Titre
RÉFLEXIONS de M. Simonnet, Prieur d'Heurgeville, près de Vernon, sur les deux Questions proposées dans le Mercure de Mai 1731.
Titre d'après la table
Question sur l'Amour et la Raison, Réponse.
Fait partie d'une livraison
Fait partie d'une section
Page de début
2783
Page de début dans la numérisation
320
Position sur la page
1
Page de fin
2789
Page de fin dans la numérisation
326
Incipit
I. QUESTION. Si l'Amour et la Raison peuvent se trouver en même temps dans
Texte
REFLEXIONS de M. Simonnet , Prieur
d'Heurgeville , près de Vernon sur
les deux Questions proposées dans le
Mercure de Mai 1731.
1. QUESTION. Si l'Amour et la Rai--
son peuvent se trouver en même temps danse
la même
personne &c ?:
T
Oute Passion dominante ne s'ac
corde point avec la raison : si elle
ne la banit pas entieremént , elle la rend
esclave , et ne lui laisse plus de mouve
ment ni d'action. Où la passion domine ,
la raison n'est plus la maîtresse ; il faut
donc ou qu'elle cede la place , ou qu'ellesoit
réduite à la servitude ..
Point de passion si imperieuse et si absolue
que l'Amour : tout lui cede. Dès
qu'il attaque , il est presque sûr de vainere
; A- til vaincu ? il use de sa victoire
avec hauteur. Quelquefois la raison crie ,
sagite , réclame ses droits : l'Amour ne
До Кова peut:
784 MERCURE DE FRANCE
peut souffrir cette importune ; d'abord
lui impose silence , et pour s'en débarasser
, il l'exclurt de sa domination . On sent
bien qu'on est en proye à un Tyran , on
soupire dans ses fers on voudroit les
briser , on rappelle la raison à son se
cours , mais elle est trop foible pour un
tel ennemi : il se jouë de ses attaques ,
et la répousse bien loin. Elle a beau reve
nir à la charge , et faire de nouveaux efforts
, P'Amour sçait s'en tirer avec avantage
, et n'en devient souvent que plus
fougueux.
Il parolt doux cependant , et c'est par
sa maligne douceur qu'il séduit , qu'il
s'insinue et qu'il triomphe aux dépens de
la raison. Les lumieres de celle - ci sont
bien- tôt éteintes , par les vapeurs enchanteresses
qu'il répand , et dont on es
comme enyvré.
L'Amour est un petit libertin qui
'entend point raison . S'il l'entendoit
il changeroit de nature ; s'il étoit sage ,
il ne seroit plus amour ; et comment seroit-
il sage ? Il marche en aveugle. La
folie et la témérité sont ses compagnes
inséparables. Il vole au gré de ses désirs
et ses désirs sont indiscrets. Il veut par
tout être maître à quelque prix que ce
soit avec son carquois et ses fléches em-
1 1. Vol
poi-
1
DECEMBRE. 1931. 2785
poisonnées il attaque les coeurs , les bles
se , les dompte , et dès-là , vertu , sagesse
prudence , et raison n'y peuvent plus
tenir.
Son air gracieux lui donne une facila
entrée ; mais à peine est- il en place , que
sa malice jouë son rôle , et quels ravages
ne fait-il pas ? Il va jusqu'à la fureur :
il ne respecte ni le sacré ni le profane s
pour satisfaire ses désirs ou son désespoir,
il n'épargne point le sang et le carnage ;
témoins tant d'histoires tragiques dont
l'amour est l'ame , et dont le monde est
continuellement le Theatre..
Si l'on aime raisonnablement , si l'on
se renferme dans les bornes du devoir
ce n'est plus amour , ce n'est plus cette
passion de jeunesse , passion aveugle
passion vive , inquiete , turbulente , ef-
Frenée , qui ne sent , qui n'écoute , qui
ne suit que son impetueuse ardeur.
Il est vrai que l'amour a regné dans le
coeur des plus grands hommes , dans les
sages même ; mais s'ils étoient grands
s'ils étoient sages , judicieux , raisonnables
, ce ne fut pas dans les accès de la
P sion ; car on les a vûs tomber , comme
les autres , dans des folies et dans des
extravagances , se ruiner , se dégrader ,
s'avilir par des actions basses et indignes.
S 1. Veh Om
2788 MERCURE DE FRANCE
On a vû un Salomon offrir de l'Encens
à des Idoles ét donner dans les der
niers excès. Si jamais la raison dut se
maintenir avec l'amour , et en moderer
des saillies , ce fut dans ce prodige de
sagesse : Exemple qui prouve assez com
bien la raison et l'amour sont incompa
tibles.
II. QUESTION. Quelle ett la Canes
Physique ou Morale de l'effet qui arrive
dans les Enfans qui meurent jeunes , après
savoir donné de grandes esperances , et dars
les Enfans dont la vivacité s'est changes
son 'stupidité ? & c.
H peut arriver
qu'un
grand
nombr
d'Enfans de toutes conditions meurenter
bas âge par des accidens inévitables . 11
ise trouve quelquefois en eux des semences
de corruption , qui , dans la suice ,
venant à se développer , gâtent toute la
substance de ces petits corps , et les fo at
tomber en pourriture. Il ne faut qu'une
intemperie de l'air , quelque souffle empoisonné
, un aliment mal- sain , ou peu
convenable 'une nourriture `trop forts
ou trop legere , pour endommager de
tendres Enfans , et les faire périr , pendant
que d'autres ne se trouveront pas
3
1.Vole
dans
DECEMBRE. 1731 2787
dans les mêmes circonstances , ou auront
le bonheur de s'en tirer par une forte
complexion à peu près comme des fruits
d'une même espece , sur le même arbre
dans la même exposition , les uns réüssissent
, pendant que quantité d'autres
tombent par differentes infortunes.
Pour ce qui regarde en particulier les
Enfans dont l'esprit et la vivacité promettent
beaucoup , on ne peut disconvenir
que le trop grand soin que l'on
prend de leur éducation , ne contribue
beaucoup à avancer leurs jours , ou à faire
dégenerer leur esprit en stupidité.
Dans ces Enfans les fibres sont plus
molles et plus flexibles , les petits vaisseaux
plus déliez , et par conséquent plus
foibles que dans les Enfans d'un genio
grossier et tardif , qui ne sont tels que
par la dureté et le peu de fléxibilité de
leurs organes ; c'est de l'aveu presque
universel , ce qui fait la difference des
uns et des autres.
Or quand on voit un Enfant né avec
cès heureuses et rares dispositions d'esprit
, on croit ne pouvoir trop tôt en
profiter. On pousse , on force , on accable
une imagination quelquefois déja
trop vive. Il suffit qu'elle plaise , qu'elle
charme , on ne craint point de la fati-
1. Vota
guer.
88 MERCURE DE FRANC
:
guer. De-là qu'arrive-t'il En peu de
temps les esprits s'épuisent , les fibres
s'émoussent et s'affoiblissent , les traces st
confondent : ces vaisseaux si délicats n'y
peuvent plus résister le jeu et tout le
ressort de la Nature manque insensible
ment : le corps se mine . et enfin tombe
en ruine ; ou s'il ne succombe pas à tant
d'efforts , la tête se dérange : cette grande
vivacité s'évanouit , et l'esprit disparoît ,
parce qu'il n'y a plus dans les organes
usez cette juste proportion qui devoit
P'entretenir.
Quelque excellent que soit un Arbre
si , lorsqu'il est jeune , on lui donn
trop de portée , si on lui laisse produir
une surabondance de fruits qui se mon
trent , il mourra bien-tôt , ou ne fera que
languir. Il en est de même d'un Enfant
plein d'esprit et de vivacité. Il ne demar
de qu'à produire les plus beaux fruits
mais dès que vous le surchargez
que vous voulez en tirer trop d'abord
c'est un grand hazard si vous ne le voyez
aussi-tôt déperir , et si une mort préma
turée ne vous l'enleve. Quelques-uns plus
robustes y résisteront mais le grand
nombre en sera la victime .
Pour obvier à un si funeste inconve
mient , on ne peut , avec trop d'atten
1. Vol
ci
tion
DECEMBRE 1731. 2789
tion , ménager ces jeunes esprits . Leur
extrême vivacité les porte assez d'ellemême
à vouloir tout connoître , tout
approfondir ; bien loin donc de les pousser
et de les animer , il faudroit ne les
faire avancer dans les études et dans les
differentes connoissances que pied à pied.
Plus ils apprennent facilement , plus on
devroit leur donner de récréations et de
divertissemens honnêtes ; les arracher
même à l'étude quand ils s'y veulent trop
appliquer , ne perdant jamais de vûë cette
sage maxime : L'Arc trop souvent tendu ,
ne peut durer long-temps.
d'Heurgeville , près de Vernon sur
les deux Questions proposées dans le
Mercure de Mai 1731.
1. QUESTION. Si l'Amour et la Rai--
son peuvent se trouver en même temps danse
la même
personne &c ?:
T
Oute Passion dominante ne s'ac
corde point avec la raison : si elle
ne la banit pas entieremént , elle la rend
esclave , et ne lui laisse plus de mouve
ment ni d'action. Où la passion domine ,
la raison n'est plus la maîtresse ; il faut
donc ou qu'elle cede la place , ou qu'ellesoit
réduite à la servitude ..
Point de passion si imperieuse et si absolue
que l'Amour : tout lui cede. Dès
qu'il attaque , il est presque sûr de vainere
; A- til vaincu ? il use de sa victoire
avec hauteur. Quelquefois la raison crie ,
sagite , réclame ses droits : l'Amour ne
До Кова peut:
784 MERCURE DE FRANCE
peut souffrir cette importune ; d'abord
lui impose silence , et pour s'en débarasser
, il l'exclurt de sa domination . On sent
bien qu'on est en proye à un Tyran , on
soupire dans ses fers on voudroit les
briser , on rappelle la raison à son se
cours , mais elle est trop foible pour un
tel ennemi : il se jouë de ses attaques ,
et la répousse bien loin. Elle a beau reve
nir à la charge , et faire de nouveaux efforts
, P'Amour sçait s'en tirer avec avantage
, et n'en devient souvent que plus
fougueux.
Il parolt doux cependant , et c'est par
sa maligne douceur qu'il séduit , qu'il
s'insinue et qu'il triomphe aux dépens de
la raison. Les lumieres de celle - ci sont
bien- tôt éteintes , par les vapeurs enchanteresses
qu'il répand , et dont on es
comme enyvré.
L'Amour est un petit libertin qui
'entend point raison . S'il l'entendoit
il changeroit de nature ; s'il étoit sage ,
il ne seroit plus amour ; et comment seroit-
il sage ? Il marche en aveugle. La
folie et la témérité sont ses compagnes
inséparables. Il vole au gré de ses désirs
et ses désirs sont indiscrets. Il veut par
tout être maître à quelque prix que ce
soit avec son carquois et ses fléches em-
1 1. Vol
poi-
1
DECEMBRE. 1931. 2785
poisonnées il attaque les coeurs , les bles
se , les dompte , et dès-là , vertu , sagesse
prudence , et raison n'y peuvent plus
tenir.
Son air gracieux lui donne une facila
entrée ; mais à peine est- il en place , que
sa malice jouë son rôle , et quels ravages
ne fait-il pas ? Il va jusqu'à la fureur :
il ne respecte ni le sacré ni le profane s
pour satisfaire ses désirs ou son désespoir,
il n'épargne point le sang et le carnage ;
témoins tant d'histoires tragiques dont
l'amour est l'ame , et dont le monde est
continuellement le Theatre..
Si l'on aime raisonnablement , si l'on
se renferme dans les bornes du devoir
ce n'est plus amour , ce n'est plus cette
passion de jeunesse , passion aveugle
passion vive , inquiete , turbulente , ef-
Frenée , qui ne sent , qui n'écoute , qui
ne suit que son impetueuse ardeur.
Il est vrai que l'amour a regné dans le
coeur des plus grands hommes , dans les
sages même ; mais s'ils étoient grands
s'ils étoient sages , judicieux , raisonnables
, ce ne fut pas dans les accès de la
P sion ; car on les a vûs tomber , comme
les autres , dans des folies et dans des
extravagances , se ruiner , se dégrader ,
s'avilir par des actions basses et indignes.
S 1. Veh Om
2788 MERCURE DE FRANCE
On a vû un Salomon offrir de l'Encens
à des Idoles ét donner dans les der
niers excès. Si jamais la raison dut se
maintenir avec l'amour , et en moderer
des saillies , ce fut dans ce prodige de
sagesse : Exemple qui prouve assez com
bien la raison et l'amour sont incompa
tibles.
II. QUESTION. Quelle ett la Canes
Physique ou Morale de l'effet qui arrive
dans les Enfans qui meurent jeunes , après
savoir donné de grandes esperances , et dars
les Enfans dont la vivacité s'est changes
son 'stupidité ? & c.
H peut arriver
qu'un
grand
nombr
d'Enfans de toutes conditions meurenter
bas âge par des accidens inévitables . 11
ise trouve quelquefois en eux des semences
de corruption , qui , dans la suice ,
venant à se développer , gâtent toute la
substance de ces petits corps , et les fo at
tomber en pourriture. Il ne faut qu'une
intemperie de l'air , quelque souffle empoisonné
, un aliment mal- sain , ou peu
convenable 'une nourriture `trop forts
ou trop legere , pour endommager de
tendres Enfans , et les faire périr , pendant
que d'autres ne se trouveront pas
3
1.Vole
dans
DECEMBRE. 1731 2787
dans les mêmes circonstances , ou auront
le bonheur de s'en tirer par une forte
complexion à peu près comme des fruits
d'une même espece , sur le même arbre
dans la même exposition , les uns réüssissent
, pendant que quantité d'autres
tombent par differentes infortunes.
Pour ce qui regarde en particulier les
Enfans dont l'esprit et la vivacité promettent
beaucoup , on ne peut disconvenir
que le trop grand soin que l'on
prend de leur éducation , ne contribue
beaucoup à avancer leurs jours , ou à faire
dégenerer leur esprit en stupidité.
Dans ces Enfans les fibres sont plus
molles et plus flexibles , les petits vaisseaux
plus déliez , et par conséquent plus
foibles que dans les Enfans d'un genio
grossier et tardif , qui ne sont tels que
par la dureté et le peu de fléxibilité de
leurs organes ; c'est de l'aveu presque
universel , ce qui fait la difference des
uns et des autres.
Or quand on voit un Enfant né avec
cès heureuses et rares dispositions d'esprit
, on croit ne pouvoir trop tôt en
profiter. On pousse , on force , on accable
une imagination quelquefois déja
trop vive. Il suffit qu'elle plaise , qu'elle
charme , on ne craint point de la fati-
1. Vota
guer.
88 MERCURE DE FRANC
:
guer. De-là qu'arrive-t'il En peu de
temps les esprits s'épuisent , les fibres
s'émoussent et s'affoiblissent , les traces st
confondent : ces vaisseaux si délicats n'y
peuvent plus résister le jeu et tout le
ressort de la Nature manque insensible
ment : le corps se mine . et enfin tombe
en ruine ; ou s'il ne succombe pas à tant
d'efforts , la tête se dérange : cette grande
vivacité s'évanouit , et l'esprit disparoît ,
parce qu'il n'y a plus dans les organes
usez cette juste proportion qui devoit
P'entretenir.
Quelque excellent que soit un Arbre
si , lorsqu'il est jeune , on lui donn
trop de portée , si on lui laisse produir
une surabondance de fruits qui se mon
trent , il mourra bien-tôt , ou ne fera que
languir. Il en est de même d'un Enfant
plein d'esprit et de vivacité. Il ne demar
de qu'à produire les plus beaux fruits
mais dès que vous le surchargez
que vous voulez en tirer trop d'abord
c'est un grand hazard si vous ne le voyez
aussi-tôt déperir , et si une mort préma
turée ne vous l'enleve. Quelques-uns plus
robustes y résisteront mais le grand
nombre en sera la victime .
Pour obvier à un si funeste inconve
mient , on ne peut , avec trop d'atten
1. Vol
ci
tion
DECEMBRE 1731. 2789
tion , ménager ces jeunes esprits . Leur
extrême vivacité les porte assez d'ellemême
à vouloir tout connoître , tout
approfondir ; bien loin donc de les pousser
et de les animer , il faudroit ne les
faire avancer dans les études et dans les
differentes connoissances que pied à pied.
Plus ils apprennent facilement , plus on
devroit leur donner de récréations et de
divertissemens honnêtes ; les arracher
même à l'étude quand ils s'y veulent trop
appliquer , ne perdant jamais de vûë cette
sage maxime : L'Arc trop souvent tendu ,
ne peut durer long-temps.
Lieu
Langue
Vers et prose
Type d'écrit journalistique
Courrier des lecteurs
Faux
Domaine
Constitue la réponse à un autre texte
Provient d'un lieu