Titre
              RÉFLEXIONS sur la Politesse.
Titre d'après la table
              Réflexion sur la Politesse,
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              293
          Incipit
              La Politesse consiste à ne rien faire et à ne rien dire qui puisse déplaire aux
Texte
              REFLEXIONS sur la Politesse.
A Politesse consiste à ne rien faire et
L ne rien dire qui puisse déplaire aux
à
autres ; à faire et à dire tout ce qui peut
leur faire plaisir , et cela avec un air , une
façon de s'exprimer , et des manieres qui
ayent quelque chose de noble , d'aisé , de
an , et de délicat ..
U. Vol . 1
11
JUIN 1731. 1471
Il faut donc considerer dans la Poli
tesse , et le fond des choses , et la maniere
de les dire et de les faire.
Cette maniere est le point le plus im
portant , un homme auroit beau être obli
geant , serviable , complaisant , civil
même ; sans une certaine maniere d'être
tout cela , il ne passeroit que pour un
honnête homme, un bon homme, et point .
du tout pour un homme poli.
Comme on a appellé l'esprit , raison assai
sonnée , on pourroit appeller la politesse ,
bonté assaisonnée. L'esprit , la politesse ,
sont je ne sçai quoi de fin , de délicat et
de brillant, ajoûtez à la raison , à la bonté.
Il y a beaucoup d'arbitraire dans cette:
maniere de dire et de faire les choses ,
de témoigner aux autres les dispositions .
avantageuses où nous sommes à leur égard
de leur marquer du respect , de l'estime ,.
de l'amitié , &c . .. . Ainsi elle varie selon
les differentes Nations. L'usage du mon
de peut seul la faire bien connoître et y
former. L'instruction la plus étenduë
n'apprend pas tout , parce qu'elle ne sçau
roit tout exprimer , à plus forte raison.
ne met-elle pas en état d'agir. Il y a bien
loin de la politesse speculative , à la poli
tesse pratique. La politesse est une chose:
d'experience et d'usage.
و ا
IL..Vol. E vj. Ca
1472 MERCURE DE FRANCE
Ce qui met le plus en état de profiter
de cette expérience et de cet usage du
monde , c'est beaucoup de bonté et de
douceur dans le caractere , beaucoup de
finesse , de sentiment pour discerner
promptement ce qui convient , eu égard
à toutes les circonstances où l'on se trou
ve , ce qui s'appelle les bienséances ; enfin
beaucoup de souplesse dans l'humeur , et
une grande facilité d'entrer dans toutes
les dispositions , de prendre tous les sen
timens qu'exige l'occasion présente , ou
du moins de les feindre..
Mais il est très difficile de feindre et de
dissimuler. L'homme est naturellement
sincere , il aime à dire ce qu'il pense , à
témoigner ce qu'il sent . Ainsi il est im,
possible qu'on soit poli , du moins qu'on
le soit constamment , avec certains dé
tours qu'il faudroit cacher pour le paroî
tre ,.
comme l'orgueil , la colere , là du
reté de coeur , la malice & c . Disons tout ,
le seul penchant à la sincerité , le grand
éloignement de tout déguisement. et de
toute dissimulation suffit pour rendre
impoli : une des régles les plus commu
nes de la politesse , est qu'il ne faut pas
dire tout ce qu'on pense , ni faire toug
ce qu'on voudroit.
On ne se bornera
pas
même à accuser
Il Vol la
FUIN. 1731. 7473
La sincerité d'impolitesse , comme il y a
d'ordinaire plus de mal que de bien à di
re des hommes , comme il Y a une infi
nité d'occasions de les contredire avec
justice , soit dans leurs opinions , soit dans
leurs passions , celui qui leur parleroit
toujours avec une entiere, sincerité , pas
seroit pour malin ..
Pour être poli positivement , c'est- à
dire , pour faire et surtout pour dire des.
choses polies , il faut avoir de l'esprit ; .
mais. il suffit presque d'avoir une bonne
éducation et un peu de bon sens pour:
être poli négativement , c'est-à - dire , ne
rien faire et ne rien dire d'impoli . Telle
est la politesse de beaucoup de personnes,
d'un esprit médiocre , qui ne laissent pas.
de se faite aimer et d'être de bonne com-.
pagnie jusqu'à un certain point, par leur
complaisance , leurs attentions & c .
Il y a une impolitesse de malice , et
une impolitesse de grossiereté , celle ci
attire le mépris , celle -là attire la haine ..
Mais être appellé impoli , est , à mon
avis , une plus grande injure que d'être
appellé malin et satyrique,
L'accusation d'impolitesse est une des
plus grandes injures , selon moi , parce
qu'elle emporte une idée de bassesse dans
la naissance , et de petitesse dans l'esprit.
II. Vol. Of
F474 MERCURE DE FRANCE
Or les réproches les plus piquants sont
ceux qui régardent l'esprit et la naissan
ce. Un homme de guerre feroit peut- être
aussi offensé d'être appellé sot ou faquin ,
que d'être traité de lâche .
Les personnes extrêmement vives , ne
sont pas pour l'ordinaire fort polies ; leur
vivacité les entraîne presque toujours
tantôt vers un objet , tantôt vers un au
tre ; elle les fait agir et parler précipitam
ment , souvent même sans réfléxion .
Les vives sont presque toujours coleres ,
impatientes , opiniâtres , du moins pour
le moment.
La réputation d'homme poli , est une
des plus avantageuses qu'on puisse avoir
dans le monde la politesse est au moins
l'apparence des plus excellentes vertus ,
des plus belles qualités tant de l'esprit
que du coeur , elle attire tout ensemble
l'estime et l'amour .
Mais souvent pour éviter l'impolitesse
on tombe dans l'affectation et les façons ,
ce qui est plus ridicule et plus desagréa
ble que la simple grossiereté.
Ainsi on peut pecher contre la vraye
politesse par excès et par deffaut.
Les témoignages excessifs et trop fré
quens d'estime , de respect &c. ne flat
tent plus , ne font que géner ceux aus
II. Vol..
quels,
JUIN. 1731. 147
•
quels ils s'addressent , et par là sont con
traires à la vraye politesse , dont le but
est de plaire. C'est un grand Art de sca
voir les mésurer selon les personnes et les
circonstances. Ce qui s'appelle faire des
façons avec son inferieur , ou son égal¸,
s'appelle faire son devoir avec son Supe
rieur.
Les défauts qui nous choquent le plus.
dans les autres , sont ceux qu'ils pren
nent pour des agrémens. Ils sont fort
contents d'eux-mêmes , pendant qu'ils:
nous paroissent ridicules , et dès lors ils
nous le paroissent encore davantage , ils .
nous deviennent même à charge par l'or
güeil qui est d'ordinaire le principe et la
suite de cette méprise. De plus les défauts
ausquels on s'est étudié , comme à des
qualités , sont beaucoup plus choquants
que les vices naturels. Voilà pourquoy
Fair affecté et précieux choque également
tout le monde. La vraye politesse en rit ,.
Pimpolitesse en murmure.
Mais il ne suffit pas de ne rien dire , ni
de ne rien faire qui puisse blesser les au
tres , ce n'est pas avoir satisfait à tout ce
que renferme ce devoir , si l'on ne souf
fre ce que les autres peuvent dire , ou
faire d'offensant ou de moins poli. Ainsi
une grande partie de la politesse consiste
II..Vol
1476 MERCURE DE FRANCE
à souffrir l'impolitesse des autres.
Témoigner aux autres qu'ils nous of
fensent , c'est presque toujours les offen
ser.
, Il est d'autant plus difficile d'être poli
qu'il y a moins de gens qui le soient ve
ritablement..
Comme la plus forte passion des hom
mes est celle d'être estimés et considerés ,
la politesse consiste sur tout à témoigner
aux autres de la consideration et de l'es
time , à flatter leur orgieil. La vanité est
la source , l'assaisonnement de nos plus
grands plaisirs .
Pour apprendre à connoître la poli
tesse , il faut voir des personnes polies ;;
mais pour se perfectionner , et se fortifier
dans la pratique de la politesse , il seroit
peut- être utile quelquefois de se trou->
ver avec des gens impolis. Des occasions,
frequentes d'agir et de surmonter une
difficulté considerable , avancent bien
mieux que de simples exemples. Leur im
politesse déplaît , l'on voit en quoy ils
manquent, et par - là même l'on n'y tombe
pas.
Lecommerce des femmes est , dit- on ,
communément , la meilleure école de
po
litesse . Cela est vray. Non pas tant néan
moins parceque les femmes sont polies 3
II. Vol
que
JUIN. 1731.
1477
2
que parce qu'il faut l'être beaucoup avec
elles. Il n'y a pas tant à profiter des exem
ples de politesse qu'elles nous donnent
que de la necessité où nous sommes d'en
avoir beaucoup à leur égard , non seule
ment pour leur plaire, mais pour en être
soufferts. Le merite le plus essentiel d'un
homme auprés des femmes sages , c'est
une grande politesse . Quelques femmes
ont des Amants à qui manquent toutes
les qualités qui se peuvent nommer. Trés
peu sont capables de choisir pour ami un
homme à qui rien ne manqueroit du côté
de l'esprit et du coeur,mais qui n'auroit pas
ces dehors agréables , ces manieres no
bles, aisées, qu'on appelle l'air du monde,
Il me semble qu'on peut distinguer
trois sortes de mérites , le mérite estima
ble , le mérite aimable et le mérite agréa
ble. Le mérite estimable est celui de la
superiorité , des lumieres , des talens , du
sçavoir , de la parfaite probité , &c. ...
Le mérite aimable est celui des sentimens ,
de la douceur dans le caractere , de l'éga
lité de l'humeur , &c... Le mérite agréa
ble est proprement celui de la politesse .
La timidité ne se corrige guères par de
simples avis , encore moins par des rail
leries et par des reproches. Il est bon de
paroître ne faire pas trop d'attention à
II. Vol uns
1478 MERCURE DE FRANCE
*
ane personne timide , cela la met plus à
son aise . La femme du monde qui mar
che le mieux , marche de mauvaise grace
dès qu'on la regarde ; il faut quelquefois
exciter la confiance de certaines gens par
des louanges courtes et mésurées ; les élo
ges trop forts les déconcertent ; ils plai
roient s'ils pouvoient se flatter de plaire.
Il y en a d'autres qu'il faut tâcher de gue
rir de leur trop de sensibilité aux juge
mens qu'on peut faire d'eux ; car c'est la
source de leur timidité , et cette espece de
timidité est peut être elle- même vanité .
Il y a de la politesse à se livrer de bon
ne grace dans la conversation , à n'avoir
pas plus d'esprit que ceux avec qui on
se trouve , à n'affecter point trop de jus
tesse , à donner quelquefois lieu à la con
tradiction et à la critique ; en un mot
à n'avoir pas toûjours raison . Mª un tel
parle bien , dit - on , mais il ne dit rien
dont il n'ait fait auparavant le broüillon
dans sa tête ; aussi parle- t'il peu ; les
broüillons emportent trop de temps ; le
moment de l'à- propos s'enfuit ; par-là un
homme est toujours gêné et toujours gê
nant. C'est orgueil , c'est vanité pure , et
par consequent impolitesse ; car la po
litesse consiste à sçavoir cacher sa vanité,
et à flatter celle des personnes avec qui
l'on se trouve.
          A Politesse consiste à ne rien faire et
L ne rien dire qui puisse déplaire aux
à
autres ; à faire et à dire tout ce qui peut
leur faire plaisir , et cela avec un air , une
façon de s'exprimer , et des manieres qui
ayent quelque chose de noble , d'aisé , de
an , et de délicat ..
U. Vol . 1
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JUIN 1731. 1471
Il faut donc considerer dans la Poli
tesse , et le fond des choses , et la maniere
de les dire et de les faire.
Cette maniere est le point le plus im
portant , un homme auroit beau être obli
geant , serviable , complaisant , civil
même ; sans une certaine maniere d'être
tout cela , il ne passeroit que pour un
honnête homme, un bon homme, et point .
du tout pour un homme poli.
Comme on a appellé l'esprit , raison assai
sonnée , on pourroit appeller la politesse ,
bonté assaisonnée. L'esprit , la politesse ,
sont je ne sçai quoi de fin , de délicat et
de brillant, ajoûtez à la raison , à la bonté.
Il y a beaucoup d'arbitraire dans cette:
maniere de dire et de faire les choses ,
de témoigner aux autres les dispositions .
avantageuses où nous sommes à leur égard
de leur marquer du respect , de l'estime ,.
de l'amitié , &c . .. . Ainsi elle varie selon
les differentes Nations. L'usage du mon
de peut seul la faire bien connoître et y
former. L'instruction la plus étenduë
n'apprend pas tout , parce qu'elle ne sçau
roit tout exprimer , à plus forte raison.
ne met-elle pas en état d'agir. Il y a bien
loin de la politesse speculative , à la poli
tesse pratique. La politesse est une chose:
d'experience et d'usage.
و ا
IL..Vol. E vj. Ca
1472 MERCURE DE FRANCE
Ce qui met le plus en état de profiter
de cette expérience et de cet usage du
monde , c'est beaucoup de bonté et de
douceur dans le caractere , beaucoup de
finesse , de sentiment pour discerner
promptement ce qui convient , eu égard
à toutes les circonstances où l'on se trou
ve , ce qui s'appelle les bienséances ; enfin
beaucoup de souplesse dans l'humeur , et
une grande facilité d'entrer dans toutes
les dispositions , de prendre tous les sen
timens qu'exige l'occasion présente , ou
du moins de les feindre..
Mais il est très difficile de feindre et de
dissimuler. L'homme est naturellement
sincere , il aime à dire ce qu'il pense , à
témoigner ce qu'il sent . Ainsi il est im,
possible qu'on soit poli , du moins qu'on
le soit constamment , avec certains dé
tours qu'il faudroit cacher pour le paroî
tre ,.
comme l'orgueil , la colere , là du
reté de coeur , la malice & c . Disons tout ,
le seul penchant à la sincerité , le grand
éloignement de tout déguisement. et de
toute dissimulation suffit pour rendre
impoli : une des régles les plus commu
nes de la politesse , est qu'il ne faut pas
dire tout ce qu'on pense , ni faire toug
ce qu'on voudroit.
On ne se bornera
pas
même à accuser
Il Vol la
FUIN. 1731. 7473
La sincerité d'impolitesse , comme il y a
d'ordinaire plus de mal que de bien à di
re des hommes , comme il Y a une infi
nité d'occasions de les contredire avec
justice , soit dans leurs opinions , soit dans
leurs passions , celui qui leur parleroit
toujours avec une entiere, sincerité , pas
seroit pour malin ..
Pour être poli positivement , c'est- à
dire , pour faire et surtout pour dire des.
choses polies , il faut avoir de l'esprit ; .
mais. il suffit presque d'avoir une bonne
éducation et un peu de bon sens pour:
être poli négativement , c'est-à - dire , ne
rien faire et ne rien dire d'impoli . Telle
est la politesse de beaucoup de personnes,
d'un esprit médiocre , qui ne laissent pas.
de se faite aimer et d'être de bonne com-.
pagnie jusqu'à un certain point, par leur
complaisance , leurs attentions & c .
Il y a une impolitesse de malice , et
une impolitesse de grossiereté , celle ci
attire le mépris , celle -là attire la haine ..
Mais être appellé impoli , est , à mon
avis , une plus grande injure que d'être
appellé malin et satyrique,
L'accusation d'impolitesse est une des
plus grandes injures , selon moi , parce
qu'elle emporte une idée de bassesse dans
la naissance , et de petitesse dans l'esprit.
II. Vol. Of
F474 MERCURE DE FRANCE
Or les réproches les plus piquants sont
ceux qui régardent l'esprit et la naissan
ce. Un homme de guerre feroit peut- être
aussi offensé d'être appellé sot ou faquin ,
que d'être traité de lâche .
Les personnes extrêmement vives , ne
sont pas pour l'ordinaire fort polies ; leur
vivacité les entraîne presque toujours
tantôt vers un objet , tantôt vers un au
tre ; elle les fait agir et parler précipitam
ment , souvent même sans réfléxion .
Les vives sont presque toujours coleres ,
impatientes , opiniâtres , du moins pour
le moment.
La réputation d'homme poli , est une
des plus avantageuses qu'on puisse avoir
dans le monde la politesse est au moins
l'apparence des plus excellentes vertus ,
des plus belles qualités tant de l'esprit
que du coeur , elle attire tout ensemble
l'estime et l'amour .
Mais souvent pour éviter l'impolitesse
on tombe dans l'affectation et les façons ,
ce qui est plus ridicule et plus desagréa
ble que la simple grossiereté.
Ainsi on peut pecher contre la vraye
politesse par excès et par deffaut.
Les témoignages excessifs et trop fré
quens d'estime , de respect &c. ne flat
tent plus , ne font que géner ceux aus
II. Vol..
quels,
JUIN. 1731. 147
•
quels ils s'addressent , et par là sont con
traires à la vraye politesse , dont le but
est de plaire. C'est un grand Art de sca
voir les mésurer selon les personnes et les
circonstances. Ce qui s'appelle faire des
façons avec son inferieur , ou son égal¸,
s'appelle faire son devoir avec son Supe
rieur.
Les défauts qui nous choquent le plus.
dans les autres , sont ceux qu'ils pren
nent pour des agrémens. Ils sont fort
contents d'eux-mêmes , pendant qu'ils:
nous paroissent ridicules , et dès lors ils
nous le paroissent encore davantage , ils .
nous deviennent même à charge par l'or
güeil qui est d'ordinaire le principe et la
suite de cette méprise. De plus les défauts
ausquels on s'est étudié , comme à des
qualités , sont beaucoup plus choquants
que les vices naturels. Voilà pourquoy
Fair affecté et précieux choque également
tout le monde. La vraye politesse en rit ,.
Pimpolitesse en murmure.
Mais il ne suffit pas de ne rien dire , ni
de ne rien faire qui puisse blesser les au
tres , ce n'est pas avoir satisfait à tout ce
que renferme ce devoir , si l'on ne souf
fre ce que les autres peuvent dire , ou
faire d'offensant ou de moins poli. Ainsi
une grande partie de la politesse consiste
II..Vol
1476 MERCURE DE FRANCE
à souffrir l'impolitesse des autres.
Témoigner aux autres qu'ils nous of
fensent , c'est presque toujours les offen
ser.
, Il est d'autant plus difficile d'être poli
qu'il y a moins de gens qui le soient ve
ritablement..
Comme la plus forte passion des hom
mes est celle d'être estimés et considerés ,
la politesse consiste sur tout à témoigner
aux autres de la consideration et de l'es
time , à flatter leur orgieil. La vanité est
la source , l'assaisonnement de nos plus
grands plaisirs .
Pour apprendre à connoître la poli
tesse , il faut voir des personnes polies ;;
mais pour se perfectionner , et se fortifier
dans la pratique de la politesse , il seroit
peut- être utile quelquefois de se trou->
ver avec des gens impolis. Des occasions,
frequentes d'agir et de surmonter une
difficulté considerable , avancent bien
mieux que de simples exemples. Leur im
politesse déplaît , l'on voit en quoy ils
manquent, et par - là même l'on n'y tombe
pas.
Lecommerce des femmes est , dit- on ,
communément , la meilleure école de
po
litesse . Cela est vray. Non pas tant néan
moins parceque les femmes sont polies 3
II. Vol
que
JUIN. 1731.
1477
2
que parce qu'il faut l'être beaucoup avec
elles. Il n'y a pas tant à profiter des exem
ples de politesse qu'elles nous donnent
que de la necessité où nous sommes d'en
avoir beaucoup à leur égard , non seule
ment pour leur plaire, mais pour en être
soufferts. Le merite le plus essentiel d'un
homme auprés des femmes sages , c'est
une grande politesse . Quelques femmes
ont des Amants à qui manquent toutes
les qualités qui se peuvent nommer. Trés
peu sont capables de choisir pour ami un
homme à qui rien ne manqueroit du côté
de l'esprit et du coeur,mais qui n'auroit pas
ces dehors agréables , ces manieres no
bles, aisées, qu'on appelle l'air du monde,
Il me semble qu'on peut distinguer
trois sortes de mérites , le mérite estima
ble , le mérite aimable et le mérite agréa
ble. Le mérite estimable est celui de la
superiorité , des lumieres , des talens , du
sçavoir , de la parfaite probité , &c. ...
Le mérite aimable est celui des sentimens ,
de la douceur dans le caractere , de l'éga
lité de l'humeur , &c... Le mérite agréa
ble est proprement celui de la politesse .
La timidité ne se corrige guères par de
simples avis , encore moins par des rail
leries et par des reproches. Il est bon de
paroître ne faire pas trop d'attention à
II. Vol uns
1478 MERCURE DE FRANCE
*
ane personne timide , cela la met plus à
son aise . La femme du monde qui mar
che le mieux , marche de mauvaise grace
dès qu'on la regarde ; il faut quelquefois
exciter la confiance de certaines gens par
des louanges courtes et mésurées ; les élo
ges trop forts les déconcertent ; ils plai
roient s'ils pouvoient se flatter de plaire.
Il y en a d'autres qu'il faut tâcher de gue
rir de leur trop de sensibilité aux juge
mens qu'on peut faire d'eux ; car c'est la
source de leur timidité , et cette espece de
timidité est peut être elle- même vanité .
Il y a de la politesse à se livrer de bon
ne grace dans la conversation , à n'avoir
pas plus d'esprit que ceux avec qui on
se trouve , à n'affecter point trop de jus
tesse , à donner quelquefois lieu à la con
tradiction et à la critique ; en un mot
à n'avoir pas toûjours raison . Mª un tel
parle bien , dit - on , mais il ne dit rien
dont il n'ait fait auparavant le broüillon
dans sa tête ; aussi parle- t'il peu ; les
broüillons emportent trop de temps ; le
moment de l'à- propos s'enfuit ; par-là un
homme est toujours gêné et toujours gê
nant. C'est orgueil , c'est vanité pure , et
par consequent impolitesse ; car la po
litesse consiste à sçavoir cacher sa vanité,
et à flatter celle des personnes avec qui
l'on se trouve.
Langue
              
          Vers et prose
              
          Type d'écrit journalistique
          
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