Titre
LETTRE sur les bruits Aëriens entendus près le Village d'Ansacq, écrite de Paris ce 15. Fevrier 1731.
Titre d'après la table
Lettre sur les bruits entendus à Ansacq,
Fait partie d'une livraison
Fait partie d'une section
Page de début
447
Page de début dans la numérisation
484
Page de fin
457
Page de fin dans la numérisation
494
Incipit
Vous voulez que je vous dise ce que je pense, Monsieur, au sujet des
Texte
LETTRE sur les bruits Aëriens entendus
près le Village d'Ansacq , écrite de Paris
ce 15. Fevrier 1731.
Ous . voulez
Viosense , Monsieur , au
que je vous dise ce que
je pense , Monsieur , au sujet des
bruits entendus en l'air près le Village
d'Ansacq , dont il est fait mention dans
le second volume du Mercure de Decembre
1730. Vous me demandez si je
crois le fait possible , si je le crois vrai ,
et supposé que je le croye , comment je
puis l'expliquer. Il faut vous satisfaire
je vais vous faire part de mes conjectures.
Le stile de la Relation faite par M. le
Curé d'Ansacq , qui paroît un homme
éclairé , le nombre des témoins dont il a
eu soin de recueillir les dépositions , les
précautions qu'il a prises pour s'assurer
de leur bonne foi , le nom de S. A. S.
Madame la Princesse de Conty , à laquelle
il adresse sa Relation , la multitude des
circonstances sur lesquelles les témoins
ne varient point , ne permettent pas de:
douter de la sincerité , non-seulement de
l'Auteur de la Relation , mais des differens
Particuliers qui ont déposé dans son
information ; ensorte qu'il est hors de
toute vrai-semblance de
"
penser que ni les
B vj uns
448 MERCURE DE FRANCE
uns ni les autres ayent eu desein d'en im
poser.
D'un autre côté le fait tel qu'il est rapporté
, paroît si extraordinaire et si ressemblant
dans son espece aux contes pueriles
du Sabbat , qu'un homme raisonnable
ne peut être tenté d'y ajoûter for.
Mais , dira-t'on , comment des témoins
de bonne foi peuvent- ils déposer d'un
fait visiblement faux ? Il faut donc qu'ils
soient dans l'erreur ; oui , sans doute ; et
quelle peut être la cause d'une erreur
qui roule sur des détails aussi circonstanciez
? sur lesquels les témoins s'accordent
parfaitement sans s'être concertez
? c'est ce qui reste à examiner.
que
S'il n'y avoit eu qu'un ou deux témoins,
il paroîtroit assez vrai-semblable de croire
que la frayeur leur eût fait prendre des cris
de bêtes , d'Oyes , de Canars sauvages ,
ou d'Oiseaux nocturnes pour ce qu'ils
ont crû entendre ; mais comme les témoins
sont en grand nombre et qu'ils ont
assuré M. le Curé qui les a questionnez
sur ce point , qu'ils connoissoient parfaitement
le cri de tous ces animaux et qu'ils
ne s'y étoient certainement pas trompez,
on ne peut s'arrêter à cette conjecture.
Le bruit qu'ils ont entendu sans voir
qui que se soit , ressembloit , disent- ils,
à des voix d'hommes , de femmes et
d'enfans
MARS. 1731. 449
d'enfans , à des éclats de rire et à des sons.
d'Instrumens; voyons s'il n'est pas possible
que sans qu'il y eut une multitude d'hommes
, de femmes, d'enfans ni d'Instrumens,
ils ayent entendu l'apparence de tous ces.
differens bruits par une voie toute simple.
et toute naturelle; c'est cette possibilité que
j'entreprens de
elle est telle que
prouver;
par le moyen que je propose , on peut
faire entendre partout où l'on voudra
les mêmes bruits qui ont été entendus à
Ansacq. Je crois , Monsieur , que vous .
n'en demandez pas davantage , vous de
vez être content de moi si je vous tiens .
parole ; je ne crains pas de vous en
manquer.
M. le Curé d'Ansacq , dans les Refle
xions qui suivent sa Relation , voudroit.
persuader que le sens de l'ouie est moins
sujet à erreur que celui de la vûë , mais
c'est gratuitement qu'il le suppose . Comme
la Sphere d'activité de la vie , pour.
me servir de ses termes , est beaucoup plus
étenduë que celle de l'ouie , il est bien vrai
que les erreurs de la vûë sont quelquefois
plus sensibles et aussi que nous avons
plus d'occasions de les appercevoir. Par .
la même raison il se pourroit encore que
nos yeux se trompassent réellement plus.
fréquemment que nos oreilles parce
que nous faisons plus souvent usage des.
yeux
3.
450 MERCURE DE FRANCE.
yeux , sans qu'on en pût conclure pour
cela que le sens de la vûë en lui- même
et par sa nature , fût plus sujet à l'illu ~
sion que celui de l'ouie ; on pourroit
même, avec autant de vrai -semblance ,
soutenir l'opinion contraire. En effet la
reflexion du son est souvent plus difficile
à reconnoître pour ce qu'elle est ,
que la reflexion de la lumiere. L'Echo
sera plus aisément pris pour une voix humaine
que la reflexion d'un Miroir pour
un objet réel. En general on juge d'ordinaire
beaucoup plus exactement de la
distance et de la situation d'un objet par
la vûë que par l'oüie. On reconnoît à
coup sur de quel côté est parti l'Eclair , et
on ne distingue pas toûjours bien de quel
côté vient le son d'une Cloche,
On se trompe si aisément en jugeant
d'où part le son quand les yeux n'aident
point au jugement qu'on en porte , qu'il
y a des gens que l'on nomme Ventriloques,
qui en se serrant le gosier et faisant une
certaine contraction dans les muscles du
bas ventre , articulent un son de voix
rauque et sourd , tel qu'à un ou deux pas
et même à côté d'eux , en prêtant l'oreil
le , on croit entendre une voix fort éloignée.
J'ai connu un Officier qui avoit ce
talent , j'y ai vû bien de gens trompez
en ma presence , et il m'a assuré qu'il
s'étoit
MARS. 1731. 45i
s'étoit quelquefois réjoui à l'armée aver
ses camarades , en leur donnant par ce
moyen de fausses allarmes.
Mais que le sens de l'oüie soit plus ou
moins trompeur que celui de la vûë , peu
importe à la question presente , pourvû
que l'on convienne ,comme on n'en peut
pas douter que l'un et l'autre sens est
susceptible d'illusion et très sujet à erreur.
C'est en suivant le parallele commencé
que nous pouvons trouver le dénouement
de la question proposée..
Si l'on agite rapidement en rond un
tison , ou un charbon allumé , l'oeil n'appercevra
qu'un cercle de feu non interrompu
; la raison en est sensible ; le char
bon parcourt successivement tous les
point du cercle; l'impression qu'il a faite
sur la vûë quand il étoit en haut , subsiste
encore quand il est en bas. La vîtesse
avec laquelle il est mû , fait que
l'oeil le voit à la fois dans tous les points
de la circonference , et n'apperçoit qu'un
cercle de feu continu. Differens sons qui
se succederoient rapidement les uns aux
autres , pourroient par la même raison
se faire entendre tout à la fois et en mê¬
me-temps. Une seule personne , si elle
pouvoit exprimer tous ces sons differens
et passer successivement, mais très-promp
tement d'un son à l'autre , pourroit donc
imite
452 MERCURE DE FRANCE
imiter le bruit confus et continu de differentes
voix , et par consequent ceux qui
l'entendroient sans voir l'Auteur du bruit,
eroiroient entendre à la fois toutes les
differentes voix qu'il contreferoit.
Mais pourquoi s'arrêter à prouver que
cela pourroit être ? Il y a des choses plus
réelles qu'elles ne semblent possibles. Telle
est celle dont il est question . Abandonnons
la preuve de la possibilité , et que
Pexperience du fait en décide . Il est constant
que bien des gens ont le talent dont
nous parlons. J'ai connu un jeune homme
qui derriere un Paravent imitoit d'une
façon surprenante un Choeur de voix
et d'Instrumens , le fameux Philbert, qui
a apporté en France la Flute Traversiere ;
avec une Poële , dès pincettes et sa voix ,
contrefaisoit , à s'y méprendre , le bruit
d'un ménage en rumeur, les cris du mari,
de la femme , des enfans , des chiens , des
Passans , du Guet et du Commissaire , et
faisoit accourir le voisinage. Depuis deux
ou trois ans la Cour et la Ville ont admiré
le même talent , peut être plus singulier
encore , dans le nommé Laillet ;
il alloit dans les maisons où il étoit mandé
, et sans sortir de la chambre où l'on
étoit , caché derriere uu Paravent ou un
rideau , il faisoit un bruit si varié et si
surprenant , en imitant un Concert , une
bagarre
MAR S. 1731 . 4532
bagarre , des éclats de rire , ou quelqu'au
tre bruit de cette espece , qu'on ne pouvoir
imaginer qu'il fût seul . Etant à souper
tête-à-tête avec un celebre Acteur
de l'Académie Royale de Musique , ona
assuré qu'ils ont fait monter dans la
chambre plus d'une fois le Guet , qui les .
trouvoit tranquillement assis à la table
vis-à-vis l'un de l'autre , et qui rappellé
par le même bruit , revenoit sur ses pasi
le moment d'après , avant que d'avoir
descendu le degré , et les retrouvoit aussi
tranquilles qu'il les avoit laissez.
Il est donc bien vrai et bien confirmé,
par l'experience , qu'un homme seul peut
imiter un bruit confus de voix et d'ins
trumens , assez parfaitement pour s'y mé
prendre. Or je dis qu'il est très possible:
qu'un homme placé derriere le mur audedans
du Parc d'Ansacq , où le bruit a
toûjours été entendu , se soit diverti à
joüer cetteComedie.Et il n'est pas necessaire
pour cela de lui supposer , à beaucoup
près , le talent d'un Philbert ou d'un.
Laillet , si ceux- ci ont pû tromper des
gens clairvoyans quelquefois préve→
nus et avertis , à combien plus forte raison
étoit- il aisé d'en imposer , par le même
moyen , au milieu de la nuit , à des
Paysans surpris , que les premiers sons
ent si fort effrayez , de leur aveu , que
l'un
454 MERCURE DE FRANCE
Fun d'eux ne voulut jamais permettre à
l'autre d'avancer pour chercher à reconnoître
d'où partoit le bruit . En lisant la
Relation dans cet esprit , on reconnoîtra
que tous les détails peuvent aisément s'ajuster
à cette Explication , sur tout si l'on
considere que la frayeur et la préocupa
tion peuvent avoir causé quelques éxagerations
et quelques erreurs même , dans
les circonstances du fait. Il n'est pas étonnant
, par exemple , que les Déposans
ayent jugé que la Scene se passoit en l'air,
puisqu'ils ne voyoient rien sur la terre
d'où ils pussent croire que le bruit partoit
; l'un d'eux dit , cependant , que
quelques-unes de ces voix ne lui avoit
paru qu'à la hauteur d'un homme ordinaire,
ce qui quadre fort à la supposition.
Il faut remarquer encore que c'est toujours
au- dedans du Parc que le bruit a commencé
à se faire entendre. Cette seconde voix
qui répondit sur le champ à la premiere du
fond d'une Gorge entre les deux Montagnes
( ce sont les termes du premier Déposant )
avant la confusion de voix qui se fit entendre
ensuite ; cette seconde voix , dis-je,
pouvoit être ou un Echo contrefait par la
premiere voix , ainsi que les bruits qui
ont suivi , ou peut -être un Echo veritable
qu'on sçait être beaucoup plus sensible la
nuit que le jour ; la refléxion de cet Echo
9
se
MARS. 1731. 455
se pouvoit faire sur la Côte opposée à celle
où se passoit le bruit , et c'est de cette
Côte oposée que l'ont entendu les deux
autres témoins qui alloient à Beauvais,
Il n'est pas étonnant qu'on ne distinguât
rien dans cette multitude de sons variés et
interrompus. Et quant au passage prérendu
de ce bruit le long de la rue et
devant la maison Presbiterale , il n'y a
qu'un ou deux témoins qui en déposent ,
et la frayeur dont ils avoüent qu'il étoient
saisis , pourroit bien leur avoir fait croire
ce bruit plus voisin qu'il n'étoit en effet ;
M. le Curé ne l'ayant pas entendu , quoiqu'il
soit dit qu'il passa devant sa porte.
On pouroit aussi supposer que l'Auteur
du bruit avoit pris ce chemin , ou que
sans sortir du Parc il en avoit suivi un à
peu près parallele à la rue du Village. La
situation du lieu et la connoissance du
Pays , pourroient en faire juger plus exactement.
Il est bien certain que dans ma suppo
sition les témoins auront crû entendre
tout ce qu'ils ont dit avoir entendu , et
qu'ils auront par consequent déposé comme
ils ont fait. M. le Curé d'Ansacq a
placé plusieurs des Habitans de sa Paroisse
, hommes , femmes et enfans , en differens
endroits pour chercher par leur
moyen à imiter les bruits entendus , et
速
456 MERCURE DE FRANCE.
il n'y a pas réussi. D'ailleurs il remarque.
qu'il n'est pas possible d'imaginer qu'il y
eût au milieu de la nuit un concours de
gens qui se fussent accordez pour donner
cette Scene.Nous avons prouvé qu'il n'en
falloit qu'un. C'est à M. le Curé d'Ansacq
à conjecturer qui ce peut être ; cela sera
du moins fort aisé , si la même chose
arrive encore. Quoiqu'il en soit , quelque
part où soient Loeillet ou ses Eleves ,
il est clair qu'ils ont de pareils Akousmates
à leur disposition.
Il n'est pas nécessaire de recourir à cet
te Explication pour chercher la cause de
la frayeur de ce Particulier de Clermont,
dont il est parlé dans l'Addition à la Relation
, lequel se jetta à bas de son che
val et à genoux il y a 15. ans , une nuit
en passant près du Village d'Ansacq, ayant
entendu ou crû entendre un grand bruit.
Je ne crois pas que vous ayez prétendu
me demander compte de toutes les ter
reurs paniques qui peuvent surprendre
un Voyageur ; je me suis seulement engagé
à expliquer comment une cause sim
ple et naturelle pouvoit avoir produit les
prétendus bruits aëriens dont il est parlé
dans la Relation , et je crois . y avoir satisfait:
Voilà , Monsieur , ce que je pense sur
les questions que vous m'avez proposécs
၂၄ ..
MARS. 1731. 457
je souhaite que ma Réponse puisse vous
Satisfaire , je ne vois que ce moyen de
concilier la vrai -semblance avec la bonne
foi des témoins , qui m'a paru ne devoir
Foint être suspecte. Je suis , & c.
près le Village d'Ansacq , écrite de Paris
ce 15. Fevrier 1731.
Ous . voulez
Viosense , Monsieur , au
que je vous dise ce que
je pense , Monsieur , au sujet des
bruits entendus en l'air près le Village
d'Ansacq , dont il est fait mention dans
le second volume du Mercure de Decembre
1730. Vous me demandez si je
crois le fait possible , si je le crois vrai ,
et supposé que je le croye , comment je
puis l'expliquer. Il faut vous satisfaire
je vais vous faire part de mes conjectures.
Le stile de la Relation faite par M. le
Curé d'Ansacq , qui paroît un homme
éclairé , le nombre des témoins dont il a
eu soin de recueillir les dépositions , les
précautions qu'il a prises pour s'assurer
de leur bonne foi , le nom de S. A. S.
Madame la Princesse de Conty , à laquelle
il adresse sa Relation , la multitude des
circonstances sur lesquelles les témoins
ne varient point , ne permettent pas de:
douter de la sincerité , non-seulement de
l'Auteur de la Relation , mais des differens
Particuliers qui ont déposé dans son
information ; ensorte qu'il est hors de
toute vrai-semblance de
"
penser que ni les
B vj uns
448 MERCURE DE FRANCE
uns ni les autres ayent eu desein d'en im
poser.
D'un autre côté le fait tel qu'il est rapporté
, paroît si extraordinaire et si ressemblant
dans son espece aux contes pueriles
du Sabbat , qu'un homme raisonnable
ne peut être tenté d'y ajoûter for.
Mais , dira-t'on , comment des témoins
de bonne foi peuvent- ils déposer d'un
fait visiblement faux ? Il faut donc qu'ils
soient dans l'erreur ; oui , sans doute ; et
quelle peut être la cause d'une erreur
qui roule sur des détails aussi circonstanciez
? sur lesquels les témoins s'accordent
parfaitement sans s'être concertez
? c'est ce qui reste à examiner.
que
S'il n'y avoit eu qu'un ou deux témoins,
il paroîtroit assez vrai-semblable de croire
que la frayeur leur eût fait prendre des cris
de bêtes , d'Oyes , de Canars sauvages ,
ou d'Oiseaux nocturnes pour ce qu'ils
ont crû entendre ; mais comme les témoins
sont en grand nombre et qu'ils ont
assuré M. le Curé qui les a questionnez
sur ce point , qu'ils connoissoient parfaitement
le cri de tous ces animaux et qu'ils
ne s'y étoient certainement pas trompez,
on ne peut s'arrêter à cette conjecture.
Le bruit qu'ils ont entendu sans voir
qui que se soit , ressembloit , disent- ils,
à des voix d'hommes , de femmes et
d'enfans
MARS. 1731. 449
d'enfans , à des éclats de rire et à des sons.
d'Instrumens; voyons s'il n'est pas possible
que sans qu'il y eut une multitude d'hommes
, de femmes, d'enfans ni d'Instrumens,
ils ayent entendu l'apparence de tous ces.
differens bruits par une voie toute simple.
et toute naturelle; c'est cette possibilité que
j'entreprens de
elle est telle que
prouver;
par le moyen que je propose , on peut
faire entendre partout où l'on voudra
les mêmes bruits qui ont été entendus à
Ansacq. Je crois , Monsieur , que vous .
n'en demandez pas davantage , vous de
vez être content de moi si je vous tiens .
parole ; je ne crains pas de vous en
manquer.
M. le Curé d'Ansacq , dans les Refle
xions qui suivent sa Relation , voudroit.
persuader que le sens de l'ouie est moins
sujet à erreur que celui de la vûë , mais
c'est gratuitement qu'il le suppose . Comme
la Sphere d'activité de la vie , pour.
me servir de ses termes , est beaucoup plus
étenduë que celle de l'ouie , il est bien vrai
que les erreurs de la vûë sont quelquefois
plus sensibles et aussi que nous avons
plus d'occasions de les appercevoir. Par .
la même raison il se pourroit encore que
nos yeux se trompassent réellement plus.
fréquemment que nos oreilles parce
que nous faisons plus souvent usage des.
yeux
3.
450 MERCURE DE FRANCE.
yeux , sans qu'on en pût conclure pour
cela que le sens de la vûë en lui- même
et par sa nature , fût plus sujet à l'illu ~
sion que celui de l'ouie ; on pourroit
même, avec autant de vrai -semblance ,
soutenir l'opinion contraire. En effet la
reflexion du son est souvent plus difficile
à reconnoître pour ce qu'elle est ,
que la reflexion de la lumiere. L'Echo
sera plus aisément pris pour une voix humaine
que la reflexion d'un Miroir pour
un objet réel. En general on juge d'ordinaire
beaucoup plus exactement de la
distance et de la situation d'un objet par
la vûë que par l'oüie. On reconnoît à
coup sur de quel côté est parti l'Eclair , et
on ne distingue pas toûjours bien de quel
côté vient le son d'une Cloche,
On se trompe si aisément en jugeant
d'où part le son quand les yeux n'aident
point au jugement qu'on en porte , qu'il
y a des gens que l'on nomme Ventriloques,
qui en se serrant le gosier et faisant une
certaine contraction dans les muscles du
bas ventre , articulent un son de voix
rauque et sourd , tel qu'à un ou deux pas
et même à côté d'eux , en prêtant l'oreil
le , on croit entendre une voix fort éloignée.
J'ai connu un Officier qui avoit ce
talent , j'y ai vû bien de gens trompez
en ma presence , et il m'a assuré qu'il
s'étoit
MARS. 1731. 45i
s'étoit quelquefois réjoui à l'armée aver
ses camarades , en leur donnant par ce
moyen de fausses allarmes.
Mais que le sens de l'oüie soit plus ou
moins trompeur que celui de la vûë , peu
importe à la question presente , pourvû
que l'on convienne ,comme on n'en peut
pas douter que l'un et l'autre sens est
susceptible d'illusion et très sujet à erreur.
C'est en suivant le parallele commencé
que nous pouvons trouver le dénouement
de la question proposée..
Si l'on agite rapidement en rond un
tison , ou un charbon allumé , l'oeil n'appercevra
qu'un cercle de feu non interrompu
; la raison en est sensible ; le char
bon parcourt successivement tous les
point du cercle; l'impression qu'il a faite
sur la vûë quand il étoit en haut , subsiste
encore quand il est en bas. La vîtesse
avec laquelle il est mû , fait que
l'oeil le voit à la fois dans tous les points
de la circonference , et n'apperçoit qu'un
cercle de feu continu. Differens sons qui
se succederoient rapidement les uns aux
autres , pourroient par la même raison
se faire entendre tout à la fois et en mê¬
me-temps. Une seule personne , si elle
pouvoit exprimer tous ces sons differens
et passer successivement, mais très-promp
tement d'un son à l'autre , pourroit donc
imite
452 MERCURE DE FRANCE
imiter le bruit confus et continu de differentes
voix , et par consequent ceux qui
l'entendroient sans voir l'Auteur du bruit,
eroiroient entendre à la fois toutes les
differentes voix qu'il contreferoit.
Mais pourquoi s'arrêter à prouver que
cela pourroit être ? Il y a des choses plus
réelles qu'elles ne semblent possibles. Telle
est celle dont il est question . Abandonnons
la preuve de la possibilité , et que
Pexperience du fait en décide . Il est constant
que bien des gens ont le talent dont
nous parlons. J'ai connu un jeune homme
qui derriere un Paravent imitoit d'une
façon surprenante un Choeur de voix
et d'Instrumens , le fameux Philbert, qui
a apporté en France la Flute Traversiere ;
avec une Poële , dès pincettes et sa voix ,
contrefaisoit , à s'y méprendre , le bruit
d'un ménage en rumeur, les cris du mari,
de la femme , des enfans , des chiens , des
Passans , du Guet et du Commissaire , et
faisoit accourir le voisinage. Depuis deux
ou trois ans la Cour et la Ville ont admiré
le même talent , peut être plus singulier
encore , dans le nommé Laillet ;
il alloit dans les maisons où il étoit mandé
, et sans sortir de la chambre où l'on
étoit , caché derriere uu Paravent ou un
rideau , il faisoit un bruit si varié et si
surprenant , en imitant un Concert , une
bagarre
MAR S. 1731 . 4532
bagarre , des éclats de rire , ou quelqu'au
tre bruit de cette espece , qu'on ne pouvoir
imaginer qu'il fût seul . Etant à souper
tête-à-tête avec un celebre Acteur
de l'Académie Royale de Musique , ona
assuré qu'ils ont fait monter dans la
chambre plus d'une fois le Guet , qui les .
trouvoit tranquillement assis à la table
vis-à-vis l'un de l'autre , et qui rappellé
par le même bruit , revenoit sur ses pasi
le moment d'après , avant que d'avoir
descendu le degré , et les retrouvoit aussi
tranquilles qu'il les avoit laissez.
Il est donc bien vrai et bien confirmé,
par l'experience , qu'un homme seul peut
imiter un bruit confus de voix et d'ins
trumens , assez parfaitement pour s'y mé
prendre. Or je dis qu'il est très possible:
qu'un homme placé derriere le mur audedans
du Parc d'Ansacq , où le bruit a
toûjours été entendu , se soit diverti à
joüer cetteComedie.Et il n'est pas necessaire
pour cela de lui supposer , à beaucoup
près , le talent d'un Philbert ou d'un.
Laillet , si ceux- ci ont pû tromper des
gens clairvoyans quelquefois préve→
nus et avertis , à combien plus forte raison
étoit- il aisé d'en imposer , par le même
moyen , au milieu de la nuit , à des
Paysans surpris , que les premiers sons
ent si fort effrayez , de leur aveu , que
l'un
454 MERCURE DE FRANCE
Fun d'eux ne voulut jamais permettre à
l'autre d'avancer pour chercher à reconnoître
d'où partoit le bruit . En lisant la
Relation dans cet esprit , on reconnoîtra
que tous les détails peuvent aisément s'ajuster
à cette Explication , sur tout si l'on
considere que la frayeur et la préocupa
tion peuvent avoir causé quelques éxagerations
et quelques erreurs même , dans
les circonstances du fait. Il n'est pas étonnant
, par exemple , que les Déposans
ayent jugé que la Scene se passoit en l'air,
puisqu'ils ne voyoient rien sur la terre
d'où ils pussent croire que le bruit partoit
; l'un d'eux dit , cependant , que
quelques-unes de ces voix ne lui avoit
paru qu'à la hauteur d'un homme ordinaire,
ce qui quadre fort à la supposition.
Il faut remarquer encore que c'est toujours
au- dedans du Parc que le bruit a commencé
à se faire entendre. Cette seconde voix
qui répondit sur le champ à la premiere du
fond d'une Gorge entre les deux Montagnes
( ce sont les termes du premier Déposant )
avant la confusion de voix qui se fit entendre
ensuite ; cette seconde voix , dis-je,
pouvoit être ou un Echo contrefait par la
premiere voix , ainsi que les bruits qui
ont suivi , ou peut -être un Echo veritable
qu'on sçait être beaucoup plus sensible la
nuit que le jour ; la refléxion de cet Echo
9
se
MARS. 1731. 455
se pouvoit faire sur la Côte opposée à celle
où se passoit le bruit , et c'est de cette
Côte oposée que l'ont entendu les deux
autres témoins qui alloient à Beauvais,
Il n'est pas étonnant qu'on ne distinguât
rien dans cette multitude de sons variés et
interrompus. Et quant au passage prérendu
de ce bruit le long de la rue et
devant la maison Presbiterale , il n'y a
qu'un ou deux témoins qui en déposent ,
et la frayeur dont ils avoüent qu'il étoient
saisis , pourroit bien leur avoir fait croire
ce bruit plus voisin qu'il n'étoit en effet ;
M. le Curé ne l'ayant pas entendu , quoiqu'il
soit dit qu'il passa devant sa porte.
On pouroit aussi supposer que l'Auteur
du bruit avoit pris ce chemin , ou que
sans sortir du Parc il en avoit suivi un à
peu près parallele à la rue du Village. La
situation du lieu et la connoissance du
Pays , pourroient en faire juger plus exactement.
Il est bien certain que dans ma suppo
sition les témoins auront crû entendre
tout ce qu'ils ont dit avoir entendu , et
qu'ils auront par consequent déposé comme
ils ont fait. M. le Curé d'Ansacq a
placé plusieurs des Habitans de sa Paroisse
, hommes , femmes et enfans , en differens
endroits pour chercher par leur
moyen à imiter les bruits entendus , et
速
456 MERCURE DE FRANCE.
il n'y a pas réussi. D'ailleurs il remarque.
qu'il n'est pas possible d'imaginer qu'il y
eût au milieu de la nuit un concours de
gens qui se fussent accordez pour donner
cette Scene.Nous avons prouvé qu'il n'en
falloit qu'un. C'est à M. le Curé d'Ansacq
à conjecturer qui ce peut être ; cela sera
du moins fort aisé , si la même chose
arrive encore. Quoiqu'il en soit , quelque
part où soient Loeillet ou ses Eleves ,
il est clair qu'ils ont de pareils Akousmates
à leur disposition.
Il n'est pas nécessaire de recourir à cet
te Explication pour chercher la cause de
la frayeur de ce Particulier de Clermont,
dont il est parlé dans l'Addition à la Relation
, lequel se jetta à bas de son che
val et à genoux il y a 15. ans , une nuit
en passant près du Village d'Ansacq, ayant
entendu ou crû entendre un grand bruit.
Je ne crois pas que vous ayez prétendu
me demander compte de toutes les ter
reurs paniques qui peuvent surprendre
un Voyageur ; je me suis seulement engagé
à expliquer comment une cause sim
ple et naturelle pouvoit avoir produit les
prétendus bruits aëriens dont il est parlé
dans la Relation , et je crois . y avoir satisfait:
Voilà , Monsieur , ce que je pense sur
les questions que vous m'avez proposécs
၂၄ ..
MARS. 1731. 457
je souhaite que ma Réponse puisse vous
Satisfaire , je ne vois que ce moyen de
concilier la vrai -semblance avec la bonne
foi des témoins , qui m'a paru ne devoir
Foint être suspecte. Je suis , & c.
Lieu
Date, calendrier grégorien
Langue
Vers et prose
Type d'écrit journalistique
Courrier des lecteurs
Faux
Mots clefs
Domaine
Constitue la réponse à un autre texte
Est probablement adressé ou dédié à une personne
Provient d'un lieu