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Titre

ELOGE de la Pauvreté, par M....

Titre d'après la table

Eloge de la Pauvreté,

Fait partie d'une section
Page de début
1787
Page de début dans la numérisation
336
Page de fin
1797
Page de fin dans la numérisation
346
Incipit

La nouveauté a un droit décidé de nous plaire, lorsqu'elle est ensemble

Texte
ELOGE de la Pauvreté
LA
M
....
par M.
A nouveauté a un droit décidé de
nous plaire , lorsqu'elle est ensemble
ingénieuse et utile ; ces deux qualitez ont
acquis l'immortalité à l'Eloge de la Folie
; mais les Emulateurs d'Erasme , plus
sensibles à l'envie de faire briller leur esprit
, que touchez du plaisir d'instruire¸
n'ont saisi que le titre pointilleux de son
Ouvrage , sa morale leur a échappé . Mon
E iij dessein
1788 MERCURE DE FRANCE
dessein est bien different dans cet Eloge ;
je quitte volontiers de toute admiration ,
pourvû que je persuade utilement que
la Pauvreté est le plus grand de tous les
biens , et le seul qui puisse nous procurer
une félicité constante .
Comme les raisons que j'employerai
ne paroîtront peut-être pas assez sérieuses
, je déclare que je ne prétens point
le prendre ici sur le ton dogmatique ;
je sçai que la verité , qui est triste d'ellemême
, ne s'insinue jamais plus sûrement
que lorsqu'elle se montre sous un visage
agréable.
Je trouve d'abord un air de mode
dans la Pauvreté qui me donne toute
la confiance dont j'ai besoin pour parler
sur une matiere si délicate ; elle
s'est glissée dans tous les Etats et dans
toutes les conditions . Ne seroit- ce point
parce qu'elle plaît , qu'elle est devenue .
si commune et le goût imitateur qui
regne aujourd'hui , n'auroit - il point servi
à son progrès quoiqu'il en soit , c'est
un détail où je ne dois point entrer ; il
me suffit que le plus grand nombre soit
interessé à me croire , et qu'il fasse par
prudence quelque cas d'un état dont il
est si près.
Pour ceux qui, nourris dans une aisance
V.QA
OUST . 17337 1989
voluptueuse , ne peuvent regarder la
Pauvreté sans effroi ; qu'ils apprennent
que celui qui me connoît point l'opulence
, trouve inutile tout ce qui n'est
pas nécessaire , qu'ils sont eux - mêmes
noyez dans des superfluitez que leurs
Peres ignoroient , et que le seul moyen
d'être vraiment heureux , c'est de regler
ses besoins sur la Nature et non pas sur
l'opinion.
En effet le plus grand malheur des
hommes , c'est de se persuader que les
richesses peuvent seules leur procurer le
repos , cette idée les engage à travailler
dans leur jeunesse , pour s'assurer dans
le déclin de leur âge , des jours sereins
et tranquiles. Quelle erreur ! Le principe
de leur félicité est dans leur coeur ,,
et non dans les biens qu'ils ont acquis ;
d'ailleurs l'experience fait connoître que
leur conservation coûte autant que leur
acquisition même.
L'on dira peut- la même expeut-
être que
perience décide contre moi , puisque le
Pauvre , malgré le bonheur que je lui
prête , semble faire tous ses efforts pour
se tirer de l'indigence . Que la Pauvreté
soit la mere de l'industrie , j'y consens
et c'est pour elle un grand éloge d'avoir
enfanté les Arts ; mais je soutiens
E iiij que
1790 MERCURE DE FRANCE
que l'envie de s'enrichir n'a point reveillé
le génie des Pauvres ; trop satisfaits
de leur indépendance , ils ont eû
pitié de l'esclavage des Riches , et leur
ont fourni charitablement les moyens de
recouvrer leur liberté , par un emploi indiscret
de leurs richesses .
Supposons , si l'on veut , que
l'homme
est aussi heureux avec l'abondance , qu'il
l'est en effet dans le sein de la Pauvreté .
Dans cette hypothese il en coûteroit bien
plus à l'indigent d'acquerir laborieusement
l'opulence , que d'être assez sage
pour s'en passer. L'un demande des soins ,
l'autre laisse une entiere liberté. Or s'il
étoit deux voyes pour arriver à un sort
heureux , celle qui va à son but à moins
des frais , doit , sans contredit , être préferée
.
J'avoüe que si les richesses n'étoient
attachées qu'à la vertu , il y auroit de la
honte à n'être pas riche ; mais si le hazard
distribue les biens , si la violence
les ravit , s'il faut souvent des crimes pour
se dérober à la Pauvreté , seroit - il raisonnable
d'attacher une espece d'opprobre
à un état , qui semble être le partage
de la Nature et de la vertu ?
Nos premiers Législateurs , les Philosophes
et les Poëtes , ces génies divins
3
A O UST. 1733. 1791
vins , qui ont eû une idée si juste du
Parfait et du Vrai , ont méprisé les richesses
avec tant de constance et sans
doute avec tant de sincerité, qu'ils furent
toujours mal nourris et mal vétus . Les
uns tendoient à l'état le plus vertueux ,
les autres prétendoient à une réputation
immortelle ; il faudroit être de bien mauvaise
humeur pour ne pas vouloir ressembler
à d'aussi honnêtes gens.
Parlons plus sérieusement. Nous ne
pouvons douter que la Nature ne soit
aussi prévoyante qu'elle est parfaite dans
ses productions ; il n'est point d'Animaux
à qui elle ne donne , avec la vie ,
tout ce qui est utile pour la conserver.
Seroit- elle plus injuste envers les hommes?
non , sans doute , elle a placé dans
le coeur et dans l'esprit de nos parens
toute la sensibilité et toute l'industrie
nécessaire pour fournir à nos besoins . Mais
elle n'est point allée au delà , les richesses
n'entrent pour rien dans le sistême.
de notre conservation ; ensorte qu'elles
sont à notre égard des biens étrangers
et superflus ; car on n'accuseroit pas la
Nature de nous les avoir refusées , si elles
nous eussent été nécessaires.
D'ailleurs son intention a été de mettre
une parfaite égalité entre les hom,
E v mes
1792 MERCURE DE FRANCE
mes . Mere tendre et affectionnée , elle
leur a également départi ses faveurs . Ce
principe bien reconnu , il est évident que
la force ou la fraude ont été les instru→
mens de la fortune du premier Riche ,
et qu'on doit regarder encore aujourd'hui
un nouveau Parvenu , comme l'ent
nemi et le tyran du genre humain . Mais
heureusement son iniquité no passe jamais.
à des successeurs éloignéz , et nous voyons
avec complaisance que le fils même restitue
bien-tôt au Public par de folles dé
penses , ce que le Pere avoit injustement
enlevé.
C'est peut-être dans la médiocrité que
l'on trouve le bonheur , les grands biens.
peuvent causer des peines , mais une fortune
médiocre exempte également et
des besoins de la vie , et de l'embarras
des richesses. Voila ce que le préjugé
offre de plus spécieux en faveur de la
médiocrité ; qu'il m'en coûtera peu pour
combattre ce raisonnement ! que la vic
roire est facile !
Si la médiocrité des biens faisoit celle
des désirs , il seroit juste de la préferer
à tous les autres Etats; mais la cupidité de
l'homme est si inquiéte , qu'elle le porte
à faire sans cesse des efforts pour s'accroître
et saisir avidement tout ce qui
t
peut
AOUST. 1733 : 1793
peut le conduire à un sort qu'il estime
plus heureux. Celui qui se trouve dans la
médiocrité , souhaite à proportion de ses
facultez , et dès qu'il souhaire il est malheureux.
Ce qui fait le bonheur du Pauvre
, c'est qu'il n'a rien pour soutenir ou
exciter son ambition , et que l'envie qu'il
pourroit avoir de s'élever , cesse ou s'évanouit
dès que les moyens lui en sont
ravis.
Il est aisé à présent de conclure qu'on
a eu tort de donner tant de louanges à
cette médiocrité chimérique , qui ne fait
qu'allumer nos desirs , sans pouvoir les
satisfaire . Examinez un Pere de famille
dans une fortune médiocre , si le present
F'agite , l'avenir l'inquiete encore davantage
; il n'y découvre que des changemens
fâcheux ; il y voit ses biens dissipez
avec profusion , ou du moins mal
ménagez. L'avenir est au contraire un
sujet de joye pour le Pauvre , tous les
hazards et toutes les révolutions sont
pour lui , et quand on supposeroit que
son coeur formât quelques desirs , il en
ressent la douceur sans en avoir l'inquiétude
; l'élevation de ses pareils le fait
jouir par avance des biens qu'il n'a pas ,
mais qu'il peut avoir ; le Riche vit dans la
crainte , le Pauvre dans l'esperance; quelle
disparité de bonheur ! Evi Dès
1794 MERCURE DE FRANCE
Dès- là nous voyons que la Pauvreté
ne nous prive d'aucuns des biens solides
de la vie , et qu'il ne manque pour achever
son triomphe que de montrer qu'elle
nous procure des plaisirs plus vifs et plus
que l'opulence même. délicats
La crainte de ne devoir qu'à ses largesses
, les complaisances d'un sexe enchanteur
, empoisonne nos plaisirs , et en ôte
tout le piquant ; notre délicatesse s'en offense
, et veut une tendresse toute gratuite.
Le Pauvre jouit de ce bonheur , et
ne le doit qu'à son mérite personnel ; tandis
que le Riche peut craindre à chaque
instant que les faveurs qu'on lui accorde
, ne prennent leur source dans la va
nité ou dans l'interêt.
Pareil avantage dans l'amitié. La Félicité
la plus parfaite , celle des Dieux, dit .
un ancien , seroit ennuïeuse sans la confiance
d'un ami ; ainsi tâchons d'ajoûter à
notre bonheur celui de nous attacher un
ami sincere , également sensible à nos
biens et à nos maux . Mais où le trouver ,
et comment le connoître ? Si des avantages
apparens surprennent sa complai
sance ; sous le nom d'ami , ne sera ce
point un fateur , dévoué à la fortune ,
plutôt qu'à la personne ? Pour faire cette
épreuve délicate , feignons qu'un malheur
AOUST. 1733. 1798
heur imprévu vient de nous enlever nos
richesses ; dans l'instant nous verrons ces
amis prétendus nous abandonner rapidement
, heureux encore si nos bienfaits
passez ne deviennent pas pour eux des
raisons de nous mépriser et de nous haïr .:
Mais le plus heureux effet de la Pauvreté
, c'est qu'elle nous ôte la cause des
vices , et nous laisse toutes les vertus à
pratiquer. L'humilité s'attire le respect
par elle - même ; c'est le fondement de
toutes les vertus , et nous aimons naturellement
autant les personnes humbles
et modestes , que nous fuïons les arrogans
et les présomptueux . Dans l'usage
du monde nous voïons que l'o gueil , la
jalousie , la haine sont des vices attach z
à l'opulence , et que l'honnêteté , la douceur
, la patience suivent la disette ; mais,
par une bizarrerie , dont on ne peut rendre
raison , on fuit les gens vertueux dans
l'indigence , pour idolatrer des insolens
dans la prosperité , comme si le respect
qu'on a pour les biens , devoit passer
jusqu'à ceux qui les possedent.
La reconnoissance seroit ignorée parmi
les hommes , si les pauvres ne l'avoient
fait connoître. Cette vertu des belles
ames agit chez l'indigent avec autant de
vivacité que l'esperance même ; les besoins
1797 MERCURE DE FRANCE
soins la multiplient et lui prêtent tous
les jours un nouveau feu.
La politique s'accorde enfin avec la
morale , à donner la préférence aux pauvres
sur les riches ; ceux cy sont infiniment
moins utiles à l'Etat que les premiers.
Retire til , en effet , quelque profit
de la bravoure meurtriere des Gens de
Guerre , des décisions innombrables et
ambigues des Juri consultes ; de l'esprit
inventif et ruineux des Partisans ; il ne
reste que des voeux à faire sur ce sujets
cependant tous ces membres de la République
ne peuvent se passer des pauvres
pour fournir à leurs besoinss mais le pauvre
qui travaille , subsiste indépendemment
d'eux le labour de ses mains lui
suffit , et il arrive à la fin de ses jours ;
sans superflu et sans misere.
Que dirai je davantage en faveur de
la Pauvreté ? J'ai fait voir qu'elle nous
rapproche de la nature , qu'elle éloigne
de nous des maux cruels , qui sont comme
l'appanage de la cupidité ; qu'elle
nous apprête des plaisirs purs et tranquiles
Il ne me reste qu'à donner un avis
salutaire aux Riches , que mon Discours
aura persuadeż : Je ne veux point qu'ils
imitent ce Philosophe insensé
*
qui jetta
* Cratés ou Aristippe , on attribuë cette espece
de folie à l'un et à l'autre.
AOUST. 1733. 1797
son argent dans la Mer , comme si la sagesse
eut été incompatible avec l'opulence
; la raison n'exige point un pareil
sacrifice . Elle nous avertit seulement de
ne souhaitter jamais plus de bien qu'il
n'en faut aux simples besoins de la natu
re , et nous montre le cas que nous devons
faire des Richesses , en voyant on
le de mérite de ceux qui les possepeu
dent , ou le mauvais usage qu'ils en font
Nom
Collectivité
Faux
Langue
Vers et prose
Type d'écrit journalistique
Courrier des lecteurs
Faux
Soumis par lechott le