Titre
L'ENTREMETTEUR pour lui-même.
Titre d'après la table
L'Entremeteur pour luy-mesme.
Fait partie d'une livraison
Page de début
[3]
Page de début dans la numérisation
9
Page de fin
24
Page de fin dans la numérisation
30
Incipit
Un Gentilhomme de Province étant venu à Paris pour un
Texte
L"ENTREMETTEVR
pour lui-même.
N Gentilhomme de Province
étant venu à Paris pour unC- procés, se..
toit logé dans une au..
berge, dont lemaîtrele
connoissoit depuis dix
ans. Il était bien fait de
sa personne, agreable.
dans la conversation,'ÔC
assez riche pour trouver
des partis fort avantageux
,
s'il cllt voulu
donner dans le Sacrement: maisla liberté lui
plaisoit, ou plutôt son
heure n'était point encore venue
> car quand
elle frape, il n'y a
plus
moyen
dedififerer. Sa
chambre donnoit sur la
rue. L'imparience de
voir revenir un laquais
qu'il avoit envoyé en
ville, luifitmettre la tête à la fenêtre, & ses
yeux furent agreablement arrêtez par une
belle personne quifit la
mêmechose que lui dans
le même temps. Elleétoit dans une chambre
opposée directement à
celle du Cavalier;& un
bruit de peuple, dont el-
le vouloit sçavoir la cause, l'avoit obligée à se
montrer.C'était unebrune d'une beauté surprenante. De grands yeux
noirs pleins de feu, la
bouche admirable, le
nez bien taillé, & le teint
aussivifqu'uni. Le Gentilhomme charmé d'une
sibellevoisine, luifitun
salut qui lui marqua
l'admiration où il étoit.
illui fut rendu d'un air
serieux, quoique fore ci-
vil;& la rumeur ayant
cessédans la rue, cette
aimable personne se retira,au grand déplaisir
du Cavalier qui la regardoitde tous ses yeux.
Il crut qu'il n'auroit pas
de peine à s'introduire
chez elle comme voisin,
& dans cette pensée il
demanda à son hôte qui
elleétoit,& quelles pouvoient être les habitudes. L'hôte lui apprit
quedepuis un an elle oc-
cupoit une partie de cette maison avec sa mere;
qu'elle avoit de la naislance, & peu de bien;
qu'il n'y avoit rien de
plus regulier que sa conduite; que tout le monde en parloit avec grande estime, & qu'il n'y
avoir que des proportions de mariage qui
pussent obliger la mere
a
écouter des gens comme lui. Le Cavaliertrouva le parti trop [cxieux ;
il aimoit les belles personnes, mais non pas jusqu'à vouloir épouser.
Cependant il demeura
ferme dans la resolution
de visite. Il prit la mere
par son foible, & lui
ayantfait entendrequ'il
lui venoit demander sa
fille pour un ami, quien
étoit devenu passionnément. amoureux, il fut
reçû favorablement.Il
donna du bien & une
Charge considerable à
cet ami; &C comme il çr
toit maître du Roman,,
il l'embellit de tout ce
qui le pouvoitrendre
vraisemblable. L'ami étoit à la campagne pour
quinze jours; des affaires importantes l'y a-r
voient mené,&ildede
voit
cette
lui
négociation.
écrirele»
On
futcontent de tout,pourveu que les c
hofes fs
trouvassent telles qu'on
les proposoit. La metc-
s'informa du Cavalier
dans son auberge; on lui
dit qQ"Íl étoit trés-riche, d'une des plus
considerablesMaisons de
la Province, & si fort
en reputation d'homme d'honneur, qu'on
pouvoirs'assurer sur sa
parole. Cependant ,
il
joüoit un rôle assez delicat : mais comme il avoit del'esprit,il ne s'en
embarassoit pas. Il faisoit son compte de voir
la belle le plus longtemps qu'ilpourroit sur
le pied d'agent, &
croyoit forcir d'affaire
par un ami, qui seroit le
passionné pendant quelques jours, & romproit
ensuite sur les articles :
mais il fut la dupe de
lui-mêmeàforce de voir.
L'espritde cette aimable
perfonnefutun nouveau
charme pour lui, &' il
acheva de se perdre en
l'entretenant ;
sa dou-
ceur, son honnêteté,
tout l'enchanta. Il fupposoit tous les joursquelque lettre de son ami,
qu'il faisoitvoirà lamere, & elle lui servoit de
pretexte pour des visites
qui ne le laissoientplus
maîtrede saraison. La
belle ne s'engageoit pas
moins que lui, & il lui
disoit quelquefois des
choses si passionnées,
qu'elle étoit ,. contrainte
:
de le fairesouvenir qu'il
s'égaroit. Un mois entier s'étant écoulé sans
qu'il amenât son ami,
lamere,qui craignit d'estre joüée, le pria de ne
plus revenir chezelle,
tant qu'il n'auroit que
des lettres à lui montrer.
Il se plaignit à la fillede
la cruauté de cet ordre.
Cette charmante personneluirépondit qu'-
elle vouloit bien lui avoüer que l'impatience
de voir l'époux qu'on lui
destinoit n'avoitrien qui
la tourmentât: mais qu'-
elleavoit ses raisons pour
n'estre pas fâchée que sa
mere lui eût fait la désensedontilse plaignoit.
Le Cavalier comprit ce
qu'il y
avoit d'obligeant
pour lui dans cette réponse, & en sentit augmenter sa passion. Iln'osa pourtant continuer
ses visites le lendemain,
& ce jour passé sans voir
ce qu'il adoroit, lui pa-
rut un siecle. Il voulut
se faire violence pour en
- passer encore quelquesuns de la mesme forte,
afin de s'accoutumer à se
détacher: mais le suppliceétoittroprudepour
lui,& l'habitude déja
trop formée. Aprés de
longues agitations,l'amour l'emporta sur l'aversion qu'il avoit toûjours euë pour les engagemens qui pouvoient
tirer à consequence. Il
retour-
retourna plus charmé
qu'auparavant,où il connuttrop qu'il avoit laisséson coeur) & pour arrester les plaintes qu'on
commençoït déja de lui
faire,il débuta parune
lettre de son ami, qui
arrivoit ce mesme jour,
& qui devoit venir confirmer le lendemaintoutes les assurances qu'il
avoit données pour lui.
Cette nouvelle fut reçûë diversement.Autant
que la mere en montra
de joye
,
autant la fille
en eut de chagrin. Ilfut
J
1 j
remarque du Cavalier,
qui s'en applaudit, &
qui eut la rigueur de la
préparer à
la reception,
4eTépoux qu'on luipromçttoii; depuis silongtemps. El/c.ne sesentoit
pas le cœur assez libre
pour se réjoüir de son
a"r¡rivé.e, &C paflfa la nuit
dans - des inquietudes,
qu'il feroit difficile de
se figurer. L'heure de la
vifice étant venuë, le
Cavalier entra le premier. La joye qu' 1 fit
paroîrrede ce qu'il étoit
enfin en état de tenir parole, futun nouveausujet dechagrinpourcette
belle personne: mais ce
chagrin n'aprocha point
de la surpriseoùelle se
trouva, en voyant entrer
après lui un homme à
manteau, & aussi Bourgeois par son équipage
que par sa mine La mere le regard a, la fille rou- gir &: il ne se peut rien
de plus froid que la civilité dont elles payerent
le salut qu'elles en reçûrent. Le Cavalier étoit
dans un enjouëment extraordinaire, & leur dit
centchoses plaisantessur
le serieux avec lequel
elles recevoient une personne qu'il croyoit leur
devoir être si agreable.
L'homme à manteau le
laissa parler long-temps
sans t'interrompre; Se
ayant enfin, demandé si
,
on ne vouloit pas dresser
les articles, il fut fort
surpris d'entendre dire à
la belle qu'il n'y avoit
rien qui pressât, & que
la chose lui étoit assez
d'importance pour lui
donner le temps d'y penser. Cette réponse, & la
maniere dédaigneuse
dont elle regardoit l'époux pretendu qu'on lui
avoit fait attendre depuisunmois,mirent ICi
Cavalier dans des éclats.
de rire,quil lui fut impossible. de retenir. Us*
furent tels, que la mere
& lafille commencerent
à s'en fâcher: mais il
n'eut pas de peine à fair:cifa paix, &: elles ne rirent pas moins que lui,
quand il leur eut appris
qu'il étoit luimême
cet ami dont il leur avoit
parlé,& que celui qu-
elles voyoient étoit un
Notaire qu'il avoit amené pour dresser le contrat de mariage. Jugez
de la joyede la belle,
qui ne s'attendoit à rien
moins qu'à une si agreable tromperie, & qui
s'étant laissé insensiblement prévenir pour
le Cavalier
,
ne souffroit plus qu'avec peine qu'on parlât, de la
marier avec son ami,
quelque honnête hom-
me qu'elle pût le croire. Les articles furent
signez & la grande ceremonie se fit un des
derniersjoursde l'autre
mois
pour lui-même.
N Gentilhomme de Province
étant venu à Paris pour unC- procés, se..
toit logé dans une au..
berge, dont lemaîtrele
connoissoit depuis dix
ans. Il était bien fait de
sa personne, agreable.
dans la conversation,'ÔC
assez riche pour trouver
des partis fort avantageux
,
s'il cllt voulu
donner dans le Sacrement: maisla liberté lui
plaisoit, ou plutôt son
heure n'était point encore venue
> car quand
elle frape, il n'y a
plus
moyen
dedififerer. Sa
chambre donnoit sur la
rue. L'imparience de
voir revenir un laquais
qu'il avoit envoyé en
ville, luifitmettre la tête à la fenêtre, & ses
yeux furent agreablement arrêtez par une
belle personne quifit la
mêmechose que lui dans
le même temps. Elleétoit dans une chambre
opposée directement à
celle du Cavalier;& un
bruit de peuple, dont el-
le vouloit sçavoir la cause, l'avoit obligée à se
montrer.C'était unebrune d'une beauté surprenante. De grands yeux
noirs pleins de feu, la
bouche admirable, le
nez bien taillé, & le teint
aussivifqu'uni. Le Gentilhomme charmé d'une
sibellevoisine, luifitun
salut qui lui marqua
l'admiration où il étoit.
illui fut rendu d'un air
serieux, quoique fore ci-
vil;& la rumeur ayant
cessédans la rue, cette
aimable personne se retira,au grand déplaisir
du Cavalier qui la regardoitde tous ses yeux.
Il crut qu'il n'auroit pas
de peine à s'introduire
chez elle comme voisin,
& dans cette pensée il
demanda à son hôte qui
elleétoit,& quelles pouvoient être les habitudes. L'hôte lui apprit
quedepuis un an elle oc-
cupoit une partie de cette maison avec sa mere;
qu'elle avoit de la naislance, & peu de bien;
qu'il n'y avoit rien de
plus regulier que sa conduite; que tout le monde en parloit avec grande estime, & qu'il n'y
avoir que des proportions de mariage qui
pussent obliger la mere
a
écouter des gens comme lui. Le Cavaliertrouva le parti trop [cxieux ;
il aimoit les belles personnes, mais non pas jusqu'à vouloir épouser.
Cependant il demeura
ferme dans la resolution
de visite. Il prit la mere
par son foible, & lui
ayantfait entendrequ'il
lui venoit demander sa
fille pour un ami, quien
étoit devenu passionnément. amoureux, il fut
reçû favorablement.Il
donna du bien & une
Charge considerable à
cet ami; &C comme il çr
toit maître du Roman,,
il l'embellit de tout ce
qui le pouvoitrendre
vraisemblable. L'ami étoit à la campagne pour
quinze jours; des affaires importantes l'y a-r
voient mené,&ildede
voit
cette
lui
négociation.
écrirele»
On
futcontent de tout,pourveu que les c
hofes fs
trouvassent telles qu'on
les proposoit. La metc-
s'informa du Cavalier
dans son auberge; on lui
dit qQ"Íl étoit trés-riche, d'une des plus
considerablesMaisons de
la Province, & si fort
en reputation d'homme d'honneur, qu'on
pouvoirs'assurer sur sa
parole. Cependant ,
il
joüoit un rôle assez delicat : mais comme il avoit del'esprit,il ne s'en
embarassoit pas. Il faisoit son compte de voir
la belle le plus longtemps qu'ilpourroit sur
le pied d'agent, &
croyoit forcir d'affaire
par un ami, qui seroit le
passionné pendant quelques jours, & romproit
ensuite sur les articles :
mais il fut la dupe de
lui-mêmeàforce de voir.
L'espritde cette aimable
perfonnefutun nouveau
charme pour lui, &' il
acheva de se perdre en
l'entretenant ;
sa dou-
ceur, son honnêteté,
tout l'enchanta. Il fupposoit tous les joursquelque lettre de son ami,
qu'il faisoitvoirà lamere, & elle lui servoit de
pretexte pour des visites
qui ne le laissoientplus
maîtrede saraison. La
belle ne s'engageoit pas
moins que lui, & il lui
disoit quelquefois des
choses si passionnées,
qu'elle étoit ,. contrainte
:
de le fairesouvenir qu'il
s'égaroit. Un mois entier s'étant écoulé sans
qu'il amenât son ami,
lamere,qui craignit d'estre joüée, le pria de ne
plus revenir chezelle,
tant qu'il n'auroit que
des lettres à lui montrer.
Il se plaignit à la fillede
la cruauté de cet ordre.
Cette charmante personneluirépondit qu'-
elle vouloit bien lui avoüer que l'impatience
de voir l'époux qu'on lui
destinoit n'avoitrien qui
la tourmentât: mais qu'-
elleavoit ses raisons pour
n'estre pas fâchée que sa
mere lui eût fait la désensedontilse plaignoit.
Le Cavalier comprit ce
qu'il y
avoit d'obligeant
pour lui dans cette réponse, & en sentit augmenter sa passion. Iln'osa pourtant continuer
ses visites le lendemain,
& ce jour passé sans voir
ce qu'il adoroit, lui pa-
rut un siecle. Il voulut
se faire violence pour en
- passer encore quelquesuns de la mesme forte,
afin de s'accoutumer à se
détacher: mais le suppliceétoittroprudepour
lui,& l'habitude déja
trop formée. Aprés de
longues agitations,l'amour l'emporta sur l'aversion qu'il avoit toûjours euë pour les engagemens qui pouvoient
tirer à consequence. Il
retour-
retourna plus charmé
qu'auparavant,où il connuttrop qu'il avoit laisséson coeur) & pour arrester les plaintes qu'on
commençoït déja de lui
faire,il débuta parune
lettre de son ami, qui
arrivoit ce mesme jour,
& qui devoit venir confirmer le lendemaintoutes les assurances qu'il
avoit données pour lui.
Cette nouvelle fut reçûë diversement.Autant
que la mere en montra
de joye
,
autant la fille
en eut de chagrin. Ilfut
J
1 j
remarque du Cavalier,
qui s'en applaudit, &
qui eut la rigueur de la
préparer à
la reception,
4eTépoux qu'on luipromçttoii; depuis silongtemps. El/c.ne sesentoit
pas le cœur assez libre
pour se réjoüir de son
a"r¡rivé.e, &C paflfa la nuit
dans - des inquietudes,
qu'il feroit difficile de
se figurer. L'heure de la
vifice étant venuë, le
Cavalier entra le premier. La joye qu' 1 fit
paroîrrede ce qu'il étoit
enfin en état de tenir parole, futun nouveausujet dechagrinpourcette
belle personne: mais ce
chagrin n'aprocha point
de la surpriseoùelle se
trouva, en voyant entrer
après lui un homme à
manteau, & aussi Bourgeois par son équipage
que par sa mine La mere le regard a, la fille rou- gir &: il ne se peut rien
de plus froid que la civilité dont elles payerent
le salut qu'elles en reçûrent. Le Cavalier étoit
dans un enjouëment extraordinaire, & leur dit
centchoses plaisantessur
le serieux avec lequel
elles recevoient une personne qu'il croyoit leur
devoir être si agreable.
L'homme à manteau le
laissa parler long-temps
sans t'interrompre; Se
ayant enfin, demandé si
,
on ne vouloit pas dresser
les articles, il fut fort
surpris d'entendre dire à
la belle qu'il n'y avoit
rien qui pressât, & que
la chose lui étoit assez
d'importance pour lui
donner le temps d'y penser. Cette réponse, & la
maniere dédaigneuse
dont elle regardoit l'époux pretendu qu'on lui
avoit fait attendre depuisunmois,mirent ICi
Cavalier dans des éclats.
de rire,quil lui fut impossible. de retenir. Us*
furent tels, que la mere
& lafille commencerent
à s'en fâcher: mais il
n'eut pas de peine à fair:cifa paix, &: elles ne rirent pas moins que lui,
quand il leur eut appris
qu'il étoit luimême
cet ami dont il leur avoit
parlé,& que celui qu-
elles voyoient étoit un
Notaire qu'il avoit amené pour dresser le contrat de mariage. Jugez
de la joyede la belle,
qui ne s'attendoit à rien
moins qu'à une si agreable tromperie, & qui
s'étant laissé insensiblement prévenir pour
le Cavalier
,
ne souffroit plus qu'avec peine qu'on parlât, de la
marier avec son ami,
quelque honnête hom-
me qu'elle pût le croire. Les articles furent
signez & la grande ceremonie se fit un des
derniersjoursde l'autre
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