Titre
DERNIERE SUITE des Mémoires de M. Capperon, &c. Sur l'Histoire naturelle, l'Histoire Civile & Ecclesiastique du Comté d'Eu.
Titre d'après la table
Dernier Mémoire sur l'Hist. du Comté d'Eu,
Fait partie d'une livraison
Fait partie d'une section
Page de début
1952
Page de début dans la numérisation
59
Page de fin
1960
Page de fin dans la numérisation
67
Incipit
Pour ne rien omettre, Monsieur, sur ce qui a raport à la piété dans notre
Texte
DERNIERE SUITE des Mémoires
de M. Capperon , & c. Sur l'Hiftoire naturelle
, l'Hiftoire Civile & Ecclefiaftique
du Comté d'Eu .
P
*
Our ne rien omettre , Monfieur , fur
ce qui a raport à la piété dans notre
Hiftoire , je ne dois pas , ce me femble ,
oublier une faveur finguliere de la Providence
faite à la ville d'Eu , en la rendant
dépofitaire du Corps de l'Illuftre S. Laurent
, Archevêque de Dublin en Irlande ,
l'an 1181. Ce faint Archevêque paffant
par cette Ville , pour aller joindre le Roy
d'Angleterre , qui étoit en Normandie
Dieu permit qu'il y tomba malade, & qu'il
y mourut le 14 du mois de Novembre.
Six ans après la mort , le Comte d'Eu ;
Henry II. fils du Comte Jean , Religieux
à Foucarmont , dont je viens de parler ,
imitateur de fa piété , en faifant conf-
Voyez les Mercures de Juillet & Aoust ,
$730 truire
SEPTEMBRE . 1730. 1958
truire l'Eglife de Notre -Dame , qui fubfifte
encore aujourd'hui , le tombeau où
repofoit le Corps de ce S.Archevêque fut
ouvert ; il s'y fit , dit- on , tant de miracles
, & les guérifons miraculeufes attirerent
tant de malades à la ville d'Eu
qu'il eft remarqué dans l'original de la
Vie de ce Saint , écrite so ans après fa
mort ,par un Chanoine de l'Abbaye d'Eu ,
chapitre 31. Que quoiqu'on eut abandonné
le Château pour les loger , il ne
fuffifoit pas encore , tant le nombre en
étoit grand.
S Les habitans de la Villè d'Eu , témoins
de toutes ces merveilles , obtinrent après
cinq voïages faits à Rome , que cet illuftre
Saint fût folemnellement canonifé , ce
qui arriva l'onzième jour de Decembre
1226. par une Bulle du Pape Honoré III .
laquelle a cela de fingulier , qu'elle eft la
premiere Bulle de Canonifation où les
Papes aient accordé des Indulgences. Et
ces mêmes Indulgences y font énoncées ,
de la mème maniere qu'on en ufoit dans
les premiers tems , puifque le Pape déclare
qu'il remet vingt jours de la penitence
enjointe à tous ceux qui vifiteront
l'Eglife où le Corps de ce Saint repoſe
foit le jour de fa fête , ou un des jours de
l'octave.
Ceux qui ont tant foit peu de lecture
Ciij fça-
>
1954 MERCURE DE FRANCE
fçavent que les fentimens font fort partagez
fur le tems précis auquel la Poudre
à Čanon a été inventée. Les Hiftoriens
ont auffi fort varié , pour fixer le tems
auquel on a commencé à fe fervir de l'Artillerie.
Grand nombre l'ont placé bien
au deffous de fa veritable époque . Nauclerus
, par exemple , n'en fixe l'uſage
qu'en 1354. Baronius en 1360. d'autres
en 1380. Moreri dit pofitivement qu'avant
l'an 1425. l'Artillerie étoit incon
nuë en France. Mais felon Furetiere dans
fon Dictionaire , M. du Cange eft le premier
qui a découvert dans la Chambre
des Comptes de Paris , qu'on fe fervoit
en France de l'Artillerie dès l'an 1338.
Comme en effet , on y voit un compte
de cette même année , où il eft parlé de
la dépenſe faite pour la Poudre neceſſaire
aux Canons , qui furent employez devant
Puy- Guillaume , Château en Auvergne.
J'efpere qu'on trouvera bon , qu'à ce
titre , lequel jufqu'à preſent , comme je
crois , a paru unique , pour fixer ce point
d'hiftoire , j'en ajoute un autre , tiré des
Archives de notre Hôtel de Ville , qui en
confirme la verité. Il fe trouve dans un
ancien Livre en velin , où font infcrits par
années les noms des Maires & Echevins
depuis l'an 1272. On le nomme le Livre
rouge
SEPTEMBRE. 1730. 1955
rouge , lequel eft en deux volumes . Com
me on a eu foin d'écrire auffi dans ce Livre
ce qui s'eft paffé de plus confiderable
pendant l'adminiftration de chaque Maire
, on lit , volume premier , page 97. le
détail d'une defcente que les Anglois firent
à Tréport , au mois de Mai 1340.de
quelle maniere ils furent heureuſement
repouffez. On y fait obſerver que l'Artil
lerie dont on fe fervit dans cette occafion
y contribua beaucoup ; qu'on en faifoit
alors un fi grand cas , à caufe de la nouveauté
, que celui qui a décrit cette defcente
, remarque comme un grand bonheur
, qu'elle ne fut aucunement endommagée.
Cette ancienne Artillerie fe voit encore
aujourd'hui à Eu , & confifte en deux
groffes Boëtes de fer , qu'on chargeoit
alors de Cailloux ronds , au lieu de Boulets
de fer , comme on en ufoit encore en
1354. même pour les Moufquets , au rapport
de Mezerai , qui dit que ce fut dans
ce temps-là qu'on commença à s'en fervir
dans la guerre d'Italie ; lefquels Moufquets
étoient , dit- il , fi gros , qu'il falloit
deux hommes pour les porter , & on
ne les tiroit que pofez fur deux pieux en
fourchettes. Paffons à un autre fujet.
Le Tombeau fimbolique du Comte
d'Eu , Philippe d'Artois , Connétable de
C iiij France
1956 MERCURE DE FRANCE
France , qui eft dans l'Eglife de Notre-
Dame d'Eu , me paroît meriter qu'on
y faffe attention à caufe de fa fingularité.
Ce qui le diftingue des autres Tombeaux
'de la même Maifon d'Artois qui reſtent
'dans cette Eglife , confifte en ce qu'il eſt
le feul qui foit , non pas fimplement entouré
d'une grille de fer , pour empêcher
qu'on n'en approche , ainfi qu'on en voit
plufieurs autres ; mais en ce qu'il eft enfermé
comme dans une efpece de cage ,
la grille en étant fi proche , qu'on peut
le toucher comme on veut ; ce qui paroît
' d'autant plus myfterieux, que ce tombeau
n'a rien qui exige d'être plus précieufement
confervé que les autres. D'ailleurs ,
Paffectation qu'ont eu ceux qui ont travaillé
ces tombeaux , de pofer des figures
de petits chiens aux pieds de tous ceux
& celles qui y font reprefentez , donne
tout lieu de croire qu'il y avoit en tout
cela quelque chofe de caché.
En effet , c'eft une choſe certaine , que
dans le tems où ces Tombeaux ont été
faits , l'ufage étoit de donner à ceux dont
on voyoit les Repréſentations , certains
ornemens qui défignoient comment ils
étoient morts. Olivier de la Marche , dit
pofitivement dans l'Hiftoire qu'il a compofée
, au rapport de Gui Coquille , dans
fon Hiftoire du Nivernois , que ces petits
chiens
SEPTEMBRE. 1730. 1957
chiens qu'on mettoit alors aux pieds des
perfonnes reprefentées fur les Tombeaux,
fignifioient qu'elles étoient mortes dans
leur lit.Que fi c'étoient des Seigneurs qui
fuffent morts dans un combat , on les reprefentoit
armez de toutes pieces ; au
lieu que s'ils étoient morts , non dans un
Combat , mais ou de bleſſures , ou de maladies
, ou d'autres accidens de Guerre ,
on les reprefentoit également armez de
Cuiraffe , mais n'ayant ni le Cafque en
tête , ni les Gantelets aux mains .
Telle eft juftement , Monfieur , la maniere
dont Philippe d'Artois eft reprefen
té en Marbre fur fon Tombeau , car ce
Seigneur ayant eu le malheur d'être fait
prifonnier par les Turcs , l'an 1396. à la
fameufe bataille de Nicopolis, & de mourir
peu de temps après dans fa prifon ; cela
qui donna lieu pour marquer le genre
de fa mort , de le reprefenter armé , mais
fans Cafque à la tête , & fans Gantelets
aux mains , ayant deux petits chiens à
fes pieds , & d'ajouter une grille qui le
couvre dans fon Tombeau , à celle qui
environne ce même Tombeau, pour mieux
marquer qu'il étoit mort en prifon. Il ne
fera inutile de remarquer que par le
compte que j'ai vu de Roger de Malderée
, alors Receveur du Comté d'Eu , ce
Tombeau où eft la figure de Philippe
Су d'Artois
pas
1958 MERCURE DE FRANCE
d'Artois , de Marbre blanc , de grandeur
naturelle , pofée fur une Table de Marbre
noir , élevée fur le Tombeau , & la double
grille de fer qui l'enferme , n'ont couté
que cent livres , tant l'argent étoit rare
en ce temps - là.
Voicy un autre fait , lequel pour fa fingularité
mérite de trouver icy fa place.
C'eft Monftrelet qui le raporte ' en fon
Hiftoire , volume 1. chap. 125. Cet Hiſtorien
dit que le Roy d'Angleterre Henry
V. s'étant brouillé avec la France , il entra
dans ce Royaume par l'embouchure
de la Seine , le 13. Aouft 1415. avec une
Armée compofée de fix mille hommes
d'Armes , & de 24 mille Archers , d'où
il fe mit en marche , bien réfolu de ravager
tout le Païs qui étoit le long de la côte
jufqu'à Calais. Comme la Ville d'Eu étoit
fur la route , il comptoit bien de l'emporter
d'emblée , & d'en abandonner le pillage
à fes Troupes . Mais il n'en fut pas
ainfi ; car le Comte d'Eu , Charles d'Artois
, s'étant jetté dans cette Place pour la
défendre comme fon propre bien , il ne
tarda pas à lui faire connoître que la chofe
ne lui feroit pas auffi facile qu'il fe l'étoit
promis .
En effet , à peine le Comte d'Eu eut il
reçu avis , que les Coureurs de l'Armée
s'avançoient , qu'il fit faire fur eux une
vigouSEPTEMBRE.
1730. 1959
vigoureuſe fortie.L'attaque fut tres - rude
& ce fut là que fe paffa l'action fingulie
re dont je veux parler. Sçavoir , que dans
le tems que les habitans de la Ville d'Eu
chargeoient rudement les Anglois , un de
fes habitans , nommé Lamelot- Pierre, eut
le malheur de recevoir de la main d'un
Anglois un coup de Lance , qui lui perça
le ventre de part en part; mais ce qui doit
furprendre , c'eft que ce particulier , loin
de perdre toute prefence d'efprit & tout
courage par un coup fi terrible , prenant
la Lance d'une main & fe l'enfonçant
dans le ventre , s'avança toujours jufqu'à
ce qu'il fut à portée de tuer de fon Epée
qu'il tenoit de l'autre main , celui qui lui
avoit donné le coup mortel , & le fit ainfi
expirer en même - temps que lui .
Ce premier effai de valeur que donnerent
ceux qui étoient réfolus à bien défendre
la Ville , n'empêcha pas l'armée
Angloife d'en faire le Siége ; mais les Anglois
y trouvant plus de réfiftance qu'ils
n'avoient efperé , ſçachant d'ailleurs que
l'armée que le Roy de France avoit formée
en peu de temps , s'avançoit pour
les combattre , ils leverent le Siége le troifiéme
jour d'Octobre , & pafferent en Picardie
, où ayant été joints par l'armée
Françoife , le combat fe donna proche
d'Azincourt , dans le Comté de S. Paul.
C vj Je
1960 MERCURE DE FRANCE
Je n'en rapporterai qu'une feule circon-
"ftance fort finguliere , que j'ai tirée de la
Bibliotheque ancienne & nouvelle de le
Clerc , tom . 1. fçavoir , que la plufpart des
Soldats Anglois fe trouvant alors attaquez
d'une violente Diffenterie , ils n'héfiterent
pas , avant le Combat , de fe mettre
à nud de la ceinture en bas , pour évi
ter que de preffans befoins ne vinffent à
les troubler pendant la mêlée , ce qui n'empêcha
pas qu'ils ne remportaffent une entiere
victoire.
Je pourrois raporter un plus grand nombre
de faits ,non moins finguliers que ceux
dont je viens de vous entretenir ; mais
pour éviter une longueur qui pourroit
devenir ennuyeuſe , vous me permettrez
de faire icy Alte, & de reprendre un peu
halene. Je fuis toujours , Monfieur , votre
, &c.
A Eu , ce 1 May 1730.
de M. Capperon , & c. Sur l'Hiftoire naturelle
, l'Hiftoire Civile & Ecclefiaftique
du Comté d'Eu .
P
*
Our ne rien omettre , Monfieur , fur
ce qui a raport à la piété dans notre
Hiftoire , je ne dois pas , ce me femble ,
oublier une faveur finguliere de la Providence
faite à la ville d'Eu , en la rendant
dépofitaire du Corps de l'Illuftre S. Laurent
, Archevêque de Dublin en Irlande ,
l'an 1181. Ce faint Archevêque paffant
par cette Ville , pour aller joindre le Roy
d'Angleterre , qui étoit en Normandie
Dieu permit qu'il y tomba malade, & qu'il
y mourut le 14 du mois de Novembre.
Six ans après la mort , le Comte d'Eu ;
Henry II. fils du Comte Jean , Religieux
à Foucarmont , dont je viens de parler ,
imitateur de fa piété , en faifant conf-
Voyez les Mercures de Juillet & Aoust ,
$730 truire
SEPTEMBRE . 1730. 1958
truire l'Eglife de Notre -Dame , qui fubfifte
encore aujourd'hui , le tombeau où
repofoit le Corps de ce S.Archevêque fut
ouvert ; il s'y fit , dit- on , tant de miracles
, & les guérifons miraculeufes attirerent
tant de malades à la ville d'Eu
qu'il eft remarqué dans l'original de la
Vie de ce Saint , écrite so ans après fa
mort ,par un Chanoine de l'Abbaye d'Eu ,
chapitre 31. Que quoiqu'on eut abandonné
le Château pour les loger , il ne
fuffifoit pas encore , tant le nombre en
étoit grand.
S Les habitans de la Villè d'Eu , témoins
de toutes ces merveilles , obtinrent après
cinq voïages faits à Rome , que cet illuftre
Saint fût folemnellement canonifé , ce
qui arriva l'onzième jour de Decembre
1226. par une Bulle du Pape Honoré III .
laquelle a cela de fingulier , qu'elle eft la
premiere Bulle de Canonifation où les
Papes aient accordé des Indulgences. Et
ces mêmes Indulgences y font énoncées ,
de la mème maniere qu'on en ufoit dans
les premiers tems , puifque le Pape déclare
qu'il remet vingt jours de la penitence
enjointe à tous ceux qui vifiteront
l'Eglife où le Corps de ce Saint repoſe
foit le jour de fa fête , ou un des jours de
l'octave.
Ceux qui ont tant foit peu de lecture
Ciij fça-
>
1954 MERCURE DE FRANCE
fçavent que les fentimens font fort partagez
fur le tems précis auquel la Poudre
à Čanon a été inventée. Les Hiftoriens
ont auffi fort varié , pour fixer le tems
auquel on a commencé à fe fervir de l'Artillerie.
Grand nombre l'ont placé bien
au deffous de fa veritable époque . Nauclerus
, par exemple , n'en fixe l'uſage
qu'en 1354. Baronius en 1360. d'autres
en 1380. Moreri dit pofitivement qu'avant
l'an 1425. l'Artillerie étoit incon
nuë en France. Mais felon Furetiere dans
fon Dictionaire , M. du Cange eft le premier
qui a découvert dans la Chambre
des Comptes de Paris , qu'on fe fervoit
en France de l'Artillerie dès l'an 1338.
Comme en effet , on y voit un compte
de cette même année , où il eft parlé de
la dépenſe faite pour la Poudre neceſſaire
aux Canons , qui furent employez devant
Puy- Guillaume , Château en Auvergne.
J'efpere qu'on trouvera bon , qu'à ce
titre , lequel jufqu'à preſent , comme je
crois , a paru unique , pour fixer ce point
d'hiftoire , j'en ajoute un autre , tiré des
Archives de notre Hôtel de Ville , qui en
confirme la verité. Il fe trouve dans un
ancien Livre en velin , où font infcrits par
années les noms des Maires & Echevins
depuis l'an 1272. On le nomme le Livre
rouge
SEPTEMBRE. 1730. 1955
rouge , lequel eft en deux volumes . Com
me on a eu foin d'écrire auffi dans ce Livre
ce qui s'eft paffé de plus confiderable
pendant l'adminiftration de chaque Maire
, on lit , volume premier , page 97. le
détail d'une defcente que les Anglois firent
à Tréport , au mois de Mai 1340.de
quelle maniere ils furent heureuſement
repouffez. On y fait obſerver que l'Artil
lerie dont on fe fervit dans cette occafion
y contribua beaucoup ; qu'on en faifoit
alors un fi grand cas , à caufe de la nouveauté
, que celui qui a décrit cette defcente
, remarque comme un grand bonheur
, qu'elle ne fut aucunement endommagée.
Cette ancienne Artillerie fe voit encore
aujourd'hui à Eu , & confifte en deux
groffes Boëtes de fer , qu'on chargeoit
alors de Cailloux ronds , au lieu de Boulets
de fer , comme on en ufoit encore en
1354. même pour les Moufquets , au rapport
de Mezerai , qui dit que ce fut dans
ce temps-là qu'on commença à s'en fervir
dans la guerre d'Italie ; lefquels Moufquets
étoient , dit- il , fi gros , qu'il falloit
deux hommes pour les porter , & on
ne les tiroit que pofez fur deux pieux en
fourchettes. Paffons à un autre fujet.
Le Tombeau fimbolique du Comte
d'Eu , Philippe d'Artois , Connétable de
C iiij France
1956 MERCURE DE FRANCE
France , qui eft dans l'Eglife de Notre-
Dame d'Eu , me paroît meriter qu'on
y faffe attention à caufe de fa fingularité.
Ce qui le diftingue des autres Tombeaux
'de la même Maifon d'Artois qui reſtent
'dans cette Eglife , confifte en ce qu'il eſt
le feul qui foit , non pas fimplement entouré
d'une grille de fer , pour empêcher
qu'on n'en approche , ainfi qu'on en voit
plufieurs autres ; mais en ce qu'il eft enfermé
comme dans une efpece de cage ,
la grille en étant fi proche , qu'on peut
le toucher comme on veut ; ce qui paroît
' d'autant plus myfterieux, que ce tombeau
n'a rien qui exige d'être plus précieufement
confervé que les autres. D'ailleurs ,
Paffectation qu'ont eu ceux qui ont travaillé
ces tombeaux , de pofer des figures
de petits chiens aux pieds de tous ceux
& celles qui y font reprefentez , donne
tout lieu de croire qu'il y avoit en tout
cela quelque chofe de caché.
En effet , c'eft une choſe certaine , que
dans le tems où ces Tombeaux ont été
faits , l'ufage étoit de donner à ceux dont
on voyoit les Repréſentations , certains
ornemens qui défignoient comment ils
étoient morts. Olivier de la Marche , dit
pofitivement dans l'Hiftoire qu'il a compofée
, au rapport de Gui Coquille , dans
fon Hiftoire du Nivernois , que ces petits
chiens
SEPTEMBRE. 1730. 1957
chiens qu'on mettoit alors aux pieds des
perfonnes reprefentées fur les Tombeaux,
fignifioient qu'elles étoient mortes dans
leur lit.Que fi c'étoient des Seigneurs qui
fuffent morts dans un combat , on les reprefentoit
armez de toutes pieces ; au
lieu que s'ils étoient morts , non dans un
Combat , mais ou de bleſſures , ou de maladies
, ou d'autres accidens de Guerre ,
on les reprefentoit également armez de
Cuiraffe , mais n'ayant ni le Cafque en
tête , ni les Gantelets aux mains .
Telle eft juftement , Monfieur , la maniere
dont Philippe d'Artois eft reprefen
té en Marbre fur fon Tombeau , car ce
Seigneur ayant eu le malheur d'être fait
prifonnier par les Turcs , l'an 1396. à la
fameufe bataille de Nicopolis, & de mourir
peu de temps après dans fa prifon ; cela
qui donna lieu pour marquer le genre
de fa mort , de le reprefenter armé , mais
fans Cafque à la tête , & fans Gantelets
aux mains , ayant deux petits chiens à
fes pieds , & d'ajouter une grille qui le
couvre dans fon Tombeau , à celle qui
environne ce même Tombeau, pour mieux
marquer qu'il étoit mort en prifon. Il ne
fera inutile de remarquer que par le
compte que j'ai vu de Roger de Malderée
, alors Receveur du Comté d'Eu , ce
Tombeau où eft la figure de Philippe
Су d'Artois
pas
1958 MERCURE DE FRANCE
d'Artois , de Marbre blanc , de grandeur
naturelle , pofée fur une Table de Marbre
noir , élevée fur le Tombeau , & la double
grille de fer qui l'enferme , n'ont couté
que cent livres , tant l'argent étoit rare
en ce temps - là.
Voicy un autre fait , lequel pour fa fingularité
mérite de trouver icy fa place.
C'eft Monftrelet qui le raporte ' en fon
Hiftoire , volume 1. chap. 125. Cet Hiſtorien
dit que le Roy d'Angleterre Henry
V. s'étant brouillé avec la France , il entra
dans ce Royaume par l'embouchure
de la Seine , le 13. Aouft 1415. avec une
Armée compofée de fix mille hommes
d'Armes , & de 24 mille Archers , d'où
il fe mit en marche , bien réfolu de ravager
tout le Païs qui étoit le long de la côte
jufqu'à Calais. Comme la Ville d'Eu étoit
fur la route , il comptoit bien de l'emporter
d'emblée , & d'en abandonner le pillage
à fes Troupes . Mais il n'en fut pas
ainfi ; car le Comte d'Eu , Charles d'Artois
, s'étant jetté dans cette Place pour la
défendre comme fon propre bien , il ne
tarda pas à lui faire connoître que la chofe
ne lui feroit pas auffi facile qu'il fe l'étoit
promis .
En effet , à peine le Comte d'Eu eut il
reçu avis , que les Coureurs de l'Armée
s'avançoient , qu'il fit faire fur eux une
vigouSEPTEMBRE.
1730. 1959
vigoureuſe fortie.L'attaque fut tres - rude
& ce fut là que fe paffa l'action fingulie
re dont je veux parler. Sçavoir , que dans
le tems que les habitans de la Ville d'Eu
chargeoient rudement les Anglois , un de
fes habitans , nommé Lamelot- Pierre, eut
le malheur de recevoir de la main d'un
Anglois un coup de Lance , qui lui perça
le ventre de part en part; mais ce qui doit
furprendre , c'eft que ce particulier , loin
de perdre toute prefence d'efprit & tout
courage par un coup fi terrible , prenant
la Lance d'une main & fe l'enfonçant
dans le ventre , s'avança toujours jufqu'à
ce qu'il fut à portée de tuer de fon Epée
qu'il tenoit de l'autre main , celui qui lui
avoit donné le coup mortel , & le fit ainfi
expirer en même - temps que lui .
Ce premier effai de valeur que donnerent
ceux qui étoient réfolus à bien défendre
la Ville , n'empêcha pas l'armée
Angloife d'en faire le Siége ; mais les Anglois
y trouvant plus de réfiftance qu'ils
n'avoient efperé , ſçachant d'ailleurs que
l'armée que le Roy de France avoit formée
en peu de temps , s'avançoit pour
les combattre , ils leverent le Siége le troifiéme
jour d'Octobre , & pafferent en Picardie
, où ayant été joints par l'armée
Françoife , le combat fe donna proche
d'Azincourt , dans le Comté de S. Paul.
C vj Je
1960 MERCURE DE FRANCE
Je n'en rapporterai qu'une feule circon-
"ftance fort finguliere , que j'ai tirée de la
Bibliotheque ancienne & nouvelle de le
Clerc , tom . 1. fçavoir , que la plufpart des
Soldats Anglois fe trouvant alors attaquez
d'une violente Diffenterie , ils n'héfiterent
pas , avant le Combat , de fe mettre
à nud de la ceinture en bas , pour évi
ter que de preffans befoins ne vinffent à
les troubler pendant la mêlée , ce qui n'empêcha
pas qu'ils ne remportaffent une entiere
victoire.
Je pourrois raporter un plus grand nombre
de faits ,non moins finguliers que ceux
dont je viens de vous entretenir ; mais
pour éviter une longueur qui pourroit
devenir ennuyeuſe , vous me permettrez
de faire icy Alte, & de reprendre un peu
halene. Je fuis toujours , Monfieur , votre
, &c.
A Eu , ce 1 May 1730.
Signature
A Eu, ce 1 May 1730.
Lieu
Date, calendrier grégorien
Langue
Vers et prose
Type d'écrit journalistique
Courrier des lecteurs
Faux
Mots clefs
Domaine
Constitue la suite d'un autre texte
Est rédigé par une personne
Provient d'un lieu