Titre
LETTRE du R. P. Dom Augustin Calmet, Abbé de Senones, au sujet de la Prophétie attribuée au Roy David, &c.
Titre d'après la table
Lettre de D. Calmet, sur la Prophetie attribuée au Roy David,
Fait partie d'une livraison
Fait partie d'une section
Page de début
891
Page de début dans la numérisation
66
Page de fin
901
Page de fin dans la numérisation
76
Incipit
MONSIEUR, J'ai reçu avec reconnoissance les deux volumes de votre
Texte
LETTRE du R. P. Dom Augustin
Calmet , Abbé de Senones , au sujet de
la Prophétie attribuée au Roy David, & c.
MoxONSIEUR ,
J'ai reçu avec reconnoissance les deux
volumes de votre Journal , dans lesquels
sont deux Lettres , l'une de vous , Monsieur
, et l'autre du R. P. Tournemine ,
sur ces paroles du Pseaume XCV v. 19.
Dicite in gentibus, quia Dominus regnavis
&c. Il est question de sçavoir si ces mots:
regnavit à ligno , que l'on explique du
Regne de J. C. par sa Croix , sçavoir
dis-je , si ces mots à ligno étoient originairement
au moins dans quelques.
Exemplaires du texte Hebreu ,si les Septante
interprêtes les y ont lûs , et les ont
inserez dans leur version ,, si c'est delà
qu'ils sont passez dans les anciennes Editions
latines , où la plûpart des anciens
Peres Latins , jusqu'au neuvième siècle
les ont lûs , ou si c'est une addition faite
après coup par quelques Chrétiens dans
certains Exemplaires grecs , d'où elle seroit
passée dans les Bibles latines , ou au
•
C vj
con-
ا ه س
892 MERCURE DE FRANCE
contraire , si ces mots ayant d'abord été
mis dans quelques Exemplaires latins
seroient passez dans quelques Exemplaires
grecs des Septante ; vous m'avez fait
l'honneur , Monsieur , de me citer dans
la Lettre que vous avez écrite sur ce sujet
, imprimée dans le Mercure d'Août
du mois dernier , et vous souhaitez que
je vous dise mon sentiment sur la Réponse
du R P. Tournemine , inserée dans
votre mois de Septembre suivant.
J'ai reçu tant de marques de bienveillance
du R. P. Tournemine pendant mon
séjour à Paris , il a annoncé mes Ouvrages
dans ses Journaux d'une maniere si
honnête et si polie , que je ne puis me
résoudre à entrer avec lui dans aucune
contestation . Si donc vous jugez à propos
de faire quelque usage de ce que j'ai
l'honneur de vous écrire , je vous prie de
le lui communiquer auparavant et de
lui déclarer que je le rends absolument
le maître de tout. Avec cette condition ,.
je vais vous exposer ce que je pense sur
le sujet en question.
Le R. P. T. dit qu'il est certain que le
Texte des Septante sur lequel l'ancienne
Version italique a été faite , version qui est
sûrement du premier siècle de l'Eglise , consenoit
de que l'Auteur de la version a traduit
MAY. 1734.
893
duit , à ligno ; pour le prouver il dit
1° . Que ces termes à ligno , se lisoient
dans l'ancienne version italique , 2 °. Que
S. Justin les lisoit dans ses Exemplaires
des LXX. 3 °. Que Cassiodore
soutient
la même leçon par l'autorité des L X X.
4°. Que S. Ephrem les lisoit aussi dans
la version Siriaque , faite dès les premiers
siécles de l'Eglise sur celle des LXX.
5°. Qu'Origene
ayant un Texte Hebreu
pareil à celui que nous avons aujourd'hui
,
crut qu'il falloit corriger le Texte des
LXX. sur ce Texte , et sur les autres
versions grecques ; et que S. Jerôme embrassa
le sentiment d'Origene , et eût de
la peine à le faire passer dans les Eglises
d'Occident. Examinons toutes ces preuves
.
1º. Est- il bien certain que l'ancienne
version des Septante contenoit ces mots ,
à ligno ? quelle raison en apporte-t'on !
on ne connoît ni Edition ni Manuscrit
qui les porte , le Manuscrit grec Alexandrin
, imprimé à Oxfort en 1707. qui
passe pour un des plus anciens qui soient
dans le monde,et où l'on voit les Obéles
et les Asterisques d'Origene, ne le marque
point , quoique dans le même verset dont
nous parlons , on ait marqué d'un obéle
la particule quia ri , qui n'est pas
dans
l'he
894 MERCURE DE FRANCE
l'hebreu. On ne le voit point non plus
dans ceux de Rome , qu'a suivi Nobilius
, ni dans ceux d'Alde , ni dans ceux
sur lesquels ont travaillé le P. Morin et
M. Bos , et dont ils raportent les Variantesdans
lesEditions qu'ils ont donnéesde
la version desSeptante.
Seroit- il possible que ces termes si favorables
au Christianisme , eussent été
effacez si universellement de tous les
Exemplairesqu'il n'en restât aucun vestige
, ni dans les Manuscrits les plus anciens
, ni dans les Peres ? Qu'Origene
Saint Clement d'Alexandrie ,Saint Irenée,
Eusebe de Cesarée , Saint Athanase , Saint
Chrysostome , les Chaînes grecques sur
les P'seaumes, n'eussent pas fait mention
de cette varieté ? On n'en voit rien dans
la nouvelle Edition d'Origene , dans laquelle
on a ramassé avec soin tout ce
qu'on a trouvé de lui épars en differens
endroits.
Les anciens Traducteurs grecs, Aquilay
Symmaque , et Theodotion , ne l'ont pas
fu , non plus que le Paraphraste Chaldéen,
ni l'ancienne Version Siriaque faite
sur l'hebreu ; ni les Apôtres , ni les hom
mes Apostoliques , n'ont point cité ce
passage avec l'addition , à ligno , quoique
si propre à convaincre les Juifs et les
Payens
MAY. 1734 855
Payens . Enfin les Eglises d'Orient ne
l'ont jamais lû dans leur Office ; d'où je
crois avoir lieu de conclure qu'il n'étoit
originairement, ni dans le Texte hebreu,
ni dans laVersion des Septante.
" 2º. J'avoue que ces termes à ligno
se lisoient dans l'ancienne Version italique
, que plusieurs Peres Latins les ont
lûs dans leurs Exemplaites , et que malgré
la réforme de Saint Jerôme , ont les
a chantés dans lesEglises latines pendant
près de neuf siécles , et encore les chantet'on
aujourd'hui dans l'Hymne Vexilla
Regis mais cela ne me persuade pas que,
ni l'hebreu , ni le grec des Septante ait
porté à ligno : je soupçonnerois bien plutôt
que quelque Chrétien du premier
siécle par une fraude pieuse , auroit inseré
ces termes dans quelque Pseautier Grec,
ou dans le Latin ; comme on a composé
dans le même tems le quatriéme Livre
d'Esdras , le Testament des douze Patriarches
, l'Evangile de l'Enfance de J. C.
et peut-être le fameux Passage de Joseph,
où il est parlé du Sauveur , et tant d'autres
Monuments anciens dont la supposition
est aujourd'hui reconnuë et avouée.
3 °. On soutient que Saint Justin le
Martyr lisoit l'addition à ligno , dans ses
Exemplaires des Septante. Če Saint accusoir
896 MERCURE DE FRANCE
soit hautement les Juifs de l'avoir retranché
de leurs Exemplaires hebreux , en
haine de J. C. et des Chrétiens. Tryphon
son Interlocuteur , qui étoit Juif , soutient
ce retranchement incroyable , sans
s'expliquer davantage ; ni lui ni Saint
Justin n'avoient pas en main les Exemplaires
ni grecs ni hebreux , pour les confronter.
Or dans ces sortes de disputes il faut
avoir piéces en main ; l'un avance , l'autre
nie , à qui croire ? Saint Justin ne
sçavoit pas l'hebreu , ni aparemment
Tryphon , ils n'étoient point à portée
des Bibliotéques , disputants à la campagne
et sur le bord de la Mer ; or il auroit
fallu pour décider la question consulter
plusieurs Exemplaires en l'une et en l'autre
Langu , et les comparer l'un à l'autre.
Saint Justin avance hardiment que les
Septante avoient lû à ligno : comme la
chose importoit peu à Tryphon , il n'en
demande point de preuves , mais il nie
que les Juifs ayent retranché ces termes
de leur Texte , sans en donner non plus
aucune raison ; d'ailleurs il paroît que
Saint Justin n'étoit nullement Critique ,
et si l'on exigeoit de lui des preuves de
tout ce qu'il avance principalement contre
les Juifs , il lui seroit certainement
malMAY
. 1734. 897
malaisé d'en donner ; il est tout aussi
croyable que les termes à ligno soient
passez du latin dans quelques Exemplaires
grecs , que non pas qu'ils soient passez
du Grec dans le Latin.
4°. Cassiodore sur le Pseaume XCV.
V. 10. lit Dominus regnavit : à ligno , et il
ajoûte à ligno : alii quidem non habent .
interpretes , sed nobis sufficit quod L X X.
Interpretum autoritate firmatum est : voilà
qui est précis et décisif : mais qui croira .
sur l'autorité de Cassiodore , qu'au sixième
siécle où il vivoit , le Texte des Septante
eut communément porté à ligno , pendant
que tous les Peres Grecs qui avoient.
écrit avant lui , ne lisoient point cette
addition , et qu'aucun de nos Exemplaires
grecs d'aujourd'hui , qui sont copiez
sur ceux de son temps , ne le porte.
5°. On dit que Saint Ephrem lisoit :
à ligno, dans les Exemplaires Syriaques de
son Eglise , puisqu'il le cite ainsi dans
son Sermon de la Croix. Il est vrai que
ce Saint lit : Dominus regnavit à ligno :
dans l'Edition latine du Sermon qu'on
cite ; mais on ne lit pas à ligno dans
l'Edition grecque d'Angleterre . De plus
ce Sermon de la Croix ne se trouve point
parmi ceux que M. Assemani a vûs en
Sy98
MERCURE DE FRANCE
Syriaque et en Arabe , et qu'il cite dans
le premier Tomè de sa Bibliothéque
Orientale , comme indubitablement de
Saint Ephrem .
On dit de plus que la Version Syriaque
est faite sur le Texte des Septante , qu'elle
est aussi ancienne que l'Eglise , et que les
Versions postérieures n'ont pas la même autorité.
Il est vrai qu'il y a uneVersion Syriaque
faite sur le Grec des Septante , mais elle
est moderne ; Masius en cite une faite
l'an 615. de J. C. je ne sçai si elle est
differente de celle d'un nommé Mar-
Abba mais tout cela est bien éloigné
des premiers siècles de l'Eglise. Cette
Traduction , faité sur le Grec , n'a ja̸ż
mais été imprimée , et est bien posté→
rieure et de moindre autorité que l'an
cienne Version Syriaque faite sur l'hebreu.
dès le premier siécle de l'Eglise , et imprimée
dans les Bibles Poliglottes de
M.le Jay à Paris en 1545. et ensuite réimprimées
à Londres par Walton avec
l'addition de quelques nouveaux Livres
de l'Ecriture, qui n'avoient pas paru dans
l'Edition de Paris ; je puis assurer que
l'addition à ligno n'est dans aucun Pseautier
Syriaque de ceux qui ont paru jusqu'ici
, je ne puis dire la même chose de
,
ceux
MA Y. 1734. 895
teux qui n'ont pas paru , et qui ne sont
pas venus à nôtre connoissance. Toujours
est- il vrai que Saint Ephrem n'a pas να
ces derniers , puisqu'ils sont plus récents
que lui : ainsi , soit qu'ils portent à lignoz
ou non, on nen peut rien inferer ni pour
ni contre ce Saint,de sorte que sans beaucoup
hazarder ; on peut avancer que ces
Versions ne portent point à ligno : puisqu'au
temps où elles ont été faites , ces
expressions ne se lisoient plus dans les
Septante.
6º. Enfin , Monsieur , puisque la derniere
réfléxion du R. P. Tournemine est
une pure conjecture empruntée de Sala
meron et d'Agellius , qui n'est fondée
sur aucun fait historique , ni sur aucun
témoignage des Anciens , ni sur aucun
Texte , ni sur aucun Manuscrit ; on peut
la laisser dans son être de conjecture ,
sans se donner la peine de la refuter ; on
peut
la nier tout net comme chose non
prouvée et improbable.
En effet quelle aparence que du temps
d'Origene il y eût des Exemplaires
hebreux
, quoiqu'en assez petit nombre ,
qui portassent Mihez yyo à ligno ; pendant
que le plus grand nombre lisoit aph
utique comme portent aujourd'hui
tous nos Exemplaires , et qu'on ne trou-
VO
800195
Joo MERCURE DE FRANCE
>
ve ni dans Origene , ni dans S. Jerôme
aucun vestige de cette ancienne leçon
pas même pour la rejetter ou pour la refuter.
Quelle aparence que la seule autorité
d'Origene ait pû d'un trait de plume
faire disparoître à ligno: de tous les Exemplaires
Grecs et Hebreux où il étoit ,
pendant que S. Jerôme apuyé de toute
l'autorité d'Origene et de celle de tous
les Manuscrits Grecs et Hebreux , d'où
l'on avoit retranché ces termes , n'a pû
réussir à les faire ôter des Textes latins
où ils étoient demeurez ?
Je ne m'étends pas ici à relever l'im
possibilité qu'il y a à corriger les anciens
Exemplaires grecs ni hebreux , et les corriger
de telle maniere que depuis tant de
siècles il ne paroisse aucun vestige de
l'ancienne leçon , ni dans les Manuscrits
ni dans les imprimez. Que les Juifs ayent
eû assez de malice pour l'ôter de tous
leurs livres ; cela est déja très difficile , les
Juifs convertis au Christianisme auroient
crié à la falsification . Mais que les Grecs
l'ayent voulu retrancher des leurs , cette
leçon se trouvant , dit- on , autorisée par
quelques Exemplaires hebreux , cela paroît
bien plus impossible , et plus incompréhensible
, le Christianisme ayant autant
d'interêt à la conserver pour convaincre
les
MAY.
901 1734:
les Juifs d'incredulité et de falsifica- ›
tion .
Voilà , Monsieur , quelles sont mes
réfléxions sur cette matiere . Je suis tou
jours & c.
A Senones le 2 Janvier 1734;
Calmet , Abbé de Senones , au sujet de
la Prophétie attribuée au Roy David, & c.
MoxONSIEUR ,
J'ai reçu avec reconnoissance les deux
volumes de votre Journal , dans lesquels
sont deux Lettres , l'une de vous , Monsieur
, et l'autre du R. P. Tournemine ,
sur ces paroles du Pseaume XCV v. 19.
Dicite in gentibus, quia Dominus regnavis
&c. Il est question de sçavoir si ces mots:
regnavit à ligno , que l'on explique du
Regne de J. C. par sa Croix , sçavoir
dis-je , si ces mots à ligno étoient originairement
au moins dans quelques.
Exemplaires du texte Hebreu ,si les Septante
interprêtes les y ont lûs , et les ont
inserez dans leur version ,, si c'est delà
qu'ils sont passez dans les anciennes Editions
latines , où la plûpart des anciens
Peres Latins , jusqu'au neuvième siècle
les ont lûs , ou si c'est une addition faite
après coup par quelques Chrétiens dans
certains Exemplaires grecs , d'où elle seroit
passée dans les Bibles latines , ou au
•
C vj
con-
ا ه س
892 MERCURE DE FRANCE
contraire , si ces mots ayant d'abord été
mis dans quelques Exemplaires latins
seroient passez dans quelques Exemplaires
grecs des Septante ; vous m'avez fait
l'honneur , Monsieur , de me citer dans
la Lettre que vous avez écrite sur ce sujet
, imprimée dans le Mercure d'Août
du mois dernier , et vous souhaitez que
je vous dise mon sentiment sur la Réponse
du R P. Tournemine , inserée dans
votre mois de Septembre suivant.
J'ai reçu tant de marques de bienveillance
du R. P. Tournemine pendant mon
séjour à Paris , il a annoncé mes Ouvrages
dans ses Journaux d'une maniere si
honnête et si polie , que je ne puis me
résoudre à entrer avec lui dans aucune
contestation . Si donc vous jugez à propos
de faire quelque usage de ce que j'ai
l'honneur de vous écrire , je vous prie de
le lui communiquer auparavant et de
lui déclarer que je le rends absolument
le maître de tout. Avec cette condition ,.
je vais vous exposer ce que je pense sur
le sujet en question.
Le R. P. T. dit qu'il est certain que le
Texte des Septante sur lequel l'ancienne
Version italique a été faite , version qui est
sûrement du premier siècle de l'Eglise , consenoit
de que l'Auteur de la version a traduit
MAY. 1734.
893
duit , à ligno ; pour le prouver il dit
1° . Que ces termes à ligno , se lisoient
dans l'ancienne version italique , 2 °. Que
S. Justin les lisoit dans ses Exemplaires
des LXX. 3 °. Que Cassiodore
soutient
la même leçon par l'autorité des L X X.
4°. Que S. Ephrem les lisoit aussi dans
la version Siriaque , faite dès les premiers
siécles de l'Eglise sur celle des LXX.
5°. Qu'Origene
ayant un Texte Hebreu
pareil à celui que nous avons aujourd'hui
,
crut qu'il falloit corriger le Texte des
LXX. sur ce Texte , et sur les autres
versions grecques ; et que S. Jerôme embrassa
le sentiment d'Origene , et eût de
la peine à le faire passer dans les Eglises
d'Occident. Examinons toutes ces preuves
.
1º. Est- il bien certain que l'ancienne
version des Septante contenoit ces mots ,
à ligno ? quelle raison en apporte-t'on !
on ne connoît ni Edition ni Manuscrit
qui les porte , le Manuscrit grec Alexandrin
, imprimé à Oxfort en 1707. qui
passe pour un des plus anciens qui soient
dans le monde,et où l'on voit les Obéles
et les Asterisques d'Origene, ne le marque
point , quoique dans le même verset dont
nous parlons , on ait marqué d'un obéle
la particule quia ri , qui n'est pas
dans
l'he
894 MERCURE DE FRANCE
l'hebreu. On ne le voit point non plus
dans ceux de Rome , qu'a suivi Nobilius
, ni dans ceux d'Alde , ni dans ceux
sur lesquels ont travaillé le P. Morin et
M. Bos , et dont ils raportent les Variantesdans
lesEditions qu'ils ont donnéesde
la version desSeptante.
Seroit- il possible que ces termes si favorables
au Christianisme , eussent été
effacez si universellement de tous les
Exemplairesqu'il n'en restât aucun vestige
, ni dans les Manuscrits les plus anciens
, ni dans les Peres ? Qu'Origene
Saint Clement d'Alexandrie ,Saint Irenée,
Eusebe de Cesarée , Saint Athanase , Saint
Chrysostome , les Chaînes grecques sur
les P'seaumes, n'eussent pas fait mention
de cette varieté ? On n'en voit rien dans
la nouvelle Edition d'Origene , dans laquelle
on a ramassé avec soin tout ce
qu'on a trouvé de lui épars en differens
endroits.
Les anciens Traducteurs grecs, Aquilay
Symmaque , et Theodotion , ne l'ont pas
fu , non plus que le Paraphraste Chaldéen,
ni l'ancienne Version Siriaque faite
sur l'hebreu ; ni les Apôtres , ni les hom
mes Apostoliques , n'ont point cité ce
passage avec l'addition , à ligno , quoique
si propre à convaincre les Juifs et les
Payens
MAY. 1734 855
Payens . Enfin les Eglises d'Orient ne
l'ont jamais lû dans leur Office ; d'où je
crois avoir lieu de conclure qu'il n'étoit
originairement, ni dans le Texte hebreu,
ni dans laVersion des Septante.
" 2º. J'avoue que ces termes à ligno
se lisoient dans l'ancienne Version italique
, que plusieurs Peres Latins les ont
lûs dans leurs Exemplaites , et que malgré
la réforme de Saint Jerôme , ont les
a chantés dans lesEglises latines pendant
près de neuf siécles , et encore les chantet'on
aujourd'hui dans l'Hymne Vexilla
Regis mais cela ne me persuade pas que,
ni l'hebreu , ni le grec des Septante ait
porté à ligno : je soupçonnerois bien plutôt
que quelque Chrétien du premier
siécle par une fraude pieuse , auroit inseré
ces termes dans quelque Pseautier Grec,
ou dans le Latin ; comme on a composé
dans le même tems le quatriéme Livre
d'Esdras , le Testament des douze Patriarches
, l'Evangile de l'Enfance de J. C.
et peut-être le fameux Passage de Joseph,
où il est parlé du Sauveur , et tant d'autres
Monuments anciens dont la supposition
est aujourd'hui reconnuë et avouée.
3 °. On soutient que Saint Justin le
Martyr lisoit l'addition à ligno , dans ses
Exemplaires des Septante. Če Saint accusoir
896 MERCURE DE FRANCE
soit hautement les Juifs de l'avoir retranché
de leurs Exemplaires hebreux , en
haine de J. C. et des Chrétiens. Tryphon
son Interlocuteur , qui étoit Juif , soutient
ce retranchement incroyable , sans
s'expliquer davantage ; ni lui ni Saint
Justin n'avoient pas en main les Exemplaires
ni grecs ni hebreux , pour les confronter.
Or dans ces sortes de disputes il faut
avoir piéces en main ; l'un avance , l'autre
nie , à qui croire ? Saint Justin ne
sçavoit pas l'hebreu , ni aparemment
Tryphon , ils n'étoient point à portée
des Bibliotéques , disputants à la campagne
et sur le bord de la Mer ; or il auroit
fallu pour décider la question consulter
plusieurs Exemplaires en l'une et en l'autre
Langu , et les comparer l'un à l'autre.
Saint Justin avance hardiment que les
Septante avoient lû à ligno : comme la
chose importoit peu à Tryphon , il n'en
demande point de preuves , mais il nie
que les Juifs ayent retranché ces termes
de leur Texte , sans en donner non plus
aucune raison ; d'ailleurs il paroît que
Saint Justin n'étoit nullement Critique ,
et si l'on exigeoit de lui des preuves de
tout ce qu'il avance principalement contre
les Juifs , il lui seroit certainement
malMAY
. 1734. 897
malaisé d'en donner ; il est tout aussi
croyable que les termes à ligno soient
passez du latin dans quelques Exemplaires
grecs , que non pas qu'ils soient passez
du Grec dans le Latin.
4°. Cassiodore sur le Pseaume XCV.
V. 10. lit Dominus regnavit : à ligno , et il
ajoûte à ligno : alii quidem non habent .
interpretes , sed nobis sufficit quod L X X.
Interpretum autoritate firmatum est : voilà
qui est précis et décisif : mais qui croira .
sur l'autorité de Cassiodore , qu'au sixième
siécle où il vivoit , le Texte des Septante
eut communément porté à ligno , pendant
que tous les Peres Grecs qui avoient.
écrit avant lui , ne lisoient point cette
addition , et qu'aucun de nos Exemplaires
grecs d'aujourd'hui , qui sont copiez
sur ceux de son temps , ne le porte.
5°. On dit que Saint Ephrem lisoit :
à ligno, dans les Exemplaires Syriaques de
son Eglise , puisqu'il le cite ainsi dans
son Sermon de la Croix. Il est vrai que
ce Saint lit : Dominus regnavit à ligno :
dans l'Edition latine du Sermon qu'on
cite ; mais on ne lit pas à ligno dans
l'Edition grecque d'Angleterre . De plus
ce Sermon de la Croix ne se trouve point
parmi ceux que M. Assemani a vûs en
Sy98
MERCURE DE FRANCE
Syriaque et en Arabe , et qu'il cite dans
le premier Tomè de sa Bibliothéque
Orientale , comme indubitablement de
Saint Ephrem .
On dit de plus que la Version Syriaque
est faite sur le Texte des Septante , qu'elle
est aussi ancienne que l'Eglise , et que les
Versions postérieures n'ont pas la même autorité.
Il est vrai qu'il y a uneVersion Syriaque
faite sur le Grec des Septante , mais elle
est moderne ; Masius en cite une faite
l'an 615. de J. C. je ne sçai si elle est
differente de celle d'un nommé Mar-
Abba mais tout cela est bien éloigné
des premiers siècles de l'Eglise. Cette
Traduction , faité sur le Grec , n'a ja̸ż
mais été imprimée , et est bien posté→
rieure et de moindre autorité que l'an
cienne Version Syriaque faite sur l'hebreu.
dès le premier siécle de l'Eglise , et imprimée
dans les Bibles Poliglottes de
M.le Jay à Paris en 1545. et ensuite réimprimées
à Londres par Walton avec
l'addition de quelques nouveaux Livres
de l'Ecriture, qui n'avoient pas paru dans
l'Edition de Paris ; je puis assurer que
l'addition à ligno n'est dans aucun Pseautier
Syriaque de ceux qui ont paru jusqu'ici
, je ne puis dire la même chose de
,
ceux
MA Y. 1734. 895
teux qui n'ont pas paru , et qui ne sont
pas venus à nôtre connoissance. Toujours
est- il vrai que Saint Ephrem n'a pas να
ces derniers , puisqu'ils sont plus récents
que lui : ainsi , soit qu'ils portent à lignoz
ou non, on nen peut rien inferer ni pour
ni contre ce Saint,de sorte que sans beaucoup
hazarder ; on peut avancer que ces
Versions ne portent point à ligno : puisqu'au
temps où elles ont été faites , ces
expressions ne se lisoient plus dans les
Septante.
6º. Enfin , Monsieur , puisque la derniere
réfléxion du R. P. Tournemine est
une pure conjecture empruntée de Sala
meron et d'Agellius , qui n'est fondée
sur aucun fait historique , ni sur aucun
témoignage des Anciens , ni sur aucun
Texte , ni sur aucun Manuscrit ; on peut
la laisser dans son être de conjecture ,
sans se donner la peine de la refuter ; on
peut
la nier tout net comme chose non
prouvée et improbable.
En effet quelle aparence que du temps
d'Origene il y eût des Exemplaires
hebreux
, quoiqu'en assez petit nombre ,
qui portassent Mihez yyo à ligno ; pendant
que le plus grand nombre lisoit aph
utique comme portent aujourd'hui
tous nos Exemplaires , et qu'on ne trou-
VO
800195
Joo MERCURE DE FRANCE
>
ve ni dans Origene , ni dans S. Jerôme
aucun vestige de cette ancienne leçon
pas même pour la rejetter ou pour la refuter.
Quelle aparence que la seule autorité
d'Origene ait pû d'un trait de plume
faire disparoître à ligno: de tous les Exemplaires
Grecs et Hebreux où il étoit ,
pendant que S. Jerôme apuyé de toute
l'autorité d'Origene et de celle de tous
les Manuscrits Grecs et Hebreux , d'où
l'on avoit retranché ces termes , n'a pû
réussir à les faire ôter des Textes latins
où ils étoient demeurez ?
Je ne m'étends pas ici à relever l'im
possibilité qu'il y a à corriger les anciens
Exemplaires grecs ni hebreux , et les corriger
de telle maniere que depuis tant de
siècles il ne paroisse aucun vestige de
l'ancienne leçon , ni dans les Manuscrits
ni dans les imprimez. Que les Juifs ayent
eû assez de malice pour l'ôter de tous
leurs livres ; cela est déja très difficile , les
Juifs convertis au Christianisme auroient
crié à la falsification . Mais que les Grecs
l'ayent voulu retrancher des leurs , cette
leçon se trouvant , dit- on , autorisée par
quelques Exemplaires hebreux , cela paroît
bien plus impossible , et plus incompréhensible
, le Christianisme ayant autant
d'interêt à la conserver pour convaincre
les
MAY.
901 1734:
les Juifs d'incredulité et de falsifica- ›
tion .
Voilà , Monsieur , quelles sont mes
réfléxions sur cette matiere . Je suis tou
jours & c.
A Senones le 2 Janvier 1734;
Signature
A Senones le 2 Janvier 1734.
Lieu
Date, calendrier grégorien
Langue
Vers et prose
Type d'écrit journalistique
Courrier des lecteurs
Faux
Mots clefs
Domaine
Est adressé ou dédié à une personne
Est rédigé par une personne
Provient d'un lieu