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Titre

LE ROMAN COMIQUE, CHAPITRE TROISIÉME, POEME BURLESQUE. Le déplorable succés qu'eut la Comédie.

Titre d'après la table

Troisiéme Chap. du Roman Comique en Vers,

Fait partie d'une section
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261
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2
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270
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301
Incipit

Dans chaque Ville du Royaume,

Texte
LE ROMAN COMIQUE ,
CHAPITRE TROISIE'ME ,
POEME BURLESQUE..
Le déplorable succés qu'eut la Comédie..
Dans Ans chaque Ville du Royaume ,.
Pour l'ordinaire un Jeu de Paume ,
Est le plus noble passe - temps ,
D'un grand nombre de faineans ;
C'est-là tous les jours qu'on s'assemble
Ceux +
262 MERCURE DE FRANCE..
Ceux-cy pour y jouer ensemble ,
Ceux-là pour voir ; c'est dans ce lieu ,
Qu'on rime richement en Dieu ,
Que subtilement on harangue ,
Qu'on donne de bons coups de langue ,
Qu'on épargne peu le Prochain ,
Et qu'on jure souvent en vain ;
On n'y fait quartier à personne ,
Et chacun se perfectionne ,
Selon le bon talent railleur ,
Que l'on a reçû du Seigneur ;
On s'y pille et l'on se devore ,.
Enfin l'on vit de Turc à More ,
C'est dans un de ces Tripots - là ,
Je n'ai pas oublié cela ,
Que j'ay laissé trois gens comiques ,
Qui devroient passer pour tragiques ,
Récitant d'un ton merveilleux ,
La Mariane aux blonds cheveux ,
Devant une Assemblée entiere ,
Ou présidoit la Rapiniere ,
Vous jugerez dans un instant ,
Qu'il étoit fort bon Président ,
Ou du moins qu'il avoit bon crâne 3
Au tems qu'Hérode et Mariane ,
Sans aucunes formalitez ,
S'entredisoient leurs veritez ,
Et s'échauffoient un peu la bile,
Les
FEVRIER. 1731. 263
Les deux jeunes gens de la Ville ,
Dont on avoit pris les habits
Accoururent dans le Taudis
En calleçons , en chemisettes ,
Et tenant encor leurs Raquettes ;-
Ils ne s'étoient point fait froter ,
Négligeant de se rajuster ,
Pour venir à la Comedie ;
Ce fut belle ceremonie ,
Els devinrent tous deux bouffis ,
Si -tôt qu'ils virent leurs habits ,
Que portoient Hérode et Pharore ,
Fils de chienne , double Pécore ,
Dit l'un d'eux qui n'etoit pas sot ,
Parlant au Valet du Tripot ,
Je veux te payer ton salaire ,
Qui t'a fait assez témeraire ?
Pour donner ainsi nos habits ,
A ces deux Bâteleurs maudits ,
Il faut morbleu que je t'écrase.
Le Valet étoit en extase ;
Comme il appréhendoit le mal ,
Et qu'il sçavoit que ce brutal ,
Battoit fort souvent sa Servante ,
Il lui dit d'une voix tremblante ,
Que ce n'étoit vrayement pas lui ,
Et qu'il avoit bien de l'ennui ,
De ce qu'on le croyoit capable ,
D'un
£54 MERCURE DE FRANCE.
D'un tour aussi desagréable ;
Et qui donc , barbe de cocu
Ajoûta- t- il tout éperdu.
Le Valet aima mieux se taire ,
Que d'accuser la Rapiniere ,
Mais lui se levant dans l'instant
Répondit d'un ton insolent ,
Comme s'il avoit quelque empire ,
C'est moi , morbleu , qu'en veux-tu dire è
Que tu n'es qu'un sot , qu'un faquin ,
Reprit l'autre , en levant la main ,
Et lâchant un coup de raquette ,
Qui lui fit faire une courbette..
Rapiniere fut si surpris ,
Du forfait de ce mal appris ,
Lui qui dans une telle affaire ,
En usoit ainsi d'ordinaire ,
Qu'il demeura comme endormi ,
Soit pour admirer l'ennemi ,
Ou bien parce que le Compere ,,
N'étoit point assez en colere ,
Pour se batre devant témoins 2
Ne fut-ce qu'à grands coups de poings ;;
C'étoit là le tems d'en découdre ,
Il avoit peine à s'y résoudre ,
Et peut- être que ce débat ,
N'auroit pas fait naître un combat ,
Sidans l'instant son Domestique,
Beau
FEVRIER . 1731. 265
Beaucoup plus que lui colerique ,
N'eût empoigné cet Aggresseur ,
En lui donnant de tout son coeur ,
Sans le marchander davantage,
Dans le beau milieu du vifage ,
Pour mieux dire sur le grouin ,
Un effroyable coup de poing
Avec toutes ses circonstances
Et même avec ses dépendances ,
Ensuite plusieurs autres coups ,
Et pardessus et pardessous ;
De plus le sieur la Rapiniere ,
Le prit finement par derriere ,
Comme étant le plus offensé ,
Il l'avoit déja terrassé ;
Un parent de cet Adversaire ,
Prit de même la Rapiniere ,
Mais ce parent fut investi ,
Par quelqu'un de l'autre parti,
Celui-ci le fut d'un troisième ,
Et celui- là d'un quatriéme ;
Tous dans ce vilain galetas ,
Se batoient comme chiens et chats ;
Chacun juroit à sa maniere ,
Et cependant la Tripotiere ,.
Voyant ses meubles renversez ,
Et plusieurs Escabeaux cassez ;
Faisoit des cris épouventables ,
Donnant
256 MERCURE DE FRANCE
Donnant ces gens à tous les diables.
Il est vrai qu'il faut convenir
Que chacun y devoit périr ,
Par coups de poings , de pieds , de chaises ,
Et cent tapes aussi mauvaises ,
Si quelques -uns des Magistrats ,
Qui promenoient alors leurs rats
Avec le Sénéchal du Maine ,
N'eussent entendu cette Scene
Et ne fussent accourus là ,
Afin d'appaiser tout cela.
On ne sçavoit trop comment faire ,
Dans une si cruelle affaire.
Plusieurs d'entre eux dirent tout beau ,
Qu'on jette deux ou trois sceaux d'eau,
Sur cette chienne de canaille ,
Qui trop rudement se chamaille,
Le remede si bien choisi ,
Auroit peut- être réussi ;
Mais la trop grande lassitude ,
Que causoit un combat si rude ,
Fit séparer tous ces Mutins ,
Outre que deux bons Capucins ,
Bien barbus et de riche taille ,
Vinrent sur le champ de bataille ,
Pour tâcher d'y mettre une paix ,
Non tout-à-fait bien ferme , mais
Pour faire accorder quelque tréve ,
Sur
FEVRIER. 257. 1731 .
Sur une attaque si griéve ,
Et cependant négocier ,
Sans pourtant préjudicier ,
Aux differentes procedures ,
Chacun voulant sur ces blessures ,
Faire des informations ,
Et prendre des conclusions .
Le Destin fit mille proüesses ,
De cent differentes especes ,
Dont on parlera bien long-temps ,
Dans la belle Ville du Mans ,
Aucun des Bourgeois n'en ignore
Même à present l'on parle encore
Du Comédien si vanté ,
Suivant ce qu'en ont rapporté ,
Les deux Auteurs de la querelle
Qu'il releva de sentinelle ,
Et qu'il pensa rouer de coups ,
Pendant qu'il étoit en courroux ,
Outre quantité d'adversaires ,
Qui reçurent les étrivieres ,
En les mettant hors de combat ,
Durant le terrible sabat ,
Il perdit pourtant son emplâtre,
Et ce bel homme de Théâtre ,
Fit voir à tous les Spectateurs ,
Malgré les coups et les clameurs ,
Qu'il avoit aussi bon visage ,
Que
268 MERCURE DE FRANCE.
Que bon air et gentil corsage.
Les nez sanglans furent lavez ,
On changea les collets troüez ,
On appliqua quelques emplâtres ,
Sur tous les plus opiniâtres ;
Un certain Soldat indiscret ,
Perisa quelques - uns du secret ,
L'on fit même des points d'éguille
Et l'on eut besoin de bequille ;
Les meubles furent ramassez "
Non sans être un peu fracassez ;
Le tout étoit vaille que vaille.
Il ne resta de la bataille ,
Malgré ce bel et bon traité ,
Que beaucoup d'animosité ,
Qui paroissoit sur le visage ,
De ces grands faiseurs de tapage ;
Mais les pauvres Comédiens ,
Ne grognant pas moins que des chiens ,
Que l'on veut pincer par derriere ,
Sortirent avec Rapiniere ,
Qui verbalisa le dernier ,
Car il entendoit le mêtier.`
Passant du Tripot sous la Halle
Six ou sept de même cabale ,
S'en vinrent l'épée à la main ,
Et les entourerent soudain ,
Il n'est pas aisé de se batre ,
Quand
FEVRIER. 269 17317
Quand on en voit sept contre quatre ,
La Rapiniere, homme d'honneur ,
A l'ordinaire eut grande peur ,
Il auroit eu bien autre chose ,
C'est - à-dire en Vers comme en Prose .
Qu'on lui donnoit un coup fouré ,
Si le Destin ne l'eût paré ,
Cependant malgré la parade ,
Ce terrible coup d'estocade ,
Lui blessa tant soit peu le bras ,
Mais Destin fit bien du fracas ;
Il pourfendit deux ou trois têtes ,
Ce fut conquêtes sur conquêtes ,
Il rompit deux Estramaçons ,
Dont il fit voler les tronçons ,
Il abatit beaucoup d'oreilles ,
En un mot , il fit des merveilles ,
Et le fameux Comédien ,
Déconfit ces Meffieurs si bien ,
Qu'on disoit que du Mans à Rome ,
Il n'étoit point de plus brave homme,
Ce guet- à-pan bien repoussé ,
Avoit , dit- on , été dressé ,
Au Seigneur de la Rapiniere ,
Qui ne cherchoit point à mal faire ,
Par deux petits Nobles , dont l'un ,
N'estoit presque jamais à jeun ,
Et l'autre étoit , je croi , beau- frere ,
De
27 MERCURE DE FRANCE
De celui qui tout en colere,
Avoit commencé le débat ,
Et livré d'abord le combat ,
Par un très - grand coup de raquette ,
Réellement faisant retraite ,
La Rapiniere étoit gâté ,
Si Dieu n'avoit pas suscité ,
Dans cette affaire formidable ,
Un deffenseur incomparable ,
En ce vaillant Comédien ,
Qui fut son unique soutien.
Un si grand bien-fait sans reproche ;
Trouva place en son coeur de Roche ,
Car il avoit pensé périr ;
Il ne voulut jamais souffrir ,
Que cette Troupe si chérie ,
Logeât dans une Hôtellerie ;
Il mena les Comédiens
Chez lui pour les combler de biens ,
Où le Chartier fort pacifique ,
Mit tout le bagage comique ,
Et s'en alla sans se fâcher ,
Pour moi je m'en vais me coucher.
Par M. le Tellier d'Orvilliers , Lieutenant
General d'Epée , à Vernon.
Signature

Par M. le Tellier d'Orvilliers, Lieutenant General d'Epée, à Vernon.

Genre
Collectivité
Faux
Lieu
Langue
Vers et prose
Type d'écrit journalistique
Courrier des lecteurs
Faux
Genre littéraire
Est rédigé par une personne
Concerne une oeuvre
Provient d'un lieu
Soumis par eljorfg le