Titre
RÉPONSE de Mad. Meheust, Auteur de l'Histoire d'Emilie, ou des Amours de Mlle de .... à la Lettre inserée dans le Mercure du mois de Mars 1733.
Titre d'après la table
Réponse de Mad. Meheust, Auteur de l'Histoire d'Emilie, &c.
Fait partie d'une livraison
Fait partie d'une section
Page de début
1131
Page de début dans la numérisation
98
Page de fin
1135
Page de fin dans la numérisation
102
Incipit
C'est donc tout de bon, Monsieur, qu'il faut entrer en matiere et répondre
Texte
REPONSE de Mad. Meheust ,
Auteur de l'Histoire d'Emilie , ou des
Amours de Mlle de .... à la Lettre
inserée dans le Mercure du mois de
Mars 1733-
donc tout de bon , Monsieur ,
Cqu'il faut entrer en matiere et répondre
à des accusations réelles ( ce sont
vos termes ) je les releve parce qu'ils me
paroissent un peu forts. La carrierre est
si nouvelle pour moi , que je ne sçai si
je pourrai la soutenir , mais n'importe
j'en risque la course ; lorsqu'il s'agit de
la réputation , il sied bien d'être témeraire.
Quand on est informé , dites - vous , que
l'amour d'Emilie n'est qu'une feinte , rien
I. Vol.
n'in1132
MERCURE DE FRANCE
,
n'interesse plus et les Entretiens deviennent .
ennuyeux. Qui juge ainsi n'entre pas dans
mes idées ce vuide a son utilité , j'y
représente le ridicule de l'esprit Romanesque
et l'imprudence de quantité de
jeunes personnes qui donnent dans des
galanteries , sans penchant , sans passion
et par le seul plaisir d'avoir une intrigue ;
au reste ceux qui ne cherchent que les
amourettes , à qui sans doute ces conversations
ne plaisent pas , n'ont qu'à
les passer.
Le Comte et sa Maîtresse , s'allarment
mal à propos , puisque tout conspire à les
rendre heureux . Si on avoit pesé les choses
, on ne me feroit pas cette objection ,
deux familles s'estiment réciproquement
et vivent dans une parfaite union sans
contracter d'alliance . C'est la reconnoissance
qui fait agir la mere d'Emilie ; sans
sa maladie , sans les soins que prit d'elle
Mad. de Réville , on n'eût assurément
point parlé d'Hymen .
J'ai fait mourir trop de gens , et l'on
me soutient que les regles du Poëme Dramatique
et du Roman , sont égales . Je
n'en sçai rien , pour disputer là-dessus il
faudroit consulter Aristote , cela m'est
absolument impossible , ne le connoissant
tout au plus que de nom ; mais com-
→
I. Vol. me
JUIN. 1733. 1133
me le bon sens a droit de raisonner sur
tout , en dépit ou indépendamment de
la science , j'oserai alleguer que la comparaison
n'est pas juste. Un volume, quel
que petit qu'il soit , peut conduire à un
grand nombre d'années , ainsi les incidens
peuvent , sans choquer , se rencontrer
presque semblables , au lieu que l'espace
de vingt- quatre heures ne permet
pas la même licence. On devroit bien
après tout demander à l'Auteur des Mémoires
d'un homme de qualité , pourquoi
ses narrations sont si funestes, c'étoit
son goût , me répondra- t'on ; eh bien !
j'ai pensé aussi qu'il m'étoit libre de suivre
le mien .
On ne veut point me passer les exemples
de Julie , de Messaline et de Mar
guerite de Valais , parce qu'il est , dit- on ,
toujours d'une dangereuse conséquence
de montrer le vice à la jeunesse , et
qu'on doit craindre qu'elle n'envisage pas
tant l'infamie qui le suit , que l'appas
des vaines douceurs qui l'y porte. Si l'on
me traitoit avec moins de rigueur , je
n'éprouverois pas ce reproche. Je n'ai cité
le crime que pour en marquer la honte
et la catastrophe , sans en peindre la volupté
; d'ailleurs il faut supposer que Flore
sçavoit l'Histoire , ainsi sa mere pou
I. Vol. voir
1134 MERCURE DE FRANCE
voit sans conséquence lui rappeller tous
les traits qui pouvoient servir à la cor-.
riger; son amour pour le Chevalier de... sa
confiance dans Lavallier et son escapade ,
méritoient l'application . Vous soutenez
qu'il est des Livres qu'il seroit bon de
proscrire ; oui j'en conviens , mais à l'égard
de l'Histoire Romaine , que vous
attaquez directement , la question est differente
, je la laisse à décider , et je suis
persuadée que tout le monde ne sera pas
de votre avis. Croyez moi , c'est trop
épurer la délicatesse. La débauche ne
prend pas sa source dans l'étude , peu
de femmes s'y occupent et les plus coquettes
sont ordinairement les plus ignorantes.
Vous vous trompez lorsque vous envisagez
la retraite de mon Héroïne comme
un retour de raison. Ce n'est pas là le
motif qui la guide , cette démarche si
sage n'est pas entierement volontaire ,
plus d'une consideration l'y forcent les
remontrances de la Princesse dont elle
sent que la protection lui peut être encore
d'un grand secours , les discours de
Flore ; enfin l'amitié , le devoir , tout l'oblige
indispensablement à prendre co
parti.
L'amour du Comte et d'Emilie , ne
1. Vol. viennent
JUIN. 1733 1135
viennent pas d'une façon si subite qu'on
veut me le faire entendre . Ils dînent
ensemble et s'examinent
pendant plus
de quatre à cinq heures , c'est assez de
temps pour faire naître la tendresse , puisque
l'experience prouve qu'un premier
coup d'oeil a souvent suffi pour en ins
pirer des plus vives.
Pour la premiere fois je m'exprime , diton
, dans les termes de l'Art. Le compliment
me paroît obscur et je n'y comprends
en verité rien .
Voila , Monsieur , tout ce que je puis
dire pour ma deffense . Si mes raisons ne
vous satisfont pas , j'en serai d'autant plus
mortifiée , que j'ai résolu de garder desormais
le silence , le sujet ne mérite point
tant de répliques , nous pourrions à la
fin ennuyer le Public , et mon interêt
m'engage à ne le pas mettre de mauvaise
humeur ; ainsi c'est pour la derniere fois
que j'ai l'honneur de vous assurer dans
le Mercure , que je suis très sincerement,
Monsieur , &c.
Bruselle Meheust.
Auteur de l'Histoire d'Emilie , ou des
Amours de Mlle de .... à la Lettre
inserée dans le Mercure du mois de
Mars 1733-
donc tout de bon , Monsieur ,
Cqu'il faut entrer en matiere et répondre
à des accusations réelles ( ce sont
vos termes ) je les releve parce qu'ils me
paroissent un peu forts. La carrierre est
si nouvelle pour moi , que je ne sçai si
je pourrai la soutenir , mais n'importe
j'en risque la course ; lorsqu'il s'agit de
la réputation , il sied bien d'être témeraire.
Quand on est informé , dites - vous , que
l'amour d'Emilie n'est qu'une feinte , rien
I. Vol.
n'in1132
MERCURE DE FRANCE
,
n'interesse plus et les Entretiens deviennent .
ennuyeux. Qui juge ainsi n'entre pas dans
mes idées ce vuide a son utilité , j'y
représente le ridicule de l'esprit Romanesque
et l'imprudence de quantité de
jeunes personnes qui donnent dans des
galanteries , sans penchant , sans passion
et par le seul plaisir d'avoir une intrigue ;
au reste ceux qui ne cherchent que les
amourettes , à qui sans doute ces conversations
ne plaisent pas , n'ont qu'à
les passer.
Le Comte et sa Maîtresse , s'allarment
mal à propos , puisque tout conspire à les
rendre heureux . Si on avoit pesé les choses
, on ne me feroit pas cette objection ,
deux familles s'estiment réciproquement
et vivent dans une parfaite union sans
contracter d'alliance . C'est la reconnoissance
qui fait agir la mere d'Emilie ; sans
sa maladie , sans les soins que prit d'elle
Mad. de Réville , on n'eût assurément
point parlé d'Hymen .
J'ai fait mourir trop de gens , et l'on
me soutient que les regles du Poëme Dramatique
et du Roman , sont égales . Je
n'en sçai rien , pour disputer là-dessus il
faudroit consulter Aristote , cela m'est
absolument impossible , ne le connoissant
tout au plus que de nom ; mais com-
→
I. Vol. me
JUIN. 1733. 1133
me le bon sens a droit de raisonner sur
tout , en dépit ou indépendamment de
la science , j'oserai alleguer que la comparaison
n'est pas juste. Un volume, quel
que petit qu'il soit , peut conduire à un
grand nombre d'années , ainsi les incidens
peuvent , sans choquer , se rencontrer
presque semblables , au lieu que l'espace
de vingt- quatre heures ne permet
pas la même licence. On devroit bien
après tout demander à l'Auteur des Mémoires
d'un homme de qualité , pourquoi
ses narrations sont si funestes, c'étoit
son goût , me répondra- t'on ; eh bien !
j'ai pensé aussi qu'il m'étoit libre de suivre
le mien .
On ne veut point me passer les exemples
de Julie , de Messaline et de Mar
guerite de Valais , parce qu'il est , dit- on ,
toujours d'une dangereuse conséquence
de montrer le vice à la jeunesse , et
qu'on doit craindre qu'elle n'envisage pas
tant l'infamie qui le suit , que l'appas
des vaines douceurs qui l'y porte. Si l'on
me traitoit avec moins de rigueur , je
n'éprouverois pas ce reproche. Je n'ai cité
le crime que pour en marquer la honte
et la catastrophe , sans en peindre la volupté
; d'ailleurs il faut supposer que Flore
sçavoit l'Histoire , ainsi sa mere pou
I. Vol. voir
1134 MERCURE DE FRANCE
voit sans conséquence lui rappeller tous
les traits qui pouvoient servir à la cor-.
riger; son amour pour le Chevalier de... sa
confiance dans Lavallier et son escapade ,
méritoient l'application . Vous soutenez
qu'il est des Livres qu'il seroit bon de
proscrire ; oui j'en conviens , mais à l'égard
de l'Histoire Romaine , que vous
attaquez directement , la question est differente
, je la laisse à décider , et je suis
persuadée que tout le monde ne sera pas
de votre avis. Croyez moi , c'est trop
épurer la délicatesse. La débauche ne
prend pas sa source dans l'étude , peu
de femmes s'y occupent et les plus coquettes
sont ordinairement les plus ignorantes.
Vous vous trompez lorsque vous envisagez
la retraite de mon Héroïne comme
un retour de raison. Ce n'est pas là le
motif qui la guide , cette démarche si
sage n'est pas entierement volontaire ,
plus d'une consideration l'y forcent les
remontrances de la Princesse dont elle
sent que la protection lui peut être encore
d'un grand secours , les discours de
Flore ; enfin l'amitié , le devoir , tout l'oblige
indispensablement à prendre co
parti.
L'amour du Comte et d'Emilie , ne
1. Vol. viennent
JUIN. 1733 1135
viennent pas d'une façon si subite qu'on
veut me le faire entendre . Ils dînent
ensemble et s'examinent
pendant plus
de quatre à cinq heures , c'est assez de
temps pour faire naître la tendresse , puisque
l'experience prouve qu'un premier
coup d'oeil a souvent suffi pour en ins
pirer des plus vives.
Pour la premiere fois je m'exprime , diton
, dans les termes de l'Art. Le compliment
me paroît obscur et je n'y comprends
en verité rien .
Voila , Monsieur , tout ce que je puis
dire pour ma deffense . Si mes raisons ne
vous satisfont pas , j'en serai d'autant plus
mortifiée , que j'ai résolu de garder desormais
le silence , le sujet ne mérite point
tant de répliques , nous pourrions à la
fin ennuyer le Public , et mon interêt
m'engage à ne le pas mettre de mauvaise
humeur ; ainsi c'est pour la derniere fois
que j'ai l'honneur de vous assurer dans
le Mercure , que je suis très sincerement,
Monsieur , &c.
Bruselle Meheust.
Signature
Brucelle Meheust.
Langue
Vers et prose
Type d'écrit journalistique
Courrier des lecteurs
Faux
Mots clefs
Domaine
Constitue la réponse à un autre texte
Concerne une oeuvre
Fait partie d'un dossier