Titre
LES DAMNEZ DE NEVERS, A M. Richard de Soultrai, Maître des Comptes à Nevers, Auteur de l'Ode sur la Jeunesse. Conte tiré de l'Histoire de Nivernois de Guy-Coquille.
Titre d'après la table
Les Damnez de Nevers, Poëme,
Fait partie d'une livraison
Fait partie d'une section
Page de début
2797
Page de début dans la numérisation
508
Page de fin
2803
Page de fin dans la numérisation
514
Incipit
Bocace, ton heureuse veine
Texte
LES DAMNEZ DE NEVERS ,
A M. Richard de Soultrai , Maître des
Comptes à Nevers , Auteur de l'Ode sur
la Jeunesse. Conte tiré de l'Histoire de
Nivernois de Guy- Coquille.
Bocace , ton heureuse veine
Chanta les Damnez de Ravenne
A ton exemple dans ces Vers
Chantons les Damnez de Nevers ,
Nevers , mon séjour , mon azile ,
Païs charmant où j'ai reçû le jour ,
Nevers , où jadis tint sa Cour ,
Le Comte Hervé, Prince doux et facile ,
II. Vol.
Qui
2798 MERCURE DE FRANCE
Qui fit régner dans notre Ville
Les Jeux , les Plaisirs et l'Amour ;
Or il advint qu'emporté par la Chasse ,
Et de ses Chiens ayant perdu la voix ,
Lè bon Hervé s'égara dans un Bois ;
De son chemin il cherche envain la trace ;
Plus il s'avance et plus il s'embarasse ;
La nuit survient , autre calamité ,
Un feu paroît dans cette obscurité ,
Devers ce feu le Prince s'achemine.
Bref au travers de mainte épine
Il vient enfin au lieu tant souhaité ;
Ce lieu , c'étoit d'un Charbonnier la loge
Et le fourneau ; chez cet Hôte se loge
Le triste Hervé de crainte d'avoir pis ;
Le Manant fait les honneurs du logis
Avec un cœur vraiment digne d'éloge ;
Au Prince il sert des pommes , du pain bis ,
Eau surtout claire , en faisant mainte excuse.
En vrai Chasseur Hervé trouva tout bon;
Car dame faim Cuisiniere dont use
Tout charbonnier , apprêta , ce dit- on ,
Le beau repas du faiseur de charbon ;
Après souper le Charbonnier honnête
Céde son lit , quel lit , bon Dieu !
Un peu de foin sert en ce lieu
De lit au Prince ; il éleve sa tête
III. Vol. SMF
DECEMBRE. 1732. 2799
LA
DE
Sur un caillou qui lui sert d'oreiller ;
Ce n'est pas tout , comme il croit sommeil.
ler ,
Il voit venir d'une vitesse extrême
Un homme noir montant cheval de même
Cet homme tient un poignard en sa main ,
Et méne en trousse une fille éplorée ,
Veut la meurtrir ; mais d'une ame assûrée
Hervé s'oppose à ce dessein ;
Prince , par un effort trop vain ,
Dit l'homme noir , tu terniras ta gloire ,
Respecte ici les ordres du destin ,
Retien ton bras , écoute mon histoire ,
J'avois quinze ans , si j'ai bonne mémoire ,
Quand je suivis les étendards
De ton Ayeul , le preux Comte Guillaume ;
Sous ce grand Chefj'ai bravé les hazards ,
J'ai parcouru vingt fois tout le Royaume
En combattant , mais pendant les hyvers
Je m'arrêtois avec lui dans Nevers ;
Là , je servis cette beauté cruelle ,
Ce cœur ingrat dont le tien prend pitié ,
Mais je ne pus gagner son amitié ;
Les petits soins , l'amour tendre et fidele ,
Les dons , les pleurs , ne pûrent la toucher;
Pour moi toujours elle fût un rocher ;
Dans ma douleur d'une main criminelle
Pour finir mes tristes amours ,
11. vol.
J'ai
2800 MERCURE DE FRANCE
1
J'ai tranché moi- même mes jours ,
Soudain dans la flamme éternelle
Je suis tombé , je le mérite bien ,
Mais la mort qui n'épargne rien ,
A fait périr à son tour l'inhumaine;
Pour me venger de sa rigueur ,
Ici tous les mois je l'amene ,
Et de ce fer je lui perce le cœur.
Le Revenant ne parla davantage ,
Mais consomma son triste ouvrage ;
Car sur le champ il étendit la main
Par les cheveux il prit la patiente ,
Pour la punir de son dédain ,
Malgré ses cris , il lui perça le sein ,
Et puis encor toute vivante
Il la plongea dans la fournaise ardente ,
Et se brûla lui-même au même feu ;
D'effroi , d'horreur Hervé reste immobile,
Lorsque le jour parût un peu ,
Incontinent le Prince plus tranquille
Au Charbonnier fait son adieu ,
Monte à cheval et pique vers la Ville ,
Neregrettant la chere ni le lieu ;
A ses Barons Hervé conta l'histoire ,
Tous se signoient , faisant semblant de croire ;
On manda soudain le Prélat
Qu'on vît bien-tôt arriver sur sa mule ;
II. Vol. Le
DECEMBRE. 1732. 2801
Le bon Evêque plus crédule
Dit qu'il falloit assembler son Senat ;
Dans ce conseil n'étoient jeunes cervelles ,
Point n'écoutoit Abbés coquets
Moins assidus aux Temples qu'aux ruelles ,
Mais bien Vieillards venerables , discrets
Qui ne suivoient les doctrines
L'adroit Senat ayant déliberé ,
nouvelles.
Dît qu'il falloit pour expier l'offense
Fonder Convent , mais Convent ayant manse
Abbatiale , ou bien un Prieuré
De Grammont ou de Premontré ;
Ainsi fut fait , une belle Abbaye
Par Hervé fût et dotée et bâtie ;
Pour réparer forfait tant odieux
Moines au Chour disent toujours Matine ,
De chants dévots font retentir les cieux ,
Fors dans le tems qu'ils sont à la cuisine ;
Bref , soyés sûr qu'au Prince Fondateur
Ils en donnent sur ma parole
Pour son argent ; n'en rendront une obole ;
Ce n'est point tout teur
maint grand Prédica
Dans ses Sermons récita notre histoire ,
Et fit pleurer son Auditoire ;
* Du tems du Comte Hervé l'heresie Albigeoise voisfait quelques progrès dans Nevers,
II. Vol. Ainsi
2802 MERCURE DE FRANCE
Ainsi fut fait par maint beau Confesseur ,
Si que le cas Dames sçavoient par cœur ,
L'horrible cas Dames tant bien aprirent ,
Qu'à la parfin toutes se convertirent ,
Et de leur cœur déchasserent soudain
Triste fierté , rigueur , dédain ,
Se faisant même une douce habitude
De clémence et de gratitude ;
Depuis ce tems les superbes Guerriers
Ne trouvent plus dans ces lieux d'inhumai nes ,
Amans heureux sont ici par milliers ,
Témoins * et Bretagne et Touraine ;
Tous ces Amans , grace à la vision ,
N'éprouvent point de tristes destinées ,
Dames croiroient être damnées ,
Si de leurs feux n'avoient compassion ,
Si quelqu'une à leur passion
Est quelquefois un peu severe ,
Soudain sa cousine ou sa mere
La menace de l'homme noir ,
Ele croit l'entendre ou le voir ,
Enfin ce bienheureux usage ,
Malgré les peres , les époux ,
S'est conservé jusques à nous,
Et durera bien davantage ;
* Bretagne et Touraine sont deux Régimens qui
ont été engarnison àNevers,
II. Vel. Des
DECEMBRE. 1732. 2807
Des Guerriers ce sont là les droits ;
Mais quant à nous autres Bourgeois
Nous n'en usons , c'est grand-dommage,
Les rigueurs sont notre partage ;
Soultrai , si j'avois vos talens ,
Je ne me plaindrois pas des refus de nos Belles ,
Ou , m'en plaignant enfin j'emploirois des ac
cens ,
si gracieux et si touchans
Que je pourrois bientôt les rendre moins cruel- les ,
Et leur prouver qu'à tous égards
Apollon en amour vaut souvent mieux que Mars ;
De ce récit quelle est donc la morale?
Parmi la Fable il faut des veritez ,
Dira quelqu'un , car sans moralités
Tel conte n'est qu'un objet de scandale ;
Moraliser est pour moi terre australe
Or moralise qui voudra
;
Sans morale , ma foi , le Conte finira :
Mais, Soultrai , qui de la sagesse
Possede toute la richesse
De sa morale un trait nous restera ,
En attendant je mets un bel et catera.
Pierre de Frasnai , Trésorier de France
à Moulins.
You 11. Vol.
D
A M. Richard de Soultrai , Maître des
Comptes à Nevers , Auteur de l'Ode sur
la Jeunesse. Conte tiré de l'Histoire de
Nivernois de Guy- Coquille.
Bocace , ton heureuse veine
Chanta les Damnez de Ravenne
A ton exemple dans ces Vers
Chantons les Damnez de Nevers ,
Nevers , mon séjour , mon azile ,
Païs charmant où j'ai reçû le jour ,
Nevers , où jadis tint sa Cour ,
Le Comte Hervé, Prince doux et facile ,
II. Vol.
Qui
2798 MERCURE DE FRANCE
Qui fit régner dans notre Ville
Les Jeux , les Plaisirs et l'Amour ;
Or il advint qu'emporté par la Chasse ,
Et de ses Chiens ayant perdu la voix ,
Lè bon Hervé s'égara dans un Bois ;
De son chemin il cherche envain la trace ;
Plus il s'avance et plus il s'embarasse ;
La nuit survient , autre calamité ,
Un feu paroît dans cette obscurité ,
Devers ce feu le Prince s'achemine.
Bref au travers de mainte épine
Il vient enfin au lieu tant souhaité ;
Ce lieu , c'étoit d'un Charbonnier la loge
Et le fourneau ; chez cet Hôte se loge
Le triste Hervé de crainte d'avoir pis ;
Le Manant fait les honneurs du logis
Avec un cœur vraiment digne d'éloge ;
Au Prince il sert des pommes , du pain bis ,
Eau surtout claire , en faisant mainte excuse.
En vrai Chasseur Hervé trouva tout bon;
Car dame faim Cuisiniere dont use
Tout charbonnier , apprêta , ce dit- on ,
Le beau repas du faiseur de charbon ;
Après souper le Charbonnier honnête
Céde son lit , quel lit , bon Dieu !
Un peu de foin sert en ce lieu
De lit au Prince ; il éleve sa tête
III. Vol. SMF
DECEMBRE. 1732. 2799
LA
DE
Sur un caillou qui lui sert d'oreiller ;
Ce n'est pas tout , comme il croit sommeil.
ler ,
Il voit venir d'une vitesse extrême
Un homme noir montant cheval de même
Cet homme tient un poignard en sa main ,
Et méne en trousse une fille éplorée ,
Veut la meurtrir ; mais d'une ame assûrée
Hervé s'oppose à ce dessein ;
Prince , par un effort trop vain ,
Dit l'homme noir , tu terniras ta gloire ,
Respecte ici les ordres du destin ,
Retien ton bras , écoute mon histoire ,
J'avois quinze ans , si j'ai bonne mémoire ,
Quand je suivis les étendards
De ton Ayeul , le preux Comte Guillaume ;
Sous ce grand Chefj'ai bravé les hazards ,
J'ai parcouru vingt fois tout le Royaume
En combattant , mais pendant les hyvers
Je m'arrêtois avec lui dans Nevers ;
Là , je servis cette beauté cruelle ,
Ce cœur ingrat dont le tien prend pitié ,
Mais je ne pus gagner son amitié ;
Les petits soins , l'amour tendre et fidele ,
Les dons , les pleurs , ne pûrent la toucher;
Pour moi toujours elle fût un rocher ;
Dans ma douleur d'une main criminelle
Pour finir mes tristes amours ,
11. vol.
J'ai
2800 MERCURE DE FRANCE
1
J'ai tranché moi- même mes jours ,
Soudain dans la flamme éternelle
Je suis tombé , je le mérite bien ,
Mais la mort qui n'épargne rien ,
A fait périr à son tour l'inhumaine;
Pour me venger de sa rigueur ,
Ici tous les mois je l'amene ,
Et de ce fer je lui perce le cœur.
Le Revenant ne parla davantage ,
Mais consomma son triste ouvrage ;
Car sur le champ il étendit la main
Par les cheveux il prit la patiente ,
Pour la punir de son dédain ,
Malgré ses cris , il lui perça le sein ,
Et puis encor toute vivante
Il la plongea dans la fournaise ardente ,
Et se brûla lui-même au même feu ;
D'effroi , d'horreur Hervé reste immobile,
Lorsque le jour parût un peu ,
Incontinent le Prince plus tranquille
Au Charbonnier fait son adieu ,
Monte à cheval et pique vers la Ville ,
Neregrettant la chere ni le lieu ;
A ses Barons Hervé conta l'histoire ,
Tous se signoient , faisant semblant de croire ;
On manda soudain le Prélat
Qu'on vît bien-tôt arriver sur sa mule ;
II. Vol. Le
DECEMBRE. 1732. 2801
Le bon Evêque plus crédule
Dit qu'il falloit assembler son Senat ;
Dans ce conseil n'étoient jeunes cervelles ,
Point n'écoutoit Abbés coquets
Moins assidus aux Temples qu'aux ruelles ,
Mais bien Vieillards venerables , discrets
Qui ne suivoient les doctrines
L'adroit Senat ayant déliberé ,
nouvelles.
Dît qu'il falloit pour expier l'offense
Fonder Convent , mais Convent ayant manse
Abbatiale , ou bien un Prieuré
De Grammont ou de Premontré ;
Ainsi fut fait , une belle Abbaye
Par Hervé fût et dotée et bâtie ;
Pour réparer forfait tant odieux
Moines au Chour disent toujours Matine ,
De chants dévots font retentir les cieux ,
Fors dans le tems qu'ils sont à la cuisine ;
Bref , soyés sûr qu'au Prince Fondateur
Ils en donnent sur ma parole
Pour son argent ; n'en rendront une obole ;
Ce n'est point tout teur
maint grand Prédica
Dans ses Sermons récita notre histoire ,
Et fit pleurer son Auditoire ;
* Du tems du Comte Hervé l'heresie Albigeoise voisfait quelques progrès dans Nevers,
II. Vol. Ainsi
2802 MERCURE DE FRANCE
Ainsi fut fait par maint beau Confesseur ,
Si que le cas Dames sçavoient par cœur ,
L'horrible cas Dames tant bien aprirent ,
Qu'à la parfin toutes se convertirent ,
Et de leur cœur déchasserent soudain
Triste fierté , rigueur , dédain ,
Se faisant même une douce habitude
De clémence et de gratitude ;
Depuis ce tems les superbes Guerriers
Ne trouvent plus dans ces lieux d'inhumai nes ,
Amans heureux sont ici par milliers ,
Témoins * et Bretagne et Touraine ;
Tous ces Amans , grace à la vision ,
N'éprouvent point de tristes destinées ,
Dames croiroient être damnées ,
Si de leurs feux n'avoient compassion ,
Si quelqu'une à leur passion
Est quelquefois un peu severe ,
Soudain sa cousine ou sa mere
La menace de l'homme noir ,
Ele croit l'entendre ou le voir ,
Enfin ce bienheureux usage ,
Malgré les peres , les époux ,
S'est conservé jusques à nous,
Et durera bien davantage ;
* Bretagne et Touraine sont deux Régimens qui
ont été engarnison àNevers,
II. Vel. Des
DECEMBRE. 1732. 2807
Des Guerriers ce sont là les droits ;
Mais quant à nous autres Bourgeois
Nous n'en usons , c'est grand-dommage,
Les rigueurs sont notre partage ;
Soultrai , si j'avois vos talens ,
Je ne me plaindrois pas des refus de nos Belles ,
Ou , m'en plaignant enfin j'emploirois des ac
cens ,
si gracieux et si touchans
Que je pourrois bientôt les rendre moins cruel- les ,
Et leur prouver qu'à tous égards
Apollon en amour vaut souvent mieux que Mars ;
De ce récit quelle est donc la morale?
Parmi la Fable il faut des veritez ,
Dira quelqu'un , car sans moralités
Tel conte n'est qu'un objet de scandale ;
Moraliser est pour moi terre australe
Or moralise qui voudra
;
Sans morale , ma foi , le Conte finira :
Mais, Soultrai , qui de la sagesse
Possede toute la richesse
De sa morale un trait nous restera ,
En attendant je mets un bel et catera.
Pierre de Frasnai , Trésorier de France
à Moulins.
You 11. Vol.
D
Signature
Pierre de Frasnai, Trésorier de France à Moulins.
Lieu
Langue
Vers et prose
Type d'écrit journalistique
Courrier des lecteurs
Faux
Mots clefs
Est rédigé par une personne
Concerne une oeuvre
Provient d'un lieu