Titre d'après la table
Les Vocations forcées. Piece d'un Acte,
Fait partie d'une livraison
Fait partie d'une section
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557
Page de début dans la numérisation
136
Page de fin
567
Page de fin dans la numérisation
148
Incipit
Le Père Porée, Jesuite, celebre Professeur de Rhétorique, fit representer le mois passé par
Texte
E Père Porée , Jefuite , celebre Profeffeur de
Rhétorique , fit reprefenter le mois paffé par
les Rhétoriciens du College de Louis le Grand ,
une petite Piece Latine , d'un Acte , intitulée : les
Vocations forcées. Le deffein de l'Auteur a été
de faire voir qu'il eft d'une extrémne confequence
de laiffer à un jeune homme la liberté de fe choifir
le genre de vie auquel Dieu l'appelie , foit par
attrait , foit par raifon , ou plutôt par l'un &
Pautre tout à la fois.
PROA
158 MERCURE DE FRANCE.
+
PROLOGUE.
Le Ciel , en nous donnant la vie ,
Nous affervit aux mêmes lois ,
Mais pour le bien de la Patrie ,
Il nous forme à divers emplois.
L'un doit , à couvert des allarmes ,
Dicter les Arrêts de Thémis ;
L'autre , par la force des armes ,
Repouffer nos fiers ennemis .
Celui-ci , pour donner l'exemple ,
Revêtu d'un honneur facré ,
Doit faire réverer le Temple ,.
Où lui-même il eſt reveré.
Celui-là dans la folitude ,
Où l'Amour Divin la conduit ,
Doit mettre toute ſon étude ,
A fuir le monde qui le fuit.
En marquant ces routes diverſes ,
Le Ciel nous y veut faire entrer ,
Mais que nos volontez perverſes ,.
Font d'efforts pour nous égarer !
Nous entrons fouvent par caprice ,
Dans le chemin le plus battu ;
Et nous commençons par le vice ,.
Pour arriver à la vertu .
Souvent une force étrangère ,
Captive notre liberté ;
E
MARS.
1730. $59
Et l'on eft
par
le choix d'un Pere,
Ce qu'on n'auroit jamais été.
Encor fi ce choix étoit ſage ;
Mais , helas ! que confulte-t-on !
Le hazard , l'interêt , l'ufage ,
Et prefque jamais la raiſon.
En vain le Ciel & la Nature ,
Condamnent cet aveugle choix ;
En vain notre coeur en murmure
On n'en écoute point la voix .
Ainfi voit-on l'Enfant timide ,
Qui fur les lys devroit s'affeoir ,
Forcé par un ordre homicide ,
Porter la main à l'Encenſoir.
Ainfi l'on voit croupir fans gloire ,
Dans le crime ou dans le repos ,
Le Magiftrat que la victoire ,
Eût compté parmi fes Heros .
Ici,j'apperçois l'innocence .
Qu'on arrache aux facrez Autels ;
Et qu'une injufte violence ,
Immole à des Dieux criminels.
Là, je vois marcher la Victime,
Qu'on facrifie à l'interêt :
Une autorité légitime ,
Porte un illegitime Arrêt.
Peres cruels & parricides ,
Sufpendez un coupable effort
Songez que vous êtes nos guides ,
Nor
360 MERCURE DE FRANCE.
Non les maîtres de notre fort.
Vous pouvez nous montrer la route,
Où nous devons porter nos pas ;
La raifon veut qu'on vous écoute
Mais conduifez , ne forcez pás.
Un choix dont les périls extrêmes ,
Nous menacent bien plus que vous ;
Un choix qui fe fait
pour nous-mêmes
Ne doit pas fe faire fans nous.
Tels font les avis falutairės
Que nous allons donner ici.
Eft- ce à nous d'inftruire nos Peres
Ils s'inftruiront & nous auffi.
Noms & Perfonnages des Altars.
Thémifte , Homme de Robe. Claude Teffier.
Antinous , fils aîné de Thémifte. Emmanuel
de Duras.
Agathocle , fecond fils de Thémiste. Vincent.
Michel Magnons
Philocles , Officier , frere de Thémifte. Michel
Larcher.
Deuterophile , autre Homme de Robe. Jacques
Galland.
Théophile , fils de Deuterophile. Louis - Marie de
la Salle.
Théobule , faux Dévot & faux Sçavant. Eugene
Blondel d'Aubert.
André de Creil . Himaturgus , Tailleur.
Diaphanes , Valet de Thémiſte. Louis Déſpreménil.
Thémifte , ancien Magiftrat , a deux fils , Anfinous
MARS. 17307 561
tinous & Agathocle ; le premier eft de ces jeunes
gens qui à la vivacité de l'efprit , à la franchiſe
du coeur , à la nobleffe des fentimens & à l'aifance
des manieres , ne joignent que trop ordinairement
un fond de legereté , d'impétuofité ,
d'inapplication & d'opiniâtreté qui les rend en
nemis du travail & de la contrainte. Le fecond à
des moeurs plus douces , un naturel heureux , de
la pieté même & de la Religion , mais il appréhende
de s'engager dans un état qui demande
une vocation particuliere , & pour lequel il ne fe
fent aucun attrait . Le Pere cependant deſtine Antinous
à la Robe , quelqu'oppofée qu'elle foit à
fes penchants & à les qualitez naturelles. Il eft
Paîné , il faut qu'il entre dans la Magiftrature,
Agathocle fuivroit volontiers le Barreau & feroit
un fort bon Juge,le refpect au contraire dont il eft
penetré pour le facré Miniftere , lui en fait redouter
les faintes & pénibles fonctions. N'importe
, Thémifte ne confulte ni fon goût , ni fes
répugnances ; il eft cadet , il faut qu'il foit établi
dans l'Eglife. Leur fort eft ainfi reglé , de
Pavis d'un certain Théobule , homme adroit &
rufé , fourbe & impofteur , gagnant & imperieux
qui abufe de la confiance de Thémifte , & qui
fous le mafque d'une pieté apparente & d'un attachement
fimulé , cache la malice de l'ame la
plus baffe , la plus intereffée & la plus ambitieuſe.
Antinous & Agathocle , qui fçavent l'empire que
ce faux dévot a fur l'efprit de leur pere , ne peuvent
fe réfoudre à obéir dans fa perfonne à un
vifionnaire qu'ils déteftent. Ils ont recours à la
fageffe & à la tendreffe de leur oncle Philocles.
Ce brave Officier qui foutient dans toute la Piece
un caractere de probité , d'honneur & de zele
auquel l'Affemblée a donné de frequents applau
diffements , combat les préjugez de ſon frere fur
la
662 MERCURE DE FRANCE.
la deſtination de fes neveux. Thémiſte ſe récrie
d'abord à l'impieté , à la rebellion & au defordre;
il en appelle à la Nature , à la raiſon & à l'uſage.
Philocles a beau lui repréfenter que la Nature
defavouë , que la raifon condamne & que l'ufage
ne juftifie point le pere qui facrifie le bonheur de
fon fils à la cupidité ou à l'ambition ; que le
meilleur fujet devient fouvent dans une vocation
forcée , inutile à l'Etat & plus fouvent encore
à fa famille qu'il deshonore : le bon vieillard prévenu
& féduit , ne conçoit pas comment dans
une famille Patricienne l'aîné des enfans n'appartient
pas de droit naturel à la Robbe & le
cadet au Sacerdoce. Philocles en le quittant déplore
fon aveugle entêtement , & tâche de lui
infpirer quelque défiance fur la vertu , la droiture
& la doctrine prétenduë celeſte de fon Confident.
D
Théobule arrive dans ce moment & d'un coup
d'oeil jetté amoureufement vers le Ciel , accompagné
d'un foupir dévotement ménagé , il détruit
tout ce que Philocles à pú avancer ; puis prenant
un ton fententieux & emphatique : Le Ciel , dit-il
à Thémiftes , exige de vous en cette occafion
un coup d'autorité. Vous êtes pere , il est vrai ,
quand vos enfans font foumis à vos volontez
mais quand ils fe départent du respect & de
Fobéiffance , vous devez agir en maître & en
fouverain.Le Magiftrat pouffé par les fuggeſtions
de cet homme frauduleux , fait comparoître devant
lui Antinous . & Agathocles. Il dit à l'Aîné
qu'il veut & prétend qu'il foit homme de Robe
& déclare au cadet qu'il va inceffamment le confacrer
au fervice des Autels. Les deux freres font
confternez , & paroiffent comme frappez de la
foudre. L'aîné parle ferme & refifte. Le cadet
fond en larmes , & reprefente. Tous deux , après
Pavoir affuré du refpect infini qu'ils ont pour les
$
ordres
MARS. 1730. 563
ordres , le conjurent de pefer mûrement ce qu'il
eft en droit de leur commander , & ce que de
leur côté ils peuvent ou doivent executer. Cet endroit
, qui eſt un des plus critiques de toute la
Piece , eft manié avec tant d'art , de fineffe & de
difcretion , que les peres ne fçauroient s'en offenfer
, ni les enfans s'en prévaloir.
Thémifte , irrité du refus opinâtre d'Antinous,
le chaffe de fa prefence , & lui deffend de paroîtte
devant fes yeux. Celui-ci prend cet ordre rigoureux
à la lettre , & fonge déja à fuir loin de la
maifon paternelle . On en avertit fon oncle , qui
l'arrête & le mene chez un de fes amis , où il le
fait garder, Cependant le pere donne fes ordres à
Diaphanes , fon Valet , de faire venir promptement
le Tailleur pour prendre la meſure d'un
habit Ecclefiaftique à fon fils Agathocle . Enſuite
il fe retire dans fon Appartement , où en ouvrant
de Livre divin dont Théobule lui a fi fort recommandé
la lecture , il trouve une Lettre que fon
fils Antinous avoit inferée avant que
y
de partir;
elle eft conçue en ces tetmes : J'obéis enfin , mor
pere, & puifque vous me le commandez , je
dérobe à votre colere un fils qui a le malheur
de vous déplaire. Eloigné de vous .. Thémiſte
ne fe donne pas le temps de lire la Lettre toute
entiere , & retourne auffi - tôt fur le Théatre , où
il rencontre Agatocle , triftement occupé des préparatifs
de fa nouvelle métamorphofe ; dans le
trouble où il eft , il ne fe fouvient plus de l'ordre
qu'il a donné , & renvoye le Tailleur . Il demande
des nouvelles d'Antinous , & perfonne ne peut
lui apprendre ni quand , ni comment , ni en quel
lieu il s'eft enfui. Agatocle demande auffi-tôt la
permiffion de l'aller chercher. Diaphanes eft chargé
de cette commiffion. Le pere lit une feconde
fois la Lettre , & peint fur fon vifage, en la lifant,
?.
•
aufli
564 MERCURE DE FRANCE .
uffi - bien que dans les paroles qui lui échappént,
l'amour , la colere , la crainte , l'efperance , l'indignation
& la pitié qui l'agitent tour à tour.
Ici l'Auteur Dramatique triomphe & fe fert
avec avantage de la connoiffance qu'il a du coeur
humain. Philocles arrive fur ces entrefaites &
profite de Perreur de fon frere pour lui faire de
juftes reproches fur fon infenfibilité , ſa ſimplicité
& fa prévention. Allez maintenant , lui ditil,
allez vous confoler avec votre cher Théobule,
fuivez encore fes bons confeils , vous en voyez
le fruit , &c. Enfin après l'avoir amené au point
de repentir & de docilité neceffaire pour en être
écouté favorablement , il lui déclare que le jeune
Deferteur n'eft pas fi loin qu'il fe l'imagine ; mais
qu'il ne peut le lui rendre qu'à deux conditions.
La premiere, qu'il ne le forcera point d'embraffer
un genre de vie pour lequel il marque tant de répugnance.
La feconde condition eft que l'entrée
de fa maifon fera interdite à ce brouillon , qui y
met le trouble & la divifion . Ce fecond article
fouffre quelque difficulté de la part de Thémiſte
qui n'y foufcrit qu'avec peine; mais que ne fait- on
pas pour recouvrer un fils que l'on chérit tendrement
! Thémiſte promet tout , confent à tout.
A peine fa parole en eft -elle donnée , que Diaphanes
vient annoncer Théobule. Rien de plus
comique que l'embarras du Maître en ce moment
le laiffera -t-il entrer ou lui fera-t-il dire
qu'il ne peut le voir ? Il veut & ne veut pas ;
ofe & n'ofe point. Philocles fe divertit de fa foibleffe
, & puis pour fe donner un autre plaifir ,
non moins fenfible , qui eft de faire connoître
à un fourbe que l'on n'eft point fa duppe , il or
donne à Diaphanes d'introduire Théobule. Le
benin perfonnage s'avance d'un air modeſte &
falue les deux freres avec un compliment qui s'adreg
il
MARS. 1730. 566
reffe à l'un & à l'autre ; l'Officier y répond par
une grande réverence , & entre d'abord en matiere
fur des connoiffances qu'il a eues par le
Valet. Il fait à l'homme de bien plufieurs queftions
qui le furprennent & l'inquietent. Sa furprife
& fon trouble augmentent , lorfqu'il apperçoit
qu'on eft inftruit du revenu de certain Benefice
qu'il avoit envie de faire réfigner à Agathocles
, & du partage , fans doute , qu'il fe propofoit
d'en faire. Confus &-outré de douleur de
voir la mine éventée , il fe plaint qu'on l'outrage
qu'on le prend pour quelqu'autre , que l'on infulte
à fa Religion , & là -deffus il fe retire.
le
Théobule étant ainfi congedié , Thémifte &
Philocles raiſonnent enſemble, & conviennent que
puifque Paîné ne veut point de la Charge que
pere exerce , il faut la faire paffer à fon frere
Agathocle , & laiffer prendre le parti des Armes
à Antinous. Ils confultent l'inclination d'Agathocle
, & la trouvent conforme à leur arrangement.
Philocles va chercher lui -même Antinous,
qui fe jette en entrant aux pieds de fon pere pour
fui demander pardon de la faute qu'il a commife.
Thémifte le releve , & après une legere répri
mande qu'il n'a pas même le courage de lui faire
il accorde au coupable fa grace , & l'interroge
fçavoir , s'il confent à ce que fon cadet ait la
Charge qui lui étoit deftinée , comme à l'aîné
de la famille. Antinous protefte qu'il en eft ravi ;
qu'il aime fon frere , & qu'il ne défire rien tant
que de le voir heureux. Thémifte voudroit auffi
lui annoncer fon fort & le fonder fur la profeffon
militaire ; mais Philocles qui fçait combien
la licence des armes eft pour de jeunes coeurs un
appas féduifant , détourne la converfation & fait
Agne à fon neveu de réiterer fes excufes & fes
zemercimens. Themifte embraffe fes deux fils, &
?
Jep
366 MERCURE DE FRANCE .
les renvoye contens , & charmez de leur nouvelle
deftinée. Le Magiftrat plus content qu'eux d'avoir
fi aifément & fi naturellement procuré leur
felicité , rend graces à fon frere de la joye & de la
paix qu'il goute ; il lui promet de ne plus fuivre à
l'avenir d'autres avis que les fiens . Philocles profite
de ce dernier moment d'une action ſi inſtructive
pour lui donner les leçons les plus fenſées fur la
Vocation des enfans . Enfin adreffant la parole à
ceux-cy , il les avertit de ne point s'engager témerairement
dans aucun état , d'en remplir conftammint
tous les devoirs lorfqu'ils s'y feront engagez
& de juftifier par leur perfeverance le
choix qu'ils auront fait prudemment , librement
& courageufement.
Pour ne rien omettre de ce qui regarde les vocations
forcées , l'Auteur a introduit dans fa
Piece deux Perfonnages épifodiques. L'un eft
d'un jeune homme , ( Théophile ) qui ayant
beaucoup d'agrémens exterieurs & de qualitez
capables de briller aux yeux du monde , fonge
à la retraite pour laquelle il fe fent un attrait puiffant
; l'autre, du pere de ce jeune homme, ( Ďeuterophile
) qui voudroit le retenir dans le monde
& qui ne feroit pas fàché que fon fils aîné prît le
parti de la folitude , parce qu'il n'a pas certains
avantages du corps , quoi qu'il ait tous les talens
de l'efprit toutes les qualitez du coeur neceffaires
pour faire un bon Citoyen , utile à fa famille
& à fa Patrie . Thémifte lui donne fur cela des
avis fages , & fait voir que tel qui penſe mal fur
la deftination de fes propres enfans , peut raifonner
jufte fur ce qui regarde l'établiſſement des
enfans d'autrui.
On peut dire que cette Comedie Latine qui a
merité les éloges d'un grand nombre de Conaoiffeurs
, n'a rien perdu de fa beauté dans la ré
préſentation
1"
候
MAR S. 1720.
F
7
préfentation. Elle a été précedée d'une espece de
Paftorale fur la Naiflance de Monfeigneur le
Dauphin. Ce fujet fut celebré dans plufieurs Idyles
récitées par des Bergers. Il feroit à fouhaiter
que ceux d'entre les Rhetoriciens qui ont le plus
travaillé à ces Poëfies , vouluffent bien en faire
part au Public , & prendre déja leur place fur le
Parnaffe. En attendant nous tirerons du Programe
imprimé les Vers qui ont été chantez après
les Idyles ,fur un Air compofé par M. Campra
qu'on trouvera ici gravé.
Rhétorique , fit reprefenter le mois paffé par
les Rhétoriciens du College de Louis le Grand ,
une petite Piece Latine , d'un Acte , intitulée : les
Vocations forcées. Le deffein de l'Auteur a été
de faire voir qu'il eft d'une extrémne confequence
de laiffer à un jeune homme la liberté de fe choifir
le genre de vie auquel Dieu l'appelie , foit par
attrait , foit par raifon , ou plutôt par l'un &
Pautre tout à la fois.
PROA
158 MERCURE DE FRANCE.
+
PROLOGUE.
Le Ciel , en nous donnant la vie ,
Nous affervit aux mêmes lois ,
Mais pour le bien de la Patrie ,
Il nous forme à divers emplois.
L'un doit , à couvert des allarmes ,
Dicter les Arrêts de Thémis ;
L'autre , par la force des armes ,
Repouffer nos fiers ennemis .
Celui-ci , pour donner l'exemple ,
Revêtu d'un honneur facré ,
Doit faire réverer le Temple ,.
Où lui-même il eſt reveré.
Celui-là dans la folitude ,
Où l'Amour Divin la conduit ,
Doit mettre toute ſon étude ,
A fuir le monde qui le fuit.
En marquant ces routes diverſes ,
Le Ciel nous y veut faire entrer ,
Mais que nos volontez perverſes ,.
Font d'efforts pour nous égarer !
Nous entrons fouvent par caprice ,
Dans le chemin le plus battu ;
Et nous commençons par le vice ,.
Pour arriver à la vertu .
Souvent une force étrangère ,
Captive notre liberté ;
E
MARS.
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Et l'on eft
par
le choix d'un Pere,
Ce qu'on n'auroit jamais été.
Encor fi ce choix étoit ſage ;
Mais , helas ! que confulte-t-on !
Le hazard , l'interêt , l'ufage ,
Et prefque jamais la raiſon.
En vain le Ciel & la Nature ,
Condamnent cet aveugle choix ;
En vain notre coeur en murmure
On n'en écoute point la voix .
Ainfi voit-on l'Enfant timide ,
Qui fur les lys devroit s'affeoir ,
Forcé par un ordre homicide ,
Porter la main à l'Encenſoir.
Ainfi l'on voit croupir fans gloire ,
Dans le crime ou dans le repos ,
Le Magiftrat que la victoire ,
Eût compté parmi fes Heros .
Ici,j'apperçois l'innocence .
Qu'on arrache aux facrez Autels ;
Et qu'une injufte violence ,
Immole à des Dieux criminels.
Là, je vois marcher la Victime,
Qu'on facrifie à l'interêt :
Une autorité légitime ,
Porte un illegitime Arrêt.
Peres cruels & parricides ,
Sufpendez un coupable effort
Songez que vous êtes nos guides ,
Nor
360 MERCURE DE FRANCE.
Non les maîtres de notre fort.
Vous pouvez nous montrer la route,
Où nous devons porter nos pas ;
La raifon veut qu'on vous écoute
Mais conduifez , ne forcez pás.
Un choix dont les périls extrêmes ,
Nous menacent bien plus que vous ;
Un choix qui fe fait
pour nous-mêmes
Ne doit pas fe faire fans nous.
Tels font les avis falutairės
Que nous allons donner ici.
Eft- ce à nous d'inftruire nos Peres
Ils s'inftruiront & nous auffi.
Noms & Perfonnages des Altars.
Thémifte , Homme de Robe. Claude Teffier.
Antinous , fils aîné de Thémifte. Emmanuel
de Duras.
Agathocle , fecond fils de Thémiste. Vincent.
Michel Magnons
Philocles , Officier , frere de Thémifte. Michel
Larcher.
Deuterophile , autre Homme de Robe. Jacques
Galland.
Théophile , fils de Deuterophile. Louis - Marie de
la Salle.
Théobule , faux Dévot & faux Sçavant. Eugene
Blondel d'Aubert.
André de Creil . Himaturgus , Tailleur.
Diaphanes , Valet de Thémiſte. Louis Déſpreménil.
Thémifte , ancien Magiftrat , a deux fils , Anfinous
MARS. 17307 561
tinous & Agathocle ; le premier eft de ces jeunes
gens qui à la vivacité de l'efprit , à la franchiſe
du coeur , à la nobleffe des fentimens & à l'aifance
des manieres , ne joignent que trop ordinairement
un fond de legereté , d'impétuofité ,
d'inapplication & d'opiniâtreté qui les rend en
nemis du travail & de la contrainte. Le fecond à
des moeurs plus douces , un naturel heureux , de
la pieté même & de la Religion , mais il appréhende
de s'engager dans un état qui demande
une vocation particuliere , & pour lequel il ne fe
fent aucun attrait . Le Pere cependant deſtine Antinous
à la Robe , quelqu'oppofée qu'elle foit à
fes penchants & à les qualitez naturelles. Il eft
Paîné , il faut qu'il entre dans la Magiftrature,
Agathocle fuivroit volontiers le Barreau & feroit
un fort bon Juge,le refpect au contraire dont il eft
penetré pour le facré Miniftere , lui en fait redouter
les faintes & pénibles fonctions. N'importe
, Thémifte ne confulte ni fon goût , ni fes
répugnances ; il eft cadet , il faut qu'il foit établi
dans l'Eglife. Leur fort eft ainfi reglé , de
Pavis d'un certain Théobule , homme adroit &
rufé , fourbe & impofteur , gagnant & imperieux
qui abufe de la confiance de Thémifte , & qui
fous le mafque d'une pieté apparente & d'un attachement
fimulé , cache la malice de l'ame la
plus baffe , la plus intereffée & la plus ambitieuſe.
Antinous & Agathocle , qui fçavent l'empire que
ce faux dévot a fur l'efprit de leur pere , ne peuvent
fe réfoudre à obéir dans fa perfonne à un
vifionnaire qu'ils déteftent. Ils ont recours à la
fageffe & à la tendreffe de leur oncle Philocles.
Ce brave Officier qui foutient dans toute la Piece
un caractere de probité , d'honneur & de zele
auquel l'Affemblée a donné de frequents applau
diffements , combat les préjugez de ſon frere fur
la
662 MERCURE DE FRANCE.
la deſtination de fes neveux. Thémiſte ſe récrie
d'abord à l'impieté , à la rebellion & au defordre;
il en appelle à la Nature , à la raiſon & à l'uſage.
Philocles a beau lui repréfenter que la Nature
defavouë , que la raifon condamne & que l'ufage
ne juftifie point le pere qui facrifie le bonheur de
fon fils à la cupidité ou à l'ambition ; que le
meilleur fujet devient fouvent dans une vocation
forcée , inutile à l'Etat & plus fouvent encore
à fa famille qu'il deshonore : le bon vieillard prévenu
& féduit , ne conçoit pas comment dans
une famille Patricienne l'aîné des enfans n'appartient
pas de droit naturel à la Robbe & le
cadet au Sacerdoce. Philocles en le quittant déplore
fon aveugle entêtement , & tâche de lui
infpirer quelque défiance fur la vertu , la droiture
& la doctrine prétenduë celeſte de fon Confident.
D
Théobule arrive dans ce moment & d'un coup
d'oeil jetté amoureufement vers le Ciel , accompagné
d'un foupir dévotement ménagé , il détruit
tout ce que Philocles à pú avancer ; puis prenant
un ton fententieux & emphatique : Le Ciel , dit-il
à Thémiftes , exige de vous en cette occafion
un coup d'autorité. Vous êtes pere , il est vrai ,
quand vos enfans font foumis à vos volontez
mais quand ils fe départent du respect & de
Fobéiffance , vous devez agir en maître & en
fouverain.Le Magiftrat pouffé par les fuggeſtions
de cet homme frauduleux , fait comparoître devant
lui Antinous . & Agathocles. Il dit à l'Aîné
qu'il veut & prétend qu'il foit homme de Robe
& déclare au cadet qu'il va inceffamment le confacrer
au fervice des Autels. Les deux freres font
confternez , & paroiffent comme frappez de la
foudre. L'aîné parle ferme & refifte. Le cadet
fond en larmes , & reprefente. Tous deux , après
Pavoir affuré du refpect infini qu'ils ont pour les
$
ordres
MARS. 1730. 563
ordres , le conjurent de pefer mûrement ce qu'il
eft en droit de leur commander , & ce que de
leur côté ils peuvent ou doivent executer. Cet endroit
, qui eſt un des plus critiques de toute la
Piece , eft manié avec tant d'art , de fineffe & de
difcretion , que les peres ne fçauroient s'en offenfer
, ni les enfans s'en prévaloir.
Thémifte , irrité du refus opinâtre d'Antinous,
le chaffe de fa prefence , & lui deffend de paroîtte
devant fes yeux. Celui-ci prend cet ordre rigoureux
à la lettre , & fonge déja à fuir loin de la
maifon paternelle . On en avertit fon oncle , qui
l'arrête & le mene chez un de fes amis , où il le
fait garder, Cependant le pere donne fes ordres à
Diaphanes , fon Valet , de faire venir promptement
le Tailleur pour prendre la meſure d'un
habit Ecclefiaftique à fon fils Agathocle . Enſuite
il fe retire dans fon Appartement , où en ouvrant
de Livre divin dont Théobule lui a fi fort recommandé
la lecture , il trouve une Lettre que fon
fils Antinous avoit inferée avant que
y
de partir;
elle eft conçue en ces tetmes : J'obéis enfin , mor
pere, & puifque vous me le commandez , je
dérobe à votre colere un fils qui a le malheur
de vous déplaire. Eloigné de vous .. Thémiſte
ne fe donne pas le temps de lire la Lettre toute
entiere , & retourne auffi - tôt fur le Théatre , où
il rencontre Agatocle , triftement occupé des préparatifs
de fa nouvelle métamorphofe ; dans le
trouble où il eft , il ne fe fouvient plus de l'ordre
qu'il a donné , & renvoye le Tailleur . Il demande
des nouvelles d'Antinous , & perfonne ne peut
lui apprendre ni quand , ni comment , ni en quel
lieu il s'eft enfui. Agatocle demande auffi-tôt la
permiffion de l'aller chercher. Diaphanes eft chargé
de cette commiffion. Le pere lit une feconde
fois la Lettre , & peint fur fon vifage, en la lifant,
?.
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aufli
564 MERCURE DE FRANCE .
uffi - bien que dans les paroles qui lui échappént,
l'amour , la colere , la crainte , l'efperance , l'indignation
& la pitié qui l'agitent tour à tour.
Ici l'Auteur Dramatique triomphe & fe fert
avec avantage de la connoiffance qu'il a du coeur
humain. Philocles arrive fur ces entrefaites &
profite de Perreur de fon frere pour lui faire de
juftes reproches fur fon infenfibilité , ſa ſimplicité
& fa prévention. Allez maintenant , lui ditil,
allez vous confoler avec votre cher Théobule,
fuivez encore fes bons confeils , vous en voyez
le fruit , &c. Enfin après l'avoir amené au point
de repentir & de docilité neceffaire pour en être
écouté favorablement , il lui déclare que le jeune
Deferteur n'eft pas fi loin qu'il fe l'imagine ; mais
qu'il ne peut le lui rendre qu'à deux conditions.
La premiere, qu'il ne le forcera point d'embraffer
un genre de vie pour lequel il marque tant de répugnance.
La feconde condition eft que l'entrée
de fa maifon fera interdite à ce brouillon , qui y
met le trouble & la divifion . Ce fecond article
fouffre quelque difficulté de la part de Thémiſte
qui n'y foufcrit qu'avec peine; mais que ne fait- on
pas pour recouvrer un fils que l'on chérit tendrement
! Thémiſte promet tout , confent à tout.
A peine fa parole en eft -elle donnée , que Diaphanes
vient annoncer Théobule. Rien de plus
comique que l'embarras du Maître en ce moment
le laiffera -t-il entrer ou lui fera-t-il dire
qu'il ne peut le voir ? Il veut & ne veut pas ;
ofe & n'ofe point. Philocles fe divertit de fa foibleffe
, & puis pour fe donner un autre plaifir ,
non moins fenfible , qui eft de faire connoître
à un fourbe que l'on n'eft point fa duppe , il or
donne à Diaphanes d'introduire Théobule. Le
benin perfonnage s'avance d'un air modeſte &
falue les deux freres avec un compliment qui s'adreg
il
MARS. 1730. 566
reffe à l'un & à l'autre ; l'Officier y répond par
une grande réverence , & entre d'abord en matiere
fur des connoiffances qu'il a eues par le
Valet. Il fait à l'homme de bien plufieurs queftions
qui le furprennent & l'inquietent. Sa furprife
& fon trouble augmentent , lorfqu'il apperçoit
qu'on eft inftruit du revenu de certain Benefice
qu'il avoit envie de faire réfigner à Agathocles
, & du partage , fans doute , qu'il fe propofoit
d'en faire. Confus &-outré de douleur de
voir la mine éventée , il fe plaint qu'on l'outrage
qu'on le prend pour quelqu'autre , que l'on infulte
à fa Religion , & là -deffus il fe retire.
le
Théobule étant ainfi congedié , Thémifte &
Philocles raiſonnent enſemble, & conviennent que
puifque Paîné ne veut point de la Charge que
pere exerce , il faut la faire paffer à fon frere
Agathocle , & laiffer prendre le parti des Armes
à Antinous. Ils confultent l'inclination d'Agathocle
, & la trouvent conforme à leur arrangement.
Philocles va chercher lui -même Antinous,
qui fe jette en entrant aux pieds de fon pere pour
fui demander pardon de la faute qu'il a commife.
Thémifte le releve , & après une legere répri
mande qu'il n'a pas même le courage de lui faire
il accorde au coupable fa grace , & l'interroge
fçavoir , s'il confent à ce que fon cadet ait la
Charge qui lui étoit deftinée , comme à l'aîné
de la famille. Antinous protefte qu'il en eft ravi ;
qu'il aime fon frere , & qu'il ne défire rien tant
que de le voir heureux. Thémifte voudroit auffi
lui annoncer fon fort & le fonder fur la profeffon
militaire ; mais Philocles qui fçait combien
la licence des armes eft pour de jeunes coeurs un
appas féduifant , détourne la converfation & fait
Agne à fon neveu de réiterer fes excufes & fes
zemercimens. Themifte embraffe fes deux fils, &
?
Jep
366 MERCURE DE FRANCE .
les renvoye contens , & charmez de leur nouvelle
deftinée. Le Magiftrat plus content qu'eux d'avoir
fi aifément & fi naturellement procuré leur
felicité , rend graces à fon frere de la joye & de la
paix qu'il goute ; il lui promet de ne plus fuivre à
l'avenir d'autres avis que les fiens . Philocles profite
de ce dernier moment d'une action ſi inſtructive
pour lui donner les leçons les plus fenſées fur la
Vocation des enfans . Enfin adreffant la parole à
ceux-cy , il les avertit de ne point s'engager témerairement
dans aucun état , d'en remplir conftammint
tous les devoirs lorfqu'ils s'y feront engagez
& de juftifier par leur perfeverance le
choix qu'ils auront fait prudemment , librement
& courageufement.
Pour ne rien omettre de ce qui regarde les vocations
forcées , l'Auteur a introduit dans fa
Piece deux Perfonnages épifodiques. L'un eft
d'un jeune homme , ( Théophile ) qui ayant
beaucoup d'agrémens exterieurs & de qualitez
capables de briller aux yeux du monde , fonge
à la retraite pour laquelle il fe fent un attrait puiffant
; l'autre, du pere de ce jeune homme, ( Ďeuterophile
) qui voudroit le retenir dans le monde
& qui ne feroit pas fàché que fon fils aîné prît le
parti de la folitude , parce qu'il n'a pas certains
avantages du corps , quoi qu'il ait tous les talens
de l'efprit toutes les qualitez du coeur neceffaires
pour faire un bon Citoyen , utile à fa famille
& à fa Patrie . Thémifte lui donne fur cela des
avis fages , & fait voir que tel qui penſe mal fur
la deftination de fes propres enfans , peut raifonner
jufte fur ce qui regarde l'établiſſement des
enfans d'autrui.
On peut dire que cette Comedie Latine qui a
merité les éloges d'un grand nombre de Conaoiffeurs
, n'a rien perdu de fa beauté dans la ré
préſentation
1"
候
MAR S. 1720.
F
7
préfentation. Elle a été précedée d'une espece de
Paftorale fur la Naiflance de Monfeigneur le
Dauphin. Ce fujet fut celebré dans plufieurs Idyles
récitées par des Bergers. Il feroit à fouhaiter
que ceux d'entre les Rhetoriciens qui ont le plus
travaillé à ces Poëfies , vouluffent bien en faire
part au Public , & prendre déja leur place fur le
Parnaffe. En attendant nous tirerons du Programe
imprimé les Vers qui ont été chantez après
les Idyles ,fur un Air compofé par M. Campra
qu'on trouvera ici gravé.
Langue
Vers et prose
Type d'écrit journalistique
Courrier des lecteurs
Faux
Mots clefs
Domaine