancoit , &
mit des Troupes dans les Villages
des environs , qui ſe retrancherent
, & qui auroient arreſté
longtemps les Ennemis
s'ils euſſent voulu donner une
Bataille generale. M. de Vaubecour
Capitaine des Chevaux
Legers; revint,& ramena vingtfept
Chevaux , & douze Cuiraffiers
pris à l'Arrieregarde des
Ennemis , qui parurent ſur une
5
GALAN T.
213
Hauteur preſque vis-à-vis de
Kokberg, où ils mirent des Dragons.
On detacha vingt Carabiniers
des Gardesdu Roy , qui
firent teſte aux petites Troupes
qui s'étoient avancées.lls furent
ſoûtenus par un Eſcadron de la
grand'Garde , & par les Gardes
ordinaires , qui eſtant montez
ſur la Hauteur , chargerent les
Ennemis , qui s'approcherent ,
&les poufferent affez loing à la
veuë du Prince Charles. Un
Rendu afſura qu'il avoit empefché
que ſes Gens ne retournafſent
à la charge. M. de Soulffe
qui avoit fait avancer pluſieurs
Troupes par derriere , chargea
les Noftres ,& leur fit deſcendre
la Hauteur. Mrs de Choiſeüil&
de Renty qui étoientde
jour , ayant fait avancer deux
Eſcadrons de la Brigade de la
214 LE MERCVRE
Valete , pour ſoûtenir leurDétachement
, firent remonter les
Carabiniers & les Gardes ordinaire
, qui reprirent leur premier
Poſte , & quand tout fut
bien diſpoſé , ils chargerent l'un
& l'autre par l'ordre de Monſieur
le Marefchal de Créquy.
Cette charge fut vigoureuſe.
On repouſſa les Ennemis fort
loin , & l'on ſe tint longtemps
en preſence. Monfieur le Mareſchal
qui vit arriver beaucoup
d'Eſcadrons aux Ennemis , envoya
ordre à la Brigade des
Gardes du Corps du Roy de
monter ſur la Hauteur avec
toute la Brigade de la Valete.
Ellesſe mirent ſurdeuxLignes,
ayant deux Efcadrons de Dragons
à leur droite. La Brigade
des Gardes du Roy foûtint avec
une fermeté incroyable un tres
GALANT.
215
grand nombre de Cavalerie.
Elle ſe meſla , & entra l'Epée à
la main dans tous les Eſcadrons
avancez .Ce fut en ce tempsque
łaCompagniedes Chevaux-Legers
s'eſtant ſeparée en deux ,
chargea& tailla en pieces deux
gros Eſcadrons. La gauche des
Ennemis plia. La droite en fit
de meſme , & leur trente Efcadrons
furent mis en deſordre ,
& pouffez juſque dans leur
Camp. M. de Créquy fit fonner
la Retraite , mais ce ne fut que
pour remettre nos Eſcadrons en
Bataille. Ce ſoin fut inutile. Les
Ennemis n'oferent revenir à la
charge , & firent ſeulement
avancer du Canon fur les ſept
heures du foir pour dépoſter
nos Gardes ordinaires qui
eſtoiet demeurez ſur la Hauteur.
Ontiraquelques coupsfansnul
,
216 LE MERCVRE
effet ; & voyant que nos Troupes
ne s'ébranloient point , ils
fe retirerent avec leur Canon.
Comme la nuit approchoit , M.
leMarefchal fit auſſi retirer les
Troupes qui estoient en bataille
, & les renvoya dans leurs
Poſtes. Elles paſſerent la nuit
au Biovac. On vit dans ce moment
les Ennemis étendre deux
Lignes de Cavalerie à la portée
de noftre gros Canon. Ils s'éloignerent
à la pointe du jour. Sur
Ieshuit heures, Mr le Maréchal
fit avancer quatre Pieces de
Canonà cinq cens pas de Kokberg,
pour faire retirer lesEſcadrons
des Ennemis qui estoient
poſtez ſur une Hauteur ; &
M. le Marquis de la Freſeliere
les pointa ſi juſte , qu'il les força
à la retraite , & tua pluſieurs
Cavaliers. Le Colonel Mortagne
GALANT. 217
tagne en fut tué à la teſte de ſon Bataillon.
Voilà tout ce qui s'eſt paſſe à la
grande Affaire de Korberg le jour qui
l'a précedé & le lendemain. J'ay fait
une Liſte de trente ou quarante Noms
des principaux Allemans qui ont efte
tuez ou bleſſez , que je vous envoyeray
la premiere fois , fi vous m'aſſurez
que la rudeſſe de leur prononciation
ne peut rien avoir qui vous effarouche.
Je vous diray en attendant , qu'on gagne
ſouvent des Batailles , ſans que les
avantages en ſoient plus grands que
ceux que cette occafion nous a fait
avoir. Des Timbales , des Etendarts ,
des Priſonniers de confideration , celuy
qui commandoit tué , pluſieurs bleffez,
& ce qui eſt ſurprenant , aucun des
Noſtres au pouvoir des Ennemis. La
plûpart avoient des Cuiraffes , & il eſt
àcroire que ſans cela il en ſeroit peu
reſté. Iamais on n'a fait voir tantde valeur
, & jamais tant de Gens ne ſe ſont
fignalez dans une meſme occafion. Ils
meritent de grandes loüanges , & je
puis leur en donner qui n'auront rien
de ſuſpect. Elles ſont de leur General.
Tome VIII K
218 LE MERCVRE
CegrandCapitaine avoulu rendre juſtice
à leur valeur , & fa modeſtie a
eſté telle ,que quoy qu'il ait eſté l'ame
de tout , il n'a parlé que de ce qu'ils
ontfait. Voicy en quels termes il écrit
&des Braves &des Corps qui fe font
fignalez.
M. de S.Eſteſve s'y conduifit en bon
brave Chevau Leger. M. Bastiment
fit auffi parfaitement , & M. Marin
fut affez beureux pourfaire une charge
fi à propos , qu'elle contribua beaucoир
au fuccés de l'Action. M. de la Serre
de Neufchelle firentbien temanége
deGensquisçaventse conduire parfai.
tement &M. de la Fitte avec l'altivité
qu'on luy connoiſt , ſe porta par
tout avec beaucoup de vigueur & de
conduite ; mais lors que la meſlée estoit
plusforte,& quele General Major
Haran marchoit pour prendre enflanc
nos Troupes qui estoient attachées au
Combat ,M. de Buzanval qui commandoit
les Gens-d'armes , M. de Nonan
faisant les fonctions de Brigadier ce
jour-là , & M. de Valbelle & de Va
lancé,avec les Chevaux-Legers , fiGALAΝΤ.
219
rent une charge d'autant plus admirable
,qu'ellefut opiniatrée &menée avec
toute la vigueur poſſible. Les Chevaux
Legers de laGarde ſe ſurpaſſerent , &
je croy que depuis long- temps on n'a ven
une Action faite avec tant de vigueur
tant d'ordre .
3
Dans un autreendroit parlant de l'a-
&ion de cette grande Journée , il ajoûte
, & à laquelle Monsieur de Vendofme,&
Monsieur le Comte de Schombergſeſont
trouvez , donnant par leur
exemple une grande chaleur au Combat.
M. le Chevalier d'Estrades à qui j'avois
ordonné de prendre les Gardes ordinaires
, les mena avec une vigueurinconcevable.
Le fuis obligé de faire remarquer
au Roy la valeur de la Brigade
de la Falete , & de fon Regiment en
particulier anffi-bien que de celuy de
M. de Cayeux , &fingulierement ce
qu'a fait M. de Villars dans le cours
de cetteAction. Il fut avec ſon Regiment
souvent meſté avecles Ennemis,
&toûjours avec l'avantage qui est deû
àsa valeur & à ſa conduite. M. de
Choifewil dans tout ec Combat amerité
Kij
220 LE MERCVRE
eaubcoup de loüanges , & que Sa Ма-
jesté luy sçache bon gré de son zele &
de fon application en tout rencontre.
Il marque encor dans un autre endroit
, que M. de Choiſeüil & M. de
Renty , menerent cette Affaire avec
beaucoup de vigueur & de capacité.
Si le General eſt content de tous ces
Braves , ils ont bien ſujet de l'eſtre de
luy. On combat pour la gloire , & en
leur rendant à chacun celle qui leur eſt
deuë , il fait que la loüange de l'un eſt
diférente de celle de l'autre , en ſorte
qu'elle ſe donne toute à la maniere
dont on s'eſt diſtingué , ſans qu'il y ait
rien de general. Mais s'il a rendu juſtice
aux autres , on a pris ſoin de reparer
l'injuſtice qu'il s'eſt faite , en ne
diſant riende luy. Voicy de quellemaniere
en parle la Relation d'un Officier
General , qui a autant de coeur& de
conduite , que d'intelligence dans le
Meſtier de la Guerre..
Ie n'ose rien dire de Monsieur le
Mareschal , parce que je peindrois mal
Sa Valeur&Sa capacité; mais les ordres
qu'il a donnez à son ordinaire , & la
GALANT. 22-1
diſpoſition qu'il apporta,fit le gain de
ce grand chaud Combat , &je puis
dire avec tous les Témoins de cette
Action , qu'il ne faloit pas moins qu'un
Homme comme luy pour la mener à une,
fin glorieuse.
Vous voyez , Madame , que toutes
ces loüanges ne ſont point de moy;
mais quand par modeſtie Monfieur le
Mareſchal de Créquy oublie M. le
Marquis fon Fils, je dois vous dire
qu'il eutunCheval bleſſé fous luy ,&
qu'il fit par ſa valeur & par ſa conduite
des choſes fort au dela de ce qu'on
pouvoit attendre d'un jeune Guerrier
dequinze ans , car il rallia des Troupes,&
les temena au Combat avec
beaucoup de fermeté. M. le Marquis
de la Ferté fit paroiſtre un courage digne
de luy ; & à la maniere dont il ſe
fignala , on auroit deviné ſans le connoiſtre
,de quel ſang il eſt ſorty. M.
le Marquis de Luzerne fit des merveilles.
Son Cheval fut bleſſé , & il eut
cinq coups dans ſes Habits. M.le Comte
de Schomberg dont j'ay déja parlé.
en receutun dans ſes Armes . M. le
Kiij
222 LE MERCVRE
Marquis de Neſle ſe fit fort diftinguer,
auſſi-bien que M. le Marquis deMonteffon&
M. de Boleſme. Ce furent M.s
de Valbelle & de Bérange , qui firent
cettebelle Action de ſéparer les Chevaux
Legers en deux Troupes pour
s'oppoſer à deux Escadrons , ce qui
contribua fort au gain de cette Journée.
M. Marin que je vous ay déja
nommé , avec ſon Eſcadron desGardes
du Corps , en batit un de Cuiraffiers
,&deux de Montecuculi. Il eut
deuxEtendarts ,& avoit pris unTimbalier,
mais le Cheval du Timbalier
ayant eſté tué , il fut contraint d'abandonner
les Timbales. Un Garde de ſa
Brigade prit le General Major de la Cavalerie
de l'Empereur , & un autre le
Lieutenant Colonel de Montecuculi,
fort conſidérable dans l'Armée , puis
qu'il recevoit les Ordres de ceGrand
General qu'il donnoit au Prince Charles.
Dans ma premiere Lettre je feray
àmon ordinaire , & vous parleray en
peu delignes de la Maiſon &du merite
particulier de chacun des Braves qui
ſe ſont faits remarquer. L'oubliois
GALANT.
123
vous dire que Monfieur de Saint
Eſteſve fut un des premiers qui fit paroiſtre
l'impatience qu'il avoit de combatre,
en courant reconnoiſtre les Ennemis
, fuivy de M. de la Meſſiliere
Cadet dans les Gardes , qui eut ſon
Cheval bleffé. Il eſt de la Compagnie
deNoailles , &l'on ne peut rien ajoûterà
ce qu'elle a fait. Nous pouvons
dire que nous n'avons rien perdu dans
cette grande Action , ſi on compare
noftre perte à celle des Ennemis. M.
deHaubourg&de Dunefort Exempts,
onteſté tuez ;& Mrs de S. Vians,Montaſeau
& Guillon , auſſi Exempts ,
b'effez. M. de Valencé l'a eſté pareillement.
Quoy que je vous aye déja nommé
Mr le Duc de Vendoſme parmy les
Braves , ce ſeroit luy faire tort que de
ne vous en rien dire de plus. Il n'eſt
pas des Amis du Prince Charles qui
s'eſt plaint hautement de luy , mais
cesplaintes font les plus grādes loüangesque
nous luy puiſſions donner ,
puis qu'il avoue que ce jeune Prince
a beaucoup contribué à luy dérober la
King
224 LE MERCVRE
Victoire qu'il s'eſtoit promiſe par
toutes les raiſons que j'ay marquées.
Il eſt certain qu'on ne peutaffez ad
mirer l'intrepidité de M.de Vendoſme.
Voyant deux de nos Eſcadrons poufſez
par cinq des Ennemis , il y courut
à toute bride l'Epée àla main , les ral
lia , ſe mit à leur teſte avec les Officiers,
& poufla & vivement les Troupes
oppoſées, qu'elles furent contraintes
d'abandonner le Comte de Naſſau
& d'autres Commandans,qui ont tous
eſté pris ou tuez. Cette Action ſe fit
enpreſence depluſieurs Officiers Generaux
& de M. le Mareſchal de Créquy
meſme , qui furent ſurpris de le
voir revenir fans eſtre bleſſe , quoy
qu'iln'euſtiny Cuiraffe ny Pot en teſte.
Ils luy firent un Compliment dea
& à ſa Perſonne & àſon merite , & le
prierent en meſme temps de ne vou-
Loir plus s'expoſer de la forte, pour ne
pasmépriſer tout--à- fait les faveurs du
Ciel le pourrois encor vous dire quelque
choſe de ce qui s'eſt paffé depuis
le Combat , mais l'endroit eſt beau
pour finir , vous ſçaurez le reſte une
2
GALANT
225
autre fois. Ie reſerve auſſi à vous parler
du merite de ceux à qui le Roy a
donné depuis peu des Eveſchez &des
Abbayes. Mais quelque preffé que
je ſois de fermer ma Lettre , vous ne
me pardonneriez pas li je ne vous envoyois
une Enigme pour vos fpirituelles
Amies. Celle que vous allez
lire a eſté faite exprés pour elles , &
doit les embarraffer , par une raiſon
que je vous diray quand nous parlerons
du Mot. Elle est d'une Perſonne
du premier Rang..
2
ENIGME.
le travail fans estre en
Jesuis dans le
exercice,
Toûjours dans les vertus , & ne fors
point du vice ;
On me trouve au Barreau fans entrer
au Palais,
Fort avant dans la Cour &parmy les
Valets..
Je m'érige en Vaillant , puis on me voit
en fuite..
Ié vis en étourdy ſans manquer de conduite..
Kv

226 LE MERCVRE
En Voleur , puis en Pauvre on mevoit
pluſieursfois ,
Le ſuis toûjours en Gaule &ne fuis
point François.
Le nesuis point en perte & toûjours en
ruine ,
Et je fais le Devin ſans que l'on me
devine.
Si les Belles de vos Quartiers tombent
dans l'embarras que je prévoy,
elles n'auront qu'à conſulter Apollon.
Parmy ſes qualitez qui ſont en grand
nombre , il a celle de Devin. Elles
fçavent ſans doute qu'il ne pût autrefois
avoir l'avantage de toucher Daph
né ,mais je ne ſcay ſielles en ſcavent:
la raiſon. Elles la trouveront dans ce
Sonnet. Quoy qu'il foit badin , il ne
laiffe pas d'avoir ſa beauté , & je ne
doute point que vous n'en foyez latiss
faite..
GALAN T. 227
やややややややややや
LYON
SONNET
E fuis (
JE Daphne
*193*
crioit jadis Apollon à
وت
Lors que tout hors d'haleine il conroit
apres elles
Et luy contoit pourtant la longue Kirielle
Des rares qualitez dont il eſtoit orné.)
Ieſuis le Dieu des Vers. Ie ſuis Bel-
Esprit né ,
( Mais les Vers n'estoient point le
Charme de la Belle )
Ieſçay joüer du Lut , arrestez. Bagatelle,
Le Lut nepouvoit rien fur ce coeur ob-
Stiné.
Je connoy la verta de la moindre Racine
Leſuis n'en doutez pas, Dieu de la Mo
decine.
Kvj
228 LE MERCVRE
Daphnécouroit plus viste apres ce nom
fatal ..
Mais s'il euft dit , voyez quellé eſt vôtre
Conqueſte ,
Iefuis un jeune Dien, beau, galant,liberal,
DaphnéSur maparole auroit tourné la
teste..
:
Tous les Amans ne font pas fortu
nez ; & l'Amour , pour mieux faire
connoiſtre ſa puiſſance , ne prend pas
toûjours le party des Dieux. Apollon .
alieu de s'enplaindre ; laiſſons- le- dans
fon chagrin , & voyons ce que dit un
Mortel plus heureux que luy. Sa Maî
treſſe l'avoit prié de feindre pour
tromper les laloux , & voicy ce qu'il
lùy répond.
AIR NOUVEAU
de M. Lambert.."
D-Hilis, vous m'ordonnez de feindre
Del'indiférence pour vous,
Afin de tromper les laloux
Quefans ceffe nous devons craindresف
1
GALANT.
229

Mais quand on jouit chaque jour
Des charmes de vostre préſence , {
Qu'il est mal-aiséquel'Amour
Paroiſſe de l'indiférence!
Quelle que ſoit la puiſſance de ce
Dieu , il a trouvé des coeurs qui n'ont
jamais reconnu ſon empire. Il n'en eft
pas de méme de la Mort,elle triomphe
toſt ou tard, & vient de nous ravir M.
d'Aligre àquatre- vingt cinq ans.Tout
ſe prépare pour rendre les honneurs
funebres deûs à ſa mémoire ; & quand
ceux qui ont pris le ſoin d'y faire fon
Eloge s'en feront acquitez , je vous
apprendray àmon tour ce que je ſçay
de cet Illuſtre Défunt. Cependant je
ne puism'empécher de parler de M. le
Tellier, pour apprendre da bonne heure
à la France les avantages qu'elle
doit tirer du choix que Sa Majefté.
vient de faire de ce Miniſtre pour la
Charge de Chancelier & Garde des
Sceaux de France. Me le Tellier, apres
avoir paſſe pluſieurs années dans les
Charges de Procureur du Roy au
Chaſtelet & de Conſeiller au Grand
Conſeil , où il eut pluſieurs Commif
130 LE MERCVRE
fions importantes , fut fait Maiſtre des
Requeſtes , & en ſuite Intendant du
Roy dans ſon Armée en Piémont ,
puis ſon Amabaſſadeur aupres de
Leurs Alteſſes Royales de Savoye ;
d'où eſtant revenu ,la Cour eftant perfuadée
de ſon merite par les Services
importans qu'il avoit rendus à la Couronne
dans ces diférens Emplois, il fut
choiſy par la Reyne Mere du Roy pendant
ſa Régence , pour eftre l'un des
Secretaires d'Etat. Le Département de
laGuerre luy eſtant échû, il ſervit dans
cette Charge d'une maniere ſi utile à
l'Etat , & fi agreable aux Gens de
Guerre , qu'on luy remit bientoſt le
foin detoutes les Affaires qui la regardoient.
Il entra quelque temps apres
dans le Conſeil en qualité de Miniſtre.
Sa prudence y a toûjours paru ,& fon
zele y a toûjours éclaté pour le Servi
ce du Roy. Il a ſervy ce Prince pens
dant les temps les plus difficiles , avec
une fidelité à l'épreuve de toutes chofes;&
la maniere dont il a veſcu avec
ceux qui s'écartoient de ce qu'ils de
voient à leur Souverain ,leur a tou
GALANT. 213.F
B
F
1
jours fait appréhender ſes remontranées,&
lors qu'ils ont voulu rentrer
dans leur devoir, ils ont tenté pluſieurs
fois d'obtenir leur pardon pat fon moyen
, ne connoiffant perſonne en qui
l'on pût mettre plus ſeûrement en dépoſt
ſon honneur & ſa vie. De fi grandes
qualitez luy ontacquis en pluſieurs
temps de grands honneurs , & luy
avoient donné la confidence entiere de
la Reyne Mere , dont il a reçeu des
marques éclatantes par ſon Teftament
&par les dernieres actions de ſa vie..
Tant de choſes avantageuſes luy ont
attiréune conſidération particuliere du
Grand Prince qu'il ſert aujourd'huy.
On atoûjours admiré en luy une modération
ſans exemple , que la Fortune
& les Honneurs n'ont jamais pu cor
rompre ; mais parmy ces avantages il
doit compter celuy d'avoir un Fils qui
fert ſi bien & le Roy & l'Etat. Ie ne
m'étendray point davantage ſur les
grandes qualitez de ces deux Miniſtres,
ils font tous deux imcomparables, & je
diray ſeulement encor une fois ce que
toute laTerre doit publier avec moys
232 LE MERCVRE
Ce Chancelier choiſy par le plusgrand
des Roys pour remplir la premiere
Charge de ſon Royaume , a donné un
Homme à Sa Majesté qui ſçait parfaitement
executer toutes les volontez de
ce puiſſantMonarque,& qui fait reüiffirdes
chofer qui n'ont jamais eſté meditées
que par un ſi grand Roy , ny
executées que par un ſi grand Mini-
Are.
ALyon ce 6. Novembre 1677.
Table des Matieres contenuës.
en ce Volume.
Explication de l'Enigme duVII. Tome Mercure Galant.
Les Flechesd' Amour .
HRADE DE
Les Apparences Trompenses , Hitairdo
Rupture.
*1893
Imitation de la Galatée de Virgile.
Divers Détachemens de l'Armée de
Flandre..
Sonnetfur la Campagne des Ennemis en
Flandre. }
Confolation à M. de Montalſur la Le
vée du Siege de Charleroy.
Epitaphe de Citron tué devant Char-
Leroy:
Angmentation d'un Lieutenant &d'un
Enseigne dans lesquatre Compagnies
desGardes du Corps.
Prérogativesdela Lettre L.
Régal donné à SonAlteſſe Royale.
L'Adieu aux Muses.
Mort deM. Charpentier , Doyen du
GrandConfeil,
N
ع م س
TABLE .
Le Balde Campagne , ou les Illustres
Vendangeuſes ,Histoire.
Lettre à l'Auteur du Mercure Galant
touchant l'Explication de l'Enigme
du VII. Volume.
Le Philosophe Amant , Sonnet.
L'Hypocrite , Sonnet.
Vers Irreguliers fur les Rimes de l'i
dylle des Moutons.
Régal donnéàMeſſicurs del'Academie
Françoise,parMonsieur Colbert.
Versde M. l'Abbé Furetiere.
Inpromptu de M. Boyer.
Deux Illustres Autheurs quittent leur
occupation ordinaire pour travailler
àl'Histoire.
Madame vavoirprendreun Fort atta
qué & defendu par Meſſieurs les
Academistes de l' Academie de Bernardy.
Reproche amoureux.
Reſolution de ne plus aimer.
MortdeM. Boifvin du Vaurony Confeillerau
Parlement.
MortdeM. le Maye de la Couraudiere
Conseiller de la Cour des Aydes.
Avanture des Thuilleries.
DABLE.
Extrait de la Lettre d'un Solitaire.
Vers envoyez dansun Tome du Mercu
re Galant.
LeRoydonne àM. Faucon de Ris l'Intendance
du Bourbonnois.
MortdeMadame de Montauglan.
Tout ce qui s'est passé à Fontainebleau
pendant le Sejour que Leurs Majeſtezyontfait.
Cét Article contient
ceux des Comedies , Opéra , Bals ,
Plan d'une Collation, Chaffes , &la
maniere dont les Dames ont estépa
réesdanstous ces Divertiſſemens.
M. l'Evesque de MarseilleſalueleRoy
apresſon retour de Pologne.
Receptionfaite à EffoneàMonfieur le
Ducde Vermandois, &àMademoifelledeBlois
,parM. du Pin.
Retour deM. Courtin de fon Ambaſſade
d'Angleterre.
M. le Cardinat d'Estrée est envoyé
Ambassadeur Extraordinaire àRome.
Mariage deM.le Marquis de Beringhen,&
de Mademoiselled'Aumont.
Cequi s'estpasffépendant toute la Campagne
entre l'Armée du Roy com
TABLE.
mandéepar M.le Baron deMonolar,&
celle des Cercles
Tout cequi s'estfait en Flandre depuis
leMoisdernier
Airsfur la Danse nouvelle appellée la
Desforges.
Tout ce qui s'est passé àla lournée de
Kokberg, avec les Nomsde tous ceux
qui s'yfontfingnalez,& leurs actions
les plus remarquables.
Enigme.
Sonnet fur les Amours d'Apollon & de
Daphné.
Airde M. Lambert.
Mortde Monfieur Daligre, Chancelier
Garde des Sceaux de France.
LeRoy donne lamefme Chargeà Monfieur
leTellier ..
Fin de la Table
BIBLIOTHEQUE
/
LYON
100
AVIS.
B prie ceux qui m'ont fait la grace de
m'envoyer des Hiſtorietes , des Vers , &
d'autres Pieces Galantes , de ne ſe point
impatienter s'ils ne les trouvent pas dans
ceVolume. Comme j'en reçois de tous côtez
, il m'eſt impoſſible de mettre tout dans
lemeſme temps , & je fuis obligé de préferer
ce qui a le plus de rapport aux nouevllesdu
Moisdans lequel j'écris ; mais enfin
tout le monde aura fontour , & je n'ofteray
à perfonne lagloire qu'on doit attendredes
agreables choles qu'on me donne
pour embellir le Mercure.
Ceux qui l'acheteront , doivent prendre
garde qu'il ne ſoit pas d'une Impreffion
contrefaite. On l'imprime dans pluſieurs
Villehors du Royaume,ſur tout à Nimégue
& à Bruxelles , & l'on envoye des Exemplaires
contrefaits dans quelques Provincesde
France. Us ſont remplis de quantité
de fautes , comme le ſont ordinairement
tous les Livres que l'on contrefait avec
précipitation.Mais ce n'eſt pas le ſeul defaut
qu'ils ayent ; & fi l'on prend la peine de
les examiner , on les trouvera moins amples
que les veritables , parce que les Etrangers
ſupriment la plus grande partiede ce qui eſt
defavantageux à leur Nation , & glorieux à
laFrance.
1
Extrait du Privilege du Roy.
P A
rGrace & Privilege du Roy , Donné à
S.Germain en Laye le 15. Fevrier 1672.
Signé, Par le Roy en fon Conſeil, VILLET :
Il eſt permis au Sicur Dam de faire imprimer
, vendre & debiter par tel Imprimeur
& Libraire qu'il voudra choiſir , un Livre
• intitulé le MERCURE GALANT , en un ou
pluſieurs Volumes,pendant le temps de dix
ans entiers , àcompter du jour que chaque
Volume ſera achevé d'imprimer pour la
premiere fois. Et defenſes ſont faites de
contrefaire leſdits Volumes , à peine de fix
mille livres d'amande , ainſi que plus au
longil eſt porté eſdites Lettres.
Registrésur le Livre de la Communautéle
27. Février 1672 .
Signé, D. THIERRY, Syndic.
Ledit Sieur Dam a cedé ſon droit de
Privilege à THOMAS AMAULRY , Libraire,
ſuivant l'accord fait entr'eux .
Ο de cha-
N donnera un Tome du Nouveau Mercure
Galant , le fixième jour
queMois ,Sansaucun retardement.
Qualité de la reconnaissance optique de caractères
Soumis par lechott le