Titre
LETTRE écrite à M. Baron, Doyen de la Faculté de Medecine de Paris, par M. de Lepine, Docteur, Régent de la même Faculté, au sujet d'une These qui a pour titre, An à functionum integritate mentis Sanitas ? Soutenuë le huitiéme Janvier 1733. aux Ecoles de Médecine.
Titre d'après la table
Lettre sur une These de Médecine, &c.
Fait partie d'une livraison
Fait partie d'une section
Page de début
878
Page de début dans la numérisation
55
Page de fin
883
Page de fin dans la numérisation
60
Incipit
MONSIEUR, J'apprends avec une surprise extrême les bruits que
Texte
LETTRE écrite à M. Baron , Doyen
de la Faculté de Medecine de Paris
par M. de Lepine , Docteur , Régent de
la même Faculté , au sujet d'une These
qui a pour titre , An à functionum
integritate mentis Sanitas ? Soutenuë le
buitiéme Fanvier 1733. aux Ecoles de
Médecine.
MONSIEUR ,
J'apprens avec une surprise extrême
les bruits que l'on répand contre moi au
sujet d'une These que j'ai faite et à laquel'e
j'ai présidé le huitiéme Janvier de
la présente année , qui a pour titre : An
à functionum integritate mentis Sanitas ?
Rien n'est plus douloureux pour un
homme élevé dans des sentimens d'honneur
et de Religion , qui selon moi doivent
être inséparables , que de se voir attaqué
sur une matiere , où le simple soupçon
donne toujours là plus sensible atteinte
à notre réputation ; ainsi je m'estimerois
le plus malheureux des hommes ,
si je n'avois une ressource dans l'équité
de ceux qui sont en état de juger avec
con,
MAY. 1733. 879
connoissance de cause , et ce sont eux
que je me flatte de convaincre de la
pureté
et de l'orthodoxie des més sentimens.
Les objections qui me cont revenues
se réduisent à deux principales .
La premiere , d'avoir choisi une matiere
qui m'ait engagé à parler de l'Ame ,
de son essence et de ses opérations.
La seconde , d'avoir paru mettre en
problême sa spiritualité et son immortalité.
Je réponds à la premiere objection ,
que jusqu'ici dans nos Ecoles , sans que
personne l'ait trouvé mauvais , on a traité
la même matiere comme un point de
Physiologie très - important sous differens
titres . An mens sana in Corpore sano ? An
principium facultatum Anima ? & c.
Mais outre l'importance du sujet en
general , un motif particulier m'a déterminé
à le choisir. Beaucoup de gens sont
prévenus que tous les accidens qui dérangent
la tête de tant de differentes manieres
, en nous ôtant la liberté sont
des maladies qui attaquent réellement
l'esprit , et que si en même temps les
autres fonctions du Corps sont en bon
état , la Médecine ne peut être d'aucun
secours. ,
C
,
I
Par
$80 MERCURE DE FRANCE
Par une suite de préjugé on a vû dans
tous les temps enfermer des personnes
alienées , sans que leur famille ait daigné
faire les moindres tentatives pour
leur guérison.
De si tristes avantures m'ont excité à
combattre une erreur si préjudiciable au
Public , en faisant voir que les maladies
dont il s'agit , et que l'on croit avoir leur
siege dans l'ame même , ne sont que dans
les organes du corps , quelque bien disposez
qu'ils soient à tous autres égards ;
c'est dans ce sens qu'il faut entendre le
titre de ma These : An à functionum integritate
mentis Sanitas ?
Ayant à prouver que les prétendus dérangemens
de l'Esprit sont seulement de
vrais dérangemens
des parties internes du
Corps , telles que les Nerfs dans leurs
origines et dans leurs communications
,
j'établis pour principe certain que l'ame
ne peut être susceptible des altérations
que la corruption fait subir à la matiere,
c'est ce que je dis en termes formels , lig.
34. du quatrième Cor. p. 3. Num aëris constitutio
potest aliquid in Substantiam cogitantem
? Num terra venenati halitus vale
bunt eam corrumpere ? Absit
Cette proposition est une conséquence
nécessaire de l'Assertion qui est dans mon
premier
MAY. 1733 . 881
premier Corollaire touchant la Nature
de l'Ame. C'est là que je tâche d'exprimer
son Essence , et de la distinguer de
celle du Corps dans la définition que je
donne de la Vie. Communio est rei extensæ,
mobilis , que occupat spatium , que mutat
subinde locum , cum substantia que nullius
loci est capax , que proin sedem mutare nequit
, et tamen quocumque volueris illicò
transvolat.
Cette Assertion suffiroit pour me justifier
contre la seconde objection , elle
est décisive , elle ne renferme aucune
équivoque, et exclut toute espece de doute
: cependant on prétend en faire naître
l'idée sur ses paroles du premier Corol.
Num extensa et solida gaudeat trinâ dimentione
, roganti , non esse corpoream difficulter
probaveris ; At corpoream esse longè
difficilius demonstraveris. Je vous prie ,
Monsieur , de remarquer ici deux choses;
la premiere, qu'il ne s'y agit que de. preuves
philosophiques ; la seconde, que cette
proposition est d'un genre tout different
de celui des Assertions.
in-
Je compare seulement deux sentimens
contraires ; et avant que de donner ma
véritable réponse , je commence par
diquer le plus probable, en faisant remarquer,
que , si d'un côté il n'est pas aisé
C de
882 MERCURE DE FRANCE
"
de prouver l'immatérialité de l'ame , de
l'autre il est , sans comparaison , plus dif
ficile d'en démontrer la matérialité.
Je ne fais donc ici qu'exposer le dou
te ; mais je le résous ensuite , ou du
moins j'explique clairement ce que j'en
pense , lorsque je dis ailleurs ( ce qui est
vraiment Assertion ) que l'ame est une
substance pensante , qui ne peut être contenue
en aucun licu , et sur laquelle la
constitution de l'air n'a aucun pouvoir :
d'où il suit clairement qu'elle est spirituelle
; et par conséquent je suis bien éloigné
d'affirmer qu'on ne puisse prouver
ce que je regarde moi-même , et ce que
je donne comme absolument certain .
Pour ce qui regarde l'immortalité de
l'ame , il est vrai que je dis de Platon
Concupivit potiùs , quàm demonstravit z
mais la Religion pourroit- elle admettre
la démonstration qu'il s'imagine en donner
dans le Phedon , lorsqu'il dit que
l'ame étant à elle-même la cause de son
mouvement , elle ne peut jamais finir ?
Cer illustre Philosophe a pensé plus
conformément aux principes de la vraye
Religion dans le Timée, où il assure que
la seule volonté du Dieu suprême donne
l'immortalité à tous les êtres intelligens.
Après une justification aussi précise que
celle- cy ,
MAY. 1733. 883
celle-cy , si quelqu'un pouvoit encore
prétendre que dans la proposition Num
extensa , &c. je mets en problême la spiritualité
de l'ame , je desavoue non seu
lement , mais je déteste le sentiment qu'il
m'attribue , en suppliant les Juges équitables
de remarquer qu'il est formellementdétruit
par les deux Assertions, Substantia
cogitans , p. 3. Cor. 4. 1. 35. et
nullius loci capax , p . 1. Cor. 1. ligne derniere
, que j'ai rapportées.
Quoique je doute que mes expressions
ayent une interprétation si odieuse , je
suis sensiblement affligé si elles ont pû
y donner lieu ; et quelque témoignage
que je me rende à moi - même de l'intégrité
de ma foi et de la pureté de mes
intentions , je me reconnoîtrai coupable,
si l'on peut me convaincre , d'avoir parlé
d'une maniere à me faire soupçonner de
l'être mais le sentiment de ma conscience
me rassure , n'ayant jamais riem
pensé ni écrit que de conforme aux sentimens
de l'Eglise Catholique, Apostolique
et Romaine , dans le sein de laquelle
je veux vivre et mourir,
J'ai l'honneur d'être avec tous les sentimens
d'estime , de considération et de
respect possible , &c.
A Paris , le 4. Avril 1733 .
de la Faculté de Medecine de Paris
par M. de Lepine , Docteur , Régent de
la même Faculté , au sujet d'une These
qui a pour titre , An à functionum
integritate mentis Sanitas ? Soutenuë le
buitiéme Fanvier 1733. aux Ecoles de
Médecine.
MONSIEUR ,
J'apprens avec une surprise extrême
les bruits que l'on répand contre moi au
sujet d'une These que j'ai faite et à laquel'e
j'ai présidé le huitiéme Janvier de
la présente année , qui a pour titre : An
à functionum integritate mentis Sanitas ?
Rien n'est plus douloureux pour un
homme élevé dans des sentimens d'honneur
et de Religion , qui selon moi doivent
être inséparables , que de se voir attaqué
sur une matiere , où le simple soupçon
donne toujours là plus sensible atteinte
à notre réputation ; ainsi je m'estimerois
le plus malheureux des hommes ,
si je n'avois une ressource dans l'équité
de ceux qui sont en état de juger avec
con,
MAY. 1733. 879
connoissance de cause , et ce sont eux
que je me flatte de convaincre de la
pureté
et de l'orthodoxie des més sentimens.
Les objections qui me cont revenues
se réduisent à deux principales .
La premiere , d'avoir choisi une matiere
qui m'ait engagé à parler de l'Ame ,
de son essence et de ses opérations.
La seconde , d'avoir paru mettre en
problême sa spiritualité et son immortalité.
Je réponds à la premiere objection ,
que jusqu'ici dans nos Ecoles , sans que
personne l'ait trouvé mauvais , on a traité
la même matiere comme un point de
Physiologie très - important sous differens
titres . An mens sana in Corpore sano ? An
principium facultatum Anima ? & c.
Mais outre l'importance du sujet en
general , un motif particulier m'a déterminé
à le choisir. Beaucoup de gens sont
prévenus que tous les accidens qui dérangent
la tête de tant de differentes manieres
, en nous ôtant la liberté sont
des maladies qui attaquent réellement
l'esprit , et que si en même temps les
autres fonctions du Corps sont en bon
état , la Médecine ne peut être d'aucun
secours. ,
C
,
I
Par
$80 MERCURE DE FRANCE
Par une suite de préjugé on a vû dans
tous les temps enfermer des personnes
alienées , sans que leur famille ait daigné
faire les moindres tentatives pour
leur guérison.
De si tristes avantures m'ont excité à
combattre une erreur si préjudiciable au
Public , en faisant voir que les maladies
dont il s'agit , et que l'on croit avoir leur
siege dans l'ame même , ne sont que dans
les organes du corps , quelque bien disposez
qu'ils soient à tous autres égards ;
c'est dans ce sens qu'il faut entendre le
titre de ma These : An à functionum integritate
mentis Sanitas ?
Ayant à prouver que les prétendus dérangemens
de l'Esprit sont seulement de
vrais dérangemens
des parties internes du
Corps , telles que les Nerfs dans leurs
origines et dans leurs communications
,
j'établis pour principe certain que l'ame
ne peut être susceptible des altérations
que la corruption fait subir à la matiere,
c'est ce que je dis en termes formels , lig.
34. du quatrième Cor. p. 3. Num aëris constitutio
potest aliquid in Substantiam cogitantem
? Num terra venenati halitus vale
bunt eam corrumpere ? Absit
Cette proposition est une conséquence
nécessaire de l'Assertion qui est dans mon
premier
MAY. 1733 . 881
premier Corollaire touchant la Nature
de l'Ame. C'est là que je tâche d'exprimer
son Essence , et de la distinguer de
celle du Corps dans la définition que je
donne de la Vie. Communio est rei extensæ,
mobilis , que occupat spatium , que mutat
subinde locum , cum substantia que nullius
loci est capax , que proin sedem mutare nequit
, et tamen quocumque volueris illicò
transvolat.
Cette Assertion suffiroit pour me justifier
contre la seconde objection , elle
est décisive , elle ne renferme aucune
équivoque, et exclut toute espece de doute
: cependant on prétend en faire naître
l'idée sur ses paroles du premier Corol.
Num extensa et solida gaudeat trinâ dimentione
, roganti , non esse corpoream difficulter
probaveris ; At corpoream esse longè
difficilius demonstraveris. Je vous prie ,
Monsieur , de remarquer ici deux choses;
la premiere, qu'il ne s'y agit que de. preuves
philosophiques ; la seconde, que cette
proposition est d'un genre tout different
de celui des Assertions.
in-
Je compare seulement deux sentimens
contraires ; et avant que de donner ma
véritable réponse , je commence par
diquer le plus probable, en faisant remarquer,
que , si d'un côté il n'est pas aisé
C de
882 MERCURE DE FRANCE
"
de prouver l'immatérialité de l'ame , de
l'autre il est , sans comparaison , plus dif
ficile d'en démontrer la matérialité.
Je ne fais donc ici qu'exposer le dou
te ; mais je le résous ensuite , ou du
moins j'explique clairement ce que j'en
pense , lorsque je dis ailleurs ( ce qui est
vraiment Assertion ) que l'ame est une
substance pensante , qui ne peut être contenue
en aucun licu , et sur laquelle la
constitution de l'air n'a aucun pouvoir :
d'où il suit clairement qu'elle est spirituelle
; et par conséquent je suis bien éloigné
d'affirmer qu'on ne puisse prouver
ce que je regarde moi-même , et ce que
je donne comme absolument certain .
Pour ce qui regarde l'immortalité de
l'ame , il est vrai que je dis de Platon
Concupivit potiùs , quàm demonstravit z
mais la Religion pourroit- elle admettre
la démonstration qu'il s'imagine en donner
dans le Phedon , lorsqu'il dit que
l'ame étant à elle-même la cause de son
mouvement , elle ne peut jamais finir ?
Cer illustre Philosophe a pensé plus
conformément aux principes de la vraye
Religion dans le Timée, où il assure que
la seule volonté du Dieu suprême donne
l'immortalité à tous les êtres intelligens.
Après une justification aussi précise que
celle- cy ,
MAY. 1733. 883
celle-cy , si quelqu'un pouvoit encore
prétendre que dans la proposition Num
extensa , &c. je mets en problême la spiritualité
de l'ame , je desavoue non seu
lement , mais je déteste le sentiment qu'il
m'attribue , en suppliant les Juges équitables
de remarquer qu'il est formellementdétruit
par les deux Assertions, Substantia
cogitans , p. 3. Cor. 4. 1. 35. et
nullius loci capax , p . 1. Cor. 1. ligne derniere
, que j'ai rapportées.
Quoique je doute que mes expressions
ayent une interprétation si odieuse , je
suis sensiblement affligé si elles ont pû
y donner lieu ; et quelque témoignage
que je me rende à moi - même de l'intégrité
de ma foi et de la pureté de mes
intentions , je me reconnoîtrai coupable,
si l'on peut me convaincre , d'avoir parlé
d'une maniere à me faire soupçonner de
l'être mais le sentiment de ma conscience
me rassure , n'ayant jamais riem
pensé ni écrit que de conforme aux sentimens
de l'Eglise Catholique, Apostolique
et Romaine , dans le sein de laquelle
je veux vivre et mourir,
J'ai l'honneur d'être avec tous les sentimens
d'estime , de considération et de
respect possible , &c.
A Paris , le 4. Avril 1733 .
Signature
A Paris, le 4. Avril 1733.
Lieu
Date, calendrier grégorien
Langue
Vers et prose
Type d'écrit journalistique
Courrier des lecteurs
Faux
Mots clefs
Est adressé ou dédié à une personne
Est rédigé par une personne
Provient d'un lieu