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Titre

SUITE des réfléxions sur la bizarerie des Usages. Par M. Capperon, ancien Doyen de Saint Maxent.

Titre d'après la table

Refléxions sur la Bizarerie des usages, &c.

Fait partie d'une section
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1331
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302
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1341
Page de fin dans la numérisation
312
Incipit

L'Homme s'aimant à l'excès, il s'ensuit qu'il aime et qu'il estime tout

Texte
SUITE des réfléxions sur la bizarerie
des Usages. Par M. Capperon , ancien
Doyen de Saint Maxent.
L
'Homme s'aimant à l'excès , il s'ensuit
qu'il aime et qu'il estime tout
ce qui le touche de plus près. Il sent même
un plaisir secret à se persuader , soit
par les épreuves qu'il peut faire , soit par
l'approbation des autres , que ce qu'il
estime en lui , est véritablement grand et
absolument estimable. C'est de cette disposition
si naturelle à l'homme, que sont
sorties , non seulement les bizarèries qui
ont rapport à l'usage des sens et aux productions
de l'esprit , dont j'ai cy- devant
parlé , mais plusieurs autres encore qui
ont paru,qui paroissent et qui paroîtront
dans. le temps à venir .
Me faisant donc un plaisir de relever .
ces excès ; et chacun pouvant en trouver
comme moi à les connoître , à les blâmer
et peut -être même à en rire , principa
lement lorsqu'ils sont passez ; car il n'en
est pas ainsi lorsqu'ils subsistent et qu'ils
sont en vogue : je crois qu'il ne déplaira
pas que je continuë mes Refléxions sur
ce sujet; et qu'après avoir parlé des
II. Vol. Dij usa1332
MERCURE DE FRANCE
usages bizares , provenus du désir de satisfaire
les sens et de faire remarquer la
beauté et l'excellence de l'esprit , je passe
aujourd'hui à ceux qui se sont formez
par le désir excessif de ménager et de
conserver la santé du corps , et de faire
valoir sa force et son adresse.
Il n'est pas necessaire que je dise , que
la santé est le bien le plus précieux de la
vie; qu'il est juste , pour une infinité de
raisons , de la menager et de la conserver
; tout le monde en est assez persuadé:
mais comme tout excès est blâmable , il
ne convient pas , sans doute , de le faire
si scrupuleusement , qu'on cesse d'en profiter
de peur de la perdre , qu'on ne s'en
serve que pour l'étudier et y veiller , que
dans le dessein de la rétablir on use des
moyens propres à la déranger,ou à la détruire
; ce sont neanmoins ces excès qui
ont introduit divers usages tres - singuliers
et tres bizares .
On sçait jusqu'à quel excès les anciens
ont poussé l'usage des Bains , qu'ils
croioient, à la vérité, nécessaires pour la
propreté du corps , mais qu'ils ne croioient
pas moins convenables pour conserver la
santé , ainsi qu'on le pense et qu'on l'observe
encore aujourd'hui , mais avec plus
de moderation et pour le seul besoin ; ce
I.Vol.
que
JUI N. 1733. 1333

que les anciens ne faisoient pas , ayant
porté cet usage bien au- delà de ce qui
convenoit : Car n'étoit- ce pas un excès
tout-à-fait bizare chez les Romains , non
seulement d'aller chaque jour au Bain
avant que de souper , mais d'y aller plusieurs
fois par jour . Les Empereurs Commode
et Gordien le jeune y alloient jusqu'à
sept ou huit fois a . N'étoit - ce pas
une vraie bizarerie de s'y faire frotter le
corps avec une espece d'Etrille b . Mais
ce qui étoit un excès beaucoup plus
criant , c'est que ces Bains étoient communs
pour les hommes et pour les femmes
; ce qui a même duré dans le Christianisme
pendant près de trois siecles
malgré les Loix de l'Eglise et des plus sages
Empereurs. Enfin l'attrait pour ces
Bains étoit si violent , qu'un Auteur a
très- bien remarqué, qu'il n'y a point d'ouvrages
des anciens , où les Empereurs
Romains ayent fait paroître plus de somptuosité
et de folie, que pour les Thermes ,
qui étoient les lieux où se prenoient ces
Bains c.
a Rosinus. Antiq. Roman . lib. 1. cap. 14.
b Strigile autem usos fuisse antiquos ad fricandum
, purgandumque corpus. Rosin. ibid. de Balneis.
c In nullis antiquorum operibus plus luxus et
Il. Vol. Diiij Si
1334 MERCURE DE FRANCE
Si nous passons aux remedes qu'on a
employez pour rétablir la santé alterée
par quelque infirmité , quelle bizarerie
ne trouverons - nous pas ? Il n'y a pour en
juger qu'à lire ce que dit le Clerc dans
son Histoire de la Médecine : Part. 1. liv.
3. chap. 26. où il rapporte de quelle maniere
on traitoit certaines maladies du
temps même du fameux Hypocrate , ce
qui paroît tout-à- fait bizare. " ¦
Il dit que lorsqu'on vouloit nettoyer le
bas ventre , on introduisoit dans l'Anus
un Soufflet de Forgeron ; qu'après avoir
fait enfler le ventre par ce moyen, le
Soufflet étant tiré , on donnoit le lavevement.
Pour guérir les Phtisyques , on
leur brûloit le dos et la poitrine , et on
tenoit les Ulceres ouverts pendant certain
temps. Pour les maux de tête on appliquoit
huit cauteres autour de la tête ;
que si cela ne suffisoit pas , on faisoit
pareillement
autour de la tête une incision
en forme de couronne , qui passoit d'un
bout à l'autre du front. On en faisoit autant
pour guérir les maux des yeux . Pour
les Convulsions , après avoir saigné , on
usoit de Sternutatoire , et on faisoit du
feu des deux côtez du lit du malade .
insania cernitur quam in Thermis Imperatorum.
Georg. Fabric, in suâ Româ.
II. Vol. L'us
JUIN. 1733. 1335
L'usage de cauteriser et de brûler le
corps en differens endroits , pour guérir
différens maux, a duré long- temps ; cette
Medecine grossiere et cruelle , continue
encore dans l'Affrique , la Chine , le Japon
et autres païs Orientaux , comme
aussi chez les Sauvages de l'Amérique
qui se servent à cet effet de bois pourri
à cause que la chaleur
en est moins
active.
C'étoit
des païs Orientaux
qu'étoit
venu en France
et ailleurs
l'usage
du
Moxa , qui consistoit
à faire bruler cette
espece
de filasse , sur la partie
attaque
de la goutte
, pour en guérir
, mais ce re
mede
caustique
a fait peu de progrès
;
car comme
disoit un Seigneur
Anglois
à qui les Médecins
l'avoient
ordonné
quel crime ai-je donc commis , pour que
je sois condamné
à être brûlé vif.
2
On peut mettre au nombre des usages:
bizares, en fait de Médecine , la fantaisie:
qu'on a euë de pendre au col , ou de por
ter sur soi , diverses choses qu'on a crûës :
spécifiques pour se guérir ou se préserver
de certains maux;c'est de ces usages , qu'est :
venue aux femmes , la mode de porter au
trefois des Coliers d'Ambre et de Corail
comme à plusieurs autres de mettre aux
doigts des Bagues garnies de prétendus:
Talismans. Ce n'étoit pas un usage moms:
H..Vol. D v bi
1336 MERCURE DE FRANCE
bizare de consulter les Astres , et sur tout
la Lune , pour sçavoit s'il convenoit de
prendre le moindre remede , afin de s'asseurer
de son efficacité ; c'est pourquoi
les Prédictions qui se donnoient chaque
année au public, marquoient précisément
les jours auxquels il convenoit de se faire
saigner , de prendre medecine , ou d'u
ser de ventouses. L'Etoile ou constellation
, nommée la Canicule, étoit marquée
comme la plus nuisible , pendant tout le
temps qu'elle dominoir , de quoi plusieurs
encore aujourd'hui ne sont pas désabuscz.
On peut voir un échantillon de la bizarerie
qui regnoit au neuviéme siecle ,
touchant la medecine , par le conseil que
Pardule, Evêque de Laon donnoit à Hincmar,
Archevêque de Reims , qui relevoit
d'une maladie a ; sçavoir , que pour rétablir
sa santé , il devoit bien se garder
de manger des petits Poissons , particu
lierement le jour qu'on les auroit tirés
de l'eau , non plus que de toute autre
viande nouvelle , soit Volailles ou autres
animaux , tuez du même jour ; qu'avant
que de les manger , il falloit bien les saler
, afin d'en dessecher toute l'humidité,
Hincmar , tom . p . 838.
II. Vole
qu'il
JUIN. 1733.1337
qu'il devoit principalement manger, du
Lard , et n'user que de la chair des animaux
à quatre pieds,ayant soin sur tout ,
de s'abstenir de Persil , l'assurant que
sans ce regime , il étoit tres difficille à
toute personne convalescente , de rétablir
la foiblesse de son estomac . Je crois qu'aujourd'hui
peu de gens s'accommoderoient
en pareil cas , d'une semblable ordonnance.
Autre bizarerie de Medecine qui regnoit
en France du temps du Roy Sainr
Louis , et qui consistoit à saigner à l'excès
, dans l'esperance de conserver par
ce moyen sa santé : on le voit par les
Regles que ce Prince donna aux Religieuses
de l'Hôtel - Dieu de Pontoise , par
lesquelles il ne leur étoit permis de se
faire saigner que six fois par an , les
temps même où elles le devoient faire
étant précisément marquez ; sçavoir , à
Noël , au commencement du Carême , à
Pâque , à la S.Pierre, dans le mois d'Août
et à la Toussaint a
De la santé je passe à la force du corps,.
où je fais voir si l'attachement
, que
qu'on a pour l'une a donné lieu à la bizarerie
de quelques usages , l'autre en a
a Patru , Plaid, pour Madame dé Guénégaud.-
II. Vol. Dvj, pro
1338 MERCURE DE FRANCE
produit, dont l'excès est encore allé beaucoup
plus loin. On ne peut pas dourǝt
qu'on ne sente un plaisir secret à éprouver
så force et à là faire remarquer aux
autres ; ce que font tous les jours les énfans
en est la preuve ; ce n'est que dans
le dessein de se procurer ce plaisir, qu'ils
s'empressent à sonner les Cloches d'une
Eglise ; que dans leurs jeux , un de leurs
plus grands plaisirs , est d'essayer à qui
sautera le plus haut , ou le plus loin , à
qui courra le plus fort , ou qui par sa
force , terrassera le mieux son camarade.
Ce que ce sentiment naturel opera
dans les enfans , il le fait également dans
les personnes plus âgées , mais avec cette
différence , que și plusieurs , par l'usage
qu'ils font de leur raison , s'y prêtent
moins que les enfans ; il ne s'en est trouvé
que trop , qui , pour s'y étre abandonnez
sans mestre , ont donné dans des
excès , qu'on peut regarder, à juste titre ,
comme des bizareries les plus outrées .
L'usage dont parle S.Jérôme , qui sub
sistoit de son temps , et qui consistoit à
donner au public des preuves de sa force,
n'étoit pas, à la verité , ni si bizare , ni
si outré ; il ne pouvoit même passer pour
bizare , qu'autant que les hommes , qui
devoient pardessus tout faire valoir la
Il.Vol dé
JUIN.. 17337 1339
3
délicatesse de leur esprit , se picquqient
trop alors de faire admirer la force de
leur corps , privilege dont les animaux
les plus grossiers sont beaucoup plus
avantagez qu'eux . Il consistoit donc cet
usage , en ce que , selon ce Pere a , il n'y
avoit dans la Judée où il demeuroit , ni
Ville , ni Bourg , ni Village , ni si petit .
Château , où il n'y eut de
Pierres
grosses
rondes , uniquement destinées pour exercer
les jeunes gens , et pour leur donnes
lieu de faire admirer au public jusqu'où
alloit leur force ; de sorte que pendant
qu'il y en avoit qui ne pouvoient élever
ces grosses Pierres que jusqu'à leurs ged
noux ou jusqu'à la moitié du corps , on
en voyoit d'autres qui les portoient jusques
sur leurs épaules , même sur leur tê
te , et c'étoient ceux là qui avoient tout
l'honneur ..
Il y a apparence que cet usage ne s'observoit
pas dans la scule Judée , puisque
ce Pere dit au même endroit , qu'il avoit
vû dans la Forteresse d'Athénes une
grosse Boule d'Airain , qui servoit aussi à
éprouver la force des Atheletes. Je croirois
même que cet usage avoit passé jusques
dans les Gaules ; que dis - je , jusques
a Hier. in Zachar. cap. 12
L. Vol.
dans
1340 MERCURE DE FRANCE
dans notre Ville d'Eu , qui subsistoit
bien avant ce temps-là , puisqu'on y a
vû jusqu'à nos jours , dans l'Hôtel de
Ville , de grosses Pierres de grès , parfaitement
rondes , au moins de quatre pieds
de circonférence , lesquelles y ont toujours
été , sans qu'on puisse sçavoir à
quel autre usage elles ont pû être destinées
.
Ce fut de cette inclination naturelle qui
naît,comme j'ai dit ,avec l'homme, d'estimer
sa force , et de se faire un plaisir dela
faire estimer aux autres , que l'exercice
des Atheletes , et les Jeux Olimpiques
si fameux dans toute la Grece , prirent
leur origine ; car en quoi consistoient ces-
Jeux , qui se renouveloient tous les quatre
ans , où les peuples couroient en foule
pour en être les spectateurs , où les victoires
et les couronnes qu'on y remportoit
combloient d'honneur ceux qui
étoient assez heureux pour avoir cet
avantage ? Ils consistoient ces Jeux , à
voir et à admirer , ceux qui dans la Lute
terrassoient le mieux , après differens efforts
, ceux contre lesquels ils lutoient, et
même ceux qui l'emportoient à la course
ou à donner des coups de poings , ou
à jetter le Palet avec plus de force et d'adresse
.
II. Vol.
Après
JUIN. 1733 . 1341'
pas
bizare
, que Après tout , ne paroît - il
ces Jeux que nous croïons aujourd'hui ne
convenir qu'à des enfans , ayent fait au--
trefois l'admiration et le spectacle le plus
recherche des peuples les plus polis ; que
pour s'y former , il falloit dès sa jeunesse
y être instruit et exercé par des Maîtres
; que pour acquerir la force et l'adresse
necessaire , il falloit observer un
régime de vie , qui retranchoit l'usage:
du vin , de plusieurs autres choses , et de
certains plaisirs permis. S. Paul même en
a fait une note a.Dailleurs ce qui doit pa➡
roître de plus outré et de plus honteusement
bizare dans ces Jeux , c'est que non
seulement les hommes abandonnant toute
pudeur , y paroissoient et y combattoient
entierement nuds ; mais que les
femmes ayent voulu aussi y prendre part
et y paroître de la même façon , comme
le rapporte Plutarque ; en quoi , après
tout , elles ne faisoient que suivre ce que
le prétendu divin Platon leur avoit ordonné
b , voulant qu'elles ne parussent
Couvertes que de leur seule vertu .
Le reste pour le prochain Mercure.
a Ep.
. 1. aux Corinth, ch.
b De Legib. liv. 6.
Genre
Collectivité
Faux
Langue
Vers et prose
Type d'écrit journalistique
Courrier des lecteurs
Faux
Est rédigé par une personne
Soumis par lechott le