Titre d'après la table
Démocrite prétendu fou, Extrait,
Fait partie d'une livraison
Fait partie d'une section
Page de début
991
Page de début dans la numérisation
150
Page de fin
1003
Page de fin dans la numérisation
162
Incipit
Le 24. Avril, les Comédiens Italiens donnerent la premiere Représentation d'une Comédie
Texte
Le 24. Avril , les Comédiens Italiens donnerent
la premiere Repréfentation d'une Comédie
en Vers & en trois Actes , intitulée Démocrite
Prétendu Fou. Cette Piéce dont M. Autreau eft
l'Auteur , eft eftimée une des meilleures qui ayent
encore paru à l'Hôtel de Bourgogne. Elle fut reçue
avec beaucoup d'applaudiffemens qui n'ont
fait qu'augmenter dans la fuite. Nous abrégeons
les éloges pour donner l'Extrait que voici.
L'expofition du Sujet eft faite au premier Acte
par deux Païfans d'auprès d'Abdere , dans une
Maifon deCampagne queDémocrite a choifie pour
fon féjour. Damafippe , l'un de ces deux Païfans,
apprend à Criton , fon camarade , que Démocrite
paffe pour fol dáns Abdere , & qu'à la follicitation
de Damaftus , fon frere , le Sénat paroît
très-difpofé à l'exiler ; il fait connoître à Criton
qu'il a été placé auprès de Démocrite par Damaftus
pour épier tous fes divers genres de folie,
& pour l'en inftruire . Voici les fignes de folie fur
Gij lequels
992 MERCURE DE FRANCE
lefquels il appuye le plus confulter la Lune ,
rire de chacun , lâcher continuellement des traits
critiques , rire feul , fe promener au milieu des
tombeaux , pour fe mocquer même des morts ,
&c. il s'exprime ainfi :
Il va fe gobarger des morts mal à propos
Comme s'ils avoient tort de n'être plus en vie.
Ce qui oblige Criton à lui répondre :
Oh ! pour le coup , c'eft lui- même qui a tort ,
C'eft malgré foi qu'on devient mort ;
Aucun d'eux n'en avoit enyie .
་
Damafippe ajoûte que fa folie le porte à méprifer
les richeffes, à paffer la nuit , à regarder les
Etoiles , à faire des ronds & des quarrés , des iz
& des as , de prédire des Eclipfes , d'avoir la
vertu fecrette de lire fur le vifage des filles quand
elles ne le font plus enfin de vouloir épou
fer une de fes affranchies.
>
La feconde Scene eft entre Myfis , la cadette des
deux affranchies de Démocrite, & Philolaus, fon
Amant , homme de condition d'Abdere , & ami
du Philofophe Prétendu Fou ; elle lui foûtient que
Démocrite eft amoureux de fa four aînée appel,
lée Sophie. Voici ce qu'elle lui dit :
Dès qu'il quitte l'étude ,
Il demande Sophie , & ne peut s'en paſſer ;
De ſon front elle feule a le droit de chaſſer
Ce qu'un trop long travail y peut laiffer de rude
Vient- elle à paroître foudain
De fon air enjoué le retour eft certain ;
Plus,
ނ
MA Y. : 993 1730.
- Plus de marque de laffitude , &c.
Un des goûts de ma foeur eft de parler morale ,
Et volontiers il l'en régale ,
Mais d'un ton doux , d'un air humain ;
Point de grimace Magiſtrale ;
;
Tout au contraire ; il aime à lui prendre la main;
Le moindre petit foin près d'elle l'intereffe ;
Il rajufte un frifon , il détourne une treffe
Qui lui couvre un peu trop le fein ,
Sur lequel fein , quand elle fe redreffe
(Ce que fouvent elle fait à deffein )
Vous voyez de mon Sage une oeillade traitreffe
Se rabattre & tomber foudain ,
Tout en lui prêchant la fageffe ,
Et la leçon marche toujours fon train ;
Et puis fous le mentón doucement la careffe ,
Quand elle a' bien compris quelque trait un peu
iin .
Myfis ordonne à Philolaus d'aller voir Démocrite
, & de ne rien oublier pour penétrer fon
amour , par l'interêt qu'ils y ont tous deux , la
cadette ne pouvant raifonnablement être mariée
qu'après l'aînée .
Danaftus parlant à Philolaus parcourt la vie
de fon frere ; il expofe que Démocrite acheta a
fon retour d'Egypte trois Efclaves , fçavoir Egine
qui eft la mere , & Sophie & Myfis , fes deux
filles .
Dans un entretien que les deux freres ont en
ſemble , Damaſtus a du deffous ; Démocrite exer
ee à fes dépens fon talent de rire ; il le raille vi-
G iij
yement
994 MERCURE DE FRANCE
(
´vement fur la coquet erie de fa femme ; il fait ce
portrait de lui-même ' , & ce tableau de fa maniere
de vie dans fa campagne , pour faire contraſte
à celle de fon frere dans la Ville.
:
D'abord , pour Intendant , j'ai l'aimable Sophie ,
Qui paroiffant , le mémoire à la main ,
ཨཉྙཾ
Me trouve tous les jours l'oeil gay , le front ferein;
Comme en elle je me confie ,
Nos comptes font aifés , d'autant plus qu'ils font
courts ;
" Après , felon mon habitude ,
Le reste du matin je le donne à l'étude ,
Delice de l'efprit , & pendant les beaux jours
Dans mes Jardins je fais deux ou trois tours ;
Tout y croît ,y fleurit , tout y fent l'oeil du Maître
;
Et lorsque le Soleil eft au haut de fon cours
Un repas de mets domestiques ,
Apprêté par de belles mains ,
Vins de mon crû , fruits nés dans mes Jardins
Yflattent mieux mon goût que les plus magnifiques.
Damaftus fe retire peu fatisfait de fon frere
Sophie paroît pour la premiere fois ; Démocrite
pour l'éprouver lui propofe un Epoux ; il lui dit
pour lui mieux faire prendre le change , que cet
Epoux dont il lui parle eft jeune. Sophie lui répond
qu'elle aimeroit mieux qu'il fut âgé , &
voici la raifon qu'elle en donne.
C'est que je veux qu'il m'aime ;
Or
MAY. 1730. 995
Ör , afin qu'il m'aimât long- tems
Je le voudrois au moins de quarante ans , &c.
J'ai remarqué que la jeuneffe
Paffe chez une femme avec plus de vîteffe
Qu'elle ne fait chez un Mari ;
Que dans le cours des ans
un Epoux à quarante "
Paroît encor jeune & Aeuri ,
Et que notre éclat paffe à trente.
Quand un trop jeune Epoux en paroît dégoûté,
Je lui pardonne , ce me ſemble ;
Pour conferver l'amour il faut
que la beauté
Marche d'un pas égal d'un & d'autre côté ,
Et qu'on ne les perde qu'ensemble.
il lui
Démocrite prie Sophie de préparer un repas pour
des amis qu'il attend. Philolaus vient , l'inftruit
de ce qui fe trame contre lui dans Abdere ;
annonce un effein de Sçavans qui doivent venir
exprès pour l'examiner.
Les premieres Scenes du fecond Acte ne font
pas de celles qui intereffent vivement les fpectateurs.
Démocrite dans un à parte fait entrevoir
qu'il fçait le fort de fes affranchies , & que c'eft
là ce qui l'empêche de s'oppofer à l'Hymen que
Philolaus fon ami fouhaite avec tant d'empreffement.
Dans la feconde , Criton vient lui rendre
une lettre qu'il a oublié de lui remettre . Par cette
lettre , Démocrite eft inftruit de tout ce qui fe
trame contre lui dans le Senat d'Abdere ; c'eſt un
Sénateur de fes amis qui lui donne cet avis fecret,
il n'en eft pas plus inquiet.
:
Philolaus , dans une feconde Scene qu'il a avec
Myfis,lui apprend que Démocrite eft impenétra-
G iiij ble
996 MERCURE DE FRANCE
ble fur l'amour qu'elle prétend qu'il a pour Sophie.
Cette Scene eft fuivie d'une autre entre Myfis
& Sophie qui fait beaucoup plus de plaifir ; en
voici quelques fragmens . La Scene roule fur l'amour
reciproque de Sophie & de Démocrite ,
que Sophie ne veut pas avouer.
Myfis.
Pour vous y rendre plus fçavante ,
Répondez-moi fincerement ,
Quand dans Abdere il fait trop longue réfidence
N'eft- il pas vrai que fon abſence
Vous cauſe en fecret de l'ennui ?
Sophie.
Il eft vrai que je fens beaucoup d'impatience
De le voir de retour chez lui.
Myfis.
Et quand il vous rend fa préfence
Ne Vous fentez-vous pas le coeur tout réjoui
Sophie.
Oh! pour cela , je l'avouë , oiii.
Myfis
Et quand il vous fourit , cela vous fait bien aife ?
Sophie.
Je n'ai point de chagrin que fon rire n'appaife.
Myfts.
MAY. 997 1730.
Myfis
Ma foeur la Philofophe apprenez en ce jour ,
Mais apprenez fans aucun doute
Que vous fentez du bon du veritable amour ,
Ou votre grand efprit pourtant ne voyoit goute
La Scene qui fuit eft auffi intereffante que
celle -là eft divertiffante. Elle eft entre Démocrite
& Sophie. Démocrite a fait entendre dans un Mo
nologue qu'il veut éprouver fi Sophie l'aime , ou
fi ce n'eft que par reconnoiffance qu'elle s'attache
à lui. Voici ce que Sophie lui répond :
Eh ! pourquoi voudrois -je rien taire ?
Je vous regarde comme un pere ;
Mon coeur à votre feul afpect
Sent un mouvement qui le preffe
Mêlé de joye & de reſpect ,
Qui des liens du fang égale la tendreffe.
Non , je ne puis affez vous faire concevoir
Ce qu'il a fur moi de pouvoir ;
Mais c'eft encor bien peu pour pouvoir reconnof
tre
Tant de bienfaits d'un fi bon Maître.
Démocrite apprend avec beaucoup de plaifir le
progrès qu'il a fait fur le coeur de fa chere affranchie
; il lui fait entrevoir un fort heureux , & la
quitte après lui avoir récommandé le fecret fur
ee qu'il vient de lui dire en termes ambigus
Sophie commente agréablement ce que Démocrite
ne lui a dit que d'une maniere un petz
Gy cblouse
898 MERCURE DE FRANCE
obfcure ; elle finit fon tendre monologue par ces
Vers :
Suivons pourtant , fuivons les loix de mon cher
Maître ;
Renfermons notre feu naiffant
Peut-être qu'en obéïffant
Mon amour à lui ſeul ſe fera mieux connoître ;
Peut-être qu'à fon tour lui - même il en reſſent.
Myfis vient troubler la joye fecrette de Sophie;
elle lui apprend que le Sénat va bannir Démocrite
d'Abdere pour le punir de l'amour qu'il fent
- pour elle : Sophie à cette affligeante nouvelle ne
peut plus garder fon feerct.
Les Philofophes qui ont été annoncés dès le
premier Acte arrivent leur converſation avec
Démocrite et toute des plus riantes , & fait un
plaifir infini aux fpectateurs. Ces Philofophes font
Diogene , Ariftippe & Straton. Démocrite pour
rendre la converfation plus jolie & plus legere , la
tourne fur cette question : L'amour est - il un bien
ou un mal ? voici quelles font les differentes
opinions de nos fçavans Acteurs :
Democrite.
Accordez , Meffieurs , à ma priere
De refoudre entre vous ce point :
Doit-on aimer , ou n'aimer point
Diogene.
La choſe à décider me paroît difficile ,
Quand Laïs avec moi le prend d'un mauvais tom
L'amour m'échaufe trop la bile
Mais
MAY. 1730.
999
Mais quand elle change de ftile ,
Et prend l'air un peu plus mouton ,
L'amour eft bon : mais je vous dis fort bon.
Straton.
En aimant la raifon s'oublie :
Sans la raifon l'homme eft un fot :
L'amour eft donc une folie ,
Par force il faut trancher le mot :
Mais du moins c'eft la plus jolie.
Ariftippe.
Moi j'accorde fort bien l'amour & la fageffe :
J'en prends un peu felon l'occafion ,
Et ma raiſon n'y voit rien qui la bleſſe :
Il eft chez moi plaifir & jamais paffion :
La paffion feule eft foibleffe :
Et voila ma conclufion.
Démocrite.
Il eft peine & plaifir au fens de Diogene
Il eft folie à celui de Straton :
Chez Ariftipe il eſt plaifir fans peine :
Lequel des trois en croira- t'on ?
Ou foyez fur l'amour d'accord tous trois enfemble
:
Ou laiffez-moi, Meffieurs , aimer , fi bon meſem❤
ble ..
Pouvoit -on ne pas applaudir à une Theſe fe
galante , & no pas fçavoir gré à M. Autreau d'a
Voic
1000 MERCURE DE FRANCE
voir fi bien égayé la Philofophie ? la converſation
roule enfin fur les Sciences : mais c'eſt pour donner
à Démocrite matiere à exercer fon talent de
rire. Ce fecond Acte finit par l'annonce
fis vient faire de l'arrivée d'Hyppocrate.
que My-
Démocrite commence le troifiéme Acte par un
court Monologue ; il fait entendre qu'après un
long examen fur fa prétendue folie , Hippocrate
à conclu qu'il lui reftoit quelque bon fens.
Philolaus vient avertirDémocrites des réfolutions
que le Sénat d'Abdere vient de prendre contre lui ,
& lui dit que fon ami Philoxene viendra bientôt
lui prononcer fon Arrêt. Démocrite n'en fait
que rire. Hippocratę vient reprocher à Démocrite
fon amour pour une Efclave : Démocrite , pour
juftifier les fentimens de fon coeur , ordonne
qu'on fafie venir Sophie ;à peine Hippocrate l'apperçoit
, qu'il en devient amoureux ; Sophie fe
retire. Démocrite demande à Hippocrate ce qu'il
penfe de fon amour depuis qu'il en a vu l'objet.
Hippocrate convient que Sophie eft adorable ,
mais il lui dit , comme Rival , qu'elle ne convient
pas à fon âge. Démocrite lui répond qu'elle conviendroit
encore moins au fien , attendu qu'il eft
beaucoup plus avancé dans la carriere ; Hippocrate
fe retranche fur l'excellence de fon Art ,
ce qui oblige Démocrite à lui lâcher ce trait.
Votre Art fouvent par trop de foin ,
De la fanté hâte bien la ruine ;
Et quand l'Amour prend medecine ,
C'eft figne qu'il n'ira pas loin .
L'Auteur prépare le dénouement par la fin de
cette Scene. Démocrite demande à Hippocrate ce
qu'il a fait d'Egine , fa premiere femme , &c.
Hippocrate lui répond que fon pere. ayant appris
fon
MAY. 1730. ΙΟΟΥ
fon Hymen clandeftin , le força de quitter fa trif
te famille , qui confiftoit en la mere & deux filles ;
il ajoute qu'il apprit au retour de fes longs voyages
que tout étoit mort , il conclut de - là que for
veuvage le met en liberté d'époufer Sophie ; Démocrite
feint d'y conſentir .
#
Nous paffons les autres Scenes moins importantes
, pour venir plutôt à la plus touchante de
la Piece ; elle eft entre Démocrite & Sophie. En
voici quelques morceaux .
Sophie.
On ne pardonne point un amour témeraire' ;
Mais , hélas ! eft-il volontaire ,
Lorfque d'un mérite parfait ,
Il eft un effet neceffaire ?
Démocrite.
Si là-deffus votre aveu ne m'éclaire ,
Je ne puis décider de fa témerité ;
Mais je ne prétens point penetrer un miftere ,
Que vous voulez couvrir de tant d'obſcurité.
Sophie.
Vous qui lifez fi bien dans le fond de mon ame ,
Ignorez- vous l'objet d'une fi jufte flamme ?
Démocrite
Quand je pourrois ne le pas ignorer ,
Oferois-je le déclarer?
Non , je crains trop de m'y méprendre ;
Soyez libre dans votre choix ;
Non
1002 MERCURE DE FRANCE
Non , fi jamais je veux l'apprendre ,
Ce doit être par votre voix , &c.
Sophie voyant que Démocrite lui reproche
fon filence , lui répond ainfi :
Je reçois l'exemple de vous ,
Qui du Sénat me cachez la colere y
Quand je fuis le fujet de ce jufte courroux.
Démocrite.
Devois-je vous parler d'une vaine chimere
Sophie.
Vos fecrets font connus , Seigneur , je les fçais
tous ;
Je n'ai que trop appris votre péril extrême ;
Mais je puis , grace au Ciel , vous en tirer moimême
;
C'est pour me confoler , un plaifir affez doux..
Par vos leçons , mon coeur eft devenu capable
De faire un genereux effort ;
J'appris à refpecter les volontez du fort ;
Pour vous le rendre favorable ,
Daignez dans ce deffein me prêter du fecours
Chaque inftant près de vous me rendroit plus
coupable ;
Il faut , Seigneur , il faut vous quitter pour toujours.
Démocrit : le jettant à fes pieds.
Ah ! c'en eft trop , adorable Sophie,
-
Je
MAY . 1730 . 1003
Je fuis au comble de mes voeux ;
Quittez cette fatale envie ;
Nous fommes réſervez pour un fort plus heu
reux ;
Vous m'aimez & je vous adore ;
Bien-tôt pour nous vous allez voir éclore ,
Le bonheur le moins attendu ;
Dans ce jour fortuné vous allez vous connoître
, & c.
Hippocrate furpris de trouver Démocrite aux
pieds de Sophie , lui reproche la trahison qu'il
lui fait. Philoxene , Sénateur , ami de Démocrite ,
vient lui apprendre que le Sénat , loin de le bannir
, lui envoye cinq cens Talens , pour prix d'um
excellent Livre forti de fa plume. Ce même Sénateur
annonce à Hippocrate que fon Epouſe Egine
vient de lui déclarer fon fort ; Hippocrate
par cette nouvelle , apprend que Sophie & Mifis
font fes filles. Il confent à rendre heureux Démocrite
& Philolaus.La Piece eft terminée par une
Fête des Habitans d'Abdere , dont la Mufique eft
de M. Mouret.
la premiere Repréfentation d'une Comédie
en Vers & en trois Actes , intitulée Démocrite
Prétendu Fou. Cette Piéce dont M. Autreau eft
l'Auteur , eft eftimée une des meilleures qui ayent
encore paru à l'Hôtel de Bourgogne. Elle fut reçue
avec beaucoup d'applaudiffemens qui n'ont
fait qu'augmenter dans la fuite. Nous abrégeons
les éloges pour donner l'Extrait que voici.
L'expofition du Sujet eft faite au premier Acte
par deux Païfans d'auprès d'Abdere , dans une
Maifon deCampagne queDémocrite a choifie pour
fon féjour. Damafippe , l'un de ces deux Païfans,
apprend à Criton , fon camarade , que Démocrite
paffe pour fol dáns Abdere , & qu'à la follicitation
de Damaftus , fon frere , le Sénat paroît
très-difpofé à l'exiler ; il fait connoître à Criton
qu'il a été placé auprès de Démocrite par Damaftus
pour épier tous fes divers genres de folie,
& pour l'en inftruire . Voici les fignes de folie fur
Gij lequels
992 MERCURE DE FRANCE
lefquels il appuye le plus confulter la Lune ,
rire de chacun , lâcher continuellement des traits
critiques , rire feul , fe promener au milieu des
tombeaux , pour fe mocquer même des morts ,
&c. il s'exprime ainfi :
Il va fe gobarger des morts mal à propos
Comme s'ils avoient tort de n'être plus en vie.
Ce qui oblige Criton à lui répondre :
Oh ! pour le coup , c'eft lui- même qui a tort ,
C'eft malgré foi qu'on devient mort ;
Aucun d'eux n'en avoit enyie .
་
Damafippe ajoûte que fa folie le porte à méprifer
les richeffes, à paffer la nuit , à regarder les
Etoiles , à faire des ronds & des quarrés , des iz
& des as , de prédire des Eclipfes , d'avoir la
vertu fecrette de lire fur le vifage des filles quand
elles ne le font plus enfin de vouloir épou
fer une de fes affranchies.
>
La feconde Scene eft entre Myfis , la cadette des
deux affranchies de Démocrite, & Philolaus, fon
Amant , homme de condition d'Abdere , & ami
du Philofophe Prétendu Fou ; elle lui foûtient que
Démocrite eft amoureux de fa four aînée appel,
lée Sophie. Voici ce qu'elle lui dit :
Dès qu'il quitte l'étude ,
Il demande Sophie , & ne peut s'en paſſer ;
De ſon front elle feule a le droit de chaſſer
Ce qu'un trop long travail y peut laiffer de rude
Vient- elle à paroître foudain
De fon air enjoué le retour eft certain ;
Plus,
ނ
MA Y. : 993 1730.
- Plus de marque de laffitude , &c.
Un des goûts de ma foeur eft de parler morale ,
Et volontiers il l'en régale ,
Mais d'un ton doux , d'un air humain ;
Point de grimace Magiſtrale ;
;
Tout au contraire ; il aime à lui prendre la main;
Le moindre petit foin près d'elle l'intereffe ;
Il rajufte un frifon , il détourne une treffe
Qui lui couvre un peu trop le fein ,
Sur lequel fein , quand elle fe redreffe
(Ce que fouvent elle fait à deffein )
Vous voyez de mon Sage une oeillade traitreffe
Se rabattre & tomber foudain ,
Tout en lui prêchant la fageffe ,
Et la leçon marche toujours fon train ;
Et puis fous le mentón doucement la careffe ,
Quand elle a' bien compris quelque trait un peu
iin .
Myfis ordonne à Philolaus d'aller voir Démocrite
, & de ne rien oublier pour penétrer fon
amour , par l'interêt qu'ils y ont tous deux , la
cadette ne pouvant raifonnablement être mariée
qu'après l'aînée .
Danaftus parlant à Philolaus parcourt la vie
de fon frere ; il expofe que Démocrite acheta a
fon retour d'Egypte trois Efclaves , fçavoir Egine
qui eft la mere , & Sophie & Myfis , fes deux
filles .
Dans un entretien que les deux freres ont en
ſemble , Damaſtus a du deffous ; Démocrite exer
ee à fes dépens fon talent de rire ; il le raille vi-
G iij
yement
994 MERCURE DE FRANCE
(
´vement fur la coquet erie de fa femme ; il fait ce
portrait de lui-même ' , & ce tableau de fa maniere
de vie dans fa campagne , pour faire contraſte
à celle de fon frere dans la Ville.
:
D'abord , pour Intendant , j'ai l'aimable Sophie ,
Qui paroiffant , le mémoire à la main ,
ཨཉྙཾ
Me trouve tous les jours l'oeil gay , le front ferein;
Comme en elle je me confie ,
Nos comptes font aifés , d'autant plus qu'ils font
courts ;
" Après , felon mon habitude ,
Le reste du matin je le donne à l'étude ,
Delice de l'efprit , & pendant les beaux jours
Dans mes Jardins je fais deux ou trois tours ;
Tout y croît ,y fleurit , tout y fent l'oeil du Maître
;
Et lorsque le Soleil eft au haut de fon cours
Un repas de mets domestiques ,
Apprêté par de belles mains ,
Vins de mon crû , fruits nés dans mes Jardins
Yflattent mieux mon goût que les plus magnifiques.
Damaftus fe retire peu fatisfait de fon frere
Sophie paroît pour la premiere fois ; Démocrite
pour l'éprouver lui propofe un Epoux ; il lui dit
pour lui mieux faire prendre le change , que cet
Epoux dont il lui parle eft jeune. Sophie lui répond
qu'elle aimeroit mieux qu'il fut âgé , &
voici la raifon qu'elle en donne.
C'est que je veux qu'il m'aime ;
Or
MAY. 1730. 995
Ör , afin qu'il m'aimât long- tems
Je le voudrois au moins de quarante ans , &c.
J'ai remarqué que la jeuneffe
Paffe chez une femme avec plus de vîteffe
Qu'elle ne fait chez un Mari ;
Que dans le cours des ans
un Epoux à quarante "
Paroît encor jeune & Aeuri ,
Et que notre éclat paffe à trente.
Quand un trop jeune Epoux en paroît dégoûté,
Je lui pardonne , ce me ſemble ;
Pour conferver l'amour il faut
que la beauté
Marche d'un pas égal d'un & d'autre côté ,
Et qu'on ne les perde qu'ensemble.
il lui
Démocrite prie Sophie de préparer un repas pour
des amis qu'il attend. Philolaus vient , l'inftruit
de ce qui fe trame contre lui dans Abdere ;
annonce un effein de Sçavans qui doivent venir
exprès pour l'examiner.
Les premieres Scenes du fecond Acte ne font
pas de celles qui intereffent vivement les fpectateurs.
Démocrite dans un à parte fait entrevoir
qu'il fçait le fort de fes affranchies , & que c'eft
là ce qui l'empêche de s'oppofer à l'Hymen que
Philolaus fon ami fouhaite avec tant d'empreffement.
Dans la feconde , Criton vient lui rendre
une lettre qu'il a oublié de lui remettre . Par cette
lettre , Démocrite eft inftruit de tout ce qui fe
trame contre lui dans le Senat d'Abdere ; c'eſt un
Sénateur de fes amis qui lui donne cet avis fecret,
il n'en eft pas plus inquiet.
:
Philolaus , dans une feconde Scene qu'il a avec
Myfis,lui apprend que Démocrite eft impenétra-
G iiij ble
996 MERCURE DE FRANCE
ble fur l'amour qu'elle prétend qu'il a pour Sophie.
Cette Scene eft fuivie d'une autre entre Myfis
& Sophie qui fait beaucoup plus de plaifir ; en
voici quelques fragmens . La Scene roule fur l'amour
reciproque de Sophie & de Démocrite ,
que Sophie ne veut pas avouer.
Myfis.
Pour vous y rendre plus fçavante ,
Répondez-moi fincerement ,
Quand dans Abdere il fait trop longue réfidence
N'eft- il pas vrai que fon abſence
Vous cauſe en fecret de l'ennui ?
Sophie.
Il eft vrai que je fens beaucoup d'impatience
De le voir de retour chez lui.
Myfis.
Et quand il vous rend fa préfence
Ne Vous fentez-vous pas le coeur tout réjoui
Sophie.
Oh! pour cela , je l'avouë , oiii.
Myfis
Et quand il vous fourit , cela vous fait bien aife ?
Sophie.
Je n'ai point de chagrin que fon rire n'appaife.
Myfts.
MAY. 997 1730.
Myfis
Ma foeur la Philofophe apprenez en ce jour ,
Mais apprenez fans aucun doute
Que vous fentez du bon du veritable amour ,
Ou votre grand efprit pourtant ne voyoit goute
La Scene qui fuit eft auffi intereffante que
celle -là eft divertiffante. Elle eft entre Démocrite
& Sophie. Démocrite a fait entendre dans un Mo
nologue qu'il veut éprouver fi Sophie l'aime , ou
fi ce n'eft que par reconnoiffance qu'elle s'attache
à lui. Voici ce que Sophie lui répond :
Eh ! pourquoi voudrois -je rien taire ?
Je vous regarde comme un pere ;
Mon coeur à votre feul afpect
Sent un mouvement qui le preffe
Mêlé de joye & de reſpect ,
Qui des liens du fang égale la tendreffe.
Non , je ne puis affez vous faire concevoir
Ce qu'il a fur moi de pouvoir ;
Mais c'eft encor bien peu pour pouvoir reconnof
tre
Tant de bienfaits d'un fi bon Maître.
Démocrite apprend avec beaucoup de plaifir le
progrès qu'il a fait fur le coeur de fa chere affranchie
; il lui fait entrevoir un fort heureux , & la
quitte après lui avoir récommandé le fecret fur
ee qu'il vient de lui dire en termes ambigus
Sophie commente agréablement ce que Démocrite
ne lui a dit que d'une maniere un petz
Gy cblouse
898 MERCURE DE FRANCE
obfcure ; elle finit fon tendre monologue par ces
Vers :
Suivons pourtant , fuivons les loix de mon cher
Maître ;
Renfermons notre feu naiffant
Peut-être qu'en obéïffant
Mon amour à lui ſeul ſe fera mieux connoître ;
Peut-être qu'à fon tour lui - même il en reſſent.
Myfis vient troubler la joye fecrette de Sophie;
elle lui apprend que le Sénat va bannir Démocrite
d'Abdere pour le punir de l'amour qu'il fent
- pour elle : Sophie à cette affligeante nouvelle ne
peut plus garder fon feerct.
Les Philofophes qui ont été annoncés dès le
premier Acte arrivent leur converſation avec
Démocrite et toute des plus riantes , & fait un
plaifir infini aux fpectateurs. Ces Philofophes font
Diogene , Ariftippe & Straton. Démocrite pour
rendre la converfation plus jolie & plus legere , la
tourne fur cette question : L'amour est - il un bien
ou un mal ? voici quelles font les differentes
opinions de nos fçavans Acteurs :
Democrite.
Accordez , Meffieurs , à ma priere
De refoudre entre vous ce point :
Doit-on aimer , ou n'aimer point
Diogene.
La choſe à décider me paroît difficile ,
Quand Laïs avec moi le prend d'un mauvais tom
L'amour m'échaufe trop la bile
Mais
MAY. 1730.
999
Mais quand elle change de ftile ,
Et prend l'air un peu plus mouton ,
L'amour eft bon : mais je vous dis fort bon.
Straton.
En aimant la raifon s'oublie :
Sans la raifon l'homme eft un fot :
L'amour eft donc une folie ,
Par force il faut trancher le mot :
Mais du moins c'eft la plus jolie.
Ariftippe.
Moi j'accorde fort bien l'amour & la fageffe :
J'en prends un peu felon l'occafion ,
Et ma raiſon n'y voit rien qui la bleſſe :
Il eft chez moi plaifir & jamais paffion :
La paffion feule eft foibleffe :
Et voila ma conclufion.
Démocrite.
Il eft peine & plaifir au fens de Diogene
Il eft folie à celui de Straton :
Chez Ariftipe il eſt plaifir fans peine :
Lequel des trois en croira- t'on ?
Ou foyez fur l'amour d'accord tous trois enfemble
:
Ou laiffez-moi, Meffieurs , aimer , fi bon meſem❤
ble ..
Pouvoit -on ne pas applaudir à une Theſe fe
galante , & no pas fçavoir gré à M. Autreau d'a
Voic
1000 MERCURE DE FRANCE
voir fi bien égayé la Philofophie ? la converſation
roule enfin fur les Sciences : mais c'eſt pour donner
à Démocrite matiere à exercer fon talent de
rire. Ce fecond Acte finit par l'annonce
fis vient faire de l'arrivée d'Hyppocrate.
que My-
Démocrite commence le troifiéme Acte par un
court Monologue ; il fait entendre qu'après un
long examen fur fa prétendue folie , Hippocrate
à conclu qu'il lui reftoit quelque bon fens.
Philolaus vient avertirDémocrites des réfolutions
que le Sénat d'Abdere vient de prendre contre lui ,
& lui dit que fon ami Philoxene viendra bientôt
lui prononcer fon Arrêt. Démocrite n'en fait
que rire. Hippocratę vient reprocher à Démocrite
fon amour pour une Efclave : Démocrite , pour
juftifier les fentimens de fon coeur , ordonne
qu'on fafie venir Sophie ;à peine Hippocrate l'apperçoit
, qu'il en devient amoureux ; Sophie fe
retire. Démocrite demande à Hippocrate ce qu'il
penfe de fon amour depuis qu'il en a vu l'objet.
Hippocrate convient que Sophie eft adorable ,
mais il lui dit , comme Rival , qu'elle ne convient
pas à fon âge. Démocrite lui répond qu'elle conviendroit
encore moins au fien , attendu qu'il eft
beaucoup plus avancé dans la carriere ; Hippocrate
fe retranche fur l'excellence de fon Art ,
ce qui oblige Démocrite à lui lâcher ce trait.
Votre Art fouvent par trop de foin ,
De la fanté hâte bien la ruine ;
Et quand l'Amour prend medecine ,
C'eft figne qu'il n'ira pas loin .
L'Auteur prépare le dénouement par la fin de
cette Scene. Démocrite demande à Hippocrate ce
qu'il a fait d'Egine , fa premiere femme , &c.
Hippocrate lui répond que fon pere. ayant appris
fon
MAY. 1730. ΙΟΟΥ
fon Hymen clandeftin , le força de quitter fa trif
te famille , qui confiftoit en la mere & deux filles ;
il ajoute qu'il apprit au retour de fes longs voyages
que tout étoit mort , il conclut de - là que for
veuvage le met en liberté d'époufer Sophie ; Démocrite
feint d'y conſentir .
#
Nous paffons les autres Scenes moins importantes
, pour venir plutôt à la plus touchante de
la Piece ; elle eft entre Démocrite & Sophie. En
voici quelques morceaux .
Sophie.
On ne pardonne point un amour témeraire' ;
Mais , hélas ! eft-il volontaire ,
Lorfque d'un mérite parfait ,
Il eft un effet neceffaire ?
Démocrite.
Si là-deffus votre aveu ne m'éclaire ,
Je ne puis décider de fa témerité ;
Mais je ne prétens point penetrer un miftere ,
Que vous voulez couvrir de tant d'obſcurité.
Sophie.
Vous qui lifez fi bien dans le fond de mon ame ,
Ignorez- vous l'objet d'une fi jufte flamme ?
Démocrite
Quand je pourrois ne le pas ignorer ,
Oferois-je le déclarer?
Non , je crains trop de m'y méprendre ;
Soyez libre dans votre choix ;
Non
1002 MERCURE DE FRANCE
Non , fi jamais je veux l'apprendre ,
Ce doit être par votre voix , &c.
Sophie voyant que Démocrite lui reproche
fon filence , lui répond ainfi :
Je reçois l'exemple de vous ,
Qui du Sénat me cachez la colere y
Quand je fuis le fujet de ce jufte courroux.
Démocrite.
Devois-je vous parler d'une vaine chimere
Sophie.
Vos fecrets font connus , Seigneur , je les fçais
tous ;
Je n'ai que trop appris votre péril extrême ;
Mais je puis , grace au Ciel , vous en tirer moimême
;
C'est pour me confoler , un plaifir affez doux..
Par vos leçons , mon coeur eft devenu capable
De faire un genereux effort ;
J'appris à refpecter les volontez du fort ;
Pour vous le rendre favorable ,
Daignez dans ce deffein me prêter du fecours
Chaque inftant près de vous me rendroit plus
coupable ;
Il faut , Seigneur , il faut vous quitter pour toujours.
Démocrit : le jettant à fes pieds.
Ah ! c'en eft trop , adorable Sophie,
-
Je
MAY . 1730 . 1003
Je fuis au comble de mes voeux ;
Quittez cette fatale envie ;
Nous fommes réſervez pour un fort plus heu
reux ;
Vous m'aimez & je vous adore ;
Bien-tôt pour nous vous allez voir éclore ,
Le bonheur le moins attendu ;
Dans ce jour fortuné vous allez vous connoître
, & c.
Hippocrate furpris de trouver Démocrite aux
pieds de Sophie , lui reproche la trahison qu'il
lui fait. Philoxene , Sénateur , ami de Démocrite ,
vient lui apprendre que le Sénat , loin de le bannir
, lui envoye cinq cens Talens , pour prix d'um
excellent Livre forti de fa plume. Ce même Sénateur
annonce à Hippocrate que fon Epouſe Egine
vient de lui déclarer fon fort ; Hippocrate
par cette nouvelle , apprend que Sophie & Mifis
font fes filles. Il confent à rendre heureux Démocrite
& Philolaus.La Piece eft terminée par une
Fête des Habitans d'Abdere , dont la Mufique eft
de M. Mouret.
Langue
Vers et prose
Type d'écrit journalistique
Courrier des lecteurs
Faux
Mots clefs
Domaine