Titre
LE DIABLE Masqué. Nouvelle de Venise.
Titre d'après la table
Le Diable masqué, nouvelle de Venise.
Fait partie d'une livraison
Page de début
54
Page de début dans la numérisation
57
Page de fin
65
Page de fin dans la numérisation
68
Incipit
Ce Carnaval dernier une des jolies femmes de Venise, Provençale
Texte
LE DIABLE
Mafqué.
but not Garni ob
Nouvelle de Venife.
CECarnaval dernier une
des jolies femmes de Ve
nife , Provençale de naiſ
fance , & établie dans Ve
GALANT.
·
pece
nife depuis plufieurs années , fit chez elle une af
femblée , qui devint une efde bal. Elle ne manquoit pas d'amans , qui tous
attendoient , pour lui faire
leur declaration en forme,
qu'on eût des nouvelles affurées de la mort de fon
mari. Il s'étoit embarqué il
y avoit déja plufieurs années, & le filence qu'il avoit gardé depuis fon départ faifoit préfumer qu'il
avoit peri Cependant la
Dame obſervoit beaucoup
de regularité dans fa conE iiij
56 MERCURE
duite , & il ne lui faloit pas
moins que les privileges du
Carnaval ,,
pour l'autorifer
à faire chez elle une affem.
blée pareille à celle dont je
vous parle. On venoit de
deffervir une grande colation qu'elle avoir donnée
aprés trois heures de jeu ,
quand on vit entrer un Mafque, qui lui preſenta un momon. Il avoit trouvé la por-
+
'
te ouverte & ne s'étoit
point mis en peine de faire
demander fi on le voudroit
recevoir. Sa brufque entrée
n'étonnaperfonne; la faifon
GALANT. 57
permettoit ces fortes de li
bertez , & dans cette vil
le on left bien venu par
tout avec le maſque. La Da
me reçut le momon , & le
gagna. Le Mafque la pria
den jouer un autre , qu'il
perdit encore. La même
chofe lui étant arrivée cinq
ou fix fois , parce qu'il
brouilloit les dez avec tant
de promptitude, que quand
ils tournoient favorable
ment pour lui , il fembloit
ne s'en pas appercevoir ;
d'autres voulurent jouer à
leur tour : mais ils n'y trou
58 MERCURE
verent pas leur compte , le
Mafque gagna , & ne perdit que contre la Dame ,
qu'il engagea de nouveau
au jeu. La gayeté avec laquelle il foûtint la perte
qu'il continua de faire con
tr'elle , ne laiffa aucun dou
te qu'elle ne fût volontai
re. On s'en expliqua tout
haut : il l'entendit ; & prenant un ton different de
celui dont il s'étoit fervi juf
qu'alors , il declara qu'il étoit le maître des richeſſes,
qu'il ne les aimoit que pour
en faire part à la Dame, &
GALANT.
19
qu'il ne difoit rien qu'il ne
soffrit à juftifier par les ef,
fets. En même temps il découvrit plufieurs bourſes
toutes pleines de pieces
d'or ,qu'il demanda à jouer
en un feul momon , contre
tout ce que la maîtreſſe du
logis voudroit hazarder. La
Dame embaraffée de cette
declaration , renonça au
jeu. On examina le Maſque
avec plus d'attention , &
une femme de la compagnie , que l'âge & la foi
bleffe de l'efprit rendoient
fujette à fe faire des realitez
60 MERCURE
de fes vifions, l'ayant regardé depuis la tête juſqu'aux
pieds , devint pâle, tremblante , & tellement éperdue , qu'elle demeura quel
quetemps lans pouvoir parler. La parole lui étant revenue , elle dit tout bas à
fa voifine , qu'il n'y avoit
point à douter que le Mafque ne fût le Diable ; qu'il
l'avoit marqué en declarant
qu'il étoit le maître des richefſes ; & que fi elle y
vouloit prendre garde , elle
lui verroit des cornes fous
fon bonnet. Le Diable
GALANT. 61
7
mafqué avoit pris une
çoëfure bizarre, qui convenoit en quelque maniere
avec ce que les Peintres
ont accoûtumé de nous reprefenter du Demon : &
c'étoit là- deffus que la credule vifionnaire avoit appuyéfon jugement. Ce qu
elle dit paffa en un moment d'oreille en oreille.
Apparemment elle trouva des efprits foibles comme le fien , & l'on propoſa d'abord l'exorcifme. Ce mot fit connoître au Mafque ce qu'on
62 MERCURE
s'étoit figuré de lui. Il commença tout de bon à faire
le Diable , parla plufieurs
Langues , dont quelques
unes étoient inconnues : &
aprés quelques raiſons expliquées fur ce qui l'avoit
obligé de quitter l'enfer , il
ajoûta qu'il venoit particul
lierement demander une
perfonné de la compagnie,
qui s'étoit donnée à lui ,
protefta qu'elle lui appartenoit , & qu'il ne defampareroitpoint qu'ilne l'eût,
quelques obftacles qu'on y
apportât. Chacun regarda
GALANT. 63
la Dame: ces menacesfembloient s'adreffer à elle , &
le Mafque les avoit pronon.
cées d'une voix creufe qui
embaraffoit les moins fufceptibles de frayeur. Les
uns fe taifoient , les autres
fe parloient bas, &celle qui
avoit donné ouverture à la
diablerie , crioit continuellement à l'exorcifme. L'hif
toire porte quefans confulter perfonne , elle fit venir
des gens d'un caractere à
faire fuir les Demons ; que
le Diable pretendu leur répondit fort pertinemment
64 MERCURE
:
& qu'aprés s'être diverti
quelque temps de leurs zelées conjurations , il leva
le mafque ce qui finit l'avanture par un fort grand
cri que fit la Dame. C'étoit
fon mari , qui avoit paſſé
d'Eſpagne au Perou. Il s'y
étoit enrichi , & revenoit
chargé de tréſors. En arri
vant il avoit appris que fa
femmeregaloit fes plus particulieres amies. C'étoit un
des derniers jours du Carnaval. Cette faifon favorable aux déguiſemens , lui
fit naître l'envie de voir la
fête
GALANT. 65
fête fans être connu , & il
avoit pris pour cela le plus
grotesque habit qu'il eût
pû trouver. Toute l'affemblée lui fic compliment ; &
comme il n'étoit pas fi diable qu'on l'avoit crû , on lui
abandonna la Dame qu'il
venoit chercher , & qu'il
avoit dit fi hautement qui
s'étoit donnée à lui.
Mafqué.
but not Garni ob
Nouvelle de Venife.
CECarnaval dernier une
des jolies femmes de Ve
nife , Provençale de naiſ
fance , & établie dans Ve
GALANT.
·
pece
nife depuis plufieurs années , fit chez elle une af
femblée , qui devint une efde bal. Elle ne manquoit pas d'amans , qui tous
attendoient , pour lui faire
leur declaration en forme,
qu'on eût des nouvelles affurées de la mort de fon
mari. Il s'étoit embarqué il
y avoit déja plufieurs années, & le filence qu'il avoit gardé depuis fon départ faifoit préfumer qu'il
avoit peri Cependant la
Dame obſervoit beaucoup
de regularité dans fa conE iiij
56 MERCURE
duite , & il ne lui faloit pas
moins que les privileges du
Carnaval ,,
pour l'autorifer
à faire chez elle une affem.
blée pareille à celle dont je
vous parle. On venoit de
deffervir une grande colation qu'elle avoir donnée
aprés trois heures de jeu ,
quand on vit entrer un Mafque, qui lui preſenta un momon. Il avoit trouvé la por-
+
'
te ouverte & ne s'étoit
point mis en peine de faire
demander fi on le voudroit
recevoir. Sa brufque entrée
n'étonnaperfonne; la faifon
GALANT. 57
permettoit ces fortes de li
bertez , & dans cette vil
le on left bien venu par
tout avec le maſque. La Da
me reçut le momon , & le
gagna. Le Mafque la pria
den jouer un autre , qu'il
perdit encore. La même
chofe lui étant arrivée cinq
ou fix fois , parce qu'il
brouilloit les dez avec tant
de promptitude, que quand
ils tournoient favorable
ment pour lui , il fembloit
ne s'en pas appercevoir ;
d'autres voulurent jouer à
leur tour : mais ils n'y trou
58 MERCURE
verent pas leur compte , le
Mafque gagna , & ne perdit que contre la Dame ,
qu'il engagea de nouveau
au jeu. La gayeté avec laquelle il foûtint la perte
qu'il continua de faire con
tr'elle , ne laiffa aucun dou
te qu'elle ne fût volontai
re. On s'en expliqua tout
haut : il l'entendit ; & prenant un ton different de
celui dont il s'étoit fervi juf
qu'alors , il declara qu'il étoit le maître des richeſſes,
qu'il ne les aimoit que pour
en faire part à la Dame, &
GALANT.
19
qu'il ne difoit rien qu'il ne
soffrit à juftifier par les ef,
fets. En même temps il découvrit plufieurs bourſes
toutes pleines de pieces
d'or ,qu'il demanda à jouer
en un feul momon , contre
tout ce que la maîtreſſe du
logis voudroit hazarder. La
Dame embaraffée de cette
declaration , renonça au
jeu. On examina le Maſque
avec plus d'attention , &
une femme de la compagnie , que l'âge & la foi
bleffe de l'efprit rendoient
fujette à fe faire des realitez
60 MERCURE
de fes vifions, l'ayant regardé depuis la tête juſqu'aux
pieds , devint pâle, tremblante , & tellement éperdue , qu'elle demeura quel
quetemps lans pouvoir parler. La parole lui étant revenue , elle dit tout bas à
fa voifine , qu'il n'y avoit
point à douter que le Mafque ne fût le Diable ; qu'il
l'avoit marqué en declarant
qu'il étoit le maître des richefſes ; & que fi elle y
vouloit prendre garde , elle
lui verroit des cornes fous
fon bonnet. Le Diable
GALANT. 61
7
mafqué avoit pris une
çoëfure bizarre, qui convenoit en quelque maniere
avec ce que les Peintres
ont accoûtumé de nous reprefenter du Demon : &
c'étoit là- deffus que la credule vifionnaire avoit appuyéfon jugement. Ce qu
elle dit paffa en un moment d'oreille en oreille.
Apparemment elle trouva des efprits foibles comme le fien , & l'on propoſa d'abord l'exorcifme. Ce mot fit connoître au Mafque ce qu'on
62 MERCURE
s'étoit figuré de lui. Il commença tout de bon à faire
le Diable , parla plufieurs
Langues , dont quelques
unes étoient inconnues : &
aprés quelques raiſons expliquées fur ce qui l'avoit
obligé de quitter l'enfer , il
ajoûta qu'il venoit particul
lierement demander une
perfonné de la compagnie,
qui s'étoit donnée à lui ,
protefta qu'elle lui appartenoit , & qu'il ne defampareroitpoint qu'ilne l'eût,
quelques obftacles qu'on y
apportât. Chacun regarda
GALANT. 63
la Dame: ces menacesfembloient s'adreffer à elle , &
le Mafque les avoit pronon.
cées d'une voix creufe qui
embaraffoit les moins fufceptibles de frayeur. Les
uns fe taifoient , les autres
fe parloient bas, &celle qui
avoit donné ouverture à la
diablerie , crioit continuellement à l'exorcifme. L'hif
toire porte quefans confulter perfonne , elle fit venir
des gens d'un caractere à
faire fuir les Demons ; que
le Diable pretendu leur répondit fort pertinemment
64 MERCURE
:
& qu'aprés s'être diverti
quelque temps de leurs zelées conjurations , il leva
le mafque ce qui finit l'avanture par un fort grand
cri que fit la Dame. C'étoit
fon mari , qui avoit paſſé
d'Eſpagne au Perou. Il s'y
étoit enrichi , & revenoit
chargé de tréſors. En arri
vant il avoit appris que fa
femmeregaloit fes plus particulieres amies. C'étoit un
des derniers jours du Carnaval. Cette faifon favorable aux déguiſemens , lui
fit naître l'envie de voir la
fête
GALANT. 65
fête fans être connu , & il
avoit pris pour cela le plus
grotesque habit qu'il eût
pû trouver. Toute l'affemblée lui fic compliment ; &
comme il n'étoit pas fi diable qu'on l'avoit crû , on lui
abandonna la Dame qu'il
venoit chercher , & qu'il
avoit dit fi hautement qui
s'étoit donnée à lui.
Langue
Vers et prose
Type d'écrit journalistique
Courrier des lecteurs
Faux
Genre littéraire
Est probablement rédigé par une personne