Titre
Avanture nouvelle. / Les Bohemiennes.
Titre d'après la table
Avanture nouvelle,
Fait partie d'une livraison
Page de début
216
Page de début dans la numérisation
222
Page de fin
270
Page de fin dans la numérisation
276
Incipit
Cette Avanture est du mois de Novembre dernier, & tirée
Texte
Avanture no*uvelle.
Cette Avanture est du
- mois de Novembre dernier,
& tirée des Informations
d'un Procez
qu'on instruit à presents
je n'y mets rien du mien
que le tour des conversations
: je vous les rapporterois
mot à mot, si
j'y avois esté present
&quej'eussede la , memoire,
tant j'aime à estre
exact
,
dans les faits
que
que je donne pour veritables.
Les Bohemiennes. Vous-avez vû dans
le Discours des Presages
que plusieurs grands
Hommes de l'Antiquité
ajoustoient foy aux Di-,
seurs de bonne Avantuce
Grecs & Romains >
:el grand Capitaine qui
affronte avec intrépidité
les perilsréels, craindroit
peut-estre les perilsimaginaires
qu'une
Bohemienne verroit
dans sa main
,
& par
consequent espereroit
les bonnes fortunes qu'-
elle luy promettroit :
pardonnez - donc cette
foiblesse àune femme
dont je vais vous parler,
qui a un bon esprit, &
qui est tres - estimable
d'ailleurs.C'est une riche
Bourgeoise que je
nommeray Belise, &
qui est d'autant plus excusable
que la fourberie
qu'on luy a faiteest une
des moins grossieres en
ce genre-là. La Bohemienne
qui l'a filoutée,
& qui est presentement
au Chastelet, a de l'esprit
comme un Demon,
la langue bien penduë,
le babil, & l'accent Bohemien
tenant du Gas
con, langage propre à
raconter le merveilleux,
:.& à faire croire l'incroyable.
f Cette Bohemienne
sçachant que Belise alloitsouventchez
une
amie, la guette un jour,
&passe comme par hazard
auprésd-ellela
regarde à plusieurs reprises,
s'arreste, reèuletrois
pas & fait un cri
d'estonnement,&de
joye.Est-cequevousme
çonnoissez, luy dit BcJi4
se, en s'arrestant auai;
si je vous connois, répond
la Bohemienne,
dans son jargon: oliy
,
ma bonne Dame, oüy
, Se non, peut-estre &c
sans doute,je vous connois,&
si je ne vous connois
pas; mais je fuis
sure que vous ferez heureuse
de me connoistre.
Je vois bien, luy dit Belife
avec bonté, que
vous avez envie de gagner
la piece
, en me disant
ma bonne Avanture
; je n'y crois point,
mais ne laissez pas de me
la dire. Belise la fit entrer
avec elle chez son
amie, & les voilà toutes
trois à causer. Belise luy
presenta sa main
,
& la
Bohemienne,en l'observant,
feignoitd'estre de
plus en plus surprise&
rejoüie d'avoir rencontré,
disoit-elle, une personne
qu'elle cherchoit
depuis plusieursannées.
Elle devina par les régles
de son Art,plusieurs
singularitez dontelles'éstoit
fait instruire par
une Servante qui avoit
servi Belise:mais ce
qu'elle voyoit de plus
leur dans cette main
c'estoit, disoit-elle, , une
fortune subite & prochaine
; une fortune;
s'écria Belise > oüy
,
répondit
la Bohemienne,
&fortune bonne, bonne
fortune, fortune de richesses'entend,
& non
d'amour, car je vois
dans vostre main que
, vous ellesfage& fidele
à vostre mary qui pis7
est pour vos amants;
certes je voisbiendes
mains à Paris, mais j'en
nvoi.sp.e'uecomme la-vo- Par les circonstances
surprenantes qu'elle paroissoit
deviner,elle disposa
Belife à donner avec
confiance dans le
piege qu'elleluy tm-, doit.Aprés avoir persuadé
à nos Bourgeoises
qu'elle avoit des liaisons
tres - particulières avec
les Demons & les Génies,
elle leur conta Phistoire
d'une Princesse
Orientale qui étoit venu
mourir à Paris il y avoit
cent ans, & leurditque
cette Princesse eftranae-
- L:
reavoit enterre1 un r
tresor
dans une Cave, & qu'-
ensuitevoulant faire son
heritiere une certaine
Bourgeoise de ce tempslà
qu'elle avoit pris en
affection
,
elle avoit esté
surprise de mort subite
avant que d'avoir pû instruire
la Bourgeoise du
tresor caché; c'estceque
je sçaispar la Princesse
mesme,continualaBohemienne
:car quoyque
morte il y a cent ans „ elle est fort de mes amies,&
voicycomment.
Vous devez sçavoir,car
il est vray que nulle personne
de l'autre monde
ne peut parler ànulle de
celuy-cyque par l'entreluire
des Genies: or
est-il que le mien est amy
de celuy de la Princesse;
bref, je l'ayvûë tant de
fois que rien plus: &
je me fuis chargé de
luy chercher dans Paris
quelque femme qui soit
de la famille de la défunte
Bourgeoise
, que
la défunte Princesse vouloitfaire
son heritieredu
tresor caché,& je suis
bien trompé si vous n'estes
une de ces parentes;
que je cherche avec empressement;
A ce récit extravagant
l'amierioit de tout son
coeur, mais Belise ne
rioit que pour faire l'esprit
fort,carle desir d'estre
heritiere augmentoit
sa credulité. Il faut
estrefolle, dit-elle, pour
s'aller imaginer que je
sois parente de cette heritiere
; pas si folle mabonneDame,
pas si folle,
car je levoudrois detout
moncoeur ,
& je l'ay
soupçonné d'abord à
certain airdefamille qui
m'a frappé dans vostre
visage,car la Princesse
m'afaitvoir en songe
l'air de famille de l' heritiere
afin que je reconnoisse
à la phisionomie
quelqu'une de ses parentes.
Mais5 reprit Belise
5
comment sçavoir si jesuisparentede
cette
héritière qui vivoit il y
a cent ans. Oh dans Paris,
reprit la Bohemienne,
on est parent de plus
de gens qu'on ne pense,
car depuis le tems qu'on
s'y marie, & qu'on ne
nez-vous combien d'alliances
; toutes les Bourgeoises
de Paris sont
cousines, vous dis-je, il
n'y a que la difference
du degré, & si vous estes
cousine de l'heritiere
feulement au septantiéme
degré, j'ay tant de
credit sur la Princesse
que je vous fais heriter
de son tresor. C'a je
fuis impatiente d'affection
pour vous de sçavoir
si vous estes vrayement
la parente qu'ilme
faut.
,
Je vais l'éprouver
en un clein d'oeüil. Mais
si j estoisaussi parente, dit l'amie > la Bohémienne
n'y trouva point
d'apparence, mais fut
ravie pourtant de faire
l' épreuve double pour
mieuxjouer fbn jeu. A
l'instantelle demanda
deux grands verres de
cristal qu onalla chercher&
remplir d'eau
claire. Elle les mit sur
deux tables éloignées
l'unede l'autre
,
& dit
aux Bourgeoises de fermer
un oeil, .&" de regarder
attentivementavec
l'autre. Les voilà
donc observantchacune
leur verre d eau.Regardez-
bien
,
dez-bien, leur crioit la
fausse Magicienne, car
celle qui effc parente de
l'heritiere
,
doit voir
dans son verre un échantillon
du tresor dont elle
doit heriter, &C l'autre y
verra le Diable,c est-àdire,
rien. Il faut vous
dire - icy que la Bohe--
mienne avoit mis dans
chaque verre unepetite
racine, leur disant que
c estoit la racine d'enchantement
,
qui attiroit
les Genies, Se l'une
de ces racines estoit appresséeavec
unecomposition
chimique qui détrempée
par l'eau devoit
par une espece de fermentation
, former des
bubes d'air & force petits
brillants de differentes
couleurs avec de petites
pailletésdorées
y
ç'en est plus qu'il ne
faut pour faire, voir à
une femme prévenue ,
tout ce que son imagination
luy represente.
Belifecftoit si agitée
par le desir du tresor,
Se par la crainte de
ne rien voir,que la première
petite bubed'air
qui parut dans le verre,
elle criaquelle voyoit
quantité de perles. Noijre
rusée acheva de luy
tourner la teste en se réjoüissant
d'avoir deviné
juste. Vous en allez bienvoir
d'autres,s'écriat-
elle ;regardez;(bien.En*
estet
,
la fermentation
augmente ,
&C chaque
fois qu'on luy dit, voyezvous
cecy, voyez-vous
cela, Belise répond toujours
,
oüy
,
oiiy ; car
transportée,ébloüie,
troublée
,
elle vit enfin
tant de belles choses, que
charmée&convaincuë,
elle allasautes aucolde
celle qui .la.-fai[ait si-dri-,
chev^>li .VJiL'
L'autreBourgeoiseestoit
muette 'èc :bi(tll.fdt:a
chée de n'avoir vu que
de l'eau claire: mais Be--
lise croyant déjà tenir
des millions, luy promit
de l'enrichir & de
recompenser sa bienfaitrice
qui luy jura, foy
de Bohémienne, qu'elle
pollederoit ce tresor dans
- deux jours,maisqu'il y
avoitpourtant de grandesdiffcultezàvaincre:
car,dit-elle
y
le Diable ,
quiest.gardien - de tous
les tresors enterrez
?
en
doit prendre possession
au bout de cent années .à
c'estla regle des tresors
cachez, mais par bonheur
il n'y a que quatrevingts
dix-huit ans que
la Princesse a enterré le
lien, je crains pourtant
que le Diable ne nous
dispute la date, enragé
contre vous de ce qu'à
deux ans prés vous luy
enlevez des richesses qui
luy auraientserviàdamner
trente avaricieux
mais voyons encore voestre
main
,
je me trompe
fort si ce mesme Diable
la ne vous a déjàlutine.
justement, dit Belise
,. car cet Esté à la
campagne il revenoitun
esprit dans ma chambre.
Il faut estre Sorciere
pour avoir deviné cela.
La Sorciere sçavoit, en
effet, que la Servante
s'ennuyant de ne point
voir son Amant, s'estoit
avisée de lutiner la nuit
là Maistresse pour l'obliger
à revenir à Paris.
C'a menez-moy chez
vous, dit la Bohémienne
en regardant l'eau
du verre, car je remarque
icy que ce treior est
dans la cave de la maison
mefrne où vous demeurez
,
& je voisqu'il
consiste en deux cailles
dont l'une cil: pleine de
vieux Ducats, & l'autre
de Pierreries.
Belise ravie de ravoir
voir déja sa succession
dans sa cave, emmena
chez elle son amie & la
Bohémienne, qui l'avertit,
cheminfaisant, que
pour adoucir la férocité
.de l'esprit malin
,
elle
alloit faire des conjurations
,
des fumigations,
& qu'il falloit amorcer
d'abord le Diable par
une petite effusion d'or.
Avez-vous de l'or chez
vous, continua-t-elle ;
j'ay cinq Loüis d'or, repondit
Belise, fort bien,
reprit l'autre: mais je ne
veux toucher de vous
ni or ny argent que je
n'en aye rempli vos coffres.
Vous mettrez vousmesme
l'or dans le creuset
au fond de la cave,
& vous le verrez fondre
à vos yeux par un
feu infernal qui lortira
des entrailles de la terre
en vertu de certaine paroles
ignées que je prononceray.
Je veux que
vous soyez témoin de
cesmerveilles qui vous
prouverons mon pouvoir&
le droit quevous
avez déjà sur la succession.
Avec de pareils dis
cours ils arrivèrent enfin
chez Belise
,
où le
reste de la fourberie eC.
roit preparee, comme
vous l'allez voir. Les caves
en question estoient
comme on en voit encore
à Paris, pratiquées
dans des souterrains antiques,
en forte qu'elles
n'estoient separées de
plusieurs autres caves
que par un vieux mur,
caves fort propres à exercer
l'art des Magiciens
,
& des Marchands
de Vin. L'ancienne
Servante,au tems
qu'elle apparuten Lutin
à sa Maistresse, avoit fait
dans ce vieux mur une
petite ouverture à l'occasion
de ses amours ;
elle disposoit d'une de
ces caves voisînes.C'est
par son moyenque nôtre
Magicienne avoit composé
un spectre ressemblant
à peu prés à celuy
quiestoit apparu àBelise
à sa campagne. Elle joignit
à cela un appareil
affreux dontvous verrez
l'effet dans un moment.
Belisearrivée chez elle,
alla prendre dans son
tiroir les cinq Loüisd'or
pour faire fondre au feu
infernal.On la conduit
dans ses caves; un friC.
son la prend en entrant
dans la premiere. Ily en
avoit encore une autre a..
traverser quand elle vit
au fond de la troisiéme
une -
lueur qui luy fit;
appercevoir ce fpeétrel
de sa connoissânce
,
qui
sembloit [orrir de terre.
Elle ne fitqu'uncriqui
futsuivid'un évanouissement.
Aussi-tost la Magicienne
& ia compagne
la reporterent dans
là chambre,&dés qu'on
l'eust fait revenir à elle
,
ion premier mouvement
fut d'estre charméed'avoir
vû ce qui
l'assuroit de la realité du
tresor. Elle donna les
Louis d'or pour aller,
achever la ceremonie
dans la cave, &quelque
temps après on luy vint
rendre compte du bon
effet de l'or fondu ,cir
le demon dutresor avoit
promis de letrouver la
nuit suivante au rendezvous
quon luy avoit
donné de la part de la
Princesse, pour convenir
à l'amiable du droit
de celle qui en devoit
heriter. C'est ainsi que la
Bohémienne gagnacent
francs pour sa premiere
journée, & laissa l'heritiere
fort impatiente du
Succès qu'auroit pour
elle la conférence nocturne
du Demon&de la
Princesse
Le lendemain la Bohémienne
encurée vint
trouver Belife
,
& feignant
d'estre transportée
de joye luy dit, en
l'embralïant que la Princesses'estoit
rendue chez
elle dans une petite
chambre quelle luy avoit
fait tapisserde blanc,
& que le Diable y estoit
venu malgré luy. Je l'ay
bien contraint d'yvenir,
continua-t-elle dans son
jargon, je leur commande
à baguette àces .pe- titsMessieurs-là; au reste
j'ay dit tant de perfections
de vous à la Princesse,
jqu'ellevousaime
comme [on propre enfant.
Elle vous fait sa
legataire universelle. Le
Diable alleguoit que les
cent ans estoient accomplis,
il vouloit escamoter
parun faux calcul les
deux ans qui luy manquent.
Il a bien disputé
son droit contre nous":
mais tout Diable qu'il
est, il faut qu'il nous
cede en dispute à nous
autres femmes
,
& nous
l'avons fait convenir
qu'en luy donnant sa
paragouante, il renonceroit
à la succession
, & cette paragouante ce
ne sera que mille écus,
encore voulions
- nous
qu'il les prit sur l'argent
du tresor : mais il s'est.
mis en fureur disant
qu'on vouloit le trom-
1
per, & il a raison, car
dés qu'un tresor est déterré)
il n'y a plus de
droit; bref, nous luy avons
promis les mille écus
d'avance;il faut que
vous les trouviezaujourd'huy,
Belise écoutoitavec
plaisir les bontez
de la Princesse,mais
les mil écus luy tenoient
au coeur ; elle y révoit.
Je ne veux point toucher
cet argent, continua
la rusée; vous le
donnerez au Diable en
main propre. Il est enragé1
contre vous, car vous
estes si vertueuse, il voit
de plus que vous l'allez
déshériter
,
s'il vous tenoit,
il vous dechireroit
à belles dents; il faut
pourtant que vous luy
donniez vous-mesme les
mille écus. Ah ! s'écria
Belife, jeneveuxplusle
voir; voyez-le, voyezle
,
continual'autre,en
faisantunpeu lafaschée,
vous croyez peut-estre
que je veux gagner avec
luy sur ces milleécus-là,
c'est son dernier mot ,
voyez-le vous - mesme.
Belife luy protesta quelle
avoit toute confiance
en elle, mais qu'il luy
estoit impossible detrouver
mille écus,& qu'elle
auroit mesme de la peine àmettre ensemble cinq
cent livres, à quoy la
Bohémienne repartit
apres avoir revé un moment
;hé bien vous me
ferez vostre billet du reste,
& je feray le mien
au Diable, & cela je
vous le propose fous son
bon plaisir s'entend, car
il faut que j'aille luy
faire cette nouvelle proposition.
Après ce diC.
cours elle quitta Belise
qui passale reste du jour à ramassercinq cent livres
dans la bourse de
les amies.
Le lendemain la Bo-
.-
hemienne revint luy annoncer
que le jour suivant
elle la mettroit en
possession
,
& que le
marché se pourroit conclure
la nuitprochaine
dans la cave où le Diablegardoit
le tresor ;
que la Princesse devoit
s'y trouver sur le minuit,
& qu'elle vouloit
absolument que l'heritiere
fut presente : mais,
continua - t - elle
, en
voyant déjà pâlir Belise,
ne
ne craignez rien, vous
y ferez & vous n'y ferez
pas, car ce fera mon Genie
qui prendra vostre
ressemblance, & qui paroiftra
à vostre place avec
quatre Genies de ses
amis habillez en femmes
,car la Princessè est
entestée du cérémonial ;
elle veut que quatre ou
cinq Dames venerables
forment la bas un cercle
digne de la recevoir. Il
ne nous manque plus
rien que des habits pour
ce cercle; mais il en faut
trouver, car les Genies
ont bien le pouvoir d'imiter
au naturel des
creatures vivantes, mais
ils ne peuvent imiter ni
le fil, ni la soye, ni la
laine,rien qui soit ourdi, tramé,,t.is"su, ni tricoté,ce
sont les termes du Grimoire,
nous sçavons.
cela nous autres, & je
vous l'apprends, en forte
que pour les habiller
ilfaut des habits,réellement
eftoffez
,
& j'ay
imaginé que vous leur
presteriez les vostres. Ne
craignez point qu'ils les
salissent
: les Genies sont
propres. C'a, COlltinuat-
elle d'un ton badin, il
nous faut aussi quantié
de toiles: vous avenus
doute des. draps, des
nappes}c'estquelaPrincesse
ne peut paroiftrc
que dans unlieu rapiæ
deblanc,vostre CÍ'Te est
noire, elle n'y viendroit
point, & nous manquerions
vostre succession..
A tout ce détail, Belise
topoitde tout son coeur,
penetrée de rcconnoissance
pour sa bienfaictrice.
Après avoir donné
les cinq cens livres& son
bille du reste, elle fait
elle-mesme l'inventaire
deses habits & de son
linge.LaBohemienne ne
Cluive rien de trop beau
pour~ cercle de laPrincesse
,
& mesme elle
l'augmente encore de
deux Genies voyant des
juppes & des coëffures
de reste. A peine laisset-
elle à Belise un jupon
de toile avec sa chemise.
Cette pauvre femme dépouillée
aide elle-melme
à porter ses hardes jusqu'à
la porte dela cave,
& la Bohémienne
en y entrant recommande
à l'heritiere de
bien fermer la porte à
doubletour,depeur
que quelqu'un ne vienne
troubler lecercle. Belise
ne pouvoitavoir aucun
soupçon en enfermant
son bien dans sa
cave, car elle ignoroit la
communication des caves
voisines, par où les
Genies plierent toilette,
ainsi les Bohémiennes
eurent toute la nuit devant
elles pour sortir de
Paris avec leur butin,
& l'heritiere en chemise
fut secoucher en attendant
ses habits & la succession
de la Princesse.
Voicylefragmentd'une
Lettre qui acheve de #
me détailler la fin de
cette ayanture. L .-, e lendemain matin Belise
s'apercevant quelleavoit
etéfiloutéepurlesBohémiennes3envojta
deux hommes après
elles qui lessaisirent à Chantïlliavec
les hardes & 46Ov
livsur quoj les Bohemiennes
ayant estéarrestées & interrogées
elles denierent le fait du
tresor, reconnurent les bardes
pourappartenir à la Darne,
mais elles dirent quellesleur
avoient esté données en nantissement
de 1500. liv. quelles
luyavoientprestéesainsiquil
estoit justifié par la reconnoissance
de la Dame
,
inserée
dans la Lettre qu'elle representoit;
mais comme cette Lettre
écrite à une defunte estoit fort
équivoque
, que d'ailleurs
quand elle eust esté une reconnoissancepure
&simpledela
Dame duprests de 1500.elle
eufi
rust esté nulle parce que la Dame
efloit en puissance de Tlldry.
Voicy motpour mot la copie
de cette Lettre que la Bohémienne
avoit apparemment
diflee à la Dame en luy disant
quelledevaitparpolitejje écrire
a la Princejje.
MADAME,
* N'ayant point l'honneur
d'estre connu devous,
attendu que vous n'estes
plus en vie depuis longtemps
néanmoins la personne
qui vous doit rendre
celle-cy dans la cave, avec
mes respects,vous assurera,
de ma reconnoissance pour
la bonté que vous avez de
me fire vostre heritiere ,
& pour vous témoigner
que je veux satisfaire à vostre
volonté que vostre ame
a dite àla personne qui
vous rendra la presente,
j'ay voulu que vous vissiez
dans ma Lettre comme elle
ma presté la somme de
quinze cens livres,&
que je luy rendray avec
honneur. Jesuisse.
-
£,'$«rce comprendpas que
la Bohemienne ait pus'imaginer
que cette seureté seroit
suffisante pour elle ny que la
Dame,quin'apas voulu apparemmentfaire
un Billetsimple
à laBohemienne sesoitengagée
parune reconnoissance. En un
mot il y a peu de vraysemblance
a tout cela; mais la circonstance
est vraye &sivraye
qu'onn'a pas cru devoir en alterer
la vérité pour la rendre
plus croyable
;
les Jugesde
Chantillyn'ayant nul égard à
cette promesseinserée dans la
Lettre, ne firent point de
difficulté de faire rendre les
bardes au porteur de la procuration
du Mary de la DavIe,
sous le nom duquelelles
furent revendiquées. A l'égard
de l'argents il nefut point
rendu d'autant que les Bohémiennes
ne convinrent point
l'avoirexigé de la Dame
,
mais
pretendircnî: que c' efioit leur
pecule ; qu'Aies mont oient à
d.!?!-" à q;tan lté de personnes
de qualité qui les payaient
grassement
, que mefieelles
avoient receusept Louis d'orneufs
de Mr le Duc deBaviere
pour avoir dansé devant
lui a Cbantilti & àLiencourt.
Aurestecomme les Bohemienne
au nombre de trois a oient
deja esté reprises deJustice, &
qu'elles estoient fletries, l'une
d'une fleur de lis
,
l'autre de
deux & la troisiéme de trois
ce qui les devoitfaire jugerau
Chastelet comme vagabondes,
où elles avaient cleja estécondamnéescommes
telles
,
el/cs y
furentrenvoyées ; ellesyfont,
& on leuryfait actuellement
leur Procez.S'il n'y avoit cjue
lefaitdu tresor, il n'yauroit
pas matiere à condamnation ce
seroit untour de Bohemiennes.
dont il ny auroitqu'à rire,
mais ilaparu depuis un Bouloanntgfeorrçqéuuipnreetend
qu'elles luy
Armoire &y
ontpris1200.livres
, ce qui
estantprouvépourra les conduire
à la potence.
Cette Avanture est du
- mois de Novembre dernier,
& tirée des Informations
d'un Procez
qu'on instruit à presents
je n'y mets rien du mien
que le tour des conversations
: je vous les rapporterois
mot à mot, si
j'y avois esté present
&quej'eussede la , memoire,
tant j'aime à estre
exact
,
dans les faits
que
que je donne pour veritables.
Les Bohemiennes. Vous-avez vû dans
le Discours des Presages
que plusieurs grands
Hommes de l'Antiquité
ajoustoient foy aux Di-,
seurs de bonne Avantuce
Grecs & Romains >
:el grand Capitaine qui
affronte avec intrépidité
les perilsréels, craindroit
peut-estre les perilsimaginaires
qu'une
Bohemienne verroit
dans sa main
,
& par
consequent espereroit
les bonnes fortunes qu'-
elle luy promettroit :
pardonnez - donc cette
foiblesse àune femme
dont je vais vous parler,
qui a un bon esprit, &
qui est tres - estimable
d'ailleurs.C'est une riche
Bourgeoise que je
nommeray Belise, &
qui est d'autant plus excusable
que la fourberie
qu'on luy a faiteest une
des moins grossieres en
ce genre-là. La Bohemienne
qui l'a filoutée,
& qui est presentement
au Chastelet, a de l'esprit
comme un Demon,
la langue bien penduë,
le babil, & l'accent Bohemien
tenant du Gas
con, langage propre à
raconter le merveilleux,
:.& à faire croire l'incroyable.
f Cette Bohemienne
sçachant que Belise alloitsouventchez
une
amie, la guette un jour,
&passe comme par hazard
auprésd-ellela
regarde à plusieurs reprises,
s'arreste, reèuletrois
pas & fait un cri
d'estonnement,&de
joye.Est-cequevousme
çonnoissez, luy dit BcJi4
se, en s'arrestant auai;
si je vous connois, répond
la Bohemienne,
dans son jargon: oliy
,
ma bonne Dame, oüy
, Se non, peut-estre &c
sans doute,je vous connois,&
si je ne vous connois
pas; mais je fuis
sure que vous ferez heureuse
de me connoistre.
Je vois bien, luy dit Belife
avec bonté, que
vous avez envie de gagner
la piece
, en me disant
ma bonne Avanture
; je n'y crois point,
mais ne laissez pas de me
la dire. Belise la fit entrer
avec elle chez son
amie, & les voilà toutes
trois à causer. Belise luy
presenta sa main
,
& la
Bohemienne,en l'observant,
feignoitd'estre de
plus en plus surprise&
rejoüie d'avoir rencontré,
disoit-elle, une personne
qu'elle cherchoit
depuis plusieursannées.
Elle devina par les régles
de son Art,plusieurs
singularitez dontelles'éstoit
fait instruire par
une Servante qui avoit
servi Belise:mais ce
qu'elle voyoit de plus
leur dans cette main
c'estoit, disoit-elle, , une
fortune subite & prochaine
; une fortune;
s'écria Belise > oüy
,
répondit
la Bohemienne,
&fortune bonne, bonne
fortune, fortune de richesses'entend,
& non
d'amour, car je vois
dans vostre main que
, vous ellesfage& fidele
à vostre mary qui pis7
est pour vos amants;
certes je voisbiendes
mains à Paris, mais j'en
nvoi.sp.e'uecomme la-vo- Par les circonstances
surprenantes qu'elle paroissoit
deviner,elle disposa
Belife à donner avec
confiance dans le
piege qu'elleluy tm-, doit.Aprés avoir persuadé
à nos Bourgeoises
qu'elle avoit des liaisons
tres - particulières avec
les Demons & les Génies,
elle leur conta Phistoire
d'une Princesse
Orientale qui étoit venu
mourir à Paris il y avoit
cent ans, & leurditque
cette Princesse eftranae-
- L:
reavoit enterre1 un r
tresor
dans une Cave, & qu'-
ensuitevoulant faire son
heritiere une certaine
Bourgeoise de ce tempslà
qu'elle avoit pris en
affection
,
elle avoit esté
surprise de mort subite
avant que d'avoir pû instruire
la Bourgeoise du
tresor caché; c'estceque
je sçaispar la Princesse
mesme,continualaBohemienne
:car quoyque
morte il y a cent ans „ elle est fort de mes amies,&
voicycomment.
Vous devez sçavoir,car
il est vray que nulle personne
de l'autre monde
ne peut parler ànulle de
celuy-cyque par l'entreluire
des Genies: or
est-il que le mien est amy
de celuy de la Princesse;
bref, je l'ayvûë tant de
fois que rien plus: &
je me fuis chargé de
luy chercher dans Paris
quelque femme qui soit
de la famille de la défunte
Bourgeoise
, que
la défunte Princesse vouloitfaire
son heritieredu
tresor caché,& je suis
bien trompé si vous n'estes
une de ces parentes;
que je cherche avec empressement;
A ce récit extravagant
l'amierioit de tout son
coeur, mais Belise ne
rioit que pour faire l'esprit
fort,carle desir d'estre
heritiere augmentoit
sa credulité. Il faut
estrefolle, dit-elle, pour
s'aller imaginer que je
sois parente de cette heritiere
; pas si folle mabonneDame,
pas si folle,
car je levoudrois detout
moncoeur ,
& je l'ay
soupçonné d'abord à
certain airdefamille qui
m'a frappé dans vostre
visage,car la Princesse
m'afaitvoir en songe
l'air de famille de l' heritiere
afin que je reconnoisse
à la phisionomie
quelqu'une de ses parentes.
Mais5 reprit Belise
5
comment sçavoir si jesuisparentede
cette
héritière qui vivoit il y
a cent ans. Oh dans Paris,
reprit la Bohemienne,
on est parent de plus
de gens qu'on ne pense,
car depuis le tems qu'on
s'y marie, & qu'on ne
nez-vous combien d'alliances
; toutes les Bourgeoises
de Paris sont
cousines, vous dis-je, il
n'y a que la difference
du degré, & si vous estes
cousine de l'heritiere
feulement au septantiéme
degré, j'ay tant de
credit sur la Princesse
que je vous fais heriter
de son tresor. C'a je
fuis impatiente d'affection
pour vous de sçavoir
si vous estes vrayement
la parente qu'ilme
faut.
,
Je vais l'éprouver
en un clein d'oeüil. Mais
si j estoisaussi parente, dit l'amie > la Bohémienne
n'y trouva point
d'apparence, mais fut
ravie pourtant de faire
l' épreuve double pour
mieuxjouer fbn jeu. A
l'instantelle demanda
deux grands verres de
cristal qu onalla chercher&
remplir d'eau
claire. Elle les mit sur
deux tables éloignées
l'unede l'autre
,
& dit
aux Bourgeoises de fermer
un oeil, .&" de regarder
attentivementavec
l'autre. Les voilà
donc observantchacune
leur verre d eau.Regardez-
bien
,
dez-bien, leur crioit la
fausse Magicienne, car
celle qui effc parente de
l'heritiere
,
doit voir
dans son verre un échantillon
du tresor dont elle
doit heriter, &C l'autre y
verra le Diable,c est-àdire,
rien. Il faut vous
dire - icy que la Bohe--
mienne avoit mis dans
chaque verre unepetite
racine, leur disant que
c estoit la racine d'enchantement
,
qui attiroit
les Genies, Se l'une
de ces racines estoit appresséeavec
unecomposition
chimique qui détrempée
par l'eau devoit
par une espece de fermentation
, former des
bubes d'air & force petits
brillants de differentes
couleurs avec de petites
pailletésdorées
y
ç'en est plus qu'il ne
faut pour faire, voir à
une femme prévenue ,
tout ce que son imagination
luy represente.
Belifecftoit si agitée
par le desir du tresor,
Se par la crainte de
ne rien voir,que la première
petite bubed'air
qui parut dans le verre,
elle criaquelle voyoit
quantité de perles. Noijre
rusée acheva de luy
tourner la teste en se réjoüissant
d'avoir deviné
juste. Vous en allez bienvoir
d'autres,s'écriat-
elle ;regardez;(bien.En*
estet
,
la fermentation
augmente ,
&C chaque
fois qu'on luy dit, voyezvous
cecy, voyez-vous
cela, Belise répond toujours
,
oüy
,
oiiy ; car
transportée,ébloüie,
troublée
,
elle vit enfin
tant de belles choses, que
charmée&convaincuë,
elle allasautes aucolde
celle qui .la.-fai[ait si-dri-,
chev^>li .VJiL'
L'autreBourgeoiseestoit
muette 'èc :bi(tll.fdt:a
chée de n'avoir vu que
de l'eau claire: mais Be--
lise croyant déjà tenir
des millions, luy promit
de l'enrichir & de
recompenser sa bienfaitrice
qui luy jura, foy
de Bohémienne, qu'elle
pollederoit ce tresor dans
- deux jours,maisqu'il y
avoitpourtant de grandesdiffcultezàvaincre:
car,dit-elle
y
le Diable ,
quiest.gardien - de tous
les tresors enterrez
?
en
doit prendre possession
au bout de cent années .à
c'estla regle des tresors
cachez, mais par bonheur
il n'y a que quatrevingts
dix-huit ans que
la Princesse a enterré le
lien, je crains pourtant
que le Diable ne nous
dispute la date, enragé
contre vous de ce qu'à
deux ans prés vous luy
enlevez des richesses qui
luy auraientserviàdamner
trente avaricieux
mais voyons encore voestre
main
,
je me trompe
fort si ce mesme Diable
la ne vous a déjàlutine.
justement, dit Belise
,. car cet Esté à la
campagne il revenoitun
esprit dans ma chambre.
Il faut estre Sorciere
pour avoir deviné cela.
La Sorciere sçavoit, en
effet, que la Servante
s'ennuyant de ne point
voir son Amant, s'estoit
avisée de lutiner la nuit
là Maistresse pour l'obliger
à revenir à Paris.
C'a menez-moy chez
vous, dit la Bohémienne
en regardant l'eau
du verre, car je remarque
icy que ce treior est
dans la cave de la maison
mefrne où vous demeurez
,
& je voisqu'il
consiste en deux cailles
dont l'une cil: pleine de
vieux Ducats, & l'autre
de Pierreries.
Belise ravie de ravoir
voir déja sa succession
dans sa cave, emmena
chez elle son amie & la
Bohémienne, qui l'avertit,
cheminfaisant, que
pour adoucir la férocité
.de l'esprit malin
,
elle
alloit faire des conjurations
,
des fumigations,
& qu'il falloit amorcer
d'abord le Diable par
une petite effusion d'or.
Avez-vous de l'or chez
vous, continua-t-elle ;
j'ay cinq Loüis d'or, repondit
Belise, fort bien,
reprit l'autre: mais je ne
veux toucher de vous
ni or ny argent que je
n'en aye rempli vos coffres.
Vous mettrez vousmesme
l'or dans le creuset
au fond de la cave,
& vous le verrez fondre
à vos yeux par un
feu infernal qui lortira
des entrailles de la terre
en vertu de certaine paroles
ignées que je prononceray.
Je veux que
vous soyez témoin de
cesmerveilles qui vous
prouverons mon pouvoir&
le droit quevous
avez déjà sur la succession.
Avec de pareils dis
cours ils arrivèrent enfin
chez Belise
,
où le
reste de la fourberie eC.
roit preparee, comme
vous l'allez voir. Les caves
en question estoient
comme on en voit encore
à Paris, pratiquées
dans des souterrains antiques,
en forte qu'elles
n'estoient separées de
plusieurs autres caves
que par un vieux mur,
caves fort propres à exercer
l'art des Magiciens
,
& des Marchands
de Vin. L'ancienne
Servante,au tems
qu'elle apparuten Lutin
à sa Maistresse, avoit fait
dans ce vieux mur une
petite ouverture à l'occasion
de ses amours ;
elle disposoit d'une de
ces caves voisînes.C'est
par son moyenque nôtre
Magicienne avoit composé
un spectre ressemblant
à peu prés à celuy
quiestoit apparu àBelise
à sa campagne. Elle joignit
à cela un appareil
affreux dontvous verrez
l'effet dans un moment.
Belisearrivée chez elle,
alla prendre dans son
tiroir les cinq Loüisd'or
pour faire fondre au feu
infernal.On la conduit
dans ses caves; un friC.
son la prend en entrant
dans la premiere. Ily en
avoit encore une autre a..
traverser quand elle vit
au fond de la troisiéme
une -
lueur qui luy fit;
appercevoir ce fpeétrel
de sa connoissânce
,
qui
sembloit [orrir de terre.
Elle ne fitqu'uncriqui
futsuivid'un évanouissement.
Aussi-tost la Magicienne
& ia compagne
la reporterent dans
là chambre,&dés qu'on
l'eust fait revenir à elle
,
ion premier mouvement
fut d'estre charméed'avoir
vû ce qui
l'assuroit de la realité du
tresor. Elle donna les
Louis d'or pour aller,
achever la ceremonie
dans la cave, &quelque
temps après on luy vint
rendre compte du bon
effet de l'or fondu ,cir
le demon dutresor avoit
promis de letrouver la
nuit suivante au rendezvous
quon luy avoit
donné de la part de la
Princesse, pour convenir
à l'amiable du droit
de celle qui en devoit
heriter. C'est ainsi que la
Bohémienne gagnacent
francs pour sa premiere
journée, & laissa l'heritiere
fort impatiente du
Succès qu'auroit pour
elle la conférence nocturne
du Demon&de la
Princesse
Le lendemain la Bohémienne
encurée vint
trouver Belife
,
& feignant
d'estre transportée
de joye luy dit, en
l'embralïant que la Princesses'estoit
rendue chez
elle dans une petite
chambre quelle luy avoit
fait tapisserde blanc,
& que le Diable y estoit
venu malgré luy. Je l'ay
bien contraint d'yvenir,
continua-t-elle dans son
jargon, je leur commande
à baguette àces .pe- titsMessieurs-là; au reste
j'ay dit tant de perfections
de vous à la Princesse,
jqu'ellevousaime
comme [on propre enfant.
Elle vous fait sa
legataire universelle. Le
Diable alleguoit que les
cent ans estoient accomplis,
il vouloit escamoter
parun faux calcul les
deux ans qui luy manquent.
Il a bien disputé
son droit contre nous":
mais tout Diable qu'il
est, il faut qu'il nous
cede en dispute à nous
autres femmes
,
& nous
l'avons fait convenir
qu'en luy donnant sa
paragouante, il renonceroit
à la succession
, & cette paragouante ce
ne sera que mille écus,
encore voulions
- nous
qu'il les prit sur l'argent
du tresor : mais il s'est.
mis en fureur disant
qu'on vouloit le trom-
1
per, & il a raison, car
dés qu'un tresor est déterré)
il n'y a plus de
droit; bref, nous luy avons
promis les mille écus
d'avance;il faut que
vous les trouviezaujourd'huy,
Belise écoutoitavec
plaisir les bontez
de la Princesse,mais
les mil écus luy tenoient
au coeur ; elle y révoit.
Je ne veux point toucher
cet argent, continua
la rusée; vous le
donnerez au Diable en
main propre. Il est enragé1
contre vous, car vous
estes si vertueuse, il voit
de plus que vous l'allez
déshériter
,
s'il vous tenoit,
il vous dechireroit
à belles dents; il faut
pourtant que vous luy
donniez vous-mesme les
mille écus. Ah ! s'écria
Belife, jeneveuxplusle
voir; voyez-le, voyezle
,
continual'autre,en
faisantunpeu lafaschée,
vous croyez peut-estre
que je veux gagner avec
luy sur ces milleécus-là,
c'est son dernier mot ,
voyez-le vous - mesme.
Belife luy protesta quelle
avoit toute confiance
en elle, mais qu'il luy
estoit impossible detrouver
mille écus,& qu'elle
auroit mesme de la peine àmettre ensemble cinq
cent livres, à quoy la
Bohémienne repartit
apres avoir revé un moment
;hé bien vous me
ferez vostre billet du reste,
& je feray le mien
au Diable, & cela je
vous le propose fous son
bon plaisir s'entend, car
il faut que j'aille luy
faire cette nouvelle proposition.
Après ce diC.
cours elle quitta Belise
qui passale reste du jour à ramassercinq cent livres
dans la bourse de
les amies.
Le lendemain la Bo-
.-
hemienne revint luy annoncer
que le jour suivant
elle la mettroit en
possession
,
& que le
marché se pourroit conclure
la nuitprochaine
dans la cave où le Diablegardoit
le tresor ;
que la Princesse devoit
s'y trouver sur le minuit,
& qu'elle vouloit
absolument que l'heritiere
fut presente : mais,
continua - t - elle
, en
voyant déjà pâlir Belise,
ne
ne craignez rien, vous
y ferez & vous n'y ferez
pas, car ce fera mon Genie
qui prendra vostre
ressemblance, & qui paroiftra
à vostre place avec
quatre Genies de ses
amis habillez en femmes
,car la Princessè est
entestée du cérémonial ;
elle veut que quatre ou
cinq Dames venerables
forment la bas un cercle
digne de la recevoir. Il
ne nous manque plus
rien que des habits pour
ce cercle; mais il en faut
trouver, car les Genies
ont bien le pouvoir d'imiter
au naturel des
creatures vivantes, mais
ils ne peuvent imiter ni
le fil, ni la soye, ni la
laine,rien qui soit ourdi, tramé,,t.is"su, ni tricoté,ce
sont les termes du Grimoire,
nous sçavons.
cela nous autres, & je
vous l'apprends, en forte
que pour les habiller
ilfaut des habits,réellement
eftoffez
,
& j'ay
imaginé que vous leur
presteriez les vostres. Ne
craignez point qu'ils les
salissent
: les Genies sont
propres. C'a, COlltinuat-
elle d'un ton badin, il
nous faut aussi quantié
de toiles: vous avenus
doute des. draps, des
nappes}c'estquelaPrincesse
ne peut paroiftrc
que dans unlieu rapiæ
deblanc,vostre CÍ'Te est
noire, elle n'y viendroit
point, & nous manquerions
vostre succession..
A tout ce détail, Belise
topoitde tout son coeur,
penetrée de rcconnoissance
pour sa bienfaictrice.
Après avoir donné
les cinq cens livres& son
bille du reste, elle fait
elle-mesme l'inventaire
deses habits & de son
linge.LaBohemienne ne
Cluive rien de trop beau
pour~ cercle de laPrincesse
,
& mesme elle
l'augmente encore de
deux Genies voyant des
juppes & des coëffures
de reste. A peine laisset-
elle à Belise un jupon
de toile avec sa chemise.
Cette pauvre femme dépouillée
aide elle-melme
à porter ses hardes jusqu'à
la porte dela cave,
& la Bohémienne
en y entrant recommande
à l'heritiere de
bien fermer la porte à
doubletour,depeur
que quelqu'un ne vienne
troubler lecercle. Belise
ne pouvoitavoir aucun
soupçon en enfermant
son bien dans sa
cave, car elle ignoroit la
communication des caves
voisines, par où les
Genies plierent toilette,
ainsi les Bohémiennes
eurent toute la nuit devant
elles pour sortir de
Paris avec leur butin,
& l'heritiere en chemise
fut secoucher en attendant
ses habits & la succession
de la Princesse.
Voicylefragmentd'une
Lettre qui acheve de #
me détailler la fin de
cette ayanture. L .-, e lendemain matin Belise
s'apercevant quelleavoit
etéfiloutéepurlesBohémiennes3envojta
deux hommes après
elles qui lessaisirent à Chantïlliavec
les hardes & 46Ov
livsur quoj les Bohemiennes
ayant estéarrestées & interrogées
elles denierent le fait du
tresor, reconnurent les bardes
pourappartenir à la Darne,
mais elles dirent quellesleur
avoient esté données en nantissement
de 1500. liv. quelles
luyavoientprestéesainsiquil
estoit justifié par la reconnoissance
de la Dame
,
inserée
dans la Lettre qu'elle representoit;
mais comme cette Lettre
écrite à une defunte estoit fort
équivoque
, que d'ailleurs
quand elle eust esté une reconnoissancepure
&simpledela
Dame duprests de 1500.elle
eufi
rust esté nulle parce que la Dame
efloit en puissance de Tlldry.
Voicy motpour mot la copie
de cette Lettre que la Bohémienne
avoit apparemment
diflee à la Dame en luy disant
quelledevaitparpolitejje écrire
a la Princejje.
MADAME,
* N'ayant point l'honneur
d'estre connu devous,
attendu que vous n'estes
plus en vie depuis longtemps
néanmoins la personne
qui vous doit rendre
celle-cy dans la cave, avec
mes respects,vous assurera,
de ma reconnoissance pour
la bonté que vous avez de
me fire vostre heritiere ,
& pour vous témoigner
que je veux satisfaire à vostre
volonté que vostre ame
a dite àla personne qui
vous rendra la presente,
j'ay voulu que vous vissiez
dans ma Lettre comme elle
ma presté la somme de
quinze cens livres,&
que je luy rendray avec
honneur. Jesuisse.
-
£,'$«rce comprendpas que
la Bohemienne ait pus'imaginer
que cette seureté seroit
suffisante pour elle ny que la
Dame,quin'apas voulu apparemmentfaire
un Billetsimple
à laBohemienne sesoitengagée
parune reconnoissance. En un
mot il y a peu de vraysemblance
a tout cela; mais la circonstance
est vraye &sivraye
qu'onn'a pas cru devoir en alterer
la vérité pour la rendre
plus croyable
;
les Jugesde
Chantillyn'ayant nul égard à
cette promesseinserée dans la
Lettre, ne firent point de
difficulté de faire rendre les
bardes au porteur de la procuration
du Mary de la DavIe,
sous le nom duquelelles
furent revendiquées. A l'égard
de l'argents il nefut point
rendu d'autant que les Bohémiennes
ne convinrent point
l'avoirexigé de la Dame
,
mais
pretendircnî: que c' efioit leur
pecule ; qu'Aies mont oient à
d.!?!-" à q;tan lté de personnes
de qualité qui les payaient
grassement
, que mefieelles
avoient receusept Louis d'orneufs
de Mr le Duc deBaviere
pour avoir dansé devant
lui a Cbantilti & àLiencourt.
Aurestecomme les Bohemienne
au nombre de trois a oient
deja esté reprises deJustice, &
qu'elles estoient fletries, l'une
d'une fleur de lis
,
l'autre de
deux & la troisiéme de trois
ce qui les devoitfaire jugerau
Chastelet comme vagabondes,
où elles avaient cleja estécondamnéescommes
telles
,
el/cs y
furentrenvoyées ; ellesyfont,
& on leuryfait actuellement
leur Procez.S'il n'y avoit cjue
lefaitdu tresor, il n'yauroit
pas matiere à condamnation ce
seroit untour de Bohemiennes.
dont il ny auroitqu'à rire,
mais ilaparu depuis un Bouloanntgfeorrçqéuuipnreetend
qu'elles luy
Armoire &y
ontpris1200.livres
, ce qui
estantprouvépourra les conduire
à la potence.
Langue
Vers et prose
Type d'écrit journalistique
Courrier des lecteurs
Faux
Genre littéraire
Mots clefs
Domaine
Est probablement rédigé par une personne
Fait partie d'un dossier